3 j 107 Tonog CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. VINGT-QUATRIÈME SESSION. Le Congrès ne prend point la responsabilité des opinions consignées dans le compte-rendu de ses travaux, lorsqu'elles n'ont point été sanctionnées par un vote. CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. VINGT-QUATRIÈME SESSION TENUE A GRENOBLE AU MOIS DE SEPTEMBRE 1857. — Lx TOME PREMIER. À PARIS, À GRENOBLE, CHEZ DERACHE, LIBRAIRE, ? CHEZ MAISONVILLE, IMPr, Rue du Bouloy, 7. Rue du Palais, 4. 1858. PATAIS, 4. CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. NOTICE PRÉLIMINAIRE. XL fut question, il y a cinq ou six ans, sur la proposition de l’Académie delphinale , de demander au directeur de l’Institut des provinces, M. de Caumont, la tenue d’un Congrès scientifique à Grenoble. On ne crut pas alors être en mesure de le recevoir d'une manière convenable. Enfin . dans le courant de l’année 1855 , le maire de la ville, de concert avec M. Albert du Boys, président de l’Académie delphinale , se mit en rapport avec M. de Caumont, et ce dernier fit décider au Congrès du Puy que la XXIV® ses- sion se tiendrait à Grenoble, au mois de septembre 1857. Au mois de février suivant, M. de Caumont, sur la présen- tation des sociétés savantes de cette ville et d’après l’avis (à CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de l’Institut des provinces, dont il est le directeur, nomma M. du Boys secrétaire général. M. du Boys fut chargé par conséquent d'organiser le congrès scientifique pour l’épo- que ci-dessus fixée. * Le premier soin du secrétaire général fut de s'assurer du concours bienveillant des autorités et des personnes notables de Grenoble ; il trouva aussi les dispositions les plus favorables dans les principaux professeurs des facul- tés et du lycée impérial. Enfin, les sociétés savantes de cette ville désignèrent un certain nombre de leurs mem- bres pour l'aider à organiser le Congrès et à en préparer le programme. M. le premier président de la Cour impériale s’em- pressa, avec la plus gracieuse obligeance, d'offrir le pa- lais de justice pour lieu de réunion du Congrès. La première séance s’est tenue le 3 septembre dernier, dans la salle des audiences solennelles, et M. le maire a fait au Congrès un discours de réception, dont nous re- produisons le texte dans notre compte-rendu. Le discours d'ouverture a été ensuite prononcé par M. Albert du Boys, secrétaire général. Mgr l’évêque de Grenoble, après avoir appelé les béné- dictions du ciel sur les travaux de cette assemblée, a bien voulu consentir à la présider , et a ainsi étendu sur elle, pendant toute la durée de la session, son religieux et imposant patronage. Les présidents de section, étus dans les plus hauts rangs de la science proprement dite, de la grande propriété, des lettres sérieuses et de la magistrature supérieure, ont VINGT-QUATRIÈME SESSION. . 7 admirablement conduit les discussions dont la direction leur était confiée. Le Congrès a fait aux environs de la ville plusieurs pro- menades, dont la géologie , la médecine, l’agriculture et l'archéologie se sont disputé l'intérêt. Nous ne parlons pas ici de beaucoup d’autres courses plus considérables, que quelques membres ont accomplies pendant et surtout après la session. Par ses travaux soutenus, par les observations de tout genre qui se sont offertes à ses membres , le Congrès de Grenoble mérite, suivant l'opinion du fondateur même de ces réunions , d’être placé au nombre des meilleurs parmi les vingt-quatre qui ont eu lieu déjà dans divers chefs-lieux de département (1). Nous reproduisons ici : 4° le tableau statistique des ses- sions du Congrès scientifique de France depuis son éta- blissement; 2 le programme des questions qui ont été proposées à Grenoble pour chacune des sections du Congrès. On verra dans les procès-verbaux comment elles ont été traitées et résolues. 2 (1) Voici les propres termes dont se sert M. de Caumont dans ie dernier numéro du Bulletin monumental (3° série, tome rx, 23e vol. de la collect. , n° 7, p. 590) : « Les travaux du Congrès « ont été parfaitement dirigés, et jamais les bureaux n'avaient « mieux fonctionné. La session dé Grenoble sera comptée « parmi les meilleures qui aient eu lieu. » ÿ CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. TABLEAU STATISTIQUE DES SESSIONS DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE DEPUIS SON ÉTABLISSEMENT (1833-1857.) Présidents généraux. Secrétaires généraux. re M. DE CAUMONT oi Caen L'aBé DE LA RUE, Correspondant de ” es Membre de l'Institut. l'Institut. LIe M 2 M. 0e LA FonTeneLLE s . DE CAUMONT, DE Vauporé, septembre Poitiers Correspondant de l'Institut. Correspondant de l’Ins- 1834 titut. III .. M. pe La Fonrenezce M. Louis DE Gr- septembre Douai DE VAUDORÉ, VENCHY, 4835 "Insti Membre de l'Institut 8 | Correspondant de l'Institut. A ET IVe M s . DE LA PLACE, septembre Blois Ancien premier président de la Mn AATR 1836 cour royale d'Orléans. ds dE ! Ve Le marquis DE ViiceNEuvE M. Vicror SIMON, septembre Metz Trans. Membre de l’Institut 1837 * Membre de l’Institut. des provinces. VIe MM. ze Cog Er septembre Clermont M. DE CaumonrT, BouILLET, 1838 Fondateur du Congrès. Membres de l’Institut . des provinces. VIle M. Cauvin, septembre Mans M. Lair, Ancien oratorien, 1839 De l'Institut des provinces. ET M. RICHELET, De l'Institut des VIIIe provinces. septembre Besançon MM. TouRANGIN ET DE M. Weiss, 1840 Caumoxr. Membre de l’Institut. IXe M s M. DE Commar- tem e + DE SAUSSURE, MOND UN Lyon Correspondant de l’Institut à Membre de l'Institut Geuève. des provinces. Xe septembre Strasbourg M. DE CAUMONT, M. Herp, 1842 Fondateur du Congrès. Membre de l’Institut des provinces. XIe septembre Angers Le comte pe Lascases, M.PLANCHENAULT 1843 Conseiller d'Etat. ET M. GuiLLoLx. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 9 Présidents généraux. Secrétaires généraux. MM. D'HomBres- XIIe LE COMTE DE GASPARIN, FIRMAS “+ Pair de France L septembre Nimes ; RES ET DE LA BAUME, - 1844 RRRRE ARE. Membres de l'Institut des provinces. XIIIe Mer Ces MM. BonNNEvILLE, : Es SSE septembre Reims Bt eo Paris 1845 Archevêque de Reims. ET LANDoUzY. M. pe Caumonr XIV° s Directeur de l'Institut des’ pro- M. Le Dr Roux, septembre Marseille vinces, De l'Institut des 1846 correspondant de l'Institut. provinces. XVe Minis pu DE LoMBRoOT, septembre Tours MA le LA PR HAMPOISEAU 1847 De l’Académie de médecine. ET DE SOURDEVAL. XVIe \ M.I . LE Gaz, septembre nnes. M. RICHELET, ; or Es Re De l'Institut des provinces. te de qe En 1848 il n’y a pas eu de session. XVIIe septembre Nancy LE VICOMTE DE Cussy. M. Dior. 1850 XVII LE tite SDL M. De BUZONNIÈRE £ e Bruxelles, k 4 spembre Orléans Membre du sénat belge. Ancien magistrat. FE : LE COMTE DE PEYRONNET, M. CHARLES DE sepieinbre Toulouse. Ancien ministre. Mouuins. XXe ; 6 MTE D'HÉRI- septembre Arras LE BARON DE STASSART. Le co L COURT. 1853 XXIe ed Mer River, Fri Dijon Evêque de Dijon. M. DE LA Cuisine. AXE M CHÈVREMONT . DE CHÈVREMONT, nn Le Puy Préfet de la Haute-Loire. M. De Brive. XXII j septembre LaRochelle ME TANDRIOT, L'ABBé LACURIE. 1836 Evêque de La Rochelle. . XXIVe septembre Grenoble Mer GiNouLuïaAc, M. Acserr ou Boxs, 1837 Evêque de Grenûble. Ancien magistrat. 10 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. QUESTIONS PROPOSÉES POUR CHACUNE DES SECTIONS. {re SECTION ET 6e SECTION RÉUNIES. SCIENCES NATURELLES ET MATHÉMATIQUES. 1. — Distinguer et classer les divers terrains de trans- port (dépôts erratiques, alluvions anciennes, etc.) qui s'observent dans le bassin du Rhône, depuis Lyon jusqu'à la mer, et dans les vallées des Alpes de la Savoie et da Dauphiné; déterminer l’ordre de succession de ces dépôts et discuter leurs diverses origines; examiner la part que peut avoir chacun d’eux dans la constitution du sol meu- ble superficiel ou de la terre végétale dans son état actuel. 2. — Etablir la série des formations dont se composent les terrains tertiaires du Dauphiné , de la Savoie et de la Provence, en y comprenant les terrains à nummulites; déterminer les alternances et les synchronismes de forma- tions marines et de formations lacustres qui peuvent exis- ter dans cette série de terrains. 3. — Des ossements fossiles découverts dans les terrains tertiaires de transport du bassin du Rhône; rechercher YINGT-QUATRIÈME SESSION. 11 les éléments qu'ils fournissent pour la classification de ces terrains. &.— Des lignites du Bas-Dauphiné: appartiennent-ils tous au même étage géologique ? 5. — De la tourbe et des lignites considérés comme combustibles: des procédés à suivre pour en améliorer l'usage et en étendre les applications. 6. — De la série des étages crétacés et jurassiques dans le bassin du Rhône. 7.— Peut-on établir positivement, dans les Alpes du Dauphiné et de la Savoie, l'existence de terrains sédimen- taires plus anciens que la partie inférieure du lias ? 8. — Du gisement de l’anthracite et des grès renfermant des empreintes végétales houillères , dans les Alpes du Dauphiné et de la Savoie. 9.— Du métamorphisme en général et de l’extension des roches métamorphiques dans les Alpes occidentales. 10.— Des roches plutoniques des Alpes occidentales ; déterminer les époques géologiques de leur apparition. 11. — Des gisements métallifères de la Savoie et du Dau- phiné: des progrès dont leur exploitation est susceptible. 12.— De la diffusion des métaux précieux, or et platine surtout, dans les minerais et les roches de diverse nature. 13. — Des ciments et chaux hydrauliques; conditions que doivent remplir les pierres calcaires pour être propres à leur fabrication. Gisements dans lesquels il convient de les rechercher. 44. — Des relations qui existent entre les formes oro- graphiques des montagnes et leur constitution géologique. En faire l’application aux Alpes en particulier. 15.— Des variations de niveau de la limite des neiges perpétuelles et des glaciers dans les Alpes occidentales. 12 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 46. — Des diverses régions à distinguer dans les Alpes, au point de vue de la météorologie. 417. — Des faits généraux relatifs à la distribution des plantes dans les Alpes et les contrées qui s’y rattachent. Des plantes caractéristiques de diverses zones d'altitude ; des limites inférieures et supérieures de leur végétation, et de celles des diverses cultures dans les montagnes. 48. — Des tremblements de terre ressentis à diverses époques dans les Alpes et le bassin du Rhône. 2e SECTION. AGRICULTURE, INDUSTRIE, COMMERCE. 4. — Quels seraient les moyens les plus eflicaces de s'opposer aux dévastations des torrents et des rivières ? 9.— Les moyens proposés sont-ils d'une exécution possible, conciliables avec l’état actuel de notre législa- tion ? 3. — Quel bien à apporté à l’agriculture la création des fermes-écoles? Quelles améliorations pourrait-on ap- porter à l’art agricole par d’autres moyens ? &. — Quelles industries pourrait-on introduire dans les campagnes , dans le but de donner du travail aux ouvriers des champs , alors que les travaux agricoles manquent ? 5. — Quelles sontles meilleures mesures à prendre pour établir une bonne statistique agricole ? 6.— Les moyens employés actuellement pour la désin- fection des matières fécales nuisent-ils ou non aux qua- lités de l’engrais ? T.— À quel point la culture des betteraves épuise-t-elle les terrains ? VINGT-QUATRIÈME SESSION. 13 8. — Quelle est l'influence de la culture des racines sur la nourriture et l’engraissement du bétail ? 9. — De l’écobuage. 40. — Quels sont les procédés les plus économiques et les plus efficaces pour transformer les bois tendres en bois durs, ou pour augmenter la durée des bois? 11. — Quelles sont les indications à tirer, pour le drai- nage, de la composition minéralogique du terrain et de sa plus ou moins grande perméabilité ? 42. — Quels avantages peut-on tirer de la culture du sorgho ? 13. — Des engrais en général. 14. — Des meilleurs moyens pour organiser un crédit agricole. 45. — De l'influence et des avantages du semis du blé en lignes. 16. — Examiner l'importance de la suppression gra- duelle des consommations de combustible qui ne pro- duisent que de la puissance mécanique fixe. Remplacement économique et rationnel de Ja force ainsi créée, par l’utilisation beaucoup plus générale des cours d’eau naturels. 17. — Quels seraient les moyens d'augmenter notable- ment, sans nuire à l’agriculture , et en favorisant même les petits cultivateurs, la production des peaux de che- vreau , qui deviennent tous les jours plus recherchées, et dont le prix s'élève sans cesse ? 18. — Quelles sont les causes de la supériorité, en gé- néral , de la mégisserie de la ville d’Annonay? 19. — Quels seraient les moyens d'utiliser les anthra- cites de l'Isère dans les travaux métallurgiques ? 14 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 3e SECTION. SCIENCES MÉDICALES. 4. — Des scrofules, du crétinisme , et des goîtres dans les pays de montagne. Quelle en est la cause ? quels pour- raient en être les remèdes ? 2, — Des bains de vapeur de térébenthine. 3. — Des procédès hydrothérapiques. 4. — Des eaux thermales, et principalement de celles d'Uriage, de la Motte, d’Allevard, en Dauphiné, et d'Aix, en Savoie. 5. — Quel rôle joue le système nerveux dans les mala- dies aiguës ? les causes déterminantes de ces affections ar- rivent-elles jusqu’à ce système, de manière à ce qu'il soit le premier frappé et que l'état de maladie ne soit que la consèquence de la lésion? — Différences de ces cas avec ceux où il n’est affecté que secondairement : symptômes qui signalent sa participation dans les états morbides. Caractères de ses lésions. Quand sont-elles simplement fonctionnelles? quand sont-elles organiques ? Signes dis- tinctifs des unes et des autres. 6. — Serait-il bon de créer un hospice spécial pour les épileptiques? Dans quelles conditions devrait-il être placé? 4e SECTION. GÉOGRAPHIE, HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. À. — Origine du droit de franc-alleu en France cet spé- cialement en Dauphiné. : 2. — Des voies romaines dans les Alpes. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 45 3. — Des ateliers monétaires dans les provinces qui formaient autrefois le royaume d’Arles. 4. — Géographie du Dauphiné, de la Provence et de la Savoie, dans l'antiquité et au moyen-âge. 5. — De l'administration du Dauphiné sous les pre- miers dauphins et sous les rois de France. 6. — Quelle part de souveraineté eurent les évêques dans le Dauphiné et l’ancien royaume d'Arles ? 7. — Quelle fut, dans ces mêmes contrées, la condition des villes au moyen-âge? 8. — Déterminer l’âge de l’église et de la crypte de Saint-Laurent de Grenoble. 9. — Distinguer et déterminer les âges divers des con- structions architecturales de la cathédrale de Grenoble. 40. — Étudier, au même point de vue, le palais de justice de Grenoble, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur. 11. — Des universités qui ont existé en Dauphiné. 12. — Sur quelles bases doit être fondé un musée ar- chéologique, et quelles peuvent en être l'utilité et Pimpor- tance dans une ville qui remonte à une haute antiquité ? 43. — Le xix° siècle aura-t-il un art architectural qui lui soit propre ? 44. — De l'emploi du fer ou de la fonte dans les orne- ments d'architecture des monuments publics et surtout des églises. 5e SECTION. BEAUX-ARTS, LITTÉRATURE, PHILOSOPHIE. 1. — Comment et à quelles conditions l’art peut-il s’é- lever à la plus haute moralité, sans même que l’œuvre présente , par le fait, aucune conclusion morale ? 16 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 9, — Quels sont les éléments généraux et universels auxquels on peut reconnaître la vérité de l’art et sa per- fection ? 3.— Dans quelles limites le caractère personnel de l'artiste et le caractère national peuvent-ils se produire, sans nuire à la vérité de l’art, bien plus, en contribuant à sa perfection? k. — Quels sont les progrès que le christianisme a amenés dans l’art? 5. — D'où vient la décadence de la littérature drama- tique en France depuis quelques années? Quels moyens pourrait-on employer pour lui donner une meilleure im- pulsion ? 6. — Quelle peut être l'utilité d’un cours de littérature pour les classes ouvrières ? 7. — De l'importance de la culture des beaux-arts pour l'industrie, et surtout pour l’industrie française. 8. — Des nouvelles écoles de peinture religieuse, par- ticuliérement en Allemagne. 9, — De la musique religieuse au xix° siècle. 10.— Des écrivains du Dauphiné et de ceux de la Savoie qui ont eu de l'influence sur la formation et le développement de la langue francaise. 41. — De la philosophie de Condillac et de son in- fluence au xvu® siècle. 412. — N'y aurait-il pas lieu de dédoubler l’école de peinture à Rome, et de créer une école de paysage en France même ? Dans ce cas, où faudrait-il la placer ? 43. — Des productions diverses en patois de Dauphiné. Recherches sur les divers patois de cette province et sur leurs différentes origines. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 17 COMPOSITION DES BUREAUX. ’ Président général : Mgr GINOULHIAC, %, Evêque de Grenoble. Vice-Présidents : MM. DE CAUMONT, %, directeur de l'Institut des pro- vinces, membre correspondant de l’Institut de France. ROUX (P.-M.), %, docteur médecin, etc. , à Mar- seille. BALLY, #, ancien président de l'académie de médecine de Paris. ï GIRAUD , %, ancien député, à Romans (Drôme). Secrétaire général : M. ALBERT pu BOYS, ancien magistrat, correspondant du ministère de l'instruction publique pour les tra- vaux historiques. Secrétaires généraux adjoints : MM. CHarres LORY, professeur de géologie et de bota- nique à la faculté des sciences de Grenoble. PILOT, conservateur des archives du département de l'Isère. Trésorier general : M. ANTONIN MACÉ, professeur d'histoire à la faculté des lettres de Grenoble, correspondant du ministère de l'instruction publique pour les travaux historiques. Ordonnateur général des fêtes, etc. : M. CHARBONNEL-SALLE, juge au tribunal de 4r° ins- tance de Grenoble. | I 2 18 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. BUREAUX DES SECTIONS. 1e et G° Sections réunies. SCIENCES NATURELLES ET MATHÉMATIQUES. Président : : M. GUEYMARD, 0%, ingénieur en chef des mines en retraite, doyen honoraire de la faculté des sciences de Grenoble. Vice-Présidents : MM. BONJEAN, chevalier de plusieurs ordres, chimiste, secrétaire et délégué de la Société d'agriculture de Chambéry. MICHAUD,'E, capitaine adjudant-major en retraite, chef d'institution à Sainte-Foy-lez-Lyon, membre de plusieurs Sociétés savantes. BOUILLET, #, inspecteur divisionnaire pour les monuments historiques, à Clermont-Ferrand. BARUFFI, #, professeur de philosophie et de physi- que à l’université royale de Turin. Secrétaires : MM. SEGUIN, professeur à la faculté des sciences de Grenoble. BRETON (H.), pharmacien, à Grenoble. BOS, professeur de mathématiques supérieures au lycée d'Orléans. 2e Section. AGRICULTURE , COMMERCE, INDUSTRIE. Président : M. ALBERT DE BRIVE, %, membre du conseil géné- ral d'agriculture, secrétaire général de la xxn° session du Congrès scientifique, au Puy (Haute-Loire). YINGT-QUATRIÈME SESSION. 49 Vice-Presidents : MM. GAUGAIN, #, trésorier de l’Institut des provinces, à Caen. RIBBE (DE), CHARLES, avocat à Aix (Bouches du Rhône). ROBIOU DE LA TRÉHONNAIS, propriétaire à Fal- mouth (Angleterre). SEGOND-CRESP, avocat, à Marseille. Secrétaires : MM. ARVET, %, ancien conseiller de préfecture, à Saint-Martin d'Uriage (Isère). LAFORTE (AuGusTtEe), membre du conseil géné- ral, à Villard-Bonnot (Isère). GARIEL (Pau), avocat, à Grenoble. 3° Section. SCIENCES MÉDICALES. Président : M. LEROY, %, doyen de la faculté des sciences de Gre- noble. Vice-Présidents : MM. ANCELON, docteur en médecine, à Dieuze (Meur- the). RIBOLI, docteur médecin , à Turin. HERPIN, de Metz, docteur médecin, à Paris. BONJEAN, chevalier de plusieurs ordres et chi- miste, à Chambéry. Secrétaires : MM. REY (Armanp) , docteur en médecine , directeur de l'établissement hydrothérapique de Bouquéron. CHARVET (BapristEe), docteur médecin, à Gre- noble. 20 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. e ke Section. HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE Président : M. DE TERREBASSE, ancien député, correspondant du ministère de l'instruction publique pour les travaux historiques. Vice-Présidents : MM. RICARD, secrétaire de la société d'archéologie , sciences et belles lettres de Montpellier {Hérault). CHALLE, ‘%, membre du conseil général de l'Yonne, à Auxerre. LE PETIT (l'abbé), chanoine, à Bayeux (Calvados). GENOUILLAC (be), membre de l’Institut des pro- vinces, à la Chapelle-Chaussée (Ille et Vilaine). Secrétaires : MM. GARIEL (H.), bibliothécaire de la ville de Grenoble. REVILLOUT, professeur d'histoire au lycée impé- rial de Grenoble. LEBLANC (Juzes), bibliothécaire de la ville de Brioude (Haute-Loire). 5° Section. PHILOSOPHIE, LITTÉRATURE, BEAUX-ARTS. Président : M. DUBEUX, O #, procureur général à la Cour impé- riale d'Aix (Bouches du Rhône). Vice-Présidents : MM. HUGONIN (l'abbé), professeur de philosophie à l’école des Carmes, à Paris. MM. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 21 COUSIN , ancien magistrat, président de la Société dunkerquoise , à Dunkerque (Nord). CUMONT (CHarLes DE), avocat à Crissé, près Sillé le Guillaume (Sarthe). MAIGNIEN, doyen de la faculté des lettres, à Gre- noble. Secrétaires : AUZIAS (Léon) fils, avocat, à Grenoble. MAUREL DE ROCHEBELLE fils, membre de l’aca- démie delphinale, à Grenoble. CORBLET {l'abhbé), directeur de la Revue de l'art chrétien, à Amiens (Somme). HATZFELD, professeur à la faculté des lettres de Grenoble. LACOUR (EMiLe ), avocat, à Grenoble. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 23 LISTE ALPHABÉTIQUE MEMBRES DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE (1). AGOULT (le comte p’), propriétaire à Voreppe (Isère). ALARD, banquier, à Dunkerque (Nord). ALBIGNY (PauL p’), secrétaire général de la Société académique de St-Etienne (Loire). ALGOUD (GusrTave), propriétaire, à Grenoble. ALLARD-DUPLANTIER, membre du conseil général, à Voiron (Isère). ALLMER, correspondant du ministère de l'instruction publique, à Lyon. ALMÉRAS-LATOUR, :#, premier avocat général à la Cour impériale de Grenoble. ANCELON, vice-président de la section des sciences meédicales. ARTAUD, docteur en médecine , à Grenoble. (1) On pourra remarquer quelques différences entre la liste actuelle et la liste primitive publiée en épreuves pendant la ses- sion du congrès. Quelques-uns des membres se sont retirés, el deux sont décédés : M. l'abbé Gallois, de Grenoble, et M. Ber- tini, membre du parlement, à Turin. 24 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ARVET, 3%, secrétaire de la section d'agriculture, commerce etindustrie. AUTHEMAN, géologue, à Cassis, près Marseille. AUVERGNE (l'abbé), secrétaire de l'évêché, à Grenoble. AUZIAS père, avocat, à Grenoble. AUZIAS fils, secrétaire de la section de philosophie, littérature et beaux-arts. AVIT-MELQUIOND, docteur en médecine, à Marseille. BAECKER (pe), ancien magistrat, à Bergues (Nord). BAILLY DE MERLIEUX (Madame), propriétaire, à Paris. BAILLY DE MERLIEUX, secrétaire général de la Société impériale d’horticulture, à Paris. BALLY , vice-président du Congrès. BANCENEL (pe), chef de bataillon du génie, à Liesle (Doubs). BARONNAT, chef d'institution, à Grenoble. BARROIL, maître de poste, à Voreppe (Isère). BARUFFI, vice-président de la section des sciences naturelles et mathématiques. BARTHELEMY-PERRARD, avocat, à Grenoble. BÉCHARD, avocat à la Cour de cassation, à Paris. BÉRENGER (le marquis DE), ancien député, à Sasse- nage (Isère). BERNARD ainé, professeur de mathématiques supérieu- res au lycée de Grenoble. BERTET, licencié en droit, à la Rochette (Savoie). BERTHELOT, ingénieur civil, à Grenoble. BERTIER, ancien rédacteur de la Constitution du Loiret, à Grenoble. BERTINT, artiste, à Corenc (Isère). BIGILLION, greflier du tribunal civil, à Grenoble. BILLON (l'abbé), professeur au petit séminaire de Greno- ble. YINGI-QUATRIÈME SESSION. 25 BLANCHARD, professeur suppléant au muséum d’his- toire naturelle, à Paris. BLANCHET, %, président de chambre à la Cour impé- riale de Grenoble. : BLATAIROU (l'abbé), professeur à la faculté de théo- logie de Bordeaux. BOCHET, pharmacien, à Chambéry. BOIRAYON (l'abbé), chef d'institution, à Grenoble. BOIS-HAMON (ne), prop'e à St-Servan (Ille et Vilaine). BOIS-HAMON (Madame DE), propriétaire, à St-Servan (Ille et Vilaine). BONJEAN , vice-président de la section des sciences na- turelles et mathématiques et de la section des sciences médicales. | BORNES (ne), principal du collége royal, à Chambéry. BOS, secrétaire de la section des sciences naturelles et mathématiques. BOUCHET DE PERTHES, membre de l'institut des provinces, à Abbeville (Somme). BOUILLET , %,- vice-président de la section des scien- ces naturelles et mathématiques. BOURDILLON (l'abbé), chef d'institution, à Grenoble. BOURNET {ne), propriétaire, à Grenoble. BOUSQUET, propriétaire, à Marseille. BOUVIER (Mlle), institutrice, à Grenoble. BOUVIER (Hrpe.), entrepreneur, à Grenoble. BOVET (pe), propriétaire, à Grenoble. BRAVAIS (l’abhé), professeur d'histoire naturelle, à An- nonay (Ardèche). BRESSIEUX (pe), propriétaire, à Tullins (Isère). BRETON (Piippe), ingénieur des ponts et chaussées, à Grenoble. BRETON (Pac), fabricant de papiers, au Pont de Claix (Isère). 26 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. BRETON (Hewri), secrétaire de la section des sciences naturelles et mathématiques. BRILLOUIN, membre de l'Institut des provinces, à Saint- Jean d'Angély (Charente-Inférieure). BRIVE (Azperr De), président de la section d'agricul- ture, commerce et industrie. BUISSARD, docteur en médecine, inspecteur des Bains de la Motte (Isère). BUQUIN, notaire, à Grenoble. BURDET, :%, professeur à la faculté de droit, à Grenoble. BURE (AL. pe), adjoint au maire de Moulins (Allier). CAILLIAUD, #, directeur du muséum d'histoire natu- relle, à Nantes. CAUMONT (pe), OS, vice-président du Congrès. CAUMONT (Mme pe), à Caen. CHABRAND, docteur en médecine, à Briançon. CHALLE, 3%, vice-président de la section d'histoire et d'archéologie. CHAMBON (l'abbé), vicaire général du diocèse de Gre- noble. CHAMPOLLION-FIGEAC, O #, bibliothécaire de l'Em- pereur, au château de Fontainebleau. CHANRION, docteur en médecine, à Grenoble. CHAPELAIN DE SAINT-SAUVEUR (le baron), proprié- taire, à Mende (Lozère). CHAPER, O0 $, ancien préfet, à Grenoble. A ordonnateur général des fêtes, etc. CHARDONNET, agriculteur, aux Mesneux ( Marne). CHARRANSOL, conseiller à la Cour impériale de Gre- noble. CHARREL, propriétaire-agriculteur, à Voreppe (Isère). CHARRIÈRE, maître de forges, à Allevard (Isère). YINGT-QUATRIÈME SESSION. 27 CHARYET (ALex.), professeur à la faculté des sciences de Grenoble. CHARVET jeune, secretaire de la section des sciences médicales. CHATIN, naturaliste, à Paris. CIROT DE LA VILLE (l'abbé), professeur à la faculté de théologie, à Bordeaux. CLAPIER (Louis), rentier, à Marseille. COINDE, membre de la Société linnéenne, à Lyon. CORBEAU DE VAULSERRE (le marquis DE}, proprié- taire, au Pont de Beauvoisin (Isère). CORBLET (l'abbé), secrétaire de la section de philoso- phie, littérature et beaux-arts. CORCELET, docteur en médecine, à Grenoble. COTTAVOZ, greffier du tribunal de commerce, à Grenoble. COUSIN (L), vice-président de la section de philoso- plie, littérature et beaux-arts. CROZE (le baron GusTAvE DE), au château de Fon- tages, près Saint-Vallier /Drôme). CROZET-MOUCHET (le chevalier), chanoine à Annecy (Savoie). CROZET, O0 #, maire de Grenoble. CUIGNEAU, secrétaire général de la société linnéenne, à Bordeaux, CUMONT (pe), vice-président de la section de philoso- plie, littérature et beaux-arts. CUSSY (le vicomte pe), à Paris. DAMAS, chef d'institution, à Bourgoin (Isère). DARDELET, graveur, à Grenoble. DAUPHIN (l'abbé), doyen de Sainte-Geneviève, à Paris. DEBELLE, conservateur du musée de peinture, àGrenoble. DEBUT (l'abbé), supérieur du Petit-Séminaire de Gre- noble. 28 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. DEMARCHI, opticien, à Grenoble. DÉNARIÉ, docteur en médecine, à Chambéry. DENOIX DES VERGNES (Mme Fanny), à Beauvais (Oise). DESLONGCHAMP, président de la Société linnéenne, à Caen. DESMOULINS, vice-président de l'Institut des provin- ces, à Bordeaux. DESPINE (le baron), médecin inspecteur des eaux d'Aix (Savoie). DESVIAL, conseiller à la Cour impériale de Grenoble. DEVAL, inspecteur des forêts, à Valence (Drôme). DOLEUS, directeur de Ja Banque, à Grenoble. DONNADIEU, membre de la Société de l’histoire de France, à Londres. DREVON, naturaliste, à Paris. DUBEUX, président de la section de philosophie, litte- rature et beaux-arts. DU BOYS (Auserr), secrétaire général du Congrès. DUCIS (l'abbé), professeur au collége de Moûtiers (Savoie). DUMAS, professeur de mathématiques, à Valence. DUMAS (Eure), géologue, à Sommières (Gard). DUNOYER, 0 :#, recteur de l'académie, à Nancy. DUPANLOUP (Mer), &%, évêque d'Orléans, membre de l'Académie française. . DUPEYRAT, directeur de la ferme-école de Mugron (Landes). DUPORT-LAVILLETTE, #%, président de chambre à la Cour impériale de Grenoble. DUPRÉ DE LOIRE, médecin, à Valence { Loiret). DUPUIS, vice-président du tribunal civil d'Orléans. DUROZOY (l'abbé), aumônier au Péage de Roussillon (Tsère). VINGT-QUATRIÈME SESSION. 29 DUVAL DE FRAVILLE, propriétaire à Condès, près Chau- mont (Haute-Marne). EVRAT, docteur en médecine, directeur de l'asile des aliénés de St-Robert (Isère). FALATIEU, propriétaire, à Grenoble. FALCOZ |l’abbé), professeur au petit séminaire de Gre- noble. FAUCITÉ-PRUNELLE, conseiller à la Cour impériale de Grenoble. FAURE (AMÉDÉE), ancien magistrat, à Saint-Pierre de Bressieux (Isère). FERLIN, maire d'Echirolles (Isère). FERMAUD, pasteur protestant, à Grenoble. FERRIOT, %, recteur honoraire, à Saint-Ismier (Isère). FLÉCHET, architecte, à Lyon. FONTENAY (Toy), ingénieur en chef du chemin de fer de Saint-Rambert, à Grenoble. FOREST, docteur médecin, à Martigues (Bouches du Rhône). FOULU (l'abbé), professeur au petit séminaire de Gre- noble. FOURNET, :#, professeur à la faculté des sciences de Lyon. FROUT DE FONTPERTUIS (A.), chef ‘du cabinet du préfet de la Haute-Loire, membre de la société d’agri- culture, au Puy. GADUEL, avoué, à Gap ( Hautes-Alpes). GALBERT (pe), propriétaire à la Buisse (Isère). GARIEL (Hvacirae), secrétaire de la section d'histoire et d'archéologie. GARIEL (PauL), secrétaire de la section d'agricultur e, commerce et industrie. 30 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. GASSIES, secrétaire de la société linnéenne, à Bordeaux. GATIN (l'abbé), curé d'Héricourt (Haute-Saône). GAUGAIN, vice-président de la section d'agriculture , commerce et industrie. GAULOT, :#, procureur général à la Cour impériaie de Grenoble. GAUTIER, avocat général à la Cour impériale de Gre- noble. GENEVEY (l'abbé), curé de Saint-Louis, à Grenoble. GENOUILLAC (Pau DE), vice-président de la section d'histoire et archéologie. GENOUILLAC (Mme pe), propriétaire à la Chapelle Chaus- sée (Ille et Vilaine). GENTIL, ingénieur des ponts et chaussées, à Grenoble. . GÉRARD, membre honoraire de la société dunkerquoise, sous-préfet de Dunkerque (Nord). GERIN (l'abbé), curé de Saint-André, à Grenoble. GILLOS (l'abbé), chanoine, à Grenoble. GINOULHIAC (Mgr), 3%, président général du Congrès. GIRARD, ancien libraire, à Vienne (Isère). GIRAUD, %, vice-président général du Congrès. GIROUD fils, notaire, à Grenoble. GIROUD (HER), propriétaire de mines de houille, ‘à la Mure (Isère). GIVELET , inspecteur des monuments historiques , à Reims. GONDRAND, notaire, à Miribel (Isère). GOTY (Epouarp), étudiant en théologie, à Genéve (Suisse). GOURAUD (Xavier), étudiant en médecine, à Paris. GOURGUES (le vicomte DE), propriétaire, à Bordeaux. GRIMAUD, avocat, à Saint-Marcellin (Isère). GUÉDY (l'abbé), curé à Vézéronce (Isère). GUEFFIER, docteur en droit, à Bressieux (Isère). VINGT-QUATRIÈME SESSION. 31 GUESNIER (l'abbé), #, premier aumônier de la maison impériale Napoléon, à Saint-Denis (Seine). GUEYMARD, O %, president de la section des sciences naturelles et mathématiques. GUEYMARD , &, professeur à la faculté de droit de Gre- noble. GUILLARD (l'abbé), économe au petit séminaire de Gre- noble. ‘ GUYOT, président de la société académique de Troyes (Aube). . HATZFELD, secrétaire de la section de philosophie, littérature et beaux-arts. HEDDE-BELVIDA, membre de l'académie du Gard, à Nimes. HERCOD (Aueusre), avoué, à Montpellier (Hérault). HÉRICOURT (le comte D’), 5%, propriétaire à Souches, près Arras (Pas de Calais). HERPIN, de Metz, docteur en médecine, à Paris. HEURARD D'ARMIEU, directeur de la fonderie de Saint-Gervais (Isère). HUGONIN (l'abbé), vice-président de la section de pli- losophie , littérature et beaux-arts. IRVOY, sculpteur , à Grenoble. ITIER , %#, directeur des douanes, à Montpellier. JACQUIER, propriétaire, à la Tronche (Isère). JANGLOT DE MANDY, à Colonge (Rhône). JAYET, propriétaire, à Grenoble. JOFFRE, docteur médecin, à Grenoble. JOUVE ï abbé), chanoine, membre de l’Institut des pro- vinces, à Valence (Drôme). JULHIET, notaire, à Domène (Isère). LL 52 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. JUSSERAUD, ingénieur des ponts et chaussées, à Brassac (Puy de Dôme). JUVIN, docteur médecin, à Grenoble. KEISSER (l'abbé Jues), curé de Saint-Laurent, à Gre- noble. KERCADO (le comte pe), vice-président de la société d'horticulture, à Bordeaux. LA BONNARDIÈRE (Joscru), propriétaire, à Crémieu (Isère). LACAZE, conservateur des hypothèques, à Grenoble. LA CORTE, président de la Société d'agriculture, à Cham- béry. LACOUR (Euie), secrétaire de la section de philoso- phie, littérature et beaux-arts. LACROIX, pharmacien, à Mâcon (Saône et Loire). LACURIE (l'abbé), chanoine , secrétaire général de la xxIne session, à Saintes (Charente-Inférieure). LAFORTE (Auausre), secrétaire de la section d'agricul- ture. ARANDES censeur des études au lycée impérial de Gre- : noble. LARNAGE (le comte DE), propriétaire, à Tain (Drôme). LAROIÈRE (DE) , ancien maire de Bergues (Nord). LASSAUSSAYE (pe), O ©, recteur de l'académie de Lyon, membre de l’Institut. LA SICOTIÈRE, avocat , à Alençon (Orne). LEBLANC , secrétaire de la section d'histoire et d'ar- chéologie. LE BLOND, fondé de pouvoirs du receveur général de l'Isère, à Grenoble. LECOQ ,'#, professeur à la faculté des sciences de Cler- mont-Ferrand (Puy de Dôme). LEGALL , #, conseiller à la Cour impériale de Rennes. L VINGT-QUATRIÈME SESSION. 33 LEMPS (l'abbé pe), ancien curé de Saint-André de Gre- noble. | LE PETIT (l'abbé), vice-président de la section d'his- toire et d'archéologie. LERAT, docteur médecin, à Saint-Marcellin (Isère). LEROY , #, président de la section des sciences médi- cales. LESSÉRÉ (LAURENT), adjoint au maire d'Auxerre (Yonne). LEUSSE (le comte H. pe), propriétaire à Colombier, près Pont-Cherrui (Isère). LEUTRE (pe), O %, président du tribunal de Gaillac (Tarn). LINAGE (pe) propriétaire-horticulteur, à Voreppe (Isère). LONG, notaire, à Saint-Firmin (Hautes-Alpes). LORY, secrétaire général adjoint du Congrès. MACÉ (ANTONIN), trésorier général du Congrès, MAHIAS, avocat, à Rennes. MAIGNIEN , vice-président de la section de philoso- phie, htiérature et beaux-arts. MAISONVILLE, imprimeur, à Grenoble. MALLENT (l'abbé), curé, à Tain (Drôme). MALLET, propriétaire, à Bayeux (Calvados). MARCIEU (le marquis DE), au Touvet (Isère). MARMONNIER, docteur en médecine, à Doméne (Isère). MARTIN (Hoxoré ), naluraliste, à Martigues (Bouches du Rhône). MARTIN (l'abbé), aumônier de l'hôpital de Grenoble. MASCLET, 0 %, colonel directeur d'artillerie, à Grenoble. MAUREL DE ROCHEBELLE, secrétaire de la section de philosophie, littérature et beaux-arts. MAYERS (le révérend), ministre du culte anglican, à Mar- seille. MEFFRAY {le comte DE), propriétaire, à Vourey (Isère). I 3 34 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. MENABREA (Dr), colonel du génie, à Turin. MICHAL-LADICHÈRE, avocat, à Grenoble. MICHAUD, vice-président de la section des sciences mathématiques, physiques et naturelles. MIÉDAN (l'abbé), professeur au collége royal de Moû- tiers (Savoie). MONGENET, propriétaire, à Grenoble. MONTEYNARD (le marquis DE), propriétaire, à Tencin (Isère). MONTEYNARD (le comte CHARLES DE), à Montfrin (Gard). MONTGOLFIER (l'abbé), à Annonay (Ardèche). MONTLAUR (le marquis HENRI DE), %, membre du conseil général de l'Allier, à Moulins. MOREL (l'abbé), curé de Champagnier (Isère). MORTILLET (PAUL pe), propriétaire, à Meylan (Isère). MOUFFLET, proviseur du lycée impérial de Grenoble. MOURRAL, avocat, à Grenoble. NICOD, propriétaire, à Annonay (Ardèche). NUGUES, propriétaire, à Romans (Drôme). ORCEL (l'abbé), directeur du grand séminaire de Gre- noble. PAGANON, conseiller à la cour impériale de Grenoble. PAGES, substitut du procureur général à la Cour impé- riale de Grenoble. PAILLOUX , %#, docteur médecin, à St-Ambueil (Saône et Loire). PAILLOUX (Madame) propriétaire, à St-Ambueil (Saône et Loire). PAQUEREE, propriétaire, à Castillon sur Dordogne (Gi- ronde). PAQUIER , directeur de l'institution du Bois-Rolland, à Grenoble. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 39 PARA-D’ANDERT, médecin, à Meylan (Isère). PASSAUT {P£rrus), chef de division à la préfecture du Rhône, président de la 120° société de secours mu- tuels , à Lyon. PASCAL, médecin, à Pressins (Isère). PATRON (l'abbé), vicaire général, à Orléans. PERIER (AnoLpHE), membre du conseil général de l’sère, conseiller référendaire à la cour des comptes, à Paris. PERSON, propriétaire, à Rochefort (Charente-Inférieure). PETIT, président de chambre, à la Cour impériale de Grenoble. PHILIBERT-SOUPÉ (A.), professeur de rhétorique au lycée impérial de Grenoble. PIAT-LONCHAMP-DUPRÉ, avocat, à Grenoble. PICHOT (l'abbé), curé de Sermérieu (Isère). PICOT, O %, inspecteur divisionnaire des ponts et chaus- sées, à Paris. PILLET, secrétaire adjoint de l'académie royale de Savoie, à Chambéry. PILOT, secrétaire général adjoint du Congrès. PINA (le comte Emm. DE), propriétaire, à Montpellier (Hérault). PINAT (ANATOLE), ingénieur civil, à Allevard (Isère). POIX (l'abbé), à Salagnon (Isère). Prieur des Dominicains (le R. P.), à Chalais, près Voreppe (Isère). PROVOST DE LAUNAY (Le), :%, préfet de l'Isère, à Grenoble. PRUDHOMME, imprimeur, à Grenoble. QUET, :%, recteur de l'académie de Grenoble. RADULPH DE GOURNAY (le chevalier DE), proprié- taire, à Grenoble. 36 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. RAGNY (le marquis DE), propriétaire, membre de plu- sieurs sociétés savantes, à Lyon. RAUH, directeur de l'institution des sourds-muets de Gre- noble. RAVAUD (l'abbé), professeur au petit séminaire de Gre- noble. READ (Cnarses), chef de section au ministère de l’in- struction publique et des cultes, directeur de la So- ciété de l'histoire du protestantisme francais, à Paris. RÉAL (Féux), 0%, ancien conseiller d'état, à Seys- sinet (Isère). REBILLARD (l'abbé), à la Chapelle-Chaussée (Ille et Vilaine). RENAULT, conseiller à la Cour impériale de Caen. RENOU, président de la société linnéenne, à Caen. REVEL, docteur médecin, à Chambéry. REVEST (Azrrep), industriel, x Marseille. REVEST (Joseru), docteur médecin, à Marseille. REVEST (Pierre-ANATOLE), étudiant, à Marseille. REVILLOUT, secrétaire de la section d'histoire et d'ar- chéologie. REY (ArManp), secrétaire de la section des sciences médicales. REYMOND, docteur médecin, à la Tour du Pin (Isère). REYNAUD, membre du conseil général, à Grenoble. REYNAUD (l'abbé), à Grenoble. REYNIER, liquidateur, à Grenoble. RIBBE (CHARLES pe), vice-président de la section d'agri- culture, commerce et industrie. RIBOLI (Timornée), vice-président de la section des sciences médicales. RICARD, vice-président de la section d'histoire et d'ar- chéologie. RICHARDME, bibliophile, à Lyon. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 37 RIPERT (l'abbé), aumônier de l’école professionnelle de Grenoble. RIVOIRE DE LA BATIE, président de la société d'agri- culture de Bourgoin (Isère). ROBERT DE LIESVILLE, naturaliste, à Alençon (Orne). ROBIN (l’abbé), professeur au petit séminaire de Gre- noble. ROBIOU DE LA TRÉHONNAIS, vice-président de la section d'agriculture, commerce et industrie. ROGER (EuiLe), ingénieur des mines, à Grenoble. ROSTAN (Louis), membre du conseil général du Var, à Saint-Maximin (Var). ROUCHIER (l'abbé), à Annonay (Ardèche). ROUSSILLON, :#, capitaine en retraite, aux Avenières (Isère). ROUSSILLON, docteur médecin, au Bourg d'Oisans (Isère). ROUX (Gusrave), avoué à la Cour, à Grenoble. ROUX (P.-M.), de Marseille, %, vice-président général du Congrès. BOYER, 0%, premier président de la Cour impériale de Grenoble. SAINT-ANDÉOL (FERNAND DE), propriétaire , à Moirans (Isère). SAINT-FERRIOL [le comte DE), propriétaire, à Uriage- les-Bains (Isère). SARGET DE LAFONTAINE {le baron), propriétaire, à Bordeaux. SAVOYEN, docteur médecin, à Moûtiers en Tarentaise (Savoie). SEGOND-CRESP, vice-président de la section d'agri- culture, commerce et industrie. SEGUIN, secrétaire de la section des sciences physi- ques, naturelles et mathématiques. 38 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SEGUIN (Josern), architecte, à Annonay (Ardèche). SEMICHON, membre du conseil général de la Seine- Inférieure, avocat, à Neufchâtel-en-Bray (Seine-Infé- rieure). SÉNÉCLAUZE, horticulteur, à Bourg-Argental (Loire). SERVAN DE SUGNY, ancien magistrat, à Chessy, près Gex (Ain). SERVONNET (l'abbé), secrétaire particulier de Mgr l'évêque de Grenoble. SIÉYES (le marquis DE), propriétaire, au château du Va- lentin, près Valence (Drôme). SILVY, directeur de l’école de médecine, à Grenoble. SIMON (C.-G.), propriétaire, membre correspondant de l'Académie delphinale, à Nantes (Loire-Inférieure). SISSON (l'abbé), directeur de l'Ami de la Religion, à Paris. SOULIER. (l'abbé), curé de Vese (Drôme). STRAUBT (l'abbé) professeur au petit séminaire de Stras- bourg (Bas-Rhin). SURMONT, président de la Société d'agriculture au Mans (Sarthe). TEISSEIRE (CnarLes), #, receveur général des finan- ces, à Grenoble. TEISSEIRE (Eu.), propriétaire, à Grenoble. TERREBASSE (ALrReD pe), président de la section d'histoire et d'archéologie. TESTENOIRE, botaniste, à Lyon. TEYSSIER (JuLEs), propriétaire, à Grenoble. THEVENET jeune, négociant, à Grenoble. THEVENIN, conservateur des forêts, à Grenoble. THIBAULT (Emie), artiste, à Clermont - Ferrand (Puy de Dôme). VINGT-QUATRIÈME SESSION. 99 THOMAS, archiviste du département, à Montpellier (Hérault). TOURNEUF (JuLes DE), propriélaire, à Grenoble. TRÉPIER (l'abbé), à Chambéry. VALENTIN-SMITH, #, conseiller à la Cour impériale de Lyon. s VALETTE, %, professeur à la faculté de droit de Paris. VALLET (l'abbé), professeur de physique au séminaire de Chambéry. VALLIER (Gusrave), banquier, à Grenoble. VALLIER (le comte HENRI DE), propriétaire, à Voreppe (Isère). VARENNES (Mile Euisa DE), artiste peintre, à Paris. VENTAVON (pE) ainé, avocat, à Grenoble. VENTAVON (Casimir DE), avocat, à Grenoble. VERDON (pe), inspecteur des lignes télégraphiques, à la Rochelle (Charente-Inférieure). VERGÉ, C %, général de brigade, à Grenoble. VERLOT, jardinier en chef du Jardin des Plantes de Gre- noble. VERNET (Juzes), directeur des usines de Rioupéroux (Isère). VIARD, professeur à la faculté des sciences de Mont- pellier (Hérault). VIAUD, inspecteur des forêts, à Lorient (Morbihan). VICAT, O #, inspecteur divisionnaire des ponts et chaus- sées en retraite, à Grenoble. VIGIÉ, %, capitaine adjudant-major au 18° bataillon de chasseurs, à Grenoble. VINAS (l'abbé), curé de Jonquières (Hérault). VINCENT, chef de bureau à la préfecture de Lille (Nord). 40 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. VITAL-BERTHIN, membre du conseil général, à Beaurepaire (Isère). VOITOUX, chef d'institution, à Grenoble. a ———— Il y a eu 250 membres présents : le nombre définitif des membres inscrits est de 357. CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. s SÉANCES GÉNÉRALES. SÉANCE D'OUVERTURE. - La session a été ouverte au Palais de Justice, dans la salle des audiences solennelles de la Cour impériale, le jeudi 3 septembre 1857, à deux heu- res après midi, sous la présidence provisoire de M. Albert du Boys, secrétaire général de la vingt- quatrième session. . M. Casimir Royer, premier président de la Cour impériale de Grenoble, et M. Le Provost de Lau- nay, préfet de l’[sère, sont assis aux côtés de M. le président, avec M. Crozet, maire de Grenoble, en uniforme, et M. le général Vergé, commandant la subdivision militaire. Aux deux extrémités du 12 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. bureau sont MM. Lory et Pilot, secrétaires géné- raux adjoints, et M. Macé, trésorier. En face et sur les côtés de la salle sont assis les membres du Congrès. Une place, à l'entrée, est réservée aux personnes invitées aux séances générales. Après une ouverture exécutée par les musiciens du 5"° d'artillerie, M. Crozet, maire de Grenoble, reçoit le Congrès au nom de la ville; il prononce le discours suivant, accueilli par de vifs applaudisse- ments. DISCOURS DE M. CROZET, MAIRE DE LA VILLE DE GRENOBLE. « Messieurs, « Prendre la parole devant une assemblée si im- posante avec la pensée de préluder à vos glorieux travaux, ce serait de ma part une grande témérité. Je n'ai pas une semblable prétention. « C’est à l’éloquence, c’est à une haute raison nourrie des plus savantes doctrines, qu’il appar- tiendra de proclamer l'ouverture de cette session du - Congrès scientifique. « Je viens uniquement, Messieurs, m'’acquitter d’un devoir, d’un devoir qu'il m'est bien doux de remplir. « Maire de la ville de Grenoble , de la ville que vous honorez de votre présence, je viens en son YINGT-QUATRIÈME SESSION. 43 nom vous remercier de cette faveur, de l’éclat que votre réunion dans ses murs va faire rejaillir sur elle, de l'illustration que vous venez lui apporter. Je viens vous assurer de la reconnaissance de ses ci- toyens et vous dire, Messieurs , que vous pouvez compter sur leur accueil le plus empressé, sur leur ardeur à venir s’instruire à vos séances, à vos en- tretiens. « Vous venez, Messieurs, vous dont l'assemblée embrasse tout entier le cercle aujourd’hui si magni- fique des connaissances humaines, étudier nos con- tirées, répandre parmi nous de nouvelles lumières, exciter l’émulation chez notre jeunesse: vous ne sémerez point, croyez-le, sur un sol ingrat. Nous aussi, nous sommes admirateurs des sciences, des lettres , des arts, nous tendons une main fraternelle à ceux qui les cultivent; nous aussi, nous avons eu nos savants célèbres, nos historiens , nos phi- losophes, nos grands orateurs , nos poètes. «€ Habitants d’un pays dont les beautés parlent si haut à l’imagination et au cœur, pourrions-nous être insensibles aux charmes de la poésie, de l’é- loquence, des lettres en un mot, ces compagnes chéries dans les temps prospères, dit l’orateur ro- main; ces puissantes consolatrices dans l’adversité ? Placés par la Providence dans ces contrées où s’é- talent toutes les richesses de la nature, comment, depuis la science qui observe et qui décrit jusqu’à 44 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. celle qui commente et celle qui analyse, l’élude de ces grands phénomènes ne serait-elle pas ici une passion ? « Et lorsque tant de merveilles charment nos yeux, lorsqu'ils parcourent nos riches et riantes vallées, nos chères montagnes si variées, si pilto- resques, si majestueuses, l'artiste pourrait-il ne pas saisir ses pinceaux ? le poèle ne pas courir à sa lyre ? le naturaliste se dérober aux plus profondes médi- tations ? « Messieurs, hâtez-vous donc d’entrer dans la -carrière dauphinoise ; toutes les Muses vont vous y suivre, toutes vont aussi former un congrès pour protéger vos travaux. « Vous verrez nos collections, notre exposition des beaux-arts que nous avons retardée pour vous en faire hommage , nos concours d’agricullure, nos bibliothèques , nos musées, nos établissements scientifiques ; nous vous rendrons compte de l’or- ganisalion de notre instruction publique, depuis l’humble enseignement du pauvre jusqu'à celui de nos savantes Facultés; et au contact de vos lumières, de votre patriotisme, de vos conseils écoutés avec avidité , tout s’animera, tout marchera vers la per- fection. « La science aujourd’hui recherche les applica- tions aux besoins de la vie, nous devons lui en rendre grâce; mais la science pure n’a pourtant pas VINGT-QUATRIÈME SESSION. . 45 dégénéré; qu’elle conserve toujours son culte et ses dieux ! Elle aussi, elle a sa pratique : cette pratique, c'est la morale, c’est l’idéal , c’est l'amour du beau, du vrai et du bien, c’est la satisfaction de la con- science qui conserve et du génie qui invente, c’est Dieu | « Je vais trop loin, Messieurs, j'oublie mes pre- mières paroles, je sens que votre influence me ga- gne et je rentre dans la pensée qui me domine : « Soyez les bienvenus parmi nous, et laissez-nous répéter encore les remerciements que nous vous adressons, du plus profond de nos cœurs, pour Pinsigne faveur dont vous honorez la ville de Gre- noble. » M. le secrétaire général, président provisoire, prononce le discours d'ouverture, et s'exprime à peu près en ces termes : DISCOURS DE M. ALBERT DU BOYS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, PRÉSIDENT PROVISOIRE. « MESSIEURS, « Au moment où se réunissent dans nos murs les savants, les liltérateurs et les artistes distingués que nous avons convoqués à ces conférences scien- tifiques et à ces fêtes intellectuelles, nous sommes heureux de profiter de la noble et généreuse hos- 46 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pitalité que nous permettent de leur offrir dans cette enceinte la haute magistrature dauphinoise, et, en particulier, son représentant le plus éminent qui siège auprès de nous. Ce procédé, Messieurs, est digne de nos vieilles traditions provinciales et nationales. D'Expilly à Servan, et de l'Hôpital à D'Aguesseau, la liste serait longue des grands ma- gistrats qni ont aimé et protégé les lettres, ou qui les ont cullivées eux-mêmes dans leurs moments de loisir. Ne nous étonnons donc pas que les honorables chefs de nos grands corps judiciaires nous aient tendu une main amie, et qu’ils nous aient introduit jusque dans leur sanctuaire pour le prêter aux pacifiques assises des sciences, des lettres et des arts. Les sciences! La justice est bien souvent dans le cas d’invoquer leur témoi- gnage et leur autorité pour éclairer ses arrêts, et ce ne sera pas la première fois qu’elles auront pris la parole sous ces voûtes antiques. Les lettres ! Mais n’avons-nous pas entendu, n’entendons-nous pas encore, tous les jours, parler leur langage, quand nous écoutons ici les organes de notre mi- nistère public, les membres de notre barreau, si instruils, si diserts, souvent si éloquents, réalisant enfin, dans quelques types choisis, la définition de Quintilien et la réalisant tout entière ? Les arts enfin! Mais ils ont orné une partie des façades de ce pa- lais ; 1ls en décorent les plafonds et les murs : ils YINGT-QUATRIÈME SESSION. 47 ont ciselé les guirlandes de feuilles de chêne qui courent autour de ces fenêtres ; ils semblent enfin avoir préparé à la seclion d'archéologie, dans l’an- cienne salle de la chambre des comptes, un petit temple exquis, digne des profonds et délicats con- naisseurs qui y siégeront pendant de trop courts instants. Que si le lieu même où nous nous réunis- sons semble si bien en harmonie avec les instincts et les besoins d’un Congrès scientifique, ne nous rendra-L-il pas exigeants et difficiles pour les autres monuments que la ville de Grenoble peut nous offrir ? Cela est à craindre, sans doute ; nous n’avons pas de ces édifices, soit religieux, soit civils, qui aient un nom et un rang supérieurs dans les fastes de l'architecture française; cependant les archéolo- gues proprement dits trouveront, dans quelques parties de l’hôtel de Lesdiguières, dans notre cathé- drale et dans plusieurs de nos églises, de curieux sujets d’études; et si, pour eux, la crypte de Saint- Laurent peut devenir, quant à sa date, l’occasion de quelques débats, il n'y aura qu'une voix parmi les artistes pour louer la beauté, la grâce et l’origi- nalité de cette petite basilique, dont la restauration presque complète est due principalement au zèle intelligent et à l’infatigable activité de l’un de nos collègues. « Au surplus, si notre ville n’est pas très-riche en vieux et beaux édifices, les campagnes qui l’envi- 48 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ronnent offrent'aux amateurs de la nature les aspects les plus. pittoresques et les plus grandioses, aux savants des trésors réels, dont l'exploration est plus ou moins difficile, mais sans aucun danger réel. Les géologues liront, au front des montagnes du Graisivaudan et de l'Oisans, l’histoire de la for- mation de la terre: les botanistes cueilleront sur leurs sommets les fleurs des zônes glaciales ; les zoologistes y retrouveront quelques-unes des espèces de la Russie septentrionale, et s’intéresseront aux essais que fait une société d’acclimatation pour y introduire de nouveaux hôtes venus des Cordillières américaines. Les agriculteurs étudieront la culture savante, qui produit dans la vallée de l'Isère de si belles récoltes et des fruits si variés ; et peut-être admireront-ils, dans nos hautes vallées, les prodiges de patience et d’habileté avec lesquels les habitants de ces contrées luttent contre la stérilité du sol et l’âpreté du climat; les industriels verront avec quelle ardeur on commence à mettre partout à profit nos magnifiques cours d’eau pour des usines nouvelles ; ils visiteront surtout avec fruit nos beaux établissements métallurgiques, qui sont une partie importante de la richesse de la France, et qui con- iribuent à la mettre en état de lutter en Europe avec ses plus puissantes rivales. « Les médecins, en étudiant quelques-unes des tristes maladies qui affligent l’humanilé parmi les VINGT-QUATRIÈME SESSION. 49 plus beaux sites de nos montagnes, auront lieu de faire remarquer comment la Providence avait placé à côté du mal le remède longtemps ignoré, et nous bénirons tous les progrès des sciences médicales, physiques et mécaniques qui ont découvert, mis en lumière et utilisé nos eaux minérales, d’une effica- cité si merveilleuse à guérir des infirmités réputées presque incurables. « Ainsi, dans les principales branches des connais- sances humaines, nous constaterons, nous répan- drons les nouveaux procédés scientifiques, et toutes cesadmirables découvertes qu’on à peine à suivre tant elles se multiplient sous milles formes diverses. Pour les sciences utiles, a dit Bentham, ce qui les répand vaut mieux que ce qui les avance. C’est là le principal, et j’ajouterai l’incontestable avantage des Congrès scientifiques. Si quelques personnes, dans notre ville, ne connaissant pas suffisamment cette institution, se sont laissé aller contre elle à des préventions injustes, apprenons-leur, en mar- chant, à ne pas nier le mouvement. Du reste, Mes- sieurs, ces préventions n’ont pas été partagées par la grande majorité de nos concitoyens; elles ne l'ont été ni par le digne chef de l’administration de ce département, ni par le maire de cette ville, an- cien élève de l’école polytechnique, ingénieur habile et savant distingué lui-même : elles sont également estimées à leur juste valeur par notre I L 90 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. vénérable prélat, l’une des gloires de l’épiscopat français par sa haute intelligence, par sa science aussi profonde que variée. « Et comment, Messieurs, les villes de province seraient-elles bien venues à médire des Congrès ? C'est dans leur intérêt qu'ils ont été fondés. « L'honorable M. de Caumont, après avoir été le restaurateur et presque le créateur de l’archéo- logie appliquée à nos monuments nationaux, a voulu décentraliser les sciences, les lettres et les arts, et en répandre le goût, jusque dans les lieux les plus en dehors des grandes voies de communication, les plus éloignés du rayonnement de ce foyer de lumière qu’on appelle Paris. Son œuvre a élè conçue dans un esprit élevé et plein de désintéressement ; elle a été poursuivie à travers toutes les vicissitudes politiques, avec une infatigable persévérance. En cette année 1857, vingt-quatre villes de France auront recu tour à tour le bienfait de ces assises scientifiques qui laissent dans les lieux où elles se sont tenues de longs et intéressants souvenirs. L’illustre fon- dateur des Congrès, sur la présentation de nos trois sociétés savantes, a bien voulu m’associer à celte œuvre de dévouement patriotique. J’ai compris le bien qui pouvait en résulter pour mon pays, el je n'ai pas reculé devant cette tâche pénible, ingrate à quelques égards, mais que la bienveillance VINGT-QUATRIÈME SESSION. 51 de mes concitoyens me rend douce et facile. On pardonnera à mon insuffisance en faveur de mon zèle, et on me saura peut-être quelque gré de m'être entouré d’habiles auxiliaires qui ont assuré le succès de cette difficile entreprise, par le concours em- pressé de leurs efforts et de leurs talents. « Et maintenant, venez-nous tous en aide, Mes- sieurs ; témoignons tous pour les progrès des scien- ces dans ce pays, une ardente et sainte émulation. Mais en cherchant le côté utile de la science, n’en négligeons pas le côté théorique et abstrait. « En travaillant à élever le niveau du bien-être des sociétés, tâchons d'élever dans la même pro- portion leur niveau moral ; car c’est à cet accord seulement que peut être due la marche ascendante des peuples dans les voies de la civilisation. « Ce sont là vos idées, Messieurs, nous le sa- vons, ce sont celles du fondateur même de ces Congrès, qui, tout en s’efforçant de propager par- tout les sciences et les arts, a toujours combattu l'esprit détestable qui voudrait les réduire à n’être que les instruments d’un sensualisme étroit ou d’un cupide mercantilisme. Sachons vouer aux OCCupa- tions de l'intelligence un culte pur et désintéressé. Aïmons donc le vrai et le beau pour eux-mêmes, et demandons aux sciences et aux lettres autre chose que des profits et du bien-être. Malheur aux cités , malheur aux peuples qui perdent à ce point le véri- 52 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. table sens dela vie humaine! Leurs jours sont comptés et leur ruine est proche : Babylone, Tyr, Carthage et même l’ancienne Rome nous ont laissé sur ce point d’éclatantes leçons ! Profitons-en, Messieurs, et de- mandons à un élément inconnu aux anciennes so- ciétés, le christianisme, la force secrète qui nous tiendra élevés au-dessus d’un matérialisme funeste, et qui nous préservera, si nous le voulons bien, de ces tristes chutes et de ces effroyables déca- dences. » M. Barufi, professeur de physique et de philo- sophie à l’université de Turin, fait la communication suivante : DISCOURS DE M. BARUFFI. « Messieurs , « L'année dernière, je proposai au Congrès scien- tifique réuni à la Rochelle d'émettre un vœu en fa- veur de cette grande entreprise du canal de Suez; le Congrès accueillit cette proposition avec une bienveillance dont je suis toujours profondément reconnaissant, et avec un enthousiasme intelligent dont la presse européenne a retenti. Aujourd’hui encore je soumets le même vœu au Congrès réuni à Grenoble; et si vous voulez bien me le permet- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 53 tre, je vais expliquer en peu de mots mon insistance pour une question qui n’est point encore résolue après tant d'efforts, et dont nos vœux répétés peu- vent contribuer à presser la solution. « Je ne vous entretiendrai pas, Messieurs, des détails de ce projet aussi simple qu’il est grand. Je vous ai donné ces renseignements l’année dernière et peut-être en avez-vous gardé quelque souvenir. Mais en outre, ces renseignements sont aujourd’hui partout ; et la presse de tous les pays, par ses mille organes, les a popularisés, et les a portés à la con- naissance sympathique du monde entier. Mais je vous dirai, puisque vous m’accordez quelques ins- tants de votre attention, quels progrès immenses a faits depuis un an cette question à laquelle tous les peuples s'intéressent avec une ardeur et une pas- sion qui vont chaque jour croissant. « D'abord le projet définitif et si vivement at- tendu de la commission internationale a paru vers la fin de l’année dernière ; et ce projet, fruit de trois années d’études et de recherches consciencieuses et complètes , a reçu la sanction de tous les corps sa- vants de l’Europe. L’Tnstitut impérial de France lui- même a cru devoir y porter son examen; et par l'organe de M. le baron Charles Dupin, ce tribunal suprême à donné sa pleine approbation. Une foule de sociétés distinguées, moins illustres si l'on veut, mais très-compétentes aussi, ont imité l’Institut de 2 54 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. France, ou même elles l’avaient parfois devancé par leur adhésion spontanée. « Ainsi sous le rapport de la science rien ne manque au projet. Discuté et arrêté par les plus habiles ingénieurs de l’Europe , il est sorti de leurs mains pour être soumis à la critique de tous les hommes qui peuvent avoir une voix autorisée dans ces débats. L'approbation a été universelle. Mais je me trompe: tout récemment M. Stéphenson, le fils de lillustre ingénieur, a tenté dans le parlement an- glais, et sous la pression de la politique, d’élever quelques objections contre le projet de la commis- sion internationale. [l s’est attiré de la part de M. Paléocapa, mon illustre compatriote et mon ami, une réponse écrasante ; et il a été prouvé que si M. Stéphenson était docile aux suggestions du premier ministre, lord Palmerston, il n'avait pas été assez attentif aux détails du projet qu’il essayait de critiquer. Ou plutôt les ingénieurs de la com- mission internationale , M. Paléocapa en tête, ont démontré à M. Stéphenson qu'il n’avait pas même lu le document dont il hasardait de parler , et qu’il entassait méprises sur méprises, erreurs sur erreurs. « En un mot, Messieurs , la science a prononcé sur le projet du canal de Suez son verdict définitif ; et ce verdict est dèsormais sans appel pour tous les esprits éclairés et de bonne foi. € Mais vous le savez aussi, Messieurs , la ques- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 99 lion du canal de Suez n’est pas seulement scienti- fique et industrielle. La politique s’en est emparée; et sans entrer ici sur ce domaine redoutable, je puis bien vous dire quelques mots de ce que tout le monde sait et de ce qu'ont répété tous les jour- naux de l’Europe, de l'Amérique et de l’Asie. « Tous les peuples, tous les gouvernements, un seul excepté, ont donné les mains à un projet qui doit être utile à tout le monde sans pouvoir jamais nuire à personne. | .« Cette exception déplorable, c’est celle, je ne dois pas dire du gouvernement anglais, mais de lord Palmerston et de lord Siratford de Redclifie. Cetie opposition sourde qu'on faisait au projet de-— puis deux ans passés, les promoteurs du canal s’en étaient plaints à voix basse espérant toujours l’adou- cir et la ramener. Mais M. de Lesseps, après avoir consulté toute l’Europe et avoir recueilli partout les témoignages que vous savez, prit le très-noble et très-sage parli de porter le débat devant le peuple anglais et de le prendre pour juge des obstacles qu’on opposait au canal de Suez. Que pensent les armateurs, les commerçants, les négociants , les manufacturiers, les capitalistes de l'Angleterre, d’un canal qui abrégerait la route de 3,000 lieues sur 6,000 vers les mers de l'Inde et de la Chine? Unanimement, vingt meetings à Londres, à Liver- pool, à Glasgow, à Manchester, à Birmingham, à 56 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Edimbourg, à Newcastle, à Hull, à Bristol ont ré- pondu : « Le canal de Suez est un des plus grands « services qu'on puisse rendre au commerce an- « glais et au monde commercial en général. Oui, «il faut ouvrir au plus vite l’isthme de Suez, quand « bien mème les marines de la Méditerranée gagne- « raient relativement plus que l’Angleterre à cette « communication nouvelle. » « Ces sentiments étaient aussi honorables que sensés. Mais lord Palmerston n’a pas voulu s’y as- socier , et il a tenu à rester en dehors de l’opinion nationale et universelle. Interrogé trois fois dans le parlement par M. Berkeley, par M. Griffith, par M. Estcourt, il a trois fois déclaré que depuis quinze ans il s’opposait au canal de Suez et qu’il était résolu à toujours s’y opposer. À ces déclarations déjà bien assez fâcheuses , il a joint des formes de langage que la conscience publique a hautement blâmées , et qui tendaient à présenter cette noble affaire de Suez sous des couleurs aussi odieuses que fausses. Cependant on a pu remarquer qu'à chaque fois que le ministre parlait, son langage devenait moins péremptoire et moins violent; et il a fini par dire que ce n’était pas au nom de l'intérêt de l’An- gleterre qu'il repoussait l'ouverture del’isthme, mais que c’élait uniquement dans l'intérêt de la Turquie. Or vous savez, Messieurs, que la Turquie a mani- Le festé son acquiescement dès 4855 dans une lettre VINGT-QUATRIÈMÉ SESSION. 57 du grand-visir ; et elle eût donné dès ce temps sa ratification, sans les obstacles qui sont survenus. « Mais cette opposition obstinée de lord Palmerston a suscité des défenseurs nouveaux et puissants, entre autres M. de Bruck, ministre des finances d’Autri- che, et M. Gladstone, membre du parlement anglais, et ancien chanchelier de l’Echiquier. Dans un ban- quet solennel, à l’ouverture du chemin de fer de Trieste, M. de Bruck a porté un toast au succès du canal de Suez ; et il a ajouté que cette magnifique entreprise ne serait pas arrêtée par le mauvais vou- loir d’un seul gouvernement, puisqu'il était désor- mais constaté qu’elle élait utile au monde entier, et au commerce anglais tout le premier. Quant à M. Gladstone , il a déploré, avec cette éloquence qui lui est propre, que l’ambassadeur anglais à Constantinople fût en désaccord sur ce point avec l'ambassadeur de France, et il a adjuré le premier ministre de ne pas commettre l’imprudence de se brouiller, pour une question où il avait tort, avec l'Europe, avec la France surtout. M. Gladstone est même allé jusqu’à dire que cette mésintelligence du gouvernement anglais avec l’Europe sur un intérêt de civilisation et d'humanité lui semblait plus fà- cheuse que dix insurrections militaires dans les Indes. « À ces deux témoignages si éclatants et si dé- cisifs de MM. de Bruck et Gladstone , il faut join- 08 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dre les protestations des chambres de commerce d'Angleterre. Bristol et Newcastle ont déjà exprimé leur blime énergique du langage et des opinions du premier ministre ; el d’autres corporations commer- ciales suivront certainement cet exemple. « Enfin, Messieurs, vous savez que les conseils généraux de l’Empire français et les chambres de commerce de France, saisis de la question par M. de Lesseps, viennent de se prononcer ; et leur adhésion après tant d’adhésions diverses et consi- dérables ne peut que hâter la solution que tout le monde désire et qui ne peut se faire longtemps attendre. « Telles sont, Messieurs, les considérations que je voulais vous soumettre, et qui, je l’espére, déci- deront votre vote cette année, comme l'ont décidé l’année dernière des considérations analogues. Dans les entreprises du genre de celle-ci, il faut s'attendre à beaucoup d'obstacles , et l’on doit se préparer à une grande patience. Il s’agit au fond de changer encore une fois, et avec un immense profit pour tout le monde, la route du commerce universel. C'est une grande modification dans l’état actuel des choses; et par conséquent il doit y avoir en ceci comme en tout des esprits arriérés et lents qui ne se rendent pas aussitôt qu'on le voudrait, même quand chacun s’est rendu à l'évidence. M. Glads- tone, dans l’occasion que je rappelais tout à l'heure, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 59 disait qu’il suffisait de jeter les yeux sur la carte du globe pour voir de quelle incalculable utilité serait l'ouverture de cet isthme étroit qui sépare la Médi- terranée de la mer Rouge. C’est vrai; mais que vou- lez-vous : il y a bien longtemps que l'Evangile a dit qu'il y a des gens qui ont des yeux pour ne point voir. [Il y a plus : si l'inspection d’une carte peut éclairer d’un seul regard les esprits non prévenus, que dirai-je des événements qui se passent dans les Indes et dans la Chine ? Quelle lecon terrible à tant d’égards ! et restera-t-elle infructueuse pour le pro- jet qui nous occupe ! De quel avantage ne serait pas une route maritime par Péluse et Suez au peu- ple qui possède et doit défendre les Indes ? Quel accroissement de puissance et de force, si l’on pou- vait aller en six semaines à Calcutta, à Hong-Kong, à Canton, au lieu des quatre ou cinq mois qu’exige aujourd’hni cet effroyable passage par le cap des Tempèêtes? Messieurs , n’est-ce pas plus clair que le jour ? Et comment un premier ministre, chargé des destinées d’un grand peuple, peut-il assumer la res- ponsabilité d’un si aveugle refus ? Les journaux an- glais le disent sur tous les tons et tous les jours, à commencer par les plus importants, etle répêtent à lord Palmerston. Il faudra bien qu’il finisse cepen- dant par entendre leur voix qui est celle de laraison, _de la prudence et du vrai patriotisme. « Quant à nous, Messieurs , il nous faut joindre 60 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. notre voix à tant d’autres ; et je vous propose de réi- térer notre vœu de l’année dernière et d’acclamer une seconde fois le canal de Suez comme une des entreprises les plus dignes de l’appui et de la sym- pathie de tous les hommes intelligents et généreux : « Je vous soumets en conséquence la résolution suivante : « « « Le Congrès scientifique de France, persistant dans l'opinion qu’il a émise à la session de sep- tembre 1856 sur l’utilité de l'ouverture de l’isthme de Suez ; « Considérant que depuis un an l’Europe savante a prononcé définitivement sur la facilité de l’exé- cution technique de ce grand travail ; « Considérant que toutes les corporations com- merciales de l’Europe, et notamment celles de l'Angleterre, se sont prononcées de la manière la plus favorable sur les avantages inappréciables de cette communication nouvelle entre l’Europe et l'Asie ; « Déclare qu’il appelle de tous ses vœux le moment où les obstacles qui entravent cette noble entreprise, seront enfin aplanis par une politique éclairée et bienfaisante. » Le Congrès prend en considération la proposition formulée: par M. Baruffi et renvoie Ja discussion et le vote à la séance suivante. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 61 M. Robiou de la Tréhonnais, agronome, demeu- rant à Falmouth (Angleterre), obtient la parole et prononce une improvisation chaleureuse, à peu près en ces lermes : DISCOURS DE M. ROBIOU DE LA TRÉHONNAIS. « Messieurs, « La pensée commune qui, de tant de points divers de l'Europe, nous réunit aujourd’hui, est trop féconde et trop vaste pour ne pas avoir com— pris, dans le programme de ses travaux, le plus important des arts, celui qui touche de plus près aux intérêts divers, à l'existence même des sociétés humaines , je veux dire : l’agriculture. Humble re- présentant de cette grande chose au Congrès qui va s’ouvrir, permettez-moi de tracer un exposé succinct et rapide de la position de l’agriculture en France, où elle languit encore, et de celle où elle est arrivée en Angleterre, où elle est devenue une source de richesses incalculables ; où, protégée par les insti- tutions politiques et sociales, étayée et agrandie par la science des plus grands génies, cultivée avec amour et intelligence par les hommes des champs et les grands propriétaires, elle s’est élevée au-des- sus de l’agriculture de toutes les nations, et fait dé- couler de Fexubérance de ses richesses, sur tous les pays du monde, les trésors de sa politique, de son 62 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. économie, et les types précieux de ses races ani- males. « Messieurs, je dois être concis; je poserai donc tout d’abord, comme point de comparaison entre l’agriculture anglaise et celle de notre pays, le fait suivant, dont l'appréciation facile , même à ceux d’entre vous qui sont le moins iniliés aux questions agricoles, vous permettra de saisir d'un trait de pensée toute l'importance de celte question et la distance énorme qui nous sépare encore de la per- fection de nos voisins. « Le sol de l'Angleterre, bien inférieur à celui de la France, sous les rapports de climat et de fer- tilité naturelle, produit cependant , à surface égale, quatre fois plus de viande , près de trois fois plus de céréales , et cinq fois plus de pommes de terre. Et quand on vient à penser que le produit brut de notre sol, même avec la manière imparfaite dont il est exploité, s'élève encore à cinq milliards, et que ce produit pourrait atteindre le chiffre énorme de quinze milliards, est-il possible de rester froid et impassible devant des faits d’une importance aussi vaste? Et, parce que quelques difficultés existent pour lancer notre agriculture dans cette voie de progrès et de richesse, qui, une fois conquis , de- viendraient le progrès et la richesse de tous, on a peine à concevoir l’insouciance ou le décourage- ment et surtout le manque d'initiative de ceux qui, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 63 par leur position politique ou financière, ont assez d'influence pour déterminer la direction des efforts et l'efficacité des moyens. « Réjouissons-nous cependant, Messieurs , que le gouvernement qui nous dirige ait enfin ouvert les yeux sur les vrais intérêts de la France en en- courageant le progrès agricole par des mesures trop indirectes, il est vrai, et dont l’effet n’est pas en- core bien apparent, mais qui n’en témoignent pas moins de la bonne volonté du pouvoir et de son autorité pour l’avancement des saines théories et des bonnes méthodes parmi nos cultivateurs. « Messieurs, la plaie de notre temps c’est, sans contredit, cette impatience de l’ambition qui s’irrite du délai d’un jour, c’est la soif de la jouissance par un luxe qui ne connaît plus de bornes, et l’anxiété d'acquérir immédiatement les richesses qui servent à l’assouvir. Les opérations nécessairement lentes et régulières du commerce normal, l'intérêt mo- deste d’un capital placé sur les fonds publics ou sur la garantie de la propriété du sol; enfin, tout ce qui ressort du mécanisme régulier de la machine s0- ciale , tout ce qui peut être le produit de l’industrie patiente et du travail honnête, est rejeté comme trop lent. Aux hommes d'aujourd'hui, il faut cette spéculation effrénée qui tient de la roulette et du lansquenet. On veut arriver tout d’un coup, sans peine ; sans patience, sans travail. Et cependant, 64 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. à côté de ce tourbillon qui s’agite et ne produit que ruine et désolation ; à côté de la spéculation où tant de victimes jettent leur avoir pour s'enrichir tout d’un coup ; à côté de cette gène financière qui en découle ét qui, pesant sur les intérêts de tous, rend les esprits inquiets, fait grandir les murmures des masses et jette le trouble et la défiance dans tous les esprits; à côté de cet état de choses anormal et destructeur, il existe une industrie féconde, une mine riche, inépuisable, mais dédaignée parce qu’elle est humble, ignorée, parce qu’elle se tait! Et cependant, malgré son silence et son obscurité, elle est forte, elle est puissante , elle tient la société des hommes dans sa main. Sans elle, tout ce qui est noble et grand dans le monde, tout ce qui élève notre nature serait à néant! Si elle fermait sa main féconde, la famine, le plus terrible des fléaux, détachant un à un les liens qui soutiennent la société des hommes, anéantirait toute trace de civilisation et nous ramènerait à l’état de barbarie. « Cette grande et puissante chose , vous l’avez deviné sans doute, Messieurs, c’est l’agriculture. Sans elle, la nourriture qui nous fait vivre, les vé- tements qui nous défendent du froid, la soie qui nous orne, n’existeraient point : c’est la source de la vie et du bien-être de tous. C’est le travail de Dieu , soutenant et continuant l’œuvre immense de sa création, et donnant à chaque jour ce pain quo- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 65 tidien que nous demandons dans la prière que lui- même nous a enseignée. Poètes, hommes de senti- ment, qui aimez à voir le côté large et sublime des grandes choses , l’agriculture n’est-elle pas tout cela pour vous ? Et vous , économistes, industriels, commerçants, capitalistes, vous qui ne voulez exa- miner que le côté positif de toutes choses , et qui mesurez tout à sa valeur d'échange, écoutez ce qu’elle est pour nous. | « L'agriculture, au point de vue commercial et industriel, est l'entreprise la plus féconde qui puisse exister. Ce qu’elle produit, c'est la nécessité de tout ce qui existe, la source où tous les besoins viennent se satisfaire , et de plus , la seule industrie qui ajoute réellement et d’une manière intrinsèque à la richesse des nations. En France, où la produc- tion manufacturière est loin d’égaler {celle de l’An- gleterre, où l’industrie agricole forme le principal élément de richesse , la base du commerce intérieur, la principale source du revenu publie, il semblerait naturel qu’un intérêt si précieux fût l'objet de la sollicitude du plus grand nombre. Nous savons tous ; hélas ! que c’est le contraire qui a lieu. De toutes les industries c’est la plus négligée, celle vers la- quelle les capitalistes se sentent le moins entrainés, celle que les sociétés en commandite dédaignent le plus, celle, enfin, que tout le monde ignore, et qu'on abandonne comme chose vile à une popula- E 5 66 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tion de paysans ignorants et barbares, sur lesquels la civilisation luit à peine, et qui trainent celte mis- sion suprème de la production, que nos mœurs leur ont abandonnée, comme un forçat traîne son boulet. « Et cependant l’agriculture, comme les autres industries, a besoin de capitaux pour prospérer; à elle, comme aux autres manufactures , il faut des matières premières. Mais, que les capitalistes se rassurent |! Les matières premières de l’agriculture , c'est, en première ligne, le travail, qui, à, ne borne pas son rôle à modifier les matières premières comme dans les manufactures, mais devient produc- - teur lui-même, car il ajoute à la force, à la richesse intrinsèque, et surtout au volume du produit. En second lieu viennent les engrais :’c’est tout ce qu’on rejette loin de soi comme repoussant, c’est le flot fangeux qui roule dans nos égouts, c’est tout ce qui se décompose, le rebut de toutes choses , le résidu de tout ce qui a accompli sa fonction, et par con- séquent, lout ce qu’il y a de plus à portée de l’in- dustrie comme matière première. C’est encore la semence que l’agriculture tire de son sein même, et qu’elle multiplie selon la somme d'intelligence et de travail qu'on lui a consacrée. (est aussi la science dans ses applicalions infinies ; car, universelle comme sa mère la nature, l’agricnlture s’assimile sans ef- fort tout ce qui est utile, puissant et fécond. « L'industrie agricole supporte le propriétaire qui VINGT-QUATRIÈME SESSION. 67 ne fait rien, enrichit le fermier habile qui dirige et surveille , et nourrit l’ouvrier , trois classes d’indi- vidus qui y puisent, l’une le luxe, la seconde le bien-être, la troisième la vie. « Quelle autre industrie en fait autant ? « Malheureusement , ce triomphe qui fait son orgueil, est aussi le secret de sa faiblesse. Le jour où l’on verra le propriétaire se substituer à son fermier, l’agriculture sera rêégénérée; car, ce qui lui manque en France, c'est la science et l’argent| « La gent agricole de notre pays a de bien pré- cieuses qualités; elle est économe, patiente et la- borieuse ; mais elle est ignorante, et malgré les éléments de richesse au milteu desquels elle vit, elle est pauvre et partant impuissante , et de plus, elle est avare. Elle enfouit ses écus dans un trou du jardin ou derrière un vieux meuble ; ses races d'animaux sont abâtardies , ses champs envahis d'herbes parasites, qui dévorent la moitié de ses récoltes, ses instruments agricoles sont grossiers et impuissants , ses cultures inintelligentes ; et ce- pendant, malgré tout cela, le propriétaire roule carrosse et mène joyeuse vie, le fermier remplit d'écus ses vieux bas, et l’ouvrier trouve moyen de vivre. Que serait-ce donc, si on appliquait à la culture de la terre seulement la dixième partie des capitaux, de l’activité, de Ja vigilance, de l’ordre et de la sagacité que l’on prodigue dans 63 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les entreprises commerciales et industrielles ! Quelle source de richesses, enfouies sous la routine et les mauvaises herbes de nos fertiles campagnes, surgirait à notré beau soleil, et répandrait partout l’abon- dance , le bien-être et la sécurité ! Oui, Messieurs, la sécurité ! c’est là le mot, l'inspiration l'amène sur mes lèvres, je le répète: la sécurité | « Hommes politiques qui dirigez notre société, penseurs, philosophes qui méditez sur nos desti- nées, économistes qui étudiez nos crises , proprié- taires qui tremblez pour votre avoir, hommes d'ordre et de stabilité que le mot révolution fait pâlir, prêtres qui avez charge d’âmes et qui savez ce que la religion gagne à la tranquillité, pères de famille qui songez à l’avenir de vos enfants, com- mercçants, financiers , vous comprenez tous, n’est- ce pas? la valeur immense, inappréciable, de la sé- eurité. Eh bien ! ce bienfait civilisateur qui assure l'existence et la fructification de vos intérêts, il ne réside ni dans les institutions politiques, la triste expérience que nous avons tous me dispense de le prouver, ni dans la prospérité financière et in- dustrielle , les crises commerciales et monétaires dont nous souffrons à intervalles si rapprochés en sont une funeste preuve. La sécurité ne réside vrai- ment que dans la prospérité agricole d’un pays; car c’est la seule prospérité qui rejaillisse sur les masses, c’est le seul soleil qui réchauffe leur misère et al- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 69 lège leurs privations, c’est le seul agent moral qui ait prise sur leur intelligence et les rende conserva- teurs, et qui, en en détruisant la cause, fait cesser leurs murmures. | « Parcourez les rues de nos cités', et demandez pourquoi ces grilles de fer qui protégent la devan- ture des boulangers et des bouchers ? n'est-ce pas la crainte de l’émeute dans les jours de disette ? Avec le pain à bon marché, à quoi bon ces bastilles ? « Comme tout luit, comme tout s’épanouit dans la vie du peuple quand la subsistance n’est point chère ! Le pain à bon marché ! c’est le reflet joyeux . d’un rayon de lumière qui pénètre dans tous les es- paces et affecte tous les intérêts matériels et mo- raux de la société entière ; avec le pain en abon- dance, la viande; avec la viande, le vin ; avec tout cela, un meuble plus propre, plus d’air dans les mansardes, plus de drap sur les membres, plus d’éducation pour la famille, plus de religion, plus de morale dans les cœurs, plus de chansons sur les lèvres, plus de joie, plus de bonheur au foyer! car, remarquez-le bien, Messieurs , l'abondance des pro- ductions agricoles a cela de providentiel, qu’elle fait refléchir à toutes les autres industries l'éclat de sa prospérité. À quelque bon marché que soient les produits des manufactures de luxe, et en France elles sont en majorité, si le pain est cher, ces pro- duits ne s’écoulent point , l’épargne des familles 70 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. étant absorbée tout entière par l'achat des denrées nécessaires à la vie. Ainsi donc, la prospérité agri- cole entraine nécessairement celle de toutes les au- tres industries, et cela sans réciprocité. « Qu'il était sage et grand, ce roi qui exprimait le vœu que tous ses sujets pussent mettre la poule au pot! N'y a-t-il pas dans ce vœu populaire l’ex- pression la plus complète de la politique d’un gou- vernement éclairé? Sully, le plus grand ministre qui ait jamais présidé aux destinées de la France , l’a- vait si bien compris que tous ses efforts se sont di- rigés vers le développement des ressources agricoles de son pays, et le vœu généreux du monarque est devenu la définition la plus vraie de la politique du ministre. Si Richelieu, si Colbert avaient continué cette politique féconde, nul doute que les orages révolutionnaires qui depuis soixante ans ont apporté tant d'obstacles au développemeat de la civilisation et du bien-être de la France, n’eussent été conjurés, et que le progrès immense qui s’en est dégagé, mal- gré les violences destructives qui replongeaient no- tre nation dans la barbarie, ne se fût accompli sans secousses ni sang, sans crimes ni sacriléges, sans larmes ni blasphèmes. « Hätons-nous de le dire, Messieurs, la question est plus sérieuse que les ens d’affaires en général, el surlout les gens du monde, ne le croient. La posi- tion que notre organisalion sociale fait à Ja popu- YINGI-QUATRIÈME SESSION. 71 lation des campagnes n’est plus tenable; les fils de nos paysans ne peuvent plus se contenter du sort misérable qui les attend sous le toit de leurs pères. Ils émigrent en masse vers la ville et grossis- sent cette foule ambitieuse et besogneuse des ou- vriers qui murmurent, car le pain et les logements sont chers. On a beau hausser les salaires , le prix de tout ce qui est nécessaire à la vie hausse plus vite encore. Où et quand s’arrêtera-t-on | En atten- dant, l’ouvrier murmure toujours et se démoralise de plus en plus : est-ce là la sécurité ? « Hätons-nous donc, si nous voulons conjurer les orages dont l'horizon est noir ; jetons-nous ré- solument et avec confiance dans les bras tutélaires de l’agriculture, notre mère à tous; remuons nos champs, ils recèlent des trésors ; défrichons nos landes, nous changerons leurs cailloux en pain ; amé- liorons nos races animales, elles nous donneront plus de viande et plus d'engrais, et nous coûteront moins cher. Tâchons surtout d'exaucer le vœu de Henri IV, et la France, riche et prospère, tran- quille et satisfaite au-dedans, pourra dès-lors ac- complir au dehors la tâche civilisatrice que la pro- vidence de Dieu lui a confiée. » 72 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. le secrétaire général lit la pièce de vers sui- vante, adressée au Congrès, et intitulée Hommage de la Poésie au Congrès scientifique de Grenoble, par Mme Elise Gagne, née Moreau : ’ Oh! ce fut une heureuse et féconde pensée, Concue avec ardeur, avec amour bercée, Que celle qui fonda ces Congrès fraternels Où la science rend ses arrèts solennels, Et qui, sous l'idéal étouffant la matière, Font ruisseler à flots la vie et la lumière! Jamais sujet plus grand, plus complet et plus beau Ne s’offrit à la plume, à la lyre, au pinceau! Rien n’est à comparer, dans les siècles antiques; A ces brillants tournois, aux joûtes pacifiques D'où sont bannis l’orgueil et ses conseils jaloux, Dont la noble devise est le bonheur de tous; Qui n’ont qu'un but, celui d'appeler dans l'arène Les enfants dispersés de la famille humaine, Et de faire du monde une vaste cité Qu'éclairera le ciel de la sainte Unité. Tout en ayant l'instinct de mon insuffisance, Malgré moi je subis leur magique puissance, Et sans me demander si mon faible talent Ne se hasarde pas sur un terrain brülant, Sans songer que ma voix a perdu la souplesse Qui donne tant de charme aux chants de la jeunesse, Je veux, en quelques vers, hélas! trop imparfaits, Retracer les travaux, rappeler les bienfaits De ces réunions, qui, depuis vingt années, VINGT-QUATRIÈME SESSION. D'un sympathique accueil marchent environnées, Et n’ont pas dévié, dans leur zèle empressé, Du glorieux chemin qu’elles s'étaient tracé. De toutes les splendeurs merveilleux Capitole, Paris de la science avait le monopole : Ses fils seuls jouissaient du droit incontesté D'être les favoris de la célébrité : De ses succès futurs la province incertaine Craignait d'entrer en lutte avec la cité reine, Et les hommes d'élite enfermés dans ses murs, Tristes, se résignaient à demeurer obscurs, Lorsqu'un jeune savant déploya la bannière, Qui devait de ses plis couvrir la France entière. Son éloquente voix aux accents chaleureux, Trouva de longs échos dans les cœurs généreux, Et le Congrès, enfant né dans la Germanie, Apparut sur le sol de l'antique Neustrie. Les sincères vivats de l'approbation Saluèrent soudain son apparition, Et dès qu'on eut compris quelles routes immenses Il ouvrirait aux arts, au génie, aux sciences, Dès qu'on vit les bienfaits qu'il sémerait plus tard, Chacun vint s’enrôler sous son noble étendard ; A dater de ce jour, l’œuvre , d’abord timide, Vers la perfection marcha d'un pas rapide; Bientôt elle atteignit un degré de splendeur Que n’osait pas rêver son heureux fondateur. Parmi ceux qui venaient guider ses destinées, On compta des prélats, des têtes couronnées, Et du monde savant les hautes sommités Voulurent concourir à ses prospérités. Bientôt, sortant vainqueur de sa première épreuve, 73 7% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le modeste ruisseau devint un large fleuve Qui, se subdivisant en de nombreux canaux, Répandit en tous lieux le trésor de ses eaux. Un semblable succès n’a rien qui nous étonne : Quand l’homme est isolé, la force l’abandonne; L'association est l’unique moyen D'allumer dans les cœurs le saint amour du bien. L'homme le plus enclin aux mœurs atrabilaires, Dès qu'il se sent utile au bonheur de ses frères, Cesse de regarder ses jours comme un fardeau Qu'il voudrait enfouir dans l’ombre du tombeau ; Par l’égoisme étroit son âme dégradée Se ranime au soleil de quelque grande idée, Et cet être, timide alors qu'il était seul A trainer de son sort le lugubre linceul, Devient, grâce au contact d’un illustre entourage, Plein d'ardeur juvénile et de mâle courage ! Oui! c’est un fait prouvé : ces bienfaisants Congrès Qui tracent des chemins si vastes aux progrès, Ne sont pas seulement utiles aux sciences, Ils répandent sur tout leurs douces influences. Par eux, l’agriculteur découvre les secrets De rendre productifs d’infertiles guérets ; Fervents explorateurs des vallons et des plaines, Par eux la botanique agrandit ses domaines ; La vapeur, cette sœur de l'électricité, Qui des ailes de l’aigle a la vélocité, Trouve en eux des appuis dont l'intrépide zèle Lui montre chaque jour quelque route nouvelle ; Désireux de doter cet immense univers Que divisent souvent ses langages divers, Du don si précieux d’un idiôme unique, YINGT-QUATRIÈME SESSION. 75 Ils activent partout l’art de la linguistique; Des champs de l'avenir ils creusent les sillons Pour y faire germer d'abondantes moissons; De l’unité vers qui le globe entier aspire Ils plantent les jalons, et préparent l'empire ; Aux arts, à l’industrie, ils prêtent leur Concours : Aux plaintes du malheur ils ne sont jamais sourds; Ils ne se ferment pas devant la poésie, Et galants chevaliers remplis de courtoisie, Au lieu de l’accueillir avec un froid dédain, Is la traitent en sœur et lui prêtent la main. Apôtres de la paix dans leur calme cénacle, D'une union parfaite ils offrent le spectacle ; Chacun d’eux au grand œuvre apporte son tribut, Leurs efforts incessants tendent au même but : Chasser de notre sol la misère homicide, Préparer à la France un avenir splendide, Rendre à ses monuments, par le temps dévastés, L’éclat dont rayonnaient leurs premières beautés, Replacer aux frontons des vieilles cathédrales Leurs gracieux bandeaux de perles ogivales, Apporter quelque baume aux maux du prisonnier, Enfin, mettre la main à ce puissant levier Qui saura tôt ou tard, dans son ardeur féconde, Trouver un point d'appui pour soulever le monde Si longtemps enclavé dans la perdition, Jusqu'au Ciel bienheureux de la rédemption ! Ah! du haut de ce ciel où réside sa gloire, Puisse le Dieu clément qui donne la victoire, Jeter sur vos travaux un regard protecteur, Vous, qui voulez ouvrir une ère de bonheur Aux peuples abrutis par l’horrible souffrance. 76 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Qu'engendrent le malheur, le vice et l'ignorance! Puisse-t-il couronner vos efforts généreux Des palmes qu’il réserve aux hommes courageux, Qui consacrent leur temps, leur vie et leurs richesses A l'adoucissement de toutes les détresses, Dont le savoir atteint les plus pompeux sommets, Et dont le dévoûment ne se lasse jamais ! Puissent de plus en plus vos doctes assemblées Briller ainsi qu’un phare aux rayons souverains, Sur les mâts du vaisseau qui porte nos destins, Rallumer le flambeau des croyances divines, Dans les cœurs où le doute enfonce ses épines ; De tous les grands progrès faciliter l'essor, Écraser sous leurs pieds les temples du veau d'or, Frapper de coups mortels les œuvres du scandale, Sur son trône écroulé replacer la morale, Et, par la foi, la paix, l'amour, la vérité, Vers le port du bonheur guider l'humanité! Il est ensuite procédé, par la voie du scrutin, à la nomination d’un président général du Congrès et de quatre vice-présidents. Ce scrutin donne, à une grande majorité, les résullats suivants : Mgr Ginouruiac, évêque de Grenoble, président général. M. pe Caumowr, directeur de l’Institut des pro- vinces, premier vice-président. M. le docteur Roux, membre de l’Institut des YINGT-QUATRIÈME SESSION. TA provinces, secrélaire général de la société de statis- tique de Marseille, deuxième vice-président. M. le docteur BALLY, ancien président de l’acadé- mie impériale de médecine, troisième vice-président. M. GirauD (de la Drôme), ancien député, qua- trième vice-président. Mgr Ginoulhiac est proclamé président général. MM. De Caumont, Roux, Bally et Giraud sont proclamés vice-présidents. Avant la fin de la séance, M. le secrétaire général annonce que le lendemain, à neuf heures du matin, Msr l’évèque célèbrera, dans l’église de Saint-André, une messe du Saint-Esprit, pour l'ouverture du Congrès ; il invite MM. les membres à se réunir à huit heures trois quarts, au Palais de Justice, pour se rendre en corps à l’église. La séance est levée à cinq heures. MESSE DU SAINT-ESPRIT POUR L'OUVERTURE DES TRAVAUX DU CONGRÈS. Le vendredi 4 septembre, le Congrès scientifique s’estréuni au Palais de Justice, à neuf heures moins un quart, et s’est rendu en corps à l’église de Saint-André pour entendre la messe du Saint-Esprit. Les membres du Congrès ont traversé la place au milieu d’une foule curieuse et empressée, qui se 78 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rangeait respectueusement pour laisser passer les représentants de la science. Des places avaient été disposées pour eux dans la nef. Le service divin à ëté célébré par Mgr l’évèque de Grenoble, assisté de M. l'abbé Gerin, curé de la paroisse; la musique militaire a fait entendre pendant la messe des sym- phonies religieuses; Mgr Ginoulhiac à prononcé le discours suivant du bas de l’autel : DISCOURS DE MS GINOULHIAC. « C’est une belle et bonne pensée, Messieurs, que celle qui vous à engagés à ouvrir la session de votre Congrès scientifique par un hommage rendu à Dieu, et à inaugurer par un acte public de religion vos sérieux et nobles travaux. « C’est reconnaître, si je ne me trompe, que la vraie science trouve en Dieu sa source suprème ; c'est proclamer aussi l'alliance intime qui doit exis- ter, dans leur intérêt commun, entre la science et la religion. | « Vérités saintes et salutaires, Messieurs ! Quoi- que votre présence dans ce temple le dise assez baut, il est bon peut-être que, pour mieux faire ressortir le vrai sens de cette réunion, je les ex- pose en quelques paroles. Je croirais d’ailleurs ne pas vous témoigner assez de reconnaissance pour la pensée qui vous inspire, si je n'essayais de la VINGT-QUATRIÈME SESSION. . 1 traduire devant vous, avec la simplicité austère, sans doute, mais aussi avec la liberté qui convient au ministère que je remplis. € L. — Il est donc vrai, Messieurs, c’est le Tout- Puissant qui est le premier auteur des sciences, et c’est à bon droit que dans les saints Livres il s’en est appelé le Dieu : Deus scientiarum Dominus est (1. Reg. IT, 3). Car le Dieu véritable, celui que la philosophie avait entrevu, celui que le christia- nisme adore et qu’il a révélé au monde, n’est ni la force aveugle du fatalisme, ni la divinité muette, inerte, de l'Inde et de la Gnôse. Principe de tout ce qui est hors de lui, par sa volonté intelligente et libre en même temps que toute-puissante, il a choisi sans besoin de son côté, sans qu'il existât aucun droit de leur part, parmi tous les êtres possibles éternellement présents à son intelligence infinie, ceux qui lui ont paru dignes de son action créatrice : il les à voulus, et il les a faits. Maître suprême de cetle création qui ne dure et ne subsiste aussi que par son vouloir, il conserve, ou, pour parler le langage énergique de l’Écriture, il porte ioutes choses par la parole de sa Puissance ; il les dirige par une Sagesse pleine de suavité et de force vers une fin digne de lui. Comme rien ne se produit en dehors de son action, rien ne peut se soustraire à son em- pire, rien n'échappe à sa providence, rien ne la fa- tigue. Et si, par les lois qu'il a établies, il est l’auteur " 80 . CoNGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de tout ordre dans le monde physique, par l’activité intellectuelle qu’il nous a donnée et qu’il nous con- serve, par le concours actif et continuel qu'il nous prête, il est en nous la source suprème de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est bien.dans l’ordre de la science et des arts. « C'est en ce sens, Messieurs, que Dieu est le premier auteur des sciences, et qu’on doit les appe- ler un présent du ciel. Car il n’en est pas de Ja science comme il en est de la religion. Celle-ci est tellement l’œuvre de Dieu que, sous aucun rapport, elle ne saurait l’être de l’homme. C’est, au langage de l’Esprit-Saint, /a maison que la Sagesse éter- nelle s'est bätie dans le temps, de ses propres mains, et dont il ne nous est permis que d’embellir et de protéger les dehors {Prov. 1x, 1, 3). Mais il en est bien autrement des sciences. Si elles vien- nent originairement de Dieu, s’il est vrai qu’elles seraient impossibles sans son intervention et sans son aide, elles sont immédiatement, quoique cha- cune à sa manière, des produits, et, si j'ose le dire, les filles de l’esprit humain. Les unes sont le résul- tat de l'observation patiente qui découvre les faits et qui les constate, de cette faculté synthétique qui les groupe, qui les classe par leurs analogies res- pectives ; qui, à l’aide de ces rapports reconnus et de principes supérieurs, s’élève à des faits plus généraux qu'on regarde comme les causes des pre- + VINGT-QUATRIÈME SESSION. 81 miers, et qu’on appelle des lois. Les autres sont le fruit de l’intuition directe des premiers principes, et de cette puissance d’attention qui, en les pénétrant et en les appliquant, en déduit les riches conséquen- ces, et les coordonne pour en faire un tout com- plet et harmonieux. Toutes sont représentées dans nos Livres saints, comme étant du domaine de l’homme, trop souvent l’objet de vaines tentatives ou de disputes, toujours le fruit de ses réflexions et de ses recherches. € IT. — Mais, Messieurs, puisque la religion et la science, quoique à des titres divers, ont Dieu Pour auteur, elles sont donc naturellement alliées et amies, et il est de leur intérêt bien entendu de maintenir et de resserrer cette alliance. Vous le Savez, Cependant : soit mauvais vouloir, soit im- prudence, il s’est rencontré des hommes qui ont essayé de la briser. Que de fois, dans le cours des siècles, la science n’a-telle pas été représentée comme étant hostile à la religion ou comme devant Jui être suspecte? C’est le dernier siècle surtout qui fit les plus grands efforts pour établir cette hostilité prétendue : il n’y eut alors aucun progrès scientifique, aucune découverte, qui ne devint un moyen d'attaque conire la religion révélée. Mais, vous le savez aussi : toutes ces tentatives n’aboutirent pas, ou plutôt elles ont abouti au triomphe du christianisme. À mesure que les sciences ont fait des progrès sérieux, elles I he 6 82 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. se sont rapprochées de la religion. La géologie, la linguistique, l'archéologie, sont venues lui apporter leur tribut, les monuments primitifs de notre foi ont été vengés, et un nouvel éclat a été donné aux preuves extérieures de la divinité du christianisme. « Si nous parlons ainsi, Messieurs, ce n’est pas que nous croyions que l'épreuve soit finie, et que nous puissions ignorer que, mème de nos jours, l'attaque recommence sous d’autres formes ; mais le passé nous répond de l’avenir. Si les progrès réels accomplis dans les sciences n’ont abouti jusqu'ici qu'à justifier notre foi et à en confirmer les preuves, nous serions bien insensés de nous défier d’elles sous prétexte de ceux qui pourront s’accom- plir un jour; et plus insensés seraient encore les hommes qui s’appuieraient sur des espérances tant de fois déçues, pour porter atteinte à la vérité de la religion « Car après tout, Messieurs, le christianisme n’a pas besoin du secours de la science pour subsister et pour régner sur les âmes. Il a prouvé , en s’é- tablissant sans aucun appui humain, qu’il puise ailleurs sa force et sa vie. Fondé qu’il est, comme dit saint Paul, sur les manifestations de l’esprit et de la puissance de Dieu, à l’aide de ces faits divins dont les preuves sont aussi certaines qu’elles sont accessibles à tous, il peut convaincre pleine- ment les esprits attentifs et de bonne foi. Puis, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 83 quand il les a ainsi convaincus, il les confirme dans ces convictions, par la satisfaction qu’il donne aux besoins les plus élevés et les plus profonds de notre nature, dans ses doctrmes, dans ses secours, dans ses institutions, dans ses espérances. « Avec cela, Messieurs, le christianisme ne dé- daigne point les secours que lui prête la science humaine. Elle lui est utile pour se défendre contre les attaques de ses ennemis, pour écarter des pré- jugés qui tiendraient loin de lui des âmes sincères, pour communiquer par une coordination savante plus de lumière et plus de puissance extérieure à ses enseignements, enfin pour contenter ce désir qu'éprouvent les intelligences d'élite de saisir les merveilleuses harmonies qui existent entre le monde surnaturel et le monde visible, et d’en apercevoir le lien. « Mais, d'autre part, toute science n’a pas be- soin de la religion pour naître; et sauf celles qui, sous des noms divers, s’occupent de l’origine, de la nature, de l’histoire, de la loi, des destinées de l’homme, elle ne leur est pas absolument nécessaire pour se développer et pour faire mème de remar- quables progrès. Mais voyez, Messieurs, les grands avantages qu’elle leur apporte : je ne dis pas qu’elle ouvre devant elles une perspective immense, et que par la pensée de Dieu, de ses desseins, de son action toujours présente, elle répand un charme 8! CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. supérieur sur leur étude, qu’elle les anime et les vivifie ; je me borne à ces trois pensées : lareligion respecte la dignité de la science, elle en favorise les progrès, elle en assure et en féconde les plus utiles résultats. « Oui, Messieurs, le christianisme respecte la dignité de la science. [l reconnait volontiers qu’elle a un domaine qui lui est propre, et que dans ces limites, elle est souveraine. Équitable envers la rai- son qui est sa source immédiate et son instrument, elle en professe la légitimité, elle en proclame la force. Alors qu’elle est mise en comparaison ou en contact avec les sciences humaines, si elle croit avec raison leur être supérieure, parce qu’elle est ioute de Dieu; si elle regarde tout ce qui est du temps présent comme subordonné à la vie à venir et à ce qui la révèle, elle n’usurpe jamais leurs droits véritables. En face de découvertes non encore éprouvées, ou d’hypothèses hardies qui semble- raient lui porter atteinte, elle ne se hâte pas de se prononcer et de proscrire. [l y a tantôt quatorze siècles qu’elle donnait, par la bouche de saint Au- gustin, aux théologiens et aux interprètes des saints Livres cette règle de sagesse : Lorsqu'il s’agit de choses naturelles, de ces vérités ou de ces faits qui sont l’objet propre des sciences humaines, il ne faut pas facilement donner aux monuments de la révélation, des sens qui leur seraient contraires : VINGT-QUATRIÈME SESSION. 89 en agissant ainsi, on courrait le risque ou de com- promettre la dignité de la révélation (1), ou de méconnaitre la fin que Dieu s’est proposée, en la donnant aux hommes. « Mais si le christianisme respecte la dignité de la science, il n’en flatte pas l’orgueil. S’il l’apprécie comme étant ici-bas le privilége des esprits d’élite, il ne veut pas, comme le permettait la philosophie antique, qu’elle s’en autorise pour repousser avec dédain les intelligences vulgaires. Il y a quelque chose qui lui semble bien préférable à l'élévation ou à l'étendue de l'esprit : la noblesse du caractère et l'élévation des sentiments ; et si la dignité de la science lui paraît mériter des éloges, il met au- dessus de tout la dignité de l'homme de bien. D'un autre côté, en réprimant par ses enseignements el par ses inspirations les penchants intéressés et les instincts égoistes, il ouvre entièrement l’âme à l'amour de la vérité, il la rend plus capable de l'atteindre. I la porte à la reconnaître, à l’accueillir partout où elle est et d’où qu’elle vienne. Il lui en inspire ce désir vif et pur, qu'un philosophe du XVIE siècle appelait la prière de l'esprit, et qu'il regardait comme le moyen le plus sûr pour y par- venir. Il ne condamne donc pas la curiosité natu- (1) De Gen. ad Litt., L 1. c. ult. et 1. 11, ©. 1; et S. Thom. in Summ, 1.2. q., 68, à. 1. 86 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. relle qui est un aiguillon si puissant dans les efforts de l’esprit humain et dans ses recherches; mais il en arrête les excès par ses maximes, et par de sa- ges conseils il en prévient les tristes écarts. Il dit à tous avec le Sage : « Ne cherchez pas à atteindre ce qui est plus haut que vous, ni à pénétrer ce qui surpasse vos forces. Bien des choses vous sont montrées dans la création et en nous qui sont au-dessus du sens de l'homme et de la portée de son esprit. Plusieurs, entraînés par une curiosité présomplueuse, ont été ébranlés et séduits, et les illusions de leur propre sens les ont précipités et retenus dans la vanité et le mensonge. » (EccL. c. 111, 22, 25 et 26.) C’est ainsi, Messieurs, que, par ses conseils et par l'influence de ses enseignements, la religion affermit la marche des sciences, et qu’elle en favo- rise les progrès. C’est aussi par là qu’elle en assure et en féconde les résultats utiles. Tout occupée qu'elle est du bien de l'humanité, c’est à cette fin Surtout qu'elle tend, qu’elle rapporte la science et ses découvertes. Elle enseigne que si les sciences sont une source de jouissances pures, elles ne nous sont pas données principalement pour en jouir, ou pour devenir une occasion de gloire; et, à ses yeux, le meilleur et le seul usage que l’homme puisse faire dignement de ce qu’il sait, est de l’employer au bien de tous. Ainsi faisait ce Sage des temps VINGT-QUATRIÈME SESSION. 87 anciens, qui a pu se rendre à lui-même ce témoi- gnage : « J'ai appris la sagesse avec sincérité ; je la communique sans envie; je n'en cache à personne la beauté, parce que le trésor de ses richesses est infini. — Quam sine fictione didicr et sine invidia communico et honestatem 1llius non abscondo. Infinitus enim thesaurus est. » {Sap. vir, 43.) « Mais n'est-ce pas là aussi, Messieurs, ce que vous vous proposez vous-mêmes et ce que vous venez faire dans votre Congrès? Pourquoi cette réunion d’esprits éminents, de talents, d’aptitudes, de connaissances, de mérites si remarquables et si divers? Pourquoi ce rapprochement de savants, d’observateurs, d'hommes pratiques de différentes parties de la France et de nations amies, sinon pour se communiquer le fruit de leurs veilles et les ri- ches résultats de leurs recherches ? Car, sans doute, vous venez ici, Messieurs, pour vous encourager mutuellement, pour nous encourager aussi à vous suivre dans la voie de vos travaux ; mais vous venez surtout nous faire part de vos découvertes. Sans négliger les questions d’un intérêt général, vous vous proposez de nous apprendre ou de nous faire voir ce que, dans cette riche terre du Dauphiné, il y à à recueillir dans ses traditions, à admirer dans ses monuments et dans son histoire, à perfection- ner dans ses procédés industriels ou agricoles, dans 58 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ses instruments ét dans ses produits. Comme rien n'échappera ici à votre attention, vous ne nous cacherez rien de ce que vous croirez nous être utile. Et si votre présence, vos conseils, vos travaux, doivent contribuer à sa gloire, vous voulez surtout qu'ils soient un bienfait pour notre pays. « Soyez-en bénis, Messieurs, et que les béné- dictions du Ciel se répandent abondamment sur vos personnes et sur vos œuvres! Marchez pour cela constamment dans la voie que vous ouvrez aujour- d’hui; maintenez résolument un conseil de paix entre la science et la religion. Resserrez les liens de cette alliance : c’est leur vœu commun, c’est le sens de cette cérémonie, c’est votre pensée, e*est la nôtre; et nous n’éprouvons qu'un regret, celui de n’avoir pu, à cause d’occupations acca- blantes, l’appuyer sur des considérations vraiment dignes d’elle, la traduire en un langage plus digne de vous. » On a ensuite entonné le Venz Creator, et Mon- seigneur de Grenoble a donné la bénédiction du Saint-Sacrement. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 89 DEUXIÈME SÉANCE GÉNÉRALE, 4 septembre 18353. Présidence de Mgr l'Evêque de Grenoble. Mgr Ginoulhiac , président du Congrès, ouvre la séance par le discours suivant : « Messieurs, «Je vous dois des remerciements d’autant plus sincères pour le choix dont vous m'avez honoré, que je ne puis l’attribuer qu’à la haute position que la Providence m'a faite, et à l’idée que je repré- sente. C’est ce qui ne me permet pas d’en décli- ner l'honneur; mais c'est, d'autre part, ce qui m’autorisera sans doute à ne m’associer que rare- ment à vos travaux. J'en éprouverai un vrai regret, croyez-le bien, Messieurs. Il m’eût été doux de revenir sur des études qui me furent chères; de profiter des progrès que la science, sous toutes ses formes , a faits depuis cette époque, et surtout de m'initier aux besoins, aux richesses, aux vrais intérêts d'un pays que j'aime comme si j'étais un de ses enfants. Car, Messieurs , je sens mieux que je ne saurais le dire, tout ce qui me reste à appren- dre, et ce que j'aurais à gagner auprès de vous. » 90 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. le secrétaire général rend compte de la cor- respondance et des ouvrages offerts au Congrès. Les secrétaires particuliers des sections font connaître les travaux de leurs sections dans la matinée. M. Hatzfeld, professeur à la Faculté des Lettres, donne lecture du mémoire suivant : LA SPIRITUALITÉ DE L'AME PROUVÉE PAR LES PHÉNOMÈNES PSYCHOLOGIQUES QUI ACCOMPAGNENT LE SOMMEIL. Messieurs , La philosophie francaise, durant la première moitié du XIX° siècle, s'était attachée surtout à l’histoire et à la cri- tique des systèmes. Ainsi placée entre des écoles diverses qu'elle s’efforçait de concilier, passant tour à tour de l’idéa- lisme cartésien au sensualisme de Condillac, ou des abs- tractions téméraires de l’Allemagne à l’empirisme timide des Ecossais, ses doctrines semblaient vagues etincertaines ; depuis quelques années, au contraire, elle semble quitter l'histoire et la critique, pour revenir à l'étude des problè- mes métaphysiques, el retrouver sa véritable voie dans le riche sillon tracé par Descartes. Parmi les ouvrages nouveaux qu’a fait naître ce mou- vement dogmatique et spiritualiste, le livre de M. Albert Lemoine sur le sommeil, récemment couronné par l’aca- démie des sciences morales, mérite une attention particu- lière. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 91 L'épigraphe indique le caractère de l'ouvrage : « Dormientium animi maxime declarant divinitatem suam. » (Cicéron, De Senect.) « L'âme manifeste surtout dans le sommeil ce qu’il y a en elle de divin. » Desobservations physiologiques et psychologiques sur le sommeil forment la matière de ce livre (1); mais une pen- sée anime cette matière : c’est le dogme de la spiritualité de l'âme, dont M. Lemoine a su trouver une démonstra- tion aussi solide qu'originale dans les phénomènes qui accompagnent le sommeil. Interrogeant l’homme endormi, il cherche à surprendre sa véritable nature au moment où l'âme cesse en quelque sorte de se surveiller, de se conte- nir. Dans cette vie sourde et mystérieuse de la pensée que ne peut enchaîner l’engourdissement des organes, dans cette vigilance toujours active sous une apparente torpeur, dans cette unité et cette identité qui subsistentsous la va- riété et le changement, la dignité de notre nature spiri- tuelle lui apparaît d'autant plus maniféste, qu'elle se trahit pour ainsi dire par des aveux volontaires. là Le premier point fondamental de la théorie de M. Le- moine est que « jamais pendant le sommeil le plus profond, l'activité de notre esprit n’est complétement suspendue. » M. Jouffroy, dans un article des Mélanges philosophi- ques, avait soutenu la même proposition, « que les sens (4) Voici le titre du livre : Du sommeil, au point de vue physio- logique et psychologique, par Albert Lemoine, ouvrage couronné par l’Institut (Paris, Baillière, 1855). 92 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. seuls s'engourdissent dans le sommeil et que l'esprit reste éveillé. » Mais M. Jouffroy s’abstient de démontrer ce qu'ilavance. IL prétend que ce n’est pas à lui de prouver aux matéria- listes que l'esprit ne dort pas, mais que c’est aux matéria- listes de prouver que l'esprit dort : « Les rêves, dit-il, montrent suffisamment que l'esprit veille quelquefois pendant que les sens dorment. Les analogies sont donc pour qu'il veille toujours. » Non content d'affirmer, sans preuve, que l'esprit ne dort jamais, M. Jouffroy va jusqu’à prétendre que pendant le sommeil l'esprit n’est point dans un état spécial, mais fonc- tionne et se développe absolument comme dans la veille. En exagérant cette thèse, en la proposant comme évi- dente d'elle-même, en négligeant de la préciser comme il avait dédaigné de la démontrer, M. Jouffroy l'avait rendue suspecte. M. Lemoine, en présentant avec mesure ce qu'elle renferme de vrai, en l’exposant d’une manière scientifique, se l’est en quelque sorte appropriée. Bien que l’idée d’une pensée qui sommeille soit com- munément admise comme une chose et très-simple et très-claire, pour peu que l’on y réfléchisse, rien n’est plus obscur et plus inintelligible. Un esprit qui cesserait de penser, cesserait d’être. « Une pensée qui dort, c’est-à-dire une pensée qu'aucun objet n’occupe, ni un seul, ni plusieurs, c'est ce qu'il est aussi impossible de comprendre qu'un esprit qui meurt. Un esprit qui ne pense pas, c’est un corps grave qui ne pèse pas. Je n’exige pas que tout corps soit lourd comme le plomb, l'or ou le platine, pourvu qu'il pèse comme la plume, l'air ou le plus léger de tous les gaz. Je ne prétends pas penser pendant mon sommeil comme Platon ou Des- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 93 cartes, mais comme un fiévreux délire ou comme sent une chrysalide. » (Pag. 34.) J'irais volontiers plus loin que M. Lemoine, et il me semble plus aisé de concevoir un agent matériel impon- dérable, qu’un esprit qui ne pense pas. La démonstration de ce point essentiel est une des par- ties les plus remarquables du livre de M. Lemoine. Il groupe avec art des faits nombreux, soigneusement obser- vés, choisis avec mesure, décrits avec justesse, et il les fortifie de raisonnements clairs et vigoureux. On croit généralement que l’âme se repose comme le corps. On oublie qu'entre la matière et l'esprit il y a différence de nature, d’où il suit, dit M. Lemoine, « que le corps, qui meurt et dépense sans cesse, se fatigue et a besoin de repos, que le sommeil est fait pour lui, que le sommeil est d’abord tout organique ; que l'âme qui ne se meut pas, qui ne perd rien, qui ne meurt pas, ne se fatigue pas à la manière du corps. » (Pag. 58.) Ce que nous prenons pour la lassitude de l'esprit, c’est la lassitude des organes qui lui font défaut : . « Ilen est autrement de l'esprit et du corps que de l'artisan et de son outil. L’instrument fatigue la main qui le fait mouvoir sans se lasser lui-même. C’est l’âme qui lasse le corps sans se fatiguer. » (Pag. 55.) Mais si l’âme reste étrangère à la fatigue, elle connaît la douleur ; étroitement unie avec le corps, elle ressent le moindre malaise des organes. « La fatigue du corps la fait souffrir : elle repose le corps pour cesser sa souffrance. » (Pag. 58.) Ou bien, tourmentée de la soif de l'infini, le sentiment de son impuissance l’accable : « Elle perd quelquefois dans l’action difficile son cou- 9% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rage, non sa force; elle le retrouve dans l'oubli que le sommeil des organes lui procure. Elle jouit par occasion du sommeil du corps, mais ce sommeil n’est pas le sien. » (Ibid.) Observez en effet ce qui se passe dans les songes : « Le propre des songes, c'est la diversité, l’incohé- rence, la rapide succession des idées et des images. Plus l'esprit voit de choses, plus il semble occupé par elles. Le contraire, cependant, est la vérité. Plus les objets de notre pensée se multiplient, moins ils ont de rapport et de suite, plus ils nous sont indifférents. Ils passent sans nous captiver, et, par conséquent, sans nous fatiguer. » (Pag. 47.) Il en est de même dans les défaillances : , « Lorsque l’évanouissement commence, ce qui l’an- nonce d'ordinaire, se sont des vertiges, des éblouisse- ments, où toutes les images se mêlent, où tous les objets tournent avec rapidité, où, enfin, les sensations se multi- plient etse succèdent avec une telle promptitude, que nous n'en percevons aucune avec quelque clarté. Le moment vient où cette succession est si rapide, que nous ne pou- vons plus ni agir, ni même nous tenir debout : étourdis et réduits à l'impuissance, nous semblons ne plus rien voir, ne plus rien sentir, parce qu'un trop grand nombre de sensa- tions trop passagères nous assiégent à la fois. » (Pag. 43.) Ainsi, tandis que le corps épuisé, fatigué d'agir, se re- pose par l’inaction, l'âme ne se repose pas en cessant d'agir, mais en agissant d’une autre manière, sans efforts suivis et sans joug, au gré de sa fantaisie. Ceux qui croient que l'esprit peut dormir comme les organes, prétendent assimiler l’âme au corps. « Ils ne s’aperçoivent pas, dit M. Lemoine, que c’est fournir à no- + YINGT-QUATRIÈME SESSION. 95 tre thèse un argument de plus. » Que se passe-t-il, en effet, dans le sommeil du corps? Les fonctions des orga- nes des sens extérieurs sont suspendues; tandis que les organes de la vie intérieure, végétative ou nutritive, pour- suivent leur action. « Puisque le sommeil du corps n’est pas la suspension totale, mais le ralentissement de quelques-unes seulement de ses fonctions, l’analogie nous porte à croire que la pensée n’est pas davantage supprimée pendant le som- meil, mais que la conscience est obscure, les sensations confuses , les images lointaines , comme un fond de tableau sur lequel aucune figure ne se détacherait. » (Pag. 47.) LE M. Lemoine rencontre ici, sur son chemin, la célèbre doctrine de Mainé de Biran sur le sommeil, et on serait tenté de lui reprocher quelque hésitation, en face de l'autorité de ce grand métaphysicien. M. Lemoine esquisse d’une facon trop générale et trop vague l’importante théorie de Maine de Biran, et comme il s’en éloigne au fond très-franchement, il a tort peut être d’atténuer dans la forme l'opposition radicale des deux doctrines et d’invoquer des analogies plus apparentes que réelles. On nous permettra d’insister sur ce point, d'exposer avec une netteté complète la théorie de Maine de Biran, en regard de la théorie de M. Lemoine, et de marquer fortement les différences qui les séparent. Maine de Biran admet-il, comme M. Lemoine, qu'il n’y a pas de sommeil de l'esprit; que dormir, pour l'esprit, 96 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. serait ne pas rêver, ne pas penser; que l'esprit, enfin, ne peut pas cesser de penser, sans cesser d'être ? Au premier abord on est tenté de Le croire : « Il n'y a de sommeil complet pour l'être sensitif, dit Maine de Biran, que dans la mort absolue. » (Rapports du physique et du moral, p. 112.) « Les personnes qui assurent qu'elles ne sont point su- jettes à rêver, ne veulent point dire autre chose, sinon qu'elles ne conservent au réveil aucun souvenir de leurs songes. » (Nouv. consid. sur le sommeil, p. 245.) Mais si ce que ce philosophe semble accorder d’une main, il le retire de l’autre; s’il nie formellement toute action du principe spirituel dans les rêves; s’il attribue exclu- sivement tous les songes à ce qu’il nomme l'être sensitif, et ne veut y voir, ce sont ses propres termes, que « de véritables sensations animales », M. Lemoine ne peut plus dire : « Descartes, Leibnitz, Maine de Biran, etc., tous s'accordent à reconnaître qu'il n’y a pas de sommeil de l'esprit. » | Les explications que donne sur ce point Maine de Biran ne peuvent laisser aucun doute : «S'il n’est pas exact de dire, comme les Cartésiens, que l'âme pense toujours, puisque la pensée proprement dite suppose la conscience du moi... on peut du moins conjec- turer avec beaucoup de vraisemblance que cette faculté que nous avons nommée imagination passive, en tant que son exercice dépend de la sensibilité physique, n’est pas plus sujette qu'elle aux intermittences. (Nouv. considér. sur le somm., p. 244.) « Sans l’attention, faculté mère de l’entendement, qui n'est qu'un mode d'exercice de la volonté,… le jugement - VINGT-QUATRIÈME SESSION. 97 le plus simple ne saurait naître... Il ne reste plus d’en- tendement ni de moi, mais seulement une faculté passive de sentir ou de recevoir des impressions et d’en être affecté. (Id., p. 234 et 235.) « Voulez-vous entrer plus avant dans la doctrine de Maine de Biran? Relisez le Voyage autour de ma chambre, et l’'amusant chapitre De l'âme et de la bête. » « On s’apercoit bien en gros, dit M. de Maistre, que l’homme est double; mais c’est, dit-on, parce qu'il est composé d'un âme et d’un corps. Et l’on accuse ce corps de je ne sais combien de choses, mais bien mal à propos assurément, puisqu'il'est aussi incapable de sentir que de penser. C’est à la bête qu’il faut s’en prendre, à cet êtresensible, parfaitement distinct de l'âme, véritable in- dividu qui a son existence séparée, ses goûts, ses inclina- tions , sa volonté. » Dans l’état de veille, il est des moments où l’âme s’ob- serve, se possède, etn’agit qu'avec réflexion et discerne- ment; il en est d’autres où elle s’abandonne sans résis- tance aux impulsions de la nature ou de l'habitude. Cette double vie du principe spirituel, que chacun a pu obser- ver ‘en lui-même, finement exagérée par M. de Maistre, lui à suggéré son hypothèse piquante de l’âme et de la bête. Seulement, pourquoi prêter à sa bête une volonté? Des instincts, à la bonne heure! Si M. de Maistre avait la prétention d'exposer une doc- trine métaphysique sérieuse, nous verrions que, sur ce point, il s’est réfuté lui-même: « Je donne ordinairement à ma bête lé soin des apprêts de mon déjeuner. Elle fait à merveille le café, et le prend même très-souvent sans que [l 1 98 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mon âme s’en mêle, à moins que celle-ci ne s'amuse à la voir travailler; mais cela est rare et très-difficile à exécu- ter : car ilest aisé, lorsqu'on fait quelque opération méca- nique, de penser à toute autre chose; mais il est extrème- mentdifficile de se regarder agir, pour ainsi dire, ou, pour m'expliquer suivant mon système, d'employer son âme à examiner la marche de sa bête, et de la voir travailler sans y prendre part. Voilà le plus étonnant tour de force métaphysique que l'homme puisse exécuter. » Tour de force si difficile, en effet, qu'il est impossible à réaliser. En vain M. de Maistre a-t-il prétendu attribuer à sa bôte une existence séparée et une volonté propre; il est obligé, pour la faire agir, de recourir à la volonté de l’âme qui «lui donne le soin des apprêts de son déjeuner » et ne peut « la voir travailler sans y prendre part, » quoi- qu'elle puisse par moments la laisser agir d’une manière purement mécanique, au gré de l'instinct ou de l’ha- bitude. C'est-à-dire qu’en vertu même de cette ingé- nieuse théorie, il faut admettre qu'au lieu de deux volontés différentes, il n’y en a qu’une, toujours souve- raine, qui tantôt se surveille et se dirige avec précision, tantôt laisse flotter les rênes; qu'au lieu de deux causes distinctes, dont l’une regarde l’autre agir sans y prendre part, il n’y à en réalité qu’un seul principe d’action, vivant tantôt de la vie volontaire et réfléchie, tantôt de la vie instinctive et spontanée. Prenez au sérieux le paradoxe du Voyage autour de ma chambre, en retirant la volonté à la bête pour ne lui laisser que l'instinct, vous aurez la doctrine de Maine de Biran. La vie spontanée de l’âme, il l’unit, il l’assimile entiè- rement à la vie organique, il la fait dériver du même VINGT-QUATRIÈME SESSION. 99 principe qui préside à la respiration, à la digestion; et cette vie, la seule, à ses yeux, qui subsiste dans le som- meil, est simplement (ce sont ses expressions): «unesuite d'impressions affecfives, modes impersonnels d’une exis- tence tout animale, dont on chercherait vainement à conce- « voir le sujet d'inhérence sous le titre d'âme sensitive, âme qui n’est pas le mor et ne saurait le devenir, tant qu’on ne lui attribue rien de plus que des sensations ou modifica- tions passives. (Rapports du phys. et du mor., p.92.) « Quand on a fait abstraction totale de la libre activité, et par suite du moi ou de la personne humaine, on a fait par là même abstraction du moral; ce qui reste n’est plus que du physique. » (Id. p. 417.) « Le moi ou la personne absente ignore complétement ce qu'éprouve l’âme sensitive. « C'est cette abseuce de tout sentiment personnel et aussi la suspension momentanée des conditions particu- lières auxquelles elle se lie, qui fait le véritable sommeil de l'être pensant... Les impressions peuvent être recues, l'animal peut être affecté et se mouvoir en conséquence, mais le moi n’y est pas, la conscience est enveloppée. » (Id. p. 112,143, 114.) L’idiot, à ce compte, ne diffère pas de l’homme endor- mi : « L’idiotisme correspond à l’état où le moi sommeille pendant que les organes sensitifs proprement dits sont seuls éveiflés, et prennent même ainsi quelquefois, par la concentration de leur vie propre, un degré supérieur d'énergie. » Mais s’il n’y a point d'attention sans l’action de la volonté, et point de souvenir sans l'attention, comment reste-t-il quelques souvenirs de certains songes? Maine de Biran n'hésite pas à nier le fait : 100 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. « La nullité de souvenir ou l'impossibilité du rappel est un caractère des songes, qui suit nécessairement de l'absence de l'attention volontaire ou active dans la pro- duction de ces phénomènes. » (Nouv. consid. sur le somm., p. 243.) Ceux qui croient se souvenir des rêves qu'ils ont faits,g sont le jouet d’une illusion : « Cest par une sorte d'exclusion de souvenir, plutôt que par un souvenir proprement dit, que nous reconnais- sons les images du sommeil pour avoir été de véritables songes. » (Id., p. 246.) « Une perception ou une image qui passe dans l'esprit sans laisser aucune trace dans la mémoire, peut servir, néanmoins, à introduire d’autres idées qui sontliées avec elle par les lois de l'association. « Nous sommes conduits à rapporter l’origine de la suite d'idées associées que l'imagination reproduit actuellement, à l'intervalle de temps rempli par le sommeil, unique- ment parce que nous nous trouvons dans l'impossibilité de l’anir à aucun temps ou à aucun lieu qui ait été occupé par nos propres actions ou par les faits dont se compose l’histoire de notre vie passée de conscience. » (Id., p.246.) Ainsi, pour demeurer conséquent avec lui-même, M. de Biran est forcé de donner, du fait le plus simple, l’expli- cation la plus subtile et la plus obscure. M. Lemoine à indiqué d'une manière générale le côté faux de celte théorie : « L'âme aussi, dit-il, a sa part d'action; elle aussi joue son rôle dans le sommeil et dans les rêves : c’est ce rôle qu'a négligé Maine de Biran. Il ne laisse à l'âme aucune activité propre, sous prétexte que l'esprit n’a plus, pendant le sommeil, ni le conscium, ni le compos sui ; YINGT-QUATRIÈME SESSION. 101 comme si toutes les fois que l'âme n’a pas de son état et de ses actes une conscience aussi claire que le philosophe qui s’observe, elle n’en avait aucune, si obscure qu'elle fût; comme si, dès que l’homme ne fait pas preuve de liberté, lâme était dans une dépendance absolue des or- ganes; comme si elle n’avait pas ses désirs, ses passions, ses lois, son activité indépendante, que l’état des organes peut.modifier, qu’il ne peut détruire. » (Pag. 68). Cette assimilation arbitraire, dangereuse, de tout phé- nomène spirituel qui n’est pas essentiellement volontaire, de tout mouvement spontané de l'âme avec les faits de la vie purement organique, voilà l'erreur de Maine de Biran. Pour lui, c’est le corps et non l’âme qui veille pendant le sommeil, puisque, à ses yeux, l’âme n’est autre chose que le moi dans la pleine conscience et la libre possession de soi-même, et que « tout ce qui sort de la libre activité, tombe sous les lois nécessaires de la nature morte ou vi- vante, et appartient à la physique. » (Rapports du physi- que et du moral, p. 89.) M. Lemoine, au contraire, nous montre ces deux grands attributs de l’âme , la conscience de soi et le sentiment de l'identité personnelle, obscurcis, mais non pas effacés dans le sommeil. Si l’homme qui dort à perdu toute conscience, d’où vient qu'un bruit uniforme m’endort, et que je m'éveille s’il vient à cesser? « Je me suis endormi au débit monotone et ennuyeux d’un lecteur. Il élève la voix sans me tirer de mon som- meil. Il se tait, je m’éveille..….. C’est le silence qui m'é- veille. J'entendais donc ces bruits; je dormais en les entendant, puisque c’est la cessation du bruit et de la sensation qui met fin à mon sommeil. » (P. 30.) 102 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. « Sinous nous souvenons, même confusément, au réveil, d’avoir joui ou souffert; d’avoir pensé, rêvé; d’avoir fait d'inutiles efforts pour fuir un fantôme menaçant, nous avons eu conscience, pendant notre sommeil, de ses prin- cipaux incidents. » (Pag. 193). « Si nous nous rappelons avoir quelquefois éprouvé les mêmes sentiments, les mêmes passions pour les objets fantastiques de nos rêves que pour la réalité, nous con- viendrons que la conscience peut percevoir, dans le som- meil, les différentes modifications qu'il apporte à notre âme. » (Id.) ITEM LE Nous avons même la preuve que notre cons- cience peut acquérir la même lucidité, quand nous rêvons, que lorsque nous sommes éveillés, si le souvenir que nous conservons de nos rêves nous en retrace tous les détails. » (Id). Si le sentiment de l'identité personnelle n’est pas seulement affaibli, mais, comme le veut Maine de Biran, anéanti durant le sommeil, d’où vient que, quelque changement qui s'opère en nous dans la région fantas- tique où nous transporte le rêve, nous ne cessons jamais de le rapporter à nous, à notre personne? « Nous paraissons oublier les choses que nous con- naissons le mieux éveillés, notre profession, notre âge, le temps, le lieu où nous sommes... Nous rêvons, comme l'insensé, que notre corps est de verre; ou bien l’erreur est plus grossière encore et s'attaque à notre âme, à notre personnalité intellectuelle et morale. Humble artisan, simple citoyen dans la veille, nous sommes dans nos rêves un grand conquérant, un puissant monarque ; nous nous attribuons une foule d’actions quenous n’avons pas faites. Mais en revêtant une personnalité nouvelle, nous n’abdi- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 103 quons pas pour cela l’ancienne... Nous ressemblons à l'acteur qui, alors qu'il s’identifie le mieux avec le per- ® sonnage qu'il représente, ne cesse pas de conserver le même fonds d'idées, de sentiments et la conscience obs- cure de ses actes. » (P. 218, 219, 220.) On demandera peut-être, puisque nous ne cessons d’avoir une conscience au moins obscure de nos sen- timents , de nos pensées, de nos actes dans le som- meil, d’où vient que nous n’avons pas conscience de notre sommeil lui-même? C’est là ce qui a dû égarer Maine de Biran. Frappé de ce fait, que nous n'avons cons- cience de notre sommeil que par voie rétrospective, 1l en a conclu que nous ne pouvons pareillement arriver qu’à une conscience rétrospective de ce que nous avons rêvé. Objection spécieuse en effet : « Si le sommeil n’endort pas notre conscience, ne de- vons-nous pas avoir conscience que nous dormons et que nous rêvons? Partant, nous ne devons plus réver, mais penser comme dans la veille; peut-être même cette con- science doit-elle chasser de notre âme le sommeil avec le rêve. » (Pag. 194.) La réponse de M. Lemoine nous semble ici très-profonde. Il a prouvé que l'âme ne dort pas, qu'elle n’a pas besoin de repos, comme le prétend M. Lélut; qu’elle ne perd pas toute activité propre, selon l'hypothèse de Maine de Biran; que cependant elle ne. garde pas, comme le vou- drait M. Jouffroy , toute l'énergie et toute l'indépendance qu’elle a dans la veille. Mais le sommeil jette l’âme dans un état particulier différent de celui de la veille. Quelle est donc cette différence et, surtout, d'où vient-elle? Elle vient de l’état même des organes : « Les organes, durant l’état de veille, sont pour 104% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'âme des serviteurs dociles qu’elle fait agir à son gré; dans le sommeil, au contraire, la torpeur qui les engour- dit pour la plupart, les soustrait à la puissance de l'âme» @ qui reste alors soumise à leur influence inintelligente, sans pouvoir agir sur eux, et subit les caprices, les hallucinations des sens privés par leur engourdissement du contrôle et de la direction de l’entendement. » (P. 75.) Dès lors il est tout naturel que l’âme dans le sommeil ait conscience de ses rêves, sans avoir conscience de son sommeil ? « Le sommeil n’est pas un état propre à l’âmé elle- même; il ne rayonne pas de l’âme vers les organes; il a son principe et sa fin dans le corps, de la vie duquel ilest une modification spéciale. Aussi ne pouvons-nous avoir conscience que nous dormons, Comme nous avons conscience de nos passions et de nos douleurs. Souffrir, désirer, sont des opérations de l'âme; dormir est, sinon une fonction du cerveau, du moins un état particulier des organes, de tous ou de quelques-uns... « ... Si le sommeil, comme la maladie, portait avec lui son signe infaillible, immédiatement perceptible. à la conscience, la conscience nous en donnerait l’idée aussitôt qu'il envahit nos organes. Mais il en est tout autrement du sommeil que de la maladie. Les mêmes phénomènes psychologiques, symptômes ordinaires de la veille, accom- pagnent le sommeil et naissent de lui : sensations de la vue, de l’ouïe, du toucher, de tous les sens internes et ex- ternes, idées de toute espèce, actions de toute sorte. Tel est pour l’âme l'effet ordinaire du sommeil comme de la veille. Ces sensations, ces pensées, ces actions n’ont le plus souvent que des objets fictifs; elles n’en sont pas pour cela moins réelles... VINGT-QUATRIÈME SESSION. 105 «…. Ce n’est donc pas à la conscience qu’il faut deman- der une idée qu’elle ne peut nous donner. Ce n’est pas à son silence ou à son sommeil qu’il faut attribuer l'erreur dont les rêves abusent notre esprit. Une fois de plus, recon- naissons que le sommeil est le sommeil du corps et non de l’âme; c’est pour cela que nous croyons veiller quand nous dormons, et penser, quand nous rêvons. » (P. 195, 196, 197.) IIT. Le second point essentiel de la théorie de M. Lemoine sur lé sommeil, c'est que le sommeil de l’âme est surtont _Caractérisé par la perte du libre arbitre; Maine de Biran semble dire la même chose : « Le sommeil n’est autre chose que la suspension momentanée de la volonté ou de la puissance d'effort; et tous les phénomènes qui l’accompagnent peuvent s’expli- quér par ce seul principe. » (Nowv. consid., p. 213.) Mais n'oublions pas que, de même qu’il n’appelle mor, que le sujet se possédant pleinement ; conscience, que le sentiment de cette pleine possession de soi-même; pensée, souvenir, que les actes de l'intelligence et de la mémoire dirigées par l'attention; de même, il ne donne le nom d'activité qu’à la liberté absolue. Pour entendre le vrai sens de ses paroles, souvenons-nous qu'il a dit plus haut : « Tout ce qui sort de la libre activité tombe sous les lois nécessaires de &a nature morte ou vivante et appar- tient à la physique. » (Rapports du physique et du mo- ral, p. 89) C'est-à-dire qu’en dehors du plus haut degré de l’acti- vité, de la liberté pleine et entière, il n’y a rien que de passif, et que l’âme, durant le sommeil, est dépouillée L 106 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. non-seulement du libre arbitre, mais de toute activité et de toute énergie propre. M. Jouffroy, qui tombe dans l'excès opposé, semble ad- mettre, au contraire, que l’âme garde sa liberté dans le sommeil. Il observe qu’un bruitinaccoutumé nous éveille la première fois que nous l’entendons ; que le même bruit, lorsque nous y sommes accoutumés, cesse de troubler notre sommeil. « Dans le premier cas, dit-il, l'âme, inquiétée par ces sensations inaccoutumées, éveille les sens pour voir ce que c’est; dans le second, sachant par expérience de quel fait extérieur ces sensations sont le signe, elle demeure tranquille, et ne dérange pas les sens pour obtenir un éclaircissement inutile. » (Mél. phal.) Voici donc l’âme qui déploie ou suspend librement son activité dans le sommeil comme durant la veille. Point de différence entre les deux états. Comment l’auteur du mé- moire semble-t-il donner son assentiment à une doctrine que son livre combat et réfute? « Ce que M. Jouffroy a clairement démontré, dit M. Le- moine (p.71), c’estqu'iln’y apas unedifférence essentielle entre l’état de l’âme pendant le sommeil, et son état pen- dant la veille..…., puisque nousabdiquons aussi bien notre liberté pendant la veille que pendant lerepos des organes. » Un peu plus haut, M. Lemoine avait déjà dit : « Une seule différence plus profonde sépare le sommeil de l’âme, de la veille; encore l'homme vigilantest-il sou- vent, à cet égard, dansle même état que le dormeur. C’est que le libre arbitre n'appartient plus à l'âme. Le sommeil le lui enlève, comme font la passion, la fièvre, la maladie, l'ivresse, comme elle se l’enlève à elle-même en l'abdi- quant volontairement. » (P. 66.) YINGI-QUATRIÈME SESSION. 107 M. Lemoine nous semble avoir oublié ici sa propre doc- trine en donnant son assentiment à celle de M. Jouffroy. Il n’est pas vrai que nous abdiquions parfois notre liberté pendant la veille comme pendant le sommeil. Cette expression abdiquer sa liberté peut être employée comme une métaphore expressive; mais à la prendre exactement, selon la rigueur du sens métaphysique, elle manque absolument de justesse. Celui dont on dit qu’il abdique sa liberté dans l’état de veille, la garde tout entière, puisqu’en consentant à l’enchaîner, il fait encore un acte libre, et se sent maître de briser un lien volontairement accepté. Dans le sommeil, au contraire, selon la théorie de M. Lemoine que nous croyons vraie, etsuivantses propres expressions : « Si l’homme endormi n’est plus libre, c’est que l'état actuel de ses organes enlève à l’âme sa liberté. » Ici donc, l'âme n’abdique plus sa liberté comme dans la veille; elle est mise, par une cause étrangère, dans l'impuissance de l'exercer. En se servant du livre même et de la théorie de M. Lemoine, il est aisé de soutenir, contre lui-même, qu’il n’admet pas plus, sur ce point, la doctrine de M. Jouffroy que celle de Maine de Biran. L'une donne trop à l’activité de l’âme pendant le sommeil; l’autre ne lui donne pas assez. Dans le chapitre spécial que M. Lemoine a consacré à l’activité de l'âme pendant le sommeil, il distingue trois formes de cette activité, selon que l'âme agit sous l'impul- sion de l'instinct, sous l'impulsion de l'habitude, ou libre- ment, par le seul effet de sa volonté. « Le sommeil, dit M. Lemoine, ne connaît pas, Comme la veille, ces trois formes de notre activité. Notre énergie 108 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. personnelle s'y développe spontanément ou y répète les mêmes actes que l'habitude lui à rendus faciles. La vo- lonté libre en est exclue, ou du moins elle n’est représen- tée dans nos rêves que par les effets involontaires des habitudes que notre âme a contractées volontairement; elle n’en est pas la cause actuelle, présente et immé- diate. » (p. 230.) Que la liberté d'action soit ravie à l’âme dans le som- meil avec l'empire sur les organes, rien de plus clair. Mais ne peut-elle délibérer avec elle-même, prendre une résolution dans les choses qui ne concernent qu'elle, et sont indépendantes du corps? Il semble qu’il en soit ainsi : « Lesrèves conservent souvent l'apparence d’une liberté absente. » (p. 237.) Et nous voyons s’y produire un grand nombre d'actes « à l’accomplissement desquels la volonté elle-même semble participer, qu'accompagnent la notion du bien et du mal et tout le cortége des idées et des sentiments moraux. » (p. 235.) Cependant la conscience universelle proclame sans hésitation « que le moi éveillé n’est pas responsable des actions du moi endormi. » (p. 237.) Maine de Biran, pour expliquer l’absence de la liberté et de la responsabilité durant le sommeil, a retiré à l'âme toute activité. Si elle ne peut agir, à plus forte raison ne pourra-t-elle agir librement. Durant l’état de veille, il y a concentration de toutes les forces vitales des organes et de l’âme sous l’empire de la vo- lonté. Durant le sommeil, la vie se localise dans tous les organes du corps, abandonnés à eux-mêmes ; dès lors chacun d’eux reprend son indépendance , et vit VINGT-QUATRIÈME SESSION. 109 d’une vie isolée. L'âme cessant de communiquer avec les organes et de sentir leur résistance, cesse de se connaître elle-même, devient incapable de l'effort nécessaire pour les diriger, et même de tout autre effort. M. Lemoine, au contraire, a montré que l’âme ne cesse jamais de se connaître. Il y a donc toujours en elle quel- que activité ; seulement l’activité libre ne subsiste plus. Pourquoi? parce que l'âme, ne recevant plus des impres- sions vraies des sens endormis, est sans cesse le jouet d'illusions. L'état des organes lui enlève le discernement du vrai et du faux ; dès lors elle ne peut plus se gouverner elle-même. « Dans le sommeil, l'esprit ne peut plus modérer les mouvements de l’organe.. L'âme semble bien conserver encore quelque chose de son autorité de la veille, mais ses pensées n’ont plus qu’une ombre de raison mensongére, ses actions qu'une apparence trompeuse de liberté... (p. 420.) « Des causes cachées sur lesquelles nous n’exercons aucune puissance, dont notre esprit abusé ignore jusqu'à l'existence, soulèvent en notre âme des passions et des sentiments que nous répudierions éveillés, parce qu’ils ne viennent pas de l'âme. » (p. 239.) En effet, dans l’état de veille nous pouvons fuir la ten- tation, ne pas attendre que le désir, que la passion s’éveille et rende la séduction presque irrésistible. Dans le som- _meil, le rève qui nous présente une tentation la montre, soudainement, presque arrivée à son plus haut degré, sans que nous ayons pu l’écarter, sans que nous puissions nous y soustraire. « La multiplicité des hallucinations et la continuité d'une hallucination persistante, née dans les profondeurs 110 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du cerveau, dont l'esprit ignore la nature et la racine, enlèvent également à l'âme le gouvernement d'elle- même. » (Ibid.) Si nous ne sommes pas libres et responsables dans le sommeil, d'où vient donc que nous croyons l'être ? C'est là peut-être ce qui a trompé M. Jouffroy. « Pourquoi, avec l'obligation morale et la liberté, tout le cortége et toutes les apparences trompeuses de la volonté libre et responsable ne disparaissent-ils pas? » (p. 239.) On l'a vu plus haut, c’est que nous n'avons pas con- science de notre sommeil. « Nous ne sommes plus libres, mais nous devons croire que nous le sommes. «… Supposez que le rêveur ait conscience qu'il rêve. dès qu'il se saurait endormi, il saurait qu'il n’est plus libre. » (p. 240.) Il y a là pourtant comme un écho affaibli de la liberté, que nous possédons pleine et entière dans l’état de veille. Le dormeur, qui a fait quelque mal en rêvant, ne peut en être responsable. Mais on peut lui imputer les habitudes de l’homme éveillé, qui ont prédisposé l’homme endormi à ce rêve : « C'est donc le moi qui se possédait éveillé, qu’il faut rendre responsable de la faute, si faute il y a, et non le moi endormi, qui ne se possède plus. » (p. 236.) Ainsi, quoi qu’en dise M. Jouffroy, la liberté proprement dite s'évanouit dans le sommeil. Mais l’activité de l’âme de- meure persistante, malgré Maine de Biran qui veutexclure de la sphère de l’activité tout acte qui n’est pas pleinement volontaire, et n’accorde le nom d'effort qu'à l'effort libre. € Il n’est pas vrai que le moi n’agit pas dès qu'il ne veut pas, ou dès qu’il ne peut pas ce qu'il veut. » YINGT-QUATRIÈME SESSION. A1 « Je meus mon bras sans le vouloir. L’effort n'y est pas moins réel, pour être irréfléchi et accompagné d'une conscience moins claire... «... Je veux mouvoir mon bras et mon bras demeure immobile; parce que mon effort est impuissant, il n’est pas moindre. J'ai voulu, mais ma volonté a rencontré une résistance qu’elle n’a pu vaincre. » (p. 232.) Maine de Biran, sentant l'évidence de l'effort dans le cauchemar, prétend que c’est le simple désir de nous y soustraire, que nous prenons là pour l'effort, et que, dès qu'il y a véritablement effort pour fuir, l'individu s’éveille en sursaut. M. Lemoine répond en découvrant le sophisme : « Qu'est-ce donc qui chasse si brusquement le som- meil, si ce n’est cet effort énergique et vainqueur de la résistance? ..…. Ce violent désir du rêveur effrayé, ce n’est pas une volonté, puisqu'il est irrésistible ; mais c’est une action véritable et un effort puissant. » (1bid.) On ne saurait nier raisonnablement le développement spontané de l’activité dans le sommeil. Il en est de même de l’habitude qui naît de la répétition frèquente des mêmes acles. « Le sommeil, en écartant l'influence actuelle et pré- sente de la volonté libre, sans détruire l'éducation qu'elle a faite de nos facultés ou de nos organes et les dispositions qui en sont les fruits, met précisément l’âme et le corps dans l’état le plus favorable au développement de l'habi- tude, et à la répétition spontanée des actions de la veille. » (p. 244.) Nous avons indiqué les deux points essentiels, selon nous, de la théorie de M. Lemoine, sur le sommeil de l'âme; les limites de cet article ne nous permettent pas 112 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'entrer dans les détails du livre, de suivre l’auteur dans l'analyse minutieuse des diverses fonctions de l'âme pen- dant le sommeil, d'étudier avec lui toutes les questions relatives au somnambulisme naturel et artificiel. Mais nous en avons dit assez pour justifier la haute distinction dont le livre de M. Albert Lemoine a été l'objet, et pour mettre en relief ce principe spiritualiste, qui en est l’âme: « Il n’y a point de sommeil de la pensée... Jamais le plus léger réveil de quelque organe d'un sens mal endor- mi n’a trouvé l’âme absente ou impassibfe. Toujours pré- sente, toujours prête à recevoir du corps les occasions d'agir, de sentir et de penser, si ses actions sont plus faibles, ses sensations plus sourdes, ses pensées plus in- décises, c’est à la torpeur des organes qu'il faut en attri- buer la cause; mais l'esprit ne connaît pas le sommeil. » (p. 61.) L'Epigraphe du livre avait raison : « Dormientium animi maxime declarant divinitatem suam. » Cette âme, qui semble dormir et qui ne dort jamais; qui, tandis que les organes lassés lui refusent leur concours, immobile en apparence, mais vigilante, attend le réveil du corps; cette âme qui ne peut ni se fatiguer, ni s’alté- rer, ni mourir, est vraiment un être marqué de l’em- preinte divine. Après une discussion à laquelle prennent part MM. Baruffi, du Boys, de la Tréhonnais et Leroy, le Congrès adopte, sauf quelques suppressions, la résolution proposée dans la précédente séance par M. Barufi, relativement au percement de l'isthme de Suez. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 113 Cette proposition reste ainsi conçue : Considérant que, depuis un an, l’Europe savante a prononcé définitivement sur la facilité de l'exécution technique de ce grand travail ; Considérant que les corporations commerciales de l'Europe, etnotamment celles de l'Angleterre, se sont pro- noncées de la manière la plus formelle sur les avantages inappréciables de cette communication nouvelle entre l'Europe et l’Asie ; Déclare qu'il appelle de tous ses vœux le moment où les obstacles qui entravent cette noble entreprise seront enfin aplanis par une politique éclairée et bienfaisante. La séance est levée à cinq heures. TROISIÈME SÉANCE GÉNÉRALE, 5 septembre 1853. Présidence de M. de Caumont, premier vice-président général. La séance est ouverte à trois heures. Le jprocès-verbal de la séance générale précé- dente est lu et adopté. M. le secrétaire général dépouille la correspon- dance et présente les ouvrages adressés au Congrès. I 8 11% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. le président donne communication d’une let- tre de M. Givelet, de Reims, qui n’a pu se rendre à Grenoble, par suite de maladie, mais s'inscrit cependant comme membre du Congrès. Les secrétaires particuliers des 1" et 6° sections réunies et de la 2° section donnent lecture des pro- cès-verbaux des séances de leurs sections respec- lives. M. le docteur Bally, un des vice-présidents du Congrès, fait la lecture suivante : NOTICE HISTORIQUE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DU DOCTEUR VILLAR, NATURALISTE, MEMBRE DE L'INSTITUT, Par Vicror BALLY, de l’Académie impériale de médecine, vice-président du Congrès. Ceux qui travaillent aux progrès de ‘Ja raison sont les élus de Dieu. Prov. arabe. Les congrès scientifiques, accueillis dans les cités où les sciences et les lettres sont en honneur, ne se vouent pas seulement à la recherche des monuments, des inscrip- . tions, des travaux littéraires et de tout ce qui peut inté- resser le progrès; ils ont aussi pour mission, et ils consi- dèrent comme un devoir religieux d’exhumer et de mettre en relief les œuvres de ceux qui ne sont plus, et qui ont consacré leur vie à servir l'humanité, de ces hommes trop tôt oubliés, bien qu'ils aient honoré leur pays autant par leur génie que par leurs vertus. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 1145 Jaloux de continuer sa marche glorieuse et souveraine- ment utile, le congrès aspirait depuis longtemps à l’hon- neur de siéger dans Grenoble, ville hospitalière, riche de ses illustrations, et que nous nous plaisons à nommer l’Athènes des Alpes. Naguèëre, j'ai employé tout ce que j'avais de voix pour signaler les capacités médicales des villes où il m'a été donné de prendre part à nos travaux : cette voix est sur le point de s’éteindre; mais, au nom de Grenoble, ville de ma prédilection, ville où j'ai puisé les premiers éléments de mon éducation, j'ai senti mon cœur palpiter, ma vieille énergie se réveiller; et j'ai compris que l'honneur me faisait un devoir de venir ici témoigner ma reconnaissance de tous les biens que j'ai reçus. Je conçus d'abord le projet ambitieux d’esquisser la vie de plusieurs notabilités ; mais l’effroi s’empara bientôt de moi-même, tant le sujet me parut colossal, et j'arrêtai ma pensée à deux grandes figures, Antoine Français, de Beau- repaire, dit de Nantes, administrateur de premier ordre, dont les productions littéraires sont empreintes d’une ori- ginalité rabelaisienne si piquante; et le botaniste Villar, qui, sorti des mains de la nature et instruit par elle, con- serva toujours, dans ses mœurs comme dans ses œuvres, la simplicité, le naturel et le bon goût. C'est de ce dernier que je me propose de tracer la notice biographique, me réservant de parler du premier à une autre époque. (53 Villar (Dominique), naquit au Villar, hameau du Noyer, entre Saint-Bonnet et Lesdiguières (Hautes-Alpes), le 44 novembre 1745. Son père, secrétaire greffier de la com- mune, possédait un petit domaine d’une valeur de quinze 116 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mille francs, dont le revenu principal consistait, comme dans toutes les montagnes où les céréales sont rares et maigres, en herbages où il envoyait paître son troupeau. Les fonctions qu'il exercait prouvent qu’il n’était pas sans mérite; aussi essaya-t-il de bonne heure de s'occuper de l'éducation de ce fils, qui, néanmoins, ne put commencer à lire qu’à l’âge de sept ans, tant il était dominé par le besoin impérieux de parcourir les champs et les monts. Cependant, dès qu’il eut franchi les premières difficul- tés, ses progrès furent si rapides, qu'à l’âge de huit ans i! se rappelait l'orthographe des noms les plus difficiles et les plus longs. Ici s'explique pourquoi on à dit et répété sans cesse qu'il avait été berger de profession. Il courait, en effet, fréquemment après le troupeau, faisant ainsi ce que dans les villes on appelle école buissonnière; et, dans ses courses, il s'amusait à cueillir des fleurs qu’il rapportait d’abord sans but comme sans motif. Lui-même a eu soin d'expliquer cet entraînement par ces mots : Un amuse- ment innocent dirigea mes pas vers l'étude de la bota- nique. Bientôt, en effet, il voulut en apprendre les noms, sa curiosité étant stimulée par la rencontre des herboristes qui venaient chercher des fleurs, soit pour la composition du thé des montagnes, soit pour les pharmacies, et, comme il connaissait tous les passages, tous Les détours, il s’offrait de les accompagner. Telle fut l’origine routinière de ce grand savoir que les livres et les méditations devaient un jour purifier et perfectionner. A l’âge de onze ans, les éléments de géométrie lui étaient familiers, et ce fut vers ce temps qu'il rencontra un géomètre qui mesurait la hauteur d’un roc inaccessi- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 417 ble. Dès ce jour, cet esprit, avide de tout, se mit à arpenter le sol partout où il rencontrait une difficulté. « Un arpenteur avec sa planchette ayant mesuré des distances inaccessibles au moyen d'une base et de trian- gles, je me fis un tableau si brillant, si sublime, de la géométrie et surtout de la trigonométrie, qu'il m'est im- possible de peindre cet enthousiasme : il tenait du délire, il touchait à la folie. Mon père alors jugea mon caractère ; mais sa petite fortune ne lui permit pas de me placer à Grenoble, ainsi que je le désirais, offrant de ne manger que du pain et de ne faire aucune dépense. » Avec quelques moyens pécuniaires de plus, son père étouffait le botaniste et donnait à la France un Pascal ou un Lagrange, un Laplace ou un Arago. À quatorze ans, il eut le malheur de le perdre, ce fut alors que sa mère, occupée des moyens de rompre les inclinations excentriques de l'enfant, l’envoya chez un procureur à Gap, pour y apprendre, disait-elle , un peu les affaires et à défendre le médiocre patrimoine dont il venait d’hériter. Que l’on se figure cet esprit remuant, mobile, cet enfant de l’éther et des montagnes, enseveli désormais dans une cellule étroite, au milieu des dossiers poudreux, et que l'on se dise s’il pouvait être possible de dompter par les contrastes une vocation imprimée par les forces vives de la nature : mais tel est l'empire des circon- stances, que ce fut là que se révéla un autre penchant, celui de la médecine. Il rencontra dans sa pension un cours de médecine in-4°, par Guiou-Dolois, ou Miroir de la beauté et de la santé, édité par Meyssonnier, qui y avait ajouté 300 figures de plantes tirées de Mathiole; Villar en fit son vade mecum, et plus tard, il a dit de Meysson- nier que c'était un homme vain et rempli de lui-même. 118 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, L'ennui et le dégoût ne tardèrent pas à s'emparer de lui; il ne pouvait plus copier les exploits. Alors sa mère le mit chez le curé Arnaud, où il apprit un peu de latin et à lire le grec, pendant dix-huit mois. Le vénérable ecclé- siastique ne tarda pas à informer sa mère que rien ne pouvait le distraire de l'amour des fleurs, de la fureur de l’arpentage et de son goût pour la médecine. Tout à coup elle prend la résolution de le marier, bien qu'il n’eût que seize ans et demi, espérant par là l’attacher au foyer domestique, et le détourner de ses penchants qui ne le mènerarent à rien moins qu'à perdre son âme. Et cepen- dant ce fils était respectueux, docile, religieux, il avait a foi de sa mère; mais il lui semblait qu'adorer Dieu dans ses créations, c'était encore rendre hommage au Créateur de toutes choses. L'alliance ne l’arracha à aucun de ses nobles pen- chants, et il sut concilier ses devoirs comme époux avec son amour instinctif pour les sciences. Il cherchait donc des fleurs, celles surtout qui figuraient dans le Mathiole, etil acquit, par la supériorité de son intelligence, une telle justesse qu’il est parvenu à dessiner parfaitement les deux cents et quelques figures qui sont gravées dans ses ouvrages et d’un fini irréprochable. Nous ferons le même éloge de la représentation des nombreux insectes mi- croscopiques que l’on admire dans ses cahiers tant impri- més que manuscrits. L'habitude de crayonner des figures contenues dans son livre à recettes augmenta singulièrement son goût pour la médecine ; l’un était la conséquence de l’autre. Depuis longtemps cette imagination si propre à tout saisir avait été frappée par une de ces renommées phénoménales que l’on rencontre dans les champs et souvent dans les villes, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 119 où des jongleurs se posent audacieusement comme gué- rissant tout, asseyant ainsi leur fortune sur la crédulité publique. Antoine Gentillon-Médaille était un type de ce genre; médicastre ignorant, mais d’une assurance effron- tée, il résumait en lui tous les titres propres à imposer à la multitude, etil régnait, sans conteste comme sans partage, aux environs de Saint-Bonnet et du château de l’ancien connétable de Lesdiguières. Son savoir émanait également d’un Mathiole où il puisait ses recettes pour la composi- tion des tisanes, des médecines et des emplâtres. Il affectait aussi les apparences de la piété, en même temps qu'il croyait ou feignait de croire aux propriétés magiques du Rhapontié, du Sferra Cavallo, de l'Orcanette et à l’attouchement du Nappel. Ainsi, dès l’âge de 12 ans, passionné pour les plantes, livré aux réflexions de la solitude et de la sauvagerie, fasciné par les miracles médicaux attribués à l’esculape Médaille, Villar se livrait sans lutte intérieure à ses ins-" tincts, à ses goûts, et lorsque sa mère voulut plus tard opposer une digue à ses emportements scientifiques, les empreintes étaient trop profondes. Telles furent ses tendances qu'une alliance prématurée ne put rompre. Sa jeune épouse, simple comme la nature, heureuse et fière d’une supériorité qu’elle ne tarda pas à apprécier, sut trouver dans la pureté de son âme et la nature de son vertueux caractère l’art de veiller au bon- heur domestique sans contrarier ses goûts. De cette alliance naquirent quatre enfants, dont un mourut de bonne heure. Le fils qui lui resta est mort, cette année, 1857, après une longue et honorable carrière dans les hôpitaux militaires. Des deux filles l’une vit encore, madame Faure, femme accomplie et qui a le bonheur de 1420 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. posséder quatre enfants, qui la chérissent, la respectent, l'honorent. Elle en est fière, à bon droit, comme Cornélie l'était des siens. L'un de ses fils est dans la finance où il se distingue par une capacité et une vertu héréditaires ; l'autre est médecin en chef de l'hôpital des Invalides, poste éminent où l’on ne s’élève qu'après de longs et loyaux services. Le docteur Faure est sous le rapport physique le portrait vivant de son aïeul, et le buste de celui-ci placé dans la bibliothèque, à côté de ceux des Mably, des Condillac, des Barnave, pourrait être pris pour le buste de celui-là. La ressemblance de l’autre frère est également frappante, IT. Au sein du bonheur domestique, la nature mobile de Villar l’agitait sans cesse. Comme l'aigle, il avait besoin d'air, d'espace, de liberté. II fit donc, à dix-neuf ans, une espèce d'association avec deux libraires-colporteurs, avec qui, pendant six mois, il parcourut le Lyonnais, la Bresse, la Bourgogne et la Champagne, Après six mois de voyage, il s’en sépara, et ses honnêtes associés lui rendirent sa mise de fonds de 300 fr., etajoutèrent quelques livres de médecine comme indemnité. Il avait vingt et un ans, lorsqu’en 1766 il eut une de ces bonnes fortunes qui influent sur l'existence. Le curé Chaix vintaux Noyers faire quelques prédications, et notre néophyte, qui n’était encore qu’un routinier de grande mémoire, trouva dans ce vénérable ecclésiastique un sa- vant qui avait su allier la théorie à la pratique. Chaix avait trop de perspicacité pour ne pas deviner l'avenir d'un jeune homme qui accourut à lui avec tant d’empres- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 121 sement, et celui-ci s'attacha à l'excellent curé par des liens que la mort seule put détruire. Ce que l’on qualifie du nom de hasard prête singulièrement aux destinées des hommes. Pendant que l’albé Chaix était vicaire à Gap, il allait fréquemment officier au couvent de la Charité des filles, où la supérieure, Mme Golvin, cultivaif avec soin des plantes médicinales. La vue journalière de ce petit jardin lui révéla sa vocation, etil se procura des livres, entre autres un Linné. Devenu curé de Baux, son zèle pour les collections, loin de se démentir, ne fit que s’accroitre, secondé par un laborieux et ardent jeune homme, car il herborisa désormais avec lui, et il parvint à composer un herbier qui contient plus de trois mille espèces presque toutes indigènes. Par le fait de circonstances qui me sont inconnues, l'administration des Hautes-Alpes n’a pu acquérir cette riche collection pour sa bibliothèque. L’her- bier est à Toulouse, où le successeur de M. Moquin-Tan- don, M. Timbal-Lagrave, a donné, en 1856, des observa- tions critiques et synonymiques sur cette curieuse collec- tion. Vers l’âge précité, c'est-à-dire de vingt-un à vingt-cinq ans, les deux amis parcoururent ensemble le Gapencais, lEmbrunais, le Brianconnais et diverses autres parties des Alpes. Ce fut là sa meilleure école. Ce que Villar a écrit sur l'excellent curé tendrait à persuader qu’il lui de- vait tout ce qu’il avait appris, tant l'amitié et la gratitude avaient d'empire sur cette âme d'élite. La mort de Chaix, arrivée en 4798, put seule interrompre une intimité qui avait duré trente-deux ans. Villar avait trouvé près du presbytère de Baux une espèce nouvelle de Verbascum, à laquelle il donna l’épithète de Chaixi. Enfin l’âge de vingt-cinq ans arriva, époque de la ma- 122 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. jorité que l’on attendait pour le faire élire consul, charge qu'il abhorrait, parce qu'il était convaincu que les affaires publiques avaient abrégé les jours de son père. Jusque-là sa vie avait été une vie d’obéissance, de contrainte et d’abnégation, et, cependant, il sentait la nécessité de prendre un parti, celui qui flattait sa passion pour le sou- lagement des malades. Il lui semblait toujours que ce de- vait être là le but, le terme deses études; etil croyait, à cet égard, son éducation avancée, parce que dans ces temps on attribuait, sur tradition ou sur parole, des propriétés médicinales à toutes les plantes qu'il connaissait. III. Atmé de son Traité de la beauté et de la santé du corps, dont nous avons parlé, fasciné par la renommée toujours croissante du médicastre, électrisé par le Linné du curé Chaix, il se hâta de mettre son émancipation à prolit, et il partit pour Grenoble dans le dessein fort mo- deste d’y séjourner six mois pour apprendre à saigner et'un peu de chirurgie. Puis il serait retourné dans sa famille etau milieu de cette luxuriante végétation qui le captivait tant. Mais c'était là que la providence l’attendait pour lui faire accomplir sa destinée. La province de Dauphiné, composée alors de trois de nos départements (Isère, Drôme, Hautes-Alpes), était gouvernée par un de ces hommes rares, qui semblent nés pour le bonheur de ceux qu'ils administrent ; de ces hom- mes à vues grandes et généreuses, qui comprennent com- bien les sciences répandent de charmes dans la société et à quel degré de grandeur elles-peuvent élever un peuple. Cet intendant était M. Pajot de Marcheval qui, sous le VINGT-QUATRIÈME SESSION. 123 point de vue des idées philanthropiques, peut être com- paré à l'illustre Turgot, alors gouverneur du Limousin. La renommée avait devancé le jeune paysan ; l’inten- dant voulut le voir: « Je me présentai à lui, nous ap- prend-il; il me prit des mains de la nature : l'écorce qui recouvre ses ébauches ne le rebuta point; il me trouva quelques dispositions ; il me transporta dans un monde nouveau pour moi; il m'offrit des occasions de n'ins- truire : il accompagna ce bienfait de tant de douceur et de générosité que j'oubliai jusqu'à l’insuflisance d’une pre- mière éducation pour me livrer tout entier à des goûts qu’il daigna approuver. » M. de Marcheval fit apporter des gravures et un her- bier, qu’il présenta à notre montagnard qui détermina sur-le-champ toutes les plantes conservées , d’après Tour- nefort et le système de Linné. Là, était présent un ma- gistrat de haute renommée, et que Voltaire, dans sa cor- respondance , traite d’une manière si élogieuse, l'avocat général Servan. Après maintes interrogations, notam- ment sur la géométrie, Servan dit au jeune Villar : Tu es trop vif pour un médecin , tu ferais mieux de te faire poète. Il y avait peu de générosité dans cette décourageante apostrophe, et évidemment M. l'avocat général obéissait plus à sa tendance épigrammatique et à son esprit mor- dant qu'à un sentiment d'élévation , de magnanimité, sentiment dont le Mécéne était heureusement doué au su- prème degré. Il lui dit, en effet, quand M. Servan fut parti. « Pourquoi n’as-tu pas répondu à la dernière ob- servation de M. l'avocat général. » — « C’est parce que j'ai cru que c'était un médecin; si j'avais su ce qu'il était, je lui aurais répondu que la médecine est le plus beau 4124 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des arts, puisqu'elle est destinée au soulagement de l’hu- manité. » Satisfait de toutes ses réponses, Fintendant général ne se contenta pas de simples encouragements ; il lui accorda une pension de 500 fr. qui lui permit de rester trois ans dans l'hôpital , laissant jouir pleinement sa famille de tout le revenu du domaine où elle résidait. Pendant tout ce temps aussi, les herborisations dans les montagnes étaient associées aux études médicales. En 1774, il avait vingt-neuf ans, lorsqu'il entreprit un voyage vers nos contrées méridionales , dans le dessein bien avoué de voir la végétation des pays chauds et de la comparer avec celle des sommets alpins. Ce fut là qu'il fit la connaissance d’Adolphe Murray, disciple chéri de Linné, qui concut de l'amitié pour lui, et, par de bons conseils, donna une nouvelle impulsion à ses travaux. Tant que M. Pajot de Marcheval administra la province, il lui conserva son estime et son appui, et il accepta avec avidité la proposition de créer un jardin-école, indispen- sable à une ville où les sciences furent toujours en hon- neur. Villar en fut le directeur, et, dès ce moment, il pro- fessa la botanique: il avait 33 ans, et sa renommée était déjà grande. Le généreux administrateur, homme de progrès et de lumière, voulut aussi savoir quelle était sa province sous le point de vue des couches minéralogiques et géologi- ques. Buffon venait, avec la magnificence de son style, de sonder les profondeurs du globe. Ce fut une brillante époque où tous les esprits étaient émus, électrisés, et où chacun créait son système ou son hypothèse. Guettard, membre de l'académie des sciences, s'était déjà illustré par des travaux d'histoire naturelle, et Faujas Saint- Fond avait fait quelques publications curieuses. En 4747, YINGT-QUATRIÈME SESSION. 125 Guettard avait fait imprimer un catalogue raisonné des plantes des environs d'Etampes, 2 volumes avec des divi- sions, fondées sur la présence ou l'absence des poils, leur position, etc. Mais ce qui avait grandi sa renommée, c'était le voyage d'Auvergne, où son génie lui avait révélé le mode de formation des volcans. M. de Marcheval désira associer ces deux hommes célèbres à Villar, et cette trinité explora scrupuleusement le Dauphiné et la Provence , de 1775 à 1776. Faujas Saint- Fond raconta à sa manière des faits curieux, d’abord contestés, mais que la science moderne a reconnus vrais; cependant il en est qui sont restés douteux, tel est celui de la présence des bélemnites, que notre savant collègue, M. Lory, dans une récente explo- ration, n’a point rencontrées dans la roche des grottes de Sassenage. Je les ai moi-même traversées complétement en 1846, et je n’y ai point vu les bélemnites, mais on est si difficilement éclairé dans ce dédale qui n’est pas parcouru sans danger, qu’il est bien possible qu'elles échappent à l'observation. Vers la même époque et sur la même roche, j’en vis un fort grand nombre en montant de la Motte-les-Bains au Molard ; elles étaient si petites, que, si elles n'avaient pas été à ciel ouvert, elles n’au- raient pas été apercues. On les appelle clous dans les Alpes. Dès 1751, Guettard, en parcourant l'Auvergne avec Malesherbes, avait déjà bouleversé la plupart des idées recues, lorsqu'il révéla les déchirements d'où étaient sorties les roches volcaniques et cette grande fabrique de laves à tuyaux d’orgues. Homme sérieux, il vit dans les Alpes ce que son génie lui avait révélé dans l’Auvergne: 126 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le feu central avait bouleversé les couches terrestres, renversé quelques-unes, soulevé d'autres jusqu'aux nues ; mais il n’y trouva nulle trace de volcan éteint, opinion déjà défendue avant son arrivée, par Villar, en 1783. Guettard fut donc un des pères de cette géologie qui, de nos jours, atteint un si haut degré de perfection, entre les mains d'hommes éminents, dont quelques-uns font la gloire de notre pays et l'ornement du Congrès. En sui- vant, en effet, la progression des idées, on voit que Guettard inspira Desmarets, et que l’un et l’autre inspi- rèrent Dolomieu, dont les vues convertirent de Buck. Villar passa l’année 1777 à Paris pour y suivre des cours de médecine. En même temps, il parcourait les bibliothèques qui renfermaient les livres rares d'histoire naturelle, il fouillait les herbiers, se présentait aux illustrations du jardin des plantes dont il se loue; enfin, il alla à Valence pour prendre le grade de docteur, en 1778, et revint à Grenoble où il trouva son protecteur toujours favorablement disposé. Cependant, M. de Marcheval, que j'éprouve tant de satisfaction à louer dans cette savante réunion, voyait avec douleur que les populations des montagnes manquaient de secours médicaux, surtout contre les accidents. Alors il concut l'heureuse idée de fonder une école dans l'hôpital confié aux pères de la charité. En même temps qu'il désignait Villar comme professeur de botanique et de ma. tière médicale, douze élèves furent attachés comme bour- siers à cet établissement. Les gouvernements modernes ont jugé utile de maintenir ce genre d'institution en lui donnant le titre d'école préparatoire et de plus grandes attributions. Celle de Grenoble est confiée à l’habile direction du docteur Silvy, chirurgien en chef de l'hôpital. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 4127 Quel est donc, Messieurs, ce magistrat qui, revêtu d’un pouvoir presque absolu, n’en fait usage que pour protéger la faiblesse, encourager le talent, fonder des établissements de charité, tracer des routes, agrandir les voies publiques, améliorer le sort de ses administrés ? quel est le génie providentiel qui a su deviner la valeur d’une haute intelligence sous l’écorce d’un simple paysan ? qui l’a soutenu avoc une longanimité rare, inouie? Quel est l’homme si bien pénétré de la maxime : Administrer, c'est choisir! dont le cœur et l'esprit répondent si noble- ment à cette pensée qui me sert d'épigraphe : Ceux qui travaillent aux progrès de la raison sont les élus de Dieu ! Cet homme, Messieurs, fut l’intendant Pajot de Mar- cheval, à qui Vienne a déjà décerné les honneurs d’une inscription; et, en venant dans cette enceinte exprimer le vœu que son nom soit gravé sur le monument qui décore le jardin des plantes, serai-je moins bien accueilli qu’à Arras, lorsque je communiquai au Congrès le projet d'une fondation colossale en faveur de ceux qui profes- sent l’art de guérir et qui tombent dans l’infortune ? Déjà, la ville, si dignement administrée, a inscrit le nom de Villar sur les angles de la magnifique rue qui conduit au jardin. Si elle accepte notre vœu, elle aura associé le nom du protecteur au nom du protégé ; elle aura montré une fois de plus combien les Grenoblois, si généreux, si éclairés, attachent de prix à prouver que, chez eux, la reconnaissance n’est pas seulement la mémoire du cœur, mais qu'elle est encore la mémoire de l'équité (4). (1) A peine ce vœu eut-il été exprimé, que M. Crozet, maire de la ville, s'empressa de dédier à l’ancien intendant l’une des rues qui avoisinent le jardin. Cette délicate condescendance pour 128 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Villar avait atteint sa trente-troisième année, lorsque, en 4779, il fit paraître le prospectus de l’ustoire des plantes du Dauphine ; trois volumes grand in-8° avec les planches déjà signalées, parurent successivement de 1786 à 1788. Bien des systèmes de classification étaient alors en présence, et Mouton Fontenille de Lyon en a signalé plus de cinquante. Mais ces arrangements méthodiques, in- dispensables pour aider la mémoire, étaient dominés par trois principaux, ceux de Tournefort, de Linné, de De Jussieu. Tournefort, né à Aix en 1656, avait fondé sa classification sur la présence ou l'absence de la corolle, sa régularité , le nombre des pétales, et sur la distinction en plantes herbacées et en arbres ; elle sert pour ainsi dire d'intro- duction aux autres ; elle avait elle-mème été puisée dans les inspirations et les œuvres de Cœsalpin. ( Le système de Linné, qui s’appuie sur la présence ou l'absence des étamines et des pistils , leur situation , leur figure, leur nombre et leurs proportions, eut un im- mense retentissement et un retentissement mérité. Laurent de Jussieu avait fait, pour sa méthode, ce que Tournefort avait fait pour les genres, et Linné pour les espèces, en la circonscrivant avec une habileté inouie dans un cadre naturel, au moyen des cotylédons , de la corolle, de l'insertion des étamines et des pistils; après avoir évalué ces caractères, vraiment essentiels puisqu'ils embrassent l’origine, la germination, la floraison, la fructification, le cercle entier de la végétation ou l’état le Congrès fait le plus grand honneur à ce magistrat, aussi dis- tingué par ses lumières que par ses éminentes qualités. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 129 parfait de la plante, il à mis à contribution la corollé, les parties sexuelles, leur insertion et leur situation; il a évalué chaque caractère, il a soumis la méthode arbi- traire à la méthode naturelle, et, lorsque des plantes ne pouvaient entrer dans ses classes ou familles, il les a ran- gées dans le système de Linné en attendant que de nou- welles observations vinssent permettre de les intercaler parmi les familles bien reconnues (4). Lors de la publicâtion du prospectus de l'histoire des plantes du Dauphiné, Linné venait de mourir (1778). Mais l'originalité , le piquant, la simplicité même de l’in- génieux système sexuel, avaient éveillé un enthousiasme universel, subjugué tous les esprits. C'était le beau temps de la botanique, temps où chacun se faisait un mérite d'étudier les productions de la nature, et où de nombreux disciples sortis de l’école d'Upsal allaient de toute part braver les éléments , les climats , la barbarie des peuples sauvages ou les précipices des montagnes abruptes, pour la gloire d’ajouter une plante aux genera où aux speciés ; les savants , les lettrés , les prosateurs et les poètes, hom- mes et femmes, tous voulaient brûler quelques grains d’encens à la déesse des fleurs. J.-J. Rousseau, cédant à l'entraînement général, se transforma en apôtre de Flore; il fit plusieurs voyages à Grenoble; il se lia avec le jardinier Liotard qui lui inspira tant de confiance qu’il lui laissait la clef de sa chambre lorsqu'il allait herboriser dans les montagnes voisines. Il établit aussi une correspondance avec le docteur Clapier, médecin fort instruit, dont la famille conserve encore un certain nombre de lettres. Mais, malgré mes recherches, je (1) Catalogue méthodique du jardin des plantes. I 9 130 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. n'ai trouvé aucune trace de relation entre Jean-Jacques et Villar qui, à la vérité, n’avait que 21 ans lors du premier voyage de Rousseau vers Grenoble. Rousseau était rarement bienveillant pour ses hôtes. Il raconte que, se promenant avec l'avocat Bovier , il se mit à manger les baies de ce qu'il appelle une espèce de saule, et qu'un ami de M. Bovier survenant, s’écria : Que faites-vous là, monsieur? ces baies sont un poison ! Je re- gardai le sieur Bovier et je lui dis : Pourquoi ne m'aver- tissiez-vous pas ?— Je n’osais prendre cette liberté, me ré- pond-il d'un ton respectueux. Je me mis à rire de cette humilité dauphinoise. M. l'avocat général Servan , dans ses réflexions sur les Confessions de J.-J. Rousseau, re- proche vivement à Jean-Jacques cette accusation qu'il juge très-sévèrement. Cet arbrisseau est l’Hippophae rhamnoï- des, famille des éléagnées, plante dioique, à baies innocentes, d'uneffet charmant en automne, et qui décore les rives du Drac. Du temps de Daléchamp en 1550, les cultivateurs s’en servaient, à la place de verjus, pour assaisonner leurs aliments. Au reste, Rousseau passa une excellente nuit malgré sa peur, bien qu’il en eût mangé une assez grande quantité. IV. Avant de faire connaître l’œuvre principale qui rendit européenne la renommée de Villar, j'ai dû exposer som- mairement les opinions qui dominaient à l'époque où il se proposait de livrer son grand ouvrage au public. Ilimpor- tait surtout de donner un apercu des systèmes qui consti- tuaient le code des botanistes, parce qu’il a dû emprunter nécessairement à chacun de ses devanciers. Il a dit : Notre YINGT-QUATRIÈME SESSION. 131 classification des plantes ne portera que sur le nombre, l'insertion, la réunion ou l'absence des étamines, Toute autre considération relative à cette même réunion, à la présence, l'absence , l'éloignement du pistil, et même la proportion respective des étamines, d’où naissent les diffi- cultés du système sexuel , ont été négligées. Voilà qui est d'une simplicité remarquable ; comptez les étamines et le chiffre vous conduit sur-le-champ à l'une des treize classes admises par l'auteur ! Les familles naturelles seront établies sur la forme du germe et des cotylédons ; sur la racine, sur les feuilles; leur insertion, leur nervure , leurs glandes, leurs poils; sur la figure et la disposition des rameaux; sur les parties de la fructification , le calice, les pétales, les loges, le fruit et les graines. Appuyé sur ces données et surtout sur l'exclusion des organes femelles, il détruit tout d’un coup l’une des bases les plus essentielles du système sexuel dont il supprime onze classes. Il fallait être doué d’un ferme courage et pénétré d’une consciencieuse conviction, pour porter ainsi une main har- die sur l'arche devenue le point de ralliement , et subs- tituer ainsi brusquement une classification nouvelle à celle de Linné qui subjugua les esprits, et à celle de De Jussieu qui comptait déjà bon nombre de partisans. A l’un et à l’autre système, il oppose cette raison dominante, que la Flore des Alpes n'aurait pu suffire pour remplir le cadre de chacun d'eux. Nous avons regretté la suppres- sion de la dioëécie (deux maisons) où les fleurs mâles et les fleurs femelles sont séparées sur des sujets différents : ainsi, les saules, le chanvre, le houblon, le phœnix dactylifera, l’agrostéma, etc. Cette ingénieuse distinction 132 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. n’est pas simplement un jeu de l'imagination, elle est d'utilité pratique surtout en agronomie. Les Arabes, dont la datte constitue l’une des principales nourritures, savent mettre en contact lés rameaux du phœnix mâle avec les rameaux du phœnix femelle, lorsqu'en raison de l’éloi- gnement celui-ci ne pourrait être fécondé. On a grand soin parmi nous de ne pas arracher le chanvre mâle avant la ma- turité complète, lorsqu'on veut obtenir de bonnes graines. Dès que le premier volume eut paru, il fut soumis à l'appréciation de l'Académie impériale de médecine qui avait alors pour secrétaire perpétuel Vicq-d’Azyr. Les commissaires furent Geoffroy, Jussieu, Teissier. Le rap- port, assez laudatif, était néanmoins suivi d'observations critiques, dont voici les principales: 4° Il a réduit et non perfectionné le système de Linné. 2 Le nombre des étamines n'étant pas uniforme dans beaucoup de familles, elles ne peuvent rester indivises qu’au moyen d’exceptions multiples. 3° S'il a eu raison de supprimer des classes , il n’en est pas de même de la tétradynamie , de la syngénésie, et des trois classes fondées sur la réunion des étamines. 4° Il faut qu'un système soit clair, que les classes soient bien précises, bien caractérisées , que l’ordre méthodique soit distribué d’après les caractères généraux bien choisis. 5° L'exposition des familles et de leurs vertus est quel- quefois un peu vague et insuffisante. 6° Les caractères des genres sont ceux de Linné abré- gés ; il a oublié de faire les changements qu'exige sa mé- thode; les sections ne sont pas assez caractérisées ; le rapprochement des genres, pour s'éloigner moins de la nature , est quelquefois forcé, et il a recours à des excep- tions trop fréquentes. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 133 A ces objections, dont quelques-unes nous paraissent un peu forcées, Villar répond avec sa loyauté ordinaire et en homme qui n’a rien hasardé sans de puissants motifs ; il dit : qu'au lieu d'établir ses premières divisions sur les cotylédons , sur la corolle, la position des étamines et des germes , comme Jussieu, il a préféré le nombre des éta- mines, nombre qui lui a paru plus uniforme et plus fa- cile pour les commencçants. Quant au système de Linné , il ne saurait être soumis à l'épreuve des plantes d’une pro- vince qui ne contient qu'environ un cinquième de celles qui composent ce système. Le fils de Linné lui-même avait déjà commencé une réforme en retranchant la poly- gamie, et il se proposait d'ajouter encore à cette réduc- tion, lorsqu'une mort prématurée le ravit à la science. Beaucoup d'autres ont fait des retranchements et notam- ment Tumberg qui, dans sa Flore du Japon, supprima la gynandrie , la monoëcie et la dioécie. Dans la Flore du Dauphiné, la syngénésie et la tétra- dynamie sont conservées entiéres, l’une dans la cin- quième , l’autre dans la sixième classe, parce que la première a constamment cinq étamines, et la seconde six. Si deux ou trois espèces en ont moins ailleurs, ces plantes n'existent pas dans les Alpes. j À la sixième objection, il répond qu'il a caractérisé les familles de manière à ne pouvoir confondre celles de la province , ni les plantes qu’elle renferme avec les famil- les voisines; et sur la septième, il s’écrie : Aurais-je pu m'attendre que les genres de Linné, adoptés sans réclamation par plus de deux cents ouvrages différents, seraient trouvés défectueux dans le mien? N’aiï-je pas lieu de croire au contraire que ces genres moins nom- breux, la province n’en ayant que le tiers, devien- 134 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. draient plus saillants et plus faciles à distinguer, étant plus isolés ? L'objet principal de l'ouvrage de Villar est la connais- sance des espèces ; les classes, les genres n'étant que des connaissances préliminaires. La réalisation de cette pen- sée le place au premier rang, et l’auteur de la Flore fran- caise en était si convaincu que, dans sa synonymie, son nom figure constamment à côté de ceux des botanistes les plus remarquables. Le but de la science, nous ne cesse- rons de le répéter, n’est pas seulement la curiosité , c’est aussi l'utilité. On ferait un livre de thérapeutique excel- lent en rassemblant les considérations médicales qui ter- minent chacune de ses descriptions. Achille Richard en imitant ce grand modèle a fait un chef-d'œuvre (1). Ailleurs, Villar s'exprime ainsi sur son principal criti- que : «M. Laurent de Jussieu soutient le nom et la répu- tation des plus grands botanistes que Linné ait trouvés en France. Il a rempli à mon égard les fonctions délicates de juge et d'ami, et j'ai eu constamment à me féliciter et de sa censure et de ses conseils. » V: La courte préface du 3° volume, 4789, mérite de fixer l'attention par la richesse de l’érudition et l'élévation des pensées. L'auteur fait connaître les progrès de la science depuis la mort de Linné, et notamment les découvertes d'Edwig sur la cryptogamie. Il saisit aussi l’occasion de citer quelques célébrités de l'époque, Saussure, Labillar- dière que Desfontaines lui avait adressé, Malesherbes, (t) Botanique médicate. YINGI-QUATRIÈME SESSION. 135 Tissot, Tourette, Thouin, Micheli, Hoffman, Allioni, Bellardi, Mollinelli ; et il termine par ces paroles qui ré- vèlent autant la bonté de son cœur que l'élévation de ses sentiments : « De retour des montagnes suisses, nous parcourûmes le Valais, Martigny, Saint-Maurice, et nous allâmes visi- ter les édifices construits pour la recherche et l'évapora- tion des eaux salées d’Aigle et de Bézieux. Je savais que l’immortel Haller avait passé les dernières années de sa vie dans le gouvernement; qu’il y avait rédigé sa grande physiologie. Les relations que j'avais eues avec ce grand homme, le plaisir de marcher dans les sentiers construits sous ses ordres pour percer les montagnes, les plantes qu’il y avait observées, tout m'inspirait un nouveau plai- sir d'admiration et de reconnaissance. » Ceux qui acquièrent des droits aux justes souvenirs de la postérité, devraient ne pas oublier qu'ils sont les dépo- sitaires de la gloire de leurs devanciers. C'était sans doute la pensée de Villar, le juste par excellence, lorsqu'il exhu- mait le nom de Bérard, né à Grenoble en 1580, et décédé en 1654, l'un des botanistes les plus laborieux, et qui avait fait un herbier en sept volumes in-folio, contenant six mille plantes, acquis par la bibliothèque. Bérard peut être considéré comme un des restaurateurs de la botani- que. Il avait précédé Tournefort de soixante-seize ans, puisque celui-ci était né en 1656. Bérard, dans son Thea- trum botanicum, avait décrit l’arctium que Villar déta- cha de la famille des cyranocéphales ou flosculeuses, pour en faire un genre à part, auquel il donna le nom de Be- rardia, en même temps qu’il le dessina parfaitement et fit graver dans sa vingtième planche. Mais il se plaint que Lamark ait voulu lui ravir la satisfaction de conserver 136 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cette dédicace ; et cependant Jussieu reconnaît que cette plante peut et doit faire un genre particulier. Il fallait bien que ce savant eût un mérite éminent et reconnu, puisque Joncquet, Morison et Ray ont cru équitable d’a- jouter son nom au Melilotus Berardi. On trouve aussi dans les auteurs le Ranunculus Berardi. L'hommage de Ray, botaniste anglais, l’homme le plus laborieux du XVII siècle, prouve qu'il savait rendre justice aux tra- vaux immenses de Bérard. La Bérardia a été conservée dans le catalogue de 1807. L'auteur dit qu’elle sert de lien entre les onopordons et les carlines. Une enveloppe de plus que les autres cyranocé- phales à la semence ; son aigrette spirale, hygrométrique, persistante ; sa germination singulière, prouvent sura- bondamment qu’elle fait un genre distinct. Jussieu l’a reconnu, mais il a préféré lui conserver le nom d’arctium adopté par Linné pour la Bardane (1). Ce mème volume est surchargé de citations et de notes ; mais chacune d'elles est destinée à rectifier une erreur, ce qui prouve que cette immense érudition précitée n’est pas sans profit pour la science. Ce zèle pour l'illustration dénote son esprit de justice ; mais ce qu’il a dit dans mille endroits sur Chaix, curé de Baux, atteste la bonté de son cœur. Il faut voir avec quel soin il s’en occupe dans sa notice biographique; on dirait qu'il lui doit tout ce qu'il sait. L'intimité de ces deux hommes, si bien faits pour s'entendre, avait commencé en 1766 et dura trente-deux ans. Chaix aimait les sciences et se passionnait pour la botanique. Son herbier en six vo- lumes in-folio renferme plus de trois mille espèces pres- (1) Pag. 195. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 4137 que toutes indigènes ; il avait été acquis par Picot de la Peyrouse, et il est aujourd’hui entre les mains de M. le professeur Timbal-Lagrave, successeur , à Toulouse, de M. l’académicien Moquin-Tandon. M. Timbal-Lagrave a publié des observations critiques et synonymiques sur l’herbier de l'abbé Chaix. Villar avait profité des différen- ces d’une espèce de verbascum, trouvé près de Baux, pour lui donner le nom de Verbascum Chaixi, nom qui a été conservé. Il en existe un fort joli dessin dans sa treizième planche. L'histoire des hommes utiles se lie souvent à des acces- -soires qu'il serait injuste de négliger. Ainsi il n’a pas voulu laisser dans l'oubli le jardinier Liotard qui dirigea sous ses auspices le jardin de Grenoble , et selon sa mé- thode. Liotard était né à St-Egrève près de Grenoble. A dix- huit ans il entra au service militaire où il en resta quinze et assista au siége de Mahon. En 1765 il se retira chez son oncle, qui cultivait un petit jardin de plantes médici- nales. Cet oncle était tournefortien exalté, et se fâchait contre ceux qui lui parlaient de Linné ou en faveur de son système. Le neveu voyagea souvent dans les Alpes, il donna beaucoup de plantes à Rousseau pour son herbier, et conserva avec lui des relations épistolaires ; il mourut le 45 août 1796, à soixante-quatre ans. VI. Botanicus desudabit in augendo amabilemscientiam. Telle est l’épigraphe d'un mémoire riche d’érudition qui fut lu à l’Institut en l'an IX (4804). L'auteur, après avoir passé en revue les travaux des plus célèbres 138 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. botanistes, croit le moment venu de publier un catalogue par ordre alphabétique contenant toutes les plantes con- nues. L'un des Bauhin avait déjà ébauché ce travail auquel il s'était livré pendant quarante ans, mais cette œuvre colossale nous paraît d'autant plus impraticable que, chaque jour, on découvre des plantes nouvelles, et qu’en outre l’intérieur de quatre des cinq parties du globe est encore mal connu. Il y aurait peut-être moyen de faire quelque chose d’u- tile en imprimant ce dictionnaire à mi-marge, où les savants et les amateurs pourraient inscrire à son rang chacune des espèces nouvellement découvertes. En 1807, deux ans après son arrivée à la chaire de Strasbourg, il fit paraître le catalogue des plantes que contenait le jardin de la Faculté, savant ouvrage qui n’est pas une simple nomenclature, mais qui peut servir de flambeau et de guide dans les herborisations. C’est dans ce livre que se révèle de nouveau le noble ca- ractère de Villar : directeur de l'établissement et profes- seur, il pouvait à son gré bouleverser l’ordre établi dans un sens tout-à-fait contraire à ses doctrines et à celles de Linné; loin de là, il le conserve, et dans sa publication, il ne fait pas même mention de ses œuvres: Serait-ce res- pect religieux pour la mémoire de son prédécesseur? Se- rait-ce conviction de la supériorité de la méthode naturelle, alors généralement admise ? L'un et l'autre probablement. Il ajoute seulement, pour justifier cette publication, qu’il s’agit moins d’un simple catalogue que des moyens d’abré- ger les difficultés et d'offrir aux jeunes gens des notions sûres pour arriver, sans dégoût et sans perte de temps, à Ja connaissance des plantes, à celle de leurs qualités phy- siques et de leurs vertus médicinales. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 139 Bien que faites avec génie, les méthodes les plus par- faites ont un côté vulnérable; celle de Villar fut battue en brèche par les partisans de la méthode naturelle, celle de Linné le fut par un grand nombre, et notamment par M. de Candolle. Ailleurs, dans un dictionnaire d'histoire naturelle, on a épuisé la série des reproches à faire au système sexuel. Si Villar se préoccupait de l'idée généreuse de trans- mettre à la postérité les noms de ceux qui avaient bien mérité de la science, il n’était pas insensible à la douce espérance d'y faire passer le sien, et il répétait souvent avec Gessner : Cupio enim vos nomina vestra non in libris solum, sed in ipsis etiam verbis vivere. La dédicace, par Guelin, d’une plante sous le nom de Villaria nymphoides, le flattait. Peut-être eût-il vu avec moins de plaisir la translation faite par R. Brown, qui a cru devoir restituer cette plante au genre lymnanthemum, institué par Guelin lui-même, et reporter le nom de Villar à une plante de l'ordre ou famille des gentianées, la Villaria reniformis, de la Nouvelle-Hollande. Nous avons vu dans les serres de Grenoble cette plante conservée religieusement par l'honorable M. Verlot, di- recteur du jardin; M. Verlot est bien doué du sentiment du souvenir et de l'équité. Dans son jardin sont aussi cul- tivés l'Alsine V., l'Artemisia V., le Leontodon V., le Pic- ris V., l'Erigeron Y. ; j'y ai vu avec joie le Pisum Jomard, nom de ce courageux membre de l'institut d'Egypte qui a doté notre pays de cette papillionacée. M. Verlot a rétabli dans son catalogue le Pedicularis giroflexa, comme par- faitement connu par Villar. M. de Candolle l'avait nié, bien que Villar en eût donné une description parfaite, et l’eût dessiné d’une manière admirable dans la planche xxnr. 440 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Mais un reproche plus sérieux fut fait à sa véracité, car il avait signalé dans les Alpes des plantes qui n’y existent pas: le Telephium imperati, l'Oxytropis uralensis, l'Isa- tis alpina, le Phaca Gerardi. La foi dans la loyauté du patriarche était si vive parmi ses admirateurs, qu'ils ne pouvaient accepter une semblable accusation. L'un deux, M. Mathonnet, employé des douanes, alla s'installer dans un châlet sur le mont Viso pour procéder minutieusement à la recherche de l’Isatis alpina indiqué par notre auteur sous le nom d’Astragalus, ainsi que l’avaient fait Haller et Linné. Ses recherches furent vaines pendant trois jours et il désespérait, lorsque le quatrième jour, il l’aperçut et poussa un cri de joie en le découvrant. Ces élans de plaisir, ces manifestations joyeuses sont fort communes parmi les enthousiastes. Un jour Villar apercevant une plante qui croît dans les régions boréales , se précipita à genoux en s’écriant : Linné serait bien étonné s’il voyait dans les contrées méridionales ce qu’il a observé sous les zones boréales. C’est qu’en matière de végétation les latitudes de profil égalisent les latitudes horizontales’, vérité mise en évi- dence par le grand Humboldt, lors de ses ascensions dans les Cordilières du Chimborasso. M. le conseiller Fauché-Prunelle, magistrat aussi éclairé que bienveillant, voulut aussi payer son tribut à la loyauté de notre naturaliste. Après des herborisations longues et multipliées, il eut la joie de trouver le Telephium impe- ral, l'Oxytropis wralensis et le Phaca Gerardi , là où Villar les avait indiqués. Depuis lors, ces plantes ont été restituées par les auteurs au rang que Villar leur avait assigné. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 441 VIL. OEuvres de physique et dé minéralogie. Le contact avec Guettard et Faujas Saint-Fond ne pou- vait manquer d’inspirer à ce génie, avide de multiplier ses connaissances, le goût de la minéralogie, ainsi que de la géologie alors à son aurore. Déjà il avait publié un mémoire pour démontrer que Lamanon , l’infortuné com- pagnon de l’infortuné Lapeyrouse, s’était trompé en sou- tenant que dans les Alpes il avait découvert des traces de volcans éteints. Lamanon, ainsi que Picot de Lapeyrouse, était né à Salon’, jolie ville des Bouches-du-Rhône, et qui a produit beaucoup de célébrités. Il avait fait un livre très-curieux sur la lithogéologie de la vallée du Champsaur et la montagne de Drouvaire. (Paris, 1784.) L'auteur détruisit l'édition, à l'exception de douze exem- plaires dont six ont péri avec lui dans l’expédition de La- peyrouse; un exemplaire a été vendu plus de 4,300 fr: : en 4810 (4) En 1783, alors que le système de Werner dominait tous les esprits, la révolution qui devait substituer Pluton à Neptune n’était point accomplie, et le système de Werner que Villar adopta, avait fait invasion partout. Desmarets et Dolomieu n’avaient point fait connaître leurs soupcons sur les sources géologiques : Guettard, accompagné de Malesherbes, n'avait point encore vu la roche de Volvic; et ce ne fut qu’en 1814, que de Buck, éclairé par les géo- logues francais, et les laves et les basaltes de l'Auvergne, (4) M. Gariel. 142 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. abandonna et Neptune et Werner. Mais déjà Villar n'était plus. L'année suivante, 4804, il publia un mémoire sur les bois fossiles de Mont de Lans, au niveau des neiges éter- nelles, et, à dater de cette époque, il ne s’occupa plus de géologie que dans des circonstances rares et à l’occasion de topographie médicale; mais il ne voyagea jamais sans prendre la mesure des hauteurs avec son baromètre, et c'est ainsi qu'il les a toutes signalées. IL est possible que pour les grandes élévations, les calculs ne soient pas toujours faits avec une précision rigoureuse, parce qu'il opérait seul, et qu’il faut, comme l’on sait, être deux, l’un à la base, l’autre au sommet. Toutefois, les mesures suffi- sent parfaitement pour établir les climats de végétation. Microscope. Il serait superflu de dire qu'il était toujours armé de sa loupe, si nous ne savions que M. le préfet Ladoucette avait désiré posséder cet instrument de tant de recherches. Il accepta aussi son grand ouvrage et celui de Guettard sur le Dauphiné. Mais les infiniment petits fixèrent aussi la curiosité de notre naturaliste, et nous possédons de lui des travaux tant imprimés que manus- crits, qui attestent la savante attention qu'il portait à tout ce qui touche à l’histoire naturelle. Il avait pris pour épigraphe une pensée de Müller, mise en tête de ses observations microscopiques :In renaturali, non ingenio, sed observatione vivitur; cœtera mortis erunt. Le microscope de Lionnet lui parut fort imparfait, et, il y ajouta des pivots, des vis de rappel et des tuyaux, et ses additions furent si heureuses, qu’il put arriver à un grossissement de deux cent cinquante volumes. S’il pa- raissait surprenant qu'il fût aussi mécanicien, nous di- rions que son père, grand chasseur, avait acquis une ha- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 143 bileté telle, qu’au canon près, il faisait en sa présence tout ce qui concernait ses fusils. Quant à l’art de dessiner qu'il avait appris sans aucun maïitre, nous avons vu qu'il l'appliqua aux plantes avec une perfection rare; mais nous trouvons ici le même ta- lent dans le dessin-des insectes avec le grossissement ob- tenu. Cette remarque s'applique autant aux œuvres im- primées qu'aux manuscrits. La physiologie lui doit bien quelques observations importantes, que d’autres ont pu s'approprier sans rendre à César ce qui appartient à César : « Les observations « microscopiques sont le complément des sciences natu- « relles. J'ai suivi de très-près l’organisation intime des « plantes et celle des animaux les plus simples. Leur « examen m'a conduit à celui des globules du sang, à la formation de la fibrine qui n’était connue jusqu'ici que « sous le nom de membrane de Ruish. J'ai examiné la « circulation de plusieurs tétards, qui avaient troislignes « de long et deux de large, non compris la queue. Celle- « ci, en forme de rame, est mince et s'aplatit sur le « verre. C’est sur la membrane latérale, qui est transpa- « rente, que l’on voit circuler le sang en globules isolés. «€ Les globules sont pâles, un peu ovales, moins gros que « dans la patte des grenouilles, mais plus gros du dou- « ble que les globules du sang humain. » Il eut la pa- tience de calculer le nombre des globules contenus dans l'espace du pouce. Il a vu que dans le diamètre d’une ligne il y en a 650, dont le multiple par 12 serait 7,800. A partir de Villar, il y eut un long intervalle pendant lequel le microscope fut négligé, sous le point de vue physiologique et pathologique. Je regrette de ne pouvoir, dans la limite que je me suis À 144 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. imposée, suivre notre naturaliste dans les recherches cu- rieuses qu'il a faites sur les infiniment petits et sur le passage de la vie végétale à la vie animale. Je ne trans- crirai que quelques fragments de l’autographe de 1802, page 88, où il cite ses expériences sur l'eau verte. Elle fourmillait de globules verts, ovales, animés d’un mou- vement volontaire en tout sens. D’autres, blancs, plus gros, couraient avec une très-grande rapidité; et à la page 85, il a dit : « J'ai cru apercevoir les premiers rudi- mens de la végétation et de l’animalisation, mais en plus petit nombre. Enfin, j'en ai vu deux très-gros, dentés à plusieurs rayons comme une roue d’engrenage, qui, au lieu de courir, ne faisaient que fourner. » Il est le premier qui ait observé et cité le phénomène suivant que l’on fait revivre aujourd’hui dans les recher- ches sur les algues. « Ayant placé un verre d'eau verte près de la fenêtre, la matière verte, c'est-à-dire les anti- malcules gravés et peints par Ingenhouss, se sont portés en foule du côté de la lumière. J'ai tourné le verre en sens contraire, et quoique je n’aie pu voir ces animalcules changer de place, toute la matière verte, tant du fond que de la surface, s'était de nouveau portée du côté du jour en moins de quatre minutes. J'ai répété le même jeu; les animalcules se sont prêtés aux mêmes changements quatre fois dans le même jour. Les animalcules changeaient de couleur les jours suivants , ralentissaient les mouvements et périssaient peu à peu. » À la page 84 du mémoire im- : primé sur la topographie et l’histoire naturelle, se trou- vent les mêmes observations, suivies d’une planche très- curieuse sur les infusoires. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 145 VIII. Travaux de médecine. J'ai montré Villar naturaliste et physicien ; il me reste à faire voir qu'il était médecin distingué ; et ici, comme pour les plantes, il s'était formé par la force de son intelli- gence, sa ténacité dans l'étude et son aptitude à réussir dans tout ce qu’il entreprenait. Il pensait d’ailleurs que toutes les connaissances acquises devaient tendre au même but, celui du soulagement de l'humanité. À ces préliminaires, il ajouta la qualité de médecin d'hôpital, grande école où les misères humaines sont par leurs répétitions autant de faisceaux lumineux. Il se trouva aussi au milieu de ces foyers de contagion qui, dans les armées, s'étendent comme des traînées de feu. Dans l’une de ces formidables épidémies, celle qui survint à la suite de la défection de Scherer, il faillit succomber; et comme son zèle l'emporta à reprendre son service d'hôpital pen- dant sa convalescence, il essuya une rechute, à la suite de laquelle il fut obligé de recourir à l’air salutaire du Champsaur. Il semble que la vie des hommes illustres ait besoin d'être semée d’anecdotes piquantes pour rehausser leur valeur. Villar, simple paysan, parvenu à une position assez élevée, ne pouvait échapper à quelque histoire fabu- leuse. Voici ce qu’on raconte : Une épidémie meurtrière ravageait l'hôpital; la contagion allait de lit en lit ; les médecins avaient pris le parti de faire la part du mal, comme dans l'incendie on fait la part du feu. Les hommes trop gravement atteints étaient entassés dans une salle séparée, véritable antichambre de l'amphi- I 10 146 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. théâtre, où ils ne tardaient pas à succomber. Un jeune grenadier, récemment entré dans l'hôpital, allait ainsi être renvoyé aux incurables, lorsque Villar, frappé de la bonne mine du malade, intercède pour qu'il reste dans son lit. Le médecin refuse. Notre docteur le fait transporter dans sa propre salle, l'entoure de soins, lui sauve la vie. Ce grenadier était Bernadotte, depuis roi de Suède ! Ceci est un roman qui a une vérité pour base; Bernadotte a été en effet traité dans l’hôpital militaire de Grenoble par Villar; mais ce ne put être que de 14787 à 1789, car la garnison était complétement changée à la suite de la jour- née dite des Tuiles, en 1788. A cette époque, quatre régiments composaient cette garnison, deux suisses, Son- nenberg et Stener; deux francais, Austrasie et Royal-Ma- rine. C’est dans ce dernier que Bernadotte était en qualité de sergent. Or, il n’y eut point d'épidémie, et il ny avait point de raison d’épidémie à cette époque. Les typhus ne commencèrent que vers 4795, et alors Bernadotte élait à l'armée du Rhin et déjà dans de hauts grades. Je n'aurais point relevé ce récit s’il n'avait été livré à la publicité et s’il n’entrait dans mes devoirs, comme ancien médecin des armées, de protester contre un mode d’inter- terprétation offensante pour les médecins des hôpitaux. Épidémies. Topographies. — Quelle que soit la nature d'une maladie épidémique , il n’est point de notions par- faites sans une description des lieux où elles exercent leurs ravages. L'érudit Villar avait trop médité le livre de aëre, locis et aquis, pour ne point obéir aux préceptes qu'il renferme. Lorsqu'il fut envoyé pour s'assurer de la nature des épidémies du Champsaur et de Beaurepaire, son premier soin dans l’une et l’autre contrée fut de calculer VINGT-QUATRIÈME SESSION. 147 toutes les circonstances locales et atmosphériques qui avaient pu exercer leur influence. Vaccine. — La découverte de l’immortel Jenner agitait le monde; l'opinion des médecins était divisée, mais Vil- lar entra résolument dans la polémique en faveur du nouveau procédé ; il venait d'écrire contre l’inoculation du virus variolique en 1800, lorsque l’année suivante il fit paraître, de concert avec le chirurgien en chef Silvy, des réflexions en faveur de la vaccine, et quelques mois après il publia seul un mémoire pour la défense de cette précieuse conquête. La persuasion ne pénétra pas dans tous les esprits sans une vive opposition ; l'incertitude et la défiance avaient gagné les esprits, lorsque Villar recut du docteur Odier de Genève un fil imprégné de vaccin dont il se servit pour l'insertion de ce virus sur le bras d’un petit-fils âgé de cinq mois. Ce noble dévouement triompha des résistances, et la vaccination se généralisa dans tout le département, alors même que dans Paris la résistance était fort opiniâtre. Cette anecdote, qui fait tant d'honneur à ce courageux médecin, a été reproduite par le savant bibliothécaire de Grenoble, M. Gariel, qui à donné la note la plus complète des travaux de notre com- patriote ; j'y ai ajouté fort peu. Il ne m'a pas été permis d'analyser tout ce qu'il a écrit en médecine, cet exposé eût été trop long. La liste que je donne à la fin de cette notice indiquera suffisamment combien il était laborieux. On y observera qu'il avait étendu ses remarques sur l’art vétérinaire ; qu’en 1787, en donnant la topographie de Grenoble, il l'avait fait suivre de l'exposé sur les maladies les plus fréquentes ; qu'en 1796 il avait démontré, sous le point de vue de la statistique, combien il serait important de joindre aux actes 115 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de décès une notice des maladies qui l'ont précédé. [l a ainsi devancé les demandes actuelles du gouvernement et les discussions lumineuses qui ont lieu à l'académie impé- riale de médecine pour répondre aux questions qui lui sont adressées sur ce point. On remarquera aussi le mé- moire sur la fièvre soporeuse qui, en 1797, régna à l'h6- pital militaire de Grenoble. Il est bien constant, et cela s’observe dans tous ses écrits, que l'intérêt de l’homme sous le rapport sanitaire et le progrès dans la thérapeutique le préoccupaient sans interruption. C’est dans ces vues que ses descriptions d’es- pèces végétales sont terminées par de rapides indications sur les usagesen médecine, aspiration et habitude qui lui avaient sans doute été communiquées par le premier livre tombé entre ses mains, le Mathiole. Mais, objectera-t-on, ces usages sont bien tombés en désuétude depuis qu’une chimie habile a pu découvrir les principes immédiats des végétaux ! Je le sais, car je n’ai pas laissé que de prendre une grande part dans la révolution qui, par l'application des alcaloïdes, a changé la face de la thérapeutique; mais les indications de Villar tendaient toujours au progrès et à préparer l’heureuse transformation qui s’est opérée depuis. "IX. ‘On ne se doute pas de tous les devoirs qu'un médecin d'hôpital a pour mission de remplir; car il est le protec- teur immédiat des malades qui lui sont confiés. Ce n’est pas seulement pour des prescriptions médicamenteuses qu'il pénètre chaque jour dans les asiles de la douleur; d'autres obligations sont imposées à sa conscience, à son VINGT-QUATRIÈME SESSION. 149 dévouement, à son humanité. Il doit savoir si les aliments sont de bonne nature, si les malades sont chaudement dañs les fournitures, si les dortoirs sont propres, aérés, débarrassés de toute puanteur, etc. Toutes ces conditions étaient impitoyablement violées dans l'hôpital militaire de Grenoble, malgré les observa- tions journalières ; la délicatesse du médecin s’en indi- gnait, il fut donc forcé de donner un retentissement à ses plaintes et de prononcer une philippique sévère à la société de médecine, sous le titre : Observations sur les vices de l'administration de l'hôpital militaire. L'année 1800 commençait. La destitution suivit de près cet acte énergique de dévouement : la toute-puissance était encore entre les mains des fournisseurs; cependant les soldats, étonnés-de ne plus recevoir les soins affectueux de celui qu'à bon droit ils considéraient comme leur père, s’informèrent du motif de son absence, et lorsqu'ils l’eurent connu, ils dé- Jéguèrent en masse ceux qui pouvaient marcher et, mal- gré son opposition, ramenèrent en triomphe le médecin qui savait si bien compatir à leurs maux. Sa vie s’écoula assez paisiblement jusqu’en 1803, année où le gouvernement, irrité de la continuation des malver- sations, supprima brusquement l'hôpital militaire et le confia à l’administration civile, usage qui a prévalu et persiste. L'équité aurait voulu que l'administration civile le con- servât à la tête d’un hôpital qu’il avait organisé, si bien dirigé, et dont il était le chef depuis trente ans. Mais, grâce à des intrigues subalternes, le juste succomba sous le venin de l'intrigue; ainsi frappé, ainsi pris au dé- pourvu, il fut réduit à la triste nécessité de solliciter une retraite qui lui fut refusée : on ne daigna pas même lui 150 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. répondre ; et, pendant deux ans, il épuisa ses ressources, car il ne lui restait plus que le médiocre revenu de son patrimoine, bien insuflisant pour le soutien d’une famille élevée honorablement. Médecin des pauvres dans la véri- table acception du mot, peu répandu dans les classes aisées qui ne le considéraient que comme un savant, il fut réduit à demander je ne sais quel médiocre emploi dans la ville de Gap, voisine de son lieu de naissance et de son petit domaine. Il y avait alors, comme préfet des Hautes-Alpes, un homme excellent, ami des sciences, qui faisait des efforts inouis pour doter le pays de quelques monuments utiles, tels que bibliothèque, musée, il avait fondé une société d'émulation et il avait mis cette cité au niveau et même au-dessus de beaucoup d’autres plus populeuses, se- condé qu'il était par l'esprit vif, intelligent et actif des habitants. C'était M. de Ladoucette qui, depuis longues années, n'avait cessé d'entretenir des relations amicales avec notre savant ; il en avait même recu son grand ouvrage, celui de Guettard sur le Dauphiné, et cette oupe qui avait servi à déterminer un si grand nombre de plantes depuis un tiers de siècle. M. de Ladoucette a prononcé son éloge dans la séance publique de la société royale et centrale d'agriculture, le 29 mars 1818 ; ils étaient l’un et l’autre membres de cette société. L'orateur a avoué, avec un noble sentiment de gratitude, qu'il avait été fier du présent que lui avait fait le grand homme. Nous avons dû gémir sur cette gène, sur ces embarras qui décolorèrent parfois son existence ; mais, aux yeux des hommes de cœur, cette gène est un titre de gloire, lorsqu'elle à pour origine le désintéressement, la géné- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 151 rosité, le sacrifice de ses intérêts pour le bien de son pays. | En 1805, ilallait partir pour les Hautes-Alpes, lorsqu'il apprit que les professeurs de la faculté de médecine de Strasbourg, d’un mouvement spontané et unanime, le réclamaient pour occuper la chaire de botanique, et que l'illustre Fourcroy, directeur général de l'instruction pu- blique, s'était hâté de confirmer cette nomination. Chose étrange! son premier mouvement fut de refuser, tant il lui coûtait d'abandonner ses chères montagnes. En 1809, il renouvela son refus du décanat, prétextant son âge et son incapacité; double refus qui m'a été aflirmé par M. le docteur Charvet, médecin de distinction, professeur de l'Ecole préparatoire de Grenoble. Lorsque, malgré sa résistance , il se vit obligé d’accep- ter, il adressa une lettre d'adieu touchante à la ville de Grenoble; ce fut un deuil général. On comprit alors ce que l’on perdait; l'injustice commise parut à cet instant dans toute sa laideur. M. le préfet de Ladoucette raconte que, pour entrepren- dre son déplacement, Villar allait être forcé de vendre sa bibliothèque, riche de tant d'ouvrages rares et précieux, lorsqu'un de ses anciens élèves, le docteur Rome, lui avança la somme nécessaire; ef, néanmoins, ajoute ce di- gne magistrat, dissimulant la gène de sa position, il savait avec quelle confiance il pouvait entre autres s'adresser au préfet des Hautes-Alpes. « Il s'était proposé de donner la topographie de l’Alsace, des Vosges, d’une portion de l'I- talie et des rives du Rhin; mais la fatigue des voyages pédestres qu’il entreprit dans ce dessein, nous a privés d'un travail aussi intéressant. » Le tome V des mémoires de la Société d’émulation des 152 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Hautes-Alpes contient une dissertation sur l'importance de l’agriculture et sur les moyens de la porter à un plus grand degré de prospérité (1). Pendant toute sa vie, il ne cessa de s'occuper de l'amélioration de l’économie rurale. Il n’était étranger à rien de ce qui concerne les événements historiques dans les Alpes. Nous le voyons agiter la question du passage des Alpes par Annibal , et, contrairement aux opinions qni adoptent le Mont-Cenis ou le mont Genèvre, il conclut pour le Saint-Bernard. On est tenté de se rendre à son raisonnement, car per- sonne, depuis les Celtes jusqu’à nous, n’a, pendant cin- quante ans, comme lui, visité et connu les monts, les vallées, les cols, les passages, les défilés , les détours ; il n'yavait peut-être pas un mètre carré de cette immense chaîne qu'il n’eût vu et foulé à ses pieds. Si l’on examine les dates de ses nombreuses publica- tions, on se convaincra aussi qu'il savait habilement saisir l’à-propos. C’est ainsi que, en 1793, la famine sem- blait vouloir menacer la France; alors il se hâte de si- gnaler à l'attention publique toutes les plantes des Alpes qui pouvaient servir à la nourriture de l'homme. Il citait entre autres la Chardousse, Carlina acanthifolia, très- commune dans les montagnes. Les bergers mangent son réceptacle comme celui des artichauts; il est très-charnu, très-nourrissant, on le confit aussi; sa racine est aroma- tique et provoque la sueur. X. I eût été difficilé de faire juger convenablement Villar, sans une appréciation historique de quelques-uns de ses (1) P. 44. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 153 travaux et des titres qui lui donnent des droits à la re- connaissance de la société. Nous avons maintenant à aborder le foyer domestique et à faire juger le côté moral du savant dont les mœurs furent toujours simples et qui ne dévia jamais des sentiers de la vertu la plus scrupu- leuse, la plus austère. On sait le respect religieux qu'il professa pour sa mère, femme de tête et de caractère, qui le domina jusqu’à l'age de vingt-cinq ans. Si elle contrariait ses goûts, nous l'avons déjà dit, c'était plutôt par excès de zèle et de piété que par esprit de contradic- tion. Elle craignait que cette imagination vive, ardente, toujours à la recherche des nouveautés, n’abandonnât les voies du salut. Cette crainte pouvait être d'autant plus fondée qu’un jour, le 2 novembre, après avoir prié selon l'usage sur la tombe des ancêtres, il en revint avec des . pensées d’athéisme; il explique à quelle torture sa jeune imagination fut livrée par suite de ce singulier désordre de son esprit. S’il fut de lui-même ramené dans la voie de la vérité, il en fut redevable à ce qui, aux yeux de sa mère, semblait devoir l’en détourner: l'admiration des phénomènes de la nature. Enthousiasmé de l’organisation d’une simple fleur, émerveillé des phénoménes qui s'ac- complissaient dans les rapports des étamines avec les pis- tils, il se disait: que toute la puissance, toutes les fa- cultés de l’homme ne produiraient jamais rien d’analogue. Il découvrait la vie là où elle semble impossible. Lorsqu'on a vécu avec lui et que l’on compare la lenteur de son langage, l’aménité constante de son discours , avec le jugement que l'avocat Servan porta sur sa vivacité, on est bien surpris. Dans sa famille, comme au milieu des étrangers, s’il ne donnait jamais de marques d’hilarité, il n’en donnait 154 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. jamais de mauvaise humeur, tant il y avait d'égalité et d'équilibre dans ce caractère; si donc il était vrai qu'à vingt-cinq ans il eût tant de vivacité, on est obligé de con- venir qu'il s'était opéré une bien grande métamorphose en lui. IL y avait aussi une préoccupation fixe qui l’enchaînait à la même série d'idées; de sorte que toute distraction était bannie de son cerveau. Dès son lever, il courait à sa bibliothèque, composée à grands frais, et n’interrompait ses études que pour se livrer à un repas frugal, peu dif- férent de celui du Champsaur; les interruptions les plus fréquentes étaient celles des herborisations où il condui- sait ses élèves qui étaient assurés de trouver des provi- sions toujours partagées avec eux. Si l’on ajoute à cet oubli constant de ses intérêts , ces immenses impressions qui ne lui rapportaient rien et qu'il distribuait à ses amis, à ses disciples, on se demandera comment, avec de faibles appointements, les honoraires plus modiques encore de sa clientelle, il pouvait vivre honorablement et veiller à l'éducation de sa famille, édu- cation qui cependant ne laissa rien à désirer. La réponse à ces questions se trouve renfermée dans son testament : Je demande pardon à mes enfants d'avoir négligé leurs intérêts pendant le cours de ma vie. Non, il n'avait pas négligé leurs intérêts, puisqu'il leur avait donné de bons principes, une saine morale et ins- piré la douceur de son caractère, de ses mœurs! Mais quelle foule de réflexions fait naître cette phrase d’humilité chrétienne : là est l'homme; mais là aussi est une belle âme ! Innocui vivite, numen adest: Vivez purs et innocents, leur disait-il, Dieest présent, Dieu vous voit; et ses en- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 155 fants, élevés avec de tels principes, furent toujours pé- nétrés de respect, de tendresse et d'admiration pour lui. Sa générosité à l'égard des étrangers n'avait aucune borne. Sa maison était ouverte à tous, riches ou infortu- nés, sans distinction , que sa renommée, comme un ai- mant, altirait à Grenoble. Le savant Carlo Botta, expatrié de Turin, et sûr de trouver un asile chez lui, s'y présente et recoit l'accueil le plus bienveillant. J'étais présent à l'entrevue. Le vertueux Malesherbes lui est adressé de Paris; aus- sitôt il oublie tout et part avec son hôte pour une longue tournée dans les Alpes. Labillardière lui avait été recom- mandé par Desfontaines ; même accueil, même dévoue- ment. On à vu quel était le régime alimentaire des habitants du Champsaur; quelle frugalité! et cependant c’est une race robuste. Notre sage, qui avait vécu parmi eux jusqu’à vingt-cinq ans, ne se départit jamais de sa sobriété primi- tive. Certes, il eût dépassé l’âge de soixante-huit ans, sans les maladies contagieuses des hôpitaux, et sans une ten- sion trop constante dans le travail; car il ne se donnait aucune distraction. Il fut aussi atteint d’une maladie sérieuse, attribuée à l’excès du travail et à l'oubli de la nourriture, dans le mois de juin 1784. Il ne s’apercut que fort tard de la cause et ne put se débarrasser de son état fébrile que par une alimentation douce et graduée. Comme professeur d'hygiène, il plaçait cette branche de la médecine à la tête de toutes les autres, et il disait avec Sénèque que l'on rend plus de services à un homme eù l'empéchant de tomber, qu'en le relevant après sa chute. C'est cette maxime que nous avofs bien comprise, 156 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. bien hautement proclamée dans nos temps d'épidémies , et que les gouvernements , éclairés par les médecins, ob- servent à merveille dans les nouveaux réglements d’édi- lité. Voici les divisions du cours que Villar, qui ne séparait point l'homme de l’ensemble de la société, assignait ha- bituellement à ses lecons d'hygiène. L'hygiène donne lieu à des applications : 4° à l’homme en santé; 2° à la guéri- son des malades ; 3° à son perfectionnement moral; 4° à son perfectionnement physique; 5° à l'établissement des villes et des ateliers; 6° au développement de l'esprit hu- main. J'ai oublié de dire que, vers la fin du siècle, il soutint vigoureusement, d'accord avec Silvy, une lutte contre Mitié, possesseur d'un secret pour guérir sans mercure les maladies dont ce médicament était considéré comme le spécifique. Mitié avait été envoyé à Grenoble pour faire ses essais dans l'hôpital militaire. La résistance de Villar contre le jongleur le compromettait d'autant plus que ce- lui-ci était soutenu par le ministère, et que des médecins aveuglés, ou simplement dévorés par l'envie, semblaient prendre parti pour Mitié. L'empire de la vertu était si puissant chez Villar, qu'à chaque instant il compromettait ses moyens d'existence, sans examiner les conséquences de ses combats. Un jour on surprit une ordonnance où, au milieu d’une composition bizarre, Mitié avait ajouté vingt-cinq grains de sublimé corrosif dans une pinte de liquide. Dès ce moment, Mitié fut dévoilé et chassé du mi- nistère, et ;ses partisans restèrent honteux de leur con- fiance aveugle. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 157 XI. Villar doit prendre rang dans le petit nombre des hom- mes privilégiés qui n’ont à se reprocher ni mauvaise pen- sée, ni mauvaise action. Son austère vertu le portait à combattre sans cesse le charlatanisme éhonté et ces abus qui touchent de trop près à la vie des malades. Toute sa vie fut donc un enchaînement d’actes d’abnégation , d’ou- bli de sa personne et de luttes contre le vice. On ferait un livre d'excellente morale, si l’on extrayait de ses nom- breux ouvrages toutes les bonnes pensées qu'ils renfer- ment. Il croyait fermement à une autre vie : mais dans la naïveté de ses sentiments, il caressait la noble idée de vivre dans la mémoire des hommes. Les compagnies célèbres de l'Europe s’empressèrent de l’associer; l'Institut dès 1796, et précédemment la société royale de médecine, ainsi que les autres compagnies sa- vantes de France, se firent une gloire de le compter parmi leurs membres. Que n’aurais-je pas à dire de ses collègues de Strasbourg, professeurs de mérite, qui lui vouèrent tant d'estime et de vénération, qu'ils le forcèrent, et c’est le mot, à accep- ter la direction de leur école? L’un d’eux, l’illustre Fodéré, paya éloquemment, au nom de cette faculté, son tribut d'éloges; en même temps que Desgenettes, l’ancien méde- cin en chef de l’armée d'Egypte, remplissait avec sa verve spirituelle, le même office à la faculté de médecine de Paris. Le docteur Albin Gras a également parlé de Villar d’une manière éloquente et spirituelle. Le culte à la mé- moire de ce grand homme est loin de s’éteindre dans Gre- noble. 158 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Villar avait vu le jour dans un département où la sim- plicité des mœurs était héréditaire; où l’on naît avec un esprit vif, qui n’a besoin que de culture pour se dévelop- per. Mais celui qui, par la force de son génie, sans bas- sesse comme sans présomption, s’est élevé seul, de la condition de simple paysan, sans culture, au rang de médecin habile, de professeur distingué, de botaniste de premier ordre, d'ami des savants les plus illustres et des plus grands personnages de son époque, celui-là, certes, n'était pas un homme ordinaire. A dater de 1805, une ère de tranquillité s'ouvre devant lui; jusque-là sa vie n'avait été qu'agitation, fatigue, tourments supportés, toutefois, avec une rare philosophie. Strasbourg fut un asile de bonheur, où, dans un centre scientifique, au milieu de collègues excellents, nouvelle et bonne famille qui le vénérait, il passa neuf années à l'abri des orages. | Sesanciennes relations avec notre compatriote Francais, conseiller d'Etat et directeur général, portèrent de nou- veaux fruits. Get homme admirable avait à créer une ad- ministration dont les éléments n’existaient nulle part; il n’attendit pas que Villar vint le solliciter ; il alla au-devant de ses désirs, et placa ses deux gendres dans des emplois supérieurs. Déjà Villar avait été rassuré sur l'avenir de son fils, qui se distinguait dans les hôpitaux des armées, et qui, après avoir dirigé l'hôpital militaire d'Alexandrie, fut chargé de celui de Besancon. Si notre récit ne se prolongeait déjà trop, nous donnerions ici l’extrait des lettres qu’il lui écri- vait, et nous trouverions, dans cet exposé, un cours com- plet de médecine, outre les préceptes de la meilleure et de la plus douce des morales. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 159 L'heure du repos semblait avoir sonné ; mais toujours dévoré par le désir des explorations et celui des publica- tions, il voulait finir, après soixante-cinq ans, comme il avait commencé à l’âge de six. Il fit, toujours à pied, de longues excursions sur les bords du Rhin, à travers la Suisse, le Simplon, le Saint-Gothard et l'Italie supérieure, contrées dont il se proposait de donner la topographie. Il avait alors soixante-cinq ans; cet excès, ce redoublement d'énergie usèrent le reste de sa vie. Vers l’an 1812, il vint à Paris : ce fut là que j'eus le bon- heur de le recevoir. Ce fut l’époque la plus heureuse de ma vie; mais ma joie fut mêlée d'inquiétude, car je m'aperçus qu'il traînait un peu la jambe gauche, frappée d'œdème. Cependant son activité était encore si étonnante, qu’il ne se servit jamais de voiture et que souvent il partait de la rue du Temple pour aller visiter ses collègues et amis au Jardin des Plantes. Les hémorrhagies cérébrales pardonnent peu; une première est souvent suivie d’une seconde qui décide du sort. C’est ce qui arriva, deux ans après, à Villar, qui succomba brusquement, le 20 juin 4844 : il avait alors soixante-huit ans. Villar fut inhumé, sans aucune pompe, dans le cime- tière de l’ouest, route de Kehl. En 1814, tout était douleur pour la: France, et le destin qui la frappait faisait oublier les vertus et le savoir d’un vieillard qui mourait sans for- tune. Une simple croix de bois, rongée par le temps et quarante-trois ans d'oubli, a disparu et sa tombe est ignorée. Cette poussière n’est plus; mais nos bibliothè- ques sont chargées des fruits de son intelligence. Sa mémoire vivra dans les cœurs; et si nos humbles vœux sont accomplis, ses vertus et ses œuvres pour le bien des 160 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. hommes obtiendront leur rémunération dans le Sein de la justice éternelle (1). (1) C'eût été abuser des trop courts instants du Congrès que de lui communiquer les réflexions qui suivent sur les manières diverses dont on a écrit le nom de Vüillar. Mais j'éprouve une répugnance invincible à le voir surchargé de lettres étrangères, et à voir ainsi sa renommée absorbée par d’autres renommées plus éclatantes. Il est certain que, dans une place de guerre de premier ordre comme Grenoble, tout voyageur ou étranger qui verrait ce nom terminé par uns, l'attribuera au vainqueur de Denain. Le nom patronymique est un héritage sacré qu’un fils respec- tueux doit, à moins d'autorisation, conserver religieusement. Notre grand naturaliste avait trop ce sentiment du respect filial pour déroger à cette loi de son autorité privée. Par quelle fatalité ce nom a-t-il fini par éprouver tant de variantes? Par le fait d'une simple faute de typographie glissée dans la onzième publication et la plus importante, celle de son grand ouvrage, qui ne fut que la huitième; mais les premières, même le prospectus de l’histoire des plantes du Dauphiné, in- diquent le nom d’une manière correcte. J'ai aussi sous les yeux son journal d'observations microscopiques, de 191 pages, daté de 1802, parfaitement signé. Il doit exister plusieurs centaines de ses lettres dans toutes les sociétés savantes de l'Europe dont il était associé. Les archi- ves de l’Institut, et surtout celles du Muséum d'histoire natu- relle en possèdent; dans aucune d'elles, sa signature, pendant plus de cinquante ans fort nette, fort distincte, n'a éprouvé la plus légère variation. . L'exemplaire de la Bibliothèque du Dauphiné, par Gui-Allard, dont une édition lui fut donnée en 1797 par Chalvet, l'éditeur, est surchargé de notes marginales, interlinéaires et de notices biographiques toutes de sa main et signées; et d’abord sur le titre il a inséré ces mots: « Chalvet, professeur à l'école centrale, « Présent de l’auteur, auquel j'ai ajouté des notes sur Bérard, « Chaix, Liotard, etc., » ila ajouté que Chalvet mourut subite- ment en 1807. A la page 68, en marge : « Un chartreux, frère Laurent Le ù YINGT-QUATRIÈME SESSION. 161 M. le président consulte le Congrès pour savoir s'il y aura une séance générale le lendemain dimanche, 6 septembre ; il est décidé que la séance n'aura pas lieu. « Sicard, remit à Villar, en 1773, un catalogue des plantes des « Alpes et de la Grande-Chartreuse. » Entre les pages 104 et 105, ila intercalé un feuillet conte- nant la vie et les travaux de son ami, le curé Chaix. Dans le même livre, pag. 335, en intcrligne : « Viczar, Dominique, fils « de Pierre, » pour indiquer la place où, dans un cas de réimpres- sion, on meltrait la notice placée entre les pages 336, 337, et qui débute ainsi: « Virrar, Dominique, fils de Pierre, naquit « au Villar, hameau des Noyers, etc. » Ce manuscrit tranche la question; il semble, en effet, avoir été écrit de sa propre main, avec signature régulière, dans le but de faire bien connaître son origine. C'est une espèce de tes- tament scientifique , où il réclame sur la fin de ses jours une rectification qui lui est due. Dans ce livre de Gui-Allard, édité par Chalvet, on remarque à la page 68 le nom de Villard terminé par un d; et, plus près de nous, l’érudit M. Pilot l'a écrit de la même manière dans l’his- toire de Grenoble, édit. 1829, pag. 322, et dans la Statistique générale du département de l'Isère, année 1846, L. 111, p. 329. Si nous consullons maintenant les livres des sciences natu- relles, nous trouverons les mêmes variantes. Guettard, long- temps son compagnon d'exploration , détacha du genre arctium l'espèce sub-acaulis et lui donna le nom de Villaria sub-acaulis- Dans la Synonymie, genre erigeron, M. de Candolle dit : Eri- geron Villarii, d'après Bellardi, act-lor. 8, p. 241, tom. 9. Tel était l'embarras que M. de Théis (Glossaire de botanique, 1810), s'est vu forcé de dire: Villaria ou Villarsia nymphoides. Ce qu'il y a de plus étonnant encore, c'est que le Bulletin de la sociélé de statistique, ouvrage précieux qui fait si bien connaître Grenoble et les Alpes, écrit Villard par un d, tom. 4*, p- 345, preuve que ce nom a été livré à la discrétion des protes. Ajou- ions à Lout ce qui précède que Mme Faure, sa fille, a toujours voulu, ainsi que ses enfants, maintenir l'intégrité de la signature da père. J'ai encore sous les yeux une statistique des Invalides, 1 1! 162 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le Congrès adopte la proposition, faite par MM. les secrétaires généraux, d’une excursion à Sassenage, aussi curieuse qu'intéressante, et qui porte le nom de Faure- Villar sans d. Pour le public, il y aurait incessamment trois êtres différents, et la gloire ainsi divisée s'amoindrirait singulièrement. LISTE DES OUVRAGES DE VILLAR. 1 4779— Prospectus de l'histoire des plantes du Dauphiné et d'une nouvelle méthode de botanique, etc. 2 4780— Mémoire sur la nourriture des chevaux et autres bes- tiaux, et observalions sur l'art vélérinaire. 1781— Observations sur une fièvre épidémique qui a régné dans le Champsaur elle Val Gaudemar ; riche d'érudition et d'excellents préceptes médicaux. 4% 1781— Observation sur les cryplogames. 5 1781— Analyse de l'Essai sur les propriétés des plantes. 6 1783— Mémoire sur la prétendue découverte d’un volcan éteint dans le Dauphiné, annoncée par le chevalier de Lamanon. 7 1787 — Mémoire sur les maladies les plus fréquentes à Greno- ble, suivi d'un essai sur la topographie de celle ville. » 8 1786— Histoire des plantes du Dauphiné. 1° volume } .. 8 DAT STE LE Id NE eCCE 2e volume avec LOTERIE Ta id... béhéduiae 3e volume \Paches- 11 1787— Lettre en réponse à un article inséré le 15 juin dans les Affiches du Dauphiné, dans lequel on cherchait à élablir, contrairement au syslème de Linné, que les fleurs femelles des plantes qui ne sont pas herma- phrodites n'ont pas besoin, pour étre fécondées, de la poussière des fleurs mâles. 12 1787— Liste el observations sur les arbres de la province du Dauphiné. 13 1789— Instruction élémentaire de météorologie. 4% 4790— Sur l'école de chirurgie, le jardin de botanique et les pépinières élablies à Grenoble. 15 1790-. Sur les études de la médecine et de la chirurgie, l'ad- ministration des hôpitaux et Les moyens d'empécher la mendicitc. - 16 1791— Plan d'éducation médicinale. ce s VINGT-QUATRIÈME SESSION. 163 le dimanche 6, de midi à cinq heures. Il est décidé que l’on se partagera en deux sections pour faire cette az 18 19 20 37 38 1791— Edition du Précis des maladies syphilitiques, de For- , dyce, augmenté de notes et de quelques détails sur l'école de médecine de Grenoble. 1792— Projet d'un plan d'institution élémentaire de l'art de guérir à élablir dans les départements. 1793— Catalogue des substances végétales qui peuvent servir à la nourriture de l'homme et qui se trouvent dans les départements de l'Isère, de la Dréme et des Hautes- Alpes. 1793— Divers mémoires aux sociétés d'agriculture, de mé- decine et des naturalistes à Paris. 1796— Eloge de Liotard, lu à la société des sciences de Gre- noble. 1796— Sur l'utilité de joindre aux actes de décès une notice des maladies qui l'ont précédé. 1797%— Précis du voyage dans les Hautes-A lpes el mémoire sur l'agriculture. 1797— Nouvelle édition du Précis élémentatre de météoro- logie. - 1797— Extrait de l’ouvrage de Fontana sur les poisons. 1797— Mémoire sur une fièvre soporeuse. — Hôpital militaire de Grenoble, 1797— Observations sur le mémoire précédent. 1797— Précis de médecine et de chirurgie à l'usage des étu- diants. 1798— Nolice sur les procédés économiques de Rumfort. 1799— Eloge de l'histoire naturelle. 1799— Notice sur l'agriculture du département de l'Isère. 1799— Sur l'étude et les charmes de la botanique. 1800— Mémoire sur la fièvre épidémique qui régnait à Gre- noble, avec quelques observations sur l'administra- tion de l'hospice de Genève. 1800— Notice sur la vie et les travaux de Chaix. 1800— Observations sur les vices de l’administration de l'hé- Dital militaire. 1800— Mémoire sur le cours du Rhône à Seyssel. 1800— Note contre l'inoculation de la pelile vérole. 1801— Mémoire sur les moyens d'accelérer les progrès de la botanique. 16% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. course, soit au point de vue archéologique et artisti- que, soit au point de vue géologique et industriel. 39 1801— Réflexions sur la vaccine. Villar et Silvy. 40 1801— Même sujet. Villar seul. &1 1801— Discours sur l’histoire naturelle. S 42 1802— Mémoire sur l'établissement d'une école spéciale d'his- toire naturelle. 43 1802— Rapport sur le Dictionnaire des termes de botanique de Mouton-Fontenille. 4% 1804— Discours sur les fausses (héoriesen médecine. 45 1804— Observalions microscopiques. 46 180%— Mémoire sur les bois fossiles trouvés sur les montagnes de Lans, au niveau des glaces actuelles. 47 1804— Sur la topographie, l'histoire naturelle ; statistique sur les animaux et les plantes microscopiques; sang el fibrine. 48 180%— Fièvre cpidémique de la commune de Beaurepaire. 49 1805— Lettre d'adieu aux habitants de Grenoble. 30 1806— Sur la construction el l'usage du microscope. 51 1807— Mémoire comparalif entre le sol, les productions, le climat, l'agriculture de l'Alsace et du Dauphiné. 52 1807— Catalogue méthodique des plantes du jardin de l’école de Strasbourg. 53 1811— Essai de littérature médicale. 54 1812— Précis d'un voyage en Suisse, dans les Grisons, aux sources du Rhin, au Saint-Gothard, au Fésin (Pié- mont), autour du lac Majeur, sur le Simplon, au Valais. 55 ....— Manuscrit volumineux avec dessins sur les observa- tions microscopiques. 56 ....— Notice sur des épingles avaltes (environ 150), guérison. Mémoire de la société des sciences de Strasbourg. 57 ....— 1€ prix et médaille d’or sur le crétinisme. — Société royale de médecine. 58 ....— Observations de météorologie et de botanique sur quel- ques montagnes du Dauphiné, insérées dans le Bulletin de stalistique de Grenoble, L. 1°", pag. 345 (extraites du Journal de physique). Albin Gras avait donné une liste de quelques travaux, mais VINGT-QUATRIÈME SESSION. 165 M. le président annonce pour le lendemain, dimanche 6, à dix heures du matin, une séance de la société française d'archéologie. La séance est levée à cinq heures. QUATRIÈME SÉANCE GÉNÉRALE, 3 septembre 18537. Présidence de M. Giraud, deuxième vice-président général, La séance est ouverte à trois heures. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. Il estrendu compte, par M. le secrétaire général, de la correspondance et des ouvrages offerts au Congrès. M. le président communique une lettre de M. Ch. Read, qui exprime son regret de ne pou- voir se rendre au Congrès, par suite de maladie. celle de M. Gariel était bien autrement complète, j'y ai peu ajouté. ” * Depuis peu, M. Pilot a publié dans le Bulletin de la Société de statistique. de l'Isère, lom. 4, 2° série, une notice sur Villar, d'après des renseignements fournis par sa famille et des docu- ments inédits. 166 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il donne ensuite lecture d’une lettre de M. le président de la société d'agriculture de Grenoble, qui invite les membres du Congrès à honorer de leur présence l’exposition des produits agricoles et horticoles et la distribution des récompenses que décernera la société d'agriculture , le dimanche 43 septembre, à deux heures. Le Congrès décide qu'il assistera en corps à celle solennité. M. de Brive fait hommage au Congrès d'un magnifique album d’archéologie religieuse, que M. Hipp. Malèque , photographe et conducteur des ponts et chaussées, vient d’éditer : Diverses expositions, ajoute M. de Brive, avaient été or- ganisées au Puy, à l’oceasion de la session du Congrès scientifique qui s’y est tenue en 1855. Parmi elles, on re- marqua particulièrement celle d'objets religieux, réunis de tous les points du diocèse, dans une vaste salle dépen- dant de la cathédrale, par les soins d’une commission ec- clésiastique et sous la haute impulsion de Mgr de Morlhon, évêque du Puy. Elle se composait de près de mille pièces, toutes dignes d'attention, ou par leur ancienneté, leur origine, leur singularité, leur richesse, ou parla perfection de leur travail. On y voyait une série nombreuse de vases employés au culte, de reliquaires, de croix de procession ; des vêtements, des tissus, des dentelles; des manuscrits, des émaux, des ivoires sculptés, des tableaux , etc. , etc. Le Congrès se rendit en corps à cette exposition, d’au- tant plus intéressante qu'elle était la réalisation d'une idée YINGT-QUATRIÈME SESSION. 1067 neuve et qui pouvait porter d'heureux fruits. Dans la . séance générale qui suivit cette visite, et après la lectur e du procès-verbal qui en avait été rédigé, divers membres demandèrent qu’il fût fait, sous le patronage du Congrès, un album de l'exposition religieuse du Puy, aux frais duquel il serait pourvu au moyen d’une souscription qu'ils proposèrent d'ouvrir immédiatement. Le Congrès, après avoir entendu plusieurs orateurs, décida que MM. les secrétaires généraux feraient tous leurs efforts, dans la mesure des ressources affectées aux publications du Congrès, pour conserver, soit par la gravure, soitépar la photographie, le meilleur souvenir de cette exhibition. Le budget des recettes du Congrès n’a pas permis aux se crétaires généraux de donner satisfaction à ce vœu. Mais un jeune artiste photographe du Puy a voulu consacrer à cette œuvre les loisirs que lui laisse l'exercice de fonctions qu’il remplit honorablement. . L'album que je vous présente est le résultat des efforts qu’il a faits pour rendre ce travail digne de vous. C’est en effet un des ouvrages les plus beaux qu’ait produits la typo- graphie en province. De format in-folio, il contient 126 pages de texte illustré par des gravures sur bois, et 32 planches photographiées. Les planches, dout les clichés sont dus au talent distingué de M. Malèque, et l'impression à M. Ilauquart Evrard, de Lille, dont la réputation est si célèbre, reproduisent un choix fait parmi les œuvres d'art les plus remarquables qui avaient figuré dans l'exposition religieuse de la cathédrale du Puy. Les gravures du texte, qui servent à la fois à son illustration et à son intelligence, ont été exécutées par M. Camille Robert, du Puy, artiste connu par son habile collaboration à diverses publica- tions de la France et de l'Angleterre. 168 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, Enfin, le texte comprend dans l'introduction un aperçu général de l'exposition, et dans différentes notices sur l'orfévrerie , l'émaillerie, les bronzes, la ferronnerie, les sculptures sur ivoire et sur bois, la peinture, la calligra- phie, les tissus d'étoffes et dentelles au moyen-âge, donne des renseignements ingénieux et inédits qui éclairent l'histoire et la pratique de ces industries artisti- ques du IX° au XVIII siécle. {Une notice descriptive pour chaque sujet photographié complète ce texte dû à M. Aymard, vice-président de la société académique du Puy, correspondant des comités historiques, inspecteur des monuments de la Haute-Loire , etc., etc. , et dont le nom est si honorablement inscrit parmi les géologues et antiquaires de France. Cette œuvre importante n’est donc point une spécula- lion, c'est une œuvre véritablement artistique et scienti- fique. Elle vous appartient en quelque sorte, puisqu'elle doit son existence à un vœu émis par vous dans l’une de vos précédentes sessions; mais elle a besoin de votre ap- pui pour réussir et faire rentrer son éditeur dans les frais relativement considérables qu'il a avancés. Le prix de l'album, richement relié, est de 62 fr. pris aa Puy, et 65 fr. par la poste. M. le président remercie M. de Brive de son intéressante communication. Il le charge de féliciter M. Malëque du travail remarquable et si utile pour l'histoire de l’art en général, auquel il a atta- ché son nom, et en même temps de lui exprimer la reconnaissance du Congrès pour l’hommage qu'il a bien voulu lui faire d’un exemplaire de cet VINGT-QUATRIÈME SESSION. 169 ouvrage. M. le président exprime l’espoir que tous les amis des arts, et spécialement les membres du Congrès pour lequel certe œuvre a été plus par- ticulièrement exécutée, s’empresseront de venir à son aide par leur souscription. Les secrétaires particuliers donnent lecture des procès-verbaux des séances de leurs sections res- pectives. M. Albert du Boys, secrétaire général, fait le récit de l’excursion faite à Sassenage, au point de vue archéologique et artistique. COMPTE-RENDU D'UNE EXCURSION A SASSENAGE. Dimanche 6 septembre, à midi et demi, un grand nom- bre de membres des quatrième et cinquième sections du Congrès sont allés faire une excursion archéologique, historique et pittoresque à Sassenage, accompagnés de M. de Caumont, premier vice-président, et du secrétaire général du Congrès. Nous allôns rendre compte de cette excursion. Pour arriver à Sassenage, en partant du Palais de Justice, siège de notre Congrès, on passe par le Cours, longue allée d'ormeaux et de platanes, tracée jadis par Lesdiguières. Nous avons ensuite pris sur la droite une allée de peupliers, continuation d’une promenade nou- vellement plantée, et appelée Cours Berriat, du nom de l’un des maires qui, dans ces derniers temps, ont con- tribué à embellir la ville de Grenoble. Au bout de cette promenade, on traverse le torrent impétueux du Drac sur 170 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. un pont en chaînes de fer, élégante création de l’indus- trie moderne. Nous ne chercherons pas à décrire le paysage qui entoure ce pont: d’un côté,.les montagnes de la Chartreuse, semblables à des vagues soulevées et déchirées par la tempête; de l’autre, le magnifique lointain des Hautes-Alpes, fuyant à travers une série de cônes, de pyramides, de rochers de toute forme et de toute, grandeur, et se terminant par les crêtes abruptes de l'Obiou ef du Mont-Aiguille. A 4 kilomètres du pont de fer se trouve Sassenage. L'église de ce bourg a été reconstruite à neuf, suivant un plan qui n’a rien de remarquable. Mais on a eu le bon esprit de ne pas refaire le clocher, qui est de la fin du X[e siècle. Ce clocher a sur deux de ses faces trois arcs à plein cintre, et sur les autres faces, deux étages d’arcs du même style. Ces arcs sont surmontés d’une corniche à quatre arceaux dont les retombées correspondent aux vides des pleins cintres. Le toit placé au-dessus de cette construc- tion est une pyramide lourde et écrasée, qui appartient à une époque relativement moderne. Dans l'intérieur de l’église, l’ancienne chapelle des Sassenage élait d’un goût gothique assez pur : elle a été gälée par des encadrements de fenêtres en mauvais style de la renaissance. On remarque dans cette chapelle un marbre noir, nu etsans inscription; c'est derrière ce marbre que reposent les ossements du connétable de Lesdiguières. Ils y ont été apportés, en 1822, des ruines du château d’où ce conné- table a tiré son nom, et qui est situé sur la rive gauche du Drac, dans le département des Hautes-Alpes, à envi- ron deux licues de Corps. La première femme de Lesdi- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 4171 guières avait été une Bérenger ; les Bérenger se prévalurent de cette alliance pour donner une sépulture convenable à des ossements laissés en quelque sorte à l'abandon, sur le sol d'une tourelle à peine fermée. Ceci nous conduit à parler du château de Sassenage, qui est encore la propriété du dernier descendant des Bérengér. Ce château est un peu au-dessous du village. Au XI: siècle, il était à près de trois quarts de lieue au-dessus, sur un mamelon isolé et dans une position très-forte. Au XIV siècle, il descendit à mi-coteau, à l'endroit où sont maintenant les moulins. Au commen- cement du règne de Louis XIIT, il fut reconstruit dans la plaine. Ces déplacements successifs rappellent toute l'histoire de nos révolutions politiques et sociales. L'aspect du château actuel de Sassenage est noble et imposant; l'architecture de cette époque a déjà une partie des caractères qu’elle a gardés pendant tout le XVII® siècle. Au-dessus du frontispice de la porte d'entrée, on voit ciselée sur la pierre la fée Mélusine, moitié femme, moitié couleuvre à deux queues, se baignant la partie inférieure du corps dans une espèce de conque marine, et tenant d’une main l’écu des Sassenage, et de l’autre celui des Bérenger. L'écu de la maison de Sassenage est burelé d'argent et d'azur de dix pièces, au lion de gueules, armé, lam- passé et couronné d’or. Celui de la maison de Bérenger est gironné d’or et de gueules de huit pièces. Les Bérenger et les Sassenage sont issus de deux frères, “Hector et Ismidon , descendants eux-mêmes d’un comte 172 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Arthaud , que Chorier prétend être le même qu’un Ar- thaud, comte de Lyon et de Forez, au X° siècle. Au XI°, Ismidon se trouvait prince souverain de Royans, et Hector de la terre de Sassenage. Ces seigneurs battaient monnaie, créaient des nobles el avaient le droit de guerre privée. Les deux familles se rejoignirent plus tard en une seule par des alliances. Il ne leur manqua aucun genre d'illustration, pas plus celle de la sainteté que celle du courage. Ismidon de Royans fut évêque de Gre- noble, et y est vénéré comme un bienheureux. Les Sassenage et les Bérenger s’allièrent aux premières familles du royaume de France. L'une de ces alliances, celle qu'ils contractèrent avec les Lévy, est exprimée par le blason de cette famille, dont les armes sont écar- telées avec celles des Bérenger et tenues entre les pattes des deux lions sculptés sur le perron du château actuel. J'ai regretté de ne lire ni sur le perron, ni sur le fron- tispice de la porte, cette vieille devise : Si fabula, nobilis illa est. Oui, c'était une noble fable que cette vicille tra- dition adoptée jadis par tout le Graisivaudan, en l’hon- neur de ces Bérenger-Sassenage qui eurent toujours dans leur pays une popularité de si bon aloi. C'était une noble fable que celle qui leur donnait pour ancêtre un de ces êtres magiques, qui pouvait évoquer sur les hommes le bien ou le mal, mais qui sans doute ne dotait jamais les rejetons de sa race que de bonheur ou de vertus. Peut- ètre que cette Mélusine devenue châtelaine de Sassenage avait-soigné dans leurs maladies et leurs infirmités les pauvres habitants des hameaux de sa seigneurie; elle leur avait donné les remèdes qui soulagent ou qui guérissent, et Sa science médicale aura été traitée de magie par l'i- gnorance (le ces temps reculés. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 173 Quoi qu’il en soit, la tradition porte que Mélusine, surprise par son mari dans la honteuse métamorphose qu’elle était obligée de subir une fois par semaine, s’é- lança d'un bond de la grande tour du vieux château jusque dans la caverne qui est de l’autre côté du Furon (1). Là, on la chercha en vain dans le labyrinthe que forment les grottes sinueuses et coupées de distance en distance par des ruisseaux, des cascades, des précipices dont l’œil n'ose sonder.la profondeur. Depuis ce temps, elle ne se mêla plus aux mortels, et put baigner à l'aise ses queues de couleuvre dans les retraites humides qu’elle avait choisies, sans crainte d’être jamais troublée par un œil indiscret. Elle ne révéla plus au grand jour son existence mystérieuse; seulement, elle a encore coutume de jeter des cris funèbres, au milieu du fracas des vagues du Furon, trois jours avant la mort des Bérenger. On voit même alors, la nuit, son blanc fantôme apparaître dans les rochers, et montrer du doigt le château de ses descen- dans. Mais il faut ici laisser les rêves fantastiques pour les réalités, et nous n’aurons pas à y perdre. L'intérieur du château, qui a été montré avec beaucoup d’obligeance aux membres du Congrès par les châtelains actuels, a de beaux et grands appartements, décorés avec une noble simplicité. L'escalier, par sa balustrade un peu massive, rappelle bien l'architecture du commencement de Louis XIII. On fait voir une chambre que ce roi a occupée. Plusieurs tableaux très-remarquables ornent le salon. Le plus beau de tous, qui représente les quatre évangé- listes, est de Murillo et semble appartenir à sa meil- (1) Nom du ruisseau de Sassenage. 174 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. leure manière; c'est sa touche forte et vigoureuse, sa couleur harmonieuse et pure. On y sent, enfin, cette vie puissante, ce soufile créateur qui accuse le génie. Après ce beau tableau, on peut encore citer deux excel- lents paysages de l’école du Poussin. Dans les appartements d'en haut, les murs sont recou- verts par des tapisseries des vieux Gobelins. On y voit des figures admirablement dessinées, et des paysages dont le coloris a conservé sa fraicheur première. Dans la chapelle, on remarque un vieux portrait de saint Ismidon, et au-dessus de l'autel, une Vierge dont l'expression a quelque chose de très-délicat et de profon- dément religieux. Il nous a fallu ensuite traverser une seconde fois le village de Sassenage, pour monter aux grottes. Après être sorti du village, on rencontre un de ces paysages où la nature semble avoir affecté la plus minutieuse perfec- tion des détails. Tout y est gracieux, riant, pittoresque. Un aqueduc qui passe sur un arceau revêtu de lierre encadre délicieusement le premier plan du tableau. Sur ia droite, on aperçoit des usines, des prises d’eau, des moulins et des chaumiêres étagées et admirablement groupées sur une pente rapide ; puis, dans le lointain, la gorge qui remonte et fuit derrière l’aqueduc. En grim- pant le long du sentier escarpé qui mène aux grottes, ce sont à tout moment des paysages, des tableaux qui se renouvellent avec une inépuisable variété. Ici, c’est le Furon qui se précipite en cascades bruyantes au milieu d'énormes blocs de rochers; là, c'est la grande chaine des Alpes, de Taillefer et de Belledonne, qui se déploie avec magnificence au-delà des pittoresques fortifications de la Bastille et de Rabot. Tout-à-coup on est arrêté par VINGT-QUATRIÈME ‘SESSION. 175 un ruisseau latéral qui se précipite dans le Furon. Ce ruisseau, qui est d’un volume très-considérable au prin- temps, sort Comme par enchantement des entrailles de Ja montagne et se fait jour sous un sombre péristyle de ro- chers que l’on voit sur la gauche. On monte encore quelques pas, et, après un petit circuit, on peut parcourir ce péristyle, s’enfoncer dans-les grandes grottes et dans le Four des Fées ; il semble qu’on entre dans ces espèces de temples souterrains où les anciens poètes placaient les demeures des fleuves déifiés. À mesure que l’on pénètre dans ces cavernes mystérieuses, on entend de nombreux ruisseaux se croiser, se choquer et se perdre en murmu- rant dans des abîmes sans fond. On cesse de s'étonner alors que cet antre magique soit, d’après les traditions du moyen-àge, la demeure d’une fée, être amphibie et sur- naturel que l’on craint et que l'on vénère. À l'entrée même de la grotte, sur la droite, on voit ce qu'on appelle les Cuves; ce sont deux excavations natu- relles, en forme de cône renversé, remplies d’eau au printemps (1), mais aujourd’hui complétement à sec. La fée Mélusine ne pourrait pas y prendre ses bains habituels. Au retour de notre course, nous avons changé de che- min, et nous avons traversé la grande allée des Balmes. Là, des ormeaux, des frênes et des peupliers gigantes- ques semblent s’efforcer de surmonter des murs de ro- chers perpendiculaires et à pic, qui ont jusqu'à environ trois cents pieds de hauteur. Les parois des rochers eux- mêmes sont tapissées de lierres plus que séculaires, et de distance en distance, on y voit des grottes nombreuses. (1) Quand il n’y a pas d'eau au printemps, c'est, dit-on, un signe de stérilité. 176 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il y avait hier, dans cette ailée même, une de ces fêtes de village qu’on appelle voqgues en ce pays. Nos collègues ont remarqué que la foule attirée par cette fête paraissait selivrer vivement au plaisir, sans être bruyante ni tumul- tueuse. La gaité n'y était mêlée ni de grossièreté, ni d'ivresse; cà et là, des familles se groupaient sur l'herbe, ou autour d’un énorme tronc d'arbre qui leur servait à la fois de siége et de table, et elles y faisaient un modeste repas. Enfin, l'orchestre champêtre qui conduisait les danses dans la prairie voisine, et dont on entendait les sons dans le lointain, achevait de donner à ce site, un pen sauvage et un peu mélancolique quand il est solitaire, une physionomie riante et animée. Des observations ont été faites par quelques-uns d’entre nous sur le degré relatif de luxe des habitants et des ha- bitantes de nos contrées, sur leur tenue, leur extérieur et le type de leurs figures. C’est ainsi que des études ethnographiques ont pu cou- ronner une journée consacrée à des études pittoresques, artistiques et architecturales. Ce compte-rendu, peut-être trop détaillé, aura du moins servi à vous prouver, Messieurs, que si les sections d'archéologie et de littérature n’ont pas tenu leur séance du dimanche au lieu ordinaire de leurs réunions, elles n'ont pourtant pas tout à fait perdu leur temps. ; Après ce récit, M. Dubeux, procureur général à la cour impériale d'Aix , fait remarquer que dans l’église de Sassenage, où ont été déposés les osse- ments du connétable de Lesdiguières , aucun signe apparent n’apprend au voyageur que les restes de ce VINGT-QUATRIÈME SESSION. 177 grand homme reposent dans cet endroit ; il émet le vœu qu’une inscription : Ici repose le connétable de Lesdiquières , soit mise sur le marbre qui recou- vre les ossements de l’une des plus grandes illus- trations du Dauphiné et même de la France. Le Congrès, par l'organe de son président, s'associe au vœu exprimé par M. Dubeux. M. Lory, professeur à la faculté des sciences de Grenoble, secrétaire général adjoint , rend ensuite compte de l’excursion faite à Sassenage , au point de vue géologique et industriel. COMPTE-RENDU DE L'EXCURSION À SASSENAGE AU POINT DE VUE SCIENTIFIQUE. MESSIEURS , Pendant que nos confrères des sections d'archéologie et de littérature faisaient l’excursion qui vient de vous être racontée avec tant de charme, un assez grand nom- bre de membres de la section des sciences naturelles et de celle d'agriculture et industrie ont bien voulu me prendre pour guide pour faire la même promenade à pied, et étudier ce point de nos environs sous des rap- ports moins attrayants sans doute, mais d’un intérêt non moins grand. J’ai besoin de toute votre indulgence pour excuser l’aridité des détails dans lesquels je vais être forcé d'entrer , en me conformant à la mission de rappor- teur, que me rendra du reste plus facile la netteté des observations recueillies et des apercus émis, pendant cette excursion, par plusieurs de mes savants confrères. De Grenoble au pont suspendu sur lequel on passe le 1: 42 175 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Drac, et au-delà de ce pont jusqu’au pied des Balmes de Fontaine, on traverse une plaine d'alluvions modernes, dans laquelle le Drac, même à des époques très-rappro- chées de nous, a promené ses divagations et étendu ses graviers et ses cailloux roulés. Toute cette partie de la plaine de Grenoble a été formée par les alluvions de ce torrent, et elle est plus élevée que la ville et les autres parties de la plaine formées des allu- vions de l'Isère. Contenu aujourd'hui entre des digues puissantes , le Drac exhausse incessamment son lit et il est une menace perpétuellement suspendue sur Grenoble et ses environs ; des désastres récents nous ont montré , à plusieurs reprises, les terribles conséquences de la rup- ture des digues, lors des crues extrêmement rapides de cette rivière. De la rive gauche du Drac, pour atteindre le pied de la montagne, on suit une belle avenue plantée d’ormes, d’un kilomètre de longueur, et on arrive à l’origine des Balmes de Fontaine, à la maison Badon. De ce point au village de Fontaine, c’est-à-dire sur près de deux kilomètres, les roches calcaires se termi- nent, au bord de la plaine, par des escarpements verti- caux (ou balmes, dans le langage des montagnes) qui ont, en moyenne, près de cent mètres d'élévation. Cette cou- pure abrupte est à peu près perpendiculaire à la direction générale des chaînes; l'exposition, pour les différentes parties des Balmes, varie du nord au nord-est. Durant toute la belle saison , elles recoivent les premiers rayons du soleil levant, maïs elles se trouvent dans l’ombre de bonne heure. Cette circonstance , et l'abondance de sour- ces vives qui sortent au niveau de la plaine, comme nous le verrons tout à l'heure, entretiennent au pied de ces ; VINGT-QUATRIÈME SESSION. 179 rochers une fraicheur perpétuelle , et favorisent le déve- loppement d’une végétation luxuriante. Une belle planta- tion d'arbres de haute futaie, dont les tiges élancées vont chercher la lumière, en rivalisant de hauteur avec les escarpements à l'ombre desquels ils ont crû , forme, le long de la première partie des Balmes, dans l'enceinte de la propriété Badon, une des plus délicieuses prome- nades que l’on puisse rencontrer. Elle est d’ailleurs inté- ressante sous plus d’un rapport; c’est la localité classique où nos botanistes du Dauphiné vont cueillir, au prin- temps, ces plantes charmantes et délicates, propres aux lieux frais et ombragés, qui sont partout au nombre des buts les plus attrayants de l’herborisation. La saison trop avancée ne nous à pas permis de jouir de cet agrément botanique de la promenade des Balmes; mais il nous restait encore des sujets d'étude d’un plus grand intérêt, dans la constitution géologique de ces escarpements. Ils sont formés par des couches, sensiblement horizon- tales, d’un calcaire blanchâtre, à pâte fine, très-dur et très-compacte, un peu siliceux et contenant une grande quantité de rognons et de bandes de silex, alignés paral- lèlement aux couches. Ces silex, blonds ou bruns, à cas- sure esquilleuse, se fondent insensiblement, à l’exté- rieur, avec le calcaire dans lequel ils sont solidement empâtés : ils sont plus ou moins abondants, selon les dif- férentes couches ; à différents niveaux il y a des lits qui en sont presque entièrement formés. La stratification est très-régulière ; les couches ont des épaisseurs, à peu près uniformes, de 45 à 25 centimètres, rarement plus. Comme d’ailleurs elles sont toutes également dures et ne sont pas séparées par des feuillets marneux, elles semblent, au premier coup d'œil, ne former qu'une seule et même 180 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. masse; etles enduits formés sur leur tranche verticale par les eaux et par les lichens masquent un peu, sur di- vers points, la netteté réelle de la stratification. Il n'y a pas longtemps que nous savons à quoi nous en tenir sur la classification de ces roches , dans la série géo- logique des terrains. Elles étaient rangées vaguement parmi les terrains crétacés et désignées sous le nom de calcaires de l'étage du grès vert, sans que l’on sût au juste à quelle partie de la série crétacée classique du bas- sin de Paris il convenait de les assimiler. C’est qu’en effet on n'y trouve aucun fossile, aucune de ces médailles déposées par la nature dans les assises du sol et à l’aide desquelles nous pouvons reconnaître les époques relatives de chacune d'elles. Mais en examinant attentivement la superposition de ces couches à d’autres dépôts que nous allons rencontrer plus loin; en retrouvant la même suc- cession de roches, superposées en autant d'étages dis- tincts, de l’autre côté de l'Isère, à Saint-Egrève , et Les suivant de proche en proche jusqu’au centre des forêts de la Grande Chartreuse, on voit que ces calcaires durs et compactes, sans fossiles, sont remplacés, en partie, par s des couches plus tendres, presque crayeuses, et où l'on trouve les fossiles bien connus de la craie proprement dite, de la craie blanche de Meudon et autres points classiques du bassin parisien : Belemnites mucronatus, Lam.; Ananchytes ovata, id.; Micraster cordatus, Ag. , etces plaques fibreuses, fragments de:test de Catillus Cuvieri, Sow. À mesure que l’on avance vers le nord , cet ensem- ble de couches, formant toujours l'étage le plus élevé de la série des terrains crétacés, devient moins épais et plus crayeux , plus riche en fossiles ; en le suivant ainsi de proche en proche, on peut s'assurer qu'il est le prolonge- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 181 ment direct des couches crayeuses de la vallée d'Entre- mont én Savoie, découvertes et étudiées depuis une dou: zaine d'années par MM. Chamousset, Dumont, et nos savants confrères M. Louis Pillet et M. l'abbé Valet, que nous avions le précieux avantage de compter parmi nous dans cette excursion. | Ainsi l’âge géologique des calcaires blancs à silex des Balmes de Fontaine ne paraît plus douteux aujourd'hui; ils sont le prolongement des couches crayeuses de la Chartreuse et d'Entremont, qui contiennent les fossiles caractéristiques de la craie blanche du bassin de Paris; ils appartiennent donc au même étage que cette dernière. C'est de la craie blanche durcie et sans fossiles, mais rap- pelant encore, sous divers rapports, la craie du nord de la France, surtout par l'abondance des silex, disposés en lits horizontaux. Les hautes falaises formées par ces calcaires sont dé: coupées, du haut en bas, par des fentes multipliées , gé- néralement étroites, mais s’élargissant en quelques points et donnant lieu à des grottes et à de curieux accidents. Les eaux du plateau de Vouillant s'infiltrent dans ces fen- tes, jusqu’au niveau des alluvions de la plaine, et, arrêtées par le sous-sol argileux de celles-ci, qui a obstrué dans le bas les fentes du calcaire, elles ressortent, au pied des Balmes , en sources toujours fraîches et limpides. Dans toute cette première partie des Balmes, située dans l'enceinte de la propriété Badon, les caractères géo- logiques des roches sont ceux que nous venons de décrire, et les couches restent sensiblement horizontales. Mais en avançcant vers Fontaine, on voit bientôt ces couches se relever avec une inclinaison croissante ; et, à leur base, le long de la plaine, apparaissent successivement des assises 182 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de plus en plus inférieures. Pendant quelque temps en- core, ce sont des roches à peu près semblables, des cal- caires durs, blancs ou jaunâtres, avec rognons de silex, que l'on peut encore rapporter à la craié supérieure ; on les exploite dans quelques petites carrières comme moel- lons et même comme pierres à chaux grasse. Mais aux abords du village de Fontaine, on voit apparaître une série de couches évidemment différente; ce sont celles dans lesquelles sont ouvertes plusieurs carrières impor- tantes, d’où l’on tire les pavés de la ville de Grenoble et de grandes pierres plates, ou lauxes, d’un très-bon usage. Ici les rognons de silex disparaissent à peu près complè- tement; le calcaire est en général plus grenu ; il con- tient une proportion variable de silice, soit très-divisée, soil en grains de sable quartzeux bien discernables; et presque toujours aussi un grand nombre de ces petits grains verts de silicate ferrugineux, improprement appelé chlorite, d'où le nom de craie chloritée appliqué à cette partie inférieure du terrain de la craie. Les lits sont tou- jours minces et très-réguliers. Quelques-uns très-sableux sont de véritables grès à ciment calcaire ; ils fournissent les meilleurs pavés. D’autres, surtout dans les assises les plus inférieures, contiennent de la silice très-divisée, dans une proportion de 45 à 20 p. ‘, et donnent de bonne chaux hydraulique ; nous les retrouverons exploités dans ce but aux Côtes de Sassenage. La craie inférieure, dans les carrières de Fontaine, est à peu près aussi pauvre en fossiles que la craie supérieure. Cependant nous y avons rencontré quelques empreintes d'inocérames, des hamites et ammonites indétermina- bles, et une bélemnite qui se rapproche, par la forme générale, du Belemnaites mucronatus, mais qui est trop YINGT-QUATRIÈME SESSION. 153 mal conservée pour être désignée par un nom spécifique. Cette rareté extrême de fossiles reconnaissables dans les lauzes de Fontaine a laissé longtemps douteuse la déter- mination précise de leur âge géologique; mais en les suivant de proche en proche vers le midi, près du Villard de Lans, on les voit reposer sur la craie verte sablonneuse de la Fauge: ét des bords de la Bourne, qui contient en abondance les fossiles de la craie chloritée inférieure, ceux de la craie chloritée de Rouen. Cette partie inférieure de la craie du Villard de Lans manque à Fontaine, où on ne trouve que les lauzes que nous venons de décrire, et dans les montagnes de la Chartreuse, où les lauzes sont en partie remplacées par des calcaires blanchâtres ou gris, crayeux , avec empreintes d'enocérames, qui répondent parfaitement à la partie supérieure de la craie chloritée du bassin parisien. Tout incomplète qu’elle est, la série des couches de la craie inférieure, dans les carrières de Fontaine, atteint au moins une centaine de mètres d'épaisseur. Elle se termine, à sa base, par une assise de calcaires siliceux, grisâtres, en bancs minces, propres à faire de la chaux hydraulique. Si on quitte la dernière carrière pour descendre dans le clos appartenant à M. Michal, à Fon- taine, on voit ces couches reposer sur uue petite assise de grès de trois à quatre mètres d'épaisseur; ces grès re- présentent, d’une manière rudimentaire, la craie sableuse inférieure du Villard de Lans. À leur tour, ils sont suivis d’une petite couche toute particulière, qui n'a que deux à trois décimètres d'épaisseur, mais qui est extrêmement intéressante : elle a l'aspect d’un conglomérat grossier, formés de sables et de débris roulés, irrégulièrement ar- rondis, d’un brun verdâtre. En examinant attentivement - 184 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ces noyaux qui forment au moins la moitié du volume de la couche, on reconnaît qu’ils ne sont autre chose que des moules de fossiles, brisés et usés par le transport dans les eaux ; on peut même encore reconnaître quelques-uns de ces moules et voir qu'ils se rapportent à des espèces caractérisques de l'étage du gault. Si on fait l'analyse chimique de ces débris roulés, on trouve qu'ils sont for- més essentiellement de phosphate de chaux, avec un mé- lange, en proportions variables, de calcaire, de sable et de silicates ferrugineux. Les caractères de cette couche sont ceux du gault proprement dit, dans les localités, voisines de nous, où ce dépôt est bien développé e! riche en fossiles, par exemple, à la Perte du Rhône, à Escragnolles (Var), etc., et plus près encore, à Rencurel et au Villard de Lans, à quatre lieues seulement de Fontaine. Dans ces stations classi- ques, on trouve une variété extrême de fossiles, à l’état de moules bien conservés, formés essentiellement de phosphate de chaux, comme les débris roulés de la loca- lité que nous examinons; et on peut supposer que ceux- ci sont bien réellement des fossiles semblables, brisés et usés par le transport, par le mouvement des vagues, sur la plage où le dépôt du gault venait expirer, au bord de l'emplacement actuel des Alpes centrales, déjà émergé. C’est un fait bien intéressant que l'existence constante du phosphate de chaux dans cet horizon géologique du gault, si reconnaissable, d’ailleurs, par ses fossiles tou- jours nombreux et identiques. En Angleterre et dans l’est de la France, depuis Boulogne jusque dans le Jura, Île gault est le plus souvent à l’état de sable vert peu consis- tant, etle phosphate de chaux y forme des nodules dissé- minés, d'une teinte brune ou grisâtre, empâtant une 0 YINGT-QUATRIÈME SESSION. 185 énorme quantité de coquilles fossiles, des écailles et dents de poissons, etc. Par ces formes tordues ou mamelonnées que présentent ces concrétions, par leur structure et leur composition chimique , on peut reconnaître qu'elles ne sont autre chose quedescoprolithes, c'est-à-dire des excré- . ments fossiles de grands poissons ou de reptiles marins. Dans le bassin du Rhône, le phosphate de chaux qui a moulé les coquilles du gault a probablement une origine semblable ; seulement, le dépôt étant généralement assez grossier, graveleux, on doit admettre qu'il a été formé dans des eaux plus agitées que les marnes et sables fins du gault de l'Angleterre et du bassin de Paris; on conçoit alors que le phosphate de chaux a dû être en partie délayé par l'agitation des eaux avant sa consolidation et qu'il n'est resté, en général, que dans l’intérieur des coquilles, où il s’est trouvé garanti contre cet effet. On s’explique- rait ainsi pourquoi le phosphate de chaux ne forme pas ici des nodules, des coprolithes, mais seulement des moules de fossiles empâtés dans un dépôt sableux, qui contient lui-même un peu de phosphate de chaux dissé- miné. D'ailleurs cette fossilisation des coquilles par le phosphate de chaux ne se serait pas produite partout sur le fond de la mer; elle se serait faite sur des points parti- culiers, où vivaient en grande abondance etles coquilles et . les grands poissons cartilagineux qui les avalaient. Sur ces points, on trouve des moules de fossiles entiers, bien conser- vés ; c’est le cas à la Perte du Rhône et dans nos environs du Villard de Lans. Sur d’autres points, on trouve ces moules de fossiles transportés et remaniés après leur consolidation; ils sont alors plus ou moins roulés et usés par letransport, ils finissent même par n'être plus que des graviers mécon- naissables: c’estl’état danslequelnousles voyons à Fontaine. - 186 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ® Ils peuvent même avoir été remaniés et transportés dans un dépôt plus récent, dans les couches inférieures de la craie par exemple, et c’est ainsi que nous trouvons souvent des concrétions phosphatées dans celles-ci. A Clansayes (Drôme), près Saint-Paul-Trois-Châteaux , les fossiles du gault se rencontrent à l’état de moules phos- phatés, très-durs, disséminés dans des sables qui forment la base du terrain de craie ; ils y sont évidemment rema- niés , à l’état de graviers roulés; mais à cause de leur ex- trème dureté, ils sont souvent à peine usés, et même con- servés d’une manière très-satisfaisante. Le phosphate de chaux est, comme tout le monde le sait, un des éléments les plus précieux des engrais; il donne, en agriculture , une valeur exceptionelle aux os pulvérisés, au noir animal des raffineries , dont il est le principe le plus abondant. Les nodules phosphatés du gault sont exploités, depuis longtemps déjà, en Angle- terre, et ils commencent à l'être dans le nord de la France. Si l’on n’est pas encore parfaitement fixé sur leur mode d'emploi le plus avantageux, personne ne révoque en doute les services considérables qu'ils sont destinés à ren- dre à l’agriculture. Quoique, dans notre gault du bassin du Rhône, et par exemple dans la petite couche de Fon- taine , le phosphate de chaux soit moins facile à extraire et à trier que dans le grès vert du nord , on peut prédire qu'un jour, et très-prochainement peut-être, cette couche sera exploitée et recherchée avec soin sur tous les points où on peut la rencontrer; le phosphate de chaux de nos environs pourra rendre des services notables à l'agricul- ture dans les sols siliceux des Terres-Froides et de la plaine de Bièvre, comme le noir des raflineries a changé la face des cultures dans les sols siliceux de l'ouest de la France. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 187 Veuillez me pardonver, Messieurs, cette digression sur un des sujets les plus intéressants de nos observations ; je reviens à l’exposé pur et simple des faits. L'affleurement de la petite couche du gault dont nous venons d'étudier les caractères, se montre, comme je l'ai dit plus haut, dans le clos Michal, en dessous de la der- nière carrière de lauzes. En continuant à suivre le pied de la montagne, les couches étant toujours redressées dans le même sens, nous rencontrons de nouvelles assises, de plus en plus inférieures. D'abord , une assise de quel- ques mètres d'épaisseur seulement, constituée par des couches minces de calcaire sableux, roussätre, dont la cassure offre beaucoup de lamelles miroitantes et qui est formé principalement de débris d’encrines et de piquants d'oursins, de petites térébratules et autres coquilles bri- sées. Ces couches coquillières , véritables lumachelles, paraissent en liaison intime avec les précédentes et nous les avons considérées ccomme une assise inférieure de l’é- tage du gault. Il est peu facile de les bien étudier dans la localité qui nous occupe, parce qu’elles sont recouver- tes de broussailles; mais sur plusieurs autres points de nos environs, on retrouve le prolongement de ces couches bien mieux à découvert, par exemple, dans la carrière de Rochepleine, à Saint-Egrève, ou sur les balmes de Clémentière , entre Sassenage et Noyarey. Dans ces loca- lités, comme à Fontaine, dans le clos Michal, on voit cette assise de lumachelles, en couches minces et médio- crement consistantes, reposer immédiatement sur une énorme masse de calcaire compacte, d'un blanc jaunâtre, qui forme immédiatement de grandes roches abruptes : c'est le calcaire néocomien supérieur, désigné communé- ment dans ce pays sous le nom de calcaire de Sassenage. 188 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Cette roche est constamment en bancs épais, unifor- mément compactes et dont les joints sont souvent peu dis- tincts au premier coup-d’œil. Elle offre ainsi un contraste frappant avec les assises que nous venons d'examiner, et il est facile de reconnaître, même de loin, la limite de ces deux groupes de couches. Nous avons rencontré abon- damment, dans le calcaire néocomien supérieur, ces co- quilles fossiles contournées, connues sous lesnoms de Ca- protina ammonia, d'Orb., Caprotina lonsdalii (id.), etc. qui font souvent désigner ce calcaire sous le nom de calcaire à caprotines; mais ces fossiles y sont tellement empâtés qu’il est impossible de les détacher et on ne les reconnaît que par les dessins sinueux qu’ils forment dans la cassure de la roche. Toutefois, après les premières assises du calcaire blanc compacte , ayant une épaisseur totale de 50 mètres environ, nous avons remarqué une couche grisâtre, moins dure, dont le plan est à découvert sur une assez grande étendue, et nous avons pu recueillir, avec les caprotines, le Pterocera pelagi Brongn., Pygaulus depressus Ag. et des Orbitolines ( O0. conoidea Alb. Gras.), petits fossiles de forme lenticulaire, qui ne sont pas moins caractéristiques de l'étage néocomien supérieur que les caprotines elles-mêmes. Le calcaire compacte à caprotines, ou calcaire de Sassenage , forme une série de couches d’une puissance énorme, dont l'épaisseur totale est de plusieurs centaines de mètres et que nous avons continué de suivre depuis le clos Michal, à Fontaine, jusqu’au bourg de Sassenage. Il conserve, dans tout ce trajet, sur toute l'épaisseur de l'étage , ses caractères de calcaire à peu près pur d’un blanc jaunâtre, très-dur et très-compacte. On l’exploite sur plusieurs points, comme pierre de taille et pierre à YINGT-QUATRIÈME SESSION. 189 chaux grasse. Ses couches se relevant fortement entre Fontaine et Sassenage , forment une grande roche abrup- te, sur plusieurs centaines de mètres d'élévation, où se dessine avec une netteté admirable la courbure des cou- ches soulevées, comme nous avons essayé de la représen- ter dans le profil géologique que je mets sous vos yeux. En face du bourg de Sassenage, on voit que la base de ces roches abruptes se relève à une assez grande hauteur au-dessus de la plaine ; au-dessous d'elles commence un talus boisé, où nous avons constaté l'existence d'assises marneuses, inférieures aux calcaires à caprotines, et ap- partenant à l'étage néocomien inférieur. Dans ces marnes, d’un gris bleuâtre, qui se délitent peu à peu par zônes concentriques, nous avons rencontré plusieurs exemplai- res de l’oursin éminemment caractéristique de cette partie du terrain néocomien, le Spatangus retusus Lam., ou Toxaster complanatus Ag. Ainsi, depuis le commence- ment des Balmes jusqu’à Sassenage , nous avons traversé successivement cinq étages superposés dans l’ordre sui- vant : craie supérieure ou craie blanche, craie inférieure ou chloritée, gault, étage néocomien supérieur ou cal- caire à caprotines, étage néocomien inférieur, du moins les marnes à Spatangus retusus qui en sont la première assise. En passant ainsi le long de la montagne , derrière le bourg, nous rejoignons nos savants confrères des sections littéraires sur le chemin des grottes ou Cuves de Sassenage, non moins intéressantes pour le géologue que pour l'artiste. Dès que l'on arrive sur ce chemin, au bord de la gorge où le Furon jaillit en cascades multipliées , on s’apercoit, non sans quelque surprise, que l’on a changé de terrain et que l’on se retrouve sur des calcaires durs , en couches 490 coNGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. minces, remplis de silex, exactement semblables à ceux des Balmes de Fontaine, en un mot sur la craie supé- rieure. Tout l’encaissement du Furon est formé par ces couches, qui montent, avec une faible inclinaison, vers le nord-ouest; elles semblent ainsi placées sur le prolon- gement des dernières couches néocomiennes que nous venons de quitter, des marnes à spatangues. Evidemment, il faut admettre que ces deux ensembles de couches bu- tent l’un contre l’autre, par leurs tranches, à la partie inférieure de la montée du chemin des Cuves. En arrivant à l'entrée des grottes, d’où jaillissent impé- tueusement les belles sources de Sassenage , on reconnaît aisément que ces voûtes sont creusées dans les couches à peu près horizontales de la craie à silex, qui forme encore au-dessus un massif de plus de cinquante mètres d’éléva- tion. Cependant ce massif de craie ne peut pas avoir une grande profondeur dans le sens horizontal; car il est do- miné par d’autres roches abruptes , situées sur un plan vertical très-peu différent, et celles-ci sont la continua- tion de la grande masse des calcaires à caprotines, que nous avons décrits ci-dessus. Ainsi, le rocher des Cuves et les roches qui encaissent le Furon, ne sont qu'un lambeau de craie supérieure, de craie à silex, plaqué en avant de la coupure verticale des calcaires néocomiens qui les domi- nent ; tandis que les couches de craie à silex des Balmes de Fontaine, superposées à l’ensemble de la craie inférieure, du gault, du terrain néocomien , ont suivi le soulèvement général de ceux-ci et forment le couronnement de la mon- tagne , à plus de six cents mètres au-dessus de leurs cor- respondantes des Cuves. Evidemment nous rencontrons ici un exemple grandiose de ces dislocations que l'on désigne, en géologie, sous le nom de failles et dans lesquelles deux YINGT-QUATRIÈME SESSION. 194 lambeaux du sol, disjoints par une fissure verticale d'une profondeur indéfinie, ont glissé l’un contre l’autre, de manière que leurs couches ne se correspondent plus et butent par leurs tranches, les unes contre les autres. Ici, par suite de ce mouvement, la craie à silex des Cuves, partie supérieure des terrains crétacés, bute contre le cal: caire à caprotines et les marnes à spatanques du terrain néocomien , partie inférieure de ces mêmes terrains; et la dislocation , le glissement relatif des deux lambeaux de : la montagne ont eu lieu précisément suivant ce plan ver- tical de la coupure abrupte des roches néocomiennes , en avant duquel le massif des Cuves ne forme qu’un très- mince placage. Un très-grand intérêt s'attache à la constatation de cet accident géologique ; car, il est évident que c’est de cette fracture intérieure , de cette faille, que jaillissent, avec une vitesse acquise si considérable , les eaux des sources de Sassenage. Les variations de volume de ces sour- ces, les époques et les durées de leurs crues sont complétement indépendantes de celles de la rivière du Furon , à laquelle elles viennent se joindre. On ne saurait donc considérer ces sources, ainsi qu’on l’a fait quelque- fois, comme provenant d’une dérivation souterraine d’une partie des eaux du Furon, en quelque point des gorges d'Engins. Mais si l’on suit avee attention la trace de la dislocation , ou faille, dont nous venons d'établir l’exis- tence, on voit que cette fracture du sol se continue vers le sud-ouest, puis en tournant au sud-sud-ouest dans la direction d’un point coté 990 sur la carte de l'état-major. Elle passe ainsi à mi-côte sur le versant occidental de la montagne, dans une direction à peu près parallèle à celle du Furon. L'existence de la faille ne se manifeste ici 192 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. que par son caractère géologique, par la discontinuité et le défaut de correspondance des couches du sol, des deux côtés de cette ligne; elle tend du reste à devenir de moins en moins marquée et paraît cesser complétement à environ deux kilomètres de Sassenage, un peu avant le point coté 990. Malgré son peu d’étendue en longueur, cette fracture est évidemment la tranchée naturelle où se ras- semblent les eaux qui forment les sources. En effet, la montagne de Sassenage se termine supérieurement par un large plateau qui s'étend vers le sud jusqu’au village de Saint-Nizier ; le sol de ce plateau, couvert d’une grande quantité de blocs erratiques des grandes Alpes, est formé soit par les couches fendillées de la craie à silex, soit par un dépôt de mollasse et de poudingues tertiaires qui les recouvre à Saint-Nizier. Ce sol, éminemment per- méable, boit les eaux pluviales; et l’inflexion des couches, qui forment, sous St-Nizier, une gouttière concave dans la direction même de la faille supposée prolongée, concentre naturellement ces eaux à l’origine de cette fracture. Elles s’y engouffrent, la suivent, descendent à mesure qu'elle s'approfondit, et arrivent ainsi au niveau des grottes. À ce niveau, comme nous l'avons vu, le calcaire néocomien supérieur, qui forme le bord oriental de la faille, repose sur les marnes à spatanques , première as- sise de l'étage néocomien inférieur ; ces couches peu con- sistantes ont dû s’ébouler dans la faille et y former un fond : marneux imperméable. Dès lors les eaux, arrêtées dans . leur chute, se sont frayé des passages à travers les roches fendillées de la craie, formant l’autre bord de la faille ; de là l'ouverture des grottes, sorte de robinet latéral, par lequeljaillissent les eaux amassées dans la faille et rete- nues inférieurement au niveau des marnes néocomiennes. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 193 L'origine des sources de Sassenage me paraissait depuis longtemps susceptible d’être expliquée ainsi d’une ma- nière analogue à celle de plusieurs grandes sources bien connues, telles que les sources de la Loue et du Lizon, dans le département du Doubs, et de plusieurs autres ri- vières du Jura. Je suis heureux d’avoir pu soumettre cette explication à l'appréciation de mes savants confrères, et la faveur avec laquelle ils ont bien voulu l’accueillir m’en- courage à la reproduire dans ce compte-rendu. Avant de quitter les grottes de Sassenage, rappelons ce que nous avons dit plus haut, que le massif où elles sont ouvertes est de la craie à silex, entièrement semblable à celle qui forme les balmes de Fontaine. Nous n’y avons aperçu aucun fossile; mais à une époque déjà bien éloi- gnée de nous, si nous considérons les progrès que la géo- logie a faits depuis, Faujas de Saint-Fonds a visité et dé- crit avec beaucoup de détails l’intérieur de ces grottes, et il signale sur un point l'existence de trois bélemnites incrustées dans la pierre (1).Ces bélemnites appartiennent, on ne peut guère en douter, à l'espèce Belemnites mu- cronatus Lam. , caractéristique de la craie supérieure, dans les montagnes de la Chartreuse comme dans le bassin de Paris. Des grottes, nous sommes descendus dans le lit du Fu- ron, encaissé profondément dans ces mêmes calcaires à silex; et, remontant sur la rive opposée, nous nous sommes trouvés sur le plateau des Côtes de Sassenage. Dans cette partie , en face des groties, la surface de ce plateau est formée par les couches supérieures de la craie à silex; et même, en revenant d’une centaine de pas sur le chemin (1) Hist. nat. de la province du Dauphiné, t, 1, p.273. I 13 194 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. qui descend au bourg de Sassenage, nous avons observé un petit lambeau de poudingue tertiaire qui recouvre en- core la craie sur un espace de quelques mètres carrés. Ce poudingue, qui appartient au terrain de la mollasse ma- rine, est identique avec celui qui recouvre de même la craie à silex sur le plateau de Saint-Nizier; ce sont deux lambeaux d’une même couche, disjoints et placés aujour- d'hui à des niveaux qui diffèrent de 900 mètres, par suite de la faille qui les a affectés, aussi bien que les terrains crétacés, beaucoup plus anciens. En traversant le plateau des Côtes dans la direction du nord-ouest, on ne tarde pas à reconnaître que les couches de la craie à silex manquent sur une grande partie de ce plateau. Sur la gauche du chemin, elles forment quelques roches isolées, témoins de leur ancienne extension, com- me celle sur laquelle se voient encore les restes du vieux château; et on les retrouve avec toute leur puissance, constituant les portes du défilé d'Engins, au pont Charvet, au-dessus du village des Côtes. En montant même à l'est de ce pont, on voit encore, sur leur Surface supérieure, un petit lambeau de poudingues tertiaires. Mais toute la par- tie inférieure du plateau, en dessous de l'église des Côtes, est formée uniquement par les couches de la craie infé- rieure, faiblement inclinées, montant légèrement vers l’ouest-nord-ouest. La craie inférieure est d'ailleurs ici semblable à celle que nous avons vue dans les dernières carrières de Fon- taine; c’est un calcaire siliceux , grisâtre, en couches minces, très-régulières. Nous l'avons suivie jusqu’à une carrière où cette assise est exploitée pour une fabrication importante de chaux hydraulique, la meilleure que four- nissent nos environs. Les couches exploitées contiennen VINGT-QUATRIÈME SESSION. 495 45 à 17 p. °} de silice disséminée dans le calcaire à l’état de sable extrêmement fin ; par sacomposition chimique et par la qualité de la chaux qu'elle donne, la pierre se rap- proche beaucoup de celle du Teil (Ardèche) qui appar- tient d’ailleurs à un tout autre terrain, à l'étage néoco- mien inférieur. Les couches de la carrière des Côtes sont les plus inférieures du terrain de craie; sur un point, l'extraction a été poussée en profondeur jusqu’à atteindre le gault. Aussi, dans certains bancs plus sableux que les autres, on trouve avec des grains de sable grossier, quar- tzeux, des débris du gault remaniés et des nodules phos- phatés analogues à ceux de ce dépôt inférieur. Nous avons rencontré dans ces couches deux bélemnites, de la gros- seur du doigt, mais probablement différentes du Belemni- tes mucronatus de la craie supérieure; on y voit aussi quelques empreintes d’inocérames, de même que dans les carrières de lauzes de Fontaine. Un. dernier sujet d'observation a vivement fixé notre attention. Le plateau des Côtes, dont le sol est formé en- tièrement par la craie, soit la craie supérieure à silex, soit la craie inférieure , est couvert d’une immense quan- tité de blocs anguleux, de toute grosseur, souvent gigan- tesques, qui sont presque exclusivement de calcaire néocomien supérieur. Ces blocs ne sont pas dispersés uniformément; peu abondants au village des Côtes et dans les parties voisines de la gorge du Furon, ils sont surtout entassés en quantité énorme sur la lisière extrême du plateau , au bord de la vallée de l'Isère; leur accu- mulation forme une grande colline, dominant très- notablement le plateau où se trouve la carrière que nous venons d'étudier. Cet amas de blocs se présente comme une sorte de barrage, élevé au bord extrême du plateau 196 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des Côtes, en regard du débouché des gorges d’Engins ; toute la pente vers la vallée de l'Isère, au-dessus du hameau des Engenières, est également formée par ces blocs. La première idée qui se présente à l'esprit, quand on apercoit cet énorme entassement de blocs calcaires, est de les regarder comme provenant d’un grand éboulement des montagnes voisines; mais cette supposition, si simple et si naturelle en apparence, est loin de rendre compte des faits d’une manière satisfaisante. On ne peut pas songer à faire venir ces blocs d’un éboulement de la mon- tagne de Sassenage, puisqu'ils manquent dans la gorge du Furon et sur la partie du plateau qui en est voisine. Quant à la montagne de Sornin, qui domine le plateau du côté de l’ouest, sa pente est formée, dans toute la partie inférieure, par les couches redressées de la craie, les mêmes qui s'étendent presque horizontalement sur le plateau. Il est vrai que, dans le haut, ce revêtement de craie manque et le calcaire néocomien supérieur est à découvert; mais il ne paraît pas avoir subi de dégradation notable. Si le flanc de cette montagne s’éboulait, même aujourd'hui que la craie ne le revêt plus qu’en partie, il est évident que l’éboulement se composerait d’un mélange de roches néocomiennes et de roches du terrain de craie ; tandis que l’amas de blocs des Côtes est entièrement formé de calcaire néocomien. Enfin la position de cet amas, séparé de la pente de la montagne par une certaine largeur du plateau presque dépourvue de blocs, est aussi incon- ciliable avec cette idée d’un éboulement de la montagne de Sornin qu'avec celle d’un éboulement de la montagne de Sassenage. Les blocs des Côtes ne viennent pas d’une chute des montagnes voisines ; ils ont été amenés de loin, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 197 d’une distance quelconque, par une cause dont l’action a cessé. Si on examine dans son ensemble cet amas de débris anguleux de toute grosseur, formé au bord de la plaine, sur la lisière extrême du plateau et posé comme un barrage transversal en face du débouché de la gorge d'Engins , il est impossible de méconnaître l'analogie qu’il présente avec la moraine terminale d’un glacier qui se retire. Si l’on suit cette idée, on pourra se représenter, à une époque qui a précédé immédiatement la période géologique actuelle, la gorge d’Engins et la vallée de Eans, dont elle est le débouché, occupées par un vaste glacier; au sud-est, ce glacier serait dominé par les crêtes néocomiennes abruptes et déchiquetées qui règnent depuis Saint-Nizier jusqu’à la Moucherolle, et dont la. nature est exactement celle des blocs entassés aux Côtes. de Sassenage. Le glacier, recevant les. blocs: tombés de ces crêtes et glissant lentement sur son fond, les aurait transportés , sans usure sensible, et entassés pêle-mêle à son extrémité, au point où il débouchait dans la vallée de l'Isère, comme le glacier des Bois, par exemple ,. débouche aujourd’hui dans celle de Chamounix. Le frot- tement de ce glacier sur le fond de la gorge d'Engins et sur le plateau même des Côtes a usé et poli les roches calcaires, comme on peut encore le constater sur divers points, comme nous l'avons vu nous-mêmes à la carrière de chaux hydraulique. Au-dessus du Villard-de-Lans, en se dirigeant vers les sommités de la chaîne néocomienne, le pic de Cornefion et la Moucherolle, on rencontre des traînées discontinues de blocs gigantesques, tous de calcaire néocomien, posés sur la craie dans des conditions d'équilibre instable ; la situation de ces blocs, pas plus que celle de l’amas des Côtes, ne peut s'expliquer par des 198 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. éboulements ; ce sont des blocs laissés en chemin par le glacier, pendant sa dernière période de retrait et de fusion. Tous les faits se lient ainsi et s'expliquent par cette hypothèse, qui n’est d’ailleurs qu'un détail, une application particulière de l'hypothèse d'une extension générale des glaciers dans les Alpes, pendant la dernière période géologique qui a précédé la période actuelle. Tout le monde sait par quelle admirable série d'observations et de déductions, MM. de Charpentier, Agassiz et leurs continuateurs ont élevé cette hypothèse hardie à un haut degré de probabilité scientifique. Quant à notre amas de blocs des Côtes de Sassenage, je suis heureux de rappeler ici que la première idée de le considérer comme la moraine terminale d’un ancien glacier est due à notre regrettable compatriote , le docteur Albin Gras, enlevé prématuré- ment aux sciences naturelles, qui lui devront dans ce pays des progrès à jamais mémorables. Les blocs des Côtes de Sassenage appartiennent presque exclusivement aux calcaires néocomiens supérieurs ou calcaires à caprotines. C'est parmi eux que l’on exploite les pierres de taille dites de Sassenage ; elles sont géné- ralement plus dures, plus saines et plus blanches que celles que l’on extrait des roches en place. La belle vas- que monolithe du château-d’eau de Grenoble a été taillée dans un de ces blocs. Les variétés blanches, à grain fin, s’'emploient comme marbres, et notre habile statuaire Sappey, que Grenoble a perdu récemment, a exécuté en pierre de Sassenage une partie de ses œuvres de sculp- ture les plus remarquables. On peut faire sur ces blocs des Côtes une étude très-complète des caractères des cal- caires néocomiens supérieurs; nous y avons reconnu en effet un grand nombre de fossiles : des caprotines, des VINGT-QUATRIÈME SESSION. 199 ptérocères, diverses espèces d'oursins, etc., que je peux me dispenser de citer ici; ils sont énumérés au complet dans le Catalogquedes fossiles du département de l'Isère, publié en 1852 par Albin Gras. Dans des blocs un peu plus marneux, de couleur bleuâtre ou jaunâtre, et quise dégradent par la gelée, nous avons rencontré une mul- titude de petites orbitolines (O0. conoïdea, Gras); les couches marneuses qui contiennent ces fossiles lenticu- laires forment des assises intercalées dans la partie supé- rieure de l'étage des calcaires à caprotines; elles renfer- ment en même temps un grand nombre d'espèces spéciales et surtout une série remarquable d’oursins, décrits et dénommés pour la première fois par Albin Gras, dans son beau travail.sur les Oursins fossiles de l'Isère. En faisant cette récolte de fossiles néocomiens dans les blocs de la moraine des Côtes, nous avons rejoint la route du Villard de Lans, et en redescendant vers Sassenage, nous avons pu reconnaître encore que cet immense amas de débris repose sur la craie qui forme tout le plateau: Arrivés dans le bourg de Sassenage, au terme de notre excursion, et retournant à Grenoble par la route directe, - nous avons pris plaisir à revoir de loin, d'un coup d'œil d'ensemble, toutes les localités que nous avions succes- sivement parcourues. Je crois être l'interprète fidèle des impressions de mes confrères, en disant qu'il était diffi- cile de recueillir, dans une excursion aussi courte et aussi simple, une plus grande variété de faits intéressants ; et je puis ajouter que, dans presque toutes les directions, nos environs de Grenoble offriraient matière à une mois- son pareille. Qu'il me soit donc permis d'espérer que cette promenade inspirera à plusieurs de nos savants confrères le désir de parcourir et d'étudier à fond un pays dont 200 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'intérêt scientifique est inépuisable et dont la connais- sance, encore imparfaite, appelle le concours de tous les hommes dévoués aux progrès des sciences naturelles. M. À. Philibert-Soupé, professeur de rhétorique au lycée de Grenoble , donne lecture de la piéce de vers suivante, qui à rapport à l’une des questions proposées dans le programme de la cinquième sec- tion. L'OMBRE DE MOLIÈRE. Ce théâtre francais , dont l'éclat fut immense, Dans notre siècle, hélas! marche à sa décadence Et, d’illustres aïeux enfants dégénérés, Nous raillons trop souvent les chefs-d’œuvre admirés. L'art cède en gémissant au courant qui l'emporte; Les Comiques s’en vont; la Tragédie est morte; Le bon sens perd ses droits, le faux goût est vainqueur ! Plus d’un piquant esprit et plus d’un noble cœur, Pour les règles du Beau renouvelant la lutte, En vain cherchent encore à retarder leur chute; Pour quelque météore éclos à l'horizon Le public fuit bien loin l’astre de la Raison! Lorsque la foi pâlit et s'éteint dans les âmes, I faut du feu sacré ressusciter les flammes; Le YINGT-QUATRIÈME SESSION. 201 Il faut, pour la lecon des races à venir, Évoquer des grands noms le fécond souvenir, Des gloires d'autrefois se proposer l'exemple, Prier sur leur tombeau, comme on prie en untemple, Et, devant leur image humblement confondus, Leur demander ces lois qu’on ne pratique plus. De Molière, en ce jour, interrogeons la vie: La France aime ses vers, l'Europe nous l'envie; Voyons, pour faire honte à notre lâcheté , Tout ce qu'il a souffert, tout ce qu’il a tenté! IT. Un monarque, accablé du poids de sa couronne, Languissait, triste et seul, dans les ennuis du trône, Et, plus roi que son maître, un ministre orgueilleux Resserrait, chaque jour, le bandeau sur ses yeux. D'un monarque indolent déguisant la faiblesse, L'orgueil de Richelieu foudroyait la noblesse ; Et la cour, aux genoux du despote puissant, Baignait ses froides mains de larmes et de sang! Mais le peuple, assistant de loin à tant d’orages, Regardait sans pälir ces terribles naufrages ; Insecte dans la fange et dans l'ombre perdu, Il échappait au fer de si haut suspendu; Et, tandis qu'aux foyers des maisons les plus pures Les pieds vils des bourreaux imprimaient leurs souillures, Ce peuple, auquel il faut des jeux avant du pain, S'en allait au Pont-Neuf rire avec Tabarin ! Et qu'importait à cette foule, Torrent fougueux qui gronde, roule 202 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, Et n'arrête jamais son cours, Qu’'importait le bruit d’une hache, Frappant, sans honte et sans relâche, Le sommet des plus vieilles tours! Qu'importe à de pauvres esclaves, Courbés sous leurs dures entraves, Cachés dans leur obscur réduit, Que tel blason s’efface ou brille? L'indigent craint-il qu'on le pille? L'aveugle a-t-il peur de la nuit? Gloire à lui! » disaient-ils peut-être ; « Car la main rude de ce prêtre, En pliant tant de nobles fronts, « Consomme une œuvre populaire, « OEuvre de haine et de colère, Mais dont tous nous hériterons ! À À À « C’est pour nous, frères, qu’il travaille, « Qu'il livre aujourd’hui la bataille, « Où nous triompherons demain. « Laissons-lui toute la besogne ; « Et, nous, à l'hôtel de Bourgogne « Courons applaudir Turlupin ! » JL. Turlupin, Gros-Guillaume, et toi, Gauthier-Garguille,. Troupe d’humbles bouffons , romanesque famille , C'est vous dont le franc rire et dont les joyeux cris Autour de vos tréteaux rassemblaient tout Paris ; VINGT-QUATRIÈME SESSION. 203 Vous qui, nouveaux Thespis d’une nouvelle Grèce, Versiez aux cœurs naïfs une grossière ivresse Et qui portiez, parfois éclairés d'un rayon, Une verve d'artiste en un corps d’histrion ! Mais dans les flots bruyants de cette populace , Qui venait applaudir votre burlesque audace , Vous n'avez vu jamais ni jamais deviné Que pour vous détrôner un grand homme était né Et qu'au premier essor de sa muse superbe Vous disparaîtriez, comme un ciron sous l'herbe ! Pauvres bouffons déchus, ce maître triomphant, Il est là, sous vos pieds , et ce n’est qu’un enfant! Mais déjà, dans Les plis de son mâle visage , Que ne dérident pas les plaisirs de son âge, Dans l'accent de sa voix, dans l'éclair de ses yeux, Reconnaissez l’élu qui redescend des cieux! Et, quand des spectateurs l’essaim prompt et folâtre S'éloigne en bourdonnant de votre étroit théâtre , Cet enfant au foyer du réduit paternel Retourne, l’œil plus grave et l’air plus solennel, Reprend sa rêverie en partant commencée Et, le front radieux, joue avec sa pensée ! Là, le père morose et l’indulgent aïeul, Le trouvant, chaque soir, assis dans l'ombre et seul, S'étonnent des transports qu'ils ne peuvent comprendre, Le grondent tendrement et cherchent à le rendre Aux jeux de sa jeunesse, aux soins de leur métier ; Mais lui, les mesurant de son regard altier , Semble à ces importuns dire: « Faites-moi place ; « Pour porter votre nom suis-je de votre race ? « L'avenir que j'attends me doit des jours meilleurs ; € J'ai ma tâche aussi, moi, dont le prix est ailleurs! » 204 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Oui, laissez-le grandir, cet espoir de la France; Laissez-le secouer le poids de l'ignorance : Et son pied gravira de sublimes hauteurs; Sa main fera tomber les masques imposteurs ; Son œil, illuminé d'éblouissantes flammes, Comme un rayon d'en haut plongera dans les âmes, Et de son souvenir l'Univers toujours plein Sourira d'âge en âge aux chants de Poquelin ! Poquelin? Non pas; mais Molière! La famille du tapissier Eût rougi (car elle était fière) De voir livrer en proie aux bravos d’un parterre L'honneur prude et jaloux de son nom roturier ! Bonnes gens, qui mettaient leur gloire A bien faire le lit royal Et qui jamais n’eussent pu croire Que leur fils obtiendrait sa place dans l’histoire , Sa place au premier rang sur un char triomphal ! Gardez-le, parents incrédules , Gardez-le, votre nom bourgeois ; I l’abandonne à vos scrupules: Mais celui qu'il a pris trouvera mille émules, Sera béni du peuple et respecté des rois ! D'Alembert, Marivaux, Voltaire L'ont imité, lorsque, plus tard, Quittant leur nom héréditaire, Is firent répéter aux échos de la terre Le nom que leur caprice empruntait au hasard! VINGT-QUATRIÈME SESSION. FA Grands hommes, qui de la retraite, Où leur génie était éclos, Sortaient, des lauriers sur la tête Semblables à ce Nil, dont la source est secrète ; Maïs qui devient fameux en se mêlant aux flots ! IV. Jeunesse de Molière, 6 lente et pâle aurore D'un talent qui s’éveille et d'un cœur qui s’ignore , Premier pas d'un athlète avide de lutter, Hélas! faut-il vous plaindre ou faut-il vous chanter ? Dans la carrière du poète Il est un moment solennel, Où Dieu tient sa vie inquiète Entre les enfers et le ciel. C’est l'heure où, croyant en lui-même, Sur son front orageux et blême Il entend gronder l’anathême De la foule aux rires amers ; C'est l'heure où, sûr de son génie, Il appelle, en son insomnie, Le triomphe après l’agonie, Le mirage au fond des déserts! Supplice affreux ! sourde vengeance Que le sort tire des grands cœurs ! Rancon que toute intelligence Paie à nos préjugés moqueurs ! Chaque fois que brille en ce monde Une idée ardente et féconde, Soudain dans une nuit profonde 05 206 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. L'ignorance vient l’éclipser ; | Chaque fois qu’une âme hautaine Traverse notre fange humaine, Soudain la sottise et la haine S'unissent pour la terrasser ! Heureux est celui dont la tête Ne se courbe pas sous le joug, Celui qui pendant la tempête Sur le vaisseau reste debout! Heureux, quand la foi le console, Quand rien n’éteint son auréole, Qnand son éclatante parole Domine la foudre et les vents! Heureux , si quelque femme aimée A son espérance charmée Fait entrevoir la renommée Dans un sourire de vingt ans! Mi. Vingt ans, âge si court, mais plein de douces choses, Où le plus dur grabat se parfume de roses ! Vingt ans, il les avait, lorsqu'aux champs du Midi Il courut, oubliant Lucrèce et Gassendi, Et Conti qui l’aimait, et les bancs du collége, Et d’un grave savoir l’orgueilleux privilége , Pour vivre en bohémien, voyager au hasard, Comme ont fait Rabelais, Cervantes et Regnard, Et sous un ciel tout bleu respirer sans contrainte L'air enivrant et pur de la liberté sainte ! Puis, quand il eut, douze ans, de chemin en chemin Conduit, au grand soleil, ses frères par la main, as ne ns VINGT-QUATRIÈME SESSION. 207 Quand Vienne, Montpellier, Avignon et Marseille De sa verve naissante eurent vu la merveille, Il revint, l’âme émue et les yeux éblouis, Frapper au seuil doré du palais de Louis ; Et Louis, accueillant sa muse vagabonde, Dit sa gloire à Paris, qui la redit au monde. La gloire, la faveur, la richesse, il eut tout : Le sort de mille dons le combla tout-à-coup. Mais qu'il la paya cher, cette rare fortune! Qu'il a maudit de fois sa grandeur importune ! Et, las de froids plaisirs ou d’un stérile honneur, Comme il eût donné tout pour un peu de bonheur! . Car il a bien pleuré, lui qui nous fit tant rire! D'une gaîté trompeuse affecter le délire , Faire jaillir sa verve ainsi qu’un feu divin, Quand ce feu dévorant lui consumait le sein ; Dans la sphère étoilée où planait son génie, Entendre au loin siffler la lâche calomnie ; Assis devant les ducs, à la table du roi, Les voir pâles de haine et s'enfuir plein d’effroi : Saisir, pour éclairer l'abîme de son âme, Quelques rayons d'amour dans l'œil faux d’une femme ; Bercer d’un fol espoir son esprit inquiet, Souffrir tout bas les maux que tout hautil raillait ; Et, luttant comme Alceste aux pieds de Célimène, Chaque soir, tour à tour, rompre et baiser sa chaîne ; Deviner que sa veuve ira sur son tombeau Du plus vulgaire hymen rallumer le flambeau, Qu'un roi, qui l’honorait d'une amitié si tendre, Disputera peut-être un coin d'herbe à sa cendre, Qu'un peuple, qui lui fit un fraternel accueil , De pierres et de cris poursuivra son cercueil ; 208 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Enfin, malade et vieux, sentant sa fin prochaine , Le visage fardé, remonter sur la scène Et tomber là, brisé par ce dernier effort : VI. Réveille-toi, grande ombre, aujourd’hui consolée! Quel laurier, quelencens manque à ton mausolée ? La foule sait ton nom et quitte ses travaux Pour écouter tes vers au milieu des bravos; Dans l'hommage public de leur reconnaissance, Deux théâtres pieux célèbrent {a naissance. Goldoni, Shéridan, Iffland et Moratin Ne sont que des échos de ton concert lointain, Et le czar même, au fond de l’oublieuse Europe, Médite ton Tartufe et lit ton Misanthrope. Un monument s'élève aux lieux où tu mourus. De ta grande cité les enfants accourus, Expiant envers toi leur longue indifférence, Révèlent ton image aux regards de la France Et chacun dit, de joie et d’orgueil éperdu : « Béni soit l’art divin, l’art qui nous l’a rendu! » Voilà les monuments durables, Vainqueurs des révolutions, Et dont les bases vénérables Bravent le flot des factions! Phares lumineux et sublimes, Qui, s’élevant près des abimes, De l’histoire éclairent les cimes Et rayonnent dans l'avenir! VINGT-QUATRIÈME SESSION. 209 Temples saints, arches triomphales , Bronze où se gravent nos annales Et que les nations rivales Viennent consacrer et bénir! Quand les tempêtes politiques Eclatèrent dans nos remparts, On vit tous nos dieux domestiques Sur le pavé rouler épars. Le peuple jeta la couronne, Comme une feuille aux vents d'automne; L'Europe au pied de sa colonne | Vin! défier Napoléon. L'Humanité dans sa mémoire Met la Puissance après la Gloire : Les rois vaincus vont au prétoire , Les poètes au Panthéon! Naguère, quand notre Parnasse- S'obscurcit de brouillards épais, Des sectes bravant la menace : Sa gloire rayonnait en paix. € Il a surpassé l’âge antique! » S'écriait la muse classique, « Il franchit d’un vol énergique « Les sommets du vieil Hélicon! » La Muse moderne » AU Contraire, S’écriait : « Shakspeare est son frère! » Jamais révolte littéraire N'osa rien contre un pareil nom. Mais, bien mieux que le marbre et l’airain, la mémoire Garde en traits éternels ta poétique histoire. I 14 210 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. De larmes et de fleurs couvrant ton monument, Notre âme encor croit voir, en un rêve charmant, Ces tableaux, que le peintre a rendus si célèbres, Revivre et s’animer à travers les ténèbres. Types en foule éclos dans son cerveau puissant, Fantômes qu'il a faits immortels en naissant, Esclaves inspirés dont il était le maître, Autour de son tombeau, hâtez-vous d’apparaître! Ils viennent! Les voilà, tels qu’on les a connus! Pupilles abaissant leurs regards ingénus, Tuteurs vieux et dupés, amants que désespère Le bonheur d’un rival ou la rigueur d’un père, Duègnes dont la tendresse est un épouvantail, Coquettes médisant tout bas sous l'éventail , Astucieux valets et piquantes soubrettes, Agitant au hasard leurs langues indiscrètes Et d'un vieillard morose éclairant la maison Au feu de leur esprit, au choc de leur raison : Harpagon dépouillé de sa chère cassette, Mascarille ajustant sa grotesque toilette , Orgon auprès d'Elmire, Arnolphe avec Agnès, Vingt fâcheux, Alcidor, Osmin, Caritidès, Mercure courtisant la femme de Sosie, Alceste dévoré d’une àpre jalousie, Pourceaugnac poursuivi par un troupeau d'enfants, Jourdain singeant l’orgueil et le babil des grands, Sganarelle et Dandin, ces deux époux crédules : Troupe de fous parés d’oripeaux ridicules, Regardant en dessous et marchant de travers, Dignes représentants de ce pauvre Univers! VINGT-QUATRIÈME SESSION. 211 VIT. Mais quel crêpe de deuil dans les airs se déploie ? D'où vient qu’un long regret se mêle à notre joie ? O Poquelin, ton art t'a suivi tout entier : Tu n’eus jamais d’égal, tu n’as plus d’héritier ; Et notre siècle froid, que l'ennui décolore, Pour se railler lui-même est trop souffrant encore. La gaité, ce soleil de l'horizon français , Qui réchauffait Villon, Marot et Rabelais, Allumait de Regnier la verve familière Et rayonnait sans cesse au front du grand Molière, La gaîté maintenant nous blesse les regards, A nous, dont l’atmosphère est pleine de brouillards. Le rire, éclair divin qui brillait pour les hommes, N'est plus qu'une grimace à l’époque où nous sommes. Nos enfants sont rêveurs, nos jeunes gens sont vieux , Et l’opium du spleen engourdit tous les yeux. On rimaille à quinze ans, on radote à quarante; On s'amuse... à la Bourse, et l’on joue... à la rente; On se forme l'esprit en pillant les journaux ; Pour s’épurer le cœur on court aux tribunaux. Les romans en argot, lus au sein des familles, Avec les mœurs du bagne apprivoisent nos filles ; Et nos fils, des salons s’'échappant sans regret, Vivent à l'écurie ou dans l’estaminet! Molière, les enfants de ta muse féconde N'ont pas vieilli d’un jour et peuplent notre monde. Les mœurs sont en progrès : on le dit ;‘on le croit; Etpartout, cependant, on se montre du doigt 212 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Bien des originaux, dont l'antique Thalie Eût fouetté jusqu'au sang l'impudente folie ! Nos poètes ont beau renier Trissotin : Parlent-ils mieux français pour parler moins latin ? Sans doute, ils ne vont plus, papillons de ruelles, Cueillir des madrigaux dans les bouquets des bglles; Mais, payant à la presse un renom emprunté, Ils savent ce qu’il vaut par ce qu'il a coûté. Voyez d'épais marchands, cousus de grosses sommes, Acheter un blason et vivre en gentilshommes, Des usuriers prêter pour un fort intérêt Un argent que leurs fils empruntent en secret, Des bas-bleus rédiger leurs lois extravagantes En moins bon style, hélas ! que les Femmes savantes; Don Juan mal foudroyé n’est plus qu'un sot dandy, Qui va bailler en stalle aux Bouffes, le jeudi, Qui dans d’impurs tripots fait de tristes conquêtes Et qui ne craint d'enfer que la prison pour dettes. Alceste est devenu ce mesquin raisonneur, Qui, rongé d’égoisme et plein d’un faux honneur, Lâche d’un pistolet la détente mortelle Et lance vers les cieux son crâne sans cervelle. Tartufe vit encor : c’est l’homme aux longs discours, Qui plaide pour le peuple et vote pour les cours ; C’est le feuilletoniste adulant tout le monde, Mais exhalant bien bas sa rancune profonde ; Ou l’adroit philanthrope, au gros ventre, aux yeux secs, Déjeûnant pour les Noirs et dansant pour les Grecs, Qui stimule à grands cris la charité publique Et fait maigrir de faim son pâle domestique. L'humble Agnès ? abjurant son air provincial , Commente Machiavel et traduit Martial. . VINGT-QUATRIÈME SESSION. 213 Célimène a le nom d’une affreuse lionne : Elle déploie autir son humeur fanfaronne, Court avec les chasseurs, jure avec les valets, Fume comme un Flamand et boit comme un Anglais. L'aventureux Scapin aux subtils stratagèmes, C’est cet industriel, riche en vastes systèmes, Qui, d’un bout de papier tirant des millions, Vend l'amour au rabais, met l’art en actions Et, des clients décus évitant la poursuite, Fait des chemins de fer. pour se sauver plus vite! 2 VIIL. Tout change; rien ne meurt : les travers effacés Par des travers égaux sont bientôt remplacés. D'autres tableaux sont prêts pour des couleurs nouvelles; C’est l'artiste qui manque, et non pas les modèles : Ridicules d'un jour qu’en passant on siffla; Vous seriez immortels, si Molière était là ! A l’œuvre, moissonneurs! car le champ est fertile. Joignez l’audace au goût et la pensée au style ; Que la scène, parfois, plus sombre qu’un tombeau, Devienne une tribune et non pas un tréteau. Sous votre souffle ardent que la Muse renaisse, Eclatante de vie et riche de jeunesse ! Pure comme Psyché, souple comme Ariel, Qu'elle reprenne enfin son essor vers le ciel Et monte demander à Molière, à Shakspeare, Le rayon du génie et la flamme du rire. Alors, brülants d'espoir et couverts de lauriers, Entrés tard dans la lice et sortis des premiers, 214 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Enfants, vous reviendrez jeter votre couronne Au pied de ces autels que la foule environne, Et, vous montrant de loin la gloire et l’avenir, L'ombre de Poquelin descendra vous bénir ! La séance est levée à cinq heures et demie. CINQUIÈME SÉANCE GÉNÉRALE. S septembre 1853. Présidence de Mer l'Evêque de Grenoble. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le secrétaire général fait connaître la corres- pondance ; il lit une lettre de M. Dupont-Delporte, président de la Commission de l’exposition de pein- ture, qui invite les membres du Congrès à vouloir bien souscrire aux actions de cinq francs, destinées à acheter les œuvres les plus remarquables. Les secrétaires particuliers lisent les procès-ver- baux de leurs sections respectives. M. Bouillet, de Clermont-Ferrand, au nom des membres du Congrès qui ont fait une excursien à VINGT-QUATRIÈME SESSION. 215 Sassenage dans la matinée de ce jour, remercie M. le marquis de Bérenger de son bienveillant accueil ; M. le président, au nom du Congrès, s'associe aux sentiments exprimés par M. Bouillet. M. de Saint-Andéol, donne lecture d’un mémoire sur la cathédrale de Grenoble, présenté dans la séance d’hier à la section d’archéologie. RECHERCHES SUR L’AGE DE LA CATHÉDRALE DE GRENOBLE COMME PREMIER MOYEN POUR ARRIVER A UNE RESTAURATION CONVENABLE. L'église de Notre-Dame offre à l'œil tant de disparates dans sa construction, qu'il paraît diflicile d’assigner leur âge à chaque partie reprise ou restaurée. Il faut un certain temps pour se reconnaître au milieu de ces pièces incohé- rentes que diverses époques ont élevées et que d’autres époques sont venues dénaturer. L'histoire nous apprend qu’à la fin du X° siècle, l’évêque Isarn transféra son évêché de la rive droite de l'Isère sur la rive gauche, et y construisit son église cathédrale sous le vocable de Notre-Dame et de Saint-Vincent. Rien, de prime abord, ne permettrait de croire qu'ilreste quelques parties de cette première église. Ce n’est qu'en abordant une seconde époque qui, par des travaux majeurs y fixa son empreinte, qu’on est obligé de reconnaître dans quelques parties existantes antérieurement, l'explication de démentis architectoniques que les périodes romanes comme les ogivales, toujours fidèles et absolues dans leur style, ne se permettaient jamais volontairement. 216 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Cependant, pour l'intelligence de la chose, je commen- cerai par indiquer ce que devait être celte première église, et reconnaître les parties qui en furent utilisées plus tard dans sa plus importante restauration. Avant le XI° siècle, les églises à trois nefs se compo- saient de quatre murs formant un parallélogramme, avec un chœur en hémicycle voûté en cul de four placé à l'extrémité de la grande nef. De gros piliers carrés sépa- raient cette nef de ses deux latérales. Aux bonnes époques, ces piliers reliés par des arcs sup- portaient un mur percé de fenêtres. Il n’y avait pas de voûte, les pièces de la charpente étaient à découvert. Aux époques de décadence, ces mêmes arcs supportaient im- médiatement la charpente, un seul toit à deux égouts abritait les trois nefs ; enfin aux siècles de calamité, après le saccagement des cités on relevait à la hâte, et les com- bles des églises étaient soutenus par des piliers, non plus reliés par des arcs, mais isolés. La fin du X° siècle, bien que dans une marche opposée, était une époque pareille à celles de décadence. Quelques églises d'anciens monas- tères, situées dans les environs et que des chartes men- tionnent comme existantes au IX° siècle, présentent cette disposition de piliers rattachés par des arcs supportant immédiatement l’unique toiture commune aux trois nefs. Dans ce cas, la grande nef n'était éclairée que par des jours pris dans les murs des nefs latérales. Cette disposition a été maintenue, mais rehaussée de toute l'élégance de voûtes et de colonnes, dans la cathé- drale de Valence, dont le plan de la nef, moins l'ouverture incroyable mais postérieure de ses fenêtres et l’uniformité de ses chapiteaux, a dû être concu dans le même temps, c'est-à-dire au X° siècle. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 217 J'attribue à la première fondation de Notre-Dame les piliers de la nef. Les deux premiers, entre lesquels se trouvait placée la porte, faisaient partie de la facade. A l'opposé, à la suite des deux piliers les plus rapprochés du chœur, s’arrondissait un sanctuaire en hémicycle : telle devait être l’église d'Isarn. Jusqu’alors les cloches.étaient si petites qu’on se conten- tait de les suspendre au mur du pignon. Leur nombre . et leur volume furent augmentés au XI° siècle, tandis que dans ces temps meilleurs les abbayes se multipliaient riches et puissantes, que les églises nouvelles adoptaient des chœurs plus vastes pour desoffices dont la solennité récla- mait une sonnerie plus imposante. Dans nos contrées, les églises élevées au XI° siècle pla- cèrent le clocher sur le chœur; mais, dans celles déjà construites, la place du clocher sur le chœur étant impos- sible, on le placa devant la facade; usage continué pen- dant le XIT° siècle. Le XII siècle, déjà expert dans l’art de construire et plus hardi dans ses conceptions, fit reposer toute la masse du clocher sur quatre piliers, dont les quatre arcs faisaient l'office de porche. Le X[° siècle, plustimide, d'une architecture plus mas- sive qu'élégante, ménagea un porche sous le clocher, en y disposant une voûte en berceau portant sur les mursde droite et de gauche. Ses matériaux étaient sonvent d’un plus grand et d'un plus bel appareil qu’au siècle suivant. C'est par conséquent au X[° siècle que j'attribue la cons- truction du porche, de la porte et du clocher. En le pla- ant à quatre à cinq mètres en avant de l’ancienne façade qui fut démolie, la nef se trouva agrandie d’une travée. Les deux gros piliers de l'entrée de la nef furent taillés 218 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans l'épaisseur du mur de face, et à l’aide des deux grosses et courtes colonnes engagées dans le mur de la tour, on établit la voûte de la tribune des orgues. Cette voûte à l'entrée de l’église était d’un usage déjà connu. En même temps on ouvrit sur le flanc nord de l'église une porte avec porche pour le service du clergé. Il en reste une colonne grosse et trapue. Cette église fut l’objet, vers la fin du XII siècle, d’une restauration capitale qui la transforma dans son entier. Le droit de règale accordé en 1161 à l’évêque de Grenoble par l’empereur Frédéric 1°", dut en favoriser l’entreprise ainsi que les libéralités de l’évêque Jean If, fils de Guigues, seigneur de Sasse- nage. Cette restauration en aurait fait un type pur de transition, si la conservation des piliers de l’église d’Isarn n’en eût troublé les éléments et faussé le caractère. Le travail le plus important consista dans l’établissement des voûtes. Celles-ci servent d’arête avec un simple tore pour nervure. Chaque compartiment de voûte de la nef couvre deux travées, système employé souvent plus tard. Les arcs sont d'ogives ou brisés. Si l’on remarque que ceux de la - nef latérale gauche sont à plein cintre tandis que ceux de la nef latérale droite sont en ogive aiguë, ce n’estlà qu’une disposition nécessitée par la plus grande largeur de l’une et l’étroitesse de l’autre. Il fallait employer ces deux cour- bes pour rétablir le niveau des galeries. Afin de donner à cet édifice l'apparence, sinon la vérité du style roman de transition, des colonnes en moellons et mortier, comme à Voreppe, furent appliquées sur les qua- tre faces des piliers, ainsi que contre les murs latéraux correspondant aux arcs des piliers. Elles supportaient les arcs-doubleaux de la grande nef, ceux des nefs latérales et ceux en retraite qui doublent les ouvertures des travées. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 219 Chaque travée de la nef ou plutôt chaque compartiment de la nef sous une même voûte (la voûte a trois compar- timents sur six travées) fut éclairée de chaque côté par deux fenêtres à plein cintre, séparées par une largeur égale à celle du pilier au-dessus duquel elles étaient pla- cées. La disposition de la voûte gênant l'emplacement habituel au-dessus du sommet des arcs des galeries, les galeries furent éclairées par des fenêtres géminées à cintre brisé : il en est encore de visibles. ; Enfin, l’ancien chœur, composé d’une abside en hémi- cycle (il en reste des traces sous le pavé du chœur) fut prolongé et reçut la forme qu’il a conservée jusqu’à ce jour. Comme il repose sur les remparts (usage fréquent), il fut enveloppé à l'extérieur d’une forte cuirasse de bri- ques que la légéreté de la structure intérieure ne laisserait pas soupconner. Telle était la cathédrale de Notre-Dame à la fin du XII siècle et au commencement du XIIE, car entre la conception du plan et l’achévement des travaux, il s'écoulait bien des années. On peut juger d’après cette description qu'elle présentait à l’œil un ensemble satis- faisant. C’est dans le même temps que fut élevée ou relevée l’église voisine de Saint-Hugues, pour servir de cathédrale provisoire pendant les travaux. En 1407, l’évêque Chissay fit construire le tombeau placé dans le chœur. Quelques années plus tard fut élevé le magnifique ta- bernacle en obélisque qui lui fait face; il rappelle le faire des sommets de la cathédrale de Strasbourg. C'est le plus remarquable qui soiten France. Plus tard, un agrandisse- ment étant jugé nécessaire, on ajouta, au commencement du XVI: siècle, la nef placée au sud et accompagnée de chapelles, la porte à main droite et les deux travées qui 220 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la conduisent à l’ancienne nef latérale, le petit vestibule de la porte méridionale, la travée appuyée au flanc gau- che de la tour, et les deux chapelles de sainte Anne et de la sainte Vierge. On créa aussi des chapelles en ouvrant des arcs entre les contreforts du mur latéral jusqu’au mur de l’église Saint-Hugues qui devint mitoyen. En 1562, la cathédrale fut pillée et saccagée par les troupes du baron des Adrets, ses monuments furent mu- tilés, et comme le marteau des démolisseurs s’attaquait, pour aller plus vite en besogne, aux choses les plus déli- cates et les plus fragiles, ils brisèrent non-seulement les statues du tabernacle de pierre, mais en partie les colon- nes de moellon et mortier d’une nature peu résistante, ayant été appliquées après coup aux piliers de la nef. L'œuvre de destruction accomplie et la ville pacifiée par Lesdiguières, ce dernier, par la construction des rem- parts, des portes, du pont, de son jardin, de ses hôtels (plusieurs couvents étant fondés en même temps}, chan- gea presque entièrement la face de Grenoble. C'est alors que l’église de Notre-Dame subit une troi- sième transformation, selon le style et suivant les idées du commencement du XVIF siècle. En conséquence, les fenêtres doubles de la nef disparurent dans l'ouverture d'une vaste fenêtre carrée. Celles des tribunes furent bouchées. La balustrade à mur plein des galeries fut remplacée par une autre dans le goût régnant. Toutes les colonnes des trois nefs et leurs chapiteaux furent enlevés, et cela d'autant plus facilement, qu’ainsi que nous l'avons dit, elles avaient été placées après coup. Il ne resta comme souvenir de cette démolition que les colonnes adossées au mur de la galerie du sud, quelques chapi- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 221 teaux plâtrés et transformés en consoles dans la nef infé- rieure et la retaille en biais des arcs-doubleaux , afin que leur base qui reposait sur des chapiteaux ne restât pas suspendue à vide (1). Le chœur ayant été élevé d’un seul jet, les colonnes en pierre de taille furent conservées. Au XVII: siècle, on voulait dans les églises une grande lumière, on tenait peu à l'élévation des voûtes, mais beaucoup à la largeur des nefs. Ainsi l’ablation des colonnes et de leur base fut un sacrifice fait au goût du jour. On dut se trouver satisfait plus que nous ne le sommes aujourd’hui. Je fais des vœux pour que les trois nefs de la cathédrale du XII siècle soient rétablies dans leur état primitif, que toutes ses colonnes soient relevées malgré le rétrécissement plus apparent que réel, qui en serait la conséquence. Le ciment de Grenoble qui, d’abord plus malléable que la cire, atteint à la düreté du marbre, se prêterait mer- veilleusement et avec une immense économie à cette restauration. M. l'abbé Trépier lit la notice suivante sur l’âge du tabernacle placé dans la même cathédrale et sur la manière de conserver des saintes espèces aux XV° et au XVI: siècle. (1) La découverte, sous le chœur du mur de l’ancien, celle des chapiteaux et celle de la forme primitive des fenêtres de la nef reviennent à l'architecte chargé de faire, il y a quelques années, des réparations à cette église. C’est à son obligeance que j'en dois la communication. 222 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. NOTICE SUR LE CIBORIUM DE LA CATHÉDRALE DE GRENOBLE, Par M. l'abbé Trérrer, membre du Congrès scientifique de France. Les membres du Congrès scientifique qui ont visité, cette année (septembre 14857), la cathédrale de Grenoble, y ont admiré le tabernacle ou ciborium qui en orne le chœur. Je vais dire ce que j'ai pu découvrir sur l’auteur de cette œuvre et la date de sa construction. En fouillant dans les archives diocésaines, dont l'accès m'a été rendu si facile par l’accueil toujours plein de bienveillance de Mgr l'Evêque de Grenoble, président général du Congrès, j'y ai lu ce qui suit : « Dans une visite pastorale, faite le dimanche 24 mars 4455, à son église cathédrale, Mgr Si- boud Allemand trouva le corps de N.S. dans une armoire derrière le grand autel, et l’apporta, du lieu où il était, à l'autel de l’église paroissiale de St-Hugues. » « Episcopus,....…. ad ecclesiam suam cathedralem Gra- tianopolis in qua est sita ecclesia parochialis Sancti Hugonis ..... personaliter se transtulit ..… et omnibus solitis debite factis visitavit Corpus Xi et reperit in quodam armatrio retro majus altare ejusdem ecclesiæ suæ cathedralis Beatæ Mariæ Gratianop. et cum solemnitate debita de dicto armatrio ad dictum altare Gratianop. ecclesiæ parochialis Sancti Hugonis transduxit et appor- tavit. » Jusqu'ici nous n'avons rien encore pour la question qui nous occupe; mais voici la partie probante du texte : et, parce que l'armoire du Corps de Notre-Seigneur est for- mée d’ais (ou de planches), « et quia armatrium Corporis YINGT-QUATRIÈME SESSION. 223 Christi est postibus constructum, » l’évêque résolut, à la glgire de Dieu et de la Vierge Marie, patronne de cette +0 de faire construire dans la même église, à ses pro- pres frais, pour conserver le Corps du Sauveur, un reposoir (toujours armatrium) aussi somptueux qu’il lui serait possible de le faire : «et, quia armatrium Corporis Christi est postibus constructum, prælibatus Dominus Epus pro- posuit, ad laudem Dei et Mariæ Virginis, patronæ ejus- dem ecclesiæ, unum armatrium pro custodia de Corpore X' componi facere honestiori modo quo fieri poterit suis sumptibus et propriis expensis. » C'est là une résolution bien nettement formulée; et comme pour la rendre irrévocable, Mgr Siboud veut qu'elle soit consignée dans le procès-verbal de sa visite. Ce prélat continua d'occuper encore pendant vingt-deux ans le siége épiscopal de Grenoble. Le temps ne lui a donc pas manqué pour accomplir son pieux dessein. Au reste, nous le devinons, le pontife n’a laissé au temps, contre son projet d'élever un riche tabernacle, aucune des chan- ces pu'il a pu lui enlever : il s'est mis promptement à l'œuvre; et peut-être ne s’éloignerait-on pas de la vérité si l'on affirmait qu'en 1460, au plus tard, l’œuvre us achevée. Une circonstance particulière, un fait d'histoire locale que tout le monde connaît à Grenoble et dans l’ancienne province du Dauphiné, paraît venir à l'appui de nos con- jectures. Mgr Siboud appartenait à l'antique famille des Alle- man, l'une des plus illustres du Dauphiné. Cette famille était divisée en une multitude de branches, répandues dans le Dauphiné et dans la Savoie; chacune avait son titre propre, ses armes particulières. Une si grande variété 22% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de titres et d'écussons, l'éloignement, la rareté des rap- ports, pouvaient, à la longue, amener la confusion, l'ou- bli peut-être, entre les divers membres de cette famille, si connus par leur indissoluble amitié (1). A un jour con- venu, presque tous les chefs des diverses branches des Allemand se réunirent à l'évêché de Grenoble, sous la présidence de Mgr Siboud, l’un des leurs. Là, entre autres résolutions, on arrêta celle de reprendre tous les mêmes armes (de gueules semées de fleurs de lis d’or, à la bande d'argent). Or, cette assemblée eut lieu à l'évêché de Grenoble, le 4er mai 4455, c’est-à-dire moins de quarante jours après la visite pastorale dans laquelle Mgr Siboud avait décidé la construction d’un nouveau tabernacle. Les monuments portaient volontiers alors, en un ou plusieurs endroits, les armes de ceux qui les avaient fondés ou restaurés. Je ne sais si je me trompe ; mais il me semble qu'avant la dissolution de l'assemblée le président dut s’écrier avec bonheur que le monument religieux qu'il allait élever dans sa cathédrale porterait les armes de tous; qu'il était heureux de penser que ce monument de foi rappellerait ainsi, et consacrerait, en quelque sorte, le nouveau pacte de famille, et que c'était un motif de plus pour lui d'en presser l’exécution. Aujourd'hui encore, dans les parties élevées du c2bo- rium, on voit, en deux endroits, des écussons; peut-être n'ont-ils jamais porté d'armes, ou bien ces armes ont- elles disparu sous le marteau des démolisseurs ; car on ne peut plus les distinguer aujourd’hui. Toutefois, il est (1) Cette étroite alliance a donné lieu au dicton, non moins connu : Gare à la queue des Allemand. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 225 certain que le ciborium offrait encore, au XVII® siècle, visiblement, et en plusieurs endroits, les armes des Alle- mand. Voici, en effet, ce qu'on lit dans le procès-verbal d’une visite pastorale faite à la cathédrale par Mgr Le Camus, le 24 mars 1683: : ESRI Entre le chœur et le presbytère, il y a un es- « pace où le peuple se met, et, dans cet espace, il y a, du « côté de l’épître, une grande figure d’ancien tabernacle de « plâtre (1), qui paroit avoir été peint, qui monte jusqu’à « la voûte de l’église. Les armes des Allemand, cy-de- « vant évesques de cette église, y sont en plusieurs en- « droits; la porte et le lieu où l’on enfermait le Saint-Sa- « crement y sont encore , comme aussi des niches à côté « pour des statues. » Le même procès-verbal dit ailleurs que l’évêque «trouva le Saint-Sacrement dans un ciboire et un soleil de ver- meil, dans un tabernacle doré placé dans une niche do- rée en forme de coquille derrière le grand-autel. On voit donc qu’en 4683, notre repositorium ne servait plus à l'usage auquel il avait été primitivement destiné. Il en était déjà de même soixante ans plus tôt; car on lit, dans un procés-verbal de visite à la cathédrale par Mgr Scarron , en 4623: « ...….. Mgr a veu et visité le Saint- « Sacrement pour les communiants aw grand autel, le- « quel il a trouvé être assez honorablement dans une cus- « tode d'argent, ensemble celuy pour les infirmes de la « paroisse, lequel est dans le même tabernacle sur le « grand autel, duquel le curé a une clef, etc... » (1) Ce tabernacle est de pierre, mais on a pu le croire de plâtre à cause de la couche de badigeon dont il avait été reçou- vert. : I 45 226 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Pi del Il est probable que le‘tabernacle de Siboud Allemand n’a plus servi à conserver les saintes espèces depuis la mutilation qu'il subit, en 1562, de la part des réformés. Malgré la restauration de sa base, ces mutilations sont en- core telles aujourd'hui, qu’on ne pourrait pas rendre ce monument à sa première destination, sans achever de res- taurer au moins la partie servant de reposoir proprement dit. Qui sait? peut-être même avait-il déjà cessé de servir avant 1562. Nous voyons , en effet, que l’évêque Laurent Allemand ordonne, dans ses visites pastorales de 4551, tantôt de faire une custode, ou armoire de noyer, et de la placer sur l'autel pour conserver le Corpus Christi.……. ordinavit fieri custodiam nuceam in medio altaris…. ; tantôt, s’il existait déjà une custodia de noyer qui ne fût pas placée au milieu de l'autel, de l’y placer: ordinavit custodiam nuceam in medio altaris et imagines pont ad latus presbyterii (Vimines, 8 mai 1551);-enfin, si elle est déjà placée au milieu de l'autel, mais-avec la couleur naturelle du bois, de l’orner de couleurs et de peintures : .…. ordinavit depingi custodiam nuceam in medio alta- ris. Dans toutes les églises où l’évêque n’ordonne rien, il est évident qu'il y avait déjà, suivant les statuts diocé- sains, un tabernacle de bois peint au milieu de l'autel. Cette mesure générale, ce droit commun, qui deman- daient que partout le Saint-Sacrement fût conservé dans une arche de bois peint, placée au milieu de l'autel, étaient-ils applicables même à la cathédrale pourvue d'un si beau reposoir? Nous ne savons ; mais cela est possible, peut-être même probable, parce que le meilleur enseigne- ment, c’est l'exemple. Et ici, puisque, par la considération de ce qui se prati- quait dans l’ensemble des paroisses du diocèse de Greno- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 327 ble, en 1551, je viens d'exposer un des motifs qui peuvent avoir contribué à mettre fin à l’usage du ciborium de Siboud Allemand; peut-être, par des considérations ana- logues , aurais-je pu, sans trop m'écarter de mon sujet, examiner en détail ce qui, dans la marche générale du diocèse, avait préparé de loin et décidé la construction de ce céborium à l'endroit où il est placé. | Peut-être les membres du Congrès, avec leur extrême condescendance , n’eussent-ils pas trouvé sans intérêt un coup-d'œil jeté sur la transformation et la translation, soit des vases sacrés, soit des reposoirs destinés, en divers temps , à conserver le Corps de Notre-Seigneur; non pas dans la généralité des diocèses et des églises (ce ne serait ni de ma compétence, ni en rapport avec le sujet particu- lier qui nous occupe) ; mais dans les paroisses du diocèse de Grenoble, dans les modestes églises de nos bourgades et de nos villages. Pris à l’improviste , j'ai manqué de temps pour mettre en ordre les quelques notes que j'avais recueillies autre- fois , sur ce sujet, dans les visites pastorales des évêques de Grenoble pendant les XIVe, XVe, XVI et XVII® siè- cles. Je regrette de n’avoir pu faire un travail suivi : non pas dans l’absurde pensée de rien faire connaître, mais simplement pour montrer d'abord comment la construc- tion de notre magnifique ciborium se trouva naturelle- ment et étroitement liée avec ce qui se passait alors dans tout le diocèse de Grenoble ; ensuite, pour prier les mem- bres du Congrès de nous dire par où et comment les pro- grès accomplis, dans ce diocèse , par cette partie de la li- turgie sacrée, ont différé des progrès accomplis dans les riches et nombreux diocèses qu’ils ont étudiés. Je dirai seulement que, pendant le XIVe et le XV° 298 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. siècle, en plusieurs églises du diocèse, le Saint-Sacrement était conservé dans des pixides ou custodes de matières diverses, souvent de bois, quelquefois d'ivoire, d'étain, de laiton ou d'argent, ou même de bois revêtu et orné d’un métal ouvragé et de forme variée, c’est-à-dire tantôt arrondie ou oblongue, tantôt carrée ou rectangulaire, en guise de capsule, de boîte, de coffret, d’étui, de cassette. On pourrait objecter que celte variété dans la matière et dans la forme n’était employée qu'abusivement et par tolérance; mais l'étude attentive des visites pastorales prouve évidemment qu’il n’y avait alors aucune prescrip- tion particulière, dans le diocèse, pour déterminer la forme et la matière des custodes ou pixides. On voit, en effet, les évêques employer des expressions laudatives en parlant des pixides, quelles qu’en fussent la forme, ronde ou carrée, et la matière, de bois, d'ivoire, d’étain, de laiton, de cuivre, ou d'argent. C’est ainsi qu’à Miolans (le 42 avril), et à la Tuile (le 49 avril 4458), Mgr Siboud Allemand trouve très-décente et très-convenable la cap- sule ou boîte d’ivorre servant de pixide : reperat (est-il dit, dans chaque visite) Corpus Xi in capsa de yvoyre (alias, de ebore) bene honesta. C'est ainsi qu’à Entremont il avait déjà trouvé (le 43 oc- tobre 1457) le Corps de Notre-Seigneur bien et décem- ment conservé dans une boîte carrée... in capsa qua- drata bene et honeste repositum. Le 40 avril 4458 , à Montailleur, il le trouva conservé assez convenablement, satis honeste, et dans un petit vase de cuivre, 2n guodam parvo vase cupreo, et dans un vase de bois rond et oblong, in quodam vase fusteo oblongo et rotundo. À Barberaz {le 3 mai 4458), le Corps de Notre-Seigneur YINGT-QUATRIÈME SESSION. 229 était conservé décemment dans une pixide oblongue, de bois , in quadam pixide seu vase oblongo fusteo compe- tenter reperit. Enfin, à Arvillars (le 43 du même mois), le Corpus Xi était très-convenablement conservé dans une cassette, èn parva caissia honestissime repositum. Peu à peu, cependant, l’usage des vases métalliques prévalut; et, dès la fin du XV* siècle, dans ses visites pas- torales de 4493-94-95, on voit Mgr Laurent I: Allemand ordonner de remplacer les vases ou coffrets de bois par dés pixides de métal, qui durent prendre et garder , dès- lors, à peu près la même forme qu’elles ont encore au- jourd’hui. Un seul spécimen de procès-verbal de visite suffira pour prouver combien l’évêque tenait à l'exacte observation de cette ordonnance. Dans sa visite aux Échel- les, le 18 octobre 4493 , Mgr trouve le Saint-Sacrement dans deux pixides: l’une de bois, l’autre de laiton, etil défend, sous peine d’excommunication et de 20 livres d’a- mende , de placer désormais le Saint-Sacrement dans la pixide de bois , 2x bostia (alias bustia) nemorea. Si l'on rencontre encore, plus tard, de rares pixides en bois, ce n’est que par exception et abusivement. Elles durent être, dès-lors, d'argent, ou au moins de laiton ou d’étain, en très-bon état. Quant au lieu même où devaient être déposés les vases contenant les saintes espèces , on ne voit rien de bien dé- terminé au XIV® siècle et au commencement du XV°. Les visites de ce temps insinuent seulement que les reposoirs devaient fermer à clef (à moins que les pixides, ou custo- des, ne fermassent déjà elles-mêmes à clef). La custode était quelquefois simplement posée sur l’au- tel, 2n capsa (alias capsula, alias bostia) nemorea supra 230 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. altare. S'il arrivait alors que la custode ne fermât pas à clef, cette circonstance attirait toujours un sévère et juste blâme. D'autres fois la custode était suspendue , par une petite corde, sur l’autel, suspensum cum cordula supra altare; ou suspendue sur l'autel, à la manière d’une lampe, ad modum unius lampadis. Ce mode de suspen- sion est constaté en termes laudatifs (Visite du Bourget, 22 mars 1458)... Visitavit Corpus Christi repositum in quodam vase cupreo bene honesto supra altare, ad mo- dum unius lampadis, et bene stat. Au XIVe siècle et dans la première moitié du XVe, la custode est ordinairement déposée dans une arche, ou ar- moire mobile, fermant à clef, et placée tantôt à droite ou à gauche de l'autel, tantôt derrière. Cette arche, ou ar- moire, devait avoir plusieurs compartiments, pour que les reliques et les saintes huiles ne fussent pas mêlées avec la pixide. Mais une armoire mobile était sujette à bien des incon- vénients: on pouvait la secouer, la transporter, la fractu- rer. Plus d’une fois on eut à déplorer des vols sacriléges. Il fallait des armoires qui présentassent plus de solidité et de garanties. Aussi, dès le milieu du XV° siècle (Visites de 1457-58), nous voyons Mgr Siboud Allemand ordon- ner, dans presque toutes les églises, de pratiquer un en- foncement dans le mur de l’abside , èn muro crotæ pres- byterii, à droite ou à gauche de l'autel ; plus ordinaire- ment à droite; de le revêtir d’ais ou de planches intérieu- rement, foderetur postibus ; de le munir d’une porte so- lide, quelquefois même bardée de fer, et de la faire fermer à la clef pour conserver le corps de Notre-Seigneur. Le temps ne me permet pas d'appuyer d'exemples précis et nombreux, comme je l'aurais désiré, ces simples indica- VINGI-QUATRIÈME SESSION. 231 tions générales ; mais le peu que nous venons de dire, sur les transformations successives des armoires destinées à la conservation du Saint-Sacrement , n’est autre chose que l'histoire, en deux mots, de tous les petits ciboria, ou re- posoirs de toutes les églises du diocèse. C’est aussi, en quelque sorte, l’histoire du ciborium de la cathédrale de Grenoble, puisque la transformation des armoires, ou re- posoirs mobiles, en reposoirs fixes pratiqués dans le mur de l’abside, dans les diverses églises, avait lieu précisé- ment à la même époque où Mgr Siboud , prêchant d'exem- ple, travaillait à remplacer l'armoire de bois dans laquelle reposaient, avant lui, les saintes espèces, derrière l'autel dé la cathédrale, par ce magnifique tabernacle que l’on admire, et dont nos vœux appellent ardemment la parfaite restauration. M. Emile Gueymard donne lecture d’une disser- tation sur l'utilité du regazonnement, pour prévenir les inondations; cette dissertation sera imprimée dans les travaux de la section d'agriculture. M. le Président met ensuite aux voix la résolu- tion suivante proposée par la même section : Le Congrès, Sur les première et deuxième questions du programme de la section d'agriculture , commerce et industrie, c’est- à-dire sur la question de savoir quels seraient les moyens les plus efficaces de s'opposer aux dévastations des tor- rents et des rivières, et sur celle de savoir si les moyens 232 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. proposés sont d'une exécution facile, conciliable avec l'é- tat actuel de la législation , Est d'avis Que, s’il ne dépend pas de l’homme d'arrêter complé- tement les effets des inondations, il est possible de les atténuer par l'emploi, suivant les circonstances locales , du reboisement, du gazonnement, des barrages, des fossés horizontaux, des réservoirs, du drainage, du curage des cours d’eau, Et que la législation et l’organisation actuelle du ser- vice hydraulique et forestier sont insuffisantes pour pré- venir les funestes défrichements des pentes rapides des montagnes, pour restreindre un pâturage excessif et des- tructeur et pour assurer le rétablissement et la durée des bois et des gazons. Cette résolution est adoptée à l'unanimité. La séance est levée à cinq heures et demie. SIXIÈME SÉANCE GÉNÉRALE. 9 septembre 19357. Présidence de M. Roux, deuxième vice-Président. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 233 M. le secrétaire général fait connaître la eorres- pondance et les ouvrages offerts au Congrès. Les secrétaires particuliers lisent les procès-ver- baux de leurs sections respectives. Sur la proposition de trois sections, le Congrès a pris la délibération suivante : 10 Le Congrès reconnaît en principe l'utilité des fermes écoles , principalement pour la formation des chefs de pratique agricole. Il est en même temps d’avis que l’agriculture a un im- mense intérêt à ce que l'instruction agricole soit donnée au moyen de cours élémentaires faits sur place par des professeurs nomades et, surtout, au moyen de l’enseigne- mént obligatoire de l’agriculture dans les écoles normales primaires et dans les écoles primaires elle-mêmes. 2° Le Congrès émet le vœu que les éditeurs d'Auxerre qui ont commencé la rédaction des œuvres de l’abbé Le- bœuf complétent leur entreprise en publiant la collection de toutes les dissertations particulières de Lebœuf et y joignent la correspondance de ce savant avec le chanoine Fenel. | 3° Le Congrès émet le vœu que les villes de quelque im- portance cherchent à profiter de leurs ressources de di- verses sortes. pour établir des cours de littérature fran- çaise à l'usage des ouvriers, dans le but de mettre à leur portée les chefs-d’œuvre de nos grands auteurs classiques, et de les interpréter dans le sens le plus propre à ins- truire leur inlelligence et à élever leurs âmes. 23% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Albert du Boys, secrétaire général, lit au nom de M. l'abbé Hugonin, directeur de l’école des Carmes, le mémoire suivant, communiqué à la section de littérature et de philosophie dans la séance du 8 septembre et relatif à cette question soumise au Congrès : Comment et à quelles conditions l'art peut-il s'élever à la plus haute moralité, sans même que l’œuvre présente , par le fait, aucune COpsAins morale ? L'art est essentiellement distinct de la morale, et ses œuvres, de là vertu ou même du simple enseignement de Ja vertu. Dire par conséquent de l’art qu’ilest moral, ce n’est pas dire qu’il dicte des lois à la volonté, qu'il règle l'usage de la liberté ou qu’il enseigne la nature ou la pratique de la vertu ; car tout cela appartient au domaine de la mo- rale ou de la religion. L'art est moral quand il porte à la pratique du bien, qu'il excite et favorise la vertu, qu'il est pour elle un aimable et puissant auxiliaire. Le poète sans doute, aussi bien que le philosophe, peut donner des lecons de vertu , mais alors il n’est pas seulement artiste, il est moraliste. Nous ne lui défendons pas d’unir deux titres qni vont si bien ensemble; mais les unir ce n’est pas les confondre. La question proposée par le programme peut donc se traduire ainsi: l’art a-t-il par lui-même la puissance de porter les âmes à la pratique du bien? Comment et à quelles conditions l’exercera-t-il dans toute son éten- due ? VINGT-QUATRIÈME SESSION. 235 À cette question, nous répondons que l’art véritable favorise par lui-même la vertu, et qu'il lui suffit, pour arriver à une haute moralité, de s'élever à une haute per- fection. En d’autres termes, l’art est moral par sa na- ture, il fait naître naturellement, et indépendamment de toute circonstance, dans ceux qui comprennent ses œu- vres, des sentiments purs, élevés, généreux, qui ne sont pas encore la vertu, mais qui la préparent; en un mot, il excite à l'amour et à la pratique du bien en faisant goûter et aimer le beau. C’est la seule moralité qu’on puisse rigoureusement lui attribuer. Telle était la pensée de Platon, lorsqu'il prescrivait aux magistrats chargés de veiller à l'éducation de la jeu- nesse, de bannir avec une égale rigueur de sa Républi’ que les hommes lâches et vicieux et les méchants artistes, et, au contraire, de présenter de toute part aux regards des jeunes gens les images pures de la beauté, afin qu’ils en nourrissent leurs âmes comme d’une nourriture céleste. C’est qu’en effet, il y a entre l’art et la morale, entre l'œuvre de l'artiste et la bonne action de l’homme ver- tueux, desrapports profonds et intimes. Nul doute que les arts ne reflètent l’état moral d’un peuple, nul doute aussi que les arts n’exercent sur les mœurs une heureuse ou une funeste influence; le fait, pris dans sa généralité, nous paraît incontestable ; nous ne nous arrêterons pas à le démontrer. . Mais quelle est la nature de ce rapport? Comment . l'art agit-il sur la morale et la morale sur l’art? Pro- blème difficile et délicat, dont la solution est cependant nécessaire pour démontrer la thèse que nous avons énon cée. 236 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. , Pour mettre plus de méthode et de clarté dans une discussion un peu abstraite, nous la résumons dans les deux questions suivantes : L'objet de l’art est le beau, l’objet de la morale est le bien : quel est le rapport du beau et du bien? L'artiste par ses œuvres exprime et révèle le beau : l'homme vertueux aime et pratique le bien: comment l'action du premier prépare-t-elle l’action du second ? I. Nul doute que le beau ne soit absolu; il ne devient pas, il est; l'artiste ne le fait pas, il le contemple et l’ex- prime, comme le philosophe ne fait pas le vrai, il le percoit etl’affirme; comme l’homme vertueux ne fait pas la loi morale, il la reconnaît et l’observe. Si l'artiste faisait le beau, le beau dépendrait de l’artiste; c’est le contraire qui arrive , le beau est sa loi ; il peut la violer, mais la loi demeure pure, intacte et elle condamne son œuyre. Mais suffit-il de dire que le beau est absolu, et même qu'il est Dieu, pour faire connaitre les rapports du beau et du bien ? Evidemment non: car le vrai, comme le beau, est absolu, il est Dieu; le bien, comme le beau, est abso- lu, il est Dieu. C’est ce qu'ils ont de commun ; mais où est la différence qui les distingue? Car ces choses sont distinctes ; autrement il faudrait condamner le langage universel du genre humain. Ces mots vrai, beau et bien ne sont en aucune langue des expressions synonymes. Nous sommes conduits, par la nature même des ques- tions que nous examinons, aux régions les plus élevées et les plus explorées de la métaphysique. Nous devons fixer VINGT-QUATRIÈME SESSION. 231 nos regards sur l'être absolu, sur Dieu, dans lequel tout s'unit sans se confondre, parce qu'il est le principe de tout. Ce n'est pas sans une frayeur involontaire que je m'engage dans ces voies si difficilement accessibles. Mais Messieurs, votre présence m’encourage, loin d'augmenter mes craintes. Si je chancelle vous me soutiendrez ; et si je m'égare vous me raménerez. L'être absolu présent à toute intelligenceet qui se révèle dans toute pensée, n’est pas un être purement abstrait, un idéal sans vie; il est, pour me servir d’une belle expres- sion des scolastiques, il est un acte pur; il vit de la vie la plus parfaite, c’est-à-dire de la vie intellectuelle et morale ; il est, il pense, il aime. Ilest, c’est la première notion sous laquelle l’intelli- gence de l’homme le saisit; il est l'être : ego sum qui sum. Il perse, et sa pensée est infinie et parfaite; elle s’ac- complit tout entière en lui-même ; il ne pense pas un objet placé hors de lui qui complète sa vie; il se pense lui-même, il est l’intelligibilité qui est pensée, et l’intel- ligence qui la pense; il s'établit, dans les profondeurs mystérieuses de l’être, entre la pensée et son objet, une relation que je ne comprends pas, mais que je constate. Ce rapport de l'être et de la pensée est ce que les philo- sophes et les théologiens appellent la vérité. La vérité n’est donc pas une puissance, elle est un acte; elle n’est pas seulement possible, elle est. L'être ne peut pas ne pas être intelligible, car s’il ne l'était pas, qui le serait en dehors de lui, et d'où inaîtrait l’intelligibilité ? il ne peut pas ne pas être actuellement pensé, car, s’il ne . l'était pas, quand et comment pourrait-il l'être ? il ne peut donc pas ne pas être intelligent; autrement qui serait, en dehors de lu, l'intelligence qui le penserait ? 238 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La vérité est donc l'être pensé; elle en possède toute la plénitude et toute la perfection; elle est une comme l’être, et la corruption qui détruit l’unité, n’a aucune prise sur elle ; la vérité est l'image de l'être : il y a entre elle et l'être convenance parfaite, similitude parfaite, égalité par- faite. Toute la réalité de l’être est dans la vérité; la vérité est son image consubstantielle. Enfin la vérité est l’intel- ligibilité de l'être, sa splendeur et son éclat, c’est-à-dire qu'elle possède toutes les conditions essentielles de la beauté. La beauté n’est en effet autre chose que la vérité, con- sidérée comme l’image parfaite, consubstantielle et bril- lante de l'être; la beauté c’est l’être manifesté dans et par la vérité, c’est la splendeur de la vérité. On comprend maintenant comment le beau ne se fait pas, comment il est absolu, éternel, immuable. Comme l'être pensé s'appelle vérité, etl’éclatet la splen- deur de la vérité, beauté, ainsi l'être aimé ou voulu s’ap- pelle bien. La beauté est cette propriété par laquelle l'être convient à la volonté, de même que la vérité est cette pro- priété par laquelle l'être convient à l’entendement. Comme il y à un entendement nécessaire dans lequel la vérité et la beauté sont éternellement engendrées, il y a un amour nécessaire dans lequel l’être est éternellementaimé et dans lequel il est éternellement le souverain bien. Ainsi le vrai, le beau, le bien sont distincts, mais ils sont intimement unis; il existe même entre eux une sorte de subordina- tion logique ou de hiérarchie qui n’entraîne toutefois aucune inégalité. Le vrai suppose l'être, le beau suppose le vrai, dont il est la splendeur ; le bien suppose le vrai et le beau, car l’être n’est voulu et aimé qu’autant qu’il est connu dans la vérité et la beauté. La vérité sans beauté - VINGT-QUATRIÈME SESSION. 239 serait une vérité sans éclat, un soleil sans rayons lumi- neux ; la vérité et le beau sans le bien seraient stériles, et le bien sans le vrai et le beau serait aveugle et fatal, il sérait sans moralité. C’est pourquoi les philosophes en- seignent qu’il existe entre ces notions un rapport mys- térieux, que, dans leur langage un peu barbare, ils appellent rapport d’affirmabilité ; c’est-à-dire qu’on peut réciproquement affirmer ces termes l’un de l’autre : on peut dire du bien qu’il est beau et qu'il est vrai, du beau qu’il est bien, etc... Tels sont les rapports du vrai, du bien et du beau. Ïl. Ces notions, trop abstraites peut-être, étaient né- - cessaires pour expliquer la sublimité de l’art, la dignité de l'artiste et la moralité de ses œuvres. L'artiste ne fait donc pas le beau, mais il le contemple, il le manifeste, il. le révèle, et en cela il est associé aux œuvres mêmes de Diéu. Dieu est le premier grand maître de l’art ; il est à la fois l'art et l’artiste parfait, puisqu'il réalise en lui-mème, dans l’acte de sa vie, la suprême beauté. Cette beauté qui esten lui-même, qui est lui-même, il ne s’est pas contenté de la posséder pour lui, il l’a manifestée dans la création, non en s’y écoulant et en y tombant lui-même, pour de- venir le sujet des variations qui s’y accomplissent, mais en produisant, comme cause première, l’image de la beauté absolue dans les créatures limitées. Ainsi le monde est beau, mais les beautés créées qu’il renferme ne sont belles que parce qu’elles expriment dans leur langage im- parfait, quelque chose de la beauté parfaite. C’est le beau naturel que l'artiste est appelé à continuer par le beau artificiel. C’est ce qu'il nous faut maintenant expliquer. 240 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. L'artiste, quel qu'il soit, poète, peintre, sculpteur, ar- chitecte, musicien, est appelé à continuer, en un sens très-réel, l'œuvre de la création. Toute œuvre de l’art, en effet, est la manifestation d’un type, un mot qui exprime une idée. C’est ce type ou cette idée qui donne à la matière, à la couleur, au son, au mouvement, au bronze ou au marbre sa forme et sa beauté. Plus l’idée pénètre le signe matériel qu’elle revêt, plus l’œuvre est son expreesion fidèle, plus aussi elle est une, vivante, parfaite, belle. Mais ce type lui-même, cette idée que l'artiste révèle par son art, que sont-ils? sont-ils une réalité ou une vaine imagination, objectifs ou purement subjectifs? Une imagination sans réalité objective ne peut être qu’une simple modification subjective de l’âme, quelque chose qui ressemble fort à une pure sensation. Mais toute sen- sation est aveugle; qui oserait dire que les chefs-d'œuvre de l’art ne sont que les échos plus ou moins imparfaits d’une sensation? Un pareil langage serait inintelligible. Si ce type idéal est une réalité, quelle est son origine ? Est-ce l'intelligence qui l’a créée? Mais comment l'homme qui ne peut créerla matière et qui n’a que le pouvoir de la modifier dans certaines limites, comment créerait-il des êtres beaucoup plus parfaits? comment produirait-il par sa propre fécondité ce qui donne à la matière une valeur mille fois plus grande que celle qu’elle possède par elle- même? D'ailleurs cette création merveilleuse serait-elle libre ou fatale, intelligente ou aveugle ? La seconde hypo- thèse ne peut être admise; la première supposerait dans l'homme l’idée de l’idée, le type du type qu'il veut réaliser; elle recule la difficulté et ne la résout pas. Reste donc à reconnaître que l'artiste ne fait que voir VINGT-QUATRIÈME SESSION. 241 et contempler cet idéal, comme l'enseigne éloquemment Cicéron. Mais ce type qui dirige sa main et qui règle son art n’est pas parce qu'il le voit; il le voit parce qu'il est; il était avant qu’il le découvrit; il était éternellement dans l'intelligence divine; c’est direqu’ilest comme un rayon de la beauté souveraine qui est en Dieu, qui est Dieu, parce qu’il est, comme nous l’avons dit, sa pensée et son image consubstantielle. Telle est, Messieurs, la vraie notion de l’art, son origine, sa fin; telle est la dignité de l'artiste. Les arts nous appa- raissent comme une continuation réelle de la création, ‘avec cette différence que Dieu trouve en lui les types éter- nels desêtres, et que l’homme estobligé de les chercher en Dieu. La révélation de ces types, c’est-à-dire du beau ab- solu, c'est Dieu communiquant à l’homme sa pensée, lui révélant ses desseins pour l’associer à ses œuvres; c’est comme ie conseil qui précède l’exécution. De plus, Dieu crée la matière qui doit exprimer la beauté, l’homme la recoit comme il reçoit l’idée: il ne crée rien, il ne fait qu'unir l’un à l’autre d’une incompréhensible union. L'art n’est donc pas simplement l’imitation de la na- ture comme le veut Aristote, mais il est, comme la na- ture elle-même, l'expression imparfaite de la beauté infi- nie. Les belles œuvres de la nature etde l’art aident l'artiste à s'élever à l'intelligence du beau idéal, comme l’ensei- gne Platon dans sa théorie symbolique de la réminis- cence, mais une fois que l'artiste l’apercoit, il s'attache à lui, il plane librement au-dessus des beautés contin- gentes. Alors seulement il est vraiment inspiré et origi- pal. L'artiste qui voudrait être simplement imitateur, ressemblerait à un homme qui prétendrait composer un discours éloquent en combinant les lettres ou les mots I 46 242 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d’une oraison funèbre de Bossuet sans prendre garde à la pensée. Chercher l'inspiration ce n’est pas chercher une surexcitation fébrile qui n’est que dans les sens et dans l'imagination , c’est chercher le type idéal, c’est-à-dire le rayon du beau absolu qu'on veut manifester. Lui seul donne à l'esprit cette chaleur vraie qui fait le- grand ar-. tiste. Nous avons dit quelle est la nature de l’art et de ses œuvres, il nous reste à faire connaître sa moralité. L'artiste travaille donc avec Dieu à réaliser la même beauté. Mais la beauté plait à celui qui la contemple, elle le charme, elle l’attire , elle inspire l'amour. Il est aussi naturel d'aimer le beau qu'il est naturel d'affirmer le vrai. Telle est encore la pensée de Platon. Il l’exprime sous cette forme symbolique et poétique dont il aime à revêtir ses doctrines, il suppose les âmes parcourant d’abord les cieux et contemplant, à la suite des dieux, les essences immuables parmi lesquelles se trouve la beauté. Puis quand les ailes qui les soutenaient dans ces régions supé- rieures viennentà tomber, elles sont emportées cà et là jus- qu'à ce qu’elles s'unissent à un corps terrestre oùelles éta- blissent leur demeure. Jetées ainsi sur la terre , elles ne se nourrissent plus d’essences, elles se repaissent de con- jectures; le souvenir des mystères qu’elles ont célé- brés et des jouissances ineffables qu’elles ont goûtées dans cette béatitude primitive s’affaiblit et s’efface. Mais quand elles apercoivent dans les êtres passagers qui les en- tourent un pâle reflet de la beauté céleste , ce souvenir se ravive et les enflamme. Il ‘ranime en elles l’amour du beau; elles le cherchent dans tous les objets qui en retra- cent l’image; elle les poursuivent, elles les aiment, non d'un amour sensuel et grossier, mais d’un amour pur et VINGT-QUATRIÈME SESSION. 243 chaste, ou plutôt elles aiment en eux la beauté absolue : elles brûlent de s'envoler vers elle, et, dans leur impuis- sance , elles lèvent, comme l'oiseau, les yeux vers le ciel, et, négligeant les affaires d’ici bas, elles passent pour in- sensées. C'est le délire, c’est l'enthousiasme , c’est l’inspi- ‘ ration du poète et de l'artiste, c’est l’extase mystique, c’est l'amour pur et sans retour sur soi-même. « O mon cher Socrate, s’écrie l’étrangère de Mantinée, qui développe dans le Banquet ses brillantes et subli- « mes théories, ce qui peut donner du prix à cette vie, c’est le spectacle de la beauté éternelle. Auprès d'un tel spec- « tacle que seraient l'or, les parures et les beaux objets « dont la vue aujourd’hui te trouble, et dont la contem- « plation a tant de charme pour toi? Je te le demande, « quelle ne serait pas la destinée d’un mortel à qui il serait donné de contempler le beau sans mélange, dans « sa pureté et sa simplicité, non plus revêtu de tous ses « vains agréments destinés à périr; à qui il serait donné « de voir face à face, sous sa forme unique, la beauté di- « vine? Penses-tu qu’il eût à se plaindre de son partage, « celui qui, dirigeant son regard sur un tel objet, s’at- « tacherait à sa contemplation et à son commerce? » Nousavonsemprunté le langage poétique de Platon pour exprimer l’effet naturel du beau manifesté dans les œu- yres de la nature ou de l’art. Cet effet naturel est d’inspi- rer l'amour. N'est-ce pas ce que Dieu s'était proposé dans la créa- tion du monde dont les œuvres de l’art ne sont que la con- tinuation ? les créatures racontent et célébrent sa gloire, c'est-à-dire sa beauté; et l'être intelligent, en les contem- plant, devait s'élever jusqu’à la contemplation de cette beauté suprême, l'aimer, la chanter et l’exprimer à sa ES À A 244 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. manière. Mais cette grande harmonie est diflicilement comprise. Les créatures, depuis la chute de l’homme, ont été voilées pour lui comme d’un épais nuage. Dès lors il ne s'élève que rarement jusqu’à la beauté divine qu’elles manifestent. Trop souventil s'attache à l'élément matériel et sensible, impur et ténébreux, comme ces hommes stu- pides et grossiers qui, en présence des chefs-d'œuvre de l’art, ne voient rien, ne sentent rien, si ce n’est la toile ou le marbre sur lesquels l'artiste à gravé sa pensée; mais cette pensée leur échappe. La créature a été souillée pour lui , les créatures lui sont devenues impures, dangereuses et quelquefois mortelles. Les élus les plus parfaits, qui étaient destinés à manifester la beauté avec plus d'éclat, au lieu de la révéler, l’obscurcissent, au lieu d’en exciter l'amour, l’éteignent parce qu'ils surexcitent les sens aux dépens de la raison. Malgré ces désordres, il n’en demeure pas moins vrai que les œuvres de la nature et de l’art, en manifestant la beauté absolue, la font aimer. Or, c'est là toute la moralité qui leur convient. Car cet amour du beau absolu, s’il n’est pas la vertu, n’est-il pas une heureuse disposition qui prépare l’âme à la pratiquer? C’est là une des conséquences des rapports intimes que nous avons découverts entre le beau et le bien. L'amour du beau est-il bien différent de l'amour du vrai et du bien ? Non, sans doute, puisque le beau et le bien sont le même être considéré sous des aspects différents. Or, l'amour pratique du bien c’est la vertu. Voilà ce que prouve le raisonnement. Nous pourrions facilement confirmer par l'expérience ces importantes conséquences. J'en appelle à vous-mêmes, Messieurs , à vous dont le goût est si pur, si cultivé et si délicat. Sans VINGT-QUATRIÈME SESSION. 245 doute, il vous est arrivé plus d’une fois d'éprouver les . douces et chastes impressions de la beauté divine, en présence des œuvres de Dieu ou des œuvres de l’homme qui la manifestent. N’est-il pas vrai qu'alors, au moins tant que durent ces impressions, la paix se fait dans l’âme, les passions se calment, la volonté est moins cap- tive des sens, la loi morale paraît moins austère, le devoir moins pénible, le dévouement et l’héroïsme plus faciles : on se sent plus porté à aimer Dieu et ses semblables. Je résume et je conclus : l’objet de l’art est le beau, l'objet de la morale est le bien. L'artiste par ses œuvres exprime le beau, il le révèle aux autres après lavoir con- templé lui-même, et en l’exprimant et en le révélant, il le fait aimer, car le beau est naturellement et essentielle- ment aimable. L'homme vertueux approuve le bien, il l'aime, il le pratique. | Mais le beau et le bien absolus sont intimément unis, puisqu'ils ne sont que des aspects différents de l'être absolu qui est Dieu. Donc l’artiste, en faisant connaïtre et aimer le beau, dispose la volonté à aimer et à pratiquer le bien. Donc l’art peut s'élever à la plus haute moralité qui lui est propre, sans que son œuvre présente, par le fait, au- cune conclusion morale, à la seule condition qu'il s'élève à une haute perfection. M. le docteur Leroy lit ensuite le récit de son séjour à l’île d’Elbe, en 1813 et en 1814. Ce récit, imprimé dans le Courrier de l'Isère, a fait aussi l'objet d’une publication particulière. La séance est levée à cinq heures. 246 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SEPTIÈME SÉANCE GÉNÉRALE. 10 septembre 1857. Présidence de M. Bally, troisième vice-président. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le secrétaire général rend compte de la corres- pondance et des ouvrages offerts au Congrès; il pré- vient MM. les membres de l’assemblée que demain, on ira visiter la bibliothèque et le musée de peinture. Les secrétaires particuliers lisent les procès-ver- baux de leurs sections respectives; sur la demande de la cinquième section et sur un exposé des motifs présenté par M. Albert du Boys, M. le président soumet au Congrès le vœu que le gouvernement crée en France une école de paysage qui soit placée à Grenoble. Ce vœu est adopté par le Congrès. Voici l'exposé des motifs présentés par M. Albert du Boys sur cette question du programme : N'yaurait-il paslieu de créer une école de paysage en France ? Dans ce cas, où faudrait-il la placer ? On envoie à Rome tous les ans à la grande école fran- caise de la Trinité du Mont, les jeunes peintres qui ob- YINGT-QUATRIÈME SESSION. ‘ 247 tiennent des prix de concours, et leur éducation s'achève ainsi en Italie sous les yeux d’un de nos maîtres les plus habiles. Cette faveur est accordée quelquefois à de jeunes peintres de paysages, bien plus rarement, il est vrai, qu'aux peintres d’académies ; mais enfin, ces cas, bien que moins fréquents, doivent être prévus. Si d’ailleurs il y avait quelque part une école spéciale de paysage, le nombre des élèves qui y seraient admis pourrait devenir très-élevé, parce qu'aux jeunes peintres qui auraient gagné au concours leur entrée gratuite dans l’école, vien- draient se joindre beaucoup d’élèves volontaires et payant une rétribution. La seule question qui se présente ici est donc celle de savoir si cette école pourrait être vraiment utile aux pro- grès de l’art et de décider dans quel lieu il faudrait la placer. Et d’abord, qu’on veuille bien le remarquer, ce que nous demandons pour la France, existe déjà dans une ville qui est sur ses frontières : Genève à une école de paysagistes, cette école a produit plusieurs peintres dis- tingués, parmi lesquels on cite Diday et Calame. Pourquoi ce dernier a-t-il si fidélement et si idéalement rendu les vues des lacs et des glaciers de la Suisse ? Parce qu’il les a étudiés avec amour dans leurs aspects les plus divers, à toutes les heures de la journée, au milieu des vapeurs du matin comme au milieu des splendeurs de midi. Et comme l’art consiste à choisir et à calquer, à reproduire ce qui est le mieux en soi et ce qui convient plus spécialement aux moyens de l'artiste, il est évident que l'étude approfondie d’un pays est nécessaire pour le peindre avec une vérité supérieure. Or, il est en France une contrée qui égale la Suisse et 248 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la Savoie, par la beauté et la variété de ses sites, c’est le Dauphiné. Grenoble, qui en était l’ancienne capitale, n’a pas seu- lement l'avantage d'être pittoresquement assise au sein de l’une des plus délicieuses vallées du monde; elle offre encore de nobles aliments à l'intelligence par ses facultés des sciences et des lettres, et les jeunes peintres trouve- raient à y cultiver leur esprit en même temps qu'à y exercer leurs pinceaux. On ne nous fait qu'une seule objection : la lumière n’a pas, dans les Alpes, la splendeur qu’elle déploie dans le midi de l'Italie. Mais elle est plus belle que dans le nord, et cependant, où l’art du paysage at-il été porté plus loin que dans la Flandre et la Hollande ? La patrie des Paul Potter, des Ruisdaël et des Wouverman possède un climat triste et sombre; le soleil y est souvent voilé par les brumes de l'Océan. Ces grands peintres n’ont-ils pas tiré de l'observation même de la nature, en apparence pâle et décolorée, des effets d’une grâce et d’une mélan- colie ravissantes ? Nos glaciers, nos cascades, nos lacs de montagnes, et surtout les admirables lointains que présentent nos Alpes, seraient un vaste et inépuisable sujet d’études pour une école de jeunes peintres. De la fin du printemps jusqu'au commencement de l'hiver, ils se répandraient dans nos vallées les plus reculées et jusqu'ici les plus inconnues, et ils en rapporteraient des vues d'une originalité pitto- résque et grandiose. L'hiver on recommencerait dans l'atelier du maître l’enseignement théorique et pratique. Au surplus, la première idée de fonder une école de paysage à Grenoble ne nous appartient pas. Nous devons la restituer à l’un des anciens préfets de l'Isère, M. d'Haus VINGT-QUATRIÈME SESSI ON. 249 sez, qui a administré notre département avec tant de zèle et de capacité, y a tracé des routes nombreuses et laissé tant de bons et honorables souvenirs. Quand il fut mi- nistre de la marine, en 4830, il se souvint de ses anciens projets relativement à la création d’une école de paysage à Grenoble , et il aurait employé son crédit à les faire réaliser, si une révolution n’était pas venue le renverser du pouvoir en brisant un trône et en chassant une dynastie. A présent que nous avons recouvré quelque sécurité après tant d’orages, espérons quele gouvernement songera à protéger les arts, non-seulement à Paris, mais jusque dans le fond de nos provinces, et qu'il dotera Grenoble de l'école de peinture qui lui avait été promise dans un autre temps. M. Albert du Boys donne lecture d’un mémoire sur le Miroir des Saxons. (Ce mémoire fait partie du deuxième volume de l'Histoire du droit criminel des peuples modernes que M. Albert du Boys vient de publier.) M. A. Philibert-Soupé litune étude sur la vie de Jacques Amyot. (Cette étude est destinée à être imprimée plus tard.) La séance est levée à cinq heures. À huit heures du soir, M. le maire de Grenoble a réuni MM. les membres du Congrès dans les sa- 9250 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. lons de l'Hôtel-de-Ville pour y passer la soirée. Un punch leur a été offert au nom de la ville. Cette réu- nion , à laquelle ont assisté les principales autorités, a été fort nombreuse. HUITIÈME SÉANCE GÉNÉRALE. 41 septembre 185%. Présidence de M. de Caumont, premier vice-président. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Le secrétaire général donne connaissance de la correspondance et des ouvrages adressés au Congrès. M. le président lit une lettre qui lui est adressée par M. le préfet des Basses-Alpes, sur la grave question des inondations. MONSIEUR LE PRÉSIDENT, Le Conseil général de mon département, dans la ses- sion qui vient de finir, s’est longuement occupé d’une question qui présente le plus grand intérêt pour les dé- partements montagneux en général, et en particulier pour ceux que traverse la chaîne des Alpes. Je veux par- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 251 ler du reboisemont et du regazonnement des montagnes et de l'extinction des torrents. La solution de ce problème ne pouvant que gagner à être soumise aux lumières des membres du Congrès qui doit se tenir à Grenoble sous votre présidence , j'ai l’honneur de vous transmettre, en vous priant de vouloir bien les leur communiquer, les rapports, procès-verbaux et dé- libérations dont cette importante question a fait l’objet. Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma haute considération. Le Préfet des Basses-Alpes, G. GUILLAUME. Cette lettre et les pièces qui y sont jointes sont renvoyées à la section d’agriculture où il en sera fait un rapport. M. le président présente deux arrêtés pris, le 10 septembre, par le bureau du Congrès, pour la tenue de cette assemblée en 1858 et 1859, et pour la pu- blication des comptes-rendus de la présente session. Ces deux arrêtés sont approuvés. ARRÊTÉ PRIS, LE 40 SEPTEMBRE 1857, PAR LE BUREAU DU CONGRÈS, POUR LA TENUE DE CETTE ÀSSEMBLÉE EN 1858 ET 1859: ART. 4®%. Le Congrès scientifique de France siégera à Auxerre en 1858, conformément à l'arrêté pris par l'Institut des provinces et adressé à M. Challe, secrétaire général de cette session. 252 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ART. 2. La vingt-sixième session du Congrès se tiendra à Li- moges , en 1859. ART. 3. M. Alluaud aîné, membre du conseil général de l’a- griculture et président de la Société académique de Li- moges, est nommé secrétaire général de la vingt-sixième session du Congrès. M. l’abbé Arbellot, chanoine archiprêtre, est nommé secrétaire général adjoint. ART. 4. ; MM. Alluaud et Arbellot complèteront le bureau cen- tral etdésignerontle trésorier etles secrétaires dessections; ils s’entendront avec les autorités locales pour la tenue du Congrès, et prendront toutes les mesures qui leur parai- tront utiles pour le succès de cette session, en se confor- mant au réglement du Congrès scientifique , approuvé par le ministre de l’intérieur, en 1837. ART. 5. MM. les secrétaires généraux de la vingt-sixième session soumettront à l'Institut des provinces le pro- gramme de la session. Ce programme ne pourra être im- primé qu'après avoir reçu l'approbation de cette compagnie. ART. 6. La convocation sera faite au moyen d’une circulaire adressée aux savants de la France et de l'étranger. Les secrétaires généraux des précédentes sessions seront priés d'aider les secrétaires généraux de la vingt-sixième session dans cette distribution. VINGT-QUATRIÈME SESSION. - 953 ARRÊTÉ CONCERNANT LA PUBLICATION DES COMPTES- RENDUS DE LA XXIV® SESSION. ART. 4er. MM. les secrétaires de la vingt-quatrième session se- ront, selon l’usage, chargés de la publication du compte- rendu de cette session ; ils reverront, à cet effet, les mé- moires présentés au Congrès et choisiront ceux qui leur paraîtront les plus importants; ils pourront n'imprimer que par extrait ou même supprimer, s'ils le jugent con- venable, les mémoires lus pendant la session, lors même que l'impression en aurait été demandée en séance. ART. ©. MM. les secrétaires généraux et le trésorier de la vingt- quatrième session présideront à la distribution du compte- rendu, dont cent exemplaires seront adressés, au nom du Congrès, aux Sociétés savantes dont la liste a été pu- bliée dans l'annuaire de l’Institut des provinces. Cent exemplaires seront distribués aux bibliothèques publi- ques et aux Sociétés savantes de l'étranger. ART. 3. Conformément aux délibérations antérieures , les fonds qui resteraient en caisse, après l'impression du compte- rendu, seront remis au trésorier de l’Institut des pro- vinces. ART. 4. Après la distribution du compte-rendu aux membres du Congrès de la vingt-quatrième session, aux Sociétés savantes et aux bibliothèques, le reste des exemplaires sera déposé dans les archives de l’Institut des provinces, et après que vingt-cinq exemplaires auront été remis 25% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. chez M. Derache, libraire à Paris, qui rendra compte des résultats de la vente au trésorier de l’Institut des provinces. M. le président annonce la mort de quatre mem- bres de l’Institut des provinces, savoir : M. le comte Félix de Mérode ; M. Bertini, de Turin, choisi vice- président général par quatorze sessions et nommé officier de la Légion d'honneur sur le vœu du Congrès ; M. le baron Chaillou des Barres, et M. d’'Hombres: Firmas. Les secrétaires particuliers lisent les procès-ver- baux de leurs sections respectives. Le Congrès, sur la proposition de deux sections et de ses bureaux, émet à l'unanimité le vœu pressant que les départements de l'Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes accordent des allocations pour la pu- blication de la carte géologique du Dauphiné, dres- sée par M. Lory. Le Congrès émet ensuite les vœux suivants, pro- posés par la section d'histoire et de philosophie. 4° Que M. le ministre de l'instruction publique veuille bien allouer les fonds nécessaires à l’impression du car- tulaire de l'évêché de Grenoble, dit cartulaire de saint Hugues, dont la copie est depuis longtemps préparée avec toutes les tables et toutes les notes réclamées par le comité des documents historiques. 2 Que M. le maire de Grenoble prenne des mesures DE VINGT-QUATRIÈME SESSION. 255 pour faire publier 2n extenso le texte des chartes commu- nales, réunies par M. Pilot, et compléter, autant que pos- sible, la série de ces chartes. M. Robiou de la Tréhonnais lit un discours sur diverses excursions faites par la section d'agricul- ture aux alentours de Grenoble, à Beauregard , chez M. Réal; à l’asile de Saint-Robert ; à Voreppe, et à la Buisse , chez M. de Galbert. M. Lory rend compte, au point de vue géclogi- que, de la course faite à Voreppe. M. Reynaud lit la note suivante sur la fabrique de filets de MM. Rome et Jourdan. Cette fabrique, établie depuis peu d'années sur la route du Pont de Fer, avenue Berriat, à 4500 mètres environ de Grenoble, constitue une industrie toute nouvelle dans nos contrées. Elle est dirigée par MM. Rome et Jourdan, qui ont pris un brevet d'invention. Ils ont obtenu à l'exposition universelle une médaille de deuxième classe pour fabrication de filets de pêche ; et au concours régional, tenu à Grenoble en 1855, une mé- daille de bronze pour fabrication de filets à déliter les vers à soie. Encouragés par ces témoignages honorables et aussi par les résultats qu'ils ont acquis, MM. Rome et Jourdan ont résolu de donner une grande extension à leur indus- trie. Ils veulent établir 40 métiers de fabrication. Le mécanisme est très-ingénieux, mais ne peut être compris qu’en lé voyant fonctionner et à l’aide des expli- 256 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cations qui ont été données par M. Rome à la commission qui est allée visiter cet établissement. Il suflira de dire que chaque métier fait mouvoir jusqu'à deux cents na- vettes à la fois. Le mouvement du métier, dirigé par un seul ouvrier, forme la maille du filet, au moyen d’un nœud très-solide et dans les dimensions voulues. Un compteur adapté à chaque métier marque d’une manière invariable le travail exécuté par l’ouvrier. Un métier occupe deux ouvriers. Il emploie par jour 18 à 20 kilogr. de fil. Lorsque les quarante métiers prévus seront installés, la consommation annuelle ne sera pas moindre de 2 à 300,000 kilogr. de fil, représentant en chanvre, matière première, une quan- tité de 500,000 kilogr. environ. Le fil employé à la fabrication du filet est entièrement fait à la main ou au rouet, Les femmes employées à ce travail peuvent filer chacune, en moyenne, 4 kilogr. de fil par jour. En calculant sur cinq à six mois d'hiver pendant lesquels Les femmes de la campagne se livrent à cette fa- brication, on obtient par fileuse environ 150 kilogr. de fil, payé 40 cent. de facon pour la filature, et 20 cent. pour la torsion du fil destiné au filet et quise compose de trois brins. La filature ou la torsion occuperont de deux à trois mille ouvrières disséminées dans les campagnes, principalement dans nos montagnes où elles ne peuvent, pendant l’hiver, se livrer à aucune autre occupation ni industrie. Quant aux filets, un ouvrier, à la main, pourrait fa- briquer en moyenne, par journée de douze heures, jusqu’à 3 mètres de filet semblable à celui qui a été montré à la commission. Or, avec le métier garni de ses deux cents navettes, l'ouvrier peut fabriquer 460 mètres. . VINGT-QUATRIÈME SESSION. 257 Ces détails suffisent pour démontrer les avantages qui, sous le rapport industriel et commercial, résulteront de l'établissement fondé par MM. Rome et Jourdan. Il faut espérer qu’ils parviendront à lui donner toute l'extension qu'ils ont projetée. Mais, sous un autre point de vue, cet établissement offre aussi un grand intérêt. Sous le rapport de l’agriculture , il nous fournit le filet à déliter les vers à soie, dont l'éducation dans le départe- ment de l'Isère a pris de très-grandes proportions. En second lieu, il remplira le vide qui se manifeste depuis douze ans environ dans l’emploi du chanvre pour la fabrication des toiles dites de Voiron. Le chanvre est une des principales cultures de nos pays. Indépendamment de sa valeur comme produit agricole, il est la base essentielle de l’assolement de nos terres. En effet, la fumure nécessaire pour le chanvre suffit, après cette récolte, pour en percevoir trois autres encore, quel- quefois quatre, sans ajouter aucun engrais. Ces chanvres, réduits en quenouilles, étaient filés au rouet par les femmes de nos campagnes, et le fil était em- ployé au tissage des toiles de Voiron. Mais aujourd’hui, le lin, demandé à l'importation, a presque entièrement remplacé le chanvre, et, de plus, tout le fil, soit de lin, soit de chanvre, est entièrement fabriqué à la mécanique. Sous ces deux points de vue, celui de la culture du chanvre que nousavons le plus grand intérêt à maintenir, et celui d'introduire, ou plutôt de rétablir dans nos cam- pagnes le filage au rouet, dans le but de donner du travail aux ouvriers des champs, alors que les travaux agricoles manquent. Sous ces deux points ide vue, disons-nous, Ji 17 258 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'établissement de la fabrique de filets de MM. Rome et Jourdan a paru à votre commission rentrer dans le programme des questions soumises à la deuxième sec- tion, et mériter d’être mentionnée dans les travaux du congrès. M. Émile Gueymard donne lecture d’un mémoire sur le platine des Alpes. Ce mémoire sera inséré dans les travaux de la section des sciences naturelles. La séance est levée à cinq heures et demie. NEUVIÈME SÉANCE GÉNÉRALE. 42 septembre 19537. Présidence de Mer l'Evêque de Grenoble. M. le président annonce que demain dimanche, à deux heures de l'après-midi, aura lieu, dans le jardin des plantes, la distribution des primes par la société d'agriculture de Grenoble; il engage les membres du congrès à se rendre à celte cérémonie : des places leur seront réservées. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 259 Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. le secrétaire général rend compte de la cor- respondance et des ouvrages offerts au Congrès. Les secrétaires particuliers donnent lecture des procès-verbaux de leurs sections. M. Albert du Boys lit le mémoire suivant sur les Ouvriers des Deux Mondes, recueil pour faire suite aux Ouvriers européens, de M. Le Play. Dans ce rapport que la section d'agriculture m’a chargé de vous faire en séance générale, il ne s'agit pas pour moi d’un livre à analyser où d’une revue à apprécier, mais bien d’une œuvre utile à faire connaître et à répandre. Et cependant il faut, pour vous expliquer cette œuvre, que je vousparle du livre de M. Le Play, les Ouvriers européens, et de la revue qué publie la société intérnationale fondée par lui, revue qui a pour titre les Ouvriers des Deur- Mondes. Vous le savez, Messieurs, la révolution de 1848 appela l'attention des gouvernements et des classes supérieures de la société sur les ouvriers industriels et agricoles. Mais M: Le Play n'avait pas attendu cet avertissement de la Providence, pour s'occuper d'eux. Pendant vingt années de voyages en France, en Angleterre, en Espagne, en Autriche, et jusque dans la Suède et la Sibérie, partout il avait observé, questionné, puis noté et mis en ordre le résultat de ses enquêtes. Cela a produit un livre, non pas fait avec deslivres, mais pris dans le vif de la vié humaine, une suite de tableaux de genre, d'un coloris simple et 260 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. vrai, une œuvre de haute littérature, en même temps que de statistique rigoureuse, destinée à préparer la solution des problèmes d'économie sociale qui pèsent comme une menace perpétuelle sur la génération présente. En 4855, étant membre du Congrès international de charité, à Paris, je fis partie de la commission chargée d'examiner le projet de M. Twinning, qui avait demandé qu'il füt fait, au palais de Cristal, dans une salle particu- lière, une exposition d'économie domestique, composée des objets les plus utiles à la classe ouvrière. Cette commission parcourut et étudia l’exposition uni- verselle, afin d'y chercher de quoi meubler une maison modèle construite pour loger et chauffer au meilleur mar- ché possible quatre ou huit familles ouvrières. Elle se dispersa trop tôt pour achever de réaliser le plan de M. Twinning, qui trouva d’ailleurs des obstacles dans le haut commerce français. Mais cela mit les membres de la com- mission en rapport avec l’un des principaux directeurs de l'exposition, qui était M. Le Play, dont nous venons de parler. Nous eùmes donc ainsi l’occasion de l'entendre lui-même parler des classes ouvrières. Le génie c’est la patience, a dit Buffon; ajoutons que c'est la patience éclairée, échauffée par la charité, et nous aurons défini le génie de M. Le Play. Il n’y a que les petits esprits qui soient facilement con- tents d'eux-mêmes. Les hommes supérieurs, au contraire, sont les premiers à sentir et à reconnaître ce qui leur manque. M. Le Play, dans un ouvrage considérable, composé d’un volume in-folio, semblait avoir très-bien tenu les promesses de son titre ainsi concu: Les Ouvriers euro- péens, études sur les travaux, la vie domestique et la VINGT-QUATRIÈME SESSION. 261 condition morale des populations ouvrières de l'Europe et sur les rapports qui les unissent aux autres classes, précédées d'un apercu sur la méthode d'observation. Il y avait faittrente-six monographies complètes de familles d'ouvriers. Il avait pris parmi eux les types les plus divers, depuis le Baskir nomade jusqu’au chiffonnier de Paris. Cependant, il:n’a pas trouvé sa statistique assez étendue, assez variée, et il a voulu la compléter en fondant une sociélé et en établissant un recueil spécial dans ce but. La société qu'il a fondée s'appelle Société internationale des études pratiques d'économie sociales son recueil a pour but de faire connaître les Ouvriers des Deux- Mondes. Expliquons maintenant la méthode suivie dans l’ou- vrage de M. Le Play et dans le recueil qui le continue. Au premier abord, elle ne semble pas s'éloigner, des méthodes ordinaires ; c’est toujours l’analyse et la synthèse appliquées à la science économique, c’est-à-dire l'enquête qui constate les détails, et la statistique qui les généralise. Mais voici en quoi l'enquête et la statistique de M. Le Play différent des enquêtes et statistiques administratives ordi- naires. : Jusqu'à présent on n’a considéré l’homme que sous le rapport de la population, de la consommation et de la production. On a agi à son égard à peu près comme on l’aurait fait pour les races bovine et chevaline. M. Le Play pense que la méthode, quand il s’agit d'êtres appartenant à la race humaine, doit avoir une physio- nomie bien différente ; il estime qu’il faut tenir compte de leur raison et de leur moralité, et que par conséquent l'enquête faite sur des ouvriers doit porter sur leur vie entière. Dans quelles conditions et dans quel milieu sont- 2062 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ils nés? où ont-ils fait leur apprentissage? comment l’ont-ils achevé ? Quelle est leur condition présente et celle de leur famille? peuvent-ils vivre facilement et sans secours? font-ils des économies ? observent-ils, les pratiques reli- gieuses ? ont-ils des habitudes de moralité? À À « Chaque œuvre, dit l'avertissement, p. 10, embrasse la description d’une famille judicieusement choisie, offrant les caractères les plus généraux de la catégorie d'ouvriers dont cette famille fait partie. Cette descrip- tion , dans le cadre actuel des monographies, est ratta- chée tout entière à l'établissement d’un double budget annuel de recettes et de dépenses. « Le budget des recettes présente avec précision toutes les particularités relative aux fravaux et aux 2ndus- tries de la famille; aux ressources tirées des propriétés qu’elle possède ; et enfin aux subventions que le patron lui accorde, ou qui lui sont fournies à divers titres, par les communautés, les corporations, l'Etat, la commune, la bienfaisance publique ou privée, etc. « Le budget des dépenses évalue en nature et enargent toutes les consommations auxquelles donnent lieu la nourriture, l'habitation, les vétements, les récréa- tions , le service de santé, le culte, l'instruction des enfants, les industries, etc. « Ces deux tableaux, où les faits se résument en chif- fres qui se contrôlent réciproquement, signalent tout d'abord l'existence ou l'absence d’une épargne an- nuelle , c'est-à-dire le trait le plus saillant des tendan- « ces de la famille; ils donnent d’ailleurs, à beaucoup d'égards, la définition la plus nette qu'on puisse dési- rer, de l'ensemble de ses habitudes morales ou maté- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 263 « rielles. Ces deux tableaux sont précédés d'observations « préliminaires offrant, dans un texte précis, la des- « cription de la famille, du lieu où elle est établie et de « l’organisation qui la régit; les traits intéressants de ses « mœurs, ses moyens essentiels d'existence, et les phases « principales de son histoire. A la suite de ces mêmes ta- « bleaux viennent successivement les Comptes annexes « aux Budgets et les Notes comprenant les faits impor- « tants d'organisation sociale, les particularités remar- « quables, enfin lesappréciations générales etles conclu- « sions que l’auteur déduit de l’ensemble de ses études. » Plus loin, les fondateurs de la Société internationale avouent que le temps nécessaire leur manque pour entre- prendre ces travaux. Mais ils appellent à leur aide les observateurs de bonne volonté. Toutes les monographies soit sur l’ouvrier de nos contrées , soit sur le pasteur no- made des steppes de l’Asie, soit même sur le demi-sau- vage de l'Afrique ou de l'Australie, seront accueillies avec faveur par la société; les meilleures monographies rece- vront un prix de 500 fr. | Nous ferons remarquer encore, avant de finir, que la So- ciété internationale ne regarde pas les qualités morales de l'ouvrier, de sa femme et de ses enfants comme des faits exträ-économiques ; elle demande , au contraire qu’on les fasse ressortir en retraçant l’histoire des diverses person- nes de la famille ; car c’est de ces qualités que leur situa- tion économique dépend en grande partie. La mise au jour de ces monographies nouvelles ne fera sans doute que confirmer les conclusions de M. Le Play quand il écartait successivement: le servage, comme in- digne de l’homme et nuisible au libre développement de son intelligence et de son travail ; 264 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Les corporations de la France, les Guildes de l'An- gleterre, les Innungen de l'Allemagne, comme contraires à la grande industrie ; L'exploitation en commun des bois et des mines, par exemple celles du Harz ou de la Suède, comme excep- tionnelles et opposées à une concurrence légitime; L'indivision des biens communaux cultivables ‘et la vaine pâture, comme obstacles aux progrès de la culture et de la propriété individuelle ; La taxe des pauvres comme onéreuse à la propriété, des- tructive de la prévoyance, de la responsabilité, du travail, de la famille elle-même ; Les réglements restrictifs des mariages, comme immo- raux et inefficaces ; En un mot tout ce qui gêne la production et la liberté, comme s’opposant aux progrès de l’ordre social. Enfin ces études monographiques donneront lieu à ceux qui s’en seront sérieusement occupés d'apprécier toute la vérité de ces paroles par lesquelles M. Ie Play termine son bel ouvrage : « La condition du progrès et de l'harmonie dans les sociétés libres, est que celles-ci trouvent en elles-mêmes « la force qui peut protéger la classe dispensée du labeur « industriel contre la corruption et l'oubli du devoir, la classe vouée au gain et à l'épargne contre la dureté et l'égoïsme. Cette force... ne peut être trouvée que dans la religion. Celle-ci n'élève pas seulement les sociétés à la perfection morale, but suprême de toute civilisation ; « elle est en outre, dans l’ordre économique, le plus puis- sant moyen de succès. « Que la science multiplie ses découvertes, que la li- « berté déploie ses ressources , et l'autorité sa puissance, À À À À À ES VINGT-QUATRIÈME SESSION. 265 « que la civilisation tout entière accumule ses grandeurs « et ses merveilles, leur labeur ne sera qu’impuissance , « si, sans rien abandonner des droits de la raison, elles ne « maintiennent fermement dans les âmes l'empire de « Dieu. En analysant les faits et en remuant les chiffres, « la science sociale fournit donc, au fond, les mêmes « conclusions que la morale. C’est ainsi que se révèle « sous toutes les formes l’unité de la vérité suprême et que « la pensée humaine dans ses efforts les plus divers est « incessamment ramenée.vers le souverain principe du « juste et du bien. » Nous nous garderons bien d’affaiblir par nos commen- taires, des pensées si hautes et d’une si grande portée phi- losophique. Nous arrivons sur-le-champ à notre conclusion pratique quiest celle-ci: Nous désirons qu’on fasse dans notre Dauphiné les monographies : 4° d’une famille de gantiers; 2° d’une fa- mille d'ouvriers des fabriques de Vizille; 3° d’une famille d'ouvriers attachée à un de nos établissements métallur- giques ; 4° d'une famille d'agriculteurs de notre vallée de Graisivaudan ; 5° d’une famille d'agriculteurs de nos mon- tagnes, par exemple des environs de Corps ou de Mens. Nous désirons que des monographies semblables se fas- sent dans les autres provinces de France. Nous espérons que le Congrès voudra bien nous aider par son approbation dans la réalisation de ce vœu. M. de Linage rend compte de l’expôsition d’hor- ticulture. 266 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. MESSIEURS , La deuxième section du Congrès scientifique m'a délé- gué l'honneur, un peu périlleux, de vous improviser, séance tenante, un rapport d'ensemble sur l’exposition de la Société d'agriculture de notre arrondissement, laissant à une voix bien connue le soin d'entrer, demain, dans les détails de cette exposition. Quant à moi, pressé par le temps, par l'heure unique qui m'a été accordée, je suis forcé d’invoquer votre indulgence , à la fois pour le fond et pour la forme. Trois objets principaux constituent cette exposition : les légumes, les fleurs, les fruits. Parlons d’abord des légumes. Vous savez, Messieurs, à quel degré de perfection est arrivé, près des grands centres de population et surtout à Paris, l’art du jardinier maraîcher. Nous sommes loin de cette perfection. Et cependant, grâce à la fertilité excep- tionnelle de notre sol, à des conditions climatériques par- ticulièrement favorables, nous obtenons de beaux et bons légumes. Pour en avoir de meilleurs et de plus beaux en- core, une seule chose nous manquait : des débouchés plus faciles. Le marché local n'étant pas suffisant pour pousser nos jardiniers dans la voie du progrès, il fallait que notre production püût alimenter d’autres pays. La chose est de- venue facile, grâce à une industrie nouvelle , établie aux portes de Grenoble, celle de la dessiccation des légumes, industrie dont vous avez pu apprécier les produits remar- quables. Espérons, sous l'influence de ce stimulant , que nous serons bientôt à la hauteur des progrès de: la science. Déjà le jardinier de l'hôpital de Grenoble et celui de l’hospice de Saint-Robert nous ont présenté, et ce n’est VINGT-QUATRIÈME SESSION. 267 pas la première fois, de magnifiques spécimens de ce que lon peut obtenir d’une terre privilégiée. Il serait injuste d'exiger de simples particuliers d'aussi beaux résultats, avec des moyens beaucoup plus faibles. Ils n’ont pas en- tre les mains un levier aussi puissant, et cependant plu- sieurs de nos exposants ont des lots qui seraient appréciés partout. l Passons aux fleurs. - La culture des plantes d'ornement est arrivée, dans les grandes villes et principalement à Paris, à un.très-haut degré. de prospérité. Un seul marché suffisait, il y a trente ans, aux. besoins de la capitale. Aujourd’hui six marchés existent ; et tous, deux fois par semaine chacun, se couvrent des productions brillantes de la floriculture. La veille des grandes fêtes, tous sont ouverts à la fois et tous sont visités par de nombreux acheteurs. Quelle est la cause de ce prodigieux développement? C’est que le goût des'fleurs à pénétré dans les masses; c’est qu’il n’est pas de bal, pas de réunion, pas de fête sans fleurs; c’est que, dans les ménages les plus modestes, comme dans les fa- milles les plus opulentes , il est d'usage de fêter chaque membre de la famille avec un bouquet ou un vase de fleurs , et les amis se mettent ordinairement de la partie. ILse vend ainsi à Paris, à des prix très-modérés, une énor- me quantité de fleurs communes; mais les petits bénéfi- ces, multipliés, font les grossés sommes. Aussi est-il vrai de dire que les plantes les plus vulgaires font vivre les: plus précieuses , qui, elles aussi, trouvent des ache- teurs. Tant que de pareilles habitudes ne seront pas implan- tées dans nos mœurs locales ; tant que le goût des fleurs ne se sera pas vulgarisé, la culture marchande des plan- 268 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tes d'ornement sera dans un état de malaise, de langueur, de défaillance. Est-ce à dire que cette industrie soit vouée à une mort inévitable? Non certainement; nous espérons le contraire, et l’exposition actuelle le prouve; cependant, livrée seule à sa faiblesse , elle est ici presque sans vita- lité. Qu'elle s'associe donc à une autre industrie, sa sœur, douée d’une constitution plus robuste, je veux parler de la culture des arbres fruitiers; elle trouvera dans cette association la force qui lui manque, profit et avantage. Plus tard, lorsque l’industrie vitale et plus forte aura donné à tous l’aisance, à quelques-uns la fortune, elles pourront faire ménage à part. L’aisance, la fortune ai- ment le luxe, et le plus innocent de tous est certainement le luxe des fleurs. J'arrive maintenant, Messieurs, tout naturellement à la dernière partie de mon rapport: aux fruits. Dans nos contrées favorisées du ciel, l’industrie qui a pour objet la production et la vente des fruits réunit tous les éléments de succès. Un surtout se présente à elle : le débouché que des voies rapides de communication lui ouvrent sur les marchés de Lyon et de Paris. Bientôt, il faut l’espérer , nous n’aurons pas l'embarras d'envoyer nos produits nous-mêmes sur ces marchés ; des courtiers viendront nous enlever nos plus beaux fruits, comme cela a déjà lieu dans le département de la Drôme, pour être admirés et savourés au loin. On peut d'autant plus compter sur cet avenir, plus ou moins prochain, que nous sommes dans les conditions les plus favorables pour obtenir de magnifiques fruits, tels que ceux que vous avez pu admirer à notre exposi- tion. Mais, jusqu’à présent, cette production à été le lot de quelques privilégiés de la science, privilégiés sans YINGT-QUATRIÈME SESSION 269 monopole, et qui ne demandent qu’à partager entre tous les trésors qu’ils possèdent. Que les habitants de nos cam- pagnes se hâtent donc de profiter de ce bon vouloir, en suivant les exemples instructifs qu'ils ont sous les yeux! Qu'un amour-propre déplacé, qu’une routine aveugle ne leur fassent pas fermer les yeux à l'évidence, qu’ils se transportent à la Tronche, à Voiron, au jardin fruitier de la ville; et là ils verront des modèles de ce que l’on peut faire avéc un peu de science. Mais il faut aussi que les maîtres, de leur côté, renoncent aux formes compliquées, pour adopter les plus simples, qui ont le mérite d’être en parfaite harmonie avec les lois de la végétation. Ils met- tront ainsi la science à la portée de tous ; ils auront alors de nombreux sectateurs; on ne se contentera pas de les admirer, on les bénira. M. Challe, avocat à Auxerre, nommé secrétaire général de la vingt-cinquième session, prend la parole pour inviter les membres du congrès à assis- ter à la session d'Auxerre. Monseigneur et Messieurs, Au moment de clore nos travaux, c’est un besoin pour nos cœurs de vous exprimer notre profonde reconnais- sance pour l'hospitalité si cordiale avec laquelle vous avez accueilli les délégués de la science et de l’art. Cette cordia- lité ne s'évapore pas ici en vains compliments, elle se sent dans le-cœur et se montre dans les actions. La cour impé- riale et l'administration municipale ont d’abord acquis 270 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des droits à notre gratitude, l’une pour la bonne grâce avec laquelle elle a mis à notre disposition ce somptueux palais, et l’autre pour l’exquise courtoisie de sa réception. Je rapporterai les douces impressions de ce bienveillant accueil dans le département de l'Yonne, aux amis qu'y a- laissés M.le maire de Grenoble et qui ne l’ont pontoublié, quoiqu'il y ait quarante-cinq ans déjà qu'il y débutait dans la carrière qu'il a depuis parcourue avec une si haute distinction. Toutes les facilités nous ont été offertes dès que nous avons témoigné le désir de compulser votre magnifique bibliothèque et d’étudienvotre riche musée de peinture et vos précieuses collections; et dans les excur- sions que nous avons faites nous avons trouvé en vous des guides pleins d’obligeance, et les portes hospitalières de vos châteaux se sont ouvertes devant nous axec le plus gracieux empressement. Nous emporterons d'ici un vif sentiment de reconnaissance et de haute estime pour tant d'hommes distingués que renferme cette ville, à com- mencer par l'éminent prélat qui préside cette réunion et qui sait parler si éloquemment, de la religion en apôtre, et de la science et de l’art en savant, en homme de goût et en ami de l'humanité. Nous avons beaucoup appris, pen- dant la durée, si courte pourtant, de nos communications avec les savants hommes de cette région, qui ont mis à notre service, avec une obligeance infinie, les trésors de leur expérience et de leur savoir, et nous n’oublierons jamais ce que nous devons à leur empressement à nous éclairer. Cet échange réciproque de notions acquises par l'étude ou la pratique est un des principaux bienfaits des congrès, qui laissent de plus, après eux, un lumineux sillon par l'émulation', l’activité intellectuelle et le zèle studieux qu’ils suscitent ou animent sur leur passage. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 271 Auxerre doit continuer, l'année prochaine, à pareille époque, l’œuvre que Grenoble vient de soutenir si glorieu- sement. Permettez-nous d'espérer que vous voudrez bien y'encourager nos efforts de votre bienveïllant concours. Nous ne pouvons offrir à vos yeux, dans notre pays de plaine et d’humbles collines, les grandes beautés de la nature alpestre qui rayonnent avec tant d'éclat autour de Grenoble ; mais sa position sur le bord du bassin de Paris, qui embrasse un ensemble harmonieux et presque com- plet de la gamme géologique, n’y offre pas moins un sujet d’études variées aux amis des sciences naturelles, et nous pourrons vous y présenter de splendides merveilles de l’art du moyen-âge dans les églises abbatiales de Vézelay et de Pontigny, dans les cathédrales de Sens et d'Auxerre. Vous y pourrez voir les plus beaux spécimens qui restent en France de la grande architecture qu’inaugurèrent, au commencement du XI° siècle, les écoles artistiques de Cluny et de Citeaux; l’une ajoutant à la richesse archi- tectonique Les plus ingénieux ornements de la sculpture, et l’autre cherchant ses grands effets dans l'élévation hardie de ses lignes austères et la sévère sobriété de son ornementation. Nous nous flattons de vous prouver que c'est par nous que le style ogival a commencé à pénétrer dans la France centrale et septentrionale et qu’il s’y déve- loppait déjà avec éclat à Vézelay et à Sens, dès la première moitié du XIIe siècle. La science et l’art sont aussi, chez nous, en grande vénération, et nous professons une sorte de culte pour ceux de nos compatriotes qui en ont reculé les limites. Parmi ces objets de notre orgueil est l’un des premiers préfets de votre département, dont j'ai vu hier, avec bonheur, le buste dans votre bibliothèque : Joseph Fourier, qui, rendu par les événements politiques à la 272 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. vie privée, revint à la science, sa première nourrice, et produisit alors de grands et précieux travaux qui lui valu- rent l'honneur de devenir secrétaire perpétuel de l’aca- démie des sciences. C'était un pauvre enfant du peuple, élevé à l’école de la charité religieuse et qui a dignement payé à son pays la dette de la reconnaissance et de la gloire. Nous lui avons, avec le concours de votre conseil général, élevéune statue dans nos murs. Nous avions déjà celle de notre évêque Jacques Amyot, dont M. Soupé nous a si bien raconté, ces jours derniers, la savante et labo- rieuse existence, et nous comptons bien en élever un jour à un autre enfant d'Auxerre, l'abbé Lebœuf, le plus sa- vant archéologue du siècle dernier et qui, comme le dit un de nos procès-verbaux, fut le précurseur, dans cette science féconde, de notre illustre directeur, de M. de Caumont. Ceux d'entre vous qui nous honoreront de leur visite peuvent compter sur l'accueil dévoué de notre hospitalité reconnaissante : un des membres de notre administration municipale est venu ici pour vous en offrir l'assurance et vous apporter notre invitation officielle. La franchise bour- guignonne s’efforcera de répondre dignement à la cordialité dauphinoise. A l’an prochain, donc, à Auxerre, Messieurs. Souffrez que j'y donne rendez-vous aux amis des sciences physiques et mathématiques dans le pays de Joseph Fou- rier ; aux littérateurs dans la ville épiscopale de Jacques Amyot; aux sectateurs des sciences médicales dans le département d'adoption de votre savant et vénéré Compa- triote, l’un de nos vice-présidents, M. le docteur Bally, et dans la ville natale de Roux, l’une des gloires de la chi- rurgie francaise ; enfin aux amis des sciences historiques et archéologiques dans la patrie de Lebœuf. VINGT-QUATRIÈME SESSION. : 273 M. Albert du Boys, secrétaire général, prononce le discours suivant : Messieurs, Avant de clore cette 24° session du Congrès, dont Gre- noble gardera un long souvenir, permettez-moi de jeter un rapide coup-d'œil sur les travaux de nos sections. Mon seul désir serait de pouvoir marquer d’un trait la physio- nomie de chacune d'elles. Dans la première section, celle des sciences physiques et mathématiques, les plus grandes questions de géologie, de métallurgie, de météorologie, ont été discutées avec une force, une élégance de démonstration qui les ont éclairées des plus vives lumières. Non-seulement on a étudié nos montagnes dans leur formation primitive et leur aspect extérieur, mais on a fouillé, en quelque sorte, leurs entrailles et on leur a demandé compte des richesses si diverses qu’elles recèlent dans leur sein, en faisant connaître les procédés par lesquels on peut extraire ces richesses et les mettre à profit pour l'humanité. Lors- qu'on entendait parler dans cette section, des sujets les plus obscurs et les plus ardus, avec tant d'assurance et de supériorité, on aurait cru, bien souvent, se trouver à Paris, à l'académie des sciences. A la section de l’agriculture et de l’industrie, nos agri- culteurs et ceux qui sont venus du dehors n'ontpas cessé dese faire des communications intéressantes et cordiales. L'Angleterre, elle-même, nous a livré une partie de ses secrets agricoles, qu’un Francais plein d'intelligence et de talent est allé lui dérober pour en faire hommage à sa patrie. Dans ces causeries familières et instructives, où les I 48 274 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. théories les plus élevées venaientéclairer l'expérience et se faire contrôler par elle, on s’empressait d'échanger tout ce qu'on avait vu, tout ce qu'on avait appris, pour s’en faire profiter mutuellement. On emportera certainement de ces conférences une foule de procédés utiles et de notions précieuses. Ce seront de véritables richesses qui se répan- dront sur le sol de la France. Pour apprécier la section des sciences médicales, je suis bien peu compétent, je l'avoue; mais j’apprends qu'ony a cherché à pénétrer les causes presque inconnues des plus terribles maladies, et qu’on n’aurà pas exploré sans fruit ces régions scientifiques , pleines d'ombre et de mystère. Les eaux minérales de nos Alpes, dont quelques-unes sont encore peu connues , ont été analysées avec soin eb appréciées avec une merveilleuse sagacité. La section d'archéologie et d'histoire a recu d’utiles conseils et de grandes lumières des maitres de la science qu’elle a appelés dans son sein : nos monuments locaux ont été décrits et examinés par elle avec un soin scrupu- leux, etleurs âges respectifs ont été déterminés par ces grandes autorités devant lesquelles tous doivent s’incliner. Elle s’est aussi occupée d'histoire, non-seulement avec in- térêt, mais avec une sorte d’ardente émulation. On a fait dans son sein de la législation provinciale comparée. La Provence, la Bretagne, le Dauphiné, ont eu tour à tour la parole pour faire l'exposé de leurs anciennesinstitutions, et ces diverses provinces se sont reconnues comme d’an- ciennes sœurs, ainsi qu'on nous l’a exposé avec un rare bonheur. On avait coutume de dire Bretagne et Dau- phiné, pour rappeler les provinces annexées et non réunies à la France. Nos guerriers se ressemblaient pour la générosité, la grandeur d'âme, le désintéressement, et YINGT-QUATRIÈME SESSION. 219 ily a plus qu'un air de famille entre Bayard et Dugues- clin. La section de philosophie, litlérature et beaux-arts, un peu moins nombreuse que les autres, n’a pas eu de moins estimables travaux. Elle a abordé avec une haute distinction les questions les plus délicates et les plus subtiles de la philologie et de la philosophie appliquée à la littérature. Nous avons pu croire un moment que Platon, devenu chrétien, était venu nous révéler les sources du beau dans les arts avec son noble génie, éclairé de tous les feux de la révélation évangélique. De beaux vers que cette section a renvoyés à l’une de vos séances générales, retentissent encore à vos oreilles et jusqu’au fond de vos âmes. L'ordre et la parfaite urbanité qui ont régné partout dans la discussion, sont dus à la fraternité bienveillante et à la haute intelligence de vos présidents de section, qui tous ont été au niveau de leurs fonctions difficiles. Nos vice-présidents généraux ont chacun imprimé aux séances qu'ils ontdirigées, la couleur de leur esprit et celle de leurs caractères si diversement et si brillamment distin- gués. Nous avons reconnu dans le premier d’entre eux, la science qui conserve et qui dirige après le génie qui a créé. Mais, le dirai-je, c’est surtout aux secrétaires de section que sont dues les félicitations les plus vives et les remer- ciements les mieux sentis. Pour rendre, chaque jour, avec tout leur mouvement, toute leur vie, les incidents si compliqués des séances les plus longues et les plus laborieuses , il a fallu qu'ils fissent des prodiges, même quand ils se sont partagé la tâche : que dirons - nous donc, dans tous les cas où cette tâche n'aurait porté que Sur une seule tête ? 276 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il n’y a peut-être au-dessus du mérite de ces secrétaires que celui du trésorier général, qui, par un sentiment pro- fond de son devoir, a presque abandonné, pendant le Congrès, les sciences qu'il aime et qu'il cultive avec tant de supériorité, pour travailler sans relâche à mettre en ordre notre comptabilité et notre administration. Cette abnégation a été poussée par lui jusqu’à une sorte d’hé- roisme. Et quant aux secrétaires généraux qui sont à mes côtés, l’un est un érudit du premier ordre en paléographie et en histoire locale ; l’autre, vous l'avez entendu s'élever jusqu’à l’éloquence à force de lumineuse clarté dans ses expositions géologiques. L'un et l’autre, éminents dans leur propre spécialité , semblent permettre ainsi à celui qui est au milieu d'eux de n’en avoir aucune. Et pour finir cette énumération par où j'aurais dû la commencer, après que le maire de notre cité a eu inau- guré le commencement de notre session par un excellent discours, le représentant de l'autorité religieuse a appelé sur nous les inspirations d'en haut; il nous a parlé, au nom du ciel, avec un noble et imposant langage sur les rapports des sciences et de la religion, qui ne demande que d’être respectée par elles pour les protéger et les bénir. Le pontife qui nous à instruits du haut de sa chaire a bien voulu en descendre pour présider nos modestes séances; il a prouvé qu'il sait diriger les assemblées séculières comme de plus saintes réunions, et que, par la diversité des aptitudes, il peut se faire tout à tous. En le mettant à notre tête, nous semblons avoir donné une réalité vivante anx idées qu’il nous a exprimées sur les rapports des sciences et de la religion, et certes les sciences ne se sont pas abaissées, en s’inclinant ainsi; VINGT-QUATRIÈME SESSION. 21 ce sont de ces hommages qui relèvent ceux qui ne crai- gnent pas de s’y soumettre. Ce concours d'efforts si nobles et si désintéressés aura produit de bons fruits, Messieurs; dans ces relations quotidiennes de neuf à dix heures, nous aurons beaucoup appris de nos membres étrangers; et à notre tour peut- être, s’il faut en croire les bienveillantes paroles qui Yiennent de vous être adressées, leur aurons-nous appris quelque chose. Dans tous les cas, nous aurons marché avec une ardeur égale vers lemême but, celui d’être utiles à notre pays. Nous aurons eu le temps de nous connaître et de nous apprécier. Quelques membres plus rapprochés les uns des autres par la communauté de leurs travaux, auront même pu nouer des relations durables et pleinesde charme. Nous avons entendu avec bonheur, Messieurs, le futur secrétaire général du Congrès d'Auxerre se louer, au nom de ses collègues étrangers à notre ville, de l’hospi- talité qu’ils y ont recue. Nous espérons donc que vous voudrez bien, Messieurs, de retour dans vos foyers, vous souvenir de ce séjour trop fugitif fait au sein de nos Alpes dauphinoises ; vous en raconterez les incidents divers avec un indulgent intérêt, et si beaucoup d’entre vous sont venus à Grenoble pour la première fois, nous aimons à croire qu'ils se diront en partant : Ce ne sera pas la der- nière. La vinct-quatrième session du conerès est close Le] le) par le discours suivant de Mf l’'Evêque : Messieurs, Après le résumé de vos travaux, si clair, si plein, que 278 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. vous venez d'entendre, que reste-t-il à faire à celui que vous avez honoré de la présidence de votre congrès, si ce n'est d’acquitter une dette qu’on est si heureux, mais qu'il est toujours si diflicile de payer quand on estime assez le vrai mérite pour en respecter la modestie ? Il ne se peut pas néanmoins, Messieurs, que nous pro- noncions la clôture de cette session sans avoir offert l'hommage d’une reconnaissance aussi sincère qu’elle est méritée, d’abord au savant, à l’homme de bien qui a fondé cette institution noble et utile et qui en est l'âme; puis à vous tous, Messieurs, qui, des diverses parties de la France ou du sein des nations amies, êtes venus ici pour encourager nos efforts en nous faisant part d’une manière si généreuse et si cordiale de vos idées, de vos travaux, de vos découvertes. Vous nous avez montré la voie que nous devions suivre; vous nous y avez dirigés; vous avez excité notre ardeur à y marcher. Aussi, laissez-nous vous le dire, si quelque gloire, si quelque utilité revient à notre pays de cette session de votre congrès, nous sentons bien que c’est à vous surtout qu’il en sera redevable. A Dieu ne plaise cependant, Messieurs, que je mécon- naisse les droits que plusieurs de nossavants compatriotes ont acquis aussi en cette circonstance solennelle à notre juste reconnaissance. Ce n’est pas à nous peut-être de les proclamer ; cela serait inutile après le beau discours que vous applaudissiez tout à l'heure ; mais sans y avoir été mêlé, nous savons tout ce qu'il a fallu d'initiative coura- geuse pour nous procurer l'honneur et le bienfait de cette session, d'efforts intelligents pour en préparer les travaux, d'esprit pratique pour en seconder utilement lesopérations, de zèle infatigable pour en assurer le succès. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence l’hos- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 279 pitalité si courtoise et si cordiale que le premier magis- trat de cette ville et nos concitoyens ont donnée à votre congrès; seulement, croyez-le bien, Messieurs, cette réception si pleine d’urbanité et d'abandon tout ensemble, dont vous aimez à vous louer, ne leur a pas coûté beau- coup d'efforts ; elle n’a pas été pour eux une chose diffi- cile. Pour faire un noble accueil aux sciences, aux lettres, aux arts, à tout ce qui est grand et utile, les administra- teurs de Grenoble n’ont qu’à obéir à leurs instincts per- sonnels, à suivre les vieilles traditions de la cité. Aussi n’auront-ils de moi d'autre remerciement et d'autre éloge que celui de s'être montrés aujourd’hui, comme ils le savent faire toujours, dignes d'eux-mêmes et de leur pays. Encore un mot, Messieurs, quoique ce mot ait quelque - chose de sérieux, presque de triste ; car telle est la condi- tion de la vie présente que tous ses travaux, toutes ses réunions, toutes ses fêtes, toutes ses joies ne sont jamais sans quelque tristesse. Voilà dix jours écoulés depuis l'ouverture, dix jours bien remplis, mais qui ont passé si vite qu’ils semblent ne laisser aucune trace de leur pas- sage. On s’est rapproché quelques instants; on a échangé quelques idées ; on s’est bien trouvé de ce rapprochement et de cet échange; on s’est serré la main, puis on se sépare, on s'éloigne. Chacun reprend la route que la Providence lui a ouverte ; chacun se rend au poste qu'elle lui a fixé. Sera-ce pour se rencontrer de nouveau? on l'ignore ; mais s’il y a de la tristesse dans cette incertitude, elle n’est pas sans compensation, comme elle n’est jamais, pour les vrais chrétiens, sans espérance. Tout ce qui rap- proche les hommes, tout ce qui révèle la dignité de notre .nature, tout ce qui encourage à mieux faire laisse au 280 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cœur de bons souvenirs ; et l’on s’est toujours heureuse- ment rencontré dans ia vie, n'est-il pas vrai, Messieurs, quand à l’ardeur du travail, à la passion du vrai et du beau se sont joints, comme tous nous l'avons vu ici, un respect sincère pour tout ce qui est saint et un dévoue- ment désintéressé pour tout ce qui est utile. Du reste, si les hommes passent, les institutions demeu- rent; et si au moment de nous dire adieu nous nous devons des vœux les uns aux autres, faisons-en tous en- semble, Messieurs, pour la prospérité toujours croissante de ces congrès pacifiques qui, en propageant des décou- vertes nouvelles, des idées pratiques, augmentent le bien- être général, amoindrissent et soulagent les maux de la vie, en excitant à l'étude et en veillant à la conservation des monuments de notre passé, entretiennent le culte salutaire des traditions nationales en ravivant l’amour des sciences, des lettres et des arts, en répandant le goût du vrai et du beau, étendent l'empire de l’homme sur la nature, élèvent le niveau de son esprit, l’aident à porter son cœur en haut, le montrent plus digne et de sa divine origine et de ses immortelles destinées. La séance est levée à cinq heures et demie. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 281 SÉANCES ODR2SS SR OETREROLTSSS tre ET 6: SECTIONS RÉUNIES. SCIENCES NATURELLES ET MATHÉMATIQUES. SÉANCE DU 4 SEPTEMBRE. La séance est ouverte à sept heures par M. Albert du Boys, secrétaire général du Congrès. On procéde, au scrutin secret, à lanomination d’un président et de quatre vice-présidents. Au premier tour de scrutin, sont élus à l’unanimité : Président: M. GueyMarD, ancien ingénieur en chef des mines, doyen honoraire de la faculté des sciences de Grenoble ; Vice-présidents : MM. BonsEaw, chevalier de plu- sieurs ordres, chimiste, secrétaire et délégué de la société d'agriculture de Chambéry; BouiLLeT, inspecteur divisionnaire pour les mo- numents historiques, à Clermont-Ferrand ; 9282 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DÉ FRANCE. Barurr:, professeur de philosophie et de physi- que à l’université royale de Turin; Micnaup, capitaine adjudant-major en retraite, chef d'institution à Sainte-Foy lez Lyon, membre de plusieurs sociétés savantes. Sont nommés secrétaires : M. SecuiN, professeur de physique à la faculté des sciences de Grenoble ; M. Bos, professeur de mathématiques supé- rieures au lycée d'Orléans ; M. Breton (Henri), pharmacien, professeur à l'école de médecine de Grenoble. En l'absence de M. Gueymard, président, M. Bouillet occupe le fauteuil. L'un des secrétaires lit le texte de la première question soumise au Congrès ; la discussion est ou- verte sur cette question. M. Lory, professeur à la faculté des sciences de Grenoble, met sous les yeux du Congrès une carte géologique du Dauphiné à l'échelle de — et la feuille de Grenoble de la carte de France du dépôt de la guerre, à ac coloriée géologiquement, et il indique la manière dont il a distingué sur ces cartes les divers terrains de transport auxquels cette ques- tion est relative. Il comprend dans la série tertiaire et regarde comme inséparables de la grande formation de la VINGT-QUATRIÈME SESSION. 283 mollasse les poudingues du Bas-Dauphiné; quant aux marnes bleues avec couches de lignite , illes re- garde comme intercalées dans ces poudingues, comme une formation d’eau douce placée au milieu de la formation marine qui constitue la majeure _ partie du terrain de mollasse. Ces poudingues sont parlout caractérisés par l’état parfaitement arrondi des cailloux, qui sont en partie formés de roches étrangères aux Alpes, par le ciment sableux qui unit ces cailloux et qui est identique avec la mol- lasse proprement dite, enfin par les impressions en creux que ces cailloux produisent les uns sur les autres, caractère empirique observé dans les poudin- ques tertiaires depuis l'Alsace jusqu’à la Méditer- ranée, et qui ne se retrouve Jamais dans les divers dépôts diluviens et alluvions anciennes. Ces pou- dingues constituent toutes les collines des Terres- Froides, les plateaux de Roybon, etc., formant dans leur ensemble un vaste plan incliné des montagnes de la Chartreuse aux collines granitiques de Vienne. Sur ce plan incliné repose un terrain de transport bien différent, que M. Lory regarde comme consti- tuant la première formation d’alluvions anciennes, ou le dernier terme de la série des terrains tertiaires du Dauphiné. 1 consiste en sables et argiles dé- pourvus de calcaire, avec des cailloux parfaitement arrondis de quartzite et quelques-uns de roches gra- 284 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nitiques, sans mélange de calcaire ; on peut l’obser- ver sur les plateaux de Chambaran, de Bonnevaux, etc., jusqu’à Vienne, où cette formation s’étend im- médiatement sur les collines granitiques. Ce dépôt constitue, aux yeux de M. Lory, le véritable terrain auquel on doit appliquer la dénomination de ter- rain tertiaire lacustre de la Bresse, dans la ma- nière de voir de M. Elie de Beaumont. En second lieu, viendraient les alluvions ancien- nes, où diluvium alpin, formantde grandes terras- ses de cailloux roulés, que l’on retrouve dans lés vallées des Alpes, bien au-dessus des niveaux ac- tuels de l'Isère, du Drac, etc. , et que l’on peut sui- vre jusqu’auprès de Grenoble, dans la terrasse de Champagnier, d’où elles peuvent être raccordées avec la formation toute semblable sur laquelle a été tracé le chemin de fer de Saint-Rambert, depuis Moirans jusqu’au Rhône. Le sol de la plaine de la Côte-Saint-André serait ainsi le premier lit d’écoule- ment des eaux du bassin de l'Isère dans le Rhône. Plus lard ces mêmes eaux se sont écoulées par la vallée actuelle de l'Isère et ont formé, depuis Moi- rans jusqu’au-delà de Romans, des terrasses d’un niveau inférieur à celui de la plaine dela Côte-Saint- André. M. Lory regarde comme formées dans cette même période des alluvions anciennes les terrasses qui sont des deux côtés du Rhône aux environs de VINGT-QUATRIÈME SESSION. 285 Lyon, par exemple, celle qui forment la colline de Saint-Fons. Ce n’est qu'après cette période des alluvions an- ciennes qu’aurait eu lieu le transport des blocs et débris erratiques, soit les blocs isolés, semés indiffé- remment sur tous les terrains jusqu’à 1200 mètres de hauteur absolue aux environs de Grenoble , soit les amas de graviers et cailloux polis et striés, que . l'on retrouve aussi, mais à des niveaux inférieurs à celui des blocs épars , jusqu'aux environs de Lyon. Il pense qu’il y a eu souvent des remaniements su- perficiels des alluvions anciennes et mélange de leurs cailloux avec les blocs et graviers erratiques, ce qui explique la confusion apparente de ces deux sortes de dépôts, dans les parties supérieures du terrain d’al- luvions anciennes, ainsi qu’on le voit près de Rives, par exemple. Le transport des blocs erratiques constituerait, suivant M. Lory, le dernier phénomène géologique antérieur à l'établissement du régime hydrographique actuel, et dès lors tous les dépôts de transport formés par les rivières et les torrents appartiennent aux alluvions modernes; celles-ci comprennent par conséquent beaucoup de lits de déjection de torrents aujourd’hui éteints, mais qui ont coulé dans des conditions tout à fait analogues à celles des torrents actuels. En terminant, M. Lory fait remarquer la diffé- 986 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rence profonde qui existe entre cette classification des terrains de transport du Bas-Dauphiné et celle qui a été exposée par M. Scipion Gras dans un mé- moire présenté cette année à la Société géologique de France; il pense que M. Scipion Gras a souvent confondu entre eux et les poudingues tertiaires et les nappes de cailloux roulés des alluvions anciennes et les amas de débris erratiques à cailloux polis et striés , et que la plupart des divisions secondaires qu’il a cherché à établir n’ont d’autre fondement que celle confusion. Un des secrétaires lit le texte de la deuxième question soumise au Congrès ; la discussion s’ouvre sur cette question. j M. Michaud demande si M. Lory peut préciser le gisement géologique des coquilles fossiles d’eau douce et des coquilles marines que l’on trouve aux environs d'Hauterive (Drôme) et sur lesquelles M. Michaud a publié un travail descriptif dans les Annales de la Société liñnéenne de Lyon. M. Lory répond que les coquilles marines se trou- vent à diverses hauteurs dans les couches du terrain de la mollasse, jusque dans celles qui sont immédia- tement inférieures aux marnes bleues à lignites; que ces coquilles sont pour la plupart très-répandues dans le terrain de la mollasse, et que d’autres, qui VINGT-QUATRIÈME SESSION. 287 semblent spéciales à la localité, paraissent identiques avec certaines espèces des faluns de la Touraine. M. Michaud confirme cette identité. Quant aux coquilles d’eau douce, M. Michaud a trouvé parmi elles plusieurs espèces nouvelles re marquables ; elles appartiennent à la marne bleue au milieu de laquelle est intercalée une couche de lignites de 1"50 d'épaisseur, où on retrouve en partie ces mêmes coquilles déformées. Par-dessus cette assise de marnes et de lignites vient encore une très-grande épaisseur de couches de sables et de poudingues à cailloux impression- nés, qu’il est impossible de distinguer des couches de même nature situées au-dessous des marnes, et que M. Lory regarde comme une continuation de la formation marine de la mollasse. Les lignites et les marnes bleues ne seraient donc qu’un dépôt lacustre _intercalé dans une grande formation marine. M. Lory applique les mêmes conclusions aux gisements des lignites de la Tour du Pin, de Pommier près Vo- reppe et généralement à tous les lignites du Bas- Dauphiné. M. Honoré Martin demande si le terrain de mol- lasse du Bas Dauphiné présente sous le rapport des fossiles des caractères analogues à ceux des mollasses de la Provence. M. Lory répond que les caractères tirés des fos- 288 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. siles sont identiques, surtout pour les parties infé- rieures du terrain; qu’on peut suivre la liaison complète de la mollasse de Provence avec celle de la Drôme et les parties inférieures de celle de l'Isère, el que des différences secondaires, dans l'aspect et les caractères minéralogiques, et aussi dans les fos- siles, se présentent seulement pour les parties su- périeures du terrain. Un des secrétaires lit le texte de la troisième question soumise au Congrès. Sur la demande de plusieurs membres, cette question est-réservée, jusqu’au jour où M. Charvet pourra lire un mémoire qu'il a fait sur cette ques- tion. Un des secrétaires lit le texte de la quatrième question soumise au Congrès. La discussion s'ouvre immédiatement sur cetie question. M. Lory fait observer qu’il a exposé tout-à-l’heure la solution de cette question à son point de vue, et qu'il admet que tous les lignites du Bas-Dauphiné appartiennent à une même formalion lacustre inter- calée entre deux grandes masses de mollasse marine, comprenant les poudingues ; il regarde cette alter- nance comme résullant de ce qu’une partie du bas- sin tertiaire s’est trouvée pendant un certain temps VINGT-QUATRIÈME SESSION. 289 séparée de la mer, et transformée en un étang d’eau d’abord saumâtre , puis complètement douce, et rappelle que l'on a trouvé à Pommier dans les marnes bleues à lignites des cérithes, coquilles ca- ractéristiques des eaux saumâtres. M. Charvet ajoute que les cérithes et les pota- mides ont été observées dans le lignite lui-même et dans bien d’autres localités que Pommier. M. Honoré Martin demande si les marnes bleues d'Hauterive sont identiques avec celles de Pommier. M. Lory les considère comme telles. Relativement aux poudingues de Pommier dans la masse desquels sont intercalées des marnes , 1l dit qu'il n’y a pas trouvé, il est vrai, de coquilles marines, mais sou- vent des cailloux calcaires percés par des coquilles lithophages, et dont les trous sont remplis par le sable même qui forme le ciment du poudingue. M. Pillet ajoute qu’on a trouvé en Savoie, à Cha- moux près Chambéry, des cailloux percés par les pholades, avec la coquille de ces mollusques encore intacte dans le trou. [l demande si souvent les im- pressions observées sur les cailloux des poudingues ne seraient pas des trous de coquilles perforantes en partie effacés par l'usure. M. Lory dit qu'à la vérité les cailloux perforés par des coquilles sont mélangés avec ces cailloux impressionnés et peuvent être impressionnés eux- I 49 990 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mêmes; mais que les impressions sont évidemment produites par les cailloux plus durs qui sont en con- tact avec eux; qu’on peut observer souvent des cail- loux de quartz pénétrant pour ainsi dire dans des cailloux calcaires, et que ces impressions qui n'ont souvent qu'un'ou deux millimètres de profondeur ne peuvent pas être confondues avec les trous qui seraient formés par des coquilles ; il rappelle que ce fait a été étudié attentivement par M. Daubrée sur les poudingues de l'Alsace, et qu’il en a proposé une explication qui peut-être ne rend pas encore parfaitement compte des faits. M. Ferriot dépose sur le bureau un mémoire sur différents points des mathématiques, et indique en quelques mots les sujets qu’il à traités. M. Leroy fait observer que ces mémoires deman- deraient pour être appréciés un développement plus complet ; il émet en conséquence le vœu que la lec- ture en soit remise à une autre séance, et que le bu- reau fasse placer à cet effet un tableau noir dans la salle des séances. Cette proposition est adoptée. La séance est levée à huit heures et demie. 9 Tibi Fig.l Fémur. Fig. PE? - Fig. 2 ter. [ hd Lrtrémite D enferieure . VINGT-QUATRIÈME SESSION. 291 SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE. La séance s'ouvre à sept heures, sous la prési- dence de M. Gueymanp. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance . précédente. Le procès-verbal est adopté. M. le président donne lecture de la troisième question soumise au Congrès. La parole est donnée à M. Charvet, qui lit le mémoire suivant sur cette question. ‘ En pratiquant des fouilles pour creuser un tunnel près de Voiron, on trouva, le 44 avril 1856, dans une couche de graviers , à 16 mêtres 50 au-dessous du sol, une dent d'éléphant qui fut déposée à Grenoble daus les bureaux de la compagnie du chemin de fer de Saint-Rambert, où je l’ai vue. La pièce est en mauvais état, ses feuillets se délitent, sa : substance est presque réduite à l’état de craie ; elle est comme calcinée et happe fortement à la langue. Evidem- ment, la substance animale est presque détruite, et il ne reste que la matière calcaire. Le fragment existant forme le tiers au plus de la dent totale dont il a fait partie; sa longueur est de 7 centimètres et demi environ, et sur cette longueur, il y a huit ou neuf ” 202% % CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. doubles lames d'émail formées de plaques minces pa- rallèles entre elles et très-rapprochées. Ces caractères suffisent pour reconnaître que cette dent ne provient ni de l'éléphant d'Afrique, dont les feuillets d'émail sont disposés en losanges, ni de l’éléphant d’Asie, dont les dents, à la vérité, ont leurs feuillets parallèles comme dans la pièce trouvée à Voiron, mais dont les feuillets sont moins rapprochés, c’est-à-dire moins nom- breux sur une longueur donnée. Ce fragment appartient évidemment à l'espèce fossile Elephas primigenius, dont les caractères spécifiques ont été entrevus par Merck, et successivement confirmés et complétés par Camper, Blumenback , Cuvier et Geoffroy-Saint-Hilaire. La distinction des éléphants, indien et fossile, comme espèces est regardée comme douteuse par Blainville, qui, ne trouvant pas dans les caractères signalés par ses pré- décesseurs une valeur suffisante pour constituer deux espèces, n’y voit peut-être que deux variétés d’une même espèce ; mais il reconnaît toutefois que ces deux espèces ou variétés sont assez différentes pour qu’on puisse tou- jours distinguer si une dent provient d’un individu fossile ou d'un individu de la race encore vivante aujourd'hui dans l'Inde. Outre la plus grande multiplicité des feuillets dentaires sur une longueur donnée, l'éléphant fossile a ses lignes d'émail plus minces, moins festonnées que l'éléphant de l'Inde, et la largeur proportionnelle de la dent, en totalité, estbeaucoup plus grande quedansl espèce vivante. Ce dernier caractère n’a pas pu être constaté sur la dent de Voiron, puisqu'il n’en reste qu’une portion; mais sur cette portion se retrouvent tous les autres carac- tères propres à l'espèce fossile. Cette dent n’a donc pas appartenu à un individu qui VINGT-QUATRIÈME SESSION. 993 aurait élé amené accidentellement sur les lieux, comme on aurait pu le supposer de l’une des deux espèces vi- vantes, et particulièrement de l'éléphant d'Afrique, que quelques peuples anciens employaient parfois dans leurs expéditions militaires et importaient ainsi dans des con- trées où ces animaux ne se trouvaient pas naturellement. D'ailleurs, cette supposition, qui se discutait encore vivement il y a un demi-siècle, n'offre plus aucun intérêt aujourd'hui que tant de faits sont venus la démentir. Cette dent a appartenu à un individu de l'espèce éteinte, espèce qui habitait les localités où on trouve ses restes ; çar cette pièce n’est pas la seule que l’on ait découverte dans nos pays. On a trouvé à diverses époques, dans la partie inférieure du bassin de l'Isère, et aussi dans le bassin du Rhône, particulièrement dans un certain rayon aux environs du confluent des vallées de l'Isère et du Rhône, des éléphants fossiles ou d’autres éléphantoïdes, mastodonte et dinotherium, et ces fossiles sont disséminés dans des localités assez nombreuses et assez distantes les unes des autres pour ne laisser aucun doute sur l'état indigène des animaux qui les ont fournis. G. Cuvier (1) et Blainville (2) ont ‘donné le catalogue de toutes les découvertes de ce genre dans les diverses contrées du globe, et, dans cet inventaire, les ossements fossiles du Dauphiné et des départements limitrophes n'ont pas été oubliés. Cependant, quelques-unes des pu- blications qui y sont relatives étant peu connues, et, en outre, les collections de la ville et de la faculté des sciences de Grenoble contenant des pièces inédites, j'ai (4) Ossemenis fossiles, 2 édit. t. 17, pag. 50. (2) Ostéographie, fascic. 16, p. 139. 29% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cru utile d'en présenter ici le catalogue aussi complet que j'ai pu le faire. La première découverte dont la tradition nous soit parvenue est du milieu du XV° siècle. 4. En 4456, sous le règne de Charles VIT (1), le Rhône mit à découvert des ossements de géant à Crussol, en Vivarais, près du bourg de Saint- Péray, vis-à-vis de Valence. Le dauphin Louis, qui fut ensuite Louis XI, habitait alors le Dauphiné , et voulut recueillir lui-même le témoignage de cette découverte. Plusieurs de ces os furent portés à Bourges et suspen- dus dans la Sainte-Chapelle de cette ville, où ils restèrent fort longtemps. 2. Environ un siècle après, vers 1564, des paysans trouvèrent, dans la même localité, de grands os qui sor- taient de terre sur un sol en pente; ils en firent l’extrac- tion, et Cassanione, qui habitait alors à Valence, les considéra comme des os de géant. Deux dents faisaient partie de ces fossiles, et la description donnée par Cassa- nione (2) prouve que c’étaient des molaires d’éléphant. L'une d'elles fut conservée au château de Charmes. 3. Le même auteur dit aussi (3) que l'on montrait, en 1580, comme provenant d'un géant, des os qui avaient été déterrés, quelques années auparavant, sur une col- line qui domine le bourg de Tain, en Dauphiné. 4. Le 12 janvier 4643, sur la terre du seigneur de Lan- gon, gentilhomme dauphinois, fut trouvé, près des masures du château de Chaumont, entre les villes de (1) Fulgosius. De dictis factisque memorabil., lib. 1, cap. 6. (2) Cassanione, De gigantibus, p. 61. (3) L. c:, p. 64. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 299 Mont-Rigaud, de Serres et de Saint-Antoine, en une sa- blonnière, à 48 pieds de profondeur, etc... suit l’indi- cation d’ossements gigantesques qui furent extraits de la sablonnière, et qu’un nommé Pierre Mazurier, maître chirurgien à Beaurepaire, transporta de ville en ville, les montrant, pour de l'argent, comme les os du géant Teu- tobochus, roi des Cimbres et des Teutons, qui furent défaits par Marius, l’an 450 avant l’ère chrétienne. Ces os existent encore, au moins en partie, ils appar- tiennent à M. le comte de Saint-Ferriol, qui en a donné quelques-uns au muséum d'histoire naturelle de Paris. 5. En 4667 (1) on déeouvrit des os et des dents, dont chacun pesait dix livres, dans une prairie, auprès du” château de Mollard, dans le diocèse de Vienne. 6. Réaumur, dans un mémoire sur les mines de tur- quoises du royaume (2), donne la figure d’une molaire de dinotherium, que Jussieu avait fait dessiner à Lyon, et qui, avant de lui appartenir, avait été d’abord dans le cabinet de M. de Monconys, puis dans celui de M. Pesta- lossi, médecin à Lyon. La provenance de cette dent n'est pas indiquée, mais il est très-probable qu’elle venait de l’une des localités voisines de Lyon, où l’on a trouvé des pièces analogues. 7. H. Stoane, naturaliste irlandais, remarquable par l'étendue de ses connaissances, dans un Mémoire Sur les dents ct autres ossements de l'éléphant trouvé dans terre (3), après avoir rappelé les découvertes faites, en (4) Calmet. Dictionnaire de la Bible, t. ur, p. 161. (2) Mém. de l’Acad. des Scienc. de Paris, 4745, p. 174, ct pl. vu, fig. 17 et 18. (3) Mém. de l'Acad, des Science. de Paris, 1727, p. 305. 296 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 1456 et en 1564, de prétendus os de géants, aux environs de Valence ; la dent molaire déposée au château de Charmes, etc. : après avoir dit que toutes ces dents sont des molaires d’éléphants, et conséquemment € les autres « os, les os d’un éléphant, » ajoute (4): « Ce qui me « confirme dans mes conjectures sur l'origine de ces os, « c’est que j'en vis quelques-uns trouves là dans le voi- « sinage, qu'un marchand francois, homme fort curieux, « apporta dans ce pays-ci, et qui me sembloient être les « os d’un éléphant. » 8. C’est trèe-probablement aussi de ce voisinage que provenaient les grands os que B. de Jussieu avait vu sus- ‘pendus dans une église de Valence, où on les conservait comme des os de géant (2). 9. En 1760, il fut trouvé en Dauphiné, dans une terre de M. de Valarnod, près de Saint-Vallier, à demi-quart de lieue du Rhône et à 80 pieds d’élévation au-dessus du fleuve, dans une terre graveleuse mêlée de cailloux, des os fossiles au nombre de six ou sept pièces, dont une mâchelière d'éléphant (3). 10. Rozier a décrit et figuré, dans le Journal de phy- sique (4), une molaire de dinotherium, qui avait été trouvée aux environs de Vienne, par un curé nommé Gaillard. 11. Une autre dent molaire de dinotherium fut dé- terrée à Grenoble, sur le bord de l'Isère, en creusant les (WBIPNC D. 325 (2) Cuvier. Ossements fossiles, L. 11, p. 56. (3) La Tourrette, Mém. de l'A cad. des Scienc., t. 1x, des savants étrangers, p. 747. (4) Journ. de physig. L. 1, p. 135, 1773. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 297 fondations d'un bâtiment sur le terrain des Cordeliers de cette ville. Un religieux du couvent, M. Ducros, devenu plus tard bibliothécaire de la ville, donna cette dent à Faujas Saint-Fond, et, après la mort de celui-ci, un géo- logue anglais, Robert Bakewell, en fit l'acquisition. Elle aété figurée par Cuvier (4) comme une dent de tapir gigantesque (2). 12. Giraud-Soulavie, dans son Histoire naturelle de la France méridionale (3), après avoir rappelé plusieurs des découvertes dont nous venons de parler, en fait aussi connaître une : « La plus remarquable des découvertes « qu’on ait faites en ce genre est sans doute celle d’un « squelette presque entier d’éléphant, dans lés environs . « de la Voüte. Ces os gigantesques furent employés par « le propriétaire d’une vigne à la construction d’une mu- raille pour soutenir le terrain disposé en pente... M. Rast, chevalier de Saint-Louis, m’ayant fait part de CS À (1) Ossements foss. pl. 73, fig. 7, et texte, t. rx, p. 311. (2) C’est aussi dans les environs de Grenoble que furent trou- vées deux dents de rhinocéros conservées au cabinet de Gre- noble; je les indique ici sans numéro d’ordre, puisque nous nous occupons exclusivement des éléphanthoïdes. Cuvier ne fait que les indiquer : « M. Breton, professeur à Grenoble, nous à adressé les modèles d’une mâchelière supérieure et d’une infé- rieure, conservées au Cabinet de cette ville et trouvées dans les environs. » (L. c., t. 111, pag. 97.) Blainville dit dans son Ostéographie, fascic. 20, p. 202 : « J'ai vu les deux moules en plâtre envoyés par M. Breton. Ils sont faits d’après des dents trop frustes et trop usées pour qu’on puisse dire ce que c’est; on peut cependant admettre avec probabilité que l’une est une seconde supérieure droite, avec bourrelel interne, du rhinoceros leplorrhinus, et la seconde, une troisième ou quatrième inférieure gauche du même. » (3) T. 1xx, p. 97. 295 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. « cette découverte, j'observai que ce sol était composé de « terre etde pierres détachées des montagnes plus élevées, « et que le lieu où le squelette est devenu fossile est de « formation récente. » La bibliothèque de Grenoble possède une petite bro- chure peu répandue , intitulée : Mémoire sur les fossiles du bas Dauphiné, par D. G., officier réformé (1). L'exem- plaire de notre bibliothèque porte en suscription qu'il est offert à M. Ducros par l'éditeur, et le titre porte em anno- tation manuscrite le nom de Genton, sous les initiales D. G. de l’auteur anonyme. | Voici ce que dit Genton concernant les os fossiles : 13. « Parmi les ossements fossiles que j'ai découverts « dans les montagnes du bas Dauphiné, les uns étaient « à fleur de terre, épars cà et là; les autres, dans des « couches de sable, de pierres arénacées, de graviers « même liés par un suc lapidifique... J'ai examiné des « côtes d’un volume considérable. » Cette indication est la seule qui puisse s'appliquer évidemmênt à des espèces de très-grande taille. Plus loin, l’auteur signale le hameau du Barri, où il a trouvé « des ossements fossiles en plus grande quantité que partout ailleurs... » et il énumère dix os ou fragments d'os trou- vés près de Barri, dans une couche de sable, mais sans descriptions ni mensurations qui puissent faire connaître ou même présumer à quelles espèces ces os ont appartenu. A la page 98, Genton parle encore d'os fossiles « trouvés « prés de Saint-Restitut, dans des couches très-dures de « roches composées, dont une première pièce de sternum, « aux parties latérales de laquelle on observe plusieurs (4) In-12, Avignon, François Seguin, 1781. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 299 « échancrures, dont la supérieure, qui est la plus con- « sidérable , est destinée à recevoir une des extrémités de « laclavicule. » (Cette pièce ne provenait donc pas d’une espèce éléphanthoïde, si toutefois l'on peut s’en rapporter aux connaissances anatomiques de l’auteur.) Suit l'énu- mération de plusieurs vertèbres et autres os. Enfin, à la page 101, il est question de « plusieurs « fragments des autres parties qui concourent à former « un squelette, auxquelles on ne saurait assigner leurs « places : elles ont été si mutilées, qu'elles sont devenues « méconnaissables... » « Dans la partie de la montagne de Sainte-Juste, située « au nord, dans une couche de pierre arénacée, j'ai en- « core découvert une quantité prodigieuse d'ossements « fossiles entièrement pétrifiés, mais absolument brisés. Dans différentes parties de la montagne de Clansayes, dans celle de Châtillon, dans le comté de Suze, on trouve également des os fossiles, mais dans une conser- vation au-dessous du médiocre. » PIRE À 14. En 1814, on trouva près de Vienne une mâchelière d'éléphant bien conservée, qui était enfouie dans un lit de graviers. Recueillie par M. Guillermin, alors maire de Vienne, cette dent fut envoyée au muséum. d'histoire na- turelle de Paris, où elle est aujourd'hui (1). 15. Le savant ingénieur Polonceau en a envoyé une autre de la même localité, peu de temps après. 16. En énumérant les gîtes connus du mastodonte à dents étroites, Cuvier (2) dit: « Depuis ma première (4) Cuvier, t. 11, p. 57. (2) T. 11, p. 331. 300 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. édition il m'en a été présenté une dent, du département de l'Isère. » Il n'indique pas de localité. 17. Blainville (4) a vu une dent du mastodonte à dents étroites, qui provenait des environs de Valence, mais sans autre indication. 18. Une autre dent molaire du mastodonte à dents étroites fut trouvée, vers 1840, dans un bloc de lignite de Pommiers, près Voreppe, et me fut donnée par M. Jules Breton, mon parent. J'en ai publié la description dans le Bulletin de la Société géologique de France (2). Gette dent, que j'ai donnée à la collection de la faculté des sciences de Grenoble, s’est en partie délitée depuis son exposition à l’air. Elle n’était accompagnée d'aucun os. Les couches dans lesquelles on l’a trouvée contiennent une grande quantité de coquilles fluviatiles et terrestres, lymnées, planorbes, hélices, etc., et souvent aussi des cérites qui indiquent un certain degré de salure dans les eaux où elles ont vécu. Ces trois dents sont d’ailleurs les seuls restes du mas- todonte à dents étroites dont j'aie connaissance dans nos contrées, et elles complètent la série des fossiles éléphan- toides trouvés dans le Dauphiné et pays limitrophes dont on a publié l'existence. Mais il en existe plusieurs autres dans les collections de la ville et de la faculté des sciences, qui n’ont pas été publiées, savoir : 49. Une défense d’éléphant à peu près complète, mais en trois tronçons et en très-mauvais état, qui fait partie du cabinet de la ville. On croit savoir qu’elle a été trouvée près de Vienne. (1) Ostéographie, fascicul. 16, p. 302. (2) T. xu, p. 396. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 301 20. Dans le même cabinet, une molaire d’éléphant fossile, assez bien conservée, et qui, selon toute proba- bilité, doit provenir aussi de nos environs. 21. Un fragment très-réduit, mais reconnaissable, d’une molaire d’éléphant fossile trouvée dans une couche de cailloux, sur un coteau de Moirans. Elle a été recueil- lie en avril 4856, et donnée au musée de Grenoble par M. Repellin aîné, ex-représentant du département de l'Isère à l’assemblée nationale. 22. Dans le musée de la ville, deux os longs, de grande dimension , étiquetés : Os fossiles trouvés à Mercurol. Ils faisaient partie de l’ancien cabinet d'histoire naturelle de la ville et on n’a aucune autre indication sur leur pro- venance. Tous deux sont tronqués à chaque extrémité et dépourvus de toutes portions articulaires. L'un est pro- bablement un fémur et l’autre paraît être un tibia. Le premier, fig. 4, est un troncon de 055 de longueur; sa moindre circonférence occupe la portion moyenne du tronçon; elle est de 0"41. L’extrémité a, fig. 4 bis, pré- sente un relief 6, déjeté hors de l’axe, qui a dû être la base du trochanter et un autre relief c, presque dans le prolongement du corps de l'os. Celui-ci paraît avoir porté la tête articulaire. L'os fig. 2 a 0"57 de long, sa plus petite circonférence mesure 0"40. Une des extrémités, fig. 2 bis, a b, forte- ment comprimée, mesure 021 dans un sens, et 0"7 dans l’autre; toute la portion articulaire a été détruite. L'autre extrémité, c d, est un peu anguleuse et subpris- matique dans sa coupe, fig. 2 ter. Les deux os sont creusés d’un fort canal médullaire. 23. Une très-belle dent molaire de dinotherium, trouvée dans les environs de Saint-Antoine. Elle m'a été 302 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. donnée par M. Perriolat, propriétaire à Saint-Marcellin, que je doisremercier particulièrementde sa générosité. La dent est réduite à la couronne, mais à peu près intacte et bien conservée. Elle forme un cuboïde assez régulier, dont la face triturante est creusée d’un sillon transversal profond, séparant deux fortes collines à arète vive avec un bourrelet postérieur serré contre le corps de la couronne : c’est donc une avant-dernière molaire inférieure du côté gauche. Je voulais en donner la figure; mais elle est actuellement en communication chez mon honorable collègue de la faculté des sciences de Lyon, M. Jourdan. L'émail est très-vif et a conservé un beau poli, ce qui, joint à sa teinte jaune- blond, rappelle très-bien l’aspect des silex, dits pierres à fusil. En voyant cette dent, on comprend très-bien la des- cription que donnait la notice de Mazurier des dents de Teutobochus: « Etant chacune dent de la grosseur du « pied d’un petit taureau, quasi pétrifiée et en couleur « semblable au caillou du fusil. » Outre les fossiles dont nous venons de faire l'énuméra- tion, il faudra y ajouter encore des os d’éléphant qui ont été recueillis aux environs de Lyon ou dans le départe- ment de l'Isère avec des os de cheval, de cerf, d'hyène, et une dent d’hippopotame, par M. Jourdan, professeur à la faculté des sciences de cette ville. IL doit en exister un certain nombre d’autres aussi de nos pays, soit dans quel- ques cabinets particuliers, soit dans les musées de Lyon, Vienne, Valence, etc., qui n'ont pas été indiqués jusqu'à présent. Dans cette énumération, nous avons suivi à peu près l'ordre chronologique ; ileût mieux valu sans doute réunir les fossiles par espèces zoologiques, mais ce n'était pas possible pour tous. On ne peut déterminer les os que VINGT-QUATRIÈME SESSION. 303 quand il se trouve des dents pour les caractériser, et encore faut-il que les observateurs aient décrit ou figuré ces dents. Néanmoins, nous pouvons déduire de ce qui précède quelques considérations qui ne sont pas sans intérêt. Et d’abord , nous observons que, sauf deux dents de rhinocéros leptorrhinus, trouvées à ce qu’on croit aux environs de Grenoble, et déposées dans notre musée, toutes les autres pièces fossiles reconnaissables appar- tiennent ou à l'éléphant antique, ou au dinotherium géant, ou au mastodonte à dents étroites, ou peut-être à l'espèce congénère, dite à long rostre. Du genre mastodonte, nous n'avons, comme pour le rhi- nocéros, que des dents isolées sans ossements concomi- tants. La dent du lignite de Pommiers était certainement indépendante de tous fragments osseux , et probablement les deux autres aussi, à en juger d’après les brefs rensei- gnements recus et transmis par Cuvier pour l’une, et par Blainville pour l’autre. Tout ce qui était ossement accom- pagné de dents provenait donc exclusivement ou du dinotherium géant, ou de l'éléphant fossile, et, d’après cela, il est extrêmement probable que le squelette de la Voute et que tous les autres grands os non caractérisables, faute de dents, provenaient aussi de l’une de ces deux espèces, et sans que l’on puisse distinguer ce qui prove- nait en particulier de l’une ou de l’autre, car il est diffi- cile, en raison des variations de taille dans les divers individus de chaque espèce, et en raison des analogies de formes entre ces genres si voisins, de distinguer les os de dinotherium, d’éléphant et de mastodonte. Une autre circonstance à considérer, c’est la multipli- cité des fossiles et leur mode de répartition. La multipli- cité avait déjà appelé l'attention, il y a plusde deux siècles, 304 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. lorsque Riolan disait, dans un des mémoires qu'il publia au sujet du prétendu squelette du géant Teutobochus, que le Dauphiné était rempli de ces sortes d’os. Quant au mode de répartition, nous avons pu remar- quer que les fossiles ne sont accumulés nulle part, mais qu'ils affectent, au contraire, une dispersion irrégulière, sur un certain périmètre, dans cette partie nord-ouest du Dauphiné que M. Scipion Gras a nommée la plaine dau- phinoise (1), et qui a pour limites, au nord-est, les mon- tagnes du Bugey; à l’est, celles de la Grande-Chartreuse ; au sud-est, celles du Vercors, dans la Drôme; et enfin, à l'ouest, la chaîne qui borde la rive droite du Rhône. Cir- conscrit de tous côtés par de hautes montagnes, le fond de ce vaste bassin est entièrement composé d’un sol meuble, en grande partie caillouteux et sablonneux , et les maté- riaux de transport qui le constituent proviennent, ainsi que l’a fait voir M. Gras, des déjections des hautes mon- tagnes qui l'entourent. Ce fond, très-accidenté, est coupé par un certain nombre de vallées, dont les deux princi- pales sont celles du Rhône à l’ouest, et de l'Isère au sud- est. Le confluent des deux vallées serait, ainsi que nous l'avons dit en commencant ce mémoire, comme le centre des gîtes à fossiles, en raison de leur plus grande multi- plicité aux environs du confluent. A partir de ce centre, nous voyons les grands fossiles s'étendre dans diverses directions, surtout en amont, le long du Rhône, jusqu’à Vienne et à Lyon, où ils sont encore très-multipliés ; s'étendre aussi en amont dans la vallée de l'Isère, et en aval dans celle du Rhône ; mais, dans les trois directions, (1) Bull. de la Soc. géolog. de France, 2 série, L. x1v, p. 207. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 305 ils deviennent de plus en plus rares à mesure qu’on s'éloigne du centre désigné, quoiqu’on en trouve encore des indices, de loin en loin, jusqu’à Genève (1), à Moirans, à Grenoble, à Arbres dans l’Ardèche (2), à Riez en Pro- vence, et, dans cette dernière direction, jusqu’à la Médi- terranée. Cette dissémination de fossiles coïncidant avec leur multiplicité dans le périmètre indiqué, et avec leur rareté, au fur et à mesure qu'on s'éloigne dans diverses directions, soit du confluent des deux vallées, soit de la plaine dauphinoise, indique qu’il y a eu dans cette plaine une population dont les débris se retrouvent sur les lieux mêmes où les individus vivaient et où ils sont morts. Quelques portions de squelette ont pu subir des déplace- ments à courte distance, par suite d’éboulements de ter- rain ou par d’autres accidents locaux et individuels pour ainsi dire; mais la plupart sont en place, et n'ont pas été amenés de loin par des cours d'eau ou par d’autres causes agissant en grand, car on aurait alors un de ces riches dépôts ossifères que la science a exploités, en cer- tains lieux, presque comme des carrières à fossiles. Les gites indiqués par Genton dans le département de la Drôme, mais hors du bassin géologique dauvhinois, seraient les seuls qui présenteraient en partie ces der- nières conditions, principalement au hameau du Barri, où, dit-il, il a trouvé « des ossements fossiles en plus « grande quantité que partout ailleurs... Ces ossements _« y ont donc été entraînés avec le sable dont les couches « sont composées. Je dis entraînés, et je le présume ainsi, (4} Cuvier. Oss.' foss., t. 11, p. 87. (2) Cuvier. Ibid. p. 58. I 20 306 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. « parce que, parmi les différents os qui doivent concourir « à former un seul squelette, j'en ai trouvé de beaucoup « plus petits destinés aux mêmes fonctions dans des « individus d’une autre espèce. » Nous ajouterons à tout céla, pour les personnes étran- gères aux études paléontologiques, que les deux espèces éteintes qui ont vécu dans nos contrées n’ont pas été con- témporaines. Les os de dinotherium sont dans des cou- ches plus anciennes que ceux de l'éléphant. On ne trouve les premiers que dans les terrains tertiaires moyens ou miocènes qui répondent à l’élage falunien supérieur de d’Orbigny. Quelquefois même on les trouve, comme aux environs de Romans, dans des sables marins, avec des fossiles de cétacés et de poissons de mer (1). Une de ces grandes révolutions qui ont bouleversé la surface du globe à diverses reprises avait anéanti la race des dinotheriums, lorsque l'éléphant antique, aujourd'hui fossile aussi, parut à son tour sur la terre. Aussi les débris de cette espèce, en Dauphiné comme partout ailleurs, se trouvent constamment et exclusivement dans les sables, les cail- loux roulés et les terres meubles du terrain tertiaire supérieur qui forment le diluvium ancien (étage subap- pennin de d'Orbigny), mais jamais dans les formations plus anciennes où se trouve le dinotherium, ni dans les couches quaternaices des alluvions modernes ou contem- poraines. Ù Au reste, ce n’est point par l'étude exclusive des fossiles du Dauphiné qu'on serait arrivé à ces données positives de la science sur les âges respectifs des deux espèces : les = (1) P. Gervais. Zoolog. et paléontol. franç., t. m1 (explicat. de la pl. xx.) VINGT-QUATRIÈME SESSION. 307 emplacements de nos gîtes ossifères ont été indiqués avec trop peu de précision dans beaucoup de cas, pour qu'ils eussent pu éclairer cette question; mais les cas dont on connaît bien la position géologique dans nos pays n’ont fait que confirmer les observations plus complètes et plus précises qu’on à pu recueillir ailleurs. Quant au mastodonte, nulle part, dans les découvertes faites dans nos pays, nous n’avons connaissance de por- tions de squelette ayant appartenu à ce genre , et les trois dents, isolées trouvées dans le grand bassin dauphinois pourraient bien y avoir été importées par des courants ou par toute autre cause accidentelle. Cette supposition sera même la plus probable, jusqu'à ce qu'on ait trouvé quelques ossements avec des dents de mastodonte pour les caractériser. Dans ce cas-là seulement, on aura la preuve que notre plaine dauphinoise a nourri aussi cet éléphan- toïde. À la suite de cette lecture, M. Leroy, au nom de deux ecclésiastiques absents, dit que chez le curé de Vasselin (Isère) se trouvent une dent d’élé- phant, un fragment de fémur mal déterminé et une dent qu’on suppose être une dent de requin ; ious ces ossements ont été trouvés à Saint-Jean de Bournay. | MM. Lory et Charvet font observer qu’à Saint- Jean de Béurnay, on trouve des terrains d’alluvion identiques à ceux où l’on a récolté les ossements fossiles mentionnés par M. Charvet dans son mé- moire. : 308 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Breton (Philippe) indique que la plaine de Riez (Basses-Alpes), étant analogue aux plaines dauphinoises, où l’on trouve des ossements d’élé- phantoïdes, on en trouverait probablement de pareils dans cette plaine. M. de Bournet ajoute qu’on a trouvé à Mirabel, dans l'Ardèche, des dents de mastodonte et des masses d’autres ossements, dans un dépôt sableux recouvert par une coulée de lave. M. Charvet ajoute qu'il est à regretter, au point de vue de l'étude géologique du Dauphiné, qu’on n’y ait pas rencontré des ossements ayant certaine- ment appartenu aux mastodontes, parce que ce genre a vécu en même temps que les éléphants et les dinotherium, qui, eux, appartiennent à deux âges géologiques différents, et ont certainement habité le Dauphiné. M. Honoré Martin expose qu’on a trouvé aussi des dents d’éléphants en Provence, dans diverses localités. Le président donne lecture de la cinquième ques- tion soumise au Congrès. Cette question n’est pas traitée. MM. Gueymard, Bonjean, Baruffi, mentionnent l'existence de procé- dés employés dans l’industrie pour comprimer la tourbe et en amener l'emploi en grand comme VINGT-QUATRIÈME SESSION. 309 combustible. M. Honoré Martin ajoute qu’il a vu à Marseille des pains de tourbe comprimée qui ne laissaient rien à désirer. M. Baruffi fait connaître qu’en Piémont où il y a beaucoup de tourbières, après avoir essayé la com- pression de la tourbe au moyen de machines, on a renoncé à cette industrie et qu’on essaie en ce mo- ment d'appliquer ce combustible à la fabrication du gaz de l'éclairage. M. Bonjean ajoute qu’en Savoie on a employé la tourbe comme matière première pour la fabrication du papier. M. Gueymard fait observer qu’il résulte de ses expériences que la tourbe donne au gaz un pou- voir éclairant faible, à cause de la grande quantité d'acide carbonique qu'il contient. Les lignites, au contraire, donnent par la distillation un gaz très- beau ; seulement l’opération ne laisse pas de rèsidus utiles, pas de coke. Néanmoins il espère que les lignites pourront être employés à la fabrication du gaz de l'éclairage. M. Breton {Henri), pense que le lignite de Pom- mier, près Voreppe, serait préférable pour cette industrie aux lignites de la Tour du Pin. M. Gueymard fait observer que le banc de Pom- mier est peu important. M. Lory confirme les idées de M. Breton; il a 310 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. distillé du lignite de Pommier ; en le distillant à une basse température, il a obtenu comme M. Bre- ton une huile volatile infecte et une certaine quan- tité de gaz, à une température plus élevée, il a obtenu une quantité très-forte de gaz ; seulement ce gaz contenait une telle proportion d'hydrogène sul- furé, qu'il est douteux qu’on püt l’employer pour l'éclairage. M. le président lit le texte de la sixième question soumise au Congrès. M. Lory commence une communication sur la série des terrains crétacés du Dauphiné. L'heure avancée empêche M. Lory de terminer cette com- municalion qui sera reprise dans une autre séance. La séance est levée à neuf heures. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 311 SÉANCE DU % SEPTEMBRE. La séance s'ouvre à sept heures, sous la prési- dence de M. Gueymard. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente; ce procès-verbal est adopté. Au nom de M. Michal, de Grenoble, auteur d’un procédé pour la condensation de la tourbe, M. Lory annonce au Congrès que M. Michal se met à la dis- position de MM. les membres pour leur donner des explications, soit sur son procédé pour la conden- sation de la tourbe, soit sur l'établissement hydro- thérapique de Noyarey, dont il est directeur. La parole est donnée à M. Fauché-Prunelle pour lire un mémoire relatif à la dix-septième question du programme. COUP-D'OEIL SUR LA VÉGÉTATION DES ALPES; CONSIDÉRÉE DANS SON RAPPORT AVEC LE CLIMAT; Par M. Faucué-ProNeLLE, conseiller à la cour impériale. Quand nous promenons un regard vague et presque inattentif sur la végétation qui nous entoure, sur celle 312 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. riche et utile parure de notre globe, il est impossible que nous ne soyons pas impressionnés et charmés à la vue de ces végétaux à formes belles et élégantes, à fleurs de cou- leurs si brillantes et si diversement variées. Mais, quand ce regard devient attentif et observateur; quand il veut examiner, outre la beauté et l'élégance des formes, outre la variété et le brillant du coloris, toute cette admirable organisation végétale si harmonieusement, si merveilleu- sement, si divinement combinée et créée, ce n’est plus un simple charme vague et indéfinissable que nous éprou- vons, c’est un charme de surprise et d’admiration ; la vue ou l'observation des végétaux n’impressionne plus alors seulement notre regard physique; elle impressionne aussi notre regard moral et intellectuel ; elle s’adresse, elle parle à notre esprit qui tente de pénétrer, de découvrir ces mys- térieux phénomènes, ces sublimes secrets de la création et de l’organisation végétales, secrets dont la nature laisse à peine deviner, ou plutôt soupconner et entrevoir quel- ques-uns. La connaissance de ces phénomènes, de ces mystères, de ces moyens intimes de la nature, a été l’objet, le but principal des recherches et des travaux des naturalistes, et particulièrement des botanistes, en ce qui concerne les végétaux; et ce que ceux-ci ont pu découvrir jusqu’à ce jour forme la plus importante partie, la plus importante branche de la science appelée Botanique , science qui est bien loin, comme on paraît le penser trop généralement, de ne consister qu’en une stérile nomenclature, qu’en un aride catalogue de noms, qu’en un herbier inerte, collec- tion de végétaux plus ou moins mal desséchés et conser- vés, et qui serait peu utile s’il n'avait pour but que de rappeler ou représenter le simple aspect du végétal tou- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 313 jours très-défiguré par la perte de la vie, par la pression qui l’a désorgamsé et aplati, par la dessication qui a altéré fortement ses couleurs, si elle ne les a pas fait dis- paraître entièrement. Non, Messieurs, la botanique n’est pas une simple nomenclature, un simple catalogue nominatif ou descrip- tif, c’est une science qui, selon un savant botaniste mo- derne, serait l'interprétation du langage desvégétaux, non pas de ce langage figuré et allégorique que l’homme leur a prêté pour peindre ses propres sentiments, mais de ce langage que la nature emploie et adresse à l’homme d’une manière si poétique et si sublime, par l'intermédiaire de chacune de ses œuvres, de chacun de ses êtres ; et ce lan- gage n’est ni moins poétique, ni moins sublime de la part des végétaux que de la part des autres êtres naturels. La botanique générale examine donc les végétaux sous tous les points de vue, sous tous les rapports : relati- vement à leur structure, à leur organisation, à leur nomination et description, à leur position, à leur vie, à leur culture, à leur conservation et propagation, à leur utilité, à leurs produits, et en général à toutes leurs qualités et propriétés, tant sous le rapport de l'agrément que sous celui de l’utilité, soit qu’on Les emploie à l’orne- mentation du sol, à la construction des bâtiments, à la nourriture de l’homme et des autres animaux ou à la gué- rison des maladies auxquelles ceux-ei sont sujets; la médecine et la pharmacie végétales sont encore de belles parties, de belles branches de la botanique, et Pagriculture n’en est-elle pas aussi la partie, la branche la plus impor- tante par son utilité générale, incontestable et incon- testée? N'attendez pas, Messieurs, que j'entre dans l'examen 31% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. détaillé de toutes les branches de la botanique et de leurs innombrables phénomènes ; je ñfle me propose que de vous communiquer quelques observations que j'ai eu occasion de faire sur la végétation ou à l’occasion de la végétation des Alpes; car les plantes alpines ont leur physionomie particulière, leurs caractères particuliers, et j'ai vu des botanistes tenir à réunir et à mettre en regard, en paral- lèle, dans leurs herbiers, des végétaux de même espèce cueillis dans la plaine et dans les Alpes. On s’est d’abord occupé d'étudier, d’une manière géné- rale, les phénomènes de la vie des végétaux ainsi que la structure et les fonctions de leurs divers organes, ce qui a formé la branche de botanique appelée physiologie ou organographie végétale; mais on a très-peu fait cette étude d’une manière particulière et en ayant égard aux condi- tions de localité, de climat, d'exposition, d'élévation..… Aussi les notions de la science sont-elles insuffisantes pour expliquer un grand nombre de phénomènes physiologi- ques résultant de ces conditions ; il y a même encore beau- coup, infiniment de choses à apprendre et à découvrir tant sur la physiologie générale que sur la physiologie particulière. Cependant on s’est occupé d’un certain nombre de spé- cialités. Ainsi, on a examiné et étudié la distribution, la position respective des diverses espèces, des divers genres, des diverses classes de végétaux sur la surface de la terre ; on à fait la géographie et même, pour certains lieux, la topographie de la botanique; on a exploré et suivi, pres- que pas à pas, la marche, les progrès de la végétation depuis les contrées équatoriales jusqu'aux contrées polai- res ; on a également suivi et observé cette marche, non- seulement depuis le niveau des rivières, des lacs et des VINGT-QUATRIÈME SESSION. 315 mers, mais encore depuis les plus grandes profondeurs auxquelles l'exploration a pu pénétrer, en remontant et s’élevant successivement jusqu’à la ligne des neiges per- pétuelles, toute végétation étant impossible au-dessus ; et un botaniste a conclu de cet examen, de cette exploration générale, que « le soleil n’éclaire pas, sur ce globe, deux « degrés où la végétation soit identique, car chaque degré « possède une flore qui lui est propre. » Je pense que l’on pourrait même pousser beaucoup plus loin les consé- quences de cette conclusion, et dire que le soleil n’éclaire pas, sur notre globe, une lieue carrée, un kilomètre carré, où le sol, abandonné à sa végétation naturelle et sans culture, produise une flore identique. Que l’on parcoure toutes les montagnes des Hautes-Alpes, toutes celles du département de l'Isère, et, non-seulement sur chacune d'elles, mais encore sur chaque élévation, sur chaque exposition, on trouvera une flore différente. Dans nos plaines, la culture, qui ne laisse aucune partie du sol à l'état naturel, rend très-difficile l'appréciation de cette différence qui se fait cependant encore remarquer à cer- taines distances, quoique à des distances plus grandes que dans nos montagnes où les expositions et les hauteurs sont beaucoup plus variées à cause des diverses inclinaisons et élévations du sol. Néanmoins, tout en signalant ces cir- constances qui sont certaines et évidentes, les botanistes n'ont pas encore pu parvenir à connaître les diverses causes, les divers caractères distinctifs de la position géographique des végétaux, ce qui est d'autant plusdiffcile que ces caractères, ne variant que graduellement, peu à peu, et presque insensiblement, ne se manifestent pas d'une manière bien apparenteet bien tranchée; ces varia- tions graduelles et successives étant un peu plus sensibles, 316 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans les Alpes, à cause de la plus grande différence de hauteur et de température pour un même espace, je vous signalerai quelques indices, quelques caractères qui dis- tinguent beaucoup de végétaux alpins, quoique ces indices et caractères, qui ne sont pas les seuls, soient bien loin d’être absolus et sans exception. Le naturaliste observateur qui, partant de nos plaines, gravit les coteaux, les montagnes qui nous entourent, qui pénètre ensuite dans les Hautes-Alpes et s'élève jusqu'aux neiges éternelles qui recouvrent leurs sommités, est frappé des variations successives que la nature présente à ses regards, suivant les diverses expositions des lieux, suivant les différences d’élévation. A mesure qu'il s'élève, la nature végétale change et se modifie continuellement. La nature cultivée, plus féconde, plus variée dans le bas, se trouve bientôt en lutte avec la nature inculte qui, peu à peu, prend le dessus et finit par la dominer entiè- rement aux approches des sommités. La nature cultivée, d’abord riche, abondante et extrême- ment variée, se voit enlever successivement ses divers genres de culture : le figuier, l’amandier, le mürier, l’abricotier, le pêcher et plusieurs autres arbres fruitiers craignent de monter trop haut ettrop au nord; le chanvre, la vigne, le noyer ne dépassent guère onze ou douze cents mètres; au-dessus, ils ne viennent que dans des lieux parfaitement exposés ou abrités, et ils ne prospèrent que beaucoup au-dessous. Le cerisier, le poirier, le pommier et la plupart des autres arbres fruitiers ne peuvent dépasser quatorze ou quinze cents mètres que contre des murs'ou dans des endroits clos et abrités du nord ; le froment lui-même va VINGT-QUATRIÈME SESSION. 317 à peine à cette hauteur que le seigle dépasse de quelques centaines de mètres; mais à deux mille ou deux mille cent mètres, on ne trouve presque plus que la nature inculte, que la nature sauvage, que la nature naturelle (s’il est permis de s'exprimer ainsi), la rigueur du climat respectant peu la culture artificielle de l’homme au-dessus de cette élévation. Les forêts de la plaine et des parties basses des monta- gnes, si riches par le nombre et la qualité de leurs essen- ces, se soumettent assez docilement à la culture ou à l'exploitation de l’homme, et.elles- peuvent subir, sans de trop graves inconvénients, des coupes périodiques ou fré- quentes qui les transforment en bois taillis; mais, dans les grandes hauteurs, la nature n’est ni aussi riche en nombre d’essences, ni aussi docile à la culture humaine ; les forêts ne peuvent remonter ces hauteurs qu’en perdant le plus grand nombre de leurs espèces : le hêtre, le chêne, le sapin même finissent par les abandonner peu à peu dans cette ascension trop froide, trop pénible pour eux ; et nos forêts les plus élevées ne conservent presque que le * pin et le mélèze"accompagnés de quelques rares bouleaux : le mélèze principalement au nord, le pin principalement au midi, qui vont se mélangeant au levantet au couchant et servent ainsi en quelque sorte de boussole au botaniste errant ou égaré dans les labyrinthes de leurs détours et sous leurs ombrages. De même que la nature agricole, la nature forestière, à cette hauteur, se montre aussi rebelle à l'homme; elle ne subit plus impunément d'autre taille ou coupe que celle de ses branches accessoires ; les troncs coupés ne repous- sent plus que rarement et avec la plus grande difficulté ; les graines forestières ne germent qu'après beaucoup de 318 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. temps et avec une extrême lenteur : aussi, presque plus de bois taillis; presque plus et même plus de jeunes bois de belle venue succédant à des coupes rases, à des bois défrichés ou arrachés. A cette hauteur, les forêts finissent également par perdre ces nombreux petits arbustes, cesnombreuses broussailles qui continuent de les accompagner jusque dans les hau- teurs moyennes ; elles n’ont plus que quelques rosiers des Alpes qui semblent même vouloir fuir leur ombrage, quelques rares daphnés, quelques petits chèvrefeuilles à fruits bleus et quelques rhododendrons de plus en plus chétifs qui, avec quelques saules nains, rampants ou presque herbacés, atteignent seuls les limites de la végé- tation forestière. A cette grande hauteur, mais principalement au nord et dans les endroits humides ou arrosés, montent debelles prairies naturelles, de belles pelouses, étalant aux regards et aux recherches du botaniste leurs grandes richesses de plantes alpines infiniment variées, diminuant de plus en plus de taille et de végétation à mesure qu'elles s’appro- chent des sommités. Puis enfin, encore plus haut, dans les fentes et les détritus ou débris des rochers supérieurs, et presque jus- qu'à la ligne des neiges éternelles, apparaissent cà et là quelques plantes rares et isolées, sentinelles avancées et souvent perdues de l'extrême végétation. Quelle est la cause, ou plutôt quelles sont les causes principales de cette grande différence entre la végétation des plaines ou des parties basses et la végétation des som- mités ? Seraient-ce la rareté, la sécheresse, le froid de l'air à une si grande hauteur? Seraient-ce toutes ces causes combinées, réunies à d’autres causes ? VINGT-QUATRIÈME SESSION. 319 C'est probable; mais, pour découvrir les principales, faisons des comparaisons avec les autres localités du globe. Partout les êtres végétaux de même genre, famille ou espèce, ont une similitude, une symétrie d'organes qui leur a été imprimée par la nature pour leurs besoins qui sont aussi semblables ou analogues; mais ces organes varient beaucoup dans leurs développements, dans leurs rapports avec la plante, selon qu’elle se trouve dans des circonstances diverses d'exposition, d’élévation, d'air am- biant et surtout de température ; ainsi, selon les besoins du végétal et ses circonstances de position , certains orga- nes, devenant moins utiles, se développent moins, avor- tent presque, tandis que d’autres, devenant plus utiles, se développent davantage et prennent quelquefois des déve- loppements très-considérables. Voyons donc quels sont ceux de ces organes qui doivent être plus ou moins utiles et prendre par conséquent plus ou moins de développe- ment, selon que les plantes habitent les Alpes ou des contrées de hauteurs et de températures très-différentes. Si l'on compare d’abord, d’une manière générale, la végétation des contrées méridionales à celle des contrées septentrionales, on remarque, sous l'équateur et dans les régions tropicales suffisamment humides ou arrosées, une végétation extrêmement riche, luxuriante et abondante, qui va en diminuant continuellement de richesse, de viva- cité, de coloris et d'éclat, lorsqu'on s’avance vers le nord; les espèces deviennent successivement moins nombreuses, moins variées et diminuent même de taille, sauf les coni- fères qui, ainsi que nous le dirons bientôt, portent en eux- mêmes un puissant préservatif contre le froid; cette diminution augmente dans une proportion de plus en plus rapide à mesure qu’on approche des limites de la végéta- 320 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tion; les genres, les espèces diminuent de nombre et de taille ; les arbres deviennent de plus en plus petits, chétifs et comme rabougris; puis ils cessent eux-mêmes pour céder la place aux végétaux inférieurs, aux plantes her- bacées qui bientôt sont à leur tour remplacées par une végétation naine et plus que naine, par des saxifrages, des mousses et des lichens que l’imperfection purement apparente de leur organisation à fait reléguer en quelque sorte vers les derniers degrés de la grande échelle végé- tale. Eh bien, c’est aussi cette espèce d’abaissement, de dégradation de la végétation que l’on voit avoir lieu quand on s'élève dans les Alpes. Or, si l'observation de chaque jour nous démontre que la chaleur jointe à la lumière, probablement aussi à l’élec- tricité et à d’autres causes, mais surtout à une suffisante humidité, est la première et principale cause d’une riche et abondante végétation, ne faut-il pas en conclure que la richesse et l'abondance de végétation des contrées méri- dionales à sol humide ou voisin des eaux doivent être principalement attribuées aux couches d’air extrêmement chaud et humide qui les entourent de toutes parts? Et s’il y à, dans ces contrées, de grandes localités presque arides ou sans végétation, à cause de la sécheresse du sol, comme les sables et les déserts de l'Afrique, on y voit, dès que l’on trouve une source ou un cours d’eau, reparaître la végétation avec tout son luxe, dans ces délicieuses oasis semées comme des îles au sein des mers de sable de ces déserts, et si, même au milieu de l’aridité de ces sables ou déserts on rencontre encore quelques végétaux, c’est que ces végétaux ont, dans leur constitution, quelques organes particuliers (des feuilles grasses et épaisses, par exemple) qui leur permettent, comme au chameau, d’aspirer en VINGT-QUATRIÈME SESSION 321 quantité et de conserver plus ou moins longtemps, mème pour des besoins futurs, la vapeur d’eau qu'ils ont soutirée de l'air, au moyen de leurs appareils d'aspiration. Mais, plus on monte vers les sommités des Alpes, sur- tout des Alpes des chaînes centrales, moins il y a de chaleur et d'humidité dans l’air et dans le sol; l'air, qui yest presque toujours rare, sec et froid, enlève aussi presque constamment au sol une partie de sa chaleur et de son humidité, ces deux principaux éléments de la végéta- tion ; ces sommités connaissent à peine le serein du soir et la rosée du matin; leur végétation a bien un peu la chaleur des rares et courtes journées d'été, ainsi que l'eau ou l'humidité des rares et courtes pluies et des neiges fondantes; mais cette chaleur qui est ordinaire- ment très-faible, mais cette eau qui ne tombe que peu de temps ou qui ne désaltère que les parties arrosées ou voisines des cours d’eau, seraientinsuffisantes pour la haute végétation des Alpes si la nature n'avait pris soin d'y pour- voir au moyen d’une organisation toute spéciale que nous allons examiner plus particulièrement dans ses rapports avec le calorique et l'humidité, organisation qui la dis- tingue essentiellement de la végétation des climats chauds, sauf peut-être dans certains cas d'un grand froid ou d’une grande chaleur, car il est une remarque assez curieuse que nous avons eu occasion de faire maintes fois, c’est qu'il y a souvent une grande analogie et presquè une sorte de parité entre l’action d’un grand froid et celle d'une grande chaleur sur les corps organiques, animaux ou végétaux ; l’eau bouillante etle gel produisent, sur ces corps à éléments peu dissemblables, des effets presque identiques, parce que Ülans l’un comme dans Pautre cas il y a désorganisation de l'être vivant en ses premiers I 21 322 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. éléments constitutifs, d’une manière à peu près conforme ; l'état de la feuille d’un végétal, gelée puis dégelée, res- semble beaucoup à l’état d’une feuille semblable qui a été trempée dans l’eau bouillante. | Cette remarque, qui aëté confirmée par les observations modernes, que j'ai entendu faire par le chimiste Thénard, n'avait pas échappé aux anciens; il y a déjà bien des siè- cles que Tite-Live l'historien et Pline le naturaliste la connaissaient, car Tite-Live, en parlant de l'impression du froid des Alpes sur les troupeaux et les chevaux de ces montagnes, a dit qu'ils étaient brûlés par le froid : pêcora jumentaque torrida frigore ; et Pline a dit également, en parlant de quelques compagnons d’Hercule qui avaient eu des membres gelés en traversant ces montagnes, que leurs membres avaient été brûlés par la neige : ustis nive membris. Aussi dit-on vulgairement que ce qui garantit de la chaleur garantit du froid, et des préservatifs analogues sont employés contre la chaleur et contre le froid ; des appartements bien fermés sont plus chauds en hiver et plus frais en été ; des vêtements blancs, des manteaux blancs absorbent moins les.rayons de calorique et les réfléchissent davantage en été, de même qu’en hiver ils émettent et perdent moins de calorique que des vêtements noirs ou de couleur foncée; c'est à cause de cela que les Arabes et beaucoup d'habitants des climats brûlants se couvrent, en été comme en hiver, de burnous ou de vête- ments blancs. Pourquoi la nature n’aurait-elle pas fait, pour ses êtres organiques des pays froids, ce qu’elle a appris à l'homme à faire? Mais ne l’a-t-elle pas fait? N'a-t-elle pas donné ‘un vêtement plus chaud, plus fin, plus perfectionnéet sou- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 323 vent blanc, à un grand nombre d'animaux de ces pays? N'est-ce pas du nord que nous viennent les plus belles fourrures, les plus beaux duvetr? N'est-ce pas dans les montagnes froides, dans nos Alpes, que les troupeaux se couvrent de plus fines, plus épaisses, plus belles et plus blanches toisons? Nos Alpes n’ont-elles pas leurs lago- pèdes, leurs lièvres gris et autres animaux à robes de couleur sombre ou foncée en été et parfaitement blanche en hiver ? N'a-t-elle pas dû donner, n’a-t-elle pas donné à beau- coup de ses plantes alpines des préservatifs analogues ou encore plus efficaces contre le froid? N’a-t-elle pas donné à la plupart d’entre elles des vêtements velus, soyeux, cotonneux ou laineux, le plus ordinairement blancs? « J'admire (me disait un botaniste en remarquant la « teinte blanchâtre d’un grand nombre des plantes de « mon herbier), j'admire cette neige et ces frimats qui « persistent et ne sont point encore fondus sur vos plan- « tes alpines desséchées. » C’est donc un vêtement, un véritable habit d'hiver, une fourrure végétale (s’il est permis de s'exprimer ainsi), un vêtement blanc qui verdit ensuite un peu ou se perd même quelquefois en été sous l’action des rayons solaires, qui est, sinon le principal, du moins le plus apparent des préservatifs donnés par la nature aux plantes des Alpes. mais ce vêtement, qui affecte aussi d’autres couleurs, est de diverses natures : tantôt sec, raide, rugueux, calleux, cendreux ou farineux; tantôt, au contraire, doux, onc- tueux, velu, soyeux, cotonneux ou laineux, et quelquefois aussi gluant ou visqueux, selon les localités ou les besoins _ des diverses espèces de végétaux. Ici, comme presque toujours, se reproduit l’analogie 324 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. entre les animaux et les végétaux, plus ils vivent dans des contrées froides ou élevées, plus le poil ou duvet est fin, soyeux et serré pour mieux préserver du froid. Ces premiers, ainsi que plusieurs autres caractères des plantes alpines, n'observent pas cependant des règles in- variables ; ce ne sont là que des généralités qui souffrent beaucoup d’exceptions ; ce qu'il y a seulement de certain, c'est que ces caractères se manifestent plus généralement, plus fréquemment, à mesure qu’on s'élève dans les Alpes, et surtout dans les familles ou sections de familles végé- tales qui croissent ordinairement à de grandes élévations ; et,s’ily a quelques individus de familles croissant ordinai- rement dans les plaines qui osent se risquer à ces grandes hauteurs, comme les familles alpines et peut-être plus que les familles alpines, ils prennent un vêtement souvent blanc. Les poils ou duvets des plantes qui vivent à des hau- teurs moyennes ou dans les plaines, sont en général moins fins; ils sont plus cotonneux, laineux ou bourrus; ils dégénèrent même quelquefois en callosités âpres et rudes au toucher, en plaies visqueuses et rugueuses, dans les terrains sablonneux et arides ou sur les rochers nus trop exposés à l’ardeur du soleil ou à la violence des vents; et ici se reproduit cette analogie que nous avons déjàsignalée entre les effets d’une chaleur plus ou moins ardente et d’un air plus ou moins glacial. Ainsi, par exemple, si l’on trouve, sur les rochers - élevés, battus par les vents, beaucoup de plantes plus ou moins cotonneuses, laineuses ou bourrues, on en trouve aussi beaucoup dans les terrainsincultes, sablonneux, secs et arides, où elles vivent plus exposées à un air très-vif ou à un soleil brûlant. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 325 Dans les endroits abrités, au contraire, dans les forêts, dans les prairies très-herbeuses, dans. les lieux frais et humides, les poils sont plus soyeux, plus doux et plus fins, quoique souvent moins blancs ; beaucoup de plantes de même espèce ont un aspect tout ditférent selon le: lieu où elles sont cueillies; selon qu’elles sont cucillies sur les rochers, dans les forêts ou dans les prairies: selon qu'elles sont cueillies au premier printemps, ou un peu plus tard. Ainsi, par exemple, l’anémone des Alpes est plus cotonneuse, plus blanchâtre, sur les rochers bien exposés au vent, au froid et au soleil, que dans les prai- ries, et sartout à l'ombre des forêts ; sa floraison très- précoce lui a fait venir des poils jusque sur ses pétales : mais ce sont surtout l’anémone de Haller et l’anémone printanière, qui fleurissent plus tôt et à de plus grandes hauteurs, dont les pétales sont garnis de poils plus appa- rents, plus soyeux et plus longs. Outre le vêtement extérieur, ce premier et plus appa- rent préservatif du froid, il est encore plusieurs autres préservatifs, dont l’un surtout m'a paru le principal et le plus efficace: c’est une matière visqueuse, gluante ou résineuse, qui se développe, tantôt à l'extérieur des vé- gélaux, tantôt et le plus souvent à l’intérieur où elle pénètre dans leurs organes et s’unit à leur sève pour la rendre moins aqueuse et moins facilement congelable. En général, les végélaux de nos contrées ou de nos Alpes supportent un abaissement de température assez considérable, surtout en hiver; mais, au printemps, au moment de leur jeune croissance et de leur floraison , ils se trouvent souvent exposés à des froids, à des gels un peu vifs, dont leurs vêtements extérieurs ne seraient pas des préservatifs suffisants pour soustraire leurs sues ou 326 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. leurs sèves trop liquides à une congélation désorganisa- trice et mortelle. Mais, outre que le développement de cette matière visqueuse ou résineuse, qui est peu conductrice du calorique, forme d’abord une doublure ou un supplément de vêtement très-préservatif, son développement à l’in- térieur produit un effet bien autrement préservatif. Le mélange ou la combinaison de cette matière avec la sève et les autres sucs de la plante, en rendant cette sève et ces sucs moins liquides ou aqueux , empêche ou neu- tralise les effets désorganisateurs du gel et permet au végétal de supporter une température de plusieurs degrés au-dessous de zéro; c’est un préservatif analogue à celui que la nature a donné à certains animaux, notamment aux poissons, surtout à ceux qui vivent dans des eaux très-froides, comme les lacs et les rivières des Alpes et les mers glaciales; ces poissons ont, tant extérieurement qu'intérieurement, une assez grande quantité d'huile pré- servatrice, indépendamment de leurs appareils aspira- teurs, respirateurs ou condensateurs d’air qui, plus per- ‘fectionnés que ceux des poissons des eaux plus chaudes, leur procurent aussi un plus grand dégagement de calo- rique dans les poumons. Ce préservatif visqueux, résineux ou gommeux est très- commun dans les végétaux où il est souvent allié à celui du vêtement extérieur : la plupart des bourgeons des arbres et des plantes précoces sont pourvus d’enve- loppes visqueuses ou cotonneuses qui disparaissent plus tard; la matière visqueuse ou gluante est surtout très- abondante sur les bourgeons du marronnier, du peu- plier... L'amandier, l’abricotier, le pêcher, le prunier, lecerisier et autres laissent même suinter plus ou moins, YINGT-QUATRIÈME SESSION. 321 à Lravers leur écorce, quelques matières gommeuses qui accompagnent ordinairement leur sève. Mais c’est surtout dans les arbres verts, dans les coni- fères, que ces matières résineuses produisent leurs effets d'une manière beaucoup plus sensible et plns apparente. Ces matières, unies ou combinées avec la sève et qui pénètrent jusque dans le bois, et surtout dans l'écorce, forment un suc assez épais, capable de supporter un très- grand froid sans se congeler; aussi ces arbres résistent- ils très-bien aux plus grands froids des Alpes, tellement que leur sève ne cesse presque pas d’être en mouvement, même pendant l'hiver, quoique, à cette époque, l'effet de son action ascendante, très-peu active et presque nulle, se borne ordinairement au maintien des feuilles sans développement ou accroissement sensible du végétal. Cette grande diminution de l’ascension de la sève se ma- nifeste assez sensiblement sur ces feuilles, qui sont alors moins gonflées, plus sèches et plus foncées en couleur, à cause du vide résultant d’une beaucoup moindre quan- tité de sève dans leur tissu, tandis que, lorsque l’éléva- tion de la température fait monter une plus grande quantité de sève et rend le tissu de ces feuilles plus homo- gènement dense, en le remplissant de ces sucs, elles deviennent plus souples, plus transparentes et d’un vert plus clair; aussi ces conifères, plus on moins verts en été, sont toujours plus ou moins bruns ou noirs en hiver. En parlant des arbres résineux, qu'il me soit permis de vous dire transitoirement que, nonobstant l'opinion de quelques botanistes qui ont prétendu et imprimé que le gui ne croît point sur ces arbres, je l’ai trouvé plusieurs fois sur le pinus sylvestris et je vous en montre un exemple. 328 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Indépendamment des conifères, il existe un très-grand nombre d’autres plantes qui sont préservées du froid par un moyen analogue; ainsi, on trouve dans les Alpes quel- ques belles et nombreuses familles de plantes , presque toutes printanières , qui, loin d’être velues, ont, au con- traire, la tige et les feuilles parfaitement nues, glabres et lisses, sans enveloppe blanchâtre, telles que les orchidées, les liliacées, les grassettes.... Mais toutes, ou presque toutes ces plantes, sont extrêmement gluantes ou vis- queuses, surtout à l'intérieur; presque toutes ont leurs racines, oignons ou bulbes, ainsi que leurs tiges et leurs fleurs, quelquefois enduits et toujours remplis d'un liquide gluant, onctueux ou visqueux , mélangé ou com- biné avec la sève qu’il empêche de se congeler. Leurs bulbes ou oignons, qui s'enfoncent profondément en terre pour être plus à l'abri du froid extérieur, amassent! même, pendant l'hiver, de tels approvisionnements de sucs nutritifs, qu'ils peuvent faire vivre la plante pendant très-longtemps après qu’elle a été extraite du sol. Au moyen de ces suces préservatifs qui abondent dans leurs racines et qui remplissent Jeurs feuilles et leurs fleurs, ces plantes, au premier printemps, percent le sol, avant même qu’il ne soit entièrement découvert de neige, et ornent bien vite les hautes prairies des Alpes. Ajouterai-je que la nature emploie un moyen analogue pour préserver de l’extrême chaleur beaucoup de végétaux habitants de contrées très-chaudes ou de leurs sables brûlants. C’est également un liquide épais, visqueux ou gluant, qui résiste à une grande chaleur et qui, uni à la sève et répandu dans toute la plante, la préserve de l’ex- trême chaleur et l'empêche de se dessécher, comme cela a lieu dans la plupart des plantes grasses, qui, tirant beau- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 329 coup de nourriture de l'air et peu du sol, n’ont que de petites racines, mais ont, en compensation, de grosses feuilles épaisses et charnues qui soutirent de l’atmosphère les provisions d’air, de vapeur d’eau et d'acide carbonique nécessaires à leur alimentation et désaltération ; les feuilles semblent remplir, pour ces plantes, des fonctions analogues à celles que les oignons et les bulbes remplis- sent pour les liliacées, qui tirent du sol leur principale nourriture. Les Alpes ont bien aussi quelques plantes grasses, quel- ques orpins, quelques joubarbes, à feuilles charnues, épaisses et aqueuses; mais ce sont des plantes esti- vales qui ne croissent et ne fleurissent que lorsque l'atmosphère, devenue plus chaude et plus humide, peut leur fournir un peu de vapeur d'eau et de nourriture aérienne; et encore plusieurs ont-elles des poils, des duvets. A ces deux préservatifs, il faudrait sans doute en ajouter d’autres moinsapparents ou que nous ignorons; cependant - je ferai remarquer que leurs racines, celles surtout des plantes vivaces et précoces, sont en général plus longues, plus grosses et plus profondes que celles des pays chauds ou tempérés ; de plus, ces racines sont préservées du froid extérieur par les premières neiges qui, tombant presque toujours sur un sol sec, s’y fixent et y séjournent tout l’hi- ver. Aussi les légumineuses ou papilionacées, à racines fortes et profondes, y prospèrent surtout très-bien; il semble que certaines localités élevées de nos Alpes se plaisent à étaler aux regards des botanistes de nombreuses etrares espèces de trèfles, de phaques, d'oxytropes, d’as- tragales..…. Bien plus, certains végétaux, qui sont glabres et nus 330 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans les plaines, se couvrent de soies ou de poils, quand ils s'élèvent dans les Alpes; cette survenance de poils est même quelquefois tellement caractérisée, que les botanis- tes ont fait de ces végétaux, les uns des variétés, les autres des espèces. Je terminerai ce que je me propose de dire sur l’orga- nisation des végétaux contre le froid, en faisant remar- quer que cette organisation est moins apparente et moins parfaite, parce qu'elle est moins utile, dans les plantes estivales ou automnales (qui se développent et fleurissent à une époque plus chaude), que dans les plantes ver- nales ou dans les plantes des plus grandes hauteurs qui sont aussi des plantes vernales relativement à la tempé- rature toujours froide de l’atmosphère dans laquelle elles vivent, et qui doivent tellement être considérées comme vernales, que, quoiqu'elles ne fleurissent, sur ces hau- teurs, qu’en juillet et août, elles y fleurissent en com- pagnie d’une foule de plantes réellement vernales, dont les sœurs ont fleuri, quelques mois plus tôt, dans les localités inférieures. Après avoir examiné les différences ou les similitudes des appareils d'organisation contre le froid et contre la chaleur, examinons les différences ou similitudes dans les appareils destinés à la nutrition. Ces appareils se réduisent à deux principaux : les racines et les feuilles. Les végétaux étant presque entièrement composés d'oxy- gène, d'hydrogène et de carbone, et ne contenant des particules d’autres corps qu'en quantité extrêmement petite et variable selon la nature et la composition du sol sur lequel ils sont nés, l'oxygène, l'hydrogène et le carbone peuvent et doivent être considérés comme les YINGT-QUATRIÈME SESSION. 331 éléments constitutifs et nutritifs des végétaux, sauf un peu d’azote qui n’entre que dans la EE de quel- ques plantes seulement. Or, ces éléments se trouvant soit dans le sol qui ren- ferme les racines, soit dans l'air extérieur qui enveloppe la plante, c’est principalement par les racines et par les feuilles que les sucs nutritifs doivent pénétrer pour s’in- troduire ensuite dans toutes les parties du végétal. Nous avons déjà dit que, dans les pays chauds où le sol est souvent très-sec, et l'air très-chaud et très- chargé de vapeurs d’eau, la nutrition de beaucoup de végétaux, principalement de ceux qui croissent Sur des terrains secs et arides, doit avoir lieu surtout au moyen des feuilles qui, par leurs nombreux sucoirs, aspirent l'air ambiant, avec sa vapeur d’eau et même son acide carbonique, pour en extraire l’oxygène, l'hydrogène et le carbone dont ces végétaux ont besoin pour se nourrir, et la vapeur d'eau dont ils ont besoin pour se désaltérer. Aussi, les feuilles de ces végétaux croissent-elles et se développent-elles rapidement et abondamment, longtemps avant la florai- son, tandis que leurs racines sont proportionnellement plus petites et moins développées, n'ayant que très-peu de sucs nutritifs à extraire du sol. Dans les Alpes, au contraire, surtout dans les parties élevées et froides, les racines, généralement grosses, nourries et souvent profondes, sont les principaux 0T- ganes de l'alimentation des plantes, qui ne peuvent demander presque qu’au sol les sucs désaltérants et nutri- tifs que leur refuse un air longtemps trop froid et trop sec. C’est là qu'à une plus ou moins grande profon- deur dans le sol et sous une épaisse couche de neige qui les recouvre et les abrite pendant de longs mois d'hiver, 332 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. quelquefois pendant la majeure partie ou la presque tota- lité de l’année, ces racines (auxquelles on serait tenté d'attribuer une certaine force d'aspiration, non pas seu- lement à partir du contact à l'extrémité de leurs radicules, mais dans l'étendue d’un rayon d'attraction plus ou moins grand), cherchent, choisissent, attirent, sucent et aspi- rent, de tous côtés, de grandes provisions de ces sucs nutritifs qu’elles élaborent, préparent et tiennent en réserve jusqu’à l’époque où une température plus douce, plus modérée, leur permettra d'imprimer une force ascen- sionnelle au-dessus du sol à ces sucs, à cette sève, et de la faire monter et circuler dans les organes supérieurs, à mesure que ces organes se développeront et en auront besoin. Aussi, dès que la neige achève de fondre, avant même qu'elle ne soit entièrement fondue, on voitles végé- taux de ces montagnes percer le sol, croître, fleurir et mürir leur fruit avec une rapidité extraordinaire ; les céréales, les seigles surtout y croissent, fleurissent et müûrissent avec une incroyable célérité; et quoi- qu’il soit vrai de dire que, dans les grandes hauteurs, le seigle reste en terre beaucoup plus longtemps que dans les plaines de même latitude; que si, à une hauteur de plus de 4,800 mètres, il y reste une année entière et quelquefois plus, étant semé à la fin de juillet ou au mois d'août et n'étant moissonné qu’au mois d'août de l’année suivante, cependant, en retranchant les six ou huit mois et plus pendant lesquels il est demeuré sous la neige et sans végétation apparente, on voit qu'il ne lui reste, pour croître, fleurir et mürir, qu’un temps beaucoup moindre qu'au seigle de nos plaines qui, semé un ou deux mois plus tard et recueilli un mois plus tôt, n’a eu sa végé- tation extérieure interrompue ou empêchée par la neige ue pendant des espaces de temps ordinairement assez VINGT-QUATRIÈME SESSION. 399 courts. La haute végétation des Alpes, quoique moins hâtive, est donc beaucoup plus rapide ; de là est venu ce dicton brianconnais : en quarante jours le seigle mürit. Mais si ce dicton peut être un peu exagéré pour le seigle, ilest en-dessous de la réalité pour un certain nombre d’autres plantes qui croissent à de plus grandes hauteurs, et surtout pour celles qu’on trouve tout près de la ligue des neiges perpétuelles. Il y a en effet, dans ces localités, quelques plantes qui passent presque la totalité de leur vie sous la neige, qui ne sont découvertes que pendant très-peu de temps ou pendant quelques jours seulement, et qui mème ne voient pas fondre entièrement tous les ans la neige qui les recouvre, sous laquelle elles passent quelquefois une ou plusieurs années, sans respirer Pair extérieur, ne vivant en quelque sorte que par leurs raci- nes qui leur ramassent et préparent les sucs destinés à l'alimentation du végétal pendant le temps toujours très- court qui lui est accordé pour vivre à l’air extérieur, car c'est à peine si ce végétal obtient, de la haute et froide atmosphère où il se trouve, quinze ou vingt jours, un . mois au plus, pour croître, se développer, fleurir, etfécon- der, mürir, semer son fruit. C'est alors qu'il faut que la nature agisse activement et rapidement pour le grand œuvre de la conservation et reproduction de l’espèce; c'est alors qu’il faut que la racine transmette des sucs complè- tement élaborés et préparés d'avance à former la tige, la feuille, la fleur, le fruit et les autres organes du végétal; c'est alors surtout que l’on peut dire que la végétation des sommités alpines est infiniment active et rapide. Une semblable rapidité de végétation a lieu également dans les contrées polaires qui sont susceptibles de rece- voir la culture des céréales ; mais, dans ces contrées, il en 33% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. est une autre cause sensible et apparente; c’est la lon- gueur des jours d'été, toujours plus grande à mesure qu'on approche des pôles, qui, jointe à la présence con- tinue du soleil sur l'horizon pendant un temps beaucoup plus long, même pendant des mois entiers, selon la lati- tude, procure à ces contrées, si froides en hiver, un été ordinairement extrêmement chaud, parce qu'il est pres- que sans nuits pour tempérer sa chaleur. Mais il n’en est point de même dans nos hautes régions alpines, qui ont toujours leurs nuits d’été très-fraiches et quelquefois très-froides ; les journées y sont plus courtes que dans nos plaines, parce quel’horizon y étant plus borné et plus circonscrit par les. crêtes élevées et rapprochées des montagnes qui le limitent, le soleil y séjourne moins longtemps, se levant plus tard et se couchant plus tôt. Ne pouvant expliquer la rapidité vraiment extraordi- naire de la haute végétation alpine pendant la courte durée du printemps et de l'été, par la même cause que celle des contrées polaires, je n’ài pu l’attribuer qu’à ces longs et grands approvisionnements antlicipés de sucs nutritifs, aspirés, préparés et élaborés sous la neige par les racines qui, par conséquent aussi, doivent avoir ces plus grandes dimensions, ces plus grands développements que nous avons fait observer ; et, plus la neige a persisté long- temps sur le sol, plus elle a fondu tard au printemps, plus la végétation se développe ensuite avec activité; sou- vent même, quand la neige qui couvre les céréales fond trop lentement, le cultivateur des Hautes-Alpes vient en aide à la nature, en jetant sur cette neige une légère couche de terre dont la couleur noire ou brune, absor- bant plus facilementle calorique des rayons solaires, opère une fusion plus rapide. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 43 Quant à la quantité de carbone nécessaire à la très- haute végétation, si ellene peut être fournie en quantité suffisante par l'air si rare et si pur de ces grandes hau- teurs, les racines peuvent le soutirer en majeure partie des nombreux débris végétaux qui se trouvent mélangés avec le sol, car, dans ces lieux non cultivés, chaque plante rend chaque année à son sol son engrais spécial qui n’est autre qu’elle-même, que sa propre dépouille, que ses pro- pres débris, où la racine trouve, outre l'hydrogène et l'oxigène, son carbone nécessaire, car là, chaque plante naturelle est comme un véritable phénix qui meurt et renaît chaque année de ses détritus et de ses cendres. On est naturellement porté à penser que les plantes alpines, qui viennent presque à la limite des neiges per- pétuelles, ne craignent pas le froid ; je crois, au contraire, qu'elles le craignent autant et peut-être plus que la cha- leur, car elles périssent quelquefois de froid, elles gèlent quelquefois, maisje ne les ai jamais vues périr de chaleur. « La plupart des plantes des Alpes, a dit Villars, quoique « ensevelies sous plusieurs pieds de neige pendant neuf « mois de l’année, ne résistent pas aux premières gelées. » Cependant, elles ne gèlent que très-rarement, parce que, abritées par la neige qui les recouvre jusqu’au milieu ou à la fin de l’été, elles ne sortent du sol et n'apparaissent à l'air qu’à une époque où l'atmosphère est dans un état de température modérée qui leur convient et qui n'est ni trop froide, ni trop chaude ; ainsi, les neiges sont pour les hautes plantes alpines à la fois préservatrices de la cha- leur et du froid. Il arrive même souvent ou que ces plantes les plus hau- tes ne voient pas fondre chaque année les neiges qui les recouvrent, ou qu’elles sont surprises par des neiges 330 * CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. hâtives avant la maturité de leurs fruits. Mais l'espèce ne périt pas pour cela, car ce sont ordinairement des plantes vivaces qui, se conservant par leurs racines, continuent de vivre en terre sous ces neiges. Je ne serais pas très-étonné, si la maturité était alors un peu avancée, que les fruits, préservés par la neige, pussent achever de müûrir l’année suivante, comme cela arriverait quelquefois au seigle, ainsi que je l’ai entendu raconter et que je l'ai lu dans des ouvrages publiés par des écrivains brianconnais qu ont prétendu que des seigles recouverts par des neiges trop précoces et arrêtés ainsi dans leur maturation, au- raient été préservés du gel sous ces neiges, continuant de vivre dans un état de torpeur et d’engourdissement jus- qu'à l’année suivante où ils auraient repris leur existence végétale aérienne, suspendue par six ou huit mois d'hiver, et donner ensuite une belle et abondante récolte. Je doute cependant de la vérité de ce fait, à moins que ces seigles n’eussent été surpris et arrêtés ainsi dans leur végétation à une époque où ils n'auraient encore été qu’en herbe et sans tiges ni épis; ils auraient ainsi passé deux hivers dans l’état où nos céréales hivernales en passent ordinai- rement un, et vêcu deux ans comme les plantes biennales. Les végétaux des pays méridionaux, entourés d’un air chaud, saturé de vapeur d’eau, contenant une certaine quantité d'acide carbonique, pouvant trouver dans cet air ambiant la presque totalité ou au moinsune grande partie de leurs éléments nutritifs, doivent se nourrir et se nour- rissent en effet beaucoup plus par l'intermédiaire de leurs organes extérieurs et notamment de leurs feuilles; ces feuilles doivent donc croître et se développer avant la fleur. Les végétaux des Alpes, au contraire, qui ne trou- vent au premier printemps qu'un air rare, froid, presque YINGT-QUATRIÈME SESSION. . 331 sans vapeur d’eau et sans acide carbonique, doivent se nourrir et se nourrissent alors beaucoup plus par l'inter- médiaire de leurs racines que par l'intermédiaire de leurs feuilles : aussi les feuilles des plantes alpines vernales ne se développent-elles, en général, qu'après la floraison et lorsque l'atmosphère peut leur offrir un ait plus chaud et plus humide. J'ai été conduit, lors de ma première herborisation dans les Hautes-Alpes, par un Briançonnais, à une époque où la neige, à peine fondue autour de Briancon, couvrait encore la majeure partie des montagnes. Je comptais peu trouver des fleurs, puisqu'il n’y avait presque pas encore de verdure. Cependant, quel ne fut pas mon étonnement lorsque arrivé au pied de la montagne et gravissant les prairies inférieures où la neige venait de fondre depuis quelques jours seulement et n’était pas même entièrement fondue, j'apercus dans les parties découvertes un grand nombre de fleurs précoces, mais la plupart sans feuilles ou seulement avec des embryons de feuilles. Lors des her- borisations suivantes, je trouvai encore, dans les localités plus élevées, diverses espèces de tussilages, de violettes, d'anémones, des bulbocodes printaniers , des crocus, des soldanelles, des hépathiques.… qui déjà ornaient de leurs fleurs nombreuses et variées les hautes prairies et les rochers, alors que leurs feuilles n’étaientencore qu'à l'état d’embryons et presque sans développement; cene futque plus tard et après la floraison que ces feuilles se dévelop- pèrent, en sorte que j'eus beaucoup de peine à trouver pour mon herbier certaines plantes vernales ayant en même temps des fleurs et des feuilles. Pourquoi ce défaut de feuilles, me demandais-je ? Est-ce à cause du froid ? mais alors pourquoi cette floraison anti- 2 22 338 % CANGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cipée, pourquoi des fleurs encore plus impressionnables au froid que ne le sont les feuilles? pourquoi cette espèce d'anomalie qui n’a pas lieu dans les plantes moins préco- ces, ni dans celles des pays chauds? N'est-ce pas parce que, à cette époque trop printanière, l'air trop froid et trop sec des Alpes ne pouvant nourrir ni désaltérer ces plantes, leurs feuilles, organes de nutrition aérienne, sont presque inutiles au végétal jusqu’à une époque ultérieure où un air plus chaud et plus humide pourra concourir à sa nutrition ? Et si ces mêmes plantes ont des feuilles plus développées dans les endroits plus abrités, n'est-ce pas parce que, dans ces endroits, l'air, un peu plus chaud et plus humide, peut déjà commencer à servir à la nutrition végétale? N'est-ce pas aussi un peu parce que les feuilles se nourrissent plus d'air que la fleur, qui recoit sa princi- pale nourriture du sol au moyen des racines et de la tige? Pourquoi aussi cette tige reste-t-elle très-courte jusqu'après la floraison ? N'est-ce pas pour que les sucs nutritifs lui arrivent de la racine plus vite et plus chaudement, et pour maintenir la fleur plus près du sol où elle est moins expo- sée au froid et à la vivacité de l’air pendant la fécondation, car ce n’est qu'après la fécondation que ces plantes verna- les alpines s'élèvent ensuite beaucoup plus sur leur tige? Si les feuilles des bulbocodes, des crocuset autres liliacées précoces se développent aussi tardivement, n'est-ce pas parce que ces plantes tirent presque toute leur nourriture de leurs bulbes ou oignons, et n’en tirent presque point avec leurs feuilles d’une atmosphère encore alors trop froide ? Pendant longtemps les botanistes n’ont considéré la corolle ou les pétales que comme des organes très-acces- soires ou peu utiles, comme de simples téguments destinés plutôt à l'ornement qu'aux besoins de la fleur. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 339 Mais la nature est assez belle par elle-même et n’a pas besoin de se créer des ornements inutiles ; aussi la corolle et les pétales, comme tous les autres organesdes végétaux, me paraissent jouer un rôle d'utilité bien autrement im- portant et qui est très-différent selon la différence des lieux et des climats; et, tandis que le rapprochement de leurs parties inférieures contribue, avec le sommet de la tige, à former le placenta, le thalamus, la couche nuptiale des organes générateurs et reproducteurs du végétal, leurs autres parties préservent ces organes des effets, également funestes à la fécondation, d’un trop grand froid ou d’une trop grande chaleur; ils me paraissent même leur pro- curer aussi un peu de nourriture. Ainsi et pour reproduire comme toujours une analogie presque constante entre l’organisme animal etl’organisme végétal, de même que chez les animaux certains organes, certains poils ne prennent de l'extension ou du dévelop- pement qu'à l'époque de la puberté, de même ce n’est qu’à l’époque de la puberté végétale, qu'à l’époque de la floraison, du mariage végétal, que les corolles et pétales se développent et prennent toute leur extension. C'est donc surtout à protéger ou préserver les organes de la génération et leur action pendant cette époque critique, que sont destinés les corolles et les pétales, car, dans la plupart des plantes, ils se dessèchent et tombent bientôt après la fécondation, ce qui démontre qu'ils ne sont pas utiles à la maturation du fruit dont ils se déta- chent dès que le jeune ovaire, devenu adolescent et par- venu à cet âge où il est moins impressionnable à l'effet des actions extérieures, peut être privé du préservatif des pétales et sevré de leurs sucs, pour se nourrir unique- ment de ceux qui lui arrivent par la tige ou par les feuilles. 340 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La corolle et les pétales servent à la vérité d’enveloppe à la couche nuptiale, dont elles sont comme les rideaux, et préservent les organes sexuels d’un froid trop vif ou d’une chaleur trop intense. Il faut en effet, pour une bonne fécondation, une température modérée et presque cons- tante : un trop grand froid paralyse l’action des organes générateurs lorsqu'il ne la détruit pas par le gel, de même qu'une trop grande chaleur, lorsqu'elle ne les détruit pas en les brûlant ou les desséchant, nuit cependant encore à la fécondation en accélérant et hâtant trop l’action de ces organes dont les uns émettent ou répandent trop rapide- ment tout leur pollen qui ne peut alors être recu et perçu en convenable quantité par les autres; les corolles et les pétales doivent donc être préservatifs de la chaleur dans les pays chauds et préservatifs du froid dans les pays froids et les Alpes. Eh bien, n'est-ce pas ainsi et dans ce but qu'ils sont organisés ? Ne sont-ils pas en général, par leur contexture, une enveloppe, un tégument pour les plantes vernales et les plantes alpines, et par la vaporisation de leurs odeurs ou de leurs essences, un réfrigérant, un préservatif rafrai- chissant pour les plantes estivales et méridionales ? Commençons l'examen de l’action des corolles ou pétales comme enveloppes, comme téguments. Indépendamment de quelques poils plus ou moins fins et soyeux dont ils sont quelquefois revêtus, ou de quel- ques matières visqueuses qu'ils laissent parfois suinter, les pétales préservent par leur forme, par leur contexture, les organes sexuels des plantes des impressions plus ou moins vives, froides ou chaudes de l'air ambiant. Mais c'est surtout dans les plantes printanières et les plantes alpines que leur action préservatrice se fait prin- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 341 .cipalement remarquer. Dans ces plantes, les corolles et les pétales sont ordinairement plus précoces, plus déve- loppés et dépassent de beaucoup les organes sexuels qu'ils sont destinés à abriter; dans quelques-unes même, comme dans les primulacées, ces organes se cachent à l'abri du froid au fgnd de leurs corolles infundibuliformes; ce n’est qu’au moñent de la fécondation que ces organes se déve- loppent, s’allongent sous l'influence d’une température devenue plus douce pour venir se féconder à l'air; puis, la fécondation opérée, l'extrémité des étamines se dessèche et tombe ; l'extrémité ou le stygmate du pistil, après avoir mis le pollen en communication avec l'ovaire, se dessèche également et laisse cet ovaire fécondé s'abriter et se déve- lopper au fond du tube de la corolle quelque temps persistante jusqu’à ce qu’elle puisse tomber sans inconvé- nient. Dans quelques plantes estivales comme dans les belles de nuit, par exemple, la corolle remplit des fonctions analogues, mais dans un but différent; elle agit, non contre le froid, mais contre la trop grande chaleur des journées d'été, pendant lesquelles elle se ferme pour em- pêcher que cette chaleur ne dessèche, ne brûle les organes sexuels ou ne produise une trop rapide émission de pollen; ce n’est que lorsque la douce fraicheur du soir succède à la chaleur brûlante de la journée, que la corolle s'ouvre successivement et peu à peu pour permettre la féconda- tion à l'air de cette température plus fraîche. Les diverses espèces d’anémones qui viennent dans les Alpes, et notamment l’anémone printanière, l’anémone des Alpes proprement dite (la variété surtout qui croît sur les rochers) et l'anémone de Haller sont les plantes sur lesquelles j'ai pu le plus facilement et le plus fréquemment 342 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. faire l'observation des pétales fonctionnant contre le froid. Presque toutes ces anémones, qui sont très-printanières, ne croissant qu’à une certaine élévation et à une époque où l'atmosphère est encore très-froide, tiennent leurs corolles presque continuellement fermées la nuit et même le soir etle matin. Mais dès que les rayons d’un soleil un peu plus chaud viennent pendant une belle journée réchauffer l'atmosphère, ces fleurs s’entr'ouvrent d’abord un peu, puis presque entièrement, par un mouvement rotatoire très-lent des pétales autour de leur base. C’est alors que, dans cette atmosphère un peu réchauffée, s’ac- complit l'œuvre de la fécondation au centre de la fleur ouverte et développée, véritable chambre nuptiale ornée d'une jolie ceinture de pétales; mais, dès que les rayons solaires commencent à perdre de leur force, dès que la fraicheur du soir commence à se faire sentir, les pétales commencent à reprendre un mouvement de rotation inverse qui, les rapprochant peu à peu les uns des autres, referme la fleur et enveloppe la couche nuptiale sur laquelle ils étendent leurs rideaux à franges soycuses comme pour la soustraire aux regards profanateurs d'un zéphyre indiscret et perfide, ou au souffle nuisible et quelquefois mortel d’un aquilon impétueux ou glacial. Cette opération se renouvelle ainsi, pendant les beaux jours de la floraison, jusqu'à la fécondation parfaite ou jusqu’à ce que l'embryon du fruit puisse se passer de la protection des pétales. Jusqu’alors les pétales font, en quelque sorte, les fonctions d’anges gardiens du jeune embryon; je pourrais même ajouter qu'ils en sont aussi un peu les anges nourriciers, si j'avais à m'expliquer sur tou- tes les fonctions de ces organes que je n’examine iei que dans leurs rapports avec le calorique , car je crois qu'ils YINGT-QUATRIÈME SESSION. 343 font aussi sucer un peu à l'ovaire et par leur base une portion de la matière nutritive qu’ils ont reçue à cet effet dans leurs tissus plus pleins et plus enflés, je dirais pres- que dans leurs mamelles, faisant ainsi à la fleur ou au jeune fruit l'office que les cotylédons font à la jeune plante. Ce mouvement des pétales, qui est tout à fait semblable à celui des folioles de l’acacia, est cependant extrêmement lent et peut être tellement lent, que l’œil ne peut pas le suivre ou a beaucoup de peine à le suivre. Le froid se sert, en ce cas, en quelque sorte de préser- vatif à lui-même, car si dès que la fraîcheur arrivé, les pétales fléchissent et se ferment, comme pour préserver les organes sexuels, c’est parce que la fraîcheur du soir fait redescendre une partie de la sève que la chaleur du jour avait fait monter. En effet, à mesure que le soleil du matin s'élève sur l'horizon et réchauffe l'atmosphère, sa chaleur imprime un mouvement ascensionnel à la sève qui monte et s’insinue dans toutes les parties du végétal. Alors les poils ou soies de ces anémones se dressent, se hérissent; la sève, qui arrive de plus en plus abondante, semble remplir et enfler les pétales qui, devenant plus fermes, commencent à s’écarter et à s'ouvrir en tournant sur leur base, jusqu’à ce que la fraicheur du soir, refou- lant la sève et la faisant redescendre vers le sol, ramène les pétales qui referment la fleur jusqu'à un nouveau retour de chaleur. C’est surtout au premier printemps, sur les plantes bien exposées à l'air et qui croissent un peu haut, que ces phénomènes sont plus sensibles, car ils le deviennent beaucoup moins à mesure que l'atmosphère s’échauffe ; aussi les dernièrés anémones sont-elles ordinairement 344 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. plus ouvertes et plus longtemps ouvertes que les anémones plus précoces qui s’entr'ouvrent à peine quelques instants pendant les premières journées du printemps. L'anémone de Haller, qui est très-précoce et ne vient que dans des prairies très-élevées, m'a paru être de celles qui s'ouvrent le moins et le moins longtemps. J'ai encore observé un autre phénomène que j'ai vu s'accomplir non-seulement sur les anémones et autres plantes des Alpes, mais même sur les anémones simples cultivées dans nos jardins : c’est la transformation en pétales de quelques bractées ou folioles supérieures de la tige. Il paraît que lorsque la sève parvient au sommet de la tige, il se fait, en cet endroit, une élaboration importante de cette sève qui se subdivise en une portion destinée aux pétales, qui est à la fois nutritive et colorante, et une autre portion peu colorante, plus nutritive, qui est des- tinée aux autres parties de la fleur et surtout aux organes sexuels, puis à l'ovaire et au jeune fruit. Ces diverses portions de sève ne sont pas absorbées et employées en totalité chaque jour ; la fraîcheur du soir en refoule l’excé- dant dans la tige ou dans la racine jusqu’à l’ascension du lendemain ; mais ce refoulement ne leur rend pas leur état primitif, et il en résulte que si, à son retour ascen- sionnel et à la suite d’une grande élévation detempérature, cette sève pétalaire arrive en trop grande abondance, de manière à ne pouvoir être employée ou absorbée en entier par les pétales, l'excédant, le superflu se reporte ou s’insinue dans les organes les plus voisins, tels que les étamines, les bractées ou les folioles supérieures de la ne qu'ils transforment en pétales. J'ai parlé de l’action colorante de la sève pét lalaire pour VINGT-QUATRIÈME SÉSSION. 349 arriver à un effet particulier de cette sève dans les fleurs et surtout dans les fleurs alpines. C’est cette sève qui colore les pétales et donne aux fleurs ces belles et bril- lantes couleurssi variéesetsi bien nuancées. Cette sève est ordinairement incolore dans la tige et jusqu’à son arrivée dans les pétales, et ce sont ensuite les organes de ces pétales qui, sous l’infiuence de la lumière et du calorique, forment ou développent les principes colorants; et comme c’est aux plus grands effets de calorique et de lumière qu'est dû le vif et éclatant coloris des plantes méridionales, il est de conséquence que , dans les Alpes où le calorique etla lumière sont moindres, les couleurs des fleurs doivent étre moins vives et moins éclatantes; et si, par la force naturelle du genre ou de l'espèce, il y a quelques grandes et belles fleurs qui ont de brillantes couleurs, il y en à beaucoup à couleurs pâles et moins vives; on y trouve surtout beaucoup de variétés blanches de fleurs ordinaire- ment bleues ou purpurines; et ces variétés, rares dans les parties basses de ces montagnes, deviennent plus nom- breuses et caractérisées à mesure qu’on s'élève davantage. Mais c’est tellement aux actions de la chaleur et de la lumière, surtout de la chaleur, que la coloration doit être attribuée, que souvent ces variétés blanches se colorent plus ou moins à mesure que la floraison avance ou lors- qu’on les apporte dans des appartements chauds. Au reste, la couleur des pétales de beaucoup de plantes est très-fugace et volatile pendant et après la dessication, surtout celle des fleurs rosées ou bleuâtres en complète floraison; elle l’est un peu moins au commencement de la floraison. J'ai souvent entendu des personnes s’extasier sur la beauté des fleurs alpines et prétendre qu’elles sont plus 346 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. grandes, plus belles, plus odorantes ; qu’elles sont d’un coloris plus vif et plus éclatant. Villars a dit aussi, en parlant des plantes voisines de la ligne des neiges perpé- tuelles : « La couleur des fleurs de ces plantes est très- « vive ; et, quoique la nature ait retranché plus des deux « tiers de la grandeur de la plante, pour l’accommoder à « la brièveté du temps propre à la végétation et à la florai- « son dans ces climats glacés, leurs fleurs sont les mêmes « qu'ailleurs et même plus grandes. » Je crois que notre botaniste Villars s’est un peu trop laissé entraîner à son enthousiasme et à son admiration pour les plantes des grandes sommités alpines. Ces plantes sont en effet remarquables sous beaucoup de rapports ; mais ce n’est certainement pas sous ceux de la grandeur de leurs fleurs et de la vivacité de leurs couleurs. Ces fleurs sont généralement petites et de couleurs peu vives; car, quoi qu’en dise Villars, on citerait difficilement un certain nombre de ces fleurs à belles et grandes corolles de couleurs vives et éclatantes; je dirais plutôt qu’elles sont petites et souvent très-petites, mais d’une fraicheur, d'une délicatesse et d’une finesse extrêmes. Mais c’est surtout sous le rapport des essences et des odeurs .que la différence entres les plantes alpines et les plantes méridionales est plus sensible et plus caractérisée ; car c’est des pays chauds que viennent en général les arômes et les parfums végétaux, parce qu'il faut de la chaleur pour leur production et leur dégagemeet. Les plantes alpines doivent donc être et sont en réalité moins parfumées, moins odorantes que celles des pays chauds ; il y a bien cependant, dans les Alpes, quelques plantes odorantes ou aromatiques ; mais ce ne sont guère que de plantes estivales, qui ont végété et fleuri sous VINGT-QUATRIÈME SESSION. 347 l'influence de la chaleur des étés de ces montagnes, et dont l’odeur provient plus de la plante que de la fleur; ce sont principalement des armoises et surtout des sauges , des lavandes, des hysopes, des sarriettes, des thyms , des serpolets et autres labiées qui ne fleurissent qu’en été et dont beaucoup viennent sur des rochers bien exposés au soleil. La plupart des odeurs végétales ne sont, en effet, que des huiles essentielles et odorantes, plus ou moins vola- tiles, que la chaleur fait exhaler et vaporiser, surtout au moment de la floraison; et plus il fait chaud, plus les plantes produisent et laissent dégager ces huiles essen- tielles odorantes. Or, puisque la nature leur en fait pro- duire davantage en été et dans les pays chauds, il faut que ce dégagement d'huiles essentielles y ait un rapport d'utilité plus grand et plus immédiat relativement à la chaleur ; c'est aussi ce qui me paraît avoir lieu. C'est au moment de la floraison, de la fécondation, que les plantes sont plus impressionnables et plus im- pressionnées par l’état de l'atmosphère dans laquelle elles se trouvent; c'est alors, par conséquent, qu'elles ont besoin de plus de précautions naturelles, de plus de pré- servatifs contre cette atmosphère; et si, dans les pays froids, elles ont besoin de préservatifs contre le froid, dans les pays chauds, au contraire, elles doivent en avoir besoin contre la chaleur; car, sans cela et sous l'influence d'une température trop élevée, non-seulement les organes sexuels émettraient trop rapidement leurs matières sémi- nales, mais encore ces organes et ces matières pourraient être brûlés ou desséchés par les effets d’une trop grande chaleur. Si les pétales, qui sont le plus ordinairement les or- 315 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ganes qui contiennent ces huiles, ne les laissent dégager qu'au moment de la floraison, de la fécondation, il y a sans doute une cause naturelle, et cette cause n'est-elle pas surtout la préservation de la fleur et surtout de ses organes sexuels qui, dans ce moment critique, ont besoin d’une chaleur plus douce, plus tempérée? N'est-ce pas aussi ce qui a lieu et ne sont-ce pas aussi les pétales qui, comme dans les pays froids, sont encore chargés de rem- plir ces fonctions réfrigérantes ou rafraîchissantes, mais par une manière d'agir toute différente ? Les corps qui changent d'état conservent ( pendant tout le temps que s’opére le changement) une température assez constante, et, si ce sont des corps solides qui se liquéfient ou des corps liquides qui se vaporisent, ils absorbent, pendant ée changement d'état, une plus ou moins grande quantité de calorique qui reste latente dans leur nouvelle manière d'être. Or, comme la chaleur de l'atmosphère fait sortir des utricules et par les pores des pétales, puis vaporiser les huiles essentielles au moment de lafécondation, ils’ensuit que pendant cette fécondation les organes sexuels de la fleur se trouvent enveloppés d'huiles essentielles qui, se renouvelant et se vaporisant sans cesse autour de ces organes, les maintiennent alors au milieu d'une tempé- rature fraîche, douce et constante, qui fait que la fécon- dation n'étant pas trop pressée et accélérée, s'opère plus intimement et plus parfaitement. Le climat des sommités des Alpes étant à peu près le même que celui des contrées les plus septentrionales de l'Europe, leur flore doit être à peu près identique; c'est ce qui à lieu en effet ; aussi Villars fait-il remarquer que l'on trouve dans ces montagnes la majeure partie des VINGT-QUATRIÈME SESSION. 349 plantes de la Suède, du Danemarck, presque toutes celles de la Suisse, de la Laponie, même du Groënland et du Kamtschatka. 5 Ceci n’a rien que de fort naturel : climats semblables, flore semblable. On y trouve également à dit encore Vil- Jars, la majeure partie des plantes de la Provence et du Languedoc; et il aurait pu ajouter qu’on y trouve aussi un certain nombre de leurs insectes. En terminant ces observations, je ne puis résister au désir de vous signaler une différence remarquable qui existe, non entre les plantes alpines et les plantes des plaines, non entre les plantes des Alpes septentrionales et celles des Alpes méridionales, mais entre les plantes mêmes des Alpes et sous une même latitude. Villars, qui est toujours d’une scrupuleuse exactitude, avait déja remarqué que les plantes du Queyras, en Brianconnais, étaient abondantes, belles, bien nour- ries et souvent d'une taille gigantesque. Cette observa- tion de Villars n'est qu'un cas particulier d’un fait plus général; car elle s'applique non-seulement aux plantes du Queyras, mais encore à toutes celles des vallées ou des montagnes alpines qui sont voisines des plaines du Piémont. J’ai encore remarqué que la végétation diminue de grandeur et de beauté sur les montagnes du Queyras à mesure qu'on s'éloigne du Piémont; ainsi, plusieurs plantes que j'ai cueillies sur la montagne de Malrif, en allant au Mont-Viso, sont moins belles que les mêmes plantes que j'ai ensuite cueillies sur cette dernière mon- tagne, qui est tout à fait limitrophe du Piémont ; la diffé- rence est encore plus sensible entre la végétation du Mont-Viso et celle du Lautaret. Le Lautaret est, de toutes nos montagnes dauphinoises et même françaises, la prin- 300 CONGRÈS SGIENTIFIQUE DE FRANCE. cipale montagne botanique, la plus riche par le nombre des espèces , qui dépasse, dit-on, onze cents; mais les mêmes espèces, cueillies au Mont-Viso, sont ordinaire- ment plus grandes, plus belles que celles du Lautaret. Quelle peut être la-cause de cette différence? Il me semble qu’elle se trouve tout naturellement dans la différence de position géographique des mortagnes et des contrées des Alpes. Les Alpes dauphinoises sont composées de plusieurs lignes ou chaînes de montagnes qui s'étendent du nord au midi sur une largeur de cent à cent cinquante kilo- mètres environ; mais le climat de ces diverses chaînes est soumis à des influences différentes, même sous une lati- tude tout à fait identique. Les chaînes centrales, entou- rées d’autres chaînes plus ou moins froides et élevées , doivent être et sont en effet, à même hauteur et latitude, beaucoup plus froides que les chaines latérales contiguës aux plaines chaudes ou tempérées du Piémont et de la France ; et si elles sont aussi plus sèches, comme nous allons l'expliquer, la végétation , qui a surtout besoin de calorique et d'humidité, doit nécessairement y être moins grande et moins belle. Nous venons de dire pourquoi les chaînes centrales sont plus froides ; expliquons pourquoi elles sont moins hu- mides, pourquoi elles n’ont presque jamais de brouillards. Les couches d'air qui arrivent sur les Alpes, étant conti- nuellement refroidies et condensées par le contact des neiges et des glaciers, font place sans cesse à de nouvelles couches venant des plaines du Piémont ou des plaines de France. Lorsque ces couches, chaudes et humides, sont entrainées vers les Alpes, elles y sont bientôt refroi- dies considérablement par les crêtes ou sommités glaciales VINGT-QUATRIÈME SESSION. 351 des premières chaînes de ces montagnes contre lesquelles les vapeurs et exhalaisons qu’elles ont humées, aspirées de ces plaines, se trouvant également condensées par ce refroidissement, laissent leur humidité se déposer en neige et en pluie, ou se transformer en nuages et brouil- lards qui se fixent ou se promènent contre les flancs et les sommités de ces premières chaînes, pendant des espaces de temps plus ou moins prolongés. Lorsque ensuite l'air de ces couches, ainsi déchargé de la meilleure partie de ses vapeurs ou de son humidité, arrive dans les Alpes centrales, il y arrive beaucoup plus sec; aussi les pluies sont-elles plus rares et plus courtes dans ces Alpes centrales, qui n’ont aussi qu'une végéta- tion moins abondante, moins herbeuse , Moins épaisse et surtout moins haute que celle des chaînes latérales; c’est par la même raison que les forêts de ces hautes chaines centrales sont plus sèches et ont moins d'herbes ide mousses et de lichens ; enfin, c'est encore par la même raison que, dans le Graisivaudan, le vent d'est nous ame- nant un air sec, qui à laissé son humidité et ses vapeurs sur les Alpes, nous donne ordinairement du beau temps, tandis que ce même vent d'est, que, dans le Briancon- nais on appelle /a Lombarde, donne du mauvais temps, parce qu'il y apporte un air humide et saturé des vapeurs qu'il a recueillies dans les plaines plus chaudes de la Lombardie et du Piémont; et, par une raison inverse , le vent d'ouest nous donne souvent de la pluie, tandis qu'il donne du beau temps au Brianconnais. M. Fauché-Prunelle met ensuite sous les yeux du Congrès des échantillons très-beaux de plantes 392 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. alpines et des lépidoptères fixés sur le papier par un procédé qui lui est propre. La séance est levée à neuf heures. SÉANCE DU S SEPTEMBRE 1953. La séance est ouverte à sept heures, sous la présidence de M. Gueymard. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente. Le procès-verbal est adopté. M. Gueymard invite M. Lory à continuer la communication qu'il avait commencée, dans la séance du 5, sur la sixième question soumise au Congrès. M. Lory prend alors la parole sur cette sixième question, et fait une communication verbale qui peut se résumer ainsi : DIVISION ET CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES TERRAINS CRÉTACÉS DU DAUPHINÉ, Par M. Ch. Lory. Les terrains crétacés comprennent une longue série d'étages que l’on peut partager en trois groupes prin- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 393 cipaux : groupe crétacé supérieur ou terrain de crace ; groupe crétacé moyen, comprenant le gault et les marnes aptiennes ; groupe crétacé inférieur ou terrain neocomien. I. TERRAIN DE CRAIE. — La craie supérieure, ou craie blanche du bassin de Paris, se montre bien caractérisée dans les montagnes de la Chartreuse et celles du Villard de Lans, c’est-à-dire dans toute la zone crétacée du . département de l'Isère. Elle comprend, en commencant par les couches les plus élevées : 4° des couches remplies d'orbitolites (Orbitoides media (d'Orb.) et Ostrea vesicu- laris(Lam.), àMéaudre et Autrans; 2° des couchessiliceuses à grandes huîtres (Ostrea vesicularis? ou espèce très- voisine), dans tout le canton du Villard de Lans et aussi à Lus la Croix-Haute, etc.; 3° des couches tantôt crayeuses, tantôt dures et siliceuses, avec rognons de silex, contenant, dans le massif de la Chartreuse et jus- qu'aux environs de Grenoble, Belemniles mucronatus (Lam.), Ananchytes ovata (Id.) et plusieurs autres fossiles caractéristiques de la craie blanche des environs de Paris. A partir des environs de Grenoble, en allant vers le midi, la craie blanche passe entièrement à l’état de cal- caires durs, remplis de silex et sans fossiles. Toutefois , M. Lory pense que l’on peut encore la regarder comme caractérisée jusque dans les Hautes-Alpes par l'Ostrea vesicularis. Le Mont-Aurouse ou pic de Bure, en Dé- voluy, est formé de couches de calcaires remplis de silex, à peu près horizontales dans leur ensemble ; et tout près du sommet, à plus de 2,700 mètres au-dessus de la mer, ou trouve une couche remplie de cette espèce d'huître (Ostrea vesicularis. (Lam.), et pétrie de petits bryozoaires I 93 394 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. très-analogues à ceux qui existent dans la craie supérieure de la Charente. La couche à Ostrea vesicularis se retrouve beaucoup plus bas, auprès du bourg de Veynes, encore à la partie supérieure de la série des couches crétacées. Dans le département de la Drôme, la craie supérieure ne paraît pas exister, du moins au-delà des massifs du Vercors et de la Croix-Haute. Le terrain de craie se montre cependant sur de grandes étendues au midi de la rivière de la Drôme, formant, par exemple, les crêtes de la forêt de Saou, les montagnes de Dieu le fit, de Mia- landre, de Vaux, près Nyons, de Bluye, etc., et enfin la crête du mont Ventoux. Mais sur les points où la série de ses couches parait le plus complète, par exemple, à Dieulefit, où il est recouvert par la formation tertiaire la plus ancienne de ces contrées , le terrain de craie se ter- mine par une assise de grès vert à ciment calcaire, ren- fermant en grande quantité les fossiles bien connus des grès d'Uchaux (Vaucluse), qui sont tous caractéristiques d'un niveau géologique inférieur à la craie blanche (craie tuffeau du bassin de la Loire, ou étage turonien de M. d'Orbigny). Ce qu'il y a de bien remarquable, c’est que, au-dessous de cette assise de grès vert, si bien carac- térisée, on voit des calcaires blanchâtres , crayeux avec des rognons de silex, ressemblant tout à fait à la craie blanche et contenant même plusiéurs fossiles qui, dans le bassin de Paris, sont regardés comme caractéristiques de la craie blanche , surtout plusieurs espèces d’oursins, tels que : Ananchytes ovata (Lam.); Micraster corangui- num (Ag.) ; Galerites vulgaris (K.), etc.; mais on n’y trouve pas le Belemnites mucronatus. La position de ces couches au-dessous des grès verts de Dieulefit est d'ailleurs tellement évidente qu'elle ne laisse aucun VINGT-QUATRIÈME SESSION. S 1319) doute; en sorte que, malgré les indications que l'on pourraît tirer des fossiles qu’elles renferment, ces couches ne font pas partie de la craie supérieure, mais bien des assises moyennes du terrain de craie. On retrouve en partie ces mêmes oursins, surtout les galérites, dans des couches correspondantes, à Saint-Paul-Trois-Châteaux et près du Buis, dans le midi du même département. La partie moyenne du terrain de craie est formée, en général, dans le Dauphiné, ainsi que dans la Savoie, par des couches minces, tantôt marneuses , tantôt sableuses, contenant souvent des rognons de silex, mais moins constamment que la craie supérieure; les fossiles qui y sont le plus généralement répandus sont des empreintes d'inocérames (Inoceramus problematicus (d’Orb.), I. cuneiformis (Id.), etc., quelquefois accompagnés de hamites indéterminables. Ces inocérames sont très-ré- . pandus dans la craie des montagnes de la Chartreuse ; les couches exploitées dans les carrières de Fontaine, près Grenoble, en renferment aussi, et on retrouve ces fossiles au Villard de Lans et dans toutes les parties du départe- ment de la Drôme. Les assises inférieures du terrain de craie du Dauphiné répondent complétement, par les fossiles qu’elles renfer- ment, à la craie chloritée du bassin de Paris. Ces assises sont peu développées dans le massif de la Chartreuse ; aux environs de Grenoble, elles forment les couches infé- rieures des carrières de Fontaine et y sont à l’état de grès à ciment calcaire, pauvres en fossiles ou à l’état de cal- caires siliceux employés pour la fabrication de la chaux hydraulique. Dans le reste du Dauphiné, elles affectent quelquefois l'aspect de calcaires marneux , crayeux , Comme aux environs de Dieu le fit; ou ellesse confondent 390 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. avec les assises moyennes et supérieures en une immense série de couches siliceuses, comme dans le Dévoluy ; ou enfin, elles sont principalement sableuses et même à l’état de sables incohérents, comme aux environs du Villard de Lans, dans le Vercors et dans le midi du dé- partement de la Drôme. Les fossiles caractéristiques de cette partie du terrain de craie sont principalement : Ammonites varians (Sow.); A. rothomagensis (Id.); À. mantelli (K.); A. mayorianus (d'Orb.); Turrilites cos- tatus(Lam.) ; Holaster suborbicularis (Ag.); H. subglo- bosus (Td.); Micraster distinctus (Id.), ete. Ces couches correspondent complétement, comme ogle voit, aux assises de craie chloritée, si connues, de la colline Sainte- Catherine, à Rouen. ‘ À un niveau inférieur encore se place la craie sableuse, verte, du vallon de la Fauge et autres points près du Vil- Jard.de Lans, que l’on retrouve à Saint-Agnan, en Ver- cors , mais qui paraît limitée à cette partie du Dauphiné. Les fossiles les plus abondants dans cette craie chloritée inférieure de la Fauge, par exemple, Discoidea cylin- drica {Ag.); Turrilites Bergeri (d'Orb.); T. puzosianus (1d.), etc., sont propres à ce niveau et ne se trouvent point dans la craie inférieure des autres localités, avec ceux que nous avons cités tout à l'heure. IT. GROUPE CRÉTACÉ MOYEN. — Le gault est un étage toujours très-mince, mais que l’on retrouve avec des caractères très-constants dans la basse Savoie, le dépar- tement de l'Isère et les parties nord de la Drôme, formant le Vercors et le Royans. Le gault proprement dit est une petite assise marno-sableuse, contenant toujours beau- coup de fossiles , à l’état de moules formés de phosphate VINGT-QUATRIÈME SESSION. 357 de chaux ; ces fossiles sont ceux de la Perte du Rhône et autres localités classiques. Sur quelques points, ils sont bien conservés ; mais le plus souvent roulés, brisés, usés, de manière à être tout à fait méconnaissables, ce qui montre qu’ils ont été remaniés. Souvent on les trouve remaniés dans les couches inférieures du terrain de craie ; c’est ainsi qu'ils se rencontrent dans les couches sableuses de Clansayes (Drôme), situées à la base de la craie, lorsquele gault proprement dit n'existe plus comme couche distincte dans le pays. Le gault proprement dit n'a jamais que quelques décimètres ou même quelques centimètres d'épaisseur. Au-dessous de lui viennent des couches minces de calcaires très-cristallins, en général jaunâtres , remplis de débris de coquilles, d’encrines, elc., que l’on peut appeler lumachelles du gault; les fossiles y sont en général brisés et non déterminables ; cependant, ils pa- raissent encore indiquer la liaison de ces couches avec le gault proprement dit. Ces lumachelles existent constam- ment, comme le gault lui-même , dans toutes les monta- gnes crétacées du massif de la Chartreuse et du bassin de l'Isère. Les marnes aptiennes, au contraire, manquent dans ces régions, et sont propres aux bassins de la Drôme et des divers autres affluents du Rhône, au-dessous de Valence. Elles commencent, dans la Drôme, sur le plateau du Chafal ; puis se montrent à Beaufort, où on y a trouvé un gisement de poissons fossiles ; elles se développent con- sidérablement en avançant vers Saou, Pont de Barret , Bourdeaux, Vesc, elc., et se maintiennent à la base de la craie dans tout le midi du département de la Drôme et les parties contiguës des Hautes - Alpes. Cet étage est formé de marnes d’un bleu foncé, alternant avec des 398 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. calcaires marneux noirs et des grès de teintes grisàtres ou verdâtres. Les fossiles qui y sont généralement répan- dus sont le Belemnites semi-canaliculatus (B1.), et di- verses ammonites (A. Dufrenoyi (d'Orb.) ; ‘A. fissicosta- tus (Phill.), etc. A Clansayes, on y trouve, en outre, l'Ostrea aquila et divers autres fossiles des marnes d’Apt, localité classique pour l'étude de cet étage. Dans les mon- tagnes de la Drôme et des Hautes-Alpes, les marnes aptiennes contiennent souvent une grande quantité de boules trés-lourdes, formées en majeure partie de baryte sulfatée. IIT. GROUPE CGRÉTACÉ INFÉRIEUR. — Terrain méoco- mien. — Cette partie des terrains crétacés est la plus importante et la plus développée dans les Alpes. Nulle part elle n’est plus puissante et mieux caractérisée qu'aux environs de Grenoble. On sait qu'on peut y faire deux divisions fondamentales : l'étage néocomien supérieur ou des calcaires à caprotines, et l'étage néocomien infé- rieur. 1° Elage néocomien supérieur. — Il est principale- ment constitué par cet ensemble de grosses couches de calcaires compactes, blancs ou d’un jaune pâle, caracté- risés par la présence des caprotines (C. ammonia, C. Lonsdali, etc.), et que l'on désigne communément à Grenoble sous le nom de calcaires de Sassenage. La puis- sance de ce dépôt est de plusieurs centaines de mètres dans les montagnes de la Chartreuse, de Lans, du Vercors, etc., dont il forme tous les grands escarpe- ments. À ce calcaire, se trouvent associées d’autres couches plus tendres, souvent marneuses , remplies d'orbitolines et renfermant beaucoup de fossiles spéciaux, VINGT*QUATRIÈME SESSION. 399 surtout les espèces décrites par M. Albin Gras, et prove- nant du Rimet et autres localités de l'Isère. Ces couches à orbitolines se présentent, d’une part, comme au Rimet et sur divers autres points desenvirons du Villard de Lans, au-dessus des calcaires à caprotines et immédiatement au-dessous du gault, et, d'autre part, comme à Voreppe, à la Chartrease, etc., entre deux assises de calcaires à caprotines, vers le tiers de l'épaisseur de cet étage, à partir du haut. Les couches à orbitolines et à oursins sont donc intimement liées aux calcaires à caprotines, et ce serait à tort qu’on voudrait en faire une division spéciale. Au midi de Grenoble, à partir du Mont-Aiguille, dont la crête est encore formée par le calcaire à caprotines, ce calcaire change brusquement de physionomie et diminue rapidement de puissance. Il se change en une masse de calcaires grenus, les uns magnésiens et sans fossiles, les autres remplis d'orbitolines; les caprotines disparaissent et avec elles tous les autres fossiles habituels de cet étage. Bientôt, au-delà du col de la Croix-Haute, dans les mon- tagnes du Dévoluy, l'étage néocomien supérieur se réduit à une faible épaisseur de marnes et de calcaires grenus, caractérisés seulement par les orbitolines,; et, à mesure qu'ils diminuent de puissance. l’étage des marnes ap- tiennes prend, au-dessus de ces couches, un développe- ment de plus en plus grand. Dans la partie occidentale des Hautes-Alpes et la partie du département de la Drôme, . située au sud de la rivière de ce nom, l'étage néocomien supérieur disparaît presque complétement, complétement même dans la plupart des localités. De même, le calcaire à caprotines, qui a un développement énorme dans le Vercors et le Royans, qui forme tous les plateaux de ces régions et les grands escarpements de leurs montagnes, 3060 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. disparaît complétement dès qu'on descend dans le bassin de la Drôme; et les marnes aptiennes se développent en même temps, de manière à en occuper pour ainsi dire la place. Plus au midi, le calcaire à caprotines reparait après une interruption de plusieurs lieues, sur les bords du Rhône, dans les roches de Viviers et de Châteauneuf; il forme ‘le passage étroit dit le Robinet de Donzère, par où les eaux du Rhône débouchent dans le bassin de la Provence. Il forme un peu plus bas la roche de Pierrelatte; et, dans les départements de Vaucluse et des Bouches du Rhône, il reprend toute l'importance qu’il avait dans l'Isère et la Savoie. L'étage néocomien inférieur montre, dans les mêmes contrées, des variations non moins intéressantes. Aux eu- virons de Grenoble, om peut y faire les subdivisions de détail suivantes, en allant de haut en bas : 4° Marnes à spatangues {Toxaster complanatus, Ag.); 2° Calcaire bleuâtre à criocères et ammonites ; 3° Couche chloritée avec Belemnites dilatatus, B. sub- fusiformis, Ammonites Astierianus (d'Orb.) ; À. incer- tus (Id.); A. Grasianus (Id.); 4. difficilis (Id.), ete., remarquablement développée à Saint-Pierre de Che- rennes (Isère), mais du reste constante aux environs de Grenoble; 4° Calcaire à silex avec Ostrea macroptera (d'Orb.); Janira atava (1d.); Pyg urus rostratus (Ag.), etc. ; 5° Calcaires néocomiens inférieurs, dits calcaires du Fontanil, bleuâtres ou jaunâtres, de structure grenue, avec nombreuses espèces de fossiles, mollusques acé- phales et gastéropodes et divers oursins, tandis que les céphalopodes y sont relativement rares ; VINGT-QUATRIÈME SESSION. 30! 6° Marnes néocomiennes inférieures ; elles sont pau- res en fossiles à Grenoble; on y trouve seulement en petite quantité le Belemnites latus (d'Orb.), et les Am- monites tethys et semisulcatus (Id.) Les assises 1, 4 et 5 de cette série sont les représentants exacts, pour les fossiles et pour les caractères minéralo- giques, des principales subdivisions de l'étage néocomien inférieur dans le Jura et la Savoie. Mais les assises 2, 3 et 6, caractérisées presque exclusivement par des céphalo- podes, ont une bien plus grande ressemblance avec les couches néocomiennes de la Provence, si connues par leurs bélemnites plates, leurs céphalopodes déroulés ( criocères , ancylocères, etc.), et leurs nombreuses am- monites. Le département de l'Isère, placé entre ces deux aspects différents de l'étage néocomien inférieur, qu'on pourrait appeler le faciès jura-savoisien et le facies pro- vencal, présente la réunion des deux types et l’enche- vôtrement de leurs assises, avec leurs fossiles principaux. Mais, plus au midi, à partir de la ligne de séparation des bassins de l'Isère et de la Drôme, ligne qui, prolongée, passe aux sources de la Gresse , le type du terrain néoco- mien devient entièrement celui du midi de la France. Les Couches néocomiennes du bassin de la Drôme, de l’arron- dissement de Nyons, de la partie ouest des Hautes-Alpes, contiennent de belles et nombreuses espèces de céphalo- podes, à l'exclusion presque complète de mollusques acéphales et gastéropodes et d'oursins ou de polypiers. L’assise 6 des environs de Grenoble devient alors la grande assise de marnes bleues, si riches en petites ammonites pyriteuses à Saint-Julien en Beauchène, Châtillon, Chä- icauneuf de Chabre, etc., et les assises 2 et 3, confondues ensemble, forment tout le reste de l'étage , immense série 302 | CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de calcaires bleus, fragiles, à cassure plate ; remplis de moules calcaires d'ammonites, de criocères, d’ancylo- cères, etc. Les calcaires néocomiens de Valdrôme, des environs de la Motte-Chalancon et de Rémuzat ne laissent rien à envier, sous le rapport de la beauté de leurs fos- siles, aux calcaires du même étage, bien connus depuis longtemps dans les départements des Basses-Alpes et du Var. M. Pillet appelle l'attention du Congrès sur l’as- sise que M. Lory a désignée sous le nom de calcaire du Fontanil et a donnée comme base de la série néocomienne. C’est la même couche qui a été dé- signée par quelques géologues sous le nom de Valanginien, et que les uns ont considérée comme appartenant au jurassique supérieur, les autres à la base de la craie. La détermination exacte de sa date présente un grand intérêt en géologie, puisque c’est la, limite entre l’ère jurassique et l'ère crétacée. Sans contester les faits signalés par M. Lory, qui embrassent la chaîne entière du Jura, M. Pillet croit que, pour la Savoie du moins, l’assise se rap- porte au jurassique plus encore qu’au crétacé. Il est d’abord un fait constant: c’est qu'il n'y a pas eu de bouleversement du sol entre ces deux dépôts; le néocomien repose, dans tout le Jura, en stralificalion concordante sur le jurassique supé- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 363 rieur. Un autre fait non moins constant, c'est que les terrains kimmeridgiens et portlandiens, qui sont nettement caractérisés en Angleterre, se confondent souvent entre eux, et même avec les assises coral- hiennes, dans la région qui nous avoisine. Partant de ces faits, M. Pillet se demande s’il ne serait pas possible que V’assise problématique fût, en quelques pays du moins, l'équivalent de ces termes de la série jurassique. Il ne croit pas que l'existence signalée par M. Lory, d’un calcaire lacustre au-dessous de cette couche, soit un motif de la rapporter au néocomien. La présence d’un bassin d’eau douce est un acci- dent tout local, sur les bords des mers; il ne peut servir de base à une classification des terrains. Il existe d’ailleurs à Vacheresse, en Chablais, une couche de lignite intercalée dans le terrain kim- meridgien. La seule boussole pour s'orienter dans les for- mations successives et distinguer les étages, c'est la détermination des fossiles. Or, en Savoie, M. Pillet a trouvé souvent, dans le haut des calcaires corres- pondant à ceux du Fontanil, la Pinnigena Saussurei associée à des fossiles , strombus, pterocera, me- lania, nerinea, dont aucun ne passe dans les étages néocomiens qui les recouvrent. Une circonstance minéralogique tendrait encore 36% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. à signaler un changement considérable dans l’état de nos mers à la fin du dépôt de ces calcaires, c’est que les calcaires néocomiens roux, qui les recouvrent, contiennent du feren.abondance et surtout du silex, qui se précipite en rognons, en bancs et silicifie le test de tousles fossiles. L'apparition de ces éléments, qui manquent totalement au Fontanil, ne marquerait- elle pas une rénovation capable de changer lPétat de la faune de nos mers? Enfin , il s'appuie sur des considérations géogra- phiques. Les fossiles du calcaire du Fontanil se re- trouvent au nord de Neuchâtel jusque dans les régions que n’a jamais atteintes l'Océan néocomien. Ainsi, M. Pillet a recueilli dans les carrières de Soleure, que‘tous s'accordent à considérer comme jurassiques et kimmeridgiennes , les mêmes ptéro- cères, nérinées et lérébratules qui caractérisent l'infra-néocomien du Fontanil. Il en conclut que peut-être les diverses faunes géologiques ne se sont pas éleintes et renouvelées en un seul et même instant sur le globe entier; qu'il est même vraisemblable que les espèces antiques se sont refoulées peu à peu dans des règions circons- criles., comme l’aurochs et le bison dans nos forêts äntiques, comme les peaux-rouges de l'Amérique devant la race blanche. Il serait possible que le même océan qui recevait des animaux de l'ère VINGT-QUATRIÈME SESSION. 365 néocomienne dans les chaudes régions du sud , contint encore sur ses rivagès de Savoie les anciens hôtes du kimmeridgien. Dans tous les cas, ce fait présente un intérêt ma- jeur pour la philosophie de la scienee. M. Pillet propose à la section géologique du Congrès une promenade au Fontanil, pour y vérifier la disposition des couches et la nature des fossiles. Il demande en outre que, dans les prochaines réunions du Congrès scientifique de France, on veuille bien appeler l'attention des géologues sur les terrains jurassiques supérieurs et crétacés inférieurs. M. Lory répond que, dans les localités du Jura, Ja couche lacustre qu’il regarge comme la dernière assise du terrain jurassique est surmontée immé- diatement des calcaires problématiques dont M. Pil- let a parlé ; il y a toujours dans cette assise, placée à la base du terrain néocomien, quelques fossiles bien certainement crétacés, entre autres le Phola- domya elongata, caractéristique du terrain néoco- mien. M. Lory pense qu’il n'y a pas doute sur la classification de ces calcaires dans tout le Jura. Dans les environs de Chambéry, la partie supé- rieure du terrain jurassique n’existe pas ; elle n’existe plus au mont Salève ; au mont du Chat, à la cluse de Chaille, il n’y a rien au-dessus du calcaire coral- - lien. Les calcaires néocomiens reposent sur l'étage 306 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. corallien, et ces deux calcaires se ressemblent beau- coup, ce qui rend la délimitation entre eux difficile à tracer. Ainsi, à l'Echaillon, où le cas est le même, il est impossible de voir nettement où le corallien finit, où le néocomien commence; mais c’est un cas exceptionnel en Dauphiné : habituellement le calcaire néocomien repose sur l’oxfordien, et alors il se développe à la base du terrain néocomien une puissante assise de marnes où M. Lory a trouvé des bélemnites plates et des ammonites néocomiennes (A. tethys, etc.). D’après ces faits, M. Lory pense que les calcaires problématiques de M. Pillet sont en partie coralliens, en partie néocomiens inférieurs. M. Pillet demande quelques détails sur le gisement de plusieurs espèces d’ammonites que l’on trouve habituellement dans les couches les plus inférieures de l’étage oxfordien, dans les assises dont plusieurs géologues ont fait un étage distinct, sous le nom de kellowien : ces ammonites se trouvent par exem- ple abondamment dans le minerai de fer sous-oxfor- dien ou kellovien du mont du Chat, et il paraîtrait qu’on les rencontre au contraire aux environs de Grenoble, à la partie supérieure du calcaire oxfor- dien. M. Lory répond que l’étage oxfordien en Dauphiné présente d’abord à-sa base une série de schistes caractérisés par l'abondance des petites coquilles VINGT-QUATRIÈME SESSION: 307 bivalves appelées posidomies, et sur divers points, à Mens, Gap, etc., on trouve dans ces schistes les ammonites les plus répandues dans ce qu’on a appelé l'étage kellowien. Le minerai de la Voulte (Ardèche) contient ces ammonites et est intercalé dans les schistes à posidonies ; il paraît cependant être d’un niveau géologique un peu supérieur à celui du mont du Chat. Au-dessus des schistes à posidonies, il y aen Dauphiné une longue série de marnes renfer- mant les géodes dites de Meylan, puis des calcaires marneux, et enfin des calcaires compactes dits de la Porte de France, et toute cette série renferme les ammonites. de l’oxford-clay (4. plhicatiles, À. oculatus, A. tortisulcatus, À. tatricus, etc.). Les couches supérieures du calcaire de la Porte de France contiennent surtout des aptychus et la terebratula diphya. Dans les localités voisines de Grenoble où cette série oxfordienne est la plus complète, par exemple à Chalais et surtout à Aizy, au-dessus de Noyarey, où on trouve par-dessus un petit lambeau des couches inférieures du corallien, les dernières couches oxfordiennes sont des calcai- res d’une pâte très-fine, qu’on a essayé d'exploiter comme pierres lithographiques, et où l’on rencontre en bon état de conservation les ammonites suivantes : A. anceps, À. bakeriæ, A. Adelæ, A. Hommaircr, A. viator, ete.; ces ammonites sont au nombre des 308 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. espèces que l’on regarde habituellement comme caractéristiques du kellowien. Il est donc évident qu'aux environs de Grenoble il est impossible d’éta- blir par les fossiles une limite franche entre ce groupe de couches et l'étage oxfordien proprement dit. Sur beaucoup d’autres points, par exemple à Crussol, près Valence, M. Lory a constaté égale- ment le mélange des ammonites prétendues kel- lowiennes avec les espèces oxfordiennes jusque dans les parties supérieures de la série. Ce fait tendrait à confirmer l'opinion émise par M. Pillet, que cer- taines formes regardées comme caractéristiques d’un groupe de couches ont pu ne pas disparaitre simul- tanément partout et se retrouver sur certains points au-dessus de leur niveau habituel. La septième question soumise au Congrès n’est pas traitée. M. le président lit alors le texte de la huitième question, et indique en quelques mots l’importance de celte question et l’état d'incertitude où la science se trouve encore sur sa solution. RÉSUMÉ DE LA QUESTION DES GRÈS A ANTHRACITE DES ALPES, + Par M. Lony. M. Lory résume l'état de La question en considé- ES YINGT-QUATRIÈME SESSION. 369 rant d’abord le terrain anthracifère dans le départe- ment de l'Isère. Il rappelle que depuis longtemps les observations de M. Gueymard ont démontré que _ les grès à anthracite des environs de la Mure, de l'Oisans et autres localités du département reposent toujours sur les terrains anciens dits terrains de cristallisation ou terrains primitifs, et qu'ils sont recouverts par les calcaires du lias, mais sans qu'il y ait la moindre liaison entre les grès etces calcaires. Dans les environs de la Mure, au Peychagnard, par exemple, les grès sont presque toujours en couches fortement redressées et s'appuient contre des masses de gneiss dont les feuillets sont à peu près verlicaux ; les calcaires qui les recouvrent sont au contraire en couches faiblement inclinées qui s'étendent indiffé- remment sur les tranches du gneiss et des couches de grès en stratification complétement discordante. Ce fait a été vérifié rigoureusement dans les exploita- tions du Peychagnard ; il est aussi très-manifeste à Nantison, près la Mure, et aux bords du lac de Laffrey. Le calcaire qui recouvre immédiatement les tranches du grès dans ces localités est un marbre grenu, pétri de débris d’encrines, et où l’on trouve plusieurs fossiles caractéristiques du lias moyen. Au-dessus de lui viennent des calcaires noirs de plus en plus schisteux, dont les couches plongent à l’ouest vers la gorge du Drac et contiennent des TAN ; 24 370 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. bélemnites et ammonites du lias supérieur. Ces faits ont été parfaitement vérifiés par la société géolo- gique dans sa réunion à Grenoble en 1840. Dans l’Oisans, les grès à anthracite forment prin- cipalement deux bandes étroites, allongées du sud au nord, que traverse la route de Briançon, et on y voit les grès en couches verticales serrés entre des couches également verticales de gneiss, de schistes salinés verdâtres et de pétrosilex ou eurites. La série des couches se reproduit exactement la même en sens inverse à partir du centre de chacune des bandes de grès : gneiss, schistes allernant avec les schistes satinés; grès, indices d’anthracite et d'empreintes végétales dans le centre de la bande de grès, puis schistes satinés, eurites, gneiss, et de même pour la deuxième bande de grès. Il y a là évidemment, comme M. Gueymard l’a admis d’après les indica- üons de M. Voltz, deux replis successifs des ter- rains primitifs et d’un terrain de transilion modifié, dans lesquels se trouvent pincés les grès refermés sur eux-mêmes comme les deux moitiés d’un livre. Cette disposition existe sur toute la longueur de la bande orientale. Quant à la bande occidentale, au nord et au sud de la route, elle s’élève sur les mon- tagnes d'Huez et du Mont de Lans ; au nord, elle se trouve adossée à l’est aux gneiss et recouverte à l’ouest par les ardoises du lias ; au sud, c’est-à-dire au VINGT-QUATRIÈME SESSION. 311 Mont de Lans, le sneiss est à l'ouest et lelias à l’est de la bande de grès, formant les pâturages du Mont de Lans. Au sommet des prairies du Mont de Lans, au mont Rachat, ces schistes du lias contiennent plusieurs espèces d’ammonites caractéristiques du lias inférieur. Ainsi, les grès de l'Oisans sont entre les terrains anciens, primitifs ou de transition, et le lias, mais sans liaison avec l’un ni avec l’autre, et leur allure est plutôt celle des roches cristallines que celle des calcaires. De même au Valbonnais, à Entraigues et sur le flanc occidental de la chaine de Belledone, à Laval, elc., les grès sont toujours posés sur les terrains de cristallisation et recouverts par le lias sans aucun mélange de calcaire , sans aucune liaison. De petits lambeaux de grès sont semés sur les sommités de la chaine granitique à Belledone, au Clos-Chevalier, etc., loin de toute espèce d’affleurements calcaires. En poursuivant le prolongement de la chaîne grani- tique en Savoie jusqu’à Chamounix, on retrouve divers lambeaux de grès qui sont dans les mêmes conditions que les précédents. M. Alphonse Favre a donné des coupes de la vallée de Chamoünix qui montrent parfaitement cette allure des grès au pied du Mont-Blanc, et en face sur la chaîne des Aiguilles-Rouges. M. Fournet a reconnu, comme M. Gueymard, cette indépendance complète du grès 312 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. à anthracite avec le lias sur tout le versant occi- dental de l'axe granilique de la Savoie et du Dau- phiné, et, dans son opinion, rien ne s'oppose à ce qu’on rapporte ces grès au véritable terrain houiller. Au Peychagnard et ailleurs, on y a trouvé un très- grand nombre d'empreintes végétales. M. Ad. Bron- gniart a reconnu qu’elles étaient presque toutes iden- tiques avec celles des terrains houillers les mieux caractérisés. ; L’affleurement de grès le plus méridional sur ce versant de la chaîne granitique, est celui d’Aspres- lez-Corps; il est dans un terrain très-bouleversé et semble au premier abord présenter des enchevêtre- ments du grès avec le calcaire du lias; aussi M. Fournet réservait son opinion à l'égard de ce gite; M. Lory l’a examiné de près à l’occasion de re- cherches tentées dans ces dernières années, et a constaté que ces enchevêtrements apparents étaient dus à une faille, et que là comme ailleurs, le grès élait complètement distinct et indépendant du cal- caire. En résumé, les grès à anthracites du département de l'Isère et de tout le revers occidental des Alpes ont tous les caractères d’un véritable terrain houiller, et ne sont nullement liés au calcaire du lias. Passons au revers oriental de la chaîne. Ici se présente le fait de Petit-Cœur en Tarantaise, où VINGT-QUATRIÈME SESSION. 313 M. Elie de Beaumont à signalé une assise de grès contenant des empreintes végétales identiques à celles du terrain houiller et intercalée régulièrement entre deux assises d’ardoises à bélemnites. Tous ceux qui ontexaminé cette localité paraissent d'accord pour reconnaître la réalité de cette intercalalion , qui ne peut s'expliquer ai par un renversement ni par un plissement. La difficulté en est donc toujours au même point qu'en 1828, où M. Elie de Beau- mont l’a signalée. En remontant les vallées de la Tarantaise ou de la Maurienne, on trouve une série d'assises , les unes de calcaire, les autres de grès, qui semblent se recouvrir successivement en présentant toujours une inclinaison vers l’est, et M. Elie de Beaumont, M. Sismonda, M. Fournet ont admis qu’elles for- maient différents élages superposés régulièrement : les assises calcaires renferment sur divers points des fossiles tous liasiques ; les grès contiennent de nombreuses exploitations d'anthracite accompagnée toujours d'empreintes végétales du terrain houiller ; mais en examinant la coupe de cette série entre Saint-Jean et Modane en Maurienne, M. Lory croit que l’on pourrait se rendre compte de ces alternances répétées de grès et de calcaires par des failles qui feraient reparaître à diverses reprises l’ensemble de ces deux ordres de couches, formant 374 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. seulement suivant lui deux terrains superposés. Ces bandes de grès et de calcaire dirigées à peu _prés du N.-0. au S.-E. se continuent dans le Briançonnais, et on les coupe dans leur moindre largeur en allant directement de la Grave à Oulx en Piémont. Cette coupe a été décrite avec détail par M. Sc. Gras, qui y voit une nombreuse série d’étages successifs , composés chacun d’une assise de grès et d’une assise calcaire, et il en forme les diverses subdivisions de son terrain anthracifère. En exami- nant cette coupe depuis la Grave jusqu’à la monta- gne du Chardonnet, M. Lory a cru reconnaitre que les superpositions indiquées par M. Sc. Gras n'étaient en réalité que des apparences produiles par des failles , qui font reparaitre le grès quatre fois depuis le Lautaret jusqu'au vallon de la Pon- sonnière. Îl indique comme faits à l'appui de cette explication , l’existence de roches anomales, par exemple de gros filons de quartz blanc compacte qui s’observent à la ligne de contact de chaque bande de grès avec le calcaire sur lequel elle semble reposer, par exemple, au Galibier, à la Ponson nière, etc. À la base des grès du Chardonnet, surgit dans celte position un gros dyke de por- phyre dioritique, qui indique de même l’em- placement d’une grande dislocation. Les calcaires eux-mêmes, le long de ces lignes de contact, sont VINGT-QUATRIÈME SESSION. 319 toujours très-bouleversés et souvent transformés en roches anomales , telles que des gypses, des car- gneules, etc., par exemple, au col du Galibier. D’après l’ensemble de ses observations. M. Lory pense que dans le Briançonnais comme en Savoie, on peut arriver à établir que toutes les grandes mas- ses de grès contenant les anthracites forment un terrain distinct des calcaires du lias , qui les recou- vrent, et qui ne semblent alterner avec eux que par suite de failles multipliées. Sur plusieurs points , il est possible que des assises de grès d’une faible épaisseur soient réellement intercalées dans les schistes du lias ; mais sauf la localité de Petit-Cœur, ces grès, qui appartiendraient au lias, ne contien- draient pas les empreintes végétales caractéristiques du terrain houiller. M. Gueymard demande à M. Pillet s’il connait en Savoie quelques gîtes comme celui de Petit-Cœur. M. Pillet répond que M. Sismonda a cru trouver au col de Goléon une bélemnite associée à des em- preintes végétales; mais M. Pillet, qui à vu ces empreintes, y a reconnu, non pas des fougères, mais des fucoïdes, et l’on sait que ces végétaux se ren- contrent dans le lias. En Savoie, il n’existe pas de fossiles dans les brèches et poudingues inférieurs au lias ; mais en Toscane, MM. Savi et Meneghini 376 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ont décrit une localité où ces brèches contiennent les fossiles de la houille. M. l'abbé Valet fait remarquer que la bélemnite trouvée par M. Sismonda a été trouvée non pas au Goléon, mais à l’entrée de la vallée d’Ornon en Oisans. Dans le terrain jurassique de la Grave au Goléon, dit M. Valet qui a parcouru ces contrées avec M. Sismonda, on marche sur le calcaire juras- sique, et là il a semblé à M. Valet que le calcaire liasique affectait la forme d’un fond de bateau, dans lequel serait placé le grès anthraciteux ; du reste, M. Valet reconnait que ce n’est chez lui qu'une impression; à Saint-Michel en Maurienne, le grès anthraciteux parait reposer sur le lias, et il est difficile d'admettre une faille; au moins M. Valet n’a-til vu nulle part de discordance de stratifica- tion, indiquant ce phénomène géologique ; il en est de même jusqu'à Moutiers. M. Gueymard ajoute qu’il n'y a pas lieu dans ce cas d'admettre un de ces renversements si fré- quents dans les Alpes. M. Valet est du même avis. M. Lory croit également qu’il n’y a pas eu de renversement dans ces couches; mais il persiste à croire qu’il y a là des failles ; il se rappelle notam- ment que sur le bord de la route, près de Sant- Michel, on voit des roches violacées tout-à-fait ana- VINGT-QUATRIÈME SESSION. SL logues à ces roches altérées dont la présence dénote ordinairement l'existence de grandes dislocations. M. Gueymard, revenant sur le gîte de Petit-Cœur, rappelle que dans l'impuissance d'expliquer l’ano- malie qui s’y rencontre, M. Voltz a cru en voir la cause dans un renversement. MM. Pillet, Lory, Valet s’accordent à dire qu’un renversement dans cette localité ne leur paraît pas admissible. La séance est levée à neuf heures. SÉANCE DU 9 SEPTEMBRE. La séance s'ouvre à sept heures, sous la prési- dence de M. Gueymard. Lecture est dounée du procès-verbal de la séance précédente. Ce procès-verbal est adopté. M. le président donne la parole à M. Viard, pour la lecture d’un mémoire sur la météorologie de Gre- noble. Voici l’analyse de ce mémoire : 378 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ANALYSE D'UN MÉMOIRE SUR LA MÉTÉRÉOLOGIE DE GRENOBLE, Par M. Viaro. M. Viard a été frappé de voir de grands météorologistes, comme Schouw, en Italie, et comme M. Renou, en France, considérer l’ensemble du massif des Alpes comme privé de toute observation météorologique. IL s’est livré à des recherches bibliographiques qui lui ont fourni quelques documents. Des correspondances, des voyages lui ont fait retrouver un grand nombre de documents inédits, et il se propose de publier sur la météorologie des Alpes un grand nombre de notices, dont il présentera plus tard le résumé général. Il expose d’abord au Con- grès un résumé des observations faites à Grenoble jus- qu’en 1854. Faisant l’histoire de ces recherches, il rappelle que le Père Cotte a publié, dans les mémoires de l’Académie de médecine de Paris, des observations faites par M. Cha- noine, pharmacien, en 41782, 1783, 1784; que Perrin- Dulac, dans sa Statistique du départementde l'Isère (1804), a donné, sans nom d'auteur, le résumé de six années d'observations, faites, dit-il, avec le plus grand soin ; que M. Berriat Saint-Prix, dans ses annuaires, a publié éga- lement, sans nom d'auteur, d’autres documents qui s'étendent de l’année 4800 à l’année 4811. En rappelant tous ces travaux, il ne peut s'empêcher de regretter que les extraits publiés soient souvent, par leur concision, de très-peu d'utilité, et que leurs auteurs, en cachant leurs VINGT-QUATRIÈME SESSION. 319 noms, aient rendu de toute impossibilité la recherche de leurs observations originales. De toutes les observations faites à Grenoble, il ne reste que quatre séries complètes. La première se trouve dans le journal d'une grande exploitation agricole sise à Fontaine, à une lieue de Grenoble. Elle fut continuée, pendant de longues années, par un agriculteur des plus distingués, M. Planta. En 4824 et 1825, M. Breton, doyen de la Faculté des sciences, entreprit sur un plan très-large des observations qu'il n’a pu continuer. Mais , en 1827, l’idée qu'il avait eue fut réalisée par M. Charvet, actuellement professeur de zoologie à la Faculté des sciences, et les séries qu'il a publiées pen- dant six années sont au niveau des plus belles séries de cette époque. En 1840-41-42, M. Gueymard, à une demi-lieue de Grenoble, sur les bords du Drac, recueillit l’eau du ciel dans un pluviomètre. Malheureusement, les observations thermométriques et barométriques qui devaient corres- pondre aux observations de M. Gueymard laissent beau- coup trop à désirer, ainsi qu'il serait très-facile de le démontrer. Enfin, la quatrième série dont j'ai à parler est due à M. Demarchi, qui l’entreprit en 1846, sous la direction de M. Scipion Gras, l’un des membres les plus actifs de la société hydrométrique de Lyon. Il les a encore continuées depuis que la société n’embrasse plus que le bassin du Rhône, et maintenant il observe sous la direction de la Société de statistique de Grenoble. L'auteur s’est proposé d'examiner successivement les 380 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. vents, la température, la pression, l'humidité, la pluie, les orages. 4° Des venTs. — L'auteur distingue dans les vents trois systèmes. Le premier est celui des nuages les plus supé- rieurs ; il Se compose très-particulièrement de vents du nord et de vents du sud, et les vents d'est et du sud-est manquent presque absolument. Il est indiqué par les neuf années d'observations de M. Demarchi. Le deuxième occupe le fond de la vallée et est formé par un courant qui suit le courant descendant de l'Isère. Il a été constaté particulièrement par M. Dausse, ingénieur des ponts et chaussées. Les variations de ces deux systèmes sont indépendantes de la position du soleil et apparaissent irrégulièrement dans la journée ou dans la nuit. Le troisième est un ensemble de courants qui occupent les hauteurs où se trouvent généralement placées les girouettes. Ils sont indiqués par les observations consi- gnées par les annuaires des ans IX, Xet XIde larépubli- que. Ces courants varient avec l'heure de la journée. Le vent d'est domine le matin, le vent du sud à midi, et le vent du nord le soir. Quoique l’auteur n'ait en aucune manière l’idée d'établir au moyen des seules observations de Grenoble des lois qui ne doivent être que le résultat de l'ensemble des notices qu'il publiera sur toutes les Alpes, cependant il ne peut s'empêcher de faire remar- quer que les vents supérieurs observés par M. Demarchi s'accordent parfaitement avec le système des vents de la vallée du Rhône, tel que l’a scientifiquement constaté M. Fournet, et le‘ courant du fond de la vallée n’est qu'un cas particulier de cet ensemble de courants froids qui, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 384. d'après M. de Gasparin, descendent des Alpes par le fond des vallées, pour aller gagner le grand courant inférieur de la vallée du Rhône. Enfin, le troisième système des vents est évidemment dû à des causes analogues à celles des brises. Lorsque le soleil se lève derrière les Alpes, à l’est, il échauffe le massif de la Grande-Chartreuse et les monta- gnes d’Autrans, du Villard de Lans, de la Moucherolle, etc., et l'air chaud en contact avec ces montagnes, en s'élevant, appelle derrière lui le vent d’est qui descend alors des grandes Alpes. Lorsque le soleil passe au sud, le courant s'élève sur le versant des montagnes opposées et on a un vent du sud, et quand le soleil à son couchant frappe la grande chaîne, il n’y a rien de très-étonnant à ce que le courant vienne du nord. 90 DE LA TEMPÉRATURE. — L'auteur n’a eu pour déter- miner la marche des températures qu'un grand nombre d'observations malheureusement assez indépendantes les unes des autres. Le procédé particulier qu'il a suivi a consisté à déter- miner par dix-neuf et par quinze années d'observations la . marche absolue des minima et la marche absolue des températures à midi, puis à rattacher les températures de onze heures du soir à celle des minima, en établissant la différence des minima à la température de onze heures du soir, d’après un plus petit nombre d'années: d’observa- tions ; à rattacher les observations de sept heures, de neuf heures du matin, de trois heures, de neuf heures, et celles des maxima à celles de midi, en calculant la différence des observations faites à ces heures avec celles qui, dans les mêmes années, ont été faites à midi. L'auteur a donc 382 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. eu un grand nombre de points qui lui ont permis d'établir des courbes analogues à celles que M. Martins à don- nées pour Paris dans Patria, d’après la méthode de M. Lalanne, courbes qui permettent de connaître à chaque heure et à chaque jour les températures probables, telles qu'elles résultent des observations jusqu'ici faites. Sans doute ces courbes devront être modifiées par la suite, mais elles sont une première approximation. Elles indiquent que la température moyenne des rues de Grenoble est de 4107. Mais quand on ne s'occupe de la question de la tempé- rature moyenne qu’au point de vue scientifique et qu'on ne cherche que la température des masses d’air qui domi- nent la ville, telles qu'elles seraient si elles n'avaient pas été échauffées par le contact des maisons, on ne trouve simplement que 1193, ce qui s'accorde avec les résultats consignés dans les grandes cartes sur la température des différents points du globe que vient de publier M. Dove, et avec le décroissement de la température avecles hauteurs. Les courbes que l’auteur avait tracées lui ont permis de vérifier les règles qui ont été données par Schouw, par Kæmtz, etc., pour déterminer la température moyenne par trois ou quatre observations dans la journée. Ces règles sont applicables dans le Dauphiné, ce qui n'était nullement évident à priori. Seule, larègle de calcul par les minima et les maxima n'a pu être soumise à la vérification. Au point de vue de l'influence de la température sur la végétation et la vie de l’homme, il n'y a pas seulement à étudier les températures moyennes. Les températures extrêmes et les variations de la température ont une im- portance extrême. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 383 L'auteur à donné les minima des températures chaque mois et chaque année pendant vingt-un ans environ, et les maxima pendant quinze ans. Relativement aux maxima, la température atteint rare- ment 35°et ne dépasse pas 36°. Relativement aux minima, il résulte des tableaux que la température tombe en hiver une fois sur deux à — 10° ou au-dessous, qu’en vingt-une années d'observations la température est descendue deux fois à —15°; que ces basses températures, ordinairement en décembre ou janvier, se montrent; assez souvent en février; qu'au mois de mars la température tombe une fois sur deux au-dessous de zéro et est descendue jusqu’à — 8°7; qu'au mois d'avril la température de l'air tombe encore quelquefois au-dessous de zéro. Mais il faut bien remarquer que la température des plantes et les conditions de leur vitalité dépendent non- seulement des températures de l’air, mais encore de la perte de chaleur par rayonnement qu’elles éprouvent dans les nuits sereines. L'auteur a dépouillé les annuaires Berriat des ans IX, X et XI, et le Journal d'agriculture de M. Planta pour connaître l'époque des gelées blanches et des grandes gelées. Dans les années sur lesquelles il a pu avoir des renseignements, la première gelée blanche se montrait du 12 octobre au 8 décembre et en moyenne le 30 octobre (ouze années d'observations) ; la première vraie gelée du 4°:° au 29 novembre et en moyenne le 13 novem- bre (douze années). A la fin de l'hiver, la dernière gelée avait lieu du 27 février au 29 avril, et en moyenne le 4°° avril (dix-sept ans); et la dernière gelée blanche du 16 mars au 4% mai, en moyenne le 4 avril (treize années). Ainsi, les gelées blanches et les vraies gelées s'étendent souvent en avril et peuvent exceptionnellement atteindre 304 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le mois de mai. Ce sont ces gelées tardives et irrégulières qui ont malheureusement une si fâcheuse influence sur les arbres fruitiers et les récoltes. On doit donc prendre contre ces froids exceptionnels beaucoup de précautions, couvrir les arbres fruitiers, et M. Planta avait si bien reconnu l'influence du rayonnement, qu'au moment des gelées tardives les plus à craindre il couvrait souvent ses cultures de nuages artificiels en brûlant de la paille. Passant à la recherche des variations de la température qui intéressent l'économie animale, l’auteur a établi des tableaux sur lesquels il ne donne pas de détails, parce qu'ils n'auront d'intérêt que lorsqu'ils pourront être rap- prochés de tableaux semblables obtenus sur des obser- valions faites en Provence, à Nice, à Hyères, à Montpel- lier, etc. Enfin, l’auteur connaissant toute l'influence que les vents supérieurs exercent sur les phénomènes météorolo- giques, a déterminé, d’après les observations de M. Demarchi, l'élévation et l’abaissement .de température à partir de la moyenne que produit chacun des vents, et voici les résultats qu’il a obtenus : N.-E. — 2071 N. — 1945 N.-0. — 1017 O. — 0°79 S.-0. + 1098 S. + 311 S.-E. — 0°67 Be 7 Ainsi, le passage du S. au N.-E. amène des variations moyennes de 5°82. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 385 3° DE LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. — L'auteur, après avoir soigneüsement opéré la correction de la température, a étudié la marche des pressions à midi et la marche des variations. Puis, séparant dans les documents qu’il a eus à sa dis- position les six années d'observations que fit M. Charvet avec un baromètre de Fortin, comparé avec le baromètre de l'Observatoire, et trois années d'observations faites par M. Demarchi avec un baromètre comparé de la même manière, l’auteur trouve, pour la hauteur moyenne du baromètre supposé placé au niveau du seuil de l’église de Saint-André, 743 millimètres 16 centièmes. Cette hauteur, comparée à la hauteur moyenne du baro- mètre, à Marseille, donne très-exactement la hauteur de Grenoble au-dessus du niveau de la mer. L'auteur a ensuite examiné les variations accidentelles non périodiques du baromètre. On sait toute l'importance que ces variations ont prise depuis les recherches de M. Quetelet, de M. Leverrier, ‘etc. La surface du globe est parcourue par des systèmes d'ondes atmosphériques qui paraissent avoir leur point de départ près du pôle, s'étendent ensuite sur tout le globe et sont souvent accompagnées d’ouragans qui marchent suivant la ligne de dépression qui se trouve entre deux ondes consécutives. L'auteur a calculé successivement la variation journa- lière, la variation mensuelle.t la variation annuelle. Ces variations n’auront, il est vrai, d'intérêt que lorsqu'elles auront été comparées avec les variations observées à d’autres latitudes, ce que l’auteur ne fera que plus tard; mais ce l’on peut déjà remarquer, c’est la vérification de cette loi que les variations, de quelque manière qu'on les I 25 380 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. considère, ont leur valeur maxima en hiver, etdiminuent graducllement jusqu'au mois de juin. La plus grande et la plus petite hauteur observées sont presque toujours chaque année en hiver et jamais en été, Enfin, l’auteur a déterminé l'influence du vent sur le baromètre. Le petit tableau suivant, mieux que tout exposé, indiquera les élévations et les dépressions pro- duites par chaque vent : NEuaiNs : N20 008.0. SRE —3nm72 23,37 0,38 —2,64 —3,31 —2,72 +0,14 ? — 4° DE L'HUMIDITÉ, DES BROUILLARDS, DE LA PLUIE. — Les recherches hygrométriques faites à Grenoble n’ont pu guère êtreutilisées, d’après les imperfections bienconnues des instruments anciens. Les six années d'observations de M. Charvet ont appris qu’il y avait environ sept brouillards par an à Grenoble, et d'après les seize années d'observations de M. Planta, il y en aurait à peu près le même nombre à Fontaine, dans la vallée. La quantité de pluie anciennement déterminée par M. Chanoine, convenablement corrigée, semblait dépasser 1 mètre. Les observations rapportées par M. Dulac, dans la Sta- histique du département de l'Isère, indiquent seulement 0m833. M. Berriat, au commencement de sa statistique, croit pouvoir élever ce nombre à 0"888. On n'a aucun détail sur les observations précédentes, et on ignore si les ob- servateurs se sont très-bien mis à l'abri de l’évaporation. En définitive, d'après les dix-huit dernières années d'observations dues à un auteur inconnu non cité par M. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 387 Berriat, à M. Charvet, à M. Gueymard et à M. Demarchi, on arrive au nombre de 1067" que l’auteur croit devoir être adopté jusqu’à ce que de nouvelles observations vien- nent s'ajouter aux premières. Sur 226 mois d'observations qui se prêtent à l'examen, il ya eu quatre mois où l’on n’a pas observé un milli- mètre d’eau et neuf où l’on en a observéplus de 200. Au mois d'août 1852, la pluie recueillie s’est élevée à 390. D’après six années d'observations de M. Charvet et quatorze annéee d'observations de M. Planta, on peut ad- mettre qu’il y a environ 142 pluies quelconques par an. Mais si on ne veut considérer que des pluies ayant une certaine intensité et capables de fournir au moins 4 milli- mètre d’eau, on trouve seulèément, d’après les observa- tions de M. Charvet et de M. Demarchi, le nombre 100. En dix ans, la pluie d’un jour a douze fois dépassé 50 millimètres et a atteint une fois 404 millimètres (août 1852). L'auteur, préoccupé de cette idée que la plupart des phénomènes météorologiques dépendent particulièrement du vent, a calculé la probabilité de la pluie pour chaque vent; il a trouvé les nombres suivants : N.-E. N. N.-0. O. S.-0. S. S.-E. E. ? 0,17 0,14 0,4% 0,62 0,70 0,34 0,17 2 0,29. Il s’agit de la probabilité de pluies d'un millimètre au moins ou de neiges capables de couvrir la terre. La probabilité d’une pluie ou d’une neige quelconque, faible ou forte, s’obtiendrait en multipliant les rapports précédents par _—. L'auteur ajoute que les vents chauds du S: n'apportent presque jamais de la neige; que les vents froids du N.-0., 388 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du N., du N.-E. ont des tendances de plus en plus mar- quées à convertir la pluie en neige. Au mois de janvier, par exemple, le vent du N.-E. en neuf ans consécutifs n’a jamais fourni que de la neige. Il faut bien remarquer que les vents qui amènent le plus certainement la pluie ne sont pas pour cela ceux qui en amènent le plus; qu'il faut tenir compte de la fré- quence des vents. D'après les neufannées d'observations de M. Demarchi, les quantités d’eau amenées par différents vents sont les suivantes : NÉE MN NEOU S POPPS FO MSNM SFR PNR: dé Aa ( 4172100 80 ST ENG INSES GONG NS Ainsi, ce sont les vents du S. et du S.-0. qui amènent. la plus grande quantité d’eau. Les vents du N., quoique beaucoup plus fréquents, n’en fournissent que beaucoup moins. ORAGES. — D'après trente-une années d'observations, le nombre des tonnerres par an est de dix. Dans cet in- tervalle de temps, le tonnerre n’a été entendu que sept fois dans l’ensemble des mois de novembre, décembre, janvier, février et mars. Le tonnerre ne commence guère à se faire entendre qu’au mois d'avril, et son maximum de fréquence a lieu dans les mois de juin et de juillet. Presque toujours le tonnerre est accompagné de pluie ou de grêle; et réciproquement, il est très-rare que la grêle ne soit pas accompagnée du tonnerre. En général, on comprend les Alpes dans une région où, d’après les observations de Berzé la Ville, près Lyon, il y aurait vingt-huit tonnerres par an, et on ajoute que le VINGT-QUATRIÈME SESSION. 389 nombre des tonnerres doit augmenter à mesure que l’on doit s'approcher de l’Adriatique. L'auteur pense que les montagnes pourraient bien présenter une exception à la règle posée. Tel est le résumé des documents que l’auteur du mé- moire s’est procurés sur la météorologiede Grenoble ; il a longtemps habité Grenoble, et le soin qu’il a mis à ses recherches lui fait croire qu'aucun autre document ne sera retrouvé. À la suite de ce mémoire, M. Baruffi prend la parole pour faire remarquer qu'il existe, dans les observations météorologiques que M. Viard a com- pulsées, une lacune regrettable ; il manque des ob- servations magnétiques. Suivant M. Baruffi, c’est là un élément essentiel qu'il est indispensable de connaître pour avoir des idées exactes sur la phy- sique du globe. Il ajoute que, dans son opinion, les lois météorologiques établies jusqu'ici et confir- mées pour Grenoble par le mémoire de M. Viard, pourront bien être modifiées profondément, d’une part, par la quantité de vapeur d’eau que lan- cent constamment dans l'air un nombre considérable de machines à vapeur, nombre qui va toujours en croissant; d'autre part, par le réseau des chemins de fer qui, d'ici à quelques années, couvrira toute l'Europe; ces lignes métalliques auront probable- ment pour effet, suivant M. Baruffi, de modifier l’état 390 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. électrique du globe et de l'atmosphère terrestres. A l'appui de son opinion, il cite un fait observé à Liverpool : depuis l'établissement des machines à vapeur dans cette ville éminemment industrielle, on a constaté que la quantité moyenne de pluie qui y tombe a beaucoup augmenté ; on a constaté même qué le dimanche, jour pendant lequel toutes ces machines cessent de fonctionner, la quantité de pluie qui tombe est moindre en moyenne que les autres jours de la semaine. M. Viard ne pense pas que l'établissement d’un nombre même considérable de machines à vapeur puisse modifier les lois générales trouvées dans ces dernières années par les grands météorologistes. À ses yeux, la quantité de vapeur introduite ainsi dans l'atmosphère est une goutte d’eau dans un océan. M. Baruffi répond que l'observation de Liverpool est incontestable. M. Viard réplique qu’il peut bien se faire que, dans une ville comme Liverpool, où se trouve un nombre considérable de machines à vapeur, la quantité de pluie ait augmenté, mais ce n’est là, Suivant lui, qu’une influence purement locale, et qui ne Se fait probablement plus sentir hors de Liverpool, à une petite distance. Quant à l'influence des lignes de fer sur la mé- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 394 téorologie, M. Viard ne croit pas que les observa- tions électriques soient assez avancées pour pouvoir indiquer la modification dans l’état électrique de l'air qui, suivant M. Baruffi, aurait été produite par les chemins de fer. Et, a priori, il a peine à croire, en présence de la grande conductibilité de la masse terrestre et de l'Océan, que les réseaux de chemins de fer puissent exercer une influence sensible. M. Seguin, professeur à la faculté des sciences de Grenoble, ajoute que l’on s'occupe, depuis quel- que temps déjà, d'observations magnétiques à Gre- noble, et que l’on espère pouvoir les continuer. Il fait remarquer d’ailleurs la difficulté de ces obser- vations, quand on n’a pas à sa disposition d’appa- reils spéciaux comme ceux qu’on a employés dans les observations météorologiques de Russie. M. Seguin dépose ensuite sur le bureau un mé- moire de M. l'abbé Miédan, professeur de physique à Moütiers, sur la météorologie de la Savoie. M. Michaud, vice-président de la section, annonce que des devoirs de famille le forcent à quitter Gre- noble, et exprime le regret de ne pouvoir prendre . part plus longtemps aux discussions scientifiques du Congrès. La séance est levée à neuf heures. 392 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCE DU 10 SEPTEMBRE. La séance s’ouvre à sept heures, sous la prési- dence de M. Gueymard. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente. Ce procès-verbal est adopté. La parole est donnée à M. Philippe Breton, ingé- nieur des ponts et chaussées, qui fait la communi- cation suivante : DE L'UTILITÉ DES COURBES FIGURATIVES , Par M. Philippe Breton, ingénieur des ponts et chaussées. Il ya dix ans que M. Ibry, chef du mouvement au chemin de fer de Paris au Hâvre, a publié, dans les An- nales des ponts et chaussées et dans les Bulletins de la Société d'encouragement, le tableau graphique où il représente le mouvement des trains. C’est un morceau de papier quadrillé, portant sur les bords horizontaux du cadre un numérotage qui donne les kilomètres et di- verses autres indications, telles que les gares et stations, les ponts, les souterrains , etc.; sur les côtés verticaux du cadre, on compte les heures de minuit à midi en mon- tant, et de midi au minuit suivant, en continuant à monter. Des lignes droites, tracées en biais à travers le Courbe Jigurative des © Zorces motrices d'ine chiite établie sur un PRE Debit surabondant, re dede | disponible que lon sacrifie pour | 2 penie du canal, avec celle que ee PU l'on conserve à l'usine . | 0"40 pour la chûte disponible totale. les | AA à | 010 pour le maximum possible de forcé motrice. | de la force molrice oblenue avec le | possible y = 2.V3.Vx.G-æ) Chacrifiée pour lapente (x) 4 léservée à l'usine (1-2) Philippe Breton . Courbe Jiguratire des Zorces motrices d'une chite établie sur un Cours d'eau donnant un Débit suraboncant ; Suivant le Proportion de le chiite disponrble que on sacrifie pour la pente du canal , avec celle que l'on conserve à l'usine . 040 pour la chûte disponible totale. Zchelles i 0%10 pour le maximum possible de forcé molrice, Rapport de la force molrice oblenue avec le maximun possible y= 2 V3 Vx.(G-2x) Chale sacrifiée pour Ja pente (x) Châûte réservée à l'usine (i -x) Philippe Breton . A Grenoble, Auë. F. Allier . : ” mA 541 LalôteS'Andre500 Ê | ANAANAAMNAAN 17 4 S'Eéenne deSéecs y HAHRHHHAHAHANE #6lreaux er SRives honte 2e | > a | SRE 959 Voiron » sn 183 Moirans . (30080! , |, | HA 13. Voreppe … ANT | eff 1 mi :LRANNANAANANANH Fi | | Minuit. 1 28 ER. Pier, pet. onvble … Jota : op 127 but deux) 40186 . ; [ Service du Mouvement CHEMINS DE FER DU DAUPHINÉ. Ligne de St-Rambert à Grenoble. Snvice il à partir du 185 me pipe TABLEAU GRAPHIQUE DE LA MARCHE DES TRAINS Este PRO mi 7 ; ; 5 CRE 7] 7 5 ï: : - : = - = — ki) _0 FE | | é LU [|| LIN ; TRE (RURAL LULU LL ITA TITTT | III T T En —- — + . | T '! S'RANBERT, , Epinouze 99 "HALE Inn NANNAI L | | (f || LA |, x A b | NE (A [| [Il | |. | || | | | IE | | || | à 1103 || | à ; LULU ï ï | ji l I Li VE BA LL L LU LIL F D DULS ORIN DRDS y L t TH - Hyli HE AAA l; 1 Epinoure 8 Beaurepaire 202) LL An | INARANNANE j MANN ANA ANA | al Aa RRANAn | MN RAAAAARARS | j Benin 104] | | LEP PRET ; L'IOUT DENT D RNINE || LL NI L LUE L fs SE En Marcilloles.… 306] AL ; Ë | \ ‘x / à | 2 | | \ | | | | | [||] | | | | 1 | CE Et HE L j j Ai bli | | ( il | EP, ; 1 ñ À LcitestanbétéslE 4h LH T HUMEUR SH HKHAHHHHI T Hit + : LI : AL + Ha N pat j me SH SC M RAAA AMAR LIL NN ANNE ANA ANAURNHEEUNNANENU LJ A LE LUE AD MEL AU AU MU LU UE us LL Lattes Andrfoo =] a CONHEHRE JHMHHHHHHNHHHHRVAUML MH PEU UE UE NU HUE HU PAU UE HUULUU MU HE L es NH HN he LA ane (#0) ês slt] L TTL LILI TT. AU NU UN EU HN UE MU MU UN UUHHUU HUUMULUEUH/L DU I LEE ALAN ELLE LUN LL A HA LAS eaux Fe AE] LA LULU EL U t ' ——— - - + _— HULL ri LUDNLn A SRives a 103 \ \| | 147 ARR | \ | ONE UNI IH 4 ui AN | [LL AL [TT TT OT TETE LA ir ge NF ann LL AAA ANAE | If ARAAAP eh LU EULAUL AL LULLLULNLNL LULU LL LL LR NE Voiron hs. ! \ | | NS f AMI | | ÿ | TT Moirans 72.7 L É j HSE LT 1 LULU nn LULU / ANANNNNNN SANANF Li AN ANA fULULLI j 183 Moirans Voreppe 78. 53 nn HDoLnTHN RAA | | | | | HR] Û eZ sal Le ï T F HE + } HA | ju 1 | AN RARANAMNE L 13. Voreppe SRobert 4/68 , ut | nnrInR {DA LL tn Ho LU LL nn Hu 62 S'Robert GRENOBLE 91. |62 i i ù j 1 | gRenÜBLE ll, 1,1, [ (6 7 8 O0 10 “ Midi 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 m Minuit. 1 LS 3 4 E el ; Légende. à Jota: Qi Vernon à Grenelle Lx Ligue 20t auploitte je Re Trains de Voyageurs = î —— deMarchandises. . .. —— de Marchandises mates . __. _. _ Q : it ns 9: Mo à |: e 2 ee si) Î A ; ho 15 2k 25 30 35 40 45 so 53 50 “| 7 5 80 15 90 STRAMPERT = Mu Reanranasne———…— + jf. 1... [afin (tAnde et RD Se 2 Xairnn IE ES w sn enrannrn BL dc OS VINGT-QUATRIÈME SESSION. 393 quadrillage, indiquent le mouvement des trains; les ressauts de ces lignes figuratives représentent les temps d'arrêt; les pentes des mêmes lignes représentent les vitesses. Cette application de la géométrie de Descartes est extré- mement utile aux chemins dé fer, parce qu'elle permet d'embrasser d'un seul regard toutes les circonstances d’un mouvement compliqué, qui, sans cela, ne pourraient être exposées que dans une longue table numérique. Il n’est au reste point nécessaire d'étudier d’abord séparément la géométrie et l’algèbre, puis l'application de l’une à l'autre, pour comprendre ce tableau figuré. Depuis sa publication par l'inventeur, le système a été adopté sur tous les che- mins; chaque chef de train s’en sert continuellement, et ibny a pas d'exemple qu'un homme sachant lime l’écri- dure et les chiffres ait hésité à saisir la signification des lignes du tableau. “Avant cette époque et depuis, j'ai remarqué un très- grand nombre de circonstances où l'emploi des lignes figuratives, droites ou courbes, peut rendre des services journaliers aux besoins de la vie, en résolvant à vue une foule de problèmes qui, sans cela, demandent des calculs : difficiles, inabordables même pour le public. En effet, la plupart des problèmes de perfectionnement consistent à maximer certains avantages ou à minimer certains inconvénients. Citons deux exemples pour éclair- | tr ceci : Celui qui vend un produit quelconque tâche d’en tirer fl lé plus grand profit possible; s’il vend à prix coûtant, le débit est le plus grand possible, mais le bénéfice est nul; sil vend très-cher, il vendra peu, et en tout gagnera | très-peu ou même rien du tout. Entre ces extrêmes, 1l y i 394 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. a un taux de vente qui procure au vendeur le maximum de bénéfice total. C’est ce que je nomme le taux maæimant du bénéfice, et l’art de le trouver constitue une partie de l'habileté commerciale. Eh bien, supposons que l'on puisse réunir un certain nombre d'observations sur la manière dont les quantités vendues varient avec le prix de vente et sur la somme de bénéfices qui en résulte; que ces résultats d'observations soient figurés par les coor- données d’une suite de points, et que l’on fasse passer par ces points une courbe dessinée à la main; l’ordonnée du point le plus haut donnera le maximum de bénéfice, et son abscisse, Le prix maximant. Remarquons en passant que la propriété générale des maxima et des minima est cause que, dans toute question pratique où l’on cherche une maximunte ou bien une minimante, une approxi- mation grossière suffit. C’est ce théorème curieux, peu connu surtout des géomètres, qui rend compte rationnel- lement de la prédilection des praticiens pour les nombres ronds. Supposons encore qu'il s'agisse de savoir sur quelle étendue de terre il convient le mieux de répartir les res- sources de toute nature dont on dispose dans une certaine exploitation agricole. On sait d'avance qu’il y aurait perte soit en concentrant les moyens d'action sur un espace trop restreint, soit en les disséminant sur une étendue trop démesurée ; tout le monde reconnaît qu'il faut pro- portionner les moyens à l'étendue des terrains à cultiver : mais pour déterminer même très-grossièrement-cetle pro- portion, il ne paraît pas qu’il y ait d'autre moyen que de réunir des observations comparables, et de les représenter encore sur le papier quadrillé par une courbe d’interpo- lation graphique dont on prendra le point le plus haut. “ VINGT-QUATRIÈME SESSION. * 395 Ces sortes d'applications de la théorie des maxima à des courbes d’interpolation représentant des résultats d’obser- vation est tout à fait à la portée du premier venu, sans qu'il ait besoin d'étudier préalablement ni la géométrie, ni l'algèbre , ni l'application de l’une à l’autre. Je ne sais si cette opinion semblera paradoxale, mais voici l'expé- _ rience que j'ai répétée vingt fois depuis dix ans: Je prépare un morceau de papier quadrillé, sur lequel je figure un tableau dans le genre de ceux employés sur Jes chemins de fer ; puis je prends pour sujet d'expérience le premier venu, un ouvrier par exemple, ou bien un homme du monde n’ayant aucune notion de géométrie ni d'algèbre, et je le prie de lire les indications écrites sur le tableau; or, toujours, après avoir jeté sur le papier un simple regard , on me dit nettement : je comprends cela. Et en effet, si je demande à la personne en expérience à quel endroit et à quelle heure tel convoi descendant croise tel convoi montant, sans hésiter, on met le doigt dessus, et on répond : à tel kilomètre et à telle heure. Et si à l'instant je propose diverses questions, comme de choisir les heures de départ et d'arrivée, les stationnements, etc., d'un train supplémentaire pour ne pas gêner le service régulier, on fait cette recherche sans hésitation, avec une telle facilité qu’on se doute à peine qu'il y ait là quelque difficulté. Puis, si j'affirme que ce sont là des solutions d'équations à deux inconnues, trouvées par l'application de l'algèbre à la géométrie, je rencontre constamment la plus vive incrédulité. Ayant ainsi reconnu combien la langue des lignes figu- -ratives offre de lucidité, non seulement pour un géomètre, mais pour le premier venu, ayant vu des gens qui ne savaient certainement pas faire une division manier avec 396 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. aisance le merveilleux outil que nous devons à Descartes, j'ai pensé qu'ilsuflirait de mettre les lignes figurativesentre les mains d’un public nombreux, pour qu’une foule de gens prennent en main cet outil et s’en servent pour leur usage. Pour que le public saisisse cette méthode de calcul graphique et s’habitue à en faire usage, il y a, je pense, diverses conditions à remplir. D'abord, il faut que l’exem- ple servant d'enseignement soit extrêmement clair, suffi- samment intéressant comme utilité et comme curiosité, et qu'il se présente journellement sous les yeux d'un public nombreux. Les tableaux figurés du mouvement des trains des chemins de fer rempliront bien ces condi- tions, dès qu'ils seront affichés et vendus à bas prix dans les stations. De plus, il faut que celui qui voudrait mettre en courbe figurative, pour son usage, des séries de faits quelconques, ne soit pas obligé de mesurer les coordonnées avec une échelle et un compas, mais qu’il trouve le me- surage tout fait, avec une facilité convenable de comptage, c'est-à-dire qu’il opère sur papier quadrillé. Or, l'emploi de ces papiers pour plusieurs autres usages, tels que des- sins d'architecture ou de machines, études de la disposi- tion des fils des étoffes brochées, se répand de plus en plus, et l’industrie est toute prête à fournir à bas prix diverses sortes de papier quadrillé dès qu'on les deman- dera. Mais depuis dix ans, j'ai essayé inutilement de per- suader à plusieurs ingénieurs qui exploitent des chemins de fer de tenter cette publication, comme moyen d’ensei- gnement. Les uns ont répondu : à quoi bon? Les autres, qu’ils n'avaient pas le temps, ou bien ils ont révoqué en doute l'utilité de cette publication, l'efficacité de cet enseignement. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 397 Je viens donc faire appel aux géomètres réunis à ce Congrès, et je propose à la section des sciences d'émettre le vœu « que les compagnies des chemins de fer fassent { publier, afficher et vendre à bas prix, dans les stations, « le tableau figuré du mouvement des trains, qui se trouve « déjà entre les mains d’un grand nombre d'employés des « chemins. » | Si ce vœu est adopté, M. Fontenay, ingénieur en chef du Saint-Rambert et membre du Congrès, nous donne le tableau du mouvement sur son chemin, pour être inséré dans notre Compte-rendu. {Le retard survenu dans l'im- pressiän à permis de substituer au tableau graphique de 1857 celui qui va être en usage à partir du 4e juillet 1858.) La section adopte le vœu proposé par M. Philippe Breton. — M. Gueymard prend la parole sur la 43° question du programme, et fait une communication qui se résume en ces termes : CIMENTS ET CHAUX HYDRAULIQUES. CONDITIONS QUE DOIVENT REMPLIR LES PIERRES CALÇAIRES POUR ÊTRE PROPRES À LEUR FABRICATION ; Par M. Emile GUuEYMARD, ingénieur en chef directeur des mines en retraite. Je ne prétends pas faire l'historique des chaux hydrau- liques et des ciments ; on trouvera tous les détails dans les précieux ouvrages publiés par M. Vicat sur cette ma- tière. 0 398 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La science a fait des progrès immenses sur la fabrica- tion des chaux hydrauliques et des ciments. I faut en ce moment peu de connaissances pour pouvoir indiquer la nature du produit d’un calcaire par la cuisson dans les fours ordinaires. Je me propose de donner dans cette note le procédé bien simple que j'exposais dans mes cours à la Faculté des sciences aux chefs ouvriers, etje puis affirmer que j'étais compris. Les pierres calcaires sont composées de chaux et d’acide carbonique. Dans leur état de pureté, elles ne donnent que des chaux éminemment grasses. Elles sont très-rares dans la nature. , Les autres calcaires contiennent tous de l’argile ; quel- quefois l’argile est remplacée par de la silice (quartz) à grains excessivement fins. Les autres principes accidentels, et ne jouant qu’un rôle passif, sont le protoxide de fer combiné avec l'acide carbonique (proto-carbonate de fer), l'hydrate de pe- roxide de fer, le fer sulfuré ou pyrite de fer et l’oxide de manganèse. Beaucoup de calcaires contiennent aussi plusieurs centièmes de carbonate de magnésie. L’argile des calcaires est un silicate d’alumine à pro- portions variables d'acide silicique et de base. Dans les bons ciments, l’alumine doit être de 20 à 33 et l’acide sili- cique de 80 à 67. Les meilleures proportions sont 67 d’acide silicique et 33 d’alumine. Avant d'indiquer les moyens analytiques, je vais faire connaître, d’après M. Vicat, les proportions de toutes - les chaux et de tous les ciments. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 399 CHAUX ET CIMENTS. Lorsque le calcaire donne de zéro à 8 °/, d'argile, il pro- duit une chaux grasse. De 8 à 12°} d'argile, — chaux moyennement hydrau- lique. De 12 à 45 ©} d'argile, — chaux hydraulique. De 15 à 20 °Z d'argile, — chaux éminemment hydrau- lique. De 20 à 23 d'argile, — chaux hydrauliques dange- reuses. s Elles participent à la fois des chaux hydrauliques et des ciments. Il se fait un travail qui n’est pas homogène et qui altère les maçonneries. Si on voulait persister à les employer, il faut les réduire, après la cuisson, en poudre et les tamiser assez fin. Dans cet état on peut s’en ser- vir avec succès. De 23 à 27 ©}, d'argile, — bon ciment gras. De 27 à 33 °, d'argile, — ciment plus ou moins maigre. De 33 à 40 °, d'argile, — ciments trop maigres ou mauvais ciments. Nous avons déjà dit qué quelquefois les résidus ne sont pas argileux, mais ils ne contiennent que de la silice sans alumine. Ces calcaires sont en général assez rares. Ilssontalors impropres à la fabrication des ciments, quelle que soit la proportion du résidu siliceux; mais il n’en est pas de même pour les chaux. En effet, lorsqu'un calcaire donne de 15 à 20 °} de silice très-divisée , on ob- tient une chaux éminemment hydraulique, plus résistante que celles qui renferment de 45 à 20 °, d'argile. 400 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Les premières sout propres aux travaux de la mer, et les secondes doivent être repoussées, d’après l'expérience, sur presque tous les ports de mer. Nous pouvons citer en première ligne les chaux du Theil (Ardèche) et des Côtes de Sassenage (Isère), à la fois identiques par leur composition et leur résistance pour tous les travaux. Ces quelques lignes font bien connaître la nature des produits que doivent donner les calcaires. Je vais main- tenant décrire les procédés analytiques : Pour trouver dans un calcaire quelconque la quantité d'argile, on en pile 40 grammes environ dans un mortier eton les passe au tamis de soie; on mélange bien, on prend 2 gramm. de ce mélange; on les met dans une fiole, on ajoute de l’eau distillée; puis on verse de l'acide hydrochlorique jusqu’à ce qu’il n’yaitplus d’effervescence ; quelques minutes après, on ajoute de l’eau chaude; on agite bien, et, un quart d'heure après, on filtre; on lave le filtre avec de l’eau, on le laisse sécher, on l’incinère dans un creuset de platine, à la couleur rouge cerise ; puis on pèse le résidu qui est l’argile, et le poids obtenu indique la qualité de chaux et de ciment, comme nous l'avons dit plus haut. Quelquefois l’argile est mêlée avec du sable fin siliceux, et il convient de s’en assurer. On agite, le sable se dépose de suite et l'argile reste suspendue. Mais pour arriver à une solution complète, dans le doute, il faut faire l'analyse des résidus du filtre. Après les avoir pesés, on les met dans un creuset d'argent avec trois fois leur poids de potasse caustique; on chauffe le creuset pendant trente minutes au rouge noirâtre. On le retire du feu, on laisse refroidir, on y met de l'eau, et, VINGT-QUATRIÈME SESSION. : 401 vingt-quatre heures après, toute la matière se détaché bien du creuset ; on la verse dans une capsule de porcelaine, on lave le creuset et toutes les eaux s'ajoutent dans la cap- sule; on y verse de l’acide hydrochlorique, de manière que la dissolution soit acide ; on évapore à siccité, on ajoute de l’eau avec un peu d'acide hydrochlorique pour redissoudre l’alumine qui aurait pu devenir libre par l’évaporation à siccité; on fait chauffer, on filtre, on lave et on a toute la silice sur le filtre ; on laisse sécher, on calcine très-forte- ment et on a le poids de la silice. Dans la dissolution, on ajoute de la potasse pour pré- cipiter le fer, et l'alumine reste dissoute dans la potasse en excès; on filtre, on lave bien et on a le fer à l’état de peroxide de fer. Dans la dissolution, on ajoute de l'acide hydrochlorique pour dissoudre l’alumine et la potasse. Il faut que la dis- . Solution soit un peu acide; puis on précipite l’alumine par l’ammoniaque; on filtre, on lave, on sèche le filtre, on calcine et on a le poids de l’alumine. Quand on connaît les poids de la silice et de l’alumine, il n’y a plus qu’à les comparer avec les proportions ci- dessus indiquées, et on a alors tous les éléments pour savoir l’espèce de produït que le calcaire doit donner. L DÉTAILS SUR LE GISEMENT DES COUCHES EXPLOITÉES POUR CHAUX HYDRAULIQUES ET CIMENTS DANS LE DÉPARTE- MENT DE L'ISÈRE, Par M. Lonv. A la Porte de France, l’assise exploitée pour la fabri- cation du ciment est une assise de calcaire marneux, 1 26 402 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. immédiatement supérieure à la masse des calcaires oxfor- diens compactes, dits de la Porte de France. La couche à ciment a environ quatre mètres d'épaisseur et se trouve comprise entre d’autres couches moins argileuses dont quelques-unes fournissent une bonne chaux hydraulique. La couche à ciment renferme ordinairement de 23 à 25 p. % d'argile. Ce ciment étant incontestablement supérieur à tous les autres du pays, il conviendrait de rechercher d’autres gisements dans une position géolo- gique semblable. Mais il ne faudrait pas se figurer que cette même assise püût présenter, à des distances plus ou moins grandes, une composition invariable. D'un autre côté, ces couches supérieures de l'étage oxfordien sont presque toujours reléguées dans des localités élevées et d’un accès diflicile. Ainsi, en quittant la porte de France, il faudrait, pour retrouver ces couches, suivre le versant occidental du mont Rachais, d'où elles passeraient en- suite par Sarcenas, le Sappey, Saint-Pancrace, et sur des plateaux où il n’y a pas lieu de les exploiter. Il ya quelques autres points où on:les retrouve dans une posi- tion plus favorable. Ainsi, le prolongement direct vers le sud des couches de la porte de France va former le rocher de Comboire, près Seyssins, et dans ce monticule, au- dessus des calcaires compactes qui forment un abrupt sur le bord du Drac, on retrouve une série de couches - marneuses, tout à fait analogues à celles de la porte de France. M. Lory avait indiqué ce gisement depuis plu- sieurs années. MM. Dupuy et Algoud en ont commencé l'exploitation. Cette même assise supérieure de l'étage oxfordien repa- rait dans une autre chaîne plus éloignée des Alpes, au Chevalon et au-dessus de Noyarey; mais elle parait y être VINGT-QUATRIÈME SESSION. 403 moins marneuse et moins épaisse qu’à la porte de France. Au Chevalon, il n’a été fait jusqu'ici que quelques recher- ches restées infructueuses. À Noyarey, tout récemment, M. Michal a commencé une tentative d'exploitation sur une couche bitumineuse analogue par sa position à celle de la Porte de France, et qui renferme aussi environ 24 p. % d'argile. Tels sont les gisements de ciments hydrauliques dans la partie supérieure de l'étage oxfordien. Ilest douteux qu’on puisse en retrouver d’analogues dans des conditions favo- rables dans les autres parties du Dauphiné. En général, dans la Drôme et les Hautes-Alpes, l’assise marneuse supérieure aux calcaires oxfordiens compactes marque, et le terrain néocomien repose immédiatement sur ces calcaires compactes. Il y a d’autres exploitations de chaux hydrauliques et aussi de ciments dans la partie moyenne de l'étage oxfor- dien, au-dessous de la série des calcaires compactes. La proportion de l'argile va en augmentant à mesure que l’on descend la série de ces couches et arrive au taux nécessaire pour la fabrication du ciment. C’est ce qui à lieu dans la vallée du Graisivaudan, à St-Ismier, Crolles, Bernin, etc., et dans la vallée de la Gresse, au Saillant, près Vif, à Saint-Guillaume, etc. Ces couches argileuses de la partie moyenne de l'étage oxfordien peuvent être retrouvées et exploitées dans un très-grand nombre de localités du Dauphiné, de la Provence, et dans tout le bassin du Rhône, en général; mais jusqu'ici les produits que ces gisements ont donnés sont, sans contredit, infé- rieurs à ceux de la porte de France. Dans les terrains crétacés, on trouve de bonnes cou- ches à chaux hydraulique, soit dans le terrain néocomien, 40% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. soit dans la craie inférieure. Les chaux du Theil (Ardèche) et des environs de Montélimar (Drôme), sont faites avec. des calcaires siliceux appartenant à l'étage néocomien inférieur ; la pierre à chaux hydraulique de Sassenage est aussi un calcaire siliceux , des couches inférieures de la craie chloritée. Mais jusqu'ici les terrains crétacés ne pa- raissent pas présenter beaucoup de couches propres à faire de véritables cimen!s. Cependant, les premiers ciments fabriqués dans ces pays l’ont été à Narbonne, commune de Saint-Martin le Vinoux, par M. Voisin, et provenaient d’une assise de calcaire marneux néocomien , située au- dessous de la masse des calcaires dits du Fontanil. Cette couche de Narbonne pourrait être facilement retrouvée au-dessus de Seyssins, entre le Fontanil et le Chevalon, et encore à Noyarey, où dernièrement M. Rivier a fait quelques recherches sur un banc qui en est très-proba- blement le prolongement. Le ciment paraissait devoir être bon; mais la composition de la roche a varié très-rapi- dement, dès qu’on a suivi la couche en profondeur au- dessous de la surface du sol. M. Lory pense qu’en général les roches des terrains crétacés ont une pâte trop peu homogène, pour qu'on puisse compter sur des produits hydrauliques de composition constante. Quant aux calcaires appartenant au terrain du lias, ils présentent le plus souvent dans les Alpes une propor- tion d'argile trop forte pour qu'on puisse en tirer parti. On a fait des chaux hydrauliques avec ces calcaires à Brié, près Vizille, et sur quelques autres points; mais en général ces calcaires contiennent beaucoup de sulfure de fer et de magnésie, ce qui donne des ciments contenant de l’oxyde de fer, de la magnésie et du sulfate de chaux, ct ces divers éléments, en proportion un peu forte, ne VINGT-QUATRIÈME SESSION. 405 paraissent pas favorables aux propriétés de ces composés hydrauliques. M. Pillet dit qu'a Montagnole, près de Chambéry, on exploite des calcaires fournissant un ciment de bonne qualité; seulement il pense que là, comme dans beaucoup d’autres localités, l'exploitation n’est pas située de la manière la plus avantageuse. M. Pillet voudrait que partout, avant d'ouvrir une exploila- tion, on consultât un géologue. M. Gueymard répond qu’on ne peut pas obliger un propriétaire à consulter personne dans de pa- reilles entreprises ; que la seule chose que puisse faire l'autorité, c’est de mettre à la disposition des particuliers les lumières d'hommes compétents ; c’est ce qui a lieu dans le département de l'Isère, où un laboratoire départemental fonctionne depuis fort longtemps et où l’on analyse gratuitement tous les corps minéraux présentés, On y a même analysé des échantillons calcaires de Savoie, et des échantillons de terres arables des diverses parties de la France. On passe à la 12° question soumise au Congrès. M. Gueymard lit le mémoire suivant, qui résume les cinq mémoires publiés antérieurement par lui dans les compte-rendus de l’Académie des sciences. 406 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. MÉMOIRE SUR LE PLATINE DES ALPES FRANÇAISES ET DE SAVOIE, Par M. Emile Gueymani La découverte de ce métal précieux remonte au milieu de 1847. Depuis cette époque jusqu’à ce jour, j'ai pour- suivi mes recherches sans interruption, et tous les ans je les ai communiquées à l’Institut. Je vais résumer les cinq mémoires qui ont paru par extraits dans les comptes- rendus de l’Académie des sciences. Mes recherches pour reconnaître la présence du pla- tine, et plus tard pour le doser par des liqueurs titrées, ont été très-laborieuses; elles ont subi des phases diverses dans les manipulations chimiques. Si j'étais arrivé en 1848 au point où j'en suis actuellement, mes cinq mé- moires pourraient se résumer en un seul tableau; mais tous les hommes de science qui ont été saisis de questions nouvelles savent combien de semblables problèmes sont hérissés de difficultés. J'ai reconnu la présence du platine pour [a première fois dans les cuivres gris du Chapeau, vallée du Drac ( Hautes-Alpes). . Le gite de cuivre gris du Chapeau se trouvait dans les calcaires métamorphiques du lias, emprisonnés entre les protogines et les spilites (variolites du Drac). Ce cuivre était très-argentifère, puisqu'il renfermait depuis quelques grammes jusqu'à 42 kil. d'argent sur 400 kil. de minerai brut; mais disons de suite que cette richesse changeait à tous les instants, etrarement deux échantillons donnaient le même produit, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 407 Outre le cuivre et l'argent, les minerais contenaient de l'antimoine, du plomb, du zinc, du fer et de l’arsenic. La gangue était un mélange de dolomie, de quartz et de sulfate de baryte. Avant 1847, le platine avait été trouvé dans lesallu- vions de la Colombie, de l’Oural, du Brésil, de Saint- Domingue; dans les roches de diorite des montagnes de la Colombie ({Boussingault) et dans les serpentines de l'Oural (Leplay). Ce métal n’appartenait qu’à ces localités et les Alpes étaient vierges de toute pensée platinifère. D'un autre côté, les gites platinifères des Alpes n’ont pas la moindre ressemblance avec ceux que je viens de citer. Mes premiers essais furent communiqués à M: l’inspec- teur général des mines Berthier, mon digne maître en docimasie ; à M. Beudant, à M. de Bonnard et à plusieurs autres savants. Sur ma demande, M. le ministre des travaux publics confia à M. l'ingénieur des mines Ebelmen la mission de refaire toutes les analyses que j'avais entreprises, et je lui adressai une caisse d'échantillons. Je fis parvenir éga- lement des échantillons à MM. Berthier et Rivot. Dans sa lettre du 2 février 4848, M. Berthier me don- nait beaucoup d’espérances, car il avait reconnu la pré- sence du platine dans les échantillons que je lui avais transmis , et dans les boutons de retour il avait constaté des lidiess d'un métal analogue à ceux qui ResompaERant le platine. Le rapport de M. Ebelmen à M. le ministre des tra- vaux publics était très-explicite. Cet habile chimiste consfatait: 1° Que le platine était disséminé d’une ma- nière très-irrégulière dans les échantillons qu’il avait 408 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. reçus; 2° qu’il avait pu le reconnaître, et souvent même le doser, dans quelques portions des fragments; 3° que les boutons de retour avaient donné de faibles traces des métaux qui accompagnent le platine, comme du rhodium ou de l’iridium. La présence du rhodium avait été aussi apereue par M. Vicat fils, qui s’était chargé de cette recherche. Enfin, j'avais également fait parvenir à M. Rivot, suc- cesseur de M. Ebelmen à l’école des mines de Paris, une caisse de minéraux. Ce jeune chimiste, qui s’est déjà fait remarquer par tant de travaux importants, avait aussi constaté la présence du platine dans les Alpes, dans la série des échantillons que je lui avais fait remettre. Patronné par les trois premiers docimastes francais, bien accueilli de l’Académie des sciences, je me suis livré à toutes les recherches possibles dans cette portion des Alpes que j’avais explorée dans tous ses plis et replis. Je dois dire aussi que M. le ministre des travaux publics. est venu deux fois à mon aide en m’accordant une sub- vention pour amoindrir les frais de courses et d'analyses. En 4850, j'ai fait un grand nombre de courses dans les Alpes du Dauphiné et de la Savoie. Dominé par la pensée que le platine devait être une substance de filon, j'ai pris des échantillons sur tous les gîtes que je connaissais. Je les ai groupés par cantonnements, et je vais conserver cet ordre : 4° Cantonnement de Saint-Arey et de Prunières, près la Mure (Isère.) — Les bournonites des environs de la Mure, de Combe-Guichard, commune de Prumières ; Les cuivres gris de Saint-Arey, du filon Rousset dans le bois de Prunières ; Le gîte de calamine, de blende et de cinabre, de YINGT-QUATRIÈME SESSION. 409 Combe-Guichard , ont tous donné des indices de pla- tine. 20 Cantonnement de Laffrey (Isère).—Près de Laffrey, on trouve des gîtes de cuivre gris, de blende, mêlée de galène et de fer sulfuré magnétique. Tous les échantillons de blende et de galène que j'ai analysés n’ont pas donné de platine, mais les cuivres gris ont tous produit des réactions faibles de ce métal. La pyrite magnétique n’a pas donïé trace de platine. 3° Cantonnement ‘de Champoléon (Hautes-Alpes) — C'est dans le gîte de cuivre gris du Chapeau à Champo- léon que j'ai trouvé les premiers indices de platine. J'ai dû, plus tard, apporter un grand nombre d'échantillons de la même localité. Je vais généraliser ici les résultats des analyses. Parmi les cuivres gris plus ou moins argentifères, quel- ques-uns sont platinifères, d’autres n’en renferment pas la moindre trace. Le platine y est donc disséminé d'une manière fort irrégulière, et on trouve ces variations dans le même échantillon. Lés cuivres pyriteux panachés que l’on a trouvés sur plusieurs points de la montagne du Chapeau et au Jas de las Peyre, vallée du -Toron, ont tous donné du platine. Ces cuivres pyriteux se trouvent en rognons empâtés dans les roches de spilites. Les roches de spilites ne sont point platinifères. + Quoique dominé par la pensée que le platine était une substance de filon, j'ai analysé néanmoins les calcaires altérés du lias (calcaires magnésiens et dolomitiques ), qui contiennent les cuivres gris du Chapeau. Les échantillons soumis aux analyses du laboratoire ont été pris dans les localités suivantes : 410 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Galerie Finet, galerie d'écoulement , galerie de la fon- taine, galerie de la grande tranchée. Tous ces calcaires altérés ont donné des réactions pla- tinifères. Les analyses prouvent jusqu'à la dernière évi- dence que le platine dans les Alpes se trouve aussi en dehors du domaine des filons. 4° Cantonnement du vallon d'Avancon et du Laus, près de Gap.—Ce vallon est remarquable par les calcaires du lias, changés en calcaires magnésiens et calcaires dolo- mitiques, par la sortie des spilites sur plusieurs points. J'ai trouvé de petits gîtes de cuivre gris à Pisse-Cervier (nord), à Pisse-Cervier (sud), au Clot de l’Aigle, à Pisse- Loup. Ces cuivres gris m'ont donné presque tous des indices de platine, mais assez faibles. 5° Cantonnement de Remolon ( Hautes-Alpes.) — J'ai pris dans un schiste talqueux des échantillons de cuivre gris, de fer sulfuré, de fer carbonaté. Le premier était aurifère sans platine; le deuxième et le troisième ont donné des indices de platine. 6° Cantonnement de Revel, au-dessus de Domène, vallée du Graisivaudan. — Les affleurements de cuivre gris et cuivre carbonaté, et cuivre carbonaté vert et bleu, se rencontrent sur plusieurs points des montagnes de Revel. Tous les échantillons due j'ai rapportés m'ont donné du platine. T° Cantonnement d'Allevard. — Dans la concession C, au-dessus du bourg d'Allevard, on a exploité ancien- nement un gîte de cuivre gris. J'en ai rapporté en 4850 un grand nombre d'échantillons; tous ont donné du platine dosable. C’est le seul gîte où j'aie trouvé ce métal répandu à peu près uniformément. YINGT-QUATRIÈME SESSION. AM Les échantillons de fer spathique de la Chevrette, les pyrites de fer de la concession Calvat, n’ont pas donné la moindre trace de platine. 8° Cantonnement de Vaulnaveys, de Pierre-Plate et des Ruines de Séchilienne, près Vizille (Isère.) — Les cuivres gris et cuivres carbonatés des montagnes de Vaulnaveys, ceux des Ruines de Séchilienne, ont donné des réactions platinifères. Les cuivres gris de Pierre-Plate n’ont pas donné trace de ce métal. 9° Mines de plomb sulfuré et de blende de la Poipe, près Vienne. — Les galènes mont pas donné trace de platine. À la dose de 10 à 15 gram., les blendes n’ont produit aucun indice platinifère. Dans le traitement des blendes bien grillées, on obtient du zinc métallique, des résidus riches. en Zinc et des rési- dus pauvres. Les résidus riches à la dose de 30 gr. ont donné du platine. Répétéessur 25 résidus pauvres, le$ réactions pla tinifères ont été très-belles. Si la blende à la dose de 10 gr. n’en donne pas, il n’y a rien d'étonnant de pouvoir doser le platine sur 25 gr. de résidus, représentant 125 gr. de blende (1). J'ai rapporté les analyses des échantillons qui m'ont donné du platine, mais je dois indiquer qu’un plus grand nombre d’autres échantillons, pris dans les localités sui- yantes, ne m'ont pas donné trace de ce métal : (1) L'année suivante, j'ai rapporté un grand nombre d'échan- tillons de galène, de blende de la Poipe et la suite de tous-les produits de la fonte. Les résultats docimastiques ont peu varié. 100 kilog. de zinc ont donné 5 gr. argent; le platine bien mani- feste sur 40 gr. de zinc peut être dosé sur 100 kil. 412 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le Valjouffrey, la Motte Saint-Martin, le mandement de la Rochette (Savoie), Theys, La Ferrière, Lancey, Bella- Dona, Mens, Roissard, les montagnes d'Oulles, d’Or- non, etc., la Gardette, le Rivier d’Allemont, le Freney, le Grand-Clot, près la Grave (Hautes-Alpes), Villard- d'Arène, l'Argentière, près Briançon, la Chaîne des Rous- ses, la Cochette. Ces études m'ont conduit aux observations suivantes : Les zincs de la Belgique sont d’un gris clair, doux, faciles à travailler et présentant un poli ordinaire en sor- tant des laminoirs. Ils ne contiennent pas de platine. Les zincs de la Poipe sont d’un gris plus foncé ; ils sont plus durs et plus difficiles à travailler. Au sortir des lami- noirs ils ont un poli magnifique et remarquable; ils conviennent parfaitement aux papeteries en raison de la dureté et de ce poli. Ces différences dans les propriétés physiques des zincs “de la Vieille-Montagne et de la Poipe ne peuvent être attribuées qu’à la présence du platine et de l'argent. 10° Minerais des Chalanches. — Les mines des Cha- lanches sont au-dessus d'Allemont. Elles renferment trois métaux précieux, l'argent, le cobalt et le nickel. J'ai fait des essais sur un grand nombre d'échantillons. Je n'ai pas trouvé la moindre trace de platine dans les substances exploitées sur cette montagne. 410 Tufs de manganèse, — Ts appartiennent aux ter- rains tertiaires supérieurs (voyez ma statistique de 4844). Je n’en connais que deux gîtes, à la Grave (Hautes-Alpes) et à Vaulnaveys (Isère). Sur trois essais analytiques que j'ai faits, un seul a donné des traces de platine. 12° Minerais de mercure de St-Arey près la Mure.— VINGT-QUATRIÈME SESSION. 1413 Ce gîte est dans le calcaire du lias. Il avait déjà été exploré par M. Schreiber. J'ai fait quatre essais pour découvrir du platine. Un seul m’a donné des indices bien faibles de ce métal. . Minerais de plomb sulfuré. — J'ai fait des recherches sur les galènes du Chapeau, Hautes-Alpes, du Vallon, près de Champoléon; de la vallée du Toron, près Cham- poléon ; de la Combe de l’Ours, au-dessus des Clavaux, vallée de la Romanche; de Saint-Arey, près la Mure ; du Pontel, près le Bourg d'Oisans; de St-Hugon sur France. Ces diverses galènes n’ont pas donné trace de platine. Cependant plusieurs de ces gîtes se trouvaient dans des régions platinifères. Recherche du platine dans les calcaires du lias. — J'ai essayé les calcaires dans les localités suivantes : Calcaire feuilleté grisâätre de Charlon, propriété de MM. Gueymard frères. Calcaire noirâtre, en couches peu épaisses, du ruisseau de Darmes, près de Clelles. Calcaire noirâtre du Monestier de Clermont. Calcaire feuilleté gris noir, de Mayres, canton de la Mure. Calcaire noir de la gorge d’Allevard. Tous ces calcaires ont donné des indices de platine à l'essai sur 30 grammes de matière. Précédemment, j'avais trouvé du platine dans les mêmes calcaires altérés et près du faite de la grande chaîne. Mais ici ces calcaires étaient un peu métallifères et je n'avais pas été surpris des résultats obtenus; mais trouver du platine dans les calcaires non altérés, loin des centres de soulèvement, on ne peut en l’état trouver une seule explication. MAN CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Ces calcaires sont toujours plus ou moins pyriteux. Ayant trouvé encore assez souvent des indices de platine dans les fers sulfurés, le platine serait-il associé à ces sulfures ? e Recherche du platine dans les minerais de fer car- bonaté donnant des fontes aciéreuses. — J'ai fait les analyses sur les gîtes suivants : Fer spathique du Vent, logé du Vernay, vallon de la Grande-Fosse, | de Vaulnaveys. de Pierre-Plate, de Mesage, près Vizille. d’Articol, vallée de l’'Eau-d’Olle. de Mens. de la Fayolle, près Laffrey. de la Mine du Pré, canton de la Mure. Tous ces fers spathiques ont donné des indices de pla- tine. Au début de ma carrière, j'avais bien établi que les fers spathiques de l'Isère donnaient d'excellents aciers quand ils étaient très-manganésés, mais sachant aussi que le platine allié avec le fer donnait des aciers bien durset pouvait recevoir un beau poli, j'ai pu raisonnablement rechercher ce métal dans nos fers carbonatés, puisque je l'avais trouvé déjà dans un si grandnombre de substances diverses. Dans un résumé trés-concis je ne puis entrer dans des détails. Je me contente dénoncer les conclusions auxquelles je suis arrivé. Les minerais de fer carbonaté qui donnent les meilleurs aciers sont ceux qui ont pro- duit les plus belles réactions platinifères. Ces premières indications ont été pour moi une source YINGT-QUATRIÈME SESSION 415 inépuisable de recherches, et j'ai dû me remettre en cam- pagne pour récolter d’autres échantillons. Minerais de fer carbonaté d'Allevard. — Trois échan- tillons ont donné de jolis indices de platine, deux des in- dices médiocres, un de faibles indices et cinq n’ont pas donné trace de ce métal. Minerais de fer carbonaté de Vaulnaveys. — Trois échantillons ont donné du platine. Minerais de fer d'Articol. — Trois échantillons ont _ donné du platine. Mainerais de fer carbonate de Savoie. — Dix échan- tillons ont donné de belles réactions platinifères, trois n’ont pas donné trace de ce métal. Mais si les minerais de fer carbonaté contiennent du platine, ce métal doit se concentrer dans les fontes, les fers et les aciers. En effet, ce métal devant être considéré dans les opérations métallurgiques comme inoxidable, les laitiers!et les scories ne doivent pas en contenir. Comme il est plus facile de reconnaître ou de doser le platine dans les fontes, les fers et les aciers, que dans les minerais, je conseille d'opter pour lès premiers. Fontes d'Allevard, de Rioupéroux (Isère). — Ces fontes ont donné du platine à l'analyse. Fontes de Savoie. — Ces fontes sont plus platinifères que les précédentes. Aciers d'Allevard.— Ces aciers ont donné des réactions platinifères très-manifestes. Fers de Savoie. — Ces fers ont également donné des indices de platine très-jolis. À poids égal, nous pouvons dire que les minerais de fer carbonaté donnent moins de platine que les fontes; que les fers ou les aciers en contiennent davantage que 116 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les fontes. La théorie pouvait indiquer cette loi, mais j'y suis arrivé par l'analyse. D'après cela, il est impossible de ne pas admettre que le platine joue un rôle dans nos aciers et nos fers. Ils les rend plus fins, plus durs, moins ferreux et susceptibles d’un plus beau poli. Nous avons déjà indiqué le platine dans quelques roches secondaires et pouvant être reconnu à la dose de 30 grammes de calcaire, pouvant même être dosé à l’aide de liqueurs titrées. J'ai dû aussi recourir à de nouveaux échantillons pris à des distances variées de l’axe de sou- lèvement de la chaine principale. Les calcaires jurassiques suivants ont tous donné des indices de platine. Calcaires de Varces (Isère). — de la Rivoire, près Vif. — deseaux thermales de la Motte. — de la Salle, canton de Corps. — deSaint-Jean des Vertus. — de la Source des Salettes. — dela combe de l’Aglot (Hautes-Alpes). — du Villard de Lans. — de Darmes, près Clelles (Isère). — de Faudon (Hautes-Alpes). Grès divers. — Les grès suivants ont tous donné du platine, eten plus grande quantité à poids égal que les calcaires. Grèsanummulites de Champoléon, n° 4, partic inférieure. — — n°9, Id. — — n° 3, Id. a as n° 4, partie supérieure. Grès à nummulites moucheté, en cailloux roulés, pris dans le Drac, à Saint-Bonnet. ! VINGT-QUATRIÈME SESSION. 417 Molasses de Voreppe (Isère). Grès inférieur des lignites du Dévoluy (Hautes-Alpes.) Mes études ont été dirigées plus particulièrement sur lesgrèsanummulites. Ces grès commencent près deSaint- Bonnet, remontent le Drac et couvrent en grande partie les deux vallées des Dracs, Drac d’Orcières et de Champo- léon, sur une longueur de vingt-quatre kilomètres. La moyenne richesse en platine de tous ces grès serait de1/50 de milligrammeïde platine pour 30 grammes de grès. Ces grés représentent un volume de 3,600,000,000 de mètres cubes, qui renfermeraient par conséquent 30,000 quintaux métriques de platine au moins. Ce calcul est exact; il repose sur les analyses et sur la moyenne ri- chesse que j'ai trouvée. Sables des rivières, des torrents, diluviums.— Ayant trouvé du platine dans un grand nombre de substances des filons, ainsi que dans les roches des terrains Stratifiés, la pensée de rechercher ce métal dans les sables des ri- vières, des torrents et dans le diluvium devenait bien naturelle. J'ai donc analysé un grand nombre de sables pris dans les rivières et les torrents des arrondissements de Grenoble et de Gap. J'ai rapporté également des échantillons pris Sur plusieurs massifs du diluvium, et, en résumé, j'ai trouvé du platine dans quinze échantillons ; deux ont donné des traces douteuses de ce métal, et vingt autres n'en contenaient pas un atôme. . Le platinese trouve-t-il dans les sables d’une maniéreuni- forme, ou bien y est-il distribué inégalement ? Se trouve-til en parcelles isolées, très-petites, très-ténues, ou bien fait- il partie constituante des graviers sableux? Il me serait en l'état impossible de répondre à la question. P HN] T 118 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Dans mon dernier mémoire, j'ai présenté une suite d'analyses où le platine est rigoureusement dosé sur 400 grammes de matière employée. Je vais présenter le tableau général de toutes les substances que j'ai traitées et les conséquences que j'ai cru devoir en déduire pour la métallurgie. TABLEAU DES SUBSTANCES ANALYSÉES SUR 100 GRAMMES. : Milligrammes. Sable du Drac, bien lavé, pris versle pontdefer 0,0665 Grès et calcaires. 4 Grès moucheté nummulitique de Méollion à Champoléon (Hautes-Alpes)............... 0,1000 2 Grès violacé nummulitique dans les calcai- res \\ChampolénnR., Le Ge se de eat 0,1666 3 Sables nummulitiques du ruisseau de Méol- Lao re es AN a DE be + ee en er NE 0,1665 4 Calcaire nummulitique de Champoléon..... 0,1332 , 5 Calcaire oxfordien, au-dessus de la Porte de France, près de la maison de M. Longchamp 0,0333 6 Calcaires à lucines de la Fontaine-Ardente 7 Calcaire oxfordien de Corenc, près Grenoble. 0,1363 8 Calcaire de la Grave, du lias (Hautes-Alpes) 0,0366 9 Calcaire de la Valentine, formation des ligni- LES AIX CH PI ONEMEPIE E SE Dane ne telle ie 0,0333 Molasses. Coupe des terrains de molasse de Voreppe, près Grenoble. Assise nt: ie le anti 8. Li aa 0,0366 Assise n° 2: auras BE 1% 1 Re 0,0333 Autrebanc des ROUE ASe. LUICURRE 0,0366 Assise n°3 échoue ihennes scene 0,0277 LE] YINGT-QUATRIÈME SESSION. 419 D Dans A 0,0333 Dub banciters MANN en 0,0443 2 ÉD OPANENSMRENrE OT PEN CP MENMET EEE 0,0443 M on oi. SOU ses : 0,0333 ue AU 0,0513 ME Donc D ue ue 0,0553 NN Tes a 0,0963 ee rarement 0,0513 M ue 0,0750 TO NAN 0,1333 7 FF Re delete 0,0333 Molasse de Saint-Paul-trois-Châteaux (Drôme). 0,0666 Fer sulfure. Fer sulfuré du Bouro-d'Oisans sie UE 0,1833 Fer sulfuré de la Balme, commune de Ja Cha- pelle du Bard (Isère). Hand al ot nere 0,1000 Fer sulfuré de la Ferrière, canton d’Allevard. . _0,1833 Fer sulfuré des environs de Villard-d'Arène (Hau- se Ne + :10,4333 Fersulfurédu Rif-du-Sap, Valgodemard (Hautes- un 0,0000 Fer sulfuré magnétique de Bodenmais (Bavière). 0,0476 jean, au-dessus de Vaulnaveys (Isère)...... 0,0333 . deSaint-Pierre de Belleville, en Savoie. . 0,1000 ne SE Néant. Galène de Carthagène, Espagne (traces d’or)... Néant. 420 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Cuivre. Cuivre gris et cuivre carbonaté, concession €, pays"d'Alevard "sr Re ess Cuivre pyriteux et carbonaté de Fredane, près Belladona , vallée de l'Isère (traces d'or).... Cuivre gris des Ruines de Séchilienne (Isère). . Cuivre gris de Guillaume Perouze, Valgode- mad (Hautes Alpes) 2 22 de © 21e té 0e Cuivre carbonaté de Guillaume Perouse, Valgo- démaArdE 4 42 SRB ES Es re eye Autre échantillon ayant beaucoup de gangue. Cuivre sulfuré de South (Angleterre).......... Cuire oxidnié de: South: 000 NT Enr Cuivre oxidulé rouge argileux, Cornouaïlles... Cuivre métallique en sable de Coroco (Bolivie).. Fontes, fers et aciers. Fontes de Vizille, obtenues avec les minerais de fer carbonaté fondus avec l’anthracite : Fonte blanche.....:....... PONLEÉEUIOE 2. 62e Mere Konte,grise.) 2. : ide STE Fonte de Rioupéroux, au charbon de bois (Isère). Acier fabriqué avec les fontes de Rioupéroux Acier brut fabriqué avec les fontes des minerais d'Arbicok (Isère )0 NE UE TRE Acier dit de Hongrie, fabriqué avec les fontes d'Épierre (Savoie). 242844 sc case 3352500 Acier raffiné, avec les mêmes fontes......... ; 0,1140 traces. , traces. 0,1000 0,2500 0,2666 0,1136 Néant. Néant. 0,1333 Néant. 0,0039 0,0045 0,0045 0,046 0,0335 0,0417 0,0595 0,0550 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 491 Acier brut, avec les mêmes fontes. ........ 0,0417 Acier raffiné, fait avec les fontes blanches rhé- nanes (traces d'or)... 2/42: PETER 0,025 Acier naturel de Rives (Esbre)-nshes hs 0,0358 Fer des forges de Vienne, fait avec les minerais D Colithiques (Isère). 2.1/9 02), souris 0,0120 Pyrénées dela né douce dei 0,0194 Fer cémenté des Pyrénées ....... CHLRLIEE aie ns 0,0854 Acier des Pyrénées. ......... Le UE 0,0425 Dnes.de, Savoie£gtioéneomd cal bouvo 0,0200 Acier de Styrie, des fontes impériales. . .,..... 0,0417 Fer d'Angleterre, Staffordshire. ........,.... 0,0192 Fer de Suède, cémenté .......,.,...... 0,0366 REP Suede "he OUR à: pente sp: di 0,0120 L'or qui provient de l'exploitation des sables fait au moins les 5/6 de celui qui est exploité annuellement sur le globe. Ce métal s'y trouve en petites paillettes, très- minces, puisqu'il en faut de dix-sept à vingt-deux pour faire un milligramme. Dans les sables du Rhin, où les orpailleurs gagnent de Afr. 50 c. a 2 fr. par jour, on ne trouve que 8 billionniè- mes d'or (0,000,000,008). Ces sables sont inexploitables. Le mètre cube pèse 1,800 kilogrammes contenant par conséquent 080144 or. Le mètre cube de sable renferme de 4,500 paillettes à 36,000. Quand il y a 4,500 paillettes, il n'yÿen a qu'une pour 400 grammes de sable. Lorsque le sable en contient 36,000, il y a deux paillettes tous les 100 grammes. 122 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. TABLEAU DES SABLES AURIFÈRES DU RHIN, D'ELDER EN WESTPHALIE, DE LA SIRÉRIE ET DU CHILI. meme ee ee en Westphalie. Eu sur 100 GRAMMES DE SALE. Rhin, | = Sibérie. | Chili. _ RENE ES CRTOMBNTE RTE Miligr. | Milligr. | Milligr. | Mibigr. | {re qualité, sables riches. .| 0,0562 | 0,0390 | 0,6000 | 7,8080 | 2equahté ere Le 0,0243 | 0,0222 » » f | 3° qualité, moyenne des | sables exploités........| 0,0132 | 0,0130 | 0,2600 | 0,9670 Moyenne du gravier non exploitable .:.:....... 0,0008 | 0,0016 | 0,0650 | 0,1000. Minimum des sables ex- 1) ETC PRRERENREn 6,0120 Comparons maintenant la richesse or des sables du Rhin, avec la richesse platine des tableaux ci-contre de mes analyses. Le sable du Drac est plus riche en platine que le sable du Rhin, 1" qualité en or. Grès et calcaires. — Les n° 1, 2, 3, 4, T ont des riches- ses plus grandes que le sable du Rhin, °° qualité. Les n° 5, 8, 9 sont plus riches que les mêmes sables, 2° qua- lité. Le n° 6 plus riche que le sable 3° qualité. Molasses. — Les n° 6 et 7 plus riches que les sables re qualité. Tous les autres sont plus riches que les sables 2° qualité. Fers sulfurés. — Les n° 41, 2, 3, 4 plus riches que les sables 4re qualité. Le n° 6 plus riche que le sable 2° qualité. VINGT-QUATRIÈME SESSION: 42% Cuivres. — Tous les cuives platinifères sont: beaucoup plus riches que les sables 4r° qualité. Comment se trouve le platine dans toutes les substances où j'ai constaté sa présence? L'or dans les sables est à l’état de paillettes, mais je n’ai jamais pu reconnaître le platine ni à la vue, niau microscope. Il est vrai que sa couleur gris terne est peu favorable à ce genre d'observation. J'ai trouvé quelquefois des traces d’or dans quelques calcaires, dans des substances de filon et une seule fois dans une molasse prise à Voreppe, pouvant être dosé. Le même échantillon n’en a plus donné. C’était donc une paillette qui s’est trouvée accidentellement dans le pre- mier essai. Pour le platine, je ‘suis arrivé à une loi presque géné- rale. Les roches sont d'autant plus platinifères qn’elles sont plus modernes. Ainsi, les molasses, les grès et cal- caires nummulitiques, analysés jusqu'à ce jour, ont tous donné du platine en plus grande quantité que les roches inférieures. Dans la même couche, la richesse n’est pas rigoureusement constante en platine, mais je dois dire que les différences ne sont pas grandes. Ces différences sont beaucoup plus grandes dans les gites de cuivre gris. Dans le même filon, j’ai trouvé acci- dentellement de fortes proportions de platine, et les échan- tillons voisins n’en ont pas donné la moindre trace. Les filons de fer carbonaté ont des richesses variables. Quelques-uns aussi n’ont pas donné du platine. Les fontes, les fers et les aciers produits en Dauphiné et en Savoie, avec du minerai de fer carbonaté, sont tous platinifères sans exception. ù Les fers et les aciers des Pyrénées, de la Styrie, de Suède et d'Angleterre ont aussi donné du platine. 42% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Dans nos contrées, le platine commence dans le lias et on le suit jusque dans le diluvium alpin. Est-il particulier au terrain des Alpes que j'ai étudié, ou bien se trouve-t-il ailleurs? Depuis 1849, j'ai soulevé cette question en l’abandonnant au ministère des travaux publics. Les Alpes ne pouvaient pas en présenter une plus intéressante au point de vue géologique, et je dirai même métallurgique, car j'ai la conviction que le platine joue un rôle dans les fers et les aciers de ces contrées. Je dois indiquer, en terminant, qu’à l'exception des fers et des aciers, toutes les autres analyses ont été faites sur 34 grammes de substances. J'ai multiplié le produit par 3 pour avoir le platine contenu dans 100 grammes en nombre rond. Après la lecture de ce travail, M. Pillet rappelle que l’on trouve quelquefois en Savoie des sables qui contiennent de l’or en assez grande quantité ; il demande à M. Gueymard si l’on ne peut pas admet- tre que le platine qu’on trouve si fréquemment en Dauphiné y représente l'or que l’on trouve souvent en Savoie. M. Gueymard répond que presque partout il a trouvé de l’or en même temps que du platine; seu- lement il était toujours en très-petite quantité. De plus, il n’a jamais pu reconnaître le plaline en pail- lettes, ni à l'œil nu ni à la loupe, tandis qu’en Savoie l'or se rencontre en paillettes souvent abon- dantes ; peut-être cela tient-il à la couleur propre du VINGT-QUATRIÈME SESSION. 425 platine qui doit empêcher souvent de le distinguer au milieu du sable. Du reste, en Savoie, on rencontre le platine aussi fréquemment qu'en Dauphiné, notamment dans les minerais de fer; ainsi l’excellente qualité des fers de Saint-Georges d'Hurtières est due probablement à la présence du platine qui s’y trouve en propor- tions plus fortes que dans tous les fers du Dau- phiné. On passe à la 11° question soumise au Congrès. M. Gueymard donne sur quelques-unes des exploi- tations du Dauphiné et de la Savoie, les détails suivants : DES GISEMENTS MÉTALLIQUES DE LA SAVOIE ET DU DAUPHINÉ, DES PROGRÈS DONT LEUR EXPLOITATION EST SUSCEPTIBLE ; Par M. Emile Gueymano. La Savoie et le Dauphiné, situés sur le flanc des Alpes, sont plus connus sous le rapport des études géologiques que sous celui de grandes exploitations. Les naturalistes de toutes les nations sont venus saluer la Savoie et le Dauphiné. Ils sont venus franchir nos Alpes sur tous les cols, sur toutes les échancrures, pour arriver en Italie. Nos Alpes sont devenues célèbres dans les fastes de l’his- toire naturelle inorganique. Les plus grandes illustrations se Sont succédé et se succèdent encore pour découvrir de nouveaux trésors. Nos contrées ont été souvent dési- 126 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. gnées sous le nom de terre promise de la minéralogie, de la géologie et de la botanique. Passons à l’énumération des mines exploitées dans la Savoie. Nous devons placer sur la première ligne les filons de fer spathique de Saint-Georges d'Hurtières, dans la Maurienne. Ils sont puissants, exploités depuis longtemps et avec succès. Les minerais sont composés de proto-car- bonate de fer, de proto-carbonate de manganèse, de quartz et d’une petite quantité de carbonate de magnésie. Les produits en acier de fusion sont connus de toute la France, de tout le Piémont. Ils sont trés-recherchés et très- estimés. Les mines de plomb, en Savoie, ont été exploitées à Pesay et à Macot. Celles de Pesay ont été florissantes sous l'empire de Napoléon [*". La Savoie formait le département du Mont-Blanc, et l’école des ingénieurs des mines était à Moûtiers. Les élèves, après leurs cours théoriques, allaient faire des études pratiques à la mine de Pesay, à celle de Macot et à la fonderie de Conflans. Le gîte de Pesay est actuellement épuisé et il ne reste plus que celui de Macot en exploitation. Le Dauphiné, comme la Savoie, est remarquable par ses minerais de fer carbonaté, exploités aussi pour la fa- brication de l'acier de fusion. Les principales exploitations sont dans le canton d’Allevard, dans la vallée de la Ro- manche et dans celle de l'Eau d'Olle, dans les cantons de Vizille et du Bourg d'Oisans. Depuis quelques années on exploite dansle canton dela Verpillière des minerais de fer semblables à ceux de Vil- lebois (Ain) pour les hauts-fourneaux de Vienne, C’est une conquête récente qui a recu un grand développement par M. Victor Frérejean. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 427 * Les mines de plomb de Vienne sonttotalement épuisées. Les mines de zinc ne sont que suspendues. Elles attendent un meilleur avenir qui ne peut être trop éloigné. Il ne reste plus que le seul gîte de galène argentifère de l’Argentière, dans les Hautes-Alpes. L'exploitation se fait sur une grande échelle et les minerais sont expédiés aux fonderies de Marseille. Les Hautes-Alpes n'ayant pas de combustibles propres pour les minerais de plomb, il ne restait pas d'autre ressource aux concessionnaires que les fonderies de Marseille et de Vienne. On exploite bien encore un filon de galène à la Fayolle, près de Laffrey (Isère), mais la compagnie n’a pas encore entrepris de grands travaux. On attend une réorganisation plus sérieuse par une nouvelle société. Les mines d'argent des Chalanches sont encore suspen- dues. Sous la sage administration de M. Schreiber, elles avaient toujours donné des bénéfices, et à cette époque on jetait dans les halles les minerais de cobalt et de nickel Qui n'avaient pas de valeur. Depuis la révolution de 93, les mines ontété reprises plusieurs fois, mais par des com- pagnies qui ont toujours manqué de capitaux, d’intelli- gence et d’une bonne administration. Ces mines ont été visitées, étudiées par toutes les illustrations géologiques de l’Europe, et il n’y a eu qu'une seule opinion sur Îles gites. Ils ne sont pas épuisés, mais l'exploitation est dif- ficile par suite des rejets si fréquents. Le traitement mé- tallurgique de l’argent, du cobalt et du nickel présente également des difficultés , par la raisvn que les deux der- niers métaux ne sont points traités en France. Il faudrait nécessairement un ingénieur civil allemand ou anglais et un fondeur ayant l'habitude de traiter le nickel pour le maillechort ou le ruolz, et le cobalt pour les bleus d'azur. nl 128 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Les mines de galène de la Grave sont une dépendance des mines d'argent, de cobalt et de nickel d’Allemont, et elles fourniront toujours suffisamment du plomb pour le traitement métallurgique. Je présente donc sur le même point des gîtes renfermant quatre métaux précieux (argent, cobalt, nickel et plomb). Ils ont été bien étudiés, exploi- tés et il ne faut apporter, pour avoir un beau succès, que lès éléments nécessaires à toutes les industries sérieuses : capitaux suffisants, beaucoup d'intelligence et une sévère administration. Pour l'exploitation de ce traitement mé- tallurgique des quatre métaux, if” faudrait à peine un capital de 500,000 fr. avec les prescriptions ci-dessus ; on ne s’'engagerait pas en promettant un beau succès. Les ingénieurs aiment à créer dans les départements qui leur sont confiés des industries ou des exploitations nouvelles. Les métaux cobalt et nickel inexploités en France se sont présentés souvent à ma mémoire, et je n'ai jamais perdu un instant pour les rechercher. Mes études ont porté leur fruit et je transcris ici une note publiée dans les comptes-rendus de l’Institut. On ne connaissait dans le département de l'Isère que le gîte de nickel des Chalanches, au-dessus d'Allemont. Les nombreuses recherches que j'ai faites sur le platine que j'ai découvert dans les Alpes du Dauphiné, m'ont per- mis de parcourir beaucoup de-localités que je n'avais pu étudier pendant que j'étais en activité. J'ai fait quelques découvertes métalliques qui présentent un grand intérêt. Je vais décrire dans cette note celles qui se rapportent au nickel. 1° Nickel arsemiaté de la Salle en Beaumont, canton de Corps. Les montagnes de la Salle en Beaumont appartiennent & VINGT-QUATRIÈME SESSION. 429 au lias, étage des bélemnites. Ce pays est assez accidenté et les couches calcaires sont plus ou moins tourmentées ou plissées. Le gîte dont il s’agit est sur la rive gauche du ruisseau de la Salle, à vingt-cinq minutes de l'église, dans le bois. On trouve, dans un petit ravin perpendiculaire au cours du ruisseau de la Salle, un filon de chaux carbonatée lamellaire, blanche, entremélé de zinc sulfuré en assez grande quantité; la puissance du filon varie de 35 à 40 centimètres ; il est vertical et bién réglé. Sur la paroi de gauche, en montant, on voit de petits nids de nickel arséniaté, facile à reconnaître, attendu qu'il n’est pas altéré. Cette association des deux métaux nickel et zinc, dans le lias, est bien remarquable, et il y aurait quelque intérêt à faire une fouille par une galerie horizontale vers le point où j'ai pris le nickel arséniaté, La montagne présente une forte pente. J'ai traité un échantillon de ce nickel, mêlé de blende et de carbonate de chaux. J'en ai pris 20 grammes que j'ai fondus avec 40 grammes de carbonate de potasse et 40 grammes de soufre. J'ai obtenu 1255 de résidus par filtration ; traités par l’eau régale et la potasse caustique, J'ai eu 456 d’oxide de nickel, ce qui fait 23 % d’oxide de nickel. 2° Gîte de nickel arséniaté de la Motte les Bains. Dans le courant de 1852, deux ouvriers découvrirent un . gite d'or natif, à quelques mètres du château de la Motte les Bains; il fut exploité par eux et par M. de Certeau: il produisit des échantillons d’une grande richesse. Ce gîte était dans le calcaire magnésien du lias: deux échantillons me furent remis par M. de Certeau. _ Le premier avait pour Sangue un double carbonate de 430 CONGRÈS SCIENTIFIQUE. DE FRANCE. chaux et de protoxide de fer; elle était altérée et je n’a trouvé que des traces de magnésie. L'or était dans les petites fissures et cavités. La gangne, parfaitement com- pacte, n’a donné que des indices d’or et de platine. Le second échantillon était plus aurifère que le premier. L'or se trouvait dans les petites cavités d’une gangue d’un gris verdâtre, que l’on avais prise pour une boarnonite altérée. En examinant bien attentivement cette gangue, il me fut cependant facile d'avoir des doutes, et l'analyse vint les confirmer; car cette bournonite altérée était de l'arséniate de nickel, ayant donné 13,74 d’oxide de nickel sur 400 de matière employée. Ce résultat était important, car la gangue du gîte d'or étant du nickel arséniaté, elle excluait toute pensée de charriage de l’or par des courants. Elle donnait de la valeur aux espérances qu'on pouvait concevoir par des recherches sérieuses. Ce gîte ne pouvait pas être, par ces motifs, le résultat d’un accident; il appartenait à un filon qu’il fallait bien étudier. Des difficultés survenues entre M. de Certeau et les ouvriers ont suspendu momentané- ment les recherches. 3° Sulfo-antimoniure de nickel du Valbonnaus. J'ai trouvé, il y a près de trois ans, un petit filon dans les montagnes du Valbonnais, arrondissement de Greno- ble. La nature du minerai me parut singulière, car je n'avais jamais rien vu de semblable dans nos Alpes. Je fis une analyse qualitative et je reconnus la présence du soufre, de l’antimoine, du nickel, avec une petite quantité de fer sans arsenic. Procédant ensuite à l'analyse quantitative, j'obtins : YINGT-QUATRIÈME SESSION. 431 25,92 sulfure de nickel. 7,28 sulfure de fer. 66,80 sulfure d’antimoine. 100,00 J'ai, plus tard, fait de nouvelles analyses : j'ai trouvé jusqu'à 22 p. % de nickel métallique et moins de fer. C'est la première fois que le sulfo-antimoniure de nickel a été rencontré dans le département de l'Isère. Ce gîte s'annonce assez bien ; mais avant de faire une exploration sérieuse, j'ai voulu m'occuper avant tout du mode de traitement métallurgique, puisqu'on ne trouvait pas à vendre ce minerai. L’antimoine a été l'obstacle qui s'est opposé à toutes les propositions en Angleterre et en Allemagne. J'ai fait plusieurs tentatives par la voie sèche, sans le moindre succès. J’ai eu recours alors à la voie humide, et mon procédé par l'acide sulfurique s'applique à un trai- tement en grand. Il est d’une simplicité remarquable, et il permet, par conséquent, l'exploitation immédiate du filon. Ce gîte se trouve dans le gneiss, à une heure et quart du village de Pechaud, commune de Valbonnais. La con- cession a élé demandée quelque temps après sa décou- verte. Il y a peu de temps que les sieurs Liautaud et Mathonet m'envoyèrent un échantillon qui avait beaucoup de rap- ports avec une galène, mais son aspect me fit présumer qu'il devait y avoir encore un autre métal. L'analyse que j'ai faite m'a donné : 132 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 60,50 plomb argentifère, 8,68 fer, 9,06 cobalt, 26,44 soufre, 104,68 Je ne connais nullement en France, ni même ailleurs, une semblable association, et ce minerai présente beau- coup d'intérêt. Je me suis occupé du travail métallurgique et j'ai trouvé un procédé d'une grande simplicité pour obtenir l'argent, le plomb et le cobalt. Ce triple sulfure de plomb, de cobalt et d'argent cons- titue un filon dans le lias. La gangue est calcaire et le minerai forme de petites veines parallèles aux salbandes. Les deux propriétaires ont exploité ce gite pendant quel- ques mois et les produits ont été vendus à la fonderie de Vienne, mais pour le plomb et l'argent seulement. La mort du sieur Liautaud a suspendu l'exploitation qui était à peine naissante. À la suite de cette communication, MM. Pillet et Miédan présentent quelques observations et don- nent quelques détails sur les mines de plomb de Macot. L'ordre du jour étant épuisé, M. Gueymard pré- sente à la section quelques détails sur l’emploi du menu d’anthracite dans l’industrie. [l rappelle que dans les exploitations d’anthracite du canton de la Mure, on rencontre des couches puissantes d’an- thracile friable, qui jusqu'à ce jour n’ont pas été VINGT-QUATRIÈME SESSION. 433 utilisées, par suite de l'abondance du combustible compacte. L’extraction de ce dernier donne lieu d’ailleurs à un déchet d’environ 25 p. °/, de menus débris. Il viendra une époque où le combustible compacte commençant à faire défaut, on sera forcé d’avoir recours à ces menus et aux couches vierges d’anthracite friable. Dans le Briançonnais, avant les recherches faites sur les indications de M. Gueymard, on ne connaissait qu'un seul gisement d’anthracite, etil était à peu près sans emploi; aujourd’hui ce pays est couvert d'exploitations, et nulle part le chauffage domestique n’est à meilleur marché, depuis cette utilisation générale de l’anthracite friable. Mais pour étendre les applications des anthracites menus ou friables, il était bien à désirer que l’on trouvât des procédés d’agglutination. De nombreuses ien- tatives ont eu lieu dans ce sens : M. Gueymard en cite qui ont été faites à Grenoble, pour agglutiner les menus d’anthracite par un mélange de menus de houille grasse et de goudron; on à fait ainsi des briqueties d’une sorte de coke solide et d’un bon usage. Le problème paraît avoir été résolu dernière- ment de la manière la plus satisfaisante par M. Tar- dieu, qui a réussi à faire du coke avec des menus de houille sèche, et ce coke peut être employé au traitement métallurgique, au chauffage des locomo- tives, etc. M. Gueymard pense que ce procédé S’appliquera aux menus d’anthracile et aux combus- I 28 43% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. übles friables du Dauphiné, qui prendront bientôt par cette transformation une importance qu’ils n’ont pas eue jusqu'à ce jour. La séance est levée à neuf heures. ANNEXE A LA SÉANCE DU 10 SEPTEMBRT. Sur la proposition faite par M. Pillet, dans la séance du 8, une partie des membres de la A" sec- tion ont consacré la journée du 9 à une excursion géologique, ayant pour but principal l'examen des assises inférieures du terrain néocomien et la super- position de ce terrain au terrain jurassique. On a exploré la vallée de l'Isère, sur la rive droite, de Grenoble à Voreppe, el en revenant par la rive gau- che, depuis l’Echaillon jusqu’à Sassenage. Dans la séance générale du 10, M. Lory a présenté le compte- rendu des observations faites dans cette journée. RÉSUMÉ DU COMPTE-RENDU D'UNE EXCURSION GÉOLOGIQUE DANS LA VALLÉE DE L'ISÈRE, DE GRENOBLE A VOREPPE. Par M. Lonvy. Le rapporteur trace d’abord un tableau rapide des ter- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 435 rains formant les montagnes qui circonscrivent la plaine de Grenoble. Il signale, à l’est, la grande chaîne de Belle- donne, couverte de neiges perpétuelles, axe principal du soulèvement des Alpes occidentales, qui s'étend sans discontinuité depuis Martigny en Valais, jusqu’à Entrai- gues, à travers la Savoie et le département de l'Isère. Cette chaîne est formée principalement de roches cris- tallines schisteuses, de schistes micacés où talqueux, de gneiss, quelquefois amphiboliques et associés à des diorites schisteuses; enfin, de quelques affleurements de granite et particulièrement de la variété dite protogine. Cette dernière roche forme, en Savoie, les parties cen- trales du gigantesque massif du Mont-Blanc, et en France, elle apparaît dans cette même chaîne, sur deux points, au pic du Grand-Charnier et au col des Sept-Laus. L'ensemble des roches qui forment cette grande arête a percé comme à travers une large boutonnière ouverte dans le manteau épais des couches du lias, qui s'appuie aujourd'hui sur tout son contour et dont quelques lam- beaux sont même emportés sur les sommités de la chaîne granitique. Ce terrain du las est formé d’une énorme série de couches argilo-calcaires, noires, schisteuses; il constitue toutes les collines de la rive gauche de l'Isère, de Grenoble à Vizille; et par leurs formes arrondies, leur surface toute couverte de végétation, ces collines tran- chent nettement avec l’aspect âpre, les formes aiguës et les crêtes rocheuses de la grande chaîne. Ces terrains de la rive gauche de l'Isère et de la rive droite du Drac sont propres aux chaînes centrales des Alpes, aux Alpes proprement dites, et ils paraissent avoir formé un massif émergé, un rivage en pente très-raide, le long duquel se sont arrêtés les dépôts successifs des 436 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. terrains constituant les chaînes secondaires, les monta” gnes de la Chartreuse, de Lans, etc. Le premier échelon de ces montagnes, sur la rive droite de l'Isère, en amont de Grenoble, et sur la rive gauche du Drac, est formé par l'étage oxfordien, partie moyenne des terrains jurassiques. {l se compose de plu- sieurs assises de marnes schisteuses, noires, qui forment les pentes inférieures, et de calcaires de plus en plus compactes, taillés en escarpements très-raides ; le type de ces calcaires est à Grenoble même, dans les roches de la. Porte de France ; ils forment la crête du mont Rachais , d'où ils s'enfoncent avec une très-forte inclinaison sous les couches du vallon de Saint-Martin le Vinoux. Le flanc est de ce vallon est formé en grande partie par des cou- ches de calcaire marneux qui appartiennent encore aux terrains jurassiques et contiennent les mêmes fossiles que les calcaires de la porte de France : les couches exploitées pour ciment sont à la base de cette assise marneuse. Mais dans le centre du vallon de Saint-Martin, au col de Clé- mencière, on trouve d’autres calcaires marneux, d'un gris bleuâtre, renfermant des bélemnites plates / Bel. latus, d’Orb. ), ce qui nous indique le passage à un autre élage, au terrain néocomien ; de même plus bas, à Pique-Pierre, les marnes renferment quelques ammonites qui carac- térisent aussi la base des terrains crétacés. Ainsi dans le vallon de Saint-Martin, le terrain jurassique finit par des calcaires marneux et des marnes renfermant encore quel- ques ammonites oxfordiennes {Amm. tatricus, A. pli- catilis, etc.); et le terrain néocomien commence par des marnes et des calcaires marneux qui ressemblent beau- coup aux précédents, mais renferment le Belemnites latus et des ammonites néocomiennes. \ VINGT-QUATRIÈME SESSION. 437 Au-dessus de ces marnes de Pique-Pierre, les membres du Congrès ont pu constater la série des assises néoco- miennes établie par M. Lory dans la séance du 8; les calcaires néocomiens inférieurs, dits du Fontanil, passant à des couches remplies de bandes de silex; la petite couche chloritée, avec Belemnites pistilliformis BI. et divers autres fossiles ; les calcaires bleuâtres à Crioceras, les marnes à spatangues (Toxaster complanatus, Ag.) et enfin la grande masse des calcaires néocomiens supérieurs ou calcaires à caprotines, étudiés précédemment dans la course de Sassenage et formant ici la crête de Néron. Après avoir traversé le vallon de St-Egrève, qu'occu- pent en grande partie les poudingues de la mollasse, reposant sur la craie, semblable à celle de Fontaine, on a repris, aux carrières de Rocheplaine, l'étude du terrain néocomien, en descendant des assises supérieures aux plus inférieures, et on est arrivé ainsi aux carrières du Fontanil, un des buts principaux de cette excursion. Les couches exploitées dans les carrières du Fontanil sont des calcaires un peu argileux, grenus, un peu ooli- thiques, bleuâtres, devenant jaunâtres dans les parties altérées par les infiltrations. Elles sont remarquables par leur régularité et séparées par de minces lits de marnes, qui favorisent beaucoup l'exploitation. Ces calcaires con- tiennent une nombreuse suite de fossiles, tous incontes- tablement néocomiens : Albin Gras, dans son catalogue, en a cité une cinquantaine. Il ne saurait donc y avoir de doute sur le classement de cette assise, bien fixé depuis longtemps; mais M. Pillet n'y reconnaît pas l'équivalent des couches problématiques situées aux environs de Chambéry, au-dessous du terrain néocomien incontestable. 438 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Les membres du Congrès ont étudié avec intérêt les belles surfaces polies et striées que montrent ces calcaires du Fontanil, lorsque, pour l'exploitation des carrières, on enlève la couche de graviers et blocs erratiques qui les recouvre superficiellement. Aucun point de la vallée de l'Isère ne présente d’une manière plus remarquable cette preuve de l’ancienne extension des glaciers qui avait déjà vivement fixé l’attention de la société géologique de France en 1840. En avancant vers le Chevallon, on coupe une grande épaisseur de couches calcaires, qui dépendent encore de cette partie inférieure du terrain néocomien, et présen- tent des caractères analogues à celles du Fontanil, avec quelques différences secondaires dans la structure seule- ment. Puis on arrive à des marnes bleuâtres, formant une assise peu puissante, sans fossiles, qui a pour base, immédiatement, les calcaires oxfordiens bien caractéri- sés, dans le village même du Chevallon et tout le long de la combe qui descend de Chalais. Ici, les parties infé- rieures du terrain néocomien sont, dans l’ensemble, beaucoup moins marneuses , beaucoup plus calcaires que dans le vallon de St-Martin le Vinoux; mais en défini- tive la série est la même. Le rapporteur résume ici la disposition observée dans les terrains, depuis Grenoble jusqu’à Voreppe : à Saint- Egrève, on a traversé une grande faille, celle de la Char- treuse , qui fait rencontrer les poudingues de la mollasse appuyés contre la masse néocomienne de Néron; de même, en approchant de Voreppe, le calcaire jurassi- que, qui commence au Chevallon, est tranché par une autre grande faille, au pied de laquelle s'étendent les couches de la molasse, exploitées dans de vastes carrières \® VINGT-QUATRIÈME SESSION. 439 et recouvertes par les poudingues du même terrain; et à Voreppe, la molasse repose sur les assises supérieures du terrain néoconien. Quittant alors ce flanc de la vallée, les membres du Congrès se sont dirigés vers le bac de l’Echaillon et ont visité les carrières d’où l’on extrait la pierre blanche, le plus beau , sans contredit, de tous les matériaux de cons- truction du pays. L'installation de cette carrière est re- marquable : élevée de 95 mètres au-dessus de la grande route, l'exploitation est desservie par un plan incliné automoteur, sur lequel on descend sans secousse les blocs les plus volumineux. La masse de pierre blanche exploi- tée n’a qu’une stratification très-peu distincte ; mais elle est divisée par de nombreuses fentes verticales. Ce cal- Caire de l’Echaillon présente les caractères les plus tran- chés de ce qu’on appelle l'étage corallien, dans la série des terrains jurassiques; il est évidemment formé par J'agglomération des débris de polypiers pierreux,; c’est un banc ou récif analogue à ceux qui se produisent encore de cette manière dans les mers tropicales. En remontant vers Veurey, on voit que la masse de pierre blanche se fond insensiblement, au même niveau, avec une grande assise de calcaire blanc, compacte, qui ressemble beaucoup au calcaire néocomien supérieur ; mais il est incontestablement jurassique, corallien, comme la spierre blanche tendre, dont il diffère par sa structure, mais dont il est réellement contemporain. On y trouve divers polypiers, des térébratules (T. insignis Schubl.), des dicérates et des nérinées. À un kilomètre de la carrière, ses couches plongeant vers l'E. S. E., on voit apparaitre au-dessus de lui les premières assises néoco- miennes, desquelles sort la source sulfureuse de l’Echail- 440 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. lon. Ici le contact du terrain néocomien avec le terrain jurassique a lieu dans des conditions autres que dans les localités explorées précédemment, puisque le terrain néocomien repose ici non plus sur le calcaire oxfordien, mais sur le corallien très-bien caractérisé. D'autre part, les couches des deux terrains, malgré la discontinuité géologique qui les sépare, sont tellement concordantes qu'on ne peut saisir aucun défaut de parallélisme entre elles. Les premières couches néocomiennes sont ici des calcaires de teintes claires, compactes, un peu plus grenus seulement que le calcaire corallien compacte ; et il est impossible de tracer nettement la délimitation des deux terrains, quoique les roches soient parfaitement à découvert. A quelques pas plus loin, viennent des couches de calcaires marneux bleuâtres, d’où sort la source sulfu- reuse ; ces couches renferment l'Ostrea Couloni en abon- dance et sont par conséquent bien positivement néoco- miennes. L'incertitude de la limite des deux terrains ne subsiste donc que pour une très-faible épaisseur de cou- ches calcaires, dures, presque compactes, qui forment ici l’assise néocomienne la plus inférieure ; les marnes de Pique-Pierre, déjà notablement amoindries au Chevallon, manquent ici complètement; et c’est l’assise des calcaires du Fontanil qui repose directement sur les calcaires coralliens. L'incertitude de la limite des terrains jurassi- ques et crétacés tient à cette superposition * immédiate l’une à l’autre de deux assises de calcaires compactes qui se ressemblent beaucoup et renferment, l’une et l’autre, peu de fossiles dans leurs couches en contact. Malgré l'existence de l'étage corallien dans cette loca- lité, il est probable que la série jurassique est ici plus incomplète encore qu'aux environs de Chambéry ; il peut L « VINGT-QUATRIÈME SESSION. 441 yavoir, sur ces derniers points, quelques vestiges des étages qui, dans le Jura, recouvrent les couches coral- liennes équivalentes à celles de l'Echaillon; et l’on com- prendrait alors très-bien , comme l’a fait sentir M. Pillet, que cela pût faire régner sur une épaisseur assez grande de couches l'incertitude qui règne ici seulement pour quelques mètres. Les faits observés dans cette excursion sont donc de nouveaux motifs d'appeler plus vivement encore l'attention des géologues sur ces assises probléma- tiques, qui, dans la basse Savoie, sont placées entre le calcaire corallien bien caractérisé et les premières cou- ches néocomiennes incontestables. Dans tout le Jura, la série jurassique est complète et terminée par l’assise des marnes d'eau douce que l’on peut assimiler aux couches de Purbeck ; et le terrain néocomien, commençant par des calcaires qui représentent exactement ceux du Fon- tanil, repose toujours sur ces marnes. Dans tout le Dau- phiné au contraire (sauf le premier chaînon calcaire, depuis Chaille jusqu’à l’Echaillon), la série jurassique ne s'étend pas au-delà de l'étage oxfordien; le terrain néoco- mien repose immédiatement dessus et commence par des marnes inférieures encore aux calcaires du Fontanil. L'Echaillon est déjà un cas intermédiaire; ces marnes néocomiennes inférieures manquent, tandis que d’autre part la série jurassique s’augmente de l’éfage corallien. En passant de l’Echaillon à Couz et au Mont-du-Chat, près de Chambéry, on comprend très-bien que la série néocomienne doit y être la même qu’à l'Echaillon, d’une part, et dans le Jura, d'autre part; mais que la série ju- rassique peut comprendre quelques assises supérieures au corallien , sans aller toutefois jusqu’à ses derniers termes. Il y a donc là une série de faits intermédiaires des plus La 442 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. intéressants à étudier pour fixer les variations qu'a subies le lit de l'Océan dans les dernières parties de la période jurassique et les commencements de la période néoco- mienne. SÉANCE DU 11 SEPTEMBRE. La séance s'ouvre à sept heures, sous la présidence de M. Gueymard. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente. Le procès-verbal est adopté. M. Charvet fait les communications suivantes : DE LA PERDRIX ROCHASSIÈRE CONSIDÉRÉE COMME ESPÈCE. LETTRE A M. GEOFFROY-SAINT-HILAIRE, Menbre de l'Académie des sciences et professeur au muséum d'histoire naturelle. Par M. Caanver, professeur à la Faculté des sciences. Monsieur et très-honoré professeur , Notre Faculté vous a adressé il y a quelques jours, pour le muséum, trois perdrix rochassières bien caractérisées, deux mâles et une femelle, les seules que nous eussions en l’état, sauf à vous en envoyer d’autres plus tard, si vous le désirez. D'ailleurs, toutes peuvent servir de type, car elles sont parfaitement identiques et faciles à recon- . VINGT-QUATRIÈME SESSION. 143 naître. Il suffit de placer une rochassière entre la perdrix rouge et la bartavelle, pour faire ressortir d'un seul trait les analogies et les différences entre los trois. La rochassière est évidemment le passage entre les deux espèces extrêmes. Mais ici s'élève la question, quelque- fois si difficile à résoudre : Est-ce une espèce, une hybride, ou une variété? Et vous me demandez, Monsieur, dans votre dernière lettre, mon opinion personnelle sur ce point. En vous répondant, je vous soumettrai les pièces du débat sur lesquelles je base mon opinion, afin que vous puissiez reclifier mon erreur, s’il y a lieu. Et, d’abord, ce n’est pas une hybride. Il ya trop de différences de taille, de plumage, d’habitudes de sé- jour, etc., entre le perdrix rouge et la bartavelle pour que l’on puisse admettre un acconplement spontané entre les deux espèces en liberté. D'ailleurs, je ne crois pas que le mélange des deux espèces eût produit un terme nfoyen aussi nettement arrêté et que tous les individus issus de cette combinaison eussent présenté et conservé héréditairement un ensemble de caractères aussi nets et aussi constants. Ce ne peut donc être qu'une espèce ou une variété. Or, la distance entre le perdrix rouge et la rochassière , et entre la rochassière et la bartavelle étant les mêmes, à laquelle des deux espèces admises aujour- d'hui faudrait-il rapporter la rochassière comme variété? Et dans cette hypothèse, si les caractères distinctifs entre le type intermédiaire et les deux types extrèmes sont des caractères de variétés, la rochassière étant une variété de la perdrix rouge, la bartavelle ne serait aussi qu'une variété de la rochassière, et, par conséquent, les trois types ne seraient que des variétés d’uneseuleespèce, ce qui ne paraît pas admissible pour les deux espèces extrêmes. kkh CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La rochassière serait donc une espèce par les caractères zoologiques; or, les habitudes comparées des trois espèces vont confirmer cette opinion. Disons d’abord que les trois espèces se trouvent dans les contrées montagneuses, habitent les pentes exposées au levant ou au midi, et ne sont jamais en résidence sur les expositions au nord ou au couchant. Sous ce rapport, point de différences ; mais les différences se trouvent dans la hauteur de la station pour chaque espèce. Pour bien comprendre la valeur de cette différence, il faut savoir qu’il existe pour les espèces montagnardes des zones ou hauteurs zoologiques qui ne se déterminent pas avec le baromètre seulement, car la hauteur zoologi- que dans l'atmosphère peut varier suivant les cantons par l'effet de la température moyenne, de l'exposition, de la disposition des montagnes en simples chaînes longitudi- nales ou en massifs, par la nature des productions végé- tales, etc., etc. Ces étages zoologiques sont surtout éta- blis d'une manière relative entre les diverses espèces et varient peu sous ce rapport, Ainsi, on trouve sur les som- mets les plus élevés de nos Alpes dauphinoises, le cha- mois et la marmotte; au-dessous, le tétras ptarmigan, et un peu plus bas le tétras birkhan. La bartavelle est à un étage au-dessous du tétras birkhan, mais il s’en faut de beaucoup qu'elle se trouve partout où s'étend le birkhan : on ne la voit que dans les massifs considérables, soit des Hautes-Alpes, soit, pour l'arrondissement de Gre- noble, dans les montagnes de l’Oisans. La rochassière habite une zone plus inférieure encore que la bartavelle, et elle -est aussi beaucoup plus restreinte. Elle ne se trouve dans nos environs que dans des localités bien dé- terminées, et particulièrement sur la longue chaine qui YINGT-QUATRIÈME SESSION. 445 recoit le soleil levant et qui s'étend du midi au nord, depuis la Croix-Haute jusqu’à Sassenage; elle se trouve sur cette chaîne entre 4,000 et 1,800 mètres, et toujours dans des quartiers pierreux, presque nus , et le long des escarpements. On la rencontre aussi à Proveysieux, qui lient au massif de la Grande-Chartreuse, à Quaix, et jusque sur le mont Rachais, au-dessus de Grenoble; mais toujours dans des conditions identiques et à une hauteur moindre que celle habitée par la bartavelle. Enfin, la perdrix rouge habite un étage plus inférieur et préfère les coteaux arides mais couverts de broussailles, de buis- sons ou de jeunes taillis. D'ailleurs, certaines espèces peuvent manquer dans tel ou tel canton, quoique les espèces des zones supérieures et inférieures s’y trouvent. Ainsi, pour les trois espèces qui nous occupent, la rochassière et la bartavelle ne se trouvent jamais sur les mêmes montagnes , et la perdrix rouge se trouve indifféremment avec l’une et l’autre es- pèce, mais toujours plus bas, comme nous venons de le dire. On apporte à Grenoble, pendant l'hiver, des milliers de bartavelles des Hautes-Alpes, et M. Bouteille, prépa- rateur d'histoire naturelle à la Faculté des sciences, qui a constamment visité ces oiseaux pendant plus de vingt ans chez les marchands. de comestibles, n’y a jamais vu une rochassière, pas plus que les chasseurs de nos montagnes n’ont vu de bartavelles dansles cantons autour de Grenoble habités par la rochassière. Sous ce rapport, les'trois espèces sont donc aussi très-distinctes. Elles le sont encore par une autre circonstance : la perdrix rouge vit par compagnies de dix à quinze, et quelquefois jusqu’à vingt individus. Les compagnies de rochassières ne se composent jamais que de cinq à huit, 446 CONGRÈS SCIENTIFIQUE: DE FRANCE. très-rarement dix; et comme les compagnies sont ordi- nairement le produit d’une nichée, on doit en conclure que la rochassière est moins féconde que la perdrix rouge, ce qui expliquerait en partie sa rareté relative. Quant à la bartavelle, elle viten troupes encore moins nombreuses que la rochassière. Enfin , ce qui suffirait à lever tous les doutes sur les différences comme espèces, c'est le chant. Celui de la bartavelle diffère tellement de celui des deux autres espèces, qu'il n’y a pas même de l’analogie. Le chant de la perdrix rouge et celui de la rochassière se ressemblent un peu; mais chez celle-ci il est plus grave, plus fort et un peu rauque, et les chasseurs qni en ont l’habitude savent fort bien en faire la différence. C'est au reste à quelques-uns d’entre eux, et particulièrement à M. Ar- noux, père du naturaliste aujourd'hui chirurgien-ma- jor dans la marine impériale, que je dois la plupart des renseignements que je vous adresse dans cette note. OBSERVATIONS { RELATIVES AU MÉLANISME CHEZ LE LOUP COMMUN. Par M. CHARvET. Dans le courant de l’automne 1847, une louve par- courut les montagnes du Villard de Lans, suivie de six ou sept louveteaux, dont deux fauves ou du poil commun, les autres noirs. Ces animaux, évidemment tous de la même portée, d’après leur taille et leur vie en petite troupe avec la mère, furent tués successivement en quei- ques semaines, au Villard de Lans, à Noyarey, à Claix, etc., et nous avons pu en voir trois, dont deux sont au- jourd’hui dans le musée zoologique de Grenoble. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 447 Le facies est identiquement celui du loup commun : la seule différence est dans le pelage qui est noir ou à peine mélangé de fauve sur les flancs. Chez les trois, la ligne sous-sternale est d’un blanc pur; en outre, un des indi- vidus est marqué de blanc sous la mâchoire inférieure, sous le cou et sur les doigts, aux deux pattes de devant. Un autre a une tache blanche sous la gorge et des poils blancs sur les bouts des doigts aux quatre membres. En comparant le loup commun et ces loups noirs, sous le rapport de la coloration on reconnaît que la différence est moins grande qu'elle ne parait d’abord. Dans le loup commun chaque poil présente sur sa longueur trois an- neaux successivement blanc, noir et fauve. Celui-ci étant toujours à la base et occupant généralement plus d’étendue que les deux autres sur chaque poil, il en résulte, quand la fourrure est couchée dans le sens ordinaire, que la portion fauve des poils est en partie recouverte par les deux autres teintes, ce qui donne à l’ensemble du pelage la coloration fauve mélangée propre au loup commun. Mais l'étendue relative des trois anneaux n’est pas la même sur chaque poil, et suivant que l’anneau noir em- piète plus ou moins sur les deux autres, l’ensemble du pelage prend une teinte plus ou moins foncée; c'est ce qui donne au loup ordinaire la bande brune du dessus du cou, du dos et de la queue, la couleur noire du museau et la ligne noire à la partie antérieure des deux jambes de devant. C’est aussi cette disposition qui produit la va- riété noire du loup commun; l'anneau blanc manque généralement, le noir a presque tout envahi et il ne reste de teinte fauve que dans une très-petite portion à la base de chaque poil; en outre, cette partie fauve est entière- ment recouverte par la partie noire des poils environ- 448 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nants : en un mot, c’est le mélanisme tel qu'on l'observe dans beaucoup d’autres espèces. Le seul fait d'individus fauves et d'individus noirs dans une même portée aurait d’ailleurs suffi, indépendamment de ces remarques sur les variations du pelage, pour prou- ver que ces variations ne peuvent pas suffire à l'établis- sement d’une espèce, et dès-lors on se demande si le loup noir du nord de l’Europe (Lupus lycaon, Linn.) constitue bien une espèce, ou si ce n’est pas simplement la variété noire plus fréquente dans ces latitudes. Le fait du Villard de Lans n’est d’ailleurs pas le pre- mier de ce genre; Buffon, en parlant des chiens-mulets, dit qu'en 1776, entre Vitry le Français et Châlons en Champagne, il y eut une portée de huit louveteaux dont six étaient d’un poil roux bien décidé, le septième d’un poil tout à fait noir avec les pattes blanches, et le hui- tième de couleur fauve mêlée de gris. Le mélange dans une même portée a encore été constaté ultérieurement : on à élevé à la ménagerie du jardin des plantes de Paris des louveteaux noirs qui avaient été pris dans leur nid avec des louveteaux communs (1). Il est donc bien dé- montré que le loup commun est susceptible de présenter la variété mélanique ; et comme d’autre part le loup lycaon n’est caractérisé comme espèce dans les traités de zoologie que par la coloration « son pelage est d’un noir profond et uniforme (2); » il est assez douteux qu'il {orme une espèce. Une autre question se présente encore à l’occasion des loups du Villard de Lans. Plusieurs habitants et chasseurs ) F. Cuvier, Supplément aux OEuvres de Buffon, 1. 1, p.146. (1 (2) G. Cuvier, Règne animal, première édition. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 449 du pays assurent que ce sont des métis de chien. Ils prétendent qu’un chien du village, noir, de forte taille, ayant une ligne blanche sous le sternum et les bouts des paites marqués de blanc, avait pendant l’année pris des habitudes d’excursions nocturnes dans les bois; qu’il avait fait à diverses reprises des absences de plusieurs jours ; qu'il rentrait ensuite maigre et exlénué chez son maître, et enfin quelques-uns ont prétendu l'avoir vu avec une louve. Ils auraient volontiers affirmé que c'était avec la mère des louveteaux noirs et non avec une autre. D'autre part, les jeunes loups étaient , dit-on, moins sauvages que les loups ne sont ordinairement; ils étaient à peu près sédentaires dans un petit canton de la forêt, en sortaient volontiers en plein jour et venaient rôder et hurler à peu de distance des habitations, quoiqu'on fût encore en automne. Cetle supposition d’un croisement Spontané du chien domestique avec la louve à l’état sauvage avait été émise aussi à propos des loups de Vitry et était accompagnée de circonstances et de Suppositions analogues à celles que Nous venons de répéter sur le dire des habitants du Vil- lard de Lans. « Ces louveteaux, dit Buffon, remarquables par leur Couleur, n’ont pas quitté le bois où ils étaient nés, et ils ont été vus très-souvent par les habitants des villages d'Ablancourt et de La Chaussée ; voisins de ces bois. On m'a assuré que ces louveteaux provenaient de l'accouple- ment d’un chien avec une louve, parce que les louveteaux ressemblaient au point de s'y méprendre à un chien du Voisinage. .… » M. de Cernon, à qui Buffon devait la communication de ce qui précède, dit ensuite : « Ils avaient été vus par I 29 450 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. d'Ablancourt, qui, à pied et sans armes, s'était amusé à les considérer assez longtemps à vingt toises de lui, autour du bois, et avait été surpris de les voir si peu sauvages. Je demandai (dit M. de Cernon), au pâtre d’A- blancourt, qui se trouvait là, s’il avait vu ces loups : Il me répondit qu'il les voyait tous les jours, qu'ils étaient privés comme des chiens, que même ils gardaient ses vaches et jouaient au milieu d'elles sans qu’elles en eussent la moindre peur. Il ajouta qu’il y en avait un tout noir ; que tous les autres étaient roux à l'exception encore d’un autre qui était d'un gris-cendré....…. » « La mère louve fut vue la première et tirée par mon fils : n'étant pas restée à son coup, elle fut suivie de près par les chiens et vue de presque tous les chasseurs dans la plaine, et ils n’y remarquèrent rien de différent des louves ordinaires... » « Ensuite on tua dans le bois un de ces louveteaux qui était entièrement roux, avec le poil plus court et les oreilles plus longues que ne les ont les loups : le bout des oreilles était un peu replié en dedans, et quelque chose dans l’ensemble plus approchant de la figure du mâtin allongé que de celle d’un loup. Un autre de ces louveteaux ayant été blessé à mort, il cria sur le coup précisément comme crie un chien qu'on vient de frapper... » Un de ces louveteaux pris au piége fut tué par un garde- chasse qui le laissa sur place « ne croyant pas que ce fût un louveteau, mais persuadé que c'était un chien... Nous reconnûmes que c'était un louveteau entièrement sem- blable aux autres, à l'exception que son poil était en partie roux, en partie gris ; la queue, les oreilles, la mä- choire, le chignon étaient bien décidément du loup. » VINGT-QUATRIÈME SESSION. 451 Les détails précédents sont tous de M. de Cernon, mais voici maintenant les réflexions de Buffon : « D’après les faits qui viennent d’être exposés, il y a quelque apparence que ces louveteaux pourraient provenir de l’union d’un chien avec la louve, puisqu'ils avaient tant de ressem- blance avec le chien, qu’un grand nombre de chasseurs les ont pris pour des chiens. « De ces huit louveteaux, il y en avait six qui par cette couleur ressemblaient, dit-on, à un chien de voisinage, et ils avaient les oreilles à demi pendantes; cela fonde la présomption qu'ils pouvaient provenir de ce chien. Mais il y en avait un septième dont le poil était grisâtre, et qui par conséquent pouvait aussi provenir du loup. Le hui- tième, qui était noir, pouvait aussi provenir d’un loup, car cette couleur noire n’est qu'une variété qui se trouve quelquefois dans l'espèce du loup, comme je le dirai. » Remarquons en passant que le même fait est interprété en sens inverse dans les deux localités. A Vitry, le loup noir est l’espèce pure, les fauves sont métis; au Villard de Lans, ce sont les loups noirs qui sont les métis. Le croisement spontané des deux espèces est admis aussi comme positif par F. Cuvier, voici ses expressions : « Leloup noir (canis Lycaon) ne diffère du précédent (loup commun), que par sa couleur qui est noire sur toutes les parties du corps. Forme-t-il en effet une espèce, ou ne doit-on le considérer que comme une variété du loup commun ? c'est ce qu'il n'est pas facile de décider. Il paraîtrait qu'il ne se rencontre en France qu'acciden- tellement. « Notre ménagerie a possédé un mâle et une femelle de loup noir, qui avaient été envoyés comme tels des Pyré- nées ; ils étaient très-féroces et aucun bon traitement n’a 452 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pu les apprivoiser. Chaque année ils ont fait des petits qui ont été presque aussi défiants et féroces que leurs parents, mais qui n'avaient ordinairement ni les mêmes traits, ni le même pelage; on les aurait crus d’une autre espèce, de quelque variété du chien domestique. On pour- rait conclure de là que ces loups n'étaient pas de race pure, et que le sang de quelque chien était mêlé au leur. Cependant ils avaient été pris à l’état sauvage; mais il n’est pas rare, dans les pays de forêts, de voir des chiennes en chaleur être couvertes par des loups (1). » Voilà encore un naturaliste éminent qui croit avec Buffon au croisement spontané des deux espèces. El est vrai qu’on a obtenu à diverses reprises des mulets dechien et de loup dans les ménageries, mais les soins et les pré- cautions qu’il a fallu prendre pour arriver à ce résultat sont déjà une présomption contre le croisement à l'état sauvage. La comparaison des métis produits en domesticité avec les prétendus métis sauvages ne justifie pas davantage l'opinion de Buffon et de F. Cuvier. Pour les louveteaux de Vitry, il n’y aurait que la conque auditive, allongée et à demi-tombante, qui indiquerait un croisement, et ce signe serait presque décisif, je crois, s’il était bien évi- dent. Mais Buffon, qui a vu les peaux, ne parle que très- brièvement de cette particularité importante, et semble plutôt résumer les remarques du premier observateur, que constater par lui-même ce caractère. Quant aux loups des Pyrénées, qui donnaient tous les ans à la ménagerie de Paris des petits qui n'avaient ordinairement ni les mêmes traits, ni le même pelage que leurs parents, ce (1) Dict. des sciences naturelles, L. Vux, p. 554. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 153 sont là des indications trop vagues pour qu'on puisse en déduire quelque chose, à moins de s’en rapporter simple- ment à l'appréciation de F. Cuvier, qui répète d'ailleurs comme un fait certain, et qui n’est pas rare dansles pays de forêts, que des chiennes sont couvertes par des loups. Mais a-t-on connaissance d’un seul cas de ce genre biem constaté, a-t-on vu une chienne venant mettre bas et élever des louveteaux dans l’intérieur de nos habitations ? Revenant au fait du Villard de Lans, nous voyons des louveteaux arrivés à peu près à la taille d’adulte avec le port et le facies du loup. La conque auditive présente la longueur ordinaire ; sa pointe n’est pas tombante; la queue est tout à fait celle du loup sauvage. Bien différent en cela des métis produits en domesticité, dont la double origine est manifestement indiquée par les attributs exté- rieurs, c’est la conque auditive allongée et pendante, ou bien c’est la queue dépourvue sur une partie de son étendue des longs poils formant le balai, qui caracté- risent l'espèce sauvage, ou bien la queue est plus courte proportionnellement que chez le loup; quelquefois même elle est tronquée, si le parent domestique avait cette particularité. Dans le cas présent, rien de tout cela. Le fait dominant, celui qui a provoqué l'attention au Vil- lard, c’est l'analogie de coloration entre les loups noirs et le père supposé. Or, nous avons déjà vu comment la colora- tion noire n’est ici que le mélanisme tel qu'il est suscep- tible de se produire sur la plupart des espèces dans l'état sauvage, et, quant à la particularité de la ligne blanche inférieure et des taches terminales, c'est un accompagne- ment assez ordinaire du mélanisme. Il y a une remar- quable prédisposition à l'albinisme partiel dans tout cas de mélanisme ; cela se voit dans l'espèce humaine, chez 454 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la race nègre; cela se voit sur les lapins, les chats et autres animaux domestiques, qui sont très-souvent tachés de blanc sur un fond noir; cela se voit plus particulière- ment dans les chiens : dans les combinaisons infinies de coloration du chien domestique, il est rare de trouver des individus entièrement noirs; presque toujours, ils sont marqués de blanc sous le poitrail et aux extrémités des pattes. Il n’est donc pas étonnant que cette particularité se produise aussi sur les individus atteints de mélanisme dans l'espèce voisine. G. Cuvier, dans la deuxième édi- tion du Régne animal, maintient le loup lycaon comme espèce, le dit plus féroce que le loup commun, et ajoute à la caractéristique de la première édition « avec un peu de blanc au bout du museau et une petite tache de la même couleur sous la poitrine. » L'individu noir de Vitry-le-Francais, que Buffon considérait comme n'étant pas un métis dans la portée commune, mais un loup, avait les pattes blanches. C’est donc bien le même cas, reproduit dans les deux espèces congénères, loup et chien, sous l'influence d’une cause commune, et voilà tout ; et cependant c'est cette circonstance qui a soulevé, au Villard de Lans, le soupcon de croisement; les autres preuves ne sont venues qu'après et ne sont plus que scon- daires auprès de celle-là , et pour ainsi dire rationnelles : c'est la familiarité des louveteaux s’approchant en plein jour des habitations; c’est les habitudes vagabondes du chien soupconné ; c’est la déclaration qu'il a été vu rôdant en compagnie d’une louve ! Si cette dernière circonstance était bien positive, je n’hésiterais pas à croire à la pro- duction spontanée de mulets entre les deux espèces; non toutefois pour le fait du Villard de Lans, ici ce sont bien de vrais loups danstous les cas. Mais, en zoologie, comme VINGT-QUATRIÈME SESSION. 455 dans toutes les sciences d'observation, quand un fait sort des conditions ordinaires, il faut qu’il soit garanti par une observation rigoureuse et complète. S'il ne présente pas les garanties suffisantes , il faut, avant de l'admettre , qu'il soit pour ainsi dire contrôlé et vérifié par d'autres faits analogues et convenablement observés ; sans quoi, on encombrerait la science d'erreurs qui ne pourraient que lui nuire et retarder ses progrès. 9 En l’état, les observations incomplètes de Vitry et du Villard de Lans, les inductions tirées des faits de la mé- nagerie du Jardin des.Plantes, les récits populaires de chiennes fécondées par des loups dans les bois, etc., ne présentent pas les garanties suffisantes de certitude pour qu’on puisse les admettre dans la science. Ces observations et ces suppositions doivent être signalées à l'attention des zoologistes ; mais elles ne prendraient quelque valeur que si d’autres faits analogues, bien positivement cons- tatés, venaient à se produire ultérieurement. Jusque-là, sans en nier la probabilité d’une manière absolue, on devra les considérer: comme étant au moins fort douteux. Quant à la question d'espèce, il ressort de tout ce qui précède qu'il naît quelquefois des individus de la variété noire dans les portées de la louve commune, et que ces individus ne différent en rien par la coloration de ceux décrits comme type de l'espèce lycaon. Dès lors, cette espèce ne peut plus être comptée dans les catalogues zoologiques, si on ne lui trouve pas des caractères distinc- tifs autres que ceux de la couleur. La transmission héré- ditaire du mélanisme chez le loup, dans le nord de l’Eu- rope, ne serait pas non plus une condition spécifique : elle constituerait simplement une race dans l’espèce du loup commun. 456 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. A propos de celte dernière communication, M. Bouillet rappelle une séance de l'académie des sciences, où Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire ont discuté la possibilité de l’accouplement entre les deux espèces du loup et du chien; Cuvier pensait que cet accouplement est possible ; Geoffroy Saint- Hilaire niait que ce füt possible, au moins dans l’état sauvage. M. Charvet répond que Cuvier ayant persisté dans son opinion, tout ce qui peut éclairer la ques- tion offre de l'intérêt. M. Charvet ajoute que bien qu'il partage à cet égard les idées de Geoffroy Saint- Hilaire , les exemples observés dans les ménageries prouvent d’une manière absolue la possibilité de l’accouplement; seulement les précautions à pren- dre pour le succès de l'opération sont telles qu’il est bien difficile d'admettre l’accouplement spontané des deux espèce dans les bois. D'ailleurs, les diffé- rences entre les deux espèces sont extrêmement faibles. La seule différence essentielle consiste dans la durée de la gestation, qui est de 63 jours chez la chienne, et de 67 ou 68 jours chez la louve; c’est cette particularité qui explique l'intérêt des recher- ches faites par les naturalistes pour s’éclairer sur le fait de la possibilité ou de l'impossibilité de l'union entre les deux espèces. M. Bonjean fait un rapport sur un mémoire de VINGT-QUATRIÈME SESSION. 457 M. Hedde, ayant pour but de prouver que Vaucan- son est le véritable inventeur du métier dit à la Jac- quard, et que ce dernier n’a fait que perfectionner l'invention du mécanicien grenoblois (1). Suivant M. Bonjean, l’auteur du travail émet quel- quefois des assertions qui ne méritent pas toute con- fiance. Il dit en éffet, dans sa lettre du 31 août 1857, adressée au président de l’académie delphinale à Grenoble : « Jacquard meurt vers 1834; on ne fai- « sait plus attention à lui; aucune machine ne por- « tait son nom; car elles avaient toutes disparu « pour faire place à celles de Breton, de Skola et « autres. » Or il résulle des souvenirs de M. Bon- jean que bien avant la mort de Jacquard, le métier dit à la Jacquard portait partout le nom de l’illustre ouvrier lyonnais; cet usage s’est perpétué jusqu’à nos jours , et la reconnaissance des Lyonnais a élevé une statue à leur compatriote. M. Bonjean reproche encore à M. Hedde de tomber dans une contradiction; car après avoir re- ‘connu le perfectionnement introduit par Jacquard, il semble vouloir le nier plus tard, et reproche même à Jacquard d’avoir maladroitement copié l’œuvre de Vaucanson. On ne peut pas au reste refu- (1) Des hommes providenticls, ow parallèle de Vaucanson , Paulet, Jacquard. Mémoire lu à l'académie du Gard; Paris, Baillière, 1852. 458 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ser à Jacquard l’heureuse idée qu'il a eue de rem- placer le cylindre de Vaucanson, qui limitait la hauteur des dessins, par des cartons qui permettent de prolonger indéfiniment l’étendue de ces dessins. Jacquard n’eût-il eu que ce mérite, ce serait suffisant pour expliquer l'honneur qui lui a été fait en don- nant son nom au métier de son invention ou perfec- tionné par lui. Quoi qu’il en soit, continue M. Bonjean, une question de ce genre demande pour être résolue sans conteste des recherches historiques que le con- grès de Grenoble ne saurait entreprendre. Je pro- pose. donc les conclusions suivantes en réponse à M. Hedde : « Les 4" et 6° sections du Congrès scientifique « réuni à Grenoble, n'étant pas suffisamment éclai- « rées pour se prononcer sur la question de priorité « soulevée par M. Hedde en faveur de Vaucanson « contre Jacquard, bien que des faits admis par la « tradition et reconnus par la ville de Lyon sem- « blent contraires à l'opinion du demandeur, émet- « tent le vœu que des recherches historiques soient « faites pour déterminer d’une manière positive la « part qui revient à Vaucanson el à Jacquard dans « l'invention dont il s’agit. » M. Fauché-Prunelle rappelle que M. Dausse a fait il y a déjà longtemps à l’Académie delphinale une , 459 communication verbale fort intéressante à ce sujet ; M. Dausse ne l’a pas rédigée depuis celte époque parce qu’elle contenait des renseignements peu con- nus dont M. le général Poncelet lui avait fait part, et qui seront publiés plus tard; M. Fauché demande qu’on attende cette publication. M. Henri Breton rappelle qu’à l’époque où Vau- . Canson fit son métier, les fils étaient tirés par des enfants placés dans de petits recoins fort étroits ; que _le défaut d'air, d'espace et de mouvement, altéraient de la manière la plus grave la santé de ces enfants, et que c’est dans un but d'humanité qu’on ne sau- rait trop louer que Vaucanson imagina les cartons percés ; or, on ne peut nier que ce ne soit là l’idée mère du métier mécanique. Jacquard à introduit dans ce métier un perfectionnement intéressant l’in- dustrie, et qui a suffi pour lui faire décerner par les Lyonnais les honneurs d’une statue. Mais le-but de Vaucanson était plus noble que celui*de Jacquard, son invention est plus importante, et à tous égards, il a droit avant Jacquard et plus que lui à la recon- naissance de l'humanité. VINGT-QUATRIÈME SESSION. M. de Caumont fait observer que le Congrès n’est pas compétent pour décider cette question de priorité. M. Baruffi est du mème avis, et s'appuie sur un précédent pour soutenir que la section doit passer à l’ordre du jour. 460 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le président met aux voix la proposition. La sec- tion décide qu’on suivra l’ordre du jour. M. Coinde communique les deux notes suivantes : DE LA SUBDIVISION DES TROIS RÈGNES DE LA NATURE, Par M. J.-P. Corne. De toutes les divisions en règnes, la plus rationnelle et la plus naturelle est, sans contredit, celle connue et adoptée depuis la naissance des sciences naturelles jusqu’à nos jours, c’est-à-dire celle qui en admet trois : les règnes animal , végétal et minéral. Effectivement, comme les règnes sont des divisions tranchées et absolues qui plus que toute autre séparent complétement ou à peu près les animaux des plantes et ces dernières des minéraux, les multiplier serait faire cesser cette harmonieuse liaison qui me semble bien plus naturelle que des divisions trop tranchées. Cependant quelques auteurs de nos jours en ont adopté plusieurs autres. Sans parler des systèmes d'auteurs plus idéalistes que naturalistes, M. le profes- seur Jourdan en distingue deux nouveaux qu'il ajoute aux trois autres: ce sont 4° le règne homainal et 2° le règne sidéral. L'intelligence ou mieux la sapience de l’homme suflirait peut-être pour en faire un règne si tout le reste , son corps, ses organes, sa forme], sa structure, n'était absolument analogue a peu de chose près aux orga- nes et à la structure des animaux vertébrés supérieurs et si les fonctions de ce corps ne se faisaient pas absolument de même que chez ces animaux. Je ne prétends pas pour cela, Dieu m'en garde! assimuler l’homme à la brute; non, mais me fondant sur celle maxime: natura non VINGT-QUATRIÈME SESSION. 461 facit saltus, je pense que du règne hominal de M. le docteur Jourdan ou des mammifères bimanes de Cuvier on pourrait, sans s’écarter nullement de l’idée de l’un ou de l’autre, en faire un sous-règne du règne animal qu’on nommerait celui des anthropozoaïres. Je passe à un second sous-règne. Le célèbre Latreille dit, dans le dis- cours d'ouverture de son cours d’entomologie : « Vaine- « ment ai-je essayé, et d’autres aprés moi, de rapprocher « les crustacés et les céphalopodes des poissons , ou de « lier les animaux invertébrés avec les vertébrés; ils en « sont évidemment séparés par un grand hiatus, ainsi « que le démontre la comparaison de leurs différents sys- « tèmes d'organisation. » Cette organisation des verté- brés est effectivement, comme vous le savez, Messieurs, tout autre que celle des animaux invertébrés, et le pre- mier d’entre les articulés ou les mollusques est bien loin de ressembler en quelque chose que ce soit au dernier vertébré, et le poisson ou le myxinoide le plus simple est bien supérieur à la sèche , au calmar, à l'abeille ou à la fourmi. Me fondant là-dessus et particulièrement sur l’au- torité de Latreille, je me permettrais de proposer deux au- tres sous-règnes, l’un qu’on nommerait celui des rachio- zoaires (rachis, colonne vertébrale, et zéon, animal) et l’autre qui serait celui des anomidozoares (anomos, sin- gulier, 2dea forme, z60n animal) , c’est-à-dire animaux bizarres ou de formes singulières. Ainsi le règne animal pourrait se composer de trois sous-règnes liés entre eux par des affinités à peu près na- turelles. | Des subdivisions importantes pourraient aussi être faites dans le règne végétal ; et même dans le règne miné- ral, on pourrait en établir d’après les principales différen- 162 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ces de propriétés physiques. Quant au règne sidéral de M. Jourdan, il ne semble pas essentiel de le distinguer du règne minéral lui-même. DE LA SUBDIVISION DES MAMMIFÈRES CARNASSIERS DI- GITIGRADES, par le même. — Je pense que l’on pourrait diviser les digitigrades en six subdivisions : 4° celle des digitigrades lacertiformes; 2 des digitigrades ichtyopha- ges; 3° des digitigrades vverriens; 4° des digitigrades cynociens ; 5° des digitigrades hyéniens et 6° enfin des digitigrades feliens. 1° Digitigrades lacertiformes. — Le nom de lacerti- formes me semble convenir beaucoup mieux aux indivi- dus de cette subdivision , tels que putois, belettes, her- mines, martes, etc., que celui de vermiformes que leur avaient donné d’autres auteurs; en effet, comme les lézards ils ont la colonne vertébrale très-flexible qui leur permet de se glisser dans les plus petites ouvertures, et de plus, par leur corps allongé, leur museau pointu, leurs petites pattes et leur longue queue, ils ont avec eux une certaine ressemblance. 2° Digitigrades ichtyophages.— Ce groupe, qui com- prend le genre loutre, suit immédiatement le premier; le nom d'ichtyophages, c’est-à-dire, mangeurs de pois- sons, leur a éte donné depuis très-longtemps. 3° Digutigrades viverriens. — Ces digitigrades, qui d'après leurs formes se rapprocheraient plutôt des lacer- tiformes que des ichtyophages, tirent leur nom du genre caractéristique des civettes, en latin viverra. &° Digitigrades cynociens. — Les cynociens, qui se oomposent de plusieurs genres reconnus ou non et qui VINGT-QUATRIÈME SESSION. 463 ont pour type le chien, forment une subdivision bien tranchée. 5° Digitigrades hyéniens. — Comme l'indique son nom, cette tribu bien caractérisée se compose des genres hyène et protile. 6° Digitigrades féliens. — Cette division est depuis longtemps adoptée, et tout le monde sait qu’elle est ca- ractérisée par notre chat domestique, et qu’elle se compose du lion, du tigre , de la panthère , etc., considérés à tort comme étant tous des espèces du genre chat et non des genres particuliers. Dans un ouvrage de longue haleine intitulé : Monogra- plue des mammifères carnassiers digitigrades, que je suis en train de. préparer el que j'aurai l'honneur de re- mettre à Messieurs les membres du Congrès, je donnerai d’autres subdivisions et je chercherai à bien distinguer les genres, les espèces et les variétés si nombreuses dans cette famille de carnassiers. M. Viard, en remettant sur le bureau un mémoire de M. l'abbé Miédan, rend compte des matières qui y sont contenues. L'auteur y a consigné les résultats d’un grand nombre de mesures de hau- . teur effectuées par lui dans la Tarantaise, et dont l’ensemble forme un nivellement général de cette province. M. Seguin, qui a vu opérer M. l'abbé Miédan, ajoute que les mesures consignées par lui dans ce mémoire ont été faites avec le soin le plus minu- 46% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tieux , et méritent toute confiance. [l en propose l'impression dans le compte-rendu du Congrès. Cette proposition est adoptée. M. de Caumont propose à la section de mettre à son ordre du jour la question suivante : « Quels sont les détritus de rocher qui ont pro- « duit dans le Dauphiné les meilleures terres arables? « En d’autres termes, quelles sont les roches qui « ont donné par leur décomposition les sols arables « les plus productifs ? » La proposilion est adoptée. M. le président donne lecture de la 40° question soumise au Congrès. Cette question n’est pas traitée. M. le président donne alors lecture de la 14° ques- tion soumise au Congrès. M. Lory commence sur cette question une com- munication verbale qui sera achevée dans la séance suivante. La séance est levée à neuf heures. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 465 HYPSOMÉTRIE DE LA PROVINCE DE TARANTAISE (SAVOIE), Par l'abbé Mrépan, professeur de philosophie positive au collége royal de Moûtiers. J'ai l'honneur de présenter au Congrès scientifique l'hypsométrie ou nivellement barométrique de la Ta- rantaise, province de Savoie qui embrasse toute l'étendue des Alpes graies. L'importance des travaux de ce genre est assez univer- sellement sentie ; je ne m'arrêterai pas à la faire ressortir. Je dirai seulement que la Savoie n’est pas en arrière sur ce point. Depuis bon nombre d'années, déjà, MM. Billiet et Graviernous ont donné l’hypsométrie de la Maurienne, et M. l'abbé Chamousset celle du diocèse de Chambéry. Tout récemment, M. l’abbé Poncet a publié l’hypsomé- trie du vaste diocèse d'Annecy. Restait la Tarantaise, qui, à ce point de vue, n’est pas la moins intéressante des différentes parties de la Savoie. Les excursions baromé- triques que j’ai faites pendant les vacances de ces trois dernières années me permettent de combler aujourd’hui cette lacune regrettable et de compléter ainsi le nivelle- ment barométrique de la Savoie. D’après un intéressant rapport de M. l'abbé Cha- mousset, publié dans les Mémoires de l'Académie de Savoie, vol. XI, la ville de Chambéry (sol du jardin du séminaire ) se trouve à une hauteur de 264 mètres au- dessus du niveau de la mer. Or, il résulte de plus de cinquante observations baro- métriques comparées, faites en juin et juillet dernier (1857), que la ville de Moûtiers (seuil de la cathédrale) I 30 466 CONGRÈS SCIENTFIIQUE DE FRANCE. est plus élevée de 216 mètres. L’altitude de Moûtiers est donc de 480 mètres. Ce chiffre se trouve d’ailleurs par- faitement d'accord avec la carte de l'état-major, qui donne à Moûtiers (porte de la Saline-Royale) une hauteur de 475% 11; ce dernier point se trouve en effet d'environ 5 mètres plus bas que le seuil de la cathédrale. L'altitude de Moûtiers étant ainsi déterminée d'une manière très-précise, ce point m'a servi de terme de com- paraison pour obtenir celles de toutes les autres localités de la province. Pour rendre ce travail de nivellement d’une utilité plus générale, je ne me suis pas borné à prendre la hauteur des points qui intéressent plus spécialement les sciences, je me suis proposé de fournir à nos ingénieurs et à nos agents-voyers des données utiles pour l'étude du tracé de nouvelles routes et la rectification des anciennes. C’est dans ce but que j'ai déterminé la position d’un grand nom- bre de points d’un intérêt local, notamment les divers ponts sur l'Isère et sur ses principaux affluents, le bas et le haut des côtes les plus importantes. C’est pour ce motif encore que j'ai rangé les localités, non par ordre d'altitude, mais en suivant l’ordre des communes et des vallées, montant par la droite des rivières et des torrents, et redescendant ensuite par la gauche. VALLÉE D’AIGUEBLANCHE. Mètres. 1. Feissons-sous-Briançon. — Pierre marquée, limite ACTA DT ONIDCE RAR ee eue eue eutorsle cac dr er E 405 PEÉSDMIETE REP Eee ee eee CECI 413 PONTIAS AR EISSOND ELA As eee oo en vte dia see ee RTE 416 Feissonnet, sommet du village................ 412 2. Briançon. — Pont sur le ruisseau des Champs.... 439 Posteur lire. ÉtaiX 1h Hs tuvain v 425 De nude OUI 200 Di 420 Village de Contamine............,..... 422 3, Perir-Cogur. — Eglise... 0 0 513 Place devant la maison commune. ......... 511 Poat sur le torrent des Naves.…......... Cd HE ME 598 4. GRAND-CoEUR. — Preshylere. 4 RUE 484 5. Naves. — Eglise de Naves-Fontaine. ............ 1210 Preshyiéres tune 2 mes PROD Eat ET EUR EE 1217 Eglise de Grand-Naves................ ….. , 4332 Rens le tbErent Lieu once ROUTE 1326 6. VILLARGEREL. — Plan des Pures................ . 1290 Chapelle de Naveue... AE AOL EAU | 1080 A ep a Le ne 847 Chemin à la croix de Villabreuper.. 4, 4 0 612 7. AIGUEBLANCHE. — Croix d’Aigueblanche, sur la route RE UE SR A IR No TO 505 PAnbeus lise el A MUSARTe OU ARE 447 8. Le Bots. — Cours d'en bas, fontaine... .....,..... 487 Cours d'en haut, fontaine... ............. 530 SPORE An td psc) 635 9. Les AvrancHERSs. — Village des Granges......... 1107 ER RL ba 1152 Pont sous le Meiller. :........ PASSE LL I FEI) SEAT HUE 1111 Chapelle da Méillérissiiot dé godes. anis cat 1211 Village de Quarante-Planes, place. ............ 1398 10 BeLLECOMHE. — Eglise... 460 Pont sur le torrent Morel... 475 11. SAINT-OvEN. — ESNSes ee AUN Ue environ 640 M cr ESRe 0.00 de VB Sd 6 6j 1036 Croisée des chemins de la Magdeleine etde Celliers. 1491 Plateau de la ES An tee PUR Ju 1641 Carrière d’ardoises de la Magdeleine.............. 1860 Col de la Magdeleine, ruines de la chapelle... ..... 2024 2 Certmns. — Eglise... 0) 1280 Chapelle. de la huile... ...,,1.,000 000 | 1197 Pont sous ce viager: Kio) nl 9h allo 1108 ps EM CET MONO RE PO UE 408 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 14. Bonnevaz. — Chapelle du Biolley....,..,,..,,,... 1278 Butte des" MOTIS. 2. unanime este ete RES 4125 Pont sur le ruisseau de la Duchesse....., } fr 2 983 Chapelle de Villard-Soffray.........,.... RL 965 Eglise. .... Bi loi don else sta eat Mate sat etate FE ES 1007 Village des Granges, maison Léger.............. 891 CrOR AUU BARS Pres cie de ares et IS ES 665 45. Pussy. — Entrée du cimetière................... 721 Croix/duMartelet. AMI RS ER ED. ANRT 720 Croix-du Fontanu..r.:1::..0108522:0 288 00e 572 LaiPlantaz ere 4 + 0 NEAONMr Te RNA PAPE TS 415 VALLÉE DE LA HAUTE-ISÈRE. $ Mètres. 16. Mouriers. — Porte de la Saline royale........... 475 Semlde tar caen MER ele ee EN 480 17. Havure-Cour. — Haute-Cour la Basse, sommet du DE CR NE Re no nd 872 Croix du plateau de Haute-Cour................. 1047 Eglise..... Pet RAR AT DIR OS te Patate ele 1074 Villard fontaine. Leur 2 LT Re LE DRE AECE 1208 Source.de Botetsrersi.aoh 20418 ess AN AIRIRRE 2.244308 PrQdié, CRAPOlle-.-memeetter cesse SR 1300 Breuil, fontame:t 2 MUST ONINIMISRENSeRt 4117 48. SainT-Marcez. — Croix à l’origine du chemin des Blaines.er one ve RU, PMR ER RATEl 573 BgliSes cesse ere re REMISE 637 Détroit ML SAIX2 0e ANT ADAM OR SAT 660 19. Mowt-Ginon. — Eglise. ........................ 97 Route à l’origine du chemin de Centrons..:...... 732 Centrons, four......... TE ST SN NE Hi 608 Pont'Su DSerers meme este e ces dt de 594 20. VILLETTE. — Sommet de la montée vers Nant-Agol. 764 Fontaine dyilare Eh sais er ose on ARR A 109 190 Bas de IA MOnLÉC mets. etee ae EURE 664 M Auwe. — Pont de la: Tour......44111 et 408 .0H00f 673 Chapellerde la Croix.-2..........4t6 08.8 0 400 662 Eglise. 4. Lee EN air cirhuptltieis- ARS 690 22, 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 469 Pont sur l’'Ormentaz.......................... 667 Pontsur l'Isère.....\.......44.4.1".1,2,0 MM 7 641 Tessens. — Breuil, fontaine du sommet du village.. 784 RSR ES LE OR Ste ER CP ARE à 958 GRANIER. — Chapelle de la Thuile............... 1231 Penn ne tree DR RASOIR e AU PCR T OR 1241 Chapelle de Saint-Guérin................ environ 1520 Calda Gomes. SRE, D ARS environ 1900 La CorTE D'AIME. — Eglise. .................... 974 Grande Bergerie, fontaine...................... 4170 MONÉMEr VS ONE LITE snsmanesee 1107 MonrTvaLézan, sur Bellentre. — Eglise........... 1209 Les CHAPELLES. — Eglise.......,.............. 1280 Draioire de PAVATARCRE 6 tarte «2 eue o vie sut 1177 BELLENTRE. — Neiïget, point culminant de la route. 741 Pont en entrant au village....................., 782 Dernière vigne sur la route............... environ 800 Bon-Conseil, point culminant.........,......... 826 BourG SainT-MauRICE. — Orbassy, sur la route... 771 LE PPS Eee re re dan + 842 Chapelle du Châtelard...... PRE EE PT ne 932 ROME D DTA PONS ec 0 danlo mel à st401 Hommevilichapéte: en NT 1086 SMarCe thermes. 2e sue Lo ae ES 1040 Versoye;réghise ss sas se se see DIN 27. 377 1382 Dernier village, croix au-dessus.................. 1534 Chapelle, du. Crey..….2.oudiir. ah SU. 236 1492 Mes DApieux in NS en RTE 1553 Cormet de Roselent, col à la Plata... ............. 1964 Col du Bonhomme....... "177 0 2490 CokidesiFours.….........2sitnev 29h. 402-554 2690 Wratoire, du Glacier:i9iez 51 .4ù aus. 19494.8h an 1811 Chalel du, Motet.…. 29e gb .a1ni0@. init -Jdté 1832 Polé Ta Seigne.. 7... ......MU8)UOt .2ttneel.e 2472 Séez.— Pont des. Teppes:u2e. 24.2 {agedu. 202: 833 ne Repire e n ue mere 863 ee DT, DD. SIYER 997 Pont de Saint-Germain:.!. 2.214400 6100 Jeux 1124 Village de Saint-Germain, auberge Blanchard... 1274 470 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 30. 31. 32. 33. 31. 35. 36. 37. 38. EVE re id sn dia: L 303 441 MÉNPONLELS eee nelle CR D ETICE 1 Petit Saint-Bernard, hospice..............,.,.., Point culminant à la colonne.................... Chapelle de LOnrero ESP ERP CR EEE MonTvALEZAN, sur Séez. — Eglise............... SAINTE-Foy. — Pont du Champet................ Place: deyant le presbytère. ...…..a2...41#)1## Village dé A Thole..., dte6e vi: ds Di ARS Point culminant au-dessus...................... Pont dena BAIE EE. cure Point culminant au-dessus, vers la croix.........: Ticnes. — Eglise des Bréviaires................. Eglise Hé DIMNOS ME 0 itere ter Lee ele alge ce eEE Lavaz DE TIGNEs. — Fond du plateau. ..... SL pa tite Pie Mr os ER CO MONT SE TAR Te Meme cubes e eee VizLAROGER. — Eglise de la Gurraz....... environ Prespyipre de ViMEOgen. Chäpelle de Bonneville. ..,..........,.......... Pont'demViclaire "Sur LISère-- 2-12 eee HAuTEviILLE-GONDoN. — Pont de Montrigon, sur CCC Lanpax. — Presbytère..:........ "#04. Pont vers lermoulin...mts #rek-Lee2letehnt nn nn nn nn nm nn mms ns Chapelle.de Moulineh24. 505 tan toast reMa Chapelle de Nant-Cruet..…. PRET EEE EEE EEE Notre-Dame des Vernettes................ environ Mine de Pesey, entrée de la galerie. ............. Mont-Pourri, pointe du glacier................... PESVEISSerIS, FODIAINE.. 0... . ve » - s dbE tee UE Macor. — Chapelle de Sangot................... ÉSNSB CEE Le Een ec c UNI IUT ER Chapelle du VAN... s Sommet de la montée, vers les mélèzes........... La Roche, laverie dela mine....,............... VINGT-QUATRIÈME SESSION. 471 La Plagne, bàtiments de la mine................. 1892 Entrée de la galerie nouvelle.................... 1930 39. Lonceroy.— Eglise..... né nat de de AU Cie Re. AUS TE 1160 Calvaire: sevee eo .tie 2e, DE 1215 Mine d’anthracite, extrémité supérieure du fildefer.. 1110 Rocher de Villette, où le fil aboutit.............. 802 Croix au village des Esserts. ................... 844 Pont sur le ruisseau du Thovex.................. 1164 40. NoTRE-DAME pu PRÉ. — Eglise.................. 1267 Chapelle de Mont-Magny........................ 990 Oratoire de Notre-Dame de Tout-Pouvoir......... 1028 Gipele des Plainessies cc OR BEnRURTE M 571 Pont dNantienn sel 4 2iax 1104 r0 en 548 VALLÉE DE BOZEL. Mètres. 41. Feissons sur SaLins. — Origine du chemin sur la ROULE? DFOVINCIAIE.- EE te man ae apr m blue celle tel a Le 578 Sommet de la montée, an tuf blanc.............. 736 BEMIL SOUS | ChAMABNY ES 2 ae 894 Croix dn Muret............ SSD URSS eee 1127 CADETE AU VUAFA NE A SU PR Na AN Aa la aie 1196 ERUSE DATUISSIAIG. en ace Meme sors su 1280 Croix qui domine Moütiers...................... 1402 42. Monracny.—Chapelledes Frasses, origine du chemin. 655 Première arête, vers la croix... .........2...:..°. 814 Deuxième arête, vers la croix..........,......... 1002 La Thuile, entrée du village. :............... x 1045 1 DEA DOTE RER PE APN SCT NP er erreur or ae 1055 43. Bozez. — Pont sur le Doron, route provinciale.... 796 RE Un PR Se ee 872 Auberge Mérandon, sur le pont................. 866 Prise d’eau des fontaines, sur Saint-Bon........... 897 4%. CHampAGNyx. — Origine du chemin à la roule pro- MROIAE anse dei esse a o 8 à M OIO STAR 875 Eglise de la paroisse de Saint-Sigismond.. ........ 1196 Notre-Dame de Compassion..................... 1490. La Pontille, point culminant......... + 1. 10e SUR 1512 Eglise de la paroisse de Saint-Clair............... 1452 472 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 45. PRALOGNAN. — Chapelle du Villard.............. 896 Oratoire de Ballandaz...... NE ARS AAA 1126 Eglise du Planay..... ses ons na Sdee rTORT 1147 Pout des. GrAnpes arte eut cnnia tee rare 1368 Eglise de Pralognan........,....,.......,44..4 1431 Village de Fontanetta, four.......,,...,,....,..,. 1640 Dernier sapin, sous le chemin de la Vanoise...... 2000 La Glière, chemin......... ARTE és Al tn 2092 L'acide lalCassa re PR. ec na an ITR 2372 Col de la Vanoise, deuxième croix.....,....,.... 2562 Croix au-dessus d'Entre-denx-Eaux............... 2452 Bas du glacier d’Arsellin................. EEE 2203 46. Sainr-Bon. — Pont vers le village des Moulins..... 846 TE Obet 0e de à obue dd COS ME Le 1100 Origine du chemin neuf, sur la route............. 892 Nitlane QUI Carre PP PME EN ET REA 867 Millage de la Clausettaz..:............s1..4.40 850 47. LA PERRIÈRE. — Chapelle de Randes............. 7175 Oratoire du village, vers l’auberge................ 754 EDNSe RER RE RP RE te et 756 MVISnOER VÉTSIEÉONRAT SR PS uen ann 657 48. Bripes-Les-Bains. — Source thermale et seuil de l'établissement ........,... droite SELS TE 7] Pont sur le Doron, route provinciale. ....... RAA ET La Saulce, ancienne église...................... 758 49. Les ALLuEs. — Pont sur le torrent à Brides....... 575 Grande rigole au-dessus du four à chaux.......... 941 Place vers le four, au chef-lieu.................. 1108 Deuxième croix, en allant au Villard...,........, 1159 Chapelle Var ES ee sent EE 1203 50. 51. VALLÉE DES BELLEVILLES. Mètres SANS: 71BeNSeS-sonste nb hlaii0.-- yat 492 PONS SUD Ie DDrON ER, Susan con cesse er MSP 496 Pont sur le torrent des Bellevilles...,............. 505 ViLLARLURIN. — Fontaine du village, vers le four.. 65% Grange sur le chemin des Allues.....:.......... 797 Oratoire.de Chalançon rt. 0. 2000 M M. ne 680 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 473 52. SAINT-LAURENT DE LA Core. — Chapelle de la Tour. 992 Croix de la place, au-dessous de l’église. ......... 1047 LOS SE RER RP A AA A AE 1066 Pont de communication avec Saint-Jean. .... Dent COS 53. SAINT-MARTIN DE BELLEVILLE. — Chapelle de la Rochelfess nus MAR Re Er DE DS Et die à 1262 Mn /de CAMILLE... esse ecole 1343 OISE EAN yen Sin ele fele els leete niee te cie ef 1390 Notre-Dame de la Vie................,......... 1521 Chapelle du Chätelard......................... 1347 Oratoire des Preaux........................ °.-. 1600 La grosse pierre à coquillages fossiles. ........... 1765 Grand col des Encombres.......... AE SS'EPOETE 2357 5%. SAINT-JEAN DE BELLEvILLE. — Place vers la fon- fine, sousl'éplise. tr. SENS ENMETEe OS 1130 Notre-Dame de Grâce..................., 4 fe 1126 See de Nana nn MUR 1107 Col du Golet, entre Saint-Jean ef les Avanchers... 2000 55. FonNTAINE-LE-Puirs. — Croix vers l’embranchement duicheminr ti Se Aa Tree SEULS 890 HE DRER SU Ne RL a AN LH De TETE 1023 Croix au-delà de Léchaux................ set 690 Reposoir en haut de Salins.................:.... 660 Chaudane............... DEC IPED EG AO MUR 538 Pont Séran, sur le Doron....................... 480 PASSAGES, OU COLS PAR LESQUELS LA TARANTAISE COMMUNIQUE AVEC LES PROVINCES VOISINES, PAR ORDRE D'ALTITUDE. Mètres. LL EE CONNUE AA ER er A TS A VERRE er 1964 Jr re LEUR (IS DUR AS er a SR 2024 PerrelitiSaint-Bernards. 2) 90/0, BI ON 910 * 2186 Be Encomhres ie: 2104 21 1 da. le anal aus 19.2 2357 ER en 2472 I ESA A M Ml elec evo ou dial 20 ee 2481 02 LIU O TI EME RS TRS SU SE 2490 214.2 ETS CARENARMEPANE CRCRIEUS EC CAC A ARS A RTE ER EI ER BL Q 2562 47% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 1957. La séancé s’ouvre à sept heures, sous la prési- dence de M. Gurymarp. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente, qui est adopté. M. le président donne communication du mé- moire suivant : MÉMOIRE SUR LES ANALOGIES ENTRE LE TRIANGLE ET LE TÉTRAËDRE , Par M.Ferniot, principal du collége de Baume-les-Dames. On trouvera dans ce mémoire quelques propositions déjà connues, mais que j'ai cru néanmoins devoir y com- prendre, afin d'en former un tout plus complet. SI. À. — Avec trois droites données, telles que chacune soit moindre que la somme des deux autres, on peut toujours former un triangle, et on n’en peut former qu'un seul. 2. — Avec six droites données et inégales, telles que chacune d'elles soit moindre que la somme de deux quel- conques des autres, on peut toujours former soixante VINGT-QUATRIÈME SESSION. 479 tétraèdres différents, dont trente sont symétriques par rap- port aux trente autres, et on n’en saurait former un plus grand nombre. Soient, en effet, a, b,c, d, e, f, les six droites données ; on pourra choisir trois d’entre elles de vingt manières différentes pour former la base du tétraèdre ; et, le choix de ces trois étant fait, il y aura encore six manières d'a- juster d’un côté de cette base les trois arêtes restantes, ce qui fera en tout cent vingt tétraèdres, et on en obtien- dra cent vingt autres symétriques à ceux-là, en ajustant les mêmes trois arêtes restantes de l’autre côté de la face prise pour base. Mais il est évident qu’en procédant ainsi, les tétraèdres ne différeront, quatre à quatre, que par ia face sur laquelle ils se trouveront posés : donc, en effet, le nombre des tétraèdres essentiellement différents se réduira à soixante seulement, dont trente seront symétri- ques par rapport aux trente autres. Remarque I. — La condition que l’une quelconque des six droites données soit moindre que la somme des deux prises d’une manière quelconque parmi les cinq autres, équivaut à soixante inégalités, lesquelles doivent toutes avoir lieu pour que les soixante tétraèdres soient possi- bles. Si donc quelques-unes de ces inégalités n'étaient pas satisfaites, le nombre des tétraèdres possibles s’en trouverait d'autant diminué. Il serait plus long que diffi- cile de déterminer à combien il se réduirait dans chaque cas. Remarque II.—Si plusieurs des droites données étaient égales entre elles, quand bien même toutes les conditions d'inégalité se trouveraient satisfaites, il pourrait y avoir diverses séries de tétraèdres égaux et superposables, en sorte que le nombre des tétraëdres différents tomberait 476 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. alors au-dessous de soixante. Il serait encore facile ici de déterminer à combien leur nombre se réduirait dans chaque cas. En particulier, si les six droites données étaient toutes égales, auquel cas les soixante conditions d'inégalité se trouveraient satisfaites d’elles-mêmes, tous les tétraèdres se réduiraient à un seul, qui serait le tétraè- dre régulier. Rémarque III. — Enfin, il pourrait arriver à la fois que les droites données ne satisfissent pas aux soixante conditions d’inégalité , et, qu’en outre, plusieurs de ces droites fussent égales entre elles; on aurait alors deux causes qui conspireraient à la fois à réduire le nombre des tétraèdres possibles et réellement différents. $ IL. 1. — Les perpendiculaires élevées sur les milieux des côtés d’un triangle se coupent toutes trois en un même point qui est le centre du cercle circonscrit. 2. — Les plans perpendiculaires sur les milieux des arêtes d’un tétraèdre se coupent tous six en un même point, qui est le centre de la sphère circonscrite. Ou autrement : Les perpendiculaires élevées aux faces d’un tétraèdre par les centres des cercles circonscrits à ces faces, se coupent toutes quatre en un même point, qui est le centre de la sphère circonscrite. Ces propositions deviennent évidentes si l’on considère que les arêtes d’un tétraèdre sont des cordes de la sphère qui lui est circonscrite; que les cercles circonscrits à ces faces sont des cercles de celte même sphère, et que les plans perpendiculaires sur les milieux des cordes VINGT-QUATRIÈME SESSION. 477 d'une sphère, ainsi que les droites menées par les centres de ces cercles perpendiculairement à leur plan, passent nécessairement par le centre de cette sphère. 8 III. 4. — Les droites qui partagent les angles d’un triangle en deux parties égales se coupent toutes trois en un même point, qui est le centre du cercle inscrit. 2. — Les plans qui divisent les angles dièdres d’un tétraèdre en deux parties égales se coupent toutes six en un même point, qui est le centre de la sphère inscrite. Ou autrement : Les droites qui, partant des sommets des angles triè- dres d’un tétraèdre font des angles égaux avec les faces de ces angles trièdres, se coupent toutes quatre en un même point qui est le centre de la sphère inscrite. En effet, 1° les deux faces de l’un quelconque des angles dièdres d’un tétraèdre sont des plans tangents à la sphère inscrite, et il est évident que le plan, qui divise en deux parties égales l'angle formé par ces deux-là, doit passer par le centre de la sphère ; 2° Soit un angle dièdre circonscrit à une sphère; le cône droit inscrit à cet angle trièdre sera comme lui cir- conscrit à la sphère; or, il est facile de voir que l’axe de ce cône, lequel ne sera autre chose qu’une droite qui, partant du sommet de l'angle trièdre, fera des angles égaux avec ces faces, passera par le centre de la sphère. 8 IV. 1. — Les droites qui joignent les sommets d’un triangle aux milieux des côtés opposés se coupent toutes trois en 478 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. un même point qui est le centre de gravité ou le centre des moyennes distances des trois sommets de ce triangle. 9, — Les droites qui joignent chaque sommet d’un tétraèdre au centre commun de gravité ou des moyennes distances de ces trois autres sommets se coupent toutes quatre en un même point, qui est le centre de gra- vité ou des moyennes distances des quatre sommets de ce tétraèdre. On peut se convaincre facilement, comme il suit, de la vérité de ces deux propositions : 4° Si l’on jointles milieux des côtés donnés par des droites, on formera un nouveau triangle inscrit au premier et dans lequel les droites, joignant les sommets aux milieux des côtés opposés, seront encore les mêmes que dans le premier ; en opérant d’une manière semblable sur ce nouveau triangle et pour- suivant ainsi à l'infini, on formera une série de triangles continuellement décroissan’s, dont le dernier se réduira à un point unique qui, contenant toujours les trois droites dont il s’agit, sera conséquemment leur section Commune. 2. — Pareillement, en considérant les centres des moyennes distances des aires des faces du tétraèdre donné comme les sommets d’un nouveau tétraèdre inscrit à celui-là, il est facile de voir que les droites qui, dans ce dernier, joindront les sommets aux centres des moyennes distances des aires des faces opposées, seront les mêmes que dans le premier; opérant donc de la même manière sur ce nouveau tétraèdre et poursuivant ainsi à l'infini, on formera une série de tétraèdres continuellement dé- croissants, dont le dernier se réduira à un point unique qui, contenant toujours les quatre droites dont il s’agit, sera conséquemment leur commune section. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 479 Corollaire. — Les triangles et les tétraèdres dont il vient d'être question étant tous semblables et ayant leurs côtés et faces homologues parallèles, on peut établir les propositions suivantes : 1. — Si par les sommets d’un triangle donné on mène des parallèles aux côtès opposés, ces parallèles formeront un nouveau triangle tel que les sommets du premier se trouveront situés aux milieux de ses côtés. 2. — Si par les sommets d’un tétraèdre donné on mène des plans parallèles aux faces opposées, ces plans forme- ront un nouveau tétraèdre tel que les sommets du pre- mier se trouveront situés aux centres des moyennes dis- tances de ces faces. Remarque I.— Les triangles inscrits les uns aux autres, dont il a été question ci-dessus , étant tels que les côtés de chacun sont moitié de leurs homologues dans celui qui le précède immédiatement, si l’on prend pour unité le contour du plus grand, la somme des contours des autres sera : I À 1 1 a UE JR M EZtne or hd 1, À 2 be 2 ti 98 94 à Et, si l'on prend pour unité l’aire du plus grand, la somme des aires des autres sera 4 1 1 1 ET i ET © dla CUIEE7 O8) FA. En e Remarque IT. — Les tétraèdres inscrits les uns aux autres dont il a été question ci-dessus, étant tels que les arêtes de chacun sont le tiers de leurs homologues dans celui qui précède immédiatement, si l’on prend pour 4580 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. unité la surface du plus grand, la somme des surfaces des autres sera | 1 1 1 9 mn 9? je 93 pe 94 8. Et, si l’on prend pour unité le volume du plus grand, la somme des volumes des autres sera 1 1  1 ol js 27? 973 ju 274 26. $ V. 1. — L'un quelconque des côtés d’un triangle est égal à la somme des produits des deux autres par les cosinus de leurs inclinaisons sur celui-là. 2. — L'une quelconque des faces d’un tétraèdre est égale à la somme des produits des trois autres par les cosinus de leur inclinaison sur celle-là. Soient €, c’, €”, les trois côtés d’un triangle ; le côté c”’, par exemple, n’est autre chose que la somme des projec- tions des côtés c, c’, sur sa direction (le mot étant pris comme en algèbre); ainsi on doit avoir e— co0s. (ce) c-cps. (ce Soient £, d’,d”, l’”, les quatre faces d'un tétraèdre ; la face d’”, par exemple, n’est autre chose que la somme des projections des faces £, #”, {”’, sur son plan (le mot somme étant toujours pris dans le même sens); ainsi on doit avoir v'—=t.008. (ét) +4 ri cos. (PL?) + £’ cos. (fr): VINGT-QUATRIÈME SESSION. 481 $ VI. 4. — Le carré de l’un des côtés d’un triangle égale la somme des carrés des deux autres, moins le double du produit de ces mêmes côtés et du cosinus de leur incli- naison l’un à l’autre. 2. — Le carré de l’aire de l’une des faces d’un tétraèdre égale la somme des carrés des trois autres, moins les doubles des produits de ces mêmes faces multipliées deux à deux et par les cosinus de leurs inclinaisons les unes aux autres. En effet : 1° On a par ce qui précède : c—= 6’ cos. (c c”) + c’’ cos. (cc”); C0 cos. (Co) Fe cos. (ec); cac cos (cc | HeiCos. (c, c): multipliant respectivement ces équations par leur premier . membre et retranchant ensuite la dernière de la somme des deux premières, il viendraen réduisantettransportant 8%—= 6? + c'2—9 ce cos. (ce). 2° On a aussi, par ce qui précède : &— 1 cos. (tf) + E cos. (ff) + €” cos. (tF”’); lt" cos. (d 1”) +” cos. (l L”) + t cos. (£ F); = 6" cos. (8€) + £ cos. (é 8”) + F cos. (fl); dt 008. ( €”) + cos. (fl) + €’ cos. (€ F7); multipliant respectivement ces équations par leur pre- mier membre, et retranchant ensuite la dernière de la somme des trois premières, il viendra en réduisant et transportant, PR 42 HE? LEP? QE cos. (tt) —2tE" cos. (tl°) AT 12 cos. ( L”’). I 31 482 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Corollaire. — I suit de là : 4° que dans un triangle rectangle, le carré de l’hypothénuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés ; 2° que, dans un tétrai- dre rectangle, le carré de l’aire de la face hypothénusale est égal à la somme des carrés des aires des trois autres faces. $ VII. 4. — Dans tout triangle, la somme des trois angles est constante et égale à deux angles droits. 2. — Dans un tétraèdre dont les arêtes opposées sont perpendiculaires, la somme des six angles dièdres, aug- mentée de la somme des douze inclinaisons des six arêtes sur les quatre faces, est constante et égale à douze angles droits. Soient A, B, deux arêtes opposées du tétraèdre; par À soit fait passér un plan perpendiculalre à B; ce plan déterminera un triangle dont un des angles mesurera l'inclinaison des deux faces qui passent par B, tandis que les deux autres mesureront les inclinaisons de l’arête A sur ces deux faces; opérant de même successivement sur chaque arête, on en conclura que la somme des angles dièdres et des inclinaisons des arêtes sur les faces est la même que la somme des angles des six triangles, c’est-à- dire que cette somme est constante et égale à douze angles droits. $ VIII. 4. — Les perpendiculaires abaissées des sommets d'un triangle sur les directions des côtés opposés se coupent toutes trois en un même point VINGT-QUATRIÈME SESSION. 183 2. — Si deux arêtes contiguës d’un tétraèdre sont res- pectivement perpendiculaires à leurs opposées, les deux arêtes restantes seront ausf perpendiculaires l’une à l’autre et alors les perpendiculaires abaissées des sommets du tétraèdre sur les plans des faces opposées se couperont toutes quatre en un même point, lequel est aussi le point d’intersection des six plans conduits par chaque arête, perpendiculairement à son opposée. Ce même pointest encore celui où se coupent les quatre perpendiculaires élevées aux faces du tétraëdre par les points de ces faces où se coupent les trois perpendicu- laires abaissées de leurs sommets sur les directions des côtés opposés. Soient a, b, c, les trois arêtes de la base d’un tétraèdre; a’, b’, c’, celles qui leur sont respectlvement opposées et qui conséquemment concourent au sommet; supposons que a’ et b’, soient respectivement perpendiculaires à a etb; par a’ et b’ soit fait passer deux plans A etB res- pectivement perpendiculaires à aet b, et ayant pour inter- sections avec la base du tétraèdre deux droites d et e se coupant en © : ces deux plans se coupent eux - mêmes suivant une droite p passant par o et par le sommet du tétraèdre ; enfin, par c’ et p soit conduit un plan C, dont l'intersection avec la base sera une droite f, passant par 0 : a étant perpendiculaire à A doit l'être aussi à d, et b doit pareillement être perpendiculaire à e; d et e ne sont donc autre chose que les perpendiculaires abaissées sur les directions de a et b des sommets qui leur sont oppo- sés; donc f qui passe par o, intersection de d'et e, est aussi une perpendiculaire abaissée sur la direction de c du sommet de l'angle opposé : de plus A et B étant res- pectivement perpendiculaires à & et b sont perpendicu- 418% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. laires à la base du tétraèdre, et conséquemment leur intersection p est aussi perpendiculaire à cette base, et par suite à ce; le plan C qui Passe par p et par f perpen- diculaires à c, est donc lui-même perpendiculaire à cette droite; la droite c’, qui ,est dans ce plan, est donc aussi perpendiculaire à €, ce qui démontre la première partie de la proposition. Le même raisonnement prouve aussi que, dans un té- traèdre dont les arêtes sont à angles droits, la perpendi- culaire abaissée sur le plan d’une face du sommet de l'angle opposé se termine au point de cette face où se croisent les perpendiculaires abaissées sur les directions de ses côtés des sommets des angles opposés. Le tétraèdre ayant ainsi ses arêtes opposées perpendi- culaires l’une à l’autre, concevons que, par les trois arêtes de sa base, on conduise des plans perpendiculaires aux arêtes qui leur sont respectivement opposées; ces trois plans se couperont en un certain point suivant trois droites passant par ce point et qui, par ce qui vient d’être démontré, ne seront autre chose que les perpendiculaires abaissées respectivement des trois sommets de la base sur les plans des faces opposées. De plus, il arrivera aussi, par ce qui précède, que le point de chacune de ces faces où se terminera la perpendiculaire tombant sur son plan sera celui où se croisent les perpendiculaires abaissées des sommets de cette face sur les directions des côtés opposés. Ainsi, dans un tétraèdre dont les arêtes opposées sont à angles droits, chacune des perpendiculaires abaissées d’un sommet sur le plan de la face opposée se termine au point de cette face où se croisent les perpendiculaires abaissées de ses trois sommets sur les directions des côtés opposés , et trois de ses perpendiculaires se coupent et se VINGI-QUATRIÈME SESSION. 485 coupent en un même point; et comme chacune d'elles est la commune section de trois des plans conduits par des arêtes perpendiculairement à leurs opposées, il faut en conclure que les six plans conduits de cette maniére passent aussi par ce point. Remarque. — Il est facile de s'assurer que ces propo- sitions ont leur réciproque, et qu’ainsi, si un tétraèdre a seulement deux arêtes opposées perpendiculaires, les perpendiculaires abaissées de ses quatre sommets sur les plans des faces opposées se couperont deux à deux el seront comprises dans deux plans, tandis qu’il n’y aura aucun point commun à plusieurs de ces perpendiculaires, si aucune des arêtes du tétraèdre n’est perpendiculaire à son opposée. $ IX. EH 1. — Dans tout triangle, les perpendiculares élevées sur les milieux des côtés se coupent toutes trois au même point. 2, — Dans tout tétraèdre dont les arêtes opposées sont à angle droit, les perpendiculaires élevées aux plans des faces par leurs centres de gravité, se coupent toutes quatre en un même point. En effet, les centres de gravité des faces du tétraèdre dont il s’agit, peuvent ($ IV) être considérés comme les sommets d'un tétraèdre semblable à celui-là, et ayant ses faces parallèles à leurs homologues dans le premier : ce nouveau tétraèdre a donc, comme le tétraèdre proposé, ses arêtes opposées à angle droit, et par conséquent ($ VIIL), les perpendiculaires élevées aux plans des faces 486 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du premier par les centres de gravité de ces faces, doivent toutes quatre se couper au même point. dés 4. — Dans tout triangle, l'intersection des perpendicu- laires sur les milieux des côtés, le centre commun de gravité des sommets et l'intersection des perpendiculaires abaissées de ces sommets sur les directions des côtés opposés, sont trois points situés sur une même ligne droite, de manière que le second est intermédiaire aux deux autres. De plus, la distance entre les deux derniers est double de la distance entre les deux premiers. 2. — Dans tout tétraèdre dont les arêtes opposées sont à angle droit, l'intersection des perpendiculaires éle- vées aux plans des faces par leurs centres de gravité, le centre commun de gravité des sommets du tétraèdre et l'intersection des perpendiculaires abaissées de ces som- mets sur les plans des faces opposées sont trois points situés sur une même ligne droite, de manière que le se- cond est intermédiaire aux deux autres. De plus, la distance entre les deux derniers est triple de la distance entre les deux premiers. Soit T un triangle, g son centre de gravité et p le point de son plan où se croisent les perpendiculaires abaissées de ses sommets sur les directions des côtés opposés ; soit T’' un autre triangle ayant ses sommets aux milieux des côtés du premier; soit g” son centre de gravité et p’ le point où se croisent les perpendiculaires abaissées de ses sommets sur les directions des côtés opposés. Les deux triangles T et T’ étant semblables ($ V), ayant leurs côtés homologues parallèles et dans le rapport de 2 à 4, il YINGT-QUATRIÈME SESSION. 487 en résulte que les distances g p et gp’ qui sont des lignes homologues de ces deux triangles, seront paral- lèles ou dirigées suivant une même droite et qu'on aura g'p'=2 g p ; mais g’ étant le même que g ($S IV), il s’en- suit que p, g, p’, sont trois points en ligne: droite parmi lesquels g est intermédiaire à p et p’, puisque T, est situé en sens inverse de T. Or, si l’on désigne par g le point où se croisent les perpendiculaires élevées sur les milieux des côtés de T, ce point g ne sera autre chose que le point p' ; donc les points p, g, q, sont en ligne droite, de telle manière que g est intermédiaire à p et g, et qu'on à gP—? 9Q- La même démonstration a lieu pour le tétraèdre, en recourant à un second tétraèdre ayant ses sommets aux centres de gravité des faces du premier. M. Lory continue une communication sur les rapports entre le relief du sol dans les Alpes et sa constitution géologique (11° question). M. Lory établit, en principe, qu’il existe une rela- tion intime entre la configuration orographique de chaque région et la structure géologique de son sol. Les formes caractéristiques des montagnes dépen- dent de deux causes : 1° de la nature et du-mode de dislocation des couches qui les composent ; 2° des dégradations plus ou moins considérables que les roches ont éprouvées depuis leur soulèvement par les divers agents d’érosion, soit pendant la période actuelle, soit pendant les périodes antérieures, et 488 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. spécialement celles des phénomènes erratiques et diluviens. Les montagnes ne sont pour ainsi dire que des ruines, et pour ce qui est des Alpes, il suffit, pour s’en convaincre, de considérer la masse énorme des débris arrachés à ces montagnes, qui ont formé les blocs erratiques, les amas diluviens de toute sorte, s'étendant jusque dans les plaines des Bouches-du- Rhône. La plus grande partie des cailloux que ren- ferment ces terrains de transport appartient exclu- sivement aux roches les plus dures des Alpes; le terrain de transport le plus ancien du Dauphiné ne contient que des cailloux roulés de quartzite et quelques-uns de roches granitiques , tandis que les débris de toutes les roches plus tendres ont été complétement broyés et probablement transportés jusqu’à la mer ; de sorte que l’énorme masse de cailloux roulés, accumulés dans le bassin du Rhône, ne représente elle-même qu’une minime partie des matériaux qui ont été arrachés aux Alpes avant la période actuelle. Certaines roches très-résistantes semblent n'avoir subi que très-peu d’érosions de- puis leur soulèvement ; ainsi, les granites des mas- sifs de l’Oisans semblent présenter encore les formes déchirées et les arètes vives qui résultaient de leur poussée à travers l'écorce soulevée des terrains supérieurs. Le massif circulaire du mont Pelvoux, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 489 formé, à son centre, de graniles, et, sur tout son pourtour, de gneiss, en grandes écailles à peu près verticales, présente au plus haut degré cette con- servation des formes vives primitives. Dans son intérieur, il ne présente que des crevasses étroites, convergeant vers son centre, le hameau de la Bé- rarde, et loutes occupées par d'immenses glaciers. Les eaux ne s’écoulent , au dehors, que par une seule fente très-étroite, de Saint-Chrisiophe à Venosc. Sur le pourtour de ces massifs granitiques de l’Oi- sans, celui du Pelvoux, celui des Grandes-Rousses, elc., s'appuient des couches de schistes argilo-cal- caires du lias, repliées en forme de V, entre les masses granitiques, comme on le voit très-bien, par exemple, pour celles qui se redressent des deux côtés du Bourg-d'Oisans, sur le flanc du Taillefer et sur celui des Rousses. Ces couches de lias, étant irès-facilement dégradées par l'érosion, ont été façonnées en montagnes , à formes arrondies, dont toute la surface est généralement couverte de pâtu- rages ou de cultures, du moins là où elle n’est pas constamment dégradée par les torrents actuels. Le contraste de ces crêtes granitiques avec leurs formes vives primilives et de ces schistes 'du lias dégradés par les agents d’érosion, imprime à tout le pays de l'Oisans une physionomie caractéristique. M. Lory fait remarquer qu’en général tous les pays 490 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de montagnes désignés par des noms spéciaux ont aussi chacun leur type au point de vue orographique et géologique. Ainsi, dans le Briançonnais, on trouve des crêtes étroites et multipliées, formées soit de calcaires très-compactes, soit de grès, dont certaines assises passent à l’état de quartzite, et dont les formes sont presque aussi âpres que celles des montagnes granitiques, mais avec un aspect tout différent, résultant de leur mode même de stratification. Les régions du Haut-Champsaur, vers les sources du Drac, doivent leur aspect spécial à cette grande épaisseur de grès en couches à peu près horizontales, constituant le terrain tertiaire nummu- litique, qui règne depuis le fond de la vallée du Drac jusqu’à des hauteurs qui dépassent 3000 mè- tres. Le pays des environs de Corps (le Beaumont) est entièrement composé de montagnes pastorales, gazonnées, toutes formées de lias. Le bassin du : Trièves est tout entier creusé dans des couches mar- neuses de la partie inférieure de l’étage oxfordien, et entouré par les escarpements des calcaires oxfor- diens que surmontent les divers étages crétacés dans les montagnes du Dévoluy et du Vercors. Le Dé- voluy, remarquable entre tous les massifs crétacés par l’äpreté et la dégradation de ses montagnes, doit ce caractère à ce qu'elles sont formées en entier de couches siliceuses, dures, minces et fragiles du terrain de craie. Dans le Vercors, c’est le cal- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 491 caire néocomien supérieur qui domine, et il forme d'immenses plateaux en pentes moyennement incli- nées , limitées par des escarpements gigantesques, tels que ceux de la Moucherolle, du Grand-Vey- mont, etc. Dans le canton du Villard de Lans, la forme générale des montagnes est la même ; mais les plateaux sont revêtus de craie et de divers lam- beaux de molasse, qui impriment au sol une phy- sionomie généralement moins rocheuse et per- mettent une plus grande extension des cultures. Les montagnes du Royans présentent, avec une moindre élévation, des caractères analogues à celles du Ver- cors, et leurs flancs sont revêtus de molasse dans toutes les parties inférieures. Le massif de la Char- treuse est formé des mêmes terrains que le Vercors et les montagnes de Lans ; mais leurs couches sont plus profondément disloquées , redressées sous forme de crêtes étroites, au lieu de plateaux d’une grande largeur, et, entre ces crêtes, par la rupture des couches néocomiennes, les calcaires jurassiques se font jour sur un grand nombre de points. Ces dislocations, très-multipliées et concentrées sur une faible largeur, font que ce massif est divisé en une multitude de vallons étroits, profondément encaissés, où se rencontrent des conditions émi- nemment favorables au développement des belles forêts de sapins qu’on y admire. M. Lory ajoute que c’est pour rappeler ces ca- 192 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ractères orographiques particuliers aux différentes régions du Dauphiné, qu’il à conservé avec soin sur la carte géologique toutes ces anciennes déno- minations de pays, qui sont plus en rapport avec la constitution physique du sol que les divisions admi- nistratives actuelles. M. de Caumont fait à la section une communica- tion verbale, au sujet de la confection des cartes agronomiques dont il a été le principal promoteur. Il donne quelques détails sur les cartes qu’il a faites dans le département du Calvados, et qui peuvent servir d'exemple pour l’exécution de ce genre de tra- vail. Il a été conduit à distinguer dans le département du Calvados trois espèces principales de terrains meubles, qu’il a représentées sur ses cartes par des teintes différentes. Du reste, il émet l’opinion que plus l'étendue qu'on embrasse est considérable, plus il devient difficile de faire une carte agronomi- que réellement rigoureuse et significative, la com- position du sol meuble variant d’une manière très- irrégulière sur de faibles étendues. Il cite les cartes agronomiques qui ont été faites depuis pour le département de l'Yonne, par M. Belgrand, et pour une partie de la Côte-d'Or, par M. Guillebot de Nerville, etc. Du reste, aujourd’hui, les ingénieurs des mines ont reçu des instructions générales pour la confection de ces cartes agronomiques dans les diverses contrées de la France; mais ce travail, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 493 déjà très-difficile à exécuter dans les pays de plaines et de plateaux, devient encore évidemment beau- coup plus difficile dans un pays de montagnes, et doit alors être restreint à des travaux de détail sur des cartes locales et à une très-grande échelle. M. Gueymard pense que sur ces cartes agrono- miques, la composition chimique du terrain devrait être le fondement de la distinction des sols par des ._ teintes diverses. M. Lory pense qu’une carte agronomique doit toujours être accompagnée d’nne carte géologique du sous-sol, et que l’on peut indiquer les diffé- rentes natures de sol meuble superficiel par des hachures faites sur la carte géologique elle-même ; il rappelle qu'il a indiqué ainsi sur sa carte du Dauphiné la nappe de terrain de transport formé de glaise ferrugineuse, sans mélange de calcaire, et à cailloux de quartzite, qui couvre les plateaux du bas Dauphiné, entre Saint-Marcellin et Vienne. M. Philippe Breton dit qu’on pourrait arriver au même résultat au moyen de deux cartes superpo- sables , l’une géologique, l’autre agronomique, exécutées sur des papiers transparents. Relativement au département de l'Isère, M. Guey- mard dit qu'il y a des régiens dont le sol superficiel offre des caractères constants sur d'assez grandes étendues : ce sont les plaines et plateaux compris 49% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. entre l'Isère et le Rhône, dans la partie basse du département ; par exemple, la grande plaine de Ja Côte-Saint-André ; mais que dans les régions qui appartiennent aux Alpes , la constitution de la terre végétale varie à chaque pas, et une carte agrono- mique rigoureuse dans ces contrées lui semble être une utopie. Il cite des exemples de variations très- irrégulières dans les deux parties d’une mème pro- priété de quelques hectares seulement, dans la plaine de Vif. M. le président lit la question proposée à la section par M. de Caumont, dans la sèance précé- dente, sur les sols arables de la vallée de l'Isère. M. Lory dit que toutes les terres végétales de première qualité des environs de Grenoble appar- tiennent exclusivement aux terrains d’alluvion, situés dans les vallées de l'Isère et de ses affluents. Les débris qui forment ces sols d’alluvion provien- nent principalement de deux ordres de terrains, les terrains de cristallisation ou roches granitiques , et les schistes argilo-calcaires du lias. Dans la vallée de l'Isère, ces derniers sont les plus abondants, et le sol des alluvions modernes de l'Isère contient en général une assez forte proportion de calcaire. Dans les alluvions du Drac, qui est constamment en- caissé dans le lias, ces débris sont aussi très-abon- dants; mais les graviers et cailloux charriés par le VINGT-QUATRIÈME SESSION. 495 Drac proviennent en majeure partie de l’érosion des terrains d’alluvions anciennes qui bordent le cours actuel de la rivière sur un grand nombre de points et s’élèvent souvent de plusieurs centaines de mètres au-dessus de son niveau. C’est aussi de là que vient le limon jaunâtre qui colore presque entiè- rement les eaux du Drac. Dans le bassin de la Romanche , les sables et limons proviennent aussi en partie des schistes argilo-calcaires du lias, qui passent à l’état d’ardoises dans l’Oisans, mais plus encore de la trituration des roches granitiques par les glaciers qui couvrent les hautes montagnes de ce bassin. Ainsi, tous les sables apportés par le Vénéon proviennent exclusivement de cette dernière origine. Il fait remarquer que les roches granitiques des Alpes n'ont pas de tendance à se décomposer, comme la plupart des granites du plateau central de la France, et ne fournissent point, par conséquent, de kaolins ; leurs débris entrent dans la terre végé- tale à l’état de sables ou de limons ; mais, comme l'a démontré dernièrement M. Daubrée, la simple inituration des roches granitiques, ou leur usure par le frottement mutuel des galets, réduit tout le feldspath à l’état de limon, et détermine sa décom- position chimique en argile et en silicate de potasse soluble. * M. Fauché-Prunelle demande pour quelle raison 496 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les limons de l'Isère et de la Romanche sont d’une plus grande fertilité que celui du Drac; serait-ce à cause de différences dans leur composition géolo- gique et chimique , ou parce que le limon du Drac contient beaucoup plus de cailloux et de gros graviers ? M. Gueymard dit que la composition chimique des limons de l'Isère, de la Romanche et du Drac est fort peu différente, mais on peut s'expliquer la différence qu'ils présentent au point de vue agricole, par la différence de leurs caractères physiques. Le meilleur de ces limons, qui est celui de l'Isère, est le plus fin; celui de la Romanche vient ensuite, et celui du Drac est le plus grossier ; ces faits suffi- sent pour faire comprendre que le limon de l'Isère soit plus fertile que celui de la Romanche, et ce dernier plus que celui du Drac. Au sujet des eaux employées aux irrigations, M. Lory dit que dans beaucoup de localités on éta- blit de grandes différences de qualités entre elles, et il lui a paru qu’en général on préférait les eaux provenant des terrains granitiques ou des terrains de grès à celles qui proviennent des calcaires mar- neux, par exemple, des terrains jurassiques. Ainsi dans la vallée de la Durance, on emploie les eaux des grands torrents dont les bassins sont dans les grès, de préférence à celles des torrents de moindre par@ours qui viennent du lias. ‘ : YINGT-QUATRIÈME SESSION. 497 M. Gueymard fait remarquer que certaines eaux d'irrigations ont des propriétés fertilisantes très connues, que l’on peut attribuer à ce qu’elles pro- viennent de bassins entièrement gazonnés et remplis de pâturages. Ces eaux peuvent en recevoir des principes azotés d’origine organique, et elles sont d’ailleurs généralement limpides. Il cite par exemple les eaux d’irrigations employées dans le vallon de Corps et qui viennent des pâturages de la Sa- lette. i M. de Caumont dit que dans le Calvados, on a remarqué des propriétés très-fertilisantes dans les eaux provenant des grès verts, tandis que celles de la grande oolithe le sont beaucoup moins. M. Lory pense que cela peut être dû à la présence des phosphates que l’on trouve presque constamment dans le grès vert. M. Gueymard ajoute que divers terrains qui se dé- composent facilement peuvent fournir des principes fertilisants, tels que des carbonates et silicates alca- lins. Aussi dans beaucoup de pays emploie-t-on des calcaires marneux comme engrais pour les vignobles. Cette observation est confirmée par MM. Fauché- Prunelle et Philippe Breton. M. Fauché-Prunelle dit que dans beaucoup de localités du Briançonnais, on évite d'employer pour De. I 32 198 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l’arrosage l'écoulement des eaux qui proviennent des pâturages élevés qu’elles ont déjà arrosés. M. Lory pense que cela peut tenir à ce que ces prairies sont souvent tourbeuses, et que les eaux qui les traversent peuvent se charger de principes acides. M. Philippe Breton cite à l'appui un fait observé par lui dans le département de l'Aude; il dit que l’on a corrigé les propriétés nuisibles de ces eaux en y ajoutant de la chaux. Sur la 45° question, M. Fauché-Prunelle commu- nique les observations suivantes : OBSERVATIONS SUR LA HAUTEUR DE LA LIGNE LIMITE DES NEIGES PERPÉTUELLES DANS LES ALPES DAUPHINOISES, Par M. Faucnfé-PRUNELLE. L'annuaire du bureau des longitudes place la ligne des neiges perpétuelles à la hauteur de 2550 mètres; MM. de. Saussure, de Humboldt et quelques autres physiciens la portent à environ 4300 toises ou 2600 mètres. Ces déter- minations ont été faites pour le 45° degré de latitude, qui, en même temps qu'il est le degré moyen de latitude de notre globe, est également celui des Alpes dauphi- noises. J'ai d'abord pensé que ces fixations étaient bien éloi- gnées de Ja vérité, et que, pour s’en rapprocher davan- VINGT-QUATRIÈMÉ SESSION. 4.99 tage, il fallait élever cette ligne à environ 3000 mètres dans les expositions méridionales et 2800 dans les expo- sitions septentrionales. J'ai, en effet, remarqué pendant plusieurs années, que les neiges disparaissaient entièrement sur certaines som- mités de 3000 mètres et plus; j'ai notamment remarqué trois fois le col de la Traversette, au mont Viso, col qui est à 3045 môtres d'élévation, selon Scheckburgh, et à 3037 mètres, selon Guerin. (Statistique du départe- ment de l'Isère.) La première fois, à une époque peu avancée de l'été (le 23 juillet 1831 ), il était déjà praticable et dégarni de neige dans sa partie supérieure ; cependant je fus obligé, Pour y parvenir, en montant sur le coté occidental , de traverser un banc de neige d’une centaine de pas de lon- Sueur, de quelques pas de largeur et de 25 à 35 centi- mètres d'épaisseur ; mais il n'y avait plus de neige sur le côté oriental qui fait face à la plaine du Piémont. La deuxième fois, le 28 juillet 1834, non seulement je ne trouvai point de neige jusqu’au col, ni sur les crêtes de rochers qui l’avoisinent et que je parcourus pendant plu- sieurs heures, mais je pus monter encore ,» Sans en trou- * Ver, à plus de 50 mètres au-dessus du col, sur le flanc du grand pic du mont Viso, qui s'élève ensuite beaucoup plus haut en un énorme cône de granit , veiné de schistes et recouvert d’un épais plaqué de glaciers. Enfin, une troisième fois, je ne montai pas jusqu’au col, mais je montai cependant assez haut Pour pouvoir reconnaître qu'il était entièrement découvert de neige et qu’elle avait mème fondu à plus de cent métres au-dessous. M. Chaix (Préoccupations sur le département des Hautes-Alpes ) à aussi remarqué que ce col, ainsi que le 500 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. col Laniel, le col Vieux, la montagne de Chaberton et plusieurs autres hauteurs de 2500 à 3000 mètres et plus, se découvrent totalement de neige presque chaque année, tandis que les montagnes de la Grave conservent leurs neiges et leurs glaciers à une hanteur beaucoup moindre; il attribue cette différence à la nature granitique ou schis- teuse des montagnes de la Grave, tandis qu’il pense que les autres montagnes précitées sont calcaires. Je doute que la nature du sol soit la cause de cette différence, que je crois devoir attribuer plutôt à la chaleur de l'atmosphère piémontaise dont elles sont plus ou moins voisines. Ces observations m'avaient donc persuadé qu'il fallait remonter la ligne limite des neiges perpétuelles de notre latitude beaucoup au-dessus de 2600 mètres, et je pense même encore aujourd'hui que cette limite est un peu basse (1), quoique je sois disposé à reconnaître qu’elle ne doit pas être élevée jusqu’à 3000 mètres. Voici les principaux motifs de la modification de mon opinion primitive : L'expérience de plusieurs années m’a convaincu que les hivers de ces grandes hauteurs sont plus ou moins froids, plus ou moins neigeux,; que leurs étés sont plus ou moins chauds, ce qui établit de grandes variations et de grandes différences entre les températures des diverses années ; que certaines années, soitqu’il soit moins tombé de neige, soit que l'hiver ait été moins froid et surtout que l'été ait été plus long et plus chaud, les neiges fondent davantage, 4) M. Martins, dans un mémoire publié dans la Revue des Deux-Mondes, t. 17, 5° livraison, émet une opinion semblahle, car il élève la ligne des neiges perpétuelles à 2700 mètres pour les Alpes de la Suisse, qui sont plus septentrionales el par con- séquent plus froides que les Alpes dauphinoises. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 501 les glaciers eux-mêmes sont un peu entamés, en sorte que la ligne des neiges perpétuelles semble devoir être beaucoup plus élevée ; que d’autres années, au contraire, soit qu’elles aient été plus froides ou qu'il y ait eu plus de neige, ce qui aurait empêché la fusion de remouter si haut, cette ligne semble devoir être beaucoup abaissée. J'ai également remarqué souvent que cette ligne est ordinairement plus basse de 100 à 200 mètres dans les expositions nord et nord-ouest qui sont plus froides ; c’est même notamment dans ces expositions que les glaciers * descendent le plus bas, ainsi que cela peut très-bien s’observer aux glaciers de la Grave qui descendent quel- quefois fort bas vers le nord, mais surtout au glacier - d’Arcine ou du Casset, près du Monestier-de-Briancon, glacier qui semble plaqué contre la montagne et dont la base descend à environ 4600 mètres. M. Martins, dans le Mémoire précité, indique même des glaciers qui descendent beaucoup plus bas : « Les champs « des neiges éternelles, dit-il, émettent pour ainsi dire « des rameaux qui descendent dans les vallées sous la « forme de masses de glace semblables à des torrents « congelés. Ces masses sont des glaciers ; leur pied est « souvent à plus de 4500 mètres au-dessous de la limite « des neiges perpétuelles, et avoisinent quelquefois de « grands villages, tels que ceux de Chamonix, de Cour- « mayeur et de Grindelwald, dont la hauteur moyenne « est de 1120 mètres au-dessus du niveau de la mer. » La hauteur de la ligne des neiges perpétuelles varie encore avec l’inclinaison des pentes qui, étant ordinaire- ment très-rapides vers Les crêtes etles sommités des Alpes, laissent la plupart du temps leurs neiges descendre ou couler en avalanches vers les parties basses à l’époque du 502 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dégel ; et, comme ces neiges descendent ou tombent sou- vent d'endroits supérieurs à la ligne des neiges perpé- tuelies, il est très-difficile de déterminer exactement la ligne à laquelle ces neiges cesseraient de fondre sur une pente plus douce. J'ai encore remarqué que les chaines latérales des Alpes, plus voisines de l'atmosphère et de la température modérée des plaines, ressentent davantage les influences de cette température, principalement sur le versant ou côté qui regarde ces plaines, tandis que les chaines in- termédiaires ou centrales, qui sont beaucoup plus éloi- gnées de ces plaines et souvent entourées de hautes mon- tagnes , sont aussi beaucoup plus froides ; par conséquent la ligne des neiges perpéluelles doit plus s’abaisser sur les chaînes centrales que sur les chaînes latérales (1). C'est par ces motifs que je pense qu’à parité d'élévation, la température du mont Pelvoux est plus froide que celle du mont Viso, et que dès lors, la limite des neiges per- (1) M. Martins dit aussi que la ligne limite des neiges perpé- tuelles n’est pas une ligne droite, et qu’elle s'abaisse dans les cirques ou grandes dépressions qui avoisinent les hautes cîmes. Les cirques, ces vastes réservoirs de neiges et de glaces, me semblent bien pouvoir et même devoir contribuer à l’abaisse- sement de cette ligne; d’ailleurs, les cirques les plus grands et les plus élevés sont le plus souvent dans les Alpes centrales où se trouvent ordinairement les plus hautes sommités. Cependant, je persiste à attribuer à la cause que j'indique un plus grand effet qu'aux cirques, car la partie occidentale du mont Viso forme, vers la source du Guil, une espèce d’entonnoir ou de conque, véritable cirque qui reçoit d'immenses amas de neiges et de glaces qui fon- dent cependant chaque année, tandis que si le mont Viso, aulieu d’être contigu à la plaine du Piémont, était situé dans les chaînes centrales des Alpes, les neiges et les glaces qu'il reçoit chaque année dans son cirque formeraient un glacier perpétuel. VINGI-QUATRIÈME SESSION 503 péluelles doit être plus basse au mont Pelvoux, ainsi que j'ai cru le reconnaître ; c’est aussi par ces motifs que je m'explique comment il se fait que, malgré sa hauteur de plus de 3000 mètres, le col de la Traversette, au mont Viso, se dégarnit entiérement de neige presque chaque année. Enfin, il est une foule d’autres circonstances de temps, de saison, d'exposition, de localité, etc., et surtout de température pendant l'année où l’on observe et même pendant l’année précédente, qui toutes influent plus ou moins sur l'élévation à laquelle les neiges remontent chaque année; en sorte que les résultats des observations de divers physiciens doivent varier et varient en effet beaucoup à cet égard ; et, pour obtenir une approxima- tion un peu exacte, il faudrait prendre la moyenne d’un grand nombre d'années. En résumé, je pense que la fixation de la ligne moyenne des neiges perpétuelles, dans les Alpes dauphinoises, soit à 2550 mètres, soit même à 2600, est un peu basse; qu’en _outre, à la même latitude, la hauteur de cette ligne est très-variable selon les années et les circonstances de tem- pérature et de localité ; que si elle peut descendre sur les montagnes dauphinoises les plus froides, jusqu’à 2550 mètres, elle ne descend pas même à 3000 mètres sur celles qui sont contiguës aux plaines du Dauphiné et surtout aux plaines du Piémont; et qu’il serait plus exact de lui attribuer une hauteur moyenne de 2600 à 2800 mètres, ou plutôt que cette ligne, au lieu d’être horizontalement droite dans la direction de l’est à l’ouest, devrait être une ligne courbe dont la convexité tournée vers la terre s’a- baisserait davantage au centre, ainsi qu’à la rencontre des plus vastes, plus hautes et plus froides sommités, et se 04 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. relèverait à ses extrémités occidentale et orientale, surtout à cette dernière. M. Lory pense que la nature des roches peut avoir une grande influence sur l'extension des neiges perpétuelles. À hauteur égale, les montagnes de calcaire compacte paraissent garder beaucoup moins de neiges que les montagnes granitiques. Cette dif- férence est très-frappante quand on compare les montagnes granitiques de l’Oisans aux montagnes de calcaire ou de grès du Briançonnais. Dans le bassin de l'Isère, à hauteur égale, les montagnes gardent beaucoup plus de neiges que dans le bassin de la Durance; mais on peut penser que cela est dû à une différence de climat entre ces deux bassins, celui de la Durance étant beaucoup plus sec et par- ticipant jusqu’à un certain point aux caractères du climat de la Provence, tandis que celui de l'Isère est plus humide, les pluies y sont plus fréquentes, etc. Sur la 48° question, il n'y a pas de mémoire présenté, ni de discussion ouverte. M. Autheman fait seulement remarquer que, dans son opinion, les mouvements d’oscillation qui pro- duisent les tremblements de terre doivent se faire ressentir du sud-est au nord-ouest surtout, parce VINGT-QUATRIÈME SESSION. 905 que, dans son système géologique, il croit que géné- ralement les nappes rocheuses sont succédantes et non point seulement superposées. M. Philippe Breton donnelecture de la note sui- vante : 3 MAXIMATION DES FORCES MOTRICES DES USINES HYDRAULIQUES , Par M. Philipe Breton, ingénieur des ponts et chaussées. Quelques personnes, considérant les houillères comme * une provision disposée par la Providence pour l'usage des hommes, blâment, comme un gaspillage coupable, la consommation de la houille dans les machines à vapeur fixes, et voudraient voir développer l'emploi des chutes d’eau, pour épargner la provision de charbon de l’huma- nité. Je ne sais jusqu’à quel point le danger est pressant, en combien de siècles l’industrie moderne est exposée à épuiser sa provision de charbon; mais le remède consis- tant dans l'emploi plus général des chutes d’eau sera d’au- tant plusefficace, que chaque chutesera mieux employée. Quoique la force motrice des cours d’eau soit en quel- que sorte indéfinie, en comparaison des besoins de l'in- dustrie, il arrive rarement que cette force se trouve sur le lieu où son emploi serait avantageux; et pour l'amener sur les emplacements qui conviennent aux manufactures, il faut des prises d’eau et des canaux, ouvrages dispen- dieux ; puis des roues hydrauliques , dont l'établissement offre d'assez grandes difficultés. C’est surtout dans le per- fectionnement des canaux et des roues que l’économie de . forces motrices doit être cherchée. 506 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Lés divers systèmes de roues hydrauliques ont donné des rendements très-faibles, tant qu'on a négligé de disposer les détails de chaque système de roues le mieux possible dans les conditions du système. Lorsqu'on prend ce soin, on peut arriver à des rendements avantageux, compris entre sept et neuf dixièmes, pour la plupart des systèmes de roues. Un moteur hydraulique comprend, outre la roue et les transmissions de force, la prise d’eau et les canaux d’a- menée et de fuite. Il peut être utile de faire connaître quelques conditions dont on devra se rapprocher dans la pratique pour établir certains de ces ouvrages. Je signa- lerai seulement ici la pente que l’on doit donner aux canaux d'amenée et de fuite. La recherche de cette pente m'a conduit à une loi importante qui, je crois, n’est pas connue, et dont les usiniers peuvent tirer une assez grande utilité. Quand on trace un long canal de dérivation pour créer une usine , si on ne lui donne point de pente au fond, l'eau n’y prend qu'une pente superficielle presque nulle, très-peu de vitesse, et la force motrice disponible se réduit à peu près à rién, faute de volume d’eau débité, quoique la hauteur de chute soit entière. Si on sacrifie une fraction quelconque de cette hauteur de chute pour donner de la pente au canal, l’eau y prend de la vitesse, et le débit, tombant de la hauteur de chute conservée, donne un travail disponible. Si, pour-avoir le plus d’eau possible, on sacrifie à ce but partiel toute la chute dont on dispose, le débit du canal atteint sa plus grande valeur, mais, faute de chute conser- vée à l'usine, on n’a plus de force. | Il s’agit de choisir la pente la plus convenable entre © VINGT-QUATRIÈME SESSION. 507 ces extrémes. Il faut pour cela distinguer plusieurs cas, suivant le débit disponible et le travail à faire dans l'usine projetée. Quand ce débit est limité par des circonstances quel- conques au-dessous de ce que l'usine pourrait utiliser, on doit chercher à conserver le plus de chute motrice que l’on peut. A cet effet, il faut mettre en balance la valeur industrielle de chaque centimètre de chute avec les. dé- penses qu'exige la conservation de cette chute, jointe à la condition de conduire dans le canal toute l’eau disponible. La meilleure disposition est celle qui, étant changée très- peu, ferait perdre d’un côté juste autant qu’on gagnerait de l’autre. On emploie alors de grandes sections el de faibles pentes, pour peu que l'usine ait d'importance. Mais si le cours d’eau à un débit surabondant, si l’usi- nier a la faculté de conduire par son canal plus d’eau qu'il ne saurait en utiliser, il aura à choisir librement la pente qui lui convient pour obtenir la plus grande force motrice possible. Pour résoudre cette question qui se présente assez souvent, il faut bien se garder de copier ce qui se pratique généralement ; car dans les cas où cette question s'applique, on à presque partout employé des pentes trop faibles. Celle qui donne le maximum de force motrice, la … pente maximante de la force, est celle qu’on obtient en sacrifiant, pour la conduite de l’eau, un tiers de la chute disponible, et réservant les deux autres tiers pour la chute motrice. Telle est la loi que je crois nouvelle. Cette loi résulte de ce que pour une même section d’eau les vitesses sont à peu près proportionnelles aux racines carrées des pentes, et de ce que la force motrice est pro- portionnelle à la hauteur conservée pour la chute; c’est- à-dire qu'il faut multiplier la pente par 4, par 9 ou par 908 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 16, pour doubler, tripler ou quadrupler le débit, tandis qu'il suffit de multiplier par 2, par 3 ou par # la hauteur de chute, pour que la force motrice soit multipliée de même par 2, par 3 ou par 4. Si l’on établit le calcul sur des formules plus exactes, telles que celles de Prony, d’Eytelwein, ou sur celle bien préférable de M. de St-Venant, on trouve une proportion Le ès-peu différente de celle de —- pour la chute motrice et à = pour la conduite d’eau (4); ss la différence est négli- geable en elle-même ; ilest done inutile d'en tenir compte par cela même qu'il s’agit de trouver une maximante, et que les quantités qui passent par un maximum varient avec une excessive lenteur un peu avant et un peu après ce maximum. Pour que l’on puisse apprécier le degré d'importance pratique de la loi que j'indique, j'ai calculé une table des forces motrices que l’on obtient en faisant varier la pente du canal ; les portions de chute sacrifiées pour le canal y sont comptées en parties de la chute totale disponible, et les forces motrices obtenues le sont en parties de la force maximum ; et, pour faciliter la lecture de la table, j'en présente la courbe figurative. On voit à l'inspection de cette courbe que si l’on sa- crifie au canal 48 pour cent ou 52 pour cent de la chute totale, c'est-à-dire si l’on s'écarte de la maximante de 15 ROBE cent en moins, ou de 49 pour cent en plus, on perd + du maximum de force possible. Si l'on sacrifie on canal 13 ou 60 pour cent de la pente totale, on perd = (4) La Le mule de M. de a LA conduirait à attribuer au canal = = set à la chute motrice © sde la chute totale. dan té VINGT-QUATRIÈME SESSION. 509 de la force possible ; si l’on sacrifie au canal 9 ou 67 pour cent de la chute totale, on perd A de la force possible. En résumé, quand on tient la pente du canal très-près de la maximante de la force, la perte est insignifiante et à peu près égale, soit que la pente du canal pèche par excès ou par défaut. Mais si on s’écarte beaucoup de la force maximante, l'écart est beaucoup plus nuisible quand la pente est trop faible que quand elle est trop forte ; d’où il suit qu’en traçant une dérivation, il vaut mieux donner une pente un peu au-dessus qu’un peu au-dessous de la maximante. En effet, si le débit disponible vient à aug- menter, soit parce que l'usinier aura désintéressé des tiers ayant droit sur l’eau du courant, soit parce que le débit aura varié naturellement, la pente, qui étaitau-dessus de la maximante primitive, se trouvera rapprochée de la nouvelle maximante et l’usine profitera le mieux possible du nouvel état de choses. Or, c’est presque le contraire de ce qui se fait le plus souvent. On voit que cette loi n’est pas indifférente aux cons- tructeurs d'usines, et, faute de la connaître, on a perdu, dans beaucoup de localités, une partie notable de la force motrice qu'on aurait pu recueillir sans dépenser un sou de plus. M. Gueymard fait remarquer l'importance de la question traitée par M. Breton. D’après ses calculs, dans un rayon de quatre kilomètres autour de Gre- noble, un moteur hydraulique coûte huit fois moins cher qu’une machine à vapeur de même force, et pour les distances comprises entre quatre et huit 510 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. kilomètres à partir de Grenoble, le moteur hydrau- lique coûte seize fois moins cher qu’une machine à vapeur de même force. Ainsi, dans ces pays, les chutes d’eau doivent être employées de préférence à la vapeur, etil faut par conséquent en savoir tirer le meilleur part possible. c La séance est levée à neuf heures. 3° SECTION. SCIENCES MÉDICALES. SÉANCE DU 4 SEPTEMERE. h MM. les membres de la section de médecine, réunis à une heure de l’après-midi, procèdent à l'élection d’un président et de quatre vice-présidents. Le scrutin désigne pour remplir les fonctions de président M. Leroy. Les quatre vice-présidents désignés sont : MM. ANCELON ; | HerriN, de Metz; RiB0Lr; BONJEAN. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 511 : M. le président ouvre la séance par la lecture des questions inscrites au programme. * M. Armand Rey se fait inscrire pour présenter, dans la séance de lundi prochain, un mémoire sur les deuxième et troisième questions, en demandant que la troisième soit traitée avant la deuxième. M. Bonjean présentera un travail sur la quatrième question. x Un mémoire sur les eaux du Monestier de Briançon est remis sur le bureau. Une discussion s'engage sur la cinquième ques- tion; mais aucun mémoire n'étant présenté et les membres de la section n'ayant préparé aucun tra- vail, il est simplement donné connaissance de faits et observations particulières établissant que beau- coup de maladies, en apparence organiques, sont dues à une simple affection du système nerveux. La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU 5 SEPTEMRRE. Plusieurs membres de la section de médecine ayant pris part à des excursions à la Grande-Char- 12 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. treuse et à la Porte de France, ne pourront assister à la séance. Dans la précédente réunion, M. le docteur Leroy avait annoncé qu'il présenterait quelques observa- tions sur la cinquième question du programme ; mais M. le docteur Roux, qui devait prendre part à la discussion, étant absent, il est décidé qu’on attendrait son retour. M. le docteur Lerat, de Saint-Marcellin, fait hom- mage à la section de plusieurs exemplaires d’une brochure dont il est l’auteur, et qui est intitulée : Du choléra morbus et de son antidote. M. le docteur Lerat fait l'analyse suivante de son travail. De tous les corps organisés s’échappent des émanations particulières. Ces émanations sont en général pernicieuses. Le corps de l’homme exhale des gaz délétères, qui le deviennent d’autant plus que l’agglomération des individus est plus grande. Le choléra a pris naissance dans l'Inde, où les conditions les plus favorables à la formation des miasmes se trouvent réunies. Ces miasmes choléri- ques ont été ensuite transportés par les vents dans tous les pays de la terre. Au point de vue thérapeutique, les moyens les plus variés ont été proposés contre le fléau asiati- que : les toniques, les stupéfiants, les excitants VINGT-QUATRIÈME SESSION. 13 diffusibles, et jusqu'aux poisons les plus violents ont échoué contre cette terrible affection. M. le docteur Lerat croit avoir trouvé un remède certain dans les préparations huileuses, qu'il con- sidère comme très-propres à calmer l'irritation in- testinale. | Cette médication aurait en outre l’avantage d’agir comme abortive et d'arrêter les miasmes au mo- ment de leur formation. M. Lerat termine sa com- munication en exprimant le vœu que des expériences soient faites dans les pays où le choléra existe en per- manence. Îly contribuerait, au besoin, au moyen d’une somme d'argent qu'il offre de mettre à la disposi- tion du gouvernement. M. Leroy demande à M. Lerat s’il pourrait four- nir, à l'appui de ses assertions, quelques observa- tions établissant nettement l'efficacité de sa méthode. M. Lerat raconte qu'un propriétaire de Belley, ayant été pris du choléra épidémique, fut traité par les préparations huileuses à haute, dose, et guérit en quelques heures ; que M. Viricel, de Lyon, lui a dit avoir guéri des cholériques par l'emploi du même procédé. M. le docteur Riboli, de Turin, demande à M. Lerat si les préparations huileuses ont été ad- ministrées par lui à la période algide du choléra. M. Lerat répond par une observation dans 14- ch à 33 5l4 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. quelle le traitement paraît avoir été appliqué tout à fait au début de l’accès ; que, néanmoins , sa bro- chure renferme des observations de cas graves de choléra guéris par les préparations huileuses. M. le docteur Riboli fait remarquer que, dans l'observation citée, il ne reconnaît pas les caractères de la période algide. M. Lerat pense que, tout au moins, cette période peut être évitée par l'emploi de sa méthode. M. le docteur Ancelon rappelle qu’au début de l'épidémie, tous les cholériques succombent; que, plustard, on en guérit la moitié et même les deux tiers, et qu'enfin, au déclin de l'épidémie, on les guérit tous. C’est qu'à ce moment, l'épidémie tou- chant à sa fin, la cause morbifique a perdu une grande partie de son énergie et ne détermine plus que des accidents sans gravité. M. le docteur Ancelon a employé la strychnine et a cru avoir guéri des cholériques ; mais, néanmoins, la question de savoir quels sont les remèdes qui ont le mieux réussi aux différentes périodes de la maladie ne lui paraît pas pouvoir être résolue d’une manière satisfaisante. Chargé de traiter le choléra dans les campagnes, il a constaté que les malades, loin de suivre les conseils des médecins, se bor- naient à se gorger d’eau froide, et guérissaient par ce moyen. Pourrions-nous, dit M. Ancelon, affirmer VINGT-QUATRIÈME SESSION. 515 sérieusement que l’eau froide soit un remède assez aclif, un modificateur assez énergique pour triompher d’une maladie qui éteint avec autant de rapidité les sources de la vie? Evidemment non; et cependant je n’ai jamais vu que l’eau froide guérit réellement le choléra. M. Evrat.— Sansfairela critique de l'opinion émise par notre honorable confrère, M. Lerat, il nous est permis de chercher à nous éclairer. Il est des cas dans lesquels le malade est cadavérisé dès le début : chez d’autres, au contraire, il existe une première période, dite prodromique, qui laisse au praticien le temps d’agir. Dans les cas de choléra foudroyant, ou seulement très-grave, nous ne pouvons nous dissi- muler que tous les moyens ont échoué. Je désirerais savoir comment M. le docteur Lerat explique l’action des préparations huileuses, en ayant soin de consi- dérer cette action aux différentes périodes de la maladie : début, état confirmé, déclin. M. Lerat répond qu'il ne prétend pas expliquer la manière d’agir de son remède, pas plus que les théra- peutistes n’ont cherché à le faire à l'égard du quin- quina, du mercure et des autres remèdes spécifiques en général. Il se borne à exposer les faits cliniques qu'il lui à été donné de recueillir. Cette question toute personnelle se trouvant vidée, la discussion est close. 516 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Ancelon fait remarquer que rien n’a été établi de positif touchant l'origine du choléra ; que rien ne nous dit que le choléra asiatique observé en Europe ne soit pas simplement le choléra nostras à l’état épidémique. La question des miasmes soulève celle de la contagion. M. Ancelon ne croit pas à la contagion du choléra pendant la vie du malade. Voici sur quel fait intéressant il base cette opinion : Dans le service des hôpitaux, les infirmiers chargés de soigner les cholériques n’ont pas contracté le choléra, tandis que ceux qui étaient occupés à trans- porter les morts subissaient la contagion dans une très-grande proportion. M. Ancelon donne de ce fait l'explication suivante : Les cadavres des cholériques, après s’être refroi- dis, se réchauffent, et c’est à ce moment qu’ils sont susceptibles de communiquer la maladie. Aussi, avait- on coutume de les faire transporter immédiatement après la mort. On croit généralement que tous les cholériques présentent l’état algide. C’est là une erreur. Dans l'hôpital confié à ses soins , M. le docteur Ancelon a rencontré des cas de choléra sans aucun des trou- bles digestifs qui ont été donnés comme caractéris- tiques de l’affection. Les malades étaient dans un état de prostration complète ; ils prenaient bientôt une couleur jaune particulière, et mouraient tous en VINGT-QUATRIÈME SESSION. 917 quelques heures. Tous les efforts de la médecine ont échoué contre celte forme de choléra. M. le docteur Charvet (neveu) rappelle un travail publié en 1842 par M. le docteur Déchaux (de Paris). Ce praticien, considérant le choléra comme un em- poisonnement par l’acide cyanhydrique résultant de la décomposition de l’urée dans l’économie, avait été conduit à administrer à ses malades de l'acide chlorique. Des observations nombreuses semblent confirmer les bons effets de cette médication ration- nelle. M. le docteur Charvet avait communiqué le travail du docteur Déchaux à ses confrères de la Mure, lors du choléra de 14854. MM. les docteurs Baron et Arthaud ont employé l’acide chlorique sur ses indications et lui ont dit en avoir obtenu des résultats merveilleux. M. le docteur Ancelon demande si l'emploi de ce moyen a été fait au début ou au déclin de l'épidémie, circonstance qu'il considère comme très-importante. M. le docteur Charvet (neveu) croit se rappeler que c'était au déclin du choléra de 1854. M. le président Leroy résume la discussion en ces mots : = Lorsqu'une épidémie sévit sur une population, ceux qu’elle atteint ne sont pas tous frappés au même degré. Il peut se présenter trois cas : 1° Ou le malade est foudroyé, alors rien ne réussit; 518 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 2° Ou bien, quoique frappé sérieusement, la maladie n’est pas tout à fait au-dessus des ressour- ces de l’art, et l’on peut réussir souvent; 3° Ou bien, enfin, le cas est si peu grave, que tout réussit. Ainsi s’explique pourquoi, dans la même maladie, des remèdes si divers produisent cependant des effets identiques au point de vue de la guéri- son. C’est que la lésion n’est pas toujours de la même gravité, et que la résistance des malades n’est pas toujours égale. Quant à la méthode qui con- sisterait à agir au sein de l’économie à la manière d’un réactif chimique, elle ne doit pas présenter plus de certitude que le traitement des empoisonne- ments en général et par l'acide cyanhydrique en par- ticulier. Or, nous savons tous combien la guérison des empoisonnements est incertaine et présente de difficultés. L’honorable président s’élève donc contre la prétention de guérir tous les cas de saone par l'acide chlorique. M. Bonjean, pharmacien à Chambéry, a vu des cas dans lesquels la formation de l’acide cyanhydri- que dans le tube digestif ne pourrait être révoquée en doute; seulement il affirme qu’il ne peut s’y former en assez grande quantité pour pouvoir donner lieu à des accidents d’empoisonnement. M. Bonjean essaie de combiner les excitants diffusibles avec l’éther ; il conseille cette préparation contre la diar- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 519 rhée prémonitoire. [l pense que c’est là un bon moyen prophylactique eontre le choléra. M. Ancelon.— La théorie de la formation de l’acide cyanhydrique se base sur une hypothèse, car la sup- pression de l'urine n'arrive pas au début, mais bien au déclin du choléra. La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU 3 SEPTEMBRE. Lecture est donnée des procès-verbaux des deux premières séances, qui sont adoptés. M. le docteur Herpin, de Metz, fait hommage au Congrès de plusieurs brochures dont il est l’auteur. M. Riboli remet aussi quelques ouvrages de la part de M. Louis Muschi, de Parme. M. Cornas, de Neuchâtel, envoie au Congrès les livraisons de son journal médico-scientifique. Des remerciements sont adressés aux donateurs par le président, au nom du Congrès et de la section de médecine. M. le docteur Roux propose de nommer une 520 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. commission pour visiter les établissements médi- caux de Grenoble, tels que l’hôpital civil et mili- taire, l’asile des aliénés du département. La propo- sition est adoptée à l’unanimité. Sont nommés : M. Roux, de Marseille, M. Herpin, de Metz, et M. Joffre, de Grenoble. Ces membres composeront la commission chargée de rendre compte au Con- grès de ses impressions; mais il sera loisible à ceux des membres qui le désireraient de se joindre à elle pour suivre ses travaux. M. Joffre demande la parole pour dire quelques mots sur le choléra. L'honorable confrère rappelle, dans un ensemble parfait, les diverses méthodes et les divers traite- ments employés tour à tour à toutes les époques d'apparition du fléau asiatique, et, dans une lec- ture assez détaillée et que nous ne pouvons repro- duire ici, il conclut en disant qu'il pense que les préparations huileuses, pas plus que d’autres pré- parations, n’ont dû réussir dans la période algide du choléra. M. le docteur Bally dit que cette maladie est due à la formation de miasmes putrides qui pénètrent dans la circulation du sang, en séparent la partie blanche qui se précipite dans l'intestin par une es- pèce de cataclysme, tandis que la partie colorante reste dans le cœur ou dans les vaisseaux, de sorte VINGT-QUATRIÈME SESSION. 21 que le remède à trouver devrait s'adresser non aux symptômes de la maladie, mais bien à l'agent toxique qui la détermine. . M: Ancelon prend la parole à son tour pour résu- mer ces débats scientifiques. Il dit que la question peut se grouper en trois points : 1° Quant à la cause du choléra, elle est au-dessus de la raison humaine ; 2 Le tube digestif peut-il être influencé par des médicaments ? Dans le choléra le tube digestif est frappé d'inertie; mais il arrive un moment où la nature elle-même produit une réaction; en ce mo- ment le médicament est déjà inutile, s’il n’est pas le plus souvent nuisible. On ne peut donc pas en- core se flaiter d’avoir une médication spécifique. 3° Quant à la diarrhée prémonitoire, elle est es- sentiellement sans odeur : les selles odorantes ne se rencontrent jamais dans le choléra. M. le président Leroy fait le résumé d’un mémoire qu'il a publié sur l'influence du système nerveux dans les maladies. La médecine, suivant les époques, fut entrainée à suivre des modes théoriques : l’humorisme, le solidisme, par exemple, puis d’autres théories va- gues , incertaines ; enfin la doctrine de l’organicisme prévalut : toutes les affections, aujourd’hui, dans 522 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'opinion générale, se rattachent à un état organo- pathologique. C'est ainsi que Broussais, dans cette méthode, attribua toutes les fièvres continues à la gastro- entérite. La Faculté de médecine proposa alors au concours de décrire les altérations produites par des fièvres continues, et de rattacher les états morbides reconnus à ces altérations. Mais peut-on dire que toutes les maladies sont sous la dépendance d’affections organiques ? La gas- tro-entérite se présente-t-elle toujours de la même manière, dans les phlegmasies essentielles, que dans celles qui ont pour cause le poison ? Souvent, au moment où la maladie débute, l’organisme se trouve gravement engagé dans l’état pathologique, et alors la mort peut survenir avant qu'apparaissent les altérations organiques. D'où il faut conclure qu’il y a beaucoup d'’af- fections qui se produisent en dehors de tout état anatomo-pathologique : l'asthme, par exemple. Dans les affections organiques, la maladie marche graduellement; mais il y a néanmoins dans ces ma- ladies des symptômes qui ressemblent à ceux des affections inorganiques et qui peuvent devenir une cause d'erreur. Le système nerveux à sa manière de s’affecter : il peut l'être primordialement; il peut l’être aussi con- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 923 séculivement, et déterminer des affections qui sont alors sous sa dépendance. Il y à d’autres éléments que l’état organique qui déterminent ces maladies, et parmi ces éléments, le système nerveux entre pour une large part. M. Riboli se rallie à l'opinion de M. Leroy. M. Ancelon, prenant la parole, rappelle briève- ment que, de même qu'il est impossible à quelqu'un de concevoir une pile galvanique sans les liquides qui la mettent en action, de même il est difficile d'expliquer l’action du système nerveux sans le concours considérable des liquides circulatoires. Quand les éléments du sang sont altérés, dans la chlorose par exemple, vous avez des accidents ner- veux. Donnez du fer, les accidents se calmeront. Dans les affections typhoïdes, les malades sont em- poisonnés par des miasmes ; ces miasmes altèrent le sang : c’est là la véritable cause des accidents. Îl en est encore de même dans l’action de l'alcool sur le sang dans l’empoisonnement alcoolique. On a demandé où est le véritable siége de la maladie dans les affections nerveuses. Je réponds : Elle est dans le sang; d’où je conclus que le système ner- veux est norte à l’état des liquides dans lequel il baigne. | . M. Riboli fait la judicieuse remarque que, dans l'embryogénie de l’œuf, le système nerveux com- 524 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mence à se constituer le premier, et avant le sys- tème circulatoire, ce qui lui ferait penser qu'il aurait droit de priorité sur le système sanguin. Passant ensuite à un exemple à l'appui de l’in- fluence du sang sur les nerfs, M. Riboli commu- nique une nouvelle observation de démonomänie passagère, et qui mérite d’être reproduite en en- ter, tellement elle est curieuse. Une dame de la haute société, âgée de 36 à 37 ans, bien portante jusqu'alors, mère de trois enfants qu’elle adorait, devint démonomane à cha- que période menstruelle. Cet état durait pendant plusieurs jours : elle se croyait possédée du dé- mon. M. Riboli fut appelé auprès de cette singulière malade, qui lui expliqua que cet état maladif durait depuis près de trois ans, époque à laquelle remon- tait son dernier accouchement, et, qu’en fait de souf- france, elle n’accusait que de la céphalalgie et une bande qui lui serrait les reins. Le toucher vaginal fut pratiqué, et aucune douleur ne se manifesta ; le col était assez béant, quelques mucosités , un peu de leucorrhée. Rien à noter pour les autres organes. Un traitement émollient fut indiqué. Une crise arrive en temps indiqué. Un nouvel examen est fait, et exploration, celte fois, amène la découverte d’une dilatation très-prononcée du col VINGT-QUATRIÈME SESSION. 929 de la matrice, et d’un semi-prolapsus; de plus, à droite, contre la paroi, d’une tumeur spon- gieuse qui laissait suinter du sang et qui semblait prête à se détacher. Etait-ce un polype, était-ce plutôt les débris du placenta du dernier accouche- ment, datant de trois ans? Dans tous les cas, il y avait indication de l’extraire par l’arrachement ou par le caustique. Ce fut à ce dernier moyen que M. Riboli s'arrêta, en donnant la préférence au caus- tique solide, pensant qu'il pourrait mieux limiter son action avec le vinaigre, s’il le jugeait néces- saire. | Cette cautérisation fut pratiquée une dixaine de fois, à huit ou dix jours de distance, et ce praticien distingué eut la satisfaction de voir son traitement couronné d’un complet succès. Cette dame avait été jugée cependant atteinte de tubercules du cerveau. Sur la demande de M. Ancelon, l’assemblée émet le vœu que cette observation, aussi intéressante que remarquable, soit publiée èn extense. Il termine en disant que, selon son système, il croit que cette démonomanie était due à une alté- ration du sang, suite de la décomposition de cette matière charnue. M. Leroy fait remarquer, au sujet de l’interpré- tation de M. Ancelon, que, presque toujours en 920 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. médecine, on est disposé à donner aux idées émises un sens absolu. " M. Ancelon reprend encore quelques exemples pour venir à l’appui de son système. Il cite l’empoi- sonnement par l'acide carbonique qui s’introduit dans le sang par l'appareil respiratoire: le sang n'étant plus oxygéné n’impressionne plus le système nerveux. Le chloroforme produit certainement un résultat analogue. Voici donc encore deux exemples de l'influence du sang sur le système nerveux. M. le docteur Riboli propose d'ouvrir, pendant le Congrès, une souscription pour l'érection d’un mo- nument à Morgagni, qui s’est, le premier, occupé d'anatomie pathologique ; souscription qui se join- drait à celle déjà ouverte en Italie, et donnerait l'impulsion à tous les corps médicaux de France, pour témoigner leur souvenir à ce grand homme. La séance est levée à trois heures. Eye DU S SEPTEMBRE. Le procès-verbal de la séance du 7 septembre est lu et adopté. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 927 À l’occasion du procès-verbal, M. le docteur Evrat confirme les différents points de l'observation présentée dans la séance précédente par M. le doc- teur Riboli, et fait remarquer l’importance de cette observation. Il félicite et remercie M. le docteur Riboli de son intéressante communication. M. le docteur Savoyen fait hommage au Congrès d’un ouvrage dont il est l’auteur, et qui est intitulé : Etudes philosophiques sur la dégénérescence physique et morale de l'homme. M. le président donne la parole à M. le docteur Savoyen pour lire à la section un mémoire sur la première question du programme : du goître et du crétinisme. Ce mémoire fait suite à l'ouvrage offert au Con- grès par notre honorable collègue. La séance tout entière est employée à l’impor- tante communication de M. le docteur Savoyen. Notre honorable collègue, après avoir établi les rapports qui existent entre les causes du goitre et du crétinisme, s'attache à établir les points suivants : Le corps thyroïde serait, d’après lui, tout à la fois un organe de sécrétion et de résorption. La confor- mation du corps thyroïde témoigne de sa première destination ; quant à la seconde, elle est déduite de l'absence de tout canal sécréteur. 528 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le corps thyroïde serait, d’après M. le docteur Savoyen, chargé de sécrêter de l’albumine qui serait ensuite absorbée et transmise au torrent circula- toire. Le but de ce phénomène physiologique serait de favoriser le passage du sang dans les dernières rami- fications de l’arbre aérien, en le rendant plus péné- trant. La présence de l’albumine dans le sang serait donc une condition essentielle de pénétrabilité et tout à fait indispensable à l’accomplissement inté- gral de la circulation et de l’hématose. | Chez le crétin de naissance, l’atrophie du corps thyroïde donne lieu à l’absence dans le sang du liquide particulier qu’il est chargé de lui fournir. L’hématose devient alors incomplète ; le tissu adi- peux et les parties azotées manquent complètement. Les crétins et les goîtreux sont, en général, imberbes et anémiques. L’albumine entre en outre, dans une notable pro- portion, dans la constitution intime de nos organes. Toute cause tendant à en diminuer la quantité nor- male porte, par cela même, une atteinte des plus fâcheuses à l’économie tout entière, C’est ainsi que l'arrêt du développement du cer- veau est la conséquence inévitable de l'abolition des fonctions du corps thyroïde. Les eaux ont une importance extrême sur la for- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 529 mation du goitre. L’albumine, la chaux etla magnésie qui entrent dans la composition des eaux sont les sels qui disposent le plus au développement du goitre. M. le docteur Savoyen fait connaître à l'assemblée les analyses comparatives des eaux des localités frappées de goitre et de crétinisme et de celles qui en sont exemptes. Ces analyses établissent nette- ment ce point étiologique. Indépendamment des causes qui viennent d’être invoquées, il en est d’autres dont l'importance ne saurait être douteuse. [Il les divise en atmosphé- riques et hygiéniques. Les premières comprennent le défaut de renou- vellement de l’air et son humidité, le froid, le man- que d’insolation, etc. Les secondes sont principalement la misère, les habitations insalubres, les habitudes sédentaires, etc. Les scrofules peuvent compliquer le goître et le crétinisme, mais il n’existe entre ces diverses affec- tions aucun rapport de cause à effet. À trois heures, la lecture de l’intéressant mémoire de M. le docteur Savoyen n’étant pas terminée, notre honorable confrère veut bien promettre à la section de la reprendre à l'ouverture de la séance de demain. La séance est levée. 930 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCE DU 9 SEPTEMBRE. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. L'ordre du jour appelle la continuation de la lecture du mémoire de M. le docteur Savoyen, sur le goître et le crétinisme. En l'absence de notre honorable confrère, l’un des secrétaires achève la lecture de ce travail. M. le président communique à la section une lettre de M. Savoyen, qui annonce qu’il ne pourra assister à la séance d’aujourd’hui. En conséquence, la dis- cussion qui devait s'ouvrir sur son travail est ren- voyée à demain. M. le président donne la parole à M. le docteur Armand Rey, pour lire son mémoire sur la troisième question du programme, intitulée : Des procédés hydrothérapiques. DES PROCÉDÉS HYDROTHÉRAPIQUES ET DES BAINS PE VAPEUR TÉRÉBENTHINÉE, Par M. le docteur Armand Rey. PREMIÈRE PARTIE. ni Messieurs, En inscrivant au programme du Congrès scientifique de France la question : Des procédés hydrothérapiques, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 531 vous me faisiez un devoir de vous soumettre ce qu'une expérience de quelques années a pu m’apprendre concer- nant ces procédés. Je dirige un établissement d'hydrothérapie tout près de Grenoble, et je ne pouvais me dispenser de prendre la parole sur une partie des sciences médicales peu connue encore, diversement appréciée, dont j'ai fait ma spécialité, lorsque vous sembliez me convier à vous faire connaître les résultats théoriques de ma modeste pratique. Tels sont les motifs qui m'ont déterminé à vous pré- senter quelques considérations générales ; mais si le sentiment de ce que je dois à une science à laquelle je me suis voué m'a fait triompher de l’appréhension que j'é- prouve à parler devant une aussi imposante assemblée, c'est que j'ai compté sur votre indulgence, compagne in- séparable du savoir et de la véritable supériorité. Des procédés hydrothérapiques. — Poser la question en ces termes, c’est reconnaître l'influence heureuse de l'hydrothérapie dans le traitement des maladies, c’est proclamer l'utilité de son introduction définitive dans la thérapeutique. Etudieriez-vous, en effet, les procédés d'une médication dont les résultats avantageux ne vous seraient pas connus? Ce principe une fois admis, quels * Sont les meilleurs procédés de l'administration de l’eau froide, en comparant les anciens aux nouveaux ? Quels progrès cette partie de la médecine a-t-elle faits en passant des mains de l’empirisme dans celles des méde- cins ? Tels sont les deux points principaux sur lesquels je me propose d'appeler votre attention. En 1821, un paysan de la Silésie autrichienne , Pries- nitz, inaugurait à Grœffeberg un genre particulier de 532 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. traitement des maladies, qui bientôt recut le nom d'hy- drothérapie. Quelques années plus tard, une foule de malades atteints d’affections les plus diverses accouraient, de toutes les parties de l'Europe, dans l'établissement plus que modeste fondé par l’inventeur de la nouvelle mé- thode. Des succès aussi incontestables qu’inespérés grandi- rent encore la réputation du médicastre de Grœæffenberg ; et remarquez bien qu’en général un malade ne se décide pas à franchir des distances considérables, eu égard aux diflicultés qui existaient à cette époque dans les commu- nications, sans avoir préalablement invoqué les secours de l'empirisme aussi bien que ceux de la médecine. Les maladies traitées par Priesnitz étaient, pour la plupart, des plus rebelles, sinon des plus graves; aussi la cure d’eau froide durait-elle souvent plusieurs mois et même des années. Le régime et les pratiques hydrothérapiques avaient alors tout le temps de modifier profondément la constitution des sujets qui venaient s’y soumettre. Or, c’est à cette circonstance surtout qu'il faut attribuer les succès surprenants qui purent être observés. Les malades ne furent pas les seuls à accourir à Grœf- fenberg : les médecins s’empressèrent aussi de venir constater de visu des phénomènes thérapeutiques aussi bizarres qu’étonnants. Ils voulurent étudier la méthode. de Priesnitz et tâcher de surprendre le secret de l’effica- cité des moyens qu'il employait. Cette méthode était-elle cependant entièrement nou- velle? Non, Messieurs, car depuis Hippocrate, Galien, Celse, Aëtius, Avicenne, Musa et bien d’autres, l'eau froide avait été considérée par les plus illustres praticiens comme extrêmement salutaire dans une foule d’affections. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 63 Il me serait facile d'appuyer cette assertion par des cita- tions nombreuses et de nature à ne laisser aucun doute à cet égard dans votre esprit. L'hydrothérapie remonte aux premiers jours de la médecine, et nous trouvons dans le fait mythologique de l’immersion d'Achille dans les eaux du Styx, pour le rendre invulnérable, une preuve de la bonne opinion que les anciens avaient des pratiques hydriatiques au point de vue hygiénique. Néanmoins, il y avait quelque chose de nouveau dans le système de Priesnitz, non pour les médecins, mais pour les gens du monde. Le nouveau consistait simple- ment en ce que Priesnitz présentait la cure d’eau froide comme susceptible de remplacer et de détrôner toute l’ancienne thérapeutique , comme une autre homœæopa- thie, repoussant l'intervention de tout autre agent curatif, et suflisant à elle seule pour triompher de toutes les maladies. Cette prétention séduisit les gens du monde et fit parmi eux des prosélytes à l’hydrothérapie ; mais elle lui aliéna d’abord la plupart des médecins. Ce ne fut que bien plus tard, qu'effrayé des échecs qu'il avait essuyés dans les affections de poitrine, il s’était imposé de refuser tous les malades toussant peu ou beaucoup, dans l'im- possibilité où il se trouvait de discerner les causes aux- quelles se rattachait ce phénomène morbide. Poussé par une foi ardente en la valeur de sa méthode, Priestnitz avait commencé à parcourir les environs de Grœffenberg, administrant l’eau froide à de nombreux malades. Ses deux frères l’accompagnaient, chargés d’éponges pour les lotions, de moufles de laine pour les frictions. Consi- dérés comme des charlatans dangereux, ils se voyaient souvent forcés de plier bagage précipitamment et de ga- gner au plus vite la frontière pour se soustraire aux 534 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. poursuites de la police autrichienne. Avec un appareil aussi incomplet, les procédés hydriatiques devaient se borner à bien peu de chose. Aussi faut-il nous reporter à l’époque où le gouvernement autrichien, mieux ren- seigné, autorisa Priesnitz à fonder un établissement dans sa maison, pour trouver la médication hydrothérapique plus riche dans ses moyens d'action. Un médecin, Jean Gross, qui a occupé en France une chaire de pathologie interne et de matière médicale, et qui depuis est devenu un des plus fervents admirateurs de Priesnitz, a décrit avec détail les pratiques de Grœf- fenberg. «Il ya, dit-il, dans cette méthode deux points essentiels qui la distinguent de toutesles autres manières de guérir : « 1° L'usage du bain froid, précédé immédiatement d’une forte excitation à la sueur ; « 2° L'action indirecte ou révulsive de l’eau froide, obtenue par les bains de siége et les compresses appli- quées loco dolenti. » Le procédé d’excitation à la sueur avait seul le mérite de la nouveauté. Il consiste dans l’usage du maillot, que nous décrirons bientôt. Quant à la transition, les Romains l’'employaient déjà en administrant le bain froid au sortir du fepidarium. Ceux qui ont écrit depuis sur l’hydrothérapie ont cru voir dans la sudation produite par l’enveloppement dans la couverture de laine, une action plus physiologique et plus naturelle que celle obtenue au moyen du calorique. Je me bornerai à enregistrer cette opinion, qui a quelque chose de fondé, quoiqu'elle ne soit pas absolument vraie, surtout quant aux développements qui lui ont été donnés par ses partisans. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 535 Le maillot constituait une nouveauté : rien dans les bains anciens ne rappelait ce mode d’excitation à la sueur. Jean Gross donne de cette opération, telle qu'il l'a subie à Grœffenberg, une description bien peu faite pour engager les malades à s'y soumettre. Il raconte qu'il fut réveillé de bon matin par son hôte, qui commenca par le dépouiller de tous ses vêtements. Il fut d’abord enve- loppé dans une couverture de laine exactement appliquée sur le corps. Etendu sur un pliant, un urinal entre les jambes, cette première. enveloppe fut recouverte de plusieurs autres, serrées de telle manière, qu’il ne pouvait faire aucun mouvement. La tête était, jusqu’à un certain point, com- prise dans le maillot; on ne lui.laissa tout juste qu'une petite ouverture à la hauteur de la figure pour pouvoir respirer librement. Son manteau fut étendu sur le tout, et il resta dans cette position près de quatre heures ‘avant que la transpiration se manifestât. À ce moment, Priesnitz faisait ouvrir les fenêtres de l'appartement et administrer à ses malades un demi-verre d’eau fraiche de dix en dix minutes. Ce genre de maillot devait être très-pénible ; aussi a-t-il été perfectionné par les hydropathes modernes. Le pliant est disposé de manière à tenir la tête élevée; le poids des couvertures de laine étant très-faligant, on leur a substitué l’édredon ; la tête des malades est beau- coup moins couverte qu’elle ne l’était à Grœffenberg ; mais comme on ouvre toujours les fenêtres pour répondre à l’activité de la respiration, il en résulte souvent des odontalgies et des caries dentaires très-douloureuses. Si J'avais à me prononcer, peut-être donnerais-je encore la - préférence au maillot de Priesnitz, qui avait l'avantage 3930 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'éviter les maux de dents et de provoquer plus rapide- ment et plus sûrement la transpiration. Le maillot, tel qu'on le pratique aujourd’hui, n’atteint pas son but d’une manière aussi certaine qu’on le croit généralement. Pour obtenir une sudation suffisante, on est souvent obligé d'introduire dans l'enveloppe des bouillottes pleines d’eau chaude, et d'engager les malades à exécuter des mouve- ments de la totalité du corps, qui finissent à la longue par les lasser. j Les hydropathes qui se sont le plus élevés contre l'in- troduction du calorique en hydrothérapie, sont les pre- miers à employer ces moyens de sudation artificielle. Il faut cependant remarquer que, tandis que l'usage du maillot semble disposer de plus en plus les malades qui s’y soumettent à transpirer facilement , ceux qui transpirent dans l’étuve (1) présentent une sudation de plus en plus difficile. En d'autres termes, les premiers trans- pirent plus facilement, et beaucoup plus après quelques jours de maillot, tandis que les seconds ont une sudation plus abondante à la première étuve qu’à la seconde, plus (1) Quelques médecins hydropathes font transpirer leurs ma- lades dans l’étuve sèche avant de les soumettre à l'action de l'eau froide. M. Fleury de Bellevue a été l’un des premiers à substituer ce système à l'usage du maillot. L'étuve dont il se sert consiste en une boîte fumigatoire en bois, dans laquelle la tête n’est pas comprise, et que l'on chauffe au moyen d’une lampe à alcool. Les étuves de Bouquéron diffèrent des précédentes sous pln- sieurs rapports, el notamment en ce que les malades y sont entièrement renfermés comme dans des vaporariums ordinaires. (Voir la description dé ces étuves à la deuxième partie de ce mémoire.) YINGT-QUATRIÈME SESSION. Ms abondante encore à la seconde qu'à la troisième, et ainsi de suite, bien qu'on ait la précaution, pour les uns et les autres, d’aider la transpiration par des ingestions fré- quentes d’eau froide. Jean Gross semble dire que tous les malades de Grœf- fenberg n'étaient pas soumis au maillot. Dans tous.les cas, on peut affirmer que c'était la partie essentielle du traitement de Priesnitz, et qu'à de très-rares excep- tions près, il l'ordonnait à la grande majorité de ses clients. Immédiatement après le maillot, venaient les applica- tions extérieures d’eau froide. Elles étaient générales ou locales. Les premières sont, par ordre d'activité : la lotion, l’enveloppement dans un drap mouillé, l’immersion ou bain de piscine, le bain différentiel et la douche. Les secondes comprennent, dans le même ordre : les compresses loco dolenti, la ceinture mouillée, le bain de tête, le bain de pieds, le bain de siége, les douches ascen- dantes, rectales, périnéales et vaginales. La lotion est une espèce d’ablution pratiquée sur tout le corps au moyen d’un linge mouillé ou d’une éponge imbibée d’eau froide. Elle sert à tâter la susceptibilité du malade : c’est la préface du traitement; aussi la fait-on souvent avec de l’eau mitigée et presque tiède. Elle sert encore à tempérer les mouvements fébriles qui se pro- duisent dans le cours du traitement hydrothérapique. C'est un excellent moyen à opposer à ce qu’on appelle vulgairement la fièvre nerveuse : la durée moyenne de cette opération est d’une à deux minutes. L'enveloppement dans le drap mouillé agit à peu près dans le même sens. Le malade se couche sur un pliant recouvert d'un drap mouillé, plus ou moins tordu, selon 538 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. qu'on se propose de soustraire une-plus ou moins grande quantité de calorique. Dès que la chaleur revient, on cesse l'application pour la recommencer immédiatement, si ce retour à la température normale s’est accompli avec trop de rapidité. On peut, dans quelques cas, attendre qu'une certaine réaction se soit opérée avant de faire lever le malade. Le drap mouillé peut être suivi d'une lotion ou d'une immersion, selon le but que le médecin se propose d'atteindre. La durée du drap mouillé est donc très- variable : elle est subordonnée à la réaction du sujet. Cette opération ne peut être faite convenablement que sous la surveillance du médecin. On accélère souvent la réaction dans l’enveloppement humide au moyen des frictions : c'est ce qu'on appelle la friction en drap mouillé. En re- couvrant le malade de couvertures de laine par-dessus le drap mouillé, et en attendant que la transpiration se ma- nifeste, on a le maillot humide. Le bain de piscine consiste en une immersion plus ou moins prolongée dans un vaste bassin plein d’eau froide. Ses effets ne sont pas les mêmes, selon que l’eau y est calme ou agitée. Dans le premier cas, son action se rap- proche de celle de la lotion et du drap mouillé; dans le second il agit un peu dans le sens des douches froides. L'agitation de l’eau est provoquée le plus souvent dans la piscine par une fontaine qui la renouvelle incessam- ment en y tombant d'une certaine hauteur. Depuis que les bains de mer ont pris une importance thérapeu- tique, on a songé à imiter les courants superficiels ou la vague par des jets projetés avec force à la surface de la piscine, et les courants de fond par le même artifice dirigé sur les couches inférieures du bassin. En admettant une température constante pour l'eau, la VINGT-QUATRIÈME SESSION. , 539 durée du bain de piscine varie , non seulement suivant les affections et le tempérament des malades qu’il s’agit de traiter, mais encore suivant la température extérieure. Le bain, toutes choses égales d’ailleurs, devra donc être plus prolongé en été qu’en hiver, etc., etc. L'immersion doit être complète : il faut s'y plonger la tête la première. Priesnitz n'avait pour tout bain qu’un grand baquet en bois. C’est ainsi qu'aujourd'hui encore, beaucoup d'établissements d'Allemagne donnent le bain de piscine. Les perfectionnements que je viens d’équmérer lui étaient inconnus et sont d'invention récente. Le bain différentiel consiste en une immersion partielle du corps, dans une cuve à moitié pleine d’eau tempérée, accom- pagnée de lotions froides et d’immersions sur la tête et le thorax. Ce bain, par lequel Priesnitz commencait inva- riablement la cure de tous ses malades, est aujourd'hui peu employé et réservé pour les affections congestives du cerveau. Si javais à dire mon avis sur l'efficacité de ce moyen, je ferais remarquer que la réaction en détruit les bons effets immédiats. La douche, ou plutôt les douches, constituent la partie la plus active du traitement. La douche de Priesnitz était un simple chenal en bois, versant d’une certaine hauteur l'eau sur le malade comme sur la roue d’un moulin. On a eu depuis l’idée d’y adapter des ajustages divers, de manière à obtenir des jets en colonne, en pluie, en lames, en poussière. Dans la plupart des établissements, les douches sont fixes et verticales, c'est-à-dire qu’elles tom- bent d’un point invariable sur le malade, qui ne peut les recevoir commodément que sur la tête et sur les épaules, à moins de se coucher et de prendre des attitudes très- pénibles. On a voulu remédier à cet inconvénient, en 540 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. protégeant la tête au moyen d’un casque, et, disons-le, c'est là un bien pauvre moyen. Les douches obliques sont infiniment préférables. Le malade les recoit sur toutes les parties du corps avec la plus grande commodité ; il n’a, pour présenter à leur action le point voulu, qu’à avancer ou à reculer : elles dépen- sent beaucoup d’eau et doivent avoir une grande force de projection. Mais ce sont les douches mobiles qui réunissent les meilleures conditions; elles peuvent être administrées aux malades de la façon la plus régulière, sans qu’il leur soit possible de s'y soustraire. Vous pouvez les doser à votre gré et les graduer à volonté. On échappe ainsi aux inconvénients des douches mal prises par les malades; tantôt trop courtes, tantôt trop prolongées. Vous savez, Messieurs, que la douche froide bien administrée peut être tour à tour stupéfante, tonique, résolutive ou excitante. Les applications locales d’eau froide, ainsi que l'action dérivative produite par le bain de siége froid, offraient plus d'intérêt, en ce qu’elles apportaient dans la science un fait qui pouvait être considéré comme nouveau et dont l'importance ne saurait être sérieusement contestée. Pries- nitz avait dû être conduit à cette pratique par la décou- verte des phénomènes réactionnels qui succèdent à l'application du froid. Il avait dû reconnaitre que ces phénomènes sont infiniment plus persistants que l’action qui les a provoqués. Avant cette époque, les applications locales d’eau froide étaient spécialement faites dans un but antiphlogistique. Depuis Priesnitz on leur avait décou- vert les propriétés qu'elles tiennent de la réaction. Nous ne saurions nous engager plus avant dans cette étude sans dire quelques mots de ce phénomène important. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 541 On doit entendre par réaction l'acte spontané par lequel l'organisme résiste à tout agent tendant à modifier de quelque facon ce qu'on est convenu d'appeler l'état normal. Vos deux mains étant à la même température, plongez l’une dans l’eau froide et l’autre dans l’eau chaude pen- dant quelques minutes; peu de temps après que cette immersion aura cessé, la main soumise au contact de l’eau froide se réchautfera, celle qui était dans l’eau chaude sera refroidie. Que s'est-il passé? Le froid a resserré et tonifié les tissus de la première main, refoulé le sang et les autres liquides de cette extrémité vers le centre circu- latoire, et, en définitive, abaissé la température. Dans la deuxième main, le calorique en a dilaté les vaisseaux, appelé dans cette partie l’afflux d’une plus grande quantité des liquides en circulation, et élevé la température. Il faut bien admettre qu’il s’est produit un mouvement en sens inverse ou réactionnel, puisque le résultat final de l'opération est celui-ci : la main refroidie s’est réchauffée, la main chauffée s'est refroidie; la première est plus chaude et la deuxième est plus froide qu'avant l’expé- rience. L'étude complète des phénomènes réactionnels est trop vaste pour que nous puissions l’aborder dans ce mémoire; je me bornerai à énoncer quelques principes usuels en hydrothérapie. En admettant que la réaction soit une résistance de l'organisme, cette résistance doit nécessairement être proportionnée à l'énergie de l’action qui la provoque. 542 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Ainsi la réaction est d'autant plus vive que l’eau est plus froide. L'activité réactionnelle est susceptible de s’acquérir par l'exercice aussi bien que l’activité musculaire. La réaction est donc plus facile et plus rapide chez les baigneurs soumis depuis quelque temps à l’action de l'eau froide que chez les commencants, toutes choses égales d’ailleurs. On peut suppléer au manque d'habitude en préparant la peau à réagir par une excitation particulière, obtenue au moyen d’un enveloppement quelconque, ou même du calorique. Les malades préalablement soumis à la sudation réagissent plus facilement. Enfin, si l'application de l’eau froide est faite de telle sorte qu’elle exerce, indépendamment des conditions ordinaires, une action excitante, comme la percussion, par exemple, la réaction se produira plus facilement encore. Les malades se réchauffent d'autant plus vite que les douches sont plus fortes et qu'elles les frappent plus vivement. Pour en revenir aux applications locales d’eau froide : les unes sont simplement antiphlogistiques, les autres sont résolutives, dérivatives et excitantes. Les premières se composent de compresses ou d’irriga- tions continues, maintenues à une température de 44 à 18 degrés. Les compresses sont renouvelées assez souvent pour qu'elles n’aient pas le temps de se réchauffer ; les irrigations sont faites de manière à n’exercer aucune per- cussion sur la partie malade. Les compresses fortement tordues, imbibées d’eau très- froides et laissées en place, ont une action qui peut être à VINGT-QUATRIÈME SESSION. 543 la fois résolutive, excitante et dérivative. Ces différents degrés de leur action dépendent uniquement de l’inten- sité de la réaction qu’elles déterminent. La ceinture mouillée, si fréquemment employée par Priesnitz et ses continuateurs , fait naître souvent des éruptions violentes (1), etoffre ainsi un exemple de l’exci- tation qu’elle peut produire sur l'enveloppe cutanée. * Le bain de tête est peu usité : c’est un mauvais antiphlo- gistique ; il a plus d’inconvénients que d'avantages, et la position forcée qu'ilimpose aux malades peut devenir une source de dangers. Le bain de pieds est toujours dérivatif : il doit être pris à eau courante, dans l’eau la plus froide, et réunir toutes (1) Ces éruptions ont été considérées par un grand nombre de praticiens comme des crises salutaires ; il en est d’autres qui, au contraire, ne voient dans ce phénomène qu'une action purement locale, presque toujours fâcheuse. Sans adopter ici l’une de ces deux opinions d'une manière exclusive, il est de notre devoir de faire connaître un fait curieux qui s’est plusieurs fois produit à notre observation. Les éruptions varient chaque année, quant à K forme et quant à la fréquence; de sorte qu'on pourrait croire qu’elles dépen- dent des constitutions médicales. En 1854, par exemple, presque tous mes malades ont eu des urticaires dés les premières se- maines de leur traitement; en 1856, ce sont les exanthèmes lichénoïdes qui ont été les plus fréquents; en 1857, au con- traire, les éruptions ont élé très-rares, et à forme érythéma- tique. Cette remarque ne se rapporte pas seulement à l’action de la ceinture mouillée, mais bien à celle de toutes les applica- tions d'eau froide. Ainsi, la douche détermine souvent, aux époques où les éruptions sont fréquentes, des excoriations aux jambes, telles, qu’on est obligé forcément de la suspendre. Il me semble que si les éruptions n’avaient rien de critique, elles se produiraient avec plus de régularité , et dépendraient plutôt de l’action immédiate de l'eau froide que des conditions climatériques et nosocomiales. D44 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les conditions propres à produire la plus grande réaction possible. Le bain de siége a subi de nombreuses modifications. Chez Priesnitz, c'était simplement une immersion partielle du corps dans un baquet dont l’eau, ne se renouvelant pas, s'échauffait rapidement. Plus tard, on a disposé l'appareil de manière à avoir le bain à eau courante. Enfin, dans ces derniers temps, le bain de siège est devenu, entre les mains habiles de M. Fleury, une espèce de douche hypo- gastrique, soumettant tout le bassin, depuis la ceinture jusqu'aux cuisses, à une multitude de jets. Le bain de siège est essentiellement dérivatif; il congestionne vive- ment les vaisseaux hypogastriques. On peut cependant tempérer son action, et, dans certains cas, l’employer comme antiphlogistique. Les douches ascendantes étaient inconnues à Grœæffen- berg; tout au moins y étaient-elles fort négligées. Jean Gross en parle assez légèrement. La douche rectale jouit cependant d’une très-grande efficacité contre les consti- pations atoniques, contre les pertes séminales, etc., etc. La douche vaginale est un des meilleurs résolutifs de l’état congeslif de l'utérus. En résumé, on peut dire que les applications locales d’eau froide ont été conservées à peu près telles que Pries- nitz les pratiquait, à quelques modifications près. Il n’en a pas été de même du maillot, et Priesnitz lui-même est loin d’avoir toujours conservé pour cette forme de suda- tion la même prédilection. L’excitation nerveuse et la céphalalgie qui en résultent souvent l'avaient engagé à le modifier. Ayant remarqué qu'à la suite d’enveloppe- ment dans le drap mouillé, les malades se réchauffaient assez vite, qu'ils arrivaient même à transpirer au bout VINGT-QUATRIÈME SESSION. 545 d'un certain temps, et que cette forme d’enveloppement était moins pénible que la première, il commenca par substituer fréquemment le maillot humide au maillot sec. Mais le grand nombre des malades, dont la plupart fai- saient une partie de leur traitement chez leurs hôtes, c’est-à-dire en dehors de l'établissement, l'impossibilité de la part de Priesnitz de surveiller exactement la cure et d'étudier les différents phénomènes produits dans le cours du traitement, tendaient à imprimer au régime médical des clients de Grœffenberg une uniformité presque com- plète. C’est ainsi que le maillot humide en vintà détrôner complètement le maillot sec. Un des nombreux visiteurs de cet établissement m'a assuré que, dans les derniers temps de sa vie, Priesnitz avait de beaucoup tempéré la sévérité de son régime au point de vue de la sudation. La méthode hydriatique se trouvait donc déjà modifiée dans ce qu'elle avait de plus essentiel, au dire de Jean Gross, et, qui plus est, modifiée par son inventeur lui- même. J'insiste sur ce fait capital, car nous trouvons aujourd’hui des hydropathes qui, passez-moi l’expression, plus royalistes que le roi, renchérissent encore sur le rigorisme de Priesnitz, et ne veulent accepter aucune tran- saction quand il s’agit de la sudation au maillot. M. Fleury a parfaitement établi ce qui distingue l’hydrothérapie empirique de l’hydrothérapie rationnelle. D'un côté, l’uniformité dans les procédés, les mêmes moyens appli- qués sans distinction à toutes les maladies, le maillot constituant la partie essentielle et comme la base de Ja cure. De l’autre, distinction dans l’action particulière des différents procédés hydriatiques considérés comme toni- ques, sédatifs, excitants, révulsifs, altérants, etc., admi- nistration de ces différents procédés avec discernement, I 35 546 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. aux affections qui peuvent se prêter à ce genre de médi- cation. La différence qui existe entre les méthodes hydropathi- ques est donc bien plus dans la manière d'employer les divers procédés dont elles se composent que dans ces pro- cédés eux-mêmes. C’est ainsi que le maillot, appliqué à tous les malades indistinctement, a été réservé pour ceux qui pouvaient tirer quelque parti des pertes réitérées de transpiration. Les rhumatisants, les goutteux, les scrofuleux, etc., y sont encore soumis, tandis qu’au contraire les anémiques, les convalescents, les névropathiques en sont exonérés. Indépendamment des actions diverses que l’eau froide tire de son mode d'administration, il en existe qui sont essentiellement invariables. Ainsi, de quelque manière que l’eau soit appliquée, son premier effet est de sous- traire au corps immergé une certaine somme de calorique qui est en raison inverse de la température de l’eau et en raison directe de la durée de l'immersion. Or, ce phéno- mène, si simple en lui-même, jouit d’une énergie sans égale sur l’économie tout entière. « Toucher à la calorification c’est donc, en quelque sorte, toucher au ressort de l’existence et faire retentir les mouvements qu’on lui imprime du côté des fonctions les plus importantes de l’économie. Placer l'organisme dans la nécessité de produire une plus grande dose de chaleur en l’exposant à des pertes réitérées de calorique, c’est d’abord accélérer la consommation de la matière organi- que, par cela même activer le mouvement de décomposi- tion (et par conséquent de recomposition); c’est stimuler la respiration et l’oxigénation du sang qui en est la con- séquence; c'est exciter la circulation et la mutation de iii iii ti dat VINGT-QUATRIÈME SESSION. 547 la matière dans les dernières divisions capillaires; c’est éveiller le besoin de réparation et, enfin, impressionner directement l’innervation; c’est, en un mot, agir à l’aide d’un levier d’une puissance sans égale, puisqu'il est à même de remuer l’organisation tout entière. » (Lubansky, Des indications et des contre-indications de l’hydro- thérapie). La soustraction du calorique s'accompagne d’une im- pression nerveuse qui s’émousse par l'habitude et qui peut devenir à peu près nulle. Cette circonstance à donné à croire qu’à ce moment l’hydrothérapie avait perdu toute espèce d'efficacité; que, par conséquent, le traite- ment devait être suspendu dès que l'impression du froid avait perdu son intensité première. Les praticiens qui ont raisonné de la sorte ne tenaient compte que de l’élémentnerveux; mais l'habitude ne sau- . rait faire qu’un corps inerte ou vivant, peu importe, plongé dans un liquide de température différente, ne lui prenne ou ne lui cède du calorique, selon qu'il est plus froid ou plus chaud que ce liquide. C’est là une loi physique à laquelle aucun corps ne saurait échapper d'une manière absolue. Or, la principale efficacité de l’eau froide lui vient principalement de la soustraction du calorique. L'impression que détermine le contact de l’eau froide produit une suffocation, une angoisse assez pénible, qui n’est que le résultat de la suspension momentanée de la respiration. Ce sentiment est de beaucoup plus doulou- reux que la sensation du froid, quelle que soit son inten- sité. On à donc cherché les moyens propres à rendre cette période de l'application de l’eau froide moins longue, moins anxieuse, et par conséquent plus supportable. 548 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Chacun a proposé son procédé : le dernier appartient à M. Wertheim, et consisterait à donner la douche sur les jambes d'abord, et à n’arriver à toucher le thorax que gra- duellement. Ce procédé n'est applicable, comme on le voit, qu'à l’administration des grandes douches. Il a l'inconvénient d'obliger le praticien à agir primitivement toujours sur le même point, alors qu’il pourrait lui convenir de porter ailleurs cette action. Le temps consacré à prévenir la suffocation est assez long, et si la douche n’agit pas pendant cé temps dans le sens qu’on se propose de lui donner, elle n’en soustrait pas moins une quantité notable de calorique. On peut avoir à traiter des malades à réaction difficile, et alors la douche manque non-seulement son but, mais elle s'expose à déterminer des accidents. | Etudions physiologiquement ce phénomène de la suffo- cation résultant de l'immersion du corps dansles liquides, et cette étude nous indiquera un moyen de la combattre. La suffocation est ordinairement déterminée par une difficulté dans l'inspiration : c'est donc une dyspnée. La forme qui nous occupe est, au contraire, le résultat d'une impossibilité dans le mouvement d'expiration. Lorsqu'on entre dans un liquide, en descendant dans un bassin plein d’eau, par exemple, à mesure que l’eau monte, une contraction des muscles éleveurs des côtes dilate la poitrine. Ce phénomène, qui est d'autant plus intense que l’eau est plus froide, toutes choses égales d’ailleurs, commence à se manifester bien avant que le thorax baigne dans le liquide. À mesure que l'on s'enfonce, l'inspiration devient plus énergique, tandis que l'expiration devient, au con- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 249 traire, de plus en plus faible. Dès que la poitrine ressent le contact de l’eau, l'inspiration est à son comble et l'expiration cesse complètement. Pour moi, tout acte physiologique a sa raison d’être. Cette dilatation forcée de poitrine se produit sous l'influence des nerfs de la vie organiqne. C'est une manifestation spontanée entière- ment indépendante de la volonté. Si l'habitude arrive à la modifier, s’est qu'elle émousse la sensation et que les nerfs de la vie de relation reprennent leur empire et pro- voquent dans les muscles qu’ils animent des contractions antagonistes, qui arrivent à produire l’expiration en triom- phant de celles qui maintenaient l'inspiration. La dila- tation de la poitrine en augmente sensiblement le diamètre et diminue le poids spécifique de la totalité du corps. La nature n’aurait-elle pas eu pour but de prévenir l'immersion complète? et n’est-ce pas là un des mille moyens ingénieux de l'instinct de la conservation ? Tout se borne donc, pour faire cesser l'inspiration ins- tinctive, à produire l'expiration volontaire. Pour y arriver, il suffit d'engager les baigneurs à souf- fler fortement, comme s’ils voulaient éteindre une bougie. Dès qu’on leur a donné cette idée, qu’il est souvent utile de leur rappeler sous la douche ou dans la piscine, l'expi- ration volontaire s'exécute et la suffocation cesse. En se plongeant tout à coup dans la piscine et en soufflant for- tement dès qu'on a la tête hors de l’eau, la respiration n'est presque pas gènée. Sous la douche, deux ou trois coups de jet mobile, appliqués à la partie postérieure du corps, de haut en bas, et très-rapidement, en ayant soin de laisser respirer le malade entre chaque jet, suflisent pour habituer le malade au contact de l'eau froide et pour prévenir la suffocation. Par ce moyen, qui n’est d’ailleurs 550 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. bien utile que dans les premiers jours de traitement, point de suffocation, point d’anxiété, et surtout pas de temps perdu sous la douche. L'ingestion d'une certaine quantité d’eau froide par petite quantité à la fois, de manière à ne pas fatiguer l'estomac, exerce aussi une action générale qui ne saurait être mise en doute. Son introduction dans l’économie augmente les excrétions etles sécrétions et peut dissoudre une plus grande partie des sels excrémentiels qui s’y forment incessamment. Priesnitz avait poussé cette partie de la cure jusqu’à Fexagération ; plusieurs &e ses malades ont bu des quan- tités prodigieuses d’eau froide. Aujourd'hui, par une espèce de réaction, on néglige peut-être un peu trop cette partie du traitement. Il nous reste à examiner une question par laquelle j'au- rais dû commencer. Quelle est la température à laquelle l'eau doit être administrée ? Rigoureusement, la température de l’eau devrait être proportionnée à la somme de réaction voulue. Ainsi, on emploierait l’eau de 45 à 18 degrés dans les affections pour lesquelles il faut éviter la réaction, et l’on réserverait les basses températures pour provoquer des mouvements réactionnels énergiques. Mais une semblable méthode entrainerait trop de difficultés. Il est préférable d'adopter une température constante et de modérer ou d'exciter la réaction par la forme de l'application. C'est ainsi qu’un drap mouillé. modérément trempé dans une eau à 10°, peut tenir lieu d’une piscine à 45°. Une douche de deux minutes avec l’eau à 40° et réduite en poussière VINGT-QUATRIÈME SESSION. Do peut remplacer une douche en pluie avec de l’eau à 7, pendant une minute. Ces exemples sufliront à vous faire bien saisir ma pensée. La température que je crois être la meilleure est celle de 40°, parce qu’elle convient au plus grand nombre des cas, qu’elle provoque des réactions modérées, faciles à observer, et qu’elle se rencontre dans les bonnes eaux de source de presque toute la France. Néanmoins, je ne puis me dissimuler que l’hydrothé- rapie devrait comprendre l’eau à toutes les températures, depuis la glace jusqu’à l’eau bouillante ; car le froid, pas plus que le calorique, ne peut être exclusivement appli- cable. Recomnaître l'utilité de l’un de ces agents dans un cas déterminé, c’est reconnaître qu’il peut être nuisible dans les circonstances diamétralement opposées, et réci- proquement. Dans l’état actuel, l'hydrothérapie n’est qu’un des élé- ments d’nne thérapeutique externe, appelée à rendre de très-grands services dans les maladies chroniques, et à laquelle ont conduit les inconvénients et les insuccès des médications externes et de la polypharmacie. Je vous demande la permission d'entrer, à cet égard, dans quelques développements, car c'est là le point essen- tiel de ma communication. IL. Morbos acutos qui Deum habent authorem sicut chronici ipsos nos. Messieurs, Sydenham établissait ainsi, au point de vue de leur étiologie, la distinction entre les affections aiguës et les maladies chroniques : 32 ‘ CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. « Tandis que les causes de nos maladies aiguës sont indépendantes de nous, nous serions les artisans de nos maladies chroniques. » « Ces dernières ont leur racine dans la constitution de chaque individu, dans ce qu'il y a de fixe, d’universel, de permanent dans chaque organisme : et voilà pourquoi elles sont héréditaires. Les maladies aiguës accusent, au contraire, des dispositions morbides transitoires de l’éco- nomie que l'acte même de la maladie épuise et fait cesser. » (Trousseau et Pidoux, Traité de thérapeutique.) Les affections chroniques présentent donc comme carac- tère essentiel une tendance manifeste à se perpétuer et à devenir pour ainsi dire l’état normal de celui qui en est atteint. Ainsi s'explique leur résistance à se laisser influencer par les médications dirigées contre elles. Issues des infrac- tions journalières aux règles d’une bonne hygiène, c’est à l'hygiène surtout qu’il faudrait s'adresser pour triom- pher des désordres constitutionnels que des habitudes vicieuses ou des écarts de régime ont déterminés dans l'organisme. La solidarité qui existe entre les fonctions entraine nécessairement, comme symptômes obligés des maladies chroniques, des troubles généraux, étrangers en apparence à l'affection elle-même, et quis’ y rattachent cependant par des rapports intimes. Ces troubles constituent autant de complications qui ont pour résultat d’obscurcir le diagnostic et d'augmenter les difficultés du traitement. L'importance qu’on leur accorde est si grande, que bon nombre de pathologistes ont conseillé de traiter les symptômes plutôt que létat organique dont ils dépendent. Û VINGT-QUATRIÈME SESSION. 552 Mais suivre ce précepte, c’est préférer les moyens pallia- tifs aux mesurés radicales; c’est d’ailleurs s'exposer à rencontrer souvent de sérieuses difficultés. Pour ne citer que les principaux écueils contre lesquels viennent échouer les efforts de la matière médicale, il nous suffira d'indiquer l'intolérance et le suétudisme. Ces deux phénomènes opposés , dont l’un donne à cer- tains corps des propriétés qu'ils n’ont pas ordinairement, tandis que l’autre dépouille des leurs les substances les plus actives. Qui de nous ne s’est vu souvent arrêté dans la pratique par une de ces circonstances bizarres, inexplicables, qui transforment en un irritant énergique les médicaments les plus connus par leurs propriétés calmantes? Qui de nous, enfin, n’a vu les remèdes les plus actifs s’'émous- ser el devenir à peu près inertes sous l'influence d’une administration un peu prolongée ? Explique qui pourra ces effets singuliers : attribuer les uns aux idiosyncrasies et les autres à l'habitude, c'est reculer la solution du problème, mais ce n’est pas le résoudre. Dans tous les cas, le praticien ne sera pas plus éclairé sur les résultats probables des moyens qu’il em- ploiera ; son guide unique c’est la règle générale qui lui a fait connaître les effets physiologiques et thérapeutiques les plus ordinaires des agents de la matière médi- cale, et cette règle rencontre tous les jours de nouvelles exceptions. Souvent aussi, les malades éprouvent une aversion in- surmontable pour toute espèce de médicaments. Quelque habileté que développe le médecin pour donner à ses prescriptions les formes les plus acceptables, la délica- tesse exagérée des sens du malade perce l'enveloppe d’or 55% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ou d'argent qui revêt la pilule la plus savamment com- binée, pour y découvrir une saveur qui répugne, provoque une contraction instinctive, irrésistible du gosier, et rend impossible la déglutition. Comment, dans de semblables conditions, suivre ce précepte de tant d'illustres prati- ciens : à maladies chroniques opposez une médication chronique ? L'inconstance et la versatilité que donne aux malades l'excitation nerveuse, cette compagne obligée des affec- tions chroniques, ne sont pas des obstacles faciles à vaincre. Un traitement dont les résultats heureux ne sont pas dans les quinze premiers jours assez manifestes pour ranimer l'espoir de celui qui s’y soumet, court grand risque d’être abandonné sans retour. C'est alors que commence la moisson des charlatans, des guérisseurs, qui, bien plus préoccupés d'attirer et d'exploiter les malades que de les guérir, savent flatter leur goût pour le merveilleux et leur espérance en une guérison que la bizarrerie des moyens employés, plus encore qu’un léger soulagement, semble leur pro- mettre. Et puis, ilfaut bien le dire, si, abstraction faite des maladies reconnues incurables, la matière médicale pos- " sède des ressources contre les affections chroniques, il est cependant des états particuliers qu'elle est impuissante à modifler. D'un autre côté, telle médication qui détermine de prime abord des accidents de nature à la faire abandonner, finit à la longue par produire les meilleurs résultats. Il faut qu'un médecin soit bien sûr de lui pour oser persé- vérer dans de semblables circonstances. Telle autre, au contraire, fait concevoir au début le plus VINGT-QUATRIÈME SESSION. 990 brillant espoir, qui bientôt cesse d'agir et laisse souvent empirer la maladie. Combien, dans ce cas, ne faut-il pas de résignation de part et d'autre pour ne pas se laisser aller au décou- ragement | Ordinairement on cherche, à cette période du traite- ment des affections chroniques, à remplacer les remèdes par les agents externes. Il est à remarquer que, plus un praticien à vieilli dans ces luttes courageuses et souvent désespérées de la méde- cine contre les maladies, plus, en un mot, il a acquis d'expérience dans son art, plus on le trouve sobre de médicaments et fertile en expédients ingénieux puisés dans les moyens externes : le régime, les soins et les pré- cautions hygiéniques. L'idée qui présida à la propagation de ce qu’on appelait la méthode endermique, fut inspirée par les inconvénients des médications internes. Mais des doutes sérieux s'étant élevés sur l’absorption de la peau recouverte de son épi- derme, on renonca bientôt à l'espoir de parvenir à faire pénétrer avec quelque certitude, par cette voie, les médi- caments dans l’économie. On s’est alors occupé avec plus de soin de l'étude du calorique, du froid, de l'électricité, du massage, etc., comme agents thérapeutiques, et bientôt on s’apercut qu'ils avaient, entre autres avantages, celui de ne pas rebuter les malades, de les occuper et de devenir peu à peu pour eux une habitude presque agréable, un délas- sement, une diversion à leurs souflrances. Ils répondaient en outre à une indication formelle, à lun des principes les plus incontestables et les moins contestés de la thérapeutique, à savoir que les dérivations LA YINGT-QUATRIÈME SESSION 990 ou les révulsions doivent s'exercer sur les organes mis en opposition par la nature. On ne dérive pas, par exem- ple, les affections de la peau sur la peau elle-même, mais bien sur les muqueuses intestinales, et réciproquement. Or, les maladies chroniques, les dermatoses exceptées, ayant principalement leur siége dans les organes profonds, l'idée de les dériver sur les téguments externes se pré- sentait tout naturellement. L'absence de transpiration et même de perspiration cutanée, l’état atonique de la peau, sa sécheresse, l’altération de sa consistance et surtout de sa couleur par cette teinte bistrée particulière à tout élat chronique, devait faire espérer, par une espèce de réci- procité, que le rétablissement de ces fonctions serait pro- bablement suivi d'un amendement des accidents à com- battre. Sans avoir la prétention de faire ici l’histoire complète des tentatives plus ou moins heureuses entreprises dans ce but, nous pouvons néanmoins en indiquer sommaire- ment les principales, et montrer les ressources qu'elles renferment : Les premiers expérimentateurs eurent en vue de con- gestionner la peau. Ils le firent au moyen du calorique sous différentes formes, du massage, de la percussion, elc. Il serait difficile de dire si ces différents moyens, dont s’est enrichi le domaine de la médecine, lui appartien- nent en propre, ou s'ils ont précédemment fait partie des coutumes hygiéniques ou religieuses des premiers peu- ples; quoi qu’il en soit, la thérapeutique s’en est emparé et les a rationalisés; aujourd'hui, un grand nombre de travaux, très-savants et très-consciencieux, établissent in- contestablement leur efficacité dans une foule de maladies. Depuis le cautère, qui désorganise les tissus qu'il 557 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. importe de détruire, jusqu’à la simple insolation, le toni- que par excellence des convalescents, que de degrés intermédiaires ! L] Pour nous renfermer dans les limites de l'hydrologie médicale, nous ne parlerons que des bains et douches d’eau chaude, des bains et des douches de vapeur et des étuves sèches. Les bains et les douches d’eau chaude et de vapeur sont administrés ordinairement dans les établissements d'eaux thermales plus où moins riches en principes minéralisa- teurs, et auxquelles on fait presque toujours les honneurs” des cures obtenues. Je suis convaincu qu'une analyse plus minutieuse des faits prouverait que le calorique prend une grande part à ces résultats avantageux. J'ai recueilli l'observation d’un cas de névralgie sciatique guérie par les bains d’eau chaude. Le malheureux qui en était atteint imagina, pour apporter quelque soulage- ment aux souffrances qu’il endurait, de se plonger tout entier dans l’eau aussi chaude qu'il pourrait la supporter, environ 38° à 40°. Le premier bain l'ayant soulagé, il continua pendant cinq ou six jours de suite, au bout des- quels il fut guéri. Une pareille cure aurait été attribuée, sans aucun doute, à la thermalité naturelle, ou bien aux agents chimiques, si elle se fût produite dans un établis- sement d’eau minérale. Mais voici un exemple plus curieux encore de l'efficacité du calorique dans une af- fection contre laquelle on n'aurait jamais eu l’idée de l’'employer, au moins sous cette forme. Une dame était atteinte d’une azéma subaigué; elle éprouvait à la peau une sensation de démangeaison assez vive, et quelquefois même de cuisson ; néanmoins la maladie n’était pas fran- chement inflammatoire. Quelques remèdes spéciaux 598 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. avaient été ordonnés, notamment les pilules asiatiques; mais dans les premiers jours de leur administration, de l’insomnie, de l'agitation et quelques crampes d'estomac s'étant manifestées, on y renonca. Pour tout traitement, notre malade prenait tous les jours deux ou trois verres d’une tisane de fumeterre. La maladie continuait et ne paraissait pas subir la moindre influence de ce remède. Me ** eut un jour l’idée de prendre un bain tiède ; mais le trouvant un peu chaud, elle n’y demeura qu’une demi- heure. En s'habillant au sortir du bain, la peau de tout son corps lui sembla fluxionnée ; déjà elle se repentait de ce qu’elle considérait comme une imprudence; puis, peu à peu, cette sensation diminua et finit par disparaître tout à fait pour faire place à une sensation de bien-être. Ce jour-là les démangeaisons furent moins incommodes : il n’y eut pas de cuisson. Les résolutions des malades changent vite; la nôtre passa bientôt de la crainte à l’es- pérance. Le lendemain elle prenait un second bain, exac- tement dans les mêmes conditions que le premier; puis, le lendemain, un autre, et ainsi de suite tous les jours pendant un mois. Au bout de ce peu de temps, l'érup- tion éczémateuse avait complétement disparu; les croûtes étaient tombées, et c’est à peine si, dans les points les plus gravement atteints, la peau présentait encore quel- ques légères traces de rougeur, derniers vestiges de la maladie. ÿ Ces deux observations prouvent, à mon avis, que, dans les traitements par les eaux thermales, on ne tient pas assez compte de l’action du calorique ou de la tempéra- ture en général, et qu’on accorde, au contraire, beaucoup trop d'importance aux principes minéralisateurs. Seulement, la science ne possède encore aucune donnée VINGT-QUATRIÈMÉ SESSION. 559 positive sur les températures qu'il convient d'appliquer dans les différentes maladies, sur les effets particuliers à l’eau chaude ou en vapeur, sur l’action spéciale des bains d’étuve sèche. Dans quel cas convient-il d'employer les premiers, dans quelles circonstances doit-on préférer les seconds ? Une des propriétés les plus singulières du calorique est celle de hâter la cicatrisation des plaies. M. Jules Guyot a probablement été guidé dans l'institution de la méthode incubatoire par les faits qui se rattachent à cette pro- priété. L'heureuse influence de ce système de traitement dans les plaies, les ulcères, les tumeurs blanches, les affections de la peau, l’hystérie, la chlorose , la chorée, la catalepsie, les convulsions des enfants, et même contre le tétanos, démontre que le calorique jouit en outre de pro- priétés sédatives réactionnelles incontestables. Le calorique, le premier des stimulants, aurait donc, par réaction, des effets sédatifs utilisables, et pourrait, dans certains cas, mais seulement par réaction, agir dans le même sens que le froid. Réciproquement, le froid aurait, par réaction, des pro- priétés analogues à celles du calorique. On peut donc, au moyen de ces deux agents opposés, obtenir des effets semblables. Il n’en faudrait pas con- clure pour cela qu'il fût indifférent d'employer l’un ou l'autre; bien ‘au contraire, des indications précises peu- vent être fournies par la nature même de la maladie. Ainsi, par exemple, tous les médecins envoient aux eaux thermales les engorgements chroniques succédant à des phlegmasies aiguës. Les eaux chaudes agissent, dans ces cas, en dilatant les vaisseaux, en relâchant les tissus, el, par conséquent, en les rendant plus perméables aux 560 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. liquides de l'économie. A la faveur de cette circulation exagérée, les liquides stagnants sont peu à peu ramenés dans le torrent circulatoire, et la résolution de l’engor- gement pourra s'opérer. Il est indispensable, toutefois, que les parties engorgées jouissent d'assez de tonicité pour revenir sur elles-mêmes et se resserrer derrière les liquides résorbés, sans quoi la tuméfaction persistera dans l'organe malade, et si la cir- culation y est devenue plus facile, plus parfaite, la gué- rison n’est cependant pas assez complète pour que la récidive puisse être conjurée. Quand il y a atonie complète des tissus, le froid agit plus sûrement et plus énergiquement que le calorique , parce qu’il peut leur rendre leur contractilité. M. Vidal de Cassis a observé que, sous l'influence des douches froides, l'utérus engorgé se resserre et diminue sensiblement de volume, et qu’à la faveur de ces contractions artificielle- ment et fréquemment provoquées, les engorgements les plus volumineux et les plus rebelles finissent par dispa- raître. Indépendamment de cetavantage qu’il possède presque seul, le froid agit encore réactionnellement par les pro- priétés qui lui sont communes avec le calorique, c'est- à-dire qu'il active la cireulatiou, tout en rendant aux tissus leur tonicité que l'influence de la chaleur tendrait à leur faire perdre. Néanmoins, il existe des engorgements si volumineux, que l’action résolutive du froid est impuissante à en triompher. Il convient alors de commencer par attaquer le mal au moyen du calorique, sauf à chercher plus tard, ou même alternativement, à réveiller la contractilité fibrillaire, lorsque la circulation est devenue plus facile. VINGT-QUATRIÈME SESSION. . 561 Voici donc en résumé quelles sont les indications que peut fournir, sur le choix à faire du calorique ou du froid, la nature de la maladie que nous avons choisie pour exemple : Engorgement volumineux, la contractilité des tissus n'étant point encore complétement abolie, le calorique ; engorgement volumineux, contractilité complètement abo- lie, le calorique d'abord, et le froid ensuite ou simul- tanément; engorgement moins volumineux, la contracti- lité étant grande ou même exagérée, le calorique; en- gorgement moins volumineux, atonie complète, le frod ; engorgement douloureux avec tendance au passage à l'état aigu, le froid tempéré, avec les précautions propres à prévenir les réactions trop vives. Ce résumé pratique est certainement très-incomplet ; mais il n’a d'autre but que de montrer qu'entre deux agents fort opposés en apparence, et appliqués cependant à combattre la même maladie, il est facile de faire un choix judicieux. Pour terminer ce parallèle des effets du calorique et du froid, il nous reste à considérer que le phénomène de la réaction est un produit de la spontanéité organique, un moyen de protection et de conservation contre toute espèce de modification par lequel l’organisme oppose toujours à la chaleur une sédation spontanée, et au froid extérieur une excitation spontanée (Trousseau et Pidoux ). C'est par elle, enfin, que l’état normal se rétablit et se maintient. Il en résulte, comme conséquence forcée, que la réaction est essentiellement plus persistante que l'action primitive qui l’a faitnaître; et l’on en peut con- clure la grande utilité des médications qui ont pour résut- tat d'habituer l'organisme à réagir et de lui fournir 1es 1 36 562 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ressources nécessaires pour l’accomplissement de cet acte important. De même qu'au point de vue théorique le calorique et le froid sont liés si intimement, qu’il est impossible de les concevoir l’un sans l’autre, de même aussi, au point de vue pratique, me paraît-il difficile d'employer exclusi- vement l’un ou l’autre de ces deux agents. Cependant, le froid répond à des indications nombreuses et variées ; la glace, par exemple , a été employée comme antiphlogistique, en application sur le front pour conjurer les congestions célébrales; comme hémostatique, comme anesthésique, comme modificateur des humeurs de mau- vaise nature, par le docteur Arnott; comme coagulant du sang dans le traitement des anévrismes; comme excitant de l'estomac dans les dyspepsies; comme calmant et sédatif du même organe dans certaines formes de vomis- sement, etc., etc., et je suis loin d’avoir tout dr sur les différentes applications de la glace. Le froid a joui pendant longues années d’une très- grande vogue dans le traitement des plaies et de l’entorse. On sait combien Percy faisait de cas de ce moyen. De nos jours encore, le traitement des plaies d'armes à feu par les irrigations continues est admis comme règle générale dans plusieurs services du Val-de-Grâce. Aux effets purement locaux déterminés par le froid, viennent encore s'ajouter les effets généraux. L’hydro- thérapie a démontré tout le parti qu’on pouvait en tirer, en éclairant les praticiens sur beaucoup de détails de son administration. C’est évidemment l’un des grands ser- vices qu’elle ai rendus à la science. Cete méthode, que l’on retrouve dans les mœurs et dans les pratiques hygiéniques, médicales et religieuses YINGT-QUATRIÈME SESSION. 563 de tous les peuples, a subi des vicissitudes dont la cause est facile à découvrir : prônée à l’excès par les uns, rejetée trop exclusivement par les autres, elle est encore en butte aux exagérations des deux partis. Il arrivera probablement un moment où, dégagée des entraves qui gênent son essor, elle pourra définitivement prendre dans la science le rang qui lui appartient. D'ailleurs, l’hydrothérapie ne tire pas seulement sa puissante efficacité des différentes formes sous lesquelles elle emploie l’eau froide; il ne faut pas oublier qu'elle eut pour berceau les montagnes pittoresques de la Silésie autrichienne, et que l’air pur et le régime sévère de l’éta- blissement de Græœffemberg peuvent revendiquer une grande part dans les miracles qui s’y sont opérés. L'eau n’est pas plus exclusivement l'agent de ces gué- risons surprenantes que les principes minéralisateurs ne sont les seules causes des cures produites par les eaux thermales. De même qu'on a vu des affections très-rebelles s’a- . mender et s’éteindre, même sous l'influence d’un séjour un peu prolongé à la campagne et d’un régime convenable, de même aussi on a vu produire par l’eau de source des effets identiques à ceux que déterminent certaines eaux minérales. Il-en est, par exemple, qui sont purgatives à la dose de dix ou douze verres pris à jeun. Or, il est à remarquer que l’eau fraîche produit, à la même dose et dans les mêmes conditions, des évacuations alvines assez copieuses. IL est donc évident que les eaux minérales auxquelles je fais allusion purgent par l’eau qui les compose et non par les sels qu’elles renferment. Cela est si vrai, que les eaux extraordinairement minéralisées (les eaux de Challes, par 564 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. exemple ) et contenant en très-grande proportion les mêmes sels, ne sont que très-faiblement purgatives. On peut appliquer les mêmes principes à l’'intérpréta- tion des observations des cures produites par les eaux minérales froides, appliquées localement au traitement de quelques maladies chroniques , et notamment des en- gorgements du col utérin. Il est hors de doute que dans beaucoup de ces £as heureux, on n’a pas pensé à faire les honneurs de la guérison à son véritable auteur. On s’est laissé dominer par l’idée de la présence d'un sel quel- conque dans les eaux émployées, et cette circonstance a fait oublier que ces eaux étant froides, leur température pouvait bien être pour beaucoup dans les résultats obtenus. Il y à quelques années, une nouvelle manière d’appli- quer le froid fit une certaine sensation dans le monde médical. Dans les dermatalgies, on recouvrait les parties douloureuses de plaques métalliques. Cette enveloppe, s'appliquantexactement sur la peau, y déterminait d’abord une sensation de froid assez intense; mais là ne se bor- naient pas les effets de ce contact. Le métal, comme bon conducteur, donnait issue à une quantité notable de calorique. Quelques adeptes dé la métallothérapie allèrent jusqu'à prétendre qu'à la surface de l'armature de cuivre ou de fer, la combinaison des deux électricités pouvait s'opérer, et qu'il fallait atribuer à ce fait le soulagement obtenu. Ce qu'il y a de certain, c'est que le froid administré de cette manière se comporte, quant à la réaction, absolu- ment de la même facon que les compresses d’eau froide. A la première impression succède bientôt une douce chaleur éminemment sédative. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 565 Eafin, pour terminer ces considérations sur l'emploi thérapeutique du froid, il me reste à signaler une idée qui m'a été communiquée il y a peu de temps. Un méde- cin très-recommandable de Lyon m'a entretenu des bons effets qu'il aurait obtenus dans le traitement de l'emphy- sème pulmonaire, en faisant respirer à ses malades un air aussi frais que possible. Il m'a même beaucoup engagé à chercher un procédé qui permit d'employer facilement ce moyen, qu'il considère comme très-efficace. C’est là, je crois, une application toute nouvelle et dont il n'estpas possible de prévoir les résultats, mais pour la- quellele savoir etla grande expérience du praticien qui m'en a parlé m'inspirent beaucoup de confiance. D'ailleurs, grâce à l'ingénieuse invention du docteur Salles-Girons, on saura bientôtceque pourra produire l’eau fraîche introduite à l’état d'extrême division dans les voies respiratoires. De tout temps, les frictions et le massage ont été vantés par les thérapeutistes : Asclépiade-Brusse recommandait les frictions comme hygiéniques et prophylactiques par excellence. Celse revendique l'honneur de les avoir inven- tées, et même il en répandit l'usage à Rome. Il leur attri- buaitune action régulatrice de la nutritionpar l'activité qu’elles impriment aux sécrétions et par conséquent à la circulation. A défautde quinquina, Gallienet Borellus les ont employées avec succès dans les fièvres intermittentes ; Petroz s’en servait pour couper le spasme et la concen- ération des forces sur l’épigastre; en d’autres termes, pour opérer une dérivation salutaire dans les cas de gas- tralgie, de gastrite chronique, .et pour obtenir une séda- tion du système nerveux général. De nos jours encore, elles sont considérées comme un excellent moyen de combattre l'obésité et d'entretenir la circulation dans les 566 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. membres paralysés, afin de prévenir l'atrophie musculaire. Malgré ce concert d’éloges, on est tenté de se demander s’il est un seul médecin qui emploie encore les frictions? On pourrait en dire autant du massage, dont l’action ne se borne pas seulement à la peau, mais s'exerce égale- ment sur la circulation profonde des membres. Cette pression agréable des muscles fatigués rétablit l'équilibre circulatoire, fait cesser la contraction tonique des tissus, et répartit plus exactement et plus uniformément dans leur épaisseur les liquides de l’économie. L'influence du massage sur l’état géneral est si manifeste, que les Chinois Femploient encore aujourd’hui pour remplacer la saignée. Hallé et Nysten vont jusqu’à penser que c’est à cette pra- tique, employée comme mesure d'hygiène, que les Orien- taux doivent de n'être point sujets à la goutte. Nous pourrions encore enregistrer ici les bains d’air comprimé, en considération de leur influence surla circu- lation de l'enveloppe cutanée. Sous une pression de deux atmosphères, la peau pälit sensiblement, le sang parait refoulé vers les organes profonds; mais par réaction, dès que cette pression vient à cesser, les liquides chassés de l’épaisseur du derme y reviennent avec une certaine force. Le ralentissement et le calme de la respiration produits par ce genre de bain est d’ailleurs une circonstance très- remarquable, qui peut être très-utilement employée dans le traitement des affections pulmonaires. Les moyens que nous venons de passer rapidement en revue agissent particulièrement sur la circulation de la peau ; il en est d’autres qui s'adressent plus spécialement à sa sensibilité. Tels sont l’aimantation et l’électricité. Lorsqu'on à lu tout ce qu'ont écrit Unzer, d'Altona; VINGT-QUATRIÈME SESSION. 507 Deimann , d'Amsterdam; Hensins, de Soran; Harsu, de Genève, et surtout Andry et Thourret, sur le traitement des névroses et de l'asthme par l’aimantation, on est étonné de voir un semblable moyen aussi négligé qu'il l'est aujourd'hui. Il y a certainement dans l’action thérapeutique de cet agent quelque chose d'inconnu que l'expérience seule pourrait faire découvrir. L'électricité doit en grande partie l'importance qu’elle a acquise dans ces derniers temps, aux travaux si remar- quables de M. le docteur Duchesne, de Boulogne. Cet estimable savant dirige sur les nerfs et les muscles des courants qui font de l'électricité une médication positive et toujours active. Si l'on devait donner au système de M. le docteur Du- chesne, de Boulogne, une épithète caractéristique, on devrait l'appeler la méthode électro-stimulante. MM. Fo- zembaz et Couderet ont émis sur l'électricité des idées diamétralement opposées. Ces expérimentateurs pensent avoir démontré. que dans les organes malades il se déve- veloppe un excédant de fluide dont la présence entretient et détermine peut-être la maladie. Bien loin de chercher à produire de l'électricité, ils s'appliquent au contraire à la soutirer au moyen d’un appareil particulier auquel ils ont donné le nom d’électro- moteur. Ilest vrai de dire que cette théorie ne s'applique pas au traitement des paralysies, traitement qui a donné au système de M. Duchesne, de Boulogne, ses plus bril- Jants résultats. Les deux méthodes ne doivent donc pas être considérées comme rivales ; seulement, elles condui- sent à des recherches bien différentes. Nous savons aujourd’hui ce qu'il est possible d'obtenir 568 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des courants par induction, appliqués au traitement des paralysies, des contractures, etc.; leur action sur la sécré- tion laiteuse peut faire pressentir toutce que l'électricité est capable de produire comme excitation organique fonc- tionnelle. Nous sommes beaucoup moins éclairés sur l'influence de la soustraction du fluide électrique dans les phlegmasies. Les observations rapportées par M. Couderet ne sont pas assez rigoureuses pour qu’il nous soit permis d'en tirer des conclusions bien positives. Elles l'ont con- duit à des théories fort séduisantes, qui, n’eussent-elles pour résultat que de provoquer de nouvelles recherches, n’en seraient pas moins, pour les auteurs, un titre à la reconnaissance du monde médical. Ling, et après lui Brating et Georgii, imaginèrent de traiter les maladies au moyen de la gymnastique médi- cale. Ils voulurent aussi systématiser leur méthode qui reçut le nom de kinésithérapie. Une combinaison fort ingénieuse des mouvements actifs et passifs de certaines parties du corps suflirait pour modifier assez rapide- ment, et dans une direction déterminée, certains états pathologiques. Les malades qui durent leur guérison à la kynésithérapie, s’il faut en croire Georgii, seraient nom- breux. Mais tout en se renfermant dans les limites d’une sage réserve, il ne faut pas oublier que la navigation a été conseillée aux phthisiques autant pour les soumettre au balancement du navire que pour leur faire respirer l’air de la mer. Mercurialis avait déjà imaginé une espèce d'escarpolette sur laquelle il plaçait, dans un siége com- mode, les jeunes filles aménorrhéiques et faibles de constitution. Aujourd’hui, la gymnastique n’est employée en France qu’au’ point de vue prophylactique; ele est destinée surtout à développer le système musculaire des VINGT-QUATRIÈME SESSION. 569 jeunes gens, et à contrebalancer les effets funestes de Vimmobilité et de la contention d'esprit imposée aux enfants de nos écoles. Et cependant il serait bien facile d’en obtenir quelque chose de plus. Chez les jeunes sujets, toutes les parties du corps ne se développent pas toujours avec la même activité, et moins une partie se développe, moins elle est disposée à agir. Il faudrait donc étudier avec soin les prédispositions de chacun, et ordonner les mouvements des membres thoraciques et le chant à ceux dont la poitrine est rétrécie ou dont les bras sont grèles; la course à ceux dont les jambes sont peu musculées, etc. Ces considérations s'appliquent aussi bien aux malades qu'aux enfants. Les prédispositions aux maladies de la respiration, par exemple, trouveraient un modificateur puissant dans la gymnastique, sinon comme traitement unique, au moins comme adjuvant précieux. Sous l'empire de cette idée, j'ai construit plusieurs appareils qui me servent à diriger les réactions de mes malades. Souvent j'étais fort embarrassé de trouver un moyen de dissiper chez eux le froid aux pieds; j'ai fait placer à l'extrémité d’un lit un cylindre tournant autour d’un axe : le malade étendu meut ce cylindre avec les pieds et se les réchauffe assez rapidement. Le corps étant ainsi placé dans un état de repos pres- que absolu, toute l'activité se borne aux membres infé- rieurs, et la circulation ainsi que la calorification y sont très-sensiblement développées. Il s'agirait maintenant d’instituer, à l’aide des différents moyens que nous venons d'énumérer, des médications répondant aux différentes indications qui se présentent dans le traitement des maladies chroniques. On comprend très-bien qu'un établissement spécial où 570 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. se trouveraient réunis tous les appareils nécessaires pour- rait seul réaliser cette révolution thérapeutique. Pour obtenir des effets salutaires d’un traitement semblable, il faut, de la part des malades, beaucoup de persévérance et d’assiduité,; de la part du médecin qui le dirigerait, une surveillance intelligente et d'autant plus active, que la science ne possède point encore les données suffisantes sur les propriétés et sur le mode d'emploi de ces agents extérieurs. C'est donc un terrain nouveau à explorer, à cultiver, à fertiliser, et qui n'attend que les travaux des médecins et des physiologistes. On a déjà pressenti tout le parti qu'il serait possible de tirer de cesystème de traitement; chaque praticien mani- feste ses préférences pour tel ou tel moyen; personne encore n’a songé à les combiner de manière à agir dans un but bien déterminé. Ainsi, dans un savant mémoire publié tout récemment par M. le docteur Bonnet, de Lyon, ce chirurgien distin- gué reconnait qu'une altération de la santé précède l'ap- parition des tumeurs cancéreuses. Ce fait bien constaté l'a conduit à adopter comme règle de n’opérer qu'après avoir fait subir aux malades un traitement général capable de détruire toute prédisposition intérieure. Mais existe-t-il un modificateur assez puissant pour atteindre ce but? « J'ai pensé d’abord, dit M. Bonnet, a l’hydrothérapie, dont le mode d’action est si bien en rapport avec le but que je signale. La cure par l’eau froide a, du reste, l’avan- tage de pouvoir être continuée pendant plusieurs mois de suite, d’être abandonnée puis reprise pendant un temps plus ou moinslong ; avantage signalé, car on ne change qu'avec le temps les dispositions constitutionnelles et VINGT-QUATRIÈME SESSION. 571 pour lesquelles il faut opposer en quelque sorte la chro- nicité du traitement à la chronicité du mal. L’hydro- thérapie n’est pas facilement applicable dans les hôpi- taux; tout manque pour la mettre en pratique : con- ditions hygieéniques, appareils nécessaires, domestiques nombreux et habiles. « Dans la pratique civile, la dépense assez élevée que nécessite un séjour de plusieurs mois dans les établisse- ments spéciaux arrête toutes les personnes peu fortunées, et parmi celles, en assez petit nombre, auxquelles leurs ressources pécuniaires permettent l’emploi dela méthode, il en est peu qui ne reculent devant Pidée d’un long trai- tement préparatoire au bout duquel il faudra encore subir une opération redoutée. « Enfin, il est des cas nombreux qui, par leur gravité, et par l’altération profonde de la constitution, repoussent l’'hydrothérapie : je comprends dans ce nombre tous les cancers, que M. Velpeau recommande expressément de ne pas toucher et qui forment, selon lui, la moitié des cas pour lesquels on est consulté. « Ces obstacles, à l'endroit de l’hydrothérapie, condui- sent à rechercher s’il n'existe pas d'autre méthode qui puisse la remplacer et qui ait, comme elle, l'avantage de restaurer les forces, d'augmenter l'appétit, d'accroître la chaleur, DE RÉTABLIR LES FONCTIONS CUTANÉES. « Celles qui se présentent le plus naturellement sont les eaux minérales chaudes, dont les effets, par des pro- cédés différents, se rapprochent beaucoup de ceux de l'hydrothérapie. » L'auteur en excepte cependant les eaux sulfureuses et salines, qu'il considère comme trop irritantes pour les malades atteints de cancers. 972 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. « Mais les eaux minérales elles-mêmes ont les incon4 vénients de l'hydrothérapie, en ce qu'elles ne sont appli- cables ni aux malades des hôpitaux, ni à ceux qui sont privés de l’aisance, et que la belle saison seule permet leur emploi. « Il faut donc chercher des succédanées de ces puissan- tes méthodes dans des médications plus facilement appli- cables : l'hygiène offre incontestablement ici des ressources précieuses. Le choix d’une alimentation en rapport avec les fonctions digestives et habituellement tonique, sans être excitante, l’exercice à la campagne et, s'il est possi- ble, l'éloignement de toutes préoccupations, font partie de cette hygiène salutaire, etc., etc. » De cette citation il ressort pour nous deux points im- portants : 4° Constatation formelle, positive, de l’action salutaire des agents externes sur la constitution des malades atteints de maladies chroniques en général et de cancer en parti- culier ; 2° Expression d’un vœu : celui de voir ces puissantes . Mmédications mises à la portée de toutes les fortunes. C'est de la soustraction du calorique que l’hydrothérapie tire sa plus grande énergie. Le calorique perdu doit indispensablement être remplacé par l'organisme qui est spécialement chargé de le reconstituer. Or, la respiration, la circulation, l’innervation, la nutrition, jusqu'aux sécré- tions, toutes les fonctions, en un mot, concourent à la calorification. Ainsi s'explique l’action bienfaisante de l'hydrothérapie dans les affections constitutionnelles dépendant d'une aberration de nutrition. L'activité des fonctions est une garantie de leur régularité. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 573 M. le docteur Bonnet reconnaît aux eaux thermales des propriétés analogues à celles de lhydrothérapie; il la préférerait même pour les malades faibles et chez lesquels Ja réaction serait insuffisante. Cette remarque vient à l'appui des observations que nous avons présentées tout à l'heure en faisant le parallèle des actions analogues du calorique et du froid ; elle consacre en outre là nécessité de se ménager la possibilité de disposer, dans certains cas déterminés, de ces deux agents comme correctifs l’un de l'autre. Toutefois, il est évident que ce n’est point aux princi- pes minéralisateurs des eaux thermales que M. le docteur Bonnet entend confier la régénération de la constitution dés malades, mais bien à leur action extérieure, à leur température, comme moyén propre à ranimer la calori- fication affaiblie, « à exciter les fonctions cutanées. » L'eau comme corps diluant, principe constituant, base fondamentale du sang, des excrétions et des sécrétions, véhicule qui permet de localiser et de doser exactement le calorique ou le froid, ne paraît-elle pas être le véritable agent de ces médications puissantes ? Cette modification générale, objet des recherches géné-. . reuses de l’illustre chirurgien de Lyon, ne dépend-elle pas aussi de toutes les conditions hygiéniques dont il convient d’entourer les malades? C’est là surtout ce qui devrait dominer dans lés médications qui relèvent de l’hydrologie médicale. C’est faire beaucoup pour le rétablissement des malades que de les soustraire à leurs préoccupations habituelles, que de leur offrir une habitation agréable, des sites imposants et pittoresques ; que de leur faire res- pirer un air pur et de les soumettre à un régime conve- nable, à un exercice modéré et approprié à leur état 574 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pathologique; que de leur assurer des distractions et d'associer à leur traitement spécial tous ces adjuvants beaucoup trop négligés aujourd'hui. Les établissements d'eaux minérales enregistreraient certainement plus de succès si les plaisirs des grandes villes n’y étaient pas ap- portés par les gens oisifs et bien portants, qui n’y viennent chercher que les bals, le jeu et les fêtes; si, en un mot, ils n'étaient transformés en lieux de plaisance et de dissipa- tion. | Le plaisir y remplace maintenant l'hygiène et en chasse la guérison. Sans imposer aux baigneurs le régime des anachorètes, on pourrait les soustraire aux occasions de commettre des excès auxquels le traitement les prédis- pose déjà et qui sont de nature à compromettre leur réla- blissement. On pourrait leur épargner cette étiquette gênante que ne prescrivent point les règles de l’urbanité et de la plus exquise politesse, mais qu’en revanche l’état de leur santé repousse impérieusement. Que le traitement devienne le but principal du séjour des baigneurs dans les établissements spéciaux, et le plaisir, ou plutôt les distractions, des adjuvants utiles, mais d’une importance secondaire, et l’on ne tardera pas à voir se manifester l'heureuse influence d’une semblable révolution. Ici, Messieurs, la citation que j'ai faite du mémoire de M. le docteur Bonnet, de Lyon, m'oblige à entrer dans des détails peu scientifiques mais tout à fait pratiques, et qui se rattachent incidemment à la question des procédés hydropathiques, puisqu'il s’agit de leur vulgarisation. Il serait, en effet, à désirer de voir s’abaisser le prix de la cure dans les établissements thermaux et hydriatiques. A la faveur d’une réduction de prix, ceux qui viennent y chercher un soulagement à leurs maux pourraient y YINGT-QUATRIÈME SESSION. 575 séjourner plus longtemps et recueillir tous les bénéfices d’un traitement prolongé. Malheureusement la spécula- tion est un obstacle à l’accomplissement de cette réforme. Les baigneurs les plus disposés à se plaindre de l'éléva- tion des prix sonten même temps les plus exigeants sous le rapport du luxe des appartements, de l'exactitude des employés, du service des tables d'hôte, etc., etc. Or, le luxe, l’habileté des employés, les sompluosités gastrono- miques coûtent fort cher, et nulle part on ne peut se les procurer à bon marché, surtout depuis quelques années. Pour les établissements d'eaux minérales, indépendam- ment des frais généraux qu’entrainent l'entretien des sources, appareils, ete., etc., et la location des emplace- ments, les hôtels et les restaurants sont d'ordinaire affer- més fort cher à des industriels qui ne se bornent pas à faire leurs frais. Quant aux établissements hydrothéra- piques, c’est pis encore. Ils nécessitent des emplacements d’une grande valeur, soit qu’on en fasse l'acquisition, soit qu'on les loue : capital engagé ou frais de location absor- bent une grande partie du bénéfice... quand il y en a. Un personnel nombreux : médecin, directeur, comptable, doucheurs, domestiques de toute espèce vient encore dimi- nuer le chiffre des recettes. Dans l’état actuel des choses, une réduction serait donc impossible. Le seul moyen d’y arriver consisterait à former autour des établissements de petites colonies de baigneurs, de petits villages composés de petites maisons bien simples, uniformément et surtout économiquement construites, meublées de tous les objets nécessaires, sans autre luxe ni recherche qu’une extrême propreté. On pourrait adop- ter la forme des chalets suisses ou celle des maisons hollan- daises. On laisserait toutefois aux baigneurs aisés la 576 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. faculté de se meubler plus convenablement. On pourrait aussi avoir des maisons disposées de manière à être divi- séés au besoin en plusieurs logements. Quant à leur location, il ne faudrait pas en confier l’exploitation à des industriels, mais qu'une compagnie s’organisàt, ou que des propriétaires, désireux d'augmenter leur revenu, les fissent construire en se contentant de retirer de leur pla- cement un intérêt de 40 p. % tousfrais payés. On aurait certainement à ces conditions des appartements dont Ja location serait moins coûteuse que dans la plupart des villes de France. Le surcroît de dépense le plus considérable résulte de la différence qui existe entre le prix de la nourriture en famille et celui de la nourriture dans les restaurants; le moyen que je propose ne changerait en rien les condi- tions ordinaires des familles qui se rendraient aux eaux. D'un autre côté, les malades ne seraient plus obligés de se séparer pendant longtenips des personnes qui leur -sont chères; ils émigreraientiavec ceux de leurs proches que leurs occupations ne retiendraient pas impérieuse- ment au logis, ou tout au moins avec ceux dont on se sépare toujours avec peine. Une mère de famille quitte bien difficilement son mari, ses enfants, pour une absence de quinze à vingt jours, un mois au plus; que serait-ce donc si la séparation devait se prolonger plusieurs mois ou une année? Et souvent il faut bien plus que ce temps-là pour triom- pher de certains états pathologiques ! Combien de malades renoncent, au bout d’un mois, aux eaux minérales, à l'hydrothérapie, parce qu'ils les croient sans influence sur leur affection, qui auraient pu être guéris par un traitement plus prolongé ! Il est certain que VINGT-QUATRIÈME SESSION. 577 le peu de temps consacré à ce traitement ne permet pas d’en apprécier toute la valeur. On ignore tout ce qu'il est possible d’en obtenir, même dans les affections pour les- quelles on n'aurait pas osé en essayer; je n’en veux d'autre preuve que les faits cités par M. Bonnet, de Lyon, dans son mémoire sur le traitement préventif et constitution- nel de la diathèse cancéreuse. Il est très-vrai que la dépense est la principale cause qui empêche les malades de s’y soumettre. Aussi ai-je résolu de mettre à exécution mon projet de colonisa- tion dans le voisinage de mon établissement, et de rendre ainsi l'hydrothérapie abordable à toutes les for- tunes. Quant au prix du traitement, surtout comme je l’en- tends, avec adjonction des différentes formes d’adminis- tration, non-seulement du calorique, mais encore du froid, des frictions, du massage, de la gymnastique médicale, etc., etc., il n’a rien d’exagéré en l’état, puisqu'il atteint à peine celui de la visite journalière d’un médecin et des médicaments. Ici se présente la question importante des traitements d'hiver: jusqu’à présent, la belle saison seule est consa- crée aux traitements thermaux. L'hiver est trop rigoureux en France pour continuer au mois de janvier, par exem- ple, l'administration des douches et des bains. Cette pré- tendue difficulté a donné l’idée de fonder des établisse- ments d'hiver dans les pays chauds, sur le bord de la mer où règne, dit-on, un printemps éternel. Mais comme on néglige ordinairement, dans ces régions tempérées, de prendre des précautions contre le froid, on ya plus froid qu’en Alsace, par exemple, où tout est admirablement disposé pour s’en garantir. 1 37 LU 578 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Quant au printemps soi-disant continuel de ces contrées privilégiées, où se rendent les malades pendant l'hiver, on sait ce qu'il en faut croire : des pluies fines et pénétrantes répandent dans l'air une humidité malsaine, à laquelle le froid, même intense, doit être préféré. L'homme, d’ailleurs, a-t-il été créé, comme les oiseaux de passage, pour des émigrations continuelles? et, indé- pendamment des dépenses qu’entrainent les voyages, les déplacements fréquents n’ont-ils pas, au point de vue hygiéniqne, des inconvénients sérieux ? En changeant de pays, toutes les habitudesextérieures, les circumfusa, changent aussi. Ce n’est plus le même air que vous respirez, la même pression atmosphérique que vous supportez ; l'eau que vous buvez ici nerenferme pas les mêmes sels et en même quantité que celle que vous buviez dans le pays que vous venez de quitter. Vous n'êtes plus, enfin, sous l'influence de la même tempéra- ture, du même climat; il faut donc forcément vous habi- tuer aux conditions nouvelles dont vous êtes entouré. L'homme bien portant en est quitte pour une indispo- sition de quelques jours; mais, pour les malades, l’accli- matation est une véritable maladie qu'il serait dangereux de leur imposer plusieurs fois dans le courant d'une année. Il vaudrait bien mieux, je crois, s’en tenir à une localité et s'arranger de manière à pouvoir y braver les change- ments de température. La nature n’a pas fait les saisons sans leur donner un but. Cette mort apparente, ce repos périodique des végétaux a son utilité et dépend d’une cause à laquelle n’échappent pas les corps animés. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 579 Or, pourquoi vouloir, bon gré, mal gré, se créer artifi- ciellement une saison unique, celle des fleurs etde la végé- tation qui, elle aussi, a une manière particulière d'agir sur l'organisme ? Toutes les fonctions des animaux ont été mises en harmonie avec les différents milieux où ils sont destinés à vivre. Les hommes du nord ont été constitués pour supporter les froids rigoureux de la Sibérie, comme l’Africain a été pourvu des moyens de résister aux chaleurs des tropi- ques. Bien portant ou malade, transportez le Russe au cap de Bonne-Espérance pendant l'hiver, ou l’Arabe à Saint-Pétersbourg pendant l'été, et je ne pense pas que vous parveniez à les faire vivre dans ces climats antipa- thiques à leur nature, et encore moins à leur rendre la santé. La mode qui, presque toujours , se mêle des choses qui ne sont pas de son ressort, décidera peut-être un jour que les traitements qui dépendent de l'hydrologie médicale peuvent être suivis l'hiver tout aussi bien que l'été, et alors on verra les difficultés s’aplanir comme par enchan- tement. L'industrie saura créer une température tout aussi douce et certainement plus constante que celle qu’on va souvent chercher en vain dans les pays chauds; l’indus- trie, encore, fera éclore en hiver des fleurs à rendre jalouses celles qui ne s’'épanouissent que vers la fin du printemps. La mode, alors, aura su réaliser une réforme que les efforts combinés de tous les hydrologues n'ont pas encore pu provoquer. Ï La lecture du travail de M. le docteur Armand 580 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Rey ayant occupé toute la séance, la discussion est renvoyée à demain. La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU 10 SEPTEMBRE. Le procès-verbal de la première séance est lu et adopté. M. le président invite l’un des secrétaires à lire le mémoire adressé au Congrès par M. le doc- teur Chabrand, sur les eaux minérales et thermales du Monèëtier de Briançon. Ces eaux, fort négligées depuis bien des années, méritent néanmoins de fixer l'attention des médecins. NOTICE SUR LES EAUX MINÉRALES ET SUR L'ÉTABLISSEMENT THERMAL DU MONËTIER DE BRIANCON (HAUTES-ALPES), Par M. le docteur CæagranD, médecin-inspecteur de ces eaux. D'après le programme des questions qui doivent être soumises au Congrès scientifique de France dans sa xx1v° session, la section des sciences médicales ayant à s'occuper des eaux thermales du Dauphiné, je crois devoir, en ma YINGT-QUATRIÈME SESSION. 581 qualité de médecin-inspecteur des eaux du Monètier de Briancon, signaler à l'attention du Congrès ces sources jadis célèbres dans le Dauphiné, aujourd'hui presque ou- bliées, et dont j'ose à peine prononcer le nom à côté de celles d'Uriage, d’Allevard et de La Motte. Le Monëtier de Briancon , Monasterium , ainsi nommé d’un monastère de bénédictins qui y fut bâti au moyen- âge, est un bourg de 2,800 âmes, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Briancon, situé sur la rive gauche de la Guisanne, dans une des plus pittoresques et des plus riantes vallées des Alpes dauphinoises. Il est traversé par la route impériale qui va de Grenoble à Briancon, en passant par le Lautaret, cette montagne fleurie où, depuis J.-J. Rousseau, les botanistes de tous les pays viennent récolter, avec bonheur, ces plantes rares que l’on ne ren- contre qu'aux dernières limites de la végétation. Il existe au Monêtier deux sources abondantes d'eaux minérales thermales. S'il faut en croire l’auteur de l’His- toire du diocèse d'Embrun, une inscription trouvée à Suze prouverait qu’un établissement de bains aurait été construit au Monêtier du temps des empereurs Valens, Gratien et Valentinien. Non-seulement il ne reste aucun vestige de cet établissement remontant au IVe siècle, mais encore la tradition locale semblerait prouver qu'il n’a jamais existé. On lit dans l'acte de 4715, par lequel la communauté du Monèêtier autorise les sieurs Joseph Ber- trand, docteur en médecine, et Alexis Caffer, apothicaire, à élever un bâtiment dans l'endroit où sourdent les eaux minérales, que « la communauté, nises habitants passés, « ne se sontjamais mis en devair d'y construire aucun « bâtiment pour le soulagement des infirmes. » Mais que cet établissement ait été fondé ou non, il est 582 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. à peu près certain que ces eaux minérales, se trouvant à la première station de la voie romaine allant de Brigan- tium (Briançon) à Cularo (Grenoble), n'ont pu rester inconnues des Romains, qui recherchaient avec passion les sources de cette nature, et qui ont connu presque toutes les eaux minérales de France. Du reste, la tradition nous apprend que, dans les temps anciens, ces eaux jouirent d'une certaine réputation, l’ex- périence ayant fait connaître aux populations voisines leurs vertus curatives dans un grand nombre de maladies. On litdans l'Histoire du diocèse d'Embrun, écrite en 1783, que ces sources « étaient très-fréquentées et qu'on « y trouvait bonne compagnie de gens de différents « pays. » Il est constant aussi que, de 4774 à 4794, la garnison de Briançon a toujours envoyé au Monêtier les militaires qui avaient besoin de faire usage des eaux mi- nérales; ils y étaient soignés par un médecin de leur régiment. Aujourd’hui, bien que les sources du Monûtier n'aient rien perdu de leur valeur thérapeutique, elles sont né- gligées , délaissées, parce que l'établissement est trop simple et trop nu, et dans l'impossibilité de rivaliser, en fait d'élégance et de distractions, avec les thermes à la mode. C’est avec beaucoup de raison que M. Durand- Fardel a dit: « Il en est des eaux minérales comme des « individus : toutes, à mérite égal, n'arrivent pas au « succès avec le même bonheur. » Le Monëêtier possède, comme nous l'avons dit, deux sources : celle du midi, ou Font-Chaude; celle du nord, ou Rotonde; la première à 160 mètres et la deuxième à 50 mètres du bourg. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 583 19 FoNT-CHAUDE. L'établissement consiste en un bâtiment à deux étages, ayant la forme d’un carré long. Au rez de chaussée se trouvent deux piscines, l’une à droite et l’autre à gauche de la porte d'entrée. Chacune de ces piscines peut conte- nir sept ou huit personnes, et c’est là que l’on prend les bains. Ces piscines sont alimentées par des sources abon- dantes, dont la température s'élève à 45° centig. Cette tem- pérature descend quelquefois à 38 ou 39°, lorsque, par suite de l’arrosage des prairies voisines, des infiltrations ont lieu et que des eaux étrangères viennent se mêler aux eaux thermales. Ces eaux sourdent du sein d’une masse de fuf calcaire sur lequel repose tout le bourg du Monëêtier. Ce tuf, à surface ondulée, s'étend du nord au midi, depuis la source de la Rotonde jusqu’à la Guisanne, sur une longueur de 700 à 800 mètres, et de l’ouest à l’est sur une largeur d'environ 500 mètres. Sur plusieurs points, on l’exploite pour bâtir, et on voit qu’il est formé de couches successi- ves placées horizontalement et présentant une coloration ocreuse due à la présence d’une certaine quantité d'oxyde de fer. Il est sillonné dans tous les sens par des cavités cylindriques ayant la forme de la tige de différents végé- taux, de troncs d'arbres, et contenant même des débris carbonisés, dont la structure ressemble à celle des mélèzes qui croissent encore dans les lieux voisins. Il est probable que cette masse de tuf est le résultat du dépôt de ces eaux, dépôt qui continue encore à se faire aujourd’hui, comme on le voit très-bien dans les piscines, et surtout dans les lieux où les eaux sont stagnantes. Ce dépôt de 084 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tuf repose sur les alluvions de la vallée, et celles-ci sur le grés à anthracite. L'analyse de ces eaux fut faite, pour la première fois, en ATTA, par Nicolas, médecin de la province du Dauphiné. En 1805, Ladoucette, l'iliustre préfet des Hautes-Alpes, la fit faire de nouveau par un pharmacien de Briançon, etenfin, en 1834, M. Tripier, pharmacien militaire à l'hôpital de Briançon et aujourd'hui pharmacien princi- pal, soumit les eaux du Monêtier à une nouvelle analyse et fit, sur ce sujet, un travail publié, en 1835, dans le 37° volume des Mémoires de médecine, de chirurgie et de pharmacie militaires. Voici le résultat de l'analyse faite par M. Tripier, pour un litre d’eau : Litres. ACIHE CHEDONIMUe PL CM ENS 0,051 CAN OR TR PR CRE TRS FRA RS Sr Tnse 0,004 Grammes. Carbonate de chaux ............. PERS EN ANS 0,405 7 EMA MARNOSIES ENG FÉES 0,087 PS d'ammoMaquers 20. EAU traces State IQ Char LATE TNT A en 1,565 Ad SoUde 0 ALT US) AGIT HER 0,359 — de magnésie ...... SORT HER ERRRES Ne 0,043 Phosphater der eh 0 st rl GA CA ETS 0,036 Choruré de” Sodium tee 2000 DOG, 0,510 AE Tatiana HULL Lu .. 0,026 mali 0 1 AIN) COUT ETES CRC E 0,071 Matières organiques 2iennth HU US UE A 0,030 3,132 Le brôme, l’iode, le fluor, la potasse, la baryle, la stron- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 585 tiane, le fer et le manganèse y ont été inutilement re- cherchés. : Les eaux de Font-Chaude sont d’une limpidité parfaite, sans odeur, d'une saveur Kgèrement salée; il ne s’en échappe aucune bulle de gaz. A leur sortie des piscines, et sur tous les points où elles sont stagnantes, elles se couvrent, à leur surface, d’une plante aquatique appartenant probablement à la classe des algues d’eau douce, ou conferves. Cette plante, d’un beau vert, est composée de filaments qui, réunis entre eux par une matière mucilagineuse, forment de petites masses spongieuses, douces au toucher, flottant comme autant d’ilots sur la surface liquide. L'usage veut que ces eaux ne s’administrent qu’en bains et en douches. Iln’y a point de baignoires, et ces bains se prennent, comme nous l’avons dit, dans les pis- cines creusées sur la source même, ce qui fait que l’eau est sans cesse renouvelée et conserve la même température pendant toute la durée du bain. Le séjour dans les pisci- nes est de demi-heure à une heure. En entrant dans l'eau, il y à un peu d'angoisse, la circulation du sangs’accélère, les battements du cœur deviennent plus énergiques , la face se colore, la tête devient pesante, et quelquefois la congestion cérébrale est assez forte pour donner lieu à une syncope; mais, au bout de quelques minutes, l’abon- dance de la transpiration vient mettre un terme à cette excitation et à ce malaise. Il est à remarquer que l’on sup- porte plus facilement ces bains à 42 ou 45° que les bains d’eau douce qui auraient une température égale, et que, malgré la transpiration abondante qui les accompagne, on en sort avec un sentiment de force et de bien-être extraordinaire. En sortant du bain, les malades se mettent 586 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. au lit, prennent une infusion chaude pour entretenir la sueur pendant une heure ou deux. 20 ROTONDE. La Rotonde est un bâtiment de forme circulaire, appar- tenant à la commune, qui vientde le faire restaurer com- plétement. Les eaux sortent en abondance de tous les points d’un large bassin, et entraînent une infinité de bulles de gaz qui viennent crever, en pétillant, à la sur- face. Le fond du bassin présente un dépôt vaseux, de cou- leur brune à l’intérieur et rougeâtre au-dehors. Cette eau est incolore, inodore et à peu près insipide; sa tempéra- ture ordinaire est de 22 à 25 degrés centig.; mais dans les mois de juillet et d'août, lorsque les montagnes voi- sines sont sans neige, celte température s'élève à 30 ou 32; on l’a même vuealler jusqu’à 36°. La fonte des neiges et les grandes pluies font donc subir aux eaux de la Rotonde des variations de température bien plus considé- rables qu'à celles de Font-Chaude. Les eaux de la Rotonde, d'après M. Tripier, contien- nent par litre : Litres PAÉLDP DAT DOME 0 ce de een rs enr sat mener 0,066 AZ D ARR a je n opel erate stade dates d'la à PU eee ON URUUTUE RP PNA de dames ee ne mste on es Ua ne 0,002 Grammes. Canhona tend CAES. 22 LL sh eu 0,197 — de magnésie.......... Le ce ET SENS 0,001 A deotonydelde fer... ce UE — d'ammoniaque ........ RER RS . traces A reporter . . . 0,202 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 587 Report . : . 0,202 Sufate:de chaux. 2,40 1 eme En D Onriet 0,462 tue soude z41. casientt AMAÈ Ce uske ep 0,162 — de magnésie........... ANNE PAL E 0,007 Phephate de chaux. .:7...... 440. 800 mt 0,007 Ghiotbre: de! sodium: 240 UE ARTE Nas 0,142 An Cemaenesuent ie 5 en niANAs 0,050 ES idecalonemAn lot els lee NET SEL 0,031 ANA IDDIAS SUN EN SE Le a ele ft 0,003 Onde dermanganbsen tt, 014 ii ssh traces LUC D SIN CNE CRU TOR S, MAC PATOUTE DE ES PA UE OS SO EEE 0,036 MAÉ PESDE M AENMUES 22020: 2 HERO 0,050 1,152 Le gaz qui s’en dégage, sous forme de bulles , est com- posé, sur cent parties en volume, de : Azote, 70; acide carbonique, 22; oxygène, 8. Le dépôt ocreux auquel elles donnent lieu est com- posé de potasse, d'oxyde de fer, d'oxyde de manganèse et de silice en dissolution. On voit que la somme des principes minéralisateurs de la source de la Rotonde est moindre que celle de lasource de Font-Chaude; mais que la première a , de plus que la seconde, un dégagement de gaz, un dépôt ferrugineux, de la potasse, des oxydes de fer, de manganèse et de la silice. Les eaux de la Rotonde ne s'administrent qu’en boisson, et il est à regretter qu’elles ne soient pas aménagées de manière à pouvoir être données en bains. Leur plus haut degré de chaleur étant à peu près celui de la tem- pérature du corps de l’homme, elles seraient, dans beau- coup de cas, plus avantageusement administrées sous 588 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cette forme que celles de Font-Chaude. On les prend donc en boisson, le matin, à jeun, à la dose de deux ou trois verres, dose que l’on répète plusieurs fois dans la matinée, suivant les indications. Quelques malades en boivent ainsi plus de 25 verres. Elles sont légèrement purgatives, excitent l’appélit et activent considérablement la sécrétion urinaire. Souvent on est obligé d'augmenter leur action laxative par l’addi- tion de quelques grammes de sulfate de magnésie. Les animaux ruminants et les chevaux sont très-avides de ces eaux. Les habitants du Monêtier s’en servent pour abreuver leur bétail. Bien que la chimie ne suffise pas pour donner une idée précise des vertus des eaux minérales, cependant la nature et la quantité des sels contenus dans celles du Monèêtier, et leur température, peuvent faire juger d'avance quels doivent être leurs effets thérapeutiques et les indications qu'elles peuvent remplir dans un grand nombre de mala- dies. L'Annuaire des eaux minérales de France range les eaux du Monûtier parmi les salines faibles, et M. Du- rand-Fardel les classe dans les sulfatées calcaires. Or, voici ce que dit M. Patissier, dans son rapport lu à l’Aca- démie de médecine, en novembre 1853: « En général, « les sources salines faibles sont d'un utile secours « toutes les fois que l'on redoute de produire une trop « forte excitation, et que l'on a pour but de fortifier « légèrement l'organisme sans l'irriter. Elles sont ré- « putées douces, calmantes. » « Les eaux sulfatées calcaires, dit M. Durand-Fardel, « constituent des eaux, à proprement parler, séda- « lives. » VINGT-QUATRIÈME SESSION. 589 On peut voir, du reste, que, d’après l'analyse, les eaux du Monèêtier, par la quantité de leurs principes actifs, occupent une des meilleures places dans la classe à la- quelle elles appartiennent. Les affections de nature rhumatismale forment les trois quarts des états pathologiques qu’on observe au Monëêtier, et ces affections appartiennent, presque exclusivement, aux gens de la campagne qui, par le genre de leurs tra- vaux, sont exposés aux variations brusques de tempéra- ture, si fréquentes dans nos montagnes, et aux refroidis- sements subits, quand îÎe corps est en sueur. Le rhumatisme s’y présente avec toutes ses variétés {fibreux, musculaire , fixe, vague, etc.), mais à l’état chronique le plus ordinairement. .. Les rhumatisants font usage des eaux de Font-Chaude en bains de piscine et en douches. C’est probablement à leur mode d'administration et à leur température élevée que l'on doit attribuer l'efficacité incontestable des eaux du Monûtier contre les rhumatismes chroniques. Tous les médecins spéciaux pensent, en effet, que les bains de piscine sont infiniment préférables aux bains de baignoi- res dans ces sortes d’affections. Ce qui souvent nuit au traitement, c'est sa courte durée : la plupart des malades appartenant à la classe pauvre ou peu aisée ne séjour- nent dans l’établissement que huit ou dix jours; d’autres, en petit nombre, sentant leurs douleurs réveillées ou exaspérées par les premiers bains, s’en effraient et s’en vont, tandis qu’un séjour prolongé aménerait leur gué- rison. Quoique les eaux sulfureuses soient indiquées d’une manière spéciale contre le rhumatisme, il est certain que cette maladie se traite avantageusement dans tous les 590 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. établissements dont les eaux sont réellement thermales comme celles du Monûtier. Celles-ci, d’ailleurs, ont sur les eaux sulfureuses l'avantage précieux d'être très-bien supportées dans tous les cas où il existe uneirritation, soit locale, soit générale. Après le rhumatisme, les états pathologiques qui se traitent avec succès, dans nos thermes, par les bains et les douches sont : 4° Les différentes maladies de la peau et principalement l’eczéma, l’impétigo, le lichen, le prurigo, les éruptions furonculeuses; 2° les maladies du système lymphatique : tumeurs blanches, engorge- ments glandulaires simples, engorgements et raideurs articulaires provenant d’entorses et de fractures, ou de toute autre cause traumatique; 3° les affections de l'utérus, engorgement, métrite chronique, dysménorrhée, aménorrhée ; 4° les névralgies : la sciatique, la névralgie intercostale et autres, quand elles sont dues au principe rhumatismal ou à des suppressions brusques de la trans- piration. La source dela Rotonde, dont on use en boisson, exerce une action salutaire dans toutes les affections si nom- breuses et si variées où les fonctions digestives sont affai- blies ou perverties, et que l'on a appelées, suivant les époques, gastrites chroniques, gastralgies, dyspepsies, embarras gastriques, obstructions. Comme nous l’avons dit, les eaux de cette source pous- sent fortement aux urines et doivent, par conséquent, n'être pas sans utilité dans la gravelle. C’est ce que l’ob- servation ne nous a pas encore permis de constater depuis trois ans que nous sommes chargé de l'inspection de ces eaux. | Les eaux dun Monêtier sont fréquentées du 45 juin au YINGT-QUATRIÈME SESSION. 591 45 septembre; mais la saison la plus favorable est du Aer juillet au 4er septembre. Cette courte notice, tout incomplète qu’elle est, suflira, nous l’espérons, pour montrer que les eaux minérales thermales du Monêtier de Briançon sont, à tous égards dignes d'intérêt et méritent d'être tirées de l'oubli où elles sont tombées. L'établissement, il est vrai, a été, pendant quelques années, dans un si mauvais état, que les per- sonnes étrangères à la localité ne pouvaient se décider à y passer quelques jours. La maison étant inhabitable, les baigneurs étaient obligés , en sortant du bain couverts de sueur, d'aller chercher un lit dans le bourg, qui est à une petite distance. C’est dans ce trajet, qu'un refroidis- sement venait souvent leur faire perdre le bénéfice qu’ils devaient attendre des eaux. Mais aujourd'hui l’établisse- ment est entre les mains de nouveaux propriétaires qui en ontentrepris la restauration et l’agrandissement. Déjà ils _ ont mis la main à l’œuvre ; des fouilles ont été faites, de nouvelles sources sont découvertes, et les malades trouve- ront désormais, dans les thermes du Monëêtier, sinon le luxe, au moins le confortable. Ils n’y. trouveront point des jeux, des fêtes, des bals , des concerts, ni aucune de ces charmantes distractions qui sont recherchées par les oisifs et les curieux ; mais ils jouiront des plaisirs simples que procure la vue des beautés de la nature. La vallée, avons-nous dit, est charmante; elle est parcourue par la Guisanne, petite rivière bordée de prairies émaillées de fleurs et parsemées de bouquets de mélèzes. Le climat y est très-sain, l'air sec et pur; les pluies et les orages y sont rares, le ciel presque toujours serein. La moyenne de la température de toute l’année est de 41 ou 42 degrés centig., et celle de la saison d'été de 47 à 18°. - - 592 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il est donc certain que plusieurs établissements très- fréquentés sont dans des sites moins agréables et d’un plus difficile accès que celui du Monêtier, et l’on peut espérer que lorsque ce dernier aura subi les améliora- tions convenables, il sera moins délaissé, et retrouvera un peu de cette réputation qu’il a perdue. La section consultée décide que le mémoire de M. le docteur Chabrand sera renvoyée au comité de publication, pour être inséré dans le compte-rendu des travaux du Congrès scientifique de France. M. Bonjean fait remarquer que les eaux miné- rales, prises en trop grande quantité à la fois, s’ab- sorbent plus difficilement, quant aux principes Minéralisateurs surtout, et sont plus rapidement expulsées de l’économie par les sécrélions. M. le docteur Leroy ajoute que le même phéno- mène se présente pour l’ingestion des liquides en général. Ce principe trouve mème son application dans l'emploi des remèdes qui, souvent, sont beau- coup mieux absorbés à petite qu’à trop forte dose. M. le docteur Charvet (oncle) propose de ren- voyer le mémoire de M. le docteur Armand Rey au comité de publication, pour qu’il soit inséré au compte-rendu des travaux du Congrès. La section consultée adopte cette proposition de M. le docteur Charvet. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 593 M. Bonjean lit un mémoire sur les eaux miné- rales d’Aix. DES EAUX THERMALES ET PRINCIPALEMENT DE CELLES D'URIAGE, DE LA MOTTÉ, D'ALLEVARD EN DAUPHINÉ ET D'AIX EN SAVOIE. Messieurs , Telle est la quatrième question portée dans le pro- gramme de la section des sciences médicales, dont vous m'avez fait l’insigne honneur de me nommer l’un des vice-présidents; et j'applaudis de grand {cœur à l’initia- tive que la commission d'organisation du XXIV°® Congrès scientifique de France a eu l’heureuse idée de prendre à ce sujet, en appelant l'attention des praticiens sur cette branche si importante de l’art de guérir. Je laisse à d’autres plus compétents le soin de vous parler des eaux d’'Uriage, de la Motte et d'Allevard : les médecins distingués qui dirigent ces établissements peu- vent, mieux que personne, vous donner sur ces sources minérales, qu'ils ont illustrées par leurs écrits, tous les documents propres à satisfaire vos désirs, à éclairer vos convictions. Je n’entends m'occuper ici que des eaux . thermales d'Aix et des eaux sulfureuses froides de Mar- lior, qui en sont l'annexe indispensable, sources les plus importantes qui existent en Savoie, tant sous le rapport médical que sous celui de l’intéret matériel qui en résulte pour une partie de la population. — Depuis plus de vingt ans, je fais de ces eaux l’objet de mes incessantes recherches ; je m’estime heureux d’avoir, le premier, fait I 38 594 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. connaitre celles de Marlioz, et d’avoir peut-être aussi un peu contribué à faire mieux apprécier celles d'Aix par cette classe d'hommes intelligents et dévoués qui les emploient au soulagement des infirmités humaines. Toutefois, mon intention n’est pas de vous exposer les vertus médicales des eaux d'Aix, pas plus que la nature de leurs principes constituants : il existe, sur ces divers sujets, des ouvrages spéciaux qui laissent peu à désirer. La réputation de ces eaux, vous le savez tous, est euro- péenne, et il en est bien peu parmi vous qui n'aient eu occasion de les prescrire à leurs malades. Comme toutes les industries, les thermes d’Aix ont dû participer au mouvement de progrès qui se développe de toutes parts. Des constructions monumentales, dont un loyal et aimé souverain vient de poser la première pierre {4er septembre) ; l'augmentation considérable du volume de l’une des deux principales sources ; un système d’appa- reils perfectionnés, aussi simples qu'élégants, et répon- dant d’une manière admirable à tous les besoins théra- peutiques des eaux; des salles d’inhalation et d'aspiration présentant d’intéressantes innovations, de nouvelles sour- ces sulfureuses froides, providentiellement placées à la porte d'Aix, pour donner à ses eaux thermales le soufre qui leur manque; enfin, un mode d'administration plus conforme aux besoins du pays et aux exigences des ma- lades : telles sont les causes essentielles qui vont faire de notre établissement royal l’un des plus utiles et des plus beaux de l’Europe. C’est de ces divers points nouveaux de l’histoire des antiques thermes d'Aix, Messieurs, que je désire vous entretenir un moment, afin de porter à la connaissance des praticiens tout ce qui peut les intéresser et leur faci- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 595 liter l'administration de cette puissante ressource hydro- logique. Avant 4848, l'établissement thermal d’Aix, construit en 1784, sous Victor-Amédée IT, était dirigé par une com- mission administrative, choisie parmi les notables de la localité, sous la surveillance de l’intendant de la province. Le 4* janvier 1854, l'établissement fut affermé pour vingt ans à M. Bias, qui avait loué le Casino, où il tenait les jeux de hasard. M. Bias s'était engagé à dépenser, en trois ans, pour ledit établissement, une somme de 800,000 fr. en travaux d'amélioration et d’agrandisse- ment, d’après un projet élaboré par M. Jules Francois, ingénieur en chef des mines, chargé du service des eaux minérales de France, et notre compatriote, M. Bernard Pellegrini, jeune architecte distingué, auteur du plan du Casino. Le 4° janvier 1856, par suite de causes et d’in- fluences diverses, M. Bias dut résilier son bail avec le Casino, puis avec l'établissement thermal, en vertu d’une réserve stipulée. C’est alors que le gouvernement sarde s’occupa sérieu- sement de donner aux thermes d’Aix une organisation capable de présenter les garanties de durée et de bonne administration indispensables pour la marche régulière d'un établissement d'une si haute importance. De là, la loi du 9 juin 1856, approuvée par le parlement, et créant une Société nationale, à qui elle attribue la propriété de ces thermes. Cette Société se compose des royales-finan- ces, de la province de Savoie Propre, et des villes d'Aix et de Chambéry; elle a été autorisée par cette loi à contracter un emprunt de 900,000 fr., pour achever les travaux d’agrandissement commencés sous M. Bias , et rmbouerser à ce dernier les sommes avancées à cet effet. 596 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Enfin, la Société nationale des thermes d’Aix fut mise sous la haute surveillance de l'État, représenté par un commis- saire royal, M. le chevalier Dupraz, ancien intendant, qui sait se concilier l'estime de tous, dans cette difficile et dé- licate fonction, et ce commissaire royal dirige et administre l'établissement sous l'inspection, soit du ministère des finances, soit du conseil d'administration, qui a son siége à Chambéry, et pour président, l’intendant général de la division. Cette nouvelle organisation, due à la ferme initiative de notre premier homme d'État, M. le comte de Cavour, paraît offrir de bonnes chances de succès. Le gouverne- ment a compris que la prospérité de cet établissement n'est pas seulement la source unique du bien-être des habitants de la localité, mais qu'elle rejaillit encore sur la Savoie entière, et particulièrement sur Chambéry. Les travaux d’agrandissement sont poussés avec activité : on espère qu'ils seront terminés pour la saison de 1859. D'un autre côté, les améliorations introduites de toute part, les maisons, hôtels, promenades, etc., que l’on construit ou répare, attestent que la municipalité et les habitants semblent également comprendre qu'ils ne peu- vent rester stationnaires.en vue de l'agrandissement ther- mal et des voies de communication qui se trouvent chaque jour abrégées. Déjà, cette année, par le raccordement du chemin de fer Victor-Emmanuel avec celui du département de l'Ain, par la navigation du Rhône et du lac du Bourget, on vient de Lyon à Aix en sept heures, et de Paris à Aix en seize heures, en passant par Bourg et Mâcon. Dans un an, le troncon d'Aix à Culoz sera achevé; le trajet de Lyon à Aix se fera en quatre heures et demie, et quand VINGT-QUATRIÈME SESSION. 597 le chemin de fer de Lyon à Genève sera terminé, la dis- tance d'Aix à Genève, par le raccordement avec le chemin dn fer sarde, sera franchie en quatre heures. Avec tant d'éléments de prospérité, la ville d’Aix a un avenir de bien-être au-dessus de toute prévision, et il ne serait pas étonnant que le nombre annuel des étran- gers, aujourd'hui de plus de cinq mille, ne füt triplé avant quatre ou cinq ans. J'ai dit que d'immenses travaux d’agrandissement étaient en voie de construction à Aix ; mais, tout en amé- liorant et étendant les moyens d'application déjà si re- marquables de ces eaux, on a eu la bonne pensée de conserver, de l’ancien établissement, ce qui en fait la tradition : les douches et les vapeurs du Centre, des Princes et de l'Enfer. Les thermes anciens comprenaient : trois buvettes, dix- sept grandes douches diverses, deux douches locales ré- vulsives, une douche ascendante, dix bains, deux piscines et deux étuves (bains et douches de vapeurs ). Les thermes actuels réuniront : dix buvettes, trente- six grandes douches diverses, vingt-six bains avec dou- ches moyennes, quarante - quatre bains avec douches locales mobiles et d'injection, deux vastes piscines d’inha- lation et d'aspiration de vapeurs variées, huit locaux destinés aux bains et douches de vapeurs, ainsi qu'à l'aspiration de vapeurs minérales; enfin, de vastes réser- yvoirs d'approvisionnement, et tous les locaux nécessaires à un service perfectionné. Déjà, le 25 juin dernier, la première division des tra- vaux a été livrée à l’exploitation ; elle comprend : quatre vastes réservoirs étagés, dont deux (alimentés par l’eau de soufre) fournissent aux salles d’inhalation et aux bains 598 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de vapeurs; dix grandes douches jumelles et mitigées avec douches écossaises, bains de pluie, dix cabinets de bains avec douches d’injections, douches locales mobiles, fa- ciale, nasale, buccale, laryngée et pharyngée, etc. ; deux bains de vapeur d’eau de soufre, deux bains et douches générales ou locales des vapeurs d'eau d’alun, deux salles d'inhalation de vapeurs d'eaux d’alun et de soufre, et enfin deux douches ascendantes diverses, à jets simples ou multiples. Comme la direction et l'aménagement des eaux étaient un point essentiel du programme de reconstruction, M. l'ingénieur Francois dut aller chercher les eaux dites d’alun à leur point d'émergence ; d'abord, parce qu’elles se perdaient en partie et se désulfuraient en presque totalité dans les cavernes dites de Saint-Paul, où elles séjournaient, ensuite parce que leur température y subis- sait, après des pluies prolongées, des variations considé- rables par leur mélange avec des eaux étrangères. Pour parer à ces graves inconvénients, le savant ingénieur fit entreprendre, dans la direction des sources et au-dessus de l'établissement, un tunnel presque tout creusé dans le roc, ayant un mètre quarante centimètres de largeur, un mètre quatre-vingts centimètres de hauteur, et une lon- gueur qui à dépassé cent mètres. Ce travail, conduit avec une précision mathématique, a produit des résultats inespérés. ? On avait cru, jusqu'alors, que les eaux d’alun arri- vaient d'une montagne voisine dans les grottes de Saint- Paul, où l'on ne pouvait les suivre plus avant, tant par la nature même des lieux que par la haute température qui y régnait, et qui atteignait jusqu'à 50 degrés centigrades, l’eau des sources étant de 47 degrés. Cette croyance sécu- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 599 laire s'est évanouie en un instant! Arrivé à quatre-vingis mètres de la longueur du tunnel, un coup de mine amena tout à coup l'écoulement d’une si grande quantité d’eau chaude, que les ouvriers employés au percement de la galerie faillirent périr, et que, pendant quelques mi- nutes, la ville d'Aix sembla devoir être inondée. Bientôt les appréhensions se calmèrent, et les habitants s’em- pressèrent de venir jouir d’un spectacle auquel ils étaient loin de s'attendre. Les cavernes de Saint-Paul, qui recélaient les eaux d’alun, venaient d’être mises à sec! Voici comment : Le percement du tunnel amena la découverte d’un vaste réservoir naturel creusé dans le sol, et situé perpendi- culairement à quatre mètres cinq centimètres au-dessous des grottes qui se remplissaient de bas en haut par l'effet du trop plein de ce réservoir. Ainsi se trouvent justifiées les idées que j'ai publiées, il y a près de vingt ans, sur les causes de la désulfuration et des variations de tem- pérature des eaux d’alun. (Voyez mon Analyse chimi- que des eaux d'Aix en Savoie, un vol. in-8°, avec plan- ches. — 1838.) Ce-résultat, je le répète, est pour Aix d’un avantage incalculable. Non seulement les eaux d’alun ont presque quadruplé de volume, mais encore elles se trouvent aussi sulfureuses que celles dites de soufre, et possèdent une température à peu près constante de 46 degrés Centigrades. Ces grottes, excessivement curieuses, sont aujourd’hui visitées par ‘tous les baigneurs. Un silence sépulcral a succédé au bruit des eaux qui y circulaient; une douce température de 18 à 20 degrés centigrades a remplacé la chaleur suffocante de 40 degrés, que j'ai bien des fois supportée pour mes recherches scientifiques, et qui 600 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. en rendait l'accès très-pénible. On peut maintenant les parcourir à l'aise; leur aspect est des plus imposants. Les formes aussi pittoresques que variées de ces rochers garnis de belles stalagmites, et dont les voûtes, non moins accidentées, sont tapissées d’une espèce de glairine des- séchée ; les nombreuses ouvertures que l’action séculaire des eaux et de leur chaleur a creusées d’une manière si bizarre dans le cœur même du roc calcaire qui compose la masse de ces souterrains, voilà, assurément, pour l'étranger, un but historique de curiosité dont aucun établissement thermal n'offre peut-être d'exemple. Le réservoir naturel, dont le trop plein alimentait les grottes de Saint-Paul, a neuf mètres de longueur, en moyenne; sa largeur est de deux mètres soixante-quatorze centimètres , et sa profondeur de deux mètres quarante centimètres. ’ Sa surface est presque entièrement recouverte d’une couche épaisse de matières végéto-animales, espèce de glairine de couleur grisâtre, douce et très-onctueuse au toucher, et se desséchant facilement à l'air. Le mouvement de l’eau est peu prononcé, et paraît se faire du nord-est à l’ouest. De nombreuses bulles de gaz, dont l'azote forme la presque totalité, s’échappent de temps en temps du sein du liquide et viennent crever à sa surface, en faisant entendre un léger bruit. L'eau marque quatre degrées sulfhydrométriques, et son principe sulfureux y est tout entier à l’état d'acide sulfhydrique libre, sans sulfure, comme je l'avais tou- Jours indiqué. Sa température est, en tout temps, de 46 à 47 degrés centigrades. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 601 De ce réservoir, l’eau d’alun se rend avec une vitesse de cent un mètres à la minute, dans un canal en bois qui la mène à volonté ou à l'établissement, en passant par le Cul de lampe, ou sur la voie publique, au moyen d'un déversoir. D’après le jaugeage opéré par M. l'ingénieur Francois, les 44 et 15 février 1854, l’eau d'alun débitait à son entrée dans l'établissement : Litres. MQUÉe. Le LE. dede nul à 698 5 PS nhenreA rtre toliu 41,910 Par vingt-quatre heures........ 1,005,840 Jaugée dans les grottes de St-Paul, le 26 juillet 4855, par une commission d'ingénieurs et de chimistes, dont je faisais partie, la même eau débitait : Eitres. CERN EME TETE TET TEE 1,726 LEE REP SR ROEREERRR SRRE 103,560 Par vingt-quatre heures......... 2,485,440 Il y avait donc pour l’établissement une perte quotidienne de....... «..1 1,479,608 Cette quantité d’eau prenait une direction inconnue dans le fond des grottes, où il n’était plus possible de la suivre. Aujourd'hui, d’après les expériences faites par la com- mission que je viens de citer, le réservoir naturel qui alimentait les grottes débite : | Litres. Par minutes ra Rai 3,342 Par'heure uk dadaulanmaniiss dus 200,520 Par vingt-quatre heures......... k,812,480 602 CONGRÈS SCIENTFIIQUE DE FRANCE. Or, comme l'établissement thermal ne recevait, avant l'exécution du tun- néliique. 4 20t do. dumbesitiés dt ds 1,005,840 Il recoit maintenant, chaque jour, uneoxcédantdeserds téenssus 3,806,640 En résumé, les deux sources principales d'Aix pro- duisent chaque jour l’énorme volume d’eau qui suit : Litres. SOUTLE) AE SOUITÉ 2 mc omers ass 1,550,000 SE R TE ve un D PINS RNA ae eAs . 4.812,480 Total fourni par les deux sources. 6,362,480 Il ressort de ce qui précède que l’exécution du tunnel pratiqué dans la direction des grottes de Saint-Paul, dans le but de capter les eaux d’alun, a produit trois résultats importants pour Aix : 1° Augmentation considérable du volume de l’eau mi- nérale ; 9° Augmentation du principe sulfureux, qui est aujour- d'hui au même degré que celui de l’eau de soufre ; 3° Température à peu près constante, par suite de son isolement avec les eaux étrangères, qui, dans certaines circonstances, refroidissaient l’eau thermale au point de la rendre impropre au service médical. Quel est l'établissement en Europe qui présente d'aussi grands avantages? Aucun sans doute. Ce n’est pas tout cependant. Si les eaux d'Aix sont sans rivales pour leur volume, si elles jouissent d’une tempé- rature exceptionnellement appropriée aux bains, aux douches, etc., elles sont en revanche fort peu sulfureuses. En effet, elles ne marquent que quatre degrés sulfydro- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 603 métriques, et leur principe sulfureux s’y trouve à l’état d'acide sulfhydrique libre, sans sulfure. Mais la nature, qui a tout prévu, a placé à quelques minutes d’Aix des eaux sulfureuses froides, assez riehes pour fournir aux eaux thermales de cette cité le soufre qui leur manque. Ces sources sont celles de MarLioz. Depuis vingt ans, j'ai fait tous mes efforts pour les faire connaître et en apprécier l'importance pour nos thermes; je suis heureux de voir aujourd'hui confirmé par la science et la pratique médicales tout ce que j'ai dit et publié sur l’incontestable utilité qu’elles présentent sous ce double point de vue. L'eau sulfureuse de Marlioz marque, en moyenne, 30 degrés sulfhydrométriques , et son principe sulfu- reux s'y trouve en grande partie fixe, combiné à Fétat de sulfure, ce qui permet de la transporter au loin sans décomposition sensible. Son degré de sulfuration sera certainement plus élevé dès que les travaux qui vont être bientôt entrepris dans ce but, sous l’habile direction de M. Jules François, auront permis de capter la source même à son point d'émergence. Dans son état actuel, l’eau de Marlioz est déjà plus sul- fureuse que les eaux des Pyrénées et autres de France, et elle contient, de plus que ces dernières, de l’iode et du brôme, dont on connaît les vertus dépuratives, cicatri- santes et fondantes. En ajoutant aux eaux d’Aix ou à l’eau commune, préalablement chauffées, dix bouteilles environ d'eau de Marlioz, que le propriétaire livre à bas prix pour cet usage, on se procure de suite un bain de Barège, de Saint-Sauveur, de Cotterets, etc. C’est même Sous ce rapport que cette eau est appelée à recevoir à Aix l'application la plus étendue, en fournissant aux méde- 604 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cins des ressources variées qu’on ne rencontre qu'isolées dans les établissements de ce genre. Je ne puis mieux faire ressortir l'importance de la combinaison de l’eau de Marlioz avec celles d'Aix, qu’en reproduisant ce qu’en à dit, il y a peu de jours, en par- lant de ces dernières, un médecin distingué dont la Savoie s’honore à bon droit, M. le docteur Caffe, ancien chef de clinique de l'Hôtel-Dieu de Paris, chevalier des SS. Maurice et Lazare et de la Légion d'honneur : « Une richesse nouvelle, aussi inépuisable qu’inespé- « rée, va bientôt répondre à tous les desiderata de la « thérapeutique. L'eau minérale de Marlioz, située à un « kilomètre d’Aïx, ira, par une tubaison facile, se mêler « à volonté aux thermes d'Aix, et la SourcE BONJEAN, « sulfureuse froide, dont la splendide inauguration a eu « lieu le 3 de ce mois, sous la libérale initiative de « MM. Billiet frères, rendra des services incalculables « par la puissance immense qu'elle récèle. Déjà, à « Marlioz même, a été construite une salle d’inhalation « gazeuze froide, avec appareils pour la pulvérisation de « cette eau sulfureuse, qui est ainsi aspirée sans effort et « sans décomposition aucune des principes minéralisa- « leurs. » Les ingénieux appareils, si utiles dans les maladies de poitrine, ont été mis en vogue à Pierrefonds, par le savant médecin-inspecteur de ces eaux, M. le docteur Salles- Girons, qui va ouvrir une saison d'automne, que Marlioz s'empressera sans doute d'imiter avec fruit, tant par son site et son climat que par les moyens mécaniques dont cet établissement peut disposer. J'ai dit précédémment que l’eau de Marlioz était plus sulfureuse que toutes les eaux de ce genre connues en VINGT-QUATRIÈME SESSION. 605 France. Voici le tableau comparatif de la quantité de soufre contenue dans ces diverses eaux minérales. Poids du soufre pour mille Localités et départements. grammes d’eau. Marlioz (Savoie)..:.......,:,.. 0,037 Vinca (Pyrénées-Orientales)..... 0,009 Vernet, (dem)... 0,022 Bagnères de Luchon (Haute-Gar.). 0,028 Barèges (Hautes-Pyrénées )....... 0,007 à 0,015 Cauterets LE LA 1e ROMANE 0,007 Saint-Sauveur ({Idem)........... 0,007 à 0,008 Barzon Gide UNE 0,009 Bonnes ( Basses-Pyrénées)........ 0,007 PAAMIENENr I: LA LHUX Eyrer 0,005 à 0,040 Allevard (Isère)... ....:..:....: 0,033 Driacel (idem). tue à 0 OS Distant seulement de 15 minutes d'Aix, Marlioz va de- venir la promenade la plus fréquentée, surtout si l'on crée, comme j'en ai donné l’idée, un sentier planté d’ar- bres, qui permette aux baigneurs de franchir, à toute heure du jour, et à l’abri de l’ardeur du soleil, la distance qui sépare ces deux localités. Au bout de cette course salutaire, l'étranger trouve à Marlioz des salons de lec- ture et de repos, des bosquets, de frais ombrages; en un mot, tout ce qui peut lui rendre agréable un séjour de quelques heures dans ce riant ermitage. La Savoie possède beaucoup d’autres sources miné- rales d’une importance reconnue; mais je ne puis m'en occuper ici. Je me bornerai à citer, parmi les plus ré- putées, les eaux de Challes, les plus sulfureuses connues; les eaux d’'Evian et de Coïse, rivales de celles de Vichy; 606 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les eaux sulfureuses et salines de l’Echaillon, de Brides, de Salins, de la Caille, de Saint-Gervais, etc. Sous le rapport des eaux minérales, aucun pays n'est plus richement doté que la Savoie; nous en possédons de toutes sortes, et nous pouvons presque nous passer de recourir à des eaux étrangères, quel que soit le genre d'affection qu’on ait à combattre. | Le mémoire de M. Bonjean sera renvoyé au co- mité de publication. M. le docteur Charvet (oncle), professeur d’ana- tomie à l’école préparatoire de médecine, et pro- fesseur de zoologie à la faculté des sciences de Grenoble, lit un mémoire sur les anomalies ana- tomiques multiples. OBSERVATIONS SUR-DES CAS D’ANOMALIES ANATOMIQUES MULTIPLES. Toute monstruosité importante entraîne généralement des vices de conformation accessoires, parmi lesquels les uns existent évidemment, comme conséquences de la monstruosité principale à laquelle ils sont liés d’une manière plus ou moins 2névitable, et les autres existent accidentellement, comme complications en apparence in- dépendantes, soit anatomiquement , soit physiologique- ment, de la monstruosité principale. Nous trouvons ce VINGT-QUATRIÈME SESSION. 607 dernier cas chez les anencéphales, par exemple, qui, presque tous, présentent quelques anomalies accessoires : hernie ombilicale, anomalie dans la configuration, la position ou le nombre des reins, augmentation ou dimi- nution dans le nombre normal des doigts ou des orteils, bec de lièvre, soit simple, soit compliqué, etc., etc. Sou- vent plusieurs de ces monstruosités accessoires existent avec la monstruosité principale. Bien que, dans l’état actuel de nos connaissances, il ne soit pas toujours possible d'établir rationnellement la corrélation existant entre une monstruosité grave et les anomalies moindres qui l’accompagnent fréquemment, le seul fait de la fréquence suffit pour établir l'influence de l'une sur la production des autres. Mais il est un troisième cas d'anomalies coexistantes qui n’a jamais été signalé, et que j'ai déjà vu plusieurs fois dans les amphithéâtres. On trouve chez certains individus une anomalie peu importante par elle-même, mais qui se rencontre avec plusieurs autres anomalies de même nature, affectant le même système d'organes, et placées, soit dans une même région anatomique, soit dans des régions différentes. Les cas de ce genre que j’ai observés portaient , ou sur le sys- tème artériel, ou sur Le système musculaire. Je communiquai , il y a une dixaine d’années, à la So- ciété de statisque de l'Isère, une note relative à un sujet qui avait servi à nos lecons à l'Ecole de médecine, et chez lequel de l’origine de l'artère carotide primitive du côté droit partait une artère satellite ayant à peine deux milli- mètres de diamètre ; elle montait accolée au côté externe de la carotide normale et la suivait, sans fournir une seule ramification, jusqu'au niveau de la division en artères 608 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. carotides externe et interne. Là , l'artère surnuméraire se divisait aussi elle-même, comme la carotide primitive, en deux branches à peu près égales ; l’une, antérieure, se portait au pharynx et remplacait l'artère pharyn- gienne inférieure, dont elle représentait exactement la dis- tribution; l’autre branche continuait le trajet ascendant du tronc primitif le long de l'artère carotide interne, gagnait avec elle la base du crâne et ne se séparait de la carotide interne que pour s'engager dans le trou stylo- mastoïidien, où elle suivait la distribution ordinaire de la branche stylo-mastoïdienne, qui manquaitici, et qui pro- vient ordinairement de l'artère auriculaire postérieure. Outre cette anomalie remarquable, dont j'ai conservé la description détaillée, le sujet en offrait plusieurs autres dans les embranchements et les distributions des artères thyroïdienne supérieure, cervicale profonde et linguale ; mais je h’en recueillis pas les détails, ne supposant pas, à cette époque, que cette coïncidence présentât de l'in térêt. Deux fois, depuis lors, nous avons vu dans l’'amphi- théâtre de notre école des sujets atteints d'anomalies artérielles, peu importantes sans doute, prises chacune isolément, mais si multipliées, qu’il était difficile d’uti- liser ces sujets pour l'étude de l'anatomie normale à la- quelle ils étaient destinés. Chez l’un, des anomalies exis- taient surtout inférieurement à partir de la bifurcation de l'aorte ; chez l’autre, c'étaitaux membres supérieurs prin- cipalement. Quelques irrégularités analogues sur le sys- tème musculaire s'étant aussi présentées à mon obser- vation, me mirent dans le cas d'étudier avec plus d'attention ces faits d'anomalies multiples sur un même individu. Un des plus remarquables, et qui va nous VINGT-QUATRIÈME SESSION. 608 servir de type, est celui que nous avons observé pendant l'hiver 1848. Sur un sujet bien conformé d’ailleurs, nous trouvämes à la dissection une notable quantité d'anomalies muscu- laires dans les deux membres supérieurs, et nous avons conservé la description des plus remarquables, au nombre de neuf, sans tenir note d’une certaine quantité d’ano- malies moindres. I. — Un faisceau était attaché au bord postérieur de la clavicule, immédiatement en dehors de l’attache clavi_ culaire du muscle sterno-mastoïdien, par une aponévrose de 15 millimètres de largeur. L’aponévrose dégénérait bientôt en un faisceau charnu, dont les fibres conver- geaient entre elles pour former un muscle cylindrique qui se dirigeait en haut, en arrière et en dedans sur la longueur du cou, etse divisaiten trois languettes s’atta- chant chacune par un tendon distinct, au tubercule antérieur del’apophyse transverse des 5°, 4° et 3° vertèbres cervicales. L'ensemble du muscle normal avait une direc- tion oblique par rapport au muscle sterno-mastoïdien : il était sur un plan un peu plus profond que celui-ci, et enfin, il coupait le triangle sus-claviculaire en deux portions inégales. Par sa position, ses attaches et sa direction, c'était évi- demment un muscle scalène antérieur claviculaire, in- dépendant du scalène antérieur costal ou normal, qui existait comme à l'ordinaire. Je ne connais que deux cas analogues: l’un cité par Meckel, d’après Kelch; l’autre décrit par Theile, dans son Traité de myologie. Ce dernier était très-semblable à celui que j'ai observé, seulement il n'avait que deux fais- 71 39 610 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ceaux appartenant aux 4° et 5° vertèbres cervicales: il était au côté droit ; celui que j'ai décrit était à gauche. IT. — Un muscle aplati, rubané, ayant un fort centi- mètre de largeur, était étendu horizontalement du bord coracoïdien de l’omoplate à l'articulation sterno-clavicu- laire. Il s’attachait par une aponévrose bien distincte au- devant de l'insertion scapulaire de l'omoplat-hyoïden, mais un peu plus bas que lui, c’est-à-dire dans la fosse sous-scapulaire, et non au bord coracoïden lui-même; de là il se dirigeait parallèlement à la clavicule dans l’espace triangulaire sus-claviculaire , à 45 millimètres en arrière de cetos, ét s’en rapprochait en dedans pour venir s’im- planter : 4° au bord postérieur de la clavicule, sur son extrémité sternale, dans une étendue de 2 centimètres ; 20 au bord postérieur du fibro-cartilage inter-articulaire; 3° enfin, plusieurs de ses fibres les plus internes deve- naient tendineuses et se confondaient avec les fibres les plus externes du muscle sterno-thyroïdien; rappelant ainsi, par cette disposition digastrique et par cette dévia- tion de direction, le muscle omoplat-hyoïdien ; le muscle sterno-thyroïdien représentant dans ce cas la portion as- cendante de l’omoplat-hyoïdien. Je n'ai trouvé nulle part décrite une anomalie sem- blable; mais J.-F. Meckel (1) cite deux cas qui s’en rap- prochent beaucoup. Dans le premier, le ventre inférieur de l’omoplat-hyoïdien se subdivise en deux faisceaux, dont un s'attache à la clavicule; dans l’autre cas, le muscle se confond par une tête particulière avec le sterno- thyroïdien. Le fait que j'ai observé présente, réunies, les (4) Manuel d'anat. génér., 1. 115, p. 312. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 611 deux anomalies indiquées , l’une dans le ip cas de. Meckel, et l’autre dans le deuxième. IT. — Sur la ligne oblique que présente la face anté- rieure du radius à sa partie supérieure, et qui sert de limite aux atiaches du court supinateur, d’une part, et à celles du long fléchisseur du pouce d'autre part; vers l'extrémité inférieure de cette ligne oblique on voyait un tendon grêle, long de 9 cent., donnant naissance infé- rieurement à un corps charnu conique qui s’élargissait et s'aplatissait vers sa partie inférieure, et allait se termi- ner au bord supérieur du ligament annulaire antérieur du poignet. Les tendons du grand palmaire et du petit palmaire étaient sur le même plan que lui, et il recouvrait le corps charnu du long fléchisseur du pouce. C'était évidemment un petit palmaire surnuméraire fourni par un faisceau du fléchisseur superficiel des doigts. Cette disposition a déjà été signalée plusieurs fois; mais alors le palmaire grêle manquait, et ici il était, au contraire, bien développé. IV. — Un fiiet tendineux partait du tendon supérieur du rond pronateur, et le petit muscle qui lui faisait suite se terminait sur la face libre de fibres charnues (face in- terne) du tendon du long fléchisseur du pouce, un peu au-dessous du milieu de l'avant-bras. Meckel, Gantzer, Theile ont indiqué cette anomalie. V. — Un paquet musculaire volumineux, attaché au tendon du long fléchisseur du pouce sur la hauteur de ce muscle, qui répond à la réunion de ses tiers, moyen et inférieur, allait se terminer sur le tendon du fléchisseur 612 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. profond destiné au doigt indicateur. Cette disposition a été rentontrée plusieurs fois identiquement la même. Gêne-t-elle pendant la vie l'indépendance des mouvements du pouce et de l'index? Dans tous les cas, elle tend à confondre les deux muscles en un seul, ainsi que cela se voit chez l’orang et chez tous les autres quadrumanes. VI. — Les deux radiaux externes, enlièrementconfondus en un seul corps charnu, n'étaient dis‘incts qu'en bas dans leur partie tendineuse la plus inférieure. Cette anomalie a été vue plusieurs fois. VII. — Ilexistait deux longs abducteurs du pouce, parallèles et rapprochés l’un de l'autre, mais bien distincts sur toute la longueur. VIII, — Le court extenseur du pouce, régulièrement disposé dans ses attaches supérieures, se terminait en bas sur l'extrémité inférieure du premier métacarpien, et non à la première phalange du pouce. Le muscle était, par sa terminaison inférieure, un long abducteur, et non un extenseur, et, comme il y avait deux autres abducteurs, ainsi que nous venons de le dire, celui-ci en constituait un troisième; il y avait donc, en réalité, trois tendons abducteurs attachés au premier métacarpien, et FHSReS de court extenseur du pouce. Toutes les irrégularités anatomiques que je viens de décrire existaient sur le membre gauche. IX. — A la main droite du même sujet on trouvait cinq muscles lombricaux, dont deux pour le doigt annulaire ; les autres à l'ordinaire. Cette anomalie est remarquable, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 613 parce que, chez beaucoup de sujets, bien conformés d’ail- leurs, le doigt annulaire est, par anomalie, dépourvu de son muscle lombrical, celui qui aurait dû s’y fixer s’atta- chant souvent au bord cubital du médius. Je n'ai indiqué ici que les anomalies les plus remar- quables sur l’un et l’autre membre thoracique ; on trou- vait en outre une multitude d’irrégularités musculaires, moindres que les précédentes, mais encore assez nom- breuses et assez prononcées pour que le membre supé- rieur gauche du sujet ne pût pas servir pour l'étude de la myologie à laquelle on l'avait destiné. Postérieurement à l'observation qui vient de nous servir de type, nous avons vu, en 41852, dans l’amphithéâtre de notre école, sur un cadavre de femme, des anomalies musculaires multiples, moins nombreuses que chez le sujet précédent, car elles étaient restreintes aux muscles fléchisseurs des doigts, mais remarquables par leurs sin- gulières complications. Le fléchisseur superficiel, régulièrement disposé dans sa partie supérieure, présentait, à partir de sa division en faisceaux pour les différents doigts,iles conditions suivan- tes : le faisceau destiné à l’annulaire et celui du petit doigt, confondus jusqu’au-dessous du tiers inférieur de l'avant-bras, étaient placés superficiellement au-devant des faisceaux de l'index et du médius. Le faisceau de l'index était beaucoup plus volumineux qu'à l'ordinaire ; il partait tout entier du bord cubital de la masse commune, et arrivé dans la coulisse annulaire du Carpe; ilcroisait la direction du tendon du doigt médius et passait derrière ce tendon pour atteindre l'index. Le fléchisseur profond et le fléchisseur propre de l'index avaient été écartés aussi de leurs conditions anatomiques 614 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. régulières. Il se détachait de la face profonde et de la par- tie la plus supérieure du fléchisseur superficiel un faisceau charnu cylindroïde de 45 millimètres environ de diamè- tre, qui se portait directementen baset un peu en dedans, et après 8 à 9 centimètres de trajet, dégénérait en un ten- don qui s’accolait au bord interne du fléchisseur propre du pouce, le long de la portion tendineuse de ce dernier muscle, mais sans se confondre avec lui; de sorte que, par une dissection attentive, on séparait nettement sur toute la longueur ce qui provenait du fléchisseur superficiel de ce qui appartenait au fléchisseur propre du pouce. Avant de s'engager sous le ligament annulaire antérieur du poignet, les deux tendons accolës se séparaient, celui du pouce rentrait dans ses conditions normales, et celui du fléchisseur superficiel allait s’unir au tendon du fléchis- seur profond‘destiné à l’index, au niveau de l'origine du muscle lombrical correspondant. Enfin, le tendon du fléchisseur profond de l'index, avant de recevoir le tendon surnuméraire qui lui était fourni par le fiéchisseur super- ficiel, envoyait lui-même un tendon de renforcement au tendon du fléchisseur profond destiné au médius. Cette singulière complication d'anomalies peut se résu- mer ainsi : le fléchisseur superficiel fournissait un fais- ceau qui s'unissait d’abord au long fléchisseur du pouce, et qui s’en séparait ‘ensuite pour s'unir au fléchisseur profond par le tendon de l'index, tendon qui, lui-même, fournissait un tendon accessoire au tendon du fléchisseur profond du médius. Quelles avaient été les conséquences de ces connexions sur les mouvements des doigts et sur leur indépendance réciproque pendant là vie? C’est ce que nous n'avons pas pu savoir. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 615 Je n’ai trouvé décrit nulle part un cas aussi compliqué d'anomalies musculaires; mais on à vu souvent des cas analogues à la plupart de ces différentes anomalies, prises chacune isolément, excepté toutefois les trois dispositions suivantes, dont je ne connais pas d'exemples : 4° le mode de superposition des deux faisceaux internes du fléchis- seur superficiel sur les deux faisceaux externes ; 2° le lieu d’origine du faisceau supplémentaire destiné à l'index; 3° le croisement du tendon de l'index avec le tendon du médiuset en arrière de celui-ci. Au reste, au point de vue où nous étudions toutes ces différentes anomalies anatomiques, les détails de cha- que fait nous intéressent peu; car il n’est pas rare de ren- contrer des anomalies musculaires, et chacune de celles que nous avons décrites dans les deux sujets étudiés ci- dessus, ou toute autre analogue trouvée isolément, ne nous aurait offert aucun intérêt pour ce que nous voulons établir, savoir : la réunion, dans certains cas, d'anomalies de même nature sur un même sujet ; or, ces cas ne doivent pas être extrêmement rares, puisque, pour cequi me con- cerne, j'en ai déjà rencontré plusieurs, et certainement d’autres anatomistes ont dû en voir aussi. Le docteur Adolphe Richard, dans un remarquable mémoire sur diverses anomalies musculaires (1), indique un cas de ce genre (2) étudié par lui sous un tout autre point de vue. Evidemment, ce sont là des cas qui ne rentrent pas dans ces anomalies secondaires dépendantes d’une monstruo- (1) Annal. des scienc. nalurell., 3° série, L. xvin, p. 4. (2) L., e., p. 9. 616 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sité principale, dont nous avons parlé en commencant cette notice; car, ici, il serait impossible d'indiquer une anomalie comme dominant les autres, et ayant pu, par sa présence, entrainer leur développement. C'est donc une cause spéciale et propre à tout un système ou à toute une région qui a agi sur cette portion de l'organisme, à une époque donnée de la formation du tissu musculaire ou du système artériel, et qui à déterminé l'existence d'anoma- lies simultances. Quelle est cette cause ? à quelle époque du développement fœtal agit-elle ? Ce sont là des questions que, dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut que poser, mais dont la solution se présentera peut-être un jour. Déjà nous pouvons remarquer que ce genre d'anomalies paraît porter plus particulièrement sur les systèmes musculaire et artériel, ou, disons mieux, sur le système vascylaire, car je ne doute pas que l'appareil vei- neux ne soit susceptible de présenter aussi des anomalies multiples, et, si je n’en puis pas citer d'exemples connus, c'est que, comme l'a fort bien fait observer M. Isid. Geoffroy-Saint-Hilaire, à propos de la fréquence relative des anomalies d’embranchement dans les systèmes arté- riel et veineux (1), le système artériel, injecté chaque année dans son ensemble sur des milliers d'individus, est le sujet continuel des études des élèves et des recherches des anatomistes, qui ne manquent pas de signaler tous les cas insolites qu'ils viennent à rencontrer. Nous terminerons ces observations en signalant dans les anomalies multiples, et plus généralement dans les anomalies vasculaires et musculaires, la tendance à la (1) Traité de tératologie, t. 1, p. 451. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 617 symétrie chez quelques sujets. En décembre 1853, nous avons trouvé chez une femme le muscle court fléchisseur desorteils n’ayant que trois tendons, par absence de celui qui aurait dû exister à l’orteil externe, et cette anomalie se voyait aux deux pieds. Tout récemment (janvier 1857), sur un homme qui a servi à nos lecons d'anatomie, les deux muscles pédieux avaient chacun un cinquième tendon pour le petit orteil. Ce tendon provenait d'un faisceau charnu fusiforme, qui était fixé lui-même par un court tendon d'origine, au- devant de la malléole externe sur le tendon du muscle moyen péronier, un peu avant sa terminaison au cinquième os métatarsien. Cette singulière disposition était la même sur les deux pieds. Un individu injecté pour l'étude des artères présentait à chaque avant-bras trois troncs artériels ainsi disposés : à l’avant-bras droit, l'artère cubitale fournissait au même niveau l'artère interosseuse antérieure, et en même temps une artère surnuméraire aussi grosse que la radiale ou que la cubitale. Elle était placée entre les deux plans mus- culaires des fléchisseurs profond et superficiel ; vers le quart inférieur de l’avant-bras, elle se dégageait d’entre les fibres charnues, devenait sous-aponévrotique et se placait entre les tendons du fléchisseur superficiel qui lui étaient internes et le tendon du radial antérieur qui était plus externe et qui la séparait de l'artère radiale. L’artère anormale passait ensuite sous le ligament annulaire, accolée au nerf médian, et venait former l’arc externe de l'arcade palmaire superficielle en s’anastomosant avec la cubitale. Les artères de l’avant-bras gauche présentaient identi- quement les mêmes dispositions, sauf à l’origine de l’ar- 618 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tère anormale qui avait lieu isolément sur l'artère cubitale, un peu au-dessus de l'artère interosseuse antérieure, et non au même niveau, ainsi qu'on le voyait sur l’avant- bras droit. M. le docteur Charvet dépose son mémoire sur le bureau de M. le président, et la section décide, à Punanimité, qu'il sera adressé à la commission de publication, pour être inséré dans le compte-rendu des travaux du Congrès. | La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU 11 SEPTEMTRE. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le docteur Roux, de Marseille, fait un rap- port oral sur les divers élablissements sanilaires vi- silés par la commission qu'il préside. Etablissement d’'hydrothérapie et de bains de vapeur thérébenthinée de Bouquéron, dirigé par le docteur Armand Rey. — M. le docteur Roux adresse à l'établissement de Bouquéron et à son directeur quelques paroles élogieuses, et il dépose VINGT-QUATRIÈME SESSION. 619 un rapport écrit, qui, trop élendu pour être lu en séance générale, sera renvoyé au comité de publi- calion. Asile des aliénés de Saint-Robert, dirigé par le docteur Evrat. — M. le docteur Roux exprime la satisfaction qu’a éprouvée la commission à la vue de l'emplacement de l'asile de St-Robert. L'air pur qu’on y respire, les eaux limpides et fraîches qui l’arrosent, les montagnes imposantes qui l'entourent, concou- rent à embellir sa position. Une propriété de qua- torze hectares de superficie donne des récoltes re- marquables par leur variété et leur bonne venue. Le jardin surtout, cultivé par les aliénés sous la direction d’un jardinier, renferme des produits que pourraient envier les établissements horticoles de premier ordre. L’asile de Saint-Robert était autrefois un couvent de pères Bénédictins. Il ne présentait aucune des condilions favorables à la destination nouvelle qui lui à été donnée. On y avait accumulé une foule de services divers, tels que dispensaire de salubrité publique, salle de maternité, succursales de pri- sons, etc. [l importait de séparer ces différents ser- vices et de réserver Saint-Robert pour le traite- ment des aliénés seulemeut. M. le rapporteur rappelle que c’est Daquin qui, sinon le premier, du moins avant Pinel, a eu le 620 conGRèSs SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mérite de proposer la réforme du traitement des aliénés. Sur l'initiative spontanée de M. le docteur Evrat, M. Roux saisit avec empressement celle occasion de rendre justice à la mémoire de ce médecin, aussi illustre par ses travaux que par sa haute philan- thropie. On trouve encore dans l'établissement de Saint- Robert des traces de son ancienne destination ; mais il est plus que défectueux au point de vue du régime des aliénés; néanmoins, malgré tant de circons- lances défavorables, tout y est bien soigné : dor- toirs, cuisines, réfectoires, sont d’une extrême pro- preté. La commission a assisté à un repas pris en commun par les aliénés ; elle a été surtout frappée de la discipline qui régnait parmi ces malheureux, si peu aptes à subir une direction quelconque. La chapelle a paru beaucoup trop petite à MM. les commissaires. Les bains et les douches sont plus qu'insuffisants. M. Roux , au nom de ses collègues, émet le vœu qu’une prompte amélioration soit ap- portée à l’état actuel de ces différentes parties de l'établissement de Saint-Robert. Il mentionne spé- cialement les ouvroirs établis dans le service des aliénées (femmes). M. le docteur Roux rappelle, en quelques mots, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 621 les difficultés que M.'le docteur Evrat a rencontrées pour arriver à obtenir la réédification de l’asile con- _fié àses soins. Il fait remarquer que dans les cons- tructions des hospices et asiles, on tient trop peu de compte des observations des médecins, qui, seuls, sont compélents en ce qui concerne la dis- tribulion et l’aménagement de ces établissements philanthropiques. Dans celte circonslance, grâce au courage, à l'énergie et à la persévérance du directeur de Saint- Robert, la voix de la médecine a pu se faire enten- dre. L’asile destiné à recevoir les aliénés du dépar- tement de l'Isère une fois terminé, réunira toutes les condilions les plus favorables et ne le cédera en rien aux établissements du même genre créés dans les autres départements. M. le docteur Evrat mérite donc, à tous égards, les plus grands éloges, de la part de la section des sciences médicales du Congrès scientifique de France, aussi bien que de ses concitoyens et de l'humanité ioul entière. « J’appelle de tous mes vœux, dit en terminant M. le docteur Roux, le moment où l'établissement de Saint-Robert sera en mesure de fonctionner con- venablement. J’invite mes confrères de Grenoble à bâter ce moment par leurs efforts et parleur concours. « Dans toutes les villes de France il existe malheu- 622 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. reusement une scission entre les différents membres du corps médical; scission qui les désunit el les empêche d'agir de concert dans les circonstances où leur concours serait le plus utile. Il est un moyen de faire cesser cette déplorable situation des médecins les uns vis-à-vis des autres : je veux parler de l’as- sociation. Je m'honore d’avoir figuré à côté de notre honorable confrère, M. le docteur Bailly, une des illustrations de la médecine et de ce pays, parmi les apôtres les plus fervents du principe de l'association médicale. » M. le docteur Armand Reÿ, au nom de l’associa- tion des médecins et des pharmaciens du départe- ment de l'Isère, dont il est le secrétaire général, remercie l’honorable docteur Roux des paroles qu'il vient de prononcer : il est heureux de pouvoir lui annoncer qu'une association de prévoyance et de secours à été formée à Grenoble, entre les membres du corps médical et pharmaceutique de l'Isère, depuis près d’un an. M. le docteur Roux dépose sur le bureau un ta- bleau statistique du mouvement de l’hospice des aliénés de Saint-Robert, dressé par M. le docteur Evrat, en demandant que ce travail soit renvoyé au comité de publication. La section, consultée, adopte celte proposition. M. Bonjean remercie M. le rapporteur des éloges VINGT-QUATRIÈME SESSION. 623 qu'il a adressés à la mémoire de Daquin, son com- patriote, au nom des académies de Savoie, qu'il est chargé de représenter au Congrès. : M. le président donne la parole à M. le docteur Armand Rey pour lire son Mémoire sur la deuxième question du programme intitulé : Des bains de va- peur térébenthinée. } DES BAINS DE VAPEUR TÉRÉBENTHINÉE, Par M. le docteur Armand Rey. DEUXIÈME PARTIE. L. MESSIEURS, Parmi les moyens de thérapeutique externe, il en est un que j'ai omis, à dessein, de nommer dans l’énuméra- tion qui précède, et que, cependant, je me propose d’étu- dier plus particulièrement avec vous, surtout au point de vue de son action dans le traitement des maladies des voies respiraloires. Je veux parler du bain de vapeur résineuse. Avant d'aller plus loin, je crois utile de réformer ici la dénomination de vapeur térébenthinée, donnée géné- ralement aux gaz qui se dégagent des copeaux résineux soumis à une température élevée. La substance bâälsa- mique dont ces copeaux sont imprégnés et recouverts, est tout simplement de la résine et non pas de la térében- 624% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. thine. J'ai insisté sur ce point dans mes lettres à la Revue medicale (voir les numéros de ce journal de juin, juillet, août et septembre 1855), et prouvé que cette erreur de termologie peut conduire les médecins qui, pour la pre- mière fois, entendent parler de nos bains, à se former une opinion erronée sur leur action. Le bain de vapeur résineuse donc peutagir de deux ma- nières : 4° par le calorique; 2 par la vapeur balsamique. Vous connaissez tous, Messieurs, l'origine de ce moyen thérapeutique nouvéau. Administré d'abord dans le four qui sert à l'extraction de la poix noire, il n’a pas tardé à subir d’utiles et ingénieuses modifications. Aux méde- cins de Die appartient l'honneur d’avoir donné l'impulsion première; mais ce tribut d’éloges une fois payé, qu’il me soit permis de vous faire connaître en quoi consiste la modification radicale que j'ai fait subir aux appareils primitifs (1). Je n’entrerai pas dans les détails descriptifs de la con- formation de mon appareil, assez compliqué d’ailleurs ; j'en ai offert le modèle en relief à la Société d’hyürologie médicale de France, qui a Dien voulu me faire l'honneur de le déposer dans ses collections. Je me borneraï à vous exposer les différents problèmes dont je m'étais proposé la solution en le construisant. Les bains de Die et de Crest se chauffent directement comme on chaufferait un four; ils’ensuit que le maximum de températureune fois obtenu, 60°, 70°, 80° ou 90° c., etc. (4) Je dois ici exprimer toute ma reconnaissance à mon hono- rable collaborateur etami, M. Hippolyte Bouvier, entrepreneur à Grenoble, qui a réalisé mes indications de la manière la plus habile et la plus heureuse. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 625 quel que soit le degré, peu importe, le feu est retiré, età partir de ce moment, la température s’abaisse. Si bien qu’a- près une ou deux fournées, si l’on veutretenir la chaleur, il faut nécessairement fermer les orifices par lesquels elle se perd, et qui sont en même temps les ouvertures qui assurent le renouvellement de l'air. Dans les bains de Crest, la tète du malade étant placée hors de l’étuve, la respiration s'effectue toujours convenablement; mais cette disposition donne lieu à d’autres inconvénients très-graves, et que j'ai indiqués dans mes lettres à la Revue médicale. Cette étude se rattachant d'ailleurs principalement au traitement des affections de la respiration, nous n’avons pas à nous occuper des bains de Crest, que leur disposi- tion rend complétement inaptes à la médication qui nous occupe. Pour remédier à ces inconvénients, je cherchai une étuve à plusieurs loges, à température variable à volonté, constante au degré voulu, et dans toutes les parties des compartiments , combinée de telle sorte, que je pusse m'assurer un renouvellement d'air considérable, et par là corriger, autantque possible, les dangers de la raréfaction de l'air, raréfaction d’autant plus grande, que la tempé- rature est plus élevée. Un calorifère pouvait seul réaliser mes vues, et, grâce au concours éclairé de M. Hippolite Bouvier, je suis par- venu à obtenir tout ce que je pouvais désirer de mieux sous ces différents rapports. L'air froid, conduit par une gaine autour de nombreux tuyaux en fonte fortement chauffés, arrive dans chaque cabinet par un orifice pratiqué à sa partie supérieure; tout au bas et au niveau du plancher, une petite ouverture, communiquant avec une cheminée, fait l'office d’appel et I 40 626 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. assure une circulation d'air très-active, évaluée approxi- malivement à DEUX CENTS MÈTRES CUBES à l'heure : selon qu'on ouvre plus ou moins les registres de ces deux espèces d'orifices, la température s'élève ou s'abaisse. Une dis- tance de 4125 sépare l'ouverture par laquelle arrive l'air chaud de l'extrémité supérieure de la cheminée par la- quelle il s'échappe. Le thermomètre placé à ces deux points extrêmes accuse une différence de 40°, d’où il ré- sulte que l'air chaud perd dans son parcours environ un degré par mètre; chaque cabinet ayant 2"50 de hau- teur, la différence de température entre sa partie infé- rieure et sa partie supérieure serait donc de 2 degrés 50, et la hauteur d’un homme assis étant en moyenne de 120, il n’y aurait à la rigueur, entre latempérature de la tête etcelle des pieds, qu’une différence insignifiante d'un degré. Mais il est à remarquer que les cheminées d'appel étant beaucoup plus larges au-dessus de l’étuve , l'air y circule moins vite ets’y refroidit plus vite que tout à fait au point d'arrivée de l'air chaud, où cette circulation est excessivement rapide. On peut donc considérer la température des différentes latitudes de chaque cabinet comme parfaitement uni- forme. Un autre avantage de la disposition que j'ai donnée à mon appareil, consiste à pouvoir chauffer chaque compar- timent à des températures très-différentes. Ainsi, je chauffe constamment quatre cabinets : j'en ai un à 60 ou 65, un autre à 70 ou 75°, un troisième à 85°, et le quatrième, de 90 à 400. Tous les appareil$ construits depuis lors, sur le modèle ou sur les indications du mien, ne remplissent aucune de ces conditions essen- tielles. Quelle que soit la température administrée, l'effet VINGT-QUATRIÈME SESSION. 627 primitif du bain d’étuve sèche est de congestionner la peau en provoquant la dilatation des vaisseaux qui s’y distribuent. Plus tard, par une admirable réaction de l'organisme, la transpiration vient, en plus ou moins grande abondance, neutraliser les effets nuisibles du calorique en excès. Voilà, du moins, ce que l’action de l’air sec et chaud a de plus saillant. Mais si, par hasard, le malade soumis à cet agent présente sur quelque point du corps une écorchure, un herpès labialis ou préputialis, une coupure en sup- puration, une plaie quelconque, on voit disparaître ces accidents avec une rapidité qui tient du prodige, sous la seule nfluence de l'air chaud. Les succès obtenus par les bains et les douches d’eaux minérales et thermales employés dans le traitement des engorgements chroniques, m'ont engagé à essayer contre les mêmes affections des bains d’étuve sèche, et souvent les résultats ont dépassé mon attente; mais je n’ai jamais mieux réussi que dans les engorgements des ganglions Jymphatiques sans tendance à l'inflammation. L'action du calorique les dissout plus rapidement que les fondants les plus fameux. Il m'aurait été facile de fournir, à l'appui des propositions que je viens d'émettre, des observations de nature à ne laisser aucun doute, même dans les esprits les moins prévenus en notre faveur, si ces propositions n'avaient pour elles la sanction de l’expé- rience et de l’opinion des praticiens les plus éminents. Je ne ferai donc, pour ainsi dire, que les rappeler, afin de vous montrer quelle direction a été donnée à mes études, par la constatation des faits qu’elles renferment. Les autres résultats ordinaires de l'application du ca- 628 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. lorique généralisé se traduisent par ces mots : élimina- tion, dérivation, révulsion, sédation. Transpiration abondante, excrétions par lesquelles des principes nuisibles peuvent être expulsés de l’organisme. Hypérémie considérable de la peau, exerçant, au moyen d'un important afflux du sang dans les vaisseaux péri- phériques, une action dérivative puissante. Excitation énergique de l’enveloppe cutanée, capable de révulser d’une facon salutaire les affections dont le siége étant placé dans les organes profonds , reste inac- cessible aux actions directes. Enfin, aux effets généraux excitants du calorique, succèdent, par réaction, des effets essentiellement sédatifs, dont l'intensité et même l'apparition dépendent surtout des différentes circonstances de l'application de cet agent. Telles sont, en peu de mots, les différentes manières d'agir du bain de vapeur résineuse, considéré seulement au point de vue du calorique. Dans, mon appareil, les vapeurs se dégagent dans un four presque semblable aux cabinets destinés aux bai- gneurs, à cette différence près, qu'il est placé immédiate- ment au-dessus du foyer, et qu'indépendamment du calorique émanant du calorifère, il en recoit encore direc- tement du fourneau. Sa température est, en conséquence, plus élevée d’un tiers que celle des étuves. Des copeaux résineux y sont entassés, on peut, au besoin, y ajouter une certaine quantité de résine fraîche, et les vapeurs formées sous l'influence du calorique se distribuent dans les cabinets par des conduits munis de registres. Dans les appareils de Die, les copeaux sont placés au fond du four, et le dégagement des vapeurs s'effectue parfaitement; si bien qu'à ce point de vue, et grâce à - YINGT-QUATRIÈME SESSION. 629 l'habileté des médecins éclairés qui en dirigent le fonc- tionnement, ces appareils ne laissent absolument rien à désirer. Les vapeurs résineuses contiennent les différents pro- duits de la distillation des bois: mais il est hors de doute que c’est surtout à leur partie balsamique qu’elles doi- vent toute leur valeur. L’essence de térébentine se trouve réduite à bien peu de chose dans l’enduit des copeaux; c’est la résine elle-même, atténuée et suspendue dans l'air à la faveur du calorique, qui aromatise les vapeurs. On s’expliquera maintenant bien mieux pourquoi elles n’ont pas, à la température ordinaire, les propriétés qu’elles possèdent à 65, ou mieux, à 80 degrés c. Dans le premier cas, l’air n’emporte que leurs parties les plus volatiles, des restes d'essence de térébenthine, quelques huiles empyreumatiques odorantes et peu con- nues ; dans le second, l’air chaud se charge des particules résineuses liquéfiées, de manière à les tenir en suspen- sion. Il va sans dire que les résines étant facilement décom- posées par une trop grande chaleur, il est très-important. de ne pas dépasser la température convenable. Quelques mots maintenant sur le mode d’administra- tion et sur les effets physiologiques du bain de vapeur résineuse. Dans tous les établissements organisés pour la mise en pratique de ce genre de médication, le traitement s’ad- ministre de la même facon, à quelques différences près. Les malades, enveloppés dans une couverture de laine qui recouvre leur tête et retombe comme un voile devant leur visage, sont placés dans l’étuve pendant un laps de temps qui varie entre 15 et 30 minutes en moyenne. Il est 630 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rare que la durée du bain excède, en plus ou en moins, ces limites extrèmes. La température du four de Die est de 75 à 80 degrés centigrades ; elle pourrait aisément être portée à un degré plus élevé, mais elle ne peut être graduée à volonté. Dans les étuves de Bouquéron, la température peut varier entre 50 et 100 degrés avec la plus grande facilité, au moyen du système particulier que j'ai déjà indiqué. IL est ici question de vapeur sèche, ou mieux, d'air chaud. Or, afin d'éviter toute espèce de confusion, je rappelle ici que, d’après des expériences déjà consignées à l’article Bain de vapeur du Dictionnaire des sciences médicales, en 60 vol., 400 degrés d’air sec et chaud cor- respondent à peine à 50 degrés de vapeur d’eau. Toutes les fois qu’il est question de 100 degrés, l’idée de l’eau bouillante vient si naturellement à l'esprit, que les hommes les plus compétents sont effrayés d’une tem- pérature aussi élevée en apparence; tandis que nul n’a eu l’idée de trouver exagérés 50 degrés de vapeur d’eau, bien plus difficiles à supporter et bien plus dangereux cependant que 100 degrés d'air chaud. La température la plus convenable est celle qui est comprise entre 75, 80 et même 90 degrés; elle est beau- coup plus facilement supportée, parce qu’elle provoque plus rapidement la transpiration, et que le seul moment de gêne et d’anxiété qu'éprouve le malade dans r'étuve ou dans le four, est celui qui s'écoule à partir de son entrée jusqu’au début de la transpiration. Dès que la sueur coule, un sentiment de bien-être se manifeste, la respiration devient plus libre et plus facile que dans l’état ordinaire, et cette sensation est si prononcée, que les malades les plus pusillanimes se sentent rassurés. D'ailleurs, la tempéra- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 631 ture administrée dépend du genre d'affection qu'on veut traiter. Si l’on veut agir surtout au moyen du calorique, on a recours aux températures élevées; si, au contraire, -on attend la cure des vapeurs résineuses, il suffit de don- ner un degré suffisant pour que ces vapeurs soient assez chargées de particules balsamiques en suspension. Or, l'expérience m'a démontré qu'il faut au moins 68 ou 70 degrés pour obtenir des vapeurs assez imprégnées. Ce qui a induit en erreur quelques expérimentateurs, c'est l'évaluation approximative des vapeurs résineuses par le plus ou moins d’odeur qu’elles dégagent : ce mode d'évaluation n’a rien d’exact. Il est un procédé qui donne des résultats plus certains, et qui consiste à agiter, pen- dant un temps donné (10 minutes par exemple), un flacon de la capacité d’un litre au moins, à moitié plein d’eau fraiche, au milieu des vapeurs à analyser. Après ce laps de temps, on-filtre le liquide : l'essence de térébenthine passe avec l'eau et surnage eu gouttelettes à sa surface, mais la résine reste sur le filtre et peut être plus exactement évaluée. L'odeur, je le répéte, ne signifie absolument rien : une goutte d'essence de térébenthine peut en répandre beau- coup plus qu’une grande quantité de résine en suspen- sion. On peut encore recueillir une plus grande quantité de résine condensée, en introduisant dans le cabinet une lame de verre ou de fer, qu’on y laisse séjourner pendant un laps de temps déterminé. On peut facilement juger du dégagement résineux obtenu, par l'épaisseur de l’enduit poisseux, déposé sur la plaque métallique employée pour l'expérience. Dans quelques établissements, on a voulu substituer fin 632 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. burnous en laine à la couverture; on a même imaginé des chaussons de flanelle, pour éviter que les patients ne restent pieds nus. Ces modifications n’ont d'utilité qu’au point de vue du confort. Sous le rapport thérapeutique, elles sont complétement inutiles. Le burnous, à mon avis, outre l'inconvénient d'occasionner une dépense aux baigneurs ou aux direc- teurs d'établissements qui ont à les fournir, a encore celui de s'appliquer trop exactement sur le corps, de gêner par conséquent la formation de l'atmosphère d’évaporation qui se forme entre la couverture et le corps du malade, suffisamment espacés l’un de autre; il a enfin celui d’être confectionné avec une étoffe trop légère, et de ne pas oppo- ser au calorique direct une barrière suflisante. Dans certains cas, je suis bien aise de chauffer une par- tie du corps, un membre par exemple, à l'exclusion des autres parties, ou seulement plus spécialement; j'enve- loppe aiors toutes celles que je veux soustraire à l’action’ de la chaleur, tandis que je découvre les autres. Ces peti- tes précautions me permettent d'obtenir des effets diffé- rentiels, qui souvent peuvent avoir leur utilité, et la couverture se prête bien mieux que le burnous à ces modifications du traitement. Les malades au bain se munissentsouvent d’une éponge imbibée d’eau froide, etse lotionnent le front. J'ai renoncé à cette pratique, qui, en s’opposant à l’afflux du sang dans les capillaires de la peau de la face, le repousse dans les vaisseaux profonds, et peut déterminer de la céphalalgie. L'expérience en a été faite par M. le docteur Ozanne, de Versailles, pendant son séjour à Bouquéron. En sortant de. l’étuve, les malades sont enveloppés dans un maillot composé de couvertures de laine; et alors com- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 633 mence la véritable sudation, dont la durée est,en moyenne, d’une heure. Pendant cette période assez courte, quelques malades rendent souvent plusieurs kilog. de sueur; ilen est même qui, après avoir mouillé couvertures et matelas au point de les traverser, répandent encore un demi-verre de sueur, et souvent plus, dans le vase placé sous leur lit pour la recueillir. A Die, on administre ordinairement aux baigneurs, soit pendant le bain, soit pendant la sudation, un breuvage fait avec une décoction de copeaux résineux. Cette espèce de tisane sudorifique, qui, sans être agréable, est cepen- dant très-supportable, peut agir sur l’économie comme boisson chaude, renfermant en assez grande abondance des principes balsamiques. Le plus habituellement les malades prennent un bain tous les jours; cependant, le mauvais état de leurs forces ou leur trop grande irritabilité exige souvent des ména- gements : on ne les soumet alors au traitement que tous les deux jours. Voici maintenant en quoi consiste ce qu'on pourrait appeler les effets physiologiques du bain de vapeur rési- neuse. Supposons l'étuve chauffée à 80°; après une sensation de chaleur assez vive dont la durée n’excède pas quatre ou cinq minutes, la sueur s'annonce par un peu de moiteur. A partir de ce moment, la respiration devient plus facile et la circulation commence à s’accélérer peu à peu. La sensation de chaleur ne se borne pas à la peau. L'air chaud respiré remplit la poitrine, pour peu qu'on écarte la couverture de laine au niveau de la bouche; mais l’éva- poration qui s'opère bientôt à la surface de la muqueuse pulmonaire ne tarde pas à faire disparaître tout sentiment 634 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pénible. L'expérience m'a démontré qu'après le bain, le nombre des pulsations est augmenté d’un tiers. La cons- tatation de l'état du pouls me permet de reconnaître le moment où il convient de faire sortir les malades de l'étuve. Cette augmentation est peut-être un peu plus lente à se produire au commencement qu’à la fin du trai- tement, circonstance qu’expliqueraient d’ailleurs l'effet excitant des vapeurs résineuses et l’affaiblissement pro- duit par des pertes réitérées de sueur. La circulation s'accélère encore pendant les premières minutes de l’en- veloppement dans les couvertures de laine. Cette période du bain estréellement la plus pénible; elle s’accomplit du reste, en général, comme toutes les sudations usitées dans les établissements d'eaux thermales. La face est vultueuse et se couvre rapidement de gouttelettes de sueur qui reparaissent au furetà mesure qu'on les essuie. Quelques instants après le pouls se calme et la transpira- tion est à son comble. Un peu d'impatience et d'inquié- tude annonce que la transpiration commence à se tarir et qu'ilest temps de sortir du maillot. Pendant toute la durée du traitement, le nombre des pulsations reste toujours à 8 ou 10 par minute de plus qu'avant le début. Les vapeurs résineuses produisent au fond de la gorge des malades atteints de bronchite catarrhale un peu d'excitation ressemblant à un envie de tousser ; les mu- queuses en général, et surtout la conjonctive, sont comme desséchées. Néanmoins, cette excitation, qui est sans danger, se dissipe rapidement. Les phénomènes qui se manifestent à la surface de la peau sont essentiellement variables, et dépendent du plus ou moins d’excilabilité de cet organe. JT nous arrive sou- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 635 vent d'obtenir des éruptions dès les premiers bains: comme aussi parfois tous nos efforts sont impuissants à les produire. Cependant, je dois dire que nous finissons presque toujours, à la longue, par érythématiser la peau. Les transpirations abondantes déterminent bientôt de l’altération : les malades ont une soif inextinguible ; leurs nuits sont agitées, quoique une fatigue particulière, res- semblant un peu à celle qui succède aux accès de fièvre intermittente, les invite au repos. Il est rare qu'après 12 à 15 bains pris de suite les malades ne demandent pas à se reposer. Chose extraor- dinaire ! c’est la muqueuse pulmonaire qui résiste le mieux à l’action du calorique et des vapeurs résineuses. J'ai donné à la Revue médicale l'observation d’un cas de catarrhe avec emphysème dans lequel je me suis vu forcé d'interrompre la médication malgré la malade, qui deman- dait avec instance à continuer. Je n’avais d’ailleurs d’au- ire raison pour persister dans cette interdiction, que de légers symptômes qui m'avaient inquiété, tels que des crachats striés de sang et quelques signes stéthoscopiques dont je m'étais peut-être exagéré la valeur ; car le traite- ment, repris quelques jours plus tard avec quelques mo- difications dont j'aurai à vous entretenir, me donna un succès remarquable. On s’est demandé comment agissent les vapeurs rési- neuses. Sont-elles absorbées par la peau? Le sont-elles par les surfaces respiratoires ? La première question nous importe peu. Les vapeurs résineuses ont une action très-manifeste sur la peau; elles sont susceptibles de l’érythématiser très-fortement, de produire en un mot ces exanthèmes à forme bien déter- 636 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. minée, résultant de l'emploi prolongé des balsamiques à l'intèrieur, et se manifestant principalement aux mem- bres dans le sens de l'extension. Dès le deuxième ou le troisième bain de vapeur, les urines acquièrent une odeur qu’on a eu tort de comparer à celle de la violette. L'essence de térébenthine absorbée jouit de cette propriété d’üne facon bien plus caractéris- tique, et cette remarque vient à l'appui de ce que je disais. tout à l'heure des vapeurs résineuses, à savoir, que l'huile essentielle entre en très-petite quantité dans leur compo- sition. Les urines excrétées pendant le traitement par les vapeurs résineuses ont une odeur qui rappelle bien un peu celle de la violette, mais qui se rapproche beaucoup plus de celle de la résine elle-même. Quoi qu'il en soit, ce phénomène prouve incontestable- ment son absorption et son introduction dans l'économie. Arrivée là, elle doit par conséquent jouir des mêmes propriétés que les balsamiques administrés par les voies digestives. C'est ainsi que sous l'inspiration des travaux des théra- peutistes sur les baumes, sur la térébenthine et son huile essentielle, nous avons administré les vapeurs résineuses comme spécifique contre les rhumatismes et les catarrhes, comme excitant général, comme agent perturbateur, ou même comme révulsif contre les paralysies, les névral- gies, etc., etc. C'est avec ces données que les premiers expérimenta- teurs ont dû inaugurer l’emploi rationnel des vapeurs résineuses: action irritante de la peau, susceptible de déterminer une révulsion active; action spécifique contre les catarrhes, tendant à supprimer les flux purulents; exci- tation du système nerveux en général ; perturbation, etc. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 637 Les vapeurs résineuses ont parfaitement rempli toutes ces indications : ce mode d'administration des balsami - ques étant, du reste, exempt des inconvénients qui résul- tent de l'intolérance de l’estomac, il faisait disparaître le principal obstacle capable de faire renoncer à l'emploi de ces médicaments précieux. Des écoulements chroniques du canal de l’urêtre, des catarrhes des bronches et de la vessie, ont été modifiés par les bains résineux de la facon la plus heureuse et la plus rapide à la fois. Des névralgies sciatiques, très-anciennes et rebelles à tous les moyens que possède la médecine , ont été radi- calement guéries par les bains de vapeur résineuse. Parfois, sous leur influence, une excitation salutaire a ramené Ja vie dans les membres paralysés traumatique- ment, ou même à la suite d’une hémorrhagie cérébrale. Peut-être, dans ce dernier cas, l’hypérémie dérivative pro- duite à la peau n'a-t-elle pas été sans influence sur le résultat, en favorisant la résolution définitive du noyau apoplectique. Enfin, guidés par les indications tirées de lemploi empirique des vapeurs résineuses , les médecins qui ont le plus contribué à les populariser ont dirigé leur puis- sance médicatrice contre les affections rhumatismales, et les résultats qu'ils ont obtenus sont vraiment très-remar- quables. J'ai, pour ma part, enregistré plusieurs cas de rhuma- tismes aigus qui se montraient une fois au moins chaque année, avec l'intensité et pendant la durée ordinaire de ce genre d'affection, et qui, sous l'influence de notre traitement, n’ont pas reparu depuis trois, quatre et cinq années. Mais quelque satisfaisants que soient ces résul- 638 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tats, ils ne peuvent être mis en parallèle avec ceux que donne le traitement des maladies catarrhales des bronches. On peut dire que si les catarrhes ne se compliquaient pas d’emphysème et de congestion pulmonaires, il n’y en aurait pas de rebelles aux vapeurs résineuses. Il y a peu de jours, j’ai essayé de traiter des bronchites à l’état aigu et très-intenses par le même moyen, et deux outrois bains, administrés à un jour d'intervalle les uns des autres, ont suffi pour en triompher complétement. L'action prolongée des vapeurs résineuses se manifeste presque toujours sur les fonctions génésiques, et fait naître des érections, même chez les sujets les moins disposés à en avoir. Ce fait dénote à quel point ces vapeurs sont excitantes: on peut même dire que cette propriété est leur véritable écueil. L'’excitation se manifeste, en effet, presque toujours avec assez d'intensité pour faire inter- rompre le traitement avant que les vapeurs résineuses aient pu produire les résulrats avantageux qu'on en at- tend. En conséquence , j'ai dû chercher un moyen de rendre notre médication plus supportable, afin d’en continuer l'emploi aussi longtemps que possible. Ne trouvant pas d’antidote ou de moyen direct à opposer aux vapeurs balsamiques, il fallait nécessairement chercher à com- battre les effets excitants du calorique: le fraid devait nécessairement se présenter à mon esprit. Puisant donc dans les travaux spéciaux d’une époque bien antérieure à l'hydrothérapie, je vis combien les transitions du chaud au froid, si redoutées du vulgaire, sont, au demeurant, inoffensives. Les bains russes qui, sous ce rapport, pré- sentent ce qu’il y a de plus violent, n’ont jamais exposé ceux qui en ont usé modérément et avec précaution, au VINGT-QUATRIÈME SESSION. 639 moindre danger. Je crus done pouvoir corriger les effets résultant de l'administration excessive du calorique par l'emploi d’un agent capable d'en soustraire. Depuis cinq ans j'administre cette médication à des centaines de malades, sans avoir eu à déplorer le moindre accident, et je suis parvenu, à l'aide de ce correctif, à pouvoir donner à mes clients les bains de vapeur rési- neuse à haute température pendant plusieurs mois sans interruption. J'ai traité de cette manière lerhumatisme, les catarrhes des bronches, de la vessie et de l’urêtre ; l'hydartrose rhu- matismale, la goutte, la scrofule, les engorgements glan- duleux, etc., etc., je puis Le dire aujourd’hui, avec succès, si l'on veut surtout tenir compte de cette circonstance, que la plupart de mes malades ne se sont adressés à moi qu'après avoir infructueusement essayé de beaucoup de médications, et presque en désespoir de cause. Je pourrais fournir, à l'appui de cette affirmation , des observations qui ont été soumises au contrôle de médecins instruits et consciencieux, si je n'avais, dans ce travail, un autre but: celui de vous soumettre le résultat de mes expériences dans le traitement d’une affection bien autre- ment dangereuse (je devrais dire incurable) que celles que je viens de vous nommer. IT. Messieurs, Si je n'étais persuadé de rencontrer en vous des audi- teurs bienveillants, j'oserais à peine vous faire connaître 640 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. . les faits par lesquels je me propose de terminer ce mé- moire. Ne vous hâtez pas de m'accuser de présomption, et veuillez écouter l'historique des circonstances qui m'ont fait accueillir des espérances peut-être peu fondées. Si, chemin faisant, vous trouviez que je m'égare, veuil- lez me rectifier: ma seule prétention est d'obtenir de vous un conseil dont je puisse faire mon profit. Le 15 juin 1853, un malade me fut adressé par un confrère, pour une affection pulmonaire. L'observation suivante vous fera connaître, avec détails, l’état organo- pathique de notre sujet, et les résultats du traitement qui fut institué. M. C...., âgé dé 34 ans, est originaire du midi de la France; depuis plusieurs années, des affaires commer- ciales l'ont appelé dans un pays plus froid que celui où ilest né. Une petite toux sèche, qui lui était habituelle, augmenta sensiblement bientôt après ce changement de résidence. Ce malade maigrit un peu; il perdit de son aptitude autravail; souventil éprouvait des frissons suivis de fièvre; puis, un jour, il fut pris d'hémoptysie. Cet acci- dent, traité par les moyens ordinaires, fut promptement arrêté; mais, à partir de ce moment, les crachats com- mencèrent; puis vinrent les transpirations nocturnes, les chaleurs brülantes dans la paume des mains, l’ano- rexie, la gêne de la respiration, et de nouvelles hémor- rhagies pulmonaires ne tardèrent pas à se manifester. Le médecin ordinaire de M. C...., impressionné peut-être par la lecture d’un mémoire sur les propriétés du goudron, me l’adressa en me renseignant sur la nature de son affection. Je fis quelque difficulté pour accepter son malade; mais, cédant aux instances de mon confrère, je thon non VINGT-QUATRIÈME SESSION. 641 consentis à essayer de notre traitement, bien décidé à l'interrompre au premier signe inquiétant. Examen du malade. — Percussion : un peu plus de matité et un peu moins d’élasticité sous le coup de doigt à droite qu’à gauche sous les clavicules. Auscultation : obscurité du murmure respiratoire au sommet du poumon droit; la respiration est comme en- trecoupée, l'expiration paraît plus bruyante que l'inspira- tion; quelques râles muqueux, disséminés; la voix résonne sous l'oreille; les crachats sont épais et assez abondants; le teint est encore assez bon, mais les forces et l’'embonpoint ont beaucoup diminué; les hémoptysies reviennent tous les huit ou dix jours, mais elles ne sont pas très-abondantes. : Le 15 juin, le traitement est commencé par un bain de vapeur résineuse à 70° centigrades, registre des vapeurs ouvert à moilié; durée du bain 42 minutes, 35 minutes d’enveloppement après l’étuve. La transpiration a été modérée. Le 17 juin, second bain en tout semblable au premier, et’ainsi de suite: un bain tous les deux jours pendant un mois. L'excitation a été très-peu sensible pendant le cours dece traitement. Le jour d'intervalle laissé entre les bains = permettait au malade de réparer ses forces. Cependant, le 46 juillet, la soif se faisait vivement sentir, et, comme il survenait un peu de lassitude après le bain, je fis in- terrompre le traitement. Les hémoptysies n’ont pas reparu ; l’expectoration est tarie ; la toux seule persiste, quoiqu'elle ait sensiblement diminué de fréquence et d'intensité. Après quinze jours de repos, M. C.... ne tousse presque plus, et l'appétit est revenu. D'accord avec son médecin ordinaire, nous lui I A 612 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. prescrivions trois cuillerées d'huile de foie de morue par jour, et un voyage en ltalie pendant l'hiver. Malheureu- sement ce conseil ne fut pas suivi, car peut-être cette apparence de guérison serait-elle devenue ‘une réalité. Les affaires retinrent M. C.... au milieu des variations brusques de la température de nos montagnes. Il avait cependant assez bien passé l'hiver et le printemps qui suivi- rent son traitement; maisil rechuta pendant l'automne. Il partit alors pour Nice, et je ne l'ai plus revu; j'ai su seu- lement qu’il y était mort peu de temps après son arrivée. Comme vous le voyez, chez ce malade atteint de tuber- culose, quinze ou seize bains, pris à deux jours d'inter- valle l’un de l’autre, avaient, au bout d’un mois, pres- que arrêté la toux, supprimé les hémoptysies et tari l'expectoration. Cette amélioration notable persista pen- dant plus d'une année; mais l'affection n’était pas dé- truite ‘complétement, puisqu'une rechute grave amena la mort dix-huit mois après. IL y avait eu néanmoins une suspension remarquable dans la marche de la ma- ladie; cette circonstance était bien faite pour piquer ma curiosité et m'engager à tenter de nouvelles expé- riences. J'étais alors moins exercé qu'aujourd'hui dans l'emploi de l’eau froide combinée avec les vapeurs résineuses. Je n’avais pas osé ablutionner mon malade au sortir du bain chaud, et je m'étais privé ainsi d’une ressource qui m'aurait permis de continuer ma médication. Les pertes répétées de sueur avaient déprimé les forces de notre sujet, ce qui ne serait certainement pas arrivé si je les eusse soutenues par l’action tonique des ablutions froides. J'attendis done patiemment une occasion convenable pour essayer de nouveau les vapeurs résineuses contre la phti- Le œæ— VINGT-QUATRIÈME SESSION. 643 sie : cette occasion $e présenta à la fin de la saison de 1854. LA Pendant l’année qui venait de s’écouler, je faisais des recherches. Je m'étais procuré une monographie du doc- teur Sales-Girons, sur le traitement de la phthisie parles vapeurs de goudron; et ce que m'avait appris la lecture de cet ouvrage m'avait engagé à persévérer dans mes expériences. Voici, dans tous ses détails, l'observation de mon deuxième malade atteint de phthisie : « Dans le courant de la saison dé 4854, M. X... me fit demander si je pouvais le guérir d’une douleur rhuma- tismale. Peu de temps après une réponse affirmative, je voyais arriver à Bouquéron un malade au teint blême, aux joues caves, aux pommettes saillantes et légèrement colo- rées. Maigreur squelettique, démarche peu assurée, dos voûté, poitrine étroite et rentrée, ongles bombés : tels sont les traits les plus saillants de cette apparition. Jugez de mon effroi quand j'appris que j'avais devant moi M. X... Le pauvre homme avait fait trente lieues pour se sou- mettre à mon traitement: je ne pouvais le renvoyer trop brusquement sans lui faire connaître le motif d’un pareil accueil. Je me décidai donc à le recevoir, mais en même temps j'écrivis à son médecin la lettre suivante : « Votre malade, lui disais-je, est évidemment tuber- culeux, et j'ai si peu d’espoir de lui être utile, que je suis bien aise de vous faire connaître les raisons qui m’enga- gent à le garder. D'abord, il faut que je lui laisse le temps de se remettre des fatigues du voyage ; puis, afin de ne pas trop l’alarmer, je lui donnerai quelques bains, avec tous les ménagements possibles, et peut-être parviendrons- CL CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nous à le débarrasser de son rhumatisme. Enfin, les fumi- gations de résine et de goudron ayant été conseillées contre la tuberculisation pulmonaire, notamment par M. Sales-Girons, je viens vous demander la permission de les essayer sur votre malade. Si vous n’approuvez pas ce projet, dites-le moi, et j’y renonce sur-le-champ; sinon, laissez-moi faire, et vous contrôlerez vous-même mon observation. » Peu de jours après, mon confrère me répondit ce qui suit : « Mon malheureux client X... présente, en effet, des signes non équivoques de tuberculisation pulmonaire. J'en ai constaté le début la première fois que j'ai eu à traiter chez lui une de ces bronchites aiguës qui semblent se limiter au larynx et à la trachée... Je lui avais alors ordonné un vésicatoire et l'huile de foie de morue. « Je l'ai ausculté il y a environ cinq semaines; on constatait chez lui une matité sous-claviculaire très-pro- noncée ; dans ce point, la respiration était presque imper- ceptible pendantl’inspiration, et accompagnée d’un souffle rude dans l'expiration avec pectoriloquie. Tout-à-fait au- dessous de la clavicule, on entendait, en outre, un souffle caverneux assez prononcé. Je ne me rappelle pas bien au juste le côté où j'ai découvert ces signes; je n’en ai pas pris note. « Je crois, comme vous, que les bains de vapeurs rési- neuses pourront amender, guérir peut-être la douleur de M. X... qui est, je crois, rhumatismale. Je ne connais pas la manière particulière d'administrer les fumigations dont vous me parlez; je ne puis donc rien préjuger du résultat de vos tentatives. Ce que je crois devoir vous VINGT-QUATRIÈME SESSION. 645 apprendre, c'est que M. X... aeu des hémoptysies ; veillez donc au danger de les voir reparaître. « Agréez, etc. DE « Ancien interne des hôpitaux de Paris. » Si je n’écris pas ici les noms en toutes lettres, je tiens du moins les originaux à votre disposition. Pendant que j'attendais la réponse que je viens de vous communiquer, j'avais ausculté attentivement mon malade. J'avais trouvé à gauche, sous la clavicule, de l’obscurité dans le murmure respiratoire, de l'expiration prolongée, des craquements humides; la percussion avait donné dans la même région une matité très-prononcée; à droite, j'avais pu constater le tintement métallique et les autres signes indiquant l'existence d’une caverne. Les pulsations du cœur sont à 404 par minute; la respiration est fré- quente ; le moindre exercice essouffle le malade. J'avais appris, en outre, que la maladie datait déjà de deux ans, que des hémoptysies abondantes s'étaient ma- nifestées à plusieurs reprises, et qu’on pouvait, à peu près à coup sûr, attribuer l'affection à l’hérédité. M. X... est âgé de 26 ans, il crache beaucoup ; ses cra- chats sont purulents ; la nuit, des transpirations hypnoti- ques abondantes l’obligent à changer plusieurs fois de linge. La toux l'empêche souvent de dormir; ce n’est déjà plus cette petite toux sèche du début de la phthisie; elle est plus grasse et plus profonde. L’appétit est capricieux et presque nul. Le traitement est ainsi institué : Tous les matins un bain de vapeurs résineuses à 70°, vapeurs modérées, sudation très-courte et dans le but 646 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. unique d'établir une transition entre la température exté- rieure et celle de l’étuve. Les premiers bains sont mal supportés; M. X... est altéré, il crache beaucoup et tousse plus encore; il ne peut plus dormir, et si, le matin, il s’assoupit un instant, la transpiration est si abondante, qu’il en est inondé. Je modifie alors le traitement : je fais donner les bains de vapeur résineuse tous les deux jours seulement, et je remplace la sudation par une légère et courte lotion frai- che en sortant de l’étuve. Les accidents que j'ai mentionnés plus haut se sont amendés sous l'influence de ce traitement, et l’améliora- tion commence à être sensible désle vingt-cinquième jour: l’expectoration est déjà bien moins abondante; les sueurs nocturnes ont presque disparu; l'appétit est un peu revenu; les digestions se font mieux, et le malade dort passablement. M. X..., rappelé chez lui par une affaire pressante, quitte l'établissement. Trois mois après il m'écrit qu’il est tout à fait guéri. Je croyais si peu à cette bonne nouvelle, que j'écrivis encore une fois au médecin ordinaire de notre malade pour avoir des renseignements positifs. Je lui dis combien je doutais du résultat qui m'était annoncé : les poitrinaires sont d’ailleurs si sujets à se faire, illusion sur leur état, que j'étais bien aise d'apprendre de lui ce que j'en devais croire. Voici la réponse : « Monsieur et très-honoré confrère, « Ilest bien vrai quemeon client, M. X..., jouit aujour- d'hui d'une santé relativement satisfaisante. Depuis son retour de Bouquéron, je ne l’ai vu que deux fois : la pre- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 647 mière, pour constater de visu, et d’après son écrit, le soulagement qu'il avait obtenu; la seconde, pour m'assu- rer que son état continuait à être bon. Bien entendu qu'il n’a pas été question de l’ausculter ; j'ai seulement cons- taté un amendement notable de tous les symptômes ration- nels de son affection chronique des poumons. — Vous pouvez donc considérer l'amélioration comme un fait acquis. Persiste-t-elle aujourd’hui au même degré qu'à cette époque? c'est ce que je nesaurais vous dire; en effet, je me suis présenté trois fois chez lui dans les quinze jours qui viennent de s’écouler, sans pouvoir le rencontrer. J'ai appris seulement des personnes de la maison que son état de santé lui permet de vaquer à toutes ses affaires, soit intérieures, soit extérieures, elc. » Cette lettre m’a donné envie de revoir mon malade; je lui ai fait une visite, et voici les changements que j'ai pu noter dans son état : Toujours un peu de matité sous les clavicules à la percussion; seulement on ne produit plus la résonnance métallique dont j'ai parlé. La pectoriloquie a disparu; l'obscurité du murmure respiratoire est à peu près la même; seulement il n'ya plus de craquements, plus de souffle rude, l'expiration n’est plus prolongée comme elle l'était. Les forces sont revenues, l'appétit est parfait, l’embonpoint s'est accru de 5 kilog. Pendant environ vingt heures que j'ai passées avec M. X..., il n’a pas toussé une seule fours. Je dois ajouter, Messieurs, que le malade dont je viens de vous faire l’histoire est aujourd’hui (46 septembre 1857) plein de vie, et que sa guérison ne s’est point démentie. Et cependant il s’agit ici d’une phthisie héréditaire : le père et la sœur de notre malade ont succombé à cette affection. Lorsqu'un fait surprenant se présente à notre observa- 648 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tion, nous nous sentons entraînés, malgré nous, à lui chercher une explication. Est-ce un mal? est-ce un bien? C’est, dans tous les cas, une tendance si naturelle de l’es- prit humain, qu’on ne saurait nous en faire un crime. Voici donc les probabilités que j'ai entrevues * En admettant que la maladie de M. X... ait été réelle- ment guérie par les bains de vapeur résineuse, que cette cure ne soit pas tout à fait spontanée et indépendante des moyens employés, — ce qui n’est guère admissible au point où l’affection en était arrivée, — dans quel sens ces vapeurs ont-elles pu agir? et d’abord, en quoi consiste la phthisie? C’est, au début, un dépôt de matière tuberculeuse en- gendrée au sommet du poumon par un vice de nutrition. Un travail pathologique développe ce dépôt et le ra- mollit, puis la fonte du tubercule détruit l'organe en lais- sant à la place du produit morbide des cavités semblables à des ulcérations profondes. Je vous ai fait remarquer en passant avec quelle rapi- dité le calorique amène la résolution des engorgements lymphatiques glandulaires, et cicatrise les plaies. Serait-il impossible qu’il exercât une action semblable sur les tubercules pulmonaires et sur les désorganisations qui les accompagnent? Les propriétés anti-catarrhales des vapeurs résineuses ne sont-elles pas généralement reconnues et employées contre les affections ulcéreuses du larynx ? Pourquoi leur action ne se ferait-elle pas sentir de la même manière sur les ulcérations bronchiques et pulmo- naires ? Dans la phthisie, la gêne de la circulation dans le pou- mon est telle, que le sang y devient presque stagnant. L'hypérémie déterminée par l'afflux du sang à la peau, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 649 ne serait-elle pas de nature à exercer une dérivation salutaire? Les fonctions de la peau rétablies, l'appétit excité, les fonctions digestives activées, les forces rétablies, n'est-ce pas là autant de conditions propres à donner à l'organisme les moyens de réaction dont il était privé ? Dans l'observation de M. X..., je vous prie de remarquer la suppression des transpirations hypnotiques, cette cause fâcheuse d’affaiblissement si fréquente chez les phthisi- ques, suppression produite rapidement par les premières lotions froides. J'éprouve le besoin de m’excuser d’avoir osé employer l’eau froide dans cette circonstance. M. Valleix, dans une monographie intitulée : Examen critique de l'hydro- thérapie, avait dit : « Croirait-on que l’eau froide ait été administrée pendant plusieurs mois à des phthisiques, non seulement sans qu'ils aient eu à en souffrir, mais encore avec quelque avantage ! » Cette exclamation naïve faisait certainement le plus grand honneur à la probité scientifique du célébre et trop regrettable médecin de la Pitié. Un fait dépassant toutes ses facultés de compré- hension, ébouriffant, en un mot, se présentait à son obser- vation, et, bien qu'il ne se sentit ni la force ni les moyens de l'expliquer, il le constatait néanmoins avec toute la bonne foi qui le distinguait. Eh bien! cette exclamation me rassura : dès ce moment j'osai administrer l’eau froide aux phthisiques, en la combinant aux vapeurs rési- neuses. Ne croyez pas, Messieurs, que je fusse plein de con- fiance, et que je m’enorgueillisse du résultat que le hasard m'avait permis d'obtenir. Mille objections se pré- sentaient à mon esprit; il se passait en moi ce dialogue de la conscience, espèce de débat qui me trouvait très- 650 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. embarrassé de juger en faveur de l’un ou de l'autre des interlocuteurs qui discutaient en moi. Tantôt je me représentais la phthisie comme une affec- tion constitutionnelle, déterminée par un vice de nu- trition, lequel n’est que le produit d’un dérangement organique, d’une rupture dans l'équilibre des fonctions. En admettant qu'on puisse trouver un moyen d'enlever la masse tuberculeuse formée, comme le ferait un instru- ment tranchant, il s’en formerait immédiatement une nouvelle. La preuve, c’est que chez certains phthisiques, le tuber- cule n’est pas seulement dans le poumon, il est partout : cerveau, mésentère, muscles, tissu cellulaire, tous les organes peuvent en être infectés. Mais, d'un autre côté, de ce qu'à un moment donné il peut exister des conditions favorables à la production et à l’évolution tuberculeuse, faut-il en conclure que ces conditions doivent exister toujours? Combien de maladies dues à des causes analogues se maintiennent après que ces causes ont disparu, et simplement par une espèce d'habitude de l'organisme! Ce dernier peut s’habituer à mal comme à bien fonctionner : c’est du moins ce que disait, il y a peu de jours, M. le professeur Bouchardat, à propos de la glycosurie. Faire disparaître les premiers produits ou les premières manifestations de la diathèse, c’est déjà guérir localement; c’est tout au moins rétablir, autant que possible, l'intégrité organique : un pareil ré- sultat est important quand on songe que la présence des tubercules dans le poumon est un obstacle à l’hématose, et par conséquent à la nutrition. Ne fit-on que tarir l’expectoration, dessécher et cica- triser les ulcérations, que ce serait déjà un moyen de \INGT-QUATRIÈME SESSION. 651 diminuer les pertes qui résultent de ces excrélions mor- bides. à Quant à la présence du tubercule dans les organes au- tres que le poumon, elle n’a été guère constatée que sur des cadavres, c’est-à-dire au dernier terme de la maladie, alors que le tubercule triomphant a tout envahi et s'est transporté, à la faveur de l'appareil vasculaire et des liqui- des qui y circulent, dans toutes les parties du corps. Au point de vue thérapeutique, j'étais peu sûr de l'ac- tion des vapeurs résineuses. Sur quelle donnée acquise à la science fonder cet espoir que le moyen que je propose agira mieux que tant d’autres? N'a-ton pas essayé de tout, et cela sans succès bien constaté? Depuis les vapeurs de goudron et l’iode, jusqu'à l’huile de foie de morue et au lait de chèvre salé, que de drogues n'’a-t-on pas fait avaler à ces pauvres phthisiques ? IL est vrai que je n'ai jamais vu employer le calo- rique, dont les propriétés sédatives, réactionnelles, fon- dantes et cicatrisantes sont si manifestes. Quand à ces éléments on pourra en ajouter d’autres, tels que les va- peurs résineuses, les traitements dirigés contre la dia- thèse tuberculeuse, c’est autant de chances de succès que l'on aura de plus. Jusqu'ici on a agi qu'avec des éléments isolés. Combinez vos efforts ; attaquez à la fois le mal local et l'infection*générale, et la maladie sera peut-être vaincue. « Si jamais on trouve un remède contre la phthi- sie, disait Morgagni, c'est par les voies respiratoires qu'il devra pénétrer dans l’économie. » Après bien des hésitations, j'ai commencé par chercher des cas de phthisie propres à me donner des résultats pour continuer mes expériences ; c'est-à-dire des états tels, que la maladie ne puisse plus être douteuse, sans que cepen- 652 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dant les désorganisations soient incompatibles avec l'ac- complissement des fonctions de nutrition. J'ai dans ce moment trois nouvelles observations que je vais vous soumettre. Mais en attendant, je dois vous faire part d’une idée qui m'avait été suggérée par les salles d'inhalation d'eaux minérales. Le séjour des malades dans l’étuve ne peut être que de 45 à 30 minutes tous les deux jours, autrement on courrait risque de les affaiblir; et il convient, autant que possible, de maintenir leurs forces. Je pensai donc à utiliser les vapeurs résineuses qui se perdent au sortir de mon appareil pour les réunir dans une vaste salle non chauffée, où mes phthisiques pour- raient passer la plus grande partie de leur journée : ils profiteraient ainsi des bénéfices que peuvent produire les émanations balsamiques. Je n'ai pu encore réaliser ce projet qu’en petit. M. Labausky, à qui j'ai remis le plan d’une série de boîtes fumigatoires, devait en expérimenter l'action à Nice, pendant l'hiver dernier : je n’ai recu de lui aucun renseignement à ce sujet. Je crois aussi qu’il pourra être utile de faire respirer aux phthisiques de l’eau froide réduite en poussière dans certaines circonstances de leur traitement. Je me propose de faire construire un pulvérisateur semblable à celui de M. Sales-Girons, et de réaliser ainsi les vues de M. le docteur Gillibert, de Lyon, sur le traitement de l'emphysème, tout én lui donnant une autre destination. Dès que j'aurai pu mettre à exécution ces projets et enrichir mon établissement des moyens d'action qui me manquent, j'ai l'intention de poursuivre mes expériences avec ardeur. Dans cet espoir, j'avais demandé à l'administration de l'hospice de Grenoble de vouloir bien meconfier trois phthisiques dans les conditions déterminées que j'indiquais. L'administration n’a pas cru VINGT-QUATRIÈME SESSION. 653 devoir me répondre, ce que je regrette d'autant plus que, dès cette année, j'aurais pu augmenter le nombre de mes observations. Quoi qu’il en soit, voici les derniers faits que je dois vous communiquer : M ., est âgé de 37 ans; sa constitution a düû être primitivement forte et vigoureuse; son tempérament est nerveux. Quoique très-disposé à s’enrhumer, il s'était toujours bien porté, lorsque il y a trois ans, il conserva, à la suite d’une bronchite, une petite toux sèche qu'il supporta pendant un an sans chercher à la combattre. A la fin de 1855, vers l’automne, tout à coup une hémoptysie des plus abondantes se déclara. Cet accident, traité avec énergie, fut promptement arrêté; mais l’hémorrhagie avait été si copieuse, que le malade eut beaucoup de peine à se rétablir. Il resta anémique; sa toux devint plus forte et plus grasse, une expectoration muco-purulente se dé- clara, et cet état peu rassurant se compliqua encore de troubles digestifs, tels que dyspepsie, flatuosités, alter- natives de constipation et de diarrhée, etc., etc. J'ai oublié de noter que notre malade transpirait pendant le sommeil et principalement le matin. La moindre im- pression de froid amenait du sang dans l’expectora- tion et déterminait parfois l'expulsion d’une gorgée de sang. Il netarda pas à s'inquiéter de son état, et, au com- mencement de la saison de 1856, il vint à Bouquéron, après avoir cependant essayé de l'huile de foie de morue, du lait d’ânesse, et, en dernier lieu, de l'homæopathie. Je le soumis au traitement tel que je l’ai décrit dans l'observation de M. X..., et, chose remarquable, les lotions et les piscines d’eau froide ne firent pas reparaître 65% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les traces d'hémoptysies qui se manifestaient avant sous la plus légère sensation de froid. Etat des organes. Voici ce que j'avais noté. Percussion : Légère dépression sous la clavicule gauche, bruit métal- lique sous le coup de doigt, dans le point correspondant à droite et au sommet un peu de matité, mais très-peu. Rien en bas ni en arrière des deux poumons, à part sous l’omoplate gauche, où on trouve de la matité. Auscultation : À gauche, au sommet, souffle ampho- rique, craquements humides ; plus bas, le bruit du cœur empêche de bien noter l’état de la respiration à la partie postérieure, fosse sus-épineuse ; le même bruit de souflle que devant, quelques craquements plus fins. Réson- nance très-considérable de la toux, bronchophonie com- plète. Sous l’omoplate gauche, expiration prolongée, obscurité du murmure respiratoire ; à la base et à la partie postérieure du poumon, respiration normale. A droite, au sommet, sous la clavicule, un peu d'obs- curité du bruit respiratoire, quelques craquements fins de loin en loin; à la base en avant et toute la partie pos- térieure, respiration normale et même exagérée. La nature de l’expectoration, la pâleur et la maigreur du malade, sa manière de tousser, tout dénotait en lui un phthisique du deuxième degré. Le traitement entrepris a été bien supporté, mais ha pas amené des résultats immédiats bien considérables. Cependant, au bout de quinze bains, l’expectoration est beaucoup moins abondante et ne présente plus autant de parties purulentes; la toux est moins pénible, les transpirations hypnotiques ont à peu près cessé, l’appétit est meilleur et les digestions plus faciles. Le malade, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 655 après un séjour d’un mois et demi dans l'établissement, retourne chez lui; le mieux obtenu continue, et l'embon- point est presque revenu ce qu’il était avant la maladie. Le teint s’est amélioré, mais notre malade tousse et crache encore un peu. Néanmoins, il a repris ses affaires qu’il avait été obligé d'abandonner. Il est revenu cette année à Bouquéron ; l’hiver s’est assez bien passé, malgré une forte bronchite. Je l'ai ausculté à son arrivée, et j'ai trouvé une notable diminution des symptômes stéthosco- piques dont j'ai présente le tableau. Le côté droit est com- plétement sain; le côté gauche paraît s’être notablement amendé au point de vue du souffle amphorique, qui a presque complétement disparu et a fait place à une obs- curité à peu près absolue. Dans les autres parties du poumon gauche, la respira- tion m'a paru infiniment plus facile. Deuxième observation. — M. L.... est âgé de 25 ans; il est brun, tempérament sanguin ; il tousse depuis long- temps, il crache et il a eu des hémoptysies. Il transpire la nuit, l'exercice l’essouffle ; il a sensible- ment maigri depuis deux ans. Voici l’état stéthoscopique : Percussion : Sous la clavicule gauche matité. Auscul- tation : Obscurité du bruit respiratoire, craquements divers très-prononcés, résonnance de la voix. Même phé- nomène dans la fosse sus-épineuse , sous l’aisselle et à la partie supérieure de l’omoplate. Rien à droite. Traite- ment entrepris le 25 mai 1857. Au bout de dix bains, diminution des crachats: après le vingt-septième jour de traitement, la toux a disparu, ainsi que l’expectoration. Les craquements percus au sommét du poumon gauche persistent encore, mais ils 656 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sont infiniment moins prononcés, et l’on entend distincte- ment l'air qui y pénètre plus librement; les sueurs noc- turnes ont disparu, l'appétit est meilleur, l’'embonpoint a un peu augmenté. Aucun traitement accessoire n’a été administré dans ce cas. Troisième et dernière observation. — Un jeune homme âgé de dix-sept ans, occupé à des travaux de construction et de maçonnerie, s’est enrhumé, puis a toussé pendant près d’un an. Au bout de ce laps de temps, des hémoptysies fréquentes se sont déclarées. Un traite- ment par l'huile de foie de morue a été conseillé, ainsi que des vésicatoires à la hauteur des deux clavicules. Ce traite- ment a été prescrit par moi le 12 janvier dernier. Le sommet des deux poumons présentait à peu près au même degré des signes de tuberculisation : légère matité, obscurité du marmure respiratoire, expiration prolongée, quelques légers craquements, un peu de résonnance de la voix. Expectoration muco-purulente, peu abondante, et arrivant surtout le matin; transpiration nocturne, toux sèche. Les bains de Bouquéron n'étant pas ouverts, j'ai dû combattre par les moyens ordinaires les accidents que j'avais consta- tés. Le traitement indiqué a produit un soulagement sen- sible. Le jeune malade a repris ses occupations momen- tanément suspendues; mais il ne tarde pas à rechuter. J'ai pu alors lui administrer douze ou quatorze bains de vapeur résineuse, à la suite desquels il a obtenu une amélioration qui se maintient depuis le mois de juin (nous sommes au 14 septembre). La toux a presque cessé, ainsi que les sueurs nocturnes. Les forces et l’ap- pétit sont revenus; les changements dans les signes sté- thoscopiques sont insignifiants. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 657 Ces deux dernières observations n’ont rien de bien pro- bant, mais elles m'intéressent en ce que je pourrai suivre la marche de l'affection chez ces deux malades, et vous rendre compte plus tard des effets définitifs de la médica- tion à laquelle ils ont été soumis. Elles établissent en outre que, dans tous les cas, le traitement a tari l’expec- toration, diminué la toux, supprimé les transpirations hypnotiques et suspendu en un mot, momentanément du moins, la marche de la maladie. La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE 1857. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. Rey achève la lecture de son Mémoire sur les bains térébenthinés. Dans cette partie, il cite quelques observations qui tendraient à lui faire croire à l’heureuse influence des vapeurs résineuses dans le traitement des premiers degrés de-la tuber- Culisation pulmonaire. Le nombre de ses observa- tions étant encore trop restreint, il n’ose pas se prononcer d’une manière définitive à cet égard. I 42 658 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La section engage M. le docteur Armand Rey à con- tinuer ses recherches : elle a entendu sa communi- cation avec le plus vif intérêt. M. le président propose de renvoyer le Mémoire de M. le docteur Armand Rey au comité de rédac- tion, pour qu'il soit inséré ên exlenso dans le compte-rendu du Congrès. La discussion est ouverte sur la sixième question, relative aux épileptiques. M. Evrat fait remarquer que la fureur des épilep- tiques est plus violente et plus dangereuse que celle des autres aliénés. Pour les grands centres, il est hors de doute qu’il serait très-utile de créer des hospices spéciaux pour les épileptiques; mais pour nos départements ces créations sont moins utiles, dans ceux surtout qui possèdent déjà un asile d’aliénés. Il sufliraitalors de faire construire dans ces asiles une section spéciale, afin de pouvoir séparer les épileptiques de la popula- tion des aliénés. M. le docteur Leroy fait remarquer un inconvé- nient que pourraient avoir des établissements pour les épileptiques. L’aliénation n’accompagne pas toujours l’épilep- VINGI-QUATRIÈME SESSION. 659 sie ; il est donc, au point de vue de la situation spé- ciale faite aux aliénés par la loi, des précautions à prendre, afin qu’on n’en arrive pas à assimiler les épileptiques aux aliénés, et à porter ainsi atteinte à leur liberté, en favorisant des procès en inter- diction. Une commissien ayant été nommée pour visiter, à Grenoble et dans les environs, les établissements se rattachant spécialement aux travaux de la section de médecine, M. le docteur P.-M. Roux, de Maï- seille, organe de cette commission, rend compte de ce qu’elle a vu et particulièrement remarqué : RAPPORT DE M. LE DOCTEUR ROUX, DE MARSEILLE, Vice-président du Congrès. Conformément à l’usage adopté et suivi dans de pré- cédents congrès scientifiques, la section des sciences médicales du Congrès de Grenoble a manifesté l'intention de visiter les établissements publics destinés au soulage- ment de l’homme souffrant, tels que: hôpitaux, asile des aliénés, maisons de santé. Une commission, composée de MM. les docteurs Joffre, Herpin et moi, à laquelle s’est associé M. le docteur Riboli, s’est transportée d’abord avant-hier à Bouquéron, banlieue de Grenoble, pour y examiner l'établissement hydrothérapique de notre hono- 660 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rable secrétaire, M. le docteur Rey. Ce médecin vous ayant lu lui-même, à la séance du même jour, un mémoire as- sez étendu sur l'hydrothérapie, mémoire qui sera vrai- semblablement consigné en entier dans les actes du Con- grès, nous nous croyons dispensé d'entrer dans tous les détails de cette méthode, que l’auteur a raison de ne pas considérercomme nouvelle, puisque, detempsimmémorial, —l'histoire est là pour le démontrer, —on a pris des bains d’eau froide en vue de rétablir la santé. Conduit à parler des divers modes d'application de cel agent curatif, à rappeler conséquemment ce que Pries- nitz et d’autres hydropathes ont fait pour propager ce système de médication, M. le docteur A. Rey en a fait ressortir les précieux avantages. Toutefois, en homme instruit, il ne se fait pas illusion sur les propriétés de l'eau froide; il ne la préconise pas comme une panacée universelle; mais elle est à ses yeux une puissante res- source pour combattre efficacement un grand nombre d'affections diverses, et il étaye sa facon de penser de beaucoup d'observations cliniques, d'autant plus intéres- santes et dignes de foi, qu’elles ont été recueillies chez lui, et rédigées par des médecins recommandables, témoins des résultats obtenus. M. le docteur A. Rey, modeste comme le sont les hommes de mérite, nous a consulté au sujet de quelques maladies graves et rebelles, et nous a promis de mettre à profit nos avis. Ajoutons que nul n’est plus hydropathe consciencieux que lui, et que, bien pénétré de la dignité de sa profession, soignant ses malades avec un soin par- ticulier et comme un praticien consommé, il rend chaque jour d’éminents services à ses concitoyens et aux étran- gers, qui déjà viennent de toutes parts se soumettre à ses : VINGT-QUATRIÈME SESSION. 661 traitements variés, suivant les circonstances dont l'indi- cant se compose, mais qui consistent principalement en des bains de vapeurs, résineux ou térébenthinés, à divers degrés de température, et après lesquels les malades se plongent immédiatement dans une piscine d’eau très- froide, continuellement renouvelée, ou bien sont enve- loppés d’une couverture de laine, etc. La commission a apprécié une combinaison remar- quable de douches variées, descendantes et ascendantes, auxquelles on peutrecourir au besoin. Enfin, elleaapplaudi à M. le docteur Rey, dont l'aptitude dans l’intelligente application des moyens qu'il utilise, jointe à ses efforts pour donner à son établissement toute l’extension dési- rable, fait concevoir les plus belles espérances pour l'ave- nir de son entreprise. Nous ne nous dissimulons pas qu’en nous exprimant d'une manière si élogieuse, noussous exposons à blesser la modestie de notre collègue, qui est réduit, comme se- crétaire de la section, à enregistrer nos propres paroles dans le procès-verbal d'aujourd'hui. Mais, interprète des sentiments unanimes de la commission, force nous est de les manifester ouvertement et de tenir à ce qu'ils soient fidèlement reproduits dans les actes du Congrès. Parlons maintenant de la visite faite à l’un des éta- blissements les plus intéressants du département de l'Isère : à l'asile des aliénés de St-Robert. Hier, la même commission, à laquelle s'étaient joints cette fois le véné- rable docteur Bally, les dignes collègues Riboli et Silvy, est arrivée à l’asile vers 10 heures du matin. Elle a voulu, avant d’entrer dans l’ancien édifice, porter ses regards sur le terrain qui l’entoure : elle a été frappée des heu- reuses conditions qu'il présente. Ce terrain, qui n'a pas 662 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. moins de quatorze hectares, y compris celui destiné aux bâtiments, nous a offert partout une végétation qui doit sans doute à une eau abondante et excellente d'être luxuriante. L'air que l’on respire dans cette localité, en- -vironnée, à de certaines distances, de montagnes cou- vertes d’une verdure ravissante, est des plus purs. Les produits récoltés, notamment dans la partie affectée au jardinage, nous ont surpris : d'énormes betteraves, pres- que toutes les espèces de pommes de terre, des courges monstrueuses, au milieu desquelles s’en trouvait une ne pesant pas moins de 78 kilog. Vous noterez, Messieurs, que, sous la direction d’un seul jardinier, tous les tra- vaux agricoles sont exécutés par les aliénés, qui sont ainsi utilement distraits, mieux préparés à leur guérison, quand elle est possible, et qui diminuent les dépenses par l'emploi de leurs bras. Nous sommes entrés @nsuite dans l'asile de St-Robert, autrefois un couvent de Pères Bénédictins, ayant recu na- guère plusieurs destinations, puisqu'en 1844, outre les aliénés, il renfermait des syphilitiques, une école d’ac- couchement, un service de maternité. Plus tard, c'était un dépôt de mendicité, une succursale des prisons de Grenoble, etc. Nous y avons vu tous les aliénés rassemblés pêle-mèêle, et encombrés dans deux salles sans clarté, sans air et sans espace. Malgré le déploiement du zèle, de l'intelligence et du dévoûment du Directeur-Médecin, ainsi que des Sœurs de charitè et des infirmiers qui les assistent, il y a impossibilité de donner, dans le vieux lo- cal de Saint-Robert, les soins exigés par l’aliénation men- tale. La commission a été convaincue que la reconstruc- tion de l'asile des aliénés de l'Isère avait été justement regardée comme indispensable. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 663 Dire que nous avons remarqué partout une propreté extrême, une discipline douce et ferme et les témoignages d’une direction habile et consciencieuse, est pour nous un devoir. Ayant assisté à un repas des aliénés, nous avons pu constater que le régime est sain, abondant et d’une bonne préparation. La commission a entendu M. Evrat, directeur-méde- cin, faire le résumé des efforts tentés, de 1844 à 1847, par lui et par l'architecte, M. Péronnet, — dont il se loue beau- coup, — pour découvrir quelles appropriations de l’ancien, édifice on pourrait proposer dans le double but de ne pas imposer au département des charges trop onéreuses et de parvenir à améliorer le sort des infortunés aliénés. Plusieurs plans ont été proposés, et remarquons en passant que Les dispositions préliminaires témoignent de la prudence, de la sage lenteur et de la maturité avec lesquelles l'autorité départementale a procédé dans la question de la reconstruction de l'asile des aliénés de l'Isère. Un premier avant-projet du plan d'ensemble, proposé - par M. le docteur Evrat et par M. Péronnet, architecte, a été mis sous nos yeux, et nous avons reconnu qu’il avait été modelé sur le bel établissement de Nantes, exécuté d'après les idées d'Esquirol, achevé, organisé et dirigé d’une manière si distinguée par notre savant et bien regretté confrère, le docteur Bouchet. Ce premier avant-projet n’excita point l'attention des autorités, probablement parce qu’elles ignoraient qu'il émanait des conceptions d’un célèbre aliéniste. La révo- lution de 1848 étant arrivée, M. Péronnet cessa d'être l'architecte de l'asile, mais la reconstruction de celui-ci 66% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRAYCE. ne continuant pas moins à être jugée nécessaire, un nou- vel architecte fut nommé. Il paraît qu'il voulut présenter des plans qui fussent exclusivement son œuvre, ét le mé- decin-directeur ne fut pas consulté. Trois planches ou variantes d’un système circulaire composent l’œuvre de M. l'architecte. M. Evrat s'attacha à en démontrer les inconvénients, parmi lesquels celui d'exclure tout classement méthodique n’est pas le moin- dre. Il résulta de cette dissidence une sorte de concours, et le conseil des bâtiments civils, ayant eu à se prononcer à l'occasion de ce débat, adopta, en 41851, les idées du médecin-directeur. Nousfélicitons ce médecin d’un pareil succès et nous le remercions sincèrement. Dans la ques- tion dont il s’agit, cetriomphen'est pas celui d'un homme, c'est le triomphe de la médecine. En effet, Messieurs, le nouvel établissement, destiné à recevoir trois cents aliénés des deux sexes, se compose de deux établissements. Le bâtiment des services géné- raux s'élevant au centre, séparant les hommes et les femmes. Les pavillons, au nombre de sept, placés à la gauche du bâtiment central, seront occupés par un même nombre de divisions ou catégories des aliénés hommes. Une semblable disposition‘ pour les femmes existera à droite.‘ Cette forme rationnelle permet de laisser une assez grande distance entre chacun des pavillons. Nous avons remarqué que tous les préaux sont disposés en dehors du parallélogramme intérieur et n’ont pas de mu- railles élevées de plus d’un mètre au-dessus du sol. C'est là évidemment une innovation. Tous les malades, à quel- que catégorie qu'ils appartiennent, jouiront d'une vue magnifique, ce qui ne contribuera pas peu à leur gué- rison. _VINGT-QUATRIÈME SESSION. 665 Votre commission a trouvé un peu petits les pavillons appelés simples; il lui a paru que les aliénés n’y auront pas assez d'espace dans les dortoirs et les chauffoirs, ce qui nécessitera un personnel plus nombreux de gardiens et d’auxiliaires. M. le directeur-médecin, sentant toute la justesse de nos observations, nous a répondu qu'il n'avait pas tenu à lui que l'architecte fit subir aux plans approuvés par le conseil des bâtiments civils les rectifications né- cessaires. Nos investigations ne devaient pas s'arrêter aux cons- tructions existantes; nous avons insisté pour qu'un service de bains complet fût créé dans chacune des deux grandes divisions de l’asile; pour que des promenoirs couverts et des galeries fussent construits, et pour qu’une nouvelle chapelle fût élevée sur un point d’un accès facile, sans que la rencontre des sexes différents püt avoir lieu. Nous dirons en terminant que la conception d'un asile d'aliénés est une idée médicale, et qu'on ne dont, par conséquent, jamais éloigner du travail de la con- ceplion d'un semblable édifice et de la surveillance de sa construction le directeur-médecin de l'établissement. Nous proclamons avec plaisir que, sauf les légères re- marques qui viennent d'être faites, le plan du nouvel asile de Saint-Robert a été conçu suivant les préceptes et les pro- grès de la médecine appliquée au traitement et à la curation de l’aliénation mentale. Nous déposons volontiers sur le bureaules tableaux statistiques du mouvement des aliénés de 1844 à 1856, et les tableaux des recettes et des dé- penses de 1850 à 4856, tableaux que, sur notre de- mande, M. le docteur Evrat s’est empressé de produire, et que nous pensons devoir être insérés dans les actes du Congrès. 666 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. N'oublions pas d'ajouter que, dans un entretien assez long, mais agréable et instructif, qui a eu lieu entre les membres de la commission et M. le docteur Evrat, il a été souvent question de ce que les philanthropes ont fait pour lesinfortunés aliénés. À ce sujet, lacommission a par- tagé entièrement l'avis de notre collègue, qui a appelé l'attention et la justice de la section des sciences médicales du Congrès, pour rendre à une illustration modeste de Savoie, au docteur Daquin, médecin de Chambéry, la gloire d’avoir introduit le traitement de l’aliénation men- tale avant Pinel, dont le Traité philosophique de la manie, imprimé en 1801, avait été précédé de l'ouvrage publié par Daquin en 1791, sous le titre de : Philo- sophie de la folie. Je ne puis résister au désir d'exprimer que, dans cer- tains établissements consacrés au traitement des malades, les directeurs qui ne sont pas médecins ne sont pas seule- ment de véritables superfluités, mais qu’ils peuvent faire naître, par leur incompétence dans certaines questions, des dissentiments fâcheux entre eux et les médecins placés sous leurs ordres. Il n’en est pas ainsi entre les médecins subordonnés : il règne entre eux une entente qui ne peut que tourner au profit de l'humanité. C’est du moins ce qui existe, je me plais à le dire ici hautement, à la direc- tion sanitaire de Marseille. Le directeur, M. Blache, l’un des premiers et des plus distingués médecins de la marine impériale, traite les médecins de cette direction comme des confrères et des amis. Enfin, Messieurs, nous avons à vous faire un rapport sur la visite de la commission à l'Hôpital. Ce rapport sera court, parce queles remarques qu’elle eût pu faire doivent être passées sous silence en présence d'améliorations pro- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 667 mises et déjà commencées. M. le docteur Silvy, l’un des médecins en chef de l'établissement, a bien voulu nous y introduire et nous y faire montrer tout ce qu’il nous fallait examiner. Il nous a rapporté que l’on a arrêté de reconstruire plus de la moitié de l'édifice, qui est dans un état bien apparent de vétusté, et cela sur le plan du reste de cet édifice de construction moderne. Notre honoré confrère nous à d’ailleurs signalé des travaux en voie d'exécution, tel qu'un pavé en marbre blanc et noir, au centre de diverses grandes salles , et en forme de mosaique , alors qu'aux parties latérales de ces salles on ne voit que bois bien ciré. Ce qui nous a semblé fort avantageux, c’est que, dans le mêmeétablissement, sont à la fois réunis les ma- lades civils et militaires, la maternité, l'hospice de la charité, celui récemment édifié pourles filles syphilitiques, Vécole de médecine et de pharmacie, le jury médical, le bureau des inhumations, etc. Cet établissement peut re- cevoir 1,200 malades, y compris 200 personnes formant le personnel de la charité. Les admissions sont, terme moyen, de 1,500 par an. En résumé, les préceptes de l'hygiène, de la salubrité y ont été fort bien observés : salles vastes, très-propres, bien aérées, tous les services parfaitement organisés. Nous avons surtout admiré la lingerie : l’ordre, la propreté qui y règnent en font une division modèle. En un mot, l'hôpital de Grenoble, ac- tellement l’un des meilleurs hôpitaux de France, ne lais- sera bientôt plus rien à désirer. Ainsi, Messieurs, Grenoble possède des maisons de santé remarquables, des hôpitaux de premier ordre, des asiles destinés à acquérir une haute importance. Eaux minérales, thermales, établissements hydrothérapiques et de bains de vapeur térébenthinée, rien ne manque à 668 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. votre pays, si beau, si pittoresque et si digne d'attirer les étrangers. La profession médicale y compte des représentants nombreux et instruits. De tous les con- frères qu'il m'a été donné de connaître pendant le peu de jours que j'ai passés parmi vous, il n’en est pas un qui ne soit digne de laisser dans mon souvenir l'impression la plus favorable. Pourquoi faut-il que tant de praticiens si bien faits pour s’estimer et pour vivre en bonne intelli- gence nous affligent par le spectacle de la désunion la plus complète! La médecine, comme corps, n'existe pas à Grenoble. Dans les autres villes on rencontre, il est vrai, des rivalités souvent très-animées, mais qui n’empêchent cependant pas les confrères qui en sont agités de se serrer la main dans l’occasion, de s’estimer, de s’honorer même. : La situation fâcheuse que je vous signale est due à beaucoup de circonstances que je n’ai ni la mission ni le droit d'apprécier ici. Je ne peux que vous indiquer un moyen d’y mettre un terme : et ce moyen vous le trouverez dans l’association. De toutes parts la généreuse impulsion donnée par Orfila au corps médical se propage avec rapidité Les mé- decins les plus recommandables, les doyens de nos fa- cultés ont tenu à honneur de continuer l'œuvre de leur immortel prédécesseur. Si dans ma vie il est un acte dont je sois fier et dans le souvenir duquel je puisse me complaire, c’est certaine- ment dans la part que j'ai prise à la création des associa- tions médicales du midi de la France. M. le docteur Bally, une illustration de votre pays et de la médecine, nous a donné l'exemple, par son zèle infatigable, à propager ces utiles institutions. Comment se fait-il, Messieurs, que les VINGT-QUATRIÈME SESSION. 669 praticiens de Grenoble ne soient point encore entrés dans cette voie ? « Il était de mon devoir de terminer ce rapport par les considérations qui précèdent : je n’ai d'autre but que de faire disparaître un état de chose déplorable et qui n’a aucune raison sérieuse de se perpétuer. » M. le docteur Evrat dépose sur le bureau des tableaux statistiques du mouvement des aliénés pendant les années 1844, 1845, 1846, 1847, 1848, 1849, 1850, 1851, 1852 et 1853. ASILE PUBLIC DES ALIÉNÉS DE L'ISÈRE. Document administratif donnant la démonstration : 1° De la nécessité de la construction d’un nouvel asile Pour une population qui, depuis treize années, subit la loi de l’accroissement des aliénés dans les établissements consacrés au traitement de l’aliénation mentale. 2° La démonstration de l’augmentation extrême de Ja dépense qu’occasionnent au département, depuis trois ou quatre ans, les aliénés. Cette augmentation de la dé- pense ne peut être rapportée qu'à une seule cause : à la crise alimentaire qui pèse sur notre France depuis trois ans. x CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 670 ‘d « [3 3 |« | 3 | «| « lauon8anx F « 1 JT « I € | € UNIQUE | « «© « « « « & | ( |" "auQiT Fe |#%r]|9r|e |er | «| 7 |SdIv-}Hr Ler| as | SL | cer] az | 09 | or| grl°*"" ous] F4 AS: TÉeR. *SIUAUI l S 3 ‘y 2 “J ‘u 4 out | -9118d94 “XAVEOZ sno,z ‘SROIPI CE RE SEE DEN "SF8T JHIAURL 1 ne JULJSOY EEE SE | y GP | 66 | GC | Sy | FS CY | FE SEE) USE Je EU eu CADRE ECM CETTE EME SET EX MERS CS ER MMES LEURS ‘Juauaine "oJuur, "FF8T ‘9p9994 |no uosyons juep JOIAUET xT Jnod sy10S |-uad siupy | ne JueSIXT SNGIAIGNI Œ AUANON "YYST TANNV ‘0S8r La cest ‘raS1 ‘ECS ‘acs ‘1SSY ‘OSSI ‘GESI ‘SES . “LAS ‘OYSH ‘CESI ‘YYSV SHANNY SAT INVONHA SANAIIV S4Œ INANAANON 04 YKXAVITAVIL 67 Ê VINGT-QUATRIÈME SESSION. } « Sr | ST 007| S9r {t LA « « F 9 HONS 01] UNIQU'Eu S0dY-sH epl''"""ous] U *SJUoU -a11ed9q SSSR ES EL ‘XAVLOZ ‘Snox ‘S)0IPI a, EE TT, mm *“SHNQIIV SAT LINANNAIAOMd NO SLNANALHVAYA BOYCOTT ‘AP8T ‘Jua91ne "oguue,I "CHRI JITAUPS 7 *S9p929Œ [no uosrions quep JOTAUCT 197 ne JueJSaY Jnod spuos | -uod sIMpY | ne jUEJSIXA SAGIAIGNI Œ AU4NON ‘GYST AAINNV EE NCE. 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QUATRIÉ VINGT- OUONS 51J gobeheghe l« € |! « luniquun ***OWQI( F6 | or | Fa | « | « Isodiy-sxx GG£| V9F| F9T| Z6G FST] 9YF) OF) SF) °°" "9us] Se |. lala lent “siuour 8 | J US -o118d9Q | SR ne Se ‘Snox ‘XAVLOL ‘SJ0IPI a "S{NGIIY SAT LNANNAIAOUd NO,4Œ SININALHYAFA ‘6S8T Étda Sy FOF 6ST GIG L STE OFF] SET] 9F | 6& | 09 | rg 6Z | 08 6 dE I A "FO8I ‘Juawaune “opuue,] "ES8T JOTAURT 01 ‘S9p999Œ |no uosuong quep JITAUE( wT ne JUEJSY Anod s1}10S | -uad SIUPY | NC JUEJSIXA mm SAGIAIGNI Œ HAYAHON a ——_—_—_—_….…..———_—._.--_—._ | TAINNY x CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 680 "atome -9p S21NY AU9N$ o1JÙ UNIQUE UN *** aWOi( S9d[V sa} j\e ++ tt 9498] *SJUAUU -9148d9Œ ‘XAVLIOZ ‘SJOIPE TT ———— —— *‘SANGIIY SAT LNANNAIAOHMd NO SILNANALUVAFA ‘CCR JOIAUE( 7 ne }uEJS0Y ©" “Juauoaqne “2QuuE.] *FGRI *s9p2094 |n0 uosins juep JOTAUET 307 Anod sy10S | -uod SIWPY | ne JUEJSIXA SAGIAIGNI,A AU4NON g "YSST AANNV x VINGT-QUATRIÈEME SESSION. “Word -9p SONY OUON$ a UNIQUE UY F *** QI TG « |Sod[V-sEl grl'"""ou9s] É *SJU9UU 4 -9118d9 ‘XAVELOL *‘SJOIPI TT RE = PE, "+ © *SHNAITY SAT INANNAIAOUd NO 4 SINANALHVA HA £9F OTF| GT "9S8T ‘Juawaine JIIAUPS 5 T ‘S9p9229q |no uosu19n$ juep JOTAUEL 7 LONTIEER anod s110S | -uod SIMPY | ne JueJSIXA Em mm "QUE *GG8T SAGIAIGNI Œ HUY4NON ENTIFIQUE DE FRANCE. CONGRÈS SCI 682 ‘XAVLOX £ & TGF| 266 {€ ST LOF F LA L "UMQUA P uSIBUI E]9p SUUEPUO") * SOAEIILN +++ ou0s] * awoiq S9dIV -59H ce uy *SJU9UU -a118d9 ‘SJ0IPE “SANSIIV SAT LNANNAHIAOMd NO SINANALUVAHA "LGBT JOTAUET 27 ne JJUEJS2Y ‘Juomaine "aguue,] *9C8T ‘S2p929Œ |n0 uosrons qjuep J9TAURT 17 Anod s110S | -u9d Simpy | ne jueJSIXT ———__—_" "CPI, ‘OGST AAINNV SAGIAIGNI,Œ HAUANON VINGT-QUATRIÈME SESSION. 683 RELEVÉ DES ALIÉNÉS TRAITÉS A L'ASILE PENDANT LES ANNÉES DORE À JU. LE... che 177 ASE DR. JB. LE 2e 0e SUR, à dite 208 SAGE RTE ANSE 209 DSL TS EPS TRE 2. 8e 194 Les A: MF Tr AAC GA 204 ASE. rue À sa E MAMA PES 259 ABOU Et 280 LL AL Pen a ont oran RUN 2 314 LESC RSR EMEA PAR SATA RARE 343 (50 0 ANRT EPS LA PES PRE 371 LS ge PE RP TOR 408 ASS. es FE. E-Cre Nine 412 ADO NE ue 2 7. 403 Ce dernier relevé donne la preuve et la mesure des services que rend au département de l'Isère et à la sociëté le modeste Ctablissement de Saint-Robert. ENTIFIQUE DE FRANCE. CONGRÈS SCI 684 98 0709} 60 GGFST &L SSFYT 0G OOFFF £G SOSTF 89 8SS0F F6 SS8L ('i) Eu Anod sa9 ed APUEIA Saumuos *SNOILYAUAS4O YSYS8| FL 69 |GS STCST F068| 67 GY |LS Fc09c GLCS| 0ÿ O0 |OF Yyevc ce ZLGGG| SG ZG |8G 969 LO OFF£| 82 LG |GE SSYEr 99 S968&| 82 8G |60 GICGE LY |T8 0£98| 09 SG |ÿF YGcOr ("10aû) ee TON TABOTI| Mass este lee “poraed anod “ponaed x1a1d sagied xd *ULA saumos "9IŒ saumos anod sapâvd &G YLTSFF|9608$0 9L F9280F|626Fc0 YL GLTIOF|E8FYTO GA LOZSOF|LLELYS K 98 ZLI8L8 |SFCGZLL « FL GES) |O6ETSL C9 LA8YS |LOEYEL + Lu LES pe S2[8]0} JUAIAII 9P sasuad?(l XUd YTeLO|Y/e #68 T£0Y0r| 98c ££800T| 9Z8 GG£EG | 9SG GY0£G | 88G Cr98 | LES LSGLL | IG EL "SJUBAIIS ‘ SI Run sudwoo À 2e uonerndod d1QUON| e1ap QUUYÉON *sagu *008p 22 coer ‘rG8p ‘ECS ‘CSS ‘IGSL ‘OGSI Sa2uUD s97 juppuad ‘apuri Dj ‘UIA 97 ‘91q 27 «nod sophind sounuos 27 29 opuun op 27010} osuodop m7 ‘anol 4nd quaraa. uy A ( op œud op ‘sopuanol op o4quou 97 ‘oruunou uouypndod mn} 9p auuohñou Dj junuasatq Ava'iavi 685 x VINGT-QUATRIEÈME SESSION. 6e 9198#9| 89 979] 08 LIG|08 #96 | SS 9689107 9SFOSITS 9669 | 07 999Y£|60 YOYGLFISS GTFLEE sn vou es ee | ont || Diemeens saWUT1} &! 9€ 89608 | 0 9r | « |« £z9 | 80 LGF |09 GE8Y |99 8YSZ | 28 8698 |09 OrSor |88 692%c | ZSSF CG S9Y766 | 08 9 | © K |08 SEN9T | SO GFY |08 8188 |S8 SCETE | LE 698% |08 ZLOccc |8£ rar08 | 9S87 99 S6ÿ96 | Sy ÿ£g | © ( |08 GO9F | K 6€Z |“ 8026 |0& 86568 ST FESY |YL 1GcIG |£6 £0867 | SS8F 8 €YGc6 | (C 8€ | ( (107 869 SL 9c8 |08 GOccr|09 FLEZ 08 6709 |LS LOLGFT |£9 86£9Y7 | YSST 89 76888 | £0 66 | ( ( |C 007 | Sÿ ZCG |08 ZGSFF|09 S0CZ O8 66YY |FZL OT9ST |69 y9yry | ESSF SE SCLIS | $8 88 | 08 ZIG|09 LEFF | OS O0Y9F)0Z FY9SF|07 CYZ9 08 862Y |GL SO691 |8c 82686 | CSST RE TERSL | GE 698! © UK [09 EGRE | (C EFSF|09 VEEFFIOF 6089 50 Y888 |16 76987 |9Z FY006 | 18H 08 00679 | $£ 89 | & € |0G ZGST | SL 628 |06 6806 |07 9098 YG 100 |8S GSZGE |8£ Fr0£6 | ORST à he He “a1ion$ "sairiuue sop|. PA “auenop pe EL op |amoedop (EAN ai a “auasI 2p | “ouest. op ae SEL EL 24 T08]eY Si saine, ( He anatq saunumon |Juatue)ied9q Sn —_—— mme SHŒ 4AOUVHI VI V SANNOS S4Œ TIVIAQ *979 UNAQUIT .P UOSVDW D] 0 ‘OLALIND D} 9p 9419181Uvu NP ‘sJUIUW -0140d2p St0a1p S0p ‘sogrur] sop ‘sounwwuoo sop ‘yuowoundop np 264109 D) D sowwos sa] puonbipur ! (soso 3) LeSV ‘ocer ‘cc8r ‘FGSL ‘ESSr ‘SSS ‘ISSE ‘OGBL SA2UUD S97 JU»p -uod ‘J12Q0H-JUI0S 9p ops0y D Sauounp Anolos op swo4] Amod soguuorsno90 saSuadop s2q LVIA TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME. = —— 2) Q— Page NOTICE PRÉLIMINAIRE. ........ssuss ou ORPI ÿ Tableau statistique des sessions du Congrès scientifique de France, depuis son établissement.................... 8 QuEsTIoNs proposées pour chacune des sections......... 10 COMPOSITION DES BUREAUX....,...................... 17 Liste alphabétique des membres du Congrès scientifique... 23 SÉANCES GÉNÉRALES. SÉEANCE D'OUVERTURE. se meet e0 0 oten aa 00 à ele une ei oholle 41 Discours de M. Crozer, maire de la ville de Grenoble.... 42 688 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Discours de M. Azserr pu Boys, secrétaire général... ... Discours de M. Barurri, et proposition d'un vœu pour le percement de l’isthme de Suez...................... Discours de M. Rosiou DE LA TrÉHONNAIs, sur l'agricul- ture en France et en Angleterre.................... Hommage de la Poésie au Congrès scientifique, pièce de vers, par Mme Elise /GAGNE. 2.7... 00000 Nomination du président général et des vice-présidents du Congrès NV OEM P ERREUR. RENTE CPR LRO R RE PES Messe du Saint-Esprit pour l'ouverture des travaux du CODBTÉSERE 4: eee e caen date soccer LE DEUXIÈME SÉANCE GÉNÉRALE... 20 5.00. PROS sen Lecture de M. Harzreup : La Spiritualité de l’âme prouvée par les phénomènes psychologiques qui accompagnent le TO isoénode roc doatos one ce JE Vœu au sujet du percement de l’isthme de Suez adopté par Je Congress ns Rs nee PS MÉERERS TROISIÈME SÉANCE GÉNÉRALE: 5. eu ect tome ee Notice historique sur la vie et les travaux du Dr VicLars, naturaliste, membre de l’Institut, par M. Victor BazLy. QUATRIÈME SÉANCE GÉNÉRALE........................ Noticesur un album d’archéologiereligieuse de M. Mansoue) par M. Albert ne BRIVE-. 26000 NS M AN RER Compte-rendu d’une excursion des membres du Congrès à Sassenage, par M. ALBERT DU Boys................, Compte-rendu de la même excursion au point de vue géo- locique PA MA CRI ORY- 7... 20... L'Ombre de Molière, poème, par M. PHILIBERT-SOUPÉ.. CINOUIÉME SFANCE GÉNÉRALE, . . 2: 2 ose codecs nee Recherches sur l'âge de la cathédrale de Grenoble, par MF DE SAINTE ANDÉOE 5. 2 2e ouieese eee Notice sur le Ciborium de la cathédrale de Grenoble, par M ADBÉRRERIRR ES ee. ne. see ee EEE 45 52 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 689 Résolution. adoptée par le Congrès, au sujet des moyens préservatifs des inondalions.….…........,............ 231 SIXIÈME SÉANCE GÉNÉRALE. ........ DÉS ARSAEE EU LE EM 232 Vœux émis par le CONTES A PE ER Re AD SHETMCRE Mémoire de M. l'abbé Huconin, sur la moralité de l'art. 234 SEPTIÈME SÉANCE GÉNÉRALE......... OO ER SE (UE 246 Vœu du Congrès pour la création d'une école de paysage à Grenoble; exposé des molifs, par M. ALBERT pu 3 ITS ENS SRE af EL Ed Rd 246 HOITIÈME SÉANCE GÉNÉRALE... 250 Arrêté pris pour la tenue du Congrès à Auxerre en 1858, et à Limoges en 1839......... EME LR Pro RE) À APP. Arrêté concernant la publication des comptes-rendus de D Tps ue nie Are Baye, 253 Vœux émis par le SONDE RSR TE Re ET 254 Note sur la fabrication de filets à la mécanique, de MM. Rome et Jourdan, par M. Reyvaup......... 255 NEUVIÈME SÉANCE GÉNÉRALE... 258 Les Ouvriers des Deux Mondes, revue fondée par M. Le- PLAY; rapport par M. Argent pu Boys ............. 259 Compte-rendu de l'exposition d’horticulture, par M. »E LL ESPACE EONNERRNERNTIEr Choc or eo br be 266 Discours de M. Cnazre, secrétaire général de la prochaine session du Congrès, à Auxerre. ............ PARA 269 Discours de M. ALBERT Du Boys, secrétaire général du M Peel par bon 273 Discours de Mgr Ginouzurac, évêque de Grenoble, prési- dent du Congrès, pour la clôture de la session. ...... 277 690 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCES DES SECTIONS. are el 6€ sections réunies. SCIENCES NATURELLES ET MATHÉMATIQUES. Séance du 4 septembre : Nomination du bureau.......... 231 Carte géologique du Dauphiné; classification des divers terrains de transport de cette contrée, par M. Lory... 285 Terrains tertiaires du Dauphiné; MM. Mircuaun, Lory, MARTIN ICHARVET, PIDER EE 0.2 286-289 Séance du: SDIeMDre ue ae ee. ee 22 TR 290 Sur les ossements fossiles de grands mammifères trouvés dans le Dauphiné, mémoire de M. CHARVET ......... 291 Discussion : MM. Leroy, Lory, CHARVET , BRETON , DE BOURNEL, MARIN: cie nes cie area Clim ele 307 Sur les usages industriels des tourbes et des lignites ; dis- cussion : MM. GuEyMaRD, BONJEAN, BARUFFI, BRETON, SEUNCOUIGTSENIEMONE Les eee eee ee Cr CURE 311 Coup d'œil sur la végétation des Alpes considérée dans son rapport avec le climat; mémoire de M. Faucné- PRUNELLE M eee esse e nie tee le ee S ae eo 311 SEANCES SEDLEMDNE RENE eee IRC CENERE RES 352 Division et caractères généraux des terrains crétacés du Dauphine par MORT. 2... LOC CRERE 352 Discussion au sujet des terrains crélacés et des terrains jurassiques du Dauphiné et de la Savoie : MM. PrLLET Résumé de la question des grès à anthracite des Alpes, PAMENRADORVE een are ie les otelers iorera ee ic cl te a TDR AUS 375 L x Lt VINGT-QUATRIÈME SESSION. Discussion sur ce sujet: MM.GueymarD, PILLET, VALLET, Séance du 9 seplembre........-.... EE A DÉBATS Analyse d'un mémoire sur la météorologie de Grenoble, par M. VIARD...................sscsccsesnseee Discussion sur ce sujet : MM. Barurri, Vian, SEGUIN.. Séance du 10 seplembre..:.......... A AA RÉ De l'utilité des courbes figuratives; mémoire de M. Ph. BRETON RER en icepeeten- Re Deer cet 6e Des pierres calcaires à ciments et à chaux hydrauliques, par M. Emile GUEYMARD. ......................... Sur le gisement des couches exploitées pour chaux hydrau- liques et ciments dans le département de l'Esère, par ME DORAN EST. AL ERA RARE EE AA EE CL Discussion : MM. PILLET, GUEYMARD........... SANTE Mémoire sur le platine des Alpes françaises et de la Savoie, par M. GUEYMARD........-......:..........0... Discussion : MM. PILLET, GUEYMARD.................: Des gisements métalliques de la Savoie et du Dauphiné, par M GuEyMaRD..................1...... PLUME Détails sur l'emploi du menu d'anthracite, par le même... Compte-rendu d'une excursion géologique dans la vallée de l'Isère, de Grenoble à Voreppe, par M. Lory...... Séance du 11 seplembre............. RE EN LE QUE De la perdrix rochassière, considérée comme espèce, par NM CRARVED A UE SN R ler SU A CESR Observations relatives au mélanisme chez leloup commun, DAMIENMÈME MASSE ENS RIT MU ET ue tee ile Discussion : MM. BouiLeT, CHARVET................. Sur un mémoire de M. Heppe, relatif à Vaucanson: MM. Bon3ean, Faucné-PRuUNELLE, H. BRETON, DE CATMONT,CBARUEEL: 0e he uliissiehee ei A Dela subdivision des trois règnes de la nature, par M. Corne De la subdivision des mammifères carnassiers digitigrades, Darlenmeme, tee ARR ill Re 691 401 405 692 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Sur un mémoire de M. l'abbé Mrépan : MM. Vranp et Se- Questions proposées par M. DE Caumonr.............. Hypsométrie de la province de Tarantaise (Savoie) par NL PaDDe MIÉDAN- nement eee: 2e Séance du 12 seplembre.............................. Mémoire surles analogies entre le triangle et le tétraèdre, par M. FERRIOT.................................. Sur les rapports entre le relief du sol dans les Alpes et sa constilulion géologique, par M. Lony................ Sur les cartes agronomiques, par M. DE CAUMONT....... Discussion : MM. Gueymarp, Lory, Ph. BRETON...... Sur les sols arables de la vallée de l'Isère : MM. Loryx, FaucHÉ-PRUNELLE, GUEYMaRD, DE CAUMonT, Ph. DARTON Se sec Boe came ns sieur arr GARE SR Sur la hauteur de la ligne limite des neiges perpétuelles dans les Alpes dauphinoises, par M. Faucné-PRUNELLE. . Observations sur cette question : M. Lorx.............. Sur les tremblements de terre : M. AUTHEMAN.......... Maximation des forces motrices dans les usines hydrau- liques, par M. Ph. BRETON........:................ Observations sur cette question : M. Pret Pure 3e seclion. SCIENCES MÉDICALES. Séance du 4 septembre : Nomination du bureau.......... Séance du 3 seplembre : Discussion relative au mémoire de M. Lerar, sur le choléra morbus...,............... MM. Leroy, Ripozr, ANCELON, EvRAT, CHARVET neveu, BONE ANR Nues ne stulalere tete te cel FINS 512- 519 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 693 Séance du 7 septembre : Désignation d’une commission chargée de visiter les établissements publics de santé de Grenoble et des environs. ..... Ste NA 1 TPE EMES A . 520 Suite de la discussion sur le choléra: MM. JorrrE, BALLY, ANCELON, LEROY, RIBOLI...................... 520-526 Séance du 8 septembre : Lecture d’un mémoire par M. le docteur Savoyxen, sur le goître et le crétinisme..... .. 526 Séance du 9 septembre : Mémoire sur les procédés hyäro- thérapiques, par le docteur Armand Rey, 1'e parlie.... 530 DÉRHANIO SR ne Piece Len Nec le Greece .. 550 Séance du 10 septembre : Notice sur les eaux minérales et sur l'établissement thermal du Monêtier de Briançon, par M. le docteur CHagranp, médecin-inspecteur de ces CU S4 AR POP USE AN EREE ES PAC Ce RUE PA EE OU o 580 Discussion : MM. BonsEan, LEROY, CHARVET oncle...... 592 Notice $ur les eaux thermales d’Aix et de Marlioz, par M. BD'ONTEANE ES SU rs tie nette net are ARTE YE 593 Tableau comparatif des quantités de soufre contenues dans les différentes eaux de la Savoie, du Dauphiné, des Py- rénées, @LC.....:..... Et Re RARE dr à PAR ae 605 Observations sur des cas d'anomalies anatomiques multiples, par le docteur CHARVET oncle.................. .... 606 SÉONCERTUNAA NS EDIEMDTO ner creer ec electric ee 618 Considérations générales présentées verbalement par M. le docteur Roux, de Marseille, sur les établissements sani- taires visités par la commission présidée par lui, et sur l'association médicale. MM. Armand REY, BONJEAN. 618-622 Mémoire sur les bains de vapeur térébenthinée, par M. le docteur Armand Rey. Chapitre Ier.................. 623 GRADE PR ER LE ele se eee + 639 DONC ASC DIEMONE Rider an -ce-----ecree 657 Discussion sur la sixième question du programme, relative à l’épilepsie: MM. Evrar, LERoY...... A A LEE 658 694 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Rapport de la commission chargée de visiter les établisse- ments sanitaires de Grenoble et des environs, par M. le HOCIEUT RODX Ten enee eenennieNtieelrelA BOUQUÉRON APN RO TA ANAL MAR SAN RO DEN At des lee sets diner ele Lhospicetdie Grenoble ee PRE EC tre ce Tableaux statistiques du mouvement des aliénés à l'asile DUPIICNUE SAINS RODE LEE eee nice eee ete etre D OP ET Rene PR PC ES EEE à RP SAR OP ER RE RE EE Do = AS AO AN RES ei s ee Lecce slrtectere tete rrretele ele 0e CAE RÉ O PPET OO S PL ARATE AN POELE ASS Re ot cultfeionti. tte E SE SAM EE ANS A PR MST LE RNENS te vole GI RAS ee Relevé des aliénés traités à l'asile de 1844 à 1836....... Tableau présentant la moyenne de la population nourrie, Je nombre de journées, le prix de revient par jour, la dépense totale de l’année et les sommes payées pour le blé, le vin, la viande, pendant les années 1830 , 1851, 1802, 21809: 1904: 1805; 18002 eee per Etat des dépenses occasionnées pour frais de séjour d'alié- nés à l'asile de St-Robert, pendant les années 1850,1851, 1852, 1853, 1854, 1855, 1856 (1857 deux trimestres), indiquant les sommes à la charge du département, des communes, des familles, des divers départements, du ministère de la guerre, de la maison d'Embrun, etc... FIN DE LA TABLE. 659 Id. 662 666 669 670 671 672 673 67% 675 676 677 678 679 680 581 682 683 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. VINGT-QUATRIÈME SESSION. Le Congrès ne prend point la responsabilité des opinions consignées dans le compte-rendu de ses travaux, lorsqu’elles n'ont point été sanctionnées par un vote. CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. VINGT-QUATRIÈME SESSION TENUE A GRENOBLE, AU MOIS DE SEPTEMBRE 1857. TOME SECOND. A PARIS. 7” A GRENOËELE, CHEZ DERACIIE, LIBRAIRE , CIIEZ MAISONVILLE, IMPRIM', Rue du Bouloy, 7. Rue du Quai, 8. 1855. GRENOBLE, IMPRIMERIE DE MAISONVILLE, RUE DU QUAI, 8. CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCES DES SECTIONS. ———— 2° SECTION. AGRICULTURE , COMMERCE , INDUSTRIE. SÉANCE DU 4 SEPTEMBRE. La séance est ouverte à onze heures du malin, dans la salle des audiences de la première chambre de la Cour. MM. de Caumont, vice-président général du Con- grès, et Albert du Boys, secrétaire général, pren- nent place au bureau, avec M. Paganon, président de la Société d'agriculture de l'arrondissement de Grenoble, président provisoire de la section. (n CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il est procédéà l'élection des membres du bureau définitif. Sont élus : Président, M. Albert de BRIVE, an- cien secrétaire général de la 22° session du Congrès scientifique, membre du Conseil général d’agricul- ture et de l’Institut des provinces, au Puy. Vice-présidents : MM. GauGain, trésorier de l’Ins- titut des provinces, à Caen ; Charles de Rie8e, avocat à Aix; Ropiou DE LA TRÉHONNAIS, propriétaire à Fal- mouth (Angleterre); Seconn-Cresp, avocat à Marseille. Le bureau, ainsi composé, est complété par MM. ARvET, ancien conseiller de préfecture ; Auguste Larorte, membre du conseil général de l’[sère ; Paul GARIEL, avocat à Grenoble, secrétaires. M. de Brive, après avoir pris place au fauteuil de la présidence, remercie l'assemblée de l'honneur qu’elle vient de lui faire en l’appelant à diriger les travaux de la section. Il compte sur le dévouement éclairé de ses collègues pour que les questions du programme reçoivent une solution sérieuse, et, dans le but de maintenir l’ordre si nécessaire aux discus- sions qui devront s'engager, il prie MM. les mem- bres de s’assujetlir à ne jamais prendre la parole sans l'avoir préalablement obtenue. VINGT-QUATRIÈME SESSION. À Le président invite ensuite les membres qui dési- * reni lire des mémoires ou parler sur lés questions insérées au programme à se faire inscrire. Après l’accomplissement de cette formalité, le président déclare la discussion ouverte sur les 1 et 2° questions. Il s’agit de savoir quels sont les moyens les plus efficaces de s'opposer aux dévastations des torrents et des rivières ; si les moyens proposés sont d’une exécution possible et s'ils sont conciliables avec l’état actuel de notre législation. La parole est donnée à M. J. Dumas, professeur de mathématiques au collége de Valence, auteur de la Science des fontaines et lauréat de l'académie des sciences de Bordeaux, pour son récent travail intitulé : Etudes sur les inondations; causes et remède. Valence, 1857, in-8°, avec cinq planches explicatives. M. Dumas fait la communication suivante : COMMUNICATION FAITE AU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE GRENOBLE Par M. J. Dumas, professeur de mathématiques au collége de Valence. Messieurs, Accoutumé à ne parler qu'à des écoliers, et dans la mo- deste enceinte d’une classe de mathématiques, je n'aurais 8 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pas osé porter la parole devant une assemblée composée d'hommes éminents, venus de divers points de la France et de l'étranger, si l'étendue même de votre savoir n’était pour moi un sûr garant de votre indulgence. Je dois avouer d’abord qu’une pensée d'intérêt personnel m'a vivement sollicité à accepter l'honneur d’être admis parmi vous, Messieurs, et cette pensée, je l’ai saisie avec empressement. Je me suis proposé d’emporter d'ici une ample mois- son, en fournissant un faible contingent. Cette pensée d'intérêt personnel dans le commerce de l'intelligence trouve, en ce lieu et an sein de cette réunion d'hommes d'élite, son explication facile. Car il est hors de doute que l’on peut puiser largement chez ceux qui possèdent beaucoup, et que quelques journées passées en la société des maîtres de la science suffisent pour enrichir les esprits modestes, avides de savoir et pleins de bonne volonté. La part que j'apporte, Messieurs, en retour de ce que je compte recueillir, consistera dans la communication d’un travail sur les inondations. Inondations! Mot qu’on ne peut prononcer qu’en fré- missant, parce qu'il rappelle d'immenses désastres qui ont plongé, il y a quelques années à peine, dans le deuil et la désolation un grand nombre de nos départements les plus riches et les plus prospères. Inondations! Question capitale, car elle intéresse l'a- griculture, l’industrie, le commerce, la fortune et la vie des citoyens. Inondations ! Question ancienne, car l’histoire atteste que le phénomène des inondations n’est pas un fait ré- cent dans le monde, mais que ses manifestations remon- tent aux siècles les plus reculés. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 9 Inondations ! Question ardue et complexe, qui a occupé, jusque dans ces derniers temps, les esprits les plus sé- rieux, les plus élevés. k Malgré l'étendue et la complexité de cette question, j'ai osé l’aborder, étudier et analyser une à une ses difficul- tés, et donner une solution. J'ai étudié assez longuement cette question, à l’occasion d'un concours ouvert, le 4 juillet 1856, par l’Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux , et j'ai eu le bonheur de faire un travail qui a été cou- ronné par cette Académie. Ce travail a même été imprimé en un volume in-8o, d'environ 200 pages, qui se trouve chez les principaux libraires de France. La communication que j'ai à vous faire consistera en quelques extraits ou analyses des principaux chapitres de cet ouvrage. J'espère, Messieurs, que si la solution que je vais donner paraît insuffisante, vous tiendrez compte du moins des difficultés de la question, des efforts que j'ai faits et surtout de mon bon vouloir. Avant d'aborder sérieusement les difficultés que pré- sente le problème des inondations, il est essentiel de placer cette question si complexe sous son véritable point de vue. Ainsi considérée, la question actuelle nous per- mettra de distinguer les diverses causes des inondations et leurs terribles effets. Nous pourrons alors marcher sûrement vers la détermination de la source du mal; et c'est là le point capital de la question : car il est de prin- cipe qu'il n’y a pas de mal sans remède, lorsque ce mal - est connu dans ses causes et dans ses effets. A mon point de vue, la question actuelle des inonda- tions sera complétement résolue, si l’on parvient à déter-. miner les véritables causes de ce fléau terrible et comment 10 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. se forment les inondations. Car là se trouve toute la difficulté que présente cet immense problème de salut public; et ce ne sera qu'après avoir obtenu cette double découverte que l’on pourra appliquer au mal, quel qu’il soit, le remède efficace. Je ferai donc connaitre, d’après mon opinion : 4° Les véritables causes des inondations ; 2° Comment se forment les inondations ; 3° Enfin, les moyens préventifs qu’il convient d’opposer au fléau. 1° Véritables causes des inondations. — D'après mon opinion personnelle, les causes des inondations sont de deux sortes : les unes, premières ou absolues ; les autres, secondaires ou accidentelles. J'appelle causes premières ou absolues des inondations, celles qui existent indépendamment de la volonté hu- maine. Elles sont rendues manifestes par les chutes irrégulières des pluies, et par toutes les aspérités qui hé- rissent la surface de notre planète. Et j'appelle causes secondaires ou accidentelles des inondations, celles qui doivent leur existence à la volonté ou à l’incurie de l’homme; comme aussi celles qui sont créées par des accidents tout à fait fortuits : elles ont pour caractère distinctif de ne jamais produire aucun effet général, parce qu’elles ne s’attachent qu’à des points par- ticuliers. Mais il n’en est pas de même des causes premières ou absolues. Celles-ci produisent des effets généraux, tou- jours avec les mêmes allures et dans les mêmes directions; et c'est à elles que sont dus les grands désastres occa- sionnés par les inondations. VINGI-QUATRIÈME SESSION. 41 Pour faire comprendre le rôle important que jouent, dans le phénomène des inondations, les causes premières ou absolues, il ne sera point nécessaire d'établir l’exis- tence de la pluie, car personne ne révoque en doute un fait d'observation vulgaire, et qui se renouvelle fréquem- ment; mais il suffira de démontrer les deux propositions suivantes : 4re Proposition. — Si la surface des continents ne pré- sentait ni montagnes, ni collines, et, par conséquent, aucune dépression de terrain; en un mot, si cette surface était parfaitement unie, ik n’y aurait pas d'inondation possible provenant des eaux pluviales. En effet, 1° Les eaux pluviales demeureraient dans le lieu même où elles seraient tombées directement des nuages ; car la régularité de la surface ne les solliciterait pas à s’épan- cher plutôt vers un point que vers un autre. Conséquem- ment, l’évaporation de ces eaux Wie à la surface même qui les aurait reçues. 2° Sur une foule de points, la quantité moyenne de pluie ne saurait suppléer à l’évaporation. Conséquemment, sur ces mêmes points, les terres seraient desséchées pen- dant une grande partie de l’année. D'où il résulterait que, dans les cas exceptionnels des plus grandes pluies, la couche d’eau, toujours de faible épaisseur, disparaîtrait en peu de temps sous les deux actions combinées et absor- bantes du sol altéré et de l’évaporation. 3° De ce double exposé, il suit évidemment que, dans aucun cas, la couche d’eau produite par les eaux plu- viales ne pourrait submerger les récoltes, ni les arbres, ni les bestiaux, ni les hommes, ni les habitations ; elle ne 12 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. saurait non plus rien ravager, ni renverser, ni détruire, parce qu'elle manquerait de mouvement. 2% Proposition. — Avec les montagnes, les collines, les pentes des plateaux élevés, les vallées larges et profondes, les dépressions diverses, et enfin les plaines que présente le sol à sa surface, les inondations deviennent possibles. En effet, La disposition des diverses surfaces que présentent les chaînes de montagnes, leurs embranchements, les ra- meaux irréguliers et les collines, surfaces affectant toutes sortes de directions, mais liées intimément les unes aux autres par le seul fait de cet admirable ensemble, ne peut que rarement permettre aux eaux pluviales de demeurer à la place où elles sont tombées directement des nuages. D'où il suit que ces eaux pluviales, à peine arrivées à la surface du sol, doivent prendre d’elles-mêmes un mou- vement en vertu de la pesanteur, et se diriger, en suivant les pentes, vers les parties les plus déclives. La vitesse de leur marche est variable et toujours commandée par l’in- clinaison des plans. Aussi, tantôt elles cheminent calmes etinoffensives ; tantôt elles s’élancent avec emportement et entrainent les obstacles qui s'opposent à leur course tu- multueuse. Ainsi sollicitées par un assemblage de pentes et de chutes diverses, les eaux pluviales qui tombent sur des points, soit voisins, soit très-distants les uns des autres, se réunissent dans les plis, dans les fossés, dans les gorges, et successivement dans les lits des torrents, des ruisseaux, des rivières et des fleuves, qu’elles par- courent dans toute leur longueur en modestes filets, ou en masses imposantes, pour aller se confondre avec les eaux de la mer. D'où il devient évident que les montagnes, les collines VINGT-QUATRIÈME SESSION. 43 et les dépressions de tout ordre qui existent à la surface des continents, ont pour effet de présenter aux eaux plu- viales des plans inclinés qui les mettent en mouvement ; de les diriger successivement, de dépression en dépres- sion, dans les lits des torrents, des ruisseaux, des rivières et des fleuves; et de rassembler ainsi en masses puis- santes de légères couches d'eaux venues d’une infinité de points qu’elles recouvraient à peine de quelques centi- mètres ou de quelques millimètres seulement. C’est donc en vertu de la constitution actuelle de la sur- face des continents que s'opère l’agglomération des eaux pluviales, et que les cours d’eau s’établissent. D'où il suit que si, dans un même jour, tous les af- fluents, ou plusieurs affluents d’une rivière ou d’un fleuve fournissent des tributs extraordinaires provenant de très- fortes précipitations de pluies, cette rivière ou ce fleuve pourra prendre des proportions énormes, sortir impétueu- sement de son lit, et se répandre en fléau dévastateur sur les terres et les plaines livrées à ses débordements. Observation. — Des deux démonstrations qui précè- dent, nous pouvons conclure que les inondations ont pour causes premières ou absolues, les chutes extraordinaires des eaux pluviales, et l’existence des montagnes de tout ordre et de toutes les aspérités et inégalités du sol. Là est l’origine du mal. C’est là aussi qu’on devra ap- pliquer le remède, quel qu'il soit, pour opérer d’une manière efficace, en attaquant le mal à la racine. J'arrive ainsi à la seconde partie de cet entretien, à la question de savoir comment se forment les inondations. 20 Comment se forment les inondations. — Messieurs, lors des grandes pluies, l’inondation se forme, pour ainsi 14 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dire, partout où la pluie tombe par précipitations consi- dérables. Ce sont d’abord des filets épars qui se montrent simul- tanément dans les plis, dans les simples sillons, dans les dépressions étroites et légères de la surface du sol. Peu à peu, et en quelques instants, ces filets grossissent et débordent en prenant la teinte des terres qu'ils délayent et qu'ils entraînent dans leur marche. Puis, ils se fon- dent, ils se mêlent, ils s'unissent les uns aux autres, ils s'amalgament dans les dépressions médiocres, dans les lits devenus trop étroits des torrents et des ruisseaux. Ceux-ci roulent en mugissant ces eaux colorées et épaisses dans les lits des rivières, qui s’enflent successi- vement par les nombreux volumes d’eau qu’elles recoi- vent de tous côtés. Bientôt ces rivières elles-mêmes débordent parce que leurs berges, leurs digues, leurs chaussées sont impuis- santes à contenir ce volume extraordinaire de liquide. Et comme elles grossissent toujours dans leur course en s'adjoignant de proche en proche de nouveaux torrents, elles versent dans le fleuve, par de larges embouchures, des tributs effrayants. Si la plupart des affluents du cours d’eau principal ont recu les précipitations d’une pluie à peu près générale, ils fournissent presque simultanément des contingents énor- mes. Alors le fleuve grandit et s'élève menaçant. Sa masse d’eau toujours croissante ondule, bondit, tourbillonne sur les obstacles de tous genres, charriant, avec des bruissements divers, des sons vagues et confus, les ar- bres, les meubles et les corps animés ou sans vie, que le fléau a violemment emportés. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 15 Çà et là, dans certains sites creusés en défilé, le fleuve, contenu par les berges élevées d’un lit profond, s’irrite de la gêne qu’il éprouve ; il bat avec violence et s'efforce inutilement de déraciner la base des rochers escarpés, témoins immobiles de tant de courroux. Mais, dans d'autres sites où le lit du cours d’eau s'étale en quelque sorte sans berges et à peu près de niveau avec les terres voisines, le fleuve trouve là une ample liberté à ses débordements. Alors il franchit ses bords, les chaus- sées et tous les ouvrages de défense; il pousse ses lames envahissantes bien au loin sur les plaines et dans un vaste horizon où il promène à son gré le ravage et la mort. Alors, Messieurs, l’inondation est devenue un fait ac- compli : aucune puissance humaine ne saurait s'opposer à sa marche, car la masse de l’eau a acquis une force immense, irrésistible. Alors, le plus sage parti à prendre, c’est de fuir devant le fléau et de lui abandonner son vaste champ d’occu- pation. Inutilement on chercherait à lui opposer des obstacles : le fléau doit continuer sa course tumultueuse ‘ et ses fureurs, qui répandent au loin le deuil et la déso- lation, ne peuvent cesser que par l'épuisement. Voilà, Messieurs, comment se forment les inondations ; voilà le résultat funeste qu’amène l’action simultanée des deux causes dont nous avons parlé plus haut, savoir : les chutes irrégulières des pluies et les diverses inégalités qui hérissent la surface des continents. Le mal est ainsi complétement connu. Mais, pour appliquer à ce mal un remède efficace, fau- dra-t-il détruire les causes premières ou absolues des inondations ? 16 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Cela est impossible : la puissance humaine ne saurait obtenir de pareils résultats; car on ne peut empêcher que les pluies ne tombent capricieusement sur les hau- teurs et que leur agglomération ne tende à former plus bas d'impétueux courants. On ne saurait non plus abaisser les montagnes et les égaler au sol de la plaine ; et en suppo- sant que ce nivellement puisse avoir lieu, il en résulterait un mal pire que le premier. La surface de notre globe de- viendrait stérile et inhabitable, parce qu’elle serait des-. séchée pendant une grande partie de l’année , ainsi qu'il a été démontré ci-dessus, $ 2 de la première proposition. Le mal est-il donc sans remède et ne doit-on opposer que la résignation aux irruptions du fléau et à son œuvre de destruction ? Loin de nous cette pensée désespérante ! Car l’admi- rable harmonie qui règne dans cet univers nous porte à admettre que, pour chacun des maux qui affligent l'hu- manité, Dieu a placé le remède à côté du mal, et qu'il laisse à l'homme le soin de le découvrir et de l'appliquer. Sans doute , les causes premières ou absolues des inon- dations continueront à subsister telles qu’elles sont. Mais on pourra les empêcher d’occasionner aucun dégât, de nuire en aucune manière; et ce sera là un véritable remède à tant de maux. On pourra combattre victorieusement le fléau des inon- dations; maitriser ses causes, diriger l’action de ces cau- ses, et même les contraindre à produire désormais des effets avantageux, utiles à l’agriculture, à l'industrie, au com- merce et à l’économie domestique; trop justes et tardives compensations d'immenses ravages déjà commis par ce fléau. J'arrive ainsi à la troisième partie de cet entretien. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 17 3° Moyens préventifs qu'il convient d'opposer au fléau des inondations. — Messieurs, c’est ici la partie pralique de mon travail : il s’agit de supprimer le fléau des inondations. Je vais esquisser à grands traits le pro- cédé à suivre pour parvenir à cet heureux résultat. Empècher les inondations peut paraître, au premier abord, une entreprise inexécutable. Cependant, messieurs, la chose est possible. Mon opinion est telle; je l'ai émise, celte opinion, avant l’inondation du moïs de mai 1856, dans mon ouvrage intitulé : La Science des Fontaines, pages 446 et 447. Je pense qu'il n’est pas impossible d'empêcher les inondations, et que la question de savoir si l'on pourra contraindre les grandes rivières et les fleuves à ne plus sortir de leur lit ne renferme pas d’au- tres difficultés que celles de la question financière qui s'y rattache nécessairement. Pour comprendre la possibilité d'exécution de ce vaste projet, il suffit de considérer que, pour la généralité des contrées de la France, le volume d’eau qui fait déborder les rivières et les fleuves n’est environ que 4/80 de 1/8 ou 1/540 de la quantité moyenne des eaux pluviales. Cette quantité d’eau, qui fait déborder les rivières et les fleuves, passerait inapercue si elle était partagée égale- ment entre tous les jours de l’année, et elle ne doit son importance qu'à son agglomération soudaine. Ce résultat numérique fait déjà prévoir la possibilité d'arrêter une quantité d’eau relativement si faible. Au surplus, ce résultat numérique (1/640), que je viens de donner comme mon assertion personnelle , n’est pas une hypothèse; car il a été amené en l’appuyant sur des faits connus, ou du moins bien avérés, et qui ont été cons- IT 2 18 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, tatés dans les quatre grands bassins hydrographiques de la France, par des observations nombreuses, par des opé- rations soignées et par des calculs exacts. Comme moyens à employer pour arrêter cette quantité d’eau relativement faible, j'ai décrit deux procédés qui tendent l'un etl’autre au même but. Dans les applications on pourrasuivre, soit l’un, soit l’autre de ces procédés, ou tous les deux concurremment, selon les accidents de ter- rain que peut présenter une même localité et selon le ré- sultat que l’on se propose d'obtenir. Ces moyens tirent leur efficacité de ce qu'ils n’atten- dent pas pour agir que l’inondation ait acquis une force irrésistible. Ils portent en eux-mêmes un remède qui attaque le mal à la racine ; car ils se placent à la source du mal pour lutter en quelque sorte corps à corps contre les causes premières ou absolues des inondations, et pour arrêter au point mème de départ le développement de leurs-effets. Voici, en peu de mots, en quoi consiste le premier procédé : Après avoir évalué préalablement en mètres carrés l'étendue des surfaces dont les eaux pluviales vont se réunir par pentes naturelles dans chacune des diverses dépressions de terrain que présente un site quelconque; On établira dans tous les plis du terrain, dans tous les fossés, dans toutes les gorges, dans chaque vallon, dans chaque vallée des barrages suffisamment élevés et for- mant des bassins capables de contenir les eaux des plus fortes pluies connues, qui se réunissent dans ces dépres- sions et dont le volume de la masse agglomérée doit être calculé d'avance. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 1 Par le moyen de ces barrages de facile exécution et formant des bassins de diverses grandeurs, les eaux plu- viales se trouveront arrêtées dans le voisinage des sur- faces partielles qui les auront reçues , ou tout au moins avant qu’elles aient parcouru un long trajet et qu'elles aient acquis une impétuosité redoutable. Les eaux pluviales, ainsi arrêtées sur une multiplicité de points du bassin hydrographique d’un fleuve, ne des- cendront pas dans les torreñts, dans les ruisseaux; elles ne viendront pas grossir les rivières; et le lit du fleuve, manquant de cet énorme contingent, pourra contenir, dans toutes les circonstances , les eaux qui lui arriveront directement des nuages, et celles qui lui seront four- nies par les divers affluents. Ce cours d’eau ne sortira donc plus de son lit. Telle sera, messieurs, l'utilité immédiate des barrages construits sur les sites plus ou moins élevés, formant des bassins de capacités diverses. De plus, ce premier procédé a pour but de détruire par la division l'effet qui a été produit par la multiplication ; de diviser, de subdiviser les masses d’eau qui arrivent dans les bassins des barrages. A cette fin, d’un côté ou des deux côtés de chaque bas- sin, il faudra ouvrir un canal principal que l’on poursui- *vra aussi loin que la disposition des surfaces pourra le permettre. Ce canal se divisera en un très-grand nombre d'embranchements, en fossés, en rigoles qui se subdivise- ront en une multiplicité de sillons. C'est en vertu de ces divisions et de ces subdivisions successives que l’on pourra parvenir à maîtriser ces mas- ses d'eau qui font déborder les fleuves et occasionnent des inondations. Heureuse application physique de l'étrange 20 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. maxime florentine : Diviser pour régner, émise dans un tout autre ordre d'idées. Voilà, en peu de mots, l'analyse du premier procédé. Le second procédé consiste dans la création de fontai- nes nouvelles. Il se trouve décrit in extenso dans mon livre intitulé : La Science des Fontaines; et aussi, mais avec des variantes, dans mes études sur les inondations. En terminant cet entretien, je réponds à deux ques- tions très-logiques et qui se présentent naturellement à l'esprit. Voici ces questions : Quel temps faudra-t-il pour exécuter le projet proposé, ét quelle sera la dépense approximative occasionnée par les travaux ? Messieurs, relativement à la durée de l'exécution du projet, j'estime que l’espace de douze à quinze mois suf- firait, en employant le concours continuel de cinq à six mille ouvriers par département. Relativement à la dépense, mes calculs établissent que, pour clore définitivement, dans les quatre grands bassins hydrographiques de la France, la longue et lamentable histoire des désastres causés par les inondations, il fau- drait une somme d'environ 365 millions. Je termine ici cette communication, etje prie le Congrès de vouloir bien accepter l'hommage de ce livre que je dépose entre les mains de notre digne président. Le président remercie M. Dumas de son impor- tante communication, et invite les membres qui VINGT-QUATRIÈME SESSION. 21 auraient des observations à présenter sur la lecture qui vient d’être faite à se faire connaitre. M. Ernest Mahias, avocat à Rennes, a la parole. Il y a deux sortes de moyens à opposer aux inonda- tions : les moyens préventifs et les moyens répressifs. Le premier moyen préventif, aux yeux de M. Mahias, est le reboisement. Le président fait observer à M. Mahias que, pre- nant la parole hors son tour d'inscription, il doit se borner à présenter des réflexions sur le mémoire de M. Dumas. M. Mahias, répondant à l'invitation du prési- dent, expose les difficultés pratiques du procédé de M. Dumas et fait comprendre le danger qu'il y aurait, pour l’agriculture, à employer pendant quinze mois consécutifs, plus de 500,000 ouvriers aux travaux de barrage et de division des eaux. M. Challe, membre du conseil général de l'Yonne, à Auxerre, demande la parole et fait observer que, pour rendre plus facile la discussion d’une question aussi complexe que celle des inondations, il lui parait convenable d'entendre d’abord la lecture de tous les mémoires et l’exposition de tous les systèmes, avant d'ouvrir le débat sur chacun d’eux. Cette proposition ayant été adoptée, la parole est donnée à M. Philippe Breton, ingénieur des ponts et chaussées, à Grenoble, deuxième inscrit. 22 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Breton présente des observations verbales qui peuvent se résumer ainsi : M. Breton croit inutile de revenir sur les causes des inondations exposées précédemment par M. Dumas. Il'insiste seulement sur la forme qu’affectent, à un certain point de leur parcours, les torrents de nos montagnes des Alpes. On remarque au point où le torrent arrive dans la vallée, ce que les hommes spéciaux ap- pellent cônes de déjection, c'est-à-dire une masse évasée de terre végétale sur les extrémités et de graviers au centre. Un bourg ou un village est ordi- nairement placé au sommet du cône, par exemple le bourg de Domêne, placé à l’extrémité amont du cône de déjeclion formé par le torrent de ce nom. Suivant M. Breton, l’homme est impuissant à arrêter les eaux, à supprimer les inondations. On ne peut songer qu'à retenir les matériaux, à arrêter les ravinements dans les parties supérieures des torrents. Trois moyens principaux ont été proposés né prévenir les inondations. Le premier est le reboisement. Le reboisement serait extrêmement coûteux. D'ailleurs, il y a beaucoup de bassins qu'on ne peut reboiser, soit à cause de la pente excessive, YINGT-QUATRIÈME SESSION. 23 soit à cause de la nature rocailleuse de leurs flancs : le bassin du Manival qui passe à Saint-Ismier, village situé sur la rive droite de l'Isère, à quelques kilomètres en amont de Grenoble, par exemple. Lorsque les bassins ont peu d’inclinaison, leurs bords sont occupés par des prairies ou par des ter- rains cultivés. Il serait fâcheux de détruire les prairies, qui for- ment une des principales richesses des pays de montagnes. Quant aux terrains cultivés, on ne peut dépouiller les propriétaires sans une indemnité préalable. L’expropriation serait très-mal vue des habitants ; elle nécessiterait des dépenses énormes. Il faudrait d’ailleurs une loi nouvelle. Le reboisement, utile et possible sur certains points, ne peut être appliqué d’une manière générale. Le second moyen consiste dans les fossés hort- zontaux (1). (1) Un agronome du département du Var, M. Lambot-Mira- val, conseille d'établir à la place des barrages, trop coûteux pour les particuliers, des fossés creusés dans le sens transversal aux pentes et munis d'an large déversoir à leurs extrémités ; il en indique le plan et les excellents résultats, d'après son expérience personnelle. Le conseil général du Var (séance du 28 août 1856), sur le rapport de M. le préfet, a recommandé au gouvernement le système présenté par M. Eambot-Miraval comme le plus favorable au reboisement des montagnes (La Provence au point de vue des bois, etc., page 26). LA CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Ce moyen serait encore trop coûteux. Il n’est sérieusement applicable que là où les propriétés n’ont pas de valeur et où le racher ne se trouve pas rapproché de la surface. Le troisième moyen consiste dans les barrages. M. Breton ne revient pas sur l'impossibilité, au moins relative, des barrages qui auraient pour but de retenir les eaux. Il ne regarde comme pratiques que les barrages ayant pour but de préserver les cônes de déjection du sable, du gravier et des blocs, notamment les barrages proposés par M. Gras, ingénieur en chef des mines {1}. (1) M. Scipion Gras, chargé du service spécial des cartes géologiques agronomiques des départements de l'Isère, de la Drôme, de Vaucluse et de la Corse, et de l'étude géologique et météorologique des torrents des Alpes, a publié, en 1846, un volume très-intéressant : Recherches sur les causes géologiques de l’action dévastatrice des torrents des Alpes. M. Cunit, ingénieur en chef des ponts et chaussées, a aussi publié deux écrits remarquables sur les cours d’eau. Le premier est intitulé : Endiguement de l'Isère et assainis- sement de la vallée du Graisivaudan, entre la frontière de Savoic et la ville de Grenoble. — Grenoble, 1851, grand in-8 de 197 pages, avec cinq planches explicatives. Le second a pour titre : Etudes sur les cours d'eau à fond mobile. — Grenoble, 1855, in-folio, de xxur-225 pages; plus, 28 pages de notes et 1x figures. Ce dernier travail, autographié, n'a été tiré qu'à un très-petit nombre d'exemplaires. — Il est difficile de rencontrer une pu- blication aussi riche en détails pratiques sur les cours d'eau des Alpes, et sur les moyens fournis par la science pour prévenir leur action dévastatrice. : YINGT-QUATRIÈME SESSION. 29 M. Breton expose en peu de mots la théorie des barrages successifs, et saisit cette occasion pour montrer quels travaux gigantesques seraient rendus nécessaires par la construction des barrages destinés à retenir les eaux. Enrésumé, M. Breton est d'avis qu’il faut accueillir avec beaucoup de réserve les projets qui ont pour but de supprimer les inondations ; qu’il faut faire la part du mal et travailler surtout à retenir les débris de toute nalure en amont des cônes de déjec- tion, à l’aide des barrages à fissures ou, si l’on peut s'exprimer ainsi, à claire voie. La séance est levée à-une heure de l'après-midi. SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE; La séance s'ouvre, à onze heures, sous la prési- dence de M. de Brive, élu président définitif de la seclion dans la séance précédente. Le procès-verbal de la séance du # septembre est lu et adopté. M. Dumas expose le second procédé préventif ‘que l’on pourrait employer, selon lui, contre les inondations. 26 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Ce second procédé consiste dans la création de fontaines nouvelles. Il faut utiliser les eaux pluviales arrêtées par les barrages ; ces eaux sont destinées à saturer le sol des bassins, à traverser des filtres qui leur seront préparés et à produire souterrainement des sources qui fourniront des eaux potables et serviront aux irrigations. Les travaux nécessaires pour arriver à ce but seront différents, suivant qu’ils devront être établis dans les faibles dépressions ou dans les grandes dépressions. Dans les faibles dépressions, à la partie la plus basse du bassin, on creusera un ou deux puits ronds de deux mètres de diamètre. Dans les terrains diluviens ou alluvions anciennes, terrains très-absorbants par leur nature ou par le mode de leur agrégation, il suffira de creuser ces puits à trois mètres ou seulement deux mètres de profondeur. f Dans les terrains compactes, ces puits devront descendre jusqu’à la rencontre d’une couche absor- bante. Lorsqu'on aura rencontré une couche absorbante à quatre ou six mètres de profondeur, on comblera ces puits par moitié, d’abord avec des cailloux, ensuite avec du gravier et du sable ; on continuera ce rem- blai jusqu’à un mètre au-dessous du sol, en l’éten- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 27 dant en dehors, de manière à dépasser d'un demi-mètre ou même davantage la circonférence du puits. Les puits moins profonds seront remblayés de la même manière. . Ces puits, appelés puisards, boittout ou bétoi- res, absorberont en peu de temps la totalité des eaux pluviales qui doivent passer dans les faibles dépressions de la surface du sol. Les eaux absorbées par ces boittout iront sortir claires, pures et fraîches sur quelques points voisins, où elles formeront des fontaines nouvelles. M. Dumas, s’étayant des observations du savant et regrettable Arago, et de l'existence d’un grand nombre de puits absorbants dans la Normandie et dans plusieurs autres provinces, affirme que ces puits ont toujours réussi. Si l’on ne rencontre pas une couche absorbante à quatre ou six mètres de profondeur, on pratiquera un trou de sonde descendant jusqu’à une couche absorbante, et l’on obliendra ainsi un puits arté- sien absorbant, qu'Arago appelle fontaine arté- sienne négative. Il existe en France plusieurs puits de ce genre. Dans les grandes dépressions on pourra établir des puits artésiens absorbants ; mais si l’on veut obtenir, sur un point déterminé d'avance, des fon- 28 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. taines nouvelles, il faudra procéder autrement, quoique toujours d’après le même principe. Voici, en quelques mots, ce procédé, dont il est assez difficile de comprendre les détails, si lon n’a pas sous les yeux des planches dont M. Dumas a heureusement accompagné son ouvrage sur les inondations. Afin de faire passer sous terre et en peu de temps toutes les eaux pluviales que recoivent les diverses surfaces dont l’ensemble constitue le bassin hydro- graphique de la vallée, on creusera dans toute l'étendue de la vallée et dans le fond des bassins produits par les barrages , des canaux ou tranchées, dont une seule longitudinale et les autres transver- sales, allant en s’évasant de bas en haut comme un entonnoir. On revèêtira ces tranchées de murs en pierres sèches jusqu’à 0"50 de hauteur; on pavera le fond et l’on couvrira les canaux avec de fortes dalles. On disposera ce réseau de tranchées de manière que toutes les cavités transversales s’inclinent vers la tranchée longitudinale destinée à recevoir le tribut des tranchées transversales. La tranchée longitudinale sera, suivant la pente de la vallée, continue ou coupée par des cascades. On remplira successivement le vide des tranchées, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 29 au-dessus des dalles , avec des cailloux, du gravier, du sable et de la terre jusqu’au niveau du sol. De là, création de véritables filtres. Il sera facile d’ajouter à l'extrémité inférieure de a tranchée longitudinale un réservoir qui deviendra le point de partage des eaux et le régulateur des fontaines. Si l’on veut créer des fontaines d’eau potable, on devra construire ce réservoir en maçonnerie, le voûter et couvrir la voûte d’une épaisse couche de terre pour conserver à l’eau sa fraîcheur. Du réservoir régulateur, on dirigera les eaux vers lès points où l’on voudra établir des fontaines per- manentes. Ces fontaines procèdent du mème principe que les fontaines établies par la nature. En effet, d’après les meilleurs dictionnaires, une fontaine naturelle est une eau vive qui sort dé terre, d’un réservoir, ordinairement creusé par la na- ture et alimenté par les eaux pluviales. Le réservoir peut donc être creusé par l’homme : c'est ce qui a presque toujours lieu pour l’établis- sement des fontaines publiques. Ce second procédé peut être employé commé moyen d'irrigation, et peut créer à l’industrie d’in- nombrables moteurs. Les éléments du fléau auront été ainsi transfor- 30 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. més en sources de biens , et il résultera de l’appli- cation de ce procédé des produits très-considérables, capables de couvrir une forte partie des dépenses. Ces dépenses, suivant M. Dumas, relatives au second procédé, sont à peu près les mêmes que celles du premier procédé. — Les tranchées du se- cond procédé ont moins de développement que les canaux et fossés du premier, et le second procédé dispense de l’acquisilion du terrain nécessaire à l'établissement des canaux ou fossés du premier. M. Dumas termine en résumant les heureuses conséquences de son système, dont l'application aurait pour but de transformer une cause si an- cienne de malheurs en une source intarissable de profits (1). La parole est donnée à M. Segond-Cresp, vice- président, qui désire présenter des observations sur le système de barrage et de division des eaux exposé par M. Dumas dans la séance précédente. M. Segond-Cresp, développant l’ordre d'idées dans lequel était entré M. Ernest Mahias, dans la deuxième séance, fait sentir quelles dépenses énor- mes entrainerait l'application du système de M. Du- mas. (1) Ces idées se trouvent développées dans l'ouvrage de M. Dumas, intitulé : La Science des fontaines, ou moyen sûr et facile de créer parlout des sources d'eau potable, in-8 de 500 p., 12 planches. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 31 M. Segond-Cresp discule les chiffres de M. Du- mas. En fixant le prix de la journée à 2 fr., et en prenant pour base 300 journées par an, les 6,000 ouvriers de M. Dumas coûteraient 381,800,000 fr. pour 15 mois. [l faut ajouter tous les frais d’achat de terrains, etc., qui doubleraient cette dépense. Aux yeux de M. Segond-Cresp, ce système serait désastreux pour les finances publiques et privées. M. Dumas a la parole : M. Segond-Cresp trouve trop minime la somme de 365,000,000 de francs pour le total des dépenses occasionnées par l'exécution des moyens que je propose, et estime que la dépense seule affectée aux ouvriers s’élèverait de beaucoup au-dessus de 365 millions de francs, si l’on employait de cinq mille à six mille ouvriers par département, et pendant douze ou quinze mois. Messieurs, voici des résultats de calculs qui ré- pondent à l'observation de l’honorable M. Segond- Cresp : | Sur la dépense totale de 365,000,000, la main- d'œuvre figure pour les sommes suivantes : Savoir : 187,500,000 f. pour le bassin du Rhône ; 68,040,000 pour le bassin de la Garonne ; 99,340,000 pour le bassin de la Loire; kk,505,000 pour le bassin de la Seine. 399,385,000 32 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le restant de la dépense ne comprend que les 11/1000 de ce total. Or, Messieurs, le mois est de vingt-cinq jours de travail ; dans quinzé mois, on a trois cent soixante- quinze journées. Je prends 1 fr. 50 pour le prix moyen dé la journée dans les localités élevées, où la presque totalité des travaux devraient être exécutés. Ce prix moyen, je ne lai pas adopté arbitrairement ; il m'a été fourni par l'administration des chemins vicinaux, par MM. les agents voyers. Ces employés font exécuter journellement des travaux de terrassement analogues à ceux que j'ai indiqués. En partant de cette base, un ouvrier gagnera, pendant quinze mois, 560 fr. en nombre rond. Cinq mille cinq cents ouvriers gagneront, pen- dant la même durée, et dans un département, 3,080,000 fr. Cetle somme étant mullipliée par le. nombre des départements qui nous occupent, donne 261,800,000 fr. | Nous n’arrivons ainsi qu’à la somme de 261 millions 800,000 fr. pour la dépense des ouvriers, en partant d’une base qui nous a été fournie par une administration compétente. Et quand mème nous prendrions 2 fr. comme prix moyen de la journée, base qui a été adoptée par M. Segond-Cresp, nous ne trouverions, pour VINGT-QUATRIÈME SESSION. 33 toute la dépense rélative aux ouvriers, que 348 millions 800,000 fr. Ce résultat est encore au-dessous de 359,385 ,000 francs, somme indiquée plus haut. On peut calculer par journées si l’on veut. Quant à moi, j'ai calculé par mètre cube. Le prix moyen qui m'a été fourni par l'administration des agents voyers est de 0 fr. 25 par mètre cube de déblais, et celte base m'a conduit au résultat que j’ai fait connaître. Au surplus, je n’ai donné ce résultat que comme un simple aperçu; d'où il suit, à mon point de vue, que l'observation de M. Segond-Cresp ne s'attache qu'à un point de peu d'importance. À mon point de vue encore, la chose essentielle à discuter dans mon travail, c’est la question de savoir si cet exposé est fondé sur des principes admis où admissibles, et si les procédés. que J'indique sont applicables et de facile exécution. Quant à la question de la dépense d'argent, elle est, selon moi, tout à fait secondaire. M. Robiou de la Tréhonnais, propriétaire à Falmouth (Angleterre), vice-président de la section, demande la parole, qui lui est accordée avec d’au- tant plus d’empressement, que ce savant agronome es! l’auteur de la chaleureuse allocution prononcée en faveur de l’agriculture, dans la séance générale d'ouverture du Congrès. IT 3 34 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. de la Tréhonnais déclare qu'il n’est point im- génieur et qu'il ne connaît que très-peu les pays éprouvés par les grandes inondations. Son but est plus modeste que celui de ses collègues: 1l tient simplement à exposer au Congrès les faits qu'il a observés en Angleterre. Le principal objet de ses observations a été Île comté de Lincoln, situé à l’est de la Grande-Bre- tagne, et occupant à peu près le milieu de la plage orientale de l'Angleterre. Là existe un vaste bassin, appelé le Wash, com- posé principalement , dans des temps plus où moins reculés, de marais fertiles, dont la surface est de 16 à 18 mètres en contre-bas du niveau des hautes marées. Cet immense bassin, qui a pour limite à l'est la mer, est borné, sur les autres points, par des montagnes ou des hauteurs ayant leur configu- ration spéciale. | Le Wash, dont la conquête a commencé sous les Romains, présente encore les vestiges imposants des digues élevées par les maîtres du monde. Ces di- gues ont été reculées il y a environ un siècle. Le bassin alluvial du Wash, jadis d’une fertilité inouie, était devenu complétement stérile et inhabitable par suite de l'impossibilité où l’on se trouvait de le garantir des inondations qui, à intervalles très-rap- prochés, venaient chaque année détruire les cultures, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 59 et à cause de l’insalubrité résultant du séjour des eaux pluviales retenues par les digues construites pour le défendre contre l’invasion non moins redoutable de la mer. Trois rivières traversent en effet ce bassin. Ces trois rivières recevaient les eaux pluviales d’un versant touchant à cinq comtés; et constituaient l’u- nique drainage du pays. Aussi ces trois cours d’eau, débordant à la moindre pluie, remplissaient les marais et les convertissaient en un lac immense: Cette situation était vraiment critique et digne d’exciter l'esprit d'invention et le caractère auda- cieux de nos voisins, qui ont généralement précédé, nous devons Pavouer, tous les autres peuples dans la voie des progrès matériels. Les ingénieurs anglais n’ont pas hésilé à mettre la main à l'œuvre : ils ont réussi. Aujourd’hui ce vaste marais est couvert de villes et de villages ; l'air y est devenu d’une salubrité pro- vérbiale, et la végétation, désormais à l’abri des inondations de toute nature, rendues presque im- possibles, y est d’une vigueur admirable. . Ce miracle a été opéré par un procédé bien sim- ple. On a creusé, le long de la base des collines qui terminent le bassin du côté de la terre, un canal dont le but est d’intercepter et de recevoir loutes les eaux se répandant autrefois dans la plaine. D'abord ce canal portait, au moyen d’un aqueduc placé au- 30 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dessus du niveau de la mer, les eaux pluviales sur le rivage mème. Mais, plus tard, les ingénieurs trouvant des inconvénients, au point de vue de la salubrité, sans doute, à laisser les déversoirs pla- cèés aux deux extrémités du canal, si près de la terre ferme, ont prolongé ce canal jusqu'à environ un kilomètre dans la mer. Pour cela, ils ont placé des fascines que les alluvions maritimes ont recouvertes. Cette construction singulière, complétée par quel- ques travaux, a formé deux digues d’un nouveau genre, sur chacune desquelles on a établi un fossé terminé par le déversoir actuel. Voilà qui est très-bien, dira-t-on, pour recueillir les eaux pluviales qui descendent des montagnes entourant le bassin. Mais à quoi sert ce canal de ceinture pour les eaux pluviales tombant directe- ment sur la surface de la plaine ? — Le génie anglais a prévu l’objection et l’a résolue. Les eaux de la plaine sont reçues dans une multitude de fossés qui les déversent dans des réservoirs que l’on vide dans le canal latéral au moyen de machines hydrau- liques très-puissantes. M. de la Tréhonnais indique ensuite les autres moyens-plus généraux employés en Angleterre pour prévenir les inondations. On a indiqué jusqu'ici les moyens applicables dans les bassins supérieurs des cours d’eau; mais VINGT-QUATRIÈME SESSION. 37 il ne faut pas oublier les travaux à faire. dans les parties inférieures. On n’a rien dit des vastes accumulations de sables qui se forment à l'embouchure des fleuves, des dé- tours et des sinuosités qu'offrent les rivières, des barrages établis pour les prises d’eau nécessaires à l'alimentation des usines. Il faut pratiquer sur une grande échelle le nettoiement et le drainage des embouchures des fleuves, curer et approfondir les rivières, assurer le libre écoulement des eaux, rectifier le lit des rivières, couper les coudes, régler, à l’aide d’une législation sévère, les prises d’eau des moulins et usines. M. de Brive, président, fait observer que les procédés employés dans le comté de Lincoln pour l'écoulement des eaux ne seraient applicables que sur quelques points du littoral de la France. En supposant qu’on püt Pappliquer à d’autres régions, les dépenses qu’il nécessiterait le rendraient mo- ralement inapplicable. Il n’en remercie pas moins vivement M. de la Tréhonnais de son intéressante communication. M. Adrien Sénéclauze, horticulteur à Bourg- Argental (Loire), troisième inscrit pour parler sur les première et deuxième questions du programme, ne répondant pas à l'appel de son nom, la parole est 38 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. donnée à M. Charles de Ribbe, avocat à Aix, auteur d’une publication très-remarquable (1). M. de Ribbe annonce que ses observations au- ront un caractère spécial à divers points de vue : 1° elles auront principalement pour objet les Alpes, et en particulier les montagnes et les cours d’eau de la Provence, et par suite, de la région sud-est de la France, dont Grenoble, siége du Congrès, est un des centres principaux ; 2° elles auront un caractère historique ; 3° elles embrasseront l’examen de la ju- risprudence et de la législation au point de vue de la question des inondations; 4° elles présenteront l'ensemble des moyens propres à prévenir les inon- dations. Il examinera le climat, la situation et le sol de la Provence ; il jettera un coup-d’œil sur l’ancien état forestier de la Provence ; il se demandera si la con- servation du sol en Provence n’est pas liée à une prohibition absolue de déboiser et de défricher tous les terrains en pente rapide ; il rappellera en quel- ques mots l'ancienne législation locale ; il vérifiera si les arrêts de règlement étaient exécutés ; il expo- sera ce qu’apprennent les documents administratifs sur les résultats du déboisement, des défrichements en Provence au XVITT siècle ; il rappellera les fu- (1) La Provence au point de vue des bois, des torrents et des inondations avant et après 1759. Paris, 1857, in-8° de 206 pages. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 39 nestes conséquences de la déclaration du 42 avril 1767 ; il calculera ce que la Haute-Provence a perdu de terre végétale par le déboisement avant 1789 ; il établira l'insuffisance de la législation actuelle à prévenir les inondations, et indiquera en même temps les mesures à prendre. La plupart de ses observations s’appliqueront à tous les pays de montagnes, et spécialement à la ré- gion des Alpes, qui doit être naturellement l'objet de l'attention particulière des membres du Congrès. M. de Ribbe expose qu’en 1854, ses goûts le portèrent à étudier l’ancienne administration de la Provence : c’est alors qu'il publia son livre intitulé : Pascalis, Etude sur La fin de la constitution pro- vencale (1787-1790). En compulsant les archives du Parlement, il put constater les efforts de la magistrature pour s’oppo- ser aux dévastations des torrents, et il conçut alors le plan de son nouvel ouvrage sur les inondations en Provence. L — Le climat de la Provence est variable ; le mistral, vent du nord-ouest, attribué au déboise- ment des Cévennes, y détermine ces brusques varia- tions de température si funestes aux récoltes; ces froids tardifs qui transportent dans les premiers jours de printemps la neige et les gelées de janvier. 40 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La situation topographique du pays aggrave les influences délétères du climat. Sillonnée par une multitude de cours d’eau, qui livrent à son sol une guerre acharnée, la Provence est sans cesse mena- cée. Cette situation est aggravée par l'élévation et la déclivité prodigieuse des montagnes, dont les pentes forment avec l'horizon des’ angles de 70 et même de 75 degrés. À cela vient s'ajouter la constitution géologique de son terrain, généralement schisteux et friable. Le rocher même s’y délite sous l’action des eaux, du gel et du dégel. Cette constitution géologique des Alpes a été très-bien décrite par MM. Rozet {1) et Scipion Gras. (1) Moyens de forcer les torrents des montagnes de rendre à l'agriculture une partie du sol qu'ils ravagent, et d’empécher les grandes inondations des fleuves et des principales rivières. Paris, 1856, brochure de 45 pages, avec planche contenant 7 figures. .— M. Rozet étudie d'abord la constitution géologique des mon- tagnes des Alpes. Il est d'avis qu'il faut étendre les travaux dans toute la partie du bassin de la rivière où l’on veut conquérir du terrain. Il indique ensuite quels sont les travaux à exécuter ; ces travaux, suivant M. Rozet, doivent consister en des digues criblantes, composées de quartiers de rocher laissant entre eux des vides qui permettront à l’eau de passer, en la divisant en filets; et les débris pierreux qu'elle charrie seront arrêtés. — M. Rozet examine quelle sera la dépense, et, par suite, le prix de l’hectare conquis. Ces travaux ne peuvent être entre- pris que par une compagnie, et il prouve que les travaux exé- cutés dans la partie montueuse des vallées empécheront les grandes inondations. Enfin, après avoir jeté un coup d'œil sur VINGT-QUATRIÈME SESSION. Al IL. —Dans les temps reculés, la Provence, comme le reste des Gaules, était couverte de forêts, dont la mystérieuse obscurité frappa d’une telle épouvante les soldats de César, que le grand capitaine dut pren- dre lui-même la cognée et la planter dans un vieux chêne. - Cependant les défrichements remontent à la do- mination romaine : ils furent encouragés par l’in- vasion des Sarrasins au VIII: siècle, par l’affran- chissement des communes et par les croisades. Mais, au retour de ces grandes expéditions militaires, une réaction salutaire s’opéra. Les barrages cons- truits par les Romains furent relevés, des digues furent construites, on fil même des semis. La construction des barrages du moyen-âge était très- simple : des blocs abattus des bords des ravins roulaient au fond et formaient les assises : on rem- plissait les vides avec des pierres forcées à coups de l'inondation de la Loire, en 1836, il termine par quelques réflexions sur le reboisement qui, suivant lui, ne produit pasles grands effets qu'on lui attribue. À ce propos, il citeles Etudes sur les torrents des Hautes-Alpes, publiées à Paris, en 1841, par M: Surell.— En somme, M. Rozet propose comme les meilleurs palliatifs les digues criblantes transversales placées à la gorge des bassins de réception, et les digues criblantes longitudinales placées le long du lit d'écoulement et destinées à tenir la place de nos digues continues à perré. 42 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. masse el on élevait cet empierrement en talus jus- qu'à la hauteur de la terrasse. Ainsi, les barrages, inventés, dit-on, par des in- génieurs contemporains, ont un âge fort respec- table. Tous les actes des XIV° et XV° siècles prouvent l'existence de vastes forêts. Au XVI° siècle, quelques grandes inondations sont signalées. Le déboisement commençait pour ne plus s'arrêter qu’à de rares intervalles et sur quel- ques points particuliers. Les guerres de religion firent sentir leur désas- treuse influence sur les forêts, et, dès 4605, les Etats de Provence s'inquiètent de cette situation. III. — En Provence, la conservation du sol est liée à une prohibition absolue de déboiser et de défricher les terrains pentueux. Les deux moyens les plus désastreux de défri- chement pratiqués depuis plus de trois siècles en Provence sont l’essartage et l'écobuage. M. de Ribbe ajourne les détails qu’il pourrait donner sur ce point à la séance où sera discutée la neuvième question du programme , relative à l’écobuage. IV. — Après avoir marqué l'origine, les causes el la progression du mal jusqu'à la fin du XVF° siè- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 43 cle, M. de Ribbe passe à la lutte engagée contre | TRES Le Parlement, auquel avaient fait appel les Etats, pensa qu'aux maux exceptionnels il faut des remèdes exceptionnels. Une chambre spéciale des eaux et forêts fut créée en 4704. De 1606 à 1781, un grand nombre d’arrêts généraux furent rendus. Ils sont relatifs au déboisement et aux défriche- ments, au reboisement, à la police des chèvres et à la mission des consuls de communautés. Dans des questions d’une nature si grave et dont la solution implique, — quoi qu’en puissent dire les indifférents et les égoïstes, — l'existence même de la majeure partie du sol français, et par suite de la France, M. de Ribbe croit de son devoir de re- cueillir pieusement, en les résumant, ces respecta- bles monuments de la vigilante sagesse de nos pères. Le législateur et l'administrateur de 1857 ont bien plus à glaner dans cette moisson que ne peuvent le penser des esprits superficiels qui préfèrent ne pas trouver, après de vaines recherches, dans leur raison individuelle, des remèdes consacrés et appli- qués par une expérience séculaire. Le progrès, ici, consiste à marcher en avant en s’éclairant des lu- mières du passé. — Les barrages, tant préconisés aujourd’hui et mentionnés dans une lettre adressée par le chef de l'Etat au ministère des travaux publics 4 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. (Moniteur universel du 19 juillet 1856), étaient pratiqués par les Romains : et nous ne relirions pas les arrêts des cours souveraines pour y trouver les éléments d’une bonne et forte législation | Au point de vue du déboisement et des défri- chements, les arrêts de règlement {il ne faut pas oublier que les parlements réunissaient entre leurs mains le ROBVAIS législatif et le nv peuvent se résumer ainsi : f° Point de coupe sans permission de la cham- bre des eaux et forêts, et point de permission sans un rapport préalable du commissaire de la marine. Si l’on rapproche ces dispositions de celles de notre législation forestière actuelle, on saisira facile- ment le caractère respectif des deux législations. 2 Défense absolue à tous les habitants, de quelque état et qualité qu'ils soient, d’arracher les arbustes, arbrisseaux, plantes, etc., de les couper autrement qu’au ras de ere, sans toucher aux racines. L'arrêt du 31 mai 1763 renferme une énumé- ration qu'il est bon de rappeler : cet arrèt défend d’arracher les buis, cades, genêts, lentisques, avaux, romarins, thyms, mesves et autres arbres et plantes, quelles que soient leur nature et espèce, propres à retenir la terre et à empêcher l’éboule- ment ou l'emportement par les eaux pluviales.’ VINGT-QUATRIÈME SESSION. 45 Cet arrèt est caractéristique : il fait comprendre, ce qui est rigoureusement exact pour la conservalion de la majeure partie des régions alpines, que la moindre plante est nécessaire à son économie forestière, et que sa destruction est une prime de plus assurée au fléau des inondations. Les peines les plus sévères étaient infligées aux délinquants. Les bûcherons étaient punis des galères en cas de récidive. 3° Défense absolue à toute personne de défricher les lieux penchants et ardus, boisés où non boisés, notamment ceux siluës sur les bords des rivières ; ravins et torrents. L'objection faite aujourd’hui par les adversaires du reboisement élait ainsi légalement réfutée par le parlement. En effet, les surfaces non boisées sont au moins revêtues de gazons ou de plantes qu'il im- porte de conserver. Les auteurs des défrichements non autorisés n'étaient pas seulement passibles de peines pécu- niaires, comme sous le régime des arl. 219 et sui- vants du Code forestier de 1827, mais bien aussi de peines corporelles. 4° Défense absolue aux propriétaires et usagers de couper aucune espèce d'arbustes, d’arbris- seaux, .elc., pour les brûler sur les lieux ; de faire des essarts pour meltre la terre en culture. 46 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. C'est la prohibition de l’écobuage, prohibition sanctionnée des mêmes peines que les défriche- ments. La vente du {an et l'établissement des char- bonnières et usines étaient réglementés. 9° Enfin, défense absolue aux propriétaires de bois incendiés de les semer en céréales, à peine de mille livres d'amende et de confiscation du grain; d'y introduire aucun bétail gros ou menu pendant dix ans, à peine de cinq cents livres d'amende et de confiscation du bétail. Quant au reboisement, on s’en occupait au moins autant que de nos jours. Les mesures qui avaient pour but le reboisement élaient de deux sortes : 1° Les communautés etlés particuliers qui avaient dépeuplé, défriché ou essarté les péndants des montagnes, étaient tenus d’y semer , dans un délai fixé, les essences que comportaient la qualité du sol et l'exposition des lieux. Cette mesure principale se complétait par les mesures suivantes : Interdiction du semis pour six ans aux besliaux. Procès-verbal de la contenance et des confronts des quartiers repeuplés, dressé par les consuls. Recepage des bois abroutis ou dégradés. 2 Les communautés qui n’avaient pas une élen- due suffisante de bois étaient mises en demeure VINGT-QUATRIÈME SESSION. 47 de choisir un quartier, dont la contenance ment- mum fut fixée par un arrêt à 20,000 cannes ou 8 hectares. Un point capital de la législation des parlements étail la police des chèvres. La chèvre est un animal précieux pour les pays pauvres ; elle joue, au point de vue du lait et de la viande, le rôle que joue un autre animal au point de vue des transports et de Ia locomotion : sa grande vertu est de se nourrir de peu; mais la dent de la chèvre détruit les jeunes pousses des arbres et entame leur écorce. Là où la chèvre a la liberté de dépaissance, les bois sont perdus. Le parlement voulait l’expulsion absolue et générale des chèvres. Les procureurs du pays, magistrats chargés par les Etats de l'administration provençale, obtinrent des tempéraments. On dressa un état des lieux où les chèvres seraient permises, et on leur assigna des quartiers en dehors desquels elles ne pouvaient vaguer.: Quant aux chèvres des particuliers, la chambre des eaux et forêts réglait souvent la quantité que chaque propriétaire pourrait en avoir, proportion gardée avec son allivrement. A l’occasion des règlements prohibilifs de chè- vres, M. de Ribbe fait observer que les classements de localité, opérés à la suite d’une expertise faite 48 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. par des bourgeois délégués pour un certain rayon, seraient à imiter sous quelques rapports pour les moutons et pour toute espèce de déboisement et de défrichement. Les consuls et autres magistrats de cette époque étaient chargés de veiller de la manière la plus mi- nutieuse’ à l'exécution des arrêts de règlement. V. — La puissance parlementaire produisit ainsi tout un corps de législation qui tendait sérieuse- ment à défendre le sol contre la corrosion des. eaux. Mais quels furent les résultats de cette légis- lation, et fut-elle efficace? Le dépouillement des archives du parlement et des documents de diverses natures, prouvent que des efforts considérables furent faits pour obtenir l’exécution de règlements en définitive très-sévères. Un commissaire délégué par la chambre des eaux et forêts faisait une tournée annuelle dans toute la Pro- vence; souvent des consuls étaient décrélés pour inexécution des ordonnances, notamment pour n’a- voir pas veillé à l’indue introduction des chèvres. L’incendie volontaire des bois était puni des galères à vie. Les seigneurs étaient condamnés comme les roturiers, car les défrichements étaient autant le fait des seigneurs que celui des populations rurales. Le seigneur, habitant des villes et souvent ignorant VINGT-QUATRIÈME SESSION. 49 des localités, livrait, moyennant une modique rede- Yance en nature, des terrains, que le Paysan exploitait à titre d’emphytéose. VE — Les calamités du XVIII: siècle contri- buërent à multiplier les défrichements, l'hiver de 1709 notamment. ‘Au milieu de ces désordres de diverse nature, l'intérêt privé ne tarda pas à prévaloir. On défricha tellement, qu’en 1789 ia moitié ou les deux tiers des forêts de la Provence avaient disparu. C’est en vain que des sommes furent fréquemment votées pour construire des digues. La progression ascendante des défrichements rendait inutiles tous ces ruineux palliatifs; les inondations se succédaient, et les documents administratifs de cette époque ne sont que des procès-verbaux de ruines et de désastres. À côté de ce tableau affligeant , il faut placer les efforts des administrateurs du pays, dont Ja patrio- tique intelligence devançait les conclusions de Ja Science moderne sur le dàssement des terrains. VIT. — L'ordonnance du 12 avril 1767 aug- nenta le mal en permettant les défrichements. L’in- terdiction absolue de défricher les terrains penchants et ardus faisait place au principe de la liberté tem- pérée par l’autorisation préalable. Ce régime, con- traire aux traditions, eut pour résultat d’abolir tout II 4 90 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. frein. Tous les efforts d’une sage résistance furent dès lors inutiles. Les désordres de la fin du XVIIL* siècle avaient mis le comble au mal par la publication des lois ré- volutionnaires. VILLE. — On peut se faire une idée de. la quan- tité végétale que la Provence et le bassin du Rhône ont perdue par le déboisement et les défrichements avant 1789, en se reportant aux calculs du savant ingénieur M. Surell, dont les expériences, com- binées avec celles de M. Boussingault, donnent le résultat suivant: Le débit annuel du Rhône est de 54 millions de mètres cubes d’eau, charriant 21 mil- lions de mètres cubes de limon dans une année. A la sortie du lac de Genève, la quantité de limon est presque nulle. À Lyon, le mètre cube d’eau ren- ferme 96 grammes de limon. A Beaucaire, il en renferme 482. La disparition du sol entraîne l’émigration. De là la dépopulation des malheureux départements de la partie montagneuse du bassin du Rhône, constatée par les recensements. De 1846 à 1856, la décrois- sance de la population des Basses-Alpes a été d’un vingtième environ ; la population des Hautes-Alpes, qui était de 133,000 en 1846, s'est abaissée, en 1856, à 129,000. D VINGT-QUATRIÈME SESSION. 51 IX. — M. deRibbe, avant d'examiner si la légis- lation forestière actuelle est insuffisante, présente quelques réflexions sur un mal auprès duquel l’a- battis ou l'incendie des forêts entières ne sont que . des accidents: ce malheur est celui d’une liberté mal entendue. L'esprit de Système est orgueilleux el tenace ; il aspire à tout généraliser. Îlest un principe sacré comme la liberté humaine: c'est le droit de propriété. À côté de lui, il en est un autre : celui de l'utilité publique, sans lequel Ja Société deviendrait impossible. En matière de forêts, l'esprit de système pose en principe absolu que le propriétaire d’un terrain forestier a et doit avoir la liberté indéfinie d'en user et d'en abuser. Pour lui, point de distinction entre le midi et le nord, entre les pays de plaine, préservés de toute chance d'inondation, où les bois Peuvent n’être considérés qu’au point de vue des produits, et ceux où il suffit de couper quelques arbres, d’arracher de misérables bruyères pour ouvrir lé sol à un torrent. Les difté- rences de terrain, de climat, de situation, de mœurs, S’effacent sous un même niveau légal, et les règles les plus sages, celles qui établissaient la diversité dans l’unité, sont réprouvées comme autant d’en- traves vexatoires. L'un des caractères du faux es- prit philosophique, dit l'illustre Portalis, est de 02 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tout généraliser. Cette manière est commode à la suffisance et à la paresse : elle abrêge le travail. Mais la nature ne fléchit pas ; elle réagit contre la loi du niveau. Les règles disparaissent. Les inonda- tions se généralisent. La centralisation des idées et des systèmes produit la centralisation des eaux dans le lit des grands fleuves. On a méconnu la loi de la solidarité. L'équilibre entre la montagne et la plaine a été détruit. Et voilà que les grandes cités, réser- voirs de la richesse nationale, sont périodiquement submergées comme les hameaux les plus élevés. Cet esprit d’unification et en même temps de liberté mal entendue triompha dans la législation fo- restière de la révolution. La loi du 29 septembre 1791 déclara que les bois des particuliers cesse- raient d’être soumis au régime forestier et que les propriétaires seraient libres de les administrer et d’en disposer à l'avenir comme bon leur semblerait. M. de Ribbe signale ensuite les louables efforts des administrateurs des départements des Alpes, et notamment des préfets des Hautes et Basses-Alpes, pour arrêter les progrès du mal. Il trace, avec les économistes, le tableau le plus désolant de la haute Provence. Depuis deux siècles, avant 1799, on se plaignait du déboisement. Que sera-ce donc aujour- d’hui? On se demande surtout ce qu’est devenue la zône montagneuse du bassin du Rhône au milieu de VINGT-QUATRIÈME SESSION. O3 laquelle les villes et les villages semblent perdus comme des oasis, réduits à des territoires isolés, de plus en plus rongés parles torrents et aussi éloignés de la civilisation que les déserts de l’Arabie-Pétrée, nom donné par M. Blanqui au Dévoluy, canton des Hautes-Alpes. | M. de Ribbe, passant à l’examen de notre légis- lation forestière, pense que le contraste entre la lé- gislation ancienne et la nouvelle, ressortira de son exposé. Au point de vue du déboisement, les particuliers propriétaires de bois peuvent : 1° les administrer et les exploiter comme ils l’entendent; 2° y faire dé paître en nombre illimité toute espèce de bestiaux, brebis, moutons et chèvres, quels que soient l’âge et la qualité des bois; 3° se livrer à toutes les en- treprises dont le prétexte est le nettoiement du sol, et qui, en réalité, détruisent les bois et le sol. Sauf le cas où les propriétaires veulent transfor- mer les bois en terres arables, ils ont le droit d’en user et d’en abuser. En fait, le Code de 1827 n’est pas même respecté, el il est habilement éludé. Un propriétaire, auquel l'autorisation de défricher a été refusée, n’a qu’à abattre son bois, il est dans la légalité. L'année suivante, il le détruit encore et le fait brouter. Dès la quatrième année, le terrain n’offre plus l'aspect 94 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'un bois. Le propriélaire s’empresse d’enlever les souches mortes, le défrichement est opéré sans au- torisation et le tour est joué. Une certaine jurisprudence a bien cherché à atté- nuer les effets d’une loi insuffisante; mais la juris- prudence est variable, et n’a qu'une action restreinte et isolée. M. de Ribbe examine de plus près encore les arti- cles 219 et suivants du Code forestier, reproduction un peu modifiée de la loi du 9 floréal an XE, et il la résume en disant que ce serait une grande erreur de croire que les dispositions du titre XV consacrent un système de prohibition : en principe le défri- chement n'est pas interdit : c'est le point caracté- ristique à constater. De là découlent tous les abus résumés encore dernièrement par ce mot énergique d’un préfet : « Les abus du droit de propriété dé- bordent ici de toutes parts. » Les bois des communes soumis au régime fores- tier échappent à la plupart des causes de ruine qui déciment les bois des particuliers. Au point de vue du défrichement, toute liberté ou plutôt toute licence est laissée par le Code fo- reslier, dont les articles prohibitifs ne s'appliquent qu'aux terrains couverts d’essences forestières : ar- racher, écobuer, faire disparaître, tout est permis. Et les aveugles montagnards en profitent. Il est en VINGT-QUATRIÈME SESSION. 95 effet absurde de s’en rapporter à l'intérêt particulier comme à un guide sûr auquel on peut se confier. Le péturage est libre, le droit de parcours n’est pas réglementé. Or, quelle cause plus puissante de dégradation des bois et du sol? « L'œuvre de des- truction qui s’accomplit aujourd’hui sous nos yeux, écrit M. de Bouville, préfet des Basses-Alpes, dans un rapport, est le résultat de l’imprudence des hom- mes et de l'insuffisance de la législation. Le dé- boisement est la première, le pâturage est la se- conde. »- Cinq ou six cent mille moutons, véritable plaie d'Egypte, se rendent chaque année des plaines d’Arles aux pâturages des Alpes. Ici M. de Ribbe insiste sur un fait qu'il affirme d’une exactitude parfaite et auquel il attribue une grande importance. * On croit généralement les populations des Alpes soumises aux nécessités de la vie pastorale; on croit que nos montagnes ne pourraient se passer de mou- tons. C’est une grave erreur. La plupart des com- munes et des particuliers ne possèdent en réalité que fort peu de moutons : et encore les habitants se contentent-ils d’engraisser ces quelques moutons pendant l’hiver dans les étables. Les immenses trou- peaux dont sont surchargées les montagnes appar- tiennent à des spéculateurs étrangers, à de riches habitants de la plaine d'Arles et de Marseille, par 56 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. exemple, qui louent les pâturages. Les troupeaux vont dévaster les régions des Alpes, et l'argent sou- vent s’en revient avec eux : le prix de fermage est compté dans la plaine, dans les villes de la basse Provence. Voilà la grande source du mal. Est-il juste de tolérer cette double exploitation de la montagne par la plaine ? C’est une question de vie ou de mort pour le sol et la population des Alpes. Il faut la résoudre. Invoquera-t-on l'intérêt général qui s'attache à la production de la viande ? — Les coussous de la Crau peuvent suflire aux troupeaux transhumants. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas suivre l'exemple du rare esprit de conservation que nous donne, au sein de la plus entière liberté, la Suisse républicaine ? Pourquoi ne pas classer les montagnes en trois ré- gions suivant les animaux : la région des chevaux, celle des vaches, celle des chèvres et des moutons? Eafño, on peut utilement remplacer le parcours par l'éducation à l'étable (1). Le Code ne s’est occupé du reboisement ‘qu’à deux points de vue. Le propriétaire convaincu d’a- voir défriché son bois sans autorisation, doit être condamné à rétablir les lieux en nature de bois (art. 220 et 221). Mais il ne s’agit ici que de la ré- (4) Voir le procès-verbal de la séance du 12 septembre 1857. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 57 paration du mal commis, réparation nécessairement insuffisante et illusoire, puisque l’abroutissement n’est pas prohibé. - Dans le second cas, le législateur a voulu encou- rager, par une exemption d'impôt pendant vingt ans, ceux qui se livrent à des semis et à des plantations. Les résultats pratiques de cette disposition sont nuls ou à peu près : cette prime est loin en effet de com- penser les intérêts du capital employé à de sem- blables travaux. D'abord, avant de reboiser, il faudrait empêcher de déboiser. Ensuite, si l’opposition d’un seul des propriétaires d’un vallon suffit pour arrêter le reboi- sement, il ne faut plus parler de reboisement. Le droit de propriété sera respecté, mais la propriété disparaîtra. Telle est la législation forestière de la France. C’est dire assez, pour résoudre la deuxième ques- tion du programme, que cette législation est incon- ciliable avec les moyens reconnus les plus efficaces contre les inondations. X. — M. de Ribbe, tirant les conclusions de ce qui précède, se demande quels sont les moyens pro- posés pour remédier au mal, et quels sont ceux qu’il est surtout bon de signaler à l'attention de l’admi- nistration. 58 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. de Ribbe, d'accord avec MM. Blanqui (1), Surell, de Bouville, et avec le Parlement de Provence, demande la substitution d’une législation spéciale à la législation générale qui régit tout le pays. D'où sont venus l’avortement de tant de projets et l’impuis- sance de l’époque actuelle? De l'habitude de tout généraliser. Il faut, au contraire, pour être pratique, localiser. Qu'’une loi pose les principes, mais que cette même loi permette aux administrations locales d’en régle- menter, d'en localiser l'application sous la haute surveillance de l’administration supérieure. Arrivé à ce point, M. de Ribbe se demande si l’organisation administrative actuelle est bien propre à l'exécution de pareils projets; mais il ne veut pas sortir de la question posée dans le programme, et il espère et croit que, malgré cet élat de choses, beaucoup de bien peut être fait. M. de Ribbe passe ensuite rapidement en revue les quatre principaux moyens proposés contre les inondations. Le reboisement compte beaucoup d’apologistes aveugles et outrés : à les entendre, il faudrait reboi- ser nos rues et nos places publiques. Ils ne songent pas aux difficultés du sol, aux pâturages ; ils ne se (1) M. Jérôme-Adolphe. Blanqui est l'auteur de nombreuses publications touchant de près ou de loin à l'économie politique. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 99 demandent pas si les bois élevés seront d’une exploi- tation possible, ni si un grand nombre de localités donneront un produit passable. Il faut à ces parti- sans frénétiques du reboisement des bois partout, même là où les arbustes ne peuvent pousser. C’est que ces esprits sont des esprits généralisateurs , absolus. Aucun procédé ne doit être et ne peut être appli- qué d’une manière absolue. Le reboisement, notamment, excellent sur certains points, est inapplicable sur d’autres, comme l’a très- bien établi M. l'ingénieur Breton. Ailleurs, il serait souvent trop dispendieux ou superflu. M. de Ribbe, sauf ces réserves, admet le reboi- sement comme un des plus puissants moyens pré- ventifs contre les inondations. Dans beaucoup de localités, en effet, le gazonne- ment suffit : c'est le principal moyen indiqué par M. Dugied, dans un Projet de reboisement des Basses-Alpes, publié en 1819. M. Bermont de Vaux constate que des travaux de gazonnement avaient préservé tonte une localité. — Là, en effet, où le reboisement est impossible, le gazonnement est sou- vent très-praticable, et en outre parfaitement appro- prié aux intérêts bien entendus du pays Mais, avant de reboiser, il faut empècher de dé- boiser et de défricher. Le Code forestier ne défend 60 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pas le défrichement sur les pentes raides ; il laisse l’omnipotence aux fonctionnaires. Il faut ordonner un classement des localités, et, par suite, ordonner impérieusement le reboisement là où il sera jugé praticable et nécessaire. Le bois est un capilal : on pourrait dire jusqu’à un certain point que le bois, c’est le sol, car sans bois, le sol disparaît à vue d'œil. El faut donc faire une guerre sans relâche aux moyens de déboi- sement : la coupe des bois, l’abroutissement des moutons, le défrichement des forêts el des ter- rains gazonnés ou Couverts d’arbustes et de brous- sailles. Il faut prohiber l'introduction des bestiaux dans les bois communaux et dans les bois des particu- liers, notamment des chèvres et des moutons. Il faut tout au moins soumettre à une réglemen- lation sévère les troupeaux d'Arles. | Il faut une loi qui oblige les communes à respec- ter ce qui reste de la constitution forestière, et à reboiser un grand nombre de pentes. Le reboisement est. à l’état d’utopie : les arrêts sont impuissants à faire pousser des bois. En l’état, on pourrait créer des commissions dé- partementales. Les projets, simplement élaborés à Paris, échoueront toujours s’ils n’ont pas pour base des enquêtes faites sur les lieux par des hommes VINGT-QUATRIÈME SESSION 61 du pays, ainsi que le démontre M. Lélut dans son rapport sur les défrichements. Sans des commissions locales, l'administration tombera dans les inexactitudes les plus graves : les divers chiffres donnés par MM. Becquerel, de Ville- neuve et autres, le démontrent suffisamment. Le second moyen proposé consiste dans les bar- rages, et surtout dans les barrages indiqués par M. Scipion Gras. Ce procédé est appelé à jouer un rôle important, son ancienneté est une garantie de son efficacité, du jour où on l’appliquera sérieuse - ment. Les fossés horizontaux ou transversaux sont aussi un excellent procédé, appliqué notamment dans le département du Var par un agronome dis- tingué, M. Lambot-Miraval, et le conseil général du Var à recommandé au gouveinement le système présenté par M. Lambot-Miraval comme le plus favorable au reboisement des montagnes. Il y à encore les digues criblantes, proposées par M. Rozet. Les digues criblantes sont des es- pèces de barrages qui permettent de retenir l’eau dans les gorges supérieures du torrent , et de laisser passer le limon : elles ont beaucoup de rapport avec les barrages préconisés par la plupart des ingénieurs des ponts et chaussées. 62 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. XI. — En définitive, M. de Ribbe résume ainsi les mesures législatives destinées à protéger les bois et les terrains classés dans la zone des lorrents : 1° Soumission de ces terrains au régime fores- tier ; 2° Interdiction d’y introduire les bêtes à laine, sauf dans les cantons défensables ; 3° Prohibition absolue des chèvres; 4° Suppression graduelle du parcours des trou- peaux transhumants ; 9° Interdiction absolue de l’écobuage et du défri- chement ; 6° Reboisement et gazonnement des parties dé- nudées, ordonnés comme mesure d'utilité pu- blique ; 7° Exemption d'impôt pendant soixante ans, pri- mes, et, au besoin, avances d’argent, aux pro- priétaires qui, volontairement, se livreraient au reboisement et au gazonnement ; 8° Expropriation pour cause d'utilité publique et travaux exécutés aux frais de l'Etat, en cas de refus ; J% Obligation pour les communes et les établisse- ments publics, de reboiser et de gazonner des ter- rains désignés, sauf indemnité , s’il y a lieu. Quant aux bois et aux terrains laissés en dehors VINGT-QUATRIÈME SESSION. : 63 du classement, l'administration se réserverait le droit 1° D'intervenir dans les exploitations vicieuses et abusives ; 2° D’exiger des conditions particulières d’exécu- tion pour les cultures temporaires : 3° D’appliquer à un degré moins absolu les diverses prohibitions énumérées plus haut, en favo- risant le reboisement par des exemptions d'impôt. Les inondations de 1856 ont éveillé l'attention du 8ouvernement et de tous les hommes éclairés et dévoués à leur pays. Il s’agit du salut territorial d’un grand nombre de départements ; il s’agit d’ar- racher les Alpes françaises à une destruction entière el inévitable, et de prévenir le jour où, selon l’ex- pression de M. Blanqui, Le dernier habitant sera forcé de quitter la place avec le dernier arbre abattu. L'assemblée accueille, par des applaudissements réitérés, la fin du brillant et chaleureux exposé de M. de Ribbe , et le président se fait l’organe de tous en le félicitant du zèle et de l'intelligence éclairée qu'il met à défendre les intérêts de son pays. M. Challe, d'Auxerre, demande à ajouter quel- ques observations à l'exposé de M. de Ribbe. Les membres du Congrès déjà entendus ont parlé des dévaslations des cours d’eau de montagnes et C4 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des torrents, et des moyens de prévenir les ravages qu'ils causent. Il est bon de dire un mot des ravages produits par les rivières dans les plaines. Il ya, dans les pays de plaine, les petits cours d’eau et les grandes rivières. Avant la Révolution, les petits cours d’eau étaient dans une situation différente de celle où ils se trou- vent aujourd'hui. Leurs eaux étaient arrêtées par de nombreux barrages, établis pour lalimentation des étangs qui avoisinaient les châteaux et les ab- bayes. L’abstinence du gras était beaucoup plus pra- tiquée que de notre temps, et, par suite, la nêces- sité du poisson plus impérieuse. Aussi nos petits cours d’eau n'étaient pas dévas- tateurs. Mais cette situation avait un grave inconvénient : la stagnation des eaux mortes , les exhalaisons pro- duites par la vase laissée à nu par les grandes sé- cheresses, et, comme conséquence, les épidémies les plus terribles. Aussi, en 1789, les étangs furent-ils générale- ment supprimés. Conservés dans la Bresse, ils sont la cause de l’in- salubrité de ce pays. La suppression des étangs a naturellement aug- menté les chances des inondations, que l’on prévient, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 65 aulant que possible, à l’aide du curage qui est opéré d’après la loi de l’an XI. Pour les rivières navigables, on a proposé les barrages. Le Moniteur en a même parlé. Mais c’est un procédé fort coûteux. M. Challe cite l'exemple d’un barrage établi aux sources d'un affluent de l'Yonne, Ce barrage, qui a donné naissance à un bassin de quarante hectares, a coûté 3 ou 400,000 fr. Pour mettre la section à portée d'apprécier la question sous toutes ses faces, M. Challe cite un vasie projet qui a été soumis à l'Empereur par M. Ch. Sochet, directeur des constructions navales à Cherbourg (1). Ce projet consiste dans une application (1) Des irrigations artificielles, considérées comme un moyen facile, économique et infaillible de prévenir le relour des inon- dations.— Paris, Dentu, 1856, in-8 de 16 pages. Dans ces quelques pages, M. Sochet insiste sur l'utilité des irrigations en général ; il indique le développement que l'on pourrait donner aux irrigations à l’aide de machines à vapeur dont il donne la description. Laissant de côté les frais spéciaux decanalisation, qui seront, suivant lui, fort-peu considérables, il prétend que la dépense occasionnée par l'élévation des eaux ne se montera pas à plus de 230 fr. par force de cheval, et la dépense première à plus de 720. Il résulte de ses calculs que, pendant la période annuelle des 120 jours d'arrosage (terme moyen adopté par lui), on élèverait 380,000 mêt. cubes d’eau à un mètre. Si l’on considère qu’un bon arrosage ne réclame annuellement qu’une couche d'eau totale de om 80 de hauteur, on éléverait, avec la force d’un cheval, à une hauteur moyenne de 48 mètres, la surface d'eau nécessaire à l’arrosage annuel d'un hectare de prairie. Or, arroser un hectare, c'est en accroître le revenu de IT 5 66 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. aux eaux du fleuve, sur une immense échelle, d’un système analogue à celui des fossés transversaux proposés pour les eaux des torrents. L'auteur pro- pose de dériver, à l’aide d’un réseau de canaux embranchés sur les fleuves et rivières, les eaux de crue dès qu’elles auront atteint une hauteur inutile à la navigation pour les faire servir à l'irrigation et au colmatage des plateaux stérilisés par la sécheresse, et faire tourner ainsi, au profit de la richesse pu- blique, et les eaux surabondantes qui étaient le fléau des riverains, et la masse énorme de limons fécondants qui étaient entraînés à la mer et qui encombraient leurs embouchures. Ce projet est, pour l’ensemble des travaux et de la dépense, d’une étendue qui aurait pu paraître gigantesque au siècle 500 p. 100. Ainsi, avec une simple avance de 720 fr., on consti- tuerait un revenu de 270 fr., c'est-à-dire près de 38 p. 100. Or, le moyen d'empêcher les inondations, c'est d'appliquer le système d'irrigation proposé aux trois bassins qui ont le plus souffert des crues de 1856. Il faudrait, pour cela, faire absorber un million de mêtres cubes d'eau par un million d'hectares, qui représentent justement les parties du territoire susceptibles d’ar- rosage. Quelques années suffiraient pour organiser un système général d'irrigation qui coûterait environ un milliard. Le télégraphe électrique sera indispensable pour faire fonc- tionner, en temps opportun, les diverses machines motrices. M. Sochet à prouvé le germe de son système dans une bro- chure de M. Charles Chauvelot, avocat à Paris, intitulée : Quelques mots sur les inondations en 1856. — Paris, Ledoyen, 1856, in-8 de 20 pages. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 67 dernier, mais dont les grandes entreprises opérées dans notre temps font comprendre la possibilité , et dont, au dire de l’auteur, les frais seraient cou- veris par la richesse inespérée qu'il apporterait à des contrées jusqu'à présent stériles et déshé- ritées. M. Paul Breton, fabricant de papiers au Pont de Claix, soutient que l'on s’exagère l'influence des bois sur les pluies. Ainsi, dans le département de l'Isère, il existe encore beaucoup de forêts; on ne peut pas dire que les montagnes de ce départe- ment soient déboisées, et cependant nous avons eu, en 1856, des inondations qui ont élevé le niveau des eaux au-dessus de celui de 4816. La séance est levée à une heure de l’après-midi, et la discussion continuée au lendemain , à sept heures du matin. SÉANCE DU 6G SEPTEMRRE. La séance s’ouvre à sept heures du matin, sous la présidence de M. de Brive. M. Burdet, professeur à la faculté de droit de 68 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Grenoble et membre du conseil d'arrondissement, cinquième inscrit, a la parole. Selon M. Burdet, le département de l'Isère n’est pas réduit à la triste situation des Hautes et des Basses-Alpes , mais cependant sa situation est grave. M. Burdet a fait partie d’une commission nommée par M. Bérard, alors préfet de l'Isère, dans le but d'examiner, au point de vue immédiatement prati- que, les meilleurs moyens de prévenir les inonda- tions. C’est à ce titre qu’il croit devoir émettre son avis aujourd'hui. M. Burdet ne croit pas à l’efficacité des barrages qui auraient pour résultat d'arrêter les eaux. Il regarde ce résultat comme impossible. [l montre les dangers des étangs factices créés par ces bar- rages, étangs qui, à une heure donnée, rompraient tous les obstacles et causeraient des malheurs plus considérables que ceux des inondations ordinaires. Dans la commission dont M. Burdet faisait partie, les barrages à cascades comptaient des partisans. M. Scipion Gras combattait ce système et soutenait que ces cascades amèneraient à leur base la for- mation d’un gouffre qui détruirait tôt ou tard le barrage. Il était d’avis d'établir les barrages au- dessous du point où le torrent se rend dans la plaine. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 69 C'est à ce dernier système que le syndicat de Roïze (1) s’est arrêté. On s’est appliqué à maintenir le torrent sur le cône de déjection , à l’aide de digues parallèles et insubmersibles. Ces digues ont résisté. Elles péri- raient par l’affouillement; mais on préserve leur base en plaçant au-devant de la chaussée de gros blocs. Toutefois, ces blocs ne sufliraient pas, parce que les eaux, se portant de préférence, tantôt à droite, tantôt à gauche, ne tarderaient pas à cor- roder les enrochements, et par suite, le perré. Il importe donc d’unir la surface du lit et de donner aux eaux la forme d’une nappe égale sur toute la largeur du torrent. C’est le résultat que l’on obtient au moyen de barrages transversaux allant d’une rive à l’autre. Pour établir ces barrages, d’une nature différente des barrages dont il a êté parlé jusqu'ici, il faut creuser profondément le lit, jusqu’à ce que l’on trouve une base solide. Quand le fossé est ouvert, on le rem- plit de gros blocs présentant une grande solidité : par leur assemblage compacte. On donne à la partie supérieure de cet assemblage une inclinaison suf- fisante dans le sens du courant; on les enchaîne les uns aux autres; à cet effet, chaque bloc est (4) AMluent de l'Isère qui traverse le bourg de Voreppe. 70 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. muni de deux anneaux de fer, rattachant le bloc à une chaîne commune dont les deux extrémités sont fixées aux deux rives. Le syndicat de Roize a établi trois barrages de celle nature dans le lit de ce torrent; ils coûtent 1,500 fr., dont la moitié a été fournie par le gouver- nement. Ces barrages ont été respectés par les grandes crues de 1856. Il faudrait encore établir plusieurs autres barra- ges dans le lit du torrent. Mais ces barrages ne peuvent prévenir l’accumu- lation des graviers dans le lit: les barrages dont M. l'ingénieur Breton a parlé seraient donc très-utiles à établir en amont du cône de déjection. Dans la commission, on parla aussi du reboi- sement. Les ingénieurs n'insislèrent pas sur ce moyen. Le danger, à leurs yeux, consiste dans les matériaux que l’on retient au moyen des barrages. M. Burdet est d'avis que l’on concentre les tra- vaux sur un seul département. M. Ch. de Ribbe signale la division et la lutte qui existent souvent entre l'administration des eaux et forêts et celle des ponts et chaussées. Cet antago- nisme est déplorable. M. de Ribbe l’attribue à ce que ces deux administrations obéissent à deux mi- nistres différents. M. Burdet combat les exagérations du reboise- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 71 ment : un personnel nombreux, spécial et coûteux deviendrait en effet nécessaire. La commission dont il faisait partie conclut, par ces motifs, qu'il fallait, avant tout, empêcher le défrichement. Il ne fant pas détruire les pâturages. Il faut étendre les servitudes légales pour rendre facile le reboisement. M. de Ribbe cite le Tyrol comme un pays modèle sous lerapport du sage aménagement des forêts {1}. M. Adrien Sénéclauze , troisième inscrit, absent de la dernière séance, a la parole. Il s'exprime ainsi : Messieurs , Elever la voix devant cette éminente assemblée, à la suite des honorables orateurs entendus dans les séances précédentes, sur la question des inondations, qui préoc- cupe à si juste titre les hommes d'état les plus éminents, les ingénieurs, les agriculteurs, les écrivains les plus distingués, n’est-ce pas une grande témérité de ma part? moi, humble praticien, novice dans les artifices de la parole, privé de l'autorité qui accompagne les fonctions publiques, venir pour mon début traiter une question aussi épineuse...! Aussi, ai-je besoin de réclamer votre (1) Les principales dispositions du règlement des dièles fores- tières du Tyrol ont été insérées dans les Annales forestières, année 1844, p. 42. Ce recueil est trés-utile à consulter sur la question des inondations au point de vue forestier. 72 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. profonde indulgence en faveur de ces études, fruit de longues et sérieuses observations appuytes par de nom- breuses expériences, dont le succès me fait présager une heureuse solution. Loin de repousser et de combattre les opinions émises dans les dernières séances et de me res- treindre dans des procédés exclusifs, je viens, au contraire, les appuyer, les incorporer dans mon système, pour en obtenir un ensemble de moyens efficaces. J'exprimerai seulement le regret de me voir forcé de présenter un tra- vail élaboré de mémoire et en l'absence des documents statistiques les plus indispensables. Le malest grand, Messieurs; la fréquente périodicité de ses apparitions est devenue au plus haut point ef- frayante et calamiteuse ; tous nos efforts réunis ne sau- raient donc le conjurer trop tôt en lui opposant de prompts et énergiques remèdes, Les moyens proposés doivent avoir pour but d'attaquer le fléau dans ses causes et dès son origine, et de le poursuivre victorieusement jusque dans ses derniers résultats, jusque dans nos plaines où il sème la désolation et la mort. Il devient inutile, Messieurs, de renouveler ici des propositions généralement admises et résolues par la majorité des auteurs compétents; nous admettons sans discussion l’urgence des reboisements forestiers sur les montagnes élevées et sur les pentes abruptes qui en dé- pendent; nous adoplerons aussi, comme précieux auxi- liaire, la création de barrages multipliés à travers le cours des torrents et des rivières secondaires. Notre tâche parti- culière doit consister à développer devant vous la question sous quelques aspects nouveaux, de rechercher les causes des récentes perturbations atmosphériques, de définir à un nouveau point de vue les causes et l'origine pre- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 73 mière des pluies torrentielles qui tombent si fréquem- ment sur nos contrées. Je terminerai par l’exposition des moyens, selon moi, les plus propres à réduire ou à éloigner leurs terribles influences. On ne peut attribuer la fréquence inouïe jusqu'à nos jours des inondations, la généralisation et l'intensité des averses pluviales, les ravages extraordinaires des fleuves, qu’à la destruction successive des forêts sur les points culminants de nos montagnesetsur les versants pentueux : c'est un principe incontestable, et je ne m'y arrêterai nullement. Les forêtssont considérées, avec raison, comme chargées d'attirer les orages sur les montagnes où elles retiennent et aménagent les eaux, distribuées ensuite par mille canaux souterrains dans les plaines et les val- lées; les milliers de paratonnerres végétaux, dont elles sont providentiellement armées, soutirent à leur profit les fluides électriques dont elles anéantissent l'influence per- nicieuse. Mais leurs fonctions ne se bornent pas à ces seuls résultats, quoiqu'ils soient de la plus grande importance : les forêts brisent aussi la force et la rapidité des vents, elles les arrêtent, pour ainsi dire, dans leur route ; nous dédui- rons cette assertion de ce qui se passe journellement sous nos yeux depuis la destruction des bois, depuis que nous voyons chaque jour les orages déverser en trombes dévas- tatrices les pluies sur nos champs, au lieu de les dissémi- ner comme autrefois en douces et bienfaisantes rosées. Depuisun certain nombre d'années, dont la dateremonte * à 1840, les pluies torrentielles se sont accrues dans des proportions inouïies; le fléau des inondations s’est étendu d'une manière générale, mais particulièrement sur les bassins de nos fleuves principaux entourés de hautes 7h CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. montagnes ; les orages destructeurs, au lieu d’être limités à quelques cantons , comme autrefois, semblent embras- ser en totalité la zone tempérée de notre hémisphère. L'époque particulière aux orages a subi des transforma- tions étonnantes; elle n'arrive plus dans la saison des solstices, mais au printemps et à la fin de l'automne, en . mai ou en octobre. Quelle serait donc la cause de pertur- bations aussi anormales? Sous quelles influences in- connues se serait ainsi transformée notre constitution atmosphérique ? Loin de moi, Messieurs, le dessein d'approfondir ces phénomènes... L'homme doit bien souvent s’incliner en silence devant des fléaux mystérieux. Mais le Créateur suprême, en nous dotant de l'intelligence qui rapproche de lui sa créature, nous a-t-il interdit d'étudier les causes et les effets des cataclysmes dans le but de combattre l'influence souvent pernicieuse des éléments? Non, sans doute, et l'humanité tout entière nous convie à la re- cherche d'une solution propre à rétablir la sécurité. L'explication théorique des vents et de la formation des orages n'étant pas de ma compétence, je me borneraï à produire des faits à l'appui de ma proposition; je né citerai que des expériences positives et concluantes. Dans les années 1849 à 41853, je fus chargé, pour le compte du gouvernement , de l'exécution d'une planta- tion d'arbres résineux, en amont de la route impériale n° 82, de Roanne au Rhône, dans la partie de son par- cours qui traverse le sommet élevé et le dangereux passage appelé la République. Cette plantation, dont j'avais été le promoteur, avait pour but de protéger la route contre les ouragans et les rafales de neige soule- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 75 vées et transportées sur ces pentes rapides par 1a violence des vents du nord. Dès la première chute des neiges, les tranchées profondes de la route étaient comblées de hautes congères de plusieurs mètres de haut et nivelées avec les pentes rapides dans lesquelles elles sont percées ; le trajet alors devenait impraticable pour les voitures , dangereux même pour les cavaliers et les piétons. Ces plantations consistaient en rangées parallèles d'arbres résineux de 0,50 centimètres à 1,50 centimètres de hauteur, disposées en tous sens à À mètre de distance sur 50 mètres de profon- deur et environ 6 kilomètres de développement, et, dans une forte partie, surdes pentes rapides d’environ 45 degrés. Eh bien! Messieurs, ces plantations, ainsi que je l'avais prévu, et malgré l'opposition d’un certain nombre d’hom- mes compétents, ont dépassé les espérances les plus exa- gérées, en remplissant le but de leur création, aussitôt qu'elles ont été terminées. Depuis cette époque, la route n'a cessé d’être libre; dans la plus mauvaise saison, elle est devenue sûre et praticable pour tous les services. Mais, sur le même parcours, des obstacles plus élevés, plus solides, des murs, des maisons de 5 à 10 mètres d'élévation, construites récemment sur la route, ont été bien loin d'atteindre le même résultat ; la neige, portée par les vents, a surmonté ou contourné les obstacles, qui n'ontplusété d'aucune utilité pour la protection de laroute. Quels enseignements tirer de ces faits? à quoi attri- buer des résultats si opposés? Peut-être nous sera-til permis d'en donner une explication suffisante, puisée dans nos constantes observations. Les arbres d’essences résineuses croissent généralement en groupes serrés et rapprochés les uns des autres; leur feuillage les couvre de la base jusqu'à la cime; ils affectent la forme pyra- 76 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. midale ; leurs flèches aiguës et élancées, leurs feuilles linéaires, plus ou moins allongées, sont disposées de ma- nière à tamiser, pour ainsi dire, les vents dans leur par- cours; si elles paraissent leur céder en se courbant légèrement, elles se redressent aussitôt, prêtes à leur op- poser de nouveaux obstacles; c’est ainsi qu’elles parvien- nent à rompre et à diviser la violence des courants aériens, au point de les rendre insensibles. Ainsi, le voyageur, dans nos montagnes, fatigué par la tourmente, est heu- reux de pouvoir rencontrer sur sa route l'abri et la pro- tection d’une forêt. A peine y a-t-il pénétré que la vio- lence de l'orage cesse comme par magie ; on serait porté à croire que le vent est tombé, ou a changé de direction, si l'on n’en entendait encore le sifflement à travers les épais feuillages. De frêles et jeunes végétaux ont donc lutté victorieusement contre la violence des vents qui, sans eux, régneraient en maîtres absolus dans ces para- ges, tandis que des obstacles matériels, d’une solidité et d’une élévation plus considérable, leur ont opposé une vaine résistance. Si donc des tentatives récentes et isolées ont produit des résultats si avantageux, que ne doit-on pas attendre d’un système général de plantations forestières sur nos cimes élevées! L’affaiblissement de la violence des courants aériens aura pour conséquence immédiate la diminution des orages, qui rencontrent d’ailleurs dans les sommités des végétaux résineux des millions d’aiguilles électriques toutes prêtes à les absorber. Sous l'ombre protectrice des arbres verts végétera la nombreuse famille des mousses , dont les fonctions, analogues à celles des éponges, consis- teront à retenir les pluies et à empêcher la formation des courants. Une quantité considérable d'humus, produite A PS émane. 6 rs VINGT-QUATRIÈME SESSION. 77 par les détritus des feuilles et des ramilles, couvrira la surface du sol auparavant aride et improductif : c’est ce, que je puis démontrer par l'exemple de plantations de conifères, exécutées depuis moins de vingt ans dans les conditions les plus difficiles. Par les mêmes motifs, la destruction violente et cons- tamment progressive des abris végétaux par les défriche- ments, en supprimant toute résistance aux courants aériens, a dû produire une perturbation fatale dans l'atmosphère et nous préparer des catastrophes immi- nentes: là où des abris protecteurs maintenaient l’hu- midité, elle s’évapore journellement à l’ardeur du soleil et va grossir les nuages. Ainsi, l'accroissement en violence des vents et leur fré- quence deviennent facilement explicables ; chargés à leur passage sur l'Océan ou la Méditerranée de vapeurs amonce- lées, ils marchent en se condensant rapidement sous une atmosphère de plus en plus refroidie ; ils frappent libre- ment de leur souffle enflammé par l’ardent simoun, nos glaciers élevés et nos neiges éternelles et versent ainsi sur nos rivages , à flots multipliés, le chaos et la destruction. Les endiguements insubmersibles des rives fluviales peuvent-ils être regardés, dans l’état actuel, comme un obstacle assuré contre l’inondation? Protégent-ils même toujours les propriétés endiguées contre la fureur des courants, tandis qu'ils sont accusés d’accumuler les eaux et les sables en amont, et de les rejeter par contre-coup en aval, contre les rives opposées privées du même privilége? Ne seraient-ils pas fréquemment la cause fatale de catas- trophes imprévues, amenées par leur rupture, par la submersion ou l’affouillement de leurs digues ? N’aurions- 75 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nous pas à redouter pour l’avenir, dans des circonstances analogues, la position critique des riverains du P6, dont les berges, encore fréquemment surmontées par les flots, sont parvenues successivement à la hauteur des clochers? Avec les mêmes errements les mêmes dangers sont iné- vitables. Qu'’une sage prévoyance dispose donc des barrières mul- tipliées contre l'irruption des fleuves devenus annuelle- ment torrentiels, dont le lit bouleversé dans tous les sens, s'exhausse graduellement par le transport des roches, des galets et des graviers descendus des montagnes, ou que le fleuve arrache lui-même de ses flancs déchirés. Au lieu de resserrer leur cours, d’enfermer et d'élever leurs rives dans des fortifications ruineuses et presque toujours impuissantes, sinon dangereuses, imitons la nature dans ses procédés les plus simples; parallèlement aux reboisements, aux digues transversales des cours infé- rieurs, organisons un système général de’ digues submer- sibles, dont les berges, défendues par des végétaux disposés à cet effet, livreront un accès facile aux excédants des inondations, tout en protégeant le sol et les riches cul- tures des plaines contre l’envahissement des courants déchaînés et contre les ensablements presque aussi pré- judiciables. J'ai recherché, Messieurs, consciencieusement dans ce court travail, les causes productrices d’une situation qui nousafflige tous. Je tenterai, dans la seconde partie de mon travail, de faire connaître les remèdes et leurs divers modes d'application. Il faut mettre résolument la main à cette œuvre; elle sera pénible, longue et coûteuse. C’est ce que l’on ne peut dissimuler; mais il s'agit de la fortune etde l'existence, devenues si précaires, de nos nombreuses VINGT-QUATRIÈME SESSION. 79 populations riveraines: quelle hésitation pourrait nous arrêter? Cette œuvre deviendra, je n’en doute pas, efli- cace et réparatrice par le sage emploi des mesures dont j'aurai l'honneur de vous proposer l'adoption. Messieurs, si les inondations excessives de nos jours doi- ventêtre, sans conteste, attribuées à la destruction des forêts, nous n’en déduirons pas cependant la conséquence absolue que le reboisement soit, dans l’état actuel des choses , le seul remède auquel nous devons avoir recours; notre tâche ne consiste plus seulementà prévenir, mais aussi à réparer. Aussi devons-nous accorder notre approbation à tous les systèmes fondés sur des preuves solides et appuyées d'expériences, soit pour les employer isolément dans des situalions particulières, soit pour en faire l’application si- multanée dans les circonstances où l'efficacité en sera sé- rieusement démontrée. Ouvrons donc la liste déjà nom- breuse des moyens proposés pour prévenir ou limiter le fléau , dans ses causes et dans ses effets : 1° Le reboisement en arbres résineux des crêtes éle- vées des montagnes, afin de briser les vents et d'attirer l'électricité des nuages ; 2° Le reboisement en futaies ou en taillis, par des essen- _ces appropriées au sol et au climat, des terrains disposés en pentes trop rapides ou dénudées par les ravinements; et, comme conséquence immédiate, l'interdiction de l’éco- buage, la limitation du pacage des bestiaux et la soumis- sion au régime forestier de tous les terrains dont la décli- vité s'élève à plus de trente degrès ; 3° Le gazonnement, dont les prompts et salutaires effets sont incontestables. 50 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 4° Les digues transversales sur les torrents supérieurs , multipliées dans les gorges, afin de retarder la prompti- tude du courant et de le décharger des roches et des gra- viers qui en augmentent la force dévastatrice ; 5° Le curage des fleuves navigables; 6° L'établissement général de berges fluviales submer- sibles, protégées par des plantations, assez vastes pour livrer une issue libre aux excédants , et disposées pour la garantie complète des terrains consacrés à la culture. Mais quelle autorité, quelle assemblée puissante sera chargée d'étudier ces mesures et d’en faire l’application la plus utile, selon la gravité des besoins et des circons- tances ? Etudes approfondies, unité de vues, variété d’expé- dients, fermeté dans l’exécution , sévérité contre les in- fracteurs, impartialité , direction paternelle et bienveil- lante pour tous, respect envers la propriété, et surtout sagé économie des deniers publics et particuliers; voilà les principes sur lesquels devra s'appuyer le nouveau corps auquel on devra confier la règlementation de cette œuvre si délicate et si importante. De puissantes associations fluviales, comprenant, dans leurs vastes attributions, le bassin entier d’un fleuve, divisées en commissions locales pour chaque bassin se- condaire, avec admission dans leur sein, dans chaque circonscription, des fonctionnaires de la localité, des hommes spéciaux et compétents, des propriétaires rive- rains ou de leurs délégations; ces associations, disons- nous , fondées sur le pied d’une solidarité généreuse et mutuelle, sembleraient devoir présenter toutes les ga- ranties nécessaires. C'est ainsi que l'Angleterre , notre devancière en tout VINGT-QUATRIÈME SESSION. 81 ce qui concerne les améliorations agricoles, est parvenue, depuis un certain nombre d'années, à n’avoir plus rien à redouter des débordements de ses rivières: elle doit cet heureux résultat autant à l'entretien de ses forêts, à la création de nombreuses et riches prairies naturelles ou artificielles , qu’à l'emploi de sages mesures d'ensemble appliquées à la création d’un système général de di- gues. Nous venons d'indiquer sommairement les divers genres de défenses, préventives ou réparatrices, dont l'emploi doit nous préserver, dans ur avenir plus ou moins rapproché, des ravages des inondations. Sans ren- trer nullement dans une discussion sur des mesures pro- posées et développées dans cette enceinte par un grand - nombre de nos honorables collègues, nous insisterons seulement sur les questions qui se rattachent à nos études spéciales. Le réboisement, Messieurs, est un objet d’épouvante et de répulsion pour quelques personnes, qui l’envisa- gent, bien à tort, comme une mesure impraticable ou ruineuse dans son exécution, qu’elle soit à la charge de l'Etat, des communes ou des particuliers. Ces craintes, heureusement, sont aussi fausses qu’exa- gérées; que l’on se rassure, d’ailleurs, notre intention n’est pas de proposer l'impossible, mais de nous renfer- mer strictement dans les limites des mesures les plus urgentes, d’une application aisée et peu coûteuse, toutes d’ailleurs dans l'intérêt bien entendu de la majeure partie des propriétaires. Nous pourrions même citer un certain nombre d'agriculteurs dont la fortune territoriale a dou- blé par de récentes créations forestières. Un homme d’un rare mérite, M. Leclerc, actuellement IT 6 82 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. conservateur des forêts impériales à Fontainebleau , avec l'aide de la Société d'agriculture du département du Puy- de-Dôme, a changé toute la face d’un de nos départe- ments. Par ses soins, et avec une modique subvention annuelle, des montagnes immenses ont été plantées; des propriétés communales, des cantons entiers reboisés en arbres choisis dans les meilleures essences, et dont on peut évaluer la totalité à plus de vingt millions de pieds en valeur. En quittant ce département il a laissé de beaux exemples à suivre et des agents habiles chargés de conti- nuer son œuvre et de la terminer. Sur les cimes élevées de nos plus hautes montagnes, là où tout est à créer, où nous proposons d'établir un réseau général de végétaux, destinés à briser les vents, à neu- traliser les orages, l’ensemble des travaux présentera quelques dificultés; le choix particulier des essences les plus rustiques et des sujets disposés à supporter la tour- mente présentera quelques difficultés, exigera des pré- cautions toutes spéciales ; ces plantations, d'ailleurs, étant d'utilité publique, devront être à la charge de l'Etat. Dans ces contrées glaciales où les vents dominent, où les avalanches sont fréquentes, où les amas de neiges per- sistent une partie de l’année, les ensemencements sont toujouts restés sans succès; ils n’ont pu résister à l’âpreté du climat : les gelées violentes déracinent les jeunes plan- tules et détruisent leurs germes. De toutes les essences, pour des plantations à exécuter sur les cimes élevées, l’épicea doit obtenir la préférence : le choix de sujets trapus, renforcés, munis de bonnes ra- cines, est de rigueur. Cet arbre, d'une rusticité parfaite, de forme exactement conique, à rameaux serrés el raides, à feuilles courtes, présente aux courants d’air une résis- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 83 tance extraordinaire. Les sujets devront, au moment de la plantation, avoir environ quarante à cinquante centimè- tres de haut, avoir été élevés en pot ou fournis d’une bonne motte ; ils seront disposés dans des trous bien pro- portionnés au volume de la racine, et dont les parois les maintiennent inébranlables contre les vents et les ava- lanches. De l'exécution exacte de ces conditions dépend leur réussite. Ainsi nous avons vu des arbres tout frai- chement plantés résister, sans le moindre ébranlement, à des avalanches de neige de cinq à six mètres de haut, qu'ils avaient pu arrêter et maintenir sur des pentes de quarante-cinq degrés. Les flancs des montagnes à pentes rapides, placés sous des conditions climatériques un peu moins rudes, pour- ront être reboisés à moins de frais el sans de grandes difli cultés, soit au moyen des semis, soit avec des replants moins forts, d'épicéa, de mélèzes, de sapins argentés, réunis en groupes par famille et en intercalant quelques plants de cèdres de distance en distance. On choisira des sujets de trois à quatre ans, ayant subi préalablement l'opération du repiquage, dans le but de renforcer les tiges et de multiplier le réseau des racines. Les semis de sa- pins argentés sur place pourront être tentés avec succès, en placant les graines toutes fraiches dans un semis de pins-sylvestres disposés, à cet effet, quatre ou cinq ans à l'avance. Dans des régions plus tempérées, le sapin argenté, le mélèze, l’épicéa, occuperont l'exposition du nord. Sur les pentes au levant, au midi et à l’ouest, la nombreuse fa- mille des pins, qui présente tant de ressources pour l'exécution des semis en place, dont la reprise à la plan- tation n'offre aucune difficulié, dont la reproduction est 84 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. abondante, devra recevoir la préférence. On placera sur les hauteurs l’alviez ou cembro, dont l'amande est supé- rieure au pignon; dans les fonds marécageux, le pin du nord , à bois blanc et léger. Les pins d'Ecosse et de Riga acquièrent les plus grandes dimensions dans les terres légères et granitiques ; le pin noir d'Autriche se plaît dans les mêmes positions ; le laricio supporte les expositions les plus chaudes et les plus sèches ; sur les pentes rapides et rocailleuses, on pourra former des taillis d'arbres rési- neux avec les pins de montagne et de Briançon, dont les racines pénétreront entre les rochers; enfin, dans les climats chauds, où la sécheressse est plus à craindre, les boisements seront composés de laricio, du pin des Landes, qui ne refuse pas de végéter sur les dunes maritimes et même dans les sables, et qui fournit la résine, des pins d'Alep et des pignons, et de quelques autres espèces moins répandues. Si nous recommandons, avec une préférence marquée , les arbres résineux pour les reboisements forestiers, c’est qu'après une longue expérience nous avons pu apprécier leur mérite, la promptitude de leur croissance, les qua- lités de leurs produits, leur nombreuse et facile repro- duction et tous les avantages qu'ils présentent pour ré- soudre avec succès la question qui nous occupe. On pourra transplanter les pins, dans la situation que nous venons de citer, à l’âge d’un, deux ou trois ans, dans de petits trous faits avec un seul coup d’instrument et à la distance d’un ou deux mètres. Plusieurs essences forestières à grandes dimensions, à feuilles caduques, peuvent aussi servir avec avantage à créer des plantations forestières : les chênes, les bou- leaux, le frêne, le hêtre, le tilleul, les robiniers ou aca- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 89 cias, et dans les terrains humides les’peupliers, les frênes, les saules et les vernés; avec tous ces éléments on fera choix des essences les plus avantageuses, les moins chères et qui se rencontreront le plus facilement sous la main. Sur les pentes arides dénuées d’humus et de végétation, sur les rochers à pic, d'où l’eau des sommités se précipite en cascade dans les vallées, il serait utile encore de créer un premier manteau de verdure, dont les détritus accu- mulés formeraient à la longue un berceau propre à rece- voir des graines de végétaux plus précieux, apportées de loin par les vents et les oiseaux. Le lierre, les bignones, les ronces et d’autres arbustes sarmenteux seraient des- tinés à cet emploi. Mais il n’est pas toujours indispensable d'employer la voie coûteuse des plantations et des semis artificiels ; pourquoi ne pas aider la nature à reproduire spontané- ment une foule de végétaux ligneux appropriés au climat? Dans le voisinage des forêts, rien n’est plus facile: en sou- mettant au régime forestier tous les terrains dont le reboi- sement serait déclaré nécessaire, il surgirait bientôt, de toutes parts, des milliers de jeunes plants; on n’aurait plus qu’à les défendre contre la dent funeste des bestiaux. Imitons l’action prudente et sage de la nature ; en l'absence complète de forêts voisines, prêtes à confier aux vents des germes reproducteurs, plaçons, de distance en distance, des groupes nombreux d’étalons végétaux, choi- sis dans les meilleures essences et entretenus avec soin. Dès l'apparition de leurs premières semences, le sol saura s'approprier celles qui seront le plus à sa conve- nance ; bientôt les espèces préférées s’étendront rapide- ment sur un vaste périmètre. Nous devons formuler le vœu qu'une loi protectrice 86 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. encourage enfin les planteurs, par de nombreuses primes, en espèces, en avances de graines et de plants; par une exemption de contributions, dont le terme final serait fixé d'avance pour tous, à l’année 1900, par exemple, en la limitant au reboisement des terrains en pente ; que des distinctions honorifiques deviennent la récompense de ceux qui seseraient signalés dans cette œuvre patriotique: Nous croyons avoir réuni l'unité des vues, la sûreté d'action, la garantie du succès, avec l’économie des moyens, par les mesures proposées. Nous avons entendu dans cette enceinte, avec le plus vif intérêt, l’exposition d'un système de digues enchai- nées. Cependant, l’auteur du mémoire a fait naître dans notre esprit quelques appréhensions pour l'avenir. L’ex- périence du temps n’a pas encore donné sa sanction défi- nitive à ces travaux, ces digues ont même souffert quel- ques légers dégâts par les dernières crues; résisteront- elles à des inondations extraordinaires? Le principal mérite de cette ingénieuse innovation consisterait dans l'économie et la simplicité. Nous venons à notre tour, Messieurs, proposer un sys- tème d’une extrême simplicité, d’une exécution très- facile, dont la dépense sera des plus minimes, et dont la solidité et la durée sont garanties par une épreuve de vingt ans. Pour protéger une propriété, située au Chambon (Loire), fréquemment envahie par les eaux d'une rivière voisine, dont la dernière inondation venait d’emporter le sol avec les digues construites solidement en pierres, nous formâmes une digue nouvelle en terres végétales , disposée en talus descendant au niveau du cours d'eau VINGT-QUATRIÈME SESSION. 51 et relevée d'un mètre et demi du côté de la propriété. Cette digue fut complantée en jeunes sujets de peupliers blancs de Hollande très-rapprochés, dont les tiges, cou- chées sur la terre et entrecroisées en mailles serrées, pri- rent racine de toutes parts et formèrent un réseau impé- nétrable, qui a résisté sans avaries jusqu’à ce jour, en garantissant la propriété contre les plus terribles inonda- tions de ces dernières années. Le seul entretien consiste à recroiser de temps en temps les nouvelles tiges pendant les premières années en les couvrant d’un peu de sable ; lorsque la digue est solidement établie, il suffit de re- couper annuellement les nouvelles pousses rez terre. On peut se procurer ainsi, presque sans frais, une digue d'une solidité à toute épreuve. Nous avons entendu souvent accuser les plantations établies le long des rivières d'augmenter les ravages des inondations; en effet, entraînés par le courant, les arbres obstruent les ponts, s'accumulent en chaussées et cau- sent souvent de sérieux désastres... Mais ces tristes acci- dents ne peuvent être attribués qu’au déplorable entre- tien de nos cours d’eau et à l’avidité imprévoyante des propriétaires riverains. En effet, le lit des rivières, imprudemment resserré, se creuse profondément ou déverse l’excédant sur ses rives; dans le premier cas, l'arbre affouillé sous ses ra- cines céde à la force du courant, avec le terrain qui l’en- vironne ; dans le second, les tiges des arbres, battues par lesflots, agissent en guise de leviers sur leurs bases, etsont également emportées par les eaux, abandonnant leurs rives à la merci du torrent. Notre système de digues submersibles, plantées d’ar- bres entrecroisés, est applicable, avec un égal succès, aux 88 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. torrents comme aux fleuves, en leur donnant l’étendue et les proportions nécessaires. Elles doivent, en principe, contenir tout l’excédant des eaux; elles formeront une espèce de glacis disposé en pente vers la rive, dont la sur- face sera protégée par des végétaux entrelacés, tandis que l'extrémité extérieure, du côté des terres, serait élevée au niveau des plus hautes erues et complantée en lignes serrées d'arbres à haute tige: peupliers blancs, hôtres, ormes, etc., essences utiles aux arts; dans les pays chauds, par des cyprès chauves, arbre éminemment pro- pre à cet usage. Nous avons hâte de terminer, Messieurs, et dans la crainte d’abuser de votre patience; nous avons rempli notre tâche en vous faisant part de nos efforts pour résoudre une question difficile; un grand nombre d'expériences viennent à l’appui de nos assertions ; trop heureux, si quelqu’une de nos propositions peut vous paraître utile dans la pratique et recevoir votre assentiment et votre approbation. M. Emile Gueymard, ingénieur en chef des mines en retraite, sixième inscrit, fait à la section la communication suivante : MÉMOIRE SUR LES CAUSES DES INONDATIONS ET SUR LES MOYENS D'EN PRÉVENIR LE RETOUR, Par M. Emile GUEYMARD, ingénieur en chef des mines, doyen de la Faculté des sciences, en retraite, oflicier de la Légion d'honneur. Les déplorables événements du 30 mai 1856 préoccupent tous les citoyens. On a, avec raison, des inquiétudes sur VINGT-QUATRIÈME SESSION. 89 l'avenir. Les hommes spéciaux sont appelés de toutes parts pour indiquer des moyens préservatifs. Les questions sont-elles bien posées, et ne confond-on pas souvent les causes avec les effets? Je vais essayer de résumer mes observations dans les Alpes de la Suisse, de la Savoie, du Dauphiné et de la Provence, dans la circonscription des vallées du Rhône, de l'Isère, du Drac, de la Romanche, de la Durance et de tous leurs affluents. Les inondations sont attribuées presque en. totalité au déboisement. C’est une grande erreur, car il n’a joué qu'un rôle très-secondaire. Je vais répondre par des faits, par l’histoire. Le déboisement a commencé en 1793, et la hache révo- lutionnaire à parcouru presque toutes les forêts. Les pluies diluviennes et nos désastres devraient dater de cette époque, car le sol était presque dénudé partout où il y avait eu des bois. Dans toutes les vallées des Alpes, on ne peut pas citer de grandes inondations avant 1840, et il n’y a eu que quelques trombes d’eau sur des points très-éloi- gnés. Dans nos contrées, le Drac n’a coulé à pleins bords qu’en 1816. IL vint rompre ses digues près du pont en chaînes de fer, sur deux points opposés, et au même ins- tant, les eaux déversèrent dans les plaines de Fontaine, de Sassenage (rive gauche) et de Grenoble (rive droite). Cette catastrophe arriva dans le mois de juillet 1816. Ingénieur en chef des mines pendant quarante ans dans les départements du Simplon, du Léman, du Mont- Blanc, de l'Isère, des Hautes-Alpes, des Bouches du Rhône, des Basses-Alpes, etc., je connais ces contrées depuis le sommet des plus hautes montagnes jusqu’à la mer. Ayant fait, tous les ans, plus de 600 lieues de poste, J'ai visité {ous les points accessibles des onze départe- 90 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ments dont l'inspection m'avait été confiée à diverses épo- ques. Il faut indiquer que, dans les sept dernières années du siècle passé, les forêts étaient dans un misérable état. Lorsque l’ordre fut ramené en France par Napoléon I, la végétation apparut sur tous les points où la hache et le feu avaient passé. L'intérêt particulier, l'intérêt de l'Etat et la métallurgie commandaient le retour d’une belle végétation. Les montagnes dénudées reprirent leur man- teau de verdure, les taillis poussèrent avec vigueur et la haute futaie végéta richement. Les gardes forestiers firent leur devoir sous une administration à qui les bois étaient confiés. Les ressources pour le charbonnage commencèrent en 1815, et déjà la métallurgie, qui n’employait encore que le charbon de bois, se trouvait dans une bonne posi- tion, par la coupe des taillis, qui comptaient, à cette épo- que, vingt ans de pousse. Les ingénieurs des mines purent relever les usines que la terrible révolution avait anéanties. Tous les ans il y avait progrès, parce que nos ressources en combustibles prenaient de l'extension, et je crois pouvoir affirmer que les forêts, en 1840, étaient dans un état aussi prospère qu'avant 1792. Pendant cette période de quarante-huit ans, on n’a pas enregistré de ces pluies qui ont ravagé des contrées d’une certaine étendue. Le calme régnait presque partout, à l'exception de quel- ques trombes accidentelles. Les désastres ont commencé en 4840, et tous les ans des inondations ont dévasté des provinces en Europe, lorsque le reboisement était presque arrivé à son maxi- mum de croissance. La cause des inondations dans les contrées qui nous occupent, ne peut donc pas être attribuée au déboisement VINGT-QUATRIÈME SESSION. 91 seul. Cette proposition est trop évidente pour insister davantage. Les forêts jouent un rôle qui a une certaine portée. Quand une contrée est couverte de bois, ceux-ci conden- sent une partie de l’eau des nuages; quand il pleut, les branches, les feuilles, les troncs retiennent aussi une par- tie de l’eau de la pluie, et, par ce moyen, elle arrive plus lentement à la plaine, dans le lit des ruisseaux, des riviè- res ou des fleuves. Toutes choses égales, les forêts, en retenant une certaine quantité d’eau, peuvent atténuer les ravages : voilà la part qu’il faut faire aux forêts. Mais, je le répète, ces observations n’altèrent pas les faits qui se rapportent aux époques de 1793 à 1840 et de 1840 à 1856. L'histoire météorologique signale des époques de repos et des époques de perturbations atmosphériques qui appa- raissent à des distances plus ou moins éloignées. Les années de perturbations atmosphériques n'avaient jamais dépassé 2, 3, 4, 5 ans. Depuis 1840 jusqu'au 30 mai 4856, elles ont été incessantes en Europe. Il y a peu de pays qui aient été épargnés. Ainsi donc, la grande cause, la cause principale de tant demalheurs, ce sont les per- turbations dont j'ai parlé, et dont la solution n’est pas plus connue du physicien, de l’astronome, que du laboureur. L'homme est venu en aide aux perturbations, en aug- mentant les effets des pluies diluviennes par le dégazon- nement. Je vais entrer dans quelques détails. Dans toutes les montagnes de la partie de la Suisse où coule le Rhône, dans celles de la Savoie, du Dauphiné et de la Provence, il y a des troupeaux de vaches et de mou- tons qui paissent pendant la belle saison. Au début de ma carrière comme ingénieur et comme naturaliste (1808), le nombre des animaux sur les montagnes était en rapport 92 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. avec les plantes qui servaient à leur nourriture etles végé- taux reparaissaient l’année suivante avec la même puis- sance; mais les besoins toujours croissants de la société ont porté les propriétaires et les communes à augmenter le nombre des animaux pour avoir plus de revenus. J'ai pu suivre tous les ans les augmentations, et je crois être dans le vrai en affirmant que le nombre des moutons à doublé sur certaines montagnes et triplé sur d’autres. Nous sommes donc arrivés à un moment où les végétaux ont été détruits jusqu'à la naissance de la racine. Les montagnes sont dégazonnées, pelées, dénudées, et on voit couler sur toute leur surface la plus légére pluie. Les eaux ne sont plus retenues par la pelouse, elles n’obéissent qu’à la loi de la pesanteur et arrivent très- promptement dans la plaine. Les lits des rivières ne pou- vant alors contenir tout ce qui arrive en quelques heures, il faut bien que les eaux passent par-dessus les digues, ou que celles-ci soient rompues. Avec le gazonnement, la plus grande partie des eaux étaient retenues par imbibition. Elles mettaient un jour, deux jours et plus pour s’écouler, et les inondations étaient très-rares. Je connaissais pratiquement toute la puissance du gazonnement, et cependant je me demandais s’il n’y aurait pas possibilité de la fortifier encore par des expé- riences directes. J’ai enlevé dans mes prairies des gazons à section carrée, de 02 de côté, sur 0" de hauteur, volume 0"04, soit 4 décimètres cubes. Lorsque la terre ne contenait plus que 410 % d’eau, ce qui est l'expression d’une humidité convenable, j'ai arrosé le gazon pendant 2% heures, de manière à produire le même effet qu'une pluie fine. Le gazon a été bien imbibé et il a absorbé 119 YINGT-QUATRIÈME SESSION. 93 d’eau pour arriver à une saturation complète, sans laisser écouler l’eau par gouttelettes. Le gazon ayant 0" de hauteur a donc reçu une tranche d'eau de 0"0475 d'épaisseur. R En d’autres termes, une surface gazonnée de 40 centi- mètres de hauteur recoit, pour arriver à l'état d'imbibi- tion complète, une lame d’eau de 4 centimètres 75. Or, le 30 mai 4856, il est tombé dans la vallée de l'Isère près de 5 centimètres d’eau dansla journée. Si toutela sur- face avait étégazonnée, et si le sol n'avait eu que l'humidité ordinaire, 10 % d’eau, presque tout aurait été absorbé, et l'Isère aurait peu grossi. Les vallées du Drac et de la Romanche ayant recu, pen- dant la même journée, une tranche d’eau épaisse de 19 centimètres, l'absorption étant de 4 centimètres. 75, le Drac, à Grenoble, n'aurait plus eu que les 3/4 du volume qu'il avait le 30 mai, et il n'aurait présentéaucun danger. Disons encore que mon expérience a été faite sur une épaisseur de terre végétale de 40 centimètres seulement. Je suis évidemment dans les limites les plus basses, car si l’épaissenr moyenne était de 20 centimètres, la terre aurait absorbé une lame d’eau de 9cent.5, et le département de l'Isère n’aurait éprouvé aucun dommage par les eaux de l'Isère, de la Romanche et du Drac. Ces calculs reposent toujours sur un état d'humidité ordinaire du sol, ce qui n’était pas au 30 mai, puisque la pluie n’avait presque pas cessé depuis un mois; aussi il peut arriver des circonstances exceptionnelles où la force humaine est impuissante, et alors il ne reste plus pour planche de salut que le sauve qui peut. Mais ces pluies fines et continues, qui durent plusieurs jours et qui produisent une tranche d’eau supérieure à 50 9% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. millimètres d'épaisseur dans 24 heures, sont-elles fré- quentes dans les vallées qui nous occupent? Sommes-nous souvent exposés aux fureurs atmosphériques qui rendent le génie de l’homme tout-à-fait impuissant? J'aurais voulu traiter la question des eaux atmosphéri- ques depuis 1793 jusqu'à ce jour, mais on en comprend de suite l'impossibilité, car les expériences pluviométriques sérieuses ne remontent pas à cette époque. Nous n'avons pas à enregistrer de faits graves de 1793 à 4840. Examinons donc la seconde période de 41840 à 1857, où tant de millions ont été emportés dans l'Océan et dans la Méditerranée par les inondations. Je n'ai pas la série complète des observations et je ne puis transcrire ici que les documents officiels des expériences faites à Grenoble, qui m'ont été donnés par mon collègue M. Se- guin, professeur de physique à la faculté des sciences. ANNÉES 1854. — Millimètres d'eau tombée pendant les 24 heures. SE NE LRO Die VE US 0l-A6sactobre.:. 153 0 LTDID EST it ee AR TOMATE LI n nr ondes 31 D NE dre he ENPR idee ea 4 OC LEE ad eur 9, k:92 décembre..….2# 4 DU 2e ca IE AOL er one 27 DR LA Aa ci. Le el 47 |-24 DRE A 0 NU 0 1855. AS: juin He lancer 0 6roctobre 42.127000 10 (Ge) = SE SEE 65 TU ee de LR 0 AAA 2e ce 2 An D AS bsun IUse 00 0 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 95 1856. sil 6 1 M PR ae Li (AE LA LS AU LL VAS uen 0,5 DRE NENE EX CENT 5 AU LE BE 6) LARNEE +4 A Ar LA 0 ONE A AE 10 à Le A A Le 35 PR EURE CAR IA ROME COMME 93 A AS ASS ES SES RP AO SE CANIOMEN TRS 6 POUR ER ARE, Dr DUR RE 10 AR SAONE En POESIE TRIO 5 st A SE ASE 20 | 12 septembre ..... gi D RO LLANAN CENTRE 0,5! 43 ER TN MUR, BOL 6 LP RL ERNEST à 0H M LL AURAS 12 BEM EN QE 20 | 45 Se PAM 0 0 PRES OMR EL & | 25 novembre ...... 3 EURE EM COR, 68 | 26 ER ANR RE 14 SENTIR JET RMOT 22 RUN aa at LA dé 0,5 Re UE LL UT! QU M0 décembre". 0" 0 Se RL 0 | 41 MP AVR 11 | LE US EL AEAARA EE & | 12 AN cie En 6 ARR A RIT 34 1857 anne AU A0 ai marre ne an 0 : LA HE DAS CE AR EE OS EC EUR PAR ARTE 0 | (QUES Get AEARERTE SAAB ES AN ANR PEARL 5 | L'VTSRRPRONAR RE EU ONE ES Es EUR 16 ARE AR BOREUE OL DM EATDO RECU) 0,5 PAPE Es USA 4 AaMAQUT AUS, SUN 0 Dom. Un Die MENU 4e 50 DB UN LD, PHASE OM AU Be SALUE NS 32 DEEE QUE a BE A MG 5 OI NO Lane 0 DNS III LAN HU 10 |: 2 96 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. D'après ces tableaux, les plusgros chiffres sonten 1856; les 30 et 31 mai, il est tombé à Grenoble 90 millimètres d’eau, et dans le mois d'août, les 48 et 19, on a eu encore 58 millimètres. Les eaux de l'Isère ant beaucoup grossi pendant ces deux derniers jours, mais elles n’ont pas causé de rava- ges. Pour faire des calculs bien rigoureux, il faudrait connaître, pour les bassins dont il s’agit, toute l'étendue de la surface, ce que l’on obtient bien facilement avec de bonnes cartes, et en distraire toute la surface ga- zonnée. Représentons par A la surface gazonnée et par B la surface dégazonnée. Prenons la journée du 30 mai où il est tombé 0068 d'eau (68 millimètres). La surface A aura recu un volume d'eau représenté par À x 0"068; elle aura retenu un volume A X 00475, et laissé écouler un volume À x 0"0205. La surface B aura recu un volume d'eau B X 0"068, et comme elle n'aura rien absorbé, tout le volume BX0"068 aura passé sous les ponts, à Grenoble. La quantité d’eau passée sous ces ponts sera donc de A X 00205 + B x 0"068. Si toute la surface avait été gazonnée, elle aurait recu un volume d’eau exprimé par (A+B) 068; elle aurait retenu (AB) 0"0475 et laissé passer sous nos ponts, à Grenoble (A+B) 0"0205. Connaissant, dans ces deux hypothèses, les volumes d’eau qui se sont écoulés sous les ponts, connaissant aussi la vitesse du courant, on trouverait facilement l'épaisseur de la lame d’eau au-dessus de l’étiage. Presque toujours, quand l'Isère est à son maximum d'élévation, le Drac est peu au-dessus de son étiage, et VINGT-QUATRIÈME SESSION. 97 réciproquement. Malheureusement, l'exception s’est réa- lisée le 30 mai, car l'Isère coulait à pleins bords et le Drac n’avait jamais été plus effrayant. C'était un gros fleuve, car il passait ce jour-là 3,394 mètres cubes d’eau par seconde sous le pont en chaines de fer, et 1,189 mètres cubes sous le pont suspendu à Grenoble. Le Drac était, le 30 mai, à 4925 au-dessus de l’étiage, et l'Isère à 4 mètres. Au confluent du Drac et de l'Isère, le volume des eaux réunies s'élevait à 4,583 mètres par seconde. Ce volume n'avait jamais été aussi considérable depuis 1219, à l’épo- que de la rupture du lac Saint-Laurent. Aussi la vallée, depuis ce confluent au-dessous de Grenoble jusqu'à Saint- Gervais, ne présentait plus qu’un lac se mouvantavec une vitesse de 5 mètres par seconde, emportant tout ce qui se trouvait sur son passage. Les cris de détresse se firent entendre toute la nuit sur les deux rives, et le lendemain les habitants cherchaient vainement leurs champs et leurs maisons ! En résumé, on voit que lorsque toute la surface sera _gazonnée, elle absorbera une lame d’eau épaisse de 0"047. Quand les pluies fourniront une plus grande quantité d’eau, l’excédant se réunira dans le lit principal de la vallée par tous les affluents ; mais il faudra des circons- tances trop extraordinaires pour avoir à supporter quel- ques pertes. Si le 30 mai nous avions eu un mètre d’eau de moins dans le Drac et dans l'Isère, nous n’aurions pas éprouvé de pertes dans les vallées de l'Isère et du Drac. La seule vallée de la Romanche aurait souffert pendant cette néfaste journée, car les pluies ont été effrayantes pendant 24 heures. Depuis le Lautaret jusqu’à Vizille, c'était le sauve qui peut. Le'gazonnement, le reboisement, IT 1 98 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les digues et tous les moyens qui sont au pouvoir des hommes auraient échoué. Les expériences que j'ai faites sont décisives au sujet des effets produits par le gazonnement; mais il ne suffit peut-être pas pour le gouvernement de faire dépendre un travail aussi important d’une seule expérience sur des gazons isolés. Passons à des preuves qui fortifieront tout ce que je viens d'exposer. Il y a près de vingt ans que je remis au conseil général de l'Isère une note sur le gazonnement, qui fut accueillie avec un bien vif intérêt. Parle fait des pâturages sur les montagnes dans le département des Hautes-Alpes, le sol était tout dénudé, et le tapis de verdure qui le couvrait quelques années aupa- ravant avait été remplacé par des ravins. Déjà à cette époque les villages et les plaines souffraient des avaries causées par des pluies continues. 4° Il ya près de quatre-vingts ans que le village de Presles, à mi-coteau, se trouvait, par le fait du ravinement, dans la position la plus critique. Les habitants réunis for- mèrent le projet de reboiser la montagne au-dessus du village et de gazonner tout le terrain compris entre Pres- les etle sol reboisé. L'exécution de ce projet fut immé- diate, el les touristes remarquent aujourd'hui ce joli village couronné par une petite forêt de bois noirs et par un gazon d'un vert foncé; 2° La montagne d’Aspres lez Corps était aussi ravinée, et le village, qui a presque un kilomètre de longueur, souffrait à toutes les pluies. Le maire défend d’une ma- nière absolue le pacage sur la montagne d’Aspres lez Corps : elle se gazonne bientôt par seul fait de l’absence des bestiaux. L'herbe acquiert 0" de hauteur. Les habi- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 99 tants demandent la permission d'envoyer leurs bestiaux en moindre quantité; refus de la part du maire ; ils solli- citent la faveur d’aller faucher l'herbe, le maire refuse encore, parce qu'elle sert d'engrais pour la saison sui- vante, jusqu'à ce que le gazon ait acquis une consistance suffisante. La montagne au-dessus du village d’Aspres lez Corps se fait remarquer aujourd'hui par une pelouse verte épaisse, que les pluies les plus fortes ne peuvent entamer. 3° Le troisième exemple est celui de Chorges, entre Gapet Embrun. Le ruisseau recevait tous les filets d’eau de la surface de la montagne, dénudée parce que le gazon avait disparu sous la dent des animaux. Tout le ter- rain au-dessus et au-dessous du bourg de Chorges était abîmé par les pluies, et la route impériale obstruée par les alluvions du ruisseau. Le pacage défendu, la monta- gne s’est recouverte de gazon et le pays est à l’abri des invasions pluviales. | Depuis que j'ai bien observé ces trois localités, j'ai fait la propagande et proclamé le gazonnement comme un préservatif ou palliatif contre les perturbations atmosphé- riques. Il est de fait qu'en ce moment, le gazon inspire une grande confiance, et c’est aux habitants des Hautes- Alpes que nous devons cette première pensée. Il y a dans cette population un génie et une volonté ferme que l'on ne rencontre pas dans celles qui sont mieux partagées . Sous le rapport climatologique. Poursuivons nos observations : Le 4er novembre 1843, le Drac sort de ses digues, passe par-dessus la contre- digue sur trois kilomètres de longueur. La lame d’eau a 0®5 d'épaisseur ; elle se déverse sur le talus oriéntal de la contre-digue, ayant 45 degrés d'inclinaison. Ce talus était 100 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. bien gazonné, et lorsque Je le visite, le 2 novembre, il n’y a pas trace de ravinement. L’herbe était couchée suivant Ja ligne de plus grande pente. Ayant bien constaté les trois exemples du département des Hautes-Alpes, j'aurais dû, plus que tout autre, croire à la conservation du talus que je venais de visiter; et, cependant, je pensais qu’il n'aurait pas pu résister pendant douze heures à la force d'une nappe d’eau coulant sur une pente de 45 degrés. Mon ami, M. Vicat, vint visiter, sur ma prière, ce fait le surlendemain, et nous l’avons consigné dans les articles que nous avons publiés, en 1843 et 1844, au sujet de l'inondation du 41°" novembre. Nouvelle catastrophe par le Drac et l'Isère, le 30 mai 1856. Le 1° juin, en ma qualité de syndic-directeur, j'ai parcouru toutes nos digues, et partout où les eaux avaient déversé sur le talus occidental de la diguedu Drac, je n'ai pas remarqué un seul point entamé du gazon; sur les graviers, tout avait été emporté par la force des eaux. Je me rappelle avoir lu quelque part, dans les ouvrages de M. Elie de Beaumont, qu’un gazon ayant vingt siècles d'existence authentique, présentait encore une grande force de végétation. Si ces exemples ne suffisent pas, nous pourrions ajouter que dans toutes les montagnes où des parties ont été mises à l’abri de l'invasion des vaches et des moutons, le tapis de verdure n’est jamais interrompu par des ravinements occasionnés par les eaux. Il y a sur les montagnes deux espèces d'animaux domes- tiques : les vaches et les moutons. Les vaches ne détruisent pas la plante par la dent, mais par le piétinement dans les temps humides. Le piétinement des moutons est presque nul, mais la VINGT-QUATRIÈME SESSION. "AO dent arrive jusqu'au cœur de la plante et la fait périr lors- que la nourrilure est rare. Que conclure de tous ces faits pour mettre à l'abri des inondations les vallées qui commencent sur les points culminants de la chaîne occidentale des Alpes et qui vont aboutir à la mer? Il faut défendre ou limiter le nombre des bestiaux que l’on entretient pendant toute la belle saison sur les montagnes. La défense doit être absolue là où le mal est arrivé à son comble. Elle doit être limitée dans les parties de ter- rains qui sont encore dans un état plus ou moins pros- père. Les habitants des montagnes, en doublant ou triplant le nombre des bestiaux pouraugmenter leurs revenus, ont porté atteinte à toutes les propriétés, depuisles pâturages jusqu'à Arles. La législation donnait-elle ce droit? La défense absolue sur tous les points ruinés par les bestiaux les privera longtemps de tout revenu. La défense limitée leur laissera encore quelques res- sources; mais, somme toute, pour arriver à un état nor- mal, afin de prévenir le retour de tant de malheurs, il faut que l’empereur provoque une législation qui harmo- nise les intérêts de la montagne et de la plaine. Il faut faire la part qui doit être attribuée aux bestiaux et aux perturbations atmosphériques de 1840 à 1856. Ce sujet esttrès-grave, il appartient au législateur, et l'examen en est tout à fait étranger à l'ingénieur, au naturaliste, qui a dû se borner à le signaler à l’autorité compétente. D’après les exemples que j'ai cités plus haut, le gazon- nement se reproduit de Jui-même; mais il faut plus ou moins de temps pour arriver à une pelouse consistante. Quand ladégradation est très-avancée, bien des années #02 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pourraient s'écouler avant d'arriver à un état prospère. Il faut donc venir en aide à la nature. Les plantes qui prospèrent le mieux dans les pays de montagne sont les graminées qui ne périssent pas et qui traversent les siècles sans perdre de leur force végétative. Les meilleures espèces sont :- 4° Dactylis glomerata. La graine vaut 80 fr. les 400 kil. Il en faut 40 kil. par hectare, soit pour 32 fr. 20 Bromus erectlus. Prix de la graine, 80 fr. les 100 kil. Ilen faut 50 kil. par hectare, soit pour 40 fr. 3° Festuca duriuscula. Valeur de la semence, 120 fr. les 400 kil. Il en faut 50 kil. par hectare, soit pour 60 fr. D'après ces données, il est bien facile de connaître la dépense nécessaire pour ensemencer un hectare de ter- rain. Il n’y a pas d’inconvénient à mêler ces semences par parties égales, et alors la dépense en graines sera de #4 fr. par hectare. La manutention sera peu considérable, car il suflira d’avoir des ouvriers armés de râteaux en fer. On sèmera la graine des graminées et on passera de suite le râteau qui fera les fonctions d’une herse. Ce travail devrait commencer en mai dans les parties les moins élevées, et continuer en juin et juillet. Plus tard il serait à craindre que la plante, surprise par la saison trop froide, ne fût pas assez vigoureuse pour résister à l'hiver. Nous sommes maintenant en état de faire le parallèle du gazonnement et du reboisement. La haute futaie en bois résineux, pins, sapins, mélè- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 103 zes, etc., exige de quarañte à cinquante ans avant qu'elle soit forêt. Elle dure cent ans. Le soleil ne pénétrant pas sur le sol, il reste nu. Quand les feuilles, les tiges et les troncs sont suffisamment chargés de pluie, celle-ci tombe sur la surface; elle coule plus facilement que sur le gazon et arrive plus vite à la plaine. Les taillis, dans les Alpes, sont coupés tous les vingt ans ; après deux ans de coupe, le sol est tout gazonné et le bois pousse en même temps. Les essences sont chêne, être, aune, charmille, bouleau, etc., etc. Le touffu est complet et presque impénétrable ; les feuilles sont beau- coup plus grandes que celles des bois résineux. Le taillis retient donc plus d’eau que la futaie, et, de plus, ilya par-dessous un gazon herbacé qui forme une seconde bar- rière contre l'écoulement rapide des eaux. Je n’ai jamais vu dans les beaux taillis les eaux de pluie couler à la surface. Mais les futaies, les taillis, ne peuvent pas croître par- tout ; ils exigent des dépenses considérables et un grand nombre d'années avant qu'ils soient en état de défense contre les pluies. IL est vrai qu'ils donnent des produits quand ils sont arrivés à l’état de coupes ordinaires. De ce parallèle, il résulte que, pour arrêter les déplo- rables effets des pluies continues, il faut d’abord gazon- ner partout, puis, dans les bons terrains, semer le taillis, la futaie. Toutefois, ilest bon de remarquer que le gazon- nement seul serait suffisant, si l’état financier s’opposait au reboisement. Le reboisement, que je suis loin de ne pas admettre comme préservatif et comme ressource en bois de cons- truction, de chauffage et comme aussi pour le charbon- nage, exigerait des dépenses fabuleuses s’il fallait l'entre- 104 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. prendre partout. Outre les dépenses, il faut ajouter le temps. Le gazonnement n’exige que la suppression du pacage, J'ai cité Aspres lez Corps et Chorges, où j'ai vu renou- veler le gazon dans moins de six ans. Ce gazon, après ce laps de temps, avait assez de consistance pour être à l'abri de pluies presque diluviennes, car il n’a jamais été en- tamé de 4840 à 1856. Pour le gazonnement, il n’y a pas de frais. Celui qui règle les hautes destinées pourvoit à tout, le fait croitre -très-rapidement, pourvu que notre cupidité ne vienne pas détruire ce qui nous est donné avec tant de largesse. J'ai donné plus haut encore les moyens de reproduire le gazon, en citant trois espèces de graminées pour les loca- lités trop dégradées. Mes prescriptions sont le fruit de près de cinquante ans d'études et d'observations, depuis le sommet des Alpes jusqu'à la mer. Leur exécution nous assurerait un repos absolu et des récoltes luxuriantes. Nous ne verrions plus nos montagnes arides et pelées, et les plaines seraient à l'abri de toutes les perturbations atmosphériques. J'ai la conviction que la dépense totale à faire serait de beau- coup inférieure à la perte de la seule journée du 30 mar 1856. Avant de procéder à ces travaux, il faudrait : 4° régler le nombre des bestiaux à conserver sur chaque montagne ; 20 diviser le terrain, sur les plans du cadastre, dans les catégories dont il a été parlé plus haut. Quand ce travail serait préparé, on connaîitrait le nom- bre d'hectares à gazonner et à reboiser, et la dépense totale qu'il faudrait faire. On pourrait affirmer d'avance que l'état de repos et de VINGT-QUATRIÈME SESSION. 105 prospérité ne laisserait plus rien à désirer, si tous les ter- rains qui forment les vallées dont il a été question appar- tenaient à un même état. Malheureusement, ces contrées dépendent de la Suisse, de la Savoieet de la France. Il fau- drait le concours des trois nations pour un travail complet. La vallée du Rhône prend naissance au Saint-Gothard, dans le Valais (ancien département du Simplon), et, depuis ses sources jusqu’au lac de Genève, le Rhône et ses affluents sont alimentés par un grand nombre de petites vallées qui partent des glaciers de la grande chaîne. Ces petites vallées sont déboisées et dégazonnées, mais cepen- dant beaucoup moins que les pays analogues en France et en Savoie. D'un autre côté, le lac Léman est un im- mense réservoir, d’une grande longueur, et il retarde un . écoulement trop rapide. L'Isère et tous ses affluents au dessus de Montmélian dépendent des Etats sardes. Toutes les montagnes sont, comme en France, dénudées, et les rivières, quand les pluies sont continues, grossissent de manière à inquiéter les populations ; elles font beaucoup de mal à la Savoie, et, à partir de Montmélian, nous recevons des masses d’eau dans la vallée de Graisivaudan. Il faudrait que le gouver- nement sarde pût adopter les mêmes mesures ets’entendre avec la France pour avoir un système complet de défense. Maîtresse absolue de tout le terrain arrosé par les val- lées du Drac, de la Romanche, de la Durance et de l'Isère, depuis Montmélian, la France pourrait exécuter tous les travaux qu’elle jugerait utiles pour sa défense. Quand la Suisse et la Savoie persisteraient dans le statu quo, en maïtrisant le Drac, la Romanche et la Durance, ainsi que tous leurs affluents, nous aurions déjà fait un pas immense, car ce sont les rivières qui nous font 106 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le plus grand mal. Il ne faut pas perdre de vue que mon plan a pour but de garantir tous les départements qui commencent aux Alpes et qui s'étendent jusqu'à Arles. En traitant du gazonnement, je me suis arrêté au pied des petites vallées, et c'est ici que commence le travail des digues qui appartient aux ingénieurs des ponts et chaussées. On a parlé quelquefois de tranchées horizontales à faire dans les montagnes. Ces travaux arréteraient les cours d’eau, le vide retiendrait une partie des eaux pluviales, et elles arriveraient plus lentement dans les plaines. Il fau- drait que ces réservoirs étagéseussent de certaines dimen- sions; mais, quand on connaît bien tous les accidents de terrain des montagnes, on ne peut pas compter sur l'efli- cacité d'une semblable défense. L'ouverture de tranchées horizontales sur des surfaces aussi découpées serait d’un prix fabuleux, car il y a peu de terre, et il faudrait faire des réservoirs horizontaux, en partie dans la roche; et, en supposant une semblable défense exécutée, il faudrait à toutes les pluies, plusieurs fois par an, repurger ces fossés, enlever les sables et graviers amenés par les eaux. Un semblable travail serait beaucoup trop cher, pour ne pas dire ruineux. Mon mémoire était terminé, lorsque la presse a publié la lettre de S. M. l'Empereur à M. le minstre des travaux publics, sur les moyens de prévenir le retour des inon- dations par le système des barrages. La digue de Pinay, sur la Loire, construite en 1811, a servi à Sa Majesté pour établir des calculs qui sont remarquables. Cette digue a retenu dans les plaines du Forez un volume d’eau estimé VINGT-QUATRIÈME SESSION. 107 100,000,000 de mètres cubes d’eau, sans porter la moin- dre atteinte à l’agriculture. Le lac factice s’est écoulé un peu plus tard, et il a prévenu de grands désastres. L'Empereur en conclut, avec une grande lucidité, que dans beaucoup de fleuves, de rivières, comme dans les affluents situés dans les gorges, on peut trouver beaucoup de points pour y établir des barrages, ou digues perpen- diculaires aux courants. Ces barrages, dans un moment donné, retiendront assez d’eau en amont pour empêcher les plaines inférieures d’être inondées. De plus, dans beaucoup de localités, on pourra modérer l'écoulement de ces lacs ou étangs factices, pour en disposer plus tard comme moyen d'irrigation, ou comme force motrice pen- dant la sécheresse. Sa Majesté a fait un appel aux hommes spéciaux qui se sont occupés des eaux, et elle veut donner la surveillance d’un fleuve à une seule personne, car le pouvoir parlagé ne donne jamais les résultats que l’on a droit d'attendre ou d'espérer. L'Empereur comprend que quelques barrages pourront - ôtre préjudiciables à quelques petites vallées; mais il ajoute qu’il faudrait bien en prendre son parti, en indem- nisant les propriétaires, car il faut se résoudre à faire la part de-l’eau, comme on fait la part du feu dans un incendie, c'est-à-dire sacrifier des vallées étroites, peu fer- tiles, au salut des riches et vastes terrains des plaines. Ce passage remarquable, que je copie, tranche la difficulté de la réduction du bétail que j'avais énoncée plus haut. J'ai lu dix fois ce remarquable écrit, si clair, si positif. Les barrages retiendront les cailloux, les graviers et les gros sables. Les digues qui existent suffiron{ pour main- tenir les eaux dans leur lit, et les populations ne seront 108 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. plus dans ces affreuses angoisses lorsque l'horizon s'obs- curcira. Plusieurs systèmes de défense sont proposés aujourd'hui, et l'Empereur s'occupe de cette grave question. Sa Majesté recommande particulièrement les barrages, et cite un bel exemple : la digue de Pinay. On trouvera sur le territoire de l'empire plusieurs localités où l’on pourra utiliser cette défense avec les mêmes succès. Dans les pays monta- gneux, comme dans les Alpes, les barrages ne seront jamais que clair-semés, à cause des pentes trop fortes, mais cependant ils viendront en aide sur plusieurs points de la vallée du Drac. Je n’ai rien à dire du reboisement, ni des digues à éle- ver, à fortifier dans plusieurs vallées de l'empire. Nous reconnaissons tous leur utilité. Je n'ai eu qu’un but dans ce mémoire, c'était de traiter la'question du gazonnement dans tous ses détails, avec la conscience que c’est la défense la plus grande, la plus expéditive et la moins chère. Il suffit de régler les condi- tions du pacage dans les montagnes et de confier l’opéra- tion du gazonnement à la nature qui s’en chargera sans aucuns frais. Je termine en affirmant que, dans toute la chaîne des Alpes, je n’ai jamais vu un seul gazon raviné par les pluies fines et continues qui ont emporté nos richesses territoriales et nos sueurs dans la Méditerranée. Je place donc en première ligne, contre le retour des inondations, le gazonnement. De nombreux applaudissements accueillent l'ex- posé de M. Gueymard. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 109 Le prèsident, après l’avoir vivement remercié de sa communication, lui demande des détails sur la manière dont il a procédé pour arriver au résultat qu’il a donné sur l’imbibition des surfaces gazonnées ; le président désire surtout savoir quelle pente avait le gazon sur lequel M. Gueymard a opéré. M. Gueymard répond qu'il a fait ses expériences sur une surface non inclinée: mais il soutient qu'il aurait obtenu les mêmes résultats avec une sur- face inclinée. MM. Breton, ingénieur, et Breton ; pharmacien, professeur suppléant à l’école préparatoire de mé- decine de Grenoble, partagent cette opinion. M. Gueymard soutient que les lois de la capillarité et de la pesanteur viennent à l’appui de sa proposi- tion. Les trombes seules attaquent son système. Il offre d’ailleurs d’opérer, devant la section, sur deux plans, dont l’un sera horizontal et l’autre incliné. M. de Ribbe pense que les fossés horizontaux sont très-utiles pour le gazonnement, sur les points où les plantes périssent. M. Breton, ingénieur, dit que le gazon peut bien cesser de végéter, mais ne périt pas. M. de Ribbe cite l’opinion d’un conservateur des forêts, qui est d'avis de combiner le reboisement et le gazonnement et d'aménager les gazons comme les forêts. 4110 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il y a solidarité entre la plaine et la montagne. Ce sont les propriétés des plaines qui profitent de celles des montagnes. C’est cet,abus qu’il faut faire cesser. M. Mahias, septième inscrit, a la parole. M. Mahias se demande qui sera chargé d’appli- quer les moyens proposés. L'empereur a décidé qu'un corps d'ingénieurs devra visiter les fleuves. Un seul individu ne pourrait suffire à la tâche. À notre époque, l'Etat fait tout; c’est un fait que M. Mahias reconnaît sans l’approuver. L'Etat sera donc chargé de l’application des procédés. L'Etat devra déléguer une administration puis- sante, et cette administration devra être un corps spécial d'ingénieurs hydrauliques. M. de Ribbe a signalé l’antagonisme des dits el chaussées et des eaux et forêts. M. Mahias pro- pose, comme remède, la création d’un troisième corps, et il demande que cette création soit comprise dans le vœu qu’exprimera le Congrès. M. Mahias croit en outre qu'il faut appeler l’atten- tion du gouvernement sur la réforme de la législa- tion actuelle. Il faut une loi énergique qui fasse céder l'intérêt privé à l'intérêt général. Il faut no- tamment augmenter les pénalités ; il faut, dans beau- coup de cas, substituer la prison à l'amende. Si l’on VINGT-QUATRIÈME SESSION. al ne frappe pas sévèrement les délinquants, ils ne songent qu'au moment présent et se moquent des amendes, étant presque toujours insolvables. M. Segond-Cresp signale les inconvénients de la création d’un troisième corps, proposée par M. Mahias. Le président rappelle les usages du Congrès en matière de vœux à exprimer; il faut peu de détails. Dans le vœu relatif aux moyens destinés à prévenir les inondations, il faut être sobre et éviter les lon- gueurs. M. Mahias serait d'avis de la création d’un mi- nistère des eaux et forêts. M. Adrien Sénéclauze insiste sur la nécessité du classement des localités et des divisions hydrogra- phiques. M. Breton, ingénieur, entre dans quelques cal- culs au sujet du drainage, et il estime qu’un terrain drainé à 4"20 peut retenir deux fois plus d’eau qu'un gazon de A0 centimètres. M. de la Tréhonnais dit qu'un hectare drainé absorbe 600,000 litres d’eau. M. Gueymard, interrogé sur ce qu’il pense du drainage, au point de vue des inondations, répond que ce procédé produirait des effets immenses dans les pays de plaine. M. Alard, de Dunkerque, constate que la question 112 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. relative aux moyens les plus efficaces de s’opposer aux dévastations des torrents et des rivières a été élucidée d’une façon remarquable par ceux de ses collègues qui ont pris la parole dans celte grande question. À notre avis, dit M. Alard, il n’est pas un seul des moyens proposés qui doive être repoussé ; car ils ont tous leur valeur, et nous voudrions les voir appliquer, soit isolément, soit simullanément, par- tout où leur application serait facile; ainsi nous optons pour le reboisement partiel des montagnes, pour le gazonnement dans des proportions données, pour les tranchées au pied des monts, pour les barrages , et, enfin , pour tout ce qui tendrait à faire disparaitré graduellement les obstacles qui s’opposent au cours libre des rivières. Quant aux barrages, nous les pratiquerions de préférence à l'endroit des gorges étroites dont il serait plus facile de se rendre maître ; et ces barrages, au lieu d’être une brusque interruption du torrent, le laisse- raient s'échapper dans la proportion du quart, du tiers, de la moitié de sa masse liquide, au moyen de percées ou tuyaux qui favoriseraient cet échappe- ment des eaux; de telle sorte que la portion retenue ne deviendrait jamais aussi menaçante pour les ter- rains inférieurs que si la retenue des eaux était complète. Ainsi, il ne serait pas question de travaux gigantesques, de dépenses d’un chiffre énorme, mais VINGT-QUATRIÈME SESSION. 113 de travaux à la portée des communes ét des dépar- _tements, et qui, étant exécutés sur tous les points avec intelligencé et sur une pelite échelle, n’au- raient pas moins leur effet utile appréciable, d’après laxiome vulgaire : Îl n’est si peu qui n'aidé. M. de Brive, prenant la parole à son tour, dit qu’il ést heureux de pouvoir apporter son éontin- gent dans une discussion aussi solennelle et aussi importante. La Société d'agriculture du Puy, préoc- cupée, comme un grand nombre d’autres sociétés sa- vantes, de la question des inondations, nomma, en 1856, une commission pour l’éludier. C’est le travail de cette commission, dont M. de Brive a été le rap- porteur, qu'il croit devoir soumettre à la section. RAPPORT FAÏT A LA SOCIÉTÉ D’AGRICULTURE DU PUY, Par M. Albert de BRIVE: Messieurs , Une question qui touche à la fois aux intérêts de l’agri- culture, de l’économie politique et del’humanité, préoc- cupe depuis deux mois tous les esprits, émeut tous les cœurs. L'inondation de 4856, par sa généralité, son inten- sité, sa durée et par les désastres qu’elle à occasionnés, sera citée, comme le furent avant elle celles de 4840 et de II 8 11% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 1846. De mème qu'après ces dernières inondations, on s'occupa des moyens de conjurer le fléau pour l'avenir, on recherche aujourd'hui les causes de ces terribles mé- téores, les moyens de les prévenir, ou du moins d'en affaiblir les résultats. Mais, plus heureux que nos devanciers, nous avons lieu d'espérer la réalisation des savantes théories que les hommes de science et d'art s'empressent d'apporter de toutes parts, pour la solu- tion de cette grave et importante question. Une volonté souveraine, qui fait tout plier sous l'autorité de son intelligence et de son pouvoir, a résolu de traduire en fait les études et les rapports, qui, en d’autres temps, auraient été remplir les cartons et grossir les archives. Malgré la hauteur de la question et l'importance des opinions qui ont déja été produites, vous avez Cru, pour suivre l'exemple de la Société centrale d'agriculture et de plusieurs sociétés de province, devoir intervenir et charger une commission spéciale de se livrer à l'étude de ce grand problème. Organe de votre commission, je viens vous soumettre le fruit de ses recherches et de ses travaux. Et d’abord, pour expliquer les inondations si fréquentes et si désastreuses dont notre pays est victime, faut-il ad- mettre , ainsi que l'ont fait quelques auteurs, que la température de notre climat a été gravement modifiée ? qu'il a été apporté, par des circonstances atmosphériques, une perturbation dans les lois météorologiques ? Les faits que révèlent nos annales et ceux qui existent encore dans les souvenirs de nos vieillards semblent prouver que, pour “notre région, les inondations ont été aussi calamiteuses dans les temps anciens qu’elles le sont de nos jours. Il suffira de rappeler celle de la Loire qui, en 4559, d'après VINGT-QUATRIÈME SESSION. 115 Arnaud, détruisit le pont de Coubon, couvrit d'eau toute “Ja plaine de Brives, emporta une partie de sa maladrerie, plusieurs maisons du village ét quelques-uns dé sés ha- bitants ; celle de là Borne qui, en 1767, causa de tels ravages, que les états du Velay se crurent obligés de dé- dommager l'Hôtel-Dieu du Puy, les réligieusés de Sainte- Catherine et les Jacobins, des pertes qu'ils avaient éprou- vées;, celles de 1789 et de 1796, dont les traces étaient encore visibles au village de Charensac dans mon enfance, et qui avaient touché à des limites que n’a atteintes au- cun de nos derniers débordements. L'établissement du barrage de Pinay, dans le Forez, qui va servir de modèle à un grand nombre de travaux semblables » Prouverait à lui seul que le fléau sévissait autrefois comme il sévit de nos jours, puisqu'on avait pris alors contre lui des mesu- res semblables à celles que la sagesse et la science con- seillent aujourd'hui. La cause première des inondations est encore inconnue de la science. Elle est un de ces mystères devant lesquels l'homme est obligé de reconnaitre son impuissance. Mais, s’il ne peut atteindre le fléau dans sa cause, il lui est per- mis d'en prévenir les effets par des moyens que son génie, ses efforts et le sentiment de sa conservation peuvent lui suggérer. Les inondations sont évidemment produites par les pluies qui, tombant dans des proportions à peu près égales dans chaque contrée, pendant le cours de l’année L ne se répartissent pas également dans toutes les saisons. Il arrive de longues sécheresses qui sont suivies de pluies abondantes. Ces eaux, après avoir saturé les couches su- perficielles de la terre, descendent dans les thalwegs et, par leur réunion, v occasionnent ces agglomérations 416 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. énormes d’eau qui entraînent les ruisseaux, les rivières et les fleuves hors de leurs limites, et, augmentant leur cou- rant par le poids de leur volume, détruisent tout ce qu’elles rencontrent sur leur passage et vont porter au loin la dévastation et la mort. Quelquefois une trombe de quelques heures ou une pluie torrentielle de quelques jours suffisent pour produire les mêmes effets. Le danger des inondations résultant tout entier de la stimultanéité dans l’arrivée des eaux pluviales aux thal- wegs, il est évident que tous les moyens qui pourront être employés pour retenir momentanément les eaux et retarder leur descente, seront les plus capables de mettre un frein aux inondations. Parmi ces moyens, l'un des plus efficaces nous a paru être celui du reboisement des montagnes. On sait que les eaux provenant des pentes sont les plus dangereuses, soit à cause de la force d’impulsion qu'elles acquièrent, soit à cause des débris de terre , de sable, de graviers ou de roches qu’elles détachent et entraînent avec elles. Eh bien ! les semis ou les plantations d'arbres, qui paraissent destinés par la Providence à conserver une végétation utile sur ces points où toute culture est impossible, ont également la propriété de s'emparer, par leurs racines, leurs tiges et leurs feuilles essentiellement poreuses et avides, de quantités considérables d’eau qu'ils absorbent plus tard dans le travail de la végétation, ou transmettent lentement à la terre pour l'entretien des sources. Ces végétations ligneuses agissent encore sur le sol en le reliant par leurs racines et en favorisant son gazonne- ment par leur ombrage, et protégent ainsi la terre végé- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 117 ‘tale que les pluies tendent toujours à entrainer dans les bas-fonds où elles concourent à la surélévation des eaux. Le reboisement n’est point un ‘moyen aussi lent qu'on le croit généralement. Le sol et le climat des montagnes lui conviennent particulièrement, et quelques années y suffisent pour que les semis et les plantations couvrent de leur verdure ces points élevés et acquièrent cette faculté d'absorption qui donné aux forêts une action si utile con- tre les inondations. En entreprenant en France le reboi- sement sur une vaste échelle, non-seulement on prendrait l’un des moyens les plus efficaces contre les inondations, mais on ferait en même temps pour l’agriculture, l’éco- nomie publique et l’intérét des communes et des particu- liers une œuvre infiniment avantageuse, et que réclament avec instance toutes les associations agricoles. « Les forêts, « a dit M.P. d'Avremont, sont des réservoirs remplissant, « à l'égard des pays tempérés, l'office des glaciers dans « les régions hyperboréennes. » Elles retiennent les eaux pour les distiller en quelque sorte pour l'entretien habituel des sources et des cours d’eau. Mais, pour atteindre ce but qui est, depuis un grand nombre d'années, l'objet de vos plus constants et plus énergiques efforts, la question du reboisement doit deve- nir une question agricole et non une question de finances. Dans l'intérêt seul de la propriété forestière, vous avez émis le vœu que l’administration des eaux et forêts passât du ministère des finances dans celui de l’agriculture ; aujourd'hui, Messieurs, vous pouvez ajouter à cette consi- dération celle de l'intérêt, plus actuel, qu'ont eu le privi- lége d'inspirer les malheurs produits par les inondations de mai et juin derniers. . 118 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le drainage seulement est pour les plaines ce que le reboisement est pour les montagnes : le moyen le plus sûr contre les inondations. Le but du drainage est, en effet, de soutirer les eaux surabondantes de la surface des terres, qui restentslagnantes ou courent en dégradant sur la plus faible pente, et de les attirer à la profondeur des tuyaux, qui varie de { mètre à 1"50. En d’autres termes, le drainage multiplie la largeur de la couche perméable par celle de la profondeur des drains. On peut estimer cette couche, qui n’est autre que la couche arable, dans une terre argileuse ou celle à sous-sol imperméable, à 20 centimètres. En plaçant les drains à { mètre de pro- fondeur, on multiplie cette couche par 5; en les plaçant à 1 mètre 50 centimètres, on la multiplie par 7 1/2. En pays de plaine ou de pente modérée, les eaux de pluie ne coulent à la surface qu'après la saturation com- plète de tout le terrain perméable. En augmentant la quantité de ce terrain dans la proportion indiquée, on constitue donc le réservoir le plus vaste que l'imagination puisse concevoir, réservoir formé de tout l’espace compris dans les terres susceptibles de drainage, depuis leur sur- face jusqu’à-une profondeur de 4 mètre à 1"50. Mais, dit-on, le drainage ne conserve point les eaux dans cette couche devenue artificiellement perméable, et les drains sont destinés à les attirer constamment pour les rendre aux thalwegs. Sans doute, répondrons-nous, le drainage rend les eaux à leur cours naturel, mais après un délai qui, suivant la profondeur des drains, suivant la nature du terrain, varie de 24 à 50 heures. Ce sont des faits que tous ceux d’entre nous qui se sont livrés à celte fructueuse opération du drainage moderne ont pu obser- ver. Or, les inondations ne se maintiennent jamais long- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 119 temps dans leur maximum d'élévation. Quelquefois on les voit se renouveler dans un court intervalle de temps, mais toujours avec des intermittences. Le drainage, en suspendant l'écoulement d'une grande masse d'eau pen- dant 24 heures au moins, pourra prolonger la durée de linondation, mais en affaiblira certainement l'intensité. Du reste, l'expérience des bons effets du drainage est déjà faite. « Les contrées affligées du fléau cette année , « ditM. l'ingénieur L. Marchal, sont celles où il s’est fait « jusqu'ici le moins de drainage. » — « On a remarqué, « ditégalement M. l'ingénieur Belgrand, que les contrées « inondées ont été celles dont les eaux coulent sur des « terrains imperméables. » Mais nous ne voulons point. exagérer les mérites du drainage, et nous conviendrons que, dans certains cas, qui ne forment que des exceptions, le drainage ramène à la surface des eaux de source et augmente la quantité des Caux courantes sur certains points. Nous doutons encore. que cet effet soit autre chose qu’un détournement dans la circulation ordinaire des eaux générales destinées à porter la vie sur toules les parties du globe par des issues plus ou moins apparentes. Mais, enfin, en supposant même que le drainage augmente dans les thalwegs le volume des eaux, cette abondance continue ne serait-elle pas un bien plutôt qu'un mal, en procurant à l’agriculture, à l'indus- trie et au commerce de nouvelles ressources utilisables? Ce serait seulement un motif de plus, ainsi que le conseille si judicieusement M. Barral(l), de ne pas se borner au drai- (1) Directeur du Journal d'agriculture pratique, le plus com- plet des recueils agricoles, paraisssant le 5 etle 20 de chaque mois, en cahiers de 48 à 6% pages à deux colonnes, avec de nombreuses gravures. 120 CoNGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nage ordinaire et d'entreprendre en même temps le grand drainage comme il a été fait en Angleterre, en réglemen- tant convenablement le régime de toutes les eaux. C’est une grande entreprise. Mais la lettre de l'empereur à son ministre des travaux publics laisse entrevoir ce projet comme un de ceux qui doivent concourir avec les autres grandes mesures que S. M. indique pour atténuer à l’ave- air l'effet des inondations. | Après ce qui a été dit avec tant d'autorité de la cons- truction des barrages, pour retenir momentanément les eaux dans les grands bassins naturels que traversent la plupart de nos fleuves au sein des montagnes où ils prennent leur source, il y aurait de la témérité à vouloir aborder la même question. Qu'il nous suflise de dire que ces travaux de l’art ne feront que reproduire généralement les grands réservoirs, les lacs qui, après les divers cataclysmes qu'a subis le globe dans les temps antiques, s'étaient formés sur tant de points, dont nous avons tant d'exemples sous nos yeux, et qui n’ont cessé d'exister qu'après que les cours d’eau qui les avaient rem- plis ont pu se frayer un passage en détruisant, par érosion, dans la suite destemps, les barrages naturels qui s'étaient formés. La place des grands travaux d’art que l’homme va entreprendre pour se défendre contre les inondations se trouve ainsi indiquée par la main même de la nature. Avec ces diverses mesures d’une haute importance, il en est beaucoup d'autres secondaires, mais qui, appli- quées sur un grand nombre de points à la fois, peuvent produire des effets très-utiles. L'établissement de rigoles horizontales sur les terrains VINGT-QUATRIÈME SESSION. 121 en pente, conseillé par l'ingénieur Polonceau, de canaux pour l'irrigation; dans les villes, la création de nombreux réservoirs pour parer aux incendies, entretenir la propreté des rues, de citernes pour les besoins particuliers ; dans les campagnes, le creusement de bassins pour l'entretien des prairies, sont autant de moyens qui viendraient con- courir au but général. Toutes ces mesures, que l’on peut considérer comme des moyens préventifs, doivent être préférées à celles qui constituent les moyens que l’on pourrait appeler répres- sifs. L'établissement des diques parallèles au cours des eaux est aujourd'hui condamné pour la plupart des cas. « Le système des digues n’est qu'un palliatif ruineux, impar- « fait pour les intérêts à protéger » a dit l'empereur. En resserrant le lit des rivières, elles ne font qu'augmenter leur courant; en protégeant certaines propriétés, elles ne font qu’en menacer d’autres. Réservées pour la protection de quelques villes ou de quelques riches contrées situées en contre-bas du lit des fleuves, elles ne doivent point être employées dans un intérêt général. Elles ne devraient point l’être dans un intérêt particulier sans l'approbation de l'autorité. Le propriétaire riverain, tout entier préoc- cupé de ses propres intérêts, ne songe ni à ceux de son voisin, ni à ceux de la communauté. Dans notre opinion, l’une des causes les plus sérieuses des funestes effets des inondations est dans le droit indé- fini que s’arrogent les propriétaires riverains sur tous les cours d’eau non navigables ou flottables. Non seulement ils se protégent par des digues plus ou moins avancées dans le Hit des cours d’eau, mais chaque année ils empiè- 122 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE: tent par des plantations sur l’espace nécessaire au pas- sage des eaux, de sorte qu'à la moindre crue, le courant, obligé de se frayer une issue, reflue sur lui-même et, acquérant d'autant plus de force qu'il trouve plus d’obsta- cles, déracine les arbres, démolit les digues, ravine les terres et entraine avec lui tous ces débris jusqu'aux riviè- res, jusqu'aux fleuves qui en sont démesurément grossis. C'est le spectacle dont nous sommes surtout les témoins lors de ces inondations exceptionnelles qui ont lieu à des intervalles plus ou moins irréguliers et que le propriétaire riverain croit toujours ne plus revoir. Nous ne doutons pas que ces empiétements sur le lit de tous les cours d’eau, qu'aucune surveillance ne protége, ne constituent une des circonstances les plus aggravantes du fléau si terrible des inondations. Nous pensons, en conséquence, qu'il y aurait lieu de faire dresser des cartes géodésiques de tous les coursd’eau par des agents de FEtat. On indiquerait sur ces cartes bien collationnées, et à la suite d'enquêtes, la largeur nécessaire de tous les cours d’eau, et, après avoir placé des limites sur les deux rives, à de petites distances, on inter- dirait tout travail d'art, toute plantation en delà de ces limites. En un mot, l'abornement des rivières nous paraît présenter plus d'avantages encore que celui des chemins, et nous croyons devoir le proposer comme l’un des moyens les plus propres à atténuer les ravages causés par les inondations. Ces limites devraient laisser un large passage non seulement aux eaux ordinaires, mais aux plus gran- des eaux. Sans doute le droit du propriétaire pourrait être amoindri par ces mesures, sa propriété quelquefois enta- mée. Mais il est des mesures que l'intérêt général réclame el auxquelles tout membre de la communauté doit se YINGT-QUATRIÈME SESSION. 123 soumettre, quelque onéreuses qu'elles soient pour lui. Toutes celles qui tendent à arrêter, à diminuer les désas- tres des inondations sont de ce nombre. « Il faut, à dit « encore l'Empereur, dans sa lettre remarquable tant de « titres, faire la part de l’eau comme on fait la part du feu « dans un incendie. » Tel est le résumé des moyens que l'expérience, l'étude et la réflexion ont suggéré à votre commission pour pré- venir ou arrêter les inondations. Sans attacher à une de ces mesures isolées une efficacité complète, elle pense que de leur emploi simultané il peut, il doit résulter une atté- nuation dans les effets désastreux du terrible fléau. La commission serait heureuse, si elle pouvait penser avoir satisfait, par ce mémoire, aux intentions généreuses qui vous avaient engagés à lui soumettre l'étude d’unesi grave question. Elle serait heureuse surtout d’avoir pu, par son concours, aider au travail d'ensemble qui se pré- pare et qui doit rendre la sécurité à une partie si consi- dérable de la population francaise. M. de Brive ajoute qu'il croit devoir insister sur l'emploi du drainage, comme moyen spécialement applicable dans les pays de plaine pour prévenir les inondations. Si, en effet, le reboisement, le gazon- nement et les barrages peuvent être employés utile- ment pour retenir les eaux sur les pentes dans les, régions montagneuses, où se forment principalement les inondations, le drainage, en suspendant le cours 124 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des eaux pluviales tombées sur la vaste surface, doit affaiblir les inondations et en diminuer consi- dérablement les effets. Dans certains cas exception- nels, même ceux où les inondations ne remontent point aux sources des rivières et où elles ne doivent leur cause qu’aux pluies tombées dans les pays de plaine, le drainage pourrait même les arrêter. Ainsi, en 1856, la Loire, qui a fait tant de ravages dans son bassin inférieur, et qui élait à peine sortie de son lit dans son bassin supérieur, aurait pu être maintenue dans ses limites ordinaires, si le drainage eût été pratiqué largement dans toutes les plaines qui for- ment son bassin moyen. Les effets du drainage doi- vent être les mêmes que ceux du gazonnement, et, comme ceux-ci, ils seront d'autant plus considérables, que la couche perméable, formant réservoir, sera plus épaisse. Le drainage, dont l'utilité comme amélio- ration culturale n’est plus contestée, peut donc en- core être considéré comme un des agents les plus propres à prévenir ou à affaiblir les inondations. Aucun membre ne demandant plus la parole, le président clot la discussion sur les 1" et 2° ques- tions du programme, et donne lecture du vœu à soumettre au Congrès en assemblée générale. M. de Ribbe demande qu'on y fasse mention du défrichement. Plusieurs membres font la même observation pour VINGT-QUATRIÈME SESSION. 195 le parcours des bestiaux et la prohibition de la dé- paissance. M. Paul Gariel, secrétaire, désirerait une rédac- tion plus complète. M. Breton, ingénieur, est du même avis. M. Mahias insiste sur la réforme de la législa- tion dans un sens plus sévère. M. de Ribbe demande qu’il soit fait mention des commissions de classement. M. Challe propose l’adjonction d'un paragraphe supplémentaire qui résume à peu près tous les amendements. Le paragraphe proposé est adopté. Le président met alors aux voix la rédaction sui- vanle : « La 2° section du Congrès, sur les 4" et 2° questions de son programme, c’est-à-dire sur la question de savoir quels seraient les moyens les _plus efficaces de s'opposer aux dévastations des tor- -renis et des rivières, et sur celle de savoir si les moyens proposés sont d’une exécution facile, con- ciliables avec l’état actuel de la législation , « Est d'avis « Que, s’il ne dépend pas de l’homme d'arrêter complétement les inondations, il est possible d’en at- ténuer les effets par l'emploi, suivant les circonstances locales, du reboisement, du gazonnement, des barra- 126 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ses, des fossés horizontaux, des réservoirs artificiels, du drainage et du curage des cours d’eau; mais, en même temps, que la législation et l’organisation ac- tuelles du service hydraulique et forestier sont insuf- fisantes pour prévenir les funestes défrichements des pentes rapides des montagnes , pour restreindre un pâturage excessif et destructeur, et pour assurer le rétablissement et la conservation des bois et des gazons. } Cette rédaction, adoptée à l’unanimité , sera sou- mise à l'assemblée générale (1). M. Albert du Boys, secrétaire général du congrès, fait ensuite part à la section des communications suivantes qu'il vient de recevoir : NOTE © DE M. AUTHEMAN , GÉOLOGUE A CASSIS , PRÈS MARSEILLE. N'ayant pu assister à toutes les séances à cause de mon indisposition, je m'aperçois, par la lecture des pro- cès-verbaux, qu'une omission grave a été faite dans les résolutions du Congrès, relativement aux moyens pro- posés pour atténuer les ravages des inondations. (1) Cette résolution a été adoptée à l'unanimité par le Con- grès (Voir le procès-verbal de la séance générale du 8 septembre, tome 1, p. 231). VINGT-QUATRIÈME SESSION. 127 C'est pourquoi je demande la permission d'y ajouter encore deux palliatifs essentiels. C’est d’abord : l’endiquement des fleuves sur certaines parties susceptibles de prendre de la profondeur et sur les points où ce moyen peut garantir les plaines. Et ensuite : l'utilisation des cavernes naturelles que l'on rencontre dans presque toutes les montagnes, et dans lesquelles il suffirait de dériver les eaux pluviales au moyen de canaux ou simples rigoles. NOTE SUR UN MOYEN DE DIMINUER 4° Les inondations résultant des fortes pluies ; 2° L’appauvrissement du sol dans les terrains à fortes pentes, Par M. ODIER, capitaine du génie attaché au casernement de Paris (1). Dans la plupart des pays montueux et peu boisés, les eaux des grosses pluies, ne rencontrant point d'obstacles, s’écoulent rapidement le long des pentes et entraînent une (1) A cette note est jointe la lettre d'envoi suivante : Monsieur le Président, Apprenant que le Congrès scientifique assemblé à Grenoble s'occupe d'examiner et de rassembler Lous les systèmes présentés jusqu'à ce jour contre les inondations, j'ai l'honneur de vous adresser une note très-succincie sur un moyen qui, je crois, n'a pas encore été indiqué. Peu expert en matière d'agriculture, je ne puis prévoir l'ac- cueil qui est réservé à celte communication; je sollicite l’indul- gence de MM. les membres du Congrès pour une idée que je 128 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. grande quantité de terre végétale qu'elles vont déposer dans les vallées et dans les lits des rivières. De là, appau- vrissement du sol des collines, exhaussement des lits des rivières, facilité de plus en plus grande pour les inonda- tions. Voici un moyen qui me paraît simple et qui, je crois, n'a pas encore été indiqué, non pas d'empêcher totale- ment, mais de diminuer un peu ces inconvénients. Soit un terrain à la pente de —. Pour arrêter les eaux des grosses pluies, on ouvre sur ce terrain une série de tranchées horizontales dont on rejette la terre en aval, de manière à former bourrelet comme dans le profil ci-dessous. Chacun de ces bourrelets arrêtera une nappe d'eau dont la section maximum, pour une hauteur À B — 0"50, sera un peu plus grande qu'un mètre carré, soit un mètre carré. Si la distance de deux tranchées voisines est de 30 cherche à faire juger par des hommes compétents. Si elle n’est pas bonne, qu’elle soit mise au rebut, je n'aurai pas longtemps abusé de leur attention; si elle a quelque valeur, je serai heu- reux d'apporter quelques matériaux à l'édifice important que vous élevez. Je suis avec un profond respect, monsieur le Président, Votre très-humble et dévoué serviteur, ObtEr, capilaine du génie, attaché au casernement de Paris, rue de la Douane, 12. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 129 mètres, cette nappe d’eau sera équivalente à une hauteur pluviométrique de =" ou 0"033, fraction très-notable de la quantité totale d'eau qui peut tomber dans l’année. En tenant comple de la quantité d’eau absorbée par le sol pendant la durée de la pluie, on aurait une fraction beau- coup plus considérable. L'eau pluviale arrêtée par ces bourrelets sera toujours chargée de limon qui se déposera et que le cultivateur pourra restituer à son champ. Il n’y aura de terre perdue que dans le cas où les bourrelets seront dépassés par les eaux ; leur excédant arrivera au fond de la vallée en pas- sant par-dessus tous les bourrelets dont la surface devra être semée de gazon pour subir le moins de dégradation possible. Je n'ai pas assez de notions en agriculiure pour pouvoir répondre à toutes les objections qui se présentent natu- rellement contre ce système, telles que la difficulté d’exé- cution d'un si grand travail, la perte d’une certaine sur- face du terrain cultivé, la stagnation des eaux dans les tranchées, les obstacles apportés par ce système à l'exploi- tation rurale, à la circulation, etc. Je ne sais pas non plus si ce système pourrait convenir à tous les terrains. Je suis porté à croire que l'exécution de ce système serait très-profitable aux collines du dépar- tement du Gers, où je regretle de n'avoir encore pu faire aucune expérience. Ce pays est coupé en tous sens de fossés tracés sans règle fixé, maïs dans le but évident de retenir une partie des eaux de pluie et des terres qu'ellés entraînent. Les paysans consacrent à l'entretien de ces fossés, à leur curage, au transport du limon qu'ils en retirent, une bonne partie de leur temps. Si tous ces fossés étaient II 9 130 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. remplacés par le système de tranchées indiqué ici, on obtiendrait des résultats incomparablement meilleurs. Il y aurait moins de surface cultivable perdue, la stagnation des eaux ne ferait probablement pas plus de mal qu’elle n’en fait avec les fossés actuels. Quelques agriculteurs de ce pays, à qui j'ai soumis cette idée, l’ont approuvée, mais je doute qu'aucun d'eux en ait fait l'expérience. Je n’entreprends point ici la discussion de tous les avantages et inconvénients du système que je propose. Elle ne serait basée sur aucune donnée positive. Je me bornerai à dire que deux hommes, un piocheur et un pel- leteur, pourront faire, moyennement, 15 à 20 mètres cou- rants de tranchée, suivant le profil pris pour exemple. Les tranchées n'auront pas besoin d’être continues, elles seront coupées par les sentiers permanents d'exploitation, par les limites des propriétés. Chaque portion isolée de tranchée devra être terminée à ses extrémités par des bourrelets en retour qui empêcheront les eaux de s'échap- per latéralement. DÉLIBÉRATIONS DES CONSEILS GÉNÉRAUX DES BOUCHES-DU-RHONE, DU VAR ET DES BASSES-ALPES. Le conseil général des Bouches-du-Rhône a été appelé à s'occuper de la question du reboisement dans la séance du 28 août 1857. M. Roman, chargé de présenter le rap- port au nom de la commission des ponts et chaussées, de l'agriculture et des travaux publics, s’est attaché à dé- montrer l'urgence d’études locales qui, seules, permet- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 131 tront de proportionner le remède au mal. Il accepte pleinement les conclusions de M. de Ribbe dans son livre _ et celles qui, sous forme de vœu, sont soumises à l’adop- tion des conseils généraux de la région du sud-est. « Le renvoi de la demande de M. de Ribbe à votre commission d'agriculture prouve suffisamment, dit-il, combien vous êtes pénétrés de l'importance de cette ques- tion du reboisément des montagnes... Nous connaissons ‘ la cause du mal, nous en avons ressenti les effets désas- treux ; il s’agit enfin d'appliquer le remède, mais éner- gique, mais efficace ; et, pour cela, ce né peut être que par une loi, et encore cette loi ne saurait être générale, absolue; uniforme. Pour traiter sérieusement et utilement la question, ol faut la localiser. De cette nécessité surgis- sent tous les embarras qui entravent la solution, et que n'ont pu surmonter encore les efforts des économistes, des forestiers, de tous les savants qui se sont occupés de cette matière intéressante ; de là l’absernice complète de documents certains , l'incertitude, le doute et la confusion que signale M. Lélut dans son rapport à l'assemblée législative (séance du 25 mai). » M. Roman indique parmi les causes de cette confusion l'antagonisme « de deux éléments rivaux qui luttent et se débattent dans leur exagération, au lieu de se faire des concessions mutuelles. » —« Les forestiers ne voient le salut que dans une prohibition radicale et dans un re- boisement général; les ingénieurs ne le comprennent que par le moyen des travaux d'art... Eh bien! Messieurs, ne peut-on pas, par la combinaison de ces deux éléments si contraires, faire un tout qui soit utile et rationnel? Votre commission pense que c’est un des moyens à employer : proclamer, comme principe général, la prohibition des 132 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. défrichements, sauf restriction de ce qu'il peut avoir d’excessif pour les pays de plaines ; réprimer les abus du pâturage, opérer le reboisement des montagnes par les semis de futaie ou de broussailles, par le gazonnement là où la couche du sol ne permettrait pas les semis, et établir des barrages, digues, partout où les flancs des montagnes se trouvent dénudés. « Pour arriver à la conciliation des deux éléments ri- vaux, votre commission a élé amenée à donner son appro- bation à l’idée émise par M. de Ribbe, de créer des commissions mixtes chargées, d’après le classement des terrains, de l’étude des divers genres de travaux que com- porte l’état des lieux, boisement, gazonnement, barra- ges, etc. etcomposées d'agents forestiers, d'ingénieurs et d'agriculteurs procédant contradictoirement avec les pro- priétaires intéressés... » Après d'autres considérations sur la nécessité d'aména- ger les paturages comme les bois dans la zone des Alpes, M. le rapporteur a formulé le vœu suivant, que le conseil général a adopté : 1° Que la loi à intervenir sur les défrichements des bois des particuliers ne soit pointséparée de celle destinée à régler et à encourager le reboisement, parce que c'est le seul moyen de préparer le déplacement rationnel de la propriété forestière, en rendant à la plaine la liberté des cultures, et en attribuant les bois aux versants escarpés des montagnes; 2° Qu'une statistique exacte et générale de la propriété foncière soit faite immédiatement, afin que la loi à inter- venir soit basée sur les véritables principes qui doivent régir la matière, et que tous les intérêts soient bien con- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 133 nus pour être sainement appréciés et utilement protègés ; : 3° Qu'il soit institué des commissrons mixtes chargées du classement des terrains, de la délimitation des zones de montagnes et de la corrélation exacte des surfaces boi- sées et à reboiser, de la proposition des mesures à pren- dre contre les défrichements, les abus du pâturage, des travaux à exécuter, des routes et chemins d'exploitation à établir, et des primes, secours, indemnités à accorder aux particuliers et aux communes ; & Que l'administration forestière soit détachée du mi- nistère des finances pour être annexée au ministère de l'agriculture, dans le but de l'unité des vues et de la bonne organisation du service; qu'il soit créé, au besoin, un personnel d’agents et de préposés payés directement par l'État, même les simples gardes ; 5° Qu'en attendant la nouvelle loi, il ne soit accordé de nouvelles autorisations pour défricher qu'avec la plus grande réserve. Le conseil général du Var a adopté des vœux analogues à ceux du conseil des Bouches-du-Rhône, sur le rapport de M. Poulle (Emmanuel), premier président à la Cour impériale d'Aix (séance du 25 août 1857), qui a égale- ment demandé la nomination de commissions mixtes chargées de classer les terrains en montagne. Mais aucun document n’est aussi caractérisé que ceux émanés de M. le préfet et du conseil général des Basses- Alpes. « J'ai étudié la question sous toutes ses faces, a dit, dans son rapport, le préfet, M. Guillaume d’Auribeau, et plus j'avance dans cet examen, plus je sens naître en moi la conviction qu'il est possible de remédier radicalement 134 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. au déplorable état de choses dont nous souffrons, sans dé- penses trop considérables et sans porter profondément atteinte aux conditions d'existence des habitants de ce pays. » Le problème consiste en effet à concilier le reboisement et même la simple conservation du gazon avec les néces- sités du pâturage. Pour se faire des idées justes en cette matière, il est utile de savoir d’abord sur quelles étendues de terrain il faudra agir. La superficie totale du départe- ment des Basses-Alpes, qui est de 740,895 hectares, se décompose de la manitre suivante : Terrains complétement arides........ 72,988h.61à. Terrains propres au pâturage, autres que les montagnes pastorales........... 278,471 56 Montagnes pastorales ............... 38,667 34 Terrains boisès soumis ou non au ré- PANIER TOR OS 0 dé ol request mn 125,726 98 M. d’Auribeau pense que, sur les 72,988 hectares com- plétement arides, un quart seulement, soit à peu près 18,247 hectares, renfermant des terres meubles, se repeu- pleraient facilement; que, sur les 317,045 hectares de terrains propres au pâturage, chiffre dans lequel sont com- prises les montagnes pastorales, il y a près de 8,000 hec- tares de rochers stériles, 293,693 hectares de pâturages qui doivent rester tels, soit à cause de leur altitude, soit à cause de l'intérêt qu'ont les populations à ne pas en mo- difier la nature, et enfin 15,352 hectares de terrains qu'il conviendrait de reboiser et de consolider immédiatement. «Il y a donc, dit-il, dans les Basses-Alpes 33,599 hectares de montagnes dans lesquelles le reboisement pourrait être opéré d'une manière utile et 293,693 hectares de pâtu- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 435 rages qu'il conviendrait de défendre contre les abus de la dépaissance. » Des expériences récentes faites dans le Puy-de-Dôme montrent que la dépense du reboisement varierait de 40 à 60 fr. par hectare. Ilsuflirait donc, pour 33,599 hectares de terrains à reboiser dans lés Basses-Alpes, d’une somme de 2,046,000 fr., ou bien de 200,000 fr. à dépenser pen- dant dix ans. L'état adopterait, pour les Alpes, un sys- tème analogue à celui qui vient d'être appliqué dans les Landes de la Gascogne; il se substituerait aux commu- nes incapables d'exécuter elles-mêmes les travaux. Le maintien des terres dans les ravins s’effectuerait souvent à peu de frais avec de simples clayonnages. En même temps qu’on reboiserait les 33,599 hectares dénudés, il serait nécessaire de pourvoir à la conservation des 195,726 hectares de bois existants, d'organiser une sur- veillance eflicace, d'augmenter le personnel, aujourd'hui complétement insuffisant, M. le préfet estime à 100,000 fr. par an, le chiffre total des frais de garde. Ces nouveaux moyens de surveillance sont indispensa- bles pour arriver à l'aménagement des 293,693 hectares de pâturages que ruinent les eaux et le trop grand nom- bre de bestiaux. M. de Béer, inspecteur des forêts, dont le rapport complète celui de M. d’Auribeau, a dressé le tableau statistique de la quantité de bestiaux admis au pâturage dans les Basses-Alpes. Il en résulte que le dépar- tement nourrit à peine 90,718 moutons éranshumants, lorsqu'il en nourrissait 300,000 il n'y a pas cinquante ans. Le nombre des têtes de bétail indigène a augmenté, mais non dans la même proportion. Il serait donc urgent de prendre des mesures destinées à limiter le nombre des bestiaux à admettre sur un territoire, en raison de la 136 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. possibilité de déterminer l’époque où le pâturage devra commencer, et cela, tout en tenant compte des besoins des populations. Du reste, M. le préfet des Basses-Alpes va répondre par des:faits à l'opinion de ceux qui nient la possibilité ou l’efli- cacité du reboisement. D’après les instructions du ministre des travaux publics, il se propose d'entreprendre des essais sur une vaste étendue de terrains d’une contenance de 2 à 3,000 hectares, présentant les différentes natures de sol que renferme le département, situés à toutes les exposi- tions, pour la majeure partie incultes, improductifs, ravi- nés par les torrents, n’offrant en un mot que l'aspect d’une ruine complète. Son opinion sur les défrichements concorde avec celle soutenue par M. de Ribbe dans son livre et dans la note imprimée adressée aux conseils généraux (1). En un mot, il est convaincu que, jusqu'à ce jour, on s’est livré à d'énormes exagérations, soit sur le chiffre de la dépense, soit sur les moyens d'exécution à employer, quand il a été question du reboisement des Alpes. Après M. d'Auribeau, le membre du conseil général chargé du rapport, à l'occasion des vœux à émettre, M. Achille de Valavieille, a particulièrement insisté sur l'heureuse idée des commissions. Voici ce rapport tel qu’il a été prononcé dans la séance du conseil général des Basses-Alpes du 27 août 1857: (1) À Messieurs les membres des conseils généraux des dépar- tements du Sud-Est, par M. Charles de Ribbe. — Aix, 16 août 1887; in-4 de 11 pages. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 137 RAPPORT FAIT AU CONSEIL GÉNÉRAL DES BASSES-ALPES, AU NOM DE LA QUATRIÈME COMMISSION, Par M. Achille de VALAVIEILLE. Votre quatrième commission à été chargée de formuler un vœu pour le reboisement de nos montagnes. Je viens vous donner l'analyse et vous faire connaître les résultats de ses délibérations. Vous avez tous lu le remarquable rapport de M. le Préfet ; vous avez apprécié combien cet éminent magistrat, dont la sollicitude ne fait défaut à aucun des besoins ou des intérêts du département, appelle votre attention sur la question du reboisement. Vous avez été frappés du saisissant tableau qu’il vous a présenté des désordres que le déboisement et les torrents amènent de plus en plus sur notre sol. Je n’essaierai point de le reproduire ; je ne saurais le faire sans l’affaiblir : c'est d’ailleurs une nécessité reconnue par vous tous, que celle de consolider, sur la pente de nos montagnes, un terrain toujours prêt à s'échapper, et d'empêcher que nos cours d’eau n’aillent former des iles dans le Rhône avec la terre végétale de nos Alpes. En présence de ces faits, votre quatrième commission à pensé qu’un vœu général sur le reboisement serait in- suffisant, qu'il ne répondrait pas d’ailleurs assez aux vues de M. le Préfet et à la généreuse initiative qu'il a bien voulu prendre dans notre intérêt. Elle vous propose de former un vœu multiple dans lequel vous indiquerez les 438 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mesures et les travaux qui vous ont paru de nature à arrêter les progrès d’un mal déjà bien grand. Pour l'élaboration de son travail, votre commission s’est inspirée du rapport de M. le Préfet, dont les aperçus témoignent qu'il s’est livré à une étude intelligeñte et ap- profondie de ces questions importantes; de celui de M. l'inspecteur des forêts, à qui sa haute expérience en matière forestière et son zèle bien connu, ont suggéré d'excellents moyens pratiques pour l’amélioration de nos bois et de nos pâturages ; enfin, d’un travail très-intéres- sant de M. de Ribbe , avocat à Aix, qui, par ses études spéciales et ses généreux efforts pour éclairer les difficul- tés d’un sujet si important pour nous, s’est créé des droits sérieux à notre reconnaissance. Vous savez qu'il a été présenté au Corps législatif un projet de loi sur les défrichements. Cette loi n'a pu être discutée cette année. Elle sera sans doute proposée de nouveau au vote de l'assemblée à la prochaine session. Il nous à paru que la loi sur le reboisement se liait trop intimement à celle sur les défrichements pour qu'elle dût en être séparée. Nous pensons, en conséquence, que vous devez émettre un vœu à cet égard. Ce vœu devrait demander, en outre, que, relativement aux défrichements, l'administration des forêts ait des pouvoirs plus étendus que par le passé. Qui de vous n'a été frappé de l'inintelligence de nos malheureux cultiva- teurs, qui consacrent un travail considérable au défriche- ment de quelques parcelles assises sur le faîte ou sur la pente des montagnes? Ils percoivent deux ou trois ré- coltes au plus, et bientôt la terre, soulevée par la charrue du laboureur, est entraînée par l'orage et ne laisse après elle que la roche nue avec sa désolante stérilité. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 139 Aujourd'hui l'administration des forêts est impuissante à réprimer de pareils abus de jouissance, lorsqu'il s’agit de propriétés non boisées. IL serait utile qu’elle püût les interdire dans les propriétés qui, jusqu’à ce jour, n’ont pas été soumises au régime forestier, et ne sont pas en nature de bois. On peut en dire autant de l'écobuage, du ramage et de l'enlèvement des feuilles mortes, tous tra- vaux qui, sur les terrains déchirés, contribuent à dénuder nos montagnes. Par ce mot de reboisement on,ne doit pas, dans notre pays des Alpes, entendre seulement les semis ou planta- tions d'arbres forestiers, comme le fait observer, avec rai- son, M. l'inspecteur des forêts: le reboisement dans les Alpes, c'est l’ensemble des travaux nécessaires et des me- sures à prendre pour consolider les pentes et éteindre les torrents. Mais, pour arriver à ce résultat, peut-on prendre des mesures générales s'appliquant à toute la France, ou même à un département entier? Une simple observation suffit pour établir que c’est chose impossible. Les diverses parties de notre département sont situées à des hauteurs et sous des climats bien différents. Comment appliquer à Barcelonnette, par exemple, la même mesure ou exécuter les mêmes travaux qu’à Riez ou à Valensole, dans la partie méridionale du département? Il conviendrait donc de diviser le sol des Alpes en plusieurs zones, et d'ins- tituer pour chaque zone une commission chargée de proposer les moyens de reboisement appropriés au cli- mat comme aux exigences du sol. Ces commissions au- raient encore un autre avantage : c’est qu'étant com- posées de manière à ce que tous les intérêts engagés y soient représentés, elles aplaniront bien des difficultés 140 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. qui seront naturellement suscitées à l'administration, lorsque l'on voudra supprimer les abus de dépaissance dans un pays où les troupeaux constituent presque toute la fortune des habitants. Hâtons-nous de dire que cette idée heureuse des com- missions ne nous appartient pas; nous l’avons puisée dans l'excellent travail de M. de Ribbe. Demandons-nous à présent quels sont les points prin- cipaux sur lesquels les commissions devraient fixer leur attention. Chacun de nous a pu se convaincre, dans notre dépar- tement, que le nombre des troupeaux n’est nullement en rapport avec l'étendue des pâturages. L'introduction d'un trop grand nombre de têtes de bétail sur la même prairie pastorale détruit nécessairement la racine et le germe des plantes. Le même inconvénient se présente si, au printemps, alors que les herbes ne sont pas encore assez résistantes, on livre trop tôt les pâturages à la dent et au piétinement des bestiaux, ou encore si l’on nourrit trop longtemps un troupeau sur le même pâturage. Ce sont là cependant des abus que l’an rencontre dans presque toutes les localités du département. Il faut donc réglementer la dépaissance , en abréger la durée dans une juste limite et suivant les divers climats, fixer les époques avant ou après lesquelles les troupeaux ne pourront être conduits sur les montagnes, proportion- ner le nombre et l’espèce des bestiaux à la possibilité du pâturage, et même, suivant le vœu de l'inspecteur des forêts, l’aménager de la même manière que l’on aménage une forêt; c’est-à-dire que l’on pourrait en mettre en ré- serve une partie, un quinzième, un vinglième, par exem- ple, pour permettre aux plantes forestières de croître et de VINGT-QUATRIÈME SÉSSION. 441 s'étendre sans être constamment broutées par les trou- peaux. Cette mesure étant prise sur des surfaces peu vastes, par rapport à la totalité des pâturages, pourrait s’exécuter sans léser d’une manière notable les intérêts des cultivateurs et des éleveurs de bestiaux. Quant aux semis et aux plantations, il en a été déjà plusieurs fois fait l'essai dans le département, et, si les résultats n’en ont pas été satisfaisants, c’est qu'on n’a pas eu soin de les préserver de l'introduction des troupeaux. Les semis sur la neige ou à la volée paraissent la méthode la plus sûre et la plus économique. Vous avez compris , Messieurs, combien il convient de les encourager dans noire pays, puisque, sur la proposition de M. le Préfet , vous avez voté des fonds pour l'établissement d’une sè- cherie à Barcelonnette. Ils doivent être multipliés surtout dans la partie méridionale, du département où le manque de bois à brûler et d'engrais pour les terres fait désirer, plus qu'ailleurs encore, le reboisement des forêts. Votre commission a parcouru un Mémoire qui vous a été présenté par M. Ravel de Montagnac, sur la culture et la reproduction des truffes. Elle en a conclu que dans les opérations de reboisement il convenait de semer de préférence des glands de chênes truffiers, alors que la position ou la nature des terrains paraîtrait se prêter à la production des truffes. Les barrages sur les torrents présentent encore des moyens puissants pour consolider les terrains en pente et s'opposer aux ravages des eaux. Ils sont en ce moment l'objet d'études spéciales et approfondies de la part de MM. les ingénieurs chargés du service hydraulique. Votre commission croit donc devoir se dispenser de vous énu- mérer les avantages que l’on peut retirer des digues cri- 142 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. blantes, fossés transversaux , ete. Mais elle émet cepen- dant le vœu qu’il soit fait, dans les alluvions et relaissés de torrents, des plantations de saules et peupliers. On peut ainsi produire, presque sans frais, des barrages naturels qui retiennent les terres et rendront, par la suite, des services importants pour l'extinction des torrents. Il ne suffit pas d'indiquer les meilleures méthodes à suivre pour arriver au reboisement ; il faut décider les populations à les appliquer. On sait toute l'apathie que l’on rencontre lorsqu'il s’agit de faire exécuter des me- sures d'intérêt général, alors surtout que ces mesures entraînent certaines dépenses, ou froissent quelques inté- rêts. C’est par des primes distribuées avec à-propos, des secours, des indemnités, des dégrèvements d'impôts accordés aux particuliers ou aux communes pour les dommages de leurs sacrifices, que l’on parviendra à en- courager la conservation et la reproduction des bois. Ces primes, ces encouragements, qui les dispensera ? Ce doit être évidemment l'administration des forêts; mais, en l'état actuel de son organisation, le peut-elle? Elle est une dépendance du ministère des finances; à ce titre, ses efforts doivent tendre à apporter au Trésor le plus grand revenu possible. C’est ce qui vous explique comment, dans notre département, qui présente une si vaste super- ficie, nous avons un nombre si insuffisant d'employés forestiers. Vous avez déjà compris, l’année dernière, tout ce qu'une semblable organisation présente de défectueux pour l'intérêt du service destiné à protéger la conserva- tion des bois et du sol, et vous avez émis le vœu que l’ad- ministration des forêts fût annexée au ministère de l’agri- culture. Un grand nombre de départements ont suivi votre VINGT-QUATRIÈME SESSION. 143 exemple. Nous ne doutons pas que vous ne jugiez conve- nable de renouveler le même vœu cette année. Par ces considérations, votre quatrième commission vous propose de formuler ainsi le vœu sur le reboise- ment : Le Conseil général appelle toute la sollicitude du gou- vernement sur les travaux nécessaires et les mesures à prendre pour consolider et reboiser les pentes des Alpes et éteindre les torrents. L’exhaussement progressif du lit des cours d’eau, la terre végétale emportée de plus en plus par les orages, la ruine des pâturages et des bois, enfin la stérilité se subs- tituant partout à la fécondité et entraînant, par suite, la dépopulation de nos campagnes, prouvent assez que ces importantes questions n'intéressent pas seulement la prospérité future de notre département, mais qu’elles sont même une condition de son existence. Les justes appréhensions que cet état de choses inspire au Conseil le conduisent à émettre les vœux suivants : Que la loi à intervenir sur les défrichements des bois des particuliers ne soit pas séparée de celle destinée à régler et à encourager le reboisement ; Que ces lois soient accompagnées de mesures législa- tives et administratives dont le but serait de faire jouir la propriété forestière de la protection qui lui manque; Que, notamment, l'administration forestière ait le droit de défendre tout défrichement de terrains boisés ou non, communaux ou particuliers, situés sur la cime ou sur la pente des montagnes, dans lesquelles la culture des cé- réales ne pourra être permanente; de proscrire l'éco- 144 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. buage et, suivant les circonstances, le ramage et l'enlè- vement des feuilles mortes ; Que le gouvernement provoque ou prescrive les travaux préparatoires nécessaires, et institue des commissions chargées de se livrer à une reconnaissance générale des surfaces boisées et à reboiser ; Que les commissions classent les terrains et détermi- nent, selon les situations, les mesures à prendre contre les défrichements et les abus de pâturages ; Qu'elles aménagent les pâturages suivant leur possibi- lité, c’est-à-dire qu'elles fixent le nombre et l'espèce de bêtes qu’ils peuvent nourrir et meltent en réserve une portion des pâturages, qui pourrait varier du dixième au vingtième, pour le soustraire à la dent et au piétinement des troupeaux ; Qu'elles abrégent la durée de la dépaissance, en ce sens surtout que les pâturages doivent être, au printemps, livrés le plus tard possible aux bestiaux ; Qu'’elles indiquent les travaux de boisement, gazonne- ment, barrages, digues criblantes, fossés transversaux à exécuter ; Que, dans les semis à opérer, il soit employé, suivant les localités, des glands de chênes truffers; Que les semis soient multipliés surtout dans la partie méridionale du département ; Que, dans les alluvions et relaissés des torrents, il soit planté des saules, peupliers et autres essences de même nature, de manière à opposer des barrages naturels aux ravages des torrents ; Que les commissions désignent les primes, secours, indemnités ou dégrèvements d'impôt à accorder aux parti- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 145 culiérs ou aux communes pour les encourager à la con- servation et à la reproduction de leurs bois; Qu'il soit organisé une surveillance sévère, confiée à un nombre d'employés en rapport avec la vaste étendue du département, et que le gouvernement vienne, pour une forte part, au secours des communes, pour rétribuer le personnel des gardes, aujourd'hui tout à fait insuff- sant ; Que l'unité de vues et la bonne organisation du ser- vice soient assurées par l'annexion de l'administration des forêts au ministère de l’agriculture et des travaux publics. Les diverses conclusions dé ce rapport sont adoptées à l'unanimité par le conseil, qui émet le vœu qu'elles soient appliquées au plus Lôt (4). (1) Les inondations, depuis 1856 surtout, ont donné lieu à de nombreuses publications, parmi lesquelles on peut remarquer, outre celles rappelées précédemment, les suivantes : Des inondations et des moyens de les prévenir, par M. L. Hun, conservateur des forêts. — Paris, au bureau des Annales fores- tières, 1856, in-8 de 64 pages. M. Hun préconise principalement le reboisement des mon- tagnes. Il se préoccupe du reboisement au point de vue exclusif des inondations, bien qu’il ait une grande importance dans l'a- venir au point de vue économique et industriel, si l’on songé que les mines de houille et d’anthracite s’épuiseront. — M. Hun, qui a été conservateur à Grenoble, décrit les effets des torrents des Alpes. Après avoir dit quelques mots des constructions comme moyens de défense et d'extinction, il présente la végétation comme le meilleur remède aux inondations. M. Hun passe ensuite aux voies et moyens, et propose un projet de loï rêglementant la jouissance des terrains en pente ; 154 10 146 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La section passe à l'examen de la troisième ques- tion, qui se divise en deux paragraphes : Quel bien a apporté à l'agriculture la création des fermes-écoles ? Quelles améliorations pourrait-on apporter à l'art agricole par d'autres moyens? l'administration des eaux et forêts serait chargée du nouveau ser- vice, dont M. Hun donne le programme. Des Inondations en France, par E. de Chamberet. — Paris, Mallet-Bachelier, 1856; deux Mémoires in-8 de 24 et 22 pages. Dans le premier Mémoire, M. de Chamberet se demande quelles sont les causes des inondations, quels sont leurs effets, et enfin, quels remèdes on peut y apporter. Les remèdes capables d'amoindrir les effets des inondations sont le reboisement, le gazonnement, les réservoirs dans les bassins supérieurs, ou lacs artificiels, les digues submersibles. L'auteur indique ensuite les moyens de tirer parti du mal inévi- table, et l’on doit, suivant lui, limiter à des localités exception- nelles les travaux d'art, tels que les barrages, les digues insub- mersibles, etc. — Le second Mémoire est consacré à l'appli- cation des remèdes proposés. Appréciations générales sur la canalisation des fleuves et des rivières, par Henri Filleau de Saint-Hilaire. — Paris, Didot, 1856, in-8 de 16 pages. M. Filleau de Saint-Hilaire, auteur d'un Mémoire spécial à la canalisation de la Seine, devant rendre Paris grand port de mer, résume ainsi son système : 1° Approfondissement de la partie centrale de la rivière par le courant, au moyen d’estacades mobiles et se frayant un pas- sage dans le lit du cours d’eau préalablement ameubli. 2% Endiguage des parties basses riveraines avec les déblais en- levés et rejetés rapidement au delà de la digue par un balan- cier compensateur, indéterminé et mobile, monté sur rails. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 147 Personne n’étant inscrit pour parler sur le GAS le président demande s’il n'existe pas une ferme- école dans l'Isère. M. Henri Breton répond que la ferme-école, créée il y a cinq ou six ans, a été détruite en 1856 par les inondations. Une nouvelle ferme-école vient 3° Les ponts rendus très-solides au moyen de jelées submer- Sibles, et en les élargissant pour qu'ils servent aux chemins de fer. aux voitures et aux piétons. 4° Ouverture et fermeture rapides des tabliers mobiles et des portes-vannes pour le passage des bâtiments de tout Lonnage. Des inondalions ; moyens de les Prévenir el d'augmenter consi- dérablement les revenus de l'État et la richesse de la France, par C. A. Chardon. — Paris, Hachette, 1557, in-8 de 16 pages, avec planche. L'auteur propose pour remèdes les fossés horizontaux sur les pentes des coteaux, le gazonnement et le reboisement des mon- tagnes dénudées, les barrages des pelites vallées et des petits ruisseaux, l’endiguement des vallées, des rivières et des fleuves, le redressement des lits des cours d’eau. Des inondations ; examen des moyens proposés pour en pré- venir le relour, par J. Dupuit, inspecteur général des ponts et chaussées. — Paris, V. Dalmont, 1838, in-8 de 104 pages, avec trois planches. Le principal but de cette publication est la critique d'une Notice sur l'inondation de la Loire des 17 et 18 octobre 1846, placée à la suite du travail de M. Dupuit, et dans laquelle M. Boulangé préconise fortement l'emploi des grands barrages artificiels. — Voici les conclusions de M. Dupuit : 1° Les ouvrages artificiels de Pinay et de la Roche, préconisés par M. Boulangé, n’ont jamais eu et ne sauraient avoir aucune espèce d'influence sur le régime des grandes eaux de la Loire. 2° Le système des retenues supérieures présente d'immenses difficultés d'exécution et entrainerait d'énormes dépenses. 148 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'être établie à St-[smier, près de Grenoble; on ne peut donc encore juger de ses résultats. M. Oronce de Galbert, membre de la Société d'agriculture de l'arrondissement de Grenoble, dit que la ferme-école de St-Robert a donné peu de ré- sultats, sauf sous le rapport de l’arboriculture, et il attribue ce manque de résultats à des circonstan- ces particulières; mais 1l a la conviction que, sur beaucoup d’autres points de la France, les fermes- écoles ont rendu de très-grands services. Il cite no- 3° Ce système serait inefficace dans les crues de longue durée; il pourrait même en augmenter la hauteur, si certaines combi- naisons de crues des affluents venaient à se produire. 40 Les digues longitudinales, malgré leurs ruptures acciden- telles, présentent contre les crues le meilleur préservatif qu'on ail trouvé jusqu'à présent; les autres systèmes ont besoin d'être complétés par celui-là, car ils né suppriment pas les crues et ne pourraient tout au moins qu’en diminuer la hauteur. M. Dupuit réfute (pages 56-73) avec chaleur, et à l’aide de ré- flexions fort judicieuses, les objections faites depuis les dernières inondations contre le système d’endiguement en vigueur. 5° Rien ne limitant la hauteur des crues, on doit considérer les ruptures de digues comme un inconvénient prévu du système, auquel il ne faut demander que la garantie qu’il peut donner. 60 La construction des digues, comme toutes les conquêtes de l’agriculture, est un travail qui se fera certainement, mais qui ne doit se faire qu'avec le temps, et que l'Etat doit se con- tenter de surveiller et de contrôler. 7° C’est par l'épargne, par la prévoyance individuelle ou col- lective, par des systèmes d'assurances bien combinés, que les propriétaires des terrains sujets aux inondations trouveront, con- tre les désastres dont ils se plaignent, le complément de garantie que les digues longitudinales ne peuvent leur donner que dans une cerlaine mesure. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 149 tamment celle du département de la Loire, qui est située près de Montbrison. M. Sénéclauze conteste cette dernière proposi- tion. M. de Galbert maintient son opinion ét l’appuie de ce fait, que les deux fermes-écoles de la Loire ont été placées en première ligne au concours ré- sional de Montbrison. M. de Brive est en mesure de donner des renset- seignements précis sur la ferme-école de la Corée, près de Montbrison. Cette ferme doit son origine à la Société d’agricul- ture de Montbrison, qui, plusieurs années avant l’é- tablissement des fermes-écoles par le gouvernement, y avait fondé une ferme-modèle. Depuis sa création, celte ferme, placée sous la direction de M. Zielinski, n’a cessé de donner l'exemple d’une culture pro- cressive et de l'application intelligente de tous les procédés nouveaux. C’est à son honorable directeur que l’on doit principalement l'introduction du drai- nage, qui a déjà rendu et doit rendre bien davantage encore dans l'avenir de si grands services pour l’assai- nissement de la vaste plaine du Forez. Aussi le jury du concours régional de 1857 n’a-t-il pas hésité à lui décerner la grande prime d'honneur, qui, chaque année, vient récompenser, dans les départements où siège le concours, l'homme qui, par son intelli- 190 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. gence et ses travaux, a su donner à la culture la meilleure direction. ( Les fermes-écoles bien dirigées, ajoute M. de Brive, sont un des meilleurs moyens pour amé- liorer l’industrie agricole. Par l'introduction des ins- truments et des procédés nouveaux, par leur appli- cation à chaque contrée, et principalement par l’ins- truction professionnelle qu’elles donnent, elles rom- pent les liens de la routine, qui a retenu si longtemps dans l’enfance l’agriculture. Les fermes-écoles offrent surtout l’avantage de former ces chefs d’exploita- tion, si rares et cependant si nécessaires, qui doi- vent se placer entre le propriétaire et le travailleur, entre la tête et le bras de la culture intelligente. La ferme-école de Nolhac, près le Puy, dirigée avec une grande habilelé par M. Chouvon, livre chaque année dix élèves qui, répandus dans nos campagnes, y introduisent le goût des améliorations et la pratique des procédés nouveaux. C'est à un élève sorti de cette école que M. de Brive a dù de pouvoir appliquer avec succès, sur sa terre, le drainage, les semis en ligne, le chaulage et le guano. Dans les valets ordinaires il ne trouvait que de la résistance à l'emploi de ces divers moyens d'amélioration. Dans l'élève de la ferme-école il a rencontré le bon vouloir et le concours qui lui étaient nécessaires pour réussir. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 451 M. Gueymard, ancien membre de la commission de surveillance de la ferme-école de St-Robert, donne quelques détails sur cet établissement. Les élèves se composaient de deux catégories : des fils de gros propriétaires, destinés à devenir chefs d’exploita- tions agricoles, et des jeunes gens destinés à être plus tard placés comme contre-maîitres. L'instruction n’a rien laissé à désirer pendant plu- sieurs années. Le directeur de la ferme de St-Robert a introduit dans nos pays la culture de: la betterave comme plante fourragère ; il avait créé une belle pépinière de müriers. M. Segond-Cresp demande stles élèves qui sor- tent de la ferme restent dans le département. Plusieurs membres répondent affirmativement. M. Mahias fait observer que les fermes-écoles sont établies dans les meilleurs terrains ; il faudrait, au contraire, les placer dans des landes ou, au moins, dans des terrains de troisième qualité. M. de Brive donne des renseignements sur les mesures prises avant la création de chaque ferme- école. Dans la Haute-Loire, on a choisi un terrain intermédiaire pour la ferme-école de Nolhac. Îl ne comprend pas l'utilité qu’il y aurait à choisir des terrains de mauvaise qualité. Les travaux de la ferme ne pourraient plus être pris pour moyenne 152 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des essais. Ce n’est pas l'amélioration de quelques hectares dont se composerait la ferme qui pourrait rendre de grands services au pays. D'ailleurs cette question d'emplacement est subor- donnée aux circonstances et résolue par des com- missions locales. M. Paul de Genouillac, propriétaire à la Chapelle- Chaussée {[le-et-Vilaine), membre de l’Institut des provinces, et vice-président de la section d’histoire et d'archéologie , confirme les observations de M. Mahias, notamment en ce qui concerne la ferme- école de Rennes. Cette ferme a produit d’heureux résullats. Le directeur, M. Bodin, a considérablement amélioré le bétail de la Bretagne par l'introduction d’une bonne race anglaise. Les élèves ne quittent pas le dépariement. M. Bodin fait un cours d’agriculture aux élèves de l’école normale primaire. M. de Ribbe donne des renseignements sur la ferme-école des Bouches-du-Rhône, dont il attribue la situation peu satisfaisante à des causes particu- lières. | La discussion du $ 2 de la 3° question est ren- voyée au lendemain. La séance est levée à dix heures du matin. YINGT-QUATRIÈME SESSION 153 SÉANCE DU 3 SEPTEMRRE. , La séance s’ouvre à onze heures du matin, sous la présidence de M. de Brive. Le procès-verbal de la séance du 5 septembre est lu el adopté. M. de la Tréhonnais demande que la treizième question {des engrais en général) soit discutée avant la sixième. Cette proposition est adoptée. M. de Caumont, directeur de l’Institut des pro- vinces et membre correspondant de l’Institut de France, premier inscrit, a la parole sur Le deuxième paragraphe de la troisième question : Des améhorations que l’on pourrait apporter à l’art agricole. Le champ est vaste. M. de Caumont ne veut étudier qu'une face de la question. M. de Caumont appelle l'attention de la section sur les avantages d’une plus grande diffusion de l’enseignement agricole. Cet enseignement existe dans plusieurs départe- ments, notamment dans celui du Calvados. 154 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il est donné par des maîtres ambulants subven- lionnés par le conseil général. Ces maîtres parcou- rent les campagnes, où ils sont précédés par des affiches indiquant les jour et heure de leurs leçons. M. de Caumont a vu 150 auditeurs à une lecon d’un professeur dans son département. M. de Caumont voudrait que l’enseignement agricole fût aussi donné par les instituteurs : il est bien entendu qu'il ne s'agirait que des notions pre- mières. Une circulaire ministérielle a été adressée dans ce sens aux recleurs qui, jusqu'ici, ne se sont pas beaucoup préoccupés de la mettre à exécution. Des conseils généraux ont invité les directeurs des écoles normales primaires à diriger l'instruction vers le même but. Mais il n'y a encore rien de fait. M. de Caumont voudrait 4° qu'un professeur - spécial enseignât, dans chaque école normale, les principes de l’art agricole ; 2° qu’au bout de quel- ques années, tous les élèves sortis de l’école et devenus instituteurs, donnassent à leur tour des notions de cet art à tous les enfants de chaque commune. M. de Caumont réfute l’objection puisée dans la nécessité de joindre un domaine à l'école normale pour rendre efficace l’enseignement. agricole. Cette VINGT-QUATRIÈME SESSION. 155 adjonction n’est pas nécessaire. Les jeunes gens des écoles normales viennent en général de la campagne el la connaissent, et ils n’auront pas de peine, par conséquent , à saisir l’enseignement agricole. | M. Albert du Boys, membre de la commission de surveillance de l’école normale de Grenoble, expose que des démarches ont été faites par la com- mission dont il fait partie auprès de M. le recteur, pour oblenir l’introduction, dans l’école normale, de l’enseignement agricole : M. le recteur a très-bien accueil la démarche. M. le docteur Leroy avait proposé de faire des leçons sur l’agriculture théorique , et un homme de beaucoup de capacité et de mérite, M. Verlot, jardi- nier en chef du jardin des plantes de Grenoble, a commencé des leçons d’arboriculture. M. de Caumont fait observer que, si l’on donne trop de temps à l’arboriculture, l’art agricole pro- prement dit, qui est le point capital, en souffrira. M: Albert du Boys répond que la taille des arbres, qui a bien son importance à cause des nombreuses plantations de müriers, est ce que les habitants de nos Campagnes savent le moins. M. Mahias dit qu’il existe, dans l’Ile-et-Vilaine, des écoles du dimanche où, après vêpres, les insti- tuteurs donnent des leçons d'agriculture. M. de la Tréhonnais est d'avis qu’il faut vaincre 156 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la routine. Les professeurs ambulants ne peuvent suffire. Il faut prendre les enfants dès l’âge le plus tendre, afin de remplacer les mauvais préjugés de la routine par les bons principes de l’art agricole. Pour arriver à ce but, il faut que les instituteurs enseignent les notions de l’agriculture. Un membre voudrait que l’enseignement agri- cole fût introduit dans les écoles secondaires laï- ques et ecclésiastiques. À propos de la taille des arbres, il prétend que le savant arboriculteur, M. Dubreuil, est hostile à la taille des arbres. M. de Brive fait observer que M. Dubreuil donne des préceptes sur la taille dans son Traité d'arbo- riculture, en 2 volumes. M. de Genouillac pense qu'il faut, avant tout, obtenir que les instituteurs soient initiés à l’ensei- gnement agricole. M. Mahias est d'avis queles évêques devraient faire donner un enseignement agricole aux jeunes séminaristes. Un membre soutient que les bons livres sur l'agri- culture ne répondent pas aux besoins présents : il faudrait de bons catéchismes d'agriculture. Cette idée est développée avec une chalenr et un ton de conviction qui provoquent les applaudisse- ments de l'assemblée. DNS TS VINGT-QUATRIÈME SESSION. 157 M. de Brive est heureux de dire que, dans la Haute-Loire, un professeur d’agriculture, subven- tionné par le conseil général, donne tous les jours des leçons théoriques, et une fois par semaine des leçons pratiques aux élèves de l’école normale pri- maire. Les leçons pratiques ont lieu tous les jeudis dans un petit corps de domaine pris en location et dont tous les travaux sont exécutés par les élèves de l’école. Ce genre de leçons est complété par des excursions faites, plusieurs fois dans l'année, sur les terres des domaines dont la culture peut servir de modèle. En outre, et depuis plusieurs années, la Société d'agriculture du Puy a encouragé l’enseignement des premières notions de l’agriculture dans les écoles primaires, en décernant, dans ses concours, des primes et des médailles à ceux des instituteurs qui se sont fait remarquer par leur dévouement: et leur succès dans cet enseignement. Chaque année, ces récompenses sont recherchées et méritées par un certain nombre d'instituteurs. La Société d'agriculture du Puy s’applaudit tous les jours des heureux fruits que produisent ces divers modes d'enseignement pour répandre l'instruction etla connaissance des bonnes méthodes d’agriculture dans les campagnes. M. Charrel, de Voreppe, expose des faits qui lui 158 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sont personnels. Chargé par l’administration de répandre la culture du mürier et l'éducation des vers à soie, il a parcouru successivement toutes les communes de l'arrondissement de Grenoble. Il avait auparavant professé pendant trois mois la taille du mürier. Dans tous les pays où M. Charrel a retrouvé quelques-uns.de ses anciens élèves, il a remarqué que la taille et la culture du mürier avaient fait beaucoup de progrès. M. le docteur Herpin, de Metz, ne pense pas que les instituteurs primaires ruraux, qui sont déjà surchargés de travail, réunissent de longtemps les conditions requises pour enseigner avec fruit l'agri- culture, l’horticulture et les éléments des sciences qui s’y rattachent. Îl faut réunir la pratique à la théorie, l'exemple au précepte. Le professeur d'agriculture doit exceller dans toutes les branches de l’art agricole : il doit savoir se servir des instruments de culture et manier les oulils. Il paraît donc indispensable à M. Herpin, qu'aux leçons théoriques données par l'instituteur primaire, on ajoute des leçons pratiques qui seraient données une ou deux fois par mois aux enfants par les agriculteurs et les horticulteurs praticiens les plus habiles et les plus estimés du canton. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 159 Ainsi, l'inslituteur fait apprendre et réciter le . texte du catéchisme à l’école, mais c’est au pas- teur à donner les développements et les explica- tions qui doivent faire de l'enfant un chrétien pra- tique. Le président fait observer qu’il faut tirer une con- clusion de tout ce qui a été dit sur les fermes-écoles et sur l’enseignement agricole. [l présente, en con- séquence, un double vœu à émettre. Diverses opinions sont émises à cet égard, no- tamment par MM. de Genouillac et de Caumont, qui sont d’avis de constater simplement les services rendus par les fermes-écoles. La rédaction suivante, mise aux voix par le pré- sident, est adoptée à l’unanimité. « La deuxième section du Congrès, « En réponse à la troisième question de son pro- gramme, reconnait en principe l’utilité des fermes- écoles, principalement pour la formation de chefs de pratique agricole. « Elle est en même temps d’avis que l’agricul- ture a un immense intérêt à ce que l'instruction agricole soit répandue au moyen de cours élémen- taires faits sur place par des professeurs nomades, et surtout au moyen de l’enseignement obligatoire des notions d’agriculture dans les écoles nor- 160 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE: males primaires et dans les écoles primaires elles- mêmes (1). » M. Albert du Boys, secrétaire général, fait au Congrès une communication fort intéressante : ce sont les cahiers d’un élève de M. Perron, maître de pension à Voiron. Ces cahiers ont pour titre : Traité d'agriculture, ou Notions les plus essen- tielles de l'art agricole moderne. C’est le résumé du cours que M. Perron a fait à ses élèves en 1857. Ce cours est divisé en trois parties : la première contient les préliminaires, dans lesquels M. Perron apprend à ses élèves la nature si diverse des terrains de nos pays, et leur donne l'indication de ceux où les diverses cultures réussissent le mieux. M. Perron y décrit les terrains argileux, les terres franches , les terres légères, les terres calcaires, le sous-sol ; il ytraile successivement les questions d'engrais animaux et d'engrais végétaux, de chaulage, de marnage, de plâtrage, de drainage, de labours, etc. La deuxième partie est consacrée aux principales cultures et à leur rendement : blé, orge, avoine, maïs, sarrasin, etc. Après la description de chacune de ces céréales, M. Perron indique la nature de sol (1) Cer avis a été adopté par le Congrès, dans la séance géné- rale du 9 septembre (Voïr tome 1, p. 233). VINGT-QUATRIÈME SESSION. 161 qui leur convient, la préparation qu'il faut faire subir à la terre, la manière dont il faut ensemencer et cultiver, la récolte et les produits que donne chacune des céréales et les divers usages auxquels elle peut être employée. La troisième partie est consacrée aux fourrages qui sont « la base de tout bon système de culture. » — « Qui a du foin a du pain. » Telle est l’épigra- phe choisie par M. Perron, qui décrit successive- ment les diverses plantes fourragères , les prairies nalurelles , les prairies artificielles ou temporaires, les plantes de la famille des graminées cultivées en grand, les graminées annuelles {seigle, orge, avoine, mais, etc.), les plantes de la famille des légumi- neuses cultivées en grand {luzernes, trèfles, sainfoin). M. Perron étudie chaque plante fourragère comme ila étudié dansla seconde partie chacune des céréales. Les chapitres les plus importants sont ceux qui traitent de la conversion des prairies naturelles en champs arables, et de la conversion des champs en prairies permanentes. À cette occasion, M. Perron décrit de nombreux modes d’assolement qui, suivant les terrains, comprennent de trois à sept récoltes suCCESSIVES. M. Perron {1} a reçu une letire d'encouragement (1) M. Perron a obténu une médaille d'argent à l'exposition d'agriculture de Grenoble, le 13 septembre 1887. IT 11 162 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. président de la Société d'agriculture de l’arron- dissement (1). La section passe ensuite à l'examen de la quatrième question ainsi conçue : « Quelles industries pourrait-on introduire dans les campagnes, dans le but de donner du travail aux ouvriers des champs, alors que les travaux agricoles manquent? » Personne ne s’est fait inscrire sur cette question. Plusieurs membres font observer que, dans les campagnes, en général les bras manquent depuis (1) Cette lettre est ainsi conçue : Grenoble, 6 septembre 1857. Monsieur, Dans le pensionnat que vous dirigez à Voiron, vous avez fai suivre à vos élèves un cours d'agriculture divisé en deux années. Dans ces leçons, dont nous avons sous les yeux le mis-au-net, sont expliqués avec clarté les éléments de la science nécessaires aux cultivateurs. Le bureau d'administration de la Société d'agriculture de Grenoble a vu avec un vif plaisir que vous donniez à vos élèves la pensée de s'occuper de l’art qui est le premier des besoins comme la plus importante richesse de notre pays. L’attention de ces jeunes hommes — qui vont devenir la géné- ration nouvelle — est excitée ; l'intérêt suit les leçons du maître; on apprend avec plaisir, et bientôt, devenu propriétaire ou culti- vateur du sol, on voudra mettre en pratique les enseignements du jeune âge. Cette étude de l’art le plus indispensable à l'homme, vous avez compris Loute son importance et vous avez pensé, Monsieur, avec beaucoup de bons esprits, qu’il était peut-être plus nécessaire de VINGT-QUATRIÈME SESSION. 163 quelque temps plutôt que le travail, et qu'il n’y a pas lieu de s’occuper de cette question. En conséquence, la section passe à l'examen de la cinquième question : « Quelles sont les meilleures mesures à pren- dre pour établir une bonne statistique agricole? » M. le docteur Roux, de Marseille, secrétaire de la Société de statistique des Bouches-du-Rhône, vice-président du Congrès, premier inscrit, a la parole. connaître les moyens d'améliorer le sol et ses produits, que de bien connaître les noms et la nomenclature des rois fainéants : laissez-moi vous en féliciter. Il serait heureux que dans chaque école, dans chaque institution, on suivit l'exemple que vous avez donné. Vos élèves ont profité de vos leçons, et ceux de nos confrères qui ont assisté à l'examen de la fin de l'année ont rendu un ex- cellent témoignage de l'instruction de vos jeunes gens. Pour encourager vos efforts, Monsieur, vous donner un témoi- gnage de notre sympathie, le bureau d'administration vous a décerné une médaille d'argent. Veuillez, Monsieur, vous présenter, le dimanche 13 courant, vers les deux heures de l'après-midi, au Jardin des Plantes, à Grenoble, cette récompense vous sera publiquement décernée. Je suis heureux, Monsieur, de vous transmettre cette bonne nouvelle. Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments les plus distingués. Le Président de la Société d'agriculture de l'arrondissement de Grenoble, PAGaNoON. 16% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La statistique, telle qu’elle à été pratiquée jus- qu'ici, est généralement défectueuse. Qui dit sta- tistique, dit fait; qui dit fait, dit vérité. Or, souvent la statistique actuelle ne donne que des chiffres approximatifs : il faut des fails précis, des chiffres exacts. | Qu’a-t-on fait pour cette science ? La statistique a une importance majeure, en ce qu'elle produit des calculs destinés à servir de points de comparaison entre les faits présents et les faits passés, et, par suite, à tirer de ce rapprochement des conséquences pour l'avenir. | On a d’abord pensé à établir une statistique com- munale. L'idée étaitimpraticable. Comment trouver un homme dévoué dans chacune des 37,000 com- munes de France ? Puis on a parlé de commissions cantonales. Même difficulté. Comment trouver une commission sérieuse dans chaque canton ? D'ailleurs, dans ce dernier système, la société centrale, qui serait établie à Paris, de quelque nom qu’on l’appelle, pourrait-elle dépouiller convenable- ment 2,800 dossiers, et, dans le premier système, 37,000 ? Reste un troisième système : celui qui consisterait à donner un caractère départemental à la statisti- que. C’est le système de M. le docteur Roux. YINGT-QUATRIÈME SESSION: 165 Il faudrait établir dans chaque chef-lieu une com- mission composée tout à la fois d'hommes indépen- dants et de chefs d'administration. Il n’y aurait plus alors à expédier à Paris que 86 dossiers. La il serait créé une société centrale de Statistique composée, comme les sociétés départementales, en parlie de fonctionnaires, en partie de simples parti- culiers, qui serait spécialement chargée de dé- pouiller les dossiers départementaux et de mettre tous les documents recueillis à la disposition . de tous les ministères, notamment de celui de l’instruc- tion publique, sous le patronage duquel les sociétés de statistique seraient placées. M. de Caumont, deuxième inscrit, ne partage pas les idées du préopinant. Les commissions reçoivent les renseignements et ne les prennent pas elles-mêmes : c’est le défaut capital de l'institution. M. de Caumont voudrait des commissions peu nombreuses qui se rendraient sur place. Elles se composeraient de deux ou trois membres salariés qui visiteraient toutes les communes. M. le docteur Roux n’est pas d'avis d'employer des statisticiens salariés : on n’obtient pas de l’exac- üitude avec de l'argent. Il faut des hommes dévoués qui ne soient mus que par l'intérêt de la science. M. de la Tréhonnais, sans entrer dans la discus- 166 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sion, citera des faits qui se passent de l’autre côté de la Manche. La statistique existe en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, mais d’une manière particulière à cha- cune de ces trois contrées. En Angleterre, la statistique comple des partisans et des adversaires : ceux-ci sont les plus nombreux. Néanmoins elle existe, mais en dehors de l'adminis- tration : elle ne tardera pas, d’ailleurs, à triompbher. Un bill va être proposé au parlement pour appli- quer le système irlandais exposé plus loin. L’Ecosse est le pays où la statistique est le plus en honneur. Il y existe une vasie société qui compte des membres dans chaque commune : ces membres reçoivent tous un tableau qui est très-bien conçu. Un seul homme dirige et concentre à Edimbourg tous les documents, et les résultats de ses travaux parais- sent dans un recueil qui a deux années d'existence. En Irlande, la statistique revêt une forme officielle. Le fonctionnaire chargé, par la loi des pauvres, de s'informer de la situation des familles, prend en même temps tous les renseignements agricoles, qu'il est en droit d’ailleurs d'exiger légalement. La loi est formelle sur ce point. M. Reynaud, membre du conseil général de l'Isère, demande ce que M. de la Tréhonnais pense de l'application de ces divers systèmes en France. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 167 M. de la Tréhonnais répond qu'il ne peut que citer des faits, et se déclare incompétent sur leur application à la France. M. Mahias est d'avis de confier la statistique agricole à la société d'agriculture de chaque dépar- tement. M. de Brive fait observer qu’il n’y a pas une so- ciété de ce genre dans chaque département. Le système de M. Mahias, appliqué dans la Haute- Loire, n’a pas réussi. M. Segond-Cresp approuve le projet de M. le docteur Roux ; il cite l'exemple de la Société de statistique de Marseille. M. le président exprime le désir que M. Roux donne à la section quelques détails sur la société qu’il dirige. Mais, vu l'heure avancée, cet exposé et la suite de la discussion sont renvoyés au lendemain. La séance est levée à une heure de l’après-midi. SÉANCE DU S SEPTEMBRE. L La séance s'ouvre à onze heures sous la présidence de M. de Brive. Le procès-verbal de la séance du 6 septembre est lu par le secrétaire. Après deux légères modifi- 1638 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. cations, demandées l’une par M. Paganon et l’autre par M. de Genouillae, ce procès-verbal est adopté. M. Albert du Boys, secrétaire général du Congrès, annonce que l'exposition d’horticulture et d’agricul- ture aura lieu les 42 et 13 septembre. Les membres de la section sont invités à y assister et à émettre leur avis sur les primes à donner aux exposants. M. Paganon, président de la Société d'agriculture de l’arrondissement de Grenoble, réitère lui-même l'invitation. M. le président remercie, au nom des membres étrangers à la localité, M. Paganon de sa bienveil- lante invitation. Le président décide, après avoir pris l’avis de la section, qu’une visite en corps sera faite à l’exposi- tion horticole samedi prochain, 12 courant, à une heure de l'après-midi, et qu’une autre visite sera faite à l'exposition agricole le lendemain dimanche, à 9 heures et demie du matin. M. Mahias exprime le désir que, lorsqu'une sec— tion fait une excursion, les autres sections en soient prévenues. Le secrétaire général répond qu'il a déjà été fait droit à cette demande. M. Albert du Boys propose à la section de lui faire un rapport sur une brochure intitulée : Les VINGT-QUATRIÈME SESSION. 169 ouvriers des Deux-Mondes, envoyée au Congrès, lorsque la section aura épuisé son programme. La section accepte avec empressement l'offre de M. du Boys (!). Le président émet l'opinion que les Congrès ont surtout pour but, au point de vue de l’agriculture, l'échange des renseignements sur les cultures appli- quées dans les diverses contrées de la France. Il exprime en conséquence le désir que M. Paganon, président de la société d’agriculture de Grenoble, donne à la section des détails sur différents points très-importants de la culture dans le département de l'Isère, tels que l’assolement des terres, les tra- vaux de drainage, l'aménagement des fumiers, etc. Sur les observations de M. de Caumont et de plusieurs membres, cette communication de M. Pa- ganon est renvoyée au lendemain. La discussion sur la cinquième question est re- prise. La parole est donnée à M. le docteur Roux. M. Roux, répondant à l'invitation qui lui a été faite par le président à la dernière séance, résume les opinions émises par lui la veille. | (1) Ce rapport à été lu en séance générale, le 12 septembre (Voir tome I, page 259.) 170 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Il s’agit de savoir si les systèmes produits à la séance du 7 septembre valent mieux que le sien. On a proposé un seul statisticien par département. Ce serait une combinaison tout à fait insuffisante. M. Roux cite pour exemple le département des Bouches-du-Rhône, qui renferme 105 communes. Il faudrait au moins un jour au statisticien unique pour visiter chaque commune : ce système serait impraticable. On voudrait, en effet, que les visites au dehors fussent faites personnellement par l'employé unique et salarié. M. Roux trace un portrait fort piquant de ce malheureux statisticien, espèce de Juif-Errant visitant le jour et travaillant la nuit. D'ailleurs, ce système entraïînerait environ quatre cent mille francs de dépenses; car il faudrait bien donner un traitement de 4 à 5,000 fr. au statisticien départemental. Dans le système de M. Roux, les membres les plus zélés de la société départementale feraient les visites. On a parlé de la statistique en Angleterre : ce qui a été dit à cet égard confirme, aux yeux de M. Roux, le système qu’il propose. M. Roux donne ensuite quelques détails sur la Société de statistique des Bouches-du-Rhône, fondée en 1827. Cette société s’occupa d’abord de tout autre chose que de statistique. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 171 La publication d’une pièce de vers intitulée : /a Statistique de mon quartier, imprima une direc- lion nouvelle à la société. On composa un tableau synoplique. Un membre signala les progrès de la statistique anglaise, qui sait mieux que nous ce qui se passe en France. Une brochure intitulée : Système et méthode de statistique, fut publiée. La société discuta les divers systèmes proposés et s’arrêta à celui que M. Roux a exposé. M. Roux le résume en quelques mots : Société de statistique dans le chef-lieu de chaque département, correspondant avec une sociélé cen- trale établie à Paris pour dépouiller les 86 dossiers et publier les résultats généraux. Voilà trente ans que M. Roux tient la plume pour défendre ce système : il persiste à demander à la section qu’elle émette un vœu dans ce sens. M. de Caumont insiste sur les rapports que les commissions devraient avoir avec le préfet et sur la visite de chaque localité. M. Roux, interpellé sur les résultats obtenus à Marseille au point de vue agricole, répond que tous les renseignements donnés à la préfecture sont demandés à la Société de statistique par l'intermé- diaire de la Société d'agriculture. 172 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Reynaud, membre du conseil général de l'Isère, expose le peu de résultats obtenu par les commis- sions cantonales, à cause des questions trop nom— breuses posées dans les questionnaires. M. de Caumont exprime, à cette occasion, le désir qu'une carte agronomique soit jointe à la carte géologique. M. Reynaud rappelle que le conseil général de l'Isère a voté des fonds pour la confection de cette carte agronomique. M. de Caumont exprime le désir qu'on indique à la section les natures de roches qui produisent les meilleures terres arables dans le département de l'Isère. Cette question ne rentrant pas directement dans les termes du programme, est ajournée à une autre séance. La section consultée décide, à une grande majo- rité, qu’il ne sera pas émis de vœu sur la cinquième question. M. de la Tréhonnais a la parole sur la treizième question : Des engrais en général. E M. de la Tréhonnais s'exprime en ces termes : VINGT-QUATRIÈME SESSION. 173 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES ENGRAIS, Par M. Rogtou DE LA TRÉHONNAIS. Le but que je me propose, c’est d'abord de définir en quoi consiste l’engrais, d’où il vient, comment on peut l'obtenir et lui conserver ses qualités fertilisantes , etenfin comment on doit en faire l'application. Mon intention n'est point de faire ici un cours de chimie et de physiologie végétale : je me hâte de déclarer mon incompétence à traiter, d’une manière aussi large , une matière sur la- quelle le Congrès scientifique a des données plus éten- dues que les miennes. Mais, pour bien faire comprendre la fonction des engrais dans l’économie végétale, il faut nécessairement que j'entre dans quelques détails sur les habitudes des plantes que l'engrais doit développer et nourrir. En examinant une plante, on voit qu’elle est munie de deux appareils bien distincts : les racines qui s’enfoncent dans la terre, y fixent la plante, et absorbent, par leurs petits tuyaux, les matériaux dissous ou gazeux qui leur conviennent; ensuite les tiges garnies de feuilles, qui s’étalent au dehors, de manière à présenter à l'atmosphère la plus grande surface possible. Tout le monde sait que ces deux appareils, bien que tout à fait distincts, ont des fonctions qui se touchent par un point : celui d’absorber, des centres au milieu desquels ils se développent, les éléments de leur croissance et de leur maturité. Mais, malgré cette analogie dans les fonctions que la nature leur a assignées, ces éléments différent d'une manière essen- tielle: ceux qui sont absorkés par les feuilles dans des conditions de chaleur et de lumière qui, dans notre climat, 174 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ne se rencontrent qu'au printemps et dans l'été, ne res- semblent point à ceux que les racines tirent du sol dans lequel elles s’enfoncent. Prenez une poignée de paille, pesez-la, et ensuite réduisez-la en cendres; les résidus de cette opération, les cendres, représenteront les ma- tières minérales que la plante aura retirées du sol, et la différence du poids représentera la somme des éléments atmosphériques que la combustion aura rendus à l'air. Les premiers éléments, ceux qui viennent du sol, comme on le sait, se nomment minéraux; les seconds, ceux qui viennent de l'atmosphère, se nomment organiques. Ces deux sortes d'éléments sont également indispensables au développement de la plante, seulement il est facile de voir que l'élément organique entre dans la constitution des plantes en proportion beaucoup plus grande que l'élément minéral. La nature nous le prouve tous les jours; le plus léger examen dans les montagnes nous montre des plantes grimpantes , et même des sapins ac- crochés aux flancs de roches nues, plongeant leurs racines comme le mineur enfonce son instrument-dans les moin- dres interstices des rochers, et, malgré la stérilité de leur point d'appui, ces plantes, ces arbres, croissent, s’épa- nouissent et atteignent quelquefois des proportions con- sidérables, parce que l'air et la lumière les baignent de leurs ondes fertilisantes, et que la poussière humide d’un torrent vient parfois humecter leurs maigres racines. Il est bien évident que la fibre ligneuse ne peut venir de la roche, car celte roche, purement minérale, ne saurait donner à la plante ce qu'elle n’a point, c’est-à-dire la matière végétale; cette matière ne peut donc venir que de l'atmosphère. Ainsi donc, s’il est bien établi que les plantes retirent VINGT-QUATRIÈME SESSION. 175 du sol, et encore plus de l'atmosphère, les éléments de leur volume, il est de la plus grande importance, pour ceux qui cultivent la terre, de bien comprendre quels sont les éléments que l'air donne à la plante et quels sont ceux qu'elle retire du sol. Mais, avant d'entamer cette question, il est bon que j'établisse un fait important: c'est que les éléments fertilisants que l'atmosphère donne aux plantes ne sont pas exclusivement absorbés par les feuilles. Dans l’état de nature où le sol est le rocher, cela a lieu; mais la science agricole a trouvé moyen de placer dans un sol, naturellement stérile ou épuisé, non seulement les éléments minéraux qui sont nécessaires au développement de la plante, mais encore les éléments organiques qu’elle retire de l'atmosphère. Ainsi, l'absorp- tion des sucs nourriciers minéraux et organiques se fait surtout par les racines; parce que, soit au moyen d’en- grais spéciaux que l'on place dans le sol, soit au moyen du drainage d’abord, ensuite des labours, des binages, des sarclages, enfin de toutes les opérations qui tendent à l'extrême division du sol et, par cela même, à la multi- plication des surfaces qui facilitent le contact du sol avec l'atmosphère, on fait entrer dans la constitution de ce sol tous les éléments de fertilité qui sont répandus dans l’air. Il est donc indispensable au cultivateur, non seulement de connaître la nature des éléments fertilisants qui vien- nent de l’air et de ceux qui viennent du sol, mais encore de savoir quels sont ceux qui, respectivement, convien- nent le mieux à la culture des plantes qui forment l'objet de son exploitation, car, sans cette connaissance indispen- sable, on est exposé à faire des frais inutiles, en appli- quant au sol des éléments qu’il possède déjà en quantité suffisante, ou d’autres qui n’entrent point dans la cons- 176 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. titution de la plante que l’on veut cultiver. Il faut voir dans cette ignorance la cause de bien des mécomptes et de bien des ruines, et surtout de bien des découragements, découragements on ne peut plus déplorables, car ils ont souvent arrêté l'élan d'hommes généreux et intelligents qui voulaient s'occuper sérieusement d'agriculture; et ces découragements, malheureusement, en entraînent d’au- tres non moins déplorables : ceux des hommes qui, les yeux attachés sur des efforts nouveaux, en attendaient le résultat heureux pour se lancer à leur tour dans la voie du progrès. Si l’on examine les matières que la combustion dégage des plantes, quelle qu’en soit l'espèce, on en trouve quatre principales : en première ligne, c’estle carbone, l'élément le plus important, et il viententièrement de l’atmosphère. Lorsqu'on brûle du charbon de bois à ciel ouvert, une certaine quantité d'oxygène s’unit au carbone et forme du gaz acide carbonique, qui se dégage aussitôt dans l'air auquel il se mêle, et, à cause de sa pesanteur spédfique, qui est plus grande que celle de l'air, il reste, dans les couches inférieures, en contact immédiat avec les plantes ét le sol. La proportion de ce gaz dans l’air , bien qu’elle paraisse d’abord très-minime (à peu près deux parties dans dix mille), n’en est pas moins une source immense, si l’on considère la profondeur de l'atmosphère qui en- toure notre planète, et le nombre infini de mètres cubes d'air qu'elle contient. D'ailleurs, la quantité énorme de gaz acide carbonique que les plantes absorbent, est cons- tamment remplaeée dans l’air par la respiration des ani- maux et par la décomposition incessante des matières animales et végétales sur la surface du globe. Un autre élément contribue, par l'atmosphère , à la YINGT-QUATRIÈME SESSION. 477 constitution des plantes: c’est l'hydrogène que la plante absorbe sous la forme de pluie; c’est encore, et surtout, l'azote que l’on trouve concentré, en grande quantité, dans la semence des plantes; et quand on vient à consi- dérer que la nourriture des êtres animés se compose, en grande partie, des graines de plantes cultivées, et de la chair formée par cette nourriture dont l’azote est la base, on conçoit tout de suite l'importance de cet élément pour l’agriculture. Les plantes absorbent l’azote sous la forme d’une com- binaison d'azote et d'hydrogène, en un mot, d’ammo- niaque. Le dernier élément principal que les plantes prennent à l'atmosphère, c’est l'oxygène. Les feuilles des plantes, personne ici ne l'ignore, ne s’assimilent tous ces gaz que sous l’influence de la lumière et d’une certaine tem- pérature. Du gaz acide carbonique elles ne retiennent que le carbone; et de l’eau, elles ne s’assimilent que l’hy- drogène. Dans ces deux cas, les feuilles laissent échapper l'oxygène qui servait à constituer ces deux substances. _ Les plantes ont aussi la propriété de décomposer tous les nitrates et de s’assimiler l’azote qu'ils contiennent. Le sol contribue surtout à la constitution de la plante, s’il contient les éléments minéraux qui lui conviennent. C’est, par exemple, le phosphate de chaux, si néces- saire aux fourrages, car nous savons tous que les os des animaux contiennent une grande quantité de ce minéral ; la nourriture qui les fait vivre, et qui est à la vie animale. ce que les engrais sont aux plantes, doit donc en contenir une quantité suffisante pour former la charpente osseuse. Les autres substances minérales qui entrent dans la com- position des plantes sont : la potasse, la soude, la chaux, 2 12 178 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la magnésie, l'oxyde de fer, l’oxyde de manganèse, la silice, le chlore, l’acide sulfurique, et toutes ces substan- ces n’ont pas besoin de définition. Ainsi, il est bien clair que tous les engrais, quelle que soit leur nature ou la forme qu’ils affectent, viennent de l’air et du sol. Dans l’état de nature, lorsque le sol est livré à lui-même etn’éprouve d'autre influence que celle de l’air et des principes minéraux contenus dans son sein, les plantes qui y croissent sont toujours adaptées aux circonstances de vitalité au milieu desquelles elles se trouvent, et peuvent accomplir les fonctions que la nature leur a assignées, sans le secours de la culture. Elles crois- sent, vivent et meurent sans épuiser le sol qui les sup- porte; car la décomposition de leurs débris rend à l'air et au sol les éléments qu'elles avaient puisés à ces deux sources. En agriculture, ce n’est plus la même chose : d’un côté, le cultivateur ne peutse contenter de la culture des plantes naturelles au sol qu’il exploite; il doit culti- ver celles dont le produit lui est le plus avantageux; d’un autre côté, il enlève les plantes qu'il moissonne, et, par conséquent, à chaque récolte il épuise la terre de certaines substances animales que-:la décomposition de ces plantes aurait restituées au sol qui les a produites. Le cultivateur fait donc violence à la nature en imposant au sol la naissance et la fructification de plantes qui peut- être ne lui conviennent point, et en dérobant une partie des ingrédients de ce sol lui-même. Cette violence n'est possible, en effet, qu’à la condition de rendre au sol ce qu'on lui a pris, non par la décomposition complète des plantes et des graines qui forment le fruit des travaux du laboureur, et qu'il doit transporter ailleurs, mais par l'application au sol d'engrais contenant les principes VINGT-QUATRIÈME SESSION. ” 179 fertilisants dont on l’a épuisé. La question des engrais est donc la question suprême de l’agriculture; c’est le sujet que nous devons le plus approfondir, afin de le mieux connaître, et, en raison de son importance, on me pardonnera, sans doute, les détails dans lesquels je vais entrer sur certains phénomènes de la végétation: Une des propriétés les plus puissantes de la terre, c'estsa puissance d'absorption ; quand le sol est bien drainé (con- dition indispensable ), il agit sur l'atmosphère comme une éponge et accumule peu à peu dans son sein les quatre principaux éléments de fertilité que j'ai énumérés, et les y emmagasine pour les besoins futurs des récoltes dont la semence lui sera confiée. Le système des jachères n’a pas d'autre but. Seulement en laissant, comme on le fait or- dinairement en F:ance, la terre en pâture; en y faisant paître par les troupeaux les herbes sauvages qui croissent spontanément et naturellement, au lieu de retirer de ce système tous les avantages qu’il comporte, on continue à enlever au sol tous les éléments de fertilité que le repos devait lui restituer. Le système des jachères n’est donc avantageux qu'autant qu'on expose le sol à l'influence atmosphérique par des labours profonds et assez fréquents, et par un sarclage complet, afin que la terre, constam- ment tournée et retournée, puisse se saturer des gaz fer- tilisants qu’elle retire de l'atmosphère. Tel est le mode primitif et naturel d’engraisser le sol, c'est-à-dire de lui restituer, au moyen de l’air seulement, les matériaux que les moissons lui avaient dérobés. Ici, je me permettrai une observation incidente : c’est que le système de jachère, qui, après tout, est un excel- lent moyen de relever les qualités fertiles d’un sol épuisé, ne peut être efficace qu'autant que la terre est drainée ; 180 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. en effet, si le sol est saturé d’eau, substance incompres- sible, l'air ne saurait y pénétrer, et la jachère devient complètement inutile. Cette observation s'applique, non seulement à la condition du sol, dans le système des jachères, mais aussi dans lapplication de tous les autres engrais, quelle qu’en soit la nature ou la forme. J'ai déjà remarqué que le sol tire de l'atmosphère une quantité considérable d'azote sous la forme d’ammoniaque ; mais mon honorable ami et collaborateur, M. Barral, a prouvé, par une série d'expériences aussi habiles qu’in- téressantes, que l’eau pluviale entraînait avec elle, dans le sol, une proportion notable d’ammoniaque et d'acide nitrique; aux environs de Paris, où ces expériences ont été faites par cet habile chimiste, il a été constaté que la pluie contenait une quantité de ces deux précieux élé- ments de fertilité, que j'estime égale à une fumure de 250 kilog. du meilleur guano par hectare; seulement, c’est toujours à la condition que le sol soit bien drainé ; car, autrement, cette eau précieuse coulerait sur la surface et irait se perdre dans les fossés et les rivières. Après le drainage, une des premières conditions de fertilité dans le sol, c'est la présence des calcaires, dont la fonction est de convertir l’ammoniaque pénétrant constamment dans le sol en acide nitrique. Le sol, dans cette condition, produit, en un mot, du salpêtre, comme on le produisait autrefois par la décomposition des fumiers mélangés de plâtras et autres substances alcalines. Pendant que je suis sur le chapitre des engrais naturels, qu’on me permette de dire un mot du système de Jéthro Tull. Cet agriculteur, dans le siècle dernier, avait concu l'idée que les plantes absorbaient le sol lui-même au moyen de leurs racines ; il eut donc la pensée de pulvé- PT tn da VINGT-QUATRIÈME SESSION. 181 riser à l'infini la couche végétale du sol, afin de rendre cette assimilation plus facile. L'idée était évidemment erronée, mais la pratique était bonne. A force de remuer sa terre, il parvenait à la saturer d’air, et il obtenait de magnifiques récoltes : seulement il attribuait ces heureux résultats à une théorie évidemment fausse. De nos jours, M. Smith, agriculteur distingué des environs de Nor- thampton, a fondé un système à peu près analogue, et il réussit à produire, tous les ans, de magnifiques récoltes de blé dans le même champ et sans employer un atome d'engrais sous quelque forme que ce soit. Voici comment il s’y prend : Il divise son champ en planches bien re- tournées et bien ameublies, il sème en lignes, à 35 cen- timètres d'intervalle, et il laisse après trois lignes un espace libre de 4 mètre qui reste exposé à l’action del’air; cet intervalle, ainsi que l’espace entre les lignes elles- mêmes, est soigneusement scarifié, remué et nettoyé par les houes à cheval, etc., etc.; et, l’année suivante, il re- commence son opération, en ayant soin, toutefois, de semer ses lignes dans l’espace laissé libre l’année précé- dente; par ce moyen il engraisse son champ naturelle- ment. Seulement, il est bon d'observer que son sol est légèrement argileux et, par conséquent, un peu tenace; il contient en suffisante quantité tous les éléments miné- raux nécessaires à la nourriture du blé. Mais le système des jachères a cet inconvénient qu'il laisse une forte pro- portion de la surface inactive et par conséquent impro- ductive; et cependant le fermier-doit payer à son proprié- taire la rente sur toute l'étendue de sa ferme. D'un autre côté, si le cultivateur était obligé de mettre constamment des engrais sur ses terres, ses capitaux et ses ressources n’y sufliraient point. Le problème à résoudre était donc 182 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. celui-ci : faire produire à la terre, dans l'intervalle des cultures épuisantes, une récolte non épuisante. Eh bien, ce problème a été si heureusement résolu, que, non seu- lement on est parvenu à faire produire des récoltes non épuisantes à la terre, mais que même ces récoltes, loin d'épuiser la terre, lui donnent beaucoup plus qu’elles ne lui enlèvent : ce sont les racines, les trèfles et les légumes. C’est cette combinaison qui constitue l’assolement de la terre, c’est-à-dire une rotation de cultures combinées de manière à ne point laisser chômer la terre, tout en lui restituant les principes fertilisants que les récoltes épui- santes lui ont enlevés. L’assolement le plus en usage en Angleterre est celui-ci : la première année, des ra- cines, navets ou betteraves ; la seconde, céréales de prin- temps, telles que orges et avoines; la troisième, plantes fourragères, telles que trèlles ou luzerne, etc. ; enfin, la quatrième, le blé d'automne. L’explication raisonnée de ce système est trop intéressante pour que je ne la donne pas ici. Les navets et betteraves sont des plantes pivotantes et bisannuelles, dont les racines sont peu développées, en raison de la grosseur de la bulbe et de l'étendue du feuil- lage. Les plantes étalent à l'air leurs larges feuilles qui absorbent, de l'atmosphère, une immense quantité de matériaux que la bulbe s’assimile et amasse pour la pro- duction de la graine, qui n’a lieu que la seconde année; ainsi la première année d’existence de la plante est em- ployée au développement de la bulbe d’abord, et ensuite à l’accumulation, dans le sein de cette bulbe, d’amples provisions d’azote, de phosphate, d'oxygène et d'hydro- gène. La deuxième année est employée à élaborer ces éléments, et à faire pousser la tige entourée de quelques abris VINGT-QUATRIÈME SESSION. 183 feuilles rares et peu développées, car elles sont à peu près inutiles, et surtout à former la fleur et, après la fleur, la graine. Mais le cultivateur intervient, et, dès la première année, s'empare de la bulbe et utilise sur-le-champ cet approvisionnement de nourriture, afin de le faire con- sommer à ses animaux qui, à leur tour, après s’en être assimilé une partie, rendent à la terre, par leurs engrais, une partie notable de cet approvisionnement, qui, comme je l’ai dit, vient presque exclusivement de l'air. Ainsi, même après la consommation de la racine par les bes- tiaux, la somme des principes fertilisants contenus dans le résidu de la digestion des animaux, excède de beau- coup la somme de ceux que la plante a retirés du sol pen- dant la première année de sa croissance. Il est bien évident que si le fermièr se contentait simplement d'en- fouir toute la récolte dans le sol, au lieu de da servir à son bétail, il fertiliserait sa terre d’une manière beaucoup plus puissante; mais, outre l’engrais qu’il a obtenu par le fumier de ses animaux, il a un autre avantage en faisant consommer à ceux-ci ses récoltes de racmes; la partie que les animaux se sont assimilée a augmenté leur vo- lume et, par cela même, a produit de la viande. De sorte que le fermier gagne d’un côté beaucoup plus qu’il n’a perdu de l’autre. La récolte qui suit les racines est, comme je l’ai dit, l’orge ou l’avoine, dans laquelle on sème ordi- nairement du trèfle. Ces graminées diffèrent essentielle- ment des racines bulbeuses qui les ont précédées. Celles- ci ont de grandes feuilles vertes, poreuses, absorbantes, étalant continuellement à l’air leurs surfaces, tandis que les céréales, au contraire, n’ont que de minces feuilles l .ne pouvant exercer qu’une action fort insignifiante sur l'air : aussi la culture des céréales a-t-elle besoin d’en- 184 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. grais contenant, en forte quantité, les éléments fertili- sants dérivés de l'atmosphère. Mais j'ai démontré que la récolte qui a immédiatement précédé celle des céréales a, au moyen de ses larges feuilles, accumulé un amas de ces richesses dont le fermier ne lui à pas donné le temps de jouir; cet amas de richesse, soigneusement appliqué au sol, devient une source suffisante pour les besoins des cé- réales qui suivent, et, comme la provision se trouve toute faite, les minces feuilles des graminées n’ont plus de raison d’être larges, car la plante n’a plus besoin d'agir sur l’air pour en obtenir une nourriture que la récolte légumineuse aura amassée pour elle. Il en est de même pour la culture suivante. Les trèfles qui remplacent les céréales de printemps étalent de nombreuses feuilles bien touffues à l’action de l'air. Chaque feuille qui s’épanouit envoie dans lé sol une radicule correspondante : ainsi, autant de feuilles, autant de racines. Ces radicules de- viennent des réservoirs où s'entassent les éléments absor” bés par les feuilles, et lorsqu'à l'automne, après la dernière coupe du fourrage, on retourne la terre, elle se trouve remplie de racines fortement azotées et phosphatées, en un mot, contenant, en grande proportion, tout ce que l'air et le sol peuvent donner à la plante dont la culture va suivre, c’est-à-dire au blé. Ainsi, les récoltes interve- nant entre les deux cultures de céréales, récoltes aux- quelles on ne permet pas de mürir leurs graines, donnent plus à la terre qu’elles ne lui prennent, et amassent dans le sol des matières fertilisantes que les graminées sont impuissantes à absorber de l’air en quantités suffisantes, à cause du peu de développement de leur appareil absor- bant. Ayant exposé, bien imparfaitement, je le crains, la na- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 185 ture des engrais naturels, je vais maintenant entretenir la section des engrais artificiels, c’est-à-dire de ceux qui sont élaborés par la digestion des animaux ou la mani- pulation des manufactures. Je parlerai d’abord des fumiers d’étables. Le fumier d’étable est généralement formé des matières végétales que l'animal a consommées ; seulement elles ont subi dans son estomac une décomposition qui, bien qu'elle ait changé la forme de ces matières, n’en a nullement changé la nature. Ainsi, la paille que l’on met sous les bestiaux, et qui se décompose naturellement ou par des causes extérieures, forme un engrais parfaitement iden- tique à celui qui serait élaboré par l'animal, s’il avait mangé de cette paille. Il n’y a que cette différence, c’est que la nourriture, dans l'estomac de l’animal qui con- tinuellement absorbe de l'air dans son système, est soumise à l’action de cet air, et que l’oxygène en consume une partie; ce qui appauvrit d'autant le résidu de la di- gestion, de sorte que l’engrais rendu par l'animal est en somme moins riche que s’il était le produit de la même nourriture décomposée naturellement ou par des réactifs extérieurs. Il ressort aussi de cette observation, que la richesse de l’engrais est en raison directe de celle de la nourriture :-plus celle-ci est riche et succulente, plus l’en- graig sera puissant. Ainsi, il y a une relation complète : l’'engrais appliqué au sol n’est absolument que la récolte faite sur ce sol, la seule différence n'existe que dans la forme. Il ne suffit pas de produire du fumier, il faut en outre lui conserver ses qualités fertilisantes : et c'est à quoi on ne fait aucune attention dans notre pays. Les éléments les . plus précieux du fumier sont ou volatils, et s’échappent 186 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans l'air, ou bien cristallisés, et, partant, facilement so- lubles dans l’eau, et alors sont emportés par la pluie qui tombe sur le tas, lorsqu'on le laisse en plein air. Ce qui n’est ni volatil ni soluble est ce qu’il y a de moins précieux dans l’engrais. L’ammoniaque, l'élément le plusimportant des engrais, est extrêmement volalil : si on laisse le tas s’é- chauffer par une décomposition trop rapide, l'ammoniaque se dégage et s'échappe dans l'atmosphère; si l’on permet à la pluie de tomber sur le tas, les sels se dissolvent, coulent avec les eaux et se perdent dans les fossés ou dans les ma- res; Ce qui reste vaut à peine la dépense du transport de la cour au Champ. Sait-on ce que coûte l’'ammoniaque dans le commerce? A en juger par le prix des matières qui la contiennent, on ne peut l’évaluer à moins de 2,000 fr. les mille kilos. Qu'on juge donc de la perte que le cultivateur éprouve à toute heure du jour, lorsque, par son insou- ciance, l’ammoniaque s'enfuit de son tas de fumier; et peut-on encore s'étonner que nos cultivateurs ne produi- sent que de maigres moissons? Ils n’ont de l'engrais qu'une quantité bien insuffisante, et cette quantité est encore réduite à une valeur infime par la négligence et l'incurie. Le moyen le plus simple que je connaisse pour arrêter la décomposition trop rapide des fumiers, c’est d’en alter- ner les couches avec du plâtre, ou bien, tout simplêment, avec de la terre provenant du curage des routes et des fos- sés; ou bien encore de la terre prise dans le champ le plus voisin. Le gypse est un sulfate dont la décomposition sert à fixer l’ammoniaque, mais la terre elle-même est un absorbant suffisant. A quelque profondeur qu’un cadavre en décomposition soit enterré, pourvu qu'il soit recouvert d'une couche de terre passablement épaisse, aucune odeur VINGT-QUATRIÈME SESSION. 187 ne trahira sa présence, la terre absorbant tous les gaz qui se dégagent par la décomposition. Il est aussi très-essentiel d’abriter le tas contre la pluie, et, à cet effet, si on ne voulait point faire la dépense d'un hangar, on pourrait fort bien donner au tas, consolidé d’ailleurs par les couches de terre que j'ai conseillées, une forme conique comme celle d’une meule de foin. De cette manière, le fumier se conservera avec tous ses éléments de fertilité. 1 Je ne dirai rien du guano; tout le monde en connaît et la natureet la puissance, et en déplore, comme moi, sans doute, le prix exorbitant qui en rend l'usage, sinon impos- sible, du moins trop dispendieux. Mais de cette difficulté naît la nécessité de chercher autour de nous pour décou- vrir s’il n’existe point dans la nature d’autres substances, sinon également fertilisantes, du moins d’un emploi assez avantageux pour que l'usage de ces engrais puisse être substitué à celui du guano. Mais, avant d'entamer la ques- tion des engrais artificiels, qu'on me permette de dire quelque chose sur l'emploi des fumiers d’étable. Je ne sais trop quelest l’usage du pays où nous sommes à cet égard ; mais en Angleterre nous avons tous reconnu que l’appli- cation directe du fumier d’étable aux céréales ne produit pas, à beaucoup près, un aussi bon effet que lorsqu'il est appliqué à la culture fourragère qui les précède; et la raison en est bien claire : c’est que les éléments fertilisants contenus dans le fumier se trouvent déjà élaborés et assi- milés par les racines des trèfles, et, comme je l'ai dit, emmagasinés dans le sein de ces racines qui sont laissées dans la terre et décomposées rapidement par le calcaire qui doit toujours être présent dans le sol ; les éléments né- cessaires sont, pour ainsi dire, tout préparés pour les 158 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. céréales auxquelles on épargne par ce moyen cette tâche longue et laborieuse. Pour la culture du blé, il vaut donc beaucoup mieux étendre les fumiers sur les trèfles soit à l’automne, soit au printemps ; on obtient ainsi une récolte de fourrages beaucoup plus luxuriante; les racines se multiplient d'autant dans le sol et accumulent une plus grande quantité de nourriture pour la production du blé. Ceci me conduit naturellement à examiner la méthode qui, m'’a-t-on dit, existe dans l'Isère : c’est de semer le trèfle avec le blé, et faire suivre ainsi une récolte de four- rage à une récolte de blé; en un mot, le contraire de ce qui se pratique en Angleterre. Les explications que je vais donner sufliront pour démontrer l'absurdité de cette coutume, qui se réduit à ceci : c'est que l’on fait servir au trèfle l’engrais appliqué au blé. Le blé absorbe peu d’élé- ments de l'atmosphère, et laisse peu de racines dans le sol; la culture du blé est donc éminemment épuisante ; c’est le contraire du trèfle et des betteraves, qui laissent beaucoup plus à la terre qu'ils n’en retirent. La précé- dence des trèfles est donc, en théorie comme en fait, une règle indispensable (1). Pendant que je suis sur le sujet des usages du pays, je crois utile de dire un mot sur le brûülage des terres que les cultivateurs de l'Isère consi- dèrent comme une fumure énergique. Il est bien évident que ce n’est jas le brülage qui met de l’engrais dans le (1) L'auteur de ce mémoire ayant, depuis, attentivement étudié la question du brülage, a profondément modifié son opinion sur ce genre de fumure, et il espère pouvoir développer le résultat de ses recherches et de ses expériences au Congrès d'Auxerre, en 1858. (Note de M. dela Tréhonnais.) (Voir plus loin la discussion sur le brûlage des terres, et, en particulier, la note de MM. Breton.) ‘ VINGT-QUATRIÈME SESSION. 189 sol; si la combustion révèle la présence d’un engrais quelconque, cet engrais se trouvait déjà dans le sol; en d’autres termes, le brülage ne saurait créer l'engrais ; mais voici ce qui à lieu : la combustion n’est qu’une dé- composition rapide des matières fertilisantes, ou placées dans le sol par le cultivateur, ou absorbées à l’air par le sol lui-même, la couche de terre qui recouvre cette com- bustion absorbe tous les gaz qui s’en dégagent, s’en im- prègne, et, étant étendue sur la surface du champ et enfouie par un léger labour, donne à la plante une nour- riture immédiatement assimilable. Mais sait-on ce que l’on fait par cette opération ? on agit comme un amphi- tryon qui, n'ayant qu'un invité, le ferait asseoir à une table gémissant sous le poids de mets suffisants pour nourrir vingt convives ; cet invité ne peut qu'assouvir sa faim, et par conséquent ne peut consommer qu’une mi- nime fraction du festin ; le reste est perdu. Eh bien ! c’est ce qui a lieu dans le brûlage; on rend immédiatement assimilable aux plantes une quantité plus que suffisante de sucs nourriciers ; la plante croit avec luxuriance, il est vrai, mais elle ne peut s’'assimiler qu’une fraction de la nourriture que l’on a rendue immédiatement soluble; le reste se perd dans l'atmosphère, ou bien s'écoule avec les eaux. Cette nécessité de brûlage dans ces terres qui, si elles n'étaient point aussi riches, s'épuiseraient en peu de temps avec un pareil système, révèle un fait qui peut-être a frappé plusieurs de nos savants : c’est que la décompo- sition des engrais y est trop lente, surtout pour les céréales qui, comme je l'ai déjà expliqué, ont la digestion difficile, et veulent une nourriture préparée d'avance par la diges- tion des plantes fourragères, qui accumulent cette nour- riture dans leur sein pour la production de leurs graines ; 190 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. si cette assertion, que je suggère simplement, n'ayant pas encore eu l’occasion d'analyser le sol dont il s'agit, est vraie, ce qui lui manque, c’est le carbonate de chaux. Dans un pays éminemment calcaire, dont le sol est évi- demment composé de débris calcaires, cette hypothèse pa- raît absurde; mais, comme agriculteur pratique, plutôt que comme géologue, je dirai que j'ai vu maintes etmaintes fois la nécessité de mettre de la chaux sur des terrains de quelques centimètres d'épaisseur seulement, et reposant sur des montagnes de craie. Le fait est que les terres des pays calcaires sont celles qui ont le plus besoin de cal- caires : une des propriétés de cette substance étant la tendance à s’enfoncer dans le sol et à disparaître de la surface. Je crois donc fermement que deux moyens pour- raient obvier à la nécessité du brûlage dans le département de l'Isère : 4° des labours profonds qui ramèneraient le calcaire à la surface; 2° l'application directe du carbonate de chaux. Par ces moyens on obtiendrait une décomposi- tion plus régulière et graduelle, qui suflirait à la nour- riture de la plante, sans épuiser le sol. Mais on ajoute, il y a un autre avantage attaché à la pratique du brûlage : on détruit les insectes et les mauvaises herbes. Quant aux insectes, l'application de la chaux les détruirait aussi bien, et peut-être mieux encore; car les insectes nuisibles ne se tiennent pas tous à la surface ; au contraire, les lar- ves et les vers s’enfoncent dans le sol pour reparaître, au printemps, sous des formes métamorphosées; et, quant aux mauvaises herbes, on ne râtisse que la surface des champs pour les brûler; on casse les racines, mais on ne les arrache pas. Le carbonate de chaux, au contraire, qui, après tout, n’est qu’un brûlage lent, lorsqu'il est mélangé de sel, est un destructeur bien plus énergique, d'insectes VINGT-QUATRIÈME SESSION. 191 et de mauvaises herbes. Du reste, le meilleur remède contre les herbes parasites, c’est, sans contredit, la cul- ture des racines. Tout cela est si évident que je ne m'y arrêterai pas davantage. La chaux agit d’une manière di- recte sur les constituants minéraux du sol ; dans les ana- lyses chimiques, si l’on veut opérer la libération de la potasse et de la soude d’une terre, on la chauffe à blanc, dans un creuset, avec de la chaux; après cette opération, on peut extraire toute la potasse et toute la soude par un simple lavage. De la même manière, si vous mettez de la chaux sur vos terres, vous libérez, par une action plus lente, il est vrai, mais assez rapide pour les besoins de la plante, tous les alcalis contenus dans le sol, alcalis qui entrent pour beaucoup dans la constitution des plantes. La chaux agit encore avec énergie sur les débris végé- taux, tels que racines, feuilles, tiges, etc., qui se trouvent dans le sol comme sur tous les ingrédients organiques. L'effet de la chaux sur toutes ces substances est d’abord d'en déterminer la décomposition, et de donner à la masse à laquelle elle s’unit une plus grande puissance d'absorption des gaz atmosphériques. Sans la présence de la chaux dans le sol, il ne saurait y avoir de décompo- sition suffisante et utile; car les substances qui entrent dans la composition des matières organiques n'auraient point d’élément auxquelles elles pussent s'unir. Dans la formation du nitrate de potasse, c’est la présence de la chaux seule qui détermine la formation du nitrate de chaux , qui se change ensuite en nitrate de potasse. Mé- langez de la chaux avec le guano, vous verrez immédia- tement l’ammoniaque se dégager. Ces faits seuls suffisent pour démontrer l'influence im- mense de la chaux sur les différentes combinaisons de 192 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'azote qui joue un si grand rôle dans les phénomènes de la végétation. Je vais même plus loin, et j’avance l'as- sertion que, sans la présence de la chaux dans le sol, tous les engrais possibles, le guano lui-même, ne sauraient produire aucun effet. Venons-en maintenant aux engrais du commerce : si j'entreprenais la tâche de les passer tous en revue, j'aurais à écrire des volumes. Je n’en examinerai donc qu'un seul parce que étant, pour ainsi dire, exclusivement employé en Angleterre, cet engrais est probablement peu connu et dans sa nature et dans ses effets; cet engrais, c’est le superphosphate de chaux (1). Après l'ammoniaque, l'élément le plus précieux et tout aussi indispensable de tout engrais, c’est le phosphate de chaux. La charpente osseuse de tous les animaux est en partie composée de cette substance : il est donc indispen- sable que tout ce qui sert à la nourriture des animaux, et surtout des jeunes animaux, contienne une certaine quantité de cette substance. L'analyse chimique a dé- montré que toutes les plantes légumineuses et fourragères en contiennent une certaine quantité ; il est donc naturel de conclure que, si l’on confie à un sol pauvre en phos- phate la semence de ces plantes, elles ne peuvent jamais y arriver à leur entier développement. Dépuis longtemps déjà on avait reconnu les os comme un engrais très- (1) Voir, sur ce point, les observations critiques de M. A. de Lavalette, page 26 de son Etude sur les engrais composés et sur leur utilité en agriculture; le Guano des Alpes. Grenoble, impr. Prudhomme, 1858, in-18 de 30 pages. — Cet écrit, qui forme le numéro 23 de la deuxième série de la Petite Bibliothèque économique et rurale, se trouve également à Paris, à à la librairie agricole, rue Jacob, %6. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 193 efficace; seulement la décomposition de ce phosphate dans la terre est trop lente pour devenir immédiatement assi- milable; le problème à résoudre était donc celui-ci : dégager une certaine partie de l’acide phosphorique pour que la plante puisse se l’assimiler pendant la période de sa Croissance. Il n’y avait qu’un moyen, C'était d'ajouter à une quantité donnée d’os pulvérisés une dose plus forte phosphorique, et d’en faire ainsi du biphosphate. Mais ce procédé était trop coûteux, trop difficile, sinon impossible, quand il s'agissait d'opérer sur de grandes masses; ce fut Liebig qui suggéra le moyen de sortir de cette difficulté, et voici comment : tous les phosphates sont solubles dans les acides, et notamment dans l’acide sulfurique; il pensa donc que, si au lieu d'ajouter de l'acide phosphorique, on soustrayait une portion de carbonate de chaux, on ar- riverait au même résullat, car on donnerait, dans ce cas comme dans l’autre, à l’acide phosphorique une prépon- dérance suffisante pour en faire un biphosphate, ou, pour prendre le langage du commerce, un superphosphate, ce qui est plus juste; car l’engrais qui résulte de la solution des os pulvérisés par l’acide sulfurique n’est point exac- tement ce que l’on appelle biphosphate en chimie. Cette idée féconde fut accueillie avec acclamalion, comme toutes les découvertes bonnes et utiles qui étonnent le plus souvent par leur simplicité. Des fabriques se montèrent aussitôt, et maintenant c’est par centaines qu'elles se comptent en Angleterre, et le mouvement des capitaux que cette nouvelle branche d'industrie nécessite, se monte annuellement à une centaine de millions. Voici comment l'on procède : Les os, broyés par des moyens mé- caniques et préalablement saturés d’eau, sont placés avec de l'acide sulfurique dans un cylindre, autour de l’axe IT 13 194 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. duquel et à l’intérieur, se meut une série de rayons armés de spatules qui tiennent la masse dans une agitation constante jusqu’à ce que les os soient parfaitement dis- sous, c’est-à-dire réduits en une espèce de pulpe. Aussitôt ce résultat obtenu, ce qui ne prend que quelques minu- tes, on ouvre une des extrémités du cylindre, et la masse s'échappe comme de la lave et tombe sur un tas formé en cône, et là se refroidit et se dessèche en matière que la plus légère pression réduit en poudre. Dans cette opéra- tion, l'acide sulfurique attaque d’abord le carbonate de chaux qui constitue à peu près le tiers de la substance des os, en dégage le gaz acide carbonique, se combine aussitôt avec la chaux et Feau dont on s’est servi dans l'opération, et forme ainsi un hydrosulfate de chaux; en un mot, du plâtre. Dans cette opération, une partie de l'acide se trouve neutralisée, et ce qui en reste attaque alors le phosphate, et, en s’unissant avec une portion de la chaux qui entre dans la composition du phosphate, l'acide en rend une partie soluble, car la proportion de chaux et d'acide phosphorique n'étant plus la même, la différence qui s'établit en faveur de l’acide phosphorique représente la quantité de phosphate qui devient immédiatement so- luble. De ce qui précède, il résulte que de la quantité exacte d'acide sulfurique, par rapport à une quantité donnée de phosphate de chaux, dépend le succès de l'opé- ration; car il s'agit de concilier les besoins ce la culture à laquelle on destine le superphosphate, avec l'économie du principe fertilisant : l'acide phosphorique. Si la pro- portion d'acide sulfurique est trop grande, le résultat est le même que celui qui ressort du brûlage des terres, c'est- à-dire qu'on produit plus de nourriture que la plante ne peut immédiatement s’en assimiler, et la moindre averse VINGT-QUATRIÈME SESSION. 495 entraîne ce qui reste de la partie qu’on a rendue soluble dans le sous-sol où les plantes ne vont jamais le chercher, et où l’eau des drains ne tarde pas à l’entraîner. On calcule donc la quantité d’acide sulfurique de manière à ne rendre soluble que tout au plus 20 pour 100 de phos- phate. Cette quantité suffit aux besoins d’une culture, quelle qu'en soit l’espère; et, comme il n’y a que de 50 à 60 pour 100 de phosphate dans les os, il en résulte qu’il reste dans le sol de 30 à 40 pour 400 de cet élément de fertilité, qui, par sa décomposition plus lente, devient un grenier d’abondance où la plante puise, au furet à mesure de ses besoins, les éléments nécessaires à son entier déve- loppement et à sa maturité. Il résulte d'expériences faites par M. Vœælker, profes- seur de chimie au collégce d'agriculture de Cirencester, que le superphosphate fait, soit avec les os, soit, ce qui revient au même, avec les rognons de phosphate fossiles, est un engrais plus efficace que le guano lui-même pour les cultures des racines. Voici le résultat de ses expé- riences : — M. Vœlcker divisa un champ dont le sol était homogène et très-peu fertile, en dix parties égales, dans lesquelles il sema des navets qu'il fit traiter ensuite de la même manière. Sur chaque partie, il appliqua un engrais différent et en quantité proportionnée à son poids, de manière à n’en mettre sur chaque partie, qui contenait à peu près 5ares, que pour une somme de 6 fr. 25 c. Voici Le résultat : DANS ANS ÉD PP Le moe ee 13.000 à l'hectare. DR CAO NACRE PLTENARMNNNR LE ren 29,060 id. 3° Guano et superphosphate fait avec des phosphaltes fossiles....... 32,020 id. 4° Poudre d'os non dissous..... 22,000 id. 196 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 5° Superphosphate d’os...... .«. 34,000 id. 6° Engrais dit pag Pi .... 45,000 id. HoLMarc.dentoir: 2e Te e 25,000 id. 8° Er >" ns L fossiles dissous........ té ce Ht34129:000 id. 9° Poudrette du commerce.... 23,000 id. 40° Mélange de suie, guano, phosphales, fossiles dissous et su- perphosphate d’os............... 25,000 id. Ainsi l’on voit que le superphosphate, qui ne coûte que la moitié du guano, vaut mieux pour les cultures de racines que tous les autres engrais du commerce. Mélangé avec le sel en proportions égales, c’est l’engrais le plus puissant que je connaisse pour les betteraves. Mélangé avec le sang desséché, qui lui donne une plus grande quantité d'azote, on l’emploie avec le plus grand succès pour toutes les céréales et pour les pâturages. Mélangé avec le guano, son emploi donne les meilleurs résultats ; il communique aux herbes les qualités phosphatées qui, comme je l'ai dit, sont indispensables à la nourriture de tous les animaux, et surtout à la richesse butyreuse et caséeuse du lait (4). Le sujet que j'ai entrepris est trop vaste dans sa syn- thèse, trop multiple dans son analyse, pour que je puisse, sans abuser du temps et de l'attention de l'assemblée, le traiter d'une manière complète. J'aurais pu parler de plusieurs autres engrais, et surtout du sel, que je regarde comme un des dons les plus précieux que la nature ait (4) Voir la lettre de M. de la Tréhonnais sur l'Emploi du phosphate de chaux naturel en Angleterre, insérée dans le Jour- nal d'agriculture pratique, 1857, 1° semestre, p. 282. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 197 faits à l’agriculture, et qui, malheureusement, est si dif- ficile à obtenir en France; mais je m'arrête : ce sujet, sur lequel j'aurais beaucoup de choses à dire, m’entraïnerait trop loin; je me réserve de compléter mon travail dans une autre circonstance. La suite de l’examen de la treizième question est renvoyée à demain. La séance est levée à une heure de l'après-midi. SÉANCE DU 9 SEPTEMBRE. La séance s'ouvre à onze heures, sous la prési- dence de M. de Brive. .Les procès-verbaux des séances des 7 et 8 sep- tembre sont lus et adoptés, après une rectification demandée par M. Paganon. M. de la Tréhonnais, invité à s'expliquer sur une proposition émise par lui à une séance précédente, soutient que l’adjonction d’une exploitation à l’en- seignement agricole donné dans une école normale serait inutile et même nuisible : inutile, parce que cet enseignement doit être surtout théorique, qu'il 198 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. vaut mieux que les élèves voient autour d’eux les vices des modes de culture, surtout propres à leur inspirer le goût des bons procédés, et qu’enfin le temps nécessaire pour l'exploitation manquerait ; nuisible, parce qu'il serait à peu près impossible de créer une exploitation complète : ce serait, en effet, une ferme-école entée sur une école normale. M. de Caumont partage complétement l'avis de M. de la Tréhonnais. La discussion sur les engrais est reprise. M. Breton, ingénieur, expose comment les culti- vateurs dauphinois brûlent la terre el que!s résultats ils obtiennent à l’aide de ce brülage, que l’on ne connaît pas, en Dauphiné, sous le nom scientifique d’écobuage. M. Breton conclut de son court exposé que le brû- lage, praliqué ainsi qu’il l’a décrit, équivaut à une bonne fumure, et qu’il est dans les environs de Grenoble d’une utililé aussi générale que le labou- rage. Le président demande des détails sur la fréquence du brûülage. Il résulte des explications de plusieurs membres de la section appartenant à la localité, notamment de MM. E. Gueymard et Paul Gariel, que le brûlage des bonnes terres du Graisivaudan, dans la plaine, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 199 a lieu généralement tous les quatre ans, et celui des autres terres à peu près tous les trois ans. M. Henri Breton, pharmacien, traite à son tour la question, principalement au point de vue de l’é- conomie chimique du brûlage. M. Breton rend compte des expériences qu’il a faites sur la terre brûlée et sur la terre non brülée ; à l'appui de sa note, il fait passer sous les yeux des membres de la section, cinq petits flacons rem- plis de terre ou de liquide. Il conclut de ses expériences que la terre brûlée contient une quantité considérable de sels ammo- niacaux, dont l'origine ne peut être attribuée que pour une très-faible partie aux matières organiques | existant dans la terre avant l’opération du brülage. Le brûlage constitue donc un véritable engrais, et ilest à désirer que cette pratique, mieux connue, soit mise en usage dans tous les terrains où elle pourra être applicable. M. Breton, ingénieur, ajoute qu'il existe dans quelques localités du Dauphiné des brüleurs de terre, c’est-à-dire des ouvriers spéciaux ayant une réputation plus ou moins bonne; ce qui prouve l’importance que l’on attache à celle opération. Le président demande si le brûlage est une pra- tique ancienne. M. l'ingénieur Breton répond qu’il a vu introduire 200 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le brûlage, il y a vingt-cinq ou trente ans, dans la commune de Champ, voisine de Grenoble. M. Henri Breton dit qu’il pourrait citer des actes vieux d’un siècle dans lesquels l'opération du brülage est mentionnée. Un membre du Congrès, M. de Bancenel, chef de bataillon du génie, à Liesle (Doubs), dit que le brülage est pratiqué dans le Jura et dans le Doubs, pour quelques terres seulement. M. Para d’Andert, docteur en médecine et pro- priétaire à Meylan, prétend que le brülage n’a pas réussi au Villard de Lans, contrée située au-dessus de Sassenage. Selon MM. Breton, cette non réussite vient de la nature tout à fait exceptionnelle du terrain, ou de l'incapacité des ouvriers chargés de l’opération. M. Segond-Cresp dit que le brülage après re- touble, c’est-à-dire après blé moissonné, est pratiqué aux environs de Marseille. M. Henri Breton fait observer que les effets du brülage sont d’autant plus considérables qu’il y a plus de fourneaux. MM. Philippe et Henri Breton remettent ensuite au président une note résumant les diverses obser- vations orales que ces deux membres du Congrès ont présentées sur l’opération du brûülage. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 201 DU BRULAGE DES TERRES DANS LES ENVIRONS DE GRENOBLE, Par MM. Philippe et Henri BRETON. Les traités d'agriculture parlent presque tous d’une opération connue, dans quelques pays, sous le nom d'écobuage. L'étymologie de ce mot n’est indiquée par aucun ouvrage, et sa définition n’est pas facile à donner. Quoi qu’il en soit, on pratique beaucoup, dans les envi- rons de Grenoble, une opération connue des habitants de la campagne sous le nom de brülage, et qui a quelque analogie avec ce que les livres d'agriculture appellent écobuage. Mais le brûlage présente ceci de remarquable qu'il s'applique, non seulement à des terrains inculles ou à des prairies et pâturages épuisés que l’on veut mettre en culture, mais encore à toutes les terres indistincte- ment, depuis les limons déposés par colmatage jusques et y compris les riches jardins potagers de la banlieue de Grenoble. Un brûlage vaut une bonne fumure et coûte beaucoup moins. Voici, en quelques mots, comment se fait cette opéra- tion : On laboure le champ ou le pré, et on le laisse sé- cher le mieux possible; puis, avant que la pluie sur- vienne, on dispose, sur toute la surface, de petits fagots de 60 centimètres de longueur sur 50 environ de circon- conférence, en les espaçant de 2 à 5 mètres, en tous sens. (Plus ils sont rapprochés, plus l'opération produit d'effet.) On relève, par-dessus chaque fagot, avec un râteau, la terre environnante, pour former de pelits tas coniques nommés fours, en laissant le bout du fagot découvert du côté d’où vient le vent; on allume, en commençant par 202 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le bord du champ placé sous le vent, et, dès que le four est bien allumé, on bouche l'ouverture, en relevant la terre avec le râteau. Les fours brûlent alors pendant quel- ques heures, fument beaucoup, et on tâche de condenser le plus que l'on peut de cette fumée, en augmentant la quantité de terre qui recouvre le four, car le cultivateur sait très-bien que cètte fumée est un engrais. Le feu doit être conduit le plus lentement possible, et, s'il devient trop actif, on enfonce à plusieurs reprises la pelle dans le four pour faire tomber la terre dans le feu même et on re- couvre ensuite soigneusement les ouvertures. Quelques jours après, on répand la terre brûlée sur toute la surface du champ, on laboure ou l’on herse, puis on sème. Il est bon de remarquer que la couleur de la terre brûlée ne doit pas êtrerouge brique, mais seulement brune ; elle a pris alors plus de goût que lorsqu'elle est devenue rouge. Le brülage, ainsi pratiqué, peut être répété tous les trois ou quatre ans avec avantage ; on pourrait même citer des champs que l’on brûle tous les deux ans, mais c’est une exception. Quand la récolte commence à grandir, on aperçoit très-bien, dans les champs brûlés, des émi- nences, d’une couleur plus foncée et d’une végétation plus vigoureuse, marquant distinctement la place de chaque four, à moins qu’on n'ait eu soin de creuser ces places avec la pelle, en répandant les fours sur le champ. Le brûlage équivaut donc à une bonne fumure. En outre, il détruit beaucoup de graines, racines, œufs, larves et insectes nuisibles, qui sont seulement rôtis et non brûlés; la plupart sont chauffés seulement au point nécessaire pour ne pouvoir plus reprendre vie. Mais il est un autre effet du brûlage au moins aussi important que ceux que nous venons d'indiquer; c’est VINGT-QUATRIÈME SESSION. 203 qu’il constitue un amendement des plus efficaces et con- venant à toutes les natures de terrains. En effet, par l’action de la chaleur, les graviers ou sables calcaires sont en partie réduits en chaux; les pierres siliceuses en sable : la plupart des sables en terre; l'argile en fragments semblables à de la brique mal cuite et brisée ; la silice même, suivant M. Gueymard, devient soluble et susceptible, par conséquent, d’être absorbée par les plantes. Il est facile de voir que, sous l'influence de brûlages répétés, les terres trop légères prennent du corps, par suite de la division de leurs parties constituantes , et que les terres trop fortes deviennent plus légères par suite du durcissement de l'argile. Toutes les natures de terrain recoivent donc ainsi l'amendement qui leur convient et tendent à acquérir la consistance la plus avantageuse, celle de ce qu’on appelle la terre franche. Quant à la création de l’engrais par le brülage, nous l'avons vérifiée par les expériences suivantes : Nous avons pris de la terre au centre d’un four éteint depuis huit jours; nous avons pris aussi de la terre du même champ, dans l'intervalle séparant deux fours. Ces terres différaient beaucoup par la couleur, l'odeur et la saveur. Lavées avec une mêmie proportion d’eau distillée, elles ont fourni des liqueurs très-différentes: l’une d’un jaune intense, d’une odeur ammoniacale ei fuligineuse très-prononcée ; l’autre presque incolore, sans odeur ni saveur sensibles. La première, additionnée de potasse caustique, dégage une odeur ammoniacale très-marquée ; l'eau de chaux y fait naître un précipilé très-apparent, soluble dans l'acide azotique; cette liqueur renferme donc du carbonate d'ammoniaque. La seconde, traitée 204 CONGRÈS SCIENITFIQUE DE FRANCE. par les mêmes réactifs, se comporte à peu près comme de l’eau pure. Ces résultats, toutefois, ne sont pas encore concluants ; car la chaleur a pu modifier les matières organiques con- tenues dans la terre et rendre solubles certaines substan- ces qui étaient insolubles avant son application. Pour nous éclairer sur ce point, nous avons rempli de terre non brûlée et bien ,tassée un creuset de platine et nous l'avons soumise à une chaleur à peu près égale à celle qui se développe dans un four de brülage bien con- duit. Cette terre, devenue d’un noir brunâtre, répandait, étant chaude, une très-faible odeur ammoniacale, qui a disparu après le refroidissement. Trailée ensuite par l'eau, comme dans les deux expériences dé,à citées, elle a fourni une liqueur à peine colorée, presque sans odeur, produisant, il est vrai, les mêmes réactions que l’eau de lavage de la terre brûlée, mais à un degré de beaucoup inférieur. Sans pousser plus loin cette étude chimique, qui mé- rite sans doute un travail plus complet, on peut affirmer que le brûlage introduit dans la terre une certaine quan- tité de sels ammoniacaux, dont on ne peut attribuer la formation à ce qui reste des engrais enfouis précédem- ment, ni aux autres matières organiques que la terre contient toujours. Il faut donc en chercher ailleurs l’origine. Les chimistes connaissent la remarquable propriété de quelques substances poreuses, de produire la combinaison de certains corps, par le simple contact intime qui résulte du passage simultané de ces corps, dans les pores de la substance. L'éponge de platine jouit au plus haut degré de cette propriété; mais d’autres corps poreux en sont VINGT-QUATRIÈME SESSION. 205 aussi doués, quoique avec moins d'énergie. Ainsi, l’on prépare maintenant les cyanures alcalins, sans le se- cours des matières animales, et en fixant l'azote de l'air. Le procédé consiste à faire passer au travers d'une masse. poreuse, imprégnée d'une solution alcaline, un mélange de vapeur d'eau, d'air et d'oxide de car- bone; ce dernier gaz est obtenu par la combustion incomplète du charbon dans un fourneau réglé conve- nablement. Or, dans le brülage de la terre, les circonstances sont précisément les mêmes que dans le procédé indiqué ci- dessus : Combustion incomplète, dont les produits qa- zeux sont mélés d'air et de vapeur d’eau, et passage de ce mélange au travers d'une masse poreuse contenant plusieurs bases énergiques (chaux, potasse, magnésie). Il peut donc se former des cyanures, dont la décomposi- tion ultérieure, mais toujours très-prompte, devra fournir des produits ammoniacaux. Ce n’est pas tout ; une circonstance importante peut encore ajouter aux résultats : outre l’oxide de carbone, le mélange gazeux contient beaucoup d'hydrogène carboné, puisqu'on distille réellement du bois, en même temps qu’on brüle incomplètement du charbon. Or, l'hydrogène carboné, mêlé d'air et traversant la masse poreuse, peut se décomposer ; son kydrogène former de l’ammoniaque etson carbone de l'acide carbonique, en s’unissant, le premier avec l'azote, le second avec l’oxigène de l'air : de là le carbonate d'ammoniaque trouvé dans la ferre brûlée. Quoi qu'il en soit de cette explication, il résulte incon- testablement des expériences citées plus haut, que la terre brûlée contient une quantité considérable de sels 206 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ammomacaux , dont l’origine ne peut être attribuée, que pour une très-faible partie, aux matières organiques existant dans la terre avant l'opération. Le brûlage constitue donc un véritable engrais, et il est à désirer que cette pratique, mieux connue, devienne d’un usage général. On peut, en effet, la considérer comme une excellente solution du problème de la créa- hion des engrais directement, au moyen de l'azote de l'air. C'est là un exemple, à ajouter à tant d'autres, de la découverte d’un procédé précieux, par la seule pratique, et bien avant que les théoriciens aient seulement songé à en donner l'explication. La parole est donnée à M. Gueymard, qui fait la communication suivante : MÉMOIRE SUR LES ENGRAIS , Par M. Emile GUEYMARD, ingénieur en chef des mines en retraite. La question des engrais occupe très-sérieusement tous les propriétaires. On a beaucoup expérimenté, on a beau- coup écrit, et peu de personnes ont profité des découvertes qui sont depuis longtemps dans le domaine public. La chimie est devenue le pivot autour duquel le progrès s’est fait jour ; et, bien que la lumière rayonne de toutes parts, la petite et la moyenne propriété ont peu profité des con- seils des hommes expérimentés. Mais disons, avant tout, que les éléments du problème qui nous occupe sont dis- séminés dans un grand nombre d'ouvrages et de recueils VINGT-QUATRIÈME SESSION. 207 périodiques inconnus des cultivateurs. Rendre populaires toutes les améliorations qui sont du ressort de l’agricul- ture, c’est un service rendu aux propriétaires; j'ose l’entreprendre, en témoignant le regret qu’une main plus habile n’ait pas eu cette pensée. Améliorer les engrais naturels, composer des engrais, voilà les deux questions qui sont à l’ordre du jour. Toutes les sociétés d'agriculture, tous les hommes qui s'occupent du travail de la terre reconnaissent que, par ignorance ou autrement, on perd de 25 à 30 % d'engrais au moins. N'est-il pas évident que, si des soins étaient donnés pour éviter cette perte, on aurait de 25 à 30 p. % de plus de récolte, à moins de circonstances extraordi- naires dues à des perturbations atmosphériques. D’après cela, la France n'aurait jamais à redouter la disette pour les productions du sol. Nous pouvons même aller plus loin : nous n’aurions pas à nous occuper de découvrir de nouveaux engrais, tant que la population serait la même. Mais j'aime trop la science et le progrès pour ne pas ad- mettre les recherches sur les engrais factices ou commer- ciaux qui font souvent l’objet de mes études. On a beaucoup écrit sur les engrais azotés, et la plu- part des personnes qui n’ont lu que quelques articles, ont cru qu'un engrais azoté était suffisant pour produire toutes les récoltes. C’est une grande erreur, et je vais l'expliquer en quelques mots. Le blé exige une grande quantité de phosphates. La vigne a besoin de potasse. La paille et la plupart des tiges de végétaux sont com- posées en grande partie de silice. Le foin, le trèfle donnent à l’analyse une forte propor- tion de chaux. | 208 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. La potasse abonde dans le châtaignier, la fougère, les pommes deterre, lestopinambours, les haricots et lesfèves. Outre les sels que je viens d'indiquer, ces végétaux contiennent de l’azote; mais n’est-il pas manifeste que si, dans le sol, on ajoutait seulement un engrais ne con- tenant que de l'azote, en l'absence de tous les autres éléments , la végétation serait nulle ? La première pensée qui se présente, c'est d’incinérer toutes les espèces de plantes, d'analyser les cendres et de jeter ensuite dans la terre, et en quantité suflisante, les engrais que contiennent tous les éléments qu’on a trouvés dans les cendres des végétaux qui ont été analysés. Les calculs sont très-simples, et je vais en donner un exemple _puisé dans l’ouvrage du savant Boussingault. Je me bor- nerai à énumérer seulement les principales récoltes de nos contrées. Premier Tableau. Composition des cendres provenant des plantes récol- tées à Bechelbronn, en Alsace. ANALYSE SUR {00 PARTIES DE CENDRES. ique SUBSTANCES. |: Acide carbon Acide sulfurique. | Chaux | Magnésie. Oxide de fer. alumine Jeau et nerte. | Pommes de terre Betteraves ..... Froment | Paille de froment | Avoine . ....... Paille d'avoine. = x de = 1 6.0 0.3167.6| 1.0 > |53.3| 1.3 4.4140.0! 2.1 0.5! 5.3| 0.3 — À À I © © © © Las ms 7 L? il 1 l 4 nu mo0osSor R © tu œ to w ® wa 19 LI VINGT-QUATRIÈME SESSION. 209 Dans ce premier tableau, on voit que la récolte qui exige le plusde potasse, c’est la pomme de terre. Viennent ensuite les betteraves, le froment, le trèfle, la paille d'avoine et l'avoine. L’acide phosphorique se trouve en grande quantité dans le froment. Viennent ensuite l’avoine et les pommes de terre. Pour le trèfle, il faut un sol riche en calcaire. Lorsque la terre ne contient pas ces divers principes, il faut les apporter par les fumiers ou par les amendements. Nous avons donné, d’après M. Boussingault, l'analyse des cendres de diverses plantes. Lorsque le sol paraît ingrat ou très-peu fertile, c’est qu'il manque par lui-même des éléments nécessaires pour produire les diverses récoltes dont ces plantes sont la base. Deuxième Tableau. Substances minérales enlevées au sol, sur un hectare de surface, pendant l'assolement de quatre ans. e. Lu d D CEE © 3 LE es é A a 2 ; Se NATURE PSSNREE | KE £ A ON SES S ETES = SES = © DE LA RÉCOLTE. | Der VINGT-QUATRIÈME SESSION. 451 les terres du comte de Provence , à Qui les baronnies con- venaient également beaucoup. Déjà, en 1262, il avait soumis à la directe de l'hô- pital de Saint-Jean de Jérusalem dix-neuf de ses terres qu'il déclarait tenir en franc-alleu, ne relevant que de Dieu. En 1276, Dragonnet laissa pour héritière sa fille Ran- donne, mariée à Goncelin de Castellane, seigneur de Lunel. En 1284, elle remit la baronnie à son fils Rous- sollin, qui, obéré, se rendit définitivement vassal du dauphin, en 1291; il mourut en 1294, léguant le do- maine utile à son oncle Adhémar, seigneur de Lombiers, qui le vendit au dauphin, en 4309, à la condition de payer les dettes de Roussolin. En 1285, le gouverneur du Comtat pour le Pape avait vonlu obliger le baron de Mévouillon à laisser rétablir un péage aux Pilles; Reymond répondit que personne ne pouvait faire de levée de deniers.sur ses terres, parce qu'il ne les tenait que de son père et de l’empereur. Tous les barons de Mévouillon portèrent le nom de Reymond. Le dernier, aussi endetté que celui de Montauban, se mit sous la suzeraineté du dauphin, en 1293, moyennant une somme d'argent, bien qu'il eût reconnu auparavant la mouvance de l'évêque de Die, également pour se créer des ressources. Des arbitres réglèrent que le dauphin recon- _ naïitrait tenir cet hommage au fief de l'évêque. En 1317, le baron, n'ayant qu'une fille, se détermina à faire au dauphin donation du domaine utile, en l’obli- geant à payer ses dettes. Maintien des libertés des habi- tants à n’exiger le service militaire que dans des limites assez restreintes, etc. Jusqu'en 1337, les baronn es furen: données en apani.se 452 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. à Guy et à Henri, fils et frère du dauphin; mais cette année, Humbert les unit à perpétuité au Dauphiné. Les barons avaient accordé de nombreuses franchises et libertés aux habitants. Au préambule de la charte de Nyons, qui est de 1314 et 1337, on lit : « L’affection et « le dévouement des sujets croissent d'autant plus que « leur seigneur se montre plus bienveillant, et surtout « quand, les affranchissant de toute servitude, il leur « assure à toujours la liberté, qui est le plus grand de « tous les biens : Et ad libertatem transferunt , quod « inter alia humanæ naturæ commoda noscitur præ- « Liosum. » Cette pensée se reproduit dans un des chapitres qui se termine par ces mots : « Et sint liberi sicut cives ro- mani. » Dans la charte donnée le 26 février 1333, par le baron Guigues, pour favoriser l'établissement d’un plus grand nombre d'habitants au lieu: de Saint-Maurice et Bourchet, il leur est accordé les franchises et libertés concédées à ceux de Nyons. Mévouillon avait aussi sa charte, datée de 1270. D'après des actes de 1346, 1351 et 1458, il se fabriquait des florins et autres monnaies à Mirabel. Un hommage prêté en 1286 par ceux de Vinsobres, con- firme les libertés à eux concédées par les anciens barons. Selon un dénombrement de 1529, il y avait cent fa- milles nobles dans les baronnies. — Le Dauphiné entier en avait deux mille. Le bailliage du Buis s’étendait sur quatre-vingt-cinq paroisses, nommées dans l'État des paroisses du Dau- phiné, 1747 (Bibliothèque de Grenoble). Plusieurs étaient de la subdélégation de Saint-Paul, et toutes de l'élection = LR VINGT-QUATRIÈME SESSION. 453 de Montélimar. Au spirituel elles se distribuaient entre les évêchés de Gap, Die, St-Paul, Vaison et Sisteron (1). X. — Comté d'Albon et de Graisivaudan. Les comtes d’Albon, origine des dauphins, étaient fort anciens; plusieurs pensent que Guy, l’un d'eux, assistait à l'assemblée de Valence, qui, en 890, confirma Louis, fils de Boson, comme roi de Bourgogne. De même que les autres, ils ne durent acquérir la souveraineté qu’à la mort de Rodolphe. Le nom de dauphin paraît pour la première fois dans un acte de Guigues IV, dit Dauphin, mort en 4442, où est confirmée la donation faite en 4110 du monastère de Chalais, près Voreppe. Guigues V, mort en 4162, prit le premier, en vertu de la cession que lui fit Berthold, le titre de comte de Vien- nois, où il n'eut qu'une autorité subordonnée à celle de l’archevëque. Guigues VI acquit, en 1215, comme on l’a vu, les com- tés de Gap et Embrun. En 4957, par un traité du 49 juillet, Guigues VII se soumit à en faire hommage au comte de Provence, qui les réclamail vivement. Ce Guigues eut le Faucigny, comme dot de Béatrix de Savoie, sa femme. Sous Anne et Humbert I, qui parvinrent à avoir les baronnies de Mévouillon et Montauban, la province com: mença à porter le nom de Dauphiné. A de précédentes époques, leurs auteurs avaient obtenu (4) Pour plus de détails sur les baronnies, on peut voir ce qu’en a déjà rappelé l’auteur de ces notes, dans l'Album du . Dauphiné, 3° vol. 454 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'hommage du Brianconnais, des baronnies de la Tour du Pin, de Clermont, de Sassenage et autres; enfin l’an 1339, le dernier dauphin Humbert IT fut reconnu suzerain du marquisat ou principauté du Pont en Royans; et l’état Dauphinois était ainsi à peine constitué, sauf le Valen- tinois et le Diois, encore séparés, quand il fut cédé par Humbert, en 1349, à Charles, fils de France. La cession n’en fut faite toutefois qu'à la charge de respecter les libertés de la province, et sous la condition qu'elle ne serait réunie à la couronne de France qu'avec l'empire. Louis XI, dernier fils de France qui ait eu la jouissance réelle du Dauphiné, enleva à l'archevêque sa supériorité sur Vienne. XI. — Comte de Viennoïs. Henri I, duc de Bourgogne, mort en 1002, avait épousé Gerberge, fille d'Eudes de Vermandois, comte de Vienne. Otton-Guillaume, fils d'un premier mariage de Gerberge, et enfant adoptif d'Henri, avait acquis une très-grande influence sur tout le royaume d'Arles, et il eut des pré- tentions au comté de Vienne, du chef de sa mère; il mourut en 14027, avant Rodolphe le Fainéant; son fils Renaud I, lui succéda. En 1038, l’empereur Henri, comme héritier de Rodol- ‘he, par son père l’empereur Conrad, voulut recevoir l'hommage de tous les seigneurs du royaume d'Arles; Renaud le refusa; il fit la guerre, secondé par Gérard, comte titulaire de Vienne, sans doute comme feudataire, mais bientôt, en 4045, il se rendit. Le traité qu'il obtint lui reconnaissait ses droits sur Vienne. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 455 Guillaume I, dit le Grand, son fils, fut presque sou- verain dans cette ville, comme mari d’Etiennette, héri- j tière de ce comté; il mourut en 4087, laïssant plusieurs enfants, entre autres, Renaud II, Guillaume Téte hardie, et Gui, archevêque de Vienne en 1088, puis pape en 4449, sous le nom de Calixte IL. Renaud II mourut comte de Bourgogne et de Vienne, en 4099, dans un voyage en Terre Sainte. Guillaume II, son fils, fut placé sous la tutelle d'Etienne, son oncle, qui prit aussi le titre de duc de Bourgogne et de Vienne. Celui-ci aliéna, en 4101, une grande partie des droits régaliens au profit de l'archevêque, son frère, d’où - vint l'autorité qu’eurent ensuite les archevêques, et que Frédéric I confirma plus tard, principalement sur la ville même de Vienne. Guillaume III, probablement frère du précédent, mou- rut jeune, en 4426, comte de Bourgogne ; un fils d’Etienne, Renaud IIL, tint alors la Bourgogne depuis Bâle jusqu’à l'Isère; l'empereur Conrad, à qui il refusa l'hommage, transféra l'investiture de ses états à Conrad, duc de Zerin- ghen. Toutefois, ce dernier ne parvint pas à se mettre en possession. Berthold, son héritier, céda, en 1455, ses prétentions à Guigues, dauphin, qui s’en servit pour se dire comte de Vienne. ; Béatrix, fille unique de Renaud III, morten 1148, s'était mariée à l’empereur Frédéric, qui s’accorda avec Berthold ; il lui abandonna la Bourgogne transjurane, mais en laissant au dauphin les droits qu'il avait acquis sur Vienne. En 4157, l'autorité de l'archevêque sur la ville de Vienne lui fut confirmée par l’empereur, dans l’assem- 456 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. blée de Besancon, et elle lui resta prédominante sur celle du dauphin, jusqu’au temps de Louis XI. XII. — Principauté du Briançonnais. Elle fut formée d’une partie des Alpes cottiennes; elle appartint aux comtes d’Albon, au moins dès le temps de Rodolphe. On y eut, bien avant le reste du Dauphiné, l'avantage de la réalité des tailles, sans aucune franchise pour les tenanciers nobles. * Par un traité ou charte de 1343 , Ses habitants avaient obtenu l’affranchissement de presque tous cens et rede- vances, moyennant une rente en argent. Au dénombrement de 1529, il n’y avait que quinze fa- milles nobles. ; A son étendue de 1790, il faut joindre les vallées d'Oulx, Sésanne, Valcluson, Pragelas, Exiles et Salbertrand, cédées au roi de Sardaigne par le traité d'Utrecht; elles en avaient toujours fait partie depuis l’origine. XIII. — Comtes de Valentinois et Diois.…. Le comté de Valentinois fut possédé, dès le principe, par une branche des comtes de Poitiers, issus eux-mêmes des ducs d'Aquitaine. En 1060, vivait Aimar de Poitiers, premier du nom; Gontard de Poitiers en était déjà titu- laire en 950, mais à titre amovible; ses successeurs n’eu- rent l'indépendance qu'après l’an 14000. Leurs terres allaient de l'Isère à la rivière du Lez. Ponce, sorti des comtes de Forcalquier, vivant vers l’an 1000, est le premier comte de Diois que l’on connaisse. Ce pays fut réuni au Valentinois par voie de succession, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 457 l'an 4146. Isoard, comte de Die, avait été chef des croisés de la province. En 1419, le dernier comte de Valentinois institua hé- ritier le dt, Charles VII. Montélimar {voir baronnie de Grignan), après avoir été sous la souveraineté des Adhémar, passa, en partie, au Pape, de qui Louis XI le retira en 4466. L'évêque de Saint-Paul trois Châteaux avait la souve- raineté de sa ville, et de St-Restitut, Chamaret, Barmes, Solorin et Suze, formant son temporel. En 1408, il se soumit au roi-dauphin. XIV. — Marquisat de Pont en Royans. Ismidon le possédait en propre vers 1030 ; il prenait le nom de prince de Royans. En 1339, Henri Bérenger, son descendant, ayant hérité de la baronnie de Sassenage, fut amené par le dauphin Humbert à se reconnaître de son haut-domaine. XV.— Baronnie de Sassenage. Possédée en souveraineté dès l’époque de Rodolphe, elle vint sous le haut-fief du dauphin Humbert I, vers 1298. Son titulaire avait le rang de deuxième baron de Dauphiné. XVI. — Baronnie de la Tour du Pin. Elle était très-ancienne, ainsi que la famille de ses ba- rons, qui eurent ensuite le Dauphiné par le mariage d'Humbert I avec la dauphine Anne, en 4292. 458 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Elle comprenait toute l’île de Crémieu, touchait à la Savoie du nord et du levant, au Rhône du couchant, et elle s’étendait bien avant dans le Viennois. Quirieu, Bour- goin en étaient, ainsi que Virieu, etc. Chorier en cite les terres (vol. I. 778). Un officier y portait le titre de connétable ; en 1289, Humbert y conféra cette charge à Et. de la Poepe. XVII. — Baronme de Clermont. Celui qui la lenait avait le titre de premier baron du Dauphiné. Il jouit longtemps aussi de l'indépendance. Ses terres étaient dans le comté de Salmorenc. XVIII. — Comté de Salmorenc ou Sermorenc. En 1015, l'archevêque de Vienne et l’évêque de Gre- noble étaient en différend à son sujet. Il comprenait vingt-deux châteaux que nomme Chorier (vol. I. 775) : c'étaient notamment St-Georges, Bressieu, Lemps, Cler- mont, Vinay, Miribel, Voreppe, etc. Le pape régla cette difficulté ; mais les comtes de Savoie et d'Albon, un peu aussi le baron de Clermont, firent comme si les évêques n'avaient droit qu’au spirituel , et s’accommodèrent chacun de ce qui était à leur conve- nance. XIX. —-- Comte de Savoie. Son nom de Savoie, Sabaudia, est antique ; il remonte à l’époque romaine, et elle paraît avoir compris la plus grande partie du pays des Allobroges, car un ancien au- teur y renferme Grenoble et Embrun. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 459 Elle eut aussi ses comtes amovibles, d’abord seulement comtes de Maurienne. Le premier qui ait joui d’un titre transmissible est le comte de Maurienne Bérold, en 1044. Ils furent comtes de Savoie en 1108, après avoir obtenu de l’empereur la Tarentaise, avec les marches de Suze et de Turin, d’où ils prirent aussi le titre de marquis. Dès 19280, ils résidèrent à Turin. Ces notes sont assurément fort incomplètes, mais elles peuvent être un cadre susceptible d'acquérir, avec quel- ques soins, la précision nécessaire. Puis, à l’aide des indi- cations déjà fournies par la carte de Cassini, on pourrait arriver au tracé des divisions du moyen-âge. Un complément à ne pas omettre consisterait à donner également la division par évêchés. Non-seulement ce serait utile à raison des rapports au point de vue du spirituel, mais aussi parce que plusieurs de nos évêques eurent une autorité temporelle fort à considérer ; et d’ailleurs, on sait que leurs circonscriptions avaient conservé à peu près celles qui existaient parmi ces peuples lors de l’établis- sement du christianisme. Sur la proposition de M. du Boys, la section émet le vœu que le cartulaire de saint Hugues soit prochainement publié. M. l’abbé Trépier présente à cette occasion l’ob- servation suivante : Tout le monde s'accorde à reconnaître que la division des diocèses en plusieurs parties {archi- 4&60 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. diaconés, archiprètrés ou décanats) remonte au moins au Ix° ou x° siècle. Valbonnais, et, après lui, d’autres auteurs dauphinois, ont cru et dit que la division du diocèse de Grenoble en quatre ar- chiprêtrés ou décanats avait été faite seulement au xv° siècle, lorsque fut dressé le pouillé de 4497. Ce fait erroné, accepté par les éditeurs du glossaire de Ducange, postérieur à 1722 (v° Archipresbyter),. peut faire regarder le diocèse de Grenoble comme formant seul exception à la règle générale de l’an- cienne division des diocèses en plusieurs parties. La division du diocèse de Grenoble en quatre par- ties est rappelée, constatée, mais non pas créée par l’évêque Laurent Allemand, sous lequel fut dressé lé pouillé de 1497. Cette division est déjà très-nettement établie dans le pouillé de saint Hugues {x° ou x1r° siècle); elle est ensuite souvent cons- tatée par des chartes des xr1°, x1r1°, x1v°, xv° siècles, qui nomment tantôt un, tantôt plusieurs des archi- prêtres ou doyens de l’évèché de Grenoble. Une charte, entre autres, de 1257, rappelle les dignités des deux doyens de Grenoble et de Savoie, et des deux archiprètres du Viennois et d'au delà du Drac. M. Pilot, archiviste du département de l'Isère, a présenté le mémoire suivant sur l’ancienne admi- nistration de Grenoble et sur les communautés dau- phinoises. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 461 … Quelle fut, en Dauphiné, la condition des villes au moyen-àge ? Les recherches que nous avons faites pour étalilir que Grenoble, municipe sous les Romains, a su, aux diverses époques du moyen-âge, conserver des traces de ses im- munités généralement désignées, aux xu° et xt siècles et plus tard, sous les noms de libertés et franchises, peu- vent s'appliquer aux autres villes du Dauphiné et même à d’autres localités moins importantes (1). Quelques indica- tions que fournissent l’histoire et les monuments du pays suffisent à cet égard. Vienne a eu des duumvirs, des décurions et des flami- nes; son ancien rang, ses prérogatives et les priviléges de ‘ ses citoyens sont attestés par les marbres, par le témoi- gnage des auteurs qui nous apprennent que les habitants de Vienne jouissaient du droit italique, et par la notice sur les dignités et les fonctionnaires de l'empire d’Occi- dent. Cette ville fut la capitale des Gaules, le siége d'un sénat et celui d’une métropole illustre par ses souvenirs, par sa puissance et par le mérite de ses hommes distin- gués. Embrun recut de Néron le droit de latinité, et, de Galba, celui d'alliance; on y a trouvé une inscription qui rappelle un décurion duumvir. Embrun, capitaledes Alpes maritimes dès le règne d’Auguste, a été, comme Vienne, le siége d’une métropole. Grenoble, Yalence, Die, Gap et Saint-Paul-Trois-Chà- (1) Histoire municipale de Grenoble. 462 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. teaux obtinrent de bonne heure un siége épiscopal ; cir- constance qu’on peut regarder comme une preuve certaine de l'établissement d'une magistrature italique dans ces villes. On peut citer, en particulier, pour Grenoble, des marbres antiques sur lesquels se lisent les titres de dé- curions, de duumvirs, de questeurs, etc., etc. Deux inscriptions anciennes indiquent : l’une, Qui- rinus Gratus, questeur et duumvir du municipe de Briançon, et l’autre, un décurion de la cité des Caturiges. Les habitants du bourg d'Aoste en Viennois, colonie Augustule (Vicani August), et un décurion de ce lieu sont mentionnés également sur des marbres connus depuis longtemps. Une autre colonie Augustale Augusta existait à Aoste en Diois; il paraît que de ses ruines a été bâtie la ville de Crest. Nyons (Neomagus ), est nommé par Ptolomée colonie. Enfin, Luc, ravagé par Valens lorsqu'il traversa le pays pour aller en Italie au secours de Vitellius, est cité par Tacite comme une colonie romaine. Ces villes et ces localités, comprises dans la circons- cription de la province Viennoise et de celle des Alpes maritimes, dont les chefs-lieux étaient Vienne et Embrun, durent, à peu de chose près, sous les Romains, jouir des mêmes avantages ; elles éprouvèrent, sous les Bourgui- gnons et les Francs, les mêmes vicissitudes ; elles eurent sous les rois de Bourgogne le même sort, et si, aux x et xirr° siècles, les mêmes villes et localités apparaissent de nouveau avec une même organisation municipale, il faut évidemment conclure qu’elles ont subi les mêmes phases et qu’elles ont dû avoir les mêmes institutions, pendant la longue période qui s’est écoulée depuis l'épo- que romaine jusqu'au xu° siècle. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 463 Pendant tout ce temps, rien absolument n’est parvenu jusqu’à nous sur l’administration particulière du pays. Dans les villes épiscopales, surtout, les évêques, après avoir été les défenseurs du municipe et ses protecteurs naturels, en devinrent bientôt les seuls administrateurs ; ce fut la première adjonction de l’auwrité civile au pouvoir ecclésiastique. Le seigneur, c’est-à-dire. le plus vieux (sen2or), ou, en d’autres termes, celui à qui fut d'abord confiée l’administration du lieu, comme au plus capable et au plus digne par son âge et par ses conseils, se regarda de son côté comme le mandataire et le repré- sentant de la population; ainsi dut s’altérer et changer peu à peu l’ancienne forme du municipe, suivant les loca- lités et l'esprit des habitants; mais, au fond, le principe constitutif de ce régime ne fut pas moins conservé,garanti par les lois romaines , connues généralement sous le nom de Code des Bourguignons, et qui comprenait soit ces lois, * soit les lois propres de ces peuples. On sait que ce Code était encore en vigueur dans notre contrée au 1x° siè- cle, au point qu'Agobard, archevêque de Lyon, conseillait à l’empereur Louis le Débonnaire, en 840, de le rem- placer par le Code des Francs (1). Quelques actes de ce siècle et jusqu’au x1° siècle, con- tiennent même en termes formels la mention de ces lois romaines, observées à ces époques dans les états qui plus tard ont formé le Dauphiné (2). A ces titres on peut en 1) Savigny, Histoire du Droit romain, &. x1, p. 8. (2) Illudeliam inserere jussimus ut si aliquis facto nostro refra- gator in aliquo reperlus fuerit, mox penam quam lex Theodosiana precipil. — Diplôme du roi Louis, fils de Boson, en faveur de l’église de Grenoble, du jour des ides d'août 894. Tradit more Burgondionum ad medium p'antum. — Deux AG4 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ajouter d’autres, desquels il résulte que dans les affaires majeures et d’un intérêt général, rien n'était conclu ni entrepris sans l'intervention et l'assistance d’un conseil appelé à émettre son avis ou à statuer sur des difficultés. Tels sont : L'acte d’une assemblée tenue à Salmorenc, aujourd’hui Voiron, vers l’an 852; L'élection de Boson, roi de Bourgogne, en 879; Les actes des assemblées de Varennes, en 889, et de Valence, en 890, où le royaume de Bourgogne et le titre de roi furent décernés à Louis, fils du roi Boson ; La confirmation faite par le roi Louis, de diverses pro- chartes qui sont deux concessions de fonds, près de la Côte- Saint-André, faites à quelques habitants du lieu par l’évêque Oddon, du 8 des calendes de février et du 4 des nones d'avril de l’an 7 et de l'an 10 du règne de Rodolphe (1000 et 1003). Taliter concedimus qualiter lex romana nostra concedere pre- cipil. — Donation faite au prieuré de St-Laurent de Grenoble, d'immeubles près de Nerpol, par Cono et sa femme Teza, du 9 des calendes de février 1034. Taliter concedimus qualiter lex nostra concedere precipit. — Donation faite au même prieuré de divers droits dans la paroisse des Echelles, nommée autrefois Lavastrone, par le comte Hum- bert et ses enfants Amédée et Oddon, du 4 des ides de juin 4042. On nous permettra de constater ici que, dans une autre charte de la seconde année du règne de l’empereur Louis (902), et qui est une donation faite à l’église de Saint-Donat, en la personne d'Ysaac, évêque de Grenoble, par deux prêtres nommés Guitger et Ragambert, au nombre des témoins figure Autbold (Aut- boldus), qualifié de chef de l’école (caput scole). Nous pensons que ceite école était à Grenoble. Dans tous les cas, l'existence d'un établissement de ce genre à cette époque peut être invo- quée comme un témoignage d’une organisation administrative. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 465 priétés, et entre autres de l'église de Saint-Donat, en faveur de l’évêque de Grenoble , en 894; Une charte intitulée : De La coutume de Saint-Donat, qui mentionne le don de cette même église. L'abandon de la terre de Villeneuve en faveur de l'é- glise de Valence, par le duc et marquis Hugues, en 912. La charte où saint Hugues indique comment fut re- peuplée une partie du diocèse de Grenoble, après la rentrée d’Isarne dans sa ville épiscopale, vers l'an 958. L'échange de diverses terres qu'Humbert, évêque de Grenoble, avait dans le pays de Genève, contre d’autres terres que le comte Manassé et sa femme Hermengarde , avaient dans la Savoie (de 1020 à 1028). [l'est facile d’induire de ces documents épars que si, dans le cas d’un intérêt majeur, il était d'usage de recou- rir aux avis et aux conseils soit des grands, soit du peu- ple, il devait probablement en être de même pour les affaires concernant l'administration des villes. Grenoble peut en donner un exemple. On trouve cette ville organisée en corps de Communauté dans la dernière moitié du X[e siècle, et même, en remontant à l'époque à laquelle se réfère le titre qui attesle ce fait, dès la chute du royaume de Bourgogne, en 1032. Ce titre, daté du 5 septembre 1116, est un accord passé entre l’évêque Saint Hugues et le comte Guigues III, pour mettre fin aux différends qui les divisaient au sujet de leurs préten- tions respectives. Nous citons les termes de cet acte qui méritent une attention toute particulière. Que la ville de Grenoble conserve les bonnes coutu- mes qu'elle a eues avec les antécesseurs de l'évêque et du comte; si l'évêque et le comte ont ajouté quelque chose à ces bonnes coutumes, que l’un et l'autre re- IT 5 Li hui 466 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. noncent, que la preuve en soit recue sur le témoignage des prud'hommes (1). Ce passage, qui se rattache à un temps bien antérieur à celui de l’épiscopat de saint Hugues et du gouvernement de Guigues IIT, puisque leurs prédécesseurs y sont ainsi désignés, est une preuve réelle et positive que Grenoble avait déjà, sous les deux premiers comtes du Graisivaudan, ses libertes, ses us et ses coutumes, aux- quels les successeurs de ces comtes, et les évêques, se virent forcés, plus d’une fois, de souscrire et de se montrer propices, afin de S’attirer et de s'attacher par là plus facilement la population. Tels furent évidem- ment les droits qu'accrurent et qu'augmentèrent, dans le même but, au préjudice l’un de l’autre, et pour s’attacher réciproquement les habitants, saint Hugues et Guigues- le-Comte, devenus ennemis; que cet évêque et ce comte, en 4416, rétablirent comme ils existaient auparavant ; libertés et bonnes coutumes que promit de conserver de bonne foi, en 4184, Hugues de Bourgogne, comte du Graisivaudan du chef de sa femme Béatrix; que recon- nurent et ratifièrent le dauphin Guigues-André, fils de ce duc, et l’évêque Soffrey, en 1225, et que leurs successeurs Guigues VIL et Pierre réunirent, en 1244, en une charte, connue sous le nom de libertés et franchises de Gre- noble, l'un de nos monuments les plus précieux de cete époque. Cette charte, suivant l'usage du temps, fut donnée et lue en public. A cette lecture assistèrent : le dauphin, l'évêque, leurs principaux officiers et les per- sonnes appelées à servir de témoins; les recteurs ou 4) De concordia facta inter episcopum Hugonem el Guigonem comilem. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 467 administrateurs de la ville, les clercs, les chevaliers, les gens de négoce et les gens de métier, en un mot la popu- lation presque entière. Le dauphin et l'évêque jurèrent, + sur les évangiles, d’observeret de faire observer le contenu de cette charte. A cette £poque, ies documents historiques signalent de semblables libertés et franchises proclamées dans plu- sieurs communautés ou universités du Dauphiné ; on indiquait ainsi le corps des habitants d’une ville ou d’une localité quelconque, qui s’administraient suivant des usages recus et établis, et au moyen d'officiers muni- cipaux choisis par eux-mêmes et dans leur sein. Ces officiers sont appelés procureurs, procurateurs, syndics, défenseurs, prud'hommes; mais le plus souvent, et pres- que dans tous les lieux du Dauphiné, on les voit déjà qualifiés de consuls, du moment qu’il commence à être question de ces communautés, lesquelles apparaissent toutes constituées. Il serait, en effet, difficile de dire quelle date on doit assigner à une seule d’entre elles. Si, d’un autre côté, à la même époque, il est parlé de ces libertés et franchises plus qu'auparavant; c’est qu'a- lors le besoin s'était fait sentir de consigner par écrit des coutumes et des usages que la tradition n'avait que trop altérés, ou que les exigences continuelles d’un pouvoir envahisseur tendaient peut-être à détruire. Chaque ville, chaque bourg et bientôt chaque communauté voulut avoir ses franchises, signées, reçues et acceptées par son propre seigneur; d’où vient que les chartes qui contiennent ces franchises, libertés, us ou coutumes, ont presque toujours la forme de concessions faites par les seigneurs aux habi- tants des villes ou de leurs terres. Ce n’est pas que ces concessions, puisqu'on les appelle ainsi, ne fussent 468 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. toujours onéreuses à la communauté, par le paiement de sommes d'argent acquittées en échange. Dans quelques lieux même, le refus du seigneur d’obtempérer à ce désir des populations devint plus d’une fois la cause de graves désordres, parce que les habitants, aigris et irrités, coururent aux armes pour obtenir par la force le maintien ou la confirmation de leurs priviléges. En 1178, les habitants de Valence demandèrent la con- firmation de leurs franchises à l’évêque Othon, prélat fier et hautain, qui crut devoir la refuser, du moins pour certains articles concernant le régime de la cité. L’em- pereur Frédéric If étant passé cette année à Valence, ils s’adressèrent à lui; mais ce prince, porté en faveur d'O- thon, tout en maintenant les priviléges des Valentinois et leurs bonnes coutumes, voulut qu’ils ne pussent former une association communale telle qu’ils l’entendaient, sans y être autorisés par l’évêque, sous peine d’une amende de cent livres payables moitié au fisc impérial et moitié au prélat. Diverses insurrections eurent lieu dans ce but, en 1200, 14229 et 1275; dans l’une d'elles, l’évêque Humbert de Miribel, qui occupait le siége épiscopal, fut expulsé de la ville. À la fin, l'évêque comprit qu'il de- venait urgent pour lui de n2 pas s’aliéner plns long- temps l'esprit inquiet des bourgeois; il se rendit à leur demande. Comme les évêques Othon et Humbert, Humbert IV, évêque de Die, voulut aussi s'opposer aux mouvements des bourgeois de sa ville épiscopale; il fut tué dans une émeute, le 3 septembre 1212, à l’une des portes de son église, appelée pendant longtemps , pour cette raison , la porte rouge. Dès le XIe siècle, les habitants d'Embrun saiu leurs VINGT-QUATRIÈME SESSION. 469 priviléges, maintenus par les comtes de Forcalquier et par Guillaume, l’un d’eux, et que confirma, en 4210, le: dauphin Guigues André; mais ilseurent, dès lors, à lutter contre les prétentions et les exigences des archevêques. En 4257, le jour de l'Assomption, pendant l'office, une ré- volte éclata dans la ville; elle fut bientôt comprimée. Plus heureux, dans la suite, les mêmes habitants finirent par l'emporter et faire triompher leur cause. À Gap, où des droits réels étaient attachés, dès le X[° siècle, aux offices municipaux, le régime de la commune fut contesté tour à tour par l’évêque, par le chapitre de la cathédrale et par le dauphin; ce qui occasionna entre eux et les habitants de longues et vives querelles, jus- . qu'à ce que cette ville fût réunie au Dauphiné, en 1455. Dans les autres villes épiscopales, à Vienne, à Grenoble et à Saint-Paul-Trois-Châteaux, les habitants jouirent de leurs priviléges, tranquillement et sans difficultés. Il en fut de même dans les autres villes, dans les bourgs et dans plusieurs localités moins considérables. Voici la nomenclature de quelques lieux du Dauphiné ( indépen- damment des villes mentionnées ci-dessus) qu’on trouve organisées en communes, ou dont les habitants obtinrent. la confirmation de leurs franchises, pendant les XIE et XIIe siècles. Chaque nom de lieu est suivi de la date de cette confirmation ou de celle d’un fait quelconque, rap- pelant l'existence de la communauté. Il est inutile de dire que l’absence et la rareté des titres nous empêche de remonter à des temps antérieurs. Romans, 1161 (1). (1) Conventions et accords entre le dauphin Guigues, les cha- noines de Romans et les habitants de cette ville, en 1161. k70 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Moirans, 4464 {1). Crest, 1188 (2). Montélimar, 4198 (3). La Chaux, 1209 (4). Etoile, 1244 (5). Allevard et son mandement, 1245 (6). Château-Dauphin, 4247 (7). Neuvache, 4250 (8). Le Monestier de Briançon, 1253 (9). Beauvoir de Marc, 4256 (10). (1) Libertates Moirenci concessæ rer Gaufredum de Moi- renco ; 1164. (2) Plena libertas concessa hominibus de Crista per Adema- rum de Pictavia; mense martio M.CLXxXxVIIT. (3) Libertas concessa hominibus de Montilio per Geraldum Ærmarium et Lambertuin, dominos de Montilio ; anne x1.cxcvr. (4) Libertatés concessæ per Raibaldum de Calma hominibus terræ suæ; mense octobri, idibus ejusdem, 1209. (5) Franchises et immunités accordées aux habitants d'Etoile par Adhémar de Poitiers, successeur du comte de Valentinois, datées du 9 des calendes de mars 1244. (6) Sentence rendue par l’évêque de Grenoble, en 1244, dans un procès entre les Chartreux de Saint-Hugon et les habitants d'Allevard, de Saint-Pierre, de l3 Chapelle et d’Arvillard. (7) Acte du 4% novembre:1247, par lequel les habitants du Pont de Château-Dauphin cèdent au dauphin Guigues leurs droits sur la tour supérieure du pont. (8) Albergement des tailles, passé, le 3 des ides d'août 1250, par le daupnin Guigues aux habitants et à la communauté de Neuvache, sous la cense annuelle de 30 livres bons viennois. (9) Concession de divers priviléges, faite par le dauphin Gui- gues aux habitants du Monestier de Briançon, du 3 des ides d'octobre 1253. (10) Franchesiæ et libertates concessæ habitatoribus Bellividus de Marco, per Guillelmum de Bello-Videre ; mense martio 1266. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 47A Jarjaye, 4259 (1). Queyras, la même année 1259 (2). Saint-Laurent du Lac ou le Bourg-d'Oisans et les communautés formant l’ancien mandement de ce bourg, 1261 (3). Vizille, la même année 1264 (4). Beaumont, la même année 1261 (8). Mens, la même année 1261 (6). La Buissière, 1262 (7). Voreppe, la même année, 1262 (8). (1) Franchises accordées aux habitants de Jarjaye par Arnaud Flotte, tant en son nom qu’en celui de ses neveux Arnaud, Oza- zicha et Guigues, du second jour après la fête de Saint-Brice, * 1259. (2) Lettres-patentes du dauphin Guigues, de l'année 1259, qui établissent un marché en faveur des habitants d'Abriès, le mercredi de chaque semaine. (3) Reconnaissances fournies par les habitants fé St-Laurent du Lac et autres habitants des diverses paroisses formant le mandement d'Oisans, en 1261. (4) Transaction passée entre le dauphin Guigues et Guigues Allemand, seigneur d’Uriage, la veille de la Magdeleine 1261, et où est rappelé un précédent traité conclu par Odon Allemand, père de Guigues, et les habitants du mandement de Vizille. (5) Déclaration fournie le 26 novembre 1261 par les habitants de Beaumont et de son mandement, constatant les droits qu'ils doivent au dauphin. (6) Déclaration fournie, le 4 décembre 1261, par les habitants et/la communauté de Mens, pour la recherche des droits du Dauphin. (7) Procédure du mois de février 1262, contenant que la com- mupnauté de la Buissière, assemblée, aurait reconnu que tous les babitants dudit lieu et de son mandement étaient hommes liges du Dauphin. (8) Déclaration passée par la communauté de Voreppe, as- semblée, en faveur du dauphin Guigues, le mois de février 1262. 472 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Mont-Genèvre, 1264 (1). Briançon et lescommunautés du Briançonnais, 4265 (2). Avalon, la même année 1265 (3). Crémieu, 1269 (4). Meuillon, 1270 (5). Molans, 1277 (6). Villeneuve de Marc, 14279 (7). Saint-Georges d'Espéranche, 1280 (8). (1) Acte de 1264, par lequel Guigues, dauphin, cède aux habi- tanis du Mont-Genèvre tous les droits de leyde, de fonds-blé et autres; acle confirmé pins tard par le dauphin Jean IT, le 48 no- vembre 1314. (2) Déclarations fournies, en 1265, aux commissaires du dau- phin Guigues, par les communautés du Briançonnais, et celles de l’Argentière et Réotier en Embrunais, à l’effet d'établir quels étaient les droits de ce prince. (3) Reconnaissances passées par les habitants d'Avalon, en faveur du dauphin, en 1265. 11 y est dit que ce prince avait le ban des vins pendant le mois d'août, d'après la concession des libertés d'Avalon. (4) Acte du 9 février 1269, où sont rappelés des marchés et foires établis à Crémieu, et dont les droits furent assignés par Albert de La Tour à sa femme Alix. (5) Instrumentum libertaium universitati Medullionis per Ray- mundum de Medullione dicti loci dominum concéssarum; xvi caland. jannuarii M.CCLxx. (6) Sentence arbitrale, en forme de transaction, du jour des calendes de juillet 1277, entre les hahitants et la communauté de Molans d'une part, et les habitants et la communauté de Malossane, d'autre part, au sujet de leurs limites. (7) Sentence arbitrale rendue le mois de juiu 1279, entre Guillaume de Villeneuve, frère Bernard, célerier du monastère de Bonnevaux, au nom dudit monastère, et les habitants de Villeneuve de Marc, au sujet des droits de pâturage. (8) Libertates hominum Sancti Georgii de Esperanchia con- cessæ per comitem Sabaudiæ; quarta die martii 1280. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 473 Buis, 4286 (1). Pontaix, 1288 (2). La Tour du Pin, 1290 (3). Sablonnières, 1294 (4). Oulx, 1292 (5). Saint-Symphorien d'Ozon, 4295 (6). Bourgoin, 1298 (7). Belle-Combe, la même année 1298 (8). Serrières, 4299 (9). (4) Acte du 6 des ides de mars 1286, au sujet du droit qu'a- vaient les consuls et la communauté de Buis de prendre l’eau de la béalière des moulins de ce lieu, pour l’arrosage de leurs prés et jardins, etc. (2) Franchises et libertés accordées par Aymard de Poitiers, comte de Valentinois, aux habitants et communauté de Pontaix, le 7 des ides de mai 1288. à (3) Acte passé le jeudi avant la Pentecôte 1290, entre le dau- phin Humbert et les habitants et la communauté de la Tour-du- Pin, qui règle les droits de leyde sur les blé, pain, vin, bétail et autres choses, ainsi que les lods et ventes. (4 Libertés et franchises accordées aux habitants de Sablon- nières par le dauphin Humbert I et la dauphine Anne, du mois de février 1291. (5) Inféodation des dîmes d’Oulx, faite aux habitants de ce lieu par le prévôt, sous la pension annuelle de 100 setiers de seigle et 40 setiers d'avoine; du 20 août 1292. (6) Libertés et franchises concédées par Amédée, comte de Savoie, aux habitants et communauté de St-Symphorien d’Ozon, en date du mois de novembre 1295. (7) Libertés et franchises accordées aux habitants de Bour- goin par le dauphin Humbert I, le 6 des ides d'août 1298. (8) Lettres-patentes de Humbert I et de Jean, dauphin, son fils, du 17 février 1298, par lesquelles, attendu que les habitants de Bellecombe leur avaient cédé tous Jeurs droits et usages en la forêt de Servette, ils leur accordent les mêmes droits et usages dans le bois d’Alois, situé sur la paroisse de Ste-Marie du Mont. (9) Sentence arbitrale, du 6 des calendes de janvier 1299, k74 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. A ces noms on pourrait en ajouter d’autres; mais ceux que nous venons d'indiquer et qui sont les noms d’une foule de mandements, comprenant aujourd'hui plus de cent communes, suffisent pour démontrer que les villes et même les communautés du Briançonnais, comme on a pu le dire, n'étaient pas les seuls endroits qui, en Dauphiné, eussent leurs priviléges et leurs franchises. On comprend que si généralement nous ne remontons point, pour ces communes, à une époque antérieure au xu® siècle, ce n’est pas qu’elles n’existassent, pour la plupart, antérieurement à cette époque, mais ce sont uniquement les titres et les documents de ces temps, déjà reculés, qui nous manquent et qui, n’étant point parvenus jusqu’à nous, limitent nos recherches. Au XIVe siècle, on voit tout le Dauphiné organisé en corps de communes, communautés ou universités. Une ville, un bourg avec son territoire constituait, une com- munauté,; dans les campagnes, la communauté comprit d’abord tout un mandement, circonscription territoriale souvent fort étendue et dont le terme équivalent serait aujourd'hui celui de canton; mais au fur et à mesure que la population augmenta, qu’il se forma de nouvelles agglomérations, ou que les circonstances l’exigérent, le mandement fut subdivisé en communautés ou universités moins grandes. En général, ces universités ou communautés étaient administrées de la même manière, par un ou plusieurs consuls, assistés d’un certain nombre de membres, et tous rendue entre Guigues de Rossillon, seigneur de Serrières, les gentilshommes et les habitants dudit lieu, concernant les droits seigneuriaux. ‘ VINGI-QUATRIÈME SESSION. 475 élus par les habitants. Ce que nous avons dit dans un examen spécial sur l’ancienne administration de Gre- noble, histoire municipale de cette ville, trouve natu- rellement ici son application, surtout pour les villes, car si, en principe, l’organisation était la même, il y avait cependant entre une communauté de ville, de bourg ou de village, la même différence qui existe aujourd’hui. entre la mairie d’une cité et celle d’une simple commune rurale. Investis de la confiance publique et chargés de veiller aux intérêts de la ville, ainsi qu’au maintien et à la garde de ses immunités, les consuls de Grenoble, nommés chaque année dans une assemblée générale où étaient appelés tous les habitants, étaient regardés, sous les anciens dauphins, comme les mandataires réels de leurs concitoyens, dont ils défendaient et protégeaient les droits. A cette époque, les habitants de cette ville, libres et agissant de leur chef, s’assemblaient à leur gré, quand ils le voulaient et comme ils l’entendaient, au son de trompe ou à celui de la cloche de la commune, sans se voir obligés de recourir, en aucun cas, à aucune autori- sation, soit auprès du dauphin, soit auprès de ses officiers. Ils s’occupaient eux seuls de leurs affaires communales ; ils s'imposaient eux-mêmes pour les besoins et pour les dépenses de la cité : l'entière police de la ville appartenait à eux seuls. Ils étaient eux seuls chargés de la garde et de la défense des remparts, ainsi que de leurs réparations et de celles des ponts, des portes et des tours de la ville; ils avaient une milice urbaine; ils s’armaient tous en cas de besoin; ils avaient leurs armes et leurs balistes, et ces armes, ces armures et ces machines de guerre étaient 476 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tellement leur propriété commune, que ni le dauphin ni l'évêque n'avaient aucune inspection sur elles, et qu'ils ne pouvaient, ni l’un ni l’autre, en disposer dans aucun cas. Une charte contenait que des mesures seraient données par les consuls à tous les marchands de vin; qu’il serait interdit à ceux qui meésureraient mal de débiter du vin dans l'étendue de la ville et de son territoire, pendant une année entière, à partir du jour où il aurait été reconnu qu'ils auraient mal mesuré; que ceux qui se serviraient d’une fausse mesuré seraient punis d'après les statuts et les libertés de la ville; que tous les vendeurs de vin, pour chaque bosse ou vase vinaire de toute capacité con- tenant du vin pur ou du vin mêlé, devraient à celui qui tiendrait les mesures deux deniers monnaie courante, pour ses peines et pour la facon de ses mesures; que celui qui romprait ou qui enlèverait une de ces mesures serait obligé de la restituer ou d'en payer le prix, et que celui qui recevrait et percevrait ces deniers serait tenu d'en rendre compte aux citoyens, comme on le faisait pour les autres obventions. Le produit de la recette de ces deniers et celui de ces autres droits étaient employés, ainsi que nous venons de le dire, aux besoins de la ville et à l'achat des armes, des armures et des machines de guerre nécessaires à sa dé- fense. Les habitants avaient plusieurs de ces machines ; ils en prêtèrent douze au dauphin Humbert I‘, en 1282, au moment où les frontières du Dauphiné, du côté de la Savoie, étaient sur le point d'être attaquées, et pour les- quelles machines, afin qu'une telle offre de services ne devint pas pour eux dans la suite ni pour léurs descen- dants une charge quelconque, ils exigèrent de ce prince VINGT-QUATRIÈME SESSION. 477 une reconnaissance, comme d’un prêt volontaire auquel ils n'étaient point tenus, et qui était de leur part une libé- ralité et une grâce spéciale. Déjà, quelques mois auparavant, les habitants de Gre- noble avaient demandé une pareille déclaration à la dauphine Béatrix et au dauphin Jean I®, prédécesseur d'Humbert, pour douze clients ou hommes de guerre qu'ils avaient fournis sans y être obligés, et qui avaient été envoyés en garnison pendant sept jours dans le chà- teau de Moirans que menaçait d’assiéger Amédée, comte de Savoie. Les habitants s’attiraient ainsi l’affection du prince par des services gratuits; eux-mêmes, de leur côté, recou- raient au dauphin, lorsque, engagés dans quelque en- treprise d'utilité publique, ils n'avaient point ou pas assez de fonds pour achever une œutre projetée ou com- mencée ; ils cédaient alors en nantissement, pour sûreté de la somme qu’ils empruntaient et jusqu'à l'extinction de la dette, les revenus ou une partie des revenus de la ville, comme il résulte d’un acte du 41 novembre 1284. Par cet acte, le dauphin Humbert I et la dauphine Anne reconnaissent qu'à cause d'un prêt de 300 livres qu'ils ont fait à Bernard Joffrey, syndic de l'université des citoyens de Grenoble, au nom de cette université, ledit Joffrey et les autres membres du conseil, agissant pour cette même université, leur ont engagé le com- mun de la ville et ses obventions; lesquels commun et obventions ils promettent, tant pour eux que pour leurs successeurs, de maintenir, de conserver et de défendre jusqu'à plein et intégral paiement de ladite somme de 300 livres. Ce Bernard Joffrey, qualifié de syndic de l’université 478 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des citoyens et des hommes de Grenoble en 1284, était l'un des consuls de cette ville pendant cette année. Ces consuls, au nombre de quatre, furent d’abord ap- pelés prud'hommes. Les mêmes consuls sont nommés recteurs dela ville dans la charte de 4244, rapportée plus haut; ils ont la qualité de consuls dans un document de 4252, et celle de prud'hommes et de consulateurs dans des titres de 1279, 1982, 1284 et de 4297. Ils sont nommés aussi, dans d’autres actes, régisseurs du consulat, coconsuls, consuls et recteurs, consuls et procurateurs etsyndics; mais la désignation la plus usitée et qui a prévalu, était celle de consul; ils sont également qualifiés, dans la plupart des actes, d'hommes prévoyants, d'hommes discrets, d'hom- mes distingués, de sages hommes, d'hommes prudents et d'hommes honorables, de puissants et de nobles hommes, de quelque rang et de quelque condition qu'ils fussent, fussent-ils des gens de métier. Cette dernière qualification était due, comme on le comprend, au seul titre de consul, titre qui flattait ces mandataires du peuple et qui les élevait au rang des seigneurs les plus influents et les plus jaloux de leur autorité. Une commune, unie et bien organisée, constituait une vraie puissance : cette com- mune se maintint telle, à Grenoble, jusqu’au temps de Louis XI, époque où ce prince ayant introduit diverses réformes dans le consulat de cette ville, elle commenca peu à peu à perdre de son pouvoir et de son influence, en perdant, en même temps, de ses libertés et de ses préro- gatives : jusque-là, Grenoble, régi et administré par ses seuls consuls, forma une petite république sous la sau- vegarde et sous le double patronage de son évêque et du dauphin. bas. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 479 Les consuls étaient les gardiens des libertés et des fran- chises de la ville; ils veillaient à ce que les anciennes formes et les anciennes prestations de serment fussent “observées, et à ce que les habitants ne fussent point in- carcérés lorsqu'ils étaient poursuivis pour dettes, ni qu’ils fussent distraits, en aucun cas, de leurs ,uges naturels. Chargéseux-mêmesde conserver intactes et de faire obser- ver les immunités municipales, ils en étaient à la fois les dépositaires et les défenseurs ; ils étaient chargés aussi de réclamer l'exécution des ordonnances et des réglements des seigneurs, qui assuraient les droits des citoyens, ou qui étaient rendus dans un but d'utilité pu- blique ; de même qu'ils s'opposaient avec force à tout ce _ que le juge de la cour commune ou cette cour, disposés à léser les habitants, faisaient ou tentaient de contraire à ces droits et aux priviléges de leurs administrés. En un mot, la garde spéciale des franchises et le soin d'y veiller leur étaient confiés : c'étaient là leurs principales attributions. Les consuls s’acquittaient de leurs devoirs avec zèle : plusieurs preuves et plusieurs documents anciens nous l’attestent. Il existe, dans les archives de la ville, des traces nombreuses de leurs actes administratifs , qui éta- blissent ou qui font connaître avec quelle activité et quel empressement ces mêmes consuls prenaient en main les intérêts de la cité pour tout ce qui concernait ses libertés et ses priviléges. Ainsi, après le décès du due Guigues VIT, arrivé en 4270, ils protestèrent, par acte notarié, contre une nouvelle forme d'hommage, prescrite, contrairement à ses libertés, par l’évêque Guillaume IT, de Sassenage , et par la dauphine Béatrix, mère et tutrice du jeune dau- phin Jean I. Ils invoquèrent les mêmes libertés, en 480 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 1297, en faveur d’un citoyen emprisonné pour dettes, et, en 4316, en faveur d’autres habitants, soit en offrant de cautionner deux d’entre eux pour les tirer des prisons de Vizille, où ils étaient détenus pour crime, soit en appe- lant, comme d'abus, d’un jugement rendu contre divers citoyens qu'on Avait distraits du juge de la cour commune pour les traduire devant un juge-commissaire nommé par le dauphin. Ils firent poursuivre et incarcérer, en 4322, un habitant de Romans accusé du meurtre d’un armurier, citoyen de Grenoble; ils s’opposèrent, en 1330, en 4364, en 13€6 et en 1370, à des ordonnances et à des règlements relatifs à la valeur des monnaies ; lesquelles ordonnances prescrivaient, sous peine d’une amende de 25 marcs d'argent fin et de la confiscation des monnaies et des marchandises, d'acheter avec d’autres monnaies qu'avec des monnaies delphinales, à l'exception seulement de celles des papes, des empereurs et des rois de France ; ce qui était contraire aux priviléges de la ville, qui per- metfaient aux habitants, ainsi qu'on l’a vu plus haut, de se servir à leur gré et pour leur usage de toutes les mon- naies étrangères. Ils s’opposèrent aussi, en 1360, à la construction de deux martinets, l’un sur la Vence et l’au- tre sur le ruisseau du Rivalet, séparant le territoire de Grenoble de celui de la Tronche; deux usines dont ils demandèrent la démolition au juge majeur du Graisi- vaudan , sur la promesse faite par le dauphin Humbert IF, qu'il ne serait jamais construit de martinets proche de la ville, parce qu’ils consommaient beaucoup de bois, et qu’en abattant les forêts des montagnes, l était à craindre que les ravines ne grossissent la rivière et qu’elles n'incommodassent grandement ladite ville et les héritages des habitants. Is protestèrent, en 1364, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 481 contre diverses criées et contre des publications ordon- nées par le juge de la cour commune, comme étant con- traires aux franchises et aux priviléges de la ville, et, en 1378, contre une ordonnance du même juge, fixant le prix des denrées, la confection des habillements et la journée de l’ouvrier, ce qui était un empiétement sur leurs droits et une atteinte manifeste portée à la liberté du commerce, garantie par ces mêmes franchises. Un semblable motif, celui de l'entière observation de ces fran- chises et de ces priviléges qui voulaient que des habitants, quoique convaincus de s'être servis plusieurs fois de faux poids et de fausses mesures, ne fussent condamnés qu’à une seule amende et pour un seul chef, et que des ci- toyens poursuivis pour adultère ne fussent point arrêtés ni incarcérés, leur fit prendre fait et cause, en 1391, pour des habitants condamnés par le juge de la cour commune pour des infractions sur le fait de ces poids et de ces mesures, et, en 4401, pour d’autres citoyens de la ville arrêtés etincarcérés par l’ordre du même juge de la cour commune, sur la prévention de crime d’adultère. Les consuls soutinrent constamment les droits de la ville. Ce fut, surtout, quelques années après, au com- mencement du même siècle, qu’ils eurent à protéger et à défendre ses intérêts dans une affaire qui s’éleva entre le chapitre de la cathédrale et les habitants, et qui fit grand bruit à cette époque. Un usage dont l’origine ne fut d’abord qu’une simple libéralité, et qui, peu à peu, imposé par la force des con- venances et par l'exemple, finit par devenir un droit qui s'établit dans plusieurs lieux, voulait qu’une personne sur le point de mourir fit don de son lit ou de quelques- uns des objets de son lit à l’église ou au couvent où cile IT 31 82 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. choisissait sa sépulture. Cet usage, rappelé dans des tes- taments anciens, existait à Vienne dès le milieu du XIII siècle : il en est question dans un article des libertés accordées aux habitants de cette ville par l'archevêque Jean de Bournin, qui occupa le siége de Vienne de l’an 1246 à l'an 1266; lesquelles libertés furent confirmées par le pape Innocent IV. Il est dit dans cet article, où sont réglés les droits des églises pour les enterrements, que là où la coutume était de donner aux églises le lit du défunt, ce serait non le meilleur qu’on devrait donner, mais le moindre, dans le cas qu’il en eût plusieurs. A Grenoble, les libertés de la ville ne contenaient rien de semblable, elles n’attribuaient aucun droitde cette nature ni aux églises ni aux ecclésiastiques ; cependant, là comme ailleurs, s'établit aussi l'usage de faire aux églises l'offrande du lit du défunt, ainsi que celle d’un drap dont on recouvrait le cercueil : c'était le chapitre de la cathé- drale qui s’arrogeait ce lit et ce drap; l'introduction de ce même usage à Grenoble donna lieu à de grandes dif- ficultés, portées d’abord devant la cour de Rome et ensuite au concile de Constance. Enfin, la ville et le chapitre finirent par s'entendre. Le 16 décembre 1416, il fut fait un traité par lequel le chapitre renonca à ses prétentions, el la ville arrêta qu’il serait payé, par les héritiers du défunt, des frais funéraires réglés suivant sa fortune et ses facultés. On peut, d'après les renseignements qui précèdent, se faire une idée du mode d'administration de Grenoble au moyen-âge, et dans la plupart des villes du Dauphiné, où, à peu de chose près, elles devaient être administrées et régies de la même manière. La seule différence essen- tiel!®, c'est qu'à Grenoble et dans quelques autres lieux VINGT-QUATRIÈME SESSION. 483 les habitants se réunissaient à leur gré pour les besoins de la commune, sans autorisation et sans être tenus de rendre aucun compte, soit aux seigneurs de la cité, c’est- à-dire au dauphin et à l’évêque, soit à leurs officiers : tandis que, dans les autres localités, les habitants ne pouvaient s’assembler que du consentement du sei- gneur ou du châtelain qui le représentait; mais cette faculté d'agir librement, liberté la plus large qui fut accordée, et qu'eurent d’abord la ville de Grenoble et d'autres communautés, ne tarda pas à cesser pour elles au XV® siècle. Les élections qui auparavant se faisaient chaque année, et auxquelles prenaient part tous les habi- tants, ne furent plus annuelles ni directes. Les consuls, pris indistinctement jusque-là dans toute la population, ne furent plus choisis que dans des classes de citoyens désignées; il n’y eut plus d'élections de conseillers; leur nomination appartint aux consuls. Les droits et les pré- rogatives de ces officiers municipaux furent affaiblis et diminués; de même que les conclusions ou délibérations et les comptes des communes durent bientôt recevoir la sanction d’une autorité supérieure. Des modifications nouvelles et successives ont été faites au régime consu- laire en Dauphiné, et principalement à Grenoble ; nous renvoyons, pour tous les changements survenus dans l’ad- ministration de cette ville, depuis l’époque la plus reculée jusqu'en 1790, à ce que nous avons dit plus au long dans son Histoire municipale. Après cette lecture, M. Fauché-Prunelle propose à la section d'émettre un vœu pour que les char'es 48% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nombreuses, recueillies par M. Pilot sur l'histoire de Grenoble, soient publiées aux frais du conseil mu- nicipal. Ce vœu estadopté par la section d’archéo- logie. M. Fauché-Prunclle signale encore combien il serait utile de recueillir et de publier les chartes du Dauphiné. M. Challe (d'Auxerre) fait connaître à ce propos comment, dans le département de l'Yonne, une société s'est organisée pour publier : 1° Une Bibliothèque historique; 2 un Cartulaire his- torique du département. MM. de Terrebasse, Gariel ainé et Revillout pensent que le seul moyen de répondre au vœu de M. Fauché-Prunelle serait de créer en Dauphiné une société semblable à celle de l'Yonne. M. de Terrebasse met sous les yeux de la section la première partie d’une publication intitulée : {ns- criptions antiques et du moyen-âge de Vienne en Dauphiné, recueillies par M. Allmer et inter- prétées par MM. Léon Renier et de Terrebasse, et éditées par M. Girard. M. de Terrebasse lit ensuite un commentaire épi- graphique sur l’épitaphe de Julienne de Savoie, abbesse de Saint-André le Haut, à Vienne, morte en 4194 : YINGT-QUATRIÈME SESSION. 485 Pridie Kalendas augusti, obrit Domna Juliana ab- batissa sancti Andree, que habebat, de proprio fratris sui Umberti comitis Sabaudie et de proprio Agnetis sororis sue Gebennensis comitisse, equina animalia viginti tria (1), que dedit conventur ejusdem ecclesie ut in die obitus sur habeat conventus , singulis annis, viginti solidos ad refectionem (2). (Anno) millesimo centesimo nonagesimo quarto. Le dernier juillet de l’an 4194, mourut Julienne, ab- besse de Saint-André, qui avait à titre de succession, tant de son frère Humbert, comte de Savoie, que de sa sœur Agnès, comtesse de Genève, vingt-trois chevaux, qu’elle légua au couvent, afin que la communauté ait, chaque année, au jour anniversaire de sa mort, vingt sous pour une réfection. Cette épitaphe, que Chorier a publiée le premier, et qu'il se‘flatte d’avoir fait connaître à Samuel Guichenon, est celle d'une princesse de Savoie, restée jusque-là incon- nue aux généalogistes de cette maison. Julienne était fille d'Amé IIT, comte de Savoie, et de Mathilde d’Albon, sœur d'Humbert, aussi comte de Savoie, et d’Agnès, femme d’un autre Humbert, comte de Genève. Guichenon (1) Equina animalia, mot à mot bêtes chevalines, c’est-à- dire chevaux, juments, etc. (2) Chorier, qui a rapporté cette inscription, a cru devoir ajouter ici monacharum, dont le sens de la phrase pouvait très- bien se passer. Antiquilez de Vienne, p. 448. 486 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. n'en dit pas autre chose que ce qu’il avait appris de cette épitaphe (1). Le xne siècle nous offre de nombreux exemples de donations, de ventes et de paiements stipulés en nature, en bestiaux, en grains et en blé. Cet héritage de vingt- trois chevaux, eu égard à la qualité des personnes qui figurent dans le titre funéraire, n’en est pas moins sin- gulier, et doit tenir non seulement à la rareté du numé- raire, mais encore à quelque circonstance particulière qu’il nous est impossible de démêler. Dans tous les cas, il est sous-entendu que ces vingt-trois chevaux représen- taient une somme qui fut acquise au couvent, à la charge d'une rente de vingt sous ou d’une livre affectée au re- pas annuel qu'avait fondé l’abbesse Julienne pour se rap- peler au souvenir et aux prières de la communauté. Les documents de cette époque, nous montrant que le prix des chevaux n’était pas moins variable alors qu’au- jourd’hui, nous n’essaierons pas une évaluation qui ne reposerait qne sur des données incertaines. Nous nous bornerons à faire observer que, si l’on multiplie par 100, avec M. Guérard, les prix du x1° et du xni° siècle pour obtenir leur valeur moderne, ces vingt sous représente- raient une somme actuelle de cent francs, parfaitement suffisante pour une semblable destination (2). Il nous reste un témoignage marquant de la considéra- tion que ses vertus et sa naissance avaient acquise à cette abbesse. C’est une bulle datée d'Agnani, le # mars 4173, (1) Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, 1. 1, p. 231. ( (2) Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres, prolé- gomènes du t. 1er, p. 190. VINGT-QUATRIÈME SESSION. x 87 par laquelle le pape Alexandre III prend, à sa requête, le monastère de Saint-André sous sa protection immé- diate, le confirme dans la jouissance de ses possessions et immunités et lui accorde plusieurs nouveaux et nota- bles priviléges. Nous n’insérerons pas ici le long dénom- brement des églises avec leurs décimes et dépendances, appartenant au couvent dans les diocèses de Vienne, de Grenoble, de Lyon, de Viviers, de Saint-Paul Trois-Chà- teaux; nous nous bornerons à rappeler qu’il possédait à Vienne, et dans l’enceinte de la ville, les églises de Sainte- Marie des Anciens (1) et de Sainte-Blandine , plusieurs (1) Ecclesia sanctæ Mariæ veterum. L'église de Sainte-Marie des Anciens a reçu par la suite le nom de Notre-Dame de la Vie, qui n’est qu'une traduction populaire de la même dénomi- nation. Le mot vie, viés, se dit en langue romane pour vieille, ancienne, âgée, et cette qualification n'avait d'autre but que de distinguer l’église établie dans le vieux templeromain d’une autre église sous le même vocable, située au delà de la rivière de Gère et portant, à cause de cette situation, le nom de Notre- Dame d’Outre-Gère. Cette distinction est indiquée d’une ma- niére formelle parle passage de l’épitaphe de Jean de Bournin, archevêque de Vienne, mort en 1266 : Qui basilicas Bealæ Mariæ de ultra Geriam et Beatæ Mariæ veleris Viennensis, sumpluosis decoravit ædificiis. On a dit Notre-Dame de la Vie, par ellipse, pour Notre-Dame de la Vieille-Eglise et non pour Notre-Dame du Vieux-Chemin, veteris viæ, comme l'ont pré- tendu quelques antiquaires. Si le mot vie avait ici la significa- tion de voie ou chemin, Notre-Dame de la Vie ne signifierait pas autre chose que Notre-Dame du Chemin. Ces deux mots : Vetus via, veleris viæ, ne pouvaient entrer dass la composition du surnom de cette église sans former en langue romane un nom approchant de celui de Viévy, qu’un village de Bourgogne à tiré a veleri via, c’est-à-dire de la situation où il se trouvait sur l’ancienne voie romaine d’Autun à Arnay. Il est donc évident que Notre-Dame de la Vie n’a été dit que pour Notre-Dame de 488 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. maisons et vignes, une maison, entre autres, avec une vigne joignant le palais. Ses priviléges consistaient dans le droit productif d'inhumer à Saint-André tous ceux qui voudraient y élire leur sépulture, et dans la permission accordée aux religieuses de célèbrer les ofices divins, même en cas d'interdit général, pourvu toutefois que ce fût à voix basse, les portes closes et sans tintement de cloches (1). Le monastère des Nonnains de Saint-André le Haut, ainsi nommé de la position qu'il occupait sur les hau- teurs de la ville, et pour le distinguer de Saint-André le Bas, n’était pas moins illustre par son ancienneté que par le mérite et la qualité de ses abbesses. Fondé au VI° siècle par saint Léonien, abbé de Saint-Pierre , on y comptait, à ce que rapporte son épitaphe, soixante religieuses qu’il dirigeait du fond de sa cellule. Plus tard, il eut pour abbesse Eubone, sœur du duc Ancemond, et c’est là que fut élevée, dans la pratique des vertus monastiques, Remila Eugenia, fille du patrice Bourguignon. Ravagé de fond en comble par les Sarrazins ou par les Wandales, selon les termes d’une ancienne charte, il resta désolé, comme les autres monastères de la ville de Vienne, jus- qu'à ce que le roi Rodolphe, à la sollicitation de sa femme Ermengarde, l’eût relevé de ses ruines et rendu à sa splendeur première. De concert avec l'archevêque Bu- la Vieille-Eglise, et afin d'éviter l'amphibologie malséante qu'au- rait offert la dénomination de Notre-Dame la Vieille. (1) Cumautem generale interdictum fuerit, liceat vobis, clausis januis, exelusis excommunicalis el interdielis, non pulsatis cam- panis, suppréssa voce, divina officia celebrare. Extraits des ma- nuscrils de Baluze, à la Bibliothèque impériale, Arm. nr. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 489 reard, il y établit des religieuses, tirées du monastère de Saint-Césaire, à Arles, qui, par la suite, quittèrent la règle du saint évêque pour revenir à la règle plus uni- forme de saint Benoît. L'église de Saint-André le Haut, telle qu'elle existait au XVII° siècle, ne paraissait pas fort ancienne, dit Cho- - rier, mais elle n’en était pas moins digne d’être vue. Elle était entièrement voûtée, et rien de ce qui pouvait lui don- ner de lagrâce pour plaire aux yeux et de la force pour résister au temps n’y avait été épargné (1). Reconstruits également à diverses époques, les bâtiments de l’abbaye étaient plus remarquables par leur étendue que par leur architecture. Tout a été vendu en détail à la révolution et transformé en fabriques et en habitations particulières. Il n’en reste, pour ainsi dire, plus d'autre trace qu'une porte assez élégante, construite au X VIT: siècle, pour ser- vir d'entrée principale au monastère. Le tombeau et l'inscription funéraire de Julienne de Savoie n'ont pas éprouvé de moindres vicissitudes. Le sarcophage qui renfermait la dépouille mortelle de cette abbesse ayant été trouvé, vers1650, au milieu de quelques masures, ses os en furent tirés et déposés dans une chapelle du couvent dédiée à saint Joseph. « Du moins, dit Chorier, on ne les a pas séparez de cette inscription qui apprend quel honneur leur est deû. » On ignorait ce qu'elle était devenue après la destruction du monastère, lorsque, en 4829, les Archives du Rhône donnèrent la sin- gulière nouvelle que cette même inscription, « gravée sur un marbre carré-long, avait été récemment retirée de (1) Antiquilez de Vienne, p. 450. 490 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la Saône, vis-à-vis l’entrée du chemin des Etroits, au- dessous de la Quarantaine. » L'auteur de l’article s’en étonne avec raison, et demande comment il se fait que cette pierre sépulcrale ait été trouvée dans un pareil en- droit, « ainsi que le lui a assuré le marbrier chez lequel il l'avait vue (1). » Nous sommes persuadé, pour notre compte, que lépitaphe de l’abbesse de Saint-André le - Haut était arrivée à Lyon par une voie moins extraordi- naire, et que, loin d’avoir remonté le Rhône jusqu'au confluent de ce fleuve et de la Saône, elle n’avait fait que suivre la même route qu'ont prise avant elle, et que mal- heureusement continuent de prendre beaucoup d’autres antiquités de Vienne. Cette inscription, remarquable par l'élégance de ses lettres ornées, était, il y a peu d'années, entre les mains de M. le docteur Commarmond, qui l’a depuis cédée à M. Henri Morin-Pons, de Lyon, ainsi que nous l’apprend une communication faite, par M. Georges de Soultrait, au Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France, institué près le ministère de l'instruction pu- blique (t. 117, n°6.) M. Dupuis (d'Orléans) lit un mémoire sur la douzième question : Sur quelle base doit étre fondé un musée archéologique : (4) Archives historiques et statistiques du département du Rhône, L.1x, p. 438, et1 x, p. 223. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 491 Sur quelle base doit être fondé un musée archéologique ? Quelles peuvent en être l'utilité et l'importance, dans une ville qui remonte à une haute antiquité ? Un musée archéologique, dans une ville de province, a une double utilité : il doit être fondé dans un double but. | Il réunit et conserve une foule de choses qui sans lui seraient négligées et finiraient par disparaître, qui pour le moins resteraient disséminées et inconnues. Il fournit un aliment à l'étude; il répond et éclaire le goût de la science et des arts, en exposant aux yeux des objets qu'il classe avec ordre et méthode. Voilà ce qu'il fait pour l'intérêt général, pour l'utilité de tous, aussi bien des étrangers à la ville que de ses citoyens. Mais, pour ceux-ci, il y a un intérêt tout particulier dans la création d’un pareil établissement. Un musée archéologique pour une ville qui remonte à une haute antiquité doit être quelque chose de national. Les objets qui le composent sont, pour le plus grand nom- bre, trouvés dans la localité ; ils deviennentune image de son passé. Chacun d’eux lui rappelle un monument qui a disparu, un événement, une coutume, une habitude qui n’est plus. Ce sont autant de débris de son antique splendeur, de son ancienne gloire, de ses vieilles mœurs. Archives pittoresques des temps écoulés, ce musée les fait revivre à nos yeux, il reporte notre esprit vers les diffé- rents âges de la cité, retrace les diverses phases de son existence et fait mieux comprendre les événements qui 492 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. s'y rattachent : le respect des vieilles choses est une partie de la morale publique. Voilà donc, ce nous semble, à quel double point de vue doit être envisagée la création, et dirigé l'établissement d’un musée archéologique. Collection de pièces intéressantes et classées avec mé- thode, il sert à l'instruction de tous. Réunion d'objets se rattachant à la localité, il est un secours utile pour en mieux connaître l’histoire parti- culière. Puis encore, il crée un centre qui contribue à retenir la science, qui l’attire à lui et l'empêche d'obéir à cette force qui entraîne et précipite tout vers un point unique, et ferait du reste du pays un désert vide de ressources et d'intelligence. L'archéologie est l’un des flambeaux de l’histoire ; elle l'éclaire et la guide pour révéler aux peuples leur passé; non ce passé incomplet, quand souvent même il n’est pas falsifié; non cette histoire de convention qui fut si long- temps la nôtre, qui ne s’occupait que de la vie des princes et des intrigues de leur cour, suite de récits qui ne ra- contaient que les batailles et les négociations, et qui négligeaient, en parlant des nations, leur origine, leurs croyances, leurs mœurs, leurs coutumes, leur vie intel- lectuelle; qui comptait pour rien le mélange, le contact des peuples, leur influence des uns sur les autres, leur civilisation. Un changement important a eu lieu à ce sujet. La France, à la suite d’une ère de bouleversement, où de hardis et trop souvent d’impies novateurs, déclarant la guerre à son passé, semblaient s'être donné pour mission de le détruire entièrement et d'en faire disparaître jus- YINGT-QUATRIÈME SESSION. 493 qu'aux derniers vestiges (1), où tant d'institutions, de monuments, de titres, avaient été anéantis: la France sentit le besoin de rattacher à ce passé ses institutions encore mal affermies et chancelantes , d'y jeter comme une ancre qui leur servît de fondement, et de renouer la chaîne des temps qu’on avait rom pue si violemment. Dans l'intérêt de l'avenir, on étudia les temps anciens; on le fit avec conscience, avec ardeur : on voulut puiser aux sour- ces mêmes. On s’ouvrit, on creusa de vieux filons trop longtemps négligés. On se mit surtout à rechercher de plus près tuut ce qui se rapportait aux croyances. L'ar- chitecture, la sculpture, furent appréciées à ce point de vue. Ce qui, pendant des siècles, n’avait paru que l'effet du caprice ou le fruit du mauvais goût, fut reconnu comme le résultat de règles certaines, offrant le reflet ou l'expression d'idées auxquelles la vie entière obéissait. Peut-être même alla-t-on trop loin et voulut-on voir quelquefois des règles et du symbolisme là où ne se trou- vait que l’imagination de l'artiste. Quoi qu’il en soit, un résultat heureux ne tarda pas à se produire. À la suite et comme complément des travaux des Ba- rante, des Guizot, des Thierry, se révélaient ceux de M. de Caumont, et en même temps apparaissaient les magnifiques collections de M. du Sommerard. L’archéologie était née. (1) Il est impossible à un ami des arts de se reporter à cette époque, sans payer un tribut de reconnaissance à Lenoir, dont le zèle éclairé sauva de la ruine tant de monuments précieux et les recueillit avec tant de goût dans le musée, créé par lui, des Petits-Augustins. 49% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. De tout temps sans doute l'archéologie avait compté des adeptes. Alexandre et Paul Petau, Montfaucon, Polla- che, Lebeuf, avant tous l'avaient cultivée avec fruit : mais avec eux la science était restée dans le sanctuaire. M. de Caumont, par son zèle infatigable, la répandit et la vul- garisa. À la voix du maître, et comme récompense de son ardeur éclairée, le goût de la science se répandait, les sociétés se créaient, les découvertes se multipliaient; on eût dit que le sol lui-même était jaloux de s'associer à celte régénération, etles musées s’ouvraient de toute part. Beaucoup d’entre eux, il faut l'avouer, ne furent long- temps, et quelques-uns ne sont encore qu’un chaos, une réunion sans ordre des choses les plus étrangères les unes aux autres; trop heureux quand les exigences du local, quand telle ou telle convenance n’ont pas fait mutiler ou dénaturer de précieux chefs-d'œuvre. Nous sommes entrés à cet égard dans une voie nou- velle. L'esprit de méthode et de conservation tend de plus en plus à s’introduire dans les collections. Depuis vingt ans des restaurations, faites avec intelligence et cons- cience, nous ont appris avec quel respect on devait tou- cher aux monuments et aux objets d'art. [l n’y à pas aujourd'hui de ville un peu importante qui ne possède les éléments d'un musée, et presque par- tout existent des locaux où se recueillent ces richesses : il ne s'agit que de les classer et de les utiliser. Pour cela, deux méthodes se présentent : l’une qui range les objets selon leur âge, réunissant sous la même division tout ce qui tient à la même nation, à la même époque; l’autre qui, les disposant par ordre de matières en quelque sorte, groupe ensemble tout ce qui tient au même u:1ge, ou se rapport: aux mêmes beso ns. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 495 Selon le premier système, l’art assyrien, l'art égyptien, grec, romain, l'époque gauloise, gallo-romaine, le woyen-âge, la renaissance, forment autant de sections distinctes. Dans l’autre, tout ce qui tient au culte. aux sacrifices , aux jeux, à la guerre, aux vêtements, aux besoins, aux habitudes, aux plaisirs de la vie, à tant d’autres matières, se trouverait réuni en autant de groupes séparés, et ainsi se trouveraient en contact et en opposition, les diverses nationalités , les différentes civilisations. Chacune de ces méthodes a ses avantages, chacune offre ses inconvénients. Dans la seconde, qui convient mieux peut-être à une grande et riche collection, comme celle du musée de Cluny, l'esprit goû‘erait du plaisir à embrasser d’un seul coup d’œil les diverses manières dont un même besoin, une même idée peuvent se modifier selon les croyances, les climats, la civilisation, elle paraît plus philosophique et plus féconde en observations, mais elle divise à l'infini les classifications, rendrait les recherches difficiles et finirait par fatiguer l’étade. Si l’autre réunit parfois des objets sans rapport entre eux, elle offre plus d'unité, plus de simplicité, plus de facilité pour les recherches. Aussi est-elle presque exclu- sivement adoptée. Un musée de province, dont les ressources sont néces- sairement bornées, se contentera donc probablement des ‘ quatre grandes divisions suivantes : 4. L'Anfiquité, ayant elle-même deux sous-divisions : antiquité étrangère au pays, assyrienne, égyptienne, grecque et romaine. 496 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Antiquité nationale, se subdivisant en gauloise, gallo- romaine et barbare. 2. Le Moyen-Age. 3. La Renaissance. 4. L'époque postérieure à la Renaissance, celle de Louis XIV et Louis XV. Sous ces divisions se rangeront à leur date, les inscrip- tions, les tombeaux , les statuettes, les armes, les us- tensiles, les bijoux, la céramique, les médailles, les mosaïques, les boiseries, les sceaux, les meubles, les émaux, les fragments de sculpture, d’ornements d’archi- tecture , eitC., LC: Un point du plus haut intérêt local, c’est qu'une ins- cription attachée à chaque objet annonce, autant que possible, le lieu dans lequel il a été trouvé, et, pour les débris, le monument auquel ils ont appartenu. C'est ainsi que se rattachera au pays un objet qui, au premier aspect, peut sembler lui être le plus étranger, ainsi que peuvent se fixer des dates et se déterminer des époques. Je voudrais qu’une salle spéciale pût être affectée à chaque siècle, et que, sur la muraille, se trouvât une représentation exacte de l'architecture de l’époque avec ses modifications. Je souhaiterais qu'on y vit le planet le dessin de tous les monuments de la province qui se rap- portent à cette époque : monastères, châteaux, églises, maisons remarquables, ceux surtout des monuments qui ont disparu, et dont les débris sont recueillis dans la salle (4). (1) Depuis le XVIe siècle, la gravure serait d’un grand secours pour les édifices et pour l’histoire topographique. ? VINGT-QUATRIÈME SESSION. 497 Ainsi, à côté de la curiosité se trouverait l'instruction, et elle arriverait en quelque sorte d'elle-même aux visi- teurs qui, presque sans s’en douter, se familiariseraient avec l’art et la science. C’est alors que chacun sentirait le prix du dépôt com- mun, qu'il s’y affectionnerait et tiendrait à bonheur de pouvoir l’enrichir. | Il est surtout une collection que je voudrais voir chaque ville posséder : c’est celle des portraits des hommes célè- bres auxquels elle a donné naissance, collection que rece- vrait une salle du musée, ou} mieux encore, de la maison commune. Il faudrait que, à l'exemple de Toulouse dans son Capitole, chaque cité eût sa salle des Illustres et payât ainsi son tribut de reconnaissance à ceux de ses enfants qui contribuent à sa gloire, tout en les offrant en exemple à leurs descendants (4). Tout dans une ville doit tendre à enrichir, à compléter les musées fondés à ce point de vue d’utilité et de natio- nalité. Il est un danger toutefois contre lequel il faut que se tiennent en garde leurs créateurs et leurs conserva- teurs : je veux dire le désir de les augmenter par tous les moyens possibles. On sait la pente à laquelle cèdent si volontiers les collectionneurs : leur collection passe avant tout; c'est l'œuvre de leur vie, c’est leur passion, c’est (1) C’est ainsi qu'à Genève, dans la belle collection de portraits qui orne sa bibliothèque, se ‘trouvent les images de ses grands hommes et de ses magistrats; — qu'à Avignon, une galerie de la bibliothèque, — à Dijon, une partie du musée sont consacrées aux hommes célèbres de la province; — qu’à Orléans, une salle du musée est affectée à tout ce qui se rapporte à Jeanne d'Arc : — à Montargis, une salle de la mairie aux illustrations de l’arron- dissement. IT 32 498 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. leur enfant, et pour l’enrichir, pour le parer, ils dépouil- leraient volontiers jusqu’à l'autel du saint le plus vénéré. Il faut aimer les choses d'art pour elles-mêmes et pour l’art, avant de les aimer pour la collection qu’elles em- bellissent. Notre musée gagnerait à avoir tel objet pré- cieux, cela est vrai, mais disons-nous qu'à sa place naturelle, il a dix fois plus de valeur qu'entre nos mains, et qu'il y a convenance, qu'il y à souvent respect à ce qu'il y demeure. Ne dépouillons pas les châteaux, les églises de leurs ornements; sachons même au besoin les refuser, alors qu'on nous les offrirait. Conservons les ruines, n’en faisons pas; et si parfois nous profitons du sacrilége, du moins ne nous y associons pas. Nos musées sont des asiles destinés à recueillir des enfants égarés ou abandonnés; n’allons pas les peupler de ceux que nous arracherions à leur famille. L'intérêt de la science et du pays doit passer avant tout autre. Ne méêlons aucun regret, aucun remords à nos jouissances. Elles sont si calmes et si douces : il y a tant de paix dans nos études, on peul y trouver tant de consolation, el au besoin, tant d’oubli. Si le présent se fait triste, si l'avenir devient sombre, avec leur aide, nous nous réfugions et nous vivons dans le passé, Puis notre bonheur se fait à si peu de frais ! Que faut-il pour nous rendre heureux... , et fiers quelquefois, nous autres archéologues? Un débris de mur découvert, une charte sauvée du vieux papier, une médaille, un mereau arrachés à la fonte, un mot, une lettre rendus à une ins- cription, un sens nouveau attribué à un texte. Et ces émotions-là, toutes vives qu'elles sont parfois, vous le savez, Messieurs, toutes ces ambitions, n'ont jamais entraîné à leur suite ni ruine ni désordre. Heu- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 499 reux qui les ressent et s’y livre, comme développement de plus graves travaux! plus heureux encore celui qui en fait l'occupation et le charme habituel de sa vie! Appliquons-nous, Messieurs, à faire connaître, à pro- pager ces jouissances. Que ce soit un des résultats de nos Congrès. Convions surtout la jeunesse à les goûter ; don- nons cet aliment paisible à son ardeur, trop souvent peut-être à son oisiveté; et puissent nos musées être fondés de telle sorte, qu'ils concourent à lui inspirer ce goût des arts et de l’étude! Ils auraient alors atteint l'utilité et l'importance que nous leur désirons. La séance est levée. SÉANCE DU 11 SEPTEMBRE. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. de Caumont donne lecture d’une lettre de M. Caillet, curé à Andance (Ardèche), qui signale à l'examen du Congrès un passage de Sidoine Apolli- naire, où semble indiquée une éruption volcanique au Ve s'êcle de notre ère: ([gnes sæpe flammati L 500 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. caducas culminum cristas superjeclo favillarum monte eumulabant, Epist. Mamert). M. Caillet appelle en outre lattention sur le milliaire trouvé près d’Andancette” { Drôme) à 20 milles de Vienne, avec un chiffre ainsi CXprimÉ snxx- M. Bouillet, de Clermont-Ferrand, répond, en ce qui concerne le passage de Sidoine, que M. Dureau de la Malle, dans un article publié par les journaux d'Auvergne, a déjà cilé cetexte, et qu’il lui a été prouvé que les volcans d'Auvergne remontent jus- qu'aux temps diluviens. M. Dureau convenait, du reste, qu'il n’avait reproduit le passage que pour stimuler l'esprit des Auvergnais. M. de Saint-Andéol rappelle qu'à l’époque où furent instituées les Rogations par saint Mamert, on entendait dans les environs de Vienne des bruits étranges, et l’on voyait pendant la nuit des flammes briller à l'horizon ; mais M. de Terrebasse lui répond que rien dans l’homélie de saint Avilus sur les Roga- tions ne montre que ces bruits étranges et ces flam- mes nocturnes doivent être attribuës à des mouve- ments volcaniques. M. de Saint-Andéol ajoute qu'il a examiné les laves récentes du Vésuve, et qu'il n'y a trouvé aucune différence avec les débris volcaniques du cratère de la Garenne dans le Viva- rais: mais il n’est pas géologue. M. Bouillet lui réplique que les volcans du Vivarais et de l’Auver LI VINGT-QUATRIÈME SESSION. 901 gne sont aujourd'hui exactement classés, et que c’est une affaire jugée par la science. La section émet le vœu que le mémoire de M. Dupuis (d'Orléans), sur les musées archéologi- ques, soit lu en séance générale. M. l'abbé Durosoy , aumônier de la Visitation, à Roussillon, fait une lecture pour répondre à la treizième question : Le XIX° siècle aura-t-1l un art architectural qui lui soit propre ? L'esprit humain est insatiable dans ses désirs. Les biens qu'il possède lui paraissent un moyen d'en acquérir de nouveaux, et les progrès accomplis, un échelon pour s'élever plus haut. Comment s'étonner, après cela, que notre siècle, peu content de demander au génie des arts les jouissances que procure le beau, ambitionne encore la gloire d’une création proprement dite et d'un art nouveau ; qu'il veuille enfin une architecture qui lui soit propre? Ce désir existe; depuis un certain temps il s’est produit dans la presse ; il préoccupe les artistes sérieux et les archéologues les plus convaincus; les dépositaires les plus haut placés du pouvoir poussent à sa réalisation; enfin, une preuve frappante de l'importance qu'il peut avoir gagnée, c’est la place qui lui est donnée dans le programme des questions posées au Congrès scientifique. 502 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. YŸ aura-t-il donc, oui ou non, une architecture du XIX° siècle ? En essayant de présenter quelques aperçus sur cet intéressant sujet, nous ne nous chargeons point de dérober son secret à l’avenir et de venir assurer ce qui sera ou ne sera pas; seulement, le champ des conjectures et des probabilités nous est ouvert : les espérances ou les craintes ont libre carrière pour se manifester. Rien de plus vague et de plus indécis, au premier coup d'œil; toutefois, il n’est point impossible, tout en restant dans ces données, qui semblent si peu limitées, de s'arrêter à quelque chose de précis et de positif et de se donner une base solide. Il suflirait peut-être, pour cela, de savoir interroger avec sagacité d'abord l’histoire de l’architecture dans ses phases successives et dans ses rapports avec les divers états sociaux ; puis l’état des choses au moment actuel, sans négliger enfin de consulter les principes philosophiques en ce qu'ils ont d’applicable aux beaux-arts et à l’archi- tecture en particulier. C’est ce que nous avons tâché de faire dans ce travail ; et la conclusion, s’il faut la donner d'avance, c’est que les chances sont peu favorables aujour d'hui à une solution affirmative de la question. I. Ce n’est pas cependant l'étude des principes abstraits qui nous conduirait à cette conclusion rigoureuse. Il nous sembie en effet certain que le beau, si absolu, si un qu’on l’admette en lui-même, est susceptible en architecture de manifestations et d'applications indéfiniment variées. Il se trouve partout où se trouvent les différents caractères qui le constituent; et ces caractères peuvent se traduire YINGT-QUATRIÈME SESSION. 903 en des styles architectoniques très-divers, qui seront comme les diverses langues que parlent les nations civi- disées ou les différents genres littéraires sous lesquels se rangent les productions de l'esprit. Si le beau est la splendeur du vrai, il en suit les condi- tions : il peut donc faire resplendir les différents aspects sous lesquels la vérité se manifeste à nous. Les vérités que nous connaissons, même les plus générales et les plus hautes, les axiomes immuables ne se réduisent pas à un point unique et indivisible; de plus, ces vérités frappent Chaque intelligence individuelle d’une manière plus ou moins vive, plus ou moins lumineuse, suivantsa capacité : elles s’éclairent et se combinent entre elles d’une infinité de facons; de là l'indéfinie variété des productions litté- raires et artistiques marquées du cachet de la beauté. Dans ce vaste champ, toutefois, il n’y a point de place pour une conciliation fantastique entre des idées réelle- ment contradictoires, ni pour une certaine indépendance qui nie l'existence des lois. Jamais la violation d’un prin- cipe esthétique n’a produit le beau : autrement il faudrait que le vrai, qui est le fond de la beauté, fût contraire à lui-même ; jamais il ne sera possible, non pas même de combiner harmonieusement le oui et le non dans une même œuvre pratique, mais je dis de les faire fraterniser présentés isolément aux jugements de la raison et du goût. Si deux styles très-opposés, tels que l'antique et l'ogival, réalisent cependant le beau, au point, ainsi que nous le croyons, de s'approcher de très-près de l'idéal absolu, c’est qu’en réalité l’un n’est point la négation des règles de l’autre, comme on peut s’en convaincre en se plaçant à un point de vue d'où l’on puisse dominer les choses et les juger d’un peu haut. Qu’on nous permette O04 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'apporter à l'appui de ceci une preuve prise entre beau- coup d’autres. Parmi les principes que nous révèle l'architecture grec- que, en voiciun qui nous frappe : c’est que l’ornementa - tion, en ce qu’elle a d’essentiel, se confond avec la struc- ture. La colonnade portant l’entablement, l'entablement accompagnant les pentes du toit, voilà ce qui charmera toujours tout esprit cultivé et ami du beau, et voilà en même temps l'édifice lui-même. Si nous transformons ce fait en une loi qui veut que ce qui orne soit essentiel, nous en trouvons encore l'application parfaitement bien entendue dans l'architecture ogivale. Là, en effet, les colonnes, modifiées pour un emploi nouveau, portent aussi tout l'édifice, en l’embellissant; tous les autres éléments de la décoration ne sont autre chose que des parties inté- grantes, ou au moins utiles dans la construction : telles sont les portes, leur nombre et leurs formes, les fenêtres et leurs divisions, les voûtes et leurs nervures, les gale- ries, les balustrades, etc. Au contraire, l'architecture en ordres plaqués combat directement ce principe : aussi les églises bâties dans ce système sont-elles froides, sans intérêt, déplaisantes, malgré toute leur pompe; et tout l'effort des théoriciens et des architectes de cette école tend à échapper à ce vice fondamental, inhérent à l’art romain et à celui de la Renaissance. C'est ainsi qu'en remontant quelque peu, non pas même jusqu'aux grands principes esthétiques, mais simplement à des règles un peu générales, quoique pratiques encore, on a la satisfaction de trouver des liens de parenté réelle entre les monuments les plus opposés et les styles les plus divergents et entre lesquels il n'existe pas d’ailleurs de point de comparaison, matériellement parlant. Et ainsi VINGT-QUATRIÈME SESSION. 505 l'admiration pour les chefs-d'œuvre des diverses époques n'implique aucune contradiction, non plus que celle des œuvres de Dieu, les plus variées et les plus opposées. La raison éclairée, bien loin de s’offusquer et de s’irriter s’il arrive que le caractère de la beauté se trouve dans d’au- tres monuments encore que ceux dont le style avait cap- tivé toutes ses préférences, s'applique avec bonheur à rechercher le trait d'union mystérieux de ces apparentes contradictions, qui ne sont au fond que la richesse d’une nature intelligente et féconde dans ses inventions. De là : naît une disposition d'esprit calme et progressive, large et libérale, sans éclectisme ni scepticisme. Il y a loin de là sans doute à ce cri « en avant ! » que poussent quelques-uns, qui ne sont pas les Napoléons de la presse, et de l’art encore moins : il y a seulement un résultat favorablement négatif, et comme un laissez-pas- ser accordé à tout ce qui est bien, quelles que soient sa provenance et sa forme. | Peut-être en approfondissant la question d'une certaine facon, arriverait-on à quelque chose de plus précis et de plus déterminé, mais aussi de plus restrictif. Ainsi, selon M. l'abbé Godard, les trois types principaux, les seuls qui puissent exister, l’égyptien, le grec et le gothique, ont atteint chacun leur perfection propre, et réalisé l'idéal qu'ils se proposaient. Il semblerait, par conséquent, que les destinées de l'architecture sont closes désormais ; cependant les conclusions de l’auteur que nous citons, et suivons même volontiers, ne vont point jusqu'à cette rigueur. Nous nous contentons d'y renvoyer (4). (1) Cours d'archéologie sacrée, 1. 1, p. 348. 506 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Donc, en dernière analyse, on ne peut pas, au nom des principes, dire à l'architecture : Tu n'iras pas plus loin. 1 Nous passons maintenant à la seconde source de nos informations, à l'expérience ; peut-être nous fournira-t-elle plus de lumière pour conjecturer ce que l'avenir nous réserve. De tout temps les hommes ont éprouvé un vif attrait pour la nouveauté : c’est là l'indice, et le palliatif en même temps, de l'insuffisance de tout objet créé pour satisfaire l’âme pleinement. Cependant, si nous consul- . tons l’histoire de l’architecture, nous trouvons que les variations principales de cet art sont aussi lentes, aussi graves dans leurs causes que celles de la mode sont mul- tipliées et faciles. Combien de temps, en effet, a duré l’art grec? Déjà 580 ans avant J.-C., il commence à prendre un beau développement; dès cette époque, le type architec- tural, le temple à fronton et à colonnade, est fixé pour ne plus varier jusqu’à la chute de Rome au 1v° siècle : il a suffi tout seul au monde ancien. Les Grecs et les Romains ne se sont pas lassés, durant tant de siècles, de reproduire sans fin le même modèle; ils ne paraissaient pas désirer mieux, ni se douter que chaque époque dût produire une architecture à elle propre. Cela s'explique par une raison générale qui va à l’objet de nos recherches. La période historique dont nous nous occupons nous offre les phases successives d’une religion, d'une littérature, en un mot d’une civilisation unique depuis son origine jusqu’à sa ruine; pourquoi donc l’art, expression de cette société païenne, n'en aurait-il pas VINGT-QUATRIÈME SESSION. 507 suivi les évolutions et aurait-il changé radicalement, tan- dis qu’elle restait foncièrement la même dans ses mœurs, son culte et sa constitution intime? La chaîne des tradi- tions studieuses et artistiques n'avait pas été interrompue, on puisait toujours aux mêmes sources; on était imbu des mêmes idées, et on les rendait comme on les sentait et comme on pouvait, mais on y restait fidèle; et, ce fai- sant, on répondait à des besoins toujours les mêmes. L'architecture devait donc rester stationnaire. Mais une ère nouvelle date pour elle de l’ère chrétienne . Le christianisme paraît, et les variétés successives de son architecture correspondent exactement aux destinées sociales de l’église. Lorsqu'il lui est donné de créer une civilisation, elle crée en même temps un art. En Orient, l'empire de Constantinople se constitue sur une base chrétienne, et presque aussitôt l'architecture byzantine est trouvée et ne change plus. En Occident, les circonstances retardent jusqu’à l’an 4000 le mouvement sérieux et définitif d’où est sortie l'architecture chrétienne de nos contrées ; et, à partir de cette époque, en deux siècles et demi, celle-ci se crée deux styles originaux bien tran- chés, et parvient à son apogée. Or, dans cette double création du roman et du gothique, le génie artistique a-t-il été inspiré par cette lassitude du passé, par ce goût si vif de la nouveauté, qui travaillent aujourd'hui les esprits, ou bien par des causes plus sérieuses ?.On comprend tout cè que la solution de cette question renferme pour nous de renseignements précieux. Mais comme, grâce aux progrès de la science archéologi- que, cette question n'en est réellement plus une, nous pouvons dire immédiatement, en nous référant pour la preuve à ce que personne n'’ignore, que les deux architec- 508 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tures du moyen-âge ont eu pour mère la nécessité, non la fantaisie ; le besoin d’églises vastes, bien éclairées et bien closes, et assez solides pour résister aux incendies, et non l'amour du nouveau pour le nouveau, ni même une recherche abstraite et absorbante du beau. Jusqu'au mo- ment où ce but, éminemment utile et si ardemment poursuivi, fut atteint par les architectes du XIIT° siècle, il y a progrès réel en tout sens, et immédiatement après la décadence commence. Au reste, quand nous parlons de but d'utilité, de néces- sité matérielle, bien loin d'exclure la foi et les sentiments nobles et désintéressés qu'elle inspire, nous en constatons au contraire la prodigieuse puissance et la sublime éner- gie. À qui, en effet, ce besoin d'églises grandes, solides et nombreuses s’impose-t-il comme une nécessité, sinon à des âmes remplies de l’enthousiasme religieux et ne vivant que de la foi? Et, ajouterons-nous, quelle source du beau plus noble et plus abondante que celle-là? Quoi de plus énergique pour exalter le génie des artistes, pour soutenir leur main dans l'exécution de leurs conceptions les plus hardies et les plus grandioses ! Epoque privilégiée, ère incomparable pour les beaux-arts ! F La Renaissance, qui lui succède, et dont nous devons dire un mot, est bien pâle et bien stérile en comparaison. C'est qu’aussi le double levier de la ferveur religieuse et de la nécessité matérielle avait bien perdu de son énergie. Il ne s'agissait plus de découvrir le moyen de bâtir de grandes églises : en ce genre, le moyen-àge avait laissé peu à faire; une fois lancé, il avait même été prodigue bien au-delà du strict nécessaire. Le problème posé ne regardait pas la construction, mais la décoration seule; et s'il y avait problème, ce n’était que par suite d’une erreur VINGT-QUATRIÈME SESSION. 509 profonde, qui consistait à rejeter le style du XIIT° siècle comme barbare, et à considérer l’art des Grecs comme seul beau, seul convenable. Quant à la ferveur religieuse, elle se trouve sinon remplacée, du moins altérée par la ferveur d'imitation païenne. Le mouvement est moins spontané, moins motivé, les inspirations sont moins natu- relles et moins pures, et le résultat est quelque chose d’incomplet et de faux. Lors même qu’on aurait voulu autre chose que copier intrépidement et ressusciter le passé, il n'y avait pas dans les causes alors en jeu, et qui furent cependant si actives et si violentes, ce qu'il faut pour produire un art nouveau. Une combinaison neuve d'éléments anciens, une œuvre de fantaisie, ce fut tout ce qu’on put obtenir pour répondre à un désir de change- ment qui ne s’appuyait pas sur la nécessité. En résumé, le résultat de nos recherches sur le passé est celui-ci : Les convictions religieuses énergiques et pro- fondes, un besoin réel d’édifices mieux conçus, une liberté franchement prise vis-à-vis des règles propres aux styles antérieurs : voilà seulement où nous est apparu le prin- cipe doué de la puissance créatrice proprement dite en architecture. Il est à observer que toutes ces circonstances tiennent plus ou moins à ce qu’on appelle la force des choses et ne dépendent guère de la volonté humaine : elle les subit, elle ne les crée pas. HT. I s’agit actuellement de l'application des principes que nous avons pu dégager de l’histoire et de rechercher où nous en sornmes et où nous «!lons. Question complexe 510 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. et bien profonde, dont la solution dépasse nos forces. Mais, à défaut d'une étude complète, nous ne pouvons résister au désir de jeter au moins un coup d'œil sur l’état présent, si agité et si troublé, afin de découvrir, s’il est possible, les causes de décadence ou les germes de progrès et d’ave- nir que peut recéler l'époque actuelle. Peine inutile, dira-t-on peut-être tout d’abord. Tandis que vous vous fatiguerez à percer des mystères et à faire parler le sphynx, et lorsque vous croirez être parvenu à vous emparer du fil sauveur qui doit guider l'art à travers les détours de sa prison jusqu’à ces horizons nouveaux auxquels il aspire, ou, qu’au contraire, vous le déclarerez impossible à trouver, peut-être un inconnu surgira tout-à- coup qui dira : eûpexæ, j'ai trouvé......; et l'art aura fait son chemin sans vous. » Eh bien ! messieurs, si une illu- mination soudaine et tout individuelle doit faire jaillir d'un cerveau d'artiste l’art de l'avenir formé de toutes pièces, bien que cet événement soit déclaré impossible par les maitres de la science, personne ne refusera d’applaudir de cœur et d'âme au nouvel Archimède. Mais comme ce sont là les chances de l’imprévu, qui cesserait de l'être, s’il pouvait être reconnu et apprécié dans ses causes, nous n'avons qu’à lui donner acte simplement et nous passons à des objets qui offrent une loi de développement suivie régulièrement, et quelque enchaînement logique; ceux-là seuls peuvent être sujets d'étude et d'investigation. Or, au point de vue de la découverte d’un art nouveau, les nôtres peuvent se porter sur trois points : d’abord sur l'état des différentes écoles existantes aujourd’hui et sur leurs doctrines; en second lieu, sur les nécessités qui pourraient motiver actuellement l'invention architecturale qu'on désire, ct enfin, sur l'intensité de ce désir. C'est ainsi que VINGT-QUATRIÈME SESSION. 911 nous nous traçons une roule sans nous astreindre à la suivre invariablement. . Or, pour parler d’abord des écoles d'architecture, nous. en distinguons trois : celle des partisans de l’antiquité, celle qui préconise le moyen-âge, et enfin celle qui n'’ar- bore aucune des couleurs du passé. Les artistes qui se rattachent # cette dernière seraient les mieux placés sans doute pour travailler à la découverte d’un nouveau style : y travaillent-ils? c’est ce que nous ignorons. Mais rien ne nous apprend que la découverte ait eu lieu. Au milieu des œuvres Consciencieuses et remarquables, mais isolées, - qui de temps en temps attirent l'attention, rien ne prime et ne domine, rien ne s’est produit jusqu'ici qui soit mar- qué d’un cachet de supériorité évidente à pouvoir entraîner les masses et engager le siècle dans une voie quelconque. La recherche est donc encore ouverte, et ce n’est qu'au terme de notre travail que nous pourrons conjecturer si elle doit aboutir. _ La seconde école cultive l’art grec, et ceux qui la com- posent nous paraissent (et c’est le moindre de leurs torts) ennemis d'une modification qui amënerait un art nouveau, et cela par principe et par préjugé tout à la fois. Et d’abord, l’art grec, considéré en lui-même, personne ne l'ignore, c’est une architecture qui ne s'applique et ne peut s'appliquer qu’à un seul édifice, dont la forme est arrêtée à jamais. Ici, point d'innovation possible : toutes celles qu’on a tentées depuis trois siècles sont condamnées au jugement des théoriciens de l’école même. Quelques libertés que la nécessité force de prendre vis-à-vis du modèle immuable, on se les reproche. M. Quatremère dit bien, à la vérité, dans son Dictionnaire, qu’il ne s’agit pas de copier les Grecs, mais de faire ce qu’ils auraient fait 512 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans les circonstances où nous nous trouvons. Notre con- viction profonte est qu’ils n'auraient pas craint de faire comme le XIIIe siècle. Mais c’est là le pire des blasphèmes aux yeux de nos puristes : il reste que le problème de M. Quatremère est insoluble. Nous n’en voulons pour preuve que ce fait, à savoir que pas un des édifices cons- truits sur ces données contradictoires n’a réumi les suffra- ges publics, ni même ceux des tenants de l’antique. Ainsi, le type adopté étant rigoureusement et matériellement fixé, agit par compression sur les intelligences et les pousse dans la voie de plus en plus étroite d’une unité inféconde. Ce n’est donc pas ce parti qui doit lever les barrières de l'avenir. Remarquons que les occasions n’ont pas absolument fait défaut à cette école depuis soixante à quatre-vingts ans; les palais et les salles de séances des assemblées dé- libérantes n’exigeaient-ils pas en effet des dispositions assez particuliéres et assez neuves pour provoquer le génie de l'invention? Or, qu’est-il arrivé? On n’a vu là qu’une occasion de plus de suivre humblement les traces des maîtres grecs et romains et de faire acte de soumis- sion éclatante. Et quant au résultat obtenu, rien n’est plus propre à faire regretter qu’on n'ait pas voulu essayer de secouer le joug de l'antiquité , et tenté une voie nou- velle. Que sera-ce si l’on fait attention aux doctrines d’exclu- sion bruyamment professées par les nouveaux prôneurs de la plate-bande et du fronton? Ils s’enfoncent, en effet, et reculent de plus en plus dans les excès et les violences d'une intolérance déclarée. On dirait que, désolés de voir que le siècle menace d'échapper définitivement au joug d’un classicisme rimpant et aveugle, et tend à s'élever à VINGT-QUATRIÈME SESSION. 513 la connaissance des principes généraux, ils sentent qu'il faut tenter les derniers efforts pour le ramener dans l’or- nière du passé! Pour eux l'humanité se renferme exclu- sivement dans Athènes; le reste des hommes sont des barbares. Barbare surtout si vous ne professez pasle plus souverain mépris pour l’art chrétien et français, quand même vous seriez d’ailleurs rempli d’une franche admi- ration pour celui de l’antiquité. Les classiques ne peuvent donc pardonner au moyen-age d’avoir bâti des édifices comme les cathédrales de Paris, de Reims, d'Amiens, etc. Nous ne nous arrêtons pas à remarquer combien cela est plaisant, même en reconnaissant dans cette nouvelle explosion de colère l'hommage d’une jalousie aux abois, mais nous disons que c'en est fait de l'avenir si l’on écoute cette école; car, qui osera se flatier de pouvoir appuyer et légitimer une tentative d'indépendance sur la production de chefs-d'œuvre comparables à ceux qui n’ont pas pu gagner la cause du xmr siècle, devant cet aréopage ténébreux, même avec les circonstances atté- nuantes d'une nécessité évidente à satisfaire ? Voilà ce que nous appelons des préjugés d'école. Non ce n’est pas le culte enthousiaste même de l’art grec qui exige qu'on jette l’anathème à un art non moins parfait, quoique différent. Si le goût était exempt de passions _ étrangères et livré, sans préoccupation, à ses propres inspirations , il prononcerait d’autres arrêts. Si nous venons maintenant aux partisans de l’art ogival, nous ne découvrirons nulle part, chez eux, ces doctrines d'exclusion ‘que nous venons de combattre chez d’autres; eux aussi, sans doute, ils ont leurs pré- férences et leurs exclusions. Ce qu'ils préfèrent, c’est l’art ogival, parce qu’il répond aux exigences du culte, du cli- II 33 L1 7 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mat, et n’est inférieur à aucun autre sous le rapport esthétique; ce qu'ils repoussent, ce ne sont pas les chefs- d'œuvre de l'antiquité, mais l'application à contre-sens d'un genre de bâtir qui n’est pas de notre siècle. Mais ils n'ont pas imaginé que l’activité humaine soit rivée à Jamais à une seule forme, quelque parfaite qu'elle soit; ils pensent que c’est étioler le jugement et le goût, et les tenir trop terre à terre, que de vouloir prendre les règles positives d’un style déterminé pour les règles mêmes du beau absolu, auquel il serait interdit de se manifester d'une autre façon. Et il en doit être ainsi. Qu'est-ce, en effet, que l'apparition de l'architecture du moyen-âge, sinon une évolution de la liberté artis- tique, et une preuve de fait que l'invention d’un style d'architecture est une chose possible ? Et qu'’est-il, considéré en lui-même, cet art que nous préférons , notre grand art national et chrétien, sinon la plus merveilleuse combinaison de l'unité de style et de la variété dans les formes, la conciliation de la règle et de - la liberté? Les édifices qu'il à élevés, tous différents les uns des autres, et ayant chacun leur physionomie propre, sont, chacun pris en particulier, un monde prodigieux de diversité. Le but que nous cherchons exige ici quel- ques détails pour prouver ce que nous avancons. Au Par- thénon , les deux extrémités se reproduisent l’une l’autre; elles diffèrent totalement dans le vaisseau gothique. L'une s'appelle abside et l’autre façade ; l’une est l'entrée, l'autre le fond du sanctuaire; à l’une commence l'édi- fice, à l’autre il finit. L'établissement des transepts, l'adjonction des nefs latérales, les dispositions particulières aux plans des chœurs, sont encore une source de variétés nombreuses. Prenons à part la façade : tandis que l'anti- Lé YINGT-QUATRIÈME SESSION. 515 quité n’en a qu’une, le moyen-âge en a mille. Elles diffé- rent, non seulement d’une petite église à une grande, mais encore pour des églises de même plan et de même grandeur. Ainsi, Bourges et Cologne ouvrent cinq portes, et Paris trois seulement pour cinq nefs, ce en quoi cer- lainemeil Paris i'emporte infiniment. Contentons-nous de dire que dans la facade gothique , depuis la silhouette générale jusqu'aux détails d'ornementation, depuis l'es- sentiel jusqu’au variable, tout, nombre, forme, divisions, groupement et emplacement des parties, tout absolument est à la libre disposition de l'architecte. En réalité, le champ que le moyen-âge ouvre à son génie et à son ima- gination est sans bornes. Là, les règles ne sont presque pas autres que celles du bon goût pris en général ; et, malgré celte latitude immense, le style parvient à une pureté comparable à l'antique ; il ne souffre aucun mé- lange, un rien l’altère et le dépare : son caractère d'unité et d'individualité frappe le regard le moins exercé, que l'on considère les grandes masses ou les moindres détails. Il fournit à l'architecte un instrument des plus souples, un élément parfait, sans l’enchaîner ni l’asservir, sans lui dicter l’usage qu’il en doit faire. En adoptant ce style, merveilleuse création du génie inspiré par la foi, il a donc en quelque sorte l’indéfini devant lui. Par conséquent, serait-ce une chose si absurde de penser que, si un des styles d'architecture connus peut devenir celui de l’avenir, c'est celui du moyen-âge qui mérite le mieux cet hon- neur ? Du moins, en attendant l'apparition de ce style vérita- blement nouveau, il est intolérable que, sans examiner les choses et leurs différences, on se plaise à tout confon- dre, dans le but de ridiculiser au même titre ct ceux «ui 516 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. demandaient jadis des églises en style antique, et ceux qui en veulent aujourd'hui en style du moyen-âge; intolé- rable et absurde qu’on prétende, au nom de cet art qui n'existe pas, interdire des constructions en styledu xume siècle, et à Lille et à Constantinople tout à la fois. Ces nouveaux ennemis du xt siècle, qui mettent leur gloire à tenir la balance égale entre la cathédrale de Paris et Saint-Eustache, sont tout simplement un peu plus irréfléchis et inconséquents que les amateurs de l’an- tique: ceux-ci, du moins, s'ils condamnent indistincte- ment et en masse tout ce qui se ressent, de près ou de loin, de l'inspiration chrétienne et française, ont quelque chose à mettre à la place de ce qu’ils renversent. Il nous reste maintenant à étudier l’époque actuelle, au point de vue des besoins relatifs à l’architecture et de l'intensité du désir d’un style nouveau. — Or, si déjà au xvi° siècle, tout était trouvé en fait de solidité, d’ampleur et de sages dispositions dans les constructions, que dire aujourd’hui qu’une expérience nouvelle de trois siècles est venue corroborer la preuve déjà suffisante alors! Il faut sans doute tenir compte des progrès des arts méca- niques et industriels et des perfectionnements incessants de la science appliquée à l’industrie: ce sont là des élé- ments de bien faire qui se développent en dehors de toute création d’un style nouveau. Ou, si nous sommes dans l'erreur à ce sujet, nous sommes bien sûrs d'être dans le vrai, en disant qu'il faut s’en reposer entièrement sur la capacité de nos ingénieurs-architectes, pour découvrir et mettre ën œuvre des moyens nouveaux, s'ils les jugent nécessaires au point de vue technique pour construire d'une manière satisfaisante. Si l'avenir de l'architecture est entre de pareilles mains, il est bien placé. Mais il ne AE FRS VINGT-QUATRIÈME SESSION. 517 nous est pas revenu que les hommes spéciaux aient dé- claré insuffisants ou contraires à la sciences les styles anciens que notre siècle continue employer. Donc, de ce côté, nulle nécessité. En découvrirons-nous davantage dans l'examen des tendances religieuses? IL y a ici, ce semble, une distinc- tion à faire : d’abord, le sentiment religieux pourrait bien demander qu’on nous débarrassât, s’il était possible, de tant d'ignobles bâtisses qui déshonorent nos villes et nos- campagnes sous le nom d’églises; il exige du moins qu’on ne construise plus de ces tristes abris, lourds, épais, plats, sans caractère et sans vie, espèces de tombeaux où rien n’élève l'âme à Dieu et ne favorise la piété. La piété sou- haiterait que l’art vint davantage à son aide, en étudiant mieux ses propres œuvres pour les rendre dignes d’une si noble destination : ce qui n’arrivera pas tant qu'on croira avoir tout fait en ajustant pilastres et entablements contre des parois ou des arcades. Mais, nous l’avouons, notre sentiment religieux ne va pas jusqu'à exiger qu'on fasse mieux qu'aux x° et xime siècles. Qu'on nous donne en- core longtemps des églises de ce style, et nous ne sommes pas près de nous fatiguer d’y aller chercher le recueille- ment de la prière et les impressions de foi que secondent si merveilleusement la convenance et la religieuse beauté des formes. Ces temples sont dignes de la Divinité habi- tant parmi les hommes; ils sont le symbole et l’expres- sion de la foi catholique, parce qu’ils en sont le produit, mais à quel degré sublime, incomparable ! Nous ne sau- rions le dire comme nous le sentons. Comme les vertus héroïques des saints que l’église a placés sur les autels planent à une hauteur immense au-dessus du niveau de la vertu commune, telle est, à nos yeux, l'élévation reli- 518 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. gieuse des monuments du moyen-âge au-dessus du ni- veau de notre époque. Et en vérité, où sont les titres de cette époque à une création analogue ? Où en est-elle en fait de religion? Jadis on travaillait pour la gloire de Dieu, et on créait des styles nouveaux ; aujourd’hui la devise est : l'art pour l'art ou pour le plaisir ; et on copie. Créera-t-on quelque chose? Nous le souhaitons. Mais ce qui renverserait toutes les notions acquises, ce serait de voir une époque philosophique et non croyante enfanter une architecture religieuse : il faudrait pour cela que l’art cessât d’être l'expression de la société. La science pure peut faire des prodiges d’abstraction et de merveilleux tours de force rétrospectifs, comme il paraît aujourd'hui, mais pas de cette dimension. « Vous êtes, de l’autre côté du Rhin, « merveilleusement habiles à exprimer des choses aux- « quelles vous ne croyez pas du tout. » Et cependant, malgré tout, nous comprenons qu'on s’afflige de la stérilité de l’époque, qu’on se fatigue jus- qu’à un certain point du présent, et qu'on aspire à l’in- connu. Ce sentiment est dans la nature; on pourra apai- ser la soif du nouveau, l’endormir par le raisonhement ou par un semblant de satisfaction, on ne l’éteindra pas. Car enfin le fameux adage : Tout ce qui est nouveau est beau, tout ironique qu’il soit, est-il donc dépourvu de toute vérité ? Et qui ne voit que ceux-là doivent être les plus capables de produire le beau, qui ont assez de génie pour inventer le nouveau ? N'est-ce pas une pénible infé- riorité d’être obligé d'aller emprunter les principes du beau dans le passé, d'être réduit à les mendier, pour ainsi dire, d'un siècle plus favorisé, au lieu de les trou- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 5149 ver en soi-même, d’en être le créateur, et d'agir, en un mot, par une force spontanée et intérieure ? Mais, en vérité, c'est faire bien peu pour échapper à cette dure condition, que de batailler dans quelques feuilletons ou brochures contre l'art ogival et ses admira- teurs. Et n'est-ce pas cependant à quoi l’on se borne au- Jourd'hui en faveur de l'architecture du XIX: siècle? Où sont les efforts qu’elle a suscités, les dévouements et les sacrifices qu’elle à produits? Quelle est la somme des capitaux consacrés à cette entreprise? Car il ne faudrait pas s’imaginer que la question, pour être artistique, n’est pas en même temps financière au premier chef. Qu'on se rappelle les immenses trésors amassés à Athènes par des voies plus ou moins iniques, mais dépensés avec génie pour l’avancement des beaux arts ; et ne sait-on pas qu’à bâtir aujourd'hui Notre-Dame de Paris quatre-vingts mil- lions, disait-on, passeraient comme un franc? Or, bien évidemment, ce n’est pas là la dixième partie de ce que le moyen-âge jeta, en moins d'un siècle, dans ces entre- prises matériellement improductives. Que l’on suppute donc à quel prix ces prétendus barbares se sont donné upe architecture neuve, et même deux, et qu’on vienne ensuite, si on l’ose, étaler, comme on l’a fait dans les journaux, nos prétendus droits à une conquête sembla- ble; qu’on vienne dire : nos pères ont bien innové, pour- quoi pas nous aussi ! Loin de nous ici la pensée d’insulter à notre siècle : il marche dans sa voie, comme les autres. Seulement, à cause du progrès des prétentions, et de la confiance croissante de l’homme en ses propres forces, on comprend que le xix° siècle s'étonne et s’impatiente de voir qu'il en est réduit, comme ses devanciers, à suivre tout uniment sa 520 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. voie, sans pouvoir la choisir, ni l'élargir, ni en changer. Pour nous, notre étonnement ne saurait être le même, parce que nous savons que Dieu reste le maître, et qu’en particulier, c’est lui qui ôte, quand il lui plaît, à un peu- ple les architectes habiles (1). D'ailleurs, quelle est la mission de ce siècle? L'étude du passé, la connaissance des révolutions de l’esprit humain, éclairent les intelligences, elles agrandissent le domaine de la science; mais pense-t-on qu'elles doivent favoriser au même degré la force créatrice ? Ne sait-on pas que la science, l'expérience et la caducité arrivent de concert avec l’âge ? On devient plus capable de comprendre l’his- toire, on découvre les causes mystérieuses, et on formule les théories qui expliquent la marche de l'esprit humain; mais on ne marche pas, pour cela. La critique savante, en fait d'art comme en toute chose, n'est-ce pas là la mission du siècle ? On la voudrait plus glorieuse, soit; toutefois, les forces intellectuelles dépensées à la remplir telle qu'elle est, sont enlevées à tout autre emploi. Que sera- ce si l’on veut tenir compte de tous les autres buts, plus ou moins légitimes, de l’activité humaine, de nos jours, si l’on considère que les esprits sont, pour ainsi dire, ab- sorbés par les travaux de la science et de l’industrie, et par les spéculations du lucre? En vérité, après tout cela, peut-il rester beaucoup pour l'architecture et son avenir? Nous avons énuméré nos grands désavantages, voici nos petites compensations. Notre siècle peut être regardé comme l'ère scientifique et critique ; et sa science, si elle ne lui met pas à la main une palme verdoyante, et bril- (1) [saïe, II, 3. AS VINGT-QUATRIÈME SESSION. 521 lante de fraicheur, le rend véritablement maître des ri- chesses des siècles écoulés. L'étude des différents styles est non seulement en progrès, sous le rapport de la jus- tesse et de la profondeur, nous croyons qu'elle est parve- nue à se rendre adéquate aux œuvres qu’elle explique, et que ses appréciations sont devenues des jugements défi- nitifs. De là une conséquence qui a bien son prix : c'est que le point précis de la perfection a été trouvé en chaque genre, et, par suite, également le moyen de s’y tenir et d'éviter la décadence. Ce sera là, si on le veut bien, notre privilége et un phénomène dont l’histoire des arts ne nous à pas jusqu'ici offert d'autre exemple. En dernière analyse, la génération présente a peu de chances de se voir illustrée par la création d’une archi- tecture nouvelle. Nous l’avouons, personnellement, cette perspective ne nous paraît pas bien affligeante ; et, à vrai dire, nous comprenons peu ce trouble, cette espèce d’ef- froi qui s'emparent de nos plus éminents artistes , quand ils entendent résonner ce mot fatal de progrès, d'archi- tecture de l'avenir. C’est à peine si bientôt ils oseront suivre l'impulsion de leur goût et de leur jugement, les lumières de leur savoir si profond, et se livrer à leurs meilleures inspirations, tant ils semblent avoir peur d’en- nuyer mortellement tout le monde dans cinq ans d'ici, avec les tourelles et les clochetons, et de se voir traités comme les architectes pharaoniques de l'Empire, que la gaîté francaise finit par qualifier d'appellations grotes- ques et peu civiles (4). Mais faut-il donc s'épouvanter de si peu, et, quand on (1) Viollet-le-Duc, Lettres d'Allemagne, p. 95, 96. 522 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. est assuré d’être dans la bonne voie, se laisser détourner par des mots ? Que nous veut, en définitive, ce soi-disant progrès? Que nous renoncions au beau. Mais alors il res- semble infiniment trop au vandalisme : il faut l’éconduire sans cérémonie. Et certes, pourquoi se hâter de la répudier, avec tant de précipitation et d’inconstance, notre architecture chrétienne ? A peine commençons-nous à la comprendre et à ouvrir les yeux sur tant de merveilles que l’égare- ment des siècles avait prises en haine. Cet égarement et cette haine n’ont pas posé les armes, et il y a toujours né- cessité de défendre l'héritage de nos pères, qui est aussi notre conquête. À ceux qui veulent nous l’arracher, sous prétexte d'une gloire plus grande à recueillir d’une créa- tion nouvelle, nous répondrons que l'humanité est soli- daire et que les siècles sont frères. Or, les églises artisti- ques de la France, au xu° et au x siècle, sont en- core nos gloires. N'est-ce pas notre siècle, en effet, qui les a vengées d’un injuste dédain ? Oui, le génie l'a pro- noncé, avec tout le prestige et toute l'autorité de l’élo- quence; les pierres de nos cathédrales ne nous parlent pas seulement de ceux qui les ont sculptées et disposées avec tant d'art, des Montereau, des Coucy, des Jean de Chelles et de tant d’autres, elles nous redisent encore le nom de l’homme qui a tant fait, et fait tant encore, pour leur rendre leur gloire trop longtemps éclipsée : Te saxa loquuntur. Et avec le nom de l’homme s'inscrit la date de son siècle. Il s’agit donc pour nous ici d’une découverte. Les impressions que nous éprouvons à la vue de nos vieux monuments chrétiens sont, non seulement vives, pro- fondes, magiques en quelque sorte, mais pleines encore de fraîcheur et du charme de la nouveauté. L'étude a en- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 523 core bien des merveilles à nous y découvrir: la mine n’est pas épuisée. Imitons les anciens, et jouissons au moins quelque temps en paix; reposons-nous dans la possession du beau, du parfait. Travailler pour le triomphe du beau, c’est travailler pour l’avenir. Donc, ni sous le rapport de la nécessité, ni dans les intérêts supposés du beau, il n’est urgent de voir surgir une architecture nouvelle : d’ailleurs, se promettre son avénement prochain, ce serait une chimère; et enfin lui sacrifier d'avance ce que l'on possède, une erreur. S'il nous est permis de former des vœux en terminant, nous exprimerons le souhait de voir les membres du Con- grès combattre victorieusement cette erreur par leur in- fluence ; le souhait de voir se former une opinion assez puissante, assez lenace pour contrebalancer une influence fâcheuse, et donner courage et appui à ceux qui, non contents d'admirer spéculativement notre sublime archi- tecture chrétienne, ont mis la main à l’œuvre pour la continuer sur cette belle terre de France qui fut son ber- ceau et son plus brillant théâtre. L'architecture gothique est un moyen de produire, bien plus encore qu’un produit. Sa véritable essence, c’est le progrès, c’est la possibilité de se transformer, de s’accom- moder à la civilisation, quelle que soit la rapidité de sa marche: c’est l'architecture moderne en un mot. Si l’ar- chitecte habile du temps de Philippe-Auguste pouvait revenir à Paris, loin de repousser les nouveaux moyens que la civilisation du xix° siècle met à sa disposition, il s’en servirait avec empressement. Il verrait en effet dans ces progrès la conséquence des principes que lui-même avait posés il y a six cents ans. Mais ce n’est pas en quel- ques années que les artistes, et à plus forte raison les gens . 524 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du monde, peuvent être convaincus de cette vérité. Il faut aux premiers de longues études, des essais répétés et nombreux, une pratique sûre, la conviction et l'opi- niâtreté. M. Victor Teste, de Vienne, a fait déposer, sur la même question, l'extrait d’un article qu’il a inséré dans la Revue du Lyonnais, tom. XV, année 1847, et dont voiciles conclusions : « Tous les peuples, en général, ont imprimé à leurs monuments un ca- ractère solennel approprié à leur destination : l’unité de style dans l’ensemble des édifices religieux et civils est le résultat d’une civilisation bien arrêtée, bien constatée. Mais nous qui critiquons tout et n’adoptons rien de durable, nous sommes dans l'impossibilité d'attribuer à notre ère la désignation d’un style architectonique dont le front puisse être marqué du millésime du xix° siècle. » A ces idées, émises en 1847, l’auteur ajoute comme complément : « que l’unité dans la religion, base de toute civilisation possible, a permis aux siècles de l’antiquité et du moyen-àge de mainte- air l'unité dans l'architecture religieuse, civile et militaire. Au xix° siècle, les dissidences des sec- tes religieuses, les théories socialistes , le matéria- lisme, père d’une cupidité endémique et anti-natio- nale, éléments de désorganisation et de divergence VINGT-QUATRIÈME SESSION. 525 dans les principes, ne nous permettront de léguer aux siècles futurs que des monuments bâtards de tous les styles architectoniques passés, de toutes les civilisations éteintes. » | M. Rostan fait aussi une lecture sur le même sujet : Le xixe siècle a dépassé le milieu de son cours, et au- cun symptôme ne révèle la découverte ou l'emploi d’un art architectural qui lui soit propre. Nous ne savons la destinée que Dieu lui réserve dans les quarante-trois dernières années qui lui restent à par- courir pour atteindre le terme de sa carrière, mais nous pouvons préjuger qu'il n’est point appelé à produire un de ces systèmes d'architecture qui caractérisent une épo- que et formulent la pensée d’un siècle; nous pouvons même affirmer, d'après les tendances que nous lui con- naissons et les idées qui le dominent, qu’il ne lui est pas donné d'inventer un art particulier, distinctif de ceux qui l’ont précédé. à Non pas que tous les systèmes architectoniques soient épuisés et qu'une nouvelle forme ne puisse désormais être trouvée, car le génie humain n’a certainement point dit à cet égard son dernier mot, ni mis au jour ses dernières combinaisons ; mais c’est que l'architecture, conime tous les arts, étant l'expression de la société et le miroir fidèle des mœurs et des idées de l’époque, c’est en elle qu’elle puise ses inspirations, ce sont ses élans qu'elle traduit dans son mystérieux et sublime langage; elle est un 526 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. symbole éclatant et une manifestation durableet vraie du génie de la civilisation aux divers âges de l’histoire. Donc, pour produire un art quelconque, un système d’architec- ture individuel et spécial, il faut que les esprits soient animés d’une pensée générale et entraînés par les mêmes tendances : il faut qu'ils aient une passion et une foi com- munes. Or, voyez dans quelles conditions nous sommes à cet égard ? quelle est la pensée générale qui nous domine ? quelles tendances avons-nous? quels sont nos instincts sociaux, les pulsations de notre cœur, les vibrations de notre âme ? Froids, sceptiques et indifférents à l'égard de tout, sous le rapport moral, nous vivons dans le plus fâcheux état, dans la plus grande mobilité d'idées, dans le vide le plus complet de principes, condamnant aujour- d’hui ce que nous avons exalté hier et adorant le lende- main ce que nous avons brûlé la veille. Notre époque n’a ni relief, ni caractère ; tout tend à se confondre et à s’effa- cer sous un niveau commun ! Nous ne pouvons donc avoir dans l’art un reflet saillant ni une empreinte nettement caractérisée ! En effet, un seul mobile nous fait agir, une seule passion nous agite: c’est la soif du gain, la fièvre de la spéculation, l’âpre désir de la richesse ! Mais ce mobile et cette passion ne sont point de ceux qui inspirent de nobles sentiments ni qui enfantent de grandes choses, pas plus dans le domaine de l’art que dans les hautes régions de l’âme ; aussi, sous leur empire, l'idéal s’affai- blit dans les intelligences en même temps que le diapason moral baisse dans les âmes. Avec de pareils éléments, nous pouvons, sans nul doute, devenir un peuple indus- triel, mais, à coup sûr, nous ne saurions être un peuple artiste. Quand nous portions nos regards sur l’histoire et que VINGT-QUATRIÈME SESSION. 527 nous envisageons les divers systèmes d'architecture qui ont régné dans le cours des siècles, nous sommes amenés à cette conclusion que le développement architectural est toujours en rapport avec le développement de la société, et que les grands siècles artistiques ont toujours été de grands siècles historiques. Ainsi, sans reinonter à l’anti- quité, et pour nous borner à notre histoire nationale, lar- chitecture romane, qui n’est qu'une modification de l’art romain, amenée par les besoins du culte chrétien, exprime bienle génie de la société à cette période de l'histoire où la religion dominait toutes les âmes, dirigeait tous les esprits, inspirait tous les cœurs; de même, quand, au xu® siècle, eut lieu la transition de l'architecture romane à l'architecture ogivale, c’est qu’une transformation uni- verselle s’opérait dans l’état social ; au x siècle, époque d’ardente foi et de vif enthousiasme, le caractère général se manifeste aussi dans les sublimes produits de son architecture ; au xvie, quand l’art abandonnait les tradi- tions nationales et chrétiennes pour remonter vers l’anti- quité, il formulait dans son style les souvenirs païens et les inspirations classiques ; ce fut là, il est vrai, sous le rapport esthétique, un fait essentiellement regrettable; mais cet art eut néanmoins son caractère propre, et il nous à laissé des œuvres qui refléchissent bien les mœurs et les idées du temps. Ainsi de l'architecture de l'époque de Louis XIV : régulière, majestueuse, uniforme, elle tra- duit encore la pensée de son siècle etses tendances carac- téristiques. En cherchant aujourd’hui une application de ce principe vrai pour toutes les périodes de l’histoire, nous n’avons donc pas lieu de nous étonner de ne rencontrer, comme expression de notre époque, aucun systè:1e architectural 528 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. particulier digne de ce nom; en fait de monuments, nous employons indifféremment tous les types divers que l’his- toire de l’art nous a légués; l’éclectisme, ce principe souverain dans la sphère de la philosophie, à notre époque de doute et d'indifférence, devait naturellement régner aussi dans le domaine de l’art. Aussi, empruntons-nous à tous les systèmes de construction des modèles que nous employons le plus souvent avec fort peu de discernement, ne craignant pas d'imiter tantôt une œuvre grecque ou romaine, tantôt un édifice du moyen-âge ou de la renais- sance dans la construction d’une église, par exemple, ainsi qu'on l’a souvent pratiqué de nos jours, de manière à confondre sous un aspect commun un temple catholique avec une bourse ou un théâtre; tandis que l’art du moyen- âge, roman ou ogival, nous fournitles véritables éléments qu'il s’agit d'appliquer à l'édification de nos églises ; et si l'un, le style roman, est plus grave, plus imposant, plus sévère que le style ogival, qu’il contient en germe, celui- ci est plus élégant, plus élancé, plus harmonieux, plus sublime, ilest en plus parfaite conformité avec l’esprit, le culte, l'esthétique de la foi chrétienne ; il reproduit admi- rablement les aspirations de l’âme humaine vers le ciel, et il est la formule la plus explicite et la plus grandiose du catholicisme : il a, du reste, régné pendant les siècles les plus religieux, les plus enthousiastes et les plus féconds de notre histoire. Cependant, nous sommes heureux de le dire, ces prin- cipes semblent maintenant devoir prévaloir, et l'archi- tecture du moyen-âge a trouvé dans des œuvres considé- rables, récemment exécutées, uneimitation plus conforme aux règles de l’art national et aux inspirations du genre chrétien. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 529 Au surplus, selon M. de Caumont, cette variété dans les styles qu'on emploie annonce une certaine fermentation artistique qui n’est pas de fâcheux augure, elle indique une époque transitionnelle pour l’art. On finira, dit cet illustre archéologue, par adopter le système qui convient le mieux, quant! on aura essayé de tous (1). Pour nous, en ce qui concerne les monuments civils, nous voyons moins d'inconvénients dans les emprunts faits à l'architecture grecque ou romaine, à la condition toutefois que la logique et le goût président à l'exécution de ces types et qu’ils soient en rapport avec la destination spéciale qu’on veut leur donner. Car, il faut bien le dire, ce ne sont pas les constructions qui ont fait défaut à notre époque ; de toute part s'élèvent des édifices, des églises, des théâtres, des mairies, des maisons d'école, des salles d'asile, des hôpitaux, des bourses, des casernes, des palais de justice, des gares de chemin de fer: jamais peut-être on n’a plus construit que de nos jours. Mais, n’hésitons pas à le dire, jamais, à coup sûr, on n’a moins bien construit. Aulieu d'architecture, nous n'avons le plus souvent qu'une détestable maçonnerie, et avec l'argent qu’on a dépensé depuis cinquante ans à élever les ignobles édifices qui déshonorent l'aspect de nos villes ou de nos campagnes et témoignent de notre mauvais goût, on aurait une France monumentale mo- derne qui ferait la gloire de notre pays et l’admiration des étrangers qui le visitent. Autrefois, il n’en était point ainsi : chaque église de village était un monument, chaque château avait son (4) Abécédaire d’archéologie-architecture civile el militaire, p. 260. Il 34 530 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mérite architectural, chaque construction publique et même privée était une page d'art. Parcourez nos anciennes cités, quelque modestes qu’elles soient, vous rencontrez à chaque pas des clochers, des tours, des beffrois, des monastères, des édifices publics et des habitations parti- culières qui ont un style, une siguification artistique : là, ce sont de graves assises romanes ; ici, c’est l’élancement et l'élégance gothiques ; plus loin, la richesse et la déco- ration de la renaissance; partout un noble esprit a présidé à ces constructions diverses, sur lesquelles on peut lire une pensée, découvrir un sens et un symbole. Les rues modernes de nos villes, au contraire, n’ont aucun caractère, et nos villages sont tout à fait insigni- fiants ; les édifices publics sont très-vulgaires, très-laids, et les maisons privées, quelque somptueuses qu’elles aient la prétention d’être, ne sont que d’affreux bâtiments informes, maussades , sans physionomie, sans élégance, sans goût. . Indépendamment des grandes inspirations de l’art qui manquent à notre époque, notre grand défaut aujour- d'hui, c’est de vouloir construire vite età bon marché, c’est qu’un luxe hypocrite et menteur remplace partout l’art vrai et pur; le moellon substitué à la pierre, le procédé mécanique à la main intelligente de l'artiste, l'emploi des ornements de fonte tient souvent lieu de la décoration sculpturale; l’art, au lieu de diriger et de guider l'industrie, s'est laissé dominer et envahir par elle ; il s'est amoindri à son contact, il s'est dégradé au souffle de ses vulgaires instincts. Toutefois, ne faisons pas notre siècle pire qu'il n’est; si notre époque a ses défauts, elle a, sans nul doute, ses qualités ; si le dévelopnement et le progrès des études VINGT-QUATRIÈME SESSION. 531 historiques sont notre plus glorieux titre sous le rapport littéraire ; en matière d'art monumental, à défaut de système propre, selon l'observation de M. Vitet (1), nous avons du moins le sentiment historique des œuvres du passé, nous les apprécions à leur valeur, et nous les répa- rons d’une manière intelligente et digne. Il n’en a malheureusement pas été ainsi dès le début du siècle. Sous prétexte de restaurer nos anciens monu- ments, les plus stupides profanations ont été accomplies ; le nombre des œuvres d'art ainsi dégradées est innom: . brable ; il surpasse Eeaucoup les actes de vandalisme de la révolution. Mais aujourd’hui, à l’aide de saines études archéolo- giques, nous sommes parvenus à l'intelligence des véri- tables principes en matière d’art et de goût; nous avons saisi l'esthétique des monuments et les règles de leur construction ; nous avons pu les réparer sans altérer leur caractère primitif et fondamental. L'archéologie, cette philosophie des arts du passé, a donc fait pour les anciens monuments ce que l’histoire a fait pour les chroniques écrites : elle en a débrouillé le chaos, révélé le sens, expliqué la pensée; elle est le guide le plus sûr dans les appréciations des œuvres monumen- tales; en elle nous puisons les connaissances et le goût pour les juger, pour les comprendre et pour les conserver. Aujourd’hui donc, s’il ne nous est pas donné d'inventer de nouveaux systèmes d'architecture, si nous n’avons pas le génie créateur, tâchons d’imiter avec convenance les immortelles pages de l'art ancien, et surtout efforcons- nous d'assurer la conservation des chefs-d'œuvre qui (4) Etudes sur les beaux-arts, 1. I, des Monuments de Paris. b32 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. subsistent, afin de transmettre à nos descendants ce pré- cieux héritage de nos pères. N'oublions pas que la res- tauration intelligente et artistique des monuments du passé sera notre plus noble titre de gloire devant la postérité. M. Gariel ne s’explique pas ce dénigrement du XIX° siècle, surtout à propos d’architecture ro- mane et ogivale; car c’est le XIX° siècle, seul, qui a compris et fait comprendre, admire et fait admi- rer, trop peut-être, les monuments de ces âges. Avantle XIX° siècle, personne n'avait eu l’intelli- gence de celte architecture: les bâtisseurs pas plus que les autres n’eurent conscience de leur œuvre. C'est notre siècle, et ce sera un de ses titres dans l’histoire, qui a donné la vie à des chefs-d’œuvre enterrés dès leur naissance sous l’épitaphe de bar- bares. : M. du Boys pense comme les préopinants que notre siècle n’a pas de style qui lui soit propre, mais il espère que les gares de chemin de fer pour- ront donner naissance à un style nouveau. M. Challe proteste contre les conclusions trop absolues de M. Rostan. Où en était l'architecture au commencement de notre siècle? Les édifices re- lgieux du XVIEL® n’ont rien de religieux, l’architec- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 533 ture civile n’a rien produit que de commun: toutes ‘ses constructions ressemblent à des casernes. Notre siècle a commencé par s'inspirer de l’art grec, puis un grand mouvement s’est opéré en faveur du XITI°. Ce mouvement n’est-il pas un progrès ? Sans doute nous n’avons pas d'architecture typique, mais ici l’art grec, là l’artromain, ailleurs le moyen-âge ont produit à Munich, à Paris et à Londres de véritables monu- ments. Comme le disait M. du Boys, les chemins de fer ont ouvert une nouvelle voie à l’architecture; beaucoup de gares sont pleines de grandeur et de légèreté, et prouvent que l’emploi des colonnes de fonte est d’un heureux effet dans les monuments civils. Les diverses écoles se sont essayées dans la construction des châteaux ; enfin, dans les villages, on à fait, sans frais énormes, un grand nombre . d’églises, de mairies, de maisons d'école qui sont pleines d'élégance. De tous ces faits, M. Challe conclut que l’art est en progrès, et que, de tous ces efforts, pourra sortir une architecture propre à notre siècle. À l’appui de ces conclusions, MM. de Terrebasse, Ducis et Macé citent un grand nombre d’édifices construits dans le département de l'Isère, dans la Savoie, dans l’Anjou et à Nantes, où l’on trouve un véritable sentiment de l’art. M. Leblanc, de Brioude, parle de la gare du chemin de fer de Strasbourg 034 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. comme d’un monument remarquable. M. Macé cite comme un monument caractéristique le palais du quai d'Orsay. M. Revillout proteste contre les conclusions absolues qui veulent condamner les architectes modernes à l’imitation du moyen-àge : c’est là un autre genre classique aussi funeste que l’autre au progrès de l’art. M. Macé fait remarquer, à ce sujet, que l'Italie, pays essentiellement religieux, n’a pas adopté l’ar- chitecture ogivale, et que, par conséquent, cet art n’est pas l’art catholique par excellence. M. Pilot lit ensuite une notice sur le. palais de justice de Grenoble: PALAIS DE JUSTICE A GRENOBLE. La partie la plus ancienne du palais de justice date du règne de Louis XII. Ce prince, qui séjourna plusieurs fois à Grenoble, où, pendant les guerres d'Italie, il fixa le quartier général de son armée, fit commencer lui-même, dans cette ville, ce palais. A cette époque, du moins, appartiennent la porte d'entrée, la voûte, les deux fené- tres au-dessus, avec leurs emblèmes et l’encorbellement à côté, percé de trois fenêtres à ogives (4) qu'ornent des (1) Aujourd'hui deux seules de ces fenêtres sont ouvertes. Celle du milieu a été murée lorsqu'on y a placé, en 1833, une YINGT-QUATRIÈME SESSION. 535 fleurons encore d’un assez bon goût. Cette saillie formait la courbe extérieure de l’abside d’une riche petite chapelle, dont on ne voit plus aujourd’hui qu’une portion changée en un fort beau cabinet de travail. Le reste de la chapelle occupait tout l’espace des rampes actuelles de l'escalier, avant qu’on eût démoli l’ancien, qui était à hélice et placé à l'angle principal de la galerie intérieure. La chapelle entière avait une longueur de 8 m. 25 sur 5 m. 50 de largeur; elle présentait, dans son ensemble, une assez belle construction , ainsi qu’on peut en juger par les nervures des voûtes, leurs supports, deux niches avec leurs dais à dentelures et autres ornements délicats, échappés, soit au temps, soit à la main destructive de l’homme (1). Quant aux emblèmes extérieurs du palais qui méri- tent le plus d'attention, ils consistent en deux lions et deux chiens tenant des phylactères et qui semblent vouloir s’é- lancer sur les passants. (Ils sont posés sur les moulures des deux fenêtres au-dessus de la porte d'entrée), et en deux escargots qui rampent le long du fleuron au-dessus de cette porte. Il semble qu'on ait voulu, par là, figurer les clameurs des avocats et les lenteurs des procédures longue tablette en pierre de Sassenage, sur laquelle a été tracé un méridien-régulateur, par M. Alphonse Blanc, le même qui fut nommé, treize ans après, député à l'assemblée constituante. (1) On a posé dans les deux niches deux statues en plâtre, l’une de Guy Pape et l’autre d'Expilly. L’élévation de la voûte est de près de 6 mètres. Il est à regretter que la construction de l'escalier moderne, qui aurait pu être placé ailleurs, ait néces- sité la mutilation de cette gracieuse et élégante chapelle, d’un style dont il ne reste, à Grenoble, qu'un seul monument à peu près entier, qui est le tabernacle, ciborium ou expositoire, dans le chœur de l’église cathédrale. 4 20] 536 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. judiciaires. On remarque, surtout, un autre sujet non moins allégorique, lequel sert de support à l’un des angles même de la tourelle ou encorbellement : ce sont deux chiens qui se disputent un os. Ce même emblème se re- trouve dans la petite chapelle dont il vient d’être parlé, et où le ciseau d’un malin artiste a aussi figuré un groupe formé de deux enfants qui se disputent un bâton déjà presque rompu. Deux guivres ou gargouilles, savoir, un lion et un aigle, couronnent le haut de la tourelle. Toute cette partie du palais de justice est construite en pierres blanches de l’Echaillon ; là finissait alors la facade, que suivaient des maisons particulières derrière lesquelles s'étendaient quelques dépendances du palais. Ce fut seu- lement en 1556 que, pour agrandir les locaux du parle- ment, l’on acheta de Francois Paviot, docteur en droit, la maison voisine (4), où fut commencée, après 156!,à la suite de la première facade gothique, une autre dans le goût de la renaissance ; celle-ci, continuée et suspendue pendant les guerres de religion, n’a été achevée que sous le roi Henri IV, comme on doit l’induire de la date 4603, inscrite avec les lettres initiales entrelacées, ou mono- gramme SPB,dans le fronton d’une ancienne petite porte sous le passage communiquant de la place St-André à celle (1) Procédure de vérification, d'estimation et de rapport d’ex- perts faite au mois d'août 1555, de la maison de Me François Paviot, joignant la chambre des comptes, sur la commodité ou l'incommodité qui en reviendroit à Sa Majesté, qui vouloit ac- quérir ladite maison pour agrandir ladite chambre. — Lettres- patentes du roi Henri II, des 26 février et 45 novembre 1556, pou qu'il seroit payé audit Paviot onze cents écus pour la va- eur de ladite maison. — Procédure faite le 11 octobre 1561, sur les réparations nécessaires au palais du parlement de Grenoble. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 931 des Cordeliers. Sous le même passage étaient rangés, sur les murs latéraux, six à droite, six à gauche, douze mé- -daillons on bustes des dauphins de Viennois, aujourd’hui déposés à la Bibliothèque. Au-dessus de la voûte, dans une niche, est une statue de la Justice; aux deux côtés, dans deux niches plus petites, actuellement vides, étaient deux autres statues représentant, l’une Charlemagne, le restau- rateur des lois en France, et l’autre, Louis XI, qui créa le parlement de Grenoble. Sur cette facade, quatre larges fe- nêtres à doubles croisillons, et deux fenêtres plus étroites s'ouvrent au-dessus d’arcades simulées et sont surmontées d’autres fenêtres ou croisées disposées en attiques; le tout est orné de riches moulures, de corniches, de colon- nes superposées et de cercles ou anneaux placés sans ordre et sans symétrie. La pierre employée dans cette construction est celle du Fontanil, près de Voreppe, qui est d'une teinte grise; d’un autre côté, les appuis en saillie au-dessus des arcades sont détruits presque en- tièrement, ce qui donne à l'édifice un air triste et délabré. D'après les initiales indiquées ci-dessus S. P. B. /Sculp- sit Petrus Bucher ), il est à croire que Pierre Bucher, qui a longtemps été procureur général au parlement de Grenoble, et qui s’est autant occupé de sculpture que de jurisprudence, a donné le plan de cette dernière partie du palais de justice, et qu’il y a même exécuté plusieurs ouvrages, du moins les principaux. Pour ce double motif, sans doute, on aura placé en souvenir, en 1603, son mo- nogramme, quoique, à cette époque, il eût dû cesser de vivre depuis longtemps; il est facile, en effet, de recon- naître que le travail entier de cette facade du palais rap- pelle assez le genre et le faire qu’on remarque dans les sculptures qui restent de la maison de Pierre Bucher, 538 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans une cour de la rue Brocherie, à Grenoble, où l’on a trouvé le magnifique médaillon d'un personnage entouré de flammes. Il serait possible que ce personnage, sur lequel ont été émises diverses conjectures, füt tout simplement Justi- nien, considéré comme le restaurateur de la jurispru- dence romaine; ce que semblent permettre de supposer son costume, le glaive qu’il porte et sur lequel il pose sa main droite, ainsi que les flammes qu'il montre, symbole d’une inspiration divine. Ce médaillon est, avec les bustes des dauphins, dans le vestibule de la Bibliothèque pu- blique ; au bas était aussi le monogramme S P B. Bien avant Louis XIT, le palais de justice était au même endroit où il existe. À une époque plusancienne, etqu'on pourrait appeler primitive, il fut d’abord dans la rue des Clercs, ainsi appelée parce que là ont été successivement les assemblées des gens de loi et l’université; mais, déjà, au commencement du XIV: siècle, en 1315, une salle du palais des dauphins était affectée au service de la justice et des ofliciers rationaux, connus plus tard sous le nom d'officiers de la chambre des comptes, ainsi que le cons- tate la mention d’un acte entre Jean II et son frère Hugues, baron de Faucigny, passé à Grenoble en la maison delphinale, dans la chambre de la cour et des comptes (1): Le dernier dauphin , Humbert IL, ayant créé le conseil delphinal et décidé qu'il siégerait à perpétuité à Grenoble, voulut aussi qu’il y tint ses séances dans son propre palais; depuis ce moment, une portion de ce palais des dauphins, (1) In civilate Gratianopoli, in domo delphinatus, in camera curie el compulorum. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 539 consacrée aux audiences des tribunaux, a toujours con- servé cette première destination; seulement l'édifice, tel qu’il était alors, il y a cinq siècles, n’est plus aujourd’hui le même; tout a été changé et modifié, et a été remplacé par des constructions plus récentes, du moins quant au palais de justice. Il faut dire ici que la demeure de nos anciens souve- rains à Grenoble, avec ses dépendances, la chapelle et les cours intérieures, couvrait tout l’espace renfermé entre l'ancien rempart (1) et l'Isère, comprenant, de nos jours, la partie ancienne de l'Hôtel de Ville, dite, autrefois, la trésorerie ou le gouvernement (2), le théâtre, la maison y jointe, les prisons, les bâtiments de la cour d'appel et du tribunal de première instance, l’église de Saint-André et la partie de la place au-devant ; le restant de cette place était occupé par l’église de Saint-Jean, qu'a fait démolir le baron des Adrets en 1562, et qui formait au-devant du palais de justice, qu’elle masquait entièrement, une rue étroite et tortueuse. En 1382, le roi-dauphin, Charles VE, demanda la démolition de cette église au pape, sous le prétexte qu’elle menaçait ruine et que même elle était (1) Des restes de cet ancien rempart gallo-romain existent encore; ils forment le massif de la base sur laquelle s'élève la lourde tour qui flanque d’un côté l'Hôtel de Ville. De ce point, le rempart se dirigeait, au couchant, vers la place même; il tra- versait, au levant, la rue du Quai et suivait le bord de la rivière. Un mur du palais de justice est adossé aussi à des substruciions romaines, du côté ‘de la place des Cordeliers, sous la voûte qui conduit de cette place à celle de Saint-André. (2) Ainsi appelée, parce que le gouverneur ou son lieutenant général et le trésorier général du pays y avaient leur demeure ; pour celte raisonÿ elle est désignée aussi dans des actes sous le nom de (rouvernerie. 540 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sans toiture. Le pape y consentit, comme il résulte d'une de ses bulles, datée de Rome du 12 des calendes de juin de cette année, et d’une ordonnance de Francois de Conzy ou Gonzy, évêque de Grenoble, du 4 #août suivant; mais, soit que l'édifice ne fût point aussi délabré qu'on paraissait vouloir le faire croire, soit toute autre circons- tance, l’église de Saint-Jean resta debout plus d’un siècle et demi encore. C'est à tort que Valbonnais induit de la bulle précitée que cette église fut alors détruite (1); elle ne l’a été qu’à l'époque de la première occupation de notre ville par les protestants (2). Le palais de justice a été complétement refait, comme on vient de le voir. Toute sa facade actuelle, commencée sous Louis XII, ne paraît avoir été achevée que vers la fin du XVI siècle, peut-être même pendant les premières années du siècle suivant. À ces travaux ont succédé ceux d’une galerie couverte et à arcades autour de la cour in- térieure; celte construction, commencée, selon toute ap- parence,sous Louis XIII, est restée inachevée. Ainsi, le palais de justice, dans son ensemble; ne conserve plus rien de son état primitif; de même que, dans ses détails, il n’offre plus rien qui se rattache au règne des dauphins. La salle la plus ancienne, en même temps la plus riche et la plus curieuse, sous le double rapport de l’âge et de la délicatesse du travail, est celle qui était occupée par la chambre des comptes, où siége aujourd’hui la première chambre du tribunal civil. Cette salle, justement appré- ciée des connaisseurs par de magnifiques boiseries dont (4) Histoire du Dauphiné, 1. n, p.8. (2 Récit de ce qui s’est passé de plus remañuable à Grenoble . en l'année 1562, p. 24. —=———= NT TT TIRÉ PAR P. REY. L'ancienne Chambre des comptes, au palais de justice de Grenoble. VINGT-QUATRIÈME SESSION. * A nous avons donné la description dans une notice spé- ciale, avait, au xvie siècle, de beaux vitraux détruits en 1590 (1). Sur les vitres de l’une des fenêtres de la salle étaient peintes les armes de France et du dauphin écar- telées et celles de Bretagne. La circonstance de ces der- nières armes nous à donné lieu de penser que les boise- ries, comme les vitraux, devaient dater de Charles VIIT ou de Louis XIT, qui ont successivement épousé Anne de Bretagne; mais si les travaux furent commencés d’abord sous ces princes et par leur ordre, ils n’ont été achevés qu'en 1524, ainsi que le constate une pièce authentique trouvée depuis et qui est le mémoire de la dépense de cette riche menuiserie exécutée par un Fabile artiste allemand nommé Paul Jude. Voici la traduction française du préambule de ce mé- moire : Compte et contrôle des journées des experts dans l'art de la menuiserie, faites par eux en la chambre des comptes delphinaux à l'édifice ci-dessus désigné. D'abord, il faut noter qu'ayant auparavant été prise mûre délibération par les maîtres auditeurs des comptes delphinaux sur ce que, à cause de la vétusté et ancienneté des étagères et armoires de la grande salle basse de ladite chambre, les papiers, documents, recon= naissances et plusieurs instruments déposés en ordre sur lesdites étagères et dans lesdites armoires, se dé- gradaientet détérioraient chaque jour, et qui par la suite (4) Boëseries el vitraux de l’ancienne chambre des comptes à Grenoble. — Maisonville, imprimeur-éditeur, 1855; une feuille in-8. 542 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du temps, se seraient presque tous détruits au grand préjudice du seigneur notre dauphin; d'où il fut conclu par lesdits seigneurs des comptes delphinaux que, pour la conservation desdits documents, on ferait de nouvelles étagères et armoires ; et, enfin, lesdites étagères et armoires, données par lesdits seigneurs des comptes, pour être confectionnées et construites, à maître Paul Jude, expert dans l'art de la menuiserie et de la ciselure du bois, à journée, à raison du prix ci- après déclaré; duquel prix fait pour ledit édifice il est pleinement constaté par les actes publics, existant dans ladite chambre des comptes du Dauphine (1). Les travaux de la boiserie faite par Paul Jude, com- (4) « Computus et controlatus dietarum subtentium in arte menuserie expertorum per ipsos factarum in camera computo- rum dalphinalium circa edifficium inferius declaratum. « Primo notandum est habita prius matura eonsilii delibera- tione per magistros dominos compotorum dalphinalium audito- res quod, causante vetuslale et antiquitate yslagiorum et arma- triorum magne aule basse dicte camere, papirii documenta recog- niliones et plura instrumenta in dictis ystagiis et armatriis per ordinem deposita dietim devastabantur et destruebantur et suc- cessu temporis fere omnia destructa fuissent in maximum pre- judicium domini nostri dalphini, ex quo fuit, pro conservatione ipsorum documentorum, decretum per dictos dominos compoto : rum dalphinalium, fieri nova ystagia el armatria, ipsaque ystagia et armatria landem fuerunt tradita ad componendum et cons- truendam, per prelibatos dominos compotorum magistro Paulo Jude substenti magistro experto in arte menuserie et linifabre ad dietas pretio inferius declarato; de quoquidem pretio facto predieti edificii plenius constat actis publicis penes diclam ca- meram compotorum delphinalium existentibus. (Archives de l'ancienne chambre des comptes : compile des armoyres neufves de la chambre des comptes, fetes par Me Paule et ses compai- gnons alemans.) VINGT-QUATRIÈME SESSION. 543 mencés le 29 juin 4521, furent terminés trois ans après, au mois de septembre 1524; ils ont coûté, d’après le détail que nous avons extrait du compte de la dépense totale, 4,558 livres 5 sous 6 deniers tournois, somme qui _ représenterait aujourd’hui, en valeur de notre monnaie, plus de 7,000 fr. Les plafonds en bois sculpté de la grande salle solen- nelle et de la première chambre de la Cour d'appel méri- tent aussi une attention particulière ; ils sont du règne de Louis XIV. La grande salle a 20 m. 25 de long sur 10m. 20 de large et 7 m. 25 d'élévation. Au plafond sont représentés, de grandeur presque naturelle, deux hérauts d'armes, tenant un panonceau d’une main et de l’autre un écu où est la face du soleil avec ses rayons. Sur l’écu est posé un casque ouvert, orné de lambrequins, sous des draperies à pavillon et que domine un autre soleil, autour duquel flotte la devise du roi. Tous ces détails sont en relief dans un grand carré long que forment de riches moulures. Aux quatre coins, sont : d’un côté, des trophées, et de l’autre, deux Justices assises, tenant la balance et l'épée, il est fâcheux que lorsqu'on a changé les dispositions de cette vaste salle, il y a une quarantaine d'années, et qu'on a repeint les murs, on ait cru devoir couvrir également tout le plafond d’une peinture grise, ce qui, aujourd'hui, outre le disgracieux effet qui en résulte, empêche de juger du mérite et de la richesse du travail. L'autre plafond, celui de la première chambre de la Cour, était resté inachevé, il avait même souffert diverses dégradations à l’époque de 1793; on l’a restauré et complété en 1835, en y placant aux quatre angles quatre rosaces, etau centre, la statue de la Justice assise sur un lion, signe de la force, ainsi que quatre LA 544 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. trophées et quatre médaillons, ceux de Guy Pape, d'Ex- pilly, de Salvaing de Boissieu et de Valbonnais , ma- gistrats qui ont illustré : les deux premiers, l’ancien parlement de Grenoble, et les deux autres, la chambre des comptes du Dauphiné. Ces restaurations et ces addi- tions ont été faites d'après les dessins de M. Sappey, sculpteur. Toutes les autres sculptures, telles que les anges, les renommées, les guirlandes, des branches de chêne, les moulures des caissons, même celles des qua- tre rosaces , les portes, leurs encadrements et la boiserie entière du soubassement, où sont représentés plusieurs soleils, sont de l’époque primitive où la salle à été cons- truite. On y a inscrit de nos jours, sur les panneaux au-dessus des deux portes, les noms de magistrats et d’a- vocats célèbres qu’a fournis l’ancien barreau de notre ville. Au-dessus d’une porte : Fois Marc, 1521. Lt RABoT , 4530. Cusas , 1573. J" DE La CRoIx, 1578. Au-dessus de l’autre porte : SERVIEN , 1618. Guy BASSsET , 1686. Nicozas CHORIER, 1692. SERVAN , 1766. Cette salle est un carré ayant 19 m. 50 de long, sur 15 m. 20 de large; son élévation est de 5 m. 95. Avant 1790, elle était tendue de velours bleu, parsemé de fleurs de lis et de dauphins d’or et d'argent. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 545 - Indépendamment des changements et accroissements que nous avons indiqués, des additions ont été faites au palais de justice, à deux époques différentes : l’une pour les prisons et l’autre pour les archives. Avant 1594, les prisons étaient près de l’ancienne Porte-Traine, à l'extrémité de la Grand’Rue, à l'endroit où elle aboutissait à la place Grenette , et on les désignait sous le nom de maison de Porte-Traîne, pour les distin- guer des prisons de l'évêché, situées elles-mêmes près de la porte Viennoise, sur la place Notre-Dame. Cette année, sur la demande des consuls de la ville, il fut décidé que cette maison et la porte y jointe seraient démolies à cause de lear vétusté. Il fallut songer à construire de nouvelles prisons qui furent placées à côté du palais de justice (1), comme elles étaient (est-il dit dans une pièce de la pro- cédure qui eut lieu à cet effet), en toutes les cours et parlements. Un arrêt du conseil d'état du 30 juin 4594, ordonna de vendre la maison de Porte-Traine, et d’affecter le produit provenant de cette vente à l’établissement des prisons neuves, dans une partie des bâtiments de la gou- vernerie (on appelait encore ainsi l’ancien palais des dauphins), à côté du lieu où la cour du parlement tenait ses séances. Ces détails sont énoncés dans l’exposé même de cet arrêt; nous en donnons ici la copie : Ayant esgard au contenu de la requeste présentée par les gents de la cour de parlement de Dauphiné, et attendu que les prisons de Portetrayne de la ville de Grenoble sont tellement caduques pour l'antiquité du (4) A y avait déjà, à côté de ce palais, un local où étaient transférés les prisonniers au fur et à mesure qu'ils devaient être jugés, et où ils étaient placés sous la sarde d’un huissier. II 39 546 CONNRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. bastiment qu'on n'en peut attendre que la prochaine ruyne, estants les murailles ouvertes en divers en- droicts, est mandé et ordonné aux trésoriers generaulx de France audit pays de faire exposer en vente lesdites prisons ; et les adjuger au plus oflrant et dernier en- chérisseur; pour des deniers en pi'ovenants estre basties aultres prisons en la mayson de la gouvernerie joti- gnant le palais où est la séance du parlement; et à cest effect sera prins partie de la gouvernerie suivant ce que sera advisé par lesdits trésoriers généraulx, en la présence et assistance du procureur général en icelle cour de parlement; et par ce moyen lesdites prisons seront remises près du pallaix comme elles sont en toutes les cours de parlement de ce royaulme; fait au conseil d'estat tenu à Paris le dernier jour de juing mil cinq cens quatre vingts qualorze aynsi signé, de Beaulieu (1). La maison de Porte-Traine, où étaient les prisons du dauphin, et qui est indiquée dans le procès-verbal d’ad- judication comme touchant d’un côté à la maison de M. Rabot-d'Illins, de l’autre à la rue, et d’un troisième côté à la place des Jacobins, fut adjugée le 19 novembre 1594, à Claude Daspre, capitaine-châtelain desdites pri- sons, pour le prix de 600 écus d'or; ce dernier, par une élection de command du 4° décembre suivant, subrogea à ses lieu et place Ennemond Rabot, sieur d'Illins, (4) Procès-verbal de messeigneurs les trésoriers généraux de France en Dauphiné, sur la vente de la maison de Porletraine, située à Grenoble. — Réqusition du procureur des consuls de la ville de Grenoble, pour la desmolition de certains endroicts du bastiment de ladiete maison pour la d'oralion de ladicte ville. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 547 premier président du parlement de Dauphiné, proprié- taire de la maison voisine (1). La porte et toute la partie de la maison y jointe, qui formait saillie sur la rue et sur la place, furent alors démolies. L’appropriation des nouvelles prisons, à côté du palais de justice, coûta la somme de deux cents écus; c’est du moins ce qui fut payé à Jean Bilais et Pierre Marchand, maîtres maçons, qui s’obligèrent moyennant ce prix, de faire tous les travaux portés et indiqués dans le devis. Ces travaux devaient être entièrement achevés à la fête de la Saint-Jean-Baptiste 1595 (2). Plus tard, à l’autre extrémité du palais de justice, on a construit, en 4699 (3), pour les archives, un bâtiment par- ticulier où l’on transféra les titres, papiers, registres et documents de la chambre des comptes, et où ils sont restés jusqu’en 14790. C’est aujourd’hui le local occupé par le greffe du tribunal civil. Ce bâtiment, et, moins (1) Le capitaine-châtelain de Grenoble, un des principaux officiers de la ville, sous ‘es derniers dauphins, n'était plus chargé, depuis longtemps, que de la simple garde des prisonniers; i] portait encore ce titre un siècle après; mais on y joignait celui de concierge, qui finit par prévaloir. On appelait aussi, pour cette raison, les prisons du palais la Conciergerie. (2) Elat des réparations pour la construction des nouvelles prisons. (3) Sur l’emplacement d'une maison achetée du dernier duc de Lesdiguières, et que son père avait acquise de Jean Nicolas, d’abord imprimeur, et ensuite libraire à Grenoble. C'est dans celle maison que Nicolas avait tenu sa librairie, ayant pour en- seigne un palmier avec la devise : Onerata renitor. L'indication de sa demeure était : En la rue du Palais, à la Palme. 548 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. encore celui des prisons, n’ont rien de remarquable. Tout le palais de justice occupe, soit sur la place Saint-André, soit dans la rue du Palais, une longueur de 92 mètres. Quant à la partie de l’ancien palais des dauphins qui, après la cession du Dauphiné à la France, continua à êire habitée, où demeura Louis XI pendant son séjour à Grenoble, et qui a servi de logement aux gouverneurs, aux lieutenants-généraux au gouvernement de la pro- vince et aux trésoriers-généraux, jusqu'au moment où Henri IV inféoda les bâtiments de la trésorerie à Lesdi- guières, le tout se réduit aujourd’hui à la partie vieille de l'Hôtel de Ville. Cette portion présente quelques restes des xv° et xvi° siècles : tels sont des montants de portes et de fenêtres à moulures; deux riches nervures d’une voûte sous le passage de la mairie, et les tourelles et ma- chicoulis qui flanquent, au nord, l’Hôtel de Ville et lui donnent, de ce côté, l’aspect d’une construction du moyen- àge. La séance est levée. SÉANCE DU 12 SEPTEMBRE. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté, après une observation de M. Macé, rela- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 549 tive à l’âge des volcans d'Auvergne et du Vivarais. Ces volcans étaient certainement éteints avant la période actuelle: mais il n’y a rien d’étrange à ce que leurs débris présentent une physionomie mo- derne. M. Moufflet, proviseur du lycée impérial de Gre- noble, lit une notice sur l'édifice qu'on appelle à Vizille la chapelle du cimetière. NOTICE SUR LE PORTAIL DE LA CHAPELLE DU CIMETIÈRE DE VIZILLE. En quittant les dernières maisons de Vizille et son gra- cieux bassin, pour venir à Grenoble par l’ancienne route, on à à sa droite une colline assez haute, qui s'étend du sud au nord, à partir du château bâti par le conné- table de Lesdiguières, et va se confondre, en se rétrécis- sant, avec la montagne de Brié. Cette colline est divisée en deux par une dépression marquée du sol, et forme deux plateaux distincts. Sur le plateau méridional s'élèvent, dans une disposition des plus pittoresques, des pans de murs et quelques tours en ruine, dont l’ensemble porte le nom de Château du Roi. Le plateau septentrional est occupé par le cimetière de la ville, et, à son extrémité la plus rapprochée de la dépression, par ce que l’on appelle la Chapelle du cimetière. La Chapelle du cimetière de Vizille est aujourd'hui tel- ment délabrée, à l’intérieur comme à l’extérieur, qu’à 550 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. peine doit-il être possible, je dirais même licite, d’y célébrer la Messe en mémoire des morts. C’est une cons- truction de l'aspect le plus misérable, dont l’état repous- serait la curiosité plutôt qu'il ne la provoquerait. Cepen- dant elle mérite toute l'attention des amis de la science et de l'art. Elle se rattache en effet par son origine à de curieux souvenirs de l’histoire du Dauphiné; et sa gros- sière façade sert d'encadrement à une des œuvres les plus charmantes d'architecture et de sculpture , datant de la première moitié du xu° siècle, au plus tard. Cette œuvre, je pourrais dire ce bijou, est tout ce qui reste d'une église bâtie à cette époque, détruite, à n’en pas douter, pendant la tourmente des guerres de religion, et remplacée par l'édifice qu'on voit aujourd'hui. C’est le portail de la basilique primitive, qui lui a survécu, ce semble, pour attester qu'elle n’était pas indigne de pren- dre rang parmi les monuments aussi élégants que somp- tueux dont la piété de Cluny avait, pour ainsi dire, par- semé le sol de la France. Là en effet nos ancêtres ont vu l’église et les bâti- ments conventuels d'un prieuré, dont l’origine première remonte à Humbert d’Albon, évêque de Grenoble, de cette famille des comtes d’Albon, devenue plus tard, mais en moins d’un siècle, souveraine du Dauphiné, après une suite d'empiétements de toutes sortes, auxquels l’évêque Humbert, lui-même, est accusé d’avoir connivé, si l’on en croit M. Albert du Boys, écrivain des plus dis- tingués du Dauphiné, et très-digne de confiance dans une matière si délicate. Le cartulaire de l’abbaye de Cluny rapporte que la troi- sième année du règne de Rodolphe IIT, troisième et der- nier souverain du royaume d’Arles, c’est-à-dire en 996, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 551 Humbert, évêque de Grenoble , Frédéberge sa mère, Guigues son frère, et Humbert son neveu, évêque de Va- lence, donnent à Dieu et à Saint-Pierre de Cluny l’église de Sainte-Marie de Vizille, la moitié du château, et tout le bourg avec ses appartenances , cum pertinentiis suis. C’est donc à la fin du xe siècle qu’il faut faire remonter la fondation première du prieuré de Vizille. Cherchons, en vue de déterminer la date du gracieux monument qui nous reste, quels furent, pour l’abbaye de Cluny, les effets de cette première donation. Le fief de Vizille appartenait légitimement à l’abbaye de Cluny depuis l’an 996. Je n’osérais dire qu'il lui ap- partint légalement, car il pouvait manquer au règlement de possession légale telle formalité indispensable qui n’a- vait pu être accomplie. Toutefois, il est difficile de penser, non pas seulement que l’ordre de Cluny y ait immédiate- ment construit un prieuré ou une église, mais même qu'il ait pu l’occuper. Voici du reste ce qui résulte d’une lettre qu’on lit dans le cartulaire de Cluny, lettre à la- quelle est assignée la date de 4087 (1). Dans cette lettre, Guigues IIT annonce à saint Hugues , abbé de Cluny, et à ses religieux, que les personnes qui retenaient le fief de Vizille en ont été expulsées, expulsi; mais on n’y voit pas un seul mot qui autorise à admettre qu'il y existait un établissement conventuel. Le domaine de Vizille y est désigné à plusieurs reprises par le mot Æonor, qui, dans le latin de ce temps, selon Ducange, a le sens de fef en France, en Angleterre et en Espagne. En second lieu, après avoir annoncé l'expulsion de ceux qui l’occupaient (1) Martene et Durand, Thesaur. nov. anecdot., tom. x, p. 311. 552 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sans droit, Guigues [IT dit en termes positifs : « Le fief « de Vizille, qui vous avait été donné par mes prédéces- « seurs, vous à été d'après le conseil, etc., eten présence « de vos frères de Domène, plus authentiquement con- « cédé, en quelque sorte livré, perfectius deditus, » non pas rendu, restitué, remarquons-le bien, mais perfectius deditus. Honor de Visilia, qui vobis a prædecessoribus meis jamdudum fuerat datus, nunc a mecum consi- ho, etc., et in presentia fratrum vestrorum de Domina, vobis perfectius est deditus. Guigues III prie, en outre, il est vrai, saint Hugues et tous ses religieux de ne pas manquer d’absoudre son père de l’offense qu’il a commise envers eux: « Quamobrem pietatem vestram vobis omnibus exoro ut patris mei offensam absolvere curetis, etc., On pourrait penser que Guigues IT, père de Guigues TIT, avait dépossédé les Clunistes après une première prise de possession de ces religieux ; mais ni l’ensemble de la lettre, ni les expres- sions déjà citées n’autorisent une telle opinion. La pre- mière donation faite, la maison d’Albon avait sans doute continué de jouir du fief; de plus Guigues II oubliant, ou feignant d'oublier, qu'il ne pouvait plus en disposer, l'avait conféré à deux frères, tous deux chevaliers, pro- bablement en récompense de quelque service. Ii n’y a pas lieu d'étendre plus loin le tort du comte. C’est là toute PFoffense dont son fils demande l’absolution, de même qu'à la fin de la lettre il sollicite, en se portant garant de leurs sentiments, l’absolution des deux chevaliers, plus des prières pour leur père et leur mère. Nous sommes, Messieurs, en 1087. Jusqu'ici les Clu- nistes n'ont pas pris possession. Ils n’ont pas encore pu appeler au secours de leur piété les bâtisseurs d'églises, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 993 les maîtres de l’art. Ils n’ont à Vizille ni église ni maison conventuelle: c’est évident. Vont-ils enfin donner tout de suite, sur leur nouveau fief, l'essor à ce mouvement qui les pousse à étendre les rameaux de leur ordre, à élever un sanctuaire de plus à la gloire de Dieu? Hélas! non. Plus de trente ans s’écouleront avant qu’ils deviennent possesseurs paisibles de ce fief qui leur a été donné il y a près de cent ans, datus, mais non pas encore per- fecte deditus, quoi qu’en dise Guigues IT. Dans la même année, selon Valbonnais, saint Hugues, évêque de Grenoble, engagé encore avec Guigues IIT dans une lutte des plus sérieuses, au sujet des usurpations réelles ou prétendues de ce seigneur, ignorant ce que Guigues a fait ou se propose de faire du fief de Vizille, et se croyant sans doute le droit légitime d'en disposer, le réunit d'abord nu monastère de Saint-Laurent de Greno- ble. Plus tard il le retire au monastère de Saint-Laurent pour l’annexer à son siége épiscopal. Cette dernière mesure donne lieu à des diflicuités entre les religieux et le saint évêque, qui, toujours selon Valbonnais, finit par leur en faire de nouveau l'abandon. Mais trois ans après, en 4090, l'abbé de Cluny ré- clame Vizille comme une dépendance de son abbaye, ce qui se comprend après les deux donations que nous con- naissons ; et il s'adresse au pape Urbain IL pour faire juger sa réclamation. Aucune décision ne paraît être in- tervenue jusqu'en 1149, vingt-neuf ans plus tard, puis- qu’à cette époque, l’abbé de Saint-Chaffrey élève aussi des prétentions sur Vizille, sans doute comme chef d'ordre de Saint-Laurent de Grenoble, et obtient du pape Calixte IL une bulle qui établit une commission chargée de régler le différend. 554 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Je n'ai pas trouvé trace de la décision qui a dû être prise peu de temps après en faveur de Cluny. Le temps m'a manqué, en outre, pour faire les recherches néces- saires, en vue de constater la première installation du prieuré. Mais je ne crois pas beaucoup hasarder, en di- sant que cetie installation dut suivre de bien près l’an- née 1419. Le prieuré de Vizille comprenait, ainsi qu'il a été dit, l'église de Sainte-Marie, la moitié du château, c'est-à- dire le plateau septentrional, occupée aujourd’hui par le cimetière et sa chapelle, plus le bourg et ses dépen- dances. Ce n’élait, on peut le croire, que la moindre partie du fief de Vizille possédé au x° siècle par les comtes d’Albon; mais cette partie avait une certaine importance. Devenu dépendance de Cluny,'il n'eut à souffrir que des calamités publiques, et ne changea ni de titre, ni de maître jusqu’en 1789; tandis que le château proprement dit devenait château des Dauphins, puis château du Roi, après avoir peut-être porté déjà deux fois cè nom du temps des deux royaumes de Bourgogne, passait du domaine royal dans celui de Lesdiguières et de ses descendants, enfin était vendu par l’un d'eux, en 1775, au chef de l'honorable famille Périer. Ce fut probablement à la suite des dévastations causées par les guerres de religion que le prieuré cessa d'être maison conventuelle, et devint, gardant toujours le nom de prieuré, un bénéfice à titre de commende, dont le dernier possesseur était, au moment de la révolution de 1789, le célèbre abbé de Pradt, élevé à l’archevêché de Malines sous le premier empire. Je tiens de M. le cha- noine Dupuy, ancien curé doyen de Vizille, qu'en 1789 il ne restait plus des bâtiments conventuels que la cha- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 555 pelle actuelle du cimetière ; qu’elle était à peu près dans l'état où on la voit aujourd'hui ; et que, devant la porte de cette chapelle, se faisaient encore les distributions chari- tables auxquelles le prieur commendataire était obligé. Le prieuré de Vizille a disparu, en même temps que Cluny, dans la tempête qui a emporté toutes les commu- nautés religieuses et tant d'autres institutions des siècles passés. Occupons-nous enfin du portail de la chapelle. Si ce qui a été dit de l'installation première du prieuré avait besoin d’autres preuves historiques, le caractère archi- tectonique de ce reste précieux viendrait les fournir. Les quelques détails qui vont suivre établiraient qu'il date du commencement du xrre siécle ; et l’élégante perfection du travail autoriserait à l’attribuer à l’ordre de Cluny, dont les églises, on le sait, se distinguèrent à celte époque entre toutes les autres par une supériorité incontestable d'architecture et d'ornement. Le portail se compose de trois voussures rentrantes, à plein cintre. Celle du fond paraît de construction moins ancienne, probablement du temps de la réédification de la chapelle, car elle est sans ornement aucun, et repose sur deux pieds-droits, si je ne me trompe, c’est-à-dire taillés carrément, ainsi que la voussure elle-même. Des deux autres voussures, celle du milieu est ornée de gorges et de cannelures ; celle que j'appellerai extérieure, tran- chée à l’angle, présente sur la tranche une suite continue, qui n’est pourtant pas une guirlande, de feuilles de chêne sculptées à plat. Chacune des deux s’appuyait, la vous- sure extérieure s'appuie encore sur deux colonnes sveltes, à chapiteaux corinthiens d’un caractère presque grec : car au moyen-âge il faut distinguer. Les colonnes 556 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. et les chapiteaux subsistants sont en marbre et tiennent à peine. Je crois avoir vu dans l’intérieur de la chapelle une des colonnes qui ont disparu du portail, et un ou deux chapiteaux. Dans tous les cas, il serait facile de res. tituer les colonnes et les chapiteaux qui manquent, en prenant modèle sur ceux qui sont encore en place. La porte proprement dite est carrée, ou, pour parler plus exactement, limitée carrément dans sa partie supé- rieure par un linteau. Le linteau est surmonté d’un tym- pan semi-circulaire. Ces deux pièces, sans contredit les plus curieuses du monument, sont en marbre blanc, d'une finesse de grain qui lui donne l'apparence d’un ivoire poli et jauni par le temps. Elles sont sculptées en bas-reliefs.de la meilleure école byzantine. Voici les sujets des bas-reliefs : 4° Tympan. Le Christ bénissant. Il a la tête ornée d’un nimbe crucifère, et tient de la main gauche un livre fermé. De chaque côté, deux animaux symboliques. Les quatre animaux tiennent un livre fermé et sont couronnés d'un nimbe, mais moins développé, et non crucifère ; 20 Linteau. Le bas-relief représénte la Cène. Le Christ est assis au milieu des apôtres, six à sa droite, six à sa gauche. Les treize personnages sont sur un même plan. Le premier apôtre placé à la gauche est saint Jean, qui recoit l’eucharistie de la main du Sauveur. Le premier à droite est saint Pierre, facile à reconnaître aux clefs qu’il tient. Chaque personnage a devant lui un plat contenant des aliments. Les attitudes de tous sont dessinées avec beaucoup d'art. Mais, Messieurs, ce n’est pas seulement par les détails des sculptures que se recommande le portail de la cha- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 557 pelle de Vizille ; c’est aussi par le caractère de son archi- tecture. Si nous admirons un grand nombre de portails de la même époque, nous avons néanmoins souvent à regretter qu à la richesse, et même à la fantaisie artisti- que, ils ne réunissent pas plus de hardiesse, plus de légè- relé. A Vizille , bien que les détails soient romans pour la plupart, l’ensemble est, pour ainsi dire, romain, et du meilleur temps, de celui où l'architecture romaine s’ins- pirait de l'élégance et de la grace harmonieuse des Grecs. A quoi tient ce caractère particulier de notre portail? Ne pourrait-on pas dire que, à si peu de distance de l'Italie, il aurait été construit par un architecte, sinon italien, du moins connaissant les monuments de l'Italie? Pour moi, je n'avais jamais eu occasion de voir un portail de l’épo- que romane aussi dégagé, aussi finement découpé et sculpté, si ce n’est en Italie ou en Corse; par exemple, celui de l’ancienne cathédrale de Mariana, aujourd’hui en ruine. La dénomination de basilique que j'ai donnée à l’église primitive du prieuré de Vizille est on ne peut plus exacte. Si l’on étudie avec attention le terrain qui environne la chapelle actuelle, il est facile de réconnaître tout le des- sin de l’ancien édifice. C’est la basilique romaine dans sa forme rigoureuse, telle que l’a décrite M. de Caumont, telle qu’elle se voit encore à Rome. Elle se composait , cela se lit couramment sur le sol, d’une abside et de trois nefs; la nef principale séparée des deux latérales par six colonnes ou piliers, formant cinq travées. Un reste de naissance de voûte atteste que l'édifice était voûté; le chœur du moins l'était certainement. Je devrais terminer ici une notice assurément assez D58 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. longue, eu égard aux dimensions du monument qu’elle se propose de faire connaître, mais que le monument lui- même fera excuser, je l'espère , par l'importance de son origine et par le mérite de son exécution. Toutefois, en parcourant quelques documents originaux , dont je dois la communication à notre savant collègue M. Revillout, et qui ont trait au prieuré de Vizille , j'ai été conduit , et, en quelque sorte, sans y penser, à concevoir des doutes sur la légitimité de deux opinions qui ont acquis depuis quelque temps force de vérités historiques, et qui sont relatives, l’une au point de départ de la puissance des comtes d’Albon dans le Dauphiné, l’autre à la part qu'aurait prise Humbert d'Albon, évêque de Grenoble, aux empiétements de sa famille sur le domaine de l’église qu'il gouvernait. Je ne puis résister au désir de vous sou- mettre mes doutes, dussé-je abuser encore quelques ins- fants de votre attention. En premier lieu, quelques historiens du Dauphiné ont émis l’idée que le principal fondateur de la puissance de la maison d’Albon fut Guigues I*', dit le Vieux, qui du reste n'aurait commencé ses envahissements que sous l'évêque Mallen, vers le premier tiers du xr° siècle. S’est- on bien rendu compte de la situation de la famille d’Albon aux époques antérieures? Pour moi, ne m'attachant qu'aux faits qui ont du rapport avec le prieuré de Vizille, je n'hésite pas à penser que, dès la fin du x° siècle, en 996, année de la première donation faite par Humbert, évêque de Grenoble, la famille d'Albon était déjà très- puissante, et riche en possessions. Que voyons-nous en effet? Les comtes d’Albon, qu’on pourrait croire renfer- més à cette époque dans les limites de leur comté, possè- Gent déjà, à vingt lisues dudit comté, sans condition de VINGT-QUATRIÈME SESSION. 559 vassalité, puisqu'ils en disposent en maîtres absolus, le château, le bourg et le territoire de Vizille, domaine con- sidérable par son importance et par son étendue, qui avait dû faire pendant longtemps partie du domaine public, impérial ou royal, suivant les divers régimes politiques du pays. L'importance du domaine est ce qui doit surtout fixer ici l'attention. Vizille est une ancienne station romaine, ou du moins le castrum dela station, comme son nom l'indique. Située à un détour de la voie qui condui- sait de Turin et de Suse à Vienne par le Lautaret et l'Oisans, elle avait dû être occupée, dès le principe, par les envahisseurs de cette partie de l'empire romain, puis soi- gneusement gardée par eux, et par les princes qui, sous nn titre ou sous un autre, succédèrent à leur puissance, res- tant toujours un poste militaire d'observation et de résis- tance. Ce n’était donc pas un fief ordinaire, une simple villa d'exploitation. Une telle propriété n’avait pu être ni envahie, ni obtenue à titre de concession, ni conservée par un personnage de médiocre puissance. Que la terre de Vizille fût venue aux comtes d’Albon par concession, ou qu'ils l’eussent usurpée, toujours est-il que cette famille devait avoir considérablement grandi dans le Dauphiné avant Guigues le Vieux, pour être, à la fin du x® siècle, maîtresse absolue d'un fief d’une telle origine et d’une telle importance. Ne pourrait-on pas conclure, au contraire, que si Guigues le Vieux a tra- vaillé à élever la puissance de la famille d’Albon, ses prédécesseurs avaient déjà construit ce qu’il y a d’essen- tiel dans un édifice, les fondements et la base. Je n’insisterai pas davantage. Mais que ne pourrait-on pas ajouter sur l’origine de la puissance des comtes d’Albon, si on étudiait à fond toutes les traces qui en apparaissent 560 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans l'histoire, avant le x1° siècle, et que, récemment, M. Fauché-Prunelle a relevées et discutées avec tant de sagacité dans son savant et précieux Essai sur les ancien- nes institutions du Brianconnais. Et puis, pourquoi n'avoir pas fait plus d'attention au titre de comte porté, ne fût-ce qu'au xr° siècle, par les chefs de la maison d'Albon? Ce titre n’était pas alors ce qu’il est devenu plus tard, ce qu'il est de nos jours, une simple qualification nobiliaire, mais bien un titre de haute puissance militaire et politi- que. Un comte, à cette époque, régnait autant et souvent plus qu’un roi. C’est vers ce temps que Guillaume, comte de Poitiers, répondait aux menaces d’un roi de France par cette arrogante question : Qui t'a fait roi? En second lieu, on accuse Humbert d'Albon, évêque de Grenoble, d'avoir connivé aux empiétements de sa famille sur le domaine de l’église. Ce qu’il y a de singulier ici, c'est que les auteurs de cette accusation sont précisément les écrivains qui ont pris au sérieux une pièce dont l’au- thenticité a été contestée avec plus d’une apparence de raison, je veux parler du préambule qui se lit en tête d'une charte de saint Hugues, commençant par ces mots : Notum sit omnibus fidelibus filiis Gratianopolitanæ Ecclesiæ... Cependant ce préambule même est loin de justifier l'accusation; bien mieux il la repousse aussi expressément que possible dans deux passages. Dans l’un il est dit que, comme son prédécesseur Isarn, Humbert d'Albon jouit en paix de tout le domaine dépendant de l'église de Grenoble, et que, sous ces deux prélats, la famille des comtes d'Albon n’en possédait pas la moindre parcelle: per episcopatum Gratianopolitanum nil pos- sidebat. Le second passage ajoute que ce fut après la mort Humbert et sous l’évêque Mallen ane Guigues le VINGT-QUATRIÈME SESSION: 561 Vieux commença à usurper les biens de l'église de Gre- noble, détenus par Guigues III du temps desaint Hugues. Post episcopum autem Humbertum fuit episcopus Mal- lenus.......….. , 1n cujus diebus Guigo vetus pater Gui- gonis crassi injuste cæpit possidere ea quæmodo habent comates in Graiianopoli, sive in terris episcopatus, sive in servitis lerrarum prædictarum. Est-ce assez clair ? Sur quels autres titres se fonde-t-on pour accuser l’évêque Humbert? On devrait bien du moins les faire connaître. Sans doute personne ne voudrait se porter garant qu’à cetle époque de fougueuse ambition, un évêque n’eût jamais eu la faiblesse de faire aux obsessions de sa famille l'abandon de quelques-uns des droits qu’il avait mission de maintenir, pour les transmettre intacts à ses succes- seurs; mais s’ensuit-il qu’on doive admettre une sem- blable accusation contre l'évêque Humbert, sans en avoir la preuve, bien mieux, lorsqu'un document, cher à ceux qui la formulent, la repousse en termes exprès. Pour moi, je me permets au moins de rester dans le doute, attendu qu'en étudiant l’histoire du prieuré de Vizille, je n’ai appris à connaître l’évêque Humbert que par ses bienfaits envers l’église. Je le vois en effet en 1012, fonder, ou du moins relever d’une ruine complète le prieuré de Saint- Laurent de Grenoble, et y appeler des religieux de l’ab- - baye de Saint-Chaffrey. En 4046, il fait une donation de terres à l’abbaye de Moirans; en 1026, une autre donation non moins importante au même monastère, A une autre date, que je ne puis en ce moment préciser, il fait un nouveau don à l’église de Saint-André de Grenoble. Enfin, ainsi que nous le savons, il avait donné à l’abbaye de Cluny, en son nom, au nom de sa mère, de son frère et d'un neveu, évêque comme lui, l'église de Sainte-Marie de 1i 36 562 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Vizille, la moitié du château, le bourg tout entier avec ses dépendances. Sur quoi donc s'appuie-t-on pour attaquer sa mémoire ? Je l’ignore. Dans tousles cas, la doration de Vizille ne me parait pas un acte qui dépose contre elle. Cette concession, faite au nom de la famille d’'Albon, alors que l'évêque Hiumbert en était le principal représcutant, était plutôt de nature à inspirer des regrets à Guigues le Vieux et à ses successeurs, qui ne se montrèrent pas très- empressés, nous l'avons vu, à s’en dessaisir définitivement en faveur des Clunistes. Ces doutes que je viens d'exprimer, Messieurs, ne pré- tendent ni à la force, ni à l'honneur d’une conclusion. Ils signifient seulement que, pour mon compte personnel, je n’en suis pas encore à admettre, comme bien établi, le point assigné à l’origine de la puissance des dauphins, ni les reproches dirigés contre la mémoire de l’évêque Hum- bert. Il est possible qu’une étude plus approfondie de l'histoire du Dauphiné à cette époque, que la production de documents nouveaux, ou qui m'auraient échappé, viennent pleinement démontrer ce qui reste en question pour moi. Je m'’estimerais très-heureux, dans l'intérêt de la science, qu'il en fût ainsi. Mais, n'ayant à ma disposi- tion aucun autre document que ceux qui ont été invoqués jusqu’à ce jour, je ne puis renoncer à une opinion qui, d’un côté, en ce qui concerne l’origine de la puissance delphinale, est partagée par plusieurs esprits sérieux, et, d'autre part, tend à justifier la probité et l'honneur d’un des pères de l’église de Grenoble. M. Macé fait observer que les bas-reliefs de marbre VINGT-QUATRIÈME SESSION. 563 signalés par M. Moufflet sont trop parfaits pour appartenir au x11° siècle, et doivent être attribués aux premiers âges du christianisme. M. Moufflet répond qu’il ne connaît pas, dans les monuments du vi° siècle, de bas-reliefs aussi bien sculptés, tandis qu’il en a trouvé de semblables en Corse, dans l’ancienne cathédrale de Mariana, cons- truite vers 1100. M. deSaint-Andéol appuie l’opinion de M. Mouf- flet et fait observer que les sujets traités dans les bas-reliefs de Vizille {le Christ bénissant et la Cène) sont souvent reproduits au x1° et au xr1° siècle; il ajoute qu’à cette époque les sculpteurs italiens savaient très-bien travailler le marbre. M. Moufflet fait, au reste, remarquer qu'il ne veut point parler d’un artiste proprement dit, mais seu- lement de quelque moine italien appartenant à l’école de sculpture établie à Cluny. M. Challe répond qu’iln’y a pas d'exemple que l’école italienne ait passé les Alpes à cette époque : quant à l’école de Cluny, elle savait, il est vrai, traiter parfaite- ment les détails d’ornementation, mais elle était d’une incroyable sécheresse dès qu’elle essayait de reproduire la figure humaine : l’église de Vézelay en est la preuve. M. Authemann, à propos de la 44° question sur l'emploi du fer ou de la fonte dans les ornements 564 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'architecture, exprime le désir qu’on emploie le verre moulé et coloré pour l’ornementation des églises. M. Revillout, revenant sur la première question du programme, dit quelques mots sur l’origine du franc-alleu en Dauphiné. On appelait provinces de franc-alleu celles où les héritages étaient présumés libres de tous services et droits féodaux, en l’absence d’un titre contraire. La maxime de ces pays était nul seigneur sans titre ; tandis que dans les provinces privées de cette pré- rogative régnait la maxime contraire : Nulle terre sans seigneur. M. Revillout fait l’historique des querelles excitées par ces deux maximes et des efforts tentés par les pays de franc-alleu pour ratta- cher leur privilége aux institutions romaines. Il essaie de montrer qu'en Dauphiné cette précieuse prérogative ne venait pas, comme on l’a répété après Salvaing de Boissieu, du droit italique, mais pro- cédait du statut par lequel le Gernier dauphin Hum- bert LE avait garanti toutes les libertés du pays. Elle s'explique par la formation tardive d’un pouvoir central dans une contrée où toute autorité royale ou comtale avait disparu pour un temps. L'étude la plus superficielle de l’histoire du Dauphiné montre en . effet que la puissance féodale des dauphins, comme celle de leurs grands vassaux, s’est formée par des VINGT-QUATRIÈME SESSION. 565 accroissements successifs et n’a pas été constituée d’un seul coup. M. Burdet ajoute quelques mots pour montrer quelle était l'importance juridique de cette question du franc-alleu. | MM. Ducis et Fauché-Prunelle font observer qu’en Savoie et en Dauphiné on trouve encore, dans les noms de quelques villages, la preuve que les alleux étaient fort nombreux dans nos contrées. Ainsi, Sainte-Marie d’Alloix, Lalley en Trièves, etc. M. Pilot, pour répondre à la 3 question du programme, litun mémoire sur les ateliers moné- taires du Dauphiné. fl HÔTELS DE MONNAIES EN DAUPHINÉ. Un hôtel des monnaies dut exister à Vienne dès les premiers temps-de la domination romaine dans notre contrée. Cette ville, riche et puissante, qui porta le double titre de colonie Julienne et Augustale, a joui, de bonne heure, de tous les avantages que lui assuraient ses préro- gatives. C’est dans ses murs, sans doute, et en souvenir de son rang de colonie, qu'ont été frappées les médailles assez communes dans les Gaules, offrant, d’un côté, au- dessus d’une proue de navire, les lettres C. [. V. (Colonsa Julia Vienna), et, de l’autre, soit la tête seule de César, 566 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. soit les deux têtes opposées de César et d'Auguste. Ces deux pièces peuvent être ici mentionnées comme une preuve de l'établissement d’un atelier monétaire à Vienne, à une époque où elle commenca à devenir une cité im- portante. On signale aussi deux médailles frappées dans cette ville : l’une de Néron, avec l'inscription au revers : COL. VIENNA LEG. VII CLAVDIA PIA (1), et, l’autre, de l'empereur Maurice, sur laquelle est le nom même du monnayeur. Cette dernière pièce représente le buste du prince; autour on lit : DN. MAVRISCIVS PP. AVG. ; au revers est le mono- gramme du Christ, sur un globe, avec les lettres À et 2, et l'inscription précédée d’une croix : VIENNA DE OFFICINA LAVRENTI (2). L'empereur Maurice a régné de 602 à 640. On rapporte à ce siècle une autre médaille ou monnaie frappée à Vienne, ayant d'un côté les mots VIENNA FIT, (1) Médaille citée par Goltzius. (2) Réflexions sur une médaille d’or de l'empereur Maurice, par M. de Boze. Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. xv, pag. 480. On connaît également deux tiers de sol ou triens mérovin- giens, avec la même indication, de officina, et ayant dans le champ, au-dessous d'une croix, un monogramme qui peut offrir les lettres entrelacées VIEN. Buste drapé et diadêmé, autour : DNS IVSTINIANVS. Monogramme surmonté d'une croix, aulour : DE OFICINA MARET. Sur une autre pièce, à droite et à gauche du buste, sont les lettres A et L. Quant au monnayeur ou monétaire, appelé ici MARET, il paraît que ce nom est le même que celui de MARETOMUS, qu'on trouve sur une pièce de Childebert : MARETOMYS FECET. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 567 et, de l’autre, MAINDEMvNDVS, nom peut-être mal gravé ou mal interprété. Ne serait-ce pas plutôt celui d’Ance- mond , ANCEMNVNDYS, qui administra cette ville sous Clotaire, et qui, dans son épitaphe, qu’on montre encore, est qualifié de duc et de gouverneur (1). Plus tard, on trouve une pièce de l’empereur Louis le Débonnaire, où on lit VIENNA (2). | L'existence d’un atelier monétaire à Vienne, sous les rois de Bourgogne, n’est pas moins attestée par des pièces. de cette époque; telles sont celles du roi Boson, de l’em- pereur Louis l’Aveugle et de leurs successeurs. On voit sur des monnaies de Boson, VIENNA civis (3); sur quel- ques autres pièces, l’atelier monétaire de Vienne est sim- plement indiqué par les lettres ou initiales vi (Vienna). Les mêmes lettres se reproduisent, comme on le sait, sur des monnaies mixtes servant de transition de l'hôtel des monnaies des rois de Bourgogne et de Vienne, à celui des archevêques de cette ville, et qu’ils ont continué jusqu’au xv® siècle. Si l’on doit attribuer à Gap (Vappincum), les très-rares pièces Mérovingiennes sur lesquelles on lit le nom défiguré de varponaAcovi, cette ville a dû avoir, dès une époque reculée, un atelier de monnaies; on voit sur ces pièces le nom du monétaire, MEDETICILO (4). (1) Le Blanc, Traité des Monnoïies de France. (2) Ibid. (3) Deniers d’or et d'argent du roi Boson. Dans le champ on lit : Rex, et autour : Boso, GRATIA DEI; au revers est une Croix avec la légende : Vienna civis. Le médaillier de la ville de Gre- noble a un denier d'argent de ce roi. Sur quelques piéces le mot Rex, qui occupe le champ, est remplacé par la tête du roi. (4) Buste drapé et diadémé; autour : + vAPPONACOVI Ou 568 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Boson, roi de Vienne et de Bourgogne, fit don de la terre et du bourg de Saint-Donat, en toute juridiction, à l'église et aux évêques de Grenoble. Ceux-ci exercèrent sur cette dépendance de leur temporel tous les droits de souveraineté, ainsi que le constate un acte du cartulaire de saint Hugues, intitulé : de Consuetudine sancti Donati, et où il est dit qu'Isaac, Alchérius, Isarne et Humbert eurent, dans cette localité, des nummulaires où mon- nayeurs (1). Ces évêques ont occupé le siége épiscopal de Grenoble durant plus d’un siècle, de 895 à 1030; d’où il vAPPONACO. VI. (Ces deux lettres majuscules VI, six, seraient l'indication de la valeur de la pièce). Croix, sur trois degrés, entre les lettres V. A; autour : MEDETICILO MONET (tiers de sol du Cabinet de France). Ce que nous disons ici de ces monnaies attribuées à Gap, on peut ie dire aussi de celles qui offrent les initiaies V A (Valentia) et TRicas (Trecasses et Tricaslini) pouvant se rapporter aux noms des villes de Troyes et de Saint-Paul-trois-Châteaux. Ce dernier lieu est indiqué, sur les monnaies de ses évêques, aux x et xive siècles, sous les dénominations de TRCAS, TRECAS- TRENSI @L TRICASTIN. Îl pourrait bien se faire que des pièces attribuées exclusivement à Valence en Espagne, et à Troyes, appartinssent à Valence, en Dauphiné, et à Saint-Paul-trois- Châteaux. Il existe une monnaie mérovingienne sICVSI0 FI. — ANICIO- VACETO, attribuée avec un doute, il est vrai, dans le catalogue de Guillemot à Siccieu. Nous pensons que c’est une erreur. Cette pièce doit appartenir évidemment à la ville de Suze, nommée en latin Secvsio et Sicvsio. (Guillemot, Catalogue des légendes des monnaies mérovingiennes, n° 865 ). (1) Et numularios id est monetarios habent. Titre publié dans notre lettre adressée à M. Jules Ollivier, directeur de la Revue du Dauphiné, sur l'occupation de Grenoble et du Graisivaudan, par une nation païenne, désignée sous le nom de Sarrasins ; Va- lence, 1837; pag. 10 et 11. VINGT-QUATRIÈME SESSION. . 569 résulte que, pendant tout ce temps, ils ont dû faire frapper des monnaies à Saint-Donat. On croit que Marsanne est le lieu MARSAGONA , inscrit sur des monnaies rappelant le souvenir de Louis, empe- reur , et sur lesquelles se lisent également les noms ou monogrammes de Conrad et de Frédéric (1). Dans ce cas, Marsanne aurait eu, comme Vienne et Saint-Donat, un atelier monétaire sous les rois de Bourgogne ou de Vienne et d'Arles. Après la chute de ce royaume, fini en 1032, dans la personne du roi Rodolphe III, qui donna ses états aux empereurs d'Allemagne, de nombreuses et de graves dif- ficultés ne tardèrent point à s'élever au sujet même de cette donation, et pendant les troubles qui en furent la suite, les évêaues, les premiers , s’arrogèrent le droit de frapper monr:ie, aux noms de ‘curs églises. Dès ce mo- ment s’établirent de nouveaux ateliers monétaires dans les principales villes épiscopales. IL existe des pièces de (1) Croix; autour : LO. IMPERATOR. CI MARSACONA. Âu centre : ROD.- N eroix, cantonnée de quatre anneaux; autour : LO. IMPERATOR MarsACONA. Au centre : RE FR Les monogrammes Conropt et FRER pourraient être les noms de deux monétaires, si les deux pièces datent réellement du règne de l’empereur Louis l'Aveugle, roi de Bourgogne; ils seraient, au contraire, les noms de deux empereurs, Conrad et Frédéric, si l’on préfère supposer ces pièces moins anciennes et les re- garder comme ne constatant qu'une simple mention de l’an- cienneté de l'atelier monétaire de Marsacone; qui aurait existé dès le temps de l’empereur Louis II. 570 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. monñaies de Vienne et de Grenoble, du xr siècle. Elles offrent, les unes, la tête de saint Maurice, patron de l’é- glise cathédrale de Vienne, avec les légendes : MAvricivs VRBS VIENNA; S. M. VRBS VIENNA. PRIMA GALLIARVM; VRBS VIENNA. CAPVT GALLIE; VIENNA NOBILIS, etc. (4). Les autres ont la tête de saint Vincent, ancien patron de l’é- glise de Grenoble, avec les légendes : s. vINCENCIVS. GRA- NOPOLI; S. VINCENTIVS. GRANOPOLIS, etc. (2). Bientôt l'archevêque d'Embrun (3) et les autres évêques du Dauphiné, savoir : Ceux de Valence (4), de Die (5), (1) Traité des monnaies des barons, pairs, évêques, abbés, cha- pitres, villes et autres seigneurs de France, par M. Ancher To- biesen Duby. ” Numismatique féodale du Dauphine. Archevêques de Vienne, évêques de Grenoble, dauphins de Viennois, par M. Morin. (2) Ibid. — Notre Histoire municipale de Grenoble, 2 partie. — Hôtel des monnaies. La Bibliothèque publique de Grenoble pos- sède dans son médaillier une monnaie de cette ville, où est re- présentée la tête de saint Vincent, avec la légende — s. vin- CENTIUS ; au revers est une croix cantonnée de lettres A. E. D.S. on lit autour : GRANOPOLIS. (3) Nous citerons trois monnaies de cette ville, qui rappellent un archevêque Remond ou Reymond et Pastor : R..... ARCHS : @EBREDVYNENSIS. R... ARCHIEP : EBREDVNENSIS. Buste d’un évêque tenant la crosse d'une main et donnant la bénédiction de l’autre ; autour # PASTOR ARCHIEPS. Croix, dans le champ, autour : EBREDYNENSIS. 4) La légende ordinaire des monnaies de cette ville était, D'un côté : Æ s. APOLLINAR OU APOLLINABS ; De l’autre : VRBS VALENTIA OU VALENTIAI. (5) D'un côté : AVE : GRATIA : PLENA. De l'autre : civITAS : DIEN. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 571 de Gap (14) et de Saint-Pauktrois-Châteaux (2), eurent aussi leurs fabriques et leurs monnaies particulières; d’un autre côté, quelques seigneurs puissants, tels que les comtes du Graisivaudan, devenus ensuite les dauphins de Viennois, les comtes de Valentinois, les seigneurs de (1) D'un côté, tête à gauche ; s. M. EPISCOPYS. De l’autre, une croix, cantonnée de quatre points ; autour : — VAPINCENSIS. Tête à gauche, autour : EPISQOPys. Croix, cantonnée de quatre points : VAPINCENSIS. Croix, dans le champ, autour : + BEATE MARIE. Rosace, autour : VAPIENSIS. La première de ces pièces, où se lisent les lettres initiales S. M. paraît être une imitation de la monnaie de Vienne, au type et au nom de saint Maurice, d'autant plus qu'on ne connaît point de saint de l’église de Gap dont le nom commence par un M. (2) Episcopvs SANTI PAVLI AVE GRATIA PLENA SANCTI PAVLI EPIS : TRICASTIN. MONETA DRAGON. Dragonnet de Montauban vivait vers la fin du xmrr: siècle et au commencement du x1v° siècle. L 1: EP : TRCAS. $ : IOHANN : B. A côté de la têle de saint Jean, est une forteresse munie de trois tours ; symbole parlant du nom même de la ville; cette pièce est un florin d'or du cardinal Jean de Morot, qui administra l’é- vêché de Saint-Paul-trois-Châteaux, de 1385 à 1389. M. de Bovet possède une pièce en argent dece même lieu, qu’il nous à communiquée et dont nous donnons ici la description : D'un côté, aigle à deux têtes + : EPI : SANTI : PAVLI; De l’autre, croix à double barre, entourée des lettres A. V.E. M. (Ave Marie), autour : TRECASTRENSI. 572 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Grignan (1) et de Montélimar (2), les barons de Meuillon et les comtes de Savoie, qui possédaient une assez grande portion du territoire actuel du Dauphiné, s’attribuèrent ce même droit, que les empereurs d'Allemagne, ne pou- vant plus réussir à interdire d’une manière formelle, finirent par confirmer ou accorder. Dans cette vue, l’empereur Frédéric Ie", par une charte datée du chàteau de Reverul, du jour des ides de jan- vier 4155, permit à Guigues V, comte du Graisivaudan ou pays de Grenoble (comiti Gratianopolitano ; il est ainsi qualifié dans l’acte), de frapper monnaie à Césane, au pied du Mont-Genèvre, en y ajoutant le don d’une mine d'argent, située à Rame, et où l’on croit qu'a dû exister un hôtel de monnaies. Le même prince, par d’autres lettres, concéda également, soit la faculté de frapper monnaie, soit les droits de réga!: dans lesquels était comprise cette fa- culté, à l’évêque de Grenoble, en 1161, et aux évêques de Die, de Valence et de Gap, en 1178 (3). Déjà, en 1146, l'empereur Conrad III avait accordé à (1) Giraud Adhémar, seigneur de Grignan, obuint de l'empe- reur Frédéric, .en 1164, tous les droits régaliens sur ses terres ; il existe aussi une charte de l’empereur Charles IV, par laquelle il permet à Gaucher Adhémar, vicomte du même lieu de Grignan, de faire battre des monnaies d’or et d'argent. (2) On a trouvé à Crolles, il y a quelques années, une monnaie d'argent d'Hugues Adhémar , seigneur de Montélimar , assez curieuse; elle représente, d'un côté : un casque en forme de tiare, au-dessous les lettres av@, avec la légende APEMAR....….. HVGONYS o: De l’autre : une croix cantonnée de deux casques et de deux petites croix ou étoiles; autour : DOMINVS o DE MONTILI o+0- (3) Bulles impériales de 1153, 1161 et 1178, auxquelles on peut ajouter d’autres bulles de 1179, 1183 et 1186. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 573 Humbert I et à Guillaume IILde Champsaur, le premier, archevêque de Vienne, et lesecond, archevêque d'Embrun, ainsi qu'à l’évêque de St-Paul-trois-Châteaux, tous les droits de régale dans ces trois villes : tous droits maintenus plus tard par les empereurs successeurs de Conrad, et, surtout, par Frédéric IT (4). Ce dernier empcreur confirma les droits royaux et celui de frapper monnaie des évêques de Grenoble, en 1238. A cette époque, il parait que ces pré- lats, quoique déjà partageant avec les dauphins la juri- diction temporelle de cette ville, y jouissaient encore seuls du monnayage; mais, bientôt, dut avoir lieu entre eux et les dauphins une association monétaire. On trouve, en effet, des monnaies mixtes sorties de l'atelier de Grenoble, sur lesquelles on lit d’un côté : DALFINvS : VIEN. : G. DALPHS : VIENS, OU GVIGO DALPHS. VIEN., elc., et, de l’au- tre : EPS. GRONOPOL.; SCS : VINCENCI : OU SANTVS VNI- GENCIVS, etc. Nous pensons qu'on doit comprendre, comme se référant à cette association, les monnaies des dauphins, antérieures au xiv* siècle; ce type mixte fit place, à son tour, aux monnaies purement delphinales. En 1310, l'empereur Henri VII, de Luxembourg, par une bulle datée de Milan, du 48 des calendes de février de cette année, la troisième de son règne, sur la plainte d'Aimar, comte de Valentinois, que Guillaume, évêque de Valence et de Die, prenait à son préjudice, sur ses pro- pres monnaies, la qualité de comte, fit défense à cet évêque de s’arroger ce titre. Cette défense expresse, consignée dans une bulle dont il existe un vidimus de la même année, que nous avons eu sous les yeux, peut servir à fixer, à la (1) Bulles impériales de 1146. 1183, 1157, 1166, 1179, 1196, 1214, 1216, 1238. LE CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. fois, l'époque du commencement de l’épiscopat de Guil- laume de Roussillon, et celle des monnaies sur lesquelles il s’arroge la qualité fastueuse de comte ; à moins que Guillaume, sans s'inquiéter des ordres de l’empereur Henri, n’eût continué à se servir du même coin moné- taire et à porter le même titre qu'auparavant (4). A cette époque, les archevêques de Vienne, seigneurs et protecteurs de Romans, avaient dans cette ville une fabrique de monnaies ; les comtes de Savoie, possesseurs eux-mêmes de vastes domaines dans le Dauphiné, avaient aussi une pareille fabrique à St-Symphorien d'Ozon (2). A partir du xiv° siècle, les dauphins, devenus de jour en jour plus puissants, et dont les états tendaient à s’a- grandir par des concessions et des traités, eurent en Dauphiné plusieurs établissements monétaires ; on y trouve ceux de Grenoble, de Serve et d’Avisan, en 4327; de Romans et de Crémieu, en 4337; de la Tronche ou de (1) On lit, en effet, sur les monnaies de cet évêque, d'un côté : + GVIMS : EPS : ET : COM. De l’autre : + VALENTIN : ET DIEN : (Monnaie d'argent du poids de 30 grains). Déjà, son prédécesseur, Jean de Genève, avait pris ce même titre, ainsi qu'on le voit par ses monnaies. IOHANES : EPIS : COM : VALENTIN : ET : DIEN : (2) On connaît les noms de quelques officiers monétaires pré- posés à cette fabrique; savoir: Jean ou Johannet Ginot, en 1297, Jacques de Varan, de Plaisance et Pierre Aloyer, de Gènes, en en 1306, et Bernard Robert, en 1340. Ce dernier est mentionné dans le compte des espèces fabriquées à Saint-Symphorien, qu'il présenta au trésorier général. Debentur in …..….. de quibus sibi salisfactum est in compulo suo monelarum santi Symphoriani finito XXV* die mense novembris millesimo CCC. XL. (Promis monele dei reali dei Sivoia, t. 1, pag. 5 et 29). VINGT-QUATRIÈME SESSION. 575 Montfleury, en 1338, et de Mirabel, en 1345; auxquels il faut ajouter, après la cession du Dauphiné à la France, ceux de Roche-Gude, en 1366; de Saint-Marcellin, en 1367; de Saint-Georges d'Espéranche, en 1376; de la Côte-Saint-André et de Moirans, cette même dernière année. Dans le même temps, les archevêques de Vienne, les évêques de Valence et de Saint-Paul-trois-Châteaux , le comte de Valentinois et les seigneurs de Monteil ou de Montélimar, continuèrent toujours à frapper monnaie. L’atelier du comte était à Puy-Giron (1). En passant du xrv° au xv® siècle, on ne voit plus guère d'ateliers monétaires que ceux du dauphin; c’est-à-dire, qu’au fur et à mesure des agrandissements de ce prince, les évêques et les seigneurs qui, par leur position et par leurs priviléges, avaient su conserver jusqu'alors le droit de frapper monnaie, le perdirent (2). Ces ateliers, à cette (1) Procédures entre Guillaume et Bertrand de Fijac, et Guil- laume de Palerme, ouvriers de la monnaie du comte de Valen- tinois à Puy-Giron, année 1327. ( Processus contra fabros mo- nelarios). On a des monnaies des comtes Aimar et Louis, qualifiés de comtes du Valentinois et du Diois. D'un côté : - À. DE PICTAVIA COMES. De l’autre, croix fleuronnée ; autour : VALENT. ET DIENS. Homme assis et vu de face; à ses côtés est l’écu de ses armes: autour : LVDOVICYS COMES. Croix cantonnée des mêmes armes ; autour : VALEN : ET DIEN. (2) Aux monnaies de Vienne font suite les mérauds, que l’église : et les chapitres de cette ville et les chanoines de Romans firent frapper pour leur usage. Nous avons vu une de ces pièces du xve siècle, en argent et curieuse, dans la collection de M. de Bovet, à Grenoble, Tête couronnée de trois fleurs de lis, autour : VIENNE. Au revers, croix dans le champ, autour : + L : PRESBITEROR : :576 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. époque, se réduisaient à ceux de Crémieu, de Montélimar et de Mirabel. Ce dernier, souvent en chômage, ainsi que celui de Montélimar, fut transféré à Embrun, en 1406; sous la condition que huit jours avant l'ouverture de la foire de Briançon, les officiers et ouvriers de la monnaie se tra:sporteraient dans cette ville pour y fibriquer, pen- dant un mois, des espèces d’or, d'argent et de billon. Ce même atelier fut presqu’aussitôt rétabli, pour être défini- tivement réuni à celui de Montélimar, en 1427. Le seul évêque de Valence frappait encore alors quelques mon- naies. La soumission que, peu d'années après, il fut obligé de faire au dauphin Louis, depuis le roi Louis XI, en par- tageant avec lui son autorité sur Valence, mit fin à sa toute-puissance temporelle. En 1489, le roi Charles VIIT, par des lettres-patentes , datées d’Amboise, du mois de juin de cette année, en- registrées au parlement de Grenoble, le 7 juillet sui- vant, ordonna de rétablir l'hôtel des monnaies de cette Nous citerons aussi trois autres mérauds que nous possédons. Méraud du chapitre de Saint-Maurice : Saint Maurice à cheval tenant une épée : sANCTvS : MAv- RICIVS : M: Croix cantonnée d’une étoile : + LrBRA, une rose, CANONICO- RUM VIENNE : Méraud de l’église de Romans : — o L + ECCIA o So BARNARDI o DE , ROMANIS 0. Saint Maurice, tenant la haste et le bouclier, 4347; autour : SACTI o MAVRICIL 0 ...... o MI o CA... le dernier chiffre de la date est un peu effacé. Méraud de saint Sévère de Vienne : Saint Sévère. — $S. SEVERVS. Croix patée, cantonnée d'une étoile, croix entre deux étoiles, autour : EIVS LI... ECCLESIE. 1751. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 577 ville, supprimé depuis près d’un siècle et demi, et dont il ne restait plus qu’un vague souvenir (1). Ce nouvel atelier monétaire fonctionna, pendant le xvr° siècle, avec ceux de Romans, de Crémieu et de Montélimar. La différence ou marque distinctive de ces ateliers, était : Pour Grenoble, une rose, signe que portaient les mon- naies de cette ville dès le xr° siècle. Pour Romans, un R couronné. Pour Crémieu, un O renversé, couronné. Pour Montélimar, une étoile à cinq pointes (une étoile était déjà le signe particulier de cette ville, ou des mon- naies des Adhémar). Ces trois derniers ateliers monétaires cessèrent d’exis- ter vers la fin du xvi° siècle, après les guerres de religion et de la ligue ; celui de Grenoble leur survécut. Presque délaissé et souvent en chômage, il subsista néanmoins jusqu’en 1772, année où il fut supprimé. Dans les der- niers temps, et depuis qu’on avait remplacé par les lettres de l'alphabet les anciennes marques distinctives des hô- tels de monnaies ; la lettre de Grenoble était le Z, soit seul, soit avec une rose ou un dauphin. Il résulte des indications qui précèdent, qu'on peut compter en Dauphiné vingt-sept localités où ont été frap- pées des monnaies à différentes époques, et qui sont aujourd'hui : Grenoble, Vienne, Crémieu, Saint-Symphorien d'Ozon, Saint-Marcellin, Saint-Georges d’Espéranche, la Côte- Saint-André, Moirans, dans le département de l'Isère; Marsanne, Valence, Romans, Montélimar, Die, Saint- (1) Histoire municipale de Grenoble ; hôtel des monnaies. II 37 578 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Paul-trois-Châteaux, Saint-Donat, Meuillon, Mirabel, Grignan, Serve, Roche-Gude, Puy-Giron, dans le dépar- tement de la Drôme; Gap, Embrun, Rame, Césane et Briançon, dans le département des Hautes-Alpes, et Avisan, aujourd'hui Visan, qui fait partie du département de Vaucluse. Après cette lecture, M. de Terrebasse exprime sa reconnaissance aux membres de la section, pour l'honneur qu'ils lui ont fait en le nommant président, “et la manière gracieuse avec laquelle ils lui ont fa- cilité l'accomplissement de sa tâche. Le procès-verbal est rédigé et adopté séance te- nante. M. le président déclare ensuite terminés les travaux de la section d'archéologie. La question de la quatrième section : Des uni- versités qui ont existé en Dauphiné, à été traitée par M. Pilot, dans un Mémoire intitulé : Recher- ches sur les anciennes universités du Dauphiné, et publié dans le Bulletin de la Société de Statis- tique, des sciences naturelles et arts industriels du département de l'Isère. 2"° série, lome I, p. 287-312. Les membres de la section de géosraphie, histoire AD! ay “ 4 j EN SU RS ok) Hideusye) ai NT >") Shah Qu RE LUE 1: Bt Sn dd bb: af ill 4 ve pi C ( ) il dd F (il D jai à Nue I D | st UD" r EN CT ADR qe AIS AL Be IC (UE ss ie ‘ÈEe— - Æ A —_— ——— - a — IFG-PArIoSECVI if NDO DECVRI1O | | Al NI-CV: IN TERCEP] | [D ATVSAN XXE N ON | || | EcVNDA NO FILLO | Wal lEREPTVS AN-X | || SENIA MARCVL IAE [fl conivor | [LT KarISSINO IL GVBASSCIA — — =— = | | DEDCAVQ | | ft K ni ju Ce SAT POLAE SALUT ES ne — Pierre tumulaire trouvée à Grenoble, lors de la démolition de la tour de l'Evêché, en 1804. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 981 et archéologie, ainsi qu’on l’a dit plus haut, pag. 386, se sont rendus, le 7 septembre, à la crypte ou cha- pelle souterraine de Saint-Laurent, pour étudier, dans ses détails, ce monument curieux par son an- ‘tiquité. [ls ont visité en même temps, dans la cour voisine de cette chapelle, les pierres gallo-romaines, placées depuis peu d’années contre les murs, et qui forment le musée lapidaire ou épigraphique de la ville. M. Pilot, conservateur du musée, a donné aux membres du congrès les explications qu’ils dési- raient sur la provenance de ces pierres et le sens de leurs inscriptions. Un marbre surtout qui a fixé l'attention des archéologues est celui qui constate le souvenir de Gaius Papius Secundus, décurion. M. Champollion, qui, peu de temps après la décou- verte de cette pierre en 4804, a publié l'inscription qu'on ylit, a traduit les lettres cv, qui suivent le mot DECVRIONI, par CVLARONENSI, décurion de Cularo (1). Cette explication ne paraît point naturelle ; car les deux lettres cy sont à la fois séparées par un point et surmontées d’un trait particulier ; ce-qui semble faire croire que cy sont les initiales de deux mots, et non pas, comme le suppose M. Champollion, les deux premières lettres de CYLARONENSI. c.v. signifieraient (1) Antiquités de Grenoble ou Histoire ancienne de celle ville, p: 77. 582 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dès lors : Coloniæ Viennensis; Civitatis Viennæ ou Civis Viennæ. À cette objection, M. Pilot, qui lit également Cularonensis, mais en suivant un autre système, répond que c.v. pourraient bien signifier aussi Cularonensis Vrbis, ou plutôt Cularonensis V° (quinto) (1). On lui objecte que le V doit être l’initiale d’un mot, d'autant plus qu’il est souligné comme le C qui le précède. M. Pilot réplique que cette observation n’est point fondée, puisque, dans la même inscrip- tion, les quatre xxxx (40) et l’x (10), chiffres indi- quant l’âge d’après les monuments du père et du fils dont il s’agit sur ce marbre, sont surmontés d’un même trait. 5° SECTION. , PHILOSOPHIE, LITTÉRATURE, BEAUX-ARTS. SÉANCE DU 4 SEPTEMBRE. Nomination du président et des vice-présidents : M. Dubeux, Président. (1) Pilot. Histoire municipale de Grenoble. 17e partie, p. 11. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 089 MM. l'abbé Hugonin, Maignien, Vice-présidents. De Caumont, MM. Hatzfeld, Albert Maurel de Rochebelle, L. Auzias, Lacour, Secrétaires. En l'absence de M. Dubeux, le premier vice- président, M. l'abbé Hugonin, prend la présidence. Il donne lecture des questions qui seront traitées dans la section. Divers membres se font inscrire. La question n° 5, De la décadence de la litté- rature dramatique en France, depuis quelques années, pour laquelle sont inscrits MM. de Lies- ville et Philibert Soupé, est mise à l’ordre du jour. M. de Liesville donne lecture d’un travail sur la question proposée. À ses yeux, la poésie dramati- que étant essentiellement le tableau des mœurs du temps, si le théâtre est mauvais aujourd’hui, c’est que les mœurs sont mauvaises ; il faut les réformer : là est le remède. — [Il n’est pas légitime de compa- rer le théâtre actuel avec les autres théâtres anciens et modernes. Chaque pays, chaque siècle enfante son théâtre qui le reflète. De plus, les écrivains contemporains sont forcés de mettre leur talent au service des passions ou des intérêts : ils sont sous la double pression d’un public 584 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. blasé et tyrannique, et d’une spéculation cupide qui les exploite. — Si l’on entre dans le détail, il est évident que les formes dramatiques de l’anti- quité, du xvir' siècle ou des nations étrangères, ne sont plus faites pour notre siècle. La tragédie sur- tout est épuisée : le siècle ne prête pas à l’héroïsme ; les grands types historiques ont été reproduits à satiété ; le drame doit remplacer aujourd’hui la tra- gédie, et la tentative d'Alexandre Dumas, impar- faite dans l’exécution, était bonne et féconde dans son principe. — À Rome, en Grèce, lorsqu'il y a eu décadence, c’est que la nation touchait à sa ruine : c'était le symptôme précurseur d’une civilisation nouvelle. !l n’en est pas ainsi aujourd’hui : le prin- cipe chrétien est indestructible. La décadence ac- tuelle dans l’art est plus apparente que réelle. Un système dramatique est épuisé, un autre va lui succéder : il attend simplement un homme de génie. M. l'abbé Jouve demande la parole. Il proteste contre un mot échappé à M. de Liesville dans le travail dont il a donné lecture : l’épithète de barbare appliquée à l’art dramatique du moyen-âge. M. l'abbé Jouve affirme qu’au moyen-âge, l’art en général et l’art dramatique en particulier se sont élevés à un point de perfection qui n’a guère été dépassé. M. de Liesville répond que c’est au point de vue VINGT-QUATRIÈME SESSION. 585 littéraire exclusivement qu’il a accusé de barbarie l’art dramatique au moyen-âge. M. l'abbé Sisson présente quelques observations sur la même question, et reproche à M. l’abbé Jouve quelque exagération, surtout en ce qui concerne la prétendue perfection du théâtre au moyen-âge. M. l'abbé Jouve répond qu'il n’a entendu parler que d’une perfection relative. | M. le président ramène la discussion au fond même de la question, dont on lui semble s’être écarté. M. l'abbé Poix demande la parole. Il croit que la véritable cause de la décadence du théâtre n’a pas été indiquée. Il la voit dans le sensualisme du jour qui dégrade la nature humaine, affaiblit le res- sort des passions. Quel est le remède ? Relever et fortifier les âmes. M. Hatzfeld , secrétaire, demande la parole. Il croit devoir faire observer que M. l'abbé Poix et l’auteur de la lecture ne sont nullement en désac- cord, puisque le premier cherche la cause principale de la décadence du théâtre dans le sensualisme du jour, et le second, dans la corruption des mœurs. Sans contester l’influence des mœurs contempo- raines sur le théâtre, M. Hatzfeld considère comme insuffisante la cause assignée à la décadence de l’art par M. de Liesville. Le théâtre n’est pas seulement le tableau de mœurs contemporaines ; il est avant 966 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tout la peinture de ce qu’il y a d’éternel dans le fond de la nature humaine. Par là, tous les théâtres, anciens ou modernes, ont un fond commun et impérissable, et peuvent légi- timement être comparés entre eux. C’est là précisément ce qu'ont négligé les auteurs dramatiques contemporains, et ce qu'ils n’ont pas su admirer dans les grands classiques du xvri° siècle, si profonds observateurs de ce qui est éternellement vrai dans l’homme. Pour créer des personnages, nos écrivains contemporains se sont contentés de regar- der autour d’eux : chacun de leurs héros ressemble au premier venu; ce ne sont point des caractères vrais d’une vérité générale, et où l’on retrouve les grands traits essentiels, invariables, de la nature humaine. Quant à ce qu'a dit M. de Liesville, de la dépen- dance actuelle des écrivains , tyrannisés par les exigences du public ou la spéculation des éditeurs, M. Haizfeld considère ces influences extérieures comme secondaires. Elles ont existé d’ailleurs sous une autre forme à l’époque où ont élé produits nos plus grands chefs-d’œuvre dramatiques. Les cabales suscitées contre le Cid presque à l’instigation de Richelieu, la nécessité imposée à Corneille de subir pour vivre les libéralités de quelques grands sei- gneurs, attestent que le génie peut garder son indé- PER VINGT-QUATRIÈME SESSION. 587 pendance au milieu même d’obstacles de ce genre, lorsqu'il sait s'élever vers la région idéale du vrai et du beau, au lieu de s’enfermer dans le cercle étroit des mœurs vulgaires et des petites passions du jour. M. Hugonin, président, signale accessoirement le défaut d'étude et l'ignorance, dont il voit la mar- que dans l’incorrection du style de nos auteurs. M: Mahias regrette les hauts patronages des gran- des familles du xvrr° siècle. [1 accuse l'indifférence du public actuel, trop pressé d’affaires de spécula- tion pour goûter ces plaisirs intellectuels avec pas- sion. : M. Soupé déclare renoncer à la parole après les observations présentées par M. Hatzfeld. La séance est levée. SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE. La séance est ouverte sous la présidence de M. Dubeux, président. M. Soupé, professeur de rhétorique au lycée de Grenoble, à demandé à faire, en séance générale, la 588 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. lecture d’une pièce de poésie; mais, aux termes du règlement, cet ouvrage doit être d’abord communiqué à la section. Les membres de la section de littéra- ture, après avoir entendu cette lecture avec un grand intérêt, décident à l’unanimité qu'elle sera faite au congrès réuni. Le sujet de ces vers est Molière, sa vie, ses œuvres, son génie. M. Maignien, doyen de la Faculté des lettres, et M. Hugonin, s'inscrivent pour traiter lundi la pre- mière question du programme. M. l'abbé Jouve lit un mémoire sur la seconde question qui est celle-ci : Quels sont les éléments généraux et universels auxquels on peut recon- naître la vériié de l'art et saperfection? M. Jouve dit : — Que Dieu, le créateur de toutes les choses, est aussi l’exemplaire éternel de la beauté qui réside en elles. Toute créature exprime donc, dans un certain degré, la beauté du Créateur. C’est le sceau que Dieu à mis sur elles pour montrer qu’elles vien- nent de lui, comme un souverain marque de son effigie la pièce de monnaie frappée sous son règne. Ainsi, en Dieu il y a trois facultés essentielles : la vie, la connaissance et l'amour; et ces mêmes fa- cultés se retrouvent dans l’homme, qui est la plus parfaite expression de l’exemplaire divin. Mais ces principes premiers du beau qui résident en Dieu, comme ceux du bien et du vrai, sont donc éternels VINGT-QUATRIÈME SESSION. 589 comme Dieu lui-même; ils sont absolus; ils sont la base et l'appui de la beauté dans les œuvres humaines et de toute beauté. Rendons ces vérités sensibles par des exemples. Le premier attribut de Dieu est l'unité; lui-même s’est affirmé un par cette parole dite à Moïse et dans laquelle il se définit lui-même: Je suis celui qui suis. Cette parole signifie également que Dieu a la plénitude de l’être, et la plénitude ne comporte pas de partage. Dieu donc rend de lui ce témoignage qu’il est un. Eh bien | cette unité, attribut essentiel de Dieu, se retrouve aussi dans les œuvres de Part, dont elle est la plus essentielle et la première qua- lité. — En second lieu, on trouve aussi en Dieu la variété dans l’unité, et c’est là ce dogme de la sainte Trinité qui nous enseigne trois personnes absolu- ment distinctes, et intimement unies dans uneseule essence, l’essence divine. Or, cette condition de la variété dans l’unité se trouve encore dans les œuvres d’art. Ce mode d'existence est à remarquer surtout dans l’âme humaine, qui, ainsi que nous l’avons déjà dit, reflète avec le plus de perfection l’image de son exemplaire éternel. Dans l’âme, de même qu’en Dieu, trois facultés sont essentielles et indivisibles. C’est là un exemple de la variété ramenée à l’unité. — Ces exemples, qui pourraient être rendus plus nombreux , nous amènent à conclure et à poser ce 090 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. grand principe d'esthétique: Non moins que le bien consiste dans l’imitation de Dieu, la beauté consiste aussi dans la ressemblance à Dieu. Il ne faut pas croire, néanmoins, et il ne suit pas rigoureusement de celte donnée que, pour être un grand artiste, il faille être un saint. Non, mais l’his- toire de l’art ne nous montre pas d’artiste de génie qui n’ait été honnête en une certaine mesure. Hom- mage rendu à la liaison intime du bien et du beau, qui découlent l’un et l’autre d’un même principe : Dieu. M. Jouve termine en disant : L'homme est, sur cette terre, le plus parfait ouvrage sorti des mains de Dieu ; car l'homme surtout a été fait à l’image de Dieu. L’homme est donc supérieur au reste de la nature ; quand donc il crée une œuvre d’art, il idéa- lise et il surpasse la nature; car à lui aussi Dieu a donné le pouvoir de dire: Faisons ceci à notre image. La dignité de l’art est là. La peinture, la sculpture, l'architecture, tous les arts, ne sont qu’à ce prix. — [ci finit la lecture de M. l'abbé Jouve. M. Maignien demande la parole. Il fait observer que cette lecture, très-intéressante et instructive. d’ailleurs, ne lui semble pas répondre d’une manière assez directe à la question posée. Ce sont là des principes généraux d'esthétique; il désirerait qu’on entrât dans la question par l'application de ces prin- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 594 cipes à tel ou tel art déterminé, ou mieux, en don- nant en un mot un critérium qui pût faire recon- naître la beauté et le degré de beauté d’une œuvre quelconque. M. Jouve dit qu’il se propose d’entrer plus tard dans ces détails. Sur ce, M. Maignien déclare qu'il attendra alors pour répondre que ces détails aient été donnés. La discussion sur la 2° question demeure en conséquence ouverte. On passe à l’examen de la 3° question. Le véritable sens n’en est pas entendu de la même manière par M. l'abbé Jouve et M. Maignien. Cette divergence d'opinion donne lieu à quelques explica- tions et éclaircissements sur la rédaction de ladite question. - Sur la quatrième, M. l'abbé Jouve commence une lecture que l'heure avancée de la séance ne lui per- met pas de faire aboutir à une conclusion. Il y trace à grands traits les caractères architecturaux des monuments célèbres, depuis les temps primitifs jus- qu’à l’époque dite ogivale. Cette lecture devant être continuée, le procès-verbal d’une séance prochaine mentionnera les vues exposées dans l’ensemble de ce travail. « La section ajourne la suite de ses travaux à lundi. La séancec est levée à trois heures. 592 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCE DU 3 SEPTEMBRE. La séance est ouverte sous la présidence de M. Dubeux. M. Albert de Rochebelle donne lecture du procès- verbal de la précédente réunion. La question à traiter est la première du pro- gramme, M. Maignien, doyen de la Faculté des lettres de Grenoble, et M. l'abbé Hugonin, directeur de l’école des Carmes, à Paris, sont inscrits. La parole est donnée à M. Maignien. M. Maignien annonce que ce n’est point une dis- sertation qu’il compte faire, mais un simple résumé, une espèce de table de matières. L'œuvre d’art, dit-il, représente la vie et la vérité au moyen d'éléments matériels, sans lesquels Pœu- vre n’exislerait pas, et d'éléments intellectuels et moraux, sans lesquels l’œuvre n’aurait pas de si- gnification. Ces éléments, séparés par l'analyse, sont intime= ment unis dans la réalité de la production artistique. L'artiste doit donc être moral dans une proportion re VINGT-QUATRIÈME SESSION. 593 plus ou moins élevée, par le fait qu’il est artiste, et porter les âmes au bien. Mais il lui suffit de ce sentiment général du bien uni à la science qui lui est nécessaire, pour la pro- uuction de son œuvre. Résumant ensuite les développements de cette idée, M. Maignien pose les règles suivantes : 1° L'œuvre d’art peut être à la fois très-morale par son but et sa conclusion définitive, et ne produire aucun effet, par suite de l’infériorité des moyens. Il faut avant tout agir par l’art, quand on fait de l’art; 20 Mais une œuvre immorale et mal faite peut néanmoins, malgré soninfériorité, produire des effets funestes parce qu’elle s’adresse à la passion. De là, la nécessité de donner tout l'intérêt possible aux œuvres d'art favorables à la morale ; 3° Une œuvre d’art bien faite peut être très- morale et très-salutaire en représentant de mauvaises mœurs et de mauvaises actions (dans les limites que la science critique détermine), parce qu’elle les rend vraiment haïssables en les montrant dans leur lai- deur vraie et frappante. C’est là le vrai de l’art et le vrai de la conclusion ; ko Si elle représente, d’après les mêmes principes, le bien et le mal en contraste, elle ne sera que plus complétement belle et morale, elle aura encore moins besoin d’une conclusion particulière; , IT 38 59% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 5° L'artiste, sans avoir l'intention de donner une leçon, en donne toujours une bonne ou mauvaise, d’aprèsses sentiments naturels qui percent plus ou moins malgré lui dans son œuvre; 6° Une conclusion morale particulière n'empêche pas absolument une œuvre d’être peu morale en elle-même, car le dénouement peut tenir à un hasard ou à un caprice de l’auteur, qui se serait donné carrière dans les détails pour ne faire triompher le bien qu’au dénouement ; 7° Les discussions sur l’art utile et sur l’art pour l’art, sont donc oiseuses et incomplètes : Part vrai sera utile par l'intention générale et la conscience de l'artiste ; il sera l’art pour l’art, par l’abstention d’un but particulier ; 8° La règle qui veut en ce sens un art moral, à le droit d’aller de l’art à l’artiste, en exigeant de lui les qualités qu’il ne pourrait mettre dans son œuvre, s’il n’en était doué lui-même; Ge et 40° Mais de telles œuvres sont difficiles. On se figure quelquefois que les œuvres morales sont ennuyeuses ; cela serait assez vrai souvent de celles qui prèchent une idée ou une vertu en particulier ; A1° et 12° Avoir son but spécial et sa conclusion d'avance, n’est pas d’ailleurs un empêchement absolu de réussite. Il y a bien des exemples du contraire. Seulement cette disposition nuit souvent à l'étude VINGT-QUATRIÈME SESSION. 595 de la nature, et en beaucoup de sujets excite la mé— fiance. L’homme, en effet, ne profite guère que des leçons qu'il se donne à lui-même. M. l'abbé Hugonin prend la parole à son tour, et fait une lecture sur le même sujet. Ce travail est imprimé en entier dans le compte-rendu de la 6° séance générale, tom. r*, pag. 234. M. l’abbé Bourdillon fait observer que pour que la question soit traitée d’une manière complète , il ne faut pas perdre de vue que l'artiste doit, surtout dans ses œuvres, s'appliquer à exprimer le vrai, en con- servant néanmoins la décence. À ce point de vue, la théorie de M. l’abbé Hugonin semblerait exclure du domaine de l’art des œuvres qui lui appartiennent incontestablement : par exemple, la comédie et la danse. l M. l'abbé Hugonin répond : 4° Qu'il n’exclut pas le vrai des œuvres d’art ; au contraire, il l'exige; mais que l’expression du vrai ne suffit pas. Un ouvrage de mathématiques, par exem- ple, exprime le vrai. Or, peut-on dire qu'il soit réelle- ment l’œuvre d’un artiste? Le beau est l’objet spé- cial de l’art, mais le beau n’est que la splendeur du vrai ; 2 Que la théorie qu'il vient d'exposer ne dimi- nue en rien le domaine de l’art. Ainsi elle ne bannit pas de ce domaine la comédie, qui semble plus 596 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. occupée à représenter les travers et les défauts des hommes, que leurs vertus et leurs qualités. Mais à la condition, toutefois, que les représentations de ces travers et de ces défauts ne seront pour le poète conique qu’un moyen d'élever l’esprit jusqu’au type idéal du beau, que son œuvre doit nécessairement révéler ; autrement elle ne serait plus une comédie véritable, mais une farce grossière qui ne mériterait pas d’être rangée parmi les œuvres d’art. M. l'abbé Jouve continue la lecture commencée par lui dans une précédente séance, sur la 4"° question. Il s'occupe spécialement de la sculpture, dans laquelle il distingue la statuaire et la sculpture pro- prement dite. Il s'attache ensuite à démontrer la salutaire influence du catholicisme sur cette branche des arts et les progrès qu’il lui a fait faire. La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU S SEPTEMBRE. La séance est ouverte sous la présidence de M. Dubeux. Sur la 3° question, aucun mémoire n’ayant été lu, une courte discussion s’est engagée : en Voici SOm- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 597 mairement la conclusion : l’art ayant à exprimer la vie et l'intelligence par les moyens qui sont en son pouvoir et d’après les règles absolues qui lui don- nent la force en le contenant, présente cependant des différences très-grandes d’expression selon les épo- ques où il se produit et le caractère même de l’ar- tiste. Or, il arrive souvent : 1° Que le caractère d’une époque et d'un artiste, eu égard à la science, au goût, à la méthode, dépose dans l’œuvre d’art des éléments tout relatifs et périssables, qui cessent bientôt d’être vrais, mais qui étaient regardés comme tels à leur époque ou dans telle école. Ce sont là des défauts que les âges suivants constatent facilement. 2° Il peut arriver aussi que ce caractère propre de l’époque ou de lartiste se rattache plus ou moins directement au caractère vrai, général, qui fait le - fond de l’art, et devient alors légitime en rentrant dans l’ensemble de la composition sans fausser les lois les plus invariables de l’art. 3° Non seulement l'expression peut en être alors légitime, mais encore elle communique à l’art une certaine précision qui contribue à son originalité, en rappelant l’homme même individuel dans la représentation expressive de l'humanité. 4° Les exemples se présenteraient en foule; on peut donner comme exemple des limites où le carac- 598 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE KRANCE. tère personnel se produil très-heureusement, les chefs-d’œuvre de Corneille et de Racine, dans lesquels ces grands poètes, en laissant reconnaître les senti- ments qui leur sont plus personnels, soit d’un grandiose plus lyrique qu’historique chez l’un, soit chez l’autre d’infinie délicatesse dans l'analyse de certains sentiments, pensées et sentiments qu’ils ont su faire entrer dans le caractère de leurs person— nages avec une vraisemblance suffisante, ou même avec moins de vérité, mais avec celte empreinte vive qui est une des marques du génie; et parmi les comédies de Molière, plus particulièrement le Misanthrope, où le poète se peint à chaque ins- tant, mais s’arrête et prend une autre route lorsque le caractère d’Alceste, créé par lui, en recevrait une atteinte et en perdrait son unité. On reconnaît Molière, et cependant c’est toujours Alceste. 5° Enfin, certains traits particuliers de telle épo- que ou de telle éducation artistique tenant à la langue, au style, aux procédés, à la méthode, peuvent plus tard êtrereconnus comme défectueux sans que, pour cela, l’œuvre d’art même en reçoive une grave atteinte, lorsque, par exemple, les éléments éternels du vrai et de la vie, rendus sensibles par l’art, n’en ont pas été faussés, ou ne l’ont été que dans des proportions relativement acceptables dans des œu- vres où respirent le talent et une véritable inspiration. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 599 Après cette discussion, M. le président invite M. Maurel de Rochebelle à lire un travail dont le titre est : Contre le Réalisme. M. Maurel de Rochebelle prétend confirmer la doctrine de l'idéal dans les arts, admirablement exposée dans la séance précédente par M. l’abbé Hugonin, en ajoutant cette réflexion, que, siles arts sont frères, comme chacun en convient, si chacun d'eux exprime, d’une manière propre il est vrai, une beauté unique, s'ils obéissent tous aux mêmes lois, comme on en convient encore, il sera facile de montrer qu’une condition de l’art leur est appli- cable à tous si elle est évidemment applicable à deux d’entre eux. Cela étant admis, il en résulterait que la poésie, la peinture et la sculpture ont pour règle essentielle, non l’imitation servile de la nature, mais sa réalisation idéale; car cette vérité, discutable peut-être à propos des trois arts que nous venons de nommer, est évidente relativement à l'architecture et àla musique dont souvent les œuvres n’ont dans la nature aucun original, aucun exemplaire existant e réalisé. Voilà, en très-peu de mots, la substance de cette lecture, que le président de’ la section engage M. Maurel de Rochebelle à faire de nouveau devant les membres du Congrès réunis. La séance est levée. 600 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SÉANCE DU 9 SEPTEMBRE. La séance est ouverte à une heure, sous la pré- sidence de M. Dubeux. * La lecture du procès-verbal de la séance précé- dente est renvoyée au lendemain. Lecture est donnée de la question n°7 : De l’im- portance de la culture des beaux-arts pour l’in- dustrie, et surtout pour l’industrie française. M. de Caumont expose que l'étude du dessin académique n’est pas toujours indispensable à l’in- dustrie. Quelques villes ont établi des écoles de dessin pour les ouvriers. Les élèves de ces écoles, placés comme dessinateurs dans des fabriques de tissus, dentelles, etc., doivent oublier tous les principes du dessin qu’ils ont appris dans les écoles. Les chefs de fabrique préfèrent souvent comme dessinateurs certains ouvriers, qui ignorent les prin- cipes du dessin, mais qui ont un goût naturel, une aptitude spéciale pour le dessin industriel. M. du Boys pense que le goût naturel ne suffit pas. Îl faut dans les grandes villes des écoles de dessin destinées aux ouvriers. Ces écoles ont d’ail- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 601 leurs formé quelquefois de bons peintres, Orsel, par exemple. M. Mahias dit que les principes du dessin sont nécessaires ; mais il faut enseigner aux ouvriers le dessin d’ornementation, outre le dessin académique. Une école doit se diviser en deux sections : dans la première, on enseigne les beaux-arts, et dans la seconde, l’application des beaux-arts à l’industrie. M. l'abbé Bourdillon dit qu’il faut étudier deux ou trois ans le dessin académique avant de com- mencer l’étude du dessin linéaire. Le dessin de tête ou d’académie est la base des arts du dessin, de même que l'étude de la langue grecque et de la langue latine est la base de l'éducation classique. M. du Boys regrette que M. Irvoy, directeur de l’é- cole de sculpture architecturale de Grenoble, n’assiste pas à la discussion qu’il aurait éclairée par son expé- rience. M. du Boys demande que la discussion soit reprise à une séance suivante en présence de M. [rvoy. La section passe à l'examen de la question n° 6 : Quelle peut être l'utilité d’un cours de littéra- ture pour les classes ouvrières ? M. Mahias dit qu’il importe que les classes éle- vées n’abandonnent jamais les classes laborieuses, afin qu’une solidarité morale s’établisse entre tous les membres de la société. Les cours publics établis depuis quelque temps dans certaines villes sont 602 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. une excellente institution. Les cours de physique, de chimie, de sciences, $ont trés-utiles aux ouvriers; mais un cours de litiérature leur est moins néces- saire et présente d’ailleurs un danger, l'introduction du roman dans les classes laborieuses. M. du Boys remarque que la littérature, déplacée dans l'instruction primaire, est excellente comme complément d'éducation, comme récréation offerte à la classe ouvrière. Un bon cours de littérature n'offre d’ailleurs aucun danger; il élève lâme de l’ouvrier et le rend meilleur. M. le président dit qu’à Marseille, les cours de liltérature sont suivis par les ouvriers et leur sont très-utiles. Sans doute le professeur doit propor- tionner ses enseignements à l'intelligence de son auditoire ; mais il vaut mieux faire connaîlre à l’ou- vrier les bons ouvrages que nous lisons tous, que de le laisser lire de mauvais feuilletons. D’ailleurs, l’ouvrier, occupé tout le jour d’un travail manuel, est sollicité souvent par de dangereuses passions. Il n’est pas bon qu’il regarde toute chose par le côté matériel ; il faut lui ouvrir un horizon plus vaste ; il faut lui faire comprendre qu'il y a dans l’homme une âme et une intelligence; il faut lui montrer enfin que les principes, les sentiments, les devoirs sont les mêmes pour tous les hommes. La section applaudit aux paroles de son pré- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 603 sident et adopte à l’unanimité la résolution sui- vante : « La cinquième section exprime le vœu que toutes « les villes de quelque importance cherchent à pro- « fiter de leurs ressources de diverses sortes pour € élablir des cours de littérature française à l'usage « des ouvriers, dans le but de mettre à leur portée « les chefs-d’œuvre de nos grands auteurs classi- « ques et de les interpréter dans le sens le plus « propre à instruire leur intelligence et à élever leur « âme. » La discussion est ouverte sur la 8"° question Des nouvelles écoles de peinture religieuse, par- ticulièrement en Allemagne. La parole est donnée à M. l'abbé Jouve. Pour atteindre à la perfection, l’art doit se com- poser de trois éléments : la vérité, la convenance, l'expression nécessaire. | Vous voulez construire une église catholique, et . vous copiez le Parthénon. Vous avez une œuvre d’art remarquable, mais vous n’avez pas une église catholique ; il manque à votre œuvre le premier élé- ment du beau moral, la vérité de caractère. Vous exécutez dans une église la délicieuse mu- sique du Barbier de Séville. 11 manque à votre œuvre le second élément du beau moral, la con- venance du sujet. 60% CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Vous voulez représenter une vierge martyre, et vous peignez une jeune fille aux formes élégantes. Votre œuvre est dépourvue de l'expression conve- nablé, troisième élément du beau moral. * L'œuvre d'art qui réunit ces trois conditions est complétement et éternellement belle. Dans les temples du paganisme, la sculpture joue un rôle plus important que la peinture. Sous l’in- fluence chrétienne, la peinture a pris la première place. La façade, les murs extérieurs sont laissés à la sculpture, qui les couvre de statues et d’orne- ments ; mais l'intérieur de l’église est presque en- tièrement réservé à la peinture, qui se prête mieux à la représentation du mysticisme. Dieu mieux connu, la sainte Vierge, les anges, les martyrs etles saints, tels sont les éléments de la poétique du christianisme opposée à la mythologie païenne. La peinture vraiment chrétienne naît avec Guido de Sienne; elle se développe et brille d’un vif éclat avec Giotto, Orcagna, Fra-Angelico de Fiesole, et Pérugin. Le caractère distinctif de cette peinture, c’est l'expression mystique, la prédominance du sen- timent sur la forme. Tous ces peintres négligent la régularité du dessin pour l’expression de l’idée. C’est la plus belle époque de la peinture chrétienne. Elle s’est dépouillée de l’hiératisme outré de l’école byzantine, et n’est pas encore tombée jusqu’au natu- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 605 ralisme de l’école postérieure. Raphaël, dans sa première manière, est à la fois le dernier et le plus grand des peintres chrétiens ; mais bientôt Raphaël lui-mème transforme sa manière, il perd le sens mystique et chrétien, il abandonne l'expression de l'idée pour la beauté de la forme, et dès lors la dé- cadence de la peinture religieuse a commencé : le naturalisme envahit toutes les écoles. Dans notre siècle, l'Allemagne a vu surgir de nou- velles écoles représentées par Overbeck, Hauser, Cornélius, qui reviennent aux traditions et aux prin- cipes de la grande école religieuse du xiv° et du xv° siècle, et recherchent l'expression chrétienne surnaturelle, plutôt que la beauté de la forme. Telle est la voie véritable de la peinture chrétienne, qui a le mysticisme pour base. Mais quoique cette base soit invariable, un vaste champ est ouvert aux ar- tistes ; les fonds, la perspective, le paysage, le clair- obscur, leur offrent mille ressources variées, et, d’ailleurs, la légende chrétienne leur livre des trésors immenses dans lesquels Overbeck a puisé largement. Enfin il n’est pas question de rétrograder jusqu'aux peintures byzantines, et Overbeck a su introduire dans les formes une pureté plus grande sans tomber dans le naturalisme. M. Maignien dit que la peinture ne peut pas faire absiraction de la forme. L'école hiératique ne s’y 606 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. attache pas assez, l’école réaliste s’y attache trop. L'école hiératique est admirable surtout par l’inten- tion; mais elle ne rénferme que la moitié de l’art, l'expression, que l'imagination croit bien souvent découvrir sous l'insuffisance de la forme. « On peut même dire, absolument, que la forme si maigre des premiers développements de l’art, tient plus à l'insuffisance des moyens qu’à l'expression du sentiment ou de l’idée, et que souvent l’expres- sion mystique chez les peintres primitifs, Orcagna, Fra-Angelico, etc., est devinée et trouvée par des esprits contemplateurs, plutôt que réelle dans un dessin qui, exprimant peu de choses, laisse un champ libre à l'imagination : l’histoire naturelle du dessin confirme cette observation. Plus tard, il n’en est plus ainsi, et tous les détails néces- saires à la représentation de la vie étant connus et mis en œuvre, l’expression du sentiment mys- tique, en le supposant réel chez l’artiste, devient prodigieusement difficile, en ce qu’elle ne permet plus à la force subjective de l’esprit qui contem- ple, de compléter en idée la réalité objective de l’œuvre comtemplée. C’est la cause la plus forte des différences si souvent observées (1). » Lorsque les peintres, sans perdre le sens mystique, (1) Note remise par M. Maignien. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 607. - Ont su mieux dessiner, ils ont plus dessiné. Le des- sin de Raphaël, très-incomplet dans la première manière, est en progrès dans la seconde. D’ailleurs, le sentiment religieux n’est pas incompatible avec la beauté de la forme. Michel-Ange, qui exagère la forme, n'est-il pas religieux dans ses Sybilles, dans son Jugement dernier ? Tout peintre religieux doit copier d’abord la nature et s’efforcer de la trans- figurer. L'école réaliste copie bien la nature, mais ne la transfigure pas. M. Jouve répond qu’il n’approuve pas les formes amaigries de l’école ombrienne; il les explique par l'expression, seule préoccupation du peintre. Il est impossible de mettre sur la tême ligne l'expression mystique et la correction des formes, et l'expression est la première qualité d’un peintre chrétien. La discussion sera continuée à la séance suivante. * La séance est levée à trois heures. SÉANCE DU 10 SEPTEMBRE. La séance est ouverte sous la présidence de M. Maignien, l’un des vice-présidents. 608 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Lacour donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, qui est adopté. Avant de reprendre la lecture interrompue la veille, la parole est donnée à M. du Boys, secrétaire géné- ral, sur la 12° question du programme. La section, après avoir entendu la communication de M. du Boys, décide que son travail sera lu à la séance publique qui doit suivre, et le vœu qui la termine soumis à l’appréciation du congrès. (Voir tome 4°, pag. 246.) La parole est donnée à M. l’abbé Jouve, pour une lecture sur la 9° question : De la musique religieuse au XIX° siècle. M. Jouve, rentrant d’abord dans la 4°° question du programme, montre quelle a été l'influence de la religion sur la musique. Îl passe en revue les diverses écoles quise sont succédé depuis le moyen- âge. [l fait remarquer que c’est une phase magni- fique de l’art chrétien, et bien digne de fixer l'attention. Arrivant ensuite à la question, il l’envisage au double point de vue du chant liturgique et de la musique proprement dite. » Au premier point de vue, le chant ecclésiastique, qui avait tant souffert de l'introduction des bréviaires non romains et particuliers à chaque diocèse, à partir surtout de 1750, tend à se relever de plus en VINGT-QUATRIÈME SESSION. 609 plus d’une décadence qui touchait à l’anéantisse- ment. Cette tendance se manifeste par le retour successif des diocèses français à la liturgie de Rome. Une conséquence directe et irès-importante de cet heureux retour a été la reproduction plus ou moins exacte des beaux livres de chant d'église qui avaient été édités par le clergé français durant le XVII° siècle, avec les nombreuses Corrections, abré- viations et améliorations qu'avaient introduites le pape Paul V et ses successeurs, en corrigeant et rééditant le plain-chant du moyen-âge avec le se- cours de Palestrina, et après ce grand maitre, de Giovanelli, maître de chapelle de Saint-Jean de Latran. Cette reproduction du chant liturgique, tel qu'il avail été réformé par l’Église elle-même, est repré- sentée aujourd’hui, en France, par les éditions de graduels et de vespéraux de Rennes et de Paris, en Belgique par les éditions de Malines. Une grande controverse s’est élevée au sujet de ces diverses éditions, et de celles de Reims et de Cambrai, dont le point de départ, tout différent, n’est autre chose que la reproduction pure et simple des manuscrits de chant du moyen-âge. M. l'abbé Jouve ajoute qu’il a pris part lui-même à cette controverse etqu’il publie à ce su'et, dans la a 39 610 . CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Revue de musique religieuse de MM. d'Ortigue et Niedermeyer, une série de lettres touchant le mou- vement liturgique au xiIx° siècle. Quant à l’état de la musique religieuse, basée sur la tonalité moderne, par opposition au style antique ou ecclésiastique proprement dit, qui repose sur la tonalité du plain-chant, il ne faut pas oublier ce qui suit : Ce style antique a régné sans partage dans nos temples pendant plusieurs siècles. Développé et perfectionné successivement par les découvertes des srands maîtres des écoles belge, française, véni- tienne et surtout romaine, il arriva à sa perfection vers la fin du xvi° siècle sous lillustre Palestrina, auteur de tant de chefs-d’œuvre. Mais ces magnifiques compositions chorales, dont l'exécution produit même encore aujourd’hui des effets d'harmonie et d’expression religieuse impos- sibles à décrire, furent comme le chant du cygne, pour l'antique tonalité grégorienne, jusque-là si “riche et si féconde dans ses inspirations sacrées. Quelques années seulement s'étaient écoulées depuis la mort de Palestrina, et déjà avaient lieu simulta- nément deux grandes découvertes, à l’encontre de l'antique système tonal, destiné désormais à lutter contre un rival redoutable. Ces découvertes étaient les nouveautés harmoni- ques introduites par Claude Monteverde, maître de VINGT-QUATRIÈME SESSION. 611 chapelle de Saint-Marc à Venise, et la création de l’opéra par le Florentin Jacques Peri. Dès lors, les compositeurs d'église devinrent peu à peu compositeurs d'opéras, et ils imprimèrent à leurs œuvres sacrées, et en particulier à leurs messes, le cachet de ce nouveau genre dramatique dont l'expression, aussi mobile que passionnée, contraste si fort avec l'expression calme, simple et majestueuse de l’antique tonalité du plain-chant. Ce défaut devint encore plus sensible lorsqu'on se mit à joindre, ou même à substituer à l’accompagnement de l'orgue celui de l'orchestre avec ses mille caprices et ses mille effets divers, admirables certainement sur la scène, mais opposés, par leur nature même, au recueillement et à la gravité du lieu saint. Les musiciens les plus célèbres, Jomelli, Léo, Mozart, Haydn, Chérubini, cédèrent tous aux séduc- _tions si entrainantes d’un rhythme jusque-là inconnu, d’une mélodie ornée et rapide, qui se prêtait à tous les genres d’expression, et d’un système d'harmonie qui rendait faciles les modulations les plus brillantes et les plus variées. L’opéra ayant ainsi envahi peu à peu le sanctuaire, les traditions et la pratique de l’ancien style ecclésiastique furent délaissées, et même en plusieurslieux tombèrent dans un discrédit complet. Cette décadence de l’ancienne école fut plus sensible en France que partout ailleurs, pour 612 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. plusieurs causes, dont la principale fut la suppres- sion des maitrises des cathédrales où s'étaient con- servées encore , jusqu’au moment de la révolution, quelques -étincelles du feu sacré. Il en résulta un tel oubli, une telle ignorance de l’ancien style ec- clésiastique, qu’on n'eüt pas trouvé à cette époque dix musiciens capables d’en donner la définition. À notre époque, grâce à la grande école de Choron, grâce aux travaux et aux publications des Fêtis, des Danjou, des Stephen, du prince de la Moskowa et tout récemment des Niedermeyer et des d’Ortigue, le véritable style de la musique sacrée tend à se relever de sa décadence. La ville de Grenoble possède un brillant spécimen de ces salutaires efforts dans la Société de mélodie religieuse fondée par le grand compositeur et pianiste Bertini, auteur lui-même de plusieurs morceaux de musique sacrée, où les inspirations les plus heureuses s’allient toujours aux convenances les plus sévères, au goût le plus exquis et le plus élevé. Mais malgré celte tendance qu’on est heureux de signaler, el à partles exceptions brillantes qui vien- nent d’être signalées, les compositeurs modernes d'église ne se laissent que trop encore entrainer aux inconvénients, inhérents d’ailleurs, il faut bien le dire, au genre dramatique, qui a leur préférence. Leur mélodie esttrop souvent chargée de fioritures, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 613 de roulades, de triolets, de cadences à effet, qui lui donnent une allure théâtrale, mondaine et passion- née; inconvénient qui devientencore pire lorsque la mélodie se développe en solos dans l’enceinte sa- crée. Le soliste, posé ainsi sur un piédestal, absorbe sur sa personne toute l'attention des assistants, attention dont Dieu devrait toujours, surtout dans son temple, et dans l’accomplissement des rites sacrés, avoir la meilleure part. Ce défaut, comme beaucoup d’autres, nous vient de l'invasion des idées païennes et terrestres dans l’art chrétien aux xvr° et xvrr° siècles. Le chant choral, qui seul avait été en usage jusque-là, est aussi le seul qui convienne au culte divin, puisqu'au lieu de détourner l’attention de la liturgie, il y ramène né- cessairement, par l'attrait irrésistible d’une harmo- nie grave qui tient constamment en haleine et les chanteurs et les auditeurs. Un second défaut de la musique d’église actuelle est une harmonie trop compliquée, trop chargée de dissonnances. Une telle harmonie, excellente dans le drame, lyrique pour exprimer les mouvements variés et les contrastes des passions humaines, est, par cela même, déplacée à l'Eglise, dont la liturgie est si calme, si tranquille, si majestueuse. De plus, les règles de l’acoustique nous apprennent que le son de la voix etdes instruments ne se propage qu'avec 614 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. lenteur dans les grands édifices. Une harmonie pleine, consonnante, ou tout au moins sobre de modulations difficiles, convient donc mieux à nos églises, qu'une suite rapide d'accords compliqués, qui, n'ayant pas le temps de se développer sous leurs voûtes élevées, n'arrivent à nos oreilles que comme un bruit confus, plus digne du nom de cha- rivari que de celui de concert sacré. Enfin, ces mêmes compositions religieuses offrent presque toutes un autre genre d’incoñvénients dans leur orchestration, en tout semblable à celle des opéras. Ce sont, en effet, les mêmes effets pittores- ques, variés el passionnés d’instrumentation théâtrale. Signaler cette similitude parfaite d’orchestration pour deux genres si différents et mème si opposés, c’est en faire la plus juste critique. Cette séduction des effets de l'orchestre est si entraînante d’ailleurs, que même nos plus grands maîtres y ont tous plus ou moins sacrifié, et ce n’est pas là le beau côté de leurs compositions. M. l'abbé Jouve termine sa lecture en disant qu'il serait plus facile qu’on ne croit aux compositeurs de se préserver des graves défauts qu'il vient de signaler. [1 leur suffirait (renoncant à toute idée de se distinguer, de faire de l'effet par la parade d’une science harmonique hors de saison), d'adopter des mélodies simples, naturelles, sans cesser pour cela YINGT-QUATRIÈME SESSION. 615 d’être distinguées ; d'éviter les soli ou de ne les admettre qu'avec sobriété; de préférer dans les parties d'ensemble une harmonie consonnante, et parmi les accords dissonnants de ne choisir que les moins durs à l'oreille ; de s’interdire, dans l’accom- pagnement instrumental, là où il existe, les traits, les broderies, qui vont très-bien à un musicien de théâtre ou de salon, mais qui à l’église sont déplacés. Le compositeur qui écrira dans ces conditions pourra bien, aux yeux de quelques amateurs super- ficiels, passer pour un faiseur de petite musique, mais aux yeux des gens de science, de talent et de goût, 1l sera apprécié d’une tout autre manière; et il aura de plus le témoionage de la conscience qui ne manque Jamais à l’homme dévoué uniquement au culte du beau et du.bien, dont l’art musical est la manifestation la plus élevée. M. le président annonce que M. Soupé a un tra- vail qu'il se propose de lire en séance publique, mais que le peu de temps qui reste s'oppose à ce qu'on en donne à la section la lecture préalable ordonnée par le règlement. MM. du Boys et Macé sont délégués pour pren- dre connaissance du manuscrit de M. Soupé. La parole est donnée à M. l'abbé Bourdillon, qui fait la lecture suivante sur la 43° question du pro- gramme : 616 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. DES PRODUCTIONS DIVERSES EN PATOIS DE DAUPHINÉ, ET DES RECHERCHES SUR LES DIVÈRS PATOIS DE CETTE PROVINCE ET SUR LEURS DIFFÉRENTES ORIGINES. Messieurs, Avant d'aborder la question du programme, je crois qu'il est indispensable de dire deux mots des patois en général, de montrer leur origine, leur valeur respective, enfin leur utilité actuelle et l’espèce d'intérêt qui peut s'attacher à leur conservation. | On entend ordinairement par patois le langage plus ou moins grossier, plus ou moins corrompu, que parlent entre eux les paysans dans certaines provinces ou dans certains cantons, par opposition au langage plus pur et plus cultivé qui est parlé généralement dans les villes et dans toutes les bonnes sociétés chez une nation civilisée. Si ce patois est sonore, agréable, élégant, surtout s’il est parlé et cultivé par un certain nombre de personnes ins- truites ; s’il est susceptible d’être soumis à des règles fixes, il peut s'élever à la dignité de dialecte et même de langue. Tel a été le sort des principaux idiomes de l'Europe mé- ridionale, qui n’ont d’abord été qu’un latin populaire et grossier, parlé dans les provinces de l'empire romain, c’est-à-dire de véritables patois; puis ces patois ayant dominé peu à peu et remplacé enfin tout-à-fait le latin correct qui s’éteignait dans la barbarie universelle, ils se sont eux-mêmes transformés par la culture, sont devenus VINGT-QUATRIÈME SESSION. 617 d’abord de vastes dialectes connus sous les noms de lan- gue d’oc, langue de s?, langue d’où, puis ont fini par se dessiner d’une manière plus nette et plus nrécise. Le français est sorti de la langue d’oùl; l'italien, l'espagnol, le portugais de la langue de st, tandis que la langue d’oc ou langue de Provence, la plus avancée de toutes au moyen-âge, est restée au rang de dialecte dans le proven- cal, le languedocien, le gascon, le rouergat, le cevenol, qui ne sont que des patois, si l’on veut, mais des patois délicieux et d’une grande valeur intrinsèque. Quant aux patois des provinces du nord et du centre, ils sont loin d’avoir la sonorité, l'élégance, la désinvolture des dialectes provençaux, gascons, langnedociens. L’au- vergnat, qui s’en rapproche le plus par le fond, s'en éloi- gne étrangement par son accent rude et sauvage. Le bourguignon, le bressan, le forésien, le dauphinais pro- prement dit, semblent n'être pour l'oreille des méridio- naux qu'un mauvais français, à peu près comme pour nous le normand, le picard et le champenois; mais ce sont bien de vrais patois, différant complètement du français dans une foule de mots primitifs et souvent très- pittoresques dans les terminaisons des noms et des verbes, enfin dans les sons et les articulations dont on ne trouve les équivalents que dans les langues étrangères. On entend souvent répéter que les patois de nos provin- ces ne Sont qu'une corruption du français. Si par là on veut dire que ces patois, de même origine que le français, sont demeurés dans un état brut et irrégulier, tandis que le patois ou dialecte de l'Ile de France, devenu langue d'où}, puis langue française, s’est élevé et ennobli, à la bonne heure, on est dans le vrai; mais si l'on prétend que nos patois, même ceux qui se rapprochent le plus de 618 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la langue nationale, ne sont que des débris de cette lan- gue qui se serait corrompue à la longue dans la bouche des campagnards et aurait dégénéré peu à peu en jargon, c’est une erreur manifeste : car tous ces patois existaient, il ya trois ou quatre cents’ans, en même temps que le français, encore très-grossier, bien qu'il fût déjà délitable à oyr, et la plupart d’entre eux avaient déjà pris la forme qu'ils ont encore aujourd'hui. Il serait done mieux de dire que le français est un ancien patois qui s’est poli ou perfectionné, ou, en d’autres termes, que les patois de nos provinces ne sont que des rameaux de la vieille langue romane, par conséquent des rameaux du latin dégénéré qui sont restés informes et presque stériles, tandis que d’autres branches, telles que le francais, l'italien, le cas- tillan, ont prospéré et se sont transformés en beaux arbres tout chargés de fleurs et de fruits. Quant à l'idée d’un patois venu directement du fran- cais par corruption, on la trouverait peut-être réalisée en partie dans le mauvais jargon des ouvriers de nos villes manufacturières, ou dans le français plus ou moins altéré de nos colonies. Mais ce n’est pas ici le lieu d'en parler. J'ai hâte d'aborder la question du programme. Je n'ai fait que signaler, en passant, l’origine commune de nos patois: chacun sait qu'ils viennent tous plus ou moins du latin populaire ou roman. J'en excepte, comme on le pense bien : 4° le bas-breton, qui est un débris de notre vieille langue celtique, et qui à ce titre n’est plus un patois ni un simple dialecte, mais une vraie langue- mère; 2 le basque, regardé comme un reste du langage de ces fiers Pyrénéens occidentaux, toujours indomptés et connus au temps des Césars sous le nom d'Aquitani, Cantabri, Vascones; 3° les dialectes allemands de nos VINGT-QUATRIÈME SESSION. 619 provinces rhénanes et flamandes ; 4° enfin quelques lam- beaux de langage mauresque ou sarrazin, que l’on assure s'être conservés dans un ou deux petits coins du Val-Romey en Bresse. Mais comment s’est opérée la transformation du latin classique en latin populaire ou roman, puis celle du roman en dialectes ou palois? Ici, Messieurs, se présen- tent deux explications, c’est-à-dire deux causes, qui ont pu agir concurremment ou séparément. Il se peut, en effet, que le latin, le vrai latin, celui de Cicéron et de Virgile, devenu le langage commun de tout l'empire, ait dégénéré peu à peu, d'abord par l'introduction des peuples vaincus au sein même de l'Italie comme esclaves, par l'admission des barbares dans les armées, dans les emplois civils et judiciaires et jusque dans le sénat ; et, d'autre part, par-la diffusion de la langue officielle au- delà des frontières et des mers, au sein même de ia bar- barie. Et si l’orateur romain se plaignait déjà que le lan- gage et l'accent de Rome se gâtaient visiblement par l'affluence toujours plus considérable d'étrangers dans cette capitale du monde, que dut-il en être, quand les descendants efféminés des Romains furent partout rem- placés par des Gaulois, des Germains, des Francs, des Pannoniens, des Daces, des Bretons, des Burgundes ; quand les armées se composaient intégralement de bar- bares, que les empereurs eux-mêmes n'étaient que des soldats d'origine barbare, ignorants et entourés de gens qui leur ressemblaient; que le sénat se remplissait d’étran- sers, lettrés et habiles autant que l’on voudra, mais barbares pourtant dans leur accent, dans leur prononcia : tion, ét sans doute aussi quelquefois dans leur phrase? ‘Qu'on se figure le pêle-mêle qui dut en résulter à la lon- 620 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. gue. Bien loin de s'étonner que la langue latine se soit si vite abâtardie et désorganisée, on admirera comment elle a pu résister plusieurs siècles à tant d’influences délétères et se montrer si pure, si belle encore, si éloquente, si harmonieuse sous la plume du poète Claudien, de saint Hilaire de Poitiers, de saint Jérôme, de saint Augustin, de saint Léon le Grand, de saint Prosper d'Aquitaine, du Bordelais Ausone et de saint Paulin de Nole, son élève, et, près de deux siècles plus tard, chez saint Grégoire le Grand et chez le fameux Boëce. Mais, il faut le dire, c’étaient déjà même alors des exceptions, de vrais phéno- mènes : ces illustres écrivains ne sont pas eux-mêmes toujours également purs et élégants; il y a telle lettre familière de saint Augustin, telle dissertation de Boëèce, que l’on ne croirait jamais sortie de la plume qui écrivit la Cité de Dieu on la Consolation de la philosophe, si l'on ne savait pas qu'aux époques de décadence littéraire, hélas ! comme aux époques de décadence morale, on ne fait rien de beau et de bon qu'à force de lutte et de persé- vérance, et qu'au moindre relâche on retombe aussitôt en pleine barbarie. Voilà une première explication. Inutile d'entrer dans les détails et de montrer par des exemples, ainsi que l'ont fait tant de grammairiens et d'étymologistes, comment certains mots se sont raccourcis ou allongés; comment dans d’autres les sons et les articulations se sont modifiés ou substitués les uns aux autres; comment certaines terminaisons, rares d'abord, se sont multipliées par l’ana- logie et ont fini par envahir la langue; comment des tours, des expressions, soit grecques, soit poétiques ou populaires, soit barbares, ont prévalu peu à peu ; com- ment enfin, avec un peu d'habitude, on reconnaitra, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 621 même dans notre français actuel, non seulement le latin barbare du moyen-âge, qui n’était souvent que du vieux français latinisé, mais le bon vieux latin de Plaute, de Térence, de César, barbarisé, défiguré si l’on veut, mais conservant encore, sous son accoutrement vulgaire, quel- que chose de son antique splendeur. Joiguez-y le mélange des idiomes grecs, celtiques, germains, ibériens, et de toutes leurs variétés; assurément, Messieurs, il n’en faut pas davantage pour se rendre compte de la formation de nos langues néolatines, de leurs dialectes, de leurs patois avec toutes leurs singularités. On concoit, en effet, que chaque nation barbare, que dis-je? chaque peuplade, chaque bande, chaque famille a dû, en adoptant le latin de gré ou de force, le prononcer à sa manière, le corrompre plus ou moins dans la prononciation ou dans la construction, suivant que l’idiome natal opposait plus ou moins de résistance. De là ces articulations si diffé- rentes d’un même mot, d'une même lettre; cette sonorité plus ou moins pleine, plus ou moins sourde et incomplète des voyelles et des diphthongues; ces variations infinies de l’accent d’un canton à l’autre, d’un village à un autre village, d’un hameau de ce village au hameau le plus voisin, et souvent de famille à famille. Ajoutez à ces causes les révolutions. survenues depuis la formation des nouveaux dialectes, les migrations, les importations des étrangers, les imitations des dialectes voisins, l'influence à des degrés divers de l’idiome national, et surtout les alliances des familles qui confondent et mélangent plu- sieurs langages dans un seul, lequel n’est plus tout à fait, chez les enfants, ni celui du père, ni celui de la mère; et ainsi de génération en génération. Quelque naturelle que paraisse cette explication, que je 622 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. crois bien près de la vérité, elle n’a pourtant pas satisfait tous nos philologues modernes; les Italiens surtout, je veux dire les Toscans, ont raffiné sur l’origine de leur beau dialecte devenu la langue nationale et classique de toute la Péninsule; et il faut avouer qu'il forme une exception unique entre les dialectes de l'Europe méri- dionale, et notamment entre ceux de l'Italie, par la dou- ceur merveilleuse de sa prononciation, par la netteté et Ja variété de son accent tonique, enfin par le privilège rare de n'offrir jamais de consonne isolée et sourde ni à l'intérieur, ni à la fin des mots; là, en effet, chaque consonne est constamment appuyée sur une voyelle, et cette voyelle est toujours sonore. Comment ces critiques italiens expliquent-ils ce phénomène? Le voici : Chez les anciens Romains, disent-ils, aux époques même les plus littéraires, il y avait deux sortes de latin : l’un, grammatical et aristocratique, à l’usage des grands et des lettrés; un autre, libre et populaire, plus vif et plus court, plus mélodieux dans sa prononciation, plus direct dans sa construction : c'était le latin du petit peuple et des esclaves romains, lngua vernacula, comme on la nommait alors, espèce de patois ou de langage infé- rieur, auquel les auteurs ne s’abaissaient guère, mais qui, par sa marche dégagée, son orthographe simplifiée, ses abréviations élégantes, par le retranchement des conson- nes finales et par la simplicité de son tour et de sa phrase, se rapprochait beaucoup plus des goûts et de l'intelli- gence du peuple, et devait finir par dominer. C’est ce qui arriva, disent les critiques florentins. Tandis que le latin officiel se parlait encore, ou du moins s'écrivait à la cour des empereurs romains, tout le monde, même les riches, parlait en famille cet autre latin populaire qui datait de ns | + F VINGT-QUATRIÈME SESSION. 623 plus loin qu’'Ennius ; latin moins savant, il est vrai, mais plus naturel et plus doux. Ainsi, Messieurs, se serait formé l’idiome toscan, ou plutôt cet idiome, d’après cer- tains étymologistes, ne serait que la continuation du latin populaire de l’ancienne Rome, fidèlement conservé par les habitants du beau pays « qu’arrose l’Arno; » ce latin vulgaire, contemporain du latin classique et officiel, aurait fini par le supplanter, comme dans toutes les révo- lutions les masses plébéiennes tendent à supplanter les familles aristocratiques et bourgeoises. Eh bien ! étendez ce raisonnement, comme l’a fait M. Fauriel, étendez ce raisonnement aux autres idiomes dérivés du latin, vous aurez un second moyen d'expliquer la formation de nos langues néolatines, de nos dialectes et de nos patois. On pourrait demander pourquoi le patois varie si fort d’un lieu à un autre, tandis que le français est le même partout. La réponse est bien simple : le français d’aujour- d’hui s'écrit et s’enseigne comme le latin, comme le grec, comme une langue morte, enfin; qu’on cesse de l’enseigner et de l'écrire, il retombera dans le chaos d’où il a été tiré. C’est ce qui arriva au latin par l’irruption des barba- res du nord; saint Grégoire de Tours, un évêque, un historien, un savant, se plaint et s'excuse de ne savoir pas la grammaire, vu que de son temps on ne trouvait plus de maîtres pour l’enseigner. La grammaire ne fixe pas seulement les langues, elle les unifie, si je puis parler ainsi; elle impose à tous un dialecte, et dans ce dialecte une variété, un type particulier qui, sans détruire les autres, finit par les dominer et par s'étendre au-dessus d'eux. Qu'un patois, même le plus grossier, devienne ainsi, pour une cause ou pour une autre, le langage avoué de toute une nation, il finira par se polir et s'élever et 624 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. prendra une consistance uniforme et classique. La langue d’oùl, le haut allemand, ont eu ce bonheur; l’idiome provencal et celui de la Souabe, bien plus harmonieux que leurs rivaux, ont été rejetés. Pourquoi? A bien cher- cher on en trouverait la cause ailleurs, sans doute, que dans le hasard ou dans ic caprice d’une cour. Mais ce n’est pas notre but pour le moment. Après avoir montré l’origine ou les origines de nos patois en général, je dois dire un mot de leur valeur res- pective, de leurs caractères spéciaux, enfin de leur utilité actuelle et de l'espèce d'intérêt qui s'attache à leur con- servation. Ici, Messieurs, je n'hésite pas à mettre au premier rang le patois provençal ou languedocien, tel qu'on le parle et qu’on lécrit à Aix, à Montpellier, à Béziers, à Toulouse et jusque dans les Cévennes. Ses productions littéraires sont nombreuses, et sans parler des anciens troubadours, dont M. Raynouard a réuni les principales pièces en six volumes, il suflirait de nommer les poésies de Roumanille et de son école, celles de Jasmin, les fables de Diouloufet, les géorgiques patoises du prieur de Pradinas, les élégies du troubaire Lacroix, d’Alais, naguère couronné à Aix, et enfin le savant dictionnaire du vénérable docteur Honnorat, de Digne, pour prouver la supériorité de ce dialecte sur tous les autres patois de la France. Quant à sa valeur intrinsèque, elle tient sans doute beaucoup à ses mots pittoresques, mais elle tient surtout à sa prononciation vive, nette et sonore : et s’il m'était permis d’assigner un rang aux autres dialectes du midi et du centre, je dirais qu'ils priment d'autant sur leurs rivaux qu'ils approchent davantage de cet incompa- rable patois. Quant à ceux du nord, ils excellent surtout et offrent de l'intérêt d'autant qu'ils reproduisent mieux une partie de notre vieille langue d’oil. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 625 Je n'ignore pas, Messieurs, que certains littérateurs font bon marché de ces langues populaires, de ces jargons, de ces baragouins, comme ils les appellent. Il ne faut pas s'en étonner. On condamne aisément ce qu’on ne com- prend pas; or, la plupart du temps, on ne sait pas le pre- mier mot de ces idiomes populaires, ou si on en sait quel- que chose, on n’a pas pris la peine de les approfondir, an ne les à jamais goûtés dans toute leur saveur. Ce mépris superbe tient à une autre cause. On s’imagine qu'ils sont un obstacle à la diffusion du beau francais, et, par conséquent, à la civilisation. Ici, Messieurs, j'ose soutenir une opinion directement contraire. Et, d’abord, bien loin d'être un obstacle à la connaissance du francais, ils y aident puissamment. Ecoutez Charles Nodier, cet écrivain si original. « Je demande, dit-il, sile diction- « naire concordant des patois d’une langue ne serait pas « un des plus beaux monuments que l’on püt élever à la lexicologie; je connais tel de ces singuliers langages « qui fournirait à l'explorateur habile plus de curiosités « et de richesses que cinquante de nos glossaires. » Voilà l'opinion d'un de nos plus spirituels et de nos plus pro- fonds lexicographes. Je pourrais en citer beaucoup d’au- d'autres, Raynouard, Fauriel, Génin, Ampére; mais prouvons la chose autrement. Ilest reconnu qu’une lan- gue ne Sapprend bien que par la comparaison ; il est reconnu aussi que cette comparaison de deux langages entre eux, qu'elle se fasse instinctivement, ou bien par un enseignement régulier et suivi, est, pour l'intelligence encore tendre des enfants, la gymnastique la plus attrayante et la plus efficace. Cette traduction incessante qui se fait d'esprit et de bouche du patois au francais, du français au patois, les prépire admi'ableme:t à des Gtudes jus Il 40 À 626 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. fortes et plus relevées. Ces exercices préliminaires, dont ils sont redevables à leur naissance ou à leur position, donnent aux enfants de famille qui habitent la campagne un avantage réel sur ceux des villes dans lesquelles on ne parle pas de patois proprement dit; et c’est probable- ment à cette circonstance que les premiers doivent en grande partie leur extrême facilité pour l’étude du latin, du grec et des langues étrangères. En effet, ils y viennent déjà exercés et aguerris par l'apprentissage qu'ils ont dû faire de deux idiomes dès leur bas âge; les autres, ne connaissant qu'une manière de s'exprimer, et n’en soupconnant point d'autre, s'étonnent d'abord et mollis- sent dans cette lutte contre un langage nouveau ; souvent même ils y répugnent presque invinciblement et ne réussissent qu’à la longue et à force de peine. Sous ce rapport done, les patois, bien loin d’être nuisibles, sont utiles, et, s’il est vrai, comme on ne peut en douter, que le latin aide puissamment à connaître à fond le francais, le patois qui aide à mieux connaître l'un et l’autre, qui leur sert d'intermédiaire et d'interprète, ne saurait être qu'un auxiliaire extrêmement, intéressant. Quant aux vices de prononciation qui viennent du patois, ils ne sont malheureusement que trop fréquents et opiniâtres ; mais à qui la faute, sinon aux parents et aux instituteurs ? Avec un peu de soin, ces vices disparaîtraient; il y a plus, en prononcant également bien et le patois de son village et le francais, l'enfant aurait acquis une grande facilité pour se plier à l'accent des langues vivantes, dont l'étude est devenue un des grands besoins de notre époque. Dureste, Messieurs, cette destruction des patois, que quelques-uns désirent et conseillent, que d’autres voient avec indifférence, qu'un petit nombre redoute, elle s’ac- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 627 complit tous les jours avec une rapidité croissante, et je crains bien qu’elle ne s'achève trop tôt. Je vois bien les pertes, mais je ne vois pas le profit; je voisle paysan échanger son patois énergique, et souvent pittoresque et original, pour une langue polie, il est vrai, mais qu'il maniera toujours difficilement, et qui, après tout, ne peut que se corrompre dans sa bouche et retomber peu à peu dans le jargon. À moins d’une culture complète et libérale, s'étendant à tous les enfants de la nation à la fois, et maintenue pendant de longues années, je ne vois pas la possibilité de greffer convenablement le français parmi nos populations du midi, c’est-à-dire de manière à com- penser la perte de leurs patois. Au surplus, cette croisade entreprise contre les dialectes populaires dans certaines académies de province, est-elle bien légitime ? est-elle réfléchie? Je crains que non, Messieurs. Jusqu'à présent, je vois toutes les langues littéraires entourées de dialectes, de patois, sorte de cortége providentiel, qui, par son humi- lité, relève l'éclat de ces reines de l'intelligence ets’acquitte pour elles d’une foule d’offices auxquels elles ne daignent _ pas s’abaisser. Le grec avait ses nombreux dialectes, dont quelques-uns étaient très-imparfaits et presque point littéraires, dont quelques autres semblaient consacrés exclusivement à certains genres d’écrits en prose ou en vers; le latin avait ses patois ou ses jargons, dont on trouve des traces nombreuses dans les glossaires, et sur- tout dans les inscriptions funéraires des premiers siècles de l’ère chrétienne ; les provinces de l'Italie, de l'Espagne, de l'Allemagne ont aussi leurs idiomes particuliers. On ne voit pas que ces idiomes aient corrompu la langue nationale, ni que les savants de ces pays se soient jamais plaints de leur existence. Au contraire, chacun choie et 628 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. caresse le sien tout en cultivant la langue dominante; et si on ne songe pas à les faire prévaloir, on songe encore moins à les faire disparaître. Imitons cette sage réserve, Messieurs, et sinos patois sont moins riches et moins harmonieux que ceux du midi, si même, dans quelques cantons du Haut Dauphiné, le dialecte du peuple est dur, grossier, et pour ainsi dire épais et limoneux comme le terroir, ne craignons pas de pénétrer et de remuer ce limon, nous y trouverons souvent des perles, comme Virgile en trouvait, dit-on, dans le fumier du vieil Ennius. Maintenant, Messieurs, j'aborde la question du pro- gramme; mais je sens, avant d'y entrer, combien j'ai besoin d’indulgence, soit pour avoir fait un si long préambule, soit pour oser y coudre des observations tout à fait incomplètes et très-probablement aussi tout à fait insuilisantes. Je vous avouerai d'abord que je suis assez mal ren- seigné sur les productions diverses en patois de Dauphiné, qui est la première partie de la question posée. Après tout, ce n'est peut-être pas tout à fait ma faute. A part le dialogue si connu De le quatro comäre et l'élégie inti- tulée : Grenôblo malherou, je ne sache pas que l’on trouve. rien d’imprimé en patois dauphinois chez nos libraires de Grenoble. M. L. Fochier, avocat distingué du barreau de Bourgoin, a eu l’heureuse idée d'imprimer, à la suite d’une notice intéressante sur Bourgoin et quel- ques localités voisines, la parabole de l'Enfant prodigue en patois du pays; ce morceau, tout insuflisant qu'il est pour faire connaître les ressources de ce dialecte, fait plaisir à lire; on y voit au moins les principales flexions des noms et des verbes beaucoup mieux qu'on ne pourrait VINGT-QUATRIÈME SESSION. 629 le faire dans la traduction officielle du Pater demandée par la Convention, sur la motion de l’abbé Grégoire, à toutes les communes du territoire français. La pensée de Grégoire avait une haute portée; et bien qu’elle ne fût pas neuve, puisque nous la trouvons exécutée pour les langues diverses de l'Europe dans la géographie histori- que et commerciale de l’écossais William Guthrie, mort à Londres en 4770 , on doit savoir gré et tenir compte à Grégoire d’avoir conservé, au milieu de ses erreurs politi- ques et religieuses, un sentiment aussi vif et aussi cons- tant pour la gloire et la civilisation de son pays. J'ignore ce qu'est devenu le recueil de Grégoire, si même il y eut un commencement d'impression ou de publication; mais en complétant son idée par des morceaux plus longs que le Pater et dans un langage plus libre que celui de la prière, et en y joignant, pour éviter toute confusion, un traité des signes alphabétiques employés par ces traduc- teurs, on eût fait une des œuvres les plus nationales à la fois et les plus curieuses. Eh bien, Messieurs, la première partie de cette œuvre a été tentée. Par qui? Vous ne le devineriez pas : par les bons Frères ignorantins. Un dia- logue sur les principes de la sphère , sorti d’une de leurs maisons de Paris, court d’une école à l’autre sur tout le territoire français; dans ce dialogue il y a un rôle fort intéressant qui doit être traduit et débité en patois du pays où chaque école est établie; etcette traduction, ne croyez pas que les bons Frères.s'en chargent: la plupart du temps ils ignorent le patois du village ou du bourg où l'obéissance les a placés. C’est un de leurs élèves les plus intelligents, et, leplus souvent, celui-là même qui est chargé du rôle en question, qui doit s'acquitter de cette besogne ; et si j'en juge par celui que j'ai entendu il y a 630 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. quelques années à Bourgoin, c'est un petit chef-d'œuvre de naturel et de franche gaité. O sancta simplicitas ! La pensée des bons Frères n’est pas assurément de fournir des matériaux aux recherches des linguistes; mais qu’im- porte ? n'est-ce pas ainsi que se font les meilleures choses, sans le vouloir? Quand Pétrarque écrivait ses poésies en langue vulgaire, il croyait s'amuser ; sa gloire, selon lui, reposait tout entière sur ses œuvres latines; ses œuvres latines sont à peu près oubliées; ses vers italiens font les délices des vrais littérateurs. Mais, pour rentrer dans notre sujet, ne pensez-vous pas, Messieurs, que l’idée des bons Frères de la Salle, qui n’ont eu, eux, d'autre but que d'amuser en les instruisant, ou d’instruire en les amusant, la foule d'auditeurs plébéiens qui se pressent toujours à leurs distributions de prix, ne pensez-vous pas que cette idée pourrait être mise à profit pour la science, et qu'un recueil de dialogues dans le genre de celui des bons Frères serait d’un grand secours pour l'étude des dialectes ou des patois de notre province? Du reste, Molière en a donné l’exemple dans plusieurs de ses farces les plus comiques ; et assurément cet exemple vient d’assez haut pour que l'on ne craigne pas de l'imiter. Une collection plus intéressante et d’une portée beaucoup plus littéraire, ce serait le recueil des chansons et légendes patoises qui sont encore dans la mémoire de quelques rares villageois, et qui ne manqueront pas de périr tout à fait si l’on ne se hâte de les fixer par l'écriture. Alors, . Messieurs, nous aurons des sujets d'études sérieuses. C'est ce qu'a fait avec un rare succès M. Lavillemarqué pour la Bretagne; c’est ce que vient de faire pour sa pro- vince M. Boüillet, dans le Recueil des chansons et bour- rées de l'Auvergne, dont il a fait hommage au Congrès. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 631 Ces deux auteurs y ont joint les airs des chansons; il faudrait les imiter en cela comme en tout le reste. Mais un travail plus important, qui complèterait et vaudrait à lui seul tous les autres, c’est la confection d’un glossaire raisonné et d’une espèce de grammaire composée des principaux dialectes et patois du Dauphiné. Croyez-le bien, Messieurs, il y aurait dans cette œuvre, sinon beau- coup de gloire, au moins beaucoup d’érudition neuve et beaucoup d'intérêt. Car, non-seulement on aurait la salis- faction bien légitime d'apprécier, en les comparant, les divers langages de notre province, leurs métaphores, leurs proverbes, leurs allusions, et d'entrer par là plus profon- dément dans l'esprit de chaque pays : car l'esprit d'un pays est tout entier dans sa langue ; mais on aurait peut- être à sa disposition un des moyens les plus sûrs et les plus directs de déterminer au juste les origines de nos patois, et, par conséquent, les origines mêmes des popula- tions qui parlent ou qui ont parlé ces patois : question souverainement intéressante au point de vue de l'histoire et de l’ethnographie du Dauphiné ! Enfin, Messieurs, on trouverait peut-être aussi, dans ces diverses productions anciennes et nouvelles, quelques idées littéraires, quel- ques tableaux de la vie champêtre, certaines peintures, certains aspects du cœur humain, qui réveilleraient dans l'âme de douces et pures émotions. On entrerait beaucoup mieux dans la vie du peuple des campagnes; on saurait ce qu’il est, ce qu'il sent, ce qu'il vaut; on connaïitrait ses instincts, on les exprimerait. Qui ne s’est pas pris à rêver quelquefois, comme Brizeux ou Charles Reynaud, -une vie, ou si vous le voulez, une poésie simple et naïve comme la nature, une poésie vraiment populaire ? On n’approchera jamais de cet idéal sans se faire campagnard, 632 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. comme Homère, Théocrite, Virgile, Lafontaine, Burns. Pour se faire paysan, Messieurs, il faut connaître la langue des paysans. Je vais plus loin, pour civiliser l’homme des champs et l'élever jusqu’à soi, comme on disait naguère, il faut savoir s’abaisser jusqu’à lui. Ce n’est pas avec des phrases savantes, avec des tours bril- lants, avec une nomenclature moitié grecque, moitié latine, que vous gagnerez le paysan, que vous le touche- rez, soit dans vos allocutions au conseil municipal, soit dans vos prônes et catéchismes à l’église, mais bien en accommodant votre langage au sien, vos idées à ses idées, vos images à ses images, vos sentiments à ses sentiments. Il faut s'identifier avec lui pour le remuer jusqu’au fond des entrailles et le convertir : et pour cela il faut savoir sa langue. | Messieurs, je quitte à regret ce côté de la question, car je vois s'ouvrir des horizons immenses au point de vue de l'éloquence, de la poésie et de l'esthétique. Je me hâte de revenir à l’origine de nos patois. Ces patois sont nombreux; ils changent souvent d’un village à l’autre. Cette variété ne doit point nous étonner; elle est dans la nature même de ce que nous appelons patois, sermo patrius. Nous en avons assigné les causes principales; essayons d'en donner d’autres, au risque de nous répéter quelquefois. Dès lors qu'une langue ne s'écrit pas ou cesse de s’écrire, elle doit, à la longue, se fractionner en autant de dialectes qu'il y a de villages ou d’endroits habités. Ces dialectes se conservent par l’habi- tude de converser avec ses parents et voisins, et il s'éta- blit alors une sorte de coutume ou de grammaire pra- tique qui a ses règles et qui fait loi. Si ces populations sont séparées entre elles par des forêts, des montagnes ou VINGT-QUATRIÈME SESSION. 633 des rivières, il se pourra que leurs dialectes respectifs ne changent pas, ou changent au moins fort peu pendant de longues années ; mais s’il survient des révolutions, des invasions, des migrations; si, par des mouvements plus ou moins brusques , la majeure partie de la population indigène est remplacée par une population étrangère, alors on concoit qu'il peut arriver deux choses: ou bien l'étranger imposera sa langue, ou bien il adoptera celle du pays; dans le premier cas, il y aura un change- ment profond, peut-être fatal; dans le second, il ne s'in- troduira que peu de mots étrangers, mais l’accent et la syntaxe seront modifiés: c’est l’histoire de toutes les lan- gues qui se parlent dans la grande famille des hommes à la voix articulée, comme disent les traducteurs d'Ho- mère, ou à La voix divisée, c’est-à-dire aux accents di- vers, comme il faudrait peut-être l'entendre. Un troisième cas peut exister, c’est que plusieurs populations se mé- lent pacifiquement tout en conservant leur idiome respec- tif; on sent qu’à la longue il se fera un mélange des di- vers idiomes, et que, suivant l’attrait ou la répulsion de certains sons, de certains mots, de certains tours, Suivant le plus ou moins d’aflinité ou de ténacité des races, le nouveau langage se rapprochera ou s’éloignera davan- tage de l’une ou de plusieurs des sources où il a pris son origine. Ajoutons-y les mille changements qui peuvent survenir dans le cours des siècles: par la création de mots nouveaux, surtout des onomatopées; par des immi- grations successives; par les rapports constants el suivis avec les peuples voisins; par l'introduction d'arts jus- qu’alors inconnus et de leur nomenclature ou termino- logie; par l'influence du climat, qui modifie les organes de la voix; par l’imitation des familles dominantes; par 634 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le caprice, par la mode enfin; nous aurons l’idée d’une variété infinie qui approche de la confusion. Mais ne nous effrayons pas, des traits généraux nous restent; ils nous sufliront pour établir une division, une classifica- tion; essayons donc de diviser et de classer. Pour peu qu'on ait voyagé dans le Dauphiné ,:on reconnaît d’abord deux sortes de patois: ceux du Bas-Dauphiné, qui se rap- prochent du provençal, et ceux du Haut-Dauphiné, qui ont beaucoup de rapport avec ceux de la Bresse, de la Savoie et du Lyonnais. J'entends par le Haut-Dauphiné toute la partie du département de l'Isère et cette partie de celui de la Drôme comprise entre l'Isère et le Rhône, et, de plus, toute la rive gauche de l'Isère depuis l’embou- chure de la Bourne jusqu’à Pontcharra, la vallée de Vi- zille, une partie de celle de l’Oisans ‘en tirant une ligne vers le nord-est jusqu’au Rivier d’Allemont. Tout ce qui est au midi de cette ligne est censé appartenir au Bas- Dauphiné; à savoir : une partie du Vercors et du Royan- nais, le Trièves, la Matésine, le Dévoluy, le Champsaur, le Brianconnais, l'Embrunais , le Gapencçais ,-en un mot toutes les vallées arrosées par la Durance et par ses af- fluents, depuis le Lautaret et Nevache jusqu'aux limites de la Provence ou du Comtat, et enfin toute la partie du département de la Drôme qui est au sud de l'Isère. Les patois du Haut-Dauphiné peuvent se diviser en quatre groupes principaux : 4° celui de la vallée de l'Isère, depuis Saint-Marcellin jusqu’à la Savoie : c’est le plus agréable et le plus poli; 2 celui des bords du Rhône, depuis l'embouchure de l'Isère jusqu'à la hauteur de Vienne ou de Givors, et même jusqu’à la Guillotière : c'est celui des mariniers et de toutes les populations ri- veraines du grand fleuve; 3° celui des plaines de Bièvre YINGT-QUATRIÈME SESSION. 635 et de la Valloire, qui se rapproche beaucoup de celui de Saint-Marcellin ; 4 celui de l’arrondissement de la Tour du Pin et d’une partie de l'arrondissement de Vienne, qui est proprement le patois des Terres-Froides : ce dernier a la plus grandes affinité avec les patois de la Savoie, de la Bresse et du Bugey ; il règne même jusqu’en Suisse, dans les cantons de Genève et de Vaud: c’est le plus épais de tous, mais ce n’est pas le moins original. Com- mencons par ce dernier. Il est surtout caractérisé par l'articulation du ch et du ?, que l’on prononce en blé- sant, absolument comme le double tk anglais, ou comme le thîita et le dhélta des Grecs modernes. Cette pronon- ciation singulière, et presque unique en France, vient probablement des Celtes Allobroges qui habitèrent pri- mitivement ce pays, et dont le nom, suivant quelques étymologistes, signifierait peuple singulier ow étranger dans son langage, ou peut-être des Burgundes qui s’y éta- blirent plus tard et changèrent, dit-on , l'ancien nom de Bourgoin, Bergusium, en Burgundium , en patois Bro- gond. Quoi qu'il en soit de cette origine et de l’étymologie des mots Allobrog et Burgundium, si le patois des Terres-Froides est mal articulé et peu sonore dans beau- coup de mots , il est agréable dans un bon nombre d’au- tres et se rapproche beaucoup de celui de la vallée; le fond est à peu près le même : le latin et le provençal ont fourni la plupart des mots, dont quelques-uns se pro- noncent absolument de même que dans l’ancien latin. Il y en à pourtant un bon nombre qui lui sont propres et qui semblent venir de la souche primitive; plusieurs ne seraient pas indignes de figurer dans le dictionnaire de la langue française , tant ils sont bien faits et significa- tifs. Avant de quitter ce patois, dont le type le plus pur 636 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. est, dit-on, celui de mon pays natal, je signalerai deux ou trois particularités qui me semblent dignes de remar- que : la première, c'est qu'on y trouve presque toutes les articulations et tous les sons simples et composés des au- tres langues, entre autres les deux prononciations du th anglais, si difficiles aux étrangers, les sons ing, aou, ai, qui ne les embarrassent guère moins; la seconde, c'est que de tous les patois ou dialectes dérivés du latin, il est à peu près le seul qui ait conservé le conditionnel passé en un seul mot (s22b2 fuissem, illi dicissem ; si d'y fuissou, de lhi dizissou), bien plus usité que le tour ordinaire. (Si j'avais été là je lui aurais dit : si d’jayin étà, de Ihi arin di.) Quelle différence pour la netteté et la con- cision du discours! La troisième observation, c’est que, . dans le patois des Terres-Froides, plus que dans aucun autre peut-être, bien que le vocabulaire soit à peu près le même partout, les sons et les articulations varient ex- trêèmement d’un endroit à l’autre; c’est ainsi que, dans quatre villages limitrophes le mot sou, solidum , se pro- nonce de quatre manières différentes: sû, sou, sûü, sou; le mot porte se prononce encore de trois manières : pôrta, pourta, prta, et chez les anciens, pouarta, comme en Provence. Cette singularité ne peut s’expli- quer, selon moi, que par des immigrations déjà ancien- nes, et par le peu dè rapports qui existait autrefois entre ces villages, à cause des bois ou des marais qui les séparaient ou qui interceptaient les chemins, lesquels chemins n'étaient, il y a quarante ans, et ne sont encore aujourd'hui, en maint endroit, que le lit même des ruis- seaux. Enfin, voici une dernière observation. Dans la vallée de la Bourbre et le long de ses derniers affluents, depuis la Tour du Pin jusqu’à son embouchure dans le VINGT-QUATRIÈME SESSION. 637 Rhône, c'est-à-dire dans les cantons de Bourgoin, de Saint-Jean de Bournay, de la Verpillière, de Crémieu et de Morestel, en un mot, sur tout le versant du nord, tout les mots en ent, ence, se prononcent à la française an , ance, tandis que dans les cantons du Grand-Lemps, de Virieu , du Pont de Beauvoisin, c’est-à-dire sur le ver- sant du midi et de l’est, ils se prononcent en ou ein, comme dans la Provence ; ce qui, pour le dire en passant, fait une règle d'orthographe fort commode pour les com- mençants. Il y a plus, quand l'orthographe française est en défaut, le patois, plus constant ou plus rationnel, maintient l'étymologie et signale une erreur manifeste de nos anciens orthographistes, ainsi, dans les mots tanche , dimanche, que nous écrivons avec un a, contre l’étymologie puisqu'ils viennent de tinca, die dominica, _ comme pervenche vient de vinca ou pervinca, comme Provence de Provincia, notre patois, comme souvent celui de la Vallée, comme le provençal, maintient l’éty- mologie et prononce ténche, diménche. Ici encore je soupconne dans le son an au lieu de en une influence étrangère aux traditions latines. On la trouverait peut- être dans l'introduction de la langue d’où! ou du patois bourguignon , ou dans la manie des paysans d'imiter le langage de leurs hauts et puissants seigneurs de Bocsozel et de la Tour du Pin, ou enfin dans le mauvais patois que les gens de ces grands personnages introduisaient dans leurs relations avec les hommes de la glèbe ; quoi qu’il en soit, on doit féliciter nos rudes paysans du pla- teau des Terres-Froides d’avoir maintenu, au moins sous ce rapport, la pureté de l'accent dauphinois beaucoup mieux que leurs frères des plaines et des vallées. Ajou- tons qu’un des signes distinctifs du patois de nos cantons 638 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du nord, c’est le changement du pronom 7e en de. Le je, qui appartient essentiellement à la langue d’otl, en s’in- troduisant chez nous y a rencontré la prononciation du th anglais doux affecté à la consonne 7; mais par eu- phonie, et pour éviter un blèsement désagréable par sa fréquence même , il a bien vite dégénéré en de, absolu- ment comme l’article anglais {he s’est changé en de chez les Irlandais. Au contraire, dans la vallée de l'Isère et sur les bords du Rhône, il a conservé l'articulation du francais, à laquelle rien ne s'opposait. Passons aux autres dialectes dauphinois. Les populations de la vallée de l'Isère ont conservé l'usage d’un patois plus élégant, c’est-à-dire plus doux et plus rapproché du francais que celui des terres froides et de la plaine. Là, le? et le ch s'articulent à la fran- caise ; la terminaison en a des noms féminins s'exprime plus fortement et avec un petit accent qui ne manque pas de grâce ; les syllabes di, du, si, mi, ni, nu, tu, ne sont pas mouillées et épaissies comme dans l’arrondisse- ment de la Tour du Pin. La prononciation, en général, est plus explicite et plus lente. Du reste, à part certains mots originaux restés propres à ce dialecte, le fond du langage est à peu près le même que dans les autres pa- tois de l'Isère. Mais à mesure que l’on s'enfonce dans les montagnes vers le midi, le sud-est et le sud-ouest, le provençal déteint de plus en plus sur le dauphinois. Au- delà de Saint-Marcellin, en se rapprochant de Romans, on commence à employer quelques personnes des verbes sans le secours des pronoms personnels. À Romans, bien que le patois soit encore loin d’être provencal , on trouve déjà un accent et des expressions qui sentent le voisinage de l'Ardèche et du midi de la Drôme. En remontant de là YINGT-QUATRIÈME SESSION. 639 vers Tain, Saint-Vallier, le Péage de Roussillon, l’in- fluence du midi s’affaiblit de plus en plus; l’accent de Vienne et de Givors (4) se prononce davantage et pénètre même assez avant dans la plaine pour atteindre Anjou, Sonnay, Moras, Beaurepaire. Toutefois , les parties de la Valloire qui se rapprochent G:41 plateau du nord-est, comme toute la plaine au-dessus de Vienne, parlent un patois qui diffère peu de celui du Lyonnais, de la Bresse et du Bugey, que nous avons dit se rapprocher beaucoup du dialecte dés Terres-Froides. Encoreune fois, la physio- nomie du patois dauphinois, dans le département de l'Isère, est parfaitement distincte. Quand on quitte le Vi- varais pour rentrer dans l'Isére, on s’apercoit tout d'un coup, à l'accent du pays, aux mots, aux tournures, aux allusions, que l’on est en plein Dauphiné. Dans la Drôme, au contraire, et dans les Hautes- Alpes, le passage est presque insensible : le patois de Montélimar, de Grignan, de Die, de Valence même et de Gap, est, à peu de chose près, le même que celui de Privas, d'Aubenas,. d’Alais : c’est le provencal ou le lan- guedocien un peu francisé, ou, si l’on veut, un peu delphinisé, mais encore vif, sonore, harmonieux. Aussi tous les pays situés au midi de l'Isère et de la Bourne ont-ils un attrait visible pour le provençal; ils l’enten- dent assez bien , ils aiment à le parler, et, bien qu'ils n’y réussissent guère mieux que les Dauphinois du nord, à cause de l'entraînement de leurs dialectes particuliers, ils n’en sont pas moins Provençaux, comme les Piémontais sont Italiens, comme les Catalans sont Espagnols. (4) Cet accent consiste surtout dans un son large el ouvert donné à l’a à la fin des mots, principalement dans les verbes qui répondent à ceux de la première conjugaison. 640 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Nul doute que les guerres de religion, qui ont trans- porté successivement dans les montagnes du Dauphiné des populations entières de Vaudois, d’Albigeois, de pro- testants cevenols, de Camisards , sans compter les restes de Sarrasins qui s'y fortifièrent après l’extermination des leurs au x° siècle, n’aient contribué à donner au langage des montagnards du midi, decà et delà le Rhône, une physionomie presque pareille, et plus approchante de l'espagnol que d'aucune autre langue européenne. Quoi qu'il en soit, leurs dialectes particuliers sont assez agréables, assez sonores, pour être écrits et même supporter le grand jour de l'impression et de la scène. Certes, on ne peut pas dire que le patois de Crest soit le plus poli de ceux de la Drôme: il est peut-être un des moins parfaits. Voyez pourtant quel parti en a tiré tout dernièrement Roch Grivel, un simple tisseur de drap, mais un vrai poète, dans deux comédies patoises : Su- zetto Trincolier et Un Moussu souqué fa, imprimées chez Marc Aurel et Chaléat, à Valence, 1856 et 1857. Si vous n'êtes pas capable de lire ces pièces dans l’origi- nal, lisez au moins la préface francaise adressée au lec- teur meridional, et vous verrez deux choses que je vou- drais faire passer dans l’âme de tous les membres du Congrès et de tous les académiciens du monde, à savoir : que les patois ont une valeur intrinsèque très-considéra- ble dont on ne peut juger, comme de celle de toute lan- gue, qu’en les connaissant à fond; et, en second lieu, que la connaissance et même la culture de ces patois n'empêche pas ceux qui s’y livrent d'écrire admirable- ment la langue nationale. Je ne puis résister au plaisir de vous citer quelques lignes de cette préface, qui vaut à elle seule teutce qu'ona ditet Ccritsurlesujet qui ous occupe. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 641 AU LECTEUR MÉRIDIONAL. « Une comédie de province, c’est-à-dire condamnée d'avance , Paris €tant la scitle cité f'ancaise cù les œu: res littéraires aient le droit de naître et la chance de vivre. - « Ce n’est pas tout: une comédie en vers, pensée et écrite par un ouvrier, un véritable ouvrier, qui, fier de son métier, fier de son pays, heureux de vivre à la fois par le travail et par le labeur de l'intelligence, rime le soir, quand il n’a rien de mieux à faire; écrit le diman- che et les jours de fête chômée, et tient à honneur sur- tout de consacrer, par un tissu irréprochable, la supé- riorité de sa navette. « Attendez ! autant vaut, notre parti étant courageuse- ment pris, dire tout d’un coup jusqu'à quel point nous sommes coupables. « Une comédie en patois! — Voilà ce que nous avons l'audace de vous offrir, ami lecteur; voilà l’œuvre que nous livrons à votre sévérité ou à vos applaudissements. « Et d’abord, notez bien que c’est à vous seul, lecteur, que nous nous adressons; car nous tenons déjà et nous gardons précieusement l'opinion des auditeurs. Nous tenons leurs bravos, leur concours empressé, leur rire sympathique ; nous gardons le souvenir de leur joyeux entrain dans ces deux soirées où Suzetto Trincolier put, grâce à eux, porter aux pauvres la dot généreuse qu’ils versèrent deux fois dans son tablier. . . . . . . « Mais il reste encore, de par le monde, les amis de la pensée et de l’art, les amateurs de l’expression, gens qui IT a 642 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. aiment à raisonner leur approbation, à motiver profon- dément leur opinion; il reste, en un mot, les délicats. C’est pour ceux-ci que les caractères typographiques vont se réunir sous la presse, étonnés de former des mots in- connus et de se grouper en vu étranges représentant des sons inouis. . . . ne « Causons-en donc à Hotte aise, Fe ne Re patoise, éveillée, franche et naïve; de cette joyeuse luronne qui, le poing sur la hanche, est venue faire au milieu de nous un cours de morale, — et des meilleurs, — et dé- velopper cette thèse si élevée, si hautement philosophi- que, si profondément sociale, à savoir que nous sommes heureux ici-bas en raison directe du bien que nous ré- pandons autour de nous. . . . s s c « Voilà toute la pièce, voilà le Dent ren paie a- nime, qui donne un sens plus intime et plus profond à toutes les expressions si nettes et si vives, à tous les idio- tismes si nerveux de ce bienheureux dialecte patois; qui fait ressortir, avec tant d'énergie, le mot, le trait, le sens délicat ou violent, toute cette vie forte et primitive de la pensée populaire. « Car Grivel est un savant dans cette langue si vieille et si leste qui touche en maint endroit au vigoureux parler de Rabelais ; il connaît et il sait apprécier toutes les mer- veilleuses ressources de ce gazouaillis, —comme aurait dit Estienne Pasquier, — et il faut voir comme il sait le mettre en œuvre et le manier, en quelque sorte, d’une main magistrale. « Aussi c’est avec un vrai plaisir, avecun empressement que nous ne songeons pas à dissimuler, que nous venons, ami lecteur, vous convier à l'admiration de ces vers frap- pés à l’emporte-pièce dans notre langue intime, la langue VINGT-QUATRIÈME SESSION. 643 de notre enfance à tous, la langue aimée de nos pères, le patois, ce patois cordial, familier, ‘expressif, que, vieux et jeunes, nous allons chercher dans nos souvenirs toutes les fois que nous avons à dire quelque chose de directe- ment intéressant dans notre foyer; ce patois qui suffit à lui seul, lorsqu'ils sont loin de leurs montagnes, pour improviser une confiante affection entre nos conci- toyens , aux premiers mots prononcés dans cet idiome sa- cré, signe de reconnaissance et de ralliement qui crée loin de notre pays de soudaines fraternités! « Songeons-y et soyons-en fiers ! 1] n'est pas donné à tout le monde de partager ici nos plaisirs. Nous sommes les privilégiés de cette littérature autochthone, et je ne sais pas pourquoi, au début de cette causerie, j'ai mal à propos rappelé la suprématie de Paris. Paris ici est incompétent. « Il est vrai qu’un jour il prit fantaisie à l’Académie française de tresser des couronnes pour un autre poète patois : Jasmin, le gracieux trouvère, égaré dans notre xix° siècle. Mais c’est aujourd’hui un fait constaté au grand dam de cette pauvre Académie. française : elle écouta beaucoup Jasmin, elle l'applaudit encore plus et le couronna avec enthousiasme : — Je tout, de confiance ! — Elle nel’avait pas compris; et le poète revint dans son Midi rayonnant avec toute sa gloire que les éloges officiels n'avaient pas compromise. « Honni soit qui mal y pense ! Nous ne sommes pas égoistes ; mais nous avons le droit de garder pour nous seuls, qui seuls la pouvons comprendre, cette poésie patoise, et de dire aux gens du Nord, aux gens de la lan- gue d'oùl : — les profanes n’entrent pas ici ! « Alexandre GRESSE. « Aouste, 10 mai 1886. » 644 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Ces paroles n’ont pas besoin de commentaires : elles sont un peu vives, sans doute; mais quand on est juge compétent, comme M. Gresse, on a le droit de dire toute sa pensée. Je trouve, résumé dans la Revue du Dauphiné (vol. 4), par M. Jules Ollivier, tout ce que l’on peut dire de plus raisonnable sur les patois de la Drôme et des Hautes- Alpes. Il m'a semblé plus loyal et plus utile de copier ce travail que de limiter. Après avoir fait comprendre et toucher au doigt l'impossibilité de représenter par des signes phoniques toutes les variétés d’accent, de sons et d’articulations qui se rencontrent dans les patois, M. Ollivier continue ainsi : « En effet, bien que tous dérivés d'une origine com- mupne, les patois du Dauphiné, malgré l’affinité de leurs propriétés constitutives et générales de locution, diffèrent si singulièrement entre eux par les variétés de l’accentua- tion, qu'ils semblent être, à une oreille étrangère, autant ‘le langues différentes. Ainsi, la prononciation des patois du département de la Drômese rapproche beaucoup de celle du provencal, et sa fusion est complète dans les cantons riverains du département de Vaucluse : là elle est brève, rapide, musicale ; tandis qu’en remontant à l'est, et surtout au nord, le langage perd de sa vivacité, se dépouille de l'harmonie romane et contracte les aspira- tions dures et languissantes des idiomes en vigueur dans le département de l'Isère. Autant la prononciation des dialectes méridionaux du département de la Drôme est incisive, nombrée, musicalement accentuée, autant celle des idiomes du département.de l'Isère est pesante, mono- tone et décolorée ; cependant, dans quelques localités, elle ne manque pas de douceur. Dans le département des VINGT-QUATRIÈME SESSION. 645 Hautes-Alpes, les patois subissent trois influences bien caractérisées : au sud, ils se con fondent avec le provençal ; à l’est, ils s’allient à l'italien, et au nord, ils empruntent à la Suisse et à la Savoie des idiotismes germaniques. Voilà à peu près les principales divisions territoriales par les- quelles on peut tracer, entre les idiomes vulgaires du Dauphiné, des lignes de démarcation, toutefois avec une extrème circonspection, Car ce serait créer un système de classification purement théorique ets’abuser étrangement, si l’on voulait apporter dans cette appréciation la rigueur mathématique des calculs de la statistique; en effet, non seulement la prononciation varie de contrée à contrée, de ville à ville, mais elle se fractionne encore en divisions si multipliées, que le langage des hameaux les plus rappro- chés est loin d’être homogène. » Maintenant on sera curieux, sans doute, d’avoir un échantillon de quelques-uns de nos patois de l'Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes, alin de pouvoir les com- parer avec les autres patois de la France. Nous n'avons rien de mieux à faire, pour le moment, que de reproduire l'essai de Champollion, en l’étendant à des dialectes que cetillustre savant n’avait eu peut-être ni l’occasion ni la pensée d'étudier. J'ai. dit que l’abbé Grégoire avait demandé le Pater en patois à toutes les communes de la République française. Champollion a bien compris qu'une prière si courte ne suffisait pas à son dessein. Ila donc cherché pour sujet de traduction un morceau plus long, plus varié, qui fût également connu partout et moins difficile à rendre en langage vulgaire. Son choix s'est arrêté à la touchante parabole de l'Enfant prodigue, telle qu’elle est rapportée dans l'Evangile de saint Luc, ch. xv, v. 11-32. Les recherches de Champollion sur les patois du 646 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Dauphiné datent déjà d'un demi-siècle. J'ignore si, dans l'espace de cinquante ans, il n’y a pas eu des changements dans le langage de certaines localités; mais, à en juger par mes souvenirs, ces changements, s'il y en a, ne sau- raient être considérables ni s'étendre à tous les individus. Chez nos campagnards, la coutume, la tradition, l’ana- logie, tiennent lieu de grammaire. Le dévergondage de l'esprit, la manie de forger des mots nouveaux, la déman- geaison d'introduire un accent étranger, sont des vices rares. Il règne même à ce sujet, jusque dans les plus petits hameaux, une sorte d’amour-propre qui a son côté utile et qui me paraît respectable : chaque village se mo- que volontiers de l'accent du village voisin et tient à conserver le sien pur de tout alliage. C’est qu’en effet la ligne de démarcalion ne saurait être franchie impuné- ment. Dans nos humbles dialectes parlés, mieux encore que dans nos langues écrites, l'oreille est délicate et scru- puleuse : aussi, tout y est d'ordinaire parfaitement Coor- donné, suivant les lois de l’analogie et selon le génie de chaque idiome. Changez une terminaison, une articula- tion, aussitôt tout branle, tout périclite, comme dans un instrument, un ton, un demi-ton plus haut ou plus bas, vous force de tendre ou de relâcher toutes les cordes; comme dans un dessin, l'ombre plus ou moins foncée d'une partie vous oblige à renforcer ou à diminuer toutes les autres teintes. Toutefois, je ne veux pas nier les chan- gements : il s'en fait toujours peu à peu, même en pleine paix; j'en pourrais signaler dans le patois de mon village, qui est pourtant l’un des plus purs et des mieux conservés ; je les regrette véritablement, tout en avouant qu'ils sont en faveur de l'élégance et que nos paysans ont cédé peu à peu à l’exemple de tous leurs voisins, et spécialement à VINGT-QUATRIÈME SESSION. 647. l'autorité du hameau principal, devenu pour eux le centre des affaires et, pour ainsi dire, leur métropole. Dans tous les cas, si le patois donné par Champollion a vieilli, il n’en est que plus puret plus original; d’ailleurs, cin- quante ans n’ont pu suflire à le rendre suranné ou inintelligible ; les anciens sont encore là pour l'interpréter, et les jeunes le liront un jour avec une sorte de curiosité filiale qui a bien aussi ses charmes et son intérêt. Un inconvénient plus grave tient au manque de caractères alphabétiques pour rendre les diverses nuances de nos patois, et cet inconvénient s’est augmenté d’un autre qu'il aurait fallu éviter à tout prix dans des morceaux faits pour être comparés : les traducteurs de la parabole évan- gélique n’ont pas adopté le même système d’orthographe : les uns, voulant conserver des traces de l’étymologie et se rapprocher le plus possible du français, ont écrit certains mots avec des lettres qui ne se prononcent pas ou qui se prononcent autrement que dans notre alphabet (1). D’au- tres ont eu soin de retrancher toutes les lettres intérieures et finales qui ne se font pas sentir; mais, dans les liaisons, ils n'ont pas toujours su distinguer ce qui appartenait au mot précédent ou au suivant de ce qui n’était qu'une pure addition euphonique. On pense bien que je n’ai pas été si hardi que de vouloir corriger toutes ces inexacti- (1) Par exemple champs (de campos) que les uus prononcent simplement chan, d’autres {chan ; temps (de tempus) qui se pro- nonce tantôt {an, tantôt tem, ou même {ein ou (ain; entendit qui devrait, suivant la localité, s’écrire antandi ou einteindi, ou même entendi. Quelques mots d'avertissement en Lêle de chaque morceau auraient suffi ponr lever bien des difficultés. On aurait pu ainsi demeurer très-près de notre vieille langue et en faire ressortir l'unité dans l'immense variété de ses dialectes. 648 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tudes. Il faudrait être né dans le pays même où se parle chaque patois, et l'avoir soi-même parlé longtemps et d'enfance, pour être à même d'en réformer l'orthographe. Cette observation faite pour l'acquit de notre conscience, donnons d'abord quelques spécimens des patois du Haut- Dauphiné ou de l'Isère, puis de ceux de la Drôme et des Hautes-Alpes. TRADUCTION DE LA PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE, EN PATOIS DU CANTON DE LA MURE. € In homme aï dous éfants; lou pris zoinou dissé à son paire : mon païre donnas me ca que dé me revenir d’aous- trou ben; e lou païre lous fesé lou partazou de son ben. Paou de zous après lou pris zoinou di que lous dous éfants ayant amassa tout co qu'ol aï s’en allé dins in païs étranzier ben éloigné, onte aou dissipé tout son ben en excès et en débaoutches. Après qu’aoul aguet tout dépensa, la survingué ina grand famina dins quaou païsiqui, et où commencé à tcher dans la necessita. Ou s'en allit don et s’attaché aou service d'in daous habitans daou païs que lou mandé dins sa maison daous tchamps pré ly gardar laous caious. Et iqui ou l’aouri ità ben aisou d’emplire son ventre de le gousses que lous caious minzavart, mais langain ni en beilave. Enfin ayant rintra en ly meimou, ou dissé : quant l’y a lo vès mon paire de serviteurs à gazou qu'ant maï de pan que lous n’en faout, mi a moirou iqui de fam; la faout qua parteisou et qué mi alleisou trouvar mon paire et qu'à li diseisou : mon paire, m'’ai petché contra lou cié et contra vous, a nou siou pris dignou d’estre appella aoustrou éfant ; treta-me coumma in di que lous serviteurs que sont à aoustrous gazous. » en nie nn tt ts VINGT-QUATRIÈME SESSION. 649 SUITE DE LA MÊME PARABOLE, EN PATOIS DE L'OISANS. « Et de suita ou s’ère enchamira (1). Mai coumma oul approchavé, soun paré l'aperceou de louun et couriez ver Si; Zi sauté aou coulein, l’embrassiéz. Sour affant zi dissiet : paré, aye peichià contra lo cié et devant vou: ne siou pas dignou d'être appela voutrou garcoun. Mais lou paré dissiet à sous valets : aduziez-zi vitou sa premeyri roubilli, et lou vitiez leaou ; bittas zi avos uro bagua aou dei, avey seys savattes à lous pieds; aduziez lou vez gras et lou seynà; nous repattarens tous ensens; migens et fazens bonbanci, parcoque veyci moun garcoun qu'èré mort et oul ei resssussità; oul èré perdu et lou veyqui retrouva. » SUITE DE LA MÊME PARABOLE, EN PATOIS DU CANTON DE MENS OU DU TRIÈVES. ol « Ainsi comminciront à fare granda chiera et à se réjouir. Stapendant, lou fil ainé qu'era aux champs s’en- vinguit, et quand fut proché de la maisou il entendit las aubadas. Il appelit doncques un dous servitours et li demandit ce ce qu’etié qu’ovié. Lou valet li dit : « c’est que vostre frare é revendiu et vostre paire a fa tuà un viau gras, persaque la retrouvo in bonna santo. » Aquo l'ayant facho, il ne voulut plus intra dins la maisou; mais sou paire étant surti per l’en prià, aquey prit la parolo, et li disit : Vetia dujà tant d’ans que vous servou, iou jamais ne vous ais desoubei in rin de ce que mayo com- (1) Remarquez l'r pour l’n. 650 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mando ; stapandant jamais ne m’aves donno un chabrit pe me divertir obe mous amis; mais aussitot que vostre autro fil qu’à migeo tout son ben obe de fenas perduas eit revin- diu, aya fa tuà per el le viau gras. Sou paire li disit : Mon fil, sias toujours obe mi et tout ce qu’aye eit vostre ; mais faillet ben fare una fêta et nous rejoui perqué vostro frare que véci era mouort et é reussuscità, era perdu et & retrouvo. PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE, EN PATOIS DU CANTON DE PONT EN ROYANS. « I ome ayo dou-z-effans, dont lo plu zoine disit à son père : Mon père, baillé-mé ce que dio me reveni de voutre bien ; e lou père li fi lou partage de son bien. Pou de jours aprè, lou plu zoine de lou dou-z-effans ayan ramassa tout ce que ayo, s’ein allit dein un paï étrangé bien loin ounte ou dissipi tou son bien ein excès e ein debouche. Aprè ayt to dépensa surveni una granda famina qué paï-z-ili e ou commenci à tombà ein necessità. Ou s’ein alli don et s’attachi au service d’ein abitan dou pai que l’envoui a sa meizon dou champs pè garda lou pourceaux. Etiti, ou auro ità bien aise de rempli son ventre de le écosses que lou pourceaux migeavan, mé personne ne l'y en baillave. Enfin itan intrà din lui-même, ou dissi : combien y a té din la mézon de mon père de valets à gage qu'an mé de pan que leur en fau, e mi suis ici à mourir de fan. Faut que me léve e qu’aille trouva mon père e que l'y disou : mon père, mi ai péché contre lou ciée contre vous, et je ne sio plu dignou d'être appellà voutre fils; traité-me coume ein dou valet que son à voutre gage. » VINGT-QUATRIÈME SESSION. 651 SUITE DE LA MÈME PARABOLE, EN PATOIS DU CANTON DE BEAUREPAIRE. « Ou se levit don et s’en venit trovà son père et lors- qu'oul ère einco bian loin, son père l’apercevit et en fu touchà de compassion, et courant à leu ou se jetit à son colin et l'embrassit. Et son garcon lii dissit : Mon père, jé pechà contra lo ciel et contra vo et je ne so plus digno d’être appelà voutron garçon. « Alors lo père dit à sou serviteurs : Apporta pronta- ment la premièri roba et l'en revétié, et metla-lii ina bagua ou dé et de solié à sou pieds, addiute avo lo vio gra et tua-lo : migeons et fan bonna chéra, parce que mon garçon que vitia étié mor € qu’'oul è ressucita, e y commencérant a fare festin. Cependant son garcon aîné qui ère dans lou champs revenit e quand ou fut procho de la méson oul entendit lou concerts et le bruit de que lous que chantavant. Ou l’appelit don in dou serviteurs et li demandit ce qui ère. Lo serviteur li répondit : Ié que voutron frère y e revenue voutron père à tiuà lo vio gras, parce qu'ou lo revé ein santà. Ce que l'ayan metà ein êolera ou ne voulié pas entrà dan lo logi, mé son père étant sorti pé l'an prié, ou lii fit que la réponsa: Vitia déjà tant de-z-ans que je vo servo, et je ne vous è jamé désobéi en rian de ce que vous mé-z-commanda, et cepen- dant vo ne mé jamé bailla in chouro pé me divertir avé mou-z-amis, mé dé que voutron autro garcon qu'a migea son bian avé de fene perdue y e revenu vous 6 fa tiua pé Jeu lo vio gra. Alor, lo père lii dissit : mon garçon, vous ésta tojor avé mi e to ce que jé ie ta Va, mé-z-y faillié fare 652 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. festin et no rejoi, parce que voutron frère ère mort et ou l'é ressuscità ; ou l’étié perdiu et ou l’e retrovà. » PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE, EN PATOIS DU CANTON DE BOURGOIN. « In oumou aï du-z-éfan, don le pu zouneu disi à son père : baillième ce que dé me revegni de voutreu bian, et le père fit le partageu de te son bian. Paü de tion apré, le pu zouneu de cele du-z-éfan ayant ramassa te ce qu’ou laï s'en’alli loin dan ion paï étrangi outé qu'ou dissipi absolumant te son bian an ecès et en foulianbossi. Aprè quou lu te depansa, e survegni ina granda famina an sou pai qui, è ou commanchi a tomba dans la miseri. Ou s’an alli donc ein servici da ion dou-z-abitan d’ou paï, que l’anvii ien sa maison de campagni pe gardà le cayons. E iqui ou seri éta memou bian aiseu de poussé rampli son vantre de le mauvaises écorces que mizavan le cayons, mé nion ne l’ian baïllave. Anfin etant rantra ein lui- mêmou ou diave : guératé dans la méson de mon père de domesticou qu'an mé de pan qué ne l’ian fau, a joué mi de crèvou de fan. Et faut que de me lévou e que d’allein treuva mon père, a poué de li direi : Mon père dé pèchia contreu leu ciel e vou, et de ne souë plu digneu d’être apelà voutreu-n-éfan; traitâme come ion de voutreu do- mesticou. Ou se levi don et s’an veni treuva son pére, et ou l’ettié anco bian louin quan son père l’aprecevi et en fu teuchia de compassion ; et couran a leu ou sezeti a son coulan et l’ambrachi, et son garcon li disi : mon père, dé péchia contra leu ciel et contra vou, e de ne souë pu digneu d’être appela voutreu-n-éfan. Alor le père disi a se serviteur : Appourta viteu la premieri roba pe le creuvi, VINGT-QUATRIÈME SESSION. 653 et meta li ina baga ou dey et de seulà ou pi, amena viteu éteu le vio grà et tuale; mizon et soulonne bian, parce que me-n-éfan que vitia étie mort, e ou le rechucità; ou l’étie predu, ou le retreuvà, eti commanciron à fare fes- tin. Cependant l'éné du garcon, qu’éti onco pe le terre à travailli, revin et quan-t-ou fu pré de la mézon ou l’an- tandi le brui de cele que sautavan. Ou l’apeli don ion dou domesticou a qui ou demandi ce qu'eietié, ou li répondi : e ie voutreu frère que revenu, et voutreu père a tuà le vio grà, parce que ou la revu en bouna santä. Cian qui le metti bian an couléra, ou ne vouli pas antra dan la mézon ; mé son père étan sorti pe le fare antra, ou li répondi : Vitia ban preu de zan que de vou servou, sans vous avé zamé désobéi an rian de ce que vous mé com- mandà, et pretan vous ne mé zamé celaman bailli ion cabri pe me fare de bon san avo meu-z-ami, me chitou que voutreu garcon qu'a mizia teu son bian avo de tiri- pelle é revenu, vou fête viteu tuà le vio grà. Alor le père _lidisi: Mon garcon, vou-z-éte teuzeu avo mi, e teu ce que dééta voutreu, méé failli fare frico et ne rezeui, parce que voutreu frère étie mort, ou le rechucità; ou l'étie predu, et ou le retreuvà. » PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE TRADUITE EN PATOIS DU DÉPARTEMET DE LA DROME. — PATOIS DE DIE. « Éro un homme qu'ovio doux éfons. Lou plus dzuèné doou doux li dicèt : Moun péré, bèilè mé cé qué pouo mé - révéni doou bien; et lou péré lou fogué lou portadzé. Pas gron témps oprés, lou plus dzuéné d’oquélous douz éfons, oïon ramasso tout cé qu’ovio, s’'én oné per pois dins un 654 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. éndré qu'éro bien lén, et léi dissipè tout soun ovéz én èxés et déibaoutsas. Oprés qu'oguè tout counsuma, sur- vénguè vount éro uno grondo fomino, si bien qué coum- méncè dé senti lou bésoun. S'én fugué dounc et sa louïè véz un bouon hobiton doou pois qué lou mondé dins soun douméné per go:dà lous coïous. Et quon leï fugué, n’ourio pas méi démonda qué dé sé forci lou pitré de las coffas qué mindzavoun ; mé déngu n’in dounavo. » SUITE EN PATOIS DE NYONS. « Anfin, estén intra én eou mèmé, diguè : Quan l'ia pa dé varlés din l’oustaou dé moun pèré qu’an dé pan én aboundanco, é ieou mouaré dé fan eici. Faou qué mé lèvé, qu’ané vei moun pèré è qué li disé : Moun pèré, aï péchia couantro lou ciel é vous; sieou pas dini avuro d’essé apela vouasté garcoun; trata mé coum'un dé vouastéis varlés. Sé lévè doun é vinguè veï soun pèré; mè quan soun pèré l’a- percéguè de luén, fuguè touchia dé counpassioun, cou- riguè l’énbrassà è lou béisè. Soun garcçoun li diguè : Moun pèré, ai péchia couantro lou ciel é couantro vous; sieou pas dini avuro d’èssé apela vouasté garcoun. » SUITE EN PATOIS DE VALENCE. « Mais lou pèrè diguet à sous valés : Vitè apporta un habit novè et habilla lou ; bouta li uno baguo au det et dè sou- liers aux piès. Adusè lou veau gras, matta lou, lou mind- gearen et nous règalaren ; percèquè aquel enfan èro mort eté ressuscita ; èro perdu et s’è rètrouva : et sè règalèran. | VINGT-QUATRIÈME SESSION. 655 Lou frèrè ainè èro au tchamp,; quand fuguet vengu et què sè fuguet approutcha dè la maisou, entendiguet la mu- sico et lou bru dè la danso. Alors appèlet un dau valès per sauprè qu'èro tout aquo. Lou valet li diguet: Votrè frèrè é rèvengu, et votrè pèrè o fa tuà lou veau gras, per- cèquè l’o rèviqu en bouno santa. » SUITE EN PATOIS DE CREST. « Ayco lou boutiguet taloment en coulèro, què vouliot pas intrà; mais soun pèrè sourtiguet lou priant d'intrà ; mais ly respondiguet: Veci bien quoqués ans què vous servou , sen djamais vous aver manqua en ren dè cè què m'avès coumanda, et pament m’avès djamais baïla un tchabri per mè divertir aubè mous amis; mais dret què vastè autrè garcou qu’o mandgea soun ben aubè dè fillias- sas és revengu, per ellou avès tua lou veau gras. Adounc lou pèrè diguet : Moun garçou, sia toudjours aubè mi, et tout cè qu'ai és vastè; mais souliot fairè festo et nous redjauvir, percèquè vastè frèrè què véci èrè moir et és revengu, èrè perdu et és retrouva. » PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE TRADUITE EN PATOIS DU DÉPARTEMENT DES HAUTES-ALPES. PATOIS DE LA VILLE DE GAP. « Un sarten homme aïe doux garcous; lou pus jouv dissec à soun père : Moun père, beila me la portiou dou ben que me reven ; et lou père fec en chascu sa part. Et paou de tens après, lou cadet, quant aguec fachs sa pa- coutilla, se mettec en routa et s’en anec dinc un pais 656 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. eiloigna, onte mangec tout ce qu'aïe enbe les fumelles. Et quant aguec tout fricassa , l'y aguec dinc aqueou païs acqui une grande famine, et coumensec à aver famp. S'en anec et se bettec à mestre ves un des habitans d’ac- queou pais, que lou mandec à soun fourest gardar les pueres. » SUITE EN PATOIS DE DEVOLUY. « Sa misere en aquelle accoumpatieou desplourable ereou si grande, quéneare veou souhaitave embe passieou de manjar de ce que lous cayous manjavoun, deingu pourtant ni en vourié gis dounnar. Estant enfin reintra dinsse eou même, eou disie dinsse un proufond ressen- timent de souen état: Hai quant de varlets an d’aqueis moument de pa embe aboundance dinsse la maisou de mon paire, et you muereou aïci de fam. » SUITE EN PATOIS DE LA VALLÉE DE QUEYRAS. « Le chât k'a me leve, kane troubâr moun pâire, et ka li dise : Mon pâire , ai pecha countro lou ser et derant vou, eiro à ne siou plus digne d’esser appella vouoste fil; trata me coumo un de vouostous valles, Eilse lavé dounco et vingué troubâr soun pâire; més kant êil ero encaro lueng, soun pire le vist, et toucha de coumpassioun êil eis courru l'embrassär et lou baijé. Soun mendich li a dich: Moun päire, ai pecha countro lou ser et derant vous ; à nesiou plus digne d’esser souna vouastra meina. » SUITE EN PATOIS DU MONÊTIERe « Aloura lou père dissè à sou valès : Pourta vitè la plus VINGT-QUATRIÈME SESSION. 657 bella roba et lou n’en vitè, et bota-Ili una vira aou dé et de sebata aau pée ; mena aoussi lou vel gras et tua-lou ; mingen et fazen bonna chiera, parsouqué moun bot que veiqui èra mort et aou lei ressuscita, aou lera pardu e aou lei retrouba ; ii commencarount donc de fa un festin. Cepandant soun bot l’einé que èra diens la terra revin- gué, et quant aou fussè proche de la meisou aou l’intendè lou tapage dei quesou que dansavant. Aou l’appellè donc un daou valés, et aou 1li demandè so que l’èra. » SUITE EN PATOIS EMBRUNOIS. « Lou varlecht li disék : Vouostre frère es arriba, è vouostre père a fa tuar un véo gras, parceké la vist san è sauof. L’eïné fouguék indinia, voulio pa intrar; lou père sourték defouoro è se mették à lou priar. Lou garsoun respondék à soun père: Lia souo pa kan d’anchs ké vous sérvou, me siou jamés escarta de vouestrés coumanda- miens , à m’avé jamés douna un chabrot par ké faguessi festin embe mous amis; ë kan moun.frère ka manja tout soun bein embe las fillies de mouvaso vito arribo, fasé tuar un véo gras par eou. Lou père li respondék : Moun garsoun , as toujours esta embe iou, è tout ce kaï es tiou; mes me chau rejouir è far festin, parceké toun frère kéro mouort reviou, èro pardu à l’ai retrouba. » Si l’on prend la peine de comparer entre eux ces échan- tillons de divers patois du Dauphiné, on distingue bien vite ceux de l'Isère d'avec ceux du midi de la Drôme et des Hautes-Alpes. Il est à présumer que celte différence date de fort loin, puisque déjà du temps de Chorier, c’est- à-dire il v a au moins deux cents ans, nos patois offraient Il 42 658 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. à peu près les mêmes caractères distinctifs qu'aujour- d'hui. Citons, à ce propos, deux curieux passages de l'historien dauphinois, dont il faut toujours tenir compte quand il s’agit de notre province. « Le langage vulgaire du peuple du Dauphiné n’est qu'un mélange des langues celtique, grecque el latine. Mais ce qu'il doit à la dernière surpasse ce qu'il à recu des deux autres. La première n’a plus de vie, la grecque et la latine n’en ont que dans le commerce des personnes lettrées , et cette langue grossière est née de leur corrup- tion, et en est une, pour ne rien dissimuler. La diversité des idiomes que chaque ville s’est formés la rendent fort différente d'elle-même en plusieurs lieux. Ceux qui ha- bitent cette partie de Dauphiné qui regarde la Provence ont aussi l'accent presque provençal; mais il est moins gai et plus languissant dans les montagnes et aux envi- rons de Grenoble, et un peu plus pesant dans le Vien- nois. Toutefois c'est une remarque faite par des hommes qui possèdent parfaitement tous les secrets et toutes les puretés de la langue francaise, que de tous les provinciaux il n’en est point qui se purgent comme les Dauphinois de ces péchés originels. L'eau, pour être excellente, ne doit avoir ni saveur ni odeur. Notre langue est de même, elle n’ost pas assez pure dans la bouche de ceux qui la parlent, pour peu qu’elle y retienne de l’accent propre à chaque province. Ceux des Dauphinois qui ont voulu s'appliquer à cette étude, y ontsi merveilleusement réussi que, quand ils ont paru à la cour, ils n’y ont pas moins trouyé d'ad- miraleurs que dans leur pays. Et, quoique j'ayoue que cette langue vulgaire a de la rudesse, il est vrai, néan- moins, qu’elle n’en a pas jusqu’au point d'être incapa- ble de tout emploi dans le commerce des gens de lettres. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 659 Elle a commencé à s’approcher du Parnasse depuis quel- ques années, et les Muses ne l'ont pas jugée indigne d’a- voir part à leur entretien. Cet avantage ne souffre plus qu'elle soit absolument méprisée comme une ridicule , haïe comme une barbare. » Ainsi, suivant Chorier, le dialecte dauphinois, tort différent de lui-même en plusieurs lieux, était alors 6 comme aujourd'hui, presque provençal au midi, moins gai et plus languissant dans les montagnes et aux envi- rons de Grenoble, et un peu plus pesant dans le Viennois, c'est-à-dire dans le voisinage du Forez, du Lyonnais, de la Bresse et de la Savoie, ce qui comprend tout le nord de l'Isère. Mais au fond, c’eêt une langue à part et qui, malgré sa rudesse, n’est pas tout à fait rebelle à la cul- ture. IL est regrettable que nous n’ayons pas les poésies pa- toises auxquelles Chorier fait allusion. Nous y verrions où en étaient nos patois au xvir° siècle et à quels genres on les essayait. Quant à la facilité avec laquelle les Dau- phinois se purgent de leur accent provincial et de leurs mauvaises locutions , ils la doivent sans doute à la modé- ration de cet accent qui tourmente moins les organes que les accents méridionaux, et sans doute aussi à la finesse de leur goût, ou, si l’on veut, à la délicatesse de leur amour- -propre qui leur fait fuir tout ce qui sent trop la rusticité gi l'incorrection. Mais citons encore Chorier : Extrait de Chorier, liv. XT, chap. xxv, p. 878. « Le changement de domination en a apporté aux 660 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mœurs et au langage. Il est certain que les peuples du Dauphiné ont plus de politesse aujourd'hui , et dans leur manière de vivre, et dans celle de parler, qu'ils n’en avaient avant qu'ils devinssent Français. Il semble que la civilité et la douceur soient incompatibles avec la liberté déréglée. Mais arrêtons-nous à ce qui regarde le langage seulement. Tant de nations dont cette province fut inon- dée, y corrompirent d’abord si étrangement la langue latine, que l'autorité de l’empire romain y avait natu- ralisée , qu'il est vrai de dire qu'elle fut noyée dans cette terrible inondation. Elle ne fut presque plus perceptible, si peu il resta d'elle dans le commerce des hommes. Des divers langages des peuples septentrionaux, de celui des Arabes et de celui des peuples voisins, mêlés, sans art, et confusément, avec les locutions latines ‘qui purent leur résister, il se fit un langage grossier et barbare: Il eut du rapport avec le provencal ; il en eut avec celui que l’on appelait le roman ; mais il ne fut pas si doux que celui-là, ni si réglé que celui-ci. Pour tout dire, il ne différa pas beauccup de celui qui est encore en usage aux environs de Grenoble et dans les montagnes voisines. Le testament de Guiguc Aleman, seigneur d’Uriage, est écrit en cette langue, qui était alors la langue des Dauphins. Il est de l'an M. co. Lxxv : et pour faire com- prendre ce qu'elle était, nous n'avons qu'à le produire et à employer. A! nom de notro Segnor IESV-CHRIST Amen. Anno domini M. CC. LXXV, en la terci Indic- tion: en la quinzena Kalenda del Meys de Iuil. Devant minotario, et les garenties dedins escrites. Ef(A) Gui- (4) Je, moi. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 661 gos Alamant, Donzeuz, sans de pessa (1): 1a seyt czo (2) que ef seyo malado de Cors::::: attendant et considerant venir l'aveniment ::::: et attendant qu'en l'umana condicion ne una chosa no pot fermament perseverar, e ge meller chosa est viure per esperanci de mort, que venir à mort de sodo sa (3). Cum nequna chosa plus seyt deupua (4) aux homens, que li derreyri volunta, apres de czo que autra chosa voler non pount. Franchi seyt ma volunta, et leysibla, qe no torneytper iqui memo. Ef faf (5) et hordeno mon Testament nun- cupati, ouma derreyri volunta, et ordenation, ou dis- position de totz mos bens moblos, etno moblos, dreyts, et possessions, ge ef hay, e tino, et posseo, ou autre per nom de my, en cela maneiri: E primeyriment esleyo à mon cors sepultura al Cimenterio deux Frares Me- mors de Graynovol. Ef item establiso à mi her universal al chatel d'Vriajo, è el mandament delditchatel, Fran- ceys Alamant, mon Fils, è encore les autres choses, dreyts, è possessions, homens, cesses, plaitz, terres cotivays, e mon cotivays, pras, vignes, buecs, pasgers, ettotes les autres choses appartenens aldit Chatel, ex- ceptaÿs celles choses e ge ef etabliray dedins her Taque- mo, mon fils, etc. Item à Katalinan, et à Berengeyrun, mes filles, à chacuna dono, et laysso vi mili soux de Vianneys, et « lb. de Vianneys etc. Item à Biatris, ma filli, dono et laysso c lb. de Vianneys, et en celles la (1) Sain de pensée. @) C'est le vieux français, j’açoit que, jam sit istud quod. (3) Par surprise, de subilo saltu. (4) Due. (5) Fais. ” 662 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. etablisso ami her, et volo ge ill seyt Moni (1) de Pra- mol, et per tant volo celley estre avengia de totz mos bens, et de mon heretajo, etc. Item volo et comando que Alis ma moller (2), seyt donna et Guovernaris de tot mon Otal, lo mentre ge illi itare veua, etc. Item etablisso mos essequiors de cet testament, à de ma derreyrivolunta, Mon Seynor Perrin Chavaller; Gui- gon de Puey-Boson; laditia Alis mi Muller ; Guigon Arbarester ; et Piron Alamant lo bastart. Liqual ense- guant tottes les choses desusdites, al cossel de Peron. Alamant, mon Frare, et de Odon Alamant Seynor de Champs, mon Cusin, et del Venerablo Pare Monseynor le Vesque de Greynovol, etc. Czo est fayt en la sala del Chatel d'Vriajo, presentz los quarents à cz0 appellas , e preyez especialement. Odon Alamant, Seynor de Champs ; Peron Alamant, Seynor de Revel; Felipon de Alavart, Savio en Dreyt; Frare Odon Alamant, Frare Loren; Frare Guigon de Teys, Frares Menors; Maytre Brun, Fusician; Gilet Alamant; Peron de Valboneys, è Peron Bonifacio d'Ouxens; è ef Micheus Ramons, publicos Notarios per authorita de l'Emperaor, etc. « Dans Vienne et à la porte de l’église de Saint-George, contiguë à celle de Saint-Pierre, est une inscription sans date, en un langage qui n’est pas fort différent de celui-là. Je ne l'ai pas néanmoins représentée dans mes recher- ches des antiquités de Vienne, de peur de choquer cer- tains esprits plus chagrins que délicats, qui trouveront étrange que j'ose, en quelque manière, faire entrer, par cette remarque, dans le commerce des honnêtes gens un (1) Religieuse. (2) Femme. YINGT-QUATRIÈME SESSION. 663 langage qui n’est plus vivant que pour celui de la popu- lace: Mais ils doivent faire cette réflexion, s'ils sont rai- sonnables, que si les anciens auteurs grecs et latins avaient été aussi exacts que moi , au hasard de ne plaire pas si absolument à chacun, nous ne serions pas main- tenant en peine de savoir si le peuple n’a pas eu alors de langage différent de celui des gens de condition; et si, dans les actes publics, on parlait comme ont écrit les savants dont nous avons les ouvrages. Peu après, la langue francaise fut introduite en. cette province, et à mesure que la domination francaise s’y est affermie cétte belle langue s’y est fortifiée. Néanmoins, celle-là n’est pas éteinte entièrement, elle est presque Ja même que parlent les peuples de la campagne et là popu- lace de Grenoble; et, comme nous avons dit ailleurs, toute: grossière et rude qu’elle semble être, elle n'a pas laissé d'aborder le Parnasse, avec quelque sorte d'hon- neur, aussi bien que la Provencale et la Normande. » Ce testament, en langue vulgaire de Dauphiné au x siècle, est fort curieux. On y voit déjà percer la ten- dance générale de nos dialectes de l'Isère à se rapprocher du francais par l’articulation et par l'accent, tout en con- servant quelque chose de méridional dans la plupart des terminaisons, ce qui est surtout le caractère des patois du * Graisivaudan et du Haut-Dauphiné. Ce caractère général est admirablement rendu par Chorier: « Il (ce langage) eut du rapport avec le provencal, il en eut avec celui que l'on appelait alors le roman; mais il ne fut pas si doux que celui-là, ni si réglé que celui-ci. » Les juges compétents conviendront qu'on ne peut pas mieux dire. Voici un autre morceau non moins Curieux qui date à 664 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. peu près de la même époque. C’est la traduction de la parabole de l'Enfant prodique, extraite d’un Nouveau Testament écrit en langue romane, par les ministres Vaudois des vallées des Hautes-Alpes, et dont le manuscrit original se conserve à la Bibliothèque de Grenoble. « Un home aë diü filh, e lo plus jove dis al paire: 0 païre ! dona à mi la partia de la substancia qui se coven à mi; e departie à lo (le?) la substancia. E en après non motidia, lo filh plus jove, ajostas totas cosas, ane en peleriniage en lognana region, e degaste aqui la soa subs- tancia, vivent luxuriosament. E poisqu'el ac consuma totas cosas, gran fam fo fait en aquella region, e el commence have besogna, e ane e se ajoste à un ciptadin daquella region, e travie l'en la soa vila quel paisses li porc; e cubitava umplir lo seo ventre de las silicas que manjavan lè porc, e alcun n’in donava à le. Mes retorna en si dis : Quanti mercenar habundian de pan en la meison del meo paire, me yo patisso aici de fam; yo me levarey e annarey al mie paire, e direy à le : O paire! yo pechey al cel e devant tu, et ja non sey degne esse apella lo teo filh, fay my essay à un de li teo mercenar. « E levant, venc al seo paire. Mes come el fos encar de long, lo seo païre vec lui e fo mogu de misericordia, e corrent cagic sobe le col de le, e bayse le. E lo filh dis à le : O paire! yo pechey al cel e devant tu, yo non séy degne esse appella lo teo filh. Mes lo païre dis al seo serf : Fo raporta viacti la premiera vestimenta e vestic le, e done anel en la man de le, e ceaucamentas en li pe, et ameni vedel gras e loccien, e manjen e alegran, car aqueste meo filh era mort e es reviscola, e era perdu e es atroba; e comenceron alegrar. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 665 « Mes lo filh de le plus velh era al canp , e cum el ven- gues e sappies à la meison, auvie la calamella et la com- pagnia, et apelle un de li serf et demande qual fossan aquestas cosas, e il dis à le : Lo teo fraïre venc, et lo teo paire occis vedel gras, car el receop lui salf, Mes el fo endegna e non volia intrar. Mes lo paire de le issi, commença pregar li; mes es (el?) rendent dis al seo paire : Vele yo syuo {syrvo) a tu per tanti an e unque non trapassey lo teo comandament, e unque non donnes à mi cabri che yo manjes cum :i meo amic; mes poisque aquest teo filh loqual devore la soa substancia cum las meretrés e vengu, tu occies à le vedel gras. Mes el dis à lui : O filh! tu sies tota via cum mi, et totas las mias Cosas son toas ; mes la conventava manjar e alegrar, car aquest teo fraire era mort e es reviscola, e era perdu e es atroba. » Dans cet échantillon de langue romane, on trouve du latin, du français, de l'italien, de l'espagnol, du pro- vencal, du languedocien , du patois de l'Isère, de la Drôme, des Hautes-Alpes, tout cela pétri et réduit en un langage assez régulier qui ne manque ni de concision ni d'élégance. Mais si l’on réfléchit que le roman a précédé toutes nos langues modernes, qu'il a rémplacé immé- diatement le latin classique pour se diviser bientôt lui-même en autant de dialectes que de nations, en autant de patois que de villages, on ne sera pas étonné que chaque pays en ait conservé quelque chose; et, d'autre part, on concevra qu'il ait inspiré tant de respect et d'amour à nos linguistes, qui l’ont regardé avec raison comme le vrai moule de nos langues néolatines, ou mieux, comme le grand arbre dont tous les dialectes écrits et 666 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. parlés de l'Europe méridionale ne sont que les débris épars. Pour ce qui est de retrouver la langue romane pure, c’est-à-dire fixe et réglée comme le sont aujour- d’hui le francais, l'italien et l'espagnol, on n’y réussira jamais : c’est vouloir l'impossible : le roman pur est un être de raison qui n’a jamais eu d'existence réelle. Nos patois, qui en sont les restes les plus vivaces, nous offrent un spécimen de $on immense variété, de sa fécon- dité prodigieuse, de sa liberté enfin, près de laquelle pâlissent ets’effacentles plus capricieuses hardiesses de la langue homérique. Je ne veux pas dire néanmoins que cette langue de transition fût sans règles : l'esprit humain ne peut s'en passer, et le dernier des patois a ses lois et ses formes traditionnelles, comme l’idiome le plus élevé. Mais le roman, à proprement parler, était moins une langue qu'un ensemble, une agrégation de langues sœurs à l'état rudimentaire et cherchant à se constituer. Deux grandes divisions s’établirent en France : il y eut le roman des trouvères , il y eut celui des troubadours ; trouvères dans le nord, troubadours dans le midi; trou- vères et troubadours, deux mots parfaitement syno- nymes dans leur signification radicale, mais qui, par le sens qu'on y attache aujourd'hui et rien que par la sono- rité différente de leur terminaison, nous rappellent deux langues, ou plutôt deux genres de poésie presque diamé- tralement opposés : d’un côté, une certaine élégance, tantôt froide et maligne, tantôt simple, naïve et begayante, de l’autre, l'imagination, l'enthousiasme , la passion, un besoin d'harmonie et de chants sans autre but que de se soulager en rimant et en chantant. On sait la destinée de ces deux langues : la moins chaude, la moins hâlive a prévalu sur l'autre, non point VINGT-QUATRIÈME SESSION. 667 précisément par sa régularité, encore moins par sa ri- chesse, mais par son sang-froid, son humeur raisonneuse, sa simplicité naïve et spirituelle à la fois, qualités bien mieux en rapport avec l'esprit français que la vivacité méridionale. Toutes deux, au reste, vivaient d’une grande liberté. Ouvrez les œuvres de deux trouvères, de deux troubadours contemporains , vous trouverez des diffé- rences, des variations continuelles, non seulement dans l'orthographe et la prononciation, mais jusque dans la forme radicale des mots et même dans la syntaxe et la conjugaison. Que dis-je? le même auteur , suivant le besoin ou la fantaisie, emploie le même nom sous trois ou quatre formes différentes , et cela dans la même pièce, dans la même page. Je n’ignore pas qu'à la longue ily eut — et cela devait être — unesorte de langue dominante : à défaut d’acadé- mie, l'engouement, le bon goût du public rattachaient les nouveaux écrivains à certains modèles plutôt qu'à d’au- tres; mais, en se rapprochant de l'unité, la langue perdit de sa richesse et de sa liberté. Les autres dialectes ne furent plus étudiés : comme ceux de la Grèce qui n'étaient pas entrés dans la langue commune, ils furent abandon- nés à eux-mêmes, sous le nom de patois. Heureusement, “la plupart de ces idiomes étaient fortement constitués, c’est ce qui leur a valu de subsister jusqu'à nos jours. Mais, de même que les Grecs recouraient à leurs glosses ou dialectes particuliers pour interpréter leurs vieux au- teurs classiques et pour rajeunir leur langue commune , de même aussi devrions-nous étudier nos vieux idiomes gaulois pour comprendre mieux nos anciens écrivains et nous retremper aux sources vives de notre langue natio- nale. Sous ce rapport, les patois du Dauphiné qui, 668 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. participent de la langue d'oil et de la langue d’oc, ne sont pas les moins intéressants. Si les écrivains dauphinois, également aptes à manier le roman du nord ou celui du midi, se sont peu servis de nos dialectes populaires, ces dialectes n’en sont pas moins des restes précieux de notre vieille langue du moyen-âge. EXCURSION. Un article du programme des travaux du Congrès portait que, pendant sa durée, et après, seraient faites des excursions dans divers endroits méritant d’être signalés. L'une d'elles s’est effectuée à Co- renc, distant de Grenoble de quatre à cinq kilo- mètres, connu par ses souvenirs historiques, et où, pendant la session du Congrès, une commis- sion de la section des sciences médicales était allée visiter déjà le bel établissement d’hydrothérapie dirigé par M. le docteur Armand Rey. Le 23 du mois de novembre 1857, plusieurs membres du Congrès, au nombre de douze, se sont donné rendez-vous dans cette commune; au lieu désigné se sont trouvés MM. Albert du Boys, seeré- taire général; Lory et Pilot, secrétaires généraux adjoints; Macé, trésorier; Bertini, artiste et com-— VINGT-QUATRIÈME SESSION. 669 positeur (1); l’abbé Chambon, vicaire général du diocèse ; Debelle, conservateur du Musée de pein- ture; les abbés Debut, directeur du Petit-Sémi- . naire; Genevey, curé de Saint-Louis; Gerin, curé de Saint-André ; Guillard, économe ca Petit-Sémi- naire ; Martin, aumônier de l'hôpital. Corenc, qui s'étend sur des coteaux fertiles, d’où la vue plane, au loin, sur Grenoble et la belle et riche vallée qui l'entoure, ne présente qu’une sur- face territoriale assez restreinte. Là, cependant, au pied de la montagne de Saint-Eynard, sont grou- pés plusieurs lieux dont les noms se lisent dans les pages de notre histoire locale, tels que : Montfleury, ainsi nommé à cause de son site gracieux, d’abord maison de plaisance des an- ciens souverains du pays, changée, plus tard, par le dernier Humbert (41342), en un monastère de re- ligieuses dominicaines, qui a subsisté jusqu’en 1790. Ce couvent, devenu bientôt célèbre, jouissait de rentes considérables, de privilèges et de la sei- gneurie des deux paroisses de la Tronche et de Corenc, qu’il tenait de la munificence de son fon- dateur. Aujourd’hui, Montfleury, après avoir été un pensionnat de jeunes gens pendant quelques an- (4) IL habite la commune de Corenc, à Montfleury, Je cinq ans. 670 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nées, et ensuite une communauté religieuse de femmes à supérieure générale, sous le nom de Dames de Saint-Pierre, est le siége d’une institu- tion des Dames du Sacré-Cœur : Mur de Bruillard, ancien évêque de Grenoble, s’y est retiré depuis qu'il à quitté administration diocésaine. Bouquéron, dont les chroniques attribuent la fon- dation première à Roland , neveu supposé de Charle- magne, que les anciens romans ont rendu si fameux ; ce château, curieux par sa position pittoresque, sion l’examine principalement de la grande route, rebâti, depuis assez longtemps, sur des substructions pré- cédentes, appartenait, sous les dauphins de Vien- nois, au chapitre de la cathédrale de Grenoble, de qui il passa, par inféodation, à plusieurs familles qui l’ont successivement possédé à titre de seigneu- rie. Le dernier seigneur de Bouquéron a été Pierre- François-Laurent de la Coste, président du parle- ment de Dauphiné. M. ‘Armand Rey, docteur en médecine, propriétaire actuel du château, y a formé, en 1852, un établissement de bains hydrothérapiques, dirigé avec le plus grand soin. Vence, où étaient déjà des moulins en 1255. Le Mollard , ancienne maison forte, citée dès la fin du x1° siècle, qui a eu pour seigneurs les Alleman, barons d’Uriase ; Soffrey Alleman, brave Dauphi- VINGT-QUATRIÈME SESSION. 671 nois, qui s’est distingué en Italie pendant les guerres sous Louis XII, et communément appelé le capi- taine Mollard, devait son nom à cette forteresse du moyen-âge. De nos jours, le Mollard, dépouillé de ses tours, donjons et machicoulis, ne conserve plus rien de ce qu'il a été autrefois. [l est maintenant occupé par une maison religieuse de femmes, où sont formées des institutrices pour la campa- gne. Cet établissement, qu'on peut regarder, sous plusieurs rapports, comme une école normale pour le sexe, est le seul à supérieure générale qui existe dans le diocèse de Grenoble. Le château d’Arvilliers, rendez-vous de chasse des dauphins ; la maison noble de Ciserin, qui relevait directement de ces princes, et le fief de Saint-Germain, démembré de la seigneurie du Mollard, sont cités dans les anciennes chartes. À Corenc appartiennent aussi les noms de personnages distingués ; ceux du président Expilly, (1) de Bonniel-de-Catillon, son gendre et son biographe ; d’Aimard du Périer, auteur d’un ouvrage sur les antiquités du Dauphiné (2) ; de Salvaing de Boissieu (3); du général Pierre de (4) Is ont eu, tous les deux, une maison de campagne à Corenc. (2) Il prend, dans cet ouvrage, le titre de sieur d’Arvilliers qu'il a possédé quelque temps. (3) Frère de Denis Salvaing de Boissieu. 672 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Bourcet (1) ; du ministre Aubert Dubayet (2) ; ainsi que les noms de Marie Vignon (3) et de Françoise Mignot (4), deux femmes célèbres dans leur temps. La première a été mariée au connétable de Lesdi- guières ; la seconde a épousé le maréchal de L'Hô- pital. Les membres du Congrès, conduits par M. Pilot, maire de la commune et secrétaire général adjoint, ont remarqué dans une partie ancienne du couvent de Montfleury, laquelle sert actuellement de sacris- tie, outre des restes de sculpture, des peintures murales du xv° siècle, pleines de caractère et bien conservées, représentant l’Annonciation, saint Do- minique et saint Pierre, martyrs. Ils ont vu avec intérêt, dans le château de Bouquéron, une an- cienne chambre avec son vieux foyer et ses vieux lambris, bien restaurée ; des fenêtres ornées et deux écussons des familles Coct et Chaillol, l’un sculpté (1) Décédé dans sa maison de campagne, au-dessus du village du Bachais, sur le territoire actuel de Corenc. (2) Sa maison de campagne était sur la grande route, près de la montée de l'Egala. (3) Elle habitait une campagne au Bachais, sur la grande route, près du coteau de Malanot. (4) Née au Bachais, fille d'une herbière ; elle épousa d'abord en premières noces Pierre Desportes d'Amblérieu, trésorier du Dauphiné, propriétaire d'une belle campagne un peu au-dessus de la montée de l’Egala, sur Corenc, la même qui appartint plus tard à M. de Bourcet. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 673 au-dessus de la porte d'entrée donnant sur la ter- rasse, et l’autre placé dans le mur au- dessus du grand portail. À la mairie, leur attention s’est fixée sur une statuette romaine de bronze, des morceaux de tuiles romaines, un fragment de pierre sépulcrale qu’un reste d'inscription BONAE MEMORIAE per- met de rapporter au v° ou vi° siècle ; deux pierres avec de larges moulures, d’un âge peut-être plus an- cien et qui paraissent avoir été destinées à une porte ; une autre pierre taillée, quadrangulaire, de plus d’un mètre de haut, ayant dû servir de cippe ou de piédes- tal à une croix, et quelques monnaies ; tous objets trouvés dans la démolition de la vieille église que remplace une nouvelle église en construclion, belle ‘et gracieuse et d’un style de l’époque romane. Les membres du Congrès, en visitant cette église qui s'élève et qui produira un effet dont on juge déjà, ont reconnu surtout que la commune de Corenc avait fait preuve d'intelligence et de goût en adop- tant, pour le nouvel édifice, un plan qui rappelle à la fois le sentiment religieux et le retour aux arts. M. l'abbé Michal, curé de la paroisse, a reçu ensuite avec cordialité les membres du Congrès, qu'il a menés à la cure, où les attendait un accueil amical; on y a parlé, au long, du pays, de son site, de l’église, d’une lettre d’absolution, daife de l’an- II 43 674 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. née 1376, trouvée dans une ouverture du mur du clocher qu’on vient de démolir ; et un diner, offert par M. le curé, qui, de concert avec M. le maire, avait organisé celte promenade à Corenc, est venu terminer une bonne et pleine journée dont chacun a pu emporter un agréable souvenir. VINGT-QUATRIÈME SESSION. 675 NOTES RECTIFICATIVES. 4:7 Volume. Pag. 274, après ces mots de la cinquième avant-dernière ligne, se sont reconnues comme d'anciennes sœurs, mettre un point au lieu d'une virgule et rétablir ainsi la phrase suivante : « Ainsi qu'on nous l’a rappelé avec un rare bonheur, on avait cou- tume de dire Bretagne et Dauphiné, pour rappeler les provinces annexées et non réunies à la France. » 20e Volume. Quelques inexactitudes s'étant glissées dans les procès-verbaux de la 4e section, il importe de les relever. Ù Pag. 356, 1. 18, au lieu de l’évêque Humbert, lisez Humbert aux Blanches Mains. (Voy. p. 464) P. 422, 1. 23, au lieu de 1249, lisez 1329. P. 422, 1. 24, au lieu de le dauphin Guigues, lisez le dauphin Hugues. — 11 s’agit ici d'Hugues, dauphin, baron de Faucigny, second fils d'Humbert Ier, de la Tour du Pin, et de la dauphine Anne. Son aïeule, Béatrix de Savoie, veuve de Guigues VII, lui avait fait, en 1303, donation de la baronnie de Faucigny. Il mourut sans postérilé en 1329, et laissa ses terres à son neveu Humbert, qui fut plus tard dauphin de Viennois sous le nom célèbre d'Humbert II. P. 561, 1. 29, au lieu de Saint-André de Grenoble, lisez Saint- André. — M. Moufllet fait allusion à une charte de l’évêque Humbert (991), rapportée par Salvaing de Boissieu, Usage des fiefs, 2° édit., p. 142 et 143, et qui contient un échange de biens entre un cerlain comte Manassé et l'église de Grenoble. L'église de Saint-André dont il est ici question était en Savoie: In comilaltu Savogensi, in villa Sancti Andreæ. a PR Fait spl QE EL à Ki \ | et Ù MAS ait ' ri À À: " iOaLA10 ET mardis ARR api TRE pes sh ELU UAUEE Lust sk a; PE Jui DEE YO 3 js rh A aidons of Ps" 0 x piousé: MA LAS Mbotienir TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME. SÉANCES DES SECTIONS. À SUITE). 2me Section. AGRICULTURE, COMMERCE, INDUSTRIE. Séance du 4 septembre : Nomination du bureau........... 5 + Communication surles moyensles plus efficaces de s’oppo- ser aux dévastations des torrents et des rivières; mémoire DEMI D MAS Le Me Pre er MA EE EE ÉSS 7 Objections de M. Manras . .................... nés 21 Observations de M. Philippe BRETON . ............... 21 678 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Séance du 5 septembre : Second procédé préventif contre les inondations, de M. Dumas ......................... Discussion : MM. SEGOND-CRESP, DUMAS.............., Exposition des moyens employés en Angleterre contre les inondations, par M. RoBlou DE LA TRÉHONNAIS ...... Histoire de la question des inondations en Provence, par M: DE Bipse ip sa Ces RITES ET ME Observations sur les inondations des rivières dans les plaines par MS CHAGCES AN MERS AE er Reg ASS Protestalion contre l'influence excessive attribuée aux forêts sur les pluies, par M. Paul BRETON............ Séance du Gsépleibre. sente ait AS ‘ Discussion sur les moyens de prévenir les inondations : MM. Borper et DE RIBBE ................ HPOCE PAL Sur le reboisement ; mémoire de M. SÉNÉCLAUZE. ....... Sur les causes des inondations et les moyens d'en prévenir le retour, eLen particulier sur le regazonnement; mémoire DAC ME IGUEXMARD eee M CAR A ERRRS Discussion : MM. pe Brives, Philippe et Henri BRETON, GUEYMARD, DE RIDE 1, 0 NIPANIRUNTE SN RNA Création d'un corps d'ingénieurs hydrauliques: observations par M. Manias.............. A rate te PP BA : Discussion générale sur la question des inondations : MM. SEGOND-CREsP, Manias, SÉNÉCLAUZE, Ph. BRETON, GUEYMARD, DE LA TRÉHONNAIS, ALARD.............. Rapport fait sur le sujet des inondations à la Société d'agri- culture du Puy, par M. DE BRIVE..... HÉBERGE caro Résolulion proposée au Congrès............ ADO cire : Note sur l'endiguement et sur l’utilisation des cavernes natu- relles, par M. AUTHEMAN............ SHARP PME LE à Note sur un moyen de diminuer les inondations résultant des fortes pluies, et l’appauvrissement du sol dans les terrains à fortes pentes, par M. ODIER............... 26 30 33 38 63 67 67 68 71 88 109 110 111 113 124 126 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 679 Délibérations des conseils généraux des Bouches du Rhône, du Var et des Basses-Alpes ........... DORE ET 130 Discussion au sujet des fermes-écoles : MM. Henri BRETON, DE GALBERT, SÉNÉCLAUZE, DE BRIVE, GUEYMARD, SE- Gonp-CREsP, MAHIAS, DE GENOUILLAC, DE RIBBE..... . 146 Séance du 7 seplembre........... DRE ON AVE AR APE 153 Des améliorations que l’on pourrait apporter à l'artagricole; observations par M. DE CAUMONT ........... su .. 153 Discussion : MM. pu Boys, LEROY, DE CAUMONT, ManHrASs, DE LA TRÉHONNAIS, DE BRIVE, DE GENOUILLAC, CHAR- REL, HERPIN : ...... RE UE ER DUR MERE NS Re 155 Vœu émis par la section sur l’enseignement agricole .... 139 Analyse d'un cours d’ agriculture fait par M. Perron, de NOT ONE RAR SP irretutc let SO Rte 160 Discussion sur les meilleures mesures à prendre pour éta- blir une bonne statistique agricole : MM. le docteur Roux, DE CAUmMonT, REYNAUD, DE LA TRÉHONNAIS, Manias, DE BRIVE, SEGOND-CRESP ........ PEU se pote le 163 Phance du S seplembre 7211.14... Ne 167 Continuation de la discussion sur la statistique agricole : MM. Roux, DE CAUMONT, REYNAUD......... NE EMA 169 Considérations générales sur les engrais, par M. Rogiou DE LA TRÉHONNAIS................ LA RAA .... 172 Séance du 9 seplembre................. Ms Lit RÉ SRLE 197 Discussion sur les engrais : MM. Ph. et H. BRETON, GueymarD, Paul GARIEL, DE BANCENEL, D'ANDERT, SEGOND-CRESP. ................... MEME EUR 198 Note sur le brülage des terres, par MM. FDE et Henri RE RS ere cicmmiens ie eee ne de ESS 201 Mémoire sur les engrais, par M. GUEYMARD....... . -20200 Mémoire sur l'écobuage, par M. DE RIBBE............. 225 Sur le brülage des terres, par M. GUEYMARD........... . 228 680 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Sur le chaulage et l'assolement quadriennal, discussion : MM. pe BRIVE, Paul GARIEL, PAGANON .......... mx Sur l'emploi du sel comme engrais : MM. DE LA TRÉHON- - L7 NAISNDE (PINA, GUEVMARDI MANS PAL AMENER ; SEANCe OU LO SEDIEMOTE". ME IUT PA MEET Discussion sur les engrais : MM. GueyMARD, DE GENOUIL- LAC, PAGANON, DE Brive, Albert pu Boys, CHARREL, TRHÉVENBT JEUNE: 2 reed tele Are ie eine PO EE Sur l'emploi des engrais humains, discussion : MM. CHar- REL, GARIEL, DE BRIVE, CHALLE, PAGANON, SEGOND Sur le guano, discussion : MM. DE BRIVE, GUEYMARD ... Sur les chiffons et les räpures de corne, observation : M. DE :SAINE ANDÉOB.: CL) dei nie see Cite LOT Sur les moyens employés pour la désinfection des matières fécales, observations de M. REYNAUD............... £ Mémoire sur la question, par M. GueymarD............ Discussion . MM. DE SainT-AND£OL,-DE BiivE, CHARREL. Avis adoplépar/la Sectiomie ses. 53 osconst ere Culture des betteraves, M. DE BRIVE........... ii ui Coup-d'œil agricole sur l'arrondissement de Dunkerque, mémoire de M ALARD2% 222007. PL MEET UEIERr Sur la culture des betteraves, discussion : MM. CHALLE, DE GENOUILLAC, ALARD, PAGANON ......... SAS E dE Séance CUAAISeD MDN. Sn mia LUS DRE Sur la culture de la betterave et le semis du trèfle, discus- sion : MM. DE LA TRÉHONNAIS, THEVENET, CHARREL. Rapport sur le recueil intitulé : Les Ouvriers des deux Mondes, par M. pu Boys. ........... a LARAUTA TR Rapport sur la fabrique de filets de MM. Rome et Jourdan, par: MREYNATD EAN TASSE LUE, RSS MS Nhbe Sur la conservation des bois, mémoire par M. GueymarD Discussion : MM. BoNSEAN, GUEYMARD, DE GENOUILLAC, 233 235 257 237 242 250 250 250 254 267 268 268 269 275 277 277 278 279 280 VINGT-QUATRIÈME SESSION. DE LA TRÉHONNAIS, DE BRIVE, SIMON, DE SIÉYES, DE NAGER MA en UE ne er RE es Sur le drainage, discussion : MM. DE LA TRÉHONNAIS, DE BRivE, DE LiNaGE, Henri BRETON, REYNAUD, DE SIévEs. Sur le semis du blé en lignes, discussion : MM. BonsEAN, DE GENOUILLAC, Emm. DE PINA, DE LINAGE, CHARREL, DE LA TRÉHONNAIS, DE Brive, Henri BRETON, P. BRE- TON, BAILLY DE MERLIEUX................... se Avantages que l’on peut retirer de la culture du sorgho; discussion : MM. Emm. DE PINA, DE GENOUILLAC, DE CaumonrT, Henri BRETON, DE LINAGE ............... Note sur le sorgho, par M. DE GALBERT ............... Sur les meilleurs moyens d'organiser le crédit agricole, mémoire par M. SEGOND-CRESP............. RérpEsaes Discussion : MM. REYNAUD, DE BRIVE, DE GENOUILLAC, BACrARIER 7 0... SE PEN RES NE PI Vœu émis par la section ............. LEE AT E Séance du 12 septembre... ....... BEEALER ENT AHDIPE Mention d’un mémoire sur l’agriculture en Savoie, par M: l'abbé Crozer-MoucHer. 2... ...... 0. Importance de la suppression graduelle des consommations qui ne produisent que de la puissance mécanique fixe; discussion : MM. Gueymarp, DE GENOUILLAC, Paul BRETON ......... PRE RTS AE Sur les moyens d'augmenter la production des peaux de chevreau: discussion : MM. pu Boys, Guevmar», Ph. BRETON, DE GALBERT, DE LINAGE................... Sur la multiplication de la chèvre et sur l'amélioration de la culture de la vigne, note par M. DE LINAGE ......... Discussion : MM. DE GarBErT, THEVENET, CHALLE, DE BRivE, DE SIÉYES, ROUILLON ..................:.... Analyse d’un mémoire sur l'élève de la chèvre, de M. Gur- LORVPATÉ AM nas el aatos ones SADNIEMENRITTAONENS Sur les causes de la supériorité de la mégisserie de la ville d'Annonay; observation de M. DE BRIVE ............. 681 289 292 296 303 304 308 317 319 320 320 - 321 324 325 330 332 333 682 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Note de M. Alph. Ducruy...................... CPR Combustibles fossiles, industries diverses; mémoire de M.sGonrkmaapiss se si M common ein Discussion : MM. Paul BRETON, REYNAUD.............. Clôture des travaux de la section, discours de M. DE BRIYE, DASMUPMR ES RARE SO ARDENNE NE TE 4me Section. GÉOGRAPHIE, HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. Séance du 4 septembre : Nomination du bureau .......... Séance du:5:seplembres.;:.5. 20 .rvelanvtese 2000 Sur les ruines du Petit-Saint-Bernard, mémoire par M. DOCS EE SR TER dent nero ere ne DOCS A eee en aun nie nt Ja Re RITES Discussion sur les voies des Alpes : MM. Macé, PiLorT, DE TERREBASSE, VALLET, GARIEL aîné, Ducis, FAucHéÉ- PRUNELGE, CHALLE::- 22 NSemes ste Oh ee DOC AMEUNRS d Géographie du Dauphiné à l’époque gauloise, mémoire par M. Ch. REVILLOUT ...................s..ssores Discussion : MM. DE LEUTRE, FAUCHÉ-PRUNELLE, REVIL- MOULE AE Ritter agtés NAPEE Séance du 7 septembre .............. 444. ie stetaieteté Sur la géographie ancienne du Dauphiné; discussion : MM. Macé, Faucné-PRunNeLLe, Ducis, REVILLOUT.... 335 373 VINGT-QUATRIÈME SESSION. Sur le chœur de l’église de Saint-Laurent et sur la chapelle souterraine; notice par M. DE SAINT-ANDÉOL......... Sur l’âge de la cathédrale de Grenoble; mémoire de M. DRISAINT-ANDÉOL (20 Real SRI RENE Sur le Ciborium de la cathédrale de Grenoble, par M. FabDHé PRÉPERR: 2600 UN AR ÉMERRIR N CR Séance du 8 seplembre ............................... Compte-rendu d’une visite à la cathédrale de Grenoble, par M. DE SAINT-ANDÉOL.......................... Visite faite à Saint-Laurent; observation par M. ne Cau- Sur les matériaux de la crypte; observations : MM. Bourz- LET, GARIEL, MACÉ, CHARREL. G. VALLIER, FAUCHÉ- PRUNELLE, DE SAINT-ANDÉOL ...................... Sur la publication des mémoires de Lebœuf; observations : MM LERLANCCHALLE- 22... IL CRAN Te Rene Vœu émis par la section. ...................s....s.e Le capitaine Talabart, note par M. l’abbé RoBin........ Sur la position des Centrones et des Acitavones, observa- tions par M. l'abbé Ducis.......................... Sur les mesures prises dans le diocèse de Grenoble pour la garde des saintes espèces, par M. l'abbé TRÉPIER..... ace sentembre 14.2... diese Projet d’une histoire de la ville de Crémieu, par M. Joseph DELA BONARDIÈRE : 2.134000 RER ER Sur l’ancienne administration dela Provence; observations Par M DE RIRREL 00e At RAM RME ER Discussion * MM. REviILLOUT, GARIEL, DE RIBBE, DE RERAERASSEN SE LIN Lo OT NAME RES Rapprochement entre la Bretagne et le Dauphiné, par ME DELGENQUILLAG 3. - 24 2020 mesh eee es Rien Observations sur les pays d'états : MM. Mauias, LEBLANC, CHALLE, Ducis, REVILLOUT ................ Re 388 390 393 393 395 399 400 400 415 417 418 420 684. CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Sur l'ancienne administration du Dauphiné; mémoire par MAFAUCHÉ-PRONELOE 2:22: 2eme desert mets Séance du 10 septembre ....... SE cette ce (D PEL 3 Notes pour faciliter la construction d'une carte du Dau- phiné et de la Provence au moyenäge; mémoire par MAAUZIASIDere eee Lecce ecier re Emission d'uu vœu pour ln publication du cartulaire de saint Hugues...........,... DRAP DE NO 000 Qc er 0 Sur la division du diocèse de Grenoble en archiprêtrés ;" observation par M. l'abbé TRÉPIER ................. Sur la condition des villes au moyen-àge en Dauphiné, mémoire par M. PILOT ....:......-.... AE LOECÈEE Vœu pour la publication des chartes de Grenoble ...... . Sur la publication des chartes dauphinoises; observations : MM. FavucHf-PruNELLE, CHALLE, DE TERREBASSE, (rater aîné, REVILLOUT. >." sl m eee SALE Inscriptions antiç:es et du moyen-àâge de Vienne en Dau- phiné, communication par M. pe TERREBASSE........ Epitaphe de Julienne de Savoie, commentaire par M. »E DERREDASSE Ce eee EC DONS : Sur quelle base doit être fondé un musée archéologique, mémoire par M. Dupuis .......................... 5 Séance du 11 seplembre ...................,.......... Passage de Sidoine Apollinaire sur les rogations ; discus- sion : MM. pe Caumonr, BôuILLET, DE SAINT-ANDÉOL, DE TERREBASSE ........ radio no ont nas en be Le xixe siècle aura-t-il un art architectural qui lui soit propre? mémoire par M. l'abbé Durosox............ Note sur la même question, par M. Victor TESTE ....... Mémoire sur la même question, par M. ROsTAN ...-... se Discussion sur la question : MM. Ganrez, pu Boys, Cuazce, ne TerreBasse, Ducis, Macé, LeBLanc, RE- WILLOUTL. 72 43 'aetaate ejela nie es ie ane chats aie eie sable aies .. 423 437 437 459 459 460 483 484 484 184 490 499 499 501 524 525 532 VINGT-QUATRIÈME SESSION. 685 Sur Le palais de justice de Grenoble; méméire par M. Picor ‘534 SEUNCEAUA2ISEPIEMDTE). tee AU RTS 548 Sur les volcans éteints du Vivarais; observation par M. MAG er rep three Ne NS RTE 548 Sur le portail de la chapelle du cimetière de Ville; notice Dar ME MOURKLET Lecce een LE ee 549 Discussion : MM. Macé, MouFFLET, DE SAINT-ANDÉOL, DRADDE RAR den menme eee et 562 Emploi du verre moulé et coloré; observation par M Av- DHEMAN/ "°° (pobbédos oc dodo ee 08 0 0042 04dÉt 563 Origine du franc-alleu en Dauphiné; observations : MM. RevicLour, BurDpeT, Ducis, FAUCHÉ-PRUNELLE ...... 564 Hôtels des monnaies en Dauphiné ; mémoire par M. Picor 568 Universités du Dauphiné ; mention d'un mémoire de M. PACORE RER A M AE RU ra t A Re. RRRIE AR A AN 578 Note sur une inscription de Grenoble, par M. Picor..... 578 pme Section. PHILOSOPHIE, LITTÉRATURE, BEAUX-ARTS. Séance du 4 septembre : Nomination du bureau ......... 582 Sur la décadence de la littérature dramatique en France; discussion : MM. Liesvizze, l'abbé Jouve, l'abbé Sissow, l'abbé Poix, HarzreLzp, HuGoniN, Manias...-....... 583 Séance du 5 seplembre......................... Hé Den 587 L'ombre de Molière, poème, par M. PaiciBerT-SOUPÉ... 587 686 CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Sur les éléments généraux et universels auxquels on peut reconnaître la vérité de l’art et sa perfection ; discussion : MM. l'abbé Jouve, MAlGNIEN .................. ve Discussion sur la 3me question : MM. l'abbé Jouve, Mui- ENTRN IS A cn enr UE SO en ots SRE SEARCE AU TISEDIENOTE ete -. > eeenee EME ne Sur la moralité des œuvres d'art ; discussion : MM. Mui- GNIEN, l'abbé HuGoxix, l'abbé BouRDILLON........... 4e quesion::-lecturede M. Jouve............, 591 et Séance du 8 septembre ............. se 25e 0 GE Discussion sur la 3me question...........,............ Contre le réalisme, lecture par M. MAUREL DE ROCHEBELLE # SÉUNCE QU J'SCDIEMDTE ES eee mis à «18e 2 re» ao NE é Sur l'importance de la culture des beaux-arts pour l’indus- trie ; discussion : MM. pe Caumonr, pu Boys, Mamras, PODRUICEON SE A are ee crc JT F0 Sel ET Sur l'utilité d’un cours de littérature pour les classes ou- vrières ; discussion : MM. Manras, pu Boys, DuBEux.. Vœu exprimé par la section ............ AR Re rc Des nouvelles écoles de peinture relisieuse, particulière- ment en Allemagne, discussion : MM. l'abbé Jouve, MMATGNREN EE tree scene RARE - Séance du A10septembre Le LM LR ee Re ceci Sur la 122 question, mémoire par M. pu Boys ..... Re De la musique religieuse au xixe siècle ; discours par M. RADDÉTJOUYE TE Dem LL EN D CIE à Des productions diverses en patois de Dauphiné; mémoire DAT MAL ANbe ROURDILLON 2: = 0 « rime due df SRE Rscursion A CorenCiaet: fenhenit co usd4042 RS Notes rectificatives........ ne ie Le AR FIN DE LA TABLE. 600 600 601 603 603 607 608 608 616 668 675 \ ra] ZLitsssetsiilitse DÉPHRRTREETE POSE EES MS Er HR MÉCHENER Méissies RENE SRRARE ART 27 ESS La 325: ESS 25 HR ES SENTE,