As Ex 3 # à | | à à + | (© % > 4 Ë À ï à AS néngngudne rdnéudrérédue se 4 “Æ À : | : | CS ONE OST AE LE CE UE OU US RON CE COR OS OS EU US OS DIEU NO CES DLL ON D SR ED DE DD DE D ES DE CE DE DE ES DS SE CD DS 00 GS DCS GE DS CE CS DS GS DS THEVPROPERTS OF THE NEW-YORK HOSPITAL. : No. 3933 Pa Dupuge pes Te Fr nee ail L # ity of O versi © Dre (= gr | La © © Em EE y wi b 9 d 200 Un 2% igitized in D CONTEMPLATION FE LARNA LU RE. Gs : LA é = { f > + + Qs * s À 5 . He | k | 2 #3 = - j À f : « as : LS I x. : \ “ x L PR "EEE < == ta Ke CON TEMPLATION 15 deg Cr DRE LEUR EH, NS A AVR SU » PDF ou Le h PARTIE. DE L'INDUSTRIE DES ANIM A U X: —— FL MERE SRE J. SQU'ICI nous n’avons guere envifagé les Animaux que du côté de Porganifation , & de fes rélultats les plus immédiats & les plus gé- néraux, Contemplons maintenant leur induttrie qui nous intérede encore davantage. Nous ne Tone 111. À 2 CON. LE MP LR, nous fervirons pas des yeux du Naturalifte ot de l'Obfervateur ; ils voyent trop de chofes & dans un trop grand détail : nous n’employerons que ceux du Contemplateur , qui ne faififflent dans chaque genre ; que les traits les plus frap- pans, qui les parcourent rapidement, & laiflent fans cefle échapper ies details. CE HFAPERRE PRE RP ENRX Ve Généralités [ur l'infhinct des Animaus, Ï. eft des Animaux qui femblent réduits aw toucher. D’autres ont tous nos fens, & s’éle- vent prefque juiqu’àa l'intelligence. Du Polype au Singe la diftance paroït énorme. L'IMAGINATION & la mémoire fe font re- marquer chez diverfes Efpeces : l’imagination dans leurs rèves ; la mémoire dans Je fouvenir des chofes qui les ont affectées. Les lieux ; les perfonnes , les objets animés & inanimés fe retracent dans leur cerveau, & elles agiffent relativement à ces repréfentations. LE degré de connoifflance de chaque Efpece tépond à la place qu’elle occupe dans le Plam DÉ LA NATURE. Put. XI 3 général: La fphere de cette connoiffance s étend à tous les cas où l’Animal peut fe rencontrer naturellement. Et fi pat le fait de l'Homme ou autrement , l’Animal vient à être tiré de fon cercle naturel, & que néanmoins il n’en foit point dérouté , on pourra en conclure que cette nou- velle fituation a du rapport avec quelqu'un des cas auxquels la fphere de fa connoïifance s’é- tend. Le plus ou le moins de facilité qu’il mon- trera alors dans fon jeu, indiquera fi ce rapport eft prochain où éloigné , direct ou indirect. La maniere dont les Animaux varient aûù befoin leurs procédés , fournit un des plus forts argumens contre l'opinion qui les transforme en pures Machines. Le Philofcphe qui leur attri- bue une Ame, fe fonde fur l’analogie de leurs organes avec les nôtres, & de leurs actions avec plufieurs des nôtres. Ceux qui font cette Ame matérielle ; oublient que la fimplicité du fenti- ment eft incompatible avec les propriétés de la matiere (1), & que la Foi eft très-indépendante de nos fyftèmes fur la nature de l’Ame. _ (x) ff Quand nous avons à La fois plufieuts perceptions dis tinétes , nous ne fentons pas en nous autant de oi que nous avons de perceptions. C'eft toujours le méme Æoi qui voit, entende, goûte, flaire, touche , agit. Le fentiment de ce Mot eft toujours un, fimple, indivifible. Si ce Moi étoit matiere , # feroit étendu, & il y auroit autant de Moi qu'il y auroié À 3 4 Û ON T ET P. DAT HG PLus le nombre des cas auxquels la connoïf: fince d'un Animal s'étend ou peut s'étendre, eft grand, & plus cet Animal eft élevé dans l'échelle. La confervation de la vie, la propagation de PEfpece & le foin des Petits, font les trois prin- cipales branches du favoir des Animaux, mais tous ne fe font pas également admirer à ces trois égards. L'Hvirre , immobile fur la vafe , ne fait qu’ou- vrir & fermer {on écaille. L'ARAIGNÉE induftrieufe tend un filet à fa proie. Elle attend en Chaffleur patient, que quel. qu'infecte vienne donner dans ce piege. À peine Va-t-il touché , qu’elle s'élance fur lui. Eft-il armé ou trop vif? elle lui lie les membres avec une adrefle merveilleufe, & le réduit ainfi à ne pouvoir ni fe défendre ni fuir. Diverses Efpeces d'Animaux vivent au jour le jour , fans s’embarrafler du lendemain. D'auTres ; qui femblent doués d’une forte de points matériels affeétés par les objets. .Je ne fais qu'efquif« cette preuve de l'immatérialité de l'Arc : je l'ai plus ap- fer profondie daus yu autre Ecrit. DE LA NATURE Paë XI $ ‘de prévoyance, conftruifent avec beaucoup d’art des magafins qu'ils rempliffent de différentes for- tes de provifions ; tels font l’Abeille & le Caftor. Parmi les Animaux qui vivent de proie, les uns , comme l’Aigle , le Lion , attaquent à force ouverte. Les autres , comme l’Epervier , le Re- mard, joignent la rufe à la force. Les unis mettent leur vie en füreté par la fuite; d’autres en fe cachant fous terre ou fous l’eau ; d’autres recou- rent à diverfes rufes qui aflurent leur fuite & déroutent leur ennemi. Le Lievre fournit un exémple familier de ceux-ci. D’autres enfin oppofent la force à la force. Les Philofophes qui fe tourmentent à définir Linffintt , ne fongent pas , que pour y parvenir, il faudroit pañler quelque tems dans la tèce d’un Animal fans devenir Animal. Dire en général, que l’inftinct eft le réfultat de l’impreflion de Grtains objets {ur la Machine , de la Machine fur PAme , & de l’Ame fur la Machine ; c’eft fubf- tituer des termes un peu: moins obfcurs à un terme très-obfcur ; mais l’idée ne fort point des ténebres épaifles qui la couvrent. Nous favons bien ce que l’inftiné neft pas & point du tout ce qu’il eft. Il n’eft pas l’Intelligence, la Raïfon. La Brute n’a ni nos notions ni nos idées À 3 RAT POINTE MIPLVA ROC moyennes ; c’eft qu’elle n’a pas nos fignes (2 ). (2) tt Les figues dont je parlois ici, font les mots ou ces expreffions articulées, qui conftituent ce qu’on nomme le lan- gage ar tificiel ou la parole. Nous impofons des noms aux diffé -rens Êtres; nous repréfentons par des mots leurs qualités , leurs accidens, leurs actions , & ces repréfentations qui ont recu le nom de /ywbholiques , font le fondement des notions que nous nous formons des différens Êtres. La fimple pet= ccption ou la fimple vue de ces Êtres n’eft pas une notion ; elle n’eft que le réfultat de l'impreflion de l'objet fur l'organe : mais quand nous exprimons par des mots ou par des fignes d'inftitution tout ce que cette impreflion nous fait éprouver, & que nous défignons ainfi les caracteres fous lefquels l’objet s'offre à nos yeux, nous acquérons une sofion de cet objet ; & eette notion , qui eft l’ouvrage de notre entendement, eft , comme l’on voit, bien différente de la fimple perception. La Brute a, comme nous, des perceptions , puifqu’elle a des fens qui lui tranfmettent l’impreflion des objets; mais elle ne tranf- forme pas ces impreflions en notions, parce qu’elle n’a pas l'ufage de la parole. Elle ne raifonne donc pas; car le raifon- nement fuppofe des notions pour juger de leur rapport ou de - {eur oppoñition; & ces notions dont il fe £ert alors, font ce que les Logiciens nomment des idées moyennes. Nous reviendrons ailleurs à la prééminence que la ‘parole donne À l'Homme fur tous les Animaux. DENEUTINATURE Part. XI. 4 CHAPITRE.IL Sageffe dans l: confervation des Efpeces. EF mème tems que la NATURE a appris à divers Animaux la maniere d’attaquer & de pour- fuivre leur proie, ELLE a appris à d’autres celle de fe défendre ou d'échapper. Si nous avions communication des Livres de la Nature, nous y verrions fans doute , que le profit balance conftamment la perte. Un Réciltre des naïflances & des morts de quelques Efpeces mertroit cette vérité en évidence (1 ). (x) ft Unhabile Homme (f), qui s’eft beaucoup occupé de la population de notre Globe, obferve que par une difpenfa- tion particuliere de la SAGESSE , le nombre des naiflances fur< pafle dans l'Efpece humaine celui des morts; enforte que le nombre des Hommes va toujours en croiffant ; ce qui rend l'E£ pece fupérieure aux accidens & aux révolutions qui tendroient à la détruire. ) La multiplication excefive qu'on obferve de tems en tems dans certaines Efpeces & fur -tout chez celles qui émigrent, peut-ètre pour fin de rétablir la balance lorfqu'’elle inçline trop vers la deftruétion. S'il nous étoit permis de pénétrer ici jufs ques dans les plus grands détails , nous reconnoitrions avec au. tant de furprife que d’admiration , que rien n’a été abandonné au hafard, & que tout a ét$ calculé dans un rapport exaét à la nature & au nombre des Efpeces , aux accidens divers qui (F) Mr. SUSSMILCH. À 4 B -CONFEMPLATION:. . Les ÆEfpeces qui multiplient-le-plus-ont le plus d’ennemis. Les Chenilles & les Pucerons font attaqués tant au-dedans qu'au:dehors par je ne fais combien d’Infeétes toujours occupés a détruire les [ndividus , & qui ne parviennent pot à détruire FEipése (2). 7 BEAUCOUP PEfbces hat leur vie ou teur retraite dans l'intérieur de la terre ou dans celui des Plantes & des Animaux. D'AUTRES fe conftruifent avec un art mer- Veilleux des nids ou des coques , où elles paflent tes tems d’inaction & de foibieffe. (5 . D'avrres, plus habiles encore ,favent., com- les menacoient , à leurs relations réciproques & à la conftitu- tion générale & particuliere du Globe. Ce feroit uné forte de démonitration de fait de l’éxiftence d’une SAGESSE CONSER- VATRICE : mais combien d’autres preuves n'avons-nous point de cette Ge dont l'idée ef fi chere au vrai nai ? TRY +f Je ne potvois choifir i ici un exempte plus frappant Que celnt des Chenilles & des Pucerons. Tl Faut voir dans les beaux Mémoires de Ierit célebre Hiftorien, l'Hitoite intéfeflante de teurs nombreux ennettis. Mais les Chetilles ont d’autres ennemis plus redoutables encore : ce font Ies Oifcaux. Le cn ricux BRADLEV, qui cultivit avec fuccès la Botanique, avoit calonté que deux Moïneaux apportent par femainé à tenrs Petits trois mille trois cent foixante Chenilles. DRE AT NA T-U KE Pt. XI. os me nous, fe faire des habits, & des matieres mêmes dont elles fe nourriflent, Elles dépouillent nos draps & nos fourrures de leurs poils, & en fabriquent avec de la foie une efpece d’étoffe dont elles fe vétiflent. La forme de leur habit eft très - fimple , mais très- commode. C’efk une forte. de manchon où de fourreau, qu’elles encen- dent à à alonger &'à élargir au befoin. Elles l’alon- gent en ajoütant à chaque bout de nouvelles couches de foie &'de poils ; elles l’élargiflent comme nous élargidons une manche, en le fendant par le milieu fuivant falongueur ; & en y mettant une piece. Vous devinez que je parle des Teignes domeltiques ; les Teignes champè- tres , qui fe font des habits de feuilles’, les fur- paflent encore en induftrie. Nous jetterons ail- leurs un coup-d'œil fur leur travail. Pcrusreurs Efpeces de Poiflons & d'Oifeaux changent à tems marqué de demeures ou de cli- mats. On connoît les nombreufes caravanes des Harengs & des Morues, & les épaifles nuces d’'Oies , de Cailles , de Corneilles , &c. qui quel- quefois obfcurciflent l'air. C’eft par de telles émi- grations périodiques que ces Efpeces fe confer- vent, & dans leurs longs pélérinages la Nature eft leur Pilote & leur Pourvoyeur. | LA 10 EONTEMPLATIUIN C HA Pi. TRI EE La propagation de PEfpece. 1. Polype, privé de fexe, ne connoït point les plaifirs de l’amour. Le Papillon plus heu- reux, voltige autour de {à Femelle, & follicite par fes jeux des faveurs , qu’elle ne femble d’a- bord lui refufer que pour mieux enflammer fes defirs. La Reine-abeille, placée au milieu d'un Serrail de Mäles, choifit celui qui lui plaît le plus, & dompte par fes agaceries fa froideur & fon indolence naturelle (1). Le Crapaud tient fa Femelle embraflée pendant quarante jours , & lui fert d’Accoucheur lorfque le tems de fa délivrance eft venu. Le fier Taureau, dédaignant de folâtrer autour de la jeune Ge- nifle, s’élance fur elle avec impétuofité. Le Pi- geon , fidele à fa Compagne , ne prodigue point à d’autres fes carefles. Le Coq , moins réfervé (1) ft J'admettois ici comme vrai ce que Mr. de REAUMUR a raconté fi en détail des proftitutions de la Reine - abeille. IH avoit été induit en erreur par des apparences très- propres à en impofer. Des faits qu’il ne foupconnoit point, paroïflent prou- ver que cette prétendue Proftituée vit, au contraire, dans nn gélibat perpétuel. ( Confultez la Note $ du Chapitre VIT de la Partie VIII.) sd | DE LA NATURE. Part. XI 3x1 dans fes amours, partageles fiennes entre plu- feurs Poules. Voyez encore les foins empreflés que les Müles de plufieurs Efpeces prennent de leurs Femelles, foit en leur faifant part des nourri- tures qu'ils découvrent, foit en les foulageant dans leu travail; foit enfin en les défendant contre les infultes de leurs femblables ou de leurs Ennemis (2 ). (2) +t Cette petite Efpece de Perroquet ou de Perruche, connue des Oifeleurs fous le nom de Afoineau de Guinée, nous offre un exemple frappant de ces tendres foins que les Mâles prennent de leurs Femelles. Les jolies Perruches dont je veux parler font fur-tout renommées pour leur tendrefle conjugale; & j'avoue que, quoique je fois fort éloigné de prêter aux Ani- maux nos affections morales, je n'ai rien vu qui s’en rapprochät plus que ce qui fe pafle dans la fociété conjugale de nos petites Perruches de Guinée. J'en ai été témoin bien des Fois & tou+ jours avec le même intérêt. Il eft vrai qu'il étoit encore accrû per celui qu'y prenoit une tendre & vertueufe Époufe qui fe plait à contempler avec moi la Nature, & qui fait charmer ainfi fa folitude champêtre, & adoucir la douloureufe épreuve à la- quelle des maux habituels expofent fa patience depuis près de vingt-quatre ans. Parmi les Oifeaux de différentes Efpeces qu’elle avoit raffemblés autour d'elle, étoit une paire de nos petites Perruches. Elle ne perdoït prefque pas de vue ce cou« ple intéreMant , & chaque jour il lui donnoit lieu de faire quel- que nouvelle obfervation. Elle en a écrit elle - même l’hiftoire, & ce que je vais en rapporter n’en fera guere que l'extrait. Les deux Oifeaux avoient été logés dans une cage quarrée , appropriée à cette Efpece de Perruche. L'auget qui renfermoit *2 SCONTEMPLATION le nourriture, étoit placé au bas de la cage. Le Mâle étoit pre que toujours perché fur le mème juchoir à côté de fa Femelle; Ils fe tenoient collés & fe regardoient fréquemment d’un airten- dre. S'ils s'éloignoient l’un de l’autre, ce n’étoit que pour quelques. inftans , & on les voyait bientôt fe rejoindre & fe ferrer l’un contre l’autre. Ils alloient enfemble prendre leurs repas , & retournoient bien vite fe percher fur le juchoir le plus élevé de la cage. Detems en tems ils fembloient lier une forte de con- verfation à voix bafle &fe répondre l’un à l’autre : ils faïfoient entendre alors de petits fons affez variés , qui haufloient & baifloient alternativement : quelquefois même ils paroifloient {e quereller ; mais ces petites querelles n’étoient que paflageres & fe terminoient toujours par de nouvelles teñdreffes qu’ils fe prodiguoient mutuellement. - L'heureux couple pafla ainfi quatre ans dans ur Climat bien different de celui où il étoit né: mais au bout de ee terme, -qui étoit apparemment aflez long pour cette, Efpece de Per, ruche ; la Femelle tomba dans une forte de langueur qui avoit tous les caraéteres de la vieille{fe : fes jambes enflerent & il y parut des nodofités comme fi elles euffent été goutteufes. I ne lui fut plus poflible d'aller prendre fa nourriture comme au- paravant : mais le Mie, toujours oMicieux & tonjoursemprefté, alloit la prendre pour elle & la lui dégorgeoit dans le bec. Il futainfi fon vigilant pourvoyeur pendant quatre mois en- tiers, Les infirmités de fa ehere Compagne aceroifloient chaque jour & la réduifirent à ne pouveir plus fe percher. Elle fe te- noit accroupie au bas de la cage, & faifoit de tems en tems d'inutiles tentatives pour gagner le premier juchoir. Le Mâle qui s'y tenoit perché tout près d'elle, fecondoit de tout fon pouvoir fes.efForts impuiffans. T'antôt il faififloit avec fon bee le laut de l’aie de fa Femelle pour la tirer à lui; tantôt il la prenait par le bec & tichoit de Ja foulever en réitérant fes efforts a plufieurs reprifes. Ses mouvemens , fes geftes , fa contemance, fa follicitude continuelle ; tout en un mot indiquoit dans l’inté- reflunt Oifcau, le defir ardent d’aider à la foibiefle de fa Com-- pague & de foulager fes infirmités, Mais le fpeétacie deviné DELA NATURE. Part. XI +3 bien plus touchant encore quand la Femelle fut fur le point d’expirer : jamais on ne vit chez les Oïfeaux de fcene plus attendriflante : le Mâle infortuné tournoit fans cefle autour de f Femelle expirante ; il redoubloit fes empreffemens & fes ten- dres foins ; il effayoit de lui ouvrir le bec pour lui dégorger quelque nourriture ; fon émotion accroïiffoit d’inftant en inftant ÿ il alloit & venoit de l’air Le plus agité & le plus inquiet ; il poufloit par intervalles des cris plaintifs ; d'autrefois , les yeux collés fur-la Femelle , il gardoit un morne filence : il étoit, im poffible de fe méprendre fur les expreflions de fa douleur; je dirois prefque de fon défefpoir ; & l’Ame la moins fenfible en elñt été émue. Sa fidele Compagne expira enfin, & lui-même ne fit plus que languir, & ne lui furvécut que quelques mois. Le Kamichi, grand Oiïfeau de l'Amérique, demi-aquatique, d’un genre fort fingulier & très - réfraétaire À la nomenclature, eft bien plus remarquable encore par fa fidélité conjugale , que par la corne qu’il porte fur la tête, & par les éperons dont fes aïles font armées. Le Mile & la Femelle demeurent unis toute leur vie & ne fe féparent prefque jamais. Il femble même que la mort qui met fin à tout, ne puifle rompre Les doux liens par lefquels l'amour avoit uni les deux fexes : on voit l'individu qui a le malheur de furvivre à fa moitié , trainer uæ vie languiflante , errer fans cefle en pouflant des cris lugu- bies, & fe confumer près des lieux où il a perdu l'objet de £3 tendrefle. LR CR ad té CONTEMPLATIÔUN np CHAMPS PR Réflexions [ur la multiplication par le concours des Sexes. C: concours ne nous frappe point ; parce qu’il eft toujours fous nos yeux ; mais lorfqu’on vient à lexaminer philofophiquement , il fur- prend autant qu’il embarralfe ; fur-tout quand on fonge à ce qui fe pañfe chez les Pucerons (t£ } & chez les Polypes (2 ). DE-LA naît une queftion : quelle eft la raifon métaphyfique du concours des Sexes ? Cette raifon , comme celle de tous les fyftèmes parti- culiers , eft dans le fyltème général , dont notre foible vue ne peut faifir que quelques portioii- cules. Bornons-nous donc ici à obferver le fait & fes conféquences immédiates ou médiates. OK voit d’abord que la diftin@ion de Sexes donne lieu à une efpece de fociété entre le Male & la Femelle, d’où réfultent des avantages communs à l’un & à l'autre; & qui s'étendent (1) Part. VIII, Chap. VIII. Ç2) Ibid. Chap. XI, XIF, XIIF, XW + DE LA NATURE. Part. XI. 316 encore aux Individus qui proviennent de leur union. Ox obferve que les Animaux féconds par eux- mèmes vivent fans paroître former de véritables fociétés , quoique raflemblés en grand nombre dans le mème lieu. On remarque encore qu’ils ne pfennent aucun foin de leurs Petits. Il eft vrai que ces derniers ont été mis en état de fe pafler de leur {ecours. AUTRE remarque : les Animaux féconds par eux-mêmes mültiplient prodigieufement & avec une extrème facilité. La Terre n’auroit pas fu à contenir & à entretenir les Efpeces qui la peu- plent , fi toutes avoient été douées d’une pareille fécondité. La dépendance abfolue & mutuelle des deux Sexes rend la propagation moins füre, moins abondante , moins facile que chez de tels Androgynes. Ainfi les mèmes moyens qui ope- rent la multiplication de la plupart des Animaux, lui fervent en mème tems de barriere ou de frein. ENFIN, la diftinction de Sexes répand dans ja Nature une done cd variété (3), & donne (3) tt La diftinétion de Sexe chez les Plantes donne lien à des variétés analogues , fur-tout chez celles où les Sexes font {+ parés, 16 EONTEMPLATION plus d’étendue aux divers fervices que l'Homme tire des Animaux. : CEST un grand argument en faveur des fins, que ce mouvement {ecret qui porte les deux Sexes à {6 chercher & à s’unir. Ce mobile , in- hérent à la nature de lAnimal, ne dépend point de caufes étrangeres. Il agit dans les Animaux élevés en folitude comme dans ceux qui vivent en fociété. La température de Pair, les alimens, l'éducation & d’autres circonftances peuvent bien modifier fon jeu; mais non le détruire. Et en- core, quelle foule de rapports très - compliqués entre les organes propres à chaque Sexe ; & entre les organes correfpondans des deux Sexes ?: Combien de fins particulieres qui tendent toutes ici vers une fin générale! Que de liaifons , que de convergence dans les moyens ! Que duti- lités dans le but & de conféquences de tout cela ! Le plus fouvent il eft dans les Femelles des terns marqués pour la génération : les Mâles les attaqueroient vainement en d’autres tems : elles les repoufleroient ou fe fouftrairoient à leurs re cherches. La raifon de cet ordre eft fenfible : la génération auroit été troublée ou interrom- pue DE LA NATURE: Part XI :4 } fue fi les Femelles avoient recu les Mäles en tout tems Gad: : | CHAPITRE V. NU EE Le lieu € larrangement des œufs © le foin des Petits. L. Sauterelle ; le Lézard , la Tortue, le Cro- codile fournifflent des exemples d’Animaux qui ne prennent prefque aucun foin de leurs œufs, & qui n’en prennent point du tout des Petits qui en éclofent. Ils pondent dans la terre ou dans le fable, & laiffent au Soleil le foin d’é- chauffer leurs œufs. Les Poiflons à écailles en ufent de mème : les uns frayent dans l’eau, les autres entre les cailloux ou dans le fable (1 ). (4) tt La plupart des Quadrapedes ont un tems marqué pour la copulation : les Loups & les Renards en Janvier ; les Chevaux , en Été; les Cerfs , en Septembre & Oobre, les Chevres fauvages, en Décembre ; les Chats, en Janvier, Mai & Septembre. Le Printems &L'Eté font les faifons des amours des Oifeaux, des Poiffons & des Infeétes. (x) tt La Sauterellë pond en Automne , à l’aide d’une forte de plantoir dont fon derriere eft pourvu, & qui eft formé de deux lames écailleufes en manicre de petit fabre : elle introduit fes œufs dans fa ferre; elle les y feme en quelque forte. Aw fortir du ventre, ÿs gliffent entre Les deux lames dut plantoïe Toine LIL, R 18 CONTEMPLATION L'INSTINCT de différentes Efpeces fe borne à placer les leurs dans des endroits où les Petits qui les place à une profondeur convenable. Les Petits en éclo- fent au retour du Printems. C’eft un petit Animal bien formi- dable que la Sauterelle : elle eft un des grands fléaux qui dé- folent de tems en tems les Campagnes. Les plus anciennes Hi£ toires ont confacré fes ravages. Elles nous peignent les armées innombrables de Sauterelles obfcurciffant l'air par leurs épaifles phalanges, traverfant d’un vol rapide de grandes Contrées, s’abattant fur les Prairies & les transformant en déferts. Le Lézard pond dans les vieilles mafures ou dans le fable, & toujours dans des lieux où fes œufs peuvent être échauffés par le Soleil. Leur enveloppe n’eft que membraneufe. J'en ai fait couver plus d’une fois dans une terre féche & très- pulvérifée, que j'expofois au Soleil. Le Lézard eft un petit Quadrupede très-joli, très-agile & qui a beaucoup de grace dans tous fes mou vemens ; mais il eft bien plus joli encore au fortir de l’œnf : il eft alors une vraie miniature dont on a peine à détacher fes yeux. Le Lézard fe rapproche affez par fa forme de la Salamandre aquatique : il s’en rapproche encore par le privilege de repro- duire {a queue lorfqu'il l’a perdue : mais cette reproduétion n’a pas été fuivie avec autant de foin que celle de la Salamandre, & mériteroit bien un examen plus approfondi. Ce que divers Auteurs en rapportent eft bien vague, & prouve trop qu'ils n’avoient pas obfervé cette reproduction avec toute l'attention qu’elle exige. Non-feulement il conviendroït de répéter les expériences fur la reproduét:on de la queue; mais il fandroit encore les étendre aux autres membres pour s’aflurer fi le Lé- zard , comme la Salamandre, peut refaire fes mains, fes pieds, fes doigts, &c. Si elles ne réufh{loient pas fur des Lézards par- venus à leur parfait accroiflement ou à-peu-près , elles réuffi roient peut- étre fur les plus jeunes, dont les membres plus imols & plus fouples fe préteroient davantage à l'opération , & gn favoriferoient le fuccès. Les Tortues de mer, célles d’eau douce & de terre pondent DE LA NATURE. Part. ' XI :19 trouveront à leur naiffance des nourritures con- venables. Les Meres ne {e méprennent point également dans le fable ou dans une terre légere. Lorfque les Tortues de mer ou d’eau douce font fur le point de f£ décharger de leurs œufs , elles abandonnent l’eau , fe rendent fur terre, y pratiquent des foffes dans lefquelles elles placent leurs œufs, & ne les recouvrent que légérement de fable afin que le Soleil puifle mieux les échauffer. Elles creufent ces fofles avec leurs mains ou aïlerons, & à une petite diftance de l’endroit où le flot va battre. Les œufs , qui font fouvent au nombre de deux eu trois cents, de figure ronde & de la groffeur d’une orange, ne font revêtus que d’une enveloppe membraneufe, de la con. fiftance du parchemin. Les petites Tortues en éclofent au bout de trois femaines ou un mois, & inftruites de bonne heure par la Nature, elles ne manquent point de gagner l’eau qui eft leur vraie patrie. Le Crocodile, ce terrible Amphibie , dont la voracité eft extréme, qui hante les grands fleuves de l'Inde, de l'Afrique & de l'Amérique, & qui reffemble tant par fa forme au Lézard, eft, comme lui, ovipare, & pond comme lui, dans le fable. Ses œnfs , de la groffeur de ceux d’une d’Oie, & au nombre de cinquante ou foixante, multiplieroïent trop la race redouta- ble de cet énorme Amphibie, fi l’Ichneumon, qui eft très-friand de ces œufs, n’en détruifoit un grand nombre. C’eft donc par ce petit Quadrupede que la fage Nature prévient les ravages que cauferoit la trop grande multiplication du Crocodile. Nous venons de voir les Tortues aquatiques abandonner l’eau vour aller pondre fur le bord de la mer ou des rivieres : quel- ques Amphibies , tels que les Crapauds terreftres & la Grenouille des Arbres , abandonnent au contraire la terre, pour aller pon- dre dans les eaux. Ils femblent favoir que ce n’eft que dans les eaux que leurs Petits peuvent éclorre , & trouver à leur naïf fance les nourritures qui leur conviennent. De petits Infeétes - aquatiques font la pâture qui leur a été affignée ; mais cette pâture ue fe trouve que dans Les eaux croupiffantes ; aufli n’efts B 2 io CONTEMPLATION -deflus. Le Papillon de la Chenille du Chow ne va point pondre fur la viande , ni la Mouche de la viande fur le Chou. Le Coufin (2 ) qui voltige dans l'air, a d’as bord été habitant de l’eau. C’eft aufi fur l'eau qu’il va dépofer fes œufs. L’amas qu'ils compo- fent a de l'air d’une petite nacelle que lInfete fait conftruire & mettre à flot. Chaque œuf a la forme d’une quille. Toutes les quilles {ont ver- ticales & adoffées les unes aux autres. Le Coufin ne pond qu'un œuf à la fois. On ne devine pas comment il parvient à faire tenir {ur l’eau le premier œuf ou la premiere quille. Son pro: cédé eft pourtant très - fimple, & n’en eft que plus ingénieux. Il porte en arriere fes plus lon- gues jambes ; il les croife, & c’eft dans l'angle qu’elles forment alors, qu’il recoit le premier œuf & qu’il le tient aflujetti. Un fecond œuf eft bientôt dépolé contre le premier, puis un troifieme , un quatrieme, &c. La bafe de le pyramide s’élargit ainfi peu -à-peu , & elle fe foutient enfin par elle-même. ce que dans de femblables eaux que nos Amphibies fe rendent, au tems de la ponte: jamais on ne les voit pondre dans les eaux courantes. (2) Culex pipiens LINN. JR, nat. Voyez REAUMUR ; Infs. Tone IV. | PDU AUNA TU RE. Part. 'XT. 2% Quecques Efpeces collent leurs œufs avec beaucoup de fymmétrie & de propreté autour des branches ou des menus jets des Arbres, en maniere de bagues ou d'anneaux. On diroit qu'une main adroite ait pris plaifir à ajufter à ces jets, des braffelets,de perles. Une Chenille, que la diftribution de fes couleurs a fait nommer Livrée, fe transforme en un Papillon qui arrange ainfi fes œufs, & qui en compofe de ces jolis braflelets, D’auTres Papillons font plus encore; ils fe dépouillent de leurs poils, & en conftruifent à leurs œufs une efpece de nid où ils repofent mollement & chaudement. Tel eft en particulier le procédé induftrieux du Papillon de la Che- _nille appellée commune, parce qu’elle eft en effet la plus commune dans nos Contrées. CERTAINES Efpeces font fi attachées à leurs œufs , qu’elles les portent par-tout avec elles, L’Araignée-loup renferme les fiens dans une pe- tite bourfe de foie, dont elle charge fon der- riere. Vient-elle à la perdre ou vient-on à la lui enlever ? fa vivacité & fon agilité naturelles l'abandonnent : elle femble tomber dans une forte de langueur. Eft- elle affez heureufe pour gecouvrer le précieux dépôt? elle s’en faifit à B 3 >» CONTEMPLATION l'inftant, l'emporte & fuit. Dès que les petites Araignées font éclofes, elles fe raflemblent & s’arrangent adroitement fur le dos de leur Mere, qui continue encore quelque tems à leur donner fes foins , & à les tranfporter par-tout avec elle, UXE autre Araignée loge fes œufs dans une petite poche de foie, qu’elle enveloppe d’une feuille. Elle fe pofe fur cette poche, & couve fes œufs avec une afliduité merveilleufe. Une autre enfin , renferme les fiens dans deux ou trois petites boules de foie qu’elle fufpend à des fis, mais avec la précaution de fufpendre au- devant & à quelque diftance un petit paquet de feuilles feches , qui les dérobe aux regards des Curieux. Diverses Efpeces de Mouches folitaires ne fe font pas moins admirer par leur prévoyance à amaller des provifions pour leurs Petits, que par Part qui brille dans les nids qu’elles leur préparent. L’Abeille - maçonne , ainfi nommée parce qu’elle fait comme nous, l’art de bâtir, exécute en maçonnerie des ouvrages qui fem- bleroient devoir furpañler de beaucoup les forces d'une Mouche. Avec du fable choifi grain à grain, & lié avec une forte de ciment bien préférable au nôtre, elle conftruit à {a Famille DE LA NATURE. Part XI 23 une Maifon , à la vérité très-fimple, mais éga- lement folide & commode. Eile elt divifce inté- rieurement en plufieurs chambres ou logettes , adoffées les unes aux autres, & qui ne doivent point communiquer enfemble. Une enveloppe générale qui eft, pour ainfi dire, un mur de clôture , les renferme toutes & ne laiffe au-dehors aucune ouverture. L faut brifer ce mur pour voir les chambres, & on lui trouve la dureté de la pierre. Ces nids font très-communs fur les faces des mailons : ils y paroïfent comme des monticules ovales , d'un gris différent de celui de ja pierre. La Mouche, qui eft lArchitecte de ces petits bâtimens , dépole dans chaque chambre un œuf , & y renferme en mèm: tems une Pro- vifion de cire ou de pâtée, qui eft la nourriture appropriée à fes Ptits. UKE autre Mouche, qu’on pourroit appeller Abeille - Charpentiere , parce qu'elle travaille en bois, conftruit aufli des logemens à fa Famille; mais dans un autre goût que la Maçonne, Tantôc elle diftribue les chambres par étages , tantôt elle les difpofe en enflade. Des planchers ou des cloifons artiltement façonnés , féparent tous les étages ou toutes les chambres , & dans tous elt dépolé un œuf avec la melure de pâtée nécef- faire au Petit, B 4 $4 EONTEMPEATION CES divers ouvrages exigent en général moins d’adrefle & de génie que de travail & de patience, T y a bien autrement d'art & d’induftrie dans le nid qu’une autre Mouche conftruit avec de fimples morceaux de feuilles. Ce nid eft un vrai prodige. Quand on le décompofe & qu’on en examine de près toutes les pieces, on ne fau- roit comprendre comment une Mouche a pu par- venir à les tailler, à les contourner & à les aflembler avec tant de propreté & de précifion. Vu par dehors , ce nid reflemble très-bien à un étui de cure-dents. L'intérieur eft divifé en plu- fieurs cellules qui ont la forme d’un dé à coudre, & qui font emboîtées les unes dans les autres . comme les dés le font chez le Marchand. Cha- que dé eft compofé de plufieurs pieces , qui ont été taillées féparément fur une feuille, & dont la figure, les contours & les proportions répon- . dent à la place que chacune doit occuper. Îl en cit de mème des pieces qui forment l’étui ou l'enveloppe commune. En un mot, il regne dans ce petit chef-d'œuvre tant de jufteffe, de {ym- métrie , de rapports & d’habileté , qu'on ne croi- toit point qu’il fût l’ouvrage d'une Mouche , fi Von ne favoit à quelle école elle a appris à le conftruire. On devine affez que chaque dé eft le logement d’un Petit ; mais ce qu'on n’imagine pas , c'efl que la pâtée que fa Mere approvifionne DE LA NATURE. Part. XI 25 pour lui eft prefque liquide, & que la cellule, toute compofée de petits morceaux de feuilles , _ ef pourtant un vafe fi bien clos , que cette pâtéce ne fe répand point, lors mème que le vale eft incliné (3). C'EST moins pour elles-mèmes que pour leurs Petits, que les Abeilles-Républicaines conftruifent (3) ff Ici l’habile Traducteur Italien de l'Ouvrage que je commente , a placé une Note dont je donnerai le précis. “Un autre Infeéte ne montre guere moins d’induftrie que la Mouche coupeufe de feuilles. C’eft dans une forte de cornet qu'il dépofe fes œufs, & ce cornet eft Fait de Feuilles. Pour parvenir à le façonner il commence par courber la feuille, & pour que fon reflort ne dérange point la courbure qu’il, veut lui donner, il en affujettit les bords au moyen de quelques fils de foie. Mais comme il eft fort petit & affez foible, il ne parviendroit pas à courber à fon gré la feuille & à vaincre fon reffort naturel , fi la Nature ne lui avoit enfeigné un moyen auffi fimple qu'ingénieux d'en venir à bout. La feuille ne ré- Gfte que par fa vigueur : l'Infeéte a donc été inftruit à l’affoi- blir on à diminuer la quantité de nourriture qu'elle reçoit à chaqu’inftant de la branche qui ia porte. Pour cet effet , il en ronge un peu le pédicule , & intercepte ainfi une partie des fucs nour- riciers. Il en refte affez pour l'entretien de la feuille, & point aflez pour lui conferver tout fon reflort. L’adroit Infeéte la manie enfuite comme il lui plait. Il la courbe de maniere que la furface inférieure eit à l’intérieur du cornet , & c’eft contre cette furface qu’il colle fes œufs. * Ce joli Charanfon doré , efpece de petit Scarabé, connu fous le nom de Bêche ou Zifette, roule aufli avec beaucoup d'art les feuilles de la Vigne, & dépofe de même {es œufs dans J'intérieur du rouleau, 26 CONTEMP LE ATOM ces Gâteaux dont l'ordonnance & les propottions font déterminées fur les regles de la plus fine Géométrie, Une partie des cellules dont ils font cempofés fert de berceaux aux Petits; & comme ceux - ci font de trois grandeurs , les Abeilles conftruifent auf de trois ordres de cellules. Chaque jour elles apportent à manger à leurs nourriflons , & par une attention finguliere , elles proportionnent la nourriture à leur âge & à leurs forces. Elles ont encore foin d’entretenit autour deux une chaleur toujours à - peu - près égale, en fe rafflemblant fur leurs cellules dans les jours froids, & en s’en éloignant dans les jours chauds. Enfin, lorfque le tems eft venu ou les Petits n’ont plus befoin de nourriture & où ils doivent fe préparer à la métamorphole, elles ferment exactement leurs alvéoles avec un couvercle de cire. L’inftinét de la Mere - abeille dans le choix des cellules pour y dépofer fes œufs eft aufli très - remarquable. On ne la voit point loger un œuf de Mäle dans une cellule d'Ouvriere, n1 un œuf d'Ouvriere dans une cel. lule de Mâle (4). (4) tt Je parlois ici d’après Mr. de REAUMUR ; mais des Obfervateurs plus modernes refufent un tel difcernement à læ Reine - abeille , & prétendent que ce font les Ouvrieres qui en font douées, & qui ont été chargées de diftribuer les œufs dans les cellules appropriées aux Petits qui en doivent éclorre. Ils DE LA NATURE. Part. XI 219 LEs Petits de différentes Efpeces de Mouches font carnaciers, & ne fe nourriffent que d’Ani- maux vivans. Les Meres renferment donc dans leurs nids; les unes, de petites Araignées ; les autres , de petites Mouches ; d’autres, de petits Vers, qu’elles aflujettiflent contre les parois de la cellule, & qu’elles arrangent les uns fur les autres en maniere de cerceaux. Le Petit dévore fucceflivement ces malheureufes victimes con- damnées à lui fervir de pâture, & lorfqu’il a achevé de dévorer la derniere , le tems eft arrivé où il n’a plus befoin de manger & où il a pris fon parfait accroiflement. D’autres Mouches ont été inftruites à aller dépofer leurs œufs dans le Corps des Infectes vivans ou dans leurs nids. Ni l’agilité de ces Infectes , ni les armes offenfives & défenfives dont ils font pourvus , ni la folidité ou lépaif- affurent que la Reine pond fouvent & en grand nombre les trois fortes d'œufs dans des cellules communes, & que bien- tôt ces œufs font diftribués dans les alvéoles qui leur convien. nent. Ce fait demanderoit à étre mieux conftaté : car les meil. leurs Hiftoriens ‘des Abeilles n’ont rien raconté de femblable : ils ont bien remarqué à la vérité, que la Reine pond quelque Fois plufieurs œufs dans la même cellule, & que les Ouvrieres ont toujours foin d'enlever les furnuméraires ; mais ils n° les ont point obfervé replacer ces œufs un à un dans les cellules appropriées. 26 CONTEMPE A TOM eur des parois de leurs logemens ne fauroien& triompher de ladrefle , du courage & de la vigi- lance des Ichneumons ( 5 ). LES procédés analogues de quelques autres Mouches font encore plus frappans. L’une fe tient à l'entrée de l’anus des Chevaux, & attend le moment où il doit s'ouvrir, pour fe glifler dans les inteftins & y dépofer fes œufs. Une autre entre dans le nez des Moutons , & va poudreidans les finus frontaux. Une autre, plus hardie encore, enfile les conduits nafeaux du Cerf, defcend dans fon palais , & dépofe fes œufs dans deux bourfes charnues placées à la racine de la langue (6). (5) C’eft le nom que les Naturaliftes ont donné aux Mou- ehes qui vont dépofer leurs œufs dans le corps des Infeétes vi- vans. Ce nom eft pris de l’Zchneumon , efpece de Chat d'Egypte, qui détruit les œufs du Crocodile, (6) tt Ces Mouches courageufes en rappellent une autre aui donne auflilfes œufs à couver & fes Petits à élever à de grands Animaux vivans. C’eft fous le cuir épais des Bêtes à cornes | & jufques dans leur chair, que cette Mouche va dé- pofer fes œufs au moyen d’une tariere bien emmanchée, qu'elle entend à merveille à faire jouer. Dans chaque plaie qu’elle fait _au dos d’un Bœuf ou d’une Vache , elle place un œuf. Le Ver qui en éclôt fe trouve environné à fa naiflance , d’une nour- titure très-abondante & très-appropriée. Il croit beaucoup, & à mefure qu'il eroit, il fait croître la tumeur où il eft logé. Elle devient une cfpece de galle animale qu'on véit s'élever La D£E LA NATURE. Pat. XI 29 Comne il eft des Efpeces qui dépofent leurs œufs dans l’intérieur des Animaux vivans , il en eft un bien plus grand nombre qui dépofent les leurs dans l’intérieur des Végétaux. Il n’eft aucune de leurs parties, qui ne ferve de retraite & de pâture à un ou plufeurs Infectes. Une Mouche pique la feuille d’un Arbre, elle y fait naître une galle au centre de laquelle un œuf eft logé. Nous avons vu (7) que cet œuf fin- gulier croit comme un Animal. En croiffant, il fait croître la galle ; le Petit qui en éclot , trouve ainfi en naiflant le logement & la nourriture (8). eomme une boffe fur le dos de la Bête à cornes , & qui eft analogue aux galles végétales que d’autres Mouches font naître fur les Plantes. Mais le Ver renfermé dans la galle animale ne fauroit fe pafler d’une communication libre avec l’air extérieur; il a befoin de linfpirer : la petite ouverture que l’inftrument de la Mouclie a pratiquée dans le cuir du Bœuf ou de la Va- che, ne fe ferme pas; le Ver a même grand foin de l’entre- tenir, & il vient un tems où il lui convient de l'agrandir peu- à-peu; il y réuflit au mieux en y introduifant le bout de fon derriere & en l’y retenant comme une tente. Cette même ou- verture a encore un autre ufage : elle donne un écoulement au pus qui abonderoït trop dans la plaie & incommoderoit Le Ver. (7) Partie VIII , Chap. VI. (8) tt Ce n’eft pas uniquement à des Mouches que es gaïles dont je parle ici doivent leur naiflance ; des Papillons & des Scarabés en font naître auf. La plupart s’élevent fur les feuilles. Leurs formes , leurs couleurs, leurs dimenfions, leur senfiftance préfentent une multitude de variétés que deux grands 30 CONTEMPLATION Une autre Mouche , à l’aide d’une fcie adtmi- rable (9), pratique dans les branches du Ro- Obfervateurs (+) fe font attachés à décrire. Beaucoup font fphériques , & parmi celles-ci il en eft de toute groffeur de- puis celle d’une tête d’épingle jufqu’à celle d’une petite pomme. Quelques-unes ont un fi beau coloris , qu’on les prendroit pour des fruits auxquels elles reflemblent encore par leur tif & leur chair. D’autres font prefque ligneufes. Il en eft qui font faconnées en maniere de parafol : d’autres imitent la forme d’un clou , d’une gondole , d’un rein , d’un artichaut , d’une fleur , &c. Les unes font liffes; les autres font hériflées d’épines on garnies d'une épaifle chevelure. Les unes n’ont dans leur intérieur qu'une feule cavité, & ne logent ainfi qu'un feul Ver ; d’au- tres, dont l’intérieur eft divifé en plufeurs logettes , renferment autant de Vers. Les Infeéèes de différentes clafles, dont les Petits doivent éclorre & s'élever dans ces diverfes fortes de tumeurs , ont été pourvus d’inftrumens admirables, au moyen defquels îls favent percer ou entailler les parties des Plantes auxquelles ils confient leurs œufs. Il y a de ces galles qui font très -utiles dans les Arts; & l’on aime à contempler les rap- ports éloignés qui enchainent la Mouche d’une galle du Chêne à l'art ingénieux de peindre la parole €Ÿ de parler aux yeux. Enfin; on trouve des galles fur prefque tous les Arbres & Arbuftes : le Chêne feul en préfente de bien des efpeces. Il y en a auffi fur les Plantes herbacées. Nous fommes peu éclai- rés encore fur leur formation, & nous n'avons là - deflus que des conjeétures qui ne fufffent point à rendre raifon de la diverfité des formes & des tiflus. (9) ++ Ce bel inftrument n’eft pas feulement une fcie; il eft encore une rape & une tariere. Je ne dis pas affez; car la fcie n'eft pas fimple ; elle eft double; & les deux fcies , appliquées V'une contre l’autre , jouent alternativement. Avec un fi excel. (+) MALrIGHI & REAUMUR. PRE AUON A TU KR E. Part. XI. 31 fier des cellules qu’elle difpofe fymmétrique- ment , & dans chacune defquelles elle pond un œuf (10). lent inftrument , la Mouche pratique jufqu’à vingt - quatre 1a4 gettes dans la même branche , dans chacune defquelles elle dé- pofe un œuf, qu'elle arrofe d’une liqueur vifqueufe. Ces œufs de la Mouche à fcie font au nombre de ceux dont j'ai parlé ailleurs, & qui offrent une fingularité remarquable , celle de croître après avoir été pondus. (Partie VIII, Chapitre VI.) La Cigale, fi connue par fon chant, & qui appartient à la . cafe des Mouches à quatre ailes, eft aufli pourvue d’un in£ trument admirable qu’elle porte au derriere, & à l’aide duquel elle pratique de longues entailles dans de menues branches de bois fec. Cet inftrument eft une double tariere compofée de deux pieces terminées en pointe, qui font affemblées à cou- life & à languette dans un fupport commun , & qui jouent alternativement & parallelement fans s’écarter jamais l’une de :Tautre. C’eft toujours au bois vert ou qui végete encore, que la Mouche à fcie confie fes œufs ; & c’eft toujours au bois fee que la Cigale confie les fiens. Elle les diftribue avec beaucoup d'ordre dans les différentes logettes qu’elle creufe au centre du brin de bois qu'elle a choifi. Il fort de ces œufs un Ver à fix jambes, dont Îes deux premieres ont une conformation particuliere , qui le met en état de fouiller la terre , & d'aller éhercher fi nourriture fur les racines de quelque Plante, (10) ff Les procédés des Efcarbots pilulaires méritent bien que j'en fafle mention. Ce font des Scarabés, & le nom de pilukaires qui leur a été donné par les Anciens, ne rend pas mal l'induftrie qui les caraétérife. Ils hantent les fumiers & des excrémens , & en forment des pilules ou des boulettes , qu’ils arrondiflent de plus en plus en les roulant fur le terrein: Plufeurs Efcarbots s'occupent à la fois à promener la bou- lette: Ils la pouffent avec leurs jambes de derriere en marchant à reculons ; & quand il arrive que Les inégalités du terrein 45 -- : CON TE MEN A RIÔN: apportent des obftacles à la marche de la petite boule, ils font éfort pour les furmonter , & quelquefois d’autres Efcarbots furviennent, qui partagent leurs efforts, & leur aident à pouffet la boule plus Loin. Ils font opiniètres dans leurs manœuvres & ne fe découragent point : lors même qu’on vient à les ma- nier ou à les interrompre dans leur travail , ils ne manquent point de le réprendre. Souvent ils foulent avec leur balotte dans des fofles plus ou moins profondes ; mais nos petits Si- fyphes , toujours infatigables , ne fe rebutent point, & redou- blant leurs efForts ils parviennent ordinairement à retirer la ba- lotte de la fofle, & à la conduire plus loin. Ils vont enfin l’enterrer à une affez grande profondeur , & cette opération exige de leur part autant de travait que de patience: Ce n'eft pas fans bonne raifon que nos Efcarbots font ft attachés à leurs boulettes : elles renferment un dépôt précieux. Un œuf eft logé au centre de chacune ; & cet œuf demandoit apparemment à être enveloppé d’excrémens & enterré à une certaine profondeur pour que le Petit püt en éclorre. Le foin des œufs n'a point été confié par la Nature aux feules Meres qui les ont pondus : la Société entiere des Efcarbots a été chargée de s’en occuper & y prend un égal intérét: Des Ef- caïrbots étrangers font rouler les boules avec autant d’aétivité & de conftance que ceux qui les ont eux -mémes faconnées ; & que les Meres qui ont pondu les œufs. Tous les Efcarbots ne renferment pas leurs œufs dans des boules d’excrémens : il en eft qui les logent dans les cadavres de petits Animaux, tels que les Taupes, les Grenouilles , les Sauterelles, &c. Quand ces Efcarbots rencontrent fur la furface de la terre, de pareils cadavres, ils fe hâtent d’en prendre pof: feffion; mais ils n’ont garde de les laiffer fur la place: ils s'y deflécheroient ou s’y'confumeroient inutilement ou leur feroient bientôt enlevés par des Animaux rodeurs & carnaciers. Ils traz vaillent donc à mettre en füreté leur capture; & mon Lecteur n'imagine pas peut-étre le moyen añquel ils ont recours. Ori n’en pouvoit choïfir un meilleur. Ils fe mettent à enterrer le cadavre, mais on conviçpgra que c’eft prefqu'un travail d'Herz : cuks DE LA NATURE: Part. XI 35 œule pour de fi petits Infectes que d’enterrer le cadavre d’une groffe Taupe. lis y parviennent néanmoins, & en bien moins de tems qu'on ne le croiroit. Il ne faut quelquefois qu’un jour ou deux à deux paires d’Efcarbots pour enterrer une Taupe à trois ou quatre doigts de profondeur. Je puis dire plus: Mr. Gzenirscu s’eft afluré qu’un feul Efcarbot peut enterrer une Taupe en entier dans le court efpace de vingt-quatre heures. Un pareil travail tient du prodige. C’eft avec leur tite, leur oorcelet & leurs pieds que les Efcarbots creufent la foffe dans laquelle ils veulent enterrer le cadavre. Ils amoncellent autour la terre qu'ils retirent de la foffle; ils en conftruifent une forte de couronnement ou de rempart qui trace les con- tours du tombeau, & dont les dimenfons font exactement proportionnelles à celles du cadavre. À mefure qu’ils creufent la Foffe , le cadavre s'enfonce davantage, & la terre qui étoit amaffée autour de lui, vient peu-à-peu à le recouvrir. Il fe forme alors au-deflus une petite élévation qui indique l’en- droit fous lequel il repofe. La petite éminence s’affaifle infen- fiblement , fe met au niveau du terrein, & bientôt on ne re- connoît plus l'endroit où le cadavre eft enterré. Lorfque la fépulture eft achevée, les Efcarbots vuident le cadavre , & dépofent leurs œufs dans fon intérieur. Si on le retire de fon tombeau au bout de quelques jours , on le verra Fourmiller de Vers d'Efcarbots. Ce ne font pas feulement des cadavres entiers de petits Ani- maux, que les Efcarbots enfeveliflent pour fournir une nour- riture afurée à leurs Petits; ils enfeveliffent de même pour la même fin , des morceaux de chair des grands Quadrupedes qu’on met à leur portée. En cinquante jours l’Académicien de Berlin a vu quatre Efcarbots enterrer complétement deux Taupes , quatre Gre- nouilles , trois petits Oifeaux, deux Sauterelles , les entrailles d'un Poiflon , & deux morceaux de foie de Bœuf. Nos laborieux enterreurs enfeveliffent ainfi les cadavres de- puis le mois d’Av:: jufqu'au mois d'Ottobre. On juge bien que * ce n’eft que dans une terre légere & un peu humide qu'ils Tome 111, C 54 CONTE M:PDA ALOMN EE ———— #1 # C H A P EL Den ME ee (ES Continuation du même fujeé. Les Oifeuux. Lise les Oifeaux , la Femelle n’eft pas char- ote feule du travail; le Mâle le partage tr). peuvent pratiquer de femblables fépultures : une terre forte ou graveleufe réfifteroit trop à leurs efforts. (x) tt On dit que les Oifeaux parient : il femble qu’on puifle dire qu'ils Je sarient 3 Cat chez la plupart l'union du Male & de la Femelle femble être une forte de paéte conjugal œgontracté pour la procréation & l'éducation des Petits. L'amour paroît donc prendre chez les Oifeaux une teinte de moral qui l'ennoblit & nous retrace l'image touchante de la Société conjugale la plus tendre & la plus parfaite. Appellés à travailler en commun au petit édifice qui logera la poftérité prête à maître , le Male & la Femelle , déja unis par les doux liens d'une fympathie naturelle, s’attachent d'autant plus fortement fun à l'autre , qu'ils ont été mis dans une obligation plus étroite de remplir les devoirs de la Société conjugale & de s'entwaider dans un travail pour lequel la Nature a fu les in &éreffer tous deux également. Non-feulement le Mâle aide fa Femelle à conftruire le nid ; affez fouvent encore il partage avec elle les ennuis de l'incubation. Il fait plus ; tandis qu’elle demeure collée fur fes œufs, il va lui chercher la nourriture & revient la lui dégorger dans le ‘bec. D'autres fois, placé auprès de fa compagne , il femble vouloir la réjouir par fon ghant & charmer , en quelque forte, l'ennui de fa Situation. Us DE LA NATURE Par XI 38 La fimplicité de leur architeéture eft admirable, Le nid eft creux, & de forme à- peu - près tendre attachement à fuccédé aux feux de l'amour, & la nai£: fance des Petits, qui eft pour l’heureux couple une autre jouif= fance , refferre de plus en plus les liens de l'union conjugale en la rendant plus néceflaire. De nouveaux foins appellent alors le Pere & la Mere, & toujours fideles à la voix de la Nature ; ils s’y livrent tous deux avec un égal empreflement, Comme ils ont travaillé de concert à la conftruétion du nid , ils travail- lent encore de concert à l'éducation de la Famille. Occupés fans relâche de cet important ouvrage , ils ne ceffent point de fe prêter des fecours mutuels: Leurs peines , leur follicitude : leur vigilance redoublent avec leurs plaifirs, & l'on croit voir dans l’aimable Société la peinture fidele du ménage le mieux réglé & le plus honnête. Mais tous les Oifeaux ne naïffent pas Architectes ; tons n’en- tendent pas à conftruire des nids. Divers OMeaux nocturnes ; tels que le Hibou & la Chouette noire , favent néanmoins {up- pléer à leur ignorance dans l’art de bâtir, en profitant adroite- ment des nids qui ont été conftruits par des Oifeanx Archi- teétes: D'autres Oifeaux noéturnes pondent à crud dans des mafures ou dans des creux d’Arbres. Il en eft à-peu-près de même de quelques Méfanges ; des Pics, des Martin - pé- cheurs , &c. Un | Ces Oifeaux qui dépofent leurs œufs dans des nids étrangers, rappellent aufli:tôt à L’efprit le fameux Coucou , fur lequel on a débité tant de fables. Il ne va pas feulement pondre fon œuf dans un nid qu'il n’a pas fait ; il abandonne encore le foïin de fa progéniture à des Nourrices étrangeres , qui en ont autant de foin que de leurs propres nourriffons. On connoît bien des Efpeces de petits Oifeaux que le Coucou charge aimli de l'édu- cation de fa Famille : li Fauvette , le Rouge-vorge, la Méfänge , le Rofignol, &c. font de ce nombre, On aflure que le Coucou ne pond guere que deux œufs , & qu’il a foin de les dépofer tou: jours un à un dans autant de nids étrangers. CG 2 36 | CONTEMPLATID hémifphérique , pour mieux concentrer la cha: leur. Il eft revètu de matériaux plus ou moins L’élégant Hiftorien (+) du Coucou, qui pour peindre les graces légeres de la Nature, femble emprunter le pineeau char- mant de fon illuftre Ami, a effayé de juitifier les procédés finguliers & prefque dénaturés de l’Oifeau. Il remarque qu'un inftin®& étrange porte le Male à chercher les œufs de la Fe- melle pour les dévorer : il auroit donc plus de facilité à les découvrir s'ils étoient pondus dans un nid qu’elle auroit elle- même conftruit. C’eft encore un bon moyen d’en rendre la recherche plus difficile , que de les difperfer en différens nids étrangers. Notre célebre Naturalifte obferve encore, que le Coucou eft un des Oïfeaux qui muent le plus complétement : il eft prefque tout nud immédiatement après la mue. Il n’a pas méme achevé de s'habiller dans la faifon des amours. La nourriture qui fe porte en abondance aux nouvelles plumes, eft en diminution de celle qui fe porteroit à l'ovaire. Il ne s'y développe guere que deux œufs à la Fois, & l'Oifeau trop foible n’entreprend pas le pénible ouvrage de la conftruétion d’un nid. Mais la Nature, qui veut la confervation de toutes les Efpeces, Ya doué d’un inftinét qui lui enfeigne à aller pondre dans des nids étrangers ; & comme elle n’a point refferré l’in- eubation des Oifeaux dans les limites étroites de l'Efpece, l'œuf du Coucou ne manque jamais de Couveufe ni le Petit de Nourrice. Les Oïfeaux de baffe-cour font auffi au nombre des Oifeaux qui, à proprement parler, ne conftruifent pas de nids. C’eft que l’homme , avec lequel ils vivent depuis fi long-tems en fociété, leur en épargne la peine. Ils en conftruifoient apparemment dans l’état de nature : mais depuis qu’ils ont pañle , pour ain dire, dans l’état civil, ils ont perdu une partie de leurs Facul- tés naturelles on primitives. [ls vivent dans une fi grande abondance de toutes chofes , qu’ils en font devenus parefleux . ÇF) Mr. de MONTBEILLARD. ou DAUTAPNATURE. Pat. XI 3 srofliers , deftinés à fervir de bafe & de défenfe au petit édifice. Il eft garni intérieurement de plumes , de crin, de coton ou d’autres matieres propres à fournir aux Petits un lit chaud & mollet. Que d’attentions à bien affeoir le nid (2); & Fainéans. Néanmoins leur changement d'état n’a pas détruit leur affection pour les Petits qu'ils font éclorre dans les nids que la main de l'Homme leur prépare : on fait qu’ils en pren- nent le plus grand foin. Au refte , divers petits Oifeaux qui ne s'entendent pas mal à bâtir, {e difpenfent de ce travail quand ils rencontrent des nids étrangers ou des logemens qui leur conviennent & dont ils peuvent difpofer : le Moineau & l'Etourneau en font des exemples. (2) tt L'Hiftoire des Oifeaux, fi enrichie de nos jours par* les travaux de MM. de BurFFoN & de MONTBEILLARD , nous pr» Un feul; 5°. qu’elles couvent & font éclorre uw œuf uni- s que, autre que celui du Coucoü; 4°. qu’elles repouffent avec courage la Femelle Coucou lorfqu’elles la furprennent venant ÿ dépofer fon œuf dans leur nid; $°enfin, qu'elles mangent 5 quelquefois cet œuf privilégié, même dans le ças où à cit ÿ unique ; mais un réfultat plus important & plus général, j c'eft que la pañlion de couver , qui paroit quetqnefois ff forte 5 dans les Oifeaux , femble n'être point déterminée à tels o1r 5 tels œufs, ni à des œufs féconds , puifque fouvent ils les mangent ou les caffent , & qüe plus fouvent encore ils én ÿ couvent de claïrs; ni à des œufs réels, puifqu’ils couvent 5 des œufs de craie, de bois, &c. ni même à ces vains fimar #» lacres, puifqu'ils couvent quelquefois à vuide; que par cos:- 5» quent une Couveunfe ani fait éclorre , foit nn œuf de ÿ Coucou, foit tout autre œuf étranger fubflitué aux fons . ÿp ne fait en cela que fuivre un irftin®& commun à tous Les Oifeanx ”. Tome IIL (E) La 2 50 cONTE MP L'AITÆIMOIN le befoin de pondre,en vertu de Jaquelle Îa Femelle eft excitée à travailler. Le Mäle peut Pêtre par quelqu’autre beloin analogue ou par Vimitation. Et quant à l'architecture, comme elle eft uniforme dans chaque Eipece , elle pour- roit dépendre en dernier reMort de la forme du corps de l'Oifeau , de la fluëture & des propor- tions de fon bec & de fes pieds , qui font Îles inftrumens relatifs à cette architeture. La méprife des Poules qui couvent des mor- ceaux de craie ou des œufs d'Efpece différente de la leur , prouve que la Nature a laiffé à fes agens une certaine latitude , entre les limites de la- quelle, outre la fin principale, qui ne Ruroit manquer de s’obtenir par ce moyen; fort:en- core renfermées des fins particulieres ou fecon- daires. L'Épucarion des Petits eft la fin princi- pale de l'affection des Meres pour eux. Lorfqu'ils ont été mis en état de gagner leur vie, non- feulement cette affection celle, mais elle fe change encore en haine : les Meres les chaflent d’auprès d’elles , & les forcent ainfi à faire ufage des moyens qui leur ont été donnés pour fubfifter. C'EST peut-être par une raifon oppolée, DE LA NATURE Pot. XL 6x que certaines Meres Ôtent la vie à ceux de leurs Petits qui ne font pas bien venans, ou qui ont été mis dans une fituation incompatible avec celle que requiert la maniere de les élever. Les Petits des Abeilles doivent naître, croître & fe transformer dans des cellules couchées horifon- talement : cette poftion vient _ elle à changer 2 les Abeilles arrachent de ces cellules les Petits &. les mettent à mo:ït. Des expériences fur cette matiere , faites dans Pefprit de ces réflexions , y répandroient du jour , & feroient naître de nouvelles idées. EE QUE ES RAA MUR E IX: Du naturel des Animaux. L À Nature a donné à chaque Animal , un ca- ractere qui lui eft propre, & qui fe manifefte au dehors par une difpofition particuliere à cer tains actes , par l'air, par la contenance , par la démarche, en un mot, par toute l’habitude ex térieure ou l’enfemble de PAnimal. Ce caractere eft, pour ainñ dire, au p{ychologique, ce que la différence générique ou fpécifique eft au phy- fique; mais les rapports font tout autrement D 2 Gi + CONTEMPLATION faciles à fixer dans ce dernier que dans le pr& mier; fans doute parce que nôus manquons de ces recherches fines & profondes, néceflaires pou éclairer un fujet de cette nature. Le courage du Lion, la férocité du Tigre, la voracité du Loup , la fierté du Courfier ; la gloutonnerie du Porc , la ftupidité de l’Ane, la docilité du Chien, la malice du Singe, la fineffe du Renard ; la fub- tilité du Chat, la douceur de lAgneau , l'indo- jence du Parcffeux (1), la timidité du Lievre, (x) tt Si l'on fe prefoit de juger fur les apparences , o1 £ercit tenté de croire, qu'en formant le Pareffeux , la Nature n'a fait qu'un Monftre, tant la conformation de ce Quadrupedé ef extraordinaire , foit à l'extérieur , foit à l’intérieur. Des yeux ternes & ombragés, des mâchoires à demi ébauchées , lour- des, pefantes, dépourvues de dents incifives & canines ; des cuif- fes prefque hots des hanches, des jambes trôp courtes, mal confor- mées & plus mal terminées encore par un pied fans afliette , pri vé de pouce , & dont les doigts, qui ne peuvent fe mouvoir fepa- rément , font terminés par deux ou trois griffes démefurément longues , qui nuifent à la marche @ ne font faites que pour 5rim- per; telles fontles principales défectuofités qu’on remarque dans V'extérieur du Pareffeux. Son intérieur en préfente de plus Frap- pantes encore. Il eff au nombre des Animaux ruminans : pourvu, comme eux, de quatre eftomacs , il manque néanmoins de tous les autres caracteres qui font propres aux Ruminans ; fes inteftins, en particulier , font très- petits & plus courts que cenx des Animaux carnivores. Enfin, il n’a point d’orifice diftinét appro- rrié à la génération. Privé d'armes offenfives & défenfives ; gaiche & ftupide à l'excès ; réduit à ne parcourir qu'une toile en une heure; ce trifte Animal femble avoir été condamné par la Nature à mener la vie la plus miférable : mais, toujours. DE LA NATURE. Port. XI 5$ la vivacité de l’'Ecureuil , font des exemples aux- quels on peut rapporter beaucoup d'Efpeces de différentes Clafes. Ces divers caracteres font fufceptibles de mo- difications. On apprivoife jufqu’à un certain point les plus féroces : l'Ours & le Loup peuvent acquérir une certaine docilité , & fe foumettre à la direction d’une main également adroite & courageufe. Mais le naturel qui ne fauroit être détruit , reparoît toujours ; l'Ours demeure Ours, & le Loup ne cefle point d’être Loup (2). Mere & jamais Marûtre , elle lui a accordé des dédommage- mens qui compenfent {a mifere ; elle l'a fait robufte , très. vivace, fort peu fenfible & aufli peu foucieux; elle l’a conftitué de maniere que, quoiqu'il ne prenne que des nourritures feches & peu fucculentes , il engraifle beaucoup. Au refte, le Pareffeux eft propre aux Contrées méridionales du nouveau Monde, & on ne l’a point encore trouvé dans l’ancien. (2) tf Dans le premier âge , le Loup s’apprivoife affez facilement , & femble fe rapprocher de la docilité du Chien, avec lequel il a d’aïülléurs de grands rapports de conformation : mais le naturel féroce du Loup n’eft jamais que mafqué par la domefticité & l'éducation : dès qu’il a pris un certain accroïffe- ment le fond de fon être fe décele, & il mord cruellement la main qui le nourrit ou qui le carefe. » L'Ours, dit M. de BUFFON, eft très-fufceptible de colere, s & fa colere tient toujours de la fureur , & fouvent du caprice : » quoiqu'il paroifle doux pour fon Maitre, & mème obéiffant » lorfqu'il eft apprivoifé , il faut toujours s'en défier & le # traiter avec circonfpection. . .., Pour lui donner une efpece D 3 ab LTRLON TE M 8 E A TWO La poffbilité de ployer ou de modifier juf- qu'à un certain point le naturel des Animaux , & de lui faire prendre des impreflions nouvelles , ef une fuite de Pinftinét qui les porte à recher- cher ce qui eft utile à leur confervation, & à éviter, au contraire, ce qui peut lui nuire. La faim & la crainte font les deux grands mobiles qui les déterminent , & l'Homme fait mettre en œuvre ces mobiles. REMARQUONS ici l'attention de l'ÂUTEUR de la Nature à éloigner de-nos demeures les Ani- maux féroces , & à revètir de qualités fociales ceux qui doivent vivre auprès de nous (3). Sa 5» d'éducation, il faut le prendre jeune , & le contraindre pen- }n dant toute fa vie ”. f Le Tigre, toujours altéré de fang & jamais raflafé, qui déchire & dévore tout Être vivant qu'il rencontre ; leTigre, farouche & cruel par effence, ne cede ni à la force nt à la vio- lence ni à la contrainte , & fon naturel fanguinaife & pervers demeure conitamment indomptable. L’'Ocelot , auf: altéré de fang que le Tigre, mais bien moins puiffant que lui, ne féchit point non plus fous la main de l'Homme. La fiere Panthere ne s'apprivoile pas proprement ; on ne peut que la domter : on la areffe même pour la chaffe; mais fi dans cet exercice elle man- que fa proie, elle entre en fureur & fe jetteroit fur fon Maître, nil ne prévenoit le danger en lui jettant de la chair on quelque Animal vivant. (3) {+ C'eft principalemeng le Climat qui décide de l’habi. ktion des Animaux. Les plus redoutables, les plus féroces, le DELA NATURE. Part. XI 56 SAGESSE a caché à ceux - ci leurs forces, & un nombreux troupeau de Bœufs plie {ous la bi guette d’un Enfant. CHPA BATTRE: X. Des Jociétés animales en général. C: EST uue grande diftin@ion des Animaux, que celle en folitaäires & en fociables, On peut diftribuer les fociétés des Animaux en deux claffes générales : en fociétés improprement dites, ou celles dont les Individus ne travaillent point de concert aux mèmes ouvrages ; & en fociétés proprement ainfi nommées ou celles dont les Tadividus travaillent en commun. Le gros & le menu Bétail, les diverfes Ef peces d'Oileaux domeitiques & de pañage , les Elpeces de Poilons qui nagent par troupes, pluGeurs Efpeces d’Infectes qui fe tiennent raf femblés dans le mème lieu , tels que les Puc:rons, les Gallinfectes , &c._ fourniflent des exemples des fociétés de la premiere ciaffe. Lion ; le Tigre, la Panthere, &ce. ne vivent & ne ‘propagent que dans les Contrées brülantes de la Torride. D'autres Ani- maux , comme le Renne & l’Ours blanc ne faurotent fubfiter que dans les Régions glacées dn No:d. L'Homme, appellé par la fupériorité de fon être à dominer furtoute la Terre, vit & multiplie dans tous les Climats. D ,4 RE 56 CONTEMPLATION Les fociétés de la feconde claffe s’obfervent chez quelques Efpeces de Chenilles & de Vers, chez les Abeilles , les Guêpes , les Bourdons , les Fourmis, les Caftors , &C. Ep LE) C,H,4 PER RERPRE Les fociétés inproprement dites. C £ S fociétés font formées de la réunion de plufeurs Individus que des befoins ou des avan- tages communs raflemblent dans le mème lieu. Mais , tandis que dans les fociétés proprement dites, chaque Individu travaille pour le bien commun, dans les fociétés improprement dites, chaque Individu agit principalement pour foi, & ce n’eft que dans certaines circonftances , que tous les Individus concourent pour la défenfe ou l’intérèt commun. UX troupeau de Bœufs pait dans une prairie : un Loup paroît , le troupeau forme auffi-tôt un bataillon, & préfente les cornes à l'ennemi. Cette difpofition guerriere le déconcerte & l’oblige à fe xetirer, Ex hiver, les Biches &lesjeunes Cerfs fe raf , Sa DE LA NATURE. Part. XI 5 femblent en hardes , & forment des troupes d’au- tant plus nombreufes que la faifon eft plus âpre. Ils fe réchauffent de leur haleine. Au printemps ils fe divifent , les Biches fe cachent pour mettre bas. Les jeunes Cerf demeurent enfemble, ils aiment à marcher de compagnie, & la néceflité feule les fépare. Les Moutons , expofés aux ardeurs de la cani- cule dans une plaine découverte, fe rapprochent les uns des autres de maniere que leurs têtes fe touchent ; ils les tiennent inclinées contre terre, & humenit l’air frais qui vient par - deflous. Les Canards fauvages, appellés à changer de climat, fe raigent de facon que leur vol forme un coin ou un V renverfé , comme pour fendre Pair plus facilement. Le Canard qui eft à la pointe, conduit le vol & fend l'air le premier. Au bout d’un certain temps, il eft relevé par un autre, celui - ci left à fon tour par un troifieme , &c. Chacun prend ainf fa part de tout ce que cette fonction peut avoir de pénible. Les Pucerons fe rafflemblent en grand nom- bre fur les Plantes : on ne connoït qu’imparfai- tement les avantages qu'ils recueillent de cette efpece de fociété ; mais on peut conjeéturer avec 27 55 CONTE M P L'AVTMONN# fondement, que les piquures réitérées d’un plus grand nombre de ces [nfectes , attirent propor- tionnellement plus de fucs nourriciers dans la partie de la Plante, fur laquelle ils fe font établis. Cela paroit avec plus d’évidence dans la forma- tion des vefliès de l'Orme. Quand on les ouvre, on les trouve farcies de Pucerons. Ce font réel- lement leurs piquures qui occafionent ces tu- meurs fingulieres. En mème temps que chaque Puceron pompe le fuc qui doit le faire croitre, il contribue à la produétion de la veflie qui doit fournir à tous la fubfftance & le logement. EE ————— CHA :P L'ÉRE EEE AE =—— LS Réflexions. L E s Animaux auxque!s la compaguie de leurs femblables étoit utile, ont été rendus propres à cette efpece de commerce. Et fi lAUTEUR de la Nature a eu en ceci l'Homme en Vue ;:c9mmE on peut le penfer fans orgueil, on trouvera que les moyens répondent bien à la fin. En effet , combien d'embarras & d’inconvéniens n’auroient pas accompagné les divers fervices que nous re- tirons des Animaux domeftiques , fi les Individus D'AML'AUN A © U-R E. Part. XI 5e d’une mème Efpece n’avoient pu cohabiter en- femble ? | CET efprit de fociété n’eft pas abfolument borné aux Individus d’une mème Elpece, il s'érend aufi jufqu'à un certain point à ceux d'Efpeces différentes, & l'Homme y trouve en- core fon avantage. L’habitude de fe voir, de prendre leurs repas en commun, de coucher fous le mème toit, développe ou fortiñe ces dif- poltions naturelles des Animaux domeftiques à vivre en fociété. Les liaifons qui en réfuitent deviennent par conféquent d'autant plus fortes , qu'elles ont commencé plutôt ou plus près de la naiffance. C’eft ainfi que des Animaux qui n’ont pas été appellés à vivre enfemble, peuvent néanmoins former une efpece de fociéré : la dif pofition naturelle de chacun d’eux à vivre avec fes femblables , eft fufceptible de modification ou d’extenfion (1 ). (1) ff Cette liaifon qui naît de l'habitude on de la coh4- bitation s'étend aux Individus des Efpeces les plus éloignées. Si Von donne à couver à nne Poule des œufs de Cairards & de Dindons, les Petits qui en provicndront vivront enfemble dans une liaifon auf étroite que des Pouflins, & cette liaifon fub- Hftera plufieurs mois. Quand les Canards s’écarteront on enten.. dra les Dindons les rappelier par des cris plaiatifs, qui annonr- ceront leurs peines & leurs defirs. Ils fe chercheront mutnelle. ment avec empreffement, & cet atiachemen réciproque fub- fiftera encore dans un âge affez avancé. 6e COIN T EUM REA TNOUN CHaqu£ Individu reconnoit fon femblable x ceux d’une mème fociété le reconnoiflent auffi. L'on remarque que s’il s’introduit dans une baffe- cour des Poules étrangeres, celles du lieu les maltraitent pendant plufeurs jours , jufques à ce que la cohabitation ait rendu celles - là mem bres de la focièté. L'EXTÉRIEUR du corps offre divers caracteres au moyen defquels les {Individus d’une mème fociété, peuvent fe reconnoître & diftinguer les Yndividus étrangers. Mais entre ces caracteres phyfiques , il peut y en avoir de mixtes ou qui appartiennent autant à l’ame qu’au corps, que les Animaux de la claffe dont nous parlons , font en état de faifir ; comme font l'air , la contenance ; la démarche, &c. Les Individus de cette Efpece, qui ne fe font pas encore familiarifés avec la nouvelle habitation , paroiffent craintifs ou em- barraffés : cette crainte ou cet embarras les dé- cele, & excite ou enhardic les autres à les atta- quer. L’EsPecEe de fociété dans laquelle vivent Îles Animaux domeftiqües , donne lieu à une obfer. vation remarquable ; le jeune Agneau démèle fa Mere au milieu de plufeurs centaines de Brebis, quoiqu'il n’y ait pas entr'elles de différences’ fenfibles, DEEA NATURE. Part. XI 6# ExpzicaTion du fait. Les objets qui nous paroïffent parfaitement femblables , ont fouvent des différences réelles , mais que nous n’apper- cevons pas , oit parce que leur petitefle les dé- robe à nos yeux, foit parce qu’elles font d’une nature à ne pas s’attirer l'attention. L’Acneau, plus intéreflé à découvrir ces différences, les découvre en effet; & voilà qui fuffit pour la folution du cas, fans qu’il foit befoin de re- courir à des principes cachés. Si cependant on vouloit joindre à ce moyen, celui par lequel le Chien reconnoït fon Maïître au milieu d’une grande multitude , je veux dire l’odorat, il ny _auroit rien là que de fort naturel. On pourroit encore admettre des différences entre le bèlement d’une Brebis & celui d’un autre; différences qui, quoiqu’infenfibles pour nous, frappent néan. moins l'oreille de l'Agneau (2 ). (2) ft Un habile Cultivateur a fait fur ce fujet une obfer- vation intérefflante. Il arrive affez fouvent qu'une Brebis met bas deux Agneaux, quelquefois trois. Si la Mere vient à mourir tandis qu’elle les allaite, on a beaucoup de peine à les faire adopter à d’autres Brebis. On y réuflit néanmoins en enve. loppant l’Agneau adoptif de la peau du vrai Nourriflon. Le Brebis paroït d’abord avoir des dontes & marquer de la répu- gnance ; mais elle adopte enfin l’Agneau qu’on lui donne à nourrir. 62 CONTEMPLA lWON a CH. AP, LL DARSE RP ORE Les Oifeaux de palfage. R 1EN de plus admirable que ces lésions de Volatiles qui à temps marqué, pañlent d’un pays dans d’autres très - éloignés. Quel inftin@ les raf. femble ? Quelle boufole les dirige ? Quelle carte leur trace la route ? On conçoit d’abord que le changement de faifon & le manque de nour- ritures convenables avertiflent ces différentes Efpeces d'Oïfeaux de changer de demeure (1). (x) tf Ceci eft bien confirmé par les obfervations d’un Naturalifte célebre , Mr. de MONTBEILLARD. Il regarde le défaut de fubfiftance comme une des caufes générales & déter= minantes des migrations des Oifeaux. Il remarque que ceux qui vivent d'Infectes voltigeans, partent les premiers, parce que ces Infeétes manquent les premiers. Les Oifeaux qui fe nourriflent d’Infeétes terreftres, comme de Vers, de Che- nilles, de Fourmis, &c. partent plus tard,, parce qu’ils trouvent plus long -temps de quoi fe nourrir. Ceux qui vivent de graines & de fruits qui ne parviennent à leur maturité qu’en Automne, n'arrivent aufli qu’en Automne & habitent nos Campagnes une partie de l’'Hiver. Enfin , les Oïifeaux qui fe nourriffent des mémes chofes que l'Homme & de fon fupcrflu, reftent toute l'année aux environs des lieux habités. On a même obfervé, que de nouvelles cultures occañonent à la longue de nouvelles migrations. Depuis qu’on cultive à la Caroline le Riz, l'Orge, le Froment , on y voit arriver réguliérement chaque année, des volées d'Oifeaux inconnus auparavant aux Colons, & que DE LA NATURE Part. XI. 63 Mais comment ont-ils appris qu’ils trouveront dans d’autres régions la température & les ali- mens qui leur conviennent ? Pour étre en état de répondre à ces queltions ‘& à toutes celles qu'on peut faire fur ce fujer intéreflant , il fau- droit avoir examiné foigneufement toutes les circonftances qui accompagnent les marches de ces Oifeaux. Le degré de froid ou de chaud qui les accélere ou les retarde , mérite fur-tout d’être obfervé ; car il n’y a pas lieu de douter que ce ne foit ce qui influe le plus ici. Il y a peut.être un rapport fecret entre la température qui con- vient à certaines Efpeces , & celle qui eft nécef- cette circonftance a fait nommer Ojfeaux de Riz, Oifeaux de Bied, &c. Mais, outre les caufes externes générales que j'aflignois aux migrations des Oifeaux , il femble qu’il faille y joindre encore “une caufe non moins générale , mais interne, & qui fait fentir {on ation à tous les Individus de l’'Efpece : je veux parler d'un certain mouvement inteftin, qui furvient à tems marqué à tous les Individus, & qui fe manifefte par l'inquiétude qu’ils témoi- gnent alors. Une obfervation très-füre & répétée bien des fois. ne permet pas de fe refufer à cette idée. On a vu de jeunes Oifeaux de paflage , des Caïlles , par exemple, élevées en cage depuis leur naïiffance , éprouver conftimment deux fois chaque année une inquiétude & une agitation extraordinaires , préci- fément dans le tems du paflage en Septembre & en Avril. Cette inquiétude duroit environ un mois, & recommengoit tous les jours environ une heure avant le coucher du Soleil. Toute Ja nuit fe pafoit dans ces agitations , & le jour ces Oilcaux pas roïfloient triftes, abattus & afoupis. at tent éà : CONTEMPLAPION faire pour la production des alimens dont elles fe nourriflent. Les vents paroiflent avoir une grande in- fluence fur les émigrations des Oïfeaux. L’hit- toire de ces émigrations et efentiellement liée aux obfervations météorologiques & les fuppofe. Sans doute qu’il feroit plus aifé de dire, pour- quoi les Oifeaux dont il s’agit, volent par nom- breux efcadrons, que féparés ou épars. Ils font ainfi moins expofés à devenir le jouet des vents. Mais cet avantage n’elt pas probablement le feul que leur procure l’état de fociété (2). Nous (2) tt Chez îes Oifeaux de paffage , comme le remarque auffi Mr. de BUFFON , les Peres & les Meres raflemblent leurs Fanilles lorfque le tems du départ approche, Plufieurs Famil- les fe raffemblent pour ne former qu’une même caravane , & fe mettre par-là plus en état de furmonter les réfiflances & s’ op pofer à leurs ennemis. Mais tous les Oïfeaux voyageurs ne fe forment pas en cara- vanes pour pafler d'un Pays dans un autre. El en eft qui émigrent folitaires : d’autres n’émigrent qu'avec leur propre Famille : d’autres émigrent par petites troupes. Où connoïît en général les migrations des Caïlies , des Étour- neaux , des Grives, des Bécafles, des Corneilles, des Qies, &c.3 mais de toutes les migrations des Oifeaux. il n’en eft point de plus connues que celles des Hirondelles , & fur lefouelles Les Naturaliftes aient plus varié. On fait que les uns ont admis qu'elles émigroient, & que d’autres ont cru qu’elles £e préci- pitoient dans des marais où elles demeuroient engourdies & accrochées les unes aux autres jufqu'au retour du Prirtems.. manquons DE LA NATURE.Pat. XI 6? imanquons de recherches affez approfondies fur ces différentes Efpeces d'Oifeaux & fur les Poif. fons de pañlage. On s'étonne que des Savans en Anatomie & en Hiftoire natu« relle, & méme des Savans d'un grand nom , aient pu admettre ane opinion aufi étrange que ‘celle de cette immerfion des Hirondelles. Is ont fait ñéanmoins de fi grands efforts pour la xendre croyable, que le judicieux Mr. de MONTBEILLARD s’eft trouvé dans l'obligation de la réfuter férieufement , & # -n’a pas eu beaucoup de peine à y réuflir. Comment des Hom mes inftruits ont-ils pu {e perfuader un inftant, qu'un Animal tout aérien, dont les poumons ont infpiré & expiré l’air pen« dant fix mois , peut vivre fous l’eau ou dans la vafe pendant fix autres mois fans refpirer , & reparoitre enfuite avec fa vivacité naturelle ? Les poumons des Hirondelles, comme ceux de tous les Habitans de l'air , ne font point du tout organifés à la ma- nicre des poumons des Amphibies ; & pourtant l'opinion dont il s’agit transforme gratuitement l’Hirondelle en Amphibie. Mais l'Hirondelle eft fi pen en état de vivre fous l’eau, qu’elle y périt en peu de temps lorfqu’elle y eft plongée. Elle ne faux roit mème réfifter au froid médiocre de cina degrés au-deflus de la congelation. L'expérience en a été faite par un bon Phy- ficien. D'ailleurs, fi la prétendue immerfion des Hirondelles : étoit chofe aufli ordinaire qu’on a tenté de le faire croire, on les verroït chaque Printemps fortir en grandes troupes des ma rais , comme on voit alors les Loirs & les Marmottes fortir de leurs retraites. C’eft néanmoins ce qu'on n'a jamais vu, & que très-fürement on ne verra jamais. On ne trouv: pas même un feul Auteur qui ait rapporté fur l’immerfion & l’émerfion des Hirondelles aucune obfervation fur laquelle on puifle tant foit peu compter. Ce font toujours des oui-dire, & jamais des Faits bien conftatés. Mais il eit une Efpece de ces Oifeaux dont les Individus s’affemblent en grand nombre dans les jones des -marais, & qui s’y noyent quelquefois ; de pareilles Hirondelles Tome 111 E 66 C'ON TE MP/L A PAMONR péchées peu de temps après leur fubmerfion , ont pu revenir à {2 vie & donner naiflance à la fable de l’immerfion & de l’émer- fion de ces Oifeaux. fe C'eit vers la fin de Septembre, ou au commencement d’'Oc- tobre , fuivant la température de la faifon, que les Hirondelles quittent nos Contrées pour pafler dans les Pays chauds. Elles {e rafemblent alors en grandes troupes fur les cordons & les faites des édifices, & font entendre fans ceffe un cri de rallie- ment. Non-feulement toutes les Familles de la même Efpece fe réuniffent pour fe préparer an départ; mais la caravane s’accroit encore par la jonction d'Hirondelles d'Efpeces différentes, qui avoient vécu auparavant féparées , & qu'un même inftinét porte à fe réunir aux autres POUr partir & voyager de conferve. Le Savant ADANSON a Vi n0S Hirondelles d'Europe arriver au Sénégal dans la feconde femaine d'Octobre : il les a même rencontrées en mer ; ainfi que d’autres Voyageurs : mais elles ne nichent pas au Sénégal. Elles en repartent fur la fin de Mars. Il eft donc bien vrai que les Hirondelles de nos Contrées vont pafler l’'Hiver dans les Pays chauds, & point du tout fe plonger dans les marais. Si mon Lecteur demandoit encore une preuve de ja fauffeté de cette immerfon , je la trouverois dane une expérience de Friscx. Ce Naturalifte ayant attaché aux pieds de quelques Hirondelles un fil teint en détrempe, revit l'année fuivante ces mÊmes Oifeaux garnis de leur fil qui n’étoit point décoloré. Cette ingénieufe expérience prouve encore que - Les mêmes Hirondelles reviennent au Printemps dans Les mêmes lieux qu'elles avoient quitté en Automne. Mais les Hirondelles domeftiques ne retournent pas pondre dans le nid de l’année récédente. Elles en eonftruifent un nouveall au-deffus de l'an- gien , fi le lieu le permet. On à vu jufqu'à quatre de ces nids placés les uns au-deffus des autres dans le même canal de che minée, & conftruits d'année en année. | Les Grives, les Etourneaux , les Cailles , les Pinfons , les Fauveites, &o. partent en Automne ; & c’elt alors que les Bé- çalfes & les Bécaffines arrivent dans nos Contrées. Je viens de nonuner L'Etouxpeau . parmi les Oifeaux ce pallag:: HAS Xe DELA NATURE.Part: XI 67 dois ajouter qu'il n’eft proprement Oifeau de paflage que dans / . à les PayS froids tels que la Suede. Dès que Les Etourneaux ne. nichent plus, ils fe raffemblent en grandes troupes. Leur ma: niere de voler eit finguliere, & ne fe retrouve dans aucune autre Efpece. On La diroit foumife à une forte de tactique : ils tourbillonnent fans cefle en l'air, & tandis que leur inftinét les œïtraine vers le centre du tourbillon, la rapidité de leur vol les emporte continuellement au-delà. Ils circulent ainfi & fe croi- fent en tout fens, & la fphere entiere paroïît tourner fur elle. même, fans fuivre de direction conftante, Ce tournoiement fin- gulier n’eit pas inutile aux Etourneaux : il écarte les Oifeaux de proie qui fe trouveroient mal de s'engager dans l’épais toure billon où ils feroient expofés à milie chocs divers. Je ne finirois point fi je voulois parcourir avec nos plig célebres Ornithologiftes , l'intéreffante hiftoire des Oifeaux émi- grans ; mais je m'arréterai encore quelques momens fur l’émi« gfation des Grues, qui font de tous les Oifcaux voyageurs ceux qui exécutent les courfes les plus longues & les plus hardies. Originaires des Contrées feptentrionales , les Grues parcou- rent les Régions tempérées & s’enfoncent dans celles du midi. Elles s'élevent à une grande hauteur dans les airs, & s’y dif. pofent en ordre de bataille : leur phalange forme une efpece de triangle comme pour diminuer la réfiftance que l’élément léger appoïte à la rapidité de leur vol. Mais quand le vent devient impétueux & qu'il menace de rompre la phalange, ‘elles fe difpofent en cercle en fe reflerrant de plus en plus. Elles en ufent de même à la rencontre des grands Oifeaux de proie dont elles ont à repouffer les attäques. C’eft pour l’ordi- naire dans les ombres de la nuit qu’elles fendent les airs, & leur voix éclatante annonce au loin leur paflage. Ii femble qu’elles aient un Chef qui dirige leur marche, & qui les avertit fréquemment par un cri de reclame de la route qu'il tient : la troupe répete ce cri comme pour faire entendre qu'elle fuit & garde la direction. Si elles prellentent l'orage, elles abaiffent leur vol & fe rapprochent de la terre. Quand elles s’y raffem- bjeat pendant la nuit, elles ont foiu d'établir une $arde qui E % nant » Et CONTEMPLATION veille tandis que la troupe dort, & qui l’avertit par un cri dm danger qui la menace. De-là ces hiéroglyphes où la prudente Grue eft repréfentée comme le fymbole de la vigilance. Ces grands Oifeaux émigrent dès les premiers froids de l’Antomne. On les voit pafler alors du fond de l’Allemagne en Italie, &. pourfuivre leur marche vers le Midi. Elles nichent dans les marais du nord. À peine l'éducation des Petits eft-elle achevée, que le temps du départ arrive : ils fe mettent en route avec leurs Parens, & font déja affez Forts pour les accompagner dans leurs longues traverfées. Les vrais Oifeaux de paflage émigrent périodiquement dans une certaine faifon: mais il arrive quelquefois qu’on obferve de nombreufes migrations d’Efpeces fédentaires , foit que des orages violens les chaffent des lieux qu’elles habitent, foit qu'elles viennent à y manquer de fubfiftance. Ce font là des migrations irrégulieres qui n’ont lieu que trois à quatre fois dans un fiecle, & dont le Bcc-croifé & le Cadle-noix fourniflenÿ des exemples. DE LA NATURE Pa.XI 6 + MG PI T RE “XIV. Les Harengss 8 L Es Harengs émigrent pat grandes troupes dæ pôle boréal vers les côtes d'Angleterre & de Hol- lande. Ces émigrations femblent ètre occafionées par les Baleines & autres grands Poiffons que es mers glaciales renferment dans leur fein, & qui pourfuivent les Harengs. Ces Monftres ma- ins en avalent à la fois de tonnes entieres. [ls fuivent fouvent leur proie jufques fur les côtes d'Angleterre ou d’'Ecoffe, Les Harengs multiplient exceflivement , & ils font peut-être de tous les Poiflons ceux qui multiplient le plus. Ils fem- blent ètre une manne préparée par la PROvI- DENCE, pour la nourriture d’un grand nombre _de Poifons & d'Oifeaux de. mer. Pour que l'Ef pece des ‘Harengs fe confervât, il falloit qu'ils. “Auffent fe fouftraite à la cpirbee de leurs En. memis.. Les Harengs arrivent fur les côtes d'Ecofle & d'Angleterre , vérs le commencement de Juin. Leurs nombreules légions fe partagent alors en plulieurs divifions. Les unes-dirigent leur courfe E 3 0 CONTEMPLATION vers left, les autres vers l’oueft. Après avoir navigé quelque temps, les différentes troupes fe divifent encore , & parcourent les divers parages des mers Britanniques & de celles d'Allemagne , fe réunillent enfuite , & difparoifflent enfin au bout de quelques mois. Plufieurs milliers de “Hollandois font occupés annuellement à la pèche du Hareng ; on peut juger par'ce feul trait de l'étonnante multiplication de ce Poiflon € 1 ). (1) + De tous les Poiffons qui vivent au fein des mers , il n’en cft point où la magnificence de la Nature dans la multi- _plication des Êtres vivans, brille avec plus d'éclat que dans le “Hareng ; & c’eft fur-tout ici qu'il faut admirer le merveilleux équilibre qu’elle entretient fans ceffe entre la multiplication & la deftruétion. Malgré le nombre prodigieux d’ennemis qui font aux Harengs une guerre perpétuelle & toujours heureufe, on “voit chaque année des flots de ces Poïifons s’avancer vers les -fners d'Allemagne & d'Angleterre , & fournir conftamment aux _Pécheurs les récoltes les plus abondantes. En vain les Baleines, les Requin s, les Marfouins & une foule d’autres Poiffons font- ils une énorme confommation de Harengs; en vain les Oifeaux de mer en confomment -ils encôre une immenfe quantité ; en -vain des milliers d’Anglois , de Hollandois , d’Allemands , de . François ne ceffent-ils d'en remplir leurs filets ; la pulinlation “en eft toujours à-peu-près la même, & T'Efpece viétorieufe de tous fes Ennemis, fe conferve de fiecle en ficcle & envoie chaque année de nouvelles légions dans nos mers. ;, Les Ha- “5 feugs, dit l'illuftre Hiftorien (+) des Poiflons, entrent par- > fois en fi grande quantité dans la Manche , qu’ils reffemblent * 4 aux flots d’une Mer agit ée; c'ef ce a les Pecheurs nom- ErI fi r +) Mr. eee Le : 2 Dæ LA NATURE. Part. XI 9% # ment des lits ou bouillons de Harengs : quand les filets don: ÿ nent dans ces bouillons , il arrive qu'ils font tellement char< gés de Poiflons qu'ils rompent &'coulent bas”. Ce n’eft pas uniquement pour fe fouftraire aux pourfuites des grands Poiflons qui hantent les mers du Nord, que les Harengs s'avancent en grandes troupes vers les mers d'Angleterre & d'Allemagne ; c’eft encore pour y recueillir une abondante noue riture que la Nature leur a préparée dans ces parages : ils four- millent alors de Vers & de petits Poiflons dont les Härengs font très-avides, & qui les engraiflent beaucoup. Ils y Fraieñt en même temps. Et peut-être encore que lorfqu'ils abandonnent les mèrs du Nord, ils n’y trouvent plus afflez de nourriture pour fournir à leur fubfiftance. On peut conjeéturer avec Fon- dement, qu'il en eft à cet égard des Harengs & des autres Poiflons qui émigrent , comme des Oifeaux de paffage. Le même inftin@t & les mêmes befoins peuvent déterminer les migrations chez les uns & chez les autres; & ces migrations font elles-mêmes le moyen que la fage Nature emploie pour eonferver ces Efpeces fi nombreufes en Iudividus. LÉ CONTEMPLATI ON A == Le) CHA PTT RE Les Rats de palfage. es Es Rats , particuliers aux contrées lés plus feptentrionales de l'Europe, apparoïflent de temps ‘en temps en fi grand nombre dans les campagnes de la Norwege & dela Laponie , que les Habitans s’imaginent qu'ils tombent du Ciel. Un Natu- ralifte célebre (1) qui leur a donné l’atténtion qu'ils méritent, a reconnu que ces Rats ont des émigrations périodiques, tous les 18 ou 20 ans. Ils fortent alors de leurs demeures & fe mettent en campagne. En chemin faifant , ils tracent dans la terre des fentiers ou fillons de deux doigts de profondeur , & qui occupent quelquefois la largeur de plufieurs toifes. Mais ce que ces émi- grations offrent de plus fingulier, eft que les Rats fuivent conftamment dans leur marche la ligne droite, fans fe détourner jamais qu’à la rencontre d’un obftacle impénétrable. Ainf, quand il leur arrive d’être arrêtés par un rocher, ils effaient d'abord de le percer, & comme ils n’en peuvent venir à bout ,ils en font le tour, & regagnent au - delà la ligne droite. S'ils ren- contrent une mafle de foin ou de paille, ils la Cr) Mr, LINNEUS. DEULA NATURE. PatoXI 13 percent de part en part, toujours eh ligne droite. Un lac ne les arrête point : 1ls le traverfent de mè me ou entreprennent de letraverfer en ligne droite , & s'ils trouvent fur leur pañage une barque ou quelqu’autre bâtiment , ils grimpent deffus auffi-tôt, le traverfent & defcendent de Vautre côté par une ligne parallele à celle qu'ils ont tracée en montant ( 2). (2) # Le petit Quadrupede dont je païle dans ce Chanitre,, habite les montagnes de Norwege & de Laponie. I y a reçu le nom de ZLeming , que Mr. de BUFFON lui a confervé. C’eft un des plus terribles Réaux qui défolent de temps en temps les cam- pagnes de ces Contrées. Ils dévaitent les jardins , les champs, les prairies, confument toutes les produétions de la terre, & m’épargnent que ce qui eft ferré dans les maifons on dans les greniers où heureufement ils rentrent point. Ils courent avec aflez de vitefle, fe creufent des fouterreins ; comme ia Taupe, & mangent comme elle, des racines. Quoique petits, ils font très- courageux , fe défendent contre leurs ennemis, vont au- devant de ceux qui les menacent, & ne fuient point à l'approche des Hommes. Si on lés frappe du bâton , ils fe jettent dellus & de ferrent fi fortement entre leurs dents , qu'ils ne lâchent point prife & fe laiflent tranfporter ainfi à quelque diftance. Ils Font entendre un aboiement femblable à celui des petits Chiens. Quand ils ont émigré en grandes troupes de leur Pays natal ; ils n’y retournent plus.;On affure méme qu’ils meurent tons au retour de la verdure; & comme le nombre de leurs petits cada- vres eft prodigieux , l'air en eft fi infeété qu'il en naît des maladies. Ils fé dévorent aufli les uns les autres, comme tons les Rats, & de-là vient que leur deftruétion femble aufli promnte ue leur multiplication. Un Auteur raconte, que lorfqu'ils fe Font la guerre , ils fe partagent en deux bandes qui fe jettent Yyne fur l’autre & S’entredétruifent. “4 CONTEMPLATION EE — A —— 1 CHLAIPE CDR ICONE Les fociétés proprement dites. P, R M1 les fociétés improprement dites , il et eft plufieurs qui dépendent du hafard ou du fait de l'Homme , finon en tout, du moins en partie. Il n’en va pas de mème des fociétés proprement dites. Elles ne doivent leur origine à aucun fait humain ni à aucune circonftance étrangere ; mais elles relevent uniquement de la Nature. Les membres qui les compofent ne font pas feule- ment unis par des befoins ou des avantages con- muns, & cela pour un temps fouvent aflez court ; ils le font encore par un lien plus fort, & qu fubffte jufqu’à la mort de l’Animal ou du moins pendant une grande partie de fa vie; je veux dire la propre confervation de l’Individu ou celle de fa Famille. L'une & l’autre font néceffairement attachées à l’état de fociété.C’eft pour cette grande fin que ces différentes Efpeces d’Animaux focia- bles , ont été inftruits à travailler en commun à des ouvrages fi dignes d’être admirés. Les fociétés proprement dites pourroient être divifées en deux clafles ; la premiere compren- PANLUOS A T'URIE. VP£rEN XI 74 droit celles dont la fin principale fe borne à la confervation des Individus, la feconde celles qui ont pour but & la confervation des Individus &- Péducation des Petits. PLusreurs Efpeces de Chenilles & quelques, Efpeces de Vers appartiennent à la premiere de ces deux claffes; les Fourmis, les Guèpes, les Abeilles, les Caftors, &c. à la feconde. La premiere claffe auroît fous elle deux genres principaux ; l’un comprendroit les fociétés à temps, l’autre, les fociétés à vie. CHAPITRE °XVIL Ye Les Chenilles comnnes (1). Ux Papillon dépofe fes œufs vers le milieu de PEté fur une feuille de Prunier ; le nombre de ces œufs eft d'environ trois à quatre cents. Au bout de quetques jours il fort de chacun d’eux une très - petite Chenille. Loin de fe difperfer fur (x) ff Ces Chenilles font ceHes qui fe conftruifent ces nids -de pure loie , qu’on rencontre fi fréquemment en Hiver furses haies & fur les Arbres fruitiers, & qui fe font remarquer par Jeux blancheur. La forme & la grandeur de ces nids varicnt beaucoup. 6 CONTEMPLATION les feuilles voifines , toutes demeurent rafñemz blées fur celle qui les a vu naître : le mème efprit de fociété les unit. Elles fe mettent auff- tôt à filer de concert une toile, d’abord très - mince, mais qu’elles fortifient enfuite peu-à-peu en y ajoutant de nouveaux fils. Cette toile eft une vraie tente, drefflée fur la feuille , & fous la- quelle les jeunes Chenilles {e mettent à couvert. À mefure qu’elles groffiffent , elles étendent leur logement par de nouvelles couches de feuilles & de foie. Les efpaces compris entre ces couches Sont les appartemens qui fe communiquent tous par des portes ménagées à deflein. C’eft dans ce nid qu’elles pañlent l’Hiver , couchées les: unes auprès des autres, fans mouvement, juf- ques à ce que le retour du Printemps les ranime , & les invite à aller ronger les feuilles naiffantes. Enfin, vers le mois de Mai, la fociété fe diffout ; chaque Chenille tire de fon côté , & va pañfer le ‘refte de fa vie dans la folitude. Alors, devenues “plus fortes, létat de fociété ne leur eft plus ‘néceflaire ; elles n’ont plus befoin d'habitation commune. CE. léger précis de lhiftoire de la Chenille “nommée Commune, parce qu’elle eft de “celles ‘qu’on rencontre Île plus fréquemment , donne une idée des fociétés à temps , & qui ont pouw DE LA NATURE. Part. XI 3 £a prochaine & directe la confervation des In- dividus. a . : | NE CREASPOTA TRE X V':I I L Les Chenilles precelfionnaires. Ce Es Chenilles, qui vivent fur le Chène, & dont les fociétés font beaucoup plus nombreufes que celles des Commrnmes, ont des procédés plus fmguliers. Elles fortent de leur nid au Soleil couchant, & marchent en proceflhon fous la conduite d’un Chef , dont elles fuivent tous les mouvemens. Les rangs ne font d’abord que d'une Chenille, enfuite de deux, de trois, de quatre & mème de plus. Le Chef n’a rien d’ail- leurs qui le diftingue, que d’être le premier, & il ne left pas conftamment , parce que chaque Chenille peut à fon tour occuper cette place. Après avoir pris leur repas fur les feuilles des environs , elles regagnent leur nid dans le mème ordre, & cela continue pendant toute la vie de Chenille. Parvenues enfin à leur dernier accroif. fement, chaçune fe conftruit dans le nid une co- que, où elle fe change en Chryfalide , & revèt gnfuite la forme de Papillon. Ces métamorphofes TS # CONTEMPLATION font fuccéder à l’état de fociété un nouveau genre de vie, tout différent de l’ancien (1). VoiLa un exemple des fociétés à vie, dont la fin principale eft la confervation des Indi- vidus (2). (1) ++ Ces curieufes Républicaines ne doivent être obfer- vées qu'avec précaution : elles font les plus venimeufes de toutes les Chenilles de nos Contrées. Elles Font naître fur la peau des ampoules lors mème qu’on ne les touche point. Il fuit quel- quefois de fe trouver couché au pied d’un Chéne où elles fe font établies, pour éprouver bientôt des démangeaifons très- incommodes. On fait que les Chenilles ne font point venimeufes par elles - mêmes; elles ne le font que par accident. C’eft la robe qui eft venimeufe & point du tout la Chenille. Les petits poils dont les Chenilles velues font fournies , fe détachent faci- lement de leur peau & entrent dans la nôtre comme de petites épines. Ce font uniquement ces poils qui y Font naître des dé- mangeaifons & des ampoules. Toutes les Chenilles rafes peu- vent être maniées impunément. Nos proceflionnaires du Chène font très-fournies de poils fort courts, qui fe détachent de leur peau au moindre frottement. L'air qui les environne, en eft quelquefois rempli. Leur nid en abonde, & quoique les Che. silles ne l’habitent plus, il ne fauroit ètre manié fans rifque. Les poils de ces Chenilles pourroient donc tenir lieu de véfi- catoires. (2) tt On trouve en Hiver &au Printemps fur les Pins, de très - nombreufes fociétés de Chenilles qui vivent auilh cn République pendant toute leur vie. Elles ne font pas fi veni- meules que les proceflionnaires du Chène ; mais on doit ncan- moins éviter de les manier. Elles fe conftruifent des nids de pure foie d’une grande blancheur , & qui égalent quelquefois len grefleur la tête d’un Enfant. Les couches de foie, plus aw DE LA NATURE. Part. XI #*%$ moins nombreufes , dont elles enveloppent les jeunes branches- & les feuilles de l’Arbre , forment ces nids. Elles y pratiquent une principale ouvergure pour l'entrée & la fortie. Elles font de grandes proceflionnaires : elles marchent toutes une à une & à la file dans le plus grand ordre. La file qui eft fouvent très-longue, ét prefque par-tout continue. La Chenille qui eft à la tète dé- termine les évolutions de toute la troupe. Tantôt elles défilent fur une ligne droite, tantôt elles tracent des courbes plus ou moins irrégulieres , qui imitent quelquefois des guirlandes , d'autant plus agréables à l'œil, que toutes les parties de l& guirlande font en mouvement & varient fans ceffe leurs afpeéts. Ælles s’éloignent du nid à de grandes diftances, fouvent par mille détours, & pourtant elles favent toujours le retrouver. On les voit revenir par les mêmes chemins fans fe détourner ni à droite ni à gauche. Quand plufieurs de ces fociétés s’avoifinent, es guirlandes ou les cordons f: multiplient , fe dirigent en dif- Férens feas, tracent une multitude de figures, & le fpectacle en devient plus amufant encore. Leur marche eft affez lente, wniforme & prefque grave. On la diroit aMujettie à une efpece de taique. Lorfque le tems de la métamorphofe approche, elles fe conftruifent des coques de foie 3 mais non dans le nid mme, comme les proceflionnaires du Chêne : leur inftinét eft Alifférent à cet égari : c’eft dans la terre qu’elles vont les conf- ruire; & ces coques ne font pas aufli feurnies de foie propor« fivnnellement , que le fent les nids. RE s® CONTEMPLATION C'HA PAT RES SS NE Procédé remarquable des Chenilles qui vivent en Jociété. I L ya plufeurs Efpeces de ces Chenilles, qui font de vraies républicaines”, & dont la difci- pline, les mœurs , le génie fe diverfifient autant que ceux de différens Peuples. Il en eft qui, comme quelques Sauvages, fe conftruifent des branles ou des hamacs , dans lefquels elles pren- nent leurs repas, où elles pañlent mème toute leur vie & fe transforment ( x ). Il en eft d'au. (x) tft Ces Chenilles qui fe tiennent dans des efpeces de hamacs qu'elles favent fe conftruire , font au nombre des plus communes de nos Contrées. On les trouve au Printemps fur les Pommiers & fur divers Arbultes qui croiffent dans les haies tels que le Prunier fauvage, le Fufain , &c. Elles ne mangent que le parenchyme de la furface fupérieure des feuilles ; & ce qui ett affez remarquable, leur corps ne touche jamais la feuille qu'elles rongent, comme s’il étoit trop délicat pour fupporter cet attouchement. Il n’eft au moins recouvert que d’une peau très- molle & douée d’une grande fenfibilité. Pour peu qu'on touche ces Chenilles, elles avancent on reculent en droite ligne dans leur hamac, avec une extrême vitefle. On eft furpris de voir qu'elles ne fe détonrnent ni à droite ni à gauche tandis qu’elles exécutent des mouvemens fi prompts : mais on ceffe de l'être dès qu’on vient à découvrir que chaque Chenille eft logée dans une forte de très-longue gaine à claire-voie, que l'œil ne tres dE da DE LA NATURE. Port. XI gr tres qui vivent à la maniere des Arabes ou des Tartares, fous des tentes qu’elles dreflent dans jes prairies, & quand elles ont confumé toute l'herbe des environs de la tente, elles levent le piquet & vont camper ailleurs ( 2 ). déméle pas, & qu’elle s’eft elle-même filée. Tout le nid ou tout le hamac eft formé d’un affemblage de ces gaines couchées parallelement les unes fur les autres, dans chacune defquelkes eft renfermée une Chenille, Le nid enveloppe un certain nom- bre de menus jets on de feuilles ; & quand le parenchyme de toutes ces feuilles a été confumé, les Chenilles vont tendre LUN autre hamac fur les feuilles voifines. Elles en tendent ainfi plufeurs fucceflivement dans le cours de leur vie. On les pren- droit au premier coup-d’œil peur des toiles d’Araignées. C’eft dans le dernier que s’opere la métamorphof£e. Chaque Chenille s'y prépare en fe renfermant dans une coque de pure foic. Toutes les coques font adoffées les unes aux autres , & arran- gées par paquets en maniere de gâteau, Je ne fais s’il eft né- ceffaire à ces Chenilles, ou plutôt à leurs Chryfalides , d’avoir toujours la tête tournée en en-bas : mais toutes celles que j'ai exae minées dans leurs coques affe@oient cette fituation. (2) +t Je preffois un peu trop la comparaïifon entre nos Chenilles & les Arabes. Elles ne levent pas proprement le piquet & n’emportent pas avec elles leur tente , comme les Arabes. Elles laiffent en place celle qu’elles ont tendue fur les herbes des prairies, dont elles ont achevé de confumer les feuil- les. Comme elles font de bonnes fileufes , il leur en coûte peu de dreffer une nouvelle tente fur d’antres herbes qu'elles déve- rent bientôt. Elles fe conftruifent ainfi pendant le cours de l'Automne une fuite de tentes , qui font des logemens fiMfans pour la faifon. Mais quand l’Hiver approche, elles fongent à ‘£e loger plus chaudement. Elles fe renferment alors dans une forte de bourfe d’une toile £orte » épaille & opaque, où elles Tome IL F 92 CONTEMPLATION Les nids que fe conftruifent les Chenilles ré- püblicaines font pour elles de véritables retraites ; elles y font à l’abri des injures de l'air , & toutes s'y renferment dans les temps d’inaétion ou de maladie. Mais elles en fortent à certaines heures pour aller chercher leur nourriture. Elles vont tonger les feuilles des environs : elles les con- fument de proche en proche. Souvent elles s’é- loignent beaucoup de leur domicile & par dif- férens détours. Cependant elles favent toujours le retrouver & s’y rendre au befoin. Ce n’efé pas la vue qui les dirige fi fûrement dans leurs fmerches; cela eft très- prouve. La Nature leur a donné un autre moyen de regagner le gite, & ce moyen revient précifément à celui qu’em- ploya ARIADNE pour retirer du labyrinthe fon cher Tuésée. Nous pavons nos chemins ; nos Chenilles tapiflent les leurs. Elles ne marchent jamais que fur des tapis de foie. Tous les che- mins qui aboutiffent à leur nid , font couverts de fils de foie. Ces fils forment des traces d’un blanc luftré , qui ont au moins deux à trois lignes 4e largeur. C’eft en fuivant à la file ces traces, by’elles ne manquent point le gite, quelque tortueux que foient les &étours dans lefquels elles ( f valent le mauvaife fifon dans un état d'engourdiffement. Elles en fortent dès le mois de Mars pour repremdre leur premier - œunre de vie: | DE LA NATURE Pari xt 82 #’engagent. Si l’on pañle le doigt fur la trace , l’on rompra le chemin , & on jettera les Chenilles dans le plis grand embarras. On les verra s’ar- fêter tout-à-coup à cet endroit, & donner toutes les marques de la crainte & de la défiance. La marche demeurera fufpendue, jufques à ce qu'une Chenille plus hardie ou plus impatiente que les autres ; ait franchi le mauvais pas.! Le fl qu’elle tend en le franchifant , devient pour une autte ün pont fur lequel elle pañle. Celle: ci tend ex pañlant un autre fil; une troifieme en tend ui autre, &c. & le chemin eft bientôt réparé (3 ). : Les procédés induftrieux des Infedtes, & eri général des Animaux , s’emparerit facilement de ñotre imagination. Nous nous ‘plaifons à leur prêter nos raifonnemens & nos vues. Il y a bien loin du procédé des Chenilles républicaines, à celui de THÈSÉE. Elles ne tapiflent pas leurs ché: mins pour ne point s'évarer ; mais ellés ne s’égx- tent point, parce qu’elles tapifent leurs chez " C3) + Ce fut fur les Chenilles Here que-j'obfervai pour h premiere fois, en 1738, ce procédé remarquable, ai moyex duquel les Chenilles qui vivent en fociété » favent retrouver le shemin de leur nid. Je l'ai revu depuis dans d’autres Chenilles fépublicaines , & en païticulier dans celles qui vivent fur les Pins , dont j'ai parlé, Note 2 du Chap. XVI. Il eft coms fans doute , à toutes Jes Proceffiponwaires. F2 84 COoNTEMPLATION mins. Elles filent continuellement ; parce qu’elles ont continuellement befoin d'évacuer la matiere foyeule que la nourriture reproduit, & que leurs inteltins renferment. En fatisfaifant à ce befoin , elles affurent leur marche , fans y fonger , & ne le font que mieux. La conftruction du nid eft encore liée à ce befoin. Son architcéture Pett à la forme de l’Animal, à la ftruéture & au jeu de fes organes , & aux circonftances particulieres où il fe trouve. Nous effleurons ici un des prin- cipes les plus généraux & les plus philofophiques qu’on puille former fur les opérations des Bru- tes : nous y reviendrons. CHAPITRE XX. Queftion. L gs Sociétés que nous venons de parcourir ; ne devroient-elles point leur origine à cette circonftance commune aux Chenilles qui les A .] 2 Là compofent , de naître d'œufs dépofés les uns au- près desautres ? IL ny a pas lieu de le foupçonner ; puifque cette circonftance fe rencontre dans beaucoup d'Efpeces de Chenilles, qui cependant ne travail DAC L'ANN A T UE. Part. XI g lent point de concert aux mêmes ouvrages. Les Vers-à- foie en font un exemple très - familier. Il eft vrai qu’ils demeurent volontiers raflemblés dans le mème lieu ; difpofition qui nous eft très- avantageufe ; mais les Individus de quantité d’autres Hfpeces fe difperfent après leur naiflance pour ne fe réunir jamais. Les Araignées nouvel- lement éclofes commencent par filer en commun, & finiflent bientôt par fe dévorer les unes les autres. Ox eft donc obligé de recourir ici à ce prin- cipe ou à cet inftinct , en vertu duquel chaque Animal agit de la maniere la plus conforme à fon bien-être ou à fa deftination ( 5 ). (x) tt Mr. de REAUMUR avoit déja touché à Ia queftion que je propofe dans ce Chapitre, & l’avoit décidée d’après fes propres obfervations. Voici comment il s'exprime là - deflus. » Nos fociétés de Chenilles ne font qu'une même famille, & » font compofées des Chenilles forties des œufs pondus par un # même Papillon & dépofés dans un même tas. On pourroit Y croire que c’eft une regle générale pour les Chenilles qui » fortent d'œufs dépofés les uns auprès des autres, que toutes » celles qui naiffent enfemble continuent d’y vivre. Mais fi on # fuit les hiftoires des Chenilles de diverfes Efpeces , on re- # Connoîtra que ce n’eft pas cette circonftance qui décide de #» leur façon de vivre , que les unes naiffent avec un efprit de » fociété que les autres n’ont pas ”. Notre Obfervateur le prouve par la comparaifon de la Chenille nommée à oreilles avec là Commune. ,, Les Papillons femelles des Chenilles de » l’une & l’autre Efpece, ajoute-t-il, arrangent leurs œufs aveg F3 gs LONTEMPLATION I! y auroit néanmoins une expérience curieufe' à tenter fur ce fujet : ce feroit de difperfer les œufs du Papillon de la Chenille commune, de jaifler vivre quelque temps en folitude les Che- nilles qui en éclorroient, & de les rafflembler en- fuite : l’on s’aflureroit par ce moyen de l'influence de la circonftance dont nous parlons. On pour. roit encore tenter de former des fociétés d’In- dividus d'Efpeces différentes, & de réunir en un feul Corps plufeurs fociétés de mème Efpe- cer. CC. » le même art, ils les raffemblent dans un nid bien tembourté » de poils, & bien couvert de poils par-deffus. Les petites K Chenilles qui fortent des œufs du Papillon de la Commune, travaillant de concert aux mêmes ouvrages pendant la plus grande partie de leur vie, elles habitent enfemble ; au lieu que dès que les Chenilles à oreilles font nées & dès qu’elles 5 font forties de leurs nids’, elles fe difperfent, chacune de fon côté; elles ne travaillent en commun à aucun ouvrage ”. Et combien d'Efpeces de Mouches qui naiflent les unes auprès des autres, &-qui fe difperfent au moment qu’elles éclo: fent , tandis que les Guépes , les Abeilles, les Fourmis, &c. Forment des fociétés nombreufes qui travaillent en commux gux mêmes ouvrages! PV 2 SAGE qe DE LA NATURE. Pat. XI 8% TS QE DORA PAHCTAR. EE, XX) L Les fociétés qui ont pour fin principale l'éducation des Petits. C OMME les Chenilles n’engendrent point qu’elles ne foient parvenues à l’état de Papillon, il ne s’agit point dans leurs fociétés de l’éduca- tion des Petits. Leur propre confervation eft l'unique fin de leur travail. Il regne parmi elles la plus parfaite égalité : nulle diftinétion de fexes, & prefque nulle diftinétion de grandeur. Toutes fe reffemblent ; toutes ont la même part aux travaux : toutes ne compofent proprement qu’une feule famille ifue de la mème Mere. Les fociétés des Fourmis, des Guëpes, des Abeilles font formées fur des modeles bien dif. férens. Ce font des républiques compofées de trois ordres de Citoyens , qui fe diftinguent par le nombre , la grandeur, la figure & le fexe. Les Femelles , ordinairement plus grandes & moins nombreufes , tiennent le premier rang : les Mi- les, d’une taille un peu moins avantageufe , mais en plus grand nombre, forment le fecond or. dre : les Mulers ou les Neutres, privés de fexe, F4 ns ibn. sé CONTE MP LA RANOR toujours plus petits & toujours plus nombreux ; compolent le troifieme ordre(1). C1) + Mr. de GEER nous a fait connoître une Punaife Champètre qui vit en famille avec fes Petits, & qui les conduit comme une Poule conduit fes Ponfins. On la trouve en Été fur le Bouleau. Une Mere Punaife de cette Efpece conduit trente ou quarante Petits. Elle ne les quitte point; & dès qu’elle fe met à marcher, tous fes Petits la fuivent; & lorfqw’elle fe fixe fur quelque feuille de FArbre peur en pomper le fuc , toute fæ Famille fe raffemble autour d'elle. EMe la promene ainfi de feuille en feuille, & de branche en branche. Cette Punaife prefqu’aufli vigilante qu’une Mere Poule, fait la garde auprès de fes Petits, & leur prodigue fes foins , tandis qu’ils font jeunes encore. ,, Il m'arriva un jout , dit notre Obfervateur, de couper » une branche de Bouleau, peuplée d’une telle Famille, & je s» vis d'abord la Mere fort inquiete battre fans ceffe des ailes avec un mouvemenñt très-rapide , fans cependant changer de » place, comme pour écarter l'ennemi qui venoit de l’appro- » cher, tandis que dans toute autre circonftance elle fe feroié s d'abord envolée ou auroit tiché de s’enfuir; ce qui prouvé qu’elle ne reftoit là que pour la défenfe de fes Petits. Oæ obferve que c’eft principalement contre le Mäle de fon Ef£- # pece ,que la Punaife Mere fe trouve obligée de Héfendre fes » Petits, parce qu’il cherche à les dévorer par-tout où il las rencontre, & c’eit alors qu’elle ne manque jamais de tâcher » de les garantir de tout fon pouvoir contre fes attæques ”. Ste DELA NATURE. Part. XI 34 PR APE TUR.E.: XXIL Les Fourinis. UELLE n’eft point la merveilleufe activité de ces Infectes laborieux à raflembler les mate- riaux qui doivent entrer dans la conftruction de leur nid! Voyez comment ils favent fe réunir & s’entr’aider pour excaver la terre, pour la char- rier, pour tranfporter à leur habitation les brins d'herbe, les pailles , les fragmens de bois, & les autres corps de ce genre, qu’ils emploient dans leurs travaux. Ils femblent ne faire que les entafler pele - mêle ; mais cette forte de con. fufon cache un art & un defflein qu’on découvre dès qu‘on cherche à le voir. Sous ce monticule qui eft leur logement, & dont la forme facilite l'écoulement des eaux , fe trouvent des galeries qui communiquent les unes avec les autres, & qui font comme les rues de la petite ville ( 1 ). (x) tf Chez les Fourmis, comme chez les Abeilles , les Guëêpes , &c. il y a de trois fortes d’'Individus ; des Mâles, des Femelles , & des Neutres ou des Individus privés de fexe. Ces trois ordres de Fourmis different par divers caracteres & en particulier par la taille. Les Femelles font les plus grandes; les Néutres font, en général , les plus petits, & les Mâles femblent tenir le milieu entre ces deux grandeurs. Les Individus diftin- gués de fexe ont quatre aïles ; les Neutres en font toujours dé” 2 en creme due 7 D 99 CONTEMPLATI\ N° Ox eft fur - tout frappé des follicitudes conti« nuellcs des Fourmis pour leurs Nourriflons, des pourvus. Il eft fingulier que vers l’arriere-faifon les Individus aîlés perdent leurs aîles; c’eft au moins ce qu’un bon Obfer- vateur (Ÿ) a remarqué fur un grand nombre de ces Individus. Les Neutres, beaucoup plus nombreux que les Mäâles & leS Femelles, ont été chargés feuls de tous les travaux de la four- milliere : il en eft donc encore à cet égard , des Fourmis comme des Abeilles & des Guépes. On a vu ci-deflus ( Part. IX , Chap. IX), que les Fourmis appartiennent à la claffe des Infectes, qui paffent par l’état de Nys#phe : après [a derniere transformation, les Mäles & les Femelles fortent de la fourmilliere, voltigent dans l'air, s’unif- fent de l'union la plus intime , & dès que les Femelles ont été fécondées, elles rentrent dans la fourmilliere pour y faire leur ponte. Les œufs font extrêmement petits, liffes, blanchâtres ; oblongs & membraneux. Il en éclot des Vers à tête écailleufe, fans jambes, toujours roulés fur eux-mêmes , & qui ne chan- gent prefque pas de place, Incapables de pourvoir par eux- mêmes à leur fubfiftance , ils font alimentés journellement par les tendres foins des Ouvrieres. Parvenus à leur parfait accroif- fement , ils fe filent une coque de foie blanche , dans laquelle ils fubiffent la métamorphofe. Ce font de pareilles coques que lc Vulgaire prend pour les œufs des Fourmis, & que les Ou- vrieres tranfportent de côté & d'autre au befoin, & pour lef- quelles elles montrent un fi grand attachement. Elles n’en mon- treut pas moins pour les véritables œufs: ils font difpofés par tas, & quand on les difperfe , elles les raffemblent de nouveau avec une extrème diligence. _ La coque que fe file Le Ver , eft très - néceffaire à la confer- vation de la Nymphe : elle prévient un trop prompt defféche- ment qui expoferoit la vie de celle-ci. Ce n’eft point la Nynts phe elle-même qui perce cette coque pour venir au jour : be (+) Mr. de GEER. DELTA NATURE. Part. XI 91 {oins qu’elles prennent de les tranfporter à pro- pos d’une place dans une autre, de les nourrir, & de leur faire éviter tout ce qui pourroit leur foin de la percer a été encore confié aux laborieufes Ouvrieres. Sion la perce avant le temps , la Nymphe périt : les Ouvrieres connoiffent donc le moment où il convient d'ouvrir la coque. Mais les Nymphes de toutes les Efpeces de Fourmis, n'ont pas befoin pour venir à bien , d’être renfermées dans des coques : il en eft dont les Nymphes demeurent toujours à découvert, parce que les Vers ne fe filent jamais d’enveloppes. Les Vers & les Nymphes demandent à étre tenus dans une température qui ne foit ni trop feche ni trop humide : les Ouvrieres, qui paroïiflent le favoir , fe conduifent en confe- quence. Tantôt elles apportent leurs Nourriflons à la furface de la fourmilliere pour les expofer au foleil ou au grand air, tantôt elles les rapportent dans l’intérieur , toujours un peu humide , foit pour prévenir leur defféchement , foit pour les mettre à l'abri du Froid. Elles les élevent ou les abaiffent ainf dans leurs fowterreins , fuivant que les circonftances l’exigent. Il paroit que les Fourmis alimentent leurs Petits à la maniere des Guëpes , en leur dégorgeant la nourriture qu’elles ont elles. : mêmes digérée, & qui fe montre au-dehors fous l’afpect d’une liqueur vifqueufe. Mais lorfqu’elles demeurent privées d’ali- mens , leur affection pour les Petits fe change en cruauté , & elles les dévorent. J'ai dit qu’il eft des Fourmis dont les Vers ne fe conftruifent point de coques & fe transforment à nud. M. de GEER nous fait connoître une Efpece de ces Infectes laborieux, qui nous offre en ce genre une fingularité bien remarquable : une partie des Individus fe renferme dans dés coques pour y fubir la mé. tamorphofe, tandis qu’une autre partie néglige cette précaution & fe transforme à découvert. L'enveloppe de foie n’eft donc pas auffi néceffaire aux Nymphes de cette Efpece, qu’elle paroït détre à celles de quelques autres. , : #2 CONTEMPLATION nuire. On admire la promptitude avec laquelle elles les fouftraifent au danger , & le courage avec lequel elles les défendent. On à vu une Fourmi partagée par le milieu du Corps , tranfporter les uns après les autres huit ou dix de fes Nourrif- fons. Enfin , elles ont foin encore d’entretenir autour d'eux le degré de chaleur qui ieur con- vient. ELLES vont chercher au loin leurs alimens & leurs provifions. Différens chemins, affez fou vent fort tortueux , aboutiffent à la fourmilliere. Les Fourmis les fuivent à la file, & ne s’égarent point, non plus que les Chenilles républicaines, Comme ces dernieres, elles laïflent des traces par tout où elles paflent. Ces traces ne font pas fenfibles aux yeux; elles le feroient plutôt à l’o- dorat : on fait que les Fourmis ont une odeur pénétrante. Quoi qu’il en foit, fi l’on pañle le doigt à plufieurs repriles fur un mur le long duquel des Fourmis montent & defcendent à la fle, on les arrétera tout court, & on s’amufera quelque temps de leur embarras. Il en fera de ces proceffions de Fourmis comme je l’ai raconte de celles des Chenilles. LA prévoyance des Fourmis a été fort céle- brée. L’on répete depuis près de trois mille ans, ÉD DE LA NATURE. Part. X1. 93 qu’elles amañlent des provifions pour l’Hiver ; qu’elles favent fe conftruire des magafins où elles renfermeat les grains qu’elles ont recueillis pen- dant la belle faifon. Ils leur feroient très inu- tiles , ces magafins; elles dorment tout l’'Hiver, comme les Marmottes , les Loirs , & bien d'au- tres Animaux. Un degré de froid affez médiocre {uit pour les engourdir. Que feroient - elles donc de ces prétendus magafins ? aufli n’en conftruifent - elles point. Les grains qu’elles char- rient avec tant d'activité à leur domicile, ne font point du tout pour elles des provifions de bou- che ; ce font de fimples matériaux qu’elles font entrer dans la conftruction de leur édifiée, comme elles y font entrer des brins de bois , des pailles &c. Les faits atteftés par l'antiquité la plus vénérable , ont donc encore befoin de l’œil de l’Obfervateur, & de la Logique du Philo- fophe (2), (2) + Mr. de GEER nous apprend, qu'ayant interrogé par Lettre Mr. de REAUMUR fur cette multitude de petits corps légers que les Fourmis charrient avec tant d’aétivité, ce grand Obfervateur lui avoit fait la réponfe fuivante : Je ne crois pas qu'il y faille entendre aucun myftere. Il n'ejt point de petit corps que quelques Efpeces de Fourmis ne mettent en œuvre: petits fragmens de bois, petits fragmens de feuilles &Ÿ de tiges de Plantes , graines de divers fruits , petites pierres, tout cè qu'elles peuvent tranfporter leur eft bon lorfqu'il eft Jous leur anni. Jui jun de petites fourmiülieres conftruites entiérement de 94 CONTEMEPLATMO M. grains d'orge , dont les Foursnis n'avoient pas envie: de éèt@ pour Je nourrir. Le célebre Cbfervateur Suédois tranfcrivoit ce fragment de fon illuftre Correfpondant , à l’occafon d'une récolte de réfine que certaines groffes Fourmis vont faire fur les Pins de là Suede, & qu'elles tranfportent par petits morceaux dans leur habitation avec des brins d’écorce & des feuilles feches, pour en épaiflir de plus en plus la couverture hémifphérique. 11 s’étoit bien affuré de fon côté, que cette réfine ne leur fervoit point de nourriture. ,, Les véritables alimens, dit-il, que je 5 leur ai vu ramafler , & avec lefquels je les ai vu defcendre + le long des Arbres & porter dans leurs nids, c’étoient de petits. Infeétes , comme des Mouchos, des Vers, de petites Chenilles qu'elles avoient pu attraper. Je les ai vu auf 5 avaler avec avidité les gouttes d’eau que je mettois à leur # portée ” 2 52] On hip que les Fourmis diffequent avec toute l’adreffe d’un Anatomilte, les cadavres qu’elles viennent à rencontrer : elles en enlevent toutes les parties molles ou charnues , & n’y laif fent que les parties tendineufes & offeufes. Mais les Fourmis ne font pas feulement carnivores , elles font encore frugivores ; & l'on n’ignore pas combien elles font avides de fruits & de fiqueurs fucrées. Pc Ainfi que les Abeilles, les Fourmis ont ew bien plus de: Romanciers que d'Hiftoriens , & l’hiftoire des unes & des autres a été également gâtée par l'amour du merveilleux. Les Voyat geurs & les Écrivains d'Hiftoire naturelle , qui les ont copiés & qui fe font copiés les uns les autres, nous ont repréfenté les marches ou les expéditions des Fourmis comme celles des ar mées les mieux difciplinées. Il leur ont donné des Généraux ; des Maréchaux des Logis, des Pourvoyeurs, des Coureurs, &c+ Ils nous ont débité que ces Coureurs étoient chargés d'aller à la découverte, & que lorfqu'ils avoient Fait rencontre de quel4 ques groffes viétuailles qu'ils ne pouvoient tranfporter eux- mêmes à la fourmilliere , ils revenoient aufi-tôt en donner avis à la troupe, qui envoyoit fur-le-champ des détachemens point OO D'ENL A NATURE Pat. XI 05 _f'empater du butin. Je n’acheve pas ce petit roman ; il vaut mieux que je dife tout fimplement à quoi tout cela fe réduit. . Pour l'ordinaire les Fourmis fuivent affez conftamment le, fentiers qui conduifent à leur habitation; mais il arrive fouvent , qu’attirées par certaines odeurs ou par d’autres fenfations à nous inconnues , elles quittent les routes, battues pour s’en frayer de nouvelles de côté & d'autre. Si une Fourmi qui cnfile une de ces nouvelles roûtes , cit conduite par hafard à quelques vituailles , elle en détachera un fragment qu’elle em- portera dans la fourmilliere. Mais la Fourmi qui a fait cette heureufe découverte , laifle des traces fur fon paflage, qui indi- quent fa route: ces traces font bientôt reconnues par d'autres Fourmis qui ne manquent point de les fuivre : la nouveïle route eft de plus en plus fréquentée, & en peu de temps de nombreufes troupes arrivent au lieu de la découverte & fe jet- tent fur le bntin. C'eft ainfi qu'une feule Fourmi peut déter- finer un grand nombre de fes Compagnes à fe rendre dans un certain lieu, fans qu’il foit befoin de lui préter un langage par- ticulier , au moÿen duquel elle leur annonce la découverte qu’elle vient de faire. Il fuffit d'admettre qu'un inftin& naturel porte tous les Individus de la mème Société à fuiyre les traces que tous laiflent {ur leur paflage. Il y a une foule de pareils faits que nous préfente l’hiftoire des Animaux, qui s’expliquent heu- teufement par des moyens analogues & auf fimples, & qu’on femble vouloir rendre inexplicables par le faux merveilleux dont on fe plait à les furcharger. Il y a aflez de vrai merveil- leux dans les procédés induftrieux des Animaux, peur qu'un Écrivain foit trèsur d’intérefler les Leéeurs paru: en Is peignant au naturel. Nous avons à regretter que le célebre LYONET n'ait pas été lui-même témoin des curieux procédés de certaines Fourmis des Endes orientales, qu’il ne nous raconte que fur le témoignage de Perfonnes qu'il aflure étre dignes de foi. Je traufcrirai le fait dans fes propres termes. ,, Ces Fourmis, dit-il, ne mar. # chent jamais à découvert; mais elles fe font tonjours des # chemins en galerie pour parvenir là où elles veulent être. 56 CONTEMPIATHEON 5» 5 3 5» » » » 3 » » » 3 » » 9 b>) 3 » » 5 5 » » » >» 3» » 2 Lorfqu’occupées à ce travail elles rencontrent quelque corps folide qui n’eft pas pour elles d’une dureté impénétrable , elles le percent & fe font jour au travers. Elles font plus : par exemple, pout monter au haut d’un pilier , elles ne cou- rent pas ke long de fa fuperficie extérieures elles y Font un trou par le bas, elles entrent dans le pilier même, & le creufent jufqu'à ce qu’elles foient parvenues au haut. Quand la matiere , au travers de laquelle il faudroit fe Faire jour, eft trop dure, comme le feroient une mutaïlle, un pavé de marbre, &c. elles s’y prennent d’une aütre maniere. Elles fe font le long de cette muraille ou fur ce pavé, un chemin voüté , compofé de terre, liée par le moyen d’une humeur vifqueufe, & ce chemin les conduit où elles veulent aller. La chofe eft plus difficile lorfqu'il s’agit de pafler fous un amas de corps détachés. Un chemin qui ne féroit que voûté par-deffus , laiferoït par-deffous trop d'intervalles ouverts, & formeroit une route trop raboteufe, cela ne les accom- moderoit pas; auffi y pourvoient-elles, mais c’eft par un plus grand travail. Elles fe conftruifent alors une efpece de tube, un conduit en forme de tuyau, qui les fait pafler par-deflus cet amas en les couvrant de toutes parts. Une Perfonne qui m'a confirmé tous ces faits, m'a dit avoir vu elle-même, que des Fourmis de cette Efpece ayant pénétré dans un Magafin de la Compagnie des Indes orientales, au bas duquel il y avoit un tas de cloux de Giroffle qui alloit jufqu’au plancher, elles s’étoient fait un chemin creux & couvert qui les avoit conduites par-defus ce tas , fans le toucher, au fecond étage, où elles avoient percé le plancher & gâté en peu d'heures pour plufieurs milliers en étoffes des Indes, au travers defquelles elles s’étoient fait jour. Des chemins d’unc conftruétion fi pénible , femblent devoir coûter un temps ex- ceflif aux Fourmis qui les font. Il leur en coûte pourtant beaucoup moins qu’on ne croiroit. L'ordre avec lequel une grande multitude y travaille , fait avancer la befogne. Deux , grandes Fourmis, qui font apparemment deux Femelles, ou peut-être deux Mäles, puifque les Mâles & les Femelles font » ordinairement DE LA NATURE Par. XI 9% # ordinairement plus grandes que les Fourmis du troifieme ordre ; 5 deux grandes Fourmis, dis-je, conduifent le travail & mar- >» quent la route. Elles font fuivies de deux files de Fourinis 35 ouvrieres , dont les Fourmis d’une file portent de la terre, & » celles de l’autre une eau vifqueufe. De ces deux Fourmis les :> plus avancées , l’une pofe fon morceau de terre contre le ss bord de la voûte ou du tuyau du chemin commencé : l’autre 5» détrempe ce morceau, & toutes denx le pétriflent & l’atta: ss chent contre le bord du chemin. Cela fait, ces deux ren- » trent, vont fe pourvoir d’autres matériaux & prennent en: » fuite leur place à l'extrémité poftérieure des deux files. » Celles qui après celles - ci étoient les premieres en rang, 5» aufi-tôt que les premieres font rentrées ; dépofent pareille. » ment leur terre, la détrempent , l’attachent contre le bord » du chemin , & rentrent pour chercher de quoi continuer 5 l'ouvrage. Toutes les Fourmis qui fuivent à la file, en font » de même, & c’eft ainfi que plulieurs centaines de Fourmi » trouvent tontes moyen de travailler dans un efpace Fort étroit, 5; fans s’embarraffer » & d'avancer leur ouvrage avec une viteile » furprenante ”. Ce ne font que les Fourmis des grandes Efpeces qui élevent au- deMus de leurs fouterreins un monticule arrondi , dont la bafe a quelquefois deux à trois pieds de diametre, & qui cft formé de l’entaffement d’une multitude prefqu'infinie de petits corps légers, qu’elles charrient continuellement avec une adrefle & une activité fnrprenantes. En même temps que cètte conver= _ ture cn maniere de dôme facilite l'écoulement des eaux, elle entretient une certaine chaleur dans les galeries, & procure aux Fourmis une terraffe commpde & agréable, où elles aÿnent à fe raflembler, & où ellés expofent leurs Nourriflons aux douces influences du Soleil & du plein air. De petites ouver- tures ménagées çà & là fur cette forte de terrafle , font autant de portes qui communiquant-avec les galeries fouterreines » per- mettent aux Fourinis d'y rentrér & d’en reffortir à volonte, Si lon renverfe le monticule & qu'on en difperfe au loin les mas tériaux , les laborieules & diligeutes OQuvrieres s'emprefleront Tone 11L, G sis Rissbpesshnsanremmn tn . PU TO SNS de 1 D 2 IST TRE 63 CO:N'TE MP;:L A T'I40 N à les raffembler de nouveau & à en former un mortticule pareil au premier. Mais les Fourmis des petites Efpeces ne fe logent pas à fi grands frais : le deflous d’une pierre , un trou d’Arbre, l’inté- rieur d’un fruit defléché ou tout autre corps cavernenx leur fournit un domicile convenable & dont elles favent profiter. IL en eft néanmoins qui s’établiffent dans la terre , & que la Na- ture a condamnées à un affez grand travail. Elles ont à creufer des fouterreins de plufieurs pouces de profondeur , ou des ef- peces de boyaux , fouvent fort tortueux, qui vont aboutir à la furface du terrein. Elles ont donc beaucoup à excaver ; & elles s'occupent de ce travail pénible avec un foin , une diligence & une affiduité qui attachent fortement le Speétateur. Je ferai encore remarquer, qu’il eft dans nos Contrées une très-grofle Fourmi noire, qui n'amafle point de matériaux pour en former un monticule; mais qui fe niche dans l’intérieur des vieux arbres, ou dans les bois pourris, qui les creufe fans re- Biche avec fes fortes pinces, en détache des tas de fciure, & s’y pratique des logemens fpacieux. Je prolongerois beaucoup cette Note fi je touchois à ce que divers Ecrivains nons racontent des fameufes Fourmis de wifite de Surinam ; des Fourmis de Guinée, qui fe conftruifent avec une terre maftiquée des huttes de plufieurs pieds d’élévation , & à plufieurs logemens ; des Fourmis du Pégu qu’on affure produire la Lacque, &c. &c. La plupart de ces faits demande- roient à être vérifiés par de meilleurs Obfervateurs que ceux auxquels nous les devons. Il n’eft pas même bien für que tous les Infeétes que les Voyageurs ont pris paur des Fourmis & dont ils nous rapportent les pracédés, en fuflent réellement. IL eft des Mouches qui reflemblent beaucoup aux Fourmis , & qui ont pu quelquefois les induire en erreur. DE LA NATURE. Part. XI 99 EX: I —— 2 p—— PLAIT TRE XXIITL Les Guépes fouterraines. / NE république de Guêpes , quelque nor: breufe qu’elle {oit , doit fa naiffance à une feulé Mere. Celle - ci fans aucune aide ; perce la terre au Printemps, & y pratique une cavité ; dans laquelle elle conftruit un petit gâteau, qui eft un afemblage de cellules héxagones , dont les ouvertures ont tournées verticalement en en bas. Dans chaque cellule , elle pond un œuf de Neutres, c’eft-à- dire, de Guèpes - ouvrieres ; car chez les Guêpes , comme chez les Abeilles ; les Neutres font chargés du gros des ouvrages : il convenoïit donc ici qu’ils nâquiflent les pre- miers , afin de {oulager la Mere dans fes travaux. Ils le font en effet, dès que par fes foins infati- gables ils font parvenus de l’état de Ver à l’état de Mouche. Ils fe mettent À conftruire de nou. Veaux gâteaux attachés au premier & les uns aux autres par de petits fupports en maniere de caonnes (1 }, C1) f Les Petits des Guépes fouterreinies demandoient à avoir toujours la tête tournée en en-bas : les cellules qui leut fervent de berceaux , font difpofées en conféquence: Tous les _Siteaux du guépier font done paralleles à l'horifon ; & toutes G 2 ÿoo CoNTEMPLATION Des œufs de Femelles, de Mäles & de New: tres font dépofés dans les cellules de ces gâteaux par la Mere - Guëpe, & les Petits qui en éclo- fent, font élevés par les Neutres (2). Deve- les cellules ont leur ouverture tournée en en-bas. Le guépier eft ainfi un petit édifice à plufieurs étages; & comme fa forme eft ovale, on comprend que Îes étages du milieu ont plus d’é- tendue que ceux des extrémités. Le nombre de ces étages eft d'environ douze à quinze dans les grands guépiers. Entre cha- que étage regne une colonnade qui lie le gâteau inférieur au fupérieur. La hauteur des étages eft proportionnée à la taille des Habitans. La partie fupérieure de chaque gâteau eft un plancher fur lequel ils marchent commodément ; car les cellules n'ont pas un fond pyramidal comme celles des Abeilles ; le leur m'eit que légérement arrondi. L'ouvrage de nos Guépes ef done pas fi géométrique que celui des Abeilles, & ne devoit pas l’être. Chaque gâteau ne devoit porter qu'un feul rang de cellules, pour qu'elles euffent toutes leur ouverture tournée en en-bas. Le nombre des cellules d’un guépier va à plus de feize mille. 11 y en a de trois grandeurs qui répondent j la diverfité de taille des trois ordres d'Individus. Les plus grandes font deftinées aux Vers qui doivent devenir des Gué- pes - femelles : les plus petites font deftinées aux Vers qui de- viendront des Neutres. Celles - ci ne fe trouvent jamais mèlées dans le même gâteau avec des cellules de Mâles on de Femmel- les ; mais elles occupent en entier un même gâteau. Il n’en va pas'ainfi des autres; on les trouve fouvent diftribuées enfemble dans le mème gateau. (2) tt Ce ne font pas les feuls Neutres qui ont été char- gés de l'éducation des Petits, un bon nombre de Femelles par- tagent auffi ces foins. Al n'en eft donc pas à cet égard de la république des Guêpes comme de celle des Abeilles, où il n’y a qu'une feule Femelle uniquement occupée à pondre. Chez les | DE LA NATURE. Part. XI 1e: nus Mouches dans leur temps, les Femelles & les Neutres s'occupent à étendre la ville naïf. fante : les Mäles ne prennent point de part à ce Guèpes il y a plufeurs centaines de Femelles & à-peu-près autant de Mâles. Ces Mäles ne font pas non plus aufli pareffeux que ceux des Abeilles: ils ont de petites fonétions dont ils s’acquittent très-bien : ils aident aux Ouvrieres à nettoyer les gâteaux & à tranfporter les cadavres hors de l'habitation: fi ceux-ci font trop gros, ils les partagent & les charrient par morceaux. On fait que les Guêpes font Frugivores & carnivores : elles recherchent avec avidité les Fruits qui abondcnt en liqueurs fucrées , elles font une guerre cruelle aux Mouches & fur-tout aux laborieufes Abeilles, dont elles emportent le ventre pour fe faifir du miel qu'il recele. Elles favent aufli {fe pourvoir de chair dans nos boucheries & dans nos offices. Elles en coupent des morceaux quelquefois auf gros qu’elles, & les tranfpor. tent dans leur guêpier, où ils {ont diftribués à leurs Compagnes & à leurs Petits. Il y a lien de pénfer que les Femelles & les Ouvricres pro- portionnent la qualité de la nourriture à l’âge des Petits. On obferve qu’elles n'adminiitrent qu'une forte de liqueur aux plus jeunes, & qu'elles donnent des nourritures folides aux plus âgés. Elles leur diftribuent la béqnée à la maniere des Oifeaux, en la leur dégorgeant dans la bouche , après l'avoir digérés en partie. On voit les Petits s'avancer hors de la cellule & ouvrir la bouche pour la recevoir. On peut mime les élever, pour ainfi dire, à la brochette comme les Oifeaux. Quand ils n'on | plus à croitre, ïls ferment eux - mêmes leur cellule avec un couvercle de foie, & s’y transforment bientôt en Nymphes. Mais ces mêmes Guêpes qui montrent en Eté tant d'affection pour leurs Nourriflons , & qui en prennent un fi grand foin, les maflacrent tous impitoyablement à l'approche des premiers froids. On s’étonneroit d'une telie barbarie fi l'on me favoi- G 3 ie a nn nc 0 Es 9 vez C'O'N TE MP EM TNOUN travail ; leur principale fonction eft de féconder les jeunes Femelles. Ils font pourtant encore chargés , Jufqu’a un certain point, de pourvoir à la fubfftance des jeunes Nourriflons. La petite république augmente ainfi de jour en jour ; & vers la fin de l'Eté elle eft déja une grande ville peuplée de plufeurs milliers d'Habitans. Le guë- pier a communément alors 1$ à 16 pouces de longueur , fur 12 à 13 de largeur. Les gâteaux font recouverts d’une épaifle enveloppe de la mème matiere que celle dontils font eux-mèmes compofés ; favoir, d’une efpece de papier, fait que ces premiers froids qui tuent le plus grand nembre des Guèpes, tueroient infailliblement les Petits beaucoup plus dé- licats que leurs Meres- nourrices. Elles abregent donc leurs fouffrances en les mettant à mort. Ainfi le guépier n’eft plus qu'un cimetiere à la fin de l’Au- tomne : quelques Femelles feulement échappent à la morta lité générale. Elles demeurent engourdies tout l'Hiver fans prendre auçune nourriture, & au retour du Printemps chacune d'elles peut devenir la fondatrice d’une nouvelle république. Elie jette fous terre les fondemens d’un nouveau gâteau, & les œufs qu'elle ne tarde pas à y pondre, font tous prolifiques, puce qu'elle a été fécondée par un Müle à la fin de V'Été; car les amours des Guèpes ne font pas équivoques comme ceux des Abeilks, & il cft bien prouvé par les obfervations de leur plus iluire Hiftorien (+), qu'elles s’accouplent comme la plupart des Mouches. A - (+) Mride REAWMUR.) Sig: DÆ LA NATURE. Part. XI. 103 de vieux bois; & cette enveloppe eft comme l'enceinte de la ville (3 ). (3) ++ Ce font de grandes Mineufes que les Guépes dont j'efquifle l’hiftoire ; elles entendent à merveille à excaver la terre & à y pratiquer un fouterrein fpacieux pour y loger com- modément leur guépier. Quelquefois néanmoins elles trouvent le moyen de retrancher beaucoup de ce rude travail en profi- tant habilement des fouterreins que fe creufe la Taupe. Une galerie plus ou moins longue & plus ou moins tortueufe con- duit à la porte de la petite ville fouterreine ; c'eft un chemin battu que les Habitans favent toujours retrouver & dont l’en- trée imite celle d’un clapier de Lapin. Cette grande cavité que les Guépes fe creufent à nn pied ou un pied & demi fous terre, eft très-propre à les mettre à cou- vert des infultes de leurs ennemis, & à les dérober aux regards des Curieux; mais elle n’eft pas la vraie enveloppe des gâteaux; je veux dire , qu’ils ne font pas appuyés immédiatement contre les parois de la cavité. L'architeéture de nos Guêpes m’elt point auffi fimple , & fuppofe des vues qui, pour étre remplies , exi- gent un travail d’un tout autre genre & qu’on admire dès qu’on vient à te découvrir. L'eau des pluies, qui perce peu-à-peu la terre, pénétreroit enfin jufqu'aux gâteaux, & les Guépes ont un grand intérêt à prévenir cet accident. Elles ont denc ét inf- truites à donner à leurs gâteaux une enveloppe particuliere qui les préferve de l'humidité. Elle eft compofée d'une multitude de petites voûtes pofées les unes au-deffus des autres & les unes à côté des autres, & qui forment enfemble une enceinte d'environ un pouce & demi d’épaiffleur. Quoique toutes les petites voûtes ne foient que d’un papier gris aflez fn , elles ne laiflent pas de répondre très-bien au but par leur ingénieufe conftruétion. On fent d’abord que l'humidité qui pénetreroit quelques -unes des voûtes fupérieures feroit arrêtée par les voûtes inférieures bien mieux qu’elle ne le feroit par un fmple mafif de même épaifleur ; & cela précifément parce que Les G 4 to4 CONTEMPILATION couches de papier n'étant pas appliquées immédiatement leg unes aux autres, les intervalles qui reftent entr’elles s’oppofent aux progrès de l’humidité & en facilitent encore l’évaporation. Les cellules & les colonnes font faites de la même matiere que les voûtes. Les Guépes ne bâtiflent qu’en papier. Elles ont poffédé de tout temps l’art de le fabriquer, & les Hommes auroient pu apprendre d'elles , il y a bien des fiecles, ces pro. cédés fi utiles dont nos Modernes fe glorifient. C’eft fur les vieux bois qui ont été long-temps expofés à l’action du Soleil & de la pluie, & qui ont été, en quelque forte, rouis, que nos induftrienfes Mouches vont fe pourvoir de la matiere dont elles fabriquent leur papier. Avéc leurs dents tranchantes elles en détachent de menus filamens , qu'elles mettent en charpie, & qu'elles réduifent peu-à-peu en pate molle en les broyant & les humectant dans leur bouche. Elles en forment des pelotes arrondies, qu’elles tranfportent dans leur habitation. Elles les étendent en lames minces en s’aidant de leurs dents & de leurs jambes, & c’eft d'un nombre prodigieux de ces lames qu'elles conftruifent ces jolis ouvrages où brille tant d’induftrie. Je rif- querai peut-étre de pafler moi-même pour un Romancier fi j'ajoute, que nos ingénieux Architectes ont attention de donner anx colonnes beaucoup plus de folidité qu’au refte de l'ouvrage, & qu'elles ont foin d’en élargir le bafe & le chapiteau pour qu’elles puiffent mieux embraffer les parties de l'édifice qu’elles ont à foutenir. ESS ETES { DELA NATURE. Part. XI 106$. CR — OM MOT PE TOR ES XX V, Les Frélons 3 quelques autres Efpeces de Guëpes.* #L ES Frèlons, qui appartiennent au genre des Guèpes & qui les furpañlenc toutes en gran- deur , ne poffedent pas au mème degré que les Guèpes fouterraines , l’art de fabriquer du pa- pier avec des fragmens de vieux bois. Le leur eft groffier , épais & fort caffant. Il n’eft fait que de fciure de bois pourri, dont il retient la ‘cou- leur. L’architedture des Frèlons reflemble d’ail- leurs beaucoup à celle des Guèpes qui bâtiffent fous terre ; mais les colonnes qui foutiennent les gâteaux font plus hautes & plus maflives, & celle du milieu furpañle toutes les autres en groffeur. Les Frèlons recouvrent aufli leurs gâ- teaux d’une enveloppe de papier , à laquelle ils donnent d’abord la forme d’une cloche ou d’un chapiteau arrondi. Ils fufpendent leur guèpier dans des greniers, dans de vieilles mafures, & le plus fouvent dans de vieux troncs d’Arbres dont ils agrandiffent la cavité à l’aide de leurs fortes tenailles, auxquelles le bois ne fauroit rélilter. | 106 CONTEMPLATION Mais toutes les Guèpes ne cachent pas leur mid comme les Guèpes fouterraines & les Fré- lons : il eft de petites Efpeces de ces Mouches induftrieufes, qui bâtiflent à découvert. Toutes ne forment que des Sociétés peu nombreules, qu’il eft facile d’obferver. Elles attachent leur nid à une menue branche d’Arbre ou d’Arbufte; & le papier dont il eft fait n’eft pas moins fin que celui des Guèpes fouterraines : il en a auf la couleur : la pluie pénétreroit donc facilement dans fon intérieur , fi nos adroites Ouvrieres ne prenoient point de précautions pour l'en ga- rantir. Les procédés de toutes les Efpeces ne font pas les mèmes à cet égard; mais tous ré- pondent bien à la fin. Les unes recouvrent leur guepier d'un très - grand nombre de feuilles de papier , qui laiffent entr’elles des intervalles, & qui imiteroient parfaitement les pétales d’une rofe fi elles en avoient les belles couleurs. Ce font les plus jolis ouvrages que ces petits guè- piers qui imitent fi bien une rofe à cent feuilles. D'autres Guèpes , qui ne favent pas donner une enveloppe à leurs guëèpiers , y fuppléent très-bien en les attachant à la branche , de maniere que le plan du gâteau eft à - peu - près vertical : l’axe des cellules eft ainfi horifontal & la pluie ne pénetre pas dans leurs ouvertures. Mais nos petits Architectes ne {e bornent pas a DEMD ANA TOUR E. Part.XTI. 1:07 cette feule précaution : ils ont foin encore de tourner vers le nord ou vers left la face du gâteau où fe trouvent les ouvertures des cellules ; & ce qui eft plus conftant & plus remarqua- ble , ils enduifent le guèpier d’un vernis impé- . nétrable à Peau. MOMAPITRE XX V. Les Guêpes cartonnieres. TI | Guèpes de nos Contrées, qui excellent le plus dans l’art de fabriquer le papier , ne nous paroîtront que des Apprentifles fi nous les com- parons aux Guêpes cartonnieres du nouveau Monde , dont les ouvrages en ce genre ne le cedent point en beauté à ceux de nos plus habi-* les Ouvriers. Le nom qui a été donné à ces Guèpes fi finguliérement induftrieufes , indique déja qu’elles ne travaillent qu’en carton (1 ). Il faut que je le répete ; celui qu’elles favent fabriquer a une blancheur , une force & un poli qu’on ne fe laffe point d’admirer. Nos habiles Ouvrieres n’excellent pas moins dans l’art de bâtir ou d'employer leur carton, que dans celui (x) Ces Mouches portent auffi le nom de Gwipes de Cayenne. «——… ane tos CONTEMPLATION de le fabriquer. Elles conftruifent elles - mèmes la ruche où elles logent leurs gâteaux ; & cette ruche eft une forte de boîte de carton en forme de cloche, plus ou moins alongée ou plus ou moins évafée , qu’elles fufpendent folidement par fon extrémité fupérieure à une branche d’Arbre. Il eft de ces cloches qui ont plus d’un pied & demi de longueur. L'ouverture de la cloche eft fermée par un couvercle convexe du mème car- ton ; mais les Guèpes ménagent fur un des côtés du couvercle , une petite ouverture ronde qui eft la feule porte de la ruche. Les gâteaux qui en occupent l’intérieur font diftribués par étages comme ceux de nos Guèpes fouterraines : mais ils ne font point foutenus par des colonnes : ils. font corps avec la boire & tiennent immédiate- ment à fes parois. Ce n’eft point fimplement le “fond des cellules qui forme le plancher ou la partie fupérieure du gâteau fur laquelle les Guè- pes fe promenent ; elles conftruifent un vrai plan- cher très - uni, fous lequel elles bâtiffent les cel- lules , dont les ouvertures font ainf tournées en en-bas. Les planchers ou les gâteaux ne font pes plans ; ils ont en deffous la mème convexité que le couvercle qui ferme la boîte. On aime à découvrir la raifon de cette convexité: cha" que plancher ou chaque gâteau a été lui-même . un couvercle; car nos prudentes {Cartennieres DE LA NATURE. Pat. XI 106 veulent que la boîte foit toujours fermée quand elles travaillent à la conftruction des cellules. Re- préfentez- vous cette boîte lorfqu’elle ne con- tient encore que deux gâteaux : elle eff fort courte, & les Guèpes vont travailler à la prolonger & à augmenter le nombre des gâteaux. Pour y par. venir, elles prolongent les bords de la boîte ; la font defcendre par de - là le couvercle , & contre le bord inférieur de la partie prolungée, elles conf. truifent un nouveau couvercle convexe par- deffous , comme le précédent qui neft plus à préfent un couvercle ; mais qui eft devenu un nouveau plancher fous lequel les Guèpes vont batir de nouvelles cellules. Ce plancher conferve ouverture ronde qui étoit auparavant la porte de la ruche, & qui fert maintenant de porte de communication d’un étage à l’autre. Chaque éta- ge à ainfi fa porte, parce que tous les étages ont été dans leur origine un 1 couvercle où un fond de ruche. Les cellules des Cartonnieres font héxagones comme celles de toutes les autres Guèpes, & fervent aux mêmes ufages. Lorfque les Vers qu’elles y élevent ont atteint leur parfait accroif- fement , ils tapiflent de foie la cellule & y met- tent uu couvercle du mème tifu. Il y a aufü chez * les Cartonnieres de trois fortes d'Individus ; mais ER Gis = CONTE MPL\A TION on ne fait pas encore quelle part chaque forte prend aux travaux de la ruche. Il y a apparence que les bois qu'emploient nos Cartonnieres in- fluent fur la beauté de leur carton, & les lecons qu’elles nous donnent en ce genre pourroient nous devenir d'autant plus utiles, que nos chif- fons fourniffent à peine à-la prodigieufe confom- mation que nous faifons journellement des car- tons & des papiers. Ces Mouches & les autres Guèpes qui vivent en fociète femblent nous in- viter à imiter leurs procédés en effayant de fabri. quer des papiers avec des bois & des écorces. Il eft bien d’autres pratiques des Animaux , qui nous donnent des inftruétions importantes aux- quelles nous ne prètons pas l’attention qu’elles méritent (2). © (2) Un bon Obfervateur, M. SCHAÆFFER , s’eft empreffé à entrer dans les vues vraimenk utiles que Mr. de REAUMUR avoit propofées dans fon intéreflante hiftoire des Guépes, & il a très-bien réufli à faire diverfes fortes de papiers avec des bois ou des écorces de différentes efpeces d2 Plantes. Il m'en a envoyé des échantillons , qui montrent aflez tout ce qu’on peut fe promettre des procédés auxquels il a eu recours. EL ON DE LA NATURE. Part. XI 211€ EE — Me 3 DHAHIAUPOI TR E XXVL Les Abeilles. Le gouvernement des Abeilles tient plus du monarchique que du républicain. Une feule Mou- che y dirige tout. Cette Mouche eft non-feule. ment la Reine du peuple, elle en eft encore la Mere au fens le plus étroit, Des 30 à 3$ mille Mouches , dont une ruche eft fouvent fournie, la Reine ef la feule qui engendre. C’eft à cette prérogative , plus réelle que beaucoup de celles qui diftinguent les Souverains , qu’elle doit l'ex trème affection que fon Peuple lui porte. Elie eft prefque toujours environnée d’un cercle d’A. beilles , uniquement occupées du foin de lui être utiles. Les unes lui préfencent du miel, les au- tres paflent légérement leur trompe fur fon corps à diver{es reprifes , afin d’en détacher tout ce qui pourroit le falir. Lorfqu’elle marche , toutes celles qui font fur fon paflage fe rangent pour lui faire place. Elles favent ou paroifflent favoir que cette marche a un objet important, celui d'augmenter le nombre des Citoyens EN effet , elle cherche alors des cellules pro- #12 CONTEMPLA TI ONE pres à recevoir fes œufs. Ces cellules font , comme celles des Guëpes, de figure héxagone, mais leur fond a unie forme beaucoup plus recherchée : au lieu d’être à-peu- près plat, il eft pyrami- dal, & compolé de trois lozanges égales & fem- blables , dont les proportions font telles , qu’elles réuniflent ces deux conditions très - remarqua- bles ; la premiere, de donner à la cellule la plus grande capacité ; la feconde, d’exiger le moins de matiere pour fa conftruction. | L'ARCHITECTURE des Abeilles furpafle encore celle des Guèpes dans l'ordonnance des gateaux ; ils n’ont chez celles-ci qu’un feul rang de cel- lules : chez celles-là , le terrein eft mieux mé- nagé ; chaque gâteau porte un double rang d’al- véoles. Hs font appuyés les uns contre les autres. par leur fond, de maniere que l’ouverture de n AU HAN . ceux d’un rang regarde du côté oppolé à celui. vers lequel ceux de l’autre rang font tournés (1). (x) tf Ce que je dis ici de la conftrnétion des cellules eft bien imparfait, Les cellules qui occupent les deux faces dur mème gâteau, font bien appuyées les unes contre les autres par leurs fonds ; mais ces fonds ne font pas plats où un pen arron: dis, comme dans les gâteaux des Guépes ; ils font pyramidanx & formés de trois petites pieces en lozanges , égales & fmbla- bles. C’eit cette figure pYramidale qui permet aux fonds des cellules des deux faces oppofées du gâteau , de s’ajufter les urs contre Les autres de maniere qu'ils ne laflent entf’eux aucun Leur DE LA NATURE.Pat. XI t1i Leur axe eft parallele à l’horifon , & le gâteau qu’elles compofent lui eft perpendiculaire. Cette pofition , diretement contraire à celle des gâteaux de Guèpes , elt déterminée par des circonftances particulieres , & dont la confervation des Petite dépend (2). vuide. Il en cft de même du corps des cellules : fa fgüre fiex2e … gone leur permet aufh de s'appliquer immédiatement les unes aux autres, fans qu'il refte entr'elles aucun intervalle. . (2) Les trois ordres d’Individus qui compofent la fociété des Abeilles different en grandeur. Les Mâes font les plus gros & reflemblent aflez aux Bourdonis ; ce qui a porté les Natura- Liftes à leur donner le nom de Faux- bourdons. Les Femeilles!, moins grofles que lès Mäles, ont le ventre plis alongé & les ailes plus courtes proportionniellemerit au corps. Les Neutres font moins longs que les Fémelles, moins gros & moins velus que les Miles, & on ne leur découvre point de patties fexuelles. Les Vers dont proviennent ces trois ordres d’Individus , di£« ferent auf par leur taille, & demandoient à être élevés dans des cellules de eapacité différente. Les Ouvrieres conftruifent donc des cellules dé trois ordres. Les cellules deftinées aux \ Mûles & aux Neutres font toujours hexagones ; mais celles des Mâles font plus grandes que celles des Neutres , dans tin rap port déterminé à la différence de taille de ces deux ordres d'Individus. Mais les cellules deftinéesaux Vers qui doivent devenir des Reines , ne different pas feulemient des autres par la grandeur ; elles en different encore par la forme, par læ poñtion & par la quantité de matiere qui entte dans teur conf … trution, Quand les Ouvrieres bitiffent ces cellules, elles ne fuivent point les regles ordinaires de léur architecture : ce ne | font plus des tubes hexagones qu’elles conitruifent ; ce font des efpeces de bouteilles où de matras dont le ventre afez renflé Tome 111, . H nn ea de E14 CONTEMPLATION CE font les Neutres ou les Abeilles ouvrieres qui conftruifent ces gâteaux où brille une fi fine Géométrie. Elles en vont recueillir la matiere fur les fleurs : la cire eft faite des pouffieres des étamines. Elles préparent ces poufleres; elles : les digerent. Elles en font des amas dans leurs ruches , foit pour fournir à la conftruction de eft tourné en en-haut. Ces fingulieres cellules pendent du bord. inférieur d’un gâteau, comme les ftalactites pendent de la voûte d'une caverne. Elles font fi maflives, que la quantité de ma- tiere employée à bâtir une feule de ces cellules fufroit à la conftruttion de cent ou cent cinquante cellules ordinaires. Les Oxvrieres n’ufent donc point ici de cette épargne qui fe fait tant admirer dans leurs autres ouvrages. Je viens de dire que les cellules royales font verticales : leur ouverture eft toujours tournée en en-bas comme dans les cellules des Guëèpes : le Ver qui y eft logé a auffi la tête conftamment dirigée en en-bas dès qu'il a pris la plus grande partie de fon accroifflement; mais . dans les premiers temps il eft roulé fur lui-même en maniere de cerceau , comme les Vers communs. Voilà ce que Mr. de REAUMUR nous avoit appris touchant les trois ordres de celläles que conftruifent les Abeïlles. Mais un Cultivateur de- Lauter dans le Palatinat, Mr. RIEM , m'a communiqué fur ce fujet des faits nouveaux qu’il m'a afluré avoir bien vus, & qui avoient échappé au principal Hiftorien des Abeilles. Il a vu que les Ouvrieres élevent des Vers com- muns dans de vieilles cellules royales, & que jamais elles n’en élevent dans des cellules royales nouvellement conitruites, IL affirme encore, qu’elles élevent aufli des Vèrs de Faux - bour- dons dans des cellules communes, qu'elles ont foin d'agrandir pour les proportionner à la taille des Faux-bourdons : mais que les Vers qui doivent devenir des Reines, ne fauroient être élevés que dans des çellules royales, DEL A NATURE. Part. XI 18 fouveaux gâteaux , {oit pour fervir à leur nour- Titurc. PENDANT qu’une partie des Abeïlles s'emploie à recueillir la matiere de la cire , à ia préparer & à en remplir les magafins, d’autres s'occupent de différens travaux. Les unes mettent cette cire en œuvre & en conftruifent des cellules: d’au- tres poliflent l'ouvrage & le perfe“ionnent : d'au. tres vont faire fur les fleurs une autre forte de récolte , celle du miel, qu’elles dépofent enfuite dans les cellules, pour les befoins de chaque jour & pour ceux de la mauvaile faifon : d'au: tres ferment avec un couvercle de cire les cel- fules qui contiennent Île miel qui doit être con fervé pour l'Hiver ; précaution qui en prévient Valtération : d’autres donnent à manger aux Petits :. d’autres mettent un couvercle de cire aux cellules de ceux qui font prèts à fe méta- morphofer, afiu qu'ils puiffent le faire füremenc : d’autres bouchent avec une forte de poix les moindres ouvertures de la ruche par lefquelles l'air ou de petits Infectes pourroient s’introduire : d'autres enfin portent dehors les cadavres dont la corruption infecteroit la ruche : les cadavres qui font trop gros pour être tranfportés, elles les recouvrent d'une épaifle enveloppe de cire ou d’une forte de gomme ou de réfine , fous H2 316 CONTEMPLATION laquelle ils peuvent fe corrompre fans caufet aucune incommodité. Pour faciliter tous ces différens travaux , les Ouvrieres ont foin de laifler entre les gâteaux des efpaces qui font comme des efpeces de rues dont la largeur eft proportionnée à la taille des Abeilles : elles favent encore ménager des portes dans les gâteaux, au moyen defquelles elles évitent les détours. La Reine anime les Ouvrieres par fa pré- fence; & cela eft plus à la lettre qu’on ne l'ima- gineroit. Si lon partage un effaim, la partie qui demeurera privée de Mere, périra, fans conftruire la moindre cellule ; tandis que la partie fur laquelle la Mere régnera , remplira la ruche de gâteaux & de provifions de tout genre (3 JE Le travail des Ouvrieres eft ordinairement © (3) tt Cela n’eft vrai que d’un effaim qu'on partage à fa fortie de la mere ruche, ou d’un effaim qui n’a point encore travaillé. Mr. de REAUMUR a bien prouvé que dans ce cas, la partie de l'effaim qui demeure privée de Reine’, ne conftruit point de gâteau. Mais il n’en iroit pas de méme d'un eflaim gu’on priveroit de fa Reine, mais auquel on laifferoit des gà- Ô teaux où fe trouveroient des œufs & des Vers. Un Efaim traité de la forte ne tomberoit pas dans l’inaétion & parviendreit bientôt à fe procurer une nouvelle Reine. # { D£& LA NATURE.Part. XI 1% proportionné au nombre d'œufs que la Mere doit pondre. Ainf, plus fa fécondité eft grande, & plus les Abeilles conftruifent de gâteaux. | CE feroit pourtant en vain qu’on tenteroit de faire conftruire aux Neutres plus de gâteaux en introduifant dans la ruche plufieurs Meres : les Meres furnuméraires feroient bientôt miles à mort. La confitution de la fociété n’en permet, qu’une feule. Les. Mäles, incomparablement moins nom breux que les Neutres , mais pourtant très-n10m- breux pour une feule Femelle, ne prennent au- cune part à ce qui fe fait dans la ruche; toute leur occupation fe borne à la fécondation , & encore ne s’y livrent- ils qu'avec peine: il faut que la Reine fañle les avances , & qu’elle mette en mouvement par des. carefles réitérées celui fur lequel fon choix eft tombé. Nous avons vu ailleurs (4), que ce renverfement de l’ordre général eft fondé far des raifons très - fages. Les Miles font nourris & foignés jufques vers le mois d'Août , temps auquel, devenus inutiles & mème (a) Part. VIT, Chap. VIT. #+ Confultez en particulier là Note 5, où j'indique la nouvelle découverte qui a été faite fux ce fujet, & qui rend cette incontinence de la Reine-abeille plus. que douteufe,. H3 Kr$ CONTEMPEATION nuilibles , les Neutres les. exterminent entiérez ment. Ils auroient à craindre en les confervant qu’ils n’en fuffent affamés pendant l’'Hiver (5 ). AU retour du Printemps ,on voit cependant reparoître des Mâles dans la ruche ; on y dé- couvre mème plufeurs Femelles (6) & le nom- Cs) +t Les plus célebres Hiftoriens des Abeilles affurent-, wnanimement, que les Ouvrieres tuent les Mäles ou Faux bourdons. Mr. de REAUMUR , en particulier, parle de ces exé+ outions des Neutres comme d’un #affucre, d’un carnage affreux, d’une horrible tuerie. Je puis pourtant affirmer, qu'ayant exa- miné avec la plus grande attention. les cadavres de ces Mâles: qui avoient été aïnft facrifiés, je nai pu y découvrir le moin dre indice de bleffure : ils étoient tous bien entiers. J'ai vu & revu bien, des fois deux à trois. Neutres qui. montoient fur le: corps d'un Mâle, fembloient vouloir l’exterminer, & qui néan-. moins ne lui faifoient aucun. mal. Il ne paroïifloit pas même. s'en mettre fort en. peine, & ne laïfloit pas de marcher d’ux pas tranquille fur les. gâteaux. en. entraînant avec lui ces Neu- tres incommodes. Quelquefois même on auxoit pu préfumer, à la maniere dont ceux-ci s'y prenoient, que c’étoient plutôt des. careffes que des. violences qu’ils faifoient aux Mäles, Cependant: : Yobfervois , que tons les Miles étoient chaîlés peu -à-peu de deflus les gâteaux , & réduits à fe: retirer dans. un. coin de la tuche où ils mouroient de faim. (6) tt Si l’on jugeait du nombre des Reines qui naïflent- au Printemps, par celui des cellules royales que les Ouvrieres, -conftruifent , ce nombre ferait affez confidérable, quoique fort: inférieur à celui des deux autres ordres d’Individus. Mr. de: FEAUMUR a compté jufau’à quarante cellules royales dans cer. taines ruches. Mais en général on ne compte guerc que trois à quatre celluies royales dans nne ruche, DE LA NATURE. Pat. XL 11g bre des Neutres augmente auffi de jour en jour. L'extrème fécondité de la Mere fournit à cette nombreufe génération. Erin, il fort de la ruche un ou plufieurs effaims qui ont chacun une Reine à leur tète. Ce font des colonies qui vont chercher ailleurs un établifèment qu’elles ne fauroient trouver dans la métropole furchargée d’habitans. CHAPITRE. X XVII Continuation du même [ujet. Idées fur læ police des Abeilles. E. fpectacle d'une ruche. d’'Abeilles eft , fans: contredit, un des plus beaux qui puifle s'offrir - aux, yeux d’un Obfervateur : il y regne un ait de-grandeur qui étonne. On ne fe lafle point de contempler ces atteliers où des milliers d'Ou- vriers font: fans cefle occupés de travaux diffé. sens. On et fur-tout frappé de la régularité & de la précifion géométrique de leur ouvragc.. Qn left aufli beaucoup à la vue de ces maga- fins remplis de tout ce qui eft néceflaire pour fournir. à l'entretien de la fociété pendant{la. El 4 &s CONTEMPILATION mauvaife faifon. On s'arrête encore avec plaifit à confidérer les Petits dans leurs berceaux, & à obferver les tendres foins des Meres - nourrice à leur égard (1). Mais ce qui fixe tous les yeux, c'eft 4. Reine : la lenteur, Jai prefque dit la gravité de fa démarche, fa taille plus avantageufe que celle des autres Abeilles , & fur - tout les efpeces d’hommages que lui rendent celles - ci, la font aifément reconnoître. On a peine à en croire fes propres yeux, quand on obferve les atten. tions & les empreflemens des Neutres pour cette Reine chérie. Mais l’étonnement augmente beau- … coup quand on voit ces Mouches fi laborieufes & fi actives, cefler abfolument de travailler & fe laifer périr, des qu’on les prive de leur Reine (2). (1) tt Les Ouvrieres. ont foin d'approprier la nourriture à l'âge du Ver;: elles Papproprient même au fexe. Cette nourri: : ture eft toujobrs une liqueur épaifie ou une forte de bouillie. blanchâtre, dont le Ver eit environné & fur laquelle. il repofe mollement. La bouillie qui eft adminiftrée aux Vers communs eft à-peu-près infipide ; ; celle , au contraire , qui eft adminiftrée aux Vers qui doivent devenir. des Femelles où des Reines à un goût un peu fucré, mélé à du poivré & de l’aigte: on diroit que les Pourvoyeufes veulent qu elle foit une forte de ragcûk : affaifonn£. Une découverte imprévue & très-moderne rend A jemarque importante comme on le verra bientôt. (2) tt Confultez la Note 2 du Chapitre précédent. JA BE LA NATURE! Pat. XI. 121 Par quel lien fecret, par quelle loi fupé- rieure à celle en vertu de laquelle-chaque Indi- vidu pourvoit à fa propre confervation , les Abeilles font-elles attachées à leur Reine au point de négliger abfolument le foin de leur propre vie, lorfqu’élles viennent à en être fépa- rées ? Ce lien, cette loi paroît n’ètre autre chofe que le grand principe de la confervation de lEfpece : les Neutres n’engendrent point (3); (3) ff Divers Cultivateurs Allemands affurent fort, que les Neutres ne font point de vrais Meutres; qu’ils appartiennent tous au fexe féminin; qu'ils pondent des œufs, & ce qui n’eft pas moins étrange , que de ces œufs il ne fort jamais que des Faux-bourdons. Mr. RIEM eft un de ceux qui croient s’être le "mieux affurés du fait. Il m’écrivoit même, qu'il avoit décou- vert un ovaire dans deux Neutres. Mais les faits fur lefquels ces Cultivateurs s'appuient ne me paroiffent point affez décififs ni avoir été vus aflez bien & affez fouvent pour qu’on puifle y compter en bonne Logique, SWAMMERDAM , ce grand Anatomifte , qui avoit difléqué avec tant de dextérité & de patience les trois fortes d’'Abeilles , regardoit-les Ouvrieres comme de vrais Neutres, parce qu'elles lui avoient toujours paru totalement privées des organes relatifs à la génération. Mr. de REAUMUR en avoit porté le même jugement. On fur- prend facilement la Reine dans des ruches vitrées , tandis qu’elle eft occupée du travail de la ponte : on la voit pondre fucceifi- vement pendant plufeurs femaines , des centaines d'œufs dans autant de cellules différentes; & jamais aucun Obfervateur n'eft parvenu à furprendre une feule Ouvriere dans le même travail, quoique les Mouches de cette forte foient au nombre de plu- fieürs mille. D'ailleurs, pourquoi les ovaires des Ouvrieres ne gontiendroient - ils que des œufs de Mâles, puifque , fuivant l'opinion des Cultivateurs dont il s’agit , elles font toutes, 322 CONTEMPLATION mais ils favent que la Reine poflede cette faculté c'eft pour recevoir les œufs qu’elle eft prète à- dépofer, qu’ils conftruifent ces cellules dont nous admirons. les proportions. La Nature les a autant: intérelfes pour les Petits qui en doivent éclorre , qu’elle a intéreflé les Meres des, autres. Animaux en faveur des leurs propres. Mars, demandera -t-ot encore, comment la. feule préfence de la Reine excite-t-elle les: * Abeilles au travail, engage-t-elle les unes à. LA \ élever des cellules, les autres à amafñler de la. cire, les autres à recueillir du miel, &c. ? NE féroit-ce point ici l’effet de quelque im=- preflion purement phyfque ? Les œufs dont le: corps de la Mere eft rempli, n’affeteroient- ils point les Abeilles au moyen de l’odorat ou de- quelqu’autre fens à nous inconnu ? comme les Reines , de vraies Femelles ? Pourquoi encore le nombre des Faux -bourdons feroit -il fi inférieur à celui des Ouvrieres ? Mais s’il eft vrai, comme l’aflure un Obfervateur Anglois (+), qu’il y ait dans les ruches des Reines d’une auf petite taille que les Abeilles ouvrieres, ce feroient apparemment: ces petites Reines , inconnues à nos Cultivateurs, qui les auroient. trompés , & qui auroient engendré ces Faux-bourdons qu’ils ont: cru provenir des Ouvrieres. Et) Mr. NEEDHAM, 42 DE LA UN ASTU RE. Part. XI. 123 Quor qu’il en foit de cette conjecture, il paroît qu'on ne doit pas fuppoñfer que la pré- fence de la Reine fafle différentes impreflions fur _ différentes Abeilles, détermine les unes à conf- truire des cellules, les autres à amaffer de la cire , les autres, du miel, &c. L’impreflion dont il s’agit eft une ; elle détermine les Abeilles au travail; mais ce travail eft différent fuivant les circonftances particulieres où chaque Abeille fe trouve placée ; par exemple, quand une Abeille {ort de fa ruche, il n’y a pas lieu de croire que ce foit avec un deflein déterminé de recueillir de la cire plutôt que du miel, mais elle ren- contre une fleur qui abonde en pouflieres d’éta- mines & qui n'offre que peu de miel: elle fe charge donc de matiere à cire. Aufli remarque- ton, que c’elt principalement le matin que fe fait cette récolte. Alors les pouflieres n’ont pas encore été defléchées par la chaleur du Soleil ; elles confervent une certaine humidité qui en lie les grains, & qui en rend ainfi la récolte & le tranfport plus faciles. Le miel , au contraire, étant un fuc qui exfude des fleurs par l’action du Soleil, elles en rendent peu le matin ; le mi- lieu du jour eft un temps plus favorable à cette efpece de récolte ; aufli voit-on alors peu d’Abeilles qui reviennent à la ruche chargées de cire; le plus grand nombre y apporte du miel, 124 CONTEMPLATION Mais , d’où vient que les Abeilles privées de Mere fe lxiflent périr faute de nourriture ? cons * ment oublient-elles à ce point le foin de leur propre vie ? À la bonne heure qu’elles ne conf- truifent pas des gâteaux : on entrevoit des rai fons de ce procédé : mais, au moins poutroient- elles aller recueillir fur les fleurs le miel & la cire néceflaires à leur fubfiftance actuelle. Icx la caufe finale eft affez évidente: la con- fervation de l’Efpece importoit plus à la Nature que celle des Individus : dans le cas dont il s’agit, celle-là ne pouvant avoir lieu , celle-ci devenoit: inutile. À l'égard de la caufe efficiente, il n’eft: pas facile de la pénétrer. Les Neutres feroients. ils abfolument privés du fentiment de la faim ? Ne feroient-ils portés à recueillir de la cire & du miel & à en manger, que par l’impreflion agréable que la préfence de ces matieres fur les. fleurs produiroit dans l'organe ? Cela feroit fort fingulier ; éar la faim ef un fentiment commun à tous les Animaux , ou qui paroît l'être. Il eft- un moyen fagement établi pour prévenir la deftru@ion des Individus, & qui les excite à. réparer les pertes continuelles que les différentes. évacuations occafonent. Mais, dans.le choix du. moyen dont il s’agit, la Nature pourroit ne s’être- pas propofe pour principal objet la confervationx DÉ LA NATURE. Part. XI 126 des Individus, comme Individus; mais plutôt comme auteurs de la génération où conferva- teurs de lEfpece. En effet, chez les Quadru- pedes, chez les Oifeaux , les Poiffons, les Rep- tiles, & chez prefque tous les Infectes, chaque Individu eft Mäle ou Femelle, ou tous les deux enfemble; comme chez les Vers - de -terre , la Limace, &c. Là, comme l’on voit, la confer- vation de l’Efpece dépend immédiatement de celle des Individus. Il n’en eft pas ainfi chez les Abeilles : le plus grand nombre de celles qui compofent la même fociété eft dépourvu de exe ; & ne concourt à la confervation de PEL pece qu’en qualité de caufe fecondaire. Il ne devroit donc pas paroître improbable que les Neutres fuflent privés du fentiment de la faim. On voit bien que la Reine & les Mâles ne fau- roient en être privés : aufli mangent-ils fouvent. Mais, fi les Neutres n’ont pas le fentiment de la faim , comment font-ils avertis de réparer leurs forces abattues par le travail & par la traufpiration ? Les Neutres qui ont à leur tète une Reine, font excités au travail par fa pré- * fence. Ils ne fauroient vaquer aux divers travaux dont ils ont été chargés , fans avoir de fré- quentes occafions de prendre de la nourriture. La raifon en eft, qu'indépendamment de la 226 CON T EM PDA PANOR fenfation agréable qui peut réfulter de laétion de la cire & du miel fur l'organe des Neutres , ces matieres doivent néceflairement pañer par leur eftomac, s’y digérer & s’y préparer avant que d’être dépofées dans la ruche pour fervir aux ufäges auxquels elles font deftinées. OX objeétera peut-être, qu’il feroit étrange, que parmi les Individus d’une mème Efpece, il y en eût qui fuflent doués d’un fentiment tout- à-fait inconnu aux autres. Mais n’eft-il pas auffi étrange que parmi ces mèmes Individus, il y en ait qui font pourvu d'organes qu’on ne trouve point dans les autres ? Les Abeilles ou- vrieres ont diverfes parties qu’on ne voit point à la Reine & aux Mâles ; & ceux- ci en ont pareillement qu’on ne rencontre point chez les Ouvrieres. La deftination n’étant pas la même pour tous les Individus, les moyens qui y ré- pondent doivent néceflairement différer. UNE autre réflexion vient à l’appui de la con- jecture que Je hafarde; la faim eft un fentiment preffant, adif, inquiet ; or les Neutres , privés de leur Reine, tombent dans une forte d’affou- piflément qui ne finit qu'avec la vie. Si dans cet état de léthargie , on leur donne une Reine, ils fe réveillent aufüi-tôt & fe mettent au travail, . DE LA NATURE. Part. XI. 127 Daxs la vue de découvrir la loi fondamen- tale du gouvernement de nos Mouches républi- saines, on avoit partagé un effaim en deux par- ties à- peu - près égales , & l’on avoit toujours obfervé que les Abeilles qui n’avoient point de Reine ne conftruifoient point de gâteaux ( 4 ). C’étoit déja une expérience très - décifive : mais il y en avoit une autre à tenter : c’étoit de par- tager une ruche bien fournie de gâteaux, d’'Ha- bitans & de Petits, & de fuivre avec foin tout ce qui arriveroit dans la partie de cette ruche où la Reine ne feroit point. On pourroit con- jecturer probablement que les Neutres conti- nueroient à s'occuper de l'éducation des Petits, & qu’ils ne cefleroient de travailler que lorfque ces derniers feroient devenus Mouches ( $ ). (4) tt Confultez la Note 3 du Chap. XXVI. (5) tt L'expérience que je propofois ici on une expérience très-analogue a été répétée une multitude de fois par un habile Cultivateur de Luface, & elle lui a valu une découverte qui a fait bruit parmi les Naturaliftes : on voit que je veux parier de celle de feu Mr. SCHIRACH, dont j'ai donné ailleurs le détail, ‘ d'après les Lettres qu'il n'avoit adreflées. IL réfulte de fes nombreufes expériences répétées en différentes faifons, & qui l'ont été depuis par d’autres Cultivateurs , que fi l’on renferme dans une ruche vuide quelques centaines d’Abeilles ouvrieres avec un petit gateau qui contienne des Vers communs, âgés de trois à quatre jours , les Ouvrieres fauront fe donner une ou plufieurs Reines, en transformant, pour aindi dire, ces Vers communs en Vers royaux. Elles y parviendront en détruifant 128 CONTEMPLATION - PAR un moyen très -fimple on oblige deux effaims à faire un échange réciproque de leur ruche & de leurs gâteaux : ils fe font à ce chan- les cellules communes où ils font logés ,.en bâtiflant à leur place des cellules royales, & en adminiftrant aux Vers la nour- riture appropriée à ceux qui doivent devenir des Reines. (Note r.) Comme cette curieufe expérience fe répete journel- lement en Luface & en Saxe par des Cultivateurs de tout ordre & même par de fimples Villageois, qui s’en fervent comme d’un nouveau moyen très-facile de multiplier à volonté les effañms, il femble qu’on ne puiffe plus douter dé l’efpece de converfon des Vers communs en Vers royaux : au moins Le fait paroïît-ik folidement établi au jugement des plus afidus Cuiltivateurs de l'Allemagne. Il a "encore été confirmé par un Obfervateur An- glois, qui a enrichi l’hiftoire des Abeilles d’une autre décou- verte dont je. parlerai dans quelques momens. Cependant, un: Naturalifte célebre (+) , qui n’avoit point fait difficulté d'ad- mettre la transformation d’un Végétal en Animai & d’un Animal en Végétal, s’eft élevé avec chaleur contre la découverte de l'induftrieux SCHIRACH, qu'il compare à celle de la dent d’or. La converfion d’un Ver commun en Ver royal lui paroiît le renverfement de la faine Phyfique. Il préfere donc d'admettre que la Reine pond indifféremment les trois fortes d'œufs dans des cellules communes , & que ce font les Onvrieres qui les dütribuent un à un dans les cellules appropriées aux Vers qui doivent en éclorre. Le meilleur Hiftorien (ff) des Abeilles avoit dit pourtant, d’après fes propres obfervations : ;, que la, #» Reine ne manque jamais de loger dans une petite cellule. ÿ» l'œuf qui donnera une Abeille ouvriere ; dans une cellule » hexagone plus grande , l'œuf qui doit donner un Mäle; & (+) Mr. NEEDHAM. (tt) Mr. de REAUMUR. ù CP . gement i# | | | | | | | DE LA NATURE. Part. XI. 129 gement, & les Neutres de chaque cflaim pren- nent autant de foin des Petits qu’ils trouvent dans leur nouvelle habitation, que s’ils étoient » dans une cellule royale, l'œuf plus précieux dont fortira un » Ver qui deviendra une Reine ”* Mais, quand l'opinion du Naturalifte dont je parle feroit vraie, on pourroit toujours lu objeéter qu'il feroit bien fingulier que dans les expériences fi fréquemment répétées des Cultivateurs de Luface, il fe fût tou- jours trouvé à point nommé un Ver royal parmi le petit nom- bre de Vers de trois à quatre jours, qu’on avoit renfermés avec des Abeïlles ouvrieres. Le hafard offre-t-il jamais une telle eonftance ? Il y a plus; l'expérience ne réuffit point , fi le petit gateau qu’on renferme avec les Abeilles ouvrieres , ne contient que des œufs. L'Inventeur l’affirme de la maniere la plus pofi- tive. Il faut toujours pour que l'expérience réuffiffe, que le gâteau renferme des Vers qui n'aient que trois à quatre jours. Ces Vers font donc des Vers communs, puifqu’ils font tous logés dans des cellules communes, & que fuivant le Détraéteur de la nouvelle découverte, les Onvrieres ne laiffent pas ordinaire- ment des œufs royaux dans des cellules communes. Il eft au moins très-für, que tous ces Vers de trois à quatre jours ne donneroient que des Abeilles ouvrieres , s'ils reftoient touts dans leur propre cellule, & s'ils étoient nourris de l'aliment ordinaire. Si donc il arrive conftamment que lorfque les Abeilles ouvrieres conitruifent à un , deux ou trois de ces mêmes Vers, des cellules royales & qu’elles leur adminiftrent un aliment pat- ticulier , ils donnent des Reines , comment pourroit-on refufer d'admettre la conclufion que l’Inventeur tiroit de fes nom- breufes expériences, & qui a été adoptée par tous fes fucceffeurs ? Mais il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait ici une vraie tranf. formation d’un Ver d’une forte eu un Ver d’une antre forte. En fuppofant que le fait fingulier affirmé par tous les Cultiva- teurs de Luface , eft auffi vrai qu’ils le croient, il n’y auroit point proprèment ici de transformation. La Reine ne pomrait Tome IL. I ÿ6 CONTEMPDATION leurs Nourriflons naturels. L’affection des Neu- tres s'étend donc indifféremment à tout ce qui eft Ver d’Abeille. Cet inftinét a don@ un rapport direct à la confervation de l’'Efpece. Il faudroit que de deux fortes d'œufs, des œufs de Mâles & des œufs de Femelles : il n’y auroit donc réellement dans une ruche que de deux fortes d’Individus, comine dans la plupart des Efpeces d'Infeétes, & les Abeilles ouvrieres qui ont recu le nom de Neutres, ne feroient point de vrais Neutres : elles feroient des Femelles d’origine, mais des Femelles qui n’auroient pu acqué- tir la grandeur propre aux Reines, & dont les ovaires feroient demeurés oblitérés, parce que leurs Vers feroient demeurés renfermés dans de petites cellules, & qu'ils auroient été nourris d'un aliment inférieur en qualité à celui qui ef dépofé dans les cellules royales. Il ne doit pas paroïtre improbable, qu'un logement plus fpacieux , une {ituation différente, & une nour- riture plus abondante & plus élaborée operent un plus grand développement de certains organes : rien de tout cela ne choque les notions de la faine Phyfique. ; Les Abeilles ouvrieres auroient donc été inftruites par le Nature à fe donner au befoin une ou plufeurs Reines, & la confervation de la fociété entiere ne tiendroit plus, comme le eroyoit Mr. de REAUMUR , à la vie d’une feule Mouche. Mais comment les Ouvrieres viennent-elles à découvrir que les befoins de la ruche exigent qu'elles travaillent à fe donner une nou- velle Reine ? Comment font-elles déterminées dans le choix qu'elles font de tel ou tel Ver commun pour l’élever à la dignité royale? Pourquoi le nombre des nouvelles Reines qu’elles font paître eft-il toujours variable ? Nous ne faurions encore fatif- faire à ces queftions ni à une foule d’autres que nous préfente l'hiftoire de ces Républiçaines fi induftrienfes , car malgré le uombre & la grofleur des Volumes dont elles ont fourni la gaatiere, nous tenons à peine les premiers élémens de leur fcience, DE LA NATURE. Pat. XI 13% vatier un peu cette expérience, pour fonder le difcernement ‘des Neutres, & {ubftituer adroi- tement aux Nourriflons de leur Efpece , des Nourriflons d’Efpece différente. Les Neutres n’ont point de fexe; ils n’en: gendrent point : comment leur fuppofer pour les Petits de leur Reine précifément le même amour qui meut les Meres des autres Animaux? Ils agillent pourtant comme elles dans les mèmes circonftances Si donc la Nature a fu intéreffer l’attachement des Meres par les fenfations AgTÉA= bles que les Petits leur font éprouver , ou par les fervices qu’elles en retirent , il y a bien de l'apparence qu’elle en a ufé à-peu-près de mème à l'égard des Abeilles ouvrieres, & qu’elle a placé pour elles dans les Petits une caufe fecrete de fenfations agréables , qui les attachent à eux & les déterminent à dégorger dans leurs ber- ceaux l’efpece de bouillie dont ils fe nourrif. fenc (6). C6) +f Toutes les expériences qu'on à tentées fur les Abeilles pour tâcher de découvrir le principe fondamental de leur gou« Vernement ,. concourent à établir , que c'eft l'amour qu'elles portent à leur Reine, on fi l'on aime mieux - l'amour de leur poltérité , qui détermine tous leurs travaux. Si l’on donne une Reine à un effaim qui dem-ure dans l'inaétion , il fe mettra aufli-tôt au travail, recueilka du miel & de la cire, les eme magañnera & conftruira de nouveaux gâteaux , &c. L3 35 'EONTEMPLATION Nous avons vu, que fi l’on introduit dans une ruche plufieurs Reines , il n’y en aura Jamais qu’une feule qui confervera l’empire : toutes les autres feront miles à mort. On ne fait point encore fi l'empire demeure toujours à la Reine légitime, & comment & par qui les Reines fur- numéraires font facrifiées (7 ). Il n’eft pas pro- (7) tt Les Membres de la Société économique de Luface ont décidé ce point, & fe font affurés que les Reines furnumé- raires font mifes à mort par les Abeilles ouvrieres. Mr. de REauUMUR ne l’avoit pas feupçonné ; lui qui avoit vu bien des fois ces mêmes Abeilles ouvrieres accueillir des Reines étran- geres comme leur propre Reine. Il avoit conjeéturé ane les Reines fe livroient des combats finguliers, & que l'empire de- meuroit à la plus forte ou à la plus heureufe. On fait que Îes Reines font armées d'un aiguillon comme les Ouvrieres : les Mäles feuls en font dépourvus. Il en eft de même chez les Fourmis, les Guépes & les Bourdons. Mr. RIEM a été aufli témoin des combats que les Ouvrieres livrent aux Reines. Il m'a raconté, qu’un jour qu'il fe tenoit en fentinelle auprès d'une ruche où il fe trouvoit plufieurs Reines, il vit paroître au-dehors une de ces Reines que deux Ouvrieres ferroient de très-près, & dont elle parvint néanmoins à fe débarraffer : mais qu'au bout d'un quart d'heure , trois autres Ouvricres furvinrent, qui fe jetterent fur la Reine, & ‘qu’elle obligea encore à fe retirer : que bientôt après accouru- rent quatre autres Ouvrieres , qui s’efforcerent d’arracher la malheureufe Reine de deffus l’appui auquel elle fe tenoit cram- ponnée ; & que touché de fon trifte fort , il l'avoit dérobée aux pourfuites de fes ennemies aeharnées , en la renfermant dans une boîte. Les Cultivateurs de Luface ont encore remar- qué, que les Ouvricres fe défont quelquefois de leur propre Reine. te à De L'A NA T EU À E Part. XI. 133 bable que les Neutres foient chargés de ces cruelles exécutions : ils rendent aux KReines étrangeres les mèmes hommages qu’à leur Sou- veraine légitime. Mais les Reines font armées d’un fort aiguillon , & l'en ne voit pas trop de quelle utilité leur feroit cette arme offenfive, fi elles ne s’en fervoient point pour défendre ou conquérir le trône. Quoi qu'il en foit, on comprend affez pourquoi il a été ordonné qu'il n’y auroit jamais qu’une feule Reine dans chaque ruche. Un effaim, quelque nombreux qu’il foit, ne l’eft pas ordinairement trop pour une feule Mere ; celle-ci peut fort bien pondre dans Pan- née quarante mille œufs. Il faut pour ces œufs uu nombre de cellules proportionné , & toutes ne font pas employées à loger des Petits. Aufli arrive-t-il que lorfque l’eflaim eft un peu foible, la Mere eft obligée de dépoler juiqu'à trois, quatre & cinq œufs dans une mème cellule, & comme il n'y a de la place dans chacune que pour un feul Ver, les œufs furnuméraires font toujours facrifiés, & c’eft une perte pour la république. Ce font certainement les Neutres qui font périr les Mäles quand ils font devenus’ inutiles à ia communauté. Mais les Neutres favent-ils qu’ils laffameroient fi on les confervoit ? Il ef 13 Hg CONTEMPLATION plus que probable que leurs connoiffances ne s'étendent pas jufques-là. Il fufiroit d'admettre . qu’il vient un temps où les Mâles font fur les fens des Neutres une impreflion qui les irrite, & qui les porte à s’en défaire (8 ). (8) tt Les Mûles ne prennent aucune part aux travaux de Ka ruche : toute leur occupation fe borne à féconder les œnfs. que la Reine pond journellement au Printems & en Été. Cette fécondation a été long-temps un myltere. Dès Ie fiecle d'ARIs- TOTE on penfoit que les œufs des Abeilles étoient Fécondés à da maniere de ceux des Poïiflons à écailles & de quelques Am- phibies, par une liqueur vivifiante dont ils étoient arrofés après avoir été pondus. Un Obfervateur exa&, Pilluftre MARALDI avoit reAufcité cette opinion : mais Mr. de REAUMUR ne l’avoit point adoptée. Il avoit obfervé des faits intéreffans qui le por- toient à penfer que la Reine s’unit aux Mâles par une vraie copulation ; & il s'étoit plu à nous raconter fes amours ou plutôt fes proftitutions. Cependant ce grand Obfervateur n'avoit rien vu d'affez décifif pour qu’on püt être afluré que la Fécondation s'opere chez les Abeïlles comme chez la plupart des Animaux. & il reftoit encore des doutes fur ce point effentiel de leur hiftoire. Ces doutes étoient fur-tout entretenus par la confié ration de ce grand nombre de Mäles qui ont été accordés chez. les Abeilles à une feule Femelle, ou au moins à un très -petit nombre de Femelles, & dont on ne pouvoit rendre de raifon fatisfaifante. Mais, aujourd’hui ces doutes femblent fe diffiper, & l'opinion des Anciens, reproduite par MARALDI, pareïit étre la vraie. C’'eft à un Cultivateur Anglois, M. DEBRAW , que nous devons de nouvelles lumieres fur un fujet qui piquoit béaucoup la curiofité des Naturaliftes. Des obfervations faites avec foin & répétées plus d’une fois, lui ont appris que les œufs que pond la Reine font Fécondés dans les cellules par la liqueur prolifique qu'y répandent les Males. Il les à vus & revus introduire leur derriere dans La cellule où un œuf veneit d'etre DE LA NATURE. Pet. XI 13% Tanr que la faifon eft favorable à la récolte du miel & dela cire , les Neutres ne ceflent point d'en recueillir & d’en remplir les magafins. Ce dépofé & l’arrofer de leur liqueur. Tous les œufs qui avoient été ainf arrofés devenoient féconds ; & tous ceux qui ne l’avoient point été demeuroient ftériles. Mais ces Mäles que l’Obferva-. teur voyoit introduire leur derriere dans les cellules, n’étoient pas ces gros Faux-bonrdons qui font les plus connus : c’étoient de petits Faux-bourdoms dont la taille n’excédoit pas celle des Abeilles communes. MARALDI avoit parlé de ces petits Faux bourdons, & Mr. de REAUMUR les connoiffoit aufli : mais ils lui avoient téujours paru en très-petit nonbre, & il penfoit que la petitefle de leur taille étoit due au peu de capacité des cel- ules dans lefquelles leurs Vers avoient été élevés. La découverte de l’Obfervateur Anglois indiqueroit qu’ils ne doivent pas étre. rares dans les ruches. IL refteroit néanmoins à découvrir quel eft l’ufage des grands Faux-bourdons, dont le nombre va com- munément à plufeurs centaines. Leur derriere eft trop gros pour pouvoir être introduit dans les cellules communes ; mais il pourroit l’étre dans les grandes cellules héxagones ou dans les cellules de l’ordre de celles où ils ont pris-eux-mêmes naiflance & où ils ont été élevés. Je ne fais pourtant fi les grands Faux-bourdons ne parvien. nent pas à féconder les œufs dépofés dans les plus petites cela lules; une obfervation que je n'ai faite encore qu'une fois, & que je defirerois fort de répéter, me porteroit à le croire. On fait que pour bien obferver les Abeilles, il faut les loger dans des ruches vitrées de forme très-applatie : là, elles font forcée de s’étaler aux yeux de l'Obfervateur , parce qu'elles ne peu vent y conftruire de front que deux grands gâteaux. Un jour que j'obfervois un effaim nouvellement établi dans une fem- blable ruche , & qui y avoit déja conftruit des gâteaux affez étendus , j'apperçus fur un de ces gâteaux , entiérement com- pale de cellnles communes, un grand Faux-bourdon qui fe mit L I 4 136 CONTEMPLATION n’eft pas nof plus qu’ils prévoyent de loin qu'il arrivera une faifon où ces récoltes leur feront interdites. Il feroit peu philofophique d'attribuer à marcher lentement fur les cellules , & qui en paffant donnoit de petits coups de fon derriere, preftement réitérés, fur Fou- verture des cellules. Un œuf venoit d’être dépofé dans ces mêmes cellules; elles étoient bien à découvert; mais leur fond étoit trop hors de la portée de mes yêux pour que je pufle n'affurer que le Faux-bourdon y avoit répandn quelques gout- telettes de fa liqueur. Je ne pus néanmoins me refufer à l’idée bien naturelle, que les petits mouvemens fi preftement répétés, que je venois d’obferver & que je n'avois point encore vus dans aucun Faux-bourdon, n’euffent pour fin la fécondation. Je jugeai que la conformation finguliere des parties fexuelles du Mâle, que SWAMMERDAM & REAUMUR nous ont fait admirer , pouvoient le mettre en état de feringuer fa liqueur jufqu'au fond de la cellule. Les ténebres qui couvroient la fécondation chez les Abeilles, ont donc commencé à s’éclaircir, mais elles ne font pas entié- rement diffipées. Mr. de REAUMUR avoit prouvé rigoureufe- ment, que depuis le mois d’Août jufqu’an mois d'Avril, il n’y a pas à l'ordinaire dans les ruches un feul Faux-bourdon : & pourtant les œufs que la Reine pond dès les mois de Février & de Mars ne laiflent pas d’être féconds. Comment donc font-ils fécondés ? La Reine s’uniroit-elle aux Mäles pendant l'Été , & demeureroit-elle ainfi féconde jufqu’à Papproche du Printemps ? ou les petits Faux-bourdons dont j'ai parlé auroient-ils échappé à l'Obfervateur , & feroit-ce ces petits Mâles, que les Neutres n'auroient pas fait périr, qui féconderoient dans les cellules les œufs que la Réine y pond à la fin de l'Hiver? Mais ces petits Miles qui auroient échappé à l'œil perçant de l’Obfervateur, auroient-ils échappé auf à l’inftinét des Ouvrieres qui décla- rent en Juillet & Août une fi cruélle guerre à tout ce qui eft Faux-bourdon ? Car elles ne fe contentent pas de faire périx les | l DE LA NATURPF. Pat. XI. 139 une telle prévoyance à des Mouches. Des Etres qui n’ont & ne peuvent avoir que de pures fen- fations , porteroient-ils des jugemens fur l’ave- nir ? Tout a été fi bien arrangé, que les Abeilles font approvifionnées , fans avoir fovugé ni pu fonger à faire des provifions. Elles ont été inf- truites à récolter la cire & le miel : elles s’oc- eupent de ce travail pendant toute la belle faifon , & quand lHiver arrive, les gâteaux fe trouvent pleins de cire & de miel (9). Mâles eux-mèmes ; elles arrachent encore des cellules les Vers & les Nymphes appellés à donner des Faux-bourdons. Mr. SCHIRACH avoit fouvent expérimenté , que les jeunes Reïnes qu’il obtenoit au moyen du Ver commun, pondoient des œufs féconds, quoiqu'il n'eut renfermé dans fes caifles qué des Ouvrieres. Il fembleroit donc qu’on püt inférer de ces expé- riences , que la Reine cft Féconde par elle- même à la maniere des Pucerons ; fi toutefois il n'y avoit pas lieu de foupçonner que quelques Mäies de la petite taille avoient échappé à l'Ob- frvateur. (9) tt Je n'ai rien dit de la maniere dont les Abeilles recueillent le miel & la cire , ni de l'art avec lequel elles em- ployent celle-ci dans la conftruétion de leurs beaux Ouvrages. Je dois fuppléer ici à cette omiflion, puïfque l’induftrie des Animaux eft aétuellement mon principal ebjet. Je parcourois trop rapidement la curieufe hiftoire de nos Mouches. Les dents, la trompe & les fix jambes font les principaux inftrumens qui ont été accordés aux Ouvrieres pour exécuter leurs différens travaux. Les dents font deux petites écailles tran- chantes, qui jouent horizontalement, & non de bas en haut comme les nôtres. La trompe , que l’Abeille déplie & alonge à 158 ‘ CONTE MP TAN TIO M Des gâteaux où brille une fi profonde géo métrie, feroient-ils encore l'ouvrage d’Infe&es Géometres ? Qui ne voit que plus ouvrage eft fon gré , n’agit point à la maniere d’une pompe; je veux dire, que l’Abeille ne s’en fert pas pour fucer : elle eft une forte de langue très-longue & garmie de poils; & c’eft en léchant les fleurs , qu’elle fe charge d’une liqueur qu’elle fait pafler dans- la bouche, pour defcendre par l’œfophage dans un premier cftomac, qui en eft comme le réfervoir. On voit bien que cette liqueur eft le miel : les Abeilles connoiffent les petites glandes. nectariferes , fituées au fond du calice des fleurs & qui le contiennent. Quand elles en ont rempli leur refervoir , elles vont le dégorger dans les cellules. Elles les en rempliffent : elles l'y mettent en réferve, en prenant la précaution de bou cher les cellules avec un couvercle de cire. Mais #l eft d’autres cellules à miel, qu’elles ne bouchent point , parce que ce font des magafins qui doivent refter ouverts pour les befoins jour- naliers de la communauté. C’eft encore fur les fleurs que les Ouvrieres vont recueillir la matiere à cire ou la cire brute. Les pouflieres des étamtines font cette matiere. L'induftrieufe Abeille fe plonge dans l’inté- rieur des fleurs qui abondent le plus en poufñlicres. Les petits poils branchus dont fon corps eft garni , fe chargent de ces pouflieres : l’'Ouvriere les en détache enfuite à l’aide des broffes: dont fes jambes font pourvues. Elle les raflemble, & en forme deux pelotes que les jambes de ia feconde paire vont placer dans une cavité en maniere de corbeille, qui fe trouve à chaque jambe de la troifieme paire. Chargée de fes deux pelotes de matiere à cire , la diligente Abeille retourne à la ruche, & va les dépofer dans une cellule deftinée à les recevoir. Cette ccl- tule devient ainfi un magafin à cire, qui demetire ouvert. Mais. PAbeille ne fe contente pas de fe décharger ainfi de fon far. deau : elle entre dans la cellule la tête la premiere , étend les: deux pelotes, les pctrit & y diftille un peu d’une liqueur fucrées. DE LA NATURE. Part. XI. 139 géométrique , & moins il fuppofe de géométrie dans l'Ouvrier ? Il faute aux yeux que le Géo- metre eft ici l'AUTEUR de lInfecte. Celui-ci exc- Si la peine. qu’elle a prife à faire fa récolte l’a trop fatiguée, nne autre Abeille furvient qui fe charge d'étendre & de pétrit les pelotes ; car tous les Ilotes de la petite Sparte font égale- ment inftruits de tout ce qui fe préfente à faire dans chaque cas particulier, & s’en acquittent également bien. Mais il n’arrive pas toujours que l’Abeille n'ait qu’à fe plonger dans les fieurs pour en recueillir les pouflieres au moyen de fa toifon : il eft des circonftances où cette récolte n’eft point aufli facile, & où elle exige de la part de l’Ouvriere d’antres manœuvres. Avant leur parfaite maturité, les pouflieres font renfermées dans ces {oïtes de capfules que les Botaniftes ont nommées les fosmmets des étamines : l'Ouvriere qui vent s'emparer des poufheres que les capfules n’ont point encore laiflé échapper, eft donc obligée d'ouvrir ces capfules, & elle le fait avec fes dents : puis elle Taifit avec fes premieres jambes les grains qui fe préfentent à l'ouverture ; les articulations qui terminent la jambe, font ici l'office de main. Les grains qu’elles ont faifi, elles les donnent aux jambes de la feconde paire, qui après les avoir dépofées dans la petite corbeille des jambes de la troïilieme paire, les y aflujettiffent en frappant deflus à plufieurs reprifes. La légere humidité des grains aide encore à les y retenir & à les lier les _ uns aux autres. L’Ouvriere répete les mêmes manœuvres, acheve de remplir fes deux corbeilles, & fe hâte de regagner la ruche, chargée de fon butin. _ Ces pouflieres que les Abeilles recueillent fur les Aeurs , ne ont pas cette même cire qu'elles mettent en œuvre avec tant d’induftrie ; elles n’en font que la matiere premiere; & cette matiere demanüle à être préparée ou dixérée dans un eftomac particulier , dans nn fecond eftomac. C'et-là qu’elle devient de la véritable cire. L'Abeille la rejette enfuite par la bouche fous la forme d'une bouillie ou d'une éçume bjenche , qui f &ge 140 CONTEMPLARION cute par une forte de méchanique un travail dont les KOEN1G & les CRAMER calculent avec étonnement les admirables proportions , & dont ‘ promptement à l'air. Tandis que cette forte de pâte eft encore ductile, elle fe prête facilement à toutes les formes que l’Abeille veut lui donner : elle eft pour elle ce que l’argille eft pour le Potier. Un grand Phyficien qui a beaucoup philofophé fur le travail géométrique des Abeilles, a cru le réduire à fa jnfte valeur en le faifant envifager comme le fimple réfultat d’une méchanique afez grofliere. Il a penfé , que les Abeilles preflées les unes contre les autres, faifoient prendre naturellement à la cire une figure héxagone, & qu'il en étoit à cet égard des cel- lules des Abeilles, comme des boules d’une matiere molle, qui preffées les unes contre les autres, revêtent la figure de dez à jouer. Je fais gré à ce Phyfcien de s'être tenu en garde contre les fédu@ions du mervæilteux : je voudrois avoir à le louer encore fur la jufteffe de fa comparaifon ; mais on va voir qu’il s’en faut bien que le travail des Abeilles réfulte d’une méchae nique auf fimple que celle qu'il lui a plu d'imaginer. On n'a pas oublié que les cellules des Abeilles ne font pas finplement des tubes héxagones : ces tubes ont un fond pyra- midal, formé de trois pieces en lofanges ou de trois rhombes. Cr, les Abeilles commencent par façonner un de ces rhombess & c’eft de la forte qu’elles jettent les premiers Ffondemens de la cellule. Sur deux des côtés extérieurs de ce rhombe, elles élevent deux des pans de la cellule. Elles façonnent enfuite un fecond rhombe , qu'elles lient avec le premier, en lui donnant l'inelinaifon qu’il doit avoir, & fur ces deux côtés extérieurs elics élevent deux nouveaux pans de l’héxagone. Enfin , elles conftruifent le troificme rhombe & les deux derniers pans. Tout cet ouvrage eft d’abord afflez maflif & ne doit point demeurer tel. Les habiles Ouvrieres s'occupent enfuite à le perfectionner, à l’anincir , à le polir , à le dreffer. Leurs dents leur tiennent lieu de rabot & de lime. Une vraie langue charnue, placée à DEREA NATURE. Part. XI. t4t ïls ignorent le fecret. L'Intelligence qui con- noîtroit à fond la ftruéture du corps de l’Abeille , y verroit, fans doute, la petite Machine qui conftruit ces cellules fi régulieres & fi économi- quement réoulieres. Elle jugeroit des effets que cette machine doit opérer, comme un Mécha- nicien juge de ceux d’un métier ou de toute autre machine. JuGEoNs.par ce trait fi décifif, des autres epérations des Abeilles. Penferons-nous qu’elles foient moins méchaniques ? N’avancons pas que les Abeilles , ainfi que togs les Animaux, font de pures machines , des ges , des métiers , &c. Une Ame tient probablement à la machine : elle en fent les mouvemens ; elle fe plaît à ces mou- vemens ; elle recoit par la machine des impref- fions agréables ou déplaifantes, & c’eft cette /en- fibilité qui cft le grand & lunique mobile de J'Animal. CET exemple fufiroit feul pour faire fentir à tout Lecteur judicieux, combien nous nous mé- l'origine de la trompe , aide encore au travail des dents. Un bon nombre d'Ouvrieres fe fuccedent dans ce travail ; ce que l’une n’a qu'ébauché , une autre le finit un peu plus, une troi- lieme le perfeionne, &c.; & quoiqu'il ait pañlé ain par tant de mains, on le diroit jettéan moule. 42 CONTEMPLATION prenons , quand nous prêtons fi libéralement aux Animaux notre manicre de penfer , de raifonner, & prefque notre génie. L'on n’a, pour s’en con- vaincre, qu’à appliquer à la conftruction des gâteaux des Abeilles ces idées de raifonnement que nous adoptons avec li peu de réflexion en faveur des Animaux, & l’on transformera tout d’un coup les Abeilles en Géometres fublimes. Elles fauront donc aufli la Botanique ; car elles connoiflent très- bien, & peut-être mieux que nous, les parties fexuelles des Plantes. MaLGré toute l'attention que les plus grands Oblervateurs ont doreux Abeilles , elles ont encore plus de ehofes intér-ffantes à nous mon- trer, qu’on n’en a découvert. Il faudroit fur- tout imaginer quelque moyen de les épier de plus près, lorfqu’elles travaillent à former ces petites lozanges qui font la bafe des cellules & la partie la plus recherchée de l'ouvrage. À force d’obferver , on découvrira enfin des particulari- tés qui décéleront le fecret de la méchanique dont j'ai parlé. Les Abeilles font toujours attrou- pées en fi grand nombre quand elles commen- cent à conftruire un gâteau , qu'il n’eft pref- que pas poflible d’appercevoir leur travail. Un point bien effentiel feroit de parvenir à ne faire travailler qu'un petit nombre d'Ouvrie- DE LA NATURE. Part. XI. 143 res (10). L'Obfervateur fait fe retourner, in- venter, & tirer des obftacles mèmes, de nou- velles inftructions & de nouvelles vues. L'étude de l’hiftoire naturelle femble être celle qui per- fettionne le plus la fagacité de l'Efprit. REMARQUONS en fniflant, la fingularité des moyens que l'AUTEUR de la Nature a choifs pour conferver l’efpece des Abeilles. Elle pré- fente trois fortes d’Individus , qu’on diroit être eux-mèmes trois Efpeces diftinétes. Les Meres, prefque par-tout fi occupées du foin de leurs Petits, ne font ici que leur donner le jour. D’autres Meres, des Meres nourrices les éle- vent, & ont pour eux autant d’attachement que fi elles leur avoient donné naïffance. Nou- feulement elles les foignent, les nourriflent, les défendent ; mais elles conftruifent encore les nids ou les berceaux dans lefquels ils doivent croître; & la conftruction de ces nids eft fi favante, le (to) tt C’eft ce que Mr. SCHIRACH avoit pratiqué bien des fois à l’occañon de fa nouvelle découverte fur l’origine de Ja Reine-abeille. Il renfermoit une poignée d'Ouvrieres dans de petites caifles de bois avec un gâteau de trois à quatre pou- ces en quarré , qui ne contenoit que de jeunes Vers communs. Les-Ouvrieres travailloient dans ces caifles à conftruire des cel- lules royales, & elles s’occupoient enfuite à approvilônner les Petits. Si au lieu de faire cette expérience dans des caiffes de bois , on la faifoit dans de petites ruches vitrées , on anroît une grande facilité à fuivre toutes les manœuvres des Ouvrieres. xé4 —- CO NT EM PL ANTON terrein & la matiere y font fi habilement mé- nagés , qu’il n’y a qu’une géométrie tranfceri- dante qui puifle bien apprécier tout cela ( 11). (zx) On vient de voir dans la Note neuvieme , que le Forid de chaque cellule eft pyramidal , & que la pyramide eft formée de trois rhombes égaux & femblables. Les angles de ces rhom- bes pouvoient varier à l'infini; c'eft-à-dire, que la pyramide pouvoit être plus ou moins élevée ou plus ou moins écrafée. Le Savant MaRALDI , qni avoit mefuré les angles des rhombes avec une extrème précifion, avoit trouvé que les grands angles étoient en général de 109 degrés 28 minutes, & les petits de 70 degrés 32 minutes. Mr. de REAUMUR, qui favoit méditer fur les procédés des Infectes, avoit ingénieufement foupconné , que le choix de ces angles, entre tant d'autres qui auroïent pu étre également choïils , avoit pour raifon fecrete l’épargne de la cire; & qu'entre les cellules de mème capacité & à fond pyramidal, celle qui pouvoit être faite avec le moins de ma- tiere , étoit celle dont les angles avoient les dimenfions que donnoient les mefures actuelles. Il propof1 donc à un habile Géometre, Mr. KŒN1G, qui ne favoit rien de ces dimenfions, de déterminer par le calcul, quelles devoient être les angles d'une celluie héxagone à Fond pyramidal, pour qu’il entrât le moins de matiere poflible dans {à conftruction. Le Géometre eut recours pour la folution de ce beau problème, à l’analyfe des infiniment petits, & trouva que les grands angles des rhom- bes devoient avoir 109 degrés 26 minutes, & les petits 7o degrés 34 minutes : accord furprenant entre la folution & les mefures actuelles! Mr. KŒNIG démontra encore , qu’en pré- férant le fond pyramidal au fond plat, les Abeilles ménagent en entier la quantité de cire qui feroit néceflaire pour conf- truire un fond applati. En raiïfonnant d’après l’Hiftorien des Infectes fur la forme géométrique des cellules des Guêpes & des Abeilles , l’illuftre MarraAN s’exprimoit ainfi : ,, Que les Bêtes penfent ou ne 5 penfent pas, il eft toujours certain qu’elles fe oonduifent en » mille Ne | | DE LA NATURE Pat. XI. F4 mille occafions comme fi elles penfoient ; l’illufion en cela, fi c'en éft une, nous avoit été bien préparée. Mais fans pre- tendre Lies cette grande queftion, & quelle que foit 14 caufe ; liÿrôns - ndus un moment aux apparences; & parlons le langage ordinäire. » Des, Géometres , & il faut compter parmi eux Mr. de REAUMUR , fe font exercés à faire fentir tout l'art qu'il y avoit dans les gâteaux de cire, e dans ces guépiers de papier, ü ingéñieufèment divifés par étages foutenus de colonnes, & ces étagés ou tranches par une infinité de cellules fexan“ gulaires. Ce n’eft pas fans fondement qu’on a obfervé que cette figure étoit entre tous les polygones pofibles À le plus convenable où même le feul convenable aux intentions qu'on , eft en droit d'attribuer aux Abeilles & aux Guépes qui favent les conftruire. Il eft vrai que l’héxagone régulier fuit nécef fairement de l’appofition des corps ronds , mous & flexibles , lorfqu'ils font preffés les uns contre les autres, & que c’'eft apparemment pour cette raifon qu’on le rencontre fi fou- vent dans la Nature, comme dans les capfules des graines de certaines Plantes , fur les écailles de divers Animaux, & quelquefois dans les particules de neige, à canfe des petites gouttes ou bulles d’ean fphériques ou Circulaires, qui fe font applaties les unes contre les antres en fe gelant. Mais il y a tant d’autres conditions à remplir dans la conftruétion des cellules héxagones des Abeilles & des Guêpes, & qui fe trous vent fi admirablement remplies , que quand on leur difpnte- roit une partie de l'honneur qüi Iéur revient de celle=ct, it n’eft prefque plus poffible de leur refufer qu’elles n’y aient beaucoup ajonté par choix, & qu'elles n'aient habilement » tourné à leur avantage cette efpece de néceflité que lenr “ impofoit la Nature ”. Sr FN 4 , p4 Tone IIL 146 ecoONTEMPLATION CH AP ET RE SUN DE EVE =—— ve Les Bourdons. CE Ls Bourdons, qui font de vraies Abeil les républicaines , mais plus groffes & plus velues que les Abeilles domeltiques, leur font bien in- férieurs dans l’art de bâtir : ils le font encore par leurs mœurs, par leur police & par leur popu- lation. Les Bourdons font de fimples villageois qui logent fous un humble toit de moule ; n’habitent que des hameaux, & ne s'occupent que d'ouvrages grofliers , afortis à leur condi- tion. Les Abeilles domeftiques, au contraire, font des Citoyennes d'un grand Etat, bierr policé , où les arts & les fabriques font en honneur. ou Les fociétés les plus nombreufes de nos groffes. Mouches velues, ne font guere que de foixante à quatre-vingts membres. Il s'y trouve aufh de trois fortes d'Individus, des Mäles, des Fe. melles & des Neutres. Ceux-ci font comruné= ment les plus petits. Tous les Individus pren- nent une part à-peu-près égale aux travaux de la communauté. 4“ DE LA NATURE. Port. Xf. 147 Les Bourdons confruifent leur nid dans les Prairies. Ils favent carder avec leurs dents & leurs jambes la moufle dont ils le recouvrent. Ts donnent à la couverture la forme dun petit dôme à-peu-près hémifphérique , qu'ils plafon- nent proprement avec de la cire. Quand on enleve cette couverture, on trouve au - dedous deux ou trois gâteaux. Ils ne {ont pas faits de cire, & leurs cellules ne font pas héxagones : ce font des coques de foie, de figure ovale, & que fe filent les Vers des Bourdons. Les unes font fermées , les autres font ouvertes & ref. femblent mieux à des cellules. Celles - 1à logent une Nymphe, celles-ci ont été ouvertes par la Mouche qui a pris l’eflor, Cà & là, entre les coques ; on voit des amas de pâtée, de forme irréguliere, au centre def. quels repofent des œufs ou des Vers. Parvenus à l’âge de maturité, ces Vers ne tardent pas à 1e conftruire des coques qui augmentent l’éten- due du gâteau. Mais il n’eft pas entiérement compolé de pareilles coques: on y obferve en divers endroits, de petits vales de cire ; façon- nés par les Bourdons, & qu’ils remplifflent de miel. C’eft de ce miel dont ils {e fervent pour détremper la pâtée deftinée à nourrir leurs Petits. Ils fe nourriflent eux-mêmes de ce miel \ "@ s 3 1489 . CONTEMPLATION 9 qui eft toujours à leur portée dans les nis- gafins. La maniere dorit nos Abeilles fauvages cha- rient la moufñle qu’elles emploient dans leur édifice , eft tout - à - fait ingénieufe. Un premier Bourdon, tournant le dos au nid, faifit avec fes dents & {es premieres jambes quelques fila- mens de moufle : les premieres jambes donnent les filamens aux jambes poitérieures , qui, les faifant pañler par-dela le derriere , les donnent à un fecond Bourdon placé à la fuite du pre- mier : celui-ci tranfmet de mème les flamens à un troifieme Bourdon, qui les fait pañler à un quatrieme, qui les poufle vers un cinquie- me, &c. & c’eft ainfi que la petite provifion de moufle eft conduite par une chaîne de Bourdons du lieu où elle eft recueillie, jufqu’à Gus où elle eft mife en œuvre. L Au bas du logement eft une porte, à laquelle aboutiflent des galeries en berceau , recouvertes de moufle comme le toit. Lorsque la moufle vient à manquer dans les environs de la demeure, & que le logement exige des réparations , les Bourdons n’héfitent pas à {e férvir d’une partie de la moufle des. DE LA NATURE. Part. XI. 149 galeries pour fournir à la réparation. Ils mon. trent une grande ardeur dans ce travail, & la préfence de l'Obfervateur ne iles arrète point. Les Mûâles & les Neutres périflent en Au- tomne, & il n’y a que les Femelles qui fe con- fervent pendant l’Hiver & bâtiflent au retour du Printémps de nouveaux nids (1). (x) On remarque chez les Bourdons deux fortes de Neu- es : les uns font aufi grands que les Mâles; les autres font plus petits : mais tous travaillent également à la conftruétion ou aux réparations du nid. Voilà donc des Neutres dans un genre d’A- beïlles, qui font bien tels d’origine, & qui ne doivent point leur état de Neutres à des caufes accidentelles comme les Neu- tres des Abeilles domeftiques. Ceci jetteroit quelque doute fur Fopinion de Mr. SCHIRACH, fi elle n'étoit confirmée par us brès-grand nombre d'expériences. K 3 555 CONTEMPLATION EE —— ——— =—{ÿ} CG HAP I TR EVE NE Les Caflors. D. tous les Animaux qui vivent en focièté, il n’en eft point qui approchent plus de lintel- ligeuce humaine , que les Caftors (1 ). On ett frappé d’étonnement & comme ftupéfé à la vue de leurs ouvrages, & peu s’en faut qu’en lifant leur hiftoire, l’on ne s’imagine lire celle d’une Efpece d'Hommes. L’on ne fait ce qu’on doit admirer le plus dans leurs travaux , de la gran- deur & de la folidité de l’entreprife ou de Part prodigieux , des vues fines & du deffein général qui brillent de toutes parts dans l'exécution. Une fociété de Caftors femble ètre une Académie d’In- sénieurs, qui travaillent fur des plans raifom- nés , qui les rectifient ou les modifient au befoin, qui les fuivent avec autant de conftance que de précifion, qui font tous animés du mème efprit, & qui réuniflent leurs volontés & leurs forces pour un but commun , qui eft toujours le bien général de la fociété. En un mot, il falloit C1) tt Mr. SaRRASIN , Médecin du Roi de France à Quebec , eit le Naturalifte qui nous a donné les meilleures obfer- yations fur les Caftors. DIBNL' A NATURE. Part: XI. xex découvrir les Caftors pour les juger poffibles. Un Voyageur qui les ignoreroit , & qui viendroit à rencontrer leurs habitations , croiroit ètre chez un Peuple de Sauvages très-induftrieux, CEST vers les mois de Juin ou de Juillet que les Caftors fe forment en corps de fociété, au nombre de deux à trois cents. Ils s’afflemblent aux bords des lacs ou des rivieres. On fait qu’ils {ont amphibies. Il leur importe {ur- tout de fe rendre maîtres des eaux au milieu defquelles ils bitiflent, & de prévenir les effets de leurs crues & de leurs baifles. Ils y parviennent, comme nous, par des digues & par des éclufes. Le niveau des eaux d’un lac varie peu & lentement : fi donc ïîts s’établifflent far un lac, ils fe difpen- fent des frais d’une digue ; mais ils ne manquent point d’en élever une s'ils s’établiflent {ur une riviere. CeTTe digue eft quelquefois un ouvrage im- menfe , & qu’on ne comprend point que des Brutes ayent pu projetter , commencer & finir. Repréfentez - vous une riviere de quatre - vingts ou cent pieds de largeur; il s’agit de rompre l'effort de {on courant. Les Caftors conftruifent donc une digue ou une chauffée de quatre-vingts ou cent pieds de longueur, fur dix à douze K 4 533 CONTEMPEATION d'épaifleur à fa bafe. Rien de plus vrai ni de moins vraifemblable, & quand on la vu & revu, on veut le revoir encore pour le croire. Les Caftors n’ont recu pour tous inftrumens que quatre fortes dents incifives , quatre pieds , dont les deux antérieurs font garnis d’efpeces de doigts , & une queue écailleufe faite en ma- niere de pelle ovale. C’elk pourtant avec de pareils inftrumens qu’ils maîtrifent les eaux, & qu'ils ofent défier nos Maçons & nos Charpen- tiers, munis de leur truelle, de leyr plomb & de leur hache. S'ILS trouvent fur le bord de la riviere un grand arbre, ils le coupent par le pied ; ils l’é- branchent pour le coucher {uivant fa longueur & en faire la principale piece de la digue. Tandis qu’une partie des Caftors s’occupent à ce travail , d’autres vont chercher de plus petits arbres, qu'ils coupent & taillent en forme de pieux, & qu’ils voiturent d’abord par terre, enfuite par eau , jufqu’au lieu où ils doivent être employés. Îls conftruifent avec ces pieux un pilotis, qu’ils fortifenr en entrelacant entre les pieux des bran- ches d'arbres. En mème temps d’autres Caftors apportent une forte de mortier qu'ils ont pêtri avec leurs pieds. Ils le font entrer dans les vuides ) ç SEE D'ENL "A" N'ATUR'E. Part. XI 13 du pilotis, & le battent enfuite avec leur queue. Ils plantent ainfi plufeurs rangs de pilotis dont tout l’intérieur eft folidement maconné. Sur le haut de la digue ils pratiquent deux à trois ouvertures pour ménager des décharges à l’eau, & ils favent les élargir ou les rétrécir felon que la riviere haufle ou baïffe. Si par l’impétuofité de {on courant elle fait une breche à la digue, ils fe mettent aufli-tôt à la réparer. La digue eft proprement un ouvrage public auquel tous les Caftors travaillent de concert. Dès qu’il eft achevé, la grande fociété fe partage en plufieuts fociétés particulieres , qui prennent chacune leur quartier & s’y conftruifent une habitation commode. Cette habitation eft une maniere de hutte ou de cabane , ovale ou ronde, à un ou plufieurs étages, bâtie fur un pilotis plein & qui fert à la fois de fondement & de plancher. Les murs ont environ deux pieds d’épaifleur, & font très-bien maçonnés. Les parois font revètues d’une forte de ftuc appliqué avec tant de propreté , qu’il femble que la main de l'Homme y ait pañlé; & ce n’eft pourtant que la queue du Caftor qui exécute cela. Le plancher eft couvert d’un tapis de verdure, fur lequel ils ne foufrent jamais de faletés. La fabane a toujours deux iflues ou forties , l’une 554 ÉONTEMPLATION pour aller à terre, l’autre pour aller à l’eau. Leg plus grandes cabanes ont huit à dix pieds de diametre ; les plus petites, quatre à cinq. Celles. là logent feize , dix-huit ou vingt Caftors ; celles. ci deux, fix ou huit Caftors. Il y a toujours autant de Males que de Femelles. Fr: LEUR nourriture ordinaire eft l’Ecorce de quelque bois tendre , comme l’Aune, le Peuplier, le Saule. Ils en font des amas pour l'Hiver, qu’ils renferment dans des magafins placés fous l’eau. Chaque cabane a fon magafin où tous les membres de la petite fociété vont puifer ( 2 ). Les plus grandes bourgades des Caftors font de vingt à vingt-cinq maifons ; mais de telles bourgades font rares. Les plus communes font de dix à douze. Chaque république a fon dif. tri, & ne fouffre point d’Etranger. Icr l'union du Mâle & de la Femelle femble être moins l'effet de la néceflité que du choix. Après avoir travaillé de concert avec les autres Caftors aux ouvrages publics & particuliers , (2) tt Les Caftors préferent le bois verd & non flotté au bois fec. Ils coupent menu celui dont ils font provifion , & la provilion pour huit ou dix Caftors eft de 25 ou 30 pieds eu quarré, fur 8 à 10 de profondeur, EE ec D'ECL A NATURE. Part. XI. x56 lheureux couple goûte les douceurs domeftiques & tous les plaifirs attachés à la fociété conjugale. La Femelle fait communément deux à trois Petits, & elle a été chargée feule des foins de éducation. Le Mäle ne les partage point. Il s’abfente alors de la maifon ; il y revient néan- moins de temps en temps ; mais il n’y fé- journe pas. LORSQUE de grandes inondations viennent à endommager les établiffemens des Caftors, tou- tes les fociétés particulieres fe réuniflent pour concourir aux réparations néceflaires. Si les Chaffeurs leur déclarent une guerre cruelle, s’ils détruifent entiérement leur digue & leurs ca- banes , ils fe difperfent dans la campagne, fe réduifent à la vie folitaire , fe creufent des ter- tiers , & ne montrent plus cette induftrie que nous venons d'admirer. Y54 CONTEMPLATION GE SC — 157) CH AP TT RER er Réflexions [ur les Caflors. L ES Caftors femblent faits pour confondre tous nos railonnemens. Leur réunion en grand corps de fociété pour travailler de concert à des ouvrages immenfes ; leur divifion en petites fa- milles ou en fociétés particulieres, chargées de la conftruétion des maifonnettes ; la nature de ces ouvrages , leur grandeur, leur folidité , leur propreté, leur appropriation fi marquée à un but général, qui renferme tant de fins {ubordon- nées; en un mot, leur reflemblance prefque pat- faite avec les ouvrages que les Hommes conf. truifent dans les mèmes vues ; tout cela donne au travail des Caftors une fupériorité bien dé- cidée fur celui des Abeilles, & paroît indiquer qu'il eft bien moins méchanique. En effet, abattre des Arbres choifis à deffein , les tailler, les débiter, en faire de grandes pieces de tra- verfe , les mettre en place , couper de plus petits Arbres, en former des pieux, planter dans une riviere plufieurs rangs de ces pieux, les entre- lacer de branches d’Arbres, pour les fortifier & : les Lier les uns aux autres; pêtrir du mortier: M DE LA NATURE. Part. XI 15% & maçonner folidement l’intérieur des pilotis 3 procurer à tout cet aflemblage la forme, les pro- portions & la folidité d’une grande digue ; éta- blir fur cette digue des efpeces d’éclufes, les ouvrir & les fermer felon que les eaux hauffent ou baïfflent; bâtir derriere la digue des maifon- nettes à un ou plufeurs étages , les fonder fur un pilotis plein , les maçonner au: dehors, les incrufter ou les revêtir au-dedans d’une couche de ftuc ; appliquée avec autant de précifion que de propreté ; couvrir les planchers d’un tapis de verdure ; ménager dans les murs des jours & des {orties pour différens befoins; conftruire des magafins & les remplir de provifions ; réparer avec diligence toutes les breches qui furvien- nent aux ouvrages publics, & fe réunir de nou- veau en grand corps dé fociété pour travailler en commun à ces réparations : voilà des traits étonnans d'une induftrie, qui fembleroit fup- pofer chez les Caftors , un rayon de cette lumiere qui éleve l'Homme fi fort au - deflus de tous les Animaux. DÉFIONS-NOUS cependant de ces premiers mouvemens de l’admiration. L’admiration faifit trop fortement fon objet , & ne fouffte guere que la raifon l’apprécie. Affurément il n’en eft pas de la conftruction d’une grande digue & de te CON TEMPLATIUN celle d’une maifon, comme de la conftru&ion d’un gâteau de cire & de celle de cellules héxa- gones à fond pyramidal. On fent que le gâteau & les cellules pourroient être, en quelque forte ; jetés zu moule; mais il n’y a point de moule pour une digue & pour une maifon. Vous ne prendrez pas au pied de la lettre une expreflion figurée. Le travail des Abeilles n’eft pas mouié, comme un Phyficien voudroit nous le perfuader fur des comparaifons déceptrices. Il e{t façonné, pour ainfi dire, à la main; mais cette main peut opérer méchaniquement. On ne fauroit comparer la récolte , la préparation & l’emploi des pouf- fieres des étamines , à la collection, la prépara- tion & l'emploi des matériaux d’une digue. Les ouvrages des Caftors font certainement d’une toute autre nature que ceux des Abeilles; 1ls affectent avec les nôtres une foule de rapports qui les feroient juger réfléchis, fi l’on cédoit aux premieres impreffions, & fi l’on n’analyfoit point les idées que le mot de réflexion repréfente.. Les Caftors ne font fürement pas plus Ingé- nieurs ou Architectes, que les Abeilles ne font Géometres.,Ne voit-on pas, que fi les Caftors avoient nos notions de Génie & d'Architecture, les Caftors d’aujourd’hui ne bâtiroient pas pré- cifément comme ceux du temps de VEsruce ? DE LA NATURE Part. XI. :ç$ L’Efprit humain combine & perfectionne fans cefle; l'Efprit des Caftors ne combine & ne perfectionne jamais. Si feulement. ils élevoient ne fois, des cabanes quarrées ; mais ce font éter- nellement des ‘cabanes rondes ou ovales. Ils fe meuvent , comme.les Planetes , dans le cercle que la Nature leur a tracé, & ne le franchiffent jamais. En vain objecteroit-on , que les Sauvages d'aujourd'hui bâtiflent comme ceux d'autrefois : fi les Sauvages ne perfectionnent pas, ils n’en ont pas moins la faculté de le faire. Leur cerveau eft organifé comme le nôtre; ils font doués de Ja parole ; ils pratiquent entr’eux un certain drois des Gens, fort fupérieur à toute la police des Caftors. Et fi jamais il s’élevoit au milieu de ces Nations groffieres, des VauBANSs & des PER- RAULTS , leurs bourgades deviendroient des villes, & leurs cabanes des palais. Attendrez- vous des VauBans & des PERRAULTS chez les Caftors ? Le limon avec lequel la Nature a pètri ces Animaux, n’eft point celui avec lequel elle pêtrit les Architectes 3 mais. elle paroïît quelque- fois faire des Archite@es & des Géometres, quand elle ne fait que des Manœuvres & des Automates. Chaque Animal a recu {es dons par- ticuliers & fa melure dinduftrie, relatifs à fa deftination. Il en eft où le méchanique eft fi palpable, que nous ne pouvons nous le diff. 160 CONTÉMPLATIUN muler. Il en eft d’autres où il eft déguifé fous une apparence de réflexion & de génie qui nous féduit d'autant plus fürenrent, que nous aimons davantage à l'être. D'ailleurs, il nous eft bien plus facile de faire raifonner la Brute en Homme, que l'Homme en Brute. Avouoxs-Le, les Caftors feront toujours pour les Philofophes une énigme indéchifrable. Ils font doués d’une forte d'intelligence qui femble les placer entre l'Homme & les autres Animaux. Qu'il me foit permis néanmoins de hafarder une conjecture ; que je ne donne que pour ce qu’elle eft. La do@rine des idées innées, qui a eu jadis tant de partifans , & qui a été depuis fi folide- ment réfutée, ne feroit-elle point applicable aux: Brutes ? La Brute eft en naïflant ce qu’elle fera toute fa vie. Ses coups d’eflai font toujours des coups de Maitre. Point de tâtonnemens, point de méprifes proprement dites, Les jeunes Abeilles travaillent aufli réguliérement que les plus expé- rimentées. Des Oifeaux qui n’ont jamais vu de nid , nichent comme leurs Aïeux. Les Caftors n'ont point d'école où la Jeu- nelle étudie. Les Abeilles, les Oifeaux, les Ca£ fors n’apporteroient- ils donc point en naiffant " des idées de gâteaux , de nid , de digue, de cabane ? DÉ LA NATURE. Part. XL fé: &abane? Leur corps n’auroit-il point été conftruié & monté {ur des rapports déterminés à ces idées ? Ne repréfenteroit - il point par fes mouvemens divers , l’efpece, la fuite & l’ordre de ces idées ? Mais on convient aflez que les idées tirent leur origine des fens, & cela ne fauroit foufrir dé difficulté à l’égard des Animaux; puifque toutes leurs idées font purement fenfibles. Elles tien- nent donc toutes aux fens : il eft mème proba- ble , que chaque idée a dans le cerveau des fibres qui lui font appropriées : nous Pavons vu ail: leurs (1 ). Ù AINSI mous ne periferons pas que l'Âme dé l’'Animal naïdant renferme aétuellement toutes les idées relatives à {à confervation & à celle de fon Efpece : mais noûs füppoferons que le cer- Veau contient a@uellement des fibres propres # exciter dans l’Ame ces idées , à les y exciter dans un certain ordre & relativement à telle où telle circonftance où l’Animal fe rencontrera quelque jour. Ce ne feroient donc pas proprement des idées innées que nous admettrions 3 ce feroïent des fibres innées. Suivant cette hypothefe , le cer- Veau des Caftors contiendroit originairement un aflemblage de fibres propres à repréfenter à l'Amé Cr) Part. V, Chap. III & VI. Tome I1I, Les 164 CONTEMPLATION uue digue, uue cabane, des pilotis , &c. & l’exécution de tout cela. Il y auroit ainfi dans Animal deux fyftèmes particuliers, qui corref- pondroient lun à l’autre ; un fyftème repréfen- tatif, qui auroit fon fiege dans le cerveau, & un fyftème exécutif, qui réfideroit dans les mem- bres & les autres orgaues deftinés à exécuter les reprélentations ou à les réalifer. Et comme ces deux fyftèmes auroient été calculés fur des rap- ports déterminés aux différentes circonftances où l’Animal pouvoit fe rencontrer , il feroit bien naturel que leur jeu variâc relativement à la di- verfté des fituations de l’Animal & à fes befoins actuels. Le Lecteur a faifi ma penfée : il voudra bien préfumer aflez favorablement de moi, pour n’imaginer pas que je croie avoir trouvé le vrai mot de lénigine : je n’ai fait que fubiftituer à ce mot un terme qui le repréfente (2:). (2) tt Les légeres conjeftures que je propofois ici pour effayer de rendre raifon de l’étonnante induftrie dés Caftors, ne fauroicnt être bien faifies que par ceux de mes Lecteurs qui ont quelque connoiffance des principes de l Æffai analytique Jux l'Aïse. Toutes nos idées dérivent originairement des fens, &: les fens communiquent avec le cerveau. Ils lui tranfmettent done les diverfes impreffions qu’ils recoivent des objets. Mais ces P impreflions ne s’effacent pas au moment que les objets ont ceflé” d'agir fur les fens & par les fens fur le cerveau: elles font plus ei moins durables; & c’eft à la faculté qui Les conferve qu’on a donné le nom de wémoire. Des caufes , des accidens qui ne fauroient affecter que le cerveau, affoibliffent & détruifent C2 EST "home — es DE LA NATURE. Part. XI 1:63 Au refte , que les Caftors ne déploient leur indufirie & leurs talens que dans l’état de {o- ciété, qu'ils ceflent de travailler quand ils font réduits à vivre folitaires ou prilonniers , qu’ils paroiffent alors prefque flupides , cela n’eft pas plus: furprenant que la langueur & lination totale où tombent les Abeilles privées de leur Reine: Cinq ou fix Abeilles féparées de leur ruche ne conftruiroienc pas le moindre alvéole, mème la mémoire. Cette Faculté a donc dans le cervean un fiege phyfque, & ce fiege peut il être antre chofe que les dernières ramifcations des fibres , dés fens? Et fi ces fibres retiennent pendant un temps plus on moins long les impref- fions des objets, n ’eft-on pas Fondé à en inférer qu’elles font organifées dé maniere que les objets y produifent des détermi- nations durables , eh vertu defquelles elles rappellent à l’Ame les idées des objets ? Mais les ‘fibres ou les très-petits organes qui font le fiege de la mémoire, communiquent les uns aux autres , Site les idées de tout geñre fe rappellent les unes les autres : l’ordre dans lequel cés petits organes s'ébranieront, déterminera donc la fuite & l'efpece des idées qui feront re- produites. Si donc l'on fuppole , que le cerveau d'un certain Animal a été originairement conftruit de maniere que fes fibres peuvent exciter dans l'Ame unie fuite ordonnée de diférentes idées analogues à celles que nous recevons par l'éducation; que ces fibres; par exemple, excitent dans l'Ame de l’Animal les idées d’un certain travail ou d’une certaine fuite d'opérations s nous concevrons jufqu'à un certain point, comment cet Animal - peut dup premier coup & fans édueation ex£cnter à point nommé ce travail on ces opérations, Le Leéteur me comprendra peut- être un peu mieux, s’il prend la peine de confulter le Chapitre VF de la Partie V. Je ne fais dans le moment que rappeller ler principes les plus généraux dé mon fujet. L 3 184 \CONTEMPLATIDON pas mème un feul pan de cet alvéole. Cette forte: de folitude ne les priveroit pas néanmoins de leurs talens n1 de leurs organes. Mais les Abeilles républicaines ont été appellées à vivre en fociété : elles ont été organifées pour cet état : la folitude laifle leurs organes dans l’inaction , ils y man- quent de mobile. D’autres Abeilles , appellées à vivre folitaires ( 3 ), ont été organifées dans un rapport à cette deltination différente : chaque In- dividu exécute donc par fes feules forces des ouvrages admtirables, qui font ailleurs le produit des forces réunies d’un grand nombre d’Indivi- dus. Les Caftors n’avoient pas été organifés prin- cipalement pour la folitude ; ils Pavoient été prin- cipalement pour la fociété. C’étoit elle qui devoit mettre leurs talens en valeur & leurs organes err exercice. La folitude laiffe la plus grande Pat de ces reforts fans action & fans vie. LES Caftors demanderoient encore à ètre ctu- diés, & par des Obfervateurs que.le merveil- leux ne féduisit jamais. IL faudroit tenter de les dérouter en leur oppofant différens obftacles, en modifiant plus ou moins la forme de leurs ouvrages , en fubftituant adroitement à leurs matériaux des matériaux ‘étrangers , &c. Un bon 33 (3) Voyez le Chapitre V de cette Partie. , 1 | : ï 4e DE LA NATURE.Pat. XI. :6s aombre d’expériences faites dans cet efprit phi- lofophique , porteroit la lumiere dans les recoins où nous ne voyons que ténebres. LL) \ CHAPITRE XXXI. Les Raïs mufqués. Îf ka Ceftor, Habitant du Canada, a un Compatriote qui lui reflemble un peu par la forme, par la couleur, par le poil, par le duvet épais placé au - deflous, & plus encore par les mœurs & linduftrie ( 1 ) : je parle du Rat muf- qué, qui n’eft pas plus gros qu’un petit Lapin, & qui établit fa demeure dans les marais, ou fur le bord des lacs & des rivieres. Il fait, comme le Caftor , fe conftruire des maifonnettes où plu- fieurs familles logent enfemble. Ce font des huttes rondes, dont la forme fe rapproche de celle des ruches d’Abeilles en panier. Leur gran- deur eft proportionnée au nombre des Rats qui fe font réunis pour les conftruire. Les plus (x) Les Sauvages difent que le Caftor & le Rat mufqué ont freres ; mais que le Caftor , beaucoup plus gros, eff l’ainé, & qu'il eft plus intelligent. On prendroit au premier coup-d’œil un vieux Rat mufqué & ur Caftor d’un mois pour deux Auj- maux de même Efpece,', L 3 166: VE Qu FT ENM'P EE AURAI: O N grandes ont plus de trois pieds de diametre, & celles-ci logent plufeurs familles : les plus petites n'en lugent qu'une ou deux. Ces maifonnettes font faites de joncs artiftement entrelacés & enduits d’une glaife détrempée, que les induf_ trieux Manœuvres pétrifflent avec leurs pieds, & qu'on croit qu’ils étendent & uniflent avec leur queue. Ce petit ouvrage de maconnerie , de trois à quatre pouces d’épaifleur , eft encore re- couvert d’une couche de jones , épaide d’un pied, & qui forme un couronnement en maniere de dôme. Une pareille loge eft impénétrable à Peau | des pluies; mais nos Rats veulent encore fe | mettre à l'abri des inondations particulieres , & | pour cet effet ils pratiquent dans l’intérieur de la maifonnette des efpeces de. gradins , qui font autant d’étages où ils pourront fe retirer à mefure que l’eau s'élevera. PEexDanT. l'Eté, les Rats mufqués errent dans la campagne, & ce n’eft que vers le mois d'Oc- tobre qu'ils fe réeuniflent pour travailler en com- mun à la conftruction de leurs cabanes. Elles leur fervent de retraite pendant la mauvaife faifon ; & quoiqu’elles foient alors couvertes de-plufieurs picds de glace ou de neige , & qu’il y regne une profonde obfcurité , ils ne laiflent pas d'y goûter en famille les douceurs de la fociéte. \ \ | D'ERE A NATURE Part. XI. 16% ILs ont foin de ménager une porte à la cabane pour l’entrée & la fortie; mais ils ne manquent point de la fermer exactement des que l’'Hiver fe déclare. CEs intéreffans émules des Caftoré ne font point, comme eux, des provifions pour l’Hiver : la Nature leur a enfeigné un autre moyen de {ubffter dans cette rude faifon. Ils creufent au- deflous & autour de la maifonnette des efpeces de puits & de galeries qui les mettent toujours à portée de fe procurer de l'eau & des racines. Lis fe creufent encore des fofles uniquement def. tinées à recevoir leurs excrémens. La famille eft ordinairement compofée du Pere & de la Mere, & de cinq à fix Petits. Chaque année ces Rats fe conftruifent de nouvelles ca- banes pour s’y renfermer en famille; car on a remarqué qu’ils ne retournent point à leurs au. ciennes habitations, probablement parce que Îles grandes crues des eaux qui furviennent en Eté les ont trop endommagées. Au refte , les maifonnettes que les Rats muf- qués du Canada bitiflent avec tant d’induftrie, font fi bien des retraites contre les rigueurs de Hiver, que les Rats mufqués qui vivent dans L'4 ÿ68 CONTEMPLATION les Pays chauds , ne fe conftruifent point de tels logemens : ils fe contentent de fe creufer des terriers comme les Lapins (2 ). (2) L'Hiftorien des Rats mufqués du Canada, Mr. SAR: RASIN , regrettoit de n'avoir pu les fuivre dans leur travail ingénieux; mais il avoit au moins pénétré bien avant dans leur anatomie, & y avoit decouvert des particularités très - remar- quables. Je n'en indiquerai que quelques-unes. Le mufcle peau- cier eft fi puiffant, qu’en fe contractant il raccaurcit tout le corps. Les fauffes- côtes ont auffi une telle foupleffe, qu'elles permettent à l'Animal de paffer par des trous où des Animaux plus petits ne fauroient pañler. Dans les temps du rut, qui tom- bent en Été, les tefticules, placés près de l'anus, font auf gros qu'une mufcade, & rentrent dans l’intérieur & difparoiffent entiérement dans les temps intermédiaires. IL en eft de même des follicules qui çontiennent le mufc, fous la forme d’une liqueur laiteufe, & qui touchent aux parties fexuelles. Enfin, Vuretre Me chez la Femelle dans une éminence velue & vercée, placée fur l'os pubis. Je dois ajouter, que le Rat muf- qué n'a point les doigts des pieds de derriere unis par des mem: pranes comme le Caftor : fon genre de vie n’eft pas précifément ls méme, cf DE LA NATURE. Part. XII 169 Lever ever, DOUZIEME PARTIE. SUPER END E° EXEN'D'USTRIE DES ANIMAUX. +3 CAMABI TRE P R E.M-I.ER. Généralités [ur les procédés indufirieux de divers Infecles , relatifs à leurs Métamorphofes. Re font les procédés d’Animaux folitaires que nous allons parcourir. S'ils n’affectent pas ce grand air de réflexion & de prudence, cette lueur de génie, cette apparence de police & de législation , qui nous frappent dans ceux des Animaux fociables, ils ne laiflent pas de nous intérefler, foit par leur fimplicité & leur fingu- larité, foit par leur diverfité & leur appropria- tion à une fin commune, dont ils font les moyens ingénieux & naturels. Après avoir contemplé le gouvernement , les mœurs & les travaux d’une République , lon peut fe plaire encore à confi- dérer la vie & les occupations d’un Solitaire, & à paffer ainfi des monumens de Rome à la cabane 270 117 CONTI EUIE P,, LD A°T'I ‘OAN d’un RoBinsox. Ces cuvrages que les Animaux fociables exécutent, & qui nous étonnent autant par leur grandeur que par la beauté de leur ordonnance, réfu'tent du concours de quantité d'individus. Ils ont à pafler par différentes mains : les unes les ébauchent, les autres les perfec- tionnent , d’autres les finiffent. Les ouvrages des Animaux folitaires partent d’une feule tête ; la mème main qui les commence, les continue, les acheve, les répare. Chaque Individu a reçu fon talent particulier, fon tour d’adrefle, par lequel il fe {uffit à lui-mème , & pourvoit à tout. ARRÉTONS-NOUS ici aux procédés relatifs à la métamorphole : c'eft une grande affaire pour un de nos Hermites, que de s’y préparer. Sa confervation dépend des précautions auxquelles il a recours à l'approche de cette époque , la plus importante de fa vie. Les Chenilles nous offrent {eules des exemples de prefque tous les procé- dés que la Nature a enfeignés aux Infeétes en ce gente. Bornons-nous {ur-tout à cetce claffe. LT D:£ oL À :N-A TU RE. Part. XII. 171 453 MCD LT LE. IL Les Chenilles qui Je fufpendent par le derriere. VW: us avez vu (1) que la Chryfalide ne peut agir, & pourquoi. C’eft la Chenille qui fait tout , & doit tout faire. Le point le plus centiel eft de mettre la Chryfalide en état de fe tirer fans rifque du fourreau de Chenille, Pour y par- venir, les Cheuilles ont divers moyens. Le plus fimple et de fe fufpendre par le derriere ( 2 ). Elles filent, fur quelque appui un petit monti- cule de foie; elles y cramponnent fortement leurs deux dernieres jambes, & fe pendent ainfi la tète en eu-bas. Dans cette attitude finguliere, elles fubifent leur métamorphofe à découvert. Le fourreau de Chenille s'ouvre, & laifile paraitre Ja Chryfalide. De moment en moment elle fe dégagè davantage. Mais, que deviendra - t-elle quand elle aura entiérement abandonné le four- (1) Part. IX, Chap. X, &c. (2) tt Ce procédé eft commun à ces Chenilles demi-velues, qui ont été nommées épineufes , parce que leurs poils reflem- blent à des épines. L'Ortie nourrit de ces Chenilles , fur lef- quelles il eft très-Facile de fuivre les petites manœuvres que je décris dans ce Chapitre. On les trouve au Printemps. 332% CONTEMPLATION reau ? Comment fe foutiendra-t-elle en Pair ? Comment parviendra -t-elle à s’accrocher au mème endroit où la Chenille létoit auparavant ? Elle a une petite queue, & cette queue eft garnie de crochets. Tout {on corps eft encore très-fou- ple. Avec fes anneaux, comme avec des mains, elle faifit une portion du fourreau & s’y cram- ponne. Un inftant apres elle alonge fa partie poftérieure, & faifit avec d'autres anneaux une portion plus élevée du fourreau. Elle rampe ainfi à reculons fur la dépouille comme fur un gradin, & parvient enfin à accrocher fa queue au mon- ticule de foie. Le voifinage de la dépouille l'in- commode ; elle fe met à pirouctter fur elle-mème pour la faire tomber , & en vient ordinairement a bout. Probablement ces pirouettes n’ont pas une fin auf raifonnée qu’un grand Admirateur des Infectes paroît lavoir cru : l’attouchement de la dépouille irrite plus ou moins la peau tres- délicate de la Chryfalide, & met celle-ci en mou-. vement. Comme elle eft fufpendue par un fl, il eft bien naturel qu’elle pirouette, & que la dé- pouille cede à ces petites impulfions réitérées. Ïl y à une infinité de pareils faits qu’on exalte trop, & où il ne faut pas chercher plus de mer. vcilleux qu’il n’y en a ici. Es DIPOD A INA TU RÉ. Part XII. 193 a —— EE —— TS HÉNILA PAT RE LE . | Les Chenilles qui Je lient avec une ceinture. IR ne convenoit pas à d’autres Chenilles d’être pendues de cette maniere. Îl falloit que leur corps fût un peu aflujetti contre l'appui , & la Nature leur en a enfeigné le moyen. Elles fe paflent autour du cofps une ceinture, faite de l’aflemblage de quantité de fils de foie, dont les bouts font collés à l’appui. Elles cramponnent auffi leurs dernieres jambes dans un monticule de foie. Il eft tout fimple, après cela, que la Chryfalide fe trouve liée & cramponnée comme l'étoit la Chenille. La ceinture eft lâche , & laife à la Chryfalide la liberté d’exécuter fes petites manœuvres ( 1 ). (x) tf Quoique le procédé dont je parle dans ce Chapitre foit aflez fimple, il ne laiffe pas d'offrir des variétés remarqua- bles chez les différentes Efpeces de Chenilles qui y ont recours. Toutes ne s’y prennent pas de la même maniere pour filer leur ecinture & la pafler autour de leur corps. Une affez belle Che- nille , très-commune fur le Chou, & une autre plus belle encore, qui vit fur le Fenouil, & qui eft fur-tout caractérifée par une corne charnue placée près de la tête, & qu’elle Fait fortir & ren trer à volonté , font au nombre des Efpeces où il eft le plus facile d’obferver le procédé dent il s’agit. Ces Chenilles paroif- fent-en Eté. dr + } 0 193 CONTEMPLATION CG. H2A PE TRS EMI Les Chenilles qui fe conffruifent des coques. Dave d’autres Efpeces recourent à des pratiques bien différentes pour fe préparer à la métamorphole. Elles fe renferment dans des co- ques, où elles fubiffent à couvert leurs tranf- formations. À qui le Ver-à-foie n’a-t-il pas fait connoître cette indultrie ? Mais on fe tromperoit fi lon penfoit que toutes les Chenilles qui fe conftruifent des coques travaillent fur le modele du Ver-à- foie. Leurs fabriques fe diverfifient autant que celles qui nous fourniffent nos habits & nos meubles. Nous avans à regretter que notre marche ne nous permette pas de nous arrèter dans ces petits atteliers, pour y confi- dérer de plus près les procédés ingénteux & variés des Ouvrieres , la forme & les effets des Inftrumens qu’elles mettent fi adroitement en œuvre: mais nous prendrons au moins une légere idée de leur travail & de la diverfité de leurs manœuvres. LES coques les plus généralement connues font de pure foie. Telle eft celle de ce Ver qui DE LA NATURE. Part. XII. 17 fournit tant à notre luxe. Leur forme eft ordi- nairement ovale. Elles la doivent au corps mème de l’Infecte , fur lequel elles font comme mou- lées (x J. Tandis qu'il travaille, il fe contourne ÇCx}) tt Il faut pourtant que je le fafle remarquer : toutes les Chenilles qui fe filent des coques de foie ne les mvdclent pas fur leur propre corps ; je veux dire, qw’elles n’y font pas tou- jours renfermées tandis qu’elles en tracent les contours & qu’elles ex fabriquent le tiflu. Mr. de GEER nous a donné la curieufe hiftoire d’une très-petite Chenille minenfe qui s’y prend d'uné maniere fort fingulicre pour conftruire {a coque. On regrette que cette coque fait & petite, & qu’il faille le fecours de la loupe pour la bien voir; car c'eft un vrai chef-d'œuvre en ce genre. Elle eft ornée de jolies cannelures qui s'étendent dans toute {a longueur. Sa forme ovaie & très-alongée, imite . celle d’une navette où d’un bateau renverfé. Concevez qu'une femblable coque eft partagée en deux tran{verfalement : l’Ou- vriere commence par en tricoter une moitié ; mais tandis qu’elle la tricote ; elle fe tient au-dehors , & il n’y a que fa tête & fes premieres jambes qui s'appliquent au tiffu pour l’étendre en tout fens. Elle travaille donc à - peu - près comme nos trico- teufes. À mefure qu’elle prolonge le tiflu , elle va à reculons, en fe tenant toujours en alignement avec la longueur de 1a coque commencée. Quand elle 4 achevé de tracer les contours de la premiere moitié de la coque & d'en fabriquer le tiffu , elle y entre la tête la premiere, fe retourne bout par bout & fe met à travailler à la feconde moitié, Elle porte fa tête en avant & alonge fon corps comme pour mefurer la longueur que doit avoir la partie de la coque qui lui refte à conftruire. Elle en #açonne d’abord l’extrémité pointue, & à mefure qu’elle pro- Jonge le tiffu, elle retire {on corps en arriere en le faifant ren- trer dans la premiere moitié. Lorfque Les bords des deux mo - tiés font prêts à fe toucher , la Chenille n'a plus qu'à tendre des fs de L'un à l’autre pour les réunir. “176 «CONTEMPLATI ON en maniere d’'S ou de demi-anneau , & l’on voit aflez que les fils dont il s’enveloppe alors , dois vent tracer autour de lui ui ovale plus où moins alongé. La coque elt une éfpece de pelotton produit par les circonvolutions d’urt mème fil. Je me fers là d'une comparaifon grof- fiere & peu exacte : il y a bien plus d’art dans la conftru@iori d’une coque , que dans la formation d'un pelotton ; mais cet aft eft caché en paitie- Le tiflu de cette jolie coque préfente à la loupé un fpeétacle très - agréable : on eroit voit un filet de Pêcheur. Les fils qui vont d’une cannelure à une autre , fe croïfent & forment les mailles bien terminées du réfeau: Ceux qui pärtent oblique- ment d’une cannelure vont fe rendre à la cannekure qui la fuit immédiatement, & cela fe répete de cannelures en cannelures Mais un pareil tiflu ne feroit pas affez ferré au gré de la Che- nille : il laifferoïit trop de tranfparence à la coque, & la Chenille- veut qu’elle foit opaque. Dès qu’elle a achevé d’en réunit les: moitiés , elle s’occupe à fortifier tout l’intérieur en-le revétant- de couches de foie. Je n’ai point dit comment l’adroîte FHeufe parvient à former ces cannelures qui parent tant l'extérieur de fa coque, j'ai omis bien d’autres détails qui ne pourroïent étre faïfis par une fimple defcription & fans le fecours des figures : mais j'ajouterai, que la Fileufe fait fi bien prendre fes mefures quand elle fabrique la: feconde moitié de fa coque, que les cannelures de cette moitié correfpondent exaétement à celles de la premiere: Le corps de notre petite Chenille ne fert done pas de moule à: fa coque ; mais on peut dire qu’il lui fert de mefure,,ou qu'il eft unc forte de métier monté pour exécuter l'ouvrage: £’eft ce qu'on croira remarquer en lifant avec attention dans les Mé. moires de l'Obfervateur le détail très-circonftancié des procédés’ de la Fileufe. PP L AU N'A T' OUR £, Part. XIL «xyv Le fil ne fait pas proprement des révolutions autout de la coque; il y trace une infinité de zigs-zags, qui compofent différentes couches de foie , d’où réfulte l’épaiffeur du tiflu. Une filiere, placée près de la bouche de lInfeéte , moule ce il précieux. Avant que de pafler par la filiere, la matiere à foie fe montre fous l’afpect d’une gomme prefque liquide, contenue dans deux grands réfervoirs , repliés en maniere d’inteftins, & qui vont aboutir à la filiere par deux conduits déliés & paralleles. Chaque conduit fournit ainfi la matiere d’un fil : la filiere réunit ces deux fils en un feul, & le microfcope démontre cette réunion. Un fil de foie, qui nous paroît fimple, eft donc réellement double. Un fl de foie d’A- raignée elt bien autrement compolé , quoique prodigieufement fin : il eft formé de la réunion de plufeurs milliers de fils, qui pañlent par dif. férentes filieres. L'HISTORIEN immortel du Ver-à-foie s'eft afluré que la coque de cet Infecte eft formée des lacis d'un mème fil, dont la longueur eft de plus de neuf cents pieds de Bologne. Des Ecri. Vains trop épris du merveilleux, nous ont beau. coup vanté la prévoyance du Ver-à- foie: ils nous Jont préfenté comme prévoyant fa fin prochaine, & ordonnant lui-mème les préparatifs Tome IIL M 58 CONTEMPLATION de fa fépulture. Il ne manque à ces jolies chofes qu’un peu plus d'exactitude. Le Ver-à-foie agit, il eft vrai, comme sil prévoyoit : s'enfuit - il néanmoins qu'il prévoie, & ne pourroit-il pas agir précifément de la même maniere fans rien prévoir ? Quand il a pris tout fon accroiffement , fes réfervoirs à foie font auff remplis qu'ils peuvent l’ètre : il eft apparemment preffé du befofn d'évacuer cette matiere; il l’évacue , & la coque eft le réfultat naturel de ce befoin & des attitudes que preud l’Animal en y fatisfaifant. Ces attitudes font , fans doute, celles qui lui conviennent le mieux. Ii fe foulage encore en les variant, & comme il ef à-peu-près cylin- drique , de quelque maniere qu'il fe ploie, il tend toujours à tracer ui ovale. En promenant fa filiere de tous les côtés, il épaiflit de plus eu : plus le iflu de fa coque. Telle. eft en général la fabrique de toutes les coques de ce genre. Il er et dont le tiflu cft fi fin, f ferré, fi uni, qu'il femble purement membrançux. QUELQUES-UNES de 108 Fileufes donnent à leur coque une forme plus recherchée , & qui imite celle d'un bateau renverfé. La coque du Ver-à-foie eft faite, pour ainfi dire, d’une feule piece. Les coques en bateau font faites de deux pieces principales ; faconnées en maniere de DE LA NATURE. Pot. XII 159 coquilles ; & réunies avec beaucoup de proprets . & d’adrefle. Chaque coquille eff travaillée à part; & formée d’un nombre prefqu’infini de tres. petites boucles de foie. Sur le devant de la coque, qui reprélente le derriere du bateau, eft ün rebord un pêu faillant, dans lequel on ap- perçoit une fente très-étroite qui indique Pou- verture ménagée pour la fortie du Papillon. Là ; les deux coquilles peuvent s "écarter l’une de Pau- tre, & laiffr pañer le Papi fon. Elles font conf truites & aflemblées avec wn tel art, qu’elles font reflort, & que la coque dont l’Infecte eft forti , paroït auffi bien clofe que celle où il habite encore. Par cet arufice ingénieux le Papillon eft toujours libre & la Chryfalide en fûreté. Nous teviendrons ailleurs à des procédés analogues plus finguliers (2). Nos Fileufes n’ont pas toutes une égale pro: vifion de foie, & toutes femblent néanmoins vouloir fe dérober aux yeux. Celles qui ne font . (2) ff On trouve au Printemps fur l’Ofier & fur le Chêne, de ces Chenilles qui fivent fe conftruire ces coques d2 forme recherchee ; qui ont l'air d’un bateau renverfé. Ce que je dis äoi de Ia fente ménagée pour la fortie du Papillon, méritoit fort d’être remarqué & ne l’avoit pas été : c’eft que la coque paroît bien fermée, quoique réellément elle ne le {oït pas. Il faut y regarder de fort près pour reconnoitre le petit artifice de 14 €henille. J'ai donné dans un autre Ecrit le détail de {es procédés M 2 180 EONTEMPLATION vas aflez riches pour fe faire une bonne loge de foie , fuppléent à cette difette par différentes matieres plus ou moins grofheres , qu’elles ont ladreffe de faire entrer dans la conftruction de la loge. Les unes fe contentent de lui donner une couverture de feuilles qu’elles iient enfem- ble, fans aucun art. Les autres ne fe bornent pas à entañler ces feuilles & à les aflujettir; mais elles les arrangent avec une forte de régu- larité. D’autres s’avifent de poudrer tout le tiflu de leur coque avec une matiere qu’elles rendent par le derriere, & qu’elles font pénétrer entre les fiis (3). D’autres fe dépouillent de leurs poils, & en compofent un tiffu mi-foie & pois (4). D'autres, après s’ètre dépouillées , plantent leurs longs poils autour d'elles, & en Gad AT Cette Efpcece de Chenille que la diftribution de fes couleurs a fait nommer Ziurée, & qui vit en fociété une partie de fa vie, poudre ainfi fa coque pour diminuer la tranfparence de fon tiflu & le rendre affez opaque. Cette Chenilie cft très- commune & fe trouve au Printemps fur les haies & fur les Arbres fruitiers. (4) tf Ce procédé eft commun à plufieurs grandes Efpeces de Chenilles velues qui vivent en Été fur le Charme , le Cou- drier , &c. Il left encore à différentes Efpeces de Chénilles que l’arrangement fingulier de leurs poils a fait nominer Chenilles à brofles, & qu’on trouve dans la belle faifon fur le Prünier & fur quelques antres Arbres. P'E'L A? N A T U KR EF. Part. XII. 187 forment une efpece de paliffade en berceau (5 ) D'aucres joignent à la foie & aux poils une matiere grafle , qu’elles tirent de leur intérieur & dont elles bouchent les mailles du tiflu, qui en eft comme vernis (6). D'autres s’enfoncent dans le fable ou dans le menu gravier, & s’y conttruilent des coques de fable dont tous les grains font liés avec de la foie (7). D’autres enfin, qui n’ont point de foie, percent la terre, € s) tt Ce procédé curieux eft celui d’nne petite Chenille qui fe nourrit des Lychens qui croiffent fur les murs. On la trouve au Printemps. Mr. de REAUMUR eft le premier Natu- ralifte qui en ait parlé. (6) tt Plufieurs grandes Chenillss velues qu'on trouve dans la belle faifo fur le Charme, fur l'Orme, &c. fe conftruifent de ces coques , dans la fabrique defqueles elles font entrer leurs poils & xme matiere grafle. J'ai racont: ailleurs les petites manœænvres que ces Chenilles & quelques Chenilles à brofles m'avoient offertes. 0 456 (7) FF Quantité de Chenilles entrent en terre pour s'y conftruire des-coques avec des grains de fable qu’elles lient au moyen de leur fois. Une belle Chenille qui vit en Eté fur le Bouillon - blanc ou fur le Bo-homme , eft une de celles dont linduftric en ce genre fe fait le plus remarquer. On peut l’o- bliger à travailler à découvert en retirant de terre la coque & én y faifant une breche plus où moins grande. Si l'on met du petit gravier à la portée de la Chenille, on la verra avancer fa tête hors de la breche , fair les grains de gravier avec fes dents, leS pofer contre le bord de la breche,-les y aflüujettir avec de la foie, & parvenisoainfi à réparer le défordre fait à {a coqne. Vs M 3 cr Rep D - mn © tt dé por à z82 E ON TEMPEA TI M s'y pratiquent une cavité ($) en forme de coque , & en enduifent les parois avec une forte de glu ou de colle. UXxE autre Efpece , bien plus induftrieufe que les précédentes, exécute un ouvrage qu’on ne fe laffe point d'admirer. Vous venez de voir des coques qui reflemblent à un bateau renverfe ; c’eft encore la forme que cette Efpece donne à fa coque ; mais elle ne la conftruit pas de pure Joie. Avec fes dents elle détache de petites lames d’écorce, de figure re“tangulaire , à - peu - près égales & femblables , qu’elle affemhle avec toute la propreté: & toute l’adreffe d’un Ebénifte, & dont elle compole les principales pieces de la coque. Ces grandes pieces font ainfi formées d'une muititude de tres-petites pieces de rap- port , pofées les unes au bout des autres & liées (8) tt Ce procédé, le plus fimple de tous , eft celui que pratiquent les plns grandes Chenilles rafes de nos Contrées , & en particulier la belle Chenille qui vit en Eté fur le Fufain & zur le Jafmin, & qui donne le fameux Papillon à £ète de mort. Cette grande Chenille, très-commune dans la belle faifon {ur le Tithymale à feuilles de Cyprès , & qui eft très-remarquable par la beanté & la diftribution de fes couleurs , recourt aux mêmes procédés pour affurer fa métamorphofe , & £e contente de pPra- tiquer dans la terre une cavité proportionnée à fa grandeur; mais les grains qui forment les'paroïg:de la cavité, font liés avec ne forte de slu ou d'humeur wifqueufe. 1 DE LA NATURE. Part. XII. 183 avec de la foie. En un mot, on croit voit um parquet ou un ouvrage de marqueterie (9 ). NN C'EST encore en bois que travaille une autre Chenille, mais non avec le mème art. Sa coque, de forme ordinaire , n’eft faite que de petits fragmens irréguliers détachés du bois fec.fLe fecret de l’Infedte confifte à lier ces fragmens & à en compoler une efpece de boîte. Il y parvient en les tenant quelques momens dans fà bouche, en les y humectant, & en les collant les uns aux autres au moyen d’une forte de glu qui lui tient lieu de foie. Il fe forme de ce melange une coque dont la folidité égale prefque celle du bois. Le Papillon n’a point d’inftrument pour la percer , il peut apparemment la ramollir. La. Chenille eft celle qui poñlede cette liqueur acide dont jai parlé (ro). Cette liqueur ramollit fenfiblement la coque, & l’on a conjeturé avec fondement, qu’elle étoit préparée de loin pour mettre le Papillon en état de fe faire jour (11). . (93. H, C'eft à Mr. de REAUMUR que nous devons l’inté- reflante hiftoire des procédés induftrieux de la petite Chenille qui. fe, conjtruit une coque # remarquable. On la trouve en Mai fur Je Chène : je l'y ai cherchée inutilement pendant bien des années. Il faut qu'elle foit aflez rare. | Cio) Part. VIII, Chap. V. CH) ++ Je parlois ici d’une grande Chenille rafe, qui vit M 4 184 CONTEMPEATION: a CH À PETER EN Les Farfes-chenilles qui fe conflruifent des coques doubles. D. s Infectes , que leur reffemblance avec Îles Chenilles a fait nommer Fauffes - chemilles ( 1), favent aufli fe conftruire des coques , & ces coques ont de nouvelles fingularités à nous offrir. Elles font réellement doubles ; je veux dire , que deux coques font renfermées l’une en Été fur le Saule & l'Ofier, & qui eft la plus remarquable de toutes par la fingularité de fa forme : elle a quelque air d’un Poiffon. Sa partie poltérienre, aflez effilée, fe termine par une queue faurchue & écailleufe. Chaque. branche de la fourche eft un tuyau qui renferme une {orte de corne mobile & charnue ; que l’Infeéte en fait {ortir à volonté. Cette Chenille offre d'au res particularités anatomiques plus remarquables encore. MM. de REAUMUR & de GEER l'avoient beaucoup obfervée ; & elle m'avoit fourni à moi-même la matiere d'un pefit écrit que je publiai autrefois. "L C1) H Mr. de ReaUMUR 2 donné le nom de Fanffes chenilles à ces Vers qui ont plus de jambes membraneufes qne n'en ont les Chenilles ; mais qui leur reffemblent d'ailleurs beaucoup par leur forme, par leur ftru@ure » par leur genre de vie & leurs procédés. 11 en eft de rafes & ‘de dEhi- veines comme les Chenilles. Les Mouches à quatre ailes dans lefquelles elles fe transforment, ont un air de famille, un air lourd &. pefant , qui aide à les faire reconnoître. ES DE LA NATURE. Pat. XII. 185 dans l'autre , fans tenir l’une à l’autre. La coque extérieure femble faite de parchemin ; quelque- _ fois ce parchemin eft un ouvrage à réfeau. La coque intérieure, au contraire, eft d’un tiflu très- fin, tres-foyeux , très-luftre ( 2). GRE——— ! AE memes EE 5) CHAPITRE VL Les Infeites qui vivent dans les fruits. | je plus folitaires de tous les Infectes font ceux qui vivent dans l'intérieur des fruits. Il eft prouvé, que chaque fruit ne loge qu’une Chenille ou qu'un Ver (1). Nous ignorons la (2) ff J'ai fait admirer ailleurs la beauté & la compoñition du tiffu de-cette coque intérieure. Je dois ajouter ici, qu’il cft des Chenilles à broffes qui paroiffent fe conftruire de doubles coques, comme je l’ai fait remarquer dans un autre écrit. (x) ff Mr. de REAUMUR s’étoit afluré de ce fait par fes obfervations fur les petites Cheuilles qui vivent dans l'intérieur de différentes efpeces de fruits, tels que les poires , les pom- mes , les prunes , les cerifes, &c. On nomme communément ces Chenilles des J’ers, & l'on dit que les fruits où elles logent font véreux : il eft pourtant très- vrai que la plupart de ces Infcétes font de vraies Chenilles qui fe métamorphofent en Papillons. Les Femelles pondent fouvent bien des œufs fur le même fruit , & pourtant il ne renferme jamais qu'une fcule Chenille, quoi- qu'il püt en loger & en-nourrir un bon nombre. On obferve la même chofe fur les petites Chenilles qui fe nichent dans 66 ‘CONTEMPLATIO N caufe de ce fait remarquable. Nous favons few: lement qu’un Obfervateur ayant tenté de faire vivre enfemble des Chenilles de cette Efpece, elles fe livroient de furieux combats toutes les fois qu’elles fe rencontroient (2). Il eft donc bien décidé que l’humeur de ces Chenilles eft antifociable. Plufieurs fe métamorphofent dans Îe fruit mème qui leur a fervi de retraite & de piture; elles s’y creufent des cavités qu’elles tapiflent de foie ou dans lefquelles elles fe filent des coques. D’autres , & c’elt le plus grand nombre , fortent du fruit & vont fe métamor- phofer dans la terre. F'intérieur des grains : il n’y à jamais qu’une feule Chenille dans chaque grain. Mr. DUHAMEL qui avoit beaucoup obfervé de très-petites Chenilles de ce genre, qui dévoroient les grains de l'Angoumois , & qui nous en a donné. un curieux Traité, dit expreflément : qu'ayant ouvert avec toutes les précautions polfis, Fles un grand nombre de grains endommagés , il n'avoit jamais. trouvé deux Chenilles dans un même grain, (2) tt C'eft fur la petite Chenille qui vit dans l'intérieur de la téte du Chardon à bonnetier, que l’Anteur avoit fait les tentatives dont il parle dans ce Chapitre, & qu'il a racontées ailleurs très en détail & peut-être trop. Il les avoit aflez variées , & toujours les petites Hermites qu’il vouloit forcer à vivre enfemble , fe livroient des combats de corps à corps avec un acharnement inexprimable : la mort d’un des Combattans en ctoit ordinairement la fuite. On remarquoit qu'ils évitoient foïà gnenfement de fe rencontrer, & qu’ils fe tenoient pour l'ordi? paire à quelque diftance les uns des antres. DE LA K ATURE. Part. XII. 187 EE — LC) CEA POIRTUR E . : VAE L se = ——— pe Les Infeiles qui plient ES roulent les feuilles des Plantes. C: font encore de parfaits Hermites que la plupart des Infectes qui plient ou roulent les feuilles de quantité de Plantes ( 1 ). Ce procédé eft commun à beaucoup de Chenilles ( 2). Elles fe procurent ainfi de petites cellules, qui font des logemens commodes , & où elles trouvent en tout temps une nourriture aflurée; car elles mangent les parois de la cellule ; mais elles ont grand foin de ne toucher jamais à l'enveloppe deftinée à les couvrir. Les différentes manieres dont ces Chenilles fe logent , donnent lieu de les diftinguer en Lieufes , en Plieufes & en Rou- leufes (3 ). (x) +f ILeft pourtant quelques Efpeces de ces Infeétes de Ja claffe des Chenilles, qui vivent en fociété. C2) Différentes Efpeces de Vers & d’Araignées favent auf rouler adroitement les feuilles des Plantes. (3) Hf Toutes ces Chenilles font affez petites & pour l'or- dinaire dépourvues de poils. Elles fe transforment en Phalenes eu en Papillons de nuit, Il en eft de bien des Efpeces , toutes 188 : CONTEMPLATION L'ART des Lieufes eft en général le plus fimple. Il confifte à lier avec des fils de foie p'ufieurs feuilles, à en former un paquet au centre duquel eft la loge du petit Hermite. LE procédé des Plieufes fuppofe des mani- pulations plus recherchées. Elles plient les feuilles en entier ou en païtie. En entier, lorfque la portion pliée eft ramenée à plat fur une autre portion de la feuille: en partie, lorfqw’elles ne font fimplement que courber la feuille plus ou MOINS, Mais c’eft le tmvail des Rouleufes qui fe fait fur -tout admirer. Elles habitent une efpece de rouleau, dont la forme , les dimenfions & la pofition varient en différentes Efpeces. Les unes Jui donnent une figure cylindrique : les autres lui donneut la forme d’un cornet, & ce cornet eff aufli bien fait que ceux des Eviciers. La feuille cft toujours roulée en fpirale, où comme le font les oublies ( 4 ). Ordinairement le roulean ou le plus où moins diverfifiées. Il eft pen de Plantes qui ne nour- riffent de ces Chenilles. La plupart font très-vives & comme convalionnaires. (4) tt La Chenille ne ferme pas en entier le rouleau à fes extrémités: elle veut pouvoir.en fortir au befoin , & fe dérober ainhi à {es ennemis. ff: D'ECULT 4- NATURE. Part. XII. ftg9 cornet ef couché fur la feuille; mais quelque- fois, ce qui eft plus fingulier , il y eft planté somme une quille. Mox Lecteur imagine-t-il la méchanique qui préfide à la conftruétion de ces divers ouvrages ? Conçoit - il comment un Infeéte , qui n’a point de doigts, parvient à rouler une feuille & à la tenir roulée? L’on fait en général que les Che- nilles flent : on entrevoit que c’eft à l’aide de leurs fils que nos adroites Rouleufes font pren- dre aux feuilles la forme d’un tuyau cylindrique ou conique. L’on voit en effet des paquets de fils diftribués de diftance en diltance , qui tien- nent le rouleau aflujetti à la feuille. Mars comment ces fils , qui ne femblent faire que la fonction de petits cables, ont-ils pu opé- rer le roulement de la feuille? Voilà ce qu’on croit deviner, & qu’on ne devine point. On croit qu’en attachant des fils au bord de la feuille, & en tirant ces fils à elle, la Chenille force ce bord à s'élever & à fe contourner : ce n’eft point du tout cela. L'application que linduftrieux In- feéte fait de fes forces, eft d’une plus fine mé- chanique. Il attache bien des fils au bord de ia feuille ; mais il ne les tire point à lui. Il en colle l'autre bout à la furface de la feuille. Les fils ioë “CON TE M:P L 4 DID d’un mème paquet font à-peu- -près paralleles , & compofent un petit ruban. À côté de ce ruban; VInfecte en file un fecond , qui pañle fur le pre- mier & le croile. Vorcr donc le fecret de fa méchanique. Et paffant fur Île premier ruban pour tendre le fe- cond , il pefe fur le premier de tout le poids de fon cotps ; cette preflion ; qui tend à enfoncer le ruban , oblige le bord de la feuille auquel il tient à s'élever. Le fecond ruban qui eft collé à linftant fur le plat de la feuille, conferve au bord l'élévation ou la courbure que l’infecte a voulu lui donner. Si l’on examine de près ces deux rubans ; leur effet fera fenfible. Le fecond paroîtra fort tendu & le premier fort lâche; c’ef que celui-ci n’a plus d’action & qu’il n’en doit plus avoir. Vous comprenez à préfent que le rou: leau fe forme peu -à- peu par la répétition des mèmes manœuvres fur différens points de la feuille ( $ ). (s) tt Ge que je difois ici d’après Mr. de REAUMUR fur l'ingénieufe méchanique de nos Rouleufés, paroït exiger quel: que correction. Son illuftre Emule, Mr. de GEER , qui les avoit fuivies avec beaucoup d’attention, ne croyoit pas que le poids de la Chenille contribuât fenfiblement à Peffet du roulement, Une Plicufe qui vit fur le Cerfeuil fauvage , lui avoit offert des procédés d’un plus grand effet. IL avoit remarqué que la Che. hille faïfit avec fes premieres jambes le fil de foie qw’elle tend d'un bord de la feuille à l'autre, & qu'elle le tire à cle pou* DELA NATURE. Part. XII. :x9%4 Mars il arrive fouvent que les groffes ner« vures réfiftent trop : l’Infecte fait les affoiblir en * les rongeant çà & là. Pour former un cornet, il faut quelques manœuvres de plus. La Rouleufe coupe fur la feuille avec fes dents la piece qui doit le compofer. Elle ne l'en détache pas en entier : il manqueroit de bafe : elle ne détache que la partie qui formera les contours du cornet. Cette partie eft proprement une laniere qu’elle roule à mefure qu’elle la coupe. Elle dreffe le cornet fur la feuille à-peu-près comme nous redreflons : un obélifque incliné. Elle attaclie des fils ou de petits cables vers la pointe de la pyramide ; elle les charge du poids de fon corps, & force ainfi cette pointe à s'élever. Vous devinez le refte: c’eft la même méchanique qui exécute un rouleau. Ces cellules où la Chenille pañle fa vie, fer- vent auffi de retraite à la Chryfalide. Cette der- niere ne s’accommoderoit pas apparemment d’une fimple enveloppe de feuille : la Chenille donne à la cellule une tapifferie de foie. D’autres Efpeces s’y filent une coque. D’autres abandonnent la cellule , & vont fe transformer fous terre. forcer fes bords à fe rapprocher ; & que lorfqu’elle tend Le fe. cond fil , elle ne lâche point le premier qu’elle n'ait achevé de tendre le fecond. Ces fils font donc de vrais petits cables, à l'aide defquels la Chenille exécute fa manœuvre avec autant de eélérité que d'adreffe. 193 CONTEMPLATION CE—— LE G EE AP‘: LP ROSE AE ——— Les Infeites mineurs des feuilles des Plantes. I. cit des feuilles de Plantes qui n’ont guere que l’épaifleur du papier. Croiroit-on qu'il y a des Infeétes qui favent fe loger dans l’'épaifleur de femblables feuilles & s’y mettre à l'abri des injures de l'air? Une feuille eft pour ces très- petits Infectes un valte Pays, où ils fe pratiquent des routes plus ou moins tortueufes ; ils minent dans le parenchyme de la feuille , comme nos Mineurs minent dans la terre. Ils en ont auffi pris le nom de Mineurs de feuilles (x ). Izs font extrèmement communs : les uns ap- partiennent à la clafle des Chenilles ; les autres à celle des Vers. Ils ne peuvent fouffric d’être à nud, & c’elt pour fe couvrir qu'ils fe gliflent entre les deux peaux d’une feuille. Ils y trou- vent en même temps leur fubfftance. Is en mangent lé parenchyme ou la pulpe, & ils font chemin en mangeant. C1) + C’eft le Naturalifte auquel nous devons la meilleure hiltoire de ces très-pctits Infectes > Qui leur à donné le nom de Mineurs de feuilles: on comprend que je parle de Mr. de REAUMUR. Les PP CR 7 ge DE LA NATURE. Part. XII. 193 Les uns s’y creufent des boyaux droits ou tortueux. Ce font des Mineurs en galeries. Les autres minent tout autour d'eux, dans des ef. paces circulaires ou oblongs , & ce font des Mi< neurs en grand ( 2). Les dents font les inftrumens au moyen def quels les Chenilles minent ; mais parmi les Vers mineurs on en voit qui piochent le parenchyme à l’aide de deux crochets équivalens à nos pio« ches (3 ). (2) ff La galerie de nos Mineurs eft ouverte à une de fes extrémités , à celle par laquelle l’Infeéte naiffant s’eft introduit entre les deux membranes de la feuille, On voit bien que 12 galerie doit aller toujours en s’élargiflant à mefure que l’Infecte fait chemin dans la feuille ; car il en proportionne la capacité à la groffeur de fon corps, & comme il prend chaque jour plus d’accroiflement , chaqtie jour il élargit davantage fa galerie. Les Mineurs en grand ou en granges aires minent tout autour d'eux dans l’épaifleur de la feuille. La figure de la mine eft ordinairement déterminée par les nervures de la feuille entre lefquelles elle fe trouve placée. Ces nervures font pour le très+ petit Infete, des montagnes qu’il ne franchit pas. Divers Mi- neurs de ce genre recourent à un procédé remarquable pour augmenter la hauteur de la mine & s’y mettre plus à l’aife : ils pliffent l’épiderme qu'ils ont détaché ; tantôt ils n'y forment qu'un pli ; tantôt ils en forment deux ou plufeurs. Ces plis fe montrent fur l’épiderme comme autant d’arrètes. (3) tft La plupart des Mineurs vivent dans une parfaite folitude : on trouve pourtant des mines en grandes aires, qui renferment plufeurs Mineurs qui ng paroiflent ni fe cherchez Tone 111, N 194 CONTEMPLATION!" CEST dans la mine mème que plufieurs de ces Infectes fe filent la coque où ils doivent fe transformer. D’autres fortent de la mine & vont filer ou fe métamorphofer ailleurs. Les Papiilons qui proviennent des Chenilles mineules , font de petits miracles de la Nature. Élle leur a pro- digué l'or, Pargent & Pazur. Elle a mème mieux fait que de les prodiguer ; elle les a aflocics avec goût à des couleurs plus où moins riches, & l’on regrette qu’elle n’ait pas travaillé en grand de tels chef-d’œuvres. Maïs les Mineurs ont quelque chofe de plus admirable à nous offrir. Donnez votre attention à ces feuilles de Vigne que vous avez fous les yeux. Elles font percées de trous ovales, qui femblent y avoir êté faits avec un emporte-piece. Des Chenilles mineufes ont fait ces trous en détachant de la feuille deux morceaux de peau, ni fe fuir : telles font les mines que fe pratiquent les Vers de læ Jufquiame , qui font de très-gros Infectes en comparaifon des autres Mineurs. Quand on les retire de leur mine, ils fe mettent aufi-tôt à en creufer une nouvelle, ce que le commun des Mineurs ne fait pas faire. Si après qu’un Mineur de la Juf- quiame a commencé à creufer une nouvelle mine, en y intro- duit un fecond Mineur, puis un troifieme &.un quatrieme, ils: gontinueront tous à s’avancer dans l’intérieur de la feuille fans s'attaquer les uns les autres; mais chacun travaillera à part & rien ne fe fera en commun, DE LA NATURE. Part. XII. igé dont elles fe font fabriqué une coque : voilà cette coque pofée perpendiculairement fur un échalas ; à une aflez gtande diftance de la feuille qui en a fourni les matériaux. Comment a-t:elle été taillée , façonnée , détachée , tranfportée ? Ne tentons pas de le deviner : tentons plutôt de furprendre l'indultrieufe Ouvriere fur fon établi. ELLE mine en galerie, & c’eft à l'extrémité de la galerie, qu’elle conftruit fa coque. Deux morceaux de feuille, de figure ovale, très-minces, égaux & femblables doivent la compofer. La Chenille prépare ces pieces, les amincit en les déchargeant du parenchyme , les modele , les double de foie ; les coupe avec f:s dents comme avec des cifeaux, les affemble & les unit. Déja ils ne tiennent plus à la feuille, & pourtant la coque ne tombe point : la Chenille a pris la pré- caution de la retenir par quelques fils à l’efpece de cadre dont elle eft bordée. La coque finie, la Chenille fe met en devoir de la détacher de fa place & de la tranfporter. Elle a laifé une petite ouverture à un des bouts :- par cette ouverture elle fait fortir fa tète ; elle la porte en avant, faifit avec fes dents un point d'appui, & faifant effort , elle tire la coque à elle. Les fils qui la retenoient cedent, & la Che: | N 2 2 596 CONTEMPLIATION nille emporte fa petite maifon, comme le Lima: con fa coquille, Voyez-La cheminer : fa marche eft un nou: veau myftere. L'on avoit dit, que toutes les Chenilles ont au moins dix jambes : celle-ci en eft abfolument dépourvue, & nous montre ce qu’on doit penfer des Nomenclatures (4). Op- pofons à fa marche un verre très- poli, polé verticalement. Elle n’en eft point arrêtée; & ia voilà qui grimpe fur ce verre comme fur une feuille. Par quel art fecret y trouve-t-elle prife ; car elle n’a ni jambes ni crochets pour s’y cram- ponner ? Vous avez vu des Chenilles , qui filent de petits monticules de foie , où elles fe fixent (5). Notre Mineufe file de pareils monticules de dif. (a) tt Mr. de REAUMUR avoit donné pour un des carac- teres effentiels de la Cheuille, d’avoir au moins dix jambes & au plus feize; & il avoit nommé Æaufles - chenilles des Infectes fort femblables aux Chenilles ; mais qui en different principale ment en ee qu’ils ont plus de feize jambes. ( Chap. V, Note. 1.) L'induftrieufe Mineufe dont il s’agit actuellement , contredit le caractere que notre illuftre Obfervateur avoit établi à l'égard des Chenilles. Toute l’Hiftoire naturelle eft pieine de pareilles exceptions à nos regles prétendues générales; & rien n’eft plus propre à nous faire fentir combien nous devons être réfervés à tirer de ces conclufions générales, puifque nos prémiles fouë toujeurs plus ou moins particulieres. (5) Chap. I de cette Partiel | Î BE LA NATURE. Pari. XII. 197 tance en diftance , fur le plan qu’elle parcourt. Avec fes dents, elle faifit un de ces monticules, qui devient pour elle un point d'appui; elle tire à elle la coque , & l’amene près du monticule ; elle l’y attache; elle porte enfuite fa tête en avant, file un fecond monticule, & s’y cram- ponne comme au premier ; elle fait effort pour détacher la coque , la détache , la traîne vers le nouveau monticule , l’y attache encore, & ce fecond pas fait vous dévoile le fecres de fon ingénieufe méchanique. Elle laiffle ainfi fur les corps qu’elle parcourt de petites traces de foie, produites par les monticules qu’elle file d’efpace en. efpace. PARVENUE au lieu où elle veut fe fixer, elle y arrête fa coque à demeure, & la place dans une fituation verticale. Il en fort enfuite un très- joli Papillon , aufi richement vêtu, que ceux des autres Mineules, & du mème genre (6 ). (6) tt C'eft Mr. GODEHEU de RIVILLE, Commandenr de Malthe , excellent Obfervateur , qui nous a donné l’intérefs finte hiftoire de cette Mineufe. GP 798 CONTEMPLATION EE ——— C'H'AIPE T'RIEMME ' Les Faujes - teignes. pri Infetes habitent dans de grandes galeries de foie, qu'ils prolongent & élargiffent à mefure qu’ils croiffent. Ils les recouvrent de matieres gruflieres, & fouvent de leurs excré- meus. [s couflruifent de ces galeries {ur les divers corps dont ils fe nourriflent, & qui varient fuivant | Efpece de linfecte. L’on a donné le nom de Fuuÿfes - tejgnes à toutes les Efpeces qui fe font de femblables fourreaux. Vous favez, que ceux des vraies Teignes font portatifs. Les Fauffes-teignes les plus remarquables font celles qui s’établiflent dans les ruches des Abeil- les, & qui en détruifent les gâteaux. Elles n’ont point d'armes défenfives , elles ne font recou- vertes que d’une peau molle & délicate, & pour- tant la Nature les a appellées à vivre aux dé. pens d'un petit Peuple guerrier, très-bien armé & très-difpofé à défendre fes établiflemens. Nos Ingénieurs recourent fouvent aux mines & à la fappe pour réduire les Places. Il étoit encore plus néceliaire à nos Faufes-teignes d’exceller dans DE LA NATURE. Part. XII. xo9 cette forte d'attaque, & leurs ouvrages prouvent qu'elles y excellent. ELLES ne marchent jamais qu’à couvert. Elles pouffent dans l’épaifleur des gâteaux , de longs boyaux qu’elles dirigent. à leur gré, & où elles font toujours en fûreté contre l'ennemi. Ces efpeces de galeries font garnies intérieurement d’un tifu de foie affez ferré, & revètues par- - dehors d’une épaifle couche de grains de cire & d’excrémens. Ainfi les beaux ouvrages des laborieufes Abeilles font détruits fourdement par un Ennemi qu’elles ne peuvent découvrir, & qui les force quelquefois à abandonner leur ruche. CE n’eft point au miel que les Faufes-teignes en veulent : elles ne percent point les cellules qui en contiennent. Elles ne mangent que la cire, & cette matiere que la Chymie ne fait pas difoudre , leur efomac l’analyfe (1). Quand (x) tt Ces Fauffes-teignes peuvent s’accommoder au befoin de matieres très-différentes de la cire, fe nourrir & fe vétir de papier, de cuir, de plumes, de poils, &c. Leurs excrémens retiennent , comme ceux des Teignes, les couleurs des matieres qu'elles ont rongées; & ces excrémens elles peuvent les digérer de nouveau & digérer encore le réfidu groflier quien provient. Ces Faulles-teignes appartiennent à la nombreufe claffe des Chenilles , & les Papillons noétarnes qui en proviennent , cou- rent avec une grande vitelle & font très-habiles à fe gliffer dans les ruches pour y dépofer leurs œufs. N 4 So CONTEMPLATION elles ont pris tout leur accroifement , elles 1e font au bout de la galerie une coque de foie, qu’elles ne manquent point d’envelopper de grains de cire. C'EST dans nos greniers que d’autres Faufles- £eignes s’établiflent & qu’elles multiplient avec excès. Elles en veulent à notre plus précieufe denrée. Elles lient enfemble des grains de Bled ; elies fe filent au milieu de cet amas de grains un petit tuyau où elles fe logent. Là, elles font toujours à portée d’une nourriture abondante: Elles rongent à leur aife les grains qu'elles ont eu foin d’aflujettir à leur fourreau, & qui en font comme l'enveloppe, À l'approche de la méta- morphofe elles abandonnent ce fourreau ; elies fe nichent dans l’intérieur d’un grain, ou dans les petites cavités qu’elles creufent dans les pian- chers : elles les tapiffent de foie, & s’y transfor- ment en Chryfalides (2 ). | F (2) tt J'indiqueraï encore quelques autres Fauffes-teignes qui méritent d’être connues. Tout le monde connoît les Teignes. qui rongent les étoffes de laine, & qui favent fe faire des four- reaux portatifs. Il eft aufli une Faufle-teigne qui furpañle en grandeur les vraies Teignes , & qui vit fur de pareilles étoifes. Elle s’y conftruit avec art une forte de- berceau de foie & de poils, fous lequel elle demeure renfermée. Ce berceau n’eft ouvert qu'à fon extrémité antérieure, & c’eft par cette extré« mité que la Faufle-teigue le prolonge à mefure qu’elle croit. TE ae DEÆZCL A NATURE. Part. XII. 2or ERA PL DRUE, x Des Teignes en général. Les Teignes domefliques. IL eft peu d’Infectes, qui aient autant de droit à notre admiration , que ceux qui favent, comme nous , {e faire des habits, & qui l'ont fu fans doute avant nous. Comme nous, ils naiflent # Anuds; mais à peine font-ils nés, qu'ils travaillent à fe vètir. Vous comprenez que je. parle des Teïignes. Elle file d’abord un tiffu de pure foie, auquel elle donne fa Forme de berceau, & elle finit par le garnir de poils. Quand elte veut rejctter fes excrémens , elle fe retourne bout par bout pour ramener fon derriere à l'ouverture du berceau. Ces excré- mens n’ont pas comme ceux des vraies Teignes, la couleur des étoffes que l’Infecte a rongées : ils font toujours noirs. Une autre Faufle -teigne attaque les cuirs; & en particulier eeux qui forment la couverture des livres, Elles font donc de elles que les Gens de Lettres ont le plus d'intérêt à connoître. Les galeries qu’elles fe conftruifent font recouvertes de leurs excrémens. Mais ce n’eft pas feulement fur les cuirs qu'elles s’établiffent, elles fe logent aufli fous l'écorce de vieux Arbres, & s'y nourriffent de cadavres d’Infectes. Une autre Fanffe-teigne eft friande de Chocolat, & choïfit le plus parfumé. Elle y ereufe des cavités & s’y conftruit une galerie de foie, qu’elle prolonge au befoin. Toutes les Fanffes-teignes dont je viens de parler, fe rangent dans la claffe des Chenilles, parce que teutes fe transforment gn Papillons. ROBES 202 C'OSNTE MPIL 4 TTON TouTes ne s’habillent pas d’une maniere uniforme, & n’employent pas dans leurs habil- lemens les mèmes matieres. Il y a peut-être plus de diverfité à cet égard dans les modes des T'ei- gnes de différentes Efpeces , que dans celles de différens Peuples de la Terre. Spectacle intéref- fant pour PObfervateur , & que le Contemplateur de la Nature ne peut confidérer comme tout le refte, que d’une vue très-générale. Nous avons entrevu les Teignes domefti- ques (1); elles méritent bien que nous leur donnions encore quelques momens d’attention. La forme de leur habit étoit la plus convenable: elle répond précifément à celle de leur corps. C'eit un petit fourreau cylindrique ouvert aux deux bouts. L’étofle eft de la fabrique de la Teigne. Un mélange de foie & de poils en com- pofe le tiffu : mais il ne feroit pas affez doux pour lInfe&e ; il le double de pure foie. Nos meubles de laine & nos fourrures fourniflent à ces Teignes les poils qu’elles emploient dans la : fabrique de leurs étoffes. Elles font un choix de ces poils ; elles les coupent avec leurs dents , & les incorporent artiftement dans le tiflu foyeux. ELLes ne changent jamais d’habit : celui (1) Part, XI, Chap. Il. PP Er DE LA NATURE. Part. XII. 203 qu’elles portoient dans leur enfance , elles le portent encore dans l’âge de maturité. Elles fa- vent donc l'alonger & lélargir à propos. L’a- longer n’eft pas une affaire; elles n'ont pout cela qu'à ajouter de nouveaux fils & de nou- veaux poils à chaque bout. Mais , l’'élargir n’eft pas chofe fi facile. Vous avez vu (2) qu’elles s'y prennent précifément comme nous nous y prenons en pareil cas. Elles fendent le fourreau de deux côtés oppolés, & y inferent adroite- ment deux pieces de largeur requife. Elles ne fendent pas le fourreau d’un bout à l’autre : les côtés s'écarteroient trop , & elles feroient à nud. Elles ne le fendent de chaque côté, que jufques vers le milieu de fa longueur. Ainfi, au lieu de deux pieces ou de deux élargiflures , elles en mettent quatre. La raifon ne procéderoit pas micux. Leur habit eft toujours de la couleur de Petoffe fur laquelle il a été pris. Si donc la Teigne dont l’habit eft bleu , pañle fur un drap rouge , les élargiflures feront rouges; elle fe fera un habit d’Arlequin , fi elle pañle fur des draps ou des étoffes de plufieurs couleurs. ErLes vivent des mèmes poils dont elles fe (2) Part. XI, Chap. II. 204 CONTEMPLATION vètent. Il eft fingulier qu’elles les digerent , plus fingulier encore que les couleurs ne s’alterent point par la digeftion , & que leurs excrémens foient toujours d’une aufli belle teinte que celle des draps qu’elles rongent. Les Peintres pour- rotent s’aflortir auprès de nos Teignes, de pou- dres de toutes couleurs & de toutes les nuances de la même couleur. ELLES font de petits voyages : celles qui s’é- tabliflent dans les fourrures , n’aiment pas à marcher fur de longs poils; elles coupent tous. ceux qui fe trouvent fur leur route, & ne mar- chent jamais que la faux à la main. De temps: en temps elles fe repofent : alors elles fixent leur fourreau par de petits cordages., & le met- tent, pour ainfi dire, à l'ancre. Elles larrètent plus folidement encore quand elles veulent fe métamorphofer. Elles en ferment exactement les. deux bouts, pour y revètir plus en füreté la forme de Chryfalide, & enfuite celle de. Papil lon (3). (3) +f L'admiration que les Teignes domeftiques avoient infpirées pour elles à leur Hiftorien, ne l’avoit pas empêché de chercher des moyens efficaces de les détruire & de préferve» de leurs ravages nos meubles & nos étoffes. Il avoit eu le bon- heur de réaffir dans cette recherche fi utile, & il nous a appris que l'odeur de l'huile de térébenthine leuy eft toujours fatale. Une couche légcre de cette huile étendue fur des feuilles de: DEC L A NA T'Ü RE. Part. XII 20% EE- LP) NE ——— PURANP EPeRE XL Les Teignes champêtres, €S les Teignes aquatiques. Lu Teignes champètres , dont nous n’avons point à redouter les attaques, l’emportent beau- coup en induftrie fur les Teignes domeftiques. Elles prennent dans les feuilles des Plantes la matiere de leurs habits; mais il faut qu’elles apprètent cette matiere & qu’elles lui donnent la légéreté & la fouplefle propres à leurs vêtemens. Ces Teignes font des efpeces de mineufes, & elles fe gliflent entre les deux membranes d’une feuille, qui font pour elles ce qu’une piece de drap eft pour un Tailleur , avec cette diffé- rence, que celui-ci a befoin d’un patron, & que nos Teignes favent s’en pañler. Elles déta- chent de ces membranes toute la fubftance char- nue qui leur eft adhérente : elles les aminciflent & les poliffent. Elles coupent enfuite dans ces membranes ainfi préparées , deux pieces à-peu- pres égales & femblables ; elles travaillent à leur papier , donne infailliblement la mort à ces Infeétes deftruc- teurs. L'odeur qui s’en exhale les fait tomber en convulfñens ils expirent bientôt couverts de taches Livides. 206 CONTÉMPL.ATION- donner la concavité , la courbure , les contours & les proportions que requiert la forme de leur - fourreau , & cette forme et fouvent très-recher- chée. Elles les affemblent & les uniffent avec une propreté & une adreffe incroyables, & fnif- fent par les doubler de foie. Elles n’ont plus alors qu’à défengrener l’habit de dedans la feuille où il a été pris & taillé, & cela n’exige que quel- ques eflorts. IL e@ de ces fourreaux qui portent du côté du dos, de petites dentelures qui les ornent beaucoup & les font paroître plus compofés. Ces dentelures ne font autre chofe que celles de la feuille dans laquelle ces fourreaux ont été fa- corinés. Les Teignes champêtres fe métamorphofent dans leurs habits, comme les Teignes domefti- ques dans le leur. Nous n'avons fait encoré qu’entrevoir l’art induftrieux des Teignes cham- pêtres ; nous le confidérerons ailleurs de plus près, & nous ne reviendrons point de notre étonnement. Au refte, l’habit de ces Teignes feft pas fait pour étre alongé & élargi ; quand il devient trop étroit , elles en font un autre. QUANTITÉ de Teignes champêtres & de D'EVL A NATURE. Part. XII 207 Teignes aquatiques , car les eaux ont auffi leurs Teignes, n’entendent point à préparer létoffe de leurs vêtemens. Aufli les matieres qu’elles mettent en œuvre ne {ont-elles fufceptibles d’au- ‘cune préparation. Des brins de bois, de petites baguettes, des fragmens de feuilles, des morceaux d’écorce , &c. polés en recouvrement comme les tuiles, re- vêtent extérieurement le fourreau qui eft de pure foie. D’AuTREFOIS il eft recouvert de gravier, de petites pierres, de morceaux de bois, de par- celles de rofeau , de petites coquilles, tantôt de Moules, tantôt de Limaçons ; & ce qu’on n’ima- gineroit pas, les Moules & les Limaçons habi- tent encore ces coquilles : enchaînés au fourreau, ils font forcés de fuivre la Teigne qui les porte où il lui plaît. Une Teigne vêtue ainfi ne ref femble pas mal à certains Pélerins. Celles qui {ont couvertes de bois , de gravier , de pierres & d’autres matieres aufli lourdes, liées enfem- ble , reflemblent affez à un Soldat Romain pefam. ment armé. Vous jugez bien que de pareils habits doi. vent avoir des formes très-baroques : il en eft 208 GON TE M P'L' A TWON pourtant de fort jolis, & où l’arraagement {ym- métrique des matériaux compenfe un peu leur grofféreté. Les Teignes aquatiques trouvent quelque avantage à s'habiller d’une façon fi étrange. Il faut qu’elles foient toujours en équilibre avec l’eau au milieu de laquelle elles vivent. Si leur fourreau devient trop léger , elles y attachent une petite pierre; s’il devient trop pefant, elles y attachent des brins de rofeau ( 1 ). (1) #H Tout eft bon à la plupart des Teignes aquatiques pour receuvrir le fourreau de pure foie qu’elles fe filent : on les voit fe faifir indifféremment de tous les petits corps qu’elles rencontrent dans l’eau & les attacher à leur habit. Il eft pour- tant des Efpeces de ces Teignes qui ne s’habillent pas indiRe- remment de toutes fortes de matieres, & qui femblent choifir par préférence des matieres d’un certain genre dont elles revètent conftamment leur fourreau. Les unes préferent des grains de gravier ou de petites pierres ; d’autres , des Feuilles ou des fragmens de feuilles; d’autres, des brins de joncs ; d'au- tres , des graines , &c. , Nos Teignes aquatiques ne fortent pas d’elles-mêmes de leur fourreau : il leur fert de retraite ou de défenfe, & fi l’on veut les obliger à en fortir , elles ne l’abandonnent qu'à la derniere extrémité : le met-on enfuite à leur portée ? elles y rentrent auffi-tôt. IL n’en eft pas de même des Teignes domeftiques ; elles ne rentrent plus dans leur fourreau , quand on les force à l'abandonner. Les Teignes aquatiques font pourvues de dents comme les Chenilles, & rongent comme elles les feuilles des Plantes : mais elles font çn méme temps carnivores , & dévorent les Vers & Toures a ST DE LA NATURE. Part. XII 209 Toutes ces Teignes fe métamorphofent dans leur fourreau (2); les unes en Papillon, les autres en Mouches (3), d’autres en Scarabés. les Nymrhes des Infectes aquatiques. Elles fe dévorent même les unes les autres, & une Teigne qui auroit le malheur d’être privée de fon fourreau , feroit bientôt dévorée par les Teignes de {on Hfpece. À l'approche de la premiere métamorphofe, les Teignes aquatiques amarrent leur fourreau , mais de maniere que l’eau puiffe toujours s’y renouveller : elles ne le fxent donc jamais fur l'extrémité qui doit demeurer ouverte : quelquefois il leur arrive de le fixer au fonrreau d'une autre Teigne , qui le tranf- porte ainf avec,le fien. Quelques -unes de ces Teïgnes nous montrent un procédé païticulier : à l’approche de la métamorpkofe, elles raccour- ciffent leur fourreau. Comme la Xymphe eft moins longue que la Teigne , elle peut être très -bien loge dans un fourreau plus court, & apparemment qu’il lui convient que le fourreau foit raccourci. | (2) tt Les Teignes aquatiques ne fubiffent dans leur Four- teau que la feule transformation en Nymphe. Mr. de GEER s’en eft affuré. Le fourreau fe trouve fouvent placé à une aflez _ grande profondeur fous l’eau: fi la transformation en Mouche | s'opéroit dans cette enveloppe, la Mouche , toute aérienne, | rifqueroit de fe noyer en traverfant la couche d’eau qui la fépare | de l'air. La Nature, qui a voulu la confervation de l’Infecte, a | enfeigné à la Nymphe à fortir du fourreau à l’approche de la | derniere métamorphofe. Celle-ci n'a point à redouter l’eau, fon | élément naturel : elle ouvre donc la porte de la maifonnette, | traverle l’eau, s’éleve à la furface & gagne le plein air, où | lle fe défait de l'enveloppe de Nymphe pour paroitre fous fa derniere forme de Mouche. C3) + Les Teignes agmatiqnes font des Vers à fix pieds, Tome 11I. O 210 AJYC/OSN TE MP LSANTRT ON QUELQUES Teignes champètres n’empruntent point pour fe vètir des matieres étrangeres ; elles s’habillenr de pure foie; mais leur tiflu eft bierr ! plus ferré , bien plus fin, bien plus luftré que celui des plus belles coques des Chenilles. Il a encore une fingularité de plus ; il eft tout com. pofé de petites écailles femblables à celles des Poiffons , & qui fe recouvrent un peu les unes les autres. Le fourreau eft quelquefois furmonté d’une enveloppe en forme de manteau, qui le couvre prefque en entier, & qui eff compolé de deux pieces principales , dont la figure imite ” celle d’une coquille bivalve ou à deux battans. Des Teignes qui HER dans leur propre fond la matiere de leur habit, devoient favoir. Valonger & l’élargir : il leur en auroit trop coûté. de s'en faire un neuf au befoin. Auffi enten. Û dent-elles à merveille à Pagrandir. Elles n’y met- 4 tent pas des”é largiffures à la maniere des Teis gnes domeftiques: elles le fendent de place en. # qui fe transforment en des Mouches à taie ailes ; dun genre particulier : leurs ailes font colorées à -peu-près comme celles des Papillons; mais elles ne doivent-pas leurs couleurs, coma ces dernieres , à de petites écailles diverfement chlbées. (Part INT , Chap. XVHI, Note 4.) La forte de reffemblance de ee Mouches avec les Papillons a porté Mr. de REAUMUR à Icus}, donner le nom de DRE D’ ‘autres Le les ce nominées Frigunes. DE LA NATURE. Part XII 211 place fuivant fa longueur, & rempliflent fur-le- champ les intervalles par de nouveaux fils d’une longueur proportionnée à l'ampleur requife. Ce fourreau , de forme finguliere , devient auffi pour elles une forte de coque où elles fe transforment en Papillons. CHAPITRE XIE Les Infetes qui fe recouvrent des matierés qu'ils rejettent. Îf C: font des Hommes bien dégoûtans que ces Hottentots qui fe ‘font des ceintures & des bottines d'inteftins de Bœuf, qu’ils négligent de vuider. Le Peuple des Infectes a auf fes Hotteñtots. Un petit Ver à fix pieds, jaunâtre; très - dodu , grand mangeur de fon naturel, & qui dévôre les feuilles des Lys, fait plus encore que le Hottentot ; car il recouvre tout fon corps de fes propres éxcrémens. Sa peau délicate, fine & tranfpirente demandoit apparemment à être défendie contre lardeur du Soleil ; & tout a été bien difpolé dans l’Enfeéte pour qu'elle le füt par les matieres qu’il rejette. Au lieu d’ètre placé ; comme à lordinaite, du côté du ventre; O 2 si» CONTEMELA TITI Vanus eft placé du côté du dos, & linteftin qui va y aboutir chafle les excrémens vers la tête. Il ne les pouffe pas loin ; maïs un mouvement ondulatoire des anneaux, que le Ver fait diriger & modifier à propos, chale la matiere de place en place , & l’étend peu-à-peu fur le dos & fur les côtés. Elle gliffe facilement fur la peau unie du petit Hottencot, & l'humidité qui la pénetre facilite encore fa marche. À peine le Verat-il mangé deux à trois heures, que tout le deffus de fon corps eft recouvert d’une couche d’ex. crémens. Cette couche , d’abord très-mince, s’é- paiflit à chaque repas, & les repas de notre Infecte font toujours copieux. Elle s'épaiflit enfin au point d'acquérir un volume trois à quatre fois plus grand que celui de Animal. AHublé de cette énorme couverture , enterré , pour ainfi dire, fous un monticule d’excrémens, il ne montre plus que fa tête, qui eff fort petite, & fous cet afpeét étrange, il trompe l'œil du Spectateur peu inftruit, qui croit ne voir qu'un tas d’excrémens. Cette épaifle enveloppe tient peu au corps de l’Infecte, & quand il le veut il s’en débarraffe facilement : quelquefois elle tombe d’elle-mème, & une nouvelle lui fuccede, qui ne coûte pas plus à fabriquer que la pre- miere. Cette forte de Teigne n'a fimplement qu’à manger pour fe vètir. Son accroiflement eft aflez D'EUL AN N A T UK E. Part. XII. 213 rapide : il ne lui faut qu’une quinzaine de jours pour acquérir la grandeur propre à l’Efpece. Alors elle entre en terre & s’y conftruit une coque qui mérite fort d’être examinée. L’exté- rieur ne préfente qu'un petit amas de terre: mais l’intérieur offre une tapierie de fatin qui a tout l'éclat de l'argent le plus pur. On la croi- toit de la foie la plus fine & la plus luftrée ; elle neft pourtant formée que d’une matiere moufñeufe que la Teigne rend par la bouche, & qui fe feche promptement à Pair. C'eft avec cette matiere finguliere qu’elle lie les grains de terre qui recouvrent fa coque & lui fervent de défenfe. Après y avoir revètu la forme de Nym- phe, l’Infecte fe montre bientôt fous celle d’un très-joli Scarabé , dont l’écaille brillante eft du plus beau rouge de vermillon, & dont la tête, les jambes & le ventre font d’un noir tres-luftré. Ux autre Ver à fix pieds, d’une figure plus remarquable que le précédent, & qui vit fur PArtichaut, ne couvre pas tout fon corps de fes excrémens & ne les applique pas immédia- tement fur fa peau. Il a été mis en état de les employer avec plus d'art & de propreté. Il ne s’en fait pas une enveloppe ; il s’en fait un pa- ra{ol, auquel il donne la direction & Peélévation qu'il veut. Il l'incline en avant ou en arriere, O 3 314 CONTEMPLATION léleve ou l’abaifle felon fes befoins. Les pieces du parafol font uniquement de la main de la Nature; l’étoffe eft fournie par l’Infeéte. Pres de l’anus eft attachée une longue fourchette écailleufe & mobile , fur laquelle les excrémens s’'arrangent à melure qu’ils fortent. Bientôt toute la fourchette en eft garnie, & l’Infecte eft en pofleflion d'un parafol qui le met à l’abri du Soleil. Mais ce ne font pas feulement les ma- tieres qu’il rejette par l'anus, qui fervent à com- pofer la toile du parafol : comme bien d’autres Infectes , il change de temps en temps de peau, & la peau dont il fe défait s’ajufte auffi fur la fourchette & fert quelquefois de fond à l'étoffe du parafol. | NoTre curieufe Teigne, fi pourtant on peut donner ce nom à notre Ver à parafol , fe mé- tamorphofe fur la feuille où elle a vécu, & fans fe faire de coque : parvenue à fon dernier état, elle fe montre fous la forme d’un Scarabé, ca- yadérifé par une forte de camail. St DE LA NATUR F Part. XII. 215 EE —— a — BAMAPETRE XLII. Les Infeées qui habitent dans une forte d’écume. ft Lu Cigale , fameufe par fon chant, eft une très-grofle Mouche à quatre aîles. Il eft d’autres Efpeces de Cigales qui ne font connues que des Naturaliftes, & qui en different par divers ca- racteres. Entre ces Efpeces il en eft une affez petite , qui, fous fes premieres formes de Ver & de Nymphe, mene un genre de vie fort fin- gulier. Quand on fe promene au Printemps dans les prairies , on rencontre fréquemment fur les Plantes des amas d’une forte d’écume d’un blanc vif , toute impréonée de bulles d'air, & qu’on prendroit pour de la falive ( 1 ) : c’eft au milieu de cette écume que vit l’Infecte dont je veux parler. Il en eft entiérement couvert, & pour parvenir à le voir il faut écarter délicatement {on enveloppe , prefque toute aérienne :’on met (1) On à donné le nom d’écumes printannieres à ces amas de matiere moufleufe qu’on voit au Printemps fur les Herbes des prairies. Le Peuple, qui en ignore la vraie nature, les prend pour des crachats de différens Animaux. PouparT eft le pre- mier qui nous en ait donné l’hiftoire. Mr. de GEER l'a per- -Feétionnée : il les avoit édudiées dès 1737. Je les avois aufi ebfervées en 1740, & vérifié la plupart des faits de POUPABT- O 4 16 CONTEMPLATION alors à découvert un petit Animal tout nud, qui femble fortir du bain. Sa peau , de couleur jaunâtre, paroit molle & délicate : il eft porté fur fix pieds, & marche avec aflez de viteffe. A laide d’une trompe, il pompe le fuc d’une mul: titude de Plantes, & plus il pompe, plus il accroit amas d’écume fous lequel il loge. Il la rejette peu-à-peu par l’anus. On voit alors le derriere très-mobile de l’Infecte fe donner divers mouvemens , s’alonger & fe raccourcir , fe dilater & le contracter, & l’écume fortir fous la forme de petites bulles qui s’arrangent les unes auprès des autres. I! #’en forme par degrés un amas confidérable qui cache entiérement l’Infecte. Cette finguliere enveloppe lui eft bien nécef- faire : s’il en demeure prive, il fe deffeche & périt enfin. E!e peut encore le préferver des * attaques dus Iuicétes carnaflers (2). TanDis que les Petits de cette forte de Cigale font jeunes encore, ils demeurent volontiers ! eniemble dans le mème amas d'écume ; ils fem- blent cravailler en commun à l’augmenter ** mais quand ils ont pris un certain accroilfe- ment, ils fe difperfent fur les Herbes, & on ne trouve alors, pour l'ordinaire , qu’un feul Ver. C2.) Ile pourtant des Guépes qni fondent dans l’écume & en enlevent l’Habitant pour le porter à leur guépier. DÉ LA NATURE. Part, XII. 213 æu une feule Nymphe dans chaque amas d’é- cume : il w’eft pas rare cependant d'en rencon- trer deux à trois. On juge bien que les amas d’écume qui recelent plufeurs Nymphes font les plus gros. Il n’en eft pas de ces Nymphes comme de celles de la plupart des Mouches , qui demeurent dans une parfaite immobilité jufqu’à leur transformation : elles fout aufli agiles que les Vers eux-mèmes, & ne peuvent en être diftinguées que par deux tubercules qu’elles ont fur le dos, & qui cachent les aïles de la Ci- gale (3 ). CEST au milieu mème de l’écume que la Nymphe fubit fa transformation ; mais dans cette circonftance importante l’écume ne tou- che plus la peau de linfecte. Il s’en forme , on ne fait encore comment , une forte de voûte mince , unie & tranfparente , qui l’environne de toute part à quelque diftance. Sous cette voûte s’opere commodément la derniere méta- morphofe, & la Nymphe devenue Cigale, la perce aufli-tôt pour fe mettre en liberté & commencer un nouveau genre de vie tout dif- férent du premier. Elle court & faute dans les (3) Ce font donc des dewi- Nymphes ou fanfes - Nymples (Confultez le Chap. IX de la Partie IX.) 518 CONTEMPLATION praires, & cette vie vagabonde fe termine chez les Femelles par la ponte des œufs (4 ). Ex : —— +3 CHA PTT KE L'Araignée qui fe fait un logement de bulles d'air. ni  la fuite des Infectes qui favent fe loger ou fe vêtir, s'offre une Araignée dont les pro- cédés en ce genre ont bien plus encore de quoi nous {furprendre par leur extrème fingu- larité. Elle eft déja très - remarquable par Pélé- ment dans lequel elle vit. Les Araignées les plus généralement connues font des Infectes pure- ment terreltres ; celle que je veux faire con- noître vit au milieu des eaux dormantes : elle en fort néanmoins de temps en temps pour chaffer fur leurs bords : elle eft donc une ef- pece d’Amphibie, mais qui eft plus aquatique que terreftre. Elle nage avec une merveilleufe célérité , tantôt fur le dos, tantôt fur le ventre, (4) Mr. de GEER a remarqué que cette Efpece de Cigale pond fes œufs en Automne, & qu'ils n’éclofent qu'au Prin- temps. Le derriere de la Femelle eft pourvu d’un bel inftrn- ment , compofé d’un affemblage de quatre lancettes écailleufes , “deitinées fans doute à faire dans les Plantes les entailles qui doivent logerdes œufs. | PDÆEMLA AN A4 TU R EAPort. XII. 219 & plus fouvent encore fur le dos. Elle eft une admirable plongeufe, & pourfuit {a proie juf- qu’au fond de l’eau avec une agilité furprenante. D’autrefois elle la pourfuit fur terre, & après lavoir faifie , elle la tranfporte au fond de l’eau. Ceft là qu’elle fe pratique un logement qui eft unique en fon genre, Elle en pofe les fondemens fur quelques brins d'Herbes , & ce fondement elt de pure foie. Elle s’éleve enfuite à la furface de l’eau en nageant fur le dos , expole fon ventre à l’air, & comme il eft toujours enduit d’une forte de vernis, l’eau ne fauroit s’y attacher, mais l'air s’y attache ; un inftant aprés elle le retire promptement fous l’eau , chargé d’une lame d'air qui y eft demeurée adhérente, & qu’elle va placer adroitement dans fon tiflu {oyeux. Elle répete aufli-tôt la mème manœuvre, s’éleve de nouveau à la furface de l’eau , préfente fon ventre à l'air, replonge à l'inftant, & va dépofer une feconde bulle d’air à côté de la premiere. Elle multiplie fes courfes , continue fon travail, & fe trouve enfin en pofféflion d’un petit édifice tout aérien, jai prefque dit d’un palais enchanté, qui lui procure une retraite affurée & commode où elle loge à fec au milieu de l’eau. Mais elle defire un peu plus de folidité à fon édifice; elle veut fur-tout que les bulles d'air qui en font les matériaux , ne puiflent 220 CONTEMP'L A MI ON s'échapper ; dans cette vue elle le recouvre ex- térieurement de foie dont les fils très-fins font fort rapprochés. Elle fort de ce palais enchanté pour fe promener aux environs & chafler aux Infectes. Dès qu’elle en eft fortie, le palais fe refferre de lui-mème , fa capacité diminue ; bien- tôt l’Araignée y rentre chargée d’une proie : iE s’élargit aufli-tôt ; l’Araignée s’y trouve logée à l'aile & y dévore fa proie en füreté. Le Mâle & la Femelle entendent également à conftruire ce logement fingulier. Dans la faifonr des amours , le Mäle quitte le fien, s’approche de celui de la Femelle , s’y introduit , l’agrandit mème par la bulle d'air qu’il porte avec lui, & le logement devient une chambre nuptiale où les heureux Amans fe prodiguent leurs faveurs ( 1 ). (1) Chez les Araignées, la fécondation s’opere d'une ma niere fort particuliere. Les parties fexuelles du Mäle font pla- cées dans un endroit où l’on ne s’aviferoit pas de les chercher : clies font placées dans fes antennes. On n’a pas oublié que les antennes font ces deux cornes mobiles, que les Infeétes portent à la tête, & dont on ignore encore le véritable ufage. (Part. IT, Chap. XVIII. ) Les antennes de l’Araignée Mâle font ter- minées par nn bouton qui renferme la partie deftinée à féconder la Femelle. Chez ces Infeétes féroces, & qui fe dévorent les uns les autres, les approches du Mäle & de la Femelle ne fe font qu'avec précantion , & dans la faifon où l'amour adoucit leur férocité naturelle. En tout autre temps les Araïgnées vivent dans la plus grande folitude au centre de leur toile, & évitent … D'PAL'AY N A TU RE. Part. XIL a2x ærec foin la rencontre de leurs femblables. Mais dans le temps des amours on voit fouvent deux Araignées fur la méme toile, & on les reconnoît aifément pour deux Individus de fexes diffs tens , que les mêmes befoins tendent à rapprocher. Le Iäle fait toutes Les avances : il s'approche à pas lents & melurés; il montre de la défiance, & femble craindre de n’être pas bien reçu: il s’enhardit néanmoins , & quoique beaucoup plus petit & moins fort que la Femelle, il ofe s’en approcher au point de 12 toucher d’nne de fes pattes; mais, faifi aufli-tôt d’une frayeur fubite , il recule à l’inftant : la Femelle demeure pourtant im- mobile au centre de fa toile, la tète tournée en en-bas, & ne paroïît point chercher à intimider le Mâle. Bientôt 1 réitere {es approches , & devenu plus hardi, il follicite plus vivement des faveurs qu’on n’eft point dans l'intention de lui’ refufer : le bouton d’une de fes antennes s'ouvre ; il en fort un petit corps eharnu qu'il applique à la partie fexuelle de la Femelle, placée fous le ventre , aflez près du corcelet : il répete la même ma- nœuvre avec l’autre antenne , & la femelle eft rendue féconde. Telles font, en particulier, les amours de ces Araignées de Jardin qui fe filent des toiles verticales en polygones, & dont plufieurs Efpeces font remarquables par leurs belles couleurs : les amours de quelques autres Efpeces offrent d’autres parti« cularités que je ne m'arréterai pas à décrire. Mr. GEOFFROY , un des Hiftoriens des Infeétes, a vérifi£ ges faits, qui avoient déja été obfervés par les LYONEr & les GEER , & il a vérifié pareillement ceux qui concernent l’Arai. gnée aquatique , qui avoient été découverts par un Anonyme. Ka. 853 CONTEMPLATION —— 7 CHAPITRE" >Xw: AXE 3 de , > L’Aroignée mineufe. ît N, Us avons vu des Infeétes qui minent dans le parenchyme des feuilles des Plantes, & qui s’y pratiquent des boyaux ou des galeries ; comme nos Mineurs en pratiquent dans la terre (1). Îls en ont pris le nom de Mineurs de feuilles. Il eft un autre Infecte, d’un genre très-différent , auquel le nom de Mineur paroït bien mieux convenir, parce que c’eft dans la terre qu’il mine, & cet Infecte eft une Araïgnée , fort femblable par fon extérieur à celle des caves x mais qui en differe beaucoup par fon genre de’ vie & fon induftrie. Elle s'établit fur la pente plus ou moins rapide d’une glaife franche & pelée, où l’eau des pluies puifle s’écouler faci- lement. Elle y creufe avec fes fortes pinces une’ mine en galerie, d'environ deux pieds de lon- gueur , & dont la largeur, par-tout à-peu-près égale & proportionnée à fa groffeur , lui permet de monter & de defcendre commodément dans le fouterrein. Elle en tapifle tout l'intérieur de V (1) Confultez le Chap. VIIT de cette Partie, DE LA NATURE. Part. XII. 223 toile de foie qui facilite encore fa marche, retient les gr%ins de terre qui pourroient {e détacher de la mine , & l’avertit de ce qui {e pafle à l’entrée. Là eft un ouvrage étonnant pour être fait de main d'Infecte ; & qu’on feroit mème tenté de révoquer en doute, s’il n’avoit été bien vu & bien décrit par un Naturalifte exact (2). Cet ouvrage , unique chez les Infectes, eft une porte ou plutôt une vraie trappe , formée de plufieurs couches d’une terre détrempée , liée avec de la foie , & dont les contours font fi parfaitement circulaires , qu’ils femblent tracés au compas. Le derriere de la trappe ou la face qui regarde l'intérieur de la mine eft convexe & unie: la face extérieure , qui eft à fleur de terre, eft, au contraire , plane & raboteufe, & {e confond fi bien avec le terrein voifin, qu'on ne fauroit l'en diftinguer ; & on juge facilement que la- droite Mineufe la voulu ‘ainfi pour mieux dé- rober le lieu de fa retraite, Mars je n'ai point dit encore tout ce que le travail de’ cette ingénicufe trappe renferme de plus admirable ; je’ cäinis feulement que ce qu’il miérrefte à en rapporter ne paroifle fabuleux. Sa face pofiérieure eft doublée d’une toile, dont les (2) Mr. l'Abbé SAUVAGES. #24 CONTEMPLATION fils très - forts & très - ferrés fe prolongent de maniere qu’ils forment une forte de penture (3) qui fufpend artiftement la trappe à la partie la plus élevée de l’ouverture de la galerie. Au moyen de cette penture, comme à laide d’une. char- niere, la trappe peut s'élever & s’abaifer, ouvrir & fermer la galerie. Son propre poids fuffit à l’abaifler , foit parce que la galerie elt fort incli- née à l’horifon, foit-parce que la Mineufe a eu ladreffle de la fufpendre à la partie fupérieure de louverture, comme fi elle connoifloit l’eifet de; la pefanteur. Cette ouverture eft ficonnée en entonnoir, & fon évalement forme une efpece de fcuillure contre laquelle la trappe va battre quand elle s’abaiffe. Elle s’ajufte alors avec tant de précifion dans: la feuillure , qu’elle ne laiffe par- dehors aucune prife pour la foulever , & qu’elle femble faire corps avec la feuillure. Si pourtant on introduit adroitement la pointe d’une épingle dans le joint, on parvient à fou- lever un peu la trappe , mais alors on éprouve une réfiftance dont on eft étonné. Elle augmente à mefure qu’on tente de foulever davantage la trappe. Mon Lecteur devine-t-il ce qui produit cette réfiftance ? L’Araignée avertie par l’ébran- (3) On nomme pexfure, en terme de l’art, cette bande de fer qui fert à foutenir une porte. lement ms Sd ds! | DE LA NATURE. Part. XII 22 fement léger que FPépingle occafione dans les fils qui fe prelongent le long de la galerie, ac- court promptement à la porte, cramponne fes pattes d’un côté aux parois de la galerie, de l'autre à la porte, & fe renverfant en arriere, elle fait effort pour la tirer à elle. Ainf la porte s'ouvre & fe ferme alternativement, fuivant que l'Obfervateur l'emporte dans ce petit combat fur l’Araignée , ou l’Araignée fur PObfervateur. Mais on fent bien de quel côté la viétoire doit pen- cher, & l’on n’en eft pas moins étouné qu’un fi petit Animal puifle faire une fi grande réfif- tance. L’Obfervateur forte enfin la porte , ou la fouleve entiérement, & l’Araignée eft réduite à fuir à toutes jambes au fond de fa galerie. On peut répéter bien des fois les mèmes procédés avec l’induftrieufe Mineufe, & éprouver chaque fois de {à part la mème réfiftance. Toujours elle accourt à fa porte & fait les plus grands efforts * pour empècher qu’on ne l’ouvre. APPELLÉE à vivre dans la retraite la plus obfcure , cette Araignée femble ne pouvoir fup- porter l'éclat du grand jour. Quand on la retire de fa mine , fon agilité naturelle l’'abandonne ; elle paroït languiffante & comme engourdie; & fi elle fait quelques pas , c’eft en chancelant. On ne peut même parvenir à la conferver long-temps Tome ILL, 26 CONTEMPLATION Hors de fa mine, & toutes les Araignées de cette Efpece qu'on renferme dans des vales, y périflent (4). , (4) On defireroit que Mr. l'Abbé SAUVAGES eût pu fuivre l'habile Mineufe dans fon curieux travail. C'engeft un bierr confidérable pour un fi petit Infecte, que celui de fe creufer dans la glaife une galerie d'environ deux pieds de longueur : mais c’eft fur-tout à la conftruétion de l’admirable trappe qu’on voudroit le voir occupé. Le lieu où elle eft conftruite rend Vobfervation bien difficile. On pourroit pourtant imaginer des moyen$ qui en diminueroient la difficulté. La Mineufe ne refu- feroit peut-être pas de travailler fous les yeux de l'Obfervateur. Jai fouhaité de favoir, fi depuis la publication de fon inté- reffante obfervation en 1758, Mr. SAUVAGES w'avoit rien découvert de nouveau fur fon Araignée : je l'ai done fait in- terroger par un Ami, & fa réponfe a été qu'il n'avoit rien de plus à m'en apprendee. Il ne nous a pas dit le principal ufage de cette trappe finguliere qu’il nous a fi bien décrite. On pour- roit foupçonner que l’Araignée a un moyen de la foulever de temps en temps, & que lorfqu'un Infeéte fe préfente à l’ou- verture du fouterrein , elle la laiffe fur-le-champ retomber pour retenir la proie captive. La trappe feroit ainfi un piege que læ Mineufe tendroit aux Infectes. On trouve cette Araignée aux environs de Montpellier : mais, fans doute qu'elle n’eft pas prepre au Languedoc. (ee 7 © DE LA NATURE. Port. XII. 34% CHAPITRE XVI, =—— Ye Réflexions [ur ces divers procédés des Infectes. Ÿ OUS avez parcouru d’une vue rapide les procédés d’une multitude d’Infeétes différens , &' vous vous étonnez avec railon de la grandé variété qui regne dans ces procédés, tous rela- tifs à une même fin générale , & tous auff diver-: fifies que le font ceux de nos Artifans ou de no$ Artiftes. D’où vient que parmi les Infectes qui fe préparent à la métamorphofe ; les uns fe pen- dent par le derriere, les autres fe lient avec une ceinture, d’autres fe conftruifent des coques ? D'où vient que parmi ceux qui fe conftruifent des coques, les uns les font de pure foie , tandis que les autres y emploient des matieres de di- vers genres ? Pourquoi la forme de ces coques elt- elle fi différente chez différentes Efpeces ? Pourquoi eft-il des Infectes qui roulent artifte- ment les feuilles des Plantes , tandis que d’au- tres ne font que les lier ou les plier ? D'où vien que d’autres minent ces feuilles, & pourquoi ne les -minent -ils pas tous de la mème maniere # Pourquoi enfin , toutes les Teignes ne portent< clles pas le mème habit ? P 258 !: CONTE M.P L'AMOUR Tous ces pourquoi, & mille autres qu'of peut former fur les productions de la Nature, font autant d’énigmes pour des Etres relégués dans un coin de l'Univers, & dont la vue, auf courte que celle de la Taupe, ne fauroit appercevoir que les objets les plus voifins & les rapports les plus direds & les plus faillans. Les ouvrages des Infeétes font les derniers réfultats de leur organifation , & cette organifation répond au rôle qu'ils devoient jouer dans la grande Machine du Monde. Ils en font, à la vérité, de bien petites Pieces; mais ces Pieces concourent à un effet général par leur engrenement avec des Pieces plus importantes. Ainfi la ceinture que fe file une Chenille, a fes rapports à lUni- vers, comme l’Anneau de Saturne. Mais, com- bien de Pieces différentes interpofées entre la ceinture & l’Anneau, & entre Saturne & les Mondes de Syrius! Si l'Univers eft un Tout, & comment en douter après tant & de fi belles preuves d’un enchaînement univerfel ( 1)? la ceinture de la Chenille tiendra donc aufh aux Mondes de Syrius. Quelle Intelligence que celle qui faifit d’une feule vue cette chaine immende de rapports divers, & qui les voit fe réloudre tous dans Unité & l'Unité dans fa Cause! f Çr) Puit. I, Chap. I & VII, D? LA KATURE. Part. XII. 32% IL faut bien que nous demeurions dans læ place qui nous a été affignée , & d’où nous ne pouvons découvrir que quelques chaïinons de læ chaine. Un jour nous en découvrirons davan- tage, & nous les verrons mieux. Én attendant, nous pouvons envifager les procédés fi variés & G induftrieux des Infectes , comme un agréa- ble fpectacle que la Nature préfente aux yeux de PObfervateur, & qui devient pour lui une fource intariffable de plaifrs réfléchis & d’inf- tructions utiles. Il eft conduit à l'AUTEUR de PUnivers par le fil de la Chenille, & il admire dans la variété des moyens, & dans leur ten- dance au mème but, la fécondité & la fagelle de YINTELLIGENCE ORDONNATRICE. Le Spectacle eft plus intéreffant encore ; lorf- que lObfervateur entreprend de dérouter les Infectes & de les tirer de leur cercle uaturel. Ils montrent alors des reffources qu’il n’avoit pas Jui-mème prévues & qui trompent fon attente. Lorfque les Fauñles-teignes de la cire manquent de cire. elles favent fe faire des galeries de cuir, de parchemin ou de papier. On a vu,une Che: nille parvenir à fe conftruire une coque avec de petits morceaux de papier qu’on lui avoit-offerts & qu’on avoit coupés comme on avoit voulu Elle les faififloit avec fes dents & fes premiçres P 3 4 859 CONTEMPLATION jambes, les tranfportoit au lieu où elle s’étoit établie , les mettoit en place, les lioit avec des fils, poloit les uns fur la tranche, les autres de plat, & formoit de tout cela un afflemblage un peu bizarre, il eft vrai, mais qui répondoit par: faitement à une coque. Elle lui auroit donne une figure plus réguliere fi elle avoit travaillé avec les matériaux deftinés à fon Efpece. Avant que nous euflions appris à préparer & à apprèter Jes laines & les peaux des Animaux , les Teignes domeftiques n’alloient pas apparemment toutes nues { 2). Peut - être qu’elles s’habilloient alors à la maniere des Teignes champêtres (3 ). Cette réflexion nous achemine à tenter d’obliger dif. férentes Teignes à fe vêtir différemment. Il {e- roit curieux encore d'en obliger d’autres à aller nues. Il s’en trouveroit probablement qui fe pañfleroient fort bien d’habit. Une fuite de gé- nérations de ces Teignes , élevées nues , nous (2) tt Les draps & les fourrures ne font pas les feuls ali. mens qui conviennent aux Teignes domeftiques : elles s’accom- modent très-bien des plumes des Oifeaux , & les emploient aufli dans la fabrique de leur fourreau. (3) tt Je ne veux pas dire à la maniere des Mineufes : V'induftrie des T'eignes mineules differe trop de celles des Tei- gnes domeïtjques : mais on peut fuppofer ayec fondement , que les Teignes domeftiques fe fervoient alors des poils des Végé- taux ou de brins d’Herbes fort déliés. Il faudroit eayer d’o- bliger des Teignes de cette Efpece à fe vétir de pareils poils , &te. D-E LA NATURE. Part. XII. 295 apprendroit fi elles oublieroient enfin l'art de fe vêtir, &c. &c. SC) PANPIDNE, XVI Procédés des Coquillages. La Moule de riviere. N. Us nattendons pas beaucoup des Coquil- lages : renfermés dans un étui prefque pierreux & qui fait partie de leur être , ils nous paroif- fent bien lourds , & pour peu qu’ils nous mon- trent d’induftrie, nous leur en tiendrons grand compte. Tous ne font pourtant pas auffi lourds qu’ils le paroïffent : nous allons contempler avec plaifir les procédés de quelques-uns. Vous favez, que les Moules habitent une coquille à deux battans. Les deux pieces font unies par une forte de charniere, que la Moule fait jouer pour ouvrir & fermer à: fon gré la coquille. La ftruéture de l’Animal n’elt pas notre -objet actuel : nous voulons voir ce qu'il fait faire. Il s’agit de la Moule des Rivieres. EN voilà une dont la coquille repofe à plat fur le fable. Dans peu de temps, cette coquille fera aflez loin du lieu où elle vous paroït main- P 4 32 6 ON TE M PL A To NA tenant collée. Ce ne fera pas la riviere qui lu? fera changer de place; ce fera la Moule elle- même qui la tranfportera. Vous cherchez à pénétrer comment elle s’y prendra, & vous ne le découvrez point. Laiffez. la faire, & fuivez-la. Elle entr’ouvre fà coquille : elle en fait fortir une efpece de langue ow de trompe charnue. Je vous préviens , que fon def. fein eft de mettre fa coquille fur le tranchant : elle repofe encore fur un de fes côtés, & ce côté elt à-peu-près plat & le terrein horifontal. Comment donc réuffira-t-elle à élever la coquille & à la pofer fur fa tranche ? Elle n’a! pour tout inftrument que fa trompe:: : AVEC cette trompe , elle laboure le fable autour de fa coquille; elle creufe un petit fofé ; elle y fait tomber la coquille, qui fe trouverainf pofée prefque verticalement fur fon tranchant, La Moule porte fa trompe en avant; elle Palonge le plus qu’elle peut ; ‘elle en:cramponne l’extré- mité-dans le fable, &:à laide de ce point d'ap: pui, elle tire à elle Ja coquille , qui acheve de fe relever : la voilà qui pole toute entiere {ur {a tranche. 10b op HET Mais, la Moule veut aller en avant. Sa trompe DE LA NATURE. Part. XII. 233 trace dans le fable un fillon ou une rainure : elle {e cramponne comme la premiere fois : la Moule tire à elle la coquille ; celle-ci gliffe dans la rainure , qui la maintient fur fon tranchant. La Mouie fait ainfi chemin, & nous montre dans fa méchanique une reflource que mans m'avions pas imaginée. Sa trompe lui tient lieu de mains & de pieds, & fuit à tout : auffi eft- elle plutôt une main ou un pied, qu’une véri- table trompe. EE — GP APR REX VIE aTe fs) Autres Coquillages. La Telline. (D Coquillages de Mer dont la coquille eft encore à deux battans, fe meuvent par uné méchanique peu différente. La plupart font pourvus de deux tuyaux, au moyen defquels als refpirent l’eau, & qu’ils ont grand foin de tenir élevés au- deffus de la,vafe dans laquelle ils ont coutume de s’enfoncer plus ou moins. I en eft qui font jaillir l’eau à plufieurs pieds de diftance (1 ). (x) ff Les Lavignons, les Sourdons , les Palourdes , &e. {ont du nombre de ces Coquillages de Mer, dont la coquille eft 234 €CONTEMPLATION LA partie unique, qui dans quelques - uns exécute le mouvement progreflif ou rétrograde, reflemble fort bien à une véritable jambe munie de fon pied ; mais cette jambe eft un Prothée, qui prend toutes fortes de formes pour fatif faire aux befoins de lAnimal. Elie ne lui fert * pas. feulement à ramper, à s’enfoncer dans la vafe ou à s’en retirer ; mais, il s’en fert encore avec beaucoup d’adrefle pour exécuter un mou- vement dont on ne fe douteroit pas qu'un Coquillage fût capable. Ux Coquillage qui faute doit paroïître un fpetacle bien nouveau. C’eft une Telline que vous avez actuellement fous les yeux. Remar- quez qu’elle a mis fa coquille fur la pointe ou bivalve , & qui s’enfoncent plus ou moins dans la vafe. Ils appartiennent au genre des Cames. Les tuyaux des Sourdons, en particulier, font des efpeces de pompes afpirantes & fou Jantes, qui attirent & rejettent alternativement l’eau de la Mer. Ceux de la Palourde peuvent faire jaillir l’eau à près de quinze pieds de diftance. Les Cames, proprement dites , favent voguer {ur une Mer tranquille, ou qui n’eft agitée que par les Zéphirs. Elles élevent alors un des battans de leur coquille & s’en fervent comme de voile, tandis que l’antre leur tient lieu de nacelle. On voit de petites flottes de ces Cames voguer ainfi au gré des vents. Sur- vient-il quelqu’ennemi ? les Cames referment leur coquille , fe plongent au fond de l’eau, & la petite flotte difparoît. Les Cames auroient donc un moyen que nous ne connoiflons pas de regan gner la furface de l’eau. | | DE LA NATURE. Part. XII. 2,ç le fommet , comme pour diminuer les frotte- mens. Elle alonge fa jambe Je plus qu’il lui eft poffible ; elle lui fait embraffer une portion con- fidérable du contour de la coquille, & par un mouvement {ubit , analogue à celui d’un reflort qui fe débande , elle frappe de fa jambe le ter- rein , & faute ainfi à une certaine diftance. CHAPITRE XIX. VE We? Le Coutelier. | Coutelier ne rampe point. Il perce le fable perpendiculairement. Il s’y creufe un trou ou une forte de cellule, qui a quelquefois deux pieds de longueur, & dans laquelle il monte & - defcend à fon gré. Sa coquille, dont la figure imite un peu celle d’un manche de couteau , lui a fait donner le nom de Coutelier. Elle eft com- pofée de deux longues pieces creufées en gout- _tiere, & réunies par des membranes. C’eft un étui qui renferme le corps de l'Animal. La partie à l’aide de laquelle il exécute tous fes mouve- mens, eft logée au centre. Elle eft deftinée à faire principalement la fonction de jambe, & elle s'en acquitte au mieux. Elle eft charnue , cylin- 236 CONTEMPLATION drique & affez longue. Son bout peut, quand äf le faut, s’arrondir en maniere de boule. Voyez ce Coutelier étendu de fon long fur le fable. Il va travailler à s’y enfoncer. Il fait {ortir fa jambe par le bout inférieur de la co- quille : il Palonge & fait prendre à fon extré- mité la forme d’une pèle tranchante des deux côtés & terminée en pointe. [1 la dirige vers le fable, & fe fert du tranchant & de la pointe pour ly engager un peu avant. L'ouverture faite, il alonge fa jambe encore davantage; il la fait pénétrer plus bas dans je fable, il la recourbe en crochet, & faififlant avec ce cro- chet un point d'appui, il tire à lui la coquille, Voblige à fe redrefler peu-à-peu & à defcendre dans le trou. Veut-il continuer à s’enfoncer ? il fait fortir toute fa jambe hors de la coquille; il engage dans le fable la boule qui la termine alors ; il raccourcit auffi-tôt cette jambe ; fa grofle tète, engagée fortement dans le trou, réfifte plus à remonter, que la coquille à def cendre : elle defcend donc, & c’eft un premier pas que le Coutelier fait dans le fable : il n’a qu'a répéter les mèmes manœuvres pour s’enfoncer toujours plus. Veut-il remonter ? il ne fait fortir que la boule; il fait en mème temps effort pour alonger la jambe : la boule qui réfifte | Î 1 | { | DE LA NATURE. Part. XII 23% à defcendre , poufle la coquille vers le haut du trou. IL eft aflez finguïier que le Coutélier , qui vit dans l’eau falée, craigne le fel. Si l’on en jette une pincée dans fon trou, il en fortira promp- tement. Si on le prend, & qu’on le laiffe enfuite rentrer dans fa cellule , on aura beau y jetter du {ei , il n’en fortira plus. On diroit qu'il {e fou- vient d’avoir été pris, & cela eft fi vrai, que lorlqu'on ne cherche point à le prendre, on le fait toujours fortir à volonté, en jettant du nou- veau fel dans le trou. Il femble donc qu’il con- noille le piege qu’on lui tend , & qu'il ne veuille pas s’y laifler prendre. EE ——— — MON AOPOL TE RYE, XX BYE =——— nd) Les Dails ou Pholas. Jin les yeux fur cette pierre que je viens de ramañler au bord de la Mer. Un Coquillage vivant y fait fa demeure. Si je n’ajoutois pas qu’il elt vivant, vous croiriez que Je veux vous montrer une pétrification , & votre curiofite ne fereit pas excitée par une chofe fi commune, RCE 338 CONTEMPLATION REMARQUEZ fur la furface de la pierre üñ trou fort petit : c’eft par-là que le Coquillage y eft entré, & vous jugez de Ja petitefle de cé Coquillage par celle de cette ouverture. Parta- geons la pierre pour voir le fingulier Animal qui l’habite. Quelle n’eft point votre {urprife! voilà un gros Coquillage, qui a plus de trois pouces de longueur , & dont la coquille eft formée de trois pieces unies par une membrane ligamen- teufe (1 ). Il cft logé dans une grande cavité, creufée en maniere d’entonnoir ou de cône tron- qué. Le fommet du cône eft dans ce petit trou que vous voyez à la furface de la pierre. Ce Coquillage .eft un Dail ou un Pholas. Comment a-t-il pu parvenir à percer une pierre fi dure ? Comment a-t-il pu pañler par un trou fi petit ? = APPROCHEZ-vOUS de ce banc de terre glaife où le flot va mourir. Il eft percé d’une multi: tude de trous pareils à celui de la pierre que vous avez à la main. Tous ces trous font habités © (x) tt n'eft pas apparemment bien facile de déterminer le nombre des pieces de la coquille du Dail. Mr. de REAUMUR > que je fuivois ici, lui en donnoit trois. D’autres Naturaliftes ne lui en donnent que deux, & Mr. la FarLLe lui en donne fix, Y auroit-il plufieurs Efpeces de ces Coquillages diftinguées par’ le nombre des pieces de leur coquille ? ou les picces principales de la coquille feroient - elles divifées , eu, fi l'on veut ; com pefées ? DE LA NATURE. Part. XII 298 ÿar de jeunes Dails, qui n'ont que quelques lignes de longueur. Ils n’ont donc pas eu 4 percer une pierre dure : une fimple glaife & une glaife abreuvée réfifte peu. Mais la Mer convertit infen- fibleent cette glaife en pierre : le Dail, qui fe trouvoit d’abord logé dans une terre molle, fe trouve par la fuite niché dans une cellule pier- reufe. LE mouvement progreflif de ces Coquillages eft fans doute le plus lent qu’il y ait dans la Nature ; car il fuit les proportions de leur accroif- fement. À mefure qu’ils croiflent , ils s’enfoncent davantage. Ainfi la mefure de l’accroiflement eft celle du mouvement progreflif. De-là vient que la cellule eft un entonnoir renverfé. Nous avons vu, que le Coutelier fort de fon trou quand il lui plait; le Dail ne fort jamais du fien, & n’en peut fortir : la forme de cette forte de cellule s’y oppofe. Tout ce qu'il peut faire’, c’eft d’alonger deux tuyaux à l'ouverture du trou avec lefquels il tire & rejette l’eau. Le Coutelier en fait de mème. Vous êtes impatient de connoitre l’inftrument au moyen duquel le Dail creufe fa cellule. Cet inftrument n’a rien de tranchant : il eft purement 240 CGONTEMP L A TE M charnu & taillé en forme de lofange. Vous jugez avec raifon qu’il doit opérer bien lentement, mais vous ne vous doutez peut-être pas, qu’il eft capable de percer la glaife pétrifiée : au moins eft-il très-{ür qu’il peut percer le bois. Appa- remment que les Dails vivent long-temps, puif- que ce n’eft que très à la longue que la glaife fe pétrifie (2). (2) tt Je venois de dire, que le Daïl ef? capable de percer la glaife pétrifiée ; & cela eft très-vrai. Des Naturaliftes dont le témoignage mérite la plus grande confiance , tels que MM. VALLISNIERI, la FAILLE , FORTIS , FOUGEROUX , ent rigoureufement démontré que les Daïls percent la pierre & mème le marbre le plus dur. On trouve des Daïls dans les pierres des fortifications de Toulon, & dans les colonnes d’un vieux Temple d'ESCULAPE près de Naples; & les Dails qui logent dans ces pierres & dans ces colonnes font vivaus, & il en eft de toute grandeur. Mr. FOUGEROUX , qui a beaucoup étudié ce Coquillage , n’eft point parvenu à découvrir la mécha- nique au moyen de laquelle il perce la pierre, & ne nous donne là - deffus que de légeres conjectures. Mr. la FAILLE m'écrivoit de la Rochelle en Novembre 176$: que ce n’ejE point lu partie charnue de L Animal, ou la partie faite en lofange, qui lui Jert & creufer ja cellule dans les banches du rivage; mais, qu'il y emploie uniquement les dents dont fa coquille eJt armée à l'extérieur , €9 qui font Jur la pierre l'effet d'une rappe. Au rap- port de Mr. ADANSON , le Dail du Sénégal fe loge dans un Lmon un peu durci. Les Dails font phofphoriques au - dehors & au-dedans, & la liqueur qui fort de leur corps eft phofphorique aufli. Les Dails defféchés perdent leur lumiere ; mais ils la recouvrent en partie lorfqu’on les humecte. Les corps qu'on humecte de la liqueur dé ces coquillages, paroïfent lumineux ; & lorfque cette lumiere CHAPITRE garant DE LA NATURE.art. XII 54% ES e——— PP RL PANNE NX ET Divers Infeéfes on Animaux de Mer. Les Orties, | pe pour quelque temps les Coquilla- ges ; nous les reprendrons enfuite. Divers In: lectes ou Anihaux de Mer ont aufi 4 nous entretenir des merveilles de leur AUTEUR. Pré- tons - leur lattention qu’ils méritent :-ce qu'ils nous diront vaudra bien un Chapitre de Théo- logie naturelle, | SUR ces rochers qui bordent ia Mer, vous appercevez de petites mafles charnues , de la groffleur d’une Orange , & dont la forme imite empruntée s'éteint , on la fait reparoïtre en plongeant ces corps dans l’eau ; mais alors elle ef beaucoup plus foible. . Le Coquillage de Mer bivalve » qu'on nomme Duatte {ur les Côtes de Provence , & qu’on range parmi les Moules, eft phof: phorique comme fe Dail. Il perce aufli les pierres les plus dures, & fe loge encore dans différens Coquillages’, dans les Madrepores & d’autres Corps marins. . Malgré les retraites que les Dails & les Dattes favent fe creufer dans les corps les plus durs, il ne laiffent pas d’y être attaqués par des Scolopendres & d’äutres Infe@es de Mer ; qui ont été inftruits à pénétrer dans ces retraites profondes & obf= cûres: tant il eft établi dans la Nature, que chaque Efpece d’Etres vivans a {es Eunemis, & que tout y fubfüte par nn sombat perpétuel, Tone 11], Q 242 CONTEMPLATION celle d’une bourfe de jettons, qui eft aflez cells d'un cône tronqué. Toutes ces mafles vous pa- roiffent immobiles & collées au rocher par leur bafe. Les unes font chagrinées, les autres lies. Nous venons de les comparer à une bourfe de jeitous ; mais cette bourfe n’eft pas plifilée, & elle manque de cordons. Ce font des Orties(1) que vous voyez ; Animaux fort finguliers , & qui (1) ff Le nom d'Ortie eft très - impropre, & ne réveille Yidée d'aucun des caracteres par lefquels l'Animal eft connu. Le nom de Cl-de - Chevwl qu’il porte fur quelques Côtes de France, réveille au moins l’idée de fx figure : celui de Æédufe que lui a donné le PLINE du Nord paroîtra peut-être préfé« sable. Les Anciens lui avoient imrpofé celui d'Ortie, parce qu'ils s’étoient imaginé fauflement qu’il produifoit fur ta main le même effet que la Plante de même nom. Les dénominations ne font pas des chofes indifférentes , & il feroit à fouhaiter que: celles par lefquelles on défigne les Êtres de la Nature réveil< fafent toujours dans l'efprit l'idée de quelqu'ut des caraeres principaux par lefquels ces Êtres s'offrent d'abord à nous. Les Nomenclateurs rangent les Orties de Mer parmi ces Animaux que leur molleffe naturelle les porte à nommer des #ollufques ÿ tels font tons les genres de Polypes, & en général la plupart des Zoophytes. Mais les claflifications de ces Étres marins, qui ne repofent fouvent que fur des fondemens très-légers, four millent d’imperfections, & l'axbitraire y domine par-tout. Chas que jour la Mer offre aux Obfervateurs des formes nouvelles & infolites , qu'ils ne fauroient rapporter à des formes connues ;. & que les Nomenclateurs ne favent comment défigner & claffer. La Mer eft bien plus riche que la Terre en Productions fingu- Éeres, & tout l'art des plus habiles Nomenclateurs s’épuile bientôt quand ils ofent entreprendre de les afujettir à leurs méthodes. Or peut en juger par les divers échantillons que DE LA NATURE. Part XII 243 Bemandent à être obfervés de plus près. Le corps de PAnimal eft en effet renfermé dans une forte de bourfe charnue , de figure conique. Au fom- met du cône elt une ouverture que l'Ortie aug- mente ou diminue à fon gré. Parcouroxs les Orties que nous avons 4c- tuellement fous les yeux : en voilà une qui s’ou. vre & s’épanouit comme une fleur ( 2 ). Elle a fait fortir cent cinquante cornes charnues, femblables à celles des Limaçons , diftribuées far trois rangs autour de l'ouverture. Vous remarquez que de petits jets-d’eau jaillifent de ces cornes : elles n'ont donc pas les mêmes fonctions que celles du Limaçon: vous jugez qw’elles font analogues aux tuyaux des Dails, des Couteliers & des autres Coquillages que vous avez vus, & cG jugement eft très-vrai. Vous remarquez encore, que la figure de toutes ces Orties varie beaucoup ; que leur bafe eft tantôt circulaire, & tantôt ovale, & que la hauteur du cône varie comme les dimenfions de fous préfentent les Mémoires que l'infatigable DrcQuEMAaRE publie de temps en temps. (2) ff Les couleurs agréables & variées de diverfes Orsies + éendent cctte comparaifon avee une Reur plus jufte encore, Q. 3 44 .CONTEMPLATION à bafe. Il s’éleve ou s’abaiffe fuivant que la bafe fe rétrécit ou s'élargit. Toucuez une de ces Orties épanouies ; VOyez avec quelle promptitude elle fe ferme & fe con tracte. Mais vous n’appercevez point de mouve- ment progreflif : les Oréies font-elles donc con- damnées à pañler toute leur vie collées à la mème place ? Les Anciens Pont cru: Que devons-nous en penfer ? IL y a environ une heure que cette grofle Ortie, que vous avez à Votre droite , touchoit cette pointe du rocher : remarquez qu’elle en eft à préfent éloignée de plus d'un pouce. Vous vous étonnez de ne lavoir point apperçu cheminer , car vous l'avez regardée plus d’une fois : c’eft que ce mouvement progreffif eft aufli lent que celui de l'aiguille d’une horloge. Nous devons etre curieux de conñoître comment l'Ortie les xécute. Tour fon corps eff garni extérieurement de divers ordres de mufcles. Ceux de la bafe vont, comme des rayons , du centre à la circonférence : d'autres defcendent du fommet vers la bale. Ces mufcles font en mème temps des canaux pleins d'une liqueur qu’on en fait {ortir en les piquauts DE LA NATURE. Pat. XII. 24% Ils fe rempliffent & fe vuident au gré de l'Ortie. C’eft par le jeu de ces mufcles ou çanaux que s'exécute ce mouvement, progreflif que nous cherchons à connoître. Suivons lOrtie lorfqu’elle veut aller en avant. Sa bafe eft circulaire. Elle enfle les mufcles qui regardent le côté où elle tend. Elle y envoie fa liqueur , qui en les enflant, les alonge. Ils ne peuvent s’alonger que le bord correfpondant de la bafe ne change de place & ne fe porte un peu en avant. En mème temps, elle relâche les mufcles oppolés , elle en vuide les canaux. Ils fe raccourciffent : ils ne peuvent fe raccourcir que le bord de la bafe qui leut correfpond , ne rentre un peu en dedans, & précifément d'autant que le bord oppolé s’eft porté en dehors. Telle eft la Méchanique qui exécute le premier pas de notre Ortie. Pour en faire un fecond , elle fait prendre de nouveau à la bafe la forme circulaire , en gonflant, égale ment tous les canaux , puis elle répete les mèmes manœuvres que nous venons d’entrevoir, Tour le mouvement progreflif des Orties ne fe réduit pas à celui-ci. Elles ont une autre ma- niere de marcher , qui fe rapproche plus de celle des Infectes. Elles favent fe fervir de leurs cornes en guile de jambes. Mais ces cornes font au fommet de leur corps ; POrtie eft appliquée Q 3 ÿié CONTEMPLATION par fa bafe contre le rocher : comment les cor nes feront-elles la foriétion de jambes ? L’Ortie que vous fuivez va vous l’apprendre. Elle fe renverfe fens deflus deflous ; la bafe abandonne le rocher, & le cône et placé fur fon fommet, : Toutes les cornes fortent, & vous les voyez s’accrocher au rocher. Elles font gluantes & rudes au toucher : elles ont donc beaucoup de fralité à fe cramponner. de SOUPGONNERIEZ-VOUS qu'un Animal qui eff tout charnu & qui n’a aucun inftrument pour ouvrir ou pour percer les coquilles, fe nourrit de Coquillages ? D’affez petites Orties avalent de fort gros Coquillages, & l’on a peine à com- prendre comment ils ont pu fe loger dans lin- térieur de l’Ortie. Il eft vrai que celle-ci étant purement charnue, elle eft fufceptible d’une grande diftenfion. Elle eft une forte de bourfe fort fouple qui s’agrandit au befoin. L'ouverture de la bourfe eft proprement la bouche de l'Ortie, Comme fon intérieur n’eft pas tranfparent, on ne peut voir ce qui s’y pañle & comment l’Ortie vient à bout de vuider le Coquillage. Au moment qu’elle l’a avalé , elle fe referme. Voyez cette jeune Ortie exactement fermée : elle vient d’a- valer un aïez pros Limacon : elle eft occupée à le vuider & à le digérer. La voilà qui fe rouvre, \ DE LA NATURE. Part. XII. s4$ & qui rejette la coquille vuide. À côté eft une autre Ortie qui fixe votre attention : elle a en. glouti une grande Moule, & elle fait d’inutiles efforts pour en rejetter la coquille. Elle ne peut y réuflir : la coquille fe préfente mal à l’ouver- ture, & vous commencez à être inquiet pour la malheureufe Ortie. Elle a une reflource que vous me devinez pas. Regardez vers fa bafe : la co- quille s’y fait jour par une large plaie; l’Ortie s’en délivre , & cette large plaie ne fera pas plus pour elle que n’eft pour nous une égratignure, Toutes les Orties ne fe délivrent pas par un moyen auf violent : elles en ont un autre qui leur réuflit pour l'ordinaire. Elles fe renverfent comme un gant ou un bas, de maniere que les bords de louverture, qui font des efpeces de levres, fe replient fur la bafe. La bouche eft alors d’une grandeur démefurée , & le fond de la bourfe prefque à découvert. On y appercoit une forte de fucoir, qui eft probablement l’inf. trument avec lequel l'Ortie vuide les coquilles. Elle rejette donc par la bouche le réfidu des Corps dent elle fe nourrit, Ce n’eft pas feulement pour fe délivrer des Corps étrangers, que les Orties fe renverfent auf ; elles fe mettent dans la mème pofture Q 4 349: GC OLN, TE. PE As TO: NA pour accoucher. Elles font vivipares. Les Petits naiflent tout formés ; & l’on voit: paroître des Orties en miniature. L'ouverture. qui leur livre : pañlage eft fi grande, qu’elle en pourroit laifler pafler à la fois une multitude. Il ne fort pour- tant jamais qu’un feul Petit à la fois. Tous font d'abord renfermés dans certains pue cachés au fond : la bourfe, Ces: Orties, que vous ne vous. laffez point ’obferver, ne réveillent-elles point dans votre Efprit l'idée de ces fameux Polypes à bras (3) ‘qui nous ont offert tant de merveilles ? Îls font auff tout membraneux, très-voraces, & pourvus de cornes qui leur tiennent lieu de bras & de jambes. Ils rejettent de mème par la bouche le rélidu des alimens. Les levres de cette bouche peuvent auflh fe renverfer fur le corps. Voilà bien des traits d'analogie. Les Orties reflemble- roicnt-elles encore aux Polypes par la finguliere propriété de pouvoir être multipliées de bouture & greflées? C’eft ce que les expériences les plus modernes ont mis hors de doute. D’une feule Ortie partagée fuivant fa longueur ou fuivant fa largeur , on fait deux ou trois Orties , à qui, au bout de quelques femaines , il ne manque Ë (3) Part, VII, Chap.EXV. à DE TA N A4 T URE, Part. XII. 249 4 rien. On peut auf les greffer ; mais il faut avoir recours à la future. Vous n’ètes plus furpris à préfent de la confolidation de cette énorme plaie faite à la bafe d’une Ortie par une grande coquille qui s’y faifoit jour. Ce n’eft rien du tout qu'une femblable plaie pour un Animal qui peut ètre mis en pieces fans cefler de vivre & de multiptier dans chaque piece. Les Orties feront donc des Efbpeces de Polypes à bras d’une grandeur monf- trucufe , ou fi vous l’aimez mieux, les Polypes à bras feront des Efpeces de très-petites Orties. QuiTTONS ces rochers peuplés d'Orties, & portons nos pas vers cette petite anfe où la Mec eft fort tranquille. Penchez - vous , & regardez la furface de l’eau. Qu’appercevez - vous ? une efpece de gelée verdâtre qui furnage. Sa forme imite celle d’un Champignon en parafol. Elle a près de deux pieds de diametre. Prenez-en un morceau entre vos doigts; maniez-le quelques momens : vous le voyez fe réfoudre en eau. La chaleur de votre main a fufh pour le fondre. . Vous vient-il dans l'Efprit que cette Gelée eft un véritable Animal , & même une efpece d'Or- tie? Elle a èté nommée Orfie errœute (4 ) , parce F (4) ?t Elle feroit mieux nommée Gelée de Mer, comme l'a-remarqué Mr. de REAUMUR , dont j'efquifluis ici les décqu- vertes. Toutes ces fortes de Mollufques ou de Zoophytes qu’en 20 GONTEMPLATION qu’elle ne fe fixe point & qu’elle flotte de côtë * & d’autre. Sa furface convexe ne préfente qu’une infinité de petits grains ou mamelons. Mais fa furface inférieure , qui eft concave , eft très- organifée. On y voit un grand nombre de ca- naux , difpolés réguliérement & façonnés avec beaucoup d'art, les uns circulaires , les autres diftribués comme les rayons d’une roue , & qui font pleins d'une liqueur aqueufe qui pañle des uns aux autres. CET étrange Animal erre dans la Mer. Il eft fpécifiquement plus pefant que l’eau. Il ne peut s’y foutenir qu’à l’aide d’un mouvement volon- taire , qui mérite d’être obferve & qu’on ne peut bien voir que dans les endroits où Peau eft calme. Elle left dans cette petite anfe fur le bord de laquelle nous fommes aflis. Fixez vos regards fur la furface de la Gelée qui s'offre à nous. Remarquez qu’elle fe donne des mouve- mens que vous êtes tenté de comparer à des mouvemens dé fyftole & de dyaftole. Ils n’en font pas néanmoins : ils n’ont pour fin que de’ faire rencontre par-tout dans les Mers, font d'autant plus difficiles à earactérifer , que leurs formes font plus étranges, je dirois prefque plus bizarres, & que leur ftructure eft en apparence plus fimple. La Nature femble travailler dans les Mers fut den, modeles abfolument nouveaux. (Note 1.) DÉ TA NATURE Port. NIL sr _ Jurnager lOrtie. Vous voyez que dans l’efpece de fyftole la furfiée de l’Animal devient très. convexe ; & que dans la dyaftole , elle s’applatit & s’élargit fubitement. Telle eft la maniere de nager de notre Ortie gélatineufe. Séchée au Soleil , elle fe réduit prefque à rien. On s’im& gine voir un petit morceau de parchemin ôu de colle fort tranfparent. Il n’y à bas lieu de douter que cette Efpece d'Ortie ne multiplie; comme les autres , de boutute ; müis je ne fache pas que l'expérience en ait êté faite. Une Gelée doit avoir bien plus de facilité à fé régénérer , que des Corps organifés de mème gere, d’un tiflu plus férré & plus ferme (5). (5) tf Il y a lieu de conjecturer que l’Ortie errante ou la Gelée de Mer pourroit étre confervée au fec comme le Noftoch, la Trémelle, le Rotifere & bien d’autres Corps organifés dont jai parlé dans mes Notes additionnelles. J’invite: les Natura fiftes à en faire l'épreuve. Il fañdroit la tenter encote fur d’au- tres Productions marines de la même clafle. Le nombre des Animaux qui peuvent, en quelque forte, reffufciter après avoir été defféchés, eft probablement bien plus grand qu’on ne penfe, CAS 252 LCONTEMPLATION * so) LCA PE TIRE Us EN —_—— QUE —_—— Les Étoiles. LL n »eft Dent, de Gr be AE ou bizarres dont le Regne animal ne nous préfente des mo- deles. Le fpectacle le plus intéreffant aux yeux du Naturalifte. efb},: fans, doute , celui de ces for mes fi prodigieufement variées & fi propres à lui faire congevoir les plus hautes idées de la fécon- dité inépuifable de la Nature. F Vorcr un Animal dont la figure eft précife- ment-celle fous laquelle «l'on ‘nous peint les Etoiles du Firmament. Le‘moyen de ne pas lui donner. lé.nom d'£toile.! Il eft prefque plat. Du milieu de {on : corps partent quatre où cinq rayons ; ‘à-peu- près égaux & femblables ( £). Sa “it 1) tt Ce font les Étoiles les plus commuines qui n’ont que quatre à cinq FU On en voit d’autres, moins communes , qui en ont jufqu'à douze à treize... On en compte une quaran- taine dans une Efpece d'Étoile qu'on rencontre dans la Mer des Indes. Une pareille Étoile métitoit bien le nom de So/sii de Mer , que les Nomenclateurs lui ont impofé. F On obferve bien des variétés dans les différentes Efpeces d'Étoiles. Les unes font liffes , les autres font épineufes oum garnies de petites épines qui ne permettent pas de les manier fe : | - . DE LA NATURE. Port. XII. 253 -furface fupérieure eft couverte d’une peau dure ; calleufe & fort chagrinée. Au centre de la fur- face inférieure eft placée la bouçhe , garnie d’un fucoir , dont l'Etoile fe fert pour tirer la fub£ tance des Coquillages dont elle fe nourrit. Cinq petites dents ou pinces les retiennent afujettis pendant qu’elle les fuce, & Jui aident peut-être 2 ouvrir la coquille. Les jambes de l'Etoile font une vraie curio- fité. Elles font attachées à fa furface inférieure, & difiribuées avec fymmétrie fur quatre rangs, chacun de {oixante & feize jambes ; enforte que chaque rayon eft pourvu de trois cents quatre jambes , & l'Etoile entiere de quinze cents vingt. Cependant, qui le croiroit ? Malgré tout ce pro- digieux attirail de jambes, l'Etoile ne va guere pius vite que la Moule avec fa jambe unique. Apres cela, hâtons-nous de décider du haut de notre tête fur les fins particulieres. Je renvoie | ici mon Eecteur à la réflexion que je faifois à | l'entrée du Chapitre XIV de la Partie VIIL. CEs jambes, qui ont été fi exceflivement mul- tipliées dans les Etoiles , reflemblent parfaitement impunément. Les unes ont leurs rayons plus ou moins renflés, les autres les ont plus ou moins applatis. Tantôt les rayons font fmples, tantôt ils font compolés ou ramifiés, &c. Re. ds #0 as4 CONTEMPLATION aux cornes du Limacon, foit par leur figure ; foit par leur confiftance ou par leur jeu. Quand l'Etoile veut marcher ; elle déploie {es jambes, comme le Limaçon fes cornes, & faifit avec leur extrémité les divers Corps marins {ur lefquels elle rampe. Ordinairement elle ne fait fortir qu'une partie des jambes; le refte demeure en réferve pour les béfoins qui furviennent. La méchanique qui préfide à leurs mouvemens eft une belle preuve d’une INTELLIGENCE CRÉA- TRICE. Ouvrons un rayon en le partageant {ui- vant fa longueur, & nous mettrons à découvert les principaux reflorts de la Machine. UXE cloifon prefque cartilagineufe, faite ent forme de vertebres, divife tout le rayon. De part & d’autre de cette cloifon , vous appercevez deux rangs de petites boules , femblables à des perles de la plus belle eau. Que le plaifir que vous goûtez à les contempler ne vous fafle pas perdre le fait le plus intéreffant : remarquez, je vous prie, que le nombre de ces petites boules eft précifément égal à celui des jambes. Comptez les unes & les autres : vous voyez que chaque boule répond ainfi à une jambe. Vous croyez . démè'er dans ces boules une liqueur limpide s Yous ne vous trompez point. Pañlez le doigé delius $ ellcs fe vuident , la liqueur pafe dans les D£ LA NATURE. Par: XII 259 jambes correfpondantes , & elles s’alongent aufli. tôt. L'Etoile n’a donc qu’à preffer les boules pour déployer fes jambes. Mais elles forit capables de contraction , & lorfqu’elles fe contraéent , elles refoulent la liqueur dans les boules, d’où elle fera de nouveau chaffée dans les jambes , pour procurer le mouvement progrefff, Vous avez du penchant à conjecturer que ces jambes aflez femblables aux tuyaux avec lef- quels divers Coquillages refpirent , fervent auffi. aux mèmes ufages. Mais la Nature qui à pro- digué les jambes aux Etoiles , leur a encore pro- digué les organes de la refpiration. Elle les a mème beaucoup plus multipliés que les jambes. Ce font de très-petits tuyaux coniques, difpofés par grouppes , & qui produifent autant de petits ÿets-d’eau, Parmi nos Etoiles, vous en obfervez qui n’ont que deux ou trois rayons; & en y regardant de plus près , vous découvrez de très-petits rayons qui femblent commencer à pouffer. Seroit-ce donc, me demandez - vous, que les Etoiles multiplient aufli de bouture ? Des Animaux formés de la ré- pétition d’un fi grand nombre de parties tant extérieures qu’intérieures , fe régénereroient-ils comme les Polypes , dont la ftruéture nous paroit 556 . CONTEM.PL 4 TION. fi fimple ? Rien n’eft plus vrai, & les Etoiles.qué vous, avez fous les yeux vous en fourniffent la preuve. Il arrive aflez fouvent à ces Animaux de perdre deux ou trois de leurs rayons , & cette perte n’cft pas plus pour eux que pour les Po- lypes celle de quelques bras. On a beau déchi- queter les Etoiles , on a beau les mettre en pieces, on ne parvient point à les faire périr. Elles renaiflent toujours de leurs débris , & cha- que morceau devient une Etoile complete. CETTE admirable reflource étoit fur-tout néceffaire à une Efpece d’Etoile, dont les rayons font fort caflans , & lui tiennent lieu de jambes. Eu prodiguant les jambes avec tant de complai- fance aux autres Etoiles , la Nature fembleroit avoir oublié celle-ci, & lavoir, en quelque forte, difgraciée , fi elle ne lui avoit donné des rayons Mn flexibles que la queue du Lézard, & dont elle fe fert avec affez d’adrefle pour ramper {ur le fond de la Mer (2). (2). tf Cette Efpece d'Étoile dont les rayons font aufli flexibles que la ‘queue du Lézard, a été auffi nommée Étoile à queue de Lézard. Ses rayons font arrondis & articulés comme la queue du petit Quadrupede qu’ils femblent imiter. ils font fort caflans, & l'Etoile eft fort fujette à les perdre en tout ot en partie : mais cette perte eit bientôt réparée par de nouveaux rayons qui repouflent à la place des premiers. Le corps dé M l'Étoile a une figure qui approche de la lenticulaire ; mais | quelquefois il eft taillé en pentagone. Jin DE L4a NATURE. Part. XII 259 J'ai dit, (Note 1) qu'il eft des Étoiles dont les rayons font tamifiés ou branchus. Elles en ont pris le nom d’ Étoiles arbo refcentes. Dans de telles Étoiles , les foudivifions des rayons vont quelquefois fi loin, qu'on ÿ compte jufqu'à quatre-vingt à quatre - vingt-dix mille rayons principaux ou fubordonnés. L'Etoile fe fert de ces nombreux rayons commé de bras ou de mains pour faifir {a proie & la porter à fa bouche. Je ferai remarquer à cette occalion, que les Nomenclateurs qui fe font preflés de caraétériler les Étoiles de Mer par le ombre de leurs rayons, ont probablement commis bien des méprifes ; car les Etoiles qui font Fort fujettes à perdre deux ou plufeuts de leurs rayons, & qui jouiffent du privilege de les refaite , peuvent en montrer plus ou moins dans certaines circonftances , fans cefler d'appartenir à la même Efpece. IL én eft de leurs rayons comme des bras du Polype d’eau douce; & fi l'on vouloit caraéérifer les Polypes de ce genre par le noïnbre de leurs bras, on feroit bien plus d'Efpeces de ces Zoophytes qu'il ny en a réellement. Ainfi l'Étoile que les Nomenclateurs orit défignée par le nom de Comete , parce qu’elle wa qu'un feui rayon fort long, accompagné de pluficurs rayons fort courts, pourroit bien n’étre qu'une Étoile qui avoit perdu tous fes rayons à l'exception d’un feul, & qui réparoït actuel- lement la perte des autres, IL faudroit Len avoir fuivi les dif. férentes Efpeces d’ Étoiles Es tout le cours de leur vie, pour étre en droit d'aflurer, qu'une certaine Étoile n'a conf tamment qu'un feul rayon fort long , accompagné de pluficurs autres fort courts, ou qu'une autre Etoile n'a pour l’ordinairé que quatre à cinq rayons , une autre dix à douze , &c. Je le tépéterai encore ; l'immenfe Claffe des Zoophytes fera toujours celle dont on aura le plus de peine à caraétérifer les Genres & les Efpeces. Les Individus qui lui appartiennent femblent faity pour torturer l'Efprit des Nomenclateurs. ESS Tome ILE, KR Le *ss CON TEMPLATE 0 N EE a TD CH A D'TT RE CORRE Les Hériffons. Le ct des Animaux travaillés avec bien plus d'appareil encore ; j'ai prefque dit, où éclate un bien plus grand luxe. Les Hérifons de Mer ( A Le comme ceux de Terre, doivent leur nom à leurs piquans. Mais les piquans des Hériflons de Mer font tout autre chofe que ceux des Hériflons de Terre. Les piquans des premiers font leurs jambes. Faifons-nous une idée de l'extérieur de ces Animaux , où la Nature a pris plaifir à ac- cumuler avec tant de profufon les organes rela- tifs au mouvement progreflif. La forme de ces Hériffons eft celle d'u bouton arrondi ( 2 ). Il eft creux intérieurement, & fa furface eft très-ouvragée. L’on pourroit en (1) + On les nomme auffi Our fins. I en eft de différentes Efpeces , qu'on diftingue fur-tout par Le nombre & la difri- bution des petites pieces dont leur extérieur eit garni, & qui le parent beaucoup. L] (2) tt La forme des Hér:ffons de Mer varie beaucoup. IE, en eft d’arrondis ou de faconnés , comme des boutons ou des turbans , & d'applatis comme des gateaux , &c. Cette diverfité / de forme a fait naître différentes dénomina:ions plus au moins DE LA NAT UÜR Ë. Part. XII 469 tomparer le travail à celui de certains boutons de cuivre ou de trait. Une multitude de tuber- cules , femblables à des mamelles , diftribuées dans un ordre réguliet ; y repréfentent par leur arrangement de petits triangles , qui divifent toute la furface du bouton en différentes aires. Ces triangles font féparés par des bandes efpacées réguliérement , & percées de trous diftribués avec beaucoup de fymmétrie fur plufeurs lignes. Ces trous traverlent de part en part toute l’é- paifleur du fquelette ; car le corps de nos He- riflons eft une forte de boîte ofleule. Chaque trou eft une gaine où eft logée une corne charnue, pareille à celle du Limaçon ; & fufceptible des mèmes mouvemens. Il y a donc autant de cornes que de trous, & l’on compte au moins treize cents trous. Comme le Limacon, le Hérifon {e fert de fes cornes pour tâter le terrein & les divers corps qu’il rencontre fur fa route. Mais il s’en fert fur-tout pour s’y cramponner & {o mettre à l’ancre. Les tubercules font les bafes d'autant d'épines ou de jambes , & leur nombre eft au moins de ârbitraires : on dit les Hérifons en turben ,; les Hérifons en gûteau 5 Te: L'intérieur des Hériflons eft gélatineux. On les mange coma les Ecrevifles, & ils en ont le goût. À 2 260 C@ONTEMPLATION deux mille cent. Ainfiil n’eft prefque aucun point du corps du Hériflon où il ne fe trouve une jambe. Il peut donc marcher fur le dos comme fur le ventre; & en général, quelle que foit fa pofture, il y a toujours un bon nombre de jambes prètes à le porter & de cornes prètes à le fixer. Les jambes dont il fe fert le plus volon- tiers font celles qui environnent la bouche ; mais , quand il lui plait, il marche en tournant fur lui-mème comme une roue. Sa bouche, munie de cinq dents, eft au milieu du ventre. Sur le dos, ou au fommet du bouton , eft une autre ouverture qu'on croit ètre l’anus. VoiLa donc un Animal pourvu au moins de treize cents cornes & de deux mille cent jam- bes. Combien faut-il de mufcles pour mouvoir tant de cornes & tant de jambes ! Combien y a t-il de fibres & de fibrilles dans chacun de ces mufcles ! Quelle étonnante multiplication de pieces dans ce petit Animal ! Quelle régularité , quelle fymmétrie , & mème quel agrément dans leur diffribution! Quelle variété dans leur jeu (3)! (3) tt Il exifte des Hériflons de Mer bien plus compofés rncore que ceux dont je crayonnois ici la ftruéture d’après Mr. de ReAUMUR. Un Académicien de Rouen a décrit en dernier Somme es nés DE LA NATURE. Part. XII 261, Lorsque le Hériflon veut faire chemin , il fe tire avec les jambes qui regardent lendroit où il tend, & fe poufle vers le mème endroit avec les jambes oppofées : toutes les autres demeu- rent aluts dans l’inaction. En mème temps qu’une partie des jambes travaille , les cornes qui les avoifinent fe déploient pour fonder la route ou ancrer l’Animal. lieu un Hérifon de Mer , de quatre pouces de longueur fur deux de largeur & trois de hauteur, qui étoit formé de neuf cents cinquante pieces, fur lefquelles étoient diftribués quatre mille cinq cents mamelons , de chacun defquels partoit un piquant mobile ; & le nombre des petits trous dont il étoit comme criblé , alloit à trois mille huit cents quarante, dont fortoient sutant de cornes charnues. Il n’y a pas lieu de douter que es jambes & les cornes fi prodigieufement multipliées de ces Hériffons, ne fe reproduifent de bouture comme les bras du Polype, & il en eft apparemment de même de celles des Étoiles. Quelie immenfe quantité de Germes réparateurs n’a donc pas été diftribuée dans ces Animaux de genres fi finguliers{ tes RS 2 6à CONTE M PL A IMMO N CA PEL TIRE REV. Le Bernard- lhermite (x ). : Coquillages naiflent vètus. La coquille qu’ils apportent en naïiffant croit avec eux & par eux. L’Animal qui s'offre à nos regards, & qu’on prendroit pour une forte d'Ecreville, vient au jour dépourvu de coquille, & pourtant 1l lui en falloit une pour couvrir la plus grande partie de fon corps, dont la peau mince & délicate Touffriroit trop d’ètre à nud. La Nature l’auroits che douc traité en Marûtre en lui refufant un tégument fi néceflaire ? Point du tout: bienfai. fante envers tous les Animaux, elle n’a point oublié celui-ci: Elle ne la pas revêtu d’une coquille , il eft vrai; maïs elle a fait l'équivalent, en lui enfeignant à s’en revêtir. Inftruit par un fi grand Maitre, notre. Hermite fait fe loger dans la premiere coquille vuide qu’il rencontre. Îl s’adrefle affez indifféremment à toutes celles qui font tournées en fpirale. Souvent il s’y retire (1) ff On le nomme aufi /e Soldat, parce qu'il femble Iogé dans fa coquiile denpaunt comme un Soldat dans fa guérite. Le nom de Bernard -l’hermite , fous lequel ce Cruftacé cit plus connu, lui a été impofé pour exprimer la folitude pro: gonde dans quel il vit, DE LA NATURE. Part. XII. 252 fi avant qu'on ne lapperçoit point, & que la coquille paroït vuide. Veut-il changer de place ? il fait fortir fes groffes pattes ou pinces , fem- blables à celles de l’Ecreville, & faififant avec ces efpeces de tenailles les corps qui l’avoifinent, il tire à lui la coquille, en même temps qu’il s’entortille fortement autour des parois ou de la rampe , pour ne point fe trouver à nud. Si la coquille devient trop étroite , il l’abandonne , & va fe loger dans une autre mieux proportionnée à fa taille. On dit qu'il y a quelquefois des com- bats entre nos Hermites pour une coquille, & qu’elle demeure à ce'ui qui a la plus forte pince. Nos combats n’ont prefque jamais un objet auffi important (2). (2) ff Ce n’eft pas feulement dans des coquilles, que notre Hermite fait fe loger : il fe niche auffi dans différens corps caver- neux , qui ont aflez de capacité pour qu'il puifle y être à l’aife, & allez de légéreté pour qu’il puiffe les traîner facilement. On l'a rencontré dans des os & dans des enveloppes de fruits deffé- chés. Il eflaie , en quelque forte , ces différeutes loges comme nous efayons un vêtement. C’eft même un fpeétacle très-amu- fant que celui que préfente ce petit, Cruftacé , tandis qu'il eft occupé à chercher fur le bord de la Mer un nouveau domicile & à en faire l’eflai. Sa partie antérieure GS très-bien défendue paï des tégumens femblables à ceux de l’Écrevifle; mais fon ventre n'eft recouvert que d’une peau molle & délicate, & ül lui convenoit de défendre cztte partie par le fecours d’un tégu- ment étranger. Il y a pourtant dans l'hiftoire de notre petit DIOGENE une incertitude que je ne dois pas diffimuler. SwaM- BERDAM, qui s'en étoit fort occupé , ne croyoit point qu’il cu K 4 PS TR RS de — + on ce le ge — me en — + 2 nt ie Re mer um DS eg à ot pe" 264 CONTEMPLATION GE se = 5 CG. Ai P ET RES Sas Les Coquillaves qui filent. Les Moules € les Pinues HATUIES, L: titre de ce Chapitre vous furprend fans doute. Vous ne vous attendiez pas à ce nou- veau trait de l’induftrie des Coquillages qui pro- fût jamais logé que dans une coquille d'emprunt. Il prétendoit, au contraire, s'être bien afluré qu'il a fa propre coquille, à laquelle il adhere par des productions tendineufes , comme la Moule adhere à la fienne. 11 avoit même décrit ces attaches & reconnu le périofte de la coquilie. ,, J'en ai conclu, difoit-il, que la cogville de cet Animal eft fon enveloppe propre & comme fa peau pierreufe, ainfi que cela a lieu dans tous les Coquillages. Je fuis donc trèsfurpris , ajoutoit-il , de ce que RONDELET avance, que le Bernwd-l'hermite Je loge toujours dans les coquilles d'autrui, &Ÿ qu'il n'en a point de propres; car de même que dans l’Efcargot . non-feulement les mufeles font attachés à la coquille, mais que les tendons des mufcles y font incorporés & comme identifiés ; ainfi dans le Bernard- l’hermite les tendons des mufcles s’attachent fortement & s'incorporent au noyau de la coquille, vers fon fecond tour de fpirale ; mais comme cette infertion n’occupe pas un grand » efpace, le corps de l’Animal mort fe détache aifément de la coquille, & c'eft peut-être ce qui a trompé RONDELET ; s» dui, entrainé par l'antorité d'ARISTOTE, a négligé de con- fulter l'obfervation ”. Après des affertions fi expreffes, comment douter qu'un auffi habile Anatomifte que SWAMMERDAM s'en füt laiffé impofer for un fait anatomique fi aifé à conftater ? Cependant il n’on 3 3 » 5) ? 35 S 3) 2 59 33 RAT & 2 ? DOME AUN A TU RME. Part. XII. 266 mettoient fi peu. Vous aviez déja été fort étonné de l’adreffe qui brille dans le mouvement pro- grefhf de plufieurs : votre étonnement redouble en apprenant qu'il en eft qui favent filer, & vous êtes impatient de les voir à l'ouvrage & de juger de leur travail. Promenons - nous fur. le bord de la Mer. Vous découvrez quantité de Moules , les unes ifolées , les autres entaflées par eft pas moins certain qu’on a trouvé de nos Hermites dans des coquilles d'Efpeces très - différentes & dans des corps caverneux très-différens des coquilles. Il eft très-certain encore , qu'on a retiré facilement ces Cruftacés des coquilles où ils étoient logés; ce qui w’auroit pu fe faire avec autant de facilité , s'ils euflent adhéré à la coquille par des tendons un peu forts. J'ajoute, qu'on ne connoiît aucun Coquillage dont la confiftance & la ftruure fe rapprochent le moins du monde de celles du Ber- nard -l'hermite : tous font mols ou gélatineux ; & le Bernard- l’hermite, qui appartient à la Famille des Crabes , n’a rien de gélatineux ni rien qui paroifle analogue à la coquille qu'il traîne après lui. Seroit-ce donc qu’il arrive affez fouvent à notre Her- mite de fe détacher par accident de fa propre coquille ? ou feroit-ce que Le point fuillant , dont parle SWAMMERDAM , qui Je trouve affez près du thorax , &S qui femble être un centre où tous les tendons du thorax &T de l'abdomen fe réuniflent &5 s'at- tachent à la coquille ; feroit-ce, dis-je, que ce point faillant auroit été organifé de maniere à aider l’Animal à fe crampon- ner à la coquille étrangere dont il a fait choix? SWAMMERDAM auroit-il été trompé par l'adhérence plus ou moins forte ou plus ou moins immédiate de ce petit oggane à l’intérieur de la coquille ? La queftion feroit bientGt décidée fi l’on obfervoit œs Cruftacés au fortir de l'œuf : on verroit s'ils naiflent vêtus comme tous les Coquillages. L'Anatomifte Hollandois ne les avoit pas obfervés à leur naiffance. IEEE UT PNR ESS 26 CONTEMPLATION paquets. Confidérez-les un peu plus attentive ment : vous obferverez que toutes font attachées aux pierres, ou les unes aux autres, par un grand nombre de petits cordages déliés. Choi- fions une de ces Moules pour lobferver de plus près : nous en démélerons mieux toutes leurs manœuvres. Eu voici une qui travaille à s'attacher à cette pierre qui eft prefque à fleur de l’eau. Sa coquille eft entr’ouverte : elle en fait fortir une forte de langue fort fouple, qu’elle alonge & qu’elle raccourcit alternativement. Re- marquez qu'elle en applique fouvent le bout contre la pierre, & qu’elle la retire aufli-tôt dans fa coquille pour l'en faire reflortir un mo- ment aprés. De la racine de cette efpece de langue partent des fils dont la groffeur égale. celle d’un cheveu ou d’une foie de Porc. Ces fils vont en s’écartant les uns des autres, & leur extrémité elft collée à la pierre. Regardez-les de fort près ; vous appercevrez qu’ils fe terminent tous par un petit empatement qui les attache plus fortement à la furface de la pierre. Ce font autant de petits cables qui tiennent notre Moule à l'ancre. Il y a fouvent plus de cent cinquante de ces petits cables employés à amarrer une Moule. Chaque cable n’a guere que deux pou- ces de longueur, 0 | || | ce DRE A CNA IT Ù À E) Part. XII. 26% CEsr la Moule clle-mème qui a filé tous ces cordages. En contemplant le mouvement pro- grefhf de la Moule de riviere & de quelques autres Coquillages ( 1), vous avez fort admiré Padreffe avec laquelle ils fe fervent de leur efpece de langue. Vous avez vu que cette partie unique Jeur tient lieu à la fois de bras & de jambes. La langue de nos Moules de Mer s’acquitte aufñ des mêmes fonctions ; mais chez celles - ci, ce petit inftrument éft bien plus admirable encore. Non- feulement il leur fert comme aux autres Coquillages, de bras pour fe cramponner & de jambes pour ramper, il eft encore la filiere qui fournit ces fils nombreux au moyen defquels la Moule réfifte à l’impuifion du flot. DE l’origine de la langue jufqu’à fon extré. mité s'étend une rainure qui la divife fuivant fa longueur en deux parties égales. Cette rainure eft un véritable canal, garni d’un grand nombre de petits mufcles qui l'ouvrent & le ferment. Dans ce canal paffe une liqueur vifqueufe qui eft la matiere des fils que tend la Moule. A fa naiflance , ce canal eft exactement cylindrique ; & c’eft là proprement que les fils font moulés, Les divers mouvemens que fe donnoit il n’y (1) Chap, XVII & XVIII de cette Partie, 268 CONTEMPLATION a qu'un moment la larzue de la Moule que nous obfervons , avoient tous pour fin de l’attacher à la pierre. Ces fils plus blancs & plus tranfparens que les autres, font ceux qu’elle a tirés récem- ment de fa filiere. Elle n’a pas achevé dc s’an- crer, & voilà fa langue qui s’alonge de nouveau d'environ deux pouces, & dont le bout s’appli- que contre la pierre. La liqueur vifqueufe coule dans le canal & arrive à fon extrémité. Cette liqueur eft déja moulée, elle eft déja un fl cy- lindrique. La Moule colle le bout de ce fil à Ja pierre ; mais elle veut qu’il s’y applique par une furface un peu large pour y être plus adhérent. Elle lui procure donc avec le bout de fa langue ce petit empatement que vous avez obfervé & qui eft très-fenfible, IL s’agit à préfent de tendre un autre cable a quelque diftance de celui-ci. La langue doit donc abandonner ce dernier pour aller travailler ailleurs. Comment l’abandonnera-t-elle ? Le canal s'ouvre dans toute fa longueur & laifle fortir le fil. La langue dégagée de ce fil, fe retire promp: tement fur elle-mème , rentre dans la coquille, & en reflort un inftant après pour attacher un peu plus loin un nouveau cable. AVEZ - VOUS pris garde à une petite adrefle DE LA NATURE. Part. XII. 269 de notre Moule ? Elle venoit de tendre le pre- mier fil: pour s’aflurer s’il étoit bon, elle l’a mis fur-le-champ à l'épreuve ; elle la tiré forte- ment à elle comme pour le rompre. Il a réfifté à cet effort, & fatisfaite de l’épreuve, elle a été tendre le fecond fil, qu’elle a éprouvé comme le premier. | CEs cordages que les Moules de Mer filenc avec tant d'art, font réellement pour elles ce que les cables font pour un vaifleau qui eft à l'ancre. Vous me demandez , fi elles favent aufli lever l’ancre ? Diverfes expériences paroiflent prouver qu’elles n’ont pas cette induftrie : fans doute qu’elle ne leur étoit pas néceflaire. Mais elles chaffent quelquefois fur leurs ancres ; il leur importoit donc de pouvoir {e tranfporter d’un lieu dans un autre, & d’avoir en réferve de nouveaux cables ( 2). (2) tt Quelques Naturaliftes très - modernes n’admettent point avec Mr. de REAUMUR , que la langue des Moules de Mer leur ferve quelquefois de bras ou de jambe pour fe traîner d'un lieu à un autre, & ils veulent qu’elles foient abfolument privées de la facnlté loce-motive. Ils rapportent à ce fujet des obfervations qui leur ont paru prouver que la confervation des Moules exige indifpenfablement qu'elles foient toute leur vie enchaïînées les unes aux autres, où aux différens Corps qui tapiffent le fond de la mer; & que lorfque la Mer rompt ces chaînes & qu’elle difperfe les Moules , elles périflent. Mais les Moules que les Pêcheurs jettent dans les marais falans pour â%o EONTEMPLATION AINs1 la Mer a fes Fileufes comme la Terre: Les Moules font à la Mer, ce que les Chenilles font à la Terre. Il y a néanmoins une différence remarquable entre les unes & les autres. Le tra- vail des Chenilles répond précifément à celui des Tireurs d’or. Le fil de foie fe moule en paf- fant par le bec de la filiere, & la Chenille lui donne la longueur qu’elle veut, qui eft dans cer- taines coques de plufieurs centaines de pieds (3). Le travail des Moules doit être plutôt comparé à celui des Ouvriers qui jettent les métaux en fonte. La filiere de ces Coquillages eft un véri- table moule qui ne détermine pas feulement la perfectionner leur chair, & qu'ils difperfent ainfi à différentes diftances, fe trouvent au bout d’un certain temps raflemblées par paquets, comme elles l’étoient auparavant. Elles ent donc eu un moyen de fe raffembler & de fe groupper de la forte; & combien eft-il naturel de penfer que c’eft à l’aide de leur lançue, comme à l’aide d’un bras ou d’une jambe qw’elles y parvien- nent ! Il eftau moins très-für que les Moules d’eau douce fe tran{portent ainfi d’un lieu dans un autre, & il y a bien des rapports entre ces Moules & les Moules de Mer. Celles-ci ne naiffent certainement pas avec leurs chaines , comme le préten+ dent encore les Naturaliftes eftimables dont il s’agit : ces chaï« nes font des fils que les Moules tirent de leur intérieur & qu'elles attachent elles-mêmes à la furface des corps auxquels elles veulent s'amarrer. Ce fait a été trop bien vu & trop biemæ détaillé par M. de REAUMUR, pour qu'on puifle raifénnables ment le révoquer en doute. 3) Chap.\IV de cette Parties en RS mn ET TRE DE LA NATURE. Part. XII. ist, grofleur du fil, mais qui détermine encore fa longueur , toujours égale à celle de la filiere ou de la langue. Les Pinnes marines, efpeces de fort grandes Moules , font de plus habiles fileufes encore. Leurs fils, longs au moins de fept à huit pouces, font d’une grande finefle, & l’on en fait de beaux ouvrages (4 ). Si les Moules font les Chenilles de la Mer , les Pinnes en font les Araignées. Les fils des Pinnes fervent, comme ceux des Moules, à. les amarrer & à les défendre de l’agitation des flots. Ils font prodigieufement nombreux, & for- ment par leur réunion une forte de houppe ou d’écheveau de foie, du poids d’environ trois onces. L’inftrument qui les prépare & les moule reflemble pour l’efflentiel à celui des autres Co- quillages de ce genre ; il eft feulement beaucoup plus grand, & la rainure qui le dimife fuivant fa longueur , eft plus étroite. À fon origine eft un fac membraneux , compofé de plufieurs feuillets charnus, qui féparent les feuillets foyeux dont la houppe refulte. (4) tt Ces ouvrages, qui fe fabriquent fur-tont en'Sicile , font fi fins, qu'une paire de bas de cette ioie peut être renfermée dans “ue petite boite telle qu’une tabatiere de médiocre grandeur. Ÿ qu — te 00 D ot RTS de — nes rats es pp res En ge re 27: CEONTEMPLATION CY—— CHA PE TRES. UE 3 Les Coquillages ©S autres Animaux de Mer, qui sS'attachent par une forte de glu ou de fuc Drerreux. Su n’a pas été donné à tous les Coquillages & Animaux de Mer de s’amarrer avec autant d’adreffe que les Moules & les Pinnes, la Nature les en a dédommagés par des moyens qui ne font pas moins efficaces. ‘Avant que de quitter ce rivage qui nous a offert tant d’objets inté- reflans , arrètons-nous quelques momens à confi- dérer ce petit Coquillage qüe vous voyez atta- ché à ce rocher. C’eft un Oeil de bouc ou une Pateile. SA coquille , qui eft d’une feule piece, eft faite en maniere de chapiteau conique , fous lequel tout le corps elt à couvert , comme fous un toit L'Animal peut élever ou abaïfler ce toit à fon gré. Quand il l'abaiffe , il cache le corps en en- tier & repofe immédiatement fur la pierre. Un gros mufcle qui occupe toute la largeur de la coquille , & qui en eft comme la bafe , attache l’Animal à cette pierre. Efayez de l'en détacher: » VOUS en ll DE LA NATURE. Part. XII. 2:73 vous n’en pouvez venir à bout. Îl ne tient pour- tant à la pierre que par une bafe d’un pouce de diametre. Paflons une corde autour de la co- quille: fufpendons à cette corde un poids de vingt. huit à trente livres : le Coquillage ne lâche prife qu’au bout de quelques fecondes ; & vous vous étonnez qu'un fi petit Animal foit doué d'une aufi grande force d’adhéfion. Vous êtes curieux de connoître d’où lui vient une telle force : vous examinez la pierre : elle vous paroit très- polie, & votre étonnement redouble. Seroit-ce que le mufcle s’engrene dans les parties infenfibles de la pierre ? Partagez l’A- nimal tranfverfalement : il adhere tout auffi for- tement qu'auparavant : feroit-ce qu’il tient à la pese comme deux marbres polis tiennent lun à l’autre? Mais les marbres gliffent facilement lun fur Vautre, & vous ne pouvez faire glifler le Coquillage. Voici donc la caufe fecrete de cetté adhéfion qui vous étonne. Le mufcle eft enduit d'une humeur vifqueufe qui le colle à la fur- face de la pierre, & qui fe fait fentir aflez for- tement au doigt. ‘ Mass l’'Oeil de bouc n’a pas été condamné à demeurer collé toute fa vie à la mème place: il doit aller chercher fa nourriture, En voilà us Tome IIL S éî3 CONTEMPLATION: qui rampe fur le’ rocher : fon gros mufcle lui fert de jambe , & s’acquitte des mèmes fonctions que célui que vous connoïffez au Limacon. L'Oeil : de bouc fait donc fe détacher quand il lui plait. 4 fait brifer ces liens qu’un poids de vingt-huit livres rompt à peine. Humectez votre doigt , pañèz-le fur le mufcle, la colle naturelle dont il eft enduit n’y trouve plus de prife. Cette colle eft diffoluble à l’eau. Toute la furface du mufcle et femée dé petits grains. pleins d’une liqueur diffolvante. Lorfque lAnimal veut lever le piquet, 4 n’a qu'à preffer fes nombreules glandes ; le dif folvant en fort, & les liens font brifés. … L'ogrz de bouc n’a qu’une certaine provilion de colle: fion le détache plufieurs fois de fuite, fa provifion: s’épuifera & il ne s’attachera plus, Cerre maniere de s’amarrer eft commune à divers Animaux de Mer. Elle left en particulier aux Ofties (1 ). Leur peau n’eft qu’un amas, de glu qui fe, diffout très-promptement dans l’eau- de:wie. C'eft avec cette abondante provifion de olu que ces Animaux finguliers fe collent aux fochers. 25 MGDHOQ 97 : pt 2106 dl ST C’Esr encore par le mème moyen que les Étoiles : 23M0 9 AV £i 951109, 908 "eEe (r) Chag. XXI de cetté Paitie. 39491982 1: DE LA NATURE Part. XII 234 fe fixent (2). Une matiere vifqueufe eft portée à l'extrémité de ces efpeces de cornes qui leur tiennent lieu de jambes , & dont elles ont bien des centaines. Quoique très-foibles, ces jambes deviennent de forts liens à l’aide de cette glu qui en exfude, & lorfqu’elles font une fois cram ponnées , il eft plus aifé de les rompre que de des détacher. . IL en eft précifément de mème des cornes des Hériflons ( 3). Toures ces adhéfons font volontaires & dé: pendent uniquement du bon plaifir de PAnimal. 11 s’attache ou fe détache, felon que les circonf. tances lexigent. Mais il eft d’autres adhéfions qui font tout-à-fait involontaires. Les Vers de Mer, qu’on nomme à tuyau, font enfermés dans ün tuyau rond, d’une fubftance femblable à celle des coquilles , & attachés aux pierres ou au fable- dur ou mème à d’autres Coquillages. Ce tuyan fuit les contours de la furface à laquelle il eft collé. Le Ver n’abandonne jamais cette cellule , qu’il prolonge & élargit à mefure qu’il croît. Il vous rappelle les Faufles-teignes (4 ) : ce fera > fi vous (2) Chap. XXII de cetté Partie. C3) Ibid. Chap. XXII. C4) Ibid. Chap. IX : 72) » ft. qe.» — 276 CON T'E MP D'ANTIONN le voulez , une Faufle-teigne de la Mer. Il exfude de tout fon corps un fuc pierreux qui eft la matiere du tuyau (5). ° (5) Hf Ce que je difois ici, d'après Mr. de REAUMUR , fur Ja maniere dont le Ver conftruit fon tuyau , tenoit à l'opinion de ce célebre Académicien touchant la formation de la coquille ie l'Efcargot de jardin, I croyoit s'être afuré par de bonnes expériences., que ectte coquille fe Forme d'un fuc pierreux on crétacé qui exfude de l’Animal : mais nous avons vu, (Part. IT, Chap. XXI, Note 2) que ce n’eft point ainfi que la coquille fe forme & qu’elle ne croit point par appoñtion. Elle eft une partie intégrante de l'Animal, comme nos os font des parties intégrantes de notre corps. Le tiffu parenchymateux, qui fait 4e fond de la coquille, s’incrufte peu-à-peu, comme l'os, d’une matiere crétacée , qui lui donne de la dureté, & qu'on peut en extraire à volonté. Les Coraux, les Corallines, les Madrepores & quantité d’autres Corps marins de la même claffe ne font de même que des produétions parenchymateufes des Polypes dont {eur extérieur eft parfemé , & auxquelles la nutrition à incot- poré une forte de craie qui leur donne la forte de confiftance qui leur eft propre. Il y a de grands rapports entre les Vers à tuvaux & les Po- Aypes : il en eft beaucoup auf entre la matiere du tuyau & celle des coraux ou des coquilles. C’eft à Mr. GUETTARD que nous devons «cette remarque importante. Il devient donc très probable, que le tuyau de nos Vers marins a la méme origine que Îes coquilles, les coraux & les antres corps de ce genre. Il eft de ces Vers dont la tête eft ornée de deux beaux panaches, comme l’eft celle de certains Polypes d’eau douce. D’autres Vers à tuyau ont au lieu de panaches , de petits filets coniques, qui s'acquittent apparemment des mêmes fonétions. Le corps de £ous ces Vers eft encore entiérement mollaffe, comme celui des Polypes. Les Vers à tuyan touchent donc de bien près aux Po- lypes, s'ils ne font eux-mêmes de vrais Polypes. ; DE LA NAFURE. Part. XII. 27? D'auTres Vers. de cette Efpece, dont le fuc æelt pas pierreux , mais qui abondent en fuc gluant, s’en fervent a lier autour d’eux des grains de fable, des fragmens de coquilles, &c. & cette cellule de pieces rapportées ne laifle pas d’ètre aflez proprement travaillée. Les Huitres & divers Coquillages adherent par un fuc pierreux aux corps fur lefquels ils repofent, & {ouvent ils font ainfi cimentés les uns aux autres (6). Telle eft l’'efpece de ciment Les tuyaux de ces fortes de Vers , & par conféquent les Vers eux-mêmes , peuvent fe ranger fous deux genres principaux. Les tuyaux du premier genre font fimples : les uns font droits, les autres fe contournent en différens fens. Les uns font coni- ques , les autres cylindriques. Aflez fouvent on les trouve entres lacés avec d’autres tuyaux de même efpece. Les tuyaux du fecond genre font très-fins, plus coniques que cylindriques , & compofent des males plus ou moins confi- dérables, qui préfentent différentes ramifications ; ce qui a porté Mr. GUErTTARP à les nommer ramifiés. On connoïît une Efpece de ces Vers qui fe grouppent d'une facon admirable, & qui imitent au mieux l’aflemblage des tuyaux d’une orgue. Ils en ont reçu le nom d’Orgves de Aer. Chaque tuyau de nos Orgues marines eft lié à fes voifins par des lames minces & circulaires , qui Les ceignent extérieurement & fortifient tout l’affemblage. C6} tt Les Huîtres de différentes Efpeces adherent les unes aux autres ; mais les paquets ou amas d'Huîtres de même Efpece font les plus communs. Elles adherent encore à beaucoup d’au- tres Coquillages, aux racines & aux branches des Arbres, & en S 3 8y8 CONTEMPLATION univerfel dont la Nature fe fert toutes les fois qu’elle veut bâtir dans la Mer, ou y afurer un Coquillage contre le mouvement violent des eaux. général à tous les corps naturels qui couvrent le fond de la Mer. Une humeur vifqueufe que fournit l’intérieur du Coquil- lage opere fon adhérence, Elle ne fe Fait pas conftamment dans les mêmes endroits, tantôt les Huitres s’uniffent par le talon de la coquille, tantôt par divers points de la furface des bat fans, & tout cela avec des variétés innumérables. On retrouve les mêmes variétés dans les Huitres fofliles. On obferve encore que la plupart des Coquillages foffiles affectent dans l’intérieur des Continens les mêmes pofitions que leurs Analogues vivans affectent dans la Mer : preuve frappante qu'ils ont été laiflés dans les terres par une Mer qui fe retiroit lentement. ” Au refte, les variétés ew’on remarque dans la maniere dont les Huitres adherent les unes aux autres, dépendent originaire- ment de la pofition où elles fe font trouvées refpectivement à leur naiffance , & du mouvement des Eaux 3 car l'Huître a été condamnée à PRE toute fa vie dans une parfaite immobilité. Rien au monde de plus monotone ou de plus uniforme que la vie de ce Coquillage, dont taut le mouvement fe borne à ouvrir & à fermer fa coquille. On fait que c’eft à la claffe des Huiîtres qu’appartient ce riche Coquillage, dont la coquille eft incruftée de nacre & qui fournit les perles. Cette matiere, qui a tant d'éclat & qui eft fi recher- chée, n’eft au fond qu'une forte de terre, dont le parenchyme de la coquille de l'Huître s’incrufle peu-à-peu. Larfqu’elle ef trop abondante , elle s’extravafe & produit les perles. Elles n’ont rien d’organique , puifqw’elles ne laiffent aucun réfidu parcn- chymateux quand on les traite par le procédé de Mr. HÉR1s- SANT. (Part. VII, Chap. VII, Note 4.) & BE LA NATURE. Part. XII 2:59 DOOA PETASE ; X XV EE Procédés des Poif[eus. N. U s fommes peu inftruits de l’induftrie des Poiflons : ils ne font pas aflez à notre portée. La plupart habitent des profondeurs inaccefli- bles à nos recherches. Nous ne préfumerons pas que tout leur favoir faire fe borne uniquement à fe manger les uns les autres (1). Leurs (x) ft Les Poiffons volent, en quelque forte, dans l’eau, comme les Oifeaux dans l’air ; & il n’y a pas moins d’art dans la manœuvre des premiers , que dans celle des feconds; mais gette manœuvre differe chez les uns & les autres dans le rap- port à l'élément & aux organes qui l’exécutent. Plus on étudie ce rapport, & plus on eft frappé de l’admirable appropriation des moyens à la fin. Les nageoires, qui font les aïles des Poif- fons , ne font pas moins propres à manœuvrer dans l’eau, que les ailes des Oifeaux, à manœuvrer dans l'air. A l’aide de leurs nageoires & de leurs ailerons, lès Poiffons exécutent avec autant de grace que de célérité une multitude de mouvemens divers, que leur preftefle dérobe fans ceffe aux regards avides de l'Obfervateur , & qu’il regretre de ne pou- voir contempler plus à fon aife. Chez les Poiffons dont le corps eft arrondi, les nageoires ou les ailerons du dos & du ventre fervent principalement à diriger leur marche. Ils les gouchent fur le corps quand ils font pris en travers par le cou- rant : ils les étendent ou les déploient quand ils nagent contre le gourant ou dans une eau calme. En général, lorfque les Poiflons veulent fe fervir de leur® S 4 dut Le “0 082 CONTEMPLATION pañlages font bien auili finguliers que ceux des Oifeaux. Ils peuvent avoir beloin d’une forte de génie pour faire leurs chaffles avec plus de fuccès, & pour fe fouftraire à la pourfuite de leurs Ennemis. La Seche répand à propos une liqueur noire qui trouble l’eau, & la dérobe aux regards des Poilons qui en veulent à fa vie. Peut-être que cette liqueur lui fert encore à faifir avec plus de facilité ceux dont elle fe nourrit (2). nageoires pour exécuter de petits mouvemens , ils difpofent les nervures ou les rayons des nageoires de maniere à les déployer; ils portent ainfi la nagcoire vers la tête, puis par uno difpo- fition contraire des rayons, ils la ramenent vers la queue; & par ce jeu alternatif ils fendent l'onde avec plus onu moins de viteffe. Ils ne nagent jamais avec plus de rapidité que lorfqu’ils déploient tous leurs ailerons. Les mouvemens preîtement répé. tés & habilement minazés de la queue & de tout Le corps, font encore ce qui influe le plus fur la rapidité de la courfe. Pour l'ordinaire , la queue & fon aileron fervent de gouvernail , & c'eft toujours par leur moyen que les Poiffons exécutent les plus grands mouvemens. Ils changent prefque à chaque inftant d'allure & de direction, & fe jouent dans l’eau, de mille & ille manieres différentes & avec plus de liberté encore que les Oifeaux dans Pair. (2) tt La Seche, le Calmar & le Polype de Mer font trois Animaux marins, tous trois voraces, qui ne different que par de légeres varietés, & qui fe reffemblent parfaitement par Île geure de vie. Quoique j'aie rangé dans mon Texte la Seche parmi les Poiffons , ce n’eft point du tout à dire qu'elle foit un vrai Poiffon ou un Poiflon à écailles : elle appartiendroit plutôt au peuple nombreux des Infectes de Mer, & l'Anatomifte cé- DARML' AC NNA TU R E. Part, XTI. 281 D'autres Poiflons favent percer avec beaucoup lebre (+) qui l’avoit nommée Z#feéle-poillon , ne l’avoit pas défignée d’une maniere convenable. Il avoit réuni dans fa dé« nomination des caracteres que la Nature n’a pas réunis dans l'Animal. La figure de la Seche a quelque chofe de hideux & de difforme. Si elle eft un Infecte, elle eft un bien grand Infeéte ; car elle 3 environ deux pieds de longueur. Elle eft fur -tout carattérifée par un grand os large & épais, uni, fongueux , placé fous le dos , & dont l’organifation avoit fort excité l'admiration de SWAMMERDAM. Ce qui fe Fait le plus remarquer dans l'extérieur de la Seche, _font fes longs bras au nombre de dix, placés à égale diftancé autour de la téte. Deux de ces bras font beaucoup plus longs que les autres. Tous font garnis de petits organes qui méritent _ ne grande attention. Leur forme imite celle du calice d'un _ gland. Un anneau cartilagineux , armé de petits crochets , les ceint extérieurement. Le calice tient aux bras par un pédicule tendineux. Une membrane qui accompagne l'anneau, peut s'é- lever au befoin & remplir la cavité du calice. On nomme ces petits organes les /#çoirs de la Seche. Ils n’en font point néan- moins , & leur fonction n'a rien de commun avec celle des fuçoirs : ils n’ont été donnés à la Seche que pour la mettre plus en état de fe cramponner avec fes bras & de retenir fa proie. Ces prétendus fuçoirs n'agiffent que comme un cuit mouillé, qui s'applique fortement à la furface d'un corps. Les crochets dont ils font armés leur donnent plus de prife encore. I y a fur chaque bras des centaines de ces petits organes , qui vont en diminuant de grandeur à mefure qu’ils approchent des extré- mités. Les deux plus longs bras ne portent de ces eipeces de mamelons qu’à leur extrémité fupérieure. On juge qu'avec des membres & des organes fi nombreux & fi bien appropriés, la Seche à une merveilleufe facilité à fe cramponner à tous les CT) Mr. Lecar, ete AR SE Dé 282 CONTEMPLATION d'art des coquilles fort dures, & en tirer la fubf corps , & à retenir la proie que fes longs bras , tendincux & élaftiques ont faife. Ils font à la fois des ancres, des cables & des mains. Au centre des bras eft placée la bouche, façonnée en bec de Perroquet : elle eft même fi bien un bec, qu'elle eft cornée ou cartilagineufe comme le bec des Oifeaux. De chaque côté de la tête, à l’origine des bras, & à peu de diftance l’un de l’autre, font placés deux yeux noirs , faillans & affez gros. Le corps eft charnu & recouvert d’une peau mince, mais qui a de la fermeté. Il eft pourvu de deux efpeces de nageoires. Mais mon objet n’eft pas de décrire la Seche : je ne dois parler ici que des particularités qui ont rapport à fon genre de vie & à fon induftrie. Dans la cavité du bec fe trouvent plufieurs rangées de dents, différemment coufigurées, qui jouent latéralement comme celles des Infeétes, & au moyen defquelles la Seche les alimens dont elle fe Fo Dans l’intérieur du ventre, près du cœcum, eft la veflie qui contient la liqueur noire que l’Animal rejette dans certaines circonftances. Cette veflie remarquable eft pourvue d’un canal qui s'ouvre dans l’anus. Cette liqueur fe réduit par la deffica- tion en une poudre impalpable, Divers Auteurs anciens & modernes , dont je fuivois l’opis nion, avoient prété à la Seche la petite rufe de troubler l’eau par l’émifion volontaire de fon encre, foit pour fe fouftraire à la pourfuite de fes Ennemis, foit pour s'emparer de fa proie avec plus de füreté: mais d’autres Auteurs , moins amis du mer- veilleux , préfcrent de penfer, que l’émiffion de la liqueur n’eft j que l'effet de la peur qui faifit l'Animal , & qui relächant le mufcle de la veflie, fait épancher l'encre ; & cette opinion, qui ne laifle rien à l’induftrie de la Seche , me paroiït aflez probable. L'Animal, moins rufé qu’on ne l’avoit penfé , n’en auroit pas été mis TR en état de pourvoir à fa confers vation. à ï DELA NATURE. Part. XII 283 tance charnue qu’elles renferment ( 3). Nous ienorons l’ufage que PEfpadon , la Scie, le Narh- wal font de ces inftrumens énormes qu’ils por- tent au bout du nez: mais, fans doute, qu’ils entendent à les manier (4), La Torpille, qui (3) +f Ces Animaux qui favent percer les coquilles pour fe nourrir de la fubftance qu’elles renferment , ne font pas plus de vrais Poiflons que la Seche & le Calmar ; à moins qu’on ne veuille denner le nom de Poiffons à tous les Teftacés de Mer. Ce font de vrais Coquillages qui , comme les Dattes dont je parlois dans la Note 2 du Chap. XX, pereent ou taraudent les coquilles pour fe nourrir de la chair de l’Animal qu’elles ren- ferment. Tandis que les Dattes avancent lentement dans leur retraite pierreule, il arrive fouvent qu’elles fe rencontrent dans ges réduits ténébreux, & malheur alors aux Dattes qui vien- nent à étre rencontrées par d’autres Dattes ; car celles - ci ne manquént point de les percer pour fe nourrir de leur fubftance. La Pourpre , Limacon de Mer, fameux par la riche coulcur qu'il fournifloit aux Anciens & qui leur tenoit lieu de notre Cochenille , eft encore un de ces Coquillages qui ont l’adreffe de percer les coquilles pour puifer dans leur intérieur un ali- ment dont ils font avides. La Nature les a pourvus d’une trompe armée de dents ou d’une efpece de tariere qu’ils entendent à merveille à faire jouer, & au moyen de laquelle ils taraudent les coquilles les plus dures. ( Confultez la Note 6 du Chap. XXI de la Partie III.) " (4) tf L'Efpadon ou la Scie & le Narhwal n’appartiennent point proprement à la clafle des Poiflons ; mais ils fe rangent dans celle des Cétacées. Les vrais Poiflons n’ont point de pou- mons fils ont des ouies qui leur en tiennent lieu. Tous les Cétacées , au contraire, ol de vrais poumons. Confultez la Note s du Chap. XXVI de la Partie III, … L'Efpadon & la Scie, que je donnois dans mon Texte pour + se 284 ©: CONTEMPLATION engourdit fi fubitement la main qui la touche, n’a-t-elle pas un moyen bien remarquable de deux Animaux différens , ne font qu’un feul & même Cétacée: L'Efpadon n'eft pas un grand Cétacée , il n’a pour l'ordinaire que neuf à dix pieds de longueur. Il eft bien remarquable par la finguliere défenfe dont il eft armé , & qui reflemble à une forte épée dentée des deux côtés. Sa fubftance eft très-dure, & les nombreufes dents qui la divifent ont fouvent plus d’un pouce de long. Une peau ferme recouvre cette épée. L'Efpadon fait une guerre éternelle à la Baleine, &’la pour- ", fnit avec acharnement. Le combat de ces deux Cétacées offre M un grand fpectacle. La Baleine n'eft pas armée comme l'EC padon; mais fa queue, énorme mufcle d’une force prodigieufe , lui fert bien de défenfe. Elle tâche d’en porter un coup à fo Ennemi, & f elle a le bonheur de l’atteindre, elle le met hors de combat. L'Efpadon, très-agile, efquive le coup avec adrefle, bondit en l'air, & fe laiffant Finale fur la Baleine, il la déchire avec {a fcie. Bientôt la Mer eft teinte du fang de la « Baleine, elle s’agite avec violence , entre en fureur, foule la Mer « de fon épouvantable mafle , la fait frémir & en Elève les eaux Ÿ comme des Montagnes. À La bouche de l’Efpadon eft entiérement privée de dents; 1 mais, en revanche , elle eft comme pavée d’écailles dures & M épaifles. Il n’avoit pas befoin apparemment de divifer & de |! moudre fa proie avant que de l'avaler. Ce Cétacée habite les gi Mers de Groënland. 4 Le Narhwal eft un bien plus grand Cétacée que l'Efpadon. Ÿ On voit des Narhwals qui ont depuis vingt jufqu’à foixante pieds de longueur. La bouche de ce Cétacée cft dépourvue de dents comme celle de l'Efpadon, & l'ouverture de fon gofier eft forts petite proportionnellement à la grandeur de fon corps. On pré- tend qu’il ne fe nourrit, comme la Baleine , que de ne Poiffons & d’Infeétes marins ; mais il n’a point, coinme celle-ci, de fanons pour retenit les alimens. On avoit pris fon énorme D'EL 4 NATURE. Part. XII. 285 pourvoir à fa confervation , & un grand art à défenfe pour une corne ; ce qui lui avoit fait donner le nom de Licorne de Mer. On a rencontré des Narhwals qui étoient armés de deux défenfes : c’étoit apparemment une monftruo- _ fité. J'ai parlé ailleurs de cette arme finguliere. (Part. III, Chap. XXV, Note 2.) Le Narhwal s’en fert pour percer la glace & aller refpirer à la furface de l’eau. Quelquefois il l’en- . fonce bien avant dans le doublage des Vaifleaux. Elle ne réfifte pas toujours à des coups fi violens, & il lui arrive aflez fouvent de £ rompre. Un Monftre marin, pourvu d’une arme fi redou- table, ne feroit-il la guerre qu'aux petits Poifons & aux In- fectes marins ? Il y a bien de l’apparençe qu'il attaque d’autres Montres , & en particulier les Baleines avec lefquelles on le rencontre prefque toujours. Mais les Hiftoriens de la Nature ne nous difent que fort peu de chafe de la vie de ce Cétacée, & il. n’y a pas de quoi s’en étonner : on n'obferve pas ces Monitres que recelent les profondeurs des Mers giaciales , comme on obferve les Poiffons & les Infe%es de nos viviers. Le Narh- xval fe fert admirablement bien de fa queue pour nager , & il eft au nombee des Animaux de Mer qui nagent avec le plus de witefle. Sa forme très-alongée tient de celle de l'Efturgeon. On remarque qu’il fe plait dans la fociété de fes femblables ; mais cet inftinét focial lui eft fouvent funeite : les Narhiwals, atta- rqués par les Pécheurs , fe réuniflent en troupes, & rafflemblés dans la même enceinte , ils croifent leurs longues défenfes de mille maniere différentes, & les embarraffent tellement les uncs dans les autres, qu'ils ne peuvent plonger & fe fouftraire ainfi aux pourfuites de leurs plus ardens Ennemis. ” L'Empereur eft un autre Cétacée qui n'eft pas plus grand que VEfpadon, & qui eft auf agile que lui. Il porte fur le dos ne forte de fabre eu plutôt de pieu, de trois à quatre pieds de longueur’, qui ne paroît pas trop une arme offenfive , & dont oignore encore le véritable ufage. Les vraies armes offenfives de ess fortes de Cétacées font dans leur gueule : elles confi£- tent dans les dents paintues dont leurs deux mâchoires font sg CONTEMPLATION offrir aux méditations du Phyfcien (5)? Le Poiffon volant, pourfuivi par d’autres Poiflons ; bien pourvues. Ils fe réuniffent pour faire la guerre à la Ba leine : ils fondent fur elle avec impétuofité , lui enlevént cha cun de leur côté de gros morceaux de chair, & ne ceffent de 1 harceler jufqu'à ce qu’excédée de fatigue elle ouvre fa gueule & en faffe fortir fon énorme langue. A l’inftant fes Ennemis acharnés fe jettent fur cette langue dont ils font friands , l’ar< rachent & la dévorent. Les Cétacées font des Animaux Jouffleurs, qui rejettent avec force , par leurs évents,; & fouvent à plufieurs toifes de dif- tance, l’eau de la Mer qu'ils ont avalée. Ces torrens d’eau qu’ils font jaillir avec tant de force peuvent dans certains cas étour- dir leurs proies &c teür en faciliter la capture. C’eft à la force prodigieufe de leurs poumons , à la conformätion particuliere | de leur larynx, à une forte d’aqueduc fitüé au bas du front, & à un mufcle fort puiflant, que ces grands Animaux fouf- u fleurs doivent la finguliere propriété de lancer l’eau à des dif: tances coufidérables & en grande abondance. N (5) H# J'ai parlé au long de la Torpille & de fon admis table inftrument électrique , dans la Note $ du Chap. XIII de b la Partie V : j'y renvoie le Lécteur. La Torpille, qui eft du genre’ { des Raies , appartient à la claffe des Poiflons cartilagineux. (Voy. Part. IN ; Chap. XXV , Note 7.) Un Voyageur célebret . fait mention d’ime très - grande Raie de l'Amérique, qui n 2 pas, comme la Torpille, la propriété d’engourdir fa proie; mais” qui a un autre moyen bien remarquable de s’en faifr. Lés Améx 4 ricains la nomment Menta où Couverture ; &.ce nom lui con 4 vient à merveille : elle fe roule comme une couverture autour à de fa proie & l’étouffe. Il arrive quelquefois aux Plongeurs d’être enveloppés fubitement par cette couverture vivante, & k d'en ètre étouffés. Elle a neuf à dix pieds de longueur fur une largeur proportionnée. On pourroit douter néanmoins que ee . Poiflon {oit une véritable Raïe; car le Voyageur rapporte qu'à DE LA NATURE. Part. XII 2$Ÿ s’élance hors de l’eau, pour fe réfugier dans l'air , où il fe foutient à l’aide de fes grandes nageoires (6 ). CEST encore une chofe intéreflante, que la maniere dont divers Poifons fraient. Plufeurs quittent alors les Mers ou les Lacs, & entrent dans les Rivieres. Le Mâle joue avec la Femelle, & après qu'ils fe font livrés à leurs chaîtes amours, ils rentrent dans leurs anciennes de- meures (7 ). fe laiffe tomber fur {4 proïe où fur le Plongeur pour l’enve- Topper & s’en rendre maître: il faut donc que ce Poiffon puiffe - quitter le fond dé l’eau pour en agir ainf; & lon fait que les _ Raiïes font des Poiflons rampaus , qui ne quittent pas le fond de l’eau. (lbid.) | (6) tt Voyez fur le Poiffon-volant la Note 1 du Chapitre | XXVI de la Partie III. L , | » (7) tt On fait que les vrais Poiffons ou les Poiffons à ouics me s’accouplent point. Le Male & la Femelle font privés des parties propres à la copulation : mais la Femelle contient des ves, qui font des amas d'œufs renfermés fous une enveloppe _ éommune, & qu'elle laifle tomber an temps du frai. Les laites du Mâle contienñent la liqueur deftinée à féconder ces œufs. IF fes'en arrofe, après s’étre-joné quelque temps avec la Femelle. On: veut qu'ikfe renverfe Æur Le’ dos pour rencontrer le ventre devcelle-ei & le frotter à plufieurs reprifes : mais il faut con weniriqué nqus fommes fort péu éclairés encore fur les amours des Poiffons.11 femble même que le Mäle foit plus attaché aux œuisiqu'èdæ Femelle qui lés a .pondus. On le voit païer & | ein io se arr er | 288 ‘(CON T E M-P/L ATANO M ON fait qu’on apprivoife les Carpes & qu’elles repaffer bien des fois {ur ceux qui ont été dépofés à l'aventure : par des Femelles qu’il n’a point connues. Il eft au moins très- für que la fécondation des œufs des vrais Poiffons ne s’opere qu'après qu'ils ont été pondus. On peut même les féconder artiticiellement comme ceux de quelques Amphibies en les arrofant de la liqueur fpermatique du Mäle. (Part. VII, Chap. X, Note 2, Part. X, Chap. XXIIE, Note 9.) Parmi les Poiflons de Mer, il en eft qui jettent leurs œufs fur le rivage, tout près de l'endroit où le ot va mourir, & où ils peuvent étre échauffés par le Soleil. Là fe rencontrent une multitude de petits Infectes qui font la pâture appropriée au Fretin. L'inftinŒ@ naturel qui porte les Meres à aller faire leur ponte dans ces lieux , aflure la confervation des différentes Efpeces. Mais les Poiflons qui habitent la haute Mer n’étoient pas appellés à pondre près des rivages : ils devoient en être toujours trop éloignés : ils jettent donc leur Ffrai dans la Mer, & il furnage à la furface où il participe aux douces influences de lPAir & du Soleil. Les Morues, qui font un fi grand objet de navigation & de commerce; les Morucs, qu'on pêche & qu’on prépare de tant de manieres différentes, & qui alimentent, tant de Penples divers ; les Morues, dis-je, prennent leur naïflance dans les Mers du Nord de l'Europe, & fe répandent dans toutes les Mers qui ceignent les grands Continens. Elles nagent par | grandes troupes, & leurs marches n’offrent rien de bien conf- tant. En général, les Morues de l'Amérique abandonnent au Printemps les profondeurs de l'Océan ‘où elles s’étoient retirées pendant l’Hiver, pour s'approcher des côtes & des bancs : elles y font attirées par les Harengs &par d’autres petits Poiffons dont elles font friandes. Des légions innombrables ‘de ces gros. Poiffons accourent en Été vers le grand banc de Térre-neuve; & procurent à des milliers de Pêcheurs de toutesles Nations les, pêches les plus abondantes. Un feul Pécheur en prend dans un. foul jour plufeurs centaines. À la vue de ces pêches prefque accourent à + re tpm rs HÈA ASS hi Fr ha - 2e en _ DE LA NATURE. Part. XII. 289 accourent , comme les Poules , à un certain fignal miraeuleufes , exercées annuellement par un fi grand nombre de Nations & dans tant de parages différens, on a peine à com- premdre comment la fécondité des Morues peut fuffire à la pro- digieufe confommation que les Hommes & les Animaux de Mer font chaque jour de ces Poiffons. Mais, quand on vient à apprendre de l'infatigable LEUWENHŒK qu'une feule Morue peut pondre environ dix millions d'œufs, on n'eft plus furpris que la fécondité de ce Poiffon puifle fournir aux befoins de ) tant de Peuples, & on n’eit plus frappé que de l’étonnante magnificence de la Nature dans la multiplication des Êtres vivans. Le Hareng nous a déja donné lieu de faire la mème réflexion. ( Part. XI , Chap. XIV, Note 1.) Le Saumon , dont la chair ne le cède gucre en délicatefle à celle de la Morue, mais qui n’eft pas un fi grand objet de commerce , ef comme elle un Poiflon de paffage, Les Sanmons émigrent d'une Mer dans une autre. Iis abondent dans Les Mers du Nord de l'Europe & en Amérique. Mais ils ne fe tiennent pas conftamment dans les Mers : ils remontent les fleuves ju£- ques vers leur origine pour y chercher les nourritures qu'ils aiment le plus & pour y frayer. Ils fe plaifent dans les eaux vives & claires qui courent {ur un lit de gravier. Ils nagent avec une grande célérité & ne font point arrêtés dans leur courfe rapide par des cataractes affez hautes. Ils favent les franchir avec autant d’adreffe que de force, & la manœuvre à laquelle ils ont alors recours eit bien remarquable. Ils ploient leur corps en arc de cercle, ils le bandent comme un reflort, & en frappant l’eau de leur queue üs s’élancent à une hau- teur confidérable, & furmontent ainfi en bondiffant l’impé- tuofité de la cataracte. Après qu’ils ont frayé dans les fleuves, la plupart les defcendent pour regagner la Mer & fe mettre à l'abri des fortes gelées. Les Naturaliftes font fort divifés fur les marches des Saumons , & on ne peut pas trop compter fur » €e qu’ils nous racontent de quelques particularités de leur vie, Ji en eft qui nous aflurent que les Saumons ont l’adrefle de Tome III. T gg CONTEMPLATION pour recevoir la pâture des mains de leur Pour voyeur (8 ). creufer dans le lit des fleuves des Foffes fpacicufes pour y dé- pofer leurs œufs, & empécher ainfi que le courant ne les en- traine. Et comme fi ce n'étoit pas déja là une aflez grande adrefle pour un Poiffon, ces Naturaliftes veulent encore que le Male & la Femelle travaillent de concert à élever une petite digue de gravier autour des foffes pour garantir mieux les œufs ée l'effort du courant. Il y a fürement beaucoup à rabattre d’un récit fi embelli; & nous nous bornerons à admeftre avec le plus fage des Hiftoriens (+) des Poïllons, que l'amour du merveilleux ne féduifit jamais, que toute l'adrefle des Saumons fe réduit ici à creufer dans le fable ou le gravier des flions plus @i moins profonds, où ils dépofent leur frai. La Truite, qui eft de la famille des Saumons, pafle, comme eux, de la Mer dans les fleuves pour y frayer. Mais toutes les Truites n’habitent pas également les eaux falées & les eaux douces. Il en cit qui n’habitent que les eaux douces : ce font les Truites fuviatiles. Elles fe plaifent aufi dans les eaux vives & claires, & ont peut-être plus de force que les Saumons pour rompre les courans les plus rapides 6 franchir les cataractes. Les Truites du Lac de Geneve , fameufes par l’excellence de leur chair & par leur groffeur, commencent au Printemps à abandonner le Lac pour defcendre dans le Rhône & y frayer : mais les plus groffes ne defcendent dans le fleuve qu’en An tomne. Il eft néanmoins des raifons de penfer que quelques. unes fraient dans le Lac. L'Anguille, qui femble fe rapprocher plus des Reptiles que des Poiflons, & qui eft vivipare comme la Vipere, pafle des rivieres dans la Mer pour y mettre bas fes Petits. La plupart des Meres rentrent enfuite de la Mer dans les rivieres, & les jeunes Anguilles les y fuivent. * D'autres Efpeces de Poiflons entrent dans les marais faïans +) Mr. DuHAMEL. DE LA NATURE. Part. XII 39% Que n’a-t-on point débité en ce genre fur pour y dépofer leur frai, & retournent enfuite à la Mer. Prefque tous les Poiffons font très - voraces, & leurs migra: #ions ont toujours pour objet de faire la guerre à d’autres Poiflons , & de chercher des lieux propres à fournir au Fretin des nourritures convenables. Dans cette clafle fi nombreufe d’Animaux aquatiques, nous ne connoïflons point encore d’Ef- peces qui pourvoient à l'éducation des Petits. L'amour maternel, qui fe fait tant admirer dans diverfes Efpeces d'Oifeaux & de Quadrupedes , ne fe retrouve point chez les Poiffons. Les Fe- melles abandonnent à + Nature le foin de leurs Petits, & cette bonne Mere a bien pourvu à leurs befoins. Quelques Cétacées néanmoins prenneng un grand foin de leur Progéniture ; mais les Cétacées qui font tous vivipares & qui tous alaitent leurs Petits , fe rapprochent bien plus à cet égard des Quadrnpedes que des vrais Poiffons. Les Femelles ehez les vrais Poiffons ne connoiffent point leurs Progénitures , & les dévorent comme toute autre proie. Ainfi chez cette grande Famille d'Êtres vivans , il n’y a pas plus de tendrefle maternelle qu'il n’y à d'amour conjugal. Au refte, il eft rigoureufement prouvé qu’on rencontre quel- äuefois ehez les Poiffons de vrais hermaphrodites ou des Indi- vidus qui portent d’un côté des uves & de l’autre des laites. La Carpe, le Brochet & le Merlan en ont fourni des exemples à des Naturaliftes célebres ; qui ne pouvoient s’en laiffer impofer par des apparences trompeufes. Ce font des Monitres d’un genre fingulier. Si le Poïflon de l’Isle-de-Bourbon, dont Mr. de REAUMUE avoit parlé à l'Académie de Paris, étoit bien un vrai Poiflon ; art de filer ne feroit pas inconnu aux Animaux de cette claffe ; car ce Poiflon fe renferme avec fes œufs dans une enveloppe de foie. Mais il me paroît plus probable que cet Animal maris äppartenoit au genre des Teftacées ou des Infe&es, avee lefquels ên a trop fouvent confondu les Poiflons. C8) Ft Les Carpes apprivoifées dans les viviers äcoonres X 2 292 CONTE MP LA T0 Nr le Dauphin! Combien les Anciens , amateurs nés du merveilleux, nous ont-ils vante {on adrefñe, fon agilité, fes jeux, fa tendreffe pour l'Homme, fa conftance , & mème fa gratitude! Mais il faut laifler aux Poëtes à célébrer ce PILADE marin (9). VRAISEMBLABLEMENT les Poiflons font de tous les Animaux ceux à qui il a été donné de vivre le plus long-temps. On a vu des Carpes de cent cinquante ans ( 10). Les Poiflons tranf- au fon d’une clochette pour recevoir leur nourriture. On pou- voit douter de ce fait avant qu'on eût exécuté les expériences qui prouvent que l’eau tranfmet les fons , & qu’on eût démontré l’exiftence de l'organe de l’ouie dans les Poiflons. Confultez la Nete 4 du Chap. XXV de la Part. IIT. Il femble même que les Carpes aient l’ouie aflez fine : elles fuient dès qu’on fait quelque bruit & vont fe cacher dans la vaîe. (9) ++ Voyez fur le Dauphin la Note 6 du Chap. XXV de R Partie X. (ro) tt L’Auteur des Époques de la Nuature parle de Carpes de plus de deux cents ans; & il dit à ce fujet, que puifqu’une Carpe vit plus de deux cents ans , une Baleine peut bien vivre mille ans. Mais il n'y a probablement qu'un très- petit nombre de Baleines qui meurent de vieilleffe : la carriere de la plupart eft fort abrégée par les armes des Pècheurs , ou par celles des Monftres marins qui leur font une guerre éternelle. On affigne différentes caufes de la longue durée de la vie des Poiflons : celles que j’indique dans mon Texte paroiflent être ges principales. Mais cette partie fi confidérable de l'Hifoire des TBE 20N A T UiR E: Port XII. 207 pirent & s’endurciffent peu : ils n’ont pas pro- prement des os. Mais ils vivent dans un état de guerre perpétuelle. Tous dévorent ou font dévorés. Ceux qui vivent âge de Poiflon, doi- vent acquérir une grande expérience des affaires de la Mer. Ce feroient de tels NESTORs qui pourtoient nous valoir de bons Mémoires fur l'Hiftoire fecrete d’un Peuple fi peu connu (r1). Animaux eft bien imparfaite encore, & nous n’avons fur la vie & fur les procédés des Poiffons , que des obfervations détachées qui ne fufifent point pour nous donner leur hiftoire L'éiément qu'ils habitent & les profondeurs dans iefquelles ils fe retirent, les mettent trop hors de la portée des Obfervateurs. Nous avons au moins de bonnes defcriptions d’un affez grand nombre d'Efpeces & des notices affez exactes des marches de quel- ques - unes. 4 On peut juger jufqu'à un certain point de l’accroiflement des Poiffons par une obfervation qu’on a faite fur celui des Carpes. Des Poiflons de cette Efpece, qui n’ont encore que cinq à fix pouces de long , acquierent au bout de quatre à cinq ans une Aongueur d’un pied. On a vu des Carpes de trois pieds & demi de long, & qui peloient quarante-cinq livres. Il n’eft guere de Poiffbns qui aient d’aufli grandes écailles que celui-ci. Sa fécon- dité eft merveillenfe, fans Pêtre néanmoins autant que celle de la Morue. Le célebre PEr1T , Médecin, avoit caiculé qu'une Carpe de grandeur moyenne contenoit plus de trois cents qua- rante mille œufs. Çrx) ff Il eft fingulier qu'il y ait de petits Poiflons qui vivent & multiplient dans une eau thermale de foixante - deux degrés dn thermometre de REAUMUR : c’eft pourtant un Fait dont Mr. SONNERAT s’eft afuré, & qu'il a obfervé dans l’Isle- de-Luçon , qui eft une des Philippines. Les petits Poiflons qui d'à 294 CONTEMPLATION EE —— "#73 CH. A PA TR ETS VE Procédés des Oifeaux. À RS avons entrevu les émigrations deg Oïleaux, & nous avons conjeéturé qu’elles dé- pendent principalement des vents (1 ). Un Na- turalifte exact s’en elt affuré à Malte. Toutes es obfervations prouvent, que les mèmes Ef- \peces émigrent toujours par des vents détermi- nés. En Avril le fud - ouelt amene dans cette Isle des efpeces de Pluviers, & le nord - ouelt des Cardinaux & des Cailles. A - peu- pres dans le mème temps, les Faucons, les Bufes, & au- tres Oifeaux de proie paffent avec le nord-oucft , fans fjourner , & repaflent en Octobre , avec le fud ou l’oueft. En Eté, le vent d’eft conduit à Malte les Bécaflines , & vers le milieu de Automne , le nord & le nord-oueft y conduifent de nombreux efcadrons de Bécafles. Ces Oifeaux ne peuvent point voler, comme les Cailles , vent arriere : puifque le vent du nord qui pourroit les porter en Barbarie, les oblige de demeurer habitoient une eau fi chaude, étoient très-agiles. On'a vu à-peu: près la mème chofe dans de très-petits Coquillages. Cr) Part. XI, Chap. XIII. e-ERet | DE LA NATURE. Part. XII 29$ dans les Isles. Les Cailles, au contraire, émi- grent vent arriere d’un Pays dans un autre. Le fud-eft les fait pañler au mois de Mars de Bar- barie en France. Elles reviennent de France en Septembre ,.& pañlent à Malte par un fud-eft. Les vents font donc les fignaux que la Nature emploie pour annoncer à divers Oifeaux le temps de leur départ. Fideles à cette voix , ils fe met- tent en route & fuivent la direction qu’elle leur indique ( 2 ). Nous nefinirions point fi nous voulions par- courir les procédés propres à chaque Efpece d'Oifeaux : fuivre les Oifeaux de proie dans leurs chaffes prefque favantes ; les Oifeaux aquatiques dans leurs pèches ingénieufes ; les Oifeaux do- meftiques dans leur petit ménage ; les Oifeaux nocturues dans leurs retraites fombres , &c.(3). (2) Confultez fur les migrations des Oifeaux & fur leurs différentes caufes , les Notes 1 & 2 du Chapitre XIII de la Partie XI. (3) tt Les Oifeaux, beaucoup plus nombreux en Efpeces que les Quadrupedes, & bien autrement induitrieux que les Poifons , offrent une grande pe?fpeétive aux yeux du Contem- plateur de la Nature : mais un fi vafte tableau ne fauroit être renfermé dans l’efpace étroit de quelques Notes : je me bor- nerai donc à en détacher un petit nombre de traits, & je ren- woierai mon Lecteur à la belle Hiftoire des Oifeaux des deux &lnftres François, où les mœurs, les inclinations & les procé+ T4 296 * CON TE MP. LA TNENO NN Je ne m’arrêterai donc pas à vous faire ad« mirer la longue langue du Pic-vert, le reflort dés de ces nombreux Habitans de l'air font décrits avec tant de: nobleffe, d'agrément & de vérité. tn L'Aigle, qui domine fur les Oifeaux comme"le Lion fur les Quadrupedes , foutient avec ce noble Animal bien des rapports phyliques & moraux, qu'on fe plait à contempler. Tous deux regnent en Monarques, l'un fur les hautes Montagnes & dans les régions les plus élevées de l’Atmofphere, l’autre, dans les déferts brülans ou dans l’épaifleur des forêts. Tous deux fe plaifent dans ces lieux folitaires & inacce@ibles où l'antique & vénérable Nature ne fe montre que par fes faces les plus agref- tes. Appellés tons deux à vivre .de proie & de carhage, ils ne fouffrent point qu'aueun autre Animal de leur Efpece ofes’in- troduire dans leur domaine, & l'amour feul , le plus doux & le plus impérieux des tyrans, force le Male & la Femelle à s'unir pour jatisfaire à des befoins communs. Fiers & magnanimes, autant qu'intrépides & courageux , ils dédaignent de foibles ennemis & répugnent de s’en venger. Tous deux enfin ne veulent que du butin qu'ils ont eux-mêmes conquis, & de proie, que celles qu’ils ont immolées à leur appétit toujours renaiant, Ils ne les dévorent pas méme en entier, en aban- donnent les reftes aux autres Animaux, & ne touchent jamais aüx cadavres, Chez la race impériale de lAïgle, les nœuds que l'amour a imentés entre le Mâle & la Femelle fubfftent encore après la jouiffance. Le Coupie guerrier demeure uni & pourvoit à l’édu- cation de la Famille, [i fait une guerre perpétuelle aux gros Cifeaux & à divers Quadrupcdes, fond fur eux avec impétuo- fite , les faifit avec fes Fortes ferres, & les tranfporte d’un vol hardi dans fa haute retraite. C'eft-là que dans l’enfonçement d'un :o:her e% un uid fpaçcieux, proportionné à la grandeur & à la force des Oifeaux qui l’ont conftruit. Très-différent de celui des Oifeaux fubalternes , fa forme n'eft point hémifphéa DE LA NATURE. Part. XII. 29% fique €& il n’eft point creux pour concentrer la chaleur. C’eft une forte d’aire ou de plancher, formé de perches de cinq à fix pieds de longueur , fixées par leurs extrémités & croifées par des branches fouples, fur lefquelles repofent pluñeurs lits d'her bes & de bruyeres. Cette aire , qui n’a d’autte recouvrement que les avances du rocher , eft fi folidement confttuite, qu'elle fuffit à porter toute la Famille & une grande quantité de pro- “vifions. É Le Faucon, auf fier, auf indépendant , aufi courageux que l’Aigle, mais qui lui eft bien inférieur en grandeur & en force, fe plaît, comme lui, dans les lieux folitaires & agreftes, £& niche de même dans l’intérieur des rochers les plus élevés. Il fe perd comme l’Aigle dans la nue, & fon vol eft fi rapide que fon apparition eft toujours fubite & imprévue. Son courage france & mâle lui interdit la rule & les détours : il fond à-plomb fur fa proie, & en fe relevant dans la même direction, il l’em- porte dans les airs. Il Fait da guerre au Milan; mais parce qu’il fe défend en lâche, le Fancon généreux le traite avec dédain & ne le tue point. L'Homine, dont la raifon fupérieure à tous les inftincts Fait fervir tous les Êtres à fes plaifirs & à fes befoins, fait mettre à profit les nobles qualités du Faucon , & en les perfettionnant par une éducation bien entendue, transforme en art l’inftin& du fier Oifeau , & foumet à des loix conftantes cet Être indé- pendant qui fembloit né pour n’obéir qu'à la Nature. Au dernier rang des Oifeaux de proie paroït un. Oifeau qui n'eft guere plus gros qu’une Alouette, dont le courage eit tel qu’il ne craint point d'attaquer des Oifeaux qui lui font fupe- rieurs en force & en grandeur, & mème des Oifeaux de proics qui ofe voler de pair avec ces Tyrans de l'air & chafler jufques dans leur domaine. Mais c'eit fur-tout dans la défenfe de fes Petits que l’intrépidité de ce petit Oifeau fe fait le plus admirer: il attend pas pour commencer le combat , que l'Oifeau de rapine s'approche de fon nid ; il fuit qu'il paroiffe vouloir s’en approcher ; # lui va au-devant, fond fur lui, le bleffe cruelle- ment, le forée à fuir, & dans une lutte fi inégale il eft aflez 7" 298 CONTEMPLATION rare que le petit Oifeau cede à la foree ou qu'il fe aile eme, porter : aufli eft-il refpecté de tous les Oifeaux de proie fubal- ternes. Ce petit ACHILLE eft la Pie-grieche. Tandis que les Oifeaux de proie fe jouent dans les nues & qu’ils exercent leurs brigandages dans les airs , les Oifeaux aqua+ tiques fe jouent fur les eaux & y font la guerre aux Poiffons. Les uns Fendent les flots & s’y enfoncent ; les autres ne font que les rafer par un vol rapide. L'élément mobile eft pour tous un domicile afuré: tranquilles au milieu des orages , ils s’y raffemblent en grandes troupes, luttent contre les vents , badi- nent avec les vagues, & n’ont point à redonter les naufrages. Ces Oifeaux, dont les Efpeces font très-nombreufes , ne quit+ tent la Mer que pour aller pondre fur le rivage. Ils y retour- nent fouvent pour fournir les nourritures à leurs Petits; & … dès qu’ils ont pris un certain accroifement , ils les conduifent ‘ala Mer, & leur enfeignent par leur exemple le double art de nager & de voler. Navigateurs nés, leurs corps & leurs mem- bres font merveilleufement appropriés à l'élément liquide qu’ils devoient habiter de préférence; & l’on croiroit que c’eft fur ce modele naturel que les Hommes ont conçu l’heureufe idée de leurs navires. Le corps de l’Oifeau aquatique eft bembé comme la carene d'un vaiffeau : fon col qui s’éleve fur une poitrine éminente, repréfente affez la proue du navire : fa queue courte & raffemblée en pinceau femble être un gouvernail : fes pieds gclmés font de vraies rames: enfin, le duvet fin, épais & verni qui revêt tout le corps, eft une forte de goudron naturel qui le défend contre l’impreflion de l’eau. À En général, les eaux font pour les Oifeaux de Mer un féjour de repos & de plaifir, & où ils exercent toutes leurs facultés avec plus d’aifance encore que les Oifeaux de l'air ne les exer- cent dans cet élément léger. ,, Voyez ces Cignes nager avec molleffe, ou cingler fur l’onde avec majefté; ils s’y jouent, >» S'ébattent , y plongent & reparoïiffent avec les mouvemens » agréables , les douces ondulations & la tendre énergie qui annoncent & expriment les fentimens fur lefquels tout amour eft fondé : auffi le Cigne eft-il l'emblème de la grace; 0 D'EUL A NATURE. Part. XII. 299 = premier trait qui nous frappe , même avant ceux de la » beauté. ‘y La vie de l’Oifeau aquatique eft donc plus paifivle & moins ss pénible que celle de la plupart des autres Oifeaux. . . L’élé- s ment qu'il habite lui offre à chaque inftant fa fubfiftance ; il » la rencontre plus qu'il ne la cherche . .. & cette vie plus » douce, lui donne en même temps des mœurs plus innocentes »» & des habitudes plus pacifiques. Chaque efpece fe raffemble . » par le fentiment d’un amour mutuel ; nul des Oifeaux n’at- s taque fon femblable , nul ne fait fa viétime d'aucun autre >» Oïfeau, & dans cette grande & tranquille Nation, on ne voit » point le plus fort inquiéter le plus Foible. . . Le Peuple aïlé >» des eaux, par-tout en paix avec lui-même, ne s’eft jamais » Touillé du fang de fon Efpece. Refpeétant même le genre entier des Oïfeaux, il fe contente d’une chere moins noble, » & n’emploie fa force & fes armes que contre le genre abjec >» des Reptiles & le genre muet des Poiflons ”. Parmi les Oifeaux qui vivent de pêche, il en eft de plon« geurs, qui favent furprendre leur proie fous l’eau ; d’autres la faïfiffent leftement à la furface ou lorfqwelle bondit en l'air. Souvent même ils n’ont qu’à la recevoir dans leur bec, parce que le flot complaifant la leur apporte. Tous font très-voraces : & il en eft dont l'appétit eft fi véhément qu'ils fe jettent fur tout ce qu’ils rencontrent. Les Oies & les Canards de nos baffes- cours nous en fourniflent des exemples. Quelquefois néanmoins Ja pêche eft funefte à l'Oifeau pécheur, & il eft avalé lui-même par le Poiffon; car il faut bien que les Animaux qui détruifent & 2 Soient détruits à leur tour. Des Oifeaux dont le corps eft comme élancé , dont le col & les jambes font démefurément longs, & qu’on diroit montés fur des échaffes ; des Oifeaux enfin, dont les pieds font entiérement dépourvus de membranes , ne font affurément pas faits pour nager fur les eaux, mais ils font admirablement bien faits pour marcher dans les marais & dans les eaux baffes : aufli la Nature es a-t-elle placés fur les rivages, &, pour ainf dire, fur les gonfins de la terre & des eaux, Ils vivent de Poiflons, de Rep- 3909 CONTEMPLATION tiles & d’Infectes. Leur bec, pour l'ordinaire long & affez effilé paroiît façonné tout exprès pour fouiller dans Le limon vafeux, & y chercher la pâture qui leur convient. N'oublions pas de remarquer un petit procédé commu à: divers Oifeaux pécheurs : comme ïls avalent les Poiffons fans les mâcher, on juge facilement qne les ailerons & les nageoires s’oppoferoient à la déglutition s’ils fe préfentoient à contre-fens à l'ouverture du gofer : quand donc l’Oifeau a faïfi un Poiïflon par la quene ou par le ventre, il le rejette en l'air , lui fait faire un demi-tour fur lui-même, qui le ramene la tête la premiere dans le bec de l'Oifeau , & celui-ci exécute cette petite manœuvre avec tant de promptitude & d’adrefle, qu'il ne manque prefque jamais fon coup. Ce tour d'adreffe fe Fait fur-tout admirer dans le Cormoran, grand Oifeau aquatique , auquel la conformation finguliere & très-avantageufe de fes jambes & de fes pieds donne une merveilleufe facilité pour nager, & qui n’eft pas: moins bon plongeur que bon nageur. Il eft fufceptible d’une forte d'éducation , & on le dreffe à la pêche comme le Faucon an vol. Un anneau de fer ou tont autre lien placé au bas du col de l’Oifeau pêcheur, empêche que le Poiflon qu'il a faif fous l’eau ne defcende dans l’eftomac , & le conferve pour la table du Maitre. ' Le Martin-pécheur ou l’Alcyon fuit le cours des ruiffeaux, fe perche fur une branche qui incline fur l’eau , attend le moment du paflage d’un petit Poifon, fond fur la proie en fe laiflant tomber dans l’eau, en refVort la tenant au bec, la porte fur le terrein voifin contre lequel il La bat avant que de l’avaler. S'il ue trouve pas de branches pour fe percher, notre Pécheur fe pofe fur quelque pierre du rivage, & au moment qu’il découvre ua petit Poiffon , il bondit à douze ou quinze pieds de hauteur ; & fe laife retomber fur la proie. Ennemis de la lumiere, les Oifeaux nocturnes ne nl en fupporter l’éclat. Ils dérobent pendant le jour leur trifte & laide figure aux regards de l'Homme & des autres Animaux, & fe cachent dans des troncs d’Arbres, dans de vieilles mafures ou dans les réduits les plus obfcurs. Ils en fortent à l'approche. DE LA NATURE. Pat. XII. 301 qui la met en jeu, & la maniere dont il la dardg dans les trous des Arbres pour failir adroite- ment les petits Infectes qui y font logés (4). | de là nuit & vont à la chaffe des petits Oifeanx , des Rats , des Mulots , des Campagnols, &c. Ils Les avalent tout entiers & en rejettent enfuite toutes les parties cornées on offeufes , & la peau toujours roulée en maniere de tuyau ou de cornet. Quel- ques-uns néanmoins plument adroitement les Oifeaux avant que de les avaler. Comme ils chaïîlent en filence & au milieu des. ombres de la nuit, ils ont beaucoup de facilité à furprendre les autres Oifeaux pendant leur fommeil. Il en eft même qni, malgré leur grofle corpulence , chaffent avec affez de légéreté _ & d’adrefle, & c’eft ce qu'on remarque en particulier dans le gros Oifeau de nuit nommé le Grexd-duc. Il eft affez courageux & aflez puiffant pour attaquer les Oifeaux de rapine & lenr enlever leur proie. Il n’eft, pour ainfi dire, que demi noc- turne, & une lumiere qui blefferoit les yeux de la plupart des Oifeaux de fa claffe . ne blefle pas les fiens. Mais celle de la Lune eft agréable à tous, & c’eft à fa clarté qu'ils font les meilleures chaffes; car il ne faut pas s’imaginer que les Oifeaux qu’on nomme #oéfurnes , chaflent dans les ténebres les plus pro- _fondes : ils ont toujours befoin d’un certain degré de lumiere pour diriger leur vol ; mais parce que leur prunelle eft fufcep- tible d’une très-grande dilatation , ils voient mieux à une lumiere très-foible que les autres Oifeaux. (4) tt I eft des Animaux fi heureufement nés, qu’ils fem lent être les Enfans gâtés de la Nature : fans ceffe environnés d’un riche fond de fubfiftances, ils jouiflent fans fatigue & fans trouble des biens qu’elle leur prodigue. D'autres Animaux, au contraire, femblent des Enfans difgraciés, qu’elle a condamnés an genre de vie le plus pénible & le plus laborieux, & qui ne fe procurent la fubfiftance qu’à force de recherches, de peine & de travail. Tel eft, en particulier , le genre de vie du Pic+ ste. es ha ét déni ts Mu Lis 392 CONTEMPLATION QUELLE foule de traits intérefflans la conË: trudtion des nids ne nous ofiriroit-elle point vert, dont le trifte fort differe peu de celui du galérien. Son air rude & demi-farouche répond bien au genre de vie groffier qui lui à échu en pärtage, & fes accens plaintifs annoncent au loin fes eForts & fes peines. Il vit folitaire, ordinairement cram- ponné à l'écorce des Arbres, qu’il travaille fans relâche à percer pour faifir les petits Infectes qu’elle recele : fouvent même il faut qu'il perce jufqu’au bois pour faire un chétif repas ; & fouvent encore dans ce pénible travail, il eft placé à la renverfe & dans la fituation la plus fatigante. Mais, la Nature qui avoit impofé au malheureux Pic une tâche fi rude, n’a pas négligé de le munir de tous les inftrumens qui pouvoient lui en faciliter l'exécution. Ses jambes affez grofles , courtes & mufculeufes, font terminées par quatre forts doigts bien arqués & garnis d’on- gles très-crochus. Sa queue , courte & formée de plumes roides & courbées en dedans, paroït bien faite pour lui fervir de’ point d'appui. Son bec droit, dur, tranchant & pointu eft un: excellent inftrument pour entamer l'écorce & le bois. Mais c’eft fur-tont fa langue qui eft fon plus bel inftrument , & qui mérite’ le plus d’être admirée ; auffi l’a-t-clle été par des Hommes dont Y'admiration étoit très-éclairée , par les BoRELLI, les MERY ; les CamPER. Elle paroït fort longue, & fa ftruéture très: recherchée renferme une multitude de particularités anatomi: ques qu'une fimple defcription ne fauroit bien rendre. Je dis qu'elle paroït fort longue ; c'eft que ce qui fe moñtre hors du bec & que l'Oifeau darde dans les trous qu’il pratique, & qu’or prendroit pour un long Ver, n’eft pas en entier une langue; ik n'y a proprement que l'extrémité cornée de ce fingulier organe qui en foit une. Le refte eft l’offelet nommé hyoïde, renfermé dans une forte de gaine membraneufe, qui après s'être divifé en deux rameaux fe courbe fur la tête, fe couche dans une rai+: nure creufée dans le crâne, & va s’implanter dans le Front à l& acinc du bec. Ce font ces rameaux, partie offeux., partie cag+ _ DE LA NATURE. Part. XII 30 encore ! Quelle ne feroit point notre admiration à la vue de ces petits bâtimens fi révuliers , com- pofés de tant de matériaux différens, raffemblés les uns après les autres avec tant de peine & de choix, mis en œuvre & arrangés avec tant d’induftrie, d'élégance & de propreté, par un Animal , qui n’a pour tout infirument qu’un bec tilagineux & élaftiques , qui operent l’alongement & le jeu de la langue du Pic. Touf l'appareil fe déroule comme un reffort quand l’Oifeau fait jouer fa langue. L’extrémité cornée de celle. ci eft armée de petits crochets deftinés à faifir & à retenir les petites proies vivantes dont le Pic fe nourrit. Une humeur vif£- queufe qui enduit extérieurement tout l’inftrument , eft très_ propre encore à retenir les Vermiffeaux qu’il vient à toucher. Il n'arrive pas toujours néanmoins que notre petit galérien. pourvoie à fa fubfftance avec autant de peine & de labeur que dorfqu'il eft forcé de la chercher fous la dure écorce des Arbres: Anous avons vu que les Fourmis marchent à la file dans des fen- tiers qu'elles ont elles-mêmes tracés & qui fe rendent tous à la: Fourmiliere : (Part. XI, Chap. XXII.) le Pic rufé attend les Fourmis au paflage , couche fa longue langue dans le fentier, & quand il la fent bien chargée de proies, il la retire & les avale. Mais lorfque le mauvais temps retient les Fourmis dans leur domicile , le Pic s’y prend d’une autre maniere : il va fe camper fur la fourmiliere , y fait une grande breche avec fon bec & fes pieds, & y dévore bien à l’aife les Fourmis & leurs Nymphes. Le Pic niche dans des trous d’Arbres, qu’il élargit & appro- fondit à grands coups de bec. Le Mäle & la Femelle s’entr'ai- dent dans ce rude travail, & à peine les Petits font-ils en état de marcher , qu'on les voit grimper comme des Rats le long des Arbres, 34 CONTEMPLATFTION cartilagineux & deux pieds! Un nid de Pinfon ou de Chardonneret nous occuperoit des heures entieres. Nous chercherions dans quel lieu le Chardonneret a pu fe fournir de ce coton fi fin, fi foyeux , fi doux, qui tapifle l'intérieur de fon joli nid, & qui en fait un lit fi moller & fi chaud. Après bien des recherches , nous découvririons enfin , qu’en enveloppant d'un coton très-fin les graines de certains Saules ila Nature a préparé au Chardonneret le duvet qu’il emploie avec tant d'art. Nous ne nous lafferions point de confidérer lefpece de broderie dontle Pinfon orne fi agréa- blement les dehors de fon nid , & en la regar- dant de près , nous reconnoîtrions qu’elle eft dûe à une infinité de petits Lychens, liés artiftement les uns aux autres , diftribués & appliqués avec la plus grande propreté fur toute la furface du nid. La couleur de ces Lychens qui eft fouvent celle de Pécorce de l’Arbre fur lequel le nid eft aflis , nous apprendroit que le Pinfon femble avoir voulu que l’on confondit fon nid avec la branche qui le porte ( 5 ). (5) tft De tous les Oifeaux Architectes qui habitent nos Contrées, il n’en eft point, au jugement de Mr. de BUFFON, qui bâtiflent avec autant d'adreffe, de propreté & d'élégance, , que le Chardonneret & le Pinfon. Je m'étois donc rencontré avec ce grand Naturalifte, lorfque je leur avois donné dans men Texte la préférence fur heaucoup d’autres Oifeaux des Nous ’ { DE LA NATURT. Part. XII 306 Nous obferverions d’autres Efpeces qui fe michent dans les t'ous des Arbres ; dans les fentes mêmes Contrées, auxquels la Nature a enfeigné l'art de bâtir. Je fus fur-tout frappé des talens du Chärdonneret & du Pin{on lorfqu’au Printemps de 1746 j'entrepris de faire une petite la fupériorité me parut bien décidée en faveur des premiers, foit que je les confidéraffe dans le Tap= port au choix & à l'emploi induftrieux des matériaux , foit que je les confidéraffe relativement à la forme > AU Contour & aux proportions. Je vis des nids de Chardonneret > Conftruits fur les plus petites proportions , dont les contours étoient fi exaétement circulaires, qu’ils fembloient tracés au Compas , & dont l’exté- rieur & l’intérieur étoient formés de matériaux fi proprement & fi artiftement arrangés, que je ne pouvois me laffer de les admirer. Une mouffe fine, de petits Lychens, de menues racines + de pctites feuilles, de la bourre de Chardons , entrelacés fort adroitement, revétoient tout l'extérieur de ces jolis nids : l’inté. rieur , qui repréfentoit une demi - fphere creufe, étoit garni de crin ’& d’un duvet cotonneux très-fin, très-ferré & très. mollet. Le Roitelet, le Pouillot & le Troglodyte, qui font au nombre des plus petits Oifeaux de notre Europe, donnent tous trois à leurs nids là forme d'une boule creufe , comme pour concen. trer mieux la chaleur pendant l’incubation. C’eft fur un des côtés de la boule qu’eft pratiquée l’ouverture du nid. Les de- hors de celui du Roitelet font tiflus de mouffe fine & de toiles d’Araignée, & au-dedans il eft garni du duvet le plus fin & le plus doux. Il en eft à-peu-près de même de la conftruction du nid du Pouillot. Mais le Troglodyte qui femble bâtir avec moins d'art & de propreté, n’en réuffit que mieux à dérober fon nid Aux regards des curieux : il en enveloppe tout l'extérieur d’un Tome Ill. V RER — 36 CONTEMPLATION des rochers , dans des cavités qu’elles creufené. {ous terre : nous en verrions qui travaillent ett bois , d’autres en maconnerie. L’Hitondelle nous éffriroit un exemple familier de ces dernieres : nous verrions avec plaifir comment elle prépare fon mortier , comment elle le détrenipe, & l’em- ploi induftrieux qu’elle fait en faire pour donner amas informe de moufle, qui femble fe trouver là par hafard & fous lequel on ne s’avife pas de le chercher. La Méfange, qui eft encore un très-petit Oifeau , ne montre pas moins d’induftrie dans la conftruction de fon nid. Elle l’é- tablit dans un trou d’Arbre, dont elle a foin d’arrondir, de polir & de façonner ävee fon bec tout l’intérieur. Mais, puifque je touche aux Méfanges, je dirai un mot d’une Méfange du Cap de Bonne - Efpérance, qui offre un procédé bien remarquable. Elle conftruit fon nid avec des matieres cotonneufes, & le place dans les buïflons les plus épais. Sa forme imite celle d'une bouteille dent le col feroit étroit. À l'extérieur du nid & fur un de fes côtés , l’Oifean pratique un petit enfon cement en maniere de logette où le Mäle fe retire pendant que la Femelle couve. Quand celle-ci fort du nid, le Mâle qui l'accompagne frappe avec force de fes aîles fur les côtés du nid ::par ces coups réi- térés , il Force les bords de Fouverture à fe rapprocher de plus én plus & à fermer l’entré du logement : précaution ingénieu£e: par laquelle l'Oifeau pourvoit à la confervation de {à Famille, Mais nous verrons bientôt d’autres Méfanges dont l'induftrie en ce genre & les précautions fe font bien plus admirer encore. On n'eit embarraffé que du choix quand on. traite des procédés es Oifcaux, tant ce fujet eft riche & fécand, DE LA NATURE, Part, XII. 307 à fon petit édifice toute la folidité qui lui ef técefäire (6). 6) # La Pie, qui a beducoup de tendrefle pour fes Petits, & qui paroïît favoir qu’ils font fort menacés par les Oifeaux de proie, met beaucoup d’art & de compofition dans la conftruc- tion de fon nid, & femble multiplier les précautions en raifon de fa tendrelle & des dangers que courent fes Nourriffons. Elle l’affied ordinairement au fommet des plus grands Arbres , & re néglige rien pour l’aflurer & lui donner la plus grande folidité. Le Mâle aïde la Femelle dans ce travail. La Pie fortifie tout l'extérieur de l'édifice avec des buchettes & un mortier de terre gâchée, femblable à celui qu’emsploie l'Hirondelles & elle lui donne une férte d’enveloppe à claire voie, qui le re- couvre en entier , dans la fabrique de laquelle elle fait entrer de petites branches épineufes entrelacées Les unes dansles autres : elle a encore l’âttention de ne pratiquer l'ouverture que dans le côté du nid le mieux défendu & le moins acceffible. Au dedans l’induftrieufe Pie place une efpece de matelas de figure arrondie, & fur lequel les Petits repofent. mollement & chau- dement. Tout cela fait un affez grand édifice ; car il a 4u moins deux pieds en tout fens. - Le Moineau, dont le cri perçant , monotone & fans cefle répété eît fi déplaifant à nos oreilles, & qui par fa pullulation & fa gourmandife caufe fouvent de fi grands dégâts dans nos maifons & dans nos champs, peut néanmoins nous intére[Mer par fa finefle, fes rufes & fon induftrie. Quoique grofftére- ment pétulant , il ne donne point en étourdi dans les pieges qu'on Jui tend; il les reconnoït facilement , fait les éviter & lkffe fouvent li patience de l’Oifcleur: Ce n’eft guere que dans la mauvaife faïifon , que preilé par la faim , il relâche de fes pré- cautions & fe laiffe furprendre. Infatigable dans le travail 4u< tant qu'induftrieux , il fe conftruit en moins de deux jours un très-grand nid , en maniere de poche où de fac, JE l'établif pour l'ordinaire au fommet des Arbres, en revêt tout l’éxtérieus Va 3089 CONTEMPLATION Maïs les nids qui nous frapperoient le plus, fe- roient ceux que certains Oifeaux des Indes fuf pendent habilement à des btanches d’Arbres, pour fe garantir des infultes de divers Animaux. Nous nous affurerions qu’on a fort exagéré ici le merveilleux lorfqu’on a dit, qu'il y avoit de femblables nids à deux appartemens , lun pour de foin ou de paille, &en garnit l'intérieur de plumes ; &fi on le détruit, en vingt-quatre heures il en conftruit un autre. Mais je n’ai pas dit encore ce que ce nid offre de plus curieux : pour en mettre l'intérieur à l'abri de la pluie, le prudent & adroit Moineau le recouvre d’une calotte, au-deffous de la- quelle il pratique une porte pour l'entrée & la fortie. Mais ce qui fait le plus d'honneur à l'inftin® du Moineau, & qui eft affurément bien remarquable, c’eft que lorfqw’il bâtit fon nid fous les tuiles ou fous les entablemens des édifices , il fe dif. penfe des frais de la calotte, qui feroit dans ce cas très-fuperflue. Le Todier, dont le genre fe rapproche beaucoup de celui du Martin-pécheur , nous fournit un exemple des Oifeaux qui nichent dans la terre. Il la creufe avec fon bec & fes pattes; ñ y fait une excavation qui va en s'évafant dans le fond; &, 1à il amafle de petites pailles, de la moufle , du coton & des plumes qu'il arrange avec art, en plaçant à l’extérieur les ma- tieres les plus groffieres , & à l'intérieur , les plus fines & les plus molles. Le Motteux ou Cul-blanc niche, comme le Todier, fous terre ; mais d’une maniere différente, & avec des précautions que le Todier n’eft pas obligé de prendre. C’eft fous une motte de terre que le Motteux établit ordinairement fon nid : il le conftruit de mouffe & de menues herbes , & il en garnit l’in« térieur de plumes , de laine ou de coton : mais il y ajoute une forte d’'auvent ou d'abri qu’il afujettit à la motte fous laquelle ÿ repofe. , DE LA NATURE.Part. XII 309 le Mâle, l’autre pour la Femelle. En examinant la chofe de plus près, avec les yeux d’un Ob- fervateur , nous trouverions que ce prétendu appartement du Mâle, n’eft qu’un vieux nid, le nid de l'année précédente (7), auquel l'Oi- feau a jugé plus commode ou plus expéditif d’en ajouter un autre que d'en faire un nouveau en entier. DEL P HTIR EE: X XI X Continuation du mène [ujet. ff Es Oïfeaux , auffi prudens qu’induf- trieux, qui fufpendent leur nid aux branches des Arbres, & qui lui donnent des formes & des proportions fi différentes de celles des nids les plus connus , femblent avoir bien plus de droit à notre admiration que la plupart des autres Oifeaux qui naiffent Architectes. Il y a bien des Efpeces (1) de ces Oifeaux , auxquelles (7) tt Ceci m’avoit été communiqué par Mr. de REAUMUR. (1) Parmi ces Efpeces il en eft plufeurs qui appartiennent au Nouveau Monde ; de ce nombre font le Troupiale , le Caf- que , le Carouge , le Guit-guit, &c. Le Troupiale fufpénd fon uid'à Pextrémité des plus hautes branches, & le laifle flotter au gré des vents; enforte que les Petits y font continuellemen V3 et ee Te se CONTEMPLATION, ja Nature a enfeigné l’art ingénieux de fufpen= dre leur nid pour fouftraire leur couvée à la dent meurtriere de quantité d’Animaux voraces : nous ne les parcourrons pas toutes; mais nous nous arrèterons quelques momens à celles dont linduftrie fe fait le plus admirer. ApPRocHONS-NOUS de ce ruifleau peuplé bercés. La forme de ce nid eft cylindrique. Celui du Caffique reffemble à une cucurbite. Il a jufqu’à dix-huit pouces de lon- gueur; mais la cavité n’en a guere que douze. La partie fupé- rieure ef pleine : elle n’eft proprement qu'un cordon qui fert à fufpendre le nid. De longs filamens qu’on prendroit pour des crins, & qui font adroitement entrelacés avec des feuilles de Plantes graminacées , compofent le tiffu du nid. Les Caffiques nichent en fociété, & on a vu jufqu'à quatre cents de leurs nids fufpendus aux branches du même Arbre. Le Carouge donne à fon nid la forme d’une bourfe; & ce qui le diftingue beau- coup des nids précédens, ce font des féparations qui le parta- sent en différentes chambres appropriées à différentes nichées. Le Guit-guit, du genre des Grimperaux, & qui n’eft pas moins remarquable par fes belles couleurs que par fon induftrie, met beaucoup d'art dans la couftruétion de fon logement. IL lui donne la forme d’une cornue, & c’eft par fa bafe que la cornue eft fufpendue à l'extrémité d’une branche fouple & mobile. Le col de fa cornue, qui eft à- peu-près droit & de la longueur d'un pied , regarde donc la terre. À fon extrémité eft l’ouver- ture qui permet à la Mere d’entrer & de fortir pour fatisfaire aux befoins de fa Famille. Elle grimpe le long du col de k cornue, & s’introduit dans le ventre où fe trouve le nid pro- prement dit. La Mere & fes Petits y font ainfi à l'abri des infultes des Animaux mal-faifans, DE LA NATURE. Part. XII 315f d'une multitude d’Infectes : voyez cette forte de bourfe fufpendue par un cordon à cette branche qui s'incline {ur l’eau : c’eft le nid d’une E£ pece de Méfange (2) qui favoit que fes Petits trouveroient là une nourriture abondante. Re- marquez que la bourfe eft exactement fermée par le haut, mais qu’elle a une ouverture fur le côté qui regarde la furface de l’eau : elle n’eft point un fimple trou rond; fes contours font façonnés en maniere de rebord un peu faillant ou de tuyau court. Mais examinons de plus près l'ouvrage de notre adroite Mélange ; il gagnera beaucoup à être mieux connu. Obfervez , je vous prie, avec quel art le nid eft fufpendu. De longs filamens d’écorce , raflemblés en forme d’éche- veau , compofent une forte de cordon que l'Oi- {eau à fu entortiller autour de la branche fou- ple & mobile qui devoit porter le nid. Confi. dérez attentivement l'extérieur de ce nid : vous n'êtes pas furpris de le trouver revètu de me- nues racines , & de filamens plus ou moins groffiers : vous avez fait la mème obfervetion {ur les nids les plus communs, & vous avez toujours remarque que les Oifeaux revètent l'ex. térieur de leur édifice des matériaux les plus bruts ; tandis qu’ils placent les plus fins à lin. (2) Cette Méfange eft le Remiz, aflez commun en diffé. entes Contrées de l'Europe, & partiçuliérement en Pologne, V 4 remet pires mie a 32 CONTEMPLATION térieur. Mais écartons la groflicre enveloppe quf recouvre le nid que nous avons actuellement fous les yeux : qu’appercevez- vous ? un tiffu épais & ferré , aflez femblable à un drap ou à un feutre : vous ètes dans létonnement & vous avez peine à comprendre qu’une pareille étoffe ait pu ètre fabriquée par un Oiïfeau ; car vous. maviez point vu encore d'Oifeau qui eût le talent d’ouvrer les matieres qu’il emploie dans fon travail. L’art de notre Méfange vous paroïit donc aufli nouveau que recherché ; & vous tâchez de découvrir la forte de matiere qu’elle fait en- trer dans la fabrique de fon drap: vous vous aflurez bientôt qu’elle n’eft autre chofe que ce duvet fin & léger qui enveloppe les graines de diverfes Plantes qui croiflent dans le voifinage des eaux. Vifitez à préfent l’intérieur du nid, & vous verrez que c’eft encore de ce mème: duvet qu’il eft entiérement tapiflé : mais prenez garde que la Méfange ne lui a point donné la forme d’un tiflu ferré : il n’auroit été ni aflez mol ni affez chaud: elle l’a laiflé tel qu’elle l’a recueilli, & s’eft contentée d’en former un Hit plus ou moins épais, fur lequel fes nourriffons repofent mollement & chaudement. Le nid eft une efpece de branle ou de hamac où ils font bercés doucement, & où ils font toujours à portée des nourritures qui leur conviennent. DE LA NATURE. Part. XII 31% Voyez cet autre nid prefqu’aufli gros qu’un œuf d’Autruche , & qui en a aflez Ja forme : fon grand axe a environ fix pouces, & le petit , trois à quatre. Il eft fufpendu à la bifurcation d’une branche flexible de Peuplier. C’eft encore l’ou- vrage d’une petite Méfange (3), non moins induftrieufe que celle dont vous venez d'admirer le travail. Donnez votre attention à la maniere dont le nid eft fufpendu : remarquez que pour le fufpendre plus folidement , la Méfange a en- touré la branche d’un ruban de laine fur une longueur de fept à huit pouces. Comme la Mé- fange précédente , elle a fait entrer dans la conf- truction de l'édifice, de menus filamens, de petites racines & le duvet cotonneux de diverfes Plantes. Elle a pratiqué de mème fur le côté du logement une petite porte ronde ; & au lieu de ce rebord en maniere de tuyau , que vous avez obfervé dans lautre nid , vous voyez ici une forte d’auvent qui faille au - deflus de la porte de près de deux pouces, & qui , en mème temps qu'il met les Petits à l'abri des intem- péries de la faifon, les dérobe aux regards de leurs ennemis. L'ART du Gros - bec d'Abyflinie vous paroi- (3) Cette Méfange eft la Penduline, très-connue en Lans guedoc, & qui a beaucoup de rapports avec le Remiz, ner PES = PE DE A gi4 VOVOÏNIT E'MVPILN A INNONT troit bien plus recherché encore que celui de nos Méfanges ; je n’oferois dire bien plus rai- fonné. Il fufpend auffi fon nid aux branches des Arbres inclinées fur l’eau ; mais ce nid, d’une toute autre ftructure , n’eft ni une fimple bourfe ni une forte de boule creufe ; l’habile Architecte lui donne la forme d’une pyramide , & ilen par- tage l’intérieur en deux chambres par une cloi- fon verticale. La premiere eft une efpece de vef- tibule où fe trouve la porte du nid, qui eft or- dinairement tournée à left. Après s’ètre intro- duit dans cette premiere chambre, l’Oifeau grimpe le long de la cloifon jufques vers le haut du nid ; puis il redefcend jufqu’au fond de la feconde chambre qui eft l'appartement des Petits. Vous voyez d’un coup-d’œil, que par cette in- génieufe conftruction la couvée eft à l'abri de la pluie, de quelque côté que le vent fouflle; & vous n'ignorez pas la faifon des pluies dure plufieurs mois en Abyflinie: mais ce n’efl pas feulement contre la pluie que l’art prefque rai, fonné de POïfeau défend fa Famille 3 il la met encore à couvert des attaques de bien des Ani- maux carnafliers ( 4 ). (4) Mr. de BUFFON remarque, que différentes Efpeces de Perroquets de l’Ancien Continent fufpendent leur nid à l’extrés mité de branches flexibles. Il eft ordinairement tiflu de joncs & de racines, 6 revêtu de plumes à l’intérieur. Mais les Per» RS DELA NATURE. Part. XII. 315 QuanD nous confidérons le nid du Roi des Oifeaux , cette aire fi fpacieufe , fi plane, fi folide, formée de longues perches entrelacées de branches fouples en maniere de claie($), nous nous plaifons à lui oppofer aufli-tôt le joli petit nid du Chardonneret , fi bien arrondi & fi bien façonné en maniere de demi - fphere creufe , & mieux encore le nid fphérique du Roitelet, qui n’eft compofé que de moufle fine, de toile d’Araignée & d’un duvet léger (6). Mais le Roitelet :eft prefque un gros Oifeau en com- paraifon de ce merveilleux Oifeau de l'Amérique, qui n’eft guere plus gros qu’une Abeille, & qui .en a pris le nom d’Oifeau - mouche. Cette char- mante miniature, ce petit Etre tout aérien, aufli élégant par fa forme que brillant par fes cou- leurs, ef un vrai bijou de la Nature, & l’on diroit qu’elle ait épuifé fon art dans cet admi.- rable Chef - d'œuvre. L’émeraude, la topafe , le rubis éclatent fur fon plumage demi -tranfpa- rent , & il n’eft point de Mouche ni de Papillon qui foit plus richement vêtu. Il femble mème fe roquets du Nouveau Monde ne nichent pas d'une maniere aufli induftrieufe : ils s’établiffent dans des creux d’Arbres, qu’ils agrandiffent avec leur bec & qu’ils garniffent de plumes. (5) Voyez ci-deflus Chap. XXVIIT, Note 3. (6) Voyez ci-deffus Chap. XXVIIT, Note 5. ST M EE SS 316 CONTEMPLA TION rapprocher encore de ces Infectes aîlés par fort genre de vie: il voltige fans cefle de fleur en fleur, & en pompe, comme eux, le nectar à laide d’une forte de trompe ; car fa langue , qui ne paroîit qu’un fil délié, eft un canal formé de la réunion de deux filets creufés en gouttiere, & qui femble s'acquitter des fonctions d’une vraie trompe. L’Oifeau la darde au dehors, & probablement par une méchanique analogue à celle de la langue du Pic (7). Son bec, long, prefque droit, eft auff délié qu’une fine aiguille. Ses yeux ne font que deux points noirs tres- brillans , & fes jambes font fi courtes & fi me-w nues qu’il faut y regarder de près pour les ap-w percevoir. Son vol eft d’une rapidité furprenante; « il fend l'ait comme un trait, & on l’entend plus qu’on ne le voit. Il ne s'arrête qu’un inftant fur chaque fleur , fe pofe rarement ; & la vie toute aérienne de ce Volatile plein de feu n’eft, en quelque forte, qu’un mouvement perpétuel. Qui. limagineroit néanmoins ! fon courage, je dirai” mieux, fon audace ne le cede point à fa viva- cité : il ofe âttaquer des Oifeaux qui font à fon égard de vrais Coloffes ; il les pourfuit avec aua tant d’acharnement que de fureur , fe cramponnes à leur corps, fe laifle emporter par leur vol, ne . (7) Voyey ei-deflus Chap. XXVIIT, Note 6. 0 D'PREANUANT. U RE. "Port. XIT. 34% ceffe de les becqueter , & ne lâche point prile qu'il nait aflouvi fa petite rage. Mais ce qui pique le plus la curiofité dans l'Hiftoire de l’Oifeau - mouche, c’eft {on nid : on eft preflé de favoir comment il eft fait & s’il répond à l’extrème petitelle du charmant Vola- tile. Heureufement que fes Hiftoriens nous fa- tisfont très- bien fur ce point intéreflant. Ce nid , tout mignon, n’elt pas plus gros que la moitié d’un abricot, & taillé de mème en demi- coupe. Il eft attaché pour l'ordinaire à un brin d'Oranger ou de Citronnier, quelquefois à un fétu qui pend du toit de quelque hutte. On ne s'éconuera pas qu’un brin d'Oranger ou:un fétu puifle le foutenir , quand on faura qu’il ne pefe, même avec l’'Oifeau, que vingt-quatre grains. C’eft la Femelle qui le conftruit, & c’eft le Mâle qui en recueille les matériaux. L'intérieur pré. ente un joli tifu ferré, foyeux, épais & fort doux, fur lequel repofent mollement deux ou trois œufs tout blancs , & qui ont à peine la groffeur des plus petits pois. L’extérieur eft, en quelque forte, un ouvrage de marqueterie ; il eft formé de petites lames d’écorce, artiftement collées au nid & les unes aux autres. La Femelle emploie brin à brin l’efpece de bourre foyeufe dont elle compofe fon tifu : elle arrange ces La - = RE . RER E mans 318 CONTÉMPLATIOÔON brins avec fon bec & fes pieds, polit avec fa gorge les contours où les bords du très-petit berceau, & fe fert de fa queue pour en polir de mème le dedans. Les Nourrifons éclofent au bout de douze à treize jours : qu’on juge de leur petitefle par celle de leur Mere; & on croira voir de petites Mouches d’une délicateffe extrème. À proprement parler la Mere ne leur porte pas la becquée: on veut qu’elle fe borne à leur donner fa langue emmiellée à fucer. LE Colibri, compatriote de l’Oifeau - mou - che ($ ) ; aufli riche que lui dans fa parure , aufft rapide dans fon vol, aufli léger , aufli vif, aufli aérien , qui a les mêmes mœurs, les mêmes. inclinations, le mème genre de vie , & qui eff taillé à - peu - près fur le même modele, n’en differe que par des caracteres peu faillans & qui. he font faits que pour les Nomenclateurs. En général , il eft feulement un peu moins petit que P'Oifeau - mouche , & fa taille eft plus alongée. Mais entre les Efpeces des Colibris l’on en con- noit qui ne furpailent pas en grandeur le plus (8) Le Colibri & l’Oifcau Mouche ne fe plaïfeñt que dans! les climats les plus chauds : ils vivent entre les Tropiques. Ce font des Oifeaux folitaires & paflionnés pour la liberté : on ne fauroit parvenir à élever leurs Petits ; au meins Wy a-t-on point encore réuff. ! DE LA NATURE. Part. XII 319 #rand Oifeau - mouche, On a vu le Pere & la Mere Colibris continuer à prendre foin de leurs Petits, quoiqu’ils euffent été enlevés avec le nid & réduits en captivité : la tendrefle maternelle triomphoit de leur amour exceflif pour la liberté. ES CHAPITRE XX X. are Procédés des Quadrupedes. Le Lapin V, SITERONS-NO US les retraites des Rats, des Mulots, des Blaireaux, des Renards , des Loutres , des Ours, &c. ? Nous entreprendrions un trop long voyage, & d’autres objets plus intéreffans nous appellent, Bornons - nous aux procédés du Lapin & de la Marmotte , comme les plus curieux, après ceux du Caftor (1) dont nous nous fommes fort occupés (2). . (x) Part. XI, Chap. XXIX , XXX. ff J'ajonterai ici que le Caftor n’eft pas propre au Canada , comme on l’avoit cru : on le trouve aufi en Sibérie. On peut l'apprivoifer & le dreffer our la pêche. (2) ft Nous avons vifité les curieux fouterreins de la Taupe, (Part. XI, Chap. VII, Note 1.) Ceux du Hamfter ou Rat dé bled ne font pas moins curieux. Ce petit Quadrupede, du genre des Souris & qui multiplie à l'excès en divers Cantons de l'Allemagne, s'établit ordinairement à trois ou quatre pieds êe CTONTEMPLATION LE Lapin & le Lievre , fi femblables dans leuf extérieur & dans leur intérieur, nous appren- fous terre. Les terriers qu’il s’y pratique font proportionnés à âge & au fexe de l’Animal. Les plus fpacieux font ceux que fe creufent les vieux Mäles, & qu'ils partagent en différentes chambres , qui font autant de magafins où ils renferment jufqu'à cent livres de grains de différentes fortes. Chaque terrier a deux ouvertures ou galeries : l’une defcend obliquement, & c’eft celle que le Hamfter 2 creufée pour pénétrer fous tetre ; l’autre, qu'il pratique de dedans en-dehors , eft perpendiculaire. Les terriers des Femelles, bien moins fpacieux , n’ont pour l’erdi- paire qu'un feul magafin , parce que les Petits ne demeurent pas affez long-temps avec leur Mere pour qu’il foit néceflaire gu’elle amafle une grande quantité de provifions. Mais elle a une attention qui fait honneur à fon inftinét : au lieu d’une feule galerie perpendiculaire pour donner entrée & fortie à la Famille, elle en pratique fept à huit, comme fi elle vouloit proportionner le nombre des galeries on des portes à celui des Petits. L'éducation de ceux-ci cft bientôt achevée, & alors la Mere les chaffe hors du terrier qui leur avoit fervi de berceau. Quelquefois elle y refte après l’expulfion des Petits : d’autres Fois , elle abandonne à {on tour le terrier pour s’en creufer un nouveau qu'elle remplit de provifons. Les Hamiters ont une grande facilité à'amafler des grains & des provifions de toute efpece : la Nature les a pourvus de deux bourfes qui peuvent contenir chacune une once & demie de grains, & qu’elle à placées de chaque côté de l’intérieur de la bouche. Ces bourfes ou bajoues font propres à cette efpece de Rats. Quand le Hamfter les a remplies de grains, il retourne a fon terrier, & y vuide fes poches en preffant fes joues des deux pieds de devant. Il amaffe aufli la paille la plus douce, & s’en fait un Lit fur lequel il repofe mollement pendant fon long fommeil. Les Hamiters font de petits Animaux d’une férocité éton- nent D HU À 2] F F À fe 4 en +] ù æ — L 2 *e- DE LA NATURE. Part. XII. 35À “Hentà nous défier des reflemblances. Ils s’accou- plent it fort bien l’un avec l’autre, & ne produi- ‘tante, & dont l'andace égale la férocité. Ils fe jettent fur toui les Animaux qu’ils rencontrent , & ils ne s’effraient pas plus de _h grandeur du Cheval ou de celle du Bœuf, qu'ils ne redous . tent l'adrefle du Chien ou les rufes du Chat. Iucapables de - fauver leur vie en fe retirant du combat , ils fe battent jufqu'à extinétion , mordent cruellement & ne lâchent jamais prife. Le Chien fe plait à donner la chafle au Hamifter : dès que celui - ci le découvre , il fe hâte de vuider £es poches fi par htfard elles "4 font pleines de grains ; car il ne pourroit autrement fe fervir de fes dents ; puis il les enfle fi prodigieufement que la tète & de col furpaflent de beaucoup Îe corps en grofeur, & fe dreflant fur fes pieds de derriere, il s’élance courazeufement fur l'ennemi, & ce combat fi inégal ne finit que par la mort de l'un des Combattans. Les Hamfters ne font pas moins cruels envers leurs femblables” qu'envers tout autre Animal : ils fe + livrent ävec fureur des combats finguliers où le vaincu devient toujours la pâture du vainqueur. L'amour feul triomphe pour un temps du naturel féroce de ées petits Quadrupedes; mais ce temps ef affez court. Les Miles entrent älors dans le terrier des Femelles ; les deux fexes sus * niflent par les liens les plus doux, & tandis que cette union fubfifte ; ils fe foulagent réciproquement dans leurs befoins & fe défendent l'un l’antre contre leurs ennemis: La cendreffe conjugale päroit même l'emporter chez ces Animaux fur 1& tendrefle maternelle : là Femelle combat avec courage pour fon Mari, & ne combat pas pouf fes Enfans. Mais , lorfque la faifon des amours eft pañlée, les Hamfters reprennent tenr férocits naturelle ; & fi un Mile & une Femelle qui avoient vécu dans la plus étroite & la plus tendre union, viennent enfuite à fe rencontrer, ils ne manquent point de fe livrer à pluñeurs r& prifes un furieux combat, dont la durée eft d'autant plus longue que leurs forces font plus égalés. Tose LIL x dr Le er = 32 CONTEMPLATION Il ft heureux pour le Cultivateur que les Hamfters fe dé. vorent les uns les autres; car leur exceflive pullulation mettroit en péril tontes les récoltes. Dans certaines Contrées de l’Alle- magne où le Magiftrat met leur tête à prix, il y a eu «les années qui ont coûté la vie à plus de quatre-vingt mille de ces Ani- maux deftruéteurs. Vers le milieu ou la fin de l'Automne, nos Rats de bled fe æetirent dans leurs fouterreins : ils en bouchent foigneufement les ouvertures & vivent des provifions qu’ils ont amaffées pendant La belle faifon. Ils n’en confument avant l’Hiver qu'une petite partie, & ne confument le refte qu'au retour du Printemps. Pendant tont l'Hiver ils demeurent engourdis comme les Loirs & les Marmottes. L’efpece de léthargie où ils tombent à cette époque de leur vie eft fi profonde, qu’elle differe peu d’une véritable mort. Tous leurs membres font d’une roideur extrême, Leur corps paroit aufli froid que la glace, & le cœur qui, dans la belle faifon , bat cent foixante ou cent quatre-vingt fois par minute, ne bat plus alors que quinze fois. L'intérieur de l’A- nimal eft auffi froid que fon extérieur, & les inteftins, ces vif- ccres fi irritables, ftimulés par la puiffante action de l'huile de vitriol, ne donnent pas le plus léger figne d’irritabilité : opé- ration bien cruelle, & qui pourtant ne peut retirer l’Auimalt de fa léthargie. Cet état fingulier a bien de l'analogie avec celui de ces Infectes qni, quoique defféchés depuis long -temps, ne laiffent pas de conferver un principe de vie. ( Part. IX, Chap. II, Note 13.) Qu'on ne croie pas néanmoins que c’eft unique- ment le froid qui réduit les Hamiters à cet état fingnlier de mort apparente : expofes en plein air à la gelée , ils ne s’en- gourdiffent point ; mais ils s’engourdiflent au bout d’un certain, temps , fi on les renferme dans un lieu auf froid & où l'air n'ait point d'accès. C’eft un fpectacle intéreMant que celui qu'offre le réveil d’un Hamfter. On voit fes membres perdre peu-à-peu . de leur roideur : bientêt ils fe donnent quelque mouvement: l'Animal refpire profondément & par de longs intervalles : ik bäille à plufieurs reprifes & fait entendre des fons déplaifans. 14 Û ouvre enfin les yeux : fan corps qui était replié fur lui-meme, DE LA NATURE. Pat. XII. 323 fe déploie : il tâche de fe mettre fur fes pieds : mais tous fes mouvemens font peu aflurés, & ne reflembient pas mal à ceux d’un Homme ivre. Il femble s’effayer à marcher: il y parvient en réitérant fes effais, & bientôt il reprend avec fes allures naturelles fa premiere Férocité. On pent endormir & réveiller à volonté le Hamfter , comme l’on peut deflécher & reffufciter à . volonté le Rotiferc. Les Mulots n’entendent pas moins bien que les Hamiters à Faire de grands amas de graines & d'autres provifions ; mais leurs terriers ne font ni aufli profonds ni aufli fpacieux que ceux des Hamfters. Les terriers des Mulots ne vont guere qu'à douze ou quinze pouces fous terre. Le plus fouvent ils font partagés en deux loges; la Mere & fes Petits habitent dans lune, & l’autre eft le magafin des provifions. Il n’eft pas rare de trouver dans ce magafin jufqu'à un boiffean de glands , de noïfettes ou d’autres graines. Après avoir charié pendant l’Êté & l'Automne ces différentes provifions, & les avoir entaflées dans leurs fouterreins , les Mulots y jouiffent en paix du fruit de leurs travaux : ils s’y retirent à l'entrée del’Hiver, & comme ils ne s’engourdiffent point alors, ils ne cefent point de manger & de profiter des provilions qui abondent autour d'eux. Mais fi elles viennent à leur manquer, ils £e jettent iupitoyablement - les uns fur les autres, & les gros dévorent les petits. Les Mu. lots , comme tous les antres Rats, multiplient au point de deve- nir fouvent bien redoutables : ils mettent bas plufieurs fois l’année, & leurs portées font toujours très-nombreufes. : Le Blaireau, qui fuit la lumiere, pañfe la plus grande partie de fa vie dans l’obfcurité d’un bois on d’un terrier. Les galeries qu'il fe creufe fous terre font profondes ou tortueufes. Elles lui étoient bien néceffaires ; car comme il ne peut courir bien vite, il ne fauroit échapper à fes ennemis qu'en s'y retirant. Sion le force à déloger , il fe creufe à peu de ditance un nouveau terrier. Ses jambes de devant ent une conformation & des proportions qui lui donnent une grande facilité à percer la terre, & cet Animal eft un très-habile Mineur. Lorfque la Femelle eft fur le point de mettre bas, elle coupe l'herbe , la lie X 2 yx4 CONTEMPLATION fent rien. Ce font deux Efpeces très - diftin@tes ; malgré toutes leurs affinités (3 ). en botte, & la traîne jufqu'au fond de fon terrier , où elle en fait un lit commode pour eile & fes Petits. Quand ceux-ci ont pris un certain accroiffement, elle leur apporte de petites proies, des Lapereaux, des Mulots, des Reptiles, &c. Le Renard, moins habile Mineur que le Blaireau, profte fouvent du terrier de celui-ci, ou des fouterreins pratiqués par d’autres Animaux : il fait fe les approprier &- les agrandir’ au befoin. La Loutre, qui fait f bien faire la guerre aux Poiflons, ne e creufe point de domicile; mais elle profite habilement des cavités qu’elle rencontre, foit dans les racines des vieux Ar- bres, foit dans les fentes des rochers. Ce qu’on avoit débité fur le logement qu’elle fe pratique & le plancher qu’elle y conitruit, eft purement fabuleux. La Femelle prépare un lit à fes Petits, qu’elle garnit d'herbes, de racines ou de buchettes.… # L'Ours, aufh folitaire que fauvage, fe retire pendant l'Hiver dans des grottes profondes , au fein des rochers les plus inac- ceflibles, ou dans de vieux troncs d’Arbres au milien d’une épaifle forêt. Il ne fait point de grovifons : il n’en a aucun befoin : il porte dans fon intéricur la nourriture qui le fait fubäfter pendant la mauvaife faifon: la graiïfle qui furabonde chez lai à la fin de |’ Automne, rentre dans le fang &'le fuftente pendant fon long fommeil qui nef paint létharsique. (3) tt Un Naturalifte Anglois, Mr. BARRINGTON, Vou+ droit que Mr. de BUFFON eût indiqné Pâge des Eapins & des Lievres qu'il avoit renfermés enfemble pour s'aflurer s'ils peu- vent s'unir & produire. L'Obfervateur Anglois remarque avec raifon, que l'âge doit beaucoup influer fur les réfultats de ces fortes d'affociations. L'Obfervateur François avoit décidé fur fes premieres expériences , que le Chien & la Louve ne peuvent procréer enfemble : les Individus qu'il avoit tâché d’affocier étaient apparemment trop jeunes , puifque la méme tentative # DE LA NATURE. Part. XIL 325 IL y a plus ; le Lievre imbécile fe contente du gîte qu'il fe pratique à la furface de la terre (4) : le Lapin, plus induftrieux, perce la terre & s’y procure un afyle affuré. Le Mâle & la Femelie vivent enfemble dans cette retraite paifible : ils y élevent leur petite Famille, fans craindre le Renard ni l’'Oifeau de proie. Inconnus au relte du Monde, ils paffent des jours heureux & tran- quilles , & goûütent dans les douceurs domefti- ques les plaifirs les plus touchans de la vie. Le Lievre pourroit aufli creufer la terre, & ne la creufe point. Le Lapin clapier (ÿ ) ne la creufe point non plus. Il n’en à pas befoin : fon domicile eft tout fait : il fe conduit comme s’il le favoit. Le Lapin de garenne femble favoir qu’il n’eft pas logé, & il fe loge. Les Lapins clapiers Es Ÿ bien réufMi depuis à d’autres Curieux. Il pourroit en être de mème du Chien & du Renard, du Lapin & du Lievre. (4) I y a lieu de penfer que les Lievres de toutes les Contrées ne fe bornent pas à fe faire un gîte à la furface de la terre, & qu'il en eft qui, comme les Lapins, favent fe creufer des terricrs : c’eft ce qu’on a déja découvert chez les Lievres des Pyrénées, au rapport de Mr. de BUFFON lui-même, dont f'extraifois ce que je difois dans ce Chapitre du Lievre & dm Lapin. (5) Le Lapin domeftique. | xà 326 CONTEMPLATION dont on peuple les garennes, fe gitent comme 1: Lievre : mais au bout de quelques généra- tions , ils commencent à {e faire des terriers. Les infultes de leurs Ennemis , les injures de Pair, & ies divers inconvéniens attachés à la vie er- rante , les inftruiroient -ils de la néceflité de fe pratiquer des retraites fouterreines ? Mais, ap- percevoir Îles rapports de ces retraites à leur propre confervation , juger qu’elles les mettront à l'abri de tous les inconveniens qu’ils éprou- vent, c’eit une opération de l’Ame , qui eft bien voifine de la réflexion, fi elle n’eft la réflexion méme. Et comment accorder la réflexion à des Brutes ? Ne feroit - il pas plus philofophique de fuspoler que le genre de vie des Lapins clapiers affoiblit & détériore un peu leur tempérament , relèche leurs organes , & leur Ôôte la force de creufer la terre? Le plein air rétablit en eux la Nature, & leur rend la vigueur propre à PEL pece : mais ce rétabliflement exige un temps plus ou moins long; & ce n’eft qu'après un certain nombre de générations qu'il eft complet. Une Famille de Sauvages élevée dans nos demeures, y dégénéreroit bientôt, & la feconde génération ne pourroît foutenir les travaux pénibles, & la vie dure des Ayeux, &c. LoRsQUE la Lapine eft près de mettre bas, ges 26 NT. »4 rt ee + De cet mn PR TT DE LA NATURE. Pait. XII. 32ÿ elle {e creufe un nouveau terrier. C’eft un boyau vortueux ou pratiqué en zig-zag. Au fond de ce boyau elle ménage une grande cavité, qu’elle tapiffe de fes propres poils. Voilà un lit très- mol qu’elle prépare à fes Petits. Elle ne les quitte point les premiers jours ; elle ne fort enfuite que pour prendre de la nourriture. Le Pere ne con- noît point encore fa Famille : il n’oferoit entrer dans le terrier. Quand la Mere va aux champs, elle pouffe fouvent la précaution jufqu’à boucher Ventrée du terrier avec de la terre détrempée de fon urine. Devenus un peu plus grands, les Laperaux commencent à brouter herbe tendre. Le Pere les reconnoït alors , les prend entre fes pattes, leur leche les yeux, leur luftre le poil , & partage fes carefles & fes foins également entre tous. Des obfervations qui paroiffent exactes , prou- vent que la paternité elt fort refpedtée chez les Lapins. L’Ayeul demeure le Chef de toute la nombreufe Famille, & il femble la gouvernet en Patriarche. : Fo X 4 4:35 CONTEMPIATAUN CH, AP TT RME NP DE EE — ms SN (CE een La Marmotte. L Es gentllleffes de la Marmotte font connues de tout le monde. L'on fait qu’elle s’apprivoife facilement, & qu’on la drefle à danfer & à ge $ ticuler fur un bâton. Ce qui n’eft pas figénérale- M ment connu, ce font fes procédés ingénieux dans les hautes Alpes , où elle fait fa demeure, au milieu des neiges & des frimats, Vers le mois d'Ottobre , elle entre en quartier d'Hiver & fe renferme pour ue plus fortir. Sa retraite mérite d’ètre obfervée. Elle ef faite avec un art & des précautions qui fembleroient partir d’une forte d'intelligence , fi l'intelligence ne com- binoit & ne varioit fans cefle fes plans. Sur le penchant d’une Montagne , l’induftrieufe Mar- motte établit fon domicile. C’eft une grande ga- lerie , creufée fous terre & faite en maniere d'Y. M Ces deux branches qui ont chacune une ouver-" # ture, aboutiflent à une efpece de cul - de - fac. Là, eft l'appartement de la Marmotte. Une des branches defcend au - deflous de l’appartement , en fuivant la pente de la Montagne; elle eft une 4 DE A. | NATURE. Part. XII. 329 cu d’Aqueduc qui recoit & charie les excré- & les immondices. L'autre branche , qui _seleve au- deflus du domicile, fert d’avenue & _ de fortie (1 ). L'appartement eft la feule partie AS _ de la galerie qui foit horizontale. Il eft tapiflé d'une épaifle couche de Moufle & de foin. Il qu’elles travaillent en commun à fe loger. Elles font pendant l'Eté d'amples provifion de moule … & de foin. Les unes, à ce qu’on dit, fauchent é Ré d’autres la recueillent, & tour-à-tour _ elles fervent de char pour la voiturer au gite. Une des Marmottes fe couche {ur le dos , dreffe ; charger de foin & traîner par les autres , qui ia . tirent par la queue, & prennent garde que le - char ne verfe fur la route. Leurs pieds font armés de grifles, qui leur donnent une. grande - facilité de creufer la terre, & elles le font avec à une célérité merveilleufe. À mefure qu’elles ex- cavent, elles jettent derriere elles la terre qu’elles _ tirent de la mine. Elles pañent la plus FTAnSE 4 | partie de leur vie dans leur habitation; elles sy retirent pendant la pluie ou à l'approche de D orage, ou à la vue de quelque danger. Elles n'en fortent guere que dans les beaux jours, & QG) Bénre la faifon devient rude, les Marmottes ont foin de fermer exactement Les ouvertures de leur terrier. 4 et für que les Marmottes font fociables, &. _ fes pattes pour tenir lieu de ridelles , fe laifle. 336 CONTEMPLATION ne s’en éloignent que peu. Tandis que les unes jouent fur le gazon , les autres s’occupent à le couper, & d’autres font en fentinelle fur des lieux élevés , pour avertir par un coup de filet les Fourageurs de l'approche de lEnnemi ( 2j). PENDANT l’Hiver , les Marmottes ne mangent point & ne peuvent manger. Le froid les en- gourdit, fufpend ou diminue beaucoup la tranf£- piration & les autres excrétions. La graiffle dont leur ventre eft très - fourni, pafle dans le fang & le répare. On diroit qu’elles prévoient leur le- thargie, & qu’elles favent qu’elles n’auront alors nul befoin de nourriture; car elles ne s’avifent point d’amafñler des provifions de bouche , comme elles amaffent des matériaux pour en revètir l’in- (2) +f Les Naturaliftes racontent la même chofe des Lions- marins , efpeces de Phoques de la plus grande taille. La couche énorme de graifle dont tout leur corps eft enveloppé , & qui a un pied d’épaiffeur , les rends lourds, pefans & grands dor meurs : mais ils prennent, dit-on, la précaution de placer des Sentinelles autour du lieu où ils repolent, & qui ont grand foim de les éveiller à l'approche du danger. Cela fe réduit, fans doute, à ce que tous ces Phoques ne s’endorment pas à la fois: eeux qui veillent encore, cHrayés par le danger, pouflent des eris qui éveillent les autres. Ces cris font fort bruyans & ref- femblent au grognement du Cochon ou à l’henniflement du Cheval. Ils vivent en fociété. Les Mâles les plus puiffans s’affu- jcttiffent plufieurs Femelles, & empéchent les autres Mâles d'en approcher, (Voy. Part. IIL, Chap. XXVI, Note 2.) | | | | VDS = >" DÉ LA NATURE. Part. XII. 33r térieur de leur domicile. Elles fe conduifent donc à cet égard comme les Fourmis (3 ). (3) tt Ce n’eft qu'à un affez grand degré de froid que la Marmotte s’engourdit. Mr. de REAUMUR avoit vu un de ces Animaux qui avoit confervé toute fon agilité à un froid de cinq degrés au-deffous de la congelation. Il faut favoir gré à Mr. de BUFFON d’avoir recherché le premier la caufe fecrete &e l’en- gourdiflement de divers Animaux, tels que la Marmotte, le - Hériflon , le Loir, la Chauve-fouris, &c. Ce point fi intéref- fant de Phyfologie comparée méritoit bien l'attention d’un “ Phyficien de cet ordre. Il croit s'être bien affuré que l’efpece de torpeur dont il s’agit, eft due uniquement au refroidiffement du fang , occafoné par le froid de l'air ambiant. Il penfe que 12 chaleur naturelle de ces Animaux eft pour l'ordinaire à-peu- près égale à celle de l’athmofphere , & qu’elle augmente ou di- minue dans le rapport aux variations de température de cette derniere. Il fonde cette affertion fur des expériences thermo- métriques, qui paroifent au premier coup-d’œil bien décifives. Elles lui ont appris , que fi à une température de dix degrés, on introduit la boule d’un petit thermometre dans l’intérieur de plufieurs Loirs vivans, l'inftrument indiquera à-peu-près le mème degré de chaleur naturelle dans l’Animal. Mr. de BUFFON regarde donc comme des Animaux à fang froid, tous ces Ani- maux qui s’engourdifflent pendant l’Hiver. Mais Mr. SPaL- LANZANI, qui a répété l’expérience avec le plus grand foin fur des Hériflons, fur des Marmottes , fur des Chauve-fouris, s'eft convaincu que ces Animaux ne font point du tout des Animaux à fang froid, & que leur chaleur naturelle eft la même que celle de l'Homme. Il a vu la liqueur du thermometre s'élever à 31 degrés dans la bouche d’une Marmotte , lorfque la température de l'air extérieur étoit de 15 degrés, & fes expériences {ur les Hériflons & les Chauve-fouris lui ont donné précifément les mêmes réfultats. Mais l'habile Naturalifte , tou- jours inventif , ne s’en eft pas tenu là: il a démontré de la : k L | l 332 CONTEMPLATION maniere la plus rigoureufe, que l’engourdiflement en queftior} ne dépend point du tout du refroidifement du fang. On fait que fes Grenouilles , les Crapauds , les Salamandres aquatiques , s’engourdiffent aufi pendant l’Hiver , & qu’ils deviennent alors arf roides que les Loirs, les Hériflons ou les Marmottes. Mais, ce qui r'eft pas aufli connu, c’eft qu’on peut ouvrir le cœur de ces Amphibies ou en couper l'aorte fans qu'ils ceffent de fauter, de courir & de plonger. Mr. SPALLANZANI a fu mettre à profit ce fait fingulier dont il s’étoit afluré bien des Fois par fes propres expériences : il a évacué ainfi tout le fang contenu dans le cerps de ces Amphibies ; il les a enfuite enfe- velis dans la neige : ils s’y font tous engourdis comme les Ani- maux de leur Efpece ; & après les avoir expofés dans cet état à une température convenable, il les a vu reprendre le fenti. ment & le mouvement. Il n’a même obfervé à cet égard aucune différence entre les Amphibies entiérement privés de fang, & Les Amphibies qui n’avoient point fubi l'opération de la faignée. Quelle eft donc la véritable caufe de cette étrange torpeur, ge cette forte de léthargie plus ou moins profonde, qui furvient à différentes Efpeces d’Animaux pendant la manvaife faifon , & qui dure des mois entiers ? Notre Obfervateur paroit avoir percé ce myftere : il remarque, que tous les mufcles de l’Ani. mal engourdi font d’une rigidité extréme : les plus puiflans ftimulans chymiques , l’étincelle électrique, les piquures, les icifions y produifent à peine quelque léger figne d’irritabilité. Toutes les fibres mufculaires font alors trop fortement contrac+ tées pour qu'elles puiflent céder à l'action de la puiffance vitale : cette action eft donc fufpendue, & de cette fufpenfion naît Fengourdiflement ou la torpeur. Au refte, tous les Animaux ne s’ensourdiffent pas au même degré de froid : les variétés qu’on obferve en ce genre tiennent, fans doute, à la nature particuliere des fibres mufcglaires & au degré d’énergie de La puiffance vitale. Les Loirs, par exemple, commencent à s’en, gourdir dès que le thermometre defcend au-deffous du degré de la température ; les Crapauds , les Salamandres, &e. ne s’eri« gourdiffent que par un degré de froid très-voifin de celui de la congelation, À à 4 î T '# è Eos RES BEL LA NATURE. Part. XII 333 CHPMEMT REEX XX I.Lh Du langage des Bétes. LC E fujet n’a pas toujours été traité aflez phi- lofophiquement. Comme l'on a accordé de l’in- telligence aux Bètes, il s’en faut peu qu’on ne leur ait accordé aufli la parole, & qu’on nait entrepris de nous donner leur Dictiofmaire. L'on nous a traduit leurs entretiens précifément comme les Voyageurs nous ont rendu ceux de quelques Nations fauvages. Ici le vrai a été diflous dans une grande quantité de faux. Efayon d’en faire la féparation.. QuaAxnpD on demande, fi les Bètes ont un lan- gage, il faut diftinguer foigneufement deux fortes de langages , le waturel & Partificiel. Dans la pre- miere efpece doivent être ranges tous les fignes par lefquels l'Animal donne à connoître ce qui fe pañle dans fon intérieur. Mais, fi nous\vou- lons nous borner aux {euls {ons , le langage na- turel. fera un aflemblage de ons non - articulés, uniformes dans tous les Individus de la mème Efpece, & liés tellement aux fentimens qu'ils expriment , que le mème {on ne repréfente ja- 334 C0 N° TE M'P'L\A TANOUNE mais deux fentimens oppofés. Le langage artifi- ciel,au contraire, fera un affemblage de fons articulés & arbitraires, qui n’ont d'autre liaifon avec les idées qu’ils repréfentent, que celle que leur donne linftitution ou la convention; en- forte que le mème fon peut ètre figne d'idées très - différentes & mème oppofées ( 1 ). (1) tt Sitont a fa canfe ou fa raifon, le langage artificiel n'a pu être arbitraire dans fon origine. Il a fallu un motif pour que les premiers Hommes défignaffent un certain chjet par un certain fon articulé, & ce motif n'a pu exifter que dans la Tature ou dans la conftitution de l'Homme & dans fes rapports aux divers Êtres. L'imitation eft naturelle à l'Homme , & fon inftrument vocal, comme fon inftrument auditif, eft fufceptible d'une multitude de modifications diverfes. Les premiers Hom- mes frappés des fons que rendoient certains objets, imiterent ces fons, & les fons plus ou moins articulés que produifit cette imitation, furent les premiers mots de la langue primitive. Plus limitation fut parfaite, & plus les mots furent pittoref. ques ou repréfentatifs; & plus ils furent repréfentatifs, plus ils furent durables. Mais, comme l’inftrument vocal étoit foumis à l'influence du climat, du genre de vie, de l’éducation, &c. il devoit naturellement en réfuiter chez différentes Peuplades des variations dans l'articulation, qui modifierent plus ou moins les mots primitifs, & désuiferent plus ou moins leur premiere origine, Les mots primitifs furent des racines fécondes qni pro- duifireut d'autres mots, & ces mots furent des dérivés, &c. Ainfi le langage artificiel fut à fa naiflance une peinture appro- priée à l’oreilie: mais dans la fuite, par une autre imitation tout aufli naturelle, on appropria cette peinture aux yeux, en efqüiffant groffiérement les principaux traits de l’objet, & cette efquiffe groffiere donna naïffance à l'écriture alphabétique, qui fe perfectionna de plus en plus par le retranchement fucccllif RE Re nr Re PS A RE DE LA NATURE. Pt. XII 3% LE langage artificiel eft proprement ce que nous nommons la parole. L'Homme eft le feul Animal qui parle, & cette admirable prérogative lui donne empire fur tous les Animaux. Par la parole, fl regne fur la Nature entiere , remonte à fon Divin AUTEUR, le contemple , l'adore, & lui obéit. Par la parole, il fe connoît lui- mème, connoît les Etres qui l’environnent, & les tourne à fon ufage : il peut dire Moi, juges de fes relations , s’y conformer , & accroître ainfi fon bonheur. Par la parole, il devient un Etre vraiment fociable , & Les Sociétés qu’il forme, il les gouverne par des loix qu’il crée , change ou modiñe felpn les temps, Les lieux & les oc currences. La Brute, bornée au langage naturel, ignore tout, hormis fes befoins & les objets qui peu- vent les fatisfaire : mais une multitude de {en- fations tient à ces befoins divers, & toutes ou _ prefque toutes ont leurs fignes naturels. L’efpece de ces fignes , leur nombre, leur emploi, Por- dre dans lequel ils fe fuccedent , la maniere dont ds font variés & combinés , conftituent le génie dé différens traits de la peinture ou de l’efquiffe originelle. Il faut voir dans l’intéreMante Aiffoire de la parole du {avant & eltimable GEBELIN le développement de ces idées, que je ne Fais qu'ébaucher, = RS DS US Éd n ; | 336 CONTEMPLATIÔN: de la langue des différens Animaux, & fournié fent aux Naturaliftes une fource intariffable d’ob- fervations curieufes, de recherches fines, de détails intéreflans ; mais s’il veut éviter-lerreur ; il ne puifera dans cette fourece féconde , qu’à l'aide d’une faine Logique. Les obfervations qui prouvent que les Bètes ont un langage naturel, font en grand nombre. Nous ne ferons embarraîlés que fur le choix. Nous ne reftreindrons pas ce langage aux fons : nous y joindrons tous les fignes par lefquels la Brute exprime ce qu’elle fent. Il neft pas beloin d’aller bien loin pour étudier cette langue : une bafle - cour eft l’école où l’on peut le mieux s’en inftruire. Prètons donc une oreille attentive aux Animaux domeftiques , & prenons - les pour nos Maîtres. he Survons une Poule qui conduit des Pouflins. A-t- elle fait quelque trouvaille ? elle les appelle pour leur en faire part : ils entendent & accou- rent aufli-tôt. Viennent - ils à perdre de vue cette Mere chérie ? leurs cris plaintifs témoignent afez leurs peines & leurs beloins. Rernarouons encore les différens cris du Coq quand il entre un Homme ou un Chien, dans. Ja DE LA NATURE. Part. XII 337 la bañe - cour ; foit quand il découvre l’Epervier ou quelqu’autre objet qui leffraie; foit enfin quand il raffemble fes Poules ou qu’il leur rc- pond. Que veulent dire ces fons lugubres de cette Poule - d'Inde ? Voyez fes Petits fe cacher & fe tapir à l’inftant. On les diroit morts. La Mere regarde vers le Ciel , & redoublé fes gémifie- mens. Qu’y découvre -t-elle? un point noir que nous avons peine à démèler, & ce point noir eft un Oifeau de proie, qui u’a pu tromper la vigilance & la pénétration de cette Mere inf truite de loin pat la Nature. L'Ennemi difparcit, la Poule pouffe un cri de joie ; les alarmes ceffent , les Petits reflufcitent ; &les voilà tous rendus auprès de leur Mere & à leurs plaifirs (2). :LOBSERVOXNS les Canards lorfqu’ils veulent aller au bain. Ne femble-til pas qu’ils en con- (2) tt L’Hirondelle qui habite avec nous, eft un autre exemple familier de la maniere dent les Oifeaux varient leurs cris fuivant leurs befoins ou leurs circonitances. ,, Outre fon ÿ» chañt le plus ordinaire, ellé à encore, dit Mr. de Monr- 5 BEILLARD, le cri d'aflemblée , le cri de plaïfir , Le cri d’ef- » froi. le cri de colere, celui par lequel la Mere avertit fa » couvée des dangers qui la menacent , & beaucoup d’autres expreflions compofées de toutes celles-là : ce qui {uppole une » grande mobilité dans leur fens intérieur ”. Tome III. Y EEE il 333 CONTEMPLATION . A 44 viennent entr’eux par des fignes de tête réitérés > analôgues à ceux que nous faifons nous-mèmes quand nous approuvons ? LE Chat par fes miaulemens divers , exprime à fon Maître fes befvins , à fa Femelle, fon amour , & à {on Rival , fa colere. ©” EcouTez cette Chatte qui follicite fes Petits à quitter le galetas où ils ont été élevés, & à defcendre dans les offices , pour partager avec elle les avantages de ce nouveau feéjour. Voyez- la encore jouer avec eux. Elle vient de prendre une Souris : elle les appelle ; ils accourent à fa voix. Elle leur lâche la proie vivante, &,leur apprend à s’en jouer. Quel concert dans leurs jeux ! quelle vivacité & quelle variété dans leurs mouvemens ! quelle expreflion dans leurs geltes, dans leurs contorfions, dans leurs attitudes ! Que d’efprit dans tout cela ! paflez - moi ce mot, que ma Logique a beau réprouver. LE langage du Chien, le plus expreflif de tous, eft fi varié, fi fécond , fi riche, qu’il four- niroit feul à un long Vocabulaire. Qui pourroit demeurer infenfible à la maniere dont ce Do- meftique fidele fait éclater la joie que lui donne le retour de fon Maitre ? Il faute, danfe, va, LA DE LA NATURE. Part. XIL 339 revient, retourne, circule rapidement & avec geæce autour de ce Maître chéri; s’arrète tout- à-coup au milieu de fa courfe , fixe fur lui des regards pleins de tendrefle, s’en approche, le leche à plufeurs reprifes , reprend fa courfe, dif. paroît, reparoît un inftant après pour mettre à fes pieds quelque chofe, gefticule, aboie, conte à tout le monde fa bonne fortune; fa joie s’ex- travafe par mille endroits & de mille façons ; il ne fe poflede plus, il redouble fes aboiemenss on diroit qu’il va parler : mais, quelle différence du ton qu'il prend à préfent ,à celui qu’ii pren dra la nuit, lorfque placé en fentinelle fur la porte du logis, il appercevra un Voleur ! quelle différence encore entre cé nouveau ton & celui dont il ufera à la vue du Loup ! Suivez ce Chien à la chaffe : quelle expreffion dans tous fes mou. vemens, & {ur-tout dans ceux de fa queue! Quelle fage ardeur ! quelle mefure ! quelle faga- cité !'quel accord avec le Chafleur ! quel art à fe faire entendre, à modifier à propos fes allures, à diverfifier fes indications ! Un Lievre eit lancé; le Chien donne de voix, & qui pourroit fe mé- prendre aux fons redoublés qu’il rend alors! Je côtoie un bois: j'entends deux Oifeaux qui fe fépondent l’un à l’autre. Je les vois fe rap proclier peu - à - peu: je reconnois que ce font EN | GS PE TPE Se. SL 0 EE — {js CONTEMbPIATIOD#A deux Fauvettes. Après avoir fauté quelque temps de branches en branches, je les vois fe pofer Pun auprès de l’autre , commencer à fe bec- queter, & en venir à de petites agaceries : les carefles redoublent : rien de plus expreflif que tout cela, l’heureux Couple s’unit. Le Mâle ga- à 4 zouille tout bas ; la Femelle l'écoute & lui ré- pond par intervalles. Ils ne doivent plus fe fé- parer, & tous deux vont travailler de concert à conftruire le nid qui recevra le Fruit de leurs amours, Îls Pont conftruit , la Femelle à pondu , & elle couve. Le Mâle fe tient auprès d’elle, & femble vouloir charmer par fes accens l'ennui de Vincubation. Les Petits éclofent; le Pére & la Mere pourvoient à leur éducation & les foignent tour -à - tour. Je les’entends demander la pâture ; ils Pont reçue; ils fe taifent (3 ). (3) tt Vive, gaie, légère, prefque volage, l’aimable Fau- vette ne fembleroit pas füfceptible d’un grand attacheinent:, & pourtant elle eft très-aimante; & l'union que le Mâlé & la Femelle contraétent dans la faifon des amours, fubfifte encore lorfque les Petits n’ont plus befoin de leurs tendres foins. Ton- jours fideles l’un à l’autre , toujours empreffés, ils ne ceffent de fe prodiguer réciproquement les marques de leur tendrefle. Ils partagent également leurs peines & leurs plaifirs, & tout eft commun entr'eux. Le Mâle couve alternativement avec la Fe- melle , & partage avec elle tous Les foins de l'éducation des Petits. La Fauvette a bien plus de difcernemetit que la:Pale & bien d’autres Oifeaux ; on ne la trompe point, comme cux, & fi l’on tente de lui donner à couver des œufs étrangers ;, elle les xeconnoit aufli-tôt, les cafle ou les rejette, ; # DE LA NATURE. Purt. XII 34 Je chaffe à la pipée, & je me fers d’une Chouette. Une Hirondelle lapperçoit, crie & vole quelque temps autour du trifte Oïfeau, & difparoit. Au bout d’un quart - d'heure, je vois accourir des efcadrons d'Hirondelles, qui me forcent d’abandonner la chafle. La premiere Hirondelle avoit donc été {onner le tocfin ! JExTRe dans la Ville ; j'entends un Chien qui aboie avec force & prefque fans interruption : d’autres Chiens le joignent bientôt , & tous ne ceflent d’aboyer. Je cherche ce qui peut les ameuter ainfi : je découvre un Homme vètu d’une forte d’uniforme & appuyé fur un bâton. Cet Homme eft un de ces Archers prépolés par la Police pour tuer & empoifonner les Chiens dans certains temps de l’année : ces Animaux les con- noiffent , & leur rendent gucrre pour guerre. Après le Roffignol , la Fauvette eft le plus grand Muficien des bois, & nous annonce par fa douce mélodie le réveil de Îa Nature & le retour des beayx jours. Elle eft au nombre des Oifeaux de paffage : elle nous quitte en Automne, & revient au Printemps charmer de nouveau nos oreilles & animer nos bocages. sus : CONTEMPT A TION GHAPITRE CCR Continuation du même fujet. Si nous defcendions des Efpeces fupérieures aux Efpeces inférieures, & fi nous nous arrètions aux lnfeétes, nous trouverions qu'il en eft qui ne font pas mal habiles à peindre leurs petites pañions , & à exprimer leurs plaifits ou leurs befoins. Les amours des Araignées , des Demoi- {elies, des Papillons nous préfenteroient bien des traits qui ne nous permettroient pas de douter que le Male & la Femelle n’aient une maniere de s’entendre, & mème très - expreflive. Leur. mancge adroit, leurs tours variés, leurs petites rufes nous prouveroient qu’ils ne font point novices daus cette langue que tous les Etres fen- tans pofledent plus ou moins , & dont les fignes ne font prelque jamais équivoques. Nous ver- rionc le Mäle foiliciter long - temps par fes jeux , par les carefles, par fa conftance, des faveurs qu’on nie fembieroit d’abord lui refuler que pour exciter plus fortement fes defirs & fa pañlion. Nous obferverions la Reine - abeille fe proftituer aux Faux-bourdons, triomphet de leur indo- lence par des agaceries redoublées, caufer la 5 ee nn = & = = . DE LA NATURE.Part.XII 343 mort de celui qu’elle auroit ainfi vaincu , s’efor- cer par fes carefles de le rendre à la vie , & lui demeurer fidele mème après la mort (1). Les prévenances & les emprefflemens des Neutres pour cette Reine fi néceflaire à fon Peuple, les efpeces d’hommages qu’ils lui rendent, ne grof- firoient-ils pas encore le Dictionnaire des In- fectes ? QuaxD on connoît un peu l’admirable compofi- tion de l’organe de la voix de l'Homme, & de celui de la voix des Quadrupedes & des Oifeaux , l’on ne s’avife guere de mettre en queltion fi de tels organes leur ont été donnés pour rendre des ons & pour les modifier. L’imagination fuccombe prefque à la vue du nombre prodigieux de pieces , & de pieces différentes qui entrent dans la ftruture de ces organes merveilleux , qui font à la fois des inftrumens à cordes & à vent. Ces inftrumens- font fi bien montés pour rendre les ons propres à l’Efpece , que fi l’on fouffle dans la trachée d'un Mouton ou d’un Coq morts, on croira entendre l’'Animal lui-même ( 2 ). La (1) tf J'abrégeois fort ici le long & curienx détail que le principal Hiftorien des Abeilles nous a donné des amours d’une Reine - abeille qu’il avoit renfermée avec quelques Faux - bour- dons. Confultez fur ces détails la Note $ du Chap. VII de La Pat. VIIL. G2) ft Voyez Part. VII, Chap. V., Notef2, diverfes parti- Y4 J44 CONTEMPLATION: Cigale pourrait nous offrir en ce genre des mer- veilles qu'on ne s’attendroit pas à rencontrer chez les Infectes. Si l’on ne reftreignoit point le mot de voix à cet air modifié par les fibres ten- dineufes de la glotte & par les autres, parties du larynx, la Cigale auroit une voix, & l’or- gane de cette voix nous paroîtroit prefque aufft admirable que celui de la voix des Quadrupedes & des Oïfeaux. Ne réfiftons point à la tenta- tion de defcendre dans un détail fi propre à nous convaincre que les plus petites Productions de la Nature font l’ouvrage de cette INTELLI- GENCE ADORABLE qui s’elt peinte dans le petit comme dans le grand, La Cigale eft une efpece de Ventriloque : c'eft dans fon ventre qu’eft placé l’organe de fa voix (3 3. Le Mäle feul fait chanter; la Femelle elt muette, & apparemment que le chant du Mäle ne lui déplait pas. Sur le ventre de ce dernier font deux plaques écailleufes , à - peu- près circulaires, attachées d’un côté par des cularités anatomiques {ur la fruéture fi remarquable de l’or- ganc de la voix dans J'Homme, dans quelques Quadrupedes & dans quelques Oifeaux. (3) tt C'eft à Mr. de REAUMUR que nous fommes rede- vables des curieux détails que j’expolois ici d’après lui fur l’inR trument vocal de la Cigale. DAN EE HONL ALT U RUE. Part, XII.Y3Æ4$ Jigamens & mobiles de l’autre. Elles peuvent être foulevées, & pour qu’elles ne le foient jamais trop, elles font retenues par deux petites che- villes. Si l’on enleve ces plaques , l’on fera frappé de l'appareil qu’elles recouvrent, & l’on ne pourra s'empêcher d'y reconnoître un but déterminé, un but analogue à celui que nous découvrons fi clairement dans un larynx ou dans une glotte. L'on voit d’abord une grande cavité agréable- ment rebordée dans fon contour fupérieur, & paitagce en deux loges par une piece triangu- laire. Au fond de chaque loge eft une efpece de miroir, du plus beau poli, & qui regarde obli- quement , préfente toutes les couleurs de larc- en-ciel. Il femble que ce foient deux fenêtres vitrées par lefquelles on peut voir dans l’inte- rieur de PAnimal. Mais ces fenètres ont chacune un volet, qui les couvre ordinairement, & ce volet eft uñe de ces plaques écailleufes dont j'ai parlé. Au - deflous de chaque volet, eftun petit chevalet qui foutient le voiet, & l’empèche de s’abailler trop dans la cavité. VorLa déja bien des pieces employées à faire chanter une Cigale , & pourtant ce ne font en- core là que les dehors d’un organe dont nous allons entrevoir l’intérieur & les pieces vraiment eflentielles. Outre les loges garnies de miroirs, il #36 CON T EM PI L/A TON y a dans la grande cavité deux petits réduits j tapiflés d’une membrane très - élaftique , fillon- née réguliérement, & deftinée à faire les fonc- tions de la peau des timbales. C’eft ce qui a fait nommer ces réduits les timbales de la Cigale. Si l’on pañle une plume fur la peau de ces timbales , l’on fera chanter la Cigale , & cela arrivera dans une Cigale morte depuis long - temps , comme dans une Cigale vivante. Les fillons ou les plis ré- guliers de la membrane élaftique font autant de petits inftrumens fonores qui ont chacun leur fon propre. L'air ébranlé & modifié par ces inf- trumens , va réfonner dans les loges, où il et encore modifié par les différentes pieces qu’elles renferment, comme il eft modifié dans les Qua- drupedes & dans l'Homme par les cavités de la bouche & du nez. Deux grands mufcles , for- més de la réunion d’un nombre prodigiéux de fibres droites, font chargés de mettre en jeu les fillons fonores, & telle eft la caufe immé- diate d’un cri qui nous paroît fi ennuyeux. Nous nous étonnons que la Nature fe foit mile en de fi grands frais pour le produire; elle s’eft mife en plus grands frais encore pour opérer le braiement de lPAne; & dans l’un & dans l'autre, elle n’a pas dû, je penfe, confulter notre oreille. Mais l’organe de la voix fuppofe un organe relatif à celui de l’euie : la Cigale “ DE LA NATURE.Part. XII 347 auroit - elle donc des oreilles ? Le Mâle flatceroit- il agréablement celles de la Femelle ? ou fe plai- . roit-il lui- mème à fon chant ou au moins à l'exercice qu'il exige? Nous ne faurions rien dite de poftit là- deffus. Il n’eft pas facile de découvrir dans les Infeétes le fiege de l’ouie. Tous n’en font pas fans doute dépourvus. Le Lézard % la Grenouille ont des oreilles, & ils font bien voifins des Infectes. Les organes fem- blables ou analogues ont été fi diverfifiés dans le Regne animal , qu’il ne feroit pas étrange que nous euflions vu cent fois les oreilles des Infeétes, fans avoir pu les reconnoitre (4 ). D'ailleurs n'oublions point que la Nature fait _ Souvent fervir le mème inftrument à plufeurs (4) tt Le Lézard , le Caméléon & la Tortue viennent à Vappui de la réflexion que je faifois ici. On avoit cru que le Lézard & le Caméléon étoient privés de l’organe de l’ouie, parce qu'on ne le découvroit point fur leur extérieur. On ne favoit pas, que pour le découvrir, il falloit ouvrir la bowche au petit Quadrupede. On appercçoit alors le conduit auditif, fitué vers l'extrémité des mächoires. Le fon ne peut donc par- venir à l'organe principal de l’ouie de ces Animaux que par la bouche ou par les narines. On obferve une fingularité analogue dans la Tortue : elle n’a point d'oreille externe : “endroit de la tête qui correfpond à l'organe de l’ouie eft recouvert d’une peau écailleufe comme le refte du corps ; mais fi on preffe un pen la peau à cet endroit, on y fentira une forte d’enfoncement qui indiquera la cavité qu’elle recouvre. 348 CONTEMPLATION« fins. La langue des Moules ne leur fert- elle pas à la fois de bras , de jambes & de filiere (5) 2 LEs Animaux qui naiflent & vivent en fo- ciété, qui travaillent comme de concert aux mèmes ouvrages, font ceux auxquels un langage fembloit être le plus néceffaire. En effet, ap- pellés à ne former qu’une mème Famille, à {e foulager mutuellement dans leurs befoins , à s’entr'aider dans leurs travaux, quel moyen plus convenable que celui-là pour répondre à cette deltination ? Auf a -t- on obfervé chez ces Ani- maux, des particularités qui paroiflent prouver qu’ils s'entendent. Nous avons vu ( 6) les Mar- mottes en fentinelle donner à leurs Compagnes, par un coup de filet, le fisnal de la fuite. Les Caftors ont un fignal analogue : ils frappent fur Veau un grand coup de leur queue, & chacun elt averti de pourvoir à fa füreté. Il y a mille traits de ce genre, qu'il feroit long & inutile d'indiquer. Mais en conclurons - nous que les ouvrages que ces Animaux conftruifent en com- mun font dirigés de mème par un langage qui leur eft particulier ? Il me femble qu’il n’eft pas . Ç(s) Chap. XIII & XXI de cette Partie. (6) Chap. XXVI de cette Partie. DÆ LA NATURE. Part. XII. 349 Hefoin de recourir ici à un pareil moyen. Une comparaifon éclaircira ma penfée. CINQUANTE Architectes {ont rafflemblés dans le mème lieu pour travailler à la conftruétion d’un édifice. Ils ne doivent point fe parler ; tous font muets de naifflance ; mais tous ont {ous leurs yeux un plan de Pédifice, & ont recu les mêmes difpofitions & les mèmes inftrumens pour l’exé- cuter. Tous font doués des mèmes talens & de la mème melure d'intelligence. Les mêmes idées qui font dans la tête de l’un, fe trouvent pa- reillement dans la tète de l’autre. Ainfi tous ju- gent & agiflent uniformément dans chaque cas particulier , & toujours dans un rapport déter- miné à ce cas. Les matériaux que les uns ont amafiés , les ‘autres les mettent en œuvre. Ce que le premier a commencé, le fecond le fuit, un troifieme lPacheve, un quatrieme le perfec- tionne. Nulle contradiction , nulle diverfité dans les fentimens & dans la façon d’agir , nulle con- fufion, parce que les idées , les volontés & les “moyens font précifément les mèmes chez tous. Ceci nous repréfenteroit - il ce qui {e pafle dans les Républiques des Fourmis, des Abeilles , des Caftors , &c. ? Quor qu'il en foit , on ne fauroit difconvenir 353 CONTEMPILATIONW que les Bètes n’aient un langage naturel : cest & cent obfervations concogrent à l’établir. Non feulement elles donnent à connoître ce qu’elles éprouvent ; mais nous parvenons encore à les diriger à notre gré, par le feul fecours de la voix. Certains fons qui ont plufeurs fois frappé leurs oreilles, & qui les ont toujours frappées dans des circonftances propres à faire fur le cer- veau une forte impreflion , s’y gravent profon- dément ; enforte qu’à l’ouie de ces mèmes fons, l'idée de la chofe ou de late qui y a été at- taché , fe réveille à linftant, &c. La maniere dont on dreffe les Animaux domeftiques, & celle dont on apprivoife les Animaux fauvages, en fourniffent des exemples fans nombre. , LE Vulgaire croit qu’on enfeigne aux Bètes à parler : : ilne fait pas que parler , c ’eft lier fes idées à des fignes arbitraires qui les repréfen- tent. Les phrafes que le Perroquet répete avec tant de précifion, ne prouvent point: qu’il ait les idées attachées aux mots qu'il prononce :il pourroit prononcer aufli-bien les termes des Sciences les plus abftraites.Qui ne voit que c’eft ici un jeu purement automatique? Si l’on elt parvenu à enfcigner à quelques Animaux domeftiques à diftinguer les caracteres de l’alphabet , à les lier, a en compofer des mots, à mélanger les cou. th DE LA NATURE.Part.XII 3çx leurs & les affortir , &c., &c., tous ces faits & cent autres de mème genre, qui étonnent le Vulgaire , prouvent fimplement que le cerveau des Animaux elt capable de former des afocia- tions d'idées fenfibles (7 ). (7) tt On montroit à Paris en 1760 un Serin âgé de quatre ans , qui afortifloit toutes les nuances des étoffes brochées qu’on lui préfentoit , qui formoit de caracteres féparés tous les mots qu'on lui demandoit, indiquoit par des chiffres l’heure marquée à une montre, fans même oublier les minutes, & qui enfin , exécutoit avec autant de facilité que de promptitude différentes opérations arithmétiques. Le Maïtre de ce Serin x merveilleux avoit paflé plus de trois ans à perfectionner fes talens & fon éducation. La facilité du Perroquet à imiter la parole, fuppofe bien de l’analogie entre fes organes auditifs & vocaux & ceux de l'Homme. Il imite avec ia même précifion tous les bruits qu’il entend , le miaulemeunt du Chat, l’aboïiement du Chien, les cris des Oifeaux , ceux des Enfans , &c. Mais on fait que Le Perro- quet n’eft pas le feul Oïfeau qui foit doué du talent dont il s'agit : la Pie, le Merle , le Geai, le Sanfonnet, &c. apprennent auf à parler. La langue de tous ces Oifeaux eft épaifle & arrondie à-peu-près comme celle du Perroquet. ILeft mème un Quadrupede qui peut apprendre à parler : on lit dans lHiftoire de l’Académie des Sciences de Paris, des détails curieux fur un Chien qui avoit appris à prononcer une trentaine de mots allemands ; mais qui ne parloit qu'après que fon Maitre avoit parlé; enforte qu'il fembloit ne faire que répéter les mots que celui-ci lui faifoit entendre. Cette répétition paroifloit même coûter beaucoup au Chien, & il ne l’exécutoit que par force ou malgré lui. Je reviendrai encore à le dire, car il faut bien que j'y re- vienne, puifqu'on s'y trompe fi facilement: tous ces Faits & 352 CONTEMPLATINON La chofe eft de lévidence la plus parfaite : en imprimant la mot de Dieu, l’Animal peut-il avoir les idées que ce mot réveille dans la tète d’un Imprimeur ? Les Bètes mont & ne peu- “vent avoir que des idées particulieres ou pure- ment fenfb'es. Il leur eft impoflible de s'élever à nos idées univerfelles ; c’eft qu’elles ne font point douées de la parole. Elles ne généralifent point leurs idées ; elles ne forment point des abftractions intelleétuelles. Le fujet fe confond pour elles avec fes attributs, ou plutôt il n’eft bien d’autres de même genre & de genres différens , prouvent feulement que le cerveau des Animaux peut, comme le nôtre, former des aflociations d’idées purement fenfibles. Plus ces aflo- ciations font nombreufes & variées, & plus les aétions qui leur correfpondent & qui les repréfentent paroïflent merveillenfes. L'imagination du Speétateur échauffée par le merveilleux & la nouveanté des faits, a bientôt transformé l'Animal en Etre intelligent. Cette capacité phyfique d’aflocier des idées fenfibles de divers genres, permet à l’Animal de lier les perceptions auditives ou viluelles des mats ou des nombres à celles des caraétcres ou des chiffres qui les repréfentent, &c. Sa mémoire retient fidelement une fuite de fons, & la correfpondance fe- crete quieft entre l’organe de l’ouie & celui de la voix, le met en état de répéter ces fons. Tout ceci eft bien plus méchanique qu'on ne le penfe communément. Mais on fe preffe d'admirer, & l'admiration qui n'eft pas éclairée commet ici bien des mé- prifes. IL y a, fans doute, beaucoup à admirer dans ce jeu mé- chanique que nous ne faifons encore qu'entrevoir; mais cette forte d’aëmiration n'appartient qu’au Philofophe , parce qu’elle eft très-raifonnée. point DÉ LA NATURE Part. XII 343 point pour elles de fujet ni d’attribut. Les Etres ñe leur font connus que par quelques qualités fenfibles. Toutes leurs comparaifons , tous leurs jugemens repolent immédiatement fur ces qua- lités. Les Bètes ne raifonnent donc point , à parler exactement : elles n’ont point nos idées moyen nes, parce qu’elles n’ont point nos fignes (8 ). Lors donc qu’elles paroiflent raifonner, elles ne font que comparer ou fe rappelier certaines idées {enfibles , d’où rélultent tel ou tel mouvement, telle ou telle action. Plus les idées comparées ou rappellées feront nombreufes, variées, & plus les Bètes paroïtront raifonner. Ce ne fera pour- tant jamais qu’une apparence qui ne trompera point ceux qui auront affez de philofophie dans PEfprit pour analyfer ce mouvement où cette action & remonter au principe ( 9 ). (8) ft Le Leëteur voudra bien confulter ici la Note 2 di Chap. I de la Part. XI : ceci exige quelqu’attention pour ètre bien faifi. (9) Il y à des aétions des Animaux qui affectent un air de prudence ou de réflexion , qui féduiroit le Philofophe lui-méme, s’il pouvoit oublier ün inftant que la Brute, bornée aux pures fenfations , ne fäuroit s'élever au rang des Etres intelligens. Lé , > 5 Secrétaire ou le Meflager , Oifeau finculier qui femble tenir à la ser , S q "… Fois de l'Oifeau de proie & de l'Oifeau de rivage , s'y prod | P Se; S] Tome LIT, Z #s CONTEM PLAMPDA Donxez aux Caftors Pulage de la parole; pen- Tez- vous qu'ils s’en tiendroient éternellement d'une maniere bien remarquable pour fe rendre maître des Ser- pens dont il fait fa piture. D'abord il étourdit à coup d’aïles le redoutable Reptile; il ie faifit enfuite par la queue, l’éleve en l'air , Le laïffe retomber d’une aifez grande hauteur , & ne cefle de répéter cette manœuvre qu’il ne lui ait Ôté la vie. J'ai vu un Perroquet vert qui, lorfqu’on lui préfentoit un morceau de pain fort fec, le faifi loit avec fes doigts & alloit le tremper à plufeurs reprifes dans l’eau de fon auget pour le zamollir. J'ai chez moi depuis plus de quatre ans un Maki femelle, de l'Efpece des Aongous , dont j'ai eu occafion bien des fbis d'admirer l’inftinét. Chaque Hiver ce petit Quadrumane cit fujet à un refferrement qui paroît l’affeéter douloureufement. La pre- inicre fois qu’on s’en apperçut, on s’avifa de lui adminiftrer des lavemens, qui le foulagerent d'abord & le guérirent peu-à- peu. Dès-lors il n’a jamais éprouvé de refferrement, qu’il n'ait préfenté fon derriere à la Perfonne qui faifoit auprès de lui la fonction d’Apothicaire. Il fe mettoit en pofture de la maniere la plus plaifante , s'élevoit beaucoup fur fes jambes de derricre, xelevoit fa queue & la tenoit fort droite , comme pour faciliter l'opération. Dans tout autre temps il ne foufroit point qu'on lui donnèt des lavemens, & fuyoit à l'approche de la feringue. Cet intéreffant Animal, fort privé, fort doux & même affez propre, fe plait à coucher avec fon Apothicaire; il fe tapit contre Aui ou fe cramponne à fa cuifle ou à fa jambe, & demeure tran- quille toute la nuit. Il ne Fait point fes ordures dans le lit, & en fort lorfqn'il veut fatisfaire à fes befoins. Il leche à plufieurs repriles & avec une vivacité qu’on diroit tenir de la recon- noiffance, la main qui l’a gratté ou qui l’a careflé : il aime fur- tout à lécher le vifage & le col de fon Médecin , quand il ef cramponné à fon épaule. Sa langue paroît d’abord un peu rude comme celle du Chat; mais la faiive qui l'humeéte bientôt, Ia _— DE LA NATURE, Part. XII. 356 à leur groffiere architecture ? Doués alors de la faculté de généralifer leurs modeles , ils diverfi- Fait paroître fort douce. Souvent il continue long : temps cette forte de careñle, & jamais il ne fait rougir la peau, ni jamais il ne finit par mordre cruellement, comme Mr. de BurFon le raconte d’un Maki de même Efpece, qu’il avoit nourri pendant pluñeurs années. Mon Maki eft un Animal très-innocent, très- fociable , & qui ne montre de l'humeur que lorfqw’on le con: trarie. Il eft feulement affez opiniâtre, & ne cede pas facile- ment aux Corrections qu'on lui inflige. Ses petites volontés font toujours très-décidées , & il ne renonce que difficilement à ce qu'il appete. Quand il s'ennuie ou qu'il eft feul , il fait entendre, comme le Maki de Mr. de BUFFON , un long croaffement , Fort femblable à celui de la Grenouille : il le fait entendre encore quand on parle trop haut on qu’on rit avec éclat. Il fe repofe volontiers & fouvent de préférence fur la cuiffe ou le bras des Perfonnes qui l’accucillent ; il S'y établit & y demeure pour l'ordinaire jufqu’à ce qu'on l'en chaffe. Mais cet Animal fi doux & fi accueillant envers les Étres de notre Efpece, eft de la plus grande cruauté envers les petits Oifeaux. Il eft très-adroit à les attraper, & dès qu’il les a faifis , il leur ouvre le crâne & en mange la cervelle. Il eft d’ailleurs de la plus grande fobriété 3 un petit morceau de volaille cuite, ou un petit morceau de bifcuit lui fuffit pour toute la journée. Il redoute beaucoup le froid & fe déle&e à fe chauffer. Il offre alors un petit fpectacle très - attachant : il fe dreffe fur fes pieds , s’aflied comme un Eafant fur fon derriere, étend fes bras , Préfente fa poitrine & fon ventre au feu, en même temps qu’il porte la tête à droite & à gauche pour regarder les afliftans. Je ne faurois dire com bien il a de graces dans cette attitude. Ce Maki , de couleur brune, a le poil court, foyeux & frifé. HN eft plus petit qu'une Fouine , avec laquelle il a quelque ref- femblance. Ses yeux font gros, prééminens & de couleur jaune, H à du blanc fur Les joues & une bande noire fur le devant L's Om et nf 356 CONTEMPLATION(, croient autant lours manœuvres que leurs or> ganes pourroient le permettre. Leur attention £e déployant avec une nouvelle force , leur feroit découvrir des chofes qui échappent à la portée actuelle de leur connoiffance. Ces découvertes en ameneroient d’autres, celles - ci d’autres en- core, & au bout d’ün certain nombre de gé- nérations , les Caftors feroient fur les pas de nos Architectes (10 ). de la tête. Son mufeau , qui ef de mème couleur que cette bande , eft aflez pointu. IL s’amufe fouvent à ronger le bout de fa queue; & c’eft ici un autre trait de reflemblance de ce Maki avec celui de Mr. de BurroN. On fait, au refte, que Les Makis font originaires de Madagafcar. (10) #H Je me fuis affez expliqué fur l’induüftrie des Caftors dans le Chapitre XXX de la Partie XI, auquel je renvoie le Lecteur. El voudra bien confulter encore la Note 2 du même Chapitre. k © En nous entretenant fi agréablement des facultés, des pré- gogatives & de la domination des Habitans de l'air , leur éloquent Hiftorien me paroît s'être trop prévenu en leur faveur , & je m'étonne que fa prédilection pour eux l'ait porté à les placer immédiatement après l'Homme dans l'échelle des Êtres vivans. Mais il faut l'entendre lui-même dans fon: intéreffant Difcours fur les Perroquets. ;, Le coup-d’æil, dit-il, que nous venons de jetter rapidement fur les facultés des Oifcaux , fuffit pour nous démontrer que dans la chaîne du grand ordre des Êtres ils doivent ètre après l'Homme placés au premier rang. La » Nature a raflemblé, concentré dans le petit volume de leur » corps, plus de forces qu’elle n’en a départi aux grandes males » pb» » » légéreté fans rien ôter à la folidité de leur organifation:; elle: des Animaux les plus puiffans ; elle leur a donné plus de | \ DE LA NATURE. Part. XII. 3çŸ Maïs , ce n’eft pas ici le lieu d'approfondir ce fujet de métaphyfique, & de montrer comment » leur a cédé un empire plus étendu far les Habitans de l'air, > de la terre & des eaux. ... Si nous ajoutons à toutes ces »» prééminençes de force & de vitefle, celles qui rapprochent s les Oifeaux de la nature de l'Homme , la marche à deux ss pieds , limitation de la parole, la mémoire muficale, nous >» les verrons plus près de nous que feur forme extérieure ne _» paroît l'indiquer ; en même temps que par la prérogative » unique de l’attribut des aiîles & par la prééminence du vol >» fur la courfe, nous reconnoîtrons leur fupériorité fur tous » les Animaux terreftres ”. Ailleurs Mr. de BUFFON affignoit la premiere place à l'Élé- phant, & l’ôtoit au Singe. (Part. IV, Chap. ILX, Note 1.) Ici, ce font les Oifeaux qu’il place au premier rang on immédiate: ment après l'Homme. Mais, fi lorfque l'on compare entr’eux * des Êtres mixtes on des Êtres formés de la réunion de deux Æubftances différentes, on doit avoir égard à la fois aux rapports ou aux refMemblances qui naiffent des attributs réunis des deux fubftances , ne {era-t-on pas dans l’ebligation philofophique de placer au premier rang l'Être qui, par fa forme extérieure & ‘intérieure, par fes mœurs , par fes inclination;, par fes talens, par fa perfeétibilité enfin , fe rapproche le plus du premier des “Êtres terreltres ? Or, combien l'O rang -outang eft-il plus près de l'Homme à tous ces égards , que l’Aigle ou le Perroquet ! H eft vrai que l’Orang-outang ne LE pas , ou plutôt ne jafe pas comme le Perroquet : & pourtant fon initrument vocal eft ir. ‘comparablement plus parfait que celui de lOifeau, puifqu'il eft parfaitement femblable à celui de l'Homme. Seroit-il donc in. ‘poffible d’enfeigner à un jeune Orang-outang à parler ? On a bien Fait parler le Chien, ( Note 7) dont l’inftrument vocal paroifloit beaucoup moins propre à fe ployer à ce genre d’exer. £ice. Qui ne voit d’ailleurs, qu'on ne doit pas Faire entrer ici gnçonfiération la force refpettive du corps , la Kgéreté jointe Z. "” - e 4 2 + er 558 CONTEMPLATI.ON« la parole perfectianne toutes nos facultés. Il:me fuit d’avoir indiqué la principale fource des méprifes que l’on commet fi généralement fur les opérations des Bètes. LA méprife elt bien plus grande encore, lorf qu'on leur prête toutes nos vues & toute notre prévoyance. Je ne diflimulerai point néanmoins qu'il eft en ce genre des faits qui étonnent, qui s'emparent violemment de notre admira- tion , & qui féduiroient le Philofaphe lui-mème, s’il métoit continuellement fur fes gardes. à la {olidité de l'organifation , la puiffance de voler, la rapidité de la courfe, &c. car fi l’on avoit égard aux qualités de ce genre, il fe trouveroit que l’Oifeau devroit être placé au-deffus de l'Homme mème. Un feul trait d'intelligence dit plus que toutes ces prérogatives phyfiques de l'Oifeau. Quand l’Ame du Perroquet auroit la même capacité de connoître & d'agir que celle de l’Orang-outang, il fuffiroit que les membres du Perro- auet fuffent dans l'impoflbilité abfolue d'exécuter ces actions prefqu'humaines que l’Orang-outang exécute fi bien, pour que l'Oifeau ne püt obtenir la premiere place après l'Homme. Tout harmonife effentiellement dans l'Être mixte : l'Ame & le Corps y font entr'eux dans un rapport qui correfpond exactement au rôle que l’Etre étoit appellé À jouer fur le grand Théatre du Monde, Ii me paroît douce que nous ne faurions mieux juger de la prééminence d'un Etre mixte, que par le nombre, la diverfité & l'efpece des rapports qu'il foutient avec l'Homme, le plns parfait de tous les Êtres mixtes. Mais, encore une fois, c'eit l'enfemble de tons les rapports connus, foit anatomiques, foit pfychologiques, qu'il faut faifir, comparer & apprécier, DE LAÆ NATURE. Part. 'XIT. 365% Jen ai déja raconté plufieurs : je vais en raf- fembler d’autres , qui ne frapperont pas moins, & qui manqueroient à mOn ouvrage fi je les omettois. E—— "3 BUTAPITRE XX Ie dun fi! ou d'un petit axe de foie, dont une des extrémités tient au fommet du côue, & Pautre à fa bafe ou au plat de la feuille. Re- gardez de fort près l’endroit où le’fil s'attache fur le plat de la feuille : vous y appercévez une petite piece exactement circulaire, noyée dans l'épailleur de la feuille, & qui vous paroit ca- cher quelque deflein fecret. Vous la retronverez dans bien des cornets ; mais il arrivera fouvent que vous verrez à la place un petit trou rond, bien terminé, & qui femblera avoir été fait par un emporte - piece. La piece circulaire eft ouvrage de la Che- nille : elle a rongé adroitement la feuille à cet endroit ; elle en a coupé circulairement une petite portion , qu’elle a eu grand foin de laiffer en place. Vous commencez à démèler le but de ce travail : il tend à ménager une iflue fecrete au Papilion, en mème temps qu’il interdira l'entrée du cornet aux Infees malfaifans. Notre induf trieufe Chenille pratique donc une petite porte à fa cellule. Cette porte ne doit s'ouvrir qu’après la derniere métamorphofe : fes contours s’en- grenant dans la feuille , elle y demeure comme encadrée. Au fortir de la coque , le Papillon def- cend le long du fil qui la tient fufpendue; il en uit la direction, arrive à la porte, & la fait jé CONTEMPLATIO À fauter en la pouffant avec {a tète. Ces cornets que vous voyez percés, ont 6.6 abandonnés pa les Papillons. E ) RE q— CHAPITRE DORE Procédés analogues de quelques autres Infeces. N. s grains font fujets à être mangés par une très- petite Chenille qui fe loge dans-leur intérieur & s’y métamorphofe. L’enveloppe du grain eft une forte de boîte bien clofe que la Chenille tapifle de foie. Mais le Papillon n’a point d'inftrument pour percer cette boite, & il Y demeureroit captif, fi la Chenille n’avoit été inf- truite à Jui préparer une fortie. Elle s’y prend comme la rouleufe du Frène : avec fes dents ; elle taille dans l'enveloppe du grain une petite piece ronde, qu’elle fe donne bien de garde den détacher entiérement. Le Papillon n’a qu’à pouf- fer cette pièce pour fe mettre en liberté (1). (1) +f On n'imagine pas tous les ravages qne cette très- petite Chenille peut faire dans nos greniers: elle peut convertir en des tas de fon les plus grands amas de graüis. Ses dévaita- tions ne l’ont rendue que trop fameufe en France : pendant plus de trente ans elle n'a ceflé de défoler deux cents Paroïffes de FAngoumois. Elle avoit été très-bien obfervée par Mr. de À Lg rs Lin. ire, SE dj - Er d'est Dés FR SE DE LA NATURE. Paré. XII. 369 Au centre de la tète du Chardon à bonnetier ; eft une grande cavité oblongue ; habitée ordi. REaumur ; mais Mr. DUHAMEL, appellé par le Gouverne« - ment à fe tranfperter dans l’Angogmois pour y approfondir _ davantage l’hiftoire de cet Infeéte devenu fi redontable , nous en a donné un Traité aufhi utile que curieux, & dont je déta- cherai les particularités les plus dignes de l’attention de mon Lecteur. Notre petite Chenille des grains n’a guere que deux lignes & demic de longueur. Elle eft rafe, blanchätre, & a feize jambes. - Sa partie antérieure, beaucoup plus renflée qu’elle ne l’eft ordi« MAL DE TE a? parer | = cu ni Me DT EN . nairement dans les Chenilles, offre une petite fingnlarité aflez . remarquable ; ce font deux cornes en maniere d’antennes , pla- gées l’une à droite, l’autre à gauche. Le Papillon ne pond pas fes œufs un à un, comme les autres Papillons : il les pond par paquets de foixante , quatre-vingts. eu nonante œufs. Ils femblent dardés hors du corps du Papillon, & à chaque jet, il en fort trois, quatre ou fix à la fois. Ils font enduits d’une humeur vifqueufe qui les colle au grain fur lequel ils font dépofés. Ils font oblongs, ftriés & chagrinés, & leur petitefle eft telle, qu'ils paflent par le trou que la plus fine . éguille a fait dans une feuille de papier. Le plus fonvent le Papillon les colle à la bafe du grain ou près de fon fupport. Les Chenilles en éclofent au bout de cinq à fix jours. On pent juger de leur extrême petiteffe par celle des œufs. Elles font rouges à leur naïfflance , & blanchiffent bientôt. A peine font.- elles éclofes, qu’elles s'efforcent de pénétrer dans l’intérieur du grain : elles y parviennent en le perçant près de fa rainure. On ne trouve jamais ou prefque jamais qu’une feule Chenille dans chaque grain, fans qu'on fache précifément comment celle qui s’y eft introduite em défend la poffeffion contre tant d’autres qui pourroient également .y pénétrer : ( Chap. VI, Note 1.) mais il yra bien lieu de préfumer qu'il en eft de, cette petite Chenille.comme de celle qui vit, dans l'intérieur de la tête du Chardon à bonnetier. ( Zbid. Note 2.) Toine IIL. Aa 370 CO NIVEM DL Z'INDON nairement par une petite Chenille ; qui s’y faié une forte de coque où elle fe transforme. L’é- Un grain de bled qui renferme une Chenille parvenue à fon parfait accroiflement , ne differe point à l'extérieur d'un grain fain. La Chenille qui en a confamé toute la fubftance farineufe, a fu en ménager l'écorce ou l’enveloppe. Et comme le Papillon: 'a aucun iñftrument pour percer cette écorce, la: Chenille y pratique une forte de porte eu de pctite trappe, que le Papillon: n'aura qu'à foulever pour fortir de fa prifon. Après avoir con£- truit cette trappe, la Chenille fe file dans le grain une coque: de foie, où elle fe transforme en Chryfalide. Lorfqn’on ouvre an grain habité par une de eëes Chryfalides, on voit qu’il ef partagé en deux logettes inégales : dans la plus grande eft niché TInfecte; dans l’autre font les exerémens de la Chenille. Quand les Papillons font fur le point de venir au jour , leur apparition prochaine s'annonce par une chaleur vive qui fe Fait #entir dans les tas de grains, & qui éleve la liqueur du thermo« metre à 25 ou 30 degrés, tandis qu'au dehors elle n’eit qu'à 15+ Mr. DUHAMEL foupconne , que cette augmentation de chaleur peut ne pas dépendre entiérement des Infe%es; mais qu’elle eft' occafonée en partie par l'humidité qu’ils entretiennent dans les grains, & qui les fait fermenter. Cette chaleur favorife à fom tour la propagation de l'Infecte. Il y a au moins deux générations de ces Papillons chaque année : la premiere paroît en Mai & Juin, & va pondre fur les: épis en pleine campagne : :a feconde paroît à la fin de V'Été ou en Automne, & celte-ci pond fur les grains renfermés dans les greniers. Celle-ci pafle l'Hiver fous la forme de Chenille, &' donne la premiere génération de Papillons. Ici s’ofre un fait bien digne de remarque; c’eft que les Papillons qui éclofent en Juin dans les”greniers, en fortent par un vol rapide, après le coucher du Soleil, pour fe difperfer dans les champs encore invétus, & pondre fur les épis, au lieu que les Papillons qui éciofent dans les greniers après la moiflon, y demeurent & ne Ve \ DE LA NATURE Par. XII 3% £orce du Chardon eft beaucoup plus dure que celle de nos grains: il feroit impoñlible au Pa. pillon de s’y faire jour : il lui faudroit de fortes dents pour y parvenir, & il n’a point d’inftru- - inens femblables ou analogues. La Chenille , qui . femble le favoir, pourvoit habilement aux be- _ Soins du Papillon. Elle perce de part en part les “ parois de fa cellule ; elle y pratique un petit n érou rond, vis-à- vis le bout de fa coque , par _ lequel le Papillon doit fortir. Mais , fi ce trou … demeuroit ouvert, la Chryfalide feroit trop ex- Chercherit point à en fortir. Il eft encore prouvé, que les Che- hilles logées dans les grains qui ont été femés en Automne, s’y confervent, s’y métamorphofent , & que les Papillons percent deux à trois pouces de terre pour venir au jour : mais diverfes … circonftances en font périr beaucoup, & les générations qui Ë _ doivent leur otigine à ces Papillons qui ont éclos fous terre, ; font bien moins nombreufes que celles qui PARA des ï Effaims qui fortent des greniers. y ASE EEE Se … | Ces Papillons, d’un jaune blanchâtre , âppartiennent à Le claffe des Phalenes ôu des Papillons de nuit. Le Mâle & la Femelle $’accouplent à plufeurs reprifes ; ce qui n’eft po | ordinaire 4 aux Papillons. 5 Notre célebre Obfervatent qui avoit approfondi l'hiftoire _&e l'Infe&te deftruéteur que pour découvrir des moyens fürs k à L. préferver nos grains de fes attaques , nous a appris qu'om peut y parvenir à l'aide des étuves. Il s’eft auré par une longue . fuite d'expériences , que l'Infecte périt à nn degré de ee inférieur à celui qui peut nuire au germe du grain. Du bled | expofé pendant vingt-quatre heûres dans une étuvé à une cha« _ Jeur de nonante degrés , a très-bien levé, & il eft bien conftaté que l'Infeéte ne fauroit foutenir une chaleur de 60 degrés, A a 3 372 T0 NTEMPL A TION pofée : la Chenille s’avife d’un moyen fort fie ple pour en boucher l’ouverture. Tout l’exté- rieur de la tète du ; Chardon eft couvert des graines de la Plante: elles font implantées dans . l'écorce, entre les piquans. Ce font de petits corps oblongs & cannelés , pol£s les uns auprès des autres. La Chenille affuiéctit à l'extérieur du trou quelques-uns de ces petits corps: ils y font l'office des nafles de la coque dont j'ai parlé dans le Chapitre précédent. EX parcourant les procédés des Teignes aqua- tiques (2), nous avons remarqué qu’elles fe transforment dans leur fourreau. Il faut que l'eau puifle fe renouveller fans cefle dans ce fourreau : il faut aufi qu'aucun Infecte vorace ne puifle y avoir accès. Au lieu de mettre une port: pleine à chaque bout de fon logement , la Teigne y met une porte grillée, & ce grillage fatisfait à tout. Ne prêtons pas à cette Teigne notre maniere de raifonner : fait- elle que des Infectes voraces en veulent à fa vie ? fait -elle qu’elle revètira une forme fous laquelle elle ne pourra fuir ? Non, elle ne fait point tout cela, & elle n’a que faire de le favoir. Elle a été inf. truite à tendre des fils qui fe croifent ; elle les . (2) Chap. XI de cette Partigg BE LA NATURE. Part. XII 315 tend ; en les tendant, elle fatisfait à un befoir purement phyfique, & pourvoit machinalement à des inconvéniens qu’elle ne connoît point & ne peut connoitre. Jugez fur le mème principe des autres faits de ce genre. C’eft toujours l’Au- TEUR de l’Infecte qui elt feul admirable: EE — 79 CHAPITRE XXXVIL ae La Teigne des feuilles : effai d'explication de [es procédés. N OUS nous fommes promis de revenir aux Teignes. champêtres ( 1 ) : en voici le lieu. Leurs. procédés font. fi finguliers, & en apparence fi réfléchis ; l’Infedte fait les varier fi à propos s. qu’ils exigent que nous entrions dans quelque détail, & que nous tâchions de nous en former . des idées philofophiques. C'EST, comme nous l’avons vu-(2), avec des membranes de feuilles, que notre Teigne s’habille. La forme de fon fourreau eft recher- ehge. Elle tient de la cylindrique ; mais les boutæ (x) Chap. XI de cette Partie. BX2) Ibid. Aa3 , 31 CONTEMPLATION font différemment façonnés. L’antérieur , celui où fe montre la tète de la Teigne, eft arrondi , coudé & rebordé. Le poftérieur eff formé de trois pieces triangulaires , que leur reflort na- gurel tend à réunir par leurs extrémités, & qui peuvent s’écarter pour laifler fortir le derriere de l'Infede. Quelquefois le fourreau eft orné du côté du dos, de dentelures qui imitent les ailerons ou pinnes des Carpes. Pour conftruire ce fourreau, la Teigne fe glffe dans lépaifleur d’une feuille verte; elle s’infinue entre les deux membranes qui la com- pofent. Elle en détache la pulpe ou le paren- chyme qu’elles renferment. Ce parenchyme ef la nourriture appropriée à la Teigne. Ainf, en mème temps qu’elle fatisfait au befoin de man- ger , elle prépare l’étoffe dont fon habit doit être fait : les deux membranes font cette étoffe. Cha- gune d'elles eft pour la Teigne, ce qu’une piece de drap eft pour un Tailleur, Comme ce der- nier , elle donne aux différentes pieces de l'habié les contours & les proportions qu’elles doiveng avoir {éparément , pour répondre à l’ufage au- quel elles font deftinées. L’habit que la Teigne veut fe tailler, doit être formé de deux mor. ceaux de feuille égaux & femblables, réunis {us le dos & fous le ventre. Elle coupe donc dans DE LA NATURE. Part. XII. 348 £hacune des membranes entre lefquelles elle eft placée , une piece de telle figure & grandeur, qu’elle formera la moitié de l’habit. Notre Teigne exécute cela avec autant de jufteffle & de pré- cifion , que fi elle avoit un patron qui la guidât. L’HABIT taillé, il refte à le finir. La Teigne ën afflemble d’abord les pieces aflez grofliére- ment ; elle ne fait , pour ainfi dire, que les faux. filer : elle veut, avant que de les réunir plus exactement , s’aflurer de leur juftefle , les efayer , & leur faire prendre le bon pli fur fon propre corps. C’eft aufli en fe retournant, en fe met- tant dans toutes les pofitions où elle aura par la fuite befoin de fe mettre, qu’elle les écarte lune de lautre autant qu’il eft nécefaire, & que de planes, elle les rend convexes. Elle les coud enfuite à points plus ferrés, & elle le fait fi bien & avec tant de propreté, qu’on a peine à démèler les endroits où les deux bords ont été ajuftés Pun contre l’autre, JE fupprime à regret bien de petits details qui releveroient beaucoup l’art merveilleux de notre habile Ouvriere. Je n’ai pas mème dit aflez combien les contours de chaque piece font va- tiés. Ils le font prefque autant que ceux des pieces de nos habits. Je n’ai que peu infifté {ur Aa4 578 : CUNTEMPLATION la maniere dont la Teigne prépare l’étoffe , donë elle la polit, l’amincit, la décharge de tout le parenchyme, & la rend aufli fouple que légere. Tous ces détails appartiennent à PHiftoire par- ticuliere des Teignes; je ne dois préfenter ici que les grands traits de cette Hiftoire. ExriN, la Teigne ne fe contente pas d'un fimple fourreau de feuille : il ne feroit apparem- ment ni aflez doux ni aflez chaud. Elle le dou- ble de pure foie, & elle a foin de tenir la dou- blure plus épaifle dans les endroits où le frotte- ment eft le plus grand. APRÈS avoit mis ainfi la derniere main à fon habit, elle travaille à le dégager des parties de la feuille dans lefque!les il eft demeuré comme encadré. Pour y parvenir, elle a moins befoin d’adrefle que de force. Elle fait fortir fa tête hors du fourreau; elle la porte en avant ; elle fe cramponne fur la feuille avec {es premieres jambes ; elle fait effort pour avancer en ligne droite, en mème temps qu’elle faifit avec {es dernieres jambes l’intérieur du fourreau, &c. LA Teigne, qui vient de s'habiller fous nos yeux, a taillé fon habit dans le milieu d’une feuille ; mais fouvent elle Le taille près des bords. vi > LA L. DE LA NATURE.Pat.XIL 317 Alors elle n’a à couper les membranes que d’un côté feulement , de celui qui eft oppofé aux den- telures ; car près du bord de la feuille ces mem- …. branes font réunies par la Nature bien mieux ne encore qu’elles ne fauroient l’ètre par main d’In- _ fete. Elles y ont de plus la courbure qu’exige la forme du fourreau. Le travail de la Teigne fe “ réduit donc à vuider les dentelures, à en dé- “ tacher le parenchyme qui chargeroit trop le fourreau , ou qui, en fe defféchant , en altéreroit da conftruction. PENDANT qu’elle eft occupée à ce travail, emportons avec des cifeaux les dentelures : que fera la Teigne ? Achevera-t-elle de couver —_ les pieces qui doivent former fon habit ? Nous …. venons de les couper du côté des dentelures; il —…. Jui refte à les couper du côté oppolé : mais re- marquez qu'elles ne tiennent plus à la feuille que par ce côté : fi donc la Teigne va les tailler … à cet endroit, elles n’auromt plus de foutien, elles s’écarteront l’une de l’autre , & il lui fera + impoflible de les réunir & de leur donner le pli … convenable. Encore une fois, que fera la Teigne dans cette circonftance difficile ? Comment s'y … prendra-t-elle pour réparer le défordre que =) x S Le) < o = © Les] Le] © nn Le] re Fe) [e] (=) o mi [en =>) Fe) Lee) © 5. et [es pe] el pes] | CV] ÿ58 CONTEMPLATION. Comment fe tirera-t- elle d’une fituation auff nouvelle qu'imprévue ? Les Infectes vous ont accoutumé à compter beaucoup fur les reflources de leur génie ; & vous vous attendez bien que notre Teigne faura fe retourner & trouver quelqu’expédient que vous ne devinez point, & qui remédiera à tout. En effet, elle renonce fur -le - champ à fon premier projet : elle abandonne fa manœuvre ordinaire 3 clle change de méthode, précifément parce qu’il faut en changer. Au lieu de fe mettre à couper les pieces de fon habit, elle travaille à réunir avec des fils de foie les deux membranes que les cileaux ont féparées. Enfuite , elle les dou- ble avant que de les couper. On voit ces mem- branes, d’abord fort tranfparentes, devenir de plus en plus opaques & changer de couleur. On xeconnoît que cette opacité & ce changement de teinte font dûs à la doublure de foie que la Teigne a coutume de donner à fon fourreau. À mefure qu’elle double les membranes, elle les rend plus convexes : elle tend à leur faire re- préfenter un tuyau cylindrique, & déja elles le repréfentent affez bien. Il ne s’agit prefque plus que de les tailler du côté où elles tiennent à la feuille. Mais comment la Teigne parviendra-ts n elle à les tailler à çet endroit ? La doublure efk 4 DE LA NATURE. Part. XII. 319 proprement un fourreau de foie : en fe renfer- imant dans ce fourreau, la Teigne ne s’eft-elle pas Ôtée toute communication avec les mem- branes qui le recouvrent ? S’avifera- t - elle donc de fendre la doublure avec fes dents, pour fe faire jour au travers ? Point du tout ; elle a eu la précaution de s’y ménager de loin des ou- vertures de diffance en diftance : elle a laiflé ga & là des vuides dans la toile : elle fait paffer fa tête par ces ouvertures, & taille à fon gré les membranes , les aflemble, les unit étroite- ment, & finit par garnir tous les vuides de la doublure. EN vérité, en voila, ce femble, bien aflez pour donner une grande idée de linduftrie de notre Teigne. Je n’ai pourtant pas achevé d’in- diquer tout ce que fon favoir-faire offre d’ad- -mirable. Vous vous rappellez que les bouts du fourreau font façonnés fort différemment : l’an- térieur eft rond , rebordé & un peu coudé; le poftérieur eft formé de trois pieces triangu- laires , que leur reflort naturel tient rappro- chées. Si nous euflions laïffé la Teigne à elle- mème, elle auroit coupé le bout antérieur de fon fourreau dans la partie de la feuille la plus voifine du pédicule ; le bout poftérieur auroit donc été taillé dans la partie oppofée, Mais le \ 480 CONTEMPLATION! retranchement que nous avons fait des dente: lures a occafioné un défordre qui ne permes plus à la Teigne de fuivre fon premier plan. Nous avons Ôté à la feuille les contours & les: proportions fur lefquels elle avoit droit de compter , & qui devoient déterminer le lieu & la forme des bouts du fourreau. Elle prend done linverfe de fa méthode ordinaire : elle va'tailler le bout antérieur du côté de la pointe de læ feuille , & le poltérieur du côté qui avoifine le pédicule. Sr notre Teigne étoit une pure Machine ;. Von ne comprendroit pas trop, comment elle varieroit au befoin fes opérations. N’en con- cluons pas néanmoins qu'il n’y a rien du tout ici de machinal, & n’attribuons pas à Pintelli- gence, ce qui n’eft que le produit de certaines. fenfations & de la ftru@ure du corps. Au fond, la plus grande merveille, la merveille la plus embarraflante et ici le changement de maiæuvre- de la Teigne. Quand elle taille fon habit près du bord d’une feuille, elle n’a à couper les membranes que d’un côté feulement. Ce côté: eft celui qui couvrira le ventre de l’Infecte. Le- côté oppoié eft déja tout façonné des mains de- la Nature; il a tout ce que la Teigne defire , re- lativement aux contours & à l’union des mem- Er RE RÉEL er DE LA NATURE. Part. XII. 384 branés. Le dos du fourreau retiendra donc les dentelures de la feuille ; il en fera orné , & la Teigne n’a autre chole à faire que de les vuider exactement. Si pendant qu’elle s’occupe de ce travail, on emporte les dentelures par un coup de cifeau, on fépare les deux membranes que la Nature avoit étroitement unies ; & l'air a un Hbre accès dans la mine. Mais aucune Teigne ne s’accommode du contat immédiat de lair: toutes paroiflent s'habiller pour s’en mettre à Pabri. Notre Teigne , trop à découvert , travail- iera donc d’abord à fe couvrir. Elle tendra des fils de lune à l’autre membrane. Elle a d’ailleurs à évacuer la matiere foyeufe que la nourriture reproduit fans cefle : elle vient de dévorer le pa- renchyme renfermé dans les dentelures , & cet aliment s’eft converti en foie. Le befoin de filer concourt avec la fenfation incommode du con- tac de Pair. La Teigne ne fe détermine pas {ur des réflexions dont elle eft abfolument incapable : elle ne s’abftient pas de couper les membranes, parce qu’elle juge qu’elles lui échapperoient faute d'appui. Ce jugement fuppoferoit des connoif- fances , des comparaifons , des conclufions qui font très ‘évidemment au- deflus dela portée de linftin&. Qu'on prenne la peine d'approfondir un peu cela, & j'ofe préfumer qu’on Îe rangera 4 mon avis, Notre Teigne ne {e mec donc à $82 CONTEMPLATION couper les membranes qu’ après les avoir “réunies du côté où elles avoient été féparées. Elle a dou- blé de foie ces membranes, elle a tapiflé tout Pintérieur de la mine, & nous demandions com- ment cette doublure ne lui étoit point en obf- tacle lorfqu’il eft queftion de Couper les mem- branes ? Nous avons remarqué qu’elle laiffoit çx & là des vuides dans la doublure pour y faire pafler fa tète, & nous avons admiré cette forte de prudence. Un illuftré Obfervateur C3) la fans doute trop exaltée , ainfi que les autres pro- cédés de cet Infe@e induftrieux : peu s’en faut qu’il ne lui ait accordé une portion de cette intelligence qui brille avec tant d’éclat dans &s favantes recherches. Ces vuides , qui paroiflent fi habilement ménagés dans la doublure , ne fe- foient- ils point l’effet tout fimple de la difette de foieŸ La Teigne doit s’en être fort épuilée en réunifflant les membranes & en les doublant : il ne feroit donc pas merveilleux que la dow- blure ne fût pas par-tout continue ; ellé ne left pas effectivement, & nous nous plaifons à em faire honneur à la prudence de la Feigne. (3) Ft Mr. de ReaumuR. Aucun Naturalifte n'avoit fuivi avec autant de fagacité que lui le travail des Teignes , & cette partie de fon grand Ouvrage eft une des plus intéreffantes bran< hes de l'Hiftoire des Infe&ess | ‘4 DZ LA NATURE. Part. XII. 38% Nous ignorons , fi dans ce changéfent de : hanœuvres le bout antérieur du fourreau prend . toujours la place du poftérieur, & réciproque- ment : mais le renverfement en queltion ne prou- veroit autre chofe, finon qu’en retranchant les . dentelures , nous avons fait perdfe à une des - extrémités de la feuille les contours que requiert Ja façon du bout antérieur de l’habit. L’extrémité L Ronnie de la mine préfente apparemment des 4 conditions plus favorables à cette partie du tra- … vail, & il eft affez naturel qu’elles déterminent … Ja Teigne à y placer l'ouverture antérieure de fon . fourreau, &c. 4 Quoique la Teigne s’'épargne du travail en - faifant entrer les dentelures dans la façon de fon habit, il arrive pourtant affez fouvent qu’elle —…. préfere de le tailler en pleine feuille. Si l’on y … prend garde , l'on reconnoitra qu’elle en ufe - ainfi lorfque les bords ont commencé à fe def- …_ fécher. Il eft dans l’ordre de fes fenfations que certaines circonftances influent fur fes manœü- … vres. Îl n’eft pas moins dans l’ordre de la mé. chanique de fes organes , que certaines opéra- tions qui nous étonnent, en réfultent comme de leur principe immédiat. O infifte un peu trop fur la coupe de l’habit : 584 CONTEMPLATION À on la repréfente comme plus recherchée qu’elle ne l’eft en effet. Ce n’eit pourtant , au fond , que celle d’un tuyau à - peu - près cylindrique, dont le corps alongé de l’Infeéte pourroit déterminer méchaniquement la forme & les dimenfons, fans qu'il fût befoin d'admettre ici la moindre ombre d'intelligence. Il eit vrai, que les bouts de ce tuyau font faconnés différemment ; mais les parties de la feuille dans lefquelles ces bouts font taillés, doivent influer plus ou moins {ur la façon de chaque bout, &c, CHA PEL RER RSR LE A Réflexions [ur l'indufirie des Animaux. Je n'ai fait qu'indiquer les fources où je vou- drois puifer la {olution de tous les petits pro- blèmes que nous offre le travail de la Teigne des feuilles. Ce feroit dans des fources analogues que je puiferois la {olution de tant d’autres pro- blèmes que nous préfentent les Animaux dont # Pinduftrie nous frappe le plus. Je ne fuppofe- . rois pas qu’ils fe propofent, comme nous, ün but dans leurs diverfes opérations : les idées de but, de fin, de moyen font beaucoup trop ré- #échics pour entrer dans la tète d'un Aniniäl, qui L D'ÉL AN ATU RE: Part. XII. 385 qui ne fauroit avoir des notions proprement _ dites, & qui eft réduit à de pures fenfations. Il nr? . 5: nous eft fi naturel de réfléchir ; parce qu’il nous eft fi naturel de lier nos idées à des fignes, & d’en former des notions de tout genre ; que nous … imaginons fans peine que l’Animal réfléchit auff. Nous le faifons donc agir précifément par les _ mêmes motifs qui nous détermineroient en cas pareil. Avons - nous à rendre raifon de quelque procédé remarquable où nous croyons décou- vrir des vues fines ? nous fuppofons auffi-tôt de telles vues ; nous y joignons de petits rai- fonnemens implicites, & tout s'explique le plus heureufement du monde ; mais , c’elt comme je Vai dit ailleurs, en transformant, fans y fon- ger , l'Animal en Homme, de pures fenfations “ en vraies notions. Si l’Animal pouvoit , {ans ceffer d’être Animal, juger de nos propres opé- rations, il efk à croire qu’il ne nous prèteroit … point les motifs qui nous déterminent. Il nous « feroit agir comme il agit lui-mème ; il nous transformeroit en purs Animaux ( 1 ). (1) tt Nous amaffons des provifions pour l'Hiver, & divers Animaux en amaffent auf. Nous en concluons aufli-tôt que ces Animdux'prévoient , comme nous , qu’il viendra un temps où ces provifions leur deviendront néceflaires : mais un Animal qui n’a jamais vu d'Hiver, peut-il en preffentir au milieu de l'Eté lè futurition ? Si donc il recueille avec beaucoup d’aétivité des gtans de différentes Efpeces, ce n’eft point du tout qu’il veuille Toine IIL Bb 386 CON FEMKREMTUORN CE ne feroit donc pas du but que nous dé- souvions dans louvrage d'un Animal induf. fe précautionner contre un avenir Ficheux qu'il ne connoît point & ne peut connoître; mais c’eift uniquement parce qu’il aime ces grains, & qu’il goïte un certain plaifir à les charier, à les amaffer dans fa retraite, à les y empiler : & tont cela dérive eflentiellement de fa conftitution , qui eft déterminée elle-mème par la place qu'il devoit occuper dans le Syftème dé l’Animalité. À l'approche de l’Hiver , l’Animal fe trouve ainfi bien approvifionné , fans avoir fongé ni pu fonger un infrant à faire des provifions. On obferve , que les Mulots amaffent plus où moins de pres vifions, fuivant que le fouterrein dans lequel ils fe font logés cf plus ou moins fpacieux. Ce n'eft donc pas à leurs befoins qu’ils proportionnent les provifions ; mais c’eft uniquement à la capacité du lieu. Ces provifions font fur leurs fens des impre£- fions agréables; ils en amaffent autant que le lieu &la faïfon Le leur permettent. (Chap. XXX , Note 2.) Nous admirons le difcernement du Moineau, qui fe difpenfe de donner une calotte à fon nid lorfqu’il établit fous un toit ou fous quelqu'autre abri ::( Chap. XXVIIT, Note 6. ) mais, f l'on y faïifoit bien attention, l'on reconnoitroit, fans doute, que fi le Moineau fe conduit ainfi dans ce cas , ce n’eft point du tout qu'il juge que la calotte feroit alors fuperflue : un tel jugement fuppoleroit évidemi:ent une réflexion dont il eft abfolument incapable , mais très -probablement l’Oifeau ne fe difpenfe des frais de la calotte, que parce qu’il manque de place pour la conftruire : il eft apparemment gèné par le toit ou par l'abri. Nous admirons encore le foin que les Femelles de divers Animaux prennent de leurs Petits , la maniere dont elles les élevent, le courage avec lequel elles les défendent, &c. ( Part: KI, Chap. VI, VII, & Les Notes. ) Notre fenfbilité s’émeut à. la vue de tous ces faits, & nous nous complaïfons à oppofet + DÈ LA NATURE Part. XII 397 trieux , que jé voudrois partir pour rendre rai- fon de cet ouvrage. Je ne dirois pas , PAraignée tend une toile pour prendre des Mouches ; mais je dirois, PAraignée prend des Mouches, parce qu’elle tend une toile, & elle tend une toile, … parce qu’elle a befoin de filer. Le but n’en eft pas moins certain, moins évident; feulement ce eft pas l'Animal qui fe left propofé ; c’eft VAUTEUR de l’Animal. Par cette maniere phi- lofophique de raifonner , que perdroit la Théo- 1 Hirondelle on la Taupe aux Meres barbares de notre Efpece: mais nous ne fongeons pas que l’attachement des Femelles des Animaux pour leurs Petits à une tout autre origine que celle que nous lui prétons trop gratuitement : tont a été difpofé ici de maniere que les Petits font pour les Meres des fources toujours …_ fécondes de fenfations agréables ou d’utilités direétes. (Voyez “ Part. XI, Chap. VIIL.) … Enfin, nous fommes touchés à la vue d’un Animal qui leche . à plufeurs reprifes la main qui l’a gratté ou qui Pa careflé , & nous ne manquons point d’envifager fon action comme une “ marque de {a reconnoiffance , tandis agwelle pourroit n’être « P - qu'une fuite toute naturelle du plaifir que l’Animal trouve à lécher, ou de l'habitude qu'il en a contra“é. _ Et combien d’autres a&tions des Animaux, que nous nous plaifons à embellir dés couleurs de la réflexion ou de celles du fentiment , & qui ne tiennent ni à la réflexion ni au fentiment! Mais pour n'y être jamais trompé , il faut avoir plus de Pfy- chologie dans l’efprit, que n’en a le commun des Spectateurs, En un mot, toute explication qui fuppofera quelque moralité dans l’Animal , choquera la bonne Philofophie ; car la moralité fuppofe effentiellement des notions ou des idées réféchies , & il ett bien prouvé que l’Animial ne fauroit former de telles idées. Bb 2 SR em PR e 333 CONTEMPLATION logie Naturelle ? N'y gagneroit-elle pas, at contraire , plus d’exactitude, plus de précifion ? Raïfonnons donc fur les opérations des Ani- maux, comme fur leur ftructure. La mème SAGESSE qui a conftruit & arrangé avec tant d'art leurs divers organes, qui les a fait con- courir à un but déterminé , a fait de même con- courir à un but les diverfes opérations qui font les réfultats naturels de l’économie de l’Animal, Il eft dirigé vers fa fn par une Max invifble : il exécute avec précifion & du premier coup, des ouvrages que nous admirons ; il paroît agir comme sil raifonnoit, fe retourner à propos, changer de manœuvre au befoin , & dans tout cela il'ne fait qu'obéir aux reflorts fecrets qui le pouffent ; il n’eft qu’un inftrument aveugle qui ne fauroit juger de fa propre action, mais qui eft monté par cette INTELLIGENCE Apo- RABLE qui a tracé à chaque Infecte fon petit cercle, comme elle a tracé à chaque Planete fon orbite. Lors donc que je vois un Infecte tra- vailler à la confiruction d’un nid, d’une coque ou d’un fourreau, je fuis faifi de refpect, parce * qu'il me femble que je fuis à un fpectacle où M le SuPRÈME ARTISTE elt caché derriere la W toile. Les Animaux qui ont un plus grand nombre M + DE LA NATURE. Part XII, 38e de fens, ont un plus grand nombre de fenfa- tions & de fenfations diverles. Et comme ils les diftinguent , ils les comparent à leur maniere. De là naïflent des jugemens ‘qni paroiflent tenir de la réflexion , & qui ne font pourtant que de fimples réfultats de la comparaifon de certaines idées purement fenfibles. J'Aï encore quelques traits frappans à racon- ter de l’induftrie des Animaux. Je ne reviendrai pis à prémunir mon Lecteur contre les féduc- tions de la furprife & de ladmiration : j’en ai dit aflez pour qu’il ne puiffle plus s’y mépren- dre (2). Je lai mis à portée de traduire en langage philofophique les expreffions peu exactes qui m'ont échappé ou qui pourroient m’échapper dans la fuite. Il eft permis de s’écarter un peu de la rigueur philofophique, & d’accorder quel- que chofe à lintérèt de la narration, lorfqu’on a eu foin de fixer le fens des mots , & de donner, pour ainfi dire, la clef du difcours. (2) Confultez les Chapitres XIX, XXVILI, XXX jla Partie XI, & le Chap, XXXIV de cette Partie. 7 VO PEROU + 1% D» 'œ 393s CONTEMPLATION Re CHAPITRE. XIE L Abeille qui conffruit un nid avec.une forte de glw. E, parcourant rapidement les divers pro- cedés des Infectes relatifs à la maniere dont ils logent leurs œufs, j'ai parlé d’un nid admirable qu'une Abeille {olitaire conftruit avec des mor- ceaux de feuille (1). Jai dit qu'il eft compoié. d’une fuite de cellules , femblables à des dez à coudre, & emboirées les unes dans les autres comme les dez le font dans les boutiques. J'ai indiqué l’art prodigieux qui brille dans la conf truction de ce nid, dont chaque cellule eft formée de ‘plufeurs fragmens de feuilles , cou- pés , roulés & aflemblés avec autant de préci- fion que de propreté, & capables comme un vafe bien clos , de contenir une liqueur fans Ja laifier jamais fe répandre. Enfin, j'ai fait remarquer, que cet affemblage de cellules f réguliérement & fi adroitement découpées , eft recouvert d’une en- veloppe générale , de mème matiere que les cel- lules , & qui imite la forme d’un étui. FE (1) Part. XI, Chap. V. ME D ARS uen DE L4 NATURE. Pat. XIL 394 CE nid, dont je viens de retracer l’idée , eft caché fous terre. L’Abeille y creufe une cavité proportionnée à la grandeur de l’étui. C’éft auf fous terre qu’il faut aller chercher le nid d’une autre Abeille folitaire , dont l’indultrie ne le cede guere à celle de la Coupeufe de feuilles, & qui travaille à- peu- près fur le mème modele. Son nid eft de mème compofé de plufieurs cellules en forme de dez , enchäflées habilement les unes dans les autres; mais qui ne font point recou- vertes d’une envelospe commune. Chaque celiule eft faite de deux ou trois membranes , appli- quées les unes fur les autres , & dont la finefle cft inexprimabie. EXAMINÉES au microfcope, elles ne préfen- tent rien qui puifle faire foupconner qu’elles ont été priles fur des Plantes. On les diroit pure- ment foyeufes , & de la plus belle foie blanche. Mais aucune Abeille ne fe : quelle eft donc la matiere de ces membranes fi fines , fi luftrées, fi blanehes ? EN obfervant attentivement la cavité où le nid elt renfermé, on la trouve. enduite d’une gere couche de matiere luftrée , précifément femblable à celle des celiules, & qu’on pourroit comparer à cette humeur vifqueufe que les Li- B b 4 nn PR TE. Qu Que ee . Po OT ee TOUTES #92 CONTEMPLATION !} maçons répandent fur leur route. Notre Abeille a,{ans doute, une ample provifion de cette forte de glu qu’elle met en œuvre avec tant d’art : mais comme elle travaille fous terre & dans une profonde obfcurité , l’on n’eft point encore parvenu à la furprendre à l'ouvrage. Malgré l’extrème fineffe de leurs membranes, les cellules ne laiflent pas d’avoir aflez de confiflance, & lon peut les manier fans altérer leur forme. La pâtée qu’elles renferment, foutient leurs parois & les empèche de céder. CETTE pâtée eft une efpece de cire médio- crement détrempée, & qui quelquefois ne left point du tout. Un œuf eft dépofé au fond de chaque cellule, Après être éclos , le Ver fe trouve au milieu d’une abondante provifion de nour- riture. Il la confume avec une forte d’intelli- geuce, & paroît fe conduire comme s’il vouloit conferver aux parois de fa loge un appui nécef- faire : il ne creufe pas la pâtée en tout fens; il la creufe perpendiculairement de bas en haut : il s’y pratique ainfi un petit tuyau qui en oc- eupe l'axe ou le centre. À mefure qu’il croît, il agrandit ce tuyau ; il l’étend en longueur & en largeur. Ïl arrive enfin aux parois; alors il a confumé coute la pâtée & n’a plus à croître. D a : DE LA NATURE. Pat. XII. 393 ER—————— —— TS CAUSE URTE ; ;X'E. Ye L’ Abeille tapiffiere. D IVERSES Abeilles folitaires fe bornent à percer la terre. Elles y creufent des cavités cy- lindriques dont elles poliffent les parois. Elles y pondent un œuf, & y amaflent une quantité fufante de nourriture, IL eft une autre Efpece de ces Mouches qui percent la terre , dont l’induftrie eft beaucoup plus remarquable. Elle ne fe contente pas ; comme les autres, d’une cavité toute nue. Quand on vifite l’intérieur du logement immédiatement _ après qu’il a été conftruit, on eft agréablement furpris de le voir tendu en entier d’une tapiflerie du plus beau fatin cramoifi, appliquée fur les parois comme nos tapifleries le font fur les murs de nos appartemens, & avec plus de propreté encore. Non-feulement lAbeille tapifle ainfi tout l’intérieur de fon logement ; mais elle étend encore de femblables tapis autour de l'entrée, à deux ou trois lignes de diftance. Nous avons obfervé quantité de Chenilles qui tapiflent *de foie l’intérieur de leur coque ou de leur four- 394 CONTEMPLATION reau (1) : notre Abeille eft le feul Infecte connu, qui, à proprement parler , tapifle fon nid comme nous tapilons nos chämbres. C’eft donc à bon dtoit que cette Mouche induftrieufe a reçu le nom de tapifliere. Vous êtes impatient de favoir où elle fe pourvoit de la riche tapiflerie : voyez ces fleurs de Coauelicot nouvellement épanouies : remar- quez qu’elles ont été échancrées çà & là. Com- parez -les avec la tapillerie dont vous cherchez —$ LL à connoître le tiffu; vous ne pouvez vous y méprendre : cette tapifierie n’eft autre chofe que des fragmens de fleurs de Coquelicot, & voilà l’origine fecrete de ces échancrures que vous remarquez {ur les Coquelicots qui avoifinent le. nid. Votre curiofité n’eft point fatisfaite ; vous voulez que nous fuivions un peu le travail de notre adroite tapifliere. LE trou qu’elle creufe perpendiculairement dans la terre, eft d'environ trois pouces de profondeur. Il eft exactement cylindrique juf- qu'à fept à huit lignes du fond. Là, il com- mence à s’évaler, & s’évafe de plus en plus. Lorfque lAbeille a achevé de lui donner les (x) Chap. IV & fuivans de cette Partie. DUT SAS 5e à DE LA NATURE, Part. XII. 395 proportions convenables , elle fonge à le ta- piffer. Dans cette vue, elle va couper avec beau- coup d’adreffe fur les fleurs du Coquelicot, des morceaux de pétales (2) de figure ovale, qu’elle faflit avec fes jambes & tranfporte dans fon trou. Ces petites pieces de tapiflerie y arrivent fort chiffonnées : mais la tapifliere fait les étendre, les déployer & les appliquer fur les parois avec un art étonnant. ELLE applique au moins deux couches de pétales : elle tend donc deux tapifferies l’une fur l’autre. Si elle va s’en pourvoir fur les fleurs du Coquelicot plutôt que fur celles de quantité d’autres Plantes, c’eft que les fleurs du Coque- licot réuniffent à un plus haut degré toutes les qualités qu’exige l’ufage auquel la Mouche les deftine. Quaxp les pieces que l’Abeille a coupées & tran{portées fe trouvent trop grandes pour la place qu’elles doivent occuper , elle en retran- che tout le fuperflu, & tranfporte les retailles hors du logement. (2) C'eft le nom que les Botaniftes donnent aux feuilles des fleurs, 396 CONTEMPLATION APRÈS qne la tapiflerie a été tendue, l’Abeille xemplit le nid de pâtée jufqu'à fept à huit lignes de hauteur. C’eft tout ce qu'il en faut pour la nourriture du Ver. La tapifferie eft def- tinée à prévenir le mèlange des grains de terre avec la pâtée. Vous vous attendez, fans doute , que la pru- dente Mouche ne manquera pas de fermer exac- tement l'ouverture du nid pour en interdire l'entrée à divers Infectes friands de pâtée : elle n’y manque point en effet; & il vous eft actuel- lement impoflible de reconnoître fur la furface du terrein le lieu où eft le nid dont vous venez de contempler la conftruction , tant PAbeille a {u adroitement le boucher. Cette petite pierre blanche étoit au bord du trou ou fort près; elle n’a pas changé de place; elle nous indique donc l'endroit au - defflous duquel eft le nid que nous cherchons. Il femble donc que nous n’ayions qu’à enlever une légere couche de terre pour mettre à découvert l'entrée de ce trou qui a été fi bien rebouché. Rien de plus facile & de moins douteux. Quelle eft votre furprife! vous avez déja enlevé plus de deux pouces de terre , & vous ne trouvez pas le moindre veftige de trou ni de tapiflerie. Que veut dire ceci ? Qu’eft devenu ce nid fi artiftement conftruit, fi proprement LE Cu DE LA NATURE. Part. XII 39% _tapiflé , & qui avoit plus de trois pouces de pro- fondeur ? Il n’y a que quelques heures que vous en admiriez l’ingénieufe ordonnance, & main- tenant tout a difparu, au point que vous n’en découvrez pas la plus légere trace. Quel eft donc ce myftere ? Le voici. | Lorsque l’Abeille a pondu & an’elle a fini d’amaffer la pâtée, elle détend la tapiflerie, elle la replie fur la pâtée, elle l'en enveloppe, 4 peu-près comme nous replions fur lui- mème un cornet de papier à moitié plein. L’œuf & la pâtée {e trouvent ainfi renfermés dans un petit fac de fleurs. La Mouche n’a plus qu’à garnir de terre tout l’efpace vuide qui eft au- deflus du fac, & c’eft ce qu’elle exécute avec une ac- tivité merveilleufe, & fi exaétement qu’on ne reconnoit plus la place du nid, the RES EE RD a nn RER En 598 CGONTEMPLATION EYs CHAPITRE EDS La Guépe - maçconte. Ï L ne faut pas confondre cette Mouche avec l’'Abeille macçonne dont j'ai parlé (1). Le travail de ces deux Mouches differé autant que leur forme. La Guèpe que je veux vous faire con- noître, a recu le furnom d’Ichneumon, de fa reffemblance avec les Mouches - ichneumons qui “vont dévofer leurs œufs dans le corps des In- feîes vivans (2). Elle vit folitaire, & quoique fes procédés n'aient rien de commun avec ceux des Guëpes - républicaines (3), ils ne leur ce- dent guere en induftrie. L'on ne fera pas fâché que j'eutre ici dans quelque détail. NoTRE Guèpe-ichneumon creufe dans un fable dur un trou d'environ deux pouces de profondeur. Son travail ne fe borne point à excaver ce trou , à lui donner une forme cylin- drique, à en polir les paroïs, à tranfporter au (1) Fart. XI, Chap. V. = (2) Ibid. (3) Part. XI, Chap. XXJH. D£Z LA NATURE. Part. XII. 399 dehors le fable qu’elle en tire : elle forme de ce fable un tuyau qui a pour bafe l’ouverture du trou , & qui s’éleve au - deflus à une hauteur à-peu-près égale à la profondeur de ce dernier. Ce tuyau paroît ètre un ouvrage important & qui doit durer. Il eft fait avec art, en maniere de filagrammes ou de guillochis. La Guëèpe travaille dans un fable fort dur, & que l’ongle auroit peine à entamer. Quoi- qu’elle foit pourvue de très-bonnes dents, ce n’eft point de ces dents qu’elle fe fert pour per- cer ie fable, & en détacher les grains comme de force : elle a un moyen très facile & très- fimple d'en venir à bout. Elle fait le ramollir, le réduire en une pâte molle, & qui fe laifle manier comme elle veut. Eile y répand une li- queur pénétrante dont elle a provifion. ELLE pèêtrit avec fes dents & fes premieres jambes les molécules qu’elle a ramollies & dé- tachées. Eile en compole une petite pelotte, un peu alongée. Elle pofe cette premiere pe- lotte fur le bord du trou qu’elle a commencé à creufer , & elle jette ainfi les premiers fon- demens du tuyau qu’elle fe propofe d'élever. Il fera tout compofé de parcilles pelottes , arran- gées circulairement les unes, à côté des autres 460 CONTEMPLATION & les unes fur les autres. En mettant en place de nouvelles pelottes, la Guëèpe ies étend un peu avec fes dents & fes jambes. EcLE interrompt fréquemment fon travail, fans doute, parce que la liqueur détrempante s’épuife aflez promptement. Elle quitte {on atte- lier, s'envole & revient quelques momens après fe remettre à l'ouvrage. Eile a été fe pourvoir de nouvelle liqueur. L'OUVRAGE va très- vite, & beaucoup plus vite qu'on ne l’imagineroit. ‘En peu d'heures, elle a creufé un trou de deux à trois pouces de profondeur, & bâti au - deffus un tuyau qui a autant d’élévation ou à - peu - près. ELLE conftruit fucceflivement plufieurs de ces nids, qui ont tous la mème forme effentielle & la mème fin. APRÈS s'être élevé perpendiculairement au- deffus du trou, le tuyau fe courbe un peu, & fe courbe enfuite de plus en plus, en confer« vant toujours {a forme cylindrique. . La Mouche ne proportionne pas conftam- ment l'élévation du tuyau à la profondeur du trou : DE LA'NATUR DE. Part. XII 401 ’ trou : fouvent il eft moins éleyé que celui - ci mett profond. Ce n’eft pas manque de pelottes ; “Onla voit continuer d’en pètrir ; mais, au lieu de les mettre en place, elle les Ms hors du tuyau. > Vous devinez aifément que le trou que la -Guëpe-maçonne creufe perpendiculairement dans un mañlif de fable, eft un nid deftiné à rece- voir un œuf. Mais vous ne devinez point l’ufage ‘du-petit édifice ‘en filagrammes , bâti au-deflus, *&:qui fuppofe bien plus de travail & d'indultrie que la fimple opération d’excaver. La fuite des manœuvres de notre laborieufe Ouvriere vous apprendra que ce tuyau, fi artif -tément façonné , n’efb qu'une efpece d’échafau- “dage qui ne doit pas fubflter. Les pelottes qui le compofent font pour la Mouche ce qu'un affemblagelde matériaux ou de moëllons eft pour un Maçon.:Notre Macçonne les a arrangées ainfi “bn de les avoir plus à {à portée. Elle s’en fert -pour reboucher-ou combler le trou ; après qu'ell: -yra dépoié un œuf. Elie démolit donc le à ser File & bientôt il n’en refte plus de veltige ét Dhs chère de petite touf a encore un autre |ufage :bien: important ; elle prévient les Tone 111, Ce nd go2 CONTE MP\LVA F HON: entrepriles des Ichneumons, On fait que ces Mouches rodent fans cefle autour des nids des Infectes pour y dépofer leurs œufs : la petite tour leur rend plus difficile l'accès du nid de la Maconnc ; elles n’ofent s'engager dans un défilé fi long & fi obfcur. Ux Ver doit éclorre de l'œuf que la Guèpe- maconne a pondu au fond de fon trou. La niche eft bien murée : le Ver ne poufroit ni recevoir ni aller chercher fa nourriture : là Mouche Pa approvifionné. Il repole au fond du trou: Ja Mouche a fu réferver un clpace de fept à huit lignes qu’elle n’a point muré, & qu "elle a rempli de provifions de bouche. QUELQU'UN qui ignoreroit l'Hiftoire des In- fectes n’imagineroit pas de quelle nature font ces provilions, & le Naturalifte qui le fait, ne Vadmire pas moins. Si lon ouvre le nid avec précaution ; on remarquera que la partie qui ieft point murée, a été remplie de petits Vers vivans , de couleur verte & fans: jambes, arran- gés adroitement les uns fur les autres, & con- tournés en maniere de cerceaux. Ces Vers rem- pliflent toute la capacité de la petite caverne. L'on en compte ordinairement dix à douze dans chaque nid : c’eft précifément la quantité de DE LA NATURE. Part. XII 403 provifion nécefäaire à l’accroifement du Petit de la Guèpe. Dès qu'il eft éclos , il attaque le Ver le plus proche de lui; il lui perce le ventre, & le fuce tout à fon aile. Il vient enfuite à celui qui étoit pofé immédiatement au-deflus , & quand il a achevé de confumer ainfi toute la provi. fion , il w’a plus à croître , il eft fur le point de fe transformer. Le plus Fabile Pourvoyeur de vivres ne s’y prendroit pas mieux que le fait notre Mere-guèpe : elle a été inftruite par CeLur qui pourvoit aux befoins de toutes fes Créatures. La Guëpe connoït les Vers qui ont été ap- propriés à la fubfftance de {1 Famille. Elle va à la chaffe de ces Vers ; elle les faifit délicate. ment, & les tranfporte dans fon nid {ans les bleffer, Tous -ceux qu’elle y renferme font de la mème Efpece, & tous font dans l’âge où ils n’ont plus à croître. Si elle les renfermoit plus jeunes, ils périroient de faim dans la caverne, {e cor- romproient enfuite , & feroient périr à {on tour le Petit. Elle ne choïift donc parmi les Vers d’une mème Efpece, que ceux qui font parve- nus à l’âge où ils peuvent foutenir un affez long jeûne. Tous ne font pas néanmoins de la mème grandeur. Quand la Guëèpe approvifionne fon Petit avec les plus grands Vers, elle lui en donne moins ; elle lui en donne davantage s'ils font Cc2 404 C'O;N TE AM'P'L A4 TION de plus petite taille. On diroit qu’elle entend ä compenfer la grandeur par le: nombre & réci- proquement (4). (4) tt Nous venons de voir une Guépe-ichneumon qui renferme dans fon nid toute 11 provifion d’alimens, dont fon “Pétit aura befoin pendant le cours de fa vie: mais il eft une Guépe de la même Famille, qui ne fe conduit pas ainfi, & qui nourrit fon Petit à plufieurs reprifes. Après avoir renfermé dans fon nid une Chenille vivante , elle le ferme foigneufement , & ‘au bout de quelques jours , lorfque ia Chenille a été confumée, elle rouvre le nid, y renferme une feconde Chenille vivante, le bouche encore , & continue de. la forte à approvifionner fa chere Progéniture. C’eft à la claffe affez nombrenfe des Guêpes -ichneumons qu’appartiennent ces Mouches guerrieres qui vengent leurs fem- Hlables des infultes des Araïgnées. Elles fondent hardiment dans leur toile, les Gitiflent fur le deffus du corps, les percent de leur aiguillon , les étourdiffent , les arrachent de leur filet, & Les tranfportent dans leur nid , où elles les claquemurent pour fervir de pature à leur Famille. 2° D’autres Guépes -ichneumons ne craignent point de confier jeur Géniture aux Araignéees. Elies dépofent leur œuf fur Le corps de celles-ci, & le Ver qui en éclot vit aux dépens de l'Infecte redgutable, qu'il n’a pourtant point à redouter. SUUE KE _ DE LA NATURE. Part. XIL 40$ CAPES RENE OL TL qe La Fouruulion. Ï. neft point d'Infecte plus célebre par fon induftrie , que left celui-ci. Son nom eft lié dans l'efprit à l’idée de procédés très-ingénieux, dont on ne manque pas d'entretenir les Jeunes gens auxquels on fouhaite d’infpirer quelque admira- tion pour les merveilles de ja Nature. Je connois un Naturalifte, qui nayant pas encore dix-fept ans, commença par douter de ces procédés, & n’eut aucun repos qu’il ne les eût vérifiés : il les vérifia , les adinira , en découvrit de nouveaux, & devint bientôt le Difciple & l’Amt du PLINE de la France (1 ). En crayonnant dans fes ou- vrages les découvertes de cet Homine illuftre, (1) ff Mr. de REAUMUR , mort en 1257, & avec leque l’Auteur avoit été en comncrce de Lettres isndant plus de dix- neuf ans. Il communiquoit dans le plus grand détail a cet exce!lent, Naturalifte tout ce qu’il découvroit, & les réponfes amicales qu'il en recevoit, l'excitoient de plus en plus à pour- faivre fes recherches. Il a publié en 1779 la fuite des Obfer- vations qu'il avoit faites fur les Infectes dans fa premiere jeu- neffe , & dont il avoit déja publié une partie en 174$. La plupart de fes recherches étoient demeurées bien imparfaites ; mais des Naturaliites plus habiles & plus heureux ont fait depuis en ce genre , beaucoup plus qu'i n'auroit pu faire. ce” 306 CONTEMPLATION il a jetté quelques fleurs fur fon tombeau, foi- bles expreflions de fes regrets & d’un fouvenir qui lui fera toujours cher. Tour le monde fait que le Fourmilion fe creufe dans un fable fec ou dans une terre fort pulvérifée, une foffe en maniere de trémie ou d’entonnoir , au fond de laquelle il fe tient en embufcade. Comme il ne marche qu’à reculons, il ne peut pourfuivre fa proie : il lui tend donc un piège, & c’eft {ur -tout fur la Fourmi qu’il fonde fes efpérances. Il eût été mieux nommé Fournui-renard, G ce nom n’avoit paru trop long. À l'ordinaire , il demeure caché fous le fable : Toit qu'il repole au fond de fon entonnoir ou qu'il change de place, il ne montre jamaïs que ‘le bout de fa tète. Elle eft quarrée, platte, & armée de deux petites cornes mobiles, en forme de crochets ou de pinces tres-fines, dont la fingulicre ftru@nre étonne l'Obfervateur , & lui montre à quel point la Nature eft admirable jufques dans fes moindres Produ@tions. L’ana- tomie du Fourmilion n’eft point notre obiet actuel : vous êtes moins curieux de favoir com- ment il elt fait, que ce qu’il fait. Vous favez en général , que fa forme tient un peu de celle du Cloporte’, & que fon corps porté fur fix jambes, DE LA NATURE. Part.-XII 401 & terminé en pointe, ef compolé d’une fuite d'anneaux purement membraneux. C’eft tout ce qu'il vous importe de connoître de fa ftructure ; un plus grand détail feroit fuperflu. Pour creufer fon entonnoir, le Fourmilion commence paræracer dans le fable un filon circulaire ns l'enceinte déterminera l’ouver- ture de l’entonnoir. Il y a toujours un certain rapport entre cette ouveiture & la profondeur de l'entonnoir : celle-ci eft ordinairement de neut lignes , quand celle-là eft de douze, En général ; la grandeur des entonnoirs varie beaucoup : les plus grands ont environ deux à trois pouces d'ouverture; les plus petits, deux à trois lignes. Ce-iveft pas une regle que les plus grands Four- milions creufent les plus grandes foffes : fouvent un Fourmilion de grandeur médiocre fe trouve logé dans une très-grande folle; & un très-grand Fourmilion dans une foffe de grandeur médiocre : cela tient à des circonftances particulieres, qu'il feroit inutile d'indiquer. + Après avoir déterminé louverture de fon entonnoir , ou tracé le premier filon circulaire, Je Fourmilion en trace un fecond concentrique au premier. Vous comprenez, que fon travail doit aboutir à enlever tout le fable renfermé Cc 4 dog CONTEMPLATIION dans l’enceinte du premier filon. Imaginez donc un cône de fable, dont le diametre foit égal à celui de lenceinte, & dont la hauteur égale la profondeur. que doit avoir l’entonnoir ; c’elt ce cône de {able qu'il s’agit d’enlever. CEST avec fa tête, comme‘avec une pelle, que linfeéte en vient à bout. Vous avez vu qu’elle eft quarrée & platte; fa forme répond donc très-bien à cette fonction. Il fe fert d’une de fes premieres jambes pour la charger de fable, & quand elle en eft fort chargée , il le lance brufquement hors de l’enceinte. Toute cette pe- tite manœuvre s'exécute avec une promptitude & une adreffe furprenantes : un Jardinier n’opere pas fi vite ni fi bien avec fa bèche & fon pied, que le Fourmilion avec fa tète & fa jambe. Je n'ai prefque pas befoin de vous dire, que la fuite des manœuvres de notre Infeéte ne fera 1 fre . . 3 « que la répétition de celle que je viens d’efquiffer. Il tracera de nouveaux fillons, toujours concen- triques aux premiers. Le diametre de l'enceinte diminuera aufh graduellement, & le Fourmilion defcendra de plus en plus dans le: fable: Mais , je ne deis pas négliger de vous faire remarquer, qu'il ne charge jamais {a tète que DE L' A NATURE. Part. XII. 409 du fable renfermé dans l’enceinte du fillon qu’il trace actuellement. Il lui feroit pourtant tout aufli facile de la‘charger du fable qui et à l’ex- térieur de l'enceinte , puifque la jambe qui ré- pond à ce côté du fillon, eft capable des mèmes fonctions que la jambe correfpondante. Vous ne le voyez point s’y méprendre ; il paroït favoir que pour parvenir à creufer {a trémie, il ne doit enlever que le fable compris dans Paire ou Venceinte du fillon. Il n’y a donc que la jambe qui eft du côté de l'aire, qui foit en action ; Vaurre fe repofe : celle-ci travaillera à fon tour, quand: celle-là fera fatiguée. L’on voit alors le Fourmilion fe retourner bout par bout ou tra- verfer Paire en ligne droite, & commencer un nouveau fillon en fens contraire. Par ce chan- gement de fituation , la jambe qui étoit d’abord placée à l’extérieur de l'aire, fe trouve placée vers l'intérieur, & prète à manœuvrer. IL arrive fouvent qu’en creufant fa trémie, le Fourmilion rencontre de gros grains de fable ou de petits grumeaux de terre feche : il n’a garde de les laifler dans la trémie ; ils ferviroient d’échelons aux petits Infectes qui tenteroïent d'en fortir. Il-en charge fa tète, & par un mou- vement fubit & bien calenlé , il les projette hors du trou: sto 10€ ON TE MPU A TION Si au lieu de ces corps aflez légers , il rer: contre de petites pierres trop pefantes: pour être lancées avec fa tete, il fait s’en débarraffer par un moyen nouveau & fort fingulier. Il fort de terre , & {e montre tout entier à découvert. Il va ainfi à recuions, jufqu’à ce que le bout de fon derriere ait atteint la pierre : il femble alors la tâter ; il eflaie de la poufier & de la foulever : il redouble fes efforts ; parvient à la charger fur fon dos, maintient habilement l’équilibre par des mouvemens prompts & alternatifs de fes anneaux, gagne avec fa charge le pied de la rampe , la gravit, porte la pierre à quelque dif tance du trou, revient dans le trou, & acheve de le creufer. CEPENDANT , malgré tout fon favoir-faire en tours d'équilibre, la pierre lui échappe quelque- fois au moment qu'il eft {ur le point d'arriver au haut de la rampe. Il ne fe rebute pas , il def cend , va chercher la pierre , la charge de nou- veau fur fon dos, regagne la rampe, remonte , fe décharge , & retourne à fon travail. SA patience eft prefque inépuifable : on la vu répéter fix à fept fois de fuite les:mêmes ma- nœuvres , parce que la charge lui avoit échappé autant de fois. Il offroit aux yeux du: Specta- DE LA NATURE Part. XII 4'* teur étonné & prefque attendri, une image bien uaturelle de l’infortuné SisiPHE. - Exr1w, le Fourmilion jouit du fruit de fes travaux : il a tendu fon piege , & le voilà à l'affût. Caché & immobile au fond de la fofle , il attend en Chaleur rule & patient la proie qu’il ne fauroit pourfuivre. Si quelque Fourmi vient à roder autour du préeipice , il eft rare qu’elle 1°y tombe point. Les bords en font efcarpés, & s'éboulent facilement. Ils entraînent avec eux limprudente Fourmi; le Fourmilion la faifit preftement avec fes cornes, la fecoue pour l'étourdir, la tire fous le fable, & la fuce à fon aife. Il rejette enfuite le cadavre qui n’eft plus qu’une peau feche & vuide,, répare le dé- fotdre furvenu à la fofle, & fe remet en em- bufcade. IL n’a pas toujours le bonheur de failir fa proie au moment qu’elle tombe dans le piege. Souvent elle échappe à fes pinces meurtrieres, & fait effort pour gagner le haut de l’enton- noir. Alors , le Fourmilion fait jouer fa tète; il lance fur la proie des jets de fable redoublés , qui la précipitent de nouveau au fond dela foffe. J'a1 parlé (2) d’une Araignée qui eff fi atta- (2) Part. XI, Chap. V. #2 CONTEMPLATION chée à fes œufs, qu’elle les porte par - tout avec elle. Elle les renferme dans un petit fac de foie qu’elle lie à fon derriere. On le prendtoit pour le ventre de lAraignée. Elle eft très : farouche, très - agile, court avec rapidité, & ne fe def- faifit jamais de fes œufs. Une Araignée de cette Efpece ayant été jettée dans la fofle d’un Four- milion , celui - ci faifit d’abord le fac aux œufs, & fe mit en devoir de l’entraîner fous le fable. L’Araignée s’y laifloit entraîner, avec, lui; mais la foie, qui le tenoit collé à fon derriere, rom- pit, & elle s’en vit féparée. Elle fe retourna fur. le-champ , faifit le fac avec {es pinces , & fit les plus grands efforts pour l’arracher au Four- milion. Ce fut en vain; il entraîna le fac tou- jours plus ‘avant fous le fable, & l’Araignée, plutôt que de lâcher prie, {e laifa enterrer toute vivante. On la déterra bientôt ; elle étoit pleine de vie; le Fourmilion ne l’avoit point attaquée : cependant, quoiqu’on la touchât à plufieurs re- prifes avec un brin de bois , elle ne fuyoit point : cette Âraignée fi agile, fi fauvage , fi farouche, fembloit ne vouloir point abandonner le lieu où elle avoit perdu ce qu’elle avoit de plus cher. PARvENU à fon parfait accroiflement , le Fourinilion quitte le métier de Chafleur qui lui elt devenu inutile; il ne tend pius de piege ; & DE BA NATURE. Part. XII. 413 après s’ètre promené quelque temps près de la furface de la terre, il s’y enfonce & s’y conf- truit une petite coque de forme fphérique, qu’il revêt intérieurement d’une tapiflerie de fatin du plus beau gris de perle , où il fe transforme dans une de ces Mouches qu’on a nommées De- moifelles. OX à découvert une nouvelle Efpece de Four- milion, qui eft rare dans nos Contrées, & un peu plus grande que l’Efpece commune (3 }. Elle eft fur- tout remarquable par {es allures ; elle marche en avant avec affez d’agilité , & c'eft apparemment la raifon pour laquelle il ne pa roît pas lui avoir été donné de fe faire un en- tonnoir. Elle fe contente de fe cacher à la fur- face de la terre, & de faifir les Infe@tes au paf. age. Probablement elle fait avancer fur eux quand il le faut. « Ces procédés ingénieux qui ont rendu cé- lebre le Fourmilion , ne lui font point particu- liers. On connoît aujourd’hui un Infecte très. (3) tt Cette nouvelle Efpece de Fourmilion que l'Auter découvrit autrefois aux environs de Geneve, diffère de l'ER pece commune pat d’autres cagaéteres, que la grandeur. Il a détaillé.ailleurs ces caradteres. Cette nouvelle Efpece lui a paru _Jaïe, & id n'en à jamais eu qu'un très-petit nombre d'individus. 44 CONTEMPLATIIN différent, qui habite comme lui une terre pul- vérilée & mobile, qui s'y creufe une fofle en entonnoir , & qui lance des jets de fable fur la proie qui tente d’en fortir. Cet Infecte elt un Ver blanchätre, mol & fans jambes, qui a recu le nom de Ver-lion , par analogie à celui dont il imite les procédés. Son entonnoir eft »lus pro- fond proportionnellement à l’ouverture , que ne left celui du Fourmilion. Pour creufer cette foffe profonde le Ver -lion s’y prend d’une ma- niere fort fimple. Il ne commence point , comme le Fourmilion , par tracer un fillon cireulaire qui en détermine l'ouverture : il n'eft pas fi Géo- metre : il {e contente de jetter le fable oblique- ment de tous côtés. À mefure qu'il excave ainfi, il s'enfonce davantage , & il continue d’excaver & de projetter de la forte, jufqu’à ce qu’il ait donné à fa foile la profondeur qu’il lui veut (4). (4) tt Mr. de REAUMUR elt le premier qui nous ait donné en 1753 une bonne hiftoire du Ver-lion. Il étoit pourtant conmi dès le commencement du fiecle; mais ce qu'on en favoit n’étoit niaflez exa& ni aflez circonftancié. Le Ver-lion reflemble fort à ces Vers de la viande que tout le monde connoît : il en a méme les caracteres les plus effentiels. Sa partie antérieure eft très-effilée, & la poftérieure et groffe & arrondie. Sa tête, de forme variable, eft armée de deux crochets écailleux , & fon derriere potte deux ftigmates auxquels vont aboutir deux mai- trofïes trachées qu'on apperçoit au travers de la peau. Mais, le Ver.ïlion ne fe métamorphofe pas en boule alongée comme les DE LA NATURE. Part. XII. à14 Vers de la viande. ( Voyez Part. IX, Chap. VI.) Il fe défait de fa peau de Ver, comme tant d’autres Infectes, & fe montre fous la forme de Nymphe, qui devient bientôt une Mouche à deux aîles, affez femblable à celle de certains Vers mangeurs de Pucerons, qui font du mème genre que le Ver-lion. Lorfque notre Chaffeur a achevé de creufer fon entonnoir, il fe met en embufcade fort près du Fond. Sa partie antérieure ef alors tendue. horifontaiement en ligne droite de l’une à l’autre paroi : on ‘la prendroit à la vue fimple pour un brin de bois, tant elle paroît roide & immobile : la partie poftérieure ; au contraire cachée fous le fable, eft recourbée en crochet-du côté du dos, & nous allons voir que cette pofition eft bien néceffaire à l’Infeéte pour aflurer fa chaîle. J'ajoute , que lorfqu’il eft étendu en ligne droite, il a environ huit à neuf lignes de longueur. son piege ef tendu à tous les petits Infeétes rodeurs, & malheur à celui que fon-imprudence entraîne dans le précipice. Le Ver-lion le faifit à l’inftant, s’entortille autour de lui comme un Serpent, le ferre de plus en plus , le tranfperce avec fes erochets, & le fuce tout à fon aife. Mais il arrive fouvent que la proie, trop vigoureufe, ait les plus grands efforts pour s'échapper, & c’eft alors qu’il im- porte beaucoup au Ver-lion que fa partie poftérieure , recour- bée en crochet, foit bien cramponnée dans le fable. Si pour- tant la proie réuflit à lui échapper , & qu’elle fe mette à grimper le long des parois de l'entonnoir , le rufé Chaffeur lance au- deffus d’elle, avec une merveilleufe prefteffe, des jets de fable réitérés , qui l’étourdiflent & la forcent à retomber au fond du précipice , où le petit Lion s’en reffaifit. LE 7 46 CONTEMPLA TION EE: a 13 CH A PETRE RENE “Ye Le Crapaud. J E ne fais pas difficulté de produire ici cet Animal hideux. Sa conftance dans fes amours, fa patience infatigable , {a dextérité merveilleufe lui mériteront bientôt les éloges de mes Lec- teurs. Il appartient à la clafle des Ovipares (1). (x) tt Ce n’eft qu'affez improptement qu'on peut dire que le Crapaud eit ouipare : c’eit que les petits corps qu'il met au jour en & grand nombre, ne font pas proprement des œufs: ils font, à parler exaétoment, les Tétards eux: mêmes, déja-tout formés, & dont les tégumens propres font très-reconnoiflables même avant la fécondation: Confultez fur ceci la: Note 2 du Chap. X de la Part. VII. Si l’on joint cette découverte à celle qui démontre la préexiftence du Poulet dans l'œuf, (Part. VIT; Chap. X, & les Notes ) &ra celles qui démontrent plus rigou- reufement encore que la plantule préexifte aufli dans‘ la graine, (Part. X, Chap. XXXIV, Note 5) on ne pourra fe refufer à admettre cette grande ‘vérités que la préformation & l'évolution des Corps organifés font une des loix les plus généraies de ia Nature. il | RCE A leur fortie du Vents dé la Mere, lé très- petits Tétards font environnés d’une épaife couche de glaire , que le fperme du Mâle ne laiffe pas de traverfér dans l’inftant de la Féconda- tion. Nous avons vu ailleurs quelle eft l’étonnante énergie de cette liqueur fécondante, & combien eft petite la dofe de fperme qui {uffit à opérer la Fécondation. ( Confultez la Note 9 du Chap. XXTII de la Part. X.) Mr. SPALLANZANI s’eft afluré Ses DE LA NATURE. Part. XII. 419 Ses œufs très- nombreux , & revètus d’une membrane qui a de la confiftance , font Lés les “uns aux autres par une elpece de cordon. Fi- gurez - vous un long chapelet, dont les grains font à - peu- près égaux. Il faut que la Femelle fe décharge d’un pareil chapelet , roulé dans fon ventre. C’eft pour elle un grand travail que de mettre dehors le premier œuf; mais, quand une fois elle y eft parvenue, tout le relte lui coûte peu, parce que le Mile lui prête fon fecours. L’Accoucheur Je plus expérimenté ne s’acquitte pas mieux de fes fonctions, que ce Mâle ofi- cieux & empreflé s’acquitte des fiennes. Cram- ponné depuis un temps plus ou moins long fur le dos de fa Femelle , il la tient étroitement em- braflée avec fes pattes de devant, tandis qu'avec une de fes pattes de derriere il faifit le pre- mier œuf & le bout du cordon. Il fait pañler ce cordon entre fes doigts, alonge la patte & extrait le fecond œuf. Saïfiffant alors de lautre que la glaire qui enveloppe les Tétards à leur naiffance cft lent premiere nourriture ; & il penfe , que c’eft la raifon pourquoi les Tétards qu’on effaie de Féconder artificiellement lans l'ovaire ot dans la partie fupérieure des trompes , ne parviennent pas à fe développer : ils y manquent de cette premiere nourriture qui leur eft abfolument néceffaire. Les Tétards qu'il avoit dé- rouillés entiérement de leur glaire, n’ont jamais pu être fécon- dés, tandis que ceux qui n’en avoient été dépouillés qu’en partie étoient prefque tous rendws féconds. Tome III. D d #19. ‘LC ON TE A PNL A ‘ANIND' NN patte une portion plus élevée du cordon , il amene le troilieme œuf, qui efl fuivi de près par le quatrieme. C’elt en réitérant cette”adroite manœuvre, qu'il réuffit à extraire enfin tout le chapelet (2 ). (2) tt C'étoit d’après Mr. DEMOURS , de l’Académie des Sciences de Paris, que je crayonnois ici l’intéreffante hiftoire du Crapaud accoucheur. Les détails auf circonttanciés que curieux dans lefquels ce favant Académicien étoit entré à ce fujet, ne me permettoient pas de douter de l’exaétitude de fon obfervation. Il eft pourtant bien fingulier que R@SEL , qui avoit tant obfervé les Crapauds & ies Grenouilles, & qui nous en a donné une fi magnifique hiftoire, n’eût jamais furpris Le Cra- paud male dans fa Fon@tion d’accoucheur : il ne l’eft pas moins affurément que Mr. SPALLANZANE n'y foit point parvenu non plus. Mais ces deux témoignages négatifs ne fauroient iifirmer le témoignage fi affirmatif & fi détaillé de Mr. DEmours. Mr. R&@SEL dit feulement : que le Crapaud aquatique retient jes œufs entre fes pattes de derriere jufqu'à ce qu’il les ait arrofés de fa liqueur, & que le Crapaud terreftre femble vouloir les extraire de force du ventre de la Fercle; qu'il ne le fait pourtant pas; mais qu'il les ramafle en monceau, comme s’il vouloit ainfi les arrofer plus facilement & plus promptement. Les amours des Grenouilles nie different pas effenticllement de celles des Crapauds : mais les chofes fe paffent bien diffe- remment chez jes Salamandres aquatiques, & leurs amours font bien plus chaîtes. Le Müle ne tient point fa Femelle embraffée, it fe borne à lui faire de petites agaceries qui la préparent à la fécondation : enfuite il darde dans l’eau fon fperme, qui y form un petit nuage blanchâtre , qui va envelopper l'anus ouvert & renflé de la Femelle ; & c’eit de la forte qu’elle eft rendue féconde. La Fable n'avoit pas feint de plus chaftes amours. Le fperme des Salamandres , qui eft très-épais, demandoïit à être détrempé dans l’eau. Cela eft même fi vrai, qu'on ne réufit DE LA NATURE. Poft. XII 19 yoint à féconder artificiellement leurs œufs, fi l’on n’a pas foin auparavant de détremper la liqueur féminale, & d’imiter ainff le procédé de la Nature, qui la répand dans l’eau avant que de l'employer. Puifque je viens de parler du Crapaud, je ne puis m’empé- . cher de dire quelque chofe d’un Animal de ce genre, qui nous offre des particularités extrémement fingulieres , & qu’on n'a encore rencontrées däns aucun autre Animal, foit de même genre, foit de genres différens. On devine qi s’agit du Pipä ou Crapaud-de Surinam , qui furpaffe en grandeur nos Ctapauds d'Europe. Il en differe encore par beaucoup d’autres caracteres que je ne détaillérai pas dans cette Note, mais dont j'ai détaillé “une partie dans un autre Écrit. Le dos de la Femelle eft une grande curiofité anatomique : ‘on l’avoit révoquée en doute, parce qu’on fe défioit trop dn merveilleux; mais elle eft aujourd’hui fi bien conftatée, qu’on ne peut plus refufer de l'admettre; & il n’eft pas même befoin de l'œil de l’Obfervateur pour fe convaincre de la réalité : les yeux les moins exercés à voir peuvent facilement la décou- wrir. Cette curiofité , unique en fon genre, confifte dans un amas de cellules, d'environ cinq lignes de profondeur , fur un peu plus de deux lignes d'ouverture, dont tout le dos de F Animal eft garni, & qui, placées les unes à côté des autres, paroiflent diftribuées irréguliérement. L'intérieur en eft très-lifle, & le Fond exaétement fermé. On ne leur découvre aucune commu- ñication direéte ou indireéte avec les parties intérieures que recouvre la peau épaifle & chagrinée du dos. Cette peau 4 une forte de duplicature qui renferme les cellules. Toutes s'ou- vrent fur le dos; maïs il eft un temps où chacune d'elles eft fermée par un petit opercule, d’une peau mince & tranfpa- rente, qui s'ajufte très-proprement & très-exaétement aux bords de l'ouverture circulaire ou ellyptique de la cellule. Je fupprime bien des détails, & me hâte d'en venir au prin- cipal ufage de ces cellules fi fingulieres & fi artiftement façon- hécs. Il vient un temps où chacune de ccs cellules loge un Cra- paud parfait, vraie miniature , qui offre dans un raccourci & D d 2 420 CONTEMPLATIUON dans un fini admirabies toutes les parties extérieures qui caraca térifent l'Efpece. Ces jolies miniatures ; je prie qu’on me pañfe une épithete que l'idée de l’Animal hideux dont je parle re- pouffe fi fortement , & qui pourtant convient au mieux à fes Petits ; ces miniatures, dis-je, font fi adroïtement empaquetées & arrangées dans leurs cellules , comme dans autant d’étuis , qu'elles n’y occupent que le plus petit efpace pofible : elles les rempliflent néanmoins en entier , en s'ajuftant exaftement à leurs parois. On peut les en retirer & les y repiacer à volonté : elles n'adherent aux parois par aucun vaiflean ni par aucun ligament : elles font fimplement emboitées dans la cellule comme une Nymphe dans fa coque, on une Abeille dans fon atvéole. Mais, comment nos petits Pipas fe trouvent-ils logés dans les cellules dont le dos de la Femelle eft fi bien pourvu ? comment y font-ils parvenus ? Car je viens de remarquer, qu’on ne dé- couvre point de communication entre les cellules & l’intérieur du corps : c’eft pourtant dans cet intérieur que les Embryons prennent leurs premiers accroiflemens , puifque c’eit-ià que fe trouvent les ovaires, les trompes & la matrice. Un ingénieux Obfervateur (+), témoin oculaire des amonrs des Pipas , paroit avoir percé ce myfterc. Il nous affure, qu'il a vu le Mâle ac- courir après la ponte de la Femelle, prendre iles œufs avec fes pattes de derriere, & les placer fur le dos de fa Compagne ox dans les cellules deftinées à les recevoir.. Ces cellules feroient donc, en quelque forte , des matrices externes qui procureroient le développement ultérieur des Embryons. Ils y demeureroient renfermés jufqu'au temps où, parvenus à un certain accroiffe- ment , ils ouvriroient la porte de leur logette pour venir au jour une feconde fois & fe mettre en liberté. Maïs, l’hiftoire déja fi curieufe du Pipa exigeroit des éclairciffemens que nous. n'obtiendrons que des recherches très - approfondies des meïl« leurs Obfervateurs. +) Mr. FERMIN. DE LA NATURE. Part. XII #2: #3 a (he ge CAPETRE XLIV. Les rufes du Lievre €3 celles du Cerf. S, le Lievre ne poffede pas, comme le Lapin, l’art de fe creufer un terrier (1), il ne manque pas néanmoins de fagacité pour fe conferver & échapper à fes Ennemis. Il fait fe choifir un gite, & fe cacher entre des mottes de terre, qui imitent la couleur de fon poil. En Hiver, il fe loge au midi, & en Eté au nord. Lancé par les Chiens , il fuit quelque temps un fentier, revient fur fes pas, s’élance de côté, fe jette dans un buifon & s’y tapit. Les Chiens fuivent le fentier, pañlent devant le Lievre, & le manquent. L’Ani- mal rufé , qui les voit pafler & s'éloigner , fort de fa retraite, rentre dans le fentier, confond fes traces, & met la Meute en défaut. Sans cefle il varie fes rufes, & fe conduit toujours relati. vement aux circonftances. Fantôt à l’ouie des Chiens, il part du gîte, s'éloigne d’un quart de lieue , fe jette dans un étang, & fe cache entre des joncs. Tantôt il fe mele à un troupeau de Brebis qu’il n’abandonne point; tantôt il fe cache fous terre ; tantôt il s’élance {ur une vieille mu { (1) Chap. XXX de cette Partie. D d 3 #22 \CONTEMPLATION taille, fe tapit entre des lierres, & laifle pañfer les Chiens : d’autres fois il file le long d’un des côtés d’une haie , tandis que les Chiens filent de l’autre. Quelquefois il pañle & repañle à plu- fieurs reprifes une riviere à la nage : d’autres fois enfin il oblige un autre Lievre à quitter le gîte, pour fe mettre à fa place, &c. LE Cerf, qui par l'élégance & la légéreté de fa taille, par ce bois vivant dont fa tête eft parée plutôt qu’armée, par fa grandeur, par fa force, par fon air noble, eft un des grands ornemens des Forèts, rufe plus favamment encore que le Lievre, & exerce bien plus la fagacité du Chafeur. Poursuivi par les Chiens, il pafle & repañle plufieurs fois fur fa voie; il leur donne le change en fe faifant accompagner d’autres Bètes, perce & s'éloigne aufli-tôt, fe jette à l’écart , fe dérobe & fe couche fur le ventre. La terre le trahiffant toujours , il fe met à l’eau. La Biche qui nourrit, fe préfente aux Chiens pour leur dérober fon Faon : elle fe laiffe courir & revient à lui. DE LA NATURE. Part. XII. 32} ou — "#5 ae GUEUA BAIL RE eV: Le Renard. Renard , fameux par fes rufes, & qui joue un fi grand rôle dans ces Fables ingénieufes où la Morale vit & refpire; le Renard, dis-je, fe conduit avec autant de prudence que d’etprit, Non moins circonfpect qu'adroit, non moins vigilant que rufé, il pefe fes moindres démar- ches , étudie les circonftances , épie fans cefle, n'agit qu'a propos , & à toujours quelque moyen en réferve pour fubvenir aux occurrences. Son génie fécond en reffources multiplie prefqu’à Pin- fini fes tours, fes rufes & fes ftratagèmes. . Quoique très: vite à la courfe , il ne fe fe point à fa légéreté naturelle : il juge qu’elle ne fuffroit pas toujours à fa confervation , il fe ménage de bonne-heure un afyle fouterrein , où il fe réfugie au befoin, où il fe loge & éleve fa Famille. IL établit fon domicile au bord des bois & dans le voifinage des métairies. [l prête de loin une orgille attentive au chant des Volailles ; Dd 4 424 CONTEMPLATION dirige fa marche en conféquence , la couvre habilement, arrive par divers détours, fe tapit, fe traîne fur le ventre, fe met en embufcade, & marque rarement fon coup. S’1E eft affez heureux pour pénétrer dans Penclos, il met à profit tous les momens, & égorge toutes les Volailles. Il fait retraite fur-le. champ , emporte une Rroie, la recele, revient en chercher une autre, la cache comme la pre- miere, & ne renonce à butiner que lorfqul s'aperçoit qu’il a été découvert. IL entend à merveille à chaffer les jeunes Le- vreaux , à furprendre les Lievres au gîte, à dé- couvrir les nids des Perdrix , des Cailles , &c. & à faifir la Mere fur {es œufs. HaRDI autant que fin, il ofe attaquer les Abeilles : il en veut à leur miel, dont il eft friand. Il eft bientôt affailli par ces Mouches guerrieres, & en peu de momens il en eft cou. vert. Il fe retire à quelques pas de diftance , fe roule fur la terre, les écrafe , retourne à la charge , & force enfin le petit Peuple laborieux à lui abandonner le fruit de fes iongs travaux. JE n'’ajoute plus qu’un trait : fi le Renard “à” DE LA@NATURE. Pœrt. XII 425 geconnoît qu’on ait inquiété fes Petits en {on abfence , il les tranfporte tous les uns après les autres daus une autre retraite. ET ——— CHAPITRE. XALVE L'Éléphant. ul À voir cette mafle de chair fi énorme (1), fi lourde , fi informe , cette Montagne ambu- lante qui fait trembler la terre fous fes pas, & que l'œil du Spectateur ne parcourt point fans étonnement, imagineroit-on qu’elle recele une Âme fupérieure, douce de talens & de qualités rares, & qui ne peut guere ètre fur- pañlée que par l’Ame tranfcendante du premier des Étres terreftres. À voir ce prodigieux Co- lofe , dont les membres maflifs font fi étrange- (x) Les plus grands Éléphans ont quatorze à quinze pieds de pastoit: fur autant où à -peu- près de longneur. On calcule qu'un Eléphant de cette taille pefe autant que cinquante Hom- mes. C’elt fur les côtes orientales de l'Afrique & dans les Pare ties méridionales de l'Afie que {e trouvent les plus grands Été. pbans, On préfume que ceux qui demeurent en liberté peuvent vivre plus de deux cents ans ; mais ceux qu'on réduit en fers vitude vivent beaucoup moins. Un grand Éképhant confume par gour jufqu’à cent cinquante Livres d'herbe, 426 CONTEMPLÆTION ment configurés (2.), foupconneroit - on qu’ä n'eft peut-être fur notre Planete aucun Animal plus adroit ni plus intelligent , fi l'on en excepte le plus adroit & le plus intelligent de tous ? Sagacité, prudence, fens-froid, courage, doci- lité, modération , lEléphant tient de la Nature toutes ces éminentes qualités, & l'éducation qui les perfectionne , les ennoblit , les dirige , femble en faire un Être prefque raifonnable. À ces qualités , pour ainfi dire morales, qui s'emparent fortement de notre admiration , l’'E- léphaut joint des qualités phyfiques que nous ne fommes pas fi furpris de rencontrer dans le plus coloffal des Animaux terreftres. Sa force mufculaire nous étonne néanmoins : avec fa trompe il déracine les Arbres, &. d’un coup de fon corps il renverfe les murs. Seul, il met en mouvement les plus grandes machines, tranf porte des fardeaux que plufeurs Chevaux re- muerojent à peine , & porte fans fuccomber une (2) Le corps de l'Éléphant eft trop épais pour être fouple. Son col trop court ne fléchit que fort peu. Sa tête cft petite & difforme : fon nez & fes oreilles font démefurément longs ; fes jambes droites & mafives, comme de gros piliers, font ter. minées par un pied fi court, fi petit, qu’il fe diftingue à peine : fa peau enfin eft dure, épaïlle & calleufe. Voilà bien des dif. formités, & qui choquent d'autant plus qu’elles font plus ex3- gérées dans l’Animal. DE LA NATURE. Part. XII. 429 tour armée en guerre & chargée de nombre de Combattans (3). Que dirai- je enfin ? De fes fortes défenfes il peut percer le plus terrible des Animaux, & celui que les plus puiffans redoutent le plus. L’'Eléphant n’en redoute aucun, parce qu'il réfifte autant par l’énormité de fa mafle & lépaiffeur de fon cuir, que par les armes meur- trieres dont Àl eft pourvu (4 ). Mais, ce font les qualités aimabies de PElé- phant qu’on fe plait à contempler. Cet Être qui, au premier coup-d’œil, ne paroît qu’un entaffe- ment monftrueux de matiere , eft pourtant un Être très - fentimental : je demande grace pour cette expreffion qui vient de m’échapper, & qui n’eft pas dans la rigueur philofophique. Très- mémoratif des bienfaits reçus, il ne méconnoît jamais fon Bienfaiteur , lui témoigne fa recon- noiflance par les fignes les plus expreilifs, & Jui demeure toujours attaché. Mais il conferve (3) Une charge de quatre à cinq milliers n’eft pas trop forte pour un grand Éléphant. Il eft même un Voyageur qui allure avoir vu un de ces Animaux porter l’efpace de cinq cents pas deux pieces d'artillerie , fufpendues à fes défenfes, & qui pefoient chacune trois milliers. (4) On connoît les défenfes de l'Éléphant : elles groffiffent quelquefois au point d'acquérir chacune un poids d'environ cent vingt liyres. ( 48 CONTEMPLATION auffi un long fouvenir des ofenfes, & ne perd point l’occalion de s’en venger. Exigeroit - on d'un Animal une générofité qu’on rencontre fi rarement dans notre Elpece ? Domeftique aufk docile que fidele, & aufli intelligent que docile, 4 femble prévenir les defirs de fon Maître, de- viner {a penfée, & lui obéir par infpiration. Attentif aux divers tons du commandement , il les démèle tous . ne fe méprend point fur leur fignification , exécute avec jugement, agit avec mefure, ne précipite rien, & fait tout à propos. Il ne fe refufe à aucun genre de fervice, pas mème aux plus longs & aux plus pénibles , pour fuit fa tâche avec confiance & fans fe reburer, Pacheve comme il l’a commencée , & fe croit toujours aflez récompenfé de fon travail quand on lui témoigne par quelques careffes qu’on eft fatisfait de lemploi de fes forces. Plus il eft fenfble aux bons traitemens, & plus il s’irrite des châtimens qu’il n’a point mérités. Doux par tempérament , il n’emploie fa force ou fes armes que pour fe défendre lui- mème, fecourir fon Maitre, ou protéger fes femblables. Souple , com- plaifant & careflant , il rend avec fa trompe carefles pour careffes , fléchit les genoux devant celui qui veut le monter, fe foumet à fa direc- tion , aide lui-mème à fe charger, fe laifle vètit & parer, & paroît mème rendre plaifir à cette DE LA NATURE. Part. XII. 429 parure. Enfin , fes mœurs fociales qui l’éloignent de la folitude & d’une vie errante, le portent à rechercher la compagnie de fes femblables & à leur être utiles & les focictés que forment en- tteux ces Animaux demi-raifonnables , font fou- mifes à des loix qu’on aime à connoïtre , quoi- qu'on ait toujours à fe déSer un peu du Code que les Naturaliftes anciens & modernes en ont pubrié. Le plus vieux des Eléphans, comme le plus expérimenté , eft à la tète de la troupe & la conduit : le plus âgé après lui ferme la marche: les jeunes & les foibles font au centre du batail Jon ; & les Meres qui allaitent encore, portent leurs Petits qu’elles embraflent de leur trompe. Tel eft l’ordre que les prudens Eléphans obfer- vent dans les marches périlleufes , & qu'on croi- roit fuggéré par la raifon elle- mème. Mais, quand ils n’ont rien à redouter, ils relâächent beaucoup de leurs précautions, fe promenent dans les forèts, dans les champs , dans les prai- ries, y pâturent à leur aile, mais fans s’écarter affez les uns des autres pour fe priver de leurs fecours mutuels ou de leurs avertifie- mens (5). (s) L'Éléphant n’eft ni carnivore ni pifcivore, d n'eft que Frugivore ; il vit de racines, d'herbes , de fruits & de grains. Lorfqu'il rencontre quelque pâturage abondant , il appelle les autres Éléphans & les invite à en venir prendre leur part. âÿÿ CONTEMPLATION® JE nai pas achevé d’efquiffer le tableau de PEléphant : le plus cloquent de fes Hiftoriens m'en fournit encore quelques traits qui s’affoi- bliront en paflant par ma plume. Ses yeux, petits à la vérité, mais vifs, brillans & fpirituels, pei- gnent avec fidélité toutes les nuances du fenti- ment ; & quand il les tourne lentement vers fon Maître chéri, ils ne réfléchiffent que douceur, amitié & tendrefle. Fixés fur fon Maître , fes regards, pleins d’expreffion ; annoncent qu’il l’a écouté & faifr, & que prêt à exécuter fes ordres, il n'attend plus que le dernier figne qui les lui manifeltera. Ses yeux, en un mot, font des miroirs qui remdent avec énergie toutes les affections que fon Ame fenfible éprouve tour-à- tour, & qui révelent au Spectateur étonné la fupériorité de cet Etre. Doué d’une oreille muficale , l'Eléphant fe délecte à Pharmonie, mèle à propos fa voix aux fons dés tambours & des trompettes, apprend à battre la mefure & à fe mouvoir en cadence. Ir ne fe plait pas moins aux parfums qu'aux accords de la mufique : il aime fur- tout le parfum des fleurs; & cet Animal coloffal entend à les choifir ,'à les cueillir une à une, à en faire des bouquets, & ne fe bornaut pas à en favourex DÉË LA NATURE. Part. XII 4j Fodeur, il les porte encore à fa bouche, comme eat les goûter. Sa trompe , inftrument admirable, réunit au fens de l'odorat celui du toucher, & tous deux font exquis. Mobile en tout fens & d’une mer- veilleufe flexibilité, cette trompe fe termine par un rebord qui peut s’alonger en maniere de doigt, & avec lequel l'Eléphant peut exécuter tout ce que nous exécutons avec les nôtres. C'elt à l’aide de cette forte de main qu’il cueille les fleurs , ramañle les plus petites pieces de mon- noie, dénoue les cordes, ouvre & ferme les portes en tournant les clefs ou pouffant les ver- roux , & qu'il trace des cara@eres réguliers avec un inftrument aufli fin qu’une plume. EN formant la trompe de 'Eléphant, & en y raflemblant avec un art infini des organes tres- divers, la Nature a concentré dans cet inftru- ment unique des puifances qu’elle a diftribuées ailleurs en différences régions du corps animal. Cette trompe merveilleule n’eft pas feulemenc un double & mème un triple fens , elle eit en- core un bras puiflant & une main très-adroite (£). (6) Cette trompe, au moyen de laquelle l'E éphant exécute tant &de fi grandes chofes, devoit être très-richement pourvue de nerfs : auffi l’Anatomie pronve-t-elle qne les nerfs qui 57 &2 CONTEMPLATIOÔON Ainfi, en mème temps que l’Eléphant faire; goûte , touche par cet organe unique , il mefure les diftances des corps, juge de leur réfiftance, démèle leurs qualités tangibles, & toutes ces choles fe combinant à la fois dans le cerveau, il en nait des aflociations d'autant plus fortes, que ces chofes dérivent d'un mème organe, & qu’elles font, en quelque forte, contemporaines. De-là cette fupériorité d’inftiné&t , cette forte d'intelligence ; je dirai mieux , cette imitation de la raifon , qui ennoblit tant l’'Eléphant & le rap- proche fi fort du premier & du plus parfait des Êtres de notre Globe, dont il eft pourtant fi éloigné par fon étrange conformation & l’énor- mité de fa mañle (7). diftribuent, équivalent à tous ceux du refte du corps. Mais elle nous apprend en méme temps que le cerveau de cet Animal f intelligent , eft néanmoins plus petit proportionnellement à la mafe du corps que celui de la plupart des autres Animaux. Comme l’Eléphant a le défavantage de ne pouvoir rien faifir à terre avec fa bouche, parce que fon col trop court ne peut fe ployer affez, il faut qu’il prenne fa nourriture & fa boiflon avec le nez, c’eft-à-dire, avec fa trompe. Il ne fufft pas même qu'il porte fa nourriture à l’entrée de la bouche, il faut qu’il l'enfonce affez avant dans le gofier. Il eit obligé d'en ufer à-peu-près de même à l'égard de l’eau dont il s'abreuve : il en remplit fa trompe & la feringue avec force dans l’œfophage. II fe divertit aufli à la feringuer fur ceux qui lui déplaifent on qui lhi ont fait quelqw’infulte. (7) Il n'eff point d’Animal fur lequel l'imagination des Voyageurs & des Naturaliftes fe foit plus échauffée que fur l'Eléphant : DLLA. NATURE Part. XII ai VÉléphant : non-feulement on lui a attribué un inftinét bien fupérieur à celui du Caftor , du Chien ou du Singe ; maïs on 4 plus fait encore ; on l’a peint comme un Être moral & très: moral. De bons Efprits, & même des Philofophes , n'ont px téfiter toujours à la forte de féduétion qui naît des grandes dualités de ce noble Animal ; & ils ont inféré dans fon hiftoire des faits étonnans qu'ils n’ont pas paru envifäger d’un œil aflez philofophique. Je n’en citeräi qu’un feul exemple, que je tire de Mr. de BurFon. Il le rapporte d’après Mr. de MONTMI- RAIL, de l’Académie des Séiences de Paris, qui lé tenoit lui- même de Mr. de Bussy , qui à demeuré dix ans dans l’inde qui y poffédoit plufieurs Éléphans, & qui avoit eu bien des occafions de les obferver. Mr. de BUFFON ajoute, que le témoi« £nage de Mr. de Bussy inérite la confiance du Lecteur. >» Le Conducteur de l'Éléphant , (c’eft Mr. de MONTMI< 3 BAIL qui parle d’après Mr. de Bussy ) veut-il lui faire faire -à quelque corvée pénible , il lui explique de quoi il eft quef- 5 tion, & lui détaille les raifons qui doivent l’engager à lui: 3 obéir; fi l’Éléphant marque de la répugnance à ce qu'il exige 3, de lui; le Cornac ( c’eft ainfi qu’on appelle fon Conducteur ) 3 promet de lui donner de l’arac où quelque chofe qu’il aime : 3, alors l’Anïtnal fe prète à tout; mais it eft dangereux de lui s manquer de parole ; plus d’un Cornac en a été la viétime, ÿ Il s’eft paffé à ce fujet dans le Dekan, un trait qui mérite x d’être rapporté, & qui, tout incroyable qu'il paroit , eft ÿ cependant exaétement vrai. Un Éléphant venoit de fe venget 3 de fon Cornac en le tuant : fa Femme , témoin de ce fpecta- ; cle, prit fes deux Enfans & les jetta aux pieds de l’Animal ÿ encore tout furieux, en lui difant: puifque #u as tué mon 5 Mari, ôtemot auf la vie, ainft qu'à mes Enfans. L'Éléphant » s'arrèta tout court, f’adoucit, & comme s’il eût été tonché ÿ de regret , prit avec fa trompe le plus grand de ces deux 3 Enfans, le mit fur fon cou, l’adopta pour fon Cornac, & n'en #, voulut point fouffrir d’autres ”. .… Un Leéteur qui fe plait au merveilleux , aime fôrt à rencon… trer de tels faits dans PHiftoire des Animaux ; & s’il eft fort … Tome LÉ E e à -CONTEMPLATION fenfible, il faura très-mauvais gré au Philofophe un peu féverë qui les dépouillera de leur moralité apparente, & les réduira à leur jufte valeur. Cet Éléphant furieux qui venoit d'exercef ane fi cruelle vengeance fur fon Conducteur , pouvoit - il juger du défefpoir de fx Femme , faifir la valeuf des termes par lef. quels elle exprimoit fi énergiquement la douleur qui déchiroit fon Ame ? Les doux noms de Pere, de Mere, d'Enfans font-ils bien faits pour l'oreille d’un Animal qui n’a & ne peut avoir Yufage de la parole, & qui eft borné aux pures fenfations ? Mais, dira-t-on, P Éléphent s'arrêta tout court, s'adoucit , adoptæ Jur-le-chamnp pour Jon Conducteur le plus grand des deux Enfans, Le plaça avec fa trompe fur Jon cou , € ne voulut point fouffrir d'autre Conducteur ? Voilà comment les Ames fenfibles interpre= tent à leur maniere les aétions des Brutes qui affectent un air de fentiment ou de réflexion : mais rien de mieux prouvé que l'attachement des Éléphans poux les Enfans; & cet attachement purement phyfique , tient à certaines qualités fenfibles | qui affectent agréablement fes fens de PAnimal, & dont nous ne faurions juger. La préférence que L'Éléphant dE il s’agit donna au plus grand des deux Enfans de la Femme défolée ; tenait, fans donte , auf à quelqu’impreflion fecrete du même genre. (Confultez le Chap. XXXIHII & les Notes : confultez encore le Chap. XXXVIII & la Note. } Quand nous prêtons fi libérale. ment aux Animaux nos idées morales, nous re fongeons point qu’ils ne font pas pourvus, comme nous, de l’inftrument né- ceffaire à leur formation. Je ue révoque point en doute le trait que Mr. de MONTMIRAIL raconte fi agréablement , & dont it dit que, tout incroyable qu'il paroît, il eft cependant exaclemens vrai; je ne fais que le traduire en une autre langue. Le Lecteur Philofophe me pardonnera fi je m'arrèête encore quelques momens fur un autre paflage de la belle Hiftoire de V'Éléphant de Mr. de BUFFON , que je n’ai pu lire fans furprife. FAN 1 Éléphant, dit-il, comme le Caftor , aime la fociété de fes » femblables , il s’en fait entendre : on les voit fouvent fe raf- , fembler, fe difperfer , agir de concert, & s'ils n'édifient rien w S'ils ne travaillent point en commun, ce n’ef peut-ctre que bEË La NATURE. Pat. XL àjg 55 faute d’aflez d’efpace & de tranquillité : car lès Hommes fe 3 font très-anciennerñent multipliés dans toutes les terres qu’ha« à bite l'Éléphant : il vit donc dans Pinquiétude , & n’eft nulle 3, part paifble poffeffleur d’un efpace aflez grand , aflez libre 3 pour s’y établir à demeure, Nous avons vu qu’il faut toutes » ces conditions & tous ces avantages, pie que les talens du à Caftor fe manifeftent, & que par-tont où les Homuñies font 3, habitués, il perd fon induftrie & celle d’édifier ”. Si les Caftors inquiétés par les Hommes ceflent d'édifér, ils peuvent néanmoins toujours le faire, parce qu’ils en ont tous jours la capacité phytique ; & que leur cerveau a été organifé dans un rapport déterminé aux beaux ouvrages qu’ils devoient exécuter dans certaines eirconftances données. ( Confultez le Chap. XXX de la Part. XI, & la Note correfpondante.) Des eirconftances différentes fufpendent l'exercice des admirables facultés de ces Animaux induftrieux ; mais ils ne les détruifent pas. Ce n’eft donc pas parce que les Hoimines Je font très-ancien< nement snultipliés dans toutes les terres qu'habitent les Éléphans , que ces grands Animaux fi intelligens w’édifient rien ; c'eft uni quement parce que leur cerveau n'a point été organifé dans le tapport au genre de travail qui a rendu kes Caftors fi célebres. Les Éléphäns n'éifient rien , parce qu'ils n’ont pas les idées de la chofe; & ils ne fauroient avoir ces idées , précifément parce qu'ils ne font pas doués des facultés qui brillent dans Les Cäftors. Chaque Animal a reçu de la Nature fes dons ou fes tdlens particuliers , que l'éducation peut perfeétionner dans les Individus de cer- taines Clafles; mais ce perfeétionnemeñt s'arrète toujours à l'Individu & ne pafle jamais à l'Efpece. Notre illuftre Auteur fait lui-même une femblable remarque dans un autre endroit de fes Ecrits, L’'Efpece chez les Animaux n’eft donc point per- fe@ible. Chaque Efpece eft effentiellement circonferite dans les limites de fon organifme a@&uel, qu’il lui eft impofible de fran- chir. Auf voyons: nous que les Animaux les plus induftrieux ne perfeétionnent rien, que les Infectes’& les Oifeaux Archi- tectes bâtiflent de nos jours comme ils bâtifloient du temps d’A« BISTOTE, Aindi , quand il n'y autoit jamais eu d’'Hommes dans Le à #36 CONTEMPLILATION EX md (mms pme C H APE TRE VS L'Orang - outang. + S i lEléphant paroït fe. rapprocher de lPHomme par l'intelligence , lOrang-outang pa: roit s’en rapprocher bien davantage par la con- formation tant intérieure qu’extérieure, & par les inclinations , les habitudes & les talens qui en dérivent (1). L’Orang -outang eft fi fem- blable à l'Homme , que l’Anatomifte qui les com- pare, croit comparer deux Individus de la mème Efpece , ou au moins du mème Genre ; & frappé des refflemblances fi marquées & fi nombreufes qu’il découvre entre ces deux Êtres , il n’héfite pas à placer l’Orang-outang immédiatement après le groffier Hottentot (2 ). CE Singe, le premier & le plus grand de tous les Singes , paroît, en effet, pofléder tous les terres qu'habitent depuis fi long-temps les Éléphans, je en penfe pas qu’ils fe fuffent jamais réunis pour édifier en commun Ja moindre cabane. (1) Confultez la Note r du Chap, XXX de là Part. II, & a Note du Chap. II de la Part. IV. L'Orang-outang habite fur-tout les Contrées méridionales de Finde, & ne propage que dans ces Climats brülans. C2) Voyes la Note 4 du Chapitre X de la Partie IV. DE LA NATURE. Port. XII. 436 es attributs de l'Humanité ( 3), fi vous en exceptez ce grand attribut , le plus bel apanage de l'Homme, qu’il ne partage avec aucun autre Animal, & auquel il doit fa prééminence ; je veux dire , la parole ou la penfée. L’Orang- outang ne parle point ; il ne penfe donc point; car pour penfer, il faut parler, Il a pourtant, comme l'Homme , tous les organes extérieurs de la parole ; mais il eft privé de l'organe inté- rieur, ou de cette partie du cerveau qui corref. pond dans l'Homme à lorgane de la voix, & qui lui donne la capacité de lier fes idées aux Jons articulés qui les repréfentent, de les aflo- cier & de les combiner de mille & mille ma. aieres ( 4 ). Mais, fi l'Orang-outang n’eft point un Hom.- me, il en eft au moins le Prototype le plus par- fait qui foit fur la Terre ( $ ). Aufli haut & un (3) Cela va au point, que la Femelle de l'Orang - outang eft fujette , comme la Femme, à l'écoulement périodique. On œbferve la même chofe dans les Femelles des Singes, qui fe rapprochent le plus de l’Orang-outang. (4) Voyez le Chap. XXXIII & la Note 7. (s) Après avoir énuméré les caraéteres aflez légers qui dif- férencient l’Ourang-outang de l'Homme , & les caracteres nom breux & frappans qui l’en rapprochent, Mr. de BUFFON ajoute: Toutes les parties tant extérieures qu’intérieures de Ee 2 #8 CONTEMPLATION pewplus gros que l'Homme, il marche, comme lui, {ur deux pieds, en fe fervant d’un bâton dont il s’eft lui- mème pourvu, & dont il fait » l'Orang-outang , font fi parfaitement femblables à celles de æ l'Homme, qu'on ne peut les comparer fans admiration , & » fans ètre étonné que d’une conformation fi pareille & d’une orgañifation qui eft ablolument la m ème , il n’en réfulte pas les mêmes cffets, Par exemple , la langue & tous les organes » de la voix font les mêmes que dans l'Homme , & cependant #5 l'Orang-autang ne parle pas ; le cerveau eft abfolument de Ia ÿ» mème forme & de la même proportion, & il ne penfe pas: ss y a-t-il une preuve plus évidente que la matiere feule, quoi- ÿ que parfaitement organifée, ne peut produire ni la pen‘ée » nila parole qui en eft Le figne , à moins qu'elle ne foit ani- » mée par un principe fupéricur ? ,.. Enfin, l’Orang - outang » teflemble plus à l'Homme qu'à aucun autre Animal, plus » mème qu'aux Babouins & aux Guenons. . Aïnfi les Indiens + font excufables de lavoir afooié à l'Efpece humaine par le + nom d'Orans-outung, Homme fauvage , puifqu’il refemble à + L'Homme par le corps plus qu’il ne reffemble aux autres 35 Singes ou à aucut autre Animal ”, Je ferai fur ce pañlage de notre illüftre Naturalifte une re. marque qui s'offre d’abord à l’efprit d’un Pfychologue. Il paroiït attribuer uniquement .au Principe immatériel la fupériorité de l'Homme fur l’Orang - outang, parce qu’il admet d'après la diffe@ion, que le cerveau de celui-ci eft parfaitement femblable au cerveau de celui-là. Mais, combien eft-il de raifons de douter de cette parfaite fimilitude des deux cerveaux ! Ici, les plus légeres variétés dans le nambre, l'arrangement & la/ftruéture des parties peuvent différencier beaucoup les opérations du Principe immatériel, Le cerveau eff l'inftrument de l'Ame:; elle agit fur lui & par lui, & nous ne connoiflons guère de cet inférument admirable que le dehors : les pieces infiniment petites & profondément cachées auxquelles l'Ame eft immédiatemené DZ LA NATURE. Pot.XIT. 435$ faire ufage pour fe défendre ou pour attaquer. On.le voit, avec étonnement , prendre fa place à table , & s’afleoir parmi les Convives, déployer fa ferviette, {e fervir , comme nous, de four. chette, de cuiller & de couteau pour prendre & couper les morceaux qu’on met fur fon affiette , verfer lui- mème fa boiflon dans un verre, le choquer, lorfau’on l'y invite, s’efluyer de fa ferviette les levres, apporter fur la table une tafle avec fa foucoupe, y mettre du fucre, la remplir de thé, laifler refroidir la liqueur avant que de la boire; enfin , préfenter la main aux Convives pour les reconduire, & fe promener gravement avec eux. unie, ne font point de celles que le microfcope & le fcalpet peuvent mettre à la portée de nos fens; & toutes les compa- raifons que l’Anatemie inftitue en ce genre, ne portent jamais que fur les groffes pieces de l'inftrument. Je me crois done bien fondé à penfer , que le cerveau de l'Homme eft interieu- rement d’une beaucoup plus grande compoñtion que celui de * T'Orang-outang, qu’il fe trouve dans le premier des pieces qui ne fe trouvent point dans le dernier, & que les pieces com- munes aux deux cerveaux different encore par leur arrange- ment , par leurs proportions & leur ftruéture. J'en juge par les produits relatifs des deux cerveaux qui different fi prodi- gieufement & àtant d’égards. Mais, parce que l'Orang-outang eft de tous les Animaux celui qui reffemble le plus à l'Homme, & que toutes les parties tant extérieures qu’intérieures du corps animal doivent être en rapport, j'admettrai en même temps, que le cerveau de l’Orang - outang eft de tous les cerveaux celui qui fe rapproche le plus du cerveau de l'Homme. E e 4 #49 CONTEMPLATION Ox n’eft pas moins furpris de voit lOranig« outang fe coucher , comme nous, dans un lit qu’il a fait lui-mème , pofer fa tète fur le chevet, la ceindre dun muchoir, ajufter fur lui leg couvertures , & fe faire foigner comme nous dans la maladie (6). , TRÈS - SUSCEPTIBLE d'éducation , lOrang- outang devient un bon Domeftique, qui obéit promptement aux fignes & à la voix ; au lieu que les autres Singes n’obéiffent guere qu’au bâton. Drefñlé au fervice de la maifon, il s’ac- quitte avec autant d’adreffe que d’exactitude des différentes fondions qui lui ont été aflignées ; rince les verres, fert à boire, tourne la broche, pile dans un mortier ce qu’on lui donne à piler, va chercher l’eau à la fontaine, en remplit une cruche , la place fur fa tête, apporte au logis, &c. Les Orang -outangs vivent en fociété dans C6) Un Orang-outang avoit été faigné deux fois au bras droit dans une maladie : toutes les fois qu'il fe trouva depuis incommodé , il montroit fon bras , comme s’il eût voulu qu’on le foulageñt par une nouvelle faignée. Ceci revient à oe que j'ai raconté ailleurs d’un Maki qui, dans une circonftance analogue , préfentoit fon derriere pour recevoir un lavement. (Chapitre XXXIII, Note 9.) Deux fenfations s’étoient fortement aflo- ciées dans le cerveau du Maki & dans celui de 14 Qrang-qutang, & Pune rappeloit Pautre, DE LA NATURE. Part. XII. a4t Îes bois, & font aflez forts & aflez courageux pour en Chafñer les Eléphans à coups de bâton. Ils ofent mème fe mettre en défenfe contre des Hommes armés. Plus induftrieux que les Elé- phans, ils favent fe conftruire des cabanes de branches entrelacées , & aforties à leurs befoins. Paffionnés pour les Femmes, ils les pourfuivent avec ardeur , en jouiflent s’ils peuvent les attein- dre, les nourrifflent & en prennent grand foin, Les Femelles, tendrement.attachées à leur Nourriflon , le portent dans leurs bras, lui don- nent la mamelle, pourvoient à tous fes hefoins & le défendent avec courage. JHÉSITE à placer ici un dernier trait de l’in£ tin& de lOrang - outang , qui me femble plus fait pour figurer dans la Fable que dans PHif- toire : nous le tenons pourtant d’un Voyageur célebre , & l’Hiftorien de la Nature (7) n’a pas dédaigné d’en enrichit fon Livre. Lorfque l’O- rang - outang ne trouve plus de fruits fur les montagnes où dans les bois , il va fur les bords de la Mer chercher une groffe Efpece d'Huitre, du poids de plufieurs livres, & qui eft fouvent béante fur le rivage: mais le Singe circonfped (7) L'auteur de l'Æiffoire naturelle, générale & particuliere: 44% :-.C ON T'ELP L.A TRON qui craint que l’Huître en refermant preftemené fa coquille ne lui faififfe la main, jette adroite- ment dans la coquille une pierre qui l'empêche de fe refermer, & qui lui permet de manger l'Huître tout à fon aife {3 ). LS [4 (8) Le Babouin, le plus lubrique de tous les Singes & peut être de tous les Animaux, eft encore le plus rufé Fripon. Cette efpece de Singe forme fouvent de nombreufes fociétés qui pil- lent les jardins. Une partie de la troupe franchit l’enclos, une ‘autre partie demeure en fentinelle fur la eloïfon , tandis que le refte formeau-dehors une longue chaîne jufqu’au lieu du rendez- _vous général. Les Babouins qui ont pénétré dans le jardin jettent les fruits à mefure qu'ils les cueillent , aux Babouins qui font {ur la cloifon, ceux-ci les jettent à leur tour aux premiers Babouins ‘de la chaîne, qui les font pafler ainfi de main en main jufqu’à l'extrémité de la file. Ils ont le coup -d’œil fi für & ils font fi adroits, qu’ils laiffent rarement tomber les fruits qu'ils fe jettent les uns aux autres dans un profond filence. Mais fi au milieu de l'expédition les fentinelles découvrent quelqu'un, elles pouf. fent'un cri, & toute ia troupe des voleurs fe difperfe à l’inftant- &'s’enfuit avec une vitefle furprenante. Parmi les Singes à queue, du genre des Guenons , il Y ena “qui font aufli de grands pillards, & qui, très-habiles à voler les Fruits & les légumes, les emportent dans leurs mains ou fous leurs bras : mais ils ne manquent pas de s’en débarraffer quand ils font pourfuivis. IL en eft encore qui, lorfqu'ils manquent de fruits ou de lésumes, vont à la pêche des Crabes, qu’ils- péchent , pour ain dire , à la ligne d’une maniere affez adroite : js mettent leur longue queue entre les pinces de ces grandes Écrevifles , & dès que celles - ci la ferrent fortement, les Singes les enlevent preftement & vont les manger l'écart. D’autres Singes , du genre des Sapajous ou des Singes à queue prenante , fe fervent parcillement de leur queue avec beauconp d’avantage vour pécher le Poiflon: ils le faififfent avec leur queue, comme DE: LAN. 4 TUR-E, Part, XII. 443 EE —— CON LL ÙU. 341 O0: N. EM nes J. borne ici ma courfe: j'ai préfenté affez de faits & de faits intéreffans , pour que mes Lec- teurs puiflent juger des plaifirs attachés à la contemplation de la Nature. Mais cette contem- plation feroit bien fiérile, fi elle ne nous con- duifoit point à l’'AuTEur de la Nature. C'eft cet ÊTRE ADORABLE qu’il faut chercher fans cefle dans cette Chaîne immenfe de Productions diverfes , où fa Puissance & fa SAGESSE fe peignent avec tant de vérité & d’éclat: IL ne fe révele pas à nous immédiatement ; le Plan qu'Iz a choifi ne le comportoit pas ; mais IL a chargé les Cieux & la Terre de nous annoncer ce qu’'Ic eft. IL a proportionné nos Facultés à ce langage divin , &1L a fufcité des Génies fublimes qui en approfondiffent les beautés & en deviennent les Interpretes. Relégués pour un temps dans une petite Planete aflez obfcure, nous n'avons que la portion de lumiere qui convenoïit à notre état préfent : recueillons précieufement tous les avec une main. Îls ont encore l'adreffe de caffer avec une pierre l’écaille des Huîtres pour les manger. Ces Singes favent fe fuf- pendre les uns au bout des autres pour traverfer un ruiffeau ou pour s’élancer d’un aï:bre à un autre, 444 CONTEMPLATION traits de cette lumiere ; n’en laiflons perdre aucun : marchons à fa clarté. Un jour nous pui- ferons dans la SOURCE ÉTERNELLE de toute lumiere, & au lieu de contempler OUVRIER dans l’'Ouvrage , nous contemplerons l’Ouvrage dans Ouvrier. Préfentement nous voyons les chofes confufément , € comme par un verre obfcur fais alors nous verrons face à face. Fin du neuvieme Volume. 44$ MAL LL LL LL ALL LL PARCS NS SES Se don BLUE DES CIHAPITRES Contenus dans ce neuvieme Volume. = sera Cape een enr jen COPRÈME PARTIE DE L'INDUSTRIE DES ANIMAUX, uns Page : CHAPITRE PREMIER. Généralités [ur Pinjincè des Animaux. Z CHap.Il. Sageffe dass la confervation des Efpeces. 7 Cap. IIT. La propagation de PEfpece. 19 Cuap.IV. Réflexions fur la multiplication par le concours des fexes. T4 CHar. V. Le lieu €ÿ l'arrangement des œufs € le foin des Petits. 17 CHapr. VI. Continuation du même [ujet. Les Oi- Jeaux. 54 CHap. VIL Continuation du même [ujet. Les Qua- drupedes. 40 CHap. VIIL Réflexion fur l'amour des Animaux pour leurs Petits. 4 Cuae. IX. Du naturel des Animaux, <[ 446 ER CEME LE Cap. X. Des fociétés animales en général. Page $ $ Cuap. XI. Les fociérés improprement dites. 56 Cuap. XIL Réflexions. 58 Cnap. XIII. Les Oifeaux de paflage. 62 Cuapr. XIV. Les Horengs. 69 CHap. XV. Les Rats de paflage.. 72 Cuar. XVI. Les fociètés proprenieñt dites. 74 Cuar. XVIL Les Chenilles communes. 7$ CHap. XVIL Les Chenilles proceffionnaires. 77 CHap. XIX. f’rocédé remarquable des Chenilles qui vivent en [ocieré. 80 Car. XX. Queftion. 84: : CHap. XXE. Les Jociètés qui ont pour fin principale l'éducation des Petits. 87 Cap. XXIL Les Fourmis. 89 CHar. XXIIL. Les Guépes fouterreines. 99 Car. XXIV. Les Frélons €ÿ quelques autres Efpeces de Guépes. 10$ Cap. XXV. Les Guépes cartonnieres. 107 Car. XXVL. Les Abeilles. III CHap. XXVIL Continuation du même fujet. Idées fur la police des Abeilles. 119 Cap. XXVIIE Les Bourdons. 146 CHap. XXIX. Les Cajiors. 1$0 Cuar. XXX. Réflexions [ur les Caflors. 156 CHap. XXXI. Les Rafs mufqués. 16$ ee MES CTHADATRES 46 mises memes) ————_—_——— © e———— DOUZIEME PARTIE. SUITE DE L'INDUSTRIE DES ANIMAUX. huis PREMIER. Précis des procédés in- dufirieux de divers Infectes, relatifs à leurs métamorphofes. 169 Cap. IL. Les Chenilles qui fe pendent par le der- riere: 171 CHap.lIIL Les Chenilles qui [e lient avec une ceinture. 173 CHap. IV. Les Cheilles qui fe conffruifent des coques. 174 Cap. V. Les fauffes Chenilles qui fe conffruifent des coques doubles. 1 84 Car. VI. Les Infectes qui vivent dans les fruits. 185 Cuar. VIL Les Infettes qui plient € roulent les feuilles. 17 Cap. VIIL Les Infeifes mineurs de feuilles des Plantes. 192 CHap. IX. Les Fauffes-teignes. 198 Cuar.X. Des Teignes en général. Les Teigues domefliques. 201 CHap. XI. Les Teignes champètres € les Teignes aquatiques. 20$ Car. XIL Les Infectes qui fe recouvrent des n1a- tieres qu'ils rejettent. 211 248 ie rl A eBs dr E Cuar. XIIL Les InjfeSes qui habitent une forfé d’écume. Page 21$ CHap. XIV. L’Araignée qui fe fait un logement de bulles d'air. 218 Cap. XV. L'Araigsnée mineufe. 222 Cuar. XVI Réflexions fur ces divers procédés des Infeites. 227 Cuap. XVIL Procédés des Coquillages. La Moule de riviere. 231 Cap. XVIIL Autres Coquillages. La Telline. 233 CHap. XIX. Le Coutelier. 235$ Cap. XX. Les Dails ou Pholas. 237 Cap. XXI. Divers Infecles ou Animaux de Mer. Les. Ortiés: | 24Y Cuar. XXIL. Les Éfoiles. 2523 Cap. XXHIL Les Hériflons. 258 Cuar. XXIV. Le Bernard lhermite. 262 CHar. XXV. Les Coquillages qui filent. Les Moules €$ les Pinnes marines. 264 Car. XXVE Les Coquillages 3 autres Animaux de Mer qui s'attachèent par une forte de glu ou de Juc pierreux. 272 Cnap. XXVIL Procédés des Poiffons. 279 Cap. XXVIII. Procédés des Oifeaux. 254. Car. XXIX. Continuation du meme fujet. 309 CHar. XXX. Procédés des Quadrupedes. Le Lapin. 319 Cap. XXXL La Marmotte. 328 Cuap. XXXIL Du langage des Bétes. 233 Cap. XXXITTL. Continuation du mème [ujet. 342 Cap. XXXIV. La Chenille qui Je confiruit une coque en nafle de Poiflon. Irrégularités dans ie DES CHAPITRES. 445 Je travail des Infeites. Réflexions à ce fujet. Page 359 rt XXXV. La Chenille rouleufe qui fe conf- truit une Coque en grain d’Avoine. 366 Cuar. XXXVI. Procédés analogues de quelques autres Infectes. 368 Cuar. XXXVIL La Teigne des feuilles. Elus d'explication de [es procédés. 373 CHar. XXXVIIL Réflexions [ur lindufirie des -AMiNAUX. 384 CHar. XXXIX. L’'Abeille qui confruit un nid avec'une forte de glu. 390 Cuap.XL. L’Abeille tapiffiere. 393 Cap. XLL La Guépe maconne. 398 Cape. XLIE Le Fourinilion. 40$ Cap. XLIIL Le Crapaud. 416 CHap. XLIV. Les rufes du Lievre €ÿ celles du Cerf. A21 Cap. XLV. Le Renard. 423 Cap, XLVL LEléphant. 42$ Cap. XLVII L'Orang-outang. 436 Conclufion. 443 o ea Tome II, | Ef &so INDICATION fe SE SRE Se DD He DSP Se SE EN USE DEA OR HONOR) ER E E INDICATION Des nouveaux Chapitres & des Notes princil pales ajoutées par l’Auteur à cette nouvelle Edition. OR SR << © — ——_—_— û—— C4 ONZIEME PARTIE. CHAPITRE PREMEER. NOTE 1. P REUVE de limmatérialité de PAme, tirée de la fimplicité ou de l'unité du fentiment du Moi. Page 3 NoTE 2. Sur le langage artificiel ou lx parole confidérée comme un carattere propre à dif- singuer l’'Honime de la Brute. Ce que font les idées moyennes dans le raifonnement. 6 C H°A 2 IMEVRCENEE NoTE 1. Sr la population du Globe. Balance entre la multiplication €Ÿ la defruthion dans les différentes Efpeces. 7 CH A PL ER E PIRE NoTE 2. Hifloire de deux Perruches de Guinée. FE xermple f finsulier de tendrelle conjugale. Autre exemple, Le Kamishi, 1É DES NOUVEAUX CHAPITRES, &c 4$£ PEL A PHEETNR ET Y. NOTE 4. Temps affignés à la copulation de diffe- rens Animaux. Page 17 MONA EL RE NOTE 1. Pontes de la Sauterelle, du Lézard , de la Tortue, du Crocodile €©3 de quelques Am- phibies. ibid. NOTE 3. Induflrie remarquable d'un petit Inleite. qui roule en cornet les feuilles des Plantes pour y dépofer fes œufs. 25 Note 4. Remarques fur le difcernement attribué a la Reine-abeille relativement à la ponte. 26 NOTE 6. Sur les tumeurs des Bêtes à corne € Jur le Ver qui croit dans ces tumeurs. 28 NoTE 8. Des galles. que la piquure de différens Injectes fait naître [ur les Plantes. 29 NOTE 9. Sur la Mouche a [cie €3 fur la Cigale. 30 Noïre 10. Procédés finguliers des Efcarbots pilu- leires qui renferment leurs œufs dans de peti- tes boules d’excrémens. Autres procédés now moins finguliers des Efcarbots enterreurs ou qu enfevehffent les cadavres de différens Ani- maux pour y dépofer leurs œufs. 32 CELA PARU RE VE NOTE 1. Amours 5 ménage des Oifeaux. Divers Oifeaux qui ne conffruifent pas des nids, €ÿ qui pondent dans des nids étransers ou dans des mafures, dans des creux d'arbres, Eÿc. Procédés finguliers du Coucou. Oifeaux de baf]e-cour. 34 NOTE 2. Exemple de l'art avec lequel les Oifeaux Javent affeoir leur nid. Le Loriot. 37 Ff2 #33:.2 TN DE CAT I ON NOTE 4. Courage avec lequel les Oifeaux défeu= dent. leurs Petits ©S les foius qu'ils en pren nent. La Poule. Le Loriot. La Cigogne. P. 38 NoTE 5. Soins des Oifeaux pour dreffer leurs Petits au vol. La Cigogne. L’Aigle. L'Hirow- delle. 39 CEUX PE TORTUES NOTE 1. Amours des Quadrupedes , bien différens de ceux des Oifeaux. Exemple d'union conju- gale chez les Quadrupedes : le Chevreuil. Divers foins des Quadrupedes pour leurs Petits : intrépidité à les défendre. La Louve. La Lionne. Souterreins €ÿ nid de la Taupe: éducation de fes Petits. L'Ecureuil. L'Oppof- fu. La Marmofe. 4t C HiAUP EL TRE Mile NoTE 1. Sur l'incubation de la Poule. 48 NoTE 2. RKéfultats de diverfes expériences de M. de MONTBEILLARD fur lincubation des œufs étrangers. 49 GoHA PE PR AEL ARE NOTE 1. Sur le Parefleux. s2 NOTE 2. Exemples d'Animaux feroces dont les uns s’'apprivoilent jufqu'à un certain point, € dont les autres ne fléchiflent jamais fous la mai de l'Homme. Le Loup ; POurs ; le Tigre ; l'Ocelot ; la Panthere. 53 CE, APR RE NoTE 1. Exemple d’'Aninaux de clalles dife- rentes qui contractent entr'eux des liaifons per l'habitude € la cohabitation : les Canards Es les Dindons. $9 DES NOUVEAUX CHAPITRES, &c. 453 PR PAPER Et XL NOTE 1. Caufes générales externes qui détersn. nent les Oifeaux à émigrer. Caufe non moins génirale , maïs interne, qui infine [ur ces émi- grations. Page 6z NOTE 2. Varietés qu'on obferve dans les imigra- tions des différentes Efpeces d'Oifeaux. Migra- tions des Hiroudelles. Erreurs [ur ce fitjet. Vol fngulier des Etournenux. Paflage des Grues €S leur difcipline. Migrations irrégulieres de quelques Efpeces fédentaires. 64 ee 7 vo pe à ol D el | NOTE 1. Z'tonnante fécondité des Harengs. Caufes qui déterminent leurs migrations. 70 CE AUE LD'E RUE XV, NOTE 2. Sur les Raës de paflage ou les Lémiags. 73 BAR ENEMNR UE" X VITE NOTE 1. Sur la aualité venimeufe des Chexilles procellionnaires du Cliène, 85 en général des Chenilles velues. 78 NOTE 2. Sur les Chenilles procefionnaires du Pin && leurs évolutions. ibid. DORE UE XD Note 5. Sur les Chenilles qui vivent en fociere dans des efpeces de bamacs de pure foie. 8e NoTE 2. Sur les Cheunilles qui vivent en fociété fous des tentes de foie. 81 POP CNED RE TER VA, NOTE 1. Sur la queftion, fi l'état focial dans le- quel vivent différentes Efpeces de Chenilles dépend uniquement des circonjiances qui on préfidé à leur naffance. 1 | “Se F£3 454 EN D}IC A TI ON’ GH'A PAT REUX 0h NOTE 1. Sur une Punaife qui conduit €ÿ défend Jes Petits comme une Poule [es Poufjins. P. 88 CELA PTT RE ENTER NOTE 1. Sur les trois fortes d’Individus qu'on rencontre chez les Fourmis ; [ur leurs œufs, Jur leurs Vers € fur les coques qu'ils Je filent. 89 NOTE 2. Différentes obfervations [ur l'induftrie €S fur la police des Fourmis. CHAN PL RRMEN ENS NOTE 1. Sur l'architecture des Guépes fouter- reines. 98 Nore ss Sur la police des Guêpes fouterreines ES fur les foins qwelles prennent de leurs Pefits 100 NoTe 3. Sur la conffruction du guépier , [ur le matiere dont il eft fait, €S Part avec lequel les Guëpes la recucillent, la préparent © l'emploient. 103 CH APT FOR EURE (Chapitre entiérement neuf.) Les Frélons € quelques autres Efpeces de Guëpes. 10$ CH SA PCT ESSONNE (Chapitre entiérement neuf. ) Les Guéêpes car- tonnieres. 107 NOTE 2. Papiers faits de bois ou d'écorces par M. ScHÆFFER, 4 limitation de ceux des Guépes. 11Q CHA DU TRIER NOTE 1. Sur la forme des cellules des Abeilles €S leur arrangement refpetif. 112 DES NOUVEAUX CHAPIÎTRES , &c. 458 Note 2. Sur les trois ordres d'Individus qui compofent la fociété des Abeilles, €ÿ fur les trois ordres de cellules que les Ouvrieres leur approprient. Objervations de M. RIEM 4 ce Jujet. Page 113 NoTE 3. Remarques importantes [ur les effains d Abeilles qu'on partage à lèur fortie de la mere-ruche, €ÿ qu'on place féparément dans une ruche vuide. Différence entre le procédé de ces effaims ES les procédés de ceux qw'o# partage apres qu'ils ont déja travaillé. 116 NOTE 5. Sur le prétendu maflacre des Miles par les Abeilles-ouvrieres. 118 Note 6. Sur le nombre des cellules royales qui peuvent fe rencontrer dans la même ruche. tb. CO BAMRE .X XV FE Note 1. Que les Abeilles approprient la nour- riture a l'âge €S à la qualité des Vers. 120 NoTE 3. Improbabilité de Popinion de quelq:es Cultivateurs Allemands qui prétendent que chez les Abeilles les Neutres engendrent, € mème qu'ils n'engendrent que des Faux-boux- dons. Petites Reines qu’on croit fe trouver dans les ruches. 12E NoTE $. Découverte de M. ScxirACH fur l’ori« gine de la Reine - abeille. Objeition. Reponfe. Réflexions [ur cette découverte. 127 Nore 7. Que ce font les Abeilles ouvrieres qui tuent les Reines furnuméraires. Obfervations a ce fujet. 132 Nore 8. Découverte de Mr. DEBRAW fur la fécondation des œufs des Abiilles par le [perma F f 4 456 TN D'EIC: ANT 10387 que les Miles répandent dans Les cells Obfervations de P Auteur Jur ce fujet. Que le myfere de cette fécondation n’eft pas encore entiérement éclairci. Page 134. NOTE 9. De la maniere dont les Abeilles recueil. lent le miel €3 la cire, € de l'art avec lequel elles mettent cette cire en œuvre. Faufle opi- mon d'un Naluralife célebre fur la figure béxagone des cellules. B-F97 NOTE 11. Beau probléme fur les cellules des Abeilles, €ÿ [a folution par Koënic. Paflage de Mr. de MaïRan fur ce Jupe. 144 CH À P I TRES EMIET ( Chapitre entiérement neuf. ) Les Bourdows. 146 GET :A PF REMISE NOTE 2. Petit écluirciffement fur les conjetures Propojées par l Auteur pour eflayer de rendre railon de linduflrie des Capors. 162 CH ACP LE MEME ( Chapitre entiérement neuf. ) Les Rars mul. E ques. 16$ NOTE 2. Particularités anatomiques [ur le Rat mufqué, 16$ 9 DES NOUVEAUX CHAPITRES, &c. 457 pe À p—— PDOPELZ II EM EP HR TI E. CHAPITRE E V: No 1. Sur une petite Chenille découverte par de GEER , qui confiruit [a coque par dehors … €S faus y être d'abord renfermée. Page 17$ NoTE 7. Indujirie des Chenilles aui fe conflrui- fené des coques de grains de fable qu'elles lient avec de la foie. 181 DEP R PUVE NoTe 1. Sur es Infetes qui habitent dans l'inté- rieur des fruits, © la vie folitaire qu'ils y menent. 185$ Norte 2. Sur la petite Chenille qui vit dans la tête du Chardon à bonnetier. 186 CAP NP PR EE VIT NoTE $. Obfervation de Mr. de GEER , fur la méchanique au moyen de laquelle diverfes Efpeces de Chenilles parviennent à rouler les feuilles des Plantes. 190 DA PACP PT RE) VITIL NOTE 2. Sur les petits Infeiles qui minent les feuilles des Plantes. Procédé remarquable auquel recouvrent les Mineurs en grand pour Je mettre plus à l'aife dans la mine. 193 N OTE 3. Sur les Mineurs de ln Jufquiae. ibid. COMAANPTITEMRCE 72 NOTE 1. Sur les Fonffes - teiones & leurs Pa- Lillons. 199 à5s. + TN DONC AMTTOMN CHFANP'E TOOLS NoTE 3. Procédés pour détruire les Teignes de: mefliques. Page 204 © H AP E TIREUR NoTE 1. Divers procédés des Teignes aquati- ques. 208 NoTE 2. Procédés relatifs à la derniere métamor. phofe des Teignes aquatiques. 209 CE A PETR ES NUE {Chapitre entiérement neuf.) Les Infettes qui fe recouvrent des matieres qu'ils rejettent. 21% CHA PF RES {Chapitre entiérement neuf. ) Les Anfeites qui babitent dans une forte d'écume. 215 C HA PISE OR { Chapitre entiérement neuf. ) L’Araignée qui fe Jeit un logement de bulles d'air. 218 NoTE 1. Maniere dont S’opere la fécondation chez les Araignées. 229 CH A PFTRENAN % Chapitre entiérement neuf.) L’'Araignée mi- neufe. 22% Note 4. Remarques fur l'Araignée mineufe. 226 CG H A PL TR EN PSN ER NOTE 1. Sur divers Coquillages de Mer qui re- jettent l’eau par des tuyaux , © fur les Cames en particulier. 233 CHA PAS EN RER NoTE 2. Que les Dails peuvent percer. les pier- res les plus dures : maniere dont un Natura. lifle croit qu'ils les percent. Phofphore de ce Coquillage. Les Dattes, genre de Coquillage DES NOUVEAUX CHAPITRES, &c. 459 dont les procédés ünitent ceux des Dails. Page 240 CM YAUPAIT RE :XJ2RL SNoTE 1. Remurques fur les nomenclatures des Zoophytes, a loccufion des Orties de Mer. 242 Norte 5. Conjetture [ur le Zoophyte nominé Gelée de Mer. 251 GEHL.A PIRE, XXIL Note 1. Variétés des Etoiles de Mer. 252 Note 2. Erreurs que les Nomenclateurs peuvent avoir comiifes fur les Étoiles de Mer. Ré- flexion a ce fujet. 256 PAM NPALICRSE XXII. NoTE 2. Variétés des Hériffons de Mer. 258 NoTE 3. Surprenanse cowmpofition d'un Hériffon de Mer. 260 PORN TRE -X XIV. Nore 2. Sur le Bernard-l'hermite. Obfervation anatomique de SW AMMERDAM fur ce Cruf-. tacée. Remarque a ce fuet. 263 CHAPITRE XXV. Norte 2. Opinion de quelques Naturalilles qui prétendent que les Moules de Mer Jout pri- vées de la faculté loco - motive. Remarques à ce Jujet. 269 DOM ASPIRE - XXVE NoTE S. Sur les Vers de Mer qui fe logent dans des tuyaux cruflacés. Erreur [ur la conflruc- tion de ce tuyau. Divers genres de ces Vers : leurs rapports avec les Polypes des Coraux , des Corallines, ©ÿc. Orgues de Mer. 276 NOTE 6. Varigiés dans l'adhefion des Huitres : que 460 IN DICATION les inêmes variétés [e rencontrent dans [es Huitres foffiles. Réflexion a ce fujet. Perles : leur origine cr QE ; CHA PTT RCE PEN NOTE 1. Sur les mouvemens des Poilfons €ÿ leur maniere de nager. 279 NOTE 2. Particularités [ur la flrutture de la Seche. Remarque [ur l'émilfion de fon encre. 280 NOTE 3. Animaux de Mer qui percent les coquilles pour Je nourrir de la fubtance qw’elles reu- ferment. 283 NOTE 4. Procédés de quelques Cétacées. L'Efpadon. Le Narhwal. L'Empereur. ibid, NOTE $. Procédé du Poiffon nommé Manta. 286 NOTE #7. Fécondation naturelle € artificielle des Poiffous à écailles. Variétés dans la maniere dont les Poiffons fraient. La Morue : [es mar- __ ches: [a fécondité prodigieufe. Le Saumon “ € la Truite: leurs procédés : leurs migra- * äions : leur :uaniere de frayer. L’Anguille. Vrais Hermaphrodites chez les Poiffons. Poif- M fon de l'Isle. de- Bourbon. 287 NOTE 10. Longue durée de la vie des Poiljons. Exemples : la Carpe, la Baleine. Réflexion [ur l'hifloire des Poiffons. Accroillement de la M Carpe: fa fécondité merveilleufe. 292 NoïTE 11. Poiflons €ÿ Coquillages qui vivent dans v une eau thermale tres - chaude. 293 CHAPITRE XX/VIIE NoTE 3. Divers traits de l’hiftoire des Oifeaux. L' Aigle ; fes rapports avec le Lion; fes chales €? Jon aire, Le Faucom. La Püe-grieche, Gé- DES NOUVEAUX CHAPITRES , &c. 462 méralités fur Les Oifeaux aquatiques €ÿ [uw les Oifeaux de rivage. Procédés de plufieurs. Le Co rHmOTG +4 Le Martin-pécheur. Les Oifeaux nocturnes © leurs chaffes. Page 295$ NOTE 4. Le Pic; fon genre de vie € [es pro cédés. 30E NOTE 5. Adinirable APTE du nid du Char- donneret €S du Pinçon. Remarque [ur le nid du ER du Pouillot © du Tr oglodyte. Pdarire Jur le nid d'une Méfange du Cap de Bonne - Efpérance : procédé yeinar- quable de P Oifeau. 304 NoTE 6. Indujlrie de la Pie dans la conflrufion de fon nid, €ÿ fa tendrelle pour [es petits. Particularité renarquable di: nid du Moineau. Nids du Todier €ÿ du Moteux. 307 CHR PT AR EX XI Xi (Chapitre entiérement neuf ) Continuation dr mème fujet. Procédés irduftrieux de quelques Oifeaux qui fufpendent leur nid à quelgres branches d’ Arbres , tels que le Keimiz , la Pen duline, le Gros-bec a ABS nie. Particularités fur l'Oifeau-mouche & le Colibri. 309 NOTE 1. Indication de quelques Efpeces dOifeaux qui fufpendent leur nid à des branches : le Troupiale , le Caljique , le Carouge, le Gait- £uis. ibid. NoTE 4. Quelques Perroquets qui fufpendent auf? leurs nids. 314. CÉRAPETRIE. XX X. NOTE 2. Procédés du Hasfier ou Rat de bled : Jon terrier : fes mœurs : fa profonde léthargie A 62 INDICATION pendant PHiver. Procédés du Mulot €$ [es Jouterrains. Le Bléreau €ÿ le Renard: leurs terriers. La Loutre : fon domicile. L'Ours € fa retraite. Page 319 NoTE 3. Remarque touchant les expériences par lefquelles M. de BUFFON croit s'être affuré que le Lapin €ÿ le Lievre ne propagent pas enfemble. 324 NoTE 4. Obfervation particuliere fur les Lie- vres des Pyrénées. 325 GC: AP: PIERÔE RENE NOTE 2. Sur un procédé des Lions marins. 330 NOTE 3. Opinion de M. de BUFFON fur la caufe de lensourdiffement de certains Animaux pendant l'Hiver. Curieufes expériences de M. SPALLANZANI, qui détruifent cette Opi- nion : Jentiment de ce Naturalifle [ur ce Jujer. 33€ CH APT RE EMRIME NOTE 1. Ebauche de quelques idées fur l'origine du langage €ÿ de l'écriture. 334 NOTE 3. Sur la Fauvette. 340 C HA PI TIRE NIORT E NoTE 4. Pofition finguliere de l'oreille dans que! ques petits Quadrupedes. 347 NoïE 7. Serin merveilleux. Talent du Perroquet à üniter la parole €S divèrs cris. Chien qui articuloit des inots. Réflexions a ce fujet. 3SE NorTe 9. Exemples de quelques Animaux dont cer- toines aütions femblent réfléchies. Preinier exeinple ; POifeau nommé Secrétaire ou Mef- Jeger. Second exemple; un Perroquet veré. DES NOUVEAUX CHAPITRES, &c. 462 Troifieme exemples un Maki de l'Efpece des __Mongous. Page 353 NorTe 10. Remarques [ur la place que M. de - Burron affigne aux Oifeaux dans l'échelle des Etres vivans. 356 CHAPITRE XXXI V. Note 3. Sur les variétés €ÿ les irrécularités die travail des Abeilles. 363 Norte 4. Coque à calotte d'une Chenille obfervée par M. de GEER. 36$ C'HVAPAI TRE XXXVE Note 1. Divers traits de l'hifloire de la petite Chenille qui vit dans l'intérieur des grains, € de fon Papillon. 368 CHA RARE RE XXXVIIL Note 1. Réflexions philofophiques fur divers pro- cédés des Animaux , qu'on fe plait trop à embellir. 38$ GAME FR:E : XL. NOTE 4. Guêpes - ichneumons qui Je fxifi fent des Avaïgnées. Autres Guêpes de la même Famille, qui pondent [ur le corps des Araignées. 404 D'AMARP ITR E“XLIL NOTE 4. Particularités fur le Ver-lion. 414 ENRERETRE XLIFTE NOTE 1. Sur la ponte du Crapaud: vraie nature des petits corps qu’il met au jour. Principal ‘ufage de la glaire dont ils font enveloppes. 416 MNoTE 2. Remarques [ur le Crapaud accoucheur. Amours des Salamandres aquatiques. Le Pipa ou Crapaud de Surinam. 418 3464 INDICATION,&c CHAPITRE XLVIH (Chapitre entiérement neuf. ) L'Éléphant, P. 42$ NoTE 1. Généralités [ur l'Eléphant. ibid. Norte 2. Difformités de P Éléphant. 426 NoTE 3. Force de l'Éléphant. 427 NoTE 6. Trompe de F'EKplane : € Pufage qu'il en fait. 43E NOTE 7. Trait fi D d'un Éléphant , rapporté par M. de BUFFON. Réflexions fur ce trait’ €S fur un autre pallage du même Auteur. 432 CHPAÏP'I T'RIEL DER (Chapitre entiérement neuf. }) L'Orang - outang. 436 NoTE 3. Conformité particuliere de la Femelle Orang - outang avec la Fenme. 437 NoTE $. Remarques fur un pallage de hifi de l'Orang - outang de M. de BUFFON. ibid. NoTE 8. Ordre que les Babouins obfervent, dans leurs pillages. Autres Singes pillards. Singes pêcheurs ES nrangeurs d'Huitr ess C9c. 44% Kin de la Table, LE 4 Er VE | di fx : sig AS Æ re