^ X05\ EXCURSION DES ÉLÈVES DE GRIGNON DANS LE DOUBS, LA SUISSE, L'AIN ET LE RHONE EN 1896. L'excursion annuelle des élèves de Grignon pendant les vacances de Pâques a eu lieu celte année dans le Doubs, la Suisse, l'Ain et le Rhône, du lei' au 12 avril. Vingt-qualre élèves y prenaient part sous la direction de M. Sanson, professeurdezootechnieet de MM. Claudel et Danguy, répétiteurs des cours d'agriculture et de génie rural. Partis de Paris, par la gare de Lyon, le 1er avril à 2 h. 15 de l'après-midi nous arrivions le soir à Besançon à 9 h. 3o, et le len- demain nous commencions nos visites sous l'aimable direction de M. Larmet, adjoint au maire, qui a bien voulu nous servir de guide. A huit heures du matin nous nous acheminions vers les vastes bâtiments de la Société anonyme d'horlogerie, la seule manufacture française qui ait pu affronter la comparaison avec les produits étran- gers à l'exposition de Chicago, ville où elle possède un comptoir de vente, ainsi du reste qu'à Paris et à Bruxelles. Au rez-de-cliaussée, les bureaux, les magasins de montres et de fournitures et la salle des machines oii fonctionne un générateur de 7o chevaux, actionnant deux machines à vapeur dont l'une commande les machines-outils, tandis que l'autre, par l'intermédiaire d'une dynamo, pourvoit à l'éclairage; le chauffage est assuré par une circulation de vapeur dans les différents services. Au-dessus de ce rez-de-chaussée s'élèvent deux autres étages où fonctionnent, entre les mains d'environ 400 ou- vriers, plus de 200 machines-outils dont l'ingéniosité et la perfection sont surprenantes. Accompagnés par un contre-maître nous avons pu suivre peu à peu tout le montage d'une montre depuis la fabrica- tion à l'emporte-pièce de ses parties constituantes jusqu'au rafraî- chissement que l'on donne avec des cylindres garnis de feutre aux montres terminées qui sont ensuite livrées au commerce. De là nous allions dans une autre usine assister à la fabrication des boîtiers; l'or successivement martelé au marteau-pilon, laminé, puis fondu, est transformé en boîtiers de toutes dimensions. Dans une chambre spéciale les poussières des ateliers sont triturées et traitées par le mercure de manière à recueillir toutes les parcelles d'or qu'une semblable fabrication entraîne. Ces intéressantes visites une fois terminées, la caravane se répao- — 2 — dait dans la ville pour admirer les sites pittoresques du Doubs elles vieux remparts admirablement conservés. L'après-midi, un contre-temps nous empêchant d'aller visiter une exploitation agricole des environs, M. Larmet veut bien nous servir de guide et nous mène visiter successivement le musée, aussi remar- quable au point de vue archéologique qu'au point de vue artistique, le Palais Granvelle, édifié vers 1540 par le cardinal Granvelle, garde des sceaux de Charles-Quint, oîi se trouve une collection léguée à la ville par le peintre Jean Gigoux ; la cathédrale Saint-Jean, remar- quable par ses tableaux et enfin la Porte Noire, arc de triomphe de l'antique Vesontio, élevé à la gloire de Marc-Aurèle; puis, à côté, •quelques débris d'un théâtre romain. Ces intéressantes visites terminées, quelques-uns d'entre nous se faisaient conduire en voiture au pied du fort de Chaudanne, d'où l'on domine toute la ville, et de là gagnaient un des plus jolis environs de Besançon, la cascade du Bout-du-Monde, à Beure. Un ruisseau tom- bant d'une trentaine de mètres au milieu de rochers et de plantes grimpantes forme une cascade d'un effet très pittoresque. Ramenés jusqu'aux portes de la ville, nous y rentrions par un canal formant un tunnel de 800 mètres environ, taillé dans la roche et perçant le flanc de la montagne, de manière à réunir les deux branches d'une des nombreuses boucles du Doubs. Le 3 avril nous partons de Besançon à 5 h. 12 du matin pour Ma- miroUe, où nous allons visiter l'École nationale d'industrie laitière. Le chemin de fer s'élève peu à peu pour gagner le plateau de Saône situé à 387 mètres d'altitude, appartenant au jurassique moyen, et oij se trouvent plusieurs marais complètement gelés. A mesure que nous nous élevons nous voyons la neige augmenter et nous arrivons à MamiroUe (510 mètres) par un vrai temps d'hiver. Nous sommes reçus à la gare par M. Martin, directeur de l'École, et M. Dornic, professeur de physique et de chimie, qui nous attendaient. L'établissement situé à quelques minutes de la gare, a pour but non seulement de former des ouvriers habiles pour les frui- tières et les laiteries et des chefs d'industrie, mais aussi de servir en quelque sorte de station expérimentale pour la région, c'est-à-dire de fournir aux intéressés des renseignements tels que plans, aménage- ment de chalets et de laiteries, conseils en cas d'accidents de fabri- cation, etc. La création d'un laboratoire permet à l'École de contrôler scientifiquement les méthodes de travail et le fonctionnement des appareils de fabrication. En outre des bâtiments d'exploitation (salles de préparation des fromages, cuves, machinerie, etc.) et des logements des élèves, l'École comprend une vacherie, une porcherie, un jardin botanique. — 3 — une station météorologique, etc., etc. Les élèves, au nombre rie 14 lors de notre visite, doivent être âgés de plus de quatorze ans et de moins de trente ans; ils reçoivent un enseignement à la fois théo- rique et pratique, comprenant d'une part des cours sur l'industrie laitière, la zootechnie, la comptabilité, les éléments de la physique, de la chimie, de la mécanique, de la microbiologie et de la botanique, ainsi qu'un cours d'enseignement primaire complémentaire. Ils sont exercés d'autre part aux travaux pratiques sous la conduite d'ou- vriers habiles dirigeant le travail. Chaque élève passe à son tour à tous les services, suivant un roulement organisé, de manière à suivre toutes les phases de la fabrication : il étudie ainsi successivement l'écrémage naturel et l'écrémage par les centrifuges, la préparation du beurre, la fabrication du gruyère, de l'emmenthal et suivant les saisons celles du pont-l'évêque, du brie, du camembert, du hollande et même du port-salut qu'on est arrivé à fabriquer depuis peu; l'em- ballage des produits, la préparation du lait stérilisé, du kéfyr, la conduite des machines, notamment de la machine à vapeur, le service de la vacherie et de la porcherie, l'étude des falsifications du lait au moyen du microscope et de divers autres appareils. Notre première visite a été pour le rez-de-chaussée où se trouvent la chambre de réception du lait, la chambre à crème, la salle des malaxeurs, la salle des barattes et centrifuges, la cuisine ou salle de fabrication pour les gruyères et les fromages à pâte dure, l'atelier pour la préparation des fromages à pâte molle, plusieurs caves et séchoirs et enfui un local séparé pour le générateur de la machine à vapeur qui se trouve dans une petite salle attenant aux ateliers mêmes. L'École reçoit journellement 1,500 litres de lait fournis par iMami- rolle et les environs et qui servent suivant les saisons à la fabrica- tion des différents fromages. Ce lait est fourni par une société coopérative dite fruitière, qui prête son lait à l'État en prenant à sa charge tous les frais de fabri- cation, sauf ceux du personnel. Cette société est dirigée par un Con- seil nommé par ses membres, au nombre de 400 environ. Quand nous sommes arrivés, la fabrication d'un fromage de Gruyère était commencée. Le lait apporté par les sociétaires, après avoir été filtré et pesé avec le pèse-lait ordinaire, est mis tel quel dans une chaudière de capacité variable (300 à 1,000 litres) et mé- langé avec de la traite de la veille qui a été écrémée pour le gruyère et non écrémée pour l'emmcnlhal. Ce lait est chauffé à 30 ou 33 de- grés environ dans les chaudières qui alî'ectent différentes dispositions, représentées toutes d'ailleurs à l'École. Dans la plus ancienne, la chaudière en cuivre rouge est suspendue à une potence mobile autour d'un axe vertical de manière à pouvoir l'amener ou la sous* traire à l'action du feu lorsque la température s'élève trop. Dans un deuxième type la chaudière est fixe et c'est le foyer qui est mobile; il est monté sur un petit wagon et peut être amené sous la chau- dière en tournant une manivelle. Enfin, le troisième type est à chauf- fage par circulation de vapeur dans une double enveloppe. La chau- dière est fixe et le réglage du chauffage s'obtient très facilement, puisi^u'il suffit d'agir sur le robinet d'arrivée de la vapeur. Celte dis- position, évidemment meilleure au point de vue de la régularité du chauffage et de la commodité de la conduite de la cuisson, a Tincon- vénient d'exiger un générateur pour la production de la vapeur. C'était dans celte dernière chaudière que nous avons vu fabriquer un fromage. Quand le lait est à la température voulue (30-35 degrés), ce dont on s'assure au moyen d'un thermomètre, on le fait cailler en y ajou- tant la quantité de présure voulue et la masse une fois prise est divisée en fragments réguliers à l'aide d'un coupe-caillé; la chau- dière est ensuite remise sur le feu et chauffée à 50 ou 60 degrés sui- vant la saison, la présure et le fromage à fabriquer. Le fruitier placé auprès de la chaudière agite toute la masse d'un mouvement régulier, afin de diviser les grumeaux de caillé. Quand la pâte a pris une con- sistance élastique et une couleur jaunâtre, un ouvrier s'attache au- tour du cou une toile rectangulaire dont il a enroulé l'autre bord autour d'une lame d'acier, et, se plaçant sur le bord de la chaudière, il y plonge sa lame d'acier en ayant soin qu'elle en suive bien exac- tement le contour et la ramène vers lui; tout le caillé se trouve em- prisonné dans la toile, dont l'ouvrier rassemble alors les quatre coins, les ficelle et enlève le tout au moyen d'une potence mobile; après avoir laissé égoutter quelques instants, il fait tourner la potence et amène la pâte aux presses. Ces presses doivent avoir une action variable, mais constante pendant une même opération, aussi elles consistent en un plateau réuni de manière différente suivant les types à un levier horizontal sur lequel on peut déplacer un contre-poids; l'énergie du pressage dépendra donc de la position du contre-poids. Dans un système plus perfectionné, les contre-poids, au nombre de deux, sont situés en dessous de la table et agissent sur le plateau par l'intermédiaire de deux tringles verticales réunies à deux leviers coudés par deux petites bielles. Dans tous les cas la pression est faite entre le plateau et une solide table sur laquelle s'écoule le petit- lait; de plus une vis permet de compenser l'abaissement du contre- poids à mesure du tassement du fromage. La presse est desserrée trois ou quatre fois pour changer le linge qui entoure le fromage; chaque fois il est ensuite remis en pression, pression qu'on augmente progressivement. Cette première pression — 5 — t'^rminée, on en fait une deuxième sans linge pour rendre le fromage bien lisse, et on procède au salage. Enfin, il est placé dans les caves où règne une demi-obscurité et dans lesquelles l'humidité et la tem- pérature, obtenue par des calorifères, sont constantes. Les fromages sont placés dans des caves où la température est d'autant plus basse que la maturité avance. La teneur en humidité de l'atmosphère est indiquée par un psychromètre qui donne l'évaporation. Dans la cui- sine, un tableau noir, disposé à cet effet, reçoit toutes les données relatives à la fabrication d'un fromage (genre de chaudière, propor- tion de lait, acidité et température, quantité de présure, durée de coagulation, etc.), ce qui permet de comparer les différents fromages en recherchant les causes qui peuvent avoir une influence sur la qua- lité. Les élèves recueillent ainsi des données pratiques très utiles. Dans la chambre au lait nous trouvons des écrémeuses Colibri et Burmeister, de nombreux types de barattes, de bouteilles et un appa- reil à stériliser le lait; la chambre de conservation est refroidie par un courant d'eau. Mais quels que soient les soins apportés à la fabri- cation du beurre, celui qui est produit dans toute cette région pré- sente un aspect tout différent de celui des beurres de Normandie et de Bretagne : il est plus pâle, beaucoup plus dur, et n'a pas la même saveur. Après le déjeuner du malin nous retournions à l'École où nous assistions à l'extracLion du caillé d'une chaudière, puis nous mont ions visiter les laboratoires, les collections, les salles d'études, etc., et nous regagnions la gare, enchantés de cette visite, 'pour prendre le train qui nous emportait rapidement vers la gare de l'Ilôpilal-du- Gros-Bois, où nous quittions la ligne de Morteau. Après un court arrêt, nous prenions un autre train qui nous emme- nait à Lods, gare terminus de ce petit embranchement, en remontant la charmante vallée de la Loue; sur les bords de la rivière de nom- breuses usines dont quelques-unes à MM. Japy et notamment des clouteries. A Lods des voiluies nous attendaient et nous arrivons une demi-heure après à Mouthier, distant de 6 kilomètres. L'après-midi, nous sommes allés visiter les sources de la Loue qui coule dans une vallée superbe, dont les flancs sont plantés de vignes et de cerisiers. Le vin du vignoble de cette vallée a une certaine répu- tation dans le pays et se vend de 0 fr. 60 à 0 fr. 70 le litre sous le pressoir dans les bonnes années; rarement il descend à moins de U l'r. 50; quant au kirsch de l'année, il vaut 5 à 6 francs le litre. Çà et là nous rencontrons des vignerons se rendant à leur vigne et portant sur le dos des hottes plates d'une forme spéciale. Après une heure de marche environ et de nombreux détours dans les sentiers de plus en plus couverts de neige, nous arrivons à la source môme, — 6 — formée par une large cascade jaillissant avec un fracas assourdissant d'une caverne de 30 mètres de haut, débouchant derrière un vieux moulin en ruines, au milieu de rochers moussus couverts de fougères. Cette source présente les mêmes caractères que toutes celles des ter- rains jurassiques : c'est une véritable rivière souterraine sortant de terre avec son débit normal. Après cette excursion nous rentrons dînera Besançon vers neuf heures. Le lendemain (samedi 4 avril), nous quittions définitivement la ville à cinq heures du matin et nous dirigions sur Montbéliard en passant par Baume-les-Damcs et en suivant constamment la belle vallée du Doubs. Nous apercevons à Montbéliard le château des comtes de Wurtembert-Montbéliard (quinzième et dix-septième siècles), mais nous continuons directement jusqu'à Audincourt, d'où nous gagnons la ferme des Buis, à M. Armand Peugeot, qui nous attendait et nous a fait les honneurs de sa jolie exploitation. Cette ferme bâtie depuis peu se dresse sur un coteau couvert de buis, d'où son nom, qui domine le Doubs et Valentigney. Elle représente le type des fermes comtoises. L'exploitation a 35 hectares et les bâtiments, parfaitement aménagés, ont été entièrement construits d'après les idées et les plans de M. Peugeot. Ils comprennent, outre la maison d'habitation, deux constructions distinctes : dans l'une la préparation des aliments où une machine à vapeur verticale actionne une pompe, un hache- paille, un coupe-racines, un brise-tourteaux, etc. Le grenier à paille, au lieu d'être au-dessus de l'étable comme c'est l'usage dans les fermes comtoises, est situé à côté et sur le même plan. On arrive à la partie la plus élevée de la grange au moyen d'un plan incliné, ce qui permet un déchargement facile des voitures de paille. Un silo con- struit d'une façon toute spéciale permet de conserver le maïs sans aucun dégagement d'odeur désagréable ; le fourrage au contraire avait un parfum aromatique très agréable, résultat auquel on arrive rarement. Dans l'autre bâtiment se trouvaient les étables. Les vaches occu- pent une double étable magnifique qui peut contenir SO bêtes. Tous les animaux sont superbes et appartiennent à la variété comtoise du Bos taurus jurassiens; le lait est vendu pour la fabrication du gruyère. Des hangars abritent le matériel de culture qui est complet et très perfectionné. L'assolement en vigueur est le suivant : 1° pommes de terre ou betteraves; 2° avoine; 3° trèfle; 4° blé; 5° maïs-fourrage; 6° blé, de la vesce velue étant entre le blé et le maïs fourrage. Outre le fumier produit par le bétail, M. Peugeot achète tous les ans des scories (500 lùlog. par hectare) et l'analyse du sol ayant démontré sa pau- vreté en calcaire, on a dû le chauler. La nécessité de cet amendement est assez curieuse à constater, car le sol provenant de la décomposi- tion de calcaires jurassiques manque cependant de chaux et ce sol qui contient au moins un millième d'acide phosphorique et parfois deux, en demande cependant, comme l'indiquent les effets produits par l'ap- port de cet élément. Celte visite terminée, M. Peugeot a eu l'amabi- lité de nous offrir un excellent déjeuner, dont Mme Peugeot faisait les honneurs. Après le repas, les uns dans la voiture automobile de M. Peugeot, les autres en break, quittaient la ferme pour aller visiter l'une des trois usines de MM. les fils de Peugeot frères, celle de Valentigney, siège social de la maison, située sur le Doubs. Elle fabrique surtout des aciers laminés, et tous les produits qui en dérivent, comme les ressorts, les lames tranchantes pour outils. 700 ouvriers sont occupés à cette fabrication et la force motrice (1,000 chevaux environ) est donnée par plusieurs machines et turbines. Les deux autres usines, que le peu de temps dont nous disposions nous a empêchés de visiter, sont celles de Beaulieu, sur le Doubs, à peu de distance de Valen- tigney, où sont fabriqués, entre autres produits, les vélocipèdes et les voitures automobiles et enfin celle de Terre-Blanche, à quelques kilomètres delà, dans la vallée d'Herimoncourt, qui fabrique surtout des outils et des machines très divers. Cette visite trop rapide terminée, nous gagnions la ferme de Ba- devel, appartenant à M. Japy, président de la Société d'agriculture de Belfort, qui nous attendait ainsi que M. BouUand, vétérinaire, président du Herd-book de la race de Montbéliard, qui a d'ailleurs déterminé les caractères de la variété ainsi désignée dans le pays. Nous avons admiré la grange et surtout le soin avec lequel le four- rage y était rangé et comprimé, afin de lui faire mieux conserver son arôme, ainsi que l'étable dans laquelle se trouvaient des animaux superbes dont M. BouUand nous a fait ressortir les avantages en déplorant l'importance que les cultivateurs du pays donnent à l'en- graissement, au détriment de l'aptitude laitière, pourtant si néces- saire, comme le prouve l'exemple des Suisses qui ont tellement accru la faculté d'engraissement que leurs vaches n'étant plus assez lai- tières, ils seraient obligés, d'après M. BouUand, de venir chercher des reproducteurs dans le Doubs et le Jura. Il faut donc conserver cette aptitude qui fait la supériorité de notre bétail français. Nous repartions ensuite pour Beaucourt, où sont situées les usines de MM. Japy frères. Pendant plusieurs heures, nous avons marché constamment d'usine en usine et d'atelier en atelier; visitant d'abord la fabrication des instruments agricoles, tels que semoirs, herses, pompes, concasseurs, hache-paille, moteurs à pélrole, etc.; puis des fonderies, d'immenses ateliers d'horlogerie où nous avons de nouveau admiré la perfection des machines employées. Enfin, nous terminons la visite de cette véritable collection d'usines par un coup d'oeil jeté à la l'ejidulerie, formée do i)kisieur.s salles complèlement garnies de tablettes sur lesquelles étaient posées des milliers de pendules, réveille-matin, etc., de formes et de modèles divers dont le bruit était troublé de temps à autre par la sonnerie d'une pendule ou d'un réveil. Des ouvriers spéciaux s'occupent du remontage et du réglage des mouvements avant la livraison au commerce. Le soir, MM. Japy nous ofïraient un excellent dîner, et après un joyeux échange de toasts, nous repartions pour Monlbéliard, enchantés de cette journée où nous avions trouvé partout un si aimable accueil. Le lendemain matin de bonne heure, nous nousd irigions de nouveau vers Besançon et l'Môpilal-du-Gros-Bois, et de là nous gagnions la ferme de M. Jules Cusenier, à Charbonnières, qui est du type de la ferme de « moyenne montagne », c'est-à-dire de la région qui s'étend entre 400 et 700 mètres d'altitude. Le domaine comprend 120 hectares dont un tiers seulement sont en prés, bois ou pÊtturages. Les bâtiments, de construction récente, sont considérés comme superbes par les cultivateurs de la région. Les étables n'ont guère que 2'"50 à 2^73 de hauteur au plus et chaque animal a 1 mètre de largeur de crèche ; un râtelier placé au-dessus peut recevoir le fourrage directement du grenier par des ouvertures spéciales. Cette disposition a l'avantage d'éviter le refroidissement en hiver, mais elle a aussi un inconvénient : les émanations de l'élable se dégagent dans le fenil où elles peuvent occasionner des pertes. M. Cusenier possède actuellement 63 vaches; ce nombre doit d'ailleurs être augmenté plus tard, en même temps que seront fondées une fromagerie et une beurrerie. Il est d'ailleurs aidé dans ses amé- liorations par un chef de culture aussi intelligent que dévoué, M. Bolard. M. Cusenier, à son tour, nous a réunis à un somptueux déjeuner après lequel il nous a fait goûter ses délicieuses liqueurs, et en sor- tant de table nous sommes allés voir une ferme, appartenant à M. Va- lentin Cusenier, exploitée suivant la méthode dite de sidéralion. Nous avons alors pris congé de MM. Cusenier, enchantés de leur si aimable réception. Après avoir passé la nuit à Pontarlier, puis visité la ville et ses usines distillatoires, le lendemain vers onze heures, nous quittions dé- finitivement la Franche-Comté et nous entrions en Suisse, àVallorbe, par la ligne du Jura-Simplon, nous dirigeant vers Lausanne. Le voyage est rendu très agréable par suite de la disposition des wagons de cette Compagnie, qui permet de circuler dans les diffé- — 9 — rents compartiments et par suite de mieux apprécier la beauté du paysage. Après avoir côtoyé quelque temps le lac de Genève, nous arrivions à Lausanne où nous attendait M. Bieler, directeur de l'Institut agricole de cette ville. Repartis à 5 h. 50 nous débarquons à Romont où nous devons dîner. En attendant Theure du repas nous nous dirigeons vers la ville, pittoresquement groupée autour d'un château qui se dresse fièrement sur une colline, château bâti, paraît-il, au dixième siècle par les rois des Burgondes. Tout autour de la ville règne encore un cordon de remparts garni de ses tours et de son chemin de ronde : l'aspect est absolument féodal et nous ressentons une bizarre impression en voyant des postes de téléphone dans ces vieilles rues noircies par le temps. Nous repartons à 10 h. 05 pour arriver à 10 h. 58 à Bulle où nous attendent M. Barras, directeur de l'agence agricole de Bulle et secrétaire général de l'Association fédé- rale des syndicats d'élevage de la Gruyère, et M. Jules Guérin, pré- sident du Syndicat des blancs et noirs, qui voudront bien nous servir de guides demain et qui nous conduisent de suite à nos hôtels. Le lendemain de bonne heure, nous accompagnons nos guides à travers les rues de la jolie ville de Bulle, qui occupe le centre des Alpes fribourgeoises et au-dessus de laquelle se dresse la cime nei- geuse du Moléson. Tout autour de la ville, dans la plaine et sur la montagne, s'étendent des pâturages remarquables; en efîet, tous les habitants s'occupent principalement de la fabrication du fromage. Nous visitons d'abord la vacherie de M. Guérin. Nous parcourons successivement un qrand nombre d'étables toutes tenues avec un soin et une propreté remarquables. Tous les chalets présentent à peu près le même type : au rez-de-chaussée se trouvent d'un côté l'écurie et de l'autre l'habitation; à l'étage supérieur se trouve également le grenier auquel on accède^'par un plan incliné (pont de grange) abou- tissant à une large porte cochère. La hauteur des étables ne dépasse pas 1"'80 et l'obscurité y est presque complète. Les animaux sont placés sur des planchers in- clinés aboutissant à une rigole ou un couloir de O^SO à 1 mètre de large, couvert en planches dont les interstices laissent passer le lisier. La litière est peu abondante par suite de la rareté de la paille et on emploie plus généralement le foin des marais et surtout la sciure de bois. Le purin s'écoule dans une fosse située directement en dessous de l'étableet sert à arroser le fumier qui est l'objet de soins minutieux et multiples; en été, il est recouvert de terre afin d'en em[)êcher la dessiccation. Les animaux sont placés sur deux rangs des deux côtés de l'élable, laissant entre leurs crouj)es un passage variant de 1 mètre à l'"r>0 — io- de largeur; ils sont séparés à la tête seulement et le fourrage leur est généralement donné par un guichet. Dans les anciens chalets la nourriture était placée si haut que les animaux étaient obligés de manger la tête constamment levée; de cette position résultait une déformation de la colonne vertébrale qui avait pour efiet de relever l'attache de la queue, que tous les animaux avaient et ont souvent encore extrêmement proéminente, déformation que Ton s'attache à faire disparaître de plus en plus. Les animaux que nous avons observés appartenaient à deux va- riétés : la variété simmenthal et la variété fribourgeoise; la première pie-rouge et la seconde pienoire. La deuxième semble céder le pas à la première, qui est plus demandée par le commerce extérieur ; cependant le bétail blanc et noir supporte, dit-on, mieux le climat rude des alpages et semble plus rustique. Tous ces animaux ont une aptitude très prononcée à l'engraissement, mais leurs facultés laitières sont assez peu développées ; leur lait est employé à la fabrication du fromage de Gruyère. Les troupeaux sont soumis au régime de l'alpage, c'est-à-dire que vers la belle saison ils montent sur la montagne pour ne redescendre qu'à l'automne dans leurs écuries dont l'exiguïté a pour but de les protéger contre la température rigoureuse du climat. Les fermes, tout en bois, sont généralement d'un aspect très coquet, grâce à leur balcon tout enguirlandé de plantes grimpantes. Les tra- vaux sont exécutés par des bœufs ou des vaches attelés au collier. On attache une importance toute spéciale aux chiens de garde, qui sont d'une très forte taille et parfois employés pour le transport du lait; à la ferme, ils sont attachés par une longue chaîne d'acier munie d'un anneau pouvant glisser sur un câble horizontal tendu d'une extré- mité à l'autre de la cour. L'outillage, très modeste, ne comprend que des chars à foin, une charrue, des herses et un hache-paille. L'altitude variant de 700 à 1,000 mètres, dans le district de Gruyère, les fermes ne sont pas tenues dans un assolement régulier de céréales, cultures sarclées, prairies artificielles, etc. On concentre toute son attention sur la tenue des prairies naturelles et des alpages. Ce sol est si fertile qu'il est inutile de semer des graminées après le blé, le terrain s'enherbe tout seul ; l'entretien des prairies naturelles est fait avec soin, il y a presque partout des drainages, le fumier est répandu suivant une certaine rotation. On emploie les engrais chimiques, et les scories Thomas semblent faire très bon effet par l'influence de la chaux et de l'acide phospho- rique qu'elles contiennent, décomposant les matières organiques et favorisant la nitrification de l'azote inerte. — 11 — L'esprit d'association est très développé dans le canton et les ha- bitants ont organisé de leur propre initiative un certain nombre d'institutions très remarquables. Tout d'abord, depuis 1890, se sont constitués dans certains villages, des Syndicats d'élevage formés par des agriculteurs et ayant pour but de favoriser en commun l'élevage du bétail. Pour arriver à ce résultat, les sociétaires s'en- gagent à garder dans leurs écuries une pièce de bétail reconnue apte à améliorer la variété ; cet animal devra être conservé au moins pendant une année pour le service exclusif de l'élevage indigène. Le propriétaire s'engage également à ne laisser saillir les animaux que par les taureaux désignés pour le service de l'association. La société comprend les sociétaires, un comité directeur et une commission d'experts. Chaque sociétaire, dans la délibération, a droit à une voix ; pour un lot de quatre bêtes, il a droit à deux voix et pour chaque lot de cinq pièces inscrites en plus, il a droit à une voix supplémentaire. Le comité directeur comprend trois membres et la commission d'experts également, dont un nommé par l'État. Il a pour but de se prononcer sur l'admission des reproducteurs mâles et femelles qui sont inscrits dans un registre d'élevage. Avec ces animaux les syndicats forment des familles dans les- quelles le taureau et la vache doivent être de la même couleur. Il ne doit y avoir, ni moins de 40 vaches, ni plus de 80. Le taureau ne peut saillir que les animaux inscrits et ne peut faire que cinq saillies par jour. 11 est confié à un des sociétaires qui lient le registre des saillies. Les vaches et les génisses doivent être également admises par le syndicat. Elles ne peuvent être aliénées sans autorisation en dehors du syndicat, qu'une année après l'inscription et seulement quand il y a eu stérilité complète ou production d'un animal utile à l'amélioration. Les produits des vaches inscrites ne peuvent être aliénés sans autorisation ; les vaches ne peuvent être saillies que par les taureaux inscrits et jamais avant dix-huit mois. Les cultiva- teurs disent avoir remarqué que les saillies prématurées arrêtent la croissance, et ils obtiennent d'ailleurs par cette méthode de très beaux produits. Le sociétaire peut s'entendre avec d'autres pour louer ou affermer des montagnes en vue de l'alpage. Ces sociétés sont assez nombreuses dans le canton. Elles comprennent un mil- lier de têtes. Elles ont reçu à titre de frais d'établissement 300 francs par syndicat. Le droit d'entrée est de 1 à 3 francs par tête de bétail suivant le syndicat. Une somme de 10,000 francs leur est répartie proportionnellement au nombre de points obtenus par chaque pièce de bétail. Ces sociétés sont toutes réunies sous le titre do Fédération des syndicats d'élevage de la Gruyère. Cette fédération surveille les — 12 — syndicats, aide à leur développement, organise des conférences sur les sujets intéressants, nomme les experts, décide en ce qui concerne les rapi)orts, les concours et les expositions en Suisse ou à l'élranger. Tout membre de cette fédération fait par cela même partie de la Société gruyérienne d'économie agricole el des fromagers. Cette société poursuit pour Tagricullure générale et l'industrie laitière le but que les syndicats se proposent pour l'élevage. Le comité direc- teur organise des conférences, délègue des membres aux réunions de la société cantonale d'agriculture, aux expositions agricoles el à toutes les autres réunions qui peuvent intéresser la société. Il se charge des achats en commun de marchandises, telles que : engrais, semences, etc. Il peut organiser des expositions et inspections, ins- tituer des primes, distribuer des diplômes et favoriser la création de bibliothèques agricoles dans le district. Ces associations ont déjà rendu de nombreux services. Elles ont établi en 1888-89 un concours de bonne tenue d'alpages qui a permis de constater les défauts généraux qu'on y rencontre. Ces alpages ont en efifet un intérêt considérable au point de vue de l'élevage, car c'est le produit de la première coupe qui nourrira en partie les ani- maux pendant l'hiver; la construction des chalets est difficile et onéreuse, par suite de la difficulté des moyens de transport. Ce concours présente cette particularité que le classement s'est fait d'après un certain nombre de notes affectées de coefficients propor- tionnels à leur importance, et dont la moyenne donnait la valeur de l'eslivage. Viennent enfin les Sociétés libres d'assurance bovine, dont l'orga- nisation essentielle est analogue à celles que nous venons de passer en revue. Les animaux ne sont admis qu'à l'âge de 3 mois et s'ils ne sont pas reconnus malades. Tout sociétaire doit assurer tous les animaux âgés de plus de 3 mois qu'il possède du l^'' au 15 janvier. A dater de l'inscription, il est tenu de faire traiter ses animaux par un vétérinaire patenté et ne pas administrer de substances pouvant rendre la viande impropre à la consommation. Dés que l'animal est malade, il doit le soumettre à un membre du comité ou au vétéri- naire si besoin est, afin de le faire abattre s'il y a lieu. Il doit suivre exactement les ordres du comité ou du vétérinaire. Il doit adminis- trer, dans les cas ordinaires, les secours d'usage sans attendre le vé- térinaire, et même abattre l'animal en présence d'un ou plusieurs membres du comité. L'animal abattu appartient à la Société qui en tire le meilleur parti possible, avant de payer au propriétaire le mon- tant de son assurance. Pendant l'année 1890, il a été perdu dans le canton 239 pièces, et tout compte fait, les propriétaires n'ont eu à payer qu'environ o fr. 20 pour 1,000 francs de valeur assurée. Dans cette — 13 — société aucun sociétaire ne peut prendre part à aucune discussion qui intéresse lui ou un de ses parents jusqu'au 2« degré de consanguinité ou au le-- degré d'alliance inclusivement. Quand dans l'une quelconque de ces sociétés, une discussion sur- vient, on a recours à un tribunal d'arbitrage pris en dehors de la société, conformément à la loi. Nous avons admiré à Bulle, chez M. Barras, secrétaire de la So- ciété gruyérienne d'économie agricole, une collection d'instruments de laiterie extrêmement anciens, et nous avons remarqué d'énormes sonnailles à vaches datant du quatorzième ou quinzième siècle, sculptées et suspendues à de larges colliers de cuir ornés de broderies. Nous avons enfin été admirer chez son propriétaire le bœuf géant de Bulle, un animal superbe de la race fribourgeoise, mesurant l"i78au garrot et 2"68 de longueur. Son poids est de 1,800 kilog. Cet animal, qui a figuré quelque temps comme curiosité à Lyon, au parc de la Tête-d'Or, devait aller finir sa carrière à l'Exposition de Genève. Nous quittons Bulle vers deux heures, vraiment touchés de la complaisance et de l'amabilité de nos guides, pour arriver à quatre heures à Lausanne, où nous étions reçus par M. Bieler, sous la direction duquel nous avons visité pendant la soirée les principaux monuments de la ville, dont le plus célèbre est la cathédrale de Notre-Dame, l'un des plus beaux monuments gothiques de la Suisse, deux fois brûlée, et consacrée au culte prolestant. Le lendemain dans la matinée, nous partions pour Jouxtens, visiter une ferme à M. Auberjonois, dont les bâtiments sont extrêmement bien agencés. Ses bestiaux comptent d'ailleurs parmi les plus beaux de la Suisse romande. A la ferme est annexée une fromagerie. Le purin est reçu dans une citerne d'une disposition spéciale, permettant par une vanne d'irriguer directement les prairies. De là nous gagnons l'hospice d'aliénés de Céry, qui reçoit annuel- lement 600 à 700 malades, et auquel est adjoint une ferme qui doit fournir les produits nécessaires à l'établissement : nous en avons surtout admiré la vacherie superbe, tenue avec un luxe extraor- dinaire, toutes les stalles et le plafond sont en bois verni, les fers peints ou nickelés; le sol est planchéié; l'étable débouche dans une grande cour où une fontaine monumentale déverse l'eau nécessaire au bétail. De plus, comme il y a toujours de l'eau sous pression, tout est prévu en cas d'incendie, et des tuyaux nmnis de lances sont roulés contre les murs, tout prêts à servir. De retour à Lausanne, nous prenions de nouveau le chemin de fer pour arriver à Genève vers quatre heures. Toujours sous la direcliou de M. Bieler, nous allions immédiatement visiter les préparatifs de l'exposition nationale suisse ouverte le !«■• mai. Nous visitons le palais — 14 — de l'agriculture, encore inachevé, orné de fresques de M. Bieler, le fils de notre guide, dont les dessins sont bien connus en France. La partie la plus curieuse de l'exposition est le village suisse, alors en construction, avec sa porte monumentale encastrée dans un vieux rempart crénelé, ses rues bordées de vieilles maisons, ses chalets, son église, dont le vieux cadran porte cette inscription : Padl hora. Rien n'y manque : le cimetière, la fontaine, l'auberge, le jeu de quilles. Tout autour, une foule de chalets, tous différents, abritent des représentants des industries nationales : soies, broderies, sculp- tures, etc., une laiterie, une scierie mue par un véritable torrent tombant d'une montagne improvisée. — Dans l'herbe de la montagne doivent être disposés des troupeaux : chèvres, juments, poulains, porcs, vaches des différents types de pays (schwilz, simmenthal, fribourgeois). Après cette visite, nous quittions M. Bieler, pleins de reconnaissance pour l'amabilité avec laquelle il nous a guidés. Le lendemain, après une dernière promenade sur les bords du lac, nous quittons Genève à neuf heures, abandonnant la Suisse pour ren- trer en France par Bellegarde où nous arrivions à onze heures, et où nous attendaient M. Grandvoinnet et les directeur et sous-directeur de la Société des phosphates. Nous nous dirigions immédiatement sous leur conduite vers l'exploitation des phosphates de la Société fran- çaise du Rhône et de la Vàlserine. Nous commençons la visite par le parcours des galeries d'extraction qui percent la montagne. La galerie, d'abord très haute, va en diminuant de dimensions et, à partir d'un certain moment, nous sommes obligés de nous courber pour avancer ; nous arrivons enfin à des boyaux où l'air beaucoup plus chaud et raréfié rend la respiration plus difficile, et nous voyons - 15 — les ouvriers enfoncés dans des trous, arrachant à la pioche le sable phosplialé qu'on emmène dans des wagonnets. Ce sable est d'une couleur verte et d'une consistance gréseuse; il renferme en grande abondance des fossiles et des nodules amorphes: ce sont ces matières qui constituent le précieux engrais et qu'il s'agit de transformer en matière assimilable. A cet effet, les wagonnets sont immédiatement vidés dans un conduit en bois parcouru par un torrent qui coule de la montagne. Ce mélange, entraîné par l'eau, va tomber dans un premier cylindre en métal, percé de trous, où arrive un courant d'eau continu ; les nodules sortent tandis que les grains de sable sont entraînés ; ces nodules sont repris, desséchés dans des fours, et broyés en fine poudre. Ils sont alors ensachés et prêts pour la vente. Nous avons ensuite été admirer la fameuse perte du Rhône, où le fleuve disparaît dans les rochers, pour remonter un peu plus loin. Nous avons également visité l'usine de force Roland et C", montée avec trois turbines monstres, produisant une force de 1,800 clievaux. Nous avons parcouru une usine centrale d'électricité qui a le mono- pole de l'éclairage et qui vend à domicile la force pour de petites installations. Notre dernière visite à Bellegarde a été pour une pa- peterie végétale ; la plus forte partie de la pàîe est constituée par du bois de sapin broyé qui est additionné d'une certaine quantité de pâle de chiffon ; le tout amalgamé est employé à la confection d'un papier fabriqué suivant les procédés habituels. Le soir, nous repartons pour Bourg, que nous quittons le lendemain matinaprèsavoirvisitélafameuse église de Brou, édifiée sous la Renais- sance, et nous arrivons vers midi à Lyon. La journée est employée à — IG — la visite de la ville : le musée, les monuments divers et les superbes serres du Parc de la Tôte-d'Or nous ont vivement intéressés. Le lendemain matin, notre première visite a été pour l'École pra- tique d'Eculiy, dans les faubourgs de Lyon, où nous avons été reçus avec la plus grande amabilité par le regretté M. l'ulliat, directeur. L'enseignement, à la fois théorique et pratique, s'adresse aux jeunes gens qui se destinent à l'exploitation des propriétés agricoles, viti- coles ou horticoles, ainsi qu'à ceux qui se préparent aux écoles na- tionales d'agriculture. Nous avons visité successivement les jardins, vignobles, collections, etc., et M. Pulliataeu l'amabililé avant notre départ de nous offrir une collation durant laquelle nous avons pu déguster les excellents vins de TÉcole. Enfin, dans l'après-midi, nous avons visité l'École vétérinaire, où nous avons été reçus par M. le professeur Galtier, directeur intéri- maire en l'absence de M. le professeur Arloing, et par MM. Blanc et Guinard, chefs de travaux. L'École était comme nous en vacances et il n'y restait que les élèves de garde, qui ont bien voulu se mettre à notre disposition et nous donner une foule d'explications intéres- santes. Enfin, nous avons été visiter la superbe église de Fourvières, et le 12 avril nous repartions pour Paris, rapportant de notre excur- sion une foule de souvenirs diversement, mais également agréables et utiles. Le chef de notre excursion est, en effet, de ceux qui pensent que les voyages comme ceux que font chaque année les élèves de Grignon ne doivent pas seulement servir à leur instruction agricole, mais encore contribuer à la culture générale de leur esprit. Il nous reste à remercier tous les propriétaires, professeurs, direc- teurs d'établissements et en général tous ceux qui ont bien voulu nous accueillir, favoriser notre excursion et contribuer ainsi à notre instruction. Nous leur en exprimons ici toute notre reconnaissance. J. Danguy, E. Philippar, Ingénieur-agronome, Élève Répétiteur du cours de génie rural, à l'École nationale de Grignon Edmond l'HII.IPPAR LA GULTUHE DU LIN EN EUROPE ET EN AMERIQUE D'APRÈS UN RAPPORT DE SIR CHARLES RICHARD DODGE» PAR M. EDMOND PHILIPPAR Ancien élève de l'Ecole de Grignon. Sir Charles Richard Dodge avait été chargé, en 1889, d'une mission ayant pour but d^étudier la culture du lin en Europe, au double point de vue de la production textile et de la production grainière. Son rapport, imprimé à cette époque, était épuisé; mais des expériences faites en 1891 et plus récemment encore en 1895 sur la côte du Pacifique, ayant donné d'excellents résul- tats, on s'est rendu compte en Amérique de l'intérêt que cette culture pouvait présenter au point de vue national. Aussi, dans le 1. A Report on flax culture for seed and fiber in Europe and America, par Sir Charles Richard Dodge. Publié par le U. S. A. Department of Agriculture. (Was- hint;ton, 1898.) CULTURE DU Ll.N EN EUROPE ET EN AMÉRIQUE 5i9 but (le venir en aide aux cultivateurs, le département de l'ag^ri- culture des Etats-Unis a-t-il jugé opportun, étant donnée la situa- tion économique actuelle, de publier un résumé de ce rapport paru en 1889 en y joignant les documents récents de quelque intérêt pour l'agriculleur, La première partie du rapport est consacrée à l'étude de la culture du lin en Europe. Après avoir rappelé les caractères bota- niques et les variétés du lin, l'auteur étudie d'abord la culture belge. C'est la Belgique, dit-il, qui produit le plus beau lin d'Europe. C'est aux eaux de la « Lys dorée » que le lin de Courtrai doit sa belle couleur blonde. Le lin bleu du Brabant, au contraire, acquiert la sienne par le rouissage à l'eau stagnante. Trois fac- teurs interviennent dans la culture du lin. Ce sont : la prépa- ration du sol et la rotation des cultures; l'emploi des semences améliorées; le perfectionnement du traitement des tiges. Il étudie chacun de ces points et décrit les trois systèmes de rouissage employés en Belgique : à la rosée, à l'eau courante et à l'eau stagnante. Il examine ensuite les prix de la main-d'œuvre et remarque que ces prix pourront rendre la concurrence difficile au Nouveau-Monde. Il décrit ensuite un système de rouissage particulier, le système van Mullen Deswarte, dans lequel l'opé- ration s'efïectue dans un réservoir spécial, de manière à éviter la contamination des rivières. La citerne est divisée en deux parties, séparées par un plancher à claires-voies; le lin est placé dans le compartiment supérieur ; l'eau arrivant par le com- partiment inférieur, vient baigner le lin ; elle se charge des principes végétaux qu'elle dissout, et, devenue plus dense, elle s'écoule peu à peu vers le fond, d'où elle est évacuée, tandis que de l'eau fraîche, plus légère, monte la remplacer. Les avantages de ce système sont les suivants : absence de risques, économie de travail, faible consommation d'eau, maximum de son utilisation, non-contamination des rivières, possibilité pour les cultivateurs de rouir eux-mêmes leur récolte, applicabilité du système à toute espèce de fibre. L'auteur passe ensuite à la culture française, limitée suivant lui aux départements du Nord, du Pas-de-Palais et à la région voisine. Il no mentionne pas la région de l'Ouest, Sarthe, Mayenne et Bretagne. 11 constate que cette culture a subi une diminution con- sidérable depuis vingt ou trente ans. Elle a même disparu dans S50 Edmond PHIMPPAR beaucoup d'endroils. Seuls, dil-il, les environs do Lille lui sont restés lidèles. Celte circonstance est probablement due à la pré- sence de la Lys, qui permet d'obtenir des filasses de qualité supé- rieure, celles qui sont rouies dans d'autres eaux devenant trop sombres. L'auteur insiste sur l'action des engrais; il mentionne leur emploi très abondant, notamment celui des tourteaux. La culture du lin en Hollande est très brièvement examinée; elle est en effet analogue, à peu de cbose près, à la culture belge. Elle est faite en vue de la double production de la fibre et de la semence. Le rouissage se fait généralement à la ferme même, dans l'eau stagnante, en recouvrant la filasse de boue. Il en résulte nécessairement un produit d'une coloration très foncée. La culture irlandaise produit un lin qui jouit d'une grande réputation, et cependant les procédés de culture sont très rudi- mentaires. Le « lin irlandais » constitue une marque de commerce, et beaucoup de lin exporté de France et de Belgique prend cette dénomination dans les manufactures anglaises. Cette culture est en décadence depuis plusieurs années. D'après sir Henri Wallace, elle aurait suivi l'échelle suivante : 1869 , . . . . . 229.178 acres (de 4,046 mètres' carrés' 1888 ... . . . 113.586 — 1891 . . . . . . 7a. 000 — Celte diminution considérable est due à deux causes : la baisse des prix et l'infertililé du sol. La baisse des prix a été la suivante : 3 1869 16 7 cents par pouncl. 1887 10 = — D'autre part, le sol est si peu fertile qu'on ne peut obtenir deux recolles successives qu'en les espaçant de sept à douze ans. C'est la Russie qui tient la tête des pays producteurs de lin. En 1891, les consuls américains de Russie ont fait sur ce sujet des rapports dans lesquels ils constataient l'existence de deux sortes de culture : l'une dans les terres noires pour la production de la graine; l'autre dans les terres ordinaires pour l'obtention de la fibre. La qualité influe d'ailleurs considérablement sur le prix. Le tableau suivant met en évidence l'énormité de la produclion russe. Acres. Tonnes (1.016 k.04L 267.534 4S.73Î 210.834 47.209 110.035 38.101 107.940 23.366 99.014 22.134 169.287 21.306 26.082 6.001 27.089 4.:;oi 27.664 2.831 4.734 613 2.487 319 938 133 4.:;ûo 1.033.678 223.000 2.171.490 330.000 CULTURE DU LIN EN EUROPE ET EN AMÉRIQUE 551 Pays. Années Allemagne 1883 Autriche 1883 France 1884 Irlande 1883 Belgique 1884 Italie 1883 Hollande 1884 Hongrie 1885 Suisse 1884 Danemark 1881 Angleterre 1883 Grèce 1873 Roumanie, Serbie, Bulgarie, Tur- quie, Portugal, environ Totaux approximatifs .... Russie 2.171.490 Mais la qualité de ce lin n'est pas aussi bonne que celle des autres lins européens. Cotte infériorité provient du mode de rouis- sage généralement employé, le rouissage à la rosée, (|ui est défectueux. Ce système ayant été très employé aux Etats-Unis, les lins américains étaient surtout en concurrence avec les lins russes. Des essais ont été faits en Russie pour améliorer les pro- cédés, mais le manque d'eau convenable a entravé ces elTorts. L'auteur examine avec soin les procédés russes, car il croit que si les lins américains étaient soigneusement traités, ils égale- raient facilement ceux do Russie. Après cet examen de l'Europe, l'auteur passe à celui des Etats- Unis. C'est vers 1890 que le premier rapport sur ce sujet fut publié par le département de l'Agriculture, et l'idée de reprendre la culture du lin en Amérique ne fut pas très bien accueillie. La presse agricole objectait que la nature du sol et le climat n'étaient pas favorables. Ces arguments furent réfutés, et la récole de 1891 vint démontrer combien cette culture pouvait prendre d'extension. D'ailleurs il y a cinquante ans, cette culture existait, etelleexisie en- core actuollemonton Virginie. Il ne devait donc pas être impossible do la restaurer et d'en faire la base d'une nouvelle indu si rie. conçue d'après les principes nioilerinvs. Dans les dtuix années (|ui sui- virent, un grand pas fut fait. Le dép'.irtomenl de l'Agriculture lit venir d'Europe et distribua aux stations d'essai des semences des trois variétés suivantes : Riga pur do Russie, Hollandais à tleur 552 Edmond PHILIPPAR blanclie, lin belge, avec un questionnaire sur les résultats obte- nus. Quarante stations retourneront le questionnaire, où étaient prévus le choix de la variété, la préparation et la nature du sol, etc, etc. Les résultats ont été bons on général, et les quelques échecs constatés s'expliquent par un semis tardif, des sécheresses, ou une végétation parasite. Aussi, de l'ensemble des expériences a-t-on pu tirer un certain nombre de conclusions sur les circons- tances favorables à la culture du lin aux Etats-Unis. L'auteur résume ces résultats, destinés à guider les cultivateurs dans leurs essais, puis examine ensuite, d'une façon générale, les besoins de l'industrie et la façon dont la culture devrait être faite. Il conclut à la nécessité de la division du travail, enlevant au fermier toute opération industrielle et ne lui laissant que le risque du croît. Il serait également nécessaire, pour la prospérité de l'industrie, que les fermiers fussent à même de reconnaître les différentes qualités de lin et d'apprécier la valeur du lin «. bien venu ». Pour arriver à ce résultat, il serait bon que quelques véritables « leçons de choses » leur fussent faites au cours desquelles ils seraient à même de voir et de manipuler des échantillons réussis. C'est d'ailleurs ce qui a été tenté, en 1892, avec un certain succès. Il semble aussi,, dit avec grande justesse sir Charles Dodge, que les renseignements recueillis en Europe ne doivent pas être considérés comme des articles de foi, mais simplement des points de repère destinés à guider les agriculteurs dans la formation d'une pratique conforme aux conditions économiques et à l'esprit national. Dans cette recherche, les stations d'essai devront jouer un rôle prépondérant, et leur concours apparaît com.me indispen- sable. Après avoir cité un rapport de M. Thornton, sur d'autres expé- riences faites en 1895, sir Charles Richard Dodge termine par un examen de l'état actuel de cette culture aux Etats-Unis. Elle n'existe pour ainsi dire pas. Elle a pour elle les conditions de température, qui sont favorables, quoi qu'on en ait dit ; la fertilité du sol, la perfection de l'outillage, l'intelligence et l'initiative des cultivateurs, la possibilité d'obtenir de beaux produits, la posses- sion d'un vasie marché national et l'espoir de l'exportation. D'autre part, elle a contre elle l'ignorance de certains cultivateurs,. la trop grande confiance dans la fertilité du sol, l'aléa de toute culture nouvelle, le manque de certaines machines, la timidité CULTURE DU LIN EN EUROPE ET EN AMÉRIQUE oo3 des capitalistes due en partie au resserrement du crédit, en partie à la défiance, et surtout à Pignorance des facteurs nécessaires pour mettre en marche l'industrie, qui doit être le résultat d'une coopération entre le cultivateur et le filateur. 11 est assez piquant devoir un Américain se plaindre de la timidité des capitalistes, et cependant l'auteur revient encore sur ce sujet dans un autre para- graphe intitulé : « La coopération du capital est essentielle. »> Le fermier, dit-il, ne peut produire de lin sans savoir s'il le vendra; le filateur ne peut faire de marchés avant de savoir ce que sera le produit. C'est donc par de petites associations locales entre le pro- ducteur et l'industriel que la nouvelle industrie pourra naître et se développer. Le g-ouvernement, dit sir Dodge, ne peut qu'indi- quer la voie ; c'est aux intéressés à coopérer pour « mettre sur ses pieds» la culture du lin. Elle s'est étendue dans le monde entier, mais c'est toujours l'Europe qui tient la tête. Ses exportations diminuent, dit sir Dodge, nous devons donc la remplacer. Le rapport de sir Charles Dodge envisage deux ordres de faits : des faits agricoles et des faits économiques. Au point de vue agricole, les expériences qu'il expose semblent avoir été bien conduites; le système des questionnaires et celui des essais sem- blent bien compris. On peut donc conclure avec lui à la possibilité de la création d'une culture du lin. Maintenant, est-elle opportune au point de vue économique? Il est très possible que les x\méri- cains arrivent facilement à alimenter leur marché intérieur; mais au point de vue de l'exportation, ils ont certains désavantages. D'abord, en matière commerciale, la « marque », ne s'improvise pas, et l'Europe a vis-à-vis de l'Amérique cette supériorité. Do plus, si la production européenne diminue, c'est que les débou- chés diminuent. Les causes en sont succinctement, mais très nettement indiquées dans la Statistique agricole de 1892 (p. 173). Les étoffes de coton ont remplacé presque partout celles de chanvre et de fil, et la navigation à vapeur a diminué d'une façon considérable l'usage des voiles. D'ailleurs, l'emploi des cAbles métalliques tend à remplacer Cflui des c;\bles végétaux là où l'on s'en sert encore. Aussi no scnihle-t-il pas que la situation économique générale soit très favorable à l'entreprise prdjrlét» : ce qui semble, d'ailleurs, le prouver, c'est l'hésitation des ea|Mta- listes, qui, sollicités depuis une dizaine d'années d'ap|)ortt.'r leur concours à cette œuvre, restent peu enthousiastes. :S54 EdiiiontI IMIIIJPPAR Il csL possible, néanmoins, que l'entreprise réussisse, étant données les circonstances spéciales aux Etats-Unis, et en tout cas, c'est une idée bien américaine que celle de cette création subite d'une culture et d'une industrie nouvelles, sur tout un territoire. Les moyens employés sont bons, le succès couronnera-t-il l'entre- prise ? Si l'on examine maintenant ce qui se passe en France, on voit que la culture des textiles a constamment diminué. Voici, en effet, les cliiffres que donne la Statistique de 1892, pour la cul- ture du lin (p. 473). hectares. 1840 98.241 1852 80.336 1862 105.455 1882 44.148 1892 25.338 Etant donné que l'augmentation de 1862 est due à la guerre de sécession qui avait arrêté les exportations de coton des Etats- Unis, on voit que le mouvement de décroissance a été continu et rapide. C'est pour remédier à cet état de choses que le Parlement a décidé, en 1892, d'accorder des primes à cette culture. Quels ont été les résultats obtenus par cette mesure? Le tableau suivant permet de s'en rendre compte. Années. Surfaces cultivées. Surfaces primées. hect. c. hect. c. 1892 • . . 70.790 29 19.177 0012 1893 71.076 98 27.2G0 P570 1894 73.348 » 33.667 7221 1895 71.273 » 33. 543 9087 1896 61.743 » 33.470 3623 On constate, de 1892 à 1894, une augmentation, mais qui n'est que passagère, et en comparant le dernier chiffre au chiffre initial on constate, malgré les primes, une baisse des surfaces cultivées. Il est probable qu'après deux ou trois ans d'essai, les cultivateurs ont reconnu que la prime ne suffisait pas à rendre cette culture rémunératrice, et Font abandonnée. Il est, d'ailleurs, impossible d'arrêter par des lois les faits économiques. On comprend que pour certaines cultures, qui sont d'un intérêt vital pour la nation, on puisse chercher à encourager les producteurs et les aider à lutter contre des conditions défavorables, mais ce n'est pas le cas BIBLIOGRAPHIE 5o5 pour le lin. Si on peut admettre qu'il est nécessaire qu'une nation produise elle-même les céréales nécessaires pour sa nourriture, en cas de guerre, il n'est nullement utile qu'elle produise elle- même ses étoffes et ses cordes. Et quand elle n^y a pas intérêt, il est impossible de l'y forcer : c'est ce que semblent démontrer les faits. Les primes que l'on a accordées paraissent donc constituer une dépense inutile, et la tentative du gouvernement américain vient encore aggraver la situation. En effet, de deux choses l'une : ou elle réussira, et les Américains, entrant, tôt ou tard, en concur- rence avec nous, nous donneront le lin à meilleur marché; ou elle ne réussira pas, et ce sera la preuve indiscutable que les débouchés de cette culture se sont fermés et qu'il est temps de lui en substituer une autre. LES BANQUES RURALES EN EUROPE M. Edmond PHILIPPAR Ancien élève de l'école de Grignon. Le siècle qui s'achève a vu des progrès immenses s'accomplir dans toutes les sciences et surtout dans celles qui servent de base aux diverses industries. Le progrès a poursuivi sa marche avec une rapidité sans cesse croissante et dont la régularité rappelle celle d'une progression géométrique. Chaque progrès en efîet, produit de ceux qui l'ont précédé, sert à son tour de hase aux recherches et aux raisonnements qui en amèneront d'autres. Cette loi éclate avec une évidence indéniable et une force saisissante dans la dernière moitié de ce siècle, car on a pu dire avec j ustesse * que la « distance est beaucoup plus grande entre les procédés techniques du xvni® siècle et l'industrie contemporaine qu'entre les procédés du xvni* siècle et les arts de l'antiquité, même égyptienne ». Une amélioration continue dans toutes les branches de l'industrie mécanique a transformé les divers modes de pro- duciion; et la plus-value résultant de cette transformation, déver- sée dans le monde entier par les moyens de transport modernes, a révolutionné de toutes parts les conditions matérielles de la vie, augmentant d'une façon presque universelle, le bien-être de l'humanité. Au milieu de cette évolution générale, il est cependant une industrie qui a peu progressé : c'est l'industrie agricole. Il est hors de doute que si ses procédés ont incontestablement subi de très sérieuses améliorations, la somme de ces dernières ne peut être comparée aux résultats obtenus par les autres industries. Les économistes ont cherché par différentes raisons à expliquer cette infériorité, constatée par eux comme une loi. « Chez les peuples 1. Seignobos, Histoire politique de l'Europe contemporaine. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 213 sédentaires, dit M. Gauwès, l'agriculture est la première à naître et la dernière à se transformer en industrie savante et perfec- tionnée; c'est en effet celle qui exig-e, pour arrivera son plein développement, les plus vastes connaissances de la nature et les appropriations les plus ingénieuses des moyens de production'. » La première raison qui explique, en efTet, celte inconstance est le g-rand nombre des sciences sur lesquelles s'appuie l'agriculture. Une seconde considération dont l'importance est également très grande, c'est que l'agriculture dépend directement de phénomènes climaiériques ou météorologiques qui ne peuvent actuellement être ni prévus, ni réglés, si ce n'est clans des cas assez rares, et dans une faible mesure. On doit également remarquer, et c'est un fait qui a été souvent repris par les économistes, que l'agriculture est moins apte que toute autre industrie à se prêter aux règles de la division du travail. Alors que partout ailleurs, la ilivision du travail est poussée jusqu'à son extrême limite et donne les plus grands bénéfices, elle est inapplicable et souvent désavantageuse dans rexploitation agricole. Ces trois groupes de faits tiennent à la nature même des choses; leur importance peut évidemment diminuer avec le temps, mais leur principe n'en reste pas moins absolu. 11 y a une autre cause d'infériorité de l'agriculture qui a été souvent discutée et qui a soulevé de très nombreuses questions : c'est celle qui provient de la difficulté qu'éprouve l'agriculteur à se procurer du crédit. Toutes les fois que, dans des moments de crise, on a voulu aider les populations rurales, des propositions ont été émises, tendant à créer ou à améliorer des institutions de crédit rural. El cepen- dant, malgré cette unanimité, bien des discussions ont été sou- levées sur le point de savoir si ce mode spécial de crédit était réellement nécessaire ou utile. Le crédit cependant est considéré comme la base nécessaire à toute opération commerciale. Le commerce ne peut vivre sans crédit. Cette vérité est tellement évidente, et les usages du com- merce à ce point de vue sont tellement spéciaux, (jue partout les commerçants et les actes de commerce sont régis par un droit 1. Cauwès, Traité d'économie politique. 214 Edmond IMIILIPPAR spécial, les mellanl à même d'exécuter les opérations qui leur sont avantageuses. Ce qui est vrai du commerçant, l'est également de l'industriel, qui se livre à des opérations analogues : la seule différence consiste dans la transformation qu'il fait subir aux produits qu'il revend. « Le commerce a besoin de règles juridi- ques et d'institutions favorables au développement du crédit*. » Aussi la loi accorde-t-elle au négociant et à l'industriel des avantages multiples : juridicliou spéciale; procédure simplifiée; liquidation accélérée par la faillite. Si l'on cherche à déterminer les individus auxquels est applicable la législation commerciale, on en arrive à cette conclusion : « Sera régie par le droit com- mercial, toute profession se proposant un gain. Exception : la culture de la terre. » Et cette règle de droit français correspond bien au sentiment généralement admis : l'agriculteur n'est ni un commerçant ni un industriel ordinaire. Evidemment, il ne découle pas nécessairement de là que l'agriculteur ne puisse pas se procurer le crédit. 11 peut évidemment recourir au crédit sous toutes ses formes, personnel et réel ; et dans ce dernier cas, mobilier ou immobilier. Il bénéficie même comme l'a montré M. Zolla*, d'un mode spécial de crédit, qui réside dans la nature du contrat unissant au pro- priétaire le métayer ou le fermier. Mais il n'en est pas moins évident que le crédit reste pour l'agriculteur un acte un peu anor- mal, en dehors de ses habitudes et relativement peu répandu. L'agriculteur dispose en effet du crédit réel sous deux formes : crédit immobilier reposant sur l'hypothèque. Mais cette forme de crédit est peu pratique; elle demande des formalités assez longues et effraie un peu les emprunteurs. Quant au crédit mobilier, il est récent en France ; il n'a droit de cité que depuis la loi du dl juillet 1898, sur les warrants agricoles, et son institution est encore trop nouvelle pour qu'on puisse préjuger de ses résultats. Il paraît cependant certain qu'il ne prendra d'importance et de valeur que quand un réseau de banques rurales permettra l'es- compte et la circulation des warrants. Reste le crédit personnel. Il est fréquent chez les commerçants. C'est lui en somme qui est l'âme du commerce. Toute la théorie 1. Thaller, Traité de droit commercial. 2. Questions agricoles d'hier et d'aujourd'hui; l'o série, p. 344. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 215 de l'escompte, el partant toute la circulation des effets de com- merce repose sur le crédit personnel, sur cette confiance inspirée par le souscripteur ou le tiré de l'effet considéré. Or, la circula- tion fiduciaire va sans cesse augmentant. A mesure que croît la civilisation, les mouvements de numéraire diminuent; les hommes cessent de s'encombrer d'espèces métalliques, et par les procédés modernes, d'immenses mouvements de fonds s'opèrent par de simples compensations ou virements de comptes. Le papier l'emporte sur l'or, et l'intervention de la monnaie diminuant sans cesse, on peut voir plus clairement s'appliquer cette grande loi que les produits s'échangent contre des produits. On sait le rôle cons- tant que le chèque joue dans la vie des Anglais et des Américains, le rôle des banques n'est pas moins grand en Allemagne et tend sans cesse à augmenter*. C'est un mouvement universel qui développe les transactions et en accroît l'importance. C'est, semble-t-il, à ce mouvement qu'il faut rattacher l'éclosion, dans presque tous les pays d'Europe, de banques rurales. C'est en Allemagne qu'elles ont pris naissance; elles ont de là gagné la Belgique, l'Italie et l'Autriche. L'Angleterre depuis longtemps est dotée d'un système de banques spéciales prêtant aux agricul- teurs comme aux autres industriels. Le Danemark, la Roumanie, l'Espagne même possèdent des établissements de crédit rural. La France est longtemps restée en arrière à ce point de vue. Peut- être obéissait-elle à ce sentiment général de méfiance pour toute entreprise hasardeuse qui semble nous caractériser depuis un quart de siècle. Cette impression de défiance que montraient les écono- mistes les plus libéraux en général n'était que le reflet de l'opinion publique. La classe agricole est, en effet, surtout composée en France de propriétaires moyens, très imbus de l'esprit d'économie el de défiance. Cette disposition (resj)rit a des avantages : r'osi tt elle que nous devons celte réserve considérable de capitaux (jui permet à la France de résister aux charges de son budget grossissant tous les ans plus que celui des monarchies voisines. Si cependant des peuples aux finances obérées, comme l'Italie, ont pu trouver dans ces institutions des moyens de combattre la fortune adverse; si des populations pauvres, comme celles des campagnes d'Alle- 1. Voyez Blondcl, L'essor commercial el industriel du peuple dllevuind. 216 Edmond PHIMPPAB magne, ont pu par l'association lutter contre les circonstances défa- vorables, comment un pays riche comme le nôtre ne pourrait-il pas tirer à son tour de ces mêmes institutions un moyen d'accroître sa richesse ? Le grand reproche que l'on fait généralement aux sciences sociales, c'est de ne pouvoir procéder par l'expérimentation et de reposer uniquement sur des hypothèses. Mais, dans le cas présent, les systèmes les plus variés ont été appliqués par différents Etats : c'est donc une expérience tout instituée et dotil il ne reste qu'à recueillir les résultats. Nous constatons que, dans toutes les nations, un grand mouvement économique s'opère, et que les questions financières priment toutes les autres. 11 semble que l'agriculture seule se tienne écartée du mouvement général, isolée par les lois, les coutumes et l'esprit général de ceux qui en tirent leurs moyens d'existence. Il semble que si elle se mêlait davan- tage à ce mouvement, si, en un mot, elle se commercialisait un peu, elle s'en trouverait mieux. Elle perdrait un peu de son caractère spécial pour se rapprocher des autres industries et participer à l'immense roulement des capitaux qui se propage d'un bout à l'autre des nations, d'une nation à l'autre à travers le monde entier. Nous voudrions donc examiner dans chaque nation quels sont les établissements financiers créés par ou pour les agriculteurs, voir comment ils sont nés et se sont développés, étudier la législation qui les régit. Terminant par la France, nous verrions quelle est, d'une part, la situation faite par la loi à ces institu- tions; quel est, d'autre part, l'avenir que leur réserve la situation économique; nous chercherions, enfin, à déterminer quel serait, en dehors de leur rôle spécial, le rôle social de ces banques, comment leur création et leur développement pourraient venir hâter certaines transformations et arrêter certains autres mouvements. I. — Allemagne. C'est en Allemagne qu'a commencé le mouvement dont on peut actuellement constater l'importance et c'est chez elle que se sont fondées les premières caisses rurales. Aussi ont-elles été très souvent étudiées' et ont-elles servi de modèle à presque 1. Voyez notamment : Lebarbier, Le crédit agricole en Allemagne, Paris, Berger- LES BANQUES RURALES EN EUROPE 217 toutes les institutions analogues qui ont été fondées en Europe. Les deux t\'pes les plus remarquables sont constitués par les caisses Raiffeisen, d'une part, et les caisses Schullze-Delitzsche, de l'autre. Ce sont elles qui ont servi de modèle à toutes les autres caisses qui ont été créées depuis en Allemagne. Ce sont les deux types qu'il importe d'étudier d'abord. Caisse Raiffeisen ou Darlehenskassen\ — C'est en 1847 que les premières caisses rurales firent leur apparition en Allemagne. Leur création fut déterminée par un ensemble de circonstances, les unes accidentelles et les autres permanentes. Le Crédit foncier existait déjà depuis longtemps sous forme de banques avant pour but de réaliser des prêts fonciers, les Landschaften. Il y avait également des banques pourvues du privilège d'émission, mais ni les uns ni les autres de ces établissements ne pouvaient venir en aide à la petite culture et c'est cette dernière surtout qui se trouvait dans une situation précaire. Les paysans étaient, en effet, en proie au fléau de l'usure qui avait alors et a encore en Alle- magne un développement considérable \ Cette usure se manifestait dans des prêts de bétail consentis à des conditions désastreuses, dans toutes les opérations de vente ou d'acbat de denrées agricoles, et même les ventes de biens fonciers. Indépendamment de ces conditions désavantageuses, la récolte fut, cette année là, très mauvaise, et il en résulta pour la population un surcroit de misère. Ce fut pour remédier à cette situation que Raiffeisen, bourgmestre de la commune de Weyer- burg, créa uno boulangerie coopérative dont les résultats furent très heureux. 11 ne s'en tint pas là et fonda, en 1849, la caisse de Flammersfeld, qui fut la première de toutes. Il fomlait, en 185i, la seconde, et mis peu après à la retraite, il se consacra exclusive- ment à son œuvre. JjCs Darlelienskassen se multiplièrent rapide- ment et ne tardèrent pas à acquérir une importance considérable. Caractéristique. — Les caisses Raiffeisen ont pour but de fournir au cnilivaleur un crédit à bas prix et à long trnne. Les Levrault; Durand, l^e crédit agricole en France et ù l'étranger, Paris, (^hcvulier- Maresq ; Blomlel, Les jopulations rurales de l'Allemagne et la crise agraire, Paris» Larose; Dufoiiricanlelle, Les associations coopératives en Allemagne, conférences faites au Musée social les l" février et 29 mars 189S, publiées par Rousseau. Voyez également Josseau, Traité du Crédit Foncier. \. Caisses de pr^ts. 2. Voy. Blonde), ouv. cité. p. 28J tt suivantes. ' 218 Edmond PHIMPFAR caractères qui les distinguent sont les suivants : les membres sont solidaires les uns des autres d'une façon illimitée ; et il n'y a jamais de distribution de dividendes. En principe, les caisses Raiffeisen n'admettaient pas ce que l'on a appelé les parts d'aiïairos {Gcsc/ir/flsanthciie) ; on verra plus loin que la loi du l*' mai 1889 les a rendues obligatoires, Organisalion. — Le premier principe est celui de la localité de la Société. Une caisse ne devant pas compter d'après Raiffeisen* plus de 1.200 à 2.000 membres. Il faut, en effet, que les associés se connaissent entre eux et c'est cette connaissance qu'ils ont les uns des autres qui fait la force de cette association. De plus, les déplacements étant évités, on peut avoir des fonctionnaires non rétribués. La caisse ne fait aucune spéculation ; le bénéfice provient sim- plement de la différence entre le taux de l'emprunt et le taux du prêt. Tout le monde peut être membre de l'association moyennant des garanties certaines d^honorabilité : les ivrognes et les paresseux ne peuvent y être admis et cette circonstance est, paraît-il, un puissant élément de moralisation pour les classes rurales allemandes. Ces caisses ont un caractère absolument agricole ; elles sont généralement constituées par un simple grou- pement de quelques cultivateurs, et débutent parfois avec de très faibles ressources. Les organes administratifs sont : 1° le conseil de présidence dont un membre est président; 2° le conseil d'administration; et 3° le comptable. Leur rôle a été tracé par Raiffeisen lui-même : « Le conseil de présidence décide, le comptable exécute et le conseil d'administration surveille. » Le Comité ou conseil de présidence comprend cinq membres ; le président et le vice-président sont nommés par l'assemblée générale. — C'est ce comité qui a la direction de la Société. Il statue sur les nouvelles admissions et les ouvertures de crédit. Il représente la Société en justice; c'est lui qui ordonnance les dépenses; ses actes ne sont valables que revêtus de la signature du président et de deux membres. Le conseil de surveillance comprend huit à dix membres élus 1. Les principes de Raiffeisen sont exposés, par lui-même, dans un ouvrage intitulé : Die Darlehenskassenvereine als MiLlel zur Abhilfe der Noth des landlichen Bevolkerung. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 219 par l'assemblée générale. Il a pour mission de contrôler les dépenses. Tous les trois mois il revise les créances. Le comptable est celui qui opère tous les mouvements de fonds. C'est le seul fonctionnaire salarié de la caisse et il est, d'ailleurs, astreint à un cautionnement. Il tient les livres de la caisse qui sont généralement soumis à la visite d'un reviseur envoyé par une caisse régionale qui vérifie les écritures et les remet en ordre au besoin. L'assemblée générale est le facteur principal de la caisse; c'est elle qui en a la direction suprême. Elle est constituée par la réu- nion de tous les sociétaires, sauf les femmes, et se réunit deux fois par an. Elle prend toutes les décisions importantes : elle fixe le taux de l'intérêt, ce qui peut présenter certains dangers, puisque la majorité étant formée par les emprunteurs, on peut craindre que l'intérêt personnel ne les pousse à abaisser ce taux au détri- ment de la prospérité de la caisse. L'assemblée accepte les comptes qui lui sont présentés, fixe la quantité de capitaux à em- prunter, le maximum des prêts, etc. Nature des opérations. — Les Darlehenskassen consentent deux sortes de prêts : les prêts liypotliécaires ordinaires, dont la propor- tion est faible, et les prêts personnels. Ces prêts ne sont consentis qu'aux membres. Ils ne sont jamais faits qu'après une enquête servant à prouver la solvabilité, et quand il n'y a ni bypotlièque ni gage, l'emprunteur doit fournir une ou deux cautions, suivant les statuts de la caisse. Les conditions de solvabilité sont laissées entièrement à l'appréciation du comité, qui peut prêter de l'argent même à un individu bypothéqué, si sa personnalité constitue une garantie suffisante. La grande difficulté, comme le fait remarquer M. Lebarbier, est de concilier la sûreté du prêt avec le minimum de formalités. Les prêts sont faits à des écliéances très variables, variant depuis trois mois jusqu'à dix ou douze ans. C'est le comité qui, au moment de l'enquête, détermine, d'accord avec l'emprunteur, à quels moments les remboursements devront être faits. Le taux des prêts a été en baissant. Il varie actut-dlement entre 4 et 5 p. 100. Indépentlamment du prêt sous la forme ordinaire, il en est con- senti sous forme d'ouveiture de comj)tes courants. Etant doimée l'organisation des remboursements, les lentrées de fonds sont échelonnées et irrégulières. Raiffeisen aurait voulu (jue tous les 220 Edmond PHII.IPPAR prêts fussent remboursés en même temps : mais on comprend que dans ces condilions le déficit serait beaucoup plus sensible dans le cas où plusieurs débiteurs viendraient à èlre inexacts à la même échéance. Il est sans doute préférable d'échelonner les paiements, d'autant plus que l'on constate que les agriculteurs en général n'ont p.is le sentiment do l'exactitude commerciale et sont souvent irréguliers dans leurs engagements. Mais les poursuites sont, paraît-il, généralement inutiles, et un simple avertissement suffit. L'exactitude des remboursements tient à des causes très variables. D'abord, il y a le plus ou moins bon rendement des ré- coltes, ensuite l'imprudence de l'emprunteur; mais le grave défaut serait, d'après M. Lebarbier, la faiblesse des Conseils d'adminis- tration, qui se laissent parfois entraîner à une compassion mal placée, et aussi l'indolence des paysans, auxquels il prête ces pa- roles : « Ils sont plus riches que moi, ils peuvent bien attendre un peu ». Origine des capitaux. — Pour réaliser ces prêts, comment la caisse se procure-t-elle des capitaux? Elle a deux moyens: 1° les versements des membres; 2° les emprunts aux capitalistes. Les versements des membres ont eux-mêmes une origine double. Ils proviennent d'abord de cotisations versées par les membres. Ces fonds ont été à l'origine les seuls dont disposât la caisse; les sociétaires avançaient l'argent nécessaire à la réalisation des prêts. Mais dans un certain nombre de caisses, s'est introduite l'institu- tion des Geschàflsantheile ou parts d'affaires, consistant en de vé- ritables actions, achetées par les membres, et dont le prix donnait droit à une distribution de dividendes. Raifïeisen n'en était pas partisan; Schuitze-Delitzsch lesjugeait au contraireindispensables. C'est cette dernière solution qui a prévalu, puisque la loi du 1" mai 1889 les rend obligatoires, mais comme on ne leur a pas fixé de minimum, cette prescription est sans importance pra- tique. Il est certain que ces parts d'affaires augmentent le capital so- cial; elles ne sont peut-être pas cependant indispensables, car les associés étant indéfiniment tenus sur tous leurs biens, il semble évident que les dettes de la caisse seront couvertes sans le secours des Geschâftsantheile. D'après des statistiques citées par M. Durand, le patrimoine des associés couvrait dans certaines caisses jusqu'à 67 fois la dette LES BANQUES RURALES EN EUROPE 221 totale, et \2 fois dans la caisse qui était le moins prospère. De plus, le versement d'une somme d'argent est toujours désagréable au paysan. Il est vrai qu'on peut lui diminuer cet inconvénient en fractionnant le versement. Enfin, si les versements des associés ne suffisent pas, la caisse peut emprunter au dehors des capitaux. Elle les trouve toujours facilement, mais les versements des asso- ciés tendent de plus en plus à suffire aux besoins. Gestion du capital social. — En principe, les Darlehenskassen ne distribuent pas de dividendes. Les bénéfices, s'il y en a, sont capitalisés et s'accumulent. Si la société vient à se dissoudre, le capital n'est pas distribué aux sociétaires, mais placé à la Banque impériale ou dans un autre établissement sûr. Il devait y être laissé jusqu'à ce qu'une autre association analog^ue se fondât dans le même district. On a craint, en effet, que la prospérité de la caisse n'ait pour effet d'inciter les membres au partage, et c'est pour les mettre àl'abri de cette tentation que le capital est rendu indivisible. En 1885, il existait, d'après M. Lebarbier, six associations dont le capital fût supérieur à 10,000 marcks (i2,oOÛ fr.). Une partie des fonds est employée à faire des prêts; le reste est placé en dépôt dans une banque, ou dans une des caisses centrales qui groupent les caisses entre elles. Pour les caisses RaifTeisen, c'est la caisse centrale de Neuwied K On se rend compte maintenant du mécanisme de ces associa- tions. La caisse emprunte, soit à ses membres, soit à des capita- listes étrangers, les sommes dont elle a besoin. Une partie de cet argent est employée à faire les prêts que commande la situation ; le reste du fonds social est déposé dans un établissement de crédit, dont il ne peut sortir sans un consentement unanime des associés. Tous les bénéfices produits par les opérations s'ajoutent au capital et viennent l'augmenter. Ces bénéfices sont constitués uniquement par la dilléronce entre le taux des prêts consentis aux cultivateurs et le taux des prêts contractés envers les capitalistes. Mais les prêts consentis aux cultivateurs sont faits pour un terme assez long, qui peut atteindre dix ans. Les emprunts laits aux capitalistes, au con- traire, ne sont généralement contractés qu<î pour une période assez courte, trois mois environ. Il y a donc une anlinoniif au 1. Voir plus bas, l'organisation et le riMe de cette caisse (cnlralc. 222 Fdmond PHILIPPAR moins apparente entre ces deux durées de prêts : il faut que la caisse, avec de l'argent à dix mois, rembourse des emprunts à trois mois. Au point de vue théorique, le système est donc imparfait, et a été violemment critiqué par Schultze-Dclitzsch. Mais cotte imper- fection est plus apparente que réelle, et sa valeur dépend unique- ment de la g-estion de la caisse. C'est le même principe que celui qui, pour les banques d'émission, fixe la quantité de papier à émettre. Jamais il n'y a égalité entre le numéraire en caisse et le papier émis. La différence est couverte par le portefeuille de la banque. Or, ce portefeuille est constitué lui-même par des effets à échéance. Donc, le problème est le même : avec des valeurs à échéance, payer ses dettes à vue. Il y a, là aussi, inégalité entre la durée des délais de paiement des deux natures de valeur. Or, il est universellement admis que l'émission du papier peut dépasser l'encaisse métallique. La seule précaution à prendre consiste dans l'observation d'un certain rapport : il en sera de même pour les caisses Raiffeisen. D'ailleurs ces caisses, comme sauvegarde dans le cas d'une demande subite de remboursement, se réservent le droit de dénoncer le prêt et d'en exiger le remboursement dans les quatre semaines. Elles n'ont jamais usé de ce droit, qui serait d'ailleurs illusoire, car jamais le paysan ne pourrait se libérer dans ces conditions, mais cette disposition résulte, parait-il, d'un ancien usage des provinces du Rhin. Ces caisses se sont multipliées rapidement. D'après M.Blondel % ces associations étaient en 1897 au nombre de 2.24.5. On expo- sera plus loin comment elles sont fédérées et comment fonctionne la caisse de Neuwied, à laquelle elles sont toutes rattachées. Les caisses Raiffeisen ont un caractère spécial, qui les a fait parfois attaquer. Quand Raiffeisen les a créées, il a eu en vue, non seulement un but économique, mais aussi un but moral; il a voulu que ses caisses servissent non seulement au bien-être matériel des populations rurales, mais qu'elles fussent aussi à même d'exercer une influence sur leurs mœurs et leurs habitudes. Aussi sont-elles très protégées par le clergé. Les caisses Raiffeisen poursuivent la lutte contre l'usure ; elles exigent de leurs membres certaines garanties morales ; elles prennent parfois certains procès . Les populations rurales d'Allemagne, p. 292. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 223 en mains ou interviennent pour éviter des suites trop désavanta- geuses pour l'un de leurs membres. Ce caractère, tout particulier, ressort très bien de ce détail que mcnùonne M. Julhiet ' (f , Chez les trésoriers de la plupart des caisses que j'ai visitées, maîtres d'écoles, agents forestiers, agents des contributions directes, etc., les registres et les livres de compte, portent en tête une devise connue : Mit Gott (Avec Dieu). — Aimez-vous les uns les autres. Aide-toi, le ciel t'aidera.» L'œuvre de Raiffcisen est morale en même temps que sociale. Dans quels cas maintenant les cultivateurs viendront-ils s'adresser à ces caisses? 11 est évident que les causes qui les v amènent sont assez variables, et les banques interviennent dans leurs afTaires pour différents motifs. Le cas le plus simple et le plus fréquent est celui où le paysan a besoin d'une somme d'argent destinée à des achats de semences, d'engrais ou de machines, parfois de bétail. Dans ce cas, il doit déclarer à quel usage il se propose d'employer l'argent reçu, et, au moment même où le prêt est consenti, Tempruntour fixe lui-môme les dates de remboursement. 11 est évident en effet que le bénéfice qu'il va retirer de son emprunt ne se manifestera qu'au bout d'un certain temps. Si ce sont des engrais ou des semences qu'il a achetés, il faut attendre la récolte suivante ; si ce sont des machines, il faudra également attendre un temps assez long pour que les bénéfices provenant de l'usage de ces machines viennent amortir la dette. De même, faudra-t-il, s'il s'agit de bétail, que le prix de vente ou les produits de l'exploitation aient apporté le bénéfice espéré. Il arrive très souvent que le paysan ait à faire un achat de bétail, et c'est justement dans ce cas qu'il était le plus exploité par les usuriers. Ceux-ci prêtaient des animaux aux paysans, qui s'engageaient aies nourrir gratuitement pendant un certain temps, au bout duquel ils devaient les ac(juérir à des prix réduits. Mais le prêteur s'arrangeait toujours de façon à reprendre son bétail après l'avoir fait nourrir gratuitement (pi(d<|ne temps. Cette opé- ration était extrêmemert répaniluc, surtout, parait-il, dans les provinces rhénanes. Aussi un certain nombre de caisses font elles-mêmes le prêtde bétail : elles achètent des animaux, (ju'clhvs 1. Les populations rurales d'Allemagne, p. 281. 224 Edmond PH1L1PP4R revendent aux paysans moyennant des annuités qui éteignent progressivement la dclle. Les caisses RaifTcisen interviennent aussi fort efficacement dans les ventes d'immeubles. Les ventes ne se font en effet que par paiements échelonnés, et il n'y a qu'une fraction du prix versée comptant. Contre cette somme, l'acheteur reçoit un acte appelé protocole, qui lui transfère la propriété. Cet usage a donné lieu à un trafic de protocoles [Prolokolhandcl) dans lequel l'usure inter- vient pour réaliser des bénéfices considérables. Les caisses Raiffeisen cherchent à empêcher ce trafic en achetant les proto- coles, puis en accordant au vendeur sa libération par paiements échelonnés. On voit quel est le rôle multiple de ces banques et combien elles justifient ce mot d'un prêtre allemand, cité par M. Blondel : « Les caisses Raiffeisen font plus que mes sermons pour la mora- lisatioQ de ma paroisse. » Associations Schultze-Belitzsch ou Vorc/iussvereine *. Au mo- ment où se créaient les premières caisses Raiffeisen, les popu- lations ouvrières des villes cherchaient, elles aussi, à organiser le crédit populaire à bon marché, et plusieurs tentatives pour constituer des associations de celte nature avaient échoué. Her- mann Schultze, député de Delitzsch à la Chambre prussienne, voulut essayer de venir en aide aux ouvriers. Il fonda en 1849 à Delitzsch une association de cordonniers pour l'achat des matières premières, et, en 1850, fut créé le premier Vorchussverein. La force de la coopération est la base de ces associations, fondées uniquement d'après Schultze-Delitzsch ^ sur le principe du Selbsthilfe, ou aide par soi-même. Le premier trait qui distingue nettement les Voi'schussvereine est l'esprit qui a présidé à leur fondation. Les caisses Raiffeisen ont pour but une œuvre philanthropique et morale basée sur la charité chrétienne. Les caisses Schultze-Delitzsch sont simplement des organismes financiers d'une nature spéciale, au fonction- nement desquels toute considération morale est étrangère. Les deux points de vue ont leur valeur; on ne saurait reprocher à Sfifaultze-Delitz8«h l'étroitesse du sien, car c'est incontesta- 1. Associations d'avances. 2. Les principes de Schultze-Delitzsch sont exposés dans son ouvrage » Vorchuss und Crédit Vereine als Volksbanken, •> paru à Leipzig. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 223 blement an grand mérite dans les solutions de tous les pro- blèmes sociaux de faire coïncider l'intérêt des hommes avec leur devoir. Caractères. — Les caractères des Vorchussvereine sont les sui- vants : paiement par chaque membre d'un droit d'entrée ; possession par chacun d'eux d'une part d'alTaire (Geschâftsantheil). Enfin le nombre des associés doit être le plus grand possible. Ce principe est opposé à celui de Raiffeisen. Cette contradiction tient à la diffé- rence qui sépare les populations auxquelles s'adressent les deux genres d'établissement. Uaiffesen, ayant en vue les populations rurales, jugeait prudent de ne grouper qu'un petit nombre de gens se connaissant bien, mais qui, possédant presque toujours dos terres ou des instruments, offraient des garanties réelles. Sciiultze, au contraire, s'adressant à des ouvriers sans fortune, était amené à en réunir le plus grand nombre possible, pour que, dans le cas d'une faillite, chacun des associés eût à payer une part aussi petite que possible. Un dernier caractère à signaler est ce fait que les Vorchussve- reine, à la différence des Darlehenskassen, font toutes les opé- rations de banque sans distinction. Enfin un trait distinctif de leur organisation, et qui accentue bien la différence de tendances déjà signalée, c'est que les admi- nistrateurs sont payés et touchent en plus un tant pour cent dans les bénéfices, ce qui surexcite évidemment leur esprit d'entreprise, mais peut également les engager dans des opérations hasar- deuses. Réalisation des prêts. — En principe, les seuls membres de l'association pouvaient contracter un prêt. En réalité, cette règle n'a pas été suivie, et les caisses Schultze-Delilzsch ont prêté en général à toute personne paraissant solvable. Ce crédit est accordé sous plusieurs formes. La première est le Schulds/iein, ou billet analogue à noire billet à ordre, en ce sens que c'est un engagement civil, par opposition à la lettre de change [Wec/isel], rigoureusement commerciale. L'emprunteur souscrit un ou plusieurs billets en échange de l'avance qui lui est consentie. L'inconvénient de ce mode de prêt est que le Schuldshein n'est pas endossable; il ne peut donc être escompté et constitue un mauvais papier de [lortelcnille. La seconde est l'escompte consenti par la caisse d'une lettre ANNALES AOKOiNOMIQUES. XXV — lii 226 Edmond PIIIMPPAR de chango ( W^clisel) tirée par elle sur l'emprunteur. C'est le pro- cédé le plus normal. La troisième forme est constituée par l'ouverlure d'un compte courant. [Lanfende Rechnung.) Ce procédé présente beaucoup d'inconvénients car il constitue pour l'emprunteur un moyen de ne pas rendre à échéance fixe. Les statuts de la caisse fixent un maximum que les prêts ne peuvent dépasser. Schultze-Delilzsch l'avait lixé au quart ou au cinquième du capital social; cette proportion est évidemment trop forte. Le terme des prêts est de trois mois, conformément aux usages reçus en matière de banque. Ce crédit à court terme est évi- demment peu avantageux pour les agriculteurs. C'est un des reproches que l'on adresse aux Vorchussvereine. Mais le renouvel- lement des billets permettra à l'emprunteur de se procurer du crédit à bien plus longue échéance. Pour déterminer la solvabi- lité, le conseil d'administration et le conseil de surveillance se livrent à une enquête et déterminent le crédit maximum à accorder à l'emprunteur. De plus, cet emprunteur devra toujours fournir une caution ou un gage. Le taux de ces prêts, très élevé au début (14 p. \ 00) est tombé actuellement à 4 ou 5 p. 100. Origine des capitaux. — Les capitaux dont dispose le Vorchuss- verein sont de deux natures. 11 y a d'une part un fonds constitué par les capitaux empruntés et qui sert aux opérations courantes; il y a d'autre part un capital social fixe qui doit rester intact et est destiné à servir de garantie en cas de déficits imprévus. Le capital social comprend lui-même deux parties : 1° la réserve, qui appar- tient à la société et sur laquelle les associés n'ont aucun droit. Cette réserve ne doit jamais dépasser un maximum qui est d'en- viron 10 p. 100 du capital-actions'. Cette réserve est formée par un prélèvement de tant pour cent sur les bénéfices, en premier lieu, et en second lieu par un droit d'entrée (Entrittsgeld) versé par chaque associé. 2° Le capital-actions est constitué par les parts de chacun des associés. Chaque associé doit souscrire un Geschaftsandheil. Cette part étant assez élevée, le versement total n'est pas exigé de suite et peut se faire par payements successifs, et le crédit de chaque 1. Durand, ouvrage, cité, p. 113. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 227 associé de même que les parts de répartition des bénéfices sont proportionnels à son avoir. Telle est la manière dont est constitué le capital des Vorchuss- vereine. Mais ce capital ne suffit pas. La banque doit se procurer desfondsplacéschezelleen dépôt etqui lui serviront pour les opéra- lions courantes. Ces fonds peuvent être obtenus par deux moyens : soit par l'escompte du portefeuille dans une grande banque, soit par des dépôts volontaires faits par des clients. Le premier système présente des inconvénients, car le papier des banques d'avances étant souscrit par des ouvriers est de qualité inférieure et difficile à négocier. De plus, le Vorchussverein se met ainsi à la remorque de la banque prêteuse et est exposé aux fluctuations qui peuvent se produire chez cette dernière. Il est infiniment préférable pour lui de se constituer une clientèle qui l'emploie comme caisse d'épargne. Seulement, les dépôts étant toujours exigibles à vue, il im.porte que les opérations soient conduites avec une grande pru- dence, et que la banque se trouve toujours avoir des capitaux dis- ponibles. De plus, il est toujours possible délimiter le chiffre des dépôts à une proportion donnée. On voit donc quel est le mécanisme de l'institution : d'une part, un fonds social assurant la solidité de l'entreprise et constitué par une réserve inaliénable et un capital-actions qui peut être plus ou moins employé à des opérations de banque; et d'autre part, une quantité variable do fonds déposés par les clients. On peut se rendre compte maintenant do la différence de nature des deux institutions. Tandis que la caisse Raiffeisen attache une très grande importance à la personnalité de l'individu auquel elle prête, le Vorchussverein agit absolument comme une banque ordinaire. Il paraît incontestable que les caisses Schullzc-Delilzsch aient rendu moins de services à l'agriculture que celles de Raif- feisen. Cependant M. Durand* cite dans son ouvrage certaines sta- tistiques qui prouvent que les agriculteurs ont profité de ces caisses d'une manière très sérieuse. En 1885, par exiMiiph», 545 Vorchussverein auraient compté 27G.0U0 menibics, dont 73.000 agriculteurs. Quoi qu'il en soit, la lutte a été très vive entre Schultze-Delilzscliet UailTeisen, qui a été vivement attaqué par son rival", et après la mort des deux adversaires leurs partis ont 1. Crédit agricole, p. ^10. 2. Les griefs de Scbultze-Uelitzsch contre les Darlehenskassen ont été résumés par 228 Edmond PHILIPPAR continué longtempsla lutte. D'ailleurs, bien que Schultzeait eu de son vivant la victoire sur Raiffeisen, l'opinion publique s'accorde généralement pour reconnaître au contraire la supériorité de l'or- ganisation des Darlehenskassen, dont on vante justement la soli- dité, tandis qu'on ne compte plus les faillites des Vorchussvereine, entraînés par l'appât du gain dans des entreprises hasardeuses. On prétend que jamais aucune faillite ne s'est produite dans les caisses Raiffeisen rattachées à la fédération de Neuwied. « J'ignore si cela est exact, dit M. Dufourmantelle; je le croirais très volontiers, mais je me suis laissé dire, et je ne suis ici qu'un écho sans opinion personnelle, que [lorsqu'une caisse Raiffeisen menaçait ruine, le premier soin de la fédération était de s'en séparer, de sorte que la chute de cette caisse n'atteignait la fédé- ration ni dans ses intérêts ni dans sa réputation. » Ce qui paraît résulter d'une observation impartiale de ces deux natures d'organismes, c'est que les caisses Raiffeisen semblent incontestablement mieux appropriées aux besoins de l'agriculture, et que par conséquent, au point de vue spécial où nous nous plaçons, elles doivent avoir la préférence ; mais les caisses Schullze-Delitzsch ont par elles-mêmes une grande valeur comme établissements financiers et peuvent devenir, quand elles sont bien conduites, des instruments d'épargne d'une valeur morale autant qu'économique et pouvant rendre les plus grands services à la petite épargne, ouvrière ou agricole. Les caisses Schuitze-Delitzsch ne faisant que des prêts en argent, ne pourront rendre de services au cultivateur que dans le cas oii il aura besoin de contracter un emprunt en espèces dont il pourra d'avance prévoir la durée exacte. Encore sera-t-il soumis aux formalités du renouvellement des billets, s'il veut obtenir un terme de crédit supérieur à trois mois. Le Vorchussvereine n'est pratique pour l'agriculteur que pour un emprunt de courte durée fait en attendant une rentrée certaine. Caisses Haas. — A côté des caisses Raiffeisen et Schuitze- Delitzsch s'est formé un troisième groupe d'associations dont les caractères sont intermédiaires. Ce sont les caisses du D' Haas. Elles se distinguent par ce lui dans une brochure : Die RaffeisenschenBarlehnskassenin der Rheinprovinz und die Grundcreditfrage fiir den landlichen Kleinbesitz. LES BANQUES RURALES EN EUROPE 229 caractère que toutes n'ont pas les mêmes statuts, et qu'au con- traire leurs règ-les constitutives présentent souvent de très grandes différences. Elles tendenl cependant, paraît-il, à se rapprocher du type Schullze-Delilzsch. Suivant les associations, les parts d'affaire sont admises ou ne le sont pas; les administrateurs sont parfois rétribués et d'autres fois ne le sont pas; enfin, le droit d'entrée, exigé dans certaines caisses n'est pas réclamé dans d'autres. En somme, ce sont des caisses, qui se sont constituées suivant les statuts qu'elles ont déterminés, et le seul caractère qui les réunisse, c'est qu'elles sont toutes rattachées à une fédération spéciale, la fédération d'Offenbach. A côté de ces trois types de caisses, on trouve encore un cer- tain nombre d'établissements de crédit personnel. Ce sont d'abord les Lanchchaften^ ou banques de crédit hypothécaire, qui em- ploient une certaine partie de leurs capitaux disponibles à dos prêts ruraux. On doit également mentionner les caisses communales de prêts, établissements créés en Alsace-Lorraine par une loi du 18 juin 1887. Elles avaient également été établies dans le Wurtemberg, où elles n'ont pu subsister. Une place à part est occupée par la banque de Trêves (Land- wirthschaftlichen Bank zu Trier), qui se charge d'acheter et de vendre les produits agricoles. Son organisation a été longuement étudiée par M. Durand \ Cette banque de Trêves présente celte particularité qu'elle ne fait pas d'opérations de crédit en espèces. Elle ne fait que le prêt de bétail, comme les Darlehenskassen, et se charge d'acholer pour ses clients, à des conditions avantageuses, tous les produits agri- coles dont ils ont besoin : machines, engrais, etc. Ces divers établissements sont pour nous d'un intérêt secon- daire, puisque les caisses communales ne présentent rien de bien original et que l'intervention de l'Etaten ces matières nous semble toujours devoir être aussi mince que possible. Quant aux autres élablissements, les Landscluifteii, ce no sont que des haïKiuos ordi- naires, faisant par exception des opérations do crédit personnel. Cependant il est possible que ces opérations prennent plus d'im- portance depuis la loi permettant aux Landschaften do recourir 1. Le Crédit agricole, pages 287 et suivantes. 230 Edmond PHILIPPAR à la caisse centrale des associations pour leurs opérations de cette nature '. Les caisses d'épargne font dans cerlaius cas des prêts. Cet emploi des capitaux est évidemment très rémunérateur; mais il semble qu'il serait préférable de voir les caisses d'épargne avancer des fonds aux banques régionales ou aux fédérations, que de les voir elle-mêmes effectuer les prêts. Les institutions les plus intéressantes et qui méritent de fixer notre attention sont les caisses locales, fondées par les intéressés, gérées par eux, et particulièrement propres à faire naître chez eux ce sentiment des afTaires et ce respect de l'échéance qui manquent aux agriculteurs. Ce qui complète la physionomie de ces cais- ses et explique les services qu'elles peuvent rendre, ce sont les groupements qui existent entre elles et font leur véritable force; d'abord les caisses locales sont réunies entre elles et dépendent généralement de banques régionales; mais ces banques régio- nales elles-mêmes sont réunies entre elles par des caisses centrales. Los associations du type Raiffeisen constituent la fédération de Neuwied, fondée en 1876. Cette fédération possède une caisse centrale de prêts, sous forme d'une société par actions au capital de 5.000.000 de marks (6.250.000 francs). Les caisses Schultze-Delitzsch sont également groupées en une union centrale dont la caisse est constituéepar la Banque « Sôrgel, Parisius et C® », dont le siège social est à Berlin, et qui possède une succursale à Francfort. Quant aux associations du docteur Haas, elle constituent la fédération d'Offenbach, mais elles ne possèdent pas de caisse centrale, car la caisse centrale des associa- tions prussiennes, créée par la loi du 31 juillet 1895, leur en tient lieu. La statistique suivante, datant de 1897 et citée par M. Blondel, montre l'importance relative de chacune des fédérations: Association Schultze-Delitzsch 3.005 Union d'Offenbach 2.44T Union de Neuwied 2.245 Associations diverses 2.241 Total 9.938 Le rôle do ces fédérations est multiple. Ce sont elles qui prennent en main la cause de leurs membres et la défendent au 1. Voyez plus bas, page 231. LES BANQUES RURALES EN EUROPE -231 Parlement et dans la presse. Ce sont elles qui préparent les projets de statuts, donnent les consultations juridiques et les renseigne- ments économiques nécessaires à la création ou au fonctionne- ment des caisses. Ce sont elles, en un mot, qui centralisent la direction et la marche de ces institutions. D'autre part, la banque qui leur est adjointe sert à égaliser le mouvement des fonds pt à pratiquer sur une large échelle la compensation. Les caisses de prêts qui sont pauvres empruntent elles-mêmes à la caisse régionale, où les caisses plus riches ont déposé le surplus de leurs capitaux; les caisses régionales à leur tour s'adressent à la caisse centrale, et, d'un bout à l'autre de l'empire, le mouvement des fonds s'accomplit avec régularité pour le meil- leur fonctionnement de chaque association locale. Législation. — Les associations coopératives, réglées autrefois par la loi du 4 juillet 1868, le sont actuellement par la loi du d" mai 1889, entrée en vigueur le 1" octobre*. Celle loi s'applique également aux associations urbaines et rurales. Ses principales dispositions sont les suivantes : Les sociétés coopératives de crédit ne peuvent consentir de prêts qu'à leurs membres. Les sociétés à responsabilité limitée sont permises. Les parts d'af- faires ou Geschâflsantheile sont rendues obligatoires*; enfin, les associations de sociétés sont permises. Une seconde disposition législative très importante est cons- tituée par la loi du 31 juillet 1893', créant la caisse centrale prus- sienne des associations, qui a pour but de prêler de l'argent aux caisses de crédit et aussi aux Landschaften pour leurs opérations de crédit personnel. Le gouvernement avait fait à celle caisse une avance de 5.000.000 de marks, qui a été ensuite élevée à 20 mil- lions (25.000.000 de francs). Les affaires de celle caisse ont pris immédiatement un développement considérable. Elle a fourni aux associations coopératives pendant l'exercice 1896-1897 53 millions et demi de marks de crédit* (66.875.000 df francs). 1. Gesetz belressend die Erwerhs und Whllischaflsgenossencliafteu, inst^ré dans le Reichs-Geselzhlall du 10 luai 1889. i. La loi n'ayant pas fixé de unniiiuim, le.s Darlhcnkasseii peuvent tourm-r la loi en fixant le Geschâflsanllieil à un prix très bas. .!. Geselz belressend die Evrichliing einer Cenlralanstall zur Foiderun;/ des genossensc/iafllic/ten Personalkrediles. — (Jesetzsainuilunt,' fur die Koniglichen Preussischen Staaten, numéro du 8 août 1895. ■i. Dufourmantelle, ouvrage cité, p. 65. 232 E. DEMOUSSY En somme, si on cherche à caractériser sommairement l'orga- nisation allemande on peut la résumer ainsi : caisses locales, caisses rég^ionales, fédérations de caisses, et, au sommet, caisse centrale instituée et protégée par TÉtat. Nous examinerons, en concluant cette étude, les reproches qui ont été faits à cette inter- vention de l'État '. i LE CilEDIT AGRICOLE I LE PORTUGAL Il est peu de questions qui aient suscité en France autant de projets divers et de discus- sions passionnées que celle du Crédit Agricole. Son étude nécessite eu eBfet celle d'une foule de questions voisines, dont la solution peut faire varier la sienne. S'agit-il de crédit hypo- thécaire ? impossible de nier les inconvénients du régime actuel et de se refusera examiner les avantages du système de l'Acte Torreas, ap- pliqué en Tunisie et à Madagascar. S'agit-il de crédit mobilier, l'étude s'impose des critiques nombreuses qu'a soulevées la loi du iS.juillet 1898 sur les warrants agricoles et des procédés employés à l'étranger pour la réalisation du crédit mobilier sans dessaisisse- ment du gage. S'agit-il enfin de crédit personnel? nous nous trouvons en face de la question de la commer- cialisation des billets signés par les agricul- teurs. En supposant résolues ces difficultés, relatives à la réalisation du crédit en lui-même, il en surgit bientôt de nouvelles relatives à l'orga- nisation générale des institutions qui doivent le distribuer. Cette mission sera telle confiée à un grand établissement central ? ou préfé- rera-t-ou au contraire favoriser la création de petites caisses locales ? On sait que c'est à ce dernier système, celui du crédit agricole par en bas, que le gouverne- ment s'est arrêté, par l'institution de caisses locales et régionales, ces dernières chargées de répartir entre les autres les avances faites directement par l'Etat au moyen de la subven- tion imposée à la Banque de France au mo- ment du renouvellement de sou privilège. Celte subvention imposée à la Baïuiue de France l'a été également à la Banque d'A gérie et la question se pose maintenant pour notre colonie de savoir si elle adoptera l'orgauisiition de la métropole ou la modifiera. Au moment où des lois récentes commencent r^ OoncYionner^ où'^îêfToîînôu^ltea vont s'éla- borer, où la question va peut-ôtre se poser de la création d'une banque centralisant toutes les opérations des caisses régionales, il a semblé intéressant de jeter un coup d'œil sur les insti- tutions étrangères, et de rechercher dans les essais de nos voisins les exemples à suivre ou , les errements à éviter, pour la mise en marche I ou la création de nos institutions nouvelles : cette revue ne semble-t-elle pas d'ailleurs tout indiquée au lendemain de cette Exposition où 1 toutes les nations sont venues nous fournir leurs I documents et leurs statistiques ? I Ce n'est pas par les résultats obtenus que le Portugal mérite de tenir la première place dans une étude de cette nature. Une carte statistique annexée au volume publié par le gouverne- ment portugais ( ), nous montre en effet com- bien le taux de l'intérêt est resté élevé dans ce pays. 11 varie généralement entre 5 et 15 0/0, pour s'élever dans certaines régions jusqu'à 75 0/0 ! Mais des projets très divers ont été nécessairement élaborés; des essais ont été tentés dans des directions assez différentes, et enfin le Portugal aurait été, paraît-il, l'initia- teur du Crédit Agricole en Europe, avec deux institutions spéciales, les Greniers communaux et les Misericordias . C'est en 1576 que les Greniers communaux font leur apparition. C'étaient des établisse- ments de crédit d'une nature particulière, qui fournissaient aux cultivateurs, en nature, le grain dont ils avaient besoin pour ensemencer leurs terres. Après la récolte, le cultivateur rendait ce qu'il avait reçu, en y ajoutant une quantité fixée, représentant les intérêts. Le fond du grenier communal s'accroissait ainsi peu à peu. Ce furent d'abord les rois ou les paroisses qui prirent l'initiative de ces fon- dations ; puis peu à peu les particuliers se mi- rent à l'œuvre et le nombre des greniers aug- menta rapidement. Mais le taux de l'intérêt, qui était de 5 0/0 au dix-septième siècle, atteint 10 0/0 au milieu du dix-huitième siècle et ne s'abaisse un peu qu'au commencement du dix- neuvième. En 1852, l'administration des Greniers passe entre les mains du gouvernement, et leur déclin commence. Le gouvernement voulut en effet transformer le fonds des Greniers en espèces, pour en faire de véritables caisses rurales. Le résultat de cette mesure fut de faire perdre aux Greniers leur caractère agricole ; ils prêtèrent indistinc- ' ment à toute sorte de personnes, étendirent le champ de leurs opérations, et des abus se pro- duisirent. En 1862, les conseils administratifs furent abolis et la gérance des Greniers passa (1) « Le Portugal, an point de vue agricole ...ou- vrage publié à l'occasion de rExposition de 1900, sous la direction de Cincinnato da Costa et de Luiz de Castro ; Lisbonne, imprimerie Nationale. - 3e partie, chap. II. Le Crédit agncole et le Mou- vement associatif rural, par Luiz de Castro. aux chambres municipales ou aux comités des paroisses, qui usèrent des revenus comme si l'actif était leur propriété privée, u Cela signifie c pour tout dire, dit M. Luiz de Castro, que i< les Gre iers étaient assujettis à tous les maux « de la politique, à toutes les fluctuations des « élections ; or tout le monde sait ce que cela « veut dire ! » L'institution, qui avait victorieu- sement résisté aux tourmentes qui ont traversé l'histoire du Portugal de 1570 à 1820, guerres, peste, famines, épidémies, tremblements de terre, périclita peu à peu. Le gouvernement portugais a é'aboré, en 1897, un projet destiné à relever ces institu- tions au moyen de nombreux avantages: exemp- tions de constitutions, réduction des tarifs de transports, concession de locaux, etc. Toutes ces opérations devront être garanties, soit par une hypothèque, soit par un nantisse- ment, soit par une caution. Enfin, on en re- vient à l'ancien système et les Greniers sont autorisés de nouveau à recevoir des payements en nature. M. Luiz de Castro ne croit pas que ces me- sures puissent relever une institution qui tombe : l'hypothèque ne lui paraît pas prati- que; le gage sans déplacement lui semble ir- réalisable. La caution serait le meilleur système, car, dit il, tout ce qui s'écarte de la simple garantie par l'accepta' ion des lettres de change ne ré- sout pas la question du crédit rural. Ces conclusions ne s'écartent guère de relias qui sont à l'heure actuelle généralement adop- tées. Mais ce qui semble plus discutable dans le projet du gouvernement portugais, c'est une disposition tendant à unifier d'une façon arbi- traire le taux d'intérêt dans tout le royaume. On ne saurait trop rappeler à ce sujet ce pas- sage de M. Louis Durand (1) : « Létaux de l'in- « térôt varie nécessairement suivant les con- « ditions du marché et suivant la confiance « qu'inspire l'emprunteur ; une coopérative ne « peut échapper à la loi générale et ne peut (( par conséquent espérer contracter des em- « prunls et recevoir dos dépôts à un taux infé- « rieur au cours du marché. « Avec les greniers communaux, les Miscri- cordias constituent les institutions originales du Portugal. On désigne sous ce nom des asso- ciation? religieuses, dont l'origine remonte à la fin du quinzième siècle. Ces confréries appor- taient sous diverses formes des secours aux malades, aux orphelins, aux vieillards. E'ies employaient leurs revenus à une foule d'œuvres de bienfaisance, rachats d'esclavos, construc- tions d'hôpitaux, etc. Mais elles ne s'en tinrent pas à ce rôle de charité et, en 1776, la Miseri- cordia de Lisbonne inaugura des pr<^ts k l'agri- culture, prêts spécialement destinés ;\ cncoura- ^1) Louis Durand. « Le. Crédit agricole en l"ranc« et àrôtranger », pa>,'e62i. ger le défrichement des terres. Sur 200 Miseri^ cordias, 149 employaient ainsi une partie dej leurs capitaux. Mais le ministre Andrade de Corvo, estimant que certaines de ces corpora- tions ne géraient pas d'une façon satisfaisante leur grosse fortune, fit voter, enire 1860 et 1870, une série de lois, édictant ce qu'on a appelé la désamortizacion des biens de main- morte, c'est-à-dire leur mobilisation : on obli- gea les corporations à vendre tous leurs biens et à en employer le prix en titres de rente. On ne leur laissa qu'un moyen de se sous- traire à celte obligation : ce fut de transformer leur patrimoine en « Banques agricoles et indus- trielles. » Mais elles ne profitèrent guère de la faculté qui leur était accordée et, sur 149 qui employaient leurs fonds à des prêts agricoles, 3 seulement se constituèrent en l)aDques qui fonctionnent encore à l'heure actuelle. Le taux de leurs opérations varie de 6 à 10 0/0 ; M. de Castro nous apprend que l'une d'elles a distribué, en 1899, 12 0/0 à ses actionnaires et que le dividende n'est jamais descendu au-des- sous de 8 0/0. Malgré ces cas isolés, il est certain que les mesures législatives concernant ces Misericor- dias ont eu un effet très défavorable. Un projet tendant à réunir tous leurs biens entre les mains de l'Etat, qui les aurait mis ensuite à la disposition des cultivateurs au moyen d'une banque créée dans chaque arron- dissement, est resté sans résultat. De sorte que ces Mise.icordias, comme les Greniers commu- naux, ont perdu peu à peu toute leur ancienne importance et que les agriculteurs ont ainsi vu disparaître les institutions capables de leur; venir en aide. Il ne semble pas que la période j moderne, qui s'étend de 1820 jusqu'à nos jours et que M. de Castro examine en dernier lieu, ait apporté une grande amélioration à l'état des petits cultivateurs, car elle n'est guère marquée que par la création d'un Crédit Foa-| cier portugais, sans intérêt pour cette classe d'agriculteurs. L'élude de M. de Castro l'amène à conclure que le seul mode de crédit agricole réellement pratiques, consiste dans l'escompte de la lettre de change avec ou sans garantie. Ce mode de crédit ne peut être réalisé que par la création d'un grand nombre de petits foyers mettant dans tout le pays l'argent à la disposition des agriculteurs. Toutefois , il serait nécessaire d'avoir une grande banque centrale permet- tant d'unifier le taux de l'intérêt. L'histoire des greniers communaux nous donne des enseignements précieux pour la conduite des Caisses locales (1) : elle nous ap- (1) On sait que, d'après M. Rayneri {Manuel de Crédit agricol'î), les principes dont ces Caisses doi- vent s'iuspirer, principes qui ont fait le succès de celles d'AUennagne et d'Italie, sont les suivants : Solidarité des administrateurs, limitation territo- riale, gratuité des fonctions administratives, absence 1 de capital versé, minimum de frais généraux, indi- visibilité du fonds dé réserve. [prend d'abord que les greniers uni commencé à dt'clioer du jour où ils ont perdu leur caractère agricole pour devenir des banques orJinaircs. Elle nous apprend ensuite que ces or>,'an'smes odt été complètement perdus quand on a confié leur direction à des corps politiques. Aussi pourrait-on répéter à leur propos ce que disait , Paul Descbanel de§ Syndicats (t) : « Toutes Its I c fois que l'on a tenté d'introduire la politique « dans un Syndicat, il en est mort. Le Sjndicat « ne réussit que lorsqu'il res'e, confoi-mémeiU « à la loi, un instrument professionnel et tech- « nique. ») EL celte citation emprunte une valeur toute spéciale à ce fait que, d'après la ! loi de 1894, c'est a nos Syndicats que revicnl 'ai tâche de créi!r les Cai-ses locales. ] Mais les Ciissea locales ne suffisent pas. 11^ faut au-dessus d'elles des établissements a«sczl riches pour leur fournir le crédit quand ell s auront épuisé leurs propres ressources. L'iiisloire ! de Misericordias vient nous appiendre que la création, par le Gouvernement, d'uni granJe Banque centrale, destinée à unifier arbi'rairc- ment le taux de l'intéi et, n'a pu réusdr II faut laisser les petites Binques accomplir peu à peu" leur œuvre, se grouper entre elles pour aboutir à la formation de la Caisse centrale qui existe déjà et) Allemagne, qui p rmetirà d'j réaliser, par I équilibre des forces économiques, cette unification du taux d'iulétêt que l'on demande- .rai't vainement aux dispositions d'une loi. Edmond Philipp.\r. THÈSE POUH LE DOCTORAT La Faculté n'entend donner aucune approbation ni improba- tion aux opinions émises dans les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITE DE PARIS CONTRIBUTION A UÉTUDE DU CRÉDIT AGRICOLE EN ALGÉRIE THESE POUR LE DOCTORAT l'acte public sur les matikiuvs ci-dessus Sera présenté et soutenu le Jeudi II Juin I90S. à I h. du soir PAK EDMOND V. PHILIPPAR Président : iM. LESEUR,, proffsseiir. ( MM. ESTOURl.ON. nrofesscur. Sut ruyanls c/ iiT'n, »v /■ pAins Lii!i;iii!ii': iiH LA SOCIÉTÉ DU wïïxm. (iiAKKii, m uns n iif;s irhkts lOiSDI-: l'AU J.-U. SIUl.Y II Kl JillIlNM. nr rviVlN Ancienne Maison L. LAROSE et FORCEL :':', rue S ouf flot, (V' AiimikI') L. l..\ltOMI<:. HiriM-hMir de la l.iliraine. 1003 A'JG ■■ 3 1967 % !^ ^SITY Of lOÏ^ O IJNTRODUCTION On ne comprend généralement sons le nom d'opéra- tions de crédit agricole qne les opérations de crédit person- nel ou de crédit réel mobilier, à l'exclusion des opérations de crédit réel immobilier, ou crédit foncier. Le mot a été pris ici dans un sens plus large, et on s'est proposé d'étudier le crédit accordé sous une forme quelconque à ceux qui vivent en Algérie de Texploitation du sol. Dans un pays pauvre, oiî la majorité de la popu- lation tire de l'agriculture ses moyens d'existence, cette question devait prendre et a pris une importance toute particulière : la première partie de cette élude, Les Besoins de crédit, a pour objet de mettre en lumière cette situation spéciale de l'Algérie et d'en délerniiiier les causes. La seconde parlie, les Agents de distribu(io)t du crédit, est consacrée à l'examen des divers élaljlisscincnls qui ont prêté leur concours aux agi'icul leurs : ou a cherché à dégager les circonstances qui en avaienl développé ou entravé \c. fonctionnement, pour formuler îles conclusi(»ns sur les règles à suivre en cette malièr(>. Celte sorte d(> revue historique part de la création de la lîaiique de l'Algérie en I80L pour aboutir à la création îles caisses locales et régionales de crédit agiic(»le miituel en l'.HKI. l''li ili|i|);ir i 2 Enfin, dans la troisième partie, Le Fonctionnement du crédit, on a cherclié à exposer, en niênie temps que l'état actuel de la (|ueslion, les moyens qui pourraient être employés à la résoudre dans un sens plus favorable. Cette étude n'a pas la prétention d'apporter à la ques- tion du Crédit Agricole en Algérie celte solution définitive tant cherchée et si souvent proposée : sa conclusion est au contraire qu'on confond souvent en Algérie sous un même nom des besoins très différents et très nombreux. On a indiqué comment on croyait qu'il serait possible de les atténuer, parfois peut-être de les satisfaire : mais ce résultat ne serait possible que par un ensemble de mesu- res dont le plein effet ne saurait être obtenu qu'avec l'aide du temps. Si le présent travail avait réussi à mettre ce point en lumière, il aurait entièrement répondu à l'attente de son auteur, qui tient à exprimer ici ses remerciements à tous ceux qui, à Paris ou à Alger, ont bien voulu l'aider de leurs conseils et de leur expérience. Paris, 19 avril 1903. PREMIÈRE PARTIE Les Besoins de crédit Le caractère accidentel de la conquête de l'Algérie et ses conséquences La France avait senti à maintes reprises la nécessité d'assnrer la sécurité de sa flotte en détruisant les corsai- res dont Alger était le point de ralliement. Ce fut un coup d'éventail qui décida de l'expédition. Encore la Fiance, avant d'en venir à cette extrémité, essaya-t-elle d'arriver par d'autres moyens au but qu'elle désirait atteindre : des ouvertures furent faites à Mehemet-Ali, pacha d'Egypte, pour (pfil consentît, avec l'appui de la France à prcudi-c possession de l'Ali^érie, à (Iclniirc la [tiralorie et à suppriinei' l'esclavage îles chrcliciis : lOiiptisilioii de la Cour (le Londres eulrava seule ce projet, el la France, pour relever l'atfrout (pTelli' avait subi, dût S(^ resouilii' à agir elle-même. Aussi bien Charles \ voyail-il. il'ail- leurs, sans déplaisir, cette tiouNelle croisaile si' préparer. L'opinion publi(iue était moins favorable. Néanmoins, la _ 4 — flotte française qiiiltaiL Toulon le 25 mai 1830 cl l'année prenait possessioti d'Alger le o jnillet suivant. Loin qne toutes les difficultés fussent terminées, on peut dire au contraii-e qu'elles commençaient. On sait que l'occupation détinitive ne lui guère terminée (|ue vers 1860. Et pendant les trente années de luttes sans cesse renaissantes qui assurèrent la dominalion française, l'abandon de celle conquête fut plusieurs fois à l'ordre du jour. Ainsi, comme l'a écril M. Paul Leroy-Beaulieu(l), « il n'est peut-être pas léméraire de dire que, si nous (( nous sommes fixés en Afrique, la cause en a été moins « au besoin de nous y établir qu'à la difticulté de nous « en éloigner ». L'honneur de la France lui défendait, eu effet, d'aban- donner une conquête poussée aussi loin, et pour pouvoir conserver ce qu'elle occupait déjà, il fallait qu'elle éten- dît davantage encore sa domination. Ainsi donc un premier fait domine l'histoire de cette conquête : son caractère accidentel et presque fortuit. G'estàces circonstances particulières qu'on doit attribuer l'absence de plan préconçu et d'idée arrêtée sur la cour duite à tenir vis-à-vis du peuple conquis et de sou terri- toire. 11 en résulta dans les premiers actes de l'occupa- tion des fautes dont l'Algérie se ressent encore. La pre- mière et la plus grave, qui a été mise en lumière d'une façon évidente par M. Pouyanne (2), c'est la rupture brutale avec les actes du gouvernement précédent. Les Turcs avaient organisé un système de domination qui fonctionnait efficacement. Le bon sens semblait indiquer 1 . L'Algérie et la Tunisie. Paris, Guillaumin. 2. Pouyanne, La propriété foncière en Algérie, Jourdan, Alger, igoo, pp. XIV-XVI. — 5 — qu'il y avait lieu de prendre, pour ainsi parler, la suite de ce gouvernement, en en conservant, temporairement tout au moins, les fonctionnaires et les principes, quitte à modifier suivant les données de l'expérience, le person- nel ou l'organisation. 1 Ainsi eussent été épargnées de longues années de « guerres sanglantes, d'inutiles et onéreuses écoles sur « toutes les questions vitales de l'Algérie » (i). Mais rien d'analogue ne fut fait. « Aucune disposition ne fut prise « pour régler la nature des relations des diverses bran- « elles du service public avec le nouveau pouvoir. Aucun « ordre ne fut donné aux fonctionnaires indigènes, on ne « leur annonça ni leur conservation ni leur destitution. « On agit comme s'ils n'existaient pas; aussi, ne sachant 4 à qui s'adresser, ils abandonnèrent le service sans en « faire la remise, emportant ou faisant disparaître pres- « que tous les registres ou les documents les plus pré- ci cieux » (2). Cin(i jours après la capitulation, le 10 juillet 1830, tous les Turcs fuient embarqués pour l'Asie-Mirieurc par Tor- dre du général en chef. La situation des fonctionnaires IVanrais comme des généraux du corps expéditionnaire fut donc exlrèinement délicate. Ils se trouvèrent privés du coucoui's de ceux qui, seuls, auraient [)u leui' fournir sur roi'gauisalion du pays des détails précis et exacts. Ils rur<'nt coulraiiils, au coiilrairc, ilt^ s'en rapporler aux (b'u'laralions des indigèin's doiil la pivoc-i'iipalion lut natui"elleni(Mil de diniiuiicr aux yeux du vainiiiicur lini- I. Pciiiyanno, op. cit., p. W . •2. l*i'lissier de llavnaïul, in l'ouyamic. op. cit., p. \\ — 6 — portance de l'impôt qu'ils payaient autrefois, et de pré- senter sous le jour le plus favorable pour eux le régime de la propriété immobilière. C'est ainsi qu'ils réussirent à s'approprier une grande partie du domaine du Beylik. On voit quelles sont les conditions défavorables dans lesquelles commençait l'occupation. Ces conditions étaient encore aggravées par la structure économique du pays, qui présentait dès lors deux traits caractéristiques : d'une part, la prédominance de la production agricole, d'où il tirait presque toute sa richesse ; d'autre part, l'impor- tance et le nombre de sa population. Tout d'abord l'Algérie ne pouvait être, provisoirement tout au moins, qu'une colonie agricole. D'ailleurs le pays exportait déjà des grains et des bestiaux. Il n'y avait ni commerce ni industrie susceptible de devenir promptement une source de richesses. La population était trop pauvre pour fournir à des comptoirs européens uneclientèle de quelque impoitance. Ce n'était pas par le négoce que la France pouvait tirer parti de sa nouvelle conquête, mais uniquement par une meilleure utilisation des ressources du sol. il fallait donc pour que la colonie prît quelque valeur, des terres pour les nouveaux colons. Mais, d'autre part, ce sol qu'on venait de conquérir, à la différence des territoires que l'on entreprend en géné- ral de coloniser, était occupé par une population nom- breuse, fanatique, vivant elle-même des produits de ce territoire qu'on voulait occuper, population « qu'on n'avait ni le droit ni la force d'extirper ou de refou- ler » (1). 1. Leroy-Beaulieu, o;). c«ï. — 7 — Il fallait bien cependant aux nouveaux colons des ter- tains pour tenter la fortune qu'ils étaient venus chercher de ce côté de la Méditerranée. Et deux éléments se trou- vaient en présence : le vaincu, propriétaire du sol, et le colon venu pour s'enrichir. C'est la conciliation entre ces deux éléments qui fut le grand problème que les gouver- nements se posèrent et résolurent successivement suivant les tendances du moment (1). M. Pouyannea caractérisé dans son ouvrage les diver- ses phases par lesquelles passa le régirne foncier et il est intéressant de rappeler l'historique qu'il en fait. La pre- mière période qui va de 1830 à 1844 est une période de tâtonnements et d'hésitations. On ne sait même pas encore si l'occupation ne sera que temporaire ou demeu- rera définitive. Il en résulte que la question de la distri- bution de terres préoccupe peu les pouvoirs publics. Les colons sont vus par l'administration d'un assez mauvais a:'il : leur audace à s'avancer dans des territoires encore mal soumis n'apparaît que comme susceptible de créer des diflicultés. M. Rouire (2) s'est fait l'historien de cette pénible période de début. Il ne s'est pas montré indul- gent pour l'administration. Mais des critiques aussi dures n'eussent-elles pas été formulées en sens inverse si l'éva- cuation s'était produite? Qu()i(|u"il en soit, tlans de (elles conditions d'incerlilnrle et de désarroi, les Iransiiclions laissées à l'initiative des individus, devaient forcément se ressentir de l'état général. 1. ^^ I.croy-nciiiiIiiMi. l'.l/7<'V/<' (7 la 7'm«»s(>, cli. 1\' ; Poiiyanuo, op. cit. ; Laynaud, Notice sur la projn-ii'tc foucicrc en Alurrie, A1>;im*, Giralt, i()()(> ; Labiche, Rapport sur la coUmisatiim cl Frank-Cliaii- vcaii, Rapport sur la proprii'tr foucinr [EiKjuètr sénatoriale de 1S9'J). 2. lloiiirc, Les coliins de i Ahjirie, llov. dos Doux-Muudcs, if) sep- tembre lyoï. En C'fl'el, « ces spéculateurs arrives après l'armée a d'occupation profitèrent aussitôt du désordre et de « l'anarchie qui régnaient pour se livrer à un agiotage « effréné sur les terres... H en résulta, dans la région « d'Alger, un bouleversement complet de la piopriété et « une violente crise immobilière qui menaçait de deve- « nir fort dangereuse. Le domaine du Beyiik, comme « les autres, l'ut accaparé, mis à sac par la spécula- (( tion » (1). Si les spéculateurs qui avaient suivi le corps d'occupa- tion se montraient peu scrupuleux, les indigènes aux- quels ils s'adressaient ne faisaient pas mon tre d'une bonne foi plus grande et ne se faisaient pas faute de vendre à l'occasion ce qui ne leur appartenait pas. On se rend compte facilement du désordre qui résultait deces trans- actions irrégulières, conséquence de cette absence de plan qui apparaît dès le début de la conquête et lui donne son caractère spécial. La seconde période est celle où les pouvoirs publics, se rendant compte des inconvénients de cette situation, cher- chent à y remédier. Le maintien de la conquête étant décidé, (( on veut régulariser toutes ces acquisitions hâti- « ves ou frauduleuses, remettre un peu d'ordre dans le « régime de la pro|)riété et vérifier les titres » (2). Le but poursuivi est double: régulariser d'une part les situa- tions acquises, et procurer d'autre part à l'Etat le maxi- mum de terres [)Our la colonisation, de façon à pouvoir amener en Algérie un noyau d'émigrants. Deux ordon- nances de 1844 et 1846 marquent cette période. 1 . Pouyanne, op. cit., p. 324. 2 . Pouyanne, op. cit. — 9 — Leurs dispositions reviennent à peu près < à confisquer au profit de l'Etat, tontes les terres non soumises à la culture européenne o. La loi du 16 juin 1851 vient réagir contre cette ten- dance excessive et déclarer l'inviolabilité des droits de propriété ou de jouissance des indigènes ou des euro- péens. Mais comme les tei-res de colonisation commencent à manquer, on recourt pour s'en procurer au système du cantonnement des tribus indigènes, basé sur la théorie du sol arch. Les pouvoirs publics s'appuyaient sur la différence qui existait entre la terre melk ou de pro- priété privée et la terre arch, dont la situation se résu- mait ainsi : la nue propriété à l'Etat, l'usufruit à la tribu. Ceci posé, on admit le droit pour l'Etat dimposor le partage à l'usufruitier dont il était le nu propriétaire, et de lui enlever une poition de son territoire que l'Etat acquérait en pleine propriété, tandis (ju'il laissait au détenteur du sol une auti'c portion, en pleine propriété également. Mais ce système étudié en 1861 ne fut appli- qué qu'administrativement et à titre d'expérience. L'Empereui-, à la suite de son voyage en Algérie, adres- sait au gouverneur général, en date du 6 février 1863, une lettre dans huiuelle il manifeslail sa V(il(»nt('' de voir abandonner ce système (|ui avait conlic lui les bincanx ai'abes. C'est rinilueiicc de ces derniers (pii se l'ail en effet sentir à partir de IS60, ('pocpic à huiiielle le gouver- nement militaire succède an iiiiiii>lère de l'Algérie i-l des colonies. La caractéristicpie de celte lioisième période, cesl la réaction contrôla colonisation, en laveui'de rindigène. Celte tendance a son expression dans le senalus-consulle — io- de 1863 qui décide que les Arabes seront désormais (( propi'iélaires iticommnlahles des territoires donl ilsont (( eu juscju'alors la jouissance traditionnelle à (juchiue « titre que ce soit ». C'est donc la propriété collective, conférée aux tribus, des teri-itoires qu'elles occupent. La conséquence nécessaire de cette conception, c'est un teni[)s d'arrêt dans la colonisation. La quatrième période commence après la guerre de 1870 Une reci'udescence se manifeste datis l'aclivité colo- nisatrice et pour se procurer des terres, on recourt au système de l'assimilation complèle entre l'Algérie et la France, permettant aux Arabes de demander le partage des territoires indivis entre eux et de les aliéner ensuite. La loi du ^26 juillet 1873 est l'expression de cette théorie. Mais les résultats ne devaient pas larder à se faire sen- tir : la loi nouvelle, adroitement exploitée par des hom- mes d'affaires plus ou moins scrupuleux, aboutissait en fait au dépouillement des indigènes, réduits à devenir khammès sur les terres dont ils étaient autrefois proprié- taires. Cette situation devait créer chez eux un état d'es- prit hostile, dont on a voulu voir une manifestation dans le soulèvement local dont le village de Margueiàtte a été récemment le théâtre. Avec 1890 commence une cinquième période : les pou- voirs publics, cédant à la nécessité, arrêtent l'exécution de la loi de 1873. Une loi d'attente promulguée le \Q fé- vrier 1897 est venue parei' aux défauts les plus graves de la loi de 1873. Mais ce régime n'a rien encore de définitif et une commission étudie actuellement le système à adopter. — ii — § 2 Développement économique de l'Algérie et prépondérance de Vêlement agricole En dépit des circonslances fortuites (iiii avaient amené l'occupation de l'Algérie ; en dépit des conditions défec- tueuses dans lesquelles commença cette occupation, par suite du manque de plan préconçu; en dépit des contra- dictions qui se produisirent dans la réglementation du régime des terres, la situation économique du pays devait cependant s'améliorer peu à [)on. L'Algérie se présentait au moment de la conquête, dans un état peu florissant. Si l'administration tni-que, solidement organisée, maintenait le pays sous sa domina- tion, ce n'était pas sans peser lourdement sur la popula- tion indigène, dont la situation se trouvait encore aggravée par les luttes fréquentes que se livraient entre elles les tribus. (( Les seules voies de communication élaient des « sentiers tracés par le [)assage répété des bêtes de somme; « c'élait l'uni()ue moyen de transport poui' les marchan- « dises; aucune voie carrossable ne Iravcrsail le pays. 11 « n'existait plus (juc quelques vestiges des anciennes « chaussées romaines, les habilanls n'alhiicnl (|u'à cheval ; « les rivières se passaient à gué et devenait'iil inlranchis- igo5,p. igo et suivantes. « On nous présente tout simplement comme Arabes ceux qui sont les plus orthodoxes et comme Berbères ceux qui gardent de nombreuses survivances de coutumes antéislamiques ». — 19 — possible la quantité de produits nécessaire pour ne pas mourir de faim. Le caractèie du [nusulmati est décrit de la façon suivante par Mohammed ben Ralial, ancien caïd d'Oran et musulman lui-mèine (1) : u Ce qui caractérise « le musulman, c'est une certaine tendance à se contenter a de la médioci'ité, à ne viser ni trop haut ni trop loin, à (( préférer le calme à l'agitation, le silence au bruit, la « condition moyenne et trancpiille à la condition biillaiite (( entourée de soucis. Nul n"est plus philosophe, nul ne « réalise mieux les pi'éceptcs du Cliiist et son détache- « ment des choses de ce monde : effet naturel des fortes « convictions et de la foi absolue ». On trouvera plus loin l'exposé de son système rudimen- taire de culture : il apparaît cependant à Texamen que ses procédés grossiers lui permettent de tirer le meilleur parti possible d'une situation toute spéciale presque entièrement dominée par les cotiditions climatériques. Mais la production de l'Arabe, pour n'être pas inten- sive, n'en atteint pas moins une réelle impoi tance, par le nombre de ceux (pii y concourent. Deux choses suilout l'occupent : la production des céréales et celle du bétail. MM. Lecq et Rivière ont mis en lumièi(> dans leui- ouvrage (4) rini[)ortance considérable de ii'llc |iro(luclioii indigène : « Dans la région iiionlagncusc. l'indii^èue « est le principal, sin(»n le seul éleveur de i^rns belad « C'est lui (pii protluil ce fonds annuel de 1 . I ;)().()( M) tètes « de gros bétail, (|ui, avec les chevaux, les mulets et li>.s « unes, représente une valeur mobile d au moins ."iO iiiij- 1. Bulletin (II' la rrnnion d'ctndi'n nhirrirnncs, i()i)>.. p. i(). 2. Lecq et li^ivière, Munui'l ilr I .[ les trois éléments, l'Arabe, le Kabyle, le colon, diverses com- binaisons sont possibles et on trouve simultanémeul. sui- vant les [)oints, la culture exclusiveniiMit euri)péenne, la — 22 — culture exclusivement indigène, et enfin les combinaisons entre indigènes et européens. On retrouve tout d'abord les divers modes d'exploita- tion usités en France, et en premier lieu le faire-valoir direct, qui est exigé pour les concessions gratuites. Il n'existe guère que pour la moyenne et la petite propriété; le faire-valoir par régisseur est celui qui est le plus fré- quent pour les grandes propriétés. En ce qui concerne les modes d'amodiation employés par les Européens, on trouve ensuite le fermage, très fréquent bien entendu, et aussi le métayage, très usité et aboutissant généralement au partage par moitié du rendement et du croît, après prélèvement des avances du propriétaire. En ce qui concerne la vigne, les frais de défoncement sont supportés par moitié par le proprié- taire et le métayer, qui a entièrement à sa charge les frais de plantation, de culture et de main-d'œuvre (i). L'emphythéose et le colonat partiaire sont également employés. La culture purement indigène est pratiquée par les Kabyles, dont on connaît l'organisation particulière. Elle est également représentée pai' les Arabes, soit sédentai- res, soit nomades, tantôt sur des terrains leur appar- tenant en propre, tantôt sur des terrains dont la propriété collective est laissée à la tribu. Ils sont surtout occupés par la transhumance des troupeaux entre les Hauts- Plateaux et le littoral. Les colons, enfin, collaborent parfois avec l'indigène. On a vu plus haut le rôle que joue celui-ci au point de vue de la main-d'œuvre agricole. C'est la forme la plus I . Lecq et Rivière, op. cit. — 23 — simple de celte collaboration. Mais les Européens s'unis- sent parfois à TArabc, soit par le contrat de fermage et de métayage, soit plutôt par celui du coloriât partiaire, soit, par celui de Khamès qui est le plus fréquent. Ces contrats entre colons et iiidigèiies sont extrême- ment t'récjuoMts et extrêmement variés. La pi'oporlion dans laquelle les fruits sont partagés est même souvent modifiée en cours d'exercice, ou l'exécution reportée à l'année suivante, avec modifications des conditions primi- tives. Ces contrats sont souvent accompagnés d'avances faites par l'Européen à son associé indigène. Toutefois, quand un terrain loué à un Arabe contient des vignes, il est généralement stipulé que la taille sera faite par un Européen et parfois sous la surveillance du bailleur. i 4 Quelles sont les diverses régions ou s'exerce l'agriculture et quelle est l'importance de ses prodîictions La partie colonisable de l'Algérie forme une bande comprise entre la Méditerranée au Nord et le Sahara au Sud. Cette partie comprend elle-même trois régions dis- tinctes : Tout d'abord la partie littorale ou Tell, région plane, fertile, propice à presque toutes b's culliii-es. Ensuite, une région inteiinédiaii'e. montagneuse, (jui s'élève graduellement pour arrivei' enfin à foi-mer une troisième région, d'altitude plus élevée, relaliveuicnt plane, la région des Hauls-Phileaur, constituée par ib's terrains presque excltisivemeiiL propi'es à l'élevage du mouton, tandis (pie les coiitretorts intei'mediaires entre „ 24 - celle région ai le Tell conviennent encore aux ciillures plus rémunéi'atrices. Enfin, an sud des Hauts-Plateaux, le Sahara, parsemé d'oasis qu'a t'ait naître la pi'ésence des soui'ces. i\l. Lecq (1) divise, au point de vue agricole, l'Algérie en quatre zones cultivables : 1° La zone marine, située au niveau de la mer, ou à une faible altitude et à petite distance du rivage. Elle est rela- livemeni chaude et humide. Elle esl caractérisée par la présence de l'oranger. Les pluies y sont abondantes. C'est la région oii les terres ont le plus de valeur, en raison de la présence des lignes de chemins de fer, des ports et des villes les plus importantes. Elle possède une horticulture perfectionnée et une agriculture intensive qui produit une quantité importante de céréales. C'est la région des vignobles à grand rendement et des orangeries. C'est d'ailleurs celle où l'hydraulique agricole a atteint son plus haut degré de perfectionnemeni ; 2° La zone montagneuse, intermédiaii*e entre le Tell et les Hauts-Plateaux, tempérée dans les parties voisines de la mer ou lui faisant face, mais plus froide à mesure que l'altitude et la distance du rivage augmentent. Cette zone est caractérisée par la présence de l'olivier; elle com- prend toute la Kabylie. Le climat y est déjà plus exces- sif que dans la précédente. Le sirocco s'y fait sentir; la gelée et la neige n'y sont pas rares. iMais l'humidité y est moindre. Cette région est par excellence celle des cultu- res arbuslives : orangei'S, oliviers, foi'êts de chênes, de conifères et de cai'oubiers. Toutefois, son relief accidenté 1. h' A fp'iculture algérienne, par H. Lecq, en collaboration avec MM. Baslide, I\yf et Bauguil. Alger, Giralt, iqoo. — 25 — en fait une région diversifiée et dont les productions varient suivant les conditions spéciales aux points consi- dérés. Quand l'humidité y est suffisante, l'élevage y réus- sit bien, celui du bœuf en particulier. Le sol y est fré- quemment riche et convient particulièrement à la culture de l'orge et du blé dur. 3" La zone des Hants-Plaleaux apparaît avec un carac- tère tout particulier. Elle est caractérisée par des températures extrêmes très marquées, pays de neiges et de froids considérables, de longs hivers et aussi pays de chaleur intense et de sécheresse. Cette région consiste en une série de plaines, d'une altitude moyenne (.le 800 mètres, exposées a tous les vents, d'une sécheresse prescjue continuelle et présentant des varia- tions considérables de température, allant de — 14" en hiver a +48° en été. La végétation y est rare et i;ros- sière, aussi la [)rincipale utilisation de ces teiMains cun- siste-t-elle dans le parcours des troupeaux. Les [xiiuls d'eau épars çà et là sur ces vastes surfaces marquent les étapes des troupeaux de chèvres et de moutons (jui les parcourent et les parcouraient surtout autrefois, peudanl la saison d'hiver, l'emontanl vers le Tell eu été, (|nand la sécheresse brûlante les chassait. A mesure (pic la pro- priété individuelle s'est (lévelo|)[)é(' .hms le Tell, il est devenu plus difficile aux Arabes de faii-e hivcrnt'i- leurs troupeaux. Mais les Hauts-Plateaux jouent encore un rôle considé- rable dans l'élevage algéiicn. lis sont dailleui'S soumis, sui' (pielcpies points, à une culluri' plus perfectionnée, et notatnment celle des céréales, nc'i'essairement inégale en raison des circonstances climal» ritpics. L'Ailminislration a fait îles elïorls pour fournir aux — 26 — indigènes des semences plus particulièrement appio- priées au terrain et elle a aussi préconisé la plantation de l'olivier, susceptible par ses longues racines d'aller chercher l'eau dans le sous-sol {\). 4° La zone désertique ou saharienne, où la |)luie est 1res rare, où l'air est sec, souvent brûlant, et où les terres, d'une constitution particulière, ne sont cultivables que là où les eaux souterraines suppléent à l'insuffisance des chutes pluviales. Connaissant les agents de production et le sol sur lequel ils s'exercent, il est intéressant de constater quel est le résultat auquel ils sont arrivés et quelles sont les branches les plus importantes de leur production. L'examen comparatif des exportations de l'Algérie en 1850 et en 1900 (2) permettra de constater, en même temps que révolution accomplie, les tendances qu'elle dénote : EXPORTATIONS. — VALEURS EN FRANCS 1850 1900 Béliers, brebis ou mouton S . . » 19.246.447 Bestiaux » 2.822.156 Céréales .... 4.740 41.275.827 Crin végétal . . . » 3.244.992 Ecorces à tan . . » 1.143.446 Fourrages . . . » 976.034 Fruits de table . . 87.260 4.465.446 Huile d'olive. . . 93.946 3.428.336 Laines en masse . 2.249.815 12.061.976 Légumes frais . . » 1.727.889 1. V. Le développement de l'agriculture sur les Hauts-Plateaux, Bulletin de l'office de renseignements du gouvernement général de l'Algérie, iSjuin 1902. 2. Bulletin de l'Office des renseiynements généraux du (jourernement général de V Algérie, iSjuin 1902. 27 1850 1900 Légumes secs 1.700 502.760 Lièges bruts » 6.432.727 Peaux et pelleteries brutes . . 2.323.228 13.923.913 Pommes de terre » 855.263 Spente ou alfa 95.757 7.215.536 Tabacs en feuilles 202.456 1.470.606 Vins » 51.118.054 Totaux . . . . 5.058.902 171.911.408 I 5 Les di/férentes branches de la production agricole A. — Les céréales et rassollement Los céréales occupent incoiitestableinciiL la pcemière place dans les cultures algériennes. Les surlaces enihla- vces sont les suivantes pai- année moyenne (1) : Indigènes Blés tendres. 62.000 h ect. soil t 0.95 0/0 sui" une surface de Blés durs. . 952.000 » » 14,61 » 6.500.000 hect. en- Orges. . . 1. 306.000 » » 20,00 » tre les mains des Avoines . . 2.329 » indigènes. Maïs . . . 8.000 » Sorgho . , 30 . 000 )) Européois Blés tendres. 126.04!) hect. soit î».25 0 0 Blés durs. . 124.433 » >. 9,18 » Orges. . . 120.027 » » 8,88 « Avoines . , 43.402 » » 0.32 » 1. V^irlot, Ijea crrrales d'Algérie, ,VlgiM', Ciirall, ujoo. Les récoltes produites sont les suivontes : Re[)réscntant une valeur de Blés tendres Blés durs . Avoines. . Orges . . Total. 1.252.778 qx. :i.lG3.772 » 8.701.875 » W. 1.760 » 15.680.667 qx. 25.000.000 fr. 103.000.000 » 104.000.000 » 7.000.000 .) 239.000.000 fr. Les trnvaiix de moisson et de battage exécutés par la main d'œuvre indigène représentent d'après M. Varlet nn salaire moyen de 14 millions, et le transit des céréa- les entre l'Algérie et la France donne lieu à un fret représentant par an 10 à l'2 millions de francs. Sur les 239.000.000 de Irancs produits annuellement par l'Algérie, on a vu plus liant que Texportation- ne représentait qu'une valeur de 41 millions : la consom- mation annuelle des céréales en Algérie porte donc sur une valeur qui s'élève en chititres ronds à 200.000.000 de francs. Quelles sont les causes qui ont donné à la production des céréales cette importance prépondérante ? On a parlé souvent de la [uerveilleuse fertilité de l'Algérie, le « grenier de Kome », fertilité qui, si elle existait, expli- querait cette production énorme de blé par l'abondance avec laquelle le sol rend ce qu'on lui confie. Mais tous les Algériens s'élèvent au contraire avec vétiémence contre cette opinion si répandue. Dans leur Manuel pratique de V agriculteur algérien, MM. Rivière et Lecq reviennent à plusieurs rei)rises sur cette « légende » de la fertilité de l'Afrique du Nord et insistent au contraire beaucoup sur les difficultés énormes que rencontre le colon pour triompher des étés brûlants — 29 — et arriver à maintenir dans le sol une humidité suffi- sante pour permettre la maturation de la semence. i\I. Varlet également, commence son étude suv Les céréales d'Algérie par une réfutation de l'opinion généralement admise sur le sol algérien. En admettant, dit-il, que le sol ait donné à l'époque de la domination romaine d'abondantes récoltes, il en lésultait nécessairement pour ce sol un a|)pauvrissement qui devait aller en augmentant, et ce d'autant plus que les populations qui le cultivaient successivement, vivant dans un état d'in- quiétude journalière, ne songeaient et ne pouvaient son- ger qu'à tirer de leur culture le maximum d'effet immé- diat, sans souci du lendemain. L'épuisement du sol, et partant, la difficulté des récoltes, devait aller croissant. Ce n'est donc pas dans l'obtention aisée de récoltes abondantes (ju'il faut cher- cher la cause de la préférence marquée des Arabes pour cette culture Mais d'autres l'aisoiis suffisent à l'expliquer : 1° C'est tout d'abord la culture qui nécessite le moins d'avances à la terre et le moins de frais d'exploitation, entendue surtout comme l'entendait l'indigène. Au moyen d'une chairue grossière taillée dans un tronc d'arbre, il écorchait superficiellement le sol, y jetai! la semence et s'en remettait pour le reste au bon vouloir de la Provi- dence (l). La récolte faite, le chaume (Mail iiicinéi-é et le terrain ainsi fumé servait Tanuc'e suivante de pâturage aux bestiaux. [*uis, ayant de la sorte [wr du sol 1 . Pour st! rendre compte do ro ([ii'tUail la riillurc iiuligôno avant l'occiipalion iVançaise, voir \c lablcaii (juc l'ail M. iicrnaiii de la cul- ture marocaine : Les productions, l'rélérence au\ — 3-2 — orges et aux bics durs, plus rustiques et d'une conserva- tion facile, les Européens cultivent à peu près égale- ment l'orge, le blé dur et le blé tendre. Mais le trait véi'itablement diftei'entiel des deux cul- tures, c'est que la production européenne est plus régulière .- les superficies ensemencées chaque année demeurent semblables ; les emblavures des indigènes présentent au contraire des variations considérables : c'est la conséquence de leur état précaire (|ui rend cha- que récolte tributaire de la précédente et diminue la quantité disponible pour la semence quand l'année a été mauvaise. Le mode de culture varie nécessairement suivant la race considérée : le Kabyle est peu producteur de céréa- les ; l'Arabe au contraire, cultive beaucoup le blé dur, approprié au climat et au sol : c'est la saison des pluies qui donne le signal du commencement des labours. Quant aux Européens, la superficie des céréales cultivées par eux atteint 31,48 0/0 de la surface cultivée contre 28,36 0/0 en France. La culture du blé varie suivant les régions: la Mitidja, région des plaines à climat marin et à culture intensive ; le Chélif, région de plaines très exposée à la sécheresse et où la culture prend la forme extensive ; la région de Sétif, présentant déjà le carac- tère des Hauts Plateaux, à climat plus rigoureux; enfin la région de Sidi-bel-Abbès, remarquable par une culture plus soignée, un assollement rationnel, et des prépara- tions culturales bien comprises. Il convient d'ailleurs de remarquer que les blés algé- riens, tendres ou durs, sont tous des blés d'automne. Le blé dur trouve surtout son utilisation dans la nourriture de l'indigène et dans la fabrication des pâtes et des - 33 — semoules; quant au blé touJi'»;, il est utilisé en oiinoterie et très recherché sur le marché de Marseille. Les grains nne fois récoltés, sont emmagasinés pour altendre la vente. Les indigènes les conservent, vendant seulement ce qui dépasse la quantité nécessaire pour leur consommation et l'ensemencement de leurs terres, ils n'envoient donc généralement leur grain sur le marché que [)eu à peu, au fur et à mesure de leurs besoins, sans tenir conipte des cours. Los colons apportent au contraire un peu plus de calcul dans le choix de leur moment de vente, et ce d'autant plus que leur pi'oduction [l'est pas, comme celle des indigènes, presque entièrement consom- mée par eux-mêmes. La vente des céréales donne même lieu, daris le dé()artement d'Oran notamment, à de gros- ses spéculations. Le blé destiné à l'exportation passe presque entière- ment par Marseille ; il en résulte que le cours du blé algérien est réglé par celui du marché de cette place; mais il est extrêmement sensible et ses fluctuations sont plus fréquenles et plus accentuées que celles du marché de Marseille. L'avenir paraît favorable aux céréales algériennes : leur qualité leur permet de lutter avec cidles des pays qui importent en France, d'une part; et d'autre part, l'accroissement continu de la [)()pulalion. de reltMuent musulman surtout, permet de pi-évoir un accroissement de la consoiniiiatioii intérieure de lAlgt'rie. Dès avant la contjuète IVan(;aise, la culture importante de l'Algérie était donc celle des céréales, praticpiee sui- vant le système qui a été exposé plus haut. Mais nue terre ne donne pas iudétinimenl des récolles de ceiéales ; la nécessité d'un assollement s'impose. On a vu ijue Philippar 3 — 34 — c(3lui qu'avaient ado|)té les Arabes était très simple : c'était rassollenu'ul l)i(Minal, jaclière-l}lé, s'a(la[>tant d'ailleurs merveilleusement à leurs besoins et à leurs mœui-s. C'est ce système (jue les colons français trouvè- rent en vigueur à leur arrivée en Algérie; c'est ce sys- tème qu'ils devaient bientôt adopter également, faisant suivre la jachère morte d'une céréale, et parfois de deux, quand les terres avaient pu recevoir une fumure. Cet assollement assure, dans une certaine mesure, la resti- tution de l'azote du sol, mais il n'apporte ni potasse ni acide phosphorique. Aussi at-il pour résultat un appau- vrissement lent, mais incontestable du sol. C'est pour atténuer cet appauvrissement que diverses régions de l'Al- gérie, et particulièrement celle de Sidi-bel-AbbèsetdeSétif ont adopté \a jachère travaillée : la terre i-eçoit dans le cou- rant de l'année de repos, et spécialement au printemps, plusieurs labours, qui, outre l'avantage de nettoyer le terrain, présentent surtout celui de rompre la capillarité et d'empêcher l'évaporation d'une portion de Teau conte nue dans le sol. Mais ce procédé n'est évi(1emment qu'une amélioration assez faible d'un mode de culture encore primitif. M. Bourde, dans un opuscule paru en 1894 (1), faisait la criticjue de ce système de culture qu'il traitait d' « agri- cultui-e barbare ». Et exandnant quelles modifications il convenait d'apporter au régime agricole qui avait été jusque-là celui de la colonie, il dénonçait l'appauvrisse- ment continu du sol, rappelant que l'assollement biennal est le plus ancien et le plus rudimentaire de tous, celui que pratiquaient au xviii** siècle les provinces de France, à 1 . Le mal de l'Algérie, six lettres adressées au journal « Le Temps » par un vieil algérien. Paris, Pariset, 1894. l'époque où les parcourait AiLhur Young. M. Bourde exposait (jne la resliliilion au sol dos éléments disparus ne pouvait être réalisée que pai- l'abondance de la fumure. Cette fumure ne saurait être obtenue que par la présence dans l'exploitation d'une quantité suffisante de bétail. Ce bétail lui-même ne pourrait être entretenu que si on avait pour le nourrir une production fourragère suffisante. Le mode tie cultuic rationnel ap[)araît donc comme devant substituer à la jachère les cultures four- ragères ; c'est la marche qu'a suivie en France le progrès agricole. De soi-te que, passant en revue les div<'rs pro- grammes proposés pour la solution de la question algé- rienne, régime de l'aulonomie ou régime des rattache- ments, M. Bourde concluait : « Ce dont TAIgérie a le plus besoin, c'est d'avoir une plante fourragère à faire entrer dans ses assollements ». il n'exposait d'ailleurs les don- nées du [X'oblôme que pour indicpier la solution (jui lui semblait délinitive : c'était la culture du Sulla (Hedysa- rum coi'onai'ium) et du Cactus sans épines i^Opunla ficus indica). La culture du sulla lui pai'aissait surtout devoir prendre dans les assollements algériens une place pré- pondérante. MM. Rivière et Lecq dans leur manuel publié bien après le travail de M. Bourde cité ici, déiioucent avec une certaine amertume la déception des (vspérauces fondées sur le Sulla. Ils ne méconnaissciil pas i'ap|)auvi'isse- ment continu du sol, résultant de l'assoliemeul liieniial ; ils reconnaissent volontiers tju'il y ani-ail lieu de niodilicr ce mode de ciillure, mais ils exauiiiienl avec scepticisme les divei's moyens pi'oposés : la proiluclion fourragèrt^ suffisante leur semble difficile à obtcnii- à i-aison des sécheresses annuelles. — 36 - La question du climal e.L de la sécheresse domine donc tout : l'Arabe ne veut faire (pie l'efforL stiiclement néces- saire, esliniant que si la pluie ne vient pas l'aider, Ions ses efforts seront vains. Le colon à son tour vient dire : (( Je ne |)uis avoir de fumier sans bétail, de bétail sans fourrage et de fourrage sans pluie. Si j'engage pour l'achat de mon bétail un certain capital, ce capital sera perdu si la pluie ne vient pas ». Aussi c'est avec la plus grande incrédulité que MM. Rivière et Lecq parlent « de la même idée chimérique caressée par des agriculteurs de nos jours : trouver des plantes fourragères susce[)libles des'accommoder aux vicissitudes de noti-e climat ». On a réussi cependant à déterminer certains types d'assollement qui ont donné de bons résultats. Tel celui que M. Arlès-Dufour pratiquait dans la Mitidja. Sur une forte fumure de 80.000 kilogrammes de fumier de ferme à l'hectare, les cultures se succédaient de la façon sui- vante : 1" année : Fourrages, fèves, ou vesces suivies d'un maïs fourrager ; 2e — gié Jur ; 3» __ Fourrage (jachère pâturée et fauchée) ; 4e — Blé tendre ou lin ; 5e — Opge ou avoine. Mais les céréales furent sujettes à la verse et le système fut abandonné pour l'assollement triennal dans lequel la troisième année était occupée par une culture de maïs. C'est ce dernier type, modifié suivant les circonstances,qui est resté le plus usité dans la Mitidja. Mais cet assolle- ment, exigeant une forte fumure, et par conséquent des capitaux importants, constitue l'exception : l'assollement — 37 — biennal demeure au contraire la règle, amélioré clans certains cas par la perfection des façons culturales et transformé parfois par le système de la jachère cul- tivée. Dans l'ensemble, les systèmes étudiés n'ont donc que médiocrement réussi et l'on n'a pas pu, en somme, adopter une formule générale pei'mettant d'assurer, par une rotation raisonnée des cultures, la restitution nor- male des éléments enlevés au sol par les céréales. Ce résultat ne saurait être en effet obtenu, comme on l'a vu, que par l'introduction de deux éléments : 1° Les cultures fourragères ; 2" Un cheptel vivant plus important. La première condition est entravée par la (piestion de la sécheresse, qui ne pourr-ait évidemment recevoir de solution que par l'amélioration du régime hydraulique de l'Algérie, question de [)remière importance sur laquelle on reviendra [)lus loiii. Quant à la seconde question, elle est subordonnée tout d'abord à la réalisation de la première, ensuite à l'abondance des capitaux et du crédit. C'est, en effet, fré- (luemmcnt le man({ne de capitaux (jui force le nouveau colon à adopter un mode (\c cultui-e voisin de celui de l'indigène. A l'élevage du bétail par \o colon, on a tait une autre objection : l'indigène élevant et engraissant à meilleur marché cpie le colon, ce dcruiei' n'a pas intérêt à entreprendre une opéralion ayant pour seul avanlage la production du l'iiniicM' : mais nous veri'ons (pi'en gênerai l'indigène fait surtout l'élevage pendant (pie le colon l'ait l'engraissement ; les deux spiuMilations senihlent donc pouvoir s'accorder et permettre la coopei-alion de l'indi- gène et de l'européen. — 38 — Si l'on cherche maintenant à résumer d'un mot la situation, résultant de hi prépondérance de la culture des céréales, ou constate qu'elle détermine un appauvrisse- ment du sol autjuel, seule, une abondante application de fumier pourrait remédier, et pour cotte production de fumier, deux éléments sont nécessaires : l'eau et les capitaux. B. — Le bétail I. — Race bovine La population bovine du nord de l'Algérie constitue pour Sanson une variété de la race ibéricjue ; elle présente deux types distincts et intéressants : le bœuf deGuelma et le bœuf marocain. La variété de Guelma présente l'avantage d'un sque- lette affiné et de dispositions remarquables à l'engraisse- ment rapide et facile. Son seul défaut est son manque de taille, conséquence probable de la vie assez dure que ce bétail est condamné à mener dans un pays où les alternatives de la température le condamnent à des jeû- nes rigoureux entre des périodes tl'abondance. Le type bovin de l'Algérie est merveilleusement adapté au climat : rustique, vigoureux, agile, il résiste sans effort aux périodes de sécheresse; et (|uand l'abon- dance revient avec la pluie, il reprend facilement le poids nécessaire pour devenir animal de boucherie. La production du bétail bovin comprend deux phases bien distinctes : l'élevage et l'engraissement. L'élevage est pratiqué simultanément [)ar l'indigène et par l'Européen. — 39 — II est surtout pratiqué j);!!- l'indigène, ce qui revient à dii'e (juil l'est suivant des méthodes généralement défec- tueuses. La liberté la plus complète est laissée aux ani- maux (jui vivent en toute promiscuité; l'accouplement se fait donc sans sélection et sans discipline aucune. Il en résulte une proportion assez importante tie mises-bas hors saison. Les piotloits ainsi obtenus sont rabougris et sans valeur. Les naissances normales ont lieu de décem- bre à mai's. Les veaux se développent inégalement suivant les circonstances climatériques de Tannée et sont veridus entre 15 et 30 mois à des colons. Les Européens se livrent peu à rélevage. Us préfèrent acheter aux indigènes de jeunes bètes, et employer ainsi leui-s ressources fourragères à engraisser des animaux en élat den acquéiii" une plus-value rapide. En dehors des cas assez rares où l'Européen pratique l'élevage du veau de lait ou la production (\u lait |»our la vente en nature, il abandonne presque entièrement aux indigènes la production du jeune bovidé. C'est un inconvénient, en co sens que les sujets produits présentent des défauts qu'un élevage rationnel permet- trait d'éviter : il est certain, notamment, qu'un animal ayant souffert [x-ndant ses [)remièfes années de périodes de disette, atteindra rarement plus lartl la valeur (pi'on eût pu espérerd'un animal ayant reeu dès l'origine et sans discontinniié une alinientalion sullisante. Mais c'est un avantage en ce sens (pie celte division tin travail permet la coopéialion de l'indigène et du colon et eonslilue pour le premier un ('lément de richessi'. Le jeune animal, produit par l'indigène el acheté par le colon, doit être ensuiteengraisse.il l'est suivant des systèmes différents. — 40 — Le plus simple, fréquemment usité, est celui dans lequel le jeune animal est employé aux travaux de labour. Due nourriture assez ordinaire suffit à le main- tenir en élat. Puis, quand il a atteint l'âge de o ou 6 ans. qui est celui du développement maximum, il est soumis à une période d'engraissement de (pielques semaines, qui sulfità l'amener à un état suffisant poui- le présenter au marché. C'est le bœuf dit de colon, généralement vendu pendant l'hiver pour être consommé sur place. Les éléments employés pour la nourriture ne sont généralement pas d'une qualité remarquable; le point important est sur- tout de conserver des réserves pour les années de séche- resse. Ce mode d'engraissement rudimentaire n'est pas le seul; on pratique concurremment l'engraissement au pâturage et l'engraissement à l'étable. L'engraissement au pâlurage s'effectue au printemps; les animaux, lâchés d'abord sur les chaumes, sont introduits dans les pâturages aussitôt que l'herbe com- mence à pousser, et une période de 3 mois suffit pour les mettre en état. « Achetés pour 50 à 70 francs à rais ui de « 0 fr. 40 ou 0 fr. 50 le kilogr. sur pied, ils font au prin- ce temps (avril, mai, juin) de petits bœufs de 90 à 100 kgr. « et sont vendus à Marseille de 1 fr. 10 à 1 fr.20 le kgr. « net » (1). Ces jeunes bœufs d'herbe, surtout produits dans la province de Constantine sont très recherchés à Marseille où on les désigne sous le nom d'Agemis ou bœufs de Bône. L'industrie de l'engraissement à l'étable est plus rare. I. Rivière et Lecq, 0J9. cit. — 41 — Elle ne doit porter que siii- des sujets déjà en bon état. Elle demande un approvisionnement assez considérable en fourrages variés. MM. Rivière et Lecq estiment qu'il faut dépenser 70 francs au minimum par animal, non compris l'intérêt du capital employé à l'opération, le loyer du local et les frais de main-d'œuvre. Ce pourcentage plus élevé des dé[)enses fait qu'une semblable entreprise ne peut réussir qu'aux environs d'un centre important, oîi cette viande trouvera sori écoulement pendant l'hiver, entre les mois de décembre et de mars, au moment oîi elle est l'are et chère. Ce mode d'engraissenjent est surtout important aux environs d'Oran. Telles sont dans leurs grandes lignes les diverses spé- culations auxquelles donne lieu l'élevage du bétail bovin. Cet élevage pourrait subir diverses améliorations : la pre- mière concerne la nourriture : mais celte question est solidaire de celle de la production foui'ragère dont on a montré plus haut la difticulté, en même temps que l'im- portance. Un autre but, qui s'impose à l'attention des éle- veurs, est le perfectionnement du type même de la race. 11 semble que le croisement avec les races supérieures puisse être parfois adopté avec avantage. Toutefois, en général, la sélection |)aralt êti'e le proeéilé le plus à recommander. On se trouve, en etrel,(Mi pi'éseiR-e diiin' race acclimatée, répondant aux besoins du |»ays; la sagesse parait com mander il e la conseivci" en l'aiiielioi ani . Les efforts dans ce sens doivent poiler sur trois points : 1'^ Sur la naissance du sujet (|ue l'on devra s'elTorcer d'obtenii' à époipie convenable et de pai'ents soigneuse- ment choisis eux-mêmes ; 2° Sur l'alimentation de l'animal pendant sa jeunesse : — 42 — mais c'est la queslioiule la [)i()(liiction fourragère (j ni vient se présenter à nouveau ; 3" Sur le choix du reproducteur. Les débouchés du bœuf sont donc les suivants : 1° La consommation sur place, dans les centres plus ou moins importants, consommation à laquelle le bœuf de colon paraît devoir donner satisfaction ; 2° La consommation des centr-es urbains, qui sera alimentée au printem[)S par les jeunes bœufs d'hei'be, et l'hiver par les bœufs d'étable; 3° L'exportation, qui, actuellement, porte surtout sur les bœufs d'herbe, dont le marché est Marseille. Le rôle du bœuf n)arocain. pour être nécessaii'ement moins important que celui du bœuf algérien, n'est pas cependant à négliger. Cette variété rend les plus grands services à la région de l'Oranie. (( Les bœufs marocains ne ressemblent pas aux bêtes « chétives et de petite taille qu'on rencontre d'ordinaire « en Algérie et en Tunisie : ils rappelleraient parfois, (( d'après certains témoignages, les bestiaux de la Nor- (( mandie ou de la France centrale » (1). Ce sont des ani- maux rustiques et grands producteurs de viande, aussi les colons ont-ils le plus grand intérêt à les acheter pour s'en servir comme travailleurs, puis les vendre à la boucherie après lesavoii' mis en état. « Le marché le plus impor- « tant est Rabat, sur la côte ouest du Maroc. Il est ali- « mente en avril, mai, juin par les bœufs gras des Zem- « mours et des Zaïrs ; en juillet, août et septembre, les « bœufs de Doukkala et de Chaouia sont envoyés sur les 1 . Augustin Bernard, Les productions, l' ngricullui'e et l'industrie au Maroc, Revue générale des sciences pures et appliquées, igoS, p. 82. — 43 — « forts marchés de Mazagi-m et des environs. Les achats « effectués sur ces points prennent deux directions : € Tanger et Marnia » (1). C'est donc le marché de Lella- Marnia qui est le plus grand point d'approvisionnement des colons algériens. « Sur le chiffre total de 22 millions qu'atteint la < moyenne des importations du Maroc en France, le « bétail (bœufs, moutons, chèvres, etc.), représente « 34 0/0 Le bétail, dont l'importation s'effectue par « la frontière de terre, séjourne sur les parcours d'Algérie < pour y pacager et y subir une période de repos et d'en- « graissement avant son embarquement à destination de a la métropole. C'est ainsi qu'en 1901, FAIgérie a reçu « du Maroc 42.000 têtes de gros bétail et plus de « 290.000 tôles de mouton. Après un séjour plus ou « moins long en terri toii'e algérien, où ils se cou l'on - « dent avec le bétail indigène, ces aiiiiiiaux sont dirigés « sur les ports métropolitains, oi^i ils sont admis en fran- «f chise des droits sous le bénéfice de l'origine algé- « rienne » (2). On voit, qu'il s'agisse du bétail algérien ou mai'ocain, que le cycle est toujours le même: l'animal produit par l'in- digène est acheté par le colon, puis engraissé et revendu par lui, suivant les divers modes énumérés. Voui (jiie ces opérations soient acconq)Iies dans les ineilicuics condi- tions [)()ssibles, on est auKuié à coiislalei'. là t'Di'on». la nécessité d'une production fouiragère aboiidatilc. coodi- tion nécessaire, (»n l'a déjà vu, à l'tHpiihbi'c de la ciiltuic des céréales. I . lîrriiioiul, i)i Riviri-c cl [,t'C(|. C(. Aiigtislin liernard, loc. cil. 2. P. MoiicIkm'ohI. ?s<)s rr/iili())i.< C()iii>iir)riii/r:< atrc II' Mmoc. lUiU. de l'Ofi". des rens. gon. du j^oiiv. i;('ii. del'Alg., i()o3, p. 5(>. — 44 — II. — Race ovine Le climat particulier de l'Algérie, les immenses [)laines qu'elle renferme, favorisent particulièrement l'élevage du mouton. Aussi cette industrie y a-t-elle pris une réelle importance. Les statistiques de 1899 (Lc^cq, Bastide, Ryf, Bauguil) accusaient les chiffres suivants : Moutons possédés par les Européens . 387 598 — — indigènes. . 7.136.165 Total . . . 7.5^23.763 La valeur des troupeaux, dans les bonnes années, dépasserait, d'a|)rès MM. Rivière et Lecq, 150 millions de francs pour le mouton, 40 millions pour la chèvre. La production annuelle qui en résulte représente une valeur de 41.400.000 fiancs (Lecq, Ryf, Bastide et Bauguil) se décomposant ainsi : Viande . . 33.000.000 Laine . . 5.400.000 Lait . . . 3.000.000 Total. . 41.400 000 Cette production est doublement intéressante : d'abord parce qu'elle se trouve dans une notable pi'oportion entre les mains des indigènes, ensuite parce ([u'elle ne concurrence pas la métropole. En effet, malgré une exportation qui a atteint une moyenne annuelle de 1.043.684 tètes pour la décade 1890-1899, la France reste encore tributaire de l'étranger pour son approvi- sionnement en viande de mouton. — 45 - La population ovine de lAIgérie comprend trois grou- pes : d'abord la race berbère et la race barbarine, infé- rieures l'une et l'autre, qui tendent à disparaître ; la race arabe, au contraire, comprenant différentes variétés à queue fine, à tête blanche, noire ou brune, semble un dérivé de la race mérinos et présente de sérieuses qua- lités. Toutefois, dejjuis quelques années déjà, l'effecLif du troupeau est en décroissance, particulièrement en ce qui concerne le troupeau indigène. « Cette diminution, dit M. Couput (1), s'accentue d'une « façon encore plus fâcheuse pendant l'année 1900, où « les troupeaux telliens ont, eux aussi, été décimés. Si « nous prenons la moyenne des années 1887-1888-1889 « et si nous comparons cette moyenne avec les effectifs « des années 1899 et 1900, nous nous li'ouvons en pré- « sence des résultats suivants : Années Ovins Caprins Ensemble 1887 1 1888 ( 10.347.433 4.564.590 14.912.029 1889 ) 1899 7.523.763 3.751.534 11.275.297 1900 9.723.952 3.563.097 10.287.049 Or, la diminution constatée porte presi[ue exclusive- ment de 1889 à 1899 sur les troupeaux tianshumants. Quelle est la cause de ce fait ? On a exposé plus haut le mode d'élevage pralicjué ()ar les Arabes nomades et le parti (pi'ils tiraient des llauts- 1. Rapport sur le service des Bergeries, Exp. i^'a. gén. Alg. iqoa P- 279. — 46 — Plaleaux, (ju'ils parcoiiraieul l'hiver avec leurs trou- peaux, reniotil.'iiil au [)ritileinps vers le Tell où les ani- maux abaMdoFiiient leur loison et passent la [)ério(le chaude pour retourner ensuite dans le sud. Mais la cons- titution de la pi'opriélé privée et la mise en défens des forets ont eu pour effet d'entraver considérablement celle pratique. C'est là qu'il faut rechercher la cause de cette diminution dans les efï'eclifs. « Gomme ce ne sont pas, « dit M. Gouput, les vastes espaces qu'ils peuvent parcou- « rir pendant le printemps, mais les l'essources cpi'ils « trouvent pendant la période estivale, qui limitent l'essor « des troupeaux indigènes, nous les voyons diminuer en « même temps qu'augmentent les entraves mises à leur (( libre parcours ». Aussi celte question de la transhu- mance a-t-elle très sérieusement altiré l'attention des pouvoirs publics. Elle présente, en effet, au point de vue de l'Algérie, une importance considérable, car, outre le rôle que joue le mouton dans la vie de l'indigène, auquel il fournit sa chair et son lait pour l'alimentation, sa laine pour la confection de la tente et du burnous, il per- met de réaliser la coopération entre l'indigène et le colon, coopération qui apparaît comme le but et le moyen d'une bonne colonisation. A l'automne, époque à laquelle cessent les exportations de moutons, les colons achètent, au pi'ix moyen de 15 fr. par tète, des moutons de 18 mois à 2 ans, qu'ils t'ont châ- trer. Ces animaux sont engraissés pendant Thiver et le printemps, dans les pâturages du Tell (plaines de l'Habra, région de Gonstantine et de Sétit). Dès le mois de mai, les moutons gras se trouvent prêts à être livrés à la con- sommation. Ils peuvent être vendus avant l'époque où conjmence le gros des exportations indigènes, et ce, à des conditions plus avantageuses. _ 47 — Un grand nombre de mesiiies ont été préconisées pour conjurer la diminution du troupeau, notamment la créa- tion d'abreuvoirs et d'abris dans les régions l'réquenlées des Hauts-Plateaux (1). On considère également qu'il serait nécessaire de permettre dans une certaine mesure l'accès des forets aux troupeaux. MM. Hivière et Lecq estiment cette mesure indispensable pour éviter pendant certaines années une mortalité considérable dans les troupeaux. M. Hostains (2), adtninistrateui-adjoint à Sidi- Haïch, (jui a étudié la question, estime que l'accès des fo- rêts poui'raitètre accordé aux troupeaux dans les parcelles de haute futaie et que cette mesure aurait môme l'avan- tage de supprimer les sous-bois, qui sont le point de départ de tous les incendies. Cette opinion est d'ailleurs partagée par M. Coupul On a songé (3) aussi à améliorer la pratique de la transhumance par l'association de l'Eu- ropéen avec l'indigène, mais dans un cadre limité. Cette association déjà pratiquée, consisterait à confier aux indi- gènes des troupeaux qu'ils emmèneraient pâturer dans le sud, à charge pour eux de pai'tager les produits de l'opération avec les bailleurs tle fonds. L'Européetj devrait posséder, sur la limite des lieux de parcours, des pàtura- 1. V. Maurice Colin, Quelques questions algériennes, i->p. 81-110. Suivant lui un triple hut doit être recherciié : 1" l'auguiontation du troupeau par l'aménagement des pâturages et des points d'eau ; 2^ l'amélioration par le meilleur choix des reprodiulfurs, le perfec- tionnement des procédés de tonte. « Il y a en Algérie des indusU'iels qui ont réalisi' des fortunes pai" 1 iililisalion des laines cpiils relrou- vaient sur la peau des moulons abattus, après avoii' été tondus sui- vant les habituels procédés des indigènes »; 3" par une anielioralion des moyens de transport jusqu'à la côte. 2. Elude sur In qurslio)i forestière m Ali/èrie. Hull. lleun. Va. Alg. 1902, no 7>. 3. Lecq et Rivière, Op. cit. - 48 — ges où il mellrait en réserve de grandes quantités de nourriture^ (jui permettraient au lr()U[)eau de venir esti- ver sur ces tei'res. A la saison des pluies, tous les animaux de réserve et toutes les mères, (jue l'on aui-ait fait saillii- par des reproducteurs de choix, retourncM'aient dans le sud; ou ne conserverait dans le domaine que les bêtes destinées à la vente, qui seraient, après engi-ais, vendues sur place ou expédiées en France. Le seul point délicat consiste dans le choix d'un associé indigène intelligent et consciencieux. L'Administration fait tous ses efforts pour améliorer la production des animaux indigènes. Le gouverneur généi-al a, en effet, décidé la création (1) de commissions locales, ayant pour mission de vulgariser les pratiques les mieux appropriées aux régions oii vivent les troupeaux des nomades et de faire compren- dre notamment l'utilité : 1° de la castration ; 2° du choix raisonné des reproducteurs ; 3° d'une tonte intelligemment effectuée. 4° enfin, de la nécessité de laisser aux agneaux, pen- dant les premières semaines tout au moins, le lait de leurs mères. Mais les troupeaux transhumanlsneformentpasla tota- lité de la population ovitie de l'Algérie. M. Gouput estime qu'il existe 3.983.163 moutons en territoire civil et 2.740.789 eu territoire militaire : la plus grande partie des troupeaux est donc « dans les parties du Tell et des (( Hauts-Plateaux, où le climat, la nourriture, leurs con- (( dilions d'existence même, permettent d'en poursuivre 1. Exp. sit. gén. de l'Algérie, 1902, p. iSq. - 49 — l'amélioration aussi bien par le croisement que parla sé- lection ». C'est ce que le gouvernement général a décidé d'encourager en transformant le service des bergeries, appelées à mettre à la disposition des éleveurs des repro- ducteurs choisis. Ceux-ci pai-aissent devoir être pris parmi les mérinos sans cornes. Bien entendu, l'élevage tellien ditfère pi'ofondément de l'élevage du sud. Plus perfectionné, il demande des réserves de nourriture, destinéesaux mois d'hiver, etdes abris pour y conserver les animaux. L'engraissement du mouton et celui de l'agneau de lait dans le voisinage des villes sont les spéculations les plus fréquentes. La chèvre tient à côté du mouton une place importante dans l'économie rurale de l'Algérie. Le grand ref)roche qu'on lui fait, c'est de causer dans les forêts des dégâts considérables. Elle a « soulevé contre elle une croisade de tous les amis de la forêt ». Sa rusticité la leiid cepen^ dant précieuse. C. — La viticulture Ce fut la crise phylloxériquc française (|ui décida de l'essor (le la vilicultui-e alg'''rienne « Coulbi'mémenI à la « grande loi (pii veut (|ue les colonies naissanl(>sou ach»- « Icscenles tirent, en général, un iKMK'lice des IIcmux « éconon)i(|ues comme; des pcrhirhalious [lolilicpics (|iij « fra|)pcnl la in(''li'o|)ol(', le pliylloxei'.i (|iii a devaslé nos « départements du midi, a précipiti' veis l'AliUM'ie un (rès « grand nombre île vignerons nuMidioiianx t> (1). L;i ei-ist» phyllox('riqu(^ avait en (^ffel r;inieiie la [uodueliou Iran- 1. Lcroy-licaulicu, l Alyérie li la Tuiiisii\ Philippar 4 — 50 — çaise de 56 el 49 millions d'hectolitres en 1877 et 1878 anx chiffres de 2() et 30 millions d'hectolitres en 1879 et 1880 (1), Celte diminiilion lui le poiiil de dé[)arl de la création du vignoble al^cirien : la crise avait en effet pour double conséquence d'ouvrir de nouveaux débouchés à l'Algérie et de priver de ressources un certain nombre de viticulteurs français. Ce double fait explique la progres- sior] rapide du vignoble algérien. La pi'oduction, de 432.000 hect. en 1880, sélevait à 967.000 hect. en 1885, et dépassait 2.000.000 d'hect. en 1890. Du 1" janvier 1879 au 31 décembre 1899, l'étendue du vignoble algé- rien a passé de 20.000 hectares à 138.497 hectares, soit une augmentation de près de 119.000 hectares en 21 ans. Le tableau cjui suit permet de se rendre compte du déve- loppement considérable du vignoble algérien, qui se poursuivait sans relâche, malgré les crises qui se produi- sirent à diverses reprises. C'est ainsi qu'en 1886, une pétition adressée au gouverneur général (2) par le comice agricole et industriel de Souk-Ahras représentait coinme très précaire la situation des propriétaires de vignes de la région, affirmant qu'ils devaient au moins 6 millions de francs aux banquiers. (Voir tableau page suivante). Une seconde crise devait d'ailleurs se produire vers 1892. La passion de la vigne avait entraîné des proprié- taires à des plantations trop vastes et trop peu prépa- rées ; des sociétés financières avaient planté des espaces énormes : de 1880 à 1890, la superficie du vignoble avait passé de 23.000 à 110.000 hectares. Aussi la crise de 1892 produisit-elle un léger ralentissement, mais le 1. V. Edmond Tliéry, La situation économùjue et financière de l'Al- gérie, licon. Européen. 1902, n"' 55o à 552. 2. Levoy-YjediuW&n, \ Akjérie et la Tunisie. — 51 - Prodiiciiou et coiniiiercc «lii vin (1] ANNÉES ÉTENDUES en hectares RENDEMENT en liectolitres EXPORTATIONS en hectolitres IMPORTATIONS en hectolitres 1873 16.044 16.723 17.128 17.614 19.994 23.724 30.241 39.766 46.286 56.006 70.886 79.04!) 87.739 103.408 106.331 110.042 109.807 111.877 110.392 121.983 122.186 » 123.769 196.313 222.425 263.173 338.220 351.523 432.580 388.349 681.333 821.584 8'J0.899 967.823 1.667.958 1.903.011 2.761.178 3.579.639 2.331.686 3.649.589 3.0(12.078 3.772.778 3.560.927 4.131.814 4.504.371 4.373.277 4.829 4.382 4.121 3.106 10.753 19.094 18.719 18.092 125.076 149. 88e 326.806 461.670 793.402 1.323.405 1.642.351 1.965.069 2.047.283 2.7!i:i.09S 1.871.281 2.285.213 2.940.121 3.232.082 3.673.256 409.428 413.974 371.038 346.051 280.082 256.251 286.778 337.010 213.544 157.458 265.936 230.268 149.448 132.392 113.491 111.764 112.382 98 . 464 97.302 56.335 • » 47.807 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882 1883 1884 1885 188(i 1887 1888 1889 1890 1801 IS'.I2 1893 1894 1895 1896 1897 1. D'après Lt'ti|. llvl", Uaslido ol Hauf^uii, Les i)r()(iu Destruction des attises 25 » Sulfatage contre l'authi-acnose et U) mildew . 30 » Frais de vendange 50 » Frais généraux 00 » Soit pai' hectare 300 fr. Pour établii- le prix do revieul de l'exploilalion ti'un vignoble, il faudi'ait ajouter aux frais de culture l'iulorèt à 5 0/0 et l'amortissement ilu capital de création ; environ 240 f i . par hectare. Soit en tout 550 à 1)00 fr. Si les conditions sont avaulageuses, on peut, en ;ulmel- tant que le coui's des vins reste ce ([u'il a été de 1890 à — 54 — 1900, compte!' réaliser le capital de création du vignoble dans l'espace d'nne dizaine d'années. Les frais d'exploi- tation s'élevant à 600 l'r. environ par tiectare et par an, il faut produire au moins 50 liect. de vin à 12 Ir. pour couvrir ses avances : si ce rendement est dépassé, ce qui n'est pas rare, le surplus constitue le bénéfice net. Indépendamment du capital de première mise, qui, on vient de le voir, ne se reconstitue guère qu'en une dizaine d'années, la culture de la vigne demande, jusqu'au mo- ment de la vente, uneavance continuelle de fonds : il faut en etfet, des façons continuelles. En hiver, après la taille, on effectue généralement un labour assez profond. Un autre labour est ensuite donné pour rechausser les souches, et complété à la main. Plus tard, la vigne pous- sée, il faut relever les sarments, et par des binages fré- quents, maintenir continuellement la terre en état d'hu- miditésuffisante. Quand l'irrigation est possible, elledonne de bons résultats, à condition que l'arrosage soit arrêté à l'époque du débourrement et à l'époque de la floraison : il vient, quand il est pratiqué, accroître les frais. 11 faut citer aussi, le sulfatage et la destruction des altises, qui se font peu avant la maturation; et enfin les vendanges elles-mêmes exigent une certaine mise de fonds : on con- çoit la nécessité pour les colons d'avances importantes qui ne pourront être remboursées qu'une fois la récolte faite, vendue et payée. Les différents vins que fournil la production algérienne sont très nombreux et très différents (1) M. Dugast les I. Dugast. Les vins d'Algérie, Alger, Giralt. iqoo — 55 — divise en vins de plaines, vins de coteaux et vins de montngne, variables d'ailleurs suivant leur provenance. C'est le vin rouge (jui domine. La vinification, rendue dif- ficile [)ar la température élevée à laquelle elle est généralement faite, a été le grand écueil de la production algérienne. De grands efforts ont été tentés .pour y remédier et la réfrigération des moûts, actuellement pratiquée, a donné de bons résultats. Mais la majorité des vins algériens reste de valeur médiocre, et pro|)re surtout au coupage. Il y a bien entendu des exceptions. M. Dugast distingue : i° les vins très délicats d'une qualité réellement supé- rieure; 2" les vins de consommation courante, et enfin, 3" des vins très alcooliques, forts en couleur, particuliè- rement propres aux coupages. C'est surtout cette troi- sième catégorie (|ui est reclierchée en France, d'autant plus que les vins algériens, ariivant de bonne heure sur le marché, sont très demandés pour rajeunir par coupage les vins de l'année précédente. D'ailleurs, les producteurs algériens affirment que le goût du public est insutfisam- ment fait, et que la différence de prix entre les divers vins n\'st pas pi'opoi'tionnelle à la difterence des (juali- lés. Toutefois, il y aurait ()lutùt tendance, dans l'ensem- ble, à l'amélioration de la (|nalité, [)ar suite de la taille courte praticpiée par les vignerons en raison de la plé- thore des dernières années, taille cjui a pour résultat, en diminnaiil la production, d'accroître la rii-hesse ou sucre et partant en alcool (1). De plus, l'abondance de ces dernières années aura pour effet de pousser les viti- 1. Mi'inlz, Coinptc niidii des séances de l".\c.idi'iiiit> des Siienecs. T. CXXXIV. pp. ")()•.. et 5;5. Cf. PP. D.'li.r.iiii. La rrisf riUro/r ,iu J/ù/j, Agricull. JModei'iie, ipoa. p. -l'Ay — 56 — culloiH's à rechercher désormais la qualité pluLùt ([ue la quantité. L'achat des vins est généralement effectué en Algérie par (les courtiers agissant pour le compte de maisons IVançaises. Ces courtiers achètent la récolte tantôt sur pied et d'avance, tantôt après la veiidange Ils règlent le viticulteur, en général, partie comptant et partie à terme. Le gi'os des transactions s'effectue entre se[)tembre et décembre; les opérations se ralentissent alors pour l'in- ventaire, et le reste de la récolte se vend après janvier. Depuis quelques années, on fail en Algérie des vins alcoolisés dits Mislelles, obtenus par l'addition dans la vendange d'une assez forte quantité d'alcool (17 litres à 95° pour 200 Ivilogr. de raisin). D. — Cultures diverses On a vu les trois grandes sources de richesse de l'Al- gérie agricole : les céréales, le bétail, la vigne. Ce n"est pas tout. Un certain nombre d'autres cultures sont pra- tiquées et il importe d'en dire un mot. Mais le mouvement des capitaux qu'elles déplacent est bien moindre et le crédit qu'elles exigent bien moins considérable. En premier lieu, l'olivier. C'est un des éléments qui ont contribué puissamment à la richesse des provinces du nord de l'Afrique sous l'occupation romaine. « Quand les Arabes envahirent le pays, ils firent un immense butin; « l'un des chefs de bande, Abdallah ben Saad, ayant demandé d'où venaient tant de richesses, un habitant ramassa une olive : — De là, dit-il » (I). I. V. Bourde, L'olivier en Tunisie, Annales agronomiques, T. 18, p. 82. — 57 — L'olive est encore actuellement l'une des productions importantes de l'Algérie. (( L'Algérie consomme plus de 28 millions de kilogr. « d'huile par an. Elle produit, à l'exclusion de toutesautres (( huiles comestibles, 25.000.000 kilogr. d'huile d'olive ; « elle en exporte 6 millions et pour combler le déficitqui s( re|)résente un tiers de sa consommation, elle im[)orte « environ 9 millions de kilogr. d'huiles de toutes grai- « nés »(1) La culture de l'olivier a d'ailleurs été l'une des premières entreprises pur les colons. En 1837, 60.000 su- jets étaient déjà mis en valeur. Mais cette culture n'a pas été très suivie. Peut-être faut-il alti'ibuer ce fait à quelques échecs subis au début par des oléiculteurs inexpérimentés; peut-être faut-il simplement y voir une conséquence de l'engoûment des capitaux pour la vigne. Etant donné les difficultés bien moindres de la culture de l'olivier, il y a tout lieu d'en souhaiter le tléveloppe- ment, en raison surtout de l'accroissement de la popula- tion musulmane, pour qui l'huile d'olive est un aliment de première nécessité. Comme le font remarquer MM. Ri- vière et Lecq, « cette dernière considération, non sans importance, laisserait entrevoir [)our l'avenir des débou- chés assurés dans le sud et à l'extrême limite de nos possessions sahariennes voisines du Soudan central ». Le gouvernement généi'al de IWlgiM-ie a d'ailleurs pris des mesures poui' faciliter la civ'alion de p(''piiiières des- tinées à fournir des plants aux colons. Comme la vigne, l'oliviei' exige également une première mise de fonds (pii reste improductive pendant les premières années. M. Mares estime à 1.000 l'ran.-s la dépense à engager i. Mai-«;s, L'olioicr l'ii Alficyic, |->iill OU", lu'iis. ojcn. dr l'.VIj;. i()'>'.>. Supp. ij.. — 58 — pour 100 plants, qui reslent environ 3 ans sans rion pi-o- duire, pour arriver progressivement à donner an bout d'une dizaine d'années un revenu de 300 francs. A côté de l'olivier, il faut faire une place aux orangers, citronniers, mandariniers, cédratiers, qui, on l'a vu, s'ac- commodent à merveille du climat marin. Ces arbres sont réunis en plantations régulières désignées sous le nom d'orangeries. D'après M. Lecq (1), les frais de premier établissement pour 1 hectare s'élèvent à 2.575 francs; le revenu net moyen s'élève progressivement [)our atteindre 600 à 1.000 francs. 11 faut noter également comme intéressante la culture du tabac. Ce fut en 1844 que l'Etat français commença à faire acheter des tabacs en feuilles en Algérie, pour une ving- taine de mille francs. En 1854, les achats s'élevèrent à plus de 2.500.000 francs et l'Administration achète annuellement pour 3 millions (2). Les quantités achetées en 1901 ont été de 2.600.000 kilogr., et en 1902, 3.200.000 kilogr. On a voulu, en augmentant les achats, atténuer la crise agricole qui [)esait sur l'Algérie (3). Enfin, depuis quelques années, la production des pri- meurs, notamment des pommes de terre, artichauts, petits pois, tomates, etc., a pris un développement très important, surtout dans les environs des centres tels qu'Alger et Oran (4). Il était intéressant de notei' ces trois branches de la production agricole. 1. L'Agriculture algérienne et ses productions. 2. V. Dachot, La fabrication du tabac, Alger, Giralt, 1900. 7). Exp. sit.gén. Alg.. 1902, pp. 198-199. 4. V. Bull. del'Off. des Rens. e^én., Production des primeurs en Algérie, 1902, Supp. i3, 16 et 21. — 39 - Bien que les deux premières soient analogues à la vigne, au point de vue des capitaux à engager et des résul- tais à atteindre, leur étendue moins grande tait qu'elles n'influent guère sur le mouvement de capitaux occasionné annuellement par la distribution du crédit. 1 6 Les besoins de crédit et Vusure "On a passé en revue les branches importantes de la production agricole de l'Algérie et indiqué dans les gran- des lignes la série des opéiations qu'elles compoi'tent. On peut maintenant chercher à synthétiser les données recueillies pour arriver à un tableau général de l'écono- mie rurale de l'Algérie. L'Algérie, avant la conquête française, constitue un pays très peuplé, tirant la presque totalité de sa richesse de In culture des céréales et accessoirenient de l'élevage du bétail, nourri sur les jachères succédant à la i"écolte de céréales. L'indigène sème, moissonne, et partage le produit de sa récolle en deux parties : l'une destinée à sa consommation, Tauti'e à l'ensemencement pour la sai- son prochaine. Mais le jeu régiilifr de celte prodiktion se trouve influencé p;ir un l'aclenr d'il ne puissance toute [)ai'liculière, le climat. La sécheresse du pays et le man- cpic d'aménagement des coui's d'eau l'ail cpie la récolte dépend uniquement de la pluie ; les années où il pleut, récolte abondante ; les années de sécheresse, famine, pi'o- venant du manque de récolte. Ces conditions suflii'aient à iudicpier l'étal de paiivrett' général de la population, vivant au jour le jour et Iravei-- sant successiv(Mn(Mil des années (rabondauci^ et des an- nées de disette. — 60 Mais il faut, pour avoir une vue exacte du pays, tenir com[)te d'un élément psychologique, qui est l'esprit d'iusouciance et de fatalisme résultant de la religion uiusuhnane, et d'un élément politique, qui est l'état d'in- sécurité. Ou peut appliquer à l'iudigèue algérien ce que dit de Foucauld (1) de la situation du fellah uiarocaiu : « On « travaille le jour, il faut veiller la nuit; ferme-t-ou Tœil « uu instant, les maraudeurs enlèvent bestiauxet récoltes; « tant (jue l'obscurité dure, ils tiennent la campagne. « A force de fatigues et de soins, a-t-on sauvé les mois- « sons, les a-t-on rentrées, il reste encore à les dérober « au caïd ; on se hâte de les enfouir, on crie misèi'e,on « se plaint de sa récolte. Mais des émissaires veillent ; a ils ont vu que vous alliez au marché sans y acheter de « grains : donc vous en avez ; vous voilà signalé : un « beau jour une vingtaine de Mkhaznis arrivent : on « fouille la maison, on enlève le blé et le reste ; avez- « vous des bestiaux, des esclaves, on les emmène en « même temps: vous étiez riche le matin, vous êtes pau- « vre le soir. Cependant il faut vivre, il faudra ensemen- « cer l'année pi'ochaine ; il n'y a qu'une ressource : le « juif. Si c'est un honnête homme, il vous prête à 60 0/0, « sinon à bien davantage : alors, c'est fini ; à la première « année de sécheresse, viennent la saisie des terres et « la prison ; la ruine est consommée. » Telle était à peu pi'ès la situation de l'indigène algérien, qui, quand il avait surmonté les difficultés du climat, 1. De Foucauld, in Augustin Bernard, Les productions, l'agricul- ture et l'industrie au, Maroc, Rev. gén. des Se. pures et app. igoS, p. 8i. — 61 — avait encore à échapper aux voleurs, au fisc et aux raz- zias qui se pi-atiquaient entre peuplades ennemies. On a vu dans quelles conditions les Français vinrent s'établir en Algérie. Les colons arrivèrent lentement. Dans ces colons de la première heure, quelques-uns ap- portaient des capitaux, mais c'était le petit nombre. Or, l'Algérie, on l'a vu, n'est pas une colonie de peuplement. Ce n'est pus une de ces colonies, comparable au Canada, à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande, oii « il n'est pas né- « cessaire que l'émigrant apporte un pécule ; oij les sim- « pies travailleurs des champs, les manœuvres, peuvent se « reiidi'e aussi bien (jue les ferniiei's et les laboureurs « jouissant d'un certain capital », parce qu'ils « trouveront « à s'employer à la ville ou à la campagne et gagneront « leur vie avec leur bras » (I). L'Algérie est, en fait, une « colonie mixte de peuplement et d'exploitation » qui ne réclame (|u'un nombi'e relativement peu considérable d'Européens et où l'émigrant possesseur d'un petit capi- tal [)eut seul réussir. Le journalier sans ressources se trouve en eifet en concurience, non seulement avec l'Arabe et le Kabyle, mais encore avec les émigrants espa- gnols, siciliens et maltais, plus sobres et moins exigeants. Insti'uit par Texpérience, le gouvernement tunisien s'est détendu vigoureus(Mncnt contre Timmigration de colons sans capitaux. Mais on a suivi en Algérie une polititiue différente et on y a introduit à dilîéi'cnles rcpi'ises des gens sans ressources ou sans expér-iencc agricole. C'est ainsi que «l'Assemblée nalionale, pr(''occup(''e de (loiincr « du pain aux ouvriers inoccupés des villes, vota les cré- 1. Cf. Louis Vignon, L'exploitation île notre empire colonial, Paris, Hacliette, Cli \. Les colons et les conditions de leur ctablisseraenl. — 6!2 — « dits nécessaires pour assurer leur transport et leur « installation en Algérie. De 1848 à la fin de 1850, « 20.500 ouviiers colons furent envoyés en Afrique. Ils « trouvèrent dans 56 centres prépai'és pour les recevoir « des maisons construites, et ils reçurent avec la terre, « des semences, des instruments de culture, du bétail, « des vivres ; on leur donna, en outre, des secours en « argent pour attendre la récolte. Mais ces « ouvriers » « n'étaient pas des « paysans ». ils ignoraient tout de « leur vie nouvelle, jusqu'à l'époque des semailles.... Au « 1*^'' janvier 1851, des 20.500 colons amenés, il n'en « restait que 10.400 ; 7.000 étaient partis, 3.000 étaient « morts » (1). La tâche de l'administration n'était d'ailleurs pas facile. Car si on lui reprochait d'amener des colons sans expé- rience, on lui repioche également, quand elle prend des fils d'Algériens, d'employer les concessions comme « menue monnaieélectorale » (2j. Et cependantil faut bien reconnaître que la colonisation officielle, dont on a dit tant de mal, a tait à peu piès tout pour l'Algérie française c( au point que sur les 1.600.000 hectares occupés par a les Européens, près de 1.300.000 dépendent de son « périmètre » (3). Elle a suivi évidemment les fluctuations de la politique métropolitaine, varié d'importance suivant les épo- ques (4) ; son importance au pointde vue social et ethni- que n'est pas contestable, mais il est certain que jusqu'à 1. Vignon, op. cit., Cf. de Beaudicourt, La colonisation de l'Algérie, ses éléments, Paris, Lecoffre, i856. 2. Cf. Vignon, op. cit.., pp. 4o~4i- 3. De Peyerimhoff, loc. cit. Z|. V. Gasenave, La colonisation en Algérie, Alger, Giralt, igoe. — 63 — ces dernières années, l'immigration française a apporté peu de capitaux. Or, on vient de voir la situation misérabledans laquelle se trouvait la population indigène : situation qui la con- duisait forcément à l'emprunt. La fréquence des besoins d'emprunt dans des conditions aussi (Jangereuses pour le prêteur, devait forcément engendrer l'usure. Elle s'était développée dans des pi-oportions considéi-ables, et les Français, en ai-rivant la trouvèrent fortement enracinées. Ils allaient bientôt eux-mêmes avoir à y recourir. On a vu en effet que les colons étaient des gens généralement peu fortunés. On exigeait bien d'eux un petit pécule, [nais les frais de défrichement, d'installation, de pre- mier établissement, en un mot, absorbaient rapidement leurs ressources (1). La première culture qui leur fut permise, était celle du blé, et on en sait les causes : fai- blesse du capital engagé, rapidité de la récolte. En somme, placé dans des conditions analogues à celles où vivait l'indigène, l'Européen se voyait amené à suivre une ligne de conduite peu différente. Mais la culture du blé épuise le sol. il fallait songer à restituer à ce dernier, par un assolement approprié, les éléments perdus, doîi nécessité d'une fumure, [)ar conséquent de bétail. Com- ment acheter ce bétail ? Il était donc indispensable île trouver un prêteur pour [)erfectionner le mode de cul- ture. Enlin, (piand la situalioii du colon s'était amélioi-éi' l't (jn'il pouvait envisager la possibilité île créer un vignoble, il fallait, là encore, du crédit pour le défoncement et la 1. Sur ces d(''l)uls de colims, voii" l'iiiléfessanl opuseiili" di- M. Renaud : Tussiii [Uisloirc il'iin nl/(U/f (i/tjnit'ii, iSjio-ujoo), Alger, Girall, igoo. — 64 — plantation, du crédit |)onr les laçons qui ont été énnnié- rées, dn crédit encore pour f'aii'e la vendante. EL si U; colon voulait entreprendre les diverses cultures indicjiiées en dernier lieu, celle de l'olivier, celle de l'oranger ou du tabac, il lui fallait du crédit encore pour la plantation, en attendant le moment [)lus ou moins lointain où sa propriété, progressivement, commencerait de produire. Les deux populations mises en présence étaient donc aussi pauvres l'une que l'autre, et leur mode de culture exigeait des avances continuelles. Dans ces conditions, l'usure a atteint cliez les indigè- nes des proportions incroyables. E'ie a excité l'élonne- ment de tous ceux qui ont étudié TAlgérie ; elle a provo- qué des réclamations passionnées de tous ceux qui ont eu à solliciter le crédit. C'est la plainte qui revient d'un bout à l'autre des dépositions faites à la commission sénatoriale d'enquête de 189^ (i). Dans la préface du compte rendu tlu voyage de la commission, M. Combes écrit : « Il y aurait beaucoup à dire de l'usure, qui ronge « l'indigène aussi bien que le colon ; on n"en dira, on « n'en pensera jamais plus de mal que la généralité des i( déposants. L'usure a été un des |)rincipaux obstacles « aux progrès de la colonie. Si, à l'heure présente, elle « sévit moins brutalement que par le passé, elle n'en « pèse pas moinslourdementsurl'avenirde l'Algérie par c( l'épuisement des ressources et par la permanence de « ses effets ». M. nurdeau(2),iM.Golin(3)etM.Pouyanne(4)ontétudié 1. Pensa, L'Algérie, compte rendu des voyages de la Commission séna- toriale d'enquête, Paris, Rolscliild. 2. Burdeau, Rapp. sur le proj. debudg. {exercice 1892). 3. Quelques questions algériennes {L'usure et la loi du 5 avril 1898). 4. La propriété foncière en Algérie, p. g20 et sm\3intes. — 65 — riisiii'c'chczlesiiuIigùiîesL'l inonlré Icslauxcxli'aoï'dinaiies qu'elle peut atteindre : Dans le canton d'Aïn-Besseni l'Européen se contente de 20 0/0 ; l'Arabe ou l'Israélite exigent 35 ou 40 0/0 ; le Mozabite, plus usurier que les autres, ne demande pas moins de 80 0/0. S'il s'agit de grains, les mêmes proportions sont observées : l'Euro- péen avance deux sacs pour trois, l'Arabe et l'Israélile un sac pour deux ; et le Mozabite un sac {)Our trois. Dans le canton de Palestro, les Kabyles du Djurjura pra- tiquent des taux variant deSO à 1500/0. D'après l'adminis- trateur de la commune mixte de Souk-Ahras, les indigènes de sa commune empruntentordinairementaux Mozabites et aux Kabyles à des taux qui dépassent 75 0/0. C'est seulement quand ils ont quelque aisance et offrent des garanties qu'ils trouvent à emprunter à des conditions plus avantageuses, en s'adressant aux Européens et aux Israélites. Le généi'al commandant la division d'Oran évalue à 200 0/0 le taux habituel des emprunts consen- tis entre indigènes dans le cercle de Lella-Maghnia. Ces exemples, empruntés aux ouvrages de MM. Colin et Pouyanne^ et appuyés par des témoignages authentiques, suffisent à montrer les conditions habituelles des prêts entre indigènes. Malgré les taux extraordinaires auxquels sont réellement pratiqués les emprunts, les contrats n'en font pas mention. C'est généralement une majoration du capital prêté (jui permet de les atteindie. « Les indigè- (( nés, dit M. Colin, y souscrivent d'autant plus volontiers « que c'est là un moyeu fort siiiq)le d'éludei' les pres- « criptionsdu Koran qui interdisent le prêt à intérêt ». Bien entendu, c'est à un degi'é moindre (jm; les colons ont eu à subir les inconvénienis de l'usure, (>t l(>s taux qui leur ont (Hé appli(|ues sonl ic^lt'N iiiteiieurs aux — 66 — taux exigés des indigènes. .M.iisoii coiiruil que des exem- ples dé la naliii'e de ceux (|ui sont rapportés ici aient excité l'indignalion de la coniniission sénalorialc d'en- quête et motivé des jugemenls aussi sévères (pie c(;lui de M. Comhrs. Et pourtant l'examen attentif des conditions écono- miques permet à de Ijons es|)rils de voir ces pratiques sous un jour ditîéi'enl. il semble tout d'aboi'd que cette exagération énorme du taux de rinlérêt soit motivée, et en quelque manière justifiée, par les risques considérables encourus pai' le prêteur (i), risques résultant, d'abord de la mauvaise toi de l'indigène qui espère toujours qu'une circonstance fortuite lui permettra de ne pas rendre : la guerre, la fuite des Roumis, l'arrivée du Maître de l'heure; résultant ensuite des nombreux évé- nements calamiteux qui menacent les récoltes : séche- resse, sauterelles, sirocco. En Algérie, en etïet, on l'a vu, et on ne saurait trop le répéter, la vie agricole n'a pas la régularité qu'elle a en France : de mauvaises années se succèdent parfois, puis une seule bonne suffit pour remonter un agriculteur (jui semblait irrémédiablement perdu. Dans ces conditions, qu'importe le taux auquel les avances sont consenties ? « Qu'importe... à l'indigène de s'engager à rendre, « lors de la récolte, le triple de ce qu'il reçoit au moment « des semailles?... Il serait bien avancé, si, faute de pou- « voir donner à son prêteur des avantages suffisants, il « n'avait pu se procurer les semences qui lui permettent 1. Pou}aiine, 0J3. cit., p. 921. — 67 — « d'obtenir une recolle » ' I ). L'emprunt nécessaire est la seule chance de salut, le billet de loterie qui donnera peut-être le gros lot. L'usure apparaît, non plus comme une spéculation immorale, mais comme une pratique rendue nécessaire par les coutlilions ambiantes. Les indigènes ne parta- gent d'ailleurs pas notre niépris pour l'usurier. M. Colin raconte au contraiie son étonnemenl en entendant traiter de « philanthrope » un usurier israélite, dont il voyait déliler l'enterrement cl dont le seul mérite était de prêter à 50 ou 60 0/0 par jour ! « Et pour tous ses emprunteurs, « il n'était autre chosequ'un philanthrope. A tout pren- a dre, leur opinion ne valait-elle pas la mienne? Mieux « que moi peut-être, ils se rendaient compte des condi- « lions et des exigences du crédit qu'on leur ouvrait. En « pareille matière, les notions sont nécessairement rela- « tives : tout est une question de milieu. » Aussi l'usure perd-elle aux yeux de ceux (pii Téludient, le caractère odieux qu'elle semble avoir tout d'abord (2). C'est ainsi que Burdeau, en constatant quelle était la situation au moment de notre arrivée en Algérie, dit que ce qui est regrettable, c'est que notre civilisation ait fourni à l'usure des instruments nouveaux et plus puissants, (jui ont évi- deinnu'ut pour effet tle mcltrc en dan^ci- la propriété indigène. C'est là certainement le point le j)lus délicat et de nature à soulever des difticultés beaucoup plusgi'aves I. Colin, loc. cit. •1. En ce sens. v. la ([«■luisiliou dr ra la cotimume iiiixh' (le Mascara, <|iii déclai'c (|iic riisiii-(\ qui est vkhIiic. «Milreli'imt', cncourai^i'c par les iiidiyrncs, a|>|)arail cunim»' moins dangereuse pour eux que les exécutions des élahlisseiuenls do crédit (^l'ensa, Comple-rendif, joiirmc du :>.G avril i8()?.). — f>,S — que colles (|iii [xuiveriL i-ôsiillei' de prêts faits ii des taux trop élevés. Lecolou, il est vrai, supporte eesconditions avec moins de philosophie que l'indigène. Tandis que ce dernier vit en bons termes avec son usurier, le colon lui eu veut. Peut-être le mouveuienl antisémite, (jui s'est produit il y a quelques années, avait-il ses causes lointaines dans cette l'ancune et cette jalousie de l'Européen pour la race travailleuse, sobre, économe, parfois peu scrupuleuse, à laquelle il avait dû recourir souvent. Le colon serait assez disposé à croire qu'une action bien comprise du gouvernement abaisserait arbitraire- ment le taux de l'argent dont il a besoin. Aussi a-t-on essayé, sans succès d'ailleurs, de moyens législatifs. Une première tentative de limitation du taux de l'intérêt, en 1849, dût être abandonnée, et le général d'Hautpoul, ministre de la guerre, déclarait que l'arrêté « avait complètement manqué son but ou plutôt avait été directement contre son but », car tout essai de limitation du taux de l'argent a pour conséquence d'augmenter ce taux par suite de l'accroissement des risques du prêteur, qui ne laisse pas échapper ce prétexte d'augmenter son tarif. Malgré cet essai infructueux, la loi de tinances du 13 avril 1898 a limité l'intérêt conventionnel à 8 0/0 et l'intérêt légal à o 0/0 en matière civile et commerciale; cette disposition est restée sans effet aucun, comme il était facile de le prévoir : <.< Tant qu'il y aura des gens (( imprévoyants et des gens avides, dit Burdeau, et qu'ils « pourront se rencontrer, l'usure saura s'introduire dans (( leurs transactions. » Le taux élevé de l'intérêt en Algérie, et c'est là la con- clusion à laquelle aboutit cet ex posé, n'est pas simplement, - 69 — comme on veut le faire croire, la résultante de l'avidité des uns et de la naïveté ou de la détresse des autres, c'est la conséquence forcée de la situation d'un pays qui pos- sède peu d'ai'gent quand tout le monde en a besoin de beaucoup. Car il en faut à l'indigène, pour lui et pour ses khammès, car il en faut au colon, pour toutes les opéra- tions qu'il peut entreprendre. En face de ces besoins de crédit, quelles sont les insti- tutions destinées à les satisfaire ? C'est ce qui va être examiné maintenant. DEUXIÈME PARTIE Les agents de , distribution d^l crédit BANQUE DE L ALGERIE La création de la banque de V Algérie, son caractère spécial ; la première période de son fonctionnement (1851-1880). La Ban(|iie de l'Algérie est le plus ancien (.les établis- sements de crédit de la colonie ; c'est aussi le plus impor- tant par le chiftre de ses opérations. Mais c'est égale- ment celui (jui a été le plus discuté et sa gestiori a donné lieu à des polémiques passionnées. On a vu (juel pouvait être le taux liabiluel de Targent au début de la corKjuêle française. Les mesures législa- tives [)rises pour réduire ce taux étaient bitMi entendu ineflicaces. On voulut ci'éer un établissement di' crédit. C'est ici (iu'a[)paiait encon^ une t'ois le mampu^ d't^xpé- rience coloniale et de [)Iaii préconçu ipii a iloininc noire établissement en Algérie. On sentait la nécessité trune - n — banque : sans exaniiniM- si li^'lablissement d'un organisme spécial n'était pas nécessaire, on s'adresse à la Banqne de France. Alors que cette dernière faisait l'escompte du papier strictement commercial, à échéance maximum de 90 jours, dans un pays déjà vieux, où les habitants d'une même ville étaient connus et pouvaient donner sur la solvabilité de leurs concitoyens des renseignements précis, on vint lui proposeren 1845 d'aller s'établir dans un pays conquis depuis 15 ans, peuplé en partie d'indigènes ignorant tout de la langue et de la loi française, en partie d'aventuriers arrivés de la veille ; où le commerce était presque nul, et où la culture, nécessitant des avaances à terme assez long, constituait presque toute la richesse. Une loi du 19 juillet 1845 autorisa la Banque de France à établir à Alger un Comptoir d'Escompte, au capital de 10 millions, dont 2 millions fournis par la Banque de France elle-même et 8 millions par le public Ce Comptoir devait être bien entendu dirigé par la Banque de France. La loi réservait à une ordonnance royale le droit de déterminer l'époque de la création. Le 16 décembre 1847, Louis-Philippe rendait cette ordon- nance, autorisantla Banque de France à créer le comptoir; elle fut promulguée le 28 janvier 1848, mais la révolution de février vint arrêter l'exécution du projet, et ce ne fut qu'en 1850 que fut fondé à Alger un Comptoir national d'Escompte qui devait devenir en 1851 la Banque de TAl- gérie. L'histoire des établissements de crédit de l'Algérie est intimement liée à celle de son développement économi- que et chaque modification importante de leur orien- tation correspond généralement à quelque événement économique. En particulier, la transformation du Gomp- — 73 — loir d'Escompte d'Alger en Banque d'Algérie se rattache d'une façon directe à la loi de douanes du 11 janvier 1851. On sait que jusqu'à cette date, les produits algériens étaient frappés de droits à leur entrée en France, mais de Taveu même de iM. Paul Leroy-Beaulieu (!)<( le détri- « ment qu'en éprouvaient les colons, dans la toute pre- « mière enfance, c'est-à-dire jusque vers 1836 ou 1838, « fut peu considérable. La colonie était si peu peuplée « que l'exploitation du sol sur une échelle un peu vaste « n'avait pas encore commencé ». Toutefois, à mesure que la colonie se développait, cette entrave devenait plus sensible et la loi du 11 janvier 1851, due aux efforts des députés algériens, accorda la libre entrée en France aux produits de la colonie : le résultat en fut un accroisse- ment immédiat des transactions ; M. Leroy-Beaulieu cite les chiffres suivants : 1850 1864 Valeur des marchandi- ses importées. . . 72.692.782 iV. 136.458.793 fr. Valeur des marchandi- ses exportées. . . 10.26-2.383 fr. 108.067.354 fr. Pour être moins sensible en juillet 1851. lo luotivemoiit n'en existait [)as moins déjà, et Achille Foiild le faisait valoir à rap|)ni de son proj(4 de loi ^^2). 11 y rappelait les projets ébauchés en 1846, et arrêtés par les événements; il ajoutait que l'aide de la Baïupu' d(ï l'rancc* avait été sollicitée, mais cpie cet établissement, consulti' poiii- 1. L'Alf/ene et la 2'uiiisii'. i>. Exposé des iiiolifs cl (lt''|)(\t du pi-ojcl di- loi .i r.\ss('iid)l(''c Lt^i^is- lalive par I^oidd. iiiiiiislrc des linanccs ; di'pi'il du rap|)in-| par Benoisl d'A/.y 11- ;{i jiiillci iS,")i ; dt'( l;iraliiiii d'iiri;i'iiti'. disciis'iidii <' adoption le /j aoi'ii iS.")!. - 74 - savoir s'il était toujours disposé à intervenir dans les mêmes conditions, avnil l'clnsc', estimantsa surveillance inefficace hors de France. Dans le rap[)oi't déposé sur le projet de loi, Bonoist d'Azy rappelait les services rendus pai- le Comptoir. Malgré son taux d'escompte de 8 0/0, il avait dû refuser 700.000 à 800.000 fr. d'escompte, par suite de l'insuffi- sance de ses capitaux. C'était la preuve que si l'institu- tion était utile, elle n'était pas suffisante. L'intervention de l'État se justifiait dans un but d'intérêt général, « analogue au concours accordé aux chemins de fer. » La loi était adoptée le 4 août 1851, approuvant les statuts de la Bancjue dont les dispositions essentielles étaient les suivantes : La Banque était créée au capital de 3 millionsde francs, divisé en 6.000 actions de 500 francs, nominatives ou au porteur. La moitié des actions devait être émise immé- diatem(uit. Une avance de 1 000.000. fr était con- sentie par l'État, qui recevait en garantie 2.000 actions de 500 fr. dont le ministre des finances pouvait au bout de trois ans, demander l'emploi pour le remboursement de l'avance faite. L'État devait recevoir un intérêt de 3 0/0 après que les actionnaires avaient eux-mêmes reçu 4 0/0. Les opérations de la Banque comprenaient : L'escompte du papier de commerce à deux signatures ; Le recouvrement des effets de commerce ; Les avances sur certains titres ; La conservation des valeurs et lingots ; Les dépôts en compte-courant. Enfin la loi conférait à la Banque, pour 20 années. 7 M c'est-à-dire jusqu'en 1871, le privilège d'émission de bil- lets au porteur de 1.000 fr., oOO fr., 100 fr. et oO fr. Le montant de l'émission était laissé à l'appréciation du Conseil d'administration, sous réserve de la limita- tion suivante: suivant la formule empirique qui voulait que l'encaisse d'une banque d'émission représentât au moins le 1/3 de ses exigibilités immédiates, le montant de l'émission, augmenté du montant des dépôts, ne de- vait pas dépasser le triple de l'encaisse métallique. De plus, l'excédent des dettes de la Banque(Billets 4- Dépôts), sur son encaisse, ne devait pas dépasser le triple de son capital. Enfin, le taux maximum de l'escompte devait être fixé à 6 0/0. Le Directeur était nommé par le ministre des finances. La discussion fut peu importante : Levavasseur cri- tiqua l'intervention de l'Etat, et Sainte-Beuve la limita- tion du taux de l'escompte. Ce n'était là qu'objections de principe, émises par des libéraux désirt'ux d'affirmer leurs convictions, et qui n'empêchèrent pas l'adoption du projet, par 552 voix contre 32. Ou voit combien ces dispositions se rapprochent de celles de la Banque de France ; une seule différence capi- tale : la Banque de l'Algérie n'exigei'ait que deux signa- tures an lieu de trois. iMais en dehors de cette concession faite aux conditions économiques ambiantes, l'organisa- tion de la nouvelle banque d'émission s'écartait peu de celle tle la Baïuiue d'émission i\c la inéti'opole. Les rai- sons qui s'opposaient à rétablissciiu'iil de la Haniiiie île France en Algérie e! (piOii a indiiiuccs plus haut, étaient également valables contre cette organisation nouvelle. C'était à cette même époque (jue la loi du 11 juil- let 1851 créait les trois banques coloniales de la Martini- - 70 - que, (1(3 la Gua(Jel()upo et tlo la lU'uniioii. On sait(ju(^ leiii* création est intiiiiomcnL liée à l'abolition tj(î Tesclavage dans les possessions françaises et (jne lenr capital fut formé par une fraction de l'indemnité octroyée par l'Etat aux colons auti'efois pro[)riétaires d'esclaves. Mais ces nouvelles banques d'émission étaient pourvues d'un mode de crédit nouveau, le prêt sur récoltes pendantes. « Il se « trouva que cette initiative hardie d'Etat, confiant à une « seule banque des opérations de crédit ordinairement (( séparées et inventant un nouveau contrat de gage, « réussit pleinement » (1). On ne crut pas devoir adopter pour la Banque de l'Al- gérie des mesuresaussi hardies. D'ailleurs, comme on l'a fait remarquer (2), il n'y avait pas alors de culture assez riche, exigeant de gros déboursés, mais rapportant par contre de beaux bénéfices, pour que le système conçu pour les vieilles colonies pût s'appliquer à l'Algérie. Mais on aurait peut-être pu trouver une autre combinaison. Oncréait une banque d'émissionet d'escompte làoùil eût fallu une banque de crédit ; on installait dans un pays neuf une institution de pays riche et déjà vieux : toutes les difficultés que rencontra la Baïujue par la suite pro- vinrent en partie de cette contradiction. La première période de fonctionnement de la Banque de l'Algérie fut, au point de vue statutaire, d'une correc- tion parfaite, et le développement de l'institution fut rapide ; créée avec une émission de 1.050.000 fr. seule- ment, sur un capital nominal de 3.000.000, la Banque 1. Deiiizet, Essai sur les banques coloniales, Paris 1899 (Tlièse docl). 2. r'ranconie. Transformation des banques coloniales : Banque de l'Alf/erie. Ouest. Diplnm. et Col., iqoa, p. 280. tl'Algério a vu le iiionlaiil de ses esconiples nlleindre à la fin du premiei' exercice, une somme de 8.760.000 fi'. pour 1:2.000 effets (I). A l'expiraliou de la deuxième an- née, les escomptes se trouvaient presque doublés, et, sui- vant une mesure ascendante, enlevant à la piastre d'Es- pagne, [)res((ue seule agréée pai' les indigènes, la faveur dont elle jouissait depuis des siècles, le billet de banque était définitivement et couramment iidmis dans le règle- ment de toutes les opérations. Le chiffre des escomptes s'accroissait sans disconti- nuité, atteignant les chiffres suivants : 78.300.000 fr. en 1863 96.300.000 en 1866' 97.500.000 en 1867 112.300.000 en 1868 Un décret du 30 mars 1861 autorisait l'augmentation de 3 à 10 millions du capital social par l'émission de 20.000 actions de 500 fr., au fur et à mesure des besoins, et suivant la délibération du Conseil d'Administration approuvée par le ministre des finances : les émissions furent faites petit à petit et le capital atteignit en 1870 le chiffre de 10 millions. Des décrets autorisaient successi- vement louverture des succui'sales d'Oran (1853), Cons- tanline (1856), Bône (1868), Philippeville (1875)etïlem- cen (1887). La durée du pi'ivilège fut |)i'orogée juscju'au I" novem- bre 1881 par un décret du l-i janvier LS6.S. l/établisse- mcnt put d'ailleurs, en 1870, venir t'flicacemenl en aide 1. Cf. Compte rendu à IWsseiiihli'e grnnale des actionnaires du u8 novembre ujoi (FOxercicc 1900-1901). oclobre-oclobre. — 78 — au gouvernement (jui th-cii'la le cours forcé des billets algériens, et obtint une avance de l!2 millions, sans dépré- ciation sensible de la monnaie fiduciaire. En revanche, le ca[)ital fut élevé à 34 millions. La Ban(iu(M'ésista d'ailleurs victoi'ieusement aux diverses calamilésqui se produisirent vers 1870, insurrection des tribus du Sud, choléra, tremblements de terre, sécheresse, disette. En 1871, à l'échéance de la premièie concession de privilège, les opérations atteignaient le chiffre de loi millions. Cette prospérité croissante semblait justifier une nou- velle augmentation de capital : ce fut l'objet d'un projet de loi déposé par Pouyer-Quertier ([), qui faisait ressor- tir la gestion prudente de la Banque, sa réserve statutaire du tiers de son capital, sa réserve immobilière de 1.278.000 fr., diverses réserves spéciales atteignant 794.000 fr.,et proposait l'élévation du capital à 48 mil- lions. MM. Ducuing et Lucel, dans leur rapport, s'asso- ciaient à ces éloges, et après avoir noté les chiffres sui- vants : Portefeuille . 37.548 675 Circulation. . 33.698.915 Encaisse . . 14.846.551 ils ajoutaient : « La Banque de l'Algérie nous présente « le spectacle singulier d'un établissement d'émission (( dont le portefeuille dépasse la circulation qui lui donne « l'aliment. » La discussion eut lieu les 25 et 26 mars 1872 ; 1. Dépôl du projet de loi à lAssemblée nationale le 17 février 1872 par Pouyer-Quertier, ministre des finances ; rapport au nom de la commission par MM. Ducuing et Lucet, déposé le 11 mars 1872 ; discussion les 26 et 26 mars i8;72. — 79 — M. Ducuing exposa h situation de la Banque, rappelant les chiffres cités plus hauL, cl ajoutant que cette situation, en mettant la Banque dans l'iuqmssibilité (raccroîlre ses escomptes, avait amené le taux de l'intérêt à 10 et 120/0. Un amendement l'ut proposé et défendu pai- M. Cla- pier, qui demandait que la cii'culalion fût portée à 44 millions seulement, étaul entendu (pie la Banque de l'Algérie ne pourrait user I Algérie dans « cette voie fatale. » En 18()(), le mouvi-meut commercial — 80 — de rAlgéric (UaiL de ^48 iniliioiis : il a élé en 1869 de 263 millions, soit une simple anynienliition de lo mil- lions : cette augmentation est bien inférieure à celle qu'avait subie l'émission de la Banque. M. Clapier reconnaissait néanmoins que rim[)()rlance plus grande prise par l'élevage avait pour effet un accrois- sement d'opérations commerciales, mais il trouvait les dividendes distribués trop élevés, les dépenses trop for- tes, et il redoutait qu'une émission excessive n'ait pour effet une crise. Ses craintes devaient d'ailleurs, on le verra, se réaliser dans une certaine mesure. Mais son opinion n'était pas celle de la majorité des Algériens; ceux-ci estimaient au contraire que la Banque était loin de faire assez en faveur de l'agriculture. Un contemporain écrit (1) en 1876 : « Le crédit! ces mots « nous ramènent à une situation assez embarrassée ; ils « mettent en évidence la très regrettable abstention de « la Banque de l'Algérie à l'égard de l'agriculteur, et les « luttes tropsouventonéreusesdu colon pour s'assurer les « fonds indispensables à ses travaux. L'absence de crédit « régulier, à base certaine, pour le cultivateur, cette « maladie de l'argent s'impose de plus en plus à l'atten- « tion. Il y a nécessité absolue de lui trouver un re- « mède ». L'auteur de ces lignes, qui était un fonctionnaire^, s'est borné à recueillir et à formuler l'expression du sentiment général. L'opinion dont il s'est fait l'écho se fortifie et grandit; elle trouvera des interprètes et elle se fera en- tendre jusqu'au sein de la commission chargée d'exa- miner le projet de loi portant renouvellement du privi- lège. 1. Guy, L^ A Ir/érie {Agriculture, commerce, industrie), Alger, i8;?6. — 81 Le renouvellement du privilège de i880 et l'orientation nouvelle de la Banque. Le projet de loi portant renouvellement du privilège fut déposé par Léon Say (1). « Le gouvernement a exa- « miné, disait-il. s'il n'est pas possible de provoquer Téta- « blissementde la Banipiede Fi'ance, mais après avisdu « Conseil d'Etal et du Gouvernement Général, on a pensé (( qu'il était trop t(M. ». Le gouvernement demandait donc la pi'orogalion pour dix ans du privilège, de façon à faii*e coïncider son expiration avec celle du privilège de la Banque de France, et proposait les uiodincations sui- vantes dans les statuts : \° Doublement du capital ; 2" Extension de la faculté d'avances sur titres ; 3° Suppression de la clause relative à l'excédent du passif sur le [luméraire en caisse, et fixation du maximum de l'émission à 75 millions. Dans son remarquable rapport au nom de la commis- sion chargée d'examiner le projet de loi, M. René Brice examinait successivement les motifs militant en faveur des modifications proposées. Examinant d'abord s'il y avait lieu de i-enouveler le privilège, il ne manquait pas (rex[)oser à sou tour pour- 1. Dépôt du projet di' loi par Ijéon Say, ruinislre des liuam-os. le ?,o février iSjj). lîapporl au nom de la eouimission de la (lli. des Dép, par iNL lletié Jji-ice le <) juin 1879; adoption p.ii- la i;iiainl)re des députés les 2 et i5 déc. 1879; Rajiport au nom de la eom. du Sénat par M. Lucet, déposé le •>. mars 1880; ailoplion par le Senal les 16 et 22 mars 1880. Philippar tj — 82 - quoi la Banque de France ne pouvait pas, h son sens, s'établir en Algérie. El, dès les premières pages de son rapport, il exposait que MM. Tlionisoii et Jac(iues. dépu- tés, avaient demandé à la commission d'imposer au moins à la banque l'obligation : 1'' De multiplier ses affaires avec les colons et le petit commerce, auxquels elle ne rendait pas, allii-maient-ils, les services qu'ds étaient en droit d'attendre d'un éta- blissement placé sous la direction et le patronage de l'État ; 2*^ D'employer une partie de son capital en prêts hypo- thécaires à court terme, de trois ou quatre années. On voit la différence entre cette opinion et celle qu'émettait peu auparavant M. Clapier. Mais la démarche des deux députés algériens mérite d'être retenue, car chacun des deux vœux est l'indice d'un fait intéressant. Le premier est l'existence du sentiment géuéi-al chez les Algériens que la Banque devait faire du crédit aux agriculteurs. Il est certain que les commerçants eu trou- vaient pi'esque toujours facilement : mais le crédit fait aux agriculteurs semblait infiniment plus intéressant aux Algériens, et l'opinion publique estimait, on l'a vu, que seul un crédit permettant l'essor des opérations agricoles réussirait à mettre en valeur la colonie Ce sentiment, dont ou a déjà constaté l'existence, a trouvé un inter- prète, et c'est ridée qui se trouve exprimée tout d'abord dans le travail du rapporteur, comme étant celle qui doit dominer la question. Le second point intéressant à noter, c'est cette opinion que la Banque ne rendait pas aux colons ou aux petits commerçants « les services qu'ils étaient en droit d'at- « tendre d'un établissement placé sous la direction et le - 83 - (( patronage de l'État ». Celle plirase est l'expression par- lementaire de la conviction profondément ancrée dans l'c^spril des Algériens, qn'nn établissement appartenant de près on de loin, et même de très loin à l'État, a, non pas la faculté, mais l'obligation de prêter à ceux cpii s'a- dressent à lui. lis ne considèrent pas l'emprunteur comme un solliciteur cjui reçoit un service, niais bien comme un associé, qui rend un service à l'établissement de crédit en s'adressantà lui. M. AlbitM-, dans son étude De l'orga- nisation du crédit tu Algérie (\), rapporte que « le Conseil < général d'Alger, dans sa session d'octobre 1900, a pro- a testé contre les agissements des Banques algériennes, (( se montrant très dures à l'égard des colons débiteui-s, « particulièrement éprouvés par celle crise vinicole. Il « laul bien reconnaître, ajoute M. Albier, que les banques a ont des statuts (|u'elles doivent respecter, des inlérètsà « défendre qui ne sont pas les mêmes c|ne ceux de leurs « débiteui'S, mais pour (pie leur nMe soit vraiment digne « d'éloges, il tant qu'elles reuilcut des services au mo- « ment des crises, et non pas seulement au moment des « époques de prospérité ». La nuance de blàmequi perce à travers ces lignes n'est que le reflet atténué du sentiment déjà signalé, qui n'admet pas que la Banque, après avoir prêté, |)rétende se faire l'embourser dans des iiiomciils de crise, ni que la Hancpie puisse cliercher à diminuiM- l'importance de ses prêts tiaus les périotle.^ troublées. Ce sentiment a pris d'ailleurs une lelle iovcc (pie la Banque est devenue [)our les Algériens le bouc émissaire qu'ils ont rendu responsable de toutes les diflicultés (|ui ont pu se pi'odnire, eu même temps ([ue c'est à elle (ju'ils 1 . Alljioi", Dt' rorjiaiiisalion tlii crrdil l'ii Ah/r'rit\ i'ai-is, Lurosi-. i()(>i (Ttièse doct.) - 84 — s'adressaient en implorant aide et assistance dans les moments de crise, s'indi^nant de ce qu'elle n'accédât [)as toujours aux prières qui lui étaient faites C'est con- tie cette tendance que s'élevait tiès justement l'adminis- tration de la Banque. (|ui disait dans son rapport à l'as- semblée générale des actionnaires du 28 novembre 1901, que les résultats iraient encore en s'améliorant, suivant duns ses effets l'évolution nécessaire de la situation économique actuelle. ;( Mais cette évolution, Tagriculteur (( et le commerçant ne doivent pas seulement l'attendre « de notre continuelle assistance.. .On ne saurait conce- (( voir comme fondée une attribution, pour aitisi dire « exclusive à la Banque de l'Algérie, commeaux pouvoirs « publics, du soin de porter remède à leurs difticultés : « basées sur l'assurance d'une intervention constante — « aux yeux de quelques-uns obligatoire — ■ leurs espérances (( aboutiraient à les dégager de tout souci et de tout c( risque, à annihiler l'initiative privée ». Quant au second des vœux mentionnés, c'est l'indice d'une conception toute spéciale de l'organisation d'une Banque d'émission. « Le capital d'une Banque d'émission, dit RenéBrice dans son rapport, c'est la garantie des pertes que peut subir son portefeuille ». Le fait qu'on propose d'employer une [)artie de ce capital en opérations hypo- thécaires semble donc impliquer qu'on considère ces opérations comme ne devant faire courir aucun risque à ce capital. Or, l'histoire des établissements de Crédit Foncier est là pour démontrer ce que cette assertion a d'inexact. Si d'ailleurs, on peut considérer, à la rigueur, comme placement « de tout repos » un prêt hypothé- caire amortissable en un laps de temps assez long au moyen des revenus durables et certains d'une propriété, — 8o — on ne [)eut appréciei' do intMiic un prêt fait, suivant l'ex- pression de MM. Thomson et Jacques, « pour trois ou qua- tre années », exigeant pour être remboui'sé à échéance des profits considérables pendant ces trois ou quatre an- nées. L'estimation, qui est la base des prêts fonciers, était d'ailleurs singulièrement difficile dans un pays neuf, el la ditficulté résultant de cette circonstance venait acci'oître encore Faléa de ces opérations. M. Hrice devait d'ailleurs, dans son rapport, remettre les choses au point. En ce qui concerne les plaintes du petit commerce et des colons, il aftirmait que la Banque avait bien été « la Banque de tout le monde ». Elle avait escompté, pendant l'exercice 1877-78, pour 4.589 428 f. 95 de papier portant la signature des colons, soit en moyenne par mois 390.824 fi'. 75. Pendant la môme pé- riode, la moyenne de la valeur des 316.612 effets de toute nature entrés dans son poi'tefeuille avait été de 641 fr. 50 et il se trouvait parmi eux 102.700 broches au-dessous de 200 fr. Le nombre des piésentateurs admis à l'escompte direct à Alger était de 616. Quant à rem[)loi du capital de la Bancpie à des opéra- lions de crédit hypothécaire, M. René Brice était trop au courant de cette nature d'opérations pour ne pas faire ressortir tout ce (pie la pro[)osilion avait de contraire au princi[)C même des Banques d'émission. De deux choses linK!, disait-il: — ou la Banque en pi'èterait (|iit' sur îles propriétés dont les litres sei-aient solidement établis, et alors, elle aliénei'ait, pour une duréedétei-iniiK-e à l'avance et (|u'il ne dépendrait pas d'elle d'abrégei-, un(> pai'ticde son capital, sans avantage pour le [)ublic, (pu, lorscju'il donne des gages sérieux, trouve sans diflicullé des prê- teurs,— ou, — et c'est là ce que désirent la |)ln[)art de ceux — 86 - qui veillent faire de la Banque d'Algérie une ban(|ue fon- cière — elle prôlerail aux colons n'ayant que des droits de |)i-o()riété résolubles, soumis à raccouiplisseuient de conditions spéciales, et elle sei-ait ex[)osée à des pertes. Il concluait en disant qu'il appartenait à la Banque de fonctionner « non conime une société quelconque, avec « son capital émis, mais avec les ressources qu'elle se fa- « bi'ique, et de restituer son capital mêineà la circulation « par l'achat de rentes sur l'Etat et de bons du Trésor. » Il y avait donc lieu d'autoriser la Ban(|ue à doubler son capital et à employer suivant le mode indiqué les fonds provenant des futures émissions. Mais le rapport indiquait bien nettement qu'il y avait lieu cependant d'apporter une attention toute spéciale aux questions agricoles, et la Banque était, en somme, invitée à prêter sori concours auxagriculteursalgériens : « M. le Directeur nous a donné l'assurance fornidle que son « Conseil d'Administration et lui étaient d'accord pour le « rendre de plus en plus accessible au |)efit commerce « aussibien qu'aux colons, el il a pris devant nous l'engage- « ment de donner aux Directeurs de ses succursales l'or- « dre d'étendre le droit de présentation directe, de façon « à ce que tout négociant ou détaillant, offrant des garan- « ties suftîsantes de moralité ou de bonne gestion, puisse, « sans intermédiaire, h'ive accepter son papier à la Banque. « Il est impossible de demander davantage. » Le [)rojet de loi fut accepté sans discussion par la Chambre. M. Lucet, dans son rapport au nom de la commission sénatoriale, examinant tout d'abord l'établissement de la Banque de France en Algérie, déclarait (jii'il était [)réfé- rable de l'ajourner jusqu'en 1897. Puis, revenant à la Banque de l'Algérie : «Son administration, disait-il, opé- — 87 — « rant sur un terrain tic plus eu plus solide, saura, sans « se départir des règles de sage prudence qui lui ont « assuré u[i pareil succès, se tenir à la hauteur de sa « mission en favoi'isant, dans la plm large mesure possible, « les besoins du [)etit commerce el Vessor de l'agricalUire, « dont la prospérité peut seule assurer le développement « des transactions commerciales. » Il faisait une brève mention du vœu exprimé séparé ment par deux colons d'Oran, demandant que le mono- pole de l'émission lut partagé entre la Bancpie de l'Algé- rie et une Banque Agricole à créer ultérieurement. Il faisait ressortir la différence entre le fonctionnemonl de ces d(Hix institutions, et reprenant les chiffres du rapport de M. Brice sur lescomple du pa[)i('r de colons, il ajou- tai! : « M. le Directeur affirme, en outre, que la Banque est « disposée à seconder ainsi l'agriculture et la colonisation dans « la plus large mesure possible, et qu'elle n'est arrêtée dans la « dispensation du crédit que par le manque de solvabilité des « souscripteurs et des présentateurs » En ce qui concerne les enqirunls à long terme cette bianche d'opérations devait donnei' lieu à la création d'un établissement spécial dont l'organisation était alors à l'étude (1). Il concluait en pro- posant d'adopter sans modification le [)i'oi('t(le la (iliam- bi'e des députés. C'est ce que fit le Sénat. La délibération devint la Loi (\u 4 avril 1880. Le privilège était l'enonvelé justpi'au l''' noviMubre 1807. L(^ capital était lixi' à '20 mil- lions de francs. On voit, dni'ant celle première période, s accentuer la contiadiction enire l'organisation de la liampie d'Algérie et le l'ole (pi'elle doil remplir : eoii.sl ihu'e comme imk^ 1 . i^e (à'tHlit l'\)tu'ior cl A^ricoU' d .Vl^^cric, coimiu- on li- verra plus loin, devail en cnV-l cornincncor à ronclioniuM" en iS8i. — 88 — Banque d'émission et d'escompto, elle a fonctionnné sui- vant ses statuts avec un plein succès que tous ont cons- taté ; le mouvement de ses affaires s'est accru : mais la colonie ne prend pas l'essor espéré, parce que le crédit nécessaire n'a pas été assez largement accordé ; les pou- voirs publics s'en rendent compte et font eux-mêmes sentir à la Banque qu'il convient d'apporlei' un peu moins de rigueur dans la sélection des affaires. Cependant (lu'on lui conseille de se relâclier de sa sévé- rité, on essaye de décider la Banque de France à venir prendre sa place : le ministre et les deux lapporteurs tiennent à établir tout d'abord que si l'on conserve la Banque de l'Algérie, c'est qu'on ne peut avoir la Banque métropolitaine, dont les statuts et le fonctionnement sont cependant plus rigoureux. Gomment peut-on conseiller à la première d'LUvrir ses guichets aux agriculteurs, alors qu'on considérerait comme préférable de la remplacer par la seconde qui ne les admet jamais? L'équivoque continue : on conserve la banque d'émission en l'invitant à faire du crédit. Il convient maintenant d'examiner les résultats de ce système. i 3 La période des opérations de crédit agricole (1880-1886) La première chose à faire était de réaliser l'augmenta- tion de capital autorisée par le Parlement. Ce fut facile, car l'opération était avantageuse pour les actionnaires, el c'est là le premier des griefs qui turent soulevés, contre la Banque : « Le cours des actions était à ce jour de « i2.i235 fr. Chaque action ancienne donnait droit aune — 89 - « action nouvelle moyen n;i ni 900 fr., prix d'émission : « c'était donc un bénéfice d'environ 1.300 fr. par action « si on arrivait à maintenir le cours, ce qui explique « qu'administrateurs et amis, faisant argent de tout, re- « cherchaient les titres depuis déjà deux ans » (1), La situation seinblait d'ailleurs excellente poui' la Ban- que ; le Parlement ne lui avait pas ménagé les éloges. Mais tous l'avaient dit, le Directeur avait dû en prendre l'engagement, il fallait favoriser l'agriculture et lui venir en aide. 11 n'était plus question des observations faites en 1872 par M. Clapier; on ne voyait plus dans la Banque qu'un insti'ument de ci'édit, dispensateur suprême des fonds, placé dans la colonie pour montrer le chemin dans lequel on devait s'engager et aider de ses avances ceux qui se décideraient à le suivre. On était bieii loin des règles et des traditions de la Banque de France, dont on avait tant parlé; on était loin de la sélection rigoui-euse qu'elle exerce sur son papier commercial. En dehors des engagements qu'elle avait pi-is, d'autres motifs exigeaient une extension des affaires de la Ban- que : elle avait un capital double à rémunérer.» Prê- ter à l'agriculture, encourager la colonisation, n'était-ce pas développer ses affaires ? » (2). Or, c'est à ce monicnl même, où la IniiKiue sentait la possibilité et le besoin d'augmenter ses affaires, que se produisait, on l'a vu, le délicit de la production vinicole française, gravement atteinte par la ci ise phylloxéi'iiiue. C'était le moment où commençait, suivant nue expi'ession souvent eniployée, « la folie de la vigne ».l)e 1881 à 188o, 1. Barbedellc, Z/(i vc rite' sur la banque de l' Ahjerie. Angt'li, Djuljolli, 1896. ■1. Jaïs. La liunque de l' Algérie e( le cvedil aiirirole, Pafis. llDusseau 1902 (Tlièse doct.). — 90 - raccroissement moyen du vii^noble a été de 10.000 hec- tares par an. I.e rapporlenrde l'Exposition de Vienne avait déjà annoncé en 1873 que dans quelques années l'Algé- rie fournirait du vin au monde entier (1) Personne n'en doutait plus en 1881, et tout le monde s'accordait à voir un « avenir radieux » dans ce qui n'est plus aujourd'hui qu'un « passé assombri ». Tout le monde plantait de la vigne, même ceux qui n'en avaient jamais cullivé; tout le monde faisait du vin ; on en fabriquait n'importe comment, n'importe où, et môme, au dire d'un témoin oculaire, jusque dans des auges à bestiaux. Le lôle de la Banque n'était-il pas tracé, et ne consis- tait-il pas à favoriser dans la mesure du possible ce mou- vement qui devait donner à la colonie richesse et pros- périté ? C'est ainsi qu'elle l'entendit, et elle se mit aussitôt à l'œuvre avec la plus grande activité. Son inode d'action fut double. Elle lit tout d'abord crédit indirectement, par l'intermédiaire des Comptoirs d'Escotnpte. Ces petites sociétés, dont le fonctionnement sera exposé plus loin, ont été créés, pour la plupart, à l'instigation de la Ban- que qui avait mis en campagne des inspecteurs ou des amis. Ceux-ci parcouraient les centies importants, expo- saient la théorie du Crédit mutuel, et déterminaient la constitution de ces organismes auxquels la Banque prêtait l'appui de son réescompte, acceptant de négocier le papier souscrit par les colons en réalisation de crédits agricoles. Enfin, ce que la Banque faisait par l'intermé- diaire des Comptoirs, elle le faisait aussi par celui de ses correspondants. Mais indépendamment de l'aide puissante qu'elle prê- I. Walil, L'Algérie, Paris, Alcan. - 91 — (ait aux comptoirs, la BaïKino faisait directement du ci'édil agricole aux colons, sous forme de Crédits de campa- gne. Il importe d'exposer ici le mécanisme de ces crédits, qui sont vraisemblablement la cause des embarras et des expropriations qui se produisirent ensuite. On a montré la pénurie dans la(iuelle se trouvent en général les agriculteurs algériens : ils ont donc pris l'habitude de solliciter des crédits, dits de camj)agne, parce qu'ils durent autant que la campagne à laquelle ils sont destinés : les fonds leur sont versés un peu avant l'époque de préparation, c'est-à-dire des semences [)our les céréales ou de la taille d'hiver [)our la vigne. Ces fonds sont employés par eux à la préparation de la récolte, aux travaux d'entretien qui sont nécessaires, et enfin aux frais de moisson ou de vendange. Une fois la récolte ven- due, le cultivateur rembourse, quitte à solliciter de nou- veau, ([uelques mois après, un nouveau crédit de campa- gne pour la saison suivante. Ces crédits sont réalisés par l'escompte de billets à 90 jours, renouvelables pendant une période plus ou moins longue; trois cà six mois s'il s'agit d'une opération sur bes- tiaux, neuf à dix mois s'il s'agit d'une récolle de céréalesou d'une campagne viticole. La forme la plus sin-ple est celle dans huiuelle le cultivateur reçoit les fonds, remet les billets, les renouvelle une ou deux lois et vient les payer à échéance : mais il ai'rive (jue le baïKiuier demande n\w gai'aulie hypothécaire. Dans ce cas, une ouverture de crédit notai'iée, généralement conclue pour dix ans, stipule les conditions dans lesipielles \o crédit sei'a accoi'dé chaque année, l'époque à hupn^ile il devra cMre remboursé, l<^ taux, etc. Le contrai est lail pour dix ans afin de diminuei" les fiais iliuscripliou hypo- — 92 - thécaire, maivS le prêteur se lôserve généralement le droit de dénoncer le contrat en prévenant l'emprunteur ti'ois mois à l'avance. C'est d'ailleurs une clause euiployée depuis longtemps en Allemagne par les banques rura- les (1). Dans ces conditions, le crédit fonctionnait comme un crédit quelconque, mais demeurait garanti [pendant toute sa durée par l'inscriplion hypothécaire. Tel était, dans son principe, le crédit de campagne tel qu'on le pratiquait en Âlgéi-ie, oi^i la situation économique qu'on a déci'ite lui donnait une telle importance que Benoist d'Azy, en demandant, en juillet, l'urgence pour le projet de loi portant création de la Banque de l'Algérie, faisait valoir cpie le vote rapide permettrait à la colonie de jc^uir un an plus tôt du nouvel instrument de cré- dit, car, disait-il, « en Algérie, les années se comptent par récoltes ». Ce sont ces crédits de campagne, que la Banque, d'ail- leurs, avait toujoui's tlû ouvrir quelquefois, qui [)rirent à partir de 1881 un développement considérable. Les statuts, à la vérité, exigeaient bien deux signatures, mais on n'était pas difficile sur le choix de la seconde. Tant que le prix des produits se maintenait à des cours normaux, rien n'était plus simple que cette orga- nisation, qui semblait devoir fonctionner indéfiniment avec une régularité mathématicpie. Pour le cultivateur aisé, crédits sur billets renouvelables, avec une seconde signature quelconque. Poui' le petit colon, avances faites par les Comptoirs d'Escompte auxquels la Banque fournis- sait des fonds, garantis, théoriquement du moins, par le capital du Comptoir. 1. V. Lebarbier, Le crédit agricole en Allemagne, Paris, Berger- Levrault. — 03 - L'opération était absolument régulière quand le crédit était bien remboursé à l'échéance après la campagne. Dans un pays comme l'Algérie, cela prenait le caractère d'une ti-ansaction commerciale et la Banque de l'Algéi'ie ne s'écartait pys plus de ses statuts que ne le fait la Ban- que de France quand elle accepte les renouvellements des éleveurs nivernais (t ). La Banque (.rAlgérie, en pra- tiquant ce genre de prêt, ne faisait que s'adapter aux con- ditions économiques au milieu desquelles elle opérait. Mais l'opération devient hasardeuse dès (|ue le crédit n'est pas remboursé à échéance. Il est évident qu'une circotistance fortuite, empêchant la vente du produit dans le temps normal, peut justifier une prorogation de (picl- qu(;s mois, entraînant le chevauchement de deux ciédits de campagne successifs. iMais cette [pratique n'est excu- sable que dans le cas d'opérations à court terme devant être liquidées dans l'année : or, la Banque accordait des crédits, indéfiniment renouvelables, et destinés non à l'entretien, mais à la création de vignobles. La Baixpie en effet, partageant la confiance qu'elle inspirait, et se confortnant au rôle qu'on lui avait tracé, encourageait rempi'unteur, et loin de le rebuter, allait au devant de lui. Ce furent sui'tout les Comptoirs, (jui, plus rappro- chés des colons, se chargèrent de leur montrer ce cjui semblait être le progrès, et de leur faire; valoir les avan- tages (|u'ils éprouveraient à transformer en vignobles les terres quils possédaient. Quant à l'argent nécessaire, il leur serait facile de le trouver, et les bénélices (|u'ils de- vaient promptement réaliser ne suflii'aienl-ils pas à rem- bourser leur dette el au delà? C'est ainsi cpie la lUnicjue i.Cf. Gnnvorl, Les entre}) risi's ai/ricoles, p. /juS. Fai-is, Masson, 1890. — M' — consentit ces crédits de campagne qui devaient durer plu- sien l's cam|)agnes Il y avait là une violation absolue des statuts, qui était en inèrne temps une imprudence. D'abord, dans le cas oîi la Banque avait à faire face à des detnandes de rembour- sement, elle n'avait coinme contre-partie de ses billets qu'un portefeuille comprenant des valeui's qui ne pour- raient être payées (|u'au bout de trois ou quati'e ans : à des exigibilités à vue, elle ne pouvait donc opposer que des disponibilités à terme. C'était là une première déro- gation grave aux principes d'une Banque d'émission. Mais en considérant même l'opération comme une opé- ration de crédit qui ne serait interrompue par aucun évé- netnent accidentel, les conditions du marché pouvaient s'être modifiées considérablement entre Tépoque où la Banque prêtait des fonds pour la création d'un vignoble et celui où ce vignoble commencerait à [)roduire. Et ces deux inconvénients n'étaient pas les seuls. La facilité qu'on avait de créer des vignobles tit que tout le monde voulut en créer et acheta des terres. Le prix de la terre monta dans des proportions assez fortes. Bien d'au- tres que la Banque durent prêter des fonds destinés à des spéculations immobilières, mais cet établissement n'en fut probablement pas moins un facteur puissant de ce mouvement de hausse. C'est un des griets que ses enne- mis ont relevé avec le plus de véhémence. « C'est alors, dans le feu de ces opérations à la manière 9 de Law que l'on vit des terres incultes, des rochers d stériles, des broussailles qui jusqu'à ce moment n'a- d valent servi que de repaires aux fauves, des terrains « nus, calcinés de soleil et qui ne valaient pas la peine « de la prise de possession, parce que leur rapport était — 95 — « nul, être avidement disputés, et se vendre coiiram- « ment mille francs l'iiectare, parfois d'avantage! » (1). Le tableau que l'on trouvera plus loin permet de sui- vre l'essor rapide résultanl pour la Banque de toutes ces opérations nouvelles ; le chiffre des escomptes monta dans des pi'0()ortions énornies. 11 alleignit en effet les chiffres suivants : 204.000 000 en 1877-78 265.000.000 eu 1878-79 351.000.000 en 1879-80 485.000.000 en 1880-81 515.000.000 eu 1881-82 525.000.000 en 1885-86. Le chiffre des dividendes, dont le maximum avait été jusqu'alors de 80 tr., s'éleva à 100 fr. en 1882-83. Ce n'est ({ue dans les années suivantes que les actions attei- gnirent leur cours maximum de 2.203 Ir., (|ui devait descendie ensuite d'une façon continue jus(iu'à 561 fr. en 1896-1897. I. Henri Garrot, La Banque de l'A/fjérie, Paris, Saviiie, 1892. M. Garrot, ancien agent de la Banque de l'Algérie, ayant dû (luitter cet établissement à la suite de diflicullés, prit une part active à la campagne menée contre la Banque et réunit plus lard en un volume les articles publiés [)ar lui. C'est à ce volume que sont faits et l'emprunt qui précède et quelques autres que l'on trouvera plus loin. Il importe de retenir qu'il s'agit d'une a-uvre de combat, dont les citations ont pour but de montrer le caractère des polémicpies sou- levées par les laits exposés. — 96 — La période de réaction. (1880-1892) La période de prospérité appai'ente ne devait d'ail- leurs pas être de longue dnrée. Le phylloxéra faisait en 1883 son apparition dans la colonie. Les crédits n'étaient pas remboursés à échéance ; la Banque, pour les renou- veler, grossissait sa circulation fiduciaire au delà des limites fixées par les statuts. 11 y avait là une irrégula- rité grave qui se prolongea pendant quelque temps. Puis le gouvernement s'en émut, et M. Nelson-Chiérico rem- plaça en 1886 M. Chevalier à la tête de la Bancjue. Le portefeuille tomba de 89 à 74 millions, le compte du Trésor, créditeur de la Banque depuis longtemps, passa de 24 à 12 millions et celui de la Banque de France, qui est la conti-e-partie des envois de numéraire faits par celle-ci en Algérie et qui se montait en 1886 à 6 millions fut soldé (1). Ce résultat ne fut pas obtenu sans difficultés. Des exé- cutions nombreuses furent faites et la Banque dût pour- suivre d'importantes expropriations. La conséquence de ce changement de conduite fut un abaissement du prix des terres. La Banque avait avancé imprudemment des sommes trop fortes sur des domaines dont la valeur semblait con- sidérable. Ne pouvant rentrer dans ses créances, elle dût se résoudre à acheter certains domaines et à les exploi- ter elle-même. I. iàis, La Banque de l'Algérie et le crédit agricole. — 97 — L'élendue de ces terrains alla bientôt en augmentant. Des services spéciaux d' « agents techniques » furent alors créés [)Our l'exploitalion d'un domaine qu'on dissi- mulait autant que possil:)le, en le comprenant, dans les bilans, dans la division élastique des « Comptes Exté- rieurs. » Il est évident (jue la possession de ces domaines cons- tituait pour une baïKjue d'émission une situation anor- male qui ne mau(|na pas de faire naître de vives criti- (jues : « Les agents de la Banque ne sont plus que des « fermiers qui vendent au marché — quand les préposés « commis à la salubrité des denrées, ou les vétérinaires « délégués ne leui' font [)as taire demi-tour : — les bois « et les charbons, les vins et les blés, les œufs et les « poules, les bœufs et les [noutous, élevés dans les pro- fl pi'iétés de cette marquise de Gai'abas qui s'appelle la (( Bancpie de l'Algérie »(1). Une politique d'exécutions, de resserrement et île dé- fiance succédait à l'attitude encourageante et facile que la Banque avait eue juscpie-lii Elle ex[)rupriait elle-même les colons (pi'elle avait jailis encouragés à plantei*. Elle devait, suivant une [)ai'ole (pron lui prête (H), « exécuter tous les (lél)iteurs dont rexéeiilioii poiixail lui èli'eproli- tal)le », sans (jue les considérations de mérite pei'Souuel ou d honnêteté pussent l)eaueonp at liMiuer ses riguiMirs. Il est évident (jue tel débiteni- important et obère, dont la dette considérable aurait entraîné une licjuidatiou bruyante et peut-être [)eu avanlageuse, si' voyait faeile- ment accorder des th'lais, tandis cpie tel autre dont l'aetil" couvrait la dette plus faible se voyait exécute sans merid, 1. Henri Garrol, La Banque de /'Alunir. 2. II. Garrot, op. cit., p. 'iSÔ. Philippar 7 — 08 - alors que (luelqiies années de répit lui eussent peut-être pei'inis (le se libérer. On conçoit facilement le désespoir et la tureiirdes colons: ils avaient abandonné l(;urpatfie pour cette terre qui devait en quelques années leur pro- curer la fortune ; ils y avaient trouvé dès l'abord aide et crédit, et brusquement, ils voyaient disparaître le Iruit de leur ti'avail. Leur déception était d'autant plus forte (ju'elle était accrue par cet aveuglement du propiiélaire qui lui fait voir sa terre comme supérieure à toutes les autres, et cet es[)oir tenace qui lui montre toujours l'an- née suivante comme devant êtie meilleure que Tannée passée. L'irritabilité qui résulte du séjour dans les pays chauds devait accentuer encore cette disposition d'esprit. D'autre part, les ennemis de la Banque la représentaient comme ayant sciemment acca[)aré, par une manœuvre savante et froidement calculée, les meilleures terres de l'Algérie. La Banque «s'empare sans scrupules de la terre, « organisant ainsi... l'expropriation raisonnée du terri- « toire algérien à son profit .. La Banque d'Algérie n'a « pas d'entrailles. Cette impersonnalité, cette association « anonyme, a mis dans son programme de taire payer « à la propriété les 26 millions que ses actionnaires se « sont partagés » (1). On sait, en réalité, de quel poids pèse un domaine sur la marche d'un établissement financier et particulière- ment d'une banque d'émission. On comprend facilement quels sacrifices la Banque eût fait volontiers pour éviter d'en constituer un, mais les apparences semblaient écla- tantes pour des esprits faussés, et une haine profonde pour la Banque remplaçait la reconnaissance qu'on avait autrefois professée pour elle. 1. Garrot, op. cit. I - 99 — On a beaucoup reproché à la Banque ces opérations, qu'on qualifiait de prêts hypothécaires : l'exposé qui a été fait du mécanisme des crédits de campagne permet de se rendre com[)te de l'engrenage qui a entraîné la Ban- que : les crédits d'abord consentis pour une saison ont été renouvelés pendant deux ans, trois ans ; le revenu du vignoble a été trop tardif ou trop faible pour permettre le i-emboui'seinent. t^a Banque voyant s'accumuler les renouvellements impayés, a senti qu'il falhiit enrayer, (jn'il lui était impossible de soutenir de son crédit la masse énorme de ses débiteurs, licaucoup de crédits, suivant l'usage exposé, étaient garantis par des insci'ip- tions hypothécaires, consenties, soit au moment du [)rèt, soit postérieurement. La Banque était acculée à l'expi-o- prialion. Mais le prix (h^s terres avait baissé, d'oià néces- sité pour elle de l'epi-endre un certain nombre de domai- nes dont le prix de vente eût été par li'()|) désastreux. La Ban(jue d'Algérie avait ouvert trop largement des caisses : peut-être les ret"erma-t-elle trop l)rus(jU('ment. L(ïs mouvements d'uiu; association impersonnelle sont moins pondérés que ceux d'un individu, et les rouages d'une administration fonctionnerit l'arement sans heurts. Le Directeui' nouveau, nommé avec des instructions dé- terminées, devait nécessairement s'y confoiuier avec rigueur, et appelé à licpiidei' des opérations qu il n avait pas lui-même engagées, (ju'il connaissait donc imparlai- temenl, il n'avait sans doute pas une conscience assez nette des situations poni' oser ;dlei' dans certains cas, juscpTà la limite des concessions [)ossil)les. H i'anl ajoiilei- à ces divei's l'aclenrs l'horreur du bi'uit, la crainte ^\[\ député, la terreur de rinlerpellalion (pii plaiu> sur tonte administration relevantdelElat.et ciniilevaientavoir pour — 100 - effet d'inspirer à la B.uKjue le désir* le plus vif de liqui- der à la hâte K; passé, d'effacer la Irace des erreurs et de rendre bien vite à ses écritures un scndilaiil de ré^iila- rilé, avant (jue la clauicur puMicpie n'eût provoijuc'; des enquêtes retentissantes v,[ [)ai"tanl désasti-euses. Si tel était l'état d'esprit de la Direction, on comprend facile- ment quel pouvait ètrt; celui du ()ersunnel, désireux de se sii^naler par son zèle, et d'autant plus disposé à appli- quer rigoureusement les insti'uctions (ju'il avait reçues, qu'elles lui étaient données [)ar un chef nouveau et (jue tous sentaient venir l'orage. « Il est vrai, ditGai'rot, que « le Directeur est admirablement secondé pai- son person- « nel ; quand il dit tue, les autres assomment. » El à ti-a- vers l'exagération el le parti-pris, on sent qu'il doit y avoir là un reflet de la vérité. Entin, les questions politiijues étaient venues envenimer encore les questions d'intérêt. De tout temps, on avait prétendu que certains crédits étaient ouverts grâce à des influences politiques; bien entendu ces mêmes influences furent considérées comme s'employant efficacement pour déterminer ou em[)ôcher les rigueurs delà Banque. « Les périodes électorales four- « nissaieutune excellente occasion de reviser les fiches. « Ce n'était pas la solvabilité financière du débiteur (ju'on ({ examinait, mais bien ses sentiments politiques, etc.» (1). i 5 La crise immobilière et V interpellation Goirand (1892) Cependant la crise qui sévissait en Algérie occupait de plus en plus l'attention de la métropole; le Sénat nom- 1. BarJjedelie, La vérité sur la Banque de l'Algérie. — 101 — inait le 6 mars 1891 une commission d'enquête de dix- huit membres chargée d'étudier la situation de l'Algérie et les tuesures à prendre, et cette commission parcourait l'Algérie du 19 avril au 4 juin 1892. Sur l'intensité de la crise, aucun doute, tout le monde était d'acconl. « La diminution de la valeur des propi'ié- « tés est telledepuis une dizaine d'années qu'à Misseghin, « à 15 kilomètri's d'Oran, une propriété de 60 hectares, « dont 30 en vigne, a été vendue, en y comprenant les « caves et le matériel, o'2.000 francs. Elle avait été mise « en valeur avec une dé[)euse de plus de 150.000 francs « (journée du 26 avril 1891) » Tous étaient unanimes à attribuer cette crise au brus- ([ue lesserremeiit du crédit, arrêté quand il aurait fallu au contraire tempoi'iser, et accorder aux colons de longs délais pour se libérer. La cause de cette crise avait été un ai'i'êt dans les opérations de crédit. M** Geccaldi, notaire à Gonstanline, déclarait tpi'on ne voyait plus venir ni capi- talistes ni capitaux, tandis qu'autrefois, c'était le con- traire. M. Bequet, conseiller d'Etat, déclarait (|ue si la Ban()ue avait été imprudente, elle était tout à coup deve- nue trop timide. Quant au Giédit Foncier, on l'accusait de pratiquer des taux Irop élevés. C'est à cette époque que M. Garrot publiait son livre et le dédiait à la coujuiission d'en(juête. En soiume, tout en (b'clarant cjue le crédit trop lai'ge était la causi; de cette ci'ise, on dt'clarail cpie ce (pii mauipiait, c'était l'argent; uKiis tout le monde était d'accord pour se plaintli'e île la lUuupic. les uns parc(> (pTcile avait ti'op prêh'. les aiihcs par^-e ipi elle ne pi'êlait plus. Aussi, devant celle coiilradu'lion appa- rente, M. le sénateur Labiche pouvait il dire avec (juel- que raison : « On se plaint souvent (pi il n'y a pas assez - 10-2 - « (le crédit en Algéri(>, el, il sonible résulter des témoigna- « ges (|ue nous venons (rcntciidrc, (ju'il y en anrail Irop». A Lravei's l'ensemble un peu contradietoice des ténioi- f,mages, on voit ce[)endant assez bi(Mi la situation de la colonie, l)onl(!vei'sée par des expropriations (pii avaient transformé la valeur de la propriété, si bien que les capi- taux effrayés se cachaient, en attendant (pie (juelques années de calme eussent permis à la valeur du sol de reprendre quelque stabilité. D'autre [)artjes viticulteurs, (jui avaient eu une récolte trop abondante, ne pouvaient parvenir à l'écouler et essayaient en vain de constituer un syndicat de vente. Si on ajoute à tous ces faits la baisse continue des actions de la Banque, qui, après avoir atteint le cours de 2.000 francs entre 1880 el 1885, oscillaient à cette époque entre 1.000 el 1.100 francs, on s'étonne que la question n'ait pas été portée plus tôt à la tribune. Elle le fut le 14 juin 1892 par M. Goirand, dans une interpel- lation sur « les bilans de la Banque de l'Algérie ». M. Goirand refit devant la Chambre Thistorique de la Banque et des deux péi'iodes, dont la seconde commen- çait en 1881 par un doublement de capital « qui devait « faire ressortir au profil des actionnaires et du Conseil « d'administration un bénéfice net énorme de plus de « 25 millions ». Aussitôt la loi votée, l'augmentation avait été effectuée el la Banque avait essayé de fonder le crédit mutuel : « Ceux qui avaient besoin de crédit mutuel, « disait l'inlerpellaleur, étaient en généralceux(iuiavaient « peu de crédit personnel ». Il faisait ensuite le procès des 24 Comptoirs qui fonctionnaient de[)uis 1880. Ils avaient escompté 90 à 95 millions par an, soit pour onze ans 1 milliard environ. Il exposait les conséquences de ce - IU3 — crédit trop largement onvcil et montrait le nombre et l'importance des expi'opriations effectuées. 11 donnait comme exem|)le le Comptoir d'escompte de Philippeville, dont le domaine comprenait 7.000 à 8.000 hectares de teries arables et 1 millier d'hectares de vigne, résultat de 42 exécutions. M. Goirand déclarait avoir relevé au bureau des hypothèques de Philippeville 78 acquisitions ou exécutions effectuées par la Banque. M. Goirand fit d'abord ressortir la faute qu'avait com- mise la Banque en namortissant [)as les immeubles. Elle avait amoi'ti les 2 millions représentés pas ses hôtels et elle n'avait rien fait pour amoi'lir son domaine, tou- jours désigné par la l'ubrique « Comptes extérieurs ». 11 faisait ensuite remarquer (pi'on n'amoi'tissait plus de 30 0/0 le chiffre des effets en souffrance comme l'exi- gaient les statuts. On avait ci'éé un « Com[)te de licpii- dalion » (jui comprenait tous ces effets. Examinant leur valeur, il citait le cas de l'un des mem- bres du Conseil d'escompte tie la Banque de l'Algérie qui, se trouvant alors en faillite, avait porté à son bilan une créance de 400.000 francs sur un négociant de Philip- ,peville (jui s'était fait souscrire ces billets par son cais- sier, un em[)loyé à 200 francs par mois. 11 citait ensuite des décisions des tribunaux dans des pi'ocès oîi la Bampie se ti'onvait intéressée et conslalait qu'elle était parfois sévèrement tiaitée. Il faisait ressortir la diminution du chinVe de l'es- cotnpte, qui de 1881 à 1801 était descendu de 'iS.'i à 425 millions. Cependant, les bénélices augmentaient : c'est (jue le lanx d'eseomple avail ele eleve de \ à .'"» 0/0 au lendemain du donbl(Mnenl du rapilal. Knlin. on namortissail [)lus. Le Conseil d\ulniinisli'alion disait — 104 - dans un rapporl aux actionnaires : « En 1887 et 1888, « nous avons affecté à l'anioi'tissenient 550 000 francs ; a pour l'exei'cice écoulé ce nnênie pi'élèveinent est l'édnità « 300.000 francs. La raison en est que, parallèlement à « nos comptes, qui se sont normalement développés, nos « charges extraordinaires ont été en progressant. » M. Goirand terminait en demandant : 1" Que le domaine immobiliei- tiguiàt aux bilans; 2" Que les immeubles fussent amoi-lis ; 3° Que rémission fût ramenée aux limites permises; 4° Que les valeurs en souffrance fussent amorties de 50 0/0. M. Rouvier, ministre des finances, répondant à Tinter- pellateur, disait que pour réparer la crise qui s'était pro- duite, on avait eu le choix entre deux systèmes : ou bien observer rigoureusement les statuts en exécutant brusque ment ; ou bien temporiser et liquider petit à petit la situa- tion au mieux des intérêtsde tous : c'est ce second système qui avait été appliqué. Si l'émission avait dé[)assé les limi- tes statutaires, elle n'avait pas cessé d'être garantie par les rentes françaises que détenait la Banque, qui pouvait opposer 127 millions d'actif à un passif de 118 millions. Reprenant les griefs articulés contre la Banque, il déclarait que le domaine immobilier représentait une valeur de 4.957.907 francs pour un rendement annuel de 483,000 francs. Quant aux comptes extérieurs, attei- gnant 23.000.000 tVancs, ils comprenaient les comptes « correspondants » pour 5 millions, et les comptes de € liquidation » pour 18 millions. Entin, les bilans allaient être modifiés et « fei'aient apparaître les réformes qui étaient commencées depuis longtemps ». U est certain que la situation était déjà améliorée et — iOo ~ (|ne les reproches arrivaioni un peu lard, aussi la Cham- bre accepta-L-elle sans difficulté un ordre du jour de con- fiance, en prenant acte des déclarations du ministre en ce qui concernait les modifications à apporter au bilan. M. Rouvier devait d'ailleurs reprendre quelques années après à la tribune (t) la question de la Banque de l'Al- gérie, au sujet du renouvellement du pi-ivilège de la Ban- que de France. On sait que Toi'ganisation du crédit agri- cole en France était alors à Tordre du jour et on s'était demandé si la Banque de France ne pourrait [)as inter- venir efficacement à ce sujet. M. Rouvier, qui était hostile à ce projet, et définissait avec une netteté parfaite le rôle d'une banque d'émission et son fonctionnement, faisait ressortir l'incompatibilité entre ce fonctionnement et l'escompte du papier agri- cole. Il y a près de nous, disait-il, un exemple tout à fait démonstratif, c'est celui de la Bancpie de l'Algérie. Ft déclarant ({u'oii avait eu tort de lui faire un crime de ces erreurs, il dépeignait ainsi In situation en 189'2 : sui* 90 millions de ciiculalion, 18 millions, soit I/o, étaient représentés, non plus par tlu papier convertible par l'es- compte à une certaine échéance, mais par des domaines ruraux, invendables, à cause du grand nombre de ces immeubles accumulés dans les mêmes mains. Il ajoutait, un \)v,u sévèrement, (jue cette situation se i-eliouvcrait partout où l'on l'ait des opérations de prêt à long terme sur des valeurs agricoles « non parce (|ue ces opéialituis « ont (''lé mal préparées, mal (•ond)in(''es. mais parce (jue « la nature de l'opiMalion agricole, par ses risques, sa 1. Séance du 2 juin iSgj. - 106 — « durée, est telle qiKMlnns l;i plupart descas, elle aboutit « à l'expropriation (l(i celui qui s'est servi du crédit ». Cette a[)préciatioii est un peu dure. Il est |)eruiis de penser que la manière dont l'opération est engagée influe beaucoup sur la façon dont elle se liquide. Mais ce qu'on peut affirmer, c'est que les opérations agricoles cadrent mal avec les statuts d'une Banque d'émission. Les proroijations de 1897 et de 1899 ; le renonvellement de 1900. La réoi'ganisalion de la Bantjue se continuait de 189:2 à 1897. d'autant plus laborieusement c|u'a[)rès les opéra- tions agricoles s'était ouverte l'ère des immobilisations commerciales (1). Cependant la réorganisation n'était pas jugée parle gouvernementsuffisante pour mettre la Ban- que en état de demander le renouvellement de son [)rivi- lège, qui expirait, on le sait, en 1897, en môme temps que celui de la Banque de France. Aussi le gouvernement se contenta-t-il de déposer un projet de loi portant proroga- tion du privilège jusqu'au 31 octobre 1899 (2) Cette même année 1897 voyait s'accoinplii" un changement de Direction. Enfin la Chambre de commerce d'Alger, puis la Sociétéd'agricultured'Alger, émettaient des vœux favorables au renouvellement du privilège. 1. Compte rendu, ass. gén. 21 vov. 1901. 2. Le projet de loi déposé à la Gliambre par M. Cochery, ministre des finances, le i" juillet 1897, fut renvoyé à la commission chargée d'examiner le projet de renouvellement du privilège de la Banque de France et donna lieu, le 5 juillet 1897, au dépôt d'un rapport de M. Maurice Lebon concluant à l'adoption. — 107 - Ce fut, en réalité, an sujet du renouvellenaent du privi- lège de la Banqne de France que la discussion s'engagea pour la première lois, dans la séance de la Chambre des députés du h' juillet 1897. M. Viviani proposait à la Chambre d'adopter la résolution suivante: «A partir du « I" janvier 1898, la Banque de France succédera aux « droits, obligations et avantages de la Banque de FAIgé- « rie et établira des succursales aux lieux et places oi^i la « Banque de l'Algérie a déjà les siennes. » II reprit l'histoire de la Banque qui, disait-il, comme il airive pour certains individus, avait mal tourné à l'épo- que de sa maturité. 11 refit l'historique des Comptoirs qui « prenaient le papier de la main droite, le mettaient dans la gauche et le passaient à la Bancjue d'Algérie. » Il tu leprocèsdu domaine et des expropria lions, rapi)ella l'interpellation Goiraiid et conclut à la nécessité de li(|ui- der la Banque de TAlgérie. Il pi'oposait de lui accordei' 5 ans pour liquider son émission « ne pouvait-elle pas, « disait-il, gager des actions nouvelles sur ce domaine « foncier? ne pouvait-elle |)as se transformer en banque « agricole, devenir celte Banque agricole dont l'Algérie a a besoin et qui lui l'endi'ait de grands services ? » M. Cochery répondit eu taisant très justement remar- (pier (ju'on ne |)oinait l'aire li(iui(ler par la Haïupie île France le passé de la Banipie de IWIgérie : il ajuula (pie le reuouvelleinenl de celte tli'i'nière ne pourrait èlre exa- miné qu'après celui de son aînée et que d'ailleuis la Ban- que de France ne pouri'ait s'installer en Algérie « tju'à « condilioti (pie fonctionnât à cù[ô un établissement ipii « donnerait la Iroisienie signature etquien mènu' lenips « l'emplii'ail au point de vue agricole un r(Me se rappio- « chant, dans une cei'laine mesure, de eelni (pi'a joué ac- — 108 — (( luellemenl la Banque de l'Algérie, et que ne pourrait pas « remplir la Banque de France ». 11 ajoulaquela Banque d'Algérie possédait une organisation plus souple qui pré- sentait des avantages pour un pays neuf couimo l'Algérie et qu'il y aurait donc peut-être intérêt à la maintenir. Celle opinion fut appuyée par M. Thomson qui déclara que s'il avail soutenu autrefois le projfU tendant à fusion- ner les deux banques, c'était à l'époque où celle d'Algé- rie fonctionnait comme celle de la méti'opole, et que la Banque de France ne saurait satisfaire les Algériens si elle n'ouvrait pas un o guichet agricole ». Après quelques nouvelles critiques contre les Comptoirs et les prêts faits à des hommes politiques, M. Vivian^ retira son amendement en prenant acte des paroles de M. Cochery, que la Banque de France n'était pas opposée, en principe, à son installation en Algérie. Le projet de loi portant prorogation jusqu'au 31 octo- bre 1899 fut discuté le 8 juillet 1897 ; M. Viviani tout en déclarant qu'il était impossible de ne pas le voter, solli- cita la communication des rapports établis sur la situa- tion de la Banque par les Inspecteurs des finances, com- munication qui fut d'ailleurs refusée par M. Cochery. La circulation était rentrée dans des limites normales et les réserves avaient été augmentées de 9 millions en 1893, de 13 millions 1/2 en 1896. Le projet fut donc voté sans difficultés, malgré les propositions de iMM Viviani, Etienne et Marcel Habert, demandant des enquêtas. Une seconde prorogation devait d'ailleurs être sollicitée et obtenue de la Chambre, fixant au 31 octobre 1900 le terme auquel seraient soumises au Parlement les propo- sitions définitives concernant le régime fiduciaire de l'Al- gérie. — 109 — Dès le 8 juin 1900, M. Le Moigne, député, déposait sur le buceau de la Chambie le rap[)ort rédigé au nom île la commission, et suivant l'usage, examinait d'abord les motifsqui em[)ôcheraient l'établissement de la Banque de Fi'ance. Le plus important suivant lui, était d'entraîner la liquidation de la Banque d'Algérie, opéi-ation qui n"eût pu s'effectuera sans apporter dans la situation économi- « que et financière de l'Algérie un trouble [)rofond (jue « l'intérêt bien entendu de notre colonie commande « avant tout de lui éviter. » Le principe du maintien d'un établissement autonome étant adopté, dansciuelles conditions le renouvellement pouvait-il être consenti ? Tout d'abord, il fallait litpiider le passé. La commis- sion constatait que Tensendjle des mesures proposées avait pour etfet de débarrasser la BaiHjue des éléments inconciliables avec le principe d'un étabiissem(M)t decré- dit, mais en absorbant la totalité des l'éserves de la Ban- que, qui devaient d'ailleurs être promptement lecons- ti tuées. De plus, le siège social serait transpoi'té à Paris, pour soustraire le Conseil aux intluences locales. Contrairement au projet du gouvernement, la ct)mmis- sion estimait qu'il était nécessaire cpie toute distribution de dividendes fut approuvé par le ministre des linances. Entin, (luelquesobligations étaient également imposées à la Banque en ce qui concerne le change et le seivicede trésorerie à faii'e pour l'Etat. Mais le point le plus iuq)()rtantétait lobligalion impo- sée à la Banque en faveui' du Crédit Agricole. V La Bancjue devait consentir une avance de 3 mil- lions sans intérêts, ))our une durée i'ixcc par une couvcn- - 410 — lion spéciale, avance dont le n)ontanl serait versé an Trésor aussitôt après proninlj^^alion de la loi ; 2° La r>an(ine devait versera l'Etat : J)n !•■' janvier lilOO an ?>[ décembre 1905, nn(; somme annn(>llede200 000 IV.; bu 1'"' janvier 1906 an 81 décembre 1912, nne somme annuelle de 250.000 fr. ; Du l*^^ janviei' 1913 an 31 décembre 1920, nne somme annuelle de 300.000 fr. L'avance de 3 luillions el la redevance annuelle devaient être réservées et portées à un compte spécial du Ti-ésor, jusqu'à ce qu'une loi eût établi les conditions de création et de fonctionnement du crédit agricole en Algérie. Le projet, adopté le 15 juin 1900 par la Chambre des députés, fut déposé le même jour sur le bureau du Sénat. Le rapport établi au nom de la commission par M. Anto- nin Dubost fut déposé le 26 juin 1900. H résumait très nettement le résultat des fautes pas- sées, qui avaient eu pour etfet : r d'imposer à la Banque la possession d'un domaine foncier dont la valeur n'était pas inférieure à 10 mil- lions ; 2" de constituer un compte dit « de liquidation », com- prenant un certain nombre d'effets tombés en souffrance, qui, malgré la rétluction de 50 0/0, prélevée sur les pro- fits et pertes, qu'on lui avait fait subir, s'élevait encore à 8.800.000 fr. ; 3" Le portefeuille contenait encore des effets de com- merce dont le l'ecouvrement douteux faisait de véritables immobilisations représentant 8 à 10 millions ; 4° Le montant accumulé des billets et des comptes- — m — coiii-ants, conlraii'ement aux. statuts, dépassait de près de 4U millions le Liipie de l'encaisse métallique. Le passé se liquidait de la façon suivante : le domaine était racheté par une société tormée entre les actionnai- res de la Banque, la Société Domaniale Algérienne, qui le payait 8 millions, par fractions échelonnées. Quant aux valeui's comprises dans le com[jte tle liquidation, ou les immobilisations du portefeuille, elles devaient être com- pensées au moyen des réserves de diverses natures. Enfin l'expiration du privilège était fixée au 31 décem- bre 19:20, étant entendu qu'une loi volée par les deux Chambres dans le cours de l'année 1911, pourrait le faire cesser à la date du 31 décembre 191:2, de façon qu'il fût possible à ces deux dates, d'examinersimultané- ment le régime fiduciaire cju'il conviendrait alors d'appli- quer à la France et à l'Algérie. Le projet, adopté par la Chambre le 15 juin 1900 après déclaration d'urgence, vint en discussion devant le Sénat les 2 et 3 juillet 1900. M. Alcide Treille prit la parole pour demander quon ap- portât dans le recouvrement des créances « les tempéra- « ments qu'ont réclamés les actionnaires de la Banque (( eux-mêmes, et que l'on n'étranglât pas du jour au len- « demain ceux qui devaient. » M. Lecourt-Crandmaison demanda également qu'on précisât les condilions dans lesquelles la Banque pourrait i-ecevoii' des dépôts el lit déclarer à la tribune (ju'il ne lui serait [)as permis de bonifier d'intérêts à ses déposants. Le projet, adopté par le Sénat, devini la loi du ;> juil- let 1900. — W'I opérations clfcctuécfti par la l»au<|u RÉSERVES NOMBRE IMPORTANCE DII.LETS ellectuées BÉ.NÉFICES EXERCICES d'eirels (les ilu banque escomptés escomptes en circulation durant l'exercice bruts 1851-1852 11.906 8.755.964 09 1.297.100 5.997 40 122.064 3( 1852-1853 17.369 13.728.668 76 1.888.300 22 455 16 176.602 4î 1853-1854 21.788 18.218.881 85 2.290.445 26.842 21 215.339 7 1854-1855 25.025 20.491.439 18 2.621.000 36.076 51 241.412 T 1855-1856 31.718 21.840.707 44 2.743.150 45.716 01 2-'2.2n 3< 18561857 47.598 32.682.418 96 3.040.000 69.680 23 392.228 3Î 1857-1858 57.736 39.595.268 36 3.475.000 96.281 » 499.510 2i 1858-1859 66.233 43.342.538 33 3.735.500 76.987 85 533.274 9( 1859-1860 79.000 53.942.530 42 4.085.700 99.041 65 605.871 .5{ 1860-1861 88.169 61.983.728 18 4.179.800 78.606 85 682.719 3J 1861-1862 99.188 68 365.075 68 4.668.300 85.924 20 749.238 Oî 1862-1863 107.145 72.798.117 49 5.468.450 108.865 52 833.928 4e 1863-1864 102.569 77.884.541 22 5.036.950 9.000 » 946.193 OS 1864- 1865 104.552 78.324.612 17 6.047.300 07.000 » 985.667 8e 1865 1866 121.586 96.329.727 36 7.162.800 340.000 » 1.347.407 2C 1866-1867 118.872 97.503.296 25 7.496.600 309.000 » 1.327.167 61 1867-1868 120.867 112.340.898 63 10,210.300 362.000 » 1.490.377 28 i8(i8-1869 146.. 385 125.. 525. 782 96 13.344.250 260.393 01 1.439.109 37 18691870 178.757 153.151.647 05 15.812.875 318.789 64 1.596.110 19 1870-1871 111. 098 150.931.116 26 29.060.100 475.000 » 2.338.92.S 78 1871-1872 202.588 203.288.351 11 36.402.930 480.000 » 3.137.767 66 1872-1873 251.514 217.977.044 78 46 374.310 180.000 » 2.899.906 88 1873-1874 288.647 230.139.549 37 46.974.310 118.000 » 2.760.669 30 1874-1875 245.691 185.668.181 77 32.691.705 » 2.546.084 34 1875-1876 256.694 175.361.548 86 37.172.155 » 2.318.137 03 1876-1877 304.030 193.871.776 11 37.629.910 » 2.267.542 89 1877-1878 317.612 203.745.217 90 38.128.730 » 2.611.012 06 1878-1879 337.659 265.431.2i2 73 47.955.445 60.000 » 2.593.067 16 1879-1880 423.535 351.062.884 34 59.529.990 90.000 » 3.040.280 19 1880-1881 505.663 485.014.725 14 62.746.750 280.000 » 3.822.859 49 1881-1882 540.868 515.730.936 01 60.448.225 » 5.971.321 99 1882-1883 490.174 475.909.147 07 63.710.105 » 5.928.745 79 1883-1884 505.769 484.780.778 03 67.307.845 I) 5.935.613 33 1884-1885 538.851 526.393.457 16 67.647.145 12.787 45 6.938.465 92 1885-1886 512.971 .525.332.168 14 64.488.430 250.000 » 7.270.962 67 1886-1887 430.819 465.882.044 42 69.946.895 250.000 » 7.011.078 75 1887-1888 378.707 415.036.841 02 74.831.315 » 5.856.768 87 1888-1889 386.375 430. 32 i. 194 04 72.963.765 » 6.161.817 90 1889-1890 352.911 420.451.324 20 87.784.370 » 6.157.437 84 1890-1891 311.835 418.643.652 37 86.693.940 » 5.466.565 84 1891-1892 340.795 425.572.041 41 77.170.750 » 6.032.209 33 1892-1893 322.489 396.638.487 63 71. 636.495 400.000 » 5.700.563 47 1893-1894 353.112 442.. 370. 624 94 82.935.410 561.394 48 5.880.761 33 1894-1895 343.249 434.499.121 63 89.290.595 851.344 30 5.789.829 74 1895-1896 355.298 436.925.619 08 82.629.105 1.530.000 » 5.369.785 47 1896-1897 324.027 415.904.765 98 85.853.540 1.227.140 39 5.186.757 93 1897-1898 273.005 352.818.271 08 91.351.450 3.158.438 57 6.082.517 7E 1898-1899 336.831 421.196.138 99 96.804.100 3.192.925 73 5.909.687 3t 1899-1900 410.837 501.784.373 64 95.902.490 2.491.245 72 5.936.375 4^ 1900-1901 400.944 458.064.714 22 101.923.000 2.946.671 34 5.611.838 8: U3 — i.lg;érle depuis le fer novembre 1§51, SU.M.MES ENSES portées aux Réserves devant venir DÉPENSES BÉNÉFICES DIVIDENDES COURS MOYEN des taies en déduction des dépenses totales ell'ectives nets distribués actions .864 93 » 70.864 93 51.199 37 ■21 60 » 700 71 » 89.700 71 86.901 71 30 65 » .237 98 » 118.237 98 97.101 73 32 2û » .734 75 » 125.734 75 115.678 02 36 50 > .567 37 » 128.567 37 143.710 02 37 05 « J.368 70 » 163.368 70 228.859 69 35 30 » .197 65 » 187.197 65 312 312 64 36 » * i.3a4 07 » 199.354 07 333.920 83 42 80 » '.801 43 » 227.801 43 378.070 15 46 50 » .014 20 » 291.014 -JO 391.703 13 43 10 « 1.575 83 T) 231.575 83 497.662 26 51 45 » .365 68 ■» 267.365 68 366.562 78 57 20 D 1.377 04 9.000 « 355.377 Oi 390.813 99 58 13 „ 5.639 50 67.000 » 318.659 50 667.008 36 60 » a i.u2 66 340. OUO » 383.772 66 963.634 54 62 » » 5.711 35 309.000 D 387.711 35 939.456 26 63 » a. 785 08 362.000 » 477.785 08 1.012.592 20 63 . > ^..551 06 260.393 01 523.158 05 915.951 32 63 50 4.317 80 318.789 64 615.328 16 980.588 03 66 » » 8.345 88 473.000 » 1.203.345 88 1.133.379 90 66 » » J.656 28 480.000 » 1.035.655 28 2.082.111 38 77 T. » 7.773 91 ISO. 000 » 1.047.773 91 1.852.132 97 80 r< » 1.234 73 118.000 » 1.013.254 73 1.724. 414 57 80 » « 7.471 07 » 897.471 07 1.648.613 27 80 » 1.217 0.416 78 9 1.055.416 78 1.262.720 23 61 » 1.310 9.422 39 » 8.59.422 39 1.408. 12U 50 66 » 1.2S0 2.043 56 » 1.162.643 56 1.448.368 30 70 . 1.2311 0.247 42 60.000 » 990.247 42 1.602.819 74 70 » 1.502 5.823 81 90.000 » 1.375.823 81 1 .664.436 38 71 . 1.853 6.004 53 280.000 » 1.606.1104 53 2.216.854 96 90 .. 2.235 1.119 63 » 2 031.119 63 3.940.202 36 80 1 1 . 943 5.980 86 » 1 745. 9S0 86 4.182.764 93 100 » 2.186 4.315 42 » 2.004.315 42 3 931.297 91 95 » 2.203 9.163 66 12.787 45 3.086.376 21 3.852.089 71 92 , 2.113 58.943 63 250.000 » 3.488.943 63 3.782.019 04 80 > 1.970 9.744 37 250.000 i> 3.369.744 57 3.641.334 18 80 » 1.687 28.547 97 » 2.528.547 97 3.328.220 90 80 » 1.495 i9.984 54 » 2 839.984 54 3.321.833 36 80 t 1 . 475 27.952 15 » 2.827.952 15 3.329.483 69 80 » 1.620 36.238 14 1) 2.506.238 14 2.960.327 70 70 » 1.628 96.308 35 » 3.496.308 35 2.535.900 98 60 « 1.134 95.901 69 400.000 .) 3 l'.t3.901 69 2.504.661 78 50 . 1.059 00.367 03 561.394 48 3.739.972 35 2.146.7S8 78 37 50 746 88.483 06 851.344 30 3.637.138 76 2.152 600 98 30 1. 76 i 28.098 75 l.i)30.000 » 3.098.098 75 2.271.686 72 17 30 608 55.339 12 1.227.140 39 3.328.398 73 1.S.58 359 20 15 » 561 87.890 16 » 2.287.890 16 3.794.627 62 15 » 623 84.176 25 » 2.081.176 25 3. 825.3 11 14 15 > 844 99.400 41 » 2.699 400 41 3 236.975 08 17 50 992 20.271 67 » 2.320.27! 67 3.291.567 15 30 > 853 IMiilippar — 114 §4 Le rôle de la Banque de VA Igérie au point de vue du crédit agricole. On voit qiiulk's ont été les alternatives traversées par la Banque de l'Algérie. PciitiMnl la |)r(^inière partie de son existence, c'est-à-dire jusqu'en 1881, elle fonctionne comme un établissement d'émission et d'escompte : elle ne contribue que faiblement au développement de la colonie. A partir de 1881, au contraire, et sur l'invitation qu'elle en a reçu, elle ouvre largement ses caisses aux agiicul- teurs, elle devient réellement une banque coloniale de crédit. Ce changement d'orientation la conduit à des déboires considérables et elle ne parvient que lentement à se tlégager des immobilisations qu'ont entrainées ses opérations. 11 convient d'ajouter que les circonstances économiques, et peut-être aussi les influences politiques, n'ont pas été sans effet sur le résultat définitif de ces opérations. Néanmoins, l'expérience ayant démontré que le crédit agricole ne saurait cadrer avec les statuts d'une banque d'émission, la Banque est invitée à reprendre son rôle de Banque d'émission, et se voit imposer l'obligation d'une redevance devant servir à établir ce crédit agricole qu'on la prie de ne plus pratiquer elle-même. On peut donc considérer la Banque de l'Algérie comme le premier établissement de crédit agricole en raison de trois groupes d'opérations : 1° les crédits consentis par elle aux agriculteurs ; — 115 — 2" l'aide qu'elle a prêtée aux Comptoirs d'Escompte ; 3" les prêts de semence qu'elle a consentis dans diffé- rentes circonstances aux indigènes, exemple suivi d'ail- leurs par les divers établissements de crédit dAlgérie. Un fail domine l'histoire de la Banque de l'Algérie : le désir des pouvoirs publics métropolilains de la voir remplacée [)ar la Banque de France. L'idée de l'établis- sement de cette dernièi'e en Algérie, au début de la conquête, était, ou Ta vu, inadmissible, en raison de l'état économique du pays. Plus lai'd, en 1881, (piand on ne renouvelait le privilège de la BaïKjue qu'à condi- tion qu'elle favorisât l'agriculture et le petit commerce, l'iutei'vention de la Banque de France n'était pas plus indiquée. ElU; devient moins impossible mainlenani que la Ban(|ue de l'Algérie s'est vu liaccr une ligne de con- duite nouvelle, et que de nombreux établissements de crédit se sont créés à côté d'elle. Mais cette solution est peu désirée par les Algériens en général. On examinei-a plus loin, en étudiant le t'onctionnement du crédit, (juel doit être le rôle de la Banque d'émission algérienne et si la Banque de France peut remplir ce rôle Quoi qu'il en soit, on peut dès maintenant constatei' que si la Banque de l'Algérie s'est écartée de sou but pri- mitit", ellea puissamment coutribu('' à l'essor éconoini(pie d(^ la colonie, et elle a été la pi-emière à piaticpier ce cré- dit agricole (pii en est le pi'cmii'r besoin. Il LES COMPTOIRS D ESCOMPTE i 1 La création des Comptoirs iVescompte L'histoire de la Banque d'Algérie serait incomplète si elle n'était suivie de celle des Comptoirs d'escompte, qui ont été ses auxiliaires dans l'œuvre qu'elle s'était pro- posée. On a vu, en 1881, l'invitation qu'avait reçue la Banque de faciliter le crédit aux colons Le moyen (jui lui |)anit le [)lus efficace fut la ci'éation de caisses de crédit mutuel, qui, placées près des emprunteurs, pourraient n'opérer qu'à bon escient, et dont le capital lui fournirait une garantie supplémentaire. Ce fut, paraît-il, le Comptoir de Saint-Denis-du-Sig qui servit de modèle aux nouveaux établissements. Ce Comptoir, fondé en 1871, n'avait cessé de fonctionner régulièrement et de rendre des services dans la région où il exerçait ses opérations. La Banque, s'inspirant de cette expérience, chargea un certain nombre de ses fonc- tionnaires d'exposer aux colons les avantages de sem- blables institutions. Les envoyés de la Banque, arrivés dans le centre choisi, s'y mettaient en relations avec les - 117 — propriétaires de la région et leur exposaient les avan- tages du crédit imitiiel lis gi'onpaient ainsi un noyau de gens qui conseiitaienl à se faire les promoteurs de l'affaire, s'inscrivaient sur la liste de souscripteurs, et arrivaient à réunir le capital nécessaire à la constitution d'un comptoir. Une brochure de polémique, parue en 1901, et portant le titre de Mémoire en défense pour le Comptoir d'Escompte de Guelma contre la Banque de l'Algérie, expose d'une façon intéi'essante la manière dont fut créé le Comptoir d'escompte en question, sous la surveillance, en quelque sorte, de la Banque de l'Algérie. Une Ibis les souscripteurs trouvés, il fallail un dii'ec- teur. La Banque en avait sous la main, dans sou per- sonnel, une réserve toute prête, où elle puisa largement pour satisfaire aux tiemandes qui lui furent faites. Peut-être même n'attendit-elle pas toujours les de- mandes et sut-elle souvent proposer à temps le directeur de son choix. Les Comptoirs d'escompte se multiplièrent rapidement. Us répondaient d'ailleurs à un réel besoin, et on trouve un exposé intéressant de leur action dans une brochure publiée [)ar un colon algérien (l). Les prix des denrées agricoles, entre 187:2 et 1889, étaient beaucoup plus élevés i[U() ceux (pii résultent des cours actuels; les affaires étaient donc assez actives et assez luei'atives « mais l'argent mampiait dans l'inltM-ieui' ; il était à un (( prix trop élevé chez les petits baïupiiers locaux, chez (( ceux ipii avai(Mit bni'eau spécial connu. 11 fallail n'être 1. L(t crisr fif/rirolr. If orilil aiiricalr. Vrojt'l (roriiiv>i.<(itiou ri tlf fonr- tiomwnn-iil (la crédit (Uiiirolr, |t;ir (1. I'imkIii'I, roloii al^'i-rion, Ali;or. Tlioraas, 1894. — 118 — « pas le premier venu pour être admis ehez eux à l'hon- « neiir de leur consigner d'avance 10 à li2 0/0 d'escompte « (I IV. par mois et, pour 100 fr.), sans compter les irais « de l'enonvellemenl ». Mais, M. PoucheL ne s'indigne pas, d'ailleurs, de ce (aux. « Loin de moi la pensée d'entacher « la mémoire de ces bancpiiers locaux. Ceux (pie j'ai con- i nus, et avec lesquels j'entretenais et entreliens encore « de bonnes relations, étaient des gens parfaitenient liono- « râbles. Ils vendaient après tout !eui' marchandise, leur « argent, rare dans le pays, au cours de ré[)oque h. El M. Pouchet ajoute qu'il ne laut [)as confondre ces ()etits banquiers avec les usui-iers, qui se livraient « avec des « Européens de bonne foi, mais quelque peu besogneux, « ou avec des indigènes vaniteux et inconscients de la « gravité de leurs engagements à toutes les fantaisies « d'un agio exagéré ». La Banque de l'Algérie ne pouvait en effet produire d'abaissement de taux que dans les villes où elle était installée ; l'intérêt restait aussi élevé dans les villages de l'intérieur et le crédit n'était accordé qu'à un nombre restreint d'individus. Dans ces conditions, la création de Comptoirs, dans des centres jusque-là peu pourvus d'ar- gent, avait évidemment pour effet d'accroître l'impor- tance des opérations de crédit. Les taux d'ailleurs, ne furent pas beaucoup plus bas que ceux qui avait été pra- tiqués jusque-là : « L'avantage tie ces banques, dit « M. Pouchet, ne résidait pas tant dans la mise en « vigueur d'un taux inférieurà celui [)ratiqué jusqu'alors « dans ces localités, que dans la plus grande extension (y donnée au crédit local, par l'admission à l'escompte des « petites personnalités dont les habitudes connues d'ordre « et de travail fortifiaient la solvabilité modeste, et pou- ( — 119 — a vaient les faire recommandera la bienveillante atten- « tion des membres du Conseil de surveillance ». Comme on l'a (l'\jà remar(|iié à propos de l'usure, le taux ne semble avoir aux yeux de l'emprunteur qu'une impoitance secondaire ; le point important c'était d'avoir de l'argent, aussi les Comptoirs purent-ils au début faire des opérations avantageuses. D'ailleui's les actions de ces petites Sociétés furent considérées comme d'excellents [placements, et les sou- scripteurs furent assez facilement trouvés. « J'ai connu, « dit M. Pouchel, des employés d'or'dres divers cjui fai- « saient les démarches les plus actives pour se procurer a des actions de certains Comptoirs pour faire fi'uctitiei' « leurs économies. L'événement a justitié leurs prévi- « sioiis pendant les pi'emi<^res années jusqu'à tlonner « 10 ou li2 0/0, tnais ensuite hïs dividendes diminuèient « et devini'ent parfois tiuls ». Los actions étaient en général de 500 francs, m;iis pas toujours: c'est ainsi que les actions du Comptoir de la l'égion Sétifienne étaient de 400 francs, et que celles des Comptoirs de Sidi-bel- Abbès et de la Caisse agricole et coinmerciale de Mascara étaient de l.OOO fiancs. Le développement des opéi-ations agricoles et vilicoles, (jui commençait en effet à ré[)oque on se produisaient les créations de Comptoirs, semblait piomellre à ces établissement un avenir prospère. Ces Comptoirs se créèrent sous la forme de sociétés anonymes, l'égies par un Conseil iradininisliMlion. \ la tète de cbacuii d'eux lui phu-e un iliierleur, en général proposé ou approuvé pai' la Hauijue tie l'Algérie. Les statuts de louscis Comptoirs sont à peu pivs idenliipies; les sociétés étaient toutes créées pour une tlurée de dix — 120 — ans en ^^ODÔi'al, (iiielqiiefois vinj;t ans. L'article des sla- luis i|iji en indiquait l'objet était toujours à peu de cho- ses près le suivant : « Les opérations de la société consisteront dans Tes- « compte et le réescompte, les prêts sur billets, les « prêts et ouvertures de crédit sur garanties spéciales, « tels que nantissements, hypottièques ; le recouvrement a de tous effets de commerce et général(Mneut touti^s opé- « rations (jui peuvent se rattacher diieclemenl ou indi- ce rectement à l'objet de la société ou en être la consé- t quence. Les billets à souscrire au [)rotît du Comptoir « d'escompte ne [)ourront dépasser cent jours de date, « mais pourront être renouvelables dans les limites (( fixées par le Conseil d'administration ; les valeurs qui a seront présentées à l'escompte ne devront non plus « excéder cent jours. Le Comptoir pourra recevoir des « fonds en dépôt ». On voit que les attributions des Comptoirs n'étaient pas strictement limitées et que les établissements con- servaient une grande liberté d'action. Leur rôle n'était pas exclusivement agricole, et c'étaient en réalité de véritables petites banques. Le tableau ci-près permettra de se rendre compte de la rapidité du mouvement de création des Comptoirs qui peut en effet s'établir de la façon suivante : 1871 . . . 1 1885 . . 1 1878 . . . 4 4886 . . 2 1879 . . . 1 1887 . . 1 1880 . . . 1 1889 . . . 1 1881 . . . 9 1891 . . . 2 1882 . . . 4 1892 . . . 1 1884 . . . 2 1897 . . 1 — 1^21 — La majeiiro partie des comptoirs a doue été créée entre 1881 et 1884. On voit par le tableau inséré page 122 l'importance très variable dn capital des divers établissements. Toutefois il y a lieu de tenir compte que ce tableau est établi pour 1899, et que par consé- quent le cliiifre du capital indiqué n'est pas toujours le ca[)ital initial. C'est ainsi que le Comptoir d'escompte de ïlemcen, fondé en 1881 au capital de 250.000 fr., a vu porter ce capital à 1.000.000 fr. en 1883. Néanmoins, ce tableau peut donner, dans l'ensemble, une idée du mou- vement de la création des Comptoirs. On remarquera (\uk côté des Comptoirs d'escompte de Mascara et de Guelma figurent deux autres sociétés, les Caisses agri- coles de Mascara et de Guelma. Elles sont dues à l'initia- tive de groupes opposés à ceux qui dirigeaient les Comp- toirs de ces deux localités. § 2 Le fonctionnement et le développement des Comptoirs de 188 i à 1899. On a vu, par les chiftres qui pi'écédent, (pie le mouve- ment deci'éation des Comptoirs avait été contemporain du renouvellement du privilège de la Baïupie. La premieie mention de ces établissements dans les dociimeiits olli- ciels date de 1886 (1), et donne queUpies indications sur leur mode de fonctionnement L'action îles grands éta- blissements de crédit, dit l'exposé, serait nécessairement limitée aux pi'incipales villes ou places de commerce I. Eu.]), sit. gi'H. de l'Abj,, par Louis Tinuaii, i886 (p. 284). — 122 Coinptoii'N «rcfi^coinple «l'Al^c^'ric en IMfH). DliSIGNATION des établissements Département d'Alger Arba Boufarik . Boiiira Gheliff (Orlùansville) Affreville Goléa Douera Marengo Médéa Rouiba Tizi-Ouzou Département d'Oran Ain Témouchent. Arzew Bel Abbés Mascara C'f^ Ai« Mascara. . Relizane St-Cloud St-Denis du Sig . Tlemcen création Départ, de Constantine Aïn-Beïda , Guelma Qso A.gie Guelma Miia , Philippeville . . . Souk-Ahras .... Sétif Batna d'action- naires l"janv.l8S1 mars 1878 l"janv.l889 27 février 1881 17 février 1881 29 juin 1884 1" juin 1891 13 octob. 1879 26 mars 1881 16 mai 1891 30 avril 1881 21 avril 1881 27 août 1882 11 octob. 188Î Ibjanv. 1881 7 mai 1886 17 juin 1880 l"janv. 1881 20 avril 1871 24 août 1881 15 juin 1887 4 juin 1882 5 nov. 1885 1" juin 188* 15 avril 1884 18 sept. 1882 28 juillet 1897 7 janv. 1892 58 85 55 144 158 105 155 158 62 90 200.000 600.000 100.000 300.000 22a 000 200.000 400.000 .500.000 400.000 200.000 50.000 150.000 25.000 300.000 56.250 50.000 100.000 125.000 200.000 500.000 .•;o . 000 745.000 15.874 754.753 37.802 20.000 42.426 125.000 119.873 75.831 Renseignements non produits 144 300 54 115 57 82 144 153 91 106 68 s 174 133 113 56 600.000 150.000 500.000 300.000 600.000 300.000 300.000 400.000 1.000.000 200.000 500.000 200.000 » 400.000 300.000 400.000 160.000 150.000 37.500 125.000 75.000 150.000 75.000 300.000 200.000 250.000 50.000 125.000 50.000 » 100.000 75.000 50.000 40.000 450.000 6.812 798.743 50.000 450.000 55.000 154.758 » 100.000 46.877 32.029 100.735 ï) néant néant 847 15.628 — 123 — « s'ils n'étaient secondés par des institutions plus modes- « tes, fonctionnant dans les centres agricoles on d'inipor- « tance secondaire ». Ces institutions, sont, au début. « le a plus souvenl, des baïKjues de prêts mutuels, mais elles « ne tardent pas à accroître leur clientèle, avec un capital « restreint, souscrit par les habitants eux-mêmes de la (( région ». Le taux d'escompte pratiqué était en général de 2 0/0 seulement supérieur à celui de la Banque de l'Algérie, a Les comptoirs d'escompte, tels (pTils fonc- « tionnent dans la piiipai't des centres agricoles de l'Algé- « rie, repi-ésenlenl, pour hon nombre d'hommes compé- « tents, la première et meilleure salisfaclion donnée aux « besoins de l'agriculture en matière de ci'édit ». On a vu que ces établissements ne présentaient pas un caractère exclusivement agricole. Leurs opérations consistaient donc, non seulement en ci'édits aux cultiva- teurs, sous la forme de crédits de campagne, déjcà adoptée \)[\v la Banque de l'Algérie, mais aussi en ouvertures de crédits ou de fiches d'escompte de pa[)ier commercial à des commerçants. Suivant la région dans laquelle ils étaient établis, les Comptoirs se développaient dailleurs d'une façon diffé- rente. C'est ainsi que celui de Tizi-Ouzou pai- extMuple, absolument indépeiidanl de la Ikuupie de l'Algérie, élail une véritable baïKjue particulière, (pii, placée ilans une région où le taux (h; l'inléi-èt avait toujours ;''té éli-vé. en ()rolitait pour l'ai rcî ties opéi'ations 1res iVucImMiscs i I . La plupart des Comptoirs cependant fonctiounaieut avec laide de la Compagnie algérienne on du C-i'édil loncier et agi'icole d'Algérie, sinon avec celle de la Bantjue. I. Poucliet, op. cit. — 124 — Poiii' permettre de concevoir la nature des opérations traitées par hïs Comptoirs, on a relevé quelques-uns des crédits accordés par l'un d'eux peiKJant les dernières années, en ajoutant quelques renseignements qui per- tnettent d'apprécier la situation des emprunteurs. N° 1. — X... ferl)lantier à B... Crédit direct de 2 000 francs, pour 9 mois, 0 0/0, sur billets directs renouvelables. Fiche d'escouqjte de papier commercial de 3.000 francs, 6 0/0. X... exploite toujours son atelier de ferblantier à B... C'est le gendre d'un commerçant, propriétaire aisé. X... est un excellent ouvrier ; travailleur et rangé, a toujours tenu ses engagements. Les marchandisesqu'il aen maga- sin peuvent être évaluées à 8.000 francs, mais il a acquis à ... des terres oià il a fait construire une ferme, le tout d'une valeur de 10.000 francs. Etant donnée la parfaite honorabilité de ce client, on peut lui maintenir son crédit direct de 2.000 francs déjà accordé l'année dernière et 3.000 francs de fiche commer- ciale. Mme X... a donné son aval pour le montant des deux crédits. Il reste en cours 1.475 francs du dernier crédit, qui aurait dû être remboursé au mois d'août 1902. On peut le renouveler en exigeant le rembourse- ment à la fin de la campagne 1902-1903. Pièce jointe : Etat des inscriptions hypothécaires rele- vées à rencontre de X... et ne révélant qu'une seule inscription, prise d'office par l'Etat en vertu de l'acte d'acquisition, pour sûreté de la charge imposée à l'acqué- reur par ledit acte d'élever sur le terrain, dans un délai — 125 - d'un an à partir du 20 juillet 1902, une construction d'une valeur de 2.000 francs au moins. Cette demande de crédit ii° 1 est accordée, on le voit, à un commerçant, en même temps propriétaire, qui obtient d'une part une fictie d'escompte pour les besoins de son commerce, et d'autre part un ciédit pour son exploitation. N° 2. — Y... propriétaire à A... Crédit de 20.000 francs pour 9 mois, 6 0/0, sur billets directs renouvelables (avec garantie hypothécaire). M. Y, ne doit plus que 2.000 fiancs sur le crédit de 30.000 francs ouvert Tannée dernière. Sa propriété, qui acquiert de la valeur de jour en joui', est évaluée actuelle- ment à 300.000 francs, et grevée de 1 10.000 tVancsd'hvpo- thèques. Travailleur infatigable, s'occupant sérieusement de sa propriété. Il n'y a pas d'inconvénient à lui accor- der un crédit de 20.000 francs, daulant plus (juil con- senl une inscription en second rang après 110.000 francs. Ce crédit no 2 est le type du crédit de campagne uti- lisé annuellement pendant 9 à 10 mois et garanti par une insciiption hypothécaire. N° 3. — L... propriétaire à C..., crédit de 4-00 francs, 10 mois, 6 0/0 sur billets directs. M. L... propriétaire à C... demaiule nn crédit de •400trancs,;imortissable ti-inicstriellemenl .l/élat liypolhé- caii'e joint à la demande ne fait ressortir aucune inscrip- tion sur son imiiicnhle. Il n'y a pas (rincoiivcniciit à ce que le crédit soit accordé. DtMnaiideni- honnclc et sérieux. — 126 — Il s'agit d'un petit crédit pour l'exploitation du deman- deur; on voitqu'il est accordé sans gai-antie spéciale. NH. — V... propriétaire à 1)..., crédit de 5.000 francs, 9 mois, 6 0/0, billets dii-ecls. M. V... a fait des auK^lioi'ations à ses immeubles, qui peuvent aujourd'hui èti-e évalués à 40.000 Irancs, en comprenant sa concession à A... et ses maisons (^t ter- rains à D... Pour sa concession, aoblenu il y a (juelque temps ses titres définitifs Un crédit de 5.000 francs lui avait été accordé l'année dernière; le risque en cours est de 2.000 francs. Très travailleur et honnête. Sans inconvénients ni risques, et sans exiger de garantie, eu égard à la bonne situation de M. V..., le même crédit de 5.000 francs peut lui èti-e renouvelé, liu meubles grevés d'une hypothèque de 2.500 francs pour uiie durée de 9 ans. N" 5. — M.P... propi'iétaire à G... Crédit de 4.000 francs pour 9 mois, 6 0/0, sur billets directs renouvelables. M. P... est un des bons cultivateurs de G..., où il [pos- sède une [uaison d'habitation et une propriété pour laquelle il a emprunté une somme de 5.000 francs à M. R..., le tout évalué de 20.000 à 25.000 francs Sur le crédit de 4.000 francs à lui consenti en 1902, ne doit que 300 francs. D'une parfaite honorabilité, très travailleur. Situation bonne, crédit de tout repos. Le même créditde 4.000 francs déjà accordé l'année dernière peut être ouvert à M. P., qui ne devra s'en servir qu'au fur et à mesure de ses besoins agricoles. Les crédits n° 4 et n° 5 sont des exemples de crédits — 127 - agricoles. Voici, au contraire, une petite opération com- merciale : N" 6. — H..., peintre à N..., fiche d'escompte de papier commercial, 300 fr., 6 0/0. Une fiche commerciale de 500 francs est suffisante pour M. H... Possède un petit atelier de peinture d'une valeur de 1.300 francs à 1.800 francs. Travailleui" et honnête. On peut lui accorder la fiche, mais les coobligés seront à surveiller et devront valoir leurs engagements. Enfin voici une autre fiche d'une nature particulière : N» 7. — El Hadj A ben B, caïd de Z, fiche de 1.300 fi-ancs, pour dix mois, au taux de 6 0/0. El Hadj A ben B, caïd deZ, possède dans celte localité une ferme et des tei'res, le tout évalué 13.000 francs. Homme de M. X... pour l'achat des terres. Assez hon- nête. 11 n'y a pas d'inconvénient à lui ouvrir une fiche de 1.300 francs, qui ne tievra comprendre que 300 francs de papier direct et le reste en pa|)ier commercial. Les (juelques exemples qui précèdent permettent de se rendre compte de la variété des opérations traitées par les Comptoirs. Toutefois les crédits de campagm-, tels cpie ceux qui font Tobjel des liches l, 2, 4, 3 sont les plus fréiiuents. On voit que (|nand la demande (l(> crédit est l'enonvelée annuellement, il reste généralement un solde en cours sur le crédit de l'année précédente; il y aura lieu de revenir plus loin sur ce point. Etant données les conditions dans lesquelles étaient créés ces Comptoirs, le patronage qui leur était accordé, la variété des opérations qu'ils traitaient, ils devaient se développer rapidement, par un mouvement parallèle à — 128 — ilontan< des cNconipteK annuels ETABLISSEMENTS Département d'Alger Arba (1881) Boufarik (1878) . . . . Boiiira (1889) Chélil'(Orléansville) (1881) Attreville (1881) ... Colea (1884) Douera (1891) Marengo (1879) .... Alédèa (1881) Rouibail891) Tizi-Ouzou (1881).. Département d'Oran Ain - Témouclient (1881).. Arzew (188-21 Bel-Al)bes (188-2^.. Mascara (1881) Caisse Ag^" Mas- cara (1886) Relizane (1880) .... St-Cloud (1881)... St - Denis du Sig (1871) Tlenicen (18S1) Dép. de Constantine Ain-Beïda (1887) Guelma (188-2) ... Caisse A*" Guelma (1885) Mila (1886) Pliilippeville(1884) Sou k-A liras (1882) Sélif (1897) Batna (1892) Djidjelli ■2.766.484 81 1.0-20.169 85 444.583 60 1.284.477 73 2.645 339 79 4.876.9S3 55 3.110.365 40 641 837 12 1.711.230 84 3.613.096 68 1.276.300 5.3-26.093 8." 17.217.204 99 17.015.218 80 5.400.U00 .. 1.7^8.035 42 5.529. 16S 26 3.451.697 04 14.454.453 02 16.257.046 94 6.091.992 72 4.067.106 68 3.910.562 45 3.818.415 89 16.239.691 35 605.556 45 2.347.784 75 700.000 13.531.198 66 6.427.550 71 1887 3.157.471 35 1.6-27.307 48 7-25. -293 78 2.127.811 20 3.976.086 73 1888 3.106.497.18 10.698.804 77 1.779.126 90 753.486 50 2.167.737 35 3.531 347 23 1.000.000 4.234.477 732.680 04 11.512.611 90 4.420 000 » 7.303.218 51 2 916.033 30 3.947.7Û3 41 2.500.000 » 16.206.221 72 831.838 .. 6.271.2-28 04 1.600 000 9.709.485 20 6.348.456 41 1889 3.0-22 445 20 12.055 057 61 2.183.018 25 i. 0-27. 754 11 2.356.661 04 3.819 412 33 875 (08 13 4.287.257 99 635.203 47 7.868.746 82 4.257.282 » 6.148.647 25 2.6:^7.699 65 3.847.123 89 8.392.937 71 15.450.056 05 935 600 01 6.013.596 91 2.000.000 » 397.733 32 6.849.658 04 5.709.906 43 3.447.986 47 810 883 26 6.940 901 95 4.050.000 » 7 366 042 23 2. .■^85 744 10 3.405 681 55 6.155.365 .?2 15.254.050 70 933.994 02 ,453.643 29 ,703,366 08 400.000 » ,515 391 81 ,109.016 94 — h29 - des Comptoirs il GscoTuptf illl^çéric (l!^8S-IS»(*). 1891 875.000 •2.705.710 72 14.367.0 lO .. 900.000 .. i.y9ô.-273 s; 2.:iôU.000 83 50i).(l00 ■2.8-27.(;76 53 3, 6i 7. -244 85 267.853 53 1. 086. 991 25 3.714, 908, 7.594, 5.350. 7.967. 2.222. 3.018. 4.525 8.150. ,365 7.3 ,716 1; ,775 58 000 543 43 297 72 550 79 000 000 957.979 38 3.994.558 37 1.796.730 » 280.000 .. 5. 835. .409 G:> 4.722.842 84 1.725.922 01 1893 1894 17.233.683 30 1.212 000 .. 2.100.538 87 1.825.517 46 2.923.497 45 3. «.56. 99 4 43 1.468.224 45 960.711 65 4.4'i7.79S 23 1.001,014 79 IO.y'J9.:>72 36 5. 400. 000 » 9.720.210 6i 2.1<.)6.022 22 3.6 ,6.279 (i8 4.335.154 54 3,7,sr).023.5i) 1895 v;.741.713 95 2.671.548 53 18.772.192 29 18.781.628 7 9,3:1.166 ,. 3.941.638 41 2.062.000 » 150.000 " 4.801.901 03 4.726.770 S3 2.666.009 41 1.215.000 1.065.373 80 1.465.022 59 1.500.000 3.175.912 40 4..509.199 1 2.250.048 1 950.0U0 380.865 73 1.1 15.. 305 81 14.9 '.9.233 65 5.800.000 10.438.082 2.219.538 32 4.997.Vt42 63 3 151.969 58 2.100.059 70 1,131 : 4.060.; 58 60 2.364.590 .. 185.62-1 .. 4. .509.548 13 4.950.617 02 1.206.481 » 2.307.221 5>< 534.843 75 •2.249.211 56 3. -29 1.251 24 4.265.949 ï-9 3.229. 30> 08 1.100.000 1896 4.981.733 15 9(i0.607 15 19.940.733 60 7.577.967 28 12.243.988 33 1.661.020 80 3.607.841 2.188.637 36 2.249.725 43 1.271.145 70 1.600.000 941.983 40 2.416.553 28 3.104.964 15 4.055.051 77 3.790.750 07 1.098.768 10 1897 2.511.368 59 2.462.005 65 20.604.151 95 20.604.151 95 3.895.729 60 425.549 05 21 227.389 il 8.746.206 57 1.101.618 08 8*0.723 60 2.226.972 90 2.845.706 63 4.326.567 37 4.790.150 43 1898 1.370,012 35 4.398.321 45 •2.598.308 .. 216.779 85 4.399.5 48 65 5.655 856 1 1 1.063 3SI'. ^22 3. -23 4. 281 80 •227.771 19 I9.7()0.'i:i7 52 8.312.474 31 2.643.799 (•?) 18.896. 748 1.033.608 1.4S3.0S6 1.682.756 1.025.680 2.174.772 •2.486.791 4.929.270 4.90^2.53d 11.159.989 92 10.244.738 97 1.185.000-20 1.04-2.189 91 5.5-26.704 95 2.090.782 54 1.365.755 40 2.011.115 25 1. -285. 875 10 5.1-29.-255 69 2.651.976 21 ■203.112 48 4.16i.558 82 5.667.472 .. Li<|. vol. .lit. 2.03f).-r,50 7l 2.071.330 52 1.6(>4.9I3 62 4.815.304 -23 2.871. -2-29 40 I65.0'.>0 » 4. -271. 513 82 &.300.409 9S 3.4 42.100 05 1.079.843 .. 3.306.707 en liqiiiiliiti.jn 16.;i86.079 7.234.031 9.4-28.519 811.4-20 1.483.086 2.9-23.194 1.87i.404 l.0«(î.680 4.0*2.668 2.892.419 4.592 418 5.379.396 834.380 1.966.2-21 Pliilippar — 130 — celui qui a été coiislaU; daiih le mouvement des affaires de la Banque de l'Algérie. Le tableau dressé page 128-129 permettra de se rendre un compte approximatif de rim[)Oi tance des opérations effectuées par les Comptoirs. Ce tableau a été dressé d'après les statistiques publiées annuellement dans l'Ex- posé de la situation générale de f Algérie. Toutefois, il y a lieu de considérer que les exposés étant publiés à des dates irrégulières, le chiffre indiqué pour les escomptes ne s'applique peut-être pas exactement à un exercice : on a indiqué les chiffres dans les colonnes ensupposant toujours que V Exposé d'une année donnait le chiffre des opérations effectuées au cours de l'exercice précédent : toutefois, en appliquant ce système, il reste une année (1890) à laquelle ne s'applique aucun chiffre. Enfin ce tableau n'est peut-être pas absolument com- plet : c'est ainsi que le Comptoir d'Escompte de Saida (Oran), fondé en 1896 au capital de '200.000 francs, et celui de Blida, ne sont pas mentionnés dans le tableau officiel. D'autres omissions ont pu se produire. Comme il sagis- sait en effet d'établissements privés ne relevant à aucun titre de l'Etal, ils pouvaient à leui' gré répondre, ne pas répondre, ou répondre inexactement à la demande de renseignements qui leur était annuellement adressée. Si on considère l'ensemble de ce tableau, on voit que le tolal annuel des escomptes est d'environ 100 millions ; il serait inutile de faire un total exact, puisque les chif- fres de certains Comptoirs ne sont pas portés au tableau. Toutefois, il est également facile de constater, pour un certain nombre de ces Comptoirs, une diminution des escomptes pendant les dernières années (Sétif, Mila, — 131 — Tlemceti, Relizane, Boiiïr;», IJoii tarik) et même, dans cer- laiiis cas, rirulicalioi] (Tuik' li(iiii.lation (Arzew, Djidjelli). Ce mouvement de déclin des Comptoirs eût été encore bien plus accentué si la statistique au lieu de s'airèter à 1898, eût continué jusqu'à 1902. La période de 1897 à 1900, contemporaine du renouvellement du privilège de la Banque de l'Algérie, a été en efïel néfaste aux Comptoir's. Quels ont été, dans leur fonctionnement, les vices (jui ont amené cet état de choses? C'est ce qu'il importe d'examiner maintenant. 1 3 Critiques relatives au fonctionnement des Comptoirs d'Escompte A. — Immobilisations On a vu plus haut le mécanisme des crédits de cam- pagne, tels que les ouvrait la Banque d'Algérie ; ce lut le même système (pi'adoptèrent les (Comptoirs. Mais ils suivirent les erieurs de la Banque. Ils ne se contentèrent pas d'ouvrii- des crédits remboursables à la récolte; ils prêtèrent « pour [)lanter de la vigne qui met cpiatre ans à « produire..., pour acheter la tei're dans hKjuclle ou devait « planter la vigne..., poui- consiruiredescavesetdes habi- « talions ! » ( 1) Ceci est reconnu [)ai' les colons eux- mêmes : M. Bai'bedetle, dans Ld vcriti' sur la lUuupic de l'Algrric, reproduit une lettre d'un colon (|ni avait empriinlé 230,000 francs à un Comptoir : « mes vignes étant arii- I . Garrot, op. cit. — 135 — (( vées à la période du plein ivndement, j'avais emprunté (( cette somme pour édifier mes caves et pour me procurer « mon matériel utile d'exploitation ; je l'avais em[)i'untée a sui" les sollicitations (l(!s membres dudit Com|)t()ii' (jui « me promettaient de me renouveler mes valeurs jusqu à « ce que le revenu de mes cinquante hectares de vignes me a periiiît de les rembourser ». Les inconvénients que la Banque avait subis devaient se reproduire pour les Comp- toirs, d'autant plus rapidement que leurs ressources étaient plus faibles : leur ca[)ital entier devait se trouver rapidement immobilisé, soit quil fut entièretnent repré- senté par des valeurs de renouvellement, soit qu'il eût même été employé à l'achat d'immeubles. On peut donc appliquer aux Comptoirs ce qui a été dit du rôle tie la Banque sur son crédit exagéré ; ils [)Ous- sèrent les colons à des plaiitations excessives, tiont le résultat fut une hausse des terres bientôt suivie d'une crise généiale. Leur situation pût se maintenir tant que la Banque les soutint de son crédit et accepta leurs renouvellements ; le jour où la Banque devait restreindre son aide, les Com|)toirs devaient se trouver acculés à la liquidation difticile et lente de crédits inconsidérés. B. — Opérations basées sur des considérations politiques On a vu comment les Comptoirs furent créés, grâce au concours d'un petit gioupe de personnes, guidées par le souci de l'intéièt général, et parfois aussi par celui de leur intérêt particulier. Le Comptoir créé avait nécessai- lement besoin, pour prospérer, de l'appui de personnages en vue, ayant l'habitude de se mettre en évidence et de parler en public; c'est évidemment dans le monde poli- — 133 — tique qu'on devait rencontrer le plus facilement les élé- ments nécessaires. En échange des services rendus, ils recommandaient à la bienveillance du Comptoir ceux dont ils voulaient récompenser ou obtenir les services; le Comptoir deve- nait donc souvent l'instrument d'un parti, et ce, d'autant plus facilement que les luttes politiques prennent en Algérie une violence 1res grande. C'est cette hostilité entre partis qui explique d'ailleurs la création de deux Caisses voisines, comme on a vu le fait se produire pour Guelma et pour Mascara. On conçoit facilement que des prêts consentis ainsi, uniquement ou principalement en raison des opinions des emprunteurs, devaient nécessairement occasionner de nombreux mécomptes. C. — Mauvaise administration Ce grief se rattache au précédent. S'il y avait des cas où les administrateui's d'un Conq^toir tendaient à favo- riser un parti plutôt qu'un autre, il airivait parfois aussi que ce fût leur propre intérêt auquel ils voulaient avant tout donner satisfaction. C'est ce que constate M. Pon- chet dans la hrochui'c citée plus haut. « Sans coiili'edii'e (.( Ibniielieiiieiit à leurs slatiils. ililil, ([uel(|iies Coniptoii's « s'étaient insensiblement transfoi-més pai- le l'étrécisse- « meut du crédit, en Ban(|ii(>s (piasi-pai'lieiilières au pro- « tilde (pic iipics admihisii'ateui's ou gi'os aelioiniaires..., « (pii payant de mine el d'aploiul). au vu el an su d'un (( directeui- trop eouliant, piiisaieni en dehors de loiile (( prudenciî dans la caisse des Coiiq)luirs pour se main- « tenir el sauver leur situation personnelle. » Les faits — 134 - de cette nature furent en effet assez fréquents et c'est à raison que M. Poucliet déplore le sort des petits action- naires, conviés à réparer « la ()rèche faite an capital (( social par notre personnage important, gros proprié- « taire obéré, grand viticulteur emballé ou négociant « aventureux, n'ayant recueilli (jue perles et déboires « de ses entreprises témérairement engagées. » Donc, fiches trop grosses imprudemment ouvertes, soit à (les administrateurs, soit à de gros clients obérés, tel est le troisième grief que l'on reproche aux Comptoirs. D. — Elévation trop considérable des frais généraux On reproche également l'élévation trop considérable des frais généraux. Il est certain que dans quelques cas la proportion est incontestablement élevée. Voici, pour quelques Comptoirs, les résultats emprun- tés à ï Exposé de la situation générale de l'Algérie: Comptoirs Bel-Abbès . Mascara . Relizane . Exercice 1886 Chiffres d'agios 93.251,70 92.171,36 47.156,92 Frais généraux 16.587,26 17.544,40 14.729,49 Exercice 1887 Arba 22.641,30 Coléa 16.686,39 Exercice 1888 Bouïra 21.788 8.352,23 11.938,56 6.217 — 135 — Ces quelques exemples suffisent à indiquer la propor- tion très forte des frais généraux comparativement aux bénéfices. E. — Distribution de dividendes trop élevés La distribution de dividendes trop élevés n'a pu se maintenir pendant longtemps, en raison de la situa- tion par trop pi'écaire des Comptoirs d'escompte ; mais c'est une de leurs fautes initiales d'avoir, paraît-il, dis- tribué pendant les premiers exercices des dividendes de 10 et [^2 0/0, au lieu d'employer les bénéfices à aug- menter les l'éserves. En l'éalité, si on considère la dernière stalisticjue pu- bliée, celle de l'exercice 1898, on constate que la majorité est formée par ceux des Comptoirs qui ne distribuent plus de dividence. Cependant par contre, le Comptoir de Manugo, qui fait 46.698 francs d'agios avec un capital de 125.000 francs versé, distribue 25 0/0 de dividende. Celui de Coléa distribue 10 0/0 (32.119 francs d'agios avec 50.000 francs de capital versé.) Tels sont, sommairement résumés, les reproches qu'on adresse aux Comptoirs ; on voit qu'ils sont très graves, et en général assez fondés. §4 liapports des Comptoirs avec la lianquc (V Algérie Les Comptoirs avflieni participé au mouvemout d'atVai- res (|ui se produisit entre 10 à IN$«1. 1861 18C2 1863 1864 1865 1866 1867 1868, 1869, 1870, 1871 1872, 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881 l'RETS liVroriIEI'.AIIIES il Ions terme nombre montant 22 43 46 53 54 40 62 123 68 49 28 31 26 41 41 44 112 180 54 291.800 627.900 533.900 861.700 940.200 434.700 536.700 1.079.200 547.000 345.100 134.900 377.700 18U.900 285.163 80 230.200 » 437.608 » 507.700 « 600.700 » 1.635.800 » 1.723.100 . 1.162.800 » à court terme nombre montant 6.000 124.000 Nota. — Malgré la création du Crédit Foncier d'Algérie, le Crédit Foncier de France a réalisé pendant les années suivantes quelques prêts instruits par lui. savoir : en 1882, 66.600 fr. ; en 1885, 5.000 fr. ; en 1886, 3.000 i'r. ; en 1888, 3.000 fr. - 145 — prises par lui, car il se heurte à un double écueil prove- nant du recouvriMiiont des annuités d'abord, ensuite de la tlirticulté de la surveillance et de la l'éalisalion du gage. « La société doit tenir coni[)te, dit M. Hailig (cité « [)ar Josseau), de l'élat nioral d'une population composée c( d'éléments rassemblés par le hasard, chez laquelle on ne « rencontre pas toujours les sentiments d'honneur et de (( fidélité aux engagements, qui animent les citoyens unis « par l(! lieu d'une même nationalité. » Eu somme, on voit se reproduiie pour le Crédit Fon- cier ce (ju'on a déjà observé pour la bancjue de l'Algérie, une insliliition de pays vieux imposée à un pays neut" : la conséquence de cette contradiction, c'est que le but cherché n'est [)as atteint. I.es projets de Crédit Foncier Algérien: création du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie. Le Crédit Foncier, avec ses règles étroites, ne pouvant donner satisfaction aux colons de l'Algérie, l'opinion publique se prononçait nettement en l'aviMir d'un ('ta- blissementde crédit agricole plus approprié aux besoins écouomi(jues du pays. Ce sentiment se faisait jour dans le moment même où l(> (^rcMlit Foncier voyait (Meiidre son privilège à l'Algérie Dès 18()l eu effet, la Société (FAgn- culliiri' d'Alger mettait la (puvstioii à ['('tiide. Le rap- port (I) présent' à celte occasion critiiiuait l'organisa I. Ritfiporl sur /(i (jtn'slion du rrrtlit iigrir ilr. l'ait ;i t.i Socii'li' il'.ii^ri- ciitliife (l'Atgci'daiis la séance du 7 st>|)t('iiil»i-i' iStii par NLM Anioiitil, Buiiaiid. CliassagiiitMix, (îiiiitxTl cl ('ui^ciilii'iiii, i Uw. Wf^ov, Has- tide, 1861. Philippar 10 - 446 — lion de la Société du Crédil Agricole fondée à Paris en 1861, dont on jugeait les règles encore Irop étroites On estimait en effet (|ue le système (lageuls placés dans chaque centre, et endosseurs des billets remis à l'es- compte de la société, avait pour effet tie créer ch(Z ces agents une crainte des l'esponsabilités (|ui les lendail trop prudents. On ex[)Osait les besoins de crédit, tels que l'Algérie les ressentait elles ressent encore : il fallait un crédit basé plutôt sur les qualités de moralité et de tra- vail que sui' les situations financières. Si le crédil solli- cité était destiné à la moisson ou au battage, il suftisait d'une avance contre un billet de 90 à 100 jours , s'il s'agissait d'une opération d'engraissement de bestiaux, un seul renouvellement suftisait. Mais pour la préparation des praii'ies, ou d'un terrain, ou pour la consei'vation d'un troupeau important, le cullivateur devait pouvoir, moyennant une inscription hypothécaire, se faire ouvrir un compte courant « il paiera ainsi moins d'intérêts et « auia [)lus d'avantages que s'il contractait tout d'un « coup, par la voie usitée, un emprunt hypothécaire [>our « une somme fixe, remboursable tout entière à une épo- I (pie également fixe, et entraînant un intérêt toujours le « même du commencement à la tin du prêt, t On voit reparaître ici le principe du crédit de campagne, déjà exposé plus haut. On y voit apparaître en môme temps l'expression d'un sentiment sur letjuel il y aura lieu de revenir, et qui est l'aversion de l'Algéi'ien pour le prêt hypothécaire régulier, auquel ii préfèi'e de beaucoup fou- verture de crédit sur billets, utilisable suivant ses besoins, et garanti par une inscription hypothécaire. Ayant détei'miné comme on vient de le voirie rôle que devait jouer le Crédit agricole, le rapport insistait sur la ~ 147 — nécessité de l'organiser, sans dissimuler les difficultés qu'on ne manquerait pas de rencontrer : manque de capitaux en Algérie, manque de confiance en France. La conclusion, c'est que l'Etat seul pouvait intervenir efficacement par la création dune banque spéciale prê- tant à 8 0/0 3 taux suffisamment modéré aujourd'hui. » Cette même idée d'une Banque agricole reparaît dans une bi'ochure parue en 1862 (l)et dont l'auteur a évidem- ment connu le rapport fait à la Société d'agriculture d'Alger. Il semble résulter nettement des indications données par lui que ni l'action de la Banque d'Algérie ni celle, bien nouvelle d'ailleurs, liu Crédit Foncier, n'ont réussi à abaisser le taux de l'intérêt, qui généralement ne dépasse pas 15 0/0, dil-il; « mallieureusement ce n'est « pas à 1:2, ce n'est pas à !2o 0/0 que le colon peut se pro- « curer des fonds, mais c'est bien à 40, 30 ou 60 0/0 par « au, qu'il obtient et ari-ache une faible partie de ce cpiil « lui faut, et toutcela àgi-and peine et en perdant beau- « coup de temps... et encoi'e ne réussit-il pas toujours ! » Le rôle de la banque projetée serait donc de faire des avances au taux de 8 0/0 cpii semble convenable, et (pii est d'ailleurs celui qu'a adopté le Crédit Foncier; « il est « vi'ai, ajoute l'auteur, (jue juscpi'a présent, le Crédit € Fonciei' ne prête pas à la culture, mais seuK'inenl aux < communes et aux propriétés urbaines. » La conclu- sion, c'est qu'une bancjne agricob» deviail èlre élablie, soit par legx)uvernt'ment général ru nioyeu tb' fonds foui'- nis par un emprunt, soit pai- IKlal avec une -araiilie d'intérêt aux actionnaires. Celle mèuje i lée d'une bantpie agricole ri>\ii ni eiu'oii' \. Pourquoi l Altjrrie u'rmpruiiti'idit-i'lli' jkis ':' Un jtrajt'l de Ihnii/iir agricole., par Henri Gués, i h\\, Noufchàltl, l'iray, i8(î.>.. — 148 — dans une autre brochure piil)liée à la munie épo(|n(; par un ni(Mnl)i'e(ln Conseil général d'Alger (\). Ce projet si [)opnlaii'e en Algérie; ne devait cependant recevoir aucune réalisation avant, 1881 . A cette époque, en effet, M. Lucet, dans le rap[)orl présenté au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi portant pi'orogation du privilège de la Ban- que dAlgérie, et déposé le i2 mars 1880, examinant les criti(jues laites contre la Banque, et notamment celle de ne pas taire d'opérations à long terme, s'exprimait ainsi : « En ce qui concerne les em()runts à long terme dont « le produit doit être immobilisé, c'est affaire an Crédit « Foncier. Pour donner satisf'acticni à ce besoin spécial, « il faudrait fonder en Algéi'ie une institution de celte (( nature, mieux adaptée aux besoins de la colonisation « que ne l'est le Crédit Foncier de France, et se prêtant « avec plus de souplesse aux exigences multiples d'un « sol exceptionnellement fertile, il est vrai, mais sur « lequel tout est à créer. Cette question, d'une impor- « tance capitale, est à l'étude et tout porte à croire que « grâce à l'initiative de notre Gouverneur général civil, « elle sera prochainement résolue. » Le désir du Gouverneur général semble, en effet, avoir été de créer un établissement d'Etat d'une nature parti- culière, moins enserré que le Crédit Foncier de I^'rauce dans des règlements rigides, et par conséquent [)lus propre à s'adapter aux besoins d'une colonie naissante. Des pourparlers eurent lieu dans ce sens entre le Gouver- neur général de l'Algérie, le Ministre des finances et le I. Du crédit agricole, par A. Barny, membre du Conseil général d'Alger, i br., Alger, Bouyer, i865. — 149 — Gouverneur du Crédit Foncier de France, mais les négo- ciations n'aboutirent pas. Une brochure de polémique (I) fait allusion à des inci- dents (jui se seraient produits au sujel du nouvel éta- blissement. Un journal, f.a Commune, aurait émis des commentaires malveillants sur la part que prenait à cette affaiie le Ministre des finances, si bien que ce dernier aurait refusé d'apposer sa signature au bas du projet de décret instituant l'établissement projeté. Dès lors, le projet d'un établissement d'Etat lut aban- donné, àl l(î 30 novembre t880, M. Christophle, Gouver- neur du (Crédit Foncier de Fi"ince, présidait l'Assemblée générale conslitntive du Cr('Mlit Fonciei' et Agricole tl'AI- gérie, société anonyme libre, l'ondée sous le régime de la loi de 1867. La forme de la nouvelle société ne répondait sans doute pas aux désirs des Algériens, car dans un Ijanquet tenu à Oran, auquel assistait le Gouverneur général, M. le sénateur Leiièvre s'exprimait en ces termes (4) : a Vous savez que c'est à l'initiative de notre gouver- « nement (pie nous devons une nouvelle institution, cjui, « conduite avec intelligence, peut devenir un puissant « moyen de [)rogrès dans nos atTnires algériennes, et « — passez inoi l'expression — sera comme le levain de « la [)àte. Je veux pai'Ier du Crédit Foncier et Agricole « d'Algérie en voie tie formation chez nous. Seulement, « et sans entrer dans aucune criti(|iie sui- les dt'tails des « statuts (le cette nouvelle société, je dirai tpie si l'on 1 M. TIiowsdh cl /'ii/l'nirc iln l'.irdil foiirirr, par Henri Final, avec une pi-tifacc do X. (;aiiIli«M- de Claiil)rv. i hv., Pliilippi'ville, Final, 1895. •2. D'aprt's Ilciii-i I'"'inal. loc. cil. — 150 — « m'avait fait l'honneur de iii';i|)peler aux conférences qui « outprécctié sa constitution, j'aui'ais demandô (|u'eile ITiL « engagée dans des li(Mis moins éli'uils avec le Ci'édit « Foncier de la Métropole, j'aui-ais demandé s(jn aulono- « mie, comme pour la Banque de i'Algérif^ (|ui esl indé- « pendante de la Banque de France. » Ce à quoi le Gouverneui' Général répondait (jue le Gré- dit Foncier et Agricole d'Algérie était une institution libre, une société commei-ciah» fondée en dehors de la participation du Gouvernement de la République et du Gouverneur de l'Algérie. C'était exact, en effet, mais les fondateurs de la société n'avaient sans doute pas perdu l'espoir d'obtenir un jour pour elle l'empreinte gouvernementale, car le Président du Conseil du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie écri- vait, dans nue lettre adressée le 9 novembre 1880 au journal L'Akhbar : a Etablissement privé et Iibi-e, comme « M. le Gouverneui' avaitle droitde ledireà Oi'an, nous « avons l'espoir fondé de devenir bientôt établissement « d'Etat. » D'ailleurs, la question fut portée à la tribune le ^3 no- vembre suivant par M. Thomson, député de Constantine, qui rappela des paroles |)rononcées par le Gouverneur : « Il ne suffît pas, avait dit celui-ci, de prêter à la « propriété constituée, à la propriété dont le revenu est (( assis; il faut encore, et surtout en Algérie, prêter à la « propriété pour la constituer, pour la rendre |)ioductive, (( c'est-à-dire pour défricher et planter. A cet effet, il faut « un établissement spécial dans des conditions par- ce ticulières. Eh bien ! je crois pouvoir dire que le (( jour approche oîi nous aurons jeté les bases définitives « d'un établissement de crédit foncier et agricole qui — 151 — « imprimera au dévelop[)iMin'nl de la colonisation une (( impulsion féconde ». M. Thomson ajontail {jue le Crédit Foncier de France avait mis en avant une première combinaison qui n'avait pas abouti, les Algérien s ayant trouvé qu'elle cousis tait seu- lement à créer une sorte de succursale du Crédit Foncier de France. Les projets de statuts avaient été communi- qués au Gouverneur de l'Algérie (pii avait iiidiqué les moditicatioiis cju'il était, à sou avis, nécessaire d"y appor- ter pour rapprocher ces statuts de ce (jue d(unandaient les Algériens Le Gouverneur général semblait à ce moment partisan d'une intervention de l'Etat; « il croyait que le contrôle « de l'administration algérienne devait s'exercei' sur le « nouveau Crédit, au début même de son fonctionne- (( ment ». Cependant, en réalité, une société commer- ciale libre s'était constituée, et M. le Gouverneur général, au Concours régional dOran, avait lui-même at'tirmé son caractère d'établissemcMit privé. Cependant, une lettre du Président de cette société, letli'e a écrite et publiée à « Alger et contre la publication de laquelle ne s'est élevée « aucune réclamation », constate que M. le Gouverneur gcnéi-al Albert Grévy avait pris connaissance des statuts de la société, (|u'il les avait approuvés, et ajoute : c( éta- « blissement piivé et libre, nous avons l'espoir l'onde île « devenii' bii;ntôt un établissement d'Ktat ». « Le Gouvernement, a joutait M. Thornson. cpi'il Irans- « fortn(! la nouvelle société ou qu'il emploie quel(jiu' antre (( moyen, a-t-il toujours l'intention de tloter l'Algérie « tl ime société de crédit, établissemiMit d'Ftat :' Une loi « sera-t-elle bientôt déposée à ce sujet ? » A cette question, M. Magnin, ministre des tinances, — 152 — rô|)ondi( (jiie si le goiivcriiciiKMil avait un jour « peiil- èlrc procliain, peiil-ôlrc éloigné •», l'iiilenlion de créer une institution de Crédit Foncier d'Elal en Algérie, il apporteiait à la Chambre un projet de loi dont il pren- drait l'initiative et (pie la Chambi-e discutei-ail. Mais « quant à avoir l'intention, en i|uelque sorte, de s'im- « miscerdans la création ou le fonctionnement de la « société actuelle, le gouvernement, dans le passé, n'a « pas eu cette pensée, il ne l'a pas dans le piésent, il ne (( Taura pas dans l'avenir)). Le gouvernement n'aurait à intervenir qu'au cas où la société, librement constituée, ne se conformerait pas aux presci'iptions de la loi de 1867, « mais à l'heure (ju'il est, le gouvernement est « étranger et il restera absolument étranger à la société « qui s'est fondée sous le titre de Crédit Foncier et Agri- « cote en Algérie ». Le Crédit foncier d'Algérie était donc, et devait donc rester unesociété commei'ciale oi-dinaire. Cependant l'opi- nion publique avait cru à la création d'un établissement d'État, et cette idée était tellement enracinée dans les esprits, que quand le Crédit Foncier et Agricole avait été constitué, un député algérien avait télégraphié, paraît-il, en Algérie, pour annoncer la création de cet établisse- ment, qu'il croyait bien soumis à un contrôle gouverne- mental, La conséquence de cette communication lut une hausse immédiate des actions de la nouvelle société, suivie d'une vive réaction quand on se rendit compte de l'erreur qui s'était produite, d'où une polémique de presse assez violente. Dans l'esprit même du Gouvei-neur géné- ral, d'ailleurs, l'établissement devait bien être gouverne- mental, comme il l'a écrit plus tard lui-même dans une — 153 — lettre rendue publique (1) (( C'est bien ainsi, dit-il, que « j'avais compris l'institution à fonder en Algérie ; je « l'avais expliquée dans mes discours antérieurs, j'en ai « activement poursuivi la réalisation avec les représen- « tants algériens ...» Cependant, ajoute-t-il, à la der- nière heure, le projet « s'est trouvé, pai' des raisons que (( je n'ai pas à rechercher ici, non pas repoussé, mais a ajourné C'est alors que s'est établi un Crédit Foncier « libre, sans attaches gouvernementales ». Pourcjuoi le Crédit Foncier d'Algérie a-t-il été un éta- blissement libre? Deux versions sont ici en présence. L'une est celle qui a été indlcjnée plus haut, d'après lacjuelle le ministre aurait. audernier moment, renoncé à ce |)rojet, en raison des polémiques soulevées à ce sujet. L'auti'e version seraitcelle d'a[)rès laquelle le Gouverneur du Crédit Foncier, craignant de voir une branche fruc- tueuse d'opérations lui échapper, aui'ait créé une nou- velle société pour arriver avant celle tlu gotivei'nement. I 3 L'organisai ion du Crédit Foncier et AgricoU d'Alyrric. Quel que soit le motif (jui ;iit fail éc;irlei- rinliMveul ioii de l'État, l'Assemblée générale constitutive du Crédit Foncier et Agricole d'Algéi'ie eut lieu le 30 novembre 1880, sons l;i présidence de M. Albei-I Chrislophie, gou- veinenr du Cr(''dit Foncier de France, (pii d(>clai'ait (jue cet établissement avait fail appel à ses actionnaires pour souscrire le capital delà nouvelle société. 1/idée (|ui en avait delei-niiné la constitution l'tait la I, V. Henri Final, loc. cit. — 154 — nécessité de créer un organisme plus souple que le Oédit Foncier de France, sachant se plier aux besoins écono- mi(|nes d'nn pays neuf, mais auquel la société même prêterait son appui, en mettant à sa disposition les l'es- sources immenses que lui procurait l'émission des obli- gations à lot. Celte conception l'ut réalisée de la façon suivante, telle qu'elle est résumée par le rapport lu par M Ghristophle à l'Assemblée constitutive. Le ca[)ital social de la nou- velle société, fixé à 60.000.000 fr. resterait affecté à des opérations à court terme, ayant le plus souvent un carac- tère agricole et commercial. Il ()Ourrait également être employé à faire des prêts hypothécaires, mais, dans la pensée des fondateurs de la société, ces prêts ne devaient être réalisés, autant que possible, que pour un court espace de temps : dès que la propriété sur laquelle ils étaient assis aurait réurii les conditions statutaires permettant de recourir aux prêts du Crédit Foncier de France, le montant du prêt serait remboursé parce der- nier au Crédit Foncier d'Algérie, et la partie correspon- dante du ca()ital de cette dernière société redeviendrait libre pour de nouvelles opérations à court terme. Le gouverneur fit allusion aux reproches faits au Cié- dit Foncier de France à raison de la faibU; importatice des prêts consentis par lui. 11 en donna les raisons : d'abord, des retards considérables qu'il était impossible d'amoin- drir; ensuite l'incertitude de la propriété foncière; enfin le taux trop élevé, abaissé cependant à 7 0/0 en 1878. Les avantages des opérations du Crédit Foncier de France ne pouvaient s'appliquer qu'à des propiiétés en plein rap- port ; le montant de l'annuité ne pouvait dépasser le revenu net, et l'hypothèque devait être assise sur des — 155 — propriétés d'un revenu dur.iMet't certain. Les propriétés algériennes présentant ces conditions étaient peu ncjm- breuses; le Crédit Foncier ne pouvait faire d'avances aux concessionnaires débutants ; il fallait donc une nouvelle société, destinée à féconder au point de vue agiicole et colonial les ressources de l'Algérie, société qui pourrait faire, d'une paît, des prêts hypothécaires dans les mêmes conditions que le Crédit Foncier de France, et, d'autre pai't, des prêts sur des domaines ne présentant pas toutes l(>s conditions ejiigées par ce dernier : c'est à ce double besoin (pie donnait satisfaction le système exposé plus haut. La société devait pouvoir également accorder des prêts aux communes et départements. Ses statuts lui permet- taient enfin des opérations d'une toute autre natui'e, des- tinées à aider au développement de la colonisation : éta- blissement de magasins généraux, pi'èts sur connaisse- ments de mai'chaiidises, chargements de navires et warrants (le magasins généraux. On prévoyait entin pour la société la faculté de prêter sur récoltes pendantes, dès qu'une loi spéciale aurait étendu à l'Algérie les dis- positions de la législation coloniale à ce relatives. On sait d'ailleurs que cette éventualité ne se réalisa pas. Toutes ces opéi'alious l'ciili'aicnl, l)i(Mi enleudii. tlans le cadre de celles que la socic'lc'' devait exécuter avec ses propres ressources. Les premières bases ainsi étal)Iies, devait-on l'aire un(» institution d*Flal ou une simple société anonyme ? Le gouverneur se [)osait la (pieslion pour rap[)eler cjunn projet avait atliibué au Couvernciir (ienéi'al de l'Algérie des pouvoirs étendus, mais que celle combinaison ayant été ajournée, on était l'evenu au système de la société ano- ^ 156 — nyme libre régie piii- la loi de 18(57. Quelques questions posées parties aetionoaires sur ce point ne provoquèrent que des réponses évasives du gouverneur. Enfin M. Chiislophle ajoutait que « [)our donner toute « satisfaction à ceux des Algériens (pii réclamaient à « juste titre le droit de diriger leurs propres affaires », le Conseil serait divisé en deux parties, dont l'une, la plus nombreuse, résiderait à Alger, de façon à taire un « éta- blissement algérien. » Le Crédit Foncier et Agricole d'Algéi'ie. constitué sur les bases (jui viennent d'être indiquées, commença à fonctionner le 15 mars 1881. Le Conseil d'Administration était, on l'a vu, divisé en deux parties, l'une résidant à Paris, l'autre à Alger. Le Directeur général, installé dans cette dernière ville, était en même temps président du Conseil. Le capital avait été tixé à 60.000.000 dont le quart, soit 15.000.000, avait été versé. Ce capital disponible ne fut pas, dès le début, intégralement utilisé à des opéra- tions de crédit ; la société fut conduite, par ses relations avec le Crédit Foncier de France, à en engager une par- tie dans des opérations immobilières, à Paris même. Le résultat n'en fut i)as heureux et la société se trouvait obligée, en 1885 et en 1886, de racheter divers immeu- bles, représentant en chiffres ronds une valeur de 7 mil- lions de francs. L'autre part, des pertes assez importantes furent sup- portées en 1888 par les succursales d'Oran et de Constan- tine. Aussi, dans le courant de cette même année le poste de Directeur général fut sup[)rimé,et le Conseil reconsti- tué en deux fractions égales siégeant à Paris et à Alger ; il fut en même temps décidé tjue le président du Conseil — 1S7 — serait dorénavantchoisi clans les administrateurs résidant à Paris. De plus, la société décida la réduction de 60 à 30 millions du capital social par la Iransformatiou de deux actions libéréesdel!25tr. en une seule action libérée de250tr. Le Crédit Foncier de France, dontlautorisation, aux termes des statuts de la société, devait être obtenue, donna son acquiescement à la combinaison sous la con- dition que les actions resteraient nominatives et quun nantissement de 4 millions serait déposé par le Crédit Foncier d'Algérie en garantie des pertes pouvant résulter des prêts en participation. Depuis, une assemblée géné- rale extraordinaire tenue en 1902 a voté le principe d'une augmentation de capital que la crise viticole a fait ditîé- rer. Les statuts ont été modifiés à diverses reprises, mais les modilicaLions n'ont porté que sur des points acces- soires d'organisation intérieure, qui n'ont pas cliangé la structure générale de la société, telle qu'elle a été exposée et dont il convient maintenant d'examiner les détails. |4 Mécanisme des opérations hypothécaires. Le fonctionnement des prêts hypothécaires est clahli, d'après les statuts du Crédit Foncier d'Algérie, de la façon suivante : les demandes d'emprunt sont adressées au Crédit Foncier d'Algérie (pii 1rs examine, l/esliinalion des biens offerts en garantie est faite sur la double base du revenu net et du pi'ix de revu>nt ; elle a liiMi sons la surveillance du Crédit Foncier d'Algérie par un service d'Inspecteurs, désignés d'accord avec le [)resident de 1 eta- — 158 - blisseineiit algérien par le GoiivcM-neur (]ii Gnklit Foncier (le F rai] ce. Lorsque la propriété est reconnue régulière el la g;ii-an- tie suflisante, le Conseil irAtluiiuislralion du (^l'édil Fon- cier d'Algérie statue sur la (juotité et sur la durée du prêt, ainsi que sur les autres conditions. Deux actes notariés sont passés séparément poiii' la constitution de chaque prêt : 1° Un acte conditionnel, contenant les clauses et condi- tions du contrat ; 2" Un acte définitif ou de réalisation, constatant la nu- mération des espèces. Tous les deux sont passés tant au nom du O'édit Fon- cier de France qu'au nom du Crédit Foncier d'Algérie, lesquels stipulent le prêt comme créanciers solidaires et indivisibles. Le Crédit Fonciei- de France est représenté par un délégué de son Gouverneur, tenant de ce dernier un mandat général à l'effet de passer les actes de cette nature. L'acte conditionnel contient constitutioi] d hypotlièque, tant au |)iofit du Crédit Foncier de Fiance qu'au protît du Crédit Foncier d'Algérie, et de chacun pour sûreté de la créance totale stipulée solidaiie. Cette hypothèque doit être immédiatement inscrite au nom des deux établisse- ments La purge, si elle est jugée nécessaire, est faite au nom du Crédit Foncier de France, qui a seul le droit d'y procé- der,et les formalités sont remplies par le délégué du Gou- verneur en vertu du mandat donné par ce dernier. 11 est ensuite procédé à l'acte de réalisation ; le montant du prêt est compté à l'emprunteur par le Crédit Foncier d'Algérie, qui en fait l'avance. — 1J)9 — Aussitôt l'acte conditionnel passé, dans le cas oij la purge a été jugée nécessaire, et, dans le cas contraire, api'ès l'acte conditionnel et l'acte de réalisation, les rap- ports des inspecteurs et rétablissement de pi'opriété, avec titres et pièces à l'appui, sont Iransniis au Crédit Foncier de Fi-ance, qui doit, dans un délai de lo jours à partir de la réce|)tion du dossier, exatniner l'atïaii-e. Si, après cet examen, le Conseil d'Administralion du Crédit Foncier de France estime que le prêt satislait aux exigences de ses statuts, cet établissement doit rembour- ser à la société algérienne le montant intégral du prêt avancé par elle. Si, au contraire, le (Conseil estime que le prêt ne répond pour aucune partie aux exigences statu- taires, il |)ourra le répudier et le laisser entièrement à la charge du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie. Êntin, lorsque le Conseil juge que les garanties sont suflisantes, mais pour une partie seulenient du prêt, il peut accepter l'opération pour cette partie et la répudier pour le reste. Le Crédit Foncier de France ne rembourse alors à la so- ciété algéi'ienne les fonds pai- elle avancés, que jusqu'à due concurrence, et le sui'plus du prêt reste à la charge exclusive de cette dernière. Tel est, en principe, le système adopté par les deux sociétés. C'est ainsi (pie l'exposait M. Christophie lors de l'Assemblée constitutive, taisant valoir l'avantage de cette organisation au point de vue de la rapidité de réalisation cpii en résulterait. Cette procédure devait avoir pour etî'et une prompte réalisation, dont la dui-ée seiait normale- ment resti'einte au délai iK'cessaiie pour l'cxauieii des titi'es pai' la société algérienne. Fn fail, il n\Mi est point ainsi, car des prêts inqxu'lanls ayant été laisses p;if le (ùrédit Foncier de France à la chaige du Creilit Foncier - 160 - d'Algérie, ce dernier ne rér.lise généralenienl l'opération qu'après cprelle a élé acceptée par l'établissenienL inélro- polilain : les einprnnteiirsdoivent donc attendre le résnl- tat d[\ double examen effectué successivement [)ar cha- cun des deux établissements. Il résulte de l'exposé qui vient d'èti-e l'ait qu'au regard des tiers, ces deux établissements sont prêteurs soli- daires. Cette situation est d'ailleurs expressément stipu- lée au début des actes de prêts, ainsi conçus : « Le Crédit « Foncier de France et le Crédit Foncier et Agricole d'Al- <5 gérie, sous la stipulation de la solidarité enti'e créan- « ciers pi'évue par lesai-ticles 1197 et 1198 du Code civil, « prêtent à M... etc. Quelles sont maintenant les conséquences de cette soli- darité ? On peut, à ce sujet, se poser les questions sui- vantes : Le Crédit Foncier de France pourra-t-il, à l'occasion des prêts effectués dans ces conditions, se prévaloir de ses privilèges spéciaux ? Le pourra-t-il, pour la totalité du prêt, lorsqu'il en aura remboursé le montant intégral au Crédit Foncier et Agricole d'Algérie? Le pourra-t-il, et dans quelle mesure, lorsqu'il n'en aura remboursé qu une partie? Entin le pourra-t-il lorsqu'U n'en aura remboursé aucune partie et ({u'ainsi le [)rél entier restera pour le compte de la société algérienne? En ce qui concerne le premier point « l'obligation est « solidaire entre plusieurs créanciers, dit l'article 1197 « du Code civil, lorsque le titre donne expressément à « chacun d'eux le droit de demander le paiement du total « de lacréance, etque le paiement fait àFun d'euxlibère le — 161 — (( débiteur, encore que l'obligation soit partageable et « divisible entre les divers créanciers ». La clause de solidarité entre les créanciers a pour etîet de permettre à chacun de ceux-ci d'exiger le paiement du lutal de la créance, et de faire que le paiement du total de cette ci-éance fait à l'un d'eux, même sans le concours des auti-es, libère valablement le débiteui- à l'égard de tons. Entri^ les créanciers eux-mêmes, la clause a simple- ment pour effet de faire naître, à la charge de celui qui a reçu le paiement de la créance, l'obligation de tenir comple aux autres de ce qu'il a reçu, suivant la conven- tion établie entre créanciers, convention d'ailleurs abso- lument étrangère au débiteur. Chacun des créanciers ayant le droit d'exiger des débi- l(uirs le [)aiemenl tie la dette toul entière, il a évitlcm- ment le droit d'employer pour y parvenir tous les moyens ou les garanties (jue la loi a établies en sa faveur. Ces garanties et ces moyens de contrainte peuvent d'ailleurs n'être pas les mêmes pour chacun des créancici's soli- daires. L'un d'eux peut s'être fait donner, pai- le même contrat ou par acte séparé, une hypothèque ou nu gage constitué à son prolit exclusif, et (juc lui seul pourra pai- cousécjuenl invoquer. Au icgai'd des autres, la créanci' restera [xiicnneul chii'Ographaire. Elle [)Oiiria être comli- lionucdle ou à tei'me poui' les uns. pure et simple pour les autres. Quelles (jue soient ces ditrérences, celui (\u'\ possède une coLidition meilleure pourra toujours pont-snivre poni' la lutalile le paiement (\c la creauci'. ijuitte à tenir compte aux autres île la part ([ui leur revient. Ces principes peuvent-ils se concilier avec lexistence Fhilippar 11 - 162 — des privilèges qui apparlicMinenl au Crédit Foncier? 11 existe en effet au piofit de celte sociélé une série de pri- vilèges spéciaux, qu'aucun autre établissement ne pos- sède. La clause de solidaiilé aurait-elle pour effet de transpoi'ter le bénéfice de ces privilèges au Crédit Foncier d'Algérie en dehors de toute autorisation, ou uv. pour- rait-on pas voii' dans cette convention une l'raude à la loi qui Tannuleiait ? Tout d'abord, dans le cas où le Crédit Foncier de France aura remboursé au Crédit Foncier d'Algérie le montant intégral du prêt, cette hypothèse ne saurait êtie adinise. Le premier de ces établissements sera, en etïét, daiis ce cas, en fait comme en droit, le véritable préteur. Ce sera donc dans son véritable iiilérêt cpiil exeicera ses privi- lèges parliculieis, auxquels rien ne semble pouvoir faire obstacle. Dans le cas où il n'aura remboursé qu'une partie du prêt, il semble que fa même solution doive prévaloir : du moment qu'il aura en effet conservé dans l'affaire un intérêt réel et sérieux, la clause de solidarité ne pourra pas être considérée comme une dissimulation, un expé- dient employé par lui pour transporter ses privilèges à une société qui n'y a pas droit. Les fonds étant fournis par deux établissements, il y a tout intérêt àce que l'un deux exerce seul les poursuites, de manière à simplifier la procédure, à éviter les Irais et à diminuer les lenteurs. Par conséquent, là encore, il semble que le (Crédit Foncier de France puisse se piéva- loir de ses privilèges spéciaux pour l'iiitégralité de la créance. Mais enfin, dans le cas où le prêt, ayant été répudié par le Crédit Foncier de France, restera tout entier au — 163 - compte du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie, ce dernier conserverait- il néanmoins l'exercice des privilèges du (]i'é(lit Foncier de France? Dans le sens do la négative, on peut dire que le Crt'dit Foncier de France n'ayant plus anciin inltM'èl dans I af- faire, la clause de s(»lidai'ilé apparaît comme nn moyen détourné de transporter les privilèges de cette société à une autre qui n"y a pas droit. Il y aui'ail donc violation du décret de 1854, Là où il n'y a pas de créance, il ne saurait y avoir de privilège : acce,ssorium sequitur ininci- pale. Cependant, en sens inverse, on peut diie que si les |)ri- vilèges du Crédit Foncier de France ne sont pas cessibles, c'est seulement au point de vue de leur exercice, (jui doit toujoui'S rester entre les mains de cet établissement et ne doit pas pouvoir être conlié à des tieis. En etfet, la concession accordée au Crédit Foncier de France de ()ri- vilèges spéciaux, ne paraît pas avoir poui- etfet d'inter- dire à cet établissement de prendre avec des tiers tout ai'rangement de droit commun compatible avec ses statuts, alors même que ces arrangements auraient pour résultat de t'aiie t>énéticier ces tiers des avantages atta- chés à ces privilèges. Il ne S(Mnble pas cpi'il y ait impos- sibilité à cecpi'un tiers puisse prolilei- desdils privilèges, exercés par les soins du Crédit Fonciei- lui-même. C'est ce (pii se produit encore journellement, et d'une manière [)lus com[)lète, lorscpie, après avoir pi'èlé, le Crédit Fon- cier émet des obligations : les liers-porteuis de ces titres profitent alors dans toute leui' plénitude des privilèi;i's S[)écianx énonces plus liant. Dans respèce, il n'v a rien de changé (pie la manière (Miiploy(''e pai- le Ci-edil Foncier de se procuiei' des fonds, mais ce dernier n'en ()oursuit - 164 — pas moins le but essentiel de son institution, qui est de prêter à la propriété foncière au moyen de fonds (jui lui sont prêtés à lui-même. On voit quelle est la natuie des liens qui unissent les deux sociétés, au regaixl des tiers. Mais entre les deux sociétés elles-mêmes, les rapports sont d'une autre nature et envisagées à ce point de vue elles n'a[)parais- sent plus sur le pied d'égalité. Le Crédit Foncier de France fournit au Crédit Foncier d'Algérie les fonds néces- saires aux opérations hypothécaires, au taux auquel il obtient lui-même l'argent de ses obligataires. L'écart entre ce prix de revient et le taux du prêt constitue le bénétice, (|ui est partagé entre les deux sociétés, déduc- tion faite de certains prélèvements destinés à la consti- tution d'une réserve spéciale. Entiu, lorsque le prêt est remboursé, la libération ne peut être accordée au débiteur qu'avec le concours du Crédit Foncier de France. Tel est le mécanisme du prêt fonctionnant normale- ment : mais le cas peut se produire oîi, l'emprunteur ne payant pas régulièrement ses semestres, les deux socié- tés se voient contraintes de recourir à Lexpropriation : dans ce cas, et quel qu'en soit le résultat, la Société algérienne rembourse le Crédit Foncier de France; elle prend ensuite la direction et la responsabilité du domaine, et quand celui-ci a été revendu et les comptes liquidés, le piéjudice qui peut en résulter [)Our la participation est compensé au moyen d'un prélèvement sur la réservedont il a été parlé plus haut, ou en cas d'insuftisance de cette réserve, supporté par le Crédit Foncier (l'Algérie. On voit donc que celui-ci joue vis-à-vis du Crédit Fon- cier de France le rôle d'un garant, tenu de lui céder toutes — 165 -^ les opérations qu'il veut retciiir pour lui-même, et de le garantireoutre les pei-tes (jui pourraient en résulter pour lui. Dans ces conditions, on conçoit que les prêts soient accordés suivant les règles constitutives du Crédit Foncier de P^-ance, c'est-à dire jusqu'à concurrence de la moitié de la valeur de l'immeuble, ou mèmedu tierss'il s'agitde vignes ou de bois, telle que cette valeur est estimée par les établissements intéressés. Ces pi'èts sont remboursa- bles par semestrialilés, comprenant l'intérêt et l'amortis- sement,dans un délai (|ui n'excède pascinquanteans. Tou- tefois, par une disposition spéciale, les sociétés consentent parfois des ouvertures de crédit en participalion, réali- sables par l'escompte d'effels souscrits à leur ordre direct, garantis par une inscription hypothécaire venant immédiatement après celle prise pour sûreté du prêta long terme, et complétant la somme nécessaire pour porter à 60 0/0 de la valeur du gage le montant du prêt accordé. Ces ouvertures de crétlit sont faites pour une durée de 6 à 9 ans, elles ne sont garanties [»ar aucun privilège spécial. §5 Développement des opérations du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie (1881-190-2^ A. — Prêts hypothécaires Trois tal)leaux pcrmclleiit de se i-endrc compte de la maiche des pi'êts hypothécaires de la société. Le pre- miei-, pp. 166-167, indi(pie le moulant des prêts en par- ticipalion réalisés par les Crédits Fonciers de France 166 Pi*ct!« roiicici*!« l'ôaliAiéjti Cil participation par le Crédit Foncier ANNÉES PRÊTS UBBAINS à long terme à court tei'me ouvertures (le crédit ensemble 1881 21 230 2o8 187 177 174 166 120 83 83 43 54 5o 69 53 33 53 41 48 50 46 37 246.500 4.159.950 5.410.150 3.686.800 3.919.000 3.889.500 4.137.600 2.073.000 1.545.500 2.176.500 1.212.000 786.400 920.500 1.649.000 2.009.000 2.179.000 1.740.500 2.665.500 2.797.500 1.918.000 1.729.000 2.293.500 2 29 11 2 2 4 » 2 1 » » » 5) 1 1 » » » 10.000 2.084.100 167.500 33.500 29.000 38.000 » 206.000 20.000 » » » B » 10.000 .500.000 » » » » 41 33 20 18 16 7 5 2 5 * 1 7 7 1 » 2 3 12 14 8 » 563.000 468.500 2i5.000 328.000 135.000 67.000 41.000 16.000 135.000 » 5.000 110.000 78.000 30.000 95.000 » 310.000 .55.000 288.000 292.000 199.000 23 300 302 209 197 194 173 127 86 88 43 55 62 76 54 35 54 44 51 62 60 45 256. 1882 6.807. 1883 1884 6.046. 3.695. 1885 4.276. 1886 4.062. 1887 1888 4.204. 2.320. 1889 1.581. 1890 2.311. 1891 1.212. 1892 1893 791. 1.030. 1894 1895 1.727. 2.039. 1896 2.274. 1897 1.750. 1898 3.475. 1899 2.852. 1900 2.206. 1901 2.021. 1902 2.492. 2.081 53.144.400 55 3.098.100 204 3.460.500 2.340 59.703. - 167 ance et le Crédit Foncier et Agricole fl'Alsèrie de 1^81 à 1903. l'HÉTS RURAUX TOTAL par 1 à long terme à court terme ouvertures (le crédil ensemble année 56 592.700 )i » „ , „ 56 592.700 » 79 849.200 » 561 6.555.050 t> 40 719.450 30 332 . 500 631 7.607.000 » 931 14.414.050 » 568 8.310.300 » 18 126 900 25 259.000 611 8.696.200 » 913 14.742.350 » 455 7.598.800 )i 6 31.300 28 806.000 489 8.436.100 » 698 12.401.400 » •590 4. 089. COQ » 3 86.500 23 245.000 416 4.421.100 » 613 8.697.100 » 305 4.305.600 >' 4 59.000 15 225.000 324 4.589.600 » 518 8.652.100 » 252 5.727.962 26 1 15.000 17 671.000 270 6.413.962 26 443 10.618.562 26 165 2.053.200 » 2 12.000 3 35.000 170 2.100.200 » 297 4.420.200 » 147 1.954.000 I t » 6 1 50 . 000 153 2.104.000 » 239 3.685.500 > 85 1.150.000 >^ 1 3.000 6 197.000 92 1.350.600 » 180 3.662.100 » 37 1.094.500 » « n 2 85.000 39 1.179.500 » 82 2 391.500 » 34 416.200 » » » » » 34 416.200 » 89 1.207.600 » 61 679.000 » » » 1 15.000 62 694.000 » 124 1.724.500 » 68 783.950 B » Tl ■l 27 . 000 72 810.950 » 148 2.537.950 > 82 710.700 « » » 3 (iO.OÛO S 5 770.700 » 139 2.809.700 » 34 461.000 ï) .. » 3 235.000 37 690.000 '^ 7"* 2.970.000 • 51 1.240.900 >. » » 3 15.0 (1 53 1.255.900 » 107 3.006.400 > 52 1.538.000 » 1 2.000 2 14.00(1 55 1.554.000 I 99 5.029.500 » 37 385.000 0 » B 1 25.(i. 0(1(1 48 1.61 1.000 I 108 3.632.0Ô0 » 32 1.113.000 » » » " 135.000 39 1.248.000 t 84 3.740.500 » 540 52.826.562 26 77 1.062.150 184 3.565.500 3.801 57.455 212 26 6.141 117.158.212 26 - 168 et d'Algérie; le second, p. 169, indique le montant res- tant en cours, au 31 décembre do chaque année, des pi'èts consentis par l'une et par l'autre société, ainsi (pie le chiffre représentant la valeur du domaine. Enfin le tableau placé pa^i- 170 donne l'importance des diverses catégoiies de prêts en participation des deux sociétés. Le tableau pp. 166-167 met en relief deux choses : d'al)ord c'est l'égalité à peu près complète entre les pi'êts urbains et les prêts i-uraux, s'élevant, les premiers à 59 millions, les seconds à 57 ; c'est ensuite la marche de ces prêts : on les voit atteignant un chiffre extrêmement important pendant les premières années, chiffre bien supérieui' à ceux des opérations du Crédit Foncier de France seul. Alors que ce dernier (voir p. 144) avait prêté 1.162.800 en 1881, la nouvelle société prêtait 14 millions en 1882. La cause première de ce mouve- ment, c'est la modicité du taux, abaissé de 8 à 6 0/0, ce qui devait nécessaij'ement attirer une couche nouvelle d'emprunteurs. En second lieu, il est probable que la nouvelle société, fondée exclusivement en vue d'opérations algériennes, devaitse montrer moins exigeante (|ue le Crédit Foncier de France sur les formalités préliminaires. Mais enfin et surtout, ce cjui donnait aux em|)runteurs cet empressement, c'était la coïncidence de l'apparition de la société avec cet engouement pour la vigne qui a déjà été décrit. On a vu plus haut la simultanéité, à cette date de 1881, du renouvellement du privilège de la Banque de l'Algérie et du développement exti'aordinaire du vignoble algérien : l'apparition au même moment, (fun nouvel établissement de crédit venait encore accen- tuer le mouvement, — it)9 — Crédit roncier et ag^ricole d\%.ls;érie. OpératiouN iiypotiiécaires. Prêts et ouvertures de cré Sommes nettes dues au lit hypothécaire. 31 décembre. VALEUR du domaine au :}1 déceml)re ANNÉES Prêts en participation avec le Crédit foncier de France Prêts faits avec les fonds de la société Total général des prêts en cours 1881 . 6.184.050 « 6.. 376. 8 37 35 12.. 564. 887 35 » 1882. .... . 20.154.424 60 7.200.867 19 27.3.55.291 79 B 1883 . 34.645.410 86 6.178 701 14 40.824 112 ï >^ 1884 . 44.472.874 24 5.963.131 71 50.436.005 95 51.875 1885 . 50.343.499 07 5.829.744 92 56.173.243 99 348.212 1880 . 55.941.091 62 5.513.117 12 61.454.208 74 630.564 1887 . 60.302.082 85 6.668.536 40 66.970.619 25 1.073.140 d 888 . 60.137.704 » 6.423.8,52 70 66.561.556 70 1.909.748 1889 . 59.045.031 40 5.557. 127 48 64.602.158 88 3.095.932 1890 . 56.776.220 31 4.827.143 03 61.603.363 34 3.215.707 1891 . 54.470.375 99 3.810.253 17 58.280.629 16 3.624.096 1892 . 51., 578. 433 84 2.866.420 47 54.444.854 31 4.013.439 1893..... . 47.214.608 17 2.2,34.145 43 49.448.753 60 4.697.906 1894 . 45.232.244 79 2.093 033 99 47.325.278 78 5.315.401 1893 . 45. 090. 81, S 72 1.835.788 94 46.926.602 66 5.646 385 1896..... . 40.700.150 26 1.816.264 77 42.516.415 03 5.560.150 1897 . 40.737.756 9! 2.601.536 27 43.339.293 18 4.559.006 1 898 . 41.108.646 90 2 . 086 . 857 80 43.195.504 70 4.148.462 1S99 . 39.401 .597 51 1.932.091 6:i 41.333.689 16 4.258.709 19IK) . 38.374.218 36 3. 1156. (126 61 11.430.844 97 4.084.024 19(11 . 39.267.329 69 3.:!07.274 28 42.. 574. 603 97 3.775.514 1902 . 38.715.847 43 3.066.387 23 41.782.234 66 4.349.449 — 170 — On le voit croître, en effol, continuellement jusqu'à 1887. A co moment, une péi'iode d'arrèl : c'iîst, en effet, à cette époque, on l'a vu, qu'on commençait h s'apercevoir qu'on avait été trop loin et qu'il était déjà bien tard pour enrayer. Pendant quelques années encore, le chiffre des prêts reste stationnaire, pendant que la valeur du domaine augmente. Puis le chiffre des |)rèts se maintient assez régulièrement entre 3 et 4 millions de 1897 à 190!2, mais le solde des sommes dues va en diminuant : il y aura lieu d'examiner plus loin (voir tableau p. 169) la cause de cette diminution, qu'on a reprochée au Crédit Foncier d'Algérie. Si on examine la durée des prêts consentis par les deux sociétés on constate que c'est celle de 30 ans (pii constitue la majorité ; ensuite viennent les prêts de 50 ans. Quant aux prêts à court terme et aux ouvertu- res de crédits, ils sont en assez faible proportion. Le tableau ci-dessous permet de constater l'importance des prêts consentis au 31 décembre 190^ : Prêts de Désignation Nombre Sommes 5 000 et au-dessous. . 2.535 8.776.250 5.001 à 10.000. . . 1.547 12.171.100 tO.OOl à 50.000 . . . 1.711 39.949.200 50.001 à 100.000. . 228 17.201.500 100.001 à 500.000. . 130 28.913.162 500.001 et au-dessus il 11,430.000 Totaux . . . 6.168 118.441.212 On voit que les prêts de 5.000 et au-dessous sont les plus nombreux,que ceux de 5.000 à 10.000 et de 10.000 — 171 — à 50.000 sont en nombre à [)cu près égal, et que ce sont les prêts infëi'ieiirs à 50.000 francs, (pii, comme nombre, forment la grosse majorité. Malheureusement, ces chiffres globaux comprenant à la fois les prêts urbains et les prêts ruraux, on ne peut pas se rendie un com[)te très exact de l'importance du rôle joué au point de vue purement agricole par l'éta- blissement du Crédit Fonciei' algérien. Toutefois, rimpi'ession (|ui se dégage de l'ensemble de ce document, c'est une progression très rapide, parallèle au dévelo(>pement agricole, jusqu'à 1887, époque à par- tir de laquelle le chiffre se maintient statit)nnaire jusqu'à 1892, pour diminuer ensuite insensiblement. B. — Affaires de banque Les affaires de banque ont suivi une progression con- tinue, attestée par le solde ci'oissarit du portefeuille (pii, de 5 tnillions et demi en 1882 (voir tableau p. 173) passe à 20 et 22 millions en 1880 et 1887 : après un léger arrêt, l'accroissement reprend à partii- de 1893 [)our continuer sans intei'ru|)tion jusqu'en 1902, D'autre part, la société se voyait atneiiée, pai" le développement de ses affaires, à accroître le nombre de ses sièges. Dès 1881, elle en avait à Paris, Alger, Constantine et Oran ; peu après, elle s'ins- tallait ;i Dune; elle ouvrait en 1891 une agence à IMiilip- peville; elle eréait en 1898, à Marseille, une succnrsaU' destinée à sei'vir de trait d'union entre ses sièges afri- cains et celui de Piiris; enlin dans \c courant des années 1899 et 1900, elle ouvi-ait successivement des agences à Dalna. Doiigit', Djidjelli. Set if, dans le déparl(Mnent de Gonstantine, Boufarik et Orléansville dans le départe- - m — ment d'Alger, Aïn-TcniouclieuL dans le départennenl d'Oran. Les premiers mois de l'année 1903 ont vn s'on- vrir les agences d'Affreville et de Cherchell dans le dépar- tement d'Alger, de Tiaret dans le déparlement d'Oian ; elle avait fondé en 1893 nne snccursale à Tnnis;en 1900, deux agences à Bizerte et à Sousse. Une augmentation constante des dépôts accompagne ce dévelo[)pement. Il y a donc évidemment un accroissement des affaires d'escompte et de banque propretnent diles, contrastant avec le mouvement de diminution constaté dans les affai- res foncières. Quelle est la nature de ces opérations de banque? Il est incontestable que l'escompte du papier commercial en forme une très forte part. Mais la matière escomptable de cette nature est peu abondante en Algérie. La con- currence de la Bancpie de l'Algérie, du Crédit Foncier et de la Compagnie Algérienne a forcément pour effet d'amener les établissements à se partager le papier com- mercial, qui serait insuffisant à alimenter leui's trois por- tefeuilles. On a vu l'importance que la Banque de l'Al- gérie avait accordée aux crédits de campagne : sans aller tout à fait aussi loin dans cette voie, le Ciédit Foncier d'Algéi'ie a dû la suivre également, avec beaucoup plus de raison d'ailleurs, puisque tel était le but même de l'insti- tution. Son portefeuille, dont on a suivi le développe- ment, contient donc, dans une proportion certainement importante, des effets renouvelables souscrits par des agriculteurs, en représentation de crédits ouverts pour les besoins de leurs exploitations, suivant le niécanisme qui a été indiqué. Ce qui le prouve, d'ailleurs, c'est la marche suivie par la création des sièges. Au début, les opérations se bornent aux grandes villes, dont le com- 173 — Crédit Tonciei* et a^çricole d'AI'jérîc. Opérations linancièi'cs. 1881. 1882. 1883. 1884. 1885. 1886. 1887. 1888. 1889. 1890. 189J. 1892. 1893. 1894. 1895. 1896. 1897. 1898. 1899. 1900. 1901. 1902. l'ORTEFEUILLE Entrée 105.123.991 146.180.310 136.781.030 113.806.407 116.013.719 125.841.889 130.895.989 187.471.243 205.930.202 240.221.459 239.923.877 213.911.772 227.459.558 270.867.07(1 360.878.881 312.047.306 335.363.379 Sortie 99.433.847 Solde 31 décembre 123.802.882 118.592 550 98.093.299 99.261.857 106.972.712 117.444.332 105.712.147 185.755.815 219.635.229 215.605.406 190.434.370 200 . 935 . 52.-i 245.192.817 333.980.041 282.284.270 301.943.505 696.966 .690.144 .807.144 .737.818 .346.565 .849.356 .377.428 .188.500 .713.107 .751.801 .869.177 .451 .656 ,759.095 .174.387 ,586.230 ,258.470 477.401 524.032 674.259 898.840 763.036 419.873 31 décembre 3.021 4.186 9.073 11.285 17.273 22.094 25.438 26.466 24.103 21.813 22.677 22.598 4.338 24.968 :4.677, 23.791, 25.280. 27.664, 28.525. 30.336. 32.996. 37.785. .372 33 942 73 .665 75 .162 86 .076 15 .001 63 .291 03 .371 95 ,219 61 ,731 74 003 69 lo2 03 933 78 040 45 913 14 879 40 499 40 483 55 398 74 431 76 795 37 203 88 - 174 - merce esl déjà développé; la clientèle agricole qui avoi- sine ces villes, celle «de l'intérieur », suivant l'expression algérienne, prend également l'habitude de venir fra[)per aux caisses ouvertes dans les poris du lilloral; puis, peu à peu, à mesure que rélablissemeut de crédit se déve- loppe, il sent que c'est plus avant dans les tei'i'es qu'il [)Ourra liouvei' des opérations et des clients nouveaux, avec des taux plus rémunérateurs; et c'est de cette idée cjue découle la création des agences installées (hms des régions [tresque exclusivemetit agricoles, comme Batna, Sétit', Boufarik, Oi'léansville, Aïn-Temouchent. On verra, d'ailleurs, la Compagnie Algérienne suivi'O la même évo- lution. Dans (|uelles proportions le papier agricole entre-t-il dans le portefeuille du Crédit Foncier d'Algérie? Aucun document ne permet de l'évaluer, môme d'une façon approximative; la proportion varie d'ailleurs suivant les années et le résultat de leurs récoltes. Mais ce qu'on peut dégager des chiffres et des faits qui viennent d'être exposés, c'est que la pratique des crédits agricoles a fourni au Crédit Foncier et Agricole d'Algérie un fruc- tueux accroissement de l'importance de ses opéra- tions. Examen des critiques émises contre le Crédit Foncier et Agricole d'Algérie A. — Au point de vue des opérations hypothécaires Prêts exagérés. — Le premier, par ordre chronologique, des reproches que l'on ait faits au Crédit Foncier d'Al- — 175 — gérie, c'est d'avoir été iinpiudent dans ses prêts. Cette opinion a été émise en effet très souvent au cours de l'enquête sénatoriale de 1891. H est vrai que tandis que certains déposants lormulaient cette critique, d'autres se plaignaient au contraire de ce que les pi'êts fussent insuftisants (1). Mais la majorité des déposants étaient d'accord pour accuseï' l'imprudence du Ci'édit Foncier; c'était notamment l'avis de M. Léon Béquet (!i) conseiller d'Étal, qui dénonçait en même temps « la rigueur exces- sive » du Crédit Foncier; c'était aussi celui de M. Despla- ces, propriétaire en Algérie (3), et M. Pauliat résumait l'impression générale en disant: « Le Crédit Foncier et la rt Société Algérienne sont coupables d avoir tiop favorisé « le crédit. Que de ruines ont suivi ! (4j » M. Lcroy-Beau- lieu, {p) tout en détendant le Crédit Foncier, le taxait cependant dun peu d'im[)rudence, à l'époque de l'en- goueuient qui avait existé en Algérie pour les vignes. Si cependant on considère que la nouvelle société a commencé en 1881, l'année même oii s'élevait cette liè- vre de plantation qui devait durer jusqu'en 1887 ; si on considère que cette société était constituée spécialement pour prêter au sol ; si enlin on veut bien se souvenir que de 1881 à 1891, elle avait réalisé, tant eu [)artici[)alion avec leCredit Foncier de France qu'avec ses propres tonds, plus de 58 millions de prêts, et (|ue cependant, à cette époque, au plus tort de la crise, son domaiuo ne re[)resen- 1. \. notaiiiiuent l'ensa, L' Algérie, jouviiéc du i>6 avril i8tji (^Mas- cara). 2. Commission Wéludedes questions ah/erietvies ; dépositions du r'f mai au 20 juillet 1891, (Doc. pai'lt'iiiculairt.'sj, p. 35 el suiv. 3. Id., p. 7 et suiv. 4. Id. p. 238: 5. Id., p. 238. — 176 — tait que 4 millions ; qu'enfin le domaine n'a jamais dépassé 5.646.000 IVancs, en l^ui- vantes. Philippar 12 — 178 — gage. Donc, le taux de l'inlérèt, en raison du fonction- nement des deux sociétés, n'est pas très élevé. Pourrait- on cependant l'abaisser, conl'orinéinent au désir des Algériens ? Un premiei' moyen est indiqué par M. Vignon : il con- sisterait à substituer complètement au Crédit Foncier de France le Crédil Foncier d'Algérie, au point de vue de l'exercice en Algérie des privdègesdu décret de 18o!2 et de l'émission d'obligations à lot Le Crédit Foncier d'Al- gérie s'adressant directement au public, emprunterait à meilleur compteet pourrait prêter à moins cher. M. Vi- gnon indique lui-même l'objection capitale : le crédit ne s'improvise pas, et rétablissement algérien ne trouverait guère de capitaux qu'en consentant à les payer plus cher : donc, pas d'avantage. Une autre solution serait celle qui consisterait, à l'inverse de la précédente, à supprimer l'intermédiaire du Crédit Foncierd'Algériequi s'effacerait pour laisser l'établissement métropolitain prêter directe- ment eu Algérie. En fait, les conventions qui unissent ce dernier au Crédil Foncier d'Algérie ne permettraient pas une semblable solution, mais en l'admettant possible, sei'ait-elle efficace ?Tout d'abord, il convient de se sou- venir que ce régime a été appliqué de 1860 à 1881, et que le résultatu'en a pas été satisfaisant. 11 ne léserait sans doute pas plus actuellement. Si en effet le Crédit Foncier de France opérait seul, sans la garantie de rétablisse- ment algérien, ses risques augmenteraient i)ar là même. Il lui serait donc nécessaire de constituer des réserves spéciales, parallèles à ces risques supplémentaires : d'où nécessité pour lui d"élever les taux de ses opérations algériennes dans des proportions qui réduiraient à bien [)eu l'avantage résultant de la suppression de la — 179 — commission payée jadis à son garant. De sorte qu'il apparaît assez claiî'ement (jue dans l'état actuel des choses, il est à peu près impossible d'abaisser le taux des prêts hypothécaires consentis par les Crédits Fonciers. Ce taux de 6 0/0 cité avec tant d'itidi^nation est-il d'ailleurs si exagéré? On serait tenté de croire que non, si on s'en rapporte à l'appréciation de M. Saurin (1), dont on coniinît l'expérience des (juestions agricoles nord-africaines. « Qu'on ne vienne pas dii-e que le taux de l'intérêt est et trop élevé, dit-il ; en Australie, en Amérique, il est de « 8 0/0, prêteurs et emprunteurs sont satisfaits. Faut-il « s'étonner que le Crédit Foncier restreigne tous les jours « ses opéi'ations foncières pour développer ses affaires de « banque qui lui donnent des revenus sûrs? » Pai-conséquent oulre que le taux de6 0/0 ne semble pas à certains aussi excessif que le prétendent les cultiva- teurs algériens, l'organisation actuelle des sociétés de Crédit Foncier ne semble pas permettre de l'abaisser. C'est que ce taux tient en cffetàdes cii'ct)nstances écono- miques qu'il convient de rappeler ici et sur les(iuelles on reviendi'a plus loin : la première est le pi'ix de revient de l'argent, qui ne peut être modilié à volonté, et la seconde la détiancc^ des capitaux français à l'égard de l'Algérie. Mais il en est une ti'oisième (pii justilic. dans ["(vspèce, les deux premières, c'est l'irrégularitc' île la piodiiclion agricole de l'Algérie, rendant diflieile aux einprnnleuis l'amortissement régulier de leur délie. Les eouiptes rendus annuels du Crédit Foncii'r d'Algérie en font foi, et M. Saurin le relève avec justesse. « Les -'tO 0/0 envi- i . Sàuv'in, fj'dvt'iur de l'A /ri(int' ilu A'on/, l'ai-is, llliallaïuol. i8t)6, p. 8. — 180 - « rondes an nulles échu es sont payées avec des retards plus v( ou moins considérables ». Et il ajoute plus loin « on ne c( veut plus prêtera la propi'iété rurale, parce qu'elle ne c( paie pas régulièrement les intéiêts des capitaux qu'on « lui confie. Lescomples rendusdu Crédit Foncier d'Algé- « rie le prouvent surabondamment ». Les établissements de crédit ne peuvent abaisser leur taux; les emprunteurs déclarent ne pouvoir payer celui qui leur est demandé, esl-ce à cette double circonstance qu'il faut attribuer la diminution continuelle du chiffre des prêts? Diminution des prêts consentis. — On a vu que le chiffre des prêts tendait à décroître. Diverses raisons peuvent être invocpiées pour expliquer ce fait. La première est la lenteur des formalités. Ou a indi- qué plus haut la longue procédure nécessaire pour la réalisation d'un prêt hypothécaire ; il est donc impossi- ble qu'un prêt soit réalisé dans un espace de temps moindre d'un mois; ce délai est généralement beaucoup plus long : il y a là évidemment une circonstance de na- ture à détourner les emprunteurs. Une seconde cause d'éloignement pour les prêts fonciers réside dans la dureté des règles du Crédit Foncier, qui ne prête jamais que 50 0/0 de la valeur de la propriété, par- fois 60 0/0, d'après une estimation que l'expérience du passé lui commande de faire très stricte : fréquemment l'emprunteur pourra s'adressera un voisin, qui, le con- naissant, consentira à lui accorder une somme supérieure à celle que le Crédit Foncier eût accordée. Enfin les emprunteurs, en général, manifestent une préférence pour le simple ciédit en Banque, accordé plus — 181 — rapidement, facilement réalisé, parfois garanti par une inscription sur des immeubles déjà hypothéqués : on se souvient d'ailleurs M) que, dès 1861, un rapport fait à la Société d'agriculture d'Alger faisait ressortir l'avantage pour le cultivateur de ces crédits remboursables annuel- lement, qui ne donnerotjt lieu à paiement d'intérêts que sur la portion utilisée du crédit. Enfin, le dernier et important facteur de la diminution des pi'êts hypothécaires, facteur cpii vient enlever une grande partie de son importance à la question du taux, c'est la concurrence entre les prêteurs. A côté du Crédit Foncier, il y a la Compagnie Algé- rienne, qui consent (jnelques prêts hypothécaires : mais ce genre d'opérations n'atteint dans ses bilans que quelcjues millions. Une autre catégorie de prêteurs est constituée par les Compagnies d'assurances, qui recherchent volon- tiers les opérations importantes, mais, à vrai dire, sur des immeubles urbains. Enfin et sui'tout, les notaires font au Ci'édit Foncier une active concurrence. On se souvient de la déposition déjà citée de M^ Geccaldi, no- taire, qui se plaignait en 1891 devant la commission séiiatoriale, de ne plus voir venir, comme autrefois, des ca[)itaux ; depuis cette é()0(iue, l'exode a l'Cfiris, et cjuc ce soit de l'argent provenant de France ou déposé par les habitants, les notaires ont entre les mains de iKMnbi-eu- ses ressources, dont ils [)enveutse servii- pour des prêts hy[)othécaires consentis, suivant des règles un peu nmins étroites que celles que suit le Crédit Fonciei". Tel est l'ensemble des faits (pii explicjuent celle dimi- nution des affaires hypothécaii-es du Crédit Foncier, dimi- I. V. page i/|6. — 182 — nntion qui n'est pas un iiilico de l'atténuation de la dette hypothécaire. L'établissement de Crédit Foncier jone donc le rôle d'un déversoir empêchant le taux de s'élever an-dessus du chiffre qu'il pratique, mais n'empêchant nullement ce taux de s'abaisseï- au-dessous. De sorte que ceux qui se plaignent d'en passer par ses exigences sont ceux (jui n'ont pu trouvei* mieux ailleurs. La présence du Crédit Foncier n'est donc pas inutile dans la colonie ; on peut regrettei* qu'il n'ait pas pris lui-même l'initiative de l'abaissement des taux, mais ni les circonstances, ni son organisation ne s'y prêtent : il se contente simplement de l'empêcher de s'élever. B. — Au point de vue du crédit agricole Le Crédit Foncier d'Algérie, dit Wahl 1), « rend assu- « rément d'utiles services, mais on estime qu'il n'a pas « assez fait pour organiser le crédit agricoleet pour répon- « dre à la seconde partie de son programme. «Tel est, en effet, le reproche souvent formulé (î2). On vient de voir quel avait été le développement des opérations de ban- que, développement dû en grande partie aux crédits lar- gement ouverts aux agriculteurs. On affecte souvent de croire que les établissements de crédit refusent leur ser- vice aux colons : la pratique des crédits de campagne, telle que l'ont adoptée la Banque, les Com[)toirs d'es- compte, et aussi le Crédit Foncier, est celle qui convient le mieux aux besoins des cultivateurs. On trouvera plus 1. L'Algérie. 2. En ce sens, v. plus loin l'analyse du rapport sur le crédit agricole préparé par la Société des agriculteurs d'Algérie, M | i, et les discussions sur l'emploi de la redevance de la Banque de l'Algérie. — 183 — loin un exposé très net du rôle des établissemenls de crédit en cette matière ainsi (|ne des exemples des opéra- tions (ju ils traitent : on verra que le crédit agricole ne pouvait être antrement organisé, et, en réalité, on trou- verait difficilement ailleurs qu"en Algérie des établisse- menls de cré, lit de rimportance du Crédit Foncier ou de la Compagnie Algérienne, accordant aussi largement des avances sur billets renouvelables. S'il est vrai que la loi de 1898 a d'abord rencontré quelques hésitations, on peut diie ({u'elie est maintenant entrée dans la pratique et que le Crédit Foncier, par l'escompte des warrants, y aura largement contribué. IV SOCIÉTÉ GÉNÉRALE ALGÉRIENNE ET COMPAGNIE ALGÉRIENNE (1) i 1 La Société Générale Algérienne (1865-1877) Les privilèges du Crédit Foncier de France vivaient été étendus en 1860 an territoire de i'Algéi'ie. Mais le gouver- nement impérial n'estimait pas cette mesure suffisante pour mettre .en valeur la colonie nouvelle ; il avait éla- boré un plan très vaste de travaux publics, comprenant des poi'ts, des routes, des canaux, des chemins de fer, des barrages et des irrigations. Il se rendait compte que de plus, il était nécessaire que le crédit accordé à l'initiative privée vînt provoquer ou faciliter les opéra- tions agricoles, commerciales, industrielles. Le gouverne- ment conçut alors la pensée d'une société entreprenant I. La plupart des renseignements contenus dans ce chapitre pro- viennent des Comptes rendus annuels de la Société Générale Algé- rienne et de la Compagnie Algérienne, dont l'auteur doit la commu- nication à lobligeance de M. Matheron, directeur de la Compag-nie algérienne On trouve quelques renseignements sur ces deux Socié- tés dans l'ouvrage de Ch. de Galland, [.es petits cahiers algériens col- ligés, Alg"er, Jourdan, 1900. Il en est fait égalenient mention dans les ouvrages déjà cités de MM. Leroy-Beaulieu, Wahl, Vignon et Josseau, — 185 — ces diverses opérations sous son contrôle, société qui lui servirait en même temps d'intermédiaire pour obtenir du public les fonds nécessaires à l'exécution des travaux publics projetés. L'opinion courante à celte époque était en effet que l'Etat, en sadressant directement aux parti- culiers, n'obtenait de fonds qu'à des conditions plus oné- reuses que celles qui eussent été faites à une société particulière. De là, la création d'une société intermédiaire entre l'Etat et les particuliers. Cette société à rôle double fut la So- ciété Générale Algérienne, placée dès le début sous le patronage de M. Frémy, Conseiller d'Etat en service extraordinaire, gouverneur du Crédit Foncier de France et d'Algérie, et de M. Paulin-Talabot, député au Corps législatif, directeur général de laCompagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Médileiranée et d'Algérie. Ce furent MM. Frémy et l>aulin-Talabot cpii passèrent le 18 mai 1865 avec le ministre des finances une c( con- vention pour l'cxécu lion des travaux [Xiblics en Algérie », convention dans laquelle ils agissaient tant en leur nom personnel (pi'au nom et comme représentants d'une société « ayant pour objet de procurer des capitaux et « d'ouvrir des crédits pour toutes opérations agricoles, « industrielles et commerciales en Algérie, dentre|tr."n- « dre ou de réaliser ces opérations directement et par elle- « môme ». Cette société d(>vait se constitnerdans un délai île li-ois mois, sons la forme anonyme et sur les bases [)nncipales suivantt's : Le capital social était lixe a KHI millions, divis.' en actions de 500 francs. La société possédait la faculté d'émettre des obligations — 186 — à long ou à court torm(» rloiil le produit serait exclusive- ment appliquée des entro[)rises industrielles etagricoles, consistant en travaux publics, exploitation de mines, de tei'res et de forêts, exécution de bai-rages et de canaux d'irrigation, établissement d'usines, etc. Les opérations purement financières telles que prêts au commerce, escompte, devaient être faites au moyen du capital social, dans les conditions déterminées par les statuts. Enfin, la direction de la société serait confiée à un pré- sident, présenté par le Conseil d'administration, mais nommé par l'Empereur. La société s'engageait à réaliser, à la réquisition du gouvernement, dans les proportions que ce dernier jugeait nécessaires, soit par voie d'appel de fonds sur les actions, soit par émission d'obligations et jusqu'à concurrence de 100 millions, dans le délai de six années, les sommes qu'elle devait employer en Algérie aux travaux qui vien- nent d'être énumérés. La société s'engageait de plus à mettre à la disposition de l'Etat 100 autres millions, qui devaient être employés dans un délai de six années à l'exécution de grands tra- vaux d'utilité publique, routes, canaux, etc., suivant le plan exposé plus haut ; le programme de ces travaux devait être arrêté annuellement par le gouvei'nement, la société entendue. Cette somme de 100 millions devait être versée au Trésor par sixième, d'année en année et par trimestre. L'Etat devait la rembourser à la Compagnie par annuités comprenant un intérêt à 5,25 0/0 et un amortissement suftisant pour éteindre la dette en 50 ans. Enfin l'Etal s'engageait à vendre à la Société Algérienne — 187 • 100.000 hectares de leries, moyennant un franc de rente par hectare et par an pendant 50 ans. On voit donc bien nettement le rôle triple de la société : 1^ Rôle d'intermédiaire entre le public et l'Etat auquel elle s'engage à faire prêter 100 millions, nécessaires pour l'exécution de travaux publics ; 2" Rôle d'établissement de crédit et de mise en valeur de la colonie, cai' la société s'engage à dépenser 100 mil- lions à des entreprises industrielles et agricoles, en dehors des opérations commerciales proprement dites qu'elle réalisera avec son capital ; 3° Rôle d'entrepreneur de colonisation, pour l'accom- plissement duquel l'Etal lui concède 100.000 hectares de terre. Toutes ces stipulations n'étaient d'ailleurs rendues va- lables que par la constitution de la société. Les statuts furent établis le 29 septembre 1865 ; une première tranche du capital s'élevantà25 millions, dont 5.2o0.000 versés, fut émise en août 1866, et un décret impérial du 15 octobre suivant vint autoriser le fonction- nement de la nouvelle société. Dès le début, la société eut à constater le besoin géné- ral d'argent qui sévissait dans la colonie : elle eut en 1807 à intervenir pour faire aux ti'ibuls des prêts de semence poiirunesomme de 3.357.786 fr 50, au taux de8 1/2 0/0. Les pr(Ms fiirenl faits par l'intci-médiaire d'une commis- sion dite « des centimes additionnels », stipulant au nom des douars. Ce qui manque en Algérie, disait en 1868 M. Fiémy, (( c'est de I argent, c'est de l'eau, ce sont des bras ». Pour répondre dans la mesure du possible aux besoins de ca- pitaux, la société (jiii s'était d'abord installée à Alger, — 188 - ouvrait en 1868 des succursales à Constantine et Oran ; une autre à Bône en 1869. En môme temps qu'elle développait ses opérations de crédit, la Société comtneuçait la mise en valeur de ses terres : la location en était faite à raison de 2 fr. 24 par tiectare. Les récentes famines rendaient en etïeL difticile le recrutement de la main-d'œuvre. € Le résultat eût été plus mauvais encore, disait le « compte rendu de l'exercice 1868, si nous n'avions con- « senti à avancer des semences à nos locataires indigènes ». Le peuplement en colons européens étant très peu avancé, c'est aux indigènes (|ue la Compagnie devait s'adresser tout d'abord, estimant à juste titre que leur présence serait plus tard utile aux nouveaux colons. Mais ces indigènes étaient dans un tel état de dénuement que des avances leur étaient absolument nécessaires. La Société en taisait donc, et aux Arabes déjà installés, et aux nouveaux venus qui présentaient des garanties. Ces avances, comme le constate le compte-rendu de l'exer- cice 1869, étaient faites en nature, remboursables en argent avec un intérêt de 6 0/0. « Le résultat a dépassé a nos espérances ; nous avons vu notre population s'ac- « croître de plus d'un millier d'habitants et l'étendue cul- ot tivée augmenter de plusieurs milliers d'hectares». La Société établissait des projets de villages : Aïn-Mokra, Aïn-Regada, Aïn-Abid, Bou-Nouai-a. Elle y constituait des lots défrichés de 20 à 30 hectares sur lesquels la Société construisait pour ceux qui le désiraient des maisons de 2.000 cà 3.000 francs qu'elle livrait au prix de vente. Les lots étaient payables par annuités de 10, 15 ou 20 ans, s'élevant par hectare à : — 189 — Pour 20 ans. ... 12 fr. par hectare — lo — . . . . 14 fr. — — 10 — ... . 18 fr. — Les constructions étaient payables de même et l'an- nuité par 1.000 francs de dépense, était la suivante : Pour 20 ans 94 fr. 40 — 15 — 109 fr. 80 — 10 — 142 fr. 40 La Compagnie insistait d'ailleurs sur la nécessité pour le cultivateui' éniigrant de posséder un certain capital disponible, et taisait remarquer t|ue le mode d'acquisition proposé avait pour but, non d'< ffianchir les émigrants de cette condition de succès inhérente à la nature des choses, mais de leur permettre de ne pas immobiliser immédia- tement le capital qu'ils apportaient en Atrique, et de le conserver comme fonds de roulement. Les exercices 1870 et 1871 furent influencés, bien entendu, par la guerre : cependant le peuplement pro- gressait peu à peu, en même temps que la Société Géné- rale Algérienne continuait à faire à ses locataires indi- gènes les avances indispensables cpii s'élevaient : En 1869- 1870 à 60.025 fr. — 1870-1871 à 38.610 ir. — 1871-1872 à 37.956 i'v. Pendant quelle poursuivait à travers île sciMcuses dif- ficultés son rôle de coloiiisnlion et de penpiemcnl dans le massif de l'Oued Zi-nali, la Société générale alt;erienne exécutait peu à peu ses engagcMuenls vis-à-vis de IKhit : sur les 100 millions convenus, 37 1/2 furent versés — 190 - dès la première année de fonctionnen^jent de la Société; les versements s'élevaient en 1870 à 7o millions, en 1873 à 76.500.000. Il ne restait pins (jne ^23 millions 1/4 à verser, mais la guerre avait provoqué une perturbation qui empêchait la Société de se procurer des capitaux dans les mêmes conditions qu'auti'etois ; elle demanda à cette époque, sans l'obtenir, l'allocation par l'Etat d'un intéi'èl de 6 0/0. Un a|)pel de tonds fut fait d'ailleurs sur les actions, ce qui permit d'effectuer un nouveau versement de 3.500.000 dans le courant de l'exercice 1874 ; ce fut le dernier. On a vu que la Société avait étendu peu à peu son action par la création de succursales nouvelles et le tableau inséré p. 191 permet d'en suivre la marche. Les opérations d'escompte allaient en croissant pendant les premières années, subissant une augmentation particu- lièrement forte pendant les années 1870 à 1874. Mais dès l'exercice 1873, un ralentissement se protluit, nécessité parla liquidation de quelques faillites. En 1874, la situation s'est aggravée; le Conseil expose à l'Assem- blée générale la nécessité d'amortir 4.400.000 francs de créances douteuses, et il informe en même temps l'As- semblée qu'il a constitué auprès de chaque succursale des Comités d'escompte, constitués [)ar des notabilités com- merciales de la place, chargés de contrôler les opérations qui s'y traitent, de façon à éviter désormais les engage- ments excessifs ou imprudents. En 1875, les résultats continuent à se ressentir de la crise commerciale et financière qui [jesait sur l'Algérie; enfin a l'Assemblée générale de 1877, le Conseil informe les actionnaires qu'il a pris part à une émission de Bons du trésor du gouvernement Egyptien, opération qui n'a — 191 — fSocicté Générale Alsérieiine. ANNÉES MONTANT des effets entrés en porteteuille pendant l'année SOLDE rin portefeuille au 31 décembre DÉPOTS au 31 décembre d867 4.116.809 36.206.500 95.306.046 132.025.083 154.429.023 » » » » 196.189 » 13.828.656 » 15.317.173 » 19.450.255 » 17.279.196 » 18.578.975 94 13.182.395 17 12 660.911 43 9.604.778 69 7.125.473 28 » 4.657.245 11.949.614 10.292.340 9.192.595 11.514.550 12.642.417 9.342.654 11.601.423 11.017.333 1868 1869 1870 1871 1872 1873 1874 1875 Nota. — Les chiffres indi(}uant le montant des effets entrés en parleleuille sont donnés déduction faite du chiffre des opérations effectuées à Paris. pas réussi et place par conséquent la société dans une situation telle que sa liquidation paraît s'imposer, qu'on en a étudié les moyens el qu'on a commencé les négocia- tions avec les pouvoirs publics. Le gouvernement paraissait disposé à décharger la société du service des obligations, [)our Icstpielles la sociét('i ne remplissait guèi'e tiu'un lole triiileniu'diaire en Ire l'Etat el le public, et à l'exonéi-er des versomeiils restant à taire. Il était donc possible de transformer la société eu une société anonyme libre, fondée conformément à la loi de 1867 : la nomination du président par le gouvernement serait sup[)rimée. Comme complément de celle organisa- tion au point de vue linancier, des iiccords avaiiMil été pris avec le gouvernement au [)oint de vue du [)eu[)le- — 192 — ment du domaine de la sociéli; : des roules etdes villages seraient établis aux frais du gouvernement, les Icr.ains nécessaii'es pour les voies de communication ot les cen- tres de colonisation seraient cédés gratuitement par la société, et si, dans un délai de cinq ans les villages n'étaient pas peuplés, la société serait libérée de tout engagement. L'Assemblée générale s'étant montrée disposéeà adop- ter le principe de cette transformation de la société, un plan définitif de réorganisation fut soumis à une nouvelle Assemblée extraordinaire tenue le 24 novembre 1877. Les pertes relevées par la société depuis quelques années, l'immobilisation d'une partie de ses fonds. c|ui paralysait son action, et l'obligation de reconstituer soi] capital, qui interdisait toute dislribution de dividende, avaient rendu sa reconstitution nécessaire. La réduction du capital étant impossible, le système adopté était le suivant : dissolution de la Société Générale Algérienne, apport d'une partie de l'actif net à une société nouvelle, réparti- tion enti'e les actionnaires de la Société Générale d'obli- gations égyptiennes. Mais les statuts ne prévoyaient la dissolution qu'en cas de perte du 1/4 du capital social, soit 12 500.000 ï'v. ; pour arriver à ce chiflre, on avait porté au débit du conjpte profits et pertes une somme assez forte de créances contentienses, des frais d'études, etc., et on arriva à un écart de 12.511.000 fr. entre le passif et l'actif, écart suffisant pour justifier ladissolulion de la société. La nouvelle société prenait le titre de « Compagnie Algérienne». Lecapitalen était fixéà 10 millionsde francs et divisé en 20.000 actions de500fr. entièrement libérées. Sur ces actions, 19.800 d'entre elles, représentant une — 193 — somme de 9.900.000 fi'., étaient attribuées à la société dissoute, en re(3résenlalion de l'apport (Je la portion de son actif net. Ces actions étaient réparties entre les actionnaires de la Société Générale Algérienne à raison de 1 action nouvelle pour 5 anciennes ; il n'y avait en effet que 99.000 actions anciennes en circulation, 1.000 . se trouvant entre les mains de la société à divers titres. Le surplus, soit 100.000 tV. était fourni en espèces par de nouveaux actionnaires. Ces résolutions furent adoptées par l'assemblée extraor- dinaire ; la Société Générale Algérienne était dissoute et la Compagnie Algérienne se chargeait de sa liquida- tion. Conçue d'une façon un peu trop grandiose, elle suc- combait, non seulement aux suites d'opérations impru- demment engagées en Algérie, mais encore et surtout à celles d'opérations linancières exécutées à Paris. Au point de vue du crédit agricole, l'intérêt de son histoire est surtout de montrer l'origine de la Compagnie algérienne, car les opérations effectuées par la Société algérienne antérieurement à 1881 durent être surtout des opérations commerciales, et son portefeuille dût contenir peu de papier agricole. Quant à son action au point de vue de la colonisation, elle fut faible, comme on Ta vu : mais il est intéressant de constater l'ubligaliou dans laquelle elle se trouva immétlialeinenl d'accorder du crédit à ses fermiers indigènes : on voit, là encore, une preuve de ce déiHîement général, de ce besoin de ci'édit, qui domine l'Iiisloire économicpie de l'AIgt'rie. Plnlipi.ar 13 - 194 — 1 2 Compagnie Algérienne (1877-1903) Une assemblée générale tenue le 27 décembre 1877 entendait le rapport descommissaires chargés delà vérifi- cation des apports, et la nouvelle société fut définitive- ment constituée. Aux termes de ses statuts (1), la Com- pagnie Algérienne a pour objet : 1" De mettre en valeur les terres qu'elle possède en Algérie et d'y favoriser le développement de la colonisa- tion, de faire toutes opérations se rattachant aux acqui- sitions, ventes, échanges, constructions, exploitations agricoles ou autres, d'immeubles ou établissements situés en Algérie; 2" De faire, soit en son nom, soit en participation avec des tiers, mais en vue d'entreprises intéressant l'Algérie, les possessions françaises ou les pays de protectorat en Afrique, toutes opérations agricoles, industrielles, com- merciales et immobilières; 3" De faire, dans les pays ci-dessus désignés, des avan- ces sur hypothèques; 4° De faire, tant en France que dans les pays ci-dessus désignés, toutes opérations de banque et d'escompte, d'avances sur nantissements et connaissements, de prêts sur titres et de reports, de souscrire ou émettre avec ou sans garantie tous emprunts d'Etat, de départements, de communes, d'établissem.ents publics ou de sociétés; les prêts sur titres ne pourront avoir lieu que sur valeurs I. Texte modifié plusieurs fois ; celui qui est donné ici est le plus récent. — 195 — émises dans les pays ci-dessus désignés on cotées à la Bourse de Paris ; o*^ De recevoir des sommes en dépôt on comptes cou- rants, ouvrir des comptes de chèques, accepter des titres en garde ; 6° D'émettre, en réprésentation des crédits ou prêts opérés, des bons ou obligations à long ou à court terme. On voit que la société est très libre et que ses statuts prévoient des opérations très différentes, lui permettant d'exercer le rôle triple d'un entrepreneur de colonisa- tion, d'une banque de crédit et d'escompte, et enfin d'un établissement d'émission de valeurs. Les circonstances ont d'ailleurs conduit la Compagnie Algérienne, comme tous les autres établissements finan- ciers de l'Algérie, a développer surtout ses opérations de crédit en banque. Elle ne négligeait pas, cependant, la mise en valeur de son vaste domaine. A la fin du premier exercice, qui comprenait la période (pii s'étendait du :27 décembre 1877 au 31 décembre 1878, le Conseil d'administration iniormait rassemblée générale de la création d'un nou- veau village à Bou-Nouara, en même lenq)s que deux leu- talives nouvelles étaient faites : la premièi'e était réta- blissement du métayage, dont on pensait pouvoir obtenir de bons résultats par le contact ({n'établissait ce mode de ("aire valoir entre le bailleur et le tenauciiT, (|iii pouvait recevoir du pteniiei' d'utiles conseils; la seconde était l'établissement de magasins destinés à recevoir des grains et à permettre aux fermiers de payer cmi nature. En 187'J, la Compagnie Algérienne, constatant (pu* les terres exploitées jus(pie-là étaient généralement atïectées à la culture des céréales et à l'élève du betad, pensa ipie — 196 — {)OLii'arfiver à un peuplement plus rapide, il sérail utile de joindre à ces exploitations la création de vignobles : cette mesure fut aussitôt mise à exécution sur plusieiirs points et un appel fut fait aux vignei'ons dans le proi^ramme de colonisation pour la campagne 1880-81. En même temps, la Compagnie Algérienne poursuivait, en les étendant, ses essais de métayage en initiant ses cultivateurs à des prati(jue un peu plus perfectionnées; elle obtenait des résultats légèrement supérieurs à ceux que donnait la location pure et simple. Malheureusement, les circonstances étaient défavorables et l'Algérie subis- sait une série de mauvaises récoltes. La Compagnie essayait d'ailleurs d'en tirer un argument, pour faire res- sortir auprès de ses cultivateurs lés avantages d'une combinaison qui l'associait complètement à leur bonne et à leur mauvaise fortune. Ses magasins à grains, reliés aux gares par des embranchements, étaient peu à peu agrandis et permettaient les opérations en nature. Un centre de culture viticole avait été créé à Amouiah, dont la situation semblait assez prospère pour justifier la création d'une société spéciale, la Société d'Amourah,qui se détachait de la Compagnie Algérienne. En 188:2, les récoltes furent meilleures : l'année avait été pluvieuse; la société en profita pour étendre les surfaces exploitées en métayage, mais pour les diminuer Tannée suivante, en raison de la résistance persistante des indigènes. En 1886, le Conseil suspendait cette tentative « dont il <( continuait à regarder le principe comme utile et qu'il « se proposait de reprendre dès que la situation économi- « que se serait affermie ». Les colons français, d'ailleurs, n'arrivaient pas, et malgi'é les efforts faits, le peuplement restait absolument slationnaire. En 1890, la Compagnie — 197 — se décidait à diviser son Lorrain en lots dans l'espoir d'en faciliter le peuplement. En même temps, elle aban- donnait complèlemenl les essais de métayage pour recou- rir à la culture directe. Le but de cette mesure était de donnera la Compagnie le moyen de se tenir [)lus au courant des difticultés que rencontraient les locataires et de les amener, par l'exem- ple, à améliorer leurs procédés de culture. En 1891, la suiface consacrée à l'exploitation directe était de 3o0 hectares; le système de culture appliqué avait été le système arabe ; les charrues étaient conduites par des khammès et menées par des bœufs. La difficulté était de trouver des khammès de bonne volonté. La Com- pagnie employait, en même temps que la charrue arabe, quelques charrues françaises coriduites par des Euro- péens, de façon à comparer les produits et les frais des deux méthodes de culture : les circonstances peu favora- bles exigeaient d'ailleurs une exploitation faite avec un minimum de frais. La Compagnie continuait le système des avances aux fermiei's; elle constatait en 1894 que toutes les avances faites pour la moisson étaient rem- boursées à la date du 31 décembre, et cpie du chef des prêts de semences, il ne restait du que (jiH^hpuv^. cvu- laines de francs. Et le Conseil (radmiiiistralioii déclaiait en 1893 : « La cidliirc iiidigêuc en tant cpie ('('réales peut « seule résislci'a(JuelleiU(Mil à la concurrence éti"angère ; « c'est un devoir inq)érieu\ de l'engager à scch'-velopper ». Elle essayait cependant, en dt'^veloppant la culture indi- gène, d'en améliorer les procédés, tout en constatant (jue ce n'était pas toujours chose facile; les prix se mainte- naient très bas, et il était indispensable d(> diniiiiuer autant que possible les fiais de culture. « Dans ces — 198 — (( régions, disait encore le Conseil en 1896, les indigènes (( seuls peuvent encore obtenir des produits à un prix de « revient assez faible pour compenser cet avilissement, et « tant qu'un relèvement durable ne se sera pas manifesté, a il ne faudra pas songer à substituer à la main-d'œuvre « arabe la main-d'œuvre européenne, de beaucoup plus a chère ». Le rapport ajoutait: « A titre d'expérience, nous cul- « tivons nous-mêmes une superficie importante. Grâce à « l'économie qui a présidé à cette exploitation, grâce à l'ap- « point fourni par la vente du bétail, nous avons couvert «et un peu au delà le chiffre de nos dépenses, malgré les « dégâts énormes causés par l'orage du 7 juin. Afin d'agir « sur l'esprit de nos fermiers, nous employons des instru- « ments du même type que les leurs, mais perfectionnés, « des charrues arabes avec des organes en fer. Nous avons (( employé des herses légères auxquelles l'attelage arabe € suffit ». Le rapport sur l'exercice 1896 constatait que les efforts faits tendaient à mettre en pratique un assolement ra- tionnel, permettant à la terre de se reposer, l'usage des labours de printemps, l'emploi de bonnes charrues et de semences sélectionnées, enfin le choix de bons reproduc- teurs, car l'exploitation ne pouvait en effet s'équilibrer avantageusement que grâce au supplément fourni par le produit de l'élevage du bétail. Le rapport de l'exercice 1897 constatait les bons résultats fournis par l'exploita- tion directe, et il semblait que l'influence de la Compa- gnie commençât à se faire sentir, car elle avait vendu aux indigènes 25 charrues perfectionnées, sorties de ses ateliers. Les rapports des exercices suivants restent muets sur — 199 — Compagnie Alsérierane» 1878.. 1879.. 1880.. 1881.. 1882.. 1883.. 1884.. 1885.. 1886. 1887. 1888., 1889. 1890. 1891. 1892. 1893. 1894. 1895. 1896. 1897. 1898. 1899. 1900. 1901. 1902 SOLDE du portefeuille au 31 décembre 14.238.509 17.675.888 20.582.679 20.816.790 18.741.577 16.922.736 17.316.651 15.514.447 16.357.664 18.712.960 21.931.837 21.140.598 28.078.668 26.557.841 26.669.365 25.893.759 27.472.312 32.148.187 33.672.809 38.138.009 42.662.555 38.399.750 .'îi;.ii'.i.i:;4 53.1 s;!. 437 DEPOTS à vue et bons de caisse au 31 décembre 9.463.479 12.954.415 15.771.940 14.230.812 15.680.350 14.737.320 13.395.385 13.017.179 13.465.277 15.100.128 18.701.187 18.119.941 24.186.706 22.750.142 23.178.180 21.594.014 20.848.157 27.191.720 27.726.082 30. 273. 624 36.6(i3.0:iil 39.111.5S(i 34.953.851 3',l.5S8.S3;i hypothécaires Sommes dues au 31 décembre 9.412.169 1.921.835 3.133.836 5.753.887 6.765.621 7.335.118 6.928.308 4.909.296 5. 012. 250 4.772.768 4.913.627 4.185.164 4.142.453 4.184.297 4. 168.934 4.091.165 4.359.740 4.283.715 4.377.226 3.576 140 2.610.665 1 . 209 . 508 1.872.492 1.497.313 — 200 — la question clos exploitations, qui n'avait plus d'ailleurs, qu'une importance moins grande pour la Compagnie. Les- difficultés (jue rencontrait la colonisation européenne faisait que celle-ci demeurait stationnaire, tandis que le faire-valoir direct augmentait d'importance et que le fermage indigène, avec prêts de semences en nature à l'automne, continuait normalement. La Compagnie Algérienne avait fait, d'autre part, une tentative pour organiser le crédit hypothécaire. Elle avait passé, vers 1881, avec la Banque hypothécairede France un traité en vertu duquel elle mettait à la disposition de cette banque ses comptoirs algériens, pour Tétude des prêts dont les fonds étaient pour la plus grande partie fournis par cette dernière; en môme temps la Compagnie Algérienne s'engageait à garantir à la Banque hypothé- caire la moitié du prêt. Ce traité, conclu pour cinq ans, comportait la réalisation de 10 millions de prêts à court terme et de 40.000.000 de francs de prêts à long terme. Mais à cette époque intervint la fusion de la Banque hypothécaire avec le Crédit Foncier de France, et les opérations furent interrompues de ce fait. Le Crédit Fon- cier et Agricole d'Algérie commençait d'ailleurs à fonc- tionner à cette époque. Mais de toutes les opérations de la Compagnie Algé- rienne, la branche qui devait prendre le plus d'extension était celle des affaires de banque. Le tableau inséré page 199 permet de constater le développement du por- tefeuille et l'accroissement des dépôts. Dès les premières années, on voit le solde du portefeuille s'élever, si bien que dès 1880, le capital est augmenté et porté de 10 à 15 millions. Les opérations demeurent à peu prèsstalionnaires jusqu'en 1890, où le chiffreduportefeuille,voisin jusque là — 201 — de 20 millions, dépasse ce chiffre pour se rapprocher de celui de 30 millions qu'il conserve jusqu'à jla période 1897-1900,011 il s'élève encore pour reslei- aux envirous de 40 millions. Une augmentation nouvelle du capital devient nécessaire et elle est décidée en 1900 ; le capital est porté de 15 à 25 millions. Aussi voit-on dès 1901 le solde du portefeuille atteindre 53 millions, tant par l'effet de l'accroissemeut des affaires que par la diminu- tion du réescompte. Le chiffre des escomptes, de 323 mil- lions en 1900, passe à 355 millions en 1901. Ces chiffres permettent de constater le développement constant et progressif des opérations de la Compagnie Algérienne, de 1878 à 1902. |3 Le rôle de la Compagnie Algérienne A. — Au point de vue de la colonisation Il résulte de l'exposé qui a été fait plus haut que la Compagnie Algérienne n'a que partiellement réussi dans son œuvre de peuplement, particulièrement en ce (jui concerne le massif de l'Oued-Zenati. Elle a icMini cepen- dant à créer les villages d'Aïii-Ahid, Aïn-rK'gada. Oiied- Zénati, placés sur la ligne; du chemin de W'v du Kroiihs à Guelma. Des agents y résident et (piatre autres agences sont placées à rOued-Besbès, Bordj-Sahath, Kl-llania e( Sellasna (1). Néanmoins, cette concession lui a ('lé souvent repi'o- chéc,et le sentiment public a semblé à plusieurs reprises I. Cil. de Galland. /.<>,< peli/ii Cdliien^ nlurriens colli;ii'S. — 202 — manifester le désir de voir les terres autrefois concédées à la Connpagnie Algérienne faire retour au gouvernement pour être affectées à la colonisation. « En 1876, le « gouvernement général est prié de mettre la Société « Générale Algérienne en mesure d'exécuter strictement « les engagements énumérés dans la convention de 1866. (( Le Conseil supérieur (volume de 1876, page 426) (( trouve qu'il est regrettable que les opérations de la « Société ne soient pas dirigées plus spécialement vers a les intérêts algériens et que notamment de grandes « étendues de terre soient détenues par elle, presque « sans profit pour la colonisation. Plusieurs conseils « municipaux (Oued-Fodda et Malakoff) émettent le vœu (( que les terres possédées par la Société Algérienne « fassent retour à la colonisation si elles ne sont pas (( exploitées et habitées par des cultivateurs euro- ce péens » (1). Il n'entre pas dans le cadre de cette étude d'apprécier à ce point de vue le rôle de Compagnie Algérienne ; on peut dire cependant que si la Société Algérienne, établis- sement gouvernemental, avait à l'égard de la colonisation quelques obligations à remplir, il n'en était plus de même de la Compagnie Algérienne, société anonyme libre dont le but et la fonction était de développer les opéra- tions avantageuses, et d'éviter celles qui ne lui rappor- taient pas. Ce qu'il est intéressant de constater dans l'histoire de ces deux sociétés, c'est l'extrême pauvreté delà [)opulation indigène avec laquelle elles se trouvent en contact : celle-ci ne peut cultiver que si on lui fait annuellement des avances, d'ailleurs régulièrement rem- I. F. Gastu, Le peuple algérien, Paris, Ctiallamel, 1884. — 203 — bonrsées en général. Le second point à retenir, c'est l'adaptation de ce mode de culture des céréales aux conditions économiques : on en a vu à plusieurs reprises la constatation dans les extraits de rapports cités plus haut : la culture indigène est la seule qui puisse permet- tre, sinon de réaliser des bénéfices, du moiusde ne pas subir de pertes. Enfin, quand la Compagnie veut elle- même entreprendre un mode de culture plus rémunéra- teur, une seule chose lui permet de faire ses frais, c'est l'appoint fourni par l'élève du bétail : spéculation qui ne sera permise que par un apport de capitaux. L'histoire des essais de culture de la Compagnie Algérienne est donc intéressante en ce qu'elle vient corroborer et en quelque sorte illustrer l'étude qui a été faite des conditions de la culture en Algérie et du besoin impérieux de capitaux et de crédit qu'elle exige pour s'améliorer progressivement. B. — Au point de vue des opérations hypothécaires Le rôle de la Compagnie, pour ce genre particulier d'opérations n'a pas été bien considérable, comme on peut le constater par les chiffres indiqués au tableau de la page 199. Il s'agit là en effet d'immobilisations qui ne conviennent guère au caractère d'un établissement de crédit, disposant, au début surtout, dun capital rclalivo- m opérations à court terme eut restreint, qu'il convenait île réserver pour des C. — Au point de vue du crédit agricole personnel Le rôle de la Compagnie AI-éi-itMine a été surtout iinporlant au point de vucdu ciV'dit ptM-sonntd : comme — 204 ~ la l>;inqne de l'Algério, comme le Crédit Fonciet' et Agricole, elle; a dû donner à ces opérations une impor- tance toute pnrliculière. Il est difficile d'iiiditiuer dans quelles proportions enlre le pnpitir de crédit dans le total du portefeuille : toutefois, on peut constater pour la Compagnie Algérienne la même évolution que pour h» Crédit Foncier : elle reçoit de la Société (lénérale les sièges d'Alger, Bône, Constantine, Oran et Marseille ; elle crée ensuite ceux de Blida en 1878, Sidi-Bel-Abbès en 1879, Mostaganem et Bougie en 1880, Sétif eu 1881, Soukaras en 1900 ; elle a ouvert deux bureaux à Mascara etMédéa en 1901, une agence à Philippeville en 1903. Il y a lieu d'ajouter pour mémoire les sièges de Tunis(1881_), Bizerte (1893)etSfax (1894). Enfin, on constate qu'aussitôt après l'augmentation de son capital, son portefeuille s'augmente immédiatement d'une quantité correspondante : or il est incontestable qu'il lui a été impossible de trouver dans l'espace d'une année une aussi forte proportion d'affaires commerciales supplémentaires: ce sont donc des crédits de campagne qui sont venus lui fourtiir l'appoint nécessaire, et ce d'au- tant plus facilement (pie l'époque de cette augmentation décapitai coïncidait avec celle oii la Banque de l'Algérie fermait peu à peu ses guichets aux Comptoirs d'Escompte et diminuait dans une certaine mesure les opérations d'un caractère agricole. LES SOCIETES INDIGÈNES DE PRÉVOYANCE, DE SECOURS ET DE PRÊTS MUTUELS (1) Le principe et f origine des Sociétés de préooijances (1867-1893) On s'csi atlaché à inoiiti'or plus liant le lôlo (\\\c jouait, rt (lue joue encore chez les indigènes du Maghreb, la cul- ture des céréales. L'usage était, en Algérie comme dans la plupart des pays chauds, d'emmagasiner les gi'ains dans des excavations appelées silos, (ant dans un but de conservation matérielle que dans un but de protection. C'est d'ailleurs ce que font encore les indigènes du Maroc. (( Aussitôt récollé, le gi'ain disparait dans de profonds « silos, soigneusement cachés, poui' n'en plus i-essurlir (( tpiel(pii>fois (ju'au bout de (lueUiues années » {"1). Cette précaution est dailIcMirs doublenieni utile, et contre la rapacité du Sultan, et contre les convoitises des ti'ibus voisines. 1. V. A do l'cyre, Sociclê>i iutlijii'ttcs ilr iiirroijdiicc, de sccduis ri il,' prèls muluelsdi' l'Algérie, Alger, (lirall, kjoo. •>. Aiigiisiiii l^'rnard, fji's prodiirtious, /'in/ricKltun' ri l' industrie un Muroc, llfv. giii. di's So. i()o5, ]> 8l. — 206 — D'autre part, la loi musulmane t'ait au croyant l'obliga- tion de donner aux malhenr'eux la dîme de ses biens, et c'est sous une double forme qu'il se conforme à cette prescrip- tion : d'une part en donnant directement à l'indigent, car (( il n'est pas de disciple du (^oraii, quel (jue soit son état (( de fortune, qui refuse l'assistance, l'hospitalité à celui « (jui la léclame, à la porte de la tente ou du gourbi, au « nom de Dieu ! », (t) et d'autre part, en prélevant sur son revenu une part qui sera remise aux établissements religieux ou aux chefs des grandes familles marabouti- ques,pour être ensuite distribué aux pauvres. C'est cette coutume qui amena l'usage de créer, à côté des silos des- tinés aux particuliers, d'autres silos ou Foukara, alimen- tés par des dons volontaires de la tribu, et dont le con- tenu était destiné à venir en aide aux indigents. L'autorité militaire trouva, lors de l'occupation, les silos ainsi organisés et se montra favorable au maintien de cette coutume dont l'avantage était triple : elle per- mettait d'abord aux indigènes de parer dans une certaine mesure à l'éventualité d'une disette ; elle fournissait en- suite un approvisionnement utile en cas de blocus ; elle constituait enfin, en cas de soulèvement, un moyen de con- tenir les Ai'abes et de nourrir eu même temps l'armée française. Une circulaire du gouverneur général, en date du 14 août 1849, appelait l'attention des généraux sur la nécessité de diriger les opérations d'ensilotement en fai- sant choisir pour cela « des lieux de facile accès, propres « à la conservation des grains et près de l'eau ». La cir- 1. Ch. Bourlier, député. Rapport fait au nom delà commission diargéi' d'examiner le projet de loi ai/ant pour objet la reconnaissance comme établissement d'utilité pub . des Soc. de prévojj. et de prêts mutuels des comni. mixtes de l'Aly. Doc. pari, n*' i86o. — 207 — culaire ajoutait qu'il y avait lieu de faire diminuer le nombredes lieux d'ensilotemcut, en augmentant sur cha- que point la quantité accumulée, et ne dissimulait pas, d'ailleurs, les motifs de cette sollicitude. Dans ces conditions, on conçoit que les indigènes aient montré peu d'empressement à remplir des silos qui sem- blaient vraisemblablement destinés à jouer un rôle tout autre que celui qu'ils leur eussent assigné : aussi l'im- portance des silos collectifs réservés aux pauvres dimi- nua-t-elle peu à peu. Dès 1846 pourtant, un ofOcier d'état-major, le capi- taine Lapasset, frappé de l'état misérable des popula- tions indigènes après les années de sécheresse, avait compris quel parti on pouvait tirer d'une organisation régulière de ces institutions charitables, et avait préparé un rapport exposant son plan, qui consistait à grouper les silos de charité autour des établissements militaires, et à en confier la gestion aux caïds, sous le contrôle des officiers des bureaux arabes, sous la haute surveillance delà commission consultative municipale. Le capitaine Lapasset indiquait d'une façon saisissante, au début de son projet, la situation précaire à laquelle il tlovail lemé- dier : « Chaque année, à l'époque des labours, les pau- « vresdcs tribus viennent solliciter des prêts de semence, « et le plus souvent, ^admilll^lra(ion ne peut l'aire droit « à Umus dLMiiandes. Dans ces derniers temps, la rcnom- < mée de justice et l'intluence de l'autorité française ont « bien amené les plus aisés des ciillivaleurs à [)rèl(>r « aux plus nécessiteux; mais quand il arrive des années (( calamiteuses comme celle-ci (ISW). oii pauvres oi « riches mancpienl couiplèleiiieiit de céréales, les prêts (.( du l'iche au pauvre sont presque nuls, v[ tous les deux, — 208 — (( pendant un c(^rtain temps, sont forcés d'arracher leur (( subsistance aux entrailles de la terre; ils mandent « alors des racines et un tubercule, vulgairement pied « de veau, appelé dans le pays bekouka ; ils en font une (( espèce de pain, qui certes n'en a que le nom, car les « malheureux qui s'en nourrissent pendant quelque (( tem[)S éprouvent des enflures dans le gosier, dans les « membres et des engorgements dans les parties digesti- f( ves » (1). En même temps qu'il indiquait le double rôle économique de ces silos de prévoyance, le capitaine Lapasset insistait surtout sur leur avantage au point de vue militaire, qui primait les autres à ses yeux : c'est d'ailleurs ce qui ressort du titre môme de son travail. Le capitaine Lapasset avait voulu substituera la con- tribution volontaire une taxe unique par charrue culti- vée : il la fixait à 40 kg. d'orge et à '25 kg. de blé. Mais l'attention publiciuc fut détournée de ce point, et aucune intervention administrative ne se produisit à l'égard de ces sociétés; le bon vouloir des donateurs demeura la seule règle qui leur fut imposée. Les années 1867 et 1868 furent marquées par de très sérieuses famines qui occasionnèrent chez les indigènes une terrible moi'talité, devant laquelle l'administration militaire demeurait impuissante. On se préoccupa de trouver des moyens pour en atténuer les conséquences et des silos de réserve furent créés en 1858 dans un grand nombre de ceicles, silos alimentés d'une part par les dons des particuliers et d'autre part par le produit I. Lapasset, Projet d'clablissemeid de silos de prévoyance pour les tri- bus, serrant en même temps de f/arantie de leur fidélité (Annexe n° i au rapport Bourlier), p. 09. — -209 — de cultures effectuées voloiilairetnent par les indigènes dans les territoires communaux. Ce fut le succès de ces silos (jui inspira au général Liébert, commandant la subdivision de Miliana, la pen- sée d'organiser de véritables sociétés indigènes de crédit et de secours, destinées non seulement à faire aux cultiva- teurs des avancesen nature, comme on l'avaitfait jusque là, mais encore à leur consentir dans certains cas des prêts en argent, grâce à une caisse oui serait constituée par la vente d'une partie des approvisionnements de grains. De plus, la société pourrait accessoirement, et à titre purement gratuit, venir en aide aux malheureux. Sans attendre l'autorisation, il avait fait creuserdes silos dans toutes les tribus des cercles de Teniet-el-Haàd, de Miliana et de Cherchell ; il avait d'ailleurs immédiate- ment reçu de nombreux dons en argent et en nature. Il dressa les statuts d'unesociété établie suivant les princi- pes exposés plus haut, et reçut en 1869 du gouvernement général l'autorisation de tenter l'expérience pendant une année. A l'expiration de ce délai, le gouvernement géné- ral, en raison des circonstances, ne crut pas devoir éten- dre l'inslitutiori à d'aulres circonscriptions; il permit néanmoins à la société de Miliana de fonctionner provi- soiremement d'après ses statuts primitifs. Ces premiers essais furent interrompus par les événements de 1871 ; ce ne fut ([ue (pielques années plus tard (pie rallention de l'autorité militairese porta de nouveau sur cette ipies- tion ; une société fut créée dans le cercle de Roghar. une seconde en 1875 dans le cercle de Médéa. une troisième et une (piatrième en liS7() dans l'annexe d'Algei- et le cercle d'Orléansville. Quand radministi'alion ci\il(' eût cli'- organisée dan-- le Philippur 14 — 210 — Tell, on refit de la question nne élude spéciale pour le département d'Alger, étude dont la conclusion fut la nécessité de doubler la réserve en grains d'une réserve en espèces. Le stock d(; grains présentait le double incon- vénient, et de ne pas permettre de donrier satisfaction à tous les besoins, et de ne pas pouvoir s'accroître au delà d'une certaine im[)oi'tance sans perdre de sa valeur. Il tallait donc une caisse alimentée par des cotisations en espèces et par la vente des grains. Le type adopté se caractérisait, d'après M. Bourlier, par l'organisation suivante, calquée sur celle de la société de Miliana. Il n'existait qu'une société par commune, avec son siège social au chef-lieu. Son action s'étendait sur tout le ter- ritoire communal sans le dépasser. Elle com[)renait autant de sections que la commune possédait de douars et de tribus. Elle n'était composée que de membres indigènes. La présidence du conseil d'administration appartenait de droit au chef de la commune. Le conseil se composait des adjoints indigènes ou caïds des douars et tribus. Chaque section possédait une commission locale, res- ponsable des silos de réserve de son territoire, chargée en outre d'apprécier la situation de tous les demandeurs de secours et de prêts. L'avoir de la Société était composé de réserves de grains et de numéraire. La gestion financière appartenait au receveur des con- tributions diverses, receveur municipal. Enfin le fonds social était propriété commune, indivi- sible; il ne produisait ni intérêts ni dividendes attribués aux membres de la société. Le type une fois déterminé. - 211 — on créa en 1882 deux sociélés de prévoyance dans les communes mixtes de Palestro et de Boghari. Dès celte même année le gouverneur général invitait le préfet d'Alger à prescrire la création de sociétés dans toutes les communes mixtes de son département. Par une circulaire du 29 mai 1884, le gouverneur, M. Tirman, étendait cette mesure à toutes les communes mixtes de l'Algérie, dans le but, disait-il, non seulement d'avancer aux indigènes, en temps ordinaire, des fonds qu'ils sciaient obligés d'emprunter à des usuriers, mais encore de remplacer, dans les époques calamiteuses, le système des emprunts contractés par les douars sur garantie de leurs biens communaux. Le mouvement commencé devait saccentuer rapide- ment. H y avait au 31 décembre 188G 44 sociétés avec 60.000 sociétaires et un capital de 1.700.000 francs. Au 31 décembre 1889 il y avait 68 sociétés et 159.000 socié- taires disposant d'un capital de 3.224.500 francs. Le moment sembla venu au gouverneur de « consolider son œuvre en faisant reconnaître les associations nouvelles comme établissement d'utilité publique » (1). L'effet de cette mesure était de donner aux sociétés indigènes de prévoyance la capacité limitée cjui leur était nécessaire pour la bonne gestion de leurs intérêts, réglementer leur conqjtabilité et le placement de leuis fonds. Ce fut l'objet de la loi du 14 avril 1893. I. A. do l-*eyre, oji. cit. — 212 — La loi du 14 avril 1803 Le gouvernement déposa son projet le 6 mai 1890 sur le bureau de la Chambre. M. Charles Bourlier, député d'Alger, chargé par la commission de rédiger le rapport, exposait tout d'abo'^d l'origine de ces sociétés, dans un historique auquel ont été empruntés certains des rensei- gnements qui précèdent. Après avoir montré le développe- ment de ces institutions, il faisait ressortir Tinconvé- nient qui résultait de leur organisation provisoire non reconnue par l'Etat. Les sociétés ne pouvaient en effet mettre en sécurité dans les caisses gouvernementales leurs grosses disponibilités. « Tous les fonds sans « emploi, disait M. Bourlier, sont accumulés sans profit « pour personne dans des caisses qui ne sont même pas à « l'abri d"un vol. C'est une grosse responsabilité imposée < aux trésoriers, et une immobilisation préjudiciable aux « intéressés. L'inspection des finances s'est élevée à plu- « sieurs reprises contre les inconvénients d'une sem- a blable situation ». Ayant ainsi montré les motifs qui rendaient nécessaire la loi présentée, il exposait qu'une fois adopté le prin- cipe de consolidation de l'œuvre entreprise, le choix était possible entre deux solutions : La première consistait à laisser subsister les sociétés dans leur forme actuelle et à assigner simplement à la loi lerôlededélinir légalement les sociétés existantes et de lesreconnaiti'e comme établissements d'utilité publique. La seconde consistait à transformer les sociétés en — 1>I3 - banques agricoles indigènes. Cette seconde solution avait pour point de départ une proposition de la Banque de l'Algérie dont on trouve le premier exposé dans les procès-verbaux du conseil du gouvernement (i). On élait en effet d'accord sur la nécessité de posséder, outre la réserve en grains, uneréserveen espèces. Or cette réserve n'était pas utilisée d'une façon constante, et pendant les périodes où elle restait inemployée, la société n'en tirait aucun bénéfice : la Banque demandait que lesdits fonds fussent déposés dans ses caisses, moyennant quoi elle ouvrirait à la société un crédit plusieurs fois supérieur au [nonlant de la somme déposée, à des conditions très basses. On verra d'ailleurs plus tard un autre établisse- ment financier faire au gouvernement général une propo- sition analogue pour l'emploi des fonds destinés à l'orga- nisation du crédit agricole. Le but de la proposition de la Banque de l'Algérie était de permettre aux sociétés indigènes de faire des opérations de crédit agricole sur une plus large échelle. Le gouvernement général, après avoir hésité, ne se décida pas à entrer dans cette voie. L'idée ne fut cependant pas abandonnée par tous, et fut à nouveau soumise au (^iOn- seil général d'Alger, à propos d'un v(imi relatif à la \)vo- rogation du privilège de la Bantjuo de l'Algérie (2). On faisait ressortir (jue comme le colon européen, l'Arabe agriculteur se trouvai! dans la nécessité de reconrii" au crédit ; or, les coiidilioiis spéciales dan-^ lestiuelles se trouve l'Arabe: ('Uat-civil iin|)aii"ail, indivision delà pro- pi'iélé, éloigneiiienl des eeiiti'es. lui rendent ce eretlit 1. Séance du iG di-ciMiihii' i.S8j. I-'xtrail il'iiii iMppurl de M. Mut- 1er, cité par A. de l'eyre, op cil., p. i(). •2. CA. llourlier, op. cit.. p. u). - 214 — particiiliôromont difficile ; il semblait pouvoir être réa- lisé pai' les caisses de prévoyance transformées en Comp- toirs d'escompte, prêtant à un taux modéré de 8 0/0 Fan. Ces organismes, placés en effet pins près de l'indi- gène,et le connaissant personnellement, poni'raient, sem- blait-il, rendre de précieux services. La conclusion de M. Bon ri ier était contraire à ce second système. Au point de vue économique, deux raisons sem- blaient pouvoir le justifier : d'une part ral)ondance plus grande des capitaux mis à la disposition des emprnn- teurs ; de l'autre le taux moins élevé des capitaux offerts. Mais M. Bourlier établissait d'abord qu'il était impos- sible de réduire le taux de 5 0/0 généralement adopté, et qu'ensuite les capitaux possédés par les sociétés étaient de beaucoup supérieurs aux prêts consentis ; il ajoutait qu'il était, à ce point de vue, grandement suffisant d'au- toriser les sociétés à se prêter des fonds les unes aux autres. Mais indépendamment des raisons économiques, M. Bourlier en indiquait une autre d'une importance capitale : la prohibition du prêt à intérêt parle Coran, prohibition qui permet le fonctionnement de la société tant qu'elle reste une société de bienfaisance, qui l'inter- dit dès qu'elle devient commerciale. Le rapport concluait donc au maintien du type actuel des société indigènes. Contrairement au projet du gou- vernement, qui présentait un texte de loi accordant la personnalité civile aux sociétés, texte auquel étaient annexés des statuts modèles qui en donnaient la défini- tion et le fonctionnement, le rapporteur estimait que les définitions et les prescriptions générales réglant le fonc- — 21o — tionnement devaient être contenues dans la loi elle- même. Le projet, adopté par la Chambre, fut envoyé au Sénat où le rapporteur, M. Lesueur(l), concluait également à l'adoption, et ce d'autant plns,(|uece rapport était déposé en 1893, c'est-cà-dire à l'expii-ation d'une crise qui avait sévi en 1891-92 sur la plaine du Chéliff, à la suite d'une sécheresse telle, que sur la plus grande partie de cette vallée, les semences n'étaient même |)as sorties de terre. Il y avait donc urgence à fortifier le fonclionnement des sociétés de prévoyance, et surtout à les autorisera se prê- ter, de sociétéàsociété,une partie de leurs disponibilités. Le texte proposé par le rapporteur ne différait que sur trois points de détail du texte déjà adopté par la Cham- bre des députés : 1" Dans le titre de la loi, les socié^'s devenaient sociétés indigènes de prévoyance des communes de l'Algérie et non des communes mixtes, parce qu'il y avait intérêt à créer des sociétés dans les communes de plein exercice. 2" La loi spécifiait que les secours ne pouvaient être accordés qu'aux indigènes. 3° il était stipulé qu'en cas de liquidation, le montant des versements respectifs serait restitué aux sociétaires actuels. Le projet de loi fut adopté, sauf quelques modifica- tions de détail, etdeviiil la loi du l'i avril I.S93. dont le but principal était, on la vu. (It> drfiuir d'une façon pré- cise les sociétés indigènes, et de leur donner la personna- lité. Il inqioi-te d'examiner maintenant comment ont été 1. Doc. piirJ. Srval, srssioii i8<)5, ii" 47- — 210 — réglés CCS deux points et pai* (iiielios dispositions ;i (îté assurée l'exécution dos principes posés. La définition des sociétés est donnée par l'article l'""" de la loi : « Les sociétés indigènes de prévoyance, de secours et « de prêts mutuels de l'Algérie ont pour but : « De venir en aide, par des secours temporaires, aux « indigènes ouvriers agricoles ou cultivateurs pauvres « gravement atteints parles maladies ou les accidents ; « De permettre, par des prêts annuels en nature ou « en argent, aux indigènes fellahs ou khammès de « maintenir et développer leurs cultures, d'améliorer et « d'augmenter leur outillage et leurs troupeaux. Elles « peuvent consentir, jusqu'à concurrence du dixième de <( leurs fonds disponibles, des prêts à d'autres sociétés « indigènes de prévoyance; contracter des assurances col- ce lectives contre l'incendie des récoltes, la grêle, les acci- « dents. « Il leur est interdit de s'associer entre elles ». Du texte de cet article ressortent les priiicipes sui- vants : A. — L'action de la société s'exerce uniquement en faveur d'individus appartenante l'industrie agricole. B. — Les opérations permises à la société sont : 4° Les secours gratuits à certains indigènes ; '^° Les prêts aux agricidteurs ; 3° Les prêts au sociétés similaires ; 4° L'organisation d'assurances collectives au profit des sociétaires. Mais ces diverses opérations sont permises à la société prise individuellement, et l'association avec les sociétés similaires lui est interdite. — '217 — ToiiL d'abord le caractère de la société est nettement agricole. C'est ce qui i-essorL du texte môme de la loi, et cela sur la volonté expresse du législateur : on a déjà vu plus haut qu'ayant à choisir enlre deux solutions, le gouvernement général s'était prononcé pour le maintien du caractère étroit de la société. C'est également Tavis qu'adoptait M. Rourlier dans son rapport : « Le prêt, « essentiellement agricole, que dispensent les sociétés, doit « être mis entre les mains du cultivateur afin d'assurer « l'existence de sa famille et d'accroître son bien-être «.Ce caractère agricole a été soigneusement conservé aux sociétés, puisqu'en 1895, une instruction du gouverneur général repousse, après avis du consul de gouverne- ment, une proposition faite en faveur de l'admission des industriels et des commerçants comme membres de ces sociétés (1) : cette mesure aurait eu en effet pour consé- quence de donner aux sociétés indigènes le caractère de comptoirs d'escompte ([u'on avait voulu leur éviter. Dans l'esprit du gouverneui-, les industriels et les commerçants devaient pouvoir trouver, par leur profession môme, au- près des établissements ordinaires de ci'édit, les facilités nécessaires. Parmi les opérations permises aux sociétés, les assu- rances collectives semblent avoir été peu pratiquées : c'est là une disposition prise plutôt en vue de l'avenir (|u'en vue du présent, mesure, disait M. IJoiirlier. (pii doit por- ter ses fruits et grandir aux yeux des indigènes les btMK'- fices de l'association. Ouant à la rainillt' poni' c<'s sociétés de s'enipi'iinlei' mnlncllenicnt des lonils. c'est la une mesure de pri'voyance poui' le cas où nue mauvaise I. iJc l'oyre, op. cil., p. i :>. . — 218 — recolle viendrai!, à se produire et entraînerait poni- l'une d'elles un manque de capitaux : celte disposition a été prise pour augmenter la confiance des sociétés en elles- mêmes et les engager à accroître leui's opéi-ations sans trop grossir leurs réserves : on verra plus loin eu effet que leur trop grande prudence est une des choses qui leur ont été reprochées. Si on met à part ces deux modes particuliers, et, ou le voit, un peu éventuels, de l'activité des sociétés de pré- voyance indigènes, il reste deux sortes d'opérations qui en forment en réalité le but et la raison d'être, à savoir les secours gratuits et les crédits agricoles. On a indiqué plus haut la nécessité des secours chari- tables : c'est là, aux yeux des musulmans, ce qui justifie l'existence des sociétés, leur permet de participer à Tad- miuistration de ces organismes, et donne à ces associa- tions leur caractère spécial, vaguement religieux. Indépendamment de ce caractère primordial, qui en assure le fonctionnement, le rôle charitable joué par les sociétés indigènes, tend à développer, sinon à faire naître, des sentiments de solidarité et de mutualité qui manquetjt complètement à certaines fractions de la popu- lation indigène, et notamment aux Berbères. Enfin, cette pratique a pour avantage, suivant la re- marque de M. Boui'lier, de détourner une partie des dons versés avec une affectation charitable aux zaouïas et aux chefs religieux. La distribution des secours vient évidem- ment accroître les difficultés de la gestion des sociétés, mais elle constitue un moyen d'action sur l'esprit des populations indigènes. M. iMaurice Colin a fait ressortir avec netteté dans ses Questions Algériennes, au sujet des hôpitaux indigènes, combien ces mesures d'un ordre — 219 — purement matériel influent profondément snr l'esprit de nos sujets algériens : les secours disti'ibnés par les socié- tés de prévoyance peuvent être classés dans la catégorie des mesures de nature à faire; sentir le i)liis efficacement aux indigènes l'avantage de la dominalion française. Mais ces secours ne peuvent et ne doivent être que purement temporaires : leur distribution habituelle au- rait pour effet d'encourager la tendance naturelle à l'in- dolence qu'il y a lieu au contraire de combattre : le prêt agricole estdonc l'opération la [)lus habituelle et la plus importante de celles qui sont ()ermises aux sociétés. Parmi ces prêts, le plus simple et le plus frécpient est celui qui consisteia à remettre à l'automne à l'indigène le gi-ain nécessaire à l'ensemeuceiuent des céréales. Mais on a exposé au début de cette étude les inconvé- nients de celte culture épuisante de céréales, et la néces- sité de lui substituer un mode de culture plus perfec- tionné, et comportant un assoUemeut dont la première phase est l'introduction du bétail et la perfection de l'outillage, pour lesquelles des ca[)itaux sont nécessaires: c'est là que les sociétés indigènes de pi'évoyance pour- ront intervenir (riiiic manière pai licnliêremenl intéres- sante et c'est ce cpiindiipiait M. iiouiiier dans son rap- port en disant (pie les sociétés devaient agir « non « seulement par des prêts de semences, mais aussi par « des avances en argent, suflisanles poiii- atli.-ler les « bêles et les instruments néeessaii-es à la eullure, gager « un plus grand nombre île métayers, aeheler ipielipies « animaux de ceiiie. vaches a lait. etc.. au niomeiil di's « herbages abondants ». Le rôle de la société étant ainsi Irae.'". tpiels sont les — ûilO — moyens que la loi lui (loiiiic pour le remplir? C'est ce que (létei'niine rarlicle 8 : « Les SocitUés indigènes de pr'évoyance, de secours et « de prêts mutuels approuvées jouissent de la personna- « lité civile dans les limites détern)inéesci dessous: elles (( peuvent ester en justice et obtenir l'assistance judi- « ciaire ; « Posséder des objets mobiliers; « Recevoir des dons en nature ou en argent des parti- ce culiers et des subventions de l'Etat, des départements (( et des communes et des société agricoles ou de bien- « faisance ; « Contracter des emprunts auprès d'autres sociétés « indigènes de prévoyance exclusivement ; « Placer leurs fonds libres à la Caisse des dépôts et « consignations, en compte courant disponible ; « Pour tous ces actes et pour l'exercice des droils énu- (( mérés au présent article, chaque fois qu'une inter- « vention personnelle est nécessaii'e, ces sociétés sont « représentées par leur président ». Les ressources de la société proviennent, indépendam- ment des dons ou subventions prévus par la loi, des coti- sations dont l'impoi'tance est déterminée par les statuts. Ces ressources peuvent être placées uniquement en dépôt à la Caisse des dépôts et consignations, et la société ne peut pas posséder d'immeubles : l'article 9 dispose en effet que les comnnnies sont tenues de fournir aux socié- tés de prévoyance les locaux nécessaires à leurs réunions et les emplacemctils pour l'établissement des silos-maga- sins. Connaissant les dispositions de la loi, qui lixent le but de la Société et indiquent les moyens qui lui sont donnés — 2^21 — poui' raccoinplii-, il convient d'indiquer les traits princi- paux de son organisation. Tout d'abord, (piel est son ressort ? L'organisation a été basée sur l'nnilé communale, i! ne peut être créée (art. il) qu'une société indigène de prévoyance par commune. Mais les commuties mixtes et indigènes étant très vastes et divisées en douars ou tribus, la société comprend autant de sections qu'il y a de douars ou de tribus dans la commune, chaque section ayant son avoir distinct et son conseil local. 11 en résuite qu'une société indigène de prévoyance est en réalité une sorte de syndi- cat de sociétés locales Les Djemàas de douars ou tri- bus, qui sont les conseils locaux, ont la surveillance et la responsaljilité des silos; elles en tiennent la compta- bilité. Elles doivent donner leur avis sur les enq)runteurs et fixer le montant du crédit à accorder : c'est donc dans le douar et la tribu que se manifeste la vie la plus active des sociétés indigènes de prévoyance. Quant au Conseil d'administration, il a un rôle de direction générale (1). Ce caractère local est expressément indicjué dans la loi, qui dit : Les indigènes ayant leur domicile réel dans la commune ont seuls le droit d'en t^aii'e partie. Donc carac- tère communal (!t indigène, tel est le trait essentiel de la formation de la société : il peut d'ailleurs s'agir aussi bien d'une commune de plein exercice (pie d'une com- mune mixte ou d'une commune indigène. On a discuté sur le point de savoir quel devait être le ressort des Sociétés indigènes (il). On avait proposé le ressort des sous-préfectures, et on faisait valoir en faveur de ce système l'avantage résultant du nombre îles socie- 1. Bourlier, op. cit., p. 25— iG. 2. V. de Peyrc, op cit., p. 25 cl suivantes. 222 taires, qui augmenterait la richesse, et partant les moyens d'acliou de riuslitiiLion. En re^ai'd de ces avantages, il y avail la dislance attei- gnant [)ai'r()is, 100, '200, 300 kilomètres, que devraient t'rancliir les intéressés pour aller au siège de la société. Cette circonstance était de nature à restreindi'e les avan- tages de la caisse aux seuls adhérents placés dans ses environs immédiats. De pins, le système communal avait l'avantage de constituer un conseil placé très près des em[)run leurs, et pouvant indiquer, en connaissance de cause, les crédits à accorder ou les charités à faii-e. C'est là une application de ce pi'incipe de la localité du crédit qui forme la base de l'organisation adoptée maintenant pour le crédit mutuel, tant en France qu'en Algérie. Aussi le système communal fut-il adopté. Le mode d'administration est fixé par la loi. Chaque société est administrée par un conseil formé de membres indigènes en nombre égal à celui des sections, sans que ce nondjre puisse en aucun cas être inférieur à 6; le pré- sident du conseil, qui est généralement Fadministra- teurou le maire, est nommé et révocable par le préfet. La société est représentée dans chaque section par une Djemâa. Les fonctions de trésorier appartiennent de droit au receveur municipal; toutes les fonctions admi- nistratives sont gratuites, sauf celles de trésorier et de secrétaire du conseil d'administration on de djemâa. Pour le surplus, le fonctionnement de la société est réglé parles statuts, qui doivent contenir toutes les énoncia- tions indiquées par Farlicle 4. Il reste enfin à examiner quels sont les moyens de contrôle et de surveillance dont dispose le Gouvernement; ils sont assez nombreux: — -2^23 — 1° Nécessité de l'approbaLion par le gouverneur des statuts ou modifications aux statuts (ai't. o. 6. T.). 2° Droit de uoniiuatiou et de révocation du président par le préfet (art. 3.). 3° Obligation pour les sociétés de se soumettre aux ins- pections des agents des finances (art. 10.). 4^* Obligation |)our les présidents des sociétés de remettre annuellement au gouverneur général un compte- rendu de Icui- situation financière et morale (art. il.). 5'' Surveillance exercée sui- les sociétés par une com- mission de surveillance composée du préfet, président, de l'inspecteur des finances, et du directeur des contribu- tions diverses (art. 10.). On voit que la société est ensei'i-ée dans un réseau des dis[)ositions de contrôle (|ui [)ermet au gouvei'uemeul une surveillance très étroite. On a voulu en effet pouvoir veil- ler attentivement à ce cpie rinstitution nouvelle ne fût pas détournée i\u but en vue duquel elle avait été con- çue. Comme contre-partie de ces obligations, la loi ac- corde à la société un avantage: les certificats, actes de notoriété et anti-es pièces, relatives à l'exécution de cette loi, sont délivrés gratuitement et exempts de droits de timbre et d'enregistrement (art. 12). Enliii la dissolution de la société peut avoii" lieu sui- vant deux modes: 1° Dissolution volontaire piononcée par nue assemblée générale, convo(piée à cet effet sur la ilcmandc du tiers des sociétaires, et à la majorité absolue dc.s nu'mbresde la société (art. 13.). 2° Dissolution Ibivée, en cas d'inexéculiou des prescrip- tionsde la loi ou des statuts, piononcée sur la proposition — ^224 — du préfet ou du ^étiôral, par ai'rèlé du gouveruuui' f;éu6- ral pris en conseil du ^ouvernemenl, (art. 14.). Dans l'un et l'autre cas, l'acUl' social, a|)rès payement des engagements contractés par la société, doit servir en premier lieu à restituer aux sociétaires actuels, soit inté- gralement, soit au marc le tVanc, le montant de leurs versements respectifs, calculé sans intérêts. Le surplus, s'il en existe un, est aftecté à Texécution, dans chaque section indigène, de travaux utiles, spécialement à l'a- griculture. Dans le cas de dissolution ou de démembre- ment d'une commune, les sociétaires font de plein droit partie de la société de leur nouvelle commune, à laquelle ils apportent leur avoir et leurs deltes. Si cette société n'existe pas ou ne se crée pas dans le délai de trois mois, la liquidation est effectuée suivant les règles indiquées. Telles sont, dans leur ensemble, les dispositions régle- mentant les sociétés indigènes de prévoyance. 11 est inté- ressant de remarquer les analogies assez nombreuses qu'elles présentent avec les sociétés locales de crédit mu- tuel. Parmi ces analogies, il en est uiie qu'il importe de mettre dès maintenant en lumière, c'est qu'elles ne recherchent pas le lucre et parconséquent nedistribuent pas de dividende. Fonctionnement et développement des sociétés indigènes de prévoyance. 11 y a lieu d'examiner maintenant comment fonctionne cette organisation et de rechercher si les règles posées par la loi sont toujours exactement observées. Il existe à — 2^0 — cet égard d'intéressants documents : ce sont les rapports établis par la Commission départementale de contrôle instituée par l'art. 10 de la loi et dont les points les plus intéressants sont reproduits chaque année àlasuite d'un rapport d'ensemble établi par les soins du secré- taire général du gouvernement (1). La lecture de ces rapports permet un certain nombre d'observations d'ordre général. M. Berseville, dans le rapport sur l'exercice 1896-1897 pose tout d'abord en principe que les variations favora- bles ou défavorables qui se produisent dans les résultats des sociétés tiennent : 1" aux modifications qui se produisent dans la situa- tion économique des populations indigènes ; 2° au plus ou moins grand soin des administrateurs dans la surveillance des intérêts des sociétés. Mais indépendamment de ces faits d'oi'dre général, quelques points particuliers méritent d'attirer et de retenir l'attention. Di'penscs injustlfi,ées de traitements ou gratifications. — On a pu voir que l'une des préoccupations du législateur avait été de diminuer autant que possible les dépenses de fonctionnement des sociétés, et (pie le nond)re des emplois rétribués avait été fixé limilativement. Or, on constate mu; tcndanceà enfreindre ou à tourner la loi à ce point de vue : le rapport sur l'exercice 1890-97 l'ait men- tion d'allocations accordées an Khodja de la commun»' I. Rapports sur les sociiiés in(li|>ai la 9,'2Q mixte, qui devient un second secrétaire du conseil, et par- fois même à d'autres personnes. Ce reproche d'abus de traitements et de gratifications, d'accroissement trop grand des dépenses d'administration, revient pour les trois départements. La commission exerce à ce point de vue une influence heureuse en rejetant sévèrement toute allocation qui Uii semble abusive. Ainsi voit-on en 1897-98 des frais de gestion descendre de 1,98 à 1,65 0/0 Il y a là évidemment une tendance fâcheuse contre laquelle il y a lieu de réagir, Texiguité des frais de fonc- tionnement étant l'une des conditions d'existence de ces petites sociétés. M. Jost van VoUenhoven (1) signale à ce sujet Texagé- ration de la rétribution accordée au receveur des con- tributions diverses, qui remplit les fonctions de trésorier de la Société. Ce fonctionnaire n'a qu'une responsabilité et un travail très limités, puisqu'il n'a pas à s'occuper des opérations en nature et n'a pour les opérations en argent qu'un travail d'écritures très simple à effectuer. Néanmoins il perçoit sur l'ensemble de toutes les opéra- tions une remise proportionnelle, qui vient grever la société d'une façon excessive. M. van VoUenhoven cite des cas où le receveur touchait plus de 2.000 fr. par an, alors que l'administrateur, qui avait eu les ennuis et les responsabilités d'opérations en nature, ne touchait rien. 11 y a là évidemment une réforme à faire. DifficuUé des remboursements. — Un autre point que signalent souvent les rapports des commissions, c'est la difticulté des remboursements, surtout les années où la 1. Essaisur le fellak alyérien, Paris, Rousseau, igoS. p. 295-297. — 227 — récolte n'a pas été favorable, tandis que les cotisations semblent toujours assez régulièrement payées. Quand les remboursements ne peuvent être effectués, une proro- gation est accordée, mais le remboursement est égale- ment difficile l'année suivante : c'est ce que constate une observation faite par la commission du déparlement d'Oran pour l'exercice 1899-1900 : « La rentrée des prêts (( remontant aux précédents exercices et pour lesquels « des sursis avaient été accordés en raison de la pénurie u des récoltes, est très laborieuse. Ce fait démontre la « nécessité de tenir la main à ce que les sociétaires « acquittent leurs dettes à l'époque fixée par leur enga- € gement, sauf les cas de force majeure qui doivent être « minutieusement examinés ». Cette appréciation vient confirmer celle de M. Peyre (1). Ces prêts ne doivent être consentis qu'à courte échéance. «Rien neseraitpluscon- « traire n l'intérêt des sociétés (jue dadmeltre des em- « pi'unts à long terme; les indigènes perdent facilement « de vue leurs engagements ; incapables de se rendre « compte d'un calcul d'amortissement, ils prendraient « |)our un nouvel im[)ôt ou pour de véritables exactions, « les demandes qui leur seraient faites du montant des « annuités successives de leur emprunt. Ils savent d'ail- « leurs que la récolte, si elle est bonne, tloit servir à « payer les avances grâce auxquelles ils ont pu la [)ré- « parer ». Construction de silo:<. — Les silos dans les(jU(>ls sont conservés les grains ont élé parfois ('lablis dans des Icv- raiiis |)erméal)les, ce qui avait pour (.■onséciuemc (l(> per- mettre la détérioration des grains (pii y étaient conlenns. i. Op. cit., p. 25. — 228 — Aussi voit-on certaines des sociétés poursuivre la cons- ti'uction (Je silos en maçonnerie car « il importe au plus « haut point que les sociétés ne soient pas obligées, pour « éviter des déchels considérables, de vcndi-e à une épo- u que inopportune ou de consentir des pi-èts lorscjue le (( besoin ne s'en t'ait pas absolument senlii' En prin- ce cipe, on doit s'en tenir au silo arabe, mais dans les (' régionsoi^i le tuf fait défaut, il est impossible decontier « les grains à la terre trop perméable » (1). Il est évident en effet, que la bonne conservation des grains exige des précautions, et que la détérioration des stocks emmagasinés viimdrait fournir un argument de plus aux adversaires des silos : la question de leur main- tien ou de leur suppression a suscité en effet de nom- breuses discussions, et il importe de l'examiner. Diminution des réserves en nature. — Le point sur lequel reviennent constamment les rapports, c'est la diminution des réserves en nature : les sociétaires s'engagent, on le sait, à verser une cotisation annuelle, en nature ou en argent, à leur choix. Le silo ne répond pas en effet à tous les besoins : il ne permettrait pas à la société de consentir les prêts nécessaires à l'achat du bétail ou des instruments; c'est cette circonstance qui a fait admettre le principe du versement fait facultativement en argent. Or, la plupart des indigènes préfèrent verser en espèces. C'est ce qu'indiquent les rapports. M.Cambon leconstatedans une circulairedu 7 mai 1891, en faisant remarquer que cette transformation des socié- tés en Comptoirs constitue une violation du principe même de l'institution. En 1899-1900, le rapport indique I. Rapport sur V exercice 1896-97. - 229 — que dans le département de Constantine, sur 61 sociétés, 7 ont perçu des cotisations en nature et en espèces, 22 en nature et 27 uniquement en espèces. <(. A la clôture de « l'exercice, ajoute le rapport, 24 sociétés ne possédaient « pas de grains; dans un seul arrondissement, sur 8 socié- « lés, 6 ne disposaient que de capitaux ». Le rapport 1900-1901 signale pour le département d'Oran le main- tien de la tendance, sinon à réduire les opérations en nature, du moins à ne pas les augmenter. Cette diminution du stock des grains est-elle regret- table ou est-elle sans inconvénients ? Telle est la ques- tion qui met en présence deux opinions opposées. La piemièi'e est contraire à la conservation des silos. Cette institution avait, dit-on, un intérêt à l'époque où les moyens de transpoit de l'Algérie, encore peu développés, ne permettaient pas le ravilaillementrapide de l'intérieur. Actuellement, les conditions n'étant plus les mêmes, il est inutile de conserver un stock de grains qui se dété- riore, soit parla fermentation, soit par l'action des insec- tes, soit par l'humidité provenant cKane construction imparfaite des silos. Déplus, ajoute-t-on, le grain e(nmngasiiié à une épo- que où les cours sont hauts peut subir une dépréciation si les cours viennent à baisser. La conclusion, c'est (jue tout l'actif des sociétés doit être réalisé et conveili en espèces. Malgré les raisons exposées, l'opinion i;i'néraleii)ent adoptée est (pie le main lien des silos est préférable poul- ies raisons suivantes : D'abord, la détérioration des grains p(Mit être •>vitée, dans une certaine mesure, par raim-lioration des silos : - 230 — c'est là, on l'a vu, une des préoccupations des sociétés indigènes. Ensuite, il convient tle remarquer qu'étant donnée l'im- portance que prennent les céréales dans la nourriture de l'indigène, il importe absolument d'en avoir une réserve pour le cas oi^i des famines analogues à celles de 1867 ou de 1892 viendraient à se produire. Dans ce cas, en effet, il se produirait brusquement dans Tintérieur du pays un besoin de blé qui en ferait monter le cours, et les socié- tés devraient le payera des prix excessifs ; M. de Peyre cite à ce propos un extrait particulièrement intéressant de la séance du 16 décembre 1887 du Conseil de gouver- nement : « MM. les conseillers Gagé et Rinn savent que la « spéculation avait, en 1867, exagéré le prix des céréales, « et que bon nombre d'indigènes sont morts pour n'avoir (( pas voulu passer parles exigences du commerce. » Ces exigences du commerce se reproduiraient évidemment dans des cas analogues, et ce, d'autant plus qu'il s'agi- rait de contrées plus difficilement accessibles. 11 fautdonc considérer, moins la perte que pourrait entraîner pour les sociétaires la dépréciation de leur actif, que l'avantage qui pourrait, dans un moment de crise, résulter pour eux de leurs provisions de blé. Une autre raison très puissante, mise en relief par M. Bourlier, milite en faveur du maintien des silos, c'est la mentalité spéciale des indigènes. « La suppression du « silo de réserve a pour conséquence immédiate d'intéres- « ser moins directement les indigènes à l'existence et au « développement de la société de prévoyance. L'indi- ce gène qui verse sa cotisation en argent ne la considère « bientôt plus que comme une sorte d'impôt. Il est, en « outre, disposé à croire que l'argent qu'il verse sert à — 231 - « tout autre chose qu'au prêt ou au secours. Le silo, au « contraire, a l'avantage pour des populations peu éclai- « rées, d'être tangible. Il est placé sous les yeux de tous. « 11 ne peut être ouvert, rempli ou vidé, sans que la masse « des intéressés en soit informée. Aujourd'hui quil est « facile de construire des silos absolument étanches, les « sociétés ont, pour longtemps encore, un réel intérêt à « avoir des silos partout où ils sont dans les mœurs lo- « cales. » Ces raisons ont déterminé les pouvoirs publics à main- tenir très énergiquement le caractère des sociétés. On a vu plus haut que le gouvernement général avait repoussé la proposition de la Banque de l'Algérie, qui aurait eu pour etïet de transformer les sociétés de prévoyance en véritables banques: il vaut mieux d'ailleurs « ne rien « brusquer vis-à-vis des indigènes » et « se contenter « d'améliorer leurs inslilnlions en en conservant l'esprit, « que de leuritnposer les nôtres dont ils sont trop [)()rtés « à se défier» (1). En dehors de ces considéralionspsycho- logiques, il semble d'ailleurs que pour les banques agri- coles, une rigoureuse spécialisation soit une condition de succès, et il est intéressant, à cet égard, de comparer les sociétés indigènes de prévoyance à l'institution portugaise des greniers communaux (2). Le premiergrenier communal {celleiro commum) remonte 1. De Peyre, op. cit., p. 16. •2. Cf. Le Pothuial anpoint de VKr Hfiricole, ouvrage iiiihli.- à l'occa- sion de ri'.x])osilion de i()()o sous la dircition de (-iiiriimalo du Costa et de Luiz di Castro, Lisbonne, imprimerie nationale, Tv partie. v.hup.W, Le ctrililnfiricoli! et le iiKnicemrut nssorialif rurar Luiz de Castro, p. Sai <•( suivantes. V. e;;alerneiil l-'.dniond l*liilip[)ar. Le crédit ai/ricole \ Ir I'di-I II iiii/. liii/l. Si/iuhntt rnilnil des Aiir. de Fr.. 1901, p. i5i. — -232 - à 1576. Gesélablissemcnts fournissaient aux cultivateurs, en nature, le grain dont ils avaient besoin pour ense" nfiencer leurs terres. Après la récolte, le cultivateur ren- dait ce qu'il avait reçu, en y ajoutant une quantité fixée, représentant les intérêts. M. Luiz de Castro décrit le fonctionnement de ces institutions et expose l'origine de leurs ressources : cotisation imposée, dons des particu- liers, accroissant peu à peu l'actif commun. On voit l'ana- logie avec les sociétés indigènes. Mais vers 1852, le gou- vernement prenant en main l'administration des greniers communaux, voulut transformer les grains en espèces, pour faire de véritables caisses rurales : les greniers prê- tèrent alors indistinctement à toute sorte de personnes, des abus se produisirent, et le déclin commença. En 1862, les conseils administratifs furent abolis, la gérance passa aux mains des autorités locales, et les questions politi- ques vinrent ruiner complètement les greniers commu- naux, de (elle façon qu'il semble impossible actuellement de revivifier l'institution. Cet exemple doit servir d'indication pour le maintien des sociétés indigènes dans la voie où elles sont engagées. G'estd'ailleursdans ce sens que se sont prononcés le Par- lement et le gouvernement général. L'événement semble jusqu'ici leur avoir donné raison, et les sociétés indigènes constituent « un exemple excellent de ce que peut, pour « le bien des indigènes, une amélioration de leurs pro- « près institutions, vivifiéeset transformées sans violence « dans le sens de nos idées » (1). Leurs opérations ont d'ailleurs été sans cesse en se développant, comme l'indique le tableau ci-après : 1, Burdeau, op. cit. — 233 — Exercices Nombre de sociétaires Actif 18936 243.199 5.803.971 1896 7 250.244 0.278.933 1897-8 272.626 7.000.821 1898-9 327.346 7.911.106 1899-1900 338.339 8.777.864 |4 Rôle des Socièli's indigènes de préooyance 11 convient maintenant d'examiner quels sont les résul- tats obtenus par les Sociétés de prévoyance, dont on a examiné l'organisation et le fonctionnement. 1" Au point de vue des secours accordés aux indigènes. — Indépendamment des prêts agricoles consentis, et dont l'utilité n'est pas contestable, les caisses accordent des secours gratuits. C'est là, évidemment, un mode particu- lièrement intéressant de leur activité, mais, on Ta in- diqué plus haut, il y a un écueil à éviter : si ces dons devenaient trop fréquents, les indigènes se dispense- raient de li'availler pour venii' au contraire puiser dans la réserve de la Société. La distribution de ces au- mônes doit donc èti'e très minulieuseiueiit sui'voillt'. Tout d'abord, en général, on se conlenle d'accorder un prêt régulier, (juille à t'aii-e ensuite remise d'une portion de la dette ou d(î la cotisation : de celle façon, la charité accordée garde le caractèie d'une mesure un peu exceptionnelle. On constate de fréipienls exemples de ce mode d'action dans les rappoi'ls annuels : ainsi dans le rapport c|e l'exercice 1896-97, département d'Oran : — 234 — « Les Conseils d'Adminislialion des sociétés de Sebdon, « Frenda, Saïda et Mascara uuL dispensé tous leurs meni- « bres de payer les cotisations prévues j)our 1897. » 11 s'agissait en effet d'une année agricole défavorable. Aussi les avantages des Sociétés étaient-ils rendus plus évidents aux yeux des fellahs et on avait pu, malgré les diflicultés, recruter (pielques adhérents nouveaux : on les avait dis- pensés, pour cette [)remière année, de la cotisation, car (( sans tenir compte des avantages ultérieurs, ils n'au- « raient vu pour le moment que les inconvénients qui « résultaient pour eux de leur adhésion à la nouvelle (c Société. » De même, dans le département de Constan- tine, certaines Sociétés n'avaient fait payer aucune coti- sation : la commission estiuiait qu'il eût mieux valu limi- ter l'exemption aux seuls indigents. f]ne circulaire de M.Cambon en date du 7 mai 1897, appelait l'attention des préfets sur la nécessité de ne pas accorder de secours non remboursables. 11 était préféiable de faire des prêts à long terme et d'accorder ensuite des dégrèvements. On voit quel est l'esprit dans lequel la Société accomplit son rôle : elle cherche à exercer sur l'indigène une action morale, à lui donner Thabitude de la prévoyance et le respect de ses engagements. La Société doit-elle maintenant accorder des prêts à des non-sociétaires? Il est évident qu'il y a un intérêt général à ce qu'il en soit parfois ainsi, mais d'un autre côté, ces libéralités auront pour effet de diminuer aux yeux des fellahs l'uti- lité de faire partie de la Société. Aussi, dit M. de Peyre, « il iinporte que les non-sociétaires ne bénéficient de ces « libéralités que dans des circonstances exceptionnelles. « Les secours non remboursables doivent être limités - 235 — « aux cas de misère constatée individiiellemenl pour « chaque indigène secouru. » Les commissions ont d'ailleurs protesté contre ces secours accordés aux non- sociétaires (1). Cette distribution des secours aux sociétaires ou même aux non sociétaires appelle l'attention sur un [)oint d'une importance particulière : comment sont accordés ces secours et {juelles sont les bases que possède la Société pour apprécier la situation du solliciteur? C'est ce que M. Pouyanne a étudié tout particulièrement, et c'est là que résiderait, suivant lui, un vice qui fausse l'insti- tution (2). Les emprunteurs étant généralement inconnus dos fonctionnaires français qui gèrent la caisse, ceux-ci s'adressent, pour obtenir des renseignements, aux Kaïds ou aux Cheikhs. Or l'exactitude de ces renseignements serait, en raison de la valeur morale de ceux (pii les donnent, extrêmement contestable. M. Pouyanne cite à ce sujet des rapports adressés au parquet d'Alger : « Selon que le sociétaire est l'ami ou l'ennemi du « Kaïd, sa demande est transmise avec avis favorable ou « défavorable. Il arrive ainsi (jue des sociétaires l'éelle- « ment nécessiteux ne sont pas, ou sont insutTisaunneut < secourus, alors que d'autres obtiennent di's avances a importantes dont ils n'ont nullement l)es()in. cl ipii « leur servent à faire le commerce ou Viisitic ! Les iudi- a gènes prétendent même cpie la plupart des Kaïds a subordonnent leur avis au paiement d'une gi-alilioation « plus ou moins importante, suivani le cinili'e îles « avances sollicitées. » 1. liapiiorlsurrexrrricc i8()(> i8j)7, lit-parlrtiitMit de t"<»iislaii Lu proiirii'-lr foncirri' en .Mijcne, p. ijjj t-l «)5r>. — 236 — Plusiours autres témoignages dans le morne sens sont cités. Le seul remède à celte situation résidecait évidemment « dans le choix meilleur des Kaïds et des Clieikhs, dans « un contrôle des renseignements fournis par eux, dans « une surveillance quotidienne de ces agents, et dans 9 une sévérité implacable à leur égard lorscju'ils sont « pris en flagiant délit. » Enfin et surtout, il faudrait tâcher d'obtenir les renseignements d'Européens, fonc- tionnaires ou colons, connaissant eux-mêmes les indi- gènes; il y aurait même lieu d'aller examiner sur place l'opportunité du prêt ou du secours sollicité. M. Pouyanne détaille ailleurs (l) le montant des sommes qu'un indigène doit verser aux divers intermé- diaires par qui passera sa demande de prêts. Le lotal atteint 21 0/0 de la somme empruntée. M. Jost van Yol- lenhoven (2) insiste aussi sur le « trop grand [lombre de burnous » par lesquels doit passer une demande de prêt, et expose le système employé par certains administra- teurs pour éviter ces abus. Deux fois par an, une liste des demandes lui est soumise ; il statue lui-même et surveille en personne la réalisation des opérations en nature. Il est évident que ce système n'est bon ({u'à condition que Fadministrateur soit parfaitement impartial et con- naisse personnellement tous les postulants. Ce n'est que dans ce cas qu'il justifie l'appréciation de M. van Yollen- hoven qui voudrait voir généraliser ce procédé. 1. Pouyanne, La question agraire en Algérie, Ouest, dipl. et col., 1901, p. 653. 2. E^'^siii sur le fellah algérien, p. a^j-agS. — ^237 — 2" Au point ik vue de la diminution de l'usure. — L'un des effets qu'on avait espéi'é obtenir du fonctionnement des Sociétés de prévoyance est la diminution de l'usure. Encore t'aut-il bien s'entendre, comme le t'ait remarcjner M. de Peyre, sur le but à atteindre « et ne pas s'imaginer, (( comme l'ont fait quelques hommes à illusions, que c( les Sociétés de prévoyance poursuivront l'extinction (( des dettes usuraires déjà existantes : ce serait offrir (.( une prime à la prodigalité des uns et à la rapacité « des autres, par conséciuent méconnaître l'esprit de (( l'institution. » Le seul résultat qu'on [)uisse espérer atteindre, c'est d'empêcher jusciu'à un certain [)oint les indigènes de s'adresser aux nsurieis. Les rapports annuels constatent les l'ésultals obtenus dans ce sens, qui sont lents. « On « est obligé de constater que les emprunts contractés à « des taux usui'aires sont toujours nombreux. Dans cer- « taines localités, le taux employé atteint même un « chiffre exorbitant. A Oum-el-Bouaghi notamment, « l'on a emprunté à 200 0/0 : à Souk-Ahras à oO et 100 0/0 ))(!). I^e l'apport de l'année suivante, pour le môme départcMuent, dit que l'action îles sociétés, au point de vue de l'usure, est variable, et porte taiil(M sur le noinbre des prêts, lantcM, sur leur taux : car si la société ne peut (MnpècluM' l'indigène do. sadresseï" pailois à l'usuriei", elle a du moins pour effet de lorcer ce derniir à baisserses conditions poui' soutenir la concnrreuce. Le lUipport mr l'exercice IHII(!-I!)0I (DéparlenuMil ibOran) constate une petite diminulion des [)rèts usuraires, mais les indigènes y recourent toujours. I. H'ipparl sur l'cxcrcici' iS»)--()S, (Icparlciii'iil ili> (loiislaiiliiu'. — 238 — Quelle est la cause de la lenteur de cette action ? Pai'ini les l'aisoiis données (i^iii-e la faiblesse de l'actif des sociétés. M. Boui'lier établissait cependant (1) avec chiffres à l'appui (jue les sociétés sont loin d'employer à des opérations de pi'èls tous leurs capitaux disponibles. « Nous constatons cpie dans tous les cas les sommes res- « tées en caisse sans emploi ont été supérieures aux 2/3 « du capital, et qu'en 1890, cette proportion a atteint les « 4/7 de l'actif! ». Il y avait donc de la part des sociétés une certaine timidité qui les empêchait d'accroître suffi- samment le notnbre de leurs opérations. Les circonstan- ces semblent s'être modifiées à ce point de vue, car M. van Vollenhoven (2) fait ressortir au contraire leur audace, et montre, en citant des exemples, que leur capital est presque intégralement employé en prêts. Si leur action n'est pas plus efficace, cela tient donc à leur nombre tro[) restreint d'une part (137 caisses pour 351 communes) à leur actif trop faible, d'autre part. C'est l'opinion de M. de Peyre :« malheureusement l'actif des « associations n'est pas encore assez important pour « permettre de consentir à leurs adhérents tous les prêts « qu'ils sollicitent, et pour le surplus desquels ilss'adres- « sent, comme par le passé, aux prêteurs à gros inté- « rêt » (3). C'est aussi l'avis des commissions de surveillance, (jui à diverses reprises ont indiqué la nécessité d'accroître les ressources des sociétés : mais comment cette mesure peut-elle être réalisée? On a mis en avant le système d'une subvention accordée par l'Etat, qui viendrait augmenter assez l'actif pour permettre la 1. Op. cit., p. 285 et 286 2. Op. cit., p. 22. 3. Op. cit., p. 23. — 239 — lutte contre l'usure. La commission s'est élevée avec justesse contre ce système (I) : « Il ne faut pas perdre « de vue que le remède le plus efficace au mal qui ruine « lesindigènesest,non le prêt libéralementconsenti, mais « Thabitude de la prévoyance ; or cette habitude leur « sera surtout acquise parle versement de leurs cotisa- « tions et le remboursement de leurs em[)i'iints à un « fonds qui est leur bien [)ropre et ([u'ils adminislrent « librement. » Une augmentation trof) forte et trop rapide de l'actif des sociétés ne serait pas, d'ailleurs, sans inconvénients : « On commettrait une faute irrépa- a rable en poussant dans la voie de l'emprunt des culti- « vateurs pauvres... habitués jusqu'ici à vivre au jour le « jour, sans idées d'avenii- » ["2). Il est donc pi'éférable de limiter l'actif de la société aux seulescotisatiims versées par les indigènes. De cette façon « lorscju'ils contractent « une dette envers leur société, c'est leur capital écono- « misé qu'ils empruntent » (3). L'accroissement de l'actif ne doit donc être cherché que dans la progression résultant du développement écono- mique du pays, et on ne pourra obtenir cet accroissement que par une réglementation meilleure du chiftVe des cotisations à verser par les sociétaires. D'aboi-d, ces cotisations sont fixées aniiMellement au moment de l'en- semencement, tandis qu'elles devraient l'être an nmnient de la moisson, c'est-à-dire quand le l'ésultat de l'année agricole est connu : on pourrait aussi, dans les bonnes années, augmentei' un peu la somme à verser. Ensuite, la cotisation est identitjue pour le riche et 1. liapporl sur l'exercice 181)7-98. 2. De Feyre, op. cit., p. 19. 3. id., ibid. — 240 — pour \v pauvre, qui crnprunlera bien moins que le pre- mier. Suivant M. van VOIIenlioven, il faudrait que la cotisation comprît deux élémenls : l'un fixe et très faible, imposant toute chariuK^ labourée ; le second, faible, mais progressif, et proportionnel à l'importance du prêt consenti. 3" Au point de vue de l'amélioration de l'outillage. -- On a vu que le perfectionnement de l'outillage du cultivateur indigène était la première phase vers un mode d'exploi- tation plus rémunérateur : c'est un des points sur lesquels s'est porté l'attention des sociétés, qui ont eu à ce point de vue un effet à la fois moral et matériel : « La déléga- « tion financière des indigènes, avait, dans sa session « de 1899, émis le vœu que les sociétés de prévoyance « fussent autorisées à prêter des charrues auxagriculleurs « pauvres. Les sociétés, qui doivent favoriser l'amélio- « l'ation de l'outillage agricole, n'ont pas négligé cette « partie de leur mission. Elles ont, dans l'arrondissement « de Mascara, facilité par leurs prêts l'acquisition de « 492 charrues françaises aiiisi que les attelages néces- « saires pour leur fraction » (I). Les rapports de l'année suivante constatent la continuation du mouvement, en ajoutant que la question de traction est la cause princi- palequi empêche Futilisation des charrues perfectionnées. Aussi les sociétés ont-elle fait des études sur « la possibi- « lité de mettre à la disposition des sociétaires des <( bœufs tie labour, tout comme on leur facilite actuelle- (( ment l'acquisition des charrues ». On voit comment Topération de crédit peut entraîner l'influence morale et déterminer révolution vers une exploitation plus rému- I. Rapporl sur l'e.vercicr 1899-1 900, déparlement d'Oran. — ^41 — nératrice ; c'est dans ce sens que les sociétés ont également fait ti(;s efforts en vue de Tintroiluction de semences sélectionnées : mais cette question est intime- ment liée à celle des silos. Il n'est pas contestable qu'il y ait au point de vue agri- cole, un sérieux i-ésullat, (|ue M. Maufice Colin exposait dtuisun article lécenl (I) : au début delà canqjagne 1900- 1901, l'administraleur de la commune mixte de Mascai'a, ayant l'éuni les indigènes, leur exposait l'avantage du labour [)erfeclionné et ajoutait (jue la Société de pré- voyance consentirait des pièts en argent aux cultivateurs indigènes désireux d'en faii-e l'expérience. 359 crédits de cette [lature furent ouverts à rautomne, et trois quin- taux d'orge [)ai" chai'rue fuient avancés sur les réserves en nature : rem()loi de ces charrues permit d'augmenter de 5.000 hectares la superlicie des terres cultivées dans les communes. D'auli'e pai't le rendement des récoltes donna par hectai'e une plus-value d<> ()0 kg. [)Our le blé et de 130 kg. pour l'orge. Au début de la campagne suivante (1901-1902) la Société reçut 875 (lem;uKl(>s nouvelles. Le rendement par hectare accusa iiu(> plus- value de 150 kg. de blé et de 3 (piiiil;inx d'()rg(\ ^oit vu moyenne un béiiélice de plus de 30 Ir sni- le pioduil des années préctîdentes. 11 y a là la preuve tangible d une action ('conomicpie. sans parler de l'aclKin morale. Si l'on chei'che à dégagtM' les coiisé(pienci's des indica- tions (jui viennent d'èliu» données sur \o i-ôle des si.cieli's indigènes, il sen)ble cpie l'on puisse ;ult)plei' les conclu- sions suivantes : I. Maurice Colin, Ij'ivurre dr ht Frniirr en Aliirrlr, .lournal di Débats, 6 mars \c)o7). Ptiilippar 16 — 242 — 1° Nécessité de conserver ;uix sociétés indigènes leur car'jictère particulier et exclusivement agricole, avec tnaintien des réserves en nature, de façon à leur assurer la syin[)athie de l'indigène, et l'action indispensable en cas de famine ; 2° Nécessité d'augmenter progressivement leur actif, mais par les seuls prélèvements effectués sur les l'écoltes pendant les années fructueuses, de façon à étendre l'action des sociétés, et accroître ainsi l'efficacité de la lutte contre l'usure, tout au nn.ins par la concurrence du taux ; 3° Nécessité d'obtenir chez les administratiuiis des sociétés une connaissance de plus en plus approfondie des sociétaires, de façon à permettre une distribution de plus en plus impartiale et justifiée, tant des secours que des crédits. VI LES SOCIETES DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL Discussions sur remploi de la redevance imposée à la Banque de l'Algérie. On a vu plus liaut(l) l'exposé des lougui'set laborieuses nëgocialions qui se poursuivirent enti-e le Ministère des finances et la Banque de rAlgérie avant le reuotivelle- nient du privilège de ce dt'i-nier établissement. Ce renouvelleinent n'élait accoi'dée cju'à une conililion : la Banque renoncerait aux. O[)érations de crédit agricoU' et régulariserait celles de cesopératious alors en cours. On a vu comment la Ban(|ue s'était conlbruiée à ce programme et avec quels ménagements elle avait dû se dégager des liens qui l'unissaient aux Comptoirs d'escomple. Il ne l'esté pas moins constant (jue la Bantjiit' (K'\iiil. ;i partir de 11)00, clianoer de caractère, el cessani m>i) inlc de commanditaire tie ragriculliire, deNciiii' plus spécia- lement bampie commerciale diMnissioii. I!ii iiii'mc temps (pi'ils lui imposaient une modilicat ion dans son orienla- tit)n, les pouvoirs publics de\ai(Mit m'ce.ssaiiemeiil elier- 1. V. Deuxiciiic i)arlio, Cli. I, ^ (5. pp. locj-i 1 1. — 244 — cher une solution à la qiicslioti dn crédit ngricole. On a vn (jne le Parlement avait en qnelqne sorte imposé en 1881 à la Banque de l'Algérie l'obligation de venii- en aide à lagricnlture. L'expéiienc(Mi 'avait pas réussi. On signifiait à la Banque d'y mettre un terme et d'en réparer les conséquences. Mais il l'allait en même tem[)s olîrii- une compensation aux colons, auxquels on fermait des guichets ouverts juscjue là, parfois même tro[) largeinent, Or, cette question n'était pas nouvelle pour les Cham- bres. L''organisation du crédit agricole avait été longue- ment discutée pour la France. M. Uevelle avait présenté en 1892 un projet de loi tendant à créer une société cen- trale de crédit agricole, type du système que Ton a appelé le crédit par m haut. Ce système, discuté par tous les écononiistes, devait d'ailleurs bientôt céder le [)as à celui dit i\i\ crédit par en has,(\v^G la loi Méline, du 5 novembre 1894, venaitcon- sacrer définitivement en instituant les Caisses Locales. Cette loi, basée sur l'existence des syndicats agricoles, était faite surtout pour la France, mais elle était égale- ment applicable à l'Algérie. Elle ne produisit pas, tout d'abord, grand effet. Le nombre des caisses créées fut faible. Aussi devait-on bienlôL cherchei' les moyens de stimuler l'initiative pri- vée. Le renouvellement du privilège de la Banque de France devait être une occasion d'étudier à nouveau la question. Divers projets avaient été présentés à ce sujet, tendant à faire de la Banque de France la dispensati'ice du crédit agricole, et notamment le projet Léveillé, teti- dant à la création d'une banque centrale organisée avec le concours de la Banque de Fraiice, projet intermédiaire entre ceux qui voulaient imposer à la Banque le ré.es- — 245 — compte du (3apier agricole et ceux qui voulaient au con- traire créer dans ce but un organisme spécial (1). On a vu plus haut (2) ({ue le ministre des finances cotn- baltit les divers pi'ojets tendant à confiera la Banque de France l'organisation du crédit agricole, et qu'il ennploya comme ai'gument l'exemple de la Banque de l'Algérie Sa manière de voir devait l'emporter, et la loi du 17 no- vembre 1897, portant renouvellement du pi'ivilège de la Banque de France, ratifiait une convention du 31 octo- bi'c 1896, par laipielle cet établissement mettaità la dis- position tin gouvernement une somme de 40 millions, et décidait (|U(^ celle avance, ainsi (prune redevance annuelle (pii ne pouvait être inférieure à 2 millions, seraient portées à un comptes[)éciaI du Trésor, jusqu'à ce qu'une loi eûtétablit les conditions Je création et de fonc- tionnement d'établissements de crédit agricole. La loi annoncée fut celle du 3! mars 1899, insliinani les Caisses Uéglonales de crédit agricole mutuel. Ces établis- sements d(ivaient l'ecevoir eux-mêmes de l'Etat des avan- ces proportionnées à leur im|)()rtance et s'en servir à leur tour en faveni" des seules caisses locales deci'édit agricole mutuel. Telle élait, dans ses grandes lignes, l'organisation déjà adoptée pai' la métropole, au moment où l'on avait à lixer le régime qu'il convi(Uidrait d'appliipuM' à rAlgeric. il était nécessaii'e de la rappcder, car elle devait passer pres(pu' intégralement dans la h'-gishilion algerienni'. Fn effet, la loi du a juillet 1900, portant pi'orogatioii du privilège de la lîampiede l'Algérie, élait courue dans des I. Sur ce sujet v Dop., Lrrrédil tVfricolc, Paris, Giard et liriere, 1901. •j.. \ . -2^ partie, Ch. I, ^ 5, p. io5. — 240 — leimes analogues à ceux de la loi du 17 novcuilji'e 1897 relative à la Banque de France; on adoplait pour Tune ce ([ue l'on avait adopté pour l'autre, et la loi approuvait la convention passée le 30 janvier 1900, d'après laquelle la Banque d'Algérie s'engageait à mettre à la disposition du Trésor une avance de trois millions de francs, de même que les redevances annuelles. Commerit seraient employés ces fonds? de la même manière qu'en France, ou suivant un régime spécial à l'Algérie? Ce ne l'ut que le 8 juillet 1901 (pi'une loi inter- vint pour trancher la question, cjui donna lieu jusqu'à cette époque à des discussions nombreuses. Dès 1897, d'ailleurs, épocjue à laquelle se posait la question du renouvellement du privilège de la Banque de l'Algérie, la Société des Agriculteurs d'Alger avait mis à l'étude la question du crédit agricole : elle fut longue- ment traitée dans le premier congrès des agriculteurs d'Algérie, tenu à Alger du loau 17 décembre 1897, sous les auspices de la société Une commission, nommée en février 1897, présentait un rapport rédigé en son nom par M, Arlhus (1). Il est intéressant d'en analyser le contenu, car il concluait à la création d'une banque cen- trale, qui a été le désir de la majorité des Algériens. Le rapport constatait d'ailleurs que le crédit agricole était [pratiqué depuis longtemps en Algérie mais « dans des « conditions de cherté telles, qu'il est, le plus souvent, « une cause de ruine pour ceux qui y ont recours. » I. Rapport sur la création du crédit a f/ncole en Algérie, présenté par M. Arthns, Procés-rerbnux des séances et des délibérations du premier coni/rés des agricu/teurs d'Algérie, -p. i33. Alger, Fontana, 1898. Le rapport de M. Arttius a été également publié en brochure par les soin» (le la Société d'Agriculture d'Alger, devenue depuis Société des agriculteurs d'Algérie. — 247 — Ceci posé, le rapport examinait successivement les points suivants : 1<^ Convient-il (l'organiser le crédit agricole sur de nou- velles bases et que doit-on entendre par crédit agricole ? 2° Voies et moyens poirr arriver à une organisation méthodique. 3° Législation à intervenir. Dans la première partie de son rapport, M. Artluis faisait ressortir l'élévation trop grande, suivant lui, du taux des prêts accordés, taux variant de 7 à 12 0/0 dans les Com()t()irs d'escompte, de 6 à 7 0/0 au Crédit Foncier et agricole d'Algérie, fixé officiellement à a 0/0 pour la Banque d'Algérie. « On prétend, ajoutait-il, que pour « quelques favorisés, il serait abaissé jusqu'à 3 1/2 0/0; (( nous donnons ce renseignement sous toutes réserves, (' n'ayant pu le contrôler ». Souvent, ajoutait-il, ce taux est majoré de commissions, par consécpient « un tel crédit doit être condamné et il faut absolument lui en substituer un autre « Il continuait en faisant un tableau très sombre de l'état de l'agriculture algérienne sur- chargéed'hypolhèques,étatque le Crédit Foncieret Agri- cole d'Algérie n'avait pas contribué à améliorer, a Les « prêts hypothécaires faits par cet établissement, de « compte à demi avec leCrédit Foncier de France, ont été « peu nomhreuxsur les immeubles i-nraux, et le taux de « l'intérêt beaucoup trop élevé. J)aiilre paît, à la suite « d années calamilcuscs, des exécutions rigoureuses ont « (Ml lieu, et ameiK) encore un discr(''dit sur lu propriété. « Quant aux avances consenties à ragiiciilliire propre- « ment dile, sansatf(H'talion hypothécaire, on croit pou- « voir affirmer qu'il n'en a pas été fait une seule. » Ces conditions déplorables amenaient iM. Arthus à — 248 - conclura qiio « il fîuit non pas créer le crédit agricole, « mais le réformer, et lui donnei' plus (rexlensiori (pi'il « iTen a eu jus{prà ce jour, en faii'e un insliumenL de « prospérité, et non de ruine » Après cet exposé intéressant par le jour qu'il jette sur Topinion des agriculleurs algériens relativement aux éla- blissementsdecrédit de la colonie, le rappoi'teur recherche ce qu'on doit entendi'e par rex[)ression « crédit agricole » et sépare d'une manière très nette les trois catégoi'ies d'opérations qui rendent le crédit indispensable aux Algériens. 1° Celles qui ont pour effet la construction des bâti- ments d'exploitation, l'aménagement des eaux d'alimen- tation et (Firrigation, les plantations, le détoncement des terres, l'achat du gros matériel de ferme et des animaux de labour; en un mot tout ce qui doit occasionner des dépenses dont l'amortissement rationnel doit être reporté sur un assez grand nombre cVannées. 2o Cellesqui ont Irait aux achats de semences, engrais, matières premières ou préparées indispensables aux cul- tures, au paiement des ouvriers pour les labours, mois- sons, vendanges, etc., etc., c'est-à dire celles qui doivent être faites et terminées dans un délai maximum de dix- huit mois, tant en dépenses qu'en recettes ; 3° Celles qui intéressent particulièrement l'achat, l'en- grais et la vente du bétail, opérations indispensables dans les régions peu pourvues de voies de communica- tion, opératio[)s mi-agricoles et mi-cominerciales, et se liquidant dans un délai de six à neuf mois. La première catégorie d'opérations nécessite le ci'édit foncier à long terme. Le rapporteur fait remarquer à ce propos que les privilèges du Crédit Foncier de France — "249 — ont été élendns à l'Algérie, mais riuc « les services rendus par cet établissement ont été nuls i> . 11 ajoute que « la durée du privilège du Crédit Foncier de France « est expirée. Rien ne s'oppose donc à la création d'un « établissement spécial à l'Algérie. Au surplus, cela ne « serait-il pas, que le Crédit Foncier de France ayant « manqué à la mission (jui lui avait été dévolue dans « la colonie, l'abrogation du décret qui y a étendu son « privilège serait complètement justifiée ». On a exposé plus haut les raisons qui rendent difficile Famélioration du fonctionnement du Crédit Foncier, et (jui font que l'abrogation du décret de 18G0 n'aurail vrai- semblablement pas l'efficacité (lue semble lui alli-ibuer M. Arthus. Quant aux opéi'alions de la seconde et de la troisième catégorie, on a exposé qu'elles faisaient l'objet de crédits de campagne pratiqués sui- une large échelle parla Banque de l'Algérie, les Comptoirs d'Escompte, la Compagnie Algérienne Je Créilit Foncier et Agricole d"AI- gérie, et ce, à des taux qui ne semblent pas excessifs à M. Saurin, auquel on ne peut contester une certaine con- naissance des choses du nord de l'Afrique. 11 semble donc que la valeur des appréciations émises par le rap[H)rtsur le fonctionnemerit des sociétés de crédit soit contestable, mais ce document indicpie bien les différentes oprraliiuis cpii rendent le ci'édit nécessaire. Ftant donne C(>s besoins, (juel était le moyen de Icni' donner satisfaction ".' trois pro- jets avaient été présentés an Si-in d(> la commission : le premiei' était la création (Tune soci(>té linancière : le se- cond, un peu vaguer d'aillenr>, C(»nsistail à faiic reposer li> crédit SUI" la mutualité seule et la solidarité entiv les emprunleuis ; enfin le troisième consistait à atlemlre le 250 - vole de la loi sur le crédit nj^rii^olo (pii devait être soumise à la Chambre. Ces trois propositions avaient été rejetées pour les rai- sons suivanles : t" Toute idée de lucre devait être écartée de l'organi- sation à intervenir ; 2° L'absence d'épargne en Algérie enlevait tout moyen d'action à la mutualité ; 3° La promulgation de !a loi votée pouvait être retardée, et ce qu'on connaissait de la loi permettait de penser qu'elle ne suftîrait pas aux besoins de l'Algérie. Dans ces conditions, et étant donné l'intérêt que pré- sentait pour le gouvernement une question dont dépen- dait l'avenir de la colonisation, la commission estimait que, sans faire « à proprement parlei- une institution (( d"Etat, le crédit agricole, pour rendre les services qu'on « est en droit d'en attendre en Algérin, doit être encou- (( ragé et garanti par lui dans une certaine mesure ». C'était d'ailleurs, ajoutait le rapport, l'opinion dominante en France, |)uisqu\iue redevance avait été imposée dans ce but à la Banque de France : le même sacritice devait être exigé de la Banque de l'Algérie. Ceci posé, comment serait organisé le crédit agricole ? c'est l'examen de cette question qui formait la troisième partie du rapport. Devait-il y avoir une seule société, ou une par département, canton ou commune? Le rapport concluait à une seule institution, pour deux raisons : t° Les risques, étant répartis sur un plus grand nom- bre de prêts, seraient moins étendus. 2° Un établissement plus important se procurerait plus facilement des capitaux que plusieurs petits établisse- ments. — 551 — Cet établissement unique ne devait d'ailleurs pas en- traîner la centralisation ; il fallait au contraire qu'il eût de nombreuses agences, qui pourraient être confiées aux Comptoirs d'escompte cpii existaient déjà, et auxquels les facilités consenties par la nouvelle banque permet- traient d'abaisseï- leur taux d'intérêt. En tout état de cause, ajoutait le rapport, il serait nécessaire de créer au moins dans chaque Cîinton un syndicat constitué conformément à la loi du :2l mars 1884 ; ces syndicats constitueraient pour la Banque de crédit agricole un précieux moyen d'information sur la valeui' des emprunteurs. La commission estimait même qu'on pourrait limiter aux seuls membres des syndicats la fa- culté d'emprunter. « Le Syndicat agricole sera lecommen- « cément de la solidarité morale, en attendant que puisse « venir la mutualité matérielle ». Le rapport se terminait parun projet de Banque centrale (le crédit agricole, constituée avec un capital de a millions fourni par l'Etat, devant prêter à un taux maximum de 4 0/0 pour les prêts fonciers, non compris l'amoi-tisse- inenl, et 4 0/0 pour les opérations agricoles à court terme, plus une indemnité annuelle de 1 0/0 par an, destinée à la création dim fonds spécial de réserve. Le rapport ne dissimulait pas que pour arriver à la i-éalisation des idées exposées, « la législation actuelle aui-ait besoin d'être modiliéosur certains points )i. Ces modilications ou simpliliealions devaienl porte!' sur : L' La suppression di-s liypollièqiies occultes ; •2° Ea sinqdilication de la prt)cédure pour le recouvi'e- meut des sommes dues et les poursuites à exercer; - 252 — 3° La création d'un privilège spécial s'appliqiianl an crédit agricole mobilier. A la fin du rapport élait annexé un projet de loi sur l'institution d'une banque territoriale de crédit agri- cole. Ce qu'il est sni-tont intéi-essant de retenir de ce projet, c'est la prédilection des Algériens pour la création d'une banque uni(]ue. Le rapport, lu an Congrès des Agriculteurs, ne provo- qua qu'un échange assez bref d'observations; [)ersonne ne semblait croire bien réellement (]ue le projet pût être adopté; un vœu fntcependant voté à l'unanimité, approu- vant le rapport et le projet de loi, et donnant mission à la Société d'Agriculture d'Alger d'en pt)ursuivre la réalisa- tion. Un second congrès réunissait de nouveau les agr'icul- teui's d'Algérie en 1899 et le président déclarait dans la séance d'ouvei'ture (1) (pi'il désirait se tromper, mais qu'il ne croyait pas (pie la question du crédit aux colons eût fait un bien grand pas dans la voie d'une solution pratique et équitable, et, revenant sur le renouvellement du privilège de la Banque de l'Algérie, il disait que le moment était venu pour les agriculteurs de faire entendre leurs doléances. M. Arthus, examinant cette tjiiestiou, estimait (2) qu'il fallait subordonner le renouvellement du privilège de la Banque de l'Algérie :\ diverses condi- tions, et après an échange d'observations, le vœii suivant était adopté : 1. Second congrès des agriculteurs d'Algérie, tenu à Alger du i5 au 19 mai iSgg. Procès-verbaux des sécmces et des délibérai iotis, p. 4? Alger, Fontana, iqoo. 2. Procès-verhaux. pp. 44"47- — 253 - « Le Congrès émet le vœu que le renouvellement du « piivilège de la Banque de TAlgërie soit subordonnt^ à a rétablissement du crédit agricole en Algérie : « 1° Par un vej'sement à déleiminei" ultérieurement « représentant le prix du icnouvellement de son privi- « lège. versement destiné à former la première mise de « fonds d!une ban(|ue agricole; « 2" Par I inscription dans les statuts d'une clause « accordant aux colons européens et indigènes la facilité d'obtenir des crédits de canipagne qui devront être réa- lisés, suivant leur nature, en six, douze ou quinze mois », On sait déjà (juelles furent les disijositions pi ises par la lui du 5 juillet 1900, portant prorogation du privilège de la Banque de l'Algéiie, et lui imposant une redevance qui devait èlre effectivement consacrée à l'oi-ganisalion du crédit agricole. Mais ce crédit serait-il organisé comme il l'était déjà pour la France, par la loi du 'M mars 1899, instituant les caisses régionales? Tel fut le point sur lecpiel portèrent dorénavant les discussions. La question fut disculée par la Société de Géogra[»lue d'Alger et de l'Afriiiue du Nord [\), ilans sa séance du 18 févri(;r 1901, après lecture triiii rapport de M. Lecq, qui combattait vigouivusement le svslèmc (ruiic l>au(pie centrale. Api'ès avoir l'éfiité les principales objections présentées o M. Lecq explicpu' le fonclionuenieut très « sinq)le des caisses rurales, eite divers exemples et dit « (pie les advei'saii'es du projet de ci'ealiou des caisses 1. \'. Bu/lcliii (le la Sue. de ijàuji-. d'A/yfr d de l'Afrique du iVf)>\/, a" IrimosU'o lyoï. — 254 — « rurales en Algérie seront évidemment ceux qui préco- * nisent la création d'une bancjue centrale dans la{|uelle « s'ingérera la politicine comme dans les Comptoirs des « compte, puis les courtiers véreux des marchands d'ar- « gent el des usuriers, qui supprimeront nécessairement « les caisses rurales dont la création est indispensable à « l'Algérie ». Un vœu était d'ailleurs adopté dans ce sens par la Société de Géographie, demaiidaiil (|ue le Sénat ratitiàt le [)lus rapidement possible la loi votée par la Chambre des députés, le 18 décembi'e 1900, sur la consti- tution des caisses régionales au moyen des 3 millions versés au Trésor. Deux camps s'étaient, en efïet, formés : l'un, partisan de l'extension à l'Algérie de la législation française : c"est celui dont l'opinion dominait à la Société de Géographie; l'autr'e, au contraire, repoussant la législation française et réclamant l'institution d'une banque centi'ale : on a vu que c'est ce système que soutenait la Société d'Agri- culture d'Alger. Aussi cette dernière société remit-elle la question à l'ordre du jour de ses séances (1), insistant sur le faible résultat obtenu en France et rappelant que M. Laterrade, dans un discours prononcé au Sénat le 1 1 février, avait déclaré que les fonds employés jusqu'à ce jour au crédit agricole ne s'élevaient qu'à 604 2H0 fr. Quelques mois plus tard, à l'Assemblée générale tenue en avril, un rap[)ort était présenté à cette même société par M. Arthus (^2), et insistait pour la création d'une banque centrale. « En effet, si l'on va au fond des cho- « ses, plus de la moitié du papier qui est dans les banques 1. V, Bulletin de la Soc. desagric. d'Algérie, séance du 21 février 1901. 2. V. Bull. Soc. agr. Alg., assemblée générale, 2-4 avril 1901. — 255 — « repose sur une dette des coluns. Et si l'on veut mettre la (( Banque d'éinission à l'abri triiiie crise possible, il faut a que ce [)apiei' ne soit pas admis dans son portefeuille, « tout au moins à plus de cent joui's de son paiement (( certain, tant que les statuts de la Banque de l'Algérie « n'auront pas été modifiés ». Il est intéressant de l'emarquei- que depuis 1897 le rapporteur s'était informé, et (piil avait sans doute ap- pris que les banques algériennes avaient l'habitude de consentir des avances aux colons. Certaines personnes ayant déclaré qu'il était préféra- ble de créer des caisses locales avant une banque centi-ale, on répondait que: 1° La banque centrale serait ainsi à même de prêter de suite aux banques locales l'appui de son réescoMipte; 2" La création de la banque centrale, établissement absolument spécial, présenterait les avantages: a) De permettre le conti'ôle des opérations, chose im- possible vis-à-vis d'un établissement privé ; b) D'éviter que des opérations étrangères à l'agriculture ne vinssent nuire au bon fonctionnement de l'organisme créé; c) D'empêcher que les banques locales mampiassent d'argent au cas de resserrement monétaire. C'était donc toujours l'idée d'une bampie d'Llat. ali- mentée par les redevances de la Bauipie de l'Algérie, et qu'on se ligurait de cette fa(;on devoir traverser sansdif- ticul tés toutes les ci'ises sans aucun l'essei'i-enuMii de ses ressources. Comme conclusion à la discussion, la société adoptait le vœu: — 256 — « l» Que la imUiialité ne (ul pas prise pour base exclu - « sive (lu ci'écliL agricole d'Algérie; « ^" Qu'il fût créé une bau(jue cciilialc doul iaclioii « rayonnât sur toule TAIgérie, et (|ui fùl aliincnh'e con- « rorinénient au projet présenté par la Société des agri- « culteurs d'Algérie » . Tandis cjue ces discussions se poursuivaient, le gou- verneaieul général, qui connaissait les études faites en France sur cette question, avait préparé un projet de loi instituant les caisses régionales. Ce projet fut soumis aux tiélégations financièi'es algériennes dans leui- session de juin 1901, et donna lieu au dépôt d'un rapport par M. Laurens (1). Le gouvernement général, disait il, « a dû se faire « cette réflexion tju'au moment même où il [)roclama[t « haulemenl, par des actes, par des projets, la nécessité « d'avoir en Algérie des iiistitutions particulières, des « outils spéciaux, on ne pouvait lui ap[)liquei' une loi « confectionnée pour la métropole et empruntée aux (( pays de vieille civilisation ». Les objections contre les caisses rurales étaient les sui- vantes : 1" La population rurale de l'Algérie est trop mêlée pour que le crédit puisse être accortlé en toute sécurité. De plus les variations considérables des produits et les muta- tions foncières fréquentes viennent encore accroître les difficultés de l'enti'eprise. 2" Leurs ressources ne seraient pas suffisantes pour qu'elles pussent rendre de réels services : « le jour où une i. Di'lég. fin. alf/., Procès-verbal de la session dejuin igoi, p. 55o et suiv. Iinp. du gouv. gén.. Alger, igoi. « crise aura é[)uisé leurs ressources, elles seront impuis- (( santés à donner à leurs membres le moyen de conli- (( iiner la lutte en attendant des jours meilleurs, et com- (( menl, au bout de ces cinq ans, pourrat-on restituer <( l'avance faite à ces caisses, si elles sont vidées par deux « années successives de mauvaise récolte? » Il concluait en demandant l'institution d'une banque centrale, rappelant que cette solution avait été adoptée par le Congrès des agriculteurs tenu en 1897, par la Société des agriculteurs d'Algérie et enfin par la dernière session des Délégations Financières. Par contre, le Conseil Supérieur avait émis un vœu tendant à ce que la loi du 31 mars 1899 fut applicable à l'Algérie. Les arguments donnésen faveurd'une banquecentrale étaient les suivants : 1" Ce système avait [)our effet de soustraiie l'obtention des crédits aux influences politiques locales : i2" (]e moyen (i'nctiou était plus puissant que celui des caisses locales; 3" Le réescompte était plus facile pour un établisse- ment central. Ou (Icmaiidait eiiliii un privilège spécial, garantissant les opérations de ci'édit agricole : « Comme privilège spé- « cial de garantie, il en est un qui serait admis certaine- ce ment [)ar les cultivateurs, c'est celui (pii créerait an « profit de la IJaucpie centrale un gage privilégié fiap- « pant le l/3(le la ri'colte lului"e ». ('onime conclusion, « le rapporleni' dcmandail la criMlion (riiiic l!an(|Me « cenlraliMlc, cicdit agncolt', u attendu (pic la ^nppi'cs- « siou du cri'dil auK agncullcurs a jclc le I rouble le plus « pioloiid dans la colonie cnlière. rcndanl dillicilc, riiiiiiiiiiii' 17 — 258 — « impossible parfois, l'exécution des travaux de culture « indispensables pour assurer les diverses récoltes ». Cette proposition fut combattue pur le représentant du Gouvernement général qui faisait valoir trois objec- tions principales : 1" Le projet de banque centrale avait été écarté par la Chambre ; 2° Une tentative venait d'être faite en France pour la création d'une banque centrale de crédit agricole et n'avait abouti qu'à un échec retentissant ; 3" Enfin, la création d'un privilège spécial paraissait peu compatible avec le régime du Code civil. Ces arguments furent appuyés par M. Garau, qui rappelait que M. Jonnart avait qualifié d' « hérésie éco- nomique » l'organisation du Crédit agricole par en haut et citait les conclusions émises par les Congrès de crédit populaire de Menton (1890), Bourges (1891), Lyon (1892), et Toulouse (1893), toutes contraires au principe d'une banque centrale ; il donnait également l'énumération de toutes les tentatives faites dans cet ordre d'idées, tenta- tives toutes suivies d'insuccès. Toutefois, les conclusions du rapport de M. Laurens, émettant le vœu de la création d'une caisse centrale, furent adoptées. M. Laurens, faisait allusion, dans son rapport, à une proposition intéressante, émanant d'un établissement financier, la Compagnie Algérienne. Cette société, frap- pée du développement et de la prospérité des caisses qui fonctionnaient dans le département d'Oran, proposait que sa succursale d'Oran servît de caisse régionale pour le département. Moyennant le versement d'un million dans ses caisses, elle s'engageait à ouvrir un créditauxcaisses — 259 - agricoles du département, jusqu'à concurrence de o mil- lions. Aucune suite ne fut d'ailleurs donnée à ce projet, intéressant en ce qu'il montre l'intérêt porté par les éta- blissements de crédit d'Algérie aux opérations agricoles. Malgré le vœu des Délégatious, la loi du 8 juillet 1901 vint affecter à Fétablisssment des caisses régionales de crédit mutuel en Algérie la redevance versée par la Banque. La Société des agriculteurs d'Algérie conservait son opinion première « Si une banque centrale, disait-elle, « peu après (1), pouvant escompter du papier à la ban- « que d'émission, avait pu, au moyen de warrants, con- (( fier quelques millions aux agriculteurs, si ceux-ci « avaient pu trouver du crédit, il est possible que la « crise eût pu être traversée sans trop de mécoinptes ». « Nous n'avons jamais été les ennemis du crédit basé « sur la mutualité, comme on s'est plu à le dire, disait- « on plus loin, mais nous croyons encore qu'on a commis (( une faute en le réservant à la mutualité seule ; l'avenir « nous apprendra ce qu'il y a lieu d'en attendie, et nous « souhaitons qu'elle puisse parer aux crises futures qui (( pourraient se produire; je constate seulement que le a crédit agricole tait défaut au moment oîi on en aurait « le plus besoin. » Quant aux Délégations Financières, elles manifestaient également leur mécontenteineiit ([n'oii n'eût pas tenu compte de leur vœu (2). 11 y a lieu d'examiner maintenant la sti'ucture des or- ganismes (pie mettait à la disposilion de l;i edloiiie la législation nouvelle, eonipreiiaiil . d'une part, la loi (b'jà 1. \ . liiill-'liii Six:, .{(/r. Ah/., stanci' du i ."> (Miolicc ujoi. 2. Ui'U'tj. fin. .">. ancienne du 5 novembre 1804, qui. ou lu verra, n'avait guère reçu d'application en Algérie, el d'autre pari, la loidu Sjuillet 1901. §2 Les principes du fonctionnement des caisses de crédit agricole mutuel. A. — Les Caisses Locales de crédit agricole mutuel 11 ne saurait entrer dans le cadre exclusivement éco- nomique du présent travail de faire l'étude juridique des nouvelles sociétés ; aussi bien cette étude a-t-elle déjà été faite (1) ; il y a lieu simplement d'en indiquer l'esprit, avec les règles principales de leur fonctionne- ment, de façon à pei'metlre d'examiner, comme on l'a déjà fait pour d'autres sociétés, l'adaptation de leur or- ganisation aux besoins spéciaux de l'Algérie. La loi du 5 novembre 1894, déterminant les condi- tions de fonctionnement des caisses locales « a pour objet d'accorder un régime de faveur aux sociétés de crédit « agricole qui sont basées sur la mutualité. Elle auto- « rise, soit entre la totalité des membres d'un ou de plu- « sieurs syndicats professionnels agricoles, soit entre une « partie des membres de ce syndicat, la constitution de « sociétés de crédit agricole dont l'objet est exclusivement (( de faciliter les opérations concernant V industrie acjricole et 1. V. notamment 1*'. Arlhuys, ExpUcaliuii de la loi du 5 novem- bre 1894, relative à la créalion de sociélés de i;rédit agricole, Rev. crit. législ. et jiirisp., ]8()5, \). ."iS ; Sandron. Les sociéirs de crédit agri- cole, Paris, llousseau, 1899 {Thèse doct.). — 261 — « effectuées par ces syndicats ou par les membres de ces syn- « dicats » ('[). Donc le but de ces sociétés est bien net : elles no peu- vent qne faciliter les opérations concernant l'industrie agricole, effectuées par les syndicats ou par les membres des syndicats. Tout d'abord, on a voulu conserver à ces sociétés le caractère demutualité, n";iyaut aucun butde spéculation. Les dispositions prises à cet effet sont les suivantes : r Le produit des opérations faites par la société, dé- duction faite des frais généraux et des intérêts, tant des emprunts cpie du capital, étant tout d'abord affecté à la constitution d'un fonds de réservejusqu'à ce que ce fonds atteigne la uKjiliédu capital, le surplus peut être réparti, à la fin de chaque exercice, entre les syndicats et les nKunbresdes syndicats, au prorata des prélèvements faits par la Caisse sui' leurs opérations; il ne \wui en aucun cas être partagé sous forme de dividende entre les membres de la société, et à la dissolution de celle-ci, le fonds de réserve et l'actif sont partagés entre les sociétaires, pro- portionnellement à leur souscription, à moinsque lessta- tuts n'en aient îiffecté l'emploi à une œuvre d'intérêt agricole. Donc, la rc'partition des bénéfices de la société est réglée de telle sorte, (pie jamais le lait d'eu faire par- lie ne puisse procurer d'aiiti-e avanlagecpie celui debénc'- licicM" d'un taux riuluit, pour les opéi'ations laites par l'in- tei'inédiaire dcî cette Caisse. ^" Le capital n'est pas formé par des actions : il est formé par les souscriptions des nuMobrcs de la société. 1. Circufan-L' du ni/nislrr i/i' /'iiijnCullmi' aiir profissciirs i{t''j)iirlt'ini'ii- 'aux et spkian.r il'in/ric/i/fiin' rrhitivr nii.r socirirs île nri/it aqiicole. mutuel, en dalo du 17 m. 1rs iDod. — ^262 — souscriptions constituant dos parts qui peuvent être de valcni' inégale, qui sont noniinalives, et ne sont transmis- sibles que par voie de cession aux membres des syndi- cats, et avec l'agrément do la société. La loi du 5 novem- bre 1894 laisse aux membres des Caisses Locales toute latitude pour déterminer l'étendue de la responsabilité qui leur incombera dans les engagements [iris par leur société. Cette responsabilité peut, au gré des intéressés, être illimitée, ou bien restreinte à une ou plusieurs fois le montant des souscriptions. Il est, en tout cas, impossible de trafiquer des actions delà société et d'en faire un objet de spéculation. Ces parts qui ne peuvent nullement devenir par les avantages qu'elles procurent un objet de convoitise pour des spécu- lateurs, ne peuvent, par surcroît de précaution, changer de propriétaire sans l'agrément de la société. La société ne peut être constituée qu'après versement du quart du capital souscrit (art. 1"). 3° enfin, les sociétaires ne peuvent être libérés de leurs engagements qu'après la liquidation des opérations con- tractées par la société antérieurement à leur sortie. L'ensemble de ces dispositions donne aux sociétés locales le caractère absolu de mutualités : les parts, qui déterminent simplement le quantum de la responsabilité de chaque souscripteur, ne donnent lieu qu'au paiement d'un intérêt, et jamais d'un dividende; enfin l'excédent des recettes sur les frais de gestion lato sensu est réparti entre les clients de la caisse, proportionnellement aux opérations faites par eux. Quel va être maintenant le champ d'action des sociétés ainsi organisées? il est déterminé par l'article t''' de la loi du 5 novembre 4894. Ces sociétés ont uniquement pour — 563 — objet « de faciliter et même de garantir les opérations concernant l'industrie agricole ». En conséquence t ces € Sociétés peuvent recevoir des dépôts de fonds en « comptes-courants, avec on sans intérêts, se charger, « relativement aux opérations concernant l'industrie « agricole, des recouvrements et des paiements à faire vx ()Our les syndicats ou pour les membres de ces syndi- « cats. Elles peuvent notamment, contractcrlesemprunts « nécessaires pour constituer ou augmenter leurs fonds « de roulement ». Enfin des dispositions pénales viennent sanctionner les dispositions de la loi. On voit les précautions prises et les dispositions impo- sées par la loi pour conserver à la société son caractère particulier. Quels sont maintenant les avantages qui com- pensent ces entraves et (jui amèneront les agriculteurs à s'adresser à la caisse locale ? Les avantages sont de trois sortes : A. — Simplification des formalités deconstitution ; B. — Atténuation des exigences fiscales ; G. — Possibilité d'avances à des conditions avanta- geuses. A. Simplification des formalités de constitution. — Rien que les Caisses Locales soient des sociétés commercia- les, dont les livres doivent être tenues conformémenl aux prescriptions du Code de commerce (art. i), lescoiuli- tions de publicité prescrites pour les sociétés commer- ciales ordinaires sont remplacées par les dispositions suivantes : 1" J)épôt en douille exemplaire, an lircltr de la pislice de paix du canton du siège principal, de.s statuts, avec la — 2B4 — liste complète des administrateurs et des sociétaires, indi- quant les noms, professions, domicile et montant de la souscription. Un exemplaire de ces statuts et la liste en question sont déposés par les soins du juge de paix au greffe du tribunal de commerce do l'arrondissement ; 2" Dépôt annuel, en double exemplaire, dans la pre- mière quinzaine de février, au greffe de la justice de paix du canton, avec la liste des membres faisant partie de la société à cette date, du tableau sommaire des recettes et des dépenses, ainsi que des opérations effectuées dans l'année précédente. Un des exemplaires doit être déposé par les soins du juge de paix au greffe du tribunal de commerce. La loi exige d'une façon formelle, pour le premier de ces dépôts, la délivrance d'un récépissé parle greffier. 11 convient de remarquer qu'aux termes d'une instruction de la Direction générale de l'enregistrement du 5 octo- bre 1893, les greffiers des justices de paix et des tribu- naux de commerce sont, d'une manière générale et absolue, dispensés de dresser acte des dépôts qui leur sont faits, en exécution de l'article ode la loi du o novem- bre 1894. B. Atténuation des exigences fiscales. — Aux termes de l'art. 4 de la loi, les Sociétés locales sont exemptes du droit de patente et de l'impôt sur les valeurs mobilières. La disposition relative à l'exemption de l'impôt sur les valeurs mobilières, aux termes d'une instruction de la Direction générale de l'enregistrement du 28 janvier 1895, a pour effet d'affranchir de la taxe de 4 0/0 les intérêts payés, au cours de la société, aux titulaires de parts d'intérêts, ainsi que les bénéfices qui, à la dissolu- — 265 - lion, leur proviendraient du partage du fonds social. Elle s'étend également aux intérêts des emprunts contractés par les sociétés de l'espèce. Quant aux répartitions effectuées entre les associés au prorata des prélèvements faits sur leurs opérations, elles échappent de plein droit à l'application de la loi du 29 juin 1872, comme constituant, non un revenu des parts d'intérêt, mais une restitution partielle des commissions perçues par la société. Enfin, les pièces à déposer sont exemptes du timhi-e, à moins qu'elles ne soient établies sous la forme d'actes réguliers. G. PossihiUlè ifaoancesà des conditions aoantarjenscs. — C'est là en réalité que résident les avantages faits aux caisses locales. Le mouvement de création en avait d ail- leurs été très faible après la loi de 1894. La loi de 1899, en autorisant l'Etat à mettre à la disposition des Caisses Régionales des sommes importantes, sans exiger d'inli'- rêt. et en autorisant celles-ci à venir en aide aux baisses Locales, a vivifié l'institution de ces dernières. Quant à l'administration des Caisses Locales, elle est déterminée par les statuts; en fait elle est assez analogue à celle des sociétés anonymes. B. — Caisses Régionales 11 faut maintenant examiner (piellc est l'organisation donnée par la loi du 8 juillet 190! aux Caisses Tu'gio- nales. Ce sont (art. 1) des (caisses conslilm'es (ra|)rès K's dis- positions de la loi du .') noviMubre IS'.^i. Leur caractère spécial résiillo de la possibilité pour elles de recevoir du ^oiivernemeiit, à titre d'jivaiices sans intérêts, l'avance de 3 millions de francs et la redevance annuelle que doit verser au Trésor la Ban(|ue de l'Algérie. Leur nature est ainsi déterminée. Leur but, c'est « de « faciliter les opérations concernant l'industrie agricole, « effectuées parles membres des Sociétés Locales de crédit (( agricole mutuel de leur circonscription et garanties par « les sociétés «.Les seuls moyens dont elles disposent pour atteindre ce butsont indiqués par Tarticle 2 ; ce sont : l" L'escompte des effets souscrits par les membres des sociétés locales et endossés par ces sociétés ; 2° L'avance aux sociétés locales des sommes nécessai- res pour la constitution de leur fonds de roulement ; 3° La faculté de recevoir des dépôts, soit à vue, soit à terme, sous forme d'émission de bons, le montant total des dépôts ne pouvant excéder les trois quarts du mon- tant des effets en portefeuille (art. o). Toutes antres opé- rations leur sont interdites. Les avances qui peuvent êtie faites aux Caisses Régio- nales sont déterminées par le Gouverneur général sur l'avis d'une commission spéciale (1). Elles ne peuvent excéder le quadruple (2) du montant du capital versé en espèces. Elles ne peuvent être faites pour une durée de plus de cinq ans. Elles peuvent être renouvelées. Elles deviennent immédiatement remboursables en cas de vio- 1. Nommée par arrêté du 5 février 1902. 2. Cette proportion a été déterminée par l'expérience. I^a loi du 5i mars 1899, relative aux caisses agricoles à créer en T'rance, déci- dait que le montant des avances ne pourrait excéder le montant du capital versé. Une loi du 25 décembre 1900 avait autorisé le gouver- nement à porter ces avances au quadruple du capital versé. C'est cette proportion qu'on a adoptée pour la législation algérienne. — 267 - lation des statuts, on de modifications de ces statuts dimi- nuant les garanties de reu)boursement. Ou a vu qu'en principe, ces caisses ne sont pas diffé- rentes des Caisses Locales. Ce qui fait leur importance spéciale, c'est le rôle qui leur est dévolu de recevoir des avances du gouvernement et d'en taire bénélicier les Caisses Locales. Cette attrilnition spéciale doit évidem- ment entraîner des dispositions destinées à augmenter la sécurité des Caisses Régionales. Ces dispositions sont en effet les suivantes : 1° Les opérations sont restreintes à celles qui ont été indiquées plus haut ; 2° Les statuts doivent être déposés au gouvernement général ; 3° Les statuts doivent(art.5~) contenir un certain nom- bre d'indications obligatoires; 4° Les !2/3 des parts formant le capital social doivent être réservés de préférence aux sociétés locales ; 5" L'intérêt à allouer aux parts ne pourra dépasser 5 0/0 du capital versé ; 6" Le total des dépôts en compte-courant et des bons de caisse ne pourra excéder les 3/4 du moiitaiit tles effets en portefeuille. Enfin, les opérations permises aux Caisses Régionales étant limitativement détiM-niinées, celles-ci ne pouiioiiL comiDc les Caisses Locales, se chai'gei- de recouvremenls et paiements pour le compte des syndicats ou de leurs membres. Si on cliercliem aintenanl à comparer les Caisses Loca- les et les Caisses Régionales, on arrive aux résullals suivants : Cniractères communs : - 268 — 1" Caractère de miitiialif.é : 2° Garaclèi'e exclusivetneiit agricole; 8° Absence de toute possibilité de gain ou spcciila- tion ; V Régime de faveur en ce qui concerne h.'s Ibrnialités de constitution et les charges fiscales ; 5" Versement obligatoire du quart du capital souscrit. Ctiractèi'es distinctifs de la Caisse Régionale : impossibilité de recevoir directement dos avances du gouvernement ; 2° Limitation des dépôts ; 3° Interdiction de certaines opérations permises aux Caisses Locales ; 4° Dépôt des statuts au gouvernement général ; o° Attribution de préférence d'un certain nombre de parts aux sociétés locales ; 6° Fixation d'un maximum d'intérêt à atti'ibuer aux parts. Telles étaient les deux institutions dont l'Algérie était dotée au point de vue du crédit agricole ; il y a lieu main- tenant d'examiner comment ces deux organismes allaient s'adapter aux besoins du pays. I 3 Circonstances spéciales à IXlgérie modifiant le fonctionnement des Caisses de crédit agricole mutuel Tout d'abord, était-il conforme à l'intérêt général de rejeter le projet de banque centrale si soutenu par l'opi- nion publique ? On sait q\ie les projets de banque centrale de crédit — :209 — agricole, et même les essais tentés, ont été nombreux, et en général infructueux (1); M. Laurens,on la vu plus haut, en avait fait devant les délégations algériennes un exposé coucluant. Le Parlement s'était [)rononcé nettement con- tre une institution de cette nature. L'opinon admise par la majorité de ceux qui s'occupent delà question était que le crédit agricole, pour être elficace, doit avoir un point de départ local et être réalisé par de [)etits orga- nismes dont les principes avaient été ainsi l'ésumés par M. Rayneri (2) : solidai'ité des administrateurs, liuiita- tion territoriale, gratuité des fonctions administratives, absence de capital versé, minimum de frais généraux, indivisibilité du fonds de réserve. La pression de l'opiiiion publicpie avait fait repousser en France le principe de solidarité ; on avait jugé égale- ment |)liis [)ruLlent d"inq)oser un capital, si minime fut- il, maison avait ado[)lé en somme un ensemble de dis- positions constituant des caisses analogues à celles qui avaient réussi en Allemagne et en Italie. Convenait-il d'ap[)li(pier à l'Algérie une organisation différente ? Si on l'cprend les divers arguments (jui ont été énumérés plus liant pour justitier la création d'une bauijue cenli'ale, on n'en li'ouve guère de concluants. On disait tl'abord que les riscjues seraient moins éten- dus s'ils étaient répartis sur un plus grand nombre de |)rèts : mais il est facile de voir (jue les risijnes seraient exactement les (nèmes si les [irèls étaient faits par 1. \'. \)op. Le crt'dit nfiiicolc, pj). 171 ol siiivaiit<«s ; DinMiid. Lr crnlil (u/rirolc en France et à l'élram/er, Paris. Maroscj, 1891, pp. (î.l i cl siiiv. 2. (]li. Ilayiieri. Lccrédil 'ii/rirole par /''Ksiciatioii coopérnlire. Paris, Guillauiuiii, 189G. — 270 — ihk; seule grande Caisse on par- nne série de petites Caisses. La Banqne centrale, disait-on, serait facile à conti'ôlcr (^t on ponrrait s'assurei' (|u'elle ne faisait pas d'opérations étrangères à Tagricnllnre ? On a vn que le système des Caisses Régionales permettait un exaujen des opérations ([ui mettait le gouvernement général à même de n'accor- der d'avances qu'à bon escient. La Banque centrale aurait été un établissement plus puissant et ()artant plus à même de se procurer le rées- compte : mais n"est-il pas évident que les Caisses Locales trouveront largement le réescompte qui leur est suftisant. L'exemple de la France, oii une faible proportion des fonds disponibles a été utilisée, semble bien iridi(|uer que le crédit agricole n'exige pas l'emploi immédiat de som- mes considérables. Quant à l'espoir d'éviter les influences politiques par l'établissement d'une banque centrale, l'exemple de la Banque de l'Algérie est là pour dire ce qu'il a de chimé- rique. Enfin l'idée que la Banque centrale pei-mettrait d'évi- ter le manque d'argent en cas de resserrement monétaire semble également erronée : toute l'Algérie étant placée dans des conditions analogues, il est vraisemblable qu'une crise atleindi'ait urie Banque centrale d'autant plus forte- ment (ju'elle aurait un plus grand nombre de crédits en cours. D'ailleurs, quelle serait l'utilité de la Banque cen- trale? Mettre des fonds à dis[)osition des caisses régio- nales? Mais alors, dans ce cas, c'est le gouvernement général (jui remplit lui-même le rôle de Banque centrale par lintermédiaire de la commission spéciale. 11 nesem- — 271 — ble donc pas qu'il y ail d'argiiiiienls bien péremptoires en faveur de cette création. Quant aux objections relatives aux caisses elles-mêmes, on leur reproche d'abord de n'être pas assez puissantes : quand elles auront é[)uisé les 3 millions et les redevan- ces annuelles mises à leur disposition, il sera assez tôt pour leur donner des moyens d'action nouveaux. Une seconde objection, qui est plus sérieuse, est celle qui refjose sur le manque d'épargne d'une part, et de l'autre sur le caractère môle de la population cjui est appelée à s'adresser à ces caisses. C'est la pretnière de ces circonstances qui a modifié l'institution dans son adaptation aux besoins de l'Algérie; quanta la seconde, elle est de nature à rendre plus etïicace que celui d'une Banque éloignée le fonctionnement d'un établissement placé près de l'emprunteur. Les deux catégories de Caisses de crédit agricole mu- tuel ont chacune un rôle différent. La Caisse Locale a pour mission d'étudier Topération de crédit et de l'engager. La circonscription très faible sur laquelle elle opère doit lui permettre de irenlre- prendre (jue des opérations qu'elle connaîtra |)arlaite- menl, puisqu'elle aura tout(^ facilité de se procurer sur l'emprunteur tous les renseignements désirables. De [)lus, la proximité de la résidence de cet emprunteur lui pernicUi'a de sui'veiller renq)l()i des crétlils cl de vérifier Tufilisalion des l'ontls. La chose le plus à craindre, en cfft^l, est (jue les colons ne sollicitent des tonds, soi-disani pour les employei' à des o[)éi'alions de courte diii'i'e, el ne les engagiMif ensuite dans des construclions on amé- liorations foncières, ne devant pas prodnii'e imin^Mliate- ment des résultats qui [)ermeUent de lembourseï" le .21^2 — crédiL à échéance. Donc, la l'aison d'ùtrc de la Caisse Locale, c'est : I" L'exameti de l'e[nj)riniteur cl de l'opéralioii ; 2" La surveillance de l'exécnlion de l'opération et de la situation de l'enipiunleur jusqu'au remboursement. On voit que ce rôle de la Caisse Locale correspond à la préoccupation des Algériens, relativement à celle connais- sance imparfaite des demandeurs. Le rôle de la Caisse Régionale est double également ; il consiste : 1° A fournir aux Caisses Locales les fonds qui leur sont nécessaires; !2° A contrôler et diriger leurs opéi'ations. En ce qui concerne ce second point, il est certain qu'en général les fondateurs de Caisses Locales manquent sou- vent de l'expérience nécessaire : constituées dans des endroits peu habiles, elles trouveraient parfois difficile- ment les indications qui leur seraient nécessaires pour leur organisation ou leui- fonctionnement ; la Caisse Régionale sera là pour les guider, pour les stimuler ou les retenir au besoin : d'après ses règles constitutives, elle ne peut faire aucune opération qui lui soit propre, aucune conçu rrcMice aux Caisses Locales : elle ne peut (ju'opérer avec elles. Mais son rôle le plus important, c'est celui de faire des avances à des conditions modérées. Quand a été votée en France la loi de 1894, les syndi- cats avaient déjà une importance considérable ; ils avaient joué un rôle de premier ordre pour la vulgarisa- lion des engrais chimiques, des instiuments perfection- nés et des semences améliorées. Quand on a voulu insti- Ukm' le crédit agricole, on a lout nalurellemenl pensé à — ^273 — utiliser ces syndicyLs, (nii formaient sur toute la surface du pays un réseau serré, el auxquels de nombreux culti- vateurs avaient pris l'habitude de s'adresser pour leurs achats. Il était donc tout naturel d'adjoindre à chacun de ces syndicats une caisse où les sociétaires viendraient puiser. On avait un cadre tout trouvé. Il convient d'ail- leurs de répéter ici ([ue cette conception, parfaite en théo- rie, ne réussit qu'à demi en pratique, et que ce fut la création des caisses régionales, avec leurs avances à bas prix, qui déterminèrent en France le mouvement de création des caisses locales. E[i Algérie, les circonstances lui étaient encore moins favorables. Tout d'abord les syndicats agricoles étaient peu nombreux : c'est ce que constatait M. Arthus dans le rapport cité plus haut et présenté au Congrès des Agri- culteurs de 1897 (1) ; c'est ce que constatait également M. Aytnes (2), dans un rapport sur le groupement des intérêts agricoles présenté au même congrès. Enfin la notice publiée par le gouvernement général (3) insiste aussi sur ce fait : (( Si ces syndicats, dit-elle, n'ont pas mieux i-éussicpiils « ne l'ont l'ait jusqu'à présent, c'est jusiement parce que « leur développement n'était pas favorisé par des caisses « de crédit. Le syndicat [)ermet de faire les achats en « commun au moment le plus opportun. Mais il ne per- te met pas d'assurer le vendeur coiilre les risques de (( mauvais paiements et de lui ollrir les avantages du « paiement au conq)tant. Le syndical periiii't d'opérer 1. Compte remlii, p. i44- 2. Compte rendu, p. ii5. 3. Li' crédit aiiricolc mutuel, son but, son ornijnhation, son fouet iun- i\emenl, Alger, Ciiialt, 1902. riiiliiiiKir Is — 274 — « des groupements pour eff(>ctuer les ventes, mais il ne « peut faire sur les récolles eu magasin, sur ics animaux « de vente, des avances qui permettent de ne s'(;n des- « saisir qu'au moment le plus opportun o, II est permis cependant de constater qu'en l^'iauce, où les syndicats ont pi-is le développement que l'on sait, en nombre et en importance, ce développement s'est fait en dehors de toute espèce de création de caisse de ci'édit. Il semble que ce ne soit pas l'absence des caisses de cré- dit qui ait empêché en Algérie le développement des syndicats : mais il est vraisemblable que si on ne trou- vait ni les uns ni les autres, cela tenait à une seule et même cause : il y avait entre les éléments en présence une cohésion insuffisante pour permettre un groupe- ment, quel qu'il fût. On sait que c'est une des objections faites au fonctionnement des caisses. L'institution nouvelle devait avoir à se constituer dans des endroits isolés, où la population entière se composait d'agriculteurs, or aucune épargne n'avait pu se former. Le capital souscrit était nécessairement très faible, le capital versé encore moins important : les caisses locales n'eussent donc pu fonctionner sans les fonds fournis par les caisses régionales. 14 Les créations de caisses et les résultats obtenus (1900-1902) Jus(p]'en 1900, la loi de 1894 était restée lettre morte. Quand on suten Algérieque le principe des caisses régio- nales serait adopté, un mouvement se dessina pour la création des caisses locales, qui, seules, pourraient béné- — 275 ~ ficier des avances des caisses régionales. Deux points doi- vent être mis tout d'abord en lumière : le premier est le fait que la création de la caisse régionale est en somme le point de départ de la créalion des caisses locales qui l'envirounent ; le second est la diversité des caractères présentés par ehacjue groupe de caisses. Dès 1902, trois Caisses Régionales étaient fondées : celles de Musla[)ha, d'Oran et de TIemcen. Bientôt après devait être créée celle de Djidjelli ; d'autres sont en for- mation. Le groupe le plus important es( celui d'Alger. Dès la fin de l'année 1900, à l'époque où le vote de la loi du 8 juillet 1901 semblait déjà à peu près assuré, un groupe de personnalités algéroises se constituait en Comité Algé- rien de propagande des caisses rurales. Sous les auspices de ce comité, une active campagne de conférences fut entreprise dans le département d'Alger. Grâce aux efforts de ce groupe, quatorze caisses se constituaient assez rapidement, réunissant des agricul- teurs d'une trentaine de communes du département. Ce sont, suivant l'ordre de création (t) : Ilouiua, lîirtouta, Meurad en 1901,Dellys, Aïn-Bcssem, Nord de la Milidja, Margueritle, Carnot, Kherba, Bou-Medfa, Castiglione, Montenotte, Affreville, Littoral Cheichellois en 1902. Ce qui caractéi'isc ce groupe de caisses, c'est la solida- l'ité dlimitée imposée aux sociétaires. Toutes ces caisses ont d'ailleurs modilic' leur organisa- tion suivant les besoins parlicnliei s delà ri'^ion (|n"(>ll(^s desservent. « Telle caisse est striclemeul coninninalc ; (elle autre I. V. ÏjO rrèdil nt/ricolr iinihtri, uni' r.rjir'rii'iici' tir huit mois, par l'.is- quier-Bronde, i hr., Algoi-, iJaldacliino, 1902. — 276 — (.( adniel clans son sein des a<^riciil(eurs domiciliés dans « les coniiniincs liinitropiics du siè<^(! social ; (elle aiih'C « encore, plu loi conslitnée enli'e gros el moyens pro|)rié- « laires, croit pouvoir étendre son action à (ont un (( canlon. « L'une ne fonctionne que pour les besoins d'un syn- « dicat régional ; les autres font des prêts directs à leurs « membres. 11 en est qui ne font que le prêt sur war- {( rant, la plupart consentent leurs avances sur billets (( cautionnés » (1). Le nombre des membres de chaque caisse varie de 12 à 40. Des 44 caisses créées à la fin de 1902, 11 seule- mentétaieni en fonctionnement au 31 décembre de cette année. Elles n'ont pu commencer leursopérations qu'après la constitution de la caisse régionaled'Alger, fondée sous forme de société à capital variable dans le courant de 1902. Dn l*'^ janvier au 8 septembre 1902, les onze caisses avaient emprunté à la caisse régionale : 1" Sous forme d'avancesà découvert pour tonds de rou- lement 37.500 » 2° Sous forme d'escompte .... 211.22845 Total 248.728 45 La principale difficulté rencontrée pour la création des caisses locales a été celle qui consistait à en assurer l'or- ganisation matérielle. Les colons s'effrayaient à la pensée delà mise en marche d'un rouage administratif ; dont leur inexpérience s'exagérait la complication. Aussi la caisse régionale d'Alger a-t-elle été l'âme du mouve- 1. l-'asquier-Bronde, loc. cil. — ^277 — ment, sollicitant les conconrs, faisant appel aux bonnes volontés, aplanissant les difficultés et su^g<';rant les solutions. Elle a pu satisfaire à toutes les demandes des caisses locales, gi'àce à son capital social (35.000 francs), aux facilité de réescompte qu'elle a trouvées auprès des Banques d'Alger et notamment de la Compagnie Algé- rienne, qui s'est montrée dès le début favorable à l'oi'ga- nisation du crédit uiutuel; et enfin grâce aux avances obtenues du gouveinement général. Voici, à titre de documents, la situation de la Caisse régionale du département d'Alger nu 31 décembre 1902 (1). ACTIF Espèces en caisse IIG 35 iKffets escomptés. . . . 31). 600 » j » renouvelés . . . 8().940 75 f 129.390 75 » éctius 2.850 » / Avances à découvert aux sociétés 29.407 55 Sociétaires (versements à elïecluer) 2.125 » 1() 1.039 05 PASSIF Capital 38.275 » Avances de l'Ktat 105.000 » Crédit l.yonnais (.\. c. s. nantissement) 7.902 25 Dépôts en coinple courant 7.027 iO Intérêts (4 0/0) au capital 880 80 Réescompte du portefeuille ()03 50 Solde des bénéfices à la réserve 1.290 70 1()1.039 ()5 Engagements eu l»an(]ii(' au ;!l tli'ctMiihic 1902. . 35.845 50 I. Renseii;nemonl.s dûs à roMigeancc do M. l'asiiuicr-Iîi'ondo, directeur de la caisse régionale du déparleuienl d".\lg fr. oO sans avoir occa- sionné aucune perte. Le taux de l'escompte, qui avait été de 5 0/9 pendant le premier semestre, a été ramené à 3 0/0 à partir du 1"' juillet, époque de l'encaissement des avances de l'Etat. Le montant des agios perçus s'est élevé à 703 fr. 40. Ce bénéfice a permis après prélèvement des frais géné- raux, de servir un intérêt de 3 0/0 au capital social, et de constituer un fonds de réserve aux trois caisses, con- formément aux statuts, et proportionnellement au chiffre d'affaires de chacune. Le bilan au 31 décembre 190^2 s'établit de la façon sui- vante : PASSIF Capital 5.300 )) Caisse rurale de Tatier 530 40 Caisse rurale de Djidjelli 512 15 Avances de l'Etat 19.400 » Intérêt aux sociétaires 127 55 Réserve 92 50 25.962 30 ACTIF En caisse et en dépôt 12.803. » Effets à recevoir de Taher 6.619 90 Effets à recevoir de Djidjelli 6.539 40 25.962 30 La caractéristique de ce bilan est l'importance de l'en- caisse et la faiblesse du portefeuille, qui atteint son minimum à cette époque de l'année, parce que les prêts de campagne ont été remboursés sur la vente des récol- — -281 — tes, et que l'époque des grands travaux du vignoble ne sont pas encore arrrivés (1). Depuis la constitution de ces caisses régionales, un nouvel effort a été tenté, et deux caisses régionales ont été créées dans le département d'Alger à Koléa et à Douera, mais la solidarité n'y est pas illimitée. Il doit également se former procliainement une série de caisses nouvelles dans le département de Constantine (î>), et notamment une Caisse Régionale Sétifienne au capital de 100.000 francs, qui pourra, au moyen des avances du gouvernement général, disposer d'un fonds de roule- ment de 500.000 francs. Les Caisses de crédit agricole mutuel sont encore trop récentes pour ([u'on puisse préjuger des résultats qu'elles pourront donner; les renseignements sont peu nombreux sur ces organismes dont les plus anciens n'ont guère plus d'un an d'existence. Si cependant on cberche à déter- miner les grandes lignes du mouvement qui leur a donné naissance, on constate que la pensée primitive avait été d'avoir seulement une Caisse régionale par département, chacune des trois Caisses bénéliciant de l'un des millions mis à la disposition du gouvernement général. Malgré cela, les Caisses se créaient lentement, car rim[)ression générale était ({ue la solidarité illimitt'c l'Iail lu-cessaii-e : or cette clause effrayait les colons. Celle idt'e l(Miait en partie à ce (pie les piHMiiirres (/.lisses groupées autour de la Caisse régionale d'Alger étaient constituées sur ce type. Puis, on s'est rendu compte ipie la solidarité limi- tée était possibl(\ el le nombre des Caisses locaK's s'est 1. Les cliillVcs el les i-ciistMj;-iirmeiils oi-iU>ssus ])ri)vieiMiont du journal V Impartial, dr Djidj.'lli. n" du 8 février l<)o5. 2. Llndrjiendant île (loiislinitinc, n° du -.'.a mars 190?). — ^282 — accru, en même temps que celui des Caisses régionales, dont l'action, au lieu de s'étendre à un département, s'est limitée à une petite circonscription : telles les Caisses régionales de Koléa et de Douera. Le mouvement est maintenant commencé, l'avenir dira quels en seront les résultats. TROISIÈME PARTIE Le fonctioniaeinent dw crédit Circonstances économiques générales augmentant la diversité et l'intensité des besoins de crédit On a examiné dans la première partie de ce travail les circonstances qui provoquaient les besoins de crédit ; on a passé en revue dans la seconde partie les divers établis- sements qui avaient distribué ce crédit. Il convient main- tenant de tirer les conclusions de cette étude et de rechercher quel doit être le fonctionnement de ces institutions dont on a considéré révolution. Mais avant d'arriver à ce point, n'y a-t-il pas des phé- nomènes économiques d'un ordre général dont l'inlluence doive être considérée en [)r(Mnière lii;ne? Un premier tait, déjà mis en himière, domine riiisloire économique de l'Algérie, c'est la prépomlétance absolue de ragricullure sur les aulirs indiislries. « C'est ihi sol, disait Burdeau (huis son rapport sur \v bud^'ct de 189:2, que l'Algérie tire toute sa richesse ». L'Algéiie est un pays agricole, qui vit de ses produits, et en exporte le - ï>84 — surplus. Seulonicnt cllo no [ji-odiiil pas tout co (|ui lui est nécessaii'o ; ello doit imporlcr du dehors, et notam- ment de France, dans des propoitions telles que ses impoi'talions dé[)assenL ses exportations (ît qu'elle doit à la France plus que la France ne lui doit. Le second point à noter, c'est que les récoltes sont inégales, et d'une iné<^alilé très gi-ande. C'est un t'ait sur lequel insistait Hurdeau dans le ra[)port déjà cité, il ne parlait d'ailleurs que des récoltes de cértjales et montrait par les tableaux suivants les variatiotjs excessives qui se produisaient d'une année à l'autre. RÉCOLTE EN CÉllEALES DE TliOIS PÉRIODES QUINQUENNALES {Chiffres en iniUiovs de quintaux) l'e période. :2e période. S^période. 1863. . 20.405 1873. . 12.384 1883. . 14.678 1864. . 14.568 1874. . 15.793 1884. . 21.008 1865. . 8.329 1875. . 19.672 1885. . 16.607 1866. . 6.468 4876. . 18.316 1886. . 17.164 1867. . 2.880 1877. . 9.686 1887. . 15.030 Moyenne quinquennale. 10.730 15.170 16.893 Les oscillations pendant la première péi'iode sont énor- mes. Elles vont en s'atténuant à mesure que le temps s'écoule et la moyenne se relève peu à peu. Ce sont d'ail- leurs les récoltes effectuées parles indigènes qui présen- tent les variations les plusfortes. A mesure que lescullui-es européennes s'étendent, l'aniplitude des oscillations diminue. Encore, dans les chiffres cités n'est-il question que des céréales, mais la production viticole a présenté également des variations qui se sont traduites par des différences considérables dans les cours : c'est ainsi ([ue le — 485 — prix moyen de lo à 20 fr. par hectol. de vin, est tombé à l\ ïi\ et jusqn^i 2 fr. 50 en 1900 et 1901. Ces oscillations sont dues à des causesdiverses. Il faut en mettre de suite à part un certain nombre d'un caractère accidentel. Telles sont les invasions de saute- relles, les orages de grêle, les maladies [)arasitaires ou cryptogamiques des végétaux. On sait que ces divers fléaux n'ont pas é|)ai-gné l'Algérie. Mais en dehors de ces circonstances spéciales, il en est une, sur laquelle on a déjà insisté, qui domine la production agricole de FAigérie et vient lui iinprimer son allure irrégulière, c'est le climat. On s'est attaché à montrer, dans la première partie de cette étude l'im- portance considérable de Teau dans l'agriculture algé- rienne : si la pluie ne vient pas, la récolle est perdue. Or, elle ne vient pas toujours, et il suffit de cette cir- constance pour déterminer dans la production annuelle de l'Algérie un déficit considérable, aggravé par ce fait que non seulement l'Algérie ne pourra peut-être pas suffire à ses besoins intérieurs, mais encore qu'elle ne pourra pas payer cequ'elle doit aux pays d'où elle importe les objets manufacturés qui lui manquent. Voici donc un pays dont la population prestpu' (Milièi-e vit de la récolte, et dans lequel cette recolle, à iiiler- valles plus ou moins longs, s'abaisse brus(|M('iiitMil au- dessous de la moyenne. De plus, cell(> |)t)pnlalioii (>st pauvre, si pauvre, (pie d'un bout à l'aulre du pavs, les cultivateurs, européens ou indigènes, onl du einpi-uiiltM" pour faire au sol les avances nécessaires à vriio n'-colle. Le produit allendu n'arrivanl pas. il en l'ésiilh» une (ii[)le coLiséquence : impossibilité de rembourser lt> pièleur ; impossibilité de se nourrir, impossibilité de préfiaier la — ^86 — récolte prochaine si l'on tic pcMit obtenir nn nouveau prêt. Tel est le résultat scliéinatiqne d'une mauvaise récolte en Al{^érie. Tout le inonde souIVrira : les colons qui auront une récolte insuffisante, les con)nierçanls auxquels on s'adressera moins, les établissements de crédit (jui ne se ion t pas remboursés à échéance, qui devront consentir des piorogationsou même de nouvelles avances, el qui, s'ils sont acculés à des exécutions, les réaliseront dans des conditionsabsoinmentdéfavorables. Il est inutile d'insister davantage sur le caractère d'acuité que prennent en Algérie les crises agi'icoles : les développements qui précédent et les exemples cités per- mettent de se rendre compte du désarroi dans lequel se trouve l'Algérie quand la récolte manque, ou quand, au contraife, une récolle exceptionnellement abondante ne permet l'écoulement des produits que dans des condi- tions insuffisamment rémunératrices. Chaque période de crise se traduit par un besoin d'argent plus intense encore chez le colon. En temps ordinaire, ce dernier a toujours besoin d'argent; en temps de crise, il lui vu faudrait davantage encore, tant pour parer aux besoins de moment, que pour préparer cette récolte future sur laquelle il compte pour réparer le désastre de la précédente. Il réclame donc du crédit. Impuissant à analyser la situation dans laquelle il se trouve, el à dégager les causes dont elle procède, il ne sent quune chose, c'est que du crédit le sauverait, et il le réclame avec àprelé, accusant les institutions existan- tes, critiquant les solutions adoptées, réclamant la création de cette fameuse Banque centrale dont l'inter- vention viendrait, lui semble-t-il, le tirer d'embarras. L'exposé du problème suffit pour concevoir que la — 287 — solution n'en est pas aussi simple. Si les crises sont aussi fréquentes et aussi profondes, c'est qu'elles tiennent à autre chose (|u'au mauvais fonctionnement des institu- tions existantes, (pii, on le sait, sont nombreuses, sou- vent généreuses, et [)arfois même l'ont été trop. On vie[)t de résumer les cii'coiistauces écouomicpies qui douiiueiit la question. ComnuMit, en en IcuaiiL compte, pourrait-on assurer un uieilleui' foncliounemeut du ciédit :' Mesures d'économie générait' île luiliire à régulariser la pro- duction algérienne et à faciliter le fonctionnement normal du crédit. Tout d'aboi'd, il résulte des observations (pii (X'écèdent que ce(|uid()une auxcrises leur importance particulière, c'est la ])rédomiuance de la pi-odiicliou ai^ricole : tout reposant sur la récolte, tout le monde souffre (juaud elle ne donue pas les l'ésultals attendus. Il serait donc possible d'atténuer beaucoup les crises, si o[i arrivait à développer, parallèlement à l'agriculture, les autres sources de production de i'icliesse,le counnerce, et surtout l'iudusti'ie. Il est évident (pie. s'il y avait, à côté des agriculteurs, des iudustriels (pii, eux, ne soul- fi'iraient pas îles crises ou u'eu souffrii'aieut (pi'à un degré bieii moindre, renseud)le du pays s'en trouveiait soulagé. La première série de mesures à prendre devrait donc avoir [)()ur but de développer la production industrielle de l'Algérie. Dans cet ordre d'iilées, l'exploitation îles richesses miueiale j)ourrait jouer un rôle injportaul : les — ^288 — carrières tle phosphates, les gîtes métallifères, les gise- menlsde pétroles poui'raieiit devenir le centre d'exploita- tions prodnctives, et parlant, d'nne pi'odnction de richesses ([ni resterait idenlicpie à elle-tnème les années de inanvaise récolte. Bien (jnci l(>s produits de ces mines doivent forcément, poni' partie tout an moins, (jnitter l'xVlgérie, il est incontestable qne leur exploitation, par les salaires dont elle serait la canse, créerait antonr des centres d'extraction des zones dont l'état économique resterait assez peu influencé par les événements agri- coles. A mesure que s'accroîtra la population bénéticiant de cet état économique, elle constituera un contre-poids de plus en plus fort aux crises agricoles. Indépendamment de ces richesses minérales, d'autres industries peuvent se créer ou se développer, notam- ment celles qui procèdent de l'art indigène : orfèvrerie, bijouterie, fabrication des tapis et des tissus, travail des cuirs, poterie et céramique. Un effort très sérieux a été tenté de ce côté depuis quelques années et semble porter des fruits. On devrait s'efforcer de trouver à ces indus- tries des débouchés, non-seulement en Algérie-Tunisie, mais encore dans les pays limitrophes, comme le Maroc et la Tripolitaine, peut être même plus loin, au Soudan par exemple. La plus grande partie des fez portés en pays musulman, est, paraît-il, fabriquée en Autriche : l'Algérie pourrait peut-être, pour certains objets, acqué- rir une clientèle dans le monde musulman, en dehors de ses propres habitants ; il y aurait, là encore, un moyen pour elle, de se créer une source de revenus annuels qui échapperaient à l'aléa du climat. On a tenté, il y a quelques années, d'accroître l'im- portance de l'industrie de la pêche. Les résultats obte- — ^289 — nus n'ont pas i-('[)oniln aux espoirs qu'on avait conçus. Peut-être cependant la présence des sardines sur les côtes d'Algérie justi liera it-elle de nouveaux efforts dans ce sens, et l'établissement de l"abi'i(|ues de conser- ves, qui pourraient étendre leur action, et traiter, en même temps que les poissons, certains légumes, comme les pois, les haricots verts, etc. On ne peut donner ici (jue de brèves indications sur les divei'ses voies dans lesquelles on pourrait s'engager, mais ridée sur laquelle on croit devoir insister, c'est la nécessité pour l'Algérie de chercher, par la création d'in- dustries nouvelles ou l'extension de celles qui existent, à se faire une nouvelle source de revenus, indépendante des fluctuations de la production agricole. La conséquence des ef!brls failsdansce sens serait l'accroissement d'une fraction de population touchant régulièrement son salaire, et pouvant continuer ses achats au commerce algérien pendant les années oîi le colon se voit dans l'obligation de suspendre ou de diminuer les siens. Si maintenant on considère cette production agricole proprement dite — et c'est ce qui a été fait dans la pre- mière partie de cette étude — on constate la prédomi- nance des céréales et de la vigne, c'est-à-dire des deux cultures sujettes aux variations de l'endemenls les plus fortes. La consécjuence qui s'impose immédiatiMiieni à l'es- prit, c'est la nécessité d'essayer, pai- l'aciroissoment d'autres branches de production d'un i-enileniciil plus régulier, déstabiliser la production anum lie. Il y a long- temps (pi'on a dénoncé l'abus de la cultuic de la vi^ne, la « monoculture *, poussant à la proiluctit)n il'niie (juantité sans cesse croissante de vin d'une (pialite Philippar I '' — 290 — médiocre. On a indiqué la nécessité, en présence de l'ac- croissement constant du vignoble dn monde, de tourner ses efforts vers l'amélioration d'une production réduite. Mais ce n'est pas tout. Puisqu'aussi bien la culture, entrée dans les mœurs de l'Algérie, y est l'industrie favo- rite, encore peul-on la diriger dans un sens différent. La culture de l'olivier se présente en première ligne, comme d'un rendement égal, donnant uli pi'oduit dont les débouchés sont susceptibles d'extension : la Tunisie a donné à la production de l'huile des soins dont l'Al- gérie pourrait s'inspirer, La culture des primeurs, exceptionnellement favorisée par le climat, pourrait donner également des bénéfices susceptibles de moins d'aléas. Celle des oranges, des citrons, des raisins de table, pourrait être également pro- fitable. Celle du tabac pourrait être étendue, tandis que le perfectionnement des procédés de fabrication permet- trait de rechercher au dehois une couche nouvelle de clients. Enfin le développement de l'élevage du mouton, et du bétail en général, pourrait concourir efficacement à l'équilibre de la production algérienne. Le mouvement est d'ailleurs commencé dans ce sens ; les crises viticoles ont attiré l'attention sur la nécessité de chercher ailleurs une compensation aux déboires pos- sibles ; le Bulletin de renseignements de Voffice du gouverne- ment général de l'Algérie publie dans presque tous ses numéios des renseignements intéressants sur les débou- chés que peuvent trouver hors d'Algérie les huiles d'olive, les primeurs, les raisins; il est à souhaiter que ces renseignements soient misa profit par les intéressés. On voit quel est le but de l'ensemble des mesures pré- conisées : diminuer l'importance des céréales et de la — 291 — vigne, dont l'irrégularité de rendements est la princi- pale cause de l'oscillation ties revenus annuels de l'Al- gérie ; développement des productions susceptibles de donner un revenu plus régulier, et de permettre la créa- tion au dehoi's de nouveaux débouchés. Enlin, ne serait-il pas possible d'agir sur la production même des céréales et de la vigne, et de diminuer leurs variations de rendement? En ce qui concerne la vigne, les facteurs sont nom- breux, puisque les crises peuvent tenir soit à des déficits, soit à des su i productions ; en ce qui concerne les pre- miers, chacune des diverses maladies {|ui peuvent les causer sont maintenant connues et ont leur traitement particulier. Ce qui doit surtout retenir l'attention, c'est le moyen de pai-er aux crises de surproduction. On a indiqué plus haut comme palliatif une taille appropriée, permet- tant de diminuer, en l'améliorant, le produit obtenu. Dans cet ordre d'idées, il y a lieu de ra[)peler également les résultats obtenus [)ar les procédés nouveaux de vini- fication, basés sur la réfrigération des moûts, qui per- met, en réglant à volonté la tt'uqjératurc (.le fermentation, de diriger celte opération dans le sens vt)nlu. ('/est là, semble-t-il, un des facteurs qui peuvent infiuei' le [)lus eflicacementsur la qualité des vins algériens. Kniiiijc vin obtenu, il est possible, tout en en diminuant le volume, d'en accroître la vnlenr pai- un l'elèvemenl de la teneur en alcool au niovcn de la l'oncnitratiuM oblcniu'. soit par la congélation, soit par la ilislillation dans \o vide [[), 1. H. Roques, Iji cuHcriilidlimi drs mis. \\c\. ^'ii. des Srieiices, i(jo3, p. 274. La prodiiclioii totale du vin étant en aii^iiientation contiiHio, il est évident que le ineilleur moyen, poui' les agriculteurs algériens, d'écouler leur pi'oduction, est de diminuer la quantité au profit de la (jualilé. (Jn a aussi préconisé la préparation des raisins secs, et la sui3sLitu- tion du raisin de table au raisin à vin. Si, malgré ces diverses mesures, une surproduction venait à se produire, deux moyens pouri'aienl aidera eu combattre les effets: le crédit, pour attendre la vente; la coopération, pour la faciliter. Quant aux céréales, la question est différeiite : les variations de la production peuvent être partiellenient atténuées par l'amélioration du mode de culture, mais si les pratiques culturales sont elles-mêmes de quelque effet, c'est qu'elles peuvent, dans une certaine mesure, pallier les inconvénients de la sécheresse. «La terre nous « apparaît comme un réservoir oîi les racines doivent « toujours trouver un ample approvisionnement d'eau. « C'est pour l'assurer que, depuis les temps les plus « reculés, les hommes ont travaillé la terre ; ils y ont « employé des instruments que, lentement, au cours des « siècles, ils ont perfectionnés pour arriver à un ameu- « blissement de plus en plus parfait » (1). C'est donc, en somme, de l'eau qu'il faut donner aux cultivateurs algé- riens. « La politique de l'Algérie, a-t-on dit, doit être une « politique hydraulique ». Bien n'est plus exact. Le jour où le cultivateur algérien aura à sa disposition l'eau, cette « première condition de la fertilité » (2), la produc- 1. P.-l*. Dehérain, Traité (le chimie agricole, Paris, Masson, 1902, p. VI. 2. 1(1. ibid . — 293 — tion des céréales se régularisera et les crises dimimieronl progressivement en nombre et en intensité (I;. Une enquête avait d'ailleurs été faite en 1883 sur ce sujet, et avait donné lieu au dépôt par M. Dormoy, ingé- nieur en chef de la circonscription deBône,d'un remar- quable rapport dont M. Rouanet (2) citait le passage suivant : « La sécheresse des terres est le plus grand « obstacle que rencontre dans ce pays l'agriculture. Cette « sécheresse est telle, dans certaines régions, que les « céréales, qui sont cependant une culture d'hiver, n'y (( réussissent en moyenne qu'une année sur huit, si elles « n'ont d'autre arrosage que les pluies : toutes les « plaines du département d'Oran et la portion de la « plaine du Ghéliff située dans le département d'Alger « sont dans ce cas. Dans le département de Constantine « et le département d'Alger (sauf la plaine du Chéliff), « la récolte des céréales ne manque faute d'eau qu'une « année sur huit en moyenne. Dans aucune partie de « l'Algérie les cultures dites d'été, c'est-à-dire le jardi- « nage, les prairies artificielles, lecoton, letabac, le maïs. « les oranges, ne peuvent exister sans arrosage. Il résulte « de ces faits qu'il faut, dans l'ouest de la colonie, des « arrosages d'hiver cl d'été, tandis cpie les arrosages « d'été sont généralement suffisants dans l'Est ». On comprend dans ces conditions, ajoutait M. Dormoy, que les cours d'eau, ayant en Algéi'ie, même pendant I V. sur ce point dans P.-I^. DetitW'ain, op. rit , riulluonci" dr la sécheresse sur la sti''rilil('> (les n'j^fions mt'ridion.ili"^, p. !»(îo ralii|uc c\ iVIloI des iri'iy;alious, p. (>oo l'I sui- vautcs. 2. Jules Rouaucl, l'oiir Ir l'Jirli/f. l'.ull. St)f . ^'co»;!-.. Al_i;i'r cl Afr. du N., 1901, 4'' li'i"'- "^l i<)02. V' triru. — 204 — l'hiver, un débit ordinaire faible, et des crues considéra- bles, mais de peu de durée, il était nécessaire d'avoir dans le département d'Oran et dans l'Extrême-Ouest du département d'Alger des barrages-réservoirs dont l'utilité était clans ces régions bien pins grande que dans le reste du département d'Alger et dans le départementde Cons- tantine. M. Jean Brunhes montre dans son ouvrage (1) que l'histoire des irrigations en Algérie comprend deux pério- des. La première, qui va jusqu'à 1898, est caractérisée par leur faible développement. Depuis 1898, au con- traire, époque à laquelle l'autonomie a été donnée à l'Algérie, et oîi le service de l'hydraulique agricole a été constitué en direction indé()endante, l'importance de ce service a augmenté immédiatement ; le Conseil supé- rieur du gouvernement, dans sa séance du 24 janvier 1899, a relevé le crédit j)révu pour les ti'avaux d'hydraulique agricole et l'a porté de 680.000 à i. 000. 000 fr. La première période a été caractérisée parla prédomi- nancede grands travaux d'art, notamment de barrages (2). L'opinion générale semble maintenant défavorable à ces grandes constructions coûteuses, sujettes aux accidents. La tendance actuelle est au contraire de multiplier les petits ouvrages, analogues à ceux qui, en France, ont rendu de grands services dans les pays de montagne. M. Jules Rouanet, dans l'étude citée plus haut, reprodui- sait partiellement le rapport d'un agent voyer, proposant 1. Uirrigation dans la péninsule ibérique et dans l'Afrique du Nord, Paris, Naùd. 1902. p. 177 et suiv. 2. Sur ce point, V. Flamand, Notice sur l'hydraulique agricole en Algérie et Tableau des entreprises d'irrigations fonctionnant en Algérie, Alger, Giralt, 1900. — 29o - la création d' « une série de petits barrages de retenue, « étages de distance en distance, formés de traverses de « jujubierqui ne pourriront jamais, et consolidées par des « plantations de ce même arbre, de saules et de tama- « ri[is, habilement combinés avec tics empierrements de a gros graviers et de cailloux roulés. La dépense était « nulle, puisque ces barrages pouvaient être construits « par les corvées de prestation, ou par les corvées appli- « quées aux indigènes (pii ont contrevenu au Gode de « l'indigénat. C'était donc économique. De plus c'était a l'application très heureuse de ce qu'on a fait partout, (( en pays de montagne, avec un succès constant ». C'est bien aussi le système auquel se rallie M. Jean Brunhes. 11 ne saurait ontrei" dans le cadre de ce li'avail de discu- ter les procédés techniques à employer pour réaliser l'or- ganisation hydraulique de l'Algérie; il suffit d'en avoir in(li(pié la nécessité et d'avoir montré que des mesures peu onéreuses pourraient peut-être produire des résul- tats efficaces. Aussi bien d'ailleurs, le programme des travaux à réaliser sur les fonds provenant du récent em- prunt du gouvernement général de l'Algérie fait-il une place importante aux travaux d'irrigation. 11 est maintenant possible de dégager le résultai cpie l'on pourrait attendre d'une série lie mesures prises dans les trois ordres d'idées indiqués : lo Régulai'isalion de l'assiette économiii ne du pays pai' le développement d'industries cpii pourront conlinui'rà fonctionner, même piMidanl les années de mauvaise^ récolte : par conséquent diininulion d'iiilensite des crises ; ■2" Régulai'isation de la proiliiclion agricole par le dé- veloppement donné à diverses cultures, do faron cjne la — 29() — m('îV(Mit(3 (l'uii [)i'0(lnit donné na pnisso pas affeclcr lonle la po()uIalion agricole à la fois ; 3° Régularisation dos récoltes elles-mêmes par une répartition abondante et régulière de Teau. i 3 Division à faire entre les divers besoins de crédit : les événements accidentels En supposant adoptées les mesures que l'on a préco- nisées plus haut, qui auraient pour résultat de placer le pays en état d'équilibre économique, il serait encore nécessaire de fournir à la population les avances dont elle ne peut se passer pour préparer sa récolte. Il con- vient d'essayer de classer ces besoins pour examiner quel genre de satisfaction peut être donné à chacun d'eux. On a mis à parties besoins de crédit résultant d'un événement d'un caractère spécial et accidentel. L'histoire de FAlgtM'ie relate un grand nombre de ces accidents : incendies, invasions de sauterelles, grêles, gelées, etc. Il est évident que dans un pays encore neuf, les faits de cette nature prennent une gravité toute particulière : il faut donc les prévoir ; quand ils se produisent, dévastant toute une région, les moyens habituels de crédit ne sau- raient suffire. On a jusqu'ici remédié aux circonstances de cette nature par des moyens variables. Les sociétés de prévoyance indigènes ont souvent rendu des services ; on a consenti aussi aux douars des prêts de semences gagés par une hypothè(iue sur leur domaine communal ; des av^iinces ont parfois été accordées par les communes — 297 — à diverses catégories de cultivateurs; enfin des subven- tions ont été données par le gouvernement général. Mais il n'existe à ce sujet aucune organisation défini- tive. On a senti cependant à diverses reprises l'utilité qu'il y aurait à posséder une caisse qui permettrait de faire face aux cas exceptionnels. On en retrouve la trace dans les procès-verbaux du Conseil supérieur de gouver- nement. Cette motion n'a d'ailleurs pas eu de suite. Mais l'idée a été reprise récemment avec un certain l'eten- tissement par un agriculteur des environs d'Alger, M. Mario Vivarez, qui proposait la constitution d'une « caisse de secours et de prêts agricoles > dont les fonds seraient fournis par une loterie (1). Ce projet, présenté aux Délégations Financières, aux Conseils généraux et aux Conseils municipaux, a ti'oiivé auprès des assemblées un accueil généralement favorable, mais il ne semble pas cependant (ju^on y ait donné jus- qu'ici aucune suite. M. Mario Vivarez faisait ressortir à rap|)ui de son pro- jet que les loteries du gouvernement espagnol drainent chaque année en France des sommes considérables, tpii pourraient être utiliséesau profit de la loteriealgérienne. Etant donnée la composition de la population et ralliait exercé par ces lot(:ries, il est vraisemblable (|ue les l)illt>ts seraient facilement placés ; mais on coiinaîl Ions les inconvénients du jeu. incotivi'iiiciits d'aiitant pins xMisi- bles qu'ils atfecteiit une population moins i-iclu'. L(> sys- tème de M. Vivarez n'est donc sans doiilc pas ('(diii qu'il 1. Cf projet a clr i-xposo |»ar son aulciir dans une brorliure iiili- tulôc : Coinili' d'ittHiatiir tic loterie iuli'r-drpartrinriildli' tihji'rii'iinr i,our la consLilulion (l'un /omh de hieufuimucr. et de nrdil tifpicole . Hliila, Mauguin, 190a. - ^208 — y aiiiiiiL lieu tradoplcr, mais l'idi'c mùmo ost à rcIcMiir, Il semble qu'il y aurait avantage à créer ce fonds spé- cial clans le([uel on puiserait en cas de sinistre. Reste à savoir comment il serait alimenté. Peut-être chaque année le budget de l'Algérie pourrait-il y verser une cer- taine somme. Mais il sembb; plutôt (pTon puisse sans inconvénients affecter à cet usage une fraction de la rede- vance versée annuellement par la Banque de l'Algérie : étant donnée la lenteur avec laquelle les fonds qui en proviennent seront forcément mis à la disposition des caisses régionales, et en raison de la première mise de fonds de 3 millions dont dispose le gouvernement géné- ral, il semble que ce fonds de prévoyance puisse être doté sans inconvénients. Toutefois, en admettant la création de cette caisse, il faudrait que son but fût très nettement limité aux cas purement accidentels : sans quoi des prétextes seraient trouvés chaque année pour y puiser. Les avances faites par la caisse de prévoyance devraient d'ailleurs toujours être remboursables à pinson moins long terme. Mais il est certain qu'en dehors de cet organisme nou- veau, les Algériens pourraient trouver dans l'association et dans l'assurance de puissants moyens de parera cer- taines de ces éventualités, notamment aux dégâtsrésul- tant de la grêle et des sauterelles. C'est d'ailleurs ce qu'on a déjà tenté de faire (1). Si on met à part ces cas exceptionnels, auxquels doi- vent correspondre des mesures spéciales, il reste à parer aux besoins ordinaires de crédit cpii peuvent relever de l'une des trois catégories suivantes : 1. V. i^"" congrès des agriculteurs d'Algérie, comp/e rendu, pp. 226- 227. — 299 — 1° Crédit destiné à Faméliofation ou à l'extension de la propriété ; 2° Crédit destiné à la préparation de la récolte ; 3° Crédit destiné à permettre d'attendre la vente. Il convient d'examiner à part le fonctionnement de cha- cune des catégories d'opérations, et les modifications qui pourraient y être apportées. Le crédit destiné à V amélioration on à Vextensiou de la pioprièté Le crédit destiné à l'amélioration on à l'extension de la propriété ne peut être réalisé que sons forme de prêt hypothécaire à long terme, c'est-à-dire amortissable en un nombre d'années assez long, par annuités comprenant l'intérêt et l'amortissement. On a exposé plus haut la fa- çon dont ces prêts étaient consentis jusqu'ici, et les condi- tions qui empêchaient l'abaissement plus rapide du taux. Jl est certain néanmoins, que les capitaux son! en (juan- tité suffisante à la dis[)osili()n des eniprunleurs el (jiie le taux s'nbaisse progressivement : ce mouvement ne sau- rait être hâté que par le développement écon()nii(|nt» du pays, auquel contribueraient certainement les diverses mesures dont on a indiqué les grandes lignes. Il n'est qu'un point qui pourrait être législalivement amélioré dans l'état actuel des choses, c'est le régime même de la |)r()[)riét('\ par rado])lion du système de I acte Torrens ou l'égime des livi'es fonciers. On sait (pie ce sys- tème fonctionne en 'Tunisie oii il a doiini' des ri'siillats satisfaisants. L'adoption tle ce l'égime aurait inroii- — 300 — testahlemenl pour effet de faciliter beaucoup la réalisa- tion des prêts et la sécurité des opérations. Cette grosse réforme est à l'étude depuis longtemps ; elle a donné lieu à une étude très approfondie de M. Dain (1) ; elle a motivé le dépôt, en 1893, d'un projet de loi par M. Franck-Ghauveau(2) ; M. Pouyanne, en avait fait éga- lement une étude détaillée (3) dans son ouvrage sur la propriété foncière, et a été chai'gé depuis par le gouver- nement général d'étudier les résultats donnés en Tunisie depuis 1885 par l'apiilication du système Torrens. Son rapport, récemment publié (4), conclut à l'introduction en Algérie de ce système. « Il y aurait la grande immatricu- « lat ion, résevwée aux Européens, et comportant toutes les (( conséquences du système Torrens, et la petite immatri- « culation, réservée aux indigènes, beaucoup plus simple (( et moins onéreuse » (o). L'étude des modifications projetées sort du cadre de cette étude ; il suffit d'indiquer ici l'influence qu'elles auraient sur l'importance des prêts fonciers en Algérie, par l'augmentation des sécurités qu'elles donneraient aux prêteurs, et l'augmentation des facilités qu'elles don- neraient aux emprunteurs. 1 . Dain, Le systi'me Torrens, son application en Tunisie et en Algérie. Alger, Joui'dan, i883. 2. Projet de loi déposé au Sénat le 29 mars 1893. 3. La propriété foncière en Algérie, 1900, pp. 825-8S6. 4. Rapport sur l'application du sgstème Torrens en Tunisie et en Algé- rie, Alger, igo5. 5. Aug. Bernard, Communication sur la propriété indigène dans l'ar- rondissement d'OrléansvUle, Bull. Réun. Et.Alg., igoôjp. 100. — 301 — Le crédit destiné a la préparation des récoltes C'est ce mode de crédit qui présente le plus d'impor- tance ; il donne lieu à un mouvement annuel très consi- dérable de capitaux. Trois catégories d'em[)runteurs y ont recours : En premier lieu, l'indigène ; en second lieu, le nou- veau colon; enfin, en dernier lieu, l'agriculteur européen déjà installé depuis quelques années. En ce qui concerne lindigène, deux cas peuvent se présenter : ou bien il s'agit d'un homme jouissant d'une certaine situation, possédant des immeubles placés sous le régime français : dans ce cas, il trouvera du crédit dans les mêmes conditions que l'Européen. Mais il peut s'agir aussi d'un indigène vivant dans le Sud, propriétaire dans l'indivision suivant la loi musulmane, on même dénué de propriétés. Dans ce cas, deux modes de crédit lui sont seuls offerts: le premier, c'est l'assistance que consen- tira à lui accorder, soit un indigène plus riche, soit un propriétaire européen qui le connaît et vit assez en con- tact avec lui pour apprécier l'opportunité de l'emprunt et les chances de remboursement. Le crédit fait par de gros propriétaires à des indigènes par une sorte de contrat d'association, est fréquent ; mais il esl rtMiaiu que le véritable instrument capable de louriiii- aux indi- gènes les fonds (pii Imv sunl nécessaii'es. c"esl la Société indigène de prévoyance. En dehoi's de ce double baillciii- de fonds, gros pro- priétaire le connaissant personnellemenl, ou Société indigène, il n'en reste qu'un à l'indigène, c'est l'usurier. — 302 — Le prêtoiir honruMe (|ni ne connaît |)as l'indigène se trouve arrêté par le double écueil de la signature indi- gène impossible à identifier, et du régime inextricable de la propriété. Indépendamment du rôle (jue peuvent jouer les sociétés de prévoyance, on conçoit condjien rad<>[»lion du projet Pouyanne permettant l'immatricu- lation des immeul)les faciliterait le crédit à l'indigène en donnant la sécurité à rem[)runteur. N'y aurait-il môme pas danger à mettre entre les mains de l'indigène un aussi puissant moyen de crédit? C'est cette crainte qui a donné naissance à d'autres projets tendant à constituer en sa faveur un bien de famille insaisissable. En ce qui concerne le nouveau colon, la question est délicate. En principe, tout concessionnaiie doit possé- der en s'établissant une somme de 5.000 francs. En admettant (pi'il l'apporte bien réellement, c'est là une ressource assez faible et bien vite épuisée, surtout si les premières années sont mauvaises. Aussi s'esl-on préoccupé à diverses reprises de fonder des sociétés ayant pour but de permettre, par des avan- ces, aux colons nouveaux, de passer sans trop de difficul- tés les premières années. C'est ce système que préconisait M. Labiche dans son rapport après l'enquête sénatoriale, et que développait devant la Commission M. Perrioud, directeur des Domaines en retraite. La Réunion d'Etudes algériennes, avait, à un moment donné, étudié cette question. Il ne semble pas qu'on ait jamais réussi à met- tre debout un projet définitif. La tâche à accomplir relève en effet plutôt d'une organisation charitable ou philan- thropique que d'une organisation financière. Le prêteur se trouve, en face du colon nouveau, dans — 303 — une siluaLion pleine d'aléas. !1 s'agit de faire crédit à un inconnu, arrivé d'hier, le plus souvent sans actif mobi- lier, (jui peut ie[)ai'tir demain et qui n'a même pas la pleine propi'iété de sa concession : ni le crédit réel, ni le crédit personnel, ne trouvent ici leur application. Le régime actuel des terres d(î colonisation, réglé par le décret du 30 septembre 1878, donne cependant au créan- cier du colon une sûrelé spéciale (i). Toute concession gratuite comprend deux périodes, une période provisoire, qui dure cin(| ans, au cours de laquelle le colon accomplit sous les yeux de l'administration une sorte de stage et peut se voir retiier sa concession en cas d'inobservation de certaines conditions; puis une période dëfinitice, où le colon, ayant tini d'accomplir les obligations qui lui sont imposées, devient pleinement et entièrement proprié- taire. Moyennant certaines conditions, la ilurée tie la période provisoire peut être réduite à 3 ans. Quelle est [xmdant celte période piovisoire, la garanlie cpie le colon peut offrir à un enq)runl('ur sur une concession (pii ne lui appartient pas délinitiviMnent ? 'I pt'ul. aux termes du décret de 1878, consentir une hypothèque ferme et pri- vilégiée au créancier qui lui a pi'èté certaines sommes, uniquement destinées à Texploilation ou I amelioralion de sa concession, le créancier devant, pour réclamci- le bénélice de; l'hypollu'tpie, prouver ipie les fonds par lui pi'ètés ont él<'! (employés cind'ormcmrnl à la dcsiinalion prescrite pai- la loi. Dans ces coiidil ions, le créancier non rend)oni'S(' à échéance peut rcipuM'ir radpidication. cpn a lien par voie adminishalivc : mais ne pciiNcnl \ picn- d re pail (pie les eiiclicrisstMirs ('m'opccii-^ remplissant 1. Sur rcxpiist' du ngiiiif, v. l'oiiyaiine. ((y/, c//., pp. ^-oi-jiS. — 304 — les conditions imposées an concessionnaire primitif. On voit les difficultés (|ue rencontre le prêteur. 11 semble donc que pendant la [période provisoire, des Sociétés philanthropiques poui'raient seules intervenir pour assister le colon par des renseignements d'ordre techniques, ou parfois des secours. Une fois la propriété devenue définitive, le colon serait mûr pour le crédit. Avant la délivrance du titre définitif, une Société de crédit ordinaire ne peut guère songer à intervenir. Peut-être cependant une Caisse de crédit mutuel fondée suivant les dispositions de la loi de 1894 entre les colons d'un village nouveau pourrait-elle obtenir de la Caisse régionale des avances qui pouri-aient être ensuite em- ployées à des crédits aux sociétaires, crédits garantis par l'hypothèque ferme et privilégiée. Mais on sent tout ce que cette organisation aurait de fictif, rien ne pouvant garantir bien réellement à la Caisse le remboursement des sommes avancées, car on ne trou- verait peut-être pas toujours à point un adjudicataire présentant toutes les conditions requises. Le crédit au colon se heurte, on le voit, à de graves difficultés, et il faut, quand on l'entreprend, consentir d'avance le sacri- fice d'une grande partie des sommes prêtées. Aussi n'est-il pratiqué généralement que par des usuriers, qui, placés près de l'emprunteur, consentent à lui avancer de faibles sommes dont ils surveillent àprement la ren- trée (1). 11 reste enfin la troisième et la plus importante caté- gorie d'emprunteurs, celle que forment les agriculteurs, propriétaires ou fermiers, installés depuis quelques années. I . V. I^enaud, Tassin, Histoire d'un village algérien. - 305 — Le mode de crédit auquel a recours l'agriculteur, on Ta tléjà indiqué, c'est le crédit de campagne, pour une durée de 6 à 9 mois, parfois plus, garanti ou non par des sûretés données, soit sous l'orme d'hypothèque, soit sous forme de caution ou d'aval. Ces crédits de campagne sont consentis à des taux variables suivant l'emprunteur, mais surtout suivant la région et la proxituité d établissements de ci'édit dont la présence amène un abaissement des conditions. Le taux courant et normal du crétiit de canq)agneest tie 0 0/0 ; il est fréipiemmenl (le 7 0/0 ; quand il s'agit de localités un peu éloignées, il atteint 8 à 10 0/0 ; certains Comptoirs d escompte vont, dit-on, j use] n'a 1:2 0/0 : en lin dans des régions tl'une certaine importance, mais dépourvues d'établissements de crédit, il s'élève à loet 18 0;0. Les règles qui peuvent être posées au sujet des crédits de campagne sont les suivantes : 1° Le crédit de campagne ne doit être accordé (pi'à un em[)runt('ur résidant près du prcliMii' cpii peut ainsi étudier la situation avant le prêt el la suivcillei' après ; 2° Le montant du crédit de campagne ne doit jamais être employé à îles opérations à long ternu' ^^conshuc- tions, améliorations foncières, etc.") ; o'Ml y a toujours lieu d'exiger le rcmboui-sriinMil du crédit de campagne à échéance, tout au iiKiius le rem- boursemcnl partiel si l'on ne peut oblcnir le rembourse- ment total, et ce, tant dans l'intérêl de remprunleiir ipie dans celui du prèleur. On a ilejà insisté siii' rimporlanc(^ (\o ces ci'edils en Algérie. On peni dire (pie le pays entier (Mnprmile a\ an t les semailles poui' rembourser api'ès la récolte. On a vu que la Bani[ue de l'Algérie avait été eiitrainee dans ce Philippar iO — 306 — mouvement. LesComptoii-s tl'escompteavaienlélé fondés spécialemcni pour ces opérations dont on a ti'onvé pins haut quelqnes exemples. Enfin les élabiissemenls de crédit de l'Algéi'ie, Crédit Foncier et Compagnie Algé- rienne eu consentent également ; on Ironveia ci-dessons quelqnes exemples de ces opérations, consenties par de grands établissenients de crédit. NM. — M. S... propriétaire à R... (Avril). Crédit de 1.500 francs pour 6 mois, au taux de 0 0/0 et 1/4 de commission tr-imestrielle. Situation du demandeur : 36 hectares de terre à R..., soit . . . 9.000 fr. (dont 3 hectares de vigne) Bâtiments ti'habitation et d'exploitation. 5.000 > Matéi'iel agricole et vinaire 3.500 » Cheptel 2.000 » Total. ... 19.500 )) Inscriptions hypothécaires : néant. Crédit identicpie accordé l'année précédente et non utilisé. Assurance : Constructions, 5.000 francs, matériel et cheptel, 4.000 francs; mobilier, 2.000 francs. Le demandeur est ui] travailleur sérieux ; on peut lui accorder le crédit qu'il sollicite. N** 2. -M. D... à E. ., instituteur en retraite et culti- vateur. Crédit de 800 francs pour 9 mois, 6 0/0 et 1/4 de com- mission trimestrielle. Réalisable par l'escompte de billets directs. — 307 — Le demandeur possède mie propriété de 12 hectares 1/2 dont 6 tiectares 1/2 de vignes en plein rap|)ort. Snr cette propi-iété sont éditiés : 1° []ne maison (l*lial)ita(ion constrnite en 1901 et payée 4.400 francs ; 2° Une cave avec matériel complet ; 3" Une maisonnette pour le garçon de ferme. La propriété est grevée d'une liypothèciue de 4.000 fr. Le propi'iétaire possède un cheval, une voitui-e neuve, deux bœufs et une charrette. E.i dehors de ces 4.000 t'r. il ne doit rien à personne 11 jouit d'une retraite annuelle de 1878 tV. Ce crédita été régulièrement accordé et rem- boursé [)endant deux années consécutives. N" 3. — M. Y..., pr()[)i'iélaii'e à A..., luars 1903. Crédit de 50.000 francs, 9 mois, o 1/2 0/0 sur billets directs. M. Y... sollicite un crédit de campagne de 30.000 iv. En 1901 et 1902, il a été déjà consenti à ce bon client des crédits de même importance qui lui-enl toujours rem- boursés à échéance. En 1901 il n'a été prélevé (jue 30.000 francs; en 1902, 20.000 francs. La situation de ce propriétaire est bien coninn^ dans la région. C'est un homme sérieux, passant a jnslr lilre pour lun des plus l'iches colons de la ()laiiu' .Vu>>i piMil- on lui faire le taux de faveur de "i l -^(1 0 pi'en(Mii' de scrnii'»^- ri(^ et Mme B., sans profession, son ('pousc, ipiil assiste et autorise, demeurant (Misend)l(' à T.. . (ruiic pari ; Et M. C .. dir('ct(Mir de la siiccursalf de la Sot'it'tt' de crédit X... (hîmeurant à T. ., agissant au nom et pour le compte de la dite société, d'autre part Jestpicis ont aii'èti' et convenu ce; (pii suit : Art. 1. — La Société de ci'i'dit \... ouvre sous les con- ditions (pii vont suivre à M. et Mme A (pii aci'epteiil, un crédit de la somme de 10.000 iVancs. — 310 — Art. 2. — M. et Mme A... auront le droit de l'éaliser ce crédil, soil en lolalité, soil par fractions, an fur et à me- sni'e (le leui's besoins. Le cr'édit consistera dans l'esconiple que la Société créditrice fera à M. et Ahne A ., en représentation dndit crédit, de billets on li-aites(pii seront souscrits on endos- sés par eux à l'ordre de la Société de ci'édit X... Ces endos porteront la seule signature de M. A..., ce qui obligera néannioitis son épouse solidairement à cet effet, Mme A... donnant pai' ces présentes tons pouvoirs nécessaires à M. A... soti mari, dans le but de solidarité entre eux. Lesdits billets ou traites seront payables àT... à qua- tre-vingt-dix jours au plus, mais la Société de crédit X... se réserve la faculté de stipuler les billets payables dans l'un de ses sièges, en Algérie ou en France. La Société créditi'ice aura bien entendu la faculté d'es- compter, si bon lui semble, des valeurs payables à d'au- tres lieux et échéances sans que cette o[)ération puisse être considérée comme faite en dehors du présent crédit, l'intention des parties étant au contraire d'y compren- dre et de conserver par les garanties ci-après stipulées toutes les opérations de banque qui seront faites entre la Société de crédit et M. et Mme A... aiiisi que toutes les valeurs généralement quelconques (|ue ladite Société pourra avoir en portefeuille, alors même qu'elles n'au- raient pas été escomptées par M. et Mme A..., et qu'elles auraient été au contraire escomptées par des tiers et pas- sées à l'ordre de la société créditrice. Tous effets en renouvellement devront être remis à la Société créditrice cinq jours au moins avant l'échéance des effets à renouveler, — 311 — Tous les effets non renouvelés devront être acquittés à leur échéance, à défaut de (juoi le remboursement en sera immédiatement poursuivi, la durée du crétiit n'ayant pas pour objet de proroger le terme des etfels, mais de fixer le temps pendant lequel ils pourront être escomp- tés. La société de crédit est dispensée de protester et île dénoncer les effets (juV'Ile aiiia escomptés et (jui ne seraient pas payés à leui- échéance. Art. 3. — L'intérêt des sommes avancées en réalisation du [)résent crédit sera de six francs pour cent francs par an plus unipiart de commission pour cent fraïics. Art. 4. — Tontes sommes avancées par la société par addition au crédit, pour primes d'assurances, frais et autres accessoires seront portées au débit des crédités et seront également productives de l'intérêt fixé en l'article qui précède, à compUM' du jour des avances. Tous les billets ou valeurs (pielcon(|ues (pii n'auront pas été payés ou renouvelés exactement à leur échéance seront productifs d'intérêts du jour de leur non-paiement ou de leur non-renouvellement. L'intérêt des billets ou valeurs escomptés sera payé et retenu d'avance au moment de chaque escompte. Art. 5. — La réalisation du ci'édit sera sullisamment justifiée par la repi'éseulation des valeurs porlanl la signa tu l'e de M. A... (pie la Société de crédit aura en por- tefeuille, ou eucor-e par Ions les nii»yeus de preuves ordi- naires et nolanimenl par le eomple courant ou\ert sur les registres de ladite Société. Art. (). — Ce crédit esl f;iil pour uni' durt'e de dix. ans à compter s credilt's ponrroni faire — 312 ~ cesser quand ils voiidi'oiiL sans être tenus à aucun avis préalable. Leclil délai de dix années s'entend pour la péi'iode pen- dant laquelle les crédités pourront user du crédit pré- sentement ouvert, mais en principe la Société ci'édilrice n'entend ouvrir [)nr ces présentes (ju'un crédit annuel de campagne commerciale-iigricolc pour un l;ips de temps maximum de dix mois par an, prenant tin a ré[)(»(jue des récoltes en céréales ou eu vigne, suivant les ressources des époux A... pour être i-enouvelé l'année suivanle selon que la société de crédit avisera. ïoutetois, il cessera avant le terme sus-indi(pié si bon semble à la société de crédit et sans que celle-ci ait à faire remplii- aucune formalité judiciaire à cet égard : 1° A défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul billet escompté ou à défaut de renouvellement d'un billet escompté accepté par la société de crédit ; 2° Dans les cas prévus par les articles 1888 et 2131 du Code civil ; 3° Dans le cas où la créance résultant du présent crédit serait passible en vertu des lois, décrets, juge- ments et arrêts antérieurs ou postérieurs au [présentes d'un impôt de quelque nature ou forme que ce soit, hypothécaire ou autre, à moins que les crédités ne con- sentent à supporter personnellement cel impôt, auquel cas le présent crédit continuerait à recevoir sa pleine et entière exécution. 4° Et enfin d'infractions de la part des crédités d'une seule des conditions énoncées aux présentes. Il sera loisible à la Société de crédit d'exiger le rem- boursement des sommes avancées en vertu des présentes à n'importe quelle époque, mais à charge par cette société - 313 — de prévenir les crédités an moins trois mois à l'avance et par écrit de son intention à cet égard. Art. 7. — M. et Mme A., s'interdisent le droit, pendant toute la durée du crédit de louer tout ou pai'lie des immeubles ci-dessous hypothéqués sans l'autorisation de la Société de crédit. Art, 8. — Dès (pic le crédit aura cessé, pour (pielque cause que ce soit, il sera établi un compte détinitit" des avances et escomptes faits par la Société, et le reliquat en sera immédiatement payé avec les intérêts de droit. Art. 9. — La créance de la Société de crédit est sti- pulée indivisible et pourra être réclamée de chacun des héritiers, représentants ou ayants cause de M. et Mme A., conformément aux dispositions de l'article 12:21, | o du Gode civil. Les frais de notification à faire aux héritiers de ^L et Mme A., en conformité de larlicleSYT du Code civiLsrront comme de droit à la charge desdits héritiers. Art. 10. — L'effet des conventions (pii pi'écèdeiit ne cesseront qu'avec le crédit présentement ouveit et le remboursement de toutes les sommes dues par les crédi- tés à la société créditrice, (piantl bien même la dui'ée du crédit serait prorogée au d(dà du Ici me ci-dcssu^ lixt' et de (jueUjue manière que celte pi()i()i.;ali(tii soil constatée ou consentie. Art. II. — Les fi'ais, tiroits, (>t honoraires, auxcpnds h^s présentes donneront ouvci-tiirc seront enlièremenl sup- portés par ^L et Mme A... AFFECTATION nVPOTHKCAlRE A la sùi'eté et gaianlic du reinboui'seuieut des nvances que la Société de crédit esl appelée à fairt' en vertu des — 314 — présentes et poui' i;aianlii- le l'eiiiboui'seinent de ses avances en |)i'iiici|)al, intéi'èts, fi'ais et accessoires, M. et Mine A., affectent et hyp()thè(|nent, spécialement, conjointement et solidairement entre enx an pi-ofit de ladite société, etc. Suit la désignation des immeubles hypothéqués. Les documents apportés plus haut montrent l'unani- mité avec laquelle le crédit de campagne est consenti par tous les établissements algériens. L'expérience prouve, en effet, que si ces crédits sont accordés suivant les règles qui ont été indiquées, ils n'en- traînent guère de déchet. Si la [banque d'Algérie en a souffert, c'est que les crédits étaient devenus |)eu à peu des immobilisations : c'est là le danger contre le(|uel il y a lieu de lutter. Quel sera le rôle des caisses locales dans la tlistribu- tion de ces crédits ? il est difficile de le prédire dès main- tenant. 11 est vraisemblable cpie leur action sera forcé- ment limitée, dans les premiers temps, et qu'elles n'auront guère pour clients, au début, que de petits propriétaires. Les chiffres indiqués pour la caisse de Djidjelli montrent que des prêts ont été consentis au taux de 3 0/0. Il y a là un abaissement très notable du taux de l'intérêt : sera t-il possible de généraliser cette mesure? Il est à craindre que les risques inhérents à toute opé- ration de crédit ne forcent les administrations de ces caisses à élever un peu les conditions, de façon à pouvoir constituer des réserves et effectuer l'amortissenient de certaines créances irrécouvrables ; il est probable toute- fois que si ces caisses fonctionnent régulièrement, elles arriveront à abaisser notablement le taux de l'intérêt. Elles pourront surtout distribuer le crédit là où n'existent — 315 — pas encore de succursales des élablissements financiers. Elles se trouveront toujours, au point de vue de la con- currence, dans une situation inférieure, à cause de la limitation de leurs opérations. Il est peu probable, en outre, qu'elles disposent, d'ici longtemps, de fonds suffi- sants pour ouvrirdes crédits importants. La grosse difficulté qu'elles auront à surmonter sera celle du choix des administraleuis. Ou a indicjué [)Our les comptoirs d'escompte les déboires qu'avaient entraînés [)()ur ces sociétés une mauvaise direction ; c'est de ce côté (pie les fondateurs des caisses rui'ales devront sui'lout porter leur attention et c'est également ce point tpie les sociétaires ne devront jamais perdre de vue. indépendamment de tous ces agents de disti'ibufion du crédit, il y a lieu de tenir conipte encore des banquieis locaux, extrêmement nombreux,etenfin des propriétaires, (pii, C0(nme on l'a déjà dit, fout souvent des avances. Une fois ces crédits consentis par tous ces préteurs, ([lie! sera l'établissement auprès dinpiel ils trouveront le réescompte ? S'il s'agit de caisses locales, elles s'adiv'sse- l'ont aux caisses régionales ; s'il s'agit de banquiers locaux ou de comptoirs d'escompte, ceux-ci trouveront facilement accès à la Compagnie Algérienne ou ;iii Crédit Foncier et Agricole d'Algérie. Kiiliii la liampie d'Algérie, (pie ses statuts autorisent à preudrc du papier à deux signatures, accepte facilcint'iil le p;ipier de cam- pagne C'est donc elle, en déliiiilive. (pii recevra la plus grande partie de l;i masse énorme de piipici' crtM' aimiiel- lemcntcii rcprescntiitioii d'oiiverliires ilr crédit aux agri- culteurs, (î'est donc elle, par létaux de son escompte, (pii deviendra le régulateur d(>s conditions aux(pielli>s ce cii'- dit est accordé. Quel est sou lôle a ce point de vue el — 316 ~ quel doit-il être ? la Banque do l'Algérie p()nprail-(dle èlro avanfageiisemeut l'etnplacée par la Banque de France suivant le projet plusieui's fois présenlé : telles sont les questions qu'il y a lieu d'examiner maintenant. Quand la Banque d'Algérie a été fondée, elle a d'abord été banque (l'escompte de papier commercial. Les circons- tances l'ont amenée à étendre ses opérations et à devenir banque de crédit agricole. Les pertes éj)rouvées Tout con- duite à diminuer peu à peu le nombre de ses opérations agricoles et à ne plus les acce|)ter,en principe, que quand elles avaient passé par l'intermédiaire d'un autre établis- sement, Comptoir d'escompte ou succursale de société de crédit. Il semblerait (jue la besogne dût être ainsi divisée: escompte du papier de campagne par les établissetnents de crédit, réescom[)te de ce papier par la Bancpie de l'Al- géi'ie. Mais les circonstances ont modifié cet état de choses. La Banque de l'Algérie a été, pendant un certain temps, maîtresse du taux de l'escompte, qui s'est d'ail- leurs abaisséprogressivement, mais assez lentement. Elle pouvait alors conserver presque entièrement le monopole de l'escompte du papier commercial, par les concessions de taux que lui permettent sori privilège d'émission. Les circonstances se trouvèrent modifiées par l'établis- sement du Crédit Lyonnais en Algérie. Les succursales d'Alger et d'Oran datent de 1878, mais le mouvement a commencé depuis la création des sièges de Constanline, Philippeville, Bône et Sidi-bel-Abbès entre 1896 et 1900. On sait le principe de fonctionnement des grandes sociétés de crédit : escompte à un taux très bas du papier connnercial au moyen de fonds fournis par des dépôts recevant un intérètvariantde i/20/0,à 1 1/2 0/0. La masse énorme de capitaux que le Crédit Lyonnais se 317 — procure à ces taux lui peimcl, d'escompter avec avantage à un taux très peu supérieur à 3 0/0, taux de la Banque de France Le concui'i'enci^ du Crédit Lyonnais devait foicénient avoir pour etïet dainener la Bancjne de l'Algéi'ieà abais- ser ses conditions, et c'est en somme la lutte entre ces deux établissements qui a détei'miné le taux actuel de 3 1/2 0/0 pour le papier des piemières maisons, le taux de 4 0/0 tendant à devenir le taux normal. La consé- quence de ce fait a été aussi l'abaissement du taux des crédits de campagne, qui suit celui de l'escompte com- mercial, et ce d'autant j)lus, ciue la Bancpie. ne pouvant lutter avec le Ciédit Lyonnais, devait, pour maintenir le niveau de ses opérations, i"aii(> la part j)lus belle au rées- compte du papier de campagne, puisque ôeu\ signatu- res lui suliisent. Et si la concurrence engageait la Bancpie dans cette voie, les autres établissements. Crédit Foncier et Compagnie Algéiienne, se trouvaient amenés égale- ment à diminuer l'importance des opérations conimer- ciales pour se rejeter sur le crédit de campagne ; cette év(jluti()n des établissements algériens ressoit il'ail- leurs nettement de la création de toutes les succursales (jui s'avancent peu à [)eu vei's l'intéi-ieur, allant porter aux colons des fonds (jue la concurrence ilu Crédit Lyon- nais et de la Banque d'Algérie a rendus inuliles dans les grandes villes du littoral. On aura nue idée de cet abaissement des taux si l'on consiilèie cpii' la succursale de Bônedu Crédit Foncier d'Algérie avait rc'sdise pendant l'année lSi)7 un biMn'Ilet^ bi'ul de ,">(>. (lOS francs poui' 12 millions 1/2 d'escompte, et que son chilVri' d'opéra- tion (pii a été (Ml 1902 de 1S.300.()(U) fianes, ne lui a rap[)oi'té ([uun bénélice de ()().031 francs. — 318 — Dans ces conditions, rcla!)lissenient de la Banqnc de France en Algérie présenterail-il des avantaf^es? On voiL tout d'abord (jn'an point de vue dn laux, il n'v en aurait guère, [)nisiiue c'est le Crédit Lyonnais qui le lixe, en sou- verain niaîlre ou à peu près. Le taux de 3 1/;2 étant déjà pratiqué, il est vraisemblable qu'on arrivera à celui de 3 0/0 avant l'époque où la Banque de Fi'ance pourrait s'installer en Algérie. La question a été très longuement discutée à la Réu- nion des Etudes algériennes [[). La principale raison donnée en faveur de rétablisse- ment de la Banque de l'rance en Algérie était la sup[)res- sion du change et l'unitication de la monnaie fiduciaire entre les deux pays. Mais la Banque d'Algérie supporte le poids du change et doit, depuis 1900, changer ses bil- lets contre de la monnaie française jusqu'à concurrence de 1.000 francs aux voyageurs partant |)our la France. Il ne semble donc pas que l'argument soit concluant. Par contre, il y aurait pour l'Algérie de gros inconvé- nients à ce ({ue la Banque d'émission fermât ses guichets au papier de campagne, ce que ferait forcément la Ban- que de France. Il est nécessaire que le réescompte de ce papier soit assuré, et la Banque d'Algérie a maintenant l'expérience nécessaire pour l'opérer dans des conditions normales. On peut objecter à cela que ce mode de fonc- tionnement a pour etfet de remplir le portefeuille de valeurs non réellement commerciales. C est exact, mais c'est là une nécessité. Le rôle de la Banque d'Algérie est de permettre dans ce pays le fonctionnement normal du crédit; or, celui-ci ne peut avoir pour objet que l'avance i. Bull. Réun. Et.Alg., 1899, p. 76. — 319 - aux ciiltivateiii's des fonds qui leur sont nécessaires jus qu'à la recolle. Il y ancaif un moyen très sitnpie daug- menLei', si on la \u{^v insul'lisanle, la sécurité du [)orte- feuillede la Banque; ce serait d'exiger hois signatures ; les effets de crédit n'arriveraient plus à la Banque qu'avec l'endos de garantie des autres établissements de crédit. Encore cette l'ègle serait-elle bien souvent transgressée. H ne semble donc pas qu'il y ait lieu, dans l'état actuel, de modifier le fonctionnement du crédit, tous les établisse- ments algériens en font et la Banque les aide sans eu souffrir elle-même; c'est le but (pion devait recher- cher. Il y a toutefois une remarque à faire au point de vue de l'abaissement général du taux; il n'y a pas lieu de con- sidérer ce phénomène comme tléliiiiiif. il esl, en effet, déterminé en [)artie par la crise industrielle et financière (jui a atteint son maximum en 1900 et tlont l'effet a été, comme on sait, de diminuer rinleiisité des affaires en accroissant dans des proportions considéi-ables le montant des dépôts dans les banques. La conséquence de cette abondance de ca|)itau\ dispt)uibl<'S est la l'aiblcsst' île loyer de Targent, faiblesse ipii conduit les établissements de ciétlil à rechercher au dehoi's un emploi rémunéra- teur de leui's disponibilités. Du joui' où (-elle ciise prendra tin, ce qui semble devoir se pi'oduire dans un délai peu éloigné, les capitaux retrouvant leur emploi, le loyer de l'argent s'élèvera, les entreprises nouvelles nécessileroul (les capitaux, les établissements de creilil ramèneronl à eux leiii'S disponibilités, et il se produii-a vraisemblable- ment un élèvemeul général du taux de l'argent; l'Algé- rie ne saurait manquer iVcu ressentii* le contre-coup; il est vi-aiseml)lable cpie le taux de l'escom[)le commercial — 320 — s'y relèvera el celui des crédits de campagne suivra sans doiile ce inoiivciiieuL. On voit (\ue\ est en Algérie le Ibnctionnenienl des cré- dits de campagne; le montant lolal des effets entrant annuellement dans le portefeuille des hancpies algé- riennes peut s'établir comme suit : Banque de l'Algérie 500 millions Com])agnie algérienne 350 — Crédit Foncier d'Algérie 330 — Comptoirs d"Escom|)te 100 — 1.280.000 Sur ce total annuel, on peut considérei' qu'une bonne moitié représente des valeurs de crédit. Si les 0[)érations qui leur donnent naissance se soldent en général sans difticultés, il y a cependant à constater, sur l'ensemble, un certain déchet. Ce déchet tient à diverses considérations, d'ordre psychologique autant qu'économique, et qu'il est intéressant d'indiquer. i" Absence d'épargne chez les colons. — Si l'on constate chez lescolons un espritd'initiativeetd'audacecjui manque parfois chez les cultivateurs français, on est obligé de reconnaître que les Algériens n'ont pas cette puissance d'épargne qui fait la force de la petite culture de France. C'est là un fait inhérent aux pays neufs. Il a cependant l'inconvénient de laisser le colon démuni dans les années de crise, alors que les économies qu'il aurait pu faire lui eussent permis de supporter facilement une ou deux mauvaises années. — 321 — ii° Tendance à Ve.iiension. trop considérable des surfaces cidtivèes. — Une aiilfc tendance qui procède de la précé- dente, se retrouve également chez les colons : aussitôt qu'ils ont gagné un peu d'argent, ils cherchent à acheter une parcelle voisine ou à mettre en culture un espace nouveau : il en résulte quau lieu de concentrer sur uu espace restreint des capitaux suffisants, ils les dissémi- nent sur des espaces trop vastes, dont ils n'obtiennent que des résultats médiocres, et les crises les mettent dans l'impossibilité de faire face aux besoins de leurs cultures, trop étendues. C'est là une des fautes qui ont conduit le plus de colons à leur ruine. 3" Manque d'ordre et de comptabdité. — Les comptabi- lités bien tenues sont extrêmement rares en Algérie, même chez les commerçants, à plus forte raison chez les agriculteurs. 11 en résulte qu'ils ne se rendent pas eux-mêmes un compte exact du bénéfice que leur procu- rent certaines opérations et qu'ils continuent parfois des spéculations qu'il serait préférable pour eux d'arrêter immédiatement. 11 est d'ailleui's juste de remaripier que ce trait n'est pas particulier aux agriculteurs algériens. 4° Tendance à la spéculation. — Les colons ont souvent une tendance marquée à la spéculation. Ils achètent d'avance des stocks considérables, attendent pour vendre, espérant une hausse des cours, etc. II (mi ri'sulte ties variations très grandes dans les prix. M. Varlet établit dans ses Céréales d'Algérie la sensibilili' du mai'ché algé- rien |»ar l'apport an marclK' inarscillai'N. (li-s spt'cu lai ions peuvent produire des résultats avantageux, mais il ai'rive souvent (pi'elles loni'ncnl mal poni- Ir ciiiliN alcur. l/cx- l'iiilipiuir il — 3^2^2 — périence semble démontrer que la vente aussitôt après la récolte est souvent la plus avantageuse. 5° Abus du crédit. — Les agriculteurs algériens ont parfois le tort de faire du crédit un usage abusif. Dans lesendi'oits voisins des villes oii sont représentés plusieurs établissemenls de crédit, il se produit (brcéineni une con- currence entre les représentants de ces établissements, qui chei'client à altii-er des clients. Les colons arrivent parfois de cette façon à se faire ouvrir une fiche dans deux ou même dans trois établissements concurrents. Ils entreprennent aloi's la mise en culture de surfaces trop vastes, ou ils spéculent, et il arrive un moment oi^i l'un des créanciers se décide à poursuivre. Les autres sont alors obligés de suivre, et l'exécution est parfois plus rapide quand plusieurs intéressés sont en jeu, chacun craignant de perdre sa mise, alors qu'un seul créancier fût peut-être resté plus accommodant. 11 résulte de l'ensemble de ces circonstances que cer- tains crédits entraînent des pertes pour les prêteurs; il y a donc nécessité pour ceux-ci de prélever un intérêt suffisant pour amortir les créances douteuses. L'ex[)0sé qui précède suffit à montrer que cet amortis- sement se trouve réparti entre un certain nombre d'éta- blissements ; il est à souhaiter que les Caisses locales et régionales en sentent la nécessité et consacrent leurs fonds disponibles à de larges provisions plutôt qu'à des rétrocessions trop généreuses aux sociétaires : il est pré- férable pour ceux-ci de payer l'argent un peu plus cher, et d'être assurés d'en trouver toujours. Mais on voit que le crédit destiné à la préparation des récoltes est large- ment assuré en Algérie, et qu'il y a une évolution bien — 323 — nette des banques algériennes vers les opérations agri- coles. Le crédit destiné à permettre d'attendre la vente Il ne faut pas pri'voir seulement les difficultés prove- nant du niatiqiic de capitaux, il faut aussi prévoir celles qui résultent dune récolte trop abondante causant une baisse de prix considérable : dans ce cas, l'agriculteur a intéi'êt à attendre un relèvement qui se produira à mesure que le trop plein s'écoulera. De plus, alors même que la récolte aurait été normale, il pourra arriver qu'aussitôt après, les cours soient plus bas, par suite d<^ la (piantité plus grande des marchandises offertes. Dans l'état actuel des choses, il arrive souvent (jue les agriculteurs obtien- nent des avances sur leur récolles, avances qui leur sont consenties par des courliei's ou commerçants en gros. Mais il est évident que dans ce cas le prêteur peut tou- jours les forcer à vendre quand il le juge bon, et clans des conditions parfois désavantageuses. Deux moyens sont offerts actuellement au colon pour lui permettre d'obtenir les avances nécessaires, en atten- dant le moment favorable à la vente : Le premier est le warrant agi-icoie ; Le second est la coopération. Les warrants agricoles ont été introduits eu .Vlgérie pai- la loi du hS juillet IS!)S II scniil iuiililc de l'aii'e de cette loi une analyse détaillée et il snl'lil d'eu rappeler le priuci()e : ri)iil ai;i'iculteui' pt'tit enquiinter snr l(>s pro- duits agi'icoU's ou industriels proNcnaiil de son exploita- tion, en conservant lui-nu'uie la ganle de ces produits — 3^24 — dans ses bàliiiioiits on sur ses teri'os. Los produits, limi- lalivcmeiit déLenniiiés par la loi, doivent èti'o récoltés. Le contrat de prêt, établi par le greffier de la justice de [)aix, donne lieu à la création d'un véritable effet de coin- [nerce, le warrant, qui est le titre de créance contre l'em- prunteur et qui pourra être endossé et transmis à un tiers, avec les sûretés qu'il comporte, c'est-à-dire un [)ri- vilège sur les produits warrantés. La disposition intéres- sante et nouvelle de la loi est celle qui consiste à laisser au cultivateur lui-même la garde du gage, protégé contre les tentations possibles du gardien par des pénalités cor- rectionnelles. L'avantage de cette disposition est de permettre l'avance sur gage dans des endroits isolés où ne se trou- vent pas de magasins généraux. Le warrant agricole peut- il rendre des services à l'Algérie ? Il faut distinguer entre les céréales et le vin. Les céréales constituent en effet une marchandise warran table par excellence : elles peuvent en effet se conserver facilement pendant un laps de temps assez long. La question est plus délicate pour les vins : s'ils n'ont pas été très bien fabriqués, leur qualité peut parfaitement diminuer, et le prêteur se trouve alors en possession d'un gage de valeur amoindrie ou même nulle. En ce qui concerne les céréales elles-mêmes, il ne send^le pas que les agriculteurs aient jusqu'ici tiré grand profit du war?-ant. Mais certains établissements financiers ont commencé à consentir des avances sur warrants et les résultats semblent intéressants. C'est ainsi qu'une agence d'une Société de crédit ayant commencé, en juin 1900, à faire des prêts sur warrants agricoles, le cours du blé, qui était payé dans la région 16 fr. le (piintal par les courtiers d'Alger, s'éleva à 18 fr. - 32o — en l'espace de trois semaines. Pendant l'année 1900, 104 opérations furent engagées [)ai' cette agence ponr une somme de 266.000 fr. ; 101 opérations furent régu- lièrement terminées sans aucune difficulté ; 3 au con- traire, représentant une somme de 3.000 fr., restèrent en souffrance, mais furent d'ailleurs l'emboursées ultérieu- rement. Les cultivateurs avaient wan-anlé des quantités supérieures à la récolle réelle, ou détourn(; une partie du gage. Le taux des opérations avait été, en généi-al, de 6 0/0 l'an, plus une commission trimestrielle de 1/4 0/0. Les mômes opérations ont été reprises l'année suivante par la [nôme agence à concurrence de 93.900 fr., et dans de bonnes conditions. L'expérience semble donc démontrer que le warrant agricole peut être avantageux pour l'emprunteur et pour le préteur. H y a lieu cependant d'en subordonner l'emploi à cer- taines règles : 1° 11 ne faut traiter qu'avec des personnes parfaitement honorables ; 2" Il ne faut, autant que possible, traiter cjue pour des céréales, ou du moins des produits susceptibles d'une conservation parfaite ; 3" Il y a lieu de poursuivre iinpitoyabKMneiil lonle fraude pour conserver à l'opération son caractèri» com- mercial et assurei' la couscrvalion iiih'grale ilu gage. Il semble vraisemblable (jue rinslitulion puisse pren- dre de r(^xteiisi()ii cl mainlciiii' un peu les cours : toute- fois il est certain (jue les années de récoltes tout à fait abondantes, les avances sur warrant ne sufliroul pas à faire remonter les prix(l ). i. Un projt;t de loi a été récemini-nl di-posé p.ir M. le •-énatour — ?d(y — 2° f.a coopération. — Il ne saurait entrer dans le cadre de cette étude d'exposer les avantages que pourrait reti- rer le viticulteur ou le producteur des Coi'mes multiples de la coopération. En ce qui concerne la viticulture, un ouvrage récent (1) a montré ce qui avait été tenté en Eu- rope et ramené à trois types principaux les formes usi- tées : 1° sociétés de vinification ; 2° sociétés de consom- mation ou de ventes ; 3° sociétés mixtes. L'idée n'est pas nouvelle en Algéi'ie. Les procès-verbaux de la Société d'agriculture d'Alger font mention d'une tentative de création d'un syndicat d'écoulement, tentative datant de plusieurs années et restée d'ailleurs infructueuse ; mais il est probable que de nouveaux essais pourraient don- ner des résultats d'autant meilleurs qu'ils s'appuieraient sur les caisses de crédit agricole mutuel. L'ouvrage cité semble en effet donner, dans la mise en œuvre de la coo- pération, un rôle prépondérant aux banques rurales. |7 Conclusions ; nécessité de rapport de capitaux en Algérie Au terme de cette étude, une double constatation s'im- pose : la première, qui ressort abondamment des opi- nions citées, c'est que les diverses institutions de crédit agricole ne suffisent pas à assurer la satisfaction des Legrancl, tendant à modifier dans un sens plus libéral la loi sur les warrants agricoles ; les produits warrantés ])ourraient être déposés dans les magasins syndicaux ou coopératifs ; les formalités de cons- titution ou de réalisation du warrant seraient modifiées. I. Berget, La coopération et la viticidtnre ; Lille, Dévot. V. le compte rendu qui est fait de cet ouvrage par M. Fournier de Flaix, Econ. Français, 1903, pp. 389-391. — 3i>7 — colons algériens; la seconde, c'est que cependant il est peu de pays où autant d'élablissements et des étal)lisse- ments aussi importants, fassent du crédit à l'agriculture la principale branche de leurs opérations. Ce besoin de crédit qui ne peut être satisfait tient donc à des causes profondes : on a essayé de les déterminer, en montrant les particularités de la structure économique de l'Algérie et en indiquant quelles mesures d'ordre général pourraient, en amenant un équilibre plus stable, diminuer ces besoins de crédit. Mais parmi les faits d'ordre général de nature à expli- quer les besoins et qu'il importe de mettre en lumière, l'un des plus frappants est le manque de capitaux. La population de l'Algérie est pauvre, et les exemples cités permettent de voir que les situations sont en général assez chargées. On a indicjué d'ailleurs, qu'il était fait du crédit un emploi parfois abusif; qu'un développement plus lent et plus pondéré des exploitations agricoles ou des opérations commerciales permettrait parfois des résultats plus sûrs et plus durables, que des habitudes d'ordre et de comptabilité réfléchie donneraient peut- être à la production un caractère plus régulier. Mais mal- gré tout, un fait s'impose: l'Algérie qui cultive a peu d'argent. Il faudrait donc tâcher (Vcn attirer à elle. Burdeau a signalé le premier, tlaiis sou rapport sur le budget de 189!2, la nécessité d'une propagande faite (M1 faveur de la colonie. On a niontr('> plus n'ccniineiil {\) quels sacrifices les colonies anglaises simposaient dans cet ordre d'idées. Le gouverneiuent généi-al s'etTorce d'ailleurs d'agir dans ce sens. Mais il est deux sortes de 1. Le Cluilclicr, Qurstioiiud'ironoiuic Cdloiiia/c. — ?dH — colons à aUirer dans nn pays : les uns valent par la pré- dominance qu'ils donnent à la race colonisatrice, les autres par les capitaux qu'ils apportent dans la colonie. La Tunisie a systéniaticjuement écarté le colon pauvre ; elle a recherché surtout le colon moyen et le capitaliste. Il en résulte qu'elle est moins pauvre (pie l'Algérie, mais tandis ({u'elle repoussait le système des concessions gra- tuites el le petit colon, les Siciliens sobres et endurants ont envahi peu à peu son territoire et tendent à dépasser en nombre le colon fi-ançais, riche mais rare. Voici qu'on s'émeut de cet état de choses et qu'on pr.)clame la néces- sité d'y remédier (1). On peut dire qu'il s'est produit pour l'Algérie l'inverse de ce qui s'est produit pour la Tunisie. On y a amené beaucoup de colons pauvres, qui au point de vue de la solidité de notre établissement, ont joué un r(Me consi- dérable, mais qui n'ont pas accru la richesse du sol autant qu'on le pouvait souhaiter. De même que la Tunisie va essayer de trouver le colon de peuplement qui lui man- que, il faut que l'Algérie essaye de trouver en France le colon capitaliste qu'elle n'a pas. « Malheureusement — « c'estM. Yignon (2) qui parle, les Algériens — il faut dire « la vérité tout entière — se soucient peu de voir arriver « des Français de France. On pense dans les trois provin- « ces que les concessions doivent être accordées aux fils « descolons ou aux jeunes gens algériens, de préférence (( aux immigrants » (3). Il est certain que la présence I. V. Etienne Flandin, La colonisation en Tunisie. L'immigration italienne et le peuplement français, Bull. Réun. Et. Alg. igoj, p. io5. 2 . L'exploitation de noire empire colonial, p. 40 . 3. On trouvera un intéressant et pittoresque exposé de cette dis- ~ 3^29 — d'un certain nonibre d'Algéi'iens dans les centres de colo- nisation peut présenter de grands avantages. 11 importe donc de doser les deux éléments avec un tact parfait. Mais les colons riches ne peuvent guère venir que de France. On arriverait vraisemblablement à en trouver quelques-uns parmi les jeunes gens sortant des Ecoles Nationales d'agriculture de France ou de l'Ecole colo- niale de Tunis. Ces jeunes gens, qui disposent rarement de capitaux au moment môme oij ils finissent leurs étu- des, pourront cependant en posséder plus tard. Il serait intéressant pour l'Algérie de les attirer et de les retenir. Et cependant bien peu de propriétaires consentent à les prendre dans leurs exploitations. Il est cependant per- mis de croire qu'ils y remplaceraient parfois avantageu- sement certains des gérants qu'on y rencontre. D'ailleurs, l'Ecole d'agriculture de Rouiba et certains des agriculteurs des environs d'Alger offrent maintenant des facilités aux jeunes gens qui veulent se tlxer en Algérie pour y étudier la culture. Mais ce n'est pas suf- fisant qu'ils puissent y passer quelques mois à leurs frais : il faudrait ([ii'ils |)ûssont en outre, pendant (piel- ques années, occuper dans des exploitations des fonc- tions de surveillance rétribuées, qui les prépareraient, tout en les attachant au pays, à s'y installer plus lard pour leur propre compte. On voit le nomljre et l'importance des (pu'stions aux- quelles touche l'étude du crédit agricole en Algérie; : cela suffit à faire comprendre rinlt-rèl passionn»' (pTelle a suscité dans ce pays. position d'esprit dans un roman n'ccnt, Le Çof. Md-itrx Lahi/lcs, par Raymond Marival, Soc. du Mcrc. de Fr., Paris, \go7t. — 330 — € II faut à l'Algône, disait M. Frémy, des bras, de « l'eau el de l'argent. '> Elle a les bras; l'usage raisonné de son autonomie financière lui donnera l'eau qui lui manque : c'est à la France à lui fournir l'argent. vu : Le Président de la llièse, PAUL LESEUH. vu : Le Doyen, GLASSON. vu ET PERMIS d'imprimer : Le Vice-Recteur de l' Académie de Paris, L. LIARD. BIBLIOGRAPHIE Cette bihliographie ne comprend que les ouvraç/es ou brochures de quelque étendue, toute'< les sources aijant été indiquées dans le cours du volume au fur et à mesure de leur emploi. Ouvrag-es g-énéraiix relalifs ;V l'Aliçérie et à l'ag-riculture aliréricuuc Algérien (un vieil) (Paul Bourde). — Le mal de l'Algérie. Paris, Pariset, 1894- Battandier. — Les plantes médicinales. Alger, dirait, kjoo. Baudicourt (De). — La colonisation de l'Algérie, ses éléments. Paris, LecollVc, iSr)(). Brunhes (Jean). — L'irrigation dans la itcninsulc ilx'riijuc et dans l'Afrique du Nord. Paris, Naud, i()o'.>. Burdeau. — Rapport sur le budget de l'Algérie poni- l'exercice 1 8()'.>. . Colin (Maurice). - — Qnchpies (|iii'stions algiM-icniifs. Paris, Larose, Dachot. — La fahrication du taliac. Aigci-, (îirall, i()on. Dugast. — Les vins d'Alg<''ri<'. Alger, (iiiall i()iio. Flamant. — Noiice sur rhydi"auli(|ue agiMcolc eu Algérie, .\lger, Giralt, iç)oo. Flamant. — Tableau des entreprises d'irrigalioti ronctioiiiianl i-n Algéi-ie, Algei-, (urail, i()oo. Franck-Chauveau. — Rapport lail au nom (le la Couunission chargée d'examiner les modifuations à iiitroduin- dans l,i l<'''is!a- — .).)": — lion et rorj(t de loi ayant pour objet la reconnaissance comme établissemenl d'utihlr publiipu' des sociétés de ])révoyance et de prêts mutuels des communes mixtes de l'Algérie. \)oc. pari, sess. extr. Ch. des ilép., 1891, n" 1860. Comptoir d'Escompte de Guelma. — Mémoire en detense con- tre la Baucjue de lAlgt'iie. Constantiiie, jJraham, 1901. — Suite au mémoire en dc'fense poui' le (Comptoir d'escompte de Guelma contre la iîancpie de l'Al^iTie. 1 hroelmre. Cuiehna. i''oiis, 1901. 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De Peyre. — Sociétés indigènes de prévoyance, de secours et de prêts mutuels. Alger, Giralt. 1900. Pouchet. — La crise agricole. Le crédit agricole. Projet d'oi'ga- nisationet de fonctionnement du crédit agricole, i brochure. Alger, Thomas, 1894. Vivarez (Mario). — Comité d'initiative de loterie inter-départe- mentale algérienne pour la constitution d'un fonds de bienfaisance et de crédit agricole, i brochure. Blida, Mauguin, 1902. IV Périodiques divers Annales agronomiques. Annales des sciences politiques. Bulletin de renseifjnemeids de l'Office du Gouvernement Général de l'Algérie. Bulletin de la Béunion d'études algériennes. Bulletin de la Société des agriculteurs d'Algérie. Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord. Bulletin du Sgndicat central des agriculteurs de France. Economiste Européen, Economiste Français. Questions diplomatiques et coloniales. Revue critique de législation et de jurisprudence . Revue des Deux- M ondes . Revue Générale des Sciences pures et appliquées. — 385 — Documents officiels Comptes rendus des sessions du Conseil supérieur de gouverne- ment. Comptes-rendus des sessions des Délt-gatioiis Financières. Documents statistiques réunis par ladminislration des douanes sur le commerce de l'Algérie (1901 et iç)0'i^. Exposés annuels de la situation générale de l'Algérie. Rapports annuels sur les opérations des Sociétés indigènes de pré- voyance. Statistique générale de l'Algérie (années 189'}, i8f)5, 1896). Tableau du commerce de l'Algérie avec la France, l'étranger et les colonies françaises (1900). Tableau de la navigation de l'Algérie avec la France, l'étranger et les colonies françaises (igoo). TABLE DES MATIÈRES Introduction. PREMIERE PARTIE Les besoins de crédit Pages I I. — Le cai'actère .iccidentel de la conquête de l'Algérie et ses conséquences 3 I 2. — Développement éconoinicjuc de l'Algérie el préjxm- dérance de 1 élément agricole il ^3. — Par ([ui l'agricultui-e est prali(jiiée et quels contrats unissent entre eux ceux qui la prati(iuent i5 14- — Quelles sonl les diverses régions où s'exerce l'agri- culture et quelle est l'importance de ses productions. ... 23 I 5. — Les différentes hranclies de la production agricole. 2- A. Les céréales et rassollemcnt 2" B. Le bétail 38 I . Race bovine 38 IL Race ovine ^ C. La viticulture ^q D. Cultures divers(>s 5(> § 6. — Le-; besoins de ci-édil et lusiirc 5g l'iiiliiiiiai- ii — 338 - DEUXIÈME PARTIE ^cs ag'ciit.s de distribution du crédit I. — La Banque de l'A hjérie 71 I 1. — La création de la Banque de l'Algérie ; son carac- tère spécial ; la première période de son fonctionnement (i85i-i88o) ri I 2. — Le renouvellement de privilège de 1880 et l'orien- tation nouvelle de la Banque 81 I 3. — La période des opérations de crédit agricole (1880- 1886) 88 I 4- — La période de réaction (1856-1892) 96 I 5. — La crise immobilière et l'interpellation Goirand (1892) 100 I 6. — Les prorogations de 1897 et de 1899 ; le renouvel- lement de 1900 106 I 7. — Le rôle de la Banque de l'Algérie au point de vue du crédit agricole 1 14 II. — Les Comptoirs d'Escompte 116 I I. — La création des Comptoirs d'Escompte 116 I 2. — Le fonctionnement et le développement des Comp- toirs de 1881 à 1899 121 I 3. — Critiques relatives au fonctionnementdes Comptoirs d'Escompte i3i I 4- — Rapports des Comptoirs d'Escompte avec la Banque de l'Algérie i35 III. — Le Crédit Foncier et Agricole d'Algérie i4o I 1. — L'extension à l'Algérie des privilèges du Crédit Foncier de France (1860-1881) i4o I 2. — Les projets de crédit foncier algérien ; création du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie (1881) i45 I 3. — L'organisation du Crédit Foncier et Agricole d'Al- gérie 1 55 14' — Mécanisme des opérations hypothécaires iSy I 5. — Développement des opérations du Crédit Foncier et Agricole d'Algérie (1881-1902) i65 — 339 — A. Prêts hypothécaires i65 B. Affaires de banque 171 I 6. — Examen des critiques émises contre le Crédit fon- cier et agricole d'Algérie 1 ^4 A. Au point de vue des opérations hypothécaires .... 174 B. Au point de vue du crédit agricole 182 IV. — La Société Générale Algérienne et la Compagnie Algérienne i85 I 1. — La Société généi'ale algérienne f 1865-1877 j i85 I 2. — La Compagnie algérienne (1877- igoS) 194 I 3. — Le rôle de la Compagnie algérienne 201 ^^ — Les Sociétés Indigènes de prévoyance, de secours et de prêts mutuels 2o5 I I. — Le principe et l'origine des Sociétés Indigènes de prévoyance, de secours et de prêts mutuels (1867-1893 . 9.o5 I 2. — La loi du 14 avril 1893 212 I 3. — Fonctionnement et développement des Sociétés In- digènes de prévoyance (1893-1902) 224 I 4- — Le rôle des Sociétés Indigènes de prévoyance .... 233 VI. — Les Sociétés de crédit agricole mutuel 245 § 1. — Discussions sur l'emploi de la redevance imposée à la Banque de l'Algérie 243 I 2. — Les principes du fonctionnement des Caisses de crédit agricole mutuel (1900) 260 A. Les Caisses Locales *()o B. Les Caisses Régionales 265 I 3. — Circonstances spéciales à l'Algérie modifiant le fonc- tionnement des Caisses de crédit agricole mutuel 268 14- — Les créations de Caisses et les résultats obtenus (1900-1902) 274 TROISIEME PARTIE Le fon<"lioiiiioinoiil «In mnllt ^ 1. — Circonstances économiques générales augmentant l'intensité et la diversité des besoins de crédit.. . 28.' ^ 2. - Mesures d'économie gfii< raie de nalurc à régulari- — 840 — ser la production algérienne et à faciliter le fonctionne ment normal du crédit 287 I 3, — Divisions à faire entre les divers besoins de crédit: les événements acccidentels 296 I /j. — Le crédit destiné à l'amélioration et à l'extension de la propriété ^99 I 5. — Le crédit destiné à la préparation des récoltes 3oi I 6 _ Le crédit destiné à permettre d'attendre la vente. . SaS ^ „. _ Conclusions ; nécessité de l'apport de capitaux en Algérie •''-*" Bibliographie ^^^ Laval. — Impkimerie parisienne, L. BAUNEOUD »S: C". LE DÉVELOPPEME\T ET L'ACTION DE- r r .1 [ES DE CREDIl EN AL(;i:hiK Edmond V. PHILIPPAR nl'S UIHECÏEI K III CHÉIIIT KONCIIîll ET AGRICOLE D'aLCÉRIE, A ALGER. (txlrait de la lievite il'Ecoii()titii' politique. Uj 15 LlBHAllili: DE LA SOCIÉTÉ DU HECrEII. J.-U. SIHi:\ HT IH' JiUKNAl. I>L' HAl.Ali Ancienne Maison !.. l-AKOSK i.V FlJUCKL i-J. liiif Sou/flot. l'AlilS. .-.<• .1/;'. L. LAROSE & L. TENIN, Directeurs I !M):i LE DÉVELOPPEME\T ET L'ACTION r r SOCIETES DE CREDIT E^ ALGERIE L'Algérie consliUie à Tlieure acUielle un tout économique, avec ses aspirations et ses ressources propres. De jour en jour, elle tend à affirmer son autonomie, d'abord purement administrative, bientôt économique. Elle a ses finances spéciales, qu'elle gère elle-même; elle a son réseau de chemins de fer, elle étudie actuellement l'orga- nisation de ses communications maritimes avec la métropole. .\u point de vue diplomatique même, elle constitue une unité dont l'action semble ne pas devoir être sans importance pour la solution de la question marocaine, action parallèle à celle de la métropole, mais bien distincte et personnelle. Ce sont là les indices d'une puissance nouvelle qui se forme et qui se traduit par une exporta- lion agricole annuelle de 200.000.000 de francs. Cet essor écono- mique se manifeste par l'existence de trois banques : la Banque de l'Algérie, la Compagnie Algérienne et le Crédit Foncier et Agri- cole d'Algérie, dont lechifl're d'escompte atteint annuellement près de deux milliards, et dont les dépôts réunis représentent une cen- taine de millions. Comment ont grandi, dans la colonie, ces orga- nismes financiers, quel a été leur rôle dans son développement, et comment ont-ils suppléé à la tiniidilc de's capitaux particuliers, c'est ce que nous voudrions l'ecliercher dans cette étude. 1. Caractères économiçurs du colun européen. On connaît les débuts difficiles de la colonie française en Algérie et les hésitations des pouvoirs publics à continuer l'onivre com- mencée. On sait les difficultés que renconlrèrcnt les premiers colons, obligés d'aboi'd de faire le cou|) de feu contre les indigènes Philippar 1 2 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT loul en moissonnant leurs champs. Le colonel Trumelel ^ a décrit cette période mouvementée et montré les difficultés auxquelles se heurtaient les immigrants pauvres qui avaient formé la première population de la colonie. Comment ces colons ont-ils pu arriver aux résultats que Ton peut constater actuellement? C'est ce que Ton ne peut concevoir qu'en envisageant tous les éléments en œuvre et en examinant le rôle économique de chacun d'eux. Les colons français, venus de la métropole, appartiennent à deux catégories distinctes. Il est venu en Algérie, d'une part, des colons très riches, et, d'autre part, des colons qui n'avaient l'ien. Ils ont été diversement utiles au développement de la colonisation et ont agi d'ailleurs d'une façon différente. Les colons très riches ont été tout d'abord des descendants d'an- ciennes familles, que leur caractère indépendant poussait à se fixer en Algérie dans l'espoir d'une existence plus libre. Il est venu aussi, un peu plus tard, des descendants de riches familles commerçantes de grandes villes métropolitaines, possesseurs de capitaux impor- tants, et qui espéraient faire, en Algérie, des affaires fructueuses. En général, ces colons ont peu réussi. On en cite quelques-uns qui ont accru leur patrimoine, mais beaucoup d'autres ont quitté l'Algérie ou y demeurent avec un capital fort amoindri. Leur insuc- cès tient, en général, à ce qu'ils ont vu trop grand et considéré l'Algérie comme un pays fabuleux où le sol rend au centuple la semence qu'on lui confie. Or, rien n'est plus inexact. Les conditions de la culture ne difTèrent pas sensiblement en Algérie de ce qu'elles sont en France, et les récoltes étant d'une année à l'autre extrê- mement inégales, le succès ne peut résulter que d'un effort patient et d'une prudence qui fait réserver le surplus des bonnes années pour parer au déficit des mauvaises. L'emploi des capitaux doit être progressif et modéré, de façon à suivre les progrès de la culture et non à vouloir les forcer par une mise de fonds brusque et exagé- rée. Résulte-t-il de là que la venue de ces riches colons ait été inutile? Nullement. Elle a préparé la voie à leurs successeurs, et de deux façons difTérentes. D'une part, les essais tentés ont montré, souvent, des méthodes culturales fructueuses, qui, appliquées prudemment et progressivement, ont rendu d'inoubliables services. C'est ainsi que les essais de M. Arlès-Dufour dans la Mitidja ont * Boufarik, par le colonel Trumelel. Alger, Jourdan, 1887. EN ALGERIE O puissamment contribué à fixer un assolement perfectionné ', alors que les résultats pécuniaires de son exploitation ont été bien loin de lui être profitables. D'autre part, il est arrivé souvent, que les domaines achetés à des prix excessifs et dans l'exploitation desquels avaient été enfouis d'importants capitaux, ont été revendus, moyennant des prix très inférieurs, à des acquéreurs d'une origine dillerente, qui, doués des qualités de prudence et d'économie qui manquaient aux pre- miers propriétaires, ont su tirer de leur acquisition un parti remar- quable. Les capitaux dépensés trop largement ont donc servi, en définitive, à l'accroissement de la richesse générale du pays. Mais à côté des services rendus par ces colons riches, il faut bien reconnaître le dommage qu'ils ont causé à l'Algérie, au point de vue de la réputation. Chaque insuccès devait forcément avoir, au lieu d'origine des victimes, un retentissement peu favorable à l'Al- gérie. Ce n'est donc pas celte première catégorie de colons qui a le plus puissamment contribué au développement de la colonie, celui dont le rôle a été prépondérant. C'est le petit colon français qui a apporté, à défaut de capitaux, les qualités les plus remarquables de la race, à savoir l'ardeur au travail et l'esprit d'économie, il faut noler cependant que les éléments importés n'étaient pas tous de qualité supérieure. Il se fit peu à peu une séleclion, et ceux qui sont restés étaient évidemment les meilleurs. La nécessité de l'effort continu a imprimé au colon algérien une empreinte particulière. « Ce qui caractérise l'Algérien, adit .\L Mau- rice Colin, c'est un utilitarisme farouche ». Et il est évident (pie la nécessité d'une lutte continuelle pour l'existence a modifié dans un sens plus pratique le caractère généralement théorique et idéaliste du l'^rançais. On en trouve la preuve dans res|)rit de sagesse des Délégations financières, dar)s la composition des grands journaux d'Algérie, laissant de côté les questions |uirement poliliipies \)0{\v placer au premier plan les intérêts économiques. D'ailleurs, la ques- tion religieuse, qui est en Fi-ance le nœud de toutes les questions politiques, n'existe pour ainsi dire pas en Algérie. La seule ques- tion [)olitique qui ait réussi à troubler sérieusement la colonie a été celle de l'antisémitisme: encore lif véritable (piestion en cause était-elle bien la t|ueslion économique. Cette modification de la race * V. Lecq el Uiviore, Manuel de l'ugilculleur al;/f'fien. Paris, Challamol, 1900. 4 LE DÉVELOPPEMENT ET L ACTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT dans le sens de Taptitude aux afi'aires el à la kitle pour la pré- dominance économique ne va pas sans de légères ombres au tableau. Voici d'ailleurs comment les signale M. Larcher, professeur à l'Ecole de droit d'Alger ^ : « L'Algérien a perdu certaines des plus précieuses qualités du » Français. 11 se signale avant tout par une choquante étroitesse )) d'esprit, se manifestant surtout par la très haute opinion qu'il a » de lui-même..., il est d'une incroyable intolérance..., il lui man- » que totalement la notion de l'intérêt général; quand il discute )> une question, ilse place exclusivementau point de vue de son inté- » rèt personnel ou de Tintérêt de son çof, car l'Algérien paraît avoir » emprunté cette institution à la race autochtone... Quelles que » soient les réelles qualités de l'Algérien, il est plus qu'exagéré de » le déclarer supérieur au Français de la mère-patrie ; il lui manque » ces nobles idées, généreuses et libérales, cet amour de la chose » publique, qui sont la force et la gloire de la France ». Il était nécessaire, d'ailleurs, pour le développement de l'Algé- rie, que ce fussent les questions concrètes qui tinssent la première place dans les préoccupations publiques. Quelle que soit la modification subie par l'esprit français en Algérie, il faut bien constater que rien ne ressemble plus à une commune française qu'une commune algérienne, et il est intéres- sant de noter à ce sujet l'impression d'un étranger impartial assis- tant à la réunion d'un conseil municipal algérien : « Les formalités » et la manière de procéder, la nature des affaires à traiter, sans » parler de la physionomie et de l'accent des conseillers, donnait » l'illusion que ce village était aux environs de Marseille ou de » Cette plutôt que dans une colonie africaine » -. On retrouve chez le colon la finesse et la bonhomie sceptique du paysan français, doublées d'une audace plus grande, acquise au cours de l'existence plus rude et plus mouvementée. Mais cette population française importée a gardé les qualités de ces provin- ciaux français qui sont, « avec tous leurs défauts, le vrai nerf de la » France, la force vive qui la maintient au premier rang des na- ' Larcher, Traité élémentaire de législation algérienne, t. I. Paris, Rousseau, et Alger, Jourdan, 1903. ^ J.-E.-C. Bodiey, La France,- Essai sur Vkisloire et le fonctionnement des insli- tutions politiques françaises. Paris, Guillaumin, 19U1, p. 18. EX ALGERIE O » lions, en dépil de Loules les folies, gouvernemenlales ou antres, » qui se commellenl dans la I)elle capitale » *. A côté des colons français figurent les Espagnols et les Italiens : mais si le nombre de ces derniers est important, il n'en est pas de même de leur place dans la vie économique du pays : ils sont en général confinés dans des métiers manuels et ne concourent à l'œu- vre commune qu'en fournissant une main-d'œuvre abondante. Il faut mentionner cependant dans la colonie italienne quelques riches familles, établies depuis longtemps, ayant conservé des attaches avec leur pays d'Drigine, mais ayant néanmoins contracté des alliances en Algérie et fondé divers établissements de commerce d'une réelle importance. Mais à côté des Espagnols et des Italiens, il faut faire une place à part aux Maltais, qui constituent un groupe doué de caractères particuliers. Les Maltais, nombreux surtout dans la région de Bône, sont en général très francisés, et la consonnance italienne de leur nom rappelle seule leur oi'igine. Beaucoup s'adonnent à la culture maraîchère aux environs des villes. xMais un grand nondjre d'entre eux ont embrassé des professions commerciales et s'y distinguent par leur entente des affaires, leur sobriété, leur économie, leur ardeur au travail. Certains ont acquis des fortunes considérables; beaucoup tiennent une place importante dans le commerce algérien et montrent pour les opérations de banque un goût et des aptitudes tout particuliers. Tous ces éléments européens ont iKailIcurs fusionné entre eux dans une large mesure pour constituer une population analogue à celle du Midi de la France, assez remuante et loquace, aimant les manifestations extérieures et la parade, mais dans l'en- semble travailleuse, souple, intelligente et active, gagnant pas mal et dépensant à l'avenant. II. Caractères cconomifjiips di- rintln/inc : Ara/trs, Knl)i/h'<, Mozahites. Nous connaissons l'iMiropéen. .Nous savons ipiel est son (\irac- tère et son mode daclivilé; nous connaissons les moyens dont il dispose pour réussir, à défaut du capital généralement absent. Il faut maintenant connaître le milieu indigène dans lequel il se meut, avec lequel il va se trouver en contact et en concurrence. ' liodley, op. cit. 6 LE Dlh'ELOF'PEME.XT ET l" ACTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT Il fautclisLinguer trois groupes dislincts :les Arabes, les Kabyles, les MozabiLes. L'Arabe proprement dit, descendant des conquérants sémites de l'Afrique, est rare. La race arabe a été fortement mélan- gée d'éléments kabyles et il est difficile de la distinguer ethnologi- quement. Pratiquement, l'indigène qui se dit arabe est celui qui mène la vie de pasteur, ou de cultivateur, d'un bout à l'autre de l'Algérie, les deux ilôts de la Kabylie et du Mzab exceptés. Si le rôle de l'Arabe pris individuellement est faible, son im|)ortance n'en est pas moins considérable en raison du nombre de ses repré- sentants. « Dans la région montagneuse, l'indigène est le principal, sinon » le seul éleveur du gros bétail... C'est lui qui produit ce fonds » annuel de 1.150.000 têtes de gros bétail qui, avec les chevaux, » les mulets et les ânes, représente une valeur mobile d'au moins » 50 millions de francs. Pour les Hauts-Plateaux, où la colonisa- » tion européenne s'implante plus difficilement, l'actif des Arabes » nomades avec leurs troupeaux transhumants composés de 15 à » 16 millions de têtes de moutons, chèvres, chevaux, ânes, cha- » meaux, atteint encore annuellement une valeur, comme alimen- » tation de trafic, de plus de 100 millions... Enfin l'indigène pro- » duit annuellement 15 à 16 millions de quintaux de céréales )) représentant une valeur de près de 200 millions de francs, quand » les Européens récoltent à peine 3 millions de quintaux » '. Au point de vue économique, il est caractérisé par la faiblesse du capital d'exploitation et l'irrégularité des récoltes, qui le place dans des alternatives d'abondance et de disette que son impré- voyance ne lui permet pas d'atténuer. Le rôle des Kabyles au point de vue économique est tout à fait différent. Cantonnés dans leurs montagnes, d'où ils ont vu se suc- céder les conquérants de l'Algérie, ils ont formé un bloc inaccessi- ble à l'intrusion européenne. La propriété privée et morcelée qui existe en Kabylie a permis aux habitants de conserver leur coin de terre et d'y continuer la culture qu'ils avaient toujours faite. Travailleurs et intelligents, désireux de s'instruire et de progresser, ils arriveront sans doute à former un noyau de producteurs et de consommateurs qui comptera dans la vie économique du pays. Ils fournissent une main-d'œuvre volante comparable à celle que ' Lecq el Rivière, Manuel de l'a^riculleur algérien. Paris, Ghallamel, 1900. EÎV ALGIÎRIE consUluenl aux environs de Paris les Bretons et les Belges qui viennent en été faire la moisson. Les Kabyles ont des vertus d'éco- nonnie qui manquent à l'Arabe et ils ont su se défendre seuls con- tre l'usure qui se pratique seulement de Kabyle à Kabyle. Enfin le Mozabite apparaît en dernier lieu avec une figure très intéressante. Le Mozabite possède au Mzab une terre, une maison, des femmes. Mais il abandonne tout cela sous la garde d'un vieil- lard et va s'élalijir dans une ville d'Algérie : Alger, Bônc, Guelma, Souk-Abras, pour y installer un commerce. A Alger, beaucoup de boucbers sont Mozabites. Mais leur commerce préféré est celui des tissus, qui forme généralennent la base de leurs opérations. A celui- là viennent s'en joindre d'autres, et noiainmentle plus profitable de tous : l'usure. Le négociant mozabite achète des immeubles, s'installe dans un magasin; il a son compte dans une banque et sait se servir de son carnet de chèques. De loin en loin, tous les deux ou trois ans, il ferme sa boutique, il prévient ses voisins que les valeurs souscrites par lui seront payées chez tel corréligion- naire et il s'en va au Mzab retrouver sa famille. Il y reste trois mois, six mois, un an, puis vient l'eprendre ses afîaires générale- ment fructueuses. Le Mozabite est considéré comme l'indigène le plus sérieux en atfaires; et il ajoutera volontiers sur ses eifels de commerce, au-dessous do son nom, la mention: négociant tnozabite à tel endroil, comme une référence de solvabilité. 111. Caraclrres économiques de risraclite. A côté de l'Européen et de l'Indigène, ou plutôt entre les deux, apparaît l'Israélite, décrié par les uns, vanté par les autres, en général peu aimé. L'Israélite se diversilic suiviinl des types qui varient à l'infini et rc[)résenlent tous les degrés de la civilisation, depuis l'état qui le rapproche de la situation sociale de l'Iniligène jusqu'à celui qui le met au contraire identiquement sur le même pied que l'Européen. On trouvera dans rertaines petites villes, à Guelma notamment, le .luif indigène vêtu à l'orientale el menant une vie sordide, loi (ju'il était au moment de la conquête et tel qu'il existe encore au ALiror. (in trouvera au contraire dans les villes du littoral le riche négociant israélite, (pie rien ne distingue de l'Européen, qu'il rencontre en alVaires on dans los assemblées électives, où il tient sa [ilace. 8 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT Le rôle de l'Israélite est considérable en Algérie el on doit recon- naître qu'il est de première nécessité. Malgré la diversité des types extérieurs constatés, on trouve chez presque tous les repré- sentants de celte race les mêmes caractères généraux : intelli- gence vive et rapide, instinct des affaires, amour du travail, sobriété, économie, et, ajoutent ses adversaires, manque de scrupules. Il faut noter un autre trait, qui est l'absence de goût pour les choses de la terre. L'Israélite est commerçant, homme d'alfaires, homme de loi, parfois fonctionnaire, mais jamais agriculteur. Quelles que soient les particularités secondaires de leurs tempéraments parti- culiers, les Israélites présentent encore ce caractère commun d'une aptitude très grande à amasser de l'argent : M. Demolins les classe dans le type « plus apte à gagner de l'argent qu'à le dépenser ^ ». Or cette particularité de constituer des réserves d'argent était spécialement importante dans un pays comme l'Algérie, et on peut dire dans tout pays musulman. Ce qui caractérise en effet, au point de vue économique, la population musulmane, c'est l'imprévoyance qui fait succéder aux folles dépenses des périodes de misère com- plète. L'Israélite placé à côté du Musulman, joue en quelque sorte le rôle de régulateur. Dans les moments d'abondance, quand le Musulman dépense sans compter, l'Israélite est là, qui profite de ces dépenses et amasse des réserves. Dans les années de disette l'Israélite prête au Musulman les sommes dont il a besoin, en lui faisant, bien entendu, payer ce service. D'ailleurs au Maroc, c'est-à-dire dans la région où la vie musul- mane a le plus gardé ses caractères propres, les Israélites forment de véritables colonies; si les Musulmans avaient pour eux l'aver- sion qu'on leur prête, rien ne les empêcherait d'expulser les Israé- lites mais ils s'en gardent bien, car ceux-ci leur sont indispensables. Ce rôle qu'ont toujours joué les Israélites dans les pays musul- mans, ils l'ont joué en Algérie. Leur sobriété, leur économie leur ont permis, dans bien des cas, de vendre à des prix inférieurs à ceux qu'exigeaient leurs concurrents français, d'où une vive jalousie de la part de ceux-ci, et une haine latente contre l'Israélite. Cette dis- position d'esprit devait faciliter l'explosion de l'antisémitisme, dont la venue de quelques politiciens fut l'occasion. On connaît les évé- nements qui se succédèrent dans diverses villes d'Algérie -; pillage ' A-l-on intérêt à s'emparer du pouvoir? p. 299. Paris, Firmin-Didot. ' V. Reinach, Histoire de l'affaire Dreyfus, t. III, pp. 277-282. EN ALGÉRIE 9 des magasins juifs, engagements pris de ne rien leuraclieler, bagar- res dans les rues, etc. Ce mouvement, commencé par des politiciens, appuyé par les commercanls concurrents, se trouva formidablement aggravé par l'entrée en scène de la lie de la population des villes, qui vit dans tous les ports méditerranéens du travail exécuté sur les quais et ne pouvait manquer cette occasion de désordres. La partie sérieuse de la population se ressaisit rapidement : si on n'avait pas élé fâché, au début, de voir molester les Juifs, on se rendit compte rapidement que tout le monde perdait à ces troubles; les magasins chrétiens devaient fermer aux jours d'émeute comme les magasins juifs, et les hiverneurs délaissaient un pays aussi agité. Le mot d'ordre fut bientôt le retour au calme. IV. Structure de la vie économique en Algérie ; le crédit par les particuliers ; crédit coimnercial et crédit agricole. Connaissant maintenant les hommes, examinons comment va s'organiser la vie économique dans cette masse d'indigènes au milieu de laquelle s'insèrent et se meuvent les autres éléments que l'on vient de passer en revue. il faut tout d'abord remarquer que l'Algérie doit être considérée au point de vue économique comme formée de bandes perpendicu- laires à la mer, aboutissant à un [)ort. ()ran est le débouché de la province presqu'enlière ; Alger de même, car le petit port de Del- lys ne dessert qu'une région très limitée. E>ans le département de Constantine, au contraire, les porls sont plus nombreux; Bougie dessert une région et Djidjelli une autre; Philippeville est le port de Constantine; Bône dessert la région comprise entre Guelma, Souk-Ahras, Tébessa et Aïn-.Mokra. On considère généralement les trois régions du Tell, des llauls-lMaleaux ft du Sahara : ces trois régions existent bien au point de vue physique, mais il faut se lîgu- rer l'Algérie comme une série de bandes pei'pendiculaires à la mer et comprenant utie tranche de Tell, une tranche de conlreforls montagneux, une tranche de Ilauts-IMateaux et une tranche de Sahara. C'est dans chacune de ces grandes bandes que la vie éco- nomique s'organise. La conquête a commencé par les villes de la côte et c'est, bien enlendu, le commerce tpii a domim'' d'abord. Los premiers colons sont des trafiquants qui viennent appoi'ler leur marchandise, car le premier rôle qu'on assigne à une colonie est 10 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT en effet de servir de débouché aux produits métropolitains. Puis après le commerce vient Fagriculture; les fermes et les villages se créent, la propriété européenne avance vers l'intérieur et le com- merce la suit. Mais tous ces colons, tous ces commerçants, pauvres pour la plupart, ne peuvent vivre et prospérer que par le crédit et comment la vie économique a-t-elle pu se dessiner? Il faut distinguer entre le crédit commercial et le crédit agricole. D'une façon générale le crédit a pour objet de mettre à la disposi- tion du commerçant peu fortuné les moyens nécessaires pour lui permettre de vendre une marchandise avant d'en avoir lui-même 2)ai/é le prix d'achat, de façon à lui permettre de payer le prix d'achatau moyen du prixde vente. Le négociantde gros confie au petit négociant une marchandise payable à 90 joints; entre le moment de la vente et celui du [)aiement, le négociant de détail aura vendu assez de marchandise pour payer son prix d'achat. Ce crédit sera d'autant plus nécessaire que le pays sera plus neuf. En effet, les commerçants qui vont s'établir dans la colonie naissante sont des gens entreprenants; il faudra leur confier des marchandises qu'ils iront écouler dans l'arrière-pays et ne pourront payer qu'ensuite : eux-mêmes seront parfois obligés de faire crédit à leurs clients. Bien entendu, un tel commerce n'ira pas sans déchets. Les clients et les marchands ne sont pas toujours d'une honnêteté parfaite et il y a des risques assez forts : mais les bénéfices sont en propor- tion. Ce crédit s'organisera tout d'abord parle commerce. Le commer- çant de gros établi sur le littoral fera crédit au marchand établi dans les villes de l'intérieur. Ce marchand, en général, n'aura pas un commerce restreint; il vendra au contraire nn nombre très considérable d'objets différents, d'un assemblage parfois un peu bizarre. On trouve comme énumération des qualités d'une maison de commerce algérienne : maison de gros et demi-gros, épicerie et comestibles, droguerie, mercerie et parfumerie, escompte, recou- vrements, manufacture de tabac. Un autre négociant d'un port de l'Algérie présente l'intitulé suivant: bois et matériaux de construc- tion, chaussures, sabots et galoches, meubles, farines et semoules, transit, commission, représentation. On voit la variété des opéra- tions traitées dans un même magasin. C'est un fait intéressant à signaler que cette universalité du commerce naissant, qui se spécia- lise à mesure que le développement économique s'accentue, pour EN ALGÉRIE 1 l finir par s'universaliser à nouveau avec le grand magasin, qui cor- respond à un élat écononnique supérieur. Le commerçant vendant une foule d'objets différents, on s'adresse à lui pour des causes nombreuses. Il a dès le début une clientèle double : celle des colons établis aux environs qui s'adressent à lui pour leur consommation personnelle et celle des marchands de moindre importance qui font chez lui leurs ap[)rovisionnemenls. Xi l'une ni l'autre de ces catégories de clients ne sera en mesure de payer comptant. Le colon n'a en effet d'argent qu'au moment de la réalisation de sa récolte; en attendant ce moment, il faudraqu'il vive sur le crédit. Quant au petit marchand qui vendra à la fois des denrées alimentaires, de l'épicerie, des tissus, des ustensiles de ménage dans un petit village en création, il ne pourra, lui non plus, payer la marchandise achetée que quand il l'aura lui-inème revendue. D'où nécessité du crédit pour les deux; un peu plus long pour le colon, un peu plus court |)Our le marchand de détail. Le marchand en gros que nous prenons comme point de départ, installé dans une ville du littoral, sera forcément amené à faire du crédit. Il y a tout intérêt: pour conserver la clientèle du colon, qui annuellement réglera tout d'un coup sa dette avec les intérêts accu- mulés, et pour conserver celle du petit commerçant de l'intérieur, dont les affaires vont se développer à mesure que le pays s'enri- chira et qui constitue en somme une sorte d'agent pour le gros marchand auquel il fournit des débouchés nouveaux. J^e commer- çant est donc forcé de faire du cnnlil. De faire du crédit à faire de la banque, il n'y a qu'un pas, et il est bientôt franchi. Le petit marchand de l'intérieur, qui vend à terme tui-mêine, va se faire souscrire des billets par ses propres clients : il viendra les ofVrir au marchand du lilloral en paioinonl de sa dt'ltc. VA ce ilernier aura tout int(''rèt, pour se couvrir de ses avances, a escom[)tt;r ces valeiu's. à un taux nalurellement très élevé, cl en faisant son choix parmi celles (pi'on lui [)rt'sen[e. \K' ronimci-çani, il deviendra donc es- compteur. Mais il ne s'en tiendra généralement pas là. (le commer- çant aura des fonds disponibles à certains moments : il cherchera un emploi à ces sommes, et cet emploi consistera souvent à faire des avances à certains de ses (•li.Mit>. «Iciix ri en effet, lorsqu'ils viennent à la ville faire leurs commandes, vont causer avec leur fournisseur habituel, lui raconter leui's alfaires et parfois solliciter 12 LE DÉVELOPPEMEiNT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT son aide pour telle ou telle allaire: celte aide sera souvent accordée: parfois pour profiler d'une bonne occasion, parfois pour tirer d'em- barras un débiteur malheureux qu'il importe de soutenir pour lui permettre de se libérer un jour. C'est ainsi que le commerçant va devenir un banquier. Il mettra à la disposition de ses clients, non plus seulement les objets nécessaires à la nourriture, à l'habille- ment, à l'outillage, mais encore l'élément primordial de toute entre- î)rise, le capital. Il vendra, parmi beaucoup d'autres denrées, l'ar- gent. C'est dans ce rôle que vont exceller l'Israélite, le Mallais, pour la population européenne; le Kabyle ou le Mozabile pour la j)opu- lalion indigène, sans qu'il y ait d'ailleurs de règle fixe à cet égard, chacun d'eux ne considérant que la solvabilité de l'individu auquel il a à faire, quelle que soit son origine. Le Maltais au milieu de son magasin de denrées, l'Israélite dans son entrepôt de céréales, le Kabyle ou le Mozabite au fond de leur boutique de tissus écouteront d'un air sceptique ou imperturbable les demandes et les explications de leurs solliciteurs et après des discussions sans fin sur les sommes, le taux et l'époque de rem- boursement, finiront par accorder l'avance sollicitée. Ce sont ces commerçants sobres et laborieux qui accumulent pa- tiemment des sommes parfois fort importantes, qu'ils remettront ensuite dans la circulation sous forme de prêts. Ce sont, pour l'opi- nion publique, des usuriers, avec ce que le terme implique de dé- favorable. Ce sont, au point de vue économique, des facteurs puis- sants de production de richesse. Leur expérience, leur prudence, le choix judicieux de leurs emprunteurs en feront d'utiles auxiliai- res pour le développement économique du [tays. Ce sont d'ailleurs les seuls qui puissent faire ces avances. Aucun organisme ne peut les remplacer, même les institutions de mutua- lité. Et la raison en est fort simple. Le devoir d'un établissement de crédit mutuel, quel qu'il soit, est de mesurer strictement le cré- dit à la surface que présente l'emprunteur. Cetétablissement pourra bien tenir compte, dans une certaine mesure, des qualités morales ou professionnelles de cet emprunteur. Mais il ne pourra jamais lui avancer tout d'un coup une somme relativement considérable en vue d'une entreprise nouvelle. Les dispensateurs du crédit hésite- ront toujours devant uuq telle mesure qui engagerait gravement leur responsabilité en cas d'insuccès. EN ALGÉRIE 13 Celle considération n'existera plus pour l'usurier, s'il estime que l'un fies individus qu'il commandite a les qualités nécessaires pour réussir. Il pourra d'ailleurs le surveiller de très près, si, comme il arrive généralement, il est son fournisseur en même temps que son banquier. Enfin le bénéfice qu'il retire de l'airaire lui permet de courir quelque risque. Il prélèvera, à vrai dire, sur le résultat de l'opéra- tion une part un peu forte, mais il n'en résultera pas moins une alfaire nouvelle mise sur pieds, dont un grand nombre de person- sonnes pourront bénéficier. 11 est facile de préciser ceci par un exemple : Supposons tel petit commerçant installé dans un village et ven- dant mensuellement pour 500 francs de marchandises. Supposons qu'il aille trouver une banque mutuelle et lui dise : « Je fais 500 fr. d'affaires par mois. Mais si j'avais deux chevaux et une voilure et qu'il me fût possible de faire la tournée des villages environnants, qui manquent de tel ou tel article, je ferais facilement 1.000 francs d'affaires par mois. Seulement il me faut une mise de fonds de 2.000 francs environ pour acheter le cheval, la voiture et le stock des marchandises nécessaires. — Quel est votre actif? dira la Ban- que. — Je n'en ai pas, répondra le marchand. Mon magasin est simplement loué au mois; je n'ai que le stock de marchandises strictement nécessaire pour la vente d'un mois, soit 500 francs, dont je n'ai payé que le quart; je dois le reste ù X.... i|ui est mon fournisseur. — Dans ces conditions, l'opération est impossible, répondra la Banque mutuelle ». Sur cette ré()onse, le marchand va trouver X... et lui expose l'affaire : « Cela peut se faire, répondra X... Je vais acheter le cheval et la voilure à mon nom ; tu t'engageras à me les rendre aussilOl ()ue je l'exigerai. Je te fournirai la niarcliandist> t|uc tu pi'cndras la veille de la tournée, et tu me paiei'as aussitôt après ton reloiu". soit en argent, soit par les billets de h's clients, (jur je t'esctimpterai au taux de 10 p. 100 ». L'all'aire se fera sur ers bases. .\... prélèvera un bénéfice excessif, c'est vrai ; nuiis les villages seront desservis, et le commerçant gagnera un peu plus. Dans d'autres cas encore, ces prêteurs jouent un rèlr inipurlanl : c'est quaiiil il s'agilde lotirnir ili's l'iiiuls à des individus ayant fait une [ii'emière fois de mauvaises atî'aii'es. Aumuie banque ne cou- a LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT sent à leur avancer de fonds. Seront-ils donc privés de tout espoir de se relever, de faire une nouvelle tentative pour améliorer leur situation? Oui, s'ils n'ont que la grande Banque ou la Banque mu- tuelle. Mais ils ont le [)rèteur en question, « Mon papier'' est mau- vais, disait un assez important négociant en denrées coloniales; on me le refuse dans les banques parce que presque tous mes clients sont des faillis concordataires. On a un préjugé contre eux. Je ne travaille qu'avec eux, et cependant je gagne de l'argent : jamais on ne vend aussi cher qu'à l'indiviilu qui vient de faire faillile ». C'est un point de vue. Mais il est évident qu'eti faisant du crédit à ces commerçants malheureux, il leur donnait une chance de se tirer d'ad'aire. Si le crédit commercial, nous l'avons vu, a son utilité pour per- mettre au commerçant d'acheter la marcliandise avant d'en avoir touché ce prix, il n'est pas moins nécessaire à l'agriculteur pour lui permettre (\e faire des dépenses qu'il paiera avec le pinx de vente de sa récolte. On voit de suite les différences que présenteront les deux modes de crédit : alors que le commerçant, dans le laps de temps de 90 jours, aura récupéré son prix d'achat, il faudra à l'agriculteur 6 ou 9 mois pendant lesquels il devra avancer de l'argent à la terre en semailles, fumures et façons, avant de vendre ses produits. Ce besoin d'argent devait donc se faire sentir- d'abord chez les Indi- gènes, dont l'imprévoyance augmentait l'infériorité à ce point de vue, et ensuite chez les colons, généralement dépourvus de capi- taux. Nous avons essayé ailleurs de montrer les divers besoins du colon ^ et de distinguer d'abord ceux qui résultent d'événements accidentels comme il s'en produit fréquemment en Algérie, ensuite ceux que l'on peut considérer comme normaux et qui se divisent en trois catégories : 1° Le crédit destiné à l'amélioration et à l'extension de la pro- priété; 2° Le crédit destiné à la préparation de la récolte; ' Le mol « papier » est pris ici dans son sens technique de banque et signifie par conséquent « les traites tirées par moi sur mes clients ». '^ Sur ce point, v. Philippar, Conlrib. à l'étude du crédit agricole en Algérie, p. 59- 69. ^ Philippar, ibid., p. 29G et suivantes. EN ALGÉRIE i5 3° Le crédit destiné à permettre d'attendre la vente. La première catégorie d'opérations ne peut être réalisée évidem- ment que sous forme d'aiïaires à long terme et relèvent plutôt du crédit foncier que du crédit agricole proprement dit. Le troisième mode de crédit ne peut trouver sa raison d'être que dans des cir- constances impliquant des difficultés d'écoulement qui ne se produi- sent que dans les années de surproduction. Si la question s'est posée en Algérie ces dernières années avec une certaine acuité, elle n'avait pas, au début de l'occupation, l'importance qu'elle a prise depuis. Mais le second mode de crédit est celui qui devait se présenter chaque année avec une régularité absolue, tant pour l'in- digène qui avait dissipé le produit de la récolte précédente et n'avait plus de ressources pour attendre la récolte suivante, que pour le colon européen, obligé par les besoins d'une culture per- fectionnée de faire des avances à la terre, tout en consacrant à l'amélioration de sa propriété les ressources lui provenant de l'année antérieure. L'indigène devait forcément avoir recours à l'usurier dont les excès ont été si souvent dénoncés; quant au colon euro- péen, il avait généralement recours au « crédit de campagne » con- senti pour une durée de 6 à 9 mois, au moment des labours, pour être remboursé après la récolte. Nous avons exposé ailleurs ce mode de crédit ' et montré comment il était imposé aux banques. Mais ces capitaux, dont les agriculteurs et les viticulteurs surtout avaient si grand besoin, qui pouvait les leur fournir? Los agriculleurs diu^ent agir comme l'avaient fait les marchands de l'intérieur, et leurs premiers banquiers furent leurs fournisseurs. Le colon qui entre le mois de janvier et de juin avait besoin de fonds, s'en allait trouver le gros négociant de la cote qui chaque année lui achetait sa récolle, et lui demandait une avance sur la moisson future. L'autre la lui consentait plus ou moins volontiers, à des conditions plus ou moins avantageuses, suivant les perspcclivos de l'année et le cours des céréales. De même, le viticulteur s'adressait aux négociants en vins, de même l'éleveur au marchand de bestiaux. Le prèleui" avait intérêt souvent à consentir l'avance pour s'assurer la niarciiandise dont il avait besoin et parfois dans des conditions déterminées d'avance. De même que le marchand venait trouver son vendeur habituel, le colon venait trouver son acheteur ordinaire et obtenait ' Ibid., p. 'Jl el suivantes. 16 LV. DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DR CRÉDIT de lui les avances nécessaires pour allendre la récolte prochaine. Là encore le prêteur particulier, se basant sur la connaissance qu'il avait de l'emprunteur, rendait des services qu'il était à peu près le seul à pouvoir rendre. Le président d'une société de crédit mutuel agricole disait lui-môme : « Nous recevons la visite de petits colons qui viennent nous demander de l'argent. Nous leur offrons 500 fr. ou 1.000 fr. à G p. 100, parce (pie nous estimons que leur situation ne comporte pas davantage. — Nous trouvons 3 ou 4.000 francs dans les banques au même tau.x, répondent-ils. — Et ils retournent dans les banques ou à leur prêteur ». C'est qu'il y a une différence entre le commerce qui comporte un risque, et l'institution plus ou moins philanthropique qui n'en admet que de fort atténués. Il y a lieu d'insister sur le rôle joué ainsi au point de vue du crédit par les particuliers, à la fois commerçanls et banquiers, déni- grés souvent par leur propre clientèle, mais dont l'importance éco- nomique mérite d'être très nettement reconnue et mise en lumière, sans toutefois qu'il y ait lieu d'aller jusqu'à les proclamer philan- thropes, suivant une appréciation que rapporte M. Colin '. Un double mouvement va donc s'établir dans chacune de ces longues bandes parallèles qui s'étendent perpendiculairement à la mer : mouvement des capitaux, allant de la mer vers l'intérieur, mouvement des marchandises venant de l'intérieur au littoral. Tous ces commerçants, installés sur les villes du littoral, seront le point de ravitaillement au point de vue des fonds comme au point de vue des marchandises. Mais ce mode de crédit par les particuliers ne suffira pas longtemps au développement d'une colonie naissante : les ressources des commerçants ont des limites et leurs fonds dis- ponibles seront vite épuisés. Il faudra que les banques, avec les ressources énormes de la société anonyme, viennent leur prêter leur appui et leur fournir la réserve de leurs ressources financières. Leur intervention d'ailleurs ne fera pas disparaître la structure qui vient d'être décrite : elle viendra la fortifier en lui apportant les moyens d'augmenter son action en puissance et en étendue, de pousser sa pénétration de plus en plus loin de la côte. Nous avons étudié ailleurs - et dans ses détails, le développement de chacun des établissements financiers de l'Algérie, mais l'ensem- ' Colin, Quelques questions algériennes (L'usure et la loi du à avril 1898). Paris, Larose, 1899. - Conlrib. à l'élude du crédit agricole en Algérie. EN ALGÉRIE 17 ble de tous ces établissemenls a suivi lui-même une marche géné- rale qu'il est intéressant de considérer dans son ensemble et qu'on peut diviser en trois périodes : 1" La période de la Banque commerciale de 1851 à 1880; 2° La période delà Banque agricole et des Comptoirs d'Escompte de 1880 à 1892; 3° La période de transition de 1892 à 1900; 4° La période des Sociétés de crédit depuis 1900. V La période de la Banque commerciale 1S.il-1S80. Le développement économique de l'Algérie ne commence en réalité qu'en 1850. C'est précisément à cette date que fut fondé à Alger un Comptoir National d'Escompte qui, dès le début, pratiqua les opérations d'escompte au taux de 8 "/o- Ce fut en janvier 1851 que fut accordée à l'Algérie la libre entrée en Fi-ance des produits de la colonie. Le 4 août suivant, la Banque de l'Algérie était fon- dée au capital de 3 millions de francs. C'était en somme une ban- que d'émission, dont les statuts étaient analogues à ceux de la Banque de France, avec cette différence qu'elle pouvait accepter le papier muni seulement de deux signatures. Son fonctionnement fut normal et ses oi>éralions se développèrent rapidement. Son rùle fut double : elle avait d'abortl un rùle moné- taire à remplir, en remplaçant l'usage de la piastre d'1-^spagne par celui de la monnaie française, et en introduisant l'usage du billet de banque, qui devait nécessairement rencontrer chez les indigènes une certaine résistance. Elle y réussit assez rapidement. Mais elle avait en môme temps un rùle de crédit à jouer [lar la ])i'atit[ue de plus en plus étendue de l'escompte. Celte branche de ses opérations se développa ra[)idem(Mil ; de S millions peiulanl le premier exercice, les escom[)les atlcignirent 20 millions en IS5i, dépassèrent 100 millions en 18()2, 150 millions en 1870, atteigni- rent 200 millions en 1871, poiu- arriver à 4 et 500 millions en IH79 et 1880. Cet accroissement d'alVaires était d'ailleurs corrélatif au dévelop- pement du réseau; établie à .\lger en 1851, la Banque s'installait à Oran en 1853, Constantine en 1850, Bône en 1858, IMiilippeville en 1875. Fendant cette pei'iode de 1850 à ISSO. la F.antpie de l'Algérie ne Philippar 2 18 LE DÉVELOPrEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT demeure pas seule. La Société Générale Algérienne fut fondée en i865. Le Gouvernement Impérial jugeait en effet nécessaire la constitution d'une société destinée à provoquer ou faciliter les opé- ralions agricoles, commerciales, industrielles; société destinée, d'ailleurs, à jouer un autre rôle plus important encore au point de vue des travaux publics de la colonie. Bien que la société nouvelle fût très absorbée par l'émission en France d'importants emprunts, elle étendait progressivement ses affaires en Algérie. Installée à Alger en 1865, elle ouvrait des succursales à Constantine et Oran en 1868, à Bône en 1869. Les effets entrés en portefeuille, qui atteignaient 4.000.000 fr. en 1867, s'élevaient à 9.500.000 fr. en 1869 et 15i millions en 1871 K Tels furent les seuls établissements de banque fonctionnant en Algérie de 1850 cà 1880. 1. — Les établissements financiers de l'Algérie en 1875. lî. Banque de l'Algérie. C. Compagnie algérienne. Si on jette un coup d'œil sur la carte n° 1, qui indique les villes où se trouvaient ces établissements en 1875, on voit que cinq villes seulement possèdent des établissements de crédit. Sur ces cinq villes, quatre sont des ports. La seule ville de l'intérieur qui ait une banque est Constantine, qui occupe une situation toute parti- culière par la place qu'elle a prise comme marcbé : c'est d'ailleurs, actuellement encore, la seule ville importante non située sur le ' Les comples rendus de la Société Générale Algérienne à partir de cette date ne donnent plus le montant des opérations annuelles. EN ALGÉRIE Î9 lilloral. Les établissements de crédit sont cantonnés sur la côte et n'occupent qu'un seul point de l'intérieur, qui est une ville importante. C'est donc bien la période de la banque commerciale : les banquiers se tiennent confinés dans les villes et se bornent à escompter le papier purement commercial. Ils font seulement le crédit aux gros commerçants dont nous avons parlé plus baut, éta- blis, eux aussi, dans les villes du littoral, et qui se font les banquiers des négociants moins riches établis à l'intérieur. La colonie n'en est encore qu'à l'âge du commerce; les ports de la côte sont simplement des comploir>> où s'échangent les produits apportés de l'intérieur. Le rôle de la banque n'est pas encore réellement intéressant. C'est d'ailleurs le reproche qu'on va faire ù la Banque de l'Algérie en 1880, au moment du renouvellement de son jjrivilège. ALVL Thomson et Jacques ont demandé à la commission chargée d'étudier la question, d'imposer au moins à la Banque l'obligation de multiplier ses alfaires avec les colons et le petit commerce auxquels elle ne rendait pas, affirmaient-ils, les services qu'ils étaient en droitd'attendre d'un établissement placé sous la direction et le patronage de l'Etat. La EJanque de l'Algérie a bien cependant dessiné un effort dans le sens qu'on lui indique, puisque déjà le chiIVre d'affaires a augmenté dans des proportions très fortes que nous avons indiquées plus haut. Il s'est môme trouvé quelqu'un pour critiquer ce brusque accrois- sement des affaires sociales, hors de proportion avec le développe- ment des transactions commerciales ^ Mais c'est là une opinion iso- lée, et le sentiment dominant c'est que la Banque doit se mêler plus intimement à la vie économique du pays pour seconder ses elTorts, \ I. La prriode de la Banque agricole el des CDiiijtloirs d'esco)nple(lSSO-ïSlh>). Avec 1880 commence l'extension du vignoble algérien. Ce développement, causé par la crise phylluxériipio française, fut ' M. Clapier, lors des discussions à rAssemhlro luiliunalo des '»'.") i>t 20 mars 1872: <( Les opéralions de banque, de civdil, de papier, vonl toujours en se développant, tandis que les opéralions commerciales restent stalionnaires «. M. Clapier fait remar- quer qu'en 18G0 le mouvement commercial de lAlgérie était de2'i.S millions; il avait été eu 186'J de 2G:î millions; cette augmentation c^l bien inférieure à celle qu'avait subie l'émission de la banque. 20 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT rapide et considérable. De 1879 à 1899, l'étendue du vigno!>le algérien passe de 20.000 hectares à 138.000 hectares. De 1881 à 1885, l'accroissement moyen du vignoble a été de 10.000 liectares pnr an. De celte circonstance résulta pour la colonie un essor économique considérable, entraînant des besoins de capitaux corré- latifs. Tout le monde voulait de l'argent pour planter de la vigne, et il semblait bien que là fût en efTet l'avenir de l'Algérie \ Or, à ce moment, la Banque de l'Algérie venait d'obtenir le renouvellement de son privilège volé par le Sénat le 22 mars 1880. Ce privilège n'avait été renouvelé que moyennant la condition que la Banque prêterait aux colons une aide plus large que par le passé. Les rapports présentés à la Chambre - et au Sénat ^ le stipulaient formellement. Le gouvernement était d'ailleurs favorable au développement du vignoble algérien ^; quant à la Banque de l'Algérie, il lui était nécessaire de trouver des sources nouvelles de bénéfices, lui per- mettant de rémunérer un capital qui venait de s'accroître. Elle s'engagea donc dans la voie du crédit aux cultivateurs. Son mode- d'aclion fut double : elle fit crédit d'abord directement aux colons; elle agit ensuite par l'intermédiaire des Comptoirs d'escompte. Son action directe s'exerça d'abord par les crédits de campagne, ' Au sujet de l'engouomenl des Algériens pour la vigne, il esl intéressant de rappe- ler l'opinion récemment exprimée à ce sujet par M. Marchai à la Réunion d'études algériennes : « On ne pouvait faire en Algérie autre chose que de Tagriculture: il n'y avait aucune industrie; toutes les industries naissantes étaient tuées dans l'œuf, comme telle chocolalerie ou telle stéarinerie que je pourrais citer; de même les distil- leries d'alcool. Sitôt qu'une de ces créations fonctionnait dans la colonie, l'industrie de la métropole poussait immédiatement des hauts cris et se plaignait qu'on lui enle- vât ses marchés. Alors tout le monde se jeta sur la viticulture». Bull. Réiai. El. Alff., 1904, p. 145. - " M. le Directeur nous a donné l'assurance formelle que son conseil d'administra- tion et lui étaient d'accord pour le rendre (son concours) de plus en plus accessible au pelil commerce aussi bien qu'aux colons » (Rapport de M, René Brice à la Chambre des députés, déposé le 9 juin 1879j. ' Son administration (de la Banque de l'Algérie), opérant sur un terrain de plus en plus solide, saura, sans se départir des règles de sage prudence qui lui ont assuré un pareil succès, se tenir à la hauteur de sa mission en favorisant, dans la plus larqe mesure possible, lesbesoinsdu pelil commerce et l'essor de l'agricullure... » — (Lucet, Happorl au Sénal, déposé le 2 mars 1880). ' L'entraînement fut vraiment général; le monde ofïiciel, sous toutes ses formes, l'encourageait vivement. C'est ainsi que l'Algérie se couvrit d'emprunts auxquels elle avait été sollicitée, entraînée par un courant exagéré s'ajoutant au courant naturel pro- duit par la hausse du vin. Marchai, Bul. Réun. Et. Alff.; p. 14G. EN ALGÉRIE 21 le mot campagne étant pris ici dans son sens industriel et signi- fiant le cycle total des opérations relatives à une culture, de la préparation à la récolte. Une fois celte récolte vendue, le culti- vateur rembourse, quitte à solliciter de nouveau, quelques mois après, un nouveau crédit pour la campagne suivante. Ces crédits sont réalisables par fescompte de billets à 90 jours, renouvelables pendant une période plus ou moins longue, trois à six mois s"il s'agit d'une opération sur des bestiaux; neuf à dix mois s'il s'agit d'une récolte de céréales ou d'une campagne vilicole. Cette opéra- tion n'était d'ailleurs pas une innovation; elle était depuis long- temps pratiquée par les Banques allemandes ' et même par la Ban- que de France -. L'opération en elle-même n'avait donc rien de critiquable; elle ne commençait à le devenir que quand les crédits n'étant pas remboursés à échéance se renouvelaient indéfiniment, emplissant le portefeuille de papier d'immobilisation. Mais la Ban- que ne se borna pas à faire des crédits destinés à l'entretien des vignobles ; elle prêta les fonds destinés à leur création •'. Elle ne se contenta même pas d'agir directement; elle augmenta ses engagements par l'intermédiaire des comptoirs d'escompte. Ces Comptoirs d'escompte furent des sociétés anonymes, généra- lement créées au capital de 200.000 francs, parfois avec un cajiital ' V. Lebarbier, Le crédit agricole en Allemagne, l'aris, Bergcr-Levraull. * Sur ce point v. Convert, Les entreprises agricoles, Paris, iNlasson, ISW, pp. 428 et suiv. L'exemple le plus connu est celui des crédits faits dans la N'icvre par M. Giraud, directeur de la succursale de la Banque de France à Xevers, mais ce n était pas, parait-il, une innovation. « Si le monde agricole avait été mieux informé, écri- vait en 1879 M. Emile Damourette dans le Journal d'agi iciillnre praiicfue, il aurait su qu'il ne s'agissait nullement d'une exception. En effet, depuis longtemps, beaucoup de succursales, celles de Normandie entre autres, avaient, dans une proportion plus ou moins forte, admis du papier agricole dans leur porlefeuille... Du reste, je serais tenté d'ajouter qu'il n'y a pas une seule des succursales de la iîantine qui n'ait dans son portefeuille du papier de cultivateur... Si la somme qu'il représente était connue, il .se pourrait bien que les amis de l'agriculture fussent très étonnés». Couvert, p. i:Jn. ' « J'ai connu de braves colons possesseurs dans la plaine ou sur les coteaux de vingt ou trente hectares, dont dix hectares en vignes qui leur donnaient de beaux pro- duits dont ils se contentaient. Mais des agents de la Banque, de loules les banipies, venaient leur dire : Vous n'avez que dix heclares de vignobles et des terres improduc- tives: mettez donc tout en vigne! Le colon ({ui savait ce que coiltail un hectare de vigne avec les frais d'installation, de matériel vinaire, hésitait souvent. Je n'ai pas assez d'avances, disait-il. — Vous en aurez ! On vous avancera de l'argent à 5 ou 6 p. 1(30 au maximum ; vous en retirerez 15 p. UR». Vous serez largement couvert de vos frais et de vos peines, et la propriété vous restera nette l'i bref délai ■•. Marchai, liull. He'tin. El. Algériennes, l'.MJi, p. i i(). 09 LE DEVELOPPEMENT ET L ACTION DES SOCIETES DE CREDIT plus important. Leurs statuts, très larges, leur permettaient une grande variété d'opérations de crédit, et ce furent de véritables petites banques. Leur modèle fut le comptoir de Saint-Denis du Sig (province d'Oran), qui fonctionnait depuis 1871. Le mouvement qui provoqua la création de ces comptoirs fut incontestablement déterminé par laBanque de l'Algérie, désireuse de se procurer des intermédiaires pour fournir aux agriculteurs les fonds qu'elle avait promis de met- tre à leur disposition. De nombreux témoignages montrent l'action de la Banque dans cette création des comptoirs ^; après avoir aidé à leur constitution, elle leur fournissait en outre des directeurs et surveillait leur fonctionnement. La constitution de ces sociétés fut facile; les actions furent aisément placées, soit parmi les gros propriétaires agissant parphilanthropie ou par ambition, soit parmi les employés d'ordres divers, qui croyaient trouver pour leurs pe- tites économies un placement fructueux -. Le développement des comptoirs fut assez rapide; il se répartit de la façon suivante : 1871 . . . 1 1885 . . . 1 1878 . . . 1 1886 . . . 2 1879 . . . 1 1887 . . . 1 1880 . . . 1 1889 . . . 1 1881 . . . 9 1891 . . . 2 1882 . . . 4 1892 . . . 1 1884 . . . 2 1897 . . . 1 Il est donc corrélatif au développement du vignoble. Les comp- toirs fonctionnaient, en ouvrant comme la Banque de l'Algérie, des crédits de campagne aux agriculteurs et leur rendaient de ce fait de sérieux services '. Ces petits établissements réalisaient d'ailleurs chaque année un chiffre d'escompte important, qui atteignait pour certains d'entre ' En ce sens, v. Henri Garrot, La Banque de l'Algérie, Paris, Savine, 1892; Mé- moire en défense pour le Comptoir d'escompte de Guelma contre la Banque de V Algérie, Conslanline, Braliam, 1901; Suite au mémoire, Guelma, Fons, 1901; Barbedelle, La vérité sur la Banque de l'Algérie, Djidjelli, Angeii, 1896, p. 13; Bull. Béun. Et. Alg., 1904, p. 140-147. ^ La crise agricole, par G. Poucliet, colon algérien. Alger, Thomas, 1894. ' Pouchel, op. cit.; Exposé situation générale de l'Algérie, 1886, p. 284; Trume- let, Boufarik, p. 484-487; plus récemment, MM. Marchai et Rouyer à la séance tenue par la Réunion d'Etudes algériennes le 20 mai 1904, Bulletin, 1904, p. 140-147. EN ALGERIE Zà eux jusqu'à 4 ou 5 millions. Mais c'est surtout ù ceux placés en contact avec les colons qu'on peut adresser le reproche d'avoir poussé ces derniers à la création trop rapide du vignoble '. Toute- fois leur fonctionnement devait bientôt prêter à de plus graves cri- tiques et une série d'irréparables erreurs venir arrêter leur mar- che : opérations basées sur des considérations politiques -, admi- nistration défectueuse, due à l'inexpérience ou au manque de scrupules des administrateurs : d'où fiches trop grosses imprudem- ment ouvertes, soit à ces administrateurs eux-mêmes, soit à de gros clients obérés; enfin frais généraux trop considérables et distribu- tion de dividendes trop élevés \ Tandis que la Banque de l'Algérie développe ainsi ses opérations et que les Comptoirs d'escompte étendent leur réseau, les autres établissements de crédit ne restent pas inactifs. La Compagnie Algérienne, qui a remplacé en 1877 la Société Générale algérienne, s'est installée successivement à Sidi-Bel-Abbès, Mostaganem, Blida, Bône, Philippeville, Sétif et Bougie. Un nouvel établissement, le Crédit Foncier et Agricole d'Algérie, s'est fondé en 1881, destiné, par un mécanisme assez ingénieux, à mettre à la disposition des colons les fonds du Crédit Foncier de France pour les opérations de crédit hypothécaire à long terme, en même temps qu'à leur fournir pour les opérations à plus court terme les ressources pro- venant de son capital et de ses dépôts. Aussi, le chiffre des prêts hypothécaires, qui n'avait guère été que de 1 million à 1 million 1/2 par an tant que le Crédit Foncier de France opérait seul en Algérie, passe sul)ilemont à \ ï millions en 1882 et 1883 pour osciller autour de 10 millions en 188 i, 1885, 1886 et 1887 et se maintenir ensuite entre 3 et l millions de francs. El sur ces chiffres, les prêts ruraux figuraient pour 7 millions en 1882, 8 millions en 1883 et 1881, i millions en 1881 et 1885, 6 millions en 188G. Si on jette maintenant les yeux sur la carte \\"'2[\ . |»ngc suivanlL-i, qui indique toutes les localili's pourvues, soil d'un Cpinploir d'I-is- compte, soit d'un siège de la Banque d'Algérie, de la Compagnie Algérienne ouduCrédit Foncier d'Algérie, on voit le chemin parcouru • Barbedetle, /-,« vérilé sur la lîanque de l'Miiérie, p. ■.'«'; (ianot, l.a banque de l'Algérie. ' Garrot, op. cit.; Poticliel, op. cil. : Marcliul d Houyor, lo-, vil. ' Pouchel, op. cil.; Marchai l'I lîoiivi-r, loc. cil. 24 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT depuis Tannée 4875 (carte n° 1). Au lieu de rester cantonnés sur le littoral, les établissements de banque s'avancent vers l'intérieur. Si la Banque de l'Algérie n'a pas changé le nombre de ses sièges, la Compagnie Algérienne en a sept de plus; le Crédit Foncier d'Al- gérie est installé à Oran, Alger, Bône et Constantine, Mais le trait 2. — Les établissements financiers de l'Algérie en 1886. A" y y -SôneB^^P^ - -" \,,r^''vf ^cW^T'^i-iluzouE- BouHic.C oMiisL oGuelma E A. OrloansvilleE p po^^ , CONSTANTlNE.B.C.^'"f'"""'^-'-^- -'oHp.lizane.Z^. ^' \ °SidiBelAbbès.C.E. \ - o \ ; .• ; ; Tlemcen.E. • ,' / B. Banque de l'Algérie. F. Crédit Foncier d'Algérie. C. Compagnie algérienne. E. Comptoir d'Escompte A. Caisses agricoles. le plus caractéristique, c'est le développement des Comptoirs d'Es- compte ' qui, s'avançant vers l'intérieur, sont allés jusqu'à Souk- Ahras, Sétif, Médéa, Mascara, conduisant peu à peu les capitaux à l'intérieur du pays. Ils sont au nombre de il dans la province d'Alger, 8 dans celle d'Oran, 5 dans celle de Constantine. Si on cherche à caractériser au point de vue banque la période qui nous occupe actuellement, deux faits se détachent en première ligne : d'une part, l'orientation de l'activité de l'Algérie dans un sens purement viticole, avec l'aide et l'appui des différentes ban- ques; d'autre part, la progression rapide, vers l'intérieur du pays, d'établissements financiers. Ces établissements ne sont encore, à. vrai dire, que de petits comptoirs d'escompte locaux, mais ils pré- parent la route aux établissements financiers qui, bientôt, vont les remplacer à leur tour. ' Ou Caisses agricoles. EN ALGÉRIE 25 VII. Période de transition. iS9'2-ï900. La période de 1892 à 1900 est une période de traiisilion : elle voit s'accomplir la décadence plus ou moins rapide des comptoirs d'escompte et leur remplacement par des succursales des sociétés de crédit. Le mouvement se poursuit lentement, avec des secousses plus ou moins vives; quelques comptoirs se créent encore, tandis que d'au- tres tombent, mais la prépondérance des banques ne s'en prépare pas moins d'une façon incontestable. Le mouvement qui s'était produit avait été très violent et ses conséquences ne devaient pas tarder à se faire sentir. Le phylloxéra, depuis longtemps déjà, avait attaqué les vignes. Les crédits n'étaient pas remboursés à échéance, et la Banque de l'Algérie, pour soute- nir ses clients, grossissait sa circulation fiduciaire au delà des limi- tes statutaires. L'opinion publique s'en émut, et, dès 1886, un changement de direction fut imposé à la Banque : elle commença à poursuivre le recouvrement de certaines créances; des expropriations s'ensuivi- rent, et la Banque d'Algérie eut bientôt un domaine, fait absolu- ment inconciliable avec le caractère d'une banque d'émission. Ces circonstances devaient naturellement susciter de vives critiques : les colons qu'on avait encouragés dans la voie des plantations se voyaient exécutés sans merci : d'où une irritation très vive contre la Banque, qu'on accusait de vouloir accaparer sciemment des do- maines d'une exploitation avantageuse, il résultait de cet état de choses de violentes polémiques de presse, aggravées par l'inter- vention réelle ou supposée de considérations politiques. Les expro- priations trop nombreuses avaient pour conséquence de provoquer une baisse de la valeur des terres, et la crise atteignait en 1802 sa période la plus aiguT'. Le Sénat avait constitué en 1891 une commission chargée d'étu- dier les mesures à prendre et celle commission parcourait l'.Mgérie du 19 avril au l juin 18i)2 '. L'enquèle montrait qu'à (]uel(]ues années de distance, une même |)ropriélé avait èlè revendue avec une dilTérence tlu siin|il(' ;iii triple ('.t>llo crise smdtlail dui'. d(> ' V. llciiii l'ensa, L'AUiérie. Comple-rciulu du voyage tlo l;i rt)nimisi. 26 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT Tavis général, à un resserrement brusque du crédit succédant à une facilité trop grande. A la même époque, un ancien agent de la Banque de d'Algérie publiait sur cet établissement un livre reten- tissant qu'il dédiait à la commission sénatoriale '. Aussi le 14 juin 1892 une interpellation était-elle portée à la tri- bune de la Cbambre par M. Goirand sur « les bilans de la Banque de l'Algérie ». L'interpellateur critiquait avec amertume le rôle de la Banque poussant à l'extension du vignoble et à la création des comptoirs, puis cbangeant de tactique et déterminantainsiunecrise aboutissant à la constitution d'un domaine. A cette époque, d'après les déclarations faites depuis - par M. Bouvier à la tribune, sur 90 millions de circulation, 18 millions, soit 1/5, étaient représentés, non plus par du papier convertible par l'escompte à une certaine échéance, mais par des domaines ruraux invendables, à cause du grand nombre de ces immeubles accumulés dans les mêmes mains. Cette interpellation de 1892 consacre le changement de politique de la Banque de l'Algérie : elle va dorénavant chercher à liquider tous ses engagements avec les comptoirs d'escompte, et, pour cela, créer des « bureaux auxihaires » qu'elle va placer dans les localités où fonctionnent ces comptoirs, pour surveiller le règlement des affaires en cours. C'est ainsi qu'elle s'installe à Blida, Mostaganem, Bougie, Tizi- Ouzou, en 1893 et 1894. Eu 1897, le privilège de la Banque de l'Al- gérie expire. Mais le gouvernement, sans trancher la question, se borne à proposer et à faire adopter une prorogation de privilège de trois ans, jusqu'en 1899; puis une seconde prorogation est votée, expirant en 1900 : on a laissé entendre en effet à la Banque qu'il est indispensable qu'elle se débarrasse de toutes les créances liti- gieuses qui alourdissent son bilan et qu'elle liquide le domaine incompatible avec sa nature. Aussi, à partir de 1897, le déclin des Comptoirs d'escompte va-t-il en s'accentuant. Presque tous ceux de la province de Cons- tantine disparaissent : celui de Souk-Ahras est liquidé progressive- ment; celui de Guelma, qui veut résister et intenter un procès à la Banque, est mis en faillite; les actionnaires sont mis en demeure de verser la portion non encore appelée du capital. Les comptoirs ' Henri Garrot, La Banque de l'Algérie, Paris, Savine, 1892. ' Séance de la Cliambre des députés du 2 juin 1897. Discussion relative au renou- vellement du privilège de la Banque de France. EN ALGÉRIE 27 d'Aïn-Beida, Biskra, Djidjelli, Philippeville sombrent sans bruil; celui de Mila est mis en faillite. Ceux de Batna et de Sétif subsis- tent grâce aux banques qui les soutiennent par le réescompte. Dans les autres départements une semblable élimination se produit. VIII. La période des Sociétés de crédit [1900-1905). La date de 1900 marque l'apogée du développement des sociétés de crédit, que la crise viticole, qui sévit en 1900 et 1901, vient encore accroître en augmentant les difficultés contre lesquelles se débattent les comptoirs. La Banque de l'Algérie vient d'obtenir le renouvellement de son privilège. Elle a liquidé son passé. Elle a amorti la plus grande partie de ses créances contentieuses par des imputations sur ses réserves. Elle a cédé, moyennant 8 millions, tout son domaine à la « Société domaniale algérienne », fondée par les actionnaires de la Banque pour faire disparaître ce domaine que les pouvoirs publics ne veulent plus voir figurer dans les écritures. Ses engagements avec les Comptoirs d'escompte sont en grande partie liquidés; elle a créé, partout où ses opérations avec eux demandent de la sur- veillance, des « bureaux auxiliaires » chargés de veiller sur place au recouvrement de ses créances. Depuis 1893, ces bureaux ont été ouverts à Sétif, Tizi-Ouzou, Blida,Moslaganem, Bougie (1893), Orléansville, Guelma (1900), Souk-Abras en 1901, Mascara en 1902. Cette situation prospère va en s'alTermissant ; les dividendes se relèvent; l'Assemblée générale des actionnaires décide en 1904 la création de deux sièges à Nemours et Lella-Marnia ', secondant ainsi la politique d'extension vers le Maroc, et au cours de cette même année 1904, les opérations de la banque sont étendues en Tunisie; trois sièges se fondent : à Tunis, Sousse et Sfax. Le montant des billets en circulation, qui s'élève à 101 millions au 31 octobre 1901, passe à IIS millions au 31 octobre 190i. Le mouvement annuel des escomptes, qui est de 158 millions en 1900-1901, passe à i()8 millions on 1901-1902, 5()0 millions en 1902-1903 el 713 niillk.ns en 1903-1901. Ce cbiirre indique une progression énorme sur les résultats antérieurs, le cliillVt^ dos escomptes annuels ayant varit' de i ;i 7){)0 millions depuis ISSO jusqu'à 1899. Celte pros|)ériti'' de la Itampie d'Algi'rie entraîne ' Ces sièges ne foiiclionnenl pas ciicoro îi l'IuMire actuello. 28 LE DÉVELOPPEMENT ET l'aCTION DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT d'ailleurs deux diminutions de i/2 p. 100 de son taux d'escompte : l'une en 1900, l'autre dans le courant de 190i. Nous reviendrons plus loin sur ce point. La Compagnie Algérienne a subi une progression analogue dans le courant de l'année 1900; son capital a été porté de 15 à 25 mil- lions. Son développement s'est fait graduellement entre 1880 et 1900, mais il s'accentue depuis celte dernière date : Elle ouvre les bureaux de Souk-Ahras en 1900, Mascara et Médéaen 1901, Philip- peville en 1903. Elle est également installée à Coléa, Saint-Denis du Sig, Saïda, Bordj-bou-Arréridj. Elle a une succursale à Marseille, destinée à servir de trait d'union entre les sièges africains et la métropole; elle s'est installée en Tunisie à Tunis, Bizerte et Sfax; elle ouvre, à Tanger, un comptoir dont les opérations commencent dans les derniers mois de 1904. Au 1" janvier 1905, le nombre total de ses sièges français, tunisiens, algériens et marocain, s'élève à vingt-cinq. Le montant de ses dépôts met douze ans (1878-1890) à passer de 10 à 20 millions; sept ans (1890-1897) à passer de 20 à 30 millions; quatre ans (1897-1901) à passer de 30 à 40 millions; il passe en 1901 à 53 millions. Le Crédit Foncier et Agricole d'Algérie suit une marche analo- gue, mais plus rapide encore. Fondé en 1881, il reste d'abord cantonné dans les opérations hypothécaires. 11 n'a encore, en 1899, que les succursales de Paris, Marseille, Alger, Constantine, Bône, Philippeville, Oran et Tunis. En 1899 et 1900, commence pour lui l'extension avec la création d'agences à Batna, Bougie, Djidjelli, Sélif, Boufarik, Orléansville, Aïn-Témouchent. Deux agences s'ou- vrent également à Bizerte et à Sousse. Après un temps d'arrêt, les créations reprennent en 1903 à Affreville, Cherchell, Rouïba, Mé- déa, Bouïra, Guelma, Tiaret; en 1904, à Bordj-bou-Arréridj, Souk- Ahras et Sainl-Cloud. Un comptoir s'ouvre également à Tanger, dans les derniers mois de 1904, Le nombre des sièges, tant en France qu'en Algérie, Tunisie et Maroc, s'élève à 28 (sans compter 5 agences de quartier ouvertes dans Paris). Le chiffre des dépôts met trois ans (1881-1884) à passer de 3 à 10 millions; deux ans (1884-1886) pour passer de 10 à 20 millions; quatorze ans (1886- 1900) pour atteindre 30 millions ; deux ans (1900-1902) pour attein- dre 37 raillions; pour la seule année 1903, l'augmentation des dépôts est de 10 millions et leur montant passe à 47 millions au 31 décembre 1903. e:< algérfk 29 C'est un fait très remarquable que cette augmentation des dépùts dans les Banques algériennes, que le tableau suivant rend plus sensible ^ : Etablissements 1895 1900 1903 Compagnie Algérienne. . . 27.000.000 34.000.000 50.000.000 Crédit Foncier 24.000.000 30.000.000 47.0fim.B.C^ -. MèdèaPc «ad/fcou^ncr/J/F.C S^tiffCB. ,_ " S^CIoud.f. '■ ©ORAN.B.C.F.A. . • . oBalna F. Hm-TemaadtB'iLf o OSWenis dqSig.C. • «5sœitqi(e.i ,1e créilil el les soriélés financières, Paris, Larose, l'JOl ; IMuiirico Suiircl, Sociétés