Google

This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project

to make the world's bocks discoverablc online.

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the

publisher to a library and finally to you.

Usage guidelines

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. We also ask that you:

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for Personal, non-commercial purposes.

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.

About Google Book Search

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web

at|http: //books. google .com/l

Google

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en

ligne.

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont

trop souvent difficilement accessibles au public.

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d'utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial.

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas.

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.

A propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl

JWûiies,

«••î

AltT«S SCIINTIA VEHITAt

i

CONTRE LA TERREUR

L'INSURRECTION DE LYON

EN 1793

DU MÊME AUTEUR

Diplomates et militaires d'autrefois, études historiciues. 1 vol. in-8*. Lekoi'x, éditeur, Paris, 1890. {Épuisé.)

Histoire des Zouaves pontificaux. (Ouvrage couronné par la Société d'En- couragement au bien.)! vol. in-8*, BLounet Barral, éditeurs, Paris, 1894. {Épuisé).

Les Campagnes de la Restauration : Espagne, Morée, Madagascar, Alger.

(Ouvrage adopté pour les bibliothèques de garnison et couronné par la Société d'Encouragement au bien.) 2* édition, 1 vol. grand in-8*. Cattier, éditeur, Tours, 1899.

Gharette et la Guerre de Vendée, d'après les archives de TÉtat et de la ville de Nantes, des mémoires inédits des chefs vendéens, etc. (avec une carte), 3* édition, 1 vol. in-8', Émilb-Paul, éditeur, Paris, 1902.

1819. L'Expédition française de Rome sous la deuxième République, diaprés des documents inédits (avec des illustrations de Baffet et imc carte des environs de Bome). 2* édition, 1 vol. in-8*, Émile-Paul, éditeur, Paris, 1904.

Histoire de l'Armée de Gondé pendant la Révolution française. (Ouvrage couronné par TAcadémie française.) 4* édition, 1 vol. in-8*. Êmile-Paul, éditeur, Paris, 1905.

Les Guerres de Vendée et les chouanneries (1793-1815-1832). Étude de bibliographie historique et critique. Imprimerie Lafolye, Vannes, 1905.

EN PRÉPARATION : Les Emigrés à cocarde noire en Hollande et à Quiberon (1793-1795

CONTRE LA TERREUR

LINSURHECTION de LYON

EN 1793

J.E SIÈGE L'EXPÉDITION DU FOREZ

D'après des documents inédits

PAH

René BITTARD des PORTES

Avec nn plan de Lyon pendant le siège

» »

DEUXIEME KDITIOX

PARIS

4MI LE-PAUL. ÉDITEUR 100, rue du Faubourff-Saint-Honoré, 100

1006 Tous droits réservés

.1.;. d.

105

E6:

9. /

INTRODUCTION

L'insurrection lyonnaise devança de deux jours la chute du parti de la Gironde et le triomphe de la com- mune de Paris. Les vainqueurs du 29 mai furent suc- cessivement qualifiés de Girondins et de royalistes, par ceux qui l'avaient emporté le 31 mai. Ces deux appré- ciations étaient mensongères.

Le Comité de Salut public, qui dirigeait la Convention et gouvernait la France, connaissait de source sûre les causes de cette légitifne sédition. Exaspéré par les abus de pouvoir de la municipalité et par ses complai- sances pour les hommes de désordre, le peuple de Lyon avait renversé des administrateurs indignes. Ses chefs autorisés, ses délégués protestèrent en vain de leur dévouement aux principes répubhcains et de leur soumission au pouvoir central. La Convention, cir- convenue parles rapports haineux et inexacts de Du- bois-Crancé, repoussa dédaigneusement toutes ces assurances, malgré leur évidente sincérité. Après de hautaines et maladroites sommations, le siège com- mença et, avec lui, un effroyable bombardement qui dura deux mois.

La population si cruellement traitée, persista dans son loyalisme républicain. La bourgeoisie, d'origine

VI INTRODUCTION

commerciale en grande majorité, ne s'était pas mon- trée hostile aux débuts de la Révolution et entretenait des relations sympathiques avec les ouvriers, sans exercer sur eux une direction politique. Rapprochés par de communes épreuves, les uns et les autres envi- sagèrent avec philosophie les dangers d'une situalion qui devait terriblement s'aggraver. Dans un sentiment de patriotisme qui leur fait honneur, ils ne retinrent, pour la défense de leur cité, aucune troupe régulière, afin de ne pas laisser la frontière dégarnie. Toutes les lacunes de leur instruction militaire se révélèrent bientôt; de l'assentiment unanime, les nouvelles au- torités firent appel aux officiers de l'ancien régime.

Ceux-ci justifièrent la confiance des Lyonnais répu- blicains en restant volontairement confinés dans leur rôle militaire. Pour ne pas inquiéter une population ardemment démocratique, beaucoup dissimulèrent sous des pseudonymes leurs noms de gentilshommes, pra- tiquant ainsi le système égalilaire afin de mieux con- courir à l'œuvre commune. L'œuvre commune ! Telle fut la préoccupation constante, la règle dont s'inspira le général en chef des Lyonnais. Précy ne pouvait dissimuler son nom, il cacha scrupuleusement ses préférences politiques, non par prudence, mais par esprit de discipline, et Thiers commet une erreur quand il affirme que le général tenta de rétablir le dra- peau blanc ^ Rien ne justifie cette assertion.

En renonçant à sa tranquille retraite du pays bour- guignon, sur les instances des délégués de Lyon, pour accepter un commandement qui devait lui apporter tant de périls et d'amertumes, Précy ne se faisait au- cune illusion sur l'issue probable des événements, il

1. Histoire de la Hévolutitm française, t. V, p. 82.

INTRODUCTION VII

ne cédait à aucune pensée d'ambition, à aucun projet de revanche royaliste. Tout au plus, en devenant le soldat de la Liberté, dut-il espérer Tère de calme et d'assagissement qui pouvait préparer la resUiuratioïi de la monarchie. Si ces espérances d'une réalisation problématique ont été partagées par ses principaux lieutenants Virieu, Clermont-Tonnerre, Grand val, La Roche-Xégly, Chênelctle, Melon, etc., eux aussi ont consciencieusement respecté les convictions politiques de la population. Avec un idéal religieux et social dif- férent, les Lyonnais ont apprécié cette loyaulé, Tunion s'est cimentée et la fusion devint telle qu'au dernier jour de la lutte, les délégués des sections ont refusé d'arlicter le pardon des représentants en livrant ceux qui avaient dirigé la « résistance à l'oppression » selon lu belle formule qu'ils avaient adoptée.

Ils résistèrent vaillamment, les « cilovens-soldats » comme ils aimaient à s'appeler eux-mêmes, confiants dans leur général, dans leurs officiers, se coudoyant a muscadins », mariniers, arlisans, dans une fra- ternelle camaraderie de dangers et de privations.

Les Lyonnais ont lutté contre les troupes de la Con- vention sans-le secours des armes étrangères, ils se sont battus sur la terre natale, défendant leurs remparts, leurs faubourgs, leurs maisons sous les boulets rouges, au milieu d'incendies allumées par les bombes et en. voyant se dresser contre eux le plus terrible des ad- versaires, la famine !

Sous la direction du général de Précy, la défense a- t-elle été, au pointde vue militaire, ce qu'elle devait êlie?

On peut lui reprocher d'avoir manqué d'ampleur et d'audace, d'avoir attendu trop patiemment l'ai laque

VIII INTRODUCTION

d'adversaires longtemps disséminés, sans liaison entre eux, avec des avant-postes imprudemment exposés. Précy n'essaya pas de prendre l'offensive, de sur- prendre l'ennemi, de bouleverser ses ouvrages.

Jomini, le grand écrivain militaire aux critiques presque toujours si justes, l'a blâmé de n'avoir rien tenté contre les camps de Kellermann. Pourquoi « ne pas déboucher sur l'un de ses camps, avec 12 à 15.000 hommes » en tenant en échec les autres centres de rassemblement « par des démonstrations* ». Mais Précy n'eut jamais à sa disposition pour une opération à l'extérieur plus de 5.000 hommes; la faiblesse des effectifs des troupes de sortie est l'excuse de son système de défensive sur place.

Selon le mot que nous empruntons encore à Jomini-, le général en chef des Lyonnais s'est contenté de dis- puter le terrain « pied à pied »; ce fut une tactique d'étroite conception, mais une U\che héroïque. Précy a défendu, avec une irréductible ténacité, toutes les posi- tions attaquées et son intervention personnelle dans les combats de Sainte-Foy et de la Chaussée de Per- rache empêcha les colonnes d'assaut de pénétrer dans la place.

A\ant fait le sacrifice de sa vie modestement et résolument, il a voulu rester étranger aux pourpar- lers engagés entre les représentants et les corps admi- nistratifs lyonnais. Les pages douloureuses de notre histoire contemporaine nous apprennent que le com- mandant d'une place assiégée ne doit pas négocier avec l'ennemi et qu'à l'heure la défense n'est plus possible, la garnison doit tenter de s'ouvrir un pas-

i. Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution ^ t. IV, p. 188. 2. Ibid.

INTRODUCTION IX

sage, les armes à la main, Précy et ses soldats ront tenté...

Pour ravitailler la ville assiégée et surtout pour pro- voquer dans la région un mouvement insurrectionnel cootre la Convention, une petite colonne d'aventu- reux Lyonnais a parcouru le Forez et occupé Saint- Etienne, Montbrison, Saint-Chamond, Feurs, Rive-de- Gier et d'autres localités de moindre importance, li- vrant plusieurs combats, dont quelques-uns à leur avantage. Des gentilshommes et des bourgeois du pays se joignirent à eux, le peuple des campagnes ne leur donna pas de recrues.

Cependant Tesprit religieux de certaines contrées montagnardes pouvait amener le soulèvement des habitants, si les cheTs lyonnais avaient su prendre contact avec eux et surtout avec leurs prêtres qui, dans leurs paroisses, bravaient la persécution. Les Lyonnais sont restés des citadins, même en devenant soldats, ils n'ont pas demandé leur appui fralernel aux paysans de Chevrières, simples, rudes et braves, dont l'exemple eût peut-être entraîné une nouvelle insur- rection des Cévennes et paralysé les réquisitions d'Auvergne. Tout soulèvement qui ne s'appuie pas sur le peuple des campagnes est condamné h l'insuccès.

Les Foréziens qui rentrèrent à Lyon s'y compor- tèrent vaillamment jusqu'à la fm du siège et prirent part à la sortie désespérée. Aujourd'hui encore, dans plus d'un château du Forez, la tradition évoque les di- verses phases delà guerre aux Jacobins. Nous en avons recueilli de multiples échos restés vibrants de vaillance et de fierté, alors que dans les familles lyonnaises un vague et mélancolique souvenir subsiste seulement, il semble que l'odieuse épitaphe rédigée par les terroristes :

X INTIIODUCTION

« Lyon fit la guerre h la liberté, Lyon n'est plus » ait conlribué à préparer l'oubli.

Pour réagir contre ces indifférences, il y a cepen- dant tout un dossier d'histoire que chacun peut feuil- leter dans nos archives publiques : à Paris, au dépôt de la Guerre et aux Archives Nationales ; à Lyon aux archives départementales, aux Archives municipales et aux collections Coste et Rosas.

La communication de ces témoignages si intéres- sants n'avait été accordée que partiellement aux histo- riens lyonnais qui se sont efforcés de mettre en lumière les péripéties du siège : Clerjon, un peu diffus dans ses vagues récits, Morin, dont il convient de louer l'œuvre sérieuse et généralement impartiale, Balleydier plus intéressant que documenté. Gonon a recueilli de nombreuses pièces imprimées. Aussi sa volumineuse nomenclature et la connaissance des pièces d'archives, ainsi que certains mémoires, ont facilité les travaux ré- cents et importants de MM. Sleyert,Vaësen,Vingtrinier, WahP, Charléty-, Costa de Beauregard, Desvernays, Raverat, etc.

Quelques articles peu connus des revues régionales et surtout de nombreux opuscles, écrits par des contem- porains et qui figurent oubliés sur les rayons de nos grandes bibliothèques, tels que les récits de Précy, les « souvenirs» de Nolhac, de Doppet, de M"*desEcherolles

1. M. Wahl a Ocrit V Histoire des premières années tle la Hévolufinn à Lyon^ et bien (lue les événements décrits par lui soient antérieurs à 1793, l'ou- vrage est indispensable à consulter pour Vllisluire du Sièf/e^ ne serait-ce qu'au point de vue des sources à étudier.

2. M. Charléty est l'auteur d'une remarquable Dihliofjraphie hisiorifjue de Lf/on depuis la Révolution.

INTRODUCTION XI

sont aussi une source de renseignements importants.

Nous avons eu Theureusc fortune d'obtenir en outre communication du manuscrit complet et si intéressant du marquis de Poncins, des dossiers militaires du général de Précy et de ceux de ses lieutenants qui ont survécu jusqu'à la Restauration, et enfin des pa- piers jusqu'alors discrètement conservés dans plu- sieurs familles qui ont fourni à la défense de Lyon et à l'expédition du Forez leurs chefs les plus habiles et les plus valeureux.

Puissions-nous, avec tant d'éléments dont une par- tie n'a pas encore été livrée à la publicité, conserver à l'épopée lyonnaise le caractère et les développements qu'elle mérite.

R. DES Portés.

I

f.

I

CONTRE LA TERREUR

L'INSURRECTION DE LYON

EN 1793

CHAPITRE I

VEILLE D'EMEUTE

Pendant la journée du 28 mai 1793, la plupart des quartiers de la ville de Lyon présentaient des symptômes évidents d'agitation et de désordres ^ Les magasins étaient fermés-, un grand nombre de maisons avaient leurs volets clos. La place des Terreaux, qui conservait son nom on dépit de sa nouvelle dénomination de place de la Liberté, était garnie d'une foule compacte qui ne s'ar- rêtait de vociférer contre les aristocrates que pour accla- mer la municipalité, dont les membres apparaissaient aux fen<Ures de Tllôtel de Ville.

L'édifice communal semblait transformé en caserne. Ses abords étaient encombrés de dragons, de soldats de la troupe de ligne et de gardes nationaux -^ Sur la place

1. Cf. Rapport (le police adressé au Comité de Saint public et intitulé Récil (les jnurnéeH fies 28 el 29 mai 1793. (Archives historifjues du D^pAl de la guerre, armée des Alpes, d<>ssier des pièces historiques.)

2. Mt^mc document.

3. L'adjudant général Le Doyen, faisant fonctions de commandant de la place, «''tait arrivé à Lyon, le 2s. à dix heures du matin, et s'était mis de suite à In disposition des commissaires de la Convention. Voir sa déclara- lion : Arrh'nes natinnales, AK'i 339-3il.43.

\

2 l'insurrection de LYON EN 1793

se pressaient des bandes d'hommes armés, la plupart en carmagnole, quelques-uns revêtus d'effets riches ou élé- gants, qui provenaient évidemment de récentes visites domiciliaires. Plusieurs d'entre eux entouraient huit pièces de canon, placées en batterie devant l'Hôtel de Ville, et s'en constituaient ouvertement les gardiens.

De l'autre côté de la place, une maison de modeste apparence, l'hôtel de Milan ^ était l'objet de la curiosité générale. Des membres du Club des Jacobins en franchis- saient fréquemment le seuil. Reconnaissables à la carte qu'ils portaient au côté gauche de la poitrine, ils péné- traient parfois dans les groupes; ce n'étaient point des messagers de paix, car ils s'effor(^aient sans répit de surexciter la colère populaire. L'un d'entre eux se faisait remarquer par la fougueuse agitation qu'il manifestait; les gens de mauvaise mine, disséminés sur toute la place, l'acclamaient en criant : «Chalier! Vive Chalier!» On rappelait dans certains groupes, en l'approuvant, qu'il avait demandé au Club des Jacobins la mise à mort de ses adversaires politiques -.

L'homme dont on connaissait trop les projets sangui- naires et qui semblait le véritable chef de tous ces furieux était de petite taille. Sa démarche convulsive, son teint bilieux^, son crâne dégarni*, l'expression égarée de ses yeux, tout inspirait la répulsion. Nul n'ignorait, parmi ceux qui l'acclamaient, sa nationalité de Piémontais, beaucoup savaient aussi qu'il avait quitté inopinément le

1. Ce fut seulement dans la suirôe que quarante dragons vinrent se for- mer en piquet devant l'hôtel de Milan. Cf. Archives nationa/es, le dossier précité.

2. « Qu'il est aussi convaincu d'avoir, le 27 mai, provoqué à l'assassinat, en disant dans l'Assemblée du Club, dit des Jacobins, qu'il fallait faire un aisceau des présidents et secrétaires des sections, leur trancher la tète et fse laver les mains dans leur sang; qu'il fallait aussi guillotiner les admi- nistrateurs du département. » (Extrait du Jugement prononçant la con- damnation fie Joseph Challier, le 16 juillet 1793.)

3. Louis Blanc, Histoire de la Révolution^ t. VIII, p. 371.

4. Voir son portrait, par Dupré.

VEILLE D ÉxMELTE 3

séminaire des Dominicains, il avait été élevé par charité, et que, depuis sa sorlie du cloître, il avait couru le monde comme voyageur de commerce. Sur la recom- mandation de Robespierre, Chalier s'était abouché avec les révolutionnaires lyonnais les plus exaltés. Grâce à leur appui, il avait obtenu la présidence du tribunal de district en même temps que celle du Club des Jacobins. L'ancien religieux terrorisait Lyon par les arrestations les plus arbitraires d'habitants honorables pour lesquels il réclamait la guillotine sans délai. En réalité, cVtait un fou sinistre et dangereux.

A côté de ce hideux personnage, se pressaient ses amis, ses confidents, ses clients : Riard de Beauvernois ^ chef de légion, empanaché comme un tambour-major, et qui portait sur son visage tous les stigmates du vice, gentilhomme déshonoré, qui depuis longtemps ne fré- quentait que des agents de désordre ou des compa- gnons de débauche; le négociant Bertrand, maire de la ville, nature utopiste et vaniteuse*, Hidins"* et Dodieu, deux policiers déguisés en magistrats, Tun sous le titre de commissaire national, l'autre sous celui de directeur du Jury criminel. Plusieurs membres de la municipalité ou du Club des Jacobins leur faisaient cortège ; quelques-uns obéissaient h la passion révolutionnaire, d'autres crai- gnaient d*être dénoncés comme suspects et n*étaient pas les moins ardents; tous prodiguaient à la foule des encou- ragements à la violence. Ils annom^aient l'arrivée pro- chaine à Lyon d'une armée « révolutionnaire », dont

1. Riard de Beauvernois avait haranj^ué les voluntaires marseillais qui rentraient dans leur pays, après la journée du 10 août et la prise des Tui- leries, « les invitant à semer leur courage et leur énergie dans le cœur des timides Lyonnais ».

2. Bertrand, candidat à la Mairie, avait laissé arr^'ter et jeter en prison son concurrent Gilihert, également docteur en médecine et candidat des modérés.

3. La femme d'Hidins avait été compromise dans une afTaire de chan- tage et emprisonnée penrlant quelque temps. (Cf. Morin, Histoire <ie Lyon depuis la tltrpolution, t. Il, p. 317.)

4 l/lNSURRECTION DK LYON EN 1793

rentrctien serait h la charge des citoyens « reconnus opulents » ; aucun décret de la Convention n'avait encore confirmé cette mesure odieusement vexatoire *.

On s'étonnait de ne pas voir les deux représentants du peuple en mission, Niocheet Gauthier, qui s'obstinaient à rester enfermés dans leur appartement de l'hôtel de Milan. Les deux conventionnels étaient arrivés, depuis la veille, de Chambéry, sur l'appel de Chalier et de ses amis qu'in- quiétaient les velléités de résistance de la population modérée. Us avaient été suivis, à quelques heures d'in- tervalle, de deux bataillons d'infanterie détachés de l'ar- mée des Alpes ; on attendait d'heure en heure un escadron de dragons. Ni Gauthier, ni Nioche n'étaient des hommes de résolution : ils personnifiaient bien ces parlementaires toujours troublés devant les agitations de la rue, toujours obéissants devant les menaces de la démagogie. Après avoir promis aux Jacobins leur concours sans réserve, ils avaient constaté avec inquiétude l'abstention du direc- toire du département. Aussi lorsque, dès leur arrivée, les députés des sections de la ville étaient venus exposer leurs justes griefs et réclamer la révocation de la muni- cipalité'*, les membres de la Convention en mission, hési- tants et apeurés, avaient voulu gagner du temps en exigeant la rédaction d'une requête longuement motivée ^ rappelant les origines du conflit qu'ils, connaissaient fort

1. Le 5 mai 1793, vingl-lrois jours avant les scènes que nous décrivons, les corps administratifs (municipalité, district et département ; en réalité, la municipalité était omnipotente) avaient proclamé exécutoire l'arrêté qui fixait l'elfectif de l'armée révolutionnaire à 5 000 hommes pour le dé- partement. Le 14 mai, rcffectif est porté à 6.400 hommes, et l'emprunt foreé fixé à 6 millions.

2. Dans les premiers jours de mai, les représentants Dubois-Crancé, Albitte, Nioche et Gauthier, se rendant à l'armée des Alpes, et de passage à Lyon, avaient sanctionné de leur propre autorité, les mesures vexatoires de la municipalité.

3. Pn^cis (les événements arrivés à Lf/nn le 29 mai 1793, pour servir de première répojise à la dénonciation portée par les sections de cette ville contre les citoyens (iauthier et Sioche, représentants du peuple français^ envoyés près l'armée des Alpes, imprimés à la suite de VHisloire de la Hévolution de Lyon, par Guerre.

VEILLE D ÉMEUTE 5

bien. Leur pusillanimité ne devait d'ailleurs servir qu'à précipiter le dénouement.

Dans les rues qui avoisinaienl l'Hôtel de Ville, les sympathies jacobines se manifestaient bruyamment. C'est ainsi que la section de FEgalité (ancienne section des Terreaux) se déclarait, par Tenvoi de ses députations ou le vole de nombreuses adresses, entièrement dévouée à la municipalilé. La Grande-Côte et Saint-Vincent pro- diguaient aussi les mêmes formules de dévouement, mais la plupart des sections s'étaient refusées à ces mani- festations. Porte-Froc (ancien quartier Saint-Jean) et la section Rousseau affichaient ouvertement leurs sentiments hostiles ^ Il en était de même sous des apparences un peu

1. Voici la résolution qu'avait votéo la section du Pori-du-Templo, dix jours auparavant : « Ce jourd'hui, 19 mai 1793, l'an II de la République, les citoyens de la section du Temple, assemblés sous la présidence du plus ancien d'âge, en conformité de la convocation faite le 12 de ce mois, Considérant : !• qu'aucune loi ne défend aux citoyens de s'établir en as- semblée de section permanente, qu'au contrains il paraît, par l'article H «le la loi du 2 mars dernier, que les sections doivent être permanentes, puisque la discussion qui pourrait survenir au sujet des déclarations faites par devant les commissaires surveillants doit être renvoyée par- devant elles pour y élre statué définitivement; 2" que le seul moyen et le plus efficace pour ramener l'ordre qui paraît être troublé dans cotte ville depuis quelques mois, est la permanence des sections, parce que c'est que les citoyens exercent pleinement leurs droits, et (|u'ils peuvent s'éclai- rer et se secourir mutuellement : que la permanence des sections est le seul moyen de prévenir le retour de tout acte arbitraire, et que la liberté, l'égalité et la résistance à l'oppression sont des droits naturels et se trouvent consacrés par la Convention dans sa déclaration des droits de l'homme ; 4* enfin que les villes les sections sont periiianenles sont celles qui jouissent de la plus grande liberté, telles que les villes de Bor- deaux et de Marseille.

« Ont arrêté, à la majorité de cent une voix contre dix, de se déclarer en permanence, et que copie du présent arn'té sera C(>nnnuniquée aux corps administratifs et aux autres sections delà commune de Lyon. »

Signé : Heynard, secrétaire prcvisaire.

Neuf jours après, le 28 mai, la section Rousseau émettait le voni «de réquérir sur le champ la force armée dans tous les bataillons sans distinc- tion, et pour rester en permanence sur leur place d'armes de nuit et de jour, jusqu'à ce que le citoyen Chalicr* ait été arrêté, remis entre les mains des tribunaux, et que la vie des citoyens de toute cette ville et du déparle- ment fut définitivement assurée par la découverte du parti désorganisaleur

6 l'insurrection de LYON EN 1793

plus calmes dans les sections de la place Neuve, de la Fédération (place Bel lecour;, Port-da-TempIe,Saint-Nizier, de la Liberté (quartier du Plâtre), Saint-Georges, de la rueNeuve,de la rue Buisson, Guillaume-Tell, Saint-Pierre, du Griffon, de la Juivcrie, Brutus (quartier de la Pêcherie), de la rue Tupin et enfin de la Croisette, le quartier le plus pauvre de Lyon Ton affirmait que la cause roya- liste comptait de nombreux partisans.

C'était la préoccupation constante des Jacobins- cette immixtion lcnte,occulte, presque souterraine des royalistes, qui depuis plusieurs mois affluaient à Lyon, ayant échappé aux limiers du Comité de Salut public, venant de la Bourgogne, du Bourbonnais ou de TAuvergne, des dé- parlements du Midi et des ochaufTourées sanglantes du camp de Jalès ou encore de Témigration* , le pain de l'étran- ger leur y semblait trop amer!...

Parfois ils étaient arrivés seuls, le plus souvent avec leurs familles, modestement, pauvrement, avec des noms d'emprunt et des vêtements de misère usés sur les grandes routes, déchirés dans d'infimes cachettes. Ceux qui portaient les haillons de Tinfortune et de la proscription ne voulaient pas quand môme renoncer à la Patrie et ils goûtaient la dangereuse jouissance de fouler son sol.

A Lyon, ces fugitifs trouvaient à se cacher- dans d'humbles asiles, maisons d'ouvriers à la Croix-Rousse ^

dont (Uiallier est Téiiiissaire dans cette ville. » (Procès-verhaf rie lu seclion Houtiseau, du 28 mai au soir 1793 ; pièce justificative n' CXVI, Histoire de la Révolution de Lyon).

1. Déjà en WM, à la date du 27 mai, Ilidins écrivait à Roland, mi- nistre (le l'intérieur, en se plaignant des idées rétrogrades de la population lyonnaise. Les nobles de l'Auvergne et du Dauphiné y affluaient. {Archives nationales^ KiG.ui**.)

2. Dans sa remarquable élude qui a paru dans le Correspondant en 1861 sous le titre le Sièf/e de Lyon ew 171)3, le comte do Poncins indique que «les royalistes sélaienl glissés dans Lyon, pour observer et presser le mouve- ment.» {Correspondant^ t. XVI, p. 94.)

3. Manpiis Costa de Deaurcgard, /e Homan d'un royaliste sous la Uévoln- tion, souvenirs du comte de Virieu, I*nris, IMon.

VEILLE d'ÉMELTE 7

cabanes de jardiniers à la colline de Fourvières, masures des quais, et encore partout fallait-il redouter les visites domiciliaires, si fréquentes surtout la nuit* et qui enser- raient les quartiers suspects dans un lacet de sentinelles fournies par Técume des faubourgs.

Aussi, pour y échapper, en se niôlant au peuple dont ils s'efforçaient de prendre le costume, le Ion et les allures, beaucoup s'étaient-ils réfugiés dans le bourg Saint-Irénée et le faubourg Saint-Just, pauvres quar- tiers où pénétraient constamment les paysans dos envi- rons pour y vendre leurs denrées. Quand ils « descen- daient » à Lyon, perdus dans la foule, les royalistes se retrouvaient, échangeaient quelques mots d espérance, car leurs espoirs restaient tenaces*, lisse savaient nombreux, résolus, et faisaient adroitement circuler les nouvelles favorables, telles que l'insurrection de Marseille contre les Jacobins dans la dernière semaine d avril.

Les défenseurs de la monarchie avaient un centre de réunion qui semblait devoir ôtre tout spécialement sur- veillé et qui avait cependant échappé aux terribles per- quisitions de la municipalité. Ce centre de .conciliabules n'était autre qu'un riche hôtel de la place Bellecour,

1. Alexandrine «les Echerolles, Une famille n oh te sous la Terreur, publ. I>ar Bené de Lespinasse. Paris, Pion, 1900.

2. Quelques-uns avaient pris part à la Conspiration dite du Salon fran- çais à la fin de l'année 1700. Il avait été question de sauver le roi et d'éta- blir momentanément à Lyon le siège du Gouvernement. Pour prépai'or cette tentative, le prince de Coudé, tl'accord avec le comte d'Artois, avait envoyé plusieurs des officiers de sa petite armée : MM. des Cars, d'Egrigny, Mac Cartby et Terrasse de Tessonnet, pour s'aboucher avec M. Le Filleul de la Chapelle, maréchal de camp, qui commandait des rassemblements de troupes à jieu de distance de Lyon, et que Ton savait entièrement dévoué à la cause royaliste. Grâce à cet officier général et à M. de Tessonnet, aide de camp du prince de Condé, le com])lot fut admirablement préparé. Plus de cent gentilshommes d'Auvergne, et deux cent ciu(iuante officiers de la région y avaient adhéré ; on croyait aussi pouvoir compter sur Tadhésion des troupes. La vénalité d'un agent subalterne fit échouer le ))rojet avant qu'il n'eût reçu même un commen(-euu*nt d'exécution ; les principaux con- jurés furentarrètés et conduits à Paris, sauf le général de la ChapeUc qui fut seulement destitué. L'amnistie de 1191 leur reu<lit la liherté. Voir ces détails aux Archiies nationales, carton DXMX'.y

8 l'insurrection de LYON EN 4793

appartenant à un vieux gentilhomme, reslé plein de ver- deur et d'énergie, le baron de Savaron de Chamousset', et chez lequel se réunissaient « pour la bonne cause », des officiers révoqués ou démissionnaires, d'anciens magis- trats, de riches bourgeois-. Par une singulière coïnci- dence, la plupart étaient d'anciens élèves du collège de Juillv, le célèbre établissement des Pères de l'Oratoire oii les meilleures familles de la région lyonnaise faisaient élever leurs enfants avant la Révolution.

Parmi les commensaux ordinaires de Thôtel de Sava- ron, les plus résolus à Taction, les plus impatients étaient ceux qui avaient appartenu à la vieille armée : Agniel de Chèneletle, ex-iieutenant-colonel d'artillerie, l'un des officiers les plus distingués de cette arme'^ qui, en dépit des dénonciations, continuait à habiter son hôtel de la place Grollier, les frères Leviste de Briandas, l'un ancien capitaine d'artillerie, Tautre ex-capitaine d'infan- terie, plus modestement logés rue Sainte-Hélène, le che- valier de Fontaine de Bonnerive, qui avait servi aux gardes du corps et habitait le plus souvent un petit appartement de la rue Belle-Cordière.

Ils se rencontraient aux conciliabules de Thotel avec un parent de M. de (^hénelette, le marquis de Chùteau- vieux, que pourchassaient jusqu'alors sans succès les agents d'Hidins, le commissaire national, et avec d'autres

1. Jean-Pierro-Guillaume de Savaron, baron de Chamousset, était alors septuagénaire.

2. La plupart des détails que nous donnons sur le groupement des roya- listes à Lyon, sont empruntés à un article do la Revue du Lf/onnais, du mois d'octobre 1901, les Jullaciens au siège de Lyon, par E. Bonnardel. Cette étude s«'!rieusement documentée est d'un très vif intérêt.

3. Jean-Baptiste Agniel de Chènelette, appartenait à ime vieille famille d'origine lyonnaise. H était à Lyon, le 22 mai 1739. Sa carrière mili- taire avait été des mieux remplies ; il s'était retiré du servie*' le !•' juin 1791, avec le grade de lieutenant-colonel et la croix de Saint-Louis, Gomme capitaine rapporteur devant un conseil de guerre, il avait pu faire acquitter un officier injustement accusé de dilapidation en qualité de quartier-maître trésorier. Cette alTaire avait eu un grand retentissement dans le corps de l'artillerie, elle valut à M. de Chênelette les félicitations de M. dr Gribeauval. lieutenant-général et premier inspecteur du corps.

VEILLE D EMELTE 9

officiers de Tancieiine armée qui par sAretd changeaLont presque constamment de domicile : Julien de Vinezac, autrefois lieutenant au régiment de Lorraine-infanterie, Giraud de Saint-Try, capitaine aux dragons de Noailles, le marquis de Forbin, ancien capitaine aux cuirassiers du Iloi, le baron de Meillonas, ancien colonel aux carabi- niers, d'Assier de la (Ihassagne, ex-colonel au régiment de Chartres-cavalerie, le chevalier de la Roche-Négly, ex- capitaine à Royal- Auvergne, Joly Clerc de Belvé, ancien lieutenant d'infanterie, Gavot, sous-lieutenant à Koyal- Pologne-cavalerie, miraculeusement échappé au massacre des officiers dans la prison de Pierrescize, le 9 sep- tembre 1792^, etc.

Tous manifestaient une grande déférence pour un offi- cier général, originaire du Comtat-Venaissin, réfugié à Lyon et dont on connaissait les beaux services de» guerre en Allemagne et aux colonies, M. Cortasse de Sablonet, maréchal de camp. Agé de cinquante-sept ans, il avait conservé une grande vigueur physique et morale et se résignait difficilement à l'inaction. Le général partageait Tabri dune petite maison du quai de Saône, avec son gendre M. de P'ontet, ancien capitaine au régiment de Royal-Liégeois.

Deux hommes assistaient souvent à ces dangereuses réunions et sV faisaient remarquer par les projets aven-

1. Le 23 août 1792, le o" réj^iuient de cavalerie fRoyal-PoIogiu*). sr trou- vait âv ])assage à Lyon. Sur une dénonciation sans fondement, la munici- palité jacobine, d'accord avec le général commandant la division Charles de Uessp, véritable type de condoltiere révolutionnaire, fit arrêter neuf officiers de ce régiment, MM. de Menou, colonel, des Perrières, lieutenant- colonel, de Fortmanoir, Viney et de Foryet, <M|»itaines, Achard. lieutenant. narret Venot et Gavot, sous-lieutenants. On les emprisonna au château de Pierrescize.

Le 9 septembre, à la suite d'une fête populaire nu Champ-de-Mnrs, une bandf' d'assassins vint assaillir h; château, y pénétra malgré l.i résistance de cjnelques grena<iii'rs d»- garde et lessuppli<"ations d'une admirahh* jeune fille. M"' lleynault de Hellocize. «pu* ces misérables frappèrent à C(»ups de iiique. Tous les officiers furent massacrés, sauf M. <iavot, cpii fut sauvé par un fou. Le maire Vitet se numtra d'une indigne faiblesse. (Cf. le dossier aux Archives nallnmtles, V' 3*25.').

10 l/lNSLr<RECTION DE LYON EN 1793

tureux qu'ils exposaient avec une froide résolution. L'un (Hait un grand seigneur, le comte de Virieu*, ancien colonel du régiment de Limousin, qui avait présidé TAs- semblée nationale'-'; Tautre était un simple bourgeois, un fabricant de soieries^, qui occupait de nombreux ouvriers dans ses ateliers du chemin Saint-Clair^. Il s'appelait Jean-Jacques Bouiay et jouissait de Festime générale. En dépit des accusations qu'avaient porties contre lui à plu- sieurs reprises les policiers de la municipalité, Boiilay était vice-président de sa section et chef de bataillon de la garde nationale.

Comme beaucoup d'anciens militaires, deux autres maréchaux de camp, plus âgés d'ailleurs que M. de Sa- blonet, habitaient Lyon, mais dans une telle retraite que leur existence passait inaperçue, ils s'appelaient le mar- quis de Crenolle et Giraud des Écherolles"^. Dans ces deux vieillards modestement vêtus, rien ne rappelait les géné- raux du Koi... et cependant Theure était proche leurs mains débiles allaient une dernière fois faire sortir l'épée du fourreau.

Pondant celte journée du 28 juin, la municipalité sem-

1. Lamartine, dans son Histoire des (iirondifis, si merveilleusement écrite, mais malheureusement très inexacte sur bien des points, a tracé du comte de Virieu, un portrait lumineux : «D'un sanfç illustre, d'une caste proscrite, d'un culte persécuté, la guerre civile lui paraissait trois fois sainte ; comme aristocrate, comme monarchiste et comme chrétien. Militaire intrépide, orateur facile, politique adroit, il avait toutes les conditions d'un chef de parti. » [Uisloire des (iirondins, t. VU, p. 142.)

2. Virieu se cache tantôt sous le nom de Camille Pernon, tantôt sous celui de Paganucci ou de Bruysset. Il court la ville pour retrouver les chefs royalistes, qui, comme lui se dissimulaient. Le premier qu'il parvint à découvrir, fut Dominique Allier (du camp de Jalès;. Cf. Costa de Beaure- gïurd, le Roman d'un royaliste sous la liévolution^ souvenirs du comte de Virieu, p. 298.

3. E. Bonnardet, les Juliociens au siège de Lyon (extrait de la Hevue du Lyonnais, t. XXXll, numéros d'octobre i90l).

4. Ces ateliers furent un jour dénoncés comme une forteresse mena- çante des muscadins. (Même auteur.)

o. Alexandrine des Echerolles, l' ne famille noble suui ta Terreur. Paris, Pion, 1890.

VEILLE d'Émeute 11

blait avoir pris à tâche d'exaspérer les plus patients. Les bandes des Jacobins avaient assailli h leur sortie les membres des seclionsde Saint-Georges et de la rue Neuve, blessantgrièvement plusieurs citoyens. L'un d'eux, nommé Gauthier, de mœurs douces et d'excellente réputation, était tombé mortellement atteint et sa vieille mère, aiïolée de douleur en accompagnant son cadavre à l'hôpital, avait crié son désespoir avec des accents si touchants que les grenadiers de la section Rousseau, paisibles négociants pour la plupart, lui avaient juré de la venger. Sans car- touches pour leurs fusils, ils aiguisaient la lame de leurs sabres contre des bornes en pierre et voulaient marcher contre la municipalité. Leurs officiers eurent grand'peine à empêcher cette manœuvre imprudente, qui aurait comblé de joie les défenseurs de l'hôtel de ville, plus nombreux et mieux armés. Ceux-ci riaient de l'impuissance de leurs adversaires'.

Nul n'ignorait que les Jacobins préparaient de nou- velles mesures de proscription-, aussi les royalistes ne s'étaient-ils pas réunis à l'hôtel Savaron, ils avaient rôdé autour de leurs sections. La plupart serraient fiévreuse- ment, sous leurs pauvres vêtements, les armes qu'ils pou-

1- La municipalité prenait l'arrêté suivant :

Au nom de la Loi suprême,

Les membres du Comité de Salut ])ubiic du département de Rli6ne-et- Loire, requièrent le commandant de l'arsenal de ne reconnaître aucune force armée, soit pour lui donner du secours, soit pour entrer de force dans ledit arsenal, ils le requièrent en outre, de faire agir sa troupe en cas de résistance, avec fermeté, et de concert avec le commandant de Tartillerie, pour repousser la force par la force.

A Lyon, le 28 mai iVXi. « Behtkand. »

2. <t Réjouissez-vous, disait Chalier au Club des Jacobins, réjouissez- von«, braves sans-culottes, les trois cents létes que nous avnns marquées, ne nous manqueront pas aujourd'liui: all(»ns nous enqiarer des membres du département, des présidents et des secrétaires des sections ; formons-en un faisceau, mettons-les sous la guillotine, et lavons nos mains avec leur sang. »

12 l'insurrection de LYON EN 1793

vaient dissimuler : pistolets, sabres courts, couteaux de chasse ou poignards. Quelques-uns faisaient partie de la milice citoyenne et en avaient revêtu l'uniforme; Je fusil sur l'épaule, mais ta giberne dégarnie de cartouches, ils se rendaient à leurs sections ouvertes en permanence. Ceux qui pouvaient pénétrer dans la salle des séances entendaient à la tribune vanter la République et blâmer la municipalité. « La cité subissait le joug odieux des anarchistes les plus dangereux, mais le peuple allait inter- venir sous la double direction des administrateurs du département et des délégués des sections, il fallait chasser ces fauteurs de désordre et ces spoliateurs des fortunes privées ^.. » Les orateurs se succédaient, soulevant sans cesse les applaudissements de leurs auditeurs.

Malgré Thoure avancée delà soirée, les salles de séance gardaient leur public anxieux et enfiévré. Toutefois les présidents des différentes sections, qui n'avaient cessé de communiquer entre eux par de nombreux émissaires, engagèrent les citoyens à prendre quelques heures de repos, leur affirmant qu'ils se trouveraient tous réunis pour la résistance aux premières heures de la matinée.

Les assistants se dispersèrent, traversant les rues peu ou point éclairées, avec un cliquetis d'armes, un bruit de paroles h demi étouffées Ton sentait gronder d'âpres colères'-.

A la place des Terreaux, le silence et la solitude ré- gnaient aussi. Les pièces de canon avaient été replacées dans la vaste cour de l'hôtel de ville « l'hôtel commun », selon la désignation officielle et les gardiens de cette

1. Vingt-six sections sur trente et une demandaient la permanence en armes dans leurs quartiers (Metzger et Vaësen» Documents imprimés: J.tfon en 1793, p. 10).

2. D'après M. Charléty. les représentants Nioche et Gauthier, avertis de la colère populaire, auraient écrit, dans cette même soirée du 28, au Comité de Salut public de Pari?, pnur ajourner le recouvrement de l'emprunt forcé de six millions sur les riclies. [Cf. Charléty. la Jtnivnve du 28 mat 1702 (Ex- trait de la liévolulion française^ numéro d'oclobre-novembre 1900, p. 418.])

VEILLE d'Émeute 13

artillerie de barricades dormaient maintenant du sommeil de Torgie.

Vingt-sept habitants de la ville de Lyon, représentant vingt-sept sections, qui protestent contre la municipalité, arrivent un peu avant une heure du matin à Fhôtel de Milan et exigent im entretien immédiat des convention- nels. Ils demandent aux représentants Nioche et Gauthier, de prononcer la déchéance de la municipalité et Téloi- gneraent des troupes. Les représentants déclarent ne pas les trouver suffisamment accrédités et refusent de leur donner satisfaction. Les délégués se retirent en affirmant qu'ils ne renouvelleront pas cette démarche '.

C'est la guerre, la municipalité la rendra d'ailleurs iné- vitable par de nouvelles provocations.

Vers deux heures du matin, quarante prisonniers sont amenés à Tédifice municipal par des gardes nationaux et des hommes en carmagnole -. On les entasse dans les caves, non sans les maltraiter ni les injurier ; ils faisaient partie d'une patrouille de la section Saint-Vincent qui a été surprise et cernée.

Au moment se ferment sur ces infortunés les portes de leur malsaine prison, de vagues rumeurs, un bruisse- ment mystérieux s'élèvent dans les rues qui avoi- sinent la place Bellecour. Bientôt des pas cadencés résonnent, des baïonnettes luisent dans l'obscurité. Sur la vaste esplanade d'où la Révolution a chassé la statue de Louis XIV, débouche une foule d'hommes armés, qui, dans leur hâte de combattre, ont devancé l'aube^. Parla

1. « Ils (les députés des sections) Ii<«(>ntune délibération qui intimait des ordres aux représentants du peuple^ ils déclarent qu'elle n'est pas signée et délibèrent par acclamations qu'ils n'en remettront point d'extraits aux représentants. » {l*récis tira èvvnoinenls arrivt^s à Lyon^ etc., /mr Siitchr ri Gaulhiei\ représentatifs liu peup/e.) Cf. aussi, Sebastien (Uiarléty, la Jour- née fin 29 mai 1793 (extrait de la Hévo/ufion framaise, numéros d'octobre et de novembre 1900).

2. « Quarante citoyens ont été airétés et emprisonnés à l'IlcMcl de Ville... » {Procès-verbal des événements^ etc. Dossiier du (lomité de Salut \\ub\\i\ Archives nationales, AF", 339-344. i3.}

3. « Toute la nuit du 28 au 29 se passa eu préparatifs de guerre », etc.

14 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

nuit de printemps, toute brillante d^étoiles, sous la brise qui fraîchit avant le lever du jour, les défenseurs de Tin- dépendance lyonnaise, renforcés de nombreux et discrets royalistes, vont passer silencieusement les dernières heures de la veillée des armes.

Cf. Charléty, étude précitée. [Révolution française, numéro d'octobre 4900, ]). 419.) tDans la nuit du mardi au mercredi, les sections ont été assemblées, etc. » Goncbon au ministre de l'Intérieur. [Archives nationales AF i«, 339-344.43.) '

CHAPITRE H

POURPARLERS ET GUET-APENS

Les deux conventionnels Nioche et Gauthier, qui hal)i- taîent l'hôtel de Milan, sous la protection de l'Hôtel de Ville et de sa singulière garnison, n'tUaient pas sans in(|uiélude sur l'attitude des sections. Ils ignoraient les rassemblements de la place Bellecour, mais ils redou- taient d'autant plus les manifestations hostiles que le commandant de la garde nationale, Julliard, ouvrier en soie, sans prestige et sans autorité, ne leur inspirait aucune confiance *.

Depuis le commencement du conflit avec la municipa- lité, la plupart des bataillons ne répondaient plus à ses réquisitions. Les représentants préférèrent donc remettre le commandement efTectifde toutes les troupes, y compris Ih garde nationale, entre les mains de Tadjudant-général I^ Doyen qui avait été misa leur disposition, à Chambéry, par le général Dornac, commandant en chef provisoire de l'armée des Alpes*-.

En conséquence, à huit heures du matin, Le Doyen était éveillé par Gauthier ^, qui lui donnait verbalement Tordre de requérir la force armée sans le moindre retard, lui

1. « Quand il fut question de l'élin» au commandement général, Julliard, avait déclaré que, vivant de son travail, il ne pouvait accepter une place qui lui imposerait des dépenses au-dessus de ses moyens. » Le; Conseil de la commune calma ses scrupules en attribuant au futur commandant 4.000 livres d'honoraires. Ses frais de bureau et la «lépensc de son cheval incombèrent à la ville. (Maurice Wahl, les Premières années de la Récnlu- lion à Lyon 1188-1192, Paris, Colin, 18!)4, p. .iOG.)

2. Déclaration de radjudant-générnl Le Doyen, interrojLratoire 20 mai devant les sections. {Dossier du Cnmilé de Salul public: Arc/iices natio- nales. AFii, 339-344.43.)

3. Déclarations de Tadjudant-général Le Doyen.

16 l'insurrection de LYON EN 1793

annonçant en même temps qu'il allait, lui délégué de la Convention, faire une proclamation *, qui ramènerait Tobéissance h l'autorité des représentants et à celle de la municipalité. ,

L'adjudant-général donne aussitôt ses ordres qu'il envoie par estafettes, fait battre la générale et assure les commissaires de la Convention de son dévouement. Mais à côté de cette autorité, il y en avait une autre, tout au moins parallèle, sinon supérieure en fait, celle du Comité de Salut public de Lyon, qui lui envoyait la réquisition suivante :

AU NOM DE LA LOI SUPRÊME !

Nous, membres du Comité de Salut public du département de Rhône-et-Loire,

Requérons Tadjudant-général de Tarmée des Alpes, faisant en cette commune les fonctions de commandant de la place, de prendre toutes les mesures qu il croira convenable pour empêcher les progrès de la malveillance, le requérons de re- pousser la force par la force, si Ton fait violence.

En conséquence, lui donnons plein pouvoir, de concert avec notre commandant général des bataillons de cette commune de requérir et mettre sous son obéissance tous les bataillons de cette commune, de requérir et mettre sous son obéissance tous les bataillons cy-après dénommés, savoir :

La Côte (1" et bataillons), Saint-Paul, Pierr-Scize, Saint' Georges, place Confort, Y Hôtel-Dieu, Rhône, Beîle-Cor- dièi'e, Bonner encontre, rue Thomas sin (l**" et 2* bataillons), Saint' Vincent (2* bataillon), la Juiverie, le Gourguillon,

Lesquels tous dits bataillons demeurent sous le commande- ment dudit général.

A Lyon, ce 29 may 1793, Tan H de la République française.

Signif : Fillon, Achard, Thonion,

Vice-président'-.

1. Déoiaration de Tadjudant-général Le Doyen.

2. Copie conforme à /'t>ri<7i/ia/. Tillard aine, secrétaire greffier provisoire,

POURPARLERS ET GUET-APENS 17

Aussitôt qu'il eut réuni deux bataillons dinfanlerie de ligne et un e:>cadron de dragons de rex-régiinent de dragons de Lorraine ^ radjudant-général Le Doyen inities troupes en marche et les conduisit sur la place des Ter- reaux pour les mettre h la disposition de ce Comité de Salut public qui lui donnait directemont des ordres*. 11 fut rcru aussitôt par les membres du Comité, au milieu desquels se trouvait le représentant Gauthier, qui n*avait pas encore fait la proclamation annoncée si prématuré- ment *. Le Doyen remit au comité la réquisition et la laissa sur le bureau, après l'avoir paraphée '*, puis, pour couvrir complètement sa responsabilité vis-à-vis de la Convention, il représenta cette pièce à (jauthier qui l'en- gagea à y déférer ••.

L'adjudant-général donna alors, par écrit, au comman- dant géni'ral de la garde nationale l'ordre de réunir iW hommes dans chacun des bataillons désignés par la réquisition du Comité de Salut public ; il prescrività toutes les troupes de ne point faire usage de leurs armes sans un ordre formel émanant de lui*'.

Julliard avait été appelé dans la nuit à l'Hôtel de Ville par les membres du Comité de Salut public sous le pré- texte de prendre des dispositions militaires ; en réalilé on voulait s'assurer de sa personne et surtout le souslraire li l'influence de quelques-uns de ses oflieicM's dont se méliail la municipalité toujours soupc^onneuse*.

.Maisonnciive, membre de \n municipalité provisoire. [Archirrs niUianales,

1. Stryert. Siniiwlle /lisloh'c île L'fitnA. MI. p. oH).

2. Ih'rinriitinn île l'aiijudnnf-ifi'ni'ru/ Le Dm/rn Arrhivrs naf inutiles^ AFii. 33'J-:Ui.i3..

3. Mt'-me document.

4. /'/.

n. II/.

6. '.« A répondu : qu'il n fait la défense aux troupes qu'il avait requises, canonnii^r"* et autres*, de tirer sur les citoyens. » [Ihulurallon ite Le Dni/rn ; Archiri's nnfionntrs, \Vn, 3:{î)-34i. 43.}

7. Cependant, depuis les élections du ^'î août 1902. l'état-m.'ijnr di's lé;:itnis était acquis aux Jact»bins : seuls les «licfN de lé-ji^n cl Irurs adjudants

18 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

Par prudence ou par inconscience, JulliarcI signa sans objection tous les ordres de réquisition qui lui furent présentés. Les chefs de légion Emery Riard-Beauver- nois, Moulin et Gros étaient d'ailleurs tous disposés à obéir directement au Comité de Salut public, à la muni- cipalité ou aux représentants.

Les personnages qui appartenaient aux deux premiers groupes s'étaient entendus pour faire fermer la salle des séances du Département ^ Les administrateurs Sauréas et Rozier et le procureur syndic Meynis s'en étaient vus refuser l'entrée et, dans Timpossibilité d'exercer leur man- dat, avaient été protester chez Dubost, leur président, rue Bonnerencontre. 11 avait été décidé d'un commun accord que le conseil du département se réunirait, à deux heures, au local du district de la campagne de Lyon il tiendrait ses séances jusqu'à nouvel ordre-. Un citoyen courageux de Saint-Chamond, nommé Vinant, vint se mettre à la disposition des administrateurs pour les aider à la réquisition de la force armée -^

A huit heures du matin personne n'ignorait plus à Lyon l'organisation d'une formidable résistance.

Ghalier, Thalluciné malfaisant, en avait eu le pressen- timent. Dès six heures, il avait envoyé au maire Ber- trand, son ami, une lettre incohérente il exprimait ses craintes et son désir d'ôtre protégé :

« On m'a dit, hier au soir, de retour de la promenade, que les sections aristocrates en permanence avaient arrêté que le dé- partement, cher ami, devait me faire arrùter. C'est à votis, magistrat, à soutenir le choc du moment avec intrépidité; par-

géncraux inaiiifestaient leurs sympathies pour la municipalité. (Mauric»» W'alil. les l*renii('r<'s n/inéesdc la llëvolulian à Lf/on^ p. 'iO'J.i Rapport de Gonchon à (i.iiat, ministre de llntêrifur. [Archives natuinalcs, AF««. 330- 3ii.'f3.)

\. J. Morin. Ilisfojre tir Li/iui f/c/iUi.R la lU'Volulinn, t. II, p. w22.

-. Pi'iH'i'S'Verlxnix des canseifs f/éticrau.r du dêjtnrltnnenl , du f/isfrici et de la rf/ni/iaf/nr de L'jnn.

3. Id.

POURPARLERS ET GUET-APENS 19

tout il y a trahison, luttez courageusement. Il faut que j'aille au Tribunal, donnez des ordres aux bons patriotes pour que, sans que cela paraisse, j'y soh- veillé pour Taller et le retour, car de quoi n'est pas capable l'aristocratie en délire, étayée par un département semblable à celui de la Vendée * ? »

Les sectionnaires, qui avaient passé une partie de la nuit sur la place Bellecour, avaient vu leur nombre s'accroître dans la matinée. Plus de vingt bataillons, rassemblés sur leur place d'armes dès neuf heures du matin '^. venaient se concenlrer sur la place de la Fédé- ration*.

Aucun des quatre chefs de légion n'était présent, mais presque tous les chefs de bataillon faisaient cause com- mune avec leurs hommes. On remarquait Tattilude énergique de Boulay, le commensîil de Thôtel Savaron, de Badger, ancien chef de légion ' et de Madinier, un modeste appréteur de draps qui avait autrefois servi comme bas-officier dans un régiment d'infanterie.

Le bataillon le plus résolu, celui du Port-du-Temple, subissait l'ascendant d'un homme plein d'énergie, de tout temps opposé aux Jacobins, Didier, ancien avocat au Par- lement de Grenoble. Ce fut ce bataillon qui manifesta le premier l'intention de s'emparer de l'Arsenal, massive construction close et crénelée, à l'extrémité ou(»st du quai de Saône. Là, sous l'autorité du commandant, mais

1. La lettre finissait ainsi !

V Af/e (fUnd af/i.s! Sauvez le peuple «pii vous aiiin*. m (lé[»it lU* la ch- lomnie. »

<f Saint cordial :

« (illIAI.IKIi. .0

(>fii*l/ffer et ViU'zen, Documents : LffuH en \Vy.\ avant /♦• sir'je. le 2îl }nai).

2. Rapport de police envoyé un (Inmit«* de Salut public, sous le titn; de fiecit des journées ites 2n et 2M mai dernier f,assres à Lifnn ( Archiiea /lisfo- riqurs de. la ftuetre : armée (tes Aipes, Dossier (tes pièces historiques.

.3. .\f»*inc document.

\. Les anciens chefs d<* Ii-j^ion qui appartenaient au parti luoiltT»'* étai«.'nl MM. <le Jessé, Holiioud de (^tianzieu, Hadirer cl V«"rn«»n. Of. Maïu'ice Wahl. iex Premières années de la liévolution à L>/on. p. HoP».

20 L*INSURR£CT10N DE LYON EN 1793

SOUS la surveillance effective d'un brave officier de l'an- cien corps d'artillerie, M. de Gueriot de Rué, ex-capitaine de la compagnie d'ouvriers de Douai, devenu lieulenanl- colonel, se trouvait réuni un parc d'artillerie considérable, parfaitement approvisionné en munitions.

Le bataillon du Port-du-Temple se met résolument en marche dans la direction de l'Arsenal*. Le bataillon de Saint- Vincent, de Porte-Froc etplusieurs autres le suivent- sous le commandement des chefs de bataillon Badger, Goubert et Desgranges.

Ces troupes se déploient devant l'entrée principale de l'Arsenal, des ofliciers se détachent et démandent à parler au commandant de l'ArsenaP. Celui-ci avait recju dans la nuit l'ordre suivant :

AU NOM DE LA LOI SUPRÊME !

Les membres du Comité de Salut public du département de Rhône-et-Loire requièrent le commandant de l'Arsenal de ne reconnaître aucune force armée, soit pour lui donner des se- cours, soit pour entrer de force dans ledit arsenal, ils le re- quièrent, en outre, de faire agir sa troupe en cas de résistance avec fermeté et de concert avec le commandant de Tarlillerie, pour repousser la force par la force.

A Lyon, le 28 mai 1793.

Bertrand '.

Le commandant était absent de l'Arsenal au moment se présentèrent les délégués des sections. Ceux-ci s'adressèrent au lieutenant-colonel de Gueriot de Rué, qui

1. Alexandrine clos Echorolles, une Famille noble sous la Terreur, pu- bliée et annotée par M. Hené «le Lespi nasse. Paris, Pion.

2. Rapport de police. {Arc/iives historiques de la Guerre j armée des Alpes.)

3. Mrme domment. Cf. aussi Jmu^nal fie Lyon {Histoire parlementaire de lu Révolution, par Biichr'Z et Koux. p. 29).

4. R'illevdier, Histoire politique et militaire du peuple de Lyon, t. 1, p. 107.

POURPARLERS ET GUET-APENS 21

n'ayant reçu personnellement aucun ordre, n'opposa point de résistance ^ et laissa les bataillons des Sections occuper le bâtiment. Une partie de ces troupes revint d'ailleurs sur la place Bellecour, se trouvaient rangés déjà vingt bataillons en armes, dévoués à la cause de l'indé- pendance.

Un officier fut envoyé à la recherche des commissaires des Sections pour leur olfrir de siéger dans le vaste local dont on venait de s'emparer si facilement. Il était onze heures du matin ^.

Les commissaires ne s'étaient réunis qu a dix heures et demie dans la salle de la bibliothèque de l'ancien cou- vent des Jacobins*, à peu de distance de la place Belle- cour. Ils étaient au nombre de vingt-sept, représentant vingt-sept sections, et avaient procédé à l'élection de leur bureau. On avaitnommé président M. de Fréminvillc, ancien membre du Conseil général du département, très estimé pour son caractère honorable et ses connaissances juridiques, et vice-président M. Mathon de Lacour, qui s'était toujours occupé d'œuvres philanthropiques; les fonctions de secrétaire étaient confiées à un honnête com- naerçant, nommé Napoli.

Aussitôt le bureau constitué, les commissaires des sec- tions avaient juré de maintenir la liberté, l'égalité, la République une et indivisible et la représentation natio- nale'*. Ils avaient prêté, tous, un second serment non moins solennel : « Sauver la cité ou attendre la mort à leur poste"\ » C'est alors que leur parvient la nouvelle de l'occupation de l'Arsenal par les bataillons scction-

1. Rapport de polûre au Comité de Salut public. {Archives historiques de la (fuerre^ Armée des Alpes^ d<tssier des pièces historiques.)

2. .Même document.

3. Procès-verbal des sections : Difssier dit Comifr de Salut pul)lic. (-Ir- chires nationaleSy AFn, 33i)-34'*.4IJ.]

4. ProcèS'Verbal des sections (Archives nationales, AFn, 339-344.43 : Dos- sier du Comité de Salut pultlic.)

5. Même docuoient.

Î2 L l»fCRRECnON DE LYON EN ITÎ^

naires. un des commissaires propose à la réunion de s'y transporter, ce qui est aussitôt décidé *.

Les délégués des sections partent pour l'Arsenal aux acclamations des bataillons. Une fois installé dans ce Taste local, le président est avisé que les administra- teurs du département et du district de la ville se sont réfugiés auprès des administrateurs du district de la cam- pagne et qu'ils ne s'y trouvent pas en sûreté. Plusieurs délégués des sections, escortés de deux bataillons de la garde nationale-, se rendent auprès de ces administra- teurs et leur offrent d'aller siéger à l'Arsenal, ce que ceux-ci acceptent avec empressement*^. Un local particu- lier est désigné pour leurs séances; ils sont aussitôt invités à statuer sur une proposition des sections tendant « à la destitution du Conseil général delà commune* »».

Le combat est imminent avec les troupes dont dispose la municipalité, et les sections n'ont pas encore désigné un général... L'un des commissaires propose le chef de bataillon Madinier; ce nom rallie aussitôt tous les suf- frages''.

Les premiers coups de fusil vont être tirés. Le bataillon des Sans'(!iili)ttrs du Rhonr, requis par la municipalité, pour lar|nelle d'ailleurs il manifestait bruyamment ses sympathies, se forme place Léviste, en face de plusieurs c^jm[)agnies sectiomiaires, placées en avant du centre de leurs bataillons''.

Les sans-culottes ouvrent le feu mais avec précipitation et sans justesse. Avant que les sectionnaires aient riposté, les défenseurs de la Municipalité se replient et

i. l*roc('s-verhal (1rs sections {Arrhi'rs na/innales. AFiu 339-314.43}.

2. Prorès-rerbfil des con.'ieils f/éN*'ranx, fin dêparlcinenl des disiricts de Lyojief de tu cdni/tdffrie.i). 143.

3, J(r/niii/ de Li/oii Hisfoire ftarlei/ientaire de /a Rvmlulhm fram^aisey par Buchez et Houx, I. XXVII. p. 421»;.

\. l'rtH'ès-verbdl tles serl'.nns.

.■■», l'rorè.s-rerbol des sert 'mus. Son nom y est écrit, par erreur, Madinière. 0. .Inunttif de Lj/on ' llisloire juirlemenlaiee de ht HèviduJinn française ^ par Buchr./. et Houx, p. 430.;

POUHPAHLEHS KT GUET-APENS 23

battent en retraite sur l'Hôtel de Ville sansôtre inquiétés.

Ia» nouveau général, Madinier, pn^nd possession de son commandement, il passe n cheval sur le front des bataillons qui Tacclament, puis se rend à l'Arsenal, le commandant de Tartillerie, sur la réquisition des commissaires des sections, fait livraison d'armes et de munitions ^ Le commandant de l'Arsenal est toujours introuvable.

Les commissaires invitent les municipalités de la Croix-Rousse et de Vaize à réunir sans délai leurs gardes nationales aux bataillons des sections. Ils adressent une réquisition dans le même but aux commandants de la j;endarmerie à pied et à cheval et nomment des délégués •' pour procurer des aliments îi Ions les citoyens sous les armes"-'».

Un détachement de cavalerie, composé de guides, de hussards et de dragons, entre en pourparlers avec un bataillon des sections dans la rue de TArsenal. Les offi- ciers de cavalerie protestent de leur dévouement à la cause des Lyonnais. On les caserne dans TArsehal les rejoint toute la gendarmerie départementale à pied et n cheval, sous les ordres du commandant Ducreux deïré/ette, qui avait appartenu, comme lieut(»nant, à Tancienne maré- chaussée de la province. Officiers et gendarmes déclarent ne reconnaître comme autorité que Conseil général du département. Sur la place Bellecour, les bataillons de la Croix-Uousse, de Vaise et de la Guillotière devaient se diriger sur la place des TcM'reaux. Ce détachement est aussitôt placé en avant-garde '. A ce momc^nt arrivent à TArsenal les bataillons de llnion et de S.ione. Les adminis- trateurs de Uhône-et-I^oire*requiérentaussitolparestafeltes

1. Pt'ocf's-''rrhal (h*s Scctintts Arrh'ri's int/if/Ki/cy..

2. -Xfôme (loruiiient.

3. Journal th' Lytni.

i. D'après le Pmcès'rt't'bdl des sccfinns, des (l«'init.itions de l;i Croix- Kousse et de Vaise serainit venues assun-r Ifs siM-tionsde leur sympathie et provoquer la réquisition du département.

24 L*IXStRRECnO>' DE LTO!« EX 17^

de gendarmerie, les gardes nationales de tous les envi- rons*. 11 est midi, et de toutes parts les forces section- naires grossissent aux cris de : Marchons sur rhùtei commun. »

Au moment les bataillons Ivonnais allaient s*ébran- 1er, on vit arriver le représentant Xioclie, accompagné de Tadjudant-général Le Doyen et de plusieurs officiers de hussards. Il s'engagea au milieu des bataillons pour les haranguer, mais il ne put se faire entendre, soit qu'il fiU intimidé, soit que les sectionnaires s'efforçassent de couvrir sa voix-. Le représentant n'avait pas été mieux accu»*illi par les rassemblements de la rue du Plat-d'Argent et de la rue de la F^ècherie '*. Un émissaire de la Convention, Gonchon, croit devoir intervenir et, pour rendre la foule moins hostile au représentant, sécrie à plusieurs reprises : Ki>r la Convention nationale! Vivent les commissaires * ! en agitant son chapeau. Les sectionnaires répètent les mêmes acclamations en plaçant leurs chapeaux au bout de leurs baïonnettes-'. Xioche fait de nouveaux efforts, aussi infructueux, pour se faire entendre : sa voix est couverte par les clameurs : A l'Arsenal î » Quelques gardes nationaux saisissent la bride de son cheval et veulent traiter le conventionnel en prisonnier, Gonchon les supplie de respecter son caractère, les menaçant de la colère de la France entière •'. Xioche et Le Doven n'en sont pas moins entraînés vers l'Arsenal et conduits f^ la

1. Journal île Lt/ofi.

2. Rapport de Gonchon h Garai, ministre de l'Intérieur. (Jr<7t/rf* natio- nales, A pu, 33'J-3i4.43.;

3. Lettres des commissaires llt^bert et Flèriet, {•' juin 1793. {Archives historiques tle la ffuerre^ Année des Alpes, \\i\Xï 1793.)

S. Mriiic donimenl.

"i. I.»rtfn; précitée des coiinnissuires.

{'}. Journal de Lifon. du 29 mai. Dans le précis des événements du 29 m/ii rédij^'é par Nioche et Gauthier. le premier de ses représentants dé- clare «pie le Conseil du département était absent, et que les citoyens « ar- més hans réquisition »> n'ont pas écouté sa proclamation.se sont saisi de sa personne et de celles qui raccompagnaient pour le conduire du crtté de •''" * il est retenu. » fVoir Précis, p. 160.

POURPARLERS ET GUET-APENS 25

Commission centrale des sections; ce n'étaient plus les proconsuls de la veille, à Tabord impérieux, à la parole cassante, ce n'étaient môme plus les parlementaires du camp ennemi, c'étaient déjà des prisonniers ^..

Quand ils sont dégagés du contact inquiétant de la foule, les représentants en mission reprennent un peu d'assu- rance; les commissaires leur font d'ailleurs un accueil courtois et les invitent à prendre place au bureau*. Nioche déclare aussitôt, en termes des plus conciliants, que les représentants du peuple feront droit à toutes les plaintes et que tous les bons citoyens doivent s'en rapporter à eux pour assurer la tranquillité publique *^ Le président Fré- minville lui répond avec beaucoup de calme et de modé- ration par une déclaration toute pacifique : « Nous ne voulons tous que le règne de la loi, la liberté, l'égalité, la sûreté des propriétés et des personnes, le respect de la représentation nationale, la république une et indivi- sible '*. » Mais il ajoute, avec fermeté, que les citoyens de cette ville ne peuvent supporter le joug de l'op- pression municipale ni laisser subsister l'anarchie qui désole la cité; que d'ailleurs la conduite de Nioche lui- aième comme représentant du peuple a augmenté la défiance des citoyens*. N'a-t-il pas signé «l'arrôté de la municipalité du ii mai pour la formation arbitrain^ i* d'un tribunal de sang^? » Aussi, pour recouvrer la con- fiance de la population honnête, les représentants du

1. Voici l'appréciation de M. Charléty, l'historien lyonnais dans son étude : ia Journée du Î9 mai, publiée par ia Hevolufiou française [numéro tl'oo- lobre-novembre 1900, p. 420) : « Nioche arrive à l'Arsenal, y devient, mal- gré les marques de respect dont on l'entoure, le prisonnier, el bientôt, quoiqu'un peu malgré lui, Tagent du parti sectionnaire. Il est dans celte affaire, du commencement à la fin, victime de son indécision el de sa naïveté.»

2. Procès-verhal fies serfians {Arr/iirrs nationales .

3. Même document.

I. Jnurnal de Lyon : ia Jiturnrr du 29 niai.

5, Procès rerhal des sec/ions, déjà cité,

6. Par arrêté du li mai. Ips trois corps administratifs de la ville de Lvtni étaient déclarés investis «les pouvoirs illimités, cl comptaient dix Jaco-

20 l'iNSL'HKECTION de LYON EN 17ÎI3

peuple n'ont que deux mesures à prendre : premièrement faire retirer la force armée et faire disparaître les canons qui alarment les citoyens; deuxièmement suspendre de ses fonctions le Conseil général de la commune', c'est- à-dire la municipalité.

Niocbe, perdant son assurance, balbutie de timides protestations, il va jusqu'à désavouer sa signature au bas de l'arrêté du 14 mai^. Les commissaires con- testent ses dénégations, mais la discussion garde un ton de courtoisie, lorsque soudain retentit une violente décharge d'artillerie^. L'Assemblée députe aussitôt deux de ses membres pour aller aux informations. Bientôt ceux-ci reviennent et font le rapport suivant :

A une heure après midi *, un bataillon de garde natio- nale, qui avait adhéré au mouvement sectionnaire, le bataillon de Brutus ici-devant la Pêcherie., s'était dirigé en armes vers le poste de la Poudrière "', sans en référer au commandant général Madinier.

r.ette troupe avait élu commandant un simple caporal nommé Dumas'', manifestement opposé à la municipalité. Lorsque les gardes nationaux de Brutus arrivent sur le quai de Saint-Vincent, ils se trouvent en présence de leur ancien commandant. Barbier, qui les harangue, revendique le droit de les commander et obtient de Dumas la démission de ses fonctions.

Redevenu leur chef, Barbier dirige son bataillon sur rHôtel de Ville, l'arrête sur la place, en face le café

bins : Arhanl, Maillon. Pipon. Thonion, Marcabeo, Trichani, Roch, (iau- thier et Fillon. Enfin, les niénies ourps réunis sous le tilre de Comité de Salul public, avaient demandé à la Convention la formation d'un tribunal révolutionnaire. La Convention l'ajourna sur la pétition de 400 citoyens.

1 , l*rorè.s-'f*rb(t/ 'les sections' déjà cité.

2. M«*Mue document. '^. l't.

4. Déposilion Berruyer (/*/ofr.s-.'<'/7;t/w./ des inusri/s ifénrrauj- du dépar- ti'nienl et ih's disirictsj.

'.'t. l'nirifs-rcrhal du hdlail/uit de Drulus dans la Jnurin'i' du 2'> mni (His- hiiic dr lu Hrnduliint, pièces justilicatives).

6. Même document.

POIRPARLKHS ET GUET-APENS 27

Antonio, et s'approche d'un officier municipal, du chef de légion Riard de Beauvernois et d'un adjudant'. Tous les quatre s'entretiennent à voix basse, puis Barbier re- vient vers ses hommes, qui le regardent avec méfiance.

11 était alors midi. Que se passa-t-il? On a prétendu que Barbier, d'accord avec les partisans de la munici- palité*, surtout avec le chef de légion Riard, leva son chapeau pour leur indiquer qu'il fallait ouvrir le feu, et qu'à ce signal avait répondu aussitôt un coup de fusil tiré de la terrasse de l'hôtel commun'^, ce qui était un second signal pour l'artillerie.

D'après une autre version», l'exaspération réciproque aurait fait commencer le feu simultanément des deux c<*)tés, sans qu'on puisse nettement indiquer à qui incombe la responsabilité '.

On a dit, d'autre part, que certains officiers, étant montés sur le perron de Thôtel commun, y rencontrèrent Julliard, le commandant général nommé par la munici- palité, et qu'après Tavoir^ salué, ils avaient donné le signal par un signe trianyiilaire^' (évidemment un signe maçonnique).

Quoi qu'il en soit, deux pièces de canon placées devant l'hôtel commun' tirèrent à mitraille sur le bataillon, presque à bout portant. Des coups de fusils partirent aussi des fenêtres de l'Hôtel de Ville et des rangs d'un bataillon massé devant l'abbayo de Saint-Pierre^.

1. Cf. Louis Blanc, Uistnire de la lir-nlitlitm, t. VIII. p. .'Js3.

2. Barbier aurait engagé son bataillon à i'ec(»nnnitre l'autorité de la uiu- niri]>alité. {l'mcès-rrrffdf <lu bnlaillnii ilc Hrutiix.)

3. Journal de Lyon. M. ("barlrly, dans son «îludc de lu Jonniée du 29 mai, inenlionnt> le pn'inier coup de fusil couiiinî tiré dune fcnrlrc de rUÔIel (le Ville.

4. Rapport de judicc anonyme envoyé au (Comité <le Salul public, ù Paris, déjà rite.

o. M. Charlély s'exprime ainsi: <• Des deux côtés, c'est alors unrdérharge générale. » [Herolulion frauriiisc, numéro d'oclobre-novembre 1900.)

H. Dépositions Berruyer et (louri l*r(tcès-rerh(iuj- des lumseils i/i'urraur du clt'fitirtement et des disfrirfs.)

7. I*rttrès-rerl/al des seclinus.

s. Dé[»ositions Bemiyer et Court, déjà citées.

28 l'insurrection de lyon en 1793

Le bataillon décimé se débande, les gardes s'enfuient dans les rues voisines en criant à la trahison.

Plusieurs se réfugient* dans les maisons de la place des Terreaux, dont ils sont arrachés au milieu des injures et des coups. On les jette dans les caves de Tllôtel de Ville, pèle-môle, avec les prisonniers de la nuit. Des blessés errent éperdus sur la place, poursuivis et frappés à coups de sabre et de baïonnette. Deux de ces malheureux viennent expirer devant la porte de Thôtel de Milan-.

Ni Bertrand, le maire, ni Gauthier, le représentant en mission, n'intervinrent pour faire cesser la chasse k rhomme dont ils furent les spectateurs -^ Gauthier affirma même plus tard que c'était le bataillon de Brutus qui avait commencé les hostilités '* ; il se borna à protéger contre quelques exaltés du parti de la municipalité le commandant Barbier qui, après avoir abandonné sa troupe, fut malmené, dans l'Hôtel de Ville, menacé de mort et emprisonné'*. Dans celte odieuse agression, le rôle de ce dernier est difficile à préciser.

Bientôt des fuvards du bataillon de Brutus arrivent à l'Arsenal et racontent le guet-apens dont ils déclarent responsables le représentant Gauthier, les membres de la municipalité et leur propre commandant. L'agitation est à son comble dans l'assemblée des sections^. Frémin- ville se fait Tinterprète de ses collègues indignés, en décla-

i. D'après Gonchon (Rapport à Garât : Archires nationales, AF", 339- 344.43). Les pertes da bataillon auraient été de 30 à 40 tués.

2. Journal de Lyon, déjà cité.

3. Déposition Berruyer et Courl.

4. Happort de (j^/M^/nVr, représentant du peuple, tant pourlui que pour son collègue Nioche absent, fait à Grenoble le 9 juin 1793. (Document cité par Louis Blanc, Histoire de la Hérolntion, t. lll, p. 3«4.)

5. I.e procès-verbal du bataillon de Brutus, signé Valeiitin, vice-président et Mossigny, s'exprime ainsi : « Le commandant du bataillon de Brutus s'échappa à l'hôtel commun, et se réfugia parmi nos ennemis dans l'in- tervalle du premier coup de feu tiré du balcon de l'hôtel commun d'avec les autres canonnades et fusillades. »

6. « Ils (les partisans de la municipalité) firent des prisonniers dans les diverses maisons les aristocrates s'étaient réfugiés.» {Happort fie police, déjà cité)

POURPARLERS ET GUET-APENS 29

rani à Nioche que la responsabilité des coupables est trop évidente et appelle une prompte répression*. Nioche, très inquiet au milieu « des vociférations et des accusations de trahison* », demande à faire lui-niôme une-enquête, il promet aussi « de faire cesser l'ellusion du sang et de revenir dans le sein de TAssemblëe^ ». Les commissaires lui permettent de s'éloigner, mais ils se refusent à laisser sortir Tadjudant-général Le Doyen. Celui-ci reste philoso- phiquement à la disposition des sections, en protestant de ses intentions pacifiques'*. L'assemblée se décide à requé- rir, de nouveau, les communes voisines d'envoyer au secours de la ville toutes les forces dont elles peuvent disposer. Des émissaires partent pour les communes de (Salaire, Sainte-Foy, Charly, Fontaines, etc. Les chefs de légion de la garde nationale du district de la campagne de Lyon sont personnellement requis de faire marcher leurs bataillons sur Lyon. D'autres réquisitions ordonnent àTadminislration du district de Villelranche et à celle du district de Saint-Klienne, de diriL^er sur Lvon la j^arde nationale de leur territoire. Enfin un commissaire doit allerau devant de 60 dragons montés, venantdes Ardennes sur la réquisition de la municipalité •, ut les conduire à TArsenal.

Les commissaires des sections avaient perdu un temps précieux; on les blâmait ouvertement, dans les bataillons de la place Bellecour, de relarder si longtemps l'assaut de THôtel de Ville. Madinier calma ces impatiences *m parcourant les rangs et en affirmant que la journée ne se terminerait pas sans que le bataillon de lirutus ne fût vengé.

1. Procès-i-erfuil des sections.

2. Même document.

3. Pn><"is Niorhe et (iauthier.

4. « Le Doyen reste ronsi«^né dans l'arsenal. i* (îuillon ilf Monléon, Ilis- to'ue tin sièf/e tfe Ltjon, Paris, Leclêrr, liv. V, t. l. j». 200.)

5. Procès-cerhaux des conseils ijênt'vaux du département <le li/inne-et- Loire, du district de Ltjon et de la rumijaffue de Lyon, relu/l/'.s n rrrcne- ment du 29 ntai.

30 l'insurrection de LYON EN 1793

L'irrésolution allait cependant encore se prolonger pendant trois heures, aucun des deux partis n'osant prendre résolument TofTensive.

Les commissaires des sections dépensaient toute leur énergie en protestations indignées et en vaines menaces, sans trouver d'ailleurs un réconfort auprès des adminis- trateurs du département et de la campagne, qui conti- nuaient à s'isoler dans l'attente des événements. Les gardes nationaux sectionnaires, harassés de fatigue, de- meuraient à leur poste, ne sachant ce qui se passait du côté de l'Hôtel de Ville.

A la place des Terreaux, tout était préparé pour une résistance à outrance. En apprenant que Le Doyen res- tait consigné à l'Arsenal, le représentant Gauthier confiait le commandement de toutes les troupes, à un commis- saire des guerres, nommé Duchambon', connu pour ses opinions jacobines - et pour sa violence. Il lui expédia la lettre de service suivante, qui avait un caractère essentiel- lement provisoire :

Nous requérons le citoyen Duchambon, commissaire ordon- nateur des guerres de donner les ordres nécessaires aux troupes de ligne et à la garde nationale pendant la journée et la nuit prochaine, nous en reposant sur son civisme et sa pru- dence.

Le 29 mai 1793.

Signe : Gauthier^.

Ainsi rassuré, un peu témérairement d'ailleurs, sur la direction des opérations militaires, Gauthier ordonne que

1. L'abbé Guillon de Monléon (jui, (ians son Histoire du sièffc ffe Lyon, cominot do nombreuses inexactitudes, tout en ayant cependant laissé des détails intéressants qu'il devait à des témoins oculaires, dit par erreur que Julliard prit le commandement etîectif après l'arrestation de Le Doyen. Cet auteur paraît avoir ignoré la nomination de Ducliambon.

2. Ducliambon avait un jour, au tbéâtre, menacé de son sabre les spec- tateurs (ju'il accusait de (.iirondisuics. et ^ans l'intervention d'une femme de ses amis, il aurait frappé plusieurs personnes.

3. founutf <!(' Lf/oii.

POUHPARLERS ET GUET-APKNS ÎU

Ton enferme dans les caves de THôtel de Ville ou dans la chapelle d'inoirensifs citoyens, arrêtés parles patrouilles parce qu'ils n'ont pas le mot de passe des Jacobins !

Ducliambon range en bataille devant l'Hôtel de Ville un bataillon de volontaires du Mont Blanc, arrive de Bourg depuis quelques instants^ et dont il remet le com- mandement à un chef de bataillon nommé IJnz, Savovard inintelligent qui a précédé à Lyon son bataillon depuis quelques jours, mais qui ne comprend encore rien aux événements*'.

A côté des volontaires du Mont Blanc se placent deux bataillons d'infanterie de ligne venant de Tarmée des Alpes, plusieurs bataillons de la garde nationale '\ et tout un ramassis de Jacobins^ soi-disant destinésà Tarmée révolutionnaire de TOuest, mais en réalité la garde pré- torienne de la municipalité. Ces bandes indisciplinées encadraient la formidable batterie servie par des artilleurs de Tarmée et des canonniers de la garde nationale.

Ce déploiement de forces, qu'on peut estimer à 2.<M.)0 bommes, ne reste |)as concentré sur la place: Du- cliambon en dirige une partie vers le pont Morand pour en assurer la défense, avec Tappui de trois pièces de canon mises en batterie à la télé du quai de Relz. De forts piquets d'infanterie vont garder l'entrée des rues du Garet, de Clermont et de Sainl^Pierre; deux pièces d'artil- lerie enfilent la rue Saint-Pierre presque tout entière. Tune placée à Textrémité sud-ouest de la place des Ter- reaux, l'autre à l'angle de la rue de la Cage, faisant face»

1. Le balaiilon venait d'arriver sous le cuiiiiu.indeinent du rapilaine Vauzeile. {DéolaraUon fuurnie par \U) militaires du bataillon d«'vanl la sec- tion de la Liberté de Lyon, :H uiai WX).)

2. «^ J«' n'ai jamais ru au» iiin' relation av<'f l'imlii^ne municipalité «|ue vous avez terrassée. ># l l.f rnmi/nnif/nnf iht fmhiiUnn du Muni Hlditr aux ri/ttt/rns nui cinnpnscnt h's sfctinns <h' h' -i/lr d' Li/im (Afliflu' imprimée : Archi'fs nulionales, Al'i". .Ti!)-:r»i. i:{ .|

:\. Vnir la liste du bataillon sur l'ordre île réquisition adressée à l'adju- daiil-f:éneral I^e Doyen

4. Slorin. Ilislttin' rlr Lf/nn depuis la Ixë idullnu dr H^^O, t. IL p. j30.

32 l'insurrection de lyon en 1793

à rHôtel de Ville. Plusieurs compagnies d'infanterie de ligne et une pièce de canon occupent la place de la Bou- cherie. Un groupe important de Jacobins garde la place de la Feuillée. Le reste des troupes est massé sur la place des Terreaux devant le palais Saint-Pierre et Thotel de Milan ou dans les vestibules et les cours de Tllôtel de Ville. Les fenêtres et les balcons du monument sont garnis d'hommes armés de fusils; devant le perron, six pièces sont en batterie'. La municipalité et ses parti- sans ne doutent plus maintenant de la victoire. Selon son habitude, Chalier propose des mesures de rigueur impla- cables. Nioche, qui arrive de l'Arsenal, est gagné par la confiance de ses amis et, sous leur inspiration, fait un nouvel arrêté qu'ils approuvent. Porteur de ce document cl après maintes embrassades fraternelles, il repart ache- vai, vers cinq heures du soir-, sanglé dans son écharpe, panache au chapeau, le sabre battant la botle; un trom- pette et quelques dragons l'escortent respectueusement. Quelle joie d'humilier à son tour les commissaires des sections !

Ceux-ci toujours patients n'ont pas quitté leur salle de séance, recevant de lempsentempsdesdélégotionsde batail- lons de la place Bellecour, qui les accusent presque de trahi- son. Madinierdéclare que bientôt il ne sera plusmaitre de ses hommes. Nioche fait dans TArsenal une rentrée solen- nelle: il donne aux commissaires lecture de l'arrêté qu'il vient de rédiger \ de concert avec Gaulhier et avec l'approbation de Bertrand.

Les représentants du peuple près Tarmée des Alpes, per- sistant dans les sentiments qu'ils ont nianifesU's par la pro- clamation de ce jour, ordonnent :

1. lifillcydier. Histoire thi peuj/le de Lyon, t. 1, p. 2ii3. Paris, (bur- iner, 1X4.*).

2. !*rfK:eJ<-rrrlmf t/rs sfi-flnus.

•<. /'/N'c/ç Nioche et Gauthier, p. 16*2.

POURPARLEnS ET GUET-APENS 33

i^ Aux citoyens qui se sont rendus maîtres de Tarsenal, dans cette journée, de Tévacuer sur-le-champ, et d'en rendre la garde à ceux qui seront désignés par les représentants du peuple ;

2** Ils ordonnent à tous citoyens qui se sont armés sans une réquisition valable de se retirer de suite dans leurs domiciles et d'y déposer leurs armes.

Sous ces deux conditions, ils feront successivement retirer la force armée qui a été requise, à Texception de ce qui sera par eux jugé nécessaire pour le rétablissement de l'ordre. Ils feront aussi élargir les personnes arrêtées dans la nuit. Il sera sursis à toutes poursuites, jusqu'à ce que la Convention natio- nale ait prononcé sur les malheureux événements de cette journée.

Les représentants du peuple déclarent que c'est au nom de la République française qu'ils donnent ces ordres et prennent les engagements ci-dessus ^

Les rummissaires s'indignent de ces prétentions.

Le président Fréminville témoigne, au nom de ras- semblée, toute la surprise que lui cause cet arrêté qui aurait infailliblement pour résultat de livrer des Lyon- nais indépendants à leurs tyrans. Que les représentants consultent ladministration du département, ils seront édilics sur les malheurs qu'entraînerait l'exécution de pareilles mesures! Le peuple scmeut, les bataillons des sections viennent d'apprendre l'arrivée dans les murs de Lvon du bataillon des volontaires du Mont filanc tout dévoué à la municipalité. La patience publicjue est à bout: seule la suspension de la municipalité peut rétablir Tordre*.

Nioche, un peu déconcerté, recommence les protesta- tions delà première entrevue, affirmant que défense avait été faite de tirer sur les bataillons seclionnaires, lorsque un nouveau et terrible démenti lui est encore apporté par

1. l'rocès-i'erùal des nerliitns.

2. Procès-vfubal des sections.

3

34 l'insurrection de lyon en 1793

les événements eux-mêmes. On entend des détonations répétées d'artillerie*.

L'angoisse et l'indignation sont générales, Frémin ville donne Tordre aux bataillons qui gardent Tarsenal « de se porter au secours de leurs frères d'armes*' »; il invite rassemblée h conserver le calme dont dépend le sort de la ville '\ Sur la proposition d'un des membres, on demande à Tadjudant-général Le Doyen de se justifier et de déclarer quelle était en réalité sa mission. Cet officier général répond qu'il a obéi à la réquisition du Comité de Salut public, mais qu'il a défendu à ses troupes de tirer.

Pour mettre un terme aux vaines allégations de Nioche, on le conduit auprès de l'administration du département^. L'assemblée des sections envoie plusieurs de ses membres sur le théâtre de la lutte pour encourager les défenseurs de l'indépendance ; ceux-ci ont déjà résolument engagé le combat.

1 . Procès-verbal des sections.

2. Même (locumetit. W. Id.

4. Id.

CHAPITRE 111

BATAILLE DE RUES

Dès cinq heures et demie du soir, les bataillons de la place Bellecour, exaspérés par cette journée d'attente, manifestèrent l'intention do se porter en avant. Madinier, qui venait de recevoir Tordre du président Fréminville, déclara aux officiers qui l'entouraient que Theure était venue d'agir ; il forma ses troupes en deux colonnes que devaient précéder quatre pièces d'artillerie provenant de l'Arsenal.

L'une de ces colonnes fut placée sous le commande- ment de Justin Badger, l'ancien chef de légion, assisté de Gingenne,le vieux maître d'armes du régiment de la Cou- ronne, très populaire dans la garde nationale, qui l'avait élu chef de bataillon, et de Lenoir, officier du môme grade, qui avait également servi dans l'ancienne armée ; elle devait suivre la rue de la Charité et le quai du Rhône'. L'autre colonne restait sous les ordres directs du com- mandant général, que secondait avec activité un jeune architecte lyonnais, nommé Buisson'-', improvisé adjudant général; son itinéraire était le quai de Saône et la rue de la Boucherie. Les deux colonnes devaient obliquer, Tune à droite, l'autre à gauche, et combiner leur mouvement de façon à déboucher presque simultanément sur la place des Terreaux et à s'emparer de l'Hôtel de Ville.

Pour ne pas mettre trop vite à l'épreuve la fidélité des

1. Joutmal de Lyon^ déjà cité.

2. Ce jeune homme appartenait à une excellente famille de la villo et avait déjà fait preuve d*un véritable talent dans sa profession. Il devait être fusillé après le siège. Cf. L.-M. Perenon,. Sot es, p. 12.

36 l/lNSUHKKCTION DE LYON EN 1793

détachements de cavalerie de ligne* qui avaient fait cause commune avec les sections, on les laissa dans la cour de TArsenal ils furent bientôt rejoints pa^ la gendarmerie restée h la disposition des administrateurs du département pour escorter ces derniers, s*ils le désiraient.

Madinier avait recommandé aux commandants des bataillons de conserver autant que possible la formation par peloton, qui permettait le déploiement et d'éviter les rues étroites et tortueuses, en s'engageant de préférence dans des voies un peu larges. Dès que la colonne dont il gardait personnellement le commandement eut commencé à défiler sur le quai de Saône, les éclaireurs de la com- pagnie de grenadiers de tête aperçurent deux membres de la municipalité, des plus violents et des plus redoutés, Casteron et Sautemoucbe-', qui étaient venus observer les mouvements de leurs adversaires. Ces Jacobins ten- tèrent de s'enfuir, mais ils furent rejoints, désarmés et placés en otage à la tête de la colonne, malgré leurs pro- testations.

La colonne du Rhône avait en avant-garde les batail- lons du Port-du-TerapIe et de Serin'', parmi lesquels il y avait beaucoup de royalistes. La plupart de ceux-ci étaient en habits bourgeois et avaient été armés de fusils trouvés à TArsenal. Un espace assez considérable restait ménagé entre ces deux bataillons et celui du Change, pour y placer les quatre pièces d'artillerie. Un accident d'atte- lage, survenu par maladresse, avait retardé l'arrivée de ces pièces demeurées place Bellecour; la colonne s'était mise en marche sans artillerie, en conservant Tintervallo que les pièces devaient occuper'*; elle avait traversé la rue de la Charité et gagné le quai du Rhône, précédée de la com-

1. Ces détachements comprenaient des hussards, des guides de Tarmée des Alpes et quelques dragons.

2. Journal de Lyan.

3. L. M. Pcrenon, le Siège de Lyon. Cf. notes, p. 12.

4. Vallès [Héfleûrions historiques, p. 18) constate que cette colonne n*avait pas été rejointe par son artillerie au début.

BATAILLE DE RUES

pagnie de grenadiers du Port-du-Temple ^ Sur le quai la foule curieuse s'était amassée, cachant dans ses rangs de nombreux agents de désordre qu'intimidait le déploie- ment des forces, mais qui n'en regardait pas moins avec hostilité les « muscadins », comme on appelait depuis longtemps à Lyon les adversaires des Jacobins. Beaucoup fêtaient en effet des jeunes gens restés soucieux d'un peu d'élégance dans leur tenue, d'une certaine distinction de manières, de tout ce qui devenait suspect par ce triste temps de démocratie à outrance. Toutefois la plupart des « muscadins » avaient revêtu Tuniforme de la garde nationale. D'autres, qui retenaient aussi Tattention soup- çonneuse des amis deChalier et de Bertrand, ne portaient pas la tenue de la milice citoyenne, mais de modestes effels bourgeois ; ce n'étaient pas des jeunes gens, mais des hommes faits ou des vieillards, qui avaient pris avec résolution leur place au danger. La foule devinait on eux ces aristocrates que Ton disait si nombreux h Lyon, cachés dans d'introuvables repaires. Malgré Tâge, malgré leurs pauvres vêtements, on les sentait de race militaire et de nature énergique. L'un d'entre eux, presque un vieillard, marchait au premier rang de la compagnie de grenadiers; il avait invoqué sa qualité d'ancien soldat pour rester à ce poste périlleux ; sous son habit « cannelle » de coupe surannée; la crosse à l'épaule, la tête haute, il marchait au pas comme à la parade.

L'ancien chef de légion Badger, confiant dans la so- lidité de son avant-garde, se porte à la queue de la colonne pour presser l'arrivée de l'artillerie dont il ne s'explique pas le retard. La tête de colonne est arrivée à la hauteur de la place des Cordeliers, sans avoir été attaquée; soudain elle reçoit une bordée de mitraille

1. XhUès (Réflpxions historiques) fait une erreur sur la direction des colonnes; il faut consulter le récit <lu Journal de fj/nn, l'article fut rédigé dés le lendemain même et Morin, dans son llisfnire de l.f/nn t. 11. p. "tX\ , l'a reproduit prescjue /// crtetiso.

38 l'insurrection de lyon en 1793

que vient de lui envoyer une batterie ennemie de trois pièces, établie sur le quai de Retz* et sur la culée du Pont Morand, qui fait de nombreuses victimes dans la com- pagnie de grenadiers. Aussitôt le désordre se met dans les rangs des sectionnaires, le bataillon recule sans se dé- ployer, mais le vieillard à Thabit c< cannelle », qui avait si fière mine, s'est écrié : « Camarades, vous allez vous faire écharper, je suis officier général, voulez-vous que je vous commande? Oui ! répondent les grenadiers! Alors, halte-là! » et le général de Sablonet, car c'est lui-môme Cortasse de Sablonet, l'ancien maréchal de camp des armées du Roi, Tancien colonel du régiment de la Martinique, le vieil officier colonial, prend le commandement. Sur ses indications brèves et calmes, les compagnies de tête, puis le reste du bataillon, se dispersent en tirailleurs le long des parapets et des encoignures de maisons, ce qui gêne le tir de l'ennemi et le rend bientôt inefficace. Enfin Bad- ger arrive avec les quatre pièces de canon- trop long- temps retardées et leur fait ouvrir le feu. L'ennemi riposte, il a fait avancer des troupes d'infanterie, qui appartiennent aux bataillons jacobins et qui, mal placées, empêchent leurs propres pièces de tirer.

La fusillade se ralentit du côté des Jacobins, leurs rangs s'entr'ouvrent pour laisser passer un peloton de dragons précédé d un trompette portant un guidon blanc, ce qui indique Tintention de parlementer •'^. Le feu est arrêté

1. Et non sur celle du Pont-Saint-Clair, comme le dit par erreur le Journal de Lyon dans son récit. Du Pont-Saint-Clair, & la hauteur de la hauteur de la place des Cordeliers, c'est-à-dire à la partie du quai qui s'appelle actuellement Textrémité du quai de Thôpital, il y a au moins 1.800 mètres et les pièces de campagne alors ne portaient pas à la moitié de cette distance, tandis que du pont Morand à cet endroit, il n*y a guère que 600 mètres. Stcyert {Nouvelle histoire de Lyon, t. III, p. 510), mentionne que la batterie des Jacobins était bien au pont Morand.

2. Vallès attribue à M. de Sablonet le soin d'avoir envoyé chercher l'artillerie à l'Arsenal. Le Journal de Lyon place cette artillerie en tète de la colonne, au moment de l'attaque. La vérité est qu'elle avait rejoint la colonne en marche et qu'elle put presque immédiatement ouvrir son feu. {Réflexions historiques p. 12.)

3. Morin, Histoire de Lyon, t. II, p. 535. Cf. note.

BATAILLE DE RUES 39

dans les balaillons du Port-du-Temple et de Serin. Badger, Gingcnne et Lenoir, les trois chefs de la colonne sec- tionnaire s'avancent au-devant des soi-disant parlemen- taires. Tout à coup les dragons font volte-face et repartent au galop*, non plus en front de peloton, mais en deux colonnes entre lesquelles la batterie ennemie ouvre le feu '. La trahison est odieuse, les sectionnaires s'étaient de nouveau massés imprudemment et les bou- lets ennemis en ont fauché un grand nombre. Une de leurs pièces est démontée, des canonniers sont hors de combat, les attelages hors de service. Gingenne a eu un cheval tué sous lui, Lenoir a le bras brisé. Les Jacobins embusqués dans les maisons voisines fusillent par derrière les Lyonnais. Badger, qui payait bravement de sa per- sonne, reçoit un coup de fusil d'un individu embusqué dans la rue du Pas-Etroit'^, il a la cuisse traversée et son cheval est tué.

La colonne des sections est ralliée, reformée et reportée en avant par d'intrépides officiers et surtout par le général de Sablonet. Malheureusement le vaillant soldat tomba lui-môme, une jambe fracassée par un boulet. De toutes les maisons qui dominept le quai, une fusillade terrible accable la colonne, qui se désagrège. Une partie se ré- fugie sur la place des Cordeliers '*, contre l'église Bona- venture elle se défile ainsi du feu d'artillerie, un autre groupe se retire sous la voûte du collège-' autour d'une pièce d'artillerie que servent avec un égal courage des canonniers de la garde nationale et des volontaires en habit civil.

Un bataillon de sectionnaires qui manque de munitions s'est replié sur l'Arsenal; il est poursuivi à coups de pierre

1. Morin, Ilisfoire de L'/on^ t. II, p. :;3.*i, note.

2. /c/. {article reproduit).

3. se tenait le Club des Jacobins. {Journal de Ltjon,)

4. Journal de Lyon.

5. UL

iO l'insurrection de LYON EN 1793

par une bande de femmes, vraies furies de la guillotine, bien qu'à leur grand regret elles n'aient pas encore vu fonctionner le hideux instrument.

Le vieux maître d armes Gingenne a pu rallier la plus grande partie de la colonne et la conduire par les petites rues jusqu'au quai de Saône oii venaient se masser les troupes de Madinier, à la descente du pont du Changea

Le commandant général des sections forme alors deux nouvelles colonnes : Tune avec deux canons, est composée de la plupart des bataillons qu'il a amenés de la place Bellecour, elle prend la direction de la rue de la Pêcherie-, ayant en tète le bataillon de TArsenal que commande un énergique capitaine, Albert Doxa, un Suisse de haute sta- ture, au visage énergique, qui a servi en France et en Allemagne^.

L'autre colonne est. formée des bataillons de Gingenne et de quatre autres bataillons. Une pièce de canon est placée à son avant-garde qui s'engage sur la place de l'Herberie. Parvenue au tournant de la rue Saint-Côme, elle reçoit une vive fusillade des fenêtres, des soupiraux de caves, des portes ^l'allées'*. Les coups de fusil partent plus nombreux et plus meurtriers « de la maison du ci- devant Oratoire'. » Pendant que les autres bataillons che- minent lentement et en ripostant, le bataillon du Change qui formait la tête de la colonne, parvient rapidement à rentrée de la place Saint-Pierre, à l'angle de la rue Saint- Côme*». 11 est six heures du soir. Riard de Beauvernois occupe le milieu de la rue Saint-Pierre avec une bande nombreuse de Jacobins et une pièce de canon chargée

1. Qu'on appelait aussi « le pont *\c pierre ».

2. Journal (le Lyon.

3. Delandine, Tableau des jtrisous de Lt/ou^ p. 101-102.

4. Balleydier, Histoire du peuple de /.»//»«, t. ï, p. 20;).

5. Journal de I.'/on.

6. Extrait des refristres de la stction de Porte-Froc, du 13 juin 1*93.

BATAILLE DE RUES 41

à mitraille^ Il fait signe de la main qu'il veut parler-; le bataillon du Change s'arrôte; on ne doute pas, dans ses rangs, que roffîcier jacobin ne veuille parlementer, mais ce n'est encore qu'une indigne trahison. Riard s'est rejeté d'un bond dans la boutique d'un marchand de faïences dont il a eu la précaution de laisser la porte ouverte, et il a fait un signal avec son chapeau^. Aussitôt un feu roulant de mousque- terie a éclaté du côté des Jacobins, leur pièce de canon a tonné et des maisons voisines les coups de feu crépitent sans interruption^. Les sectionnaires comptent encore de nombreuses victimes''; les survivants se sont groupés sous le commandement du chef de bataillon Casterizan, ils onl pu mettre leur pièce en batterie". Ce sont deux simples canonniers qui la servent : Amable (iarnier du bataillon de Porte-Froc, et un canonnier du Port-du-Templedonl le nom ne nous est pas parvenu, ils sont obligés de Tabandonner après avoir tiré un dernier coup de canon' et de se replier sur la colonne restée aux ordres de Madinier, qui occu[)e la place des Carmes.

Sur ce point l'avantage reste aux sections. Les Jaco- bins se décident à battre en retraite sur la place do la Boucherie des Terreaux. Les volontaires du Mont Blanc, que la municipalité a fait boire outre mesure^, se portent en avant avec du canon, mais sans ordre, sans discipline,

1. Jugement de Riard Beauvernois. (Extrait des Archirrs <lit ij refit» iln /rihjtnal criminpf, 21 juillet 1793.)

2. Morin. Hisfoirr rie Lt/mi depuis la Ih'rnhtfion, t. II. p. ■^^". Cf. note.

3. Jufjetnetif de Riard Hedurernois i^retfe criminel .Cf. aussi Extrait des registres de la seotion de Porte-Froc du 13 juillet \VX\.

4. (fUillon de Monlé«»n, t I, p. 204. Ac/e d'accusation et Juffenient de Riard Beauvernois. précités.

■o. Jugement précité.

6. Guillon de Monléon mentionne plusieurs pièces de canon dans cette colonne et les fait abandonner au.v sectionnaires aprèsles avoir décharjrées. D'après le Journal de Lyon, il n'y avait qu'un canon, qui ne tomba pas nu pouvoir de l'ennemi.

7. Extrait des registres de la section de Porto-froc <lu 13 juin 17i)3.

8. Affiche inijtritnêe du batîiillon du Mfuit lUnnc. Archives natimnilcs, AF". 339-34^.4^.}

42 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

en chantant, aussi les bataillons de Madinier les re- poussent-ils aisément jusqu'à la place de la Boucherie. Un poste avancé des sections avec un canon est placé à Tangle de la cour des Carmes ^

Des pièces d'artillerie arrivent de l'Arsenal, Madinier les fait mettre en batterie aux débouchés des rues de la Lanterne et de la Cage^. Avant que cette artillerie n'ait ouvert le feu, le bataillon du Port-du-Temple reprend de lui-même l'ofiFensive, sa compagnie de grenadiers charge à la baïonnette le bataillon du Mont Blanc, qui se replie en désordre sur l'Hôtel de Ville -^ Les canons des sections tirent à mitraille sur les Jacobins qui évacuent la place des Terreaux, essayent de pénétrer dans l'édifice muni- cipal déjà encombré et, ne pouvant y arriver, se réfugient dans les cafés et les maisons de la place.

Les sectionnaires, massés à tous les débouchés, échangent des coups de fusil avec les tireurs postés aux fenôtres ou sur des terrasses. Une pièce en fer du bataillon du Port- du-Temple éclate, tuant ou blessant plusieurs de ses ser- vants'* qui sont aussitôt remplacés'*. Les grenadiers de ce bataillon, voulant venger leurs camarades, se reportent en avant et veulent tenter à la baïonnette l'assaut de THôtel de Ville, Madinier les retient à grand'peine et fait redou- bler lo feu de son artillerie^, réduite à deux pièces et dis- posant de peu de munitions; elle ne perd d'ailleurs pas un boulet. Un de ces projectiles traverse la grande porte de l'Hôtel de Ville et va briser l'inscription d'une plaque

1. a Placé entre le feu des indignes anarchistes qui faisaient boire contre mes ordres les volontaires du bataillon et celui des sincères amis des lois » [fiéclaralion du commandant).

2. Journal de L;/on.

3. Ihid. Cf. aussi Steyert, t. III, p. 510. —La rue de la Gage s'appelle au- ourd'hui la rue de Constantine.

i. « Le malheur voulut que 15 de ces braves fussent massacrés et 30 bles- sés. » [ï.es conimUsaives Héheit et Sérit à leurs compatriotes <le Chambénj. {Archives hislorirjues de la (inerre: arine'e du sièf/e de Lf/o?i.)

5 . ./(♦ urnal de Lyon .

6. !d.

BATAILLE DE RUES 43

de marbre noir, à la partie gauche du portique'. Un éclat de marbre blesse à la joue Tofficier municipal Roch, qui sortait du Comité de Salut public-. Un second boulet abat la corniche de la croisée du Comité de Salut'public, brise les vitres, dont un fragment tombe sur la table entre le maire Bertrand et le président du Comité'^; trois volontaires du bataillon du Mont Blanc sont grièvement blessés'* sur le perron et transportés sous le portique.

Les membres du Comité de Salut public pressentent que le vrai peuple de Lyon va forcer les portes de leur dernière citadelle et que la vindicte populaire peut être terrible, ils songent piteusement à abdiquer le pouvoir dont ils ont fait si mauvais usage et à sauver leur vie. Aussi quand Duchambon, qui a du moins la qualité d'être brave, vient annoncer au maire qu'il fait descendre ses dernières gargousses dans les caves, qu'il y mettra le feu et fera sauter l'Hôtel de Ville avec ses défenseurs, ses pri- sonniers et ses assaillants, tous ces Jacobins protestent et s'écrient quil faut « traiter »••. Gauthier conseille égale- ment la solution pacifique et déclare en toute humilité : « Ce n'est plus à nous à faire des conditions, nous serons bien heureux d'accepter celles qu'on voudra nous accorder^.

Bertrand et ses compagnons pressent alors le repré- sentant de se rendre sans délai auprès des commissaires des sections; ils ignorent que ces derniers sont encore à l'Arsenal. Gauthier se présente sur la place des Terreaux ; il a prétendu plus tard, dans son récit officiel', loin des baïonnettes sectionnaires, que « des postes avancés il fut annoncé que l'on faisait des propositions d'accommode-

1. Balleydier, t. I, p. 206.

2. Journal de Lyon.

3. Ihifi.

4. Le bataillon du Mont Blanc a terriblement souffert. {Rtippmt du corn- inUsaire des ffuerrps Désormeaux : Archives nalionaies^ AF>\ 33'}-.'U4.43.}

5. Balleydier, 1. 1, p. 206.

6. Ibid.

7. Rapport de Gauthier^ représentant du peup/e. tant pour lut tpie pour fon collèffue Nioche atisent, fait à (irenoble le 9 juin 1193.

41 l'insurrection de LYON EN 1793

ment ». La vérité est qu'il s'est avancé en agitant un mouchoir blanc sur le perron de THôtel de Ville, que le feu s'est arrêté et qu'il a parlé bien vite « d'accommode- ment^ »'. Gauthier a affirmé aussi, dans le même document, que des parlementaires furent nommés de part et d'autre, qu'ils ne s'entendirent pas, mais que fort heureusement son intervention se produisit et qu'il fut convenu de part et d'aulre qu'on se retirerait, qu'on ne laisserait sous lesarmesque le nombre d'hommes nécessaires pour garder d'un côté l'Arsenal et de l'autre la municipalité et que l'on s'en rapporterait aux représentants du peuple, qui étein- draient par leurs décisions-^ tous germes de division -^ « Les parlementaires s'embrassent et remercient le repré- sentant du peuple Gauthier (c'est lui-même qui le ra- conte en ces termes pompeux), de les avoir conciliés. Ils retournent à leurs ccun mettants, ils en rapportent leur ratification verbale. Tout paraît termine...^ » Alors Gau- thier fait intervenir un incident inattendu :

« En effet la paix se confirmait, lorsque Ton annonce, dans les rangs des assaillants, qu'il arrive un renfort des campagnes. Alors on crie : « Plus d'accommodement ! » Les sabres sont levés coatre le représentant du peuple. Il n'échappe à une mort certaine que parce que quelques bons citoyens, et surtout les parlementaires, lui font un rempart de leurs corps et l'entraînent vers l'Arsenal. »

La vérité beaucoup plus simple parait être que, lorsque Gauthier sortitde l'Hôtel de Ville, il fut aussitôt appréhendé au corps, injurié, menacé, et conduit sous bonne escorte à l'Arsenal'' l'attendait, très inquiet également et dans une situation qui ressemblait fort à celle d'un prisonnier, son collègue \ioche. 11 était neuf heures du soir^ quand le

1. Pmcès-verlml îles sections. Cf. aussi le Jaurnal de Lt/t>n.

2. Rapport de Gauthier, Grenoble, le 9 juin, pn^cilé. 'i. Ii)id., uu^me docu nient.

4. ,1. Morin, I. II, p. 537.

r». Prnrès-rertjat des sections.

t>. If)i(t. Précis Niorhe et (iauthier, p. !62.

BATAIU.E DE HUES 45

représentant fut mis en présence des commissaires des sec- lions qu'il avait traités la veille avec tant de désinvolture.

Ceux-ci ne lui manifestèrent aucun sentiment blessant et l'invitèrent i\ prendre place au bureau ^ Gauthier s'em- pressa de déclarer qu'il était étranger à l'arrêté du 14 mai el qu'il s'était trompé sur le compte des sections*. Frémin- ville lui fit remarquer que les représentants en mission auraient pu prévenir la lutte homicide qui ensanglantait Lyon et qu'ils devaient amèrement regretter leur blâ- mable inaction, l'invita à se rendre auprès de Nioche, qui se trouvait avec l'administration du département, et rengagea à se concerter avec son collègue pour tenter de réparer, dans la mesure du possible, le mal qu'ils avaient fait ou laissé faire. Avant de se retirer, Gauthier fut mis en présence de l'adjudant-général Le Doyen qui, sur la réquisition de Frérainville, rédigea et signa Tordre au bataillon des volontaires du Mont Blanc et aux dragons dont la municipalité disposait de se retirer dans les casernes. Gauthier s'empressa d'approuver cette réquisi- tion et fut autorisé à rejoindre Nioche 'K

Le Doyen fut de nouveau interrogé minutieusement sur la nature de la mission qui lui avait été confiée. 11 en rappela les dilTérentes péripéties que nous connaissons déjà, insistant sur ce que le général en chef de Tarmée des Alpes l'avait mis à la disposition des représentants, qu'il avait été directement requis le malin même par Gauthier et par le Comité de Salut public '•, qu'il avait cru devoir leur obéir, mais qu'ilavailfait la défense expresse aux troupes de toutes armes, sur lesquelles s'exerçait son autorité, « de tirer sur les citoyens, que c'était, en violant cet ordre et en son absence, que le sang avait

!. Pi'ocès-t'erhal rien sections. [Archives nalionafes, 339.344.43.)

2. Ihid.

3. Id.

4. DéposiUon de l'adjudant-général Le Doyen. -Même dossier: Archin's nationales.)

46 l'inslrrkction de lyon en 1793

coulé ». On rengagea h signer sa déclaration qu'il crut devoir terminer par l'expression de toute sa sympathie pour les sections de Lyon*. Cette sympathie s'étdit incon- testablement accrue depuis la victoire des sections...

Après la déposition de Tadjudant-général, les commis- saires recevaient communication d'un arrêté un peu tar- dif, pris par les administrateurs du département et aux termes duquel le Conseil général de la commune, c'est- à-dire la municipalité, était suspendu de ses fonctions, et le citoyen Madinier reconnu en sa qualité de comman- dant généra] provisoire. Les représentants Gauthier et Nioche, pour mieux prouver leur repentir, n'avaient pas hésité à contresigner cet arrêté. Les commissaires des sections étaient invités « à faire proclamer ledit arrêté et h le faire parvenir à l'hôtel commun* ». Désireux de montrer leur déférence pour l'autorité départementale, qui avait singulièrement tardé à se manifester, les commissaires des sections envoyaient cette communication à l'Hôtel de Ville par un parlementaire. Depuis le départ ou plutôt depuis la capture de Gauthier, le feu avait cessé, mais on veillait dans les deux partis « le doigt sur la gâchette », comme l'a dit un témoin oculaire.

Le Comité de Salut public, un peu rassuré, tenta de ga- gner du temps, comme le prouve la lettre suivante remise, à dix heures du soir, aux commissaires des sections.

Citoyens,

Pénétrés des malheurs qui désolent notre cité, nous ne dou- tons pas que vous no soyez de même. En conséquence, nous

1. « Déclarant que les sentiments de patriotisme que j'ai entendu énoncer avec la franchise la plus républicaine et que les procédés loyaux que les citoyens des sections de Lyon ont envers moi leur donnent les droits les plus sacrés à mon estime, car je les regarde comme d'excellents patriotes.» Signé : Doyen, Fréminville, président ; Loire, vice-président; Napoly, secrétaire. (Domi>?w/m Comt'M de Salut public : Archives natio- nales^ AFii, 330-344.43.) L'adjudant-général a signé Dot/en, d'après la copie Tillard, mais dans l'interrogatoire, il déclarait se nommer Le Doyen.

2. Procès-verbal des sections.

BATAILLE DE RUES 47

VOUS proposons de faire une suspension d'armes jusqu'à de- main, jour auquel nous espérons que nous nous embrasse- rons tous.

Les citoyens membres du district et du département^^

m

Thonion, Maillau, Bertrand, maire, AcHARD, Bertachon, Bourbon, procurcur-syndic.

« Si vous voulez nous rendre les représentants du peuple et autres prisonniers, qui vous ont porté des paroles de paix, nous vous rendrons tous ceux que nous avons faits.

Thonion, Pipon.

Les membres du Département qui, sauf un seul, sié- geaient à FArsenal, durent éprouver quelque étonnement de voir ainsi usurper leur adhésion. Toutefois ils ne rédi- gèrent aucune protestation écrite, se bornant à communi- quer la pièce en question aux deux représentants qui ne les quittaient plus. Les commissaires des sections n'imi- tèrent pas cet excès de réserve et répondirent :

Citoyens,

Notre réponse à votre lettre consiste dans l'arrêté des corps administratifs supérieurs réunis aux représentants du peuple, nous vous invitons et requérons au besoin de vous conformer à cet arrêté, de cesser sur le champ toutes fonctions et de renvoyer une force qui n'aurait jamais être requise contre les citoyens, elle ne sera pas inquiétée dans sa retraite.

Les citoyens représentants du peuple sont libres au milieu des administrateurs du département et du district réunis ; nous requérons que leurs secrétaires soient à Tinstant renvoyés

1. Nous donnons le texte môiiio de la pièce qui est au dossier du Comité de Salut public aux Archinw nntiounles (AFi», 330-344.43;'. Sur la copie re- produite par Morin, dans son Hislttin' de Li/nn depuis la Hémlutinn (t. II, p. 539), il y a, avant les signatures : « Les citoyens membres du départe- ment du district et de la municipalité. »

•18 l'insurrection de LYON EN 1793

auprès d'eux conformément à leurs arrêtés. Nous requérons également que vous exécutiez Tordre qui vous a été donné par les citoyens représentants du peuple pour mettre en liberté ceux que vous détenez depuis hier si illégalement et ceux que vous retenez depuis ce jour.

Les commissaires des sections réunies de la ville de Lyon *.

Cette réponse ne suffisait pas aux représentants des sections, ils voulaient une réparation plus sévère et plus efficace; ils invitèrent donc les membres de Tadrainistra- tion du département et les représentants du peuple à ordonner « Tarrestation du Conseil général de la Com- mune et d'autres citoyens désignés, tous coupables d'avoir fait couler le sang des citoyens et d'autres délits mention- nés dans un acte remis aux administrateurs-». Ces der- niers se décidèrent à prendre les mesures de rigueur qui leur étaient demandées et ils nommèrent Tun d'entre eux, Rozier, et le procureur syndic Martinière pour proclamer, dans les rues et sur les places de la cité, la suspension de la municipalité -^

A onze heures du soir, les deux délégués sortirent de TArsenal, entourés d'un grand nombre de citoyens, dont plusieurs portaient des torches, escortés par la gendar- merie et précédés d'un trompette^. Sur leur passage, les fenêtres s'illuminaient, les habitants sortaient des mai- sons, les acclamations retentissaient. On criait : Vivent nos frères de Lyon! Vivent les sections ! Vivent les administra- teurs du département !

Lorsque l'administrateur et le procureur-syndic arri- vèrent sur la place des Terreaux, ils furent reçus par Madinier et ses ofliciers. L'humblo ouvrier en drap était

\ . Prncès-verhal des fterlions.

>. Ihifi.

3. Prncès-verhanr des conseils ffénôiaux du déparlement et des districts.

4. Ihid.

BATAILLE DE HUES 49

fier de sa petite armée, il fit, en quelques mots, aux délé- gués le récit des principales phases du combat, il nomma plusieurs de ses subordonnés qui s'étaient particuliè- rement distingués : Liébaut, le tailleur de pierres, qui avait servi seul une pièce de canon sous le feu de Ten- nerai, Tamen qui, malgré sa blessure, était resté dans le rang, encourageant ses camarades, Flandrin qui, frappé à la jambe d'une balle, l'avait extraite lui-môme pour en charger son fusil, Leborgne, Fallacieux, Dumousseau, Tissot, Clerjon et tant d'autres qui avaient fait des pro- diges de valeur K

Les femmes elles-mêmes avaient pris part au combat, plusieurs avaient relevé les victimes. 11 est vrai qu'à côté des Jacobins, on avait vu de véritables furies achever les sectionnaires blessés -.

A l'acharnement du combat avait succédé une sorte de recueillement parmi les défenseurs de l'indépendance lyonnaise; ils écoutèrent en silence la lecture de la déci- sion des corps administratifs, longuement motivée. La municipalité et ses défenseurs recueillaient aussi cette lecture vengeresse, par les fenêtres ouvertes, entendant avec stupeur les sévères « considérants "^ » :

Considérant que le Conseil général de la commune àe Lyon a fait un emploi barbare et criminel de la force que la loi lui confiait pour protéger les citoyens, en les attirant par des pièges séducteurs autour de la maison commune et en les fai- sant inhumainement égorger.

Et plus loin :

Considérant que des délits antérieurs, imputés au Conseil général de la Commune, malheureusement trop graves et trop connus, nécessitent cette mesure trop longtemps re- tardée...

1. Balleyclier^ Histoire du peuple de Ly>n, 1. 1, p. 211.

2. BaUeydier, Histoire du peuple de Lyon, l. I, p. 211. Cf. Morin, His- toire de Lyon depuis la HévoluHnn, I. II, p. oil-o43.

4

50 l'insurrection de LYON EN 1793

Après avoir prononcé la suspension, Tam^té décidait que les présidents et secrétaires de chacune des sections de Lyon exerceraient provisoirement et par intérim les fonc- tions du Conseil général de la commune de Lyon. Le président arrêté devait être envoyé par un courrier extraordinaire, tant à la Convention nationale qu'au conseil exécutif*.

Les membres de la municipalité et leurs partisans furent très impressionnés*. Aussi le Conseil général de la Commune, cherchant à obtenir une dernière concession, envoya-t-il vers deux heures du matin à TArsenal les délégués des sections siégeaient en permanence, un membre du Comité du Salut public, nommé Thonion. Celui-ci déclara que ses collègues et lui étaient disposés à reconnaître l'autorité des sections s'ils en recevaient Tordre des représentants et si ces représentants affir- maient qu'ils étaient réellement en liberté.

En même temps, deux officiers municipaux de Caluire et le commandant du bataillon de cette commune venaient annoncer que ce bataillon, empressé de venir au secours des citoyens de Lyon, attendait à la porte de la Croix. Rousse Tordre d'entrer. Il lui était aussitôt enjoint de se mettre à la disposition du commandant général Madinier.

Nioche etOauthier ne virent pas le messager de THotel de Ville, mais, informés de sa mission, ils lui firent remettre les instructions qui suivent :

La véritable situation de Lyon nous est connue ; il n'y a pas à ditîérer de vous rendre à la décision du Conseil général du déparlement, portant suspension du Conseil général de la com- mune et du Comité de salut public. Si vous différez, vous vous rendez responsable des événements... nous sommes libres et

1. Morin, Hisfoirc dr Li/nn depuis la Hfh'ttlufion, t. II. p. "43.

2. Un membre du Comité des sections avait eu ladaufrereuse mission de remettre rette sommation. 11 courut les plus grands dangers, d'après ce (juil déclara en rendant compte de sa mission an Comité, lorsqu'il revint à une heure du malin. (!*roc('s-r(*rhaft.r des antseils (jéuéranx du départe- ffieut et des disfrir/s.)

BATAILLE DE RUES 51

nous le serons partout, I/ordre sera donné par le Conseil général du département, de protéger voire vie et vos pro- priétés, si vous obéissez. 11 attend votre réponse définitive. I^es moments sont pressants. Profitez-en. Les malheurs sont déjà trop considérables. Ils deviendraient encore plus affreux, par la grande masse de forces qui vous entoure et qui aug- mente par renvoi des districts et des campagnes voisines *.

Los deux représentants n'hésitaient pas à contresigner encore un arrêté des corps administratifs, ordonnant au commandant d'un bataillon dévoué à la municipalité qui occupait le magasin à poudre « de se retirer sous les ordres du commandant général provisoire et de céder ce poste au commandant du bataillon de Vaise, requis pour en prendre possession- », ce qui se fit sans la moindre résistance.

A trois heures du malin, Thonion rentra tristement à l'Hôtel de Ville. Lorsqu'il était parti, les bataillons Jaco- bins de la Côle, de Sainl-f^aul, de Pierrescize, de Saint- Georges, de la place (Confort, de rHùtol-Dieu, du Rhône, de Belle-Cordière, de Bonne-Rencontre, de la rue Tho- massin, de Saint-Vincent, de la rue Juiverie et du Gour- giiillon-^ étaient encore représentés par des fractions considérables, soit dans l'édifice municipal, soit dans les maisons qui l'entouraient. Le bataillon du Mont Blanc restait massé sur la place. Depuis que le feu avait cessé, de nombreux gardes nationaux, du parti de la municipa- lité, étaient sortis des maisons ils s'étaient embusqués et s'étaient à leur tour formés en bataille devant leurs adversaires.

Malheureusement pour la cause de la municipalité, les sectionnaires leur avaient communiqué la réquisition du Département, qui leur enjoignait de quitter leurs postes et de se retirer dans leurs domiciles particuliers. La plu- part y avaient obéi et s'étaient éloignés sans que leurs

i. J. Morin, hisioiie ilf Li/on depuis la lierulufion, t. Il, p. .jt8.

2. J. Morin, Histoire de Lf/on, t. II, p. 547.

3. Procè.S't'erbau.r des conseils ffénërauj' du département et des (tisfricfs.

52 l'insurrection de lyon en 1793

vainqueurs cherchassent à les arrêter ou à les molester. Quelques Jacobins étaient rentrés dans THôtel de Ville, annonçant la dispersion de leurs camarades, ce qui avait achevé de démoraliser Bertrand, Duchambon et leurs compagnons.

Aussi, quand Thonion revint navré de sa mission, il n y avait plus qu'un mince cordon de sentinelles devan l la façade de l'hôtel. Il pénétra dans la salle des séances et remit au président l'écrit qui constatait l'entière soumission des deux Conventionnels. Les Jacobins qui siégeaient encore, membres ou défenseurs du Comité de Salut public, ne songèrent plus qu'à leur salut particulier... Profitant de l'obscurité, ils s'évadèrent par les issues qui ne donnaient pas sur la place des Terreaux et que les sections avaient négligé de garder. Seul un membre du district, qui ré- pondait au singulier nom de Maccabeo, refusa de s'enfuir.

Quelques ivrognes dormaient dans les couloirs ou dans les cours. On les Oublia, ainsi que les factionnaires de la place, une vingtaine environ. Il était trois heures du matin.

Une demi-heure après, le jour parait, les bataillons sectionnaires qui ont bivouaqué se réveillent, rompent les faisceaux, s'alignent.

Le commandant général Madinier, ses chefs dîe légion, ses chefs de bataillon reforment deux colonnes. L'une se masse rue de la Cage, l'aiitre au coin de la place des Terreaux et de la place des Carmes. Madinier, à cheval, se porte devant la première colonne, il a mis le sabre à la main et montrant à ses troupes l'Hôtel de Ville, il leur dit d'une voix vibrante : « Citoyens, voici votre Capitole! Jamais combat ne fut plus légitime, jamais triomphe ne fut plus glorieusement acheté. En avant, citoyens* ! » Les tambours battent le pas de charge, les bataillons s'ébranlent. Les factionnaires jacobins s'enfuient ou rendent leurs armes '*.

1. Balleydier, Histoire du peuple deLj/on, t. 1, p. 212.

2. C'est ce qui, d'après le Procès-verbal des sections^ constitue « une lé-

BATAILLE DE RUES 53

A la première colonne, Madinier s'est placé en tôle du bataillon du Port-du-Temple ^ M. Buisson lui sert d'aide de camp. Tous deux, la bride aux dents, le sabre d'une main, le pistolet de Tautre, font franchir à leurs chevaux les quatorze marches de l'escalier extérieur'^. Des sapeurs rejoignent leurs officiers et, à coups de hache, défoncent les vanteaux de la porte. Les sectionnaires se précipitent dans l'Hôtel de Ville, ils trouvent une centaine d'hommes ivres qu'ils désarment et traînent sur la place sans leur faire de mal-^ Maccabeo ne s'est pas caché, et comme on ne découvre sur lui aucune espace d'armes, on le met en liberté sous une pluie de quolibets. Des estafettes partent en toute hâte informer de la victoire définitive les administrateurs du département et les délégués des sections.

Les représentants, intimidés et inquiets, joignirent leurs félicitations à celles des chefs de l'insurrection qu'ils avaient vainement combattue. Le commandant général provisoire fut invité « à tenir l'hôtel commun en état de recevoir les représentants du peuple, les corps adminis- tratifs et les commissaires des sections ^ 11 était quatre heures du matin •'. Lyon avait recouvré son indépendance, les armes à la main, et ceux de ses enfants qui avaient succombé dans la lutte étaient bien morts pour la Liberté ! .

gère résistance», bien légère, car le procès-verbal ajoute : « Tous les anarchistes s'étaient enfuis. > i. Gonchon au ministre Garai. [Archives nationales, AFn, 339-344.43.)

2. M. Perenon-, le Sièfje de Lyon (Lyon, Guyol, 182:j). Noies du pre- mier chapitre, p. 12. Les détails donnés par M. Perenon sont ordinaire- ment très exacts; toutefois il fait franchir à Madinier et à Buisson, non seulement les quatorze marches (Pescalier, mais même « les baïonnettes des républicains qui le défendaient.» En réalité, en fait de baïonnettes, il n'y avait plus que celles des sectionnaires.

3. Balleydier, t. I, p. 212.

4. Procès-verbal des sections.

li. Ibid. Guerre, dans son Histoire de la Révolution de Lyon, fait une petite erreur en disant que celte nouvelle ne fut communiquée qu'à cinq heures et demie.

CHAPITRE IV

APRÈS LA VICTOIRE. PÉRIODE DE CALME ET DTLLTSItXXS

Le Comité des sections était le rentable Tainqueor, puisqu'il aTait assumé la redoutable initiative de la lutte à outrance contre la municipalité. Au lieu de garder le pouvoir que personne ne revendiquait, il se borna à décider que les scellés seraient apposés sur les caisses et bureaux du i>>nâeil général de la l^mmune. Richard, commissaire prjur le département, Fuz pour le district de Lvon et deux membres du <]x>mité des sections, Cla- pisson et Paillard, furent chaînés de l'exécution de cette mesure préservatrice.

Avant de quitter l'Arsenal, les corps administratifs et le Ojmité des sections arrêtaient de concert la proclama- tion qui suit, adressée aux citoyens de Lyon :

VÎVZST LA LIBeSTÉ, l'ÉGALITÉ, LA BÉPC»LI\4:E

L5E El l> DIVISIBLE

ClTOTE5S.

Vous venez de montrer votre courage, vous avei terrassé l'anarchie, déployé toute la vertu des républicains, votre amour pour la loi, votre horreur pour les excès dont vous aviez t-lé menacés. Les sections de la vUle doivent èlre grandes et ^onéreuses, elles ne déshonoreront pas leur triomphe par des attentats à la sûreté individuelle, chaque citoyen doit être sous la garantie de toutes les sections. Nous vous invitons, citoyens,

I- Guerre. Hviiotte ffe hi Hétolulion '/** L'j^h.\t. l~.î.

APRÈS LA VICTOIKE 55

à exercer la surveillance la plus active pour que la loi règne seule, conservez le calme et la tranquillité qui doivent succéder à la victoire.

Oubliez les scènes affreuses dont vous avez été les témoins et les victimes, pour vous livrer, sans réserve aux doux senti- ments de fraternité et d'union qui doivent caractériser les peuples libres, les vrais républicains '.

Quelques retardataires arrivaient, alléguant Timpossi- bilité ils avaient été la veille de rejoindre leurs col- lègues. L un d'eux, Bonamour, administrateur du dépar- tement, racontait avec émotion qu'il avait été chassé de rhôtel commun et gardé à vue à son domicile jusqu'au moment d'obligeants voisins le faisaient échapper-. Maccabeo lui-mùme survenait à son tour, et, sans regret comme sans rancune, demandait avec émotion à siéger avec ses anciens adversaires.

Dès huit heures du matin, les gardes nationales des campagnes arrivaient de toutes parts, affirmant bruyam- ment leurs sympathies pour les vainqueurs.

Le succès des sections imposait la réconciliation géné- rale, et les représentants, désireux de faire oublier leur âpre hostilité, exprimaient leur repentir, sans dignité et sans courage, dans la plate proclamation qu'ils faisaient afficher à la porte de TArsenal.

Zr€5 représentants du peuple envoyés près les armées des Alpes

aux citoyens de Lyon ^

Des avis alarmants sur la situation de Lyon et sur les dan- gers d'une contre-révolution décidèrent les quatre représen- tants du peuple à faire passer dans cette ville une force armée

1, Procès-verbaux des conseils r/énrrauj' du déparfemenl de RliAue-el- Loire^ des districts de Lyon et de la campagne de Lyon^ relatifs à l'èténe" meut du 29 mai 1193.

'2. l'rocès-verbaujL' du département de Rhùne-et- Loire ^ des ttistricts de Lf/OH et de la campagne de Lyon; relatifs à l'événement du 29 mai.

3. Histoire de la Hèvolulion de Lyon^ p. I.'i2-133.

56

l/lNSL'RRECTlON DE LYON EN i793

qui devait assurer la tranquillité et protéger les propriétés nationales.

Cette mesure a alarmé quelques sections, les représentants du peuple ont cherché à les rassurer et ils n'attendaient pour les changer que d'avoir des renseignements positifs sur Tétat de cette cité; ils ont annoncé leurs dispositions à cet égard, ils ont engagé tous les citoyens à Tunion. Le malheur a voulu que cette révélation n'ait pas réussi, ils ont reconnu que les impressions qu'on leur avait données étaient fausses ; il leur est démontré que les sections ne désirent point une contre-révo- lution, qu'elles sont au contraire animées de patriotisme et de sentiments républicains, mais qu'elles provoquaient une prompte réparation des griefs et des abus dont elles avaient à se plaindre.

Les représentants du peuple se. sont en conséquence hâtés de se réunir au département et de donner ensemble les ordres tendant à faire cesser l'effusion du sang. Citoyens, vos opi- nions, vos cœurs sont maintenant connus, les inculpations dirigées contre vous par des personnes qui étaient accréditées par leurs fonctions, sont fausses ; les représentants du peuple s'empressent de le publier, ils en porteront l'assurance à la Convention nationale, ils regretteront longtemps que cette vérité fut mêlée de l'amertume que leur procure la malheu- reuse journée d'hier.

Fait à Lyon, le 30 mai 1793, Tan H de la République.

NiocHE et Gauthier,

Commissaires de la Convention,

Les trois corps administratifs de Lyon* décidèrent de se rendre sans retard à THôtel de Ville, le Conseil du département allait reprendre ses séances. Par une juste récompense, le comité des sections était invité à exercer provisoirement les fonctions du Conseil général de la commune; il devenait la nouvelle municipalité.

Les boulangers de Lyon, encore très émus de la lutte dans les rues et prétextant la crainte de ne pas recevoir

i. I/adininistration du département, l'administration du district de Lyon l'administration du district de la campagne de Lyon.

APRÈS LA VICTOIRE 57

rindemnité promise par Tancienne municipalité, ne paraissaient pas disposés à fabriquer du pain. Avant de quitter l'Arsenal, les corps administratifs rendirent un arrêté qui leur enjoignait de reprendre immédiatement leur commerce, promettant qu'ils toucheraient leur in- demnité, mais les menaçant, en cas de désobéissance, des peines les plus sévères.

A dix heures et demie, les divers délégués sortirent de cet Arsenal qui avait été, en quelque sorte, le quartier général de la résistance, bien qu'on piH peut-être leur reprocher de s'être tenus éloignés du comJ)at et de ne pas avoir partagé les dangers des gardes nationaux sec- tionnaires.

En arrivant à la place des Terreaux, les corps admi- nistratifs, obéissant à un sentiment d'exaltation républi- caine, ou simplement à un motif de prudence, s'appro- chèrent de Tarbre de la Liberté. Une foule considérable les suivait. On entendit alors le président de l'Adminis- tration du département, Dubost, répéter le serment « de maintenir la liberté, Tégalité, l'unité et l'indivisibilité de la République, la sûreté des personnes et des propriétés et la plus entière soumission à la loi ».

Les administrateurs du département, ceux du district de Lyon et du district de la campagne, les membres du Comité des sections s'écrièrent tous ensemble : « Je le jure! » en levant la main droite. La plupart des specta- teurs applaudirent^.

Les administrateurs et les délégués pénétrèrent à onze heures dans « la maison commune », toujours suivis d'une foule considérable; ils reprirent possession du local affecté à l'administration du département. La séance s'ouvrit sous la présidence de Dubost. Nioche tenait à se justifier publiquement; il demanda donc la parole. Après

1. l'rocès-cerhaux des conseils f/é r aux du département et des districts de Lyon et de la campayne de Li/on^ signé Dubost, Angelot et Pecollcl, Copstant Bregnier et Gonon.

58 l/lNSlRRECTION DE LYON EN 17î)3

avoir gémi sur les malheurs de la cité, il assura TAssem- blée (c qu'il allait rendre compte à la Convention de toute l'énergie que le peuple lyonnais avait montrée pour réprimer les attentats qui avaient été commis pour lui ravir la liberté* ». Son collègue Gauthier, Tancien avocat au présidial de Bourg, ne fut ni moins repentant ni moins afrirmatif, il déclara qu'il se réunirait à Nioche pour rendre compte à la Convention « des bons principes qui animaient les citoyens de cette ville- ».

Plusieurs membres de l'Assemblée, demandant à leur tour la parole, rapportèrent des nouvelles alarmantes : on signalait des émissaires malveillants, les uns dans la banlieue de Lyon, les autres déjà en route pour Grenoble et le quartier général de Tarmée des Alpes, tous affir- maient que les Lyonnais auraient à se repentir de la journée du 29 mai.

Il était urgent de rassurer les populations et d'entrer en relations amicales avec les départements voisins et surtout avec le général commandant Tarmée des Alpes 3. Cette proposition fut aussitôt adoptée et les corps administratifs arrêtèrent la proclamation suivante :

Frères et amis,

La malveillance a répandu dans vos contrées des impres- sions désavantageuses sur Tesprit qui anime les habitants de Lyon, on les a peints comme des contre-révolutionnaires qui cherchent à renouveler Je système de l'ancien régime et vous avez pu croire à ces bruits, sur le récit des événements fâcheux qui se sont passés dans la journée d'bier ; mais rassurez-vous, frères et amis, les habitants de Lyon n'ont que des intentions pacifiques, ils veulent la République Une et Indivisible.

C'est pour elle et la Liberté qu'ils ont combattu ; s'ils ont

1. Délibération du conseil général du département de Rhone-et-Loire, en surveillance permanente. Séance du jeudi 30 mai 1793.

2. Même «locument.

3. Délibérations du conseil général du département de Rhôfie-et-Loire, en surveillance permanente.

APRES LA VICTOIRE

59

triomphé, soyez convaincu que ce triomphe sera suivi du retour de la paix que des esprits pervers avaient altérée et que désormais vous pouvez, en toute confiance, vous livrer a leurs embrassements fraternels et partager leurs senlimenls.

DUBOST,

Président du département.

Pecollet, Président de l'administration du district de la campagne de Lyon.

Axr.ELOT, Président de Tadministration du district de Lyon.

Bre(;mer,

Secrétaire '.

Pendant que Ton s'occupait du choix des messagers, plusieurs chefs de bataillon des districts voisins venaient protester de leur adhésion à la cause lyonnaise et décla- rer que le concours de leurs troupes, était tout acquis. Le président Dubost les remercia et les engagea à ren- trer dans leurs foyers.

La ville semblait pacifiée, mais trop de sang avait coulé, Topinion publique réclamait une répression. Dans l'après-midi, les administrateurs du département ordon- nèrent l'arrestation des Jacobins les plus compromis : Chalier, Hidins, le maire Bertrand, Fernex, Dodieu, Riard de Beauvernois, chef de légion, Fournier, officier de dragons*, Duchambon, commissaire des guerres, qui avait pris le commandement des troupes de la munici- palité, Vuy, chef du bataillon du Gourguillon, deux prôtres aux idées révolutionnaires très exaltées : le curé de Saint-Just, Boltin, et son vicaire Carrillon, enfin un suisse d'église qui partageait leurs idées, nommé Savary, et plusieurs autres citoyens connus pour la vio- lence de leurs sentiments et surtout pour les abus d'au- torité qu'ils avaient commis.

1. Délibération du conseil général du déparlemenl.

2. Le rapport de Nioche et Gauthier à la Convention, rédigé dix jours après, s'exprime ainsi : « Beaucoup d'arrestations ont suivi ce triomphe d'un parti contre lautre, les corps administratifs les ont fait discontinuer dès qu'ils l'ont pu. »

60 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

De nombreuses dénonciations parvinrent aux corps administratifs, qui en différèrent Texamen jusqu'à la réorganisation du service judiciaire.

Redoutant à juste titre Tanimosité des représentants, les nouvelles autorités de Lyon déléguèrent douze membres pour se rendre en toute hâte à la barre de la Convention, afin de protester du «civisme de la cité ». M. de Fréminville, Tancien président des sections, fut désigné pour présenter cette délégation et pour porter la parole, mission délicate et dangereuse. Ses collègues et lui partirent en chaises de poste, le 1*"" juin, comptant arriver le surlendemain a Paris. De graves événements devaient les y précéder.

11 s'agissait maintenant à Lyon d'honorer les victimes. A deux heures de l'après-midi, deux groupes de batail- lons se dirigeaient vers la place Bellecour et la place des Terreaux, ils formaient bientôt sur chacune de ces places un vaste carré, au centre duquel des mains pieuses avaient amoncelé les dépouilles mortelles des victimes du combat. On en comptait plus de deux cents*. Le chiffre ne put jamais en èlre constaté officiellement*-.

Le maire Bertrand, si coupable par son inertie et surtout par ses complaisances à Tégard des Jacobins, fut extrait de sa prison et conduit sous escorte sur les deux places publiques pour assister à la reconnaissance des morts.

Péricaud, Tun des membres de la commission, lui re- procha brusquement sa responsabilité ; Bertrand balbutia et pleura -^ Un prêtre catholique prononça les dernières prières devant une assistance recueillie.

Les corps des victimes furent ensuite conduits au

1. L'abbé Guillon de Moiiléon, déclare que 600 Lyonnais avaient péri dans le combat. {Histoire du Sièye de Lijon, Paris et Lyon, an V, t. I, p. 213.) C'est aussi le chiffre que donne Vallès dans ses Réflexions histo- riques, Paris, Maurice, 1825, p. 25. Ce dernier compte en outre 1.000 blessés.

2. J. Morin, Histoire de Lyon depuis la Hérolution, t. Il, Paris, 1847.

3. !d.

APRÈS lùA VICTOIRE 61

champ du repos, la garde nationale formait la haie. La foule suivait en manifestant fréquemment sa douleur, des femmes et des enfants, vêtus de deuil, achevaient de donner à cette cérémonie le caractère le plus émouvante On remarqua Texcellente attitude de plusieurs délégués de la section du Port-Saint-Paul, qui Tavant-veille, avaient combattu pour la municipalité jacobine'-'.

Dans la matinée du 31 mai, le général en chef de Tar- mée des Alpes, Kellermann, arrivait à Lyon^et se présen- tait aux représentants Nioche et Gauthier. Revenant de Paris et se rendant à son quartier général de Grenoble, il avait appris à quarante lieues de Lyon^ qu*à la suite d'un combat sanglant, la municipalité avait été renversée. Des causes du conflit, Kellermann ne savait rien et ne voulait connaître que Topinion des représentants dont il ignorait le triste rôle et les humiliations.

Tempérament alsacien calme et discipliné, un peu alourdi par les approches de la soixantaine, redoutant avant tout le mécontentement du Comité de Salut public si mal disposé pour les généraux de Tancien régime'», en dépit des gages donnés à la Révolution, le vainqueur de Valmy représentait bien Tobéissance passive militaire poussée jusqu'à ses extrêmes limites. Ni le glorieux passé de ce grand soldat, ni sa constante déférence à T égard de l'autorité civile ne devaient cependant lui éviter les injustes suspicions de Robespierre et de ses amis.

Les représentants dissimulèrent leur mécontentement et lui affirmèrent qu'ils avaient été des conciliateurs ; ils

1. Balleydier, Histoire du peuple de Lf/on, Paris, Ciirmer, 1845.

2. Les citoyens de cette section firent imprimer dans la nuit une afûche ils déclaraient avoir subi la pression des réquisitions de Julliard, dé- clarant s'en repentir et se rallier au nom de la concorde générale, à la manicipalité provisoire. (Gonon, Bihlioffraphie de Li/on, pièce 1191.)

3. Il était accompagné de deux aides-de-camp dont son fils, le futur général de division d*Austerlitz et de toute l'épopée impériale.

4. Lettre de Kellermann à Bouchotte, ministre de la Guerre. Grenoble, 4 juin 1793. {Archives kisloriques de la ffuerre : Armée des /1/pes, juin 1193.)

5. Kellermann avait été promu maréchal de camp en 1788.

Gi L*lNSlRRECTION DE^YON EN 1793

euivDt l habileté depro6ter de sa présence pour reprendre coaUet avec une population mal disposée. Nioche et Uauthier se mêlèrent donc aux habitants, affectant de les rassurer contre Téventualité d'une prochaine attaque par la troupe de lignée Kellermann, plein de candeur, ne discerna pas les véritables sentiments des conventionnels. u Les corps administratifs et les citoyens en général m'ont témoigné beaucoup de confiance, écrit-il au ministre de la Guerre-. J'ai vu qu'il n'éclaterait point de contre-révo- lution, et j'ai accepté l'offre des bons citoyens, de les appeler sur les frontières si leur secours était nécessaire pour repousser l'ennemi. »

Le futur maréchal de l'Empire partit de Lyon le lende- main, f'^juin, suivi des représentants, heureux de quitter sous sa protection la ville qui avait bravé leur autorité et de se réfugier à Grenoble derrière les baïonnettes de l'armée des Alpes ^

Kellermann qui ne songeait qu'à la défense de la fron- tière alla reconnaître le col de Vars et inspecter le camp de Tournoux.

A Lyon, le parti vainqueur ne songea pas à retenir les représentants en otages. Tout à la joie du succès, les corps administratifs s'organisaient, rendaient des arrêtés, créaient des comités, nommaient à de multiples emplois.

Jean-Jacques Coindre, chargé des fonctions de maire, sous le titre de Président du Conseil général provisoire de la Commune, Guillin, procureur de la Commune, Beraud et Barbier, substituts, Ricoud, secrétaire-greffier* formaient le bureau des administrateurs.

1. Kt'Ilermana à Bouchotle ^document précité .

2. !d.

3. Kellermann y arriva ;i Grenoble le 3 juin avec nos deux collègues ^Nioche et Gauthier; ». Compte renfiu à la Conrention nationale de la mis- sion des représentants du peuple à l'année des Alpes, par Dubois-Crancé. (Eclaircissements historiques ajoutés aux Mémoires du général Doppet, Paris, Baudouin, 1824, p. 390).

4. Ui Révolution française à L'jon en 1793. Notes et documents, publiés par Albert Melzger et révisés 'par Joseph Vaësen. Lyon.

APRÈS LA VICTOIRE 6*i

Les aiUres membres du Conseil provisoire étaient répartis en six comités' : le conàté militaire, composé de Royer, Fœdi et Carret; le comité des impositions, dont les membres s'appelaient Péricaud, Condentia, Chataigner, Mazar, Lozas et Dessisier; le comité de correspondance : Bémaui, Janvier, Allier et Montmedy ; le comité des tra- vaux publics qui n'avait au début qu'un seul membre : Lemelletier; lecofuité militaire des subsistances : Chirat, Durand, Orcel, Josserand, Berchond et Mettrat'-; et enfin le comité de sûreté générale dit des Cinq : Bémany, Favre, Combry, Richard et Meynis. Un sieur Chasserial leur était adjoint, sans avoir voix délibérative.

Sous rimpulsion de l'opinion publique, ce Comité décida de nouvelles arrestations, notamment celle de JuUiard, dont l'appui avait toujours semblé acquis à la municipalité. L'ancien commandant de la garde nationale avait cru prévenir la mesure de rigueur qu'il redoutait, en faisant apposer le 31 mai, des affiches il affirmait à ses concitoyens que « des magistrats prévaricateurs et sanguinaires l'avaient enchaîné par la loi qui l'assujettis- sait k leurs ordres. Des réquisitions astucieuses l'avaient rendu l'instrument passif de quelques dispositions fa- vorables à leurs complots-^ ». On pouvait lui répondre que « ces quelques dispositions favorables » avaient ensanglanté Lyon, et que son repentir était véritable- ment trop tardif. Joseph Julliard alla donc rejoindre l'ordonnateur Duchambon% le lieutenant de dragons Fournier et le trop fameux Chaliqr.

i. Môme sourrp.

2. On adjoignit à ce comité, 40 adjoints, dont 6 en permanence à la ca- serne de Saint-Pierre, il à la munitiimnaire de la Croix roiisse, 2 h Serin, 1 à Saint-Just, 2 ii l'Arsenal, 2 à l'hospice Saint -Lazare, 4 chargés des comptes pour le paiement de la force armée, les autres tenant le bureau avec les administrateurs.

3. Archives nati&nales^ AF»», 43.

4. Le commissaire des guerres Desormeaux rend compte au ministre de la Guerre Bou<*hotte, le 30 mai, que Duchambon, commissaire ordcmnaleur de la \^ division vient d'être arrêté. Cf. cotte lettre: Archives nationales^ AFn, 43.

64 l/iNSLRRECTION DE LYON EN 1793

Ce dernier, malgré ses vociférations habituelles, s'était tenu prudemment enfermé dans THôtel de Ville pendant la journée du 29mai^ Aussi n'avail-il pas pris son arres- tation au sérieux, comptant sur l'intervention des com- missaires de la Convention. Quand il réclama impérieu- sement le droit de correspondre directement avec le gouvernement de Paris, les gardiens intimidés y consen- tirent et remirent à la poste les déclarations furibondes de Tex-religieux.

Les autorités lyonnaises s'efforçaient d'ailleurs d'affirmer leurs sentiments de républicanisme et d'obéissance à la Convention. Le 31 mai, elles faisaient afficher de nou- veau leur proclamation*'.

Redoutant d'avoir ordonné un peu légèrement l'arres- tation de plusieurs citoyens qui contestaient les faits dont on les accusait, la municipalité provisoire rendit un arrêté aux termes duquel « il était adjoint au comité de police, de surveillance et de sûreté générale, un membre de chaque comité de surveillance établi dans chaque section. Le comité ainsi composé devait s'occuper sans relâche des moyens de reconnaître les innocents qui étaient parmi les détenus, pour pouvoir sans danger pour la cité et sans blesser la loi, leur rendre promptement la liberté-^ ».

Cette mesure fut accueillie favorablement; la popula- tion sentait que l'ère de la persécution était passée. Im- prudemment quelques royalistes ne cachèrent point leurs

1. Chalier élait rentré pendant la nuit à son domicile cl avait j^anlé au- près de lui sa gouvernante « la Pia » et son ami tternascun. 11 fut arrêté dans la matinée du 30. Sur le parcours de sou logement à la i>rison de Roanne, la foule le hua et le frappa. (Louis Blanc, Histoire de la Révolu- tion, t. VllI, p. 386 )

2. Lyon 31 mai 1793. A.-V. Delaroche Cf. aussi Gonon bibliographie his- torique de Lyon, p. 231, n* 19. Seules les signatures de Bourbon procureur syndic du district, et de Gonon, secrétaire-général remplacent celles d'Angelot, président et de Bregnier secrétaire. La te.xte est le même.

3. Arrêté portant la date du 1". Fonds Coste, classé par MM. Desvernay et Molinier à la Bibliothèque municipale de Lyon, n" 629.

AFHÈS LA VICTOIRE 65

espérances, ce qui motiva une nouvelle proclamation de la municipalité en date du 2 juin^ :

« Défense à tous les citoyens d'élever des cris séditieux contre le gouvernement républicain, de calomnier par des signes révoltants le vœu des citoyens manifesté dans tous leurs actes et en imposer à la République et à la Convention nationale, ni d'arborer aucun signe contre-révolutionnaire, il est enjoint à tous les citoyens et à la force armée de courir sur les factieux, de les arrêter, de les livrer sur le champ aux tribunaux pour être jugés dans les vingt-quatre heures ».

De leur côté, les trente et une sections de Lyon, c'est-à- dire Funanimilé, crurent devoir affirmer leur dévoue- ment à l'unité et à Tindivisibilité de la République ainsi d'ailleurs que leur respect pour les personnes et les pro- priétés*.

Seule, mais tout en exprimant les mêmes principes, la section de Saint- Vincent déclara qu'après s'être défendus « contre les' scélérats qui voulaient les piller et les égorger », les citoyens de Lyon devaient « pardonner Terreur à laquelle un grand nombre avaient été induits-^ ». C'était un appel à la clémence.

Alors que les vainqueurs du 29 mai manifestaient à l'égard de leurs adversaires des sentiments de concilia- tion, les Jacobins de Paris venaient d'affirmer leur supré- matie et préparaient leurs vengeances. La Commune de Paris, de connivence avec Robespierre, Marat et les prin- cipaux membres de « la Montagne » avait soudoyé la plus basse populace, cerné la Convention et obtenu de ses membres, épouvantés pour la plupart, la mise en accusa- tion de vingt-deux de leurs collègues « les Girondins »

1. LyoQ, A. V. Delaroche, 2 juin. Voir Gonon, Bibliographie historique de Lyon, p. 223, n* 1200.

2. Même source, 1201.

3. Signé : Rasl, président ; Albert, vice-président ; Charviiiet Péricaud, secrétaires.

66 l/l>«LflRECnO!* DE LYON E> I7î)3

le^ plus marquants et de deux ministres du même groupe. Clavi^;res et Lebrun. Le prétexte était naturellement un complot... contre l'indivisibilité de la République.

Les Girondins, qui presque tous avaient voté la mort du Roi et largement contribué à l'œuvre révolution- naire, s'étaient laissés arrêter, le 2 juin, sans tenter la moindre résistance.

Les délégués de la ville de Lyon^ étaient arrivés à Paris dans la soirée du 1*^ juin. Toute la journée du lende- main, ils errèrent autour de la Convention, bloquée par les émeutiers des faubourgs que commandait Henriot, digne chefde cette ignoble armée. M. de Fréminville el les collègues durent renoncer à pénétrer dans l'enceinte de la représentation nationale, dont on écartait brutalement les délégations qui n'appartenaient pas aux bandes de la Commune de Paris. Ils se rendirent auprès d'un gazetier, nommé Prud'homme- qui leur prédit que la Convention le» traiterait en contre-révolutionnaires s'ils ne déclaraient point à leurs concitoyens « qu'elle avait fait un acte de justice en expulsant les vingt et un Brissotins'^ >».

Avant de reprendre la route du Lyonnais, les délégués firent remettre à la Convention un récit de leur révolu- tion municipale, timidement exposé par les administra- teurs du département. Ceux-ci semblaient en décliner toute responsabilité, faisant remonter l'origine tle eonilit à un incident " d'accaparement de beurre, destiné d ail- leurs à l'armée des Alpes », ce qui était une singulière façon (le rabaisser le débat. Après avoir mentionné la

1. Gensonné, Vergniaud, Brissot, Guailet, Gorsas, Pétion, Salies, Cbam- bon. Barharoux. Buzot. Birotteau. Rabaut, Laft>urce. Lanjiiinais, Gran<:e- Deove. Lefapre (d'Eure-et-Loir . Lausset du Loiret . Valazé, Doulcet, Lidon, l^hardi du Morbihan . Lanjuinais seul protesta avec énergie et refusa de ronseiitir à la suspension de ses pouv(»irs qu'on avait l'hypocrisie de lui demander. Voir Moniteur. 3 juin, p. 675, séance de la Convention du 2 juin.

2. Rédacteur en «-.hef du journal les Rrrolut ions tle l*aris.

'A. Balleydier, Uvttoire polififfue et militoire du peup'e île Lyon^ t. l, p. 210. Cf. Morin, Histoire de L'ion, t. lll. p. 20.

APRÈS LA VICTOIRE 67

lutte acharnée, qui s'était engagée le 29 et les avantages rapportés par les sections, les administrateurs décla- rèrent que, d'accord avec les commissaires de la Conven- tion et pour éviter le siège de la maison commune, ils avaient suspendu la municipalité et le conseil général, ce qui avait fait cesser Teffusion du sang.

Quant k l'arrestation des principaux Jacobins, les membres du conseil général du déparlement l'avouaient en ces termes embarrassés : « La découverte d'un complot contre-révolutionnaire nous a mis dans la nécessité de mettre en état d'arrestation les principaux auteurs de la conjuration, ainsi que des provocations au meurtre et les agents connus de la faction qui l'avaient insolemment provoquée. »

Chalier et ses amis avaient bien droit au titre de révo- lutionnaires et c'était à tort que les vainqueurs de Lyon leur imputaient un complot contre-révolutionnaire, la révolution étant elle-même le gouvernement.

L'extrême prudence des administrateurs n'obtintqu'un dédaigneux silence. La Convention affecta de les ignorer; toutefois leur placet fut communiqué à la Commune de Paris, plus puissante encore que la Convention, et son procureur Hébert, le dénonciateur attitré, la lut lui-même, à la séance du conseil général révolutionnaire, dans la séance du 4 juin ^ sans paraître attacher d'importance à cet incident.

La veille, en séance de la Convention, le cauteleux Barrère, au nom du Comité du Salut public, donnait lecture d'une lettre écrite de Lyon, le 31 mai, par les re- présentants Nioche et Gauthier, qui rendaient compte de la journée du 29 mai- dans des termes plutôt favorables aux sections lyonnaises, les rancunes des prisonniers de

1. Moniteur universel {Compte rendu île la séance de la Commune de Pa- ris^ le 4 juin).

2. Moniteur universel {Compte rendu de la séance de la Convention du londi 3 juin).

G8 l'insuhrection de lyon en 1793

Tarsenal n'élaient pas dissipées, elles se dissimulaient seulement par prudence. On en jugera:

Nous terminions notre lettre du 28, en vous donnant la plus grande espérance qu*il n'y aurait aucun mouvement : nous nous étions fondés sur ce que les corps administratifs nous avaient témoigné la plus grande confiance dans Tesprit des citoyens. Le malheur a voulu que la méfiance nous ayant devancés, on prit pour un refus de justice Tajournement que nous avions prononcé sur plusieurs pétitions.

Dès que nous eûmes connaissance, le 29, que Ton battait la générale, nous fîmes, de concert avec les corps administra- tifs, une proclamation. Elle ne produisit aucun effet, le sang a malheureusement coulé. Dans Tintervalle des attaques, nous nous sommes présentés pour proposer la paix. Les corps administratifs nous ayant dit que le meilleur moyen de ra- mener Tordre était la suspension de la municipalité, nous avons saisi ce moyen de faire cesser le trouble. Ce qui s'est passé depuis a prouvé qu'il n'y avait pas d'intentions contre-révo- lutionnaires. Les cris de Vive la République Une et Indivi- duelle se font entendre, le drapeau tricolore flotte partout.

Le mouvement qui s'est fait sentir était l'effet du mécon- tentement contre la municipalité qui abusait de son pouvoir Pour dissiper toutes les inquiétudes, nous avons fait partir quelques détachements qui étaient ici. Les administrations nous assurent que nous serons respectés. Nous désirons rendre compte à la Convention de notre conduite : en attendant ses ordres, nous visiterons les districts de Gex et de Carouge notre présence est absolument nécessaire.

Barrère ajoutait que, d après les renseignements par- venus au Comité de Salut public, les pertes totales s'élevaient k 200 hommes tant tués que blessés ( chiffre très inférieur à la réalité), et qu'il proposait en consé- quence Tarrèté suivant qui fut adopté :

La Convention nationale adjoint le citoyen Robert Lindet aux représentants du peuple, députés près de l'armée des Alpes ; ordonne qu'il se rendra incessamment à Lyon, pour s'y réunir avec ceux des représentants du peuple, qui s'y sont

APRÈS LA VICTOIRE 69

rendus et qu^il reviendra à son poste, aussitôt que les troubles de la ville auront cessé et que les représentants du peuple auront rétabli Tordre et fait les dispositions que les circons- tances exigent relativement aux derniers événements arrivés à Lyon.

Le nouveau commissaire de la Convention appartenait au parti delà Montagne. Il avait rédigé Tacte d'accusation contre Louis XVI et proposé la création du tribunal révo- lutionnaire. Petit avocat normand, de manières caute- leuses et d'aspect souriant, sans talent de parole, plutôt bureaucrate qu'homme d'action, très vaniteux sous une affectation de simplicité, Lindet partit pour Lyon avec des allures de proconsul en mission, disposé à traiter Nioche et Gauthier en subalternes maladroits et con- vaincu d'ailleurs qu'il allait aplanir toutes les difficultés.

CHAPITRE V

ACCUSATIONS, TEaiPORISATIOXS, PROVOCATIONS

Sur lavis mystérieux du Comité fédéraliste en forma- tion« M. de Fréminville et quelques-uns de ses collègues restèrent à Paris ^ Les autres délégués revinrent à Lyon; les nouvelles qu*ils apportaient : la défaite de la Gironde et Tintransigeance de la Convention épurée causèrent dans la ville une vive émotion. Le piirti jacobin releva la tète: pour Tintimider* les nouvelles autorités ordonnèrent des exercices militaires '. Le 5 juin il y eut une grande revue de l artillerie et des exercices de tir au canon au champ de tir, en présence d'une afÛuence considérable de spectateurs.

l'a député ^irondiiu Birotcau, évadé de Paris, arriva à Lvon : dans si>u indii^nation à Téirard des Jacobins, il prêcha ouvertement la lutte contre la Convention, affirmant qu'une insurrection générale aurait raison de ce pouvoir despotique. Les uutorilés lyonnaises décidèrent en

l. Le séjour proloa^» de Kreiiiiaville à Paris, est luentioimé daD;» Toa- vrajîe de Juntf. Uuô*us-Crancif, t. L p. io^. V. b'rvoiiQ ville. Rapport à la tùiie '/> L>/ofi, i Ui Bibliothèque uiunicipule. V . aus;^. J. Morin. Ht»- ■Oir** te L'ion. t. Ul. p. iU.

i. tiueriot de Rué, uiaiuteau liirecleur de lartillerie a l'Arsenal, .ivait '-e«*u le juin lonlre suivant doutci-jouit la copie au.v Arv/uves du départe- ment :

- Nous, maire et ofliciers uiuuicipaux de la \iile de Lyou provisoires, :*''.jinn.ni< le ruiuuiandant du po>te de l Arseual. de laisser sortir la poudre, les b«»ulet5. les atrCils et tous les usteuMles îieeessoires pour les ••|.»reuves le 12 pteees de < aiiou du calibre de «|ui aur»,»ul lieu deuiatn 5 au caamp d'epr»'U\es leeoutuuies.

J/ '.-'lire* iepaift'ue maître.

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 71

principe qu'elles enverraient des députés dans TAin, le Jura, risère, les Bouches-du-Rhône, le Gard et la Gironde*. Fréminville, Jacquet et Peizîn furent avisés qu'ils auraient à se rendre h Marseille, Subrin et Girard devaient aller à Bordeaux.

D'instinct les Montagnards de la Convention réclamaient des mesures de rigueur contre Lyon. Dès le 5 juin, 'le haineux Marat écrivait au présidentde la Convention que la contre-révolution venait d'être proclamée h Marseille, à Lyon, à Grenoble. Les ennemis de la Nation ne s'étaient pas contentés de faire périr un grand nombre de patriotes, ils avaient jeté dans les cachots les plus zélés républi- cains, etc. '^. Sa lettre était renvoyée au Comité du Salut public.

A la séance du 0 juin, à la Convention, Thiriot décla- rait, au nom du tout-puissant comité, que les événements avaient « les mêmes caractères que ceux de Marseille ^). Il était ensuite donné lecture d'une lettre des représentants Dubois-Crancé et Albitle, en mission à Tarmée des Alpes, annonçant « que le mouvement qui s'était fait à Lyon paraissait aux yeux des juges les plus impartiaux d'origine contre-révolutionnaire. Beaucoup de sang a déjà été répandu. Les patriotes sont assassinés ou forcés à la fuite. Des citoyens ont été massacrés au moment ils faisaient entendre les cris de : Vive la Nation ! Vive la République! Les commissaires de la Convention nationale ont été incarcérés, l'arsenal national a été pillé. » Dubois- Crancé et Albitte ajoutaient que des mesures urgentes s'imposaient « pour empêcher cette contre-révolution de se consommer ».

Sur la proposition de Jeanbon Saint-André, la Conven- tion rendait le décret suivant :

1. U. Wallon, la Révolution du 3 )nui et le Fédéralisme en 1793, ou la France vaincue par la Commune de Paris, Paris, Hachette, ,1880, t. 11, p. 239.

2. Moniteur, Compte rendu de la séance du 5 juin, numéro du 10 juin,

3. Moniteur^ numéro du 7 juin (séance du jeudi 6 juin).

: l'iNSI RRECTION DE LYON EN 1793

VuiivLb PREMiSR. Les représentants da peuple prés 1 ;4i au'o vies Alpes sont autorisés à prendre les mesures de sûreté générale que nécessiteront les circonstances et les der- niers troubles arrivés dans la ville de Lyon.

Akt. i. La Convention nationale charge son Comité de Salut public de faire incessamment un rapport sur Tétat de la ville de Lvon.

Art. 3. Le présent décret sera envové sur le champ par un courrier extraordinaire * .

Le rapport du Comité de Salut public, rédigé par Bar- rère, fut lu par son auteur à la séance de la Convention :

u L'afiaire de Lyon se présentait sous les couleurs les plus alarmantes. Il j a eu combat entre la municipalité et les sec- tions. Il paraît que c*est la municipalité qui a donné le signal du combat, elle a été vaincue, il faut déplorer le sang des citoyens qui a été versé, mais les témoignages réunis de deux commissaires de la Convention et des administrateurs annoncent que les vainqueurs n'ont cessé de crier : •< Vive la Liberté, Tonité et Tindivisibilité de la République ! » Deux autres de vos commissaires voient cette affaire sur d*autres rapports, nous en mettrons les pièces sous vos yeux -. »

Après cette prudente déclaration qui révèle bien le caractère équivoque de son auteur, la Convention au- rait dà attendre avec quelque patience, le rapport de Lindet. Mais deux jours après ^ Tiuiutigable proscrip- tenr Robespierre venait déclarer que, d*après ses infor- mations particulières, « à Lyon laristoeratie plongeait le fer dans le sein des meilleurs citoyens ». Ce n'était point contre les Lyonnais que le prétentieux ' incorruptible », réclamait des mesures immédiates de rigueur, mais bien contre les députés girondins, les accusiint d'avoir fomenté rinsurrection lyonnaise à laquelle il les suivait absolu- ment étrangers. Néanmoins, Robespierre sécriait : «• On

l. Mon eur. amiier«> du ') juin >tf;iiice ilu jt^uJi ô juio:.

i Monif'^ur, iiii^iiie nuint-m.

3. M'in!f--ur numéro du 10 juin séance du 5;iuiedi îJ juin .

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 73

voit éclater aujourd'hui la môme coalition que nous avons si souvent dénoncée. » Parade sanguinaire qu'ap- plaudissaient impudemment ses complices !

A Lyon, les administrateurs et la population repre- naient un peu de dignité et de courage, en voyant avec tristesse succomber encore quelques blessés de la journée du 29 mai et en les honorant par de solennelles obsèques. M. Cortasse de Sablonet, le maréchal de camp de l'an- cienne armée, qui avait entraîné la colonne de gauche hésitante et préparé ainsi la victoire définitive', n'avait pu survivre à ses terribles blessures. Plusieurs de ses frères d'armes étaient morts aussi, malgré les soins dévoués du docteur Cartier et de ses collaborateurs. Une double cérémonie fut célébn^e le 7 juin. 11 y eut un service dans Téglise Saint-Polycarpe-, rue de la Vieille-Monnaie. L'as- sistance était restreinte, des mariniers du Rhône, des jar- diniers de la Croix-Rousse, des commerçants de la place des Terreaux et des rues environnantes en formaient la plus grande partie. Le curé constitutionnel de paroisse, l'abbé François Rozier, prononça un sermon belliqueux qu'il termina ainsi :

« Rappelez-vous que le salut de la Patrie, celui de cette cité, de vos femmes, de vos enfants, enfin de ce que vous avez de plus cher au monde est dans vos mains, mais que vous touchez au moment critique et décisif. »

Une autre assistance beaucoup plus nombreuse se pres- sait dans l'église dos Jacobins, le vieil édifice en bordure sur l'un des trois côtés de la place du Confort, devant la fontaine édifiée par Antoine-Michel Perrache-^

i. Vallès, Tancien commissaire des guerres de l'armée lyonnaise, qui a laissé sous le nom de Réflexions historiques (Paris, Maurice, 1825), d'inté- ressants souvenirs sur la défense de Lyon, attribue principalement la vic- toire du 29 mai à l'attitude et aux dispositions de M. de Sablonet, qu'il appelle par erreur M. de SahlonUres, maréchal de camp (p. 15).

2. Edifice construit sous Louis XV.

3. Lire sur les anciens quartiers du vieux Lyon, le remarquable ouvrage

74 l'insurrection de lyon en 4793

C'est à THôtel-Dieu qu'était mort le brave général de Sablonet. Le bataillon de Port-du-Temple, à la tête duquel le général avait été frappé, s'était constitué la vraie famille militaire du vieux soldat; les obsèques avaient lieu aux frais du bataillon ^ qui, tout entier, son commandant en tête, les tambours recouverts de crêpe, se rendit en armes de la place Bellecourà Thôpital. Le corps de M. de Sablonet fut placé sur un char entouré de dra- peaux et conduit entre deux haies de gardes nationaux à l'église des Jacobins- Tofficc fut célébré à onze heures du matin en grande pompe par le clergé constitutionnel de l'église Saint-Pothin.

Sur le parcours de Téglise au cimetière Saint-Pierre, la foule devint si considérable que la gendarmerie à cheval avait peine à frayer le passage. Un silence religieux n'était rompu que par les sourds roulements des tambours. Les cordons du poêle étaient tenus par un administrateur du département, par Madinier, comman- dant général provisoire, par Gingenne, qui avait servi sous les ordres de M. de Sablonet, au régiment de la Couronne et par un jeune homme de seize ans, dont on ignorait le nom mais dont la douleur impressionnait ^

Au lieu de sépulture, les troupes rendirent les hon- neurs par une salve de mousqueterie, le clergé dit les dernières prières et pendant que les fossoyeurs recou- vraient la tombe, le députe» girondin Diroteau prononça quelques paroles pour exalter la résistance de Lyon ; il rendit hommage à la mémoire du général.

« Honneur et gloire à toi, noble Cortasse de Sablonet ! à toi qui Ves si courageusement associé à la magnanime pensée du

si bien documenté et si artistiquement illustré de M. Viugtrinier, le Lyon (le nos pères.

1. Vallès, Héfle.rions historiques^ p. 12.

2. L'église des Jacobins avait été all'eclée en septembre 1701 au culte constitutionnel; plus lard, Iransfomiée en remise, elle fut vendue et le chœur fut démoli. iVinglrinicr, le Lyon de nos pères.)

3. Balleydier, Histoire du peuple de Lyon, t. 1, p. 130.

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 75

peuple de Lyon ! Du haut du ciel ton âme sainte s*est envolée, jouis de notre triomphe, applaudis à nos efforts ! La France est libre encore*. »

Éloquence stérile de rhéteur ! illusion de parlemen- taire incorrigible ! Non ! La France n'était pas libre, les Girondins n'avaient pas su la défendre contre le plus tyrannique des pouvoirs et le vieil officier de la monar- chie, qui avait donné sa vie pour Tordre et la liberté, méritait mieux que les louanges boursouflées du conven- tionnel Biroteau !

La cause de Lyon allait être publiquement plaidée à FWis par M. de Fréminville assisté de ses quatre col- lègues. Le ministre de Tlntérieur Garât, plus modéré que l:i plupart de ses collègues et Barrère, lui-même, le pré- sident du Comité de Salut public, les avaient accueillis avec quelque bienveillance, mais sans oser les appuyer ouvertement. Toutefois ces deux prudents personnages leur facilitèrent Tentrée de la Convention, au moment de la lecture des pétitions-, à la séance du 8 juin, le lende- main môme des obsèques que nous venons de rappeler. Fréminville paraît être le seul qui ait demandé la parole pour donner lecture deg lettres des administrateurs de Fihône-et-Loire 'S déjà parvenues d'ailleurs à la Conven- tion. 11 insista avec à propos sur les dangers qu'il y aurait à enlèvera la frontière les troupes qui devaient la défendre et sur l'outrage que ressentirait la population lyonnaise, en se voyant menacée par une armée française '*.

1. BaUeydier, p. 230.

2. « Plusieurs représentants du peuple, députés des départements voi- sins, et celui de Rhône-ct-Loire, viennent communiquer leurs alarmes sur les mesures prises par les citoyens Dubois-Crancé et Albitte, à l'occasion des affaires de Lyon. » (Th. Jung, Dubois-Crancé^ t. 1, p. 409.)

3. « Le citoyen Fréminville, député extraordinaire de la ville de Lyon est aussi introduit et lit plusieurs lettres. » (Th. Jung. Dubois-Crancé^ t. I, p. 409.)

4. « Ils exposaient que pour obvier à un mal très [>eu r(»nstanL ces députés ;Dubois-Crancé| et Mbit te) mettent dans un péril constant les

76 l'insurrection de lyon en 1793

La Convention, donnant satisfaction aux pétitionnaires, décida que Dubois-Crancé et Aibitte devraient s'abstenir de prélever sur Tarmée des Alpes le moindre détache- ment et n'avoir comme préoccupation que la défense de la frontière menacée ^

Les autres délégués de Lyon, dans les départements disposés à « se fédérâliser » rencontraient un accueil des plus sympathiques : A Bordeaux, le 7 juin, Subrin et Girard, admis à la séance du Conseil général du départe- ment de la Gironde, prenaient la parole et retraçaient les événements du 29 mai, déclarant que « Lyon avait été sur le point d'ôtre victime des anarchistes ». Après des applaudissements unanimes, le président leur témoignait la sympathie de « tous les vrais républicains » et leur donnait Taccolade fraternelle -,

Le même jour, le Comité général des sections de Taras- con prenait Tinitiative d'une adresse de félicitations au Comité des sections de Lyon, pour avoir triomphé de Tanarchie « monstre non moins cruel que le despo- tisme-^ ».

La fin de l'adresse était une ofl're d'alliance:

« Nous espérons, braves et généreux Lyonnais, que vous nous accorderez Taffiliation que nous vous demandons et que vous vous empresserez de nous faire part de tout ce qui peut inté- resser le bonheur et la franquillité de la République. L'union

parties qu'ils dégarnissent de troupes et que l'ennemi est prêt à envahir. » (Même auteur, t. 1, p. 408.)

1. L'auteur de />M6ois-(>fl/ic^, le futur général Jung, voit une intrigue dans cette préoccupation de la Convention qui obéissait cependant et uni- quement à une préoccupation patriotitiue. 11 commet une erreur en faisant coïncider avec la séance du 8 juin la décision du Comité de Salut public déléguant à Lyon Robert Lindet qu'il appelle «leplusnaîf de ses membres». Robert Lin<lct avait été nommé quatre jours auparavant, le 4 juin. [Moni- teur, séance du 4 juin.)

2. Procès- lerbal des séances du conseil général du déportement de la Gironde. Fonds Coste classé par MM. Desvernay et Moliaier. Bibliothèque municipale.

3. Môme fonds. Adresse du Comité général des sections de Tarascon. Signés Benoit Rey et Siméon.

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 77

seule fait notre force et peut nous faire triompher des puis- sances coalisées, des brigands de la Vendée, des anarchistes et des intrigants. Unissons-nous donc et entretenons une cor- respondance exacte qui puisse faire avorter et détruire tous les complots que les méchants méditent contre nous. »

Le lendemain, Jacquet et Pékin, délégués de Lyon à Marseille, recevaient au Comité des sections marseillaises l'accueil le plus chaleureux, ils en prévenaient aussitôt les corps administratifs dont ils étaient les représentants*.

Toutes ces nouvelles étaient accueillies avec faveur par les autorités lyonnaises qui s'efforc^aienl de ramener Tapaisement, mais la majorité de la population deman- dait toujours le châtiment des coupables et le tribunal criminel venait d'être réorganisé. Cozon en était prési- dent, Brochet Taccusateur public, et Marel, homme de loi, avait été délégué par le tribunal du district de Lyon pour faire fonction de juge au tribunal criminel pendant le trimestre ',

Les délations se produisaient de jour en jour plus nombreuses. On signalait les maisons des anciennes con- grégations'* comme recelant des « malveillants » et môme ajoutait-on « des ennemis et des armes cachées^ ». Une simple visite domiciliaire établissait Tinanité de telles suppositions. D'autre part, on accusait les francs-maçons lyonnais, qui avaient secondé au début si activement le mouvement révolutionnaire, de se concerter dans un esprit hostile à la République •• oton les dénonçait à toute la vindicte des lois.

1. m Les Marseillais nous ont assurés que, sans révénement de Lyon, ils n'auraient jamais osé fermer leurs clubs. » [Archives dêpartementules. Lyon après les rebellions du 29 mai, carton 1.) Le club auquel il est fait allusion est le club des Jacobins marseillais qui terrorisait leur ville.

2. Même source.

3. Notamment celle de Saint-Lazare {Archires municipales de Ltjon, période du siège).

4. Même source.

o. « Dans une de leurs orgies dites banquet, on porta la santé des princes,

et leur vénérable, ayant osé proposercelle de la nation, a été hué et presque

•V l'iNSLKRECTION DE LYON EN 4793

l^^ nouvelles victimes venaient s'ajouter à la funèbre IihIo Jii *^.> mai. Un service en leur honneur était encore ivlobré. le 12 juin, à l'église métropolitaine de Lyon. l/evéque constitutionnel du département, Adrien Lamou- rolte, rendait solennellement hommage « aux citoyens morls en défendant les droits sacrés de Fégalilé et de la liberté républicaine contre l'oppression de l'anarchie » en présence dôs administrateurs de Rhône-et-Loire, des dis- tricts de la ville et de la campagne de Lyon, des juges du. tribunal, de la municipalité provisoire et des députés de toutes les sections de la ville *.

Les sections décidèrent d'informer de leurs sentiments amicaux «« leurs fn^res de l'armée des Alpes » ; elles votèrent une adresse qui déclarait que la sécurité était revenue dans la ville depuis les événements du 29 mai :

« Cette cité jouit delà plus profonde tranquillité, Tarbrede la Liberté qui n'est plus celui de la tyrannie, est entouré de notre respect et défendu par notre patriotisme ; Tétendard tricolore flotte de toutes parts, la sérénité est sur tous les visages et la joie dans tous les cœurs : An lieu de cris de sang, on n'entend plus que les cris partout répétés î « Vive la République Une et Indivisible * Toutes les sections sont animées du même esprit, toutes veulent la liberté et Tégalité. Elles savent que le brigan- dage et le crime ne peuvent que livrer tous les Français à Topprobre. à la misère et à la servitude, elles savent que la République ne peut être fondée que sur le rocher de la justice et des vertus patriotiques : voilà, braves guerriers, notre pro- fession de foi ^ ! -

D'autre part, Lindet. le commissaire de la Convention, courtoisement re«;u par les corj^s administn\tifs et échap- pant à la fâcheuse influence de st*> collègues, constatait rattitud».' s.ige de la population et envoyait à l'Assemblée

1. Lt - A. V. Ivp:\r^>. ":.v. »:••. *. »aon, : ii^

i. L'»-* :.: 'Vt-nf i* Ly n .& .- .:r^ .*>'-*'< d . .vriuf^» ■.:<:> A*. j-^^. 12 juin !'Z?î.

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 79

un rapport rassurant, dont il était donné lecture par Barrère dans la séance du mercredi 12 juin. Le repré- sentant en mission y affirmait que la ville de Lyon était calme, qu'on n'y voulait ni roi ni tyran, que les mots de république, d'unité, d'indivisibilité n'avaient pas cessé de s'y faire entendre. « Cependant, ajouta-t-il, on aperçoit que toutes les inclinations se portent vers le Midi, parce que sa défense paraît négligée et l'on voit le Nord avec indifférence ^ »

Lyon était redevenu calme en effet, mais la population honnête n'en réclamait pas moins avec persistance le châtiment de ceux qui l'avaient si longtemps terrorisée. La section de l'Union demandait « que les détenus aux prisons de Roanne et de Saint-Joseph, pour avoir provo- qué le meurtre, le pillage et les séditions, fussent jugés par une commission militaire » et la section de la Paix donnait à ce vœu une adhésion formelle*.

Le bruit courut, propagé par les partisans de Tancieiuie municipalité, que la Convention ne ratifierait pas les événements du 29 mai. L'émotion fut vive dans les sections et l'une d'elles, la section du Port-du-Temple, vota une adresse qui fut approuvée par les autres, pro- clamant « que la ville de Lyon était en état de « résistance à l'oppression » qu'elle en appelait à toutes les assemblées primaires de la République^. Pour la première fois reten- tissait le mot qui allait devenir la devise des Lyonnais, sur leurs drapeaux, sur leurs affiches : Résistance à fop' pression! Afin d'enlever à cette déclaration tout carac- tère hostile à la Constitution, le Conseil général du dépar- lement réuni en Assemblée solennelle, prêtait serment à l'indivisibilité de la République, à l'intégrité et à l'invio- labilité de la Convention.

1. Moniteur, numéro dn samedi 15 juin (séance de la Convention du mprcredi 12 juin).

2. P/ocès-rerbal de la section de la l^/ti.r Tséanrc du 12 juin).

3. Gonon, Bibliographie fiistorique de Lyon, p. 227.

80 l'insurrection de LYON EN 1793

Celte protestation ne désarmait pas la Convention qui, par décret du 17 juin, appelait à Paris le représentant Lindet, le procureur général syndic du département de Rhône-et-Loire et celui du district de Lyon^

Trois jours après, à la séance de la ConVention, le 20 juin, les auditeurs les moins prévenus pouvaient cons- tater un sentiment général d'hostilité contre la ville qui ne craignait pas d'affirmer son indépendance. Lindet, qui avait déjà rendu compte de sa mission au Comité de Salut public et pris ses instructions, demanda la parole et s'exprima en ces termes :

« Citoyens, dit-il, vous avez décrété que je me rendrai dans votre sein pour vous rendre compte de Tétat de la ville de Lyon, de la situation des esprits dans cette ville et les ordres de votre comité m'imposent Tobligation de garder le silence sur tout ce que j'ai vu jusqu'à ce que les fonctionnaires publics que vous avez mandés aient obéi à votre décret. Au reste, je puis assu- rer la Convention que si la nouvelle autorité, qui s'élève à Lyon, tient les rênes de l'administration avec fermeté, il n'y a rien à craindre pour la liberté, mais beaucoup à observer. En atten- dant voici le projet que je suis chargé de présenter au nom du Comité de Salut public :

« La Convention nationale met sous la sauvegarde de la Loi et des autorités constituées les citoyens arrêtés à Lyon dans les derniers troubles qui y ont eu lieu ;

« 11 sera sursis à toute instruction et poursuite commencées contre ces citoyens^. »

Personne ne s'y méprit, Lindet changeait d'impressions par ordre, les Jacobins de Paris voulaient entrer en lutte avec les vainqueurs du 29 mai. La proposition de Lindet fut adoptée à l'unanimité ^

A peine le vote était-il recueilli que le président do l'As- semblée donnait lecture d'une lettre que Marat adressait à la Convention :

1. Gonon, p. 228.

2. Moniteur, numéro du 23 iuin (séance «le la Convention du jeudi 20 juin).

3. Id.

accusations, temporisations, provocations 81

« Citoyens mes collègues,

« Une maladie inflammatoire, faite des tourments que je me suis donnés sans relâche depuis quatre années pour défendre la cause de la liberté, m'afflige depuis cinq mois et me retient aujourd'hui dans mon lit. Dans l'impossibilité je suis de me rendre à la Convention, je vous prie de vous faire donner lecture de rincluse; elle vous convaincra de la nécessité de mander sans délai Charlier {sic) à votre barre, non seulement pour le soustraire à la férocité des aristocrates de Lyon, mais encore pour en tirer des renseignements sur les causes des troubles de cette ville ; j'en fais la demande expresse.

M Je demande aussi que Laussel, procureur de la commune de Lyon et signataire de l'incluse, y soit pareillement mandé. Je demande encore que vous rendiez contre le tribunal populaire de Lyon le même décret que vous avez rendu contre celui de Marseille.

« Enfin je demande que la permanence des élections soit sup- primée dans toute la République,... car les riches, les intri- gants et les malveillants courent en foule aux sections, s'en rendent maîtres et y font prendre les arrêtés les plus liberti-

cides.

u Marat, « Député à la Convention^ »

« L'incluse », comme disait le plus « liberticide » de tous les démagogues, était une lettre de Laussel, procureur de la Commune de Lyon, le complice de Chalier qui, plus heureux que ce dernier, avait pu se réfugier à Paris. Elle débutait ainsi :

« J'apprends, citoyen, par une voie sûre qu'on se dis- pose à Lyon à guillotiner Chalier, c'est un patriote ar- dent et pur, etc. » Après avoir fait Téloge de Chalier, Lausset faisait son propre panégyrique, s'étonnant que le Comité de Salut public ne Teût pas encore consulté sur les mesures à prendre. S'il avait été entendu, la Convention

i. Moniteur^ numéro du dimanche 23 juin (séance de la Convention na- tionale du jeudi 20 juin).

6

82 l'insurrection de lyon en 1793

aurait prévenu les derniers troubles ; il ajoutait avec une présomptueuse naïveté : « Je n'en sais pas les détails, mais je sais très bien que le département est contre- révolutionnaire, que le district a pour son lot quelques meneurs un petit peu aristocrates et surtout intéressés. » Après avoir énuméré ses griefs personnels contre son successeur et deux de ses collègues, il déclarait qu'il les « altérerait » en plein comité (sans doute avec les pro- cédés chers à Chalier),.. Il faisait ensuite allusion à Fré- minville et à ses compagnons : « Nous avons ici des com- missaires des sections à Lyon qui doivent partir demain, ce sont des émissaires pour agir contre la Convention qu'ils ne veulent pas reconnaître. Ne devrait-on pas les arrtHer pour répondre de la tète de Chalier et des autres patriotes emprisonnés à Lyon*? » C'était le système des otages.

A la dernière ligne, Laussel dénonce Roland comme étant réfugié à Lyon. Le renseignement était inexact, car le Girondin qui venait en effet de rejoindre dans cette ville Biroteau s'appelait Chasset, député de Rhône-et- ' Loire '". Dès son arrivée, il s'était présenté à la Commis- sion populaire et républicaine pour l'encourager à per- sister dans ses idées de résistance.

A Grenoble, les représentants Albitte, Dubois-Crancéet (îauthicr voyaient avec inquiétude se manifester des symp- tômes de mécontentement local. Deux administrateurs, Orcelet et Royer, avaient été s'aboucher à Lyon avec leurs collègues de Rhône-et-Loire; les membres du Conseil départemental, qui s'intitulait aussi Comité de Salut public avaient rédigé une adresse aux bataillons de Tarmée des Alpes stationnés dans l'Isère. Cette adresse était une pro-

1. Moniieui\, nuini^ro du 23 juin (séance de la Convention du jeudi 20 juin).

2. Chasset, ancien avocat et maire de Viilefranche, avait proposé, en nsi, à la Constituante, que les biens ecclésiastiques fussent remis à la gestion des corps administratifs et que les dîmes, A partir du !•' janvier, fussent remplacées par un traitement en arfjent.

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 83

testation contre la victoire de la Commune de Paris et la défaite de la Gironde :

c< Braves guerriers,

t( La Liberté est en péril, des factieux, des intrigants, des étrangers, des mercenaires ont osé investir le temple de nos lois de Tappareil de la guerre et dicter leurs volontés à nos repré- sentants.

« Soldats, la Liberté se relèvera triomphante, que notre in- dignation s'exhale, mais que nos frontières fixent notre solli- citude. Continuez à les défendre.

« Les citoyens vos frères sont debout à l'intérieur et sauront bien y maintenir l'ordre et la paix, et rendre sa dignité, son inviolabilité à la représentation nationale ^ »

Les troupes manifestèrent au sujet de ce document la plus complète indifférence. Aussi, rassurés et enhardis, les trois représentants informèrent le Comité du département de risère qu'il s'intitulait sans droit « Comité de Salut public » et qu'eux, délégués de la Convention, lui refu- saient tout mandat légal'^. Pour intimider la population de Grenoble, prévenir toute velléité d'indépendance locale et préparer la répression des Lyonnais, ils rassemblèrent le dimanche 23 juin la garnison de Grenoble^ et la passèrent en revue'*.

Avant le défilé, Dubois-Crancé, monté sur une estrade, devant l'arbre de la Liberté, prononça une harangue menaçante il prédisait que la Convention tirerait une éclatante vengeance de ses ennemis.

1. Archives de Vlsèi'e : délibérations du conseil du département, n juin 1793.

2. H. WaUon, la Révolution du 31 mai et le Fédéralisme en 1793, t. II, p. 309.

3. Les troupes comprenaient, sous les ordres du général de brigade Domac, le 59* d'infanterie, le dépôt du 25*, le 6* bataillon des Côtes Mari- times, une compagnie d'artillerie légère, une compagnie de pionniers, un escadron du 5* régiment de cavalerie et un détachement de gendarmerie.

4. Sur la place de la Liberté, à quatre heures de Taprès-midi.

84 l'insurrection de lyon en 1793

« Si vous aviez le regard de Taigle, s'écria en terminant l'ancien lieutenant des maréchaux de France, vous verriez les Lyonnais sur leur montagne dePourvières insultant par la pensée un drapeau que vous avez arboré sur les tours du château de Vizille, car Lyon est aujourd'hui le berceau de la contre-révo- lution... Un tyran voilà ce que demandent nos voisins du Rhône, un tyran avec ses prêtres, ses inquisiteurs, ses bourreaux et ses nobles, un tyran pour manger le pain du peuple, pour boire la sueur du peuple. Malheureux Lyonnais, tremblez ! le jour de la vengeance approche, nous saurons bien délivrer votre ville de ses oppresseurs *...

Les soldats écoutèrent docilement et la population civile, qui paraissait auparavant en communauté d*idées avec son Comité départemental, prodigua au représentant ses applaudissements et ses acclamations^.

Le lendemain, le local des séances du soi-disant Comité de Salut public de Grenoble était fermé, sans soulever le moindre incident. Définitivement rassurés, les trois re- présentants envoyèrent à la Convention la liste des corps de troupes de la région pouvant former « le camp de Lyon ».

Etat dbs bataillons des volontaires nationaux et des régiments dbs troupes de ligne destines a former le camp

DE LYON 3 :

35® de ligne (ex-rég. d'Aquitaine) arrivé le 6 juin à Briançon

Bourgogne) 31 mai à Tournay

Lyonnais) mémedateàSt-Ambroix

Languedoc) 14 juin à Embrun

Boulonnais) 29 mai à Marvejols - Neustrie) même date à Mont-Dauphin

Un escadron du 9* dragons

(ex-dragons de Lorraine) 22 mai au Vigan

78* (ex Dauphiné) destiné à Grenoble

93* (ex Enghien) 24 juin à St-Esprit

1. Balleydier, Histoire du peuple de Lyon, t. T, p. 240.

2. Cf. H. Wallon, la HévoluUon du 31 mat\ t. II, p. 509.

3. Archives historiques de la Guerre ; Armée des Alpes, juin 1793.

59»

(ex

27«

(ex

67«

(ex

79»

(ex

10«

(ex

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 85

i*' bataillon de la Drôme^

et

2* des Basses-Alpes

1* des Hautes-Alpes

8* dragons (Ex-4ragons de Penthièvre) à Nimes

six compagnies du 4'' d'artillerie parties de Nîmes

Albitte et Dubois-Crancé demandaient, en outre ins- tamment à leurs amis, les Jacobins de Paris, de dissiper les dernières hésitations de la Convention et de l'amener à commencer les hostilités contre les Lyonnais. Dans une lettre datée de Grenoble le 27 juin", ils annonçaient Tar- restation par leurs soins de doux administrateurs de Lyon : « Comptez sur notre zèle, frères et amis, mais nous pleu- rons du sang sur la faiblesse et Tinsouciance de la Con- vention. Nous avions prévu les événements de Lyon. » Après avoir regretté que TAssemblée n'eût pas ordonné l'exécution immédiate de leur arrêté, les représentants ajoutaient : « Eh bien. Lyon pourra coûter aujourd'hui bien de la peine et bien du sang pour le rendre à la Répu- blique. La Convention nous paralyse, elle ne nous or- donne rien, elle défend môme de dégarnir la frontière. » Ainsi les deux conventionnels préféraient courir les risques de l'invasion étrangère, ils ajoutaient : « Les géné- raux flottent et sont encore plus incertains que nous et, sans notre activité^, tous les départements nous sommes seraient aujourd'hui coalisés avec Lyon. »

Albitte et Dubois-Crancé exagéraient singulièrement leurs services, ils s'étaient bornés à intimider la paisible population de Grenoble, en ordonnant des arrestations qui n'étaient nullement nécessaires. Ils n'en préconisaient pas moins les mesures dictatoriales les plus vexatoires pour la malheureuse population lyonnaise :

i. Sans indication de cantonnement.

2. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, juin 1793.

3. « Matheron et PecoJet qui étaient venus prêcher le fédéralisme dépar- temental et que nous tenons en prison. Nous y tenons de même quelques administrateurs de risère. » (Même document.)

86 l'insurrection de lyon en 1793

« Il faut déclarer Lyon en état de révolte, appeler contre lui tous les départements environnants, ordonner à Kellermann de marcher contre (sic) avec des forces suffisantes et sur sa respon- sabilité, alors vous verrez, sans effort et sans même aucune effusion de sang, se dissiper ce fantôme noir de contre-révolu- tion imaginée par les écrivassiers de la République et si Lyon rentre dans Tordre, on peut garantir le succès de nos armes et la tranquillité du Midi le long des Alpes...

« Nous avons trouvé tout ce pays gangrené ou égaré, mais nous ne perdons pas courage, le patriotisme renaît avec la lumière et nous pouvons encore dire : Ça ira !

tt Albitte et Dubois-Crancé *. »

Le détestable jeu de mots n'était d'ailleurs qu'une basse flatterie pour les Jacobins, c'est-à-dire pour les véritables vainqueurs de la Gironde, le 31 mai.

A Lyon, la population n'avait pas accepté le décret de la Convention qui mettait sous la sauvegarde de la loi et des autorités constituées les personnes arrêtées dans cette ville à Toccasion des derniers troubles et détenues dans les prisons de Roanne et de Saint- Joseph. Elle réclamait avec instance, par l'organe de ses sections'^, la formation d'une commission militaire ou d'un tribunal populaire, pour faire prompte et énergique justice. Les autorités lyonnaises déclarèrent que la justice régulière suivrait son cours et qu'il ne serait point créé des tribunaux d'exception.

La police correctionnelle avait absous, par une inexpli- cable indulgence^, un misérable no^mmé Sautemouche qui, comme membre de l'ancienne municipalité, avait

1. Archives histoiHques de la Guerre : Année des Alpes ^ juin 1793.

2. Les sections de l'Union, de la Paix, de l'Egalité, de Guillaume-Tell, expriment ces vœux sous différents arrêtés qui portent les dates des 12, 20,22 et 23 juin. Toutefois, la section de Porte-Froc déclara s'opposer à toute juridiction d'exception.

3. Journal (le Lyon, numéro du 29 juin 1793.

ACCUSATIONS, TEMPORISATIONS, PROVOCATIONS 87

commis les plus méprisables excès de pouvoir ^ Le 27 juin, aussitôt après son élargissement, il était entré dans un des caféis du quai de Saône, sur la terrasse de l'évôché. Son air de jactance le fait reconnaître; la foule s'écrie : « C'est le meurtrier des demoiselles Cognet ! » Des citoyens indignés de sa mise en liberté Tarrètent sans qu'il tente de se défendre ; les uns veulent le ramener en prison, d'autres le jeter dans la Saône. Le débat se prolonge, la foule qui gronde devient plus mena- çante. Des cris : « A la lanterne! » se font entendre. Malgré les supplications de l'ex-officier municipal, on procède aux préparatifs du triste supplice que lui-môme et les siens ont si souvent préconisé. Une lanterne est descendue, la corde va être passée au cou du malheureux lorsqu'un coup de sabre lui est porté au côté gauche et le renverse sans vie'-. Un jeune homme, parent de ses vic- times, l'avait frappé mortellement.

Le cadavre fut jeté dans la rivière, il surnagea quelques temps, puis s'engloutit sous une grêle de pierres.

La justice, et non point la cruauté lâche de la foule, aurait frapper Sautemouche. Pour prévenir de sem- blables représailles, le tribunal criminel de Lyon rendit de nouvelles ordonnances « de prise de corps » contre « des complices du 29 mai » jusqu'alors impunis : « les ci- toyens Dumanoir, Alexis Nesme, Millet'*, Genis, Jacques Gâche, Fremiset, Jean-Louis Doret'», François Le Berger, Louis Lambert, Thonion, ce dernier administrateur du district'' ». Ces ordonnances étaient signées de Renard,

1. Lors de la taxe des six millions, Sautemouche dévalisait avec une indigne brutalité les personnes arbitrairement imposées. Deux jeunes filles, M"** Cognet, avaient été tellement effrayées et molestées que Time mourut de frayeur et l'autre devint folle.

2. Tous ces tristes détails sont empruntés au Journal de Lyon, numéro du 29 juin.

3. Qualifié de cordonnier.

4. Qualifié de chocolatier.

l>. Sur une des ordonnances du tribunal, on retrouve le nom de Julliard, ancien commandant de la garde nationale, qui avait déjà été mis en état d*arrestation.

88 l'insurrection de lyon en 1793

commissaire national et directeur du jury près le tribunal de Lyon^

Aux menaces des Conventionnels embusqués à Gre- noble, les vainqueurs du 29 mai répondaient qu'ils voulaient punir tous les coupables.

1. Archives départementales du Rhône (juin 1793).

CHAPITRE VI

LYON CHERCHE DES ALLIÉS

L*idée d'un groupement fédéraliste ne semble pas avoir gagné, tout au moins immédiatement, les autorités lyon- naises, encore mal renseignées sur l'agitation girondine, mais elles se préoccupèrent, dès la première quinzaine de juin, d'organiser une force départementale. Deux commissaires, Martin et Bosment, avaient été chargés par les trente et une sections de Lyon de se rendre au conseil général de Saint-Etienne, sans aucune escorte pour entretenir cette assemblée de « l'affaire du 29 mai * » et des conséquences qu'elle pouvait entraîner pour le dépar- tement.

Ils s'arrêtèrent à Rive-de-Gier pour faire une visite de condoléances ou, comme on disait alors, « donner le bai- ser fraternel » au père d'une des victimes du 29 mai, Mortier*. Les députés des sections lyonnaises allèrent ensuite à Saint-Etienne et grâce aux sympathies qu'ils rencontrèrent parmi les modérés de la ville, ils provo- quèrent la réunion d'une commission composée des délé- gués d'un grand nombre de communes auxquels ils firent le récit des événements^. L'abbé Combry,curé du Cham- bon, fut nommé membre de cette commission, et un homme de loi, M. Richard, procureur syndic de la com-

i. Archives départementales du Rhône. Lettre des commissaires Martin et Bosmont, 24 juin.

2. Martin et Bosmont terminent leur lettre aux secUons par ces mots: < Le mot d'ordre général est Résistance à V oppression, » {Archives départe- mentales.)

3. Cf. article de M. Isidore Hedde, dans la Revue du Lyonnais, t. XII, 1840, il y a quelques erreurs de date.

ÎK) l'insurrection de LYON EN 1793

m une de Saint-Etienne fut appelé à la présidence tempo- raire de cette assemblée.

Une partie de la population de Saint-Etienne ne cacha pas son hostilité pour la cause lyonnaise. Des réunions tumultueuses devant le local de la commission stépha- noise ne laissèrent aucun doute aux délégués qui en pré- vinrent les sections.

A Lyon, les corps administratifs semblent avoir voulu répondre à la revue des troupes de Grenoble et aux menaces de Dubois-Crancé par une fête patriotique et militaire sous leur présidence.

Le samedi 29 juin, sur la place de la Fédération (ci- devant des Terreaux) Tarbre de la Liberté, un gigantesque peuplier, avait été orné d'un faisceau d'armes, de piques et de trophées de feuillage ; on avait adossé à cet arbre un amphithéâtre à quatre faces. Les places étaient réser- vées aux autorités lyonnaises qui ne devaient les occuper qu'après avoir salué l'arbre de la Liberté. Plusieurs ba- taillons de la garde nationale de la ville encadraient la vaste place, celui des vétérans et celui de l'Espérance étaient massés devant l'amphithéâtre. Devant « la Maison commune » on remarquait des détachements militaires des campagnes « précédés de leurs officiers municipaux » « dont l'écharpe parait la bure modeste^ ». Les adminis- trateurs du département et des deux districts, les corps judiciaires, les députés des sections, les membres de la commune provisoire formaient un majestueux cortège que précédait une bannière tricolore et sur le milieu de laquelle se lisaient ces mots : « Loi, Liberté, Egalité, Union. » Hélas ! ce n'était qu'une formule adoptée par des rêveurs... Après une salve d'artillerie des discours furent prononcés auxquels succéda la Marseillaise ou plu- tôt, comme on disait, l'hymne des Marseillais et selon le journal de Lyon auquel nous empruntons ces détails

1. Journal de Lyon, numéro du 30 juin 1793.

LYON CHERCHE DES ALLIÉS 91

dithyrambiques : « On regarda avec émotion cet hôtel commun, il y a un mois citadelle formidable, aujour- d'hui Sénat respecté, siège des pères du peuple, gardé par l'amour et la confiance. » Le rôve continuait...

Cependant, dès le lendemain, 30 juin, les commissaires se réunirent à l'effet d'examiner les moyens de fournir aux dépenses extraordinaires que nécessiterait la défense de la ville et du départements Des bruits toujours plus inquiétants venaient de Paris, l'hostilité du parti jacobin s'affirmait par les flots d'injures des journaux monta- gnards. 11 semblait urgent de préparer la résistance; on se borna à un changement d'étiquette. Dans la séance du soir, l'assemblée lyonnaise « arrêta de prendre à dater de ce jour, le titre de Commission populaire^ républicaine et de salut public du département du Rhône-et-Loire^^, Toutes les publications de la commission populaire porteraient en tête ces mots :

République Une et Indivisible

RÉSISTANCE A l'oPPRESSION

Représentation nationale libre et entière

Le parti royaliste, qui avait pris part avec tant d'éner- gie à la journée du 29 mai, devait accepter définitivement la formule républicaine. Exclus des bureaux des sections, ils étaient l'objet d'une vague suspicion, même quand ils affectaient de prendre le costume et le langage du peuple, anciens émigrés ou réfugiés n'avaient pu garder longtemps leurs illusions. Lyon restait indissolublement attaché à la République, mais le joug des Jacobins lui était odieux et la population honnête était résolue à lutter pour ne plus

1. GoDon, Bibliographie historique de la ville de Lyon^ pièce 1237. (Ex- trait du Procès-verbal de l'Assemblée des commissaires desseclions de cette ville, à V effet d'examiner^ etc..)

2. Cette pièce est la première publication de cette commission qui sub- sista Jusqu'au 31 juillet 1793, elle prit le titre de Corps administratifs séant à Lyon.

92 l'insurrection de lyon en 1793

le subir. Un grand nombre de commissaires des sections et d'officiers de la garde nationale qui représentaient, en dehors des royalistes, le parti le plus porté à la résis- tance, émettaient hautement le désir qu'on se ralliât aux autres départements en révolte contre Tomnipotence de la Convention et que Rhône-et-Loire se fédéralisât, avec les Bouchcs-du-Rhône, la Gironde et les départements de Normandie K Pourquoi Lyon ne deviendrait-il pas un centre d'indépendance régionale autour duquel se grou- peraient la Drôme, TAin, le Jura, le Puy-de-Dôme et risère2?

Les esprits timorés mais clairvoyants prévoyaient com- bien ce projet de fédération restait chimérique. Quarante- deux Sociétés populaires des départements de la Drôme, du Gard, de TArdèche et des Bouches-du-Rhône s'étaient réunis à Valence les 24, 25 et 26 juin. Elles avaient for- mellement déclaré : que la Convention était le centre de l'unité et le seul point de ralliement de tous les Français; que les membres composant actuellement la Convention méritaient la conflance du peuple ; qu'il convenait de vouer à la vengeance publique tous les individus, corps, communes ou sections qui voudraient usurper une autorité attestatoire à la souveraineté du peuple ; Que tout provocateur au fédéralisme devait être voué à l'exécration publique, etc., etc.^.

Devant cette levée de boucliers qu'ils n'avaient pas prévue, la tentative des Marseillais devenait isolée et Lyon ne pouvait guère compter que sur lui-même.

La Commission « populaire, républicaine et de Salut public », désireuse d'affirmer ses intentions pacifiques déclara dans son premier manifeste : « qu'elle ne voulait point élever deux centres de puissance, constituer deux

1. J. Morin, Histoire de Lyon pendant la Révolution^ t. VII, p. 59.

2. Ibid.

3. II. V^'allon, la Révolution rfu 31 mai et le Fédéralisme en 1*293, t. II, p. 233.

LYON CHERCHE DES ALLIÉS 93

assemblées représentatives, exciter la guerre civile, détruire l'unité, l'indivisibilité de la République, etc. », et pour prouver sa déférence et sa soumission à la soup- çonneuse Convention, elle ajoutait :

« Mais nous voulons que ce centre de puissance existe dans toute son intégrité, qu'il ne s'élève pas autour de lui des auto- rités qui le dominent ; que cette assemblée représentative soit inviolable, que ses membres qui, réunis de tous les points de la République appartiennent à la Nation entière, ne soient soumis qu'à la volonté générale et qu'une fraction du peuple n'agisse pas sans cesse comme si elle faisait seule la nation entière.

« Tels sont nos principes, nous les burinerons sur le bronze; nous les soutiendrons dans nos camps et dans nos foyers; nous périrons tous plutôt que d'y être infidèles; nous en déposons l'expression franche et loyale, dans le sein de tous les amis de Tordre et des lois^ »

A cette péroraison emphatique et larmoyante succéda, le môme jour, une brève adresse du Comité de Sûreté générale de la môme Commission à toutes les autorités constituées du département et à tous les citoyens qui s'y trouvaient en résidence. Le style en est plus simple et plus fier :

« 11 n'est plus temps de délibérer. Aux armes, citoyens, aux armes! Soutenons de tous nos moyens et de tout notre courage la République Une et Indivisible, protégeons les personnes et les propriétés, faisons régner les lois et terrassons l'anarchie^?»

Rien n'était plus correct, plus constitutionnel et cepen- dant au club des Jacobins de Paris comme à Grenoble dans l'entourage vindicatif et violent des représentants en mission, on déclara que décidément Lyon voulait la gueiTe !

Dans la séance du l"" juillet tenue à l'Hôtel de Ville, dans

!. J. Morin, Histoire de Lyon^ t. III, p.ol-o2.

2. GoDon, Bibliographie historique de Lyon, pièce 1239 : Adresse du Co- mité de sûreté générale de la commission populaire^ républicaine et de Salut publie du département de Rhône-et-Loire.

9i l'insurrection de LYON EN 1793

la salle publique du Conseil général, la Commission po- pulaire, républicaine et de salut public du département du Rhône-et- Loire que, par abréviation, nous appelle- rons dorénavant la commission départementale^ fut saisie d'une motion de plusieurs de ses membres demandant de substituer le mot de « Représentation Nationale » à celui de la Convention ; cette motion fut rejetée. Après avoir voté des félicitations aux citoyens du Jura, de TAin et du Doubs-, qui avaient fait preuve d'une conduite ferme et courageuse, la Commission déclara que les citoyens Royer et Roselette, députés de Grenoble, étaient à Lyon, et même dans le sein de l'assemblée, mais sous la menace d'être enlevés sur des ordres arbitraires donnés par Dubois-Crancé et Albitte. Il convenait donc de mettre les citoyens Royer et Roselette sous la sauvegarde de la loyauté et de l'honneur du peuple de Rhône-et-Loire, et d'étendre cette même protection à tous ceux qui « dans le désir de veiller au maintien de la Liberté et de la République, voudraient fraterniser avec leurs amis du département-^». Sur cette affirmation, un membre de la Commission demanda que l'Assemblée se déclarât offi- ciellement en état de résistance à l'oppression. Par pru- dence, la Commission départementale ajourna cette proposition et la renvoya au Comité des rapports. Cepen- dant devant les inquiétudes évidentes de la population, il fallait prendre quelques mesures ostensibles de préser- vation de la cité.

Un arn'té de la municipalité, portant la date du 1" juil- let, décida que 1.800 gardes nationaux, choisis à tour de rôle dans les bataillons fourniraient un service actif et seraient casernes^. La générale battit, aussitôt des gardes

\. Le conseil général de la Commune était venu déposer ses pouvoirs entre les mains de la Commission départementale.

2. Qui avaient manifesté leur réprobation de la mise hors la loi des Girondins.

3. J. Morin, Histoire de Lyon^ t. III, p. 54-55.

4. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes. Registres du Comité de Salut public.

LYON CHERCHE DES ALLIÉS 95

nationaux se présentèrent si nombreux pour faire les premiers ce service qu'il sembla inutile d'établir un rou- lement*. En réalité c'était une expérience. Un second arrôté fit appel aux travailleurs volontaires afin d'établir un re- tranchement du côté des Brotteaux; le retranchement était mal jalonné et les terrassements s'exécutèrent avec plus de bonne volonté que d'adresse. Ainsi l'exemple était donné et la population allait manifester de nouveau sans équivoque son intention d'étayer ses déclarations d'indé- pendance sur des préparatifs militaires.

La Commission départementale retint provisoirement à Lyon trente-six pièces de canon de campagne et une com- pagnie du 2" régiment d'artillerie. Servants, conducteurs, attelages et canons étaient destinés à l'armée des Pyrénées- Orientales'2.

Ces manifestations énergiques n'empochèrent pas les mesures de conciliation. Des bateaux, portant un appro- visionnement de 12.000 boulets, étaient arrivés d'Auxonne par la Saône à destination de Valence et de Tarmée des Alpes. Dans les derniers jours de juin, un arrêté de la municipalité provisoire, signé Coindre, ordonna que ces bateaux, avec leur chargement intact, resteraient amarrés au quai de Saône, en attendant que les autorités de Lyon prissent une décision à ce sujet. Le directeur des trans- ports militaires, un sieur Desparro, protesta contre cette décision au nom des nécessités de la défense nationale. La mesure fut aussitôt rapportée. Par son arrêté du 2 juil- let, la Commission populaire, blâmant implicitement la municipalité, déclara que « le département de Rhône- et-Loire ne voulait sous aucun prétexte et « sans une res- ponsabilité majeure, arrêter des munitions de guerre qui, d'un moment h Tautre, pouvaient devenir d'une nécessité absolue pour les armées'^ >^

1. Journal de Lyon, miinéro de juillet 1793.

2. Gonon, Dihlingraphie historique de Lyon, pièce n* 12.^7.

3. Gonon. Bibliographie historique (te Lyon, pièce 1244.

96 l'insurrection de lyon en 1793

Sous rimpression de ce sentiment patriotique, le prési- dent de la Commission, Gilibert, écrivit au général Keller- mann* que ses collègues et lui-môme offraient de déférer avec empressement, pour le service des approvisionne- ments, aux seules réquisitions du général en chef de l'armée des Alpes, ajoutant avec une amertume bien justifiée que les ordres de Dubois-Crancé et d'Albitte leur étaient suspects : « Us nous ont forcé de résister à l'oppression, disait le président... ils menacent en des- potes, ils cherchent à allumer le flambeau de la guerre civile, nous ne pouvons ni reconnaître, ni adopter leurs projets perfides et sanguinaires -. » Après avoir pro- testé de sa fidélité à la République, Gilibert ajoutait : « Nous vous demandons une correspondance directe. Nous n'entendons retenir que ce qui peut être d'une nécessité absolue pour la sûreté de notre département 3. » Il ter- minait en renouvelant l'assurance « des sentiments des vrais républicains qui composent la Société populaire. »

Biroteau, le député des Pyrénées-Orientales, que nous avons vu assister aux obsèques du général de Sablonet et qui avait quitté mystérieusement Lyon pour travailler à l'extension de la fédération girondine, revient dans cette ville, le 3 juillet et se présente à la commission populaire, dès le lendemain^. Il s'étonne que les préparatifs de résis- tances ne soient pas plus avancés et s'efforce de désil- lusionner les incrédules et les optimistes, sachant de source certaine que les Jacobins préparent contre la ville rebelle des mesures de répression.

En effet la municipalité était avisée directement qu'un agent de Dubois-Grancé nommé Teisserre, distillateur connu '', cherchait à soulever contre elle la population dans

1. Archives historiques delà Guerre; Armée de Lyon, Gilibert à Kellermann.

2. Id.

3. Id.

4. Journal de Lyon^ numéro du 5 juillet. (Procès-verbal de la séance de la Commission populaire du A juillet.)

5. « Pourson excellente \iquenr>> {Journal de Lyon, numéro du 4 juillet).

LYON CHERCHE DES ALLIÉS 97

certains quartiers ; il fut arrêté et écroué à la prison de Pierrescize*. Un aide de camp du « ci-devant prince de liesse », fut signalé comme son complice et devint son compagnon de captivité".

Dans cette même prison de Pierrescize, il y avait aussi de dignes ecclésiastiques qui avaient refusé le serment constitutionnel et que Chalier et ses amis avaient fait em- prisonner. Les vainqueurs du 29 mai n'osèrent les mettre en liberté qu'aux derniers jours du siège.

La Commission départementale ordonna une autre arrestation, celle d'un représentant jacobin de Saint- Etienne à la Convention, Noël Pointe, mais ne la maintint pas devant la protestation d'une délégation de son district -K

Le député montagnard, rendu à la liberté, n'en accusa pas moins les autorités lyonnaises d'avoir violé en sa personne la représentation nationale. La section de Saint-Georges et celle du Gourguillon manifestaient des sympathies pour Chalier et réclamaient son élargissement '*. Gilibert, Coindre et Madinier prirent des mesures éner- giques, ils tirent battre la générale. Dix mille gardes na- tionaux prirent les armes et formèrent la haie depuis le pont d'Ainay jusqu'à Saint- Just, on ferma tous les maga- sins, ainsi que les portes d'allée et les fenêtres de la voie publique; des pièces d'artillerie furent braqués à la place Saint-Georges, au Pont- Volant et à Saint-.! ust \ La gen- darmerie départementale, requise par la municipalité, retira leurs fusils aux gardes nationaux suspects dans les deux sections de Saint-Georges et du Gourguillon.

Pour en imposer aux agents de désordre que le parti

1. Journal tie Lyon^ numéro du 4 juillet.

2. Id.

3. L'n collègue de Pointe, Lestcrps-Bcauvais, député do h\ Convention enmii^sion à Saint-Etienne, près la manufacture d'armes, et qui comptait des amis dan§ la commission départementale de Rhône-et-Loire, écrivit officiellement à la Commission combienson arrestation allait mécontenter la population de Saint-Etienne.

4. Journal de Lijon^ numéro du 3 juillet, .'i. Journal de Lyon, même numéro.

98 l'insurrection de lyon en 1793

jacobin entretenait à Lyon, la Commission décida, dans sa séance du 4 juillet, par 146 voix contre 53 opposants, que la représentation nationale n'étant plus entière ni libre, il y avait lieu de réunir une assemblée libre et entière; et que, jusqu'à cette réunion, les citoyens ne devaient pas obéissance aux décrets rendus depuis le31 mai^

C'était la lutte ouverte contre la Convention. La Com- mission, dans un arrêté du môme jour, enjoignit « au Tri- bunal criminel de Rhône-et-Loire de procéder sans délai à l'instruction et au jugement des procès criminels pen- dants devant lui et aux jurés de remplir les fonctions que le sort leur a désignés, d'après la loi, et rejetant toute récusation et démission, déclara mauvais citoyens et traîtres h la patrie, celui ou ceux des juges ou jurés de ce tribunal, qui ne resteraient pas à leur poste ou fidèles à

leurs fonctions'^ ».

Une députation des sections vint féliciter la commission et réclamer « la formation d'une force départementale pour aller au devant des frères du Midi arrêtés sur les bords de la Durance*^ ». Le conseil général du départe- ment de la Drôme se refusait, en effet, à s'allierauxfédé- ralistes marseillais et un nouveau département, dit de Vaucluse, venait d'être créé '* pour soustraire Avignon, Orange et Apt aux influences qui avaient triomphé à Marseille"'.

La Commission décida que la fabrication des armes et des arsenaux serait mise sous la surveillance du dé- partement de Rhône-et-Loire, du district et de la munici- palité de Sainl-Etienne, sans qu'ils puissent disposer d'aucune arme avant d'en avoir référé à la Commission. « 11 serait envoyé aux autorités de Saint-Etienne une

\. Journal de L*/ on, numéro du 3 juillet.

2. Id.

3. Id.

4. Décret de la Convention, en date du 26 juin.

'). II. WnWon, In Hév'dut ion du 'S\ mai et le Fédéralisme en l"ï9o, t. Il, p. 2:^5.

LYON CIIKRCHE DES ALLIÉS 99

force armée, pour être à leur disposition et partager leur surveillance. » La constitution d'une force départe- mentale se trouvait ainsi implicitement décidée.

La séance de la Commission départementale, le 5 juillet, devait être fort mouvementée ^ Dès l'ouverture, on vit pénétrer àTHôtel de Ville le général de brigade Charles Sériziat, de Tarmée des Alpes. C'était un bel officier à l'air énergique, originaire de Lyon, qui avait commandé à Tarmée du Rhin en 1791, le premier bataillon de volon- taires: le bataillon de Rhône-et-Loire'-. Son arrivée avait été signalée à la municipalité, Sériziat ne cherchait pas d'ailleurs à se dissimuler, il était investi d'une mission militaire, régulièrement transmise parle chef d'état-major de Kellermann -^ pendant Tabsence du général en chef en tournée d'inspection sur la frontière.

Les représentants Dubois-Crancé et Albitte avaientdonné au général Sériziat l'ordre de se rendre à Lyon, sous le prétexte d'activer la remonte de la cavalerie de l'armée des Alpes. En raison de sa qualité de Lyonnais, peut-être pourrait-il « ramener la ville aux vrais principes et à Tobéissance envers la Convention'* ». En réalité, il était envoyé pour renseigner les représentants sur la situation militaire de Lyon.

Sériziat ne semble pas avoir voulu donner à sa mission C3 caractère d'investigation, il déclara de suite et en toute franchise qu'il se présentait dans un but de conci- liation mais comme mandataire de Dubois-Crancé et d'Albitte''. « A ces noms, un tumulte d'indignation se

1. L'extrait du registre des délibérations de la commission populaire républicaine et de Salut public de Rhône-ct-Loire. {Archives nalionaleJt, AF",3i2-43.)

2. Maurice Walil, les Premières années de la Réroluliou à Lyon, Paris, Colin. 1904, p. 395.

3. Archives historiques <ln la Guerre : Armée des Alpes. Bulletin analy- tir|uc du 4 juillet, chef d'état-major au général Kellermann.

4. Archives hislorifiues de la Guerre: Armée des Alpes, nirme document.

5. Archives nationales : exirsi'xi (les registres dr la rommissian, séance du :i juillet 1893.

100 l'insurrection de LYON EN 1793

déclarai » Toute l'assemblée se leva et s'écria : « Point de paix avec les scélérats, avec les traîtres ! Votre mission à cet égard est finie. »

Le général se retira avec dignité, on prétend même qu'il aurait exprimé sa sympathie pour la cause lyonnaise et son affection pour des compatriotes qu'il chérissait en «frère»'. La Commission interprétant mal ces paroles, espéra que Sériziat prendrait du service dans la force départementale, qu'il accepterait peut-être même de la commander^ cet espoir devait être déçu.

Après le départ de Tancien commandant des volontaires, on avait introduit le Girondin Biroteau revenu, comme nous le savons, de son voyage dans le Midi ; il semblait avoir déjà perdu sa confiance et son énergie, car, après avoir pris place à la droite de fiilibert, président de la Commission^, il se borna èi prononcer quelques vagues paroles de remerciement pour l'honneur qui lui était fait. 11 était évident que Biroteau avait échoué dans ses démarches.

La Commission décida que des chevaux, destinés à la légion des Allobroges au nombre de quatre-vingt huit et déjà réunis au faubourg de Vaise par les soins du général Sériziat, resteraient à Lyon à la disposition de la force départementale qui allait être organisée.

L'ordre du jour appelait ensuite à la tribune Frémin ville, dont la plupart des membres de la Commission ignoraient le retour à Lyon. Après avoir constaté l'hostilité absolue de la Convention, menacé d'être arrêté, le chef de la délé- gation lyonnaise avait été à la source même du fédéra- lisme, à l'assemblée de Caen '♦. lien révola l'enthousiasme, il avait vu les Girondins fugitifs fusionnerdans leurs projets de résistance avec les anciens Feuillants. Oubliant leurs

1. Archives nalionales, même dociiineiil.

2. Morin, Histoire de Lyon, t. III, p. 62.

3. Archires nationales, AFn, 342-43, séance du juillet.

4. Et non dans les déparlements du Nord et du Midi, comme le dit le procès-verbal de la délibération du 5 juillet 1793. {Archives nationales, AF", 342-343.)

LYON CHERCHE DES ALLIES iOi

querelles d'antan, leurs compétitions, leurs divisions, les uns et les autres souhaitaient le renversement de la Con- vention par tous les moyens. Une armde, commandée par le général deWimpffen, allait marcher sur Paris, en se grossissant à chaque étape de tous les mécontents, de tous les adversaires du régime actuel. Que pourrait contre de telles forces qu'il quallHait de formidables, les bandes d'émeutîers de la Commune de Paris? Aux autorités lyon- naises de ne pas rester inactives, de préparer des troupes pour une intervention prochaine et de réprimer avec la dernière énergie toute tentative des Jacobins*.

La majorité de la Commission ne paraît pas avoir par- tagé les espérances de son délégué. Sans statuer sur ses conclusions, elle le nomme adjoint à ses comités pour coopérer à leurs travaux, il aura droit à la parole dans les séances, mais on ne lui accorde pas voix délibérative **.

Dans la séance du lendemain 6 juillet -^ laCommission départementale crut devoir informer Kellermann que les autorités de Lyon avaient intercepté une lettre de Dubois- Crancé se révélaient les intentions hostiles contre la ville et le département. Ils l'informaient en outre que le môme Dubois-Crancé leur avait envoyé le général de bri- gade Sériziat a pour leur faire des propositions insidieuses dont l'exécution pourrait entraîner la perte de la Répu- blique ». Les membres de la Commission rendaient hommage h la probité et au républicanisme de Sériziat « Tobjet de sa mission les avait forcés, disaient-ils, à le retenir mais ils étaient prêts à le laisser rejoindre l'armée des Alpes, si Kellermann estimait nécessaire la présence de cet officier général^ ».

1. Gonon, Bibliographie de Lyon, piôce 12G3.

2. Archiveii natioun/es, AF". 3i2-43, séanrc du r> juillet. Procès-verbal si^é : Gilibert. président, Raymond, Morillon, Loyer et Dutronay, secré- taires.

3. Arcftives historiques de la Guerre : les membres de la section au gé- néral Kellermann.

4. Signé: les membres du Comité de correspondance: Montviol, Bouclie- tot. Boisse, Combry, Ducomes, Philippe, Galabert, Steyman et Amet.

102 l'insurrection de LYON EN 1793

A Grenoble les dispositions devenaient nettement agres- sives, Dubois-Crancé et Albitte prenaient, le même jour, Farrôté qui suit :

Les représentants du peuple considérant que, depuis le 29 mai, ceux qui gouvernent et administrent la ville de Lyon ne cessent d'y vexer les patriotes et de favoriser les aristocrates et les émigrés, qu'ils ont méconnu les décrets de la Convention nationale rendus depuis le 31 mars, qu'ils ont provoqué le fédé- ralisme, qu'ils ont désarmé une classe de citoyens, qu'ils entretiennent une force armée, qu'ils font pratiquer des retran- chements, qu'ils menacent depuis longtemps de faire marcher ceux qui sont à leurs ordres sur les contrées voisines, qu'il a été impossible jusqu'à présent de les déterminer par la persua- sion à rentrer dans le devoir ;

Considérant qu'ils ouvrent et interceptent les lettres desti- nées à entretenir la correspondance entre les différents comités de la Convention nationale et les représentants du peuple délé- gués aux armées, qu'ils font incarcérer les patriotes qui voyagent et traversent leurs villes, qu'ils se sont emparés d'une partie des grains destinés à l'approvisionnement de l'armée, qu'ils ont fait des propositions à différents fournisseurs de la même armée, qui annoncent qu'ils veulent disposer de tous les approvisionnements ;

Considérant enfin qu'ils veulent s'armer pour détruire l'unité et l'indivisibilité de la République, que, dans les départements qui sont sur les rives du Rhône il a déjà été pris des mesures en conformité de la loi du 26 juin pour éviter cette réunion, qu'il convient également de reprendre ces mesures sur les rives de la Saône, enfin qu'il faut éclairer les citoyens et pré- venir, par tous les moyens possibles, que les riches contrées qui bordent ces rivières et fleuves ne soient dévastées et pillées et qu'elles n'éprouvent le même sort que celles de la Vendée;

Arrêtent :

AnTicLF. PREMIER. Lc général en chef de l'armée des Alpes ou celui qui exerce provisoirement le commandement au quartier général à Grenoble est requis de prendre les mesures convenables pour prévenir et arrêter toutes incursions sur les rives de la Saône et pour empêcher que les rassemblements

LYON CHERCHE DES ALLIES 103

contraires aux décrets du 26 juin ne pénètrent en d'autres Heux.

Art. 2. Les administrations du département de TAin, de Saône-et- Loire et de la Côte-d'Or sont invités à prendre de leur côté toutes les mesures convenables, afin d'assurer Texécution du même décret.

Art. 3. Les directoires des départements de l'Ain et de risère feront faire dans le plus bref délai les réparations les plus urgentes et les plus indispensables pour rendre praticable le chemin tendant de Grenoble à Lagnieu en passant par Voiron, les Abrets et Lavein. A cet effet ils enverront un ou plusieurs ingénieurs, qui vérifieront l'état du dit chemin, ordonneront les dites réparations et y feront travailler sur le champ.

Art. 4. Il sera établi, sur le plus bref délai, une correspon- dance militaire depuis Grenoble jusqu'à Mâcon,en passant par la route ci-dessus désignée. Elle sera disposée de manière à ce que toutes les lettres et paquets, relatifs au service de Tarmée et aux affaires de la République, parviennent sans interruption *.

Un commissaire ordonnateur, Desormeaux, resté en fonctions à Lyon, avisait le ministre de la Guerre que la ville de Lyon paraissait résolue à se défondre « contre toute oppression de quelque part qu'elle vînt- ». Il cons- tatait la retenue à Lyon de soixante-dix chevaux de re- monte destinés à la légion des Allobroges et de vingt- quatre dragons de cette légion, venus pour les conduire. Les autorités gardaient aussi « vingt-quatre mulets réquisi- tionnés pour atteler, à destination de Valence, six caissons d'ambulance avec des effets d'hôpitaux^ ».

Bouchotte, ministre de la (iuerrc, ne communiqua qu'une partie de cette lettre au Comité de Salut public, il prescrivit de ne pas copier l'appréciation du commis- saire des guerres relativement à l'attitude énergique des Lyonnais; Tancien protecteur du prince de Hessc voulait aussi la guerre avec Lyon.

1. Collection Hosas : Documents iinpriuu'S, Valson, p. 129-130.

2. Archives historiques de fa guerre : Armve des Alprs^ juillet 1793. —Le commissaire Desoriiieaux faisant fonctions d'onhmnateur de la 19* divi- sion militaire au ministre de la Guerre, 7 juillet 1793.

3. Métne document.

104 l'insurrection de LYON EN 1793

Les autorités de cette ville si menacée ne tentèrent pas de rallier à leur cause un autre général, Laroque, qui se rendait à Tannée des côtes de la Rochelle. Invité à se présenter au sein de la commission départementale, il déclara avec simplicité et fermeté qu'un soldat ne discute pas les ordres de ses chefs.

Sans lui faire les mêmes avances qu'à Sériziat,Gilibert félicita le général Laroque de ses sentiments patriotiques et rengagea à annoncer à ses soldats, de la part de cette assemblée, qu'ils devaient redoubler d'efforts pour com- battre les ennemis de l'extérieur. 11 ajouta que tous les bons citoyens du département se levaient pour écraser les ennemis de Tintérieur et qu'au jour de leur triomphe, qui ne pouvait être éloigné, ils se réuniraient à leurs frères d'armes des frontières « pour exterminer les tyrans coalisés* )).Sur cette déclaration, Laroque se re- tira et se prépara à rejoindre le poste l'attendait une injuste mesure de suspicion '.

1. J. Morin, Histoire fie Lyon, t. III» p. 67-68.

2. Laroque fut suspendu de son commandement comme noble, ce qu'il n'était pas. Voir Chassin, la Vendée patriote, t. 111, p. 358-359.

CHAPITRE Vil

LE NOUVEAU GÉNÉRAL DES LYONNAIS

Dans sa séance du l" juillet, la Commission départe- mentale avait décidé que la fabrication des armes et des

arsenaux devait être soumise à son contrôle. Le 8 juillet, la môme commission arrêtait que les autorités constituées

de Saint-Etienne feraient transférer dans Tarsenal de Lyon toutes les armes ù feu de guerre actuellement fabri- quées et tous les jours celles qui seraient fabriquées à Tavcnir*. L'idée de résistance ouverte ne se discutait plus, elle s'imposait, il fut de nouveau question d'organiser la force départementale et de nommer un général pour la commander.

Ce choix faisait naître d'ardentes discussions parmi les membres de la commission et ceux de la municipalité. On avait d'abord songé à Madinier, le commandant de la Garde nationale, mais celui-ci avait avoué modestement qu'un tel rôle était fort au-dessus de ses connaissances militaires.

L'ancien commandant de la garde nationale lors de la formation, Dervieu de Villars qui, à bord de la liclle-Poule s'était montré héroïque pendant la guerre contre les Anglais, passait pour un esprit futile et n'avait plus aucune influence.

On songea à M. de Chônelelte, l'ancien officier supérieur d'artillerie, dont nous avons rappelé la belle carrière mi- litaire et qui appartenait à une vieille famille lyonnaise

!. Gilibert, président; Morillon, vice-président; Raymond, Dutronay, Lover, Gros et Petit, secrétaires. Cf. Gonon, Rihl'wg. hist. de Lyon '8 juil- let"^!793].

106 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

fort considérée et d'une inépuisable charité. Notoirement connu comme un ardent royaliste, il fut le premier à le rappeler et à décliner la proposition de ses amis de la municipalité L

Le même motif lit écarter le nom du comte de Virieu, le brillant colonel et l'éloquent orateur parlementaire-.

Les sutfrages se portèrent alors sur un officier général en retraite depuis deux ans, que nous avons cité parmi les anciens officiers décidés à la résistance, M. Giraud des Echerolles, maréchal de camp, originaire du Bourbon- nais^ d'où Tavait chassé la Révolution. Son âge et surtout son mauvais état de santé^ ne pouvaient lui permettre d'exercer le commandement en chef^. Toutefois, comme MM. de Virieu et de Cht^nelette, il manifesta le désir de servir activement.

C'est alors que, très probablement à Tinstigation de . Fréminville, plusieurs membres de la Commission dépar- tementale songèrent à M. dePrécy.

Dès que ce nom fut prononcé à la séance de la Com- mission où il devait être procédé à la désignation d*un général», la plupart des membres lui firent bon accueil en raison de la réputation dont jouissait Précy dans toute la région. Cependant quelqu'un objecta qu'il était l'ami du

1. K. Bonnardetf ifS Julliaciens au siège de Lyon. [Revue du Lyonnais^ octobre 1901.)

2. « Ancien colonel, mon père, dit M"' de Virieu, était l'officier le plus avancé en grade et le plus instruit qui fut à Lyon, mais il refusa Tolfre qui lui ('tait faite de prendre le commandement. 11 avait trop marqué parmi les défenseurs de la monarchie pour ne pas donner au soulèvement un caractère politique qu'il fallait éviter. » (.Marquis Costa de Bcauregard, le Roman d'un royaliste pendant la Re'rolutimi^ Souvenirs du comte de Virieu^ p. 326, Paris, Pion.)

3. Alexandrine des Echerolles, Une Famille noble soùs la Terreur, Paris, Pion. \Souve7iirs publiés par M. René de Lespinasse, p. 74.)

4. Id,

5. Le Journal de Lyon, parle de la discussion sur les officiers générau.x « Plusieurs dénonciations sont faites contre deux des candidats. » L'un était évidemment Précy, l'autre paraît être M. Ciiraud des Echerolles, maréchal de camp, qui avait été déjà sollicité par trois membres de la Commission départementale. V. Alexandrine des Echerolles, une Famille noble sous ta Terreur, p. 74.

LE NOUVEAU GÉNÉRAL DES LYONNAIS 107

comte de Virieii* et de plusieurs royalistes avérés. Les partisans de M. de Précy répondirent qu'il ne s'était ja- mais môle de politique, n'ayant fait partie d'aucune as- semblée ni d'aucun groupement, qu'il s'était uniquement préoccupé de ses devoirs militaires, et qu'il les avait tou- jours remplis h la satisfaction générale.

La majorité leur donna gain de cause et l'arrêté suivant fut rendu à la presque unanimité.

La Commission, d'après tous ses précédents arrêtés sur la force départementale et les moyens de résistance qu'elle veut opposer à Toppression, arrête qu'il sera établi un camp sous les murs de la ville de Lyon, arrête qu'il y aura un général en chef qui sera chargé de la formation de Tétat major et de la nomination de tous les autres officiers généraux. La Com- mission a nommé et nomme à Yunanimité pour général en chef le citoyen Perrin-Pressy [sic). Elle charge son comité de sûreté générale, de donner sans délai connaissance du présent arrêté au citoyen Perrin-Pressy et de mettre à cet égard la plus grande diligence^.

11 fut en outre arrêté « qu'un courrier extraordinaire lui serait envoyé à Roanne pour l'engager à se rendre a son poste » .

L'homme qui ralliait les suffrages des autorités admi- nistratives de Lyon appartenait h Tancionne armée. D'une famille de noblesse authentique^ quoique sans éclat, établie de longue date en Charolais'', Louis-François Perrin de Précy était entré au service à 14 ans, comme

1. Journal de Lyon, numéro du 9 juillet 1793.

2. Ici.

3. Id.

4. M. Jung, dans son ouvrage sur Dubois-Crnncé^ commet plusieurs er- reurs au sujet de Précy ; il l'appelle « François Perrin », alors que i'état- militaire de 1789 le mentionne sous le nom dv « M. de Précy». Le futur général des Lyonnais n'était pas « arrivé péniblement lieutenant-colonrl ; gràice àla Révolution », comme le dit M. Jun^j^, puisqu'il l'était depuis nso. Sa famille était de vieille souche. A l'assemblée de la noblesse de B(Mir- gogne par les Etats-Généraux, en 17X0, fi^^ure un cousin du général, le marquis de Précy, pour le baillage de Semur. (Cf. La Hocpie et Barthé- lémy, Catalogue des (jentilshommes de Bourgogne.)

108 l'insurrection de LYON EN 1793

enseigné dans le régiment de Picardie, le 20 mars 1757. Lieutenant un an après, il avait pris part aux campagnes d'Allemagne et de Corse. Nommé capitaine en 1776, il avait été promu après huit ans de grade et sur la proposition des officiers du corps, major aux chasseurs des Vosges. En décembre 1785, Précy devenait lieutenant-colonel com- mandant de ce corps d'élite ; il y avait maintenu une disci- pline sévère jusqu'aux premiers désordres occasionnés par la Révolution. Le bataillon des chasseurs des Vosges avait môme tenu quelque temps garnison à Lyon et son commandant avait été apprécié pour sa fermeté et son esprit de justice. On voit que les Lyonnais ne l'avaient pas oublié.

A la réorganisation des régiments désignés désormais par des numéros, M. de Précy fut nommé colonel du 35* régiment d'infanterie à la date du 21 octobre 1791 K Le nouveau colonel constata les progrès de Tesprit révo- lutionnaire dans les rangs de l'armée. L'indiscipline dominait chez les soldats, les bas-officiers et même chez quelques officiers ambitieux qui se déclaraient bruyam- ment partisans des idées nouvelles. Quand Précy apprit la formation d'une garde constitutionnelle du Roi, sous le commandement de M. de Cossé-Brissac, il obtint d'être affecté à la garde à pied avec son ancien grade de lieute- nant-colonel-'. La dernière escorte de la monarchie fut licen- ciée le 20 mai 1792, mais l'ex-commandant des chasseurs des Vosges resta à Paris avec tous les officiers et une par-

1. Archives administratives de la fjuerre : états de service du sieur Perrin comte de l'réci/, attestés par le chef de bureau Nique.

2. Voici quelle était la composition de l'état-inajor de la garde consti- tutionnelle du roi» d'après la Revue du commissaire des guerres; MM. de Cossé-Brissac, lieutenant-général, commandant général. Garde à pied : MM. de Pontlabbé. maréchal de camp, commandant la ganle à pied, Dasilly, adjudant général : Dubois Ghanterenne, Dalenson, Gappy, colo- nels: I^errin-Précy, Falgueretle, Thabouret-Crespy, lieutenants-colonels de 1" classe, Montleîcun, Cadriel-Charleval. Boisdeffro, lieutenants-colonels de classe, etc. Garde à cheval : De (îarsault, Bourgeois, de Margiierie» colonels, etc. On remarquera que sur cet état, pour certains nom.<; comme celui de Perrin de Précy, la particule est supprimée.

LE NOUVEAU GÉNÉRAL DES LYONNAIS 109

lie des gardes dans l'espoir d'être utile au Roi ^ et à la famille royale.

A la journée du 10 août, Précy et ses camarades payèrent vaillamment de leur personne, sous les ordres de M. d'Her- villy. 9 officiers et 150 gardes périrent en défendant l'entrée des Tuileries-. En quittant le château, le Roi avait remarqué le colonel et lavait salué de celte exclamation, qui était un remerciement: «Ah! fidèle Précy "^î »Alanndu combat, celui-ci, avec un détachement des grenadiers suisses, parvint à se faire jour à travers les assaillants'* et gagna les Champs-Elysées. Gi*âce à son habit de ville, il ne fut point remarqué et put s'échapper sain et sauf, ainsi que La Rochejaquelein, Charelte, Lescure, Marigny et quelques autres qui devaient, comme lui, combattre encore la Révolution.

Précy ne s'était pas attardé dans la capitale et avait regagné, à petites journées, sa province de Bourgogne et son modeste manoir, d'où il avait écrit quelques fois à ses amis de Lyon^.

Dans la soirée du 8 juillet, une délégation delà com- mission départementale de Rhône-et-Loire parlait en chaise de poste pour la partie de la Bourgogne désignée sous- le nom de Brionnais. C'était \h et non à Roanne, ainsi que le disait par erreur l'arrêté de la Commission, qu'habitait « le citoyen Perrin-Précy ». Les délégués ignoraient d'ailleurs le nom exact de sa résidence.

A Semur, dans la vieille petite ville qui domine au sud- ouest la vallée de la Loire, on les envoyait à une lieue de là, à Marcigny, une autre petite ville, il possédait

1. Chevalier de CourceWea ^ Didionnaire historique des ffé vaux fran- çais, t. II, p. 549.

2. Chevalier de Courceilcs, Dicliun nuire historique des fjénéraux fran- çais^ t. II, p. S.")').

3. Archives adniinistratirea du ministère de In (juerre: dossier du général de Précy. A la Restauration, le général obtintde prendreoes mots connue devise de ses armoiries.

4. Voir Mémoires de M. de Parroy.

.*>. Bonnardct, les Julliacien^au siège de Lyon.

HO l'insurrection de LYON EN 1793

quelque bien, une maison d'apparence fort simple et un grand verger. Les voisins très étonnés de voir rechercher Tancien officier qu'ils affectionnaient et craignant que ce fût pour l'arrêter, indiquèrent, sur Tassurance con- traire donnée par les délégués, mais après bien des hési- tations, que le colonel, devait habiter son château de Précy, dans la commune d'Ânzy. Les habitants de ce riche pays semblèrent aux délégués assez indifférents aux événements politiques et beaucoup plus préoccupés des menaces de la grêle pour leurs vignes que des calamités qui menaçaient Lyon. D'ailleurs ils n'avaient pas vu M. de Précy depuis longtemps, on savait qu'il n'avait pas émigré, car ses biens avaient été respectés. A Anzy « ci- devant le Duc », les renseignements seraient plus complets. Encore deux lieues, moitié par Tex-route royale, moitié par de détestables chemins de traverse et la chaise de poste s'arrête devant la maison commune d'Anzy. Un vieux maître d'école, aux allures de chantre de lutrin, plein de déférence pour les citoyens délégués de la grande ville, s'offre de les conduire au logis qu'ils cherchent avec persévérance.

Après une derai-lieue cette longue étape était termi- née. Les délégués s'arrêtèrent devant une grande maison, à la toiture de tuiles noircies par le temps, sans tou- relles, sans pavillons^ d'aspect morne et triste, située sur un plateau qui domine la rivière l'Arconce, à l'ouest avec rhorizon borné au nord-est et à l'est par la forêt de Bessenet. Ce modeste manoir était entouré d'un jar- din aux allées droites à la française, bordées de buis^. Près d'une charmille se tenait un homme simplement vêtu ; la bêche à la main*^, il vint au devant des visiteurs, sans hâte comme sans inquiétude. C'était Louis-François l^errin de Précv.

1. CoinniunicJilii)nsd(' M l'abbé Au^'agneiir, curé (l'Anzy(lt' 10 avril 1005).

2. Ballcydier, Histoire de L}/on, t. I, p. 2^4.

3. Ifl,

LE NOUVEAU GÉNÉRAL DES LYONNAIS 111

L'anciea officier de la garde du Roi avait une taille moyenneetrapparence robuste, les cheveux courts et frisés presque crépus, le nez droit, plutôt long, la bouche régu- lière et découvrant parfois desdents très blanches. Son teint basané* et ses yeux noirs au regard pénétrant donnaient à la physionomie une expression de calme et de force.

M. de Précy ouvrit lui-même la barrière qui séparait son jardin de Tallée verdoyante s'était engagée la chaise de poste; il se découvrit et demanda quel était le motif de la visite qu'il recevait. Les délégués se présen- tèrent eux-mômes et Tun d'eux donna lecture de Tarrêté de la u Commission populaire, républicaine et de salut public » le nommant « commandant général de la force départementale et de sûreté de Rhône-et-Loire ».

Précy ne cacha pas son étonnement et rappela que la Révolution avait brisé son époe, faisant ainsi une dou- loureuse allusion à la chute de la monarchie et à la mort du Roi, ainsi qu'aux défiances que les Républicains mani- festeraient à son sujet. Les délégués protestèrent et. firent appel à son dévouement pour Tordre public et la Liberté".

« 11 s'agit, lui disent-ils, non pas de regrets sté- riles, mais de conduire les Lyonnais à la victoire !

<< Ou à l'échafaud! répond Précy.

-r- u A l'échafaud plutôt qu'à l'oppression ! reprit Tun des membres de la députation, aussitôt approuvé par ses collègues.

a J'aime cette mâle résolution, dit Précy avec son sourire mélancolique, mais avez-vous bien réfléchi à toutes les conséquences d'une guerre avec la Convention qui peut disposer contre nous de tant de ressources? Avez-vous songé aux sacrifices de toute nature qu'il vous faudra faire pour soutenir une lutte inégale? Savez-vous bien ce que c'est qu'une guerre civile?

1. Ah'xandrine des Echcrollos, l'ut* f'aniUîe noble sous la Terreur^ Pa- ris, Pion, 1892, in-18.

2. Balleydier, t. ï, p. 265.

112 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

« Nous le saurons bientôt, citoyea et nous appren- drons aux tyrans de la Convention ce que peut faire un peuplequi connaît l'étendue de ses droits et de ses devoirs. Général, acceptez-vous le commandement que vous offrent des hommes libres qui préfèrent la mort à l'esclavage, Tacceptez-vous? »

M. de Précy garda quelques instants le silence, puis il répondit avec fermeté : « J'accepte ' ! »

Célibataire, vivant seul et modestement, Précy ne s at- tarda pas dans ses préparatifs de départ, il emporta quelques effets d'équipement militaire, son épée, ses pis- tolets. On a prétendu qu'il a prit aussi une cocarde blanche qui aurait été retrouvée dans ses effets person- nels, après loccupation de Lyon'-'... Quoi qu'il en soit, Tancicn défenseur des Tuileries devait renoncer à arborer cet emblème de ses plus intimes convictions et porter en toute loyauté la cocarde républicaine.

11 résolut, avec une simplicité stoïque, de cacher ses regrets et ses espérances et de se donner tout entier à la mission militaire que, dans sa clairvoyance, il pré- voyait grosse de déceptions et de dangers. Précy n'eut jamais d'illusion sur le succès de l'entreprise qu'on lui demandait de tenter; il accepta le commandement d'une ville insurgée contre le pouvoir central parce que la cause de cette ville était juste et la résistance légitime. Sa rési- dence dans la région, ses souvenirs de garnison à Lyon, ses relations de famille et d'amitié, tout l'unissait à la grande ville qui sollicitait son appui et lui confiait ses légions improvisées. C'était un honneur redoutable mais qu'un vieil officier comme lui ne se reconnaissait pas le droit de refuser.

Précy personnifiait la petite noblesse de province, mo- desfe et fièro dans ses manoirs souvent délabrés, mais

1. Balleydier, p. 26:;.

2. Anhlres nationales^ F', 4i36.

LE NOUVEAU GÉNÉHAL DES LYONNAIS 113

la gêne ne tarissait ni Thospitalité ni la charité. Au re- tour du service et aux approches de la vieillesse, les gentils- hommes, peu fortunés comme Tancien lieutenant-colo- nel des chasseurs des Vosges, vivaient au milieu des populations rurales qui, tout en les jalousant, les esti- maient. Ils furent, dans les insurrections populaires de l'Ouest et du Midi, les derniers défenseurs de la Religion et de la Monarchie, alors que les grands seigneurs, qui avaient inconsciemment contribué à la Révolution par leur goût effréné du luxe et du plaisir, leur insouciance de l'avenir et eur sot engouement pour les « nouveau- tés » philosophiques restaient h l'étranger.

Telles étaient probablement les réflexions du nouveau commandant de l'armée départementale de Rhône-et- Loire, dans la chaise de poste, sur la roule de Lyon, en compagnie des trois membres de la Société populaire, républicaine et de salut public, pacifiques bourgeois qui se réjouissaient du succès de leur mission, sans prévoir les effroyables événements que cette même mission allait pré- cipiter.

8

CHAPITRE VIII

L'OCCUPATION DU FOREZ

La délégation lyonnaise envoyée à Saint-Etienne sous la présidence d'un honorable négociant nommé Rousseau, député et commissaire de Rhône-et-Loire, avait requis, à la date du 8 juillet, les membres de la Commission de vérification des armes à feu de Saint-Etienne de lui délivrer une centaine de fusils de guerre et de pistolets récemment fabriqués ainsi qu'une vingtaine de pistolets anciens ^

Les armes leur furent livrées sans difficulté-, sur l'auto- risation de la municipalité de Saint-Etienne, mais les Jaco- bins de la ville formèrent des attroupements pour s*opposer à la sortie des caisses de l'Arsenal. Le maire, M. Praire- Royet, qui jouissait do la considération publique, adressa une « réquisition d'escorte » à un détachement de cavalerie de l'ancien régiment des dragons de Lorraine, d'un elToctif de 50 hommes. Dès que les Jacobins connurent Tordre de la municipalité, ils vinrent au nombre de 1.500 à 2.000 hommes, armés de fusils et de piques, cernèrent la caserne des cavaliers, qui était l'ancien couvent des Capucins et maltraitèrent plusieurs dragons, en les trai- tant de (( contre-révolutionnaires ^ ».

Le maire requit en toute hâte plusieurs compagnies

1. Archives historiques de la f/uerre : Armée des Alpes, \1{)3. Le ministre de la Guerre au Comité de Salut public, 22 juillet. Dans ce document, la délectation est même qualifiée de détachement, se disant « l'armée dépar- tementale », en réalité c'était une pacifique députation.

2. Même source.

3. Cl. Joachim Puy, ExpêdHion des L;/ounais daus le Forez, Saint- Etienne, Théolier, 1880. Avec préfaces et notes par MM. (^haleyer. Vericel et Devet, p. IG. Cf. aussi Hedde, lievue du Lt/onnais, t. XV.

l'occupation du forez li?>

de la garde nationale et les conduisit luinuiôme à la ca- serne. L'ordre fut rétabli sans effusion de sang, mais avec beaucoup de peine *.

Accablé d'outrages sur la voie publique, M. Praire-Royet manifesta Tintention de résigner ses fonctions. Ses col- lègues de la municipalité lui demandèrent avec instance de restera son poste*, ce qu'il fit par dévouement à Tordre public. Rousseau, se rendant compte qu'une nouvelle émeute était immineute, envoya un exprès à Lyon pour informer de la situation la commission départementale.

Cet exprès lit suffisamment diligence pour arriver le lendemain, au cours de la séance de la Commission qui décida, sur l'initiative du prt^sident Gilibert'', qu'un batail- lon de garde nationale et quatre pièces d'artillerie seraient dirigés d'urgence sur Saint-Etienne « pour donner pro- tection et sûreté aux autorités de cette ville^ ». En outre la Commission mettait (( sous la sauvegarde du peuple de Rhône-et-Loire le citoyen Lesterps-Beauvais, représen- tant du peuple, en commission on cette ville''».

Le membre de la Convention dont il est ici question appartenait au parti girondin; il avait été remplacé dans sa mission de surveillance à la manufacture par Noël Pointe, son collègue à la Convention, jacobin forcené dont nous avons rappelé l'arrestation et la mise en liberté, après quelques jours de détention.

Le commandanf^ général provisoire, Madinior, fit battre la générale dans les rues de Lyon ; entre deux roule- ments de tambours on annonça que la municipalité de Saint-Etienne demandait des volontaires pour faire res- pecter ses réquisitions.

En moins d'une heure deux mille hommes se présen-

i. C-J. Puy, p. 16.

2. Archives dudépurtemenl de la Loire : regisire n* 252, 60.

3. Le vice-président s'uppelait Morillon ; les secrétaires Raymond Du- Ironay, Loyer, Gras et Petit.

4. (îonon. Bibliographie hisfori(/ue de L>/on, pièce 12G7.

5. Id.

IIG l'insurrection de LYON EN 1793

tèrent à l'Hôtel de Ville, on en garda seulement douze cents * .

Deux adjudants-généraux furent attachés à la colonne* sur la désignation des corps administratifs. L'un, M. Ser- vant, avait le titre de commandant'^ ; encore fort jeune, bien qu'ancien surnuméraire aux gardes du corps, il appartenait à une riche famille delà bourgeoisie lyonnaise, mais était personnellement inconnu de la population.

Le second adjudant-général, portant le titre plutôt admi- nistratif que militaire de commissaire de la ville de Lyon, était un ancien capitaine de vaisseau, M. de Nervo'*, dont nous avons déjà parlé. En raison de son grade dans la marine comme de son âge, le commandement de la colonne aurait lui revenir alors qu'il se mettait modes- tement au second rang. Le nom d'un officier supérieur de Tancienne marine, suspect de royalisme, aurait peut-être effrayé les républicains de Lyon et de Saint-Etienne.

Pour les rassurer complètement, la Commission avait chargé les représentants Biroteau et Chasset, d'accom- pagner les troupes en qualité de commissaires'» du dépar- tement. Les deux Girondins, avec leurs insignes de re- présentants du peuple, allaient chevaucher à côté des adjudants-généraux auxquels ils ne devaient apporter que l'appui de leur éloquence déclamatoire.

La colonne fut mise en roule, à cinq heures du soir, sac au dos et avec tout Téquipement réglementaire^ ; les quatre pièces de campagne marchaient avec Tavant-garde sous le commandement personnel de M. Le Blanc, notable in- dustriel et chef de bataillon de la garde nationale. On passa à Sainte-Foy à la tombée de la nuit. En raison de

1. Cl. Joachim Puy, Expédition des Lyonnais dans le Forez^ p. 17.

2. Id., p. 19.

3. Id.

4. Certificat du général de Précy. Archives de la Afarine. Dossier de Nervo.

5. Cl. Joachim Puy, t. XXl.

6. !d.

l'occupation du forez 117

la gravité des circonstances, la marche fut continuée presque sans interruption, jusqu'au matin, moment Ton atteignit Rive-de-Gier*. Les ouvriers mineurs, qui formaient la plus grande partie de la population de cette petite ville et les mariniers du Rhône accueillirent froide- ment cette troupe de jeunes gens bien mis, d'allure correcte^, qu'ils appelaient avec une antipathie mal dé- guisée : les muscadins ! Ceux-ci ne firent aucune réquisition de vivres, ils se procurèrent, individuellement et en les payant fort cher, les vivres qu'on voulut bien leur vendre -K

La marche de la colonne lyonnaise avait été signalée aux autorités de Saint-Étienne. Malgré les protestations de M. Praire-Royet, le conseil de district se déclara « indi- gné d'une conduite aussi illégale que vexatoire ». En réalité, ce corps administratif obéissait aux menaces des Jacobins de la ville ; aussi, pour les apaiser, décida-t-il que quatre commissaires se rendraient à Rive-de-Gier et sommeraient le commandant de la colonne de se reti- rer'*. Dans une seconde séance, qui se tint l'après-midi, le Conseil du district de Saint-Etienne ordonna qu'un ba- taillon de garde nationale serait requis pour se transporter à Saint-Chamond avec une pièce de canon, à l'eiïet de se réunir aux bataillons de cette ville et de repousser la force par la force •"*. Cependant sur l'information que la colonne lyonnaise disposait elle-même de quatre pièces d'artille- rie, le Conseil se borna à l'envoi de trois parlementaires : Lesterps-Beauvais, un administrateur du district et un autre de la commune^.

Le président Rousseau et la députation de Rhône-et- Loire protestèrent à leur tour contre les soupçons de l'Administration du district et déclarèrent par écrit que le

1. La seule localité qu'on traversa fut le bourg de Krignais.

2. CI. Joachim Puv, l'Expédition des Lyonnais dans le Forez^ p. 18.

3. Id.

4. Cl. Joachim Puv, p. 20.

5. Id.

6. Id.

118 l'insurrection de LYON EN 1793

détachement lyonnais qui marchait sur Saint-Etienne obéissait à une réquisition régulière et qu'il ne répandrait le sang que s'il y était forcé par une résistance opiniâtre. Une autre protestation arrivait directement de Ri venie- Gier.

Le soussigné, adjoint aux commissaires civils envoyés par la commission départementale de Rhône-et-Loire, déclare que la force armée qui exécute les ordres qu'elle a reçus, veut vivre et mourir pour Tunilé et Tindivisibilité de la République et pour écraser Tanarchie qui dévore la France, j'engage donc les habitants de Saint-Chamond et de Saint-Etienne à chercher à connaître Tesprit qui anime la force armée de Lyon et à se réunir à elles, ne voulant que la paix, le règne des lois, la sûreté des personnes et des propriétés, seuls sentiments qui doivent caractériser le vrai républicain.

A Rive-de-Gier, ce 10 juillet, l'an il de la République.

Servant, Adjudant général.

BiROTBAU,

Député à la Convention nationale de France i.

Le lendemain, Il juillet, sans attendre de réponse, la colonne lyonnaise quitta Rive-de-Gier, au petit jour. Servant lui fit garder la même formation que la veille, jusqu'à moitié chemin de Saint-Chamond. Prévoyant que cette ville serait défendue par les Jacobins, il fractionna sa troupe on deux groupes. Le corps principal, composé de neuf cents hommes avec trois pièces d'artillerie et restant sous son commandement direct, continua à mar- cher sur la grande route-, précédé d'une forte avant- garde que commandait un jeune homme, fils de l'ancien greffier de la sénéchaussée de Lyon, propriétaire à Rive- de-Gier qui connaissait très bien le pays ; il répondait au nom peu républicain de Fleur-de-Lys.

1. Cl. Joachim Puy, p. 21.

2. Cl. Joachim Puy, p. 22.

l'occupation du forez 119

Le second groupe, aux ordres de M. de Nervo, n'avait que trois cents hommes, avec une pièce de canon en tète, selon la tactique rudimentaire '. Il devait obliquera gauche, remonter jusqu'à Saint- Pau 1-en- Jarret, gagner un point dominant d'où Ton découvrirait la ville de Saint-Chamond et, en restant autant que possible en liaison avec le corps principal, tourner la ville et y pénétrer par le Sud-Est, pendant que la colonne de Servant y arriverait par le Xord ^.

Saint-Paul-en-Jarrét, qui était un gros bourg fortifié, n'était pas occupé par les Jacobins : la colonne de Nervo latteignit et le traversa sans difficulté. Les quelques habi- tants de cette localité ne semblaient attacher aucun intérêt au passage du détachement. Les jeunes Lyonnais, peu habitués à la marche, ressentaient une grande fatigue ; toutefois, pour entrer en ligne le plus tôt possible, ils demandèrent à prendre les chemins de traverse.

Ceux-ci étaient fort escarpés. Pour aider les attelages de la pièce d'artillerie, il fallut pousser aux roues ; le désordre se mit dans la petite colonne, les quelques fian- queurs qui devaient observer la colonne principale la perdirent de vue. M. de Nervo rétablit Tordre et pressa la marche.

La colonne que dirigeait Servant et qu'accompagnaient Biroteau et Chasset avançait rapidement; elle arriva sans incident jusqu'aux premières maisons de Saint-Chamond. L'avant-garde de Fleur-de-Lys se préoccupait surtout de battre les hauteurs à gauche et à droite, par crainte d'embuscades.

A l'entrée de la ville, les Lyonnais se heurtèrent brus- quement à des détachements d'hommes armés^. Un petit nombre seulement portait l'uniforme de la garde natio-

i. CI. Joachim Puy. p. 22.

2. D'après le récit de M. Puy, et comme le font remarquer très justement les éditeurs MM. Chaleyer, Véricel et Devet (p. 22).

.3. « Un parti d'anarchistes assez nombreux qui voulaient hardiment lui barrer le passage... » CI. Joachim Puy, p. 22, en note.)

120 L*INSURRECTION DE LYON EN 1793

nale : Il y avait environ deux bataillons de la garde nationale de Saint-Chamond et un bataillon de celle de Saint-Etienne, convoqués par le district et composés des plus mauvais éléments, le tout commandé par Lesterps- Beauvais', qui, lui, était animé des intentions les plus conciliantes. Malheureusement plusieurs hommes fort exaltés de Saint-Etienne le surveillaient et le menaçaient.

Les défenseurs de Saint-Chamond, qui vociféraient volontiers, n'avaient pris aucune disposition pour arrê- ter les nouveaux venus qu'ils croyaient encore éloi- gnés ; aussi se trouvèrent-ils surpris par l'arrivée de la colonne lyonnaise. N'osant pas ouvrir le feu sur une troupe en bonne formation et militairement conduite, ils demandèrent à fraterniser-^ c'est-à-dire en réalité à parlementer pour s'éclairer sur les forces et les dispositions de leurs adversaires. Servant y consentit, tout en maintenant sa troupe en bon ordre avec un cordon de sentinelles. U ne put empêcher les Jacobins de se glisser dans les maisons du faubourg et de s'embusquer aux fenêtres, au-dessus de sa compagnie d'avant-garde.

Les deux commissaires entrèrent d'abord en pourpar- lers avec leur collègue Lesterps-Beauvais, qui les assura de son désir d'éviter l'effusion du sang, mais en leur avouant son pou d'influoncc sur les énergumènes qui l'entouraient. Biroteau et Chasset haranguèrent les chefs dos « sans-culottos », sans aucune espèce de. succès, car ceux-ci continuaient à rassembler leurs hommes et à leur faire prendre position, malgré les réclamations des Lyon- nais. Servant fit cesser les discours et braquer ses trois pièces de canon sur le gros de la troupe des Jacobins. Do part et d'autre, les dispositions de combat étaient prises et la lutte allait commencer lorsqu'on entendit trois dé- tonations très rapprochées. C'était le signal convenu avec

i. Cl. Joachim Pny, p. 24. Cf. note. 2. 1(1., p. 23.

l'occupation du forez 121

M. de Nervo* pour annoncer l'entrée en ligne de sa co- lonne. Aussitôt des cris de : Les Muscadins! Voici les Mus- cadins! proférés par une foule effrayée qui courait dans les rues, produisirent une telle émotion parmi les gardes nationaux jacobins qu'ils prirent la fuite et que la colonne de Servant pénétra sans difficulté dans la ville elle fut rejointe par le détachement venu de la montagne*'. La poursuite des Jacobins, menée avec mollesse, ne donna aucun résultat. On constata seulement leur disparition dans la direction de Saint-Etienne. Sur la dénonciation de quelques habitants, Servant fit arrêter plusieurs ou- vriers mineurs qu'on lui signalait comme très exaltés; ils furent mis en liberté dès le lendemain.

La population de Saint-Chamond fit bon accueil aux nouveaux arrivants, leur offrant une affable hospitalité. Le club des Jacobins, se réunissaient les hommes de violence et de spoliation, fut déclaré fermé et son associa- tion dissoute.

Au son du tambour, les habitants étaient invités à se rendre à THôtel de Ville. Le représentant Lesterps-Bauvais, se promena à cheval sur la place publique et engagea les citoyens « à fraterniser avec Tarmée lyonnaise'* », pendant que Biroteau, toujours éloquent quoiqu'assez prolixe, prononçait un discours à la salle du district'*. Après avoir retracé les événements du 31 mai à Paris, sans s'occuper de ce qui avait eu lieu le 29 mai à Lyon, il jetait les bases d'une magnifique fédération des dépar- tements modérés... Ses auditeurs pouvaient être séduits par la chaleur de sa parole, mais ils restèrent pour la plupart fort incrédules relativement au succès de la cause

1. Cl. Joachim Puy, p. 23.

2. On a prétendu que le détachement de Nervo avait j^ravi le mont Pilate d'où il avait observé Saint-Etienne. Celle indication est inexacte, la petite colonne avait contourné les contreforts du mont Pilate, mais en le laissant sur sa gauche.

3. Archives de la Loire^ série L, registre n* 118.

4. Cl. Joachim Puy, p. 25.

122 l'insurrection de lyon en 1793

lyonnaise. La Convention, mèoie de loin, leur faisait peur.

Le soir, il y eut de nombreux banquets en Thonneur des Lyonnais ; les femmes de Saint-Chamond tinrent à y figurer, « le meilleur ton y régna* », Les soldats impro- visés de Tarmée lyonnaise se conduisirent avec tact et bonne éducation. Beaucoup appartenaient à d'excellentes familles de Lyon, plusieurs, qui le cachaient d'ailleurs soigneusement, avaient servi dans Tancienne armée comme officiers ou comme cadets, quelques-uns venaient de Tarmée de Condé, heureux de défendre sur le sol de la Patrie, les principes d'ordre et de paix sociale qui avaient fait la grandeur de la France. Les ouvriers de Saint-Chamond, bien que prévenus contre les Muscadins-, leur savaient gré de leur retenue et ne cachaient pas la satisfaction de voir leur ville débarrassée de la cohue bruyante aux allures de pillards qui l'avaient un moment terrorisée.

La nuit se passa sans incident, et la colonne, reformée en un seul groupe, se remit en route, dès Taube, le 12 juil- let, dans la même formation qu'au départ de Rive-de-Gier et en suivant la grande rouie. L'excellent accueil des habi- tants de Saint-Chamond avait fortifié la confiance des Lyonnais.

Ces dispositions optimistes s'augmentèrent encore en arrivant à Tète-Noire. Les représentants y donnèrent lec- ture d'une communication du maire de Saint-Etienne arrivée par exprès.

M. Praire-Royet leur transmettait une lettre que lui adressait la municipalité, aux termes de laquelle la po- pulation de Saint-Etienne était à l'égard « des frères de Lyon )> dans les dispositions les plus amicales; les deux pièces de canon amenées de Saint-Etienne pour la piteuse expédition que nous connaissons étaient revenues avec celles de Saint-Chamond dans l'induslrielle cité qu'arrose le Furens. L'amour-propre des édiles stéphanois se con-

1. Cl. Joachim Puy, p. 25.

2. Balleydier, l. I, p. 26'.».

L OCCUPATION nu FOREZ 123

tentait de cette modeste satisfaction et Texcellent homme, qui les présidait et qu'ils avaient eu l'ingratitude de dé- savouer pendant quelques jours, ajoutait non sans une douce ironie :

« Braves Lyonnais, vous verrez par les deux écrits ci- dessus quelles sont maintenant les dispositions de nos concitoyens, nous vous attendons à bras ouverts pour fra- terniser avec vous.

« Praire-Royet, « Maire ' . »

Sous cette influence de fraternité et en chantant à plein gosier, la colonne franchit allègrement la lieue de pays, qui sépare Tête-Noire de Saint-Etienne. Vers onze heures du matin, les Lyonnais aperçurent à Tentrée de la ville la garde nationale en armes. Le maire, Praire-Royet, accompagné du représentant Lesterps-beauvais, qui avait devancé la colonne, et de deux membres du district'', se présenta aux représentants Biroteau et Chasset, ainsi qu'aux deux adjudants-généraux et les complimenta sur le bon esprit qui animait leur troupe \

Les habitants du faubourg criaient : « Vivent les Lyon- nais! Vive la nation! Vive la République! » Après un échange de paroles courtoises, Servant conduisit la co- lonne sur la place d'armes. Le maire fit retourner ses ca- nons en signe de paix, le commandant du bataillon lyon- nais en fit autant. Les canonniers s'embrassèrent et Ton dansa autour de Tarbre de la Liberté'*.

La population de Saint-Etienne, qui était alors d'environ 18.000 habitants, parmi lesquels beaucoup d'ouvriers en fer et en rubans, semblait accueillir les Lyonnais avec

i. Cette pièce inédite est certifiée par MM. Louis Chaleyer, Gaston Vé- ricel et J.-M. Devet, 1rs éditeurs du manuscrit de Puy.

2. Archives de la Loire : série L, registre n* 118.

3. Cl. Joachim Puy, p. 27.

4. Archires nat'nniales^ Coniitt^. de Salul puhlu\ Evénements de Lyony AFu, 339-3i4.43. (Kxtrait d'une correspondance de Saint-Etienne).

124 l'insurrection de lyon en 1793

sympathie mais un observateur perspicace aurait reconnu que la majorité des ouvriers déguisait par prudence ses véritables sentiments entièrement acquis au parti jaco- bin.

L'un des membres les plus dangereux de ce parti, Noël Pointe, membre de la Convention et commissaire à la ma- nufacture d'armes, n'avait pas cru devoir attendre « les rebelles lyonnais », il s'était enfui dans les montagnes de Jaurôt^ et y resta caché treize jours*.

Biroteau et Chasset agirent comme à Saint-Chamond, ils firent fermer le Club des Jacobins'^, brûler les registres des dénonciateurs et convoquer la section. L'assemblée se tint dans la chapelle Sainte-Ursule, sur la place du marché.

A six heures du soir, Biroteau y prit la parole, il pro- nonça un nouveau discours contre la Convention '*.

Certains auditeurs protestèrent violemment; à la sortie il y eut une bagarre. Servant qui était présent fit arrêter les perturbateurs les plus ardents : le curé assermenté Dulac, le chirurgien Foujols, officier municipal et un négociant nommé Louis Philibert. On les garda en prison jusqu'au lendemain.

Dans la soirée, la seconde colonne dont M. Le Blanc prit le commandement, M. de Nervo restant k Saint- Etienne, partit pour Montbrison et l'occupa sans difficulté. Biroteau vint rejoindre le détachement le lendemain 13 juillet et prononça dans la halle un troisième discours il prêchait encore la fédération des départements.

Le public se montra bien disposé; il y avait à Mont- brison de nombreux royalistes qui se déclarèrent sym- pathiques au mouvement lyonnais et à toutes les tenta-

1. Note des éditeurs de Puy, p. 27, d'après une pièce conservée aux Archives ife la mairie de Sainl-EUenne.

2. Il partit ensuite pour Paris.

3. Archives nationales, AFn, 339-344.43.

4. Cl. Joachim Puy, p. 30.

l'occupation du forez 125

tives d'indépendance, ils manifestèrent Tintention de s'enrôler dans la petite armée départementale. Le com- mandant du bataillon de la garde nationale, M. Dupuy des Ronzières*, d'accord avec le commandant des Lyon- nais, avait fait occuper les principaux postes et Tordre ne semblait pas devoir ôtre troublé. Aussi Servant, après s'être entendu avec le maire, M. de la Plagne, homme des plus estimables et tout dévoué aux idées d'ordre et de liberté, résolut-il de tirer parti des bonnes dispositions de la population en enrôlant les anciens militaires et les jeunes gens favorables à la cause lyonnaise. Il décida également de renvoyer à Lyon une partie de ses volon- taires qui escorteraient les armes saisies à la manufacture de Saint-Étienne.

Le commandant Le Blanc' quitta Montbrison avec une grande partie de sa colonne que vint relever un déta- chement de Saint-Etienne ; un capitaine de la garde na- tionale lyonnaise, nommé Roche, le remplaça « comme commandant de la station de Montbrison ».

L'adjudant-général Servant revint à Saint-Étienne oix il établit comme commandant en second, sous le titre de quartier-maître chargé de la comptabilité, un simple gre- nadier fort intelligent nommé Claude Joachim Puy'*, qui devait écrire l'intéressant récit de cette expédition.

Le commandement de la « station de Saint-Chamond » fut confié au capitaine Roux, de la garde nationale de Lyon.

Trois cents hommes étaient répartis dans chacune des garnisons de Montbrison et de Saint-Etienne; 100 Lyon- nais occupaient Saint-Chamond. Bientôt sur les bonnes nouvelles de l'expédition il arriva 30 cavaliers, jeunes

i. M. des Ronziércs, l'un des notables de Montbrison, devait être con- damné à mort par la Commission révohitionnaire de Lyon, huit mois dIus tard. ^

2. Et non Blanc, comme il est quelquefois désigné.

3. Fils d'un notaire de Lyon.

126 l'insurrection de lyon en 1793

volontaires de la bourgeoisie, montés et équipés à leurs frais. Servant en plaça 20 à Montbrison et 10 au bourg de Duerne pour assurer la communication entre Lyon et Montbrison. A Saint-Etienne, les Lyonnais croyaient pou- voir compter sur le détachement des anciens dragons de Lorraine* qui restait à l'écart dans son couvent; Tofficier qui le commandait paraissait acquis à la cause lyonnaise, mais il évitait, ainsi que ses hommes, de manifester les sympathies qu on lui supposait et il préméditait un départ furtif qui lui permettrait de rejoindre son régiment en Dauphiné.

Le commandant de la garde nationale de Saint-Etienne, nommé Molle, fabricant de soieries, et son adjudant-gé- néral. Desjardins, employé dans la môme industrie, se déclarèrent résolument pour la cause de Lyon.

A Montbrison, MM. Chappuis de Maubou frères, Tun, Pierre, ancien lieutenant-colonel d'artillerie ^ l'autre, Jean, ex-capitaine de cavalerie-^ et de Vaugirard, qui avait égale- ment servi comme capitaine dans cette arme, réunirent un certain nombre d'anciens soldats et d'hommes habitués au cheval, environ une soixantaine et en constituèrent un escadron dont le capitaine de Maubou prit le com- mandement.

La communauté d'idées avec les officiers lyonnais, les affinités d'éducation s'affirmaient d'ailleurs en toute occa- sion. La vaste demeure de la famille de Maubou devint le

1. Cl. Joachim Puy, p. 34.

2. « !• Pierre Chappuis de la (îoutle-Maubou, le 21 janvier 1748. lieuto- nanl-colonel d'artillerie le 13 janvier 1181 et commandant l'artillerie des lles-du-Vent, par brevet du même jour, chevalier de Saint-Louis;

«2* Jean-Pierre Chappuis de la (ioutte-Maubou, le 8 avril il44, page de la Dauphiné, le 17 juin 1150. Capitaine au régiment de Dragons de Lanau, chevalier de Saint-Louis, « hypothéqua ses terres pour subvenir aux frais de la colonne Montbrisonnaise, qui marcha au secours de Lyon assiégé en 1793 ».

« Marié en 1714, à M"* Rolin de Champelos, petite-fille du président Favre, l'un des premiers jurisconsultes du XVII* siècle, destinée h mourir elle aussi sur l'échafaud. » (Extrait <h' VArtnoriul de In îioblesse fie France, publi*^ ]mrune société de généaloi^'istes paléographes, sous la direction de M. d'Auriac.)

l'occupation du forez 127

centre de fêtes nombreuses brillèrent entr*au très deux femmes belles et spirituelles, M'"^' Jean de Maubou et de Vaugirard^

Dans les salons dominait encore le style Louis XIV, avec ses meubles un peu volumineux, ses tapisseries amples et majestueuses, on voyait revenir les modes moins surannées du dernier règne. Il semblait que le souvenir des jours de tristesse s'était dissipé comme un mauvais rêve. Les hautes et folles coiffures des femmes se redressaient fièrement, « à La Frégate », fleurant la poudre à la maréchale. Sur les visages qu avait palis langoisse, le teint reprenait ses fraîches couleurs, les yeux leur éclat, les lèvres souriaient au coin des « mouches assassines ». Violons et clavecins faisaient entendre leurs accords, les robes à panier dansaient la gavote ou le menuet avec les habits « habillés » des gen- tilshommes montbrisonnais et les uniformes des milices citovennes. Tous les volontaires étaient invités, môme les simples soldats; on les traitait en libérateurs et ja- mais régal ité ne fut plus gracieusement pratiquée que par la société de Montbrison.

Servant vint deux fois inspecter le détachement et fut parfaitement accueilli. Sa nature enjouée, naturellement optimiste et aventureuse, le portait avoir les événements sous le jour le plus favorable. 11 résolut d aller faire de vive voix son rapport à la Commission départementale de Lyon et de prendre de nouvelles instructions pour Torga-

nisation militaire et politique d'un pays si facilement conquis.

De retour à Saint-Etienne, l'adjudaut-général forma une petite colonne de cinq cents hommes, qui avaient exprimé, sans indiscipline d'ailleurs, le désir de revenir à Lyon. MM. de Xervo et Le Blanc, qui ne remplissaient pas alors d'emploi militaire, les deux représentants Biroteau et

i. La femme du capitaine de cavalerie.

128 l'insurrection de lyon en 1793

Chasset se décidèrent à rentrer à Lyon avec Servant*.

Le retour se fit par Saint-Chamond, en deux étapes. Les populations ne manifestèrent aucune curiosité pour ce mouvement de troupes.

Les paysans coupaient leurs moissons et la paix des champs régnait sans nuage dans toute cette région qu'allaient bientôt effrayer et appauvrir les armées en marche.

1. Souvenirs d'un officier de l'élat-major du siège^ Lausanne, 1795.

CHAPITRE IX

L'ARRIVÉE DE PRÉCY A LYON. FORMATION DE L'ARMÉE DÉPARTEMENTALE. LE PROCÈS DE^CHALIER

Pendant que la délégation se rendait auprès de M. de Précy, la Commission départementale^ donnait une pre- mière satisfaction à l'opinion publique en ordonnant « que les ouvriers capables de terrasser des terres et de créneler les murs seraient mis pendant quatre jours à la disposition du citoyen Chênelette, chargé de fortifier la ville». Le comité des finances devait présenter, dans le plus bref délai, un état des ressources financières de Lyon et du département'-.

Dans la séance du 10 juillet, un réfugié, Baréty, membre de la Convention pour les Hautes-Alpes, affirma que les sections de Paris s'étaient soulevées et, qu'elles avaient envoyé des troupes au devant de l'armée fédéra- liste de Normandie commandée parWimpfTen. D'après les renseignements qu'il disait tenir de la source la plus sûre, cette armée comptait déjàdans les rangs 30.000 volontaires et son avant-garde allait occuper Saint-Germain etSaint- Cloud-^ Enfin des bruits de restauration monarchique, d'après Baréty, couraient à Paris ^. Cette dernière nouvelle fut reçue avec incrédulité.

On fit meilleur accueil à la proposition d'un député de Bordeaux, relativement à la réunion d'une commission

i. Gonon, pièce 1267.

2. Séance du 9 juillet.

3. Journal de Lyon, séauce du 10, dans le numéro du 16 juillet.

4. Baréty affirmait, entre autres invraisemblances, que Chaumetle avait eu une conférence avec la Reine et que Simon avait été maintenu comme * gouverneur » de Louis XVIl. Gouverneur I Quel euphémisme pour dési- gner les cruautés que Ton connaît !

9

130 l'insurrection de lvon en 1793

centrale à Bourges pour préparer la réintégration entière de la Convention. La Commission départementale nomma pour la représenter deux de ses membres, Morillon et Gilibert. Fréminville prit la parole : « A TOuest de C Empire, dit-il.... » Aussitôt la majorité protesta contre ce qu'elle appela « une répugnance royaliste à prononcer le mot de République ».

Fréminville continua : « Dix ou douze départements se sont déjà rassemblés, ils se sont levés en masse, déjà ils ont un général et une armée, déjà ils avancent de Paris... Marchons vers Paris pour nous réunir aux dépar- tements de l'Ouest ^ »

Un silence' profond accueillit cette motion qui devait cependant être adoptée, mais la majorité de l'assemblée, ouvertement républicaine, ne voulait pas paraître céder aux conseils d'un des siens soupçonné d'opinions contre- révolutionnaires, bien que Fréminville fî>t extrêmement sympathique en raison de son aménité et de son talent oratoire.

Le Comité de sûreté publique avait fait arrêter deux députés de passage à Lyon, amis de Dubois-Crancé, D'Herbez envoyé en mission dans la Drôme et Sauteyra commissaire dans les Basses-Alpes. Conduits à Pierrescize, ils demandèrent impérieusement leur élargissement ; la Commission départementale maintint provisoirement leur incarcération-.

A la séance du lendemain 11 juillet, un député du Jura vint annoncer que, dans son département, la population s'était soulevée contre les représentants Bassal et Garnior'^ dont la conduite, disait-il, pouvait être comparée à celle de Nioche et Gauthier à Lyon 3. Il affirma qu'en moins de trente heures, quarante mille hommes étaient descendus des

1. Journal de Ujnn, numéro du 10 juillet.

2. Archives nationales^ AFn, 339-3H.43. Comité de Salut public, événe- ments de Lyon.

3. Journal de Lyon^ précité.

l'arrivée de PRÉCY a LYON. 131

montagnesarmésde piques, de fourches et même de frondes. Les députés de la Convention avaient se réfugier dans le département du Doubs*. L'orateur exagérait, en le décu- plant, le nombre des insurgés, mais la nouvelle de la retraite des commissaires de la Convention était exacte*.

Dans la soirée du même jour, jeudi il juillet, un député desHautes-Alpesdonnait à son tour sur son départementdes renseignements aussi favorables h la cause de la fédération lorsque le président Gilibert Tinterrompit pour annoncer que « le citoyen Perrin dit Précy '\ élu général'* », allait être admis à la séance si l'assemblée Vy autorisait.

Sur l'assentiment unanime qui se manifeste, Précy est introduit et se présente avec l'attitude réservée, un peu sévère, qui lui est habituelle, il porte un costume de voyage, sans épée. On lui fait un accueil chaleureux et au milieu des applaudissements-', le président l'inviteàprendre

place an bureau.

Un membre de l'assemblée communique les adresses de plusieurs sections de Lyon qui félicitent la Com- mission du choix qu'elle a décidé pour commander la force départementale; elles émellent alors le vœu que le général soit proclamé solennellement le jour delà féfe de la Fédération6. La majorité s'y oppose aussitôt, en raison de ce que le général tient ses fonctions, non seulement de la confiance des sections, mais aussi de celle du dépar- tement. Comme représentants de ce môme département, la plupart des membres de la Commission demandent la proclamation immédiate du général.

Précy remercie en tcirmes sobres. Sur l'invitation du

i. Cf. JulieQ, Rapport. H. Wallon, t. M, p. 328.

2. Journal de Ujon^ numéro du 16 juillet 1793.

3. Sur le procès-verbal, le nom est écrit à tort Précis.

4. Vallès {liéflexiom Inslnriqurs, p. 22) le qualifie de « commandant gé- néral de la place et de la ^lanie n.itioiiale ».

5. « Au milieu dos a<!claina lions. *> [Pmrès-rerhal de la Commi'ision (Gonon, lUbliograpItiede /.//"/«, pièce 128i. J

6. Le 14 juillet.

132 l'insurrection de lyon en 1793

président, irprètc aussitôt les trois serments dont on lui présente la formule écrite et qu'il lit d'une voix ferme et assurée. « Maintenir la liberté, l'égalité, Tunité et Tin- divisibilité de la Convention nationale, la soumission aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés. » Le général jure de mourir plutôt que de violer ces serments. » Après avoir, à contre-cœur et dans l'intérêt de la cause lyonnaise, protesté de son dévouement à la République \ l'ancien défenseur des Tuileries demande à connaître les ressources et les forces du département pour préparer un plan de résistance et le communiquer à la Commission*. Le Président Tinvite à entrer en relations immédiatement avec le comité militaire 3. Do nombreux applaudissements saluent cette brève communication '*. On décide qu'un second bataillon serait envoyé à Saint-Etienne •'*. L'arrivée du général à l'hôtel du Parc<> aussitôt connue, son lo- gement est envahi par plusieurs anciens officiers, entre autres M. de Chénelette, M. de Grandval cx-capitaine au régiment de Bourgogne, Jean Vallès, commissaire des guerres, et les frères Julien, dont l'aîné portait le nom de Vinezac, et qui avaient servi tous les deux comme lieutenants au régiment de Lorraine (infanterie). MM. Grif- fet de Labeaume, ingénieur des Ponts et Chaussées; Gin- genne, Révérony, de Baroullière et Desgranges, chefs de bataillon de la garde nationale viennent aussitôt se mettre

à sa disposition.

Le comité militaire, composé de MM. Raymond, Janin,

Mey des Challes, Charpin, Ballet, Magnet et Dumas, tous

anciens militaires, ne se montre pas moins empressé à

reconnaître l'autorité du général de Précy. D'un commun

1. <' Le général a répondu avec cette modestie qui ajoute tant de prix au talent de la vertu. > (Extrait du procès-verbal de la Commission : Gonon, pièce 128i.)

2. Journal de Lyon, numéro précédent. .3. Id.

4. Id.

5. Id.

6. Vallès, Réflexions historiques, p. 22.

l'arrivée de PRÉCY a LYON 133

accord, la direction des travaux de défense est main- tenue à M. de Chênelette, lieutenant-colonel d artillerie, dont la haute compétence s'impose à tous. Sur Tinvi- tation du comité, Précy établit son quartier général place des Terreaux, dans la maison dite des Dames de Saint- Pierre*, vaste monastère s'installent les bureaux du nouvel état-major composé de sept ou huit officiers et d'un secrétaire. Le commissaire des guerres, Jean Vallès, attaché autrefois à la place de Lyon et fort au courant des ressources, est chargé de tout ce qui concernait le service de l'intendance ^.

La première mesure militaire étudiée par Précy et ses collaborateurs immédiats fut la réunion d'une force mobile indépendante de la garde nationale. La milice citoyenne, comme on aimait à la désigner, ne pouvait que maintenir Tordre dans la ville ; tout au plus en cas d'ex- trême urgence pouvait-elle fournir quelques troupes de réserve. La force mobiledevait être formée des compagnies de chasseurs et de grenadiers, soit deux compagnies par bataillon, recrutées parmi les anciens militaires encore valides et les jeunes gens pouvant disposer de leur temps et faire les frais d'un uniforme militaire. La plupart de ces jeunes hommes manifestaient un excellent esprit. Beaucoup avaient combattu le 29 mai et les nouvelles recrues, qui accouraient avec empressement pour se faire inscrire, affirmaient leurs sentiments de dévouement à la cause lyonnaise en môme temps que leur désir de se soumettre absolument à la discipline, notamment à l'obli- gation de casernement.

La Commission départementale « considérant la cité en danger, » arrête que la municipalité provisoire ne don- nera de passeports qu'avec la plus extrême réserve. En

1. Vallès, Réflexions /iis/nri(juf'.s, p. 22.

2. Vallès affirme qu'il s'occupa aussi di; préparer un plan de cam- pagne. Cette prétention est peut-^tre un peu présomptueuse, mais Précy faisait grand cas de ses avis.

134 l'insurrection de lyon en 1793

principe, il ne devait en être accordé qu'aux fournis- seurs des approvisioanements de la ville. A la même séance, on acclamait Matheron; l'administrateur de Riiône-et-Loire était revenu de sa prison de Cbambéry. Le procureur syndic communiquait ensuite une nouvelle qui, quoique prévue, n'en devait pas moins causer une vive émotion. C'était la liste des citoyens arrêtés à la suite des événements du 29 mai et qui allaient être tra- duits en jugement, l'instruction étant terminée.

Voici le texte de ce document que le Journal de Lyon publia seulement quatre jours plus tard ^

TA-BLBAU DES PROCÉDURES QUI SERONT JUGEES A LA SECTION DE JUILLET 1793^

«

Le 15. Joseph Chalier, président du tribunal du district.

Le 16. Joseph Julliard, commandant général, Frédéric- Joseph Duchambon, François Foumier.

Le 17. Jean Pellelot fils, Pierre Fillion.

Le 18. Modeste Gaillard, Jean-François Trebraget.

Le 19. Bertrand, maire et 16 officiers municipaux et notables.

Le 20. Jean-Joseph Destephanis, André Cotte, Jean Tho- nion, Simon Macabeo.

Le 21. Riard-Beauvernois, Nesme et Gâche, Claude Pelletier, Jacques Barbier.

Le 22. Louis Doret, Louis Thibaudier, Jean Joubert, Pierre Thonion, Antoine Rulîard, Philippe Biolay.

Le 23. Antoine-Marie Dodieu, Fleury Cuet, Laurent Milliet.

Le 24. Toussaint Berger, J.-B. Lambert, écrivain, Mar- tin Saturnin Perronet, Pierre Gerboulet, Louis Lambert.

Le 25. Louis Casting, César Cosion, Dumanoir, Claude Madinier, Claude Gonin, Louis Lesade.

Le 26. Jean Rebée, Claude Jogand, Joseph Oviste, Jean- Joseph Franchisle, J.-B. Miraillier.

Le Ti. Klienne Sigaud, Jean- Louis Boulard, Paul Chabu, Jean Miliset, Pierre Poupée, Barthélémy Candy.

1. Dans le numéro du 17 juillet.

L ARRIVÉE DE PRJÊCY A LYON 135

Le 28. Prudent Gallebois dit Saint-Amant, Benoît Laurent, Jean-François-Marcelin Roch, Joseph Moreau,Vernau, Soulvier, Pierre Morin, Antoine Dumas.

I^ 29. Claude Chavonin, Louis Darmesin, François Chambot, Gilibert Chaqueran.

Le 30. Jean Flechet, Laurent Chabanne, Alexandre Rouffet, Pierre Guiquet.

Le 31. Pierre Lapoire (le père et ses entants), Craponnes, Etienne Perret, Viot (contumace).

Total : 83 personnes.

A la fin delà séance ^ le président Gilibert donna lecture d'un projet d'organisation de la force armée du départe- ment de Rhône-et-Loire, présenté par le comité militaire et approuvé par le général. Ce projet fut adopté à Tuna- nimité. 11 était ainsi rédigé ^^:

I^a Commission de Salut public de Khône-et-Loire, par son arrêté du 5 juillet, ayant déterminé qu'il sera mis sur pied une force armée départementale, destinée au maintien des lois, à la sécurité des personnes et des propriétés, sur le rapport de son comité, chargé de se concerter avec le citoyen général.

Considérant que le plus précieux droit de Tliomme est de ré- sister à l'oppression, que la force est une suite de Tunion et de la concorde entre les citoyens qui ont le même intérêt.

Considérant qu-il est instant de former une masse de forces, qui, dirigée vers le même but, obtienne un résultat satisfaisant en écrasant Tanarchie, l'arbitraire, le despotisme enfin, sous lequel nous sommes prêts de retomber par les combinaisons perfides des agitateurs qui trompent et se servent de la crédu- lité des citoyens pour les égarer et les soulever contre leurs frères.

Considérant qu'un peuple libre a le droit incontestable de réclamer l'intégralité et la liberté de sa représentation, que tout citoyen doit à sa patrie le tribut de ses forces, en reconnaissance de la protection qu'elle lui accorde, que Tlnstanl est venu

i. Samedi 13 juillet 179:i.

•2. Extrait des registres des délilxTations de la Commission populaire, républicaine et de Salut public de Khône-et- Loire.

136 i/ixsuhRE^mOx de lyox e> 1793

le peuple français du département de Rhône-et-Loire doit se mettre en état de résister à tonte attaqne intérieure et exté- rieure :

Arrête :

Article premier. La garde nationale du département conservera son organisation actuelle et sera à la disposition des corps constitués et du général, en réquisition perma- nente*.

Art. 2. Il sera levé une force départementale, composée de neuf mille six cents hommes dont sept mille deux cents pris dans la force armée de la ville de Lyon et deux mille quatre cents dans celle des districts^.

Art. 3. Les citoyens qui voudront concourir à la forma- tion de cette armée, se feront inscrire dans leurs sections ou communes, devront être agréés par elles et âgés au moins de seize ans ; ils continueront de faire nombre dans la garde na- tionale.

Art. 4 Les places de chefs de brigade ^, aides de camp, adjudants-généraux, leurs aides de camp, celles de colonels et adjudants majors des régiments et, à la demande des sections de Lyon, les chefs de bataillon seront à la nomination des comités militaires et de Salut public ; les sujets seront présentés par le général.

Art. 5. Les grades, de capitaines jusques et y compris celui de caporal, resteront à la nomination des bataillons et compagnies conformément à la Loi.

Art. 0. Il sera ouvert sur le champ un registre dans les sections et communes du département dans lequel se feront inscrire ceux qui voudront faire partie de la force départemen- tale.

Art. 7. Uniforme, L'uniforme actuel de la garde na- tionale sera conservé dans son entier, mais il ne sera pas

1. Kn réalité, la garde nationale ne fut jamais considérée comme étant soumise à la ré<|uisition permanente.

2. Nous avons vu que. d'après les Réflexions historiques de Vallès, cette force ne dépassa jamais 5.000 hommes.

3. (a: terme de « chef de hrigade » parait impropre, en réalité, il n'y eut pas de hrij^ade organisée, mais comme nous le verrons, un général de brigade rommandant on second, à la disposition du général en chef et sans ««Mumaudement de troupes déterminées. Il y eut à la fin du siège, 2 ou 3 cliels militaires (jui prirent le titre de général.

l'aRBIVÉE de PRÉCY a LYON 137

exigé, chacun sera libre de s'habiller comme il le jugera conve- nable.

Art. 8. On portera un bouton au chapeau qui indiquera le numéro du régiment.

Art. 9. L'état-major portera l'habit bleu à revers, pare- ments, collet et doublure bleus, avec une tresse or distinctive de quatre lignes de large, veste et culotte blanches, le bouton républicain avec le numéro de la brigade ou du régiment, les grades se distingueront par Tépaulette.

Art. 10. Les 7.200 hommes fournis par la ville de Lyon formeront 3 brigades, 6 régiments, 12 bataillons, 120 compa- gnies; la brigade sera composée de 2 régiments, le régiment de 2 bataillons, le bataillon de 10 compagnies, les compagnies seront divisées en 2 sections et 4 escouades.

Art. 11. Etat-major général, La force armée sera sous les ordres immédiats du général et l'état-major général sera composé du général, de 2 aides de camp soldés et 4 surnumé- raires, 1 adjudant-général major et son aide de camp et un adjudant- général.

Art. 12. L'administration de la guerre sera composée de

1 commissaire, 1 adjoint et 2 commis.

Art. 13. Le bureau militaire sera composé de 1 chef et

2 commis.

Art. 14. Le bureau des finances sera composé de 1 tré- sorier général et 8 quartiers maîtres, dont 1 sera affecté à chaque brigade de la ville de Lyon et 1 à chaque bataillon des districts extérieurs.

Art. 15. L'état-major de brigade sera composé de 3 chefs de brigade, 3 aides de camp, 3 adjudants-majors.

Art. 16. L'état-major par régiment sera composé de 1 colonel, 2 lieutenants-colonels ou chefs de bataillon, 2 adju- dants-majors, 2 ajudants sous-offîciers, 1 tambour major, 1 chi- rurgien-major.

Art. 17. Les compagnies seront composées de 1 capi- taine, 1 lieutenant, 1 sous-lieulenant, 1 sergent-major, 2 ser- gents, 4 caporaux, 48 grenadiers, chasseurs, artilleurs ou fusiliers, ces brigades et régiments seront distingués et dési- gnés par numéro seulement.

Art. 18. Il sera pareillement levé et organisé des com- pagnies de canonniers et dragons, ainsi qu'il sera ci-après déterminé. En conséquence, dans chaque compagnie de ca-

138 l'insurrection de lyon en 4793

nonniers, on prendra ceux de bonne volonlé pour être attachés aux régiments de Tarmée départementale.

Art. 19. A cet effet, il sera ouvert chez chaque com- mandant de bataillon un registre d'inscriptions qui contiendra le nom des individus inscrits volontairement, avec la désigna- tion de leur grade, les listes d'inscription seront soumises aux comités de surveillance des sections respectives.

Art. 20. Chaque comité de surveillance choisira, sur la liste exhibée, le nombre de canonniers des grades différents tel qu'il lui sera indiqué, et le résultat, signé par la majorité des membres du comité de surveillance, sera présenté au co- .mité militaire.

Art. 21. Chaque comité de surveillance choisira (dans la liste d'inscription volontaire, des canonniers) 1 capitaine,

1 lieutenant, 2 sergents, 4 caporaux et 20 canonniers. L'orga- nisation des dragons demeure ajournée.

Art. 22. Les casernes de la ville de Lyon seront divisées en six parties égales, dont une affectée à chaque régiment, elles seront disposées de manière à pouvoir contenir cons- tamment un officier supérieur par régiment, les adjudants de bataillon, un officier par compagnie, les sergents-majors, ser- gents, caporaux, les instructeurs et 10 volontaires par com- pagnie.

Art. 23. Usera établi un casernier général et, dans chaque caserne, un préposé qui y résidera habituellement.

Art. 24. Organisation de la force départementale dans les districts. La force départementale fournie par chaque dis- trict, s'élèvera au nombre de 480 hommes et formera un bataillon ; elle sera organisée et disciplinée d'après les mêmes principes que celle de Lyon, les o bataillons réunis composeront

2 régiments et 1 brigade. Le chef-lieu du district est désigné parle rassemblement du bataillon.

Art. 25. Les officiers et sous-officiers resteront cons- tamment au lieu du rassemblement pour s'occuper de l'ins- truction des exercices, marches et évolutions militaires.

Art. 26. Les citoyens soldats, au nombre de 100, se rendront alternativement au lieu du rassemblement, et, sous l'inspec- tion des chefs, se livreront entièrement à l'étude de la tactique militaire pendant l'espace de quinze jours consécutifs.

Art. 27. Il sera fait très prochainement, dans chaque chef-lieu de district, un rassemblement général de tous ceux

L ARRIVÉE DE PRÉCY A LYON 139

qui se seront fait inscrire et il sera procédé à rorganisaiion des bataillons et compagnies.

Art. 28. La force départementale de Rhône-et-Loire sera soldée et les émoluments déterminés par la commission sur le rapport du comité militaire.

Art. 29. Formation du comité militaire, ^.11 sera formé un comité militaire pour diriger la force départementale de Rhône- et-Loire. Ce comité sera composéainsiqa'il suit :1e commandant général, ladjudant-major général, i adjudant-général, le com- mandant de la garde nationale de Lyon, les chefs d'artillerie et de cavalerie, i chef de brigade, 1 colonel, 2 lieutenants- colonels, 1 commissaire des guerres, 6 membres de la com- mission populaire, choisis dans les 6 districts, 1 administrateur du département, 2 membres de la commission provisoire, i se- crétaire, i commis.

Ce projet fut aussitôt imprimé, distribué et affiché pendant la soirée dans les sections.

Le lendemain, 14 juillet, la fôte de la fédération devait être célébrée sur l'ancienne place Bellecour, devenue place de la Fédération. Les membres de la Commission dé- partementale, ceux de la municipalité provisoire et des districts s'y rendirent. Un détachement de cavalerie volontaire, fourni par de jeunes gardes nationaux, appar- tenant à des familles riches et propriétaires de leurs chevaux, formaient la tête du cortège. Venaient ensuite un escadron de hussards, des déUichements des gardes nationales des environs et doux corps de musique pré- cédant les autorités civiles. En tôte de celle-ci marchaient le président de la commission départementale et le maire \.

Le général de Précy, Madinier toujours commandant provisoire de la garde nationale^, plusieurs adjudants- généraux et un certain nombre de chefs de bataillon ser- vaient d'état-major aux corps administratifs; le bataillon dit des vétérans, composé d'anciens militaires et com-

1. Journal de Lyon, numéro du 16 juillet.

2. J. Morin, Histoire de Lyon pendant la Révolution ^ t. VII, p. 90.

140 l'insurrection de LYON EN 1793

mandé par M. de Savaron, fermait la marche. Sur le par- cours, des détachements de gendarmerie, decanonniers et de garde nationale formaient la haie et contenaient la foule, dont l'enthousiasme se traduisait par des acclama" tions et des chants patriotiques.

Les autorités civiles et les principaux officiers prirent place sur une estrade, pendant que des pièces d'artillerie, disposées aux quatre coins de la place, tiraient des salves de réjouissance. L'allégresse de la foule devint fréné- tique; lorsqu'elle se fut un peu calmée le chef de la municipalité provisoire, Coindre, prononça quelques pa- roles, en faveur de l'union de tous les Français, puis le président de la commission départementale donna lec- ture de l'arrêté pris, le 4 juillet, par la commission po- pulaire, républicaine et de salut public de Rhône-et-Loire ^ et ainsi conçu :

Le peuple de Rhône-et-Loire déclare qu'il mourra pour le maintien d'une représentation nationale, républicaine, libre et entière.

Déclare que la représentation nationale actuelle n'est ni entière, ni libre.

Déclare qu'il demande la réunion dans le plus bref délai d'une représentation nationale, libre et entière.

Déclare que jusqu'au rétablissement de son intégralité et de sa liberté, les décrets rendus depuis le 31 mai sont regardés comme non avenus et qu'il va prendre des mesures pour la sûreté générale '^.

Gilibert lut ensuite les trois serments dont nous avons déjà donné le texte :

« Nous le jurons, nous le promettons ! » s'écrièrent les assistants "^ L'un d'eux, profilant d'un silence relatif, se plaça devant les gradins et s'écria : « Nous adhérons tous

1. Par 146 voix (sur 199 volants,.

2. Extrait des délibérations de la Commission. (Lyon, A.-V. Delaroche, imp., 1793.)

3. Môme document.

l'arrivée de PRÉCY a LYON 141

aux arrêtés de la Commission et ce fer déposé dans nos fidèles mains en assurera l'exécution! »

Cette déclaration dans le style emphatique du temps eut un grand succès, on allait procéder à la proclamation du général. Gilibert déclara, au nom de la commission qu'il présidait, que « le citoyen Perrin-Précy « était proclamé le commandant général de la force départementale ». Les applaudissements reprirent plus nombreux, alternant avec les cris de « Vive le citoyen général * ! »

Après de nouveaux coups de canon, en signe de continua- tion d'allégresse, le cortège se reforma, Précy reprit mo- destement sa place parmi les officiers qui escortaient les représentants du département et de la municipalité et toujours aux cris de « Vive la République ! » au roule- ment des tambours et au son des bruyants instruments des deux corps de musique, les autorités civiles et leurs troupes d'escorte revinrent à « Thôtel commun - ».

La confiance s'affirmait sur tous les visages en ce jour d'illusion. Quel aveuglement cependant de croire que de telles manifestations intimideraient loi Convention ! Comment supposer que les Jacobins victorieux le 31 mai, allaient donner à Lyon l'amnistie de son insurrection !

La pompe religieuse avait été exclue de la cérémonie, par une blâmable concession au parti qui avait si long- temps, à Lyon, effrayé et molesté les catholiques. Nous lisons dans le récit officiel de la fête: « Des chants républicains, des danses se propagèrent ensuite toute la journée sur la place autour des arbres de la Liberté qui ont toujours été le vrai signe de ralliement des bons citoyens ^, »

Chaque section offrit un banquet aux frères des cam-

1. Revue (lu Lyonnais, i.WXW. Lyon, Boitel, 1843. Gonon, Biblio- graphie historique, pièce 128C, p. 28.

2. Relation de la fêle civique qui eut lieu à Lyon le {{juillet 1793. A.V. imp. Delaroche.

3. Id.

143 L'i^rSLRRECTION DE LYON EN 1793

pagnes et tous les corps administratifs assistèrent au spectacle des Terreaux*.

Ni cette représentation aux prétentions de gala les spectateurs enthousiastes rivalisèrent d'expansion civique avec les acteurs, ni les divertissements finissant en orgies grossières dans les rues et sur les places publiques par une chaude nuit d'été, ne devaient attendrir les implacables .ennemis de Lyon. Dubois-Crancé relisait avec une fiévreuse impatience ses contrôles de troupe et ses états de matériel d'artillerie.

Le 15 juillet, dans sa séance du matin, la Commission départementale acceptait la démission de Gilibert, comme président et nommait à sa place Rambaud, ancien ma> gistrat au siège présidial de Lyon, qui jouissait d'une excellente réputation.

La population parut se désintéresser de cette nomina- tion, elle encombrait les abords du tribunal criminel pour assister aux débats de l'affaire Chalier.

Après six semaines de détention à la prison de Roanne, il entendait proférer constamment des cris de mort et des malédictions contre lui, l'homme qui avait fait trembler tant d'honnêtes gens n'avait pas perdu l'es- pérance de recouvrir la liberté. Il se croyait protégé par les décrets de la Convention et n'avait manifesté aucnno reconnaissance en apprenant qu'un avoué au Tribunal civil, M. Moulin, membre de la section de Porte-Froc, avait accepté sa défense d'office. Il avait appris aussi avec la mr»rae inconscience qu'un de ses adversaires politiques, son ancien condisciple, Jean Chas- sagnon, avait rédigé et fait distribuer une supplique en sa faveur. Chassagnon cédait à une pensée généreuse et charitable, mais il avait composé, en guise de mémoire, un bizarre factum, qui ne pouvait être pris au sérieux.

Sous le titre Offrande à Challier ou Idées vraies et philo-

\. Uevue (Jtt I.yonnais, t. XVIII, p. 348.

l'arrivée de PRÉCY a LYON 143

sophiqkteSy tracées à la hâte et offertes A son défenseur officieux, par un homme libre et un ami des hommes i*auteur déclarait que Tancien proconsul n'avait été qu'un bouiïon inoffensif: o Ses singeries, ses feux follets, ses ricanements et ses contorsions ne m'ont rien offert de dangereux», et il accusait Gaillard et Hidins d'être les vrais coupables. Dans une péroraison presque burlesque, il adjurait les juges de lui faire grâce*.

Une foule représentant toutes les classes de la popula- tion encombrait la salle d'audience. Les débats commen- cèrent à six heures du matin, sous la présidence de M. Cozon, qui eut grand'peine à protéger contre les outrages de Tassistance, non seulement l'accusé, mais son défenseur d'office Tavoué Moulin, les jurés que Ton soupi^onnait lui être favorables et le seul témoin à dé- charge qui eût osé se présenter, nommé Bernascon'-.

Chalier entendit sans émotion apparente soixante té- moins à charge, puis Bernascon dont la déposition fut fréquemment coupée par des huées. Après avoir rappelé les criminelles exaltations de Challier, le ministère public conclut à la peine de mort. Des applaudissements fréné- tiques soulignèrent la fin du réquisitoire. L'accusé comprit qu'il était perdu et sa contenance devint de l'accablement; il ne reprit un peu d'assurance que pendant la plaidoirie de son défenseur qui s'acquitta de sa tâche avec beaucoup de mérite et d'énergie, car il fut fréquemment insulté par l'auditoire, malgré les efforts du président. Chalier vou- Jnt prononcer lui-même quelques paroles, il déclara le tribunal incompétent, parce qu'il empiétait sur le Tribu- nal révolutionnaire de Paris, malgré les décrets de la Convention. Les ricanements des assistants couvrirent sa voix. Il termina en balbutiant, récusant le président

1. *< Hommes (iu 29 mai, vous ne fites rien avant cette époque. Le cou- rage a «Jbauché vos âmes, c'est au caractère à les finir ! »

2. Cet tiomme courageux, «jni avait des opinions différentes de Chalier, tint à exposer au Tribunal criminel quelques faits qui lui semblaient à Tavantage de l'accusé.

144 l'insurrection de lyon en 1793

Cozon et l*accusateur public comme ses ennemis personnels .

La discussion des jurés, appelés à se prononcer sur douze chefs d'accusation* dura huit heures, ils le décla- rèrent coupable sans aucune atténuation. En conséquence à quatre heures du matin, le président du tribunal cri- minel, assisté des citoyens Régnier, Maret et Pourret, prononça la condamnation à la peine de mort, avec exé- cution immédiate, sans recours en cassation.

En entendant Tarrôt, Chalier éclatant en injures, traita ses juges «de bourreaux et de monstres », et les menaça des terribles vengeances de ses amis, « sinon dans huit jours, mais dans deux mois probablement, quatre mois au plus'^ ».

Il demanda comme faveur de voir a son cher défenseur et sa vertueuse gouvernante », un ami et son confesseur. Satisfaction lui fut donnée pour ces différentes visites. Chalier, fidèle à ses rancunes, pria son défenseur de faire imprimer dans la semaine le plaidoyer qu'il avait pro- noncé, sa propre allocution à lui, Chalier, avec toutes ses notes d'audience, les noms des juges et des jurés qui avaient prononcé V arrêt de mort, dernière liste de proscription de ce sanguinaire énergumène.

Au moment de l'exécution, il fit preuve d'un réel courage. Dans cette m^me journée du 16 juillet, à six heures du soir une escorte de gendarmes alla le cher- cher à la prison de Roanne et le conduisit place des Terreaux était dressée la guillotine ^ Pour y parvenir, il lui fallut longer le quai de la Baleine, traverser le pont

1. Tous ces chefs d'accusation étaient réunis dans celui-ci : « L'accusé est-il coupable d'être le principal auteur d'un complot tendant à égorger un grand nombre de citoyens '? »

2. Toutefois, se resaisissant un peu: « Vous me verrez aller à l'échafaud comme un jeune homme vigoureux va à la noce, mais cette bien courte jouissance sera pour vous la dernière. »

3. Voir pour tous ces détails que nous abrégeons, le récit de l'abbé Lasause, vicaire de la Métropole qui l'assista. Ce récit a été publié par Balleydier, t. I, p. 304-305. Voir aussi Journal de Ly<m^ numéro du 17 juillet 1793.

l'arrivée de PRÉCY a LYON 145

de pierre et la place de THerberie, la rue Lanterne et la place de la Boucherie des Terreaux, devant une foule immense que contenaient 10.000 gardes nationaux. La maladresse du bourreau rendit le supplice une véritable torture* qui provoqua les justes protestations des specta- teurs indignés.

Au moment les autorités lyonnaises se faisaient rendre compte des divers incidents de la journée, un courrier de Paris entrait à THôtel de Ville, portant la communication d'un décret de la Convention rendu le 12 juillet'^, déclarant :

« Traître à la Patrie, Biroteau, ci-devant membre de la Convention nationale, Tun des chefs de la conspiration qui a éclaté à Lyon et a mis cette ville en état de rébel- lion contre la Bépublique, par le rassemblement qui a eu lieu sous le nom de Congrès départemental ;

« Destituant en outre et déclarant pareillement traîtres à la Patrie les administrateurs et officiers municipaux, et tous autres fonctionnaires publics, officiers civils et mili- taires du département de Bhùne-et-Loire qui ont con- voqué ou soutTert le congrès départemental qui a eu lieu à Lyon, qui ont assisté ou participé aux délibérations qu'il a prises et à leur exécution. »

La Convention ne se bornait pas à cette excommunica- tion majeure, elle prescrivait au Conseil exécutif faire marcher sans délai sur la ville de Lyon une force armée supérieure pour y rétablir V ordre (celui qui lui était cher), de faire respecter les personnes et les propriétés de faire mettre en liberté tous les citoyens arrêtés ou em- prisonnés par les autorités lyonnaises, et de faire mettre en arrestation les dites autorités, dont les biens devraient être placés sous séquestre et confisqués, mesure de spo- liation dont TAssemblée était coutumière.

Pour propager l'épouvante, le même décret ordonnait

1. L'exécuteur dut l'achever avec ^on couteau.

2. Vaésen, p. 132, Documents impiitués.

10

146 l'insurrection de lyon en 1793

aux citoyens non domiciliés régulièrement de quitter la ville dans un délai de trois jours, sous peine d'être traités eux-mêmes en conspirateurs.

Les représentants du peuple près Tarmée des Alpes, Dubois-Crancé et ses dociles collègues, avaient pleins pouvoirs pour appliquer à la population de Lyon toutes les mesures de vengeance qui leur agréeraient ^

Un second décret de la Convention en date du 14 juillet, dont les autorités lyonnaises n'avaient pas encore con- naissance, enjoignait au général Kellermann d'obéir à toutes les réquisitions des représentants en mission à son armée'. Une communication du ministre de la Guerre au Comité de Salut public affirmait, ce qui était mexact, que les convois de subsistances militaires étaient arrêtés aux barrières de Lyon*^.

Depuis huit jours, sans attendre le décret de la Conven- tion, Dubois-Crancé, abusant de ses pouvoirs discrétion- naires, enjoignait au général Kellermann de moins se préoccuper de la défense de la frontière que des moyens de réduire Lyon : « Vous êtes le général de la Répu- blique, écrit avec son emphase habituelle Tancien lieu- tenant des maréchaux de France, vousne pouvez la voir avec indifférence se déchirer, nous disons plus, Tindiffé- rence serait un crime ^! » Et loin de se prêter aux tentatives de négociations, le conventionnel ajoutait :

« La révolte contre la Convention et la persistance dans cette révolte sont évidemment manifestes et il n'y a plus lieu à aucun amendement. Cobourg même n'en eût

1. Paris, le 12 juillet 1193. Signé : Jean Bon, Saint-André, président; JuUien, François, Chabot, Dupuis, secrétaires.

2. Ai'ckives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, juillet 1193. Signé : Jean Bon, Saint-André, Levasseur, Lindet, Billaud-Varenne.

3. D'après un rapport de l'ordonnateur militaire de la 19* division mili- taire.

4. Grenoble, 8 juillet 1193. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, i\ïi\\el {19'S. Les représentants du peuple près l'année des Alpes au f?énéral Kellormann. Toutefois la lettre est signée du seul Dubois- Crancé.

l'arrivée de PRÉCY a LYON 147

pas tant fait, car il n'aurait pas retenu un trompette à son ennemi » et plus loin : « c'est Goblentz du Midi * ! »

Dubois-Crancé prescrivait donc au générai en chef de l'armée des Alpes de dégarnir la frontière « pour étouf- fer le germe de cette nouvelle guerre de Vendée 2, et d'envoyer contre la ville de Lyon deux corps de cavalerie et, 19 bataillons, dont 6 « au pont Mourant » (lire au pont Morand) avec des mortiers et du canon, et treize bataillons à la Croix-Rousse, avec la cavalerie et les gardes nationales de Tlsère qui pourraient être réquisi- tionnées'' ».

Kellermann, en brave soldat et en vrai patriote, considé- rait que le péril était du côté de l'étranger, les colonnes piémontaises et autrichiennes pouvant déboucher d'un moment à l'autre ; en conséquence, il répondit par écrit que son devoir était de surveiller toute la frontière, depuis Genève jusqu'à Barcelonnette ^, et qu'il ne pouvait dé- tacher de son armée que six bataillons'', en y joigAant la légion des Allobroges. Le général, toujours respec- tueux de l'autorité civile, déclarait d'ailleurs, qu'il parta- geait l'indignation du citoyen représentant sur la conduite des Lyonnais et qu'il était prêt à agir contre eux dès que le Conseil exécutif et un décret de la Convention lui auraient donné l'ordre qui le déchargerait de la respon- sabilité des frontières ^. Toute cette correspondance s'échan- geait à Grenoble.

Fidèle à ses habitudes de prudence qui ne devaient pas le protéger contre la destitution et la prison, le comman- dant de l'armée des Alpes rendait compte directement h

1. Les représentants à Kellermann, Grenoble, 8 juillet 1793.

2. Id.

3. Ifi.

4. Générai Kellermann à Dubois-Crancé, Grenoble, môme jour, mêmes- archives.

3. «A savoir: deux bataillons du oi^ régiment, le des volontaires îles Basses-Alpes, un bataillon tiré de la Tarentaise. » 6. Même document.

148 l'insurrection de lyon en 1793

ce terrible Comité de Salot public qui faisait trembler les généraux de la République ; il lui soumettait les réquisi- tions de Dubois-Crancé et la copie de ses réponses, et insistait sur le peu de troupes échelonnées pour garder Genève et assurer la frontière. Kellermann demandait que les armées du Rhin et de la Moselle fournissent ensemble douze bataillons, la légion de la Moselle, deux régiments de cavalerie et Tartillerie de bataille. Il fau- drait plus de 500 chevaux d'artillerie pour « Téquipage du siège et de bataille » quand on attaquerait Lyon, et pour bien montrer sa fidélilé à la Convention, son « in- corruptibilité », comme on disait alors, le vainqueur de Valmy, sollicitait l'honneur de commander ces troupes* destinées pourtant à la guerre civile. Comme les carac- tères les plus fiers s'amoindrissaient dans cette atmosphère de suscipion !

A Lyon, les préparatifs militaires restaient encore ignorés. Avant de tenter devant la Convention une nouvelle justification, la Commission départementale résolut d'activer l'organisation de la résistance. Une pro- clamation de son comité militaire fut donc rédigée, distri- buée et affichée dans la soirée môme de cette journée du 16 juillet, qui avait vu la mort du protégé de Marat. Elle débutait ainsi :

Citoyens, nous nous occupons sans cesse de Torganisation de la force départementale, mais nous ne pouvons le faire avec succès sans vos secours.

Après avoir rappelé les effectifs de ces troupes (9.600 hommes dont 7.200 pris dans la force armée de la ville de Lyon, et 2.400 dans celle du district), les citoyens étaient engagés à se faire inscrire dans leurs sections et à s'y faire agréer. Un appel pressant était fait au patrio- tisme des bons citovens :

1. Le général de rarmée des Alpes au Comité de Salut public. Grenoble, 10 juillet 1793 {Archives delà Guerre: Armée des Alpes).

L*ARliIvéE DE PRÉCT A LYON 149

C'est au nom de la Patrie, de son salut général, c'est au nom de la sûreté des personnes et des propriétés qui sont menacées de toutes parts que le présent avis est donné.

La proclamation du comité insistait sur la nécessité do former une troupe permanente qui, sous le nom d'armée départementale, serait composée de soldats disciplinés « disposés aux travaux militaires, aux marches et aux campements et qui puissent accepter une solde patrio- tique ». Certes le surplus de la force armée, la garde nationale sédentaire, restera soumise aux réquisitions de Tautorité, mais le moment n'est pas encore arrivé d'en disposer, tandis que Tarmée départementale doit être constituée, exercée : « Elle doit se montrer partout, elle doit être essentiellement obéissante ; elle seule constituera ce département en état de résistance à l'oppression et c'est sur elle particulièrement que reposent les destinées de ce département et de la République entière *. »

En attendant TefFet de cet appel au dévouement tous les Lyonnais, la Commission départementale autorisa, sur sa demande, le général Sériziat, qui d'ailleurs pouvait librement circuler dans la ville, à rejoindre l'armée des Alpes sa présence était, disait-il, vivement désirée par son général en chef ^.

De Normandie arrivait un encouragement à la résistance à outrance, en môme temps qu'une nouvelle protestation de fidélité à la République :

DÉPAUTEMEXTS REUNIS ASSEMBLÉE CENTRALE DE RESISTANCE A L*OPPRESSIOX

Les députés nommés par les communes et les assemblées primaires des départements du Morbihan, du Finistère, des Côt€s-du-Nord, de la Mayenne, de l'Ile-et-Vilaine, de la

i. A Lyon, le 16 juillet 1793, Tan II de la République française. Signé : Perrin-Précy, général, Raymond, Janin, Mey des Challes, Charpin, Ballet, Moguet et Dumas, membres du Comité militaire. A Lyon, de Timprimerie A.-V. Delaroche., 1793.

2. Gonon, Bibliographie de Lyon^ pièce 1290

150 l'insurrection de LYON EN 1793

Loire-Inférieure, du Calvados réunis à Caen, jurent guerre éternelle aux tyrans, aux traîtres, aux anarchistes, jurent de maintenir la liberté, Tégalité , laRépublique une et indivisible, jurent de n'employer les pouvoirs qui leur sont confiés que pour faire respecter la souveraineté du peuple * .

Une seconde proclamation parvenait toute vibrante d'enthousiasme, toute saturée d'illusions. Nous croyons devoir la citer m extenso :

Adresse de- l'assemblée centrale de résistance a l'oppres- sion DES députés des COMMUNES ET ASSEMBLÉE PRIMAIRES DES DEPARTEMENTS RÉUNIS. SEANT A CABN ET ENVOl'ÉES AUX CITOYENS COMPOSANT l'asSEMBLÉE DU DÉPARTEMENT DE RHONE- BT-LOIRE.

Frères et Amis,

Au premier cri de la liberté menacée par de nouveaux tyrans, les Bretons se sont levés dans leurs communes, dans leurs assemblées primaires, ils ont nommé des députés pour former à Rennes un comité central. L'ancienne Neustrie pre- nait simultanément les mêmes mesures et bientôt les familles armées se sont rapprochées et les différents comités se sont confondus en une seule autorité centrale de résistance à Top- pression, séant à Caen. nous avons pris les plus grandes résolutions pour maintenir Tunité et l'indivisibilité de la répu- blique et sauver la patrie des mains des scélérats. Nous avons suspendu le cours de la fortune publique qui s'écoulait dans leurs mains avides ; nous avons arrêté les insolents proconsuls qui infectaient et gangrenaient nos contrées. Nous avons orga- nisé et dirigé les forces départementales que le peuple lui- même précipite vers cette montagne fatale dont les laves auraient bientôt stérilisé notre sol, si nous ne nous hâtions d'en éteindre le volcan.

Six mille hommes sont en mouvement et marchent au secours de Paris contre Tanarchie. Ils sont indivisibles, car ils com- battent pour la liberté, Tunité et l'indivisibilité de laRépublique ; ils sont indivisibles, car ils sont l'élite de nos départements, en état de délibérer comme de combattre, ils sont indivisibles, car

i. Gonon, Bihliogr. de Lyon^ pièce 1295.

l'arrivée de PRÉCY a LYON 151

ils ont Famour pur de Tordre des lois et le sentiment de toutes les vertus républicaines, ils sont indivisibles enfin, car Félix Wimpffen,le héros de Thionville, les commande.

Frères et amis ne perdez pas un instant, le temps presse, les scélérats ne dorment pas, déjà Tavant-garde de nos fédérés est à Evreux, à vingt-cinq lieues de Paris, les bataillons du Calvados et d'Ile-et-Vilaine y seront le 8 de ce mois, celui du Morbihan le 10, celui du Finistère le 14, la Mayenne et plu- sieurs autres sont en marche, et, du 20 au 25, tous seront sous les murs de Paris, aucun obstacle, aucun événement ne peut ralentir ni entraver leur marche. Nos frères de Paris attendent leurs frères du Midi, pour partager et leurs travaux et leurs succès, hâtez-vous, ils vous donnent rendez-vous sur la place du Carrousel. Hâtez-vous, nos frères de Paris nous implorent et nous tendent les bras, 3 ou 4.000 scélérats tout au plus les oppriment et les vainqueurs des Tuileries n'ontqu'à se montrer pour faire fuir les lâches anarchistes dont toute la force est dans la corruption.

Depuis longtemps nous tentons tous les moyens de corres- pondre avec vous, de vous communiquer nos pensées, nos sentiments, nos mesures ; nosefTorts ont été vains, les tyransont des yeux d'Argus ; si cette lettre et la déclaration qui raccompagne vous parviennent, au nom du Salut public, au nom de la Patrie, au nom de tout ce que nous avons de plus sacré, nous vous conju- rons d'en faire circuler des exemplaires jusqu'à Textrémité Midi, de les répandre dans tous les lieux les lois, la patrie et la vertu comptent quelques amis. Nous vous conjurons aussi d'employer tous les moyens imaginables pour nous faire con- naître vos dispositions surtout la marche et la route de vos fédérés, afin que nous coordonnions nos mesures aux vôtres.

N'épargnez ni peines, ni soins, ni dépenses, quand nos enne- mis dilapident des millions parjour pour nous anéantir, donnons sans compter quelques mille livres pour sauver le peuple fran- çais. Adieu, précipitez votre marche, concertez-la sur la nôtre, entrons ensemble dans les murs de Paris, nous y consacrerons Tunité de la République, nous y délivrerons nos frères oppressés, nous y sauverons la Patrie ou nous y périrons avec elle.

Signé : L.-J. Ronjoux, Louis Caill,

Président. Secrétaire'.

1. Journal de Lyon^ numéro du 17 juillet.

152 l'insurrection de lyon en 1793

Les forces militaires de tons les départements insultés contre la Convention devaient se centraliser sous la direc- tion de trois commissions, à Bourges, à Caen et à Lyon*.

Précy, qui ne partageait pas ces espérances, mais qui désirait gagner la confiance des corps administratifs et celle de la population, proposa que le comité militaire s'adjoignit quatre nouveaux membres : deux seraient nommés par la Commission, un par la municipalité, un autre par le district. Le projet fut adopté, mais en réa- lité, le comité garda la même composition sous la prési- dence du général.

i. Vallès, dans ses Réflexions historiques (p. 23), dit qu*à la date du 19 juillet tout le monde avait la certitude de Tadhésion des 65 départe- ments (il veut dire 66).

CHAPITRE X

LINITIATIVE DU NOUVEAU GÉNÉRAL LES FORTIFICATIONS DU COLONEL DE CHÊNELETTE

Les députés de Marseille avaient demandé, dès le 45 juillet, Texécution de Tarrôtéde la Commission dépar- tementale ordonnant qu*un détachement de Tarmée lyonnaise serait envoyé au devant des troupes marseil- laises K La Commission, dans sa séance du 17 et sous la présidence de Rambaud, avait également décidé qu'une colonne ou plutôt comme on disait alors « une force armée » composée de 1.732 soldats-citoyens serait char- gée de proléger l'arrivée des subsistances pour Lyon, entra- vée par les administrateurs deSaône-et-Loire tout dévoués à la Convention-. Ces deux arrêtés ne devaient pas rece- voir d'exécution, Lyon allait subir Tisolement et renon- cer à secourir ses alliés.

Dans la séance de la matinée du 18 juillet, le général Précy faisait son entrée avec son état-major; il présentait h la Commission départementale les officiers qui le com- posaient et qui prêtaient à leur tour les serments obliga- toires de maintenir la liberté, régalilé, l'unité et l'indi- visibilité de la République, l'intégralité et Tinviolabilité de la Convention nationale '^, Ces ofiiciers déclarèrent se nommer : Louis-Joseph Julien adjudant-général, Melchior Durand et Barthélémy Ferrus-Plantigny, aides de camp ;

!. Journal de Lyon, numéro du mercredi 17 juillet 1793.

2. Gonon^ Bibliographie historique de L>/on^ pièce 1301.

3. Journal de Lyon, du dimanche 21 juillet 1793.

154 l'insurrection de lyon en 1793

Jean Vallès, commissaire des guerres ; Grandval, général de brigade ; Gabriel Julien, adjudant-général; Souletle, colo- nel ; Gingenne, lieutenant-colonel ; Garidel et Gallet adju- dants-majors ; Jean- André Faure, aide de camp du général Grandval, Louis Griffet, ingénieur militaire*. Cet état- major devait être très augmenté dans la suite et fractionné en un certain nombre de commandements particuliers.

Le général Grandval qui était, en réalité, le chevalier de Grandval, ancien capitaine au régiment de Bourgogne S l'adjudant-général Julien (Louis-Joseph), ancien lieutenant au régiment de Lorraine et Taide de camp Plantigny, ex- sous-lieutenant au régiment de Guyenne '*, avaient servi comme officiers dans Tarmée royale mais tous les autres membres de l'état-major, sauf Gingenne, ex-sous-officier, étaient des militaires improvisés*^.

Beaucoup d'anciens officiers, pleins d'expérience et en- core vigoureux que nous verrons plus tard s'imposer et prendre une part importante dans les opérations de la défense, gardaient d'eux-mêmes une attitude réservée, attendant l'occasion d'une entrevue avec Précy pour lui offrir leur concours.

Un membre du Comité militaire présente au nom de ses collègues « un projet de tarif des appointements et solde de la force départementale de Rhône-et-Loire » qu'il nous semble intéressant de reproduire :

KTAT-MAJOR GENERAL

Livres.

1 Général en chef 25.000

Pour équipement 8.000

1 (lénéral de bri^'ade, commandant en second. . . . 1*2.000

3 Généraux de brigade 18.000

1 Adjudant-major général 6 . 000

4 Adjudants-généraux 16.000

1. Archives nationales, carton AF-i, 339-3 U. 43.

2. Vallès, Réflexions historiques, p. 2i.

3. Ils exerçaient, avant le siège, des professions aussi modestes que paci- fiques : Galet était chapelier, Soûlette, né^'oriant. D'autres avaient déjà

l'initiative du nouveau général 155

Livres.

8 aides de camp :

1 de la première classe à 3.000

2 de la deuxième classe à 4.000

5 de la troisième classe à 7. 500

1 Chef d artillerie 4.000

2 Adjoints 4.000

1 Commissaire des guerres 4.000

1 Adjoint 2.400

2 Écrivains 2.700

2 Chirurgiens majors de Tarmée 6.000

Bureau du général 3 . 000

Bureau de Tétat-major général 3. 000

Total 128.600

Il sera fait un règlement particulier pour les fourrages à fournir à Tétat-major général.

CAVALERIE

Livres.

1 Colonel 4.000

2 Lieutenants-colonels 6.000

\ Quartier-maître trésorier 2. 400

1 Adjudant-major 2.000

\ Adjudant sous-officier à 3 livres par jour 1 .095

4 Capitaines à 2.000 livres chaque 8.000

4 Lieutenants à 1.500 6.000

4Sous-Lieut. à 1.200 4.800

4 Maréchaux des Logis en chef à 3 I. par jour. . . 4.380

8 Maréchaux des logis en à 2 livres 10 sols. . . 7.300

16 Brigadiers à 2 livres 1 1 . 680

160 Cavaliers à i livre 10 sols 87.600

4 Trompettes à 1 livre 15 sols 2.555

Total 147.810

Il sera retenu sur la solde des sous-officiers et des soldats, une somme de 5 livres par jour pour la chaussure, dont le décompte en sera fait, le premier de chaque mois, à ceux qui

«

pris part à la guerre civile. MM. Julien venaient du Vivarais et avaient figurer dans les échaufTourées du camp de Jalès. Vallès déclare ne pas se rappeler ces deux ofGciers, dont Tun fut cependant condamna' comme adju- dant-général des « rebelles » et fusillé.

156 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

auront justifié, à la revue d'inspection, qu'ils sont pourvus de souliers.

Nota. Il faudra {raiter : !• avec un maréchal expert, pour la ferrure et les médicaments ; â° avec un maître sellier, pour Tentretien des harnais et pour la sellerie.

INFANTERIE

Lirres. SoU.

8 Colonels à 4.000 32.000

22 Lieutenants-Colonels à 3.900 66.000

17 Adjudants-majors à 2.000 34.000

i l Quartiers-maîtres trésoriers à 2.400 26.400

H Chirurgiens-majors à 1.200 13.200

11 Tambours-maîtres à 3 livres par jour 12.045

5 Armuriers à 1 livre 10 sols 2.737,10

160 Capitaines à 2.000 320.000

160 Lieutenants à 1.500 240.000

160 Sous-lieutenants à 1 .200 192.000

22 Adjudants sous-officiers à 3 livres par jour . . . 24.090

160 Sergents-majors à 3 livres par jour 175.200

320 Sergents ordinaires à 2 livres 10 sols 292.000

640 Caporaux à 2 livres 467.200

7.680 Grenadiers, canonniers, chasseurs et fusiliers

à i livre 10 sols 4.204.800

320 Tambours à 1 livre 14 sols 198. 560

Total 6.300.232,10

Il sera retenu sur la solde des sous-officiers, etc. (comme pour la cavalerie).

Les officiers supérieurs jouiront en outre d'une ration de fourratre par jour en justifiant qu'ils sont montés. La ration de fourrage sera composée de 10 livres de foin, 10 livres de paille, poids de marc, et un tiers de boisseau d'avoine, mesure de Paris.

Récapitulation :

Livre* .

État-major général 128.600

Cavalerie. 147.810

Infanterie 6.300.332,10

Total général 6.576.642,10

l'initiative du nouveau général 157

La ComaiLssioii départementale adopta ce projet de tarif, qui d'ailleurs devait subir des réductions sur les effectifs et ordonna qu'il serait imprimé, envoyé à toutes les sections, publié et affiché ^

On apprenait avec tristesse que la municipalité de Mâcon, soutenue par la population très exaltée au point de vue révolutionnaire, avait décidément rétenu les approvisionnements de blé que la Commission départe- mentale de Rhône-et-Loîre faisait venir par le cours supérieur de la Saône -.

Malgré certaines réclamations des sections, le général de Précy fut autorisé à maintenir son quartier général dans la maison des « Dames de Saint-Pierre*^ », Il cherchait toujours à attirer dans son état-major de véritables mili- taires sans se préoccuper de leurs opinions politiques, mais la Commission populaire toute-puissante rengageait à n'accepter que des républicains avérés, or beaucoup de ceux-ci préféraient pérorer dans les sections que de s'assujettir à la discipline, surtout quand il s'agissait d'obéir à c un ci-devant ». Ce fut donc en secret que le comte de Virieu, l'ancien colonel du régiment de Limousin, vint voir le général*. Précy prévint la Commission de son entière confiance dans les qualités militaires de Virieu, ajoutant qu'il entendait le voir et le consulter à sa guise. On les vit sortir ensemble et même se rendre dans la maison habitait la famille de Virieu '\

Cadres et soldats continuaient à faire défaut pour

1. Commission populaire, républicaine et de Salut public de Rhône-et- Loire. Séance du 17 juillet 1793.

2. La municipalité de Màcon, surTiniliative des représentants Reverchon et Laporte, avalent requis la garde nationale pour repousser par la force toute tentative des Lyonnais.

3. Vallès, Béflexiofis historiques, p. 22.

4. Marquis Costa de Beaiiregard, Roman iVun royaliste sous la Re'vofu- lion^ Souvenirs du comte de Virieu, p. 326.

5. Id.

158 l'insurrection de lyon en 1793

Tarmée dcpartementalc à organiser, le général lança la proclamation suivante^ :

RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE

RESISTANCE A L OPPRESSION REPRESENTATION NATIONALE. LIBRE ET ENTIÈRE

Le général Perrin-Précy atix sections de Lyon

«

Citoyens,

En acceptant le poste honorable auquel le peuple du dépar- tement de Rhône-et-Loire m'a élevé, j'ai cru lui donner une preuve de mon entière confiance en son patriotisme et en ses vertus, j'ai compté sur un zèle sans bornes pour le salut de la République.

Citoyens, je vais vous parler au nom de la Patrie, pour vos intérêts les plus chers : il ne s'agit plus de délibérer, il faut agir.

11 faut des hommes, il faut une armée, vous avez dans vos murs une foule de bons citoyens, une jeunesse pleine de valeur, mais des hommes voués à leurs affaires domestiques ne peuvent suffire pour votre défense, des sections qui délibèrent ne sont pas une armée.

Citoyens, on vous a demandé d'ouvrir des registres d'ins- cription. Pour compléter cette armée, j*aime à croire que vous n'avez pas été instruits, si le rôle n'est pas déjà rempli, je serais douloureusement surpris de ce retard. Citoyens, développez votre caractère du 29 mai, songez que la République entière a les yeux fixés sur vous, songez que nos ennemis ne veulent que le pillage et la mort. C'est votre vie, c'est celle de vos femmes et de vos enfants que vous avez à défendre, c'est le salut de la France qui esten vos mains. Montrez-vous, prenez l'attitude qui convient à vos forces et votre cité et la République seront sauvées.

Citoyens, mon devoir est de braver la mort à chaque instant pour votre défense, le vôtre est de me seconder.

1. Archives municipales de la ville de Lyon.

l'initiative du nouveau général 159

Instruisez-moi dès demain du nombre des inscriptions. Je suis convaincu qu'elles excéderont les demandes que vous fait la Patrie ; je m'abstiens de vous parler des moyens que la con- fiance même dont vous m'avez honoré, votre sûreté et celle de la chose publique me prescriront à prendre...

J'ai l'honneur de vous prévenir encore qu'il est décidé de

faire des redoutes autour de la ville pour la mettre en état de

défense. Ces travaux sont très urgents : je ne doute pas que tous

les citoyens ne s'empressent d'y concourir. Hâtez-vous, je vous

en conjure, montrez-vous avec l'énergie qui convient à des

hommes libres. Une coupable inertie vous conduirait à votre

perte, à Tesclavage. Le développement de vos moyens, votre

courage vous assureront le triomphe de la Liberté. 11 n'y a pas à

balancer.

Le 11) juillet, Tan II de la République K

Pendant que Précy songeait à organiser la résistance, l'inquiétude gagnait la Commission départementale jus- qu'alors si optimiste. Dans la séance du vendredi soir 19 juillet, plusieurs membres en proie à un véritable effarement proposaient des mesures aussi violentes qu'inutiles ou irréalisables. L'un d'eux s'écriait : « Nous sommes cernés de toutes parts par nos ennemis. Je vois avec douleur que Ton ne prend aucune mesure. Il en est une instante : le désarmement des gens suspects !... Un ami in- time m'annonce que l'attaque doit se faire par le pont du Rhône. » Un autre proposait à la Commission de demander la mise sur pied dans les vingt-quatre heures de la force départementale (tout entière à créer) et de faire remplir les caisses publiques de gré ou de force ou d'exiger la démis- sion de la Commission. Un troisième voulait faire donner l'alarme dans tout le département, exiger le rassemble- ment en armes des contingents dans chacun des districts, d'ordonner une souscription publique de 3 millions^ etc.

1. CeUe proclamation que nous avons retrouvée aux Archives munici- pales de Lyon ne porte pas la signature du «jùnéral. mais celle d'un scribe avec cette formule peu militaire : « Par mandement du général » : GcxBL, secrétaire.

160 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

La majorité subit ces impressions^ et adopta Tensemble des propositions*.

Le lendemain on admettait en séance le commandant d'un bataillon des Cotes Maritimes en garnison à Vienne, qui déclarait avoir reçu Tordre de marcher sur Lyon et qui voulait se rendre compte de 1 état des esprits dans « cette ville rebelle ». Les membres de la Commission lui firent le meilleur accueil, lui affirmèrent qu'ils étaient dévoués à la République et à la Convention. Le chef de bataillon se déclara convaincu de la sincérité de ces sen- timents: « On lui avait dépeint, disait-il, la ville de Lyon comme insurgée en faveur de Louis XVII, il allait ' tirer d erreur son bataillon. » Les autorités lyonnaises pleines de confiance le laissèrent partir, c'était peut-être un espion de Dubois-Crancé.

Sur le rapport du Comité des Finances, la subvention patriotique fut définitivement fixée h 3 millions pour la ville de Lyon, onze commissaires devaient présider dans^ chaque section à la répartition. Tous les citoyens dont les revenus n'atteignaient pas 3.(X)0 livres étaient exemp- tés de la souscription obligatoire ^.

La suspicion, la délation s'infiltraient tous les jours dans la Commission départementale et dans la municipa- lité, on commençait à jalouser l'état-raajor de Précy encore bien peu nombreux. Dans les sections, les anciens amis de Chalier prétendaient que le nouveau général s'entourait d'aristocrates, d'émigrés, de chouans ou de Vendéens déguisés par de faux noms pour organiser dans toute la France une vaste contre-révolution.

Aussi la municipalité subissant toutes ces influences

1. L'n des officiers de l'état-inijor Je Précy, l'adjudant-géntM-al Julien soutint avec véhémence diverses propositions, entr'autres, celles de dé- sarmer les ^ens suspects. On ne savait au juste si Ion désignait les Jaco- bins partisans de l'ancienne municipalité ou les royalistes qui se cachaient dans Lyon.

2. Journal de Lyon^ numéro du 23 juillet 1793. .{. Journal de Lyon^ même numéro.

L INITIATIVE DU NOUVEAU GÉNÉHAL 161

malsaines, prit-elle un arrêté tendant à exiger des certi- ficats de civisme pour les officiers qui composaient Fétat-major de la force départementale. Cet arrêté était motivé sur le fait qu'il y avait au moins tm émigré dans Tétat-major.

A la séance du 20 juillet la Commission départementale avait se prononcer sur l'opportunité de cette mesure à laquelle les sections attachaient une grande importance.

Biroteau l'approuva hautement : « Ne cherchez pas à vous isoler des autres départements et vous le seriez bien- tôt si on voyait à la tête de vos forces départementales des aristocrates et des émigrés. V^otre révolution n'est pas en faveur l'aristocratie, n'ayez donc à la tête de votre armée que des patriotes ! » Un député marseillais qui devait être, au fond, sympathique aux émigrés, com- battit l'opinion de Biroteau, non sans habileté : « Pour- quoi exiger un certificat qui semblera une formalité et servira à vous calomnier? On dira que vous avez pris le masque du patriotisme et que vous avez donné des certi- ficats de civisme à des émigrés \ »

I^ Commission départementale, partageant cette ma- nière de voir, décida à l'unanimité de passer à l'ordre du jour, par conséquent de ne pas exiger le certificat de civisme mais, par une contradiction uniquement inspirée par la peur de ne plus paraître assez républicaine, elle enjoignit aux corps administratifs de mettre à l'exécution les décrets sur les émigrés*.

En apprenant cette décision si rigoureuse et si mena- çante puisqu'il s'agissait d'appliquer aux émigrés la peine de mort, ceux qui se cachaient encore dans les innombrables retraites de la ville et des faubourgs n'osèrent point se présenter dans les bureaux d'enrôle- ment de la force départementale. Beaucoup auraient fait connaître leurs anciens grades et en auraient été de nou-

1. Journal de Lyon, numéro du mardi 23 juUIet 1793.

2. Journal de Lyon, même numéro.

11

162 l'insurrection de lyon en 1793

veau inveslîs dans les bataillons qui se réorganisaient. Ils attendirent que ce vent de proscription s'apaisât et quand ils se firent inscrire dans les troupes de sortie ou môme dans la garde nationale sédentaire, la plupart des places d'officiers avaient été données à de bons bourgeois, pleins de bonne volonté, parfois même de courage, mais sans instruction militaire; ce fut une des causes de la faiblesse de défense.

Selon son habitude, Précy n'assistait pas à la séance, il n'y était représenté que par un de ses adjudants-généraux de confiance, Gabriel Julien, qui n'osa pas ou ne crut pas devoir protester en faveur des émigrés, mais il en prévint son général qui dut tenir compte de Tétat des esprits de l'Assemblée.

C'est alors que, d'après un témoignage contemporain non suspect*, Précy, le combattant du 10 aoiU, le vieux royaliste, dut repousser le concours de deux de ses anciens compagnons d'armes. « Deux hommes d'un ûge mur se présentèrent au quartier général de la maison de Saint-Pierre, ils se disent frères, officiers émigrés et por- tant le nom de Saint-Julien^. » Tel était bien leur véri- table nom, MM. de Saint-Julien, avant leur émigration, servaient comme lieutenants au môme régiment que M. de Tessonnet, l'un des auteurs de la tentative de coup de main militaire sur Lyon en 1792^. Le prince de Condé, auquel ces officiers avaient été recommandés par son aide de camp-*, les envoyait à Lyon en éclaireurs, « en voltigeurs^ >», comme on disait alors. Précy les reçut avec cordialité, leur promit de les employer à son état-major mais en fit demander l'autorisation à la Commission départemen- tale. Celle-ci, toujours inquiète et sans initiative, sollicita

1. Vallès, Héflêxions historiques, p. 25.

2. Ici.

3. Voir ce que nous avons dit à ce sujet, chapitre i. p. T, note 2.

4. Le clievalior de Tessonnet.

5. « Mais ce (|ut est vrai, c'est qu'ils sont venus au quartier général de Saint-Pierre, et que j'ai assisté à la conférence. » (Vallès, p. 26.)

L INITIATIVE DU NOUVEAU GÉNÉRAI. 163

Tavis des sections qui délibérèrent en secret et refusèrent de consentir à la demande de Précy.

Le titre d^ancien « émigré» paraissait aux républicains des sections une tare indélébile ^ Le général de Précy n*osa pas passer outre, mais dès lors il s'abstint le plus souvent de demander à la Commission ou à la munici- palité, la ratification des nominations militaires qu'il faisait, engageant les anciens émign^s employés dans son état-major ou dans les troupes à dissimuler leur émigra- tion.

Pour éviter qu'on ne découvrit ce dangereux secret, beaucoup cachèrent leurs véritables noms. Quelques-uns même se fabriquèrent un faux état-civil avec la complai- sance des employés dos bureaux de district ou s'abritèrent derrière un passeport plus ou moins maculé, gratté, sur- chargé. D'autres se bornèrent à donner dans les sections un nom patronymique oublié, un nom de baptême, par- fois même quelque nom d'invention. Douloureuse époque les opprimés ne pouvaient former entre eux, sans recourir h une humiliante dissimulation, larméc de la résistance !

Qu'avaient-ils donc à se reprocher ? Pour la plupart l'émigration avait été imposée par l'obligation de sauver leur existence ou celle de leur famille. Que de misères, que de dangers, que d'affronts n'avaient-ils pas supportés déjà sur le sol de l'étranger toujours hostile ! Et quand ils revenaient sur la terre de la Patrie, attirés par les protestations d'autres opprimés, il leur fallait encore cacher ce qu'ils avaient fait, ce qu'ils étaient...

Depuis un demi-siècle, pour la dignité de leur mémoire,

1. « Pourquoi n*employa-t-il pas MM. de Saint-Julien? Parce que tout se faisait d'accord avec rautorité civile, et que le temps n'était pas encore arrivé d'agir iiiditrêremment. Pourquoi la Commission fit-elle délibérer les sections dans celte circonstance ? Parce qu'elle n'osait pas s'opposer ouvertement aux désirs du général, et parce que, s'agissant d'émigrés, elle voulait annoncer publiquement que nous n'avions pas de ces braves parmi nous. » (Vallès, Réflexions historiques^ p. 26.)

164 l'insurrection de lyon en 1793

les masques sont tombées et les vrais noms de ces intré- pides défenseurs de Lyon, de ces officiers instruits et énergiques ont été presque tous recueillis par l'Histoire.

La Commission départementale subissait d'ailleurs toutes les fluctuations, toutes les divisions d'une Conven- tion au petit pied. M. de Gueriot de Rué, le brave officier chef du service de Tartillerie à l'Arsenal de Lyon, au moment de la bataille des rues, et qui jouissait de l'es- time générale, venait de recevoir, par un émissaire de Dubois-Crancé l'ordre de rallier le quartier-général de l'armée des Alpes et de se mettre à la disposition du général Kellermann. Après beaucoup d'hésitations, les corps administratifs ne firent aucune démarche pour le retenir.

Un autre officier d'artillerie, le chef de bataillon Gaf- fendi, commandant du détachement des canonniers de ligne en garnison à Lyon, demanda à la Commission dé- partementale l'autorisation de se rendre h l'armée d'Italie l'appelaient les ordres du Ministre de la Guerre.

Contrairement à ce qui s'était passé pour Gueriot, cette demande fut mal accueillie, des membres du Comité de sûreté accusèrent Gaffendi d'avoir fait sortir une quantité énorme de sabres, 2.000, affirmait-on K Gaiïendi interrogé ne nia pas mais déclara qu'il avait obéi h un ordre de la Commission signé Marduel. Cette raison ne parut pas suffisante, on prononça un blâme contre Marduel pour avoir outrepassé ses droits, mais il ne fut l'objet d'aucune mesure de rigueur tandis que Gaffendi fut arrêté et en- fermé au château de Picrrescize. Un juge de paix- vint perquisitionner chez le chef de bataillon, il n'y trouva que quelques pièces de correspondance officielle avec les représentants en mission à l'armée des Alpes et avec le ministre Bouchottea.

i. Journal de Lyon, numéro du mardi 23 juillet 1793.

2. Celui du canton dit de l'hôtel commun.

3. Journal de Lyon, numéro du mardi 23 juillet 1793.

l'initiative nu nouveau général 165

Précy fut invité, non pas à s'expliquer sur Tincident auquel on le savait étranger, mais à rendre compte des mesures militaires prises pour la sûreté de la ville ^

Le général communiqua, pour le recrutement de Tarmée départementale, un résultat, dont il ne fallait pas exagé- rer rimportance mais qui élait tout à Thonneur de la jeu- nesse lyonnaise. L'état-major avait envoyé une réquisition au bataillon de la rue Tupin, le samedi 20 juillet à onze heures du matin, pour la formation d'une compagnie de chasseurs, composée de jeunes gens lestes et accoutumés à la manœuvre. Les tambours du bataillon avaient battu sur le territoire do la section, la foule était accourue, 80 jeunes gens s'étaient présentés et, à deux heures, le général de Précy les passait en revue aux acclamations des assistants'^.

La Commission départementale félicita Précy et lui demanda quels étaient les eiïectifs actuels. Le général répondit qu'au moment de sa prise de commandement, il avait trouvé 29 bataillons de garde nationale d'effectifs très inégaux à 4 compagnies chacun -^ il les avait réduits à 20 bataillons, composés chacun d'une compagnie de grenadiers, une de chasseurs et deux de fusiliers''. D'après son plan d'organisation, seules les compagnies dites d'élite, c'est-k-dire celles de grenadiers et de chasseurs, devaient être soldées, casernées et constamment à la disposition du service des avant-postes ou des sorties'.

Les compagnies de fusiliers, dites « du centre » de- vaient assurer la police militaire dans la place et n'être employées qu'en cas d'extrême urgence. Les grenadiers et les chasseurs se recruteraient uniquement par voie d'enrôlement volontaire. Avec l'artillerie et la cavalerie en voie d'organisation, ils constitueraient l'armée dépar-

i. Journal de L'jon, numéro du 23 juillet 1793.

2. Id.

3. Seul le 29* bataillon, celui de la Guillotière avait dix-neufcompagnies.

4. Passeron, Mémoires d'un pauvre diable^ p. 7. h. Id.

i66 l'iihsurrection de lyon en 1793

temenUle dont était prévu TeiTectif total, d'après les crédits votés par la Commission départementale, àl 1.000 hommes. En réalité ces troupes ne devaient jamais fournir plus de 5.600 combattants K

Avec des forces aussi réduites la question des fortifica- tions avait une importance capitale. Lyon n'en était pas démuni et d'ailleurs sa situation naturelle facilitait la défense.

La jonction du Rhône et de la Saône divisait Thorizon en trois vastes secteurs et nécessitait pour Tin vestissement la présence simultanée de trois groupes d*attaque^. Celui que nous appellerons le premier secteur ou secteur Vaise- Fourvières dominait la ville à TOuest, par le plateau et le versant de la montagne de Fourvières, dont la base au Nord et à TEst est baignée par la Saône.

Le second secteur, ou secteur de la Croix-Rousse, au Nord de la ville, était dominé par plateau de la Croix- Rousse ; séparé du premier par la Saône, il s'étendait jusqu'à la rive droite du Rhône. Un faubourg peu étendu et flanqué, au Nord et à TEst, de nombreuses habitations isolées se prêtait, en utilisant le terrain, à la disposition d'un service d'avant-postes qui couvrait bien la ville et gardait ses communications avec le Bngey et la Bresse.

Enfin le troisième secteur ou secteur Perrache, formé par la ville et une plaine marécageuse, de forme allongée entre le Rhône et la Saône, se trouvait naturellement défendu par les deux cours d'eau qui se réunissaient au Sud, au pont de la Mulatière. La situation découverte per- mettrait à des batteries de pièces à longue portée de dé- fendre cette enceinte naturelle.

La partie la plus vulnérable restait évidemment le second secteur. Une ligne de fortifications régulières.

1. Ï^Asseron, M('}H(tires tTun jniuvie (liahle.

2. Ces idées sont magistralement exposées par le lieiitenant-colonel Bichot dans son ôtude sur le Siège fie Lifon qui a paru dans le Spectateur mililnire en IS.'ili.

l'imtiativk du nouveau général 167

devenues surannées et consistant en bastions, courtilles, tenailles, contre-gardes et fossés avait été construite par le travers de la croupe Sud du plateau de la Croix-Rousse, elle s'appuyait à la rive droite du Rhône par le contrefort des Collinettes et la porte Saint-Clair et h la rive gauche de la Saône par la porte de Serin.

Au Nord, le massif du Mont-d*Or commandait la vallée de la Saône, en se reliant aux approches de la ville parles contre-forts de Roche-Cardon et de la Uuchère, pays d'un accès difficile, coupé dans sa plus grande partie de bois, de chemins, de carrières, de murs en pisé et de haies S c'était la direction delà fertile Bourgogne et deMûcon, la petite ville jalouse de la riche cité sa voisine.

A rOuest, dans Tenceinte du premier secteur, la colline de Fourvîères se reliait par le col de Saint-lrénée à la col- line de Sainte-Foy située au Sud-Ouest de la ville ; elle do- minait la Saône de 15<3 mètres. Une enceinte de hautes et vieilles murailles à créneaux et à tourelles bâties par Charles V en 1364-, allait jusqu'aux bords de la Saône, au Nord-Ouest, par le Château de Pierrescize et la porte deVaise au Sud-Ouest, par la porte Saint-George.

Les faubourgs de Vaise au Nord-Ouest et Saint-lrénée '\ h rOuest, déjà très populeux* restaient en dehors de l'en- ceinte, ainsi que le village de Sainte-Foy, beaucoup plus éloigné, au Sud. De nombreuses habitations y avaient été bâties et étaient occupées par de riches bourgeois de Lyon.

Les deux rives de la Saône étaient mises en communi- cation par cinq ponts : le pont Saint-Vincent, à l'empla- cement actuel de celui qui porte ce nom, le pont dit de pierre, l'ancien pont de change, le pont de l'Evôché,

1. Histoire de (^otnmiiue-A /franchie recueillie dans les conserva I unis iC un siddnt du sièye. (Extrait du journal la Province, Lyon, 1843.)

2. Lieutenant-colonel Hichot, le i>iè(fe de Lf/on^ p. 10.

3. On rappelait habituellement le bourg Saint-lrénée. Conversations précitées ffun soldat du sièf/e.

4. Colonel Hichot, le !<ièf/e de Li/on, p. 11.

H>ji l/lNSUKUKCTION DE LYON EN 1793

oa faw Je la cathédrale, le pont cl'Esrtay, et enfin le pont Uc U Mulatière, à la pointe de la presqulle, au confluent Uu l{h(^ne et de la Saône.

A TKst^ le Rhône, traversé par les deux ponts Morand et de la Guillotière, formait la seule défense ; un quai superbe le bordait depuis la porte Saint-Clair, dans Tenceinte de la Croix-Rousse, jusqu'à Textrémité de Perrache. Le faubourg de la Guillotière et celui des Brotteaux devaient subir Toccupation de Tennemi et devenir ainsi un dangereux voisinage.

Le terrain restait découvert entre les deux ponts, il devenait très bourbeux entre la chaussée de Perrache et la Saône. Une gare de bateaux, demi-circulaire le long de la limite de la ville avec le territoire de Perrache, servait à la communication des deux canaux ; il y avait encore une défense utilisable.

La tâche ardue de rectifier le système de fortification avait échu, dès les premières menaces de la Convention et avant l'arrivée de Précy, à M. Agnel de Chônelette, qui se révéla un ingénieur militaire de la plus grande valeur.

Les Brotteaux étaient alors une vaste campagne semée de plaisance de maisons et de cabarets fort achalandés, au milieu de jardins et de bosquets. On y arrivait par le pont Morand, que commandait une redoute avec batterie et terre-plein. Sur le cours Morand, un poste était établi à la maison BerMer et surveillait, derrière cette maison, une vaste plaine jusqu'à la ferme de la Têle-d'Or, 11 eut été plus sage de raser la maison Berlier et la THe-cVOr^ et de garder un champ de tir bien découvert pour les batteries de la tête de pont et pour celles du quai du Rhône (terrasse Tholozan, terrasse des Collinettes, redoute des Bernardines, etc.).

En face du pont Morand, une grande auberge, appelée

1. J.-B.-M. Noihac, Souvenirs de la Bévoluiion à Lyon, p. 175.

2. 1(1., p. 176.

l/lMTIATIVE DU NOUVEAU GENÉltAL 169

hôtel de la Vengeance^ fermait le cours Morand*, elle fut désignée pour servir de quartier général aux troupes' des Brotteaux. Derrière Tauberge, à droite et à gauche, il y avait encore quelques maisons avec des jardins. Dans le groupe de droite, était la loge des francs-maçons; on y établit une redoute. Enfin, sur la droite, quelques autres maisons, dont la plus importante, la maison Neyral'^ servait aussi de poste fortifié.

A moins d'une demi-lieue et parallèlement aux Brot- teaux, les premières maisons de la Guillotière touchaient la rive gauche du Rhône. Le faubourg était accessible de tous les côtés, il fut donc décidé que Ton se bornerait à fermer l'accès de la ville en démolissant le parapet qui bordait le pont et en rétablissant le pont-levis placé k la moitié de sa longueur. Ce pont-levis fut complété, face à la Guillotière, par une grande guérite, garnie de meur- trières, mais dans laquelle on ne pouvait pas placer plus d'une vingtaine d'hommes'. Un tel ouvrage ne présen- tait d'ailleurs aucune sécurité et, d'après un témoin ocu- laire*, il devint un des postes les plus périlleux de la place. Le faubourg restait donc à la disposition de l'en- nemi, qui devait établir ses batteries à une ferme dite de la Part-Dieu^ entre la Guillotière et les Brotteaux, de même qu'il devait donner la même destination à la ferme de la Téte-cPOr, entre les Brotteaux et le Rhône.

Dès le début de ses travaux, M. de ChAnelette avait reçu de la Commission départementale une nouvelle commission de lieutenant-colonel d'artillerie ; on lui avait adjoint, sur sa demande, deux jeunes gens intelli- gents et zélés, M. de Gouffieux, architecte de Roanne, et M. Bosquillon, élève des Ponts et Chaussées. Un ingé- nieur, M. Griffetde Lobeaume, alternait le service des forti- fications avec les fonctions d'aid e de camp du général enchef .

1. J.-B.-M. iNolhac, p. 176.

2. Nolhac, l'auteur des Souvenirs de la Révolution à Lyon^ a fait partie de la défense comme simple chasseur à pied.

170 l/lNSURHECTION DE LYON EN 1793

Investi de pleins pouvoirs par la Commission, jouissant en outre de la confiance qu'inspiraient sa réputation militaire et son caractère dans une ville sa famille était de longue date si honorablement connue, le lieute- nant-colonel de Chônelette avait su grouper, sans avoir recours au Comité militaire, de nombreux habitants de Lyon pour les faire travailler aux retranchements. Sous son active direction, des redoutes s^élevaient de toutes parts. L'une,' la plus importante et la première en date, à laquelle les travailleurs avaient donné de suite le nom de redoute Chônelette, défendait la tête du pont Morand* Une partie était en pierre de taille, une autre en pisé formant terrasse et protégée par des fascines solidement reliées.

Du côté des Brotteaux, les jardins des maisons de cam- pagne étaient coupés de fossés, hérissés d'épaulements, les murs crénelés ou percés de meurtrières. Des terre- pleins de batteries, qui n'attendaient plus que leurs canons, garnissaient le quai du Rhône. Une redoute dé- fendait le pont de la Mulatière, une autre celui d'OuUins.

Au Nord-Ouest, le faubourg de Vaise était protégé en avant par des ouvrages et se reliait par des redoutes au cimetière de Loyjasse, à Fourviùres, à Sainte-Foy et à Oullins.

L'endroit que nous avons signalé comme le plus vul- nérable, le plateau de la Croix-Rousse, était maintenant mieux protégé, grâce à son enceinte bastionnée, relevée, réparée, bouchée.

A l'angle du chemin de Cuire et de celui de Caluire, une batterie dite de Gingenne, en raison du nom de son commandant, le vieux maître d'armes si brave, si zélé et si gai, formait un premier ouvrage de défense extérieure, flanqué à deux portées de fusil à Test par le poste de la Croix-Noire K

1. Ainsi appelé en raison d'une croix plantée dans un mur.

l'initiative du nouveau général 171

Le faubourg de la Croix-Rousse, ne comprenant guère qu'une longue rue, sectionnée par des jardins de maraî- chers, se terminait par un poste appelé posté du centre» Cet ouvrage servait de place d'armes à la ligne des avant- postes, qui s'étendait du village de Cuire, sur la rive gauche de la Saône, jusqu'au faubourg Saint-Clair, sur la rive droite du Rhône. 11 y avait le poste du cime- tière de Cuire qui dominait les hauteurs, à Textréme gauche, et surveillait le fleuve, le poste de la maison Roussel, celui de la maison Neirac, et, plus en avant encore, le poste d(î la maison Panthod ^ barricadé, for- tifié, à un quart de lieue de Montessuy, position très forte mais trop éloignée de la place, et enfin, à Textrème droite, la maison Dufour et la maison de campagne des prêtres Je l'Oratoire *'.

M. de Chônelette aurait voulu établir des postes avancés il Montessuy et à Caluire. La pénurie d'artillerie s'y opposa, et cependant un industriel de génie, M. Schmidt, d'origine suisse, qui exerçait la profession de fondeur, avait su remédier à cette pénurie en fondant des canons et des mortiers 3 qui devaient faire fort bonne figure dans la défense. M. de Chônelette, excellent juge en la ma- tière, déclara ces pièces parfaitement fabriquées et engagea M. Schmidt à multiplier ses efforts et ceux des intel- ligents ouvriers qui le secondaient. L'arsenal de Lyon ne renfermait qu'une quarantaine de pièces'*. Grûce à M. Schmidt et à la contribution volonUiire, les Lyonnais en avaient déjà plus de cent.

Pour servir cette artillerie, il ne fallait compter que sur des canonniers improvisés; presque tout le déta-

1. Cf. J.-B.-M. Nolhac, Souvenirs de ta Bêrolution de Lijon, Lyon, 184 i.

2. L'auteur décrit les différents ouvrages au cours de son récit ; il ne semble commettre d'erreur que pour la situation du poste Panthod qu'il place presqu'à la hauteur de la batterie Gin^'enne, et (|ui était, comuie il est indiqué ci-dessus, le poste le plus avancé.

3. G. d'Orcel, Souvenirs d'un officier républicain, (lierue britannique^ 1880, p. 85.)

■4. Lieutenant-colonel Bichot, p. 25.

172 l'insurrection de lyon en 1793

chement des artilleurs de la ligne avait rejoint Tarmée des Alpes ; Tescadron de hussards avait suivi cet exemple sans bruit, sournoisement, sur un mot d'ordre des agents de la Convention. La nouvelle de ce départ, habilement colportée parles Jacobins, n'émut pas la population.

Les femmes donnaient l'exemple, elles travaillaient en grand nombre aux fortifications, beaucoup préparaient des ballots de soie et de coton destinés à protéger les embrasures des pièces. A la place des Brotteaux, les dif- férentes fractions de l'armée départementale, qui étaient à peu près constituées, s'exerçaient au maniement d'armes et aux manœuvres les plus simples. Les instruc- teurs étaient d'anciens militaires, fort âgés pour la plu- part, vêtus d'effets civils, parfois en mauvais état, mais ils avaient repris l'attitude et le ton du commandement; leurs élèves, des jeunes gens, quelques-uns même des enfants, se montraient disciplinés et intelligents et faisaient des progrès surprenants.

Un élément malheureusement très nombreux s'affir- mait hostile, c'étaient les tisseurs de soie, appelés canuts. Leurs sympathies restaient acquises à l'ancienne munici- palité, à la Convention, aux jacobins ; de plus, le chômage forcé les exaspérait*. En raison de leur âge, ils apparte- naient aux bataillons sédentaires de la garde nationale, qui se réunissaient rarement; mais, pour jouir de la solde allouée par la Commission, beaucoup de ces ouvriers s'étaient enrôlés dans la force départementale, ils s'y montrèrent piètres soldats'-', plusieurs songeaient à trahir la cause qu'ils avaient hypocritement juré de défendre.

A côté d'eux, il y avait de nombreux royalistes qui servaient sans ^rade et, comme nous Tavons vu, en dis- simulant leur véritable nom pour ne pas tomber sous la loi des émigrés.

1. G. (i'Orcpt, Sntirenirs d'un officier républicain. {Revue britannique, 1880, p. 86.)

2. G. d'Orcet, id.

l'initiative du nouveau général 173

Le général de Précy, plein de bonne volonté et de loyauté, d'un accueil bienveillant pour tous, d'une grande activité, resté cavalier vigoureux et bon marcheur, n'avait pas été préparé à la défense d'une place aussi considé- rable que celle de Lyon. Officier d'infanterie expérimenté, il eût semblé peut-Atre mieux dans son rôle à la tête de troupes régulières de cette arme et en sous ordres, mais il donnait à tous ceux qui l'approchaient la meilleure impression et savait communiquer à son état-major ses qualités de travail, de modestie, d'abnégation et de fer- meté. D'un jugement très droit, Précy avait apprécié sans jalousie la haute valeur du colonel de Chônelctte et lui laissait une entière indépendance dans la direction de son service. Il affirma donc à la Commission départementale que chacun faisait son devoir et que Lyon pouvait compter sur son vieux général et sur ses jeunes soldats.

CHAPITRE XI

INTRIGUES ET DÉSUiNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION î

UNE NOUVELLE COMMISSION

La grande majorité de la population réclamait le châ- timent des complices de Chalier. Dans son audience du 20 juillet le tribunal criminel jugea plusieurs de ces accusés : l'officier de dragons Fournier; Pelletot, Tun des agents du Comité de Salut public et le juge de paix Fil- lion. Les deux premiers furent acquittés* en raison du manque de précision des témoignages à charge; seul le magistrat qui avait ameuté le peuple et maltraité des blessés fut condamné à six mois de prison et à une dérisoire amende de cinquante livres, peine portée par le code do police qu'on crut devoir appliquer*-. Après la lecture du verdict à l'audience le public poussa des murmures de désapprobation ^ Le bruit courut que les sections allaient s'emparer de Riard de Beauvernois et le faire passer par les armes. Sur le désir de la Commission départementale, Précy lit afficheur Tordre du jour qui suit :

AU NOM DE LA REPUBLIQUE i:XE ET INDIVISIBLE

C'est au nom de la loy, citoyens, que votre général vous parle. Il luy est revenu que de sang-froid, on se proposait de punir des criminels qui doivent être sous la sauvegarde de la loy, il déclare hautement que si l'on se porte au plus léger excès, il renonce d'être à la tête des hommes qu'il connut jusqu'à ce

1. Journal de Lyon y numéro du 20 juillet 1793.

2. Id.

3. Id.

IXTHIGUES ET DÉSUNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION 17?)

jour rerlueux, mais qui cesseraient de Tétre s^ils étaient ca- pables de s'oublier à ce point. En conséquence le général rend responsable de tout ce qui peut arriver tous' les com- mandants des postes. La loy seule doit punir le coupable.

Précy ^

Ces sages conseils n'auraient probablement pas suffi pour ramener le calme si Ton avait annoncé que le procès de Riard de Beauvernois allait être jugé par le mt^me tribunal.

Le gentilhomme jacobin, véritable type de condottiere, comparut avec deux autres accusés, anciens officiers de la garde nationale, Gâche, ouvrier on soie, et Nesme, marchand de meubles-. Ils étaient prévenus, tous les trois, d'avoir préparé et exécuté des mesures oppressives : arres- tations, violations de domiciles, etc., et d'avoir commis de véritables assassinats pendant la journée du 29 mai. La culpabilité de Riard de Beauvernois fut absolument démontrée, des témoins prouvèrent qu'il avait menacé de mort plusieurs personnes, entr'aulrcs M"' Coindre et fait massacrer traîtreusement un détachement de sec- tîonnaires du bataillon du Change, que lui-môme avait achevé des blessés. On le condamna à la peine de mort. Ses complices furent acquittés, en raison du manque de concordance de certains témoignages'^ à leur sujet.

Riard subit sa peine le lendemain, le 22 juillet, à six heures du soir. La guilloline était dressée sur la place des Terreaux, il marcha au supplice avec la crànerie d'un vieux soldat qui va au feu, regrettant de ne pas périr sous les balles d'un peloton d'exécution. Au dernier moment, il embrassa le crucifix que lui présentait le prêtre qui l'assistait. En apprenant la mort du chef de

i. Archires municipales : Ltjon en 1793.

2. Riard de Beauvernois avait quarante-deux ans ; Gâche, cinquante- cinq : Netme, vingt-cinq ans.

3. Vaësen, Documents itnprimêfs. 31 juillet.

176 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

légion, Hidins, Tancien procureur de la Commune, ne doutant pas du sort qui l'attendait, se pendit dans son cachot.

Malgré le rôle des procès criminels affiché à la porte du tribunal, If s autres accusés ne furent pas mis en juge- ment, bénéficiant de certaines intelligences dans la Com- mission départementale. Ils restèrent dans la prison de Roanne jusqu'à la fin du siégea

D'autres prisonniers étaient enfermés h Pierrescize, c'étaient de malheureux prêtres arrêtés par Chalier et ses amis pour n'avoir pas prêté le serment civique ; les auto- rités civiles affectaient de les oublier. Précy ignorait sans doute le sort de ces infortunés, dignes pourtant de ses sympathies et pour lesquels il ne semble pas avoir tenté la moindre démarche.

Les sections s'agitaient, sans rien organiser d'ailleurs de pratique... Au lieu d'activer la formation des compa- gnies soldées, elles déclarèrent solennellement qu'elles s'enrôlaient, toutes et toutes entières, pour la force départementale^, qu'elles étaient en état de réquisition permanente, etc. Ces déclamations véhémentes et puériles redoublèrent à la nouvelle d'une prétendue victoire des fédérés Marseillais. Ceux-ci, après s'être repliés sur Avi- gnon et l'avoir évacué, auraient trouvé au passage de la Durance un renfort « avec une artillerie formidable » qui leur aurait permis de reprendre l'offensive et de réoccuper Avignon, ils auraient fait <( main basse sur tous les traîtres^ ». La vérité était que les Marseillais étaient déjà en pleine retraite, malgré l'occupation d'Avignon et celle d'Orange. Au Pont-Saint-Esprit, le renfort annoncé et formé d'un contingent de Nîmois se trouva en face de la colonne détachée de l'armée des Alpes et placée sous les

1. Histoire du siège de Lyon, attribuée à Guillon de Monléon, Paris et Lyon, 1197, p. 224.

2. Journal de Lyon, numéro du 21 juillet.

3. H. Wallon, la Révolution du 31 mai et le Fédéralisme en 1793, t. II. p. 238

INTRIGUES ET DÉSCNIO!^ AL' î*UJET DE LA CONSTITUTION 177

ordres de Carteaax^ il battit en retraite précipitamnient. De leur côté, les Marseillais se replièrent sur Avignon les troupes de Carteaux les suivirent de près et leur firent évacuer la ville. Aussi de Pont-Saint-Esprit môme, le représentant Albitte, le vieil ennemi des Lyonnais^ écrivait à Boucbotte, ministre de la Guerre, le billet suivant plein de vantardisme et de trivialité, avec son orthographe fantaisiste :

Mon cher ami,

Je vons aime toujolirs, n'ayez pas peur des Marseillais, le sans-culotte général Carteaux et moi y mettront bon ordre. Amalgame et généraux san» culottes U point de Biron, point de Cuatine et de la fermeté.

Les Lyonnais ont arrêtés les canons que vous avez envoyés à Perpignan, Dubois-Crancé lésa mis à la raison. Si Carteaux et moi n'avions pas pris le Pont-Saint-Esprit, tout était f... Je ne conçois pas comment vous avez nommés des Cerissa et des Saint-Charles', confirmés mes nominations. Amitié et santé.

Albittr.

St Dubois^Crancé n*avait pas encore mis à la raison les Lyonnais comme Taffirmait son collègue, le bruit n'en courait pas moins à Lyon que Tarmée des Alpes allait marcher contre la ville et que plusieurs colounes avaient été signalées sur la route de Bourgogne. La nouvelle n'était pas exacte, mais elle se colportait do maison en maison et contribuait à paralyser la vie commerciale, qui avait repris quelque essor pendant le mois de juin. Les administrateurs du département, connaissant les senti- ments hostiles du Comité de Salut public, résolurent de tenter une démarche auprès du général en chef de Tarmée des Alpes, Kellermann. Ils lui adressèrent, h la date du

1. Cf. Bibliothèque de Carpentras : collection Tissot. n* 80, f*459.

2. L'un et l'autre, officiers généraux à Tannée des Alpes.

12

178 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

20 juillet, une lettre qui débutait en rappelant les causes de Tinsurreclion :

Citoyen général,

Vous connaissez les événements du 29 mai, vous êtes con- vaincu que les anarchistes ont forcé, dans cette journée mal- heureuse, puisque le sang a coulé, les amis de Tordre et des lois à se lever et à combattre *.

Les administrateurs rappellent aussi à Kellermann qu'il a habité Lyon quelque temps et qu'il a pu ainsi apprécier les sentiments de la population toute dévouée à Tunité de la République et toute hostile aux idées fédéralistes. Ces sentiments n*ont pas cjiangé, les Lyonnais font la guerre aux tyrans quels qu'ils soient. La Commission départe- mentale vient de prendre un arrêté portant que le projet de Constitution serait présenté à la discussion des assem- blées primaires.

Quant aux munitions de guerre et aux provisions de bouche nécessaires à l'armée des Alpes, loin d'en entraver la marche, les autorités de Lyon se sont empressées de la faciliter*.

Le Comité de correspondance de la Commission dépar- tementale crut devoir tout spécialement joindre ses ins- tances à celles des administrateurs. 11 le lit avec plus de dignité, insistant sur ce que les rassemblements de troupes, signalés à Vienne et à Màcon, indiquaient nettement que Lyon allait être attaqué, alors que la frontière était menacée. Les véritables provocateurs étaient les « procon- suls et les dictateurs de Grenoble » , qui n'avaient pu mettre à exécution, le 29 mai, à Lyon, leurs projets de meurtre et de pillage. « Nous sommes incapables de céder à la crainte et à la menace, ajoutaient les membres du comité. Desti- nés à périr le 29 mai sous les coups de l'anarchie, nous

1. Archives hisloriques de la (iuerre: Année des Alpes, juillet 1793.

2. Signé: les administrateurs du département de Rhône-et-Loire : Cou- turier. Helloville, Delacroix, Santallier.

INTRIGUES ET DÉSUNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION 179

ne pouvons craindre ni la guerre ni la mort * » et ils ter- minaient en faisant appel « au cœur et à la loyauté de

Kellermann^ ».

Les malheureux ecclésiastiques, réfractaires au serment constitutionnel, qui blessait leur conscience de prêtres, restaient enfermés à Pierrescize, il n'en fut pas de même des deux députésjacobinsSautayraet d'Herbczdela Tour, du commissaire du pouvoir exécutif, Buonaroti, et d'un aide de camp du prince de Hesse, le .général terroriste. La mise en liberté de Sautayra servit de rançon pour plusieurs citoyens lyonnais qui avaient été arrêtés en se rendant à la foire de Beaucaire. Les autres furent élargis sur Tavisdu comité de sûreté -^

Dans la séance du 22 juillet, la Commission départe- mentale agita la question de reconnaître la Convention ou de repousser formellement son autorité. Des députés du Jura, du Calvados, de TAin et du Doubs furent auto- risés à prendre part à la discussion. Un représentant du Jura proposa <( de se rallier au fragment de la Constitution mais pour l'abattre ». Un député du Calvados déclara que « la résistance devait être loyale et au grand jour et il s'écria : «Aux armes, citoyens ! » Toute l'assemblée répéta ce cri... mais n'en continua pas moins la discussion ».

Biroteau, fédéraliste déterminé, proposa que rassem- blée, persistant dans son arrêté du 4 juillet, envoyât 3 ou 4.000 hommes pour forcer Dubois-Crancé, le véri- table commandant de rarméc des Alpes à diviser ses forces et « à faciliter la jonction des Marseillais'' ». Le Comité militaire consulté s'abstint de se prononcer et la motion fut considérée comme non avenue. L'amour- propre de Biroteau en souiîrit et le député girondin

1. Archires historiques de la Guerre : Armée t/es Alpes^ i"î93. Les membres du Comité de correspondance au général Kellermann, Lyon, 20 juillet i7!)3.

2. Signé : Montviol. Bourhetat, Combry, Lexican et Atnot, secrétaires.

3. Journal de Lyon^ numéro du 24 juillet 1793.

4. Jouimal de Lyon y même numéro.

180 L>?ISURRECTION BE LYON EI^ il93

affecta de ne pluspreadre part anx séances de la Commis- sion départementale. Son collègue Cbasset imita son exemple. Les amis de Lanjuinais, de Vergniaud, de Roland et de tant d*antres Girondins proscrits estimèrent sans doute que Lyon manquait à son deroir, comme à ses ▼éritables intérêts^ en restant isolé au milieu des dépar- tements fédérés, de TOuest, du Sud-Ouest et du Sud-Est. Leurs ennemis savaient mieux s unir et se concerter. Après Robespierre. et la Montagne, Danton et les Corde- liers se déclaraient contre les événements du 29 mai.

Une lettre adressée à Dubois-Crancé, et attribuée à rhomme qui fut le complice de Marat dans les massacres de septembre ^ ne laisse aucun doute sur les sentiments de Danton.

Paru, 21 juUlet 1793. Cher collègue,

La fameuse journée da 10 août s'approche, il est temps e^fin de frapper le grand coup ! 11 faut que la sainte Montagne triomphe. N'épargne rien, je t'en conjure, tu sais que le dépar- tement du Rhône-et-Loire, et notamment la ville de Lyon, qui est des plus importantes par sa richesse et sa population, entre pour beaucoup dans le grand et fameux projet dont tu as une parfaite connaissance. Emploie-donc les plus grandes mesures, que difr-je, toutes les forces qui sont en ton pouvoir pour asservir les Lyonnais rebelles, dussions-nous même abandonner le Mont Blanc au tyran sarde. Peu nous importe! les Savoisiens furent-ils tous enchaînés deux à deux, point de considérations, plus de demi-mesures, il est temps que nous régnions.

11 faut cerner de toutes parts la ville de Lyon, lui ôter tous les moyens de subsistances. Que les citoyens orgueilleux de cette ville rebelle, ainsi que de toutes les villes quelconques tombent enfin à nos pieds.

Si contre mon attente, tu ne pouvais réduire cette superbe et orgueilleuse ville par la famine, il faudra pour lors l'assiéger

i. Cette lettre a été trouvée à Grenoble dans un portefeuille que Dubois- Crancé a perdu au moment de son départ. Elle figure aux Archives histo- riques de In Guerre, sans que son authenticité soit affirmée, mais sans qu'elle soit contestée.

INTRIGUES ET DÉSUNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION 181

sans miséricorde et même, s'il le faut, la réduire en cendres.

Si les cultivateurs crient, demandent ils iront vendre leurs denrées, dis-leur qu'ils aillent à Constantinople s'ils le veulent.

DistrilMie à force des assignats, ne les compte pas, tout se trouvera à la (In.

En attendant que ce programme s'exécutât, Kellermann. harcelé par les représentants impatients de représailles, rendait compte au Comité du Salut public et au Ministre de la Guerre de Tinsuffisance de ses ressources, « Pour soumettre la ville de Lyon rebelle à la loi », le commandant de Tarméo des Alpes déclarait qu'il lui fallait au moins 16 bataillons d'infanterie, dont 12 prêts à marcher et 4 en réserve et qu'il joindrait aux 7 à 8.000 gardes nationaux à requérir et 5 escadrons de c^ivalerie. Quant à l'artillerie, les attelages manquaient absolument et il lui faudrait 400 chevaux de trait '. Le général s'efforçait de rassem- bler tous les bateaux que l'on trouverait sur le Rhône, au- dessus de Lyon, afin d'établir un pont de communicaiioB entre les deux attaques qu'il méditait Tune « sur le front du fleuve, l'autre à la Croix-Rousse - ».

Dans le désir d'éviter l'effusion du sang, Kellermann adresse une sommation aux autorités lyonnaises qu'il désigne sous la périphrase de « citoyens qui régissent dans ce moment le département de Rhône-et-Loire ».Eja leur accusant réception des deux lettres que ces autorités lui avaient adressées, il leur donnait communication des décrets de la Convention « qui lui ordonnent d'agir comme chef de la force armée » et il ajoutait :

J'ai juré obéissance entière à la Convention et je m*apprètc à remplir mon serment ; ses décrets à la main, je marche sur Lyon dans le plus court délai possible.

1. Cependant, il ne devait y avoir qu'un canon par bataillon.

2. Archives historiffues de la Guerre : Armée des /l(;)e«, juillet 1793. Les deux lettres de Kellermann sont datées de Grenoble, ^3 juill(5t 1793.

182 l'insurrection de lyon en 1793

Puissent ses habitants par une prompte soumission aux représentants du Souverain, conjurer l'orage que je vais diriger sur leurs tètes au nom de la loi \

On voit que l'ex-maréchal de camp de l'armée royale parlait encore de « Souverain », et c'était en effet un sou- verain terriblement despote que la Convention, au len- demain de la chute de la Gironde. Avant que la somma- tion de l'omnipotente assemblée ne parvint à Lyon, la commission départementale, lui envoyait une nouvelle protestation « du pur et vertueux républicanisme de Lyon, etc., » courte et concise d'ailleurs et affirmant que la Com- mission populaire, républicaine et de Salut public du département de Rhône-et-Loire tenait ses pouvoirs du peuple, que ce môme peuple l'avait chargé de prendre des mesures de sûreté générale, qu'en conséquence, le dimanche 28 juillet les citoyens de Rhône-et-Loire, réunis en assemblée primaire, examineraient le projet de Consti- tution, délibéreraient et se prononceraient sur la conduite de ses mandataires qui, jusque-là resteraient fermes à leur poste*.

Dans une seconde lettre datée du même jour, les membres de la commission départementale écrivaient à Kellermann qu'ils renvoyaient à Tarmée des Alpes une compagnie d'artillerie et un escadron de dragons. Quoique la pre- mière fut utile à l'Arsenal de Lyon et que l'escadron de ca- valerie eut protégé avantageusement la translation de ma- gasins considérables d'approvisionnements, « convaincus, disaient-ils^,que le service des frontières exigeait impérieu-

1. Archives historiques de la GueiTe: Année de Lyon. Le général d'armée des Alpes et d'Italie aux citoyens qui régissent en ce moment dans le dé- partement de Rhône-et-Loire.

2. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, juillet 1193. La plupart des pièces que nous citons comme provenant de cette source, sout des copies certifiées par Kellermann. La lettre résumée plus haut porte la date de Lyon, le 24 juillet 1193 ; elle est signée par les membres de la Commission : Rambaud, président; Figurey et Prost, secrétaires.

3. Archives historiques de la Guerre: Armée des Alpes, juillet 1793. Lettre du 24 juillet, certifiée par Kellermann.

INTRIGUES ET DESUNION AU SUJET DE IJ^ CONSTITUTION 183

sèment leur départ de cette ville». La commission dépar- tementale voulait évidemment donner à Kellermann la preuve de ses sentiments patriotiques ; on ne saurait trop l'en féliciter, mais il convient d'ajouter que les deux détachements, après avoir montré beaucoup d'indifférence pour les événements qui avaient agité Lyon si profondé- ment, manifestaient maintenant des dispositions toutes favorables à la Convention. L'influence des agents de Dubois-Crancé se faisait encore sentir et Précy avait été d'avis de ne pas garder dans la place des troupes aussi peu silres *.

Dans la môme journée du 24 juillet, les membres du conseil général du département se réunirent aux admi- nistrateurs des districts de Lyon, plusieurs orateurs, notamment Angelot, président du district et Châtelain membre de la môme administration, prolestèrent longue- ment contre les accusations dirigées contre Lyon : contre- révolution, fédéralisme, royalisme ! On y rappela que la journée du 29 mai n'avait eu pour objet que de réprimer les meurtres, pillages, arrestations arbitraires et de réta- blir l'union et la tranquillité publique. I/ordre du jour, voté à l'unanimité, déclarait que les citoyens de Lyon « n'avaient jamais entendus établir aucun fédéralisme, qu'ils regardaient la Convention nationale comme le seul point central et de ralliement de tous les citoyens français et républicains, que les décrets émanés d'elle, concernant l'intérêt général de la Hépublique, devaient être exécutés, mais que, voulant maintenir dans le département l'ordre public, le règne des lois, le respect des personnes et des propriétés, la vraie liberté, ils résisteraient à toute oppression- ».

Cette déclaration fut aussi tc)t imprimée, affichée.

i. Morin (dans son JJislnlre Je Li/mi^ t. III, p. 120) mentionne l'atlitudc hosUle des dragons et des canonniers de ligne à la ft' te fédéralive du 14 juillet. D'après cet historien, leur départ s'imposait.

2. Archives histori(fues de la (Utene : Armée fies Aipes, juillet 1793.

184 L*I!CSURRECT10N DE LYON EN 1793

envoyée à la Convention, aux armées et dans tous les départements ^

Les représentants Biroteau et Cfaasset, opposés au pré- sident Rambaud qu1ls suspectaient de sympathies roya- listes, avaient quitté Lyon secrètement pour se rendre dans le Sud-Ouest. Les partisans qu'ils comptaient dans la Commission affectèrent d'attacher une grande importance à cette disparition, on alla même jusqu'à faire courir le bruit que des officiers de Tétat-major de Précy, « hostiles aux Girondins comme à tous les républicains », les avaient fait assassiner.

Une autre cause de discussion se produisit ; plusieurs administrateurs du département, parmi lesquels Gilibert, Tancien président de la Commission, rédigèrent une rétractation des actes auxquels ils avaient pris part, et ils remirent ce désaveu à deux représentants Rouyer et founel, soi-disant réfugiés girondins, mais dont on s'expliquait mal l'attitude équivoque à Lyon. En réalité ces derniers agissaient pour le Comité de Salut public^.

Cette démarche et surtout la reconnaissance de la Convenliou par la municipalité et les districts de Lyon et de la campagne, furent dénoncés à la Commission départementale qui se constitua en comité secret. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, elle adressa une proclamation aux sections. Son attitude conciliante vis-à-vis des repré- sentants y était rappelée en même temps que les mesures de protection pour les personnes et les propriétés. La Commission départementale s'étonnait d'avoir vu les corps administratifs devancer ses décisions en reconnaissant la Convention; elle la reconnaissait à son tour « comme le point central de la République une et indivisible ».

Après avoir affirmé son pur républicanisme en même

1. Arc/lires historiques de la (iuerre : Année des Alpes, juillet 1193.

2. En voici la preuve : « Nous avons donc profilé des égards et des attentions du peuple de Lyon pour y paraître sensibles et capter sa con- fiance. » Brunel et Itouyer à I)ubois-Cranci'.20 juillet i7«)3. (Archives his- toriques (le la (iuerre: Anuée des Alpes , juillet iVJ'S.

INTRIGUES ET DÉSUNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION 185

temps que son amour du calme et de la tranquillité, la Commission formulait une réserve : Le département ayant été calomnié sur les principes qui avaient dirigé ses commissaires el étant encore opprimé sous le poids des décrets de la Convention surpris par de faux rapports, restera, conformément à la loi en état de résistance à l'oppression jusqu'au moment la Convention rapportera les décrets qu'elle a rendus contre le département et la ville de Lyon. La proclamation se terminait ainsi :

Si la Convention nationale ne s'élève pas aa-dessus des questions qu*excitent les crises révolutionnaires, si les vocifé- rations da mensonge étouiTent le ci:i de la vérité, s'il n'est plus permis à la vertu de se qualifier du saint nom de patriotisme, si les amis de Tordre, usant du droit sacré de la résistance à l'oppression, doivent être voués à la mort pour vous, fraction du souverain réunie en ce moment dans vos assemblées popu- laires, prononcez sur nos opérations, avisez au moyen de sauver la Patrie * .

Un incident fort grave s'était produit pendant la rédac- tion de cette proclamation. Quatre compagnies des bataiU Icms de la Grande Cote avant manifesté une insubordination constante avaient été désarmées, les compagnies de gre- nadiers et de chasseurs de ces bataillons envoyèrent des délégués à la Commission départementale pour déclarer « qu'ils déposeraient leurs armes en masse si Ton ne restituait celles de leurs camarades ». Le bataillon de la section de la Paix manifesta la même insoumission, se plaignant de ce que « le général de Précy el ses adjudants- généraux étaient des royalistes déguisés et qu'ils ne leur inspiraient aucune conliance' ».

1. « La Commission populaire, républicaine ei de Salut public arrf^te Timpression de cette adresse el l'envoie à toutes les communes de Rliône- et-Loire et à tous les départements. » Signé : Rambaud, président; Flo- renUn Petit, Delolle, Prost, Meynis, Fipfurev, secrétaires. (Lyon, A.-V. De- larocbe, 1793, in-4% 2"ï juillet 1793.)

2. Archives municipales de Lyon, 29 juillet.

186 l'insuhkection de lyon en 1793

Sur le conseil de Précy, la Commission n'examina pas ces réclamations, qui ne furent pas renouvelées, mais de tels exemples d'indiscipline faisaient mal augurer de l'attitude des troupes en cas de siégea

Les électeurs appelés à se prononcer sur l'acceptation de la constitution se réunirent le 28 juillet, au milieu de l'agitation la plus violente.

Des rixes se produisirent en pleines sections électo- rales, des terroristes avérés surgissaient de toutes parts et s'efforçaient d'intimider les modérés et les timides. Toutefois la municipalité fit preuve d'énergie; sur sa réquisition, Madinier, commandant général provisoire de la garde nationale, et le lieutenant-colonel Ducreux de Trézette commandant la gendarmerie, firent pénétrer la force armée dans les sections et en expulsèrent les per- turbateurs.

Le calme se rétablit au moment du vote. La Constitu- tion fut acceptée à une énorme majorité. Dans la soirée du lendemain, la ville fut illuminée, des salves d'ar- tillerie ébranlèrent tous les échos de Fourvières et de la Croix-Rousse. La municipalité, à laquelle s'étaient joints la Commission départementale et les commissaires des districts, proclama solennellement l'acceptation de l'acte constitutionnel.

Lyon affirmait une fois de plus sa docilité h l'égard de la Convention. Beaucoup d'hommes timorés espéraient ainsi désarmer sa colère. Communication du vote des assemblées primaires de Rhône-et-Loire fut aussitôt donnée à la Con- vention, aux administrateurs des départements voisins* et au commandant de l'armée des Alpes.

De son côté, Kellermann tentait, depuis quelques jours, de plaider la cause des Lyonnais auprès du Comité de

1. Le chef de légion Grand engageait le chef de bataillon à enfermer ses fusiliers dans les casernes.

2. Ces départements étaient : l'Isère, la Côte-d'Or, le Jura, l'Ain, la Sa6ne-et-Loire, la Ilaute-Saône.l'Ardèche et le Puy-de-Dôme.

INTRIGUES ET DÉSUNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION 187

Salut public. « Mais, disait-il, c'est Kellermann, citoyen isolé qui vient de vous soumettre ces observations » et comme général en chef des armées des Alpes et d'Italie, il se déclarait prôt à marcher sur Lyon « à rétablir le calme dans cette ville trop longtemps agitée », et à faire dispa- raître « l'aristocratie ténébreuse qui fomentait les troubles », bref à obéir à tout ce que lui commanderait le comité. La Convention était habituée à Tobéissance passive de ses généraux et, quelque timide que fût le plaidoyer du « citoyen isolé », il fallait encore quelque courage pour oser le présenter.

Kellermann exprimait le désir de marcher ensuite sur Marseille, de ramener cette ville à la soumission et enfin de conduire Tarmée des Alpes contre les troupes du roi de Sardaigne pour l'obliger à abandonner ses projets sur le comté de Nice*.

A Lyon, la commission départementale sentait son autorité très attaquée et son inQuence diminuée. Elle renouvela son bureau : le nouveau président fut un nommé Richard, personnage d'apparence effacée, mais professeur érudit de langues étrangères; Gilibert, devint vice-président. Sur l'initiative du nouveau bureau, la Commission décida de ne plus former qu'une seule assemblée, en adjoignant les corps administratifs à la commission départementale. Le titre des procès-verbaux des séances de la Commission devait être : « Les corps administratifs séants à Lyon, réunis aux délégués de la section du peuple français dans le département de Rhône- et-Loire, formant le comité général de Salut public. »

Après une délibération orageuse au milieu de laquelle revenaient constamment les mots de : contre révolution ! anarchie ! royalistes /jacobins ! etc., il fallutchoisirladéno- mination à donner aux Lyonnais, dont l'état d'insurrcc-

1. Archives hislnviq lies de ia (iiierre : Armée des AlpeSy juillet 1793. Kellermann aux représentants composant le Comité de Salut public, le 26 juillet 1193.

188 l'insurrection de lyon en 1793

lion armée ne pouvait se contester On hésita longtemps entre celle de section du peuple français et celle du peuple de Lyon; la dernière fut adoptée, et précéda désormais tous les actes de lautorité.

Une nouvelle proclamation, dans le style délayé de Tépoque, fut adressée au nom du peuple de Lyon par le nouveau Comité général de Salut public aux habitants des départements de Tlsère, de TAin, de Saône-et-Loire et de la Haute-Saône dont les gardes nationales étaient réquisitionnées pour marcher contre Lyon. Elle débutait en reprenant l'histoire si connue des événements de la fin de mai, elle protestait contre Taccusation de roya- lisme * et contre celle de fédéralisme-, se réclamait de « la charte constitutionnelle » et au nom de l'intérêt même de la république, elle engageait « les citoyens soldats à ne pas obéir aux réquisitions de Dubois-Crancé et d'Albitte et se terminait par cette véhémente apostrophe :

Un frère n'aime que les embrassements de son frère. Dans ces combats, toute la honte est pour le tyran qui souffle la discorde, qui secoue les torches de la guerre civile. Voilà, citoyens, ce que le peuple de Lyon avait à vous dire. L'amour de la Patrie lui a dicté ces vérités, le même amour doit vous y rendre sensibles.

11 s'agit peut-être du sort de toute la République, pesez nos considérations. Nous portons Tolivier de la paix et des armes. L'olivier de la paix sera offert à tous les vrais républicains, nos armes nous serviront de défense contre quiconque vou- drait nous asservir.

Dans leurs illusions, les membres de la nouvelle Com- mission désignèrent quarante d'entre eux pour porter à

1. « On nous accuse de royalisme : quelle imposture î Les cris de Vive la République ï se font entendre ici de toutes parts. Par un mouvement S}>on- tané, nous avons tous prononcé le serment de courir sur quiconque pro- poserait un roi, un dictateur, des triumvirs. »

2. « Enûn, on nous taxe de fédéralisme. Frères et amis î cette espèce de gouvernement nous révolte. Si nous avons rompu quelques jours avec la Convention, à la moindre apparence d'intégralité, nous nous sommes ralliés autour d'elle comme centre d'actions. »

INTRIGUES ET DÉSUNION AU SUJET DE LA CONSTITUTION 189

la Convention l'acte d'acceptation de la constitution. Vingt de ces commissaires prirent la route du Bourbonnais afin de gagner Paris, vingt autres prirent celle de la Bour- gogne pour se concerter à Màcon avec les représentants Reverchon et Laporte dont Brunel et Rouyer leur avaient vanté les dispositions conciliantes. Une terrible déception attendait ces obstinés messagers de paix.

CHAPITRE XII

ULTfMATUM ET COUPS DE FUSIL

La municipalité de Lyon tentait à son tour d'arrêter Kellermann dans les préparatifs d'offensive qui lui étaient ordonnés, non plus en adressant un plaidoyer mais en s'efforçant de Tintimider : « Avez-vous bien réfléchi? pouvez-vous vous déguiser que c'est un crime que Ton vous commande, que c'est Tatrocité la plus abominable que l'on médite et que l'on veut exécuter? » Et plus loin : « La postérité est là, un jour vous serez appelé à son tri- bunal, un jour comme tant d'autres, vous devrez y rendre un compte sévère de toutes vos actions. Quel terrible ju- gement pour un citoyen français, pour un général d'armée, pour un honnête homme ^ »

Cette adjuration ne troubla pas Kellermann, désormais décidé à exécuter sa consigne, il en adressa la copie au Comité de Salut public, en annonçant qu'il venait de con- duire à Bourg une partie de ses troupes et qu'il y avait retrouvé les représentants 2. On l'ignorait à Lyon.

Précy voyait arriver à son quartier général des Dames de Saint-Pierre 3, vaste abbaye aux cloîtres sonores, un individu fort exubérant, qui se présenta sous le nom de Reux, ancien officier de marine^ autrefois employé dans les arsenaux de plusieurs ports de guerre, s affirmant très compétent en artillerie. 11 apportait au général les recom- mandations les plus pressantes de la municipalité^. Le

i. Signé parles membres du conseil général de la commune : Coindre, président, Bémani, officier municipal, Dury, etc. (Archives historiques de la Guerre: Armée des Alpes, août 1793, Lyon, le 1*' août 1793.)

2. Même source. Quartier /[général de Bourg, le 4 août 1793.

3. Vallès, Réflexions historiques, p. 94.

4. !d.

5. Id.

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 191

motirde cette bienveillance tenait uniquement à sa qualité de Lyonnais. Si le hasard Tavait fait naître dans cette ville, il ne paraissait y avoir gardé aucune relation de famille ou de jeunesse. Reux disait être arrivé avec le général Sérizial^ venant par conséquent de l'armée des Alpes, il aurait été chef de bataillon dans Tétat-major de l'artillerie.

Devant ses affirmations, ses allures militaires, la con- naissance approfondie qu'il prétendait avoir des positions défensives de la ville et des environs et en relisant le cer- tificat très élogieux signé Coindre, le général de Précy crut avoir trouvé un autre Chônelette, qui donnerait au service de Tartillerie l'impulsion dont il manquait. Reux reçut donc le brevet « d'adjudant-major général d'ar- tillerie », c'est-à-dire de chef d'état-major de cette arme, et comme il n'y avait pas d'officier général investi du commandement supérieur de l'artillerie, les fonctions d'adjudant-major général en étaient l'équivalent.

Le soir même introduit à la séance du Comité général de Salut public, Reux présentait son brevet à l'approba- tion du bureau-, prêtait les trois serments (il en aurait prêté bien d'autres) et, après avoir reçu le baiser fraternel du président aux acclamations unanimes de l'assem- blée^ entrait aussitôt en fonctions.

Si l'on en croit deux de ses compagnons d'armes qui ont survécu et notamment, le commissaire des guerres Vallès, le nouveau venu était un traître* aux gages de l'ennemi, pour le compte duquel il allait d'ailleurs orga- niser tout un réseau d'espionnage ^

1. « Avec un général de brigade venant de Grenoble. » (Môme auteur.)

2. Les corps administratifs séant à Lyon et les délégués de la section du peuple français dans le département de Hb6ne-et-Loire formant le Co- mité général de Salut public, Séance du 2 août, présidence du citoyen Richard. (Lyon, A.-V. Delaroobe, 1793, in-i",4 p.: Gonon, liihUographir historique de Lyon^ pièce 3202].

3. « Reux fut envoyé à Lyon pour servir d'espion et se fût borné ù rem- plir ce rôle si les autorités civiles de Lyon ne l'eussent imposé au géné- ral. » (Vallès, Héflexiuus historiques, p. 01.)

4. « Il organisa toute une compagnie d'espions, de traîtres et d'incen- diaires. » (Vallès, p. 94.}

192 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

Au lendemain de cette néfaste décision, rassemblée des corps administratifs, etc. changeait son titre beaucoup trop long pour celui de Comité général de surveillance ei de Salut public du départonent de Lyon, En modifiant son nom, elle modifia ses procédés, car elle rédigeait aussitôt une courte lettre pleine de fierté et d'énergie aux repré- sentants en mission à Tarmée des Alpes ^ Les sentiments républicains de la population lyonnaise y étaient encore rappelés, mais avec sobriété et dignité. A Toccasion de« arrêtés de réquisition de la force armée contre Lyon, les représentants de cette ville constataient que, conformé- ment à la déclaration des Droits de f homme et du citoyen^ quand le gouvernement violait les droits du peuple, Fin- surrection était pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs •. En conséquence les Lyonnais repousseront la force par la force.

En outre, et à la même époque 3, le nouveau Comité pro- testait par une adresse à la Convention contre Taceusa- tien d avoir reçu de l'argent de l'étranger. L'évêquc cons- titutionnel du département était invité à rédiger une lettre pastorale aux habitants des campagnes à KefTet de les prémunir contre les discours séditieux des agitateurs. Le bavard et larmoyant Lamourette ne paraît pas s'être acquitté de cette mission.

Précy ne se dissimulait pas que la situation devenait de plus en plus grave, il secondait de tout son pouvoir les admirables efforts du colonel de Chênelette, qui avait terminé les redoutes de la Croix-Bousse, du cimetière de Cuire'*, de la Tour de la Belle-Allemande, de la Croix-Noire, de la Patte-d'Oie, etc. Partout on établissait des chemins

1. Dubois-Crancé, Gauthier, Nioohe, Albitte, Reverchon et Laporte.

2. Article XXXV des droits de Thomme.

3. Le 6 août 1193.

4. I^a municipalité de Cuire décidait qu'il y aurait désoriuai^ des pa- trouilles commandées par ses membres et demandait deux douzaines de pistolets. (Séance du o août 171)3 : Archives (/épartementale!^.)

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 193

couverts pour communiquer, des banquettes de pierres avec embrasures pour les pièces d'artillerie. Du côté des Brotteaux et de la grange de la Téte-cTOr^ les chemins étaient coupés de fossés, hérissés de chevaux de frise. La population, qui ne montrait pas pour les exercices de la Garde nationale un enthousiasme bien vif, donnait pour les travaux des fortifications le concours le plus actif; les femmes et les enfants traînaient les brouettes de terre ou les chariots de fascines pendant que les hommes maniaient la pioche, le pic ou la pelle.

Et cependant, à côté de cet effort de toute la Cité jalouse d'assurer son indépendance, le travail de la trahison commence, car nous voyons Reux, au lieu de se préoc- cuper d'armer les batteries, préparer de sa propre initia- tive tout un convoi d*arlillerie et de munitions pour Saint- Etienne dont les nouvelles àont cependant rassurantes ^

Quelle persistance pourtant dans les dévouements qui 8 offraient pour l'organisation de la défense, mais quel parti-pris de défiance dans cette commission déparl<'- mentale qui ne se décidait pas encore h confier un com- mandement k Virieu^! Précy devait se borner à les consulter secrètement, subissant parfois et forcément la fAcbeuse influence de plusieurs membres du nouveau Comité, tel que Gilibert, l'inspirateur des demi-mesures et l'astucieux Reux auprès duquel il plaça cependant Mila- nais, avocat de mérite improvisé lieutenant-colonel cl inspecteur d'artillerie, homme d'énergie et d'intelligence qui paralysa souvent les ténébreux desseins de Tadjudant- major général.

1. Note du garde d'artillerie Frioa àl'anieDai de Lyon, coottataDt la re- mise à l'adjodant-major générai Reux de deux pièces de quatre montées, de quatre pièces du même calibre sans affût, de deux pièces de huit, de cartouches à boulet, boites à bulles, étoupilles. etc., pour envoyer à Saint- Etienne (5 août 1793: Archives départementales;,

S. Virieu. jusqu'à la fin du siège il eut alors un commandement impor- tant servit « comme simple volontaire dons un bataillon de la Croix-Rousse, sous les ordres du général Grand val «. (Marquis Costa de Beauregard, le

13

lî)4 l/iNSLKRECTION DE LYON EN 1793

«

Un des officiers généraux les plus distingués et les plus estimés de Tancien corps de l'artillerie, le lieutenant- général baron du Teil * ou plutôt comme on disait alors en style démocratique, le général divisionnaire Duteil l'aîné'^, traversait Lyon pour se rendre à Grenoble rappelait sa mission d'inspecteur général de Tartillerie h larmée des Alpes.

Sans s'occuper du conflit de la ville avec la Convention, il donna Tordre à son fils, Claude du Teil, capitaine d'ar- tillerie et son aide de camp, de se rendre k Saint-Etienne pour relever l'état des approvisionnements d'armes dans la manufacture.

Ce jeune officier ne put quitter Lyon. Le maire Coindre lui refusa, le 5 août, le passeport nécessaire pour en sortir et lui déclara que la ville le réquisitionnait afin de coopérer à la remise en état de ses fortifications. Le géné- ral de Précy, auquel le capitaine du Teil vint se présenter pour lui demander conseil, l'engagea à considérer l'ordre de la municipalité comme un cas de force majeure et I attacha au service du génie pour les quartiers de Saint-Irénée, Trion, Saint- Just et Sainte-Foy, avec le grade de chef de bataillon.

Dans l'impatience d'assouvir leurs rancunes, Uubois- Crancé et Gauthier écrivent à la Convention qu'ils quittent avec Kellermann, son état-major et une division, le camp de Bourg pour se porter sur Lyon « qu'ils attaqueront in- cessamment avec 20.0(JO braves républicains, qui ont tous juré de rétablir dans cette ville rebelle le règne des

Homan (Vun royaliste snus la Révolution^ Souvenirs du comte de Virieu^ p. 341}.

1. La ramille du Teil était de vieille noblesse militaire, elle avait fourni à Tartillerie plusieurs officiers de mérite. Cf. Une famille militaire au XV m* siècle, par le baron Joseph du Teil (Paris, Picard, 1896), ouvrage des plus intéressants Ton trouve des renseignements fort instructifs sur l'histoire de l'artillerie française depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu'aux dernières guerres de l'Empire.

2. Le général baron du Teil avait un frère, Jean du Teil, également officier général qui commanda l'artillerie de l'armée devant Toulon, et sous les ordres dii(}riel dovait servir Bonaparte, comme chef de bataillon.

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 195

lois. Une heure après, des bombes et du canon! » Les deux représentants se félicitaient de la défaite des « re- belles de Marseille, chassés du Comtat, en fuite vers leur repaire » et ils ajoutaient avec lyrisme :

« 11 y a un mois que, depuis le Jura jusqu'à Bordeaux, presque toutes les administrations étaient coalisées, presque tout le peuple était égaré; aujourd'hui excepté Marseille, Toulon et Lyon, tous bénissent la Montagne, tous ont juré l'union et l'égalité sur le livre sacré de la Constitution. Le succès de nos ennemis ne sera pas de longue durée K »

Le 8 août, à une heure de l'après-midi, un trompette du 5* régiment de cavalerie se présentait aux avant-postes de la Croix-Rousse ^ et remettait au nom des représentants du peuple, une longue proclamation oîi l'ironie, la bru- talité et l'hypocrisie alternaient et transformaient ce soi- disant message de paix en insolent ultimaltim. Après avoir stigmatisé « les hommes perfides qui s'étaient emparés de Tadministration », les représentants déclaraient que l'ar- mée de la Convention devait être reçue comme une armée de frères, que d'ailleurs ceux qui semblaient se préparer à la résistance seraient traités en conspira- teurs, « ceux qui aiguisaient les poignards contre leurs meilleurs amis, devaient ouvrir les portes de Lyon » et, après avoir parlé avec impudence du rameau d'olivier qu'ils apportaient, Gauthier et Dubois-Crancé formulaient les conditions suivantes :

Article premier. Aucune hostilité apparente. Tout ci- toyen qui paraîtra en armes, soit dans les rues, soit aux fenêtres sera traité en rebelle.

Art. 2. Toute autorité civile et militaire cesse dans Lyon, les représentants du peuple y pourvoiront.

1. Archives historiques delà Guerre: Armée des Alpes, août 1793.

2. Bulletin du département du Rhone-et- Loire, publié par Charavay fils aîné, 1841. Actes du Comité général de surveillance et de Salut public de Lyon. Il y aune petite erreur de date, « le 7 pour le 8.

496 l'insurrection de lyon en 1793

Art. 3. Remise de Tarsenal et de tous les moyens de défense à layant-garde que le général enverra.

Art. 4. Indemnité pour les frais de l'expédition et gratifi- cations aux soldats de la République qui protègent la paix intérieure et extérieure dans Tarmée de la République.

Art. 5. Reconnaître et assurer Texécution des décrets de la Convention nationale rendus avant et depuis le 31 mai der- nier.

Ils promettaient qu'il ne serait fait dommage à aucun citoyen ni dans sa personne, ni dans ses propriétés. La mise en demeure se terminait ainsi :

Si une de ces conditions était refusée, les représentants du peuple déclarent qu'ils mettent sous la responsabilité collec- tive des citoyens de Lyon, tous les maux qui peuvent en résulter, et d'avance ils déclarent rebelle et traître à la patrie, avec entière confiscation des biens an profit de la nation, tout individu dont le fils ou le commis, ou même le serviteur ou ouvrier d'habitude, serait reconnu pour avoir porté les armes contre les troupes de la République ou contribué aux moyens de résistance.

Kellormann reçut de Gauthier et Dubois-Crancé Tordre de faire, lui aussi, une sommation personnelle et plus militaire. Il s'exécuta en transmettant l'injonction aux Lyonnais de se conformer dans le délai d'une heure k Tarrèté pris parles représentants du peuple, faute de quoi, ils seraient traités en rebelles*.

A Lyon depuis quelques jours, Précy s'efforçaitde désil- lusionner les derniers partisans de la pacification, il activait les travaux de fortification. Le colonel de Che- nelette se multipliait et, grâce à lui, Lyon déjà était à l'abri d'un coup de main. L'état-major de Précy et les commandants particuliers le secondaient parfaitement. Le général Grandval surveillait les abords du secteur de la Croix-Rousse ; le vieux Gingenne ne quittait guère la

1. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, 8 aoùl.

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 197

redoute qui portait son nom et que protégeaient les avant* postes ^établis dans les maisons Roussel, Nérac et de rOratoire, formant une ligne distante de plus d'un quart de lieue. Dans la seconde de ces maisons, il s'était établi un corps de volontaires de 32 hommes, appelés les arquebusiers du nom de Tancienne compagnie d'élite de la milice lyonnaise. Le capitaine s'appelait Merlot, le lieu- tenant Neyrac, le sous-lieutenant Celpi. Cette petite troupe, recrutée parmi les meilleurs tireurs, se trouvait à lavant- ligne et devait y rendre de grands services jusqu'au milieu de septembre ^

Un ofBcier qui avait servi comme capitaine au régiment de Royal-Comtois, le chevalier de Champreux, avait été nommé par Précy son premier adjudant-général; il devait être en réalité et jusqu'à la fin du siège le chef d'état- major de cette petite armée. Les autres adjudants-géné- raux en fonctions dès cette époque étaient MM. Giraud de Saint-Try, Julien, La Pujade, Moéal, de Nervo, Burtin de La Rivière, Carton de Grammont, tous anciens officiers. M. de Nervo fut chargé de la défense des Brptteaux et M. de la Rivière de celle de Saint-Clair; les colonels Tour- toulon de la Salle et Jossinet, qui avaient aussi servi comme officiers commandèrent les redoutes du Pont-Morand et d'OuUins*. Enfin le baron de Fontet ou, comme il croyait devoir s'appeler, le citoyen Collenet-Fontet. ancien capi- taine au Royal- Liégeois et gendre de l'héroïque général Cortasse de Sablonet, fut nommé commandant du faubourg de Vaise. 11 devait jouer pendant le siège un rôle énig- matique •^.

Beaucoup d'officiers de la garde nationale, à l'exemple de leur chef Pierre Madinier, faisaient preuve de zèle et d'aptitudes militaires. Un bourgeois de Lyon, nommé Guy,

\. C'est-à-dire jus(iiruu moment les avaDt-postes de la Croix-Rousse furent enlevés.

2. Archives déparlement aies. Voir la liste de l'état-major de Précy.

3. Vallès, Réflexions historiques, p. 26.

198 l'insurrection de lyon en 1793

commandanl du bataillon de l'Union, signalait avec raison au général de Précy le trop faible effectif du poste de la porte Saint-Georges*, et obtenait sur ce point le renfor- cement de la défense. Un gentilhomme de la région lyon- naise, M. de Jussieu, lieutenant dans le bataillon dit de l'ancienne ville, arrêtait lui-même, le pistolet ^u poing, trois membres de sa section, les sieurs Catel, Richard père et Débuttes, qui cherchaient h démoraliser la population. Cet exemple d'énergie enrayait pendant quelques jours la propagande des agents de Dubois-Crancé.

Le capitaine Guignard, commandant la gendarmerie à pied, demandait au Comité militaire trois mille cartouches pour sa compagnie -. Les gendarmes voulaient être en- voyés aux avant-postes et sous l'active impulsion de leur lieutenant-colonel, M. de Trezette, vieil officier de la maréchaussée d'autrefois, ils s'acquittaient fort bien de leurs fonctions multiples : maintien de l'ordre public, escorte des munitions, service d'estafette, etc.

Malheureusement le manque de discipline et d'organi- sation provoquait de fréquents conflits. Sur une plainte mal fondée, le Comité de surveillance et de sûreté pu- blique •\ ordonnait directement le désarmement des com- pagnies soldées du bataillon de Pierrescize et leur licenciement M Ces compagnies occupaient la redoute de la porte Saint-Clair, l'officier qui la commandait refusa d'obéir à la réquisition et d'abandonner un posle qui avait son importance, il en appela à Précy qui sut apaiser le Comité et obtenir le retrait de l'arrêté •'.

Le général, qui comptait de nombreux amis parmi les royalistes réfugiés à Lyon, s'en*orçait, par des avis indi-

1. Archives départementales. Le citoyen F. Guy au citoyen général Précy, 7 août.

2. Archives municipales. Rapport du citoyen de .lussieu, lieutenant à la 2* compagnie du bataillon de l'ancienne ville.

3. Burtin, président ; Pierre Loire, Ganet et Brousel, membres.

4. Archives municipales. Réquisition du 7 août 1763.

îi. Morin (t. II, p. 193) et Balleydier (t. I, p. 362) rapportent le fait.

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 199

rects, de prévenir toute manifestation en faveur des Bour- bons. M. de Clermont-Tonnerre qui venait d'arriver, M. de Virieuet tout le groupe d'anciens officiers qui avaientcons- piré si longtemps à Thôtel Savaron et pris la part que nous connaissons, à la bataille des rues, se conformaient au désir de Précy. Saus afficher comme lui et les officiers de son entourage des sentiments nettement républicains, ils dis- simulaient avec soin leurs espérances politiques. On fut donc très étonné àTEtat-Major lorsque le commandant du fau- bourg de Vaise signala que des bouviers amenant des chariots de grain se présentaient à ses avant-postes, la cocarde blanche au chapeau. On les conduisit à THôtel de Ville devant les membres de la Commission de sûreté publique auxquels les paysans déclarèrent que cet insigne leur avait été apporté par des gens qu'ils ne connaissaient pas, mais qui leur affirmaient que c'était une formalité nécessaire pour entrer dans Lyon K

Tout fait supposer que ceux qui donnaient ces conseils appartenaient à la police de Dubois-Crancé, toujours dé- sireux de compromettre les Lyonnais.

Fontet ', qui commandait à Vaize, demandait d'urgence et sans consulter Précy, au comité militaire, de renforcer son poste en artillerie et en infanterie. Il se plaignait de ce qu'on lui avait envoyé le bataillon de Perruche « qui se tient au pontet les hommes ne voulant pas marcher hors de ses murs, déclaraient qu'ils ne savaient pas tirer », Le colonel ajoutait : « Il n'y a pas moyen de compter sur ce bataillon. » Peut-être à ce moment pouvait-on encore comptersur Tancien capitaine de Hoyal-Liégeois... et ce- pendant celui-ci poussait déjà un cri d'alarmn dont la population pouvait entendre l'écfio démoralisateur: « Il est aussi à craindre que le découragement ne s'en môle

i. Balleydier ineiitionnc la profession de foi royalisle d'un «les bouviers arrêtés. Nous n'avons pas vu la conOniialion de ce reuseif^neinent.

2. Arv.hiveH (li'jmrtementnh's. Ou peut s'rtonner qu'il ne s'adresse pas di- rectement au gcn«'Tal de Prt'cy, lou! devait être rquivoifue dans sa con- duite.

200 l'insurrection de lyon en 1793

ici, 8i l'on ne nous envoie des canons ainsi que des car- touches que Ton demande avec instance et un renfort de troupes ^ »

Alors que Ton s'inquiétait à l'Hôtel de Ville delà com- munication de Pontet, une estafette du général Grandval, commandant la Croix-Rousse, y arriva en toute hâte por- tant les deux sommations des représentants et de Keller- mann dont nous avons donné ou résumé le texte. Ce cavalier ajouta que des coups de fusil avaient été tirés aux avant-postes, qu'il y avait des morts et des blessés et que les représentants exigeaient une réponse avant une heure.

Précy, prévenu de la situation, s^occupa aussi tôt de faire prendre les armes aux seules troupes alors réunies et casernées, aux canonniers et à la compagnie de grenadiers du bataillon de l'Union ^ Cette compagnie se rendit au quartier général avec son lieutenant-colonel Rivière et son capitaine de La Chassagne-^ Le capitaine Lefèvre commandant les canonniers de l'Union, n'ayant pas d'attelage pour les quatre pièces de 4, obtenait de ses artilleurs qu'ils les traînassent à la bricole jusqu'à la col- line Saint-Sébastien'', ascension pénible. Précy n'atten- dit pas cette artillerie et partit avec les Grenadiers.

Pendant que se faisaient les préparatifs militaires, les membres du comité de sûreté générale rédigeaient une belle réponse :

Citoyens représentants du peuple

ET vous, CITOYEN GÉNÉRAL,

Vos propositions sont encore plus atroces que votre con- duite, nous vous attendons. Vous n'arriverez à nous que sur

i. Archives départementales.

2. Ci-devant Place Neuve.

3. Arc h ires dêparfementales.

4. Id.

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 201

un monceau de cadavres ou la cause de la République et de la Liberté triompherai

l'n aide de camp de Précy mis à la disposition du Comité emporte cette fière déclaraticn ; il se dirige au galop de son cheval vers la porte Saint-Clair, la franchit et prend la route de Genève; le long de la rive droite du Rhône, il va gapner le château de la Pape logent les représentants. Kellermann y a docilement placé son quartier général.

Des détonations de pièces d'artillerie se font entendre, l'officier comprend qu'une affaire est engagée et par le chemin de gauche il se rend à la redoute du centre se tiennent le général Grandval et Tadjudant-généralBurtin de la Rivière, commandant à Saint-Clair, avec la com- pagnie des grenadiers de Saint-Pierre^ auprès d'une grosse batterie dont le tir vient de cesser.

Un détachement de la cavalerie lyonnaise avec le sur- tout bleu foncé, les grosses bottes, le pantalon de nankin et le chapeau à la Française, s'était formé derrière l'in- fanterie. Plusieurs cavaliers étaient blessés, mais la plu- part restaient en selle et entouraient deux prisonniers démontés : un guide de Tarmée des Alpes et un dragon.

11 s'était produit en effet dans la matinée une ren- contre dont la responsabilité n'a pu être exactement dé- terminée. Un escadron de cavalerie lyonnaise, sous le commandement de Bollîoud de Chanzieu, ancien offi- cier, était parti depuis la veille en reconnaissance dans la direction du Nord-Est. Ces cavaliers se dirigeaient le long de la rive gauche de la Saône, ils ne dépassèrent pas Roy, voulant explorer la vaste plaine qui s'étend à

1. Archives historiques de la Guerre : Armée des AlpeSy août, 1193, p. ce 'Signé : Annot, secrétaire (pièces du général Kellermann, certifiées par lui- même. « Le général d'année des Alpes et d'Italie, signé Kellermann ». Cf. aussi Bulletin du département de Hhdne-et-Lnire : Actes du Comité y etc., pièce 12.

2. Paateron, Mémoires d'un pauvre diable.

202 l'insurrection de lyon en 1793

TEst. On bivouaqua en rase campagne pour éviter les surprises, à peu de distance du château de Rillieux^ et du vaste emplacement qui devint plus tard le camp de- Sathonay.

Une colonne volante d'infanterie et de cavalerie, partie le matin du camp de la Pape- et apercevant une troupe en armes, envoya des patrouilles pour la reconnaître. De son côté, le capitaine Bollioud de Chanzieu crut devoir, avec le gros de son escadron, se replier sur Montessuy, petit vil- lage sur la hauteur, puis sur la redoute de la maison de rOratoire'^ Il laissait un piquet de cavaliers, sous les ordres du lieutenant Guillot, avec mission de pousser une reconnaissance sur Caluire et de rallier ensuite Tescadron.

Le commandant du poste de l'Oratoire fit aussitôt atte- ler deux pièces de canon qu'escortèrent les cavaliers lyon- nais. La petite troupe ainsi renforcée se porta par la route de Cuire sur la maison Nérac; elle fut rejointe par le général Grandvul qui en prit le commandement et la plaça derrière le poste Panthod sur un point culminant d'où Ton découvrait la route de Bourgogne au milieu d'une vaste plaine. En atteignant la hauteur, le général Grandval et le capitaine Bollioud de Chanzieu entendirent une vive fu- sillade et virent le petit détachement, revenant de Caluire, au galop, en désordre et ramenant plusieurs blessés. Le reste de Tescadron se porta au devant d'eux mais n'aper- çut à riiorizon aucun ennemi. On apprit alors qu'un fort parti do cavalerie ennemie, comprenant des détachements de gendarmerie, de guides à cheval et de dragons de l'an- cien régiment Royal-Pologne devenu le 5" régiment de cavalerie, avait cerné le village et tenté de leur couper la retraite'.

\. Archives historiques de la Guerre : Année des Alpes. Rapport des marches de troupes et ('♦vônements de guerre du génOral Kellermann, 15 août. La localité est désignée sous le nom de plaine de Rilleul.

2. Ul.

3. ï(l.

4. Le rapport de Kellermann dit que ces détachements toumèreut le vil-

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 203

Au mot : c Qui vive! » des troupes de la République', les Lyonnais répondirent : « Républicains ! » et propo- sèrent de « fraterniser ». Un capitaine de gendarmerie s'avança, les somma de se soumettre à la Loi, de recon- naître le décret de la Convention et de rendre leurs pri- sonniers-. C'est alors qu'un des cavaliers lyonnais tira un coup de pistolet qui blessa un maréchal des logis du 5' régiment. Des coups de feu partirent aussitôt des rangs des soldats de la Convention. Guillot, lieutenant des chasseurs lyonnais, et un de ses cavaliers furent démontés et faits prisonniers, huit de ses soldats étaient tués*^, une vingtaine blessés. Toutefois le petit détache- ment de l'armée de Précy put se faire jour le sabre à la main, entraînant deux prisonniers \ un guide et un dragon. Un lieutenant du 5" de cavalerie et un guide de l'armée des Alpes étaient tombés grièvement blessés.

Il semble que l'un des cavaliers lyonnais a tiré le premier coup de feu, mais la responsabilité réelle de l'attaque incombe bien à leurs adversaires, puisque ceux-ci avaient entouré le village de Montessuyet mis les soldats de Précy dans la nécessité de faire usage de leurs armes ou de se rendre. On a dit aussi, mais sans en apporter la preuve, que les anciens cavaliers de Royal-Pologne, qui avaient été en garnison à Lyon, avaient affecté une attitude amicale à l'égard des chasseurs lyonnais pour les attaquer traîtreusement. Le régiment de Royal-Pologne s'était déjà déshonoré en livrant ses officiers aux émeu- tiers et les chasseurs lyonnais, connaissant de réputation et de vue ces détestables soldats, ne devaient avoir aucune confiance dans la loyauté de tels adversaires. Le lieutenant Guillot avait commis la faute de grouper ses

lagc de Caluire, mais leur supfTioritt' niiuuTique leur permit d'en occuper les principales issues. !. Rapport de Kellcrmann du 15 août. d«'*jj\ cité.

2. Id. ]{ s'agit des jacobins détenus dans les prisons de Lyon.

3. Id.

4. Le rapport dit 2 prisonniers et non 3, comme les historiens lyonnais.

204 l'insurrection de lyon en 1793

cavaliers dans le village, au lieu de s'assurer des débou- chés de retraite; il paya chèrement son inexpérience militaire.

Sa petite troupe avait été recueillie comme nous l'avons vue par le général Grandval. Pendant qu'elle allait se reformer en arrière de la redoute Gingenne, Grandval avec les grenadiers et les chasseurs du bataillon de Saint-Pierre, le reste de l'escadron BoUioud et les deux pièces d^artillerie attelées prenaient position sur la ligne d'avant-poste, attendant Toccasion qai ne tarda pas à paraître.

Ce n'était plus de la cavalerie, mais une colonne d'in- fanterie ; à Tavant-garde marchaient deux pièces d'artille- rie. En voyant les Lyonnais impassibles et formant sur la hauteur uue longue ligne de baïonnettes étincelantes, au milieu de laquelle on distinguait aussi des pièces de canon, les troupes de la Convention s'arrêtèrent. Un bataillon de grenadiers' se déploya sous le commandement d'un officier général, 1«* général de division Saint-Remi, chef d'état-major de l'armée des Alpes.

La chaleur est intense; il semble que l'attaque va com- mencer, mais une sonnerie se fait entendre et un trompette agitant un mouchoir blanc s'avance jusqu'à portée de fusil des Lyonnais. L'aide de camp du général Grandval, le capitaine Faure, s'approche et reçoit un paquet de papiers, contenant de nouveaux exemples des sommations Dubois- Crancé, Gauthier et Kellermann.

Le général Grandval envoya d'urgence le paquet à l'Hôtel de Ville ainsi que nous l'avons vu ; il chargea le trompette d'informer le général Saint-Remi qu'il faudrait, non pas une heure, mais un délai de trois heures pour recevoir la réponse. On ne sait si le trompette le répéta au chef de l'état-major, mais celui-ci fit bientôt prendre au bataillon de grenadiers des dispositions de combat qui

1 . Le 5* bataillon de grenadiers, commandant Valette.

ULTIMATUM ET COUPS DE FUSIL 203

inquiétèrent à bon droit le commandant des avant- postes lyonnais. Lorsque les compagnies de tête quittèrent leur formation et se déployèrent en ligne d'attaque, Tar- tillerie lyonnaise ouvrit le feu. L'artillerie de Tavant-garde de Kellermann riposta, mais l'avantage resta aux Lyon- nais, car le bataillon de grenadiers et les deux pièces battirent aussitôt la retraite sur Caluire qu'ils traversèrent rapidement, la position étant dominée.

Gomme pour Tescarmouche de cavalerie de la matinée, il semble que les Lyonnais aient engagé d'eux-mêmes le combat. Mieux inspiré que le lieutenant (juillot. Grand- val prévint probablement un mouvement enveloppant de l'ennemi ; les pertes des grenadiers de la Convention se bornèrent à six hommes hors de combat, d'après le rapport de Kellermann. L'enthousiasme lyonnais devait donnera ces pertes un accroissement absolument exagéré.

En entendant cette courte canonnade, Précy et les gre- nadiers de l'Union avaient gravi rapidement la colline de Saint-Sébastien, les tambours battant la charge. Au moment cette petite troupe s'engageait à la suite de son général en chef sur le plateau de la Croix-Uousse, Grandval informait le quartier général et THôtel de Ville que l'ennemi, en pleine retraite, avait disparu derrière les dernières maisons de Caluire.

D'autres troupes lyonnaises étaient en marche pour renforcer les avant-postes menacés, elles s'y portaient avec entrain. Un tout jeune homme qui devait subir les dures épreuves du siège et celles plus terribles encore de la captivité, J..-B. -M. Nolhac, a laissé, dans ses intéres- sants Souveîiirs^, un tableau naïf et vrai de ce premier jour de campagne:

Je faisais partie de Tune de ces compagnies formées de jeunes gens plus disposés à braver le péril que ne le sont ordi-

1. Souvenirs de la Révolution à Li/ony Lyon, 1844, p. 8.

206 l'insurrection de lyon en 1793

nairement les hommes plus âgés et les pères de famille. On nous avait réunis dans Tun de ces monastères changés en casernes et d*où Ton avait chassé, deux ans auparavant, leurs paisibles habitants. A peine avons-nous eu le temps d'apprendre à charger nos armes avec un peu de dextérité et c'est beaucoup si chaque compagnie casernée avait pu être conduite dix ou douze fois dans la plaine des Brotteaux, sous la conduite d*un instructeur pour être exercée à marcher avec ordre, lors qu'un jour, vers dix heures du matin, le tocsin, parti de tous les clochers de Lyon, annonça que Tennemi s'approchait et que ses premières troupes étaient en vue.

Précy envoya aux avant-postes de la Croix-Rousse, les grenadiers de TUnion et la compagnie de canonniers qui les avait rejoints avec ses pièces « à la bricole ». Le général parcourut lui-même les avant-postes, recom- manda à tous les officiers la plus grande vigilance et rentra à son quartier général de la place des Terreaux, en se demandant avec une légitime anxiété quelles étaient les forces qui menaçaient la ville dont il avait assumé la défense.

CHAPITRE XIII

ENGAGEMENTS D'AVANT-POSTES. TRISTE FÊTE LE CONSEIL DE GUERRE DE LA PAPE

KcUermann, soumis à la surveillance de Dubois- Crancé et de Gauthier disposés à l'accuser de tiédeur, avait été obligé d'emprunter à l'armée des Alpes*, 6.000 hommes de troupes régulières, en attendant l'arri- vée de 10.000 réquisitionnaires- qui lui inspiraient au point de vue militaire une défiance absolue. Avec les contingents prélevés à son grand regret sur l'armée des Alpes, exposée aux entreprises des Austro-Sardes, le général avait formé trois colonnes. La première compre- nait le 1" bataillon franc de la République, le 5* batail- lon de grenadiers, les 1" et 2'' bataillons de l'Ariège, les V et 2' bataillons de rArdèche,le2' bataillon du 28" régi- ment d'infanterie, le 1" bataillon de TAude, le 3* bataillon de la Drôme, le l*"" du Gard, le 6" de la Gironde, et le 3* de l'Isère, le 5* régiment de cavalerie, le 9* régiment de dragons et un escadron du i*'' régiment*.

Chaque bataillon avait 2 pièces de 4 approvisionnées'*. On fit venir du parc de réserve de l'armée des Alpes 4 canons de 12 et leurs caissons, 2 de 8, 6 obusiers de 6 pouces. L'artillerie de siège fut formée de 4 canons de 16 et 6 mortiers de 12, avec un approvisionnement de trois cents coups par pièce et de 150 bombes par mortier.

1. Lieutenant-colonel Bicliot, p. 19.

2. Id.

3. Rapport de Kellermann. Archives historiques de la Guerre: Armée des Alpes, août 1193.

4. On appelait approvisionn(^, le chargement de Tavant-train, sans que la pièce fut accompagnf'o de son caisson.

208 l'insurrection de lyon en 1793

L'artillerie fournit 240 chevaux pour les attelages, l'équi- page des vivres 100 mulets de trait et Tentreprise du transport des subsistances militaires 100 voitures ^

Des 13.200 gardes nationaux requis, il ne vint guère que 3.000 paysans, la plupart n'avaient pas emporté leurs fusils pour voyager plus allègrement... On les arma avec les ressources des arsenaux de Grenoble, d'Auxonne et de Besançon. Kellermann dût prendre personnellement le commandement de la première colonne, dite division de Bourg, lieu de sa concentration; les deux représentants, qui ne le quittaient pas lui ordonnèrent de presser les étapes. La deuxième colonne dite division de Mâcon, sous les ordres du général de brigade Vaubois, devait suivre la première colonne mais, en marchant paral- lèlement sur la rive gauche du Rhône. Comme de cette rive, les représentants savaient qu on découvrirait les édifices qui bordaient les quais delà rive droite^, Vaubois devait concentrer les principales ressources de Tartillerie pour préparer le bombardement de la ville ; il avait Tordre d'établir son quartier général h la Ferrandière^. Un pont de bateaux facile à établir sur le Rhône, près du château de la Pape, d<^'signé comme le grand quartier général, le mettrait en communication avec Kellermann et la division de Bourg. Enfin la troisième division, sous la direction (lu général de brigade Rivaz, devait gagner Limonest, à 2 lieues au nord-ouest de Lyon sur la rive droite de lu Saône, y placer son camp et, en attendant que ses effectifs furent renforcés par les réquisitionnaires, dont nous avons vu la piteuse arrivée, observer les communications entre la Saône et la route du Bourbonnais, afin d'em- pêcher de ce côté le ravitaillement de la ville assiégée ^.

1. Archives historiques de la Guerre : Armée de l.ynn, 1793. Rapport de Kellerman.

2. Id.

8. La Ferrandiére est à 1.300 mètres de la rive du Rhône. 4. Lieiilenant-coloiicl Bichot, p. 19.

ENGAGEMENTS d'aVANT-POSTES 209

Le 7 août, Kellermann arrivait à MiribeP à 3 lieues de l'enceinte de Lyon et détachait deux colonnes légères. Tune de cavalerie, l'autre des trois armes, toutes deux, sous les ordres de son chef d'état-major le général Saint-Remi. Ces deux petites colonnes s'étaient heurtées, ainsi que nous l'avons vu, la première à un petit parti de cavalerie qu'elle avait mis en déroute, la seconde à la ligne d'avant- postes du général Grand val qui, à son tour, avait repoussé l'assaillant, et l'avait obligé à se replier sur les hauteurs qui dominent au nord-est la rive gauche de la Saône. Toute la division, sous le commandement de Kellermann, vint y camper, mais en appuyant à gauche vers le Rhône ; les chasseurs étaient aux avant-postes, le parc d'artillerie et la cavalerie en arrière du centre 2. Deux bataillons et l'escadron de hussards gardaient les représentants au château de la Pape, à trois quarts de lieue du camp dont Kellermann laissait bientôt le commandement au général de division] Dumuy, restant lui, le général en chef, avec les représentants. Un bataillon d'infanterie et ses deux pièces d'artillerie surveillaient le chemin qui conduisait à Lyon par la porte Saint-Clair 3.

Le soir même, la division de Mâcon arrivait. Les com- mandants Laroche, du génie, et Lîxot, des pionniers^, avaient fait établir dans la journée un pont de bateaux sur le Rhône, en face de la Pape. Le général Petit-Guillaume s'occupait de réunir à Neuville sur la Saône, à deux lieues au-dessus de Lyon, de grands bacs pour communiquer avec le camp de Limonest\ Sur les rapports de plusieurs officiers de son état-major, Kellermann rendait compte aux représentants que « les Lyonnais avaient déjà établi un certain nombre de batteries de divers calibres sur les hau-

i. Lieutenant-colonel Bichot, p. 19.

2. Rapport Kellermann, précité.

3. Id.

4. Archives historiques de la Guerre : Année des Alpes.

3. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, août 11793. Rap- port Relleroiann du 9 août.

14

210 l'insurrection de LYON EN 1793

leurs de la Croix Rousse, en face du camp occupé par les troupes de la République et qu'ils les renforçaient joumelle- ment ; toutes les avenues de leur ville étaient ainsi défendues dans toute Tenceinte * ». L'intransigeance des deux con- ventionnels s'irritait des obstacles que signalait le vieux général, qui reçut l'injonction de presser l'arrivée de la troisième division. Cependant, sur son insistance, Keller- mann fut autorisé à adresser une nouvelle sommation aux assiégés, Dubois-Crancé lui en dicta d'ailleurs la for- mule :

Au quartier général de la Pape, le 9 août 1793, lan H de la République.

Le g entrai (Vannée des A îpes et dT Italie aux citoyens qui exercent

les fonctions administratives à Lyon

Citoyens,

Je vous ai fait faire hier« par TorBcier commandant mon avant-garde, sommation de vous décider dans une heure à obéir aux décrets de la Convention nationale, vous ne m*avez pas répondu. Je veux bien croire que celui qui commandait le poste en avant de la Croix-Housse auquel cette sommation a été remise ne vous Ta pas fait parvenir. J'ai à me plaindre de ce que ce commandant, qui avait demandé trois heures, pour répondre à la sommation, a fait lâchement tirer du canon à mitraille sur les troupes de la République pendant cet intervalle et a blessé quelques soldats de mon avant-garde.

Ce procédé, qui n'a pas d'exemple dans les usages de la guerre, devrait me porter à vous faire attaquer sur le champ et à ne plus garder de mesures avec des hommes, qui se sont ren- dus coupables de pareils forfaits, je ne vous dissimulerai pas que la fureur de l'armée que je commande est à son comble. Cependant j'ai tenu conseil avec les représentants du peuple et dans la conviction nous sommes que des émigrés rentrés dans votre sein et quelques-uns de leurs adhérents sont les seules causes de votre égarement et de la perfidie dont je me plains, je vous fais passer de nouveau des exemplaires de mes

1. Cette phrase fut reproduite dans le rapport du général en chef au Mi nistre de la Guerre.

ENGAGEMENTS D AVANT-POSTES 211

sommations. Citoyens je vous réitère au nom de la Nation Tordre bien positif de déférer à cette sommation au plus tard dans le jour et je vous déclare que, faute par vous d'y obtempé- rer, j'emploierai tous les moyens de force qui me sont confiés ; Vous répondrez du sang qui coulera et des maux terribles qui accompagneront votre résistance.

Kbllermànn 1 .

Ce message confié à un trompette parvenait à onze heures du matin aux avant-postes du général Grandval, qui, après l'avoir expédié à l'Hôtel de Ville, envoyait au général de Précy rhumouristique billet que voici :

Général,

Par les apparences et d*après les reconnaissances que nous avons faites, nos ennemis se retranchent et se disposent à nous attaquer bientôt, et je ne doute pas que la journée de demain ne soit dès demain matin leur début vigoureux.

Vous savez, Général, que voilà trois nuits que je n'ay désha- billé ni dormi. Je vou« prie de me faire remplacer demain matin. Je suis seulement sur le grabat et je sens la goutte.

Grànovàl.

Ce 9 août a.

Le commandant de Tartillerie des avant-postes et des redoutes de la Croix-Rousse écrivait de son côté au géné- ral en chef des Lyonnais :

1. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1193.

2. Archives départementales, 1193. Le même jour, un officier de gen- darmerie ignorant ce qui se passait dans le Forez, donnait, de lui-même, Tordre suivant :

Lyon, le 9 août.

Ordre an lieutenant de gendarmerie Mathon, à Montbrison, de se endre à Lyon avec toutes les brigades qu'il commande, équipées et armées.

Le premier capitaine de la gendarmerie nationale de Rhône-et-Loire,

GUIOORIT VORION.

(Collection Cosfe, p. fiil.)

212 l'insurrection de lyon en 1793

Mon GENERAL,

Je viens de reconnaître, d'après Tordre du général Grandval, les batteries des remparts de la Croix-Rousse, Ton pourrait inquiéter et même empêcher Tennemi de se fortifier à la Maison Blanche, au-dessus de Montessuy.

J'ai observé de près les travaux et je suis persuadé que demain matin, ils seront assez avancés pour bombarder le fau- bourg.

Aussi je vous prie, mon Général, de donner Tordre de tirer soit de la Croix-Rousse, soit du poste des Colinettes.

Bayon,

Chef d*artillerie de la division de Grand val *. Ce 9, à 1 heures.

Précy y envoya aussitôt le chef d'état-major de Tartil- lerie qui fit tirer quelques coups de canon sur des troupes en mouvement. Le résultat paraît avoir été inoffensif, ce que souhaitait très probablement Reux, qui en rendit compte en ces termes :

Général,

L'ennemi vient de descendre la côte du Rhône. La communi- cation est établie, il ne reste à Montessuy que six pièces de canon et à peu près mille hommes. Ils voulaient descendre à demi portée des pièces de 8 des Colinettes. Je leur ai pointé et tiré une pièce de 8 qui lésa fait rétrograder. Je suis, après examen avecletélescope, leur mouvement. Je crois qu'il est nécessaire de faire de suite enlever tout le bétail des Brotteaux et tout le vin,

il est temps.

Rbux. Lyon, 9 à 8 heures et demie ^.

L'heure avancée de la journée ôlait toute importance au mouvement signalé ; il ne s'agissait d'ailleurs que d'un changement dans l'assiette du camp.

1. Archives départementales, 1793.

2. /(/.

ENGAGEMENTS d'aVANT-POSTES 213

L'autorité civile gardait tellement son omnipotence que radjudant-général Champreux était obligé, au nom dugéné- ral Précy, de solliciter des officiers municipaux du fourrage et de Tavoine pour les chevaux de l'état-major générale

Il est vrai que l'autorité civile tentait encore, avec une persévérance qui Tisolait trop des préoccupations de la défense, de convaincre Kellermann, en lui adressant de nouvelles et prolixes explications :

« La loi naturelle et la déclaration des droits, voilà notre égide ! » s'écriaient naïvement les corps administratifs et, après avoir protesté contre la responsabilité des premiers coups de fusil, ils attestaient ne point connaître d'émigrés parmi les défenseurs de Lyon, s'offrant d'ailleurs, si on les leur indiquait, aies livrer aux agents de la Conven- tion. Cette offre peu généreuse était de nature à inquiéter les anciens émigrés, qui, faisant le sacrifice de leurs opinions politiques, étaient venus combattre pour l'indé- pendance lyonnaise. Les administrateurs adjuraient encore Kellermann : « Jugez si mieux ne serait pour votre honneur et pour voire gloire de vous rappeler que la Loi ne peut jamais commander de crimes, que vous avez eu et avez encore l'estime générale de Lyon, qu'il lui serait cruel de vous Tôter, etc. » -

Kellermann répondait dans la soiri^e par ce laconique billet :

Au quartier général de la Pape.

Le Général cV armée des Aljies et cC Italie aux citoyens qui exercent les fonctions administratives à Lyon

Je n'avais pas reçu votre réponse à ma première sommation, celle que vous me faites à la seconde me prouve que vous per-

i. Archives départementales. LsidemOinde de ladjudant-général est visée avec la mention accordé par un sieur Chirat, président du Comité.

2. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes il^Z. Signé: Gilibert, président; Matheron, Bendner, Bi^mani, Richard, Amiot, secré- taire.

214 l'insurrection de lyon en 1793

sistez dans votre désobéissance à la Loi. Je vais mettre à exé- cation le décret de la Convention nationale.

Kbllekmann.

Les avant-postes lyonnais renforcés étaient à labri d'une surprise : « Le soir du jour le tocsin, parti de tous les clochers de la ville, dit le chasseur Nolhac dans ses Souve- nirs^ annonça que Tarmée étaiten vue, nous fûmes conduits au-delà du faubourg de la Croix-Rousse au poste de la Croix-Noire.. On nous dit que nos éclaireurs se retiraient devant Tavant-garde ennemie à qui on était obligé d'aban- donner Montessuy, malgré sa belle position, parce que cette hauteur était trop éloignée pour qu'on pût la défendre. Ce point domine d'un côté toutes les plaines des Brotteaux, une partie du cours du Rhône et tout le quartier nord de la ▼ille^ ».

Le jeune Lyonnais et ses camarades vont visiter la bat- terie Gingenne, dont la situation dominante leur paraît formidable, ils sont envoyés ensuitç en grand'garde au cimetière de Cuire, « poste dangereux et pénible, Ton ne pouvait se tenir debout pendant le jour ni élever la tète au-dessus de la muraille de pierre qui, d'un côté en- tourait le cimetière sans être exposé à recevoir des coups de fusil qui partaient des hauteurs voisines. Ce poste était néanmoins très important parce qu'il était sur la sommité du versant de la Saône en haut de la montée dite de Cuires^ ».

La nuit, des sentinelles sont placées sur la pente qui conduit à la Saône. Entre le poste du cimetière et la bat- terie Gingenne, le colonel de Chènelette avait recom- mandé d'utiliser une petite ferme et un mur de pisé qui cachait les mouvements des troupes d'avant-postes'. De

1. B.-M. Nolhac, Souvenirs de la Révolulioti à Ltjon^ p. 180.

2. Nolhac rappelle que ce fut à Montcssuy que les Jacobins lyonnais, qui suivaient Tarmée de Dubois-Crancé, vinrent pendant le siège pour voir les effets du bombardement.

3. /</., p. 184.

ENGAGEMENTS D AVANT-POSTES 215

l'autre côté du grand chemin de Cuire, une compagnie occupait une jolie maison, très appréciée, en d'autres temps, de la jeunesse lyonnaise pour ses repas cham- , pétres et sa joyeuse clientèle et qui portait le nom gracieux et suranné de « Panier-Fleuri^ ». Moins bien défilée que la petite ferme et peut-être désignée par quelque Jacobin lyonnais qui lui gardait rancune, le petit chalet du Panier-Fleuri devait être particulièrement bombardé, brûlé, défoncé par les batteries de iMontessuy. C'était « un ci-devant », lui aussi, et il avait droit à la mitraille des assiégeants.

Alors que la défense s'organisait partout et que Précy et ses lieutenants constataient avec une légitime fierté Tair résolu de leurs jeunes troupes de première ligne, « les bavards », comme devait les appeler Napoléon, se livraient à leur passe-temps favori.

Sous rinspirationdeGiUbert, le pseudo-Girondin toujours optimiste, les corps administratifs et les commissaires des sections envoyaient dans cette môme journée, une nou- velle supplique à la Convention*-'.

Rambaud, l'ancien président du comité de Salut pu- blic, prenait, ainsi que quelques amis, l'initiative d'une proclamation qui était une protestation contre ces éter- nelles sollicitations. Les sections la faisaient aussitôt affi- cher, malgré les protestations d'un certain nombre de membres de la municipalité :

Braves citoyens de Lyon,

Levez-vous tous, citoyens! Ne souffrez pas qu'on vienne ravir vos propriétés et un bien infiniment plus précieux, votre

1. J.-B.-M. Nolhac, p. 185.

2. La fin seule avait quelque dignité : ... « Après les preuves d'attache- ment à la RépubUifue, que vient de donner la ville de Lyon, vous voulez nous réduire par I.i force. Los couiinissaires que vous avez envoy«'*s ont outrepassé leurs pouvoirs. Citoyens représentants, rendez justice à Lyon, reffusiun du sang suivra nécessairement votre refus, nous périrons tous plutôt que de retourner sous le joug de Tanarchie. y> {Archives hisio- riques de la Guerre : Armée dea AlpeSy 1793, rég. 1.)

216 l'insurrectiOxN de lyon en 1793

liberté. Préparez-vous à combattre et à vaincre ; quittez à Tins- tant toute affaire; plus de sollicitudes domestiques et commer- ciales... Aux armes! Volez sous les tentes! Retrancbez-vous, présentez ce front redoutable de Thomme libre qu'on veut oppri- mer et que, désespérant d'une victoire atroce, vos ennemis se tiennent à une distance respectueuse. Citoyens, Tennemi est à vos portes, il n'est plus temps de délibérer. Guerriers, courez aux armes. Citoyens, rappelez-vous que les défenseurs de la République française n'ont jusqu'ici résisté à des armées innom- brables pendant la saison rigoureuse qu'en passant les jours et les nuits au milieu des frimas et en reposant sur la neige leurs corps fatigués. Rappelez- vous la terreur qu'une poignée de Spartiates inspirait à des millions d'hommes.

Citoyens, vous vaincrez : mais prenez les armes aujour- d'hui, dans une heure ! N'ayez plus d'autre espoir que la vic- toire, d'autre amour que la Liberté, d^autre famille que la Patrie < .

Le Bulletin du département s'efforçait de rassurer la population. Depuis le commencement du mois, il multi- pliait les appréciations optimistes : « Les postes sont nom- breux et bien gardés, nous n'avons rien à craindre d'une attaque imprévue. Le général^, vrai républicain, ami de Tordre, est digne de toute notre confiance, l'état-major mérite aussi nos éloges. Le comité des subsistances, nou- vellement organisé, veillera nuit et jour aux besoins de nos frères d'armes -^ »

Dans le numéro du 9 août, après avoir constaté que le travail des redoutes s'avançait, que ces ouvrages étaient absolument matelassés par les ballots de laine que four- nissaient les citoyens de Lyon, le môme bulletin annon-

1. Sièf)e de Lyon, Histoire de Commune- A /panc/tie, nSQ-llOG, recueil- lie dans les conversations d'un soldat du siège, 3' éd. Lyon, 18i3, in-8, p. 63. V. aussi Vaosen, Documenfs imprimés (Lyon en 1793); le Sièt/e, p. 24.

2. Précy.

3. Le même Bulletin, signé (iilibert, président, aflimiait au < régiment du ci-devant Royal-Pologne » que les Lyonnais étaient leurs meilleurs amis.

ENGAGEMENTS d'aVANT-POSTES 217

çait Tarrivée de renforts : 70 hommes de Saint-Chamond, HO de Sainte-Foy, 120 de la légion de Colonges, 30 de Charly et Millery; ces contingents étaient maintenant casernes* et faisaient partie de Tarmée départementale.

A la caserne de Saint-Just, le bataillon de Saint- Georges, de la2Mégion, commandé par Louis Révérony-, qui avait servi au régiment de la Couronne, et qui appar- tenait à une ancienne famille lyonnaise fort estimée, se refusa à fournir les piquets de garde avant que la solde fût payée. La compagnie de chasseurs, dont le tour de service à l'avancée était arrivé, se mit en tôte des mutins. Le commandant Révérony, chef énergique et aimé de ses subordonnés, les exhorta vainement à redevenir les soldats disciplinés qu'il avait connus. Seuls les grenadiers ré- pondirent à son appel et l'entourèrent, en» se déclarant prêts h lui obéir. Les autres compagnies, formant une foule tumultueuse et sans ordre, voulurent sortir de leur caserne, mais le commandant Révérony et ses grenadiers, baïonnettes croisées, leur barrèrent le passage. Quelques- uns cependant, parvinrent à s'enfuir, malgré les adjura- tions du chef de bataillon 3.

Cette scène d'insubordination grave avait eu comme témoin attristé le chef de légion Julien, en visite des postes, qui revint presqu'aussitôt avec un détachement de gen- darmerie. A Texception des grenadiers, le bataillon en- tier dut rendre ses armes, les chefs de la rébellion furent arrêtés et emprisonnés devant le commandant du batail- lon qui ne pouvait retenir des larmes d'indignation pour la mauvaise attitude de sa troupe '•. Le général de Précy,

1. Bulletin du 9 août.

2. Cette famille compte encore des représentants qui portent très digne- ment ce nom. MM. Granger-Hévérony et Assada-Kévérony. La maison, 5, rue Saint-Georges, habitait pendant le siège le lieutenant de Précy, est encore habitée par son arriére petit-flls,M. Jules Granger-Uévérony.

3. Rapport de l'adjudant général Julien {Papiers de la famille liévérony)

4. « Les larmes que je vous ai vu verser étaient celles de l'honneur. » (Le chef de légion Julien au chef de bataillon Révérony. Lyon, 10 août. Papiers de la famille Révérony.)

218 l'insurrection de LYON EN 1793

informé par le chef de légion Julien, de ces incidents en même temps que de la belle attitude de Révérony, au moment de la rébellion, le nomma immédiatement lieu- tenant-colonel, en lui écrivant dans les termes les plus flatteurs S l'appela d'abord au commandement du bataillon qui formait la garde do quartier général, puis à un poste de confiance, sur une des lignes de défense les plus menacées, la caserne de Saint-Irénée^. Le lieulenant- colonel Révérony devait y rester et y donner l'exemple d'une mâle énergie jusqu'à la fm du siège.

Sans révéler ces scènes de désordre, Torgane dépar- temental signale des tentatives coupables pour démora- liser la population, il est question de « sybarites » qui, de leurs fenêtres, insultent les défenseurs de Lyon, et des

1. Nous reproduisons intégralement la lettre du général :

Citoyen, sur le rendement de compte qui m'a été fait par le citoyen Julien, (Aief de légion, que votre bataillon était tombé dans une insubor- dination qui devenait dangereuse dans la circonstance, j'ai cru devoir le faire désarmer, mais si quelque chose a pu me consoler d'avoir été obligé d'employer cette voie de vigueur, c'est la bonne conduite de vos grena- diers et le dévouement que vous montrez pour la chose publique, en con- séquence, recevez le témoignage de ma reconnaissance et de ma satisfac- tion. Je viens de vous nommer lieutenant-colonel d'un bataillon caserne à Saint-Pierre. Si vos braves grenadiers veulent suivre l'exemple de ceux qui sont à l'évéché, ils seront bien reçus. Si vous avez quelques observa- tions à me faire à ce sujet, vous me trouverez à l'hôtel. Je vous prierais de faire passer les armes de votre bataillon à l'hôtel commun.»

Lyon, le 11 août 1790, Tan second de la République française.

Le commandant général^ Phégy.

Au citoyen Hévérony^ commandant le halaillon de Saint-Georges

« Le citoyen Ganet, commandant du bataillon de l'Union à Lyon, vou- dra bien envoyer les deux lettres à Saint-Just par son ordonnance. » (Papiers de la famille Révérony.)

2. « Le citoyen Kévérony, nommé lieutenant-colonel commandant la caserne de Sainte-Irénée, aura la police et la discipline, et tous ceux qui sont en armes pour le service de la patrie seront à ses ordres pour le ser- vice de la République une et indivisible. »

Lyon, le 12 août 17.^U, l'an second de la République Trançaise.

Le commandant général,

Phégy.

{Même source.)

ENGAGEMENTS D AVANT-POSTES 219

« coureurs de tripots » qui discutent au café les chances de la guerre ^ .

Dans la matinée du 10 août, les corps administratifs, dont le nouveau président s'appelait Bémani, écrivaient encore à Kellermann pour le prier d'envoyer à Lyon une députation de son armée, composée de trois ou quatre membres, à son choix, pour prendre part à la fête civique. Ces délégués jugeraient ainsi « de la pureté des prin- cipes comme des actions de la population^ ». Kellermann leur répondit le même jour, mais la lettre ne parvint qu'après avoir été soumise à l'approbation des représen- tants, ce qui en retarda Tenvoi jusqu'au lendemain. Le commandant de Tarmée des Alpes leur déclarait que tant que les habitants de Lyon ne se seraient pas soumis aux décrets de la Convention, il ne reconnaîtrait pas en eux des républicains et qu'il les traiterait en rebelles. Les troupes de Kellermann célébrèrent dans leurs camps la fête de la Fédération, pendant que leurs batteries d'avant-postes de Montessuy tiraient, sans résultat d'ail- leurs, sur le pont Saint-Clair. Les canons de 16 avaient cette portée, mais les mortiers de 12 pouces ne l'attei- gnaient pas^. Kellermann ordonna de ménager les mu- nitions^ sans toutefois cesser complètement le tir.

A Lyon, au bruit lointain de cette canonnade intermit- tente et inoffensive, h laquelle les batteries de la place s'abs- tenaient de répondre, lesautoritésavaientdifféré les réjouis- sances républicaines jusqu'au retourdu trompette envoyéau camp de l'armée de la Convention. Cehii-ci revint en disant, sans aucun ménagement, que les soldats de Kel- lermann avaient déclaré célébrer la fôte de la Fédération en républicains « purs », sans se mêler « aux rebelles ».

1. Bulletin départemental, n* 2, du 9 août.

2. Les corps admiDistratifs séant à Lyon, réunis aux délégués de la sec- tion du peuple de Kh6ne-et-Loire, au général Kellermann. Archives histo- riques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1193.

3. Rapport de Kellermann, du 15 août 1193.

4. !d.

220 l'insurrection de lyon en 1793

Les corps administratifs lyonnais se décidèrent à célébrer à leur tour la fête qui commémorait « la fm de la féodalité » . Les administrateurs du district, ceux de la campagne, réunis aux membres du département et des municipa- lités de Lyon, de Vaise et de la Croix-Rousse, les com- missaires des sections, les membres du tribunal crimi- nel, les juges de district, les membres des bureaux de paix, les juges et assesseurs de paix^ se rendirent solen- nellement sur la place de la Fédératioli, précédés de la gendarmerie à cheval, escortés des vétérans et au milieu de la garde nationale sous les armes-. La foule, qui ne se blasait pas sur ces cérémonies, applaudissait avec trans- port les innombrables délégués.

Au milieu de la place, s'élevait un autel orné de la statue de la Liberté, avec cette devise qui empruntait aux circonstances une singulière ironie : « Je vole au bonheur quand je marche avec la Loi ! » Au milieu de cet autel se dressait un arbre de la Liberté avec les attributs de rigueur. Quatre colonnes pavoisées de drapeaux trico- lores surmontaient Testrade prirent place les corps administratif et judiciaire'^.

Un peu plus loin on avait construit un immense bûcher dans lequel les huissiers des tribunaux de district et de paix, jetèrent des ballots de papiers : actes de bap- tême et de mariage, pièces de procès, obligations, etc., qu'on appelait des titres féodaux et qui n'étaient pour la plupart qu'un fatras de chicane, sans aucun intérêt féodal.

A quatre heures, un roulement de 120 tambours couvre les coups de canons que tire l'artillerie de Kellermann. Précy arrive à cheval par la rue Saint- Dominique, avec un nombreux état-major, il se place

1. Extrait des registres <lu Conseil de district à Lyon, séance du 10 août ilO.S. {Ari'hivps histinirjuvs de la Guerre : Armée (tes Aipes.)

2. Extrait (ies rej^istres du Conseil de district deLvon, môme séance.

3. Ifi.

ENGAGEMENTS d'aVANT-POSTES 221

à droite de Testrade des corps administratifs ^ Bémani, président du district, annonce qu*il va recevoir le serment de tous les assistants, mais auparavant, dans la phraséologie boursoufflée de Tépoque, il s'écrie :

« Qu'il est douloureux pour des républicains de n'ap- porter que le deuil dans une îHe devrait briller la joie! »

Le président proteste en faveur du républicanisme de ses concitoyens que calomnient des frères égarés, il espère qu'un jour, on verra ces frères égarés « dansant autour de cet autel, changeant les jours de deuil en des jours de joie, et se livrer aux plus vifs transports ».

Après avoir émis ce vœu de chorégraphie patriotique, il prononce la formule du serment du jour :

Vous jurez de maintenir la liberté, Tégalité, la République une et indivisible, la sûreté des personnes et des propriétés, le respect à la Loi ou de mourir en la défendant, vous jurez la résistance à l'oppression, Tabolition entière des dîmes et droits féodaux * !

L'assistance vociféra : « Je le jure! »

Aussitôt le feu est mis au bilcher et consume lentement tous les pseudo-titres féodaux, pendant que la foule répète : « Vive la République^! »

Le Président remonte sur Testrade et du môme ton de prophète inspiré : « Puissent nos frères égarés voir ce feu de leurs retranchements et dire : « Lyon abat l'escla- « vage et nous lui dressons des autels'^! »

A six heures, cette fastidieuse cérémonie était terminée, les « frères égarés » avaient cessé d'envoyer leurs boulets dans les jardins de la Croix-Rousse et l'on voyait arriver

1. Extrnit des registres du district de Lyon, sénnce permanente du 10 août 1793 [Archives historiques de la Guerre).

2. Id.

3. Extrait des registres du district de Lyon, séance permanente du 10 août 1793 (Archives historiques lie la Guerre).

222 L^INSURRECTION DE LYON EN 1793

à l'Hôtel de Ville de nouveaux défenseurs, venant dTzeron et de Givors, et même quelques-uns de Saint-Etienne*. . Les membres de la municipalité les embrassèrent « fra- ternellement ».

Le Comité militaire renouvela sa prescription de placer devant chaque maison des récipients remplis d'eau et destinés à éteindre les commencements d'incendie que pourrait produire le bombardement. Dans l'intérêt de la santé publique, il était recommandé de renouveler cette eau^, prescription fort sage qui ne devait pas être observée. Précy, prévoyant l'attaque prochaine des avant-postes du général Grandval, requit la municipalité dès le lendemain, 11 août, d'envoyer à la Croix-Rousse une grande quan- tité de foin qui servirait à Tépaulementdes batteries. Les habitants devaient concourir à ces travaux de défense.

La journée du H s'était passée sans que l'ennemi accentuât son inoffensive canonnade, contre le poste avancé de Cuire, que, sous le commandement du lieute- nant-colonel Rozet, gardait alors le bataillon lyonnais de Washington. Une batterie de siège était mal défilée et ses canonniers durent se retirer précipitamment, après avoir subi un feu de bataillon qui en avait mis plusieurs hors de combat. Ils abandonnèrent deux pièces de 4 dont les Lyonnais n'osèrent pas d'ailleurs s'emparer, craignant une embuscade.

L'organe départemental représenta comme une victoire cet incident qui n'avait aucune importance, puisque les artilleurs reprirent possession de leurs canons pendant la nuit.

Le numéro du 11 août se terminait par cette apos- trophe :

1. Bulletin du dépavlement de lihône-el- Loire.

2. Id.

3. Réquisition du commandant général Précy, 11 août {Archives dépar- tementales, carton 10).

ENGAGEMENTS D AVANT-POSTES 223

CiTOYENsS, OLDATS,

11 est à propos de vous faire connaître la tactique de nos ennemis : leur arme est le mensonge. On a fait imprimer et afficher à Saint-Cyr que la troupe ne se retirera que lorsque les Lyonnais auront livré le ci-devant comte d'Artois et les émigrés qui sont à Lyon. Nous Républicains, cacher un suppôt du royalisme! Cette imposture est trop grossière. Nous enfants de la patrie, receler les émigrés qui voudraient déchirer son sein I Cette assertion révolte. Qu'on nous dise quels sont les émigrés, ils demeurent! Nous nous chargeons de les livrer à Tinstant^

Il était bien difficile aux royalistes, cachés dans les rangs de Tarmée lyonnaise, de garder encore quelques illusions sur leurs alliés d'occasion.

La môme feuille parlait toujours des prétendus succès des Marseillais, annonçant que « ces vainqueurs du des- potisme s avançaient à grandes journées », que le général Carteaux passait pour «complètement battu^». La vérité, que Ton ne connaissait pas encore à Lyon, était que Carteaux avait enlevé Avignon après une courte résis- tance sur les Marseillais^, ceux-ci en pleine déroute regagnaient Aix ils retrouvaient un chef énergique, le comte de Villeneuve-Tourrette, accouru avec quelques renforts. La retraite continuait sur Marseille, par Salon et Lambèse ^ ; de nouveaux désastres y attendaient cette petite armée plus bruj^ante que valeureuse.

Les autorités administratives de Lyon, voulant sans doute imiter l'exemple de la soupçonneuse Convention, avaient institué des commissaires civils pour surveiller les postes et les troupes. C'est ainsi que nous voyons un sieur Reynard, s'intitulant commissaire inspecteur géné-

1. Bulletin n" 4 du dcparternent de Hhâne-et-Lnire.

2. Id.

3. A Tattaque <rAvignon, un jeune lieutenant d^artillerie se distingua et commença sa prodigieuse fortune militaire : Napoléon Bonaparte.

4. Cet deux combats devaient avoir lieu le 19 août.

i224 l'insurrection de lyon en 1793

rai, rendre compte à la Commission départementale qu'il a été de sa personne à Cuire et qu'il a vu le général Grandval faire régulièrement ses visites de ronde dans les divers postes de son commandements Le service lui paraît assuré.

Sur d'autres points du périmètre de la défense, on constatait des symptômes d'indiscipline inquiétants au début d'un siège. Le colonel de Fontet signalait l'effer- vescence des troupes de Vaise, qui réclamaient impé- rieusement la solde en retard^. Une visite de Précy réta- blit le calme, la solde fut d'ailleurs payée le lendemain.

Les corps administratifs ne pouvaient renoncer à leur correspondance avec Kellermann, malgré la réponse menaçante qu'il leur avait écrite le 10 août. Ils recom- mencèrent donc le long plaidoyer que nous avons déjà reproduit ou résumé plusieurs fois; ils lui rappelèrent que la frontière était dégarnie et que ses troupes devaient la défendre, que ces mêmes troupes avaient commencé les hostilités, que les Lyonnais se trouvaient dans le cas de légitime défense, etc. ^. Kellermann ne pouvait accueillir ces inutiles protestations, alors que Dubois-

1. Archives départementales^ 12 août 1793.

2. A titre de document curieux, nous donnons la ettre de l*ex-capitaine de Royal-Liégeois.

« Généhal,

« J'ai reçu les ordres que vous m'avez envoyés par le citoyen de Cha- pelle; ils seront exécutés avec la plus grande exactitude. Nous avons été très menacés ce soir d'une insurrection, faute de fonds pour payer les troupes, il est très pressant «le nous en procurer. J'attends demain l'ingé- nieur pour continuer nos petites fortifications. Donnez, je vous prie, vos ordres pour qu'il arrive.

« Je suis très cordialement votre concitoyen,

J.-M. COLLENET-FONTET.

Commandant à Vaise. Au cantonnement de Vaise, le 12 août.

An II de la Ilépublique^ à dix heures du soir. {Archives départementales,)

3. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes^ août 1793.

ENGAGEMENTS d'aVANT-POSTES 2^5

Crancé répétait tous les jours son delenda est Carthago!

D'autre part, les mêmes autorités s'efforçaient de ras- surer la population, en annonçant dans \^ Bulletin dépar- temental de continuels avantagea sur les assiégeants, dont ils réduisaient les effectifs à 6.000 hommes « absolument dénués de tout, leur artillerie ne comptant que 2 mor- tiers, 8 pièces de 10, 8 de 4, 2 voitures de boulets, 2 voi- tures de bombes ' ». Lyon allait apprendre à ses dépens quelles ressources formidables pour le bombardement possédait Tarmée qui l'assiégeait.

Beaucoup de personnes s'efforçaient de quitter la ville, les demandes de laissez-passer affluaient aux bureaux du Comité de Sûreté ou à ceux de Tétat-major. Nous avons retrouvé 2 un billet fort pressant, signé d'une jeune femme. M"' Maret de Saint-Pierre^, dont le mari com- battait dans Tarmée fédéraliste de Marseille, et qui, s'au- torisant des bonnes relations de sa belle-mère et de Précy, supplie celui qu'elle appelle m notre bon et bravci géné- ral » de lui procurer les moyens de sortir « par les portes de Saint-Just ». Le passage était encore libre et M"' de Saint-Pierre put en profiter pour gagner Paris à travers mille dangers.

Un officier de Tétat-major de Précy, qui avait fait une reconnaissance en avant des Brotteaux, rendit compte que des avant-postes ennemis étaient établis à la sortie de la Guillotière, du côté de Villarbanne^, couvrant un camp situé dans la plaine de Bron, au sud-est de la ville et à environ une lieue du Rhône. On y comptait, disait-il, trente et quelques tentes contenant chacune une dizaine d'hommes. L'artillerie se réduisait à deux pièces de quatre et deux caissons. Le quartier général, logeait le général de brigade Vaubois, avec un déta-

1. Bulletin déparlemental. Il août et suiv.

2. Arc/lires dépariemenlales.

3. M"* de Moriiievieu.

4. 40 cavaliers, 300 hommes de troupes de ligne {Bulletin départemental D* 6, du 13 août).

15

226 l/lNSUHRECTlON DE LYON EN 1793

chement de 500 hommes et deux pièces de quatre, était au chftteau de Bron, les approvisionnements de fourrages y avaient été rassemblés ^ L'officier, qui avait revêtu des vêtements civils et avait pu ainsi s'entretenir avec des officiers et des soldats, estimait les effectifs de cette divi- sion à environ 2.000 hommes. Ses appréciations étaient exactes. Il avait appris aussi l'arrivée prochaine de plu- sieurs mortiers.

Au nord de la ville, à l'avancée de Cuire, ladjudant- général Burtin de la Rivière et le lieutenant-colonel Rozet faisaient surveiller avec soin tous les mouvements de l'ennemi. Dans l'après-midi du 13, le lieutenant-colonel Mocey, de l'artillerie, un ancien arpenteur, brave soldat d'ailleurs, venait d'arriver, avec un détachement de canonniers conduisant une grosse pièce d'artillerie qui devait assurer la défense de ce poste, muni de trois murailles crénelées. Un bataillon ennemi de troupes de ligne -^ débouche brusquement en colonne d'attaque, pré- cédé de sapeurs et de terrassiers du génie. Pendant que ceux-ci attaquent à coups de pic les murailles, la troupe de ligne fait un feu terrible sur les canonniers qui sont en train de placer la lourde pièce sur sa plate-forme. Trois artilleurs lyonnais tombent mortellement atteints, huit autres sont blessés, mais deux petites pièces de 4 ont été démasquées du côté de la défense; elles tirent à mitraille sur les assaillants, qui bientôt battent en retraite et rentrent dans leur camp de Montessuy. Le Bulletin départemental exagéra leurs perles, qui ne semblent pas avoir dépassé celles des Lyonnais 3.

Un grand nombre d'habitants de Lyon redoutaient le manque de vivres. Quelques-uns venaient en entretenir le

1. Bulletin départemental^ n* 6.

2. Cinq cents hommes de troupes de ligne s'avancent en ordre {Bulle- tin départemental^ n* 6).

3. Le Bulletin dit dans cette affaire : «l'ennemi a perdu un grand nombre de soldats. » Le rapport de Kellennann constate la retraite de ses troupes et ajoute : « Noire pert«» a été de 2 hommes tués et 8 lilessés. »

ENGAGEMENTS D AVANT-POSTES 227

général de Précy, qui s'efiForçait de les rassurer. D autres lui communiquaient les plans les plus barroques. L'un d'eux lui écrivait :

Citoyen Général,

Nos ennemis ont projeté de nous couper les vivres afin de nous prendre par la famine et n'étant pas assez forts pour nous résister en cas d'attaque, ils se retranchent. Ne pourrait-on pas les combattre avant la perfection de leur retranchement, les vaincre et les chasser? Ne pourrions-nous pas les attaquer avec une armée de 16.000 hommes et défendre nos 16.000 hommes de la cavalerie ennemie par une autre petite armée de 4.000 hommes, qui seraient rangés en bataillon carré ayant des canons au milieu, de la même manière que celle de Charles XII, roi de Suède, qui, avec 4.000 hommes d'infanterie, battit 12.000 hommes de cavalerie ?

J'ai rhonneur d'être, en bon républicain, citoyen général, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patrin^

II est probable que Précy, toujours bienveillant, no découragea pas ces stratèges en chambre. Le général obtint de la municipalité que Ton ouvrît tous les appar- tements dont les maîtres étaient absents et que Ton retirât les matelas^, pour en garnir les embrasures des batteries, et en même temps que Ton sortît des maisons toutes les matières combustibles ou dangereuses^, c'était plus pratique que d'imiter Charles XII.

Dans la matinée du i4 août, un convoi de blé, envoyé du Forez par Servant et transport(^ en bateaux sur le Rhône, fut signalé à peu de distance du poste des Brot- teaux par le colonel de Chênelette, qui inspectait les ouvrages.

1. Archives déparleim'ntales.

2. Vaësen, Documents imprimés précités, ii* 26.

3. Ordre signé : Derriani, Répond Fignot, officiers municipaux.

âi8 l/lNSlIBRECTlON DE LYON EN 4793

Le général de Précy prévenu arriva avec un détacbe- ment d'infanterie qui, sous sa direction, occupa les Brot- teaux. Il était temps, car une colonne de cavalerie et deux pièces de canon de la division Vaubois ouvraient le feu sur le convoi. Précy et Chônelette firent répondre par les batteries de la redoute Morand et des Brotteaux, et Tennenii, violemment canonné, battit en retraite, pendant que le convoi accostait le quai et était prompte- raent débarqué *. Dans cet engagement, comme dans ceux qui se livraient journellement aux avant-postes de la Croix-Rousse, les Lyonnais faisaient bonne contenance. Soldats improvisés, revêtus d'un costume moitié militaire moitié civil, ils portaient presque tous, en raison de la chaleur, des pantalons de toile blanche ou jaune, ce qui les faisait appeler, par leurs adversaires mieux équi- pés, « soldats de cretonne ou de nankin », ou même sim- plejfnent « les jaunes », cette couleur dominant dans ce singulier uniforme.

Alors que le détachement de la division Vaubois regagnait son camp de la plaine de Bron, le général Vaubois retrouvait, tous les officiers généraux, chefs de corps et de service de Tarmée de la Convention, réunis au château de la Pape, vieille demeure que dominent deux hautes tours carrées et qui se dresse fièrement sur la rive droite du Rhône. Dans la grande salle basse dont les fenêtres donnent sur le fleuve, se pressaient, à distance respectueuse des deux convention- nels Dubois-Crancé et Gauthier et du général Kellermann, les généraux de division Dumuy et Saint-Remi, les géné- raux do brigade Lajolais, Petit-Guillaume et Vaubois, le commissaire général des guerres Alexandre, les chefs de

1. « Une action s'engage avec Brotteaux. Le feu se soutient avec vigueur, et la victoire nous reste, les provisions entrent. » I.e Bulletin départe- mental, n" 8 (du 14 août), fait à ce sujet un éloge dithyrnnibique de Précy, qu'il termine ainsi : « Précy est votre ami, votre frère, liez-vous à ses ta- lents. Tous les hommes de Tari, jusqu'à Relleruiaiin. rendent hommage à son savoir militaire. »

ENGAGEMENTS D ATAWT-POSTES 259

brigade * Lagrange, commandant l'artillerie, La Roque, du 5* régiment de cavalerie, Beaumont, du 9* régiment de dragons, les chefs de bataillon Valette, du 5* bataillon de grenadiers, Massol, du 1*' bataillon de TArdèche^, Lasserre, du 2* bataillon de TArdèche, Davin, du 3* ba- taillon de la Drôme, Pouget, du 1" de TAude, Marignac, du 1*' du Gard, Mayer, du bataillon franc de la Répu- blique, Saint-Privé, du 2* bataillon du 13* régiment, Prouvereau, du 6* bataillon de la Gironde, Coyade, du 3* de risère. Petit, des gardes nationales de TAin, Lixot, commandant le bataillon des pionniers, Laroche, com- mandant du génie, PAris, commissaire des guerres, Bayle, chef d'escadron de la gendarmerie de Tarmée, et Gaugelin, commandant les Lyonnais jacobins sortis de la ville et formés en détachements d'éclaireurs.

Le véritable président de ce conseil de guerre n'était pas le brave Kellermann, l'officier général expérimenté et populaire investi du commandement en chef des armées des Alpes et d'Italie, c'était Dubois-Crancé, ou plutôt Dubois de Crancé, ou même, comme il se faisait appeler jusqu'en 1789 : Crancé de Balham !

Le régicide aurait tout voulu détruire de son passé de gentilhomme; quatorze ans dans la Maison du Roi^, sa lientenance des maréchaux de France pour la province de Champagne et la supplique tant de fois renouvelée pour la croix de Saint-Louis que le ministre La Tour-du-Pin eut enfin la faiblesse de lui accorder*.

Cet ambitieux dépourvu de scnipule s'érigeait en

1. Le chef de bataillon Alleaa, du bataillon n* 2 de VAnlèche, bmsqnc- ment indisposé, fut obligé de se retirer au moment de la délibération. Oa fit courir le bruit que les Lyonnais l'avalent empoisonné, ce qui était abso- lament faux.

2. Membre de la Convention, il vota la mort sans appel.

3. On j'ai été reçu à la sollicitation de Madame la Dauphine ». Supplique de Dubois de Crancé à la Tour du Pin, ministre de la Guerre, pour solliciter la croix de Saint-Louis, avril i"l)0. {Hcvuc historique de la Révolution fran- çaise, 5' année ; 14 janvier 18S6.)

4. L'ordonnance rovale est du 15 octobre 1790.

230 l'insurrection de lyon en 1793

généralissime sans avoir jamais fait la guerre et en ne comptant comme services militaires que des factions d'an- tichambre et des escortes de carrosses royaux*.

Les officiers dont il prétendait diriger la délibération n*avaient rien de commun avec ses origines et ses vio- lences. Sortis des rangs du peuple, pour la plupart, ayant gardé toutes les ardeurs généreuses de leur jeunesse, ai- mant passionnément la République, mais une République de conciliation, ils ne cachaient pas leurs sympathies pour les Lyonnais, républicains comme eux et ne com- prenaient point qu'on bombardât une ville parce qu'elle avait chassé sa municipalité. Indignés de ce que Dubois- Oancé eût dégarni la frontière qu'ils étaient chargés de défendre contre les Autrichiens et les Piémontais, généraux et officiers supérieurs détestaient ce membre de la Con- vention aux regards inquisiteurs, au commandement impérieux, aux caprices brutaux.

Nul n'ignorait les scènes odieuses dont le grand quartier général avait été le théâtre : l'exécution sans jugement de l'officier lyonnais Guillot, des chasseurs de Précy, blessé et fait prisonnier au combat de Cuire, fusillé avec un de ses cavaliers sur Tordre de Dubois-Crancé; l'arrestation d'une jeune femme échappée de Lyon, M"' Chappuis, à laquelle il reprochait de Tavoir traité de scélérat dans une lettre particulière. Bien qu'il Teût maltraitée, sa coura- geuse captive lui avait tenu tête et avait été remise en li- berté sur l'intercession des soldats attirés par ses cris. On citait de nombreux traits de violence il était d'ailleurs encouragé par sa maîtresse. D'une honnête famille de la bourgeoisie lyonnaise à laquelle elle ne pouvait pardon- ner les blâmes que méritait son inconduite, M"'' F*** avait tiré elle-mt^me du camp de Caluire un coup de ca- non sur la ville, dans la direction de la place Bellecour, espérant atteindre quelques voisins dans le quartier qu'elle avait habité.

1. ïl était aux mousquetaires de 1762 à 1716.

ENGAGEMENTS I) AVANT-POSTES 231

Voici ce qu'on murmurait dans le camp républicain sur Dubois-Oancé et sa sanguinaire Egérie.

Le conventionnel sent autour de lui une sourde hosti- lité qu'il veut dominer, il ordonne à Kellermann de commencer la délibération. Sur Tinvitation du général en chef, le général de division Saint-Remi, chef de Tétat-ma- jor, lit les trois propositions qui suivent.

« Est-il convenable d'allaquer de vive force les hauteurs de la Croix-Rousse et quels sont les moyens d'en assurer le succès, sans sacrifier un très grand nombre de défenseurs de la République.

« Serait-il avantageux de se rendre maître du faubourg de la Guillotière et d'établir sur la rive du Rhône des bat- teries de gros calibre, en canons et mortiers pour attaquer avec une vigueur et un feu soutenus la ville de Lyon par le côté du fleuve ^

« Doit-on passer la Saône avec une grande partie des troupes campées à Caluire ou se rendre vers les hauteurs de Fourvières et les suivantes; attaquer par le côté qui donne lavantage d'un très bon emplacement pour battre la ville de Lyon^?

Le chef de Tétat-major rend compte au conseil de la reconnaissance militaire que le général d'armée lui a ordonné de faire entre les chemins de Tarare et de MAcon et pfès des hauteurs de Fourvières et de Saint-Just. Dans cette reconnaissance, le général Saint-Remi s'est con- vaincu que Tarraée peut s'approcher et arriver au delà du chemin de Montbrison, sur les hauteurs du coteau de Champagne d'où elle pourrait aisément pénétrer dans le quartier de Sainte-Foy et attaquer Lyon avec de grosses batteries, soit de cet emplacement, soit en se portant sur le quartier Saint-Just. Cependant il fait observer au conseil que cette marche éloignerait trop l'armée des deux rives,

1. Procès-rerhal du conseil dr fjitvtrr assenihié le H août 17î)3 an rhdteau fie la Pape, par l'onlre <lu gOiitM-al d'arinée Kellorinann. {Arc/tires histo- riques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1793.)

232 l'insurrection de lyon en 1793

qu'il est très important de dominer tant pour assurer les convois de subsistances, que pour en ôter aux Lyonnais le cours si utile à leurs vivres et aux objets de leur com- merce.

Après cet exposé, le général de division Dumuy et plu- sieurs chefs de bataillons affirment qu'il est possible d'arriver d^attaques en attaques bien combinées sur la droite et sur la gauche, jusque devant les portes de Lyon en arrière de la Croix-Rousse.

Le chef de Tétat-major fait adopter le projet d'atta- quer le pont du Rhône par des batteries de gros calibre et lorsqu'elles auront produit l'effet qu'on en doit attendre, d'attaquer de vive force les hauteurs de la Croix-Rousse, sur lesquelles on ne cessera pas d'inquiéter les rebelles. Nous lisons dans le procès-verbal :

Le Conseil a unanimement donné son vœu pour ces deux attaques et le général a aussitôt donné ses ordres au général de brigade Vaubois qui commande les troupes de la partie opposée au Rhône, au commandant de Tartillerie, à celui du génie, pour préparer les moyens d'exécution et y mettre la plus grande célérité.

Le premier de ces moyens est de détruire à coups de canon le pont de bois dit Morand établi sur le Rhône, d'attaquer ensuite la tête de pont que les rebelles y ont construite. Le second moyen sera de détruire et d'incendier la ville par des bombes et des boulets rouges et d'agir ensuite suivant les ordres que donnera le général d'armée; le tout conformément au dé- cret de la Convention nationale et aux réquisitions des repré- sentants du peuple députés à l'armée des Alpes '.

1. Fait au quartier général de la Pape, le 14 août 1793, Tan il de la Répu- blique française.

« Signé : Gaujolin, Lirey, Davin, Saint-Privé, Mayer, Victor Coyaile, J. Marignac, Ponvereau, Ponget, Petit, Valette, Lagrange, Laroque, Bayle, Puris, .Massol, Marc Beauniont. Vaubois, Laroche, Félix Dinnuy, Petit- Guillaume, La Serre, Charles Saint-Renii, Alexandre, Lajolais, Kellermann, Dubois-Crancé et Gauthier.

fPour copie conforme à rorigrinâl.) << L e g en étal d'A rm ée , « Kellkrmaxn. ^

(Archircs historiffues de la duerre : Armée des Alpes.)

ENGAf;EMENTS d'aVANT-POSTES 233

Dabois-Crancé, contrairement à ses habitudes, et son docile imitateurGauthier affectaient desurveillorla délibé- ration sans y prendre part, afin de pouvoir rendre l'auto- rité militaire responsable des événements et de frap[)er les généraux si le succès ne répondait pas au plan arrôlé par eux.

Kellermann et son chef d'état-major pressèrent les me- sures d'exécution. Ordre fut immédiatement donné à deux détachements de se rendre au camp de Bron^ et de s'y mettre à la disposition du général Vaubois.

Le 1" bataillon de volontaires du Gard (commandant Marignac) devait partir sur le champ avec ses deux pièces approvisionnées pour aller camper sur la rive droite du Rhône et garder remplacement du pont de bateaux pro- jeté vers le moulin de la F^ape. Le commandant du génie Laroche et son capitaine adjoint devaient tracer et faire construire la tôte de pont sur la rive gauche du Rhône '^

Les pièces et les approvisionnements d'artillerie étaient réclamés d'urgence à Grenoble.

Enfin le chef de brigade Lagrange, commandant l'artil- lerie des troupes devant Lyon, recevait l'ordre «de faire fabriquer stir-lf-champ quatre grilles à rougir les boulets dans les proportions les plus solides et de se pourvoir du nombre de soufflets et de la quantité de charbon né- cessaire pour le service de dix canons approvisionnés cha- cun à 400 ou 500 coups-^ ».

Le bombardement allait donc commencer, les représen- tants et les amis de Chalier tenaient leur revanche du 29 mai.

1. Ces détachements (^talent : un demi-bataillon de volontaires can- tonnés à Serve, une compagnie d'artillerie légère et nn escadron de dra- gons à Boiii'g. [Archives historiques de la fiuerre : Armée des Alpes^ août 1793.)

2. Ordre de mouvement du 14 août rniAine source).

3. Ordres signT'S par radjudant-g/^niTal Sandos, 14 août 1793. {Archircs historiques de fa (iuerre : Avinée des Alpes, 1793.)

CHAPITRE XIV

LA MISSION DV COMMISSAIRE DES GUERRES PARIS

KELLERMANN DÉNONCÉ

L'activité de Précy ne se démentait pas et, sur ses in- cessantes recommandations, les commandants des avant- postes lyonnais observaient tout ce qui pouvait intéresser la défense. Alors que se tenait le conseil de guerre de la Pape, le lieutenant-colonel Vigne, commandant la caserne de Serin, rendait compte que d*après ses reconnaissances personnelles, un poste ennemi, cantonné devant la Croix- Rousse, manquait d'eau et qu'il était obligé de venir faire sa provision à la Saône auprès de Cuire. Ne pourrait-on pas Tinquiéter ou môme le débusquer en lui coupant la communication avec la rivière"? Précy hésita, l'ennemi prévenu sans doute reçut ses provisions d'eau par l'arrière et le projet de surprise fut abandonné '.

A Saint-Irénée, le lieutenant-colonel Hévérony, qui avait repris le commandement de son bataillon de Saint- Georges, en y joignant celui du bataillon de TEgalité (chef de bataillon Duclaux), signalait un bataillon qui n'était pas sous ses ordres et qui, évitant avec soin de faire des patrouilles à Textérieur, se bornait à rester sur ce qu'il appelle spirituellement le continent. Révérony demandait à lui faire prendre le service de Tuvancée, concurremment avec les deux autres bataillons^. 11 se trouvait en discus- sion sur ce point avec Tadjudant-général Buvier, son chef de brigade, qui renvoyait tous les soirs la moitié des

1. Archives fiépartementales.

2. 1(1. W. h/.

1.A MISSION DU COMMISSAIRE DES GUERRES PARIS 235

troupes de piquet coucher dans la ville pour ne pas les fatiguer inutilement *. Cet adjudant-général ne redoutait pas les surprises de nuit... un tel optimisme n'était pas sans danger et Précy le réprimanda de dégarnir ainsi ses postes^.

A Vaise, le baron de Fontet qui y commandait avait fait sortir un détachement de trois cents hommes sous les ordres de M. Passerat de la Chapelle, ancien officier d'in- fanterie. Ce détachement s'était porté au poste de Grange Blanche, situé à environ une lieue de l'enceinte et il devait se rencontrer avec un détachement de Saint-Just. Le lieutenant-colonel Révérony, qui n'avait reçu que les ordres du colonel de Fontet dont il n'était pas régulière- ment le subordonné, en avait attendu la confirmation par Tétat-major et n'avait pas quitté son poste, au grand mécontentement du commandant de Vaise qui s'en plaignit avec irritation au général de Précy"^.

Le détachement de M. de la Chapelle recueillit « une grosse charretée de blé » qui élait annoncée à M. de Fon- tet. Quelques hussards républicains en patrouille vinrent faire le coup de pistolet au moment les Lyonnais ren- traient dans leur ligné. M. de la Chapelle, officier d'infan- terie plein d'expérience '*, se contenta de montrer ses baïonnettes aux cavaliers de Kellerinann et put ramener, sans mort ni blessé, sa voiture d approvisionnement "».

Les défaillances commençaient déjà et Tune d'elles at- trista profondément Précy. Un jeune officier pour lequel il avait de l'attachement, lui fut signalé comme ayant déserté ;

i. Archives départementales.

2. Id.

3. Id.

4. M. Passerat de la Chapelle avait quitté depuis longtemps le service comme lieutenant d'infanterie. Il avait soixante ans quand il reprit les armes au siège de Lyon.

5. M. de Fontet dit dans son rapport du U août : « Nous, nous gardons notre poudre pour ne pas la tirer aux moineaux. L'armée que je com- mande est en grande partie bonne et pleine de valeur. » Le mot « armée» est un peu exagéré pour désigner deux ou trois bataillons.

236 l'insurrection de lton en 1793

cette nouvelle était bientôt confirmée par le frère du sol- dat félon. Nous avons eu cette lettre entre les mains et nous la reproduisons, en taisant seulement le nom du signataire, qui appartenait à une famille des plus hono- rables :

14 août. Au poste Saint- Georges.

Je viens d'apprendre mon général, que mon frère n'a pas paru depuis hier. Je suis désespéré de cet événement et j'ai déjà semé le bruit que je craignais qu'il n'eût été tué ou fait prisonnier. Je vous prie pour moi et pour Tintérèt de la chose même d'appuyer ce bruit.

Retenu à mon poste par le devoir et par une incommodité que la démarche de mon frère aggravera sans doute par le chagrin qu'elle me cause, je n'ai pu avoir l'honneur de vous voir. Je vous prie de m'excuser et de me plaindre.

Dans la soirée du 14 août, Précy apprend Tarrivée imprévue d'un parlementaire. Il semble qu*au moment d'attaquer sans merci la ville qu'ils détestaient, Dubois- Crancé et son adjoint Gauthier aient éprouvé un dernier remords et qu'ils aient voulu tenter un accommodement. Quoiqu'il en soit, ils avaient choisi le commissaire des guerres Paris, homme d'un jugement calme et impartial, estimé à l'état-major de Kellermann pour sa droiture et la sévérité de ses mœurs et lui avaient confié une lettre pour les corps administratifs de Lyon. Les représentants envoyaient, le môme jour^ à la Convention deux arrêtés, datés du 10 et du 12 août. Le premier portait démembiv- ment de Rhône-et-Loire et la création sous le nom de département de la Loire d*un nouveau département com- posé des trois districts qui formaient « le ci-devant Forez »>. Cette mesure leur avait paru indispensable pour faire

i. Archives départementales.

LA MISSION DU COMMISSAIRE DES GUERRES PARIS 237

cesser raulorité « des rebelles de Lyon » sur une popu- lation de 300.000 âmes*.

L'autre arrêté, inspiré aussi par le désir d'isoler Lyon, portait la création d'une municipalité au faubourg de la Guillotière et la réunion de cette commune au district de Vienne, département de l'Isère 2.

Paris, précédé de son trompette de dragons qui son- nait au parlementaire, s'approche des avant-postes lyon- nais du général Grandval, ce dernier venait de passer l'inspection de ses batteries et de demander le renforce- ment do son matériels Ni l'arrivée du commissaire- ordonnateur, agitant un mouchoir blanc, ni les sonneries de son trompette n'arrêtent le feu de mousqueterie très vif qui vient de s'engager entre le bataillon de grenadiers de Kellermann et les troupes lyonnaises. Toutefois à la vue du parlementaire le feu de ces dernières se ralentit, mais il n'en est rien du côté des soldats de la Convention. En vain le trompette se tourne-t-il de leur côté, redouble-t-il ses sonneries pendant que Paris multiplie ses gestes de pacificateur, le feu continue toujours sur toute la ligne des avant-postes de Kellermann^. L'envoyé des représen- tants a mis pied à terre pour s'abriter, son cheval effrayé des coups de feu s'enfuit, le trompette lui-même retourne au camp sans s'inquiéter autrement de l'officier qu'il escortait. Enfin Paris s'approche du poste Panthod gardé par les grenadiers de Guillaume-Tell et le bataillon du port du Temple en agitant toujours son mouchoir blanc.

Les Lyonnais lui serrent la main, l'embrassent; une petite escorte de « citoyens soldats » lui fait franchir les

1. Vaësen, Documents imprimés, p. 21.'

2. Vaëscn, même source.

* 14 to«t.

3. <iLe général Grandval, couiniandant général du faubourg de la Croix- Rousse, réclame du Comité militaire deux cents lances à feu, et des étoupes au prorata des mèches, etc. -• {Archives départementales.)

4. Rapport de Paris au général Kellermaun [Archites historiques de la Guerre : Ainnée des Alpes, août 1*93).

238 l'insurrection de lyon en 1793

barricades du poste du centre et longer les épaulements de la batterie de Gingenne, le conduit à travers des jar- dins dont les murs sont percés de meurtrières jusqu'à rentrée du faubourg Saint-Clair^ il rencontre le géné- ral Grandval. Paris lui déclare qu'il vient en conciliateur avec une lettre des représentants et une autre de Keller- mann ; Grandval Tcmbrasse à son tour et le fait conduire à rhôtel commun, sans qu'on lui bande les yeux. Pen- dant le parcours dans le faubourg, et dans le quartier des Terreaux, la foule Tacclame et Tapplaudit, de nombreux gardes nationaux en armes viennent lui serrer la main. C'est au milieu d'une ovation non interrompue que Paris pénèlre dans l'Hôtel de Ville. Introduit dans la salle des délibérations du comité de sûreté générale, il remet d'abord la lettre suivante de Kellermann :

Du quartier général de la Pape, 14 août.

Le citoyen Paris, commissaire des guerres attaché à Tarmée des Alpes, est chargé d'une lettre des représentants du peuple. Elle doit être rendue aux autorités administratives établies dans votre ville ; je lui ai donné Tordre de rapporter cette im- portante dépêche, s'il ne peut la remettre directement à rassem- blée générale de votre commune en séance publique.

Puisse cette communication fraternelle des représentants

réaliser le vœu que je forme, avec toutes les troupes, de ne

faire de vous et de nous qu'une seule armée de patriotes, prêts

à marcher contre les vrais ennemis de la République ! Puisse-

t-elle aussi m'empêcher de mettre à exécution les mesures

rigoureuses, qui viennent d'être arrêtées dans ce moment au

Conseil de guerre !

Kellermann.

l. « L'avant-poste des Lyonnais m'a cerné et je n'ai pu suffire aux em- brassades et aux marques de cordialilé qu'il m'a témoignées. J'ai été con- duit de poste en poste que j'ai trouvé très garnis jusqu'au faubourg Saint- Clair, un officier général, à qui j'ai déclaré l'objet de ma mission, m'a reçu avec la même fraternité. »

Le commissaire des guerres Paris au général Kellermann, Lyon, 14 août 1793. (Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes^ août 1193.)

LA MISSION DU COMMISSAIRE DES GUERRES PARIS 239

Le commissaire des guerres donne ensuite le message des représentants du peuple qui portait la date du 10 août.

Citoyens, quelle est donc Tinfluence de ceux qui se sont emparés de tous les pouvoirs dans votre ville ? Plusieurs décrets de la Convention nationale leur ont interdit toute fonction et c^est sur leur réquisition que vous vous armez en même temps que vous avez juré obéissance à lu loi.

Quel est donc cet égarement dans lequel vous persistez ? On ne cesse de vous faire dire que vous voulez résister à l'oppres- sion. A qui entendez-vous imputer un système oppressif? Serait-ce au général de Tarmée ? Mais il ne fait qu'exécuter les décrets de la Convention ? Serait-ce aux représentants du peuple ? Mais ils ont été chargés spécialement de vous faire rentrer dans Tordre, soit par Tinstruction, soit par la force armée. Ils ont employé le premier moyen sans succès ; leur devoir leur impose la nécessité de recourir au second et ils obéissent à la loi. Vos reproches porteraient donc sur la Con- vention nationale ? Mais toute fraction de peuple, qui ne veut pas se soumettre à ses décrets est dès lors en révolte. Pourquoi la Constitution que vous dites avoir juré de maintenir aurait- elle créé des pouvoirs, si chaque fraction de la société pouvait dire : « La loi m opprime, je résiste. »

Il n'y a pas de gouvernement sans obéissance à la loi. Vous en voulez un et vous ne voudriez pas admettre ce principe sans lequel il ne peut exister ? Convenez que cette erreur est Teffet de Tempire qu'ont sur votre esprit quelques hommes pervers*.

Les représentants protestaient ensuite contre les pro- jets que leur attribuaient u ces hommes pervers » : des- truction de la ville, meurtre dos citoyens, pillage des propriétés et ils terminaient ainsi :

Citoyens, nous ne pouvons répondre à toutes les impostures que les royalistes de votre cité se permettent contre nous, nous nous bornerons à nous dire qu'ils ne font qu'entasser men-

i. Paris, impr. nationale, in-8° de 6 p., 1793; Va*»sen, Documents im- primés : Lyon en 1793. le Siège, p. 30.

240 L*I>SIHHECT10N DE LYON EN 1793

songes sur mensonges et que la justiftcation des représentants du peuple est dans la conduite qu'ils ont toujours tenue confor- mément à la loi.

Vous savez que la force armée vous cerne de toutes parts. Vous n'ignorez pas que Kellermann a pris toutes les disposi- tions pour une attaque prochaîne. Eh bien ! rassemblez-vous, en dépit de ceux qui se sont emparés de Tautorité ; émettez un vœu de vrais républicains et vous n*aurez plus d'inquiétude. Vos personnes, vos propriétés seront sauvées. Votre sort dé- pend donc absolument de la conduite que vous tiendrez. Observez que le temps coule rapidement et qu'il n'est plus pos- sible de vous accorder de longs délais.

Dubois-Crancb. Gauthibr '.

Ces deux lettres furent lues par le président Bémani dans le plus grand silence. Plusieurs membres de TAs- semblée émirent le désir que la lettre des représentants fût rendue publique, ce qui fut décidé k Tunanimité. En conséquence on l'envoya à Timprimerie pour être commu- niquée aux sections el placardée dans la ville '^.

Le général de Précy était présent, il s'abstint de mani- fester la moindre désapprobation au nouvel ultimatum des représentants, mais comme on entendait des détona- tions de pièces d'artillerie dans la direction de la Croix- Rousse, il dit avec beaucoup de calme à l'envoyé de Kel- lermann : « Du temps que nous parlementons, croyez- vous qu'on nous attaque? J'entends le canon. Je ne le crois pas, répond Paris. Si cela arrive, c'est faute d'être instruit de ma mission. Eh bien, dit Procy à un de ses aides de camp, allez dire aux braves Lyonnais qu'ils ne répondent point h ce fou 3. »

1. Inipr. nationale. Î793, in-8* de 6 p. V. aussi Vai'sen, Documents impriinvs, iVXl.

2. Arrhiips hisiiK'iqiies de la Guerre: Armre des J//>e.v, août i793 (le couiMiissaire des guerres Paris au gtl'ut rai Kellcrniaini;.

3. Bulletin di'imriemenltU, w" 8 (du 15 août . Le Bulletin ajoute, avec emphase : « la sublimité de cet ordre se ?ent et ne peut s'exprimer. »

LA MISSION DU COMMISSAIRE DES GUERRES PARIS 241

L'aide de camp alla donner au général Grandval Tordre de ne plus tirer, les avant-postes lyonnais crurent que l'accord était fait et que le siège allait être levé. Les troupes de la Convention continuèrent leur feu, mais devant l'attitude silencieuse de leurs adversaires, elles redoutèrent quelque embuscade et ne tentèrent pas de prendre l'offensive. Bientôt le feu s'éteignit aussi de leur côté.

Paris fut engagé à rester à Lyon jusqu'au moment il aurait acquis la preuve que le Comité de Sûreté géné- rale ne laissait rien ignorer aux habitants des négocia- tions en cours. Le commissaire des guerres se mêla à la population, dès le soir même de son arrivée, et « conçut l'impression la plus favorable^ ». Il adressa sur-le-champ un rapport à ce sujet au général en chef Kellermann.

Le lendemain 15 août, des députés de toutes les sec- tions, au nombre d'environ douze cents, se pressaient dans la grande salle et nommaient, pour rédiger une réponse aux représentants, quatre commissaires : Richard (de Saint- Etienne), Deschamps, Goiran et Mallechard. Le projet de réponse, lu par l'un des signataires, fut adopté par accla- mation, signé par tous les présidents et secrétaires des sections et remis au commissaire Paris.

Les membres du corps administratif s'étaient tenus en dehors de la discussion; ils ne reprirent leur séance qu'après le vote des délégués.

L'adresse aux représentants commençait ainsi :

Citoyens,

Toutes les sections se sont assemblées, votre lettre leur a été communiquée. Les corps constitués et le Comité général de Surveillance et de Salut public ont suspendu leurs fonc-

Baileydier (dans son Histoire de Lyon, t. 1, p. 392) dit que Précy avait offert sa démission au Comité, nous n'avons pas trouvé trace de cette marche, i. Rapport de Paris à Kellermann, précité.

i6

242 l'inslrrection de lvox en 1793

lions ; ce ne sont plus les délégués du peuple de Lyon, c*est tout le peuple de Lyon entier qui vous répond.

Nous ne savons si vous avez eu Tintention de jeter la division parmi nous, en feignant d'être persuadés que les dépositaires de notre confiance se sont emparés de Tautorité et la con- servent pour nons opprimer.

Mais nous ne pouvons concevoir comment le citoyen Gau- thier, témoin de la journée du 29 mai., a pu douter que le peuple de Lyon ne fût capable des plus généreuses résolutions et pût se laisser opprimer par ses administrateurs.

Quant à l'accusation de royalisme, la Convention, les représentants, leur général et l'arnaée ont un moyen bien simple de la contrôler, qu'ils lisent les proclamations lyonnaises et surtout qu'ils envoient à Lyon des commis- saires choisis dans les départements voisins, môme dans les départements les plus hostiles à celui de Rhône-et- •Loire et qu'ils fassent leur rapport en présence de Tarmée qui assiège Lyon.

La réponse se terminait par ces véhémentes apos- trophes :

Ceux qui servent les ennemis de la Patrie, ceux qui servent Pitt sont ceux qui veulent détruire une ville dont le ministère anglais paierait bien cher la ruine.

Au reste, citoyens, nous retournons à nos postes et le peuple ne correspondra plus avec vous que par Torganedeses administrateurs. 40.000 hommes sont sous les armes, ils ont juré de défendre jusqu'à la mort les droits de Thomme, leur liberté, leurs propriétés et la sûreté des citoyens qu'ils ont investis de leur confiance.

Voilà notre réponse. Si vous n'êtes pas assez justes pour vous croireobligés de consommer une grande iniquité, marchez, vous trouverez des hommes courageux et vous verrez ce que peuvent faire de vrais républicains qui défendent leurs foyers et la loi *.

i. Procès-verbal dresse par les citoyens des sections connposant le dis- trict de Lyon, réunis dans la grande salle du conseil général de la com- mune. Lafont, président (rage. Lyon, A.-V. Delaruche, 1793. Vaësen, Docuinenlfi im^irunés, p. 3S.

LA MISSION DU COMMISSAIRE DES GUERRjES PARIS 243

Le président Bémani, après avoir remis-ca document au commissaire des guerres Paris, l'engagea à rendre à ceux qui Tavaienl envoyé un compte fidèle de tout ce qu'il avait vu et entendu. Il ajouta avec une émotion vérita- blement touchante :

Nous résisterons à Toppression, oui, nous y résisterons par tous les moyens que la nature, le courage et les lois mêmes mettent en notre pouvoir. Oui, nous le jurons et nous prenons à témoin de nos serments le Dieu vivant des armées qui nous écoute, cette Providence vengeresse de tous les crimes qui peuvent se commettre, le courage et Thonneur de 40.000 hommes qui défendent leurs foyers, Ténergie de toute la population de cette ville, le tribunal de Topinion publique, Tintérét sacré qu^inspire cette cité, le bonheur enfin de nos mères, de nos femmes, de nos enfants, de nos respectables parents K

A cette époque de scepticisme, Padjuration profondé- ment religieuse, que nous venons de reproduire avait quelque chose de saisissant.

Sur la proposition d'un délégué des sections, et en pré- sence du commissaire des guerres, tous les membres pré- sents répétèrent individuellement la formule du serment républicain.

On a prétendu que Paris, agent accrédité de Kellermann et comme lui désireux d'éviter k la population lyonnaise les rigueurs d'un siège meurtrier, avait eu des conférences secrètes avec les personnages influents. Nous n'en croyons rien; comme son général, Pjlris se bornait, tout en la déplorant, à exécuter sa consigne. Il évitait prudemment ces conciliabule3 dont le secret pouvait être éventé par les nombreux Jacobins, demeurés à Lyon et qui, profi- tant de la longanimité, de la pusillanimité ou de Pin- différence des autorités civiles, restaient impunément en communications fréquentes avec Dubois-Crancé et ses

i. Bulletin (lêparlementaK ir 11 '18 août nî)3).

244 l'insurrection de lyon en 1793

agents. Rien n'indique que Paris ait fait quelque tenta- tive personnelle.

Avec la réponse aux représentants, il emportait une lettre du Comité général de Surveillance et de Salut public pour le commandant de l'armée des Alpes.

A la lettre du général Kellermann, le Comité général de Surveillance et de Salut public faisait la réponse qui suit :

Citoyen Général,

Nous avons reçu des mains du citoyen Paris, commissaires des guerres, dépêche des représentants du peuple.

Nous n'avons pas eu besoin de la rendre aux autorités admi- nistratives, parce que depuis Toppression qui pèse sur nous, toutes les autorités constituées de la ville de Lyon et du dépar- tement ne forment plus qu'un corps : le comité général de Surveillance et de Salut public.

Vous témoignez des inquiétudes sur la communication de la dépèche à toute la Commune.

Cette inquiétude vous suppose indignement trompé, nous sommes cruellement calomniés et Tétat de Lyon est absolu- ment méconnu.

Vous avez mis en marge ces mots : en séance publique. Vous croyez donc que Tesprit du peuple de Lyon n'est pas celui qui nous anime ?

Sans rien présager sur le rapport personnel que le citoyen Paris sera dans le cas de vous faire, nous pensons que le vœu librement et légalement exprimé par les sections vous con- vaincra du contraire.

A la fin de cette lettre, vous émettez un vœu, celui de ne faire de vous et de nous qu'une seule armée de patriotes, prêts à marcher contre les vrais ennemis de la République. Ce vœu est le nôtre.

Général, nous sommes faits pour nous expliquer avec fran- chise. Vous, les représentants et l'armée du camp de la Pape, êtes abusés et trompés sur les principes des habitants de cette cité. Eh bien ! que de part et d'autre des commissaires soient envoyés, ils s'éclaireront mutuellement. Nous laissons à votre cœur le soin déjuger de quelle utilité pourrait être une entrevue

LA MISSION DU COMiMISSAIRE DES GUERRES PARIS 245

franche et amicale. Sous la garantie du droit des gens, de votre loyauté personnelle et d'un sauf-conduit, nous présumons que les commissaires du peuple de Lyon et du département se rendront sans crainte dans votre camp.

Comptez avec raison sur la même réciprocité.

Salut et fraternité !

Bémani,

Président K

Après ces pourparlers le Comité de Sûreté générale, pressentant uii investissement plus étroit, voulut assurer la subsistance de la ville et prit l'arrêté suivant :

Article premier. Au nom du Salut public, toutes les mu- nicipalités dont les campagnes sont encore garanties de l'inva- sion de nos ennemis par la force armée de sûreté du département de Rhône-et-Loire, sont invitées à faire battre leurs grains et conduire à Lyon tout le superflu de leurs besoins pour trois mois.

Art. 2. Les propriétaires de grains, qui feront les envois à Lyon, recevront de la municipalité de cette ville et de la compagnie de l'emprunt de trois millions destinés aux sub- sistances, des bons pour rendre en nature et aux époques déterminées les grains qui auront été apportés.

Art. 3. Les convois de grains qui seront destinés pour Lyon seront surveillés par les commissaires civils préposés à cet effet, et escortés par la force armée de sûreté de Rhône-et- Loire d'après les ordres du commandant général qui en sera préalablement avisé.

Art. 4. Au moyen des dispositions de Tarticle 3, en cas d'événement, la perte des grains est et demeure à la charge de la commune de Lyon dont la garantie solidaire de tous les habitants assure la responsabilité ^.

Cette mesure n'était pas d'un pessimisme exagéré car le même jour, 16 août, dans raprès-midi, un trompette de l'armée de Kelierniaim remettait un dernier ultima- tum des représentants, qui ne pouvait laisser d'illusion :

1. Vaësen, Doruinf/its impri)n(''s : Lf/nn m 1793, le Siège^ p. 35-36.

2. Bulletin départe mental y n* 9 («lu 16 HOÛt 1793).

5*6 l'inslrrection de lyoi* en \19'à

Les représentants du peuple envoyés près V armée des Alpes et dans les départemenls de Saône-et- Loire ^ Rhône^t-Loire et de VAm^ au peuple de Lyon,

Citoyens,

Les présidents des sections nous proposent une nomination respective des commissaires et en même temps ils nous déclarent que désormais le peuple de Lyon ne correspondra plus avec nous : on redoute une communication franeke et loysle entre le peuple el ses" représentants. Eh bien ! nous déclarons à netre tour que noua ne pouvons pas coimBfiiiMlucr avec des autorités sans caractère, puisque les décrets de la Convention s*y opposent» Nous ne connaissons que la Loi, nous n'obéissons qu'à elle et nous ne traiterons jamais avec des fonc- tioiuMbires qui persiateot à la méconnaître. Voilà noire dernier Mi'.

Signé : Dubois-Crancb, Sébastien Laportr, Gauthier, Claude Javogubs^

Le représentant Javogues venait en effet d'arrivé au camp de la Pape, ce fougueux terroriste était un ancien huissier du Forez. On annonçait aussi Tarrivéed'un autre conventionnel, Sébastien Laporle, ex-procureur alsacien, moins porté aux mesures de proscription que Dubois- Crancé et Javogues mais aussi docile que Gauthier.

Le nouveau message des représentants motiva un sentiment d^indignation unanime dans la population lyonnaise. De nouveau les sections se réunirent et nommèrent des dt'Iégués au nombre de 1.800. Une seconde expédition de la réponse qu'avait emportée le commissaire Paris fut déposée dans les sections pour être revêtue des signatures de tous les citoyens de bonne volonté. Des commissaires les recueillirent à domicile, il y eut plus de vingt mille adhérents-. La plupart avaient

1. Bulletin tlt parlementai, précité.

2. Les représentants liront inipriujer cette liste et la transformèrent eu liste (le proscription. Les noms seuls occupent dans ié«litiou in-8* de l'hu- prinierie nationale, 91 grandes pages, petits caractères.

LA MISSION DU COMMISSAIHE DES GUERRES PARIS 247

signé, ceux qui étaient illettrés avaient fait constater par témoins leur adhésion. Ces adresses furent portées par un trompette aux représentants, à leur quartier-général de la Pape, avec cette lettre d'envoi :

Lyon, le 17 août 1793.

Le peuple de Lt^on en réponse aux citoyens Dubois- Crane^^ SébéMsiien Laporley Gauthier^ Claude Javogues^ représen- tanls du périple envoyer près de r année des Alpes et dans les départements de Saône-et-Loire^ Rhône -et- Loire et de CAin,

Citoyens représentants,

Vous n'avez plus de prétexte pour paraître douter de notre vœu, nous vous renvoyons notre première lettre revêtue des signatures individuelles du peuple de Lyon. Nos commissaires sont les membres de nos corps administratifs, et nous déposons de nouveau en leurs mains la plénitude de notre confiance.

Si vous avez à faire des propositions, le peuple de Lyon vous somme de les lui adresser. On y délibérera : voilà son dernier mot ^

Des nouvelles inexactes de Marseille contribuaient à la surexcitation des Lyonnais et entretenaient leurs illu- sions'^ Il venait d'arriver à Thôtel commun un message du comité général des 32 sections de Marseille, daté du 12 août et qui, après avoir félicité les Lyonnais de leur résistance les informait, sans préciser, des prétendus succès de l'armée marseillaise renforcée « des dignes Toulonnais ».

Aux avant-postes de la Croix-Rousse, « les Crancéens », comme les appelait le bulletin départemental, avaient abandonné, sans tenter de leur donner une sépulture, les corps de quelques-uns des leurs, tués dans la journée du 13.

i. Bulletin dé/jiirfchiental, 10 du 17 août}, signé Castellanet, Reponty, Peloux.

2. On affiniiait aussi, daus le Itullctin, que Grenoble allait prendre le parti de Lyon, l'un des administrateurs de l'Isère, Hoyer, ayant »'*crit à ses concitoyens pour leur arfirnier le républicanisme des Lyonnais.

248 l'insurrection de lyon en 1793

Des exhalaisons méphitiques se répandaient, égale- ment pénibles pour les avant-postes des deux partis; un chirurgien de Tarmée de Kellermann et ses infirmiers n'osaient s'en approcher. Les grenadiers du bataillon de Guillaume-Tell apostrophèrent le chirurgien : » Em- portez-les ! si nous en avions eu sous la bouche de votre canon, nous eussions bravé la mort pour remplir ce de- voir' ! »... On ne releva pas les cadavres des soldats de Kellermann.

Les représentants menaient joyeuse vie au château de la Pape, régnait en maîtresse de maison Tamie de Dubois-Crancé, M^'F***. Plusieurs acteurs du théâtre des Célestins, sans emploi, y donnaient des représentations'-^'. Ce fut donc au sein des plaisirs, selon l'expression de Tépoque, qu'ils rendirent exécutoire dans la soirée du 16 août l'arrêté de la veille dont il convient de donner le texte in extenso :

Les représentants du peuple à Varmée des Alpes

Considérant que depuis 6 jours que Tarmée de la République est devant Lyon, cette ville, bien loin de se soumettre aux décrets de la Convention, ne cesse de faire de grands prépara- tifs de défense et que les sommations ont été sans résultats:

Considérant qu'il existe dans Lyon une grande quantité d'émigrés, de prêtres réfractaires ou d'étrangers soudoyés par Pitt, qui gouvernent tout, qui tiennent le malheureux peuple de Lyon dans l'aveuglement et l'esclavage.

Considérant que les mouvements et les efforts des Marseillais et des Toalonnais qui, ayant l'ennemi presque dans leurs ports sont assez perfides pour employer même les garnisons des vaisseaux contre une portion de l'armée de la République, ne tendent qu'à s(î rapprocher des Lyonnais, pour faire de cette ville le centre de la contre-révolution, que, dans tout le midi, les aristocrates machinent et tentent un soulèvement ou une di- vision en faveur des révoltés de Lyon;

1. Bulletin di'partemenfalf n* 10 (du 17 août).

2. Irt.

LA MISSION DU COMMISSAIRE DES GUERRES PARIS 249

Considérant que tant de manœuvres et de perversité ont comblé la mesure des forfaits et que tout doit céder au salut de la République,

Arrêtent :

Le général Kellermann est requis de faire à Tinstant toutes les dispositions nécessaires pour incendier la ville de Lyon et forcer en même temps les hauteurs de la Croix-Rousse.

En conséquence 4 mortiers seront passés de Tautre côté du Rhône vers la Guillotière, pour tirer des bombes sans relâche sur les quartiers en face.

Pendant ce temps, quatre pièces de 16, placées il y en n déjà deux, échaufferont à boulets rouges tout le quartier de la porte Saint-Clair jusqu'à THôtel de Ville.

Lorsque la ville sera incendiée dans quelques parties, il sera fait une attaque sur le faubourg de Vaise par le détachement aux ordres de Rivaz, et une attaque de vive force, avec la plus grande partie de Tarmée sur les hauteurs de la Croix-Rousse, de manière à profiter du désordre pour emporter à la fois tous les retranchements.

Les représentants du peuple déclarent au général Keller- mann que c'est au nom du salut de la République qu'ils le requièrent d'exécuter rigoureusement ce plan dans le délai de vingt-quatre heures, prenant sur eux la responsabilité des événements, quant aux désastres qui peuvent en résulter pour la ville de Lyon et comptant sur son zèle et son intelligence ainsi que sur la bravoure des troupes de la République pour son

exécution.

Fait au quartier général de la Pape, le 15 août^

Les représentants écrivaient direclenfientau général Vau- bois, commandant le camp de la Guillotière :

Les circonstances se trouve la République nécessitant une attaque sur la ville de Lyon avec des bombes et des boulets rouges, les représentants du peuple requièrent le général commandant le camp de la Guillotière de protéger autant qu'il

1. Vaësen, Documents im/nhnés, p. 39 et 40.

250 l'insurrection de lyon en 1793

dépendra de lui, sans compromettre ses batteries, le» maisons de la Charité et de Ihôpital dit lUùtel-Dieu.

Dubgis-Crancé, Claude Javogubs^

Celte préoccupation de sauvegarder les hôpitaux ne de- vait pas embarrasser longtemps Dubois-Crancé, comme on le verra bientôt.

Devant la réglementation de ce bombardement à ou- trance, le général Kellermann, toujours un peu inquiet, hésitant, crut devoir mettre sa responsabilité à Tabri, en informant directement, non pas le Ministre de la Guerre, fantoche dont le Comité de Salut public tenailles ficelles, mais le Comité lui-mômc. Il communiqua donc les dernières pièces de sa correspondance avec les Lyon- nais, Tarrôtédu Conseil de guerre tenu au quartier géné- ral le 14 août et le rapport tout récent du commissaire des guerres Pâris'^.

Quant à la position de Tannée, vous verrez par la lettre des représentants du peuple qu'elle est toujours la même, ayant devant elle des forces considérables et un amphithéâtre de batteries qui couvre tout le front de la Croix-Rousse entre la Saône et le Rhône, et il ne nous restera donc à réduire cette ville que par des bombes et des boulets et d'attaquer les hauteurs de la Croix-Rousse, dans le moment nous serons assurés que le bombardement aura produit une grande division parmi eux.

El le soldai discipliné, qui ne discutait jamais les ordres qu'il recevait, attendait patiemment, convaincu qu'il n'avait rien à redouter ni de la Convention, ni des re- présentants en mission à son armée.

il s'illusionnait sur le compte de ces derniers, car ils le dénonçaient en écrivant, eux aussi, au Comité de Salut public, par le même courrier qui emportait son

1. Vaëspn, Documents impriinés : Lyon en 1793, le Siège^ p. 41.

2. Archives historiques de la Guerre. Année des Alpes, août 1793.

LA MISSION DU COMMISSAIRE DES GUEHRES PARIS 251

rapport. Nous n'avons pu retrouver aux Archives histo- riques de la Guerre le texte môme do la lettre, mais nous y avons recueilli le bulletin analytique qui la résume officiellement. Le voici :

15aoûtl793.

Les représentants Gauthier et Dubois- Crancé au Comité de Salut public

Ils rendent compte de la supériorité des forces de Lyon sur Tarmée du général Kellermann.

Ils ne trouvent pas ce général assez rigoureux pour I..yon et ne manifestent pas de confiance dans le général Dumuy. Ils demandent le commandement en chef de Tarmée des Alpes pour le général Brunet et de TArmée d'Italie pour Carcedec*.

1. Archives historiques de la Guerre: Année des Alpes, août 1193.

CHAPITRE XV

PETITS COMBATS. GRANDS PRÉPARATIFS COMMUNICATIONS INATTENDUES

Le cercle se resserrait autour de Lyon. Le colonel Jos- sinet, qui commandait à OuUins, à Textrême-sud de Lyon et à près d'une demi-lieue du pont de la Mulatière, vit arriver dans la matinée du 15 août une bande de paysans armés « poussés » par des dragons. Les avant-postes lyonnais éloignèrent à coups de fusil les uns et lesautres^ Quelques paysans avaient riposté avant de disparaître.

Deux heures après sur la même rive du Rhône, un bateau monté par quelques hommes également en arities, chercha à aborder. Un petit poste du détachement d*Oul- lins fit feu, le bateau s'arrêta et ses passagers sautèrent sur la rive opposée. Deux soldats lyonnais se mirent à la nage et se trouvèrent aux prises avec des paysans embusqués". Leurs camarades les soutinrent de leur feu, les paysans s'enfuirent, mais on entendit sonnerie tocsin^.

L'ennemi avait rassemblé sept bateaux et semblait vou- loir établir un pont de la rive gauche à la rive droite^. Précy donnait de nouveau au colonel Jossinet Tordre de s'établir solidement îi Oullins, de surveiller toute tenta- tive de Tennemi pour franchir le Hhone et de pousser des patrouilles sur Sainte-Foy, Francheville et Saint-Genis. .lossinet, informé que le procureur syndic d'Oullins était

1. Archires départemetilales.

2. Id.

3. Id.

4. Id.

PETITS COMBATS 253

tout dévoué à Dubois-Crancé, le fit arrêter et envoyer sous escorte au Comité de Surveillance de Sûreté de Lyon... qui le fit relâcher.

Ce môme Comité trancha un conflit d'attributions fort singulier dans la circonstance. La gendarmerie de Rhône- et-Loire, commandée par un lieutenant-colonel, un capi- taine et cinq lieutenants*, ne refusait pas en principe son concours à la défense de Lyon, mais elle entendait agir dans toute son indépendance et semblait depuis quelques jours réserver son action pour ce qui rentrait autrefois uniquement dans le service de la maréchaussée.

Précy estimait que de vieux militaires comme les gen- darmes et les officiers devaient payer d'exemple et se tenir en tout temps à la disposition du général en chef et de Tétat-major. Le Comité, dans son arrêté du 15 août, lui donna gain de cause, requérant la gendarmerie et ses sept officiers « de se ranger nonobstant toute réquisition contraire et prendre les ordres sous le commandement du citoyen Perrin-Précy, général de la force de sûreté du département et de lui obéir en tout ce qu'il commande- rait pour la défense de la République et la sûreté du département, à peine d'être déclarés traîtres à la patrie, et comme tels punis par les voies les plus rigoureuses. Tous les maréchaux de logis, brigadiers et gendarmes, sous les ordres desdits officiers, demeuraient personnelle- ment et individuellement soumis à la même réquisition sous la môme peine^ ».

Le tir des batteries de Montessuy restait peu meurtrier sur les avant-postes de la Croix-Rousse ; cependant les représentants apprirent, par un de leurs nombreux agents disséminés dans Lyon, que les blessés lyonnais des pre- miers combats restaient très impressionnés de la canon-

1. Le lieutenant-colonel Ducreux de Trôzette. le capitaine Guignet- Vorion, les lieiitenanls Biirys, Capclevillc, Lafalle, Mathon et Meynard.

2. Fait à Lyon, au Comité particulier de sûreté publi«|uc, le 15 août 1793. l'an 11 de la République. Signé : Richard, Pécoret, Grandval, Venannouze {Collection Coate, bibliothèque municipale de Lyon).

254 l/lNSLRRECTION Di: LYON EX 179.*{

nade. Ils surent aussi que trois boulets, en frappant les murailles de l'hôpital militaire de Sainl-Irénée, avaient produit dans les salles des malades une sorte de panique promptement calmée par le sang-froid du personnel médical et des femmes courageuses qui l'assistaient. DuboiB- Crancé réitéra à Kellermann Tordre d'activer le bombar- dement, il y joignit l'injonction de donner lassaut aux hauteurs de la Croix-Rousse, en faisant contresigner sa réquisition par Javogues, Laporte et Gauthier.

La Pape, 16 août 1198.

Les représentants du peuple à Tannée des Alpes, après avoir épuisé toutes les mesures de conciliation, n^ayaot reçu aucune réponse des citoyens de Lyon et n'ayant jamais pu faire parvenir leurs instructions aux individus qui se disent corps administratifs de cette ville, et dont les pouvoirs contraires à la loi sont une continuité de rébellion, ayant reçu en dernier lieu pour toute réponse à leurs différentes instructions la pièce ci-jointe par laquelle les autorités rebelles persistent dans leurs révoltes.

Après avoir appelé près d'eux leurs collègues chargés de la même mission dans les départements de Saône-et-Loire, Rhône-et-Loire et de TAin, et s'être concertés ensemble sur les dernières mesures à prendre;

Considérant que la rébellion de la ville de Lyon, les efforts de Marseille et de Toulon, pour forcer les passages qui doivent y conduire, les troupes mises sur pied par ces villes également rebelles et Tattaque inopinée des frontières, faite par les Piémontais dans la Maurienne et le Faucigny, sont des mou- vements combinés contre les intérêts de la République qui tendent à sa destruction entière, à celle delà liberté et de Téga- lité, qu'il n'est plus temps, qu'il n'est plus aucun moyen de ne considérer une telle conspiration que comme le simple effet d'un égarement, mais comme la suite atroce de tous les plans préparés, soit par le fédéralisme, soit par le royalisme, soit par l'aristocratie pour anéantir la France ;

Arrêtent :

io Que sur la communication donnée par le général Keller- mann d'une leltreen date du l5août écrite par les prétendus corps

PETITS COMBATS 255

administratifs et délégués du peuple dans le département de Rb6ne-et- Loire dans laquelle les membres de cette administra- tion proposent qu'il soit nommé de part et d'autre des commis- saires pour une entrevue franche et amicale, il n'y a lieu à dé- libérer.

2* Que le général est requis de prendre toutes les mesures les plus promptes et nécessaires pour que, dans le délaide deux fois vingt-quatre heures, le résultat du Conseil de guerre tenu avant-hier soit exécuté dans son entier et qu'en conséquence la viUe de Lyon soit incendiée par des bombes et des boulets rouges, tant des batteries qui seront placées à la rive gauche du Rhône que des hauteurs de Mentessuy et que les troupes soient réunies en forces suffisantes pour former, pendant l'in- cendie, une attaque de vive force et s'emparer des hauteurs de la Croix-Rousse, même entrer dans la ville Tépée à la main s'il y a lieu.

Dans le cas le général sentirait quelque inconvénient à la prompte exécution de ce plan, il en donnera sur le champ les motifs par écrit aux représentants du peuple afin qu'il soit de suite concerté avec lui aux moyens de pourvoir à ce que le sa- int de la République ne soit pas plus longtemps compromis.

Ah quartier général de La Pape, le 16 août 1193 ^ l'an II de la république française.

Signé : Claude Javogues, Sèb. Laportr, Dubois-Crancé, et Gauthier.

Kellermann pressentait nettement les difficultés qui échappaient h la présomption des représentants; il ré- pondit, le même jour :

Voici les inconvénients qui s'opposent à la prompte exécu- tion du plan d'attaque contre Lyon proposé par les représen- tants du peuple.

. Le nombre présumé supérieure nos forces de gens armés à Lyon ; ce nombre paraît s'élever au moins à 25.000 hommes bien armés et décidés à se défendre jusqu'à la dernière extré- mité ;

2* La multiplicité des moyens connus de défense préparés

1. Archives historiques de la (hierre : Annce des Alpes, août 1193.

i5^» l/lNîfL'BRECTION DE LYON EN 1793

par les Ljonnais dans le faubourg de la Croix-Roosse, ainsi qoe dans tons les points susceptibles d'attaque et la difficulté que noos arons eoe jusqu'à présent de reconnaître tons ceux qu'on présume encore y rencontrer;

3^ Le temps nécessaire ponr établir sûrement les batteries dirigées contre la ville de Lyon sor la rive ganche du Rhône ;

4* L*incertitude je suis de la disposition des troupes envers les Lyonnais, incertitude qui s'est manifestée dans le Conseil de guerre tenu dernièrement en présence des représen- tants Dubois-Crancé et Gauthier; dans ce Conseil de guerre tous les membres ont maintenant témoigné le désir très pro- noncé d'employer toutes les voies d'instruction avant d'en venir à celle de rigueur, d'où il est résulté que le Conseil de guerre a adopté avec transport la lettre des Représentants du peuple lyonnais rédigée par le citoyen Gauthier;

5*^ L'entrée subite des Piémontais dans le département du Mont-Blanc et l'impossibilité se trouvent les troupes que j*y avais placées d'opposer une résistance à cette invasion, vu leur infériorité occasionnée par la partie quej*aî été obligé d*en soustraire pour marcher sur Lyon.

Je déclare au surplus et de la manière la plus solennelle et

la moins équivoque, que je veux me conformer avec la plus

scrupuleuse exactitude, à la lettre et à l'esprit, tant aux décrets

de la Convention nationale qu'à l'arrêté que les représentants

viennent de me signifier, mais que si, en y obéissant aveuglément,

les événements venaient à tourner d'une manière contraire aux

intérêts de la République je n'entends être garant d'aucune des

suites qui pourraient en résulter, mais les rejeter extrêmement

et uniquement sur la responsabilité des représentants telle

qu'elle puisse être.

Kellbrmann *.

Mais, le lendemain, Kellermann redoute d'avoir montré avec trop de précision les dangers de la tâche que lui imposaient los représentants et de devenir suspect. Le général s'excuse de sa franchise, dans sa lettre du 17 août, écrite dans ce même château de la Pape oii il subit leur

1. Le général en chef de l'armée des Alpes et d'Italie aux citoyens repré- sentants du peuple en mission à l'armée, quartier général de la Pape, le 16 août 1193. {Archives hisfariques de la Guerre : Arin*}e des Alpes, août 1793.)

PETITS COMBATS 257

redoutable cohabitation; il les assure de son adhésion pleine et entière à tout ce qu'ils requerront de lui, mais il leur soumet encore quelques observations.

Les délégués de la Convention ordonnent d'incendier Lyon dans la semaine. Or d'après des renseignements sûrs, le département du Mont-Blanc peut être envahi par (es troupes du roi de Sardaigne qui occupe le Faucigny et menace aussi le département de Tlsère. Dans sa loyauté de brave soldat et de vrai patriote, il leur déclare que Tattaque de Lyon n'a rien d'urgent :

Nous faisons la guerre aux Piémontais et aux Lyonnais, mais les premiers s'avancent et s emparent de notre territoire, les seconds se bornent à défendre le leur. Ainsi il faut aller d'abord contre Tennemi qui attaque. Nous serons toujours à temps de retrouver l'autre s'il persiste à l'être.

L'opération militaire dirigée contre l'invasion des Piémon- tais ne peut être longue, si l'on marche rapidement pour y mettre obstacle ; dans un mois, les neiges commenceront à fer- mer les passages des Alpes et les Piémontais fuiront avant ce temps s'ils voient qu'on s'avance à eux. Aussi avant un mois, ils s'empareront du département du Mont-Blanc et le garderont pendant l'hiver s'ils voient qu'on ne veut point s'y opposer ^

Kellermann n'osait en dire davantage, il ajoutait même respectueusement :

Je sais que la force armée m'est confiée autant pour réprimer les ennemis intérieurs que pour repousser ceux du dehors, examinez, citoyens représentants, quels sont ceux qu'il est urgent de combattre.

Les représentants et leurs amis du Comité de Salut public n'avaient pas les mêmes préoccupations. Us obte- naient de la Convention, le 18 août, un décret aux termes duquel « le Minisire de la Guerre devait faire porter avec

1. Kellenii.iiin aux représentants. La Pape, 17 août [Arclùres hitiloriques de la Guert'e : Année des Alpes ^ 1793).

17

258 l'inslriiection de lyon en 1793

la plus grande diligence des forces additionnelles à Tarmée chargée de réduire les rebelles de Lyon et faire respecter l'autorité nationale dans cette ville ». Un crédit de deux millions était mis à la disposition du ministre Bouchotte pour l'exécution de cette mesure ^

A Lyon, la résistance s'affirmait et s'organisait. Quelques habitants originaires de Bordeaux avaient demandé qu'un des bataillons lyonnais portât le nom du chef-lieu de la Gironde, en raison de sa résistance aux Jacobins. Le Comité militaire avait accordé cette requête et bien que ce ba- taillon n'eût pas l'effectif normal, comme les gardes natio- naux qui en faisaient partie étaient pour la plupart jeunes, riches et décidés à la résistance, Précy prescrivit la for- mation d'une compagnie de chasseurs et d'une compagnie de grenadiers qui furent envoyées à la Croix-Rousse pour relever les détachements des bataillons de Guillaume-Tell et de Porte-Froc éprouvés par la maladie.

Du côté d'Oullins, le colonel Jossinet, aussi zélé que prudent, rendait compte que ses troupes d'infanterie étant inexpérimentées mais pleines de bonne volonté, il leur faisait élever des épaulements sur la rive droite du fleuve, ce qui les abritait et leur permettait de surveiller efficacement les mouvements de l'ennemi. 11 prétendait garder la zone de Vernaison à la Verrerie'^, c'est-à-dire à une lieue et demie sur la rive droite du Rhône, ce qui était méritoire avec les forces restreintes dont il dis- posait.

Précy avait mis à sa disposition l'escadron de chasseurs à cheval qui, quoique fort bien commandé par les capi- taines BolHoud de Chanzieu et Barbier, prit l'initiative de demander par une pétition' la nomination d'un colonel

1. Dôcret «If la Convention du 18 î\oiii{Ai'chires hisloricjues de la Guerre : Année: des Aîpfs, août 1*95).

2. Arcfiires /ntinicipales, 17 août.

3. Archircs munir ipdles^ 17 août. Dans le rapport, il y a « Vertaison » au lieu i\c Vernaison.

4. IVtition (les rhasseui"S à cheval qui pn-sentcnt à la nomination du

PETITS COMBATS 259

pour la cavalerie. Or la cavalerie se réduisait à cet esca- dron, le général déclara qu'il resterait sous les ordres du colonel Jossinet, commandant d'Oullins. Le caractère un peu impérieux de cet ancien officier de maréchaussée ne le faisait pas désirer comme chef par les chasseurs à cheval, recrutés parmi les jeunes gens les plus élégants de la société lyonnaise ; toutefois ils se montrèrent tou- jours très disciplinés.

Dans une reconnaissance, du côté de Pierre Bénite, un détachement d'infanterie lyonnaise accompagné de deux pièces de canon, aperçut plusieurs bateaux réunis par des paysans et des soldats du génie de Tarmée de siège, une tête de pont se trouvait ainsi amorcée. Trois coups de canon détruisirent Touvrage, dispersèrent les ouvriers et les soldais '.

La commune de Saint-Genis-Laval avait fourni des travailleurs à cet essai de pont, le colonel Jossinet envoya un demi-escadron de chasseurs à cheval, sous les ordres du capitaine Barbier, occuper ce village dont la défense eût été facile grâce à sa position naturelle et à des restes de fortifications. Au bruit de la canonnade, les gardes nationaux de Saint-Genis-Laval s'étaient retirés dans leurs maisons et ne firent aucune difficulté pour rendre leurs armes aux cavaliers lyonnais'-^ qui les rapportèrent à l'Hôtel de Ville.

Le 19 août, à quatre heures du matin, une batterie de la division Vaubois, placée à l'extrémité Nord-Est de la Guillotière, ouvrit le feu en tirant, non sur la batterie du quai, mais sur des maisons particulières, puis sur l'hôpi- tal et sur les bâtiments de la Douane, les charges de poudre étaient probablement trop faibles, car les boulets

général : Perrejuid, Savarouct, Lachasagne. Signé : Lecler, Petit, Rendu, Madinier aine, Bernon, Ségeunet, Monivert, Laval, Barmont jeune, Du- perret. [Aî'chives mufiicipales^ 17 aoi'il.)

1. Bulletin parlementai, w 11 (18 août). Le Bulletin ajoute : << Celle portion de Lyon sera encore libre.

2. Récit de Texpédition dans la roUection Rosas.

260 l'insurrectiow de lyon en 1793

frappèrent les murailles sans y faire de dégâts sérieux. Les canonniers de la redoute Ghôneiette, sous le comman- dement du baron Tourtoulon de la Salle, ne répondirent pas pendant deux heures. A six heures du soir Précy envoya Tordre de riposter et le lir bien dirigé des artil- leurs lyonnais démonta bientôt une pièce de la. batterie de laGuillotière', celle-ci cessa son feu et Ton put cons- tater que les canonniers de la Convention s'étaient mis prudemment à Tabri.

Le Comité de Sûreté générale de Lyon crut devoir prendre une mesure qui rappelait les mauvais jours de la municipalité jacobine; il prescrivit à tous les Comités de burveillance des sections d'établir la liste « de tous les citoyens suspects et particulièrement de tous les individus notoirement soupçonnés d'avoir été grossir Tarmée de Dubois-Crancé- ». C'était rouvrir l'ère des basses délations, le Comité était mieux inspiré en renouvelant avec auto- rité rinjonction de placer devant toutes les maisons des baquets remplis d'eau et en invitant « toutes les per- sonnes ayant l'usage de l'arquebuse à se faire inscrire sur un registre à la municipalité pour Torganisation d'un corps de tirailleurs ». Il vînt quelques volontaires, que l'on versa dans la compagnie des arquebusiers, qui com- prit alors une cinquantaine d'hommes, armés de mous- quets de rempart fort lourds, reposant sur une petite fourche'^ et ayant une portée double des fusils ordinaires.

Dubois-Crancé faisait préparer le bombardement. « Les bombes sont prêtes, la mèche est allumée », écrivait-il à la Convention '*, et il le faisait avec d'autant plus de quié- tude qu'il avait envoyé à Chambéry Kellermann sous la

1. bulletin du déparlement, n* 12 (10 aoîlt).

2. Vaësen, Documents imprimés, p. 47.

3. Les chasseurs tyroliens pendant la campagne d'Italie en 1839, devaient se servir de carabines à lon^çue portée, mais très lourdes qu'ils plaçaient sur une petite fourche en fer comme les arquebusiers lyonnais de 1103.

4. Les représentants au comité de Salut public, 18 août (Bulletin des autorités militaires).

PETITS CÛMRATS 264

surveillance de Gauthier « afin d'empêcher le« progrès des Piémontais qui avaient déjà envahi Une partie de la. frontière*». Si Tarmée des Alpes n'avait pas été dégarnie, les Piémontais n'auraient pu s avancer aussi facilement.

11 fut établi et le Bulletin du dèparte^nent le constata officiellement, que la plupart des acteurs du théètre des Célestins, si cher au public lyonnais, étaient restés fidèles au parti de leurs concitoyens. Quelques transfuges avaient! été charmer les proconsuls du château de la Pape et leurs compagnes, mais le gros de la troupe, directeur en tète, n'avait pas déserté la cité en danger. Ces artistes avaient offert de jouer leur répertoire et Tun d'eux avait déclamé le 19 août une pièce de vers de circonstance, qui avait mérité à Tauteur et à son interprète les bravos des spectateurs et les éloges de l'organe du Comité de ^reté générale^. Les camarades de cet acteur devaient d'ail- leurs, payer de leur vie, leur sympathie à la cause lyonnaise.

Précy jouissait de la meilleure et de la plus légitime popu- larité'. Estimé de ses officiers qui appréciaient son esprit de justice, sa bienveillance et son dévouement incessant à la défense, aimé des « citoyens-soldats » qui le savaient accessible à tous et préoccupé de leurs besoins, le géné- ral, encore très vigoureux et très actif, s'absorbait dans ses devoirs militaires, en évitant d'assister ordinaire- ment aux oiseux débats du Comité de surveillance gé- nérale. Dans ses visites aux hôpitaux, il encourageait les femmes charitables qui soignaient les malades et les

1. Les représentants au oouiilé de Salut public, 18 août Bulletin des autorités militaires).

2. <i Tout ce qui tend à inslniire est du ressort de ce Bulletin^ dit solen- nellement le Bulletin du 20 août, nous devons des éloges à une pièce inti- tulée : Un républicain (tu balai lion de la Liberté aux soldats patriotes de Varmée de Kellermann. Ilien de plus heureux que le rapprochement que fait l'auteur de la guerre civile prête à s'allumer entre le faubourg Saint- Antoine et la section de la Butte des Moulins. Des frères allaient s'entre- gorger, ils s'expliquent et ils s'embrassent Le même résultat aurait lieu à Lyon si cette communicalioii franche ])(>uvait se faire. » [Bulletin dépar- temenlaf, n* \'\.)

262 l'insurrection de lyon en 1793

blessés. Beaucoup d'entre elles étaient des religieuses que la tourmente avait chassées de leurs paisibles couvents ; après s'être cachées comme tant d'autres, dans de pré- caires abris, elles étaient devenues infirmières et même ambulancières. N'est-ce point la destinée des religieuses d'accourir, au premier appel, comme servantes de la Patrie sans avoir jamais cessé d'être celles de Dieu? L'une d'elles, dont le nom ne nous est pas parvenu, avait eu la jambe fracassée en relevant un blessé à la Croix-Rousse. Trans- portée à l'hôpital par le docteur Ponçan, qui dut l'am- puter, cette femme héroïque mourut en chantant le Te Deum^.

Parmi les combattants, se trouvait un grand nombre de prêtres. Les autorités lyonnaises avaient commis la mauvaise action de ne pas rendre à la liberté les ecclé- siastiques détenus iiPierresçize avant le 19 mai pour avoir refusé le serment, le même sort pouvait frapper tout prêtre dénoncé pour refuser de participer au schisme constitution- nel. Leurs compagnons d'armes devinèrent souvent leur caractère.

Aux jours de combats on vit ces ministres de la Religion se pencher sur les mourants et leur murmurer les paroles mystérieuses et sacrées qui consolent et fortifient les croyants. On les respecta toujours, mais s'ils étaient ren- trés dans les rangs de la population civile, sous la sur- veillance des sections, qui sait si quelque Jacobin irré- ductible ne les eût pas dénoncés? Tant il est vrai qu'aux jours de révolution l'Armée donne dans ses rangs obscurs un asile souvent inviolable.

Précy en connaissait quelques-uns, de ces prêtres-sol- dats, il en devinait beaucoup à leur air de résignation, de mélancolie et de bonté. Le général reconnaissait aussi et non sans fierté de vieux compagnons d'armes, simples soldats presque tous, pour ne pas exciter de soupçon. Ils

1. Balleydier, Uistiure de Lyou^ t. Il, p. 18.

PETITS COMBATS 263

gardaient leur allure militaire et leurs manières de gen- tilshommes en dépit de Tûge et d'un costume, dont la pauvreté ne pouvait se hausser à un semblant d'uniforme. 11 y avait aussi de nombreux ouvriers, la plupart jeunes, qui faisaient d'un cœur vaillant la guerre aux Jacobins; tous saluaient de leurs acclamations le vieil officier, que le vœu populaire avait nommé général et qui, dans sa fer- meté modeste, incarnait l'esprit de sacrifice militaire.

Ce sont certes de hautes vertus, mais elles ne suffisent pas à soulever une population et à rendre une garnison invincible, il faut au commandant d'une place assiégée l'indomptable énergie qui fait prendre Toffensive chaque fois qu'elle est possible, qui rend la défense toujours re- doutable, qui prépare les surprises meurtrières et les sorties victorieuses.

A la fin de la journée du 19 août, Précy, accompagné de quelques officiers, visitait la redoute Gingenne com- mandait l'ancien maître d'armes du régiment de la Cou- ronne * et celle du cimetière de Cuire dont le comman- dant était le capitaine Verdun dit le Prussien parce qu'il avait servi au Royal Allemand. 11 inspecta ensuite une batterie placée à l'avancée du cimetière sur une butte assez élevée. Le chef de cette batterie était non pas un militaire, mais un ingénieur, dont on ne connaissait ni le passé, ni le véritable nom, il avait dit se nommer Pierre et comme il portait un feutre blanc et un costume de mol- leton de môme couleur, on Tavait surnommé le Pierrot^^. Les hommes le respectaient et lui obéissaient avec em- pressement, surtout son pointeur de prédilection Rater. Le lieutenant-colonel Milanais les présentait à Précy qui les félicitait de leur bonne réputation de canonniers et

1. « Précy lui dit : « Tu es le saint Pierre de la Cnûx-Housse, mou brave. « Coiiiment cela, mon gôiuTal ? N'as-tu pas les clrs de la porte? « Vous avez raison, mon général, et le diable m'emporte si saint Pierre * ne devient pas saint Laurent, avant qu'elle soit ouverte à ces fondeurs de o. cloches. Balleydier, Histoire de L;/on^ t. 11, p. 20.

2. /r/., p. 21.

261 l'insurrection de lyon en 1793

allait quitter la batterie lorsque « le Pierrot » fît pointer une pièce sur un personnage fort empanaché, qu'on recon- naissait pour un représentant du peuple : Dubois-Crancé lui-même! Celui-ci lisait un rapport ou étudiait un plan, pendant qu'un cavalier d'escorte tenait àquelques pas son cheval par la bride. Le général des Lyonnais, arrêtant le pointeur qui avait en main la mèche à feu, lui défendit de tirer, ajoutant. « Contentons-nous denous défendre! » Le Pierrot et Rater regardèrent Précy avec une douloureuse surprise. Quelle belle occasion perdue!... Rater, dans son amour-propre de chef de pièce, demanda l'autorisation de tirer sur le cheval, cette compensation lui fut accordée et la monture de Dubois-Crancé, frappée par le projectile, s'écroula dans une mare de sang...^

« Le fidèle Précy » aurait se rappeler que si, le 10 août, à la défense des Tuileries, Tartillerie du château avait ouvert le feu sur les assaillants comme le souhaita un moment Napoléon Bonaparte sur la terrasse du bord de l'eau, si un *< chevalier du poignard » ou quelque brave canonnier suisse avait eu la bonne fortune d'abattre Ronsin ou l'un des Marseillais « de marque », qui les conduisaient, leurs bandes se seraient probablement dis- persées. Dubois-Crancé tué, le siège de Lyon n'en aurait pas moins continué, car les troupes qui y prenaient part étaient nombreuses, disciplinées et bien commandées; mais los Lyonnais auraient rencontré moins de mal- veillance, moins de haine chez les autres représentants. La Convention, mieux éclairée sur les véritables senti- ments de la population lyonnaise et des autorités de cette ville, aurait peut-être consenti kla pacitication... Elle Ta bien accordée à Charette et à ses Vendéens, à Cor matin et aux chouans de Bretagne.

Le coup de canon qu'à bonne portée la sensibilité de Précy épargna à l'ancien lieulenant des maréchaux de

1. Balleydier, Hisfnire de h/on, t. H, p. 22.

PETITS COMBATS 265

France ne devait plus être tiré dans des conditions aussi favorables pour le pointeur, car, depuis la perte de son cheval, Dubois-Crancé semble s'être tenu hors de portée des projectiles.

Les batteries de Montessuy ayant riposté, celles de Cuire, de Gingenne et de Nérac leur répondirent, la ca- nonnade dura plusieurs heures, demeurant à peu près inoffensive ^

Le général Dumuy avait pris provisoirement îe com- mandement de toutes les troupes de siège ou, comme on disait à la Pape, des troupes des trois camps (Caluire, Limonest et la Guillolière). Le général Saint-Remi, chef d'état-major, souffrant et suspecté par l'entourage des représentants comme « ci-devant, » devait être suppléé, le plus souvent, par Tadjudant-général Sandos, qui avait de meilleures références.

Du ministère de la (iuerre arriva Tavis d'un renfort important : 4.000 hommes, provenant de la garnison de Valenciennes, «aguerris et animés du meilleur esprit». Dumuy, voulant faire preuve d'initiative et espérant écarter les dangereux soupçons de Dubois-Crancé et de ses collègues, donna les ordres qui suivent :

La moitié de Tarmée bivouaquera cette nuit, les comman- dants des bataillons, les adjudants-généraux et autres officiers de r Etat-Major, les officiers généraux^ se partageront la nuit pour faire de fréquentes rondes vers les postes avancés et dans les camps pour les tenir en alerte.

Deux compagnies de grenadiers se rendront sur le champ au poste des chasseurs de TAriège sur le chemin qui conduit à la porte Saint-Clair. Les sentinelles avancées dans ces postes seront toujours de service deux ensemble et relevées

i. Bulletin clépnrtementnl, n" 13 (du 20 août). On peut relever les inexactitudes intéressées dans cet organe, comme l'affirmation de n'avoir eu que quelques blessés et d'avoir tué trente hommes à l'armée de la Convention, alors (jue les rapports de cette armée ne signalent aucune perte.

2. On remarquera comme révélant bien les mœurs de l'époque la prudente modestie qui assigne aux généraux la dernière place dans cette énumération.

266 l'insurrection de lyon en 1793

toutes les deux heures pour éviter qu'elles ne s'endorment ou se négligent.

Deux escadrons du 5*^ régiment de cavalerie et un demi- bataillon de la Drôme avec deux pièces de canon se rendront sur le champ au quartier général de la Pape, ils bivouaque- ront avec le demi-bataillon de TAriège. 40 cavaliers seront détachés sur le chemin de la porte Saint-Clair, ils seront com- mandés par un capitaine et un lieutenant. Ils y bivouaqueront deux cents pas en arrière des chasseurs de TAriège et des deux compagnies de grenadiers.

Il restera 50 cavaliers commandés par un capitaine et un lieutenant à leur poste du camp de Caluire. La garde du pont de bateaux sera doublée et bivouaquera.

Les officiers de tous grades logés au quartier général, la compagnie de la gendarmerie nationale et les guides resteront bottés toute la nuit, chacun ayant un cheval sellé pour y monter à la première alerte.

Le Général de division

Chef de V Etat-Major de V Armée des Alpes,

Pour copie conforme :

VA djudant-général^ Th. Sandos *.

Malgré ces préparatifs d'attaque, la journée du 20 août àe passa sans incident marquant. Au camp de la Guiilo- tière, le général Vaubois constata que ses batteries étaient encore trop exposées au feu des Lyonnais pour reprendre son essai de bombardement. Au camp de Limonest, le général Rivaz, commandant un rassemblement de gardes nationaux mal armés et indisciplinés, se félicitait d'être séparé par deux lieues et demie de l'enceinte de Lyon. Il crut devoir, sur son initiative personnelle, envoyer une petite colonne d'infanterie et de cavalerie pour observer et occuper au besoin Ecully ', à deux lieues de son camp, et qui était à un quart de lieue de l'enceinte.

1. Arrhirrs historifjKcs de la Guerre : Armée des Alpes^ îioûl 1193.

2. Id. : JUijipnris des trois camps <lu MO au 21 août. Il y a « Eciilier '> sur le ra|»[iort du grni'ral Saiut-ROuiy, c'est E<*ully qu'il faut lire.

PETITS COMBATS 267

L'infanterie était formée par un demi-bataîllon de volontaires de Saône-et-Loire. Ce détachement s'établit à une croisée de chemin près du château de Villeneuve; un de ses petits postes fut surpris par une patrouille de chasseurs de Précy, qui lui captura un officiera

Les hussards du général Rivaz ne furent pas aussi audacieux; arrivés à deux portées de fusil du bourg d'EcuUy, ils apprirent que cette localité était occupée par un détachement de l'armée lyonnaise, tant d'infanterie que de cavalerie - ; on parla môme de deux pièces de canon, ce qui était inexact. La vérité était que la garde nationale d'Ecully et celle de Dardilly, qui s'était jointe à elle, toutes deux du parti lyonnais, occupaient encore Ecully sous le commandement de leur chef de légion, M. Carra de Vaux, ancien capitaine au régiment d'Orléans infan- terie. C'était précisément lui qui, ayant à sa dispo- sition quelques chasseurs, les avait envoyés en patrouille vers le Nord. La petite colonne du camp de Limonest y revint précipitamment, redoutant d'être coupée 'K

Devant la Croix-Rousse, les troupes du camp de Ca- luire continuaient à observer les avant-postes, quelques coups de canon furent tirés sur les positions lyonnaises dont l'artillerie riposta, tua deux grenadiers et en blessa deux autres. Un cinquième et un canonnier disparurent'*. Le bruit courut qu'ils étaient originaires de Lyon et avaient été rejoindre leurs compatriotes.

Dans les trois camps, pour ne pas mécontenter Dubois- Crancé, les états-majors redoublaient de zèle. Sandos faisait partir un officier pour (irenoble afin de presser le départ de 200 grenades à main, avec fusées chargées, et de 2.000 sacs à terre, le tout destiné au camp de la Guillotière. Deux adjudants-généraux, Pouget et Lécuyer,

1. Rapports lies trois camps du 20 au 21 août (Archives historiques de la liuerre: Armée des Alpes).

2. Id.

3. Id.

4. Id.

268 l/iNSURRECTION DE LIXIN EN 1793

étaient chargés de diriger d'incessantes patrouilles, sur- tout la nuit^ Dubois-Crancé, inquiet de tous les bruits d'attaque et de surprise qui se colportaient autour de lui, ordonnait que la garde de son quartier général fut renforcée de 1(X) hommes^. L'orgueilleux conventionnel, redoutant sans doute que le Comité de Salut public ne lui reprochât d'avoir accolé les Lyonnais à une défense désespérée, chargea le commissaire des guerres Paris de porter encore aux assiégés un long factum où, sous prétexte de leur conseiller de se soumettre, il semblait chercher encore h les humilier et à les surexciter. Paris, avec le cérémonial ordinaire du trompette et de ses sonneries, revint donc dans les lignes lyonnaises et, par ce faubourg Saint-Clair qu'il connaissait si bien, fut reconduit à l'hôtel commun, il remit, k sept heures du soir, le message en question. Les membres du Comité de Surveillance générale et de Salut public, convoqués d'urgence dans la môme soirée du 21 août, en prirent aussitôt communication.

Dubois-Crancé commençait en injuriant les hommes qui administraient Lyon : « Us m'ont supposé tous leurs vices pour se donner un air de vertu. Mais, prêt a faire périr par le feu une ville intéressante pour la forcer au respect aux lois et à la Convention nationale, je ne puis me refuser h tenter, en mon propre et privé nom, un dernier effort pour dessiller les yeux de mes conci- toyens égarés et les sauver du précipice qu'ils semblent creuser eux-mômes par le plus absurde de tous les fana- tisraes. »

Après ce début prétentieux et peu conciliant, le repré- sentant prétendait juger « les éléments qui servaient à former l'opinion dans Lyon ». 11 affirmait que, depuis le commencement de la Révolution, « celte ville opulente

1. Rafifiorts (h's tmis: ramps^ du 20 au 21 îioûl.

2. I(i.

PETITS COMBATS 269

avait élé le refuge de tous les aristocrates du Midi. On a compté, à un moment, plus de 4.000 réfractaires ^ dans LyoD, plus de 6.000 nobles ou faisant les nobles"^ ».

L'ancien mousquetaire critiquait ensuite les négociants lyonnais «concentrés dans leurs idées de fortune indivi- duelle, trafiquant ardemment des embarras de TEtat pour s'enrichir », les hommes de loi, « vermine de l'an- cien régime », les oisifs, les rentiers timides et les étran- gers brouillons c< qui, soit dans les administrations, soit dans les endroits publics, semaient le poison de leurs intentions perfides ». Leurs auxiliaires ont été « les femmes galantes, tous les muscadins, tous ces êtres orgueilleux et frivoles, etc. ».

11 rappelait sa mission à Lyon pour assurer les subsis- tances et les approvisionnements de Tarniée des Alpes, de concert avec trois de ses collègues, et Dubois-Cran ce travestissait encore outrageusement les faits ''^, se donnant comme un homme de conciliation et d'apaisement, alors que, de Grenoble, il avait encouragé tous les excès de pou- voirs de la municipalité jacobine de Lyon.

Après avoir mentionné Tenvoi des députés extraordi- naires et des courriers de Lyon à Marseille et à Bordeaux, « villes déjà frappées des décrets de la Convention », le représentant de la Montagne constatait, que le fédéra- lisme avait été vaincu partout. qu*il ne restait plus que la Vendée, Toulon, Marseille et Lyon en état de révolle.

Dans cette ville de Lyon qu'il savait absolument acquise aux principes républicains, il osait reprocher à ses habi-

1. Ce qui roulait dire plus de 4.000 prêtres ayant refusé le serment (afBr- mation absolument exagérée).

2. « Faisant les nobles » de la part del'ex-gentilhomme devenu Jacobin forcené est une réminiscence aristocratique vraiment grotesque.

3. Il prétendait qu'un adjudant-génrral, envoyé i).ir lui en Suisse pour y reconnaître l'esprit public (ce qui était besogne de policier et non de mi- litaire^ lui écrivait de Bei*ne, le 20 mai, que les énugrés aiuioniviient pu- bliquement le mouvement insurrectionnel de Lyon. La vérité élait que la résistance des sections donnait de l'espoir à tous ceux qu'indignaient les abus d'autorité de Chalier et de ses complices.

270 l'insurrection de lyon en 1795

tants d'avoir été entraînés « par les intrigants coalisés de Pitt et de Cobourg », l'éternelle ritournelle jacobine. Jouant Tattendrissement, il s'écriait : « Que gagneriez- vous à résister et à vous rendre coupables, vous dont on aurait pardonné Tégaremeût, vous que nous aurions embrassés? »

Ensuite il revenait aux menaces, ce qui lui était plus familier : « Les mortiers sont placés, les bombes sont prêtes, les boulets rougissent et la flamme va vous dévo- rer. Mais je suppose que vous puissiez résister dans ce moment aux efforts de la République, penseriez-vous pour cela faire la loi à la nation entière ? Ne voyez-vous pas tous les Français vous rejeter de leur sein et vous interdire toute communication avec eux? » Les adju- rant de faire leur soumission : « Réfléchissez, Lyonnais, il est encore temps, demain il ne le sera plus. Vous avez pu croire jusqu'ici que Ton ne vous faisait que des menaces vaines pour vous intimider; mais tout est prêt, dans une heure on peut vous incendier. » Le Conven- tionnel terminait en protestant qu'il n'obéissait à aucun sentiment de rancune personnelle, que jamais les injures des Lyonnais ne l'avaient afl*ecté!... «Vous dites que vous avez accepté la constitution, que vous êtes nos frères, prouvez-le donc en ouvrant amicalement vos portes, en nous remettant ce que vous avez pris à la République. Marchons ensemble à la frontière, et que l'aspect seul de nos cmbrassements fasse fuir nos enne- mis. Alors toutes vos craintes seront dissipées, vos per- sonnes et vos propriétés seront respectées ; la Convention même peut faire grâce aux coupables, s'ils prouvent qu'ils n'ont été qu'égarés ^ S*ils sont des conspirateurs^, auriez- vous l'impudeur de les défendre? Le pourriez-vous sans vous avouer leurs complices? Ainsi votre sort est dans

1. Cette clriiience était bien ])r()blrniati(iiief

2. Coinine si la cons])irati()n iiT'tait pas l'occupation de tous les eliibs de In Révolution.

PETITS COMBATS 271

VOS mains et si votre cité se couvre de décombres, n'en accusez plus que vous^ » La dépêche de douze pages de texte était signée : Dubois-Crancé.

A cet interminable réquisitoire étaient jointes deux lettres fort insignifiantes des représentants Gauthier et Chambon'-. La première ne contenait que quelques phrases menaçantes, inspirées par le désir de plaire à Dubois-Crancé; l'autre était conçue dans un style lar- moyant et diffus. Il y était question de la malheureuse situation des habitants... des Pyrénées-Orientales, dont le département était envahi par les troupes espagnoles. Chambon affirmait que la seule nouvelle de la pacifica- tion de Lyon ferait « reculer au-delà des monts les satel- lites du tyran d'Espagne )). C'était peut-être beaucoup s'engager^. Il terminait par un conseil essentiellement révolutionnaire : « Ecrasez d'un seul coup les ennemis du peuple qui sont dans votre sein », et alors il leur pro- mettait «le rameau d'olivier qu'une nation généreuse leur avait déjà offert». Ces exhortations, qui venaient d'un député catalan, parfaitement inconnu de la popula- tion lyonnaise, ne devaient avoir que l'importance d'un article de journal jacobin.

Lorsque les membres du Comité eurent pris connais- sance de la longue et insolente sommation de Dubois- Crancé ils déclarèrent que les sections devaient Hve con- voquées pour délibérer, mais qu'en raison de l'heure avancée, cette convocation ne pouvait avoir lieu que dans la journée du lendemain. Le commissaire Paris en informa les représentants par un billet confié à son trompette. La canonnade continuait non plus seulement contre la Croix- Rousse, mais sur toute la ligne des avant-postes.

A Pierre Bénite, le colonel Jossinet avait débusqué une

1. Guilloii de Monléon, t. I, p. 401.

2. MorïnJIishnre de h/on depuis la Hévolulion de 1789, t. 111, p. 239-240. Paris, Lagrange; Lyon, Savy, 184".

3. Morin, t. III, p. 240.

272 L INSURRECTION DE LYON EN 1793

troupe ennemie qui couvrait une tentative de passage de rivière. Avec les chasseurs de Précy, il Tavait retrouvée à Yernaison, au moment même des officiers du génie commençaient un pont de bateaux. Bateliers et troupe de soutien avaient été dispersés. Trois « penelies » avaient coulé à fond ; les chasseurs de Précy s'étaient emparé de six autres; douze soldats de la division Rivaz restaient sur le terrain K

Il y avait eu grande émotion au Comité de surveillance générale avant Tarrivée du parlementaire de Dubois- Crancé; plusieurs personnes étaient venues déclarer avec beaucoup de véhémence et d*indignation qu'à une des fenêtres de Thôpital militaire de Sainte-Irénée, on voyait ûotter le drapeau blanc'. Le bruit s'en était répandu dans les quartiers de la rive droite de la Saône et des groupes tumultueux étaient en marche vers la place des Terreaux et rhôtel commun en vociférant : « Â bas les émigrés! Vive la République ! » On ajoutait même : « A mort d'Ar- tois! » Ce prince indécis et léger que devaient toujours attendre les Vendéens paraissait le chef désigné de toute insurrection rovaliste.

Le calme Précy, dans son quartier général de l'abbaye de Saint-Pierre, en avait été informé. La nouvelle, si elle avait reçu confirmation, n'était pas pour déplaire à l'ancien lieutenant-colonel de la garde du Roi et à beaucoup de ses officiers mais il ne paraît y avoir accordé aucune cré- ance, d'ailleurs la constatation du fait ne relevait point des militaires. Précy s'abstint donc et n'envoya personne pour contrôler la nouvelle, conlinuantàs'occuperutilement de la défense et à vérifier avec le commissaire des guerres Vallès l'étal des approvisionnements de toute nature qui lui semblaient bien insuffisants.

Bomani partit en toute hato, ainsi que quelques collègues escortés d'une forte patrouille, pour l'hôpital, « Irénée »,

1. Bullt'lln (it'fxirfriticntnl. 1 i. 21 aofit.

2. Bulletin (h'jnirh'nwnial, u* 14, li îumU.

PETITS COMBATS 273

comme disaient les timides. Le présideot du Comité cons- tata avec une grande satisfaction que le drapeau se ré- duisait à un morceau de drap blanc qui flottait dans une lucarne entr*ouverte. C'était le vent, hôte inattendu pen- dant ce lourd été, qui était l'auteur de cette manifestation toute spontanée et non pas le comte d'Artois. Le futur Charles X devait sans doute, à l'heure les Lyonnais protestaient contre le drapeau d'Arqués et de Fontenoy, s'occuper surtout de M"* de Polastron, dont le charme languissant engourdissait si facilement ses fugitives réso- lutions.

Quoi qu'il en soit, l'alerte ne fut pas facile à calmer, beaucoup de gens affirmèrent dans les sections qu'ils avaient vu flotter « le drapeau de rébellion ^ » car ils l'ap- pelaient ainsi, eux que la Convention traquait et condam- nait comme des rebelles.

Le corps des officiers de santé qui allait se révéler d'un admirable dévouement et qui comptait d'éminents méde- cins : Rey, Cartier, etc., resta suspect pendant plusieurs jours malgré l'assurance donnée par le bulletin dépar- temental « qu'ils brûlaient d'envie de voir régner l'ordre et les lois* ». Cette assertion ne fut peut-être pas estimée d'un civisme suffisant. Pour la réponse aux représentants, on ne réunit pas les sections, mais le peuple fut admis dans les tribunes de l'assemblée les corps adminis- tratifs réunis aux délégués des sections et formant le Comité de Sûreté générale et de Salut public arrêtèrent les termes de leurs déclarations.

Celle qui était adressée k Dubois-Crancé débutait ainsi:

25 à 30.000 signatures individuelles ne vous ont donc pas convaincu de runanimité du peuple? nous Tavons de nouveau rassemblé, et persistant dans sa résolution, il nous charge de vous répondre. Nous remplirons ce devoir avec la

1. Même BuUelin f/éparfcmcnial, 14, 21 août.

2. I(f.

18

274 l'insurrection de lyon en 1793

dignité qui convient à la majesté d*an peuple qui met la sienne dans la vérité.

Le rôle de Dubois-Crancé, toujours hostile à la popula- tion lyonnaise, est rappelé avec une concise précision : il a calomnié cette population en affirmant qu'elle subissait la corruption de Pitt et Cobourg, qu'elle était Tasile des émigrés; il lui a déclaré la guerre de sa propre autorité et sans qu alors aucun décret l'ait autorisé.

« Qui ne voit votre embarras ponr nous trouver des torts ? Vous nous accusez d'avoir aimé la monarchie à une époque la monarchie était constitutionnelle, or c'eût été une rébellion à la loi que de proférer d'autres principes. »

Et depuis, la population de Lyon n'a-t-elle pas accepté la constitution républicaine? Elle n'est pas responsable des « calomnies des émigrés ni des espoirs des Piémontais ». Le vrai coupable, c'est Dubois-Crancé. La fin estvraimentbelle.

Le peuple de Lyon a résolu de résister à Toppression ou de périr et, quel que soit son sort, une grande gloire Tattend, mais nous déplorons le malheur de la République que vous livrez à ses ennemis. L'histoire un jour dira que vous n'osâtes pas les arrêter, que vous trouvâtes plus dignes de votre courage d'égorger vos frères, d'incendier leur ville, que de défendre leurs frontières.

Nous ne vous ouvrirons point nos portes.

Si vous aimez la Patrie, marchez à Fennemi. Que la Conven- tion retire ses décrets contre l^yon, et vous nous verrez bientôt sur vos pas. Là, nous fraterniserons et vous jugerez par notre courage comment nous saurions nous défendre '.

Lyon, ce 22 août 1793, l'an 11 de la République.

Bkmani, RoiniEz^,

Président. Secrétaire général.

1. Guillon (le Monlécm, t. I, p. 403. V. aussi, Vaësen, Douments im- primés. Le Si('f/i\ p. 64.

2. l'.rMibi«'z •'•t.iit un religieux de la Congivgation de TOratoire ; il appar- tenait avant la Urvcdution à un couvent de Marseille, et était venu se

PETITS COMBATS 275

Dans sa seconde réponse, le Comité se bornait à rappe- ler à Gauthier, avec une brièveté dédaigneuse, son attitude repentante au lendemain du 29 mai et les promesses faites au sein des corps administratifs'.

La réponse à la lettre de Chambon fut très précise: ce n'était point aux Lyonnais qu'il fallait reprocher d'avoir retenu le matériel et les munitions destinés à l'armée des Pyrénées, au contraire, ils avaient laissé sortir de leur arsenal des canons et des munitions que réclamait cette armée; les représentants les avaient arnHés à Pont-Saint-Esprit et gardés pour le siège de Lyon. Kellermann avait demandé qu on lui rendit les dragons et les canonnicrs de ligne restés à Lyon de leur plein gré, ils campaient maintenant dans les rangs des assiégeants. Le peuple de Lyon ne demandait qu'à s'unir à tous les bons citoyens pour repousser Tennemi du dehors-.

Paris, commissaire des guerres, ce qui répondrait dans notre organisation actuelle au grade d'intendant militaire et réduit par la volonté du tout-puissant Dubois-Crancé au rôle d'estafette, emporta, avec tristesse, les itères ré- ponses des autorités lyonnaises prévoyant également qu'il n'y avait plus d'espoir de réconciliation. Il gardait le souvenir reconnaissant des égards dont il avait été Tobjet. L'envoyé des représentants regagna, dans la soirée du 21 août, les avant-postes de la Crôix-Rousse. De part et d'autre le feu n'avait pas été repris depuis la veille. Les Lyonnais se recueillaient et les soldats de la Cîonvention se préparaient...

Lorsque F^âris arriva au château de La Pape, Dubois- Crancé Tattendail avec impatience, espérant l'échec défi- nitif des pourparlers et relisant lièvrcusement le rapport du général Vaubois qui commandait le camp de la Guil- lotière.

réfugier à Lyon, il donnait des leçons dans une institution particulière comme professeur de latin.

1. J. Morin, Histoire de Lyon, t. III, p. 2i.

2. J. Morin, t. 111, p. 241-2*2.

276 l'insurrection de lyon en 1793

La batterie de gauche, composée de trois mortiers de 12 pouces et d'une pièce de 15 est destinée avec ses trois mortiers à bombarder le quartier de Bellecour, et celui derrière Thôpital avec la pièce de 16 à chasser Fennemi de la tourelle qu'il y a sur le pont de la Guillotière, et à pénétrer dans Lyon jusqu'à la Saône parla rue qui part dudit pont; d'ailleurs, en la pointant sur un angle de cinq à six degrés, la même pièce peut porter sur le toit des maisons et y faire beaucoup de dégâts.

La batterie de trois mortiers de droite peut se diriger sur les maisons depuis la rue la Comédie jusqu'aux maisons de la place de Bellecour.

La batterie de trois pièces de 16, à environ deux cents pas sur la droite de cette dernière, contient deux pièces qui prennent d'écharpe le quartier Perrache, la troisième pièce frappe sous un angle presque droit le quai du Rhône et peut porter son boulet jusqu'à la place des Terreaux.

Enfin la quatrième batterie, composée de deux pièces de 24 est dirigée obliquement sur la redoute du pont Morand ; son objet est de renverser les maisons et les arbres qui la couvrent, ce qui en diminuera considérablement la force dans le cas Ton voudrait l'attaquer.

Il y aura de plus deux obusiers et deux pièces de 8 qui s'ap- procheront lorsque le feu des redoutes à la tète du pont sera éteint, et ces deux pièces de trait auront aussi comme objet de tirer sur les troupes qui voudraient sortir par le pont Morand et venir inquiéter nos batteries. Elles ne seront point en batte- rie et pourront être transportées partout besoin sera, i

11 serait à désirer aussi qu'on nous envoyât deux pièces de 2 pour remplacer les pièces de 24 qu'on nous a ôtées, mais il faudrait qu'elles fussent accompagnées de canonniers pour les servir, elles seraient très utiles pour détruire les ouvrages qui couvrent le pont Morand.

Un bataillon d'infanterie et un escadron de cavalerie seraient aussi extrêmement utiles. Je tiens une ligne' très longue et je puis être attaqué sur tous les points; ma défense et mon attaque nécessitent cette augmentation de force '.

Après cet exposé des moyens d'atlaque et de leur im- perfection, Vaubois craignit probablement d'être accusé

1. Va^'^en, Docmnenfs iitiffrimés, le sièf/e^ p. 61.

PETITS COMBATS 277

de tiédeur, comme Kellermann, par le redoutable pro- consul, il ajouta au bas du rapport ces simples mots : J'attends !

La formule était simple et précise, elle avait plu à Dubois-Crancé, elle lui plut surtout quand il eut pris con- naissance de la réponse des Lyonnais, et il écrivit avec la même joie que Fouquier Tinville, quand il paraphait ses ordres d'exécution : Feu !

CHAPITRE XVI

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT

Le général Vaubois, assisté de Tadjudaiit-généfal Noël qui remplissait auprès de lui les fonctions de chef d'état- major et qui jouissait de toute la confiance de Dubois- Crancé, avait passé dans l'après-midi du 22 une inspec- tion minutieuse de ses positions d'attaque ^ Elles formaient une espèce de parallèle, débordant à gauche le faubourg de la Guillotière, distante de 500 mètres de la ligne des quais et faisant face à la place Bellecour^. La droite de cet ouvrage refusait assez sensiblement, pour échapper au tir d'enfilade de la redoute du pont Morand construite en fer à cheval avec une batterie de 8 pièces; l'accès de la paral- lèle avait lieu par la rue du faubourg, ce qui défilait encore les batteries de la défense. Celle-ci avait accu- mulé pour ses bastingages une quantité considérable de ballots de laine et de coton. Une batterie de quatre pièces de canon, sous le commandement personnel du lieutenant- colonel Mocey, avait été placée sur la terrasse du collège de l'oratoire, à gauche du pont Morand, elle était si bien dissimulée que les canonniers de la Guillotière ne Taper- cevaient pas. Sur le conseil du colonel de Chêneiette, elle n'avait pas encore effectué de tir.

A onze heures du soir, les batteries de la Guillotière commençaient le bombardement. Elles disposaient, pour la batterie de droite, de deux canons de 24, trois de 16, trois mortiers de 12 pouces, pour la batterie de gauche,

1. C'est-à-dire des positions à ra!)ri desquelles il allait alla((iier.

2. Lieutenant-colonel Bichot, le Sièf/c de Lyon en !193 {le Sjtecfateur mi- litaire, 1853).

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 279

de trois mortiers de douze pouces et une pièce de 15^ La premièi'e bombe tomba sur la place Bellecour à rempla- cement de la statue de Louis XIV'-. D'autres projectiles luisuccèdenl et éclatent sur celte superbe promenade, pro- jetant des éclats sur les hôtels qui la bordent, brisant les fenêtres et les portes, faisant éclater les pierres de taille et les corniches. La plupart des hommes sont à leurs postes de combat, ceux qui sont restés, retenus par Tâge ou les infirmités, les femmes, les enfants quittent leurs demeures, traversent en hâte l'ancien pont de l'Evôché pour gagner le quartier de Saint-Georges et le faubourg Saint-Just, quelques-uns môme la montagne de Fourrières.

Bientôt, pour frapper d'épouvante d'autres parties de la ville, le tir dévie à droite. Les boulets rouges et les bombes dépassent le quai, dispersent leurs éclats redou- tables sur le quartier du centre : dans les rues Ferran- dière. Raisin-^ des Quatre-chapeaux et du Plal-d'argent huits maisons sont particulièrement éprouvées^. Le géné- ral Dumuy, commandant en chef intérimaire et le général Saint-Remi son chef d'état-major, se rendent aussitôt au camp de la Guillolière, n'ayant donné aucun ordre, comme devait Tavouer Saint-Remi"', et attristés certainement de ce bombardement inhumain.

A onze heures et demie, Dubois-Crancé prescrivant au chef de brigade Lagrange, commandant Tartillerie de faire tirer les batteries d'avancée du camp de Caluire

i. Rapports des trois camps pour hi joiiriire et In nuit du 22 août 17'J3. [Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1793.) L'adjudant- général Noël à Diibois-Cnmcô, 23 août .

2. Marquis (^osta de Beaurcgard , /<* Homan d'un royaliste sous la Révolu- tien [Souvenirs du comte de Virieu), p. 345.

3. Rapports des trois camps pour la journée et la nuit du 22 août 1793. [Archives historiques de la (iuerre; Armée des Alpes.)

4. Le rapport des représentants au contraire, cite les rues Mercière, Saint- Dominique et de l'Hôpital comme ayant particulièrement souffert.

5. « Le comniandant en chef et moi fûmes hier au camp de laGuillo- tière aussi comme il n'avait pas commandé cet engagement, je n*ai pu vous avertir, mais j'ai oui dire à notre retour que ce sont les Lyonnais qui ont provoqué l'atTaire.» Clicf d'état-major rfux comuiissaires. Arihies hûttoriques de la (iuerre.)

2K<) l'insuhrectiox de lyo.v ex 1793

(deux pièces de IG et deux de 24} dîtes batteries de Mon- tessuy. Ces pièces tirèrent à boulets rouges, mais les pro- jectiles ne paraissent pas avoir produit les dommages sérieux de Tartilierie de la Guillotière. On ne signala guère qu'un petit incendie près la porte Saint-Claire Si les Lyonnais ne répondaient pas pour ne pas perdre leurs munitions, du moins ils gardaient bien leurs avant-postes car ceux de leurs compatriotes, qui étaient passés dans Tarmée de Dubois-Crancé et qui y formaient un corps in- dépendant, ayant tenté, avec une compagnie de chasseurs, de s'approcher des positions du général Grand val, furent accueillis par un feu de salve qui les mit en déroute ; ils abandonnèrent Tun des leurs, blessé dangereusement^.

Sur la rive du Khône, de l'ancien quai de Monsieur à la porte Saint-Clair, Précy et ses adjudants-généraux se multipliaient. Le colonel de Chéneletle visitait les batteries du quai qu'il avait si bien établies, le baron de Chamousset avec son bataillon de vétérans était venu se mettre à la disposition du colonel de la Salle k la redoute du pont Morand. Malgré la détonation des pièces d'artillerie, le fracas des projectiles qui éclataient et les lueurs d'incendie qui s'allumaient dans les quartiers du centre, les patrouilles circulaient régulièrement, intimi- dant les espions et les voleurs. Les pompiers, dirigés par M. Mouton de Fontenillo, un savant naturaliste, doublé d'un homme d'action énergique et vigilant, visitaient les toitures menacées ou atteintes, arrosaient d'eau les parties enflammées et rassuraient les habitants^

La population d'ailleurs faisait bonne contenance, ne poussant aucun cri quoiqu'en aient prétendu les repré- sentants, dans leur emphatique rapport*. Une enfant de

1. linpports (les trois cfiinps précités.

2. hl.

3. Lu jeu des pompes d'incendie s'exécutait avec ordre et arrêtait par- tout les ravages du feu. [liullelin tléparlcinrntal {\\i 22 août.)

4. Les repréhtîntants au Comité de î^alut pul)Iir. [Arc /tires hialftriqites de la Guerre : Année dea Aljtes^ août 1193. )

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 281

quatorze ans, qui a retracé ses souvenirs du siège avec un remarquable talent d'observation et laissé ainsi un document contemporain d'une réelle valeur, M"*" Alexan- drine des Echerolles, fille du général Giraud des Eche- rolles, décrit ainsi ses impressions ^

Je ne dormis pas la première nuit du bombardement : la crainte et la curiosité me tinrent même éveillée pendant plu- sieurs nuits de suite, ainsi que toutes les personnes de la maison.... On se communiquait ses doutes, ses alarmes; on s*approchait curieusement de la fenêtre pour s'en éloigner avec effroi, lorsqu'une bombe en éclatant faisait retentir la foudre. Si la mort ne tombait pas avec elles, les bombes offriraient un spectacle agréable.

Je passais la nuit à la fenêtre pour voir ces étoiles trem- blotantes décrire une courbe immense dans les airs et s'abaisser en sifflant pour se briser avec fracas, c'était beau et terrible *.

Des batteries de la Guillotière, une seule, celle des trois mortiers et de la pièce de 16, obtint des résultats dans son tir, les deux autres, mal approvisionnées ^ ou mal commandées, tirèrent d'une façon défectueuse ; aussi le capitaine Salvat, commandant de la batterie, fut-il dénoncé aureprésentantChambonetincriminé de complicité avecles Lyonnais. On rappela au représentant que cet officier, irré- prochable cependant, avait séjourné plusieurs semaines à Lyon après le 29 mai, que ses canonniers et lui-même étaient restés à T Arsenal sans prendre parti contre les sections. Il n'en fallut pas d'avantage à Chambon pour

i. La seule inexactitude est la date du bombardement fixée par M"" des Echerolles du 8 au 9 du mois d'août. Ce fut bien celle du premier combat, mais le bombardement commença dans la nuit du 22 au 23 août.

2. M"* des Echerolles rappelle qu'un de ses voisins, M. B*** dans sa cu- riosité craintive, soulevait le rideau de mousseline de la fenêtre pour re- garder. En voyant tomber les bombes, il se cachait derrière le rideau et la courageuse jeune fille ajoute : » Hiant de sa peur, la mienne avait fui. (Alexandrine des Echerolles^ une famillr noble snns la Terreur^ Paris, Pion, 1900.)

3. La batterie n'avait pas d ccouvillon. L'adjudant-géncrnl Nocl «i Dubois- Crancé, 23 août. {Arrhires hislm-iques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1793.)

282 l'insurrection de lyon en 1793

prouver son zèle en faisant mettre en état d*arrestation le capitaine d^artillerie^

Au lever du jonr^, les batteries lyonnaises du quai du Rhône ouvrirent le feu à boulets rouges sur les batteries du général Vaubois. Précy, Chônelette et Milanais encou- rageaient les canonniers qui comptaient dans leurs rangs d excellents pointeurs. Ils démontèrent deux mortiers de douze pouces et mirent le feu à un petit bâtiment placé k rentrée du faubourg de la Guillotière et mal protégé par des épaulements de sacs à terre. C'était un magasin à fourrages qui s'enûamma et se consuma entièrement"^. La chaleur de Tincendie fut si forte et le voisinage des tlammes si inquiétant que le tir des Crancéens en fut arrêté. Quand il reprit, la batterie lyonnaise placée sur la terrasse du collège incendia plusieurs maisons du faubourg'*, derrière lesquelles Vaubois avait abrité les troupes de soutien de Tartillerie. Ces troupes battirent en retraite ; tant qu'elles furent en vue, les Lyonnais les canonnèrent et leur causèrent des pertes assez sensibles, puis le silence se fit. A Montessuy, depuis le matin, le feu inoiïen.sif des batteries de la Convention avait cessé.

On s*aper(:ut alors du c^té des Lyonnais que Thôpital avait beaucoup souffert des éclats de bombes^. La toiture, les murailles avaient éprouvé de sérieux dégâts, mais les malades restaient à labri, grâce au dévouement des mé- decins et du personnel sanitaire. Dans les rues éprouvées par le bombardement et les toitures avaient été défonct^'es par les projectiles, les familles qui habitaient les étages supérieurs restaient exposées aux intempéries; la muni- cipalité mit à leur disposition deux vastes chapelles,

1. J. Morin, Histoire de Lyon, t. III, p. 244.

2. Rapports (les trois camps. 23 août. (J/rA/rp.v historiques de la Guerre.) Cf. aussi Bulletin départemental, n* 16 du 22 août.

3. Id.

4. Id.

5. Le Bulletin départemental parle de 60 bombes, ce qui parait exagéré, étant doané (pi'aucun malade ne fut atteint d'après le même Bulletin.

LES BOMBARDEMENTS DES 2i ET 21 AOUT 283

celle des Récollets et celle des Lazaristes. Le Btdletin dèpar- teniental du 27 août ajoute, au sujet de ces lieux d'asile :

on voit de jeunes personnes pleurer à côté de quelques vieillards décrépits, une mère tient sur ses genoux, ou à côté d'elle, sa petite famille qu'on voit palpiter encore de crainte. Le désespoir abat les uns, la crainte ulcère les autres, rindignation les anime.

Et plus loin, donc une véhémente apostrophe se retrouvent tant d'illusions sur la Convention !

Ah ! représentants coupables, tant d'audace ne restera pas impunie, nous aurons vengeance ou il ne restera pas un Lyonnais. Nous vous dénonçons à toute la Convention, à la République, à nos derniers neveux, qui seront dépositaires de notre haine et de notre indignation contre vous.

Dubois-Crancé, tu croyais sans doute que le spectacle des flammes nous ferait ouvrir nos portes. Tu t'attendais à un soulèvement général à la première bombe qui éclaterait. Sache que tu es dans Terreur. Les quatre cents bombes ^ qui ont couvert Lyon cette nuit ont trouvé partout des républicains. Les m^iisons en feu n'ont fait qu'accroître notre indignation.

Un Lyonnais généreux, nommé Pierre Olivier, négo- ciant de la section de lu rue Buisson, chargea le Comité de lui indiquer les douze canonniers qui s'étaient le plus distingues par leur courage et leurs qualités de pointeurs; il remit à chacun une gratification de cent livres^. Cette générosité valut à son auteur une ovation méritée, mais dans la même section on apprit qu'une pauvre femme des environs de Cuire avait été dévalisée et massacrée au moment elle cherchait à rentrer dans Lyon. L'indi- gnation devint à son comble contre les assiégants qui n'étaient plus appelés que « les Crancéens »*. Le véritable chef de Tarméedu siège était bien en effet Dubois-Crancé et non pas le calme et résigné Kellermann, qui avait dA

1. Chiffre qui parait exa^^rré. Les mortiers de la Guilloiiére n'en en- voyèrent guère qu'une centaine, elles boulets rouges des avant-postes de Montessuy-Caluire furent inoffensirs.

2. Bulletin déparfemenla/, n' 1") (du 22 août).

284 l'insihrection du lyon en 1793

écourter son voyage d'inspection militaire en Savoie pour regf^gner le quartier général de la Pape. Le général en chef avait constaté que les Piémontais, commandés par Tincapable général autrichien de Vins, se livraient à une vaine démonstration dans la Tarentaise et la Maurienne ^ et que l'armée des Alpes, quelque diminuée qu'elle fût, gardait toutes les positions, tous les défilés qui lui avaient été confiés. Gauthier, chargé de contrôler les apprécia- tions de Kellermann, signala le général Le Doyen comme ayant ordonné à ses troupes en Maurienneune retraite que le représentant jugea» précipitée », Dubois-Crancé se rappela que cet officier, alors adjudant-général, n'avait pas su vaincre les Lyonnais le 29 mai et le dénonça avec em- pressement au Comité de Salut public en ajoutant que les opinions antérieures de Le Doyen le rendaient suspect. Dubois-Crancé dénonçait si volontiers.

Dans la lettre qu'il écrit à ce sujet au Comité de Salut public, il se comble lui-môme d'éloges.

Nous avons résisté aux clameurs et à Topinion prononcée même par les généraux qu'il fallait retirer des troupes de devant Lyon pour les reporter aux frontières, nous avons tou- jours pensé que TefTort des Piémontais n'était qu'une mise ou tentative pour former une diversion favorable aux Lyonnais, que le foyer de Tincendie était au centre de cette ville, et qu'en la réduisant, nous anéantissons du même coup tous les ennemis de la République aux Alpes et aux Pyrénées^.

1. <^ Commandée parle marquis de Cordon, l'armée du Mont Ccnis devait suivre le cours de l'Arc à travers les vall«?*es de la Maurienne, tandis que les troupes du duc de Montferrat, attaquant les Français à Saint-Maurice au pied du Saint-Brruard, devaient les pousser devant elles et rejoindre l'ar- mée de Maurienne au confluent de l'Arc et de l'Isère. » (M'* Costa de Beaure- gard, Un hominv (l'aulrefins, Paris Pion, 1896, p. 186-181.)

L'auteur rappelle d'ailleurs, d'après les souvenirs de son arrière grand- père, alors capitaine dans l'armée du général de Vins, cpie « lorsque les troupes reçurent l'ordre de marcher, aux derniers jours d'août 1793, le pe- tit nombre des bataillons engajîés, comme le manque de réserves et d'ap- provisionnements, indiquait à l'œil le moins exercé, l'arrière-pensée de se borner à une démonstration ». (Même ouvrage, p. 186.)

2. Les représentants au Comité de Salut puJ>lic. Arrêtés imprimés. Col- lection Charavay, p. "ï.

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 285

N'était-ce pas le moyen de se justifier lui-même?

Le bombardement de la nuit du 22 était décrit avec beaucoup d'exagération : une grande partie des maisons de Bellecour avait été la proie des flammes, plusieurs rues qui aboutissaieût h la place des Terreaux ne formait plus qu'un monceau de cendres. On évaluait à 2.000 personnes le monde qui avait péri dans Lyon cette nuit*, etc. Tous^^ ces renseignements étaient inexacts.

11 n'y avait de strictement vrai que le projet de re- prendre le bombardement :

Nous avons donné deux jours de repos aux troupes épuisées de fatigue par les travaux antérieurs. Nous avons voulu donner aussi le temps au malheureux peuple d'ouvrir enfin les yeux. Il ne nous arrive aucun acte de regret, le trompette qui nous a été envoyé pendant le feu et qui a porté un instant de joie dans nos âmes, apportait en réponse à notre nouvelle et der- nière proclamation des injures pour nous et la détermination de rester en révolte contre les décrets de la Convention ^.

La journée du 23 s'était passée sans incident, la popu- lation conservant son calme et vaquant à ses occupations habituelles. Les ouvrages fortifiés avaient été minutieu- sement visités par les adjudants-généraux de Précy qui avaient constaté leurexcellent état de mise en défense et vérifié les approvisionnements de munitions.

Pendant la nuit du 23 au 24, des incendies se décla- rèrent dans les rues du Plat-d'argent et de rHôpital*'. Les immeubles atteints n'avaient pas souffert du bombar- dement*; la cause du sinistre ne s'expliquait pas. Les pompiers et les gendarmes découvrirent des matières combustibles, qui avaient étr apportées et allumées clan- destinement par des malfaiteurs restés inconnus.

On sut également, par les aveux d'un Jacobin, que plu- sieurs agents de Dubois-Crancé avaient comploté « de

1. Rapport des représentants pircité.

2. Bulletin départemental, n" 17 du 24 août.

3. Id.

286 l'insurrection de lyon en 4793

former des fausses patrouilles, de s^offrir pour prêter secours en cas d*incendie, chercher et faciliter Tentrée aux ennemis du côté du pont de pierre au delà de la Guillotière, entrer dans les maisons, poignarder, voler, assassiner soit avec des armes cachées, soit par les fenêtres, soit par des armes ostensibles ».

Deux personnages suspects avaient été arrêtés et fouillés. On découvrit dans leurs chaussures la dernière proclamation des représentants *.

De même que, pendant Tadministration de la munici- palité jacobine, beaucoup de royalistes s'étaient cachés dans le quartier Saint-Just, un grand nombre d'individus suspects et paraissant des agents secrets de la Convention s'y étaient réfugiés et furent signalés au Comité de Salut public et de surveillance. La section c des droits de rhomme », par Torgane de son comité, affirma que « ce quartier renfermait plus de 200 individus paraissant avoir des projets criminels et liberticides ». Le même comité demanda que, passé six heures du soir et avant sept heures du matin, les bords de la Saône fussent rigoureusement surveillés *. Aucun batelier ne devait être autorisé 5 aller et venir sur la rivière.

Redoutant un nouveau bombardement, plusieurs sec- tions demandaient aussi que, la nuit, les premiers étages de chaque maison fussent éclairés et les portes d'allées ouvertes avec une lumière, afin de faciliter les secours d'incendie -K Enfin le Comité particulier de surveillance et de sûreté publique ordonna l'ouverture de l'église du Bleu céleste, désaffectée du culte et il y fit transporter les prisonniers sous bonne et sûre garde *.

1. Registre du Comité de la section des droits de l'homme. Collection Rosas. (Vaësen, Documents^ p. 69.)

2. Registre du Comité de la Section des droits de Thomme. Collection Rosas.

3. /(/.

4. Réquisition signée : Gravai, Chasserier, Blanc et Pierre Loir. Colleclion Coste.

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 287

Le Comité de Sûrelé générale et de Salut public avait décidé qu'une Commission militaire serait instituée pour juger, dans les vingt-quatre heures, tous les délits qui intéresseraient la sûrelé publique pendant la durée du siège. Cette Commission serait composée d'un président pris provisoirement dans les administrations réunies et, avec l'approbation des sections,de cinq membres militaires prélevés sur Tétat-major des troupes de sûreté, dont quatre faisant fonctions de juges et le cinquième celles de commissaire-rapporteur, etenfin d'un secrétaire-greffier choisi par la Commission ^

C'était, en fait, la cour martiale; elle était composée de l'administrateur Loir déjà président du Comité spécial de surveillance, président, du colonel de Vichy, des capitaines de Châteauvieux et de Plantigny, ce dernier aide de camp du général de Précy, du lieutenant Carré, juges, du lieu- tenant Savarin, juge suppléant, de M. Deschamps, avocat, capitaine de la garde nationale, accusateur public, de M. Moulin, secrétaire-greffier.

Le 24 août, pendant la matinée et les premières heures de l'après-midi, les avant-postes restèrent silencieux de part et d'autre, mais, à cinq heures du soir^, les batteries des canons de 16 et de 2i de la Guillotière commen- cèrent à tirer à boulets rouges ; celles de Montessuy en firent autant à cinq heures et demie, concentrant leur tir sur le quartier Saint-Clair, elles allumèrent un incen- die qui fut bientôt éteint.

Les batteries lyonnaises de la Croix-Rouge et du quai du Rhône répondent avec beaucoup d'énergie jusqu'à huit heures du soir; pendant une heure et demie, le duel d'artillerie continue sans avantage et môme sans résultat

i. BuUeiin df^parlemenfaL n*i^ au 22 août.

2. Les rapports des trois camps C(Ttirn'*s par le gi-néral Saiiit-Remi, chef d'étal-major, mentionne cinq lieures comme comiin;ncpment du bombar- dement à la Guillotière et à Montessuy, et non quatre heures comme le disent les repr^îsenlnnls dans leur rapport à la Convention.

288 l'insurrection de lyon en 1793

appréciable, les coups de canon s'espaçant de plus en plus. Précy ne croyait pas que Tennemi tentât quelque attaque de vive force sur aucun point. Une reconnaissance de Vaise l'informait que le camp de Limonest prenait de plus en plus d'importance, que les troupes de la Conven- tion construisaient sur la hauteur de Salvagny^ une redoute considérable qui permettrait de surveiller la route de Moulins et d'intercepter les convois de subsistance à destination de Lyon*^.

L'obscurité était absolue vers dix heures du soir et les batteries de la défense avaient cessé leur tir lorsque, du côté de la Guillotière comme du côté de Montessuy, on entend les détonations des mortiers ennemis. Des bombes tombent sur le quai du Rhône et sur les quartiers du centre.

Bientôt un employé de THôtel-Dieu, en proie à une extrême émotion, arrive au quartier général, il annonce que la toiture de l'hôpital est éventrée, les voûtes s'ef- fondrent, des éclats de projectiles ont déjà tué ou blessé grièvement plusieurs malades. Leurs voisins errent éper- dus dans le vaste édifice l'incendie s'est déclaré. Le voisinage d*une batterie lyonnaise a probablement contri- bué à attirer accidentellement sur le refuge do douleur et de charité les bombes meurtrières et incendiaires, mais la funeste erreur continue, si c'est vraiment une erreur. Précy et ses aides de camp courent à THôtel-Dieu.

De nouvelles bombes pénètrent dans les bâtiments embrasés. Le commandant des pompiers, M. Mouton de Fontenilles et le lieutenant-colonel do Trézette, de la gen- darmorio départementale, à la tête do leurs hommes, combattent Tincendie, au milieu de Téclatement des projectiles. Précy et les officiers qui l'accompagnent, cherchent à rassurer les neuf cents malades absolument

1. CrtU* hauteur était doiniuce par une vieilliî tour.

2. RapjMH'ts des trois camps du 24 août, (.trchircs histnriffues de la (inerte : Anne'e des A/peSy août 1193.1

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 2i AOUT 289

aiïolés. Les chefs du personnel médical, MM. Rey, Car- tier, Petit, Haillard et Desgranges sont admirablement secondés par les religieuses de Thôpital et par plusieurs dames de la société lyonnaise, mais la panique à peine apaisée se renouvelle à chaque bombe qui éclate.

Le D'' Petit qui assistait à ces scènes terrifiantes en a laissé un tableau saisissant :

Un seul cri se fit entendre, ce fut celui d'une terreur univer- selle. On se lève, on fuit, on se précipite pour échapper à la mort ; partout on la rencontre et vainement nous cherchons un abri à la lueur de la foudre. Toutes les douleurs sont oubliées ; nul ne connaît de mesure que la crainte, nul n'a besoin d'un bras pour appuyer sa faiblesse et chacun, jusqu'au malheureux dont les membres brisés se refusaient au mouvement, se traîne avec de longs hurlements loin de son lit que la flamme dévore.

Nous vîmes, nous admirâmes dans les hospitalières de cette maison ce zèle ardent, cet abandon de soi-même qui peut bien commander le devoir, mais qui ne peut être soutenu que par un ardent amour de l'humanité.

Quarante-deux fois le feu menaça d'embraser nos salles, quarante-deux fois il fut éteint.

La première bombe qui fut lancée vint se briser sous la voûte d*unc de nos salles. Trente malades y étaient placés, les planchers en s'écroulant devaient leur donner la mort, mais les lils étaient de fer et les poutres en se croisant sur leurs sommets, formèrent un toit nouveau qui les mit à l'abri du danger.

Dans une autre salle, deux cents malades se trouvaient ras- semblés; une bombe y tombe avec le fracas du tonnerre... Vous frémissez, vous croyez déjà voir palpiter les victimes san- glantes. Non, un seul lit est vacant, la bombe y tombe, sa mèche s'éteint et tout le monde est sauvé *.

Vers minuit, le bombardement redouble d'intensité, Tartillerie de la défense, pour ne pas gaspiller les muni-

!. De l'influence de la Rendu t ion sur fa santé publique ^ pur \v D' Marc- Antoine Petit, Lyon, 1823.

19

290 l/iNSl'RRECTION DE LYON EN 1793

tions, a. cessé son feu. On signale des incendies au quai Saint-Clair, causés par les bombes des batteries de Mon- tessuy, et presque aussitôt on apprend que des maifions du quai de Saône sont incendiées. Pompiers et gendarmes accourent en toute hâte, traînant des pompes à incendie. Lorsque M. Mouton de Fontenille et sa petite troupe arrivent avec leur matériel dans la rue Mercure à peu de distance du quai de Saône, ils sont arrêtés par des tour- billons de llammes. Six maisons sont embrasées, les rues Tupin et Paradis sont également la proie de Tincendie : il est une heure du matin. Les bombes continuent et tomber et à éclater, au milieu des cris d'épouvante des malheureux habitants. Beaucoup cherchent à gagner Fourvières ou Saint-Just, emmenant leurs enfants, portant des vieil- lards, des malades.. Parfois une innocente victime chan- celle et tombe mortellement frappée.

Soudain des flammes plus hautes, plus compactes s'élèvent à peu de distance du quai de Saône. C'est l'Arsenal qui brûle, le deuxième arsenal de la Rigaudière, vaste bâtiment, commencé en 1782 sous la direction du chevalier de Barberin^ qui occupait une partie considé- rable du quai de Saône, à peu de distance de la place Bellecour. La principale poudrière était heureusement h l'extrémité Nord de la ville, près de la Chartreuse, dans la direction de la côte de la Croix-Rousse, mais quelques approvisionnements de poudre à l'Arsenal s'enflammèrent et éclatèrent. Les habitants du voisinage s'enfuirent jusqu'aux terrains de l'entreprise Perrache. Des pièces de canon, des caisses d'armes furent transportées dans l'ancien monastère de Sainte-Claire.

D'après les souvenirs de M"* des Echerolles, le feu aurait été mis à l'Arsenal par les Jacobins -. Quoiqu'il en soit, en le voyant en feu, les batteries de la Guillotièrc y

1. Vingtrinier, /e Lyon de nos pères, p. 119.

2. Alexandrinc des Echofolles, une FamiUe nohie soufs la Terreur, p. 79.

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 291

dirigèrent aussitôt leurs bombes et il fut impossible de rien sauver. Le vent du Nord soufflait avec violence ^

M"* de Virieu, tt^moin oculaire-, ne doute point que les incendies ne fussent préparc^s par des agents criminels, qui facilitaient ainsi le tir des assiégeants :

Ils faisaient des signaux à Tennemi ou mettaient le feu aux maisons. C'est à eux que furent attribués la destruction par Tennemi de Tarsenal et celle des magasins à foiD, car ils furent atteints par les bombes, peu après l'apparition d'une petite lumière que nous avions très bien vue de notre fenêtre.

Il y avait, la nuit le feu prit à l'arsenal, une telle quantité de maisons qui brûlaient à la fois sur te quai delà Saône que nous pouvions les compter. On aurait dit un volcan qui vomis- sait des ilammes que le vent chassait, tantôt à droite, tantôt à gauche, avec une fumée aveuglante. Les cris dans cet enfer se mêlaient aux détonations les plus épouvantables.

Comme les batteries ennemies tiraient sans discontinuer sur les parties de la ville qui brûlaient, on ne pouvait ni approcher ni porter secours.

Elle rappelle le sublime courage d'un ancien officier :

Uu gentilhomme, M. du Treyve, tandis qae l'arsenal brûle, se jette avec quelques soldats clans cet océan de flammes pour en retirer les bombes et des pièces d'artillerie chargées^. A toutes les églises, en même temps, le tocsin sonne, une as- phixiante fumée enveloppe la ville.

On vit s'enfuir échevelées, la torche à la main, deux femmes ou plutôt deux furies qu'escortaient une troupe de bandits; ils sortaient des entrepôts de fourrag€M5* qu'ils venaient d'incendier. Au Heu de les abattre à coups

!. Perenon, Le siège de Lyon. Notes, p. 21.

2. Dont les souvenirs ont été retracés avec tant d'autorité et d'intérêt par le marquis Costa de Beaurcyard, le Homan d'un royaliste pendant la Révolution, p. 340.

3. M. du Treyve survécut au siège. Louis XVIII le nomma chevalier de Saint-Louis.

4. Guillon de Monléon, Ilisloire du Siège de Lyon, t. il, p. 33. Paris, 1797.

292 l'insurrection de lyon en 1793

de fusil, les habitants cherchèrent à les arrêter, et l'obs- curité sauva les criminels.

Par une juste revanche, une heure après, des gardes nationaux saisissaient deux autres femmes et un de leurs complices qui avaient mis le feu à la principale poudrière : on les conduisit à Tllôtel de Ville. La Commission chargée des délits militaires les jugea le lendemain et condamna ces trois misérables au châtiment qu'ils méritaient. Ils moururent lâchement.

La poudrière, recouverte de paille mouillée, échappait à Tincendie', mais elle devait être Fobjet d'autres tenta- tives. •

La plupart des femmes lyonnaises se conduisirent héroïquement. On signalait une jeune femme. M"*" Ther- riat, qui avait sauvé des enfants et des vieillards. D'autres s'étaient précipitées sur les bombes, et avaient arraché les mèches.

Parmi les plus braves, il convient de citer. M"' de Bel- lescize, délicate et charmante jeune fille qui avait été déjà si intrépide eu défendant au château de Pierrescize les officiers de Hoyal-Pologne. La rue Grenette habitait sa sœur, M™" Milanais, femme du lieutenant-colonel d'artillerie, était on feu, M"*" de Bellescize s'engage seule au milieu d'une foule à la fois épouvantée et exaspérée, parvient au logement de sa sœur, dirige les s(»eours contre Tincendie qu'on maîtrise, pondant que M™"' Milanais recu(Mlle les blessés et les soigne.

Précy avait déclaré qu'en dépil du bombardement, c'était du coté de la Croix-Housse qu'il fallait surtout veiller. Sos pressenti uionls ne le trompaient pas. Vers deux heures du matin, le général de division Uumuy, après avoir massé plusiours compaguios de grenadiers et de chasseurs avec le bataillon «le l'Ariège, se prépni-a à

1. M. Pi^renon, pèrr de I'iiiit«*ur du Sirf/r dv l^i/i>n, poèmo historique, dont les noies soni vraiment pivrioiisos, rt.'iit de /^-'irdc à la poudrière et c<'rtirir(]n'elle fut sauvée. Plusieurs liistoricns onl confondu avec l'arsenal.

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 293

donner l'assaut à la maison Panlbod^ Du côté lyonnais, le général Grand val avait placé en première ligne, le bataillon de Port du Temple et le bataillon de Saint- Pierre, ce dernier un peu à droite, en seconde ligne le bataillon de la Liberté, avec Tadjudant-général Burtin de la Rivière et enfin, en troisième ligne, le bataillon de la Saône sous les ordres du commandant de Laroul- lière. Devant les fréquents mouvements de troupes du camp de Caluire, tout en restant sous Tincessant bombardement de Montessuy, la vigilance des avant- postes lyonnais ne s'était pas assoupie. Aussi quand la colonne de Dumuy s'élance sur la redoute Panthod, les soldats de Grandval ne se laissent pas surprendre et par des feux de salve arrêtent l'élan des assaillants. Ceux-ci se reportent eu arrière et les batteries de Montessuy couvrent de mitraille la terrasse crénelée de la maison.

Le feu de mousqueterie répond au tir de l'artillerie et met horsde combat plusieurs canonniers de la Convention, mais les munitions s'épuisent du côté de la défense. Grandval envoie chercher des cartouches, ce qui dégarnit un peu ses positions et l'oblige à faire avancer ses bataillons de seconde et troisième ligne.

A ce moment l'ennemi prononce une attaque générale, Dumuy la conduit avec beaucoup, de bravoure, son habit est percé par les balles. L adjudant-général Pouget se- conde avec ardeur son général de division.

Les troupes de la Convention débordent la maison Pan- thod par la droite et attaquent la maison Rousset qui flanque le cimetière de Cuire; elles cherchent en même temps h tourner la redoute du centre. C'est alors que le bataillon du Port-du-Temple sort de ses retranchements et prend en (lanc l'assaillant, qui allait pénétrer dans la redoute du centre, intrépidement défendue par le vieux Gingenne, ses canonniers et deux compagnies seulement, les chasseurs et les grenadiers de Saint-Pierre.

1. Ou rappelait aussi Panthaud et Panctod.

294 LINSUBRECTIOM DE LYON EN 1793

A la maison Pantbod,robligatioD de renforcer la redoute du centre a diminué encore ses défenseurs qui se rédui- saient à unecompagQÎe d'infanterie et aux canonniersde la petite batterie. Grandval vient les encourager en s'erpo- sant avec témérité, selon son habitude : le ricochet d*un boulet lui brise le col du fémur, on le transporte à la redoute Gingenne. En royanl enlever le général couvert de sang, la compagnie d'infanterie se replie ^:alement sur la redoute. Les canonniers tirent leurs derniers coups de canon, ce qui motive une nouvelle décharge des can- nons de campagne de la Coavention. Dumuy fait battre la charge et le 3^ bataillon de la Drôme se précipite dans la redoute Panthod « il nV trouve que des morts et des mourants sur des canons brisés' ».

.' Le chef de bataillon Davin, commandant le 3' batail- lon de la Drôme est entré le premier dans l'ouvrage*. Le tir d'artillerie qui avait si eflicaceraent préparé Tenlève- ment de cet ouvrage était celui d'une batterie de quatre calions de 12 commandée par le capitaine Danthouard' destiné à devenir Tun des offieiers généraux les plus dîs^ tingués de son arme.

Malgré sa terrible blessure, Grandval n*a pas perdu connaissance : il fait arrêter la civière qui l'eraporle et appelle M. de Virieu*. On voit alors s'approcher du géné- ral un simple {grenadier aux habits noirs «le poudre, c'est le comte de Virieu lancien colonel si brillant du Régi- ment de Limousin, l'ex-Constituant si éloquent. Grandval déclare lui remettre le commandement et lui demande avec instance de conserver de la ligne de défense tout ce

1. Cniiite Léon <!«' I*onrins, le S/'V/c Je Lynn le Corresptmdaitt^ [Sdi, p. 101,.

2. Les liappinfff tle.s tmis ctimpsi apjM'llenl la redoute du centre attaquée par Uu[iiuy. et le l);itaiiioii de 1 Isère, le. /tos/e de dri'ile, t-t la iiiaisim l*au- thaud le postf d»» gauehe.

3. linppinls des l/oi.s ru/njts. du 2i> au 'ICi ;n>ùi [Archires historifjues de la (inerrHj.

4. Marquis Costa de Beauregard. ouvrage précitf, p. 102.

LES BOMnAUDEMLNTS DES 22 ET 24 AOUT 295

qui peut ôtre conservé... Viricu le promet et prend aussi- tôt ses dispositions pour arrêter la retraite.

Deux compagnies de Port-du-Temple reviennent avec des cartouches, Virieu leur ordonne d'occuper la maison Nérac, c'est que s'abritent les derniers défenseurs de la maison Panthod. Le feu reprend lentement, posément, du côté de la défense, pendant que les premières lueurs du jour éclairent les décombres fumants.

A l'extrême gauche de la ligne lyonnaise, la hitte avait été vive aussi, si l'on s'en rapporte aux souvenirs de Noihac. Sa compagnie était de grand'garde au u Panier-fleuri' ». Les batteries de droite du camp de Caluire canonnaient à outrance le chalet et la redoute Gingenne.

Notre maison fut bientôt criblée... La mitraille enlevait au dessus de nos tètes les tuiles qui couvraient les murs de pisé, il en était peu parmi nous qui ne fussions blessés et nous ne savions plus prendre position, si ce n'est dans la partie basse de la maison nous aurions été inutiles et d'ailleurs nous pouvions être pris comme dans une souricière. Dès lors nos commandants décidèrent qu'il convenait de faire retraite sur le poste Gingenne, nous la fîmes au milieu de la mitraille, emmenant le sous-lieutenant de la compagnie qui venait d'être blessé 2.

Gingenne craint (fue, par suite de Tévacuation du Pa- nier-flefiri^ l'avant-poste du cimetière puisse être tourné et il est d'avis de réoccuper le chalet. La compa- gnie à laquelle cet ordre est communiqué manifeste de Tindécision mais sans insubordination. Le capitaine commande: Portez arme! avant de commander: En avant! Sans qu'il y eut aucune préméditation, la com- pagnie garde l'arme au pied. Gingenne, en militaire

1. J.-B.-\I. Noihac, Souvenirs delà lièvolulion à Lyon^ Lyoi>, 1864, p. 186- 187.

2. « Ce bon j«'iiru' homme, aussi plrin de bienveillance pour nous que d'attachement à la cause (juil défendait, fut tué un peu plus lard aux Brolteaux. » J.-Ii.-M. Noihac, p. «8'.

29() l'insurrection de lyon en 1793

expérimenlf^, comprend que ces jeunes gens ont besoin d'être encouragés, solidifiés ^dM point de vue militaire et sans insister, sans témoigner aucun mécontentement, il envoie au Panier-fleuri une autre compagnie qui s'y rend fort aljègrement. La compagnie dont faisait partie Nolhac devait en toute autre circonstance se montrer discipli- née et courageuse.

Sur la rive droite du Rhône, la batterie du collège de rOratoire avait été découverte de la Guillotière. Ses canons placés sur la terrasse, k côté de la grande salle de la Biblio- thèque, avaient tiré, non sans succès, à la fin de la jour- née et au commencement de la soirée; les grosses pièces de siège du général Vaubois foudroyèrent en quelques ins- tants ce fragile ouvrage et son artillerie. Le btltiment du collège ne résista pas à la rafale. La voûte de la grande salle s'effondra, les livres furent brûlés ou ensevelis dans les décombres, les canonniers et un poste de garde na- tionale purent, presque sans perte, s'échapper*.

Il était quatre heures du matin. A la maison Panthod des travailleurs du génie vinrent déblayer la redoute et la aiettro en défense du côté de Lyon, mais le canon des assiégés les obligea à se retirer. Le bataillon de TAriège reprit le feu avec les avant-postes lyonnais mais, jusqu'à dix heures, les troupes de la Convention ne purent réoc- cuper la redoute'.

Le feu de la défense maintenait toujours les assail- lants à une distance qui rendait leurs progrès presque nuls. Le rapport officiel de Kellerniann ne laisse pas d'il- lusion à ce sujet L Pendant toute la journée, le général Dumuy se borna à maintenir ses troupes aussi abritées que possible. Le soir seulement elles gagnèrent un peu de terrain et occupèrent la maison Panthod. Les pertes

1. Vat'sen, Documents imprimés : Ijifun en 1793, le Siège^ p. 77.

2. lUipport du grnéral Ke)lermann au ministre, du 24 au 25 août [Ar- chives liistori(iucs de la Huerre : Armée des Alpes, 1793).

3. « Ils (les Lyonnais) ont continué leur feu dans des postes en arrière et peit é/oif/nés ils s'étaient préparé des appuis.

LES BOMBARDEMENTS DES 22 ET 24 AOUT 2î)7

des troupes de la Convention furent peu importantes : 32 hommes d'infanterie parmi lesquels deux officiers et 4 canonniers hors de combat ^ le rapport des représen- tants mentionne 10 hommes tués et 32 blessés. Le géné- ral en chef rendit un hommage mérité h la bravoure d'un capitaine et de 4 chasseurs du bataillon de l'Isère; il ajouta: a Les rebelles ont perdu beaucoup de monde tant tués que blessés. Nos grenadiers en ont percé plusieurs avec leurs baïonneltes. » C'étaient des canonniers blessés, surpris dans la redoute derrière leurs pièces qu'ils avaient admirablement défendues.

Les représentants dédaignèrent d'honorer l'intrépidité de leurs adversaires, ils se bornèrent à dire : « Les redoutes des rebelles étaient jonchées de morts, mais ils ont pro- fité de l'obscurité pour en emporter un grand nombre'. » Les Lyonnais connaissaient trop le manque de générosité de leurs adversaires: tout prisonnier, même blessé, même agonisant, était, non pas achevé, ce qui eût été plus hu- main, mais traîné devant les représentants ou devant des policiers déguisés en militaires, interrogé et fusillé, après une parodie de jugement qui n'était qu'une torture de plus.

Dans la matinée, le colonel Jossinet, commandant le dé- tachement des rives du Rhône à Vernaison, avait tenté une diversion contre l'aile gauche du général Vaubois, en franchissant le Rhône sur une dizaine de bateaux, un peu au-dessous de Vernaison. Avec la compagnie de grena- diers de Guillaume Tell, il occupa le bourg de Salaize * sans difficulté, mais en remontant sur Feyzin, à la sortie d'une plaine assez marécageuse, les rangs s'étaient désunis, le détachement lyonnais fut accueilli à coups de fusil par une troupe qu'il distingua mal et qui était, pa-

\. Le rapport de Kelleniiann dit: 32 soldats ou officiers d'infanterie et 4 canonniers tant tiiôs que blessés.

2. Les représentants du peuple à la Convention, 25 août. (Vaësen, Docu- ments hnprimés, précités, p. 33.)

3. Rapport de Rellermann, du 25 au 26 août

298 l'insurrection de lyon en 1793

rait-il, l'ancien régiment des dragons de Royal-Pologne, le 5* de cavalerie, qui avait mis pied à terre. Jossinet, voyant sa surprise manquée, ayant eu deux hommes tués*, ordonna la retraite qui se fit avec précipitation. Les dragons ne purent joindre leurs adversaires, ils restèrent quelque temps en observation en avant de la Guillolière des boulets lyonnais vinrent les atteindre et leur causèrent des pertes assez nombreuses, ce qui les dé- cida à se replier. Ils n'en avaient pas moins rempli avec utilité leur mission, à une époque Ton employait ra- rement la cavalerie en la faisant manœuvrer sur le flanc des troupes d'infanterie.

Jossinet est revenu à son cantonnement, craignant une reprise d'attaque de la part des dragons devant lesquels il a battre en retraite. Le colonel lyonnais remonte à cheval pour visiter les postes de chasseurs à Oullins qu'il trouve avec raison trop en arrière. En traversant la principale rue de Vernaison, son cheval butte, le cava- lier désarçonné se fracasse la tête contre une borne. «

1. Rapport du camp de la Guillôtiére. du 25 au 26 août.

CHAPITRE XVII

QUELQUES SAGES MESURES. BEAUCOUP DE PAROLES

A Lyon, l'effet du bombardement avait été terrifiant dans les quartiers qui avoisinaient THôpital et l'Arsenal, surtout pendant cette terrible nuit la place Bellecour elle quai de Saône étaient encombrés de femmes affolées, de vieillards tremblants, d'enfants épouvantés. Mais^ dès la matinée lors(|ue les batteries lyonnaises recom- mencent la lutte, rendant coup pour coup, lorsqu'on ap- prend la magnifique défense des troupes de la Croix-Kousse qui n'ont perdu qu'une maison, les esprits se ressaisissent. Bientôt une sombre exaltation les domine, les habitants déclarent qu'ils préfèrent voir écrouler les dernières pierres de leurs demeures que subir une capitulation de- vant des ennemis qui ne respectent rien.

Les membres du Comité de Sûreté générale et de Salut public vont porter leurs consolations aux malheureux sans asile et leur distribuer un peu d'argent et quelques vivres; on les acclame, jamais les corps administratifs n'ont été plus populaires.

La complicité des agents de Dubois-Crancé, dans la plu- part des incendies, fut peut-être exagérée, car il suffisait des bombes pour produire des dégûts de cette nature, le feu se communiquant facilement aux objets de literie, aux rideaux, aux tentures. Toutefois, comme nous l'avons rapporté, des malfaiteurs, parmi lesquels plusieurs femmes, avaient été vus, quelques-uns mêmes saisis dans les dé- combres de l'Arsenal et des magasins à fourrages. D'autres, porteurs de fusées, furent arrêtés par des patrouilles. Le peuple réclama leur chùtiment immédiat.

300 l'insurrection de lyon en 1793

La commission militaire récemment créée les jugea. Après les exécutions que nous avons mentionnées, elle crut devoir acquitter, malgré toutes les apparences, des femmes et des jeunes filles, accusées aussi d'avoir pro- pagé Tincendie. A la sortie de l'audience, la foule les insulta et les frappa.

Précy n'avait pas assisté au combat de la Croix-Rousse, il était demeuré à son quartier général de Tabbaye de Saint- Pierre en communication avec les postes et les casernes de la ville, ayant à sa disposition quelques bataillons on réserve qu'il aurait conduits lui-même sur les points l'enceinte eût été particulièrement menacée. Il ne lui res- tait plus de canons de campagne; toutes les pièces étaient en batterie aux avant-postes. Quelques-unes sur le quai du Rhône avaient été mises hors de service par les pro- jectiles de l'ennemi, la redoute Panthod avait perdu ses trois canons. L'habile fondeur Schmidt, lieutenant-colonel d'artillerie, était à l'Arsenal, au moment de l'incendie; un certain nombre de pièces d'artillerie en construction ou en réparation étaient restées dans la fournaise. Après avoir lutté vainement contre le fléau, Schmidt, avec ses contremaîtres et ses ouvriers, s'était retiré au monastère de Sainte-Claire; il avait retrouvé des maçons, des ou- vriers forgerons et avait commencé à organiser le cou- vent, dans sa partie la plus élevée, en atelier de fonderie de canon. L'installation, déjà très njédiocre à l'Arsenal, était encore plus défectueuse et cependant jusqu'à la lin de septembre, le colonel Schmidt devait y fabriquer des canons.

De son côté, l'admirable ingénieur militaire, qui s'appe- lait le colonel de Chônelette, avait couru à la Croix-Rousse et fait compléter les mesures de défense arrêtées par Tad- judant-général Burtin de la Rivière qui avait pris le commandement, M. de Virieu s'étant modestement effacé devant l'officier supérieur, régulièrement nommé par les corps administratifs.

QUELQUES SAGES MESURES 301

Le général de Précy savait quel service Tex-colonel de Limousin avait rendu aux troupes de Grandval ; il l'appela h son quartier général, lui demandant jus- qu'à nouvel ordre de rester à son état-major, de faire partie du conseil militaire composé du général Madinier, commandant provisoire de la garde nationale, des deux vieux généraux plus courageux que valides, le comte de Crenolle et (îiraud des EcheroUes, de M. de Clermont Tonnerre, ex-maréchal de camp et des adjudants-généraux non employés au commandement des trou pes. Parmi ceux-ci Ghampreux tenait le premier rang, partageant avec le colonel de Vichy et le capitaine de Plantigny, aide de camp, l'absolue confiance du général en chef.

On ignorait au quartier général la tentative de Ver- naison et la retraite des troupes du colonel Jossinet. Aussi Précy se décidant un peu tardivement à tenter des diversions sur les flancs de Tennemi, écrivait au com- mandant d'Oullins et environs :

Marquez-moi le résultat de vos opérations et instruisez-moi si je peux compter sur vous pour vous rendre au pont d'Alaï *, et au delà, demain matin, et le nombre de forces que vous croyez pouvoir y porter. Vous n'ignorez sûrement pas ma position, attendu Tincendie qui s'est manifesté et qui n*est point encore terminé ^.

Le général en chef des Lyonnais s'étonnait de ne pas avoir de nouvelles du détachement de Saint-Etienne, il espérait que Jossinet, qu'il savait entreprenant et bien éclairé par ses chasseurs à cheval, pourrait entrer en communication avec Servant et placer le camp de Limonest

1. Le pont d'Alai est sur le ruisseau de Charbonnière à un endroit très encaissé, à environ deux lieues d'Ouliins.

2. Précy transmettait au colonel Jossinet une dénonciation contre la municipalité dOullins, en lui ordonnant d'y donner suite et d'envoyer les accusés sous escorte à Lyon ; le mot d'ordre assez compliqué était en- voyé : Saint-Léon et Langres (ralliement: Vengeance). (Archites départe- mentales).

302 l'insurrection de lyon en 1793

entre une double attaque. En apprenant Taccident fatal du colonel Jossinet, Précy donne le commandement provi- soire à Bollioud de Chanzteu, et lui transmet ses instruc- tions qui, rédigées au lendemain d'un terrible bombar- dement et à la veille d'une nouvelle attaque, peuvent être citées comme un modèle de netteté et de concision. Il ordonne au capitaine de laisser seulement les chasseurs de Guillaume Tell à Vernaison, de faire venir les grena- diers de la Fraternité à OuUins, ce qui constituait un soutien à la compagnie de Vernaison, et de renvoyer à Lyon la compagnie de grenadiers de Brutus et tous les chasseurs èi cheval, sauf huit pour assurer le service de correspondance entre le détachement et la ville de Lyon ' . Dans la place assiégée, les autorités militaires et administratives remplissaient leur devoir avec un sang- froid que n'altérait point le souvenir des dangers de la nuit. La commission de justice militaire fonctionnait sous la présidence de M. Loir, négociant fort estimé. Plu- sieurs femmes furent encore amenées devant le tribunal, accusées d'espionnage, mais on ne put les convaincre que du délit d'intention. Au camp de la Pape, un tel méfait eût entraîné la peine de mort, la Commission fut plus indulgente. Un contemporain '^ a laissé le récit du châti- ment bien léger qu'on leur infligea :

On les fit passer dans l'antichambre des salles d audience et mettre en rond. Un jeune et galant perruquier, d'une figure agréable et douce, fut appelé et fit tomber adroitement à terre cette chevelure, ornement des belles et les sourcils qui donnent à leurs yeux tant d'expression. 11 y en eut quelques-unes à qui il n'en fit raser qu'un, les jolies n'en furent pas moins défigurées et les laides devinrent hideuses par l'enlèvement môme d'un seul sourcil.

Après cette opération faite à huis clos, en présence du secré-

1. Archives (iépartemenlales.

2. M. Alexis du Perron, chevalier de Sainl-LouiSv l'un des casernes au bâtiment de Saint-Pierre pendant le siège <le Lyon.

QrrLQUES SACiKS MESURES 303

taire greffier chargé de la diriger avec douceur, il fut fait lecture de la sentence de mort prononcée contre les agents de Tespionnage, les tondues et rasées furent conduites par la force armée au delà des avant-postes et ne reparurent plus <.

Rappelons que des huit membres de la Commission militaire, deux seulement devaient survivre : le prési- dent Loir et M. Moulin, secrétaire-greffier'.

Le Comité de Silreté générale et de Salut public, en permanence depuis les premières heures de la matinée, vit arriver dans la salle des délibérations Vitet, Tancien maire, qui avait laissé les plus tristes souvenirs par sa complaisance coupable à l'égard de Chalier et des pires Jacobins. Retiré dans une maison de campagne, il s'effor- çait de rester neutre, regrettant sans doute les excès qu'il avait tolérés par faiblesse ou par ambition. Des volon- taires de Tarmée qui assiégeait Lyon pénétrèrent dans sa retraite; après Tavoir molesté ainsi que son fils, ils pillèrent Thabitation, cherchant à y mettre le feu. Vitet et son fils s'enfuirent; par des chemins détournés, ils purent gagner le faubourg de Sainte-Foy et, dans la ferveur de leur repentir et de leur terreur, ils demandaient à com- battre leurs anciens amis en servant dans la garde natio- nale. Ils y furent admis*^, mais leur zèle militaire paraît avoir été fort tiède, car on ne parla jamais d'eux h l'occa- sion d'un fait d'armes quelconque et tout fait supposer qu'ils n'attendirent pas la fin du siège pour s'évader.

Dubois-Crancé adressait dans la journée du 25 août à la Convention, un long rapport il s'étendait avec com- plaisance sur les effets terribles du bombardement :

Les bombes ont commencé leur effet à dix heures du soir, il n'a pas été conséquent jusqu'à minuit, mais à cette heure il

1. Annales iyonnaises^ 1814, 25" livraison.

2. Moulin était avant la Révolution officier de la Monnaie de Lyon, et commensal de la Maison du Hoi. Les marquis de Vichy et de Château- roux, le chevalier do Plant i<^ny, MM. Carré et Ravarin, anciens militaires, et M. Deschamps, avocat, furent tués à Tennenii ou exécutés.

3. Vaësen, Documents imprunês, p. 18-19.

304 l'insurrection de lyon en 1793

s'est manifesté le plus terrible incendie vers le quai de la Saône. D'immenses magasins ont été la proie des flammes et quoique le bombardement ait cessé ce matin à sept heures, l'incendie n'a rien perdu de son activité jusqu'à ce moment qu'il est : cinq heures du soir. On assure que Bellecour, l'ar- senal, le port du Temple, la rue Mercière, la rue Tupin sont totalement incendiés. On peut évaluer la perte de ces deux nuits à 200 millions.

Dubois-Crancé exagérait : les désastres étaient heureu- sement moins considérables. 11 venait d'envover aux Lyonnais une nouvelle sommation ^ :

L'armée de la République vous a fait bien du mal, parce que vous l'avez voulu. Craignez que ce fléau ne s'augmente et que votre entière destruction ne serve d'exemple à quiconque serait tenté de vous imiter. Nous vous envoyons le bulletin de la Convention nationale 2; vous y verrez que nous avons fait notre devoir, et vous ne doutez pas que nous persisterons dans l'exécution de ses ordres. Ne comptez plus sur les Piémontais, ils sont arrêtés à la sortie de la Maurienne, ne comptez plus sur les Marseillais, ils ont été battus, ils sont rentrés à Marseille, et Carteaux est à Aix. Ne comptez pas sur un acte de faiblesse de la Convention, vous le verrez par le dernier décret qu'elle a rendu à ce sujet. Mais pourquoi en vous soumettant aux lois, douteriez-vous de son indulgence ?

Ne dites pas que vous avez juré de mourir libres ; votre liberté ne peut être que celle que toute la France a jurée. Tout autre acte de liberté prétendue est un acte de rébellion contre la nation entière 3.

Le Bulletin auquel fait allusion Dubois-Crancé était le résumé de la séance delà Convention du 21 aoiU. Barrère avait dénoncé de prétendus excès, commis par le corps expéditionnaire lyonnais dans le Forez, et la Convention

1. La lettre de Dubois-Crancé parvenait à trois heures aux avant-postes de la Croix-Rouge.

2. Ce Bulletin était le procès-verbal de la séance du 21 dont nous indi- quons les dispositions principales plus loin.

3. Bulletin des autorités niilitaires chavf/ées du sièffe de Lyon, Paris, Charavay, 1845.

QUELQUES SAGES MESURES 305

avait décrété la nomination de trois de ses membres, Couthon, Chàteauneuf-Randon et Maignet, adjoints, avec des pouvoirs illimités, aux représentants qui étaient en mission à Tarmée devant Lyon.

En attendant, Tultimatum de Dubois-Crancé, contre* signé par Gauthier et Cliambon, déclarait qu'un délai de trois heures seulement était accordé aux assiégés pour répondre; ces trois heures passées, le bombardement reprendrait.

Quand il communiqua à la Convention sa nouvelle som- mation, Dubois-Crancé s'indignait de ce que, des avant- postes, on distinguait sur les clochers « le signe de la persistance dans la rébellion, le drapeau noir! » Or le drapeau tricolore flottait sur tous les édifices publics de Lyon et le drapeau noir n était arboré que sur les hôpi- taux, pour indiquer ces asiles de la soufl*rance que doivent épargner tous les peuples civilisés. Dubois-Crancé ne pouvait s'y tromper.

A son arrogant message, qui parvenait à dix heures, les autorités lyonnaises répondirent dans la soirée :

Lorsque vous nous envoyez des dépêches, vous ne donnez point au peuple de Lyon le temps de délibérer, les hostilités continuent. Quelles que soient vos résolutions sur ce point, nous allons lui soumettre le contenu de votre lettre et le Bulletin de la Convention qui y était joint. Le résultat de sa délibération vous sera transmis aussitôt qu'elle aura eu lieu *.

Les mortiers avaient tiré quelques coups dans la soi- rée, les représentants tirent cesser leur tir, mais sous la réserve de le reprendre immédiatement dès qu^ils Tor- donneraient. Kellermann et ses généraux n'élevèrent aucune objection devant cette usurpation de fonctions.

1. Cette réponse, reproduite par Guillon de Monléon {Sièrje de Lyon^ t. I. p. 419) est résumée dans les Rapports des trois camps^ du 2.ï au 26. {Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes^ août 1193.)

20

306 l/l\SUHRECTION DE LYON EN 1793

A Lyon, les sections sont convoquées dès la matinée, leurs délégués se rendent, vers dix heures, h rhôlel commun. Lecture est donnée de la lettre des représen- tants et du Bulletin de la Convention. Une discussion agitée s'engage, mais le président Bémani informe FAs- semblée de l'arrivée d'un officier du général Grandval. Le général qui, malgré sa blessure, est resté dans une maison de la Croix-Rouge, fait savoir que les avant-postes du camp de Caluire continuent à tirer des coups de fusil sur ses troupes* et que, par conséquent, il n'y a pas de trêve. Un mouvement d'indignation se manifeste; la dis- cussion reprend, pleine de véhémences, au bruit du canon. Vers midi, un nouveau trompette arrive avec un nouveau message de Dubois-Crancé ; il n'est plus temps de délibérer^.

Voici dans quels termes débutait cette sommation, plus insolente encore que les précédentes :

Le délai est passé, toute tergiversation est inutile. L^armée va recevoir ordre d'agir jusqu'à ce qu'il ne reste plus de rebelles aux décrets de la Convention nationale.

Quant aux plaintes des Lyonnais sur ce que les hôpi- taux servaient de cibles à rartillerie des assiégeants, les représentants y répondaient brutalement :

Le rapport que vous a fait un de vos chefs est faux. Lisez celui du général Dumuy ■'*.

1. Bulletin (lê/»arfemental, 26 août.

2. Ici. aux Arrêtés imprimés des autttrités militaires, etc.

3. Voici ce rapport : « Je certifie que les troupes de la division que je commande n'ont point tiré dès l'instant que j'ai reçu l'ordre du général en chef Keilennann, et (jue les Lyonnais n'ont pas cessé de tirer leurs canons depuis cinrj heures du matin jusqu'à sept heures.

A la Pape, le 2.'» août 1793, l'an II de la République.

« Af f/énéral de division^ « Félix Di.MUY. »

QUELQUES SAGES MESURES 307

L'Assemblée se dressa toute frémissante d'indignation : « Aux armes! Aux armes! » s'écrie-t-on de toutes parts, et le Bulletin départemental, qui rend compte de la séance, ajoute que « chacun court au combat ». L'expres- sion est imagée et un peu excessive, car le feu recom- mença aux avant-postes de part et d'autre, mais faible- ment, et la plupart des gardes nationaux restèrent au logis ; seules les compagnies soldées gardaient les casernes quand elles n'étaient pas de service dans les redoutes ou aux diverses batteries.

L'artillerie de Montessuy tirait à boulets rouges, sans résultat, contre le quartier Saint-Clair, les éboulements produits par le bombardement du 24 servaient de bar- ricades et arrêtaient les éclats des projectiles, les bombes n'allumaient plus d'incendie ^ Kellermann ordonna de concentrer le tir sur le faubourg de la Croix-Rousse.

Une colonne, conduite par le général de Précy lui- même, déboucha de la redoute du centre et de la redoute Nérac pour se déployer presque entièrement en tirailleurs et diriger sur les nouveaux défenseurs de la maison Pan- thod un feu de mousqueterie très intense. Bientôt Précy ordonna la retraite -, Les pertes, des deux côtés, étaient insignifiantes'^.

Les troupes du général Dumuy, sous le commande- ment de leur divisionnaire, voulurent h leur tour prendre l'offensive, mais elles furent aussitôt canonnées, et par un si grand nombre de pièces de canon qu'elles se reti- rèrent précipitamment. '< Chaque jour, ils (les Lyonnais) démasquent de nouvelles batteries », dit avec décourage- ment le chef d'état-major Saint-Remi dans les Rapports

1. Pour ne pas avouer rineffioacité du tir à mortier, le rapport des trois camps du 26 au 27 août dit : « Les divers incendies qui en ont résulté n'ont pas produit un effet aussi grand qu'il l'aurait été si leur position était moins éloignée et leur tir [)lns direct. »

2. Cf. Rapports des (nûs camps du 26 au 21 août {Archives historiques de la Guerre).

3. « La nôtre a été de deux hommes tués. » (Môme document.)

308 l/iNSL'RRECTION DE LYON EN 1793

des trois canips^ qui ajoute : « Les troupes de la Répu- blique ne peuvent s'en approcher qu'à travers un feu bien nourri de boulets, de cartouches à balles, d'obus et de mousquelerie^. » Les avant-postes des deux partis n'étaient plus séparés que par 120 à 150 toises^. Pendant Taprès-midi du 26, les travailleurs du génie qui tra- vaillaient à la maison Panthod durent rabandonner*"^. La défense de la Croix-Rousse se continuait donc sans désa- vantage.

A la Guillotière, les morliers envoyaient toujours des bombes de temps à autre, mais les batteries des quais du Rhône ripostaient et avaient à leur tour incendié plu- sieurs maisons du faubourg^.

Le génie activait les travaux de la redoute que le général Rivaz faisait construire à la tour de Saivagny, près du camp de Limonest. Le principal objectif de ce camp était d'intercepter l'arrivée de nombreuses denrées destinées à Lyon^.

Le 26 août, dans la soirée, les troupes des Brotteaux et celles de la Croix-Rousse firent l'échange de quelques détachements, sur Tordre personnel de Précy. Le général craignait que sa petite armée ne se laissât aller à une sorte de découragement, de lassitude morale, causée par l'existence monotone des cantonnements. La compagnie de chasseurs à pied, dont faisait partie Nolhac, vint occu- per une jolie maison, appartenant à la famille Neyrat; elle devait y rester en poste avancé pendant un mois. Les batteries de la Tôte-d'Or convertirent bientôt cette habi- tation de plaisance en masure aux pans de murailles noircis. Les défenseurs durent même se réfugier dans la cave pour trouver un abri.

Tout en surveillant Vernaison, il ne fallait pas dégar-

1. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1793.

2. Id., même document {Rapport des trois camps^ du 26 au 27 août).

3. Id.

4. Id., partie relative au camp de la Guillotière.

5. Id., partie relative à Limonest.

QUELQUES SAGES MESURES 309

nirOuliins, telle était la double et difficile mission imposée à BoUioud de Chanzieu < avec des forces singulièrement restreintes. 11 semble que le général en chef des Lyonnais craignait toujours d'être tourné par le sud-ouest, et qu'il ne cherchait pas assez à inquiéter le camp de la Guillotîère^ en le menaçant sur sa face ouest ou sur ses derrières.

Au point de vue militaire, le manque d'initiative devait être, pendant toute la durée du siège, le défaut de Précy. Les hésitations des autorités civiles lyonnaises, leurs interminables négociations avec la Convention et les représentants avaient certainement beaucoup gêné le général. Au début, il n*avait pas su profiter du fraction- nement de Tarmée de siège pour lattaquer en détail, et maintenant il subissait le bombardement, qui devait for- cément démoraliser la population et les travaux d'ap- proche d'un siège régulier qui investiront la ville plus étroitement, tous les jours.

En réalité, Précy se borna toujours à la défensive, il répondit au début, si Ton en croit la tradition, aux par- tisans d'une audacieuse offensive que : « Les Lyonnais n'ayant pas cessé de reconnaître la République, ne devaient pas prendre l'initiative d'une attaque contre ses troupes. » 11 y a cependant lieu de supposer que le géné- ral aurait tenté plus d'une attaque en rase campagne s'il avait commando des soldats disciplinés, encadrés d'offi- ciers de carrière, formant des troupes habituées à manœuvrer. La plus grande partie des gardes nationaux ou, pour être plus précis, les neuf dixièmes, ne voulaient pas quitter leur ville et se seraient refusés à une expédi- tion. Quant aux compagnies soldées de chasseurs et de grenadiers, elles manquaient d'habitudes militaires, de cohésion, mais elles étaient composées de jeunes gens enthousiastes et d'anciens soldats, obéissant volontiers à leurs officiers, elles auraient donc suivi le général de

1. Atxhives dêparLenien taies, 26 août.

310 l/lNSURRECTION DE LYON EN 1793

Précy en rase campagne. Peut-ôtre même ces troupes auraient-elles acquis assez vite les qualités militaires qui leur manquaient mais leur petit nombre, six mille au maximum et non pas dix mille comme on Tavait espéré, ne leur permettait pas d'affronter, en dehors des opéra- tions de sortie et de la défense de leurs positions, les trois divisions du général Kellerraann, qu'allaient d'ail- leurs incessamment renforcer les réquisitionnaires re- crutés par la Convention.

Précy avait organisé, avec Tesprit méthodique de la vieille armée à laquelle il avait appartenu si longtemps, un service de surveillance d'une extrême vigilance. 11 s'en occupait personnellement et sans la moindre négligence; une partie de son état-major parcourait tous les postes et lui signalait les imperfections auxquelles il remédiait aussitôt dans la mesure du possible.

Chaque jour, le général Madinier commandait, dans chacune des sections, un détachement de 24 hommes armés pour un service de garde ou de piquet de vingt- quatre heures, 15 hommes sans arme, de service chaque nuit de six heures du soir à sept heures du matin ; ils de- vaient être prêts à porter des secours partout il serait besoin pour les divers incendies ou éboulemonts.

Des ouvriers d'art, forgerons, maîtres maçons et maîtres couvreurs, devaient également se tenir à la disposition du commandant des pompiers, leur nombre était déter- miné par les comités de section.

Au sommet des édilices élevés, des hommes connus pour leur sang-froid et ayant bonne vue étaient placés le jour en vigies et signalaient les points de chute des bombes.

Il devait y avoir des cuves remplies d'eau à l'entrée (le chaque maison. Le pavé des quais et des rues princi- pales avait été enlevé pour éviter les éclats de pierre tou- jours dangereux.

Ces mesures de sécurité ne suffisaient pas pour main- tenir l'ordre et le calme dans une ville soumise à toutes

QUELQUES SAGES MESUHES 311

les péripéties d'un bombardement, à toutes les menaces d'une prise d'assaut. Il fallait assurer la vie matérielle de la cité, tenter de ressusciter un semblant de commerce, de relever un peu les quelques affaires qui se traitaient encore et enfin de constituer une sorte de trésor public.

Les ressources numéraires, provenant de l'emprunt de trois millions de francs, étaient presque épuisées, le Comité de Surveillance générale et de Salut public décida la créa- tion d'un papier-monnaie, dit papier obsidional, jusqu'à concurrence de 1.5(X).0<3<) francs. Cette valeur avait pour garantie les engagements écrits d'un grand nombre d'ha- bitants de Lyon, propriétaires d'immeubles ou capitalistes qui s'engageaient à fournir les fonds.

Une caisse ouverte k l'hôtel commun remboursait les coupures quand on en présentait pour 400 livres. Il y en avait de 5 et de 20 livres et de 25 à 50 sous.

Lorsque le papier fut mis en circulation, on s'aperçut que le filigrane renfermait une fleur de lys placée à l'un des coins, un grand nombre de Lyonnais protestèrent* ;les sections se firent les interprètes de ce mécontentement, le Comité de Sûreté générale déclara que les employés du bureau financier avaient fait usaged'ancien papier fabriqué en 1790, « faute de temps et de moyens pour s'en pro- curer autrement », mais que l'emblème proscrit allait dis- paraître'^. En effet le papier fut coupé dans l'angle qui portait la fleur de lys -^

Cet incident fut exploité contre le Comité et surtout contre le général en chef qu'on accusait, malgré la cor- rection de son attitude, de trahir la cause républicaine. Le

i. Louis Rlanc, lllsttnre de la Hévo/nHon, i. IX, p. 2ri6. Voir note, p. i46 hh.

2. Morin, t. III, p. 283-28 i.

3. Nous donnons ici ce qu'a rapporté la tradilion. Toutefois, M. Steyert, le savant historien de Lyon, conteste l'exactitude do la fleur de lys et clare qu'il y avait seideuient un timbre sec, fij^urant un faisceau surmonté d'un bonnet rouge et entouré de canons et de drapeaux, et que le filigrane portait seulement le nom de Ly(»n. '^Steyert, Souvc/tc hisfoitu' tie L;/on, p. 531.)

312 l/lNSLRRECTIOX DE LVO> EN 1793

ComiU^ demanda à Précy de rassurer Topinion, il fit affi- cher une très lonf^e protestation qui commençait ainsi :

CiTOYSXS,

Si quelque chose pouvait altérer les sentiments d*un homme qui, sans autre intérêt que celui du bonheur public s'est dévoué à la défense d*une cité il fut appelé par le vœu de tous les gens de bien, ce seraient sans contredit les propos que la mul- titude eiïrénée et soldée par les ennemis se plait à répandre contre moi.

Citoyens, mon âme est pure, ma conduite est sans reproche et je n'entrerais dans aucun détail, si je ne craignais que des ûmes faibles ne se laissassent séduire par ces calomnies outrées et astucieuses... une pusillanimité aussi impardonnable chez des hommes libres entraînerait nécessairement la chute et la perte d'une ville immense.

Précy continuait sur ce ton de mémoire judiciaire plu- tôt que de proclamation militaire. Il rappelait que les Lyonnais avaient pris les armes pour résister à l'oppres- sion, etc., toutes vc^rités connues, dans une phrase im- prégn(^e de IVmphaso du temps :

Des Français qui tirent sur des Français avec autant d'achar- nement, et aussi exécrablement ne devraient-ils pas rougir de servir d'instrument à la haine et à la passion du plus despote des mortels?

Le gt^n(^ral constatait que le bombardement était peu de chose h ccMé des menées perfides de certains habitants de Lvon:

Vos vrais cMinemis sont dans votre sein, ce sont eux qui ont incendié votre arsenal, ce qui a entraîné la perle des maisons voisines, ce sont eux qui la première nuit du bombardement se hAtèrent de mettre le feu aux différentes maisons de la rue PJal-d'argent et de la Grande-Rue. Ce sont eux qui, par leurs cris incendiaires, répandirent l'alarme dans la ville et empô-

QUELQUES SAGES MESURES 313

chèrent les honnêtes gens timides, de porter des secours; ce sont encore les mêmes ennemis qui, dans ce moment, par des bruits sourds et calomnieux, cherchent à semer le décourage- ment... Braves Lyonnais, votre sort est entre vos mains, la destinée de la République dépend de votre fermeté, donnez à Tunivers entier Texemple du courage et du désintéressement le plus déterminé, surveillez vos ennemis intérieurs, chassez- les de votre sein, mais soyez fîdèles observateurs des lois, que rinjustice ne vous en fasse point commettre, forcer Tennemi commun à respecter votre modération et à craindre votre cou- rage et si vous mourez en défendant votre patrie, il n'existera pas d'honnête homme dans les siècles les plus reculés qui ne jalouse votre sort.

L'ennemi peut détruire, brûler vos maisons, mais au milieu de ses désastres le bon Lyonnais doit paraître ferme et inébran- lable. Prononcez donc bien votre vœu : que les méchants tremblent et que les gens de bien vous admirent !

Précy*.

Le Comité de Surveillance générale et de Salut public, intervenant à son tour, rappelait les mesures indulgentes qu'il avait prises. Ce n'était vraiment pas la peine d'avoir constitué un tribunal militaire, Dubois-Crancé frappait plus dur:

Citoyens,

Depuis vingt jours des monstres altérés de notre sang et de nos fortunes égarent nos frères des départements et font couler par des mains fratricides le sang français ; assiégés, bombardés, incendiés nous usons d'une légitime défense et résistons à Top- pression.

Nos ennemis sont appuyés par un parti qu'ils fomentent, soutiennent et soudoient au centre même de cette cité. C'est le parti qui nous fait tout le mal, c'est lui qui a incendié l'arsenal qui a mis le feu aux maisons des rues Longue et du Plat-d'ar- gent, qui par des signaux a indiqué aux assiégeants les endroits ils devaient diriger leurs bombes et leurs boulets, qui a

1. BuUelin dépariewental, n" 16, 26 août.

314 l'insurrection de lyon en 1793

répandu dans toutes les rues de Lyon des matières combus- tibles, qui a coupé les tuyaux des pompes à feu^ qui a volé ou détruit nos seaux pour Tincendie...

Vos magistrats, instruits de toutes ces atrocités, ont fait mettre en arrestation plusieurs personnes notoirement sus- pectes. Déposées dans l'hôtel commun, elles insultaient à notre modération et par leurs propos, par leurs menaces, par Tatro- cité qu'elles ont commise de jeter des mouchoirs soufrés dans la cour de Thôtel commun, elles provoquaient Tindignation des bons citoyens et déjà une explosion de vengeance allait éclater. Pour la prévenir, les magistrats ont mis hors la ville tous les prisonniers suspects...

Aujourd'hui ils ont leur liberté, qu'ils aillent grossir l'armée de Crancé mais qu'ils ne s'avisent pas de rentrer dans notre ville, tant qu'elle sera en état de siège. Les ordres les plus rigoureux sont donnés pour les veiller de près.

S'ils étaient découverts, s'ils étaient arrêtés, s'ils se présen- taient aux portes, travestis ou autrement, ils seraient traduits sur le champ de vaut la commission puis jugés dans les vingt-quatre heures comme ayant été et venant de l'ennemi.

Signé :

ROUBIEZ, BÉMANI,

Secrétaire général. Président.

Pour réagir contre le manque d'énergie dont faisait preuve la population ouvrière, la même commission, si prolixe dans ses proclamations, arnHait que tous les charpentiers, maçons et pompiers qui ne se rendraient pas sur-le-champ à Thôtel commun pour être mis h la disposition de Tautorité militaire, seraient livrés à la Commission et jugés dans les vingt-quatre heures'. Cette disposition ne devait jamais être appliquée.

Il devait on être de môme pour la réquisition adressée à TEtat-major de faire placer des factionnaires en bas du Chemin-Neuf et du Gourguillon, au-dessous de la colline de Fourvières, pour empêcher les polirons, astreints au service

1. liitlletin (Ivparleinenlal, ri- 20 du 27 août 1193.

QUELQUES SAGES MESURES .'Jio

militaire de se réfugier dans le C[uartier de Saint-Just ou au bourg Saint-Irénée. Leur tentative de fuite était d'autant plus coupable «qu'ils privaient par une coupable lâcheté et pusillanimité leurs concitoyens du secours de leur participation pour arrêter les incendies^ ».

Des exemples de vaillance étant cependant donnés, comme compensation à ces indignes faiblesses et les femmes se révélaient souventles plus braves. Une modeste jardinière des environs de Caluirc avait vu sa maison envahie par des militaires de Tarmée de Kellermann, sa fille âgée de dix-sept ou dix-huit ans menacée, maltraitée malgré la défense d'un officier. Les deux femmes avaient pu cependant se dégager des assaillants, gagner les avant- postes lyonnais et pénétrer dans la ville. Elles par- couraient les rues en dénonçant aux passants les sévices dont elles avaient été victimes et en rapportant que les soldats de la Convention se proposaient, une fois entrés dans Lyon, de passer tous les habitants au fil de répée*-. Autour d'elles, la foule s'amassait et le môme cri se faisait entendre : « Vengeance! Ne nous rendons jamais ! Périssons sous les décombres. 11 est certain que de tels récils valaient mieux pour la défense que les morceaux oratoires du général de Précy ou du Comité de Surveil- lance générale et de Salut public.

Pendant la journée du 27 août, le tir des assiégeants fut insignifiant. Le soir quelques boulets rouges vinrent frap- per des clochers d'église, quelques bombes éclatèrent dans des quartiers peu habités.

La nuit se passa tranquillement, la canonnade reprit dans la matinée à la Guillotière et devant la Croix Rousse et mit le feu h la maison Panthod, qui fut aussitôt évacuée'^ Sur lequai, deux maisons assez vastes devinrent

i. Vaësen, Dociimenfs imprimés^ p. 89.

2. Bulletin déparfemenfa/, n* 17, du 24 août.

3. « La destruction de <'('tt<' mais«)n ne nuit pas à la sûreté de ce poste. » [Rapport ilu camp de Caluire^ 27 août (Archives hisfnrifjues de In One ne : Armée îles Alpes^ 1793.)]

316 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

la proie des flammes. Les pompes fonctionDèrent mal, le bruit courut avec vraisemblance que des mains crimi- nelles les avaient dégradées. Le Comité de Surveillance et de Salut public fit afficher un appel k Ténergie « publique ». Le Bulletin départemental le reproduisit :

La peur paralyse les esprits, le courage les enflamme. La peur rive des fers, le courage les brise, la peur favorise les factions, le courage les renverse. Braves Lyonnais, livrez-vous aux sages mouvements du courage et riez des basses spécula- tions de la peur*.

Après cette antithèse un peu monotone venait une réminiscence classique :

« Montrez-vous avec Ténergie du sage dont parle Horace : que les ruines vous trouvent non indifférents mais spectateurs tranquilles 2. »

Pour relever le moral des habitants, le Comité donnait sur Paris les nouvelles les plus alarmantes : « On peint cette ville, berceau de la Révolution comme cernée de toutes parts par les troupes de Cobourg! 11 en est donc fait de la Liberté! Quatre années de déchirement et de sacrifices ont donc été perdues!... »

Le même Comité était mieux inspiré dans les prescrip- tions qu*il édictait un peu tardivement. Tous ceux qui occupaient les premiers étages des rues et places (excepté ceux qui étaient en face de l'ennemi et sur le quai du Rhône), devaient les tenir illuminés continuellement depuis huit heures du soir jusqu'à quatre heures du matin. 11 était défendu d'illuminer les étages supérieurs. Les habi- tants devaient tenir exactement fermés les croisées et les volets de tous les étages. Aucune lumi^re ne devait être tolérée dans les greniers, tours et sur les toits. La force

1. Bulletin départemental, n* 21 du 28 aoûl.

2. nt.

QUELQUES SAGES MESURES 317

armée était autorisée à faire feu sur ceux qui formeraient des signaux. L'attention des Comités de Surveillance des sections était spécialement appelée sur les espions.

Les bruits les moins fondés circulaient dans la ville assiégée et Torgane des corps administratifs leur donnait créance. A huit heures du soir, le 27 août, des hauteurs de Saint-Just on aperçut de grandes lueurs, on crut en- tendre des coups de feu, on les compta même ou du moins on le prétendit et des gens se disant bien informés affirmèrent qu*à une distance de quatre ou cinq lieues, il y avait un combat d'artillerie. « Seraient-ce des frères qui viennent à notre secours? Quoiqu'assez forts par nous-mêmes, dit le Bulletin du département au nom des autorités, ce rêve fait plaisir » et par une singulière incon- séquence, il ajoute : « Des Français s'entregorgeraient- ils? Cette appréhension seule fait frissonner »> et un peu plus loin « L'ennemi aurait-il déjà pénétré dans la France*? »

Après des détails oiseux, l'organe officiel laissait échap- per un aveu douloureux : « Le détachement des Lyonnais à Saint-Chamond a essuyéun revers près de Rive-de-Gier. »

Nous allons voir que la vérité était encore atténuée.

i. Le même Bulletin donnait le renseignement qui suit, et qui était d'ail- leurs inexact : « Un détachement de Tarmée ennemie est commandé par Javogues, représentant du peuple ; c'est le même qui, avant qu'on décrétât rabolition des héritages, se fit faire par son père une donation qu'il croit ea règle. Cet ennemi est terrible, mais heureusement que nous avons à lui opposer son propre frère, bon républicain et aux vertus duquel on se plaît à Lyon à rendre hommage. »

CHAPITRE XVIII

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ

Dans la seconde quinzaine de juillet, pendant que le corps principal de la petite armée lyonnaise restait à Saint-Etienne, sous les ordresdu capitaine quartier-maître Puy \ le détachement de Montbrison grossissait sensible- ment, surtout pour la cavalerie. De nouvelles et brillantes recrues se présentaient h M. de Courtine, ancien officier, qui commandait les cavaliers lyonnais et au commandant Roche, vieux militaire d'allures un peu revêches, qui gardait le commandement supérieur du détachement. La famille de Maubou, qui tenait le premier rang à Mont- brison, donna plusieurs fêtes en Thonneur de l'insurrec- tion lyonnaise*-'. L'élément royaliste y figurait nombreux et s'affirmait sans provocation, mais avec une gaieté pleine d'illusions. Comme dans le Velay et le Vivarais, certaines paroisses du canton de Saint-Galmier étaient restées ardemment catholiques et les prêtres assermentés n'avaient pu s'y imposer. Le pays était d'aspect sévère, âpre, mon- tagneux, très boisé; les habitants d'habitudes sobres, d'aspect un peu farouche, se groupaient volontiers autour dos anciens seigneurs qui n'avaient pas émigré. Les uns et les autres regrettaient l'ancien ordre de choses. Plusieurs gentilshommes y avaient armé les paysans, les réunissaient dans des conciliabules secrets et les préparaient à une insur-

1. Cf. Joachim Piiy, Expédition des l,yonnaii> dans le Fnrez, uvec prê- f.icr et notes de MM. Louis Ghaleyer, Gustave Vericel et J.-M. Devet, Saint- Etienne et Lj'on, imprimerie Ttieolier, 1S80, p. 38.

2. Manuscrit du man/nis de l*oncins, communiqué par le comte Bernard de Ponrins.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 319

rection prochaine. Ils s'appelaient Camille de Meaux, che- valier de Merlieux, ex-capitaine au régiment de Bourbon et frère du président du baillage de Montbrison, le comte de Bésignan, M. de Lesgallerye et plusieurs autres anciens officiers. Bientôt d'ardents coopérateurs s'étaient joints à eux : les trois frères Croizier (Antoine, Louis et Jean- François), M. Bergasse et deux prc^tres pleins de foi et d'énergie, aux tempéraments de missionnaire ; Tabbé Guillot, ancien curé de Chevrière, et l'abbé Jaquemont^ ancien curé de Saint-Médard, paroisse voisine.

Les Croizier étaient de simples cultivateurs mais fort aisés et ayant quelque instruction. Us habitaient [i peu de distance du bourg de Chevrières,au hameau de la Badouil- lière, une vaste maison carrée plutôt ferme que château'^ ils donnaient l'hospitalité à ceux de leurs voisins qui témoignaient de l'hostilité à la République. Quand ceux- ci furent assez nombreux pour former une troupe de 300 hoiçmes, ils se réunirent en armes à proximité des souterrains creusés au milieu des bois de Montjasson et de Charavay'L Antoine Croizier prêchait ouvertement l'in- surrection, son allure martiale, sa parole chaleureuse, sa belle tête au profil bourbonien, qui rappelait les traits du roi Louis XVI » produisaient une vive impression sur ses auditeurs. Les gentilshommes du pays affirmaient, en toute occasion, leur sympathie et leur confiance dans ce chef populaire.

Le château de Chevrières, imposante construction féo- dale, et ancien fief des Mitte de Mons, vieille famille catholique très considérée, appartenait depuis 1788, à M. Chauvet de la Chance qui, quelques années après.

i. L'abbé Jarciucmont. jçrand-oncle du capitaine des zouaves pontifi- caux, auteur de la C«//7>^/.7//c ^/é* s Zouaves pontificnn.r en France, devait malheureusement partager pendant «pirlqiie temps los ttiéories jansénistes.

2. Cf. l'intéressant ouvrage de labbi' Charles Signrrin, le Roi de Che- vnères, curieur éjnsodi' fie la Terreur. Lvon. Witte, I8î)3.

3. Id.

4. Id.

32l() l'insurrection de lyon en 1793

subissant Fimpression de frayeur qu*éprouvaient beau- coup d'anciens seigneurs, abandonna son manoir et ses terres pour aller vivre en bourgeois modeste à Lyon'. La belle demeure qu'il quittait devait rester longtemps inhabitée, les habitants de la commune, ceux de Saint- Médard et de Saint-Denis-sur-Coise, tous d'accord contre « les habits bleus », la respectaient et se réunissaient volontiers dans les dépendances du château de Montuclas, au-dessus de la jolie rivière de la Gimond et « au flanc de la colline qui porte les bois épais de Messilieux' ». M""' Gonin de Lesgallerye, en gracieuse châtelaine, leur faisait distribuer des vivres. Les verres se choquaient et, comme dans les paroisses de Vendée ou du pays des chouans, d'humbles paysans portaient la santé du Roi. Antoine Croizier, s'imposant de plus en plus comme le chef militaire de ces rassemblements, prit très vite sur les paysans un tel ascendant qu'on Tappela le roi de' Che- vrières, il sut les discipliner, et put leur confier la garde des défilés, la surveillance des points culminants.

L'abbé Jacquemont avait également une grande in- fluence sur ces natures simples, éprises de foi religieuse et de dévouement à la monarchie traditionnelle. Il leur contait en termes émouvants les derniers événements qui avaient précédé la mort du roi Louis XVI, la captivité de la Heine, elle aussi, destinée à Téchafaud, Temprisonne- ment du pauvre petit Louis XVII et les mauvais traite- ments que lui inQigeait son geôlier, le savetier Simon. L'abbé parlait aussi des insurrections royalistes victo- rieuses et, comme la Vendée et la Bretagne semblaient aux métayers et aux bergers de Chevrières de lointains pays, il leur annonça le soulèvement de Lyon qui allait rappeler les Bourbons et devenir la vraie capitale de la France'^.

1. Abbé Charlfis Signerin, le Roi de Chevrières, p. 23.

2. /f/., p. 25.

3. Abbé Ch. Signerin, p. 25-26.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 321

Un dimanche, par une belle matinée du commen- cement de juin, devant de nombreux paysans armés et en habits de fête, une messe solennelle était célébrée sur la vaste pelouse, garnie de tilleuls, du ch&teau de Che- vrières. L*autel monumental, orné de gerbes de fleurs et de branches d'arbres, avait été dressé contre le portail crénelé, que flanquaient deux grosses tours, en face de la vieille église '', A Tissue du saint sacrifice, après deux rou- lements de tambour, le drapeau blanc avait été hissé au- dessus de l'autel et le « roi de Chevrières» proclamait Louis XVII, roi de France et de Navarre pendant que tous les assistants enthousiasmés agitaient leurs armes aux cris de : « Vive le Roi! » De petites cocardes blanches furent distribuées par les soins de M"' Gonin de Lesgal- lerye et de quelques jeunes filles des environs. 11 y eut des roulements de tambour^, des airs de musette, de pieux cantiques et des chansons du pays. On ne dansa pas comme au pays de M. de Gharette; chacun, l'attitude recueillie, reprit le chemin de sa chaumière le cœur ensoleillé de rêves et d'illusions.

La journée du 29 mai à Lyon fut connue assez tardive- ment au pays de Ghevrières, vers le 20 Juin seulement. Louis Groizier envoya des émissaires à Lyon, mais ceux-ci n'y trouvèrent point les couleurs royalistes qu'ils espéraieni saluer. Tout était au nom de la République... Les auto- rités lyonnaises protestaient de leur respect pour la Gon- veotion, c'étaient des dissidents, ou plutôt des divergents qui discutaient, qui ergotaient, ce n'étaient pas les sol- dats du Roi avec lesquels, mal renseignés dans leur iso- lement, le chevalier de Meilieux, les Groizier, M. de Les- galleryeet l'abbé Jacquemont espéraient faire leur jonc- tion et partir en guerre.

De retour au cantonnement sauvage que n'avaient pas encore découvert les limiers de la Gonvention occupés à de

\. Tradition locale. 2. /,/.

•2!

322 l'insurrection de lyon en 1793

plus grosses besognes, les envoyés de Chevrières racon- tèrent leur décevant voyage et attiédirent l'enthousiasme de la petite chouannerie en formation. Les paysans attristés cachèrent leurs fusils sous les toitures de chaume ou sous les fagots de leurs bûchers. Ils ne s'occupèrent plus que des pénibles travaux agricoles, coupant leurs chétives moissons, gardant leurs maigres troupeaux, songeant avec tristesse que décidément la République « régnait » partout, que le temps des bons prêtres et des seigneurs charitables était passé pour faire place à la per- sécution des comités jacobins et à la rapacité des acqué- reurs de biens nationaux. Toutefois ils offrirent des refuges sûrs à un grand nombre de victimes de la Terreur, surtout à des prêtres ^

Les chefs du rassemblement restaient plus confiants dans leurs espérances, ils avaient reçu la visite d'un personnage mystérieux qui voyageait sous le nom de Jean Rimberg, se disant sujet suisse et employé de commerce à Lyon. En réalité il s'appelait le chevalier Gabriel François de la Roche-Négly et, après avoir servi seize ans comme officier d'infanterie au régiment de (îàtinais et à celui d'Auvergne, s'était retiré à trente-cinq ans, chevalier de Saint-Louis et capitaine-, dégoûté par Tindiscipline qui démoralisait l'armée. Originaire d'une des meilleures familles du Velay, auxconfins du Vivarais, il avait quitté Lyon après les événements du 29 mai et avait gagné son pays. Avec beaucoup de prudence et d'activité, il avait recruté, pour la cause lyonnaise ^ d'anciens garde-chasse, des domestiques des familles dépossédées et quelques

1. « Et c'est ainsi que, grâce à r«'nergie de quelques paysans, commandés par un homme intrépide et d«>voué, un grand nombre de prt^tres et de nobles purent pendant plusieurs anm-es, de 1193 à 1708, vivre dans une tran<|uillité relative, alors que toul autour d'eux, à Lyon, à Montbrison, à Feurs, la guillotine faisait|d*innouibrables victimes» 'abbé Gh. Signerin. p. 26)

2. Cf. lirnte (hi L'/onnais, octobre 1001; les Juliariens au sièf/e tie Lyon. par E. Honnardet.

3. Cl.-J. Puy, Expédition des Lt/ounais dans h Forez, p. 58.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 323

braconniers sur lesquels il croyait pouvoir compter, tous bons tireurs. Il les avait engagés à se rendre à Saint- Etienne et à se présenter isolément comme volon- taires à Tadjudant-général Servant, M. de la Roche-Négly ou plutôt Jean Rimberg comme il voulait s'appeler, vit MM. de Lesgallerye et de Meaux de Merlieux et les décida à se rendre à Montbrison avec quelques-uns de leurs fidèles. Il ne fit point connaître sa présence à Montbrison et, dans le plus modeste des équipages, s'intitulant toujours voya- geur de commerce, alla prendre logement à un hôtel de Saint-Etienne \ se trouvaient un certain nombre d'étrangers ; des policiers de la Convention y coudoyaient des partisans secrets de la cause lyonnaise. Rimberg sut deviner les uns et les autres et garder son incognito.

L'adjudant-général Servant était absent de Saint-Etienne, inspectant ses détachements et devant rentrer à Lyon pour y chercher les fonds nécessaires à l'entretien du corps expéditionnaire*. « La solde, se payait avec irrégu- larité, les citoyens-soldats » lyonnais, peu occupés par leur service, ne se plaignaient pas et visitaient volontiers les habitants qui leur témoignaient de la sympathie ; il restait peu de monde à la caserne. Or des symptômes mal^ veillants se révélaient tous les jours chez les ouvriers^ et, d'un moment à l'autre, des désordres graves pouvaient se produire.

Le capitaine Puy, qui commandait le détachement avec plus de bonne volonté que d'aptitudes militaires, ainsi qu'il l'avoue lui-môme 's eut Tidée singulière de tenir une sorte d'assemblée générale, dans la plus vaste salle delà caserne. C'était le réfectoire du couvent de Sainte-Catherine, w Quoique composée de soldats de seize à vingt-quatre ans pour la plupart, cette assemblée, nous dit-il, présenta

1. Cl.-J. Puy, p. 58-:iî).

2. Servant avait déjà apporté 2.000 livres p-ir la soMe (l'après les Sow- renirsde Puy, capitaine quartier maître.

3. a.-J. Puy, p. 39.

4. /r/., p. 58.

324 l'insurrection de lyon en 1793

un aspect extrêmement grave ». Puy paria de son mieux en insistant sur la nécessité de conserver une discipline sévère « dans une ville remplie d'ouvriers armi^s et féroces ». La réunion était bien disposée par accepter ces paternels conseils, qu appuyèrent deux jeunes gens, destinés Tun et l'autre à une brillante carrière : Camille Jordan et Joseph de Gérando. Le premier avaibdéjà publié en avril 1792, sous Tadministration jacobine de Vitet à Lyon, une véhé- mente [protestation contre l'impunité assurée aux malfai- teursqui assiégeaient les abords des églises et faisaient subir aux femmes d'indignes traitements ^ Le 29 mai, il s'était bravement battu dans les rangs des sectionnai res^. Quelques assistants exprimèrent des préventions contre Précy dont ils suspectaient le dévouement à la République ; ces appréhensions furent combattues avec véhémence par Camille Jordan. Après avoir soutenu, en avocat de talent, que la République ne devait pas se laisser guider par des craintes, mais par des lois, il dépeignit les horreurs de l'anarchie, tout en repoussant l'accusation du royalisme portée contre les Lyonnais « qui, en venant à Saint- Etienne, disait-il, s'étaient sacrifiés à l'intérêt public et au maintien de la tranquillité dans cette ville '^ ».

Son discours dura près de deux heures et souleva un vif enthousiasme, rassislance en vota l'impression. L'éloquence de l'orateur, qui n'avait que 21 ans, en Bt rhomme du jour à Saint-Etienne, ce dont bénéKcia la cause lyonnaise pendant quelque temps. On admirait le désintéressement de ces volontaires qui le plus souvent ne touchaient aucune solde; d'autre part l'acceptation de la constitution par la population lyonnaise faisait tomber

1. La loi et la religion vengr^es des violern-es commises aux portes des églises catholiques de Lyon, etc. »

2. L'avenir lui resservait de beaux surcès oratoires au Conseil des Cinq Cents, à la Chambre des députés sous la Restauration et au Conseil d'Etat. M. dr Gérando devait aussi siéger au Conseil d'Etat et, sans avoir l'éloquence de Camille Jordan, laisser le souvenir d'un juriste de valeur.

3. Cl.-J. I*uy, Expcdilion des Ujonjuiis i/ans le Forez, p. 44.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 355

l'accusation de royalisme. Les rasseniblements hostiles des ouvriers avaient cessé, les travaux reprenaient partout. Malheureusement le Conseil de district restait dévoué aux Jacobins, il apprit que le représentant Lesterps-Beauvais, commissaire du gouvernement auprès de la manufacture d'armes, s'entendait avec le commissaire départemental pour la répartition des armes qui sortaient des ateliers. Par un partage amiable, Lesterps-Beauvais en expédiait à Paris, la Commission en envoyait à Lyon. I^e Conseil de district écrivit secrètement au ministre de la Guerre pour réclamer l'envoi des troupes régulières à Saint- Etienne, tant pour en expulser les Lyonnais que pour empêcher Tenlèvement des armes*. Bouchotte et ses amis du Comité de Salut public ne répondirent pas h cet appel, mais Lesterps-Beauvaisdénoncécrutdevoirretoumer à Paris pour se justifier; il paya de sa tète son entente avec le commissaire départemental '^.

Servant revint à Saint-Étienne, mais ne tarda pas à regagner Montbrison son détachement était toujours des plus choyés, des plus UHés, et s'augmentait encore de quelques recrues. Bien que manquant d'expérience au point de vue militaire, en raison de sa jeunesse et du peu de temps il avait servi aux gardes du corps, l'adjudant- général lyonnais eut la sagesse de prescrire un certain nombre de patrouilles autour de la ville. Le 8 août. Tune de ces patrouilles, composée de quelques cavaliers, sous les ordres de M. Uugas de la Catonnière, débouchait au point du jour sur la route de Saint: AnthAme, entre Moingt et Lézignan,au sud de la ville et rencontrait à une demi- lieue de Montbrison, une troupe armée, d'environ cinq cents hommes qui lui tirèrent une vingtaine de coups de fusil. Les cavaliers lyonnais firent aussitôt demi-tour et

1. Archires de la Lnirc.aérïv L, registre IIS.

2. Lesterps-Beauvîiis périt sur I'»»chafaiMl le 31 octobre 1193, aTec dix- neuf autres membres de la Convention. M. (Carrier de la Thuileri«, l'un des entrepreneurs de la nianulaoliire, fut p«)ur le uiôme motif, exécuté le 19 mars 1194 à I.yon.

326 l'insurrection de lyon en 1793

vinrent au galop donner lalerte à Montbrison. L'adjudant- général Servant, les capitaines Roche et de Courtine rassemblèrent rapidement leurs soldats encore casernes dans les différents couvents et prirent position à l'entrée de la ville.

Les assaillants, qui occupaient déjà le faubourg de Moingt, sur les bords du ruisseau le Lenon, appar- tenaient pour la plupart aux gardes nationales de Saint-Rambert et de Saint-Bonnet-le-Chàteau. Réunis par les soins du comité du district très hostile aux Lyonnais, ils s'arrêtèrent à la sortie du bourg, à un quart de lieue de Montbrison, en poussant des cris : « A mort les Musca- dins! h bas les aristocrates ! »

Le maire de Montbrison, M. Roux de la Plagne, estimé de tous, vit Tinfanterie de Servant en bonne attitude, les fusils chargés ; les cavaliers de M. de Courtine, le sabre ou le pistolet au poing, restaient en arrière de l'infanterie. Il leur recommanda le calme, espérant empêcher l'effu- sion du sang^ Agitant son écharpe en signe de paix, il parvint, au milieu de la foule qui vociférait, jusque devant le prieuré^, mais un groupe de forcenés lui envoya une décharge à bout portant. M. de la Plagne tomba baigné dans son sang. Son cadavre n'aurait peut- être pas été respecté si les meurtriers n'avaient vu déboucher au pas de course les fantassins lyonnais, cou- rant, baïonnettes croisées, derrière leur adjudant-général. Les cavaliers, escortant deux pièces de canon, les llan- quaient sur la gauche, un peu en arrière.

Quelques coups de feu accueillent les soldats de Servant, qui s'arrêtent un moment pour riposter, mais leurs adver- saires s'enfuient de toutes parts parles ruelles du village, pour gagner Ecotay et les hauteurs de Bar. Les cavaliers

1. Nous empruntons ces (iélails an manuscrit du marquis de Poncins, témoin oculaire qu'a bien voulu nous communi(|uei' son petil-fils. le comte Bernard de Poncins.

2. Manuscrit du manjuis de Poncins.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 327

lyonnais ne purent les atteindre e.n raison de Taspect abrupt du pays, mais Tinfanterie les poursuivit pendant plus d'une heure et en tua plusieurs*; les troupes rega- gnèrent Montbrison vers midi sans avoir perdu un seul homme*.

Pendant que ses hommes prenaient un repos bien gagné, Servant fut informé qu'un mouvement se préparait, de la part (}es Jacobins de Boën, contre la ville de Montbrison qu'ils croyaient abandonnée par les Lyonnais, partis en expédition le matin. Ces Jacobins avaient certainement des complices à Montbrison, surtout chez les administra- teurs du district.

Servant et deux de ses officiers se rendirent au lieu des séances, et y trouvèrent Tun des administrateurs du dis- trict nommé Barge, avec lequel ils eurent une altercation au sujet du maintien de la garnison de Montbrison '^ Ils venaient de se retirer lorsqu'arrivèrent quatre commis- saires de la commune de Boën, portant deux lettres ou plutôt deux sommations signées Bruyas, également ad- ministrateur du district et demandant que la force armée lyonnaise s'éloignât sans aucun délai de Montbrison^.

M. de Maubou, ancien capitaine de cavalerie et membre du Conseil général de la commune, et M. Granj on, officier municipal, discutentavec violence; le premier déclare que le détachement de Lyon et de Saint-Etienne est absolument nécessaire au maintien de l'ordre public, Granjon soutient le contraire. (Test alors qu'arrive Servant, mandé par M. de Maubou et accompagné de M. Girard de Vaugirard, chef de la légion de garde nationale de Montbrison. Les deux ofliciers annoncent avec fermeté qu'ils iront rétablir Tordre k Boën. Devant cette détermination, Granjon change d'avis, mais Barge approuve son collègue Bruyas.

1. MuDUScrit du marquis de Poncins.

2. Id,

3. Récit de Gilbcrl-Franoois Barge. Appendice nu uianuscril de Puy, p. 120.

4. /#/.

328 l/lNSCKRECTION DE LYON EN 4793

La discussion reprend plus violemment, Maubou traite Tadministrateur de « scélérat » ; alors ce dernier intimidé accepte, ainsi que M. Jamier, premier adjoint remplaçant rinfortuné M. de la Plagne, et le curé constitutionnel Prodon, de se rendre auprès des turbulents de Boën, pour leur déconseiller de marcher sur Montbrison ^

Quand ces délégués malgré eux sortirent de la salle des séances, ils virent plusieurs grenadiersdu détachement lyonnais qui ne leur cachèrent pas leur vive antipathie, aussi ce ne furent pas en messagers de paix que partirent les « citoyens Barge, Jamier et Prodon », furieux contre tout ce qui était lyonnais.

Il était trois heures. Servant fit aussitôt battre la géné- rale ; le rassemblement du détachement se fit avec la même rapidité et le môme ordre que le matin.

On eut sans tarder des nouvelles de Tennemi, une pa- trouille des cavaliers de M. de Courtine Tavait découvert à près de deux lieues, entre Bo(5n et Montbrison, plus nombreux d'ailleurs que les assaillants de la matinée.

Servant emmène sa troupe et va prendre position sur la route à un quart de lieue de la sortie Nord de la ville, sa cavalerie, dispersée en éclaireurs, lu-i apprend que l'ennemi se rapproché. Un officier propose de se replier sur Montbrison et de sV retrancher-. Servant s*y oppose avec énergie : « Ce n'est pas ainsi que nous combattons; en avant les braves-^! » La marche en avant est reprise en bon ordre. Un cavalier ennemi, se présentant inopiné- ment à un tournant de route, est démonté d'un coup de fusil.

Après avoir dépassé Champdieu, on trouve une butte d'accès facile sur laquelle Servant fit placer ses deux pièces d<» canon, il dispose ensuite son infanterie sur trois lifçnos, en abritant ses cavaliers derrière quelques boque- teaux (le bois.

1. Récit de Barge : appendice déjà cité, p. 121

2. Manuscrit du marquis de Poncins.

3. Id.

CE QVE DEVENAIKNT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 3^9

l.e jeune commandant (lu corps lyonnais accepte volon- tiers les conseils des officiers qui font partie de la colonne, à condition qu'il ne soit pas question de retraite; il écoute surtout ceux des gentilshommes foréziens qui connaissent bien le pays, comme MM. de Meaux de Mer- lieux et de Vaugirard.

Vne vague rumeur annonçait le voisinage de rennemi. On l'apercevait brusquement, marchant en bandes plutôt qu'en troupe ; gardes nationaux, paysans, chemineaux, au nombre de deux ou trois mille ^ agitaient, les uns des fusils, les autres des piques, des serpes emmanchées. Bruyas et Barge étaient au milieu de cette foule ^ qui venait déjà de commettre une tentative d'assassinat, à la sortie de Boën, sur M. Burdel, commissaire lyonnais qui l'avait rejointe par dos chemins détournés et rengageait èi ne pas continuer sa marche. Dus ses premières paroles, les Jacobins lui tirèrent plusieurs coups de fusil et de pistolet. On le laissa pour mort ou mortellement blessé. Il n'en était rien heureusement, car la nuit M. Burdel se traîna malgré ses blessures jusqu'à Montbrison.

Les Lyonnais et leurs amis de Montbrison formaient un petit bataillon de 250 fantassins seulement, avec une cinquantaine de cavaliers et quelques canonniers. Leur contenance calme et résolue, leur attitude disciplinée, leur tenue militaire bien qu'un peu bigarrée, mais propre et soignée, leur donnaient l'aspect d'une troupe de ligne, en présence d'émeutiers.

Les deux pièces d'artillerie ouvrent le feu au com- mandement de Servant, à bonne portée; les fantassins lyonnais tirent par salves. Les assaillants ripostent mal, sans précision, précipitamment, bientôt ils reculent et se débandent. Les uns, administrateurs en tète, courent se réfugier à Feurs^; d'autres se rejettent sur Boèn ou

i. Cette évaluation est donnre par le manuscrit de M. dcPoncins,p.l26.

2. Cf. récit de Har^e dans l'appendice de l'Expédition du Forez, par Puy.

3. Récit de Barge dans l'appendice déjà cité, p. 122.

330 l'insurrection de lyon en 1793

cherchent à gagner la montagne, du côté d'Eculieux ou de Saint-Bonnet.

Servant ordonne la poursuite dans ce pays difficile, mais les paysans qui onl battu en retraite reviennent brusquement par les pentes de droite, qui dominent la petite infanterie lyonnaise, cherchant à la tourner et à surprendre Montbrison *.

Un détachement de 50 Lyonnais composé de bons tireurs les arrête, en engageant le feu par-dessus un ravin qui les sépare et les oblige de nouveau à la retraite en des- sinant contre eux un mouvement offensif sur la droite.

Le combat s'était borné à une longue fusillade sans grand effet, à cause de Téloignement; la nature du terrain se prêtait mal à Temploi de l'artillerie. La nuit venait et il pouvait être imprudent de rentrer à Mont- brison dans Tobscurité, en s'exposant à tomber dans quelque ^uet-à-pens. Les vainqueurs du 3 août bivoua- quèrent joyeusement, tout en faisant bonne garde.

Au point du jour, Servant ordonna le retour à Mont- brison, co qui se fît sans incident. On apprit alors qu'une troisième colonne de paysans jacobins avait tenté d'at- taquer Montbrison parla route de Saint-Rambert. Arrivés à Sury-le-Comtal, ils avaient rencontré quelques-uns des fuyards de Moingt et appris le succès des Lyonnais dans la matinée. Ils s'étaient alors débandés et retirés dans la direction de Sainl-Rambcrt et de Saint-Marcellin, ne se doutant pas que la troupe de Servant était tout entière employée à combattre les insurgés de Boën et que Mont- brison n'était pas défendu '•.

Les administrateurs du district avaient quitté la ville et n'osaient y rentrer après l'appui qu'ils avai(»nt ouver- tement donné aux adversaires des Lyonnais; ces derniers appréciaient de plus en plus l'accueil sympathique de la population.

1. Manuscrit du marquis de Poiiciiis.

2. 1(1.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 331

L'hospitalière maison de la famille de Mauboii redevint le lieu de réunion. Les volontaires de Servant y retrou- vaient un ton de bonne compagnie, des distractions intellectuelles du meilleur goût, un peu de musique et beaucoup de bonne humeur. Les rêves d'apaisement, de tolérance religieuse, de sages réformes, toutes les illu- sions d'une jeunesse vaillante et généreuse s'y affir- maient dans leur sincérité ingénue ; de chastes idylles sV ébauchèrent aussi. . .

A Saint-Etienne, Texistence était plus monotone et moins mondaine, le capitaine Puy maintenait Tordre public et complétait l'organisation de sa troupe, surtout pour Tartillerie. Les Lyonnais avaient amené quatre pièces de fonte, la municipalité offrit deux pièces en fer, le maire M. Praire-Royet les fit môme monter sur des affûts. On en fit Tessai à charge ordinaire, avec des boulets et l'expérience ayant été bonne, on put compter sur six pièces de quatre. Les canonniers étaient au nombre de vingt-quatre sous les ordres d'un vieux sous-officier de Tartillerie royale, le sergent Laferté. Sa haute taille, sa figure martiale et balafrée, sa belle humeur le rendaient très populaire ^

Sur Tordre du général de Précy, les trois détachements durent envoyer des soldats à Lyon, soit qu'ils fussent pré- levés sur les volontaires venus de Lyon soit qu'ils pro- vinssent des jeunes gens du pays; ce furent ces derniers que les populations préférèrent donner à la défense de la grande ville. Le contingent de Saint-Etienne fut de HO hommes, ceux de Montbrison et de Sainl-Chamond chacun de 50 hommes-.

Partis sous le commandement d'un ancien militaire nommé Ravarin, négociant estimé de Saint-Etienne, en- core très vigoureux malgré ses soixante et onze ans^, ils

1. Cl.-J. Puy, Ejpédition des Li/onnais dans le Forez^ p. Al.

2. Cl.-Joachim Puy. /V/., p. 48.

3. Le brave Ravarin devait payer de sa tèle la coopéralioii à la défense de Lyon. 11 fut i-ondamt^ à mort le 17 mars 171)4.

332 l'insurrection de lvon en 1793

arrivèrent à Lyon sans difficulté. Le drapeau tricolore, qui figurait à Tavant-garde de la petite colonne, servit d'autant plus facilement de sauvegarde que des réquisi- tions de gardes nationaux se faisaient, par ordre de la Convention,dans toute la région.

La petite garnison lyonnaise de Saint-Etienne vivaiten bons termes avec le détachement de l'ancien régiment des dragons de Lorraine devenu le 9* régiment de cavalerie. Servant avait des relations courtoises avec trois officiers de dragons, il espérait les emmener à Lyon et grossir ainsi les troupes de Précy, assez démunies en cavalerie. Dans Téventualité des sorties, Taccroissement des déta- chements de cette arme avait son importance. Malheu- reusement pour la réussite de ce projet,Servant resta peu de temps à Saint-Etienne et son successeur le capitaine Puy se confinait dans son rôle de quartier-maitre, fonc- tions modestes et utiles se cumulaient ce que nous appelons aujourd'hui les attributions du capitaine-tréso- rier, de l'officier de casernement et même, en campagne, de l'officier d'approvisionnement.

D'ailleurs, les quelques officiers provenant de l'ancienne arméo étaient devenus, dans les corps de troupe, absolu- ment discrédités, leur autorité était constamment bravée, le capitaine qui commandait l'escadron voulut se sous- traire îi dos complications qu'il prévoyait prochaines. Il déclara à ses hommes que le Ministre de la Guerre ve- nait de lui envoyer Tordre de conduire sa troupe à Vienne '. Rien ne transpira de cet avis et les dragons s'é- loignèrent au petit jour, sans bruit, sans laisser un adieu à ceux qui espéraient les garder en frères d'armes.

Les officiers qui avaient porté l'habit vert, au plastron rouge et aux courtes basques avant de le remplacer par le banal habit bleu aux longs pans et de substituer au casque à turban de peau de tigre le démocratique chapeau

1. Gl.-Joachim Puy, p. 48.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 333

à deux cornes, ne se doutaient pas que dans l*hôlellerie de Saint-Etienne, appelée le Grand Versailles, il venait d'arriver en grand secret l'ancien colonel de leur régiment, Jean-Guillaume-Louis Scipion, marquis de Nicolay, baron de Sabran, qui avait commandé successivement Angou- mois-Infanterie et Lorraine-Dragons ^ L'escadron qui fuyait Saint-Etienne devait retrouver bientôt le marquis de Nicolay, comme nous le verrons, dans de tragiques circonstances.

Après avoir passé une quinzaine de jours dans Tagréa-i ble cantonnement de Montbrison, Servant revint vers le 20 août à Saint-Etienne.

Les moissons étaient coupées; il reçut par émissaire du général de Précy, Tordre d'activer la formation d'un grand convoi de grains et de l'amener à Lyon, en maintenant jusqu'à nouvel ordre « les stations lyonnaises», mais avec des effectifs forcément très amoindris par le prélèvement du détiicbement chargé d'escorter le convoi.

A des signes avant-coureurs, de nouvelles attaques se préparaient de la part des Jacobins du Forez, Servant allait demauder dj nouvelles instructions au général de l'armée de sûreté lorsqu'il fut avisé par le capitaine Roche, commandant à Montbrison <( qu'une force considé- rable menaçait cette ville'^ ».

L'adjudant-général prélève aussitôt 100 hommes sur la petite garnison de Saint-Etienne et les conduit à Mont- brison. La nouvelle du départ se répand dans la ville.

Les Jacobins forment des groupes tumultueux dans les rues, sur la grande place et devant le couvent de Sainte- Catherine.; sont casernes les Lyonnais en proférant des

1. VoMTCje. dernier commanilciMi'iit. I«> rcnspijfnonieiit nous a été conûrmé par le iii;in]iiis d»* Nirolay, arrifrt'-pftil-lils du iidonel.

2. Cl.-J. Puy.p. 40.

3. Ce couvent était uue uiaisou de roli^'ieuses domini<*aines sous le vo- cable de sainte (^athoriur <ie Sieniie. f<nid.itrire de l'Ordre (Communica- tion de M. in<'iud<>-N<»('l Desjoyraux autfuel nous adn^ssons tous nos remerciements puur ses rtuisfi::iuMuenls si intéressants et puisés aux

XH l/iNSURRECTIOX DE LYON EN 1793

menaces Je mort contre les muscadins et les aristocrates. Il ne reste guère que 200 hommes au capitaine Puy, mais ceux-ci sont bien armés et résolus. Le maire M. Praire- Royet, très énergique, ordonne des patrouilles de garde nationale. Les attroupements sont dissipés, pourchassés; quelques Jacobins résistent, ils sont arrêtés et enfermés dans le couvent.

Sur la proposition de Puy, les sections sont invitées par le maire à envoyer leurs délégués à l'Hôtel de Ville, Tas- .semblée se tient, avec calme et dignité, Camille Jordan y prononce de nouveau un très beau discours dont Tassis- tance vote encore l'impression. Les Jacobins arrêtés sont remis en liberté. Le calme renaît à Saint-Etienne pour quelques jours.

Il en était de môme à Montbrison^ malgré la nouvelle alerte donnée à Servant, mais celui-ci était avisé de source certaine que des troupes régulières occupaient Rive-de-Gier sous les ordres du général Valette, envoyé du camp de Montessuy dans le Forez, avec la mission de former des bataillons de réquisitionnaires du Puy-de- Dôme et de la Haute-Loire. L'ancien garde du corps ne douta pas que ce ne fût pour intercepter la route de Lyon ; il sut en même temps, pardes habitants de Saint-Anthèn>e, dans le Puy-de-Dôme, qu'une autre colonne d'infanterie de ligne et de gardes nationaux avec un peu de cavalerie, sous les ordres du général Nicolas, devait occuper Mont- brison-. Servant, redoutant d'être pris entre deux feux, résolut (le rétablir au plus tôt les communications avec Lyon, en allaquant les troupes républicaines qui canton- naient à Rive-de-Gier. 11 craignait aussi que le détache-

iiieilleuros sources sur Ihisloire du Forez pendant la période révolution- naire.

1. Les «'V«'Mi»Mn»'rits d»' Montbris«ui sont r:dat«'*s avfC quelques erreurs de date par Puy. dans son rreil dv ['Ej}n''flifi"H (ht Forez.

2. Une lrni>ièun' colonrn*, presque exclusivement compnst-e do Réquisi- tionnaires niarehail sur Hoaiuie, sous les «»rdres du colonel Fugière et de Dorfeuillr. Tancien comédien.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 335

ment de Saint-Chamond commandé parle capitaine Roux, ne se repliât sur Saint-Etienne, en abandonnant la ville qu'il devait garder et une grande quantité de grains avait été rassemblée pour les approvisionnements de Lyon. Précy rappelait, dans les quelques lettres qu'il adressait à Servant, quel pressant besoin en éprouvait la grande ville à la veille d'un siège et l'engageait à surveiller lui- même les convois.

L'adjudant-général, qui portait depuis peu, avec l'au- torisation de son général en chef, le titre de général de l'armée départementale ^ partit le 24 août avec quelques cavaliers du détachement de Montbrison mais en laissant la plus grande partie du détachement; il arriva h Saint- Etienne le même jour-.

Les approvisionnements de Saint-Etienne n'étaient pas terminés. Servant ordonna à Puy de les presser; à ce mo- ment, parvint la nouvelle envoyée par le capitaine Roux, commandant à Saint Chamond, que la ville de Rive-de- Gier venait d'être occupée par un escadron de dragons^, qui marchait en tète de colonne des troupes du général Valette^. Cet escadron était le détachement des anciens dragons de Lorraine qui avait quitté Saint-Etienne clan- destinement pour rejoindre à Vienne le dépôt du régiment et qu'en cours d'étapes le général Valette avait retenu**.

Servant, un peu présomptueux de sa nature et fort brave, ne se rendit pas compte qu'il fallait réunir toutes ses forces et sans attendre l'attaque de la colonne du général. Nicolas sur Montbrison, ramener les trois déta- chements à Lyon avec les convois. 11 crut gagner du temps en débloquant Rive-de-Gier, peut-être espérait-il

\. Cl.-J. V\ï\\ rE.rpêf/ifioii fies Lyonnais dans le Forez, p. 52.

2. !(l.

3. 1(1.

4. « Ces dragons étaient ceux qui, (juelques jours auparavant, avaient séparé leur cause de relie des Lyonnais, en quittant furtivement Saint- Etienne (Note de MM. Louis Chaleyer, Gustave Véricel et J.-M. Devel, éditeurs du manuscrit Cl.-Joachini Puy, p. 52.)

5. Cl.-J. Puy.

336 l/lNSCRRECTlON DE LYON EN 1793

aussi que les dragons de Lorraine fraterniseraient de nouveau avec leurs anciens camarades de Saint-Etienne. Quoi qu'il en soit, aussitôt arrivé à Saint-Etienne, il ne préleva qu'une partie du détachement : 60 fantassins, deux pièces de cardon avec un seul caisson et les canonniers nécessaires au service de ces pièces sous les ordres du vieux Laferté ainsi qu'une dizaine de cavaliers de la garde nationale de Saint-Etienne pour servir d'éclaireurs^ Le 25 août, dans la matinée, la petite troupe se mit en marcIie. Puy et quelques volontaires, qui devaient rester à Saint- Etienne, accompagnèrent à l'extrémité du faubourg Saint- Julien, à la sortie de la ville, le nouveau général dont la belle humeur ne se démentait pas : « Ce soir, disait-if à son quartier-maître qui était d'un caractère pessimiste, je remporterai une troisième victoire, je chasserai les coquins. »

Servant et ses compagnons franchirent sans incident les trois lieues qui séparent Saint- Litienne de Saint-Cba- mond. Le capitaine Roux et une quarantaine d'hommes se joignirent à eux" pour marcher sur Rive-de-Gier que l'on savait décidément occupn par l'ennemi. En raison du faible effectif de son détachomont, Roux n'avait pas osé faire de reconnaissance et était resté à Saint-Charaond, se contentant d'en barricader la sortie du côté de l'Est. La population n'avait manifesté aucune émotion en apparence, mais quelques habitants dévoués a la cause lyonnaise redoutaient à chaque instant un mouvement populaire hostile.

Servant forme deuxdétachoments. L'un, sous les ordres du capitaine Roux, devra marcher sur Rive-de-(iier par le chemin do la montagne en laissant le Gier constam- ment à droite, en s'abritanl le plus possible et en com- men(;ant ratlacjue par l'Ouest de la ville. L'autre déta- chement, sous les ordres directs de Servant, arrivera par

1. Ht>(lde. Hevffe thi L'jDinuûs^ t. XII, j». lî*3.

2. Cl.-J. Puy, p. 53.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONxNAIS DANS LE FOREZ 337

la grande route et attaquerait par le Sud. Pour que les deux attaques fussent simultanées, le capitaine Koux reçut Tordre de partir immédiatement avec sa troupe. La colonne de Servant prit un repos d'environ deux heures, elle sortit de la ville sans obstacle avec une seule pièce de canon. Roux auquel son général cédait une pièce d'artillerie l'avait d*abord refusée en raison des mauvais chemins il devait conduire sa colonne, pendant au moins trois lieues; il se décida à l'emmener et en fut cer- tainement embarrassé * .

Par la grande route, il y avait au moins une demi-lieue de moins. Servant croyait que les deux heures d'avance de la première colonne lui permettraient d'arriver un peu avant qu'il n'arrivât lui-même avec la seconde. Celle-ci raarcha-t-elle trop vite ou l'autre trop lentement? Y eut- il pour la troupe de Houx quelque erreur de direction? Quoi qu'il en soit les deux détachements n'eurent entre eux aucune liaison.

Vers les quatre heures du soir, les cavaliers d'avant- garde de Servant se heurtent à Tescadron des dragons de Lorraine devant lesquels ils font demi-tour, en se repliant sur la petite troupe d'infanterie qu'ils mettent un instant en désordre. Les dragons, abrités des deux côtés de la route, engagent un feu de mousqueterie** avec les fantassins de Servant qui, au lieu d'attaquer franchement les cavaliers ennemis, s'abritent derrière les bâtiments d'une ferme, appelée les grandes Flaches^, à droite de la grande route et à moins d'une demi-lieue des premières maisons de Rive-de-Gier. A ce moment le tocsin sonne à toute volée; évidemment c'est un signal auquel vont accourir de nou- veaux adversaires. Servant ne comprend pas que la sur- prise qu'il prépare est manquée; payant d'audace, il ordonne à ses hommes de se porter en avant. Le brave

1. D'après Piiy, chaque colonne avait sa pièce d'artillerie, p. 53.

2. Hedde, Heine du Lyonnais^ p. 193.

3. CI.-J. Puy, p. 53.

22

338 l'insurrection delyon en 1793

Laferté, qui n'a qu'une pièce d'artillerie, la conduit sur la grande route. Les dragons ont disparu, on les croit en fuite. Toute la petite colonne court bientôt derrière sa pièce de canon que précèdent Servant et ses cavaliers.

On voit nettement le clocher vibre toujours la cloche d'alarme. « Halte, la pièce! et feu sur le clocher! » commande Servant. Laferté pointe lui-même, mais avant le coup de canon, une fusillade terrible part des deux côtés de la route. 500 gardes nationaux abrités derrière les haies fusillent Ja petite troupe lyonnaise^

Laferté est tombé, la cuisse traversée : « En retraite, mon général, dit-il à Servant ! Non ! en avant ! répond celui-ci. » Mais un nouveau feu éclate aussi nourri que le premier, Servant a le poignet brisé par une balle, il or- donne la retraite, trop tard 2...

La route est barrée par les dragons de Lorraine qui sont remontés par le lit du Gier desséché dans cette sai- son et ils ont pu s'embusquer ; ils ont enlevé le caisson de la pièce d'artillerie, garni de munitions et resté en arrière, malgré la résistance désespérée des quelques canonniers qui le gardaient et qu'ils ont sabrés.

Seule la grange des Grandes-Flachcs offre un abri, les Lyonnais y reviennent et s'y retranchent, construisant une barricade avec des voitures, des charrues, des tonneaux. Les dragons veulent prendre l'offensive, mais ils sont repoussés devant la barricade et abandonnent plusieurs des leurs tués ou grièvement blessés.

Les gardes nationaux jacobins et de nombreux paysans descendent en foule sous le commandement du général Valette. Laferté et ses derniers canonniers ont été faits prisonniers ; les femmes armées de serpes et de fourches, à la suite des paysans, insultent et frappent les Lyonnais blessés 'K

1. Hedde, Revue du Lyonnais^ p. 193.

2. Cl.-J. Puy, p. 54.

3. Morin, t. III. p. 296 ; Cl.-J. Puy, p. 55.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 339

Servant et ses compagnons se défendent intrépidement pendant cinq heures ^ leurs adversaires subissent des pertes nombretises. Il est neuf heures du soir, les Lyon- nais n'ont plus de cartouches, ils restent treize, tous blessés^, mais ayant gardé leurs armes; Servant attache un mouchoir blanc au bout de son épée. Le générai de brigade Valette s'approche de la barricade encombrée de morts, de mourants et de blessés et lui dit : « Rendez- vous en prisonniers de guerre*"^. » Les Lyonnais acceptent, ils sortent des décombres qu^ils ont si vaillamment défendus. C'est alors que les dragons de Lorraine, par un sentiment de pusillanimité trop fréquent à cette époque et dont la responsabilité incombe à leurs officiers, s'éloignent du champ de bataille, se désintéressant du sort des vaincus et cependant les Lyonnais les avaient sauvés de la fureur populaire à Saint-Etienne*.

Les paysans jacobins et les femmes se jettent sur les soldats de Servant pour les achever, les gardes nationaux les protègent mal contre ces odieuses agressions et il n'y aurait eu de quartier pour personne si quelqu'un n'avait crié que d autres Lyonnais s'étaient réfugiés dan» le bois du Molard. Alors la bande des paysans s'ébranle pour cette chasse à l'homme. On en découvre cinq, qui avaient pu s'évader par un petit toit de bergerie pendant que Servant parlementait. Ils veulent encore résister brave- ment, quoique blessés ou épuisés de fatigue. L'un d*eux, Chevrillon, beau jeune homme aimé pour son entrain et sa bravoure, fils d'un notaire de Lyon, tombe dans un fourré, atteint d'une balle au cou. Les Jacobins s'acharnent sur son corps. Ses quatre compagnies succombent aussi, lâchement assassinés par ces brutes féroces. En revenant

1. Morin, t. m, p. 2î>6; Cl.-J. Puy, p. 55.

2. Le rapport des représent'intfi du peuple dit 13 prisonniers (Archives historiques de la Gueri'e : Année des Alpes, août 1793).

3. Cl.-J. Puy, p. 55.

4. Hedde, Revue du Lyonnais, p. 193.

340 l'insurrection de lyon en 1793

aux Grandes-Flaches, on retrouve des blessés, cachés dans le foin, ils sont égorgés*...

Servant et huit autres survivants furent traînés à Rive-de-Gier ils passèrent la nuit. De grand matin ils partirent pour le camp de la Ferrandière sous Lyon. Aus- sitôt les prisonniers arrivés, Dubois-Crancé, agissant de la façon la plus inhumaine comme vis-à-vis de Tofficier des chasseurs lyonnais, Guillot, ordonna Texécution immé- diate de Servant*. Ses compagnons ne devaient pas lui survivre longtemps^. Malgré les souffrances causées par sa blessure que nul chirurgien ne soigna, l'ancien garde du corps mourut la tète haute et le sourire aux Jèvres. Les officiers de l'armée de la Convention admirèrent son courage.

La colonne du capitaine Roux avait marché trop lente- ment pour appuyer ou dégager la colonne Servant, les mauvais chemins de la montagne la retardèrent. Au bruit de la fusillade, elle se trompa de chemin et, en voulant aller trop vite, se jeta trop à gauche dans la direction de Crozet, puis elle gagna la grande route, con- trairement aux instructions de Servant. Le combat des Grandes-Flaches était terminé, les dragons, qui pourchas- saient les fuyards, vinrent à leur tour se heurter à Tavant-garde du détachement de Saint-Chamond. Reçus à coups de fusil, les cavaliers reculèrent; quand ils se reportèrent en avant, ils trouvèrent devant eux tout le détachement, ce qui les décida à rétrograder sur Rive-de- Gier. Le général Valette, informé de la rencontre, ne

1. HecMe, Revue du Lnonnaia^ p. 103.

2. Le Rappiirt des représentants du peuple^ daté du jour m^me de l'exé- cution, n'ose pas en parler, il dit simplement : « Dans la nuit d'.ivanl-hier, des Muscadins sont venus attaquer Hivr-de-Gier, on leur a tué 21 hommes, enlevé une pièce de canon, fait 13 prisonniers, dont un de leurs chefs, nommé Servant, fils d'un gros négociant. > i Archives historiques de la Guerre: Armée des Alpes^ août 1793.)

3. Le rapport du chef d'état-major Saint-Remi ne parle que de neuf pri- sonniers, les quatre autres avaient été massacrés. (Cf. Archives historiques de la Guerre^ précitées.)

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 341

sachant pas la force de cette nouvelle troupe, la crut plus considérable. 11 devait quitter Rive-de-Gier le lendemain, 25 août, dans la matinée avec les prisonniers et quelques voitures de grains destinées à Saint-Chamond capturées par ses dragons. Le détachement du capitaine Roux put donc rentrer sans être inquiété à SainUChamond dans la nuit du 24 au 25. Une partie de la petite garnison alla à sa rencontre et le rejoignit à peu de distance de la ville, les deux troupes revinrent ensemble*. La nouvelle du désastre du détachement de Servant fut connue bien vite. Le capitaine Roux en informa son collègue de Saint- Etienne dans la soirée du 25.

Puy se rendit compte des difficultés de la situation, il se sentit incapable d'exercer le commandement-, et d'autre part il n'avait pas eu de relation avec les officiers du déta- chement de Montbrison, MM. Chappuis de Maubou, de Vau- girard, etc. ; il songea à ces étrangers mystérieux, h l'air si résolu, qui se réunissaient à l'hôtel du Grand-Versailles et qui paraissaient jouir de la confiance de l'infortuné Ser- vant. Il se rendit îi rhôtelleric et confia sa préoccupation à celui qui se faisait appeler Rimberg. L'ancien capi- taine de Royal-Auvergne lui recommanda le secret sur sa véritable personnalité, mais lui offrit de prendre le com- mandement^. Le détachement de Saint-Ktienne se porterait sur Saint-Chamond pour réunir toutes les forces dont on pouvait disposer; l'attaque des Jacobins semblait d'autant plus imminente sur Saint-Étienne qu'une partie de la population leur était acquise.

Sur le conseil de M. Praire-Royet, un exprés fut envoyé à Saint-Chamond pour rappeler d'urgence à Saint-Ktienne toute la garnison, ce qui se fit dans la journée. Un grand nombre d'habitants de Saint-Étienne se portèrent au- devant du détachement de Saint-Chamond, beaucoup

1. Cl.-J. Puy, p. î>7.

2. Cl.-J. Puy, p. 58.

3. Manusrrit (lu inanpiis de Pouciiis.

342 l'insurrection de lyon en 1793

laissèrent percer leur hostilité. Le soir, au club jacobin, de violents discours furent prononcés mais on se dispersa sans avoir arrêté le plan d*attaque.

Le lendemain matin^ l'assemblée du district fut convo- quée par les soins du maire. 11 s agissait de réunir les Lyonnais à la garde nationale de Saint-Etienne sous un chef commun, les Stéphanois proposaient un des officiers de leur garde nationale nommé llénoux, homme très honorable mais d'un caractère difficile et peu aimé par la population; sa valeur militaire paraissait médiocre. Sur les conseils de Puy, les Lyonnais se ralliaient à la candi- dature de Rimberg, dont la tournure militaire ^ la parole vive et nette plaisaient au premier abord, mais ils dé- claraient ne pas le connaître suffisamment, et leur adhésion n'était pas exempte de suspicion.

Une interminable discussion s'engage au cours de laquelle les Stéphanois accusent de nouveau les Lyon- nais de travailler pour le rétablissement de la monar- chie. Puy, qui n'est pas beaucoup plus orateur qu'homme de guerre, mais dont le jugement reste ordinairement très sûr, fait appel au talent oratoire du jeune Camille Jordan K Celui-ci s'exprime aussitôt en termes très heureux selon son habitude ; il rappelle que les Lyonnais n'ont pas d'autres intérêts que ceux de la France, et il s'écrie, dans un mouvement d'une véritable éloquence : « Oui, nous aimons la République! mais non un pouvoir arbitraire et tyrannique ; le despo- tisme n'est pas la liberté; que le gouvernement protège la vie et la fortune des citoyens, voilà ce que demandent les Lyonnais et les habitants de Saint-Etienne. » Soutenu par les applaudissements unanimes de l'assistance, qu'élec- trise sa belle et chaleureuse jeunesse, le futur député au conseil dos Cinq-Cents ajoute avec une légitime fierté : « Notre courage, enilammépar l'amour de la Liberté, a été

1. Cl.-J. Puy, p. .j8.

CE QUE DEVENAIENT LES LYONNAIS DANS LE FOREZ 343

couronné par la victoire... Votre garde nationale de Saint-Etienne et celle de Lyon ne peuvent avoir des inté- rêts différents. On a cherché à nous diviser, mais aujour- d'hui et toujours, nous resterons inébranlablement unis ^ »

Le maire propose de nommer Rimberg général, tout en lui adjoignant d'autres commandants pris dans la garde nationale de Saint-Etienne : Molle, commandant de la place, Desjardins et Ilénoux, adjudants-généraux et comme « chef de bureau sous le titre de secrétaire général le quar- tier-maitre commandant les Lyonnais ». Ces propositions sont adoptées à l'unanimité.

M. Praire-Royet espérait évidemment maintenir la gar- nison dans la ville qu'il administrait et qu'il souhaitait soustraire le plus longtemps possible aux violences jaco- bines, illusion que ne partageait pas le chevalier de la Roche-Négly. Celui-ci, avant même que sa nomination fut ratifiée par l'assemblée du district, avait prévenu ses amis de Montbrison de la nécessité de se réunir. Au mo-« ment la réunion finissait, les ouvriers jacobins cou- raient joyeusement dans les rues en vociférant : « Voici les houzards^ ! » injuriant et menaçant ceux qui sortaient de rassemblée. Cotte altitude provocatrice fit bientôt place à une vive tristesse : ce n'étaient point les hussards du général Nicolas, alors en exploration aux environs de Montbrison, c'étaient les cavaliers de MM. de Maubou et de Courtine, formant un bel escadron de 60 hommes, sui- vis de deux compagnies d'infanterie, les chasseurs lyon- nais avec le capitaine Hoche, et les Monlbrisonnais avec M. Puy de Mussieu do la Bâtie. Les deux détachements fusionnaient en grande sympathie, au mécontentement visible des Jacobins.

Rimberg et la plupart dosofficiers foroziens émirent l'avis demarchersur Hive-de-Gier;ils espéraient délivrer Servant et ses compagnons, rnereconnaissances'imposait, Rimberg

1. Cl.-J. Puy. p. «2.

2. I(L

344 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

s'en chargea et partit à pied avec 150 hommes, dont 50 de cavalerie, tous de la garde nationale de Montbrison '. On occupa Saint-Chamond sans difficulté, la ville était presque déserte*^. A des symptômes évidents la population ne croyait plus au succès de lexpédition des Lyonnais et semblait craindre d'avoir des rapports avec eux-*. Rimberg garda les deux tiers de sa troupe et envoya 50 hommes avec une pièce de canon prendre positions l'extrémité du faubourg Saint-Julien, on y signalait une colonne noire et profonde « au loin sur la route et marchant sur Saint- Chamond * ». Les Lyonnais se préparaient à engager le combat, lorsque la colonne ennemie s'étant rapprochée, les éclaireurs de Rimberg reconnurent que c'était un inoffensif convoi de charbon, conduit par de paisibles rouliers. Le bruit s'en répandit et la gaieté fut générale, dans le petit détachement^.

Des habitants, qui revenaient de Rive-de-Gier, pré- vinrent le commandant qu'un détachement des troupes du général Valette, commandé par le colonel Fugière, ren- forcé par la garde nationale de Rive-de-Gier, occupait la ville et fouillait les environs. Rimberg ordonna aussitôt la retraite sur Saint-Ktienne. Cette retraite s'effectua dans la nuit du 27 au 28, en très bon ordre. Lyonnais et Mout- brisonnais se sentaient commandés par un véritable officier, ayant rexpérience de la guerre qu'il avait faite en Amérique, sous les ordres de Rochambeau. Dans la ville industrielle allaient se retrouver les trois déta- chements de l'armée lyonnaise, une formidable sédition se préparait, La Roche-Négly et ses compagnons d'armes allaient encore livrer une bataille de rues.

1. Cl.-J. Puy, p. 63.

2. Manuscrit du uianjuis de Poncins.

'.\. Manuscrit du marquis de Poncins. Cf. aussi Cl.-J. Puy, p. 63. •4. Manuscrit précité. :\. Id.

CHAPITRE XIX

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES

II nous faut retourner à Lyon. Le bombardement n'est pas interrompu pendant toute la journée du 28 août, les batteries du camp de Caluire, avec leurs pièces de 24 et de 16, tirent sur le faubourg de la Croix-Rousse et sur les redoutes qui en défendent l'entrée^, mais ne pro- duisent que des dégâts matériels peu importants.

L'artillerie de la Guillotière est plus redoutable, surtout la batterie de mortiers établie sur la droite, qui incendie le quartier des Cordeliers- presque entièrement. Les bat- teries de 24 et de 16 tirent h boulets rouges sur la redoute du pont Morand et sur la place Bellecour. Les canons lyonnais ripostent et la lutte d'artillerie se continue, sur les bords du Rhône, avec un acharnement égal. MM. de Chènelette, de Nervo et de la Salle encouragent les canon- niers, pointent eux-mêmes les pièces, donnent à chacun l'exemple du courage. Le Comité de Sûreté générale ordonne d'incessantes réquisitions de terrassiers^; de son côté, la municipalité fait surveiller par des vigies sur les toits «les scélérats qui donnaient des signaux à l'ennemi^ ».

L'organe départemental, dans son numéro du 29 août ■•, ne dissimulait pas un aveu trop tardif et prenait une utile résolution : « Une vérité incontestable, disait-il, a

1. Rapport du camp de Caluire, du 29 août {Archives historiques de la Guerre: Armée des Alpes, ai)ùt 1793).

2. Rapport du camp de la (iuillotière (mêmes archives).

3. Bef/islre du Comité de la section des droits de l'homme. Collection Rasas Lyon).

4. Id.

.'5 Bulletin départemental, n" 22.

346 l'insurrection de lyon en 1793

été sentie par les corps administratifs et les délégués du peuple de Rhône-et- Loire, c'est que plus une assemblée est nombreuse, moins ses délibérations ont de célérité. Un comité de cinq membres a été arrêté, ils ont été nommés à la majorité des suffrages par la voie du scru- tin. » Le général de Précy faisait de droit partie du Comité et le Bulletin départementcU ajoute à ce sujet que les nouveaux services rendus par le général k la cité lui assuraient encore des droits à la reconnaissance et à rat- tachement de la population.

Du côté des assiégeants, la confiance s'accordait moins facilement et le pauvre général Kellermann qui, tout en bombardant Lyon à contre-cœur, n'en était pas moins le subordonné très obéissant de Dubois-Crancé, éprouvait un tel dégoût de la besogne qui lui était imposée et des soupçons blessants dont on Tabreuvait qu'il ne se sentait plus le courage de continuer. Il écrivit donc au ministre de la Guerre Bouchotte, le 28 août, une lettre indignée :

Je dois vous prévenir, citoyen ministre, que les propos et dénonciations que les malveillants cherchent à répandre sur mon compte m'ont déterminé à envoyer ma démission, il y a quelques jours au Comité de Salut public, et je ne puis regar- der mes dénonciateurs que comme des ennemis de la chose publique. Ma réputation est faite depuis le commencement de la Révolution. Je suis républicain et je le serai jusqu'à la mort.

Je vous déclare au reste que je ne quitterai pas mon poste que vous ne m'ayez nommé un successeur ou que je n'ai réduit Lyon à fléchir devant la loi ^

Trois jours après, Kellermann, qui n'avait pas reçu de réponse de Paris, partait pour Grenoble et y donnait des ordres pour le ravitaillement des batteries devant Lyon par le grand parc de l'armée des Alpes. Le général se rendait ensuite à Chambéry, puis au hourj? Saint-Maurice,

1. Archives historujuesde la (iuerre : Année de Lyon, 4793.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 347

pourrepousserrarméesardedansunecampagne de quelques jours admirablement menée.

Devant Lyon, du côté de Limonest, les volontaires de TAriège, appuyés par un escadron de hussards du i*' régiment, rencontraient un détachement lyonnais, au- près d'EcuUy, solidement retranché dans un enclos muré, et ne parvenaient pas à Ten délogera Une fois de plus, la défense, qui avait obtenu ce succès, ne prenait ensuite aucune offensive et laissait ses adversaires, repoussés, regagner leurs cantonnements en toute sécurité. Il est vrai que ce détachement était en observation pour pro- téger l'arrivée du convoi de grains attendu du Forez*.

Les Lyonnais abandonnèrent Tun des leurs, sentinelle oubliée, le jeune Richard (Charles-François), fils de l'an- cien syndic de Bourg-Argental, député du Tiers-Etat à la Constituante '^ Richard tenta inutilement de rentrer dans Lyon, il se procura des vêtements de paysan et revint à Bourg-Argental où, « pour mieux échapper aux recherches, tout en servant son pays », il s'engagea dans un bataillon de volontaires, destiné au corps de siège de Toulon, et y devint lieutenant. Plus lard, il s'établit à Saint-Chamond il créa l'industrie des lacets*'.

A la Guillotière, le feu d'artillerie ne cessait pas sur le pont Morand, il fallait « inonder » de bombes cette grande redoute si bien construite par le colonel de Ché- neletle dont elle portait d'ailleurs le nom et qui luttait si efficacement contre les batteries du général Vaubois. Les représentants en voulaient à Kellcrmann et à ses lieu- tenants de continuer leur siège régulier beaucoup trop

1. Rapport du camp de Limonest, 30 août 1793 [Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, août 1793).

2. Dans le rapport précité, le général Saint-Remi espère que la redoute de la Tour Salvagny une fois terminée et occupée par les gardes nationales de Clermont réduira les rebelles de Lyon à ne plus rien recevoir du Forez.

3. Extrait des Notes industrielles de Lucien Thiollier, secrétaire général de la Chambre de commerce de Saint-Etienne en 1894.

4. Lucien ThioUier, Notices précitées.

5. Communication de M. Claude-Noël Desjoyeaux.

348 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

long, au gré de Dubois-Crancé et de ses amis. Ils recevaient continuellement de leurs agents disséminés dans Lyon des rapports souvent mensongers, dont ils communiquaient au Comité du Salut public les détails favorables tels que ceux-ci :

On nous assure que Tétat-major des rebelles s'est établi du côté de Perrache pour être plus à même de s'évader en cas d'événement.

Les rebelles contiennent par la terreur une partie des citoyens. Nous sommes informés qu'ils font journellement fu- siller ceux qui refusent ou qui négligent de porter les armes avec eux ou qui tiennent des propos contraires à leur plan *.

Ou bien :

L'émigration des vieillards, femmes et enfants de la classe pauvre est prodigieuse. Nous recueillons ces malheureuses vic- times de l'aristocratie, et nous leur faisons donner par les dis- tricts les secours nécessaires*.

Cette hospitalité ne devait pas être accordée longtemps. Albitte, le Conventionnel dont nous connaissons le triste rôle au début de Tinsurrection, envoyait au Comité de Salut public la lettre qui suit et dont nous reproduisons Torthographe :

On dit que les rebelles de lion se préparent à faire juger et périr les patriotes prisonniers qu'ils ont proscrit et que les Marseillais employent toujours la guillotine, et moi je fais arretter tous Lyonnais ou Marseillais qui peuvent se présenter et j'espère qu'ils me serviront d'otages assez pUissans pour arretter la fureur des monstres qui ont jurés la contre-révolu- tion -.

1. Re^'istre de la section des droits de Thomuie. Collection Rosas. Va*\sen, Dftcmnenfs ifnprinu's : Lf/on en 1793, le Sièt/e, p. 93.

2. Arcfiirrs hisforiques de la (iuerre : Armée des Alpes^ septembre 1793 (n" 1 de l'inventaire (PAlhitte .

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 349

Comme Kellermann, Je général de division Dumuy, plein de déférence pour les représentants mais brave soldat, soucieux avant tout de ses devoirs militaires, apprenait à la date du 1*' septembre sa suspension de commandant en chef provisoire de Tarmée de siège. 11 envoyait d'urgence à ce Comité de Salut public qui a mérité le surnom de Comité de « soupçon » public « les témoignages d'estime et d'attachement de ses frères d'armes* ». Vaine protestation! la disgrôce qui allait frapper Kellermann ne devait pas épargner son successeur. Un autre officier général, qui avait fait tirer sur Lyon les pre- mières bombes, le général Vaubois, commandant la division de Bourg au camp de la Guillotière, était sous la surveil- lance de l'adjudant-général Noël, nominativement son chef d'état-major mais en réalité, comme nous l'avons déjà dit, le délégué de Dubois-Crancé. Vaubois faisait pourtant preuve d'une grande activité, tenant toujours ses troupes en évciT".

Aux avancées du camp de la Guillotière, on construisait deux nouvelles batteries avec des boyaux de communi-

1. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, septembre 1793 (!!• 1 de l'inventaire d'Albitte).

2. Nous avons relevé la pièce suivante :

« Revue de reffectif de la colonne d'armée campée ou cantonnée à la Guillotière passée le 1" septembre 1793, Tan II de la République, etc.

Etal-major

Général de brigade Vaubois ; Adjudant-général NoC'l ; La Villette, adjoint à Tadjudant-général ; Roustan, aide de camp du général de brigade.

Cavalerie

1 escadron du 9* dragons:

1 escadron du 5* de cavalerie ; [ 557 hommes dont 30 officiers.

Détachement de gendarmerie à cheval.

350 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

cation sur une étendue de plus de trois cents toises ^ Un officier d*artillerie légère, le lieutenant Legras, était coupé en deux par un boulet lyonnais au moment il encou- rageait bravement ses travailleurs. A Caluire les vigies cons- tatèrent avecregret que les bombes de 8 pouces n'allumaient pas d'incendie sérieux dans les retranchements de Tennemi qui ripostait avec ses trois batteries ^ et tentait la nuit de surprendre les postes •'*.

Au camp de Limonest, soldats du génie et d'infanterie et gardes nationaux travaillaient activement à la redoute de la Tour Salvagny pour y établir une formidable bat- terie de quatre. La cavalerie lyonnaise cherchait à les inquiéter, le 2 septembre elle enlevait deux grenadiers du bataillon de SaAne-et- Loire devant plusieurs compa-

Infanterie :

2 bataillons de TArdëche (volontaires) ; 1 bataillon du Gard 1 bataillon franc de la République ; i bataillon de Grenoble , gardes natio- nales;

i bataillon de Vienne, gardes nationales; ) 6.959 hommes dont 204 officiers.

1 bataillon des Côtes maritimes, gardes nationales ;

1 bataillon de TArdèche, gardes natio- nales ; bataillon de Tlsère.

Artillerie :

3 compagnies (compagnie légère Dan- ) thouard; compagnie de Salva ; com- [ 179 hommes dont 9 officiers, pagnie Menestrolles). |

Pionniers

2 co pagn

X^SM^ i i68 hommes dont 6 officiers.

Certifié par nous, général de brigade et a Ijudant-général.

Signé : Vaubois, Nobl. (Archives historiques de la Guerre: Armée des Alpes^ août 1793).

1. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, 1893.

2. Hapports des trois camps, du 1*' au 2 septembre.

3. [tl., (lu 4 septembre.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 351

gnies qui ne tentaient point de les reprendre ^ Les sol- dats du général Rivaz avaient été surpris de voir leurs camarades saisis, désarmés, jetés sur les fontes de deux cavaliers et emmenés au galop dans la direction de Saint- Just. Il est vrai que le lendemain, au même endroit, une patrouille du 5*" régiment de cavalerie enlevait avec la même soudaineté deux cavaliers muscadins'-^'.

La municipalité lyonnaise ne restait pas inactive. Elle redoutait de voir s'eiïondrer un certain nombre de maisons atteintes par le bombardement, surtout sur le quai du Rhône et de la rue Grolée. De nouveaux incendies se déclaraient dans le quartier de Bellecour. Les ouvriers for- maientdes escouades de quatre, six, huit et douze hommes, formant ainsi des groupes de charpentiers, de maçons, de serruriers et de manœuvres, ayant leur chef parti- culier et un matérieldepompesà main, deseaux, haches, etc., pour se porter à la chute des bombes et des boulets et pour arrêter les progrès du feu ^.

Bientôt une note officielle de la municipalité donna la la liste des quartiers incendiés dans lesquels il était recommandé de ne circuler qu'avec les plus grandes pré- cautions : (( L'Arsenal et la rue qui en dépend, les prisons de Saint-Joseph, les rues Sala et Saint-Joseph, l'ancienne Intendance, la face de Bellecour qui donne sur les tilleuls, la grande rue de Thôpital, la rue Plaisir, la rue Paradis, la rue Saint-Dominique, la place des Jacobins, les rues Lafond et Pizay, une partie de THôtel de Ville, la Bou- cherie^ une partie de la rue de Pêcherie et le quai Saint- Clair*. »

La délation, Tinquisition sévissaient partout. Le Comité particulier de Surveillance et de Sûreté publique, dit des CinÇy décida que les Comités de Surveillance des trente

1. Rapports des trois vavipa^ du 2 au 3 septembre. S. /d., du 5 septembre.

3. Registre de la section des droits de Thomme (Collection Rosas, à Lyon).

4. Archiver historiques de la Guerre : Armée de* Alpes^tepitmhn 1793.

~*

352 l/lNSLRRECTION DE LYON EN 1793

et une sections feraient procéder pur des commissaires à une visite domiciliaire et exacte de toutes les maisons « pour reconnaître et vérifier : 1" Si chaque maison était habitée par des gens sûrs et en quantité suffisante pour surveiller la chute des bombes ; 2'' si les absents des appartements avaient laissé les clés à quelqu'un du corps de logis et, dans le cas contraire, les appartements devaient rester ouverts ; s*il n'y avait pas de gens suspects réfugiés dans les appartements des absents, et qui devaient être, dans ce cas, arrêtés sur le champ et tra- duits devant le Comité de police à l'hôtel commun ». Les armes devaient être enlevées ainsi que toutes matières combustibles, munitions, gargousses et cartouches si les unes et les autres étaient au pouvoir de gens suspects ^ .

D'autres prescriptions obligeaient à ouvrir les fenêtres des appartements « l'expérience constatant que l'éclat des bombes était infiniment moins dangereux », ce qui était contestable. Le Comité était mieux inspiré quand il invi- tait les citoyens à garnir de paille et de foin mouillé le pavé du devant de leurs maisons et les cours, cette pré- caution pouvant amortir le choc de la bombe et mc^me éteindre la mèche avant qu'elle n'éclatât-.

Les soupçons s'éveillaient facilement sur des dénon- ciations qui ne paraissaient pas fondées. Des commis- saires enquêteurs nommés par les corps administratifs se transportaient inopinément dans l'ex-couvent de Sainte-Marie des Chênes, aux bureaux de M. Billon du Plan, directeur des subsistances militaires et malgré ses protestations, se livraient à une vérification minutieuse de ses comptes '^ qu'il fallut reconnaître parfaitement exacts.

Le moral des troupes lyonnaises ne s'affaiblissait pas, loin (le là, il se ntilitarisaii,

1. Extrait des registres (lu comité (le la section des droits de l'homme, 1" septembre. (Var-seii, Documents impriuK's.)

2. Mrmes sources.

3. Collection Goste, pièce 6.

* r -

lA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 353

Certains cavaliers, surtout dans le détachement d'Oul- lins, faisaient preuve d'un esprit d'initiative et de qua- lités d'observation que pouvaient leur envier bien des officiers de carrière. L'un d'eux, nommé Deboze, d'une famille de petits commerçants, se distinguait en toutes circonstances par sa hardiesse. D'une taille élevée et d'une force exceptionnelle, il cherchait toujours à provo- quer les soldats de Dubois-Crancé. Deboze comprenait mal les ménagements dont on usait à Lyon à l'égard des prison- niers faits à Tennemi alors que nul n'ignorait l'exécution du lieutenant Guillot, des chasseurs à cheval, capturé dans l'escarmouche du 8 août. On savait que les blessés eux-mêmes n'étaient pas épargnés par les Crancéens'.

L'un des défenseurs de Lyon, M. J.-B.-M. Xolhac, qui a laissé d'intéressants souvenirs '-^ a mis en relief les qua- lités de ses camarades. « Les jeunes gens lettrés » fai^- saient preuve de fermeté devant le danger et s'acquit- taient avec exactitude de leurs devoirs militaires, mais ils manquaient d'enthousiasme et d'entrain. Ces qualités s'affirmaient, au contraire, dans cette classe si nombreuse connue à Lyon sous la dénomination des commis de magasins et faisaient la principale force de la petite armée-* . Il y avait aussi des jeunes ouvriers pleins de dévouement et de courage '* avec lesquels rivalisaient d'ailleurs beaucoup de jeunes gens appartenant à des familles riches et bien posées; « rien dans leur allure ne dénotait de la pusillanimité, mais les poltrons étaient, sauf cependant les exceptions, les gens à écritoire, ceux qui, par quelque minime emploi, tenaient à ce qu'on appelle la bazoche. Ceux-là parlaient beaucoup, faisaient

1. Balleydier, Histoire du peuple de Lyon^ t. II, p. 36.

2. Souvenirs de la Révolution à Lyon^ Lyon, 184i.

3. UL, p. 210.

4. M. Nolhac mentionne un jeune plâtrier qui, blessé & la Croix-Rousse, ne voulut pas quitter ses compagnons. Atteint d'une nouvelle blessure en combattant aux Brottcaux, il allait chaque jour se faire pansera Tambu- lance pour revenir partager nos dangers. {Id.)

23

►•

V

.354 l'insurrection de lyon en 1793

bruit au corps de garde, mais cherchaient le moyen de se rendre utiles, ailleurs quand leur présence dans les rangs aurait pu les exposer à quelque péril ou môme pré- textait alors quelque mal subit qui les contraignait à se retirer. ^)

Aux dernières heures de la nuit, alors que sévissait encore le bombardement, les avant-postes se mettaient en communication. Afin de déjouer la trahison toujours en éveil, on changeait le mot d'ordre avant le lever du jour et la reprise de la fusillade de Tinfanterie. Ce n'était point un ofWcier de Tétat-major de Précy qui venait s'acquitter de ce devoir, c'était le plus souvent un sous- officier ou môme un simple soldat, que l'on savait intel- ligent et courageux et qui avait la confiance de son chef de détachement. Le jeune chasseur Nolhac remplit fré- quemment cette mission, au milieu de nombreux dan- gers et toujours avec succès. Il a raconté avec simplicité dans ses Souvenirs qu'aux Brotteaux, il recevait le mot du commandant du poste de la maison Neyrat, qui venait de le recevoir lui-même de la grande redoute du pont Morand^ commandait Tourtoulon de la Salle.

Nolhac se rendait ensuite auprès de Tadjudant-général de Nervo, au quartier général des Brotteaux établi, en face du pont, à Thôtcl de la Vengeance, nom terrible donné à une pauvre petite auberge, dont la clientèle, avant le siège, se composait surtout de mariniers du Rhône.

Pour y parvenir, à l'angle de ce qui devint plus tard le cours Morand et du chemin des Charpennes, et pour gagner le poste de Tancienne loge mac^onnique, il fallait franchir un passage fort dangereux parce qu'il était enfilé par les batteries de la Tète d'or.

Une autre fois, le même planton allait au quartier général de Précy, à la maison des Dames de Saint-Pierre-.

4. Souvenirs de la Révolu f ion à Lt/on. p. 101.

2. Et non à l'Hôtel de Ville, comme le dit par distraction M. Nolhac dans ses SouvernrSy p. 198.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 355

L'ennemi reprenait son bombardement avec une intensité inaccoutumée et le commandant des Brotteaux en faisait prévenir d'urgence le général en chef qui, attendant une communication des corps administratifs, s'était rendu à THôtel de Ville et, dans une petite salle basse, s'était couché sur un matelas. Au jeune Nolhac qui lui rendait compte de cette pluie de projectiles, ce dont il était resté très naturellement impressionné, le vieux soldat répondit avec flegme : « Tant pis pour les cheminées. » Le mot fut répété aux avant-postes et obtint un franc suc- cès*. La bonne humeur ne se démentait pas et contribuait à tenir en éveil la surveillance des sentinelles et des troupes de piquet.

En dépit des bombes et des boulets, les femmes applau- dissaient volontiers aux actes de courage ou d'adresse, on les voyait souvent auprès des batteries, surtout sur le quai du Rhône la canonnade était engagée avec Tartillerie du camp de la Guillotière. L'une d'elle, âgée de dix-sept ans, Marie Adrian, s'était enrôlée dans la même compa- gnie que son frère '*. M"" Deschamps servait aux grena- diers, montait des gardes et faisait le coup de feu à l'avancée. Sans être aussi militantes, deux jeunes femmes fort vertueuses et d'une grande beauté, M"'' Co- chet et M"* Subrin, venaient souvent aux avant-postes. Souriantes et gracieuses dans celte atmosphère de danger, elles savaient, par leur charme et leur gais propos, don- ner du courage aux plus timides. .

Les chasseurs à cheval de Précy formaient le corps aristocratique; beaucoup d'entre eux avaient porté Tépau- lette d'oflicior, d'autres appartenaient à la noblesse de la région ou à. la riche bourgeoisie de la ville. Ils recevaient fréquemment des visites de leurs femmes, de leurs fian- cées ou de leurs amies. L*une d'elles, de la meilleure noblesse de Bugey, la marquise d'Yvolet, allait en com-

1. Nolhac, p. H>2.

2. Perenon, dans ses Soles sur le Siège de Lyon^ p. 21.

I

>

336 l'insurrection de lyon en 1793

paguie de la comtesse Bollioud de Ghanzieu, femme du capitaine, aux cantonnements d'Oullins ou de Pierre Bénite, à cheval, comme les Ligueuses au xvi' siècle.

(Tétait fête au bivouac des chasseurs quand arrivaient M"** d'Yvolet et de Chanzieu; Tune et l'autre étaient charmantes, enjouées, spirituelles. La première jouait de la harpe, composait des morceaux de poésie lyrique qu elle chantait k ravir; c'était aussi une escrimeuse de première force, montrant volontiers son adresse, le fleu- ret à la main, et rêvant de provoquer, en combat singulier, quelque officier des hussards de Kellermann. Sa com- pagne, moins redoutable, avait une réputation méritée d'écuyère. Ce n'était point sans difficultés ni sans regrets que l'on renvoyait à Lyon, sous un feu roulant de madri- gaux, les deux jeunes femmes.

L'ancien commandant de l'escadron, le colonelJossinet, ex-officier supérieur de la maréchaussée, qui avait l'abord rude et le commandement un peu brutal, se sentait désarmé devant les belles visiteuses et se proclamait « le plus enchaîné de leurs esclaves » . Le pauvre colonel ne devait pas répéter bien longtemps ses hiperboliques dé- clarations, car ainsi que nous l'avons vu, le 1" septembre, une chute de cheval lui fracassait le crâne contre une borne, sur le grand chemin d'Oullins^

Dans la France entière la mode était aux chansons, en dépit de tous les ochafauds que dressait la Terreur victo- rieuse.

A Lyon, sur les places, dans les rues, on chanta presque jusqu'à la fin du siège. Le rôle d'Ange Pitou était le plus sou- vent tenu par un simple cavalier, brillant soldat à l'heure du danger, mais au bivouac et à la caserne d'allures mélan- coliques. 11 cachait soigneusement son nom et son état social sous le pseudonyme de Petit-Frodéric. La plus popu- laire de ses chansons s'appelait le Chant des cavaliers; non

1. Stoyort, Liste des officiers tués oti morts de leurs blessures.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 357

seulement elle était constamment fredonnée par les chas- seurs de Précy, mais on Tentendait dans les casernes d'infanterie, dans les redoutes, sur les plates-formes des batteries. Les femmes et les enfants la chantaient à leurs fenôtres, à Tatelier. Le soir, pendant le bombardement, entre deux bombes qui éclataient, les strophes incorrectes, mais vibrantes comme une sonnerie au drapeau, se fai- saient entendre, crânement chantées par des jeunes filles, par des apprentis :

(Sur Tair du Cfiant du Départ.)

Beaux cavaliers en campagne, Le sabre au poing, la bride aux dents, Elançons-nous sur la Montagne* Point de quartier pour les brigands ! Brisons sous nos talons de bottes, Ecrasons tous les sans-culottes. Tremblez donc, sacrés Jacobins, Voilà, Voilà les Muscadins !

Pour vos soldats de pacotille, Nos murailles seront d*airain Et les quenouilles de nos filles Seront trop lourdes dans vos mains. Car sachez que les muscadines. Ont pour amants des carabines Tremblez donc, sacrés Jacobins Voilà, Voilà les Muscadins!

Oui, tremblez tous, coupeurs de tête Bourreaux de Roi, buveurs de sang, Contre vous le Lion s'apprête Il veut combattre un contre cent La mort n'est rien pour qui la brave, La honte seule est pour Tesclave. Honte à vous, sacrés Jacobins Voilà, Voilà les Muscadins!

1. La Montagne veut dire ici les Montagnards, les Jacobins.

2. Id.

358 l'insurrection de lyon en 1793

Le canon gronde et nous rappelle De la Déserte à Montessuy. Cavaliers, allons, en selle, Vive Lyon, vive Précy! Un, deux, trois! bon ! partez muscades. En avant quatre la grenade. Tremblez tous, sacrés Jacobins Voilà, voilà les Muscadins < !

Les canonniers, les fantassins voulurent avoir leur chant de guerre; un émule du Petit-Frédéric, plus inconnu en- core, car son pseudonyme ne nous est point parvenu, com- posa les strophes des compagnies soldées et des artilleurs. L'allure en est moins martiale, moins alerte, un peu « complainte * » :

Lorsque Tétendard de la guerre Est déployé sur nos remparts, Que Crancé, fléau de la terre, Vient affronter nos boulevards. Montons sur Taile de la gloire, Confondons^ ses hardis projets. Ne doutons pas de nos succès, Précy nous mène à la victoire, Chasseurs et fantassins, Jurons amour aux rois Mort à leurs assassins

Cette première strophe était bien royaliste pour être chantée autrement qu'en sourdine et en discrète com- pagnie. Les autres sont d allures plus constitutionnelles, elles sont un peu trop solennelles pour des chants de guerre :

9

Lyon l'Eternel te contemple. Et te soutient dans tes revers, A la France donne Texemple, Arme-toi pour briser tes fers.

1. Nous ne donnons que les couplets les plus connus.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 359

Dans tes mains tu tiens la bannière

De Tauguste fraternité;

Et Tennemi de la Cité

Sous tes coups mordra la poussière,

Chasseurs et fantassins, etc.

La dernière était réservée à rartillerie lyonnaise :

Foudroyons leur horde infernale, Prudents et braves canonniers, Détruisons cet affreux dédale, Cueillons le plus beau des lauriers, Que nos canons soient le tonnerre. A l'exemple de Jupiter, Frappons tous ces suppôts d'enfer. Qui brûlent d'infester la terre. Chasseurs et fantassins, etc.

La grande majorité de la population était républicaine, l'opinion royaliste n'était représentée que par une petite minorité, mais cette minorité constituait la partie la plus active, la plus audacieuse, la plîis imprudente aussi, sur- tout chez les femmes. Beaucoup de jeunes femmes, en effet, beaucoup de jeunes lilles, appartenant à la vieille bourgeoisie lyonnaise et môme au peuple, dissimulaient mal leurs sentiments monarchiques et accusaient leurs maris ou leurs frères d'excès de prudence. Elles avaient brodé un nombre incalculable de cocardes blanches que bien des soldats de la défense dissimulaient sous leurs vêtements.

Dans la soirée du 28 août^ une jeune ouvrière en soie traversait Tune des rues les plus fréquentées du quar- tier des Terreaux, portant sous son tablier un paquet assez volumineux. Le bombardement sévissait surtout la nuit, aussi la circulation reprenait-elle à certains mo-

{. C'est à tort que Balleyilier mentionne cet épisode avant la seconde quinzaine d'août.

3(50 l'insurrection de lyon en 1793

ments. Un enfant, en courant, fit trébucher la jeune fille, le paquet s'échappa du tablier... plus de cent cocardes blanches tombèrent sur le sol. Aussitôt on s'écria : « Trahison! Voici les agents de Pill et Cobourg! C'est une aristocrate! C'est une émigrée! » La foule s'amassa, excitée par des Jacobins toujours aux aguets, trop heu- reux de se venger sur un être sans défense, on conduisit la jeune fille devant la Commission militaire. Deux de ses membres se récusèrent, les autres commirent la lâcheté de condamner à mort cette enfant qui n'avait pas vingt ans, qui n'était même pas la vraie coupable, car elle transportait un paquet qu'on lui avait confié.

L'ouvrière ne chercha aucune excuse, ne tenta aucune dénégation. « Je n'ai pas de complice, dit-elle. Qu'on m'applique la loi qui fait fusiller et non pas celle qui envoie à la guillotine. Qu'on m'accorde aussi quelques heures pour recevoir les secours fortifiants de la Reli- gion! » La Commission militaire ne pouvait refuser une telle requête et dans la soirée, sous le. titre d'ami et avec un travestissement de garde national, un prêtre non assermenté put pénétrer dans sa prison et lui port-er la communion.

Les juges espéraient évidemment que la peine serait commuée en un emprisonnement. 11 non fut rien, Précy, qui en fut avisé d'autant plus sûrement qu'au moment de l'arrestation son nom avait été publiquement prononcé, Précy ne s'interposa pas, prudentcomme Kellermann... Le lendemain, à six heures du soir, la peli le porteuse de cocardes fut conduite de la prison de Roanne sur la place des Ter- reaux, à l'angle de la rue de Clermonl •. Un peloton de gardes nationaux, de ceux qui ne combattaient pas, mais qui assuraient la police, braqua ses fusils sur cette

i. Gomle Léon «le Ponciiis, le Sic(/e de Ln^n f extrait «lu Conespon- danl, is-il). « Ils ne rc«'ulèreiit pas «levant un «rime, une jeune fille qui traversait le poril avec «les cocar«les piactM'S «lans son tablier, fut arrêtée, oon<laninéc à ni«)rt et fusillé»'. »

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 361

frêle poitrine et la fracassa de dix balles*. L'ouvrière tomba sans pousser un cri, les yeux au ciel, les mains jointes autour de son chapelet. Elle avait Tàme d'une Vendéenne !

L'histoire ignore toujours le nom de cette martyre, car le Bulletin départemental^ l'organe officiel, pour mieux dis- simuler ce forfait, voulut cacher que la victime était une femme :

La Commission militaire vient par un nouvel exemple d'inti- mider les malveillants en condamnant à mort et en faisant exé- cuter hier ux de ces coupables qui avaient conspiré ^

De part et d'autre, les communications officielles ne respectaient pas la vérité. Les représentants écrivaient au Comité de Salut public que la défense de Lyon ne pouvait se prolonger au-delà de quelques jours, ils affirmaient de nouveau que Tétat-major des rebelles se cachait dans quelque abri de la chaussée de Perrachc pour s'évader plus facilement, que l'émigration de la classe pauvre était « prodigieuse », etc. En réalité, Précy et son état- major n'avait pas changé de quartier général et jusqu'au milieu de septembre, bien peu d'habitants cherchèrent à sortir de Lyon. M"" des EcheroUes dans ses souvenirs d'enfance, raconte que son père, le vieux général, avait été chargé de la défense de la porte Saint-Irénée, située du côté de Sainte-Foy, fonctions dont l'ancien lieutenant- colonel de « Royal, s'acquitta avec beaucoup de zèle et d'énergie ».

Sa famille le suivit dans le quartier de Saint-lrénée, beaucoup d'habitants du centre de la ville, fuyant le bom- bardement mais ne voulant pas quitter Lyon, vinrent se réfugier dans le faubourg bâti sur la montagne. « Les maisons encombrées d'habitants furent occupées depuis la cave jusqu'au grenier, et, faute d'abri, l'église souter-

1. Bulletin (iépartewenlal, iv 22, ilu 'l\i aoùL

362 l'insurrection de lyox en 1793

raine de Saînt-Irénée, qui fut jadis Tasile des chrétiens

persécutés, devint le refuge de ceux qui n'enavaient plus '. »

M"* des Echerolles rappelle que la ville n'était point

cernée de ce côii% « on s'y trouvait plus à l'aise, quelques maisons de campagne des environs étaient encore habitées et les paysans du voisinage y apportaient leurs denrées et leurs fruits. Malgré l'insuffisance de ces provisions, les faubourgs de Saint-Just et de Saint-Irénée « jouissaient d'une espèce d'abondance inconnue dans le centre de Lyon*^ ». Cependant les indigents qui ne cher- chaient pas à traverser les lignes s'adressèrent au bon curé de Saint-lrénéc, l'abbé Moulin, pour être leur intermé- diaire auprès de leurs concitoyens plus fortunés. Ces vic- times de l'aristocratie, comme se plaisaient à les appeler les représentants du peuple^, reçurent, en effet, des secours malheureusement bien limités, grâce à une quête faite sous les auspices du curé par deux jeunes filles, M*'" des Echerolles et Seriziot^. On vit partout ces deuxTnessa- gères de charité. « Les greniers, les caves, ne furent pas à l'abri de nos recherches, dit la fille du général. Je me rap- pelle qu'un jour nous entrâmes dans une espèce de han- gar mal fermé dont nous ressortîmes aussitôt, n'y voyant qu'une extrême misère. Une femme, qui nous avait recon- nues, se lève à l'instant, nous rejoint dans la rue en nous offrant un assignat de cinquante sous, s'affligeant de ne pouvoir donner davantage, mais voulant contribuera notre bonne œuvre, c'était bien le denier de la veuve. »

De telles excursions n'étaient pas sans danger, les pro- jectiles, quoique beaucoup plus rares que de l'autre côté de la Saône, n'en faisaient pas moins quelques victimes et cependant M"" des Echerolles et Seriziot, accompagnées

\. Une Famille nohlc sons la Terreur, éd., p. 82-83.

2. Id., p. S2.

3. F^ettrcs au (^oiuilé de Salut public du 28 a<iùt et du 31 août 1793. [Ar- chives h'istitriques de la (iuerre : Armée des Alpes, août nîK3.}

4. Alexandrine des Fthernlles, Une famille nohle sous la Terreur, 4* éd., p. 84.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 363

de Tabbé Moulin, ne craignirent point d'aller jusqu'à des maisons isolées, à proximité des extrêmes avant-postes du camp de Limonest et des patrouilles du général Rivaz : « Cette course, qui nous rapprochait des postes ennemis, nous exposa beaucoup et quoique protégées par nos batte- ries, nous nous trouvâmes souvent à la portée des coups de fusil. Nous vîmes beaucoup de soldats de la Conven- tion aux fenêtres de plusieurs maisons tombées dans leurs mains. Nous n'en parcourûmes pas moins quelques autres habitations dans la proximité de la ville; car c^élait delà récolte du pauvre que nous étions chargés : nous vou- lions en glaner jusqu'au dernier épi. Le lendemain il eût été impossible de Tentreprendre, les assiégeants gagnant chaque jour du terrain, la mort moissonnait à son tour sur ces routes que nous avions traversées la veille à la suite de l'homme de Dieu K »

La quête permit d'acheter quelques aliments pour les plus pauvres et les plus malades, mais le prix des vivres devint exorbitant dès les premiers jours de septembre. Le pain était détestable, fait d'une farine échauffée -, qui non seulement lui donnait mauvais goût, mais fatiguait lestomac et les intestins, surtout chez les vieillards et les enfants.

Malgré la misère, la maladie, langoisse, la population s'augmentait : de petits enfants naissaient. On les bapti- sait à Taube, au bruit de la canonnade, ils commençaient tôt leur apprentissage de la vie durant la Révolution, transportés dans les rues désertes éclataient les bombes, cachés dans les caves, dans un air vicié par les malades, toujours trop rare pour ceux qui s'entiissaient dans ces réduits. Les vagissements des pauvres petits êtres se con- fondaient avec les plaintes des blessés.

L'habitude du courage se prend vite et un historien de grand mérite et de grande vérité Ta dit : « Lyon au bout

1. Alexandrine <ies Echerolles, une Famille noble sous la Terreur^ p. 8G.

2. 1(1.

364 l'insurrection de lyon en 1793

de peu de jours finit par dormir sous les bombes et les boulets rouges, par imprévoyance, par courage et par habitude ^ »

Le Btdletin départemental n'était pas véridique lorsque dans son numéro du 2 septembre-, il annonçait l'arrivée d'une assez grande quantité de subsistances, c'était en réalité quelques sacs de grains ou lorsqu'il affirmait que « des pelotons d'hommes sans armes désertaient les dra- peaux de Crancé, que le découragement continuait parmi les troupes assiégeantes, qu'il s'élevait entre elles des rixes fréquentes, terminées par de véritables combats, etc. ». L'organe des autorités administratives mentionnait avec plus d'exactitude qu'en raison de l'incendie, l'hôpital général des malades était transféré de l'hôpital militaire aux ci-devant communautés de l'Observance et des Deux- Amants'^, moins maltraitées par le bombardement, mais exposées cependant aux boulets rouges, et que les blessés de l'armée qui investissait Lyon y étaient aussi bien soi- gnés que les défenseurs de la ville. Les batteries cran- céennes n'en tiraient pas moins sur les ambulances et les hôpitaux'.

Le Bulletin rendait hommage à un désintéressement rare : « Un citoyen de cette ville dont la délicatesse et la modestie nous ont interdit de citer le nom, possédait pour toute fortune trois maisons, doux ont été consumées par le feu, il apprend que la troisième est exposée au môme sort, il descend du poste avancé de la Croix-Housse il est placé en qualité de simple fusilier, il se rend chez les locataires qui habitent la seule maison qui lui reste,

i. Comte Léon <ie Ponrins {le Correspondant, ISGl, p. 603].

2. lin lie tin t/épartementaL n" 26.

3. D'après M"* des KchtTolIes (]>. 117 , deux amants s'étaient précipités dans la Saône du haut d'un rocher,el leurs familirs «lésolées avaient fondé un monastère jjrès du lieu ou s'était passé rv traj^iifue événement.

4. Les proconsuls et le ^nriéral «le la Pape n'ignorent pas qu'un grand nombre de leurs frères d'armes qui foui ])artie «l«'s bataillons qu'ils com- commandent, sonl dans cet hospice (I hôpital militairej, et qui cependant n'est pas respecté ! 'Bulletin départenœntal, n" 26, du 2 septembre).

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 365

il leur indique les lieux leurs effets peuvent être en sûreté. « Mes amis, leur dit-il, je n'ai plus que cet im- « meuble pour toute fortune, qu'il soit brûlé ce n'est « pas ce qui m'inquiète, c'est votre salut qui m'amène « auprès de vous, je serai tranquille lorsque je saurai « que vous êtes à l'abri des périls. Deux bras me restent « pour défendre ma patrie et pour soutenir mon exis- « tence ^ . »

On peut s'étonner de ne pas voir citer, dans le Bulletin départemental des 3 et 4 septembre, un merveilleux acte d'héroïsme. A la faveur de quelques chantiers de gros bois de construction qui étaient établis près de la Guillotière, sur la rive gauche du Rhône, une batterie du général Vaubois battait avec une terrible précision le quai de l'hôpital et une grande maison transformée en ambulance, surmontée comme Thôpital d'un drapeau noir*. Les batteries lyonnaises du quai cherchaient en vain à dé- monter cet abri, le colonel de Chênelette avait lui-même pointé les mortiers sans résultat^. L'ennemi faisait arroser d'eau avec des pompes les pièces de bois pour les main- tenir en état d'humidité. Le général fit mettre à l'ordre dans les casernes et les postes qu'une récompense de 20.000 livres serait donnée à celui qui incendierait les chantiers'*.

Pendant la nuit du 1" au 2 septembre, le capitaine Bosquillon, adjoint au colonel de Chênelette, tenta vaine- ment de les aborder en bateau sans être aperçu. 11 ne ne réussit qu'à mettre le feu à une quantité considérable de fagots, ce qui eut l'inconvénient d'éclairer les deux rives du fleuve et de faire tirer les faciionnaires ennemis.

1. Bulletin départemental, n* 27.

2. J.-B.-M. Nolhac, Souvenirs de la Révolution^ p. 17^.

3. Une note qui figure dans les Archives municipales de Lyon^ et re- mise en 1814 au général de Précy, rappelle au généralle tir inefficace de la batterie de mortiers sur les chantiers.

4. Archives municipales. La note précitée mentionne qu'une récompense était promise à ceux qui iraient incendier les chantiers.

366 l/lNSURRECTION DE LYON EN 1793

Précy et quelques-uns de ses officiers avaient assisté à cette courageuse et inutile tentative*.

11 était deux heures du matin; deux jeunes gens, fils de fabricants lyonnais, Laurenson, chasseur h cheval, âgé de vingt ans, et Barthélémy Dujast, chasseur à "pied du bataillon de Bordeaux, âgé de dix-sept ans, se présentent au général et lui promettent de réussir. Le capitaine d'ar- tillerie Ravina leur a fait placer autour de la tète des fusées à incendie, enveloppées d'une toile goudronnée. Ils se jettent à la nage dans le fleuve, abordent sans ôtre aperçus des sentinelles, pénètrent dans les chantiers, y meltent le feu-. L'incendie se propage avec une rapidité vertigineuse et dévore cinq ou six chantiers. Les deux braves Lyonnais recommencent leur traversée du Rhône plus périlleuse encore car les sentinelles ennemies font feu sur eux.

Laurenson aborde le premier, vis-à-vis THùtel-Dieu. Dujast, brillé h la jambe droite, nage difficilement; en- traîné à la dérive sous le pont de la Guillotière, par un cfl^ort désespéré, il parvient à remonter le courant et aborde à son tour.

Le lendemain, 3 septembre, Précy, entouré de son état- major, les reçoit Tun et l'autre, à Tllôtel de Ville dans la grande salle des délibérations et après les avoir félicités, veut leur remettre les 20.000 livres promises par le Comité militaire. Les deux héros refusent et déclarent qu'en fait de récompense, ils n'accepteront que des armes ^ Le gé- néral leur fait présent aussitôt à chacun d'un sabre d'of- ficier de cavalerie et d'une paire de pistolets, richement damasquinés, leur annonçant l'intention qu'il a de de-

1. Note iinliquée plus liant. Cf. aussi Balleydicr, t. II, p. 62-63; Morin, t. lU, p. iVi : Pereiiuu, nnles, p. 23.

2. Le liu/lelhi tlépcu'lemenlal «lit simplement : « Le feu n (l(^voré tous les bâtiments et chantiers qui servaient de retraite aux satellites de Dubois- Crancé et qui masquaient leurs batteries. Cette résistance ne peut qu'être infiniment favorable à luïtre défense, et nous saurons en ])rofiter. t>

3. On s'étonne que Noihac. d'ordinaire très exact, ne parle dans ses Sou- venirs, à l'occasion de cet acte d'héroïsme, que de Dujast.

LA VIE A LYON SOUS LES BOMBES 367

mander aux corps administratifs la création d'une « déco- ration honorifique » dont ils seront les premiers titu- laires. La décoration* fut ajournée à la victoire...

La grande victoire, libératrice de la Terreur, ne devait pas être remportée, mais il en était une, d'importance secondaire, il est vrai, dont le bruit se colportait de poste en poste, et bientôt de rue en rue, et qui fit oublier trop vite ringénieux dévouement du Dujast et de Laurenson^ : îe détachement du Forez avait livré un combat heureux et fait prisonnier un général républicain, deux compagnies d'infanterie et un escadron de cavalerie.

Bientôt le Bulletin départemental l'affirma •'^, cepen- dant beaucoup affectaient de ne pas le croire; les Lyon- nais n'avaient pluaen septembre, l'optimisme de juillet. La nouvelle était vraie cependant et, le 3 septembre, un émissaire du commandant du corps lyonnais dans le Forez, vêtu en paysan, avait remis au général de Précy, une lettre qui annonçait, en termes nets et concis, l'arrivée dune colonne de prisonniers, dont un général de brigade et plusieurs officiers. La colonne devait être entre Feurs et Duerne et le général, qui signait Rimherg, nom absolument inconnu à Tétat-major de Précy, comme à l'Hôtel de Ville, demandait que le détachement d'escorte fût relevé par une troupe de cavalerie lyonnaise. Le général de Précy chargea aussitôt le colonel de Vichy, qu'il venait d'appeler au commandement de la cavalerie.

1. Il y rut en elTct un projet «le nit'daiUe porlaht sur la face : Siège de LyoHy aes habitants recnnnaissajifs, et sur le revers : Valeur récompensée.

La Restauration devait créer pour les anciens combattants <le Lyon, une variété de l'Ordre «lu Lys, qu'on a})pcla le « Lys de Lyon >>, le ruban blanc était liseré d'aniaranthe.

2. Laurenson mourut trois ans après, succombant aux terribles fatigues qu'il avait éprouvées on ai<lant et en sauvant de nombreux prêtres et émisés. M. Dujast était, en 1814, officier de la jzarde nationale de Lyon. Le capitaine <rartillerie Havina, le capitaine Dumaud et le lieutenant HivoUet, tous deux anciens chasseurs do l*ré<'y, signèrent un certificat attestant ce beau fait d'armes. {Archives municijniles de Lt/on^ note remise au général de Précy, alors commaiulant «le la gar«le nationale de Lyon.)

3. Bulletin départemental, n" 27, «les 3 et 4 septembre.

368 l'insurrection de i.yon en 1793

de faire partir pour Duerne 25 à 30 cavaliers, connaissant bien le pays.

Le détachement traversa silencieusement le bourg Saint-Irénée, par petits groupes, sans être éventé par la cavalerie du général Rivaz.

Le lendemain seulement une patrouille des hussards de Limonest surprit et captura deux cavaliers du détache- ment, qui avaient eu le tort de ne pas suivre d*assez près leurs camarades et qui essayaient de rentrer dans Lyon. Ces jeunes gens surent égarer l'ennemi, en lui disant avec aplomb qu'ils faisaient partie d'une troupe de 200 hommes, sortis la veille, le 4 septembre, de Lyon pour aller en Bourbonnais. L'exagération de cet effectif contribua à écarter toute idée de poursuite et sauva peut-être le petit détachement qui allait prendre livraison des prisonniers de Saint-Anthôme. Les deux « Muscadins » furent envoyés au camp de Caluire en attendant qu'on les fusillât ^

i. Archives historiques de la Guerre^ Lyon, 1789; Rapports des trois camps^ du 5 septembre.

CHAPITRE XX

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAlNT-ÉTlENxNK. LA RETRAITE SUR MONTBRISON. LA SURPRISE DE SAIN'T-ANTHÈME

Lorsque la petite colonne que commandait La Roche- Négly ou plutôt Rimberg, comme il voulait être appelé, était revenue de sa reconnaissance de Rive-de-Gier, elle était rentrée à Saint-Etienne, pendant la nuit du 27 août et avait repris possession de son vieux cou- vent de Sainte-Catlierine, sur le Pré de la Foire*. Le capi- taine Puy, qui n'était pas sans inquiétude, avait doublé son poste, porté à 40 hommes, et visité lui-même ses factionnaires avec d'autant plus de soin que le corps de garde se trouvait assez éloigné du casernement des soldats dans les anciennes cellules des religieux.

Les travaux de la route actuelle de Saint-Etienne à Montbrison et à Roanne, traversant les cours du couvent, V avaient fait ouvrir une brèche'*, cause d'incessantes préoccupations pour le digne quartier-maître. Celui-ci sétait rendu dans la matinée chez un officier de la garde nationale de Saint-Etienne, M. Courbon de Montviol, Bégociant estimé à Saint-Etienne et tout acquis à la cause lyonnaise. Le capitaine Puy apprit par son hôte que les ouvriers jacobins s'étaient procuré des fusils et des car- touches, qu'ils se groupaient sur la place Chavanelle ' pour assiéger le détachement dans son couvent. Le

1. Aujourd'hui plare <hi Peuple.

2. Cl.-J. Puy. Note «les éditeurs : MM. Louis Chaleyer, Gustave Véricel et J.-M. Devet, p. 65.

3. « La place Chavanelle et la rue Neuve étaient situées sur le parvis de Notre-Dame, quartier aristocratique bâti au xvii' siècle et embelli au xviu'. » iGominumcation de M. Claude-Noël Desjoyeaux.)

24

370 l'insurrection de lyon en 1793

quartier-maître court à Sainte-Catherine, fait sortir les 40 hommes de garde avec deux pièces de canon au centre, braquées sur la rue Froide, alors fort populeuse. Les ouvriers y sont groupés avec des intentions hostiles, ainsi que dans la rue Neuve et la rue de Lyon, débouchant aussi sur le Pré de la Foire.

D'autres attroupements aussi menaçants se forment sur la montagne Sainte-Barbe, devant la chapelle ils sonnent le toscin^

En Tentendant, le général Rimberg se met à la fenêtre de sa chambre, à Thôtel du Grand- Versailles^, en face du couvent. Il approuve la sortie du poste et veut se placer à la tête de ses nouveaux soldats, mais la foule s'oppose à ce que personije ne sorte de Thôtel. Six cents ouvriers font face aux Lyonnais, les menaçant, les injuriant. Puy, en vieux grenadier qu'il est resté, commande : « Joue ! » ce qui produit un mouvement de recul. Quelques me- neurs se détachent et demandent à fraterniser. On sait ce que cela signifie en cas d'émeute ; cette fois Puy com- mande : « Canonniers, à vos pièces ! » ce qui est inutile, car les braves artilleurs restent comme des statues à leurs places de servants de la pièce, mais le commandement produit une salutaire panique. Les émeutiers se réfugient derrière les femmes qui tiennent le marché ^ S'adressant h celles-ci, Puy les prévient qu'on va tirer, tout le monde se disperse en courant par la rue Neuve.

Lyonnais et Montbrisonnais, ainsi que le détachement venu de Saint-Chamond, avaient pris les armes et se for- maient un peu en arrière du poste, occupant toute la façade Ouest du couvent de Sainte-Catherine. C'est alors qu'arri- vaient au j^rand trot une quinzaine de leurs cavaliers. Poursuivis parla populace, ils avaient mettre le sabre à

1. lleddc, Revue (ht Lf/oimaiSy t. XII, ]). 193.

2. Note «les éditeurs du manuscrit Puy, p. *)8.

3. D'après Puy. il iTy aurait pas vu «le collision, mais, «raprés le manus- crit «lu marquis «le Poncins, une patrouille lyonnaise insultée fit feu et tua un Stépliaiiois.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINTtÉTIENNE 371

la main et ne regagnaient le gros de leur troupe qu'avec peine.

Les groupes se reforment toujours menaçants, grossis- sant par la rue Neuve; beaucoup de femmes armées de piques en font partie. De son ton net et vibrant, Rim- berg commande à une escouade d'infanterie, placée devant sa fenêtre, de refouler la foule. L'ordre s'exécute pendant que Rimberg se fait jour, Tépée à la main -, Mais la foule revient compacte, menaçante, hurlant des cris de mort! Puy fait porter en avant toute l'infanterie dont il dispose et l'esplanade est balayée ^ ainsi que le débouché des rues. Des Lyonnais rejoignent, arrivant des quartiers éloignés, ils annoncent que les faubourgs se soulèvent et que la petite garnison va être cernée. Rimberg a pris le comman- dement et, d'après les souvenirs de Puy, aurait adressé quelques reproches au quartier-maître sur la disposition des troupes '" qu'il trouve probablement trop concentrées, les attroupements auraient pris moins d'importance si des patrouilles avaient sillonné la ville.

Comme on lui fait observer que quelques-uns de ses soldats doivent être encore bloqués dans leurs maisons, Rimberg ne s'attarde pas aux récriminations, monte à cheval, réunit 50 hommes, dont 25 cavaliers, se met en tête de cette forte patrouille et s'engage dans la rue Froide les attroupements sont si serrés qu'ils forment une véritable barrière. Les fantassins, la baïonnette en avant, les refoule, mais les « anarchistes » ainsi que les appellent les Lyonnais, courent s'embusquer aux fenêtres des mai- sons ou sur les toits et font pleuvoir des tuiles et des pierres. Quelques coups de feu sont tirés sur la troupe .

Un seul Lyonnais est blessé parmi les fantassins. La cavalerie a fourni une patrouille qui parcourt au galop la

1. Cf. manuscrit du capitaine Puy, publié avec notes par MM. Ghaleyor, Vericel et Devet, p. 67.

2. Cl.-J. Puy, p. 67.

3. Manuscrit (lu marquis de Poncins.

372 l'inscrrectio?! de lyon en 1793»

rue de Lyon, elle essuie une grêle de balles. L'un des cavaliers lyonnais est tué raide, M. Potenay de Sainte- Croix; il appartenait à une famille estimée et était très aimé de ses camarades ^ Aussi malgré les coups de feu, ses compagnons veulent rapporter son corps, Rimberg intervient et le leur défend formellement^. Il faut avant tout ne pas se laisser couper, le général ramène sa troupe sur la grande place il retrouve le maire Praire-Royet, Molle, chef de légion de la garde nationale de Saint- Etienne, et les adjudantS'généraux Desjardins et Uénoux. Ce& officiers promettent le concours des deux bataillons qu4ls commandent, mais il n arrive que trois officiers, MM. Praire de Neyzieu et Chapon, capitaines, Palluat du Besset, sous-lieutenant, et plusieurs jeunes hommes appartenant aux meilleurs familles de Saint-Etienne ou des environs : Barthélémy des Joyeaux, Joseph de la Tour- Varan, André Neyron, Gerbe de Tours, Muguet des Varanges, Théollièredu Champ, les Vincent de Soleymieux et de Vaugelas, Larderet, les Jourjon, etc.

Rimberg espéra que cet exemple entraînerait la plus grande partie de la garde nationale et pour gagner du temps, il ordonna de nouvelles patrouilles. L'une d'elles, comprenant toute la cavalerie dont il disposait, avec une pièce de canon, parcourut un grand nombre de rues, sans être attaquée nt revint à la grande place. Les bataillons de la garde nationale n'arrivaient pas ou du moins n'étaient représentés que par une centaine de Stépha- nois, tout au plus la valeur de deux petites compa- gnies.

L'appel fut fait, il y avait 513 hommes prêts à com- battre jusqu'à la mort pour la cause de Lyon et qui se dénombraient ainsi :

1. D'ajirès son acte de «lécès/cct iiifortanê jeune homme était âgé de vingt-deux ans.

2. Manuscrit du marquis de Poncins.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINT-ÉTIENNE 373

Hommes.

Section de Saint-Étienne (Grenadiers, Gardes natio- naux lyonnais et stéphanois) 268

Section de Saint-Chamond (composée presque unique- ment de Lyonnais) 100

Section de Montbrison (Chasseurs à pied lyonnais pour la plupart^ 20

Cavalerie (60 étaient de Montbrison) H

Compagnie tlimberg (Paysans du Velay levés directe- ment par lui) 24

Canonniers pour 5 pièces d'artillerie (Lyonnais et Sté- phanois : 24

En tout ~5Ï3<

Il ne manquait que deux cavaliers, Potenay de Sainte- Croix qui avait été tué et un autre nommé Davin, que la sollicitude de son hôtesse, femme d'un cafetier, avait enfermé malgré lui dans sa chambre pour le sauver <ie tout danger^.

M. Praire-Royct informa le général que des barricades s'élevaient à toutes les issues de Saint-Etienne. Celle de la route de Montbrison était énorme, formée de pavés, de madriers, de tombereaux, garnie d'hommes armés et sou- tenue par un grand nombre d'habitants du faubourg à Taffût sur les toits, les balcons, aux fenêtres, aux lu- carnes, partout. Les femmes ne se montraient pas les moins exaltées. 11 y avait aussi une formidable barricade au dé- bouché de la roule de Lyon ; toutes les autres issues étaient fermées et gardées. Enfin le tocsin reprenait de nouveau à la chapelle Sainte-Barbe, surla colline à TEstde la ville. Les rumeurs menaçantes grossissaient à chaque instant et on pouvait évaluer à quinze ou vingt mille hommes' le nombre des « anarchistes ».

Rimberg inspirait à sa troupe une entière confiance. Agacé par le son persistant du tocsin de Sainte-Barbe et

1. Cl.-J. Puy, p. 6î).

2. Id.

3. Heddc, VExpéiUtion du Forez [Revue du Lyonnais, t. XII, 1844, p. 191).

374 l'insurrection de lyon en 1793

distinguant à la lorgnette sur la colline une foule nom- breuse, qui agitait ses armes et affectait de mettre en joue, il fit tirer dans cette direction deux coups de canon. Les pièces avaient été pointées de main de mattre par le lieutenant colonel-Chappuis de Maubou, un boulet pénétra dans le mur de la chapelle, un autre fracassa la cloche ou coupa la corde'. Le tocsin se tut et la colline Sainte- Barbe fut précipitamment évacuée. Les rumeurs cessèrent pour un instant; il était midi.

Riraberg profite de cette courte accalmie pour se procu- rer immédiatement, par son quartier-maître, contre-paie- ment, une certaine quantité de vivres. Il fait ensuite ré- quisitionner des moyens de transport afin d'emmener, avec les bagages, les fusils, pistolets et sabres de la ma- nufacture, cause de Texpédition ; il ne fallait pas songer aux grains, on en retrouverait ailleurs.

Le général ne s'en rapporta qu'à lui-môme. A la tète de ses paysans du Velay, escouade de gars solides et dévoués, bien que manquant d'allure militaire '^\et de la compagnie de grenadiers, il se rendit rapidement à la manufacture d'armes avec des attelages qu'il avait requis et fit charger deux charrettes de fusils. Un autre chariot reçut les ba- gages laissés îi la caserne et un tonneau de poudre.

11 n'y avait que huit chevaux de trait, on ne pouvait at- teler que trois pièces d'artillerie et un caisson'^ L'adju- dant-général llénoux fit mettre hors de service les deux canons appartenant à la ville* et briser les alfûts.

Quand la compagnie Rimberg et les grenadiers débou- chèrent sur la place Ghavanelle, les habitants leur tirèrent des coups de fusil, par les fenêtres mais devant la riposte

1. Cl.-J. Puy, p. 71.

2. Quoique braconniers ou anciens gardes (léchasse pour la plupart, ils faisaient si mal le maniement d'armes, que j)Our ce motif, et aussi en rai- son de leurs sombres costumes <lont Rimberg avait fait les frais, on les prenait ponr des prOtres déguisés.

:\. Cl.-J. Puy. p. 71.

4. On fit pénétrer à coups de mnrlenu des boulets enveloppés <le drap dans rame des pièces.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINT-ETIENNE 375

dés Lyonnais, ils disparurent dans leurs logements. Voi- tures et escorte purent gagner la place du Marché, séparée par une petite ruelle du Pré de la Foire s'étaient avancées les pièces déjà attelées que commandait le lieutenant-colonel Chappuis de Maubou.

M. Praire de Neyzieu, capitaine de la garde nationale et frère du maire de Saint-Etienne, donnait, comme M. Praire-Royet, de très utiles indications; il informa Rimberg que la garnison de Rive-de-Gier, commandée par le chef de brigade Fugière, arrivait pour prêter main- forte aux Jacobins de Saint-Etienne.

Il était trois heures de l'après-midi '. Rimberg forma ses 513 hommes en une seule colonne : l'artillerie à l'avant- garde, un corps de bataille sous son commandement direct et la cavalerie entre cette troupe et Tarrière-garde ; il ordonna la marche en avant. On se dirigea vers le quartier de la Mi-Carème, le moins bien gardé '-\

La colonne lyonnaise se met en marche, baïonnette haute; elle s'engagea dans la rue des Fosses. Au moment de pé- nétrer dans la rue Roannelleetde dans la rue de Roanne, perpendiculaire à la grande route, Rimberg est avisé que, depuis cette rue jusqu'au couvent des Capucins, dans le quartier de Polignais, toutes le'S fenêtres sont garnies d'hommes' armés de fusils, d'autres habitants grimpés sur les toits vont lancer des madriers tout préparés L Le gé- néral laisse filer l'avant-garde, arrête le gros de la colonne et se met à la tète des chasseurs h pied. Il les conduit dans la rue des Fossés ils sont reçus à coups de fusil et leur fait ouvrir le feu sur les Jacobins des fenêtres et des toitures^. Aussitôt après, il se met en mesure de rallier la colonne et de former l'arrière-garde, avec les chasseurs et une pièce de canon qu'il fait mettre à leur dis-

1. Manuscrit du marquis de Poncins.

2. Id. .

3. Cl.-J. Puy, p. 71.

4. Id., p. 72.

376 l'insirrection de lyon en 1793

position. Riraberg reprend le commandement du gros de sa troupe, qui s'engageait maintenant dans la rue du Grand-Moulin. C'étaient les grenadiers, encadrant un canon et un caisson, puis le reste de Tinfanterie avec les bagages, les deux chars de fusils et une pièce d'artillerie en gardant un certain intervalle pour la cavalerie, dans le cas cette dernière aurait à se déployer. Les chasseurs à' pied, retardés par leur pièce de canon \ laissèrent un peu trop s'augmenter la distance, avec le gros de la colonne. Toutes ces fractions gardaient une allure militaire qui en imposait à leurs adversaires et se dirigeaient rapidement vers la route de Montbrison.

Les Lyonnais ont gagné la rue des Capucins qui s^amorce à la route, mais en restant une voie étroite et resserrée entre des maisons et des murs de jardin garnis d'hommes armésde fusils. Ils se voient dominés par les toitures garnies aussi et obligés de tirailler avec eux asse^ longtemps, pendant que d'autres Jacobins vont en courant fermer rissue de la rue, qui aboutissait à la campagne. N'ayant pas eu le temps de construire de barricades, ces derniers essaient de barrer le passage de pied ferme mais, à l'approche de la colonne, ils se retirent derrière un para- pet qui surplombe le chemin sur la droite. Leur tir trop précipité ne cause aucun mal à la compagnie de grenadiers qui, sans s'arrêter ni riposter, passe rapidement avec son canon et son caisson-. Au gros de la colonne un homme tombe grièvement blessé et un cheval s'abat frappé par une balle. La charrette des bagages trop chargée s'enfonce dans une ornière^ d'où elle se dégage difficilement. La marche en est arrêtée pendant quelques instants, les Jacobins ne s'en rendent pas compte grâce à l'esprit de décision de Rimberg. Celui-ci pointe lui-même une

1. Cl.-J. Puy, p. 12.

2. La belle propriété de la Pareille, appartenant à la famille des Joyeaiix, bordait bi rue h ^jaindie.

a. Cl.-J. Puy, p. 73.

LE COMBAT DANS LES HUES DE SAÎNT-ÉTIENNE 377

pièce d'artillerie à quelques mètres des assaillants, sous leur fusillade, puis faisant brusquement déboîter sur la gauche la plus grande partie de son escadron de cavalerie commandé ce jour-là par le capitaine de Maubou^ il lui ordonne de charger. Les cavaliers se forment en ligne au galop, dans la prairie, ce qui produit un mouvement de recul chez leurs adversaires très impressionnés. Le gé- néral en profite pour faire avancer sa troisième pièce de canon restée à Tarrière-garde et la mettre en batterie dans la prairie, avec un peloton de vingt cavaliers comme soutien-.

L'arrière-garde composée des chasseurs avait écarté à coups de fusil ceux qui voulaient Tenvelopper'.

Toute la colonne se retrouva, en formation de combat sur la route de Montbrison, les deux pièces d'artillerie ouvrirent le feu à mitraille sur les groupes d'assaillants qui s'étaient reformés, la cavalerie de Maubou chargea les rassemblements qui s'avançaient sur la grande route*, et les refoula rapidement. De nouveau les Jacobins se disper- sèrent; seuls les tireurs de quelques maisons du quartier de la Pareille et de celui des Capucins-', surtout ceux qui étaient postés sur la toiture du couvent, envoyèrent leurs balles dans la direction de la colonne qui riposta immédiatement par deux coups de canon dont les bou- lets pénétrèrent dans Tancien monastère. Le feu cessa de part et d'autre. 11 était presque nuit.

Rimberg, dont les réelles qualités de commandement s^affirmaient au grand enthousiasme de ses soldats, ordonne au détachement de cavalerie d'aller à grande allure s'em- parer du bac de la Loire à Andrezieu. 11 mit en queue de la colonne le reste de la cavalerie avec deux canons, le troisième marchait avec l'avant-garde, composée de paysans

i. Cl.-J. Puy, p. 74.

2. Manuscrit du marquis de Poncins.

3. Id,

4. Hedde, Hevitr du l.yonnais, 1840, p. lOi.

5. Cl.-J. Puy, p. 75.

378 l/iNSURHECTION'DE LYON EN 1793

qui s'étaient bien battus, et commande joyeusement : «En route pour Montbrison* ! »

La gaieté est communicative dans la vie du soldat en campagne, Tun des Lyonnais, jeune homme d'un carac- tère enjoué et chanteur émérite, se mit à entonner à plein gosier la chanson du jour :

« Je prends Fanchon^! »

Tous ses camarades se mirent à rire et les couplets un peu lestes, repris en chœur par toute cette jeunesse à la belle insouciance, s'égrenèrent sur la route. En les enten- dant à l'heure du crépuscule, dans une de ces dernières soirées d'été des montagnes boisées descend une fraî- cheur reposante, on aurait cru à quelque retour de battue, à une retraite de chasse aux loups. Hélas! après une ba- taille de rues plus bruyante, il faut Tavouer, que meurtrière, la colonne s'acheminait vers de nouveaux dangers, vers de funestes surprises, vers de terribles combats. Pour les paisibles Stéphanois qui s'étaient joints aux Lyonnais, la C8mpaj::ne commençait...

Il n'y avait pas en effet que des jeunes gens, ni que des soldats de métier, il v avait aussi des habitants de Saint- Etienne qui abandonnaient leurs foyers pour tenter de pénétrer dans une ville assiégée.

M. Praire-Hoyet, le maire de Saint-Etienne, essentielle- ment modéré, très charitable, avait adressé de vains appels a la garde nationale. En conséquence il avait cru devoir résilier ses fonctions ainsi que ses collègues de la municipalité, L)ervieux,Peurière et Le Gouvé'^ Le chef de légion Molle et les deux adjudants-généraux Hénoux

\. Le lendemain dans la matinée, un ramassis de gens sans aveu de plus de H.OOO hommes (it son entrée à Saint-Etienne, ils se signalèrent par des or«;ies publiques et des persécutions contre tous ceux qui avaient bien accueilli les Lyonnais. (Medde, Ih'rtie du Lytnmais^ 1840, p. 196.)

L*. Manuscrit du marquis de l*oncins.

.'{. liedde, livvuv du Lyonnais, 1840. M. Le (itjuvé était l'oncle «le l'auteur du M cri te des Femmes.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINT-ETIENNE 379

et Desjardins, M. Praire de Neyzieu, capitaine de la garde nationale, ainsi que M. Carrier de Lathuilerie, le direc- teur de la manufacture d'armes, avaient pris rang dans la colonne. Ils ne s'expliquaient pas leur manque d'in- fluence sur une population qui leur avait prodigué, peu de temps auparavant, des marques d'estime et de sympathie et ne cachaient point le chagrin très vif qu'ils en ressen- taient. En réalité Tabstention de la garde nationale de Saint-Etienne tenait surtout à l'impression produite par le combat des Grandes-Flaches et la capture de Servant, ainsi qu'à la crainte de combattre le gouvernement établi ^

Après avoir traversé le Rhône au bac près d'Andrézieu, la colonne avait bivouaqué deux heures à Sury-le-Comlal, puis repris sa marche, par la grande route. Grâce h la nuit très claire, il n'y eut aucune erreur de direction. On ne laissa aucun traînard et Ton atteignit sans incident Montbrison un peu avant midi, après une rude étape de plus de dix lieues succédant sans repos au combat de la journée.

L'accueil de la population montbrisonnaise fut excel- lent ; les habitants ignoraient les événements de Saint- Etienne. Dès qu'ils les apprirent, la plupart prodiguèrent à la colonne des témoignages d'amitié, leur apportant des vivres qu'ils se refusaient à laisser payer, demandant à loger chez eux officiers et soldats, ce qui fut accordé pour les sections de Saint-Etienne et de Saint-Chamond. Seul le détachement qui était en garnison à Montbrison valla occuper ses anciennes casernes.

Tout était paisible dans la vieille petite ville '" que baigne le Vizezy et abondaient alors les maisons gothiques et les vieux hôtels Louis XIll. Dans les églises si artis- tiques : Notre-Dame d'Espérance, La Visitation, les fidèles

1. Puy dans son manuscrit croit que la garde nationale stéphanoise obéit à un sentiment de particularisme « ni contre les L^'onnais! ni pour les Lyonnais ! » Nous croyons plutôt avec les éditeurs du manuscrit, qu'elle céda à un sentiment de frayeur à l'égard de la Convention.

2. Manuscrit du marquis de Poncins.

* 380 l'insirrection de lyon en 1793

osaient encore venir prier. La Roche-Négly, qui gardait moins discrètement, dans l'aristocratique Montbrison, son pseudonyme de RimbeVg, retrouvait, à Thôtel Maubou, Taecueil délicat qu'avait tant apprécié le pauvre Servant. Les officiers du petit corps d'occupation suivaient leur général, heureux de cette halte qu'ils pressentaient courte dans leur vie d'aventures.

Toutefois Rimberg veillait à ce que les environs de la ville fussent explorés; il envoya donc à la dé- couverte quelques officiers et des soldais intelligents, les uns et les autres déguisés en paysans ou en colpor- teurs. Avant que ceux-ci ne fussent revenus de leurs missions, deux joure après l'arrivée à Montbrison, une vedette lyonnaise, placée à la butte du Calvaire, aperçut sur la montagne, h TOuest de la ville, à trois ou quatre portées de fusil, une bande de cavaliers dont les armes brillaient au soleil et qui avait l'apparence d'une troupe régulière. Après avoir parcouru la crête, ces cavaliers s'arrêtèrent puis rétrogradèrent dans la direction du Sud- Ouest et disparurent*. Le général prévenu empêcha qu'on ne leur envoyât des boulets qui n'auraient probablement pas porté, en raison de la distance et du pointage habi- tuellement défectueux sur des buts aussi mobiles. En outre, il était imprudent de donner à Tennemî la certi- tude que Montbrison était occupé par les Lyonnais.

Les émissaires de Rimberg * l'informèrent qu'à Saint- Anthème, gros bourg d'Auvergne, à quatre lieues à l'ouest de Montbrison, il se préparait un rassemblement considérable des réquisitionnaires du Puy-de-Dôme, des- tinés au camp de Limonest sous la direction du général de brigade Nicolas. KM) hommes d'infanterie de ligne et 70 hussards de l'ancien régiment de Berrhinv y étaient

1. « Dès leur arrivée Saint-Anthôme , les hussards poussèrent leurs patrouilles jusqu'aux portes de Montbrison. On le? vit plusieux fois errer sur les rotraux (jui entourent cette ville. » (Marquis de Poncins, manuscrit.;

2. « 11 était toujours parfaitement infonnè. »> (Manuscrit précité.)

3. Cl.-J. Puv, p. 17.

LE COMBAT DANS LES HUES DE SAINT-ÉTIENXE 381

en cantonnement. Rimberg conçut le projet audacieux d'enlever ce détachement et en effrayant ainsi les réqui- sitionnaires de la région, d'en retarder la concentration ei la marche sur Lyon.

U apprit aussi que les troupes du général Valette allaient marcher sur Montbrison, les gardes nationaux de Roanne devaient se joiudre aux Jacobins de Feurs, à Tinstigation du représentant Javogues. Or des agents de Servant avaient déjà réuni à Feurs des approvisionnements de grains destinés à Lyon, Texpédition de Saint-Anthème ne devait donc pas être différée', d'autant plus que les Jacobins, peu nombreux à Montbrison mais très détermi- nés, devenaient arrogants et annonçaient l'arrivée pro- chaine des troupes de la Convention.

Dans la soirée de ce môme jour, 31 août, les hus- sards du général Nicolas se sont si maladroitement mon- trés, tout le détachement lyonnais et forésien est réuni dans la cour de la caserne, au moment de l'appel, vers neuf heures du soir.

L'ordre n'est donné qu'à dix heures'*, il y aura marche de nuit pour la plus grande partie du détachement, 48 chasseurs à cheval et 204 fantassins \ « pas d'artille- rie pour aller plus vite ». A l'appel du départ, personne ne manque, la colonne se met en marche silencieusement, la nuit très sombre permet de se dissimuler. Les sa- bots des chevaux sont enveloppés de feutre ou de paille ainsi que les étriers et les fourreaux de sabre des cava- liers. Les fantassins tiennent avec précaution leurs four- reaux de sabre ou de baïonnette. On peut ainsi sortir de

1. 4 Lettre du citoyen Riinberg, rominandant la force armée à Montbri- son au général Précy, commandant la force armée de sûreté, général de la section du peuple français du département de Bhùne-et- Loire. » (Cl.-J. Puy, p. 78). Puy a contresigné la lettre : « Pour le général, signé Puy, quartier-m.'iilre.

2. Dans le rapport précité, Rimberg dit <|ue lu départ eut lieu à neuf heures et demie, le luanjuis de Poticins, qui assistait à rexpédition, men- tionne l'heure de dix heures.

3. Même document.

382 l'insurrection de lyon en 1793

la ville sans avoir donné l'éveil aux Jacobins qui auraient pu être tentés de suivre la colonne.

Rimberg avait désigné des guides sûrs, deux paysans royalistes des environs d'Ambert qu'il faisait d'ailleurs surveiller par ses hommes à lui, les chasseurs de la com- pagnie noire.

Au lieu de marcher par le chemin le plus direct, celui d'Écotay et la route qui laisse Verrières à gauche, il avait été convenu de prendre des chemins détournés. On suivit la direction de Lézigneux qui est à trois lieues à Touest de Montbrison. Le chemin était difficile, à flanc de coteau, longeant presque constamment leMoingt. A par- tir du petit bourg qui porte le nom du ruisseau et qui fut contourné silencieusement, la colonne se dirigea droit sur Saint-Anthômc^ 11 fallut d'abord gravir une montagne assez élevée, puis pour rester invisible, au lieu de suivre les crêtes, la petite troupe marcha pendant quatre lieues et demie dans des ravins. Les cavaliers étaient à pied, conduisant par la bride leurs chevaux qui trébuchaient, roulaient et se relevaient avec peine^. Quand on passait auprès d'une habitation, chacun évitait de faire le moindre bruit « on retenait jusqu'à son soufllo^ ». L'étape durait depuis six heures lorsque le jour commença à paraître. Après avoir franchi une rivière presque tarie mais au lit fort large que les fi;ui(les appelèrent l'Ance du Nord, les soldats de Rimberg aperçurent en face d'eux, de l'autre côté du cours d'eau et a peu de distance, les premières maisons d'un bourg qui leur fut désigné comme Saint-An- thème.

Une porto de ville, flanquée de doux tours et qui contras- tait avec l(^s masures que Fou apercevait derrière, se dres- sait sans qu'aucun factionnaire veillât.

Toutefois, nu bruit des pas des chevaux, quelques sol-

1. Traquions locales.

2. Manuscrit du uiarcjuis de Pontins.

3. Mèuic document.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINT- ETIENNE 383

dats sortirent, mais ne manifestèrent aucune surprise, s'at- tendant à l'arrivée des réquisitionnaîres^

La colonne se forma, serra ses intervalles aussi silen- cieusement que possible, puis, h un signe de Rimberg, le capitaine de Maubou et ses cavaliers, qui étaient remontés en selle, partirent à fond de train, traversant la rue prin- cipale et se fractionnant par petits détachements pour aller occuper les autres issues.

L'infanterie s'était avancée sans précipitation et au mo- ment où les hommes de poste se présentaient au-devant de la tôte de la colonne, ils furent énergiquement repous- sés dans leur corps de garde, désarmés et enfermés sans qu'ils aient eu le temps ou la présence d'esprit de crier : « Aux armes-*! » D'ailleurs dans les maisons du bourg, leurs camarades continuaient à dormir, car aucun bruit ne se faisait entendre.

Aussitôt des fractions désignées procèdent, avec les mêmes précautions de silence et la même célérité, à la vi- site des différentes maisons : quelques habitants, surpris dans leur sommeil et mis en état d'arrestation, s'offrent à servir de guides, heureux de se venger des garnisaires qu'ils ont trouvés trop exigeants. Bientôt toutes les mai- sons indiquées sont fouillées, partout les soldats de la Con- vention sont arrêtés sans opposer de résistance.

Quelques-uns s'échappent grâce au dévouement de leurs hôtes, car au lieu de 160 hommes, on n'en trouve que lUO; les chevaux sont plus difficiles à dissimuler, on les retrouve au nombre de 50*^, ainsi que deux petites charrettes chargées de fusils.

Un des soldats prisonniers voynnt avec mécontement que le général Nicolas n'a pas été arrêté, indique la mai-

1. « Nous avons ('té pris, à notre arrivée, pour des troupes de Dubois- Crancé. » (Rimberg h Prérv. document précité.,

2. « Nous n'avons point été inijuiétés, et à notre entrée, nous avons fait prisonniers ceux qui étaient de «rarde. » (Môme document.!

3. Le rapport de Uimberg îi Précy dit : « J'estime que nous avons pris environ lOObommes, iiO chevaux.

384 l'insurrection de lyon es 1793

son celui-ci a son logement. Un détachement y court et découvre le général, bel officier, de grande taille et d'allure martiale, qui, se préoccupant du bruit insolite de la rue, s'est habillé et armé. Devant le piquet d'infan- terie lyonnaise qui cerne sa maison, il ne tente aucune résistance et rend son épée au capitaine Gavot* ; on le con- duit à Rimberg". L'officier de l'ancien régime accueille son prisonnier avec courtoisie mais ne peut s*empècher de lui dire : « Ne craignez rien, général, nous connaissons les droits de l'humanité quand vous méconnaissez ceux de la guerre"^. »

Après deux heures de repos et une collation bien mé- ritée, payée selon l'habitude des Lyonnais aux habitants qui avaient fourni les vivres'», la colonne repartit pour Montbrison, en renonçant aux sentiers de pâtres, ou de contrebandiers qu'elle avait suivis pour la surprise. Rimberg décida de revenir par la route de Saint-Anthème à Montbrison, c'est-à-dire par Chazelles-sur-Lavieu, Ver- rières et Moingt. La cavalerie lyonnaise, commandée par M. de Courtine, était à l'avant-garde, la cavalerie montbrisonnaise, sous les ordres du capitaine de Maubou, à Tarrière-garde. L'infanterie marchait sur deux lignes, occupant ainsi les deux côtés de la route, les chevaux des ex-hussards de Berchiny montaient les ofliciers d'infan- terie et les hommes les plus fatigués.

Les prisonniers cheminaient ainsi encadrés et sur- veillés mais sans être attachés ni molestés. Leur général, auquel son cheval avait été laissé, causait gaiement avec Rimberg et les cinq ou six officiers qui formaient Tétat- major de la colonne. Ce respect des adversaires malheu- reux était un bel exemple, jadis en honneur dans toutes

1. Archives ordinaires de la Guerre. Dossier (j.ivot.

2. Broutin, Histoire de la ville de Fenrs^ p. 422.

3. Id.

4. ^< Nous nous sommes conduits avec les habitants, de 0ianière à ce qu'ils ne puissent nous faire aucun reproche. » Himber^ à Précy : Cl.-J. Puy, p. 79.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINT-ETIENNE 385

les armées régulières et que les soldats improvisés de la cause lyonnaise donnaient avec un simple et joyeux en- train aux grenadiers et aux hussards de Nicolas. Ceux-ci n'auraient peut-^tre pas été moins courtois à Tocca- sion... si les représentants en mission lavaient permis... Dubois-Crancé et ses collègues ne devaient jamais le per- mettre.

A peu de distance de Saint-Anthôme, Tavant-garde aper- çut sur la route des hussards de la Convention qui rentraient de reconnaissance. Ordre fut aussitôt donné de Jes laisser approcher pour les prendre ou les tirer de près. Les hus- sards s'arrêtèrent, se méfièrent et s'enfuirent bride abat- tue * dans la direction de Gumières, au Nord-Est. Les Lyonnais regrettèrent surtout de ne pouvoir compléter leur opération de remonte du matin.

La route se continua sans incident. Aux environs de Verrières, puis à ceux de Lézigneux, on trouva des dépu- tations conduites par des officiers municipaux qui ne doutaient pas que cette troupe ne fût celle du général Nicolas, dont on annonçait la marche sur Montbrison depuis quelques jours. Etait-ce le sentiment jacobin ou celui de la crainte qui avait motivé ces manifestations de sympathie pour la Convention? Il était bien difficile de se prononcer, mais Rimberg fit faire halte à sa colonne, ouvrir les rangs sans cesser de surveiller les prisonniers. Deux fois les députations s'avancèrent sans défiance, saluant avec respect le panache tricolore de Nicolas, qui les regardait avec une silencieuse et narquoise philoso- phie. Ironique sans être impertinent, Rimberg leur apprit leur déconvenue et les emmena à Montbrison il devait d'ailleurs leur rendre la liberté. Les soldats de la Convention ne riaient pas moins que les Lyonnais de celte nouvelle surprise, puis le fameux chanteur de la Chanson de Fanchon et autres grivoiseries de bivouac

1. Manuscrit <lu marquis de Poncins.

25

386 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

commença son répertoire ^ et tous, môme les cultivateurs, délégués et prisonniers, finirent l'étape en chantant.

A une demi-lieue de Montbrison, la population formait la haie, impatiente de savoir le résultat de l'expédition ; on avait appris le départ du corps lyonnais. La plupart des habitants souhaitaient le succès de la petite gar- nison, dont les habitudes de discipline et de politesse ne s'étaient pas démenties. Ausî?i, lorsqu'on la vit arriver avec ses prisonniers, les applaudissements éclatèrent de toutes parts".

Dans sa délicatesse pour le général Nicolas et les sol- dats qu'il commandait, Rimberg imposa silence à la foule. Il fut obéi, mais sans fttre bruvante, la rentrée de la colonne dans les rues de Montbrison fut vraiment triom- phale. Le soir, chaque habitant voulut avoir au moins son convive, et Ton eut peine à constituer le service de garde, plus nécessaire que jamais avec le bruit qui courait d'une attaque par les Jacobins de Saint-Etienne ; cette tentative ne se produisit pas, parce que Rimberg résolut de la prévenir.

Dès le 2 septembre, il envoyait à Lyon ses prisonniers sous l'escorte de 30 cavaliers montbrisonnais commandés par M. Duguet du Bullion. La roule à suivre passait par Chazelles-sur-Lyon. A la vue des prisonniers, les Jaco- bins de la localité leur témoignèrent de la sympathie, aussi plusieurs soldats du général Nicolas tenlèront-ils de s'évader; mais la ferme attitude de leur escorte leur en imposa et ils durent renoncer à leurs velléités de révolte. Un des cavaliers montbrisonnais, Jacquet des Trouillères, avait tenu en respect, avec sa carabine, plu- sieurs hussards et donné le temps à ses camarades d^lr- river à son secours.

La route se poursuivit sans autre tentative de rébellion, au milieu de populations très clairsemées et qui sem-

i. Manuscrit du marquis de Poncins. 2. l(i.

LE COMBAT DANS LES RUES DE SAINT-ETIENNE 387

blaient indîiTérentes. Le petit détachement d'escorte croyait continuer jusqu'à Lyon ; il rencontra à Duerne un autre détachement de cavalerie, venu précisément de Lyon pour le relever et conduire les prisonniers. Avant de rentrer à Montbrison et conformément à ses instructions, M. Duguet du BuUion explora avec ses cava- liers le pays de Feurs. La cocarde tricolore qu'ils por- taient* leur permit de traverser sans conflit un pays les paysans avaient pris les armes en se déclarant jaco- bins. Dans la plaine du Forez et dans la région qui s'étend à Test de cette plaine, les opinions avancées étaient beau- coup plus répandues que dans la partie montagneuse. Le petit corps expéditionnaire allait avoir à combattre des ennemis plus redoutables que les ouvriers de Saint- Etienne et mieux commandés que les gardes nationaux de Boën ou les soldats de Saint-Anthème.

1. Rappelons quelle était adoptée par les Lyonnais et acceptée par les Montbrisonnais, malgré les sentiments royalistes de ces derniers.

CHAPITRE XXI

LES PRISONNIERS EN PÉRIL A LYON. LE CONSEIL

DE GUERRE DES GÉNÉRAUX LYONNAIS

ET DES ENVOYÉS DE L'ARMÉE DE CONDÉ

Les représentants avaient remplacé le général Dumuy par le général Guy Coustard, rex-chevalier de Coustard, ancien mousquetaire du Roi, comme Dubois-Crancé, mais qui, moins étayé que ce dernier dans Testime des Jaco- bins, ne devait pas conserver longtemps son commande- ment de Tarmée des Alpes ^

Deux d'entre eux, Ja vogues et Reverchon, chargés de surveiller le général Rivaz, avaient été très émus de la nouvelle que soixante-dix volontaires, destinés au camp de Liraonest, s*élaient mutinés à Tarare et avaient déserté, malgré les objurgations du commandant du détachement, déclarant à cet officier qu'on les conduisait en Vendée, et qu'ils n'y voulaient point faire la guerre'^. « Prétexte fri- vole! » disaient les représentants, qui ne faisaient, eux, la guerre que de loin et qui s'attendaient à voir arriver la colonne Nicolas, dont ils ignoraient le malheureux sort, bien qu'elle s'acheminât, h leur insu, dans la direc- tion de Lyon.

Dubois-Grancé et Gauthier, mieux informés, venaient d'apprendre la surprise de Saint-Anthôme et, malgré leur antipathie pour Kellermann, résolurent de l'appeler à

1. Couslard fut seulement replacé en l'an XHÏ, comme membre du direc- toire centrai des hôpitaux, ce qui termina modestement sa carrière mili- taire.

2. Archires historiques de la duerre: Année des Alpes, septembre 1193.

LES PRISONMEHS EN PÉRIL A LYON 389

leur secours. Les deux représentants envoyèrent donc au vainqueur de Valmy, contrairement à leurs habitudes, la courtoise lettre qui suit :

La Pape, le 3 septembre 1793, Tan II de la République.

GÉNÉRAL,

Nous vous envoyons copie des lettres désastreuses que nous recevons de nos collègues. Vous commandes les deux armées des Alpes et d'Italie. Voilà le moment de sauver la Répu- blique, il n'est plus d'autre combinaison à faire que celle de marcher à Tennemi.

Saint-Remi part en poste pour se combiner avec vous, en- voyez-nous un exprès qui nous annonce votre décision, mais ne perdez pas de vue que si Ton quitte le siège de Lyon, tout est perdu. Il faut, au contraire, former des moyens contre cette ville et contre Toulon. Voilà les deux points capitaux de notre salut.

Dubois-Crancé, Gauthier *.

La trahison ne désarmait pas et visait surtout Précy; une femme et deux de ses complices étaient entrés en relations avec un vieux serviteur que le général avait amené de Bourgogne. Ils parvinrent à substituer des ali- ments empoisonnés à la nourriture très frugale que Précy prenait avec ses aides de camp. Un troisième complice, surpris en flagrant délit d'incendie, les dénonça sur la promesse qu'on lui ferait grâce; la Commission militain» condamna à mort les empoisonneurs et les fit exécuttM^ deux heures après le jugement. L'affaire fut tenue aussi secrète que possible. On connut cependant les noms dos deux principaux coupables : Basson et Marque*.

1. Archives hiêloriques de la fiuerre : Année des Alpes^ septembre 1793.

2. Histoire du siège de Lj/on, par un officier do l'état-major du siège échappé au carnage et retiré en Suisse. Lausanne, 1793. Gonon {Biblio- graphie) mentionne plusieurs jugements de la commission composée de Loir, président, de Vichy, de Chàleauvieux, de Planligny, Ravarin et Deschamps, juges. Moulin, secrétaire greffier, exécutés à la date du 6 sep- tembre.

390 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

Malgré les précautions prises pour ne pas divulguer Taffaire, Précy recrut à ce sujet de nombreux témoi- gnages de sympathie. Il se rendait, le 3 septembre, à la Croix-Rousse, et les boulets rouges des batteries de Montessuy ricochaient dans le faubourg Saint-Clair. Les habitants, apercevant de leurs fenêtres le général, descendirent malgré les projectiles et Tacclamèrent en rassurant qu'ils défendraient résolument leur quartier, leurs maisons, même au milieu des décombres, pendant que leurs concitoyens plus jeunes feraient le coup de feu aux avant-postes ou serviraient les batteries. Des vieillards dirent môme au général qu'ils se sentaient assez valides pour faire partie dés troupes de sortie s'il devait en former. Sans tenter de mettre à Tépreuve des bonnes volontés un peu fragiles, Précy fut touché de ces sentiments, en raison surtout des circonstances ils s'exprimaient, et quand il rentra à son quartier général, il rédigea une courte proclamation qui porte la date du même jour, 3 septembre :

Citoyens,

Les bombes, les boulets rouges n'ont point altéré votre cou- rage. Continuez, braves Lyonnais, j'aime k rendre justice aux sentiments qui vous animent, mais je voue au mépris et à la haine publique ceux qui, cédant à la crainte, osent trahir une si belle cause. Vous défendez celle de la République entière'.

A peine ce témoignage de satisfaction était-il afliché que la population apprenait avec mécontentement les jugements trop indulgents rendus par la Commission militaire. Plusieurs femmes aux gages du parti jacobin avaient été encore arrêtées au moment elles plaidaient sur les toits des matières enflammées alin de servir de cibles à Tartillerie ennemi. Au lieu de les condamnera

1. Gonon, liihlingraphie de Lyon, pièce 1373, 3 septembre 1193.

LES PlUSONNIERS EN PÉRIL A LYON 391

la réclusion, ou même comme il en avait été question, à des travaux de terrassement ou de transport de maté- riaux, la Commission se borna h leur faire raser le sourcil droit et les cheveux de la partie gauche de la tête ^ Et la même Commission avait fait fusiller la petite porteuse de cocardes !...

Une femme, nommée Elisabeth Aubertin, futconvaincue de communications d'espionnage avec les représentants *. Grâce à la faiblesse d'un capitaine de Tarmée lyonnaise, elle avait eu des renseignements certains sur les effectifs des différents postes et sur les ressources en munitions d'artillerie de quelques batteries, elle fut surprise en flagrant délit. Rien ne l'excusait, il fut prouvé qu'elle obéissait autant à Tappât du lucre pour sa honteuse besogne qu*à la haine de tout ce qui n'était pas jacobin. La Com- mission eut encore la faiblesse de la condamner à la peine dérisoire de deux heures de pilori pendant trois jours sur la place des Terreaux^.

Cet excès de faiblesse produisit une véritable indi- gnation dès qu'il fut connu. Dans les sections, les citoyens proposèrent d'abord de réclamer aux autorités la destitu- tion des membres de la Commission militaire et leur em- prisonnement, puis il fut question de forcer l'entrée des prisons, surtout celle de Roanne, de s'emparer des prison- niers accusés d'espionnage, de complicité d'incendie ou même de jacohinisme et de les fusiller, sans aulro forme de procès^ Ce projet fut connu dans les casernes les compagnies soldées l'approuvèrent absolument. Le cavalier si brave, qui s'appelait Deboze, déclara que jamais les Lyonnais ne repousseraient Tarmée qui les assiégeait s'ils ne faisaient pas trembler les Jacobins qui étaient restés dans la ville.

Le bruit qu'on allait pénétrer de force dans la prison

!. Bnlleydier, Histnire du peuple de Ltjon^ t. II, p. 68.

2. Id. ^

3. Id.

392 l'insurrection de lyon en 1793

de Roanne s'accrédita si vite dans le quartier Saint-Georges que, le 4 septembre, le lieutenant colonel Révérony, qui commandait et qui y était très aimé, eut grand'peine à dissiper les attroupements et qu'il envoyât un exprès non pas à l'hôtel commun, ce qui aurait fait perdre un temps précieux, mais au général en chef. Précy rédigea une nou- velle proclamation, que desgendarmesallèrentaussitôt pla- carder dans les sections et sur les monuments publics.

C'est au nom de la loi, citoyens, que votre général vous parle. Il lui est revenu que de sang froid, on se proposait de punir des criminels qui doivent être sous la sauvegarde de la loi ; il déclare hautement que si Ton se porte au plus léger excès, il renonce à être à la tète des hommes qu'il a connus jusqu'à ce jour vertueux, mais qui cesseraient de l'être, s'ils étaient capables de s'oublier jusqu'à ce point. En consé- quence, le général rend responsables de tout ce qui pourrait arriver tous les commandants des postes. La loi seule doit punir les coupables.

Le commandant général de V armée de sûreté^

Précy ^

La population lyonnaise ne résista pas à cet appel de son général et presque partout manifesta l'intention de respecter les prisonniers. Tous les postes dos prisons furent renforcés par prudence mais les tentatives que l'on redoutait ne se produisirent pas. Les habitants de la rive droite de la Saône s'intéressèrent beaucoup au transport d'un certain nombre de blessés dans le vieil édifice, moite hospice, moitié cloître, de l'Antiquaille et l'on vit encore des exemples touchants de dévouement. Les femmes se révélèrent de nouveau pleines de courage, de charité et et cependant dans la matinée, plusieurs d'entre elles s'étaient signalées par leurs violentes menaces. Pour éviter toute surprise, les corps administratifs décidèrent

\. Collection Hosas.

LES PRISONNIERS EN PÉRIL A LYON 393

que pendant toute la durée du siège, il y aurait quatre commissaires en surveillance permanente à la prise de Roanne ; ils devaient être relevés toutes les vingt-qualre heures*.

Dans Taprès-midi du 3 septembre^ les troupes des Brotteaux que commandait Tadjudant-général de Nervo firent une sortie couronnée de succès, malgré leur faible effectif: un bataillon environ et encore n'y eut-il que deux compagnies d'engagées, le reste étant en réserve à la tôle de pont pour parer à tout retour offensif des troupes du général Vaubois. Après avoir gagné, l'extrémité du faubourg à TEst, en s'abritant derrière les jardins, une douzaine de Lyonnais, guidés par un officier énergique, surprirent un poste de vingt grenadiers de TArdèche et les firent prisonniers malgré l'inégalité du nombre-'. D'autres fractions du bataillon de TArdèche occupaient deux maisons à peu de distance de la Tète d'or, plusieurs soldats lyonnais, sans s'inquiéter de la fusillade, y mirent le feu. Le commandant du détachement leur donna Tordre de rentrer, ce qu'ils firent sur le champ mais ils ne purent résister à la satisfaction légitime de conter leur petite expédition, aussitôt quatre canonniers voulurent en tenter une pour leur compte. Les artilleurs se précipitèrent vers la loge des francs-maçons dite de la Bienveillance, s'y glissèrent par une fenêtre dissimulée sous un hangar, trouvèrent dans les apparte- ments des matières combustibles qu'ils allumèrent et sortirent par la même issue. Les patrouilles du bataillon de l'Ardèche les aperijurent et, pour leur couper la retraite, s'avancèrent imprudemment; une compagnie de gen- darmes à pied les chargea à la baïonnette et les refoula. Les Lyonnais n'eurent que deux hommes blessés'*. A la

1. Extrait du re^'istre deJa section des droits de riiomme. (V. Vat'sen, /)<>- cuments imprimés : If Sicf/c, p. 100.;

2. Bulletin dé/iarfcmenfal, n* 27, du 3 et \ septembre.

3. Même huile lin. k. Id.

394 l'insurrection de lyon en 1793

Guillotière, les batteries ayant ouvert le feu, la redoute du pont Morand leur répondit avec ses pièces, les deux artilleries cessèrent leur canonnade à trois heures'.

En dépit du siège, les autorités administratives avaient tenu à embellir la façade de THôtel de Ville, préoccupa- tion un peu singulière en temps de bombardement. Le sculpteur Chinard venait de faire placer son monument dédié à la Liberté et à TEgalilé. La première de ces allé- gories brandissait de la main gauche « une pique qu'elle plantait dans un faisceau de baguettes », emblème de la collectivité des citoyens et agitait de la main droite une couronne civique. De Tautre côté, l'Egalité rangeait plu- sieurs hommes drapés à Tantique, qui avaient la préten- tion de représenter tous les Français « sous le même niveau devant la loi ». Les « tables » formaient le fond du monument, on se proposait d'y faire graver les droits de rhomme etdu citoyen et les loisde la République '". Les circonstances devaient s'opposer à ce perfectionnement du monument de Chinard.

L'organe départemental publiait, dans son numéro du 5 septembre, un compte rendu d'une séance du Comité de Salut public à Paris de la fin d'août. Barrère y avait affirmé d(; la part de Dubois-Crancr, (|ue c'était à la mollesse de Kellermanu qu'il fallait attribuer la résistance des Lyonnais, mais le Comité avait pris des mesures secrètes ^ sur Teflicacité desquels il croyait pouvoir compter. Le Bulletin présentait ensuite un tableau émouvant de l'intervention actuelle ou prochaine de l'étranger et ter- minait par une véhémente protestation d'indignation patriotique :

La descente des Anglais à Toulon, leur réunion aux Marseil- lais, l'invasion des Espagnols sur le territoire de la Hépu-

1. HnUelin déjtarleinental^ n* 27, déjà cité.

2. ïhdleLin départ enw niai, 29, tlu 5 septembre 171)3.

3. liulletin dépavtenwutdl^ n"28,dii 4 septembre 17!)3.

LES PRISONNIEKS EN PÉIUL A LYON 393

blique, leurs progrès rapides et alarmants, celle des Piémontais et de leurs alliés qui ont reconquis le déparlement du Mont- Blanc et qui paraissent s'avancer à grands pas, la détermi*- nation prochaine des Suisses à rompre la neutralité et à marcher contre nous, voilà les tristes fruits, les fruits amers de la criminelle ambition !

Ces objurgations élégiaques étaient signées du nouveau président de la Commission, Gilibert, qui avait remplacé M. Bémani « suspect de tendances monarchiennes ».

L'ennemi, qui refusait de reprendre ses blessés soignés dans les hôpitaux lyonnais bombardés par lui, avait de- mandé une trêve, sous le prétexte « d'enterrer les morts ' », en réalité parce que les approvisionnements d'artillerie commençaient à manquer et que les boulets chauflés à rouge ayant endommagé plusieurs pièces, on attendait un convoi d'artillerie de Grenoble pour remédier à la pénu- rie de gargousses et pour remplacer les canons détério- rés. Le général de Précy résolut de profiter de cet armis- tice d'une nuit pour tenir un conseil de guerre important, dont la convocation devait rester secrète autant que pos- sible -.

Dans une vaste salle de la maison des Dames de Saint-Pierre se groupait tous les matins Tétat-major de Précy, celui-ci réunit h dix heures du soir le comman- dant général de la garde nationale Madinier, le comte de Virieu, le héros de la Croix-Housse, le général des EcheroUes, commandant à Saint-Georges, les adjudants- généraux de Nervo, commandant aux Brotteaux, Burtin de la Bivière, commandant à Cuire, Champreux, chef d'état-major, les colonels de Chènelette et de Vichy, les lieutenants-colonels Beux, Milanais et Ducreuxde Trézette et son aide de camp de confiance Ferrus de Plantigny.

1. Bulletin (Irpurtcnirnldl, n* 28 déjà cité.

2. Comte Léon de Poiicins. le Correspandanf, IStJl, p. 105. Baileydier, 1. 1, p. 12. Cict liistorien place la réunion du Conseil de guerre

dans les premiers jours de septembre.

396 l'insurrection de lyon en 1793

Le commissaire des guerres Vallès, vieil administrateur fort compétent et très énergique, ne semble pas y avoir assisté, éloigné sans doute par une raison de service S il eût été cependant de bon conseil. Précy présenta à ses officiers deux nouveaux venus, dont larrivée motivait cette réunion : le chevalier Terrasse de Tessonnet', an- cien capitaine au régiment du Maine-infanterie et actuel- lement aide de camp du prince de Condé-^ et son propre neveu, M. de Cudel de Montcolon, ancien sous-lieutenant au régiment de Penthièvre-infanteric, qui avait émigré et fait la campagne de 1792 à Tarmée des Princes. Tous deux arrivaient de l'armée de Condé alors occupée à Tuttaque des lignes de Wissembourg, ils avaient une mis- sion régulière dont ils allaient rendre compte. Ces officiers avaient quitté l'Alsace, dans les derniers joui's d'août, avec plusieurs de leurs compagnons d*armes désireux de rentrer en France*.

Précy rappela que M. de Tessonnet était à Lyon le repré- sentant de Tarmée de Condé, qu'il connaissait aussi bien Tesprit et les effectifs de cette armée que les ressources de la région lyonnaise par lui longtemps habitée'. N'avait-il pas formé en 1790, avec le général de la Cha- pelle et plusieurs officiers, un audacieux complot qui

1. Dans ses Souvenirs, que nous avons rites plusieui*s fois, il n'est fail allusion à aunin conseil de guerre, uiais seulement ù l'entrevue de Précy et de MM. de Saint-Julien, dont nous avons parlé en temps et lieu.

2. Et non du comte d'Artois, comme on l'a dit quelquefois fcf. Arrhires administratives), ses états de service le mentionnent aide de camp du prince de Condé en 171)1 et colonel à la date du 3 novembre 179.').

En I7î»7, Louis XVI II lit reporter de 1795 à 1790, date de son empri- sonnement, sa nomination de colonel.

3. L'abbé Guillon de Monléon ne parle dans son Histoire du siège de Lyon, précitée de l'an V (t. II, p. 63), que de M. de Montcolon dans l'entrevue.

4. « Quelques-uns, sous des déguisements, arrivèrent à Lyon, insurgé contre la ('onvention, et apportèrent au général de Précy et à sa garnison. <le nouveaux éléments do défense pendant les cinq ou six semaines qu'allait encore durer la résistance.» {Itené Hittard des Portes, Histoire de iarmée (te Comté, Paris, fcmile-Paul, 1901, 4- édit., p. 99.)

5. Le cbevalier Terrasse de Tessonnet était à Lyon le 22 sep- embre 175.*).

LES PRISONNIERS EN PERIL A LYON 397

devait rendre Lyoa à la cause monarchique ? Le souvenir de ses neuf mois de captivité dans les prisons de Paris n'avait été oublié d'aucun des assistants et la plus ar- dente sympathie se manifesta pour Taide de camp du prince de Condé. Le général, gardant encore la parole, représenta la situation de Lyon comme devenue très grave ^ en. raison de l'investissement prochain de la ville et, dans un élan de franchise qu'il regretta sans doute un peu, il déclara *< l'état de la ville perdu à moins d'un miracle^ ». Précy termina en déclarant que chacun allait exprimer son avis « sur ce qu'il y avait à faire ». Le géné- ral ne paraissait pas attacher grande importance au succès du détachement du Forez et ne cachait pas que, pour lui, le cercle de l'investissement irait toujours en se res- serrante

Le comte de Virieu, nature enthousiaste, audacieuse, pénétrée du sentiment du devoir à accomplir quoiqu'il advint, proposa l'olfensive : une sortie en masse de toute la garnison, on gagnerait le Forez par le pont d'Oullins, on retrouverait le détachement de Rimberg, et alors, soit autour de Montbrison, dont on connaissait les sym- pathies, soit autour de Saint-Etienne, ville de ressources et centre d'approvisionnements, soit môme plus près encore, dans les montagnes de Chevrières d'où les paysans catholiques et royalistes avaient envoyé des émis- saires, pourquoi ne pas faire une guerre de partisans, sans être enfermés dans une enceinte de batteries, derrière des ouvrages de fortification? On pourrait combattre avec une liberté de mouvement absolue, en vivant sur le pays, et peut-être. Dieu aidant, créer « une Vendée » dans le Forez'*.

Le chevalier de Tessonnet, prenant à son tour la

1. Comte LC'on de Poncins, le Correspondant, ISfil, p. 105. 2,1(1.

3. Id.

4. « Le mol munie lui échappa. » (Marquis Costa «le Beauregant. le Ro- man d'un royalisle : Sourenirs du comte de Virieu^ p. 353.)

398 l'insurrection de lyon en 1793

parole, afiirma que dès la prise de Wissembourg, et en raîsou du défaut d'entente avec Wurmser, le général en chef des Impériaux, Tintentlon du prince de Condé était de se séparer de Tarmée autrichienne et de reprendre son indépendance. Le prince, en suivant la rive gauche du Rhin, conduirait SCS troupes jusqu'à Bàle. les Condéens devaient être renforcés d'un fort contingent d'émigrés, les uns formés en Suisse, les autres venant du duché de Bade. Avec cet accroissement de forces, Tarméede Condé pénétrerait en France parla vallée du Doubs et, pourrait, selon toute vraisemblance, occuper la ligne des plateaux du Jura l'armée Ivonnaise serait alors en mesure de faire sa jonction avec elle ^ L'ex-capitaine de chasseurs au régiment du Maine comptait de nombreux amis en Franche-Comté qui lui avaient promis de tenter un sou- lèvement, dès que le drapeau blanc aurait franchi la frontière de leur province.

On discuta longuement ces deux projets, celui de M. de Tessonnet séduisait surtout les anciens officiers qui eussent été heureux de se réunir à leurs camarades de Tarmée de Condé; ils se trouvaient toujours un peu dépaysés avec la milice bourgeoise ^e Lyon si peu militaire dans ses allures et si républicaine, tout au moins dans ses propos. Mais ce que proposait M. de Tes- sonnet n'était pas réalisable, parce que Tarmée de Condé était et devait ôtre encore longtemps retenue par Topéra- tion diflieile à laquelle elle consacrait toutes les forces dont elle disposait au nord de TAlsace, restant séparée de Lyon par cent cinquante lieues et ayant devant elle, comme d'infranchissables barrières, trois armées de la République, qui portaient les noms déjà glorieux de la Meuse, de la Moselle et des Alpes.

Ce que proposait M. de Virieu ne pouvait pas davantage se réaliser. Se réfnj^ier dans le Forez dont les trois ou

1. Comte Léon de Ponrins. article du Correspondant, précité.

LES PRISON NIER§ EN PÉRII- A LYON 399

quatre villes étaient retombées sous Toccupation jaco- bine, le Forez, dont les campagnes, sauf dans le canton de Saint-Galmier, se montraient tièdes et parfois hostiles à la cause lyonnaise, constituait une entreprise d'une extrôme difficulté. Elle semblait, en effet, presque impossible avec des soldats improvisés qui pouvaient combattre derrière des remparts, mais qui marchaient mal et ne savaient pas plus manœuvrer en rangs serrés que faire en ordre dispersé la guerre des partisans, comme h;s Vendéens ou les chouans. N'était-ce pas au moment était partie pour la réquisition d armes de Saint-Etienne la petite colonne de Servant*, n'était-ce pas alors qu'il fallait tenter cet exode de toute la garnison dans un pays presque entièrement démuni de troupes régulières, et dont on pouvait gagner les habitants et grossir avec eux les rangs de Tarmée lyonnaise? L'oc- casion était passée.

La discussion s engagea animée, véhémente, presque joyeuse et sans aucun sous-entendu de reproches ou de regrets; les uns, les officiers de métier, reprenaient le projet de M. de Tessonnet, vantant la guerre au soleil, au grand air, les autres, improvisés militaires, lyonnais d'origine ou de résidence disaient avec la martiale philo- sophie de l'époque que « mourir pour mourir, il valait mieux ne pas quitter Lyon* ». Virieu reprit sa proposi- tion et la développa de nouveau avec la chaleureuse élo- quence dont il était coutumier et qui sembla devoir ral- lier à son projet la majorité des suffrages.

Alors Précy depuis quelque temps silencieux intervint. Sans prendre la peine de discuter la proposition Tesson- net, il attaqua violemment celle de M. de Virieu, en objectant que « Lyon ne ressemblait en rien à la Vendée ^

\. Comte Léon «le Poncins. leCorrespomlanl, 1861, p. lO'i.

2. hl.

3. Marquis Costa de Bcaureganl, le Homan d'un royaliste : Souvenirs du comte de Virieu, p. 303.

-400 l'insurrection de lyon en 1793

Le vieil officier, qui n'avait pas oublié les alertes et dis- ciplinés chasseurs des Vosges, indiqua, en quelques mots perçait Tamertume, les lacunes, les imperfections irré- médiables de cette armée de bourgeois ou d'ouvriers qui restaient avant tout, selon leui* formule, les citoyens- soldats! » Comment leur impqser une guerre à laquelle rien ne les avait préparés? Ils s'y refuseraient probable- ment, pour ne pas quitter leurs familles*.

Le général ajouta : « Abandonner Lyon tant que nous pourrons le défendre, ne serait-ce point une lâcheté? Non, nous ne livrerons pas aux barbares une ville fidèle, nous resterons ensemble et quand il faudra mourir, nous mourrons^. »

Alors Virieu intervint de nouveau : « Qu'importent de telles considérations, s'écria-t-il. J'ai ici mes plus chères affections, et pourtant je considère que la cause pour laquelle nous combattons domine tout autre intérêt •*. »

Précy fut-il blessé de ce que son subordonné ne tenait pas compte des arguments qu'il venait d'exposer? Craignit-il que la véhémente énergie de l'ancien prési- dent del'Assemblée constituante n'entraînât ses auditeurs dans une entreprise qu'il qualifiait d'insensée? Quoi qu'il en soit et malgré l'amitié et la considération qu'il lui avait toujours témoignées, il imposa violemment silence au comte de Virieu*. Celui-ci se lut et la réunion fut terminée.

De pieux souvenirs' qui ont été relracés de la façon la plus émouvante ont permis de reconstituer la part qu'avait prise Virieu à celte importante séance et les regrets qu'il emportait de ne pas avoir convaincu le général en chef. En regagnant la Croix-Rousse, hîs troupes lui avaient

1. Comte Lr-on de Poncins. le CorresponflanL 18G1, p. I(i6.

2. Ici.

3. Marquis (^usta <Ie Beauregard, /f Roman d'un roi/nlisle, p. 353.

4. Ici.

5. Les souvenirs recueillis p.ir le marquis Costa de Beaure^^ard, sous le titre : lUnnan d'un roijdlisfe pendant la licvolution, p. 3r»3 et suiv.

LES PRISONNIERS EN PÉRIL A LYON 401

imposé le commandement, celui qu'on peut appeler un vrai gentilhomme, regardait avec une douloureuse tris- tesse « les rues dévastées, les maisons effondrées, cette population aux abois, errant d'abri en abri, il se prenait k maudire Tobstination de celui qui, par une pitié mal entendue, réduisait son armée à s'émietter misérable- ment derrière des remparts et condanfnait un peuple héroïque à s'ensevelir sous des ruines* ».

Nous persistons à croire que Virieuse trompait et que Précy, avec son expérience un peu désabusée, avait main- tenant raison de s'en tenir au strict accomplissement de ses devoirs de commandant d'une place assiégée. Ainsi que nous le verrons bientôt, la garnison de Lyon allait encore prendre résolument l'offensive, mais dans le périmètre de la défense. Son général pouvait préparer d'éphémères sorties, il ne pouvait plus rêver une expédition.

Malgré Téchec de sa proposition, le chevalier de Tes- sonnet, toujours dévoué à la causç lyonnaise, ne ralliait pas encore Tarmée deCondé retenue devant Wissembourg. Il lui fallait rejoindre le comte d'Artois pour obtenir son appui auprès du Hégent et décider celui-ci à envoyer k Lyon un certain nombre d'officiers émigrés, afin de renforcer les cadres lyonnais. C'est à cette combinaison que s'était arrêté Précy et dont, en dépit de leurs diver- gences de vues, il confiait la réalisation à son frère d'armes.

Cudcl de Montcolon resta auprès do son oncle qui l'em- ploya à l'état-major. Ce jeune officier rechercha de suite les postes de danger ; sa bravoure, son esprit d'observa- tion, sa gaieté lui gagnèrent bientôt la sympathie des troupes aux avancées qu'il visitait souvent et avec les- quelles il faisait volontiers le coup de feu.

1. Marquis Costa de Beauregard, le Roman (tiin royaliste^ p. 354.

26

CHAPITRE XXII

LE PROJET DU COLONEL CARRA DE VAUX

UNE INFLUENCE FÉMINLNE LES COMBATS DE LA TOUR ET DE GRÉZIEU

Un ancien capitaine d'infanterie dont nous avons déjà constaté Tesprit de décision, M. Carra de Vaux, chef de légion de la garde nationale d'Ecully-Dardilly*, comman- dait un bataillon d'avant-postes à Sainl-Irénée lorsqu'il fut avisé par un soldat du camp de Limonest, d'origine bourguignonne* « que si les Lyonnais voulaient faire pri- sonniers les deux proconsuls Dubois-Crancé et Gaulbier, ses camarades ne s'y opposaient pas ». Dubois-Crancé et Gauthier visitaient en effet le camp de Limonest pour activer les travaux de la Tour Salvagny. Carra de Vaux prévint de suite Précy et lui demanda une colonne de 2.000 hommes avec laquelle il se faisait fort, sinon de ramener les deux représenlanls, tout au moins de bou- leverser les travaux de fortification du camp que la gar- nison de Lyon avait laissé se développer impunément'-*.

Malgré les instances du colonel Carra de Vaux, le géné- ral de Précy ne consentit pas à autoriser un coup de main qui pouvait réussir en Texécutant dès la cessalion (le la trêve. Il en exprima d'ailleurs ses regrets le lende- main, parce qu'il apprit de source certaine que les deux

1. Archives adminisiralives de la Guerre^ dossier de Pierre Benoit Carra, l»aron de Vaux Saint-Cyr.

2. Vallès, Rt^ flexions histori(/iies, p. 8i.

M. le baron Carra de Vaux, professeur à l'Université libre de Paris, a bien voulu nous conununiqiier un extrait de ses papiers de famille il est fait allusion au projet d'attaque indiqué plus haut.

LE PROJET DU COLONEL CARRA DE VAUX 403

Conventionnels avaient en effet passé la nuit à Limonest*.

Une jeune femme, qui se prétendait d'origine suisse, avait pris sur le général une influence heureuse. On l'ap- pelait M"* Wilhem, elle était grande et svelte, d'une beauté fière, un peu sévère, sachant tenir à distance les jeunes officiers de Tétat-major qui « madri^alisaient » en vain auprès d elle. Alors que Ton signalait constam- ment des espions sans pouvoir le plus souvent les prendre sur le fait, M"* Wilhem donnait parfois des indications utiles pour la défense.

C'est ainsi qu'elle conseilla au général d'avoir dans les clochers et sur les points culminants des hommes complé- ment silrs et qu'elle lui en désigna de suspects. L'entou- rage de Précy croyait que le nom de Wilhem cachait une grande dame émigrée; le général lui prodiguait ses égards les plus respeclueux et jamais la nature de leurs relations ne prêta à la malveillance. La jeune femme venait apporter un avis important au quartier général, alors dans la maison des Dames de Saint-Pierre ; elle le communiquait au commissaire des guerres Vallès, lors- qu'un boulet rouge de la batterie de Montessuy, pénétrant dans l'appartement, brisa les boiseries et mit le feu aux vêtementsde M"*" Wilhem *. Elle en fut quitte pour quelques brûlures, mais n'en resta pas moins jusqu'aux der- niers jours du siège, pleine de courage et de vigilance, cette jeune femme devait disparaître mystérieusement, probablement assassinée lors de l'occupation de la ville. Si elle se fût trouvée au moment de la communi- cation de M. de Vaux, elle eût peut-être décidé Précy.

Des actes de dévouement se révélaient constamment. Dans cette môme nuit du 5 au 0 septembre, un courageux Lyonnais, nommé Charcot, avait obtenu du représentant Gauthier, à l'insu de Dubois-Cranco, Taulorisation d'une

!. Vallès, Réflexions historiques^ p. 8V.

2. Vallès, p. 23. Ce fut alors que le quartier ^^énéral fut transféré àTHôtelde Ville.

44)4 l'insurrection de lyon en 1793

nouvelle tentative de pacification. Il arriva au poste de Cuire venait de rentrer, après le conseil de guerre, Tadjudant-général Burtin de la Rivière qui le fit conduire dans la matinée auprès de Précy auquel il exposa son projet. Le général se déclara prêt à sacrifier sa vie aux rancunes des représentants. Charcot, pénétré d'admira- tion pour cette abnégation stoîque, revint au quartier général de la Pape et rendit compte à Gauthier des paroles de Précy. Avec l'approbation de ce représentant il écrivit aux Lyonnais une lettre les engageant à envoyer des délégués aux membres de la Convention en mission. Dubois'Crancé Payant appris eut un accès de fureur et donna Tordre de Tarrèter ^ Cbarcot fut assez heureux pour s'enfuir, grâce à la complicité de Gauthier qui venait cependant de contre-signer son ordre d'arrestation.

Précy se rendait compte que la défense de Lyon était trop passive et qu'une tentative d'offensive s^imposait. Il accueillit donc la proposition que lui fit le vieux M. de Savaron, baron de Chamousset '-\ d'attaquer, la redoute de la Tour Salvagny, avec son bataillon de vétérans, M. de Sa- varon reprocha avec quelque véhémence au général de ne pas assez contrarier les projets de rennemi et se fit fort de faire sauter la fameuse redoute. Précy y consentit, mais en adjoignant au bataillon des vétérans d'autres batail- lons et ses chasseurs, le tout formant une colonne d'en- viron 3.0J<J hommes '.Il en prit lui-même le commande- ment, en promettant un poste d'honneur et de danger à l'énergique vieillard qui avait si longtemps groupé les royalistes à Lyon, dans son hôtel de la place Bellecour, malgré les perquisitions des amis de Chalier.

\. Dubois-Crancé donna comme prétexte que Cliarcot commençait sa lettre en appelant les rebelles : « Mes chers compatriotes. » Balleydier, t. 11. j). 76-77.^

2. Jean-Pierre-Guillaume de Savaron, baron de Cbamousset, très éner- gique malgré ses soixante-dix ans. V. E. Bonnardet, les Juliaciens au Siffjf (le Lijon {Hevue ilu Li/onnais, t. XXXII, p, 190).

3. Lieutenant-colonel Bicliot. p. *2!).

I.E PROJET DU COI-ONEL CARftA DE VAUX 405

Bien que la redoute.de la Tour Salvagny dépendît de la zone confiée au général Rivaz, commandant le camp de Limoncst, elle était distante de ce camp de plus de deux lieues au Sud-Ouest, sur la route du Bourbonnais. Trois lieues la séparaient du bourg Saint-lrénée se fit, à quatre heures du matin, la concentration de la colonne. Au dernier moment Précy, craignant dedégarnirTenceinte, n'emmena que 500 hommes d'infanterie, 80 cavaliers et quelques canonniers *.

Les troupes lyonnaises gardaient la formation de marche habituelle : en avant et formant Tavant-garde, les grenadiers recrutés parmi les hommes les plus grands, le bataillon de vétérans venait ensuite, suivi du bataillon dit de la Convention, la cavalerie était à Tarrière-garde, escortant un certain nombre de chariots pour emmener les prisonniers... ou les blessés.

La colonne passa par Ecully, les Flachères et arriva vers sept heures du matin en face de la redoute sans avoir été découverte par aucun avant- poste.

Les ordres de Précy paraissent avoir été mal compris, car, au lieu d'attendre que les troupes lyonnaises eussent pris leurs dispositions d'attaque, Tavant-garde se préci- pita sans être soutenue, sur le front de la redoute. L'es- carpement en était difficile à gravir, ce qui donna le temps au l*"" bataillon de l'Ariè^e de prendre les armes et d'accourir. Le bataillon des vétérans devait contourner la redoute sur la gauche et prendre les défenseurs à re- vers, M. de Savaron crut devoir soutenir l'avant-garde qui avait été promptement repoussée et attaquer de front ^. Son

\. Vallès, Réfleuioris historiques^ p. 94.

2. Archives historiques de la Guerre : Rapports des trois camps^ du 6 au 1 septembre 1193.

3. Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes^ septembre 1193 ; Rapports des trois camps^ précités.

4. « Le commandant du détachement était âgé et relevé du service de- puis longtemps. C'était un Lyonnais brave, mais voilà tout. » (Vallès, Réflexions historiques, p. 94.)

406 l'insurrection de lyon en 1793

bataillon reçut alors plusieurs déciiarges de mitraille, ce qui mit le désordre non seulement dans ses rangs mais dans ceux du reste de la colonne. En vain le général de Précy ordonna-t-il de se disperser en tirailleurs pour offrir moins de prise au tir de lartillerie, ses soldats inhabiles à manœuvrer restèrent groupés en pelotons, se gênaient les uns les autres.

Deux escadrons dnb'' régiment de cavalerie les chargent à Timproviste. Au lieu de les repousser par des feux d'ensemble et de se diriger ensuite vers un bouquet de bois pour prévenir uûe nouvelle charge, les fantassins lyonnais attendent de pied ferme les cavaliers ennemis, gênant leurs proprescavaliers qu'ils ont enfermésdans leurs rangs et qui ne peuvent même pas faire le coup de pistolet, prisonniers de leurs propres camarades. Enfin Précy réta- blit Tordre et avec la compagnie de canonniersdu bataillon dit de la Convention ^ qui a marché en fantassins, sans canons, il couvre le mouvement rétrograde du gros de sa troupe. Les cavaliers, avec le colonel de Vichy, exécutent à leur tour deux charges heureuses sur deux ou trois compagnies du bataillon de TArioge qui ont quitté leurs parapets pour couper la retraite aux Lyonnais.

La surprise est manquée. Du côté de l'ennemi, sur la droite, on entend battre la générale ; bientôt apparaissent deux têtes de colonne qui convergent vers la redoute. Précy, qui s'est tellement exposé que Tennemi Ta reconnu et que le bulletin destiné à la Convention le mention- nera comme blessé ', ordonne la retraite; il reste à Tar- rière-garde avec les vétérans de M. de Savaron.

La colontie revient lentemonl en bon ordre, jusqu'à une lieue et demie de la Tour, elle fait halle sur un en- droit élevé garni de bosquets, facile à défendre appelé le Puy d'or^ à peu do distance du villaj^e de Charbonnières.

1. Bulletin tiépartemental, n* 29. du 6 septembre.

2. Archives hisloriijues de la Guerre : Hapports des trois camps^ précités. 3 . Id.

LE PROJET DU COLONEL CUIRA DE VAUX 407

Précy dirige de fortes patrouilles dans toutes les directions afin de prévenir une tentative pour le couper de Tennemi de Lyon. Le général Rivaz, qui a pris le commande- ment de ses troupes dès le début de Taction, craint h son tour d'être coupé de la redoute par lattaque d'une autre colonne Ivonnaise. 11 reste sur la défensive, tout en faisant observer la retraite des Lyonnais ^ ; un officier de hussards, envoyé en reconnaissance, est fait prisonnier ainsi que deux de ses hommes par les cavaliers de M. de Vichy. Précy prescrit à M. de Savaron de ramener la co- lonne dans la matinée et revient à Lyon avec les chasseurs qui escortent les trois prisonniers ainsi qu'un certain nombre de blessés dans les chariots.

Le bulletin départemental - tenta de cacher cet échec en transformant la halte du Puy d'or en défense victo- rieuse et en déclarant qu'après un combat de quelques heures les troupes lyonnaises « s'étaient emparées des hauteurs », ces hauteurs étaient une position de retraite qui ne fut même pas attaquée-^..

En rentrant à Lyon, le général apprenait que, dans Taprès-midi, étaient arrivés sous l'escorte de cavalerie envoyée à Duerne les prisonniers du combat Saint- Anthème. Ils étaient entrés par la porte Saint-Just, vers trois heures, les autorités ne les attendaient pas et n'a- vaient pris aucune mesure d'ordre.

Sur leparcoursdes prisonniers jusqu'à l'Hôtel de Ville, la populatiou garda une attitude correcte et silencieuse, ne manifestant aucune joie déplacée. Us furent conduits à la prison de Roanne, installés dans des locaux conve- nables et nourris aussi bien que le permettaient les res-

1. Id. : Rapports des trois camps^ du 1 au 8 septembre.

2. Bulletin déparlvmental, n" 2î) du 6 septembre.

3. « Un <le nos citoyens-soldats a été tué, un autre légèrement blessé ! » Les Rapports des trois camjts, signés de Tadjudant-généralSfiindoz exagèrent dans Tautre sens en parlant de morts. £n réalité, il y avait des blessés de part et d'autres, mais plus nombreux du côté des Lyonnais, mal engagés et mal abrités à lattaque de la redoute.

408 l'insurrection de lyon en 1793

sources alimentaires de la place. Le général Nicolas et ses officiers virent arriver le sous-lîeutenant de hussards enlevé près de Charbonnières, ils reçurent bientôt la visite de Précy et de deux de ses adjudants-généraux, qui leur témoignèrent les égards les plus délicats. Le géné- ral de Précy leur annonça qu'il allait proposer au général en chef de l'armée de siège de les échanger, offrant dix soldats de la Convention pour un Lyonnais et trois offi- ciers de l'armée qu'il combattait pour un des siens. Nico- las le remercia chaleureusement. Précy envoya loyale- ment son offre aux avant-postes qui la transmirent à Dubois-Crancé. Celui-ci répondit grossièrement que les rebelles de Lyon devaient être fusillés et qu'il n'avait point à s'inquiéter des Républicains qui s'étaient laissé prendre. Le représentant ne se tenait pas assez près des avant-postes pour courir un tel danger.

Dans la nuit du 7 au 8 septembre, l'ennemi avait lancé sur le Rhône, dans la direction du pont Morand, plu- sieurs radeaux construits de manière à s'arrêter dans les pièces de bois qui formaient les piles du pont. Ces ra- deaux portaient des barils do poudre sur lesquels était une mèche enllammée. A la porte Saint-Clair, le colonel Tourtoulon de la Salle, commandant le poste, l'aperçut. Cet ancien officier* sauta dans une barque avec un brave marinier nommé Vincent, accosta le radeau et arracha la mèche '^. On plaça dos cordeaux et des chaînes en travers du fleuve, mais ces obstacles devinrent bientôt insuffi- sants. D'autres briilots furent lancés contre les moulins qui alimentaient la ville. De courageux mariniers, leurs harpons sur la tête et la hache à la main, s'élancèrent sur leurs frêles bateaux, atteignirent les radeaux incen- diaires ot submergèrent les matières incendiaires-^

1. On a dit par erreur que c'«Hait un simple soldat qui portait ce nom. M. Tourtoulon de la Salle était ancien capitaine d'infanterie auré^zinient de Bourgo'^nf et avait le ^rade de colonel dans l'aruiée lyonnaise.

2. Lieulenanl-colouel Bichot, p. 20.

:;. Uni le tin dépurlemenlal, n" 31, du 0 et 10 septembre 171)3.

LE PHOJET DU COLONEL CARRA DE VAUX 409

Les corps administratifs passèrent sous silence Tacto héroïque du colonel Tourtoulon de la Salle, comme ils avaient tu ce qu'avaient fait Dujast et Laurençon, ils se bornèrent à parler des mariniers :

Un arrêté unanime des corps administratifs déclare que ces citoyens ont bien mérité de la cité ; une gratification leur est adjugée et leurs noms signalés à Fadmiration publique : Hugues Bretetpèreà Serin, Joseph Bourgetdu Port du Temple, Joseph Plantin du port de Roanne, Antoine Rey de Saint- Vincent, Jean Morillon de Saint-Georges, Pierre Roussillon d'Oul- lins, André Bernard de Saint-Vincent, Pierre Pellen de Saint- Vincent, Jean Vourple à la Quarantaine, Louis Carrel à Saint- Georges, François Morillon à Saint-Georges, Georges Roullet à Saint-Vincent, Théophile Bullion à la Feuillée, Paul Vourple à la Quarantaine, Alexandre Deriot de Saint-Vincent, André Ravier quai du Rhône, Claude Moulin à la Feuillée, Claude Soubriat père et Jean-Baptiste Soubriat fils à Serin *.

Le bombardement cessa six nuits de suite et ne reprit que dans la nuit du 7 au 8, avec plus de violence qu'au- paravant. 200 bombes furent lancées. Il n y eut pas d'in- cendie mais quelques accidents malheureux de personnes et beaucoup de toits fracassés. Aux avant-postes, l'en- nemi ne faisait pas de progrès*-.

Les travaux d'atlaque n'avan(;aient guère, malgré les 4.000 hommes de la capitulation de Valenciennes, qui étaient venus renforcer les assiégeants, mais qui témoi- gnaient une grande froideur à combattre des compatriotes portant comme eux la cocarde républicaine. A la Croix- Rousse, les troupes lyonnaises gardaient leurs positions avec vigilance. La batterie de la maison Nérac était servie par dix canonniers de la 3'" compagnie d'artillerie com- mandés par le sergent Thurot. Après un rude service de huit jours sous le feu de Tennemi et non sans avoir perdu trois des leurs, car si le bombardement s'était arrêté

1. Bulletin dêparlemenlal, 30.

2. Ifl.

410 l/iNSUHRECTION DE LVON EN 1793

pendant la période que nous avons signalée, le tir des pièces de campagne avait continué, les survivants furent relevés sur Tordre formel du lieutenant-colonel Milanais, inspecteur d'artillerie. I^ lendemain, ils demandèrent à reprendre leur service à la baltcrie^

C est alors que les corps administratifs, désireux d'en- courager Témulation chez les défenseurs de Lyon, reprennent le projet de médaille honorifique dont Précy avait eu l'idée. En conséquence, ils rendirent un arrêté à la date du 10 septembre, aux termes duquel il serait décerné une médaille à ceux qui auraient bien mérité de la cité pendant le siège. Cetle médaille présenterait d'un côté une couronne de chêne au milieu de laquelle on lirait ces mots : liécompense civique; de l'autre, une Renommée, dans les drapeaux de laquelle on lirait : L(/on assiégé reconnaissant et dans l'exergue : 1793. L'exé- cution de celte médaille fut confiée à M. Coinde'; elle ne devait d'ailleurs pas plus se réaliser que celle de Précy.

Le 9 septembre, on lisait avec une vive satisfaction dans le Bulletin départementcd^ du 7 et 8 septembre, l'annonce dune nouvelle victoire remportée en Forez par le mystérieux général Rimberg dont un messager venait d'arriver la veille, dans la matinée, au quartier général, porteur de l'importante lettre que reproduisait l'organe des corps administratifs :

Citoyen généual.

Sur les avis qui m'avaienj, été donnés qu'il se formait un rassemblement du côté de Sauvain ^ à trois quarts de lieue de la ville de Feurs, je me suis porté avec 300 hommes tant Lyonnais

1. Bulletin deparlemoilal, n' 31.

2. Vaësen. Documents imprimés^ Lyon en 1103, le Siège.

3. Bulletin départemental^ w* 30, des et 8 septembre.

4. Lire Civens, commune voisine de Salvizinet et de Feurs, comme on verra piu.s loin, et non Sauvain, du canton de Saint-Georges-en-Gouzan, à peu de dislance de l'Auvergne.

LE PROJET DU COLONEL C4RRA DE VAUX 411

que Montbrisonnais, vers ce rassemblement que j'ai évalué à 3 à 4.000 hommes. Je Tai attaqué sur les onze heures et je l'ai entièrement dispersé après leur avoir tué plus de 100 hommes. Nous n'avons point fait de prisonniers parce que les fuyards se sont trouvés de bonnesjambes. Nous n'avons eu qu'un chasseur de tué, point de blessé. Je ne saurai trop me louer de la valeur et de rintrépidtté de nos braves frères d'armes. On a pris trois chevaux et quelques provisions qui ont servi à ravitailler la troupe.

RiMBERG.

Ce que ne disait pas le Bulletin^ c est que Précy avait remis à rémîssaire de Rimberg un laconique billet le félicitant d'avoir vaincu Icnnemi, mais lui demandant «des farines ou des grains à tout prix; ceci seulement pouvait sauver Lyon ».

Le même Bulletin assurait que Tarmée de Carteaux n'était entrée à Marseille que par trahison, qifil y avait eu dans les rues une bataille de trente-six heures, que la ville avait été pillée pendant plusieurs jours, que les Anglais survenant inopinément avaient battu Tarmée de la Convention, que son général avait été pris et fusillé*. Une telle fable n'aurait pas être inventée par les corps administratifs, surtout pour mentionner une pré- tendue victoire de l'étranger. La population intelli- gente de Lyon ne parait y avoir accordé d'ailleurs aucune créance.

Si les courages se soutenaient, les ressources n'en com- mençaient pas moins à s'épuiser. Rien n'était encore arrivé du Forez que des prisonniers, c'est-à-dire des bouches à nourrir que les autorités administratives ne pouvaient jeter à la guillotine comme l'eut fait Dubois-Crancé. Dès le 10 septembre, le Comité des Subsistances décida que chaque citoyen devait se contenter d'une livre de pain; la ration de la force armée devait être provisoirement

Bulletin déparlemenlal, 30, des 7 et 8 septembre.

412 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

maintenue à une livre et demie pour chaque soldait Les officiers étaient au môme tarif.

Pour relever le crédit de la ville vis-à-vis de ses fournisseurs, les corps administratifs autorisaient les sections à faire saisir, jusqu'à concurrence du quadruple de la contribution publique, tous les fonds et dépôts connus appartenant aux citoyens absents qui n'avaient pas concouru à ladite conlribution arrêtée par les sections. Les fonds saisis devaient être de suite versés dans les caisses des sections, sous la surveillance des juges de paix ou de leurs assesseurs.

Uniquement préoccupe de son devoir militaire et sans illusion pour Tissue de la lutte, Précy organise le service de place par Tordre du jour qui suit :

Au quartier général le. H septembre 1793. An II de la République française

Dans la position se trouve la cité, il est nécessaire d'y établir un ordre qui en assure la défense.

D'après ces considérations :

Les bataillons, les compagnies casernées et tous les postes quelconques prendront les armes à la pointe du jour et y resteront jusqu'à huit heures.

2" Tous les citoyens s'arrangeront de manière à ce qu'ils aient soupe à cinq heures du soir pour pouvoir être rassemblés au besoin et répartis dans les dilTérents points d'attaque.

3" Les bataillons placés le long du Rhône iront alternative- ment renforcer les postes des Brotteaux; ce mouvement se fera tous les soirs à six heures pour que chaque commandant puisse reconnaître les postes qui lui seront confiés'.

De nouvelles mesures étaient édictées contre « Tacca- parenient )^ des subsistances : les commissaires de police devaient faire enlever (^ les farines fines et les sons » chez

1. Var-sen, Documenh imprimt's : Lyon en 1"1)3, le Siège, p. 116.

2. Par ordre du général, si^aié : Boyriveii. secrétaire (collection d'auto- graphes Hosas .

LE PROJET DU COLONEL CARRA DE VAUX 413

les boulangers pour empêcher qu'ils ne puissent en faire un usage pernicieux, ces agents de Taulorilé devaient empêcher les boulangers et pâtissiers de faire aucune espèce de pâtisserie, biscuits, ctc^ Les particuliers ne devaient garder chez eux aucun approvisionnement de farines ou de grains *. Il fallait « aux citoyens soldats, même casernes » une carte du commandant de bataillon pour pouvoir acheter du pain: mais ils ne devaient point figurer sur les cartes de famille délivrées par les comités de section. Une forte amende et un emprisonnement de huit jours punissaient toute fausse déclaration.

Ordre était donné aussi à tous les propriétaires, débi- tants et marchands de poudres de remettre les poudres qu'ils possédaient entre les mains du général Précy ou de son délégué qui leur en paierait la valeur -^

Dans cette atmosphère surveillance, de délation, avec les angoisses du lendemain et déjà les premières affres de la faim, le bombardement continuait ; « les diffé- rentes batteries ont fait un feu soutenu pendant la nuit », dit le rapport du camp de la Guillotière*.

Les prisonniers et les citoyens incendiés devaient être nourris avec du gruau et des légumes, d'après les rations fixées par le Comité de Subsistance*'». La section de Guil- laume Tell demandait que les prisonniers du 29 mai fussent alimentés lutif armement et sana luxe, prétention bien naturelle de la part de leurs vainqueurs, qui récla- maient aussi que toute communication leur fût interdite avec les étrangers.

La section de Saint-Vincent émettait le vœu, en raison du petit nombre des moulins du Rhône, que Tadministra-

1. A peine de 500 livres (ramendcs. dont la moitié pour le dénonciateur.

2. L'II(UeI-Dieu. la Charité, les hôpitaux militaires et les boulangers seuls exceptés. (Huile tin départemental, du 7 septembre.)

3. Collection Hosas.

4. Archives historiques de la Huerre : Armée des Alpes, septembre 1793. Rapports des trois camps :.

5. Var'sen, Documents imprimés^ le Sièf/e, p. 101.

414 l'insurrection de lyon en 1793

tion municipale fit construire des moulins à bras auxquels on pourrait employer « les citoyens qui n*avaient pas l'aptitude des armes, ceux qui étaient sans travaux et surtout les oisifs ».

La Section des Droits de l'homme réclamait le prompt jugement de « tous les délinquants et fauteurs de crimes commis dans la journée du 29 mai ». D'autres sections si^alaient souvent l'existence de complots imaginaires. Ainsi, au cours d'un incendie occasionné par les éclats d'une bombe sur une maison de la rue Gentil, des passants remarquèrent que plusieurs signaux partaient d'une maison voisine et des fenêtres d'un voisin nommé Saint- Etienne, au troisième étage; on requit la garde et on entra inopinément; le suspect Saint-Etienne tenait une lumière ainsi qu'un de ses amis*... On les arrêta et faute de preuves on les relâcha.

Un chef de balaillon, commandant à OuUins, nommé Rousnon, réclamait des outils de terrassier, pour complé- ter des ouvrages à peine ébauchés. Pour les obtenir, il dut solliciter le visa du Comité de Surveillance de son batail- lon-, formalité bien peu militaire.

Les assiégeants continuent l'emploi de tous les procé- dés incenldiaires. Ainsi le rapport du camp de Caluire regrette que dans la nuit du 10 au 11 « quatre bateaux chargés de matières combustibles aient été lancés vers le pont Morand afin de l'incendier », mais sans succès; un vent violent les a jetés sur les bancs de sable et « cet événement a empêche TelTet qu'on en attendait ^ >». De lois re^^rets étaient véritablement cyniques.

La population de Lyon gardait cependant, en très grande majorité, le culte des principes républicains et c'était avec indignation qu'elle avait appris les événe-

1. Archirps mutiici/mlci, noie du S septembre.

2. Archires (h^partemenfales, septembre.

3. Archires ftis/oriques de la Guerre : liapports des trois camps, du 10 au Il septembre.

LE PROJET DU COLONEL CARRA DE VAUX 415

ments de Toulon. D'ailleurs Tacte de Tamiral Trogoff, rendant ses vaisseaux aux Anglais, élait blAmé par tous les bons Français, quels que fussent leurs regrets ou leurs espoirs; Précy et ses officiers traitaient justement de félo- nie le fait de rendre à rennenii traditionnel les bâtiments de guerre, qui étaient àlaF'rance. Pourquoi ne pas les désarmer, ne pas les couler môme, en noyant avec eux les canons et les poudres? Du moins Thonneur eût été sauf !

Aussi approuvail-on chaleureusement, Tarticle très vibrant du Bulletin départemental qui rendait responsable de raifolement des Toulonnais les collègues de Dubois- Crancé, et terminait ainsi :

« Français, voilà Touvrage de vos représentants ! »

Ceux-ci, les représentants, véritables chefs de l'armée qui assiégeait Lyon, rendaient compte au Comité de Salut Public que les Lyonnais avaient fait de tous côtés des re- doutes et préparé de grands moyens de défense et avouaient qu'ils n'avaient en ce moment ni assez de forces, ni assez de bouches à feu et de munitions pour réduire la ville de vive force mais qu'ils attendaient des renforts et que « sous huit jours, 60.000 hommes, pour ne pas dire 100.000 hommes arriveront devant Lyon de manière à ne rien y laisser entrer et à le prendre de vive force en trois jours* ». Pour faire excuser leurs retards et leurs échecs par le Comité, Dubois-Crancé et Gauthier décla- raient que l'armée de la Convention « était pleine d'es- pions et de corrupteurs » et dans l'inquiétude que leur causaient les soulèvements du Forez, ils estimaient « peut- être prudent de ne pas trop presser les rebelles avant d'être en force de ce côté pour éviter que le débordement de ces coquins ne fît dans les montagnes une nouvelle Vendée ' ».

Pour brûler Lyon avant l'éclosion de celte « nouvelle

1. Bulletin des autorités militaires chargées du siège de Lyon (collection Charavayj, 1845, p. 14-15.

2. Id.

410 1/lNSURRECTION DE LYON EN 1793

Vendée » qu'ils redoutaient tant, les représentants pres- saient le bombardement, se félicitant dans cette môme lettre, d'avoir lancé dans la nuit du 7 au 8 et dans celle du 8 au 9, plus de 500 bombes et de 1.000 boulets rouges, avouant d'ailleurs qu'ils n'avaient pu rien incendier d'im- portant. Le capitaine Clément, de l'artillerie lyonnaise, âgé de trente-trois ans, était tué en dirigeant le feu de ses pièces. Le H septembre, la canonnade reprenait presque sans interruption depuis trois heures de l'après-midi jusqu'à la nuit, mais la batterie Gingenne incendiait une maison, dans le ravin, à droite de la maison Dufour. Les soldats de la Convention l'évacuaient précipitamment.

Le 12 septembre, à dix heures du matin, Toflicier qui commandait à Perrache* dirigea une reconnaissance d'en- viron 300 hommes sur la rive gauche du Rhône, de l'autre côté de la levée Perrache. L'ennemi, fort de 2 bataillons d'infanterie et d'un escadron de dragons-, qui gardait les abords du faubourg de la Guillotière, se porta vivement à la rencontre du détachement lyonnais et l'obligea à se rembarquer.

Le commandant des Lyonnais avait embusqué sur la levée de Perrache une compagnie de bons tireurs qui, par leur feu de mousqueterie, retardèrent quelques temps le détachement de dragons et permirent à leurs camarades de gagner l'autre rive. Pendant ce temps, M. de Nervo faisait tirer h bombes sur la Guillotière ; l'ennemi avouait avec ingénuité dans son rapport « que comme c'était les premières qui arrivaient des batteries lyonnaises, on n'y était nullement préparé et que les projectiles avaient blessé deux capitaines, un sergent du bataillon franc de la République et quelques bourgeois*^». Ces derniers

1. Nous croyons que cV-tait alors M. Julien de Vinezac.

2. Le 3* bataillon de l'Ardèche et le 1"^ bataillon de Paris, 50 dragons du !>• régiment {Happnris des trois camps, du 12 septembre,.

3. Arc/iircf! liis(ori(/ues de la (iuerie : Bappoils des trois camps^ du 12 au 13.

LE PROJET DU COLONEL CARRA DE VAUX 417

étaient tout simplement des policiers ^ qui, tout en sur- veillant les troupes de la République*, cherchaient à entrer dans Lyon pour y espionner les habitants et y répandre des bruits alarmants.

Pendant la journée du 13, dans une escarmouche de- vant la redoute du pont Morand, les grenadiers des Côtes- Maritimes laissèrent un des leurs entre les mains des Lyonnais. L'adjudant-général Sandos, qui faisait fonctions de chef d*état-major, mit aux Rapports des trois Camps qu'il avait été coupé par petits morceaux. Les Lyonnais traitaient leurs prisonniers avec infiniment d'humanité et l'affirmation de Tadjudant-général n'était inspirée, selon toutes probabilités, que par le désir de plaire au procon- sul Dubois-Crancé.

Les batteries lyonnaises du quai du Rhône ripostaient avec vigueur et précision. Grâce aux mortiers que fabri- quait l'ingénieux fondeur Schmidt, elles lançaient des bombes sur tout le faubourg de la Guillotière. L'église et une blanchisserie qui servaient. Tune et l'autre, de points d'observation, prirent feu*^ et furent évacuées par les postes du général Vaubois.

Un officier de TEtat-major de Précy et des paysans de la commune de Violet, près de Tarare, firent pénétrer un convoi de bestiaux dans la ville'* par le bourg Saint-I renée. Un autre officier lyonnais avait été acheter des grains dans les environs de Bessenay et de Chevinay; on annonçait l'arrivée de ce convoi. Pour le recueillir le lieutenant- colonel Révérony fut envoyé, avec les compagnies soldées

1. Décret de la Convention du 11 septembre 1193 : « La Convention na- tionalCf après avoir entendu son Comité de Salut public décrète que les ministres pourront envoyer des agents aux armées et dans Tintérieur de la République, sous la surveillance immédiate du Comité de Salut public auquel il sera rendu compte tous les huit jours des agents et de Tobjet de leur mission.

2. Rapports fies h'ois camps du 14 au lo.

3. Bulletin départemental^ du 12 septembre.

4. Dossier Révérony. Ordre signé Précy. Communication de la famille Granger-Révérony.

27

418 l'insurrection de lyon en 1793

du bataillon du bourg de Saint-Georges, grenadiers, chasseurs et canonniers escortant leurs quatre pièces d'artillerie, occuper le gros bourg de Grézieu la Vairenne^ deux à lieues et demie au Sud-Ouest de Lvon. Une réserve serait laissée au village de Tupinier, à un quart de lieue à l'Est de Grézieu et Tavant-garde pousserait jusqu'il Pollionnay, à une lieue et demie au Nord-Ouest. La troupe lyonnaise serait échelonnée de manière à encadrer les chariots de subsistances à défaut de cavalerie et se replierait dès qu'elle le pourrait, sur le bourg Saint- Irénée.

Le lieutenant-colonel Révérony, officier intelligent et énergique, dont nous avons vu la belle conduite lors d'une mutinerie militaire, était en outre chargé d'acheter tous les fourrages qu'il pourrait se procurer. Dès le 8 septembre au soir, il exécutait les ordres du général en chef et réquisitionnait en les payant, non seulement les fourrages, mais une certaine quantité de grains, qu'il envoya sous escorte à Lyon. L'envoi fut d'autant plus apprécié que les blés de Bessenay n'arrivaient pas. Un dernier convoi devait ôtre formé dans la journée du 14 au village de Pollionnay^.

Au camp de Limonest, le général Rivaz, informé par un espion, envoya un détachement de cavalerie occuper le village de Pollionnay. L'avant-garde de Révérony s'était repliée pour occuper les hauteurs qui dominent le petit ruisseau h égale distance à peu près entre Pollion- nay et Grézieu. Dans la nuit du 13 au 14. Rivaz dirigea le bataillon de la Drôme et six pièces d'artillerie-^ sur Marcy-l'Htoile avec Tordre de s'emparer de (irézieu. La cavalerie cantonnée à Pollionnay devait concourir à l'ex- pédition et contribuer à prendre le détachement lyonnais

\. Bulletin (U'jnirlemenlal j>n''cit«''.

'2. El non Pniirsoiinai'^, roniin»^ ilil le rapport «le radjiidnnt-ge^iiéral San- (ios. (Archires historiques de la (iuenr: Anm'u' des Alpes, s(»pt<*mbre i793,) 3. Deux pièces de 8, deux obusiers, deux idèces de 4.

LE PROJET DU COLONEL CARRA DE VAUX 419

entre deux feux. L'opération était bien combinée, mais le lieutenant-colonel Révérony, en militaire expérimenté et vigilant, aperçut dans la matinée la colonne ennemie qui serpentait dans les mauvais chemins, précédée d'une centaine de paysans armés de pioches et de pelles pour faire passer rartillerie *. Le convoi de grains ne paraissant pas, le colonel lyonnais fait prendre les armes à sa troupe, serrer ses chariols remplis de sacs vides; il ramène son avant-garde à Grézieu, puis commence la retraite sur Tupinier. Le bataillon de la Drôme franchit le ruisseau à huit heures du matin, gravit la hauteur et met ses pièces en batterie. La colonne Révérony va atteindre Tupinier, son chef fait tirer quelques coups de mitraille sur une compagnie d'infanterie qui se retire aussitôt. Les deux artilleries engagent la lutte, elles se canonnent violem- ment avec plus de bruit que de résultat, mais la supério- rité est évidemment à la batterie de campagne du camp de Limonest-.

Au bout d'une demi-heure de combat^, Révérony fait reprendre la retraite, tout en maintenant Tennemi à dis- tance et en dessinant parfois des retours offensifs. Le détachement de Saint-Georges traverse Craponne, franchit TYzeron à un gué qui avait été soigneusement reconnu, puis, obliquant à droite, gagne le bourg de Franche- ville. La compagnie de chasseurs grimpe sur le rocher k pic se dressent fièrement les ruines du vieux donjon. Par un feu soutenu, elle arrête assez longtemps le bataillon de la Drôme que ne suivent plus ses pièces de canon, enlisées dans les sentiers bourbeux et privées de leurs pionniers, qui ont fui dès le début de l'atfaire. Malheu- reusement, plus de la moitié du détachement Lyonnais ne marche plus en ordre. Bientôt courant, franchissant

1. Archives hisforitpics de In Guerre : Année des Alpes (Rapport du camp de Limonest). La foI(jiine fit une étape (ie dix heures.

2. Id.

3. Id.

420 l'insurrection de lyon en 1763

les fossés ^ beaucoup d'hommes jettent leurs fusils, leurs sabres, pour être plus alertes; les conducteurs, pris de panique, abandonnent dix voitures, chargées de près de quinze cents sacs vides*. Enfin le colonel Révérony rallie les fuyards. La poursuite de Tennemi s'arnHe en raison de la proximité de Lyon ^ ; la colonne lyonnaise regagne la porte Sainte-Foy, abandonnant sur le champ de bataille une vingtaine des siens '\

Précy, auquel Révérony rendit compte de la difficile mission qu'il avait remplir pendant six jours, le re- mercia des approvisionnements de grains et de fourrages qu'il lui avait envoyés. Le général constatait une fois do plus combien ses troupes manquaient de solidité en rase campagne. En dehors de leurs remparts, quels soldats impressionnables et difficiles à conduire! Comment son- ger à sortir de Lyon avec de jeunes volontaires si prompts à se débander et à se désarmer eux-mêmes...

D'autres préoccupations s'imposaient d*ailleurs à Précy, il venait d'apprendre, par un des Lyonnais du détachement du Forez, qui, comme les précédents mes- sagers, s'était déguisé en paysan, que la colonne de Rim- berg, suivie de nombreux émigrants de Montbrison et de Peurs, bivouaquait à une étape de Lyon, exposée à ôtre cernée par les troupes du camp de Limonest. Le général de Précy résolut de tout tenter pour recueillir son déta- chement et les infortunés qui lui demandaient une suprême sauvegarde.

i. Archives Idstovlques de la Guerre : Arnu'e des Alpes {Rapport du camp de Limoîiest),

2. Id. Le Bulletin départemental ^hr(\Q le silence sur Taffaire. Nous devons donc nous en rapporter au rapport de Sandos, (juelque etagéré qu'il puisse être.

3. A une demi-lieue.

4. Archives historiques de la Guerre : Rapport^ pr<!^cité.

CHAPITRE XXIIl

DURES ÉTAPES EN FOREZ. LA VICTOIRE DE SALVIZINET LA SURPRISE ET LE MASSACRE DE CHAZELLES

La situation du détachement du Forez était devenu cri- tique entre les paysans jacobins qui, dans toute la plaine du Forez, projetaient le pillage de Montbrison, et les troupes de Saint-Etienne et d'Ambertqui se rapprochaient toujours. Rimberg voulut réunir les approvisionnements si nécessaires à la population de Lyon que réclamait Précy. 11 résolut d'en, chercher à Feurs* et quitta Mont- brison le jour môme les prisonniers de Saint-Anlhôme s'éloignaient, sous Tescorte des cavaliers montbrisonnais de M. Duguet du Bullion. Déterminé à ne pas refuser le combat si Tennemi lui barrait le passage, Rimberg emme- nait la plus grande partie de ses forces 2, en laissant à Montbrison un peu moins de 200 hommes, qui devaient rallier sa colonne au premier avis.

Arrivé à Feurs, il fait acheter tous les grains que Ton peut trouver, ainsi qu'un grand nombre de têtes de bétail^. Au milieu de ces préparatifs d'approvisionne- ments, le mercredi 4 septembre, des cavaliers de M. du Bullion, envoyés en reconnaissance par cet officier, viennent rendre compte au général que non seulement les paysans de la plaine veulent courir sus aux Musca- dins, mais qu'une bande de 2 ou 3.000 Jacobins'* venant

1. Marquis <le Ponciiis, umnuscril cominuniqiu* par M. le comte Bemard de Poncias.

2. Morin, Histoire de Lyon, t. lll, p. 258.

3. Lettre des a(tminisfrateurs lie Montbrison y réfugiés à Thiers le 6 sep- tembre nî)3.

4. Manuscrit du marquis de Punoius.

422 l'insurrection de lyon en 1793

des communes de TEst : Jas, Chambos(, Essertine, etc., ce qu'on appelle « les montagnes du matin », arrivent au son du tocsin, armés de fusils, de piques, de fourches, de faux. On les signale entre Panissières et Salvizinet. L'un des cavaliers montbrisonnais, Dulac, a été grièvement blessé d'un coup de feu.

Rimberg rassemble sa petite troupe, 300 hommes, dont 40 cavaliers, avec deux pièces d'artillerie et, par la grande route, marche à rapide allure sur Salvizinet, joli village au Nord-Est de Feurs. Les habitants de cette der- nière localité, une véritable petite ville avec ses faubourgs et les restes de son enceinte, montent sur les toits pour suivre le combat que Ton pressent prochain.

Le tocsin sonne aux clochers des paroisses voisines. La troupe des Jacobins, composée de 5 à 600 gardes nationaux bien armés, était en effet suivie de 2 ou 3.000 paysans déguenillés qui brandissaient leurs piques, leurs mousquets et leurs faux. Ils vociféraient en des- cendant les pentes de Pérasse et franchirent en désordre le petit ruisseau qui va se jeter dans TOîse. .

Du clocher de Salvizinet, Rimberg aperçut les bandes assaillantes, il résolut de les attendre à un carrefour dis- tant diin quart de lieue à TEst ^ au croisement des chemins de Salt-en-Donzy à Fouilly-lès-Feurs et de Feurs à Pannissirres^, sur un plateau abondaient les bou- quets de bois et les haies fort touffues. Toute la troupe lyonnaise et monlbrisonnaisc y prit position, par petits pelotons '^ sur une ligne assez étendue, mais protégée sur ses ailes, à gauche par un petit taillis et à droite par un chemin creux.

Rimberg fit avec quelques-uns de ses cavaliers une reconnaissance qui le fixa absolument sur la mauvaise

1. Il y a .'ui niilicii une croix qui doit indiquer l'endroit l'on enterra les victimes du combat. '

2. Manuï^^cril du manjuis tie Poncins.

3. I(i.

DURES ETAPES EN FOREZ 423

formation de l'cancmi. Celui-ci distinguait mal les Lyon- nais qui, dans leur fouillis de verdure, semblaient beau- coup plus nombreux.

Les Jacobins s'étaient arrêtés pour se concerter. Us emmenaient avec eux sous le titre purement nominal de chef, un vieillard, M. de Buronne, chevalier de Saint- Louis et ancien officiera lis avaient été le chercher dans son château de la Garon, commune de Saint- Barthélemy- Lestra, et sous les plus terribles menaces, Tavaient forcé à marcher à leur tête. Le pauvre vieux gentilhomme ne demandait qu'à s'échapper, sa tiédeur devait le faire jeter en prison.

La bande de hurleurs se décida brusquement à attaquer et commença à mi-côte un feu beaucoup trop rapide pour être efficace, il fut en effet absolument inoffensif.

Rimberg a auprès de lui plusieurs anciens officiers ré- sidant ordinairement à Feurs ou dans les environs et qui partagent sa confiance, notamment M. du Rozier, ancien capitaine des dragons d'Artois et le baron de Pélissac, ex- capitaine d*infanterie. Les deux pièces d*artillerie sont commandées par le lieutenant-colonel Chappuis de Mau- bou, dont Ténergie calme s'allie bien avec l'allure pleine d'entrain du chevalier de la Roche-Négly. Ce dernier dit au lieutenant-colonel d'artillerie : « A présent ils sont à nous! Commençons'^ »! Au commandement de Chappuis de Maubou, les deux pièces dont il a vérifié le pointage en- voient dans les bandes jacobines deux boulets meurtriers qui y tracent un large sillage. Après le second coup de canon, tous les officiers montés de la garde nationale jaco- bine mettent pied à terre par prudence. La cohue s'est arrêtée malgré la poussée de ceux qui sont derrière.

Rimberg fait tirer deux autres coups de canon, aussi bien pointés, et il commande à son infanterie : « En avant, Lyonnais! » Le cri est répété par tous les fantas-

i. Mamiscrit du miu*quis de Poncins. 2. Ifl.

424 l'insurrection de lyon en 1793

sins qui se précipitent la baïonnette en avant, sortant de leurs abris et attaquant en ligne. Rimberg, le chevalier de Meaux de Merlieu et le baron de Pélissac, sont au mi- lieu d'eux, le sabre au poing.

Le petit escadron ne reste pas inactif, les capitaines du Rozier et de Maubou* se placent en tête. des cavaliers, leur font longer au trot le petit taillis, sur la droite, qui les dissimule un moment, puis à un galop rapide charge en tlanc les Jacobins surpris et épouvantés de cette nou- velle attaque. L'artillerie du lieutenant-colonel deMaubou s'est aussi portée en avant et, profitant d'une éclaircie, canonneces bandes désorganisées. La déroute devient com- plète, gardes nationaux et paysans se dispersent de toutes parts, se jettent dans les ravins, se cachent dans les bois.

Deux maisons écartées recueillent quelques groupes de Jacobins, un cavalier lyonnais, nommé Batan, emporté par son courage, est tué d'un coup de fusil, mais ses camarades le vengent en mettant le feu à la maison et en fusillant les défenseurs quand ils veulent sortir de la fournaise. Un peu plus loin, 4 ou oOÙ paysans se sont groupés, ils sont plus nombreux que les soldats de Rimberg, deux coups de mitraille les rejettent en déroute^ et ils s'enfuient éperdus du champ de bataille « couvert de leurs morts '^ ». Un chef jacobin tire h bout portant un coup de pistolet sur le lieutenant-colonel de Maubou, qu'il manque et qui l'abat à ses pieds d'un coup do sabre''. 11 n'y eut pas de prisonnier, non parce que les blessés furent massacrés, mais parce que les uns furent emportés par leurs cama- rades, et que les autres se cachèrent dans les taillis ou les baissons \

Les soldats lyonnais et moiitbrisonnais ne mirent au-

1. Frère «in lieulni.iiil-rtjloiu'l «Iju'IJUeiic.

2. Mnriii, t. 111, p. 2îM1.

3. If/.

4. (^)IIln^llu^^•llitM) i\r M'"' l.i ccMiitcssr di' Mau))Oii. o. Se lapjMU'h'r au rajijiorl «le HiIlll)e^^^ i»réfilé.

DUHES ÉTAPES EN FOREZ 425

cun acharnement dans leur poursuite. Ralliés par leur général au plateau de la Bruyère, ils rentrèrent à Feurs en triomphe. Toutefois les habitants prévinrent Rimberg des manifestations hostiles contre la cause lyonnaise aux- quelles s'étaient livrés plusieurs habitants de Feurs parmi lesquels le maire nommé Berthuel, terroriste forcené. Le général le fit arrêter, attacher à un canon et promener dans cette posture humiliante devant ses administrés*. On ne lui fit pas subir d'autre mauvais traitement grâce à un charitable royaliste, M. Gras de la Banche, qui prit sa dé- fense. Après cette exhibition toute militaire, le maire fut remis enliberté'^ il devait bientôt se venger terriblement de ses indulgents vainqueurs.

On effectua une dernière réquisition de blé peu impor- tante; les paysans qui vendaient des grains redoutaient d'être recherchés par les agents de la Convention. La colonne revint à Montbrison elle retrouva l'hospitalité qui lui était douce. Rimberg ramenait avec lui plusieurs gentilshommes de Feurs ou des environs qui avaient pris une part vaillante au combat de Salvizinet : le capitaine du Rozier, MM. Plasson de la Combe père et fils, Re- logue, procureur du roi et son fils, Desgeorges, Pariât aîné et son frère Civens, les Gorgeret, etc. Depuis le début de l'occupation de Montbrison, le marquis de Poncins^, et son fils faisaient partie du détachement et lui rendaient de constants services par leur connaissance approfondie du pays, ils étaient universellement aimés et respectés.

Rimberg communique h ses officiers son intention de ramener à Lyon le détachement et les approvisionnements; il apprend par M. Duguet du Bullion, qui le tenait des cavaliers lyonnais de Duerne, que les abords de Saint-Just

1. Lettre des îulmiiiislratciirs «lu (lislrict de Montbrison, Thiers, 6 sep- tembre 1793. BrcMitin, Uiatoire df ta riUe de Feurs^ p. 425.

2. Manuscrit du marquis de P<incins.

3. Jean-lleclnr de Moutai<^iu\ marquis de Poncins, chevalier tie Saint- Louis, ancien officier aux gardes françaises.

426 l'inslrrection de lyon en 1793

doivent être encore libres mais que l'investissement fer- mera bientôt toutes les issues.

D'autre part, le représentant Couthon organise dans le Puy-de-Dôme une sorte de levée en masse de paysans ja- cobins qu'il va diriger sur Montbrison. Tout impose un départ prochain et sans espoir de retour L La popula- tion montbrisounaise connaît bientôt la nouvelle et s'en attriste. Beaucoup d'habitants, compromis par leurs senti- ments religieux ou favorables à la cause lyonnaise, songent à suivre la petite garnison. Rimberg apprend leurs projets et se préoccupe de tous les impedimenta qui vont alourdir sa colonne déjà si réduite en combattants; cependant le général et ses compagnons d'armes accueilleront et dé- fendront tous ceux qui réclameront leur appui.

Quelques personnes de Feurs, en dehors des ofGciers que nous avons cités, se joignent aux Montbrisonnais, cela forme près de cinq cents personnes parmi lesquelles beaucoup de vieillards, de femmes et d'enfants. La plu- part veulent emmener des voitures et les surchargent de bagages. Les approvisionnements n'en seront pas aug- mentés et il est à craindre que la populatioQ lyonnaise ne voit avec mécontentement un surcroît de rationnaires qui ne combattront pas.

départ (le Montbrison, d'abord lixé au 9 septembre, fut retardé jusqu'au 11-, Du lendemain de l'alfairedeSal- vizinet jusqu'à lu première étape, il y eut donc six jours de repos, dernière halte qu'attristaient les préparatifs de départ et les multiples adieux.

Des familles entières et nombreuses, dit le marquis de Poncins, témoin oculaire ''\ se disposaient à suivre leur chef, décidées à partager son sort en se signalant à la perséculiou

1. Un offii'ier 4(^ r''t.i(-in.ijor l'ohappé au larnas^e. Lausanne, 1795, j». 61.

*J. In (/(Hiinienf des Arc/iires tniinicipales de Ckazelles, i\\\e nous pcver- roiis ))ieiil(M, nicnliDnnc le 12 septembre tonnne la claie du combat <|U porle ce nom.

3. Manuscrit cnnnnnni«pir jiar M. le comte Bernanl <le Honcins.

DURES ÉTAPES EN FOREZ 427

la plus violente. On semblait se séparer sans retour, des ba- gages, de nombreux chariots d'approvisionnements suivaient la troupe. L'orage qui grondait de toutes parts sur Lyon, la destinée périlleuse de ceux qui s*y rendaient, les généreux efforts qu'ils tentaient pour une cause presque sans espérance donnaient à cette sorte d'émigration un caractère particu- lièrement touchant. Quel cœur généreux ne Teût accompagné de ses vœux, de son intérêt ? C'était la valeur, la fidélité de tout âge, de tout sexe, de tout rang se dévouant au malheur.

Le 12 septembre, à la pointe du jour, Rimberg niit en route une petite colonne sous les ordres du marquis de Nicolay, l'ancien colonel de cavalerie, que nous avons vu relire à Saint-Etienne et qui était venu à Montbrison se mettre à la disposition du général des Lyonnais. Cette co- lonne composée d'une cinquantaine d'hommes', choisis avec soin parmi d'anciens militaires, devait être aussi mobile que possible et ne s'embarrasser avec son unique pièce d'artillerie que de trois ou quatre chariots pour em- porter les grains que l'on pourrait acheter au cours des trois étapes. Elle devait passer la Loire à Montrond, ga- gner Chazelles, Grézieu^ et s'arrêter à Duerne pour y rallier la colonne principale aux ordres de Rimberg.

La petite troupe de M. de Nicolay était précédée, aune demi-journée de marche, par vingt cavaliers, sous les ordres d'un des officiers montbrisonnais, avec la mis- sion de s'emparer des bacs de la Loire et de surveiller les bords du fleuve.

La principale colonne composée de huit cents personnes, dont la moitié seulement était en état de combattre, devait suivre un itinéraire plus long, remonter vers Feurs par Champs et Poncins, en laissant cette dernière localité sur la gauche et après avoir traversé la Loire un peu à l'Ouest de Feurs et s'être ravitaillée une dernière fois dans cette

1. Manuscrit du marquis «le Poncins.

2. Grézieu, appelé aujourd'hui Grézieu-le-Marché, pour le distinguer de celui aux environs duquel la troupe du lieutenant-colonel Révérony avait livré un combat, Grézieu-la-Varenne.

428 l'insurhection de lyon en 1793

ville assez mal disposée pour les Lyonnais, prendre la grande route de Lyon ^ passer à Saint-Martin-Lestra, arri- ver à Sainte-Foy-l'Argonlière et, après Tembranchement du chemin de TArbresle, aller cantonner à Duerne, lieu de jonction des deux colonnes.

De mt^me que Rimberg avait accepter, dans sa propre colonne, de nombreux et embarrassants émigrants, Nicolay ne put refuser à quelques femniies, mères ou épouses, de suivre la petite troupe, notamment à une toute jeune femme, M'"** de Vissaguet'-', mariée à un gentil- homme d'Auvergne. Tous deux avaient quitté leur petit manoir devant les menaces des Jacobins et la certitude d'être arrêtés; ils s'étaient réfugiés à Montbrison. M. de Vissaguet n*avait jamais servi, mais il avait été incorporé dans les canonniers-^ dont le nombre avait beaucoup diminué depuis la fâcheuse affaire des Grandes-F'laches et la capture du pauvre vieux sergent Laferté.

La colonne Nicolay qui partait la première fit une petite étape de quatre lieues par une chaleur pénible a vaut d'arri ver sur les bords de la Loire. L'officier quicommandait le piquet des cavaliers rendit compte qu'il avait aperçu des hommes armés se dissimulant derrière los premières maisons du hameau de Meylieu. Un de ses cavaliers, nommé Tillon, envoyé en reconnaissance, avait été tué d'un coup de feu ' sans qu'on eût pu s'emparer du meurtrier ou de ses com- plices. Tous avaient disparu, probablement grâce à la connivence des habitants du village. La consigne était de surveiller la Loire, de garder les bacs et d'assurer le passage du détachement, il avait donc fallu renoncer h la poursuite des coupables. Le jeune Tillon appartenait à une honorable famille de Saint-lialmier, c'était un excel-

1. Qui venait de Boen, N«»iivtal)le, etc. '2. M'"" (le Viss.igiR't avjiil «lix-sept ans.

3. M. (ir Viss.t^'ucl portail laiiiu'meiit descanonniers. V. Charles Aula- ^niier, .Yo//c«' sur r/mzt'lfes, Saiiit-Kti«'iuic, Tliéolier, 18!>5. '♦. Manuscrit du marquis de Piuieins.

DURES ÉTAPES EN FOREZ 120

lent soldat, bon cavalier, très vigoureux et très coura- geux.

La colonne remise en marche passait devant le châ- teau de Montrond, imposante construction du xiv" siècle avec de hautes tours crénelées*; elle ne s'y serait pas arrêtée si le propriétaire, dernier représentant de l'illustre famille d'Apchon, ne lui avait offert Thospitalité, qui fut acceptée mais réduite par prudence à une halte de deux heures. La plupart se reposèrent de leur étape, mais la jeunesse réclame souvent ses droits et Ton a prétendu que les quelques jeunes femmes qui s'étaient imposées à la colonne et plusieurs volontaires s'étaient livrés au plai- sir de la danse*. La chose n'avait rien de répréhensible; Nicolay avait placé des sentinelles sur les tours du châ- teau, aucune troupe suspecte ne fut aperçue. Après le repos dont nous avons indiqué la durée, la colonne fut remise en marche, elle chemina paisiblement jusqu'à Chazelles, nous dit le marquis de Poncins'\ qui n'en faisait pas partie mais qui retrouva à Duerne les survi- vants de la petite troupe.

Pendant le court séjour des Lyonnais, il n'y eut donc aucune attaque du château de Montrond, quoiqu'en aient dit certains écrivains, trompés par l'incendie du château '•. Cet incendie fut mis dans la soirée par la bande de jacobins qui avait été délogée de la rive droite de la Loire par le peloton de cavalerie d'avant-garde, et qui avait tué traîtreusement le jeune Tillon. Avertis du départ de la

1. Au xvr siècle, le maréchal de Saiiit-Aiulré, le héros malheureux de la bataille de Saint-Quentin, avait fait de grands embellissements dans le château.

2. Broutin, Histoire fie la ville de Feurs^\). 421.

3. Le manuscrit du marquis de Poncins contredit absolument sur ce point M. Aula^nier (Wf^ci/ sur la Terreur par un auteur forézien, p. 60), et M. Broutin (Histoire de la rille de Feurs, p. 42").

4. La plus grande partie de l'habitation échappa à Fincendie. Le château passa des d'Apchon dans la famille de Biencourl, puis dans celle des Dugas.

Le propriétaire actuel, M. Maurice de Boissieu, membre de la Diana et érudit bien connu, est le petit-fils de M. Victor Dugas.

433 l'insurrection de lyon en 1793

colonne par quelque espion du pays, ils pénétrèrent dans les écuries et les granges pleines de fourrages et mirent le feu à la vieille demeure tant de malheureux avaient reçu la charité; ils s'enfuirent dans la direction de Belle- garde, la commune voisine.

Saint-Galmier était occupé par le général jacobin Fugiôre, à la tète d'une forte colonne d'infanterie et de cavalerie. Il venait de détacher Tescadron des ex-dragons de Lorraine ^ sur GhazeHes, que les Lyonnais devaient occuper en gîte d'étape. Ordre était donné au comman- dant des dragons de réunir sur sa route les troupes de garde nationale et môme des bandes de paysans armés et d'attaquer la colonne lyonnaise partout il la rencon- trerait. Cet officier était arrivé avec ses cavaliers à Cho- zelles avant les Lyonnais et avait poussé jusqu'à Saint-Sym- phorien-sur-Coise. 11 avait ramené la garde nationale de ce chef-lieu de canton et de nombreux paysans armés; il les laissa de l'autre côté du ruisseau sur des hauteurs boisées et vint lui-môme en reconnaissance jusqu'aux premières maisons de Chazelles. La petite troupe de M. de Nicolay s'v trouvait; Tembuscade était facile.

En arrivant à Chazelles, pauvre village traversé par la grande route, et les maisons avec leurs jardins sont en bordure, formant l'unique rue du bourg, Nicolay et ses compagnons avaient trouvé la municipalité^ qui les avait assurés de leur sympathie, les engageant à prendre part à un repas-* préparé en leur honneur et leur affir- mant qu'ils ne couraient aucun danger d'être surpris.

Par une coïncidence malheureuse, un bataillon de volon- taires de l'Ardèche détaché depuis plusieurs jours du camp de Limonest pour empêcher les ravitaillements de Lyon, fut signalé au commandant des dragons comme cantonné à peu de distance. Cette troupe eut le temps

\. Maniis<Til du inîirc]uis de l^oiiciiis.

2. l'n (fffiiit'r il*' l't'hit-mnjor (tn sièf/c. Lausanne, 1793, p. 02.

3. Hroutiu. liistoin' de Feurs, p. 428.

DURES ÉTAPES EN FOREZ 431

d'arriver et en Tabsence des patrouilles que M. de Nico- lay aurait envoyer autour du bourg, elle put se placer en embuscade, silencieusement sur la route de l.yon*.

Les Lyonnais faisaient honneur au banquet, comblés de marques d'amitié par les habitants. Cependant plusieurs fois M. de Nicolay voulut se lever et placer un poste et des sentinelles, le maire l'en empêcha en traitant de telles inquiétudes d'exagérées et de précautions blessantes pour la population. Les rafraîchissements s'offraient avec une telle persistance malgré les protestations des Lyonnais que leur commandant flaira quelque trahison. Il surprit des signes équivoques entre ses voisins, notables habitants de Chazelles, puis une rumeur sourde du côté de la route de Lyon. Alors le marquas de Nicolay se lève brusquement malgré les eflorts des municipaux, ses voi- sins et s'écrie : « Aux armes, nous sommes trahis'*! » puis avisant un jeune tambour de sa troupe : « La générale, petit, et à tour de bras ! »

L'alerte est donnée, les Lyonnais se groupent autour de leur chef; malheureusement quelques-uns n'ont pas gardé leurs armes, les ayant déposées dans les maisons à rhospitalité traîtresse. Les habitants se sont écartés d'eux-mêmes, tout est redevenu silencieux. Les femmes foréziennes angoissées ne parlent pas, quelques cavaliers lyonnais se détachent du groupe pour chercher leurs che- vaux à Texlrémité du village. Des coups de feu éclatant alors, tirés par des ennemis encore invisibles, tuent ou blessent les malheureux cavaliers.

Nicolay, Tépée nue, se place en tête de sa troupe, il l'entraîne baïonnette en avant, mais les volontaires de TArdèche aidés des paysans jacobins poussent des cha- rettes de foin. Avec des traverses de chêne, ils barri- cadent la route et tirent sur les Lyonnais^.

i. Manuscrit du marquis de Poncins.

2. Rroutin, Histoire fie la ville de Feurs, p. 428.

3. Evidemment, nous dési<(nons aussi sous ce nom les Foréziens de la colonne Nicolay.

432 l/lXSURRECTION DE LYON EN 1793

Après des eiïorts Jc^cuplés par le désespoir, Nicolay et ses compagnons renversent la barricade et s'élancent sur la route', de toutes parts, l'ennemi surgit et les fusille presque h bout portant. Le marquis de Nicolay s'est placé à l'arrière garde; son épée brisée, il a ramassé un fusil et se défend à coups de baionnetteetàcoupsdecrosse. Soudain un galop de chevaux se fait entendre : ce «ont les dragons qui ont tourné le village. La petite colonne est prise entre deux feux, son héroïque commandant, qu'en- tourent quelques-uns des cavaliers de Monlbrisonà pied, combat toujours et peut-être à force de courage brisera-t-il le cercle qui l'enserre... Quand une balle Tatteint en pleine poitrine et le renverse sur la route*-'.

L'ancien colonel des dragons de Lorraine a reconnu les dragons du régiment qu'il commandait. Est-co do leurs rangs qu'est parti le coup fatal ?... Question dou- loureuse qui obsédera le colonel marquis de Nicolay dans la prison le transportent avec une joie gros- sière et cruelle les volontaires de l'Ardèche, moins fé- roces cependant que les paysans de Montrond ^ qui voudraient tout de suite égorger le « ci-devant ». Celui-ci d'ailleurs, malgré ses souffrances, gardera jusqu'au der- nier moment une attitude pleine de dignité; il ne sur- vivra que trente-six heures à sa blessure''. L'échafaud ne l'eut pas épargné et sur le tas de paille l'ont jeté

i. Broutin, Histoire de In inlle fie Feurs, p. i28. Ch. Aulagnier, Sofice sur la ville de CJiazelles, p. 69.

2. Ch. Aulagnier, Sofice sur la riUe et le cntnhnl de Chazelles^ p. 61.

3. D'après Hroulin (p. 4:8), ce furent les plus acharnés. Ces paysans pa- raissent appartenir à la ban«le des Jacobins qui avaient lue Tillon et in- cendié le château de Montrond.

4. « 14 septembre 1793. Le citoyen Fleury-Buchet, procureur de celte commune, qui nous a déclaré qu'un prisonnier, prisant dans les prisons de celte commune, nommé, ainsi qu'il est apparu par les papiers que l'on a tr(»uvés sur lui. Jri.iKN Nic^laï {Louis-Scipio/f-Guillaume-Jenu), âgé d'en- viron quarante h quarante-cinq ans, est décédé dans ladite prison, au- jourd'hui sur les neuf heures du matin, d'une blessure (ju'il a reeue dan» le combat qui a eu lieu le 12 du présent mois entre les citoyens de celte ville, réunis pom* la défense de la patrie, contre les rebelles de Lyon, dits Muscadins, dont ledit Nicolaï était le commandant, et nous étant trans-

DURES ÉTAPES EN FOREZ 433

les Jacobins, sans qu'on appelai un médecin, sans qu'on lui fît la charité d'un pansement, le chef de la branche des Nicolay du Vivarais, baron de Sabran, qui avait com- mandé deux régiments français, mourra de la mort du soldat, sans regret, sans peur et sans reproche. Sa blessure fut pour ses compagnons le signal de la déroute. Chargés par les dragons sur le grand chemin, assaillis de toutes parts dans les villages, les deux tiers des Lyonnais sont égorgés. Toutefois il se révéla un chef inattendu : c'était un aide de camp de Précy, qui parait avoir gardé jusque-là rincognito sur l'ordre de son général ^, M. Carton de Gra- mont. Ex-capitaine à la brigade Wallonne, il avait fait la guerre contre les Anglais et défendu les Tuileries au 10 août.

Carton do Gramont groupa une vingtaine d'hommes avec lesquels il put faire une trouée et gagner une ruelle, puis des champs bordés de haies et un petit taillis Tennemi les perdit de vue. Le pays coupé de clôtures n'était pas facilement accessible aux dragons et les volon- taires de TArdèche ainsi que les paysans jacobins s'acharnaient sur les blessés. S'ils n'avaient encore frappé, parmi les blessés de la colonne Nicolay, que ceux qui avaient combaltu ! mais ils massacraient des èlres sans défense et qui méritaient la pitié : des vieillards, des femmes, des malades! C'est ainsi qu'ils égorgèrent Mes- dames Rambaud de Chalain et Ladret^^.

M"* de Vissaguet, la pauvre petite châtelaine évadée avec son mari des campagnes terrorisées de l'Auvergne, le

porté dans la dite prison, nous avons reconnu la sincériU' de ladite dé- claration. » (Proch-rerhal des Archireh' de Chazelles. V. Aulagnier, p. 68.)

1. « Nous renvoyâmes avec un corps d'élite dans le Forez et les gorges du Lyonnais pour assurer Tarrivéc d'un grand convoi qui ravitailla Lyon, ce qu'il exécuta après un combat sanglant à Chazel, il déploya autant de courage que de talent militaire...» ((.>/7<^<7i/ du lieutenant général comte de Précy, 5 août 1820. Dossier du lieutenant-colonel Carton de Gramont. Archives administnilives du NÛnisière de la Guerre).

2. Manuscrit du marquis de Poncins.

28

434 l'insurrection de lyon en 1793

voit tomber au moment << avec trois de ses cama- rades, il s'efforce d'emmener la pièce de canon à laquelle il est attaché ». Une balle vient de le frapper, car ses forces Tabandonnent ' . Au moment il tombe, un nouveau coup de fusil lui brise le bras droit. M"° de Vissaguet se pré- cipite et, malgré les balles qui siftlent, les hurlements des assaillants, les pierres que lancent desfenr»tres ou des toitures les mégères de Cbazelles, elle relève le blessé, le soutient, le couvre de son corps frôle el charmant. Ce courage si touchant n'arrête pas les bourreaux ', ce ne sont plus des combattants mais des brutes sangui- naires. Un coup de feu tiré à bout portant dans le dos abat l'héroïque jeune femme, un coup de sabre l'achève. M"" do Vissaguet était enceinte... Son mari qui a fait des etîorts surhumains pour la défendre, ainsi que Ta tenté aussi un autre blessé M. Monnet, est relevé avec son camarade*; tous deux sont brutalement traînés dans une masure, qui devient leur prison. La Commission jacobine de Feurs devait les y retrouver trois mois après et les fusiller, quelques jours après un simulacre de jugement, sur la grande place de la petite ville'.

Un malheureux prêtre, âgé et infirme, voulait proliter de l'escorte de la colonne Nicolay pour quitter Cbazelles; il se reposait dans une maison amie lorsque le combat commença. En donnant l'absolution à des mourants, le vénérable ecclésiastique se lit découvrir, on l'arrêta ainsi que sa vieille hôtesse. Tous les deux, au milieu des séviiîes et des outrages, furent massacrés à coup de sabre et à coups de baïonnette \

1. Charles Aulagnier, Sofice sur Chazcllps, Saint-Etienne. Théolier,

1895, p. r.:-;.

2. Manuscrit «lu marquis de I^oncins.

3. Kroulin, Uisloire <h' la ville de Feurs, p. A-2H. L'auteur crut même que M. de Vissaguet avait été tué.

i. Proct^s-verhaux de jugement et d'exécution de F'rancDis-Pascal de Vissa<(uet ot de Je.in-Haptiste Monnet [Arc/tivps de Feurs . Charles Aula- gnier. S<>fii:c sur (J/iuzelles, p. '\'2.

.'".. Cli. Aulagnier, C/tazelles, p. 61.

DURES ÉTAPES EN FOREZ 435

Les actesd'humanité, de la part des vainqueurs, semblent avoir été bien peu nombreux ; nous ne connaissons que celui dont bénéficia M. de Gérando, le futur conseiller d'Etat. Fait prisonnier dans la grande rue de Chazelles, il va être mis à mort par les dragons, lorsqu'un officier des volontaires de TArdèche, le capitaine Galtier, déclare que ce jeune homme est son prisonnier. Les dragons ne veulent pas respecter Tofficier et tentent de lui arracher M. de Gérando qui, désarmé, ne peut passe défendre. Enfin, sans appeler ses volontaires qui, dans leur indiscipline, auraient fait cause commune avec les assaillants, le capi- taine met le sabre à la main et fait des moulinets si menaçants qu'il intimide les dragons. Ceux-ci s'éloignent courant à des assassinats plus faciles. Le capitaine Galtier conduit le jeune Lyonnaise l'une des issues delà ville et lui rend la liberté sans lui dire son nom*.

Carton de Gramont et ses camarades passèrent la nuit dans les bois de Pomeys sur les bords de la Gimond, les plus valides soignaient les blessés, tous souffraient de la faim, de la soif, épuisés de fatigue. On se remit en marche avant le jour '*, le 13 septembre, toujours en ga- gnant de préférence les endroits boisés. Avec leur expé- rience trop chèrement achetée de la guerre de partisans et d'embuscades, les 15 et 16 Lyonnais qui survivaient de la colonne Nicolay se défilaient le plus possible le long des crêtes. Enfin, après avoir erré toute la journée, sans être assurés de la direction, dans les bois du Glas et de la Courtine, ils arrivèrent aux premières maisons d'un gros bourg, dont l'entrée était gardée... par des grenadiers lyonnais. Ceux-ci reçurent dans leurs bras les compa- gnons d'armes qui défaillaient '\ n'ayant pris aucune nour- riture depuis la veille.

En temps de guerre, et hélas! surtout en temps de

\. C'était le 13 septembre.

?. Manuscrit du marquis de l*oneins ; Cli. Aulagnicr, p. 60.

3. Cti. Aulagnier, p. 59.

436 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1703

guerre civile, la solidarité s'établit vite entre combattants de la même cause; aussi Carton de Gramont et ses com- pagnons furent-ils accueillis en frères malheureux par leurs camarades K

Rimberg n'apprit pas sans douleur le sort de la co- lonne Nicolay; beaucoup de ceux qui Tentouraient pleuraient un être cher. L'énergie du général ne faiblit pas un instant; comme au combat des rues de Saint- Etienne, comme à celui de Salvizinet, il rendit à chacun le sentiment du devoir militaire. Dans la nuit du 13 au 14, ses chasseurs noirs, gardes-chasse ou métayers, admira- blement disciplinés, furent envoyés sur un point extrême- ment élevé, au-dessus du bois de la Hyène. Ils devaient indiquer par des signaux, dans la matinée, si les environs paraissaient dégarnis de troupes ennemies ou si, au con- traire, une attaque semblait prochaine.

Dans les deux éventualités, Rimberg prenait ses dispo- sitions ; il avait envoyé des cavaliers intelligents en ve- dette, sous la surv'eillance des excellents officiers de cavalerie dont il disposait, MM. 'du Rozier, de Maubou, Gavot, de Courtine, Duguet du Bullion et se sentait à l'abri (le toute surprise.

L'ancien capitaine de Royal-Auvergne avait su éviter surprises et guets-apens, pendant les deux étapes de Montbrison à Feurs et do Feurs à Duerne, gardant sa troupe bien massée, en d^pit de ses chariots de grains et de farines el des charettes des émigrantsde Saint-liltienne, de Montbrison et de Feurs. L'artillerie composée de quatre pièces était en tète et en queue, le convoi au milieu, encadré par la cavalerie. L'infanterie que commandaient lieux Foréziens, MM. Puv de Mussieu et de Pélissac, mar- chait en lonnation de route prête à se déployer soit en

1. Ch. Aula^'nuT, p. 61. L'iiiiteur croit (jue U présence de la colonne Rimberg arrtHa la poursuite. Cette opinion nous parait erronée, le générai Fugière et le commandant du détachement de Chazelles ignoraient (pie Duerne fût occupé par les Lyonnais, sans quoi ils les auraient certaine- ment attaqués.

DURES ÉTAPES EN FOREZ 437

tirailleurs, en colonne d'attaque ou en ligne de bataille. Dans cette vie de marche et de combat en rase campagne, Téducation militaire se fait mieux quederrière les remparts, et les soldats de l'expédition du Forez s'étaient formés plus vite que les défenseurs des redoutes lyonnaises.

Toutefois un rassemblement de paysans armés sur- prit un jour MM. de Meaux et Praire-Royet qui, avec quelques Montbrisonnais, faisaient une reconnaissance dans les bois de Sainte-Foy TArgentière, à peu de dis- tance de Duerne. L'ancien capitaine au régiment de Bourbon et Tex-maire de Saint-Etienne* eurent le temps de donner l'alerte à leurs compagnons qui purent rejoindre la colonne. Ils tentèrent eux-mêmes de se faire jour Tépée à la main; accablés sous le nombre, ils furent terrassés et faits prisonniers. On les conduisit à Fugière qui les envoya à la Pape*, devant Dubois-Crancé. Leur détention devait durer près de deux mois et demi, Téchafaud les attendait.

Les reconnaissances furent désormais moinsaudacieuses et la colonne, constamment sur ses gardes, se fil res- pecter des populations mal disposées et des détachements qui, après avoir occupé Montbrison, étaient allés h BoCn réveiller l'esprit jacobin et qui projetaient la même opé- ration à Feurs.

Le 14 septembre, dans la matinée, Rimberg reçut plu- sieurs rapports constatant qu'aucune troupe ennemie n'était en vue. Il résolut de reprendre la marche sur Lyon par Yzeron, Grézieu-la-Varenne et Francheville. On ren- contrerait probablement l'ennemi en force devant Lyon, une action s'engagerait. Si Précy ne faisait pas une sortie, la colonne du Forez serait écrasée, mais, en enten- dant le canon de son lieutenant, le général en chef des Lyonnais viendrait à la rescousse!

Aussi, gardant son esprit calme et résolu, Rimberg

1. Dubois-Crancé et Gauthier n'annoncèrent cette capture que dans leur rapport du IT septembre i.irrhirfs Uislnr'njues de la Guerre : Année fies Alpes).

438 l/lNSLRREGTION DE LYON EN 1793

réunit sa troupe, fit faire Tappel lentement, soigneuse- ment, contrôlant lui-môme l'effectif de ses petites unités. En défalquant les blessés de Chazelles et quelques ma- lades, il n'y avait guère que trois cents combattants, y compris les dernières recrues de Feurs et de Duerne ' qui se décomposaient ainsi : 100 Lyonnais, 58 de Saint- Etienne et des environs, 170 de Montbrison, 72 de Feurs et de Duerne.

Sans présenter la situation sous des couleurs trop sombres, Rimberg ne cacha pas aux émigrants que, d'une part, Lyon ne serait probablement pas atteint sans com- bat et que, d'autre part, les subsistances devaient y avoir beaucoup diminué. Quelques-uns firent leurs adieux aux militaires de la colonne et à leurs compatriotes : « Au revoir, se disait-on, nous reviendrons bientôt^. » Illusion que devait détruire bien vite le vent de proscription qui souffla sur toute la région! Los émigrants qui rentraient au pays allaient subir les rigueurs du féroce tribunal de Feurs, ceux qui marchaient vers Lyon étaient destinés h comparaître devant une aussi impitoyable juridiction.

On partait par un clair soleil de septembre. A cette petite tribu ambulante il restait l'espoir, la vigueur, Tentrain. Les vedettes Tavaientralliée, d'autres cavaliers, souslesordres du capitaine du Rozier, formaient une extrême avant-garde. Sur la grande route de Montbrison à Lyon, la troupe de Rim- berg marchait alertement, prête à accepter le combat si l'ennemi l'offrait. Les hommes ou trop vieux ou trop jeunes qui n'avaient pas d'armes on qui tout au moins ne prenaient pas rang dans les troupes, paraissaient tout disposés à s'aguerrir. Les femmes elles-mêmes, surtout les jeunes et c'était le plus grand nombre, semblaient intrépides. « Allons h Lyon! Allons dans la grande ville qui brave les Jacobins! » Voici ce qu'on lisait dans les

1. Plusieurs habitants de Duerne s'étaient joints à la colonne dès son arrivée. On les admit sans bien les connaître, et cependant il n'y eut point lieu de s'en re|)entir.

2. Broutin, Histoire de la ville de Feurs, p. 429.

DURES ÉTAPES EN FOREZ 439

yeux les plus doux, tant le sentiment d'une cause juste trempe les courages. Rimberg inspirait à tous une entière confiance avec sa fringante tournure d'officier, sa vigou- reuse maturité, sa décision calme et cet air « souriant* » si gracieusement courtois.

La colonne arrivait en vue de Vaugneray quand des émissaires revinrent, dans la soirée du 14, annoncer que les troupes de la Tour Salvagny occupaient tout le pays sur la rive droite de la Saône, depuis Saint-Rambert jusqu'à Eculyetméme les alentours du bourg Saint-lrénée... On avait aperçu des hussards à Craponne, et derrière eux, une longue colonne d'infanterie.

L'arrivée de la troupe de Rimberg doit être signalée. Pour ne pas être cerné, il faut quitter la grande route, tourner le hameau des Aiguillons, franchir l'Izeron presque à sec et marcher sur Francheville, mais les lourds chariots qui portent les approvisionnements de grains ne pourront pas suivre la colonne et celle-ci ne pourra pas aussi facilement se déployer. Le général ordonne do continuer la marche sur la grande route.

IJinspiration était bonne. La fameuse colonne qui avait effrayé ces émissaires avait probablement rejoint son camp ou peut-être n'était-elle qu'une forte patrouille. Quoi qu'il en soit, la colonne du Forez ne fut pas atta- quée. Elle marcha jusqu'à une heure assez avancée de la soirée et établit son bivouac, dans une petite vallée sur les bords du ruisseau de Charbonnières, à peu de dis- tance de la route et du village de Tassin. La pluie tom- bait à flots et si elle rendait pénible ce campement en plein air, elle en étouffait le bruit et en protégeait le secret. Rimberg envoyait à Précy par un soldat lyonnais adroit et brave la nouvelle de l'arrivée de la colonne. Au général en chef maintenant d'orienter le détachement et de lui ouvrir les portes de la place.

1. Manuscrit du marquis de Poncins.

CHAPITRE XXIV

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ LA COLONNE DU FOREZ RENTRE DANS LYON

LE CERCLE FERMÉ

Dans la nuit du 14 au 15 septembre', Précy avait pris toutes ses dispositions pour faire entrer coûte que coûte la colonne du Forez dans la ville. Les troupes de la Croix-Rousse que commandaient/ M. de Virieu et ladju- dant-général Burtin de la Rivière eurent Tordre de com- mencer dans la matinée, un feu violent sur les posi- tions de Tennemî, ce qu'elles firent avec beaucoup d'en- train, n'hésitant pas à sortir de leurs abris. Le général Guy-Coustard n'eut pas le temps de mettre en ligne toutes les forces dont il disposait et le poste de la maison Pan- thod fut presque aussitôt abandonné de ses défenseurs. Les Lyonnais, dépassant cet ouvrage, tenteront l'attaque de la maison Dufour et Bideau^, un peu en arrière de la maison Panthod. Le bataillon des chasseurs de l'Ariège avait eu le temps de prendre les armes et d'accourir, il repoussa les Lyonnais jusqu'à hauteur de cette maison si disputée. Malgré le tir h mitraille des pièces de la redoute Gingenne, il faillit s'emparer de la maison Nérac'^ Toute la ligne de défense fit un feu tellement

1. Malgré ranirnï.ition de plusieurs histcuiens, c'est bien le 15 septembre que le détachement commandé par Himber^ était entré dans Lyon. Les éditeurs du manuscrit de l*uy l'établissent absolument (p. 81), et cela concorde avec les /^7/i/>(>/7.v ffrs trois camps sur les attaques que fit Préc}' ce jour-là. pour occuper toutes les forces de l'ennemi. Voir plus loin.

2. Hapjwris des trois camps, du 6 au 7 septembre. Archives historiques de la Guene : Année des Alpes, septembre 1793.

3. Rapports des trois camjis, du lU au 17 septembre.

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENL 441

intense de mousqueterie et d'artillerie que le général Guy-Coustard ordonna de ne pas pousser plus loin Tof- fensive. Le feu continua par intermittences mais sans résultat apparent de part et d'autre.

A la Guillotière, les batteries du quai du Rhône avaient canonné les positions du général Vaubois, les pièces de la Guillotière obtenaient l'avantage en démontant un obusier aux Lyonnais*. Le tir des mortiers avait repris du côté de la Part-Dieu, les bombes allumaient plusieurs incendies dans le quartier Bellecour. Les secours arri- vèrent trop tardivement car on vit les flammes y consumer plusieurs toitures.

Ce n'était que des diversions partielles, la principale allait être dirigée par Précy en personne. A la tête d'une colonne de 700 hommes dont une centaine de cavaliers et deux pièces d'artillerie, le général sortait par le fau- bourg de Vaise'^ et marchait sur EcuUy qu'il occupait sans difficulté. L'ennemi avait ses avant-postes au bois de Serres, soit pour prévenir toute attaque contre la redoute de la Tour Salvagny qui n'était pas entièrement terminée, soit qu'il préparât l'attaque du village d'EcuUy ^ L'action s'engageait presqu'aussitôt, les deux cavaleries échangèrent quelques coups de pistolet puis se replièrent; l'infanterie du général Rivaz, appuyée par une nombreuse artillerie, attaqua le village par le Nord et par TEst. L'église reçut deux ou trois boulets dans son clocher.

En voyant les quatre bataillons dont disposait l'attaque, Précy craignit d'être enveloppé, il évacua la plus grande partie du village sans cesser de combattre, mais il arrêta sa troupe autour d'une grande maison, ancien collège des Jésuites, avec de vastes jardins qui en facilitaient la

i. Rapports de-f fmis cofupSj précités.

2. Baileydier, Histoire du peuple de Lyon, t. Il, p. 102.

3. Baileydier a confondu (Jrézieu et Ecully. Les rapports de 1 adjudant- général Sandos (Archives historiques de la tiuerre : Armée des Alpes, sep- tembre 1793) indiquent nettement que c'est EculJy qui a été attaq\ié et pris par les troupes du général Rivaz.

442 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

défense à Tangle du grand chemin de Tassin^ Quelques brèches dans les murs lui permirent de mettre les pièces en batterie et d'arrêter par les décharges à mitraille, les troupes de la Convention, qui se fortifièrent à leur tour dans Ecully. Dès Taube et avant de quitter Lyon, Précy avait envoyé deux de ses aides de camp retrouver la colonne Rimberg et la guider par le pont d'xVlaï sur Sainte-Foy pour la conduire à Lyon, il commença sa retraite sur Vaise.

Malheureusement en retirant les pièces des brèches pour les ratteler, on perdit un peu de temps, Tennemi put se rapprocher. Au moment de franchir le ruisseau des Planches, une charge des hussards de Rivaz mit du désordre dans Tarrière-garde. Une pièce fut abandonnée**, des hommes se débandèrent en jetant leurs armes ^. L'en- nemi s'était déjà replié sur le gros de la colonne et ce fut dans la soirée qu'il découvrit le canon abandonné.

Le général Rivaz, croyant que Précy allait faire la même opération de retraite que le détachement qui avait livré le petit combat de Grézieu, la veille, continua à marcher dans la direction de Tassin et du pont d'Alaï, laissant ainsi la colonne de Précv rentrer dans Vaise sans difficulté après l'alerte du passage du ruisseau. La colonne de Himberg était passée depuis longtemps et se trouvait on ce moment sous la protection du détache- ment du commandant Rousnon, qui, sur Tordre de Précy, était venu d'Oullins jusqu'à Sainte-Foy, tout en laissant des troupes de garde au pont de la iMulatière. De son cùté, le colonel de Fontet sortait de Vaise, avec un ba- taillon ot deux pièces de canon, il faisait un simulacre de reprise d'attaque du côté d'Kcully pour continuer à assurer lu retraite de la colonne du Forez, en donnant le change à l'ennemi '.

{. Lieutenant-colonel lUchol, p. 30.

2. (if. Hdpporfs (/('S trois cfitnps^ du 10 au 17 septembre 1793.

3. /J.

4. Le rapport du camp de Limonest, signé comme pour les deux autres camps par ladjudant-général Sandos, rindi«|ue naïvement : « La division

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ H'S

Précy, quittant sa propre colonne à peu de distance de la porte de Vaise, revenait au galop avec quelques officiers par les quais de Saône. La colonne de Rimberg était en vue sur les hauteurs de Saint-Just ; elle allait descendre les pentes du Gourguillon. Avec un religieux respect; la tribu fugitive des émigrants du Forez et les soldats lyon- nais, qui ralliaient le drapeau pour assister au dernier acte du drame, contemplaient la vue merveilleuse qui s'offrait h eux : A gauche, la vieille église de Fourvières, le sanctuaire vénéré, avec les Alpes en bordure d'horizon, à droite, les premiers contreforts des montagnes du Vivarais, au midi, le cours tumultueux du Rhône. A leurs pieds, la Saône sur la rive droite de laquelle se dresse la basilique de Saint-Jean, la cathédrale des primats des Gaules. Sur les deux rives de la Saône, les clochers pullulent : Saint- Nizier qui recouvre la crypte de Saint-Pothin, Saint-Pierre dont la tradition attribue la construction à Charlemagne, Saint-Bonaventure, la chapelle des Cordeliers, Saint- Martin d'Ainay, le gracieux édifice byzantin, Saint-Louis, Saint-Paul, Saint-François-de-Sales, Saint-Polycarpe et la Charité, et des clochetons de couvent et des flèches de chapelle...

Au-delà de ce panorama de grande cité religieuse et industrielle, la vue s'arrête avec tristesse sur la plaine des Brotteaux, et sur les deux rives du Rhône se livre un duel d'artillerie incessant •.

Les bombes franchissaient le fleuve et venaient s'abattre dans les riches quartiers qui s'étendaient de la place Bel- lecour à la place des Terreaux. Sur la gauche, le canon s'entendait aussi, mais avec de longs intervalles, du côté de la grande Côte, et de la Croix-Rousse. On avait, en se tournant vers le nord, l'impression d'un combat d'avant- postes intermittent; en regardant à l'estjchacun subis-

Hivaz tient aujourd'hui depuis le village au pont de l'Ave (lire Alai) et un quart de lieue en avant jusqu'à Neuville». 1. Manuscrit du marquis de Poncins.

444 l'insurrection de lyon en 1793

sait rborreur du bombardement continu, de Tincendie prémédité...

Et cependant, quand la colonne s'avança davantage, en dominant de plus près les rues et les ruelles, les Forer ziens et les Lyonnais qui revenaient du Forez furent frappés de l'air de sérénité qui régnait dans la ville. Beaucoup de femmes étaient assises devant leurs maisons, occupées à de petits ouvrages comme en pleine paix^ L'accueil que leur firent les habitants des environs de la cathédrale fut silencieux, comme si ce retour présageait de nouveaux malheurs.

Bientôt Précy rejoint Rimberg. Les deux chefs s'é- treignent; le général en chef sait maintenant qu'an pseudonyme, qui n'est pas sans gloire, dissimule un camarade de la vieille armée, plein de hardiesse et de vigueur. Il le félicite des combats livrés, il le remercie des approvisionnements ramenés. Le général en chef serre la main des officiers qu'il connaît, il s'inquiète des absents et donne à la mémoire de Servant, de M. de Nicolay, du vieux Laferté, les regrets que méritent ces braves.

Les officiers de Saint-Etienne, de Montbrison et de Peurs sont les bienvenus; ceux qui ont déjà porté l'épau- lette ou qui appartiennent à la noblesse de la région : les Mauboii, Du Rozier, Puy do Muzieu, Prdissac, etc., auront à son état-major ou dans les troupes les emplois qu'ils méritent.

Derrière le vieux général et l'alerte commandant, la colonne franchit la Saône sur le pont Saint-Jean. Par le quai des Gélestins, la place et la rue Confort, elle s'en- gage dans la grande rue de l'Hôpital, s'allongeant indé- finiment avec ses chariots de grains, ses charrettes de voyageurs. Les émigrants retrouvent un peu de leurs petites cités dans la grande ville, il leur faut faire déjà

1. Manns«Tit du marquis «ie Poncins.

2. Alexîindrine des Erlierolles, une Foinille nohle sous la Teneitr^ p. 87.

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ 4i5

leur apprentissage du bombardement, car des projectiles arrivent des batteries de la Guillotière. Enfin les rangs sont rompus, les militaires veulent aller en bon ordre sur la place des Terreaux, saluer les autorités adminis- tratives, les Foréziens non combattants entrent alors au hasard dans les maisons. On leur accorde une hospita- lité un peu froide, quelque peu chagrine, mais qui de- vient cependant plus cordiale et plus charitable à Tégard des femmes ^ Leur aspect imposait la pitié. Quelques- unes suivaient leurs maris à cheval, et l'on affirmait qu'elles ne les avaient point quittés pendant la fusil- lade 2.

« Celles qui n'avaient pas de chevaux, lisons-nous dans les Souvenirs (fun officier républicain en 1793'*, étaient montées sur les caissons de Tartillerie avec leurs enfants dans leurs bras ou accrochés comme ils pouvaient à leurs jupes. 11 y en avait jusque sur les canons, ot si une nuit de bivouac suffit pour donner aux troupes les mieux équipées et disciplinées un aspect ter- reux et livide impossible à décrire, il n'est pas d'expres- sion qui puisse rendre celui de femmes et d'enfants ayant bivouaqué une ou deux nuits avec des vêtements qui se souillent et se déchirent d'autant plus vite qu'ils sont plus luxueux. Des fraîches toilettes d'été de l'avant-veille, il ne restait plus aux pauvres dames de Montbrison que de sordides haillons et du linge malpropre. Leurs che- veux dépeignés, embrouillés et dépoudrés étaient collés sur leurs figures hâves et terreuses. La fraîcheur de leur teint avait disparu sous un masque de poussière. Elles

i. Morin, dans son Histoire de Lyon (t. III, p. -iOI), affirme que la co- lonne de aimberg avait emmené prisonnière la mère de Javogues en quittant Montbrison. Cette assertion se trouve dans un rapport de ChA- teauneuf-Handon. Dans tous les cas, la vie de M~* Javogues fut respectée, contrairement à ce qui devait se passer à l'égard de tant de feiumes lyon- naises arrêtées à la suite du siège.

2. G. d'Orcet, le Siège de Lffon^ sourenirs d'un officier réinihlicain en 1793 {Revue britannique, iS80, nouvelle série, t. 111, p. 81).

446 l'insurrection de lyon en 1793

faisaient peur à voir. Et ce n'était que le commencement de leurs souffrances*!... »

Le tableau un peu sombre, d après les Souvenirs de fofficier républicain^ caché sans doute dans Lyon en « éclaireur » de Tarmée de siège, devait s'éclaircir. La plupart de ces femmes étaient jeunes, beaucoup étaient belles, elles retrouvèrent leur grâce et leur gaieté et Ton entendit encore des rires et des chansons, quand les fugitives se virent plus cordialement accueillies.

Plusieurs d entre elles, dit M"" des Kcherolles^ restèrent dans le quartier que nous habitions.

On les logea le mieux qu'il fût possible et chacun prélevant sur son nécessaire, leur envoya des présents que le dénûment elles se trouvaient leur rendait précieux. Les uns envoyèrent un peu de pain ou de farine, les autres, un petit morceau de viande, quelques personnes leur donnèrent des vêtements. Notre offrande fut une écuelle de haricots blancs.

Il ne semble pas que les autorités civiles aient fait aux braves de la colonne Rimberg Taccueil qu'ils méritaient, ne fût-ce que pour les approvisionnements ramenés par eux à travers tant de périls. Seul Précy les remercia publiquement, en soldat qui parle à des soldats, et il faut ajouter aussi en gentilhomme qui s'adresse à ses égaux L Les corps administratifs estimèrent sans doute que le contingent de Montbrison et de Feurs comptait trop d'ofliciers de l'ancien régime, trop d'aristocrates, et

1. G. d'Orcet, Hrvue hrifnnnif/ur, 1880, nouvelle série, t. III, p. 88.

2. Alexaiidriiie des Echerolles, une Fcnn'iUe noide smis la Terreur. Paris, Pion, 1000, p. S!). L'auteur mentionne (p. 87 ; « M™" Camille Jordan, à che- val à côté de son mari qu'elle n'avait pas quitté pendant plusieurs atTaires sérieuses. ^ M"* des Flcherolles, ordinairement si exacte, commet une erreur, car Camille Jordan, <|ui n'avail d'ailleurs que viu^t-deux ans, n'était pas njarié à cette épocjne. (Rt'nsfii/nr/tu'u/s f'nunùs pur la /'aniillc Jordan.)

.3. Le jL'éiiéral Jun^ dans son ouvrai^e sur Dubois-Crniicé, appelle Précy un soldat de fortune. Itappelous «pie Perrin de Précy appartenait à une aiii'ienne famille de Honi"j,^)j;ue, dej»ui*^ longtemps en })osses3ion de la noblesse, <\n\\ «'t.iil chevalier de Saint-Loui> depuis IlSl à trente-huit ans, lieutenant-colonel en IIS'», c'est-r'i-dire à (]unraule-deux ans. 11 avait donc tout lieu d'e>pér«M- de devenir offiejcr général.

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ 447

leur Bulletin officiel garda le silence sur l'entrée dans Lyon de cette poignée d'hommes qui avait occupé le Forez et qui s'y était maintenu contre des forces supé- rieures, pendant plus de deux mois. Seule la confrater- nité militaire devait dédommager de tant d'ingratitude les vainqueurs de Rive-de-Gier, de Saint-Etienne, de Boën et de Salvizinel.

Les circonstances exigeaient cependant le concours de tous les efforts et Tunion la plus absolue. Dans cette môme journée du 15 septembre, Précy adressa directe- ment aux Comités de surveillance des sections une lettre dans laquelle il constate la diminution numérique des forces militaires dont il peut disposer. Certes les mala- dies et le feu de l'ennemi n'en sont que des causes trop visibles, mais il y a aussi des citoyens insouciants qui ne répondent pas à Tappel de la cité, il y en a qui, par des subterfuges coupables, se soustraient au devoir de concourir à la défense générale.

Le général commandant la force de sûreté de Rhône- et-Loire demande donc aux Comités de surveillance de faire d'activés recherches. « Qu'ils engagent tout citoyen qui n'aura pas encore pris les armes à s'incorporer de suite dans son bataillon ou même dans une compagnie casernée* ». Les Comités sauront discerner les hommes en état de combattre de ceux que leur état de santé ou leur âge rendrait inutiles ou gênants, et le général ter- mine par cette phrase vibrante :

Ceux qui ne se rendront pas à cet appel seront des lâches ou des traîtres, qu'ils soient traités comme tels sans avoir égard à aucune réclamation. La ville en ce moment n'a besoin que des gens utiles, elle est en danger, il ne doit y avoir qu'un seul cri : « Sauvons-la ou périssons tous ^ ! »

1. Nous rappelons «juc les conipagiiies caseriiées, composées de grena- iliers et «le «'h.isseurs, roiislitiiaieiit les troupes actives destinées aux opé- rations à l'extérienr.

2. iiCf/tsfrc de la C,(Hninis.sion de surreillunce des droits de l'hotnme. V. Varscn, Docuinenfs imprhnés {Lyon en 171)3 : le Sièye)^ p. 124.

448 l/iNSURREGTION DE LYON ES 1793

Le même jour, Précy, qui avait apprécié dans plusieurs affaires un jeune officier qui suivait en volontaire son état-major et qui s'était distingué par ses qualités mili- taires, avait demandé aux corps administratifs de ratifier la proposition d'adjudant-général faite en sa faveur. Le président Gilibert avait signé le brevet au nom que lui indiquait Précy, nom fort modeste, et qui ne pouvait offusquer les susceptibilités républicaines de Tbôtel com- mun : Arnaud. En réalité, le citoyen Arnaud s'appelait le chevalier Isidore de Melon'. Ancien sous-lieutenant au régiment de Beaujolais, un an auparavant, il avait été l'un des organisateurs de la chouannerie du Vi- varais.

Après la défaite de Saint-André-de-Cruzières, il fit des prodiges de valeur, le chevalier de Melon avait pu s'échapper et gagner Lyon. Pendant plusieurs mois, il y vécut en se faisant passer pour un employé de com- merce. Ardent royaliste, il n'avait pas vu sans regret les déclarations républicaines de l'insurrection lyonnaise, et s'était borné à combattre les Jacobins, en gardant le secret sur son nom et sur son grade. Mais sa bravoure, son sang-froid, les conseils qu'il donnait à ses compagnons d'armes inexpérimentés ou irrésolus le dénoncèrent au général on chef. Dans un entretien plein de cordialité, Précy lui arracha la confidence de son passé d'aventures héroïques- et, tout en l'engageant à ne pas dévoiler son nom, le décida à accepter le grade d'adjudant-général.

1. Louis «le la Roque, Armftrud r/c la nohh'ssr (ht Uuif/uedoc, Montpel- lier, Seguin, 1N60, t. II, Funtille tle Melon. Joseph de Melon, qui prit part à rassemblée <le la noblesse en 1780, .ivail épous»* Philippine de Ho(piefruille, dont il eut six enfants. I.r second est ainsi nientioiuié : « Isidore, colonrl adjudant-major de l'armée lyonnaise en l'î>3, connu sous le nom du giMiénil Arnaud. »

2. <•. Le chevalier de Melon surtout, jeune enthcmsiast»' de vin^t-qualre ans, animé d'une ardente foi dans le succès de la cause royale, brave. éloquent, brillant, ]iersu.'isif, (pii ne r«>vait que de lauriers h moissonner, et brûl.iit de vaincre ou de mom'ir. w Krnest Daudet, Jlistoin' i/rs cons/tira- lions rut/(i/is/fs du Midi sous la Hêvalufinfi. Paris, Hachette, 1881, p. 1.^8.)

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ 449

dont le brevet * lui parvint le jour môme de Fentrée dans Lyon du détachement du Forez. Le général « Arnaud », comme l'appelèrent les Lyonnais, devait s'entendre avec le général « Rimberg »...

Malheureusement Tun et Tautre arrivaient trop tard, rheure de l'offensive était passée, le cercle des avant- postes allait encore se rétrécir. Pendant la nuit du 15 au 16, le général Guy Coustard, dont la division de Montessuy était renforcée par une brigade de 1 .500 hommes provenant de la garnison de Valenciennes, donna vers minuit l'assaut à la maison Nérac, qui depuis la prise de la maison Panthod, était au centre des ouvrages de la Croix-

1. Nous avons relevé ce brevet dans les pièces de la Collection Cosle^ à la Bihitotkèque municipale de Lyon.

in

RÉPUBLIQUK UNE ET INDIVISIBLE

H.É8ISTANCE A l'oPPHBSSION ARMI-'B DE SURBTi^. t»B RHÔXE-ET-LOIHF

Brevet

du

colonel adj idaiit-^énéral

Les corps administratifs séants à Lyon et les délégués du peuple de Rhônc-et-Loire, fonnant le Comité général de Salut public du département ayant, par Tarrôté du 13 de ce mois, déféré au général en chef de la force de sûreté, la présentation des candidats pour les places d*officiers des di- vers corps de troupes qui doivent composer ladite force ;

Sur l'état que le général Précy a présenté de ces candidats, le Comité uiilitaii*e, ensuite des pouvoirs à lui donnés par l'arrèlé susdit, a agréé et nommé le citoyen Arnaud pour remplir les fonctions de colonel adjudant^ général près la force de sûreté de Rhône-et-Loire, sous les ordres du gé- néral Précy. Le comité militaire a requiert en conséquence les autorités constitués de la force armée destinées à la résistance à l'oppression de re- connaître le citoyen en qualité de colonel adjudant-généi*al, après avoir prêté le serment prescrit.

Va par le général en chef de la force de sûreté :

Précy.

A Lyon le 15 septembre 1793, Tan H de la République une et indirisible.

GiLiRERT, président.

Koregielré au Bureau militaire du général en chef. BoYRivE.x, secrétaire.

29

450 l'insurrection de lyon en 1793

Rousse. Le poste lyonnais ne fut pas surpris, car un habitant de Caluire vint prévenir l'adjudant-général Coindre qui le commandait. C'était un ancien professeur, peu au courant des choses militaires, mais très brave, il demanda du renfort à Gingenne; le brave commandant avait été avisé d'une attaque imminente contre sa propre redoute et il ne put envoyer à la maison Nérac qu'une partie de la compagnie des arquebusiers. Ce renfqrt fut insuffisant, on dut se reporter en arrière sur le poste du centre et la redoute Gingenne. D'ailleurs la maison Nérac n'était plus habitable, sous le feu d'artillerie ennemie.

« L'escalier de pierre de taille, dit l'un de ses défen- seurs, Nolhac*, avait été enlevé par le canon, le toit brûlé, des pans de murailles renversés. Nous ne savions plus placer nos sentinelles et nous étions obligés de faire des trous dans la terre pour les y enfouir jusqu'à la tête. » Aussi la perte de ce petit ouvrage n avait-elle d'importance que parce qu'elle faisait constater les pro- grès de Tennemi. Un jeune Lyonnais nommé Roujeon, ayant la témérité d'étendre la main pour arrêter un boulet au passage, répondit à roflicier qui l'engageait à être plus prudent et à se baisser : (( Je n'ai pas peur. » Un boulet le décapita*. Un capitaine, qui venait de la redoute Gingenne, eut le bras fracassé 3, il refusa de quit- ter sa compagnie, on dut l'emporter presque de force. Plus loin un chef de pièce, qui s'appelait Tamen, renommé pour son habileté de pointure et son sang-froid, eut la main gauche coupée par une balle ^. Enfin l'adjudant- général Coindre fut blessé lui-même grièvement et fait prisonnier*.

1. J.-B.-M. Nulhac, Siturcnirs de la Révolulhni à Lt/ou, Lvoii, iSii.

2. Jd.

3. Id.

4. BalIry.Ii»M-, t. H, p. 103.

5. Les représentants au Coiiiitr de Saliii pulïlic 17 septembre 1793 [Ar- chives /usf<>)'ufnes de In (Jfterre : Armée des Alpes\ septembre 171K3).

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ 151

En évacuant le poste Nérac, à deux heures du matin et en emportant tous les blessés sauf deux, les Lyon- nais abandonnèrent deux petites pièces de quatre. Ce minime trophée fut le prétexte d'une plaisanterie de mauvais goût de la part du général Guy-Coustard, qui, par un trompette, envoya à Précy la lettre qui suit :

Mon cher général,

La présente est pour vous annoncer la restitution de deux canons d'enfants que vos muscadins ont oubliés cette nuit dans la redoute Nérac, soyez assez bon pour m'en accuser récep- tion.

Salut et fraternité,

GuY-CoUSTARD.

A cette lourde facétie, Précy fit une bonne réponse : à sept heures du matin, Tattaque reprenait sous sa direc- tion personnelle contre la maison Nérac; toutes les troupes de la Croix-Rousse, y prenaient part et l'ennemi à son tour devait Tévacuer. Coustard écrivait à son ancien camarade aux mousquetaires, Dubois-Crancé :

Depuis sept heures, les rebelles font un feu infernal sur la maison Nérac, bombes, boulets, obus et mitraille y pleuvent comme grêle ainsi que la mousqueterie. Ce feu nous coûte déjà 20 hommes tant tués que blessés, dans le nombre desquels est le citoyen Lecomte, chef de bataillon.

Le feu est aux quatre coins de la maison Nérac, il nous y faudrait du huit, du douze, du seize pour nous y faire respecter. Les deux pièces que nous avons envoyées à Limonest nous font bien faute en ce moment ainsi que le bataillon delaDrôme. Je n'ai pu relever mes gardes aujourd'hui et il est de toute nécessité que le bataillon de la Drôme nous rejoigne.

Et dans son respect craintif, ce général en chef, qui restait toujours le subordonné des représentants, ajoutait:

432 l'insurrection de lyon en 1793

J'attends votre réponse pour passer Tordre à Limonest.

Il est vrai que, comme compensation en terminant, Coustard critique le commandant du camp de Limonest :

Le général Rivaz demande tout, garde tout et prend tout ce qui passe chez lui, il finira par s'adjuger toute Tarmée*.

Sans s'inquiéter du conflit de commandement, Dubois- Crancé ordonnait au général Vaubois, qui disposait de 40 bouches à feu dont 18 mortiers, de mettre plus d'acti- vité dans le bombardement. La recommandation fut sui- vie et de nouveaux décombres vinrent s'ajouter à toutes les ruines ^ Les batteries de la Guillotière se rappro- chaient et leur tir devenait de plus en plus efficace. L'un des adjudants-généraux de Précy, Champreux, envoyait à Madinier, commandant de la garde nationale, un appel pressant au nom du général en chef, pour faire relever les retranchements un peu partout, aux quais du Rhône comme à la Croix-Rousse :

Au nom de la Patrie, envoyez de suite le plus de citoyens de bonne volonté que vous trouverez dans le bataillon, pour aller aux travaux des postes avanoés. Requérez, prenez de force pelles, pioches, brouettes, chez les jardiniers"^.

Au lieu de seconder les généraux, les Comités de Sur- veillance votaient des vœux* c^nime la déportation des suspects"' quand il suffisait de saisir la Commission chargée de juger les crimes et délits militaires. Celle-ci fonc- tionnait régulièrement et s'eiVorçait de racheter la période (le faiblesse elle ne punissait l'espionnage })ar les

1. Vaësen, Daruinenls impriinrs [Lyon en 1193 : le Sièf/e), p. 120.

2. Bulletin tlé/jarteinental, n" IG «lu 18 septoinbre 1793.

3. Arc/ii-es nt un ici finies, (^^pie de cette noie datée du 16 sejiteinbre, de récriture de Champreux.

4. Vaëseii, Documents imprimes L>/<in en 1793 : le Sièf/e^) p. 120.

5. « Et celle des tilles de joie. » (M«*iue source.)

LN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ 453

femmes, que de la punition dérisoire de raser la moitié de la t^te; elle prononça même des peines d'une sévérité exagérée contre certains propos tenus dans les cabarets ^ . Précy s'efforçait de réagir contre la mollesse des uns et Texcès de zèle des autres ; on lui signalait des chefs de bataillon visiblement découragés et des commandants de postes avancés qui, par manque de sang-froid, impo- saient à leurs troupes des fatigues inutiles. Il rappela par un ordre général daté du 17 septembre^ ses instructions du H septembre, qui devaient être strictement appliquées pour les troupes de piquet -^ ^

Ces prescriptions étaient sages et elfes devaient con- tribuer à prolonger la résistance, mais h ia Croix-Rousse comme sur la rive gauche du Rhône, les avant-postes de Tennemi avaient progressé. « Le cercle se rétrécissait dit Nolhac, et il était évident que nous avancions vers la

catastrophe inévitable pour toute ville assiégée qui n'est pas secourue. L'ennemi activait son feu. Le jour était autrefois plus tranquille que la nuit, maintenant il n'y avait plus de différence*. »

Dubois-Crancé et Gauthier écrivaient au Comité de Salut public^ : « Lyon est cerné, tous ses avant-postes se sont repliés, et il n'a plus de ressources que dans son inté- rieur. » Les deux représentants mentionnent avec satie^

1. Jugement tlii 17 septembre, condamnant à la peine «le mort deux citoyens, les sieurs B... et M... pour avoir décrié la monnaie obsidionale, et exprimé le désir de voir entrer dans Lyon l'armée de Dubois-Cranré.

2. Archives Kiunicipnles de Lyon.

3. Archires muuicipulen, 11 septembre 1193. Le général de Préry n'avait pas le droit de pourvoir directement à Tarmement ou ù réqui})e- uient de ses troupes. Nous avons relevé aux Archives départementales^ la pièce suivante: ^ 16 septembre. Gros, capitaine, commandant la 4' Com- pagnie d'artillerie deman«le à renouveler la caisse d'un tambour, crevée par un boulet. ^

« Accordée.

«^ RoYEii. officier municipal, président du Comité militaire. »

4. J.-B.-M. Nolhac, Souvenirs de la dévolution à Lyon^\\. 196.

5. Le n septembre.

454 l'insurrection de lyon en 1793

faction leurs dernières captures : le maire de Saint- Etienne, Praire-Royet, « ensuite un ci-devant noble noble nommé de Meaux, chef des conspirateurs de Montbrison », Stender, fournisseur des équipages de. l'armée, et « un nommé Coïndre, agent furieux de Taris- tocfatie, jadis proviseur et blessé au poste de la maison Nérac, comme adjudant-général de Tarmée lyonnaise*». Ils n'éprouvent pas moins de joie à constater qu'à Lyon le pain d'avoine vaut actuellement quinze sols et que la viande est réservée aux malades. *< Les colonnes qui serrent Lyon sont tellement liées et les mesures ont été si bien prises, qu'il ne peut passer un homme à cheval sortant de Lyon qui ne soit arrêté sur telle route que ce soit. Le feu de l'artillerie ne discontinue ni jour ni nuit. Il écrase mais il ne brûle pas; dès que le feu se manifeste il est éteint de suite. Nous n'avons pas assez de mor- tiers^... »

C'était en eflFet la disette de vivres qui menaçait de plus en plus les malheureux assiégés. Le 18 septembre, les corps administratifs réglementent, plus sévèrement qu'ils ne l'avaient encore fait^, les distributions de pain et ce pain, comme le disaient méchamment les représentants, n'était plus que de l'avoine pilée et mal cuite. Le peu d'approvisionnements rapportés du Forez avait causé une vive déception, cependant la population acceptait sans murmurer cet excès de privations auquel ne devaient pas résister tant Je vieillards, de malades et de blessés.

Par un raffinement de cruauté, les représentants em- pêchaient leurs partisans, les Jacobins, qui n'avaient pas quitté la ville, de fuir la famine ; ceux-ci devaient mainte- nant en être les victimes afin de contribuer auparavant à Tépuisement des derniers vivres Je Lyon. Comment en

1. liapporf ])récité (Arc/iireft historujucs de la (iuerre: Armée des Alpes).

2. Id.

3. Bibliothèque municipale de Lijtm. CoUectioN To.v/p, p. 650. Arrêté signé Gilibert, président.

UN COMBAT DÉMONSTRATIF BIEN MENÉ 455

douter en lisant Tordre qui restera comme, un stigmate sur la mémoire de Dubois-Crancé et de son adjoint, le repfrésentant Gauthier :

Au quartier générai de la Pape, le 18 septembre 1793, l'an II de la République.

Le général de Tarmée est requis, attendu que la ville est complètement cernée du jour d'hier à minuit, d'ordonner aux avant-postes de ne plus laisser personne sortir de Lyon.

La République retrouvera ses enfants lorsque Tarmée y entrera.

Dubois-Crancé et Gauthier.

CHAPITRE XXV

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNEUF-RANDON. - LES COMBATS DE CUIRE, DE LA DUCHÈRE ET D'OULLINS

La Convention ne s'était pas contenté d'investir Lyon par une armée régulière, elle avait renforcé l'investisse- ment militaire par un autre cercle qu'on pouvait appeler celui de la famine. Six de ses membres avaient la con- signe impérieuse d'enrôler un grand nombre d'habitants des campieignes, de les armer autant que possible, de battre avec eux tout le pays depuis le département de TArdèche jusqu'à celui de l'Ain* et d'y intercepter tous les approvisionnements, qui pourraient parvenir à Lyon. Trente mille hommes marchèrent ainsi sur la ville re- belle et, chemin faisant, rançonnèrent les douteux, les suspects, so faisant redouter des municipalités jacobines elles-mêmes quand elles n'avaient pas quelque vengeance à leur confier.

Le plus marquant de ces représentants était Chàteau- neuf-Uandon « ci-dovant marquis » comme l'appelle le Bul- letin déparipinnitai^. Sa mission dans la Lozère en juil- let 1703, après Téchec du soulèvement tenté par Charrier, il fit preuve d'une grande activité dans la poursuite des bandes royalistes, avait appelé sur lui Tijttention du Comité de Salut public qu'exaspéraient les lenteurs du siège de Lyon. On l'avait chargé, en qualité d'ancien officier, de diriger au point de vue militaire, les réquisitions des gardes nationales du Puy-de-Dùme, du Cantal, de la Haute-

i. liiiUetui ths fnihnih's t/ii/Hnirrs . ('olleclion Charavay. Happort de Châte.'iuiHiif-IiainIoii an Coiiiilé de Salut ])ul)lic, 20 soptembiv. 2. Numéro «lu 19 septeuibre 179i{.

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNEUF-HANDON 457

Loire, de Saône- et- Loire et de TArdèche. Ses collègues Maignet et Cou thon devaient Tassister et le surveiller; ils le quittèrent pendant quelques jours pour rester l'un à Montbrison, Tautre à Clermont*.

Quel speclacle admirable et touchant, écrivait Châteauneuf- Raiidon au Comité de Salut public, de voir la masse vertueuse du peuple levé contre les rebelles, quittant femmes, enfants et toutes sortes de travaux bivouaquant toutes les nuits et cam- pant maintenant sans tentes et sans aucun effet d'habillement et manquant d'effets indispensables. La Convention nationale doit bien prendre sous sa protection les femmes et les enfants des citoyens qui, dans cette c rconstance, ont marché avec tant de zèle et qui sont dans le besoin'^

Les femmes et les enfants pouvaient mériter l'intérêt des autorités, mais les chefs de famille étaient d apparence inquiétante.

Ce n'était pas en effet les glorieux bataillons de volon- taires, qui couraient défendre la frontière, c'étaient de véritables hordes aux allures de jacquerie, laboureurs des montagnes d'Auvergne ayant abandonné leur maigre sol, pâtres ayant déserté leurs troupeaux, encadrés de quelques artisans de petite ville, rétameurs de chaudrons ou ramo- neurs de cheminées. Us accouraient enfiévrés d'espoir de toutes les ripailles, de toutes les orgies, on leur avait promis de piller Lyon tout à leur aise; aussi beaucoup emportaient sur leurs petits chevaux ou sur des ânes d'énormes sacs qu'ils comptaient bien remplir.

Les bandes rassemblées parJa vogues, qui avaient occupé Saint-Etienne et Montbrison, rejoignirent celles de Château- neuf-Randon devant Lyon. Javogues plaça ses réquisition- naires autour de Saint-Genis-Laval, à deux lieues et demie

i. Le rapport de Chateauneuf-Haiulon du 20 septembre pn'»cité s'ex- prime ainsi : « Guuthuu est toujours à Clrrmont et fait refluer par ses grandes mesures les besoins de l'armrc. Maignel est resté deux jours de plus à Montbrison pour y réorganiser les corps constitués. n

2. Archite.s histnri(/ut's de la (juerre : Année fies Alpes^ septembre 1103.

4S8 l'insurrection de lyon en 1793

de Lyon', ReTerchon et Laporte lui étaient adjoints. Chàteauneuf entassa ses pa3^sans auvergnats dans un immense camp, dont la droite s'appuyait à Saînle-Foy et la gauche touchait presque le château de la Duchère- occupé par les Lyonnais.

Dubois-Crancé, qui gardait la direction générale des opérations, envoya aux deux nouveaux corps d'armée, si Ton peut appeler ainsi ces cohues tumultueuses et indis- ciplinées, 3.000 hommes de troupes aguerries pour les encadrer. Il préleva pour faire le service de l'arrière 5.000 réquisitionnaircs et les interna dans les camps des Brotleaux et de Galuire^

L'armée d'investissement se trouva donc forte de 35.WJ0 hommes, dont 8.0<X) environ de troupes réglées, 22.000 d'î réquisition « armés à moitié'* » et partagés, sur l'ordre exprès de Dubois-Crancé en cinq colonnes de 2.500 hoQimes ayant en tète 1.0(M3 hommes des bataillons de volontaires. 11 n^ avait qu'un seul bataillon d'ancienne formation, provenant de rex-23' régiment de ligne'*.

Dubois-Crancé avait mis ces collègues au courant de la situation. Jusque on n'avait pu qu'intercepter les subsistances de Lyon, canonncr, bombarder, à la (iuil- lotière et devant la Croix-Rousîse et, par un(» prudente offensive des avant-postes, gagner quelques positions do- minantes. Quant à tenter une attaque de vive force ii la Croix-Rousse, c'eût été une grande témérité, surtout avec des troupes comprenant des réquisitionnaircs pour les deux tiers et quand il s'agissait d'enlever« six étages de redoutes » défendues par 1.50Û hommes déterminés et

\. (\nnftte re/i(/u à la (Convention nfitionale delà mission îles rejtrésen- lants (ht jjeufile à l'année des Alj/es Ihilmis-Cidncé et (iatithiei\ parDiiliois- (Iranré.

2. Mj^iuc document.

a. hl.

\. G*est-ù-<lire .irnue «le piijues, cii attendant qu'ils eussent ties fusils.

*). Tuus ri's tlrtails sont extraits du rapjxu't lu à la Convention par Dubois-Crancé.

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNEUF-RANDON 459

aguerris et une nombreuse artillerie, bien approvisionnée et bien servie ^

Du côté des Brotteaux, Tassant ne semblait pas moins impraticable. Les Lyonnais avaient construit, à la sortie du pont Morand, la fameuse redoute qui tenait en échec les troupes du général Vaubois. Dubois-Grancé la décrivait comme ayant « la forme d'un immense fer h cheval élevé avec des pierres de taille » et dans sa plus grande partie « tlanquée de terrasses, avec un excellent fascinage, protégée en avant par un fossé de vingt pieds de large et douze pieds de profondeur ». Huit pièces de canon en embrasures et un millier d'hommes la défendaient.

Toute la plaine était sous le feu d'autres redoutes : à la gauche, du côté des Charpennes,à la droite,vis-à-vis de la Guillotière. En avant du pont, il y avait un abatis de pieux «dangereusement placé, » chaque maison des Brot- teaux était crénelée et fortifiée, le pont coupé et machiné avec tant d'habileté qu'un seul homme faisant jouer une bascule mettait une arche à découvert. Enfin le quai du Rhône était garni de batteries dont le feu croisé aboutis- sait à la tête du pont; les canons des Colinettes, au pied de la colline Saint-Sébastien, dominant le quartier Saint-Clair et le fleuve, balayaient toute la plaine entre les Brotteaux et la Tête d'or-. Il fallait donc chercher des points d'attaque différents.

Châteauneuf-Randon pénétré de ces difficultés et s'exagéraut évidemment son influence sur la population lyonnaise qui le connaissait peu, crut devoir adresser la sommation qui suit :

Un décret de la Convention nationale a nommé Couthon, Cliàteauneuf-Handon et Maignet adjoints à Dubois-Crancé, Gauthier, Reverchon, Delaporte et Javogues, pour soumettre les rebelles de Lyon ; le peuple des départements de Rhône-et-

1. Rapport de Duhuis-Crancé, précité.

2. Id.

460 l'insuiihection de lyon en 1793

Loire, du Puy-de-Dôme, du Cantal, de l'Ardèche, de la Flaute- Loire et autres que nous dirigeons personellement s'est levé en masse pour faire respecter les lois dans la ville de Lyon, il veut que Ton s'y soumette sans réserve. Habitants de Lyon, au nom du peuple français, vous êtes sommés de reconnaître les décrets de la Convention nationale, de mettre bas les armes et d'ouvrir vos portes, 60.000 hommes vous entourent, vos intelligences avec les ennemis de la République sont détruites, les Piémon- tais sont chassés du Mont-Blanc, les Anglais et les Espagnols n'osent souiller plus longtemps le territoire de la Liberté dans Marseille et dans Toulon.

Les Anglais et le duc d'York ont été, complètement battus à Dunkerque, ils fuient à grands pas le territoire français.

L'armée des alliés est entièrement dispersée et tous leurs magasins sont en notre pouvoir; partout le peuple français fait triompher sans réserve les principes étemels et sacrés des droits de Tégalité et de la liberté.

Ouvrez vos portes, Lyonnais! Ou la vengeance du peuple est prête à éclater sur vous.

J'envoie cette sommation a mes collègues qui occupent les divers camps qui vous bombardent, afin de vous la faire parve- nir et pour les engager à faire cesser le feu des batteries diri- gées contre vous jusqu'à huit heures du soir. Passé cette heure, la masse du peuple est prête à vous porter les derniers coups et dès ce moment-là, les représentants du peuple ne répondent plus de vos personnes ni de vos propriétés.

Ce dix-neuf septembre 1798. l'an II de la république une et indivisible

Chatkauneuf-Randon '.

A cinq heures du soir, sur l'ordre de Dubois-Crancé, le }i;énéral Vauhois, au camp de la Giiillotière, fit suspendre le feu d<» SOS batteries et envoya la sommation par un trompette, (^elui-ci fui conduit à riiôlel commun et remit son message à M. Courbon de Montviol, le nouveau pré- sident des corps administratifs qui, dans Timpossibilité de réunir immédiatement un nombre suffisant de ses col-

1. Monlliiel, iinp. de l.innéc, 17U3. V. Varsen, Documents iynprinn'S {Lyon en [V.n, le Sièf/e, p. 131].

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNEUF-RANDON 461

lègues, engagea le parlementaire à rentrer dans son camp, promettant une réponse avant la nuit.

Les batteries de Montessuy n'avaient pas cessé de tirer sur les avant-postes de la Croix-Rousse et sur la partie Nord de la ville sans que les Lyonnais ripostassent.

A neuf heures, les corps constitués envoyaient au camp de la Guillotière un court billet à Châteauneuf- R and on :

Votre trompette est arrivé à six heures, vous nous demandez une réponse pour huit, ce qui est impossible. Nos concitoyens sont sous les armes, vous ne pouvez en douter; ils ne peuvent être assemblés que demain pour exprimer leur vœu sur votre lettre.

ROUBIEZ, MONTVIOL,

Secrétaire. Président.

Au moment un second trompette, mais cette fois Lyonnais, se présentait aux avant-postes de la Guillo- tière en sonnant au parlementaire, le feu recommençait sur toute la ligne des deux côtés, sans qu'on puisse dé- terminer à qui incombait la reprise des hostilités. II semble même que l'envoyé des Lyonnais n'ait pas pu remplir sa mission et qu'il ait été obligé de rapporter le message dont on l'avait chargé.

Le lendemain 20 septembre, dans la matinée, il arri- vait à THôtel de Ville, toujours parla voie d'un parlemen- taire, une seconde sommation du même représentant, elle est encore plus impérieuse :

Vous avez violé et trahi tous les devoirs de la nature et toutes les lois de la guerre dans la journée d'hier; ceux de la nature, sur un de nos frères qu'une de vos patrouilles avait blessé à la

i. Guillon de Monléon t. 11, p. 59. Vaësen, Documents imprimés [Lifon en M9Z, le Sièf/e, p. 132).

2. Rappelons que Koubiez était un religieux de l'Oratoire, fort érudit et fort vertueux, qui dissimulait son caractère sacré pour servir la cause lyonnaise.

462 l'insurrection de lyon en 1793

cuisse et qu'elle a haché et coupé en petits morceaux < ; les droits de la guerre parce que le feu des batteries qui vous cernaient et qui vous bombardaient, avait cessé et que la vôtre s'est fait entendre à sept heures et demie du soir en face de la Guillotière par le trompette vous était parvenu. Et cependant vous avez reçu la sommation du peuple français à six heures et malgré qu'il vous ait donné jusqu'à huit, notre tron^pette n'est arrivé qu'à neuf, sans apporter de réponse satisfaisante au vœu du peuple qui vous environne et qui va pénétrer dans Lyon.

Je vous le répète, les représentants du peuple, dans ces promptes et dernières conditions, ne répondent plus de vos personnes et de vos propriétés.

Le 20 septembre 1793 l'an II de la République Une et Indivisible

Chateauneuf-Randon *

Le « Peuple », image majestueuse à laquelle se com- plaisait le représentant, désignait, avec un excès de bien- veillance, les bandes de réquisitionnaires à grands sacs, qui ne se souciaient ni de prendre part aux combats d'avant-postes, ce qui était dangereux, ni de travailler aux terrassements de l'artillerie, ce qui était fatigant. Ils demandaient avec impatience quand ils pourraient faire leur cliargpment et s'étonnaient de ce qu'on les eiit amenés devant une ville dont les habitants se défendaient à coups do canon.

Les corps administratifs avaient engagé les différentes sections, à nommer douze commissaires qui devaient se rendre dans lu lo^e du Change pour délibérer, le 20 sep- tembre, à huit heures du matin, sur les sommations de Chûteauneuf-Randon -K

Au moment un trompette lyonnais partait à son tour pour la tùtc de pont des Brottoaux, les batteries de la

1. Accusation qui ne i»nnn't pas exacte.

1. Mnntliiel, inipriuierie de rarmée, iTJ3. Vaësen. Dncumenis impri- nu's [L'/on en 1703, le Sièf/c), p. 133. Cf. aussi Bulletin des autorités )nilif (tires collection Charavav).

3. Ke^'istres de la commission de la section des droits de l'homme. Vai'sen. p. 133.

LES SOMMATIONS DE CIIATEAUNEUF-RANDOX 463

ConvftntioQ reprenaient le feu sur toute la ligne. Aussi, dans cette même soirée du 18 septembre, le Bulletin départemental imprimait-il d'urgence la véhémente pro- testation que nous reproduisons :

Châteauncuf-Randon, ci-devant marquis, somme les Lyon- nais de se rendre ; il est accompagné de Maigoet et Couthon que la Convention associe à Crancé, Gauthier, Javogues, Reverchon et Laporte. Huit représentants du peuple français président à la destruction d'une ville libre, républicaine et française. Huit législateurs commandent et font exécuter sous leurs yeux le meurtre, Tincendie et le pillage ! Ils se lassent d'attendre leur proie, deux sommations se succèdent. Eh bien ! ils ont appris que la persécution éprouve Tàme des hommes courageux et libres. Ils connaissent, parles actions dont ils sont les témoins, le cas que le peuple de Lyon fait de la liberté et de la gloire qui est déjà le prix de sa résistance à Toppression et à la tyran- nie. Son vœu est exprimé sous le fer et sous le feu de ses implacables ennemis : il a délibéré et sa résolution unanime a été de vaincre ou de mourir'.

Une des bombes des batteries de la Guillotière mit le feu à l'hôpital militaire se trouvaient de nombreux blessés. L'un d'eux, qui appartenait a une des meilleures familles du Forez, Barthélémy des Joyeaux, pour échapper aux flammes, sauta par la fent^tre. 11 se dirigea vers Oui- lins se trouvait une partie du bataillon de Monlbri- son, mais à peu de distance il rencontra une patrouille de soldats de la Convention et, pour lui échapper, il dut traverser le Rhône à la nage à la faveur de la nuit. Des Joyeaux tenta vainement de rentrer dans Lyon alors com- plètement cerné. Il revint dans le Forez et resta quelque longtemps caché dans les grands bois qui s'étendent aux pieds des Cévennes entre le PilatetleMézen, cherchant à recruter parmi les paysans, des défenseurs pour la cause lyonnaise et à pénétrer avec eux dans la ville en forçant

1. Bulletin départeinental, n' 34, du 18 sejitembre au 22 du môme mois.

464 l/lNSt'RRECTION DE LYON EN I7i)3

les avant-postes. Ses efforts devaient Hve infructueux. Revenu à Saint-Elienne et dénoncé, Barthélémy des Joyeaux fut arrêté, emprisonné et ne recouvra la liberté qu'après une longue détention'.

A Lyon deux points importants allaient être enlevés à la défense.

Précy avait ordonné plusieurs attaques sur la maison Nérac, dans les matinées des 19 et 2<) septembre, ce qui empêchait Tennemi de réparer cet ouvrage et de s'y maintenir; ses travailleurs étaient obligés de s'arrêter et de s'abriter, souvent même de se réfugier dans la maison Panthod. Le général ne paraît pas s'être suffisamment préoccupé de ce qui se passait à ses positions de gauche.

C'est ainsi que l'ennemi avait préparé depuis plusieurs jours la construction d'une batterie, dissimulée en partie par un bâtiment dit maison Gaillard devant le cimetière de Cuire. L'artillerie y fut placée dans la nuit du 19 au 20. Le 20 au matin '^, le général de brigade Petit-Guillaume lant^a sur le cimetière une colonne d'attaque que condui- saient l'adjudant-général Lécuyer et le chef de bataillon Boussin'^.

Les compagnies soldées des bataillons lyonnais de rinion do la Convention et de Washington, sous le com- mandement de Burlin de la Hivière, occupaient un poste muré du côté do l'altaque, crénelé et garni d'artillerie. L'ennemi, malgré un fou violent, drossa dos échelles et sauta dans rouvrag(\ Les Lyonnais surpris reculèrent on désordre ot s'abriteront dans la Tour delà Belle Allemande ([u'ils défendirent onergiqnomont mais en perdant quatre- vingts hommes tués on blessés.

1. Coiiimuni<*atit»n deson .'irrière j>ctit-fils. de M.(^laude-Nn»dDesjoyeaux

2. H(i}tjn>vts (It's trais cninps du "H) ail 21 septeinl)r(\ Archircs histurupies de 1(1 fjurrrr : Annrc ih's Al/)rs, se|)teinhre 110:1. Le lieulenant-cojonel Bichot. si ddciiincntc sur le sic^^'c de Lyon, fait une erreur en plaçant Tat- la(|ue du ciinetirre de ('uire dans la nuit du 2.{ au 2'» sp|iteiubre. Les ra//- pnrt.s o/'fii.'ir/.s ilt's trois; cnin/ts la ]da('ent au 21 seplenibre.

3. AdjoinI à {«tat-major. Cet «dlieier ven/iit de Valenriennes.

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNEL'F-RANDON 465

La colonne Lécuyer n'eut qu'une douzaine d'hommes hors de combat. L'adjudanl-général Lécuyer, le chef de bataillon Roussin et les capitaines Boullet, du 5" bataillon des grenadiers, Glottes et Andrieux, du l'' bataillon de TAude, entraînèrent leurs compagnies en tôte de colonne et derrière elles les grenadiers de la Côte d'Or avec les piquets de la Charente. Ils enlevèrent une maison qu'on appelait la maison Bachilas^, à côté du poste du centre.

Les troupes de la Convention, encouragées parleur suc- cès, voulurent attaquer alors le poste du centre, ainsi appelé comme nous l'avons dit, parce qu'il occupait le centre du plateau de la Croix-Rousse, à la hauteur du chemin de la Boucle. La batterie Gingenne les couvrit de mitraille* et l'infanterie lyonnaise reprit l'otlensive, avec un merveilleux entrain. Les gendarmes à pied et les gre- nadiers du Change montrèrent beaucoup de solidité. Le brave Gingenne eut la jambe gauche emportée par un boulet.

Précy, qui était accouru dès le début de Tattaque et qui ne s'était pas ménagé à la défense du poste du centre, rendit justice h l'intervention de la batterie Gingenne*"*, ainsi qu'à la bravoure des grenadiers et chasseurs de rUnion, de la Convention et de Washington et des gen- darmes à pied ; ces derniers, en vrais soldats, avaient résolument chargé à la baïonnette. De part et d'autre, l'estimation des pertes nous parait très contestable. L'appréciation du Bulletin départemental porte celles de l'ennemi à 200 hommes tués ou grièvement blessés, elle est certainement exagérée.

On tenta de cacher la blessure de Gingenne pour ne pas attrister la population qui l'aimait beaucoup. L'organe départemental rendit un juste hommage à la jolie Marie Adrian qui, en servant les pièces, avait été blessée aux

1. Rapports fies trois camps,

2. Lieutenant-rolonel Bicliot, p. 30.

3. Ordre du jour qui fut inséré au Bulletin départemental, n* 34, des 18, i9, 20, 21 el 22 septembre.

30

466 l'insuhrection de lyon en il9'\

c5lés de son frèro, frappé mortellement. Malgré son cha- grin, malgré sa souffrance, elle avait continué à porter les gargousses, sans un moment defaiblesse^

Le Bulletin signalait aussi les services rendus par la compagnie des arquebusiers, ces tireurs si redoutables et si bien commandés par le capitaine Meynadier^.

Un des ofliciers de Télat-major de Précy, très jeune car il n avait que 17 ans, nommé de Chavannes, avait été blessé et fait prisonnier dans l'affaire de la Croix- Rousse. M"" Cochet, Talerte jeune femme qui, elle aussi, combattait souvent aux avant-posles vint réclamer sa liberté à Chàieauneuf-Randon. Le représentant eut la gé- nérosité de la lui accorder, en raison de la jeunesse du prisonnier et de la bravoure de la charmante femme qui intercédait pourlui'^

En dépit des déclarations optimistes du Bulletin^ les Lyonnais ne pouvaient se dissimuler que la prise du cimetière compromettait leurs ouvrages de gnuchc.

Un autre échec vint encore attrister les défenseurs de la cité ; le château de la Duchère, superbe bloc de bâti- ments à tours et à clochetons, assis sur la croupe d'un contrefort à environ 70 mètres au-dessus de la Saône, n'était occupé que par une cinquantaine d'hommes. Cet avant-poste si important du faubourg do Vaise fut enlevé le môme soir » par radjudant-général Pouget et le chef d'escadron Walter, du 1" régiment de hussards ', à la tète d'une nombreuse colonne des trois armes, fournie parles troupes du général Rivaz''.

« 50 Muscadins tinrent en échec i.()(>0 Crancéens, dit le

1. linlhtin di'jtnrltnnenhil, n" :H des 18, 19, 20, 21 et 22 septembre.

2. Le capitaine Aiexindre Meynadier avait tué deux ennemis et hrisé la cuisse d'un t^oi^i♦^me.

3. Hallcydier, llis/oirr (/rl.f/nn. t. II, }>. 110-120.

4. Arc/lires /lisforit/in's r/r lu lîuerrp: Armée des Alpes. Rti/zjun'ts des trois f inijts, du 20 au 21 s^'ptrmhre.

5. /'/. lidftjinrfs t/es Inds ci-ti/ts du 21 au 22 s«'ph>m])re.

r». Hiillel'ni îles nu/ort/és niilituires. ctdleoli<»u (^liaravav, p. 22. Dubois- Crancé et «iauthier à la (^)nvention nati<jaalf, 27 septembre.

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNEUF-HANDON 467

marquis Costa de Beaurogard dans les Souvenirs du comte de Virieu, quand enfin les munitions furent sur le point de (manquer dans la redoute, le feu cessa. Chacun des survivants chargea son fusil de sa dernière cartouche; puis on s'embusqua derrière Téboulis de murailles, et quand chacun eut devant soi une poitrine ennemie, les dix hommes qui restaient firent feu. Se croisant alors les bras, ils attendirent la mort en échange de celle qu'ils venaient de donner, mais si héroïque qu'elle fût, la défaite n'en livrait pas moins à l'ennemi l'accès Lyon. 11 pouvait prendre en flanc maintenant toutes les défenses de la Croix-Rousse et rendre la position de ses défenseurs intenables*. »

Une accusation de trahison a été portée à ce sujet par le commissaire des guerres Vallès^ contre M. de Fontet, commandant du quartier de Vaise,dont relevait le post« de la Duchère. Sans aller jusqu'à tenir pour prouvée une telle accusation'^, on peut reprocher tout au moins au colonel de Fontet'' de n'(^tre pas resté en communica- tion avec son poste avancé et, quand il avait entendu la canonnade, de ne pas avoir tenté de le soutenir ou tout au motus de recueUlir ses défenseurs, alors que la porte de Vaise n'était pas attaquée.

Le reproche d'ailleurs, au point de vue militaire, doit porter plus haut et remonter jusqu'au général en chef. Précy avait eu certainement tort de ne pas affecter à la défense du château et à la conservation d'une position dominante deux ou trois bataillons et de l'artillerie, en quantité suffisante. Uu côté des assiégeants l'adjudant-

1. Marquis Costa de Beauregard, ie Roman d'un rof/aliste pendant la Revo- lution, p. 361-362.

2. Réflexions historiques^ p. 27.

3. Vallès est toujours de bonne foi. mais ses jugements partent souvent d*un esprit aigri.

4. Il n'y a aucun rajjpnrt de parenU'? entre la famille de Fontel et celle des mir«|uis de Fontetle, originaire de Bourgogne, qui, avant 1789, avait fourni à l'armée, et notamment à la cavalerie, plusieurs officiers di.s- tingués.

468 l'insurrection de lyon en 1793

général Pouget comprit toute Timportance de la Dnchère; il annonça à son général en chef que de ce poste, on pouvait bombarder le faubourg de Vaise et même une partie du quai du Rhône. Précy regretta amèrement la perte d'une position qui le mettait facilement en com- munication avec Ecully et hi route de Bourgogne. Pour inquiéter l'ennemi, on hissa des pièces de canon sur les plates-formes du vieux château de Pierrescize et force boulets lyonnais furent envoyés sur la Duchère, sans lui clBiuser de dégâts sérieux ; n'était ce pas la preuve de la faute commise'?

Des projectiles nauséabonds étant tombés dans la ma- tinée du 22 septembre sur plusieurs quartiers de Lyon, plusieurs personnes crièrent que la peste allait se déclarer. 11 s'en suivit pendant quelques heures une véritable panique. Précy fit afficher l'ordre suivant :

Au quartier général le 22 septembre IISS.

adresse aux bataillons Citoyens,

Vos ennemis emploient de nouveaux moyens en vous envoyant des carcasses. Que cela ne vous étonne pas. Redou- blez de surveillance. Hien ne doit vous surprendre de la part des scélérats qui nous assiègent.

Le citoyen génffraU Précy ^.

A quelles préoccupations, à quelles tristesses, le géné- ral n'élail-il pas en proie ? Quelques jours auparavant *, il est informé qu'un de ses meilleurs officiers, lionaventure Poncel, capitaine à la r^ légion de la garde nationale et le neveu de celui-ci, François Poucet, qui était égale-

i. lia/ifior/s (ivs trois canij,s, du 11 ou 23 sei»lcml)re (Arcliires historiques lie la (iurrrr : Armet' des Alpes . "1. Arc/lires niunici/iales. 3. Le 1* sei»tfuibre Archires munidj/ales..

LES SOMMATIONS I)K ClIATEAUNEUF-HANDON 469

ment un partisan résolu de la cause lyonnjiiso, ont été poi- gnardés la nuit, à leur domicile du quartier Saint-Alhan par une bande de six personnes « la figure machurée de noir )). La femme de François Poucet avait assisté, à demi-évanouie par la peur et cachée dans un placard h ce double assassinat' dont les coupables parurent être des Jacobins. On signala les victimes comme appartenant à l'opinion royaliste et dans cette population restée répu- blicaine en très grande majorité, on les traita d'agents des émigrés, on les plaignit moins...

Précy paraît avoir contribué h cette époque, trop tar- divement d'ailleurs, À la mise en liberté des prêtres réfrac- taires si longtemps gardés à la prison de Pierrescize -'. Plusieurs ecclésiastiques sous des vôtementslaïques vinrent lui demander de combattre sous ses ordres. Il les accepta avec empressement et les plaça pour la plupart comme approvisionneurs dans les batteries.

Le 23 septembre, dans la matinée, il recevait du colonel Rousnon ^, commandant h Oullins, des plaintes qui parais- saient fondées mais qui étaient émises sur un ton peu militaire : « L'étape est mal distribuée : quand on a un peu de pain, on manque ,de viande. Quand on a ce dernier objet, on manque de pain et de vin... » et après s'être plaint de ce qu'il faut constamment envoyer au quartier général pour réclamer, le colonel donne quelques détails sur la situation militaire :

« Il n'est plus possible de parler des sentinelles ; on

est indignement fusillé. Quelle f guerre! Un ingénieur

et quelques ouvriers pour faire des chemins couverts : ça irait mieux. »

Rousnon termina en signant avec familiarité : « Votre dévoué concitoyen' » et ajoute en post-scription daté du

1. Arc/tires mu/iicipalt's.

2. Us ne furent relâchés qu'à la fin «le septembre.

3. 11 venait d't'lre promu.

4. « L'étape » veut «lire ici le service des (]istributi«ins.

5. Archives tnuniciftnlcs, 22 septembre 1193.

470 l/lNSURRECTION DE LYON EN 1793

pont d'OuIlms ce qui aurait être la partie principale de son rapport : « L'ennemi pose une batterie en face de la maison Rousset à tout au plus cent toises. Aussi quand il terminera il nous sera impossible de tenir. »

Cet avertissement pessimiste, qui ne semblait pas regar- der le commandant d'OuUins, puisqu'il s'agissait de la Croix-Rousse, allait se réaliser.

Dans la journée du 23 septembre, Dubois-Crancé, après avoir visité les batteries de la Croix-Rousse, donna ses ordres pour que la partie du cimetière, qui servait encore de retranchement aux Lyonnais et qui s*appuyait à la maison Rousset, fût activement canonnée le 24 au matin. II avait en même temps projeté Tattaque des positions d'Oullins, c'est-à-dire de tous les ouvrages que les Lyon- nais avaient construits sur la rive gauche de l'Yzeron pour défendre le pont établi sur cette petite rivière, au passage de la route de Saint-Etienne ^

Au commencement de la nuit du 23 au 24 septembre un bataillon de volontaires de TArdèche et deux esca- drons de dragons k pied avaient pris position devant les ouvrages qui avaient été reconnus avec soin. Ces ouvrages étaient au nombre de trois ; le pr/îmier à cheval sur la route et llanqué de deux maisons crénelées était situé à 200 mètres du pont, les deux autres placés à une distance double en arrière à droite et i\ gauche protégeaient le pre- mier. L'un, eohii de droite, était assis sur les premières pentes du coteau, mais pouvait c^lre tourné en passant à gué rVzeron; Tautre, celui de gauche était appuyé au Rhône et commandait l'autre rive du fleuve"^.

Aussi la colonne formée par Dubois-Crancé, mais com- mandée par le général Petit-Guillaume, appelé dans les rapports officiels « général d'avant-garde •^), était formée de

). Lieutenant-colonel Bichot, p. 34.

2. Ijentenant-colunel Uichol, [). 3."».

3. Arc/iir l'.s ItisI iniques fit ta iiuerre : Attnre dea Alpes^ liapporls r/ej? trots camjis, du 23 au 24.

LES SOMMATIONS DE CHATEAUNELF-RANDON 471

trois échelons d^attaque sous les ordres du général et des chefs de bataillon Boûssin et Dumény. Arrivée par EcuUy, le village de Sainte-Foy et celui d'Oullins, elle se précipite sur le pont d'Oullins; malgré les chevaux de frise, elle s'y établit. Les sentinelles et les postes qui devaient les soutenir tirèrent précipitamment quelques coups de fusil. Le colonel de Chènelette avait fait disposer des barils de poudre sous le tablier du pont de la Mulatière pour le faire sauter et fermer l'entrée de Perrache, si Tenncmi enlevait les ouvrages du pont d'Oullins '. Le général Rim- berg avec 300 hommes occupait la redoute qui protégeait la tOte du pont. Il aurait sans doute intervenir mais attendant les ordres de Précy, il crut devoir se borner à défendre sa position si elle était attaquée; son inaction devait être jugée sévèrement^.

La colonne de Petit-Guillaume ne se borna pas à enlever le pont d'Oullins; elle escalada ensuite le premier ouvrage. Le colonel Rousnon, dont nous avons vu les appnîhen- sions et qui fut cependant surpris par Tattaque, ordonna la retraite dans les vignes et se replia sur Sainte-Foy. La colonne des troupes de la Convention commença ù gravir les vignes, mais la redoute du pont de la Mulatière, intervenant trop tardivement, put lui envoyer quelques boulets. Par une sage prudence Petit-Guillaume rentra dans la redoute du pont d'Oullins ; il l'occupa solidement, en utilisant les trois pièces de canon de 4 qui la défen- daient et dont le colonel Rousnon s'était si mal servi. Les troupes lyonnaises ne comptaient qu'un canonnier tué mais elles laissaient six prisonniers aux mains de Tennemi, celui-ci avait trois hommes tués dont un officier et une vingtaine de blessés ^

Les batteries de la Guillotière avaient tiré toute la nuit.

1. Lieutenant-colonel Hichot. p. 35.

2. Morin, t. 111, p. 319.

3. Hapports tles trois camps, du 23 au 24 septembre {Archives historiques de la (i lierre : Armer des Alpes..

47â l'insurrection de lyon en 1793

ce qui contribua certainement h étourdir le commandant de la Mulatière, celui de Sainle-Foy et Précy lui-même h son quartier général de THôtel de Ville; telle fut probable- ment le motif de l'inertie de la défense. Quand la nou- velle de Toccupation de la redoute arriva à TEtat-majoi-, on battit la générale, on renforça tous les postes'. Mais Talerte était trop tardive et Dubois-Crancé allait mainte- nant attaquer Sainte-Foy « par le flanc droit de ses propres ouvrages- ». Dans la frénésie de sa joie, il écrivait à la Convention, le même jour, 24 septembre : « Lyon est entièrement cerné et sera complètement dominé si l'on se rend maître des hauteurs de Fourvières^. »

Le 25 septembre, dès l'aube, Précy vint se rendre compte de la situation à Sainte-Foy, il fit tirera plusieurs reprises des coups de canon sur la redoute d'OuUins, ce qui n'empt^cha pas le général Valette, continuer les travaux de fortifications.

Du côté de Cuire, les forces du camp de Caluire re- poussaient l'attaque des troupes de Burtin de la Rivière; le bataillon crancéen de la Côte-d'Or montra beaucoup d'intrépidité. Trois nouvelles batteries se construisaient devant les avant-postes lyonnais. De toutes parts l'armée de la Convention accentuait sa marche en avant, un redoublement de bombardement se préparait aussi.

Le général de Précy avait été attristé par le peu d'élan des bataillons sédentaires. Seules les compagnies d'élite, les compagnies soldées et casernées des grenadiers et des chasseurs, marchaient avec une courageuse docilité.

Précy adressa un ordre du jour à tous les bataillons demandant à chacun d'être h son poste, quand la géné- rale battrait :

1. lia/tj)or(s (les I mis cnntiis, <hi ^W au 24 S('pteinl»re Archives fnslori(jurs de la liuerre ; Armée tirs Af/je.s).

2. l'ni)i/)/e rcfif/ii lie Diihois-i^nnicé îi la Ctntrenlinii na/ifnnile.

3. Arc/ii'es /lislmiffiies île In (iuerre : Armée des Alpes. Corresj>ondance t»ént'ralp.

LES SOMMATIONS DE CHATEAU NEUF-HANDON 473

Jusqu'à présent, elle n*a battu que dans les moments les plus urgents... et Ton n'en est pas plus exact. Si vous ne vous rendez pas à la générale, quel autre signe de ralliement me reste-t-il donc et comment puis-je compter sur des hommes qui s'oublient jusque-là?

Pour ne pas humilier la population, en lui reprochant trop nettement sa tiédeur, le général terminait par quelques paroles de réconfort :

Encore quelques efforts, du zèle, surtout de la discipline et la chose publique est sauvée, je vous invite tous à concourir à ce grand ouvrage, plus les maux sont affreux, plus le répu- blicain doit étrealtier en bravant ses ennemis *.

Précy continuait à donner tous les gages désirables à la partie républicaine de la population. Depuis sa prise de commandement, il n'avait pas prêté à la moindre critique en manifestant ses regrets pour Tancien ordre de choses.

Il agissait ainsi, non par ambition, mais par abnéga- tion, par dévouement sans limite à la tâche qu'il avait acceptée. Il s'effaçait devant les corps administratifs comme Kellermann devant les représentants. Dans le général en chef des Lyonnais, il eut été difficile de re- connaître « Tun des chevaliers du poignard du 10 août», selon l'expression chère à Dubois-Crancé et a ses amis, quand ils parlaient des derniers défenseurs du malheureux Louis XVI.

Aux redoutes et aux casernes « tout se faisait au nom de la République-' », les bataillons portaient les noms des sections de la ville, c'est-à-dire de ILnion, des Droits de rhomme, Rousseau, Washington, Guillaume Tell, etc.,

1. (ionon, Bihliof/rnpfiie hislorique de Lyon, pièce i402, datée du 25 ou 26 septembre.

2. (^omle Léon de Poncins, le Correspnndanl^ 1861, p. 97.

474 LINSLRRECTIOX DE LYON EN 1793

mais parfois au milieu des coups de feu, un cri se faisait entendre : « Vive le Roi ! »

(le n était pas un cri de ralliement, car il restait sans écho, c'était le plus souvent une plainte, souvent proférée par un blessé, c'était l'expression d'un regret par quelque vieux serviteur de la monarchie, frappé sous les couleurs républicaines et qui voulait rendre un dernier hommage à sa foi politique.

Les discussions ne s'élevaient guère entre des gens d'opinions si différentes, on chantait ensemble les cou- plets de bataille; la brise portait le refrain aux avant- postes jacobins :

La mort n'est rien pour qui la brave La honte seule est pour Tesclave!

« Au bivouac, nous dit encore le même auteur, en évoquant ses souvenirs de famille avec une mélancolie qui n'exclut pas la fierté', le négociant lyonnais lisait Rousseau pendant que le vieux soldat fumait sa pipe et que le paysan du Forez priait dans un coin. L'àme de Lyon était là-\ ^>

Aussi Précy, qui connaissait absolumont l'état d'esprit de cette population, à la fois indolente dans l'action et susceptible pour toute espèce de manifestation, demandait à ses ofliciers le renoncement qu'il pratiquait. Malgré ses recommandations, quelques-uns exprimaient volontiers leurs opinions monarchiques. L'adjudant-général Ar- naud, de son vrai nom, comme nous le savons, le cheva- lier de Melon, souffrait de dissimuler les convictions aux- quelles il était ardemment attaché, aussi n'était-il pas des plus réserves. Depuis roccupation d'Oullins, il était chargé du commandemenl de Saiut-Just, très menacé, ainsi que Sainte-Foy et le bourg Saint-lrénée, il y faisait

1. Le comte Léon de Pnncins, fils de l'auteur du manuscrit et petit-fiîs de loflirier forézicn.

2. Coml<; Ltou de Poncins, le Cifricspn/idunt, 1S61, p. 97.

LES SOMMATIONS DE CIIATEAUNEUF-RANDON 475

preuve d'une incessante activité, d'une bravoure pleine d'entrain. Le neveu de Précy, Cudel de Montcolon, lui avait été envoyé par le général et les deux jeunes geus, se trouvaient en entière sympathie. Us avaient servi comme sous-lieutenants dans Tancienne armée et com- battu à Tarmée de Condé, aussi échangeaient-ils voh)n- tiers leurs souvenirs, leurs regrets et leurs espérances. Précy fut informé de leurs propos imprudents, il écrivit aussitôt au chevalier de Melon la lettre qui suit et qui est un document intéressant des derniers jours de la défense de Lyon :

Mon cher Arnaud,

11 me revient qu'en causant à votre table de votre émigration, de vos campagnes avec mon neveu, cela produisait le plus mauvais effet. OaWiez-donc le passé, soyez très prudent, c'est nécessaire pour avoir la considération que vous méritez et même l'autorité ; de grâce, de la prudence.

Je sais que vous avez été canonné, bombardé, que vous avez perdu *... Ce qui ajoute à mes chagrins qui sont vifs, je vous rassure, donnez-moi de suite des nouvelles de votre poste, je n'ai pu aller vous voir, j'ai tant et tant d'affaires.

Adieu, je me repose sur vous et suis très fraternellement tout

à vous.

Le général Précy '.

M. de Rostaing 2 me dit que les travaux n'allaient pas, que La Baume ^ ne paraissait pas. Priez-donc M. du Teil de vous aider. Ne négligez pas cette partie *.

Et en note il y a :

Consulter MM. Arnaud et Rostaing.

\. La phrase est incomplète sur l'original «le la lettre que nous ayons retrouvée aux Arclilves dépariemeittaies.

2. Ancien capitaine au corps royal d'artillerie détaché à la manufacture de Saint-Etienne.

3. M. de la Baume, ancien ingénieur, em|>loyé comme officier du génie.

4. Chef de bataillon d'artillerie, lils du lieutenant-général du Teil.

476 l'insurrection de lyon en 1793

Procy ne pouvait se dissimuler que Tennemi faisait du côté de la Croix-Rousse dos progrès inquiétants. Ses travaux d'approche étaient poussés jusqu'à la Saône ^ Virieu demanda au général en chef l'autorisation de prendre le commandement de tous les bataillons de la Croix-Rousse et d'essayer de reprendre les positions perdues. Précy y consentit et Tancien colonel du régi- ment de Limousin avait déjà préparé la concentration des forces restreintes dont il disposait, lorsque Précy donna brusquement contre-ordre-. Virieu ne put do- miner son irritation, on peut même dire son indigna- tion de voir la défense garder une passivité dont Ten- nemi s'enhardissait impunément. Le général en chef ne rinterrompit pas, il écoula les reproches de son lieute- nant et se borna h lui répondre avec tristesse : « Je recule devant une question de sang... le sang de nos sol- dats est trop précieux, je dois le ménager^. » Une telle réponse a été appréciée par un éminent historien comme dictée par le ca*ur d'un philanthope et non par celui d'un homme de guerre '•.

Précy n'osait pins évidemment tenter une opération aventureuse dont le succès aurait relevé le moral de la po[)ulation pendant (juel(['iies jours. Mieux informé que Virieu, il se préoccupait surtout du bombardement incessant des batteries de la Guillotière. Les redoutes d'Oullius et de la Duchére que l'ennemi lui avait enlevées devenaient des positions d'attaque fort dangereuses, et les sommations de Gliàteauneuf-Uandon lui avaieut appris rac<*roissement plus que triplé des forces de ses adversaires. Ln fait de sortie, Précy n'en rêvait plus qu'une : celle qu'il faudrait tenter pour toucher à la terr(ï d'asile.

1. Marquis Costa <Ie Iteauregard, le Roma/i d'un rfnjalistc, Souccnirs (fu citmlr tir Virii'U. p. 'M\l. ■2. hf. :i. If/. ». If/.

CHAPITRE XXVI

UN MÉDECIN GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE DE LA CONVEN- TION. — LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE (SAINTE- FOY, LA CHAUSSÉE DE PERRACHE, LES BROTTEAUX).

Un journal jacobin de Marseille annonçait en ces termes la révocation de Kellermann, qui succombait aux suspicions du Comité du Salut public et à l'hostilité de Dubois-Crancé :

Kellermann est enfin destitué et remplacé pour le comman- dement de l'armée des Alpes et de celle contre les rebelles de Lyon par le brave Doppet, chef de la légion des AUobroges. C'est un Montagnard vigoureux. 11 Test de Tépée et de la plume et va tailler des croupières à MM. les Lyonnais, si tou- tefois ils ne sont pas déjà tous rôtis.

Après avoir répété l'injuste accusation d'inertie dési- gnée contre Kellermann, cependant vainqueur des Pié- montais et affirmé que le général Doppet ne ménagerait pas les boulets et les bombes, la feuille terroriste ajoutait :

Tremblez, despotes insensés, vos trônes sont fragiles comme le verre. Les nobles, vos bons amis, ne commandent plus nos armées, les fédéralistes sont guillotinés incarcérés ou consternés. Le peuple a pris son élan * !

« Le peuple » amené parChûteauneuf-Randon et Javogues demeurait toujours prudemment dans ses camps, laissant aux troupes réglées les dangers des colonnes d'attaque et

1. Article reproduit dans les Docutnenfs iiuprimês de M. Vaësen [Lyon en nî)3, le Sièf/e, p. 136).

478 l'insurrection de lyon en 1793

des avant-postes, son élan restait réservé pour une besogne moins dangereuse, plus profitable et qui devait être aussi plus cruelle.

Malgré les éloges dithyrambiques de la feuille marseil- laise, le nouveau général en chef ne s'était occupé jus- qu'en septembre 1791, que d'un peu de médecine et de littérature plutôt légère ^ Il ne paraît avoir acquis aucune notoriété « dans l'art de guérir », et quant à ses produc- tions littéraires, elles sont aussi prétentieuses que peu intéressantes. A dix-sept ans, après une année de service dans un régiment de cavalerie, il obtenait son incorpo- ration aux gardes françaises « où, dit-il, il fit pendant trois ans l'apprentissage des armes - ». Ce devait être son meilleur titre, après celui démembre du club des Jacobins de Paris et de celui des Patriotes étrangers (!) ^ pour former la légion des Allobroges, avec un ramassis de déserteurs et de vagabonds, dont le premier combat fut l'attaque et la prise des Tuileries au 10 août.

. Doppet conduisit comme lieutenant-colonel la légion à Tarmée des Alpes. En juin 1793, les Allobroges firent la campagne contre les Marseillais, puis prirent part au siège de Toulon. L'ancien médecin y devint en quelques jours général do brigade et général de division. Le 2o septembre il recevait du Ministre de la Guerre sa nomination de commandant de l'armée des Alpes sous Lyon. Ce général en chef si rapidement improvisé arri- vait au quartier général de Vaubois, au camp de la Fer- randière, le 20 décembre "^ Il visila les batteries de la (iuillotiore et approuva avec une légitime modestie les

1. Doppel «écrivit qiielqucs paj^es do médecine, notaininentsur le mat/né~ lisme et son in/luence ctinifirr, et des romans à prétentions philoso- phiques : <'f/e.s/'tnn ou la Philosophe des Aljies^ Zélamire ou les Linisotts hizarres, etc.

2. Méfmiirrs tle Dupprf. (]«'s inéiiioirP'^. se rôvôlc ]»eancoup d(; vanité. p.nunMt m 182'i à Paris, chez H.iudiniiii frères. Ou en trouve encore de nombreux exemplaires.

',i. Méinnhe.s (le Dopjn'l. Paris, Bouchuiiu, 18,34, p. 187.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 479

dispositions prises par lo commandant du camp. Le len- demain 27, il alla voir Dubois-Crancé et l'assura de son entière obéissance, admirant plus encore qu'à la Guillo- ti^re remplacement et l'armement des batteries.

Le j^én^îral Guy-Coustard n'était plus au camp, révoqué lui aussi comme Kellermann, Dumuy, Létrade et tant de braves soldats, victimes des délations. Le commandant des avant-postes devant la Croix-Housse était l'aventureux Petit-(iuillaume, « lef^Miéraldavant-g^arde ». ALimonest, Doppet toujours prudent se présenta au représentant Réverchon ' puis î\ ses collè{2^nes Laporte et Châteauneuf- Randon. Le général Rivaz le conduisit ensuite à la petite Champafi^ne, au bas des collines de Sainte-Foy, aucbàteau de la Ducbère et enfin à Oui lins commandait le général Valette.

Vn conseil de guerre fut tenu le 28 septembre : les représentants, Doppet, ses généraux de brigade'-* et l'adju- dant-général Sandoz y assistaient. Dubois-Crancé déclara que la principale attaque devait se faire par F'ourvières, Saint-Just et Perrache et que, pour y parvenir, il fallait d'abord s'emparer de Sainte-Foy. Ensuite les murs seraient escaladés eu battus en brèche.

Pour préparer l'escalade des murs ou pour établir des ponts de passage sur les fossés des redoutes, l'ancien mousquetaire avait fait construire dans le Bugey trois mille échelles qui étaient arrivées au pont de la Passe avec quinze cents fortes planches.

Doppet, qui devait avant tout suivre les instructions de Dubois-Crancé, oublie dans ses Mémoires quel lut son impérieux inspirateur et se borne à déclarer que les géné- raux Hivaz et Valette sedéclarénmt « d'accord avec lui pour s'emparer des hauteurs de Sainte-F'oy afin de dominer Per-

\. I)iihois-CrnriC('', dans le compta r.Midii qu'il lut h la Convention, nf- fîrnia qu'il avait différé ranvlé de destitution de Kellermann jusqu'à la prise de Lyon.

2.^Petit-<iuiilaunie. Vaubois. Rivaz et Valette.

3. Compte rendu de Duhni.s-Cnincé à la convention.

480 l'insurrection de lyon en 1793

rache et y détruire les batteries lyonnaises et enfin cerner entièrement Lyon **)».

Le conseil de guerre arrêta qu'on attaquerait Tenceinte sur plusieurs points à la fois. Les fausses attaques furent fixées à quatre heures du matin le 29 septembre et il fut convenu que la principale colonne attaquerait à fond Sainte-Foy une heure après, c'est-à-dire à cinq heures du matin'. Dubois-Crancé se promit de préparer Tassant par des moyens... diplomatiques. Il y avait assez de poli- ciers envoyés de Paris et de Jacobins lyonnais réfugiés à Caluire pour mener à bien cette mission.

Le représentant Laporte, plus humain que Dubois- Crancé, écrivait de la Ferrandière au Comité de Salut public qu'il y avait une véritable monstruosité à repousser les Lyonnais qui voulaient sortir de la ville et qui, chassés par les soldats de la Convention, leur criaient : « Tuez-nous, car si nous rentrons, nous serons fusillés ^ » Quelquefois les soldats partageaient leur pain avec ces malheureux et les obligeaient ensuite à rentrer. Laporte proposait de faire examiner par le comité lyonnais de Caluire ^ ceux qui voudraient sortir; s'ils étaient reconnus comme patriotes, on les enverrait à dix, quinze ou vingt lieues avec quelque argent. .

Le inenibre de la Convention ajoutait : « Nous sommes encore bien heureux que ces coquins de Muscadins ne fassent pas émigrer tout à coup 30 ou 40.(X)0 personnes qui viendraient nous inonder et absorber nos subsis- tances dans ces environs-ci. » Quel que fut le mobile, cet appel à une demi-clémence, puisqu'elle devait être limitée aux « patriotes », aurait toucher les maîtres de la France, ils ne daignèrent pas répondre.

Dubois-Crancé, qui ignorait la tentative de son collègue.

{. }tn)wirf's (le Doppel, p. 18S.

2. Mf'nirs Mémoires, p. 18î).

3. Ihi/feliti (les auluritês militaires charr/ées du sii'f/e de Li/on (Collei'tion Charavay), 1845.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 481

envoyait h la date du 27 septembre h la Convention un rapport détaillé et fort précis au point de vue militaire.

11 déterminait les positions des troupes de siège.

Les colonnes de l'armée républicaine occupent maintenant tous les abords de la ville de Lyon à la portée du canon. Dix mille hommes sous les ordres du général Yaubois occupent la plaine du côté de la Riz, appuient leur droite à Sollièreet leur gauche à un pont de bateaux sur le Rhône. Celte division «st celle qui a jusqu'ici bombardé Lyon et qui couvre la sortie du pont Morand et celle de la Guillotière. Elle a maintenant

12 mortiers, 8 pièces de 24 et de 16 avec 2 obusiers, ce qui fournit 2.000 bombes ou boulets par jour.

La division qui appuie sa droite à la rive droite du Rhône, vis-à-vis Sollière et qui est destinée à attaquer Sainte-Foy et le faubourg Saint-Just, est de 10.000 hommes commandés par le chef de brigade Valette et occupe la route du Forez et tous les débouchés jusqu'à Grézicu. Cette division a 2 pièces <le 16, 2 de 8 et plusieurs de 4.

Une troisième division commandée par l'adjudant- général Pinon de 10 à 12.000 hommes aussi, avec 30 pièces de canon de différents calibres, forme la chaîne entre Grézieu et la tour de Salvagny et peut se porter au besoin à droite et à gauche.

Une quatrième commandée par le général Rivaz, de 7 à 8.000 hommes occupe l'espace qui est entre la tour de Sal- vagny en passant par le Puits-d'Or jusqu'à la rive droite de la Saône.

Dubois-Crancé rappelait qu'une fraction de cette colonne avait emporté le château de la Duchore et que le déta- chement, qui occupait actuellement le château, y avait installé une batterie de doux pièces de 8, deux de 16, <1(mix obusicrs et huit mortiers, prHvt h incendier en flanc le faubourg de Vaise et le quartier de Serin.

Une cinquième division de C) à T.OiM.) i celle de Caluire) occupait la rive gauche de la Saune et la rive droite du Rhône, la route de (ienè ve et tenait en échec tous les avant- postes de la Ooix-Rousse avec 8 pièces de gros calibre, 2 obusierset plusieurs pièces de 4.

31

482 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

Nous attendons encore 16 pièces de gros calibre, dit Du- bois-Crancé, et 10 mortiers pour écraser les hauteurs de Saint- Just. S*il n'est pas pris ou rendu dans huit jours, sa position devient bien critique, car nous-mêmes qui étions à Tendroit le plus inabordable, nous touchons au faubourg de la Croix- Rousse par prise de la maison Panthod, de la mairon Nérac et du cimetière de Cuire.

Le rapport, contresigné par Gauthier, contenait, en outre, de lourdes plaisanteries « sur le cheval blanc du général Précy » et sur la prétendue prudence du comman- dant des Lyonnais ^ ce qui était grossier et faux.

En réalité, les forces de la Convention, accrues par les derniers contingents de réquisitionnaires, étaient de 55.000 hommes, pourvus d'environ 150 bouches àfeu".

Malgré la diminution des vivres réduits pour la plupart des habitants au mauvais pain d'avoine, en dépit de l'augmentation des maladies et des dangers toujours plus grands du bombardement, la défense gardait son activité M. de Chênelette avait voulu construire une nouvelle batterie sur la gauche du pont Morand, de nombreux tra- vailleurs vinrent s*ofl'rir au colonel et commencèrent leur travail sous le feu des batteries de la Guillotière^. Il fallut des ordres formels pour les forcer k interrompre cette dangereuse besogne.

On affichait dans les rues un arrôté'* du Comité de Sur- veillance oi de sûreté publique de Lyon et du département, encore un nouveau titre des corps administratifs, llétris- « sant les traîtres et les lâches qui voulaient amener les Lyonnais ù ouvrir les portes de lu ville aux brigands qui

1. Hullctinfi imprimés des antorilés )nilitnires {Collection Charavay), p. 2fi5.

2. Lieiitriianl-coloiicl Hichol, p. 32.

3. liapporl (lu camp de la (Muillntière {Archirrs hisforifjaes de la (iuerrc: Aj'tnéc des Alpes^ se[i\vinhTv 119'^). Il y .ivait ni.'iintcn.iiit qiiatn' camps: Guilloliérc, Caliiire, Liinoncsl, Siiinl-Gt-nis-Laval.

\. L'arrôlé porto la date du 27 septembre, il ne parait avoir été affiché que le lendemain 28.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 483

rassiègeaint depuis cinquante jours ». Sous les bombes de la Guillotière, de Cuire, de la Duchère, les Lyonnais attristés mais résolus approuvaient la véhémente affiche. Les femmes ne se montraient pas les moins énergiques.

A cette heure d'héroïsme de toute une cité, qui s'ap- prôtait à repousser de nouvelles et terribles attaques une odieuse trahison allait se consommer.

Pendant la nu it du 28 au 29 septembre, un sieur Truchet, gagné, croit-on, par les agents de Dubois-Crancé, soit direc- tement, soit par l'intermédiaire de Reux, l'adjudant-major général de Tartillerie, était de garde comme caporal à l'un des postes avancés de Sainte-Foy. Sous le prétexte de placer une sentinelle ou de vérifier la consigne-, Truchet déserta et descendant la pente de Sainte-Foy, il arriva jusqu'à la ferme de la petite Champagne bivoua- quait le bataillon de rAn>ge. Le traître se fit reconnaître et, au milieu du silence méprisant des braves soldats qui allaient risquer leur vie, il donna le mot d'ordre*. On pourrait ainsi s'approcher des premières sentinelles, en le leur disant, les tuer à coup sûr et arriver impunément aux retranchements, si la nuit restait bien noire.

A cinq heures du matin, l'avant-garde de la colonne Rivaz, commandée par l'adjudant-général Achon', s'avança avec infiniment de précautions vers la redoute qui défen- dait l'entrée du village de Sainte-Foy. Des grenadiers, adroits et résolus, dont l'uniforme ressemblait à celui des grenadiers lyonnais, crièrent le mot d'ordre aux senti- nelles de la redoute qui s'approchèrent et furent poignar- dées. Toute la colonne, entraînée par l'adjudant-général Achon, se rua sur la redoute ; des échelles furent appli- quées, on gravit les murs, des planches furent jetées

1. Tous les historiens qui ont retracé le siègo de Lyon, ont accusé le ca- poral Truchet d'avoir porté le mot d'ordre h renncini. V. notamment Morin, t. 111. p. 321, et Balleyilier, t. Il, p. 137.

2. Rapports des trois camps, octobre {Archives historiques de la Guerne; Armée des Alpes).

484 l'insurrection de lyon en 1793

sur les fossés intérieurs, on pénétra dans l'ouvrage *.

Julien de Vinezac, adjudant-général de Tarmée lyon- naise, qui commandait depuis peu de jours à Sainte-Foy, fut surpris par l'attaque et entraîné par les fuyards. Seule une compagnie lyonnaise, commandée par le capi- taine Riclié^, ouvrit le feu et ce fut seulement quand elle se vit débordée qu'elle effectua sa retraite en bon ordre. Le marquis de Poncins, qui avait fait toute la campagne du Forez avec son fils, groupa quelques braves et essaya sur le flanc de Tennemi une diversion dans la direction de Saint-Just, il tomba frappé d'une balle, mourant ainsi sur le champ de bataille comme plusieurs de ses ancêtres. La plupart des Lyonnais, rejetés en désordre à la sortie de la redoute, gagnèrent en courant le bourg Saint-lrénée par le petit Sainte-Foy.

A Saint-lrénée, ils furent ralliés par le vieux général Giraud des Echerolles, qui voulut les reporter en avant. Malgré l'intrépidité du général et de quelques-uns de ses officiers, il fut impossible non seulement de leur faire reprendre l'offensive, mais même de les empêcher de se coucher par terre pour échapper aux balles ennemies-^. « La vue de ce vieux guerrier, debout au milieu d'elles, cherchant à réveiller l'honneur dans ces âmes effrayées, fit peu d'impression sur le plus grand nombre ^. » Le général Uivaz conduisit lui-même une seconde colonne par les hauteurs à l'Ouest de Saint-lrénée ''. Les deux colonnes firent converger leurs efforts et la forte redoute placée à l'entrée du faubourg Saint-lrénée tomba au pou- voir des assaillants^.

En*dépit des efforts du général des Echerolles et de l'ad-

1. Le lieuteiianl-colonel Bichol mentionne l'cnlèvenient de la redoute par surprise (p. 38).

2. Officier de l'état-major du siège, p. 66.

3. Alexandrine des Echerolles, une Famille noble sous la Terreur^ p. 90.

4. Ici.

5. Morin, t. II, p. 322.

6. Lieutenant-colonel Bichot, p. 38.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 485

judant-général Julien de Vinezac, la retraite commençait dans des conditions déplorables. Un grand nombre de Lyonnais jetaient leurs armes et s'enfuyaient dans le quartier Saint-Just. La panique se déclarait lorsque parut le général de Précy, suivi d'un bataillon de renfort. En même temps la générale résonnait dans toute la ville et du haut de la montée du Gourguillon, on voyait luire les baïonnettes d'une seconde colonne d'infanterie.

Sans Tattcndre, Précy fait battre la charge; avec un seul bataillon, il fond sur l'ennemi. Son cheval est tué, le général se relève, ramasse lin fusil et charge en grena- dier. 11 abat à coups de baïonnette deux fantassins enne- mis* . Il était sept heures du matin 2. Le bataillon qui était en seconde ligne, se déploie et refoule l'ennemi jusqu'à la brèche Ouest des murailles. Encore un effort et les sol- dats de la Convention sont rejetés sur les pentes qu'ils ont gravies par trahison*^. Les canons de la défense n'ont pas été enlevés, pas même encloués, Précy leur fait tirer quelques coups de mitraille qui accélèrent la retraite des troupes de Hivaz. Des officiers d'artillerie ont rejoint le général en chef et sous leur direction, pendant que l'ar- tillerie continue son tir protecteur, les fantassins lyon- nais réparent les brèches et remettent l'ouvrage en état de défense.

Au moment des attaques de Sainte-Foy et du bourg Saint-Irénée, la redoute de la Mulatière qui protégeait la pointe de Perrache était tombée au pouvoir de l'ennemi. La défense de celle position d'une extrême importance avait été confiée au général Rimberg. FMus encore qu'au combat du pont d'Oullins, il semble avoir perdu les qua- lités de commandement dont il avait fait preuve pendant la campagne du Forez.

1. Un officier de Vélat -major du sièf/e^ p. 66.

2. Lieutenant-colonel Bicliot, p. 38.

•3. « Tous les postes sont repris la baïonnette au bout du fusil. » {Un offi- cier de l'état-major du sièye^ p. 66j.

486 l'insurrection de lyon en 1793

Le général Valette avait dirigé les réquisitionnaires des bandes de Javogues sur quatre colonnes * ayant en tête les bataillons des volontaires de TAriège, de TArdèche, du Loir-et-Cher, de la Charente et du Gard. La redoute assail- lie de tous côtés dirigea mal le feu de ses pièces et quand Rimberg voulut faire recharger les pièces, il n'était plus temps, Touvrage était envahi par les volontaires de TAriège. Les Lyonnais abandonnèrent leur artillerie, 5 pièces de canon^, et franchirent en courant le pont de la Mulatière qui était miné. « Trois tonneaux de poudre et plusieurs saucissons de poudre qui communiquaient à toutes les traverses du pont ^ » avaient été placés pour détruire cette voie de communication si nécessaire entre les deux fleuves. Rimberg manquait à ses instructions en n'arrêtant pas les colonnes assaillantes assez longtemps pour mettre le feu à ces fourneaux. Toutefois un canon- nier lyonnais, de lui-même, a placé une mèche allumée à l'un des saucissons, mais un brave grenadier du bataillon de TAriège nommé Charlemont se précipite sur la mèche, Tarrache et la jette dans le fleuve^. Au même instant, un boulet venant d'une des pièces de la redoute, retour- nées contre les Lyonnais, lui fracasse le pied '\

A la sortie du pont, les troupes de Valette sont accueil- lies par un feu de mousquetcrie. Rimberg a reformé sa troupe et repris Toffensive, mais les forces dont il dispose, une fois délogées de la redoute, sont trop peu nombreuses; prises en face et en flanc par toute la divi- sion Valette, elles reculent...

Rimberg, courant à chaque fraction, empêche d'abord cette retraite de dégénérer en déroute; les colonnes enne- mies commencent à franchir le pont, ce qui gène le tir de

1. Ils formaient la division de Saint-(icnis-Laval.

2. Deux de 8 et trois de i.

3. Bulletin îles aulorilès mililairesy p. 30 (Javogues à ses collègues, 30 septembre).

4. Javogues à ses collègues, 30 septembre (lettre précitée).

5. hl.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 487

leur artillerie, mais il est évident que, lorsque leurs pièces légères seront mises en batterie, elles écraseront le détachement de Rimberg. Les batteries de Vaubois, à gauche du faubourg de la Guillotière, ouvrent leur feu sur les Lyonnais en retraite sur la chaussée de Perrache; cette chaussée, large de 20 à 25 mètres était longue d'en- viron 2 kilomètres, c'était la seule partie de la presqu'île sur laquelle on pouvait faire marcher les chevaux et les pièces, le reste se composait de marécages, dissimulés par des plantes aquatiques*. Alors le désordre se met dans leurs rangs, plusieurs d'entre eux s'enfuient, la situation va devenir désespérée, car Tentrée de Lyon est ouverte.

L'heure fatale n'était pas encore venue, car au milieu des fuyards le général en chef de Tarmée lyonnaise et son état-major arrivèrent au galop. Dubois-Crancé aurait pu dire que le cheval blanc de Précy se tenait loin du canon 2. Le pauvre cheval blanc gisait percé de coups dans la redoute de Saint-Irénée; d'un talus de rempart, le général avait vu l'occupation de la redoute de la Mula- tière. Sautant alors sur la monture d'un de ses officiers, il avait quitté Saint-Irénée en toute hâte et couru à la place des Terreaux toute la cavalerie Ivonnaise avait Tordre de se tenir rassemblée. Deux bataillons devaient s'y trou- ver, aussi ne les voyant pas, Précy les fait chercher par ses adjudants-généraux pour les diriger sur la chaussée de Perrache. On les avait envoyés, eux et leurs pièces, à Saint-Clair par erreur ou par trahison^.

Le général adresse une courte harangue aux cavaliers, il veut les conduire à la victoire ou à la mort: « Je ne vous parle pas du courage, vous êtes Lyonnais et Foré- ziens, c'est-à-dire frères en gloire, je vous dirai seule-

1. Lieiiteiiant-rolonel Hicho!, p. 39.

2. Voir les inflexions de Dubois-Crancé dans son l'apport sur la dernière affaire de la Croix-Uoiisse.

3. On accus.'i lieux, le chef dï'tat-inajor de rarUlIerie, de multiples trahisons dans cette journée. {Un officier de Vétat-major du sièye^ p. 567.)

488 l'insurrection de lyon en 1793

meni que le grand jour est arrivé pour nous. Si parmi vous*, cependant, il s'en trouvait un seul qui ne fût pas déterminé à mourir aujourd'hui, s'il le faut plutôt que de reculer devant les forces qui vont nous attaquer, qu'il sorte des rangs, je ne veux auprès de moi que des ^braves K » C'étaient des braves en etfet, que ceux auxquels il s'adressait et qui criaient : « En avant ! » en agitant fréné- tiquement leurs armes : le marquis de Vichy leur colonel^ son fils le capitaine de Vichy, Bollioud de Chanzieu^ Du Rozier, Chappuis de Maubou, Gavot, Duguet du Bul- liou et tous leurs cavaliers.

Un officier vient informer Précy de la part de M. de Tourtoulon que la redoute des Brotteaux est violemment attaquée et que d'un moment à l'autre les colonnes de Vaubois peuvent déboucher sur le quai du Rhône*. Précy prescrit à une partie de la cavalerie de surveiller les abords du pont Morand, tout en s'abritant. L'adjudant- général de Nervo reste en permanence au quartier-géné- ral de l'Hôtel de Ville avec les troupes de piquet dont il disposera selon les circonstances^, Précy sait qu'il peut avoir une confiance absolue dans l'ancien capitaine de vaisseau.

Le général en chef, accompagné de M. de Clermont- Tonnerre, ancien officier-général et de ses aides de camp, court à la chaussée de Perrachc. 11 arrive à la demi- lune, vis-à-vis le canal de la gare, au moment cinq ou six courageux Lyonnais, groupés par le capitaine Farine, du bataillon de Brutus, ont mis en batterie deux pièces de i enlevées de Touvrage, et tirent à mitraille sur la tète de colonne ennemie. Plus loin sur la chaussée la troupe de Rimberg, malgré les exhortations de son commandant, recule toujours et sans l'intervention des deux pièces d'artillerie de la domi-lune, la déroute

i. Ballpy<lier, t. Il, p. 137.

2. Lieuteiuint-colmu'l lUchot, p. 80.

3. Archives du liliône, l. Xll. Récit d'un soldat du bataillon du Griffon»

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 489

aurait déjà commencé. Valette qîii combat au premier rang fait tirer sur les canonniers. Parmi ceux qui ne furent pas atteints, il y avait deux jeunes hommes desti- nés à un brillant avenir sous la Restauration, Franchet, le futur préfet de police et Ravez qui devait présider la Chambre des dépulés K

A la vue de Précy, comme à Saint-lrénée, les fuyards s'arrêtent, les timides reprennent courage. Le général a retrouvé un tambour et lui fait battre la charge, mais Tennemi est si nombreux, si compact que la troupe de Rimberg, après s'être arrêtée, reprend son mouvement de retraite à Texception de quelques braves qui font le coup de feu à côté de lui. Un renfort inattendu arrive : la cavalerie, le colonel de Vichy en tête, renforcée des gendarmes à cheval du lieutenant-colonel de Trézette.

M. de Nervo, qui remplace Précy au quartier général, a compris que Tattaque des Brotteaux ne pouvait avoir la même importance que celle de la chaussée de Perrache ; non seulement, il a fait partir toute la cavalerie mais il a même prélevé sur la défense des Brotteaux une troupe de choix, la compagnie de grenadiers du bataillon du Griffon. Malgré leur fatigue, les grenadiers sont partis en courant dans la direction du pont de la Mulatière pour se mettre à la disposition du général en chef '^. Ils suivent au trot de son cheval un aide de camp de Précy, Fleur-de-Lys, le combattant du Forez. « Nous marchâmes à pas précipités, dit un brave grenadier qui a laissé un récit vibrant du combat^, et rejoignîmes le général Précy près des barrières de Perrache. Il y était à la tête d'environ cent cinquante hommes de cavalerie et d*un très petit nombre de fantassins^. »

1. Balleydier, t. II, p. 139.

2. J.-B.-M. Nolhac, t. XII, p. 205.

3. Archives du lihône, t. Xlï.

4. /(/. Récit du grenadier. D'après le lieutenant-colonel Bichot (p. 39), Précy disposait en tout de 800 hommes, dont 150 de cavalerie.

490 l'insurrection de lyon en 1793

Précy disperse en tirailleurs une partie des grenadiers du Griffon et place le reste de la compagnie en arrière pour défendre la barrière de Perrache, L'ennemi couvre la chaussée avec ses colonnes profondes, il occupe presque toute la presqu'île, ses feux de mousqueterie et d'arlil- lerie se croisent en tous sens. Le général de Précy place sous la protection de ses tirailleurs et des deux pièces qui tirent toujours sa petite infanterie, derrière une fabrique d'indiennes.

L'escadron lyonnais-forézien s'est aligné face à l'ennemi et sabre au clair. Précy dit aux fantassins : « Vous voyez devant vous Tennemi, hâtez- vous de le repousser de cette presqu'île dont il veut prendre possession, faites lui repasser ce pont qui devait sauter à son approche. » 11 s'adresse aux cavaliers : « Vous, cavaliers, vous n'avez qu'une voie praticable, celle de la chaussée, elle est péril- leuse mais il n'y en a pas d'autre. Qu'importe notre petit nombre, songeons à tous ceux que nous défendons.

Au moment Tinfanterie s'ébranle, Précy répète : « Jurez-moi que vous ne ferez feu jusqu'après vous être servi de vos baïonnettes ! »

Tous électrisés, répondent : u Nous le jurons. » Sur l'ordre du général, 000 hommes d'infanterie, courent la baïoimette croisée, sur l'ennemi qui, hésitant devant les renforts arrivés aux Lyonnais, ne se déploie pas et reste en colonne entre l'ancienne gare des bateaux et les mou- lins ^ Le bataillon des volontaires de Paris est pris en flanc parles grenadiers du Griffon, le chef de bataillon Devigne est tué d'un coup de baïonnette. Ses hommes se démoralisent malgré la supériorité du nombre, ils reculent, se jettent dans des marais'*, ils s'embourbent. Les bataillons voisins quittent la chaussée et la terre ferme, ils sont refoulés à leur tour par l'infanterie de Précy qui connaît mieux le terrain. L'artillerie tire à

1. Lieiilonarit-colonel Richol. p. 39.

2. La partie entre le Rhône et la Saône étnit trè*; marécageuse.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE ^91

mitraille sur le bataillon du Gard, dont le commandant intérimaire, Tadjudant-major Valette, a la cuisse brisée.

Précy s'est mis à la tête de la cavalerie et a conduit la charge contre le bataillon de première ligne, les volontaires de TArdèche, que commande un jeune capitaine destiné à devenir maréchal de France et duc d'Albuféra, Suchet, d'origine lyonnaise. Ce bataillon reçoit les cavaliers de Précy sur la pointe des baïonnettes, pendant que Tartil- lerie de Valette les couvre de mitraille '. Du Rozier tombe mortellement atteint d'un biscaïen en pleine poitrine Bollioud de Chanzieu, qui le remplace devant l'esca- dron, Goulard de Curaize ont le môme sort, Clermont- Tonnerre est frappé à la gorge'-. Précy est encore dé- monté, il prend le cheval du cavalier Loth, frappé h ses côtés et tombé en prononçant le nom de sa fiancée'^. Sous le feu, le général reforme Tescadronet alors, le vieil offi- cier, qui avait défendu son roi dans son dernier palais, vit avec une surprise qui ne dut pas être sans joie, au chapeau de plusieurs de ses cavaliers foréziens. . . la cocarde blanche ^, suprême parure pour ces royalistes qui allaient mourir.

Précy conduit encore la charge et cette fois Tescadron rompt la ligne de bataille des volontaires de TArdèche, dont les fractions tourbillonnent au milieu des coups de sabre et des coups de pistolet ; elles se dispersent en courant, une partie tombe dans les marais, le reste s'en- fuit sur la chaussée, du côté du pont de la Mulatière. La cavalerie lyonnaise a perdu le quart de son effectif et cependant un peloton tout entier, entraîné par Gavot et

1. Rappelons une nppnk'intion du représentant Sébastien Laporte, dans le rapporta la Convention : « Notre artillerie a fait comme à son ordi- naire, c'est-à-dire des merveilles! » Voilà qui devançait la phrase du général de Pailly sur les chassepots à Mentana et (fui ne provoqua aucune protes- tation.

2. Balleydier. t. II, p. 441.

3. Bulletin ilépartetnenialy du 30 septembre.

- 4. c II a été pris également sur le chapeau d'un Muscadin une cocarde on trouva sur l'effigie du tyran les trois fleurs de lys. » {Rapport de La- porte, 30 septembre : Archives historiques de la Guerre : Armée des Alpes, septembre 1793).

492 l'insurrection de lyon en 1793

Soullier (d'Avignon), aide de camp de Précy, continue la poursuite. Il faut citer parmi ces braves : Rochefort-Beau- voir, les frères Barbier de Charly, le petit Frédéric, Gerbe de Tours, Greppo, Deboze, Rhilsen, Bredin, Jacob, Mauvert, Dujast, les Charasson, le D"" Ponçan et une jeune fille, M"* Martin dont un coup de sabre percera la blanche poitrine*. Ils rencontrent une pièce de canon et s'en em- parent, en sabrant les servants, Tinfanterie avait enlevé trois autres pièces-. Le capitaine Farine et ses canonniers étaient presque tous hors de combat, les grenadiers du Griffon les remplacèrent dans le service des pièces. Deux des leurs venaient de succomber; les grenadiers Vachon et Benoît,

Les cavaliers avaient chargé jusqu'au pont delà Mula- tière et Tun deux, un gentilhomme breton qui avait com battu en Vendée, M. Kerquisio de Kervodoë 3, vint pré- venir Tinfanterie que l'ennemi repassait en toute hâte le pont de la Mulatière et que Ton pouvait inquiéter sa retraite. M. de Kervodoë, grièvement blessé à la poitrine et à la tête, se maintenait à peine à cheval. Les braves grenadiers lyonnais repartent au pas de course devant le pont, ils sont arrêtés par des matières emflammées que l'ennemi a placées autour d'une maison pour gêner la poursuite; ils éteignent le feu. Un aide de camp de Précy vient leur donner Tordre formel de se replier sur les moulins '.

Le général en chef estima qu'on ne pouvait songer k conserver la partie méridionale de la presqu'île en rai- son (les feux de Tennemi qui s'y croisaient impunément, qu'il fallait établir aux moulins de Perraclie le point

1. « Deux cavaliers de Précy s'étaient défiés à qui pénétrerait plus avant dans les ran^j^s républicains. Celui qui semble gagner la partie tombe abattu de trois coups de sabre. C'est une femme. > (M'* Costa de Beauregard, p. H6o.)

2. Nous donnons ici les chiffres du Ih'cit d'un S(tl(lat de Vannée lyon- naise, hataillon du Uriffan, témoin oculaire.

3. Le soldat de l'armée lyonnaise rappelle Therquisio de Kervodoë.

4. Archives du Rhône, t. XII. Récif d'un soldat de iarniée lyonnaise.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 493

central de la défense, former en avant des ligues d'abatis avec les gros arbres qu'on allait couper dans l'avenue et placer trois batteries, Tune sur la petite chaussée des moulins, une autre à gauche de la grande route et une troisième adroite, du côté de la Saône*.

Pendant que le général rentrait avec sa cavalerie dans Lyon pour savoir ce qu'il était advenu aux autres points de la défense, les vainqueurs relevaient les morts et les blessés des deux partis, 7 à 800 hommes^, que des chariots d'ambulance vinrent tardivement chercher, puis ils se transformaient en bûcherons et en terrassiers, n'ayant pour se soutenir, pour toute ration; qu'une livre de gros pain d'avoine et do paille, noir et déjà moisi, avec un peu d'eau-de-vie. A cinq heures du soir seulement, les gre- nadiers du Griffon s'établirent dans leur nouvelle redoute, Précy revint les y visiter et leur dit : « Mes amis, votre conduite dans toute cette journée a vivement excité mon admiration et celle de tous vos frères d'armes, elle devrait vous mériter des récompenses que vous obtiendrez un jour. Votre général va donner l'accolade à votre jeune capitaine^. »

Aux applaudissements des assistants^, Précy embrasse le commandant de la compagnie, le jeune Regny, aussi modeste que brave qu'il nomme commandant de la nou- velle redoute. 11 se retire ensuite pendant que les grena- diers criaient : « Vive le général ! vive Lyon! vive notre capitaine Regny. »

Précy retournait aux Brotteaux l'attaque, après s'être ralentie, avait repris au moment les batteries de gauche de la Guillotière aperçurent de la chaussée de Perrache la troupe de Rimberg en retraite et l'avaient canonnée.

1. Hêcil d'un soldat de Vannée lyonnaise.

2. Le Bullelin départemental du 30 septembre devait évaluer à 1.200 hoiiiines hors de combat les perles ennemies.

.3. L'officier de l'état-major du sièf/e les évalue à 1.500 et à 200 les pertes des Lyonnais.

4. Souvenirs de la liévolulion à Lyon^ p. 205.

494 l'insurrection de lyon en 1793

Le général Vaii bois avait remarqué un certain désordre dans les troupes lyonnaises qui occupaient les Brotteaux, en avant de la tête de pont; il lui sembla que ces troupes évacuaient leurs positions. Son impression était exacte.

Sur un ordre mal transmis etàToccasion duquel Reux, chef d'état-major de l'artillerie, a été accusé d'une odieuse trahison*, Tourtoulon de la Salle, brave et loyal officier, qui commandait alors le camp des Brotteaux, n'avait pu empêcher tout un bataillon de rentrer dans la re- doute. Le général Vaubois qui s'en aperçut ordonna aus- sitôt à un bataillon de pénétrer dans les Brotteaux, d'oc- cuper les maisons et d'ouvrir le feu sur la redoute, en grimpant aux étages élevés et' sur les toitures*. Les quatre batteries des Collinettes qui, selon l'expression de Vaubois, « chauffaient si poliment >i ses propres troupes, ayant vu leur mouvement en avant, dirigèrent aussitôt un feu tellement intense-^ que plusieurs toitures s'effon- drèrent et que les troupes de la Con veni ion durent s'abriter. Seuls les tireurs qui occupaient la maison Berlier domi- naient le pont Morand et la fameuse redoute Chênelette.

Nous eûmes beaucoup à souffrir, dit ici M. Nolhac, Tintérieur de notre tête de pont présentait alors pendant quelques instants un triste spectacle. Des chevaux qui venaient d'amener des munitions avaient été blessés et hennissaient en perdant leur sang, leur conducteur gisait tout auprès sans qu'on pût s'occu- per de le secourir. Des soldats tombèrent çà et là, le sous-lieu- tenant de ma compagnie, le même qui avait été blesséàla Croix- Rousse dans la retraite du Panier ileuri, fut tué à côté de moi et m'entraîna en tombant les bras étendus '.

M. Duffieux, père du poète, reçut deux coups de fusil, qui ne lui causèrent que de l'émotion, l'un lui coupa la

i. Officier (le Vétat-maji)}' du sièf/e, p. 67.

2. liuUetiu.s im/triitiés des- auforilés inili/aires, p. 28 : Vaubois aux reur^^*- S(Mitanls,30 septfiubre.

3. J.-H.-M. Noihac, Souvenirs delà liéroluliini^ p. 205. 4.J.-B.-M. Noihac, p. 203.

LES TROIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 495

queue de ses chevaux, l'autre Tune de ses courroies de hâvre-sac.

Le colonel de la Salle fît tirer une salve de coups de canon sur la maison Berlier, qui fut aussitôt abandonnée des soldats qui l'occupaient; quand ceux-ci se retirèrent, on aperçut les petits casques à chenille et les habits blancs que portait Tinfanterie française au début de la Révolution. De l'aveu môme du généra) Vaubois^ la plupart s'étaient enivrés avec le vin et Teau-de-vie trouvés dans les caves. Une fois sortis de la maison, il fut impossible de les re- former en colonne d'attaque « beaucoup étaient hors d'état de combattre, leurs chefs criaient, s'égosillaient, menaçaient, mais inutilement. Le nombre des coupables augmentait ». Vaubois voulut les remplacer par d'autres détachements « qui ne bougèrent pas'-. » Furieux, il ordonna la retraite, n'ayant perdu en tués ou blessés qu'une cinquante d'hommes'', mais se reconnaissant inca- pable dans ces conditions de continuer l'attaque d'une tèle de pont si bien défendue.

Toutefois le tir de ses batteries se prolongea quelque temps sur la gauche, enfilant le pont Morand. Un déta- chement de canonniers lyonnais, commandé par M. Jean- Pierre Larderet, fils d'un notable habitant de Saint- Etienne et adjudant d'artillerie, traversait le pont, un boulet enleva la tête d'un des canonniers et la jeta dans une des corbeilles'' qui servaient à transporter des gar- gousses et des projectiles. Malgré ce spectable pénible à voir, l'attitude du détachement fut impassible.

Dans la défense des Brotteaux, Duffieux, Charcot de Villiers et Girard s'étaient signalés par leur intrépidité^,

1. Bidletin des aulorliés milUaireSy p. 285. Vaubois à Javogues, 30 sep- tembre.

2. 1(1.

3. 1(1.

4. Coimiiunicalions de M. Larderet de Fontaiiès et de M. Claude-Noel Desjo veaux.

5. lialley«lier, t. Il, p. IH.

496 l'insurrection de lyon en 1793

mais le plus brave fut incontestablement le commandant de la redoute, Jean-David de Tourtoulon, baron de la Salle, ancien lieutenant au régiment de Bourgogne. Ori- ginaire du Languedoc*, il était venu à Lyon avec sa femme et ses enfants et avait toujours donné l'exemple du plus brillant courage. Atteint de deux coups de feu par les défenseurs de la maison Berlier, il mourut dans la soirée. C'était un ancien compagnon d'armes du général de Grand val, qui avait succombé lui-même, le 20 sep- tembre, à ses blessures.

Avant de se retirer, Vaubois fît mettre le feu à toutes les maisons qu'il lui fallait abandonner.

Nous reçûmes Tordre de rentrer à Tinstant dans nos postes dit Nolhac, au milieu de la fumée produite par la combustion de tous les lambeaux de boiseries qui étaient restés suspendus aux pans de muraille, de la paille des caves et de tout ce qui pouvait être brûlé. L*incendie se communiqua même aux arbres dont plusieurs eurent des branches grillées*.

Ainsi partout les Lyonnais avaient repoussé les assail- lants, le Bulletin départemental du 30 septembre célébra cette triple victoire on termes emphatiques :

Lyonnais, n'oubliez pas que les troupes de Crancé après s'être introduites dans les murs, après avoir forcé vos redoutes par la trahison des lâches, des scélérats que votre justice avait épar- gnés, ont été repoussés dans trois attaques par vos braves soldats, citoyens, par cette brillante jeunesse, par cette intré- pide cavalerie qui courait à la gloire en s'immolant pour la cité qui les a vu naître. Noubliez pas que Précy vous ouvre la carrière de l'honneur, le chemin de la gloire, suivez ses pas, combattez avec lui, la défaite de vos ennemis est certaine. Plus de 1.200 ont mordu la poussière, 200 prisonniers, les postes que vous avez repris attestent les avantages signalés que vous avez remportes.

\. résidait «'in'<»re, il y a v\\\\i\ ou vin^'t-cinq ans, lo dernier repré- sentant de cette famille, M. le baron de Timrloulon, aujcinrd'hui disparu. 2. J.-B.-M. Nolhac, Souvenirs de lo liévohilion à l.yon, p. 204.

LES TIIOIS COMBATS DU 29 SEPTEMBRE 497

Le chiffre des soldats de la Convention tués ou prison- niers était évidemment très exagéré, alors que le Bulletin n'avouait pas les pertes des Lyonnais*. L'organe dépar- temental rendait un juste hommage aux vainqueurs du 29 septembre, mais Tarmiée des représentants campait maintenant aux portes de la ville. Malgré Thumiliation de la défaite, Dubois-Crancé, Javogues, Châteauneuf et Laporte pouvaient écrire au Comité du Salut public : « Nous les tenons ! »

1. D'après les Souvenirs (Tun officier de Vélat-inajor du sièf/e^ les Lyon- nais auniienl perdu 200 honiiiics.

32

CHAPITRE XXVII

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE. LA TACTIQUE DE COUTHON. DERNIÈRE SOMMATION

Pendant la nuit du 29 au 30 septembre, Précy fut in- formé que les troupes du général Valette avaient évacué la redoute du pont de la Mulatière et s'étaient retirées sur la rive droite de la Saône, après avoir détruit une travée du pont*. Javogues, qui n'avait assisté que de loin à l'affaire de Perrache, n'en écrivait pas moins au Comité de Salut public que ses batteries pouvaient balayer toute la chaussée et terminait par le refrain dont il avait Thabi- tude : « Ça ira! »

Ses agents le servaient mal car il joignait à son rapport militaire un fragment de rapportde policeoù fourmillaient les erreurs relativement à l'état-major de Tarmée lyon- naise-^. On y voyait annoncé la mort du « ci-devant mar- quis de Vichy, riche à cent mille écus de revenus^ ». Bien qu'il se fût courageusement exposé dans le combat du 3o, le colonel de Vichy était vivant en attendant qu'il tombîYt sous les balles d'un peloton d'exécution, a La boucherie a été bonne », disait Javogues dans son langage trivial et il ajoutait : « Nous avons fait brûler toutes les mai- sons qui joignent l'entrée de la saulée de Perrache, etc. »

Le général do F^récy, ne sachant comment nourrir les nombreux prisonniers faits à l'affaire de Perrache ainsi que ceux de Saint-Anlhômo, renouvela à Dubois-Crancé

1. Lieiilenaiil-r(»l(uiel lUchot, p. 30.

2. <' RiinlxM't <!«• MtTveau pour Hiinberg et <le Xervo» : Fonlelle et Coin- bie, par GoUencl-runlcl, etc.

3. Bullelins iiHjtrinu's des autorités nn/ilaires. p. 32,

DECOURAGEMENTS ET DESORDRE ^99

sa proposition d'échange, offrant dix hommes pour un, quinze pour un officier, vingt pour un officier supérieur. Le proconsul de la Pape ne daigna pas rendre de réponse au quartier générai lyonnais ; il se borna à redire sa phrase favorite : « On ne rend pas des rebelles qui, mis hors la loi, doivent être fusillés dans les vingt-quatre heures^ ». Et en effet il fit fusiller plusieurs prisonniers, même des blessés comme un Lyonnais nommé Lhomme, qui avait le bras fracassé- et comme l'adjudant-général Coindre, fait prisonnier à la prise de la maison Nérac, si vaillamment défendue.

A Lyon, la disette augmentait et cependant sur les der- niers approvisionnements de mauvais pain, les Lyonnais nourrissaient leurs prisonniers ; les médecins de la ville soignaient les blessés de l'armée de siège. Tant d'huma- nité devait rester sans récompense.

Que d'héroïsme dans la résignation des assiégés 1 le peu de grain, qui restait et qui ne pouvait se convertir en fa- rine que difficilement, était réservé à ceux qui prodiguaient leurs forces pour la défense de la cité. Une demi-livre d'avoine n'était même plus la ration des femmes, des enfants, des vieillards, on tentait de suppléer à cette in- i^uffisance d'aliments, par des distributions de vin et d'huile'*, ce qui occasionna la dyssenterie. Comme Ta dit un des survivants du siège'', les riches et les pauvres souffraient également''.

Le général de Précy, imité par la plupart des officiers généraux et supérieurs, abandonnait ses rations d'avoine et de pailbî sr-che, se contentant d'herbes cuites avec des

1. Marquis tlv Poiicins, le Correspomlant^ I86t, article précité.

2. Vu officier de Vélat-major du sièf/ey p. 70.

3. Un officier de Vetut-major du sièf/e, p. 65.

i. L'officier de Vétdi-im.ijor du aièf/e qui a [lublié ses souvenirs à Lau- sanne eu WJo.

.*>. Id. « Toutes leâ ressources luanquaieut absolument ; jusqu'à la chair des animaux <lomestiqu(>s (}ui av.iient servi de supplément à l'avome et au pain. * Le même, p. 72.)

500 l'insurrection de lyon en 1793

graisses qu'on était parvenu à dégager des approvision- nements... des parfumeurs*.

La trahison rôdait toujours. Dans les faubourgs, les anciens amis de Chalier sortaient de leurs repaires, se groupaient, insultant les femmes de leurs adversaires et désignant les maisons qu'ils se proposaient de saccager-. Ces misérables s'enfuyaient dès qu'ils se trouvaient en présence d'hommes de cœur; quelques-uns furent tra- duits devant la commission militaire présidée par Loir et passés par les armes.

Les femmes de Lyon devaient jusqu'au dernier jour se montrer intrépides. A Sainte-Foy, au bourg Saint-Irénée, en plein combat, elles avaientaidé h transporter les blessés. L'abbé Moulin, curé de Saint-Irénée, « était allé de mai- son en maison porter des paroles de consolation et d'es- pérances éterneUes. Il préparait à la mort, aux souf- frances, exhortait à la miséricorde-^ ».

En dépit de tous les pressentiments, la classe élevée de la population gardait ses habitudes de vie policée et élé- gante. Les hôtels de la place Bellecour, malgré le feu des batteries de la Guillotièrc qui, jusqu'à la fin du siège, les visaient spécialement, avaient encore dos réunions comme aux jours heureux. Leurs vastes salons dont toutes les boiseries portaient sur maints panneaux les blessures du bombardement, à côté des miroirs de Saint-Gobain, brisés ou balafrés, s'ouvraient encore h quelques invités, qui venaient chercher le réconfort de l'illusion. On racontait que les Vendéens «triomphaient, que le Midi se soulevait, qu'une vaste fédération poussait toute la France à Tas- saut de la Convention... Les bruits les plus invraiseni- l)lables trouvaient encore des auditeurs crédules : une armée d'émigrés, débouchant de la Suisse, était en marche

i. Marquis CdsUi de Beaurcgard, p. 358.

2. G. d'Orcet, Souvenirs r/'w/i officier républicain en 1793. (Revue britan nique, 1880, p. 89.)

3. Alexandrine des Echerolles, p. 91.

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE 501

sur Lyon... Le marquis d'Âutichamp la commandait et son avant-garde menaçait déjà, le château de la Pape, on entendait son canon... Dubois-Crancé s'enfuyait, Précy allait à son tour déboucher par la Croix-Rousse et mar- cher, tambours battants, au devant des libérateurs, des Français comme les assiégés...

Voici ce qu'on disait dans le bel hôtel de M. de Nervo* et dans le vaste logis de M. de Savaron, oii s'étaient grou- pés, sous la municipalité jacobine, tant de serviteurs fidèles de Tautel et du trône. Quelques-uns étaient tom- bés au champ d'honneur, d'autres gisaient blessés ou ma- lades sur les couchettes de l'hôpital militaire ou de l'An- tiquaille, mais la plupart, entre deux gardes ou deux patrouilles, étaient heureux de se retrouver et d'espérer quand même. C'étaient les frères Léviste de Briandas, le marquis de Châteauvieux, les Dervieu, MM. d'Assier de la Chassagne, Jolyclerc de Belvé, Boulay, Fontaine de Bonnerive, Giraud de Saint Try, de Meillonas, de Vichy père et lils, et les royalistes montbrisonnais : Puy de Musieu,de Lachèze,de Chantelauze, d'Assier de Chézolles, Génier des Périchons, Duguet, etc. Le colonel de Chône- lette, venait aussi quand il accordait quelques instants de trêve à ses incessantes et dangereuses inspections des fortifications. La plupart étaient de vieille race mili- taire, mais tous, gentilshommes ou bourgeois, aimaient passionnément la France et souhaitaient qu'elle ne subit pas l'invasion étrangère, même pour ramener la monar- chie, môme pour apporter aux Lyonnais la vie sauve et la liberté.

On répétait que Précy, interrogé par un personnage de caractère douteux et d'allures équivoques, sur la question de savoir s'il accepterait l'aide des Piémontais, avait brusquement répondu : « J'accepterai le diable pour

1. Voir hi description des hôtels de la place Bellecour, si brillante au XTii* siècle, par M. Vingtrinier, ouvrage des plus intéressants, avec de mer- veilleuses gravures.

502 l/iNSURRECTION DE LYON EN 1793

nous tirer de », mais on ajoutait qu'il s'était refusé à entrer en pourparlers avec un colonel sarde, arrivé de Turin ï. Un tel appui répugnait évidemment à Tîmcien lieutenant-colonel des chasseurs des Vosges. D'ailleurs Kellermann, injustement destitué, n'en avait pas moins battu les Piémontais à Cluse et à Aiguebelle et déter- miné leur retraite. Leur intervention était donc hypo- thétique.

Plus illusoire encore était l'arrivée d'un corps d'émigrés par la Suisse! Certes M. de Tessonnet avait fait auprès des Princes tout ce qui était humainement possible, il avait obtenu des cadres : vingt émigrés, sous les ordres du marquis d'Autichamp pour se jeter dans Lyon. L'ancien commandant des gendarmes rouges en avait recruté un certain nombre, la plupart un peu âgés, mais résolus, vigoureux, heureux de revenir combattre en terre fran- çaise et rêvant organisation d'escadrons, chevauchées intrépides, charges héroïques...

Les habitués de l'hôtel Savaron transformaient en corps d'armée ce petit peloton qui ne devait même pas fran- chir la frontière^.

Malgré répuisementdu siège, les privations, les fatigues de l'âge, MM. de Chamousset et du Treyve retournaient avec leurs bataillons aux avant-postes de la Croix-Rousse, M. Puy de Mussieu h Saint-Just, MM. de La Chèze et de Chantelauze à la batterie de Tobélisquo de Vaise,

\. Abbé Giiillon de Monléon, Histoire du sièf/e de Lyon, t. 11, p. 60.

2. « Les princes ayant été informés de la position fâcheuse de la ville de Lyon, M. de Précy commandait, m'envoyèrent en Suisse pour essayer de m'y jeter. J'eus ordre d'emmener avec moi vinfît ou vingt-cinq officiers. Je les y conduisis et je reçus des instructions et des pleins pou- voirs de Monsieur, aujourd'hui roi. J'arrivais trop tard. La ville s'était rendue. » (Déclaration du marquis d'Antirhamp. Dossier de cet officier général : Archires administrai ives de ta Guerre.)

« 11 (le comie d'Alhon) fut un des officiers supérieurs qui partirent avec le marquis d'Antichamp, sur les ordres de Monsieur et du Comte d'Artois pour aller au secours de la ville de Lyon assiégée en septembre 1193. » (Déclaration du comte d'Albon. Dossier de cet officier général : mêmes archives.)

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE 503

M. d'Assier de Chézolles à celle de Perrache; tous les 4iutres étaient aussi à leurs postes d'honneur et de sacrifice.

Précy n'espérait plus, mais il voulait pousser la résis- tance jusqu*aux dernières limites. La population subis- sait Tascendant de cet homme, toujours maître de lui, qui parcourait sans relâche, à cheval ou à pied, les redoutes, les postes, les casernes. Le soir du 29 sep- tembre, en revenant de Perrache et des Brotteaux, il avait •couru à Saint-Irénée inspecter la réfection forcément sommaire et incomplète des travaux de défense. Il gar- <iait à la main par distraction un pistolet d'arçon qu'il avait arraché à un soldat ennemi. Ses vêtements avaient été déchirés par les balles et les baïonnettes et, sans façon, il était venu dans le modeste logement qui abritait son vieux camarade, le général des Echcrolles. Précy lui demanda un peu de nourriture pour le comte •de Clermont-Tonnerre, adjudant-général, qui souffrait de sa blessure et pour lui-même. En prélevant quelques vivres sur ses dernières provisions de famille, des Echerolles réconforta le blessé* et le général en chef.

Dès la matinée du 30 septembre, les corps administra- tifs faisaient afficher et répandre le plus possible le Bul- letin départemental; ils s'efforçaient dans une proclama- tion de surexciter Ténergie de la population, annonçant d'après les déclarations des prisonniers faites dans la •journée du 29, que Dubois-Crancé et son armée comptait passer indistinctement tous les habitants au fil de Tépée, que vingt-sept voitures étaient arrivées dans le camp ennemi chargées de matières combustibles pour achever, s'ils entraient, la destruction et l'embrasement de la cité.

1. « Pour le comte de Clermont-Tonnerre, il ne pouvait manger, il avait reçu un coup de biscaïen k la gorge et soutTrait beaucoup. Il se trouva heureusement un peu de bouillon réchauffé à la hâte, il Tavala comme il put. Tous deux repartirent aussitôt et je ne les revis plus. » (Alexandrine des Echerolles, p. 93.)

504 l'insurrection de lyon en 1793

Vous n'avez d'espoir que dans vos bras, disaient les corps administratifs en terminant, les circonstances vous en font une loi impérieuse, votre salut tient à votre valeur. Soyez dignes de la réputation que vous avez acquise en conquérant la liberté Vous êtes républicains, vous êtes Français, vos ennemis sont des lâches, vous les avez déjà vaincus, paraissez encore et ils n'oseront vous résister. Combattez, ils fuiront loin de vous, l'oppression cessera, la cité sera sauvée*.

Ce bulletin, signé Montviol président, et Roubiez, secrétaire général, devrait être la dernière publication de l'organe départemental.

Malgré ces exhortations, la défense se désagrège : le bataillon de Washington, caserne à i'évôché, et commandé pour fournir les postes de Saint-Irénée se déclare « fati- gué >i. Son chef de bataillon Vitton prévient Goguillon, qui supplée le général des Echerolles, que sa troupe est même « rebutée » et qu elle doit être remplacée d'urgence - ! Le commandant Goguillon transmet cette protestation au général de Précy; il s'en déclare indigné mais demande, lui aussi, à se retirer "^

Le bruit se répandit, dans la ville, que les compagnies cantonnées à Saint-Just et à Saint-Georges étaient aussi démoralisées, le Comité de Surveillance et de Sûreté pu- blique du département s'adressa au général et lui demanda d'urgence de changer ces troupes suspectes, déclarant qu'il s'en rapportait absolument à lui : « Magistrats, nous connaissons l'étendue comme la limite de nos devoirs et la confiance générale vous est trop justement acquise pour que nous ne nous en rapportions pas entièrement à ce que vous ferez ''. »

D'autre part, le comte de Clermont-Tonnerre qui ten-

1. liulletin départemental, du 30 septembre 1793.

2. CoUecHnn Hosus, Lyon, 30 septembre 1793. Cf. Vaësen, Documents imprimés {le Sièf/e), yi. 158.

3. Id. Lettre de Goguillon à Précy, 1" octobre.

4. Aj'c/iives municipales, l"" octobre 1793. Signé : Favre, Besnard, Meynès.

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE 505

tait de dissimuler son aristocratique personnalité sous le pseudonyme de Gaspard et qui, malgré sa douloureuse blessure, avait pris le commandement du quartier Saint- Georges, prévenait à son tour le général en chef qu'il n'avait aucune confiance dans le bataillon de TUnion, en raison de cas de maladie déclarés dans cette troupe, et surtout de sa mauvaise volonté. En cas d'attaque, le poste serait mal défendu, le commandant de Saint-Georges ne pourrait compter que sur la compagnie des grenadiers de Mar- seille dont TefTectif ne dépasse pas 44 hommes. Il serait alors indispensable que le commandant de Sainte-Irénée fît une diversion*.

A Saint-Just, le chevalier de Melon, qui dans le service s'appelait toujours Arnaud, rend compte, danscellemôme journée du 2 octobre, que deux de ses hommes viennent de déserter et qu'en conséquence pour prévenir toute trahison, il fait changer le mot d'ordre'-. Il ajoute avec tristesse, lui l'homme d'action, le conspirateur irréduc- tible, le commandant des bandes du camp de Jalès : « Je trouve un grand découragement dans nos troupes et tout à l'heure le poste entier de la maison Ferrand s'est replié saîis être attaqué, en tenant des propos capables de donner de grandes craintes sur leurs intentions. J'ai fait reprendre le poste. Une petite insurrection s'est aussi élevée dans le bataillon de la rue Buisson et toujours par le même esprit de découragement^. »

Il engageait Précy à se rendre compte par lui-même des dangers de la position de Saint-Just. Rimberg, le brillant général du Forez, découragé par son échec du pont de la Mulatière, refusait tout commandement; il ne

1. Archives municipales, !•' octobre. M. de Clermont-Tonnerre terminait ainsi : « Je suis très fraternellement, citoyen général, votre serviteur. Gaspard. »

2. Le nouveau mot d'ordre était: Saint-Maurice et Montpellier, Le mot de ralliement : Courage,

3. Archives municipales : Arnaud à Précy, sans date, mais dans la liasse des deux ou trois premiers jours d octobre.

506 l/iNSLRRECTION DE LYON EN 1793

voulait plus ôtre que simple fusilier'. Le chevalier de Melon apprenait au dernier moment qu'il y avait un complot pour livrer son poste, il déclarait qu'il allait arrêter les coupables et terminait ainsi son rapport :

Adieu, mon général, comptez sur mon zèle, mon sang-froid, mon dévouement à tout ce que vous voulez faire.

Arnaud *.

M. d'Abzac^ vient de me joindre sachant la position pénible se trouve ce poste.

J'ai mis un poste de vingt-cinq hommes en arrière de nos troupes pour égorger le premier de nos soldats qui prendra la fuite et, si nous sommes attaqués, un homme intelligent les commandera pendant que je résisterai à Tennemi^.

Certes Melon et Clermont-Tonnerre étaient des hommes intrépides, sur lesquels le découragement n avait pas de prises. Virieu à la Croix-Rousse, Burlin de la Rivière à Saint-Clair donnaient aussi les preuves d'une indomp- table énergie, mais les soldats ne valaient pas les chefs.

Précy cherchait à remonter leur moral, affaibli par les privations et les fatigues du siège. Sabonhommie, sa gaieté exerçaient encore quelque influonce sur les troupes; il se moquait de tous ces prétendus malades, qui, avec des certificats de complaisance, quittaient de préférence les postes de première ligne et faisait afficher dans les casernes l'ordre suivant :

Au quartier général, le 3 octobre 1793, Tan II de la République.

Les certificats de maladie délivrés par les officiers de santé de chaque bataillon et ceux qui seront délivrés à l'avenir seront regardés, à compter de demain comme non avenus, s'ils ne

4. Arnaud à Précy, lettre précitée.

2. M. d'Abzac appartenait à cette vieille et illustre famille du Périgord qui a fourni tant d'officiers distingués.

3. Archives municipales^ document précité.

DECOURAGEMENTS ET DESORDRE 507

«ont visés par le citoyen Desgranges ou le citoyen Pelin, chi- rurgiens-majors de laforcearmée^dansleur domicile à Thôpital Saint-Louis de midi à trois heures.

Le citoyen général^ Précy '.

Un de ses adjudants-généraux, nommé La Pujade, qui avait constamment fait preuve de zèle et de courage, avait été prendre le commandement de la redoute de Perrachc et avait cru devoir laisser son cheval à T hôtel du Midi. Précy ne le blâma pas de préférer faire son ser- vice à pied, mais il réquisitionna aussitôt le cheval et le fit donner à Tun de ses chasseurs qui avait été démonté. Le général se préoccupait de Tincurie ou de la faiblesse de certains chefs de bataillon ou capitaines commandant des détachements casernes, et leur adressait la lettre pleine de fermeté et d'humour militaire qui suit :

Citoyens,

Dans le moment la force armée devrait développer le plus d'énergie, je vois avec peine que la majeure partie des citoyens abandonnent leurs bataillons ou leurs compagnies. Un pareil abus devient d'autant plus intolérable que quand il s'agit de recevoir le prêt tout le monde est présent. C'est à vous, citoyens commandants, à surveiller et à dénoncer ceux qui se rendent si coupables envers la cité, en acceptant ses bienfaits sans la servir, c'est vous qui devenez responsables et c'est à vous doré- navant que je m'adresserai. Celui qui commande doit avoir assez de force pour dénoncer les traîtres, sinon les punir.

Le général Précy.

Au quartier général, le 3 octobre 1793. An 11 de la République une et indiTiiible '.

Du côté des assiégeants, il y avait déjà bien des germes de discorde. Javogues se plaignait à Dubois-Crancé de

1. Archives muîiicipales, 4 octobre 1193.

2. Vaësen, Documents imprimés (Lyon en 1793, U Sté^e), p. 159.

308 l'insurrection de lyon en 1793

Chôteauneuf-Randon, qui lui « soutirait ses meilleures troupes et sa grosse artillerie », aussi déclarait-il « qu'il n'irait point attaquer des premiers la ville de Lyon». L'ancien huissier de Montbrison ne se souciait point de monter à Tassant et préférait rappeler avec vantardise sa pacifique campagne du Forez. H blâmait le général Vaubois, qui avait fait combattre les gardes nationales de Saint-Etienne, ce qui avait coûté la vie à 56*. Il terminait en demandant des canons, beaucoup de canons ; s'il en avait eu le 29 septembre, « il aurait rasé, disait- il, les 8.000 Muscadins qui étaient dans Tile de Perrache ». Malgré ses prétentions, Javogues manquait absolument de coup d'œil militaire, car il décuplait les 800 Lyonnais qui avaient défendu et repris la presqu'île de Perrache.

Dubois-Crancé, de son côté, se plaignait au Comité de Salut public de la présomption de Châteauneuf-Randon et de Maignet, qui prétendaient ôtre en mesure d'entrer à Lyon « sous deux jours ». Le général Hivaz, chargé par le tout-puissant représentant d'étudier et de préparer un projet d'emporter Lyon d'assaut par Fourvières, le déclarait irréalisable et devenait ainsi suspect.

Ce général n'en persista pas moins dans ses apprécia- tions, qu'il formula avec beaucoup de netteté dans une note dont il envoya prudemment le double au Comité de Salut public. 11 y établissait que l'escalade était impos- sible, en raison de la hauteur des murs (de 20 à 40 pieds'-), qui ne présentaient à leur sommet qu'un étroit corridor, sans terre-plein. Les portes étaient couvertes de madriers et, pour y arriver, il faudrait traverser des vignes; il serait impossible de transporter de lourdes échelles sous le feu de Tennemi, et on ne pourrait jamais, dans ces conditions, former une colonne d'attaque h l'intérieur

1. Bulletins imprimés des autorités militaires, p. 36 (Javogues à Dubois- Crancé, 2 octobre 1793).

2. Rivnz avouait cependant que les troupes françaises avaient escaladé à Mantoue « des hauteurs de cette nature».

DÉCOURAGEMENTS ET DESORDRE 509

de Tenceinte. Rivaz concluait avec beaucoup de sagacité que, pour prendre Fourvières, « il faudrait suivre les règles do Tart, soit en pratiquant une brèche par le canon, soit en attachant le mineur, nous y arriverons quatre jours plus tard, mais nous y arriverons avec sûreté * » .

Le général Doppet, qui ne semblait jouer qu'un rôle de figurant, avait déclaré que si son armée était forcée à une retraite, elle la ferait sur les batteries de siège ! Rivaz, en affirmant respectueusement « qu'il respectait également et les lumières et les talents » du citoyen général en chef, démontrait avec une fine ironie l'absur- dité de cette conception stratégique: les batteries seraient abandonnées par les gardes nationales de réquisition, « si 400 Lyonnais seulement les attaquaient en sortant de Saint- Just », et les troupes actives, enfermées dans Fourvières, n'auraient « d'autre parti que celui de se faire égorger jusqu'au dernier ou de se rendre^ ».

Doppet n'insista pas et, pressentant une sortie déses- pérée de l'armée lyonnaise, il envoya deux adjudants- généraux en mission, l'un dans le département de l'Ain pour y faire garder les gorges de Saint-Rambert et de Pierre-Chastel, l'autre dans le département du Mont- Blanc pour occuper les défilés importants. Enfin le général Lajolais recrut l'ordre de « se garder » dans le département de Tlsère-^

Le commandant de l'armée des Alpes se borna à ces vagues mesures et, pour le reste, il s'en remit aux déci- sions de huit commissaires de la Convention, toute une délégation de représentants, qui commandaient en réalité son armée. Ils formaient cinq groupes de commandement, ayant chacun son quartier général.

1. Bulletins imprimés des aulorifé.s mililfiireSj p. 33, sous ce litre : Ré- flexions du général Rivnz sur le projet d'emp(»rter Lyon d'assaut adressées aux représentants du peuple Dithois-Crancé et Gauthier.

2. Id.

3. Mémoires de Doppet, Paris, Baudouin, 1824, p. 191.

510 l'insurrection de LYON EN 1793

Chàteauneuf-Randon et Maignet, au quartier général (le Sainte-Foy ;

Coulhon et Reverchon, au quartier général de Lime* nest ;

Dubois-Grancé et Gauthier, au quartier général de La Pape ;

Javogues, au quartier général d'Oullins ;

Laporte, au quartier général de la Ferrandière *.

Couthon, perclus au point d'en paraître paralysé et qu'il fallait transporter, non pas en chaise à porteur, ce qui Teût compromis par une mode d'ancien régime, mais sur un fauteuil à brancard, était le dernier arrivé 2; il nen déclara pas moins qu'il allait donner une vive impulsion aux opérations, « préparer une victoire pro- chaine à la raison et à la philosophie ». Les pauvres Lyonnais ne se doutaient pas de cette recrudescence d'adversaires !

Dans le conseil de guerre qu'il présida, Couthon avoua à ses collègues et aux généraux que, dans les circonstances actuelles, on ne devait pas se préoccuper de tactique militaire, mais « que l'armée du peuple étant et vou- lant prendre Lyon, la vive force était le seul moyen qui convint à la toute-puissance dupeuple'* ». Dubois-Craucé et Doppet voulurent présenter quelques objections. Couthon, ex-avocat de Clermont, n'en admit aucune, s'en tenant à « la vive force ». 11 exigea que les représentants ne se séparassent point (pour se surveiller plus aisément les uns et les autres), et comme il parlait avec plus d'au- torité et d'abondance que ses collègues, ce fut lui, doré- navant, qui dirigea les opérations.

Un agent de la Convention, sorti de Lyon le 4 octobre, donnait aux représentants les meilleures espérances : Les

1. Happitrt (le Coulhoîi sur le sièf/e de Coiixinune Affranchie^ imprimé par ordre de la Convention.

2. Le 2 octobre, à Limonest.

3. Rapport de Couthon, i)récité.

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE 51 i

subsistances manquaient de plus en plus, on battait en cachette, dans la cathédrale, quelques gerbes de blé prises dans les campagnes et destinées à faire un peu de pain pour les blessés. En dehors de la troupe, les habi- tants, même les plus fortunés, ne mangeaient plus qu'une poignée d'avoine et quelques amandes. Les chevaux tués dans la journée du 29 étaient vendus 40 sols la livre. Cinquante gendarmes auraient cessé leur service et un bataillon tout entier de la garde nationale, celui de la place des Cordeliers, se serait muliné, on avait le désarmer et le faire travailler de force aux redoutes *.

L'allégresse fut grande au quartier général do la Pape oii les huit représentants se tenaient en conseil de guerre permanent. L'épuisement et le découragement allaient avoir raison de la ville rebelle.

Ses défenseurs veillaient encore, du moins les plus dévoués, les plus énergiques. Saint-Irénée et Saint-Just, devenus les points les plus menacés, avaient été réunis sous le commandement du chevalier de Melon, avecMonl- colon, le neveu de Précy, comme commandant en second. Ces deux officiers pouvaient parler en toute liberté de l'émigration et des campagnes de l'armée de Condé, les e*spions s'occupaient de découvrir les derniers vivres. Précy ne sermonait plus les jeunes imprudents mais il rappelait h son lieutenant Arnaud que le recueillement de l'ennemi faisait prévoir une reprise d'offensive :

Lyon, le 4 octobre 1793.

Tout annonce que vous serez attaqué. Je vais vous envoyer ce que je pourrai de forces. Disposez de très bonne heure vos postes. Placez-les le long des murs entre Saint-Irénée et Trion avec deux redoutes de retraite. Que ces retraites soient garnies d'avance de troupes. Je vais travailler à vous fournir ce que je

1. Bulletins imprimés, n* 32 : Hap/wrl d'un citofjen sorti ce matin (4 oc- tobre) de Lyon, fait au représentant du peuple Gauthier.

512 l'insurrection de lyon en 1793

pourrai. Je ne puis vous assurer d'être de très matin auprès de vous, parce que Ton m'annonce plusieurs attaques. Je m'en rapporte à votre valeur et votre obligeance.

Votre concitoyen y ' Prkcy.

Et de récriture d'un aide de camp ;

Je vous envoie le nouveau mot d'ordre que le général vient de changer et que vous ferez passer à vos postes : Mot dC ordre : Saint-Marc et Marseille. Ralliement : Espérance.

Au Citoyen Arnaud, commandant au cantonnement de Saint-Justet Saint-Irènée*.

Le chevalier de Melon recevait en môme temps un autre avis de son camarade, le comte de Clermont-Ton- nerre qui, en raison de son expérience militaire et de son grade de maréchal de camp, donne d'utiles conseils à Tancien sous-lieutenant du régiment de Penthièvre :

Du camp de Saint-Gcor«res, le 4 octobre 1793.

Tout annonce, mon cher camarade, que vous serez attaqué ainsi que moi et le poste de Perrache demain de bonne heure. Je vous invite à faire construire promptement une batterie de deux pièces sur le plateau que je vous ai indiqué, le tout sera de la plus grande utilité et peut seul sauver votre poste qui sera fouaillé vigoureusement avec du 24.

Si on avait, dès la nuit dernière commencé l'épaulement de ces deux pièces, vous auriez été couvert pour demain. Cepen- dant ne négligez rien et observez que cette batterie est le pen- dant de celle de la maison Loyasse - et gênera au moins autant qu'elle les batteries ennemies. Je prends encore la liberté de vous conseiller de chercher à masquer sur le terrain de Saint-Irénée une pièce de i, qui correspond sur la même ligne

1, Ciilleclion Cos/e. liihliothèque /nunici/Kile de Lt/oti

2. Ouvrage à droite du quartier de Snint-Just.

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE 313

avec celle que j'ai à la vigne du Châtelard. Il faut soutenir vos pièces de quelques braves grenadiers qui contiennent les ca- nonniers dont l'espèce est infidèle *.

Des nouvelles me confirment que l'intention est d'attaquer demain si rien ne s'y oppose. Joignez, mon camarade, toute la surveillance possible au courage que l'on vous connaît et recevez l'assurance de ma sincère fraternité.

Gaspard.

J'en dis autant à votre camarade que j'embrasse.

Au citoyen Arnaud, commandant à Saint-Irénée^ au quartier général de Saint-Irénée^.

Précy recommandait de redoublerde surveillance autour des postes '^ Dans la nuit du 6 octobre, les sentinelles et les patrouilles arrêtèrent plusieurs gardes irrégulièrement absents de leur poste et môme deux officiers'*.

Au milieu de ces inquiétudes et de ces défaillances, un conflit se produisait entre la municipalité et le district, la première accusait le second de dissimuler des appro- visionnements de cuivre et de plomb, le requérait pour le service de fonderie de Fartillerie et le menaçait de l'y <;ontraindre « par tous les moyens-^) aussitôt s'élevaient des protestations, des insinuations et une recrudescence de menaces de part et d'autre, le tout pour d'hypothé- tiques approvisionnements qu'on n'aurait môme plus eu le temps d'utiliser. M. Schmidt, le directeur de la fon- derie, qui avait su tripler le matériel de l'artillerie lyon- naise, avait cesser ses travaux. Depuis le milieu de septembre, ses ouvriers l'avaient abandonné.

La désunion régnait, sinon dans le camp des assié- geants, tout au moins chez les représentants. Coulhon

1. Leur altitude dépendait beaucoup de In fermeté du commandement. A la redoute Gingenne, les artilleurs s'étaient admirablement conduits.

2. Collection Cnsle. ISihliolhèque municipale.

3. Archives déparlemenlales.

4. Ces officiers avouèrent qu'ils auraient du être ù Thôtel commun. Peut-être tentaient-ils de déserter.

5. Archives départementales, 5 et 6 octobre.

33

514 l'insuhrection de lyon en 1793

venait de recevoir une lettre du Comité de Salut public qui adoptait ses idées sur Tart d'attaquer les places et qui le débarrassait de collègues gênants. Il s'empressait de la leur communiquer :

Ramassez toutes vos forces, toutes les provisions qui sont autour de vous. Concertez-vous avec Mai gnet et Laporte qui restent commissaires auprès de Lyon. Dubois-Crancé, Chà- teauneuf et Gauthier reviennent au sein de la Convention. Enfin, cher Couthon, sauvez Lyon à la République, arrachez ce malheureux peuple à ses égarements, punissez, écrasez les monstres qui resservissent. Vous aurez bien mérité de la Patrie ^ .

Châteauneuf-Randon, mécontent et inquiet, écrivit au Comité de Salut public en s'étonnant de voir sa mission déjà terminée et en manifestant ses regrets de ne pouvoir monter à Tassant de Fourvières'^.

Le proconsul Couthon, dans un accès de générosité, décida qu'il le garderait à son camp^. Quant h Doppet, après avoir pris connaissance de la lettre de la Conven- tion, il promit solonnellenient « que la volonté nationale exprimée dans la lettre du Comité de Salut public serait remplie'* », s'en rapportant d'ailleurs aux représentants et h ses généraux de brigade pour les moyens d'exécution.

A son quartier général de Sainte-Foy, Couthon rédigea une sommation qu'il fil signer par Maignet et Laporte et imprimer dans la nuit du 7 octobre. A midi, un officier précédé d'un trompetle se présentait aux avant-postes de Saint-lrénée. Conduit a l'Ilotel de Ville, il remettait au président des corps administratifs des paquets destinés aux différentes sections '. De plus, d'après Couthon lui-

1. Hnpport lie Couthon imprimé par ordre de la (^>nvention,p. 63.

2. Uulletin <ui((h/ti(jue, du G octobre 1793. Archives lùstorhfues de la (jiterre : Armée des Alpes.

3. linpporl de Coiifhoii^ prrcité, p. 13.

4. (ionon, Bihliof/ra/fhie de L>/on. pièce i U)8 (réponse du corps adminis- tratif:.

O. liffplittr/ dt' f'oui/infl, \). •J3.

DÉCOl RAGEMENTS ET DÉSORDRE 515

même qui avoue ainsi le service de police et d'espionnage depuis longtemps organisé, « le représentant avait pris la précaution de faire passer dans la ville par des personnes affiliées un très grand nombre de copies de cette somma- lion ».

Elle était ainsi conçue :

Les représeyUanls du peuple CoiUhon, Maignet et Laporte aux liabilanls de Lyon,

La Convention nationale vient de rappeler dans son sein les représentants du peuple Dubois-Crancé, Chàteauneuf-Kandon et Gauthier et c'est nous qu'elle charge maintenant de réduire votre ville rebelle. Habitants de Lyon, réfléchissez! Nous vous sommons encore, au nom du peuple français levé contre vous^ d'ouvrir vos portes, de déposer les armes, de livrer les scélérats qui vous trompent, vous oppriment, vous perdent. A ce prix nous sommes vos frères. Que les hommes qui n'ont pas do crimes à se reprocher soient tranquilles, leurs per- sonnes et leurs propriétés seront respectées. Le peuple et ses représentants ne connaissent de volonté que celle de la loi, et la loi ne frappe que les coupables. Nous donnons ordre de sus- pendre le bombardement jusqu'à quatre heures du soir ; si, a cette heure, votre réponse n'est pas arrivée, le feu du peuple reprend et ne cessera plus que la justice nationale ne soit sa- tisfaite 2.

Séb. Laportr, Couthon, Maignet.

Avec moins de prolixité c'était toujours le même genre de proclamation, Couthon engageait nettement les Lyon- nais à livrer leurs chefs.

Les corps administratifs séant à Lyon, réunis aux dé- légués du peuple français du département du Rhône-et- Loire, formant le Comité général de Salut public, répon- dirent aux représentants que le peuple de Lyon allait

1. On a vu, d'après ce que disait le gén^Tnl Hivaz, quel fond d'indisci- pline présentait-' ce peuple français l<*vé contre Lyon-).

2. Bulletin ituprinn* des aulorilés, pièce 37, octobre. Gonon, Diblio^ graphie de Lyon, pièce 1408.

•'• ^f^

516 l'insurrection de lyon en 1793

s'occuper de délibérer sur le contenu des dépêches, mais que le délai indiqué était insuffisant pour que le peuple puisse donner connaissance de sa délibération; que cepen- dant, aussitôt qu'il aurait délibéré, les représentants seraient instruits de son vœu^

Couthon ne voulut pas attendre davantage et ordonna la reprise du bombardement pour quatre heures et demie du soir, le même jour, 7 octobre. Le bombardement ne recommença cependant qu'à six heures du soir.

Si les représentants avaient leurs agents, les Lyonnais avaient leurs amis. Aussi firent-ils circuler dans les troupes d'avant-postes de Sainte-Foy, les deux protesta- tions qui suivent et dont les représentants prirent com- munication avec une violente fureur :

Le général coynmandant V armée Lyonnaise cantonnée à Saint'Jiisty Saint-Irénée^ Trion^ Loyasse^ etc.

Je viens de recevoir pour l'armée que je commande une adresse aussi absurde que ridicule. Les représentants du peuple s'imaginent-ils égarer aussi facilement les braves et éner- giques Lyonnais que le peu de troupes amenées contre nous ? Peuvent-ils croire qu'une adresse insignifiante peut plus sur un peuple fidèle à sa patrie que les maux horribles dont ils nous ont accablés. Si un affreux bombardement, des combats et des veilles continuelles n'ont pu abattre notre valeur, com- bien devons-nous trouver insensée la ruse méprisable qu'on emploie actuellement ? Notre patrie, voilà notre ralliement ; la résistance à l'oppression, notre devise; et la mort, notre de- voir !

Au reste la ville répondra plus énergiquement encore.

Du quartier général, le 7 octobre 1193. Le général Arnaud 2.

1. « En la maison commune, Lyon, 7 octobre 1793, l'an H de la Répu- blique française une et indivisible. Signé : le président des corps adminis- tratifs, MoNïAïuoL (lire Montviol) ; Adam, secrétaire adjoint. * (Gonon, pièce n' 1411.)

2. Cullecliun Coste^ pièce 656 ; voir aussi Gonon, pièce 1411.

DÉCOURAGEMENTS ET DÉSORDRE 517

Aiix soldats de V armée française qui combat tes Lyonnais fidèles à la Patrie et à la Liberté

Nos principes sont les vôtres, notre amour pour la Liberté le même, ainsi que notre haine pour la tyrannie.

Depuis deux mois, nous combattons avec valeur, actuel- lement nous allons vous parler avec franchise.

Vous êtes égarés par de coupables représentants, ils vous ont dit que le peuple était souverain et ils veulent Tenchaîner; ils vous ont dit enfm que nous voulions la destruction de la liberté et nous voulons mourir pour elle.

Il est temps qu'un voile épais tombe devant vos yeux. Nous vous offrons, si vous venez parmi nous fraternité, secours, asile et amitié, et si, égarés par de faux principes et des vœux contraires à la Liberté, vous continuez de comballrevos frères et vos amis, nous défendrons nos vies, notre honneur, nos pro- priétés et notre patrie avec la valeur et la discipline qu'ont des hommes libres, encouragés par deux mois de siège et par

Tamour de la Liberté.

Pour l'armée sous mes ordres,

Le général Abnaud *.

Le chevalier de Melon donnait évidemment au détache- ment qu'il commandait une qualification fort exagérée, mais sa protostation n'en était pas moins pleine de fierté et d'énergie. Klle n'était pas sans habileté et si le siège avait été moins avancé, elle eût été peut-être écoulée avec quelque faveur par les officiers des volontaires dont beau- coup avaient servi dans lancienne armée... Elle ne devait cependant produire aucun résultat favorable à la cause lyonnaise.

Un de ses officiers, nommé Lambert, propriétaire à Sainle-Irénée ou à Saint-Just, crut devoir, par une naï- veté excessive, adresser lui-môme une protestation à l'un des représentants qui avait été son camarade de collège. Il écrivit au verso de la première lettre de Melon :

1. GonoD, pièce 1411.

5d8 l'insurrection de lyon en 1793

Au représentant du peuple Màignet

Au quartier général de SaiQte-Foy.

Mon ancien camarade, un de tes anciens condisciples que tu bombardes et dont tu détruis la propriété et les parents, joint son assentiment à celui du général sous lequel il sert. Tous les torts qu'on nous impute sont faux, mon serment a été: Liberté, Egalité, République une et indivisible, sûreté des personnes et des propriétés. Je défends mes parents et ma vie, le serment de toute Tarmée lyonnaise est le mien. Je t'en atteste la vérité sur ma tête. C'est le vœu de ton ancien condisciple.

Lambert.

CHAPITIΠXXVIII

REPRISE DU BOMBARDEMENT. L'ABANDON DES REDOUTES.

L'ENTRÉE DES REPRÉSENTANTS

Pendant toute la durée de la nuit, seuls les mortiers du général Vaubois avaient envoyé quelques bombes in- cendiaires sur le quartier de Bellecour, on sentait que Tennemi économiserait ses projectiles jusqu'au moment il préparerait un assaut. Les avertissements les plus alarmants arrivaient au quartier général lyonnais, par- fois sous une forme anonyme. Le général estima qu'il fallait cependant en tenir compte et éveiller Tatlention de ses principaux lieutenants. Au point du jour, il écrivit donc à Virieu, Arnaud, Clermont-Tonnerre, Nervo, Burtin de la Rivière et La Pujade :

Général,

C'est sous le secret de l'honneur que je vous confie nos dan- gers, ils sont pressants; voyez donc dans votre poste ceux qui veulent nous suivre. En cas d'événements, le rendez-vous sera Vaise. Si nous en avons le temps, nous prendrons d'autres mesures. Agissez avec adresse. Je prévois que, cette nuit, il faudra agir. En grâce du secret! 11 pourrait bien se faire que pendant la nuit, nous fassions forcés à cette retraite, mais j'au- rai soin de vous faire prévenir à temps, surtout ne souffrez plus de fraternisation, faites faire feu plutôt.

IjB citoyen-général^

PllÉCY.

La journée ne sera point aussi orageuse que je le présumais ^.

\. Archives départementales.

520 l/lNSURBECTION DE LYON EN 1793

Les relations entre le général de Précy et les autorités- administratives avaient toujours été, sinon cordiales, du moins très correctes, il y avait môme une évidente sym- pathie entre le commandant des Lyonnais et le nouveau président, Courbon de Montviol, qui, en entendant le ca- non des Brottcaux, le 29 septembre, s'était écrié en pleine séance, à THôtel de Ville : « Assez délibéré, aux armes, nous aussi! »

11 avait pris rang, en effet, ainsi que quelques-uns de ses collègues parmi les défenseurs de la redoute Chêne- letteL Rendu à des occupations moins militaires, le pré- sident voyait touslesjours le travail de propagande jaco- bine inquiéter ou gagner plusieurs membres des corps administratifs et il prévoyait le moment sa démission lui serait imposée.

Accueilli dans les faubourgs avec froideur parce qu'on le savait étranger à la ville, il ne se rebuta pas et visita plusieurs fois les postes extérieurs en prodiguant les* en- couragements de Tautorité civile. Aux séances de THôtel de Ville, Courbon de Montviol proposa sans succès de re- chercher et de déférer h la commission militaire les agents de la Convention dont quelques-uns opéraient avec une visible impudence : notamment un chirurgien nommé Bénard, un sieur Fillion, comédien, et une femme jeune, active et assez jolie, véritable type d'espionne dangereuse, nommée M""** Hameau. Ces deux derniers pénétraient par- tout et Bénard rédigeait les rapports destinés h éclairer les représentants.

C'est ainsi que se répandait dans la ville le bruit que Précy, son étal-major et « ses émigrés >> allaient sortir de Lyon avec les corps administratifs et gagner la Suisse en emportant beaucoup d'or et d'argent dissimulés dans

\. Toute l;i famille Courlion de Montviul, ori^'inaire de Saint-Etienne et très lionnrfibleinent connue, s'était prononcée dès le début hardiment pour les Lyonnais.

REPRISE DU BOMBARDEMENT 521

les caissons d'artillerie* ; les sections de Bordeaux et de Thionville nommèrent des commissaires pour porter à qui do droit « les vœux pour la paix de la cité ». Dès que Ton connut la sommation de Couthon, les corps administratifs furent accusés de la retenir indûment, le peuple se porta tumultueusement devant Thôtel commun, menaça et in- juria les administrateurs; son attitude hostile ne cessa que devant Taffichage de la convocation des sections pour le lendemain matin, 8 octobre, dans la Loge du Change.

Pendant la nuit, les corps administratifs délibérèrent, ils ne doutaient point du vote des sections^. On agita la question de se soumettre ou de se joindre à Précy et à ses soldats pour forcer l'investissement et gagner la Suisse. Celte dernière résolution fut adoptée malgré la proposition de se remettre entre les mains des représentants, comme victimes expiatoires, que soutinrent avec chaleur un jeune artiste de talent, Ponthus-Loyer, et le représentant Béraud ^, qui n'avait échappé que parla fuite au sort des Girondins. Les autorités civiles approuvèrent en principe le projet de sortie.

Le général courait de poste en poste pour prévenir la désertion, tout au moins pour Tenrayer. 11 allait inspecter à la chaussée de Perrache sa cavalerie aux ordres du co- lonel de Vichy, en lui recommandant d'être prête à accou- rir au premier appel. Aux Brolteaux, le général de Nervo gardait la redoute Chènelette, avec celui qui Tavait si bien construite. A la Croix-Rousse, Virieu ne quit- tait pas la redoute Gingenne, dormant près de ses pièces, résolu à en être le dernier canonnier pour arrêter TolTensive de Tennemi. A Vaise, le baron de Fontet avait disparu...

1. Délibération de la section dite de la Convention (ancienne section Saint-Clair).

2. Cependant la section de Guillauine-Tell, décidée à la résistance» fit arrêter et conduire à l'InUel commun les deux commissaires de la section de Thionville qui furent d'ailleurs remis en liberté presqu'aussitôt.

3. Homme fort honorable, ancien juge de paix de Lyon, destiné à siéger sous le Directoire au Conseil des Cinq-Cents.

522 L INSURKECTION DK LYON EN 1793

le lieutenant-colonel Révérony le remplaçait et Précy «avait combien il pouvait compter sur Tancien soldat du régiment de la Couronne. Burtin de la Rivière avec deux •compagnies de grenadiers défendaient Saint-Clair. Les positions les plus menacées restaient Sainte-lrénée et Saint-Just, Précy les visita, le jeune chevalier de Melon s'inquiétait non sans raison des dispositions de son batail- lon de garde. Cl erra ont-Tonnerre commandait à Saint- Georges, aussi menacé que Sainle-1 renée et Saint-Just.

Le général en chef y rencontra Rimbergqui avait secoué «a torpeur, tout prêt à redevenir le soldat résolu et le chef entreprenant de l'expédition du Forez. Précy accepta son concours en l'assurant qu'en cas de sortie, ce serait Tancion capitaine de Royal-Auvergne qui commanderait Tavant-garde.

Quand il rentra vers midi à son quartier général, les bombes de la Guillotière^ éclataient, causant leurs habi- tuels ravagés mais du côté des batteries de la Croix-Rousse ^t de celles de la Duchère, le feu avait cessé. Evidem- ment Tennemi cherchait à endormir de ce côté les dé- iiances des assiégés et préparait un assaut, a moins qu'il ne complût sur la trahison pour lui ouvrir les portes.

Précy estima qu'il ne suffisait pas d'avoir prévenu ses principaux lieutenants de la nécessité qui s'imposait de i>e faire jour les armes à la main et il rédigea la courte proclamation qui suit, destinée à tous ceux qui recon- naissaient encore son autorité :

Au qu.irticT jjrrnéral,!!' 8 octolire 1703.

Mi:s nuAVEs Frèhes d'ahmes,

Au nom de l'honneur qui nous a toujours réunis et de Thu- manité que nous avons défendue, courons aux armes pendant <iue les sections délibèrent et soyons toujours les maîtres de notre sort.

1. « Le feu continua, toute la journée <lu 8 octobre, violent... >> [Rapport imprimé de Coulhon).

REPiaSE DU BOMBARDEMENT 523

Votre général est plus que jamais assuré de la confiance et de Teslime dont vous Tavez toujours honoré.

Croyez-moi, mes amis, défions-nous de ces fausses fraterni- sations.

PllKCY *.

Averti de son rappel par la rumeur publique, au camp de Moiitessuy, Dubois-Crancé avait se rendre au quar- tier gt^néral de Sainte-Foy et y recevoir communication de la lettre du Comité de Salut public. Devant son dcses- î|)oir, Couthon flt^chit encore et consentit h lui maintenir ses fonctions, sous sa haute direction, à lui Couthon, bien entendu. Dubois-Crancé lui prodigua les termes de sa reconnaissance, ce sentiment ne devait pas durer, car l'ancien mousquetaire dénonça dans les termes les plus violents ii la Convention celui qu'il appelait alors « le plus vertueux des hommes. »

Sur les ordres de Coulhon, le feu reprit, dès 7 heures du soir, dans toutes les batteries de la Convention. Celle de Sainte-Foy, établie depuis deux jours'*, et comprenant quatre mortiers -'^canonna Saint-lrénée.

Le faubourg ou plutôt le bourg de ce nom, formé de propriétés particulières, agrandies de jardins et de bos- quets, se relie à la ville par la rue des Anges'* et la porte de Trion. Cette importante position était occupée par trois cents hommes, canonniers, gendarmes à pied et le bataillon de rUnion, venu de Saint-Georges et très diminué par les désertions. Le général Arnaud les avait concentrés dans le carrefour qui est devant la porte et aboutissaient plusieurs chemins qui vont à Sainte-Foy, à Saint-Laurent,

1. Celle piére se trouve en double aux Archives municipales deTécriture de Champreux et à la Collection Coste {bibliothèque municipale) de l'écri- ture de Précy.

2. Doppet avait fait placer dans le bois de Sainte-Foy une nouvelle bat- terie (même document, rapport de Couthon précité).

3. « Le feu continua toute la nuit terrible » ce qui ne parait exact (jue pour les batteries de la Guillotière {Rapport de Couthon).

4. Rue de Trion, aujourd'hui.

524 l'insurrection de lyon en 1793

à Francheville, et enfin celui qui va rejoindre la porte de Trion. Au-dessus de l'ancienne maison deretraite des dames de Saint-Michel, sur une terrasse, était une batterie* pour maintenir h distance les colonnes d'assaut de Tennemi. Celui-ci ne cessait de jeter des bombes sur le carrefour bivouaquait la troupe lyonnaise, qui s'abritait der- rière les murs des jardins.

A l'angle Sud de ce carrefour se trouvait l'ancien cou- vent des Génovéfains. Une batterie de mortiers envoya plusieurs bombes en plein dans le bâtiment. Y avait-il des matières incendiaires, comme on l'a prétendu? Quoi qu'il en soit, l'incendie s'y déclara, la charpente s'écroula, les nammes jaillirent de tous côtés. D'autres projectiles éclataient sur la place, dont la partie Est seule restait occupée. Alors les canonniers lyonnais abandonnèrent leurs pièces, les gendarmes et les grenadiers de l'Union quittèrent leurs abris, tous s'enfuirent épouvantés. Quel- ques-uns mêmes jetaient leurs armes pour courir plus vite, le reste du bataillon était en réserve à Saint-Just, avec le général Arnaud.

Les officiers ontessnyé en vain do rallier leurs hommes, ils sont eux-mOnies entraînés dans les ruelles qui des- cendent àSaint-Just.

Prévenu tardivement, M. de Melon arrive avec un déta- chement qu'il place derrière la porte Saint-Irénée et la vieille leur qui garde le chemin de Sainte-Foy. De nou- velles bombes ennemies incendient deux petites maisons près de la porte; il se trouve sans doute dans les caves des approvisionnements d'eau-de-vie, car le feu s'y déclare avec une l(dle inlensité que les dernières compagnies du bataillon de 1*1 nion abandonnent leurs positions de com- bat sans prendre le temps de retirer ou d'enclouer les pièces '. Les fuyards se réfugient les uns dans la grande

1. J.-B.-M. Nolh.AC, Souvenirs (le lu Révolution à L'jon, p. 218.

2. Happort de Duppet^ du 8 o('lol)re, neuf heures «lu soir.

REPRISE DU BOMBARDEMENT 525

redoute, placée au milieu du faubourg Saiut-Just, les autres dans le quartier Saint-Georges. La panique est générale; ni Melon, ni Clermont-Tonnerre, ni Montcolon, ni Révérony ne peuvent l'enrayer. Ils réunissent pénible- ment une cinquantaine d'hommes et les placent en der- niers avant-postes au bas de la montée du Gourguillon, et, un peu plus loin, sur la place Saint-Jean et devant le pont de pierre. Précyenfut averti ainsi que de l'abandon de la batterie de Loyasse par presque tous ses canonniers. Cinq artilleurs se firent cependant un point d'honneur d'y restera L'entrée de Lyon, dans toute sa partie occidentale jusqu'à la Saône, était donc ouverte à l'ennemi...

Couthon, dans son rapport-^ a prétendu que ses troupes avaient « chassé la baïonnette au bout du fusil les mus- cadins de tous les postes avancés qu'ils occupaient jus- qu'au pied de la butte de Fourvières et les avaient pour- suivis du côté de la porte Sainte-lrénée qu'elles forcèrent, et qu'elles étaient parvenues jusqu'à la grande redoute pla- cée au milieu du faubourg Saint-Just ».

Rien n'est moins exact : « des soldats de l'armée de t^iège * pénétrèrent dans le monastère des Génovéfains, pour sauver des effets, ou, si l'on veut, pour les piller, ils trouvèrent abandonnée la redoute de Sainl-Irénée qui gardait le passage. La redoute de Loyasse et les portes de Saint-Just et de Trion avaient également vu se replier les détachements qui les gardaient ».

Telle est la vérité dont nous empruntons ici l'affirma- tion à Morin, historien généralement impartial et bien disposé pour les assiégeants'*.

Ces redoutes furent donc abandonnées et ne furent pas prises'.

\. Helalion de Pvécu. Letlre à son ami M. de P..., mars 1794. Perenon, notes, p. ol".

2. Imprimé par ordre de la Convention, p. 2*2.

3. Morin, Histoire de L>/oti. t. III. p. 345.

4. Uisloive de Lyon de/tuis la Hévolution, t. Il, p. 343.

5. Le rappori de Doppet au ministre de la liuerre devait simplement mentionner « le 8, prise de la redoute Sainl-Irénée et incendie des maisons

526 L INSLRRliCTlOxN DE LYON EN 1793

Un peu avant H heures du soir, à travers les avant- postes joyeux des troupes de la Convention, les commissaires délégués des sections de Lyon avaient franchi la porte de Sainte-Foy et se présentaient au quartier-général de Couthon, installé dans une coquette maison de campagne. Les délégués déclarèrent dans un langage simple et triste : « que le peuple de Lyon se soumettait à la volonté na- tionale, qu'il avait déposé les armes, qu'il demandait à grands cris les représentants, que les portes leur étaient ouvertes et que leurs concitoyens leur demandaient décéder à leurs instances ».

Couthon, assisté de Maignet, Chàteauneuf-Randon et Laporte, les reçut avec une certaine courtoisie, il répondit, dit-il dans son rapport à la Convention, « avec la dignité qui convenait à leur caractère de représentants d'une grande nation^ ». Les délégués se retirèrent dans un appartement voisin, pendant que le proconsul rédigeait son ultimatum dont il vint leur donner lecture :

Dès rentrée des représentants dans la ville de Lyon, toute autorité civile et militaire qui existait cesserait à l'instant. I^a police serait provisoirement administrée par un comité composé d'un membre de ciiaque section. Les portes de la ville, carre- fours, lieux de défense intérieure et extérieure, canons et muni- tions de guerre seraient livrés. Les citoyens déposeraient leurs armes de toute espèce dans le lieu des séances de leurs sections respectives, sous peine d'être réputés suspects et mis en état d'arrestation.

Les armes des troupes casernées resteraient en dépôt dans les casernes qui seraient livrées aux troupes de la République, tout individu qui paraîtrait en armes serait fusillé à l'instant. Tous les patriotes détenus depuis le 29 mai seraient représentés

de Saiiit-Just ^ (Arc/ùrcs Jûshnujuvs de la Guevvp: Année des Alpes). Dans sou mémoire juslificalif qui porte couiuic lilre : Kclaircisseuients sur la f'iiih\ l\irrrsfn/i(>n et la niorl (les fmjnrds à Li/i>n,Di^p\)vi mentioune que la prétcuiiue allaqu»' de Saint-Jusl eut lieu à six heures du soir ; Cou- thon, dans sou rapport place à huit heures riucendie du couvent qui l'au- rait facilitée.

1. liajtporl de (\iul/ifm, p. 2t.

REPRISE nu BOMBARDEMENT 527

aux portes de la ville au moment de l'entrée des représentants. Tous les dépositaires actuels de l'autorité publique dans Lyon^ Tinfàme Précy et les individus de son état-major seraient mis en état d'arrestation. Quiconque s'éloignerait de Lyon, après l'assurance donnée que les personnes et les propriétés des innocents seraient respectées, serait regardé comme rebelle*.

Les délégués protestèrent contre ces conditions. Une violente discussion s'ongagea. Couthon s'emporta, soutenu par ses trois collègues ; il linit par se calmer, mais les pourparlers devaient retenir toute la nuit au quartier général deSainle-Foy les députés des sections.

A minuit, le bataillon de la Côte-d*Or, de la division Valette, avait quitté la redoute Saint-Irénée'-', et s'était mis en marche sur la Saône et le pont de pierre, sans s'éclairer et « tambours battants », ce qui était videmment téméraire. Cette troupe alla se heurter à une petite redoute construite en travers de la rue des Macchabées -^ Il s'y trouvait quelques hommes du bataillon de l'Union, laissés par le général Arnaud, parmi lesquels un brave canon- nier, nommé Charcot. Sa pièce était chargée à mitraille, il y mit le feu on voyant la t^^te do colonne. Plusieurs hommes du bataillon de la Côte-td'Or tombèrent, deux étaient tués, trois blessés, le bataillon fit une décharge de coups de fusil inoffonsivc au milieu de l'obscurité, ramassa ses blessés et battit en retraite sur Saint-Just^.

Un des chasseurs de Précy, remplaçant une estafette assassinée rue Saint-Jean par un Jacobin'», vint transmettre Tordre de se rendre à la porte de Vaise.

Précy avait assisté à la réunion dos sections, il avait vu nommer les délégués. Dès que le général les sut en

1. Rapport de t^ttullunt, p. 23.

2. J.-B.-M. Nolhar, Siuirenirs de la Hérolution à Lyon, -p. 228.

3. 1(1.

•i. ^ C'est à co hasard que nous dûmes de no pas avoir été pris pendant la nuit. ^ (J.-D.-M. Nolh.ïr, p. 228.) 5. Halleydier, t. Il, p. 103.

528 l'insurrection de lyon en 1793

route pour Sainte-Foy, il décida la sortie*. A dix heures du soir, il fut avisé par le général Arnaud de l'abandon de la redoute Saint-Irénée et de la batterie de Loyasse, Précy envoya aux commandants de Perrache, des portes Saint- Georges et Saint-Clair, des quartiers des Brotteaux, de Saint-Just, de Serin, de Vaise et de la Croix-Rousse Tordre de u retirer leur artillerie, de faire leur retraite et de se rendre à Vaise avec les hommes de bonne volonté ». Il fait battre trois fois la générale dans les rues « avec invi- tation aux citoyens qui n'occupaient pas les postes exté- rieurs, de venir se former sur la place des Terreaux », et à la cavalerie lyonnaise de se réunir à Tescadron de Mont- brison au quai de Serin. L'artillerie et les chariots seront conduits par le faubourg de Vaise dans une propriété particulière nommé la Claire, entourée d'un parc bien clos et garni d'arbres très élevés'^. Après avoir donné ses ordres avec sa netteté habituelle, il les confia à des offi- ciers d'état-major ou à des cavaliers sûrs.

Malgré le dévouement de ses aides de camp et la dis- crétion qu'il leur avait recommandée, le secret ne fut pas absolument ^ardé sur la concentration préparée, surtout quand les hahitanls du faubourg de Vaise virent arriver quatre petites pièces d'artillerie et des chariots '•. Doppet eu l'ut informé et donna l'ordre au commandant du poste de la Duchère de se tenir sur ses gardes.

1. UeUillun (fil (/t'tiérfil de Prc'r;/^ mars l"î)4. Voir Pereiioii, notes, p. 97. Cf. aussi Officier île Vélat-nutjnr du Sièffe, p. 73.

2. La propriélr'de laClairea disparu pour faire place à plusieurs rues donl celle de son nom. La maison Olail à la hauteur du j)assage du chemin de fer (Lieutenanl-colonel iîichol, p. *i .

En se[)teml>re tfî'J.'i, la Claire avait servi de résidence à Henri IV qui y reçut les hommages des échevins lyonnais. Le Nôtre aurait dessiné ses jardins.

La propriétr- doit son nom à Le Clair, qui la (il liàtir au xvi» siècle, et lit graver sur la porto d'enln^(î celle inscription : Vhïque clara.

M. (Iranirer-llévrrnny, ;irii«'re pclil-tîls du colonel Hrvérony, veut bien nous rommuni(pier ces renseignements cl ajouter «pi'en ellel la propriété a disparu et que sur son emplacement passe la l'ue de la Claire.

3. Happort de Ditppet [éclaircissements sur la fuite y elc).

REPHISH DU BOMBARDEMENT 529

I /adjudant-général Sandos avisa le représentant Gau- thier dès quatre heures du malin, au quartier général de la Pape, que sur les indications d'un soi-disant « musca- din », Précy était à cheval avec son monde et qu'il allait faire une sortie. Sandos ajoutait : « Envoyez bien vite Bertrand et mon adjoint Andrieu au pont de la Pape afin (ju on garde le pont. Moi je réponds ici que vingt mille hommes ne me forceront pas. Si vous voulez venir ici, vous le pouvez... »

Ce billet un peu présomptueux était daté des avant-postes de Saint-Clair et Tadjudant-général Sandos ne se dou- tait pas, à rheure il écrivait, queBurtinde la Rivière, chef do ce cantonnement, était déjà h Vaise. La troupe qui y cantonnait, surtout les canonniers, avaient eu une déplorable attitude, pendant la journée' du 8 ; ces mau- vais soldats obéissaient aux insinuations perfides des agents jacobins. Lyon était infesté d'espions, Taide de camp même de Doppet, le capitaine Blondeau, déguisé en « mus- cadin » était introduit dans la ville par un complice, avec une carie de section ' et surveillait les préparatifs de sortie. Toutefois grâce h la précaution de Précy de faire presque tous les soirs battre la générale, la population et les avant-postes cnni^mis ne se préoccupaient plus autant des mouvements des troupes lyonnaises, croyant qu'il ne s'agissait le plus souvent ([ue di» la relève des postes. Le secret fut (faillcurs parfaitement gardé jusqu'au moment de la formation du petit parc d'artillerie.

Le bombardement avait cessé, un silence sinistre le remplaçait... Personne n'ignorait à Lycm que les délé- gués dos sections sollicitai«»nl la paix et le pardon. Nous les avons laissés avec les représentants î\ Sainte-Foy, la discussion se prolongeait, malgré les menaces de Cou- thon : « Vos portes s(»raient de fer que nous les brise- rions! Vous recevrez les conditions qu'il plaira à la Ré-

1. Ils avaient braqué leurs pièces contre la ville.

2. liapporl de Dopjiet {EclaircisaemenlSy etc.).

34

530 l'insurrection de lyon en 1793

publique d'acconlor à des rebelles, pour qui la mort de la guillotine serait trop douce... Craignez que la charrue ne trace avant un mois des sillons de sang dans vos rues, etc. K » Les députés lyonnais se refusèrent à livrer les chefs militaires. Enfin ils obtinrent de Tirascible Cou- thon Tautorisation de demander à Précy la cessation des hostilités et l'ouverture des portes :

Les citoyens commissaires des sections de Lyon, composant la députation du peuple auprès des représenlantsde la nation^ préviennent le général et tous les commandants de poste que les représentants de la nation ont accordé à leur demande la cessation des hostilités; qu'^n conséquence elles doivent éga- lement cesser de la part de la force armée de la ville.

Ils prient le commandant du poste de Saint-Just de faire parvenir cet avis au général afin qu'il soit notifié à Tinstant à tous les postes.

Fait au quartier général de l'armée nationale à Sainte-Foy, le 9 octobre 1793 à six heures du matin.

Dàvalon, Jean Périsse,

Secrétaire. Président de la députation.

Nota. Le citoyen-commandant du poste de Saint-Just est prié de remettre au trompette le récépissé de la présente noti- fication.

Jean PÉnissE^.

Lne demi-heure aprcs, le Irompelte rapportait la réponse qui suit et qui émanait d'un officier municipal de la section de Guillaume-Tell :

11 n'existe plus en ce moment de force armée ni de corps administratifs en cette cité : les uns et les autres ont abandonné leur poste, les traîtres ont fui. Votre lettre est parvenue à la section de Guillaume-Tell.

Le président en a fait la lecture et comme il s'est trouvé le

1. h.illovdior, l. Il, p. 161.

2. (ionon, inhH<)!/r(i/)/iic il>- Ly<>n, pièce 1411. ('.f. aussi copie de cette ])iècn dans la collecliou d'aulo^^raplies r.hovalier. La pièce a au bas: « Pour copie conforme à l'original : Herruyer, président de Guillaume-Tell. »

REPRISE DU BOMBARDEMENT 531

soussigné, l'un des ofticiers municipaux qui, par sa conduite, n'a pas eu besoin de se faire le cruel devoir d'abandonner la Patrie, il a été chargé de vous répondre et de vous dire que les Lyonnais appellent à grands cris les représentants du peuple français.

David, Offlcier municipal '.

La lecture de ce billet au quartier général de Sainte- Foy déchaîna une recrudescence de reproches et de menaces, de la part des représentants vis-à-vis des mal- heureux délégués. Couthon leur déclara que si la sortie avait eu lieu du côté de Vaise, Dubois-Crancé s'était fait fort delarréter, assurant « que les Lyonnais tomberaient dans le filet ». Doppet, de son côté, affirmait avoir pris toutes les précautions nécessaires au camp de Montessuy, dont les avant-postes de droite touchaient maintenant la rive gauche de la Saône cl surveillaient Vaise. A vrai dire, ce général médiocre s'était contenté dans la soirée d'écrire au représentant Gauthier de se tenir sur la défen- sive et, en cas d'attaque par les Lyonnais, de compter sur ce que lui, Doppet, volerait à son secours... Oubliant la présence des délégués, Couthon, Dubois-Crancé et Dop- pet se disputaient, se menaçaient, en attendant qu'ils allassent porter leurs dénonciations réciproques à la barre du Comité de Salut public^.

Cependant il fallait agir. La division du général Va- lette, qui, après la surprise de la tôte de colonne rue des Macchabées, était restée à Sainte-Foy, reçut de Couthon Tordre de se porter rapidement à l'embranchement des routes de Bourgogne et du Bourbonnais, afin de renfor- cer les troupes de la Duchère pour arrêter la sortie et la refouler dans Lvon.

1. Gonon, pièce 1411.

2. Cf. Happort de Couthon imprimé par ordre de la Convention.— Compte rendu à la (^onvenlion ])ar Dubois-Crancé (notamment la lin), et le filandreux rapport de Doi)pel intitulé : Eclaircissements sur la fuite, l'ar- restation et la mort des fuyards de Lyon.

532 l'insurrection de lyon en 1793

Le général Rivaz forma une colonne dont Châteauneuf- Randon prit personnellement le commandement. Cette troupe franchît la porte Saint-Just,*et sans rencontrer aucun obstacle, descendit le Gourguillon. Au bas de la pente, elle fut accueillie par un certain nombre de Jacobins, venus de l'autre côté de la Saône qui lui firent un accueil enthou- siaste ^ Les habitants du quartier Saint-Georges et de la place Saint-Jean gardaient une attitude calme.

Chàteauneuf-Randon déclara qu'il voulait délivrer les victimes de la réaction ' ; il conduisit sa troupe à la prison de Roanne et fit mettre en liberté deux cents prisonniers, militaires pour la plupart, dont l'échange avait été inuti- lement proposé par Précy à Dubois-Crancé. La colonne franchit le pont Saint-Jean et se dirigea vers THôtel de Ville, au milieu des acclamations des amis de la Con- vention... et de ceux qui redoutaient ses représentants.

Entre huit et neuf heures du matin, une nouvelle dépu- talion des sections (Hait venue à Sainte-Foy répéter les protestations de soumission et solliciter l'entrée solen- nelle des représentants. Couthon y consentit et engagea Dubois-Craiicé, Maignet et Laporle à monter en voiture avec, lui et à se rendre k rilùtel de Ville. Dubois- Craucé qui no pouvait si; décider j)rol)ablenient à cé- der la préséance à (^oullion, refusa de faire partie du cortège "^ Maignot voulut monter à cheval', estimant une telle atlilude plus martiale. Couthon et Laporte figurèrent donc seuls dans le carrosse, et sous l'escorte de leur col- lègue, encadré d'un fort détachement de gendarmerie et de hussards, ils prirent à leur tour le chemin de la place des Terreaux. <^ Le moment de notre entrée dans Lvon fut un moment bien beau pour la République, écrivit Couthon dans son rapport, et bien touchant pour nous. Nous vîmes les patriotes opj)rimés, ils nous serrèrent

1. IhUlelin (/es aulorilcs inUi (dires, Châleaiiiieuf à Gaiilhier, 9 octobre.

2. Hd/iporf (If (\fuf/ittn^ passage précité.

3. iiapporl de Conthoiiy p. 25.

4. I(i.

REPRISE DU BOMBARDEMENT "533

dans leurs bras, nous les pressâmes contre notre sein'i'»

Il faut espérer que dans ces épanchements, les persécu- teurs ne songeaient pas encore à dresser leurs listes ho- micides, ni à démolir la malheureuse ville dont ils par- couraient en triomphateurs les quartiers incendiés. Leur satisfaction était d'autant plus grande que le commandant du château de la Duchère et Fadjudant-général Sandos les informaient que la colonne lyonnaise avait forcé le passage, mais que la division Valette la poursuivait, que le tocsin appelait aux armes toutes les gardes nationales de la cam- pagne et que cette troupe de fugitifs ne pouvait manquer d'être taillée en pièces.

Au palais épiscopal avait habité si longtemps le pro- lixe Lamourette, mis d'ailleurs en état d'arrestation depuis plusieurs semaines comme « suppôt du fédéralisme m^ Dubois-Crancé s'était décidé à rejoindre les trois autres représentants, mais il y trouvait aussi une fâcheuse nou- velle. Un courrier de Paris apportait à Cou thon Tamplia- tion d'un décret de la Convention, rendu sur la pro- position du Comité de Salut public, qui relevait défi- nitivement de leur mission Dubois-Crancé et Gauthier. Ceux-ci éclatèrent en reproches, accusant l'ami de Robes- pierre de les avoir desservis auprès du Comité, ce dont il était parfaitement capable. Toutefois il fallut obéir ^ et les deux représentants en disgrâce préparèrent un long plaidoyer que Dubois-Crancé devait prononcer devant la redoutable assemblée.

Couthon, Maignet et Laporte décidèrent que l'ancienne municipalité, présidée par Bertrand, dont le souvenir était resté si odieux à la population honnête, allait être rétablie dans ses fonctions.

Le dépôt dans les sections de toutes les armes que pos- sédaient les particuliers était ordonné immédiatement et devait s'effectuer sous la direction d'un Comité Je sur-

1. Rapport (le Couthon ^ p. 25.

534 l/lNSURRECTION DE LYON KN 1793

veillance, auquel était attribué le droit abusif des visites domiciliaires. Le pillage était sévèrement défendu aux troupes'. Les deux premières décisions, qui semblaient inspirées par un réel désir de pacification, devaient être suivies avant trois jours par les mesures de proscription les plus odieuses.

Tout conseillait cependant la clémence. La population, heureuse d*échapper enfin aux dangers du bombarde- ment et aux souiïrances de la famine, affluait autour de l'Hôtel de Ville, applaudissant les représentants quand ils paraissaient. Bien peu prêtaient une oreille distraite aux bruits an*aiblis de la canonnade, dans la direction du Nord-Ouest. Le peuple de Lyon avait déjà oublié ses défenseurs qui livraient leurs derniers combats^. 11 devait cependant les revoir pour la plupart et en recueil- lir de suprêmes leçons de courage et de résignation.

1. Doppet, dans le style pompeux qu'il aCTectionnait, avait lui aussi adressé à ses troupes un ordre du jour, ordonnant de respecter les per- sonnes et les propriétés.

2. Nous donnons, d'après l'intéressant ouvrage de M. André Steycrt, Nouvelle Histoire de Lj/on et des ])rovinces du Lyonuais^ Forez, Beaujo- lais, Franc-Li/omiais et Domhe, Lyon, Bernoux, Cumin cl Masson, 1895- 1899. 3 vol. in-4". l'élal des officiers lyonnais tués ou morts de leurs bles- sures, nfliché à Thôlel de ville el que relevèrent les représentants:

30 août : Cl. -A. Jossinel, colonel de chasseurs à cheval, à Dijon, cin- quante-six ans.

31 août : Jean-Antoine Contanson (lire « de Gontanson »), lieutenant <les grenadiers de Saint-Etienne.

8 septembre : Etienne-Paul Clément, ca])itaine de canonniers (Lj'onnnis), trente-trois ans.

12 septembre : Cb.irles .Moulin, capitaine d'artillerie («l'Avignon).

20 septembre: Nord DubosI, ci-devant officier, quarante et un ans.

21 septembre : Louis Adrien, capitaine de canonniers (Lyonnais}, vingt et un ans.

29 septembre: C. (îrandval, officiel* général commandant le poste de la Croix-Uousse, résidant à la Manécanlerie.

30 se[»tembre : EticmieFrédière, eaj)ilainede <ii.'isseurs de Saint-Etienne, trente et un ans.

i o«l<d)re : Jacques-Philippe Janin, lieutenant de chasseurs 'de Saint- Domingue), vingt-six ans.

4 octobre : Victor Soneher, adjudant de Télat-major (de l'Ardèche), dix- neuf ans).

7 nclobre : Pierre Valet, lieutenant <le chasseurs (de risèrc). vingt-six ans.

N. B. Cette liste est très incomplète.

CHAPITRE XXIX

' —f-

LA SORTIE DESESPEREE

Nous avons vu Précy quitter son quartier général de THôtel de Ville à trois heures du matin, accompagné de ses aides de camp et de quelques adjudants-généraux, tous à cheval et bien armés, en habit de ville, mais por- tant leurs épaulettes*. 11 se dirigeait vers le quai de Saône, faisait couper le pont de bateaux, puis établir une batterie de trois pièces sur le pont de pierre avec quelques canonniers dévoués, en leur donnant comme •consigne d'observer le quartier de Saint-Georges et de pro- téger la retraite du détachement^.

Le général et son état-major revinrent ensuite sur Vautre rive de la Saône, au quai de Serin ^ pour y rece- voir les détachements de Saint-Clair et des Brotteaux, celui <le la Croix-Rousse ne pouvait pas encore être arrivé, sa retraite présentant des difficultés exceptionnelles en raison de la proximité des avant-postes ennemis. Chaque détachement, connaissant le point de concentration, devait s'y rendre individuellement le plus silencieusement pos- sible. Précy vit arriver au bas de Serin quelques fractions de troupe de Tintérieur de la ville, il leur fit passer le pont Saint-Vincent, en leur ordonnant de se diriger aussi silen- cieusement que possible vers l'endos de la Claire, près duquel il avait placé deux adjudants-généraux.

La matinée s'avançait et le général n'avait encore à sa

1. C'était en quelque sorte la petite tenue de rannée lyonnaise souvent portée. Nolhac le rappelle dans ses Souvenits de la Révolution à Lyon.

2. Relation du général de Précy, Perenon, p. 97.

3. Id.

536 l/lNSURIiKCTION DE I.YON KN 1793-

disposition que « des débris de compagnie et des indi- vidus isolés », il se rendit dans le faubourg de Vaise par le pont Saint-Vincent et la rue de Pierrescize, si longue et si triste, qui suivait les sinuosités delà rivière et qui ne s'ouvrait que par des ouvertures pompeusement appelées ports. Au-dessus d'elle, se dressaient le formidable rocher de Pierrescize et son château que défendait mal ime der- nière batterie dominée par le château de la Duchère.

Malgré leurs préoccupations, le général, ses officiers et les détachements qu'ils conduisaient ne pouvaient s'em- pêcher de regarder cette vieille forteresse, dont la haute tour avait servi de cachot aux infortunés officiers de Royal-Pologne qui en avaient été arrachés par la populace, le 9 septembre 1792 et cruellement massacrés... Dans cette petite troupe d'hommes de cœur, chacun gardait l'espoir d'échapper à un pareil sort, en combattant en rase campagne, au grand jour. Hélas ! pour beaucoup, celte espérance devait être déçue...

11 est six heures du matin. I^e brouillard heureuse- ment s'élève du bord de la rivière et dissimule les groupes et les reflets d'armes. La redoute de Vaise est franchie, quelques soldats (jui la gardaient se joignent au général. On marche niaintonaut presque en rase cam- pagne, car on touche aux dernières maisons du faubourg, entourées de jardins ou d'enclos. Enfin devant l'une d'elles, à peu de distance de Tesplanade appelée le plan de Vaise, la troupe lyonnaise s'arrête, pénètre silencieu- sement dans un parc par une porte à claire-voie qui donne sur le faubourg^; on est à la Claire. Rien ne semble indiquer que l'ennemi ait aperru la sortie'-.

Quand Précy entre dans le vaste enclos, dont les beaux chênes ont gardé leur feuillage protecteur, 400 hommes s'y trouvent rassemblés, le général en amène envi-

1. Helatioii dit f/éiiêr/il de PrOci/, Pereiion. p. 9*.

2. Il y avait pour si»rtir deux portos qui n'élaient point à la vue de se» batteries. [Même relation, p. 100.)

LA SOirriE DÉ.SESPÉHKK 537

ron 100. Toute la cavalerie y était déjà*, rartillorie n'est reprtSsentée que par une douzaine de pièces de canon. Ni le détachement de la Ooix-Housse, ni celui du quartier de Saint-Georges ne sont encore arrivés. Précy décide qu'on les attendra. ^

Aux officiers qui Tinlerrogeaient sur la direction que prendrait la colonne, il leur dit que cela dépendrait des circonstances. Si rennemi ne barrait pas le passage, la colonne remontrait la rive droite de la Saône jusqu'à la hauteur de Cuire et passerait la rivière au pont de Neu- ville pour gagner le Bugey, les montagnes du Jura et la frontière suisse. Si cette direction n'était plus libre, la colonne se rejetterait immédiatement à gauche, au nord du Mont-d'Or'*, entre Limonest et Rocbelaillée et par la grande route de TArbresle elle prendrait le chemin des montagnes du Forez. On pourrait soutenir quelque temps une guerre de partisans, surtout avec les nombreux Foré- ziens qui faisaient partie de la colonne et qui seraient des guides excellents; en cas d'échec la dispersion sérail plus facile. Précy, comme ex-lieutenanl-colonel des chasseurs des Vosges, en garnison à Lyon, connaissait la région et déclarait avec son calme habituel qu'il se déciderait d'après les positions de l'ennemi et les chemins plus ou moins difficiles; toutefois la direction du Forez semblait présenter le plus de chances de réussite^.

Le temps s'écoulait et les détachements attendus n'ar- rivaient pas. Précy comptait sur 2 à 3.000 hommes, il n'en avait encore que. oOO'. Pas une unité, sauf la cava- lerie, n'était au complet. Le général, en examinant lui- même ses hommes, reprocha à quelques officiers de ne pas s'être armés de fusils, car ils étaient trop peu nom- breux pour ne pas combattre tous en soldats. Il forma dix

1. Diaprés Précy (Pcreiion, p. 98), il y avait 120 cavaliers.

2. Lieutenant-colonel Hichot. p. 44.

3. 1(1.

4. Relation du général de Précy, Percnon, p. 98.

538 l/lNSLHRECTION DK LYON EN 1703

compagnies de 50 hommes chacune, leur donnant comme chefs, non pas les plus élevés en grade, mais ceux qui lui paraissaient les plus intelligents et les plus* énergiques. D'ailleurs beaucoup d'officiers n'avaient pas rejoint. Précy avait laissé chacun absolument libre et c'étaient bien des volontaires qui venaient se grouper autour de lui.

A huit heures et demie arrivait le détachement de la Croix-Rousse, avant à sa tête le comte de Virieu*, suivi de son fidèle aide de camp, un jeune Dauphinois, nommé Chevalier, ancien page du Roi aux derniers jours de la monarchie*. Ce détachement était suivi de celui du quar- tier de Saint-Georges, commandé par lecomtedeClermont- Tonnerre. Formé de bonne heure, il avait débouché par la rue de la Brèche et le quai de la Baleine, et occupé les montées de Saint-Barthélémy et des Capucins, avec quelques vedettes surla place Saint-Paul. Celles-ci avaient averti vers huit heures du matin, M. de Clermont-Ton- nerre du passage de la troupe de M. de Virieu et les deux détachements s'étaient mis en marche de concert vers la Claire.

Pendant la nuit de veille que Virieu avait passée dans le poste du centre, devenu, comme les autres habitations voisines de la redoute Gingenne, une masure délabrée, il s'était confessé ainsi que plusieurs de ses ofliciers et de ses soldats. Le confesseur avait été l'abbé Forestier, des- tiné à devenir évoque de Troyes et qui portait alors l'uniforme militaire, non pour combattre, mais pour pou- voir plus facilement remplir son saint ministère. Ses ornements sacerdotaux étaient soigneusement dissimulés dans sou havre-sac de soldat.

Ltî courageux ecclésiastique avait célébré la messe dans une pièce épargnée par les boulets et sur un autel impro- visé avec des tambours. La j)lupart des assistants com- munièrent, Virieu le premier. Comme il Lavait dit à ses

1. Ilfdafion du (jenvnil de Precj/, Perennn, j), 98.

'2. \.ar(iuis Costa de Heauregard, Souvenirs du comte de Virieu, p, 351.

LA SORTI K DÉSKSPÉIIÉE 539

compagnons : « La foi du chrétien ne nuit pas au courage du soldat*. »

Les derniers défenseurs de la Croix-Rousse, résolus au sacrifice de leur vie et recevant le viatique fortifiant, ne sont-ils pas les ancêtres des zouaves de Charette, priant et communiant avant la bataille de Loigny et se préparant à leur glorieuse hécatombe?

A l'heure prescrite par Précy, Tancien colonel du régi- ment de Limousin, avait dîï retirer ses avant-postes avec beaucoup de prudence-, pour ne pas attirer Tattention de ceux de Tennemi' et il y était parvenu. Celui-ci, ne se doutant de rien, était resté sur la défensive.

Il y avait en tout sept cents hommes dans le parc de la Claire. Précy, sollicité à plusieurs reprises de laisser les officiers emmener avec eux leurs femmes, s'y était absolument refusé, se rappelant combien la présence de celles-ci avait été un dangereux embarras pendant l'ex- pédition du Forez. Aussi, quoi qu'en aient dit certains historiens fantaisistes, trop épris de descriptions pitto- resques'', pas une femme n'avait encore rejoint la colonne; <5n revanche, on vit arriver au dernier moment plusieurs membres des corps administratifs, mal armés et mal montés, qui déclarèrent vouloir se joindre à la cavalerie. Comme le disait le général, c'était à pied, avec des fusils à baïonnette et un bon approvisionnement de cartouches,

1. Ce récit a été recueilli dans les papiers de M"* de Virieu, fille du commandant de la Croix-Rousse, par M. le marquis Costa de Beauregard, et relaie dans son beau livre : le Honian d'un royaliste pendant la Révolu- tion^ Souvenirs du comte de \irieu^ p. 374.'

2. Belatirtn de l*réci/, Perenon, p. 98.

3. « Les redoutes si meurtrières de la Croix-Housse «jue Dubois-Crancé avait laissé s'établir «luoiqu'clles fussent sous les batteries de Montessuy, n'ont été évacuées à ce que m'ont assuré des personnes dignes de foi, que le 9, à sept nu huit heures du matin par ordre de Virieu qui avait réuni sur la place, près des porte», toutes les tr<>upes de la Croix-Rousse, pour composer la dernière colonne avec laquelle il tenta de sortir. » {Rapport de Coullion, p. 2'».)

4. Notamment M. Dusseux, dans le tome VIIF de la Revue du Lyonnais^ publie un récit visiblement hostile au général de Précy et qui est en con- tradiction avec ce que nous avons recueilli nous-mêmes.

540 l'insurrection dk lyon en 1793

en restant groupés, que les fugitifs avaient le plus de chance de forcer le cordon d'investissement, de gagner un pays montagneux et de s'y défendre. A cheval seuls les cavaliers exercés, comme les chasseurs de Précyet Tes- cadron de Monthrison, pouvaient prendre une part avan- tageuse à la lutte qui allait s'engager et que chacun prévoyait terrible. Les bourgeois, qui venaient faire un peu tard l'apprentissage du cavalier en campagne, ne pouvaient qu'embarrasser la colonne et tomber entre les mains de l'ennemi.

Précy laissa les détachements de la Croix-Rousse et de Saint-Georges constitués comme l'avaient fait leurs chefs. Il leur confia l'arrière-gardeS poste d'honneur et de dan- ger dans une retraite. M. de Virieu eut le commande- ment de ces 200 hommes; M. de Clermont-Tonncrre com- mandait en second. Se rappelant avec fierté les jours de gloire de l'ancienne armée, dans laquelle ils avaient l'un et l'autre commandé des régiments, les deux gentils- hommes avaient arboré sur leur poitrine la croix de Saint-Louis aux quatre branches d'émail blanc, écartelées de lleurs de lys d'or, suspendue à son ruban « feu ». A Lyon, ville soumise aux lois de la République, on ne voyait plus, même aux réunions de l'hôtel Savaron, la décoration qui avait satisfait tant de modestes et saines ambitions. Dans la dernière sortie qu'ils entreprenaient sans illusion, Virieu et Clerniont-Tonnorre s'honorèrent de porter au feu cette croix d'officier*.

Précy donna le commandement de lavant-garde au chevalier de la Roche-Négly, Rimborg. La léte de colonne fut formée avec 80 chasseurs à pied, Foréziens presque tous. Des cliasseurs noirs du Vivarais, il n'en restait guère, le combat d'Oullins les avait presque tous détruits.

\. Hela lian du rjénêral de Piécy. ]). 09.

2. On trouva sur le corps île Viritu sa croix tle Sainl-Louis, brisée par une balle.

LA SOHTIE DÉSESPÉRÉE 541

Venaient ensuite sous le commandement du lieutenant- colonel Gavot, les ciiasseurs à cheval de Précy et les cava- liers de Monthrison, 120 sabres, à côté desquels prirent place maladroitement une quarantaine d'administrateurs et d'aides de camp^ Le général en chef s'était réservé le commandement du corps du centre, 300 hommes, pro- venant de tous les bataillons et comptant presque autant d'officiers que de soldats. Toutefois, il y avait en tête 25 chasseurs de Saint-Pierre, de tout jeunes gens, appar- tenant aux meilleures familles du Lyonnais et de la Bourgogne, l'un d'eux n'avait que treize ans et demi-... Il avait cependant assisté à la plupart des attaques de la Croix-Rousse. Ses camarades et lui portaient, comme beaucoup des soldats lyonnais le petit bonnet en peau de renard; ils l'avaient agrémenté d'un brin de feuillage, rustique plumet emprunté aux chênes de la Claire par une coquetterie de soldats qui vont combattre.

Précy chargea M. Burtin de la Rivière de le suppléer en cas de malheur. Il gardait auprès de lui, comme un peloton de réserve, une vingtaine d'officiers, lesadjudants- généroux Champreux et Carton de Grammont, le colonel de Vichy, le lieutenant-colonel Schmidt, l'organisateur de Tartillerie lyonnaise, les aides de camp Ferrus de Plan- tignyS Restier, du Roure, de la Chapelle, de Chamberou, Audras-% etc. Le corps du centre eut deux pièces de 4, l'une en tète, et l'autre avec le dernier peloton. Seule Tavant-garde n'avait pas d'artillerie.

Sept h huit pièces furent laissées à la Claire, il semble que Précy n'aurait du s'embarrasser d'aucun canon. Quand Charetle le Vendéen fit sa meilleure campagne, il avait, avant de partir, enterré ses canons dans les bois de Belleville. Précy devait regretter amèrement d'avoir

1. Relation (fu fféitêral de Préry, Pereiion, ]>. 0*.

2. Bittanl des Portes, llisfaire de Vannée de Condé, p. 2i6.

3. Passeron, MénutireH (Cun ^nnwre diable, p. 12.

4. Relation de Précij.

;)i2 l'insurrection de i.yon en 1793

ainsi alourdi sa colonne ; pour s'excuser, il a dil que « le canon donnait plus de confiance^ ».

Deux colonnes sont formées. La première comprend le corps du centre, sous les ordres du général ; elle prendra la direction la plus exposée, celle de la route directe du village de Saint-Rambert qu'on sait occupé'^ par un détachement du camp de Limonest. L'arrière-garde aux ordres de M. de Virieu doit suivre .sfln.ç intervalle le corps du centre^. La caisse de l'armée et quelques chariots de vivres se trouvent sous la protection de Tarrière-garde, et contribueront à lui ùter de la mobilité.

La seconde colonne est composée par Tavant-garde : la compagnie de chasseurs à pied de Montbrison et les deux escadrons de cavalerie; elle longera la Saône et atteindra le village de Saint-Rambert par la partie Est.

A neuf heures du matin, Rimberg et ses chasseurs à pied [débouchent de Tenclos et obliquent à droite pour suivre le chemin de la Saône. La cavalerie, commandée par le lieutenant-colonel Gavot, suit en serrant sur Tin- fanterie. iVIalheureusement le brouillard s'est dissipé^, le bruit de la troupe en marche, surtout celui de la cavalerie, attire l'attention des sentinelles du château de la Duchère, les batteries de la Convention ouvrent le feu.

C'est alors qu'un accident regrettable retarde la colonne. Le lieutenant-colonel d'artilleri(* Chappuis de Maubou, soutirant depuis plusieurs jours, avait pris rang parmi les Cîivaliers ainsi que son frère le capitaine. A bout de forces, il tombe de cheval et, dans l'impossibilité de remonter en selle, il supplie ses compagnons de n^prendre la marche; son frère ne veut pas le quitter. L'avant- garde est obligée de les abandonner \

1. i{p/nfi(ni (tu (jéiièrnl de Précy, p. 100.

2. /f/., p. m.

3. A/., p. iOO.

4. J.-B.-.M. Nolhac, Soui'cnii's Je la liérd/ufion à Lyon^ p. 219.

l'i. <• Ils se lelirèrent dans une maison voisine, on les y arrêla quelques lieures après. »> iComniunication de la famille de Maubou.)

LA SORTIE DESESPEREE 54^

La seconde colonne débouche à son tour et oblique également à droite. Précy sait, pour l'avoir observé les jours précédents^, que s'il y a cinq batteries ennemies échelonnées de la Duchère à Saint-Rambert, les chemins de traverse ne sont pas coupés et que ce village n'est pas retranché. A l'assaut de Saint-Rambert!

Sa propre colonne marche sous le feu de Tartillerie, sur un terrain découvert^. Les canonniers de la Duchère, surpris et impressionnés à la vue de cette troupe en bonne formation, pointent mal et leurs premiers boulets vont se perdre dans la Saône, mais leur tir se rectifie. Au moment un projectile éclate devant un peloton de grenadiers, à l'arrière du corps du centre, ceux-ci s'ar- rêtent un instant. Précy et Burtin de la Rivière se sont placés sur le tlanc droit de la colonne pour en surveiller le défilé, l'adjudant-général commande: «Grenadiers, en avant! » Un boulet le frappe en plein corps. Désarçonné, il tombe dans une mare de sang, pendant que son géné- ral attristé se découvre devant cette première victime de la journée.

Précy rejoint la tète de colonne et la déploie hardi- ment sur des avant-postes d'infanterie qui se replient ; il la reforme et lui fait prendre un chemin fort encaissé qui aboutit à Saint-Rambert. La colonne lyonnaise s'y engage alertement; sur son flanc gauche, la mousque- terie éclate et occasionne un instant de désordre . C'est un poste de trou[)e de ligne qui tire h couvert dans les chemins creux. Précy n'a pas oublié son métier d'of- ficier d'infanterie; il détache de la colonne deux pelotons et, sautant à bas de cheval, il gravit avec eux le talus de droite ; là, face à l'ennemi, il commande le feu, la troupe ennemie se disperse et la marche est reprise.

1. « Je m'en étais assuré nioi-inêine par les reconnaissances ([ue je fai- sais ilepuls quinze jours dos hauteurs de Cnire et des terrasses de la Tour delà Belle Allemande. » [lleliiiion tie Précy, Perenon, p. 100).

2. Ce qu'on appelait le plan de Vaise.

544 l'insurrection de lyon en 1793

La colonne laissait cinq ou six jeunes gens dangereu- sement blessés, ils s'écriaient: « Général, ne nous aban- donnez pas, nous sommes perdus. Emmenez-nous M » Précy en pleurant se sépara d'eux... Ils devaient être découverts dans la soirée et transportés dans la prison de Roanne, en attendant Texécution.

La marche continue sur Saint-Rambert, le corpsi du centre pénètre dans le village que Tennemi évacue, mais pour se reformer à TOuest sur une hauteur qui domine le village. La seconde colonne rejoint Précy dans Saint- Rambert, devient Tavant-garde et attaque sur la gauche Tennemi qui bat encore en retraite. Précy s'est aperçu que l'arrière-garde ne suit pas ; en se portant en arrière, il la voit à quatre cents pas de son dernier peloton, l'in- tervalle est trop grand.

Le dclachement de M. de Viricii avait été rejoint à la sortie de la Glaire par une foule de femmes, d'enfants, de vieillards, qui s'étaient mêlés à ses rangs et Tavaient retardé ^ Virieu les engage vainement à s'éloigner, ses officiers et ses hommes joignent leurs instances aux siennes. Rien n'y fait; plusieurs ivtroiivaient leurs familles et ne se sentaient pas le courage de s'en séparer'!

Les premiers boulets qui loinhèreut dans la colonne firent quelques victimes, mais n'occasionnèrent pas de panique. Il en fut différeinraent quand un de ces |)ro- jectiles j^enétra dans l'un des deux caissons d'artillerie et produisit son explosion. Il y eut plusieurs morts et de nombreux blessés ; le désordre fut tel que .M. de Virieu eut grand'peine à reformer sa troupe et à la remettre en marche -^

1. RrlnfioN (tu f/ctirral île Précu. Pcrenon,p. 101.

2. " Ici. le jMTo partait .irrosi' des larmes de ses enf.mts, la, un fils, un frère renonçaient à leur famille ê[»lnrée, à Jliabilalion «le leiu's îincfMres. Des jeunes femmes, inspirées par lem* amour, ^^uidées ])ar leur eoura^e, tenant entre leurs l)ras le fruit de leurs entrailles, veulent suivre leurs é])0ux et marchent avec eux. Les infortunés, ils courent à la mort. » In of/icu'r (le l'^rffil-inajin' du sicf/c, p. ",',').)

3. Marquis Costa de Beauregard, Sourrnirs du comte de Virieu^ p. 3*6.

LA SORTIE DÉSESPÉRÉE o45

L'arrière-garde arriva devant Saint-Rambert, mais au moment elle allait se rapprocher du corps du centre, Tennemi surgit par les pentes de la Sauvagère. Le tocsin sonnait à toutes volées dans les villages environnants, des paysans armés grossissaient les rangs des volontaires, tirant sur les femmes, sur les enfants ^ Si Tavant-garde n'avait été aux prises avec Tennemi, Précy en entendant la fusillade, serait accouru au secours de son arrière- garde, mais il fallait faire une trouée, le cercle se refer- ma derrière lui'^. Son aide de camp, M. du Roure, à la tète du dernier pelolon d'infanterie et de la pièce d'artil- lerie de queue, avait peine à se dégager, il n'y parve- nait qu'en abandonnant son canon. Cet officier vit, avec -désespoir, le cercle infranchissable se débattaient le détachement de M. de Virieu et les malheureux qui s'y étaient joints*^. Virieu voulut percer quand mOme et l'épéc haute, debout sur ses étriers, entraînant les plus braves, il chargea l'ennemi et disparut dans ses rangs '\

Le lendemain seulement, on retrouva son corps, il fut reconnu à sa croix de Saint-Louis enfoncée dans sa poi- trine par une balle \ Dubois-Crancé et Gauthier voulurent espérer qu'il faisait partie des prisonniers''. Virieu avait eu la mort du champ de bataille, combien devaient l'en- vier parmi ceux de ses compagnons qui furent contraints à mettre bas les armes et h s'acheminer vers les prisons lyonnaises !

M. de Clermont-Tonnerre, avec une faible partie de

1. Doppet se vantail d'avoir fait envoyer des coiiiiiiissaires dans les •municipalités environnant Lyon pour faire sonner le tocsin^ en cas d'ap- parition d'une colonne arnU^e. [Uopitei, Eclaircissemen/s, etc.)

2. Marquis C.osta de Hcauregard.p. 377.

3. « Les hommes et lui eussent peut-être passé, mais comment jeter sur ces baïoniwttes ce Iroupeaji de femmes qui tourbillonnaient, folles de terreur auloiirde ces soldais. » (Marquis Costa de Beauregard. p. 377).

4. Marquis Costa de Beauregard, p. 377.

5. Id.

6. « On leur a tué 1.500 hommes, fait 80 à 90 prisonniers, au nombre -desquels est Virieu. » (Bulletin des autorités militaires^ 10 octobre.)

3$

5i6 l/iNSURRECTION DK LYON EN 1793

Tarrière-garde, put se jeter dans la direction du Nord- Ouest vers Dommartin; il devait y ôtre fait prisonnier. M. du Roure et son peloton d'infanlerie ne purent rejoindre Précy qu'à Tentrée duvillajçede Saint-Cyr, encore occupé par Tennemi *, mais qui Tahandonna sans n^sis tance pour se replier sur le camp de Limonest. La colonne de Précy, privée de son arrière-garde et ne comptant plus guère, en raison des pertes qu'elle avait subies que 450 à 460 com- battants, s'engagea dans les chemins escarpés qui con- tournent le Mont-d'Or. Le général cherchait à passer la Saône et redoutait en même temps de mettre trop en vue sa petite troupe, à une distance aussi rapprochée de Lyon. Sa dernière pièce d'artillerie, qui n'avait été d'aucune uti- lité, eut son essieu rompu, on l'abandonna '*.

A environ une lieue de Saint-Cyr, sur le versant Est du Mont-d'Or, on signale une tète de colonne ennemie, puis des pièces d'artillerie marchant avec de Tinfanterie, et enfin de la cavalerie *^ La colonne lyonnaise se rejette sur la hauteur et prend ses dispositions de combat. Pour former un rideau qui Tabrile, Précy porte en avant lo détacliement de Rimberg, ses chasseurs à p'wd en tirail- leurs, les cavaliers en soutien. L'infanterie est déployée^ uti peu en arrière, adossée <^ un bois '•.

D'autres colonnes ennemies sont maintenues en vue. Composées de troupes des trois armos, elles suivent la rive gauche de la Saône et bientôt dessinent un large mouve- ment tournant. Précy renonce au passage de rivière,, c»» qui permettrait de le cerner et se décide à prendre la direction de l'Ouest et des montagnes du Forez. Le général Rimberg reçoit Tordre de se porter sur Poleymieux' par a la route à char » qu'il faut aller chercher sur la droite par un assez long détour. Avec le corps du centre, le

1. Passeron, Mémoires d'un jmurre <l\ol)le.

i. nrbttinus (lu i/î'/n'nil de l'rrri/ (Perenon. p. 91)}.

3. UL, p. 103.

i. liclntinn dr l'rt'ct/ Peronoii, p. 103).

LA SORTIE DÉSESPKHÉE 5i7

général en chef se rejettera sur la gauche dans des che- mins creux dissimulés et faciles à défendre'. Le rendez- vous est à Poleymieux.

Pendant que disparaissent rapidement Précy et ses com- pagnons en utilisant le pays boisé et accidenté, Rimberg, avec ses chasseurs à pied, oblique trop à droite. Sa troupe est bientôt débordée, fusillée de tous les côtés, elle se débande et sVparpille dans toutes les directions. Son chef, qui a payé bravement de sa personne, s'enfonce dans des fourrés avec la funeste idée de rentrer dans Lyon.

Quant h la cavalerie, commandée elle aussi par un chef énergique et aventureux, elle charge, le lieutenant- colonel Gavot en tète, et traverse les premiers pelotons de Tennemi, malgré leur fusillade; mais les ex-hussards de Berchiny et les ex-cavaliers de Royal-Pologne, huit ou dix escadrons contre deux, les poursuivent, les enserrent, les criblent de coups de carabine.

Quand les malheureux cavaliers lyonnais sont cernés, les fantassins do Valette les rejoignent et les fusillent impunément. Gavot, bien que blessé d'un coup de feu, parvient à forcer la ligne avec quelques-uns des siens.; les cavaliers de la Convention reprennent la poursuite et le lieutenant-colonel, frappé encore de deux coups de sabre, « dont Tun lui partage la main droite et lui perce le poignet »^, doitquilter son cheval, mortellement frappé. Il peut, lui aussi, comme Rimberg, se dégager et gagner en courant un fourré protecteur. La plupart de ses ca- valiers succombent, les survivants sont presque tous faits prisonniers. Quelques-uns peuvent s'échapper, se mettent à la recherche de Tinfanterie de Précy et Taper- çoivcnt de loin, h la sortie de Poleymieux sans pouvoir la rejoindre -^

1. Helation fie Préct/.

2. Archires rnlminisfra/irps de Ut Guerre : Dossier du lieutenant-colonel Gavot.

3. Relation de Préctf (Perenon, p. 104).

548 l'insurrection di: lyon en 1793

La colonne de Précy a gagné en effet le village (le Polcymieux après une marche difficile. Le général prend un guide au village en lui ordonnant de la conduire à la grande route de Lyon à Villefranche, au- dessous du bourg d'Anse. En arrivant près de Chasselay, son arrière-garde so heurte à des hussards qu'elle met eu fuite après en avoir tué un^

La petite troupe traverse TAzergues et s'avance sur Morancé, sonne le lo?sin. A un quart de lieue, on rencontre un fermier, qui consent à aller rassurer les habitants et alors ceux-ci accueillent bien les Lyonnais, leur vendent du pain, du vin. La colonne se remet en marche et atteint le village d'Alix vers neuf heures du soir^.

Le gîte est tentant, plus d'un Lyonnais de la colonne connaît ce hameau aux blanches maisons sous les tuiles de Bourgogne, autour de l'ancien monastère qui ferait une si bonne caserne. Le ruisseau coule au bas de l'église que dominent les bois touffus.

Hélas ! dans ces bois, une surprise trop facilement proparéo, il faut gagner la montnfi^ne. Les soldats de Précy, harassés, ne murmurent pas, ils suivent leur général dans celle douloureuse et interminable étape. On reprend la marche dans la direction du Bois-d'Oingt, petite ville dont le château, Tonceinte, la position élevée aurait semblé, en d'autres circonstances, à Précy, une position de défense indiquée. Maintenant il n'est plus question que de fuir... Voici hi petite colonne réduite à 300 hommes. Vers minuit, elle arrive à l'entrée des bois d'Alix 3, si profonds; à bout de forces, les Lyonnais tombent épuisés.

Précy leur accorde deux heures de repos pendant les- quelles, maîtrisant sa fatigue, le vieux soldat veille,

1. Relation de Précy, p. 105.

2. Même re la lion.

3. Id,

LA SORTIE DÉSESPÉRÉE 549

ttentif au moindre bruil. Vers deux heures du matin, par un temps de brume, il réveille ses compagnons et les remet en marche. A la sortie des bois d'Alix, il prend comme guides des paysans qui l'égarent. Enfin la colonne atteint Bagnols *, elle trouve quelques vivres. Le temps qu'elle y passe à se ravitailler, environ une heure, permet à de nombreux détachements de gardes nationales de se rassembler et de se placer en embuscade dans la direction d'Amplepuis. « Le tocsin nous suivait partout, a dit Précy», et h cette sonnerie de guerre civile, les paysans se cachent derrière les haies, les arbres et tirent de préférence sur Tarrière-garde. Les malheureux Lyonnais qui tombent sont achevés à coups de crosse, de fourche ou de gourdin.

Précy fait quitter le chemin d'Amplepuis et prendre la direction des bois de Saint-Romain, en évitant les che- mins et les villages*. La troupe, qui est maintenant réduite h 200 hommes, marche souvent en deux colonnes, quel- quefois en bataille. Son général, h cheval, avec son [)etit groupe d'aides de camp, se met au centre, un peu en avant; il a reçu deux balles. Tune dans son chapeau, l'autre dans sa grande redingote bleue, que ne décorent plus les épaulettes étoilées. Sur la demande de ses offi- ciers, il vient de les retirer et de les jeter dans un fourré. On rengage à changer de nom, à s'appeler le capitaine Antoine, il faut affirmer que le vrai général de Précy a été tué... N'est-il pas touchant, cet ingénieux stratagème des compagnons du proscrit**?

Les Lyonnais contournent le village de Saint-Vérand, dont le tocsin redouble à leur approche; les habitants,

1. La relation du f^'énéral de Précy ne parle pas d'une halte à Ilois- d'Oingt, ainsi que rindicjue Ualleydier ;p. i73). Il semble d'ailleurs que cette petite ville, chef-lieu de canton, avec une garde nationale assez con- sidérable, pouvait servir de loin de point de repaire, mais qu'il eût été imprudent d'y pénétrer.

2. lielofiofi (Ir Pircif (Perenon, p. 108).

3. Même relu /ion (Perenon, p. lOU;.

550 I/INSURIŒCTION DE LYON KN 1793

embusqués dans une clairière, font feu sur la troupe de Précy qui, exaspérée, demande à enlever le village. Pour ne pas perdre un temps précieux, le général s'y refuse. « Cependant, dit-il dans son récit, les rassemblements aug- mentaient à chaque instant, nous étions fusillés, on tirait sur nous avec une animosité, un acharnement tels qu'on aurait pu croire que Ton chassait des bêtes féroces*.. »

Toujours poursuivie et perdant des hommes par le feu de l'ennemi ou par l'épuisement, la colonne arrive à la grande route de Lyon à Roanne, k une demi-lieue de Pontcharra, il est trois, heures. Les bois de Saint-Romain sont en vue. Précy fait traverser la Turdine'^. Il aper- çoit des rassemblements armés sur la Croizette et du côté d'Avange. Pour ne pas être tourné sur sa gauche, il or- donne de gravir de suite un petit plateau au-dessus de la rivière et de se former en bataille; mais « telle était la fatigue de tous qu'ils se jettent par terre sans pouvoir se tenir debout 3. »

Précy compte ses hommes, ils ne sont plus que cent... et dans quel état ! Comme officiers, le lieutenant-colonel Schmidt et les aides de camp Roslitîr et Audras seuls sont restés. J/ennonii se rapproche. Sur le pla- teau où les Lyonnais ont pris pied, deux escadrons de dragons et de hussards qui viennent de Bully se sont formés à (juatre cents pas d'eux; au-dessus d'Avoge, d'autres groupes de cavalerie apparaissent. Us appar- tiennent au 9' dragons et au 1 " hussards, aussi des divi- sions Rivaz et Valette; le terrain montagneux les gène, et ils attendent que leur infanterie ouvre le feu. Celle-ci, for- mée de gardes nationales des cantons de TArbresle et de Vaugneray, s'avance sans entrain, redoutant de se trou- ver en présence de forc(*s considérables, une certaine formation militaire donne aux Lyonnais l'apparence de

1. Pré» y l'appelle \ii rivirre de Tararre.

2. ÏWldlinn i'réo/, ]). 110.

3. Id.

lA SOnriK DKSESPKUKi: 331

troupes régulières. De l*arniée de siège, seule la cavale- rie a pu les rejoindre, elle aurait suffi pour les capturer, si elle avait attaqué sans différer*. Précy veut utiliser ce délai, il supplie ses compagnons de reprendre la marche vers les bois de Saint-Romain, ils pourront mieux se défendre ou se disperser. Un quart de lieue seulement les en sépare. «Hélas! ce n'était pas le courage qui leur manquait, mais les forces-. »

Enfin ils se relèvent, resaisissent leurs armes et, en chancelant, ils s'engagent dans des chemins boisés, sur la droite, qui les dérobent h la vue de l'ennemi; ils arrivent au village d'Ancy^, sur les pentes au-dessus de la Trésoncle.

Précy veut, en effet, gagner les bois de Saint-Romain, non pas seulement parce que c'est une position qui lui semble défendable, mais sans doute aussi parce qu'il espère que Tennemi ne l'aperçoit plus et continuera sa marche offensive en demi-cercle vers TOuest. Peut-ôtre cumpte-t-il, par la vallée de la Rrévenne, gagner ces montagnes de Chevrières qu'on dit si hospitalières à ceux que poursuit la (Convention, peut-être, tout simplement, cherche-t-il l'abri le plus proche |)our ses malheureux compagnons...

En débouchant d'Ancy, à trois cents pas du village, les Lyonnais trouvent un escadron de hussards qui les guette ; les fugitifs se forment immédiatement en ba- taille, et derrière Précy, l'épée haute, marchent résolu- ment sur Tescadron ennemi. Celui-ci tire précipitamment quelques coups de carabine, et, devant les baïonnettes lyonnaises, « se rompt, se disperse'* », dégageant l'entrée du bois.

Ce fut le dernier succès. Après cet effort, et une fois

\. Helalion tic Prvcy, Pcrenon, p. 111.

2. Ces malheureux avaient fait depuis la veille plus de 5U kilomètres !

3. Relation t/e Précy^ Perenon, p. 111.

4. I(i,

552 l'insurrection de lyon en 1793

dans le bois du Mont-Popey la colonne se désagrège, une vingtaine d'hommes tombent de lassitude sur le sol; quelques-uns, redoutant les tortures d'un implacable en- nemi, se brûlent la cervelle'.

Plus de 300 paysans en armes débouchent dans le bois et courent sur les 80 Lyonnais; 25 pu 30 coups de fusil font reculer les nouveaux assaillants, mais les hussards reviennent avec des renforts, des paysans sans armes les accompagnent, Tun d'eux crie : « Rendez-vous, il ne vous sera fait aucun mal ! » La fusillade s'arrête.

Le paysan offre, moyennant un louis, d'aller chercher une cruche de vin. Les soldats de la Convention s'é- loignent avec lui. Les trois officiers restés avec Précy l'engagent à les quitter, ils espèrent obtenir une capitu- lation, mais le général en sera certainement excepté. Qu'il quitte ses compagnons d'armes, cela vaudra mieux pour tous, Rcsticr, Schmidt, Audras l'en conjurent. Il s'y décide enfin et disparaît dans le bois^.

Une rumeur s'élève menaçante, les dragons et les hussards reviennent, agitant leurs sabres ou leurs raous- quolons et av<H* eux des bandes de gardes nationaux qui couchcMit en joue les Lyonnais, en les injuriant.

Restier a pris le commandement, il répond fièrement à un chef d'escadrons de hussards qui le presse de livrer son f^énéral, que Précy n'est pas avec eux. « Tu mens, Précy, c'est toi, dit l'officier de l'armée delà Convention qui met le sabre à la main et attaque l'aide de camp. Celui-ci froidement lui casse la tôte et d'un second coup de pistolet se brnle la cervelle. »

Alors le massacre commence : on se jette dix contre un sur les Lyonnais, on les égorge aux cris de : ^< A mort les muscadins î » Ouohjues officiers plus humains en font épargner vingt-deux, on leur lie les mains et, à

1. Relation de Prvcy, Perenon, p. IH.

2. Tous ces détails sont scrupuleusement empruntés à la Relation de Précy, p. H2 et 113.

LA SORTIE DÉSKSPÉnÉE 553

coups de crosse et de plat de sabre, ils sont mis en route vers Lyon.

Une autre colonne de prisonniers, ramassés dans les bois d'Alix ils étaient tombés blessés ou épuisés, les y avait précédés. Le marquis de Vichy, le comte de Clermont- Tonnerre et M. Ferrus de Plantigny^ se trouvaient parmi les captifs. Les représentants éprouvèrent une amure déception en ne voyant pas revenir, mort ou vif, celui qu'ils appelaient l'infiime Précy et qui, vaincu et déses- péré, errait dans cette foret tragique du Mont-Popey étaient tombés ses derniers soldats. La résistance avait été poussée aux extrêmes limites des forces humaines, après deux mois d'une lutte incessante et six semaines de famine.

La moitié des Lyonnais, ayant pris part à la défense active, avaitélé tuée par l'ennemi ou mise hors de combat'-*, l'honneur militaire de la petite armée de Précy restait intact.

1. Passeron, MiUnoires d'un pauvre diable^ p. 12. F^'auleur cependant fait une erreuren comptant parmi les prisonniers du bois d'Alix, M. Sohmidt, qui fut pris dans les bois du Mont-Popey.

2. Lieutenant-colonel Bichot. p. 46. Il s agit des. compagnies soldées et casernées.

CHAPITRE XXX

BEAUCOUP DE VICTIMES ET QUELQUES ÉVASIONS

11 n'entre pas dans le cadre de cette étude de décrire avec détails la période de répressions à outrance qui ter- rorisa Lyon jusqu'à la mort de Robespierre. Nous en rappellerons brièvement et tristement les principales phrases. La commission militaire instituée auprès des représentants pour juger les Lyonnais rebelles et qui avait fait déjà exécuter au camp de Montessuy plusieurs prisonniers, vint opérer dans la ville. Elle fit comparaître sansdélai, sans instruction, tous les Lyonnais capturés pen- dant les deux journées du 9 et 10 octobre, et qui avaient été ontassés dans les prisons de Lyon (les Recluses, Roanne et Saint-Joseph) et jusque dans les caves de THotel de Ville. Le 12 octobre, Ferrus de Planligny Villeneuve et Lebon, aides de camp de Précy, furent condamnés et fusillés. Tous les trois, comme d'ailleurs l'immense majorité do leurs compagnons d'infortune, restèrent pleins (le dignité devant leurs juges et se montrèrent intrépides devant la mort.

Le surlendemain, 14 octobre, le chevalier de Melon restant toujours le général Arnaud, terminait son aven- tureuse carrière avec le courage chevaleresque dont il était coutumier. A ses cotés tombaient bravement aussi, sous les balles du peloton d'exécution, le lieutenant- colonel (irilîet (le Labaume et le lieutenant-colonel Schniidl, resté le compagnon de Précy jusqu'au dernier moment.

Mais ce n'était pas assez de fusiller des soldats, Couthon

BEAUCOUP DE VICTIMES ET QUELQUES ÉVASIONS 555

et ses collègues créèrent * sous le nom de Commission de justice populaire- une juridiction spéciale pour tous les prévenus accusés d'avoir pris parla la contre-révolution, autres que ceux qui avaient été capturés, les armes à la main. Chaque Lyonnais ne pouvait désormais se flatter d'échapper à la proscription. Pour ne pas épargner le Forez, les représentants décidèrent qu'une commission spéciale fonctionnerait à Feurs dans les mômes conditions qu'à Lyon. Les vainqueurs de Lyon pouvaient ainsi se venger impunément de ceux-mômes qui n'avaient pas pris part à la lutte, la Convention manifesta son appro- bation.

Le 12 octobre 1793. sur la proposition de Barrère et îjans discussion, elle avait rendu le décret suivant:

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du Comité de Salut public, décrète :

Ahticlk premier. 11 sera nommé, par la Convention na- tionale, sur la présentation du Comité de Salut public, une commission extraordinaire, composée de 5 membres pour faire punir militairement et sans délai, les contre-révolutionnaires de Lyon.

Art. 2. Tous les habitants de Lyon seront désarmés, leurs armes seront distribuées sur le champ aux défenseurs, de de la République; une partie sera remise aux patriotes de I^yon qui ont été opprimés par les riches et les contre-révolu- tionnaires.

Art. 3. La ville de Lyon sera détruite, tout ce qui fut habité par le riche sera démoli. 11 ne restera plus que la mai- son du pauvre, les ha])itation8 des patriotes égorgés ou proscrits, les édifices spécialement employés à Tindustrie et les monu- ments consacrés à Thumanité et à Tinstruction publique.

Art. 4. Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservées portera désormais le nom de Ville- Affranchie.

Art. 5. Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne

\. Par arrêté du 11 octobre nî»3.

2. Elle prit plus tard le nom de tribunal révolutionnaire.

556 LINSLItRECTION DE LYON EN 1793

qui altestera à la poslérité les crimes et la punition des roya- listes de cette ville, avec cette inscription :

LYON FIT LA GUERRE A LA LIBERTÉ LYON n'est plus

Art. 6. Les représentants du peuple nommeront sur le champ des commissaires pour faire le tableau de toutes les propriétés qui ont appartenu aux riches et aux contre-révolu- tiormaires de Lyon pour être statué incessamment par la Con- vention, sur les moyens d'exécution du décret qui a affecté ces biens à l'indemnité des patriotes.

Les deux Commissions rivalisèrent de condamnations^ toutefois la Commission militaire fut la plus expéditive. Au d(^but les juges constataient Tidentité, pour la régu- larité de leurs archives mais devant le hautain silence de certains prisonniers, on leur attribua souvent un nom et un grade inexacts. Qu'importe? L'essentiel était d'aller vite.

Le lieu d'hécatombe était l'emplacement situé aux Brot- toHUx entre Taxe du pont qui s'appelle maintenant pont Lafayelle et celui de la passerelle du Collège (( entre les avenues Duguescliu et de Vendôme et les rues Robert et Vauhan, à environ cent mètres du Hhùnedansun chemin bordé de saules et de peupliers, et le long des fossés fan- gueux coupant une grandes prairie i ».

tombèrent, le 15 octobre, aux cotés de l'adminis- trateur Bi;mani, le colonel manjuis de Vichy et le capi- taine Chappuis (le Maubou ' qui chantèrent, en allant au supplice, le chant des cavaliers lyonnais. Dans les jours qui suivirent et pour ne citer que ceux qui avaient joué un rôle militaire, le général comte de Glermont- Tonnerre, le lieutenant-colonel d'artillerie Chappuis de

1. Baron Haverat, L'/n/i sftiis In Hèrohit\t,n. Lyon, Breton, 1883, p. 90.

2. Cf. Annoruil <h> la nnhlesse de Frnnct>, par d'Auriac, Paris. 1856. Notice intéressante.

BEAUCOUP DE VICTIMES ET QUELQUES ÉVASIONS 557

Maubou*, les capitaines Buisson des chasseurs à cheval, Pérache de l'infanterie, Martin des canonniers moururent aussi sans forfanterie comme sans faiblesse.

Le2r)Octobre, le chevalier de la Roche-Négly, s'obstinant à garder son nom de général Rimberg, tombait à son tour sous les balles du peloton d'exécution*-. On exécuta dans les trois derniers jours d'octobre, le lieutenant- colonel d'artillerie Milanais, ancien avocat du roi au présidial de Lyon, Tabbé Servier, au double titre prêtre et de capitaine quartier-maître, pacifiques fonctions de comptable qui ne Tobligeaient pas à combattre, le colonel Gérard-Loppin, les capitaines Ité et Drunguet, aide de camp de Virieu.

Dans les premiers jours de novembre, le même sort frappa les lieutenants-colonels Boullay,Mocey et Bernard, les adjudants-généraux Julien de Vinezac et de Vaugirard, Boiriven, secrétaire de Précy et Soullier, aide de camp, le chef de bataillon Prayre deNeyzieu. Le vieux M. deSavaron baron de Chamousset, commandant des vétérans, fut passé par les armes, sous les yeux de sa famille par un raffinement de cruauté, devant son hôtel, « repaire d'aristocrates », il fit preuve jusqu'au dernier moment d'un calme et sou- riant courage. On doit encore citer parmi les victimes le lieutenant-colonel de gendarmerie Ducreux de Trézette et trois de ses officiers : Guignard, Capdeville et Mathon*^ qui retrouvaient dans ceux qui les insultaient plus d'un mal-

1. D'après une tradition dans la famille de Maubou, le lieutenant-colo- nel d'artillerie aurait été l'objet de vives sollicitations pour prendre du service dans les armées républicaines.

2. En errant autour de Lyon après la dispersion de l'avant-garde qu'il commandait, La Roche-Nrgly entra dans une auberge, accablé par la fa- tigue et la faim. L'aubergiste lui demande ce qu'il veut: « Une soupe à la Reine », répond distraitement l'ancien capitaine de Itoyale-Auvergne. Aussitôt, du fond de l'auberge, surgissent des volontaires qui ont entendu, et qui se ruent sur lui, en criant : « A mort, le ci-devant! » On l'amena en- chaîné à Lyon, il raconta en souriant à sei compagnons de prison Tétour- derie qui lui coûtait si cher.

3. Badger, fr^e du chef de bataillon si brave le 29 mai, fut con<laumé à sa place et ne protesta pas. (Delandine, les pris(/tis de Lyun^i). 32.)

558 L^IXSLRRECTION DE LYON EN 1793

faiteur surveillé par eux, le chef de bataillon Posuel, Bad- ger et les deux Terrasse dTvours, officiers dans la garde nationale de Lyon, frères de Terrasse Ae Tessonnet, Taide de camp du prince de Condé.

Du H octobre au 28 novembre, la Commission mili- taire en fit fusiller quatre-vingt-dix-sept, elle en avait condamné quatre-vingt-dix-neuf. Deux de ces victimes purent s'échapper, comme nous rétablirons plus loin : un vétéran, Gingenne, Tancien « Saint-Pierre de Lyon » et un sous-lieutenant venu de Tarmée de Condé, Cudel de Montcolon.

Le 26 octobre un peu avant que la Commission de jus- tice populaire ne commençât à fonctionner. Couthon, porté sur les épaules d'un robuste sans-culotte, inau- gura la démolition des quartiers condamnés par Thôtel de Cibens^, situé sur la place Bellecour, à l'angle de la rue des Deux-Maisons*^. Toutes les maisons de la place Bellecour étaient désignées pour avoir le même sort, une partie put y échapper, grâce aux nombreux habitants dont beaucoup s'étaient improvisés locataires depuis la reddi- tion de la ville et qui obtinrent un sursis pour déménager. Toutefois une armée de démolisseurs-' munis d'outils, ac- compagnés de tombereaux réquisitionnés se mit à Tœuvre et, pendant de longs mois, travailla à la destruction de la la ville, quinze cents maisons furent démolies. On put utiliser une partie des 20.000 montagnards amenés par Couthon et Javogues avec la promesse d'un gigantesque pillage, la plupart furent déçus dans leurs espoirs et rentrèrent en Auvergne avec des sacs insuffisamment garnis à leur gré.

Les Jaco])ins Ivonnais, dont Couthon lui-môme allait

1. Il frappa d'un coup de marteau en disant: « la loi te frappe. »

2. Couthon alla faire l.i mrnie représentation au château de Pierrescize. J. On compta des milliers d'ouvriers, jusqu'à des femmes et des enfants

(jui touchèrent un hon salaire, ce qui contrihua, il faut l'avouer, à ramener un peu daisanco dans la population si éprouvée par les derniers jours du sièfi^e.

BEAUCOUP DE VICTIMES ET OIELQUES ÉVASIONS 559

subir le joug, pressc^rent Tentrée en fonctions de la nou- velle Commission devant laquelle il était si facile de tra- duire ceux qu'on déclarait suspects de sympathies contre- révolutionnaires. Les détachements de l'armée des Alpes retournaient à la frontière du Sud-Kst ou au siège de Tou- lon.

Le Comité de Salut public les remplaçait par « Tarmée révolutionnaire» », bandes d'émeutiers embrigadées en force publique sous le commandement de Ronsin, l'in- fatigable dénonciateur des généraux républicains en Ven- dée. L'état-major s'était recruté parmi les vainqueurs de la Bastille. On y voyait parader, empanachés et galonnés, déguisés en généraux, Tau teur dramatique Parcin, le tra- gédien Gramont et le fameux Haussaye, apôtre de la Rai- son, qui tenait à porter officiellement le sobriquet qu'il s'était choisi de « Pas de Bon Dieu* ». Cinq bataillons et une compagnie d'artillerie allaient donner toute sécurité aux persécuteurs de la ville de Lyon et fournir aux pelo- tons d'exécution les effectifs désirés.

Gendarmes, réquisitionnaires restés avec les représen- tants et volontaires de l'armée de Ronsin, sous la direc- tion des nouveaux commissaires des sections, tous jaco- bins, multipliaient les visites domiciliaires. On ouvrit de nouvelles prisons : les Carmélites, la Manécanterie, Saint- Pierre, le Petit Collège.

La Commission de justice populaire devait prononcer cent dix-neuf condamnations à la guillotine. Klle siégea jusqu'au 30 novembre et fut alors remplacée parla Com- mission révolutionnaire qui varia les modes d'exécution

i. L'armre révolutionnaire arriva à Lyon le 25 octobre. (Balleydier, t. Il, p. 2:>1.)

2. Archives tiisforiijues de In Guerre: Armt^e fies Aij)es^ octobre 1793. Le ministre de la (Juerre envoie dés le 6 octobre aux représentants la liste de l'état-major de l'armée révolutionnaire adoptée par le conseil exécutif : Ronsin, général d<' division. Boulanger et Furoin, généraux de brigadi.', GrnmtMit, Haussayt* dit I*ms de Bon Dieu, Mniibon, adjudants-généraux, llaleis, Lemair»', Thun*l, Vizcn, Bricard, comniandants de bataillon.

560 l'insurrection de lyon en 1793

en employante son caprice, la guillotine, la fusillade* et même la mitraillade ; elle prononça seize cent quatre- vingt-sept condamnations à mort'-... !

On condamna des vieillards, les uns comme ayant fait partie du jury qui avait jugé Chalier, les aulres, comme hommes de loi qui auraient détourner leurs concitoyens « de la rébellion », des fabricants et des rentiers, parce qu'ils appartenaient à une classe déclarée hostile à la Révolution. La Commission de justice populaire affirmait qu'ils avaient tous encouragé Précy et ses soldats à la résistance. Elle devait être cependant dépassée dans sa cruauté par la Commission révolutionnaire. Couthon •' fut presque regretté, quand on vit à Tœuvre Collot d'Her- bois et Fouché, le comédien sifflé et le moine renégat, tous deux implacables.

A Feurs, siège spécial de Tautre tribunal de sang, Javogues fut la Terreur en personne ; les prisons de la ville ne suffisaient pas, des maisons particulières furent converties en lieux de réclusion, sans cesse remplies, sans cesse vidées par les supplices. C'est ainsi que périrent M. (le Meaux, président du bailla^e de Montbrison et frère du capitaine au régiment de Bourbon, fusillé lui aussi, mais à Lyon, le comte de Sainl-Polguos, octogénaire, le jeune de Lesgallerye, un enfant de seize ans, MM. de Hocliefort père et fils, do Lachèze et de Bigny. Vingt-huit autres Forésiens, sous la bénédiction de Tun d'eux, un reli- gieux, marchaient au supplice en chantant le Miserrre.

A Lyon, les hécatombes se multiplièrent avec la (Com- mission révolutionnaire, dont (Collot d'Herbois et Fouché alinu^itaient les listes, accueillant toutes les délations

1. On fusilla ù la fois deux cent neuf Lyonnais, presf|ue tous des jeunes ^cns.

1. 11 faut lire les tortures inlli^'ées aux prisonniers entassés les uns sur les autres, ]>resque sans nourriture dans Delandine. Tnhlvau des prisons fie Ljfon, Lyon, 17în.

;L Coutlion fut rappelé le 3 novembre. Collot dUerbois arriva le lende- main ; Fouché, queirpies jours ai»rès. Avor Laporte, ils furent toul-puis- sants.

IIEAUCOLP DE VICTIMES ET gUELQUES ÉVASIONS 561

même les plus vagues, même les plus suspectes. On re- trouva pour les mener au supplice quelques officiers de Précy : MM. Passerai de la Chapelle, de Boubée, de Ros- taing, Staron de Largentière, Puy de Musieu, Giraud de Saint-Try, de Forbin, de Mexiniieux, Léviste deBriandas frères, Joseph de La Tour Varan, de la Chassagne *, tous avaient pris une part active à la défense et la revendiquèrent courageusement. En môme temps qu'eux, furent conda- mnés des officiers retirés du service depuis longtemps-, comme le vieux maréchal de camp de Crenolle, d'anciens soldats malades ou infirmes, le seul grief articulé contre l'un d'eux fut qu'il avait appartenu à la « ci-devant maré- chaussée ^ ».

Le crime d'aristocratie était inexcusable, on exécuta, sans pouvoir relever même un délit de parole, les marquis de Pure et de (iroslier, MM. de Vaurenard, de Vernas, etc. Les « femmes de qualité » furent jugées de bonne prise pour la guillotine : ainsi succombèrent M"" de Tridon de Ray, parce qu'elle était la femme d'un officier général émigré, M""" Gavot parce que son mari, le lieu- tenant-colonel, échappé aux assassins de Pierrescize, avait été l'un des pins intrépides lientenants de Précy, M°* de Lesgallerye parce qu'elle était parente d'antrc^s victimes... Des griefs de même nature contèrent la vie h MM"**"* de Rostaing, de Vaugirard, du Grozet, et(!. De riches bourgeoises, de modestes ménagères, des femmes d'ouvriers* ne furent pas pins épargnées snr la dénoncia- tion de leurs voisins, de leurs débiteurs, de leurs obli- gés.

A coté de saintes religienses tombèrent sous le conpe-

1. M. de La Ch/issji^^nn' iiï-tait à*»é qin' dr viii^t-tri»is ;iiis.

2. Los colmu'ls tir Unisson d'Auzoïi ri ilc Hoiss-ic, 1rs m.ijm-s (Miuiloiiic et de M(*Iloniiiic, une don/nhie (raiiciciis ('a|iitaiii<'S.S('|itii<-ig(}ii.-iirrs pour la plupart!

3. Trois autres officiers, plusieurs sous-officicrs i-t une Irciitain».* d»; ^'en- dormes furent condamnés et exécutés.

4. M"* Mortier, logeus»', (^.iienet, ouvrière en soie, David, revendeuse, etc.

5. M*'* de Beausson, Beauquise, Gouanne, etc.

3&

562 I.'lNSLRRECTION DE LYON EN 1193

ret deux héroïnes du siège, M"' Cochet et M''* Adrian. Elles moururent en soldats, mais sans pouvoir montrer d'ailleurs plus d'héroïsme que M*"* de Maubou, veuve du capitaine de dragons et belle-sœur du lieutenant-colonel d'artillerie, exécutés toutes les deux ^ comme nous l'avons vu. Avant de mourir, M"" de Maubou écrivit à son fils, alors au collège, une lettre admirable elle pardonnait à ses bourreaux.

On a dit de cette commission de sang qu'elle con- damna jusqu'à satiété. Plus de 30 ecclésiastiques, depuis l'abbé Grumelle, ancien grand vicaire de l'archevêque de Toulouse et les chanoines du chapitre de Lyon, jusqu'à d'humbles prêtres de campagne, jusqu'à des chartreux et des bénédictins ^ de vieux conseillers au Parlement ou à la sénéchaussée et de jeunes avocats'^, des médecins et des chirurgiens qui avaient soigné les crancéens blessés comme les Lyonnais : Vicary-Vanier, Dufrichon, Troit Féréol, Brodier, Plisson, Nonique, tous furent insultés^ condamnés et exécutes.

Les proscripteurs ne frappèrent pas seulement les aris- tocrates et les bourgeois, il fallait atteindre le peuplo^ pour décimer Lyon. Le plus grand nombre des condamnés à mort appartiennent donc aux classes les plus modestes : artisans, ràpeurs de tabac, cuisiniers, domestiques, gar- çons papetiers, porte-faix, maçons, emballeurs, et des enfants : apprentis épiciers ou teinturiers...

Des com«'diens comme Favo,(iervaise t Arnaud ne trou- vèrent pas grâce devant leur camarade Collotd 'Herbois, par jalousie peut-être. Le total des exécutions ordonnées par

1. MM. Chapjiuis ilo Maul)<»u avait un frèrr, M.Chappiiis de Saint-Julien, ancien iiratenant-C(>l<>nel d'infanterie. <|ui périt aussi sur l'érhafaud, bien que n'ayant pris aucune part au siè^n-.

2. Hajipelons (|ue la plupart de ces ]Mvties étaient restés enfermés dans les cachots de Pierrescize pendant i)res(|ue toute la durée du sièpe de- Lvon.

V

3. Notaniiuenl, les conseillers de la Beaunie, Cléricot de Janzé, Jourdon. Imbert de Iial«»rre, Ballet, l'honneur de la magistrat in'C d'autrefois.

BEAUCOUP DK VICTIMES ET yUELyLES ÉVASIONS 563

les trois commissions et réalisées s'élève à 1.893'. Les deux dernières* furent celles des exécuteurs de Chalier et de Riard de Beauvernois. Les pauvres diables, qui avaient cru obéir à la justice régulière dont ils étaient les auxi- liaires brevetés, montèrent sur l'échafaud sans avoir com- pris quel était le crime d'incivisme dont ils s'étaient rendus coupables.

11 est temps de s'arracher à ces lamentables spectacles et de constater que, si la population lyonnaise a vu succomber dans d'odieux supplices, près de deux mille des siens, de nombreux défenseurs de la cité ont pu s'échapper et gagner la terre d'exil ils attendirent des temps moins troublés.

En raison de sa proximité, la Suisse accueillit la plu- part des fugitifs, mais la frontière était gardée et avant de pouvoir s'en approcher, combien de Lyonnais et de Foréziens restèrent cachés dans de dangereux abris, privés des choses les plus essentielles a la vie, combien malgré leur jeunesse ne devaient survivre que de quelques mois ou même de quelques semaines aux souffrances de toute nature qu'ils avaient endurées? f^armi eux bien des bles- sés furent achevés par les paysans jacobins, beaucoup aussi moururent faute de soins, d'autres furent recueillis par des habitants humains et courageux qui les soignèrent et les gardèrent en dépit des terribles décrets de la Conven- tion, des colonnes mobiles, des policiers et des délateurs.

C'est ainsi que le chef même de la défense, le général de Précy, errant dans les bois, le soir du 10 octobre, fut re- connu par deux de ses soldats, Giraud et Gorger et, grâce à eux, put gagner la vallée du Toranchin et les monts de Tarare. 11 revint avec ses deux compagnons à Violay•^

1. Voir les listes du baron liaverat : Lyttn, sous la Révolution. Lyon, Meton, 1883; «elles de M. «le La Chapelle, Histoire des tribunaux révolu- tionnaires, et celles i\c Biilleydier, l. IH.

2. Le n germinal an II (6 avril 1791).

1. Général de Précy, Historique de mon refour dans les monts du Forez après le sièye de Lyon. Lyon, Boitel, 1847, p. 27.

564 l'insurrection de lyon en 1793

petit village du canton de Néronde dans un site sauvage. Une jeune fille, Catherine Gourdiat, devinant en eux des proscrits, leur offrit Thospitalité ; Tun des sauveurs de Précy, (iiraud, devait un jour devenir le mari de cette courageuse jeune fille.

Le 12 octobre à minuit, les trois fugitifs repartirent et atteignirent le village de Sainte-Agathe-en-Donzy ils furent recueillis par un brave homme nommé Legoux, puis par le maire, Madinier, dont les fils avaient servi dans la cavalerie lyonnaise et qui offrit de tout cœur rhospitalité au général. Celui-ci, pour ne pas compro- mettre son hôte dont deux fils avaient été arrêtés^ quitta cette demeure accueillante et, en vieux soldat plein de ressources, s'aménagea une retraite sûre dans un souter- rain où il put même offrir, pendant quelque temps, Thos- pitalité à un chartreux fugitif. Les visites domiciliaires des gardes nationaux de Feurs étant incessantes dans les environs, personne ne dénonça cet étranger qui, le soir, sortait de sa cachette et cheminait tristement dans les senliers de la montagne. L'hiver se passa sans incident. Ses hùtes le visitaient quelquefois dans sou souterrain et avec eux une jeune lille, M"° Madinier, venait embellir de son charme, plein de pureté et d'innocence, ce triste lieu de refuge.

Après de longs mois péniblement passés, Précy résolut de s'éloigner, il parvint à acheter pour 800 livres un passe- port et il partit. Des obstacles imprévus Tobligèrent h revenir dans Thuinide souterrain, mais il cacha son retour et repartit le 20 janvier 179.") à cheval et déguisé en maquignon, accompagné d'un guide. L'ancien comman- dant de la force de sûreté de Rhône-el-Loire revit avec une poignante émotion le Bois d'Oingt et Bagnols, il put éviter Lyon et arriver dans les environs de Bourg à Cuiseaux, le 22 janvier 1795. Il était à Lons-le-Saulnier

1. L'un des deux fut fusilU'' à Feurs après deux mois de détenUon.

BEAUCOUP DE VICTIMES ET QUELQUES ÉVASIONS 565

le 25 et le lendemain parvenait au Pont d'Ain ^ oîi Tun d^ ses anciens grenadiers lyonnais, Jacquier, devenu épicier, reconnaisait son général et lui servait de guide. 'Grâce à lui, Précy, par les bois d'Amont, pénétra en Suisse, ayant conquis la liberté, après n'avoir habité pendant seize mois que les bois, les souterrains, les granges et les greniers.

A Lausanne, il retrouve quelques-uns de ses anciens ofliciers'-*, qui lui prodiguent leurs égards; les officiers suisses lui font aussi le meilleur accueil ^ il apprend la présence dans cette ville de M"^ de Virieu et lui apporte Thommage de sa sympathie, pleurant avec elle Théroïque commandant de son arrière-garde'*.

Précy sut de source certaine que tout le mois d'octobre le général d'Autichamp et les officiers qui, s'étaient joints à lui, MM. d'Albon-^ de Bertier, de Jouvenel,de Tauriac, de Varax^*,des Adrets', de Chabres,des Cars, d'Agout, etc., étaient demeurés à Lausanne^, cherchant à pénétrer en France par le Jura et h se jeter dans Lyon. 11 y avait déjeunes gentilshommes qui, si Ton en croit les rapports de Tagent secret de la République-', blâmaient « le vieux Précy » de ne pas avoir surmonté des difiicultés qu'ils con- naissaient mal. Mais tous eussent été heureux de servir sous ses ordres, et c'était avec tristesse qu'ils avaient rejoint leurs lointains cantonnements d'Alsace. Quelques- uns des combattants de Lyon avaient pu s'échapper par l'Est et passer la Saône, les uns à Neuville, les autres à

1. Tous ces détails sont extraits de la deuxième Relation de Précy ^ précitée p. 39.

2. Notamment, M. Imbert, de Montbrison, aide de camp du lieutenant- colonel Chapuis de Maubou.

3. Helation de Vrécy^ précitée, p. 43.

4. Id.

5. Maire de Lvon en 1813.

6. Devint sous la Uestauration, maire de Vaise.

1. Devint à la même époque, maire de la Croix-Rousse. Pcrenon, p. 90, rite MM. de Tauriac, de Varax et des Adrets.

8. Venet, agent secret de la République à Lausanne, dénonce MM. de Cbabres, des Cars et d'Agout, venant tous de l'armée de Condé. {Papiers de Barthélémy, Paris, Alcan, 1838.)

9. Rapport de Venet, papiers de Barthélemyypréciiés.

500 i/iNsunRi:cTioN de lyon kn 17î)3

Trévoux et, après avoir rié traqués dans les marais des Dornbes, gagner la Suisse, l/adjudant-général de Cham- preux fut assez heureux pour y parvenir et pour rejoindre l'armée de Condé, il avait déjà servi '. Le lieutenant- colonel Révérony avait pu s'échapper aussi et gag:ner Zurich, il devint Tun des directeurs d'une importante fabrique de soierie - en attendant qu'il pût rentrer à Lyon et donner h Tarmée franc^aise, h la veille de Tinvasion, son fils, qui lit bravement la campagne de 1813 et de 1814 dans un régiment de gardes d'honneur -^

Précy revit bientôt un véritable revenant, son neveu Cudel de Montcolon. Certains historiens ont décrit d'après la tradition et en termes fort émouvants, son exé- cution... La tradition s'est trompée, Montcolon a été con- damné mais a certainement pu s'évader. Son dossier au ministère de la guerre à la date de 1815 ne laisse aucune hésitation à ce sujet'*.

Comment échappa-t-il h l'hécatombe? Peut-être pen-

\. Il prit part aux complots royalistes <lu Midi et fut eujprisonm* à Mar- seille.

2. Ortifirat du hourj^niestre, 18 aoûl. C.onimunicalion de la famille ranger- Ii«'Vt'rony.

3. Certificat du colonel Houville. constatant « que Joseph llévérony a servi au 4* régiment «le gardes dlionneur avec bravoure et dévouement » (dossier Uévérony).

4. Le dossier en (fuestion ne porte pas mention du siège de Lyon, ce qui n'a rien de surprenant, la raison en est que l'insurrection lyonnaise n'eut jamais un caractèn* royaliste, et beaucoup iroflîciers appartenant à celte o]»ini«>n ne firent pas mentionner leur coopération h la défense de la ville.

Les contrôles de l'armée de Condé disent (pie Montcolon, émigré en 1791, avait fait la campagne de 1702 à la compagnie des anciens officiers du ré- giment de Penthièvre, par consé(|uent ii l'armée du duc de Bourbon, et qu'il n joinf Inrnnu' r/r Cotxh^ \v. \\ août 1701.

Ses états «le service le portent, il est vrai, comme appartenant à l'armée de Coudé de 1792 à 17!>.">. et ne mentioiment ]>as son congé mais déclarent <pie. de noii à 1800, // a confinité srs sririres jnf's de Sun oitcle^ le ctnnte de Prt'ci/. Nous n'avons i)as trouvé sur les contrôles de l'armée d'autre Cudel de Mont<'olon. Le jugement de la commission militaire relate son prénom de Claujle et son âge vingt-quatre ans. 11 s'appelait en etfet Claude-Gilbert- .Marie r.udel de Montcolon et était le \\ juillet 176Î). ce qui lui faisait bien l'Age de vingt-quatre ans. Tout concorde donc.

La Restauration lui donna la croix de Saint-Louis 'décret du 27 dé-

BKAUCOUP DE VICTIMES FF OUELQUES ÉVASIONS 567

dant le trajet de la prison au champ d'exécution. Grùce à la foule toujours bien disposée pour la jeunesse et le cou- rage, peut être en achelant un geôlier qui substitua un autre condamné h Tancien sous-lieutenant du régiment de Penthièvre. Précy avait obligé beaucoup de Lyonnais, les rapports des agents de la Convention en font foi, pour- quoi son neveu n'en aurait-il pas bénéficié?

Plus lard d'ailleurs quiand les exécutions se firent en masse, quelques condamnés purent se dissimuler sous les corps des victimes. C'est ainsi que sur quatre frères, beaux jeunes gens pleins de force et d'intelligence, les Barbier de Charly, lils de l'ancien seigneur de Vernaison ^ la fusillade en épargna un -qui eut la présence d'esprit de rester caché sous les cadavres de ses infortunés compa- gnons. Le soir venu, il put se dégager et gagner la cam- pagne.

Le capitaine Volet, qui combattait à la Croix-Rousse sous les ordres de Grandval et de Virieu, put s'évader pendant le trajet de la prison de Roanne aux Brotteaux et plus tard se réfugier en Savoie et en Suisse. Le capi- taine Baraillon, de l'ancienne armée, fut sauvé par un de ses anciens soldats devenu officier lui-môme. D'autres s'évadèrent en creusant une ouverture dans une des caves de l'hôtel commun, l'un d'eux, Gabriel, ancien secré- taire du département passa la nuit en plein hiver dans les marais de Perrache. Quelque temps auparavant, l'an- cien maire de Mâcon, M. Merle, qui avait échappé comme M. de Charly aux pelotons de fusilleurs, fut rejoint par

ceinbre 1X14; el le brevet «le capitaine honoraire et sans solde (lettre du 21 janvier 1815).

Cette double récompense n'avait certes rien d'exagéré.

1. Conseiller secrétaire du Roi près la cour des Monnaies de Lyon.

2. Louis Barbier dr Charly, le 4 décembre 1768, qui vécut justiu'en 1835. Il adressa une requête au roi Louis XVIII, pour obtenir un emploi dans les fondions publiques, en compensation de la perte totale de sa for- tune séquestrée et vendue naliunalement, et rappela l'exécution de ses trois frères et la mort à laquelle il n'avait échappé que par un hasard pro- videntiel. [Communication de M. le comte de Deaufranchet.)

568 l'insurrection de lyon en 1793

une patrouille de dragons et massacré à coups de sabre. Plus heureux furent Madinier Tancien commandant de la garde nationale, Fleur de Lys, Taide de camp de Précy, Larderot ' , Boulard de Gatelier, Dugas des Varennes, Hervier de Romans, Camille Jordan, Rusaud, Richard, qui tous s'étaient distingués pendant le siège et que Ton rechercha activement après leur évasion. Presque tous se cachaient dans les montagnes du Forez ou du Bugey.

Parmi ceux qui s'échappèrent, il convient aussi de citer le fils du marquis de Poncins, Tofficier forézion tué le 29 septembre. Grâce à un avertissement inespéré donné par une femme du peuple, M. de Poncins, bien jeune-, il avait seize ans, put éviter une arrestation imminente et sortir de Lyon. Il devait un jour retracer de la façon la plus émouvante la périlleuse campagne à laquelle il avait pris part.

Que d'évasions mouvementées apprit le général de Précv sur ce sol de la Suisse il était arrivé le dernier des défenseurs de Lyon. 11 y retrouva encore l'un des administrateurs de la ville, Jérôme-Joseph de Momigny qui s'était caché longtemps chez des paysans des environs de Rourg et le vieux liiiigenne amputé et gutTi*.

Un jeune homme qui avait vaillamiuent combattu sous

1. M. Larderet de Foiitaiiès. lils du (l«';fcnseur de Lyon, existe encore et a conservé le souvenir très précis des récits de son père sjir plusieurs inci- dents du siège.

2. I^e fils cadet du marquis de Poncins, le comte Léon de Poncins. a publié entre autres études remar()uab!es. les (\ihirrs île 8!) im les rrais jH'itici/if's Hhènnij\ m'i se trouvent mai,nslralement condensés les va'ux <|u"ont formulés alors les bons Krançais. De nombreuses pièces justifica- tive>, annexées, pour la plupart inédites, augmentent encore l'intérêt de ce beau livre. 'I^aris, Picard. 1887, 2* edit.

'^. Sous TRuipire. .M. de .Momigny assistait à Paris au mariage d'un de ses fils, à l'église Saint-Kustat:he. .\u moment de la bénédiction nuptiale, il reconnaît dans le prêtre qui ofliciait. curé de la paroisse, son ancien compagnon du siège <le Lyon, échappé providentiellement à la morl.u son corps avait été retrouvé dans un monceau de cadavres, et il n'avait du la vie qu'à la générosité de deux dames charitables (jui, le cachant, avaient soigné ses graves blessures. •> finnniufiicnfion de M.E. de Momif/n;/.)

4. La Hestauratinn le fit chevalier de la Légion d'honneur (Perenon, p.i2 . (iingenne figure |tar erreur sur plusieurs listes d'exécution.

HKAUCOLl» DE VICTIMES ET QUELQUES ÉVASIONS 569

les ordres de Précy, M. Vincent de Vaugelas ' avait été dénoncé, arrêté et emprisonné dans une maison particu- lière, faute de place dans les prisons. Malgré la surveil- lance des geôliers, ses compagnons touchés par son âge, dix-sept ans, et par son courage, entreprirent de le faire évader. On l'enferma muni d'un couteau dans un matelas et on le jeta dans une voiture placée devant la maison. M. de Vaugelas put sortir de Lyon, gagner le Vivarais, émigrer et servir à l'armée deCondé'-*. Son père et son oncle, M. de Marniolas, périrent sur l'échafaud.

Un de ses cousins, Jacques Vincent de Saint- Bonnet, âgé de vingt-deux ans, put échapper aussi, en gagnant le midi par étapes, mais, ramené à Lyon, il fut incorporé dans l'armée des Alpes ^ Beaucoup de jeunes Lyonnais trouvèrent un refuge dans les rangs de l'armée qu'ils avaient combattue mais qui, de l'autre côté de la fron- tière, redevenait pour eux l'armée de la France.

Les blancs étendards de l'armée de Condé attirèrent la plupart des soldats de Précy : d'Assier de la Chassagne, Carton de Gramont, Duguet, Giraud des KcheroUes, fils du général. « Plus de 300 des réchappes, dit haineuse- ment le policier de la Convention h Lausanne, ont déjà été répartis dans la troupe. On leur a refusé de former un corps à part, sans doute pour mieux s'assurer de leurs sentiments et les surveiller plus aisément '*. »

revenait aussi un officier qui portait un des noms les plus honorés de l'ancien corps royal de l'artillerie, Tex- capitaine Claude du Teil, qui avait contribué, sous la direction des colonels de Chénelelte et de Maubou, à l'armement et à la défense des redoutes de Saint-lrénée, Trion, Saint-Just et Sainte-Foy. II avait eu la douleur

1. Claude-Gaspard Vincent de Vaugelas, le I."i août 1174.

2. Revenu à Lyon sous TEmpire il devint sous la Restaurarion membre du Conseil munipai.

3. Coniniunicotioti de M. ClaudeSocl Uesjot/eaua-.

4. Papiers de Uarthélemy : lettre de Venet, agent secret de la Répu- blique, Lausanne, le 7 mars 1794.

570 l/lNSLRRECTIO\ DE LYON EN 1793

d'apprendre que sa coopération à la défense de Lyon avait coûté la vie à son père, le lieutenant-général baron du Teil ', qui n'avait eu aucun rapport avec Précy et l'armée lyonnaise, mais qui n'en fut pas moins condamné à mort pour le crime « de communication et liaison avec un fils rebelle et «fugitif». Le général du Teil était égale- ment accusé « d'aristocratie et de haine pour la Révolu- tion », lui qui, comme commandant de l'École d'artillerie d'Auxonne, avait laissé au lieutenant Bonaparte un tel souvenir que l'empereur Napoléon, dans son testament de Sainte-Hélène, lég^ia cent mille francs à ses fils ou à ses pelit-Hls*.

11 avait été fusillé à Lyon le 3 novembre 1793. Trois de ses fils se retrouvaient à l'armée de Gondé. Le quatrième y avait été mortellement blessé.

Ce n'était pas le seul malheur qui allait atteindre Claude du Teil. Sa douce et gracieuse jeune femme, qui n'avait pas habité Lyon, voulut le rejoindre en Suisse. Elle fut arrêtée à Pontarlier, comme prévenue d'émigra- tion, renvoyée devant le tribunal révolutionnaire de Paris ot condamnée à mort '* le 20 juillet 1794.

Le plus important des collaborateurs de Précy qui avait môme commencé, avant l'arrivée du général, ce merveil- leux travail de rolôvement et d'agrandissement des forti- fications, le colonel de Chênelette avait pu, grâce à l'ingénieux dévouementde sa mère, échapper à une visite domiciliaire* et se réfugier en Suisse à travers mille dan- gers. Quand il y cul en France un peu d'apaisement, le colonel rentra dans son château de Chênelette il vécut dignement et simplement. Le Premier Consul, lors de son

1. Oui comptait W.] ans de services et 15 canipa^rnes.

2. (^onitmmicdtion de M. le haron Joseph dti Teil, auteur lïune Fa mille nnlitahe an X] III' siècle, Paris. IMcard, 1800.

.3. i'ne Famille tnilihiire au AT///* sièrle. Paris, Picard, 1890, p. 443.

4. « Nos commissaires ont arrêté la citoyenne Cliènclette, parce qu'eUe nous .1 (lit est son scélérat de lils, et oii est sim arfjenterie. » (La Cha- pelle, H si (lire des Irihuuaux réiolutionnaires, p. 26.)

BEAUCOIP I)K VICTIMES HT QUELQIKS EVASIONS 571

passage à Lyon, exprima son estime pourTéminent ingé- nieur militaire.

La ville de Fribourg servit de refuge h Tancien com- mandant du camp des Brotleaux, M. de Nervo, ex-capitaine de vaisseau dans Tescadre du comte de Grasse. A la ren- trée des Bourbons, il devint contre-amiral.

La Première Restauration pouvait oublier Précy, non seulement à cause de la défense de Lyon, mais encore pour les conspirations royalistes qu'il dirigea de Berne et de Bayreuth pendant le Directoire et le Consulat. Arrêté sur Tordre de Bonaparte, emprisonné pendant deux ans, il avait refusé de se soumettre au vainqueur de Marengo et repris fièrement le chemin de l'exil. En 1812 seulement, la police impériale l'autorisait à rentrer, non pas dans son vieux château de Précy, vendu nationalement, mais dans la petite ville voisine, Marcigny.

En 1814, la Première Restauration le nomma lieute- nant général, commandeur de Saint-Louis, commandant supérieur de la garde nationale de Lyon, honneurs mé- rités, peu rétribués et précaires h son âge.

D'ailleurs sa mise h la retraite, deux ans après ^ le fit ren- trer définitivement dans sa modeste maison de Marcigny. 11 y recevait les soins dévoués de M"* de Précy^, veuve en premières noces d'un cousin du général, Perrin de Noailly, guillotiné aux Brotteaux, le 25 novembre 1793. Que de souvenirs mélancoliques pouvaient échanger les deux vieillards!...

Alors que les dévouements h la royauté triomphante s'affirmaient nombreux et bruyants, le vieux royaliste qui, par abnégation, avait combattu sous les couleurs

i. Par décret du 5 juin 1816. Un mois auparavant, le roi le nomma grand-croix de Sainl-Louis, le 2S mars WM.

2. 11 avait épousé M"* Jeanne-Marie de Chavanne-Beaugrand, veuve Perrin de Noailly, et elle-même originaire du Forez. Le général de Précy mourut le 25 août 1820. Dans son testament, il rappelait son peu de for- tune et recommandait sa veuve aux bontés du roi. La comtesse de Précy reçut une pension de 1.500 francs, comme veuve d'un lieuteoant-général.

572 l'insurrection de lyon en 1793

républicaines, pouvait évoquer, non sans fierté, les sou- venirs de la lutte : Sainte-Foy, Perrache, Saint-Rambert et répéter le cri de guerre des Lyonnais :

RESISTANCE A l'oPPRESSION !

Cette fière devise ne résume-t-elle pas toute la défense de Lyon, avec ses heures d'illusions et ses jours d'hé- roïsme ?

ÉTAT-MAJOR DE LA DEFENSE DE LYON . A LA FIN DU SIÈfiE

Le général de Précy, dit Perrin-Précy, commandant en chef la force de sûreté de Rhône-et-Loire.

Madinier, commandant général provisoire de la Garde natio- nale de Lyon.

COMMANDEMENTS PARTICULIERS

Comte de Virieu, commandant à la Croix-Rousse, en rem- placement du général Grandval, blessé mortellement.

Chevalier de la Roche-Négly dit Rimberg, commandant à Oullins ;

Général des EcheroUes, commandant à Saint-Irénée ;

Chevalier de Melon dit le général Arnaud, commandant à Saint- Just;

Général comte de Clermont-Tonnerreditle général Gaspard, commandant à Saint-Georges;

Général de Nervo, commandant aux Brotteaux ;

Adjudant-général Burtin de la Rivière commmandant à Saint- Clair ;

Adjudant général La Pujade, commandant à Perrache;

Colonel de Fontet, commandant à Vaise.

Lieutenant-colonel Gingenne, commandant la redoute Gin- genne.

9 #

ADJUDANTS GENERAUX A LA DISPOSITION DU (iENERAL EN CHEF

Champreux faisant fonctions de chef détat-major.

de Vaugirard Giraud de Saint Try Cudel de Montcolon Julien de Vinezac Prévôt Monteil

Julien (Gabriel) Buvier

Rostagneuc

Savarin fils

Garidel

Gallet

Bernard

Monréal

Gaillard

Carton de Gramont

K

574

1/lNSLRRECTION DE LYON EN 1793

AIDES DE CAMP DU GENERAL EN CHEF

Férus de Plantigny

de Villeneuve

du Roure

Guillemin

Dallemagne fils

Bousquet

de la Chapelle

Létrade

Melchior-Durand

Audras

Souillier

Madinier cadet

Fleur de Lys

Lebon

Restier

De Cliamberon

GrilTct de la Beaume

# f

COLONELS A LA DISPOSITION DU GENERAL EN CHEF

Tourloulon de la Salle

Carra de Vaux

COLONELS CHEFS DE LEGION

Richard Grand

Baille

OFFICIERS ATTACHES AU SERVICE DES FORTIFICATIONS

Colonel de Chèneletle, directeur du service ; Lieutenant-colonel d'artillerie Chappuis de Maubou, sous- directeur :

Chef de bataillon d'artillerie Claude du Teil; Chef de bataillon d'artillerie de Rostaing ; Capitaine de Goifieux ; Capitaine Bosquillon ;

KTAT-MAJOn DE L ARTILLERIE

Reux, adjudant-major général; Milanais, lieutenant-colonel inspecteur de l'artillerie; Schniidt, lieutenant-colonel, directeur de la fonderie de canons;

Mocev, lieutenant-colonel; Chevalier d'Yvours, capitaine; Ravina, capitaine; Bayon, capitaine.

KTAT-MAJOR DE lA DÉFKNSE DE LYON 57r>

IXFANTEniE

LIEUTEXANTS-COLONELS

COMMANDANTS DE IIATAILI.ON OU DE CROUPES DE BATAILLONS

Hévérony ; Bernard

J.-J. Boulay j Kozel

Rivière de Saihonav

Vigne. I Gérard Loppin

CHEFS DE BATAILLON*

Savaron baron de Chamousset

Puy de Muzieu

Posuel

Pravre de Nevzieu

Jacquinot

Génicp des Périchons

Pichard

Monterdo

Pairas

Passerai de la Chapelle

Duclaux

de LarouUière

du Treyve

de Saint-Didier

Griiïe

Desgranges

Fleiiry

Marduel

Pierre Levauze

Goguillon

Etc.

CAVALERIE

Marquis de Vichy, colonel;

Gavot, lieutenant-colonel commandant Tescadron lyonnais ; Chappuis de Maubou, capitaine, commandant Tescadron de Montbrison.

r.ENDARMERIB

Ducreux de Trézetle, lieutenant-colonel ; Guignard, capitaine commandant en second.

SERVICES d'administration MILITAIRE

J. Vallès, commissaire des guerres, directeur ; Pedrot de Sainl-Vallier commandant les casernes ; Hillon du Plan, directeur des subsistances ; Spollinet, chef des convois de subsistances.

1. Nous n'avons pu retrouver aux -4 rc/inv.v déparfementales, pour les chefs de bataillon, que les noms indiqués, qui figurent ordinairement sur des états de solde ou des bons de réquisition.

576 l'inscrhection de lyon en 1793

HÔPITAUX

Petit, médecin à la disposition de Tautorité militaire. Cartier, médecin

Rey, médecin

Raillard, médecin

Desgranges, chirurgien-major î

Pelin, chirurgien-major ^

Vicary-Vanier, chirurgien

Dafriçhon, chirurgien

Etc.

ARSENAL

André, commandant.

POMPIEnS

' Mouton de Fontenille, commandant.

h

^:.i

.vl'

: ■". ■■('

I

:/ .INDEX :■'■;::::;

DES NOMS DE PER80NNJSS OTÉES DANS LE TEXTE DEL'OtJVftAGC

1 . ' ' .

Les noms des défenseurs de Lyon Forez, en Suisse, etci sont écrits en

et de leurj partisans déclarés dans \i italiques.

Abzac K), 506. ! .

Achard, 47.

Àchoni 483.

i4rfre/5 (rfe«),565.

Agout{(r),^m.

Albitte, 11, 73, 82, 85, 86, 96, 99, 102,

m, 348. . ' f

Alton {d'), 565.

Amer,63. ' . '.

jjiidré, 516. ^arieu, 529, Àndrîeux, 465. Angelot, 39, 183. Apchon ((/'), 429. Arnaud (le général), voir Melon

[Chevalier de). Arnaud (autre), 562. Assier de la Chassagne {d'], 9, pOl,

562, o60. Assier de CliezoUes (J'), 301,. 303. Aubertin fÉIisabeth), 39L ', Audras, 541, 530, 574* Aulichamp (marquis tf), 502.

Badger (le commandant), 18, 20, 33,

:n, 30. Badger (autre), 558. Baille, 57i. '"

•^ r

f : I

Barbier, 26, 27, 28, 62, 134, Barbier (autre), 258, 259. ' \ !

Barbier de Charly^ voit Charly IBàr'"

hier de). Barély, 129. Barges^, 327. , Bârrère, 67, 68, 75, 394. . fi'ayon, 212, 574! . Bellescize (A/"* RègnauU de), 292. , Bémani, 219, 221, 24Ô, 24à, 245, 274;

314, 395, 536. Bénard, 550. Benoit, 492. Beraud, 62. Beraud (autre), S2f. fte/7ifl/ï/i 557, 373. Bemascon, 143. Bertachon, 47. Berthuel, 425. Berlier (de), 565. Bertrand, 3, 18, 20, 28,32, 43, 47, 39,

60, 134, 533. Bertrand (autre), 529. Besignan [de] 319. Bigny {de), 560. BUhon du Plan, 352, 575. . Biolay, 134. Biroteau, 43, 70, 74, 9G, 100, 116, 118,

121, rii, 127, 170.

37

578

IM)KX

Blond eau, 529.

Boiriven^ 557.

noUioud de Chanzieu, 201, 202, 2:18,

302,309, 488,401. BoUioud de Cfianùeu (M-). S.'Hi. Bonnmour, 52.

Bosquillon, 169, 365, 574. ^

Botin, 59. Bouhée{de). 561. Bouchotte, 103, 177. Boulnrd, 134.

BouîatjiO, 18, 501,557, :n5. Boullet, 46.;. Bourbon, 47. Boussin, 464. Bousquet, 574. Bredin, 492. Hric/iel, 77. nrodiei\ 561. Brunel, 184. Bruyas, 327. Buisson^ 35, 53, 557. Buonarati, 179. Burdel, 329. Buronne (de), 423. Burlln de ta lUvière, lîH, 211,226,

293, 300.395, i04,4i0, 464. .iOl. oOG.

521, 522, 529, :i4i, :;i:i, :i73.

fturif'r. 23». 513.

Candv, 3(1 i.

(\ijKleviUi\ '\'M.

('(fira de Vaur. 201, 402, 514.

('arri\ 287.

Carrirr de Lathuih'rie. 37M.

Carriilon. 5î).

Cari'f, 63.

(\ivs {drs . .iô.'».

Cartier, 278, 2n!), 371.

rVA/'/D/i tic (haniont, 197, »33, 'i35,

j36. 5 VI, "WIO, .i73. ('(isli'iizun, 41. r.asteron, 3«î. Ca sliiif:, 139. (^.1 1,1 banne. 13.;. r.haln'c. 13i. CJinhr es 'dcs^, 50."».

Chalier, 2, 4, 18, 32, 59, ti3, 67. 81,

82, 97, 134, 142 à 145. r/iamberon (</<»), 541, 574. Ciiambon, 271, 275, 281. Ghambot, 106. Chantelauze (de), oOl, 502. Chainpreux (de), lîH, 213, 301, 395,

462, 541, 566, 573. (luipjiuh de Maubou^ voir Maubon

(Chappiùs de). Charasson frères, 492. Charcot, 403, 404, 527. Charcot de VilUers^ 495. Charlcniont, 486. Charbj (Barbier de), 492, 567. Charpin. 132. Chassalgnob, 142. Chasse ria/, 63. Chasset, 82, 116, 118, 124, 128, 180,

184. Châtelain, 183. Chàteauneuf-Randon, 305, 456 à 463,

508, 510, 513, 520, 532. Chdteanviexi.r (de), 8, 501. Chavnnnes(de)s 466. Clapisson, 51. Clavit^re. 66. Chenelelto (Afjniei de,, 8, 105, 106,

129, 132. 133, 168 à 171, 173, 192,

196. 214, 227, 228, 280, 282,

300, 34.;, 3n, 365, .395, 482, 501

!;■" ' Oit.

(liera lier, 53S.

(hprrillon, 339.

(^hinil, 63.

ileriiwnt-Tnnnerre {dv:,dil fia<iptird 199, 301. 438, 491, .•;03, 50», 512, 513 à 519, :;22. 52.;, 528, 540, .545.

Corhel (M»"}, 33.;, 460, 562.

Coi^nct, 167.

Joindre (Jean-Jacques), 62, 95, 97,

140, 191. 194. Coindre (r.uljiidant ^rénéral;. 4.50,

499. Coindre (M-), 175. Collot d'Herbois. :;60. Conibry, 89.

INDEX

579

Courbon de Mont t toi, 369, 461, Courtine (de), 318, 326, 328,

384, 436. Coustard, 38S, 440- 449, 4:i2, \VJ Goutlion, 305, 426, 437, :ilO, :il3,

523, :J26, 521, 329 A .iSâ, 538, Crenutie (gênerai </<';, 10, 306, Croizier (les frères). 319. rroii/er (Antoine), 319 à 32!.. Cifdel de Montcolon, .'?96, 401.

52"), ;i.*)K, 566, .'»67. '>73.

Dalle magne, 574.

Danthouard, 29i.

Danton, 180.

Darni'son, 13.').

Davalon, 530.

David, 531.

Davigne, 490.

Davin, 229, 291.

Deboze, 574.

Deschamps, 2il.

Deschainps 'M""}. 3:;;.

Desgeorges, 423.

Desgrangen (Ir romni'.;, 20, 132,

Desgranges (le D'}, 28, :i76.

Desjardins, 26, 372, 379.

Desparro, 96.

Desornicaux, 103.

Destephani, ls4.

Didier, 18.

Dodifii, 3, 19, 13i.

Doppel, 477 à 479. .iOî», .ilO, :;28,

Doret, 87, 134.

Dornac, 15.

Drunguet, 557.

Dubois-Crancé. p^ssito.

Dubo-^t. 18, :i8, 59.

Duchambon, 30, 31, 'i3, 59.

Duclatfx, 231, '\r.\.

Duja^t, 366, 492.

Ducreui de Trézetle, 23, 1!S6,

28K, 39.;, 489, 55:. 575. DuQ'is de la Cntonnière. 325. Dugas <(es Varennea, .68. Dugwî du But lion, 386, 387,

433. 488. 501, :;69.

520 343,*

516, I

560. '

561. ;

511,

173.

331.

198,

i21.

Dujasf, 3(i6, 492.

Dufric/ion, 562, 576.

Dulac. 124.

Dumanoir, 87.

Dumas, 26, 132.

Dumas (autre), 135.

Dumousseau, 4N.

Dumuy, 209. 228, 265, 279, 292, 29i,

296, 306, 307, 349, 388, 479. Dupuy des liojizièreSy 125. Durand (Molchior), 153.

Ei'herolles (général Oirnud des)^ 10,

106, 361,484, 503, ,573. Echera/les{Girnud des), fils, 569. EcheroUes (M>'- Giraud des), 281,

290, 361 à 363. 446.

Fallaciau, 48.

Farine, 492.

Faure, 204.

Fage, :i62.

fVM»/, 561.

Fernex, 59.

Fernis de Planlignt/, 153, 154, 287,

.301, 395, ,541,5:13, 554,574. Fillion, 134, 174. Fillion (aulre\ 520. Flechet, 1.35.

Fleur-de-Lgs, 118, 489, 541, 574. Fleury, 575. Fœdi, 63.

Fontaine de Bonuerive, 178, .SOI. Fonte! (do), 9, 197, 199, 221, 225, 442,

467, 321, :;73. Fortnn{\\t, 9, 561. Forestier (abl)é}, 538. Fouché, 560. Foujols, 124. Fournier, 59, 134. Francliet, 48'.). Franchisle. 13 4. Frédéric {rétif., 356 à 358, 492. Fréminville (de;, 20, 23, 28, 33, 45,

66, 70,71, 75. 100, 106, 130. Frémi set, 87.

Gabriel, 567.

Gâche, I3(.

Gallier. «0. ' '

Gangfllin 229, ■-- .. i .

GillltBnt.-l3t.l«.'

Gaillard (aulre), .173.

Gallelwris, 131.

Gallier, 435,

Carat, 75.

lialM, 15*, 573.

Gnnthier, 4, 13, 15, !8, 30, 3î, 43 à 46, SO, 5fi, 58, B7, 72, 9i. 193, !28, 930. 240. 313. 334 à 2S6. ^1, 271, 2%àSSt, 308, 3^9, 404. 4lS, 453, 455, S13.S2fl 333, 54S;

/i>mlh.ier{niAn),ii.

Garni (M"}, 56t.

ÛéNierdeiririchonii.SOl, 5Î3. ..

GéFtiado {Mollet de), 321, 433".

Gerbr dt Tours, 373, 493.

Gerboulel, 134.

G errais, 5fi3.

r.ilihfil. 96, 97. 10», 115. 130. lîl,

135, ttO, 187, 193.215.395, iiB. r.inijtnne, 33, 39. 74, 132. 154, It».

363. 293, iK, 416, ir,0, 46j, 5j»,

56K. 573. Girard, lUr,. liieard dt Curahr, 491. (ii.Bttd, ,;63. Giraud dit EvIteroUef. voir Bclie-

rollea' (iriiaud des). Uiraiid de Siriiit-Try, 9, 197, 501 , .ïf.I ,

Gb'jttUlon, 50i, .174,

tiorKcrct, SU3.

l'.uiiberl, 30.

'.■o«/)f*Mj;i/r). ISfl, 37t.

liourdiut, iM"'). 364.

r.mnd, \iH.

Uruiidciil. 132, ]"4. 196, 30O, 30i,

B04. an, 337. 23a, 2il, Ï80. Ï93.

ÏM4, 301, 30f., j73.

Gras de ta Baacht, 425.

Gréppo, i92.

Griffel de Labeaume, I3Ï, 169, 475,

55(, 374. thotHer (de), 591. «ïruDieUe t»l>W), 562; Guenotde Rué, !Û, IGC . ' ,

G»ignard, SS7.

GuilUmin.âU. ; I

(;ui7;of (abbé}, 319. Guillol, 203, 320. Guy. 197.

Hébert, 67. * •'

Hétiouj, 3*2, 372, 371. llenriot, 66, ' - '■

llerbei (J"), 130, 179. ''

f/ei-iii«i-i/«Aouian5, 368. '

HidiQS, 3, S, 59, 1*2, 176. '^

/W. 357. ^ . ■' "■ ""!

Jacob, 492. : - 'Il

Jacquet, 71, 77. ■>!

JiH!9ue»u»i< (l'abU), 3i«, 3M, a»:! Jacquinot, 575. ':

, 102.

Jnvot'iies. 246, 230. 234.235. 31». 198;

5u7, 503. 510. Jeanlion Siiint-André, 71. Jul'jctrrc de Belle, 9, 501. Joittan (Camille), 334, 568. JoHbcrl. 131. JoiirJuH. 37a. Jouiriiel{de], 5<i3. Ji.i/fauj' dM),S7ï, 463. «it. J»/.>n (/.■ liHfîOi', 9, 132. 153, 154,'

ly7, lHi.483. 637.373. Julien {tinbrieVj, 134, 162, 197. 2(1,

JullUn), 15. 16, 37, «3, m.

Jiisaini {de), IB8.

INDEX

581

Lachèze (de), 501, 502, 560.

Ladret (M-), 433.

La Chapelle (de), 541, 576.

La Chassagne, 562.

La Chassagne {autre) t voir Assier de

la Chassagjie [d'). Lagrange, 229, 231, 279. Lajolais, 228, 500. Lambei-t, 87, 134. Lambert (autre), 517, 588. Lamourette, 78. La Plagne {de), 125. Lapierre, 135. Laporte, 189, 246, 254, 255, 480, 510,

513, 514, 526, 533. Larderet, 495. La Rnc/ieSégly (de) dit Rimherg^ 9,

322, 341 ù 344,367, 369 à 386, 4ia,

411, 421 à 428, 436 à 439, 443, 447,

471, 485 h 487, 505, 522, 540, 542,

544, 546,547, 557.573. Laroque, 104. La Roque, 229. LarouUière {de), 132, 294, 575. La Tour Varan {de), 362, 372. Laurenson, 366. Laurent, 135. Laussel, 81, 82. Leblanc, 116, 124,125, 127. Le Berger,. 87, 134. Lebon, 174. Leborgne, 48. Lebrun, 66. Lécuyer, 414. Le Doyen, 15, 17, 24, 28, 30 à 34, 45,

284. Le Noir, 35, 39. Le Gouvé, 378. Lesgallertje {de), 319, 321. Lesgallerye (A/— Goninde), 320,321. Lesterps Beauvais, 115-117,120,121,

123, 325. Levisle de Briandas (frères), 8, 501

561. Lindet, 69, 78, 80. Lintz, 31.

Loir, 203, 302, 500. Lolh, 491.

Maccabeo, 52, 53, 134.

Madinier, 18, 23, 26, 28, 35, 36, 40,

46, 48, 50, 52, 53, 74, 97, 115, 139,

160, 301,310,395.452, 568. Madinier (cadet), 574. Madinier (autre), 564. Madinier (M"*), 564. Maignet, 132, 305, 457, 508, 510, 513,

514, 526, 533. .Marat, 65, 71, 80, 81. Marduel, 164; Marduel (autre), 575. Maret, 77, 144. Marel de Saint-Pierre, 225. .Marignac, 229, 233. Maniiolas {de), 69. Massol, 229. Martin, 557. Martin (M"-)i 492. Martiniôre, 48. Massol, 229. Mathon, 557. Maubou {Pierre Chappuis de), 126,

374, 423, 424, 542, 556, 574. Maubou {Jean Chappuis de), 126,

327, 343, 377, 384. 424, 436, 444,

48«, 542, 556, 575. Maubou (iV"* Jean Chappuis de), 331,

562. Mathon de Lacour, 21. Mauvert, 492. Mayer, 221. Meaux de Merlieu {de), 319, 321, 323,

329, 437, 454. Meaux (le président de), 560. MeUlonas [de), 9, 501. Melchior-lJurajid, 474. Melon {de), dit le général Arnaud,

448, 449, 474, 475, 505, 506, 511,

512, 516, 517, 519, 522, 523, 525,

573. Meij des Challes, 132. Meynadier, 466. Milanais, 193, 263, 282, 305, 410, 557,

574. Milanais (M-), 292. Millet, 87, 134- Mocey, 226, 279, 557, 574.

582

INDEX

Molie, 126, 372, 378.

Momif/ni/ (tie), 568.

Monnet, 434.

Monréalf 58.

Monlcoloîij voir Vudel de Mé^nlcolon.

Monli'ii, 573.

Monlei'de, 575.

Moréi'éaly 197.

Mon/ f on, 130.

Morin, 135.

Moulin (abbé), 303, 500.

Mou/in, 18, 142, 145.

Mouton de Fonfeniile, 28D, 288, 290,

576. MuQuet dex Vnranf/es, 372.

Sftpoli, 21.

.Verni (de), 116, 119, 121, 124, 127, un. 3i5, 35i, 393, 395. 416, 489, 500, 501, 519, 521,:i70, 573.

Nesmcs, 87, 134, 175.

Seyrac, 197.

Se;/ l'on y 372.

Nicolas, 334, 3S0, 383 à 386.

Nicolai/ [de], 333, 426 à 433.

Nioche. 4, 13, 15, 24, 2o. 26, 28, 32 à

34, w, i6, :;o, :;h, 67. Noël, :\v.).

Petit-Guillaume, 209, 228, 464. 470,

471. Pivhard, .575. Pienot, 263, 264. Plasson de la Comùe^ 425. Pointe (N(»ël). 97, 115, 124. Ponran, 262, 492. Poucet (oncle et neveu), 468. Ponclns {i7iar(juin de), 425, 426, 429. !*oncins (comte de), 568. Posuel, 559, 575. Potenaij de Sainle-Croix, 372. Pouj^et, 466, 468. Praire-Roy et. 114, 117, 122, 123, 331,

333, 373, 375, 376, 437, 454. Praire de Neyzieu, 372, 37a, 375, 444

à 557, 575. Précy [Perrin de), passim. Prévôt, 573. Pure [de), :)61. Puy, 125, 318, 323, 334, 335, 341, 342,

369 à 372. Puy de Muzieu, 436, 501, 502, 561,

575.

HaUlard, 289. 576. liam/miu/, i:i3, ls4. 215. lUinieau (.M"-i, 520.

So/hat\ 205, 214, 2^4. 353. 355. 'f.iO, i Huler, 26:i. 264.

494. Sonufiit*, 561 .

Olirier, 283. Ovisle, 13 4. '

PaiII;inl, 51.

Pal/unf du liesset, 37.

l*ariat ai Ht', 425.

Pariât dt* ('ire/is, 425.

Paris, 229, 23li à 244. 250. 20s, 271.

275. Passera t de la riuiprllr, 255, 5(ii, 57.S. Patras. 575.

Pedrol de ^^dint-Vallier^ 575. Pelin. 507. 570. l'ellssar (de). 425. 424. 4:{0. 444.

Jiavarin, 331.

Havina, .'•74.

Ravez, 4S«J.

Hayinond, 152.

Reynier^ 144.

Restier, 541. 550, 552, 574.

Reu.r. lîM), rJl, l'j:j, 212, 305, 574.

llcViMclioii, 189, 5S8, 510.

Rrn'runy, 132, 217, 234, 392, 418 a

420, 522, 525. 560. 575. Rry, 278, 570. R/iilsen, 4112. Hiani de Beauvcrnois. 3, IS, 27, 40,

:i9, 13 4. 174, 175. Richard^ 51, 187, 241, 574. Richard (autre), 347. Richard (autre , S9. Rich('\ 484.

INDEX

583

Rivaz, 208, 249, 266, 3U8, 368, i05 à 407, 418, iil, 442, 4:>2, 47i), 4SI, 483, 508, 531.

Hivière, 575.

Robespierre, 3, 65. 72.

Hoch, 135.

Roc/tP, 125, 3i2.

Hochefovl'Heauvoir (</e), 492.

Hostdf/neitJ'^ 573.

liostning (r/p), 475, 501, "»7i.

Rosiahif/ (M"" (le).

Houre (tin), 5ii, 545, 546, 513.

Rowmon, 314, 442, 46!, 469.

Houssin, 465.

«ow.r, 125, 336, 337, 340, 341.

Rou.r (le la lUar/ne, 326.

Rof/er, 94.

Rozel, 222, 226, 575.

Roziei\ 18, 4S.

Russaiid, 568.

Sahlnnet [Curl tisse de), 9, 38, 39. ^(tint -Didier (de), 'i75. Saint-Julien (de), 102. Saint-Uémi, 204, 228, 229, 231, 265,

279, 307. Salvat, 28!.

Sandos, 265, 417, 529, 533.

Salhonat/ (de), 575.

Sauré.'is, 177.

Sauta vra, 130.

Saiitemoiirlic, 30, 86, 87.

Savarin, 287.

Savarin fils, 573.

Savaron de Chainousset (de), 8, 140,

280, 404, 407. 501, 502, 557, 575. Savary, 59.

Sc//m/(//,17l. 300, 513, 541, 550,554,

574. Sériziat, 99. Seriziot (M"-), 362. Serrant, 116, 117, 118, 123 à 127,

227, 323, 325, 327 à 340. Servier (abbr), 557. Sijfaud. 134. Son/el/9, 154. SoM//i>/-, 491,557, .574.

S/m/Hnet 575.

Slaron de Largentiè.re, 561.

Stender, 454.

Suhrin, 71,76.

Suhrin (M'»-)» 355.

Suchet, 491.

Tamen, 48, 450.

Tauriac [de), 565.

Teil (jrénéral du), 194, 570.

Teil (Claude du), 194, 475, 569, 570,

574. Tesson net (Terrasse de), 396 à 399,

502. Terriat (M""), 292. Tftitd/ière du Champ, 372. Thiriot, 71.' Thonioii > Jean), 87, 134. Thonion (autre), 47, 50 à 52. Thurot, 409. Ti/lon, 428, 429. Tissot, 48. Taurlnnhn de la Salle (de), 297,

260, 345, 408, 488, 494 j\ 49ii, 574. Trebajruet, 134. I Treyre (du), 291, 502, 575. Tridon de Rey (M- de), 561.

Truchet, 483. i Vachot, 415.

I Valette, 229, 335, 338 à 340, 344, 381, I 479, 481, 486, 489, 491, 498, 531,

533, 547. , Valiès, 132, 133, 154, 396, 575. Vaubois, 208, 228, 233, 249, 266, 275, 276, 278, 296, 297. .347; 349, 441, 452. 459, 481. 494 a 496, 508, 51X. Vauyirard de), 127. 557, 573. i Vanyirard M"- ile>, 127, 557. 573. Vaurenard (le), 561. Varax (de), 'M\o. Vernas (de), 5iil.

Vir/ty niari/ais dr.. 287, 301, 367, 395, 406, 407, 4s.s. 489, 492, 501, ' itil. .••)0, <J->D, .)!:).

Vichy {comte dtf), 488, 501. I Villeneuve (de), 554, 574.

5H4

INDEX

Vinceni de Saint-Bonnet^ 569.

Vincent de Soleymieux^ 372, 569.

Vincent de Vaugelas, 372, 569.

Virieu (de), 10, 106, 107, 157, 193, 294, 293, 300, 393 à 401, 440, 647, 521, 338 à 540, 542, 54i, 315, 373.

Virieu (Af- de), 565.

Vissaguet {de), 428.

Vissaguet (.«"• de), 428, 433, 434. Volet, 567.

Walter, 466. Wilhem (M-), 403.

Yvolet (M°»- d'), 335, 356. Yvours {Ten-asse d*), 358, 574.

:t

I

i

t

>

I

'I

TABLE DES MATIÈRES

t^ CHAPITRES l'ag«8.

^ I. Veille d'émeute i

* II. Le guet-apens. Derniers pourparlers 15

m. Bataille de rues 35

j IV. Âpréi la victoire. Période de calme et dlllusioni 54

i V. Accusations, temporisations, provocations 70

VI. Lyon cherche des alliés 89

VII. Le nouveau général des Lyonnais 105

VIII. L'occupation du Forez 114

IX. L'arrivée de Précy à Lyon. Formation de l'armée dépar- tementale. — Procès de Ghalier 129

X. L'initiative du nouveau général. Les fortifications du

colonel de Chônelette 153

XI. Intrigues et désunion au sujet de la Constitution. Une

nouvelle commission 174

XII. Ultimatum et coups de fusil 190

XI II. Engagements d'avant-postes. Triste fête. Le conseil de guerre de la Pape 207

XIV. La mission du commissaire des guerres Paris. Keller- mann dénoncé 234

XV. Petits combats, grands préparatifs. Communications

inattendues 252

XVI. Les bombardements des 22 et 24 août 278

XVI 1. Quelques sages mesures. Beaucoup de paroles 299

XVI II. Ce que devenaient les Lyonnais dans le Forez 318

XIX. La vie & Lyon sous les bombes 345

38

»ll

586 TABLE DKS MATiÈnKS

CHAPITRES. Pa^M.

XX. Le combat dans les rues de Saint-Etienne. La retraite

sur Montbrison. La surprise de Saint-Anthème 369

XXI. Les prisonniers en péril à Lyon. Le conseil de guerre des généraux lyonnais et des envoyés de l'armée de Condé 3SR

XXfL Le projet du colonel Carra de Vaux. Une influence

féminine. Les combats de la Tour Salvagny et de Grézieu 402

XXIU. Dures étapes en Forez. La victoire de Salvizinet. La

surprise et le massacre de Ghazeiles 421

XXIV. L'n combat démonstratif bien mené. La colonne du

Forez fait sa rentrée dans Lyon. Le cercle fermé 440

XXV. Les sommations de Chàteauneuf-Uandon. Les com- bats de Cuire, de la Duchère et d'OuUins 456

XXVi. Un médecin général en chef de l'armée de la Convention.

Les trois combats du 29 septembre : Sainte-Foy, la chaussée de Perrache, les IJrotteaux 477

XXVU. Découragements et désordre. La tactique de Couthon.

La dernière sonimulion 498

XXVIll. Reprise du bombardement. Abandon des redoutes.

L'entrée des représentants 519

XXIX. La sortie désespérée il35

XXX. Beaucoup de victimes et (|uel«|«ies évasions 554

Li.<:te de l'état-major de la défense de Lyon la fin <lu sièp(^)

Index des noms de personnes cités dans le texte de l\»uvra«re.

Uéu

TOUJIS IMPIUMEIJIE DKSLIS FfiÈRES

*'S RUE GAMBETTA, 0

3 «015 02612 2M4

I