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Fénélon, Bertrand de

Sfll-ignar.,

Correspondance diplo-

tnatiqiif^ dP Bertrand ...

THE LIBRARY

UNIVERSITY OF GUELPH

Arts Division

Date due

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KING PRESS NO. .303

DÉPÊCHES, RAPPORTS,

INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES DES AMBASSADEURS DE FRANCE

EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE

VENDANT LE XV1« SIÈCLE.

RECUEIL

DES

DÉPÊCHES, RAPPORTS,

INSTRUCTIOiNS ET MÉMOIRES

EX AiSGLETERRE ET ivY ECOSSE TENDANT LE XA'1« SIÈCLE,

Conervufd mu 3rcl)it)rd bu Eopaumc,

A la Bibliothèque du Itoi , elc. , etc.

LT l'IJlJUÉS POUR LA rilEMlÈRE FOIS

iîoui ia Dircrtion

DE M. CHARLES PURÏON COOPER.

PARIS ET LONDRES.

1840.

THE LIBRARY UNIVERSITY OF GUELPH

LA IIOTHË FËNÉLON.

•©—€>■ (n.p.iinù par BÉTUt'NE .1 Tl-OX, à Pa.

CORRESPONDANCE

DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC

DE LA MOTHE FÉNÉLON,

AMRAf^ADElR lîK PRlNCt ES âXCr.FTERr.E

DE i6r,8 » iS-.S PUBLIÉE FOUR LA PREMIÈRE FOIS

0nr Ifs maïuiôfrit» (omtxvt» uiir 3rfl)i»f9 îiu Kovaume.

TOME TROISIÈME. A.NNKES 1570—157 1

PARIS ET LONDRES.

1840.

AU TRES-NOBLE

GEORGES HAMILTON GORDON

COMTE D'ABERDEEN

CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ

PAa

SON TRÈS-DÉVOUÉ ET TRÈS-RECONNAISSANT SERVITEUR

CHARLES PDRTON COOPER.

DÉPÊCHES

^ DE

LA MOTHE FÉNÉLON.

LXXXr DÉPESCHE

du lye jour de janvier 1570. ( Envoyée jusques à Collais par Jehan Vollet. )

Audience accordée par la reine d'Angleterre à l'ambassadeur de France. Désir du roi de rétablir la paix en son royaume. Satisfaction qu'il éprouve de ce que les troubles du Nord paraissent apaisés en Angleterre. Protestation d'Elisabeth qu'elle ne désire rien tant que la réunion des églises. Instances de l'ambassadeur en faveur de Marie Stuart. Expli- cations sur la conduite qu'il a dîi tenir dans cette négociation. Nouvelles arrivées à Londres sur l'état des affaires des protestans en France. Nou- velles des troubles du Nord ; déroute des comtes de Northumberland et de Westmorland.

Au Roy.

Sire, j'ay faict entendre à la Royne d'Angleterre que, pour la bonne estime que Yoz Majestez Très Chrestiennes ont de sa bonne et droicte intention en l'endroit de voz affères et de la tranquillité de vostre royaulme , vous n'avez sitost veu donner ung peu de commancement et ouverture à la paciffication des troubles et guerres d'ice- luy, que vous ne m'ayez incontinent commandé de le luy notiffier, affin que, devant toutzles aultres princes vos alliez, elle ayt le plaisir d'entendre que les choses s' acheminent par la voye qu'elle a désiré; et ainsy, luy particullarisant ce

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qui est advenu à la reddition de SainctJelian d'Angely, et les propos que le sieur de La Personne vous a tenuz , avec la vertueuse responce de Yostre Majesté, laquelle elle a vollu curieusement lyre par deux foys, j'ay suivy à luy dire : qu'encor que vous ayez grand occasion de vous res- centir des choses mal passées, du costé de ceulx de la Rochelle, de ce qu'ilz ont mené une très viollante et dan- gereuse guerre dans vostre royaulme , et y ont introduict les armes et armées estrangières , à la grand ruyne de vos bons subjectz ; et qu'il soit maintenant en vostre pou- voir de prendre par force toutes les places qu'ilz tiennent, et de poursuyvre et venir bien à boult du reste qui est encore en campaigne ; néantmoins vous aymez mieulx uzer envers eulx de la clémence toutjour accoustumée à vostre couronne, et plus usée de vostre règne, que de nul de toutz voz prédécesseurs, et les regaigner par doulceur, que de les mener à l'extrémité d'ung chastiment , espérant qu'ilz auront tant plus de regrect de leurs deffiances pas- sées, et persévéreront dorsenavant plus constantment en la confiance, fidellité, et amour qu'ils doibvent à Vostre Majesté, leur prince naturel, que moins ils espéroient d'estre jamais receuz en vostre bonne grâce , laquelle néantmoins vous ne leur avez différée d'ung seul moment, aussitost qu'ilz ont offert de s'humilier et de" se remettre en vostre obéyssance.

La dicte Dame, d'ung visaige joyeulx, m'a respondu qu'à ceste heure me voyoit elle , et oyoit mes propos , de trop meilleure affection qu'elle n'avoit faict despuys ung an, et qu'elle rendoit grâces à Dieu d'avoir miz au cueur de Voz Majestez Très Chrestiennes , et pareillement en ceulx de vos subjectz, de retourner à ce mutuel bon ordre de vostre

3 bénignité envers eulx et de leur subjection envers vous ; qu'elle vous remercye mille et mille foys de luy avoir, ainsy soubdainement et particuUièrement, faict entendre en quoy les choses en sont, es quelles elle vous désire tant do bien et de bonheur que vous les puissiez effectuer à vostre grand advantaige et au repoz de toute la Chrestienté 5 et que , si son moyen y peult servyr de quelque chose , elle le vous offre de tout son cœur, bien qu'elle ne peult fère que ne porte quelque envye au bonheur de celluy qui a sceu si oportunéement mettre en avant ce sainct et désiré propos , qu'il ayt heu meilleur rencontre que quant , d'aultre foys , elle a entreprins d'en parler; et qu'elle n'a regrect sinon à ce que voz subjectz peuvent monstrer au monde que , pour leur avoir esté viollé vostre propre éedict de la pacif- fication , tant par attemptatz contre leurs vies , que par contraires lettres contre l'exercisse de leur religion , ilz ayent heu quelque aparante coulleur de prendre les armes ; non que pourtant elle aprouve qu'ilz ayent bien faict, car plustost s'en debvoient ils estre allez, et qu'il est tout cer- tain que de quelles persuasions qu'on luy ayt usé, qui n'ont esté petites , sur la justiffication de leur cause , elle ne les a jamais volluz secourir.

Je luy ay répliqué que tout le tort de ceste guerre se manifeste en ce que ceulx de l'aultre party, en leur plus grande résistance , se trouvent vaincuz par vos forces , et sont par vostre clémence surmontez en leur humillité , et que cella vous faict prendre meilleure espérance de voir bientost remiz vostre royaulme en son premier estât et grandeur; adjouxtant, afin de parler de la réunion du sien , que ce que je luy ayt dict de ceste réconcilhation de vos subjectz, Voz Majestez désirent qu'elle le preigne pour

ung tesmoignage que , comme vous estes correspondant à son désir sur le bien de vostre royaulme , qu'aussi bien le serez vous sur le bien, et paciffication du sien, et sur ce que vous entendrez bientost que ceste eslévation , qui a apparu en son pays du North , est esteinte ainsi que je le vous ay desjà mandé.

La dicte Dame , usant dessus de beaucoup de mer- cyementz, m'a fort prié de vous assurer- que toute ceste guerre du North est véritablement achevée , et que le comte de Northomberland, se retirant en Ecosse, est tumbé ez mains du comte de Mora; que le comte de Vuesmer- land s'en est fouy seul, et abandonné des siens, aux mon- taignes des frontières 5 et que plus de cinq cents gentis- hommes des leurs sont prins , le reste discipé , et plusieurs exécutez ; et qu'elle ne prendroit que pour une risée toute ceste entreprinse, tant elle a esté folle et légière, n'estoit qu'il luy faict mal au cueur qu'il s'y soit trouvé meslé ung seul homme de qualité. « Car jamais subjectz, dictelle, n'eurent moins d'occasion que les siens de mouvoir choses semblables contre leur prince. »

Et luy ayant seulement répUqué ce mot : « c'est qu'il » est fort à craindre que , tant que la division de la religion > durera, que l'on sera toutz les ans à recommancer, » elle m'a soubdain rcspondu qu'à la vérité , puisque les Pro- testans commancent de proposer entre eulx, assavoir s'il y a aucune cause pour laquelle l'on puisse , sellon Dieu et conscience, se soubstraire de l'obéyssance d'ung prince, et le démettre de son estât ; ainsy que le Pape , de son costé , déclaire aussi les estats de ceulx, qu'il tient pour scisma- tiques ou hérétiques , toutz comis et vacquans ; elle estime que toutes les couronnes de la Chrestienté sont assez mal

asseurées, et que , de sa part, elle ne se montrera jamais opiniastre de ne se conformer aulx aultres princes chres- tiens, quant Dieu leur aura mis au cueur de procurer, toutz ensemble, la réunyon de l'esglyze de Dieu.

Après cella, Sire, j'ay mené le propos à parler de la Royne d'Escoce, faisant toutjour instance de sa liberté, bon traictement et restitution. Sur quoy elle m'a dict que Voz Majestez Très Chrestiennes en avez parlé amplement à sou ambassadeur, et qu'elle vous prie de considérer que le difTérand est entre deux princesses qui vous sont pa- rantes , allyées et confédérées ; desquelles vous debviez égallement peser leur droict, et n'avoir en tant d'affec- tion celluy de la Royne d'Escoce que ne regardiez à con- server le sien; et qu'elle vous fera remonstrer encores d' aultres choses par son dict ambassadeur, es quelles elle espère que vous luy ferez favorable responce ; et ay cogneu. Sire , que les propos que Voz Majestez ont tenu dessus au dict ambassadeur ont grandement esmeu la dicte Dame, à laquelle j'ay dict que, puysque vostre intention se trouve conforme aulx continuelles instances que je luy ay faictes icy de vostre part pour la Uoyne d'Escoce , que je la su- plye de déposer à ceste heure le cueur et le courroux qu'elle a contre elle, puysqu'elle s'est justiffiée de toutz ces troubles du North, pour se la randre désormais tant atténue et obHgée, qu'elle n'ayt à estre jamais rien tant que toute sienne; et que, pour l'amour de Voz Majestez Très Chrestiennes , qui tant l'en priez , elle veuille aussi faire quelque chose pour son bien , n'estant possible que vous puyssiez laysser de le pourchasser tant que vous la voyez restituée, ce que vous desirez toutesfovs estre selloii son gré et contantemont.

0 Elle m'a promiz dessus, qu'aussitost qu'une respouce, qu'elle attaut d'Escoce, sera arrivée, elle ne différera d'ung seul jour d'entendre en l'affaire de la dicte Dame , et y pren- dre ung si bon expédiant qu'elle espère que vous en serez contant ; dont de tout ce qui s'en résouldra elle mettra peyne que vous en soyez adverty : et remettant , Sire, plusieurs aultres choses, que j'ay notées de ses propos, au premier des miens que je vous dépescheray , je bayseray en cest endroict très humblement les mains de Yostre Ma- jesté, et supplieray le Créateur qu'il vous doinct. Sire, en parfaicte santé , très heureuse et très longue vie , et toute la grandeur et prospérité que vous désire.

Ce iv*" jour de janvier 1570,

Je crains assés qu'on veuille mettre en avant l'eschange de la lloyne d'Escoce et du comte de Norlhomberland ; vray est qu'il ne s'en entend encores rien.

AlaRoyne.

Madame, je mectz en la lettre, que j'escriptz au Roy, aulcuns propos de la Royne d'Angleterre, touchant ceulx que , par les deux dernières dépesches de Voz Majestez , vous m'avez commandé de luy tenir, sur lesquelz me reste à vous dire , Madame , qu'il semble que ceste princesse et les siens soyent bien ayses, mais diversement, qu'il se face une paciffication en vostre royaulme; elle, affin d'estre exempte de bailler secours à ceulx de la Rochelle, et ne venir à vous faire quelque manifeste offance pour eulx , et mesmes aura plaisir que les choses se facent à votre grand advantaige ; et eulx , pour n'ozer meintenant guières pres- ser leur Mestresse de les secourir, ny d'attempter rien qui

vous puysse desplayre; mais ilz vouidroientqueradvantaige demeurât à ceulx de l'aultre party, sur la soubmîssion des- quelz , laquelle leur ambassadeur a escripte par deçà , en- cores que le jeune comte de Mensfelt fût desjà despèché , ilz le font temporiser, affin d'attandre quelle yssue prendra ce que le S' de La Personne en a commencé de traicter. Et doubtant assés que la paciffication ne s'en puysse bien ensuyvre , luy et le S' de Lombres incistent grandement de fayre résouldre icy quelque secours de pouldres et d'ar- mes, et de quelque nombre de gens de cheval, pour l'en- voyer à M"" r Admyral , s'esforceans de persuader qu'il est encores si fort qu'avec bien peu d'ayde,il se monstrera plus relevé que jamais, et qu'on luy veuille aussi (soubz caution) assister de quelques deniers , pour envoyer au duc de Cazimir, affin de souldoyer des gens de pied, sans les- quelz il n'oze mettre en campaigne les gens de cheval qu'il a toutz prestz; et que d'ailleurs le prince d'Orange, voyant qu'une sienne entreprinse qu'il avoit en Flandres est descouverte, se dellibère de tourner tout son apresl aulx choses de France; lesquelles propositions demeurent encores en suspens 5 et je metz peyne , en tout événement, de les retarder ou empescher, aultant qu'il m'est possible. Quant à ceulx du North , j'ai vollu vérifier si ce que m'en a dict la dicte Dame estoit vray, parce qu'on luy déguyse assés souvent les nouvelles; mais l'on m'a confirmé la route des deux comtes et de toute leur armée , laquelle a esté de quinze mil hommes ; dont y en avoit sept mille de pied bien armez , et deux mil de cheval en aussi bon équi- paige qu'il s'en peult trouver en Angleterre ; et que n'ayantz, pour leur irrésolution et mauvais accord , ozé venir au com- bat, ilz se sont retirez on la frontière d'entre l'Angleterre

8 et rEscoce,où celluy de Northomberland et sa femme sont tumbez ez mains d'un armestrangS qu'on a estimé le devoir incontinent livrer au comte de Mora ; et que celluy de Yuesmerland , en habit déguysé, s'en est fouy au plus haut des montaignes, ayant pour ceste occasion ceste Royne envoyé casser incontinent son armée , et révoquer le comte de Vuarvic. Mais aulcuns estiment que le dict ar- mestrang n'est pour consigner le comte de Northomber- land à celluy de Mora , ains plustost pour le relever et pour luy ayder à remettre sus nouvelles forces.

Au reste nul propos n'esmeust tant ceste Royne que quant on luy parle de la Royne d'Escoce, et ce que Yoz Majestez en ont dernièrement dict à son ambassadeur a faict beaucoup d'effect envers elle. J'aybien voUu, pour mon regard , tirer de la propre parole de la dicte Dame ma jus- tiffication de ne luy avoir, sur les affaires de la dicte Royne d'Escoce, ny en nulle autre matière, jamais dict ung seul mot qui l'ayt peu offancer; de quoy elle m'a randu le tes- moignage tout clairet prompt, que non seulement elle n'a trouvé jamais mauvaise , ains très agréable , ma façon de parler, et la substance de toutz mes propos, ainsy que je les luy ay dictz , et qu'elle vous fera expliquer que ce qu'elle a prins à cueur de mon dire est pour luy avoir asseuré que Voz Majestez réputeroient toucher à leurs propres per- sonnes les torts et indignitez qu'on feroit à celle de la Royne d'Escoce; et qu'elle s'estime vous apartenir en si bonne part, qu'elle doibt bien estre tenue en quelque compte et respect envers Voz Majestez aussi bien que la dicte Royne d'pjscoce. A quoy je luy ay satisfaict si bien

I l'artisan , dicf de bande.

9 que, prenant rayson en payement , elle a promis d'en- trer bientost en quelque expédiant touchant les affaires de la dicte Dame; et m'a prié au reste de vous escripre fort affectueusement que , à ce changement de gouverneur de Bretaigne, il vous playse de commander à celluy qui l'est meintenant, et à son lieutenant, de donner libre et sûr accez aulx Angloix , de leur pouvoir aller demander justice ; et que dorsenavant ilz la leur vueillent administrer eulx mesmes, puysqu'il n'est possible qu'ilz la puissent aulcu- nemeut avoir des officiers et magistratz du pays , car ses dicts subjectz ne peuvent plus supporter les oltraiges qu'ilz y reçoipvent ordinairement.

Depuis le partement du S"" Chapin, l'on a fait exorter les estrangiers de s'abstenir de tout commerce avec les subjectz du Roy d'Espaigne et de ne couvrir aulcunement leurs trafficqs par lettres, ny soubz noms empruntez d'aul- tres merchantz ; et néantmoins la dicte Dame a vollontai- rement offert au dict S'^ Chapin d'admettre l'ambassadeur d'Espaigne à parler et traicter avecques elle comme au- paravant, sur le moindre mot que le Roy d'Espaigne luy en vouldra escripre.

Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté et prie Dieu, qu'il vous doinct, etc.

Ce iv^ jour de janvier 1570.

La Royne d'Angleterre, outre les susdicts propos, m'a très honora- blement parlé, et avec aparance de bonne affection, de Voz Majestez et de Monseigneur vostre filz, et qu'elle avoit avec grand playsir ouy , du filz de M-^ Norreys, plusieurs actes généreux et de grand vertu du Roy et de mon dict Seigneur, lesquelz elle luy avoit faict ré- citer plus de deux foys, sellon qu'il disoit les avoir veuz et les avoir' aprins de ceulx qui les sçavoient bien. Ceulx de ce conseil , et mesmement le comte de Lestre , m'ont faict pryer d'octroyer mon

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passeport au S' Barnabe , qu'ilz dépesclient , avec commission de cesie Royne, pour aller recouvrer une grande nef vénicienne , char- gée de plus de cent cinquan,te mil escus de merchandize , qu'on en- voyoit en ceste ville, laquelle le capitaine Sores a prinse despuys ung mois ; affin que , si le dict Barnabe est rencontré par les gallères ou navyres françoys, ilz ne luy facent poinct de mal. Je ne sçay s'il yra poursuyvre le dict Sores jusques à la Rochelle.

LXXXir DÉPESCHE

du x^ jour de janvier 1570. { Envoyée jusques à C allais par homme exprès.)

Ferme persuasion l'on est en Angleterre que la paix sera conclue en France. Nouvelles du Nord et de la Flandre. Meilleur traitement fait à la reine d'Ecosse. Crainte des Anglais que le roi , délivré de la guerre civile , ne donne assistance aux Espagnols dans les Pays-Bas pour attaquer l'Angleterre.

Au Roy.

Sire , il est venu adviz à la Royne d'Angleterre , par la voye de la mer, que ceulx de la Rochelle tiennent déjà comme pour conclud le propos qu'ilz vous ont faict requé- rir de la paix;*'et, par ainsy, que vostre royaulme s'en va hors de troubles , et vous , Sire , en bon trein de remettre sus fort bien et bientost vos affères, sans qu'il aparoisse que, pour toutes ces horribles guerres passées, il vous y soit advenu aulcune diminution, ny en l'estendue de vostre estât, ny en l'affection de vos subjectz, ains plustôt, une augmentation partout de vostre grandeur ; de laquelle le fondement, en cette mesmes division, s'est monstre si ferme qu'on a opinion, s'il est une foys bien réuny, que nulles

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forces humaines le pourront jamais esbranler. Dont ceste Royne et les siens continuent , à ceste heure , de me fèrc meilleure démonstration que jamais de vouloir persévérer en bonne paix et amytié avec Vostre Majesté ; et n'ont en- core dépesché le jeune comte de Mensfelt, ny rien res- pondu au S"^ de Lombres, attendans si la fin du dict propos viendra à bonne conclusion , ou bien s'il sera rompu. Et , cependant , est arrivé ung homme d' Allemaigne , lequel, à ce que j'entans, raporte que le Cazimir ne lève pas encores ses reytres, mais qu'il a distribué, ces jours passés, une somme de deniers aulx capitaines , affin d'estre pretz , quant il les mandera ; et il parle aussi des praticques et menées du prince d'Orange.

Les choses d'icy ne monstrent , à ceste heure , guières grand mouvement , estantz ceulz du North séparez et rom- puz d'eulz mesmes , ainsy que je le vous ay confirmé par mes précédantes du un* de ce moys. Il est vray que , de tant que les deux comtes ne sont au pouvoir de la Royne d'Angleterre ny ne sont pour y estre aiséement livrez , parce qu'on dict que celluy de Northomberland est avec milor de Humes et avec le ser de Farmihirst, comme avecques ses amys ; et celluy de Vuesmerland , avec le comte d'Arguil, qui le trette bien; la chaleur de leur en- treprinse n'est encores réfroydie aulx cueurs des Catholi- ques , ny en ceulz des malcontantz ; lesquelz demeurent d'ailleurs en quelque espérance du duc d'Alve , par la mesme peur et grande souspeçon qu'ilz voyent que la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil se donnent des aprestz qu'il faict , qui leur sont confirmez par plusieurs secrectes lettres qu'arrivent ordinairement à la dicte Dame des Pays Ras; et mesmes l'asseurent que, despuys le re-

42 tour du marquis de Chetona, le dict duc s'est résolu de vouloir recouvrer , commant que ce soit , ses deniers , et les marchandises d'Espaigne arrestées par deçà, et que, pour y commancer par quelque bout, il a commandé de consigner toutz les biens des Anglois , qui estoient en An- vers, à certains Gènevoys qui ont faictïing party de six centz mil escuz avec le Roy d'Espaigne; dont ceulx cy se préparent, avec grand dilligence, au long de la coste qui regarde vers Flandres, pour résister à ses entreprinses. Je prendray garde à quoy, jour par jour, cella s'acheminera, affin de vous en donner toutjour adviz,

Despuys la dernière mstance que j'ay faicte à cestc Hoyne pour la Royne d'Escoce, elle l'a faicte ramener à Tutbery , en la compaignie du comte de Cherosbery seul ; s'en estant celluy de Untington allé, qui a esté du tout des- chargé de sa garde , et elle remise en ung peu plus de li- berté, avec démonstration à monseigneur l'évesque de Roz de quelque faveur davàntaige en ceste court, et d'y mieulx recepvoir ses remonstrances , qu'on n'a voit faict toutz ces jours passez. Ce qui nous remect en quelque espérance que nous pourrons bientost (si nouvel accident ne survient) obtenir une ou aultre provision ez affères de la dicte Dame. Sur ce, etc.

Ce jour de janvier 1570.

A LA R 0 Y N i: .

Madame, ce qui s'espère de la paciffication des troubles de vostre royaulme ne monstre aporter, à ceste heure, tant de soupeçon à la Royne d'Angleterre ny aulx siens, comme il sembloit (|ue , dn commancement , ilz eussent

13 très ferme opinion que la fin de nostre guerre seroit ung commancement à euK d'y entrer. Il est vray qu'ilz ne sont du tout dellivrez de cette peur, craignantz, à ce qu'ilz di- sent, que l'estroicte intelligence, que le duc d'Alve a avec- ques Yoz Majestez , vous attire de son party contre l'An- gleterre ; car, aultrement, il leur semble qu'ilz n'ont guières à le craindre , veu le crédict et faveur de ceste Royne en Allemaigne. Et ainsy, ilz vont temporisant avecques luy , sans admettre ny rejecter aussi les termes de l'accord, es- pérantz qu'ilz se pourront, dans peu de jours, esclarcyr de vostre cousté, pour sçavoir commant mieulx se conduyre du sien; et n'estantz encores bien asseurez si le propos de la paix prendra bonne résolution en France, ilz tiennent leurs dellibérations en suspens , dillayantz la dépesche du jeune comte de Mansfelt , et leur responce au S"^ de Lom- bres ; et pareillement de ne toucher aux affères de la Royne d'Escoce, jusques à ce que leur ambassadeur, M"^ Norrys, leur ayt mandé la certitude du tout; et n'ont faict plus grand empeschement à ung courrier du duc d'Alve, qui est arrivé depuys cinq jours, que de l'avoir conduict à la court et visité seulement le dessus de ses pacquetz, lesquels, se doutans bien qu'ilz estoient en chif- fre , l'ont renvoyé avec les dicts pacquetz bien cloz à M' l'ambassadeur d'Espaigne, et luy ont ottroyé passeport pour s'en pouvoir retourner de dellà, bien qu'ilz ne lays- sent pourtant de vivre toutjour en grande deffiance du dict duc. A l'occasion de quoy ilz dressent de grandes forces et ordonnent beaulcoup de gens de cheval , pistoliers , et ren- forcent les garnysons tout le long de la coste qui regarde les Pays Bas; sur ce, etc.

Ce x'^ jour de janvier 1570.

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LXXXIir DÉPESCHE

du XV jour de janvier 1570. { Envoyée eocjirès jusques à C allais par Olivier Cambernon. )

Efforts que l'on fait en Angleterre pour impliquer le duc de Norfolk et la reine d'Ecosse dans la révolte du Nord. Le comte de Northumberland livré dans sa fuite au pouvoir du comte de Murray. Mission d'Elphins- tone en Angleterre. Proposition émise dans le conseil de demander l'é- change du comte de Northumberland contre la reine d'Ecosse. Prépara- tifs de guerre faits en Allemagne pour soutenir les protestans de France. Forces redoutables réunies sur mer par les protestans de France et d'Allemagne. Négociations de l'Angleterre avec les Pays-Bas. Motifs politiques qui engagent Elisabeth à soutenir les protestans de France; es- poir que cependant la paix ne sera pas troublée.

Au Ro V.

Sire, il ne se faict, à ceste heure, aulcune plus grande dilligence par deçà, après avoir esteint l'eslévation du North, que de cercher d'où elle est procédée, et qui sont les principaulx, qui ont heu inteUigence avec les deux comtes; en quoy s'engendrent plusieurs malcontantemens et malveuillances qui se descouvrent toutz les jours en plu- sieurs endroictz et villes de ce royaulme , et se continuent jusques à la court ; mesmes semble que , des champs la guerre estoit, elle se soit transférée ez cueurs et affec- tions des hommes , et dict on que de procède le retarde- ment de la liberté du duc de Norfolc , lequel aultrement estoit en trein de sortir bientost de la Tour pour estre remis en son logis de ceste ville ; mais les divisions et com- pétances de ceulx du conseil l'empeschent, lesquels veulent monstrer qu'ilz concourent toutz contre la cause de l'eslé-

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vation, et, encor que nulz manifestement ne le chargent de rien d'icelle, néantmoins les ungs s'eflorcent de l'y trouver embrouillé , et les aultresde l'en déclairer exempt; iiy n'est moindre leur contention sur le faict de la Royne d'Escoce, soit pour le regard de la dicte entreprinse du North, ou soit pour ses aultres affères, es quelz ses amys et serviteurs, qu'elle a en ce royaulme, ne se monstrent, pour chose qui soit advenue, moins fermes en sa faveur, ny aussi ses adversaires moins véhémentz contre elle que au- paravant. Et cependant le gouverneur de Barvich a en- voyé à la Royne d'Angleterre une lettre du comte de Mora, par laquelle, de tant que la dicte Dame ne l'a vollue communiquer à personne et qu'elle a fait semblant d'y avoir trouvé plusieurs vériffications de l'entreprinse du North, quelques ungs des grandz en demeurent en peyne ; et bien- tost après , est arrivé devers elle le ser Nicollas Elphings- ton , très familier et inthime du dict de Mora , lequel elle a curieusement et avec grand affection ouy , mais ne se pu- blie encores rien de l'occasion de sa venue , si n'est qu'on dict qu'il a aporté la depposition du comte de Northomber- land, lequel estant enfin tumbé ez mains du comte de Mora, il l'a faict mettre dans Lochlevin, la Royne d'Escoce Qstoit prisonnière; mais je crains que le dict Elphingston ayt charge de renouveller le propos de consigner la Royne d'Escoce au dict de Mora, moyennant les ostages qu'on luy a demandé, ou bien de fère l'eschange d'elle et du dict comte de Northomberland , ce que je sçay avoir esté déjà proposé en ce conseil, ainsy que je l'avois auparavant bien préveu; mais il semble qu'il ne peult aulcunement ve- nir au cueur de la Royne d'Angleterre de le debvoir fère , et y a aulcuns des siens qui ne sont pour le con-

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sentyr, tant y a que la pouvre princesse et ceulx, qui portons icy son faict , en sommes en grand peyne ; mesme- ment à ceste heure que le comte de Lestre , lequel a ac- coustumé de procéder d'une plus honneste et généreuse fa- çon envers elle que les aultres du dict conseil, s'en est, pour quelque occasion ( et croy que pour les différans de court ) , allé en sa mayson de Quilingourt , , toutesfoys , l'on croyt que la Royne d'Angleterre ne le larra longtemps sans le fère revenir.

J'entendz que ung secrétaire du comte Palatin vient d'arriver, lequel fault que soit passé par Flandres (car la navigation de Hembourg et de Hendein est serrée des glaces jusques en mars) ou bien échappé par la France. Il est allé droict à Yuyndesor, et n'ay encores rien peu aprandre de sa commission, si n'est par ung qui l'a observé en pas- sant, qui a comprins de luy qu'il vient pour avoir de l'ar- gent, ou bien lettre de crédit et de responce à certains juifz qui ont promiz de fornir une somme en Allemaigne , et qu'il est tout certain que le Cazimir et le prince d'O- range ont une armée preste pour entrer en France , à ce prochain primtempz; dont le jeune comte de Mensfelt s'est eslargy de dire, qu'aussitost qu'il arrivera en Alle- maigne avec la dépesche de ceste princesse , le dict de Ca- zimir commancera de marcher ; ce que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, lequel j'avois hier à disner en mon logis, m'a confirmé, bien qu'il crainct, si le propos de la paix se conclud en France , que tout cella aille tum- ber sur les bras du duc d'Alve; et, cependant, le capi- taine Sores a prins une seconde nef vénicienne , plus riche que la première , et faict on compte que la charge des deux vault plus de trois cenz mil escuz, oultre quatre vingtz

il

pièces de bonne artillerye qu'il y a dedans , et oultre les deulx vaysseaulx , qui sont les deux meilleurs de la mer ; de quoy toutz les merchans , tant naturelz que estrangiers , de ce royaulme , demeurent fort scandalizez contre M"^ le cardinal de Cl^atillon, et requièrent ceste Royne d'y pour- voir; mais, ou soit qu'elle et les siens n'ayent moyen de le fère , ou bien que, pour s'exempter de prester de l'ar- gent à ceulx de la Rochelle , ilz leur veuillent permettre de se prévaloir de ceste riche et grande prinse , ilz dissi- mulent et prolongent les remèdes; et est à craindre que le dict Sores , avec tant de bons et grandz vaysseaulx , et bien artillez, qu'il a à ceste heure, et le S"" de Olain, et le bastard de Briderode , qui en ont ung aultre bon nom- bre , ne tiennent dorsenavant bien fort subjecte ceste es- troicte mer, et mesmes qu'ilz ne dressent quelque entre- prinse sur vos gallères; bien qu'on m'a dict. Sire, que le dict de Olain est allé jusques en Allemaigne porter soixante mil escuz au prince d'Orange du butin de ses prinsesde mer.

Le S"^ Thomas de Fiesque poursuyt d'accomoder icy le faict des deniers et merchandises , prinses et arrestées par deçà sur les subjectz du Roy d'Espaigne, au nom des mer- chans à qui elles appartiennent, proposant que les deniers, qui sont en espèces , et pareillement ceulx qui provien- dront des merchandises , demeurent ez mains de ceste Royne jusques à ung entier accord, en ce qu'elle leur permette de les vandre, et qu'elle leur veuille bailler pour respondant la chambre de Londres, de payer le tout à bons termes, après qu'elle s'en sera servye. Sur ce, etc. Ce xv« jour de janvier 1570.

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A LA ROYINE.

Madame, le surplus que j'ay à dire à Vostre Majesté, oultre le contenu en la lettre que j'escriptz présentement au Roy , je le réserve à vous mander par le S"^ de La Croix, aussitost que l'ung des miens, qui sont par dellà, sera arrivé, et n'adjouxteray icy , Madame, si n'est qu'on parle diversement en ce royaulme de la paix qui se trette en France , estantz ceulx des deux religions en contraires espérances dessus; sçavoir : les Catholiques, que des grandes et notables victoires, que Monseigneur vostre filz a gaignées, ayt à réuscyr ung accord fort advantaigeux pour nostre religion et très honnorable pour le Roy ; et les Protestant/, que monsieur l'Admyral s' estant aucune- ment reffect, et près d'estre, dans sixsepmaines ou deux moys, secouru du prince Cazimir, n'ayt à quicter rien de ce qui apartient à la leur, ny en l'exercisse, ny en l'es- tablissement d'icelle dans le royaulme; et estiment, les ungs et les aultres , que leur propre faict deppend du suc- cez des choses de dellà; dont, encor que la Royne d'An- gleterre et les plus modérez d'auprès d'elle dettestent assés les guerres des subjectz , néantmoins , ceulx qui ont plus d'auctorité et de manyement près d'elle, desirans que la part des Catholiques demeure fort oprimée par deçà , condamnent en toutes sortes l'entreprinse de ceulx du North comme iniijue , et luy coulorent de quelque équité celle de France et luy persuadent, que du maintien d'i- celle deppend la seureté de son estât et du tiltre de son royaulme, et de la légitime qualité de sa personne; la- quelle aultrement seroit par les Catholiques tenue illégi-

19 time. Ce qui faict, Madame, qu'encor que ceste prin- cesse ayt grand regrect à la prinse de ces deux grandes nefz véniciennes, et qu'elle sente que, pour aulcun res- pect, il tourne au préjudice de sa réputation que, l'une, en partant d'icy, et l'aultre, en y arrivant, ayent esté prinses en la plaige et quasi dans les portz de son royaulme ; néantmoins, pour n'inconunoder ceulx de la dicte religion, iceulx de son dict conseil la contraignent de différer et dissimuler le remède , que très volontiers elle donroit aulx merchans 5 et le secrétaire Cecille a assés soubdain respondu à ceulx qui l'en ont sollicité, que ceulx de la Rochelle avoient guerre contre les Véniciens, parce qu'ilz ont preste de l'argent au Roy; et mesmes, aulcuns à ce propos m'ont interrogé si la Royne de Navarre n'estoit pas en actuelle possession de quelque partie de son royaulme, ayant esté proposé en ce conseil, si, comme Princesse Souveraine, elle ne pouvoit pas déclarer une guerre, après l'avoir jugée juste et légitime. Sur quoy , me doublant bien pourquoy l'on me faisoit ceste demande , j'ay respondu que la dicte Dame n'a rien qui ne soit, ou mouvant de la couronne de France , ou tenu soubz la pro- tection d'icelle , et ainsy n'ont rien gaigné sur moy de cest endroict.

J'ay receu l'acte de mainlevée, qui a esté faicte à Roan , des biens des Anglois , de laquelle ceste Royne et les siens se sont fort contentez, et ont, de leur part, desjà procédé de mesmes à la restitution des biens que les Françoys ont peu monstrer leur apartenir par deçà, et continuent encores toutz les jours de leur faire justice. Hz se plaignent seulement de Bretaigne, et suplient Vostre Majesté d'y donner ordre. Il me semble qu'en toutes sor-

20 tes, cesle Royne et le général de son royaulme veulent persévérer en bonne paix , et ouverte amytié , avecques Voz Majestez Très Ghrestiennes 5 mais que, en particuUier, aulcuns passionnez feront toutjour, soubz main, tout ce qu'ilz pourront, et icy, et en Allemaigne, pour ceulx do la Rochelle , et feroient davantaige si , avec vostre autho- rité, je ne mettois peyne de les empescher. Sur ce, etc. Ce xv^ jour de janvier 4570.

LXXXIV' DEPESCHE

du xxi« jour de janvier 1570.

( Envoyée exprès jusques à Callais par Letorne, estant le sieur de La Croix tumbé malade, dont il est allé à Dieu.)

Intrigues à la cour de Londres ; rivalités entre Leicester et Cécil. Nom- breuses exécutions faites par le comte de Sussex à la suite de la révolte du Nord. Modération du comte deWarwick à l'égard des insurgés qui sont tombés en son pouvoir. On croit que les Ecossais aideront le comte de Westmorland à rentrer en Angleterre. Négociation d'Elphinstone. Crainte que l'on doit avoir en France du côté d'Allemagne. Sollicitation faite auprès de la reine d'Ecosse par le comte de Huntingdon pour qu'elle consente à se marier avec Leicester. Clauses d'un traité qui lui est proposé pour son rétablissement. Préparatifs faits par le prince d'Orange contre les Pays-Bas. Avis donné au roi de divers bruits que l'on fait courir à Londres sur les mésintelligences qui se seraient élevées à la cour de France.

Mémoire secret. Soupçons élevés contre le duc de Norfolk, le duc d'Albe , la reine d'Ecosse , et l'ambassadeur de France au sujet de la ré- volte du Nord. Menées du duc d'Albe en Angleterre. Déclaration d'Elisabeth que la reine d'Ecosse a formé le projet de s'emparer de la couronne d'Angleterre pour réduire le royaume à la religion catholique.

Proposition faite par l'ambassadeur d'Espagne au roi de France de former une ligue pour rétablir Marie Stuart sur le trône d'Ecosse , et la religion catholique en Angleterre. Conduite qu'a tenir l'ambassa- deur de France à cet égard. Projets que l'on doit supposer à l'Espagne.

Au Roy. Sire , pour l'occasion des troubles du iNorth , la Royne

'21 d'Angleterre, au commancement de ceste année, a advisé d'augmenter son conseil d'ung nombre de personnaiges miz à sa dévotion, lesquelz elle a pourveuz d'aulcuns offices qui vacquoient de longtemps , qui ont lieu en son dict conseil, comme est le contrerolleur, trézorier, vychambrelan , et aultres de sa mayson ; en quoy la contention n'a esté pe- tite en sa court , entre ceulx qui aspiroient à cella , ou pour eulx mesmes ou pour y en mettre de leur faction , ou bien pour empescher qu'il n'y en entrât plus grand nombre ; et est advenu , par le moyen du comte de Lestre , que le sire Jacques Croft a esté faict contrerolleur, bien qu'on ayt cryé qu'il estoit papiste , mais, possible, l'y a t on admiz plus vollontiers pour estre auculnement estimé ennemy du duc de Norfolc , et le S'^ de Frocmarthon , qui y prétan- doit grandement, a esté du tout descheu pour ceste foys, demeurant comme banny de court ; et semble que , pour ces contentions, le comte de Lestre se soyt despuys absenté, et qu'entre luy et le secrétaire Cecille, lequel est en plus grand crédict que jamais, y ayt beaulcoup de simulté, et que néantmoins il ne sera longtemps sans revenir.

Le comte de Sussex poursuyt de fère de grandes exé- cutions à Durhem et Artelpoul , et aultres lieux de son gouvernement , sur ceulx qui avoient prins les armes , ayant desjà faict pendre, outre ceulx du commun, bien cent personnaiges de qualité , baillifz , connestables ou officiers , et pareillement les prestres qui estoient avec eulx , nom- méement le S"^ Thomas Plumbeth , estimé homme fort sçavant et de bonne vie, et pense l'on qu'il se monstre aussi véhément , pour effacer le souspeçon qu'on a heu de luy, et, au contraire , le comte de Yuarvich s'y porte fort modestement, lequel a envoyé supplier la Royne d'octrover

2'2 rémission à ces pouvres gens, ce que, en partie, elle a concédé; et l'admyral Clinton est demouré encores à Vuodderby, avec mil hommes , pour contenir le pays , et pour empescher que le comte de Yuesmerland, avec l'as- sistance des Escossoys , ne puisse rentrer en armes en An- gleterre, ce que l'on crainct assés qu'il face, parce qu'il est avec le 1er de Farnihyrst, affectionné serviteur de la Roy ne d'Escoce, et que les aultres principaulx del'entre- prinse sont avecques d'aultres seigneurs escossoys, leurs amiz , de ce mesme party ; et que aulcuns se sont achemi- nez à Dumbertran. Le seul comte de Northomberland a esté prins et livré au comte de Mora, qui l'a incontinent faict mettre dans Lochlevyn; et a soubdain dépesché devers ceste Royne le S'^ Elphiston, son familier, lequel, à ce que j'entendz, raporte plusieurs choses de la depposition du dict de Northomberland, et plusieurs aultres, pour fère acroyre que la Royne d'Escoce et l'évesque de Roz ont induict le dict de Northomberland de prendre les armes ; à quoy semble qu'on n'adjoute grand foy : et, d'abondant, monstre excuser le dict de Mora de ne pouvoir, en bonne conscience, ny sellon son honneur, ny encores sellon les loix du royaulme d' Escoce , rendre icelluy comte , mais par mesme moyen , il faict instance à la Royne d'Angleterre de luy prester , pour chose fort importante au bien des deux royaulmes, une somme d'argent; et tout ainsi qu'on luy donne l'espérance qu'il en pourra avoir, il la donne, en- cores plus grande , que le dict de Northomberland pourra estrerandu, et espère davantaige qu'en le rendant, il se pourra aussi tretter de randre au dict de Mora la Royne d'Escoce : dont il prépare de s'en retourner en grand dil- ligence devers luv.

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Cependant , Sire , nous ne serons paresseulx de luy pré- parer toutz les obstacles qu'il nous sera possible, et pareil- lement au secrétaire du comte Pallatin, lequel demande en général assistance de deniers , affin de lever gens pour les secours et deffance de la nouvelle relligion en France, et pour fère une descente contre le duc d' Alve en Flandres; dont aulcuns estiment qu'il ne s'en retournera sans quel- que provision, tant y a qu'il ne luy a esté encores res- pondu sellon son désir. Néantmoins, je vous supplie très humblement , Sire , de fère soigneusement prendre garde aulx mouvemens d'Allemaigne ; car l'on tient icy pour chose fort certayne qu'il y a armée preste, et qu'elle n'est pour aller en Flandres, ny pour s'adresser ailleurs qu'en France, tant que la guerre y durera, et que le S"^ d'Olain a porté au prince d'Orange plus de six vingtz mil escuz, oultre que les bagues de la Royne de Navarre sont en Allemaigne , et les nefz véniciennes , riches de trois centz mil escus, sont desjà arrivées à la Rochelle ; et quant bien ceste Royne ne vouldra rien débourcer, les esglizes pro- testantes de son royaulme ne lairront pourtant d'y en- voyer quelque notable subvention , comme celle de l'année passée , qui fut de cent mil escuz , ny la dicte Dame , quant bien ne le vouldroit, ne le pourra contredire, tant le feu de cette matière est, à ceste heure, ardenmient espriz en ce royaulme comme je croy qu'il est de mesmes ailleurs.

La Royne d'Escosse est meintennant à Tutbery, ac- compagnée seulement du comte de Cherosbery et des siens, qui luy octroyent plus de liberté qu'ilz ne souloyent; elle se porte bien, et encores que plusieurs choses se soyent opposées aulx espérances que nous avions de ses alfères, il nous en reste quelques aultres qui , possible , viendront fi

'M bon effect ; et j'ay desjà quelque adviz que ceux de son party en Escosse prétendent de se mettre bientost en campaigne, remectant, Sire, au S'^ de La Croix de vous faire entendre aulcunes aultres particuUaritez , sur lesquel- les je vous supplie très humblement luy donner foy. Sur ce, etc.

Ce xxi^ jour de janvier 1570,

A LA Roy NE.

Madame, par le contenu de la lettre que j'escriptz au Roy, et par l'instruction que j'ay baillée au S"^ de La Croix , je fays entendre à Yostre Majesté les principalles choses, qui me semblent regarder meintenant icy l'intérest des vostres; et ne vous diray davantaige. Madame, si n'est que le comte de Huntington, pendant qu'il a esté à la garde de laRoyne d' Escosse, l'a si souvant sollicitée de se dépar- tir du propos du duc de Norfolc , pour entendre à celluy du comte de Lestre son beau frère , que , pour ne se pouvoir la dicte Dame excuser de quelque responce , elle luy a dict que , pour ceste heure , elle n'avoit rien moins à penser qu'à se marier, et qu'aussi le comte de Lestre avoit bien toute aultre prétencion , avec ce que , si elle contradisoit meintennant au désir de ces seigneurs , qui luy avoient si expressément escript en faveur du duc , elle craignoit fort de les irriter et offancer, et que le comte de Lestre mesmes, qui en estoit l'ung , prendroit une fort mauvaise opinion d'elle. De quoy l' aultre ne se contantant, et la pressant de luy fère une plus particullière responce , elle , enfin , luy a dict tout rondement, que, si la Royne d'Angleterre et les siens , lesqueiz luy avoient proposé le duc, ne trouvoient

25 bon que le propos passât en avant, qu'elle estoit toute ré- solue de n'espouser jamais Anglois. Sur ce il s'est advancé de dire qu'elle faisoit fort bien , car aussi tout ce royaulme inclinoyt à ce désir, et qu'il voyoit que , nonobstant toutz empeschemens , avant ne fût deux ans , elle et le duc se- roient maryés ensemble. Puys luy a parlé fort expressé- ment de quatre choses; la première, de tretter conjoinc- tement, entre l'Angleterre et l'Escosse, de l'establissement de la nouvelle religion ; la segonde , de fère une bien seure et perpétuelle ligue entre les deux royaulmes ; la troisiesme, de consentyr que , par décrect de parlement , ce royaulme soit, après elle, toutjour transféré aulx mâles plus pro- chains de la couronne, parce que le dict de Huntington vient de l'estoc d'iceulx; et la quatriesme, que Yoz Majestez Très Chrestiennes veuillez depputter aulcuns pour assister, de vostre part, icy, aulx choses qui seront proposées, entre la dicte Dame et ses subjectz, sur la restitution d'elle, et sur le faict du feu Roy d'Escoce son mary. Et a adjouxté que monsieur le cardinal de Lorrayne feroit bien , comme prochain parant, d'intervenir au jugement, d'une si grande cause.

Nous sommes après pour sçavoir d'où sont parvenus ces propos , et semble que le dict comte de Lestre ne les advouhe,et que mesmes il pense que la Royne d'Angle- terre sera fort courroucée contre le dict Huntington , quant elle les saura , et que tout cella est party de l'invention du secrétaire Cecille. La dicte Royne d'Escoce a tiré ung ad- viz du dict de Huntington , que le prince d'Orange praticque de fère descendre dix mil Anglois en Flandres, et qu'avec cella, et ce qu'il prépare en Allemaigne, joinct l'intelli- gence du pays, il espère d'en chasser le duc d'Alve et les

26 Espaignols, ce qui a esté notiffié à l'ambassadeur d'Espai- gne. Sur ce , etc.

Ce xxi^ jour de janvier 1570.

A.ULTRE LETTRE A LA ROYNE

( du dicl jour , écrite en chiffres ) .

Madame , parce qu'on publie , icy, à mon grand regrect, qu'il n'y a bon accord entre le Roy et Monsieur, son frère, voz enfantz , et que douze des principalles citez de France s'opposent à ce que Voz Majestez ne puissent aulcuneraent accommoder , par voye de paciffication , les guerres de vos- tre royaulme ; qui sont deux choses dont Yostre Majesté auroit , de la première , le plus extrême desplaisir, et nous, le plus notable dommaige qui nous pourroit onques ad- venir ; et la segonde seroit pour torner à une fort perni- cieuse conséquence contre l'auctorité du Roy, et droicte- ment contre la vostre ; mesmes qu'on m'a dict qu'en quelques endroictz du monde l'on faict desjà des desseings dessus, et que ceste Royne m'en pourra possible toucher quelque mot, je vous suphe très humblement , Madame , me commander ce que j'auray à luy en respondre, en- semble à plusieurs seigneurs de ce royaulme , et mesme- ment aulx Catholiques , qui envoyent souvant m'en inter- roger, lesquelz demeurent toutz esbahys et desconfortez de ce que, sept sepmaines a, je n'ay nulles nouvelles de Voz Majestez; ausquelz toutesfoys j'ay bien desjà desnyé l'une et l'aultre de ces nouvelles, comme les tenant toutes deux fort faulces, et sur ce , etc.

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ftljÉMOiRE ET INSTRUCTION de cc quc le S' de La Croix a à dire à Leurs Majestez , oultre le contenu de la dépesche.

Ue ces troubles du North, qu'encor qu'ilz ayent esté bientost apay- sez , néantmoins , parce que , en mesme temps , s'est descouvert qu'en Norfolc l'on avoit entreprins de se saysir des armes, «lui es- toient ez maysons du duc de Norfolc , et de contraindre le sire Henry Hemart, son frère, d'estre chef d'une troupe de douze mil hommes (jui se tenoient prestz pour marcher droict à la Tour de Londres, affîn de tirer icelluy duc de pryson ; et que, en Galles, les choses ne se monstroient guières plus paysibles , ceste Royne est demeurée en plusieurs doubtes et defiiances de ses subjectz.

Ce qui luy est augmenté par l'opinion , qu'elle a, que l'intelligence du duc d'Alve y soit bien avant meslée, sellon que, par l'examen d'aulcuns du North , qui ont esté exécutez , et de la depposition du comte de Northomberland, laquelle celluy de Mora a envoyée , il semble que cella luy ayt esté confirmé.

En laquelle depposition , oultre que le dict de Northomberland charge les plus grandz de ce royaulme, l'on dict qu'il affirme, <|u'ainsy que luy et le comte de Vuesmerland furent en carapaigne, l'ambassadeur d'Espaigne et l'évesque de Roz envoyèrent devers eulxung homme exprès, aveclettres, pour les conforter à leur entre- prinse , et leur promettre un prochain secours du duc d'Alve , et pareillement de France , s'ilz se saysyssoient de quelque port.

Duquel acte de l'évesque de Roz la dicte Dame a prins argument (lue la Royne d'Escoce , sa Mestresse , a bien peu estre mellée en cella, et par conséquent moy à cause d'elle; car, aultrement, elle n'a aulcune conjecture que je m'en soys entremiz , ny que deçà ny dellà la mer il y ayt esté mené aulcune pratique au nom du Roy; et le dict acte n'est suffizant pour luy en fère prendre guières grande opinion, parce qu'il ne se trouve que j'aye rienescript, ny mesmes que j'aye dict une paroUe, ny heu aulcune conférance, avec personne qu'elle ayt occasion de souspeçonner.

Elle reçoit assés souvant lettres d'aulcuns siens secrectz serviteurs, qui sont en Flandres , qui l'advertissent que le duc d'Alve prépare des entreprinses contre ce royaulme ; et que la plus part de la no- Messe d'Angleterre sont de son party ; et que plusieurs d'icelle ont desjà receu force escuz au soleil de luy ; dont j'entends que milord

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de Coban, depuys nagiiièies, a envoyé quatre des dicles lettres tout à la foys en ceste court, les deux signées de noms supposez et les aul- tres non signées lesquelles estant leues ; au conseil auquel s'est trouvé le comte de Pembro't, toutz les Protestantz ont incontinent jette les yeux sur luy, et il a fort hardyment répondu que ceulx qui es- cripvoient telles lettres estoient toutz meschantz d'accuser ainsy en général la noblesse d'un royaulme , et , s'iiz avoient cueur ny valleur, ilz debvoient nommer ceulx qui ont prinz ces escuz et se nommer eulx mesmes pour le leur maintenir, mais que ce n'estoient que menteries, et que, quant la Royne , sa Mestresse, aura ses subjectz bien uniz, les effortz du duc d'Alve luy seront bien aysés à repousser.

Pour l'occasion de ces advertissements , l'on dict que la dicle Dame et ceulx de son conseil ont advisé de dresser une grand milice, d'envyron quatre vingtz dix mil hommes de pied et trente mil che- vaulx en trois endroictz de ce royaulme; sçavoir : trente mil hommes de pied et dix mil chevaulx du costé de France vers le Ouest ; aultant en Suffoc, Norfolc et Germue , qui regarde le pays de Flandres ; et le tiers restant vers le costé du North contre l'Escoce ; de quoy l'on asseure que lesroUes et descriptions sont desjà bien avancez, et que surtout l'on s'esforce de dresser grand nombre de pistolliers , et mettre à cheval beaulcoup plus d'hommes qu'on n'a oncques faict de nul aultre règne.

Tout cest ordre est conduict par ceulx de la nouvelle religion, lesquelz, pour l'occasion des victoires du Roy et des batailles que Monsieur, son frère, a gaignées , et des préparatifs du duc d'Alve, et de ce qu'il leur semble qu'il se va trop establissant en Flandres, aussi pour la réduction du nouveau roy et du royaulme de Suède à la re- ligion catholique , et pour le mouvement des Catholiques de ce pays , ilz sont entrez en grandes délibérations , et ont tenu plusieurs conseils comme ilz pourront conserver et maintenir leur nouvelle religion.

Et, bien que ceste Royne n'est d'elle mesme mal affectionnée à la partie des Catholiques , ains seroit pour requérir fort vollontiers la réunyou de l'esglize et ne s'opposer guières à ce qu'elle se fît par ung bon concilie ; néantmoins les Protestans la retiennent par une véhé- mente persuasion qu'ilz lui ont donné de la perte de son estât, si elle n'est toujours opposante à l'authorité de l'esglize romaine.

Ce que je conjecture par le propos qui s'ensuyt , lequel elle m'a naguières tenu , c'est qu'elle dict avoir deux grandes occasions de regarder de bien prez au faict de la Royne d'Escoce ; l'une , parce que la dicte Dame ne s'est pas attribuée letiltre de ce royaulme sans

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ui»e bien profonde dellibération, et sans une fort grande opinion de son droict ; l'autre , qu'elle voyt bien que la dicte Dame se veult prévaloir de la division (le la religion, et cerche de s'insinuer par ez cueurs de la noblesse d'Angleterre , et que desjà plusieurs briefz du Pape ont ét« interceuz, par lesquelz il déclare absoulz ceulx qui cy devant ont obéi à elle, bien que illégitime et scismatique, pour- veu qu ilz veuillent dorsenavant recevoir la Royne d'Escoce pour l<îur Dame et Princesse . Et a adjouxté qu'on se trompoit bien en cella; car, encor que le feu Roy, son père, eust espousé la Royne, sa mère, à la religion protestante, il a toutesfoys obtenu le rescript du Pape dessus ; par laquelle persuasion des dictz briefz, que je croy estre chose supposée, les Protestants retiennent bien fort le cueur de ceste princesse contre les Catholiques et contre la Royne d'Es- cosse, bien que j'ay miz peyne de luy en diminuer l'opinion tant que j'ay peu.

€l)tffrf . [ Le premier jour de ceste année 1370 , et le x' ensuy- vant, monsieur l'ambassadeur d'Espaigne et moy avons esté en con- férance en mon logis sur Testât des choses de ce royaulme , et avons considéré que, puysque les Catholiques n'ont heu le cueur de s'ozer prévaloir de la première prinse d'armes qu'ilz avoient faicte avec une assemblée de quinze mil hommes, y en avoit bon nombre de pied et de cheval bien armez et en bon équipage, et avec ung assés heureux commancement , sans que les Protestans fussent préparez ny pourveus pour leur résister, qu'il sera bien mal aysé, qu'à ceste heure quïlz les ont comme advertys, ilz puissent rien plus entre- prendre ; et qu'estant, au reste , le duc de Norfolc prisonnier, le comte d'Arondel fort réfroydy, celluy de Pembrot retourné à la court pour servir à ses amys, et conserver ses estatz et les estatz de ses enfans, milor de Lomelé encores en arrest et toutz les Catholi- ques en général fort inthimidez, qu'il estdangier que les Protestans, qui sont seulz en authorité, viegnent à tumultuer plus que jamais, et mener leurs pratiques, icy et en Allemaigne, et pareillement leurs entreprinses par mer et par terre, plus ouvertement qu'ilz n'ont en- cores fayct. Dont le dict ambassadeur, après que nous avons heu accordé l'ung à l'aultre ce que chacun de nous avons peu sentir que les dictz Protestans menoient contre l'intérest de nos Mestres, il m'a dit que le sien et pareillement le duc d'Alve avoient une très grande affection que ce royaulme fust réduict à la religion catholique , parce qu'on ne peult espérer que oltraiges et indignitez d'icelluy , tant «ju'il demeurera entaché de ceste nouvelle religion ; et, de tant qu'il

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sasseuroit que le Roy, Mon Seigneur, avoit le semblable désir, il me prioyt fort affectueusement de lui persuader qu'il voulût escripre promptement une lettre au Roy Catholique, son beau frère , par la- quelle il luy mît en avaiit la commune entreprinse d'entre eulx deulx contre l'Angleterre pour la restitution de la Royne d'Escosse, seulement , comme pour cause juste et apartenant proprement à ^a Majesté Très Chrestienne, et en laquelle il le pryàt d'y vouloir em- ployer ses forces ; ce que le dict ambassadeur asseuroit que le diot Roy, son Mestre, accorderoit de fère plus vollontièrs qu'il n'en seroit requis , et qu'après cella , les deux ensemble tinsent leur ar- mement prest pour l'heure que nous, qui sommes sur les lieux, leur manderons; car, si les choses d'Angleterre n'étoient prinses sur le poinct qu'elles se présentent, elles estoient si soubdaines qu'on les perdoit incontinent ;

Et que j'advertisse aussi Leurs Majestez Très Chrestiennes d'envoyer promptement devers le comte de Mora , pour le garder de ne randre les comtes de Northomberland et Vuesmerland à la J\oyne d'Angleterre; et que , pour la confédération que la France a non tant avec la Royne d'Escosse que avec sa couronne et avec toutz les Escossoys , ilz le voloient bien admonester de son debvoir en ce qui se offre , afRn qu'il ne face ce tort à l'honneur de ce royaulme , les dictz comtes ont heu leurreffuge, que de les randre au mandement des Anglois ; et que mesmes , pour estre les biens et estats de toulz deux en la terre débattable , ou en celle de la conqueste faicte sur l'Escosse , qu'il se présente occasion , par leur moyen , de la re- couvrer.

Ces mesmes choses m'a il faict despuys remonstrer par l'évesque de Roz , lequel toutesfoys ne les a prinses , pour luy mesmes , en suffisant payement de ce que , au nom de sa Mestresse , il a pryé le dict S-^ ambassadeur de fère meintenant descendre en Escosse le se- cours de quatre mil hommes, et cent mil escuz , que le duc d'Alve a mandé avoir toutz prestz pour envoyer aulx deux comtes , s'ilz eussent peu meintenir encores quinze jours les armes ; et qu'à cest effect, elle fera passer quelques seigneurs d'Escosse devers le dict duc pour adviser avecques luy de leur descente et réception dans le pays , et , si besoing est , elle envoyera un gentilhomme jusques au Roy d'Espaigne pour avoir son commandement; en quoy le dict ambassadeur a seulement promiz d'en escripre, mais qu'il failloit que, de mon costé, je fisse en dilligence ce qu'il m'avoit dict, et que surtout l'on fût bien advisé de ne toucher entre Leurs 'J'rès

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Chreslienne et Catliolique Majesfez ung seul mot du faict de la nou- velle religion de peur de mouvoir les AUemans.]

Je n'ay monstre aux dictz sieui*s ambassadeur et de Roz que toute bonne alfeciion en ce (ju'ilz m'ont proposé , sinon que je leur ay allégué aulcunes difficultez pour les présentes guerres de France, et que , pour le dangier des pacquetz , j'estimois qu'il seroit meil- leur que le duc d'Alve envoyât sur le lieu tretter par quelq'un des siens ou bien par Dom Francès [ le faict de l'entreprinse contre l'An- gleterre] que non que le Roy en escripvît au Roy, son Maistre; et que , d'empescher la reddition des deux comtes , de tant que celluy de Mora s'est monstre trop adversaire de la Royne d'Escosse , mal vollontiers le Roy le vouldra requérir, ny de cella ny d'aullre chose, sans toutesfoys que je leur aye reffuzé , ny accordé aussi d'en rien escripre à Leurs Majestez ; vray est qu'auparavant il avoit esté desjà donné tout l'ordre qu'on avoit peu [ pour envoyer empescher en Escosse que les deux comtes ne soyent rendus ] .

L'ambassadeur d'Espaigne a très bonne aifection à la religion catholique, et procède fort droictement en tout ce qui est pour l'advancement d'icelle; il fault considérer aussi qu'il peult bien en ces choses estre aultant esmeu du désir qu'il sçayt que le Roy, son Maistre, a de recouvrer l'argent et merchandises de ses subjectz , prinses et arrestées par deçà, et de se vanger des offances receues en cella , et pareillement de celles que le duc d'Alve se sent en particul- lier fort picqué , pour les indignitez usées à luy mesmes et à ceulx qui sont venuz de sa part , que non de l'intérest de la couronne d'Es- cosse , ny pour vouloir diminuer la grandeur de celle d'Angleterre, qui est alliée de la maison de Bourgogne ; ou bien qu'il cognoist que, si ceste Royne sent que le Roy conviegne avec le Roy d'Espaigne con- ire elle , qu'elle sera plus facille de se réconcillier avec le duc d'Alve, dont Leurs Majestez Très Chrestiennes adviseront ce qui sera le plus expédiant pour leur service.

Il est bien certain que , despuys le commancement des différans des Pays Bas , et lors mesmement que le S' d'Assoleville et puys le S"' Chapin Vitelly sont passez de deçà , que ceste princesse m'a tout- jour faict sonder de quelle intention le Roy et la Royne seroient en son endroict, affin de s'accommoder avec celle des parties qu'elle cog- noistra luy estre de meilleure disposition ; de quoy ayant heu cog- noissance , et encores quelque adviz , je me suys conduict de telle façon envers elle , que luy donnant bonne espérance du coslé de France, sans luy parler toutesfoys qu'en très bonne et advantaigeuse

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façon des choses d'Espaigne , je Tay retenue en quelque dévotion envers Leurs Très Chresiiennes Majes(ez , et je croy qu'elle s'est de tant tnonsirée plus difficille et contraire au duc d'Alve.

Davantaige conférans le dict sieur ambassadeur et moy noz adviz sur la négociation que faict le secrétaire du comte Pallatin en ceste court , il nous a esté raporté à toutz deux qu'il poursuyt argent affîn de lever gens en AUemaigne , tant pour envoyer au secours de ceulx de la nouvelle religion en France , que pour fère une descente contre le duc d'Alve aulx Pays Bas ; et de tant que le S-" de Lombres , fla- mant , qui a esté envoyé icy par ceulx de la Rochelle , sollicite vif- vement ce fait au nom du prince d'Orange , le dict ambassadeur l'a pour plus suspect, et me presse pour cela fort vifvement que nous veuillons [ induyre conjoinclement noz deux Maistres d'entre- prendre promptement quelque chose contre ce royaulme], bien que , à propos du dict prince d'Orange , il m'a dict qu'il sçavoit que ce qu'il préparoit en AUemaigne estoit pour retourner en France. Sur quoy luy ayant respondu qu'il n'avoit receu aucune of- fance du Roy pour le debvoir fère , il m'a seulement demandé si le Roy ne luiavoitpas confisqué son estât qu'il a en France ; à quoy je lui ay respondu que ce n'estoit chose qu'il dût tenir en tant , pour en comraancer une guerre, quant bien le Roy le luy auroit confisqué : et, dessus, il m'a faict ung discours comme si l'AUemaigne nestoit [)0ur plus luy consentyr de retourner à main armée aulx Pays Bas , mais bien de procurer son retour en ses biens par le pardon et bonne grâce du Roy son Seigneur.

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LXXXV' DÉPESCHE

du xxvni« jour de janvier 1570. {Envoyée jusques à Collais exprès par Pierre Bordi lion.)

Arrivée de M' de Montlouet à Londres. Mission dont il est chargé pour l'Ecosse; état des affaires dans ce pays. Projets du comte de Westmor- land , qui prépare une nouvelle prise d'armes. Avantage remporté en Irlande par mylord Sidney. Espoir d'Elisabeth que les différends avec les Pays-Bas pourront s'arranger à l'avantage de l'Angleterre. Préparatifs du duc Casimir qui se dispose à entrer en campagne. Efforts de l'am- bassadeur pour empêcher que des secours d'argent soient donnés aux pro- testans de la Rochelle. Réclamation de la république de Venise afin d'obtenir la restitution des prises faites par le capitaine Sores.

Au Roy.

Sire, je n'avois rien entendu de la venue de M"^ de Montlouet, quant; le xx** de ce moys, il m'a esté mandé de ceste court qu'il avoit desjà passé la mer , et qu'il es- toit à Douvres; au quel lieu l'on l'a arresté deux jours et demy, sans luy permettre de passer plus avant ; et croy que c'est le filz de M' Norrys qui, ayant passé avecques luy, et laissé madame de Norrys sa mère à BouUoigne, a advisé les officiers de fère ceste difficulté , afin qu'il eust loysir d'en advertir la Royne sa Mestresse, laquelle a mandé tout aussitost qu'on le laissât venir, monstrant d'estre marrye qu'on l'eust aulcunement retardé. Par ainsy, Sire, il est arrivé en ceste ville le xxiii^ , et , le lendemain xxiv^ , nous avons envoyé à Haraptoncourt, la dicte Dame est à présent, pour demander son audience; laquelle elle nous a incontinent accourdée au xxvi^ ; mais ceulx de son con- seil, qui avoient à se trouver toute ceste sepmaine en

34 ceste ville pour l'ouverture du terme de la justice , la luy ont faicte prolonger jusques à dimanche prochain , qui sera le xxix'^; et semble, Sire, que monsieur Norrys ayt donné adviz à la dicte Dame que le voyage du dict S'" de Montlouet est pour les aflères de laRoyned'Escoce, dont elle s'est desjà préparée, ainsy que j'entendz, de la res- ponce qu'elle luy doibt fère; et je doubte assés qu'elle luy veuille accorder de passeport pour aller en Escoce ; car , oultre que l'ordinaire souspeçon et jalouzie qu'elle a de l'auctorité de Vostre Majesté en ce pays luy administre assez inventions pour y trouver toujour quelque excuse , il luy semblera, à ceste heure, qu'elle en ayt une fort apa- rante pour les troubles naguières suscitez en son pays du North, et pour la retrette qu'ont faict les chefz et autheurs d'iceulx avec leur cavallerye vers ces quartiers de terres débattables d'entre les deux royaulmes; oii, à la vérité, l'on dict que le comte de Vuesmerland Se va refaysant, et assemblant une trouppe , qui ne sera moindre de quatre raille chevaulx anglois ou escouçoys, lesquels il pourra joindre toutes les foys qu'il vouldra , en moins de quatre jours; et le comte de Northomberland n'est mal tretté du lord de Lochlevyn, qui, encor qu'il soit beau frère du comte de Mora , ne monstre le vouloir randre à la Royne d'Angleterre. Néantmoins, ayant le dict S"^ de Montlouet et moy desjà heu communication avec monsieur l'évesque de Roz, nous n'obmettrons rien de tout ce qui se pourra dire et fère , au nom de Vostre Majesté , envers ceste Royne, pour la liberté , restitution et advancement de la Royne d' Escoce, et pour avoir permission de l'aller veoir, et puys de parfère son voyage.

Il est certain que la retrette des comtes de Northom-

35 berland et de Yuesmerland n'a tant apaysé les troubles du North , que la dicte Royne d'Angleterre et les siens ne craignent bien fort qu'il se fasse encores une reprinse d'ar- mes, non seulement au mesmes pays du North, l'exé- cution de tant de pouvres hommes, qu'on y faict mourir, ne faict qu'endurcyr et aigrir davantage les aultres, mais aussi en plusieurs endroictz de ce royaulme ; et que , si ceulx qui se sont retirez en Escoce retournent , la seconde entreprinse sera trop plus dangereuse que la première. Il est vray que ce pendant la dicte Dame se trouve dellivrée de deux aultres grands soucys, l'ung du costé de l'Irlande, et l'aultre des Pays Bas; car milord Sideney luy a mandé qu'en une course, qu'il a faicte sur les saulvaiges au plus fort de l'hyver, lorsqu'ilz s'en doubtoient le moins, il a reprins vingt huict lieux fortz sur eulx , et a ramené de prisonniers cent soixante des plus principaulx des leurs, de sorte qu'il se promect une briefve et fort heureuse ys- sue de toutz les affères de dellà. Et de Flandres la dicte Dame estime avoir ung bien asseuré adviz que les aprestz du duc d'Alve contre ce royaulme se vont réfroydissant , et vont estre remiz en ung aultre temps ; ce qui lui semble estre davantaige conBrmé par la dilligence que les S""* Es- pinola et Fiesque font icy d'accommoder le faict des de- niers et merchandises d'Espaigne, bien fort à l'advantaige de la dicte Dame.

Les adviz des aprestz et mouvemens d'AUemaigne con- tinuent en ce que , sans aulcun doubte , le duc de Cazimir sera en campaigne avec cinq mil chevaulx et huict mil hommes de pied , à la fin de febvrier ou au commencement de mars ; et que desjà le payement de ses gens pour deux moys est consigné , et que le troisiesme moys se payera le

3(j jour qu'il commencera de marcher. L'ambassadeur d'Es- paigne , qui est icy, a ung non guières dissemblable adviz , disant ouvertement que c'est pour entrer en France. Néantmoins , son parler monstre qu'il crainct assés que ce soit pour descendre en Flandres, de tant que le prince d'Orange s'entremect beaulcoup de l'entreprinse, et qu'il a esté devers le comte Pallatin à Heldelberc , et puys en poste jusques en Saxe devers le duc Auguste ; dont le duc d'Alve a mandé haster la levée que luy faict le duc de Bronsouyc , affin de garnyr tout à temps le Luxembourg de bonnes forces. Tant y a qu'ayant monsieur de Lizy na- guières escript que, nonobstant les grandes difficultez qu'il avoit trouvées aux princes protestans, ilz l'avoiént enfin asseuré du secours qu'il leur avoit requis , il est à croyre ipie leur premier effort se fera en France pour ceulx de la Rochelle. Le secrétaire du comte Pallatin, et ceulx qui sont icy pour le prince d'Orange et pour les dicts de la Ro- chelle, n'ont encore heu résolue responce de ce conseil sur le prest des deniers qu'ilz demandent, et ceste Royne s'en excuse bien fort; mais ceulx qui ont auctorité près d'elle trouvent moyen que son crédit et celluy de son royaulme y peuvent estre de telle façon employez, sans qu'il luy coste rien, que desjà les aultres s'asseurent de tirer de cest endroict cinquante mil escuz 5 mais ilz incis- tent à plus grand somme jusques à cent cinquante mille, non sans espérance de l'obtenir, pourveu qu'il n'y aille rien de la bource de la dicte Dame ; et ceulx qui mesurent les finances, dont l'on peult avoir quelque notice qu'ilz pour- ront fère estât ceste année, disent que c'est de cinq à six centz mil escuz. Je mettray peyne de les empescher de ce costé le plus qu'il me sera possible.

37 Les Seigneurs Magniffiques de la Seigneurie de Venize, qui sont icy, ont obtenu lettres de ceste Royne fort ex- presses à la Royne de Navarre poiu" le recouvrement de leurs vaysseaulx et merchandises , et m'ont prié de bailler mon passeport à l'ung d'entre eulx, qui les est allé pré- senter, affin que si, pour le temps, il estoit contrainct de re- lascher en France, ou qu'il fût rencontré par aulcuns na- vyres de guerres de Vostre Majesté en la mer, il puisse tesmoigner de la juste occasion de son voyage au dict lieu de la Rochelle. Sur ce, etc.

Ce XXVIII* jour de janvier 1570. .

LXXXVr DÉPESCHE

du II* jour de febvrier 1 570. ( Envoyée par Guillaume de La Porte exprès jusques à Calais.)

Audience accordée par la reine d'Angleterre à M' de Montlouet et à l'ambassa^ deur. Reproche fait par Elisabeth à la reine d'Ecosse d'avoir favorisé la révolte du Nord. Crainte qu'il ne soit permis à M' de Montlouet ni d'accomplir sa mission vers Marie Stuart , ni de se rendre en Ecosse. Nouvelle de la mort du comte deMurray; mesures prises par Éhsabeth pour conserver son influence en Ecosse , malgré cet événement. Vives ins- tances faites par les protestans de France pour obtenir en Angleterre des se- cours d'hommes et d'argent.

Au Roy.

Sire, deux jours après ma précédante dépesche , la- quelle est du xxvii* du passé , nous avons esté à Hampton- court devers la Royne d'Angleterre, à laquelle M"^ de Montlouet a présenté voz lettres et reccomendations , et luy a d'une fort bonne et agréable façon récitté le contenu de

38 sa charge , sans rien obmettre de ce qui a esté requis pour dignement luy porter la parolle, et la créance de Voz Majestez , et pour luy faire bien expressément entendre vostre intention sur le faict de la Royne d'Escoce : en quoy la dicte Dame a monstre que la matière luy estoit de bien grande conséquence, mais qu'elle n estoit encores en guières de disposition d'y entendre pour des occasions, qu'elle a faict semblant d'avoir descouvertes de nouveau contre la Royne d'Escoce et contre l'évesque de Roz, d'aulcunes leurs menées avec le comte de Northomberland sur les derniers troubles du North; et n'a toutesfoys layssé de donner des responses pleynes à la vérité d'indignation envers la dicte Royne d'Escoce, mais de quelque respect envers Voz Ma- jestez Très Chrestiennes, et s'est réservée d'en bailler, dans trois ou quatre jours, de plus amples après qu'elle aura heu le loysir d'y penser.

Le dict sieur de Montlouet luy a faict des remonstrances et réplicques , fort convenables à ce propos , avec instance de luy permettre de visiter la dicte Dame de vostre part , et dépasser, puys après, jusques à ses subjectz, pour aul- cunes bonnes occasions que Voz Majestez le dépeschent devers elle et devers eulx. A quoy j'ay adjouté ce que j'ay estimé convenir à ceste négociation, sellon celle que j'ay assés continuée jusques icy de ce faict , et sellon les adver- tissemens du dict S"^ évesque de Roz ; mais la dicte Dame a remis de respondre au tout, après qu'elle y aura pensé.

Cependant elle a couppé assés court le dict propos , comme si elle s'en trouvoit pressée, pour demander. cu- rieusement des nouvelles de Voz Majestez et de celles de la paix. A quoy le dict S"^ de Montlouet luy a amplement satisfaict; dont, des propos qu'elle luy a tenuz et de ses

39 responses, et pareillement de ce qu'elle luy a dictsurle faict de la fille de Mad^ de Mouy et sur ce que M'^ de La Meilleraye vous avoit escript des désordres qui continuent encores en la mer, je laisse au dict S'^ de Montlouet de le vous fère bientost entendre par luy mesmes, s'il ne va plus avant ; ainsy qu'il semble qu'à grand difficulté le luy voul- dra l'on permettre, ou bien de le vous escripre, si, d'ad- vanture , il accomplit son voyage.

Et seulement adjouxteray icy. Sire, ce que la dicte Dame nous a dict de la mort du comte de Mora, comme en pas- sant par une rue, en la ville de Lithquo, il a esté tué d'ung coup de pistoUé , avec quatre balles au travers du corps, par le fils du chérif du dict lieu , lequel est des Amelthons , qui s'est despuys saulvé '. Duquel coup la dicte Dame n'a peu dissimuler le regrect qu'elle y avoit , ce qui la nous a ( sel- Ion mon adviz ) randue moins bien disposée en ceste pre- mière audience , sentant possible debvoir advenir beaulcoup de mutation de ceste mort ez choses d'Escoce , et, possible, beaucoup en celles de toute l'isle ; dont a dépesché en dilligence le S"" Randol par dellà pour deux occasions prin- cipallement; l'une, affin de solliciter l'eslection d'ung aultre régent , qui soit de mesmes disposition envers elle qu'estoit le dict de Mora ; et l' aultre , pour empescher que le comte de Northomberland ne soit mis en liberté sur ce changement, et fère beaulcoup d'offres et promesses dessus.

Ung certain capitaine alleman, nommé Oulfan d'Ar-

* Cet événement arriva en plein jour, le 23 janvier 1570, au moment le régent traversait la petite ville de Linlithgow, à dix-sept milles d'Edimbourg. Jacques Hamilton de Botliwell-Haugh , qui se vengea par ce meurtre des re lations que Murray avait entretenues avec sa femme, trouva moyen de s'échap- per et de se réftigler en France.

40 nac , est despuys naguières arrivé de la Rochelle ; par la venue duquel le jeune comte de Mensfelt haste son par- tement; et toutz deux sont pretz de s'embarquer pour passer en AUemaigne , affin de se trouver bientost avec le Cazimir 5 lequel ilz cuydent se debvoir, dans peu de jours, mettre en campaigne ; et cependant la subvention des es- glizes protestantes de ce royaulme commence à se lever ainsy que je l'avois desjà préveu, et possible que par mes premières , je vous pourray mander combien elle se mon- tera. Sur ce, etc.

Ce II'' jour de febvrier 4570.

A LA ROYNE.

Madame , ayant la Royue d'Angleterre remiz à fère , d'icy à quatre jours , responce à M'^ de Montlouet et à moy sur les choses qu'il luy a proposées de la part de Voz Ma- j estez , il n'y auroit guières lieu de vous dépescher ce pac- quet jusques alors , n'estoit la nouvelle qui cependant est survenue de la mort du comte de Mora ; laquelle je ne vous veulx aulcunement retarder, pour l'aparance qu'il y a que d'icelle ayt à naistre bientost beaulcoup de nouvelletez en Escoce, et possible assés de mutation ez choses de ce royaulme, ce coup se faict desjà tant sentyr, qu'il semble qu'en la court, et par tout le pays, ung chacun en soit bien fort esmeu ; et n'a la dicte Royne d'Angleterre , après l'avoir sceu, différé que bien peu d'heures de dépes- cher Randolf en Escoce, pour fère en toutes sortes qu'on y substitue ung aultre régent , qui soit pour persévérer aulx mesmes trettez qu'elle avoit avecques le deffunct, avec offres d'argent et de forces pour meintenir l'authorité de relluy qiii le sera , et pour empescher que aulcuns estran-

41 giers puissent estre appeliez contre luy dans le pays ; dont aulcuns estiment que le frère du dict de Mora tiendra meintenant ce lieu. En quoy Vostre Majesté considérera, au cas que M"^ de Montlouet n'ayt permission de passer jus- ques en Escosse par terre , s'il sera expédiant d'y dépescher ung aultre par mer , qui y puisse arriver avant que les choses y soient establyes à la dévotion des adversaires de la dicte Royne d'Escoce. L'on a adviz icy que Domber- trand a esté avitaillé par deux navyres françoys , dont ne fault doubter que le party de la dicte Dame ne s'en trouve grandement confirmé dans le pays , et je sçay qu'il en faict grand mal au cueur à plusieurs en ceste court. Sur ce, etc. Ce II* jour de febvrier 1570,

LXXXVir DÉPESCHE

du jour de febvrier 1570. ( Envoyée par M" de Montlouet s'en rétamant devers le Roy.)

Nouvelle audience accordée à M' de Montlouet. Refus fait par Elisabeth de lui donner passage. Motifs qui ont l'engager à prendre ce parti. Arrestation de l'évêque de Ross. Protestation de la reine d'Angle- terre qu'elle veut se maintenir en paix avec le roi , et qu'elle ne donnera aucun secours à ceux de la Rochelle. Préparatifs faits en Angleterre contre l'Ecosse. Nécessité d'envoyer sans retard , par mer, un député en Ecosse , et de ne rien négliger pour arrêter l'exécution des projets des Anglais. Note remise à M' de Montlouet sur l'état général des affaires d'Angleterre et d'Ecosse.

Au Roy.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre, au boult de huict jours, faict entendre à M*^ de Montlouet et à moy, avec

42 quelcpie aparat , en présence de unze seigneurs de son con- seil, touchant les affères de la Royne d'Escoce, que de lavsser passer le dict S"" de Montlouet jusques au lieu est la dicte Dame, et puys de en Escoce , elle ne le pouvoit meintennant en façon du monde consentyr , pour des occa- sions, lesquelles, si eussent esté bien sceues, lorsqu'il fut dépesché, elle s'assure que Yostre Majesté ne luy eust donné charge d'y aller; et que de la seurté de la dicte Dame Vostre Majesté pouvoit croyre que, quand la dicte Royne d'Escoce auroit bien machiné de la fère tuer à elle d'ung coup de haquebutte , elle pourtant ne consentyroit jamais qu'on touchât ny à sa vie, ny à sa personne; et que de son bon trettement elle le luy fesoit fère tel et à telz frays qu'elle sçayt que l' Escoce ne seroit pour y fornyr de mes- mes. Au regard de sa plus grande liberté et restitution à sa couronne, qu'encor qu'elle n'eust à rendre compte qu'à Dieu seul de ses actions en cella , elle néantmoins les vous feroit entendre par son ambassadeur , ou par ung gentil- homme exprès , avec espérance que vous les trouverez si équitables, que dorsenavant vous ne seriez tant pour la dicte Royne d'Escoce , que vous ne fussiez aussi pour elle ; et de tout ce que, avec ung bien long et préparé discours et avec plusieurs démonstrations , elle a desduict dessus , le dict S"^ de Montlouet le saura trop mieulx représanter à Voz Majestez cpie je ne le vous sçaurois escripre, vous pouvant asseurer, Sire, qu'il a si vifvement répHqué et tant fermement incisté à la dicte Dame sur toutz les poinctz de l'instruction, que Vostre Majesté luy avoit baillée, qu'il ne s'y peult rien désirer davantaige. Et j'ay adjouxté ce que j'ay peu de plus exprès pour la presser de luy fère meilleure responce; mais le mariage du duc de Norfolc et

AS l'ellévation du North lui sont deux offances si rescentes, lesquelles elle impute à la dicte Dame, et la mort du comte de Mora les luy a tant rafreschies, que nulle sorte d'apareil y peult encores estre bonne ; mesmes , sur ce dernier cour- roux de la mort du comte de Mora , elle a faict resserrer l'évesque de Roz ez mains de l'évesque de Londres, qui sont deux fort différantz personnages , en meurs et en reli- gion , l'ung de l'autre ; dont semble qu'il fault qu'avec le temps vienne le remède de ce mal.

Je laisse au dict S"^ de M ontlouet de vous dire le contante- ment que la dicte Royne d'Angleterre a monstre avoir de ce que Voz Majestez Très Chrestieimes se sont vollues con- jouyr avecques elle sur la paciffication des troubles de son royaulme , et les bonnes parolles qu'elle a dictes en cella, qui toutjour en use de fort bonnes ez choses qui luy sont proposées de Voz Majestez, sinon en ce qu'on luy touche delà Royne d'Escoce; et vous dira pareillement les pro- messes, qu'elle nous a faictes, de n'assister en aulcune sorte à ceulx de la Rochelle contre Vostre Majesté et sur ce, etc.

Ce x^ jour de febvrier 1570.

A LA Royne.

Madame, il n'a tenu ny à soing, ny à dilligence, ny à fère bien dignement et expressément entendre , par M"^ de Montlouet , à la Royne d'Angleterre les choses de sa charge, ny encores à les avoir bien préparées et sollicitées par M' de Roz et par moy, aultant qu'il nous a esté possible , que le dict S"^ de Montlouet ne raporte une meilleure res- ponce qu'il ne faict sur les affères do la Royne d'Escoce;

44 mais le mariage du duc de Norfolc et l'ellévation du North y font ung très grand obstacle et , possible , y en faict davantaige la mort, riaguières survenue, du comte de Mora; laquelle la dicte dame et ceulx de son conseil, qui sont protestantz , monstroient de la prendre plus à cueur que nul aultre accident qui leur eust peu advenir , et sont après à fère plusieurs grandz et nouveaulx desseings dessus ; dont desjà ont mandé renforcer bien fort la gar- nyson de Barvich , et crains assés qu'ilz veuillent dresser , du premier jour, armée pour l'envoyer pardellà, comme j'en ay quelque sentyment ; laquelle survenant en la divi- sion , est à croyre que ce royaulme se trouve meinten- nant, elle sera pour y fère des effectz, qui seront, par avanture, dommaigables à l'advenir ; dont je perciste en ce que , par mes précédantes , j'ay escript que , ne voulant ceste Royne permettre que le Roy et Vous y puissiez en- voyer quelqu'un des vostres par terre, qu'il sera bon que y dépeschiez promptement ung personnaige de bonne qua- lité par mer , qui soit pour moyenner et establyr , avec vostre auctorité, une bonne concorde entre les seigneurs du pays ; et les bien disposer de résister aux estrangiers , et y relever le nom de leur Royne ; en quoy semble aussi , si Yoz Majestez n'y peuvent pour ceste heure envoyer for- ces , qu'il sera fort à propos que envoyez au moins quelques capitaines, et gens d'entendement et de valleur, qui les saichent bienconduyre. Sur ce, etc.

Ce x^ jour de febvrier d570.

4.)

Ce Qii s'ensuit a esté baillé à M' de Montlouet pour luy servyr mémoyre.

De la communicquation que M' de Montlouet et moy avons heu «nsemble , touchant ses deux instructions , il se pourra servyr de l'ordre d'icelles comme d'ung mémoire , pour tout ce que je luy ay dict sur uiig chacun article, affin d'en satisfère Leurs Majestez.

Et l'extraict de la lettre , que j'escriptz au Roy , s'il luy playt de l'emporter, sera pour nous conformer l'ung à l'aultre ez choses que la Royne d'Angleterre nous a respondues sur le faict de la Royne d'Escoce.

De la continuation de la paix ; Il pourra dire que la Royne d'x\n- gleterre monstre d'y vouloir persévérer, et semble que ceulx de la Rochelle ne tireront d'elle aulcun manifeste secours ; mais ne fault doubler que, par moyens secrects et soubz aultres prétextes, les siens ne les accomodent^ par mer et en Allemaigne, aultant que, sans mettre leur Mestresse à la guerre , ilz le pourront fère.

Le jeune comte de Mensfelt est desjà embarqué , lequel anticipe de deux moys son partement , parce que, par ung'navyre venu du INorth, l'on a sceu que ceste année la mer n'a point gelé ; et va descendre en Hendein, dont s'estime qu'à son arrivée en Allemaigne, avec les responces et lettres de crédict d'icy , le Cazimir et le prince d'O- range se mettront incontinent en campaigne. Les dictes lettres , à ce qu'on dict , sont pour trente mil livres esterlin en tout , c'est cent mil escuz , ce que je n'ay encores bien vérifïié.

De Testât des affères de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc ; J'ay monstre à M' de Montlouet aulcunes petites lettres, qui tesmoi- gnent ce qui en est, et ce qu'ung chacun d'eulx espère particullière- ment pour soy , et ce que l'ung espère pour l'aultre.

Et pareillement ce qu'elle, pour son regard, espère du secoure de Flandres , et l'instance qu'elle en faict , et ce que luy espère de celluy de France, et comme il presse de le haster.

L'estat des choses d'Escoce. Ledinthon et milor Herys, hors de pryson , ont relevé avec les principaulx de la noblesse le nom et tiltre de leur Royne. Le duc de Chastellerault encores prisonnier. Le comte de Morthon et Lendzey ont juré la vengeance de la mort du comte de Mora.— S'entend que le comte de Northoraberland est en li- berté. Celluy de Vuesmerland a couru jusques sur quelque garnyson d'Angleterre et l'a surprinse.

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La Royne d'Angleterre scml)le vouloir préparer une armée. Je n'ay poinct argument que ce soit contre la France , sinon par aulcuns ad- viz de l'année passée que une descente d'Anglois en Picardie doibt concourir, quant le Caziitiir conduyra son armée vers ce quartier là, ayant promiz de s'employer à la reconqueste de Callays pour la dicte Dame ; à quoy , à toutes advantures , Leurs Majestez feront prendre garde.

La plus grand opinion est que ce sera pour aller en Escoce , affin d'y establyr le comte de Morthon régent , ou bien fère intervenir le comte de Lenoz au gouvernement de Testât , et de la personne du prince son petit filz ; et le maintenir comme son subject en ce sien droict, par toutz les moyens qu'elle pourra , ou bien pour se saysir,' si elle peult, du dict petit prince et le transporter en Angleterre ; et , possible, pour y fère quelque conqueste; et , en monstrant de vou- loir appeller à la succession de son royaulme le dict petit prince , se saysir cependant des deux , le tout par prétexte d'aller contre ses re- belles du North, qui se sont retirez au dict pays.

La détention de l'évesque de Roz et des aultres seigneurs catholi- ques porte grand empeschement à ma négociation de la liberté et'es- largissement ; desquelz ne se parle ung seul mot.

Des différandz des Pays Bas , et ce que Espinola et Fiesque en trettent d'ung costé , et ce que l'ambassadeur et Anthoneda en irettent de l'aultre , pareillement ce que Cecille cerche d'en fère mettre en avant par le S-^ Ridolfy , et la remonstrance que j'ay faict au dict ambassadeur pour empescher Taccord des deniers.

Du S' Chapin Yitel.

De ce que Leguens a mandé.

De fère administrer justice en Bretaigne aulx Angloys.

Au cas que la Boyne d'Escoce se veuille retirer en France , me mander si Leurs Majestez l'auront agréable , et qu'est ce que j'auray à fère , si elle entreprend de passer en Flandres.

Parler à Monsieur le duc de la pleincte que ceulx ci font qu'on retarde par trop à Paris les passeportz à leur ambassadeur.

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LXXXVIir DEPESCHE

du xiu» jour de febvrier 1570. {Envoyée exprès jusqnes à Calais, par Olyvier Cambernon.)

Efforts faits en Angleterre pour obtenir le consentement de l'Espagne , afin de disposer des deniers saisis et déposés à la Tour. Intérêt du roi à l'em- pêcher pour que cet argent ne serve pas à faire des levées d'hommes contre la France. Affaires d'Ecosse.

Au Roy.

Sire , les choses que M' de Montlouet a vues, et enten- dues icy , et celles dont nous avons heu communication en- semble , il les sçaura si bien représenter à Voz Majestez , que je n'entreprendray de vous en toucher icy ung seul mot ; seulement je vous diray, Sire , touchant celles qui sont venues à ma cognoissance , despuys qu'il est party, que le voyage qu'il sçayt que M"^ le cardinal de Chatillon a faict à Hamptoncourt, le jour de caresme prenant, a esté pour deux occasions ; l'une , pour prier la Royne d'Angle- terre de permettre à Rouvrey, lequel par fortune de temps est arrivé mallade et blessé à Grènezé , qu'il y puisse de- meurer quelque moys pour se guéryr, nonobstant l'estroicte deffance qu'il y a de n'y souffrir aulcun estrangier, ce qu'il a facillement obtenu; et l'aultre occasion est pour très instemment prier la dicte Dame , avec les ambassadeurs des princes protestans, et avec ceulx, qui naguières sont ve- nuz de la Rochelle, qu'elle veuille acquiter, à ce prochain mars , certaine portion d'ung sien debte qu'elle a promiz de payer en AUemaigne, affin qu'ilz s'en puyssent ayder à fère leurs levées, prenant sur eulx la dicte portion du prin-

AS cipal avec les intérestz pro rata. Mais à cecy la dicte Dame a respondu qu'elle avoit meintenant tant d'affères en son royaume, qu'elle estoit pour entrer plus tost en nou- veaulx empruntz que de payer les vieulx debtes, et qu'il n' estoit possible qu'elle entendît à faire aulcun payement, si elle ne s'aydoit des deniers d'Espaigne, ausquelz elle n' avoit encores touché , attandant qu'il s'y fît quelque bon accord. Sur quoy, se trouvant que Espinola et Fiesque avoient miz en avant une composition au nom des mer- chans , de laysser les dicts deniers à la dicte Dame , jusques à l'entier accord des différans des Pays Bas, à intérest de dix pour cent pour l' advenir, sans payer rien du passé , et baillant seulement la chambre de Londres et mestre Grassein pour respondans, tant du principal que des dictz intérestz, il se faict une extrême soUicitation que cella s'effectue ; et je inciste , de tout ce qu'il m'est possible envers l'ambassadeur d'Espaigne, qu'il le veuille empescher, luy remonstrant que ce sera accommoder d'aultant ceulx qui vous mènent la guerre en vostre royaulme, lesquelz se prévauldront de ces deniers ; et il sçayt combien il y court un grand préju- dice pour son Mestre : à quoy il m'a promis défère tout ce qu'il pourra pour l'interrompre, mais il creinct que Albor- noz, secrétaire du duc d' Alve, tienne la main à cella pour l'a- mytié qu'il a avec les dicts Espinola et Fiesque , ou pour avoir receu d'eulx un présent de douze ou quinze mil es- cuz, ainsy qu'on dict qu'ilz en offrent icy ung aultre de cinquante mil escuz au comte de Lestre et de vingt mil à Cecille. Mais je ne puys croyre que les dicts Espinola, Fiesque et Albornoz mènent ung tel faict , qui touche gran- dement r intérest du Roy d'Espaigne, duquel ilz sont sub- jectz, et bien fort sa réputation et celle du duc d'Alve,

49 pareillement l'offance de son ambassadeur, icy résidant, et des aultres deux ambassadeurs qui , à diverses foys, y ont esté envoyez , ensemble celle qui a esté faicte à leurs na- vyres , à leurs subjectz et merchandises , sans que le dict Roy Catholique et le duc d'Alve y soient consentans. Et j'ay freschement heu adviz, assés conforme à ce que j'ay dict au dict S"^ de Montlouet, que l'on est après de tirer le Roy d'Espaigne hors de l'obligation des merchans, et du risque des dicts deniers; et qu'avec cella, il dissimulera pour ceste foys tout le reste , dont semble estre fort requis , Sire , que Vostre Majesté face instamment requérir le dict duc d'Alve de ne souffrir que les dicts deniers soyent ainsy délayssez à la dicte Dame par la composition des merchans ; car, s'il s'y oppose , la dicte Dame n'y ozera toucher, et , aultrement, il est tout certain qu'il en sera envoyé une partie en Allemaigne pour fère les levées ; vous suppliant très humblement. Sire, me pardonner, si je vous oze dire que, au poinct vous et vos afferes se retrouvent meinte- nant, une telle chose n'est aulcunement toUérable au dict duc d'Alve.

Au surplus , il semble que ceste Royne et les siens se veuillent bientost résouldre à l'entreprinse des choses d'Es- coce; car ils sont toutz les jours à consulter dessus , dont je mettray peyne de descouvrir, aultant qu'il me sera pos- sible, leurs dellibérations , et de fère que les partisans de la Royne d'Escoce par dellàen soyent advertys ; et suys tout- jours d' adviz. Sire, que debvez envoyer promptement ung ou deux personnaiges de bonne qualité par dellà pour confirmer le pays à vostre dévotion , ainsy que ceulx cy y dépeschent de leur part aulcuns de leur conseil, pour le disposer, s'ilz peuvent, à la leur; et cependant j'ay advyz

50 qu'ilz ont mandé armer promptement deux grandz navyres à Bristo, et mettre cent cinquante bons hommes dessus, pour surprendre les deux navyres françoys qui sont allez avitailler Dombertran, ainsy qu'ilz s'en retourneront. A quoy Vostre Majesté advisera du remède qui s'y pourra donner. Sur ce, etc.

Ce xiii^ jour de febvrier 4570.

LXXXIX' DEPESCHE

du xviie jour de febvrier 1570. ( Envoyée par Joz , mon secrétaire , exprès jusques à la court. )

Nécessité de se prémunir en France contre l'expédition qui se prépare en Allemagne. Secours d'argent et de munitions que l'on se dispose à en- voyer d'Angleterre à la Rochelle. État des affaires en Ecosse après le meurtre du comte de Murray. Armement fait à Londres que l'on pour- rait craindre de voir diriger contre Calais. Divisions qui se continuent entre les seigneurs d'Angleterre. Offre faite au roi de la part d'un sei- gneur anglais. Mémoire sur les affaires générales d'Angleterre et d'Ecosse. Regret éprouvé par Elisabeth de la mort de Murray. Dispositions prises en Angleterre pour mettre le royaume en état de défense , et four- nir de l'argent aux protestants de France.

Au Roy.

Sire, ayant miz peyne de vériffier l'adviz que, par mes précédantes, du xiii* du présent, je vous ay mandé tou- chant certains deniers, qu'on presse la Royne d'Angleterre de fornyr en AUemaigne sur l'acquit de ses debtes , afin que les princes protestans s'en puyssent accommoder au payement de leurs levées, je tiens pour asseuré, (nonobs- tant que la dicte Dame et les siens facent démonstration

r>i

toute au contraire, et que M*^ l'ambassadeur d'Espaigne, qui n'a moins suspect en cest endroict ce qui s'en pour- chasse au nom du prince d'Orange, que moy la sollicita- tion de ceulx de la Rochelle, n'en ayt encores rien des- couvert , ) que néantmoins la chose est desjà toute conclue , ainsy que j'ay baillé, par instruction, à ce mien secrétaire , de le fère particullièrement entendre à Voz Maj estez ; et semble. Sire, que ne debvez plus demeurer sur le doubte si les AUemans descendront ou non , mais vous préparer comme pour leur résister et pour leur empescher l'entrée de vostre royaulme; à laquelle dellibération , de fornyr deniers , j'entans que la dicte Dame a beaulcoup résisté , comme celle qui ne s'en vouloit auculnement despourvoir ; mais elle n'a sceu comment enfin s'excuser de n'acquicter son debte et fère tout ensemble playsir à ses amys , sans qu'il luy coste que la seule advance de l'argent qu'elle doibt, dont elle demeure quicte; et néantmoins luy sera dans quelques moys rembourcé. J'ay d'ailleurs envové soi- gneusement enquérir, par les portz de ce royaulme, s'il y auroit aulcun congé , ou permission, d'enlever pouldres et monitions pour la Rochelle; et m'a l'on raporté qu'à la vérité il n'y a nulle expresse permission cella, mais qu'aulcuns merchans ont bien achapté secrectement des bledz et des chairs en ce pays , et ont faict venir de rSu- remberg,de Hembourg et d'Anvers, des pouldres, des armes , des beuffles et choses semblables pour les envoyer à la Rochelle, afin de faire leur profict; à quoy j'essaye bien de les empêcher , mais ils nyent que ce soit pour la Rochelle; néantmoins j'ay adverty ceulx de ce conseil que \ ostre Majesté déclairera de bonne prinse tous les vays- seaulx qu'on trouvera retournans du dict lieu.

A.

52

Les choses d'Escoce se racontent en diverses façons, mais l'on tient pour la plus vraye que le comte de Morthon s'est voUu ingérer aii gouvernement du pays en qualité de régent; et que plusieurs des grandz s'y sont opposés, et ont si bien relevé le nom de leur Royne que son auctorité y est pour ceste heure la plus recogneue ; et que le duc de Chatellerault est encores prisonnier et resserré davan- taige pour la souspeçon du murtre du comte de Mora ; que Ledinthon est hors de pryson 5 que les principaulx des deux factions ont convenu de laysser courir , pour ceste heure , le seul exercisse de la religion nouvelle dans le pays , et que pour l'establissement des afleres l'on assemblera les Estatz, s'espère que le retour et restablissement de leur Royne sera requiz.

J'entans que ceulx cy arment plus de vaysseaulx que les deux que j'ay mandé par mes précédantes , tout au long de la coste d'ouest, pour garder que nulz navyres estrangiers puissent aller ny venir en Escoce , espécialle- ment à Dombertran, Sur ce, etc.

Ce xvii^ jour de febvrier 4570.

Je viens, tout à ceste heure, d'estre adverty que ceulx cy sont après à ordonner ung grand armement des navyres de guerre de cesie Royne et aultres de ce royaume, pour une grande entreprinse, qu'ilz veulent exécuter avec intelligence du prince d'Orange , qui les doibt ayder de ses vaysseaulx qu'il a en mer, sous la charge du S' de Olain et du bastard de Briderode ; et espèrent aussi se préva- loir de ceulx de la Rochelle. Aulcuns soupeçonnent que ce soit sur Callais, dont j'ay réouvert le pacquet pour y adjouxter cest article, encor que je nel'aye plus avant vériffié. J'ay aussi présentement re- ceu les deux dépesches de Vostre Majesté , du xxvii» du passé et du sixiesme d'estuy cy, par un mesme courrier, sur lesquelles je verray bientost ceste Royne, et ne changeray rien pour la venue d'icelles en ceste dépesche.

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A LA Roy ne.

Cl)itïrf . [Madame, la division continue toutjour en ce royaume , et le malcontantement croyt de plus en plus ez cueurs des principaulx et des Catholiques, parce que les gouverneurs, qui sont des moindres et toutz protestans, procèdent insolentement contre eulx; dont ne peult estre que bientost l'altération ne s'en monstre bien grande, et que la cause de la religion, celle delà Rope d'Escoce, celle des seigneurs prisonniers, et encores celle de l'in^ certaine succession de ce royaulme , qui ont chacune leurs partisans, ne produyse de divers effectz ; en quoy je met- tray peyne de tenir le nom du Roy le plus relevé que je pourray, et qu'il n'y en ayt point de plus respecté cpie le sien.

X m'est venu trouver, sur les dix heures de nuict , pour me dire que , s'il playt au Roy de le recepvoir , il passera très vollontiers à son service , avec une si bonne entreprinse en main que , quant Sa Majesté la vouldra exécuter , il la trouvera très utille pour sa grandeur , ad- jouxtant plusieurs occasions de son malcontantement et de celluy des principaulx seigneurs de ce royaulme. Sur quoy, ne saichant s'il venoit pour m' essayer, j'ay respondu que je ne sçavois que le Roy eust aultre iatention que fort bonne à l'entretennement de la paix avec la Royne d'An- gleterre et avec son royaulme ; mais , parce que toutes ses prétencions et désirs ne me pouvoient estre cognuz , je ne fauldrois de l'advertir de ce qu'il me disoit, et qu'il pou- voit bien considérer que Sa Majesté avoit à se douloir , aussi bien que luy , de ceulx qui gouvernoient en ce

Si- royaume; et qu'à ceste occasion il le pourroit bien accepter et l'employer à s'en revencher ensemble 5 dont il m'a dict qu'il viendra, dans quelque temps, sçavoir la responce que Vostre Majesté m'aura faicte]. Sur ce, etc.

Ce XVII* jour de febvrier 4570.

Instruction ac S' de Jos de ce qu'il aura à dire à Leurs Majestez , oultre le contenu de la dépesche.

Ainsy que la Royne d'Angleterre estoit après à esteindre les troubles du North , et à pourvoir qu'ilz ne se peussent plus rallumer ; et qu'elle faisoit estât , que d'Escoce , d'où elle heut heu le plus à se doubter, ne luy viendroit que toute faveur et assistance, tant que le comte de Mora y commanderoit, mesmes qu'il tenoit le comte de Norlhumberlandenses mains; et ne cerchoit sinon comme elle et luy pourroient concourre en ung mesme intérest contre la restitution de la Royne d'Escoce; il n'est pas à croire combien la dicte Dame a vifvement senty la mort du dict de Mora :

Pour laquelle, s'estant enfermée dans sa chambre, elleaescryé, avecques larmes, qu'elle avoit perdu le meilleur et le plus mille amy, qu'elle eut au monde, pour Tayder à se meintenir et conserver en repos , et en a prins ung si grand ennuy que le comte de Lestre a esté contrainct de luy dire , qu'elle faisoit tort à sa grandeur de monstrer que sa seurté et celle de son estât eussent à dépendre d'ung homme seul.

Et parce que ravitaillement de Dombertran , la venue de M' de Montlouet, quelque course du comte de Vuesmerland sur la fron- tière , et la retrette d'aulcuns Anglois en Escoce, sont advenues en mesme temps, la dicte Dame et ceulx de son conseil sont entrez en grand opinion que les Catholiques de ce pays, avec l'intelligence des estrangiers, ayentmené ceste practique, et qu'il y ayt bien d'aultres entreprinses en campaigne.

Et mesme l'on s'esforce de randre suspect à la dicte Dame le pro- pos de la paix de France , comme si, la faisant, l'on debvoit incon- tinent luy déclairer la guerre ; ce que toutesfoys elle ne se veult ayséement persuader, et pourtant ne peult laysser de la désirer, pourveu (ju'il ne s'y conclue rien contre elle , ny trop au désadvan- taige de sa religion; aflin qu'elle demeure deschargée de tant de de-

oo

mandes et itnportunilés (m'on luy faict pour l'entretennement de ces te guerre.

Mais parce qu'aulcuns luy remonstrent que des exploicts de ceste année a de résulter l'establissement ou la ruine de sa dicte reli- gion , et pareillement le repos ou l'altération de son estât , car ilz conjoignent l'ung avecques Taultre, j'entendz que la dicte Dame et ceulx de son conseil ont desjà résolu la plus part des choses quMlz estiment estre besoing d'y pourvoir, desquelles j'ay sceu en pre- mier lieu :

Qu'ilz ordonnent de continuer la description des forces, que j'ay cy devant mandées, de quatre vingtz dix mil hommes de pied et trente mil chevaux , en trois endroictz de ce royaulme ; et que la charge en sera principallement commise aulx Protestans, et qu'on regardera de si près aux Catholiques, qu'on ne leur permettra de se trouver plus de six ensemble , sur peyne de pryson : que les seigneurs, qui soitt dettenuz, seront resserrez davantaige, et sera continué d'enquérir contre eulx, mesme a esté parlé de convoquer iing parlement pour trois occasions seulement; l'une, pour avoir deniers , et l'aultre, pour déclairer criminels de lèze majesté ceulx qui se sont ellevez , et leurs adhérans, aflin de procéder à leur confiscation; et la troisième, pour confirmer les décrectz de leur religion. Mais de peur que le dict parlement ne veuille touchera d'aultres choses, il n'est encores résolu de le convoquer ; et est. en toutes sortes, si rigoureusement procédé contre les dicts Catholiques , qu'ilz vivent en grand frayeur, dont les Protestans, qui ont toute l'auctorité, pensent que par ce moyen ilz les pourront contenir.

Pour le regard des choses d'Escoce , ayantz faict passer le mares- chal de Barvich, et ung capitaine de la mesme garnyson, au dict pays , incontinent (pi'on a entendu Tinconvéniant du dict de Mora , affin de relever le party qu'il tenoit , ilz y ont despuys envoyé Randof, et sont après à y dépescher encores Raf Sadeller qui est du conseil, avec lettres à huict principaulx du pays et créance de leur offrir hommes et argent au nom de ceste Royne ; et ont donné charge au comte de Sussex de doubler la garnyson de Barvich , dont il emporte commis- sion d'y mettre promptement cinq centz hommes^ et trois centz che- vaulxde renfort; et, à cest effect, luy a esté baillé douze capitaines de la suyte de ceste court, eslimans que la dicte garnyson de Barvich, ainsy renforcée, laquelle sera de mil harquebouziers et six centz chevaulx , avec l'ayde du gardien de la frontière , suffira contre les courses de Vuesmerland , jusques à ce que cest esté, ou plus tost.

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its auront dressé armée pour aller courre l'Escoce , affin d'y establyr les choses à leur dévotion , estant l'opinion d'.nilcuns qu'ilz se say- siront, s'ilz peuvent, du petit prince du pays; et qu'ayantz la mère et le filz en leurs mains, il leur sera aysé de annullerle tiltre que la mayson d'Escoce prétend à la succession de ce royaulme.

Et ne deffault qui persuade à ceste princesse qu'affin qu'elle ne soit , ny par le costé de France , ny de Flandres , empescliée en ses affères de deçà, qu'elle doibt accommoder les princes protestans en leurs entreprinses de dellà, et leur donner moyen qu'ilz se puissent prévaloir d'aulcuns deniers de ce royaulme , pourveu qu'elle n'en desbource rien ; dont j'entens qu'après s'en être quelque temps fort excusée, enfin elle a condescendu de dire à ceulx de son conseil qu'ilz advisent comment cella se pourra fère; dont desjà ont résolu que la dicte Dame payera , dans le moys d'apvril , une partie de ses debtes en Allemaigne , laquelle iceulx princes prendront des mains de ses créditeurs; et encor que les deniers reviegnent toutz à son acquit , ilz luy seront néantmoins remboursez , la moictié des prinses , et l'aultre moictié par les esglizes protestantes de ce royaulme ; lesquelles, à ce qu'on dict, ont accordé de bailler quatre vingtz mil escuz dans huict moy&, ainsy que de mesmes les aultres esglizes protestantes de France, de Flandres, d' Allemaigne , des Suisses, d'Itallie, et mesmes disent d'Espaigne, contribuent à ceste guerre : dont l'on faict compte que la contribution de toutes ensem- ble , comprins les dix mil escuz de ceste cy, monte envyron trente mil escuz toutz les moys.

Mais la difficulté est en ce que , sans mettre la main aux deniers d'Espaigne, la dicte Dame ne peut, ny veult payer aulcune portion de ses debtes , ceste année , en Allemaigne, affin de ne se desfornyr d'argent; et ce qui a esté cause de quoy Espinola et Fiesque ont esté mieux ouys sur les offres qu'ilz ontfaictes, au nom des merchans Espaignolz et Gènevoys, de laysser les dicts deniers à la dicte Dame, ainsy que je l'ay mandé par mes précédantes. Et j'ay advis qu'on tient cella pour si accommodé, que desjà est ordonné à M* Grassein d'en distribuer quarante cinq mil livres d'esterlin aulx merchans de ceste ville, c'est cent cinquante mil escuz, pour les fornyr, à ce pro- chain apvril, en Allemaigne , aux dits créditeurs de ceste Royne et vingt mil Tf aussi d'esterlin, c'est soixante douze mil escuz , ordonnez pour les affères d'Escoce.

Reste seulement que la dicte Dame demande aus dicts Espinola et Fiesque ung mot de lettre du Roy d'Espaigne , par lequel il advouhe

o/

que les dicts deniers sont des merchans , et non siens ; ce que l'am- bassadeur d'Espaigne, qui est ici, me promect que son Mestre ne le fera jamais. Aultres estiment que, pour sortyr hors de l'obligation et du risque des dicts deniers envers les merchantz , qu'il ne reffu- sera de le fère ; aultres disent que, ores qu'il ne le face, qu'on ne lairra pourtant d'accorder des dicts deniers avecqu'es les merchans, et s'en ayder en AUemaigne ; néantmoins , il sera toutjour bon d'incister au duc d'Alve qu'il empesche le dict accord :

Car il est desjà nouvelles que Quillegrey sera dépesché pour aller porter les lettres de police du dict payement, et pour aller faire sem- blables offices, ceste année, qu'il fit la précédente envers les princes protestans; donts'estime, qu'à son arrivée par dellà,plus qu'à celle du jeune comie de Mensfelt, les dicts princes s'esmouveront et commence- ront de marcher ; et que le dict de Mensfelt n'a emporté que quelques lettres d'acquit, pour vingt mil livres d'esterlin , qui avoient esté desjà prinses sur les bagues de la Royne de Navarre. Par ainsy, il fault fère estât que l'armée de Cazimir yra au secours de ceulx de la Rochelle.

Il semble qu'on ayt vollu imprimer quelque peur à cesle prin- cesse du duc de Olstein , luy donnant entendre qu'il a esté devers le duc d'Alve à Bruxelles pour tretter quelque entreprinse contre elle, et qu'il faict une levée de gens de pied et de cheval vers Hembourg et Osterelan, de quoy elle a certain adviz, et que le duc Ery de Bronzouyc a aussi la sienne toute preste ; dont, encor que le dict duc d'Alve monstre que son principal prétexte soit pour résister aulx en- treprinses du prince d'Orange , néantmoins la jalousie qu'elle s'est donnée de cella , et possible le désir de favoriser les affères du dict prince d'Orange , et les choses advenues par la mort du comte de Mora sont cause dont elle se laysse ainsy aller à la forniture de deniers en AUemaigne; aulcuns estiment tout le contraire du duc d'Olstein, qu'il est pour le dict prince d'Orange, bien m'a l'on dict qu'il y a desjà trois ans que ceste Royne a osté de son estât le dict de Olstein lequel souloit être son pencionnaire.

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XC DÉPESCHE

du xxii» jour de febvrier 1 570. ( Envoyée par Hamberlln, cJievaulcheur d'escuerye , jusques à la court.)

Audience accordée à l'ambassadeur ; communication faite à Elisabeth de l'é- tat des négociations en France pour arriver à la pacification. Conditions proposées par le roi. Offre faite par la reine d'Angleterre de sa média- tion. — Nouvelle assurance qu'elle n'a donné aucun secours aux protestans de France. -— Affaires de la reine d'Ecosse. Elisabeth propose d'accep- ter la médiation du roi pour ses différends avec Marie Stuart.

Au Roy.

Sire , pour faire entendre à la Royne d'Angleterre ce qui a passé avec les depputez de la Royne de Navarre , des princes de Navarre , de Condé , et des aultres de leur party, qui vous ont très humblement requiz la paix, je luy ay ré- cité les mesmes bons et bien convenables propos de vostre lettre du vi^ du présent, avec ung peu d'expression de l'in- croyable débonnaireté et infinye clémence qu'il vous playt user envers eulx , sur toutes les offances , ruynes et dom- maiges , que vous et vostre royaulme avez receu de leur ellévation et de leurprinse d'armes; et que si la dicte Dame veult considérer les grâces et concessions que vous leur of- frez, je m'asseure qu'elle les estimera, sinon excessives, à tout le moins telles que de plus grandes vous ne leur en pouvez bonnement concéder , sinon que pour les contanter à eulx seulz, Yostre Majesté se voUût par trop se malcon- tanter soy mesmes, et ofl'ancer vos aultres bons subjectz catholiques , <jui sont de vostre party , qui ont toutjour

59 suyvy vos intentions, n'ont onques contradict àicelles, ont combattu avecques vous et pour vous , et n'ont rien espargné du leur pour vous secourir ; et pareillement offan- cer bonne partie du reste des Chrestiens , espéciallement les princes , vos alliez et confédérez , qui monstrent avoir in- térest en ceste cause pour la religion catholique et pour la souveraine auctorité, qu'ilz désirent estre, l'une et l'aul- tre , bien conservées en vostre royaulme , comme en ung siège principal de la Chrestienté , en quoy , en lieu qu'ilz vous penseroient avoir regaigné pour bien veuillant et fa- vorable prince, il est à croyre qu'ilz vous trouveroient à jamais offancé, irrité et bien fort ulcéré contre eulx.

La dicte Dame , d'ung visaige bien fort joyeulx et con- tant , après plusieurs bien bonnes paroUes du mercyement , qu'elle m'a prié de vous fère, pour une tant favorable communication du pourparlé de paix avec vos subjectz , a curieusement vollu lire les articles d'icelluy , et j'ay miz peyne de les lui fère trouver plus que raysonnables de vostre costé; et que, si ceulx de l'aultre part se mon- strent tant sans rayson qu'ilz ne les acceptent, que Yostre Majesté la prie de les tenir dorsenavant pour ceulx qui ne sont meuz d'aulcun désir de religion, ains d'une pure am- bicion d'occuper l'authorité souveraine s'ilz pouvoient; et que, pour le debvoir de l'alliance et bonne amytié , qui est entre Yostre Majesté et la dicte Dame et voz deux cou- ronnes, elle les veuille à jamais exclurre de sa protection , faveur et secours, et nomméeraent de l'assistance de de- niers qu'ilz se vantent debvoir avoir ceste année d'elle ou de son royaulme ; et, comme ennemye conjurée contre eulx, se veuille unyr avec Vostre Majesté pour les réprimer , et pour vous ayder de reconquérir sur eulx les droictz

60 souverains, qu'ilz s'esforceiit [d'usurper], et donner exem- ple aux aultres subjectz d'ozer, par prétexte de religion, entreprendre d'usurper sur leurs vrays et naturelz princes et seigneurs.

A quoy elle m'a respondu qu'elle ne doubte aulcunement que, en Yostre Majesté et en celle de la Royne , ne soit le mesmes bon désir que les dicts articles monstrent pour la réunyon et réconcilliation de voz subjectz , et comme elle le loue infinyement, ainsy vous prie elle de croyre qu'elle a grand affection de la veoir bien effectuée; et que , si ceulx de la Rochelle ont de quoy pouvoir, sans con- traincte de leur conscience , vivre soubz vostre auctorité , en paix et bonne seurté de leurs vyes et de leurs per- sonnes , elle ne voyt commant ilz le puyssent , ny doibvent reffuzer ; dont , si pour la conclusion d'ung si bon œuvre , au cas qu'il y intervienne aulcune difficulté , il vous playt qu'elle s'y employé , elle le fera droictement à l'advantaige deu à Voz Majestez, comme si c'estoit pour le sien pro- pre; et quant à secours, elle peult jurer devant Dieu qu'il n'en est procédé d'elle , ny en argent, ny en aultre chose , dont ilz se puyssent raysonnablement vanter qu'elle leur en ayt baillé contre vous, et qu'elle n'ozeroit jamais lever les yeulx pour me regarder, si, après tant de paroUes et de promesses qu'elle m'a faictes vous escripre dessus , elle venoit meintenant à leur en donner.

J'ay esté en doubte, Sire, comment uzer de ce, qu'en lieu que je l'ay requise de leur estre ennemye , s' ilz n'acceptent les condicions de paix, elle s'est offerte d'en composer les difficultez ; dont , sans en rien acepter , je l'ay seulement remercyée, au nom de Voz Majestez, et que je ne fauldrois de le vous escripre , et ay poursuyvy que

61 j'espérois que la mesme responce conviendroit à ce que j'avoys à luy requérir très iiistantment de vostre part, qu'elle vous voUût tout ouvertement signiffier si une levée de huict mil reystres, qu'on vous a mandé que le duc d'Olstein et le comte d'Endein font pour elle en Allemaigne, est en faveur de ceulx delà Rochelle, ainsy qu'on le vous veult persuader, et qu'il vous semble bien que la dicte Dame doibt ceste franche et claire déclaration à la bonne amytié , que Voz Majestez Très Chrestiennes luy portent, et que le cueur ne vous peult dire que vous ayez en ce temps à espérer actes si ennemys et si contraires du costé de la dicte Dame.

Elle m'a respondu, de fort bonne façon, que M"^ Nor- rys luy a touché ce particuUier par ses lettres , et que par lui mesmes elle vous y fera satisfère : cependant me vouloit bien asseurer qu'elle ne faict point fère la dicte levée, et qu'elle ne veult jamais estre estimée Royne, s'il se trouve aultrement; et a passé oultre à me dire qu'il se parle bien de quelque levée à venir, mais qu'elle ne sçayt encores ce qui en est; et, quand elle l'entendra, s'il y a rien contre Vostre Majesté , elle me le fera notifiier.

Je croy que la dicte Dame m'a respondu assés sellon la vérité et sellon son intention en ces deux choses; mais je mettray peyne de mieulx les vériffier, et sur ce, etc. Ce xxii^ jour de febvrier 1570.

A LA Royne. ,

Madame, ayant envoyé me condouloir à M"^ le comte de Lestre du peu de satisfaction que la Royne, sa Mes- tresse , a voUu donner à Yoz Majestez Très Chrestiennes ,

62 par M' de Montlouetsur les affères de la Royne d'Escoce, il m'a mandé que je debvois excuser la dicte Dame sur les espouvantables conseilz qu'on luy donnoit, delà sub- version de sa couronne et de son estât, si elle ne procé- doit encores plus rigoureusement contre elle, ce qui n'es- toit aulcunement sellon son cueur; et que, n'ozant de luy mesmes se ingérer de luy en parler, si je luy en voulois escripre une lettre à part , il la feroit si oportunément veoir à la dicte Dame qu'il espéroit que les affères de la dicte Royne d'Escoce s'en porteroient mieulx. Je luy ay escript aulcun peu de motz , lesquelz il luy a monstrez , et elle m'a faict cognoistre , en ma dernière audience, qu'elle les avoit bénignement receuz ; lesquelz ont heu tant d'ef- fect qu'elle m'a offert d'elle mesmes que, s'il playt à Yoz Majestez mettre en avant ung moyen ou expédiant entre elles deux , qui soit honneste et non préjudiciable à elle ny à sa couronne, ny contraire à son honneur et con- science, qu'elle y entendra très vollontiers ; et ainsy m'a elle, une et deux foys, prié de vous le mander. Dont je mettray peyne, Madame, d'entendre dessus le désir de la dicte Royne d'Escoce, et le conseil, s'il m'est pos- sible, de M" l'évesque de Roz, lequel est encores bien res- serré, pour en user le plus oportunément que je pourray. Cependant il plairra à Voz Majestez m'en commander ung mot par une lettre que je puysse monstrer, et sur ce, etc.

Ce xxii^ jour de febvrier 1570.

Vùi

XCr DÉPESCHE

du xxYi* jour de febvrier 1570. (Envoyée exprès jusques à Callais par Lepecoc.)

Opinion générale répandue en Angleterre que la paix sera prochainement conclue en France. État des affaires en Flandre. Incertitude sur les nouvelles d'Ecosse ; nécessité d'envoyer un prompt secours dans ce pays. Réclamation des Anglais contre la conduite qui est tenue à leur égard en Bretagne. Vives instances de Marie Stuart pour obtenir un secours de France.

Au Roy.

Sire , après avoir , le xx^ de ce moys , amplement dis- couru à la Royne d'Angleterre en quel estât estoient de- mourées les choses avec les depputez de la Rochelle , lors- que Vostre Majesté m'a commandé de luy en parler, et que la dicte Dame m'eust prié de luy laysser le mémoire des condicions que vous leur offriez , lesquelles elle ne fit sem- blant de les trouver que bien fort raysonnables , et qu'elle ne voyoit plus aulcune difficulté en cella, sinon possible ung peu de l'asseurance, à cause de l'infraction des précédantz traittez, elle manda, le jour d'après, M "" le cardinal de Chatillon pour les luy communiquer ; et ne sçay encores , Sire, ce qui en fut débattu entre eulx, sinon qu'on m'a adverty que le dict S'^ cardinal dict que la Royne de Na- varre , plus de douze jours auparavant, luy en avoiten sub- stance mandé le contenu , à la mesure que les depputez , durant le pourparlé, le luy escripvoient , et qu'il faisoit grand difficulté que la paix se peult conclure dessus ,

64 qu'il ne leur fût en quelque chose mieulx satisfaict, et en quelque aultre plus seurement pourveu. Je mettray peyne de sçavoir si la dicte Dame a trouvé fondement en sa dicte difficulté , veu qu'elle m'a dict que ses plus sçavantz pres- cheurs maintenoient , par tesmoignages de l'escripture saincte , que nulle eslévation contre son prince , ny mesmes pour la conscience , peult estre juste ny raysonnable.

Il semble qu'on ayt icy assés d'opinion que la paix se conclurra, et néantmoins je n'entendz qu'on révoque l'or- donnance des deniers pour Allemaigne , bien qu'aulcuns estiment que les levées de gens de guerre sont retardées pour attandre quelle fin le dict traitté prendra ; et se parle beaulcoup plus , à ceste heure , des aprestz du prince d' 0- range que de ceulx de Cazimir , et qu'encores que en Flandres ne s'en face aulcun semblant, que néantmoins le duc d'Alve ne laysse de pourvoir secrectement à ses afferes; dont ceulx cy ont quelque adviz de ses aprestz , et mesmes tiennent pour assés suspectz ceulx qu'ilz entendent qu'il faict pour la mer , qui ne peuvent , ce leur semble , estre dressez contre le dict prince ; et par ainsy , doubtent que ce soit contre eulx , mais ilz monstrent de ne les craindre guières. La composition des deniers et merchandises , ar- restées par deçà sur les subjectz du Roy d'Espaigne, se poursuyt toutjours. Il est vray qu'il semble qu'on attand la responce d'une dépesche, que le duc d'Alve, après le retour du S' Chapin en Flandres, a faicte au Roy son Mestre sur ceste affière, qui n'est encores venue.

Je ne puys avoir certitude des présentes choses d'Es- coce , et semble que le S'^ Randolf mesmes , qui est sur le lieu de la part de ceste Royne, ne peult comprandre quelles elles sont, et qu'il en escript confuzément. Le comte de

65 Lenoz se prépare toutjours pour y aller, mais il creinct quelque malle adventure par dellà , et n'ayant la dicte Royne d'Escoce faulte d'adviz en ses propres affères , elle nous a faict tenir celluy que je vous envoyé duquel nous mettrons peyne d'en avoir plus grande vérifiScation 5 et d'aultant qu'avec icelluy vous verrez, Sire, l'instance qu'elle me prie de vous fère pour son secours, il ne sera besoing de le vous exprimer davantaige, si n'est pour vous dire , Sire, que peu d'ayde à ce commancement vous pourra espargner les frays d'ung grand secours, que pos- sible cy après vous y vouldriez avoir envoyé; lequel, oun'v pourra lors passer, ou n'y viendra jamais assés à temps. Je ne sçay si, sùyvant mes précédantes lettres , ceste Royne vouldra entendre à quelque bon expédiant avec la dicte Royne d'Escoce, elle m'a faict démonstration d'y estre assez bien disposée; mais la dicte Royne d'Escoce a trop d'ennemys en ceste court.

La dicte Royne d'Angleterre m'a faict dellivrer trois Françoys qui estoient prisonniers à Colchester , et m'ac- corde ordinairement , et fort libérallement , les provisions de justice que je luy demande pour voz subjectz. 11 est vray que ceulx de son conseil m'ont faict escripre par le juge de l'admyraulté que , s'il n'est faict rayson à trois An- glois , qui vont pourchasser la restitution de leurs biens à Granville en Bretaigne , qui leur a esté deux et trois foys desnyée, que les Bretons ne s'esbahyssent plus s'ilz n'ont dellivrance des biens qui leur seront prins ou arrestez par deçà; vous supliant, Sire, mander au S"^ de La Roche, cappitaine du dict Granville, qu'il les leur face dellivrer, et que dorsenavant \ ostre Majesté commande estre mieulx pourveu à l'administration de la justice aux dicts Anglois

06 -- en Bretaigne, qu'ilz disent qu'ilz n'y en ont heu jusques icy; et sur ce, etc.

Ce xxvi"^ jour de febvrier 4570.

Sur la fin de la présente m'est venu advis qu'il y a heu rencontre, sur la frontière du North, entre millord Dacres, qui se retiroit en Es- coce avec quelque troupe , et niilord de Housdon gouverneur de I^rvich, qui l'a voUu ein|)escher.

ExTRAicT de la lettre de la Royne d'Escoce à M' l'évesque de Roz , son ambassadeur.

J'ay receu, par ce pourteur, la lettre que m'avez escripte du vi* du présent, et suys fortmarrye de vostre emprysonnement, à ceste heure que mes afféres ont grand liesoing de vous, sur lepoinct qu'on m'a dict que le Roy a accordé d'envoyer deux mil hommes en Ks- coce; je vous prie, sollicitez M' l'ambassadeur de fère instance à son Mestre qu'il les veuille haster, et advertissez l'arsevesque de Glasco et RoUet, de faire le mesme [)ar dellà. Je vonldrois bien en- tendre quel secours nous aurons de Flandres. Je crains qu'il sera assés petit , et qu'il viendra bien tard ; car j'entends que desjà la Royne d'Angleterre faict lever une armée de douze mil lionunes en ce pays, et en veult envoyer, du premier jour, trois mil en Escoce, et puys après, y fère acheminer le reste par mer et par terre, avec intention , comme ou dict, d'avoir, ou par moyen, ou par force, mon filz en ses mains, et puys après disposer de ma vie. Mais, si Dieu m'est favorable, comme je n'en doubte poinct, je ne crains poinct cella; néantmoins, je vous prie très affectueusement de le nottifier aulx ambassadeurs, afQn que, s'ilz m'avinent etaymentmes affères, qu'ilz procm'ent de fère envoyer en dilligence le secours eu Escoce. 11 est bruict que Roy d'Espaigne est fort mallade, et que le Roy a aultant à fère dedans son royaulme comme auparavant, et qu'il n'a peu fère la paix avecques ses subjectz , dont vous prie m'en faire entendre la vérité.

ExTRAiCT d'aultre lettre escripte par la dicte Rojtic d'Escoce à Jehan Cobert, secrétaire de M' de Roï, duxni* febvrier 1570.

Jehan Cobert , si vostre mestre est si estroictement gardé qu'il ne puisse vaquer à me? affères , ne faillez de trouver ipielque moyen de

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me donner loutjours advizdes occurrences , le plus souvent (|ue vous (wurrez. Faictes mon excuse à M' Tambassadeur de P'rance, si je ne luy escriptz par ce pourteur, car je ne m'ose fyer en luy ; supliez le de parler à la Hoyne pour vostre mestre ; et luy dictes (|ue c'est Huntington qui , par malice , a procuré son emprisonnement ; car luy mesmes m'a dict qu'il se vengeroit de luy. Priez le aussi, en mon nom, de solliciter le Roy, son Mestre , comme je le mande en l'aul- tre lettre , de haster le secours ; car il peult veoir le grand dangier en quoy mon royaulme et mon filz et moy sommes.

XCir DÉPESCHE.

du dernier jour de febvrier 1 570. (Envoyée exprès jusques à Collais , par le sire Crespin de Chaumont.)

Détails circonstanciés de la rencontre qui a eu lieu entre milord Dacre et mi- lord Houston ; défaite de milord Dacre qui a été forcé de se réfugier en Ecosse.

Al Roy.

Sire, au fondz de la lettre que j'ay escripte, le xxvi* du présent à Vostre Majesté , j'ay faict mention d'ung ren- contre naguières advenu vers la frontière du North, du costé d'Escoce, entre millord Dacres et millord de Hous- don, subjectz de ce royaulme, de quoy la confirmation est despuys arrivée, qui se racompte ainsy : c'est que ayant la Royne d'Angleterre , pour aulcuns soupeçons du dict mil- lord Dacres, et parce qu'il différoit de venir devers elle, mandé à millord Housdon de l'aller surprendre , le plus se- crectement qu'il le pourroit fère , en une sienne raayson , il s'estoit retiré douze mil près l'Escoce ; icelluy Dacres , ayant descouvert l'entreprinse , le jour auparavant qu'elle deust estre exécutée, par l'interception d'aulcunes lettres.

08 il vit que desjà le dict de Housdon avoit mandé à millord Scrup se trouver en certain lieu avec deux mil hommes , et qu'il s'y rendroit à heure déterminée avec mil chevaulx et cinq centz harquebouziers de la garnyson de Barvich , pour l'aller assiéger , il fit dilligence d'en advertyr incontinent ceux qui estoient en la frontière d'Escoce; et, de sa part, il déliberra d'assembler ce qu'il pourroitdes siens pour aller combattre l'une des deux troupes, avant qu'elles se pous- sent joindre. Et ainsy , en une nuict, il mict ensemble trois mil hommes , et , le matin , alla rencontrer ceulx qui estoient sortys de Barvich, et présenta la bataille au susdict de Housdon; lequel, se trouvant avoir de meilleures gens et mieulx équipés que luy, bien que en moindre nombre, se résolut de le combattre , et néantmoins fit semblant de se retirer, affin d'attirer l'autre en ung lieu estroict, avec l'harquebouzerye il le deffyt, et luy tua quatre centz des siens, et en print cent ou six vingtz de prisonniers. Et à peine se fût saulvé le dict Dacres mesmes , sans ce qu'il se descouvrit quelques gens de cheval, en compaignie, qui lui venoient au secours , à la faveur desquelz il se retira , avec tout le reste, en Escoce. Quoy qu'il y ayt, Sire, et que ce récit, qui vient de la court, soit à l'advantaige de ceste Royne, elle et ceulx de son conseil sont bien fort marrys de la retrette du dict Dacres , qui est , après le duc de Norfolc, ung des plus principaulz hommes de ce royaulme. Et sur ce, etc.

Du dernier jour de febvrier 1570.

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XCIir DÉPESCHE

du iiii« jour de mars 1570.

( Envoyée jusques à la court , par le S"" de Sabran. )

Irritation causée à Londres par la nouvelle de l'expédition préparée en France pour porter des secours en Ecosse. Effet produit par cette nou- velle sur la reine d'Angleterre , dont elle change tout-à-coup les disposi- tions à l'égard de la France. Résolution d'Elisabeth de porter ses armes en Ecosse , et de secourir ouvertement les protestants de la Rochelle, Mémoire', détails des préparatifs faits sur mer en Angleterre pour empê- cher le secours de France d'arriver en Ecosse. Affaires de l'Ecosse et des Pays-Bas. Demande faite par l'Espagne que le commerce avec l'An- gleterre soit interdit en France. siémoire secret: dispositions des seigneurs anglais, qui sont poursuivis en justice, à soutenir les efforts de la France. Vives instances du duc de Norfolk pour que la reine d'Ecosse soit promp- tement secourue. Proposition faite par l'ambassadeur à Leicester d'ap- puyer de tout le crédit de la France son mariage avec Elisabeth , sous la condition de la restitution de Marie Stuart.

Au Ro Y.

Sire, je n'avois poinct esté encores plus favorablement ouy de la Royne d'Angleterre , et n'avois point receu d'elle meilleures responces sur les choses, que jeluy ay ordinaire- ment proposées de vostre part , despuys que suys par deçà, que en ceste dernière audience du xx^ du passé, ny les seigneurs de son conseil ne m'avoient plus privéement traicté , ny ne s'estoient monstrez plus favorables à me parler des affères de ce royaulme que ceste dernière foys; de sorte que je m'en retournay assés satisfaict, et au moins avec quelque opinion que les choses seroient pour aller de bien en mieulx entre Voz Majestez et voz deux royaulmes; mesmes qu'ung du dict conseil passa si avant de me dire que, pour quelques occasions es quelles la France n'estoit

70 poiiict mesléo, j'entendrois bientosl parler d'ung arme- ment que, longtemps y a, l'Angleterre n'en avoit gecté ny de plus grand , ny de plus brave sur mer ; et qu'il ne lailloit (jue j'en prinsse aulcun souspeçon, car tant s'en fail- loit que ce fut contre Yostre Majesté, qu'il n'y auroit rien qui ne fût à vostre bon commandement : et oultrc cella , la dicte Dame me tint lors toutz pro|)os fort bons sur les af- fùres de la Royne d'Escoce, et sur la bonne disposition, en quoy elle estoit, d'entendre à quelque bon expédiant avec elle, s'il playsoit à Vostre Majesté de le mettre en avant. Par lesquelles choses j'estimay. Sire, que les plus mo- dérez d'auprès de ceste princesse eussent gaigné ung grand poinct envers elle, mesmesqueje sceuz, avant que partir de là, que le comte d'Arondel avoit esté mandé en court pour le désir que la dicte Dame monstroit avoir de regarder, avec son conseil et avec sa nobl(;sse, les moyens qu'il luy falloit tenir, tant envers les princes ses voysins que en- vers ses subjectz , pour maintenir la paix dehors et dedans son royaulme. De quoy les passionnez, qui ont le crédit, monstroient n'estre aulcunement contantz : et voycy. Sire, ce que, deux jours après, leur est venu en main pour di- vertir le bon cours de ces affères , et pour altérer les choses plus que jamais, c'est que , par les lettres de M"" Norrys et par celles du S' Randolf, qui en mesme jour sont arri- vées de France et d'Escoce, du xxii'' du passé, ilz ont eu adviz que Vostre Majesté préparoit d'envoyer ung nombn; de gens de guerre en Escoce , qui se doibvent embarquer en Bretaigne le m" jour de may prochain; ce qui leur a donné de quoy si bien irriter la dicte Dame et ceulx de son dict conseil que , toutes aultres choses délayssées, ilz se sont miz après à consulter et dellibérer comme ilz pourront cm-

71 pescher ou prévenir ceste vostre entrepriiise ; dont j'ay baillé une instruction au S"" de Sabraii de tout ce que , pour ceste heure, j'ay peu descouvrir de leurs préparatifz et aprestz en cella , ensemble du présent estât des aultres cho- ses de deçà, auquel me remectant, je prieray , etc. Ce IV* jour de mars 1570.

A LA Roy ne.

Madame, ce n'est de mon gré que je donne à Vostre Majesté des adviz, qui quelques foys sont bien contraires et divers à ceulx que auparavant je vous ay mandez; mais le changement et la contrariété , qui sont assés ordinaires en ceulx de ceste court, me contraignent d'en user ainsy; dont Vostre Majesté , s'il luy playt, m'en excusera sur le soing que j'ay de luy mander leurs actions et dellibérations, aiusi clairement et par le menu, conmie, jour par jour, je les puys aprendre et descouvrir. Il n'y a que huict jours que ceste princesse se moustroit bien disposée envers Voz Très Chrestiennes Majestez, et de ne cercher rien tant que de vous contenter et complaire en ce qui luy estoit proposé de vostre part , et de vouloir vivre en grand paix et repos en son royaulme , chose fort sellon sa naturelle incli- nation ; mais , aussitost cpi'on luy a raporté qu'il se préparoit en France des gens de guerre pour passer en Escoce , il n'est pas à croyre combien la grande jalousie de sa cousine, laquelle s'est représentée en cella , luy a soubdain faict chan- ger son premier bon propos ; et comme , en lieu d'aller par moyens paysibles, ainsy qu'elle disoit , ez choses d' Es- coce, elle a proposé meinteunant d'y procéder par les ar- mes. La dicte Dame estoit lors après à espargner l'argent,

n

meintennant elle ne parle que d'en despendre; elle cerchoit de payer et à ceste heure d'emprumpter; elle disoit vouloir regaigner par douceur sessubjectz, meintennant elle faict resserrer plus que auparavant ceulx qui sont en prison ; et crainctz assés, Madame, que l'affection, qu'elle disoit avoir à la paciffication de vostre royaulme, se soit desjà changée à ung contraire désir de vous y nourryr les troubles , si elle peult, comme desjà l'on m'a dict qu'elle est pour se mons- trer plus libéralle à promettre secours et assistance à ceulx de la Rochelle, qu'elle n'a faict jusques icy. Je la verray sur la première occasion de quelque dépesche de Yoz Ma- jestez , et mettray peyne de notter les particuUaritez de ses propos, affin de fère quelque jugement de ses dellibérations. Sur ce , etc.

Ce iv« jour de mars 4570.

Instruction pour satisfère Leurs Majestez sur le contenu de la dé- pesche, comme s'ensuyt : ' 'i

Que, le xx= du passé, la Royne d'Angleterre se monstroit bien disposée envers Leurs Très Chrestiennes Majestez et envers leurs présens affères , avec bonne affection à la paix de leur royaume , et d'estre preste, pour l'amour d'eulx, de condescendre à des expédiens gracieulx avec la Royne d'Escoce, et me dict Tung des seigneurs de son conseil qu'elle avoit ung grand contantement de veoir que Leurs dictes Majestez , ny nul de leurs ministres, n'estoient meslez en ces choses du North.

Ung autre des seigneurs du dict conseil , mo parlant en affection d'aulcuns aprestz, qu'on faisoit contre la dicte Dame, en un endroict qui , sellon qu'il me le désigna , ne pouvoit estre sinon Flandres, me dict qu'ilz estoient après, de leur costé, à préparer en dilligence ung des plus grandz et des plus braves armemens qu'ilz eussent , longtemps y a , miz en mer, et qu'on cognoistroit que , si l'Angle- terre n'estoit pour assaillir ung aultre estât , qu'elle estoit suffisante pour deffandre le sien, et que, continuant ainsy la bonne paix.

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comme elle faisoit , avecques le Roy et la France , ilz n'avoient que bien peu à craindre le reste de leurs voysins.

Le troisiesme jour après, estantz deux pacquetz , l'un de M' Nor- ryset l'aultre du S' Randolf , arrivez de France et d'Escoce, quasi en mesmes heure, et avec conformité d'ung mesmes advis de certain nombre de gens de guerre, qu'ilz ont mandé que le Roy préparoit d'envoyer en Escoce, qui se debvoient embarquer en Bretaigne, le uie de may, et estre conduicts par le S' Estrocy , la dicte Dame fit incontinent assembler dessus son conseil , , du bon estât que les choses monstroient estre deux jours auparavant , elles furent , par la contention des mal affectionnez, soubdain converties en une présente aygreur; et voicy ce que j'entendz qui fut arresté :

Que M' Bach, pourvoyeur de la marine, seroit promptement mandé pour lui enjoindre de mettre en ordre et en bon équipage toutz les grandz navyres de guerre de la dicte Dame, affin d'estre preslz dans la fin de mars ou au commencement d'avril, avec trois mil bons hommes dessus, avytaillez pour un moys, affin de servir aulx deux effects ; l'ung, de résister aux entreprinses de Flandres, et l'aultre, pour empescher le passaige et la descente des Françoys en Escoce;

Que le comte de Sussex et Raf Sadeller s'en yroient au Nort, et lè- veroientsix mil hommes , qu'ilz envoyeroient le plus tost qu'ilz pour- roient en Escoce, et en prépareroient aultres douze mil pour doubler et tripler les premiers , s'il estoit besoing ;

Que ceste mesmes levée pourroit servir à réprimer les esmotions qu'on craignoit au dict pays, et servyroit aussi pour tenir la main forte à l'exécution de justice qu'on y prétendoit fère contre ung nombre de gentishorames, qu'on a trouvez coulpables de la première ellévation ;

Que, pour subvenir à telles choses , l'on dresseroit trois estapes de vivres et de monitions pour les pouvoir transporter par mer le besoing le requerroit, l'une à Londres, l'aultre à Rochestre , et la troisiesme, laquelle j'ay la plus suspecte , à Porsemue, car c'est vis à vis du Havre de Grâce ;

Que courriers seroient promptement dépeschez par toutes les provinces avec lettres aulx officiers, pour fère advertissement à ung chacun de se tenir pourveuz d'armes et de chevaulx sellon les ordonnances, et d'estre prestz pour marcher, quand ilz seront man- dez ;

Que Me Grassein feroit dilligence de trouver promptement cin- quante mil livres d'esterlin parmy les merchans pour subvenir au

lA

présent besoing de la dicte Dame , oultre et par dessus la somme de (juarante cinq mil livres d'esterlin desjà ordonnées pour AUe- maigne ;

Que les affères de la Royne d'Escoce et les propositions qui se mettoienten avant pour sa restitution , et pour la dellivrance de l'é- vesque de Roz , son ambassadeur, seroient mises en surcéance et elle ung peu plus resserrée ;

Et seroit pareillement surcise la dellibération , en quoi l'on estoit , de pourvoir à la liberté du duc de; Norfolc , sur la caution qu'il ollroit de deux centz mil livres d'esterlin; et à l'eslargissement de millord de Lomelé; et à rappeler en court et au conseil le comte ^ d' Arondel^ et que les dicfs seigneurs seroient plus observez et resser- rez que auparavant.

Et m'a l'on dict, dont je suys après à le vérilBer, qu'il fut aussi arresté que la dicte Dame se monstreroit plus libéralle et prompte, qu'elle n'avoitfaict jusques ici, à accorder secours à ceulx de la Ro- chelle pour meintenir la guerre en France , affin de divertyr celle toute aparante , qui s'alloit susciter dans ceste isle pour les choses d'Escoce.

Despuys , est survenu ce rencontre en la frontière du North , lequel aulcuns disent n'avoir tant succédé au désadvantaige de millord Dacres , comme le filz de millord de Housdon , qui en a porté les premières nouvelles , l'a publié ; et qu'il y est mort plus de deux centz soldatz de la garnyson de Barvich , et qu'il a apareu ung si no- table secours , qui venoit d'Escoce au dict Dacres , qu'on a heu assés de double d'une surprinse sur Varvich , dont ceulx cy font plus grand dilligence que jamais de haster les ordonnances et provisions dessus dicts.

Quanta Testât des choses d'Escoce, j'entendz que les comtes Morthon , Mar, Mareschal et millord de Lendzey ayantz , avec leur complices, relevé en ce qu'ilz ont peu la part du feu comte de Mora, ont transféré toute l'authorité au dict de \iorthon, lequel se trouve meintenant dans l'Islebourg , assisté de la faveur de la Royne d'An- gleterre; et semble (pi'il veut establyr le comte de Lenoz régent au dict pays à la dévotion de la dicte dame ;

Que les comtes d'Arguil, d'Onteley, d'Atil et auUresbons subjectz de la Royne d'Escoce , ayantz tenu une assemblée près de Domber- tran , le S'^ de Flemy s'est trouvé , ont dellibéré de s'acherayner vers l'Islebourg, pour ordonner, en quelque bonne façon, de Testât des choses , et (ju'ilz veullentque le duc de Chatellerault preigne le

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gouvernement; et que, pour le commencement, il l'aytau nom du jeune prince , affin qu'il y interviegne tant moins de contradiction : mais le dict duc , qui est encores prisonnier au chasteau de l'Isle- bourg, demeure fermement résolu de n'accepter aulcune charge , si- non au nom et sous l'auctorité de laRoyne. Tl s'espère quelque convo- cation d'Estatz au dict pays, le iiii' du présent ; ce qui s'en entendra, je ne fauldray de le mander à Leurs Majestez. Il semble qu'on n'a trouvé Ledinthon si bon Anglois qu'on cuydoit, et qu'il est tout du dict duc de Chatellerault.

Ceulx qui jugent des dicts affères d'Escoce , et qui désirent la res- titution de la Royne au dict pays, et y vouldroient veoir succéder les choses sellon l'intention du Roy, disent que , sans venir à guerre ouverte avecques ceste Royne , il se pourra ( avec vingt ou trente mil escuz et deux personnaiges de bonne qualité qui saichent, au nom du Roy, réunyr et accorder les seigneurs du pays, et avec demy douzaine de capitaines pour conduyre leurs gens de guerre, et quelques moui- llons et armes ) , fère ung si bon fondement dans ce royaume que les elfortzdes Anglois n'y pourront en rien prévaloir ; mais il fauldroit que cella y passât tout promptement , avant que ceulx cy soyent sur mer.

L'accord des deniers et merchandises d'Espaigne se poursuy? toutjour fort instantment, et pourra bien estre que , quant aulx de- niers, il preigne encores quelque tret, pour attandre celle lettre du Roy d'Espaigne , par laquelle il veuille advouher (jue la somme est à des merchans; mais, quant aulx merchandises, j'estime que cella sera bientost conclud , parce qu'il se dépesche quatre principaulx merchans de ceste ville avec généralle procuration pour en aller , en compaignie du S' Thomas Fiesque , tretter avec le duc d'Alve à Bruxelles ; et doibvent partyr dans ceste sepmayne. Dont le Roy leurra fère incister sur l'ung et sur l'autre de ces deux poincts en- vers le duc d'Alve , qu'il n'en veuille accommoder les Protestans , ains entretenir et prolonger la matière, au moins jusques après l'esté prochain; dont, de ma part, je travailleray, aultant qu'il me sera possible , d'y fère toutjour naistre quelque difficulté , et il s'y en trouveroit assés du costé mesmes de ceulx cy, n'estoit la craincte qu'ilz ont du Roy sur les choses d'Escoce.

Je suys bien fort pressé par l'ambassadeur d'Espaigne de suplier Leurs Majestez Très Chrestiennes qu'ilz veuillent exclurre aux An- glois le commerce de la France , parce que , nonobstant la suspencion d'entre l'Angleterre et les Pays Bas du Roy son Mestre , ilz nelayssent

76 d'estre accommodez, par le moyen des Françoys, des choses qu'ilz ont liesoingd'Espaigne; lesquelles, pour le gain, ilzleuraportenttouijour en abondance , bien que ceulx cy se monstrent aussi difïicilles de n'admettre les merchandises d'Espaigne ny de Flandres par deçà , comme l'on le pourroit estre en Espaigne ou en Flandres d'y recep- voir celles d'Angleterre ; tant y a qu'avec des moyens cella se con- duict, et y a quelcun qui, au nom des Catholiques de ce royaulme , m'est venu prier pour la dicte exclusion de trafflc , comme de chose la(|uelle admèneroit bientost une telle nécessité en ce pays , qu'on s'y eslèveroit contre ceux qui gouvernent ; en quoy Sa Majesté consi- dérera ce qui est le plus expédient et le plus utille pour son service, car je crains que par l'on s'incommoderoit assés pour accommoder auUruy.

Sur la closture de ceste dépesche, le S-^ de Garteley est arrivé, qui m'a dict que le secours pour Escoce est desjà tout prest en Bretaigne, dont semble estre fort requis de le haster de partir, affîn de prévenir ceuxcy, lesquelz sont tous résoluz de getter dehors, avant la fin de ce moys, quinze grandz navyres des premiers preslz pour nousempes- cher la mer.

AULTRE INSTRUCTION A PART.

Ce qui est advenu de nouveau en la frontière entre millord Dacres et millord de Housdon, joinct les façons dont l'on continue de procé- der de plus en plus fort rudement contre ces seigneurs qui sont ar- restez, et d'observer de près le reste de la noblesse , descouvre assés qu'il y a une grande contrariété dans ce royaume tant sur la religion, et sur le faict de la Royne d'Escoce, et sur les divers tiltres de la succession de la couronne , et sur l'emprisonnement des grandz , que pourung général malcontantement contre ceulx qui gouvernent.

Et semble que le duc de Norfolc est plus que Jamais désiré d'ung chacun , mais il demeure fermement l'ésolu en soy mesmes de ne pourchasser sa liberté par nulle aultre voye que par celle de l'équité de sa cause ; en quoy il se persuade d'avoir ung très bon et très as- seuré fondement, lequel il ne veult aulcunement altérer; mais les aultres seigneurs, qui ne sont si resserrez que luy, sont dellibérez que , si , dans quinze jours , ilz ne se peuvent prévaloir, ou pour le dict duc ou pour eulx, de leurs amys et moyens de court, qu'ilz se résouidront à cercher d'aultres expédians, et m'ont faict remercyer du relfuge et retrette que je leur ay dict que le Roy leur donroyt en son royaume.

/ /

Or, se trouvans les comtes de INorthomberland et de Vuesmerlaiid et inillord Dacres , qui sont trois bien principaulx personnaiges de ce royaume, et quelque nombre de gentilshommes de ce pays avec eulx, meintennant fuytifz enEscoce,toutzbien affectionnez à la Royne d'Es- coce et bifen fort catholiques ; et désirant le duc de Norfolc, de sa part , ([ue les affères de la dicte Dame y soient secouru/ , nommée- ment du costé de France, il est à espérer que , s'il playt au Roy de les favoriser en quelque bonne sorte, non suspecte à ces seigneurs angloys partisans de la dicte Dame, qu'elle et son royaulme pour rontestre préservez contre les entreprinses de l'Angleterre à honneur et utillité de la France, et la Royne d'Angleterre et les siens divertys de ne pouvoir tant nuyre, comme ilz font en aultres endroicts, aulx affères du Roy, non sans que Sa Majesté se forme , par ce moyen, ung bon nom, et possible quelque bonne part en l'alFection de ceulx de ces te isle.

Le duc d'Alve , à la vérité, a des ambassadeurs escoçoys et an- glois devers luy pour avoir secours, et il a escript par deçà qu'il est tout prest de le bailler, mais que nul de ceulx qui sont venuz ne luy sçayt donner compte du temps, du lieu, de la forme et des condicions qu'ilz veulent avoir le dict secours , et qu'il ne veult advanturer l'honneur et les affères de son Mestre, de mettre en évidence un telle entreprinse, sans y voyr bon fondement. Par ainsy, il sollicite que quelcun des principaulx le vienne trouver pour conclurre avecques luy de toutes les particullaritez du dict secours; et, de tant que le duc de Norfolc a suspect ce qui vient de ce cousté , il me faict solliciter de haster l'assistance du Roy en faveur de la Royne d'Es- coce.

Le comte de Lestre, en une privée conférance qu'avons heu en- semble, m'a dict que la Royne , sa Mestresse, avoit esté naguières pressée par ceulx de son conseil de prendre party, affin de remédier tout à ung coup à plusieurs difficultez qui se présentent en son royaulme , et qu'elle , de son costé , s'estoit monstrée , encores ce coup , aussi dégoustée de mariage , comme toutes les aultres foys qu'on luy en avoit cy devant parlé ; mais enfin elle leur avoit res- pondu que, si pour annuller les divers tiltres qu'on prétend à sa succession , lesquelz mettent en division son royaulme , elle estoit contraincte de se maryer, qu'elle est toute résolue de u'espouser point de sessubjectz.

Je luy ay respondu qu'il sçavoit bien que Leurs Majestez Très Chrestiennes avoient toutjours heu désir que ce fût luy qui tînt ce

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lieu, et que ceste leur bonne vollonté continue encores, dont ne failloit sinon qu'il regardât comment les y employer; que de ma part je luy serviray de bon cueur; que le temps sembloit fère pour luy, parce que tout le rôyaulme plyoit meintennant au désir de la dicte Dame , et les principaulx qui estoient travaillez concouroient toutz à luy complayre, pourveu qu'il fit quelque chose pour eulx ; et la Royne d'Escoce, qui pouvoit assés dans ceste isle, favorisoit ses nopces , s'il favorisoit sa restitution ; et quoy qu'il y eust , puysqu'il estoit ainsy advancé en la bonne grâce de la dicte Dame, qu'il advisàt de prendre ce premier lieu , et à tout le moins de ne le laysser aller à nul , qui ne luy sache le bon gré de l'y avoir miz.

Il m'a rendu plusieurs bonnes paroUes de mercyement, pour les mander de sa part à Leurs Majestez , et, après m'avoir touché ung mot de l'extrême déplaysir, que la Royne, sa Mestresse, avoit du mariage de la Royne d'Escoce avec le duc de Norfolc , il m'a prié qu'en une de mes audiences, je face venir à propos à la dicte Dame que, pour obvier aulx inconvénians elle et son rôyaulme pour- ront tumber par les diverses prétendons de sa succession , qu'ung chacun estime qu'elle feroit bien de se maryer, et que le Roy avoit toutjour désiré que , s'il ne pouvoit pour luy ou les siens avoir ce bien, que au moins, pour évitter la jalouzie de quelque aultre party estrangier, ce fût quelque bien heureulx de ce rôyaulme qui y parvînt, ce que je ne luy ay reffusé de fère; mais j'attendray dessus le commandement de Leurs Majestez.

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XCIV* DÉPESCHE

du ix» jour de mars 1570. (Envoyée exprès jttsques à Collais, par Olyvier Cambernon.)

Affaires d'Ecosse. Crainte de l'ambassadeur que tous ses efforts ne puissent empèclier la guerre d'éclater. Son désir de voir donner satisfaction sur les diverses plaintes d'Elisabeth contre la conduite tenue à l'égard des Anglais en France. Mission du S' de Garteley. Arrêt prononcé contre milord de Lomeley. Nouvelles des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, quant j'ay dépesché le S"" de Sabran devers Vos- tre Majesté, le iiii^ de ce moys, je l'ay instruict, le plus particullièrement que j'ay peu, de Testât des choses qui se passent icy , lesquelles continuent en l'apareil de guerre , qu'il vous aura dict, de lever toutjours soldatz en ceste ville de Londres et ez envyrons, pour les envoyer au North; et dilligenter l'aprest des navyres ; et fère les provisions pour iceulx; et cercher deniers de toutes partz, bien que la malladie, intervenue dessus, de M"" le comte de Lestre , a donné quelque peu de retardement aulx dellibérations de ce conseil, lequel ne s'est assemblé durant son grand mal, mais à présent il se porte bien ; et aussi que toutz en ces choses ne se sont trouvez d'accord en ceste court, néant- moins j'entends qu'on y a résoluement conclud l'entreprinse d'establyr, par toutz les moyens qu'on pourra, le gouver- nement d'Escoce ez mains de ceulx qui ont relevé la part du comte de Mora, parce qu'ilz se monstrent fort contrai- res aulx fuytifz d'Angleterre; et se soubmettent à la pro- tection de ceste Royne ; et luy demandent le comte de Le- noz pour régent; qui sont choses qu'elle trouve bonnes, et

80 qui sont conformes à ce qu'elle désire pour tenir le dict royaulme divisé, et avoir toutjour l'une des partz à sa dé- votion. Je ne sçay si l'assemblée des Estatz, qu'on attan- doit au dict pays le iiii^ du présent , aura esté tenue , et si elle aura heu nul effect; il ne s'en dict encores rien, et croy qu'il sera bien tard, quant j'en auray des nouvelles, car l'on tient les passaiges bien fort serrez.

Cependant la Royne d'Angleterre est entrée en grand deffiance sur ce que M' Norrys son ambassadeur luy a es- cript que Yoz Majestez Très Chrestiennes luy ont tenu quelque propos fort exprès sur les aflères de la Royne d'Escoce et de son royaulme; duquel je n'ay encores en- tendu le particulier , sinon qu'on m'a dict que la dicte Dame en est fort fâchée, joinct que, par le mesmes pacquet, le dict ambassadeur luy a envoyé ung discours, imprimé à Pa- ris, sur les troubles de son royaulme, qui ne parle à l'ad- vantaige d'elle ny de ceulx qui gouvernent ses affères; et d'abondant elle a sceu qu'un homme de son dict ambassa- deur a esté naguyères arresté à Amiens , et que son - pac- quet, qu'elle luy avoit baillé à porter, luy a esté osté; desquelles choses il n'est pas à croyre combien elle s'en trouve offancée , et combien les siens en sont mutinez , jus- ques à dire qu'il vauldroit mieulx venir à une guerre dé- clairée, et que leur ambassadeur s'en retornât, et que je me retirasse, que d'user de tels déportemens; dont, de tant que je les ay fort asseurez que la pubHcation du dict discours, ny la détention du pacquet ny dumessagier, ne sont aulcunement procédées du vouloir ny commandement de Yoz Majestez , je vous suphe très humblement. Sire, qu'il vous playse luy en fère donner quelque satisfaction , comme d'accidens que vous n'aviez ny préveuz, ny pensez, et luy

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fère aussi satisfère sur une pleiiite, qu'elle m'a faicte renou- veller, de certains pescheurs de Dièpe et aultres de dellà, qui abusent en la coste de deçà de leur forme de pescher et de leurs filetz contre l'ordonnance du pays, affin de ne mesler si petites choses avec les plus grandes, qu'avez à démesler ensemble.

Le S"^ de Garteley s'en est revenu très contant en toutes sortes de Voz M ajestez ; il a heu congé de passer en Escoce, mais non d'aller veoir la Royne sa Mestresse , à laquelle toutesfoys nous avons trouvé moyen de fère entendre tout l'effect de son voyage, de quoyje m'asseure qu'elle aura receu grande consolation.

M illord de Lomellé a heu ampliation de son arrest , luy ayant esté permiz d'aller demeurer avec le comte d'Aron- del son beau père à Noncich, et de pouvoir jouyr de l'air et de l'esbat des champs deux mil à l'entour, ce qui donne espérance de veoir bientost quelque modération ez affères de ces seigneurs.

Les depputez de Flandres , estantz prestz à partir , ont trouvé quelque deflectuosité en leurs charges et pouvoirs qui lésa retardez huict jours, mais j'entendz qu'ilz s'acheminent demain , et le S' Thomas Fiesque avec eulx , avec opinion de pouvoir accorder facillement le faict des merchandises , mais difficilement celluy des deniers. Sur ce, etc. Ce ix^ jour de mars 1570.

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XCV' DEPESCHE

du xiiii» jour de mais 1 570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Contentement de la reine d'Angleterre au sujet de la satisfaction qui lui a été donnée sur l'une de ses plaintes. Impossibilité de connaître quelles sont ses véritables intentions à l'égard de la France. Continua- tion des apprêts maritimes et des préparatifs contre l'Ecosse. Nécessité de prendre des mesures pour empêcher le capitaine Sores de continuer ses courses sur mer. Départ des députés envoyés dans le Pays-Bas pour traiter de» différends de l'Angleterre avec l'Espagne.

Au Roy.

Sire, le jour d'après ma précédante dépesche, laquelle est du ix^ du présent, j'ay receu celle de Vostre Majesté du xxi^ du passé, en laquelle j'ay trouvé l'homieste satis- faction qu'il vous a pieu donner à la Royne d'Angleterre sur celle de ces trois pleinctes que je vous ay mandé qu'elle avoit le plus à cueur , qui est du discours des troubles de son royaulme imprimé à Paris ; de laquelle satisfaction , despuys que M"" ÎNorrys luy en a donné adviz, elle et les siens ont monstre qu'ilz n'estoient plus si ofTancez comme auparavant : ce qui me sera ung argument, la première foys que j'yray trouver la dicte Dame, de la prier qu'elle veuille user de pareille sincérité et correspondance d'ung bon cueur envers Voz Majestez Très Chrestiennes , comme par cest acte vous luy avez monstre que vous l'avez clair et droict , et entièrement bien disposé envers elle ; et luy continueray la mesmes instance, que je luy ay ordinairement faicte , de ne porter ny souffrir estre apporté par les siens

83 aulcun secours ny assistance à ceulx qui troublent vostre royaulme, et qu'il n'est possible qu'ilz en puissent tirer d'Angleterre , sans qu'elle tumbe en l'infraction des trettez et en une manifeste ropture de la paix.

Plusieurs parlent diversement de l'intention de la dicte Dame sur le présent estât de voz affères; les ungs, qu'elle l'a bonne et qu'elle incite à la paix ceulx de la Rochelle ; les aultres, au contraire , qu'elle l'a très mauvaise et qu'elle les sollicite à la guerre. Vostre Majesté pourra assés juger ce qui en est par la condicion de ceulx qui m'en ont donné les adviz, desquelz je réserve vous mander les noms, et la façon des propos qu'ilz en ont tenu, par l'ung des miens que je dépescheray bientost devers Vostre Majesté.

Je n'ay encores rien entendu de l'efiect de l'assemblée que les seigneurs d'Escoce deb voient tenir à l'Islebourg, le iiii« de cemoys, ny s'ilz ont prins nul bon expédiant entre eulx sur l'ordre et gouvernement du pays. Bien m'a l'on dict que le comte de Morthon et le sir Randolf ont escript à ceste Royne , que , si elle ne faict bientost apa- roistre son assistance par dellà, que toutz les Escouçoys cryeront France , et que le nom de Vostre Majesté y est bien ouy et bien receu, et qu'ilz demandent d'avoir leur Royne; par ainsy, que le jeune prince s'en va déboutté de l'authorité, et du nom de Roy qu'on luy a attribué, si elle n'y remédye. Dont quelcun m'a adverty que la dicte Dame y a envoyé en dilligence six mil tt d'esterlin , c'est vingt mil escuz, et que le comte de Susse x, le- quel a esté mallade trois sepmaines en ceste court, mais à présent se porte bien , partyra du premier jour pour s'aller présenter sur la frontière d'Escoce , avec quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx , lesquelz sont

6.

M desjà bien avant; et ce, principallement parce que de dicte frontière, despuys que millord Dacres s'y est retiré, l'on a faict cinq ou six courses en celle d'Angleterre, et brullé des villaiges , et admené plusieurs prisonniers : dont le dict Dacres a esté déclairé traistre et rebelle.

J'entendz que les seigneurs de ce conseil ont fait dé- pescher cinq ou six centz lettres missives à des particu- liers , gentishommes du North , pour les prier de se pour- voir en toute dilligence de quelques hommes, et d'armes, et de chevaulx , chacun le mieulx et le plus advantaigeuse- ment qu'il pourra, oultre l'obligation de l'ordonnance, affin de fère proraptement ung bien relevé service à la Royne leur Mestresse , sellon l'expécialle fiance qu'elle a en eulx. Et en ceste ville de Londres l'on lève de nouveau cinq centz harquebouziers pour les mettre sur les cinq navyres premier pretz , qu'on dellibère getter dehors dans huict jours; et en prépare l'on aultres dix pour les getter, à la my apvril, dont l'argent pour les avitailler est desjà delli- vré au pourvoyeur de la marine , et ne cesse l'on d'aprester aussi toutz les aultres pour estre prestz à l'entrée de l'esté.

Je viens d' estre adverty que quatre vaysseaulx du cappi- taine Sores ont de rechef investy ung aultre navyre véni- cien, qui partoit de ce royaulme chargé de draps, et qu'ilz l'oftt prins ; et, encor qu'il ne soit si riche que les pre- miers , il y a néantmoins pour cinquante rail escuz de mer- chandise , oultre l'artillerye et le vaysseau, qui est des meilleurs qui se puissent trouver ; et semble , Sire , qu'il est expédiant que Vostre Majesté se dellibère de pourvoir à ces grandz désordres de la mer , en quoy pourra estre que ceste princesse concourra d'y ayder de son cousté, s'il vous playt que je luy en face instance.

85 - Les depputez , qui vont devers le duc d'Alve , sont par- tys despuys devant hier , et croy qu'ilz passent aujour- duy la mer. J'entendz que , oultre la commission qu'ilz portent ouvertement par escript , il leur en a esté baillé une à part, pour entrer,^ s'ilz peuvent, en ung général accord de toutes choses; et le S*^ Thomas Fiesque, qui m'est venu dire adieu, m'en a touché quelque mot, et qu'il es- père avoir charge de retourner bientost pour cest effect par deçà. Aulcuns pensent qu'il s'y trouvera beaulcoup de difficultez; ce que je croyrois, n'estoit qu'il semble que le Roy d'Espaigne sent si fort la prinse qu'on dict que le rov d'Argel a faicte de la ville de Tunis \ et crainct tant que ce soit ung commancement d'attirer les entreprinses du Turc en ces quartiers là, qu'il sera bien ayse d'accommoder gracieusement ceste querelle qu'il aavecques ceulx cy. Sur ce , €tc. Ce xiv^ jour de mars 4570.

XCVr DEPESCHE

du xix» jour de mars 1570.

{Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Nouvelles de la Rochelle et d'Allemagne. État des affaires du Nord. Succès remporté par les révoltés d'Irlande. Nouvelles de la reine d'Ecosse,

Au Roy. Sire , il n'y a que quatre jours qu ung navyre de la Ro-

* Au commencement de 1570, Aluch-Aly, dey d'Alger, s'empara de Tunis , et chassa de ses Etats Muley Homaidah , dernier roi de Tunis de la dynastie des Hafsides , qui s'était reconnu feudataire de l'Espagne. Les Espagnols , sous la conduite de don Juan , reprirent Tunis , en 1573.

86 chelle est arrivé, dedans lequel sont venuz aulcuns fran- çoys qui ont esté incontinent devers M'^ le cardinal de Cha- tillon à Chin; et luy, à ce que j'entendz, despuys avoir parlé à eulx , a faict démonstration en ceste court, de dé- sirer plus la paix que de l'espérer; et sont arrivez aussi, dans le mesmes vaysseau, sèze allemans qui s'en retour- nent en leur pays assés mal contantz. Cependant le dict sieur cardinal a envoyé solliciter la subvention des esglizes protestantes de ce royaulme, avec grand instance d'avoir promptement celle que les estrangiers ont offerte , de la- quelle il a desjà retiré quelque somme; mais celle des Fla- mens, qui est la plus grande, ne luy est venue entière comme il pensoit, parce qu'ilz l'avoient accordée principal- lement pour le prince d'Orange , en intention qu'il descen- dît en Flandres; dont, voyantz à ceste heure que c'est pour la guerre de France , aulcuns reffuzent de payer, et m'a esté raporté que aus dicts Flamens est venu ung adviz d' Allemai- gne que le dict prince a bien des forces , mais qu'il ne les peult bonnement employer durant la guerre de France , si- non en la Franche Comté , sur le chemyn du secours qui va trouver monsieur l'Admyral , affin de ne s'esloignerles migs des aultres; et m'a l'on asseuré que, le neufvième de ce moys, ung facteur du sir Grassein a esté dépesché en Hem- bourg, pour aller donner ordre aulx deniers, qui doibvent estre payez en AUemaigne sur le crédit des merchans de ceste ville. Ung homme du comte Pallatin est freschement arrivé, et encores, despuys luy, ung capitaine itallien nommé Roc, lequel, quatre moys a, avoit esté dépesché en AUe- maigne, mais je n'ay sceu encores au vray ce qu'ilz ra- portent.

Le comte de Sussex est sur son partement pour aller au

87 North , et les quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx, qu'il doibt mener, sont desjà devant. L'on a tenu plusieurs assemblées de conseil sur sa dépesche , dont bien- tost se pourra entendre quelque chose de ce qu'y aura esté résolu. Il semble que des cinq cens harquebouziers qu'on levoit de nouveau en ceste ville, l'on n'en fornyra encores les navyres, et qu'ilz seront envoyez en Irlande, j'en- tendz que les saulvaiges ont donné une estrette aulx gens de Millord de Sydenay ; mais ceulx cy le tiennent fort caché.

J'ay obtenu enfin de la Royne d'Angleterre de pouvoir envoyer les lettres de Voz Maj estez , que M' de Montlouet m'avoit laissées, à la Royne d'Escoce, par un secrétaire de M"^ l'évesque de Roz qui les luy a dellivrées bien clozes en ses mains , en présence du comte de Cherosbery ; et la dicte Dame a envoyé la response , laquelle est encores devers le secrétaire Cecille, qui ne la dellivrera jusques à ce que le dict sieur évesque de Roz ayt esté ouy et examiné , lequel pour cest effect a esté mené despuys devant hyer à la court, soubz la garde de six serviteurs de l'évesque de Londres; et la dicte Royne d'Escoce a trouvé moyen de me fère tenir en chiffre le petit mémoire cy encloz ', Vostre Majesté verra ce qu'elle continue de vous requérir. Elle se porte bien de sa santé, mais craint bien fort d'estre remise ez mains du comte de Huntinthon ou du visconte de Harifort, desquelz deux elle se craint comme de ses grandz ennemiz. Nous espérons avoir en brief quelque certitude des choses d'Es- coce. Sur ce, etc.

Ce xix^ jour de mars 1570.

< A partir de cette époque, les pièces jointes aux dépêches ont cessé d'être transcrites sur les registres de l'ambassadeur.

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Par postule à la lettre précédente.-

Le comte de Pembrot morut hyer en ceste court ; l'on ne dict en- cores qui sera son successeur en Testât de Grand Mestre , mais cy devant à esté parlé du comte de Betfort.

XCVir DEPESCHE

du xxvu" jour de mars 1 570.

( Envoyée exprès jusques à la court par le S"" de Vassal.)

Détails circonstanciés d'audience. Bonnes dispositions d'ÉlisabetJi en- vers le roi. Explication donnée par l'ambassadeur sur les articles proposés pour la pacification. Nouvelle insistance de la part de la reine pour que sa médiation soit acceptée. Sollicitations faites par l'ambassa- deur en faveur de Marie Stuart. Déclaration d'Elisabeth qu'elle est réso- lue à porter ses armes en Ecosse pour y chercher les révoltés du Nord qui s'y sont réfugiés. Avertissement lui est donné par l'ambassadeur que si les Anglais entraient en Ecosse, le roi considérerait cet acte comme une rupture des traités. Offre qu'il fait de la médiation de la France pour apaiser tous les différends d'Ecosse. Avis secrètement donné par Elisabeth d'une levée d'armes en Allemagne contre la France. Mémoire. Résolutions prises dans le conseil tant à l'égard des troubles du Nord que des affaires d'Ecosse. Nouvelles de ce pays. Mémoire secret. Avis donné par le duc d'Albe au sujet du traité de paix qui se prépare en France. Opinion de l'ambassadeur que la reine d'Angleterre désire sincèrement la pacification. Propositions faites séparément et secrète- ment à l'ambassadeur par Cécil et par Leicester. Avis secret sur le dessein arrêté par le comte d'Arundel et milord de Lomeley de reprendre, même en recourant aux armes, l'exécution de leur projet pour rétablir la religion catholique en Angleterre , et Marie Stuart en Ecosse.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, ceste saincte sepmaine, devers la Royne d'Angleterre pour luy fère veoir que le bon ordre, que Vos- tre Majesté avoit miz de deffandre, pour l'amour d'elle, la publication du discours des troubles de son royaulme im-.

89 primé à Paris , luy debvoit estre ung bien asseuré tesmoi- gnage de vostre droicte intention envers elle , et que , pre- nant par toute asseurance de vous trouver toutjour franc, clair et bien disposé à ne favoriser les entreprinses de ceulx qui vouldroient troubler son estât, qui mesmes ne vouliez souffrir leurs escriptz, que de mesmes elle cessât, et fît ces- ser ses subjectz de ne porter aulcune faveur à ceulx qui trou- bloient le vostre; et qu'au surplus , j'estois bien ayse que ce qu'on luy avoit raporté du serviteur de M"^ Norrys, qu'on l'eust arresté à Amyens, et qu'on luy eust osté les pacquetz de la dicte Dame , ne fût vray, affin de n' estre si offancée de ces deux choses , comme , par le propos de son principal secrétaire, il sembloit qu'elle les print à cueur ; luy récitant les dicts propos en la façon que par mes précé- dantes je les ay mandez ; et que je luy voulois respondre de ma vye pour Voz Très Chrestiennes Maj estez que , despuys la paix, il n'estoit en cella, ny en nulle aultre chose , rien procédé de vostre vouloir et commandement , par vous eussiez jamais prétandu qu'elle deubt estre offancée ; et que, pour mon regard , je serois à trop grand regrect une seulle heure en ce royaulme, après que j'aurois tant soit peu com- mencé de cognoistre que je ne luy seroys plus agréable ; et que je suplieroys très humblement Yostre Majesté d'y en- voyer ung aultre ; mais ne lairroys pourtant de me plain- dre meintennant à elle du tort qu'on avoit naguières faict à ung mien secrétaire, qui portoit vostre pacquet, de luy avoir osté son argent à Douvres , la priant de m'en fère rayson.

Sur lesquelles choses la dicte Dame m'a respondu qu'elle n avoit rien sceu du petit discours imprimé à Paris, parce, àsonadviz, que Gecille ne luy avoit vollu donner l'ennuy

90 de luy en parler , mais ne layssoit pourtant de vous avoir grande obligation de l'avoir deffandu, dont vous en re- mercyoit de bon cueur ; et puysque luy aviez monstre ce bon tesmoignage de vostre droicte intention en ses affères , qu'elle correspondroit de mesmes aulx vostres de ne pour- ter aulcune faveur à ceulx de la Rochelle , ny souffrir que les siens leur eu portassent ; et encor que aulcuns luy in- crèpent le désir qu'elle a à la paix de vostre royaulme, comme ung désir qui admènera la guerre au sien, qu'elle n'en veult rien croyre, ny ne veult cesser de la désirer; qu'elle estoit bien ayse que l'homme de son ambassadeur et ses pacquetz n'eussent esté arrestez, bien qu'il avoitesté unze jours sans qu'on sceût de ses nouvelles; que pour le regard de ma négociation, je ne vollusse aulcunement doubter qu'elle ne luy fat bien fort agréable; et usa de toute l'expression qu'il est possible pour me le donner ainsy àcognoistre; et que j'avois bien veu en quelle peyne elle avoit esté pour mes pacquetz perduz ; dont me feroit fère si bonne rayson meintennant de l'argent de mon secrétaire, que j'en demeureroys contant.

Et , en toutes sortes , sa responce a esté si honneste que, l'en ayant remercyée, j'ay suyvy à luy dire que j'avois d'aultres choses à luy faire entendre, lesquelles je la sup- plioys prendre la peyne elle mesmes de les lyre aulx pro- pres termes que Yostre Majesté me les mandoit, qui estoient si bons que je n'y voullois rien adjouxter, ny rien diminuer ; et ainsy, luy ay monstre celle partie de vostre lettre du in*= du présent, dont vous renvoyé l'extraict, laquelle elle a leue bien fort curieusement; et puys ay adjouxté que vous expliquiez dedans si à clair vostre intention, que je n'avois à y fère aultre office envers elle que de bien recuillyr ce que,

91 pour satisfère à trois choses principallement, il luy plairroit de m'y respondre : la première, quelle opinion elle avoit des honnestes condicions que vous offriez à vos subjectz ; la segonde, quelle ellel'auroit de voz subjectz, s'ilz estoient si durs et si. obstinés de ne les accepter 5 et la troysiesme , si, en ce cas de leur obstiné reffuz , elle non seulement les ex- clurra de sa faveur et de celle de son royaulme, mais si elle ne se unyra pas avec Vostre Majesté pour réprimer leur témérité et le pernicieulx exemple qu'ilz s'esforcent de re- lever au monde contre l'authorité des princes souverains : car, quant à la levée qu'on disoit se fère en AUemaigne pour elle , et aulx deniers qu'on dict encores qui s'y espè- rent et d'aultres qui s'espèrent aussi à la Rochelle d'elle et de son royaulme contre vous, je ne lavouloys suplier, sinon de vous en esclarcyr si bien une foys qu'il ne vous enpeult plus rester aulcun doubte.

La dicte Dame , après m' avoir par beaulcoup de bonnes paroUes et en plusieurs façons donné à cognoistre qu'elle avoit ung très gTand contanteraent de ceste confiance, que vous monstriez avoir d'elle sur la paciffication de vostre royaulme, m'a respondu qu'elle vouloit très fermement croyre que le contenu ez articles, que je luy avois dernière- ment monstrez, estoit proprement ce que vostre Majesté avoit intention d'accorder et meintenir de bonne foy à ses subjectz pour parvenir aune bonne paciffication, et qu'elle me diroit de rechef le mesmes qu'allors, que, si eulx de leur costé ne monstroient rayson suffizante pourquoy ilz ne puys- sent avec cella vivre soubz vostre authorité , leur conscience saulve, et leurs vyes asseurées, que non seulement elle ne les vouldra favoriser, ains les réputera pour traistres et re- belles, dignes d'estre chassez de ♦out le monde; et que si ,

- 92 - pour entendre à quoy îlz se pourroient arrester, il vous playsoit luy donner congé qu'elle s'en meslât, qu'elle y pro- cèderoit avec aultant de considération de l'authorité qui vous est deuhe sur voz subjectz , comme s'il estoit ques- tion de saulver la sienne sur les siens ; et que si , par voz lettres, je cognoissoys que vous l'eussiez agréable, qu'elle s'y employeroit tout incontment.

Je luy ay respondu que je ne pouvois ny voulois m'ad- vancer à rien de plus que ce qu'elle venoit de lyre; car n'en avois aultre commandement, dont tornasmes relyre le dict extret de la lettre mot à mot; puys, me pria que je vous voUusse asseurer de la continuation de sa bonne voUonté et grande affection à la paix de vostre royaulme , et que s'il vous playsoit qu'elle s'en meslât, qu'elle envoyeroit devers Vostre Majesté , ou bien il seroit besoing , ung per- sonnaige de cpialité correspondante à ung si grand négoce, comme elle estime cestuy cy, pour y besoigner , ainsy que vous adviseriez , ou bien tretteroit icy avec IVP le cardinal de Chatillon ; lequel elle cognoissoit très désireux de la paix, et l'avoit toutjours cogneu très respectueulx à Voz Très Chrestiennes Majestez; et qu'elle estimoit qu'il ne vous pourroit revenir qu'à honneur, comme elle mettroit bien peyne qu'il vous revînt à proffict, qu'elle s'employât envers ceulx de sa religion à les exorter qu'ilz se veuillent contan- ter des offres de leur prince et seigneur, ou bien de suplier Vostre Majesté d'eslargir ung peu sa grâce envers eulx; et qu'elle sçayt bien que le différer en cecy sera pour vous rendre en brief la dicte paciffication beaucoup plus malaysée, encor qu'elle peultbien asseurer que, en AUemaigne, ny à la Rochelle , il n'est allé , ny yra rien , de sa part , qui soit contre Vostre Majesté.

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Je luy ay grandement loué ceste sienne bonne intention, avec promesse de la vous fère bien entendre, et qu'elle se pouvoit asseurer que la paix de France seroit la paix d'Angleterre; et que, si l'occasion de ceste guerre, la- quelle faisoit toutjour mal passer quelque chose entre voz deux roy animes et voz communs subjectz, estoit ostée; et que d'ailleurs elle voUût donner quelque accommode- ment aulx affères de la Royne d'Escoce, elle se pouvoit asseurer que nul prince ny princesse de la terre n'auroit son règne plus estably ny reposé que seroit le sien ; et que Vostre Majesté avoit acepté l'offre qu'elle faisoit de vou- loir entendre à quelque bon expédiant entre elles deux, si vous le leur métiez en avant ; que vous aviez estimé , si les propres offres de la Royne d'Escoce ne luy sembloient suffizantes , que c' estoit à elle d'en adviser de plus gran- des, et que, si elles n'estoient par trop disraysonnables, vous croyés fermement, que la dicte Dame les accorderoit, et c[ue vous , comme son principal allié , non seulement les confirmeriez, mais métriez peyne de les luy fère accomplyr.

Elle a répliqué que la Royne d'Escoce n'avoit jamais parlé que en général , et qu'il failloit venir aulx choses particuUières , dont, s'il luy en estoit miz en avant quel- ques unes , que pour l'honneur de Vostre Majesté elle les suyvroit ; ayant néantmoins à se pleindre encores de nou- veau de la dicte Royne d'Escoce, qu'estant, ainsy qu'elle est , entre ses mains , elle n'avoit toutesfoys layssé , par ceulx qui tiennent son party en Escoce , de fère retirer ses fuytifz ; et que , en toutes sortes , elle estoit résolue de chastier et poursuyvre ses dicts fuytifz, et ceulx qui les soubstiennent , me signiffiant aulcunement qu'elle entre- prendroit de fère entrer des forces dans le pays.

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Je luy ay respondu qu'elle advisât de ne contrevenir aulx trettez, et que, s'il luy plaisoit de mettre en liberté l'é- vesque de Roz , luy et moy adviserions de luy ouvrir des moyens pour esteindre toutz ces différantz d'entre elles deux et leurs deux royaulmes.

« 11 n'est pas , dict elle , tant prisonnier qu'il ne puysse tretter par lettres avecques sa Mestresse , et n'est retenu que pro forma pour quelque démonstration contre la pra- tique qu'il a meue avec ceulx du North 5 mais bientost il sera en liberté. » Et ainsy gracieusement s'est achevée ceste audience, laquelle je vous ay bien vollu amsy au long réciter, Sire, affin que l'intention de la dicte Dame vous soit mieulx cogneue, et remectz les aultres choses au S'^de Vassal, présent porteur, auquel je vous suppHe très humblement donner foy : et sur ce , etc. Ce xxvii" jour de mars 1570.

A LA ROYNE.

€l)tffre. [Madame, je n'ay peu contanter l'homme, duquel je vous ay naguière escript par mon secrétaire , de la responce que mon dict secrétaire m'a raportée, bien que je la lui aye baillée en la façon que ce mien gentilhomme vous dira; par lequel il vous plairra. Madame, me mander comment je l'en debvray résouldre , car il me presse bien fort de le fère, et si, a des considérations telles qu'il ne peult penser que ne le debviez accepter. Au reste , Ma- dame, la Royne d'Angleterre, pour me tenir la promesse qu'elle m'avoit faicte de m'advertyr des choses qu'elle en- tendroit se fère en Allemaigne contre Voz Majestez, m'a dict que , dans trois sepmaines , ceulx de la religion doib-

95 vent envoyer gens exprès devers les princes protestans pour résouldre l'entreprinse de France, si la paix ne sort à elTect; et que pourtant elle seroit bien ayse de pouvoir ayder à la conclurre bientost; de quoy je vous ay bien voUu fère ce mot et le vous escripre ainsy à part , parce que la dicte Dame m'a dict qu'elle m'en advertissoit soubz sacrement de confession , en ce temps de caresme , afïin que je ne la nommasse pas ; car, si les aultres se plai- gnoient qu'elle m'eust donné cest adviz , elle serait con- traincte de dire qu'elle ne m'en avoit point parlé ; et bien que ce ne soit ung faict de grand importance , je ne voul- drois toutesfoys l'avoir mise en peyne de me désadvouher.] Sur ce, etc.

Ce XXVII® jour de mars i570.

Odltre les susdictes lettres, le dict S' de Vassal pourra dire à Leurs Maj estez :

Qu'il a esté naguières renionstré à la Royne d'Angleterre qu'elle et son royaulme estoient pour tumber en ung prochain inconvéniant , pour la multitude des difficultez , es quelles elle se trouvoit em- broillée avecques le Roy, avecques le Roy d'Espaigne, avecques la Royne d'Escoce, avec les Irlandoys, et avec les naturelz de ce royaulme , qui sont prisonniers , fuytifz , ou mal contantz , si elle s'opinyastroit de les vouloir toutes en ung temps surmonter par la force ou par la despence ; dont , induicte par le conseil des plus modérez d'auprès d'elle, avoit advisé d'y procéder par les gracieux expédians qui s'ensuyvent :

En premier lieu , pour le regard du Roy, que, pour effacer la mé- moire des choses qui pourroient avoir mal passé contre luy du costé de ce royaulme , despuys ses derniers troubles, elle s'employeroit tout ouvertement de luy procurer une paix tant advantaigeuse et honiiorable avecques ses subjectz , qu'elle le se randroit bienveuil- lant , et luy offriroit au reste quelque honneste accommodement ez affèresde la Royne d'Escoce; dont , par ces deux poinctz, elle se con- serveroit la paix avecques luy ;

Que, du coslé du Roy d'Espaigne, elle envoyeroit des depputez en

96 Flandres _, ainsi qu'on luy en faisoit encores lors grande instance, afiîn d'accorder les différans desprinses, et que ces mesmes deppu- tez essayeroient d'entrer plus avant en matière pour voir s'ilz pour- roient parvenir à ung général accord de toutes aultres choses.

Au regard de la Royne d'Escoce, qu'elle luy escriproit une bonne lettre , et que , jouxte ce qu'elle m'avoit naguières promis, elle l'ex- orteroit de mettre en avant quelques bons et honnestes expédians entre elles deux, et luy promettroit d'y entendre et les recepvoir de bon cueur.

Quant aulx choses d'Irlande et de ce royaulme, qu'elle rapelleroit gracieusement aulcuns des seigneurs qui sont les moins offancez , et par le moyen de ceulx , elle essayeroit de radoulcyr les aultres et les remettre en leurs degrez et estatz ; et puys , avec l'unyon et con- formité de leurs bons conseilz , et de leur ayde , elle pourroit aysée- ment remettre les choses en ung paysible et bien asseuré estât ; dont luy fut sur ce proposé une forme de rémission pour les fuytifz, et la comtesse de Vuesmerland s'aprocha en ceste ville pour poursuyvre le rapel de son mary.

Suyvant laquelle dellibération , parce que ceulx qui vouldroient le trouble n'eurent de quoy suffizamment la débattre, aulcunes des dictes choses ont esté despuys commencées _, aultres ont esté en aparance accomplyes , mais nulles n'ont sorty à bon etfect ; ains les ont ces gens tornées en aultre et quasi contraire sens de ce qu'on es- péroit.

Car, touchant la paix de France, estant la dicte Dame sur le poinct d'envoyer ung personnaige de grande qualité devers le Roy pour ayder à la conclurre, ilz ne luy ont pas ozé oster ce sien honneste désir, parce qu'ilz ont pensé que la dicte paix se pourroit conclurre de deçà comme dellà , et possible à leur dommaige ; mais ilz luy ont bien persuadé, qu'ayant la dicte Dame esté mal ouye, la première foys qu'elle s'est offerte d'en parler, qu'elle debvoit meintennant at- tendre que le Roy l'en pryàt , ce qui se raporte au propos qu'elle m'en a tenu en ceste audience.

Et des choses de Flandres , ilz luy ont persuadé de deffandre aulx deppulez, qui alloient par dellà , de ne s'ingérer à rien davantaige qu'au simple faict, duquel la dicte Dame estoit maintennant recer- chée , qui estoit des merchandises ; aultrement ce seroit faire amande honnorable au duc d'Alve ; et que pourtant leur commission debvoit estre leue i)ublicquement en présence du S-^ Thomas de Fiesque ; et à icelle adjouxté la restriction de ne parler ny tretter d'aultre chose

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que des merchandises d'Angleterre , et de pouvoir simplement accorder que personnaiges de semblable qualité puissent venir par deçà pour tretter de celles d'Espaigne, ce qui a esté ainsy faict.

Et pour l'importance des affères d'Escoce, affin (|ue la dicte Dame ne s'obligeât trop par ses lettres à la Royne d'Escoce sa cousine, le secrétaire Cecille les a escriptes et a contrefaict la main de sa Mes- tresse, avec plusieurs parolles de consolation et de commémoration des bénéfices passez , mais tellement couchées qu'on ne peut com- prendre où va son intention ; toutesfoys la Royne d'Escoce ne laysse d'y respondre.

Quant à radoulcyr et rappeller les seigneurs mal contantz, l'on a, à la vérité, miz en plus grande mais non en entière liberté millord de Lomellé; et le comte d'Arondel, qui estoit,plus de six sepraaines a, sur le poinct d'estre rappelé , demeure encores confiné en sa may- son de Noncich, et n'y a nulle apparance de la liberté du duc. Par ainsy la noblesse reste aussi mal satisfaicte que auparavant, et le comte de Pembroc, qui estoit ung médiateur en celia , est naguières trespassé.

Or, sur la grande instance que le sir Randolf , despuys qu'il est en Escoce , a touljours faicte à la dicte Dame , de vouloir, par les meil- leurs et plus promptz moyens qu'elle pourroit, assister ces seigneurs de dellà, qui veulent dépendre d'elle, lesquelz, pour establyr l'au- thorité du petit prince , et oster celle de la Royne d'Escoce , deman- dent avoir le comte de Lenoz pour régent, ou aultrement, que la part de la Royne d'Escoce va prévaloir dans le pays ; la matière en a esté avec grande contention débattue entre ceulx de ce conseil, qui enfin ont miz en considération que le dict comte de Lenoz estoit suspect de la religion catholique, et qu'il n'estoit de suffisance ny d''expériance pour conduyre, à l'intention de la dicte Dame , les grandz affères qui se présentent meintenant en Escoce ; ains seroit pour y aporter plus de retardement que d'advancement : par ainsy, ont résolu qu'on se déporteroit de plus luy pourchasser la charge ny la régence du dict pays, et que , estant le comte de Sussex desjà dé- pesché, avec tout ample pouvoir, au pays du North, il luy seroit en- cores commis cest alîère d'Escoce, car c'estoit tout vers ung mesmes quartier.

Dont, à sa commission des choses du dict pays du North, laquelle porioit de marcher seulement jusques à la frontière d'Escoce, avec quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx 5 et de faire pro- céder au jugement des coulpables de la première ellévation et exécu- ter les condampnez , et poursuy vre par deffault les absentz , confls- m. 7

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quer leurs biens et prendre possession d'iceulx au nora de la dicte Dame , et en vendre ce qu'il pourroit ; a esté adjouxté" qu'il pourra lever jusques à dix mil hommes , et qu'il procédera aulx affères d'Escoce tant contre les rebelles qui s'y sont retirez que au faict de Testât; qu'il marchera en pays , s'il est besoing, et ainsy que l'oc- casion s'en présentera; et qu'il pourvoirra surtout que nulz Fran- çoys ny Espaignolz , ny aultres estrangiers preignent pied par dellà ; et, pour cest effect , ordonné luy estre forny contant xx mil tf d'esterlin , c'est lxvh mil trois centz escuz , et que , dans six sep- maines, il luy en sera envoyé aultant. Despuys, la dicte Dame m'a résoluement déclaré qu'elle envoyera poursuyvre et chastier ses fuytifz et ceulx qui les soubstiennent, jusques dansl'Escoce.

L'on faict aller fort secrètes et fort déguysées les nouvelles qui viennent du dict pays d'Escoce ; néantmoins l'on m'a dict que le duc de Chastellerault , et les comtes d'Arguil , d'Honteley, d'Atil et toutz les principaulx du pays estoientà l'Islebourg au commencement de mars , et les comtes de Northomberland, de Vuesmerland et aul- tres fuytifz d'Angleterre avec eulx ; qu'ilz estoient après à tenir ime assemblée d'Estatz , remise du mj= au x= du dict moys , pour regar- der à ce qu'ilz auroient à fère pour la restitution de leur Royne; que cependant ilz avoient faict proclamer par tout le pays l'authorité de la dicte Dame ; que , parce que le comte de Mar faisoit difficulté de se joindre à eulx , ilz avoient proposé de marcher en armes vers Esterlin pour le dessaysir du gouvernement du petit prince; que despuys il s'estoit rallye avecques eulx ; qu'on ne sçavoit qu'estoit devenu le comte de Morthon , et sembloit qu'il se fût retiré en An- gleterre; que quelques navyres, avec gens de guerre, avoient ap- paru au North d'Escoce , dont aulcuiis disoient que c'estoit le se- cours de Flandres , que le frère du comte d'Honteley admenoit, les aultres disoient que c'estoit le comte de Bodouel qui venoit de Dane- marc, avec quelques gens qu'il avolt ramassez.

Seconde instruction a part au dict sieur de Vassal.

L'ambassadeur d'Espaigne m'a dict, despuys huict jours, que le duc d'Alve luy avoit escript deux notables considérations qu'il avoit mandées au Roy par le mesmes gentilhomme, que Sa Majesté luy avoit expressément dépesché pour avoir son conseil sur la paix de son royaulme ; la première , que d'octroyer liberté de conscience ou cxercisse de religion à ses subjectz, de tant que c'estoit pure matière

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éclésiastique , il ne s'en debvoit entremettre aulcunement , ains le remettre du tout au Pape ; la seconde , que de pardonner aulx elle- vez , il le trouvoit bon , pour le désir qu'il avoit à la paix de France, si cella en estoit le moyen , mais en lieu d'establyr ses affères , ce seroient eulx qui les establyroient et se fortiffieroient par la dicte paix , et guetteroient le temps de reprendre les armes à leur ad- vantaige , lorsqu'ilz cuyderont mieux emporter la couronne ; par ainsy qu'il estoit nécessaire qu'il y mît meintennant une entière fin :

Que le dict ambassadeur trouvoit ce conseil fort prudent, et que le Roy, suyvant icelluy, se debvoit résouldre à la guerre , non de donner souvant des batailles , car c'estoit trop bazarder Testât , mais de myner les ennemys à la longue, et qu'aussi bien la paix n'estoil près d'estre faicle , parce qu'ung de ses amys de ce conseil l'a voit adverty que la Royne d'Angleterre avoit promiz au cardinal de Chatillon de secourir l'Admyral, son frère, dedeuxcentz mil escuz; et que le dict cardinal luy avoit obligé sa foy, et celle de son dict frère, qu'ilz ne permetlroient qu'en nulles conditions la dicte paix se conclûd.

Je luy ay respondu , quant au premier, que le duc d'Alve estoit ung si prudent et si entier et modéré seigneur qu'il ne faudroit de conformer toutjours ses adviz sur les affères de France à celluy de Leurs Majestez Très Chrestiennes , et des saiges seigneurs de leur sang, et de leur conseil, qui les entendoient très bien et sçavoient comme il les failloit manyer, et qui auroient toutjours le soing qu'il ne s'y fit , pour paix ny pour guerre , rien qui ne fût sellon Dieu, à l'honneur du Roy et repos de la Chrestienté :

Et quant à l'aultre , de l'obligation du cardinal à la Royne d'An- gleterre, que je le prioys de vériffier davantaige ce qu'on luy en avoit dict , et , et commant se feroit le payement des deux centz mil escuz.

Mais voulant, de ma part, descouvrir si cella estoit vray, car, quant à la promesse des deniers, j'en avois desjà quelque adviz, mais non de ceste obligation du cardinal , ny d'une si malle volonté de ceste Royne, j'ay, par une interposée personne , faict toucher la matière au comte de Lestre et au secrétaire Cecille, desquelz deux se com- prend toute l'intention de la dicte Dame , et l'ung et l'aultre ont monstre que eulx et leur Mestresse desiroient la paix ; dont , oultre la conjecture des propos, que je sçay qu'ilz en ont tenu à celluy par qui je les ay faictz sonder et à d'aultres , voycy ceulx que Cecille a dictz à ung mien gentilhomme tout exprès pour me les raporler :

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Que , par les adviz de M' Norrys et par auUres conjecturés, il cognoissoit que la paix demeuroit d'estre faicte en France, parce que le Roy n'y vouloit permettre l'exercisse de la religion, et que ceulx de la Rochelle ne combattoient ny pour terres, ny pour empyres, ny pour aultre chose quelconque que pour cella ; dont il s'advanceroit de dire un mot, que possible l'on ne l'estimeroitsage de me l'avoir mandé, que, s'il plaisoit au Roy leur ottroyer le dict exercisse en leurs maysons, il pensoit fermement qu'il conclurroit quant au reste la paix, tout ainsy qu'il la vouldroit; et que, s'il avoit agréable que la Royne, sa Mestresse, s'y employât, laquelle y pouvoit possible aultant que prince ny princesse de la terre, qu'elle le feroit aultant à l'honneur et ad- vantaige de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et à la tranquillité de lein* royaulme , comme sic'estoit pour elle mesmes.

Le comte de Lestre , par ung gentilhomme italien catholique , qui est commun amy entre luy et moy, m'a mandé que la dicte Dame estoit bien disposée à la dicte paix , et qu'il estoit d'adviz que, comme de moy mesmes, je l'en misse en propos, la première foys que je parle- roys à elle, pour l'exorter de tenir la main à ce qu'on la piit conclurre à l'advantaige du Roy, et que les subjectz eussent à se contenter de ce que leur prince leur pourroit, avec son honneur, ottroyer, sans en vouloir tirer davantaige par la force ; et que je luy remonstrasse que la paix de France seroit la paix d'Angleterre, voyre de toute la Chrestienté, et luy toucher à ce propos le restabUssement de la Royne d'Ëscoce ; et comme, par l'accomplissement de ces deux choses, si elle s'y vouloit bien employer, elle pourroit régner très paysiblement en son royaulme :

Que, de sa part, il y tiendroit la main, comme très obligé de dési- rer le bien du Roy et de son royaulme, et que , touchant la dicte paix, il sçavoit que le cardinal de Chatillon y avoit une extrême af- fection, et que la noblesse de ce royaulme la desiroit, et desiroit tout ensemble l'accommodement des affères de la Royne d'Escoce, comme deux choses d'où dépendoit le repos et la seurté de leur Royne et de son royaulme ; et que Cecille, pour estre ennemy conjuré delà Royne d'Escoce, et pour la frustrer de la légitime succession qu'elle pré- tend à ce royaulme, alBn d'y establyr ung roy de sa main , et ellever ceulx de Erfort à la couronne, lesquelz il nourryt en ceste espérance, comme ses pupilles, en sa mayson , empeschoit que la dicte Dame ne peult bi€n user de sa bonne intention en nulle de ces deux choses, la tenant comme enchantée sur Téguillon de la jalouzie, qu'il luy propose toutjours de la dicte Royne d'Escoce.

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Mais, qu'après que j'en auroys encores une loys parlé à la Royiic, sa Mestresse, si elle venoit à luy en toucher ung seul mot, il s'ingère- roit de luy représanter franchement le dehvoir à quoy, l'honneur, la foy et la conscience la tiènent obligée envers le Roy et envers la Royne d'Escoce pour l'entretennement destrettez; et comme, en leur satisfaisant en ce qui seroit de rayson, et s'asseurant par ce moyen de la paix de France et d'Escoce, elle demeureroit très asseu- rée et establye contre les dangiers etentreprinses de toutes les aultres partz du monde ; et , au contraire , si , pour ne se porter bien envers le Roy sur ceste paix, ny envers la Royne d'Escoce sur sa restitution, elle venoit à tumber en guerre de ces deux costez , à ceste heure qu'elle ne sçavoit comme elle estoit avec le Roy d'Espaigne , et que ses subjectz estoient divisez , dont possible une partie seroit contre elle, il est sans doute qu'elle seroit en ung très grand dangier.

Et ne craindroit de luy remonstrer que, nonobstant le mal qu'elle pouvoit vouloir au cardinal de Lorrayne, elle avoit à considérer qu'il estoit d'une mayson grande, et de nouveau plusallyée que ja- mais à celle de France, et qu'en estant yssue la Royne d'Escoce de par sa mère , monsieur et madame de Lorrayne ne permettroient qu'elle fût habandonnée du Roy, oultre les aultres notoires obliga- tions d'entre les couronnes de France et d'Escoce :

Qu'il n'eust tant tardé de remonstrer cecy à sa Mestresse , sans ce que Cecille le guettoit pour le désarçonner, ainsy qu'il avoit désarçonné les aultres principaulx du conseil , par prétexte de la Royne d'Escoce ; et qu'il tenoit ceulx qui y estoient de reste encores toutz bandez contre luy, ne se souscyant de hasarder sa Mestresse, son estât et toutes aultres choses , pour establyr la fortune des dicts de Erfort, et qu'ayant luy à suyvre celle de sa Mestresse, il luy vouloit remonstrer le dangier elle estoit, encore qu'il en deubt estre ruyné.

Despuys, trouvant que l'intention du Roy estoit conforme à celle du dict comte, j'ay parlé à la Royne d'Angleterre en la forme que je le mande à Sa Majesté, et le dict comte monstre à présent d'estre si affectionné à la matière qu'il désire fère luy mesmes le voyage devers le Roy avec grand opinion, voyre asseurance, qu'il ne s'en retournera sans que la paix soit conclue 5 sans que les affères de la Royne d'Escoce soyent accommodez; et sans que l'amytié d'entre le Roy et sa Mestresse soit bien esiroictcraent conflrmée.

Ainsy, par les propos de ces deux, se peult conjecturer la division qui est entre ceulx de ce conseil, et comme, en ce qui concerne la

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France, encor que toutz monslrent d'y désirer la paix et de vouloir que leur Mestresse s'y employé de si bonne façon que le Roy luy en sache gré , c'est néantmoins diversement ; car Cecille et les siens ne veulent qu'il se parle des affères de la Royne d'Escoce, et le dict comte et ceulx de son party désirent qu'ilz soient par mesmes moyen accommodez, dont, pour avoir quelcun qui luy fasse espaule au dict conseil pour fortiffier son opinion, il est fort après à solliciter le re- tour du comte d'Arondel, qui n'est amy du dict Cecille, et tout contraire à ceulx de Erfort.

€l)tffrc. [ Et à propos du dict comte d'Arondel , luy et millord de Lomellé m'ont envoyé remercyer de mes bons offices et démonstra- tions envers eulx , et que , si les choses ne prennent icy meilleur trein pour eulx , ilz sont pour accepter la faveur du Roy à se reti- rer soubs sa protection en France, et le dict de Lomellé y mener sa femme ;

Que, pour le présent , il faut qu'ilz a^tandent veoir que devien- dront les promesses de leurs amys, et leurs moyens et espérances de eourt; car l'on leur a mandé qu'ilz sont sur le poinct d'estre rappe- lez en leur auctorité accoustumé, laquelle s'ilz ont une foys reprinse, ilz jurent de ne s'en laysser plus déposséder et de la retenir, ou par leur droict , ou par la force , contre quiconque leur y vouldra fère tort ;

Et, si ce paysible moyen d'y retourner ne leur succède dans peu de jours, qu'ilz en essayeront quelque aultre plus viollent, car dési- rent , comment que soit, pourvoir aulx désordres de ce royaulme, et au faict de la Royne d'Escoce, et aulx affères du duc de Norfolc, et encores plus expressément s'ilz peuvent, quant ilz en auront le moyen, au restablissement de la religion catholique ; pour lesquelles quatre choses ilz veulent tout hazarder.

Et disent que l'importance de cecy gyt principalement en deux poinctz ; l'ung est que le dict duc veuille bien employer les moyens, qu'il a dans ce royaulme, pour se mettre en liberté, pour fère pren- dre les armes à ceulx de son party, et pour empescher au conseil les dellibérations de ses adversayres :

L'aultre poinct, que ceulx du Norlh, qiii se sont retirés en Escoce, soyent secouruz; car est sans doubte, s'ilz se peuvent remettre en campaigne , et marcher en çà , que ceulx de leur intelligence se dé- claireront et les repcevront avecques faveur aux meilleurs endroictz d'Angleterre, et se joindront à eulx en grand nombre ;

Et que le bon succez de toutes choses deppend de ce dernier,

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sans lequel il semble que le premier ne sera essayé , non que miz à exécution ; car le dict duc de Norfolc ne veult rien mouvoir de luy mesmes de peur d'empyrer sa cause. ]

XCVlir DEPESCHE

du dernier jour de mars 1570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par le nepveu du S"" Acerbo. )

Modération des mesures adoptées par la reine d'Angleterre. Mise en liberté du comte d'Arundel, qui est reçu en grâce par Elisabeth. Promesse faite à l'évéque de Ross que sa détention va cesser. Préparatifs d'une expédition qui doit être dirigée vers le Nord. Nouvelles d'Ecosse.

Au Roy.

Sire , les dernières lettres que je vous ay escriptes et l'instruction que j'ay baillée au S*" de Vassal, qui les vous a aportées , vous auront donné assés ample notice de ce qui estoit advenu de plus principal en ce royaulme , jusques à la datte d'icelles , laquelle est du lendemain de Pasques. Meintennant j'ay à dire à Vostre Majesté que les festes se sont passées bien paysiblement en ceste court, sans qu'il y soit survenu aulcune chose de nouveau , par ceste lloyne et les siens ayent monstre d'en estre esmeuz davantaige ; et toute expédition d'affères a cessé , s'estans la pluspart des seigneurs de ce conseil absentez en leurs maysons pour y fère la solempnité; et a l'on espéré que les choses, desquelles l'on craignoit debvoir le plus advenir de mou- vement en ce royaulme , comme sont celles de ces sei- gneurs mal contantz, celles de la Royne d'Escoce et celles de la religion , seroient bientost réduictes à quelque mo-

104 dération , ayant la dicte Dame faict une soubdaine faveur au comte d'Arondel de l'admettre à luy venir bayser les mains , le jour du Jeudy sainct, avec une gracieuse satisfac- tion de ce qu'elle luy avoit faict sentyr son courroux sur le faict du mariage du duc de Norfolc aveccpies la Rope d'Es- coce , parce qu'on l' avoit asseurée que c'estoit luy qui en estoitl'autheur : de quoy il s'est excusé, et qu'il n' avoit esté que en la compaignie de ceulx qui en avoient parlé comme de chose qu'ilz estimoient convenable au service d'elle, et au bien et repoz de son royaulme , et en laquelle ilz n'a- voient jamais entendu qu'on y deubt procéder, sinon avec son bon congé et consentement ; et que , de sa part , il ne seroit jamais trouvé aultre que son très fidelle subject et très loyal à sa couronne. Et ainsy luy ayant dès lors randue sa pleyne liberté, il s'en retourna pour quelques jours en sa mayson de Noncich , avec promesse de revenir en brief trouver la dicte Dame pour résider près d'elle , autant qu'il luy plairoit le commander; et à l'évesque de Roz fut donnée paroUe qu'il seroit eslargy dans trois jours , mais despuys luy fut mandé que par ung mesmes moyen, après les festes, la dicte Dame le feroit mettre en liberté , et luy permettroit de venir tretter avec elle des affères de sa Mestresse ; et aulx Catholiques n'a esté usé d'aulcune rigueur ny recer- che à ces Pasques ; mais aulcuns pensent que toute ceste gracieuse démonstration se faict pour gaigner le temps , et pour amortyr les entreprinses qu'on crainct devoir estre cest esté.

Aultres ont opinion que , à bon escient , l'on veult ac- commoder les affères , et plustost plyer ung peu que venir au dangier de rompre, dont le temps nous fera veoir ce qui en sera ; tant y a que le comte de Sussex marche toutjours

^05 vers le North , avec quatre rail hommes de pied et douze centz chevaulx, et que l'admyral Clinton est après à lever encores ( à ce qu'on dict ) des gens de pied et de cheval vers son pays de Linconscher pour s'aller joindre à luy ; et a l'on tiré , ces jours passez , de la Tour trente chariotz d'armes et de monitions, et créé des cappitaines de pion- nyers pour leur envoyer; ce qui donne à penser, avec d'aul- tres adviz précédans, qu'on a intention de dresser camp, et d'entrer en Escoce; vray est que la sayson ne semble propre pour commencer encores ceste guerre, jusques à la fin d'aoust , car jusques alors ne se trouvera vivres au dict paysMu North ny en toute la frontière d' Escoce.

L'on continue de dire que les seigneurs Escouçoys font aller toutes choses dans leur pays à l'advantaige de la Royne , leur M estresse , et qu'ilz ont faict proclamer son auctorité, et qu'il ne reste des grands du royaulme que qua- tre que toutz ne soyent pour elle. L'on dict qu'ilz ont en- cores remiz jusques au premier jour de may la tenue de leurs Estatz. Sur ce, etc.

Ce xxxi^ jour de mars 1570.

100

XCIX' DÉPESCHE

du une jour d'apvril 1 570.

( Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Cambernon. )

Retour du comte d'Arundel à la cour. Prolongation de la captivité de l'é- vêque de Ross. Affaires d'Ecosse. Bon accueil fait par le duc d'Albe aux députés d'Angleterre. Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, retournans après ces festes les seigneurs de ce con- seil en ceste court , le comte d'Arondel y est arrivé des premiers , auquel la Royne sa Mestresse a faict beaulcoup de faveur, monstrant prendre toute confiance de luy ; dont semble qu'il ne reffuzera de se laysser introduyre de rechef aulx affères, mais ce sera possible plus pour servyr à la li- berté du duc de Norfolc , son beau filz , et aulx affères de la Royne d'Escoce, ausquelz il a toutjour porté bonne af- fection, que pour ambicion qu'il ayt; car le présent ma- nyement de Testât ne semble aller aulcunement sellon qu'il le vouldroit.

Je suysbien marry qu'en leurs premières dellibérations, iceulx seigneurs du conseil , après leur dict retour , ayent changé ce qu'ilz avoient auparavant ordonné pour l'éves- que de Roz, de luy donner sa liberté incontinent après Pas- ques, et qu'il seroit admiz à parler à la Royne leur Mestresse ; meintennant on luy faict dire qu'il ayt encores pa- cience , et qu'elle n'est bien résolue quant, ny commant, elle la luy pourra donner. Il semble que le sir Randolf ayt donné adviz à la dicte Dame que ceulx , qui ont relevé le

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party du comte de Mora en Escoce , ont desjà dépesché l'abbé de Domfermelin et NicoUas Elphiston pour venir tretter, avecques elle et avec les seigneurs de son conseil, de toutes choses de dellà ; et que possible elle y veult avoir pourveu , premier que d'eslargyr le dict sieur évesque , de peur qu'il ne luy traverse ses desseings. Et de ce , Sire , que je vous avois cy devant mandé, que le voyage du comte de Lenoz estoit interrompu, les dicts du conseil ont changé d'opinion à cause d'une lettre que les comtes de Mar et de Glencarve , et les lordz Lendzay, Semple , Ruthunen et Drunquhassil ont escripte au dict de Lenoz , qu'il veuille venir en dilligence prendre la régence du pays , affin de conserver l'authorité au jeune prince son petit filz, ethas- ter le secours que la Royne d'Angleterre leur a promiz ; de tant mesmement que les fuytifz de son royaulme non seulement se sont joinctz aulx Amelthons en faveur de la Royne d' Escoce, mais pubUent aussi qu'ilz n'attendent, d'heure en heure , que l'arrivée du renfort qui leur doibt venir de France et de Flandres. Sur quoi , de tant que iceulx du conseil ont senty que le comte de Morthon , du- quel ilz espéroient beaucoup, n' estoit bien vollu ny de la noblesse ny du peuple d' Escoce , et que mesmes il n' estoit soubsigné en la dicte lettre avec les aultres , ce qui mons- troit de n'estre bien d'accord avec eulx, par ainsy qu'ilz ne pouvoient fère aulcun bon fondement sur luy , ilz ont ad- visé de laysser aller, plus par nécessité que par ellection, le dict de Lenoz par dellà ; réservant néantmoins la charge principalle du tout au comte de Sussex , et ne fornyssant à icelluy de Lenoz que , comme pour fère le voyage , en- vyron trois mil cinq centz escuz. Vray est que la comtesse, sa femme , a engaigé ses bagues et sa vaysselle d'argent

108 pour luy fère plus grand somme; et cependant l'on a dé- pesché, coup sur coup , force courriers devers le comte de Sussex, ne sçay encores à quelles fins ; car le bruyt est que les frontières ne sont plus tant pressées comme elles es- toient par les fuytifz; mais je pense que c'est pour le has- ter vers l'Escoce, me confirmant toutjour en l'opinion qu'ilz le feront entrer dans le pays avecques forces , et mesmes que , pour pourvoir à la faulte des vivres qu'on pourroit avoir par dellà , j'entendz qu'on faict grand provision de farines, partout icy autour, pour les y envoyer par mer : ce que je mettray peyne de vériffier, et de vous donner de cella, et d'aultres choses, ung plus exprès et un plus cer- tain adviz par mes premières. Je ne cesse cependant de fère, aunomdeVoz Majestez Très Chrestiennes, toutz les meilleurs et plus exprès offices que je puys pour les affères de la dicte Royne d'Escoce, mais je ne sçay que espérer d'iceulx en un si grand changement et variation, comme l'on m'y use ordinairement, sinon que je croy qu'ilz se ran- geront enfin d'eulx mesmes, ou qu'ilz ruyneront ceulx qui les vouldront ruyner.

Icy court ung bruyt que le duc d' Alve a vingt six grands navyres prestz à mettre sur mer, avec nombre d'hommes de guerre , et de monitions, mais ne se dict à quel elTect ; néantmoins, cella met ceulx cy en assés de souspeçon , les- quelz ne layssent pourtant de solliciter par leurs depputez l'accord des différans des Pays Bas ; et leur a fort pieu que le duc d'Alve les ayt ainsi bien receuz comme il a faict avec grand faveur ; et que, à Bruges et en Envers ilz ont passé, l'on les ayt caressez et trettez en amys; et que les officiers les ayent visitez et leur ayent envoyé présens ; et que desjà le dict duc ayt depputé personnaigc de sa part pour

i09 tretter avec eulx; dont s'espère qu'ilz s'accommoderont, comme , à la vérité , pour avoir les ungs et les aultres entendre assés en d' aultres choses , il semblé que tant plus vollontiers ilz vouldront sortyr de celles cy.

Il se parle d'ung grand emprunct que ceste princesse pro- pose de fère tout de nouveau ; dont suys après à descouvrir si c'est pour recepvoir les deniers icy ou en Hembourg, et semble bien que les propos et pratiques de la dicte Dame et des siens en Allemaigne demeurent en mesmes suspens que faict la paix de France ; et n'ay point sceu qu'il soit venu , de tout le moys passé, aultres nouvelles de dellà, si n'est de la diette du xxii*^ de may à Espyre , et de l'aprest des deux Roynes, filles de l' Empereur, pour aller en France et en Espaigne ; et du faict du prince d'Orange, duquel l'on parle diversement, car les ungs disent qu'il sçayt prendre gens et argent pour fère une grande entreprinse et que la faveur des princes protestans ne luy manquera : aultres asseurent, et mesmement l'ambassadeur d' Espaigne , qu'il n'a ny gens , ny argent , ny moyen de rien entreprendre, et qu'il a perdu toute sa réputation envers les dicts princes protestans. Sur ce, etc.

Ce iv^ jour d'apvril 1570.

ilO

C DEPESCHE

du ix" jour d'apvril 1570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Rossel et Christqfle. )

État des forces levées pour le Nord , et sans doute destinées à entrer en Ecosse. Nouvelles de Marie Stuart. Sommes importantes réunies par Elisabeth.

Au Roy.

Sire, l'occasion pour laquelle la Royne d'Angleterre a dépesché, despuys huict jours, plusieurs courriers vers son pays du North , ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes du nu'' du présent, est, sellon que j'entendz, pour mander aux trouppes et compagnies de gens de guerre, qu'on a levées en ces quartiers là, de se randre toutes ensemble à Yorc le xii^ de ce moys ; et au comte de Sus- sex qu'il leur face fère incontinent la monstre, et qu'il les face acheminer à si bonnes journées qu'il puysse avoir son ar- mée toute preste à Barvyc , le premier jour de may ; laquelle les ungs disent debvoir estre de dix mil hommes de pied et cinq mil chevaulx , les aultres de la moytié moins des ungs et des aultres, ce que, pour encores, je croy estre le plus certain, mais qu'il a bien commission de lever l'aultre plus grand nombre, s'il est besoing. Une se dict encores ouver- tement qu'il doibve entrer en Escoce , mais il se tient pour résolu qu'il le fera, si les seigneurs du pays, entre cy et là, ne se trouvent d'accord , ce que la dicte dame crainct as- sés ; auquel cas, elle regardera ung peu de plus près comme elle devra poursuyvre l'entreprinse, et possible adviendra

lil

cependant que de l'avoir seulement entamée, elle leur aura donné plus prompte occasion de se Féunyr. Il est bien certain que ses fuytifz ayant ainsy couru, de jour et de nuict , comme ilz ont faict , la frontière de deçà , et pillé et brullé les villaiges , et enmené force prisonniers , luy donnent occasion d'y envoyer des forces pour leur ré- sister ; mais elle dict que non seulement elle les veult chastier, mais qu'elle veult chastier ceulx qui les ont re- tirez ; ce qui s'adresse principallement aulx Escouçoys : car l'on m'aasseuré, quant aux dictes frontières , que, despuys quelques jours , elles se trouvent assés paysibles, par l'ordre que les Escouçoys mesmes y ont miz ; et que les princi- paulx chefz des fuytifz sont après à trouver moyen de pas- ser en France ou en Flandres , ce qui debvroit fère abs- tenir la dicte Dame de son entreprinse ; mais je crains que ce sera cella qui l'y convyera davantaige pour luy sembler moins difficile , et pour vouloir en toutes sortes establir les choses d'Escoce, si elle peult, à sa dévotion.

Et fault estimer. Sire, que son desseing au dict pays ne peult estre petit, veu le nombre de canons de batterye, de couleuvrines , de monitions, d'armes et de vivres qu'elle y envoyé. La Royne d'Escoce luy a naguières escript dessus, mais l'évesque de Roz , qui est encores en arrest, ny moi, n'avons peu entendre du contenu en sa lettre que ce qui concerne seulement sa santé : qu'elle se porte bien , qu'elle se loue du bon trettement du comte de Cheros- bery , et qu'elle trouve bon qu'il la conduyse en une aul- tre sienne mayson pour changer d'air et pour avoir plus grande commodité des vivres. L'on attend l'arrivée de l'abbé de Domfermelin , et le comte de Lenoz est desjà party , duquel l'on ne se peult si bien asseurer qu'on ne

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voye encorcs plusieurs difficultez en son voyage, et se parle de quelque marché sur le comte de Northomber- land, que cesteRoyne donnera quatre mil ^ d'esterlin pour lui estre livré entre ses mains , par semble qu'il soit encores dans le chasteau de Lochlevyn; et, à la vé- rité , Sire , je n'ay peu encores avoir assés de certitude des choses de dellà , car les passaiges sont trop serrez , et ce qui en vient en ceste court est tenu bien fort secrect , ou bien l'on le baille tant au contraire de ce qui est que je n'y donne poinct de foy. J'espère que par d'aultres moyens, que nous avons essayez , il nous en viendra bien- tost quelque notice.

Quant à l'emprunct , dont en mes précédantes je vous ay faict mention, j'entendz que la dicte Dame a fait ex- pédier mil v^ lettres de son privé scel , la moindre de cin- quante ^ d'esterlin, et la pluspart de cent, aulx parti- culliers bien aysez de son royaulme pour luy estre forny par chacun sa cothe part en ceste ville de Londres, dans le prochain moys de may; dont faict estât qu'il montera à la somme de cent cinquante mil ^ d'esterlin , qui est cinq centz mil escuz. L'on commance de préparer une flotte de draps pour Hembourg et deux navyres de guerre pour la conduyre aulx despens des merchans ; mais plusieurs es- timent que ce sera pour aller en Envers, et que les dep- putez conclurront quelque chose sur ces difliérans , affin de pouvoir continuer leur mutuel traffic comme auparavant. Ceulx cy demeurent en grand suspens sur la longueur du tretté de paix de Vostre Majesté , et semble, Sire, qu'ilz en désirent et qu'ilz en craignent tout ensemble la conclu- sion pour des considérations et respectz , qui sont assés divers , dont je suys après d'en vériffier ce que desjà l'on

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m'en a dict , affin de vous rendre plus claire leur inten- tion. Sur ce, etc.

Ce ix^ jour d'apvril 1570.

Cr DÉPESCHE

du xiii" jour d'apvril 1570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Le Tourne. )

Continuation des préparatifs militaires contre l'Ecosse. Inquiétude des Anglais sur la négociation des affaires de Flandre. Détail des nouvelles arrivées en Angleterre sur l'état de la guerre civile en France , et les entre- prises faites par les protestans.

Au Roy.

Sire, ce que j'ay aprins de l'expédition de l'armée que la Royne d'Angleterre envoyé vers le North , despuys les dernières nouvelles que j'en ay escriptes à Vostre Majesté du ix^ du présent , est que le comte de Sussex, en mar- chant en là, a assemblé six mil hommes , tant de pied que de cheval , à Duram, dont il en eust heu davantaige , s'il n'eut renvoyé ceux des gens de cheval qui n'estoient pro- testans ; mais n'a regardé de si près aulx gens de pied, et, avec ceste troupe , il dellibère s'acheminer vers Barvyc , non qu'il ayt encores toutes choses si bien prestes qu'il s'y puisse randre le dernier de ce moys , comme il luy a esté mandé, ny qu'il puisse , devant le xv^ du prochain, entrer en Escoce. Et de tant qu'on publyoit par dellà que la dicte armée seroit de dix mil hommes de pied et cinq mil che- vaulx , quelcun m'a dict que ceulx du party contraire de la

HA - Koyne d'Escoceont mandé qu'il suffiroit, pour ceste heure, de fère entrer la moictié des dictes forces dans le pays , à cause qu'on ne trouveroit assés de vivres pour tant de gens et de chevaulx; et qu'avec cella le petit prince pour- roit estre facillement enlevé sans aulcun empeschement , pourveu que le reste se tînt sur la frontière pour venir au secours, sibesoing estoit. L'on m'a confirmé qu'il est venu adviz bien certain à ceste Royne de l'arrivée d'ung ambas- sadeur de Vostre Majesté par dellà, et adjouxte l'on qu'il a couduict dans Dombertran six mil harquebouzes et trois mil corseletz , et qu'il faict une grande dilligence de réunyr et mettre les seigneurs du pays en bon accord, leur promet- tant l'assistance et secours de Yostre Majesté ; et que les fuytifz d'Angleterre qui estoient près de s'en aller par mer, se sont arrestez ; bien que quelcun m'a dict que le comte de Northomberland a trouvé moyen d'eschapper de Lochlevyn, et qu'il s'est retiré en Flandres. Il est vray, Sire, que jamais nouvelles ne furent baillées plus diverses que celles qui viennent de ce quartier là, parce que la matière est affectée de plusieurs , qui les publient sellon qu'ilz y ont différante affection. L'abbé de Domfermelin n'est encores arrivé. Le comte de Lenoz poursuyt son voyage, et la liberté est promise dans trois jours à l'éves- que de Roz.

Ceulx cy ont si grand désir que les depputez, qu'ilz ont envoyé en Flandres , facent quelque bon accord, que, pour garder que l'ambassadeur d'Espaigne ou aultres de deçà n' escripvent chose qui y puisse donner empeschement , ilz ont ung grand aguet sur toutes les dépesches qu'on y faict, et n'en layssent passer une seulle cjui ne soit visitée. J'en- tendz qu'il est arrivé quelcun , assés freschement, de la Ro-

115 chelle qui publie que les princes de Navarre et de Condé sont en Languedoc ez envyrons de Thoulouze , qui pillent, brullent et ruynent tout ce qui deppend des habitans de la dicte ville et non d'ailleurs; qu'ilz ont leur armée plus forte et en meilleur équipaige que jamais; qu'ilz font toutz les jours amaz d'argent et de gens, et mesmes de bandol- liers, desquelz ilz ont desjà ung bon uombre, des plus mauvais garçons de la montaigne; que M'^ de Biron est encores avec eulx pour tretter de la paix , mais parce qu'il ne propose nulles condicions raysomiables , l'on commence à souspeçonner qu'il n'a esté envoyé pour dire rien de par- ticulier, mais pour espyer leurs forces et recognoistre Testât de leur armée ; qu'ilz ont d'aultres forces bien gail- lardes à la Charité , qui courent ordinairement jusques à Bourges et à Orléans , et deux mil hommes de pied et cinq centz chevaulx à la Rochelle , avec lesquelles le S' de La Noue tient tout le pays subject; qu'ilz ont reprins Maran et aultres lieux , nomméement Oulonne qui leur tenoit les vivres serrez, et qu'à présent ilz en recouvrent abondantment de toutes partz ; et que Vostre Majesté es- toit toujours à Angiers , sans argent et sans grand moyen d'en recouvrer. Lesquelles nouvelles aulcuns de ce conseil les magniffient, et les font encores courir plus amples affin d'intimider davantaige les Catholiques de ce pays. Néant- moins l'on m'adict que la Royne, leur Mestresse , continue toutjour au mesmes désir que je vous ay cy devant mandé de la paix de vostre royaulme. Sur ce, etc.

Ce XIII'' jour d'apvril 1570.

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Cir DEPESCHE

du XVIII* jour d'apvril 1570. ( Envoyée exprès jusques à la court par Jos , mon secrétaire. )

Détail de ce qui s'est passé en Ecosse après le meurtre du comte de Murray. Assemblée des états à Lislebourg. Espoir du rétablissement des affaires de Marie Stuart, si son parti est promptement secouru par la France. Nouvelles de la Rochelle et de Flandre. Nécessité de faire la paix en France, et de s'opposer avec vigueur aux projets de l'Angleterre sur l'E- cosse.— Conséquences désastreuses qu'aurait pour la France la réunion de l'Ecosse à l'Angleterre. Avis secret donné à Catherine de Médicis. Mémoire. Résolutions arrêtées dans le conseil d'Angleterre. Dessein que l'on suppose au roi d'attaquer l'Angleterre aussitôt après la pacification. Projet imputé au cardinal de Lorraine de vouloir faire périr Elisabeth et Cécil par le poison. Dissensions causées dans le conseil par la rivalité des enfans de Hereford et de Marie Stuart , comme héritiers présomptifs de la couronne d'Angleterre. Mémoire secret. Communications confidentielles venues des Pays-Bas sur les projets de mariage des filles de l'empereur avec le roi de France et le roi d'Espagne, et de Madame, sœur du roi, avec le roi de Portugal. Desseins secrets du duc d'Albe.

Al Roy.

Sire, jusques à ceste heufe , je n'ay peu mander rien de bien certain à Vostre Majesté du costé d'Escoce , à cause que la Royne d'Angleterre , sentant les diverses af- fections que les siens portent aulx choses de dellà , a miz bon ordre qu'il n'en puisse venir nouvelles sinon à elle, et de tenir icelles bien secrettes ; mais ung des moyens que nous avons essayé pour en sçavoir a réuscy ; par lequel une lettre est arrivée à la Royne d'Escoce , du xix^ de mars, d'ung de ses bons subjectz qui luy escript, que bientost après que le comte de Mora a esté tué , ceulx de

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son party se sont efforcez de tenir une assemblée à Lisle- bourg, le vif de febvrier, pour estabhT de rechef la forme du gouvernement à leur poste , au nom du petit prince. A quoy aulcuns d'entre eulx, mesmes qui estoient desjà retournez en leur première bonne affection vers leur Royne , aydez du desir du peuple qui demandoit la convo- cation généralle des Estatz , y ont donné empeschement , estant par le layr de Granges , et sir Jammes Baffour for- mée une opposition, laquelle n'a esté de peu de moment : car par l'on a cogneu que le chasteau de Lislebourg , duquel le dict de Granges est capitaine tenoit pour la dicte Dame et que les choses avoient esté conduites en façon que dès lors une assemblée généralle fut publiée, au iiu^ de mars ensuyvant, au mesmes lieu de Lislebourg, en laquelle la pluspart de la noblesse s'estoit trouvée, réservé aulcuns des Amilthons pour la souspeçon du murtre du dict de Mora, et réservé le comte d'Arguil , qui n'a voit passé plus avant que Glasco, et que les deux partz ne s' estoient pourtant guières meslée l'une avecques l'aultre ; ains avoient tenu leurs assemblées séparées, sinon quelquefoys que les amys et partisans de la Royne avoient condescendu de convenir avec aucuns des aultres en la maison du secrétaire Ledin- thon, qui estoit mallade, pour tretter de certaines parti- cuUaritez ; et qu'enfln n'y avoit esté faicte plus grande détermination , que de assigner une aultre nouvelle assem- blée au mesmes lieu , au premier jour de may prochain , de laquelle assemblée à venir les bons serviteurs de la dicte Dame ne pouvoient prendre aulcune bonne espérance , s'il n'aparoissoit premier pour elle quelque bonne faveur et assistance par dellà , ou de France , ou de Flandres , ainsy (pie ceulx qui estoient demeurez fermes en la foy et obéys-

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sance de la dicte Dame , l'avoient toutjour espéré : car ceulx du contraire party s'asseuroieiit d'estre favorisez et secouruz , dans le temps, par la Royne d'Angleterre et d'hommes, et d'argent, pour meintenir l'authorité du jeune Roy et la religion nouvelle dans le pays , ainsy que Ran- dolf, son ambassadeur, les en asseuroit ; et qu'il estoit bien vray que le comte d'Atil, milord de Humes, le 1er de Granges, le secrétaire Ledinthon, et plusieurs aultres qui avoient esté du contraire party, se déclaroient meintennant estre de celluy de la dicte Royne d'Escoce; et le dict Le- dinthon pratiquoit encores d'y admener le comte de Mor- Ihon, avec lequel il en estoit bien avant en termes ; et que les fuytifz d'Angleterre estoient aussi toutz déclairez pour elle et pour la religion catholique , mesmes le comte de Northomberland , qui avoit commancé de tretter de son rappel avec le dict Randolf pour sortyr de pryson , avoit , par la persuasion du dict Ledinthon, demeuré ferme en son premier propos, de sorte que les aultres restoient bien foy- bles dans le pays; mais qu'il estoit certain que les deniers et lesforces d'Angleterre les relèveroient et leur mettroient toutes choses en leur main, si quelque aultre main bien forte ne s'y trouvoit opposante pour la dicte Royne d'Es- coce; et contenoit aussi la dicte lettre que l'abbé de Dom- fermelin estoit dépesché par ceulx du contraire party de- vers ceste Royne, et que les aultres avoit advisé d'envoyer conjoinctement Robert Melin devers elle, pour la prier de moyenner par son authorité une bonne réconciliation dans le pays et en oster la division , affin que les estrangiers n'y fussent par les ungs ou par les aultres appeliez , au grand détriment de la paix et du commun repos des deux rovaumes

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Lesquelles susdictes nouvelles , Sire , nous tenons pour plus vrayes que nulles aultres qu'on nous ayt encores ra- portées; et sur icelles la Royned'Escoce m'a prié de fère aulcuns offices envers la Royne d'Angleterre, pour l'exor- ter à l'entretennement des trettez , et de ne rien attemp- ter par son armée au préjudice d'iceulx , ce que j'ay desjà faict , et y incisteray encores bien fermement ; et que je veuille aussi fère entendre de sa part à Vostre Majesté qu'elle et son royaulme, qui sont l'ung et l'aultre de vostre alliance, pourront estre facillement remédiez à ceste heure par le secours qu'il vous a pieu luy accorder, pourveu qu'il vienne promptement, sellon que les choses sont encores en fort bonne disposition ; de quoy elle vous supplie très humblement, mais que si vostre dict secours luy deffault, qu'il adviendra deux grandz inconvénians , qui vous seront non guières moins dommageables qu'à 'elle ; l'ung, que les affères siens et de ses subjectz, qui sont proprement vostres et ceulx de la religion catholique, recepvront ung préjudice et détriment perpétuel dans son pays; l'aultre, que, pour se rachapterde la pryson elle est et recouvrer son estât et sa liberté, elle sera con- traincte de mettre le prince d'Escoce, son filz, ez mains des Anglois.

Voylà, Sire, quand aulx afleres de ceste pouvre prin- cesse, qui sont si pressez par la dilligence que ceste Royne faict de haster toutjour son armée vers l'Escoce, qu'on pense que dans deux moys elle aura achevé son en- treprinse, et n'est sans soupeçon qu'elle veuille fortiffier Dombarre , ou Aymontz , ou quelque aultre lieu dans le pays, veu les pyonniers qu'elle y envoyé.

Au surplus. Sire, certainz petitz discours qu'on a en-

120 voyés imprimei de la Rochelle font aulcunement mal espé- rer ceulx cyde la conclusion de la paix devostreroyaulme. jNéantmoins la Royne d'Angleterre monstre toutjour de la désirer , bien que quelcun m'a dict que si elle estoit déjà faicte, que la dicte Dame yroit plus retenue ei choses d'Escoce , et n'y procèderoit sinon ainsi que vous le voul- driez , mais qu'elle pense , durant le pourparlé d'icelle , avoir exécuté ce qu'elle prétend. Il semble par aulcuus pro- pos qu'on m'a raporté du S"" de Lombres que les pratiques du prince d'Orange en AUemaigne ne sont mortes et que bientost il s'en manifestera quelque chose ; dont les Fla- raans, qui sont icy, desireroient la paix de France, affin que la guerre fût transférée en leur pays. Sur ce , etc. Ce XVIII* jour d'apvril 1570.

A LA Royne.

Madame, estant les choses d'Escoce en Testât que je les mande en la lettre du Roy, et ceulx cy sur le poinct de les aller par armes réduvre à leur dévotion , plusieurs gens de bien sont , avec grand désir, attandans quel ordre Voi Maj ester Très Chrestiennes y mettront pour les remédier, et me viennent souvant alléguer qu'il pourra venir beau- coup de diminution à vostre grandeur , si vous laysseï al- ler en proye aulx Anglois la Royne d'Elscoce, et son royaume, et la reUgion cathohque de son pays; car, oul- tre qu'il vTa assés en cella de la réputation de vostre cou- roime , ili disent qu'en la présente guerre de vostre royaulme , la réduction de toute ceste isle au pouvoir de ceulx cv et l'entière réunion d'icelle à leur reliffion nou-

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velle sera ung très grand apuy de deniers , de munitions et aultres moyens à ceulx de la Rochelle et aulx Allemans, qui les favorisent , en dangier que ceste Royne , par après, entrepreigne elle mesmes ouvertement la guerre avec eulx, et davantaige qu'à l' advenir, se trouvans les Anglois hors de toute souspéçon de l'Escoce, laquelle s'est toutjour trouvée preste pour nous contre leurs entreprin- ses, mesmes l'ayant mise de leur costé, qu'ilz ne vous meuvent une perpétuelle guerre , pour leurs prétencions ; ou bien que , par quelque mariage ou par aultre acces- sion , ilz aillent joindre toute ceste isle à la grandeur de quelque aultre, parce qu'ilz craignent naturellement la vostre, qui vous sera de grand préjudice.

Sur quoy je leur répondz , Madame , que les choses d'Escoce ne sont si foibles d'elles mesmes, ny si mal apuyées de Voz Majestez Très Chrestiennes que les An- glois les puissent ayséement plyer; et, quant bien ilz se se- roient prévaluz de l'oportunité de ce temps, auquel ilz vous voyent fort empeschez aulx guerres de vostre royaume, que néantmoins vennant la paix, comme Voz Majestez ne sont loing de l'avoir, que vous radresserez bien ayséement le tout; et que l'Escoce ne sera jamais à eulx , que quand ilz la cuyderont bien tenir. Je considère assés , Madame , que la Royne d'Angleterre entreprend d'une grande affection ce faict d'Escoce, et que les enne- mys et malveillans , que la Royne sa cousine a dans son propre royaulme et dans cestuy cy, l'y persuadent si fort , qu'il est très difficile de l'arrester ; néantmoins, je vous suplie très humblement , Madame , me commander par ce mien secrétaire ce que j'auray à dire ou fère dessus en- vers la dicte Royne d'Angleterre, oultre l'office que je luy ay

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desjà faict ; car je ne fauldray d'ung seul poiiict de très humblement vous y obéyr. Sur ce, etc.

Ce xviii^ jour d'apvril 1570.

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, j'ay donné charge à ce mien secrétaire de vous bailler ce mot , à part , pour avoir meilleur moyen de compter à Yostre Majesté la façon, dont l'on a usé, pour fère venir en mes mains le propre original de cest es- cript, qu'il vous baillera en forme d'une lettre qu'on m'a- dressoit; trouverez. Madame, ung conseil \ lequel je vous suplie très humblement ne communiquer, du com- mancement , sinon au Roy et à Monseigneur, voz enfans, et puis à quelcun de voz plus expéciaulx et saiges servi- teurs, qui, possible, vous ouvrira l'expédiant comme vous vous en pourrez servyr. Il vous pourra , par advan- ture, estre venu ung semblable adviz d'ailleurs , mais je vous puys bien jurer, Madame, avecques vérité, que je ne sçayny ne puys penser d'où cestuy cy est procédé. Cella considéré je bien que , par icelluy , il y pourroit cy après avoir moins d'ellévation dans vostre royaulme et aussi moins de moyen d'oster ce qu'y auriez une foys introduict. Sur ce, etc.

Instruction de ce que mon dict secrétaire aura a dire a Leurs Majestez , oultre le contenu des lettres :

Que les choses de ce royaulme s'entretiennent encores en quelque ap[)arance de repos , non d'elles mesmes , car tout est plein de mal- contantemeiit, mais parla dilligence de ceux qui sont en authorité; lesquelz font ce qn'ilz peuvent pour gaigner le temps , mais non

' La pièce n'ayant pas été transcrite sur les registres de l'ambassadeur, on ne connaît pas la teneur de cet avis.

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pour remédier du tout au mal ; car semble pluslost qu ilz le vont norrissant pour le fère cy après devenir plus grand.

Hz s'esforcent de passer cest esté sans troubles par le moyen de l'armée, qu'ilz ont faicte dresser à leur Mestresse vers le North par prétexte des choses d'Escoce, et d'aller contre les fuylifz ; en quoy ilz exécuteront, sans faulte, ce qu'ilz pourront; mais il n'y a assés de deniers en repos pour entreprendre choses si utilles , sans ce qu'on estime que la mesme armée se trouvera preste et en estât contre l'ellévation , qu'on crainct bien fort debvoir advenir avant la racolte.

Et à ceste force ilz ont adjouxté l'artiffîce , car, pour donner quel- que satisfaction aulx principaulx de la noblesse , affin qu'ilz ne se meuvent , et pour leur fère prendre espérance d'ung meilleur estât des choses , ilz ont rappelle en court et au conseil le comte d'Aron- del, et ont miz en pleyne liberté millord de Lomelley, et ont donné espérance au duc de Norfolc d'esire en brief eslargy hors de la Tour, soubz quelque garde en sa mayson qu'il a à Londres , et que mes- mes se pourra ottroyer une forme de pardon au comte de Northom- berland et aultres chefz des fuytifz , pour remettre toutes choses en bonne unyon.

Mais il adviendra , possible , que l'artifQce produyra ung aultre effectque le simulé, parce que ceste princesse n'a le cueur ny l'in- tention esloignée de celle de sa noblesse , n'y n'est mal affectionnée à ses subjectz catholiques , pour lesquelz elle résiste assés souvant aulx conseilz , que leurs adversaires luy donnent contre eulx , affin qu'avec les ungs et les aultres elle puisse passer son règne en paix.

Et semble bien que les seigneurs catholiques seront pour temr dorsenavant leur partie bien ferme et rellevée, de tant que le comte de Lestre se monstre entièrement pour eulx , ayant esté luy le moyen de les fère eslargir et rappeller ; et il descouvre qu'il a assés d'aisne au secrétaire Cecille, pour cause de ceulx de Herfort, lesquelz le dict Cecille cherche, par toutz moyens, de les ellever à ceste couronne au préjudice du dict comte et des aultres seigneurs, qui estiment qu'il ne leur va de moins que leurs testes et de la ruyne de leurs maysons , s'ilz y parviennent.

Mais le dict Cepille, oultre ce qu'il tient meintennant sa Mestresse assés bien disposée envers les dicts de Herfort, pour la grand jalou- zie qu'il luy imprime toutjour de la royne d'Escoce ; de laquelle le tiltre seul précède celluy de Herfort en la succession de ce royaulme, il y bande aussi toute la part des Protestans et mesmes les évesques

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et otRciers, et toutz ceulx qui sont en quelque authorité , et pensoit bien y avoir aussi conduict le dict comte de Lestre par le moyen de la dicte religion , et par beaulcoup d'asseurances et promesses qu'il luy avoit faictes; mais j'entendz que, lundy dernier, estantz huict les plus protestans de ce conseil assemblez , en la mayson du comte de Belfort aulx champs , pour dellibérer de ce qu'ilz avoient à fère pour la légitimation des dicts de Herfort, et pour advancer leur tiltre, ilz se plaignirent grandement du dict comte de Lestre, de ce qu'ayant faict rapelier le comte d'Arondel au conseil , il avoit préparé ung grand obstacle à leur entreprinse.

Et le dangier est que la Royne d'Angleterre ( de laquelle la vol- lonté et disposition peult beaulcoup en cella) se mette toute de ce party pour les grandes impressions, qu'on luy donne, qu'elle est en dangier de son estât et de sa propre vie , si elle n'oste et Testât et la vie à sa cousine.

Car, oiiltre les propos qu'on luy a dict que Monseigneur, frère du Roy, avoit tenuz, lesquelz j'ay naguières escriptz à mon dict sei- gneur, j'entendz qu'on luy faict acroyre que M"^ le cardinal de f^or- raine sollicite, à ceste heure, ardentment la paix en France, pour avoir plus de moyen de dresser une entreprinse contre l'Angleterre en faveur de la Royne d'Escoce, sa niepce; et que, pour y pou- voir à moindres fraiz conduyre son intention , et y trouver moins de difficulté , qu'il a convenu avec ung Itallien , dont le nom et le visaige, disent ilz, sontcognuz, défère empoysonner la dicte Royne d'Angleterre et le secrétaire Cecille , et (|ue les plus grands de France inclinent à fère la guerre par deçà.

Et la met on en souspeçon que le Roy d'Espaigne sera pour con- courre facillement à l'entreprinse , pour revenche de l'injure de ses deniers , et des prinses de mer que ceulx cy ont faictes sur ses sub- jectz , et mesmes l'on s'esforce de luy en monsirer desjà quelque in- dice par l'interprétation d'une dépesclie, que j'entendz qu'on a inter- cepté , de M'' de Forquevaulx, et envoyée par deçà; en laquelle, après ung propos de trois mariages, il faict mencion du grand amaz de gens, et d'argent , et des préparatifs, par mer et par terre, que le Roy d'Iispaigne faict, avec aulcunes particullaritez de plus estroicte intelligence avec Leurs Majestez Très Chrestiennes. Ce que n'esti- mans ceulx cy que cella puysse estre pour résister seulement aulx Mores, ilz veulent inférer que c'est contre eulx.

A quoy l'on m'a dict qu'ilz sont davantaige confirmez par une lettre, qu'on a escripte de la Rochelle à la dicte Dame, en laquelle

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l'on l'a prié que , si le Roy vient à offrir des condicions de paix à la la Royne de Navarre, et aulx princes ses filz et ses nepveux , et aul- tres de leur party, qui soyent raisonnables, comme Sa Majesté mons- tre s'en aprocher, qu'elle Irouve bon qu'elles soyent aceptées; car ne les pourront bonnement reffuzer , sans se monstrer mauvais sub- jectz, et que la noblesse désire grandement satisfère au Roy; aussi qu'on voyt bien qu'elle et les princes d'Allemaigne sont longs et tardifz à les secourir, et néantmoins adjouxtent beaucoup de grandz mercyemens et offres à la dicte Dame , et la prient qu'elle veuille bien pourvoir à la seurté de ses affères , parce qu'il semble quTîn projecte desjà de grandes entreprinses contre elle et son estât, en fa- veur de la Royne d'Escoce.

Desquelz adviz aulcuns icy ont heu de quoy manifester si ouver- tement leur malice, qu'ilz ont ozé dire deux choses à la dicte Dame ; Tune, que si elle n'empeschoit la paix de France, qu'elle auroit cer- tainement la guerre en Angleterre ; et l'aultre , que jusques à ce (ju'elle aura faict arracher du tout une si malle plante, comme est la Royne d'Escoce , qu'elle ne verra jamais bien , ny repos , en cesle isle.

Ce que m'ayant esté raporté, j'ay miz peyne, par d'aultres plus modérez personnaiges , de luy fère si bien diminuer ceste opinicm qu'elle monstre , quant à la paix de France , qu'elle y a toutjour fort bonne affection , mais qu'elle désire infinyement luy estre donné moyen de s'y employer, affin de pouvoir gaigner la bienveuillance du Roy, et se confirmer en paix et amitié avecques luy ; et, quant à la Royne d'Escoce, qu'elle est bien disposée envers sa personne et sa vie , comme je croy qu'elle n'y a heu jamais mauvaise intention , et que mesme elle goutte aulcunement sa restitution , et ne la rejecte plus tant qu'elle souloit ; mais elle prétend à quelque entreprinse en Escoce , qui est cogneue de peu de gens , laquelle elle pense avoir exécutée plustost qu'on luy en puysse, ny de France, ny de Flandres, donner empeschement ; et que le tout sera faict dans deux moys, pendant lesquelz je ne fays doubte qu'elle ne voilùt que Leurs Très Chrestienne et Catholique Majestez fussent ailleurs bien fort erapeschées.

AULTBE UÉHOIBE A PART.

En la dépesche d'Espaigne , dont , en l'aultre mémoire , est faicte mencion , qui a esté intercepté , j'entendz que M"^ de Forquevaulx

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escripvoit à la Royne que Tainbassadeiir de l'Empereur l'avoit prié de fère entendre au Roy comme son Maisfre , pour l'affection qu'il avoit de veoir effectuer les mariages de ses filles avec les deux Roys, desiroit que, du premier jour, il y fût procédé sans plus Je dilayer;

Qu'il avoit dellibéré d'envoyer les deux Roynes ensemble , par la mer, de Gènes à Marseille , avec la moindre compaignie et le moins d'officiers qu'il pourroit , s'asseurant qu'elles en amasseroient assés en chemyn ;

Que l'ambassadeur de Portugal l'avoit asseuré que le party de Ma- dame, sœur du Roy, playsoit grandement au jeune Roy, son Mais- tre , et aulx deux douarières ses mère et ayeulle, et n'y avoit que ce seul différant, qu'elles vouloient que le tout se fît par le bon adviz et conseil du Roy d'Espaigne ; et les Estatz de Portugal, au contraire, s'estimoient assés suffizans pour cella , sans y embesoigner aulcune- ment le dict Roy :

Mandoit avoir entendu que le dict Roy de Portugal estoit subject à ses opinions, et ne vouloit guières croyre conseil et qu'il n'avoitprès de luy que jeunes gens ;

Que les médecins et phisiciens ne l'estimoient de longue vie, pour quelque defflussion de cerveau qu'il avoit , et que les ungs conseil- loient qu'on le maryàt bientost affin de la divertyr et pour avoir li- gnée ; les aultres que le mariage luy abrègeroit ses jours ;

Que , quoy que ce fût, venant le dict jeune Roy à mourir, celluy qui luy debvoit succéder , par le commun consentement des Estatz , espouseroit la veufve ; par ainsy que, en toutes sortes. Madame seroit longuement Royne :

Que le Roy d'Espaigne s'estoit acheminé à Courdova pour aller tenir ses cours de Castille , et pour s'aprocher de l'entreprinse contre les Mores , priant icelluy ambassadeur Leurs Maj estez Très Chres- liennes de luy donner moyen de le pouvoir suyvre , et leur touchoit ung mot de sa révocation ;

Que le Roy d'Espaigne faisoit tel amaz de gens et d'argent , et ung si grand aprest par mer et par terre , qu'il estoit aysé à veoir qu'il tendoit à de plus grandes entreprinses que de se deffandre des Mores ;

Que s'il playsoit à la Royne d'avoir une entrevue avecques luy à Marseille ; que le dict ambassadeur espéroit de l'y pouvoir facillement induyre , parce qu'il l'y trouvoit fort bien disposé , pourveu que cella fût tenu fort secrect, et quasi communiqué à nul, de peur des traver- ses qu'on y mettroit pour la jalouzie que plusieurs en auroieiit.

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De laquelle lettre cesle Royne et les siens ont piins beaucoup de souspeçon, et sont, à ceste heure, tant plus désireux de raccom - moder leur différans avec le Roy d'Espaigne, comme ilz en poursuy- vent dilligentment l'accord, par leur depputez, qu'ilz ont à cest effect envoyé en Flandres ; lesquelz , à ce que j'entendz, ont mandé qu'ilz en espèrent une bonne yssue.

Et semble que le duc d'Alve , en une façon ou aultre , y condes- cendra, sellon qu'on m'a dict qu'il désire bien fort esteindre ceste querelle, ainsy quil estime avoir si bien vaincue celle du prince d'O- range, et ensepvelye celle des Gueux , qu'elles ne se pourront , l'une nyl'auUre, jamais plus ressuciter ;

Et qu'à ceste heure , il a bien fort grande affection d'aller en Es- paigne , comme pour triumfer des choses qu'il a bien faictes , et bien saigement et vaillamment conduictes en Flandres, d'y avoir conservé la religion catholique , et estinct l'hérésie; d'avoir saulvé Testât, et <|uasi l'avoir conquiz et estably de nouveau au Roy son Maistre, qui auparavant n'en estoit guières bien le maistre ; et le luy avoir soub- miz à y pouvoir imposer tribut, comme il vouldra, auparavant l'on y souloit ordinairement contradire; et avoir augmenté le revenu jusques à deux millions d'or toutz les ans, qui à peyne en valloit la moytié :

Et , avec l'honneur de ces choses , retourner prés de son Maistre , la jalouzie du prince d'Enoly le tire , et près de sa femme et des siens, qui l'appellent pardellà, à la venue de la nouvelle Royne, pour se trouver à l'establissement et à la mutation de diverses cho- ses, qui lors se pourront ordonner, mais principallement pour met- tre le gouvernement de Flandres ez mains deDomFadrique,son filz aisné :

A quoy il a grand affection , luy ayant pour cest effect baillé liltre etmerque nouveaulx de cappitaine général des Espaignolz et gardes, ce qu'il n'estime toutesfoys pouvoir bien obtenir, s'il n'est présent avec son Maistre ;

Et que, pour n'estre son dict retour empesché par la querelle d'An- gleterre, qu'il la Yuydera, et qu'au reste procurera, avant son parle- ment, que la consulte et distribution des biens confisqués en Flandres se face,affin qu'il puisse entrer en possession de Brada ou d'Ostrante, ou de quelque aultre bien bon estât, que son Maistre luy donnera; et desireroit bien fort que son dict Maistre remit une partie de la dicte consulte à fère à luy, affin de pouvoir gratiffieret récompenser ceulx qui l'ont suyvy.

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Toutes lesquelles ehoses m'ont esté dictes dudict duc par aulcuns, qui les peuvent aulcunement sçavoir, et qui les font paroislre esire vraysemblables.

Clir DÉPESCHE

du xxine jour d'apvril 1570. ifEnvoyée exprès jusques à Calais par la voye du S" Acerbo.)

Publication faite en Angleterre de la prise, d'armes contre l'Ecosse. Prépa- ratifs de défense faits par les Écossais. Nouvelles difficultés survenues dans la négociation avec les Pays-Bas.

Au Roy,

Sire, persévérant la Royne d'Angleterre en sa dellibéra- tion d'envoyer des forces en Escoce, elle a faict, despuys trois jours, publier l'occasion de son entreprinse avec le pré- texte et colleur, que Vostre Majesté verra par la teneur de sa proclamation ; et a mandé au comte de Sussex qu'avecles troupes, qu'il a assemblées à Yorc et à Durera, il ayt tout- jour à s'acheminer à Neufcastel, et qu'il temporise jus- ques à tant qu'il ayt receu les monitions qu'elle a ordonné luy estre envoyées , lesquelles y pourront arriver envyron la fin de ce moys. Cependant, Sire, luy ayant le dict comte de Sussex naguière escript que, pour la nouvelle de sa venue , les Escouçoys prenoient de toutes partz les armes , avec intention de courre sus à ceulx qui parloient d'intro- duyre les Anglois dans le pays ; et que desjà milor Herys estoit aproché avec quelques forces pour luy deffandre les frontières , ceulx qui ont icy la matière bien affectée ont

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conseillé à la dicte Dame de luy respoiidre que , sellon sa plus ample commission , il ayt à doubler promptement ses forces pour poursuyvre son voyage ; à quoy elle a faict assés de difficulté , voyant que l'entreprinse se monstroit à ceste heure plus grande et plus difficille , et de trop plus grand coust qu'on ne la luy faisoit du commancement, tant y a qu'à leur persuasion elle le luy a mandé ; et néantmoins l'on pense qu'il trouvera assés de résistance par dellà.

L'on commence à sentyr qu'il y aura assés de difficulté en l'accord des différans des Pays Bas, parce qu'on office par dellà de restablyr toutes choses jusques à la valleur d'une maille; et demande l'on qu'il soit faict le semblable de ce costé , et mesmes que de ce qui aura esté substraict , emporté , ou qui se trouvera aultrement dépéry , des mer- chandises des subjectz du Roy d'Espaigne, parce que cella est advenu par la coulpe des Anglois , que le tout soit ré- paré par eux , en quoy très difficillement ilz veulent enten- dre. Néantmoins il y a très grande affection de chacun costé d'ensortyr. Sur ce, etc.

Ce XXIII* jour d'apvril 1570.

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CIV^ DÉPESCHE

du xxvii« jour d'apvril 1570. {Envoyée exprès jusques à Calais pat' Gerin Marchant.)

État des partis en Ecosse. Arrivée d'tin ambassadeur de France dans ce pays avec un secours d'hommes. Débats entre les seigneurs écossais pour la régence. Vives sollicitations des ennemis de Marie Stuart pour presser l'entrée de l'armée anglaise. Départ de la flotte pour Hambourg , et envoi des sommes levées en Angleterre pour l'AlIeniâgtte.

Au Roy.

Sire, après que j'auray, dimanche prochain, faict en- tendre à la Royne d'Angleterre les louables et vertueux propos qui sont contenuz en vostre dépesche du xu" de ce moys, laquelle le S"^ de Vassal m'a randue le xxiiij*=, je vous informeray bien particuUièrement de l'intention , en quoy je l'auray trouvée sur les choses que je luy proposeray de vostre part ; et cependant je diray à Yostre Majesté , tou- chant celles d'Escoce, que l'arrivée de vostre ambassadeur par dellà, et ce qu'on dict qu'avec luy sont arrivez à Dom- bertran cinq cens harquebouziers françoys et assés d'armes pour armer encores deux mil hommes, faict aultrement pen- ser à ceulx cy de l'entreprinse qu'ilz ont au dict pays , que (juant ilz l'ont premièrement délibérée; mesmes qu'ayantz les principaulx seigneurs d'Escoce desjà heu conférance avec luy au lieu de Donquel , l'on asseure qu'ilz ont prins, par les lettres et bonnes offres de Vostre Majesté , une bonne ré- solution; sçavoir, ceulx qui estoient demourez en la fov de

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leur Royne d'y persévérer coustantment, etceulx qui se por- toient neutres de se déclairer pour elle ; tellement que tous ensemble se sont despuys acheminez à Lislebourg : d'où les adversayres , avec l'ambassadeur de ceste Royne , se sont aussitost despartys ; et que , illec , ilz ont faict proclamer , le xir de ce moys , l'authorité de leur Royne, millord de Granges a déclairé qu'il tenoit le chasteau de Lislebourg pour elle; et le duc de Chastellerault , lequel n'est encores eslargy du dict chasteau, pour quelque occasion bien consi- dérable, s'est aussi déclairé du costé de la dicte Dame 5 et, bien que le comte de Mar n'ayt du tout faict le semblable, il a promiz néantmoins de ne délivrer, en façon du monde , le jeune prince aulx Anglois , et dict davantaige qu'il ne le délivrera pas aussi aulx Françoys , ny aulx Espaignolz , ny mesmes aulx Escoussoys. Et, par ainsy, les choses ont commancé de prandre quelque train, pour le bien des affères de la dicte Royne d'Escoce, à l'advantaige et réputation de Vostre Majesté. Mais, Sire, voycy l'ordre qu'on me dict que ceulx de l'aultre party ont tenu pour y donner empes- chement; c'est qu'ilz se sont incontinent assemblez au lieu de Domfermelin, ilz ont résolu deux choses; l'une, de fère tout sur l'heure aprocher le comte de Lenoz, qui est à Barwich , pour se porter pour régent de la personne et estât de son petit filz à la faveur de l'armée de la Royne d'An- gleterre qui est en campaigne; l'aultre, d'accorder et si- gner les articles de l'instruction qu'ilz ont baillée à l'abbé de Domfermelin de tout ce qu'il vient dire, requérir et of- frir de leur part à ceste Royne.

Sur quoy l'on m'a donné adviz fort secrect , mais de bon lieu, que celle partie des dictes forces qui s'est trouvée plus advancée , et la garnyson de Barwich , en nombre de

i3!2 quatre mil hommes de pied et quinze centz chevaulx en tout et huict pièces de campaigne, ont desjà marché oultre les frontières pour favoriser le dict de Lenoz, et qu'il a esté mandé au comte de Sussex de parfère promptement sa le- vée de dix mil hommes de pied et quatre mil chevaulx , et que le susdict Domfermelin arrivera icy dans deux ou trois jours. L'on estime que les aultres seigneurs Escouçoys envoyeront millord de Sethon ou millord Boyt devers la dicte Dame pour l'effect que je vous ay cy devant mandé; mais je ne laysse pour tout cella d'espérer encores bien des affères delà royne d'Escoce.

La flotte pour Hembourg est déjà chargée , et commance d'avaller contrebas la Tamise. Elle est d'envyron cinquante voyfles et n'y a que deux grandz navires de ceste Royne ordonnez pour les conduyre , mais il y en a aultres trois équipez en guerre soubz la charge de Haquens, qui y vont, le tout aulx despens des merchans; et, soubz ceste mesmes conserve , partent aussi les munitions qu'on envoyé au North parce que c'est tout une mesme routte. J'entendz que desjà les lettres d'eschange , pour le parfornissement de cent cinquante mil escuz cy devant ordonnez pour Alle- maigne, sont expédiées, et qu'elles vont avecques ceste flotte , oultre soixante mil escuz en espèces , cuillys sur les esglizes des Flamans qui sont en ce royaulme , que le S"" de Lombres envoyé au prince d' Orange ; et luy eust envoyé plus grand somme sans ce que , à mon instance , la Royne d'Angleterre a deflandu de ne fère aulcune cuiUette de de- niers, pour ce prétandu prétexte de la défiance de la reli- gion, sur ses subjectz, lesquelz s'y monstrent assés voflon- taires.

Ceulx cy font tout ce qu'ilz peuvent, de leur costé, pour

133 parvenir à quelque accord sur les différans des Pays Bas, et en sont toutjour en bonne espérance. Sur ce, etc. Cexxvii^jour d'apvril !570.

CV' DÉPESCHE

du in« jour de may 1 570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Antoine Grimault. )

Audience. Déclarations faites par l'ambassadeur, au nom du roi , tant au sujet de la pacification de France que des affaires d'Ecosse. Irritation causée à la reine d'Angleterre par la déclaration touchant l'Ecosse , qui renferme une menace de guerre. Nouvelles de l'entreprise des Anglais sur l'Ecosse , ils sont entrés en armes.

Au Roy.

Sire, prévoyant que la Royne d'Angleterre n'auroit guières agréable les deux poinctz , que j'avois à luy propo- ser de la dépesche de Vostre Majesté du xii* du passé , en ce que vous n'acceptiez son offre d'intervenir à la paciffica- tion de vo&tre royaulme , et que vous luy touchiez vifvement le faict de la Royne d'Escoce, j'ay miz peyne. Sire, de luy dire l'ung et l'aultre en la plus gracieuse façon que j'ay peu; et m'a bien semblé , quant au premier , qu'elle en est demeurée assés satisfaicte, par ce mesmement que j'ay monstre que Yostre Majesté acceptoit plustost qu'il ne ref- fuzoit son offre, mais de tant que l'affère, par la venue des depputez des princes, estoit sur sa conclusion sans qu'il fût besoing d'entrer en nouveaulx trettez , ainsy qu'ilz avoient toutjour dict qu'ilz ne vouloient aulcunement capituller avec

134 - leur Souverain Seigneur, vous estimiez que cella seroit bientost faict ou failly, par ainsy, que vous en donriez incontinent adviz à la dicte Dame ; de laquelle vous requé- riez cependant de vouloir demeurer en son bon et hon- neste désir, qu'elle monstroit avoir vers vous et vers voz j)résens afleres, avec asseurance que, en pareille ou meil- leure occasion , du bien des siens vous luy feriez paroistre par effect que vous luy correspondiez en ung semblable deb- voir de vostre bonne et mutuelle amytié envers elle.

A quoy la dicte Dame m'a responduque ce luy estoit ung singulier playsir de veoir que Vostre Majesté eust prins son intention en la bonne part, que vous l'avoit offerte, de s'em- ployer aultant droictement à la conservation de vostre grandeur et authorité sur voz subjectz comme si c'estoit pour sa propre cause ; et que la satisfaction que vous luy don- niez là dessus estoit si grande, que c'estoit à elle meinten- nant de vous en remercyer et à prier Dieu pour le bon suc- cez et ferme establissement de vos dicts affères et de la paix que vous desirez en vostre royaulme , avec plusieurs aultres parolles , dont aulcunes , à la vérité , touchoient les difficul- tez qui pouvoient encores rester en cella , et d' aultres expri- moient son affection d'y estre employée : toutes néantmoins bien fort honnestes et pleynes de grande démonstration d' amytié.

Mais, quant c'est venu à l'aultre poinct , du faict de la Royne d'Escoce, bien que je ne le luy aye baillé, sinon avec les mesmes termes parlesquelz Votre Majesté monstre de vouloir , jusques à l'extrémité du debvoir , constamment persévérer en son amytié et en la paix , elle néantmoins en a heu le cueur si atteinct qu'elle n'a peu, ny en son visaige, ny en sa parolle, dissimuler l'ennuy qu'elle en rccepvoit :

135 dont, après aulcuns peu de motz assés incertains , tanlost de l'esbahyssement d'ung tel propos, tantost de ce^e Yostre Majesté est'oit mal informée du faict : ayant dessus ap- pelle ceulx de son conseil , qui estoient dans la chambre , elle leur a dict que je venois de luy fère une bien estrange proposition, de la part de Vostre Majesté, et qu'elle me vouloit bien prier de la leur exposer tout de raesmes , affin qu'ilz en demeurassent mieulx instruictz. Ce que ne luy voulant reffuzer, je l'ay de tant plus vollontiers faict et avec plus d'expression de toutes les particullaritez de vostre lettre, que je sçavois que l'armée de la dicte Dame estoit desjà entrée en Escoce, et qu'il y en avoit présens de ceulx quil'avoient conseillé; lesquelzje desiroys bien qu'ilz en demeurassent confuz : et y en avoit aussi, qui n'attan- doient qu'une semblable occasion, pour avoir de quoy luy parler librement du faict de la Royne d' Escoce. Dont leur ay récité, tout à plain, vostre intention, et ay miz peyne de leur monstrer qu'elle n' estoit moins fondée en toute justice, que remplye de grande magnanimité.

A quoy nul d'entre eulx n'a rien respondu, sinon le marquis de iNorampthon aulcun peu de motz sur l'apro- bation de l'entreprinse d' Escoce. Mais la dicte Dame , (après m' avoir dict, ung peu en collère , que Vostre Ma- jesté avoit faict comme le bon médecin , qui , ayant à bailler des pillules bien amaires à son mallade , en faisoit tout le dessus de sucre , et qu'ainsy , vostre premier pro- pos du mercyeraent avoit esté bien fort gracieulx et doulx, mais celluy d'après estoit bien fort amer et piquant,) a commancé de me desduyre amplement l'occasion et jus- tiffication de son entreprinse en Escoce; et croy qu'avec les mcsmes démonstrations, que iuv avoient faict ceuU qui

130 la luy ont conseillée , en termes assés yéhémentz , mais toutesfoys bien fort honnorables en l'endroict de Vostre Majesté; qui, en somme, tendent à trois poinctz : l'ung, à vous fère veoir qu'il n'y avoit que droict et rayson, en ce qu'elle faisoit et qu'elle vouloit fère, vers la Royne d'Escoce et vers son royaulme ; le second, (pe nul ne debvoit trouver mauvais que justement elle poursuyvît de vanger les injures , que injustement l'on avoit faictes à elle et à sessubjectz; et le troisiesme, que, nonobstant tout eella, et sans s'arresteràtantde véhémentes oubienvériffiées occasions de malcontantement , à quoy la dicte Royne d'Es- coce et son ambassadeur, et ceulx de ses subjectz qui tien- nent pour elle, l'avoient extrêmement provoquée, elle ne lairroit de recepvoir les condicions qu'elle luy offriroit sur l'accommodement de ses affères , ou bien que Vostre Ma- jesté luy feroit offrir pour elle ; ains se disposeroit tout présentement d'y entendre : mesmes que luy en ayant desjà la dicte Dame escript une lettre et son ambassadeur une aultre, lequel luy avoit d'abondant mandé qu'il s'estoit en- cores réservé d'aultres choses pour les luy dire en pré- sence, elle me promettoit qu'il seroit bientost ouy, me priant au reste de luy vouloir bailler par escript ce que je luy avois proposé de vostre part , afïin d'en pouvoir mieulx dellibérer , et vous y fère plus claire et plus ample r es- ponce ; comme je pense , Sire , qu'elle fera par son am- bassadeur.

Et parce qu'il seroit long de réciter icy toutz les propos de la dicte Dame et ceulx que je luy ay responduz , je remetz de les vous mander en ma prochaine dépesche , par ung des miens , que je dépescheray exprès devers Vostre Majesté, avec d'aultres choses , lesquelles avec-

137 ques ceulx cy vous feront prendre quelque jugement des intentions de la dicte Dame. Cependant j'ay à dire à Vostre Majesté que le comte de Sussex , sire Jehan Faus- ter, et milor Scrup, estans entrez par trois divers en- droictz en Escoce , y ont allumé des semblables feuz , que aulcuns Escouçoys, avec les fuytifz d'Angleterre, avoient auparavant allumez en la frontière de deçà , non sans que ceulx cy y ayent toutjour crainct quelque rencontre : comme il est nouvelles que le dict Scrup et sa trouppe y ont esté fort bien battuz. L'artillerye et les munitions qu'on leur en- voyé sont desjà hors de ceste rivière, et m'a l'on dict qu'on a adjouxté à icelles mille litz avec leurs matalas et pail- lasses, comme pour accommoder deux mil soldatz dans quelque place ; et de tant que la dicte Royne d'Angle- terre, parmy son discours, m'a dict qu'elle n'estoit si sotte qu'elle ne cognût bien que toute l'affection, que Vos- tre Majesté et la France ont aulx Escouçoys, n'estoit pour proffict ny pour commodité qu'on peult tirer d'euk, mais seulement pour nuyre à l'Angleterre; et que Domber- tran avoit toutjour esté le port et l'entrée des Françoys et des estrangiers dans ceste isle pour troubler le pays ; (et que d'ailleurs la dicte Dame a donné la grâce à ung Escouçoys, qui avoit esté prins au North, lequel luy a baillé le pourtraict du chasteau de Lislebourg ) , il y a quel- que souspeçon qu'elle veuille assiéger l'une des dictes pla- ces, ou bien y en fortiffier quelque aultre dans le pays pour y entretenir garnyson. Et viens d'estre adverty , Sire, qu'elle faict mettre promptement en mer quatre de ses grandz navyres et une gallère, avec conunandement de tenir les aultres bien fort prestz ; dont , de tout ce qui succédera de nouveau , je mettray peyne de vous en ad-

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vertir le plus promptement que me sera possible. Sur ce , etc.

Ce m*" jour de may 1570.

CVr DÉPESCHE

du viii«rjour de may 1 570. ( Envoyée jusques à la court par le S"' de Sabran. )

Vifs débats dans le conseil d'Angleterre sur le parti à prendre à l'égard de Marie Stuart , et sur la réponse à faire au roi au sujet de l'invasion en Ecosse. Ravages opérés par les Anglais dans ce pays. Emprunt fait pour la Rochelle. Négociation des Pays-Bas. Espoir de l'ambassadeur que la paix ne sera pas rompue. Mémoire. Détail des opinions émises dans le conseil d'Angleterre. Réponse faite par Elisabeth à la déclaration du roi touchant l'Ecosse. Insistance de l'ambassadeur sur les motifs qui impo- sent au roi l'obligation d'exiger que les Anglais se retirent d'Ecosse, et que Marie Stuart soit rétablie sur le trône. mémoire secret. Motifs particu- liers qui ont forcé l'ambassadeur à faire connaître à la reine d'Angleterre la déclaration du roi sur les affaires d'Ecosse.

Au Ro Y.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre prins ce que je luy aydict, de vostre intention touchant la Royne d'Escoce, en la façon que , par mes précédantes du iii^ de ce moys , je le vous ay mandé , elle a monstre despuys qu'elle te- noit en tant ceste vostre déclaration qu'elle vouloit bien considéréement adviser comme elle auroit à s'y gouverner; <lont ayant dessus assemblé les principaulx de son con- seil , ilz ont fort vifvcment débattu la matière devant elle , et aulcuns d'eulx luy ont r<mionstré qu'il n'y avoit nul

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prince de bon sens au monde, s'il tenoit ung aultre prince entre ses mains , qui se dict compétiteur de sa couronne , comme faisoyt la Royne d'Escoce de celle d'Angleterre, qui le voUust jamais lascher; et qu'il n'y en avoit poinct aussi qui vollust espargner la vie de la dicte Royne d'Es- coce , si elle avoit excité en leur estât le trouble et la ré- bellion des subjectz, qu'elle avoit esmeu en cestuy cy. Les aultres luy ont représanté le contraire, et que la plus grande seureté qu'elle pouvoit prendre pour elle, et pour sa couronne , et pour la paix universelle de ceste isle , esloit de s'employer droictement à la restitution de la dicte Royne d'Escoce, et d'establyr une bien ferme amytié et bonne intelligence entre elles deux et leurs deux royau- mes ; et en est leur contention venue si avant que , les voyant la dicte Dame desjà aulx grosses parolles , les a priez d'en remettre la dispute à elle , et qu'elle cognois- soit bien que la matière n'estoit sans difficulté : néant- moins leur deffandoit fort expressément de ne parler ja- mais de chose qui touchât ny à la vie, ny à la personne de la Royne d'Escoce.

Je suis attendant , sire , qu'est ce qui résultera de cette détermination de conseil , et quelle responce la dicte Dame sera conseillée de fère à Vostre Majesté. Cependant j'ay esté adverty que l'exploict du comte de Sussex en Escoce a esté d'entrer en pays par trois endroictz ; sçavoir : luy avec le principal de l'armée par Rarvich , et sire Jehan Fauster avec la seconde troupe par Carleil , et milord Escrup avec le reste par ung aultre endroict ; et que , le xvii'' d'apvril , le comte de Sussex a commancé de fère le gast, et mettre le feu à Ware , continuant ainsy jusques à Gadenart , il a laict miner et pourler par terre la mayson du 1er de Far-

140 neyrst ; et , le sir Jehan Fauster , ayant aussi miz le feu partout il a passé, s'est venu rejoindre à luy 5 et du dict Gadenart , après l'avoir bruslé , ilz sont allez brusler la ville de Fanic , et ont pareillement miné et rasé la maison du 1er de Balchenech; puys, ont passé oultre jusques à Quelso , auquel lieu le 1er de Sufibrt leur est venu offrir pleiges pour satisfaction de ce que l'on luy pouvoit deman- der 5 et peu après , milord de Humes y est aussi venu , le- quel a parlé au dict comte de Sussex et luy a offert le sem- blable ; mais ny l'ung ny l'aultre n'ont raporté aulcune bonne responce : et ce faict , icelluy Sussex a ramené ses gens, le xxiiu^ du dict moys, àBarvich. Mais, quant à rnilor Escrup , qui est entré par les marches d' Ouest , les choses ne luy ont succédé de mesmes, car il a esté rencontré par les Escouçoys qui luy ont deffaict la pluspart de ses gens, et dict on que luy mesmes est blessé 5 et que le comte de Vuesmerland s'est trouvé au combat, qui a cuydé estre prins. Despuys, l'on m'a dict qu'ayant le dict comte de Sus- sex receu le reste des forces, qui estoient demeurées der- rière, délibère de rentrer du premier jour au dict pays et aller assiéger le chasteau de Humes , sinon que , sur ma remonstrance , ceste Royne luy mande de ne passer oultre 5 tant y a que s'il le faict, je ne pense pas que les Escou- çoys ne luy donnent la bataille; mais je ne vous puys mander. Sire, aulcune chose certaine de leur apareil, parce que les passaiges sont tenuz extrêmement serrez.

11 est nouvelles que le duc de Chastellerault est hors de prison , et que ceulx qui tiennent le party de la Royne d'Escoce sont en beaucoup plus grand nombre, et sont les principaulx et les plus fortz du pays. Ceulx qui les favo- risent icy , m'ont faict dire que , si la paix se conclud

Ui en France, leur aflère se pourtera en toutes sortes fort bien, et que ce que j'ay déclairé à ceste Royne ne sera venu que le plus à propos du monde ; mais , si la paix ne se faict poinct, qu'ilz craignent beaucoup quelles choses n'en aillent que plus mal; et semble, Sire, que aulcuns de ceulx de la Rochelle, qui sont icy, n'espèrent guières qu'elle se puysse fère : mesmes j'ay adviz qu'il a esté mandé en Hembourg de fournir promptement les cinquante mil escuz de la lettre de crédit qui, en janvier dernier, a esté baillée à M*^ le cardinal de Chatillon , ainsy que dès lors je le vous ay escript , et que le S' de Lombres y envoyé présentement une aultre lettre de lx mil îf sterlings pour le prince d'Orange, qui est une somme qu'il a levée sur les esglizes des Flamans protestans résidans par deçà , et que le cardinal de Chatillon et luy sont après à dresser des contractz et des obligations pour fère fornyr encores par dellà cent cinquante mil escuz sur la prochaine flotte qui va au dict Hembourg. En quoy me semble qu'il y aura assés de difficulté, tant y a qu'ilz n'en sont hors d'espé- rance; et la Royne d'Angleterre, pour recouvrer deniers pour elle, a doublé l'emprunct, dont je vous ay naguières faict mention, jusques au nombre de trois mille privé scelz , desquelz elle espère tirer jusques à six ou sept cens mil escuz.

Elle et les siens monstrent avoir une très grande affec- tion à l'accord des différandz des Pays Bas, et parce qu'il semble que la plus grande difficulté est meintennant à contanter les merchans anglois , l'on m'a dict que le secrétaire Gecille les ayantz assemblez dessus, et les trouvans ung peu opiniastres , leur a résoluement déclairé que les princes veulent demeurer d'accord, par ainsy qu'ilz

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adviseut entre eulx d'accommoder leurs afleres. Sur ce, etc.

Ce vin'' jour de may i570.

Tout nieintennant l'évesque de Roz me vient de mander qu'il ;i esté appelle ,• ceste après dinée , pardevant quatre seigneurs de (;e conseil ; lesquelz, après plusieurs propos, luy outdict, quesi laRoyne d'Escoce veult rendre les rebelles d'Angleterre, qui se sont retirez en son royaulme, que cella mouvera grandement la Royne, leur Mestresse, d'avoir son cueur bien disposé envers elle; et n'ont passé plus avant : ce qu'il voyt bien estre une invention des ennemys do sa Mestresse pour retarder toutjour ses affères, es quelz ne luy reste plus aultre espérance , tant que ceux qui sont ici en authorité gou- verneront , que celle que la dicte Dame a miz en Vostre i\Ia]esté. Et viens d'estre adverty que le comte de Sussex est rentré en Escoce, qu'il a prins le chasteau de Humes, et qu'il a miz garnyson dedans.

A LA ROYNE.

Madame, saichant que la Royne d'Angleterre estoit, tous ces jours, après à dellibérer eu son conseil qu'est ce qu'elle auroit à fère ou dire sur ce que je luy avois pro- posé, de la part de Voz Majestez, en ma dernière audience, et voyant que je ne pouvois plus intervenir à luy fère dessus nul aultre office, que celluy que j'avois desjà faict; qui, à la vérité, m'avoit bien semblé tel que je l' avois plustost disposée à la modération que à continuer son entreprinse en Escoce, j'ay envoyé ramentevoir par lettre à M' le comte de Lestre , et par paroUe au secrétaire Cecille , les occasions qui ont meu Voz Majestez de luy déclairer ainsy vostre intention; et comme ilz cognoissent assés que c'est ung debvoir , notoirement apartenant à vostre réputation et à l'honneur de vostre couronne ; lequel, quant vous n'en eussiez rien dict, ou que vous eussiez dissimulé de ne vous en soucyer, leur dicte Mestresse et eulx n'eussent

143 layssé pourtant de penser que vous ne le pouviez obmettre ; et que partant ilz veuillent , à ceste heure , bien pour- \oir , de la part d'elle , qu'il ne soit faict chose qui puisse donner commancement d'altération à ceste tant bonne et mutuelle intelligence , qui rend Voz Majestez et la dicte Dame très utilles amys les ungs aulx aultres, et de laquelle bonne intelligence vous protestiez bien de ne vouloir en façon du monde (sition contrainct par grande nécessité du debvoir et à trop grand regrect) jamais vous despartyr.

Sur quoy l'ung et l'aultre m'ont mandé ^de fort bonnes paroUes, et telles qu' ilz me font encores reprendre quelque espérance : tant y a, Madame, que des premières respon- ces que la dicte Dame m'a faictes, lesquelles je vous en- voyé par le S'" de Sabran , il se peult aulcunement bien cognoistre va son intention. Je ne cognois pas que , pour cella , elle ayt encores changé de désir sur la pacif- fication de vostre royaume ; mais il me semble bien que ceulx de la nouvelle religion , qui sont icy, n'espèrent guières qu'elle se face, lesquelz font toute la dilligence qu' ilz peuvent de recouvrer deniers comme pour continuer la guerre ; et j'entendz qu'il vint hyer lettres d' Allemaigne à ceste Roy ne , par lesquelles l'on luy mande que le duc Hery de Bronsouyc a licencyé , par faulte de payement, la levée qu'il avoit arrestée pour Yostre Majesté ; et que le maréchal de Hes, tout aussitost, a commencé d'en dres- ser une pour luy; et que l' Empereur, estant contrainct de s'en retourner à Vienne pour mettre ordre à une grande ellévation qui s'est sussitée en Austriche pour le faict de la rehgion , à laquelle semble que le Vayvaude veuille te- nir la main, qui a desjà chassé les prestres et pillé les es- glizes de ses pays , s'est excusée d'intervenir à la prochaine

444 diette du xxii^ de ce raoys, laquelle estoit assignée à Spire ; et que , si ceulx de la religion avoient deniers, il ne fit ja- mais si bon en Allemaigne que meintennant. Sur ce, etc.

Ce viii* jour de may 1570.

;•! ;.' :•••,: ^: * ^ , '/Mr.:

fiiSTRiicTiON AD DicT S' DE Sabran de cc qu'U aura à fère entendre à Leurs Majestez , oultre la dépesche :

Que naguières furent miz en dellibération au conseil de la Royue d'Angleterre , elle présente, les trois poinctz qui s'ensuyvent .- Le premier, qu'est ce qu'il estoit besoin de fère pour se pourvoir contre le Roy et le Roy d'Espaigne, desquelz l'amytié estoit desjà si suspecte qu'ilz estoieiit pour se monstrer tous déclairés ennemys, aussytost que l'ung pourroit avoir la paix avecques ses subjeetz, et que l'aultre seroit venu à boult des Mores révoltez ; le segond est quel ordre de bien maintenir la religion protestante , et effacer la mémoire et le désir de la catholique en tout ce royaume; et le troisiesme , comment procéder si seurement au faict de la Royne d'Escoce et de son royaulme, que tout l'advantaige en demeurast à la dicte Royne d'An- gleterre et au sien.

Les adviz furent divers, car, quant au premier poinct, il y en eust qui dirent que n'ayans les deux Roys aulcune juste entreprinse en ce royaulme, comme ilz n'y avoient aussi aulcune juste prétention, il estoit à croyre qu'ilz ne cercheroient que d'estre sa,tisfaictz de quel- que offance, es quelles il les falloit honnestement contanter, et par ce moyen les retenir pour amys \ les aultres opinèrent qu'il ne se failloit attandre à cella , ains se pourvoir de bonnes et bien fermes ligues avec les princes protestans , qui seroit le vray rempart et maintien de cesle couronne contre leur effort. Au regard du segond, les ungs dirent qu'il estoit bon qu'avec l'exemple de la bonne vie et de la droicture des évesques protestans, il fût uzé de si bons déporte- mens envers les Catholiques, et les fère jouyr d'ung si paysible repos, qu'ilz n'eussent qu'à se bien contanter du présent estât de la religion, qui avoit cours en ce royaulme, sans essayer, avec le dangier de leurs vies et de leurs biens, d'attempter rien pour remettre la leur ; et les aultres , au contraire, que c'estoit par toutes sortes de deffaveur et de craincte qu'il les failloit abattre et tenir réprimez : et sur le troi- siesme , du faict de la Royne d'Escoce , parce que la matière estoit fort affectée , il fut seulement dit qu'il failloit , devant toutes choses ,

Uo

regarder à ce qui estoit plus expédiant, ou de retenir ou de délivrer la personne de la dicte Dame ; et pour lors n'y eust que des re- monstrances bien fort considéréraent desduictes pour admener, de chacun costé, la dicte Dame à leur opinion , sans qu'on en vînt rien à conclurre.

Peu de jours après, les principaulx de la noblesse avoient si bien disposé la dicte Dame qu'ilz pensoient n'y avoir rien plus près d'estre exécuté que la satisfaction envers les deux Roys et le soulaigement des Catholiques, et la liberté ec restitution de la Royne d'Escoce ; et de ce dernier, l'évesque de Roz en avoit conceu une si certaine es- pérance qu'il avoit desjà commancé de proposer des condicions et of- fres à la Royne d'Angleterre ; et l'avoit on asseuré qu'il seroit, le len- demain , introduict vers elle pour en traicter en présence : mais s'estant huict du conseil bandez au contraire, ilz firent le matin venir milord Quiper devers la dicte Dame , garny d'une préméditée re- monstrance, par laquelle il luy mit tant de dangiers et d'inconvé- nians devant les yeulx, et l'irrita si fort sur des livres , que le dict évesque avoit faict imprimer sur la deffense de l'honneur de sa M es- tresse et sur les droicts qu'elle a à la succession de ceste couronne , que la dicte Dame , après l'avoir ouy, estima ne pouvoir, en façon du monde , estre plus Royne , si la Royne d'Escoce luy eschapoit 5 et qu'il falloit qu'avec le temps elle veist les choses d'Angleterre et d'Escoce en meilleure disposition pour elle qu'elles n'estoient, pre- mier que de la délivrer. Et sur ce , les alfères de ceste pouvre prin- cesse furent remiz en surcéance, et le dict évesque de Roz resserré, et courriers incontinent dépeschez vers le North pour haster le comte de Sussex à son entreprinse.

A quelques jours de là, j'allay déclaiser l'intention du Roy dessus à la dicte Royne d'Angleterre, aulx propres termes qu'il me l'avoit mandé par sa dépesche du xu* du passé ; sur lesquelles elle fit les démonstrations de rescentymens et de courroux, <iue j'ay mandé par mes lettres du lu' du présent, mais non en sorte qu'elle ne monstràt bien qu'elle tenoit en grand compte la déclaration du Roy ; et comme princesse nourrye à la modération et à beaulcoup de sortes de vertu, me fit les responces qui s'ensuyvent, par lesquelles se pourra juger ce qu'elle avoit lors en son désir; dont cy après s'en- tendra si elle l'aura en rien changé :

Que le Roy, son bon frère , s'il l'estimoit Princesse Souveraine et légitime, et non accusée d'aulcun mauvais cryme, et estre aussi bien son alliée comme la Royne d'Escoce, laquelle n' estoit mentionnée en ni. 10

U(y

nulz treltez , qu'elle n'y fût premier nommée et comprinse , cprelle s'esbahyssoît comment il voulloii meintennant procéder d'une tant diverse voUonté entre elles deux, et comme il voulloit avoir tant d'es- gard à Tune, et si peu à l'aultre, qu'il trouvât bon que toutes les offances de la Royne d'Escoce luy fussent réparées, et nulles des siennes à elle; à qui toutesfoys elles avoient plustost esté commises et en si grand nombre, et tant dommaigeables que tout ce qu'elle cerchoit meintennant de la dicte Royne d'Escoce et des siens n'estoit sinon comme elle pourroit estre satisfaicte du passé et demeurer bien asseurée de l'advenir :

Car, oultre les vielles querelles , il estoit trop vérifTié que c'estoit la dicte Royne d'Escoce et l'évesque de Roz qui avoient esmeu les troubles du North, et qui avoient envoyé lettres, messaiges, bagues, argent, et fère offres de grandz sommes et secours aulx comtes de Northomberland et Vuesmerland, pour leur fère prendre les armes; et, après qu'iJz avoient esté delFaictz, elle avoit donné ordre de les fère recepvoir par ceulx qui tiennent son party en Escoce, non comme fugitifz pour garentyr leurs vies, mais comme ennemys, pour- suy vans une guerre contre elle , et contre ses bons subjeclz , à feu et à sang , et avec tant de cruaulté sur ses frontières qu'elle seroit trop indigne d'avoir royaulme, ny couronne, ny tiltre de Royne, si elle le comporloit;

Qu'en l'entreprinse, qu'elle avoit faictepour y remédier, elle avoit suivy l'ordre des trettez, sellon lesquelz elle avoit escript et envoyé messagiers exprès, devers les principaulx seigneurs et officiers d'Es- coce , pour fère cesser les désordres et avoir réparation de ceulx qui estoient desjà commiz , lesquelz avoient respondu qu'ilz n'y pou- voient donner ordre jusqu'à ce (ju'ilz auroient accommodé leurs dif- férandz ; et en avoit aussi adverty la Royne d'Escoce , bien qu'elle fût entre ses mains, qui avoit seulement respondu qu'elle n'enpou- voit mais :

Par ainsy, qu'après avoir satisfaict aux trettez , desquelz elle sça- voit bien les termes, et ne les vouloit transgi'esser ; ains , suyvant sa proclamation sur ce faicte , vouloit droictement conserver la paix avec la couronne d'Escoce , et non moins bien tretter les bons Es- couçoys, et ceulx qui ne reçoipvent ny accompaignent ses rebelles à luy fère la guerre, que les propres Anglois : elle avoit bien voUu aussi satisfère au debvoir qui l'obligeoit à ladeffance, tuition et conservation de ses subjectz, et qu'il n'y avoit lieu de penser qu'elle eust une plus grande enlreprinse que celle en Escoce , et,

Ul

si elle l'y avoit, ce ne seroit à si petites forces qu'elle y entreroit. Et de la dicte entreprinse , quant le Roy Tentendroit bien à la vérité, elle ne pensoit (ju'il voUût condampner rien de ce qui, en semblable occasion de la défiance de ses subjectz, il est très certain <[u'il en feroit davantaige ; et bien qu'elle n'eust à s'en justiffier qu'à Dieu seul , si avoit elle bien vollu qu'il y intervint tant de justice qu'elle ne peult esire raysonnablement blâmée de nul ; et que le Roy, son bon frère, ny le Roy d'Espaigne, duquel je luy avois faictmen- cion , ny nul aultre prince du monde ne la garderoient qu'elle n'es- sayât toutjours tout ce qu'elle verroit et trouveroit , par conseil , estre expédiant de fère pour la deffance de son estât , et qu'elle vouloit bien dire que le debvoir obligeroit plus justement le Roy de luy ay- der à repoulser ses injures, que de maintenir celles que injustement la Royne d'Escoce luy faisoit ;

Que , quant à la liberté et restablissement de la dicte Dame, en- cores que le dangier des choses présentes, et l'espreuve des passées, et le peu de seureté qu'on pouvoit prendre de ses promesses, veu ce que son ambassadeur, en parlant d'icelles à Ledinthon avoit dit : Quœ in vinculis aguntur^ rata non habebo, et frangenti fidem fides frangatur eidem ; et nonobstant aussi que la dicte Dame se fût bien fort efforcée de se déclairer seconde personne de ce royaulme, ce que ne luy estoit loysible de fère ; et que son dict ambassadeur, oultre ses aultres mauvais offices, eust freschement publié trois livres enceste matière, qui touchoient à Testât et honneur d'elle, et de sa couronne , et de ses conseillers; et qu'en toutes sor- tes la Royne d'Escoce l'eust si mal traictée, et remué tant de choses pernitieuses en son royaulme, qu'elle eust grand occasion d'estre infinyment irritée contre elle , et de ne recepvoir aulcun expédiant de sa part :

Si, ne reffuzeroit elle toutesfoys d'ouyr et recepvoir les offres et con- dicions qu'elle ou le Roy luy vouldroient fère, ainsy que desjà la dicte Dame et l'évesque de Roz luy en avoient escript , et luy avoient en- voyé des articles assés semblables à d'aultres, que cy devant l'on luy avoit présentez ; et le dict évesque luy avoit mandé qu'il avoit à luy proposer encores quelque chose davantaige , de parolle ; dont seroit bientost ouy : mais cependant le Roy ne debvoit trouver mauvais qu'elle poursuy vit la vengeance des tortz qu'on luy avoit faictz , et néantmoins me prioit de luy bailler par escript ce que je luy avois proposé de sa part, affin de pouvoir mieulx dellibérer, et luy en fère, puys après, plus clayre responce.

10.

448

Je luy respondiz seulement qu'elle debvoit prendre de bonne part ceste grande franchise , dont le Roy usoit envers elle , de luy ouvrir ainsy clairement son intention ; et que , quant bien il ne luy en eust ainsy parlé , elle n'eust layssé pourtant de penser qil'il estoit de son honneur et de son delivoir, non seulement de le dire , mais de le fère ainsy quMl le diroit; et que ce n'estoit d'aulcune malle vol- lonté envers elle , ains d'une notoire obligation envers la Royne d'Escoce, qu'il estoit contrainct d'en user ainsy ; et qu'il n'en feroit pas moins pour elle , en vertu de leur commune confédération , si elle et san royaulme estoient en pareille nécessité , car la loy des aliénées portoit de subvenir à ceulx des alliez qui sont oprimez, voire contre les aultres propres alliez qui les opriment ;

Que le Roy, pour n'en venir , desiroit qu'elle mesmes , par le conseil de sa propre conscience , ou par célluy de son cueur qu'il estimoit royal et droict , et encores par le conseil de ceulx , qui plus parfaictement ayment son bien et sa grandeur , vollût adviser qu'est ce que de ceste pouvre princesse, sa niepce, elle pouvoit désirer da- vantaige, de ce qu'elle luy avoit offert; que s'il n'y couroit ung ma- nifeste dangier de sa conscience, ou de son honneur, ou de sa vie, ou de la perte de son «stat, il s'asseuroit qu'elle l'accorderoit , et que luy, comme son principal allyé, non seulement le confirmeroit , mais mettroit peyne de le luy faire droictement accomplyr ;

Et que je luy voulois bien dire qu'après cecy, si la détention de la dicte Royne d'Escoce conlinuoit , et l'invasion de son pays ne ces- soit , que le Roy demeureroit très jusliffié envers Dieu et la dicte Royne d'Angleterre , sa bonne sœur, et envers toutz les siens , comme aussi il s'en justiffieroit envers les aultres roys , et mesmes envers les princes d'AUemaigne, qu'il n'auroit tenu à luy d'obvier au mal qui pourra advenir, si ses tant raysonnables offres, sur la liberté et restitution de sa belle sœur, ne sont acceptées, et qu'il ne luy en debvra estre rien imputé.

AULTRE INSTRUCTION A PART AU MCT S"" DE 8ABRAN.

La peur que j'ai heu que la déclaration du Roy à la Royne d'An- gleterre, pour les alfères de la Royne d'Escoce, mit les siens en dan- gier, m'a tenu en suspens si je la debvois différer, ou non, jusques après estre bien asseuré de la paix ; mais , voyant que de demeurer sans fère quelque prompte démonstration , sur ce que l'armée d'An- gleterre estoit entrée en Escoce , diminuoit par trop la réputation du

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Roy, et luy faisoit perdre les bons serviteurs qu'il a icy et au dict pays d'EscocCjje nel'ay vollue différer; bien ay miz peyne d'user de tout rartiflice qu'il m'a esté possible pour garder, qu'en aydant les affères de la dicte Royne d'Escoce, je n'aye poinct faict de dom- maige à ceulx du Roy ; car il est sans double qu'ilz se portent mu- tuelle faveur, et qu'on respecte les ungs pour l'amour des aultres en ceste court.

Et n'a esté sans que aulcuns principaulx seigneurs de ceroyaulme, et l'évesque de Roz avec eulx , n'ayent cuydé monstrer un grand si- gne de malcontantement de ce que le secours de France ne paroissoit desjà en Escoce, et que je ne protestois tout promptement la guerre, puysque les Anglois avoient commancé d'entrer en pays, et y fère toutz actes d'hostillité.

Et disoient , tout hault , qu'il falloit que le Roy cessât d'estre amy ou des Angloys, ou des Escouçoys, car il ne pouvoit meintenir Ta- mytié avecques les deux , et qu'il debvoit bien considérer que si les seigneurs catholiques de ce royaulme, qui s'estoient asseurez qu'il fa- voriseroit et secourroit les afîères de la Royne d'Escoce et les leurs , quand il seroit besoing, n'eussent tenu la main ferme à la paix d'en- tre la France et l'Angleterre, qu'il est très certain que ceulx del'aul- tre party eussent fait déclairer ouvertement la Royne, leur Mestresse, pour ceulx de la Rochelle , sur la grand instance que les princes protestans d'AUemaigne luy en faisoient.

Disoit davantaige le dict évesque de Roz que, si la Royne, sa Mestresse, vouloit quicter l'alliance de France , il est sans doubte qu'elle et luy seroient en liberté, et toutz les afîères d'Escoce se por- teroient bien ; et qu'il est certain que les choses estoient venues au poinct l'on les voyoit, d'avoir les comtes du North prins les armes pour la liberté et restitution d'elle, et pour l'advancement de la reli- gion catholique, par l'exortation de nous deux ambassadeurs de France et d'Espaigne ; et que meintennant il n'aparoissoit nul se- cours du coâté de noz Maistres; ains ceulx qui, soubz leur confiance, s'estoient déclairés, demeuroient en proye de la Royne d'Angle- terre, et ceulx, qui avoient bonne intention de se déclairer, restoient, à ceste heure , bien fort descouraigés et intimidez.

Or, l'office , qu'ilz ont veu que j'ay despuys faict envers la Royne d'Angleterre a beaucoup rabillé cella, et si , a miz tant de doubte au cueur de la dicte Dame et tant de contrariété entre ceulx de son conseil, que, confessans les ungs et les aultres la déclaration du Roy estre très raysonnable, et fondée au debvoir qu'il a aulx deux Roynes

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de vouloir retenir Taraylié de l'une et subvenir à l'extrême nécessité de l'aultre , il semble que les choses en viendront à quelque modé- ration.

Et ayant le dict évesque de Roz, par aulcuns des siens, faict exor- ter l'ambassadeur d'Espaigne de concourre avecques moi en ung semblable office, de la part de son Maistre, envers ceste Royne, pour la Royne d'Escoce , il s'est excusé de le fère , disant y avoir assés longtemps qu'il a devers luy une lettre à cest etfect de son dicl Maistre pour la Royne d'Angleterre , mais qu'il n'a jamais peu avoir audience d'elle , comme , à la vérité , il y a dix sept moys qu'il ne l'a veue, et que de luy fère venir meuitennant ung nouveau ambassadeur sur cest affère, puysqu'elle en a renvoyé deux de grande qualité, sans quasi les ouyr, qui estoient envoyez pour les propres affères de son dict Maistre , ny aussi d'entreprendre de pailer pour aultruy, jusques à ce qu'on se sera accommodé soy mesmes , le duc d'Alve estime qu'il seroit fort impertinent de le fère. Néantmoins, il donne espérance du contraire , ainsy que ce pourteur le dira à Leurs Ma- jestez.

CVir DEPESCHE

du xni** jour de may 1570. ( Envoyée exprès jusqties à Calais par Oratio d'Almarana. )

Nouvelles de l'invasion des Anglais en Ecosse. Prise du château de Humes, dans lequel ils se sont établis. Nouvelles d'Allemagne et des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, ce qui est survenu de nouveau au quartier du North et d'Escoce, despuys le viu* de ce moys, que je vous ay mandé , par le S"" de Sabran , tout ce que, jusques alors, j'en avois aprius, est que la Royne d'Angleterre , le jour précédant que je luy fisse instance, de vostre part, de ne fère entrer ses forces en Escoce , ou de les retirer ,

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si elles y estoient entrées, avoit desjà mandé au comte de Sussex d'y retourner par la seconde foys , pour y fère le gast; etledictcomten'avoitfailly de se remettre incontinent en campaigne : dont, le xxvj^ et xxvu^ dupasse, il a marché avecques l'armée jusques au chasteau de Humes, lequel délibérant prendre par force, et l'ayant faict recognoistre et aprocher le canon, ceulx qui estoient dedans envyron quatre vingtz hommes, après qu'on a heu seulement tiré trois coups , se sont randuz , bagues saulves , le xxix^ du- dict moys : et milord de Scrup qui , en mesmes temps , avoit marché plus avant , a esté encores ceste foys rencon- tré par les fugitifz anglois , et par aulcuns Eiscouçovs qui l'ont chargé , et y a heu ung assés aspre combat ; mais il s' est retiré avec la perte seulement de huict vingtz des siens, et sans que le dict de Sussex ny luy ayent passé à plus grand exploict. Après avoir layssé deux centz Anglois dans le dict chasteau de Humes, ilz s'en sont retournez, le u* de may, àBarvich, d'où j'entendz. Sire, que icelluy de Sus- sex a incontinent dépesché un gentilhomme devers la Royne , sa Mestresse , sur divers occasions : sçavoir , sur lesdifficultezqui se présentoient plus grandes en ceste nou- velle guerre, qu'on ne les pensoit du conmiancement ; sur le peu de confiance qu'elle doibt mettre en ces Escouçoys, qui disent estre de son party ; sur avoir suplément de de- niers, affin de complyr le nombre d'hommes que porte sa commission, car ceulx qui, jusques à ceste heure, sont entrez en Escoce, n'ont esté guières plus de cinq mil hom- mes et douze centz chevaulx en tout ; et aussi , si la dicte Dame entend de fère razer le dict chasteau ou bien le te- nir; et, au reste, à quoy elle veult que son armée s'em- ploye le reste de cest esté.

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Sur toutes lesquelles choses l'on m'a dict que, sabmedy dernier , luy a esté seulement respondu, que la dicte Dame luy gratiffie grandement le bon debvoir qu il a faict en ce voyage pour son service, et qu'elle est après à donner or- dre qu'il luy soit bientost envoyé argent et toutes aultres provisions qui luy font besoing; qu'elle n'est encores bien résolue du chasteau de Humes qu'est ce qu'elle en fera , mais qu'il advise cependant de bien entretenir la garnyson qu'il y a mise ; et qu'il ne se haste de lever plus grand nom- bre de gens de guerre , mais qu'il dispose si bien ceulx qu'il a avecques luy le long de la frontière pour la garde d'icelle, qu'on n'y puisse plus retourner fère les courses , pilleryes et bruUement, que par cydevant l'on a faict ; et ne luy or- donne rien davantaige. Je ne sçay si, cy après, elle luy com- mandera de rentrer encores pour la troisième foys en Es- coce.

Il est quelques nouvelles que milord de Herys a mandé au dict de Sussex que ses mauvais déportemens contrain- droient enfin les Escouçoys, à leur grand regrect, d'a- voir la guerre à la Royne , sa Mestresse ; et que s'il ne cessoit d'entreprendre en leur pays , que non seulement ilz se mettroient en debvoir, avec le secours des Françoys qu'ilz attandoient d'heure en heure, de l'aller combattre, mais aussi d'entrer et venir bruUer plus en avant en An- gleterre qu'il n'a faict en Escoce ; et dict on que le dict de Herys et le duc de Chastellerault , entendans que les com- tes de Mar et de Glanquerne s'estoient assemblez avec le comte de Morthon à Lislebourg , pour s'aller joindre aulx Angloys , se sont venuz loger avec' bonnes forces sur une rivière , et leur ont empesché le passaige. J'espère que par ces difficultez , et par la déclaration que Vostre Majesté a

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faicte fère à la Royne d'Angleterre, elle se layssera rame- ner à quelque meilleure rayson. Le comte de Lenoz, à ce que j'entendz , est demeuré mallade à Barvich, et le sir Randolf l'y est venu trouver. Je ne sçay encores s'ilz auront mandement de retourner à Lislebourg.

La flotte des draps a heu si bon vent qu'elle peult estre meinteunant arrivée à Hembourg, et , au retour des navy- res , qui la sont allés conduyre , nous pourrons entendre quelque nouvelle d'Allemaigne. Cella m'a l'on confirmé que les lettres de crédit , que ceulx de la nouvelle religion ont obtenues icy , y ont esté apportées pour être forny de dellà, jusques à cent cinquante mil escuz , s'il est besoing , ou si les draps peuvent avoir bonne vante ; et que cependant les premiers cinquante mil escuz , ottroyez despuys le mois de janvier dernier, seront en toutes sortes payez contant. L'on espère du premier jour la conclusion de l'accord sur les deniers et merchandises , qui ont esté mutuellement arres- tées icy en Flandres, et ne pensent les Anglois qu'il y puisse plus intervenir aulcune difficulté pour l'empescher. 11 est vray que l'ambassadeur d'Espaigne m'a dict que les choses n'en sont encores si près. Sur ce , etc.

Ce xiii^ jour de raay i570.

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CVUr DÉPESCHE

du xvii* jour de may 1 570.

( Envoyée exprès jusques à Calais par le Magnifique Donato.)

Changement survenu dans les résolutions de la reine d'Angleterre, qui site à poursuivre avec vigueur la guerre d'Ecosse. Espoir de l'ambassa- deur qu'elle va consentir enfin au rétablissement de Marie Stuart. Nouvelles d'Ecosse, de la Rochelle et des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire , ce n'est sans une très grande difficulté , mais non aussi sans beaucoup d'estime de vostre réputation, qu'il se commance à manifester quelque effect du bon of- fice, que m'avez commandé de fère icy pour la Royne d'Escoce; et ne sera encores, comme j'espère, sans quelque accommodement de voz affères , s'il peult estre conduict à sa perfection. Il estvray. Sire , qu'il est venu en temps que le feu estoit le plus allumé , et que la Royne d'Angleterre se sentoit extrêmement ofFancée , et que son armée estoit desjà entrée en Escoce ; à l'occasion de quoy le dict office a trouvé de l'obstacle et de l'empeschement davantaige à estre bienreceu. Néantmoinsil a esté proposé tel , et en tel façon , et sur tel rencontre que voycy , Sire , ce que despuys s'en est ensuyvy :

Que la Royne d'Angleterre n'a poursuyvy la guerre d'Escoce de la mesme ardeur qu'elle l'avoit commencée , ainsy que mes précédantes vous l'ont tesmoigné ; qu'elle est entrée en ung grand doubte de son entreprinse , puys- qu'elle vous y voyt opposant, et semble bien, que desjà elle

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commance de quicter l'obstinée résolution, qu'on luy avoit faict prendre, d'en venir à boult par la force, pour dor- senavant s'y conduyre par ung plus modéré expédiant; que les seigneurs de son conseil en sont entrez en une grande contention et en manifeste contradiction entre eulx; que ceulx du bon party ont reprins cueur, qui est d'aultant diminué aulx autres; finalement, que la dicte Dame monstre de vouloir meintennant beaulcoup plus en- tendre à la restitution qu'à la ruyne de la Royne d'Escoce; et en sont les choses si avant qu'elles doibvent estre débat- tues à plain fondz , et déterminées à Amthoncourt , mer- credy prochain , que le conseil y sera pour cest effect as- semblé , et monstrent les malveuillans de reffouyr assés la lice , dont les amys se disposent , de tant plus gaillarde- ment , à bien deffandre la cause qu'ilz voyent , Sire, que avez desjà commance de la prendre à cueur, et qu'ilz ont grand confiance que vous la favoriserez de mesmes en tout ce qu'elle aura besoing, cy après, d' estre aydée de pa- rolle , ou des démonstrations , ou des bons effectz de Vos- tre Majesté : car sans cella ilz despèreroient non seule- ment de vaincre , mais de pouvoir soubstenir les effortz et l'impétuosité des aultrés.

Je ne sçay encores , Sire , que me promettre , ny que vous debvoir fère espérer de l'yssue de ce conseil, veu l'instabilité que j'ay veue et souvant esprouvée de ceulx qui en sont , et veu les artiffices de ceulx qui plus possè- dent ceste princesse; lesquelz luy ont desjà formé mil pré- judices dans son esprit contre la Royne d'Escoce. Néant- moins, de tant qu'on m'a adverty assés en général, et sans grande expéciffication, qu'elle veult, en toutes sortes, prandre expédiant avecques sa cousine, et veoir comme

156 elle pourra tretter seurement avec elle des poinctz qui s'ensuyverit : sçavoir ; du tiltre de ceste couronne , d'une ligue et de la religion ; je vous suplie très humblement , Sire , me commander comme j'auray à me conduyre sur toutz les trois ; s'il convient que j'y intervienne au nom de Vostre Majesté ; et aussi comme, et en quelz termes il vous plairra que , au cas que on veuille interrompre ou prolon- ger la matière, je poursuyve l'instance, que j'ay desjà commancée, pour luy donner l'accomplyment que convient à l'honneur de la parolle et déclaration de Vostre Ma- jesté.

J'entendz que le lair de Granges ^ cappitaine du chas- teau de Lislebourg, a esté essayé, par argent et par grandz promesses, de vouloir prendre le party de la Royne d'An- gleterre, mais il a fermement respôndu qu'il sera fidelle jusques à la mort à sa Mestresse ; et dict on que , despuys que l'armée d'Angleterre a heu faict les deux courses dans l'Escoce, le comte de Morthon et ses adhérans ont esté proclamés traystres , et rebelles, et autheurs d'avoir intro- duict les ennemys dans leur pays.

Barnabe est revenu despuys trois jours delà Rochelle, lequel monstre, par ses propos, iqu'il a esté jusques au camp des princes. 11 confirme bien fort que la paix se fera , et que M"" l' Admyral la désire ; de quoy aulcuns icy mal af- fectionnez monstrent n'en estre guières contantz. Ungdes gens du prince d'Orange, après avoir toutz ces jours faict de grandes sollicitations en ceste court, se prépare de partir pour AUemaigne. Je ne sçay encores avec quelles expéditions il y va. L'on dict , touchant les différans des Pays Bas, qu'il y a desjà des articles accordez sur le faict des deniers et merchandises , et que bientost doibvent ve-

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nir des commissaires flamans par deçà , pour conclurre le tout. Sur ce, etc.

Ce xvii^ jour de may 1570.

En fermant la présente l'on m'est venu advertyr que l'abbé de Domfermelin est arrivé , je ne sçay si cella traversera ce qui est bien •commancé pour la Roy ne d'Escoce.

CIX' DÉPESCHE

du xxu« jour de may 1570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Le Tourne.) ^i •■'

Propositions faites à l'évêque de Ross par le conseil d'Angleterre pour la restitution de Marie Stuart. Déclaration de l'évêque sur les conditions qui lui sont offertes. Mission de l'abbé de Dunfermline en Angleterre. Nouvelles d'Ecosse. Doutes sur la conclusion de la paix en France ; continuation des emprunts pour la Rochelle. État de la négociation dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, le jour que le conseil de la Royne d'Angleterre a esté assemblé pour dellibérer, devant elle, s'il estoit expé- diant ou non qu'elle entendît à la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, de tant que desjà la dicte Dame es- toit aulcunement bien disposée d'y entendre, les malveuil- lans n'ont peu empescher que la conclusion ne soit venue à ce que l'évesque de Roz seroit incontinent mandé pour adviser, avec luy, comment et à quelles conditions il s'y pourroit moyenner ung bon accommodement, qui peult estre à l'honneur et à la seurté de la Royne d'Angleterre,

158 et au commun repoz des deux royaulmes. Sur quoy, es- tant le dict sieur évesque appelle , l'on luy a proposé les trois poinctz ; desquelz, en mes précédantes du xyu*" de ce moys , je vous ay faict mencion : du tiltre de ce royaulme, d'une ligue et de l'establissement de la nouvelle religion ; et y a esté adjouxté celluy que je vous avois auparavant mandé , de rendre les rebelles 5 et encores ung cinquiesme, d'abstenir de tout exploict de guerre entre les deux pays pendant que aulcuns depputez d'Escoce pourront venir par deçà pour tretter de ces choses. Mais ce en quoy l'on a le plus incisté au dict sieur évesque a esté des pleiges et seurtez que sa Mestresse pourra bailler pour l'accomplis- sement de ce qu'elle promettra ; et si elle sera poinct con- tante de mettre son filz et aucuns principaux personnaiges d'Escoce, comme le duc de Chastellerault, ou ses enfans, ou bien d'aultres seigneurs , et quelques forteresses ez mains de la Royne d'Angleterre; et aussi si vous, Sire, vouldrez poinct donner paroUe et bailler bstaiges pour l'entretennement du tretté qui s'en fera , parce que prin- cipallement la dicte Dame désire que vous y soyez com- prins , affin de s'asseurer de la paix avec Vostre Majesté. Le dict sieur évesque leur a respondu , en général et bien fort saigement sellon sa coustume, qu'ilz debvoient de- meurer très fermement et bien persuadez de l'affection et intention de la Royne, sa Mestresse, qu'elle n'en a nulle plus grande, ny plus certaine dans son cueur , que de don- ner à la Royne d'Angleterre, et à toute la noblesse de son royaulme, le plus grand contantement d'elle et la plus grande satisfaction sur ses affères qu'il luy sera possible, et qu'ilz ne veuillent aulcunement doubter qu'elle ne con- descende très libérallement à tout ce que la dicte Royne,

159 sa bonne sœur, et eulx estimeront estre honneste et ray- sonnable de luy demander ; et , quant aulx particuilaritez , qu'ilz venoient de luy desduyre, de tant que les unes estoient en la puyssance de sa dicte Mestresse et les aultres non , et que aulcunes sembloient estre assés aysées , les aultres très difficilles , il les requéroit , en premier lieu , de luy ottroyer sa liberté , et , après la liberté , d'en aller conférer avec sa dicte Mestresse , et puys , permission à elle d'envoyer devers les Estatz de son royaulme , affin de leur communiquer et leur fère bien recepvoir le tout , sans les- quelz rien ne pouvoit estre bien légitimement arresté dessus.

Voilà , Sire , l'ouverture qui a esté desjà faicte en cest affère , sur lequel en celle partie qui deppend de Vostre Majesté , et toutes en doibvent assés dépendre , il vous plairra me commander comment j'auray à m'y conduyre , ayant cependant proposé d'ayder, en tout ce qu'il me sera possible, l'advancement de la matière, et vous advertyr souvent de ce qui, jour par jour, s'y fera, et puys sur la conclusion d'icelle suyvre , le plus près que je pourray, ce que Vostre Majesté m'aura mandé estre de son intention , et convenable à l'honneur de sa couronne et utilité de son service. Le dict sieur évesque, ouy l'abbé de Domfermelin, a esté appelle, mais je ne sçay encores ce qu'il a proposé, ny ce qu'il pourra avoir obtenu, seulement l'on m'a dict qu'il a fort incisté d'avoir de l'argent. Or, Sire, j'ay sceu d'ailleurs que sur ce que les comtes de Morthon, de Mar et de Glan- carve , ont mandé au comte de Sussex, qu'il leur voUût promptement envoyer ung nombre de gens de guerre, affin de conserver l'authorité du jeune Roy, premier que tout le pays se fût remiz à l'obéyssance de la Royne d'Escoce , sa

460 mère, parce que le duc de Chastellerault, pour y trouver moins de difficulté , s'efforceoyt de fère publier que toutes choses eussent à s'administrer dorsenavant au nom et par l'authorité d'elle , durant la minorité de son filz , il a esté mandé au dict de Sussex qu'il ayt à leur envoyer, tout in- continent, deux mille des meilleurs etmieulx choysiz soldatz de l'armée, soubz la conduicte du capitaine Drury, mares- chal de Barvich ; non que sur ceste dellibération n'y ayt heu beaucoup de débat dans ce conseil, mais enfin il a esté résolu que ce ne seroit violler ny enfraindre la paix aulx Escouçoys que d'envoyer du secours à leur Roy, et qu'il falloit ainsy tenir les choses divisées de dellà jusques à ce qu'elles seroient composées , icy, avec la Royne d'Escoce.

J'estime , Sire , que cest affère marchera de mesmes que la paix de vostre royaulme, car si l'on vous voyt démeslé de la guerre de voz subjectz , ne fault doubter qu'on ne condescende plus ayséement icy aulx choses justes et ray- sonnables que vous vouldrez demander ; mais il semble qu'ilz tiennent pour assés doubteuse la conclusion de la dicte paix , à cause d'ung discours qui a esté envoyé de la Ro- chelle sur la négociation de M'^ de Biron avec Messieurs les Princes; et n'ont ceulx de la nouvelle religion, pour le propos de la dicte paix, layssé de se pourvoir du plus de cré- dit de deniers en AUemaigne qu'ilz ont peu; et desjà y ont envoyé les lettres , ny ne cessent d'y entretenir leurs pra- tiques aussi vifves comme si la guerre se debvoit encores longuement continuer.

Ceste princesse trouve assés de difficulté à lever l'em- prunct de trois mil privés scelz qu'elle a naguières imposez, et n'entreprend d'user de grand contraincte en l'exaction d'iceulx, de peur de quelque nouvelle eslévation. L'on at-

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tand l'arrivée de deux commissaires, des quatre qui es- toient allez en Flandres, lesquelz viennent pour tretter d'aulcuns particuUiers faicts qu'on leur a miz en avant, pour en sçavoir l'intention de leur Mestresse. Ung chacun espère qu'ilz s'accommoderont quant aulx deniers et merchandi- ses arrestées, mais que néantmoins le libre commerce d'entre les deux pays demeurera encores en suspend à cause de certaines difficultez de la religion et de la jurisdiction, dont ne se peuvent bien accorder. Sur ce, etc.

Ce XXII* jour de may i570.

CX' DÉPESCHE

du xxviie jour de may 1570. { Envoyée exprès jusquesà Calais par Bordillon.)

Discussions dans le conseil d'Angleterre. Résolution qui a été prise d'éviter la guerre avec la France. Mise en liberté de l'évêque de Ross. Au- dience. — Communication donnée à Elisabeth de l'état des négociations sur la paix en France. Vive insistance de l'ambassadeur pour obtenir que les Anglais se retirent d'Ecosse, et que Marie Stuart soit rendue à la liberté. Nécessité se trouve le roi de prendre les armes pour défen- dre les Écossais. Explication donnée par Elisabeth des motifs qui ont la forcer à envahir l'Ecosse. Résolution du conseil. Accord tou- chaui l'Ecosse. Traité conclu , sauf la ratification du roi, entre l'ambas- sadeur et la reine d'Angleterre , contenant les conditions sous lesquelles la reine consent à retirer son armée d'Ecosse , et à négocier la restitution de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, despuys la déclaration que \ostre Majesté m'a commandé de fère à la Royne d'Angleterre touchant la Royne d'Escoce et son royaulme, je n'ay cessé de la pres- ser bien fort qu'elle y voUût prendre ung présent expédiant, et voyant que desjà je l'y trouvois ung peu disposée, j'ay instantment sollicité les amys de ne laysser réfroydir la III. Il

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matière; lesquelz ont tant faict que, nonobstant l'auda- cieuse opposition des adversayres, dont les ungs ne se sont peu tenir d'user de parolles insolentes, et les aultres se sont expressément absentez pour y cuyder mettre du re- tardement , le conseil a esté tenu dessus ; auquel , entre aultres choses , j'entendz qu'il a esté résolu, par l'opinion de la dicte Dame, plus que par celle de nul des siens, qu'il falloit en toutes sortes éviter d'avoir la guerre avec Vostre Majesté ; et qu'ayant bien cogneu par mes propos qu'in- dubitablement l'on y viendroit, et que mesmes les Françoys seroient bientost en Escoce , si son armée passoit plus avant en pays, et s'il n'estoit bientost prins quelque expédiant sur les affères de la Royne d'Escoce, qu'elle vouloit que, tout présentement, l'on y advisât.

Sur quoy, ceulx qui nous sont contraires n'ont failly de luy remonstrer que, pour estre le propos de la paix de vostre royaulme plus prèsd'estre rompu que conclud, vous n'aviez garde d'envoyer meintennant en Escoce les gens qui feroient bien besoing à vostre propre défance ; et que, si vous entrepreniez d'y en envoyer, ainsi que je le don- nois entendre, qu'il failloit qu'elle fît sortir ses navyres, qui sont toutz pretz , en mer , pour vous empescher , et qu'ilz ne voyent qu'il y eust encores nulle occasion qui la dcubt divertyr de la première dellibération.

Les amys, au contraire, prenans fondement sur ce qu'il falloit évitter d'avoir la guerre avec Vostre Majesté , ont asseuré, par la cognoissance qu'ilz ont des choses de France, que les Françoys ne fauldroient d'entrer en Escoce , si vous entendiez , Sire , que les Anglois y prinsent pied ; et que, de jetter leurs navyres dehors , il fauldroit, s'ilz ren- controient la flotte françoyse, qu'ilz la combatissent, et que

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la guerre se cominenceroit trop plus ouvertement en ceste sorte contre la France, que quant les Françoys seroient descenduz en Escoce , lesquelz ne seroient lors prins que pour auxiliaires : mais que le meilleur estoit qu'elle com- mençât de tretter avec l'évesque de Roz et avec moy de quelque bon accommodement dessus.

Laquelle opinion ayant prévalu, l'évesque de Roz a esté, le deuxiesme jour après, appelle, avec lequel ceulx de ce conseil ont entamé les choses que je vous ay escriptes le xxij*" de ce moys ; et despuys , sa liberté luy a esté ottroyée : bien que la dicte Dame ne luy a encores permiz de parler à elle. Et par mesme moyen elle avoitadvisé que je serois mandé, mais les adversaires l'en divertirent, sur quelque poinct de réputation, qu'ilz lui représentoient, qu'il valloit mieux attandre l'ocasion que je y vinse de moy mesmes; et luy célébrèrent cependant bien fort la ropture de la paix, et mesmes firent que , sur la confirmation de ce que M"^ Norrys en avoit escript , M"^ le cardinal de Ghatillon fut convyé en court, qui disna avec la dicte Dame ; mais le len- demain je vins devers elle , et ne volluz, pour aulcuns res- pectz, lui monstrer les articles que Vostre Majesté m' avoit envoyez des dernières offres faictes aulx depputez, mais pour luy oster l'opinion que le propos de la dicte paix fût rompu, et pour remédier les choses qui pressoient en Es- coce , je luy diz que, vous ayant la Royne de Navarre et les Princes , ses filz et nepveu , faict fère des supplications et requestes plus amples que ne portoient les premiers ar- ticles que leur aviez accordez, et ayant Vostre Majesté miz en considération les infinys maulx que vostre royaulme, des- puys dix ans , a quasi continuellement souffertz par les horribles guerres, que ces troubles ont produicts; que, pour

11.

164 obvier à plus grandz inconvénians , vous aviez bien vollu condescendre à la pluspart de leurs dictes requestes , et me commandiez de luy dire que vous vous estiez de tant plus eslargy envers eulx, que vous vouliez qu'il aparust au monde , et nomméement à la dicte Dame , comme aussi Dieu vous estoit tesmoing , que vous n'aviez nulle chose plus à cueur que de réunyr toutz voz subjectz en bonne amytié, et esgallement trestoutz les conserver; et qu'en ce que leur aviez ottroyé de nouveau y avoit tant de quoy se contanter pour l'exercisse de leur religion , pour l'accom- modement de leurs afleres , et pour la seureté de leurs personnes , sans aparance aulcune de deffiance à jamais , que vous ne pensiez qu'ilzse peussent tant oublyer qu'aussi- tost que messieurs de Biron et de Malassize le leur auront faict entendre, qu'ilz ne l'acceptent; qui sont deux de vostre conseil que Vostre Majesté a renvoyé devers eulx pour en sçavoir la résolution ; et que faisant , de rechef , ung bien exprès office de mercyement envers elle pour la bonne af- fection qu'elle a monstre avoir à la paciffication de vostre royaulme, je la requisse , de vostre part , de deux choses , lesquelles elle estoit tenue de vous accorder : la première , que , si par ces grandes et plus que raysonnables offres , il advenoyt qu'il ne fût besoing que Yostre Majesté lui don- nast la peyne de se travailler à les leur fère recepvoir, ains que d'eulx mesmes ilz se disposent d'humblement les accep- ter, qu'il luy playse néantmoins vous garder bien entière ceste sienne bonne vollonté, laquelle, ou soit que vous ayez la paix , ou qu'il vous faille continuer la guerre , vous l'es- timerez très utille, ainsy que l'avez toutjour estimée très honnorable pour vous ; la seconde, que, s'ilz estoient si ob- stinez qu'ilz ne s'en vollussent aulcunement contanter, ains

105 vollussent persévérer en leur vioUente entreprinse , qu'elle veuille ainsy juger d'eulx comme de gens qui aspirent , et néantmoins sont bien loing d'abattre l'authorité de leur Roy et prince naturel; et qu'elle les veuille tout aussitost déclairer non seulement indignes de sa faveur et protection, mais très dignes qu'ilz soyent poursuyviz et réprimez par les justes armes et d'elle et de toutz les honnorables princes qui vivent aujourd'huy au monde.

La dicte Dame , d'ung visaige fort joyeulx et contant , après plusieurs mercyemens de la privée communication » que luy faisiez de voz afleres, m'a dict que les choses, à ce qu'elle voyoit , estoient en meilleurs termes qu'on ne le luy avoit dict, et qu'elle desiroit toutjour que la fin s'en ensuyvyst sellon le bien et repos de vostre royaulme ; et qu'elle pensoit bien qu'il pouvoit y avoir des considéra- tions que , possible , Vostre Majesté estimoit toucher et à sa réputation , et au debvoir de ses subjectz , qu'ilz ac- ceptassent d'eulx mesmes vos offres, sans y estre induictz par la persuasion de nul autre prince, ce qu'elle sera très ayse qu'il puisse ainsy advenir; mais si, d'advanture , il y intervient aulcune difficulté , qu'elle vous réservera tout- jour ceste vollonté et affection qu'elle vous a offerte pour s'y employer à toutes les heures , que vous cognoistrez qu'il en sera besoing, avec aultant de désir de vous y conserveries avantaiges, qui vous sont deuz, comme si elle avoit l'honneur que vous fussiez son propre filz.

Sur lequel propos je l'ay layssée assés discourir, et estant peu à peu venue d'elle mesmes à parler de la bonne affection que vous monstrez luy porter, j'ay suyvy à luy dire que c'est ce qui vous faisoit plus de mal au cueur , qu'estant vostre dellibération de persévérer constantment

166

en son amytié , vous ne pouviez toutesfoys estre jamais bien ouy d'elle sur les affères de la Royne d'Escoce, et que vous vouliez bien dire que c'estoit, par grand force et à vostre très grand regrect , que vous estiez contrainct d'avoir dessus différant avec elle , et que vous estiez hors de toute coulpe de l'altération qui en pourroit venir entre vous, et des maulx qui s'en pourroient ensuyvre au monde; qu'ayant Vostre Majesté, despuys l'aultre foys que j'avois parlé à la dicte Dame, entendu ce qui avoit succédé en Escoce, vous me commandiez de luy dire que, désormais , vous aviez, de vostre part , satisfaict à toutz les debvoirs et paysibles offices, en quoy vous pouviez es- tre obligé envers son amytié ; d'avoir premièrement exorté la Royne d'Escoce de luy donner tout le contantement d'elle et toute la satisfaction sur ses affères , et luy ré- parer, à son pouvoir , toutes les affères qu'elle luy pour- roit redemander ; et puys à elle , de vouloir condescendre à telles raysonnables condicions envers la dicte Dame, pour sa liberté et restitution, comme elle mesmes pourroit ju- ger estre honorables , advantaigeuses et bien seures pour elle et pour sa couronne , non toutesfoys esloignées de l'honnesteté et modération qui doibt estre gardée entre telles princesses , avec offre que vous les feriez accomplyr ; dont estimiez que , non seulement il vous estoit meinten- nant faict tort d' estre rejette et reffuzé dessus, mais encores grand injure , de ce que , sans respect de voz of- fres et remonstrances , elle avoit commencé de procéder par la force , de fère le gast , de brusler , de raser les maysons des gentishommes et usé de toutes voyes d'hos- tillité dans l' Escoce 5 que pourtant, oultre ce que je luy avois dict , par voz lettres du xij"^ d'avril , je n'obliasse

I()7 rien de ce que je verroys par voz présentes , du irtj'' do may , estre de vostre intention de prier et exorter la dicte Dame qu'au nom de vostre commune amytié, et de la paix, alliance et confédération d'entre Voz Majestez et vos cou- ronnes , elle voUust retirer ses forces hors du dict pays et n'en y plus envoyer ; et que je vous résolusse promptement de ce qu'en aurez à espérer, et en quelle vollonté je pou- vois cognoistre qu'elle estoit meintennant envers la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, parce que, allantz ses afleres de mal en piz , vous commanciez de cognoistre qu'il vous falloit désormais prendre les dilays, dont l'on luy usoit , pour manifestes reffuz ; et que vous me tanciez bien fort de quoy je vous avois longuement entretenu sur les bonnes paroUes de la dicte Dame ; et qu'en lieu de la modération que je vous avois promiz d'elle envers la Royne d'Escoce, vous voyez qu'il n'avoit succédé qu'ung grand commancement de guerre ; que meintennant elle me met- toit encores en une plus grand peyne commant vous pouvoir satisfaire sur ce que, de nouveau, j'avois entendu qu'elle avoit envoyé deux mille harquebouziers au comte de Morthon jusques à Lislebourg ; en quoy je la prioys de considérer que , puysqu'elle avoit ainsy baillé son secours aulx ennemys de la Royne d'Escoce , avec lesquelz elle n'a nulle confédération , que vous estimeriez vous estre beaucoup plus loysible de bailler le vostre aulx amys de la dicte Dame, laquelle vous estoit très estroictement alyée ; et que je ne sçavois si desjà il y avoit des compai- gnies embarquées, et que pourtant je luy voulois bien fère, de rechef, la mesmes instance que dessus de vouloir re- tirer ses dictes forces affin de ne vous contraindre d'user de plus grand/ , extraordinaires et violantz remèdes , que

108 vous ne vouliez essayer en choses qu' ussiez jamais à dé- meller avec elle .

La dicte Dame , se trouvant en grand perplexité de ce propos, m'a respondu que, despuys ma précédante au- dience, elle avoit toutjour estimé que son armée seroit re- tirée à Barvyc, et me pouvoit jurer que de ceste segonde entreprinse il n'y avoit que vingt quatre heures qu'elle en avoit receu l'advis par le comte de Sussex; qui luy man- doit qu'il avoit esté contrainct d'en user ainsy, parce que le duc de Chastellerault avoit retiré les rebelles d'Angle- terre, et les avoit introduictz au propre conseil d'Escoce , et ne luy avoit jamais voUu fère aulcune bonne responce , ou de les randre , ou de les habandonner ; et que pour- tant vous, Sire, ne debviez trouver mauvais qu'elle pour- suyvît par dellà une entreprinse qui touchoit tant à son honneur.

Je luy ay toutjour grandement incisté de retirer ses dic- tes forces, et qu'au reste elle poursuyvyst la reddition de ses dicts rebelles par une aultre meilleure sorte de quel- que honneste traicté avec la dicte Royne d'Escoce; sur quoy elle m'a bien dict beaucoup de bonnes parolles, mais non qu'elle ne l'ayt ainsy lors vollu accorder : de quoy es- tant sur l'heure entré en conférance avec les seigneurs de son conseil, avec remonstrance des inconvénians qui s'en pourroit ensuyvre, j'ay esté, le jour après, contre- mandé de la dicte Dame pour me trouver de rechef avec eulx ; avec lesquelz j'ay enfin arresté les choses que Vos- tre Majesté verra par ung mémoire à part, lesquelles m'ont esté après confirmées par la dicte Dame ; et Vostre Ma- jesté aussi, s'il luy playt, les confirmera : et je mettray peyne qu'il en sorte quelque bon elïect, bien que j'entendz,

i69 Sire, que, nonobstant cella, la dicte Dame a ordonné sor- tir promptement six de ses grandz navyres, avec douze centz hommes dessus, pour garder la mer; par ce, à mon adviz, que son ambassadeur l'a certainement advertve qu'il Y a des gens toutz prestz en Bretaigne pour passer en Es- coce; et elle vouldroit bien que ceste démonstration les re- tînt. Sur ce, etc. Ce xxvii* jour de mav 4570.

CERTEIIV ACCORD FAICT AVEC LA ROYNE D'ANGLETERRE

et avec les seigneurs de son conseille touchant les choses d'Escoce, du dict jour.

L'ambassadeur de France a dict à la Royne d'Angleterre que le Roy, son Maistre, la prie et l'exorte, au nom de leur commune amy- tié et de la bonne paix, alliance et confédération, qui est entre eulx et leurs couronnes , qu'elle veuille retirer ses forces hors d'Escoce , et n'en y envoyer plus d'auUres; et que le Roy, son dict Maistre , luy commande de le résouldre promptement en qnoy il en doibt de- mourer, et en quoy il doibt demourer de l'intention qu'il peult cognoistre qu'a meintennant la dicte Royne d'Angleterre vers la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, parce <iue , voyant aller les affères de la dicte Dame toujours de mal en piz , il commance désormais de prendre les dilays , qu'on use vers elle, pour manifestes reffuz ;

Et que nul ne doibt trouver estrange, s'il prend ainsy à cueur ceste matière ; car il y va, d'ung costé, de la conservation del'amytié de la dicte Royne d'Angleterre , sa bonne sœur, qui est une chose qu'H estime estre de grande conséquence pour luy et d'une grande im- j)ortance pour son royaulme ; et , de l'aultre , de la protection et deffance de la Royne d'Escoce , sa belle sœur , de laquelle il n'y a celluy qui ne voye combien il touche à sa réputation et à l'honneur de sa couronne , et combien il est abstraint par grandes obligations de nullement l'abandonner.

Sur quoy la dicte Royne d'Angleterre, ayant faict aucunes respon- ces sur l'heure au dict ambassadeur, elle luy a, le jour d'après, faict dire par les seigneurs de son conseil , et encores despuys elle mes- mes le luy a confirmé de sa parolle , que , pour satisfère au désir du Roy, son bon frère, elle trouve bon qu'il soit envoyé ung gentil- homme de qualité devers le duc de Cbastellerault et devers ces aul-

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très seigneurs Escouçoys, qui tiennent *le parLy de la Hoyne d'Es- coce, pour leur dire que, s'ilz veulent rendre les fugitifz d'Angle- terre ou bien les habandonner, ou bien les retenir pour en rendre tel compte , comme sera porté par le tretté qui se fera entre elle et la Royne d'Escoce, qu'elle est contante de retirer toutes ses forces hors du dict pays d'Escoce ;

Et, en ce que le dict duc de Chastellerault et les siens, et pareil- lement le comte de Morthon et ceulx de son party, se désarmeront d'ung costé et d'aultre , et que toute hostillité cessera dans le dict pays et entre les deux royaulmes d'Angleterre et d'Escoce ;

A la charge aussi que , si le Roy, avant que ces choses soient acomplyes, avoit de sa part desjà envoyé ou faict passer de ses for- ces en Escoce, la dicte Dame ne veult estre tenue d'observer ce des- sus, sinon que le dict Roy Très Chrestien les voUùt révoquer, auquel cas elle révoquera pareillement les siens ;

Et que 'Sh l'évesciue de Roz nommera à M' Cecille le gentilhomme que la Royne, sa Mestresse, vouldra, pour cest etfect, envoyer en Escoce, affin de luy bailler saufconduict , et en donner adviz à M' le comte de Sussex , devers lequel il passera , et auquel sieur <;omte la dicte Royne d'Angleterre mandera d'acomplyr ceste sienne imention , aussiiost qu'il aura sceu celle du susdict duc de Chas- tellerault ;

Et (\[ie , par le dict ambassadeur de France et par l'évesque de Roz, seront baillées au gentilhomme qui yra en Escoce leurs lettres, servans à l'accomplissement de cest alfère.

Et, quant à la liberté et restitution de la dicte Royne d'Escoce, la dicte Royne d'Angleterre promect que , aussitost qu'elle aura receu la responce , que la dicte Royne d'Escoce luy vouldra fère sur les choses, qui naguières ont été trettées par son ambassadeur, l'éves- que de Roz, avec les seigneurs de ce conseil, qu'elle y procédera avec tant de diiligence qu'elle veult bien que le Roy Très Chrestien , son bon frère , demeure juge que plus dilligentment il n'y pourroit estre procédé; et ainsy l'a elle confirmé et asseuré au dict sieur am- bassadeur, en paroUe de Royne et de princesse chrestienne pleyne de f(3y et de toute vérité ;

Que , suy vaut les choses susdictes le dict ambassadeur escripra au Roy, son Seigneur, de ne vouloir envoyer de ses forces en Escoce, ou, s'il y en avoit desjà envoyé quelques unes , qu'il les veuille tout incontinent révoquer.

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CXV DÉPESCHE

du i" jour de juing 1 570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Efforts de l'abbé de Dunfermline pour arrêter l'exécution du traité conclu. Nouvelles d'Ecosse. Arméniens faits en Angleterre. Exécution des Northon à Londres. Espoir que le duc de Norfolk sera bientôt rendu à la liberté. Nouvelles de la Rochelle et des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, ceulx qui sont promptz de nuyre toutjour à la Royne d'Escoce, voyant/ que la négociation que je faisois pour elle commançovt de succéder , se sont esforcez d'intro- duyre l'abbé de Domfermelin pour m'y donner empesche- ment; lequel, n'ayant aporté qu'une simple lettre à la Royne d'Angleterre pour créance , ni pour toute aultre sienne instruction qu'ung seul blanc de ceulx qui l'ont en- voyé , affin d'estre remply icy par l'adviz de deux de ce conseil , il a vifvement incisté à la dicte Dame , que , suy- vant sa vertueuse dellibération et ses promesses , elle voUût recepvoir le jeune Roy d'Escoce en sa protection et le deffandre de la main meurtrière , qui naguières a faict mou- rir le père , et bientost après l'oncle ; et que meintennant elle veuille , par son authorité ou par ses forces , fère aprou- ver les décrectz qui, durant le gouvernement du dict oncle, ont esté faictz, tant en faveur du dict jeune Roy que pour l'establissement de la nouvelle religion en son royaulme; et qu'à cest effect elle envoyé réprimer les Amilthons, les- quels s' esforcent d'infirmer deux si bonnes causes , et sont proprement ceulx qui ont receu ses rebelles; et qu'au con- traire elle haste son secours à ceulx qui soubstiennent l'une

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et l'aultre, qui n'ont onques consenty de les recepvoirj et que beaucoup d'honneur et de réputation à elle, grande seureté à son estât et couronne , perpétuel estàblissement en la religion par toute ceste isle , et ung très grand prof- fict et accommodement en toutz ses affères s'en ensuyvra , sans que , en l'exécution d'une si glorieuse et utille entre- prinse, il s'y voye aulcun dangier, et bien fort peu de diffi- culté. Nonobstant lesquelz artiffices, la dicte Dame n'a layssé de fère confirmer, par le marquis de INorampton et par le comte de Lestre, à l'évesque de Roz , les mesmes choses qu'elle m'avoit accordées et qui estoient arrestées entre nous; dont sommes après à les effectuer. Et cependant est arrivée la responce de la Royne d'Escoce , sur les ouvertu- res que ceulx de ce conseil avoient naguières faictes au dict évesque , lequel a demandé dessus audience de la dicte Royne d'Angleterre, qui ne la luy a reffuzée; et aussitost que j'auray entendu ce qu'y sera tretté , je ne fauldray d'en donner adviz à Vostre Majesté.

J'entendz que les Anglois, qu'on a envoyez au comte de Morthon, sont arrivez à Lislebourg sans aulcun rencontre , et qu'ilz se tiennent sans fère grandz actes d'hostillité, et que le chasteau de Lislebourg ne respond rien à la ville , seulement les lairs de Granges et Ledinthon se tiennent dedans avec quelques aultres Escouçoys, qu'ilz y ont miz de renfort; que le duc de Chastellerault est à Glasco , avec bonne troupe des siens, lequel soubstient fermement l'au- thorité de la Royne, sa Mestresse; et que les comtes d'Ar- guil et d' Honteley s' en sont retournez pour s' establyr de mes- mes en leurs quartiers. Quant à l'aprest des six navyres de ceste Royne, il se continue, et de deux davantaige, qui sont huict en tout des plus grandz, pour les fère sortir en mer du

473 premier jour avec deux mil hommes, si ne trouvons moyen de les arrester ; mais j'y feray tout ce qu'il me sera possible.

Vendredy dernier estantz trois gentishommes de bonne qualité du North, qui s'apelloient les Northons, condampnez à mort comme coulpables de la dernière ellévation , ainsy qu'on lestiroit de la Tour pour les mener ausuplice, le secré- taire Cecille survint en dilligence , qui fyt surceoyr l'exé- cution, et parla à eux, et estime l'on qu'il espéroit trouver en leur dernière déposition quelque vériffication contre la Royne d'Escoce , et contre le duc de Norfolc , mais ilz n'ont rien dict : et le lendemain les deux ont esté exécutez. Il semble qu'il se commance d'ouvrir des expédians pour la liberté du dict duc, auquel trois de ce conseil sont desjà ordonnez pour aller après demain parler à luy ; et son filz aysné , le comte de Sureth , est arrivé despuys huict jours , qui est venu trouver le comte d'Arondel son grand père maternel. Quelcun a bien osé entreprendre d'aposer sur la porte de l'évesque de Londres une bulle du Pape' con- tre la Royne d'Angleterre, mais on l'a incontinent ostée, et faict on grand dilligence de descouvrir d'où elle est ve- nue; mais pour donner entendre au peuple que c'est quel- que aultre chose, l'on a imprimé un aultre placart.

L'on commance, despuys ma dernière audience, d'avoir quelque meilleure espérance de la conclusion de la paix de vostre royaulme qu'on ne faisoit; et aussi ung certain mes- sagier, qui est naguière venu de la Rochelle, semble le confirmer, bien qu'on dict qu'il a esté long temps en mer.

* Cette bulle , en date du 25 février 1670, déclarait Elisabeth hérétique et schismatique , et relevait ses sujets du serment d'obéissance. La publication qui en fut faite à Londres causa le supplice de Felton , mis à mort le 8 août suivant. Elle est rapportée en entier par Camden , année 1570.

174

Je mettray peyne d'entendre ce qu'on publiera de la dépes- che qu'il aporte, et d'une aultre qui est freschement arrivée du comte Pallatin, pour vous donner adviz de toutes deux par mes premières. Les depputez de ceste ville, qui sont revenuz de Flandres, ont esté desjà ouys de leur Royne, et puys en son conseil; ilz ont remonstré les difficultez qui s'offrent en- cores sur le faict de ces deniers et merchandises arrestées , et a esté remiz de leur fère responce d'icy à huict jours , à cause des affères d'Escoce; ce qui me faict juger que, sellon qu'ilz pourront accommoder les ungs , ilz vouldront reigler les aultres. Tant y a qu'ilz pensent que, pour le bonsuccez que le Roy d'Espaigne commance d'avoir contre les Mores, le duc d'Alve se rend raeintennant plus difficile à cest ac- cord. Sur ce , etc. Ce i^'^ jour de juing 1570.

CXir DEPESCHE

du v jour de juing 1570. . ( Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas de Le Poille. ) Hésitation du conseil d'Angleterre à assurer l'exécution du traité conclu. Résolution prise par la reine de le maintenir. Audience accordée par Elisabeth à l'évéque de Ross.

Au Rov.

Sire , premier que le comte de Sussex ayt sceu , ou au moins premier qu'il ayt peu fère sçavoir au capitaine Drury à Lislebourg, l'accord d'entre la Royne d'Angle- terre et moy, touchant retirer les Anglois hors d'Escoce, icelluy Drury avoit desjà envoyé sommer le duc de Ghas- tellerault et ceulx de son party , qui estoient au siège de Glasco, de luy randre les fugitifz d'Angleterre ^ ou bien de les habandonner , et surtout de luy donner parolle de

175 ne recepvoir aulcuns estrangiers dans le pays. A quoy luy estant baillé pour responce par le secrétaire Ledinthon , qui eut charge de la luy fère , qu'ilz n'estoient prestz ny de randre les fugitifz , ny de reffuzer aulcun secours es- trangier, ains, si les Françoys ne venoient bientost que luy mesmes les yroit quéryr, le dict Drury avec ses An- glois , et le comte de Morthon avec un nombre d'Escou- çoys du contraire party , ont marché jusques au dict Glasco , ne les ayant le dict duc attanduz , ilz ont estimé qu'ilz pourroient exécuter d'aultresplus grandes en- treprinses , s' ilz passoient plus avant vers Dombertran. Mais estant , sur ce poinct , arrivé au dict de Sussex l'advertissement de l'accord, ill'a incontinent envoyé no- tiffier au dict Drury, affin d'arrester son progrès; et néant- moins parce que, par une dépesche du mesme jour , il a escrit à sa Mestresse que les siens avoient commancé de bien fère à Glasco , et que despuys ilz s'estoient achemi- nez à Dombertrand, et qu'en mesmes temps ce que je vous ay mandé, Sire, de la bulle du Pape estoit advenu, et aussi que de France l'on mandoit y avoir plus grande aparance de guerre que de paix , la dicte Dame a cuydé délaysser toutz nos bons propos d'accord pour retourner à celluy, qu'elle avoit auparavant, de continuer la guerre en Escoce ; mais j'avois desjà sa promesse si expresse du contraire , et le fondement avoit esté miz si bon aulx bon- nes dellibérations , que les mauvais n'ont peu, pour ce coup , remettre sur les mauvaises , dont avons tant faict qu'il a esté résolument escript au dict de Sussex d'a- complyr icelluy accord, quant de l'aultre costé l'on l'ac- complyra. Bien luy a esté mandé qu'il ayt à entretenir toutjours ses troupes en estât de la frontière , de peur de

176

la descente des Françoys, comme de mesmes a esté or- donné icy que, pour encores, les grandz navyres ne partent point , mais que , pour la mesmes peur du passaige des Françoys, l'on les tiegne toutz prestz à la voyle ; et les seigneurs de ce conseil ont mandé à l'évesque de Roz et à moy qu'on avoit desjà bien advancé de satisfère de leur part aulx choses promises, et qu'à nous touchoit meinten- nant de dilligenter l'exécution du surplus.

Cependant le dict évesque a esté admiz à la présance de la dicte Dame, laquelle toutesfoys ne l'a receu sinon cérémonieusement et assés sévèrement , en présence de ceulx de son conseil, à cause des souspeçons auparavant conceues contre luy ; mais après qu'en se purgeant fort honnorablement , il a heu tout librement confessé qu'il avoit une seule foys , et non plus , ouy ung messaige du comte de Northomberland , qui luy offroit de mettre la Royne sa Mestresse en liberté , et de la ramener en son royaulme, pourveu qu'on luy fornyst de l'argent, auquel il avoit respondu que sa Mestresse ne vouloit partir d' An- gleterre sans le gré et bonne grâce de la Royne sa bonne sœur, ny elle n' avoit point d'argent pour luy envoyer; et qu'il a eu offert qu'au cas qu'il se peult jamais vériffier nulle aultre pratique contre luy avec ceulx du North, qu'il renonçoyt à toutz ses privilèges d'ambassadeur, d' évesque, et d'estrangier, et de son saufconduict , pour se soubzmet- tre aulx extrêmes punitions des plus rigoureuses loix de ce royaulme, la dicte Dame a monstre qu'elle en demeu- roit satisfaicte; et l'ayant tiré à part, a receu fort hu- mainement de ses mains les lettres que la Royne d'Escoce luy escripvoit, et a commancé de tretter privéement et fort familièrement sur icelles avec luy , de sorte que , se

477 raportant ceste négociation aulx miennes trois précédafl- tes, ung chacun juge que la chose s'en va si bien achemi- née , qu'il s'en peult espérer ung assés prochain et assés bon succez.

Je mettray peyne, Sire, de vous expéciffier par mes premières les poinctz et particullaritez l'on en est mein- tennant , et adjouxteray seulement icy que les seigneurs du dict conseil sont en ceste ville pour adviser de quelque expédiant avecques les marchantz, touchant l'accommode- ment des différandz des Pays Bas 5 et aussi pour veoir comme il faudra procéder sur le faict de la bulle du Pape, ayant esté l'adviz d'aulcuns qu'on debvoit purger et exa- miner par sèrement dessus les principaulx CathoUques de ce royaulme, et procéder tout incontinent contre ceulx qui se trouveront ou coulpables, ou attainctz du faict, par la rigueur des loix mareschalles ^ , qui portent condempnation de mort sans figure de procès; mais j'entendz que la pru- dence de la dicte Dame ne leur a acquiescé, laquelle ne s'est vollue esloigner des conseilz des modérez , qui la per- suadent de n'offancer les Catholiques qui luy sont obéys- santz. Sur ce, etc.

Ce V" jour de juing d570.

< C'est-à-dire , les lois martiales. Voyez Do Gange au mot Marescaleinlit, tom. IV, col. 543.

iS

478

CXIir DÉPESCHE

du xi^ jour (le juing 1 570. (Envoyée exprès jusques à la court par le .S' de Vassal.)

L'Évêque de Ross mis en entière liberté. Négociation pour le rétablisse- ment de Marie Stuart ; conditions proposées par Elisabeth. Espoir de l'ambassadeur que le traité pourra se conclure prochainement , et de- mande d'instruction à ce sujet. Même espoir que la liberté sera bientôt rendue au duc de Norfolk ; chefs d'accusation sur lesquels il a été tenu de s'expliquer. > Affaires des Pays-Bas ; grand armement fait en Angleterre, l'on craint une entreprise de la part du duc d'Albe. Mémoire. Condi- tions que l'on dit être offertes par la reine de Navarre pour la pacification de France. Affaires d'Ecosse. État delà négociation dans les Pays- Ras. Sollicitations faites auprès d'Elisabeth pour obtenir la liberté du duc de Norfolk. Mémoire secrel. Détails circonstanciés de toutes les dis- cussions qui ont déterminé le conseil d'Angleterre à se déclarer pour le maintien de la paix avec la France. Intrigue de ceux du parti contraire , afin d'empêcher cette décision.

Au Roy,

Sire, pour s'aquitter la Royne d'Angleterre de la pa- roUe, qu'elle m'avoil donnée, qu'aussitost qu'elle auroit re- ceu une responce, qu'elle attandoit de la Royne d'Escoce, elle procèderoit au faict de sa restitution avec tant de dilli- gence , que Yostre Majesté jugeroit qu'avec plus grande ne se pourroit fère, elle a desjà fort amplement traitté, avec M" l'évesque de Roz, des moyens et expédians qu'elle veult estre suyviz en cella , et des seuretez et condicions qu'elle désire luy estre gardées. A quoy le sieur évesque ne luy a contradict en rien , ny ne luy a rien reffuzé ; mais luy ayant monstre les choses qui en cella se pourroient trouver facilles ou difficiles, elle a monstre de ne se res- traindre tant aulx plus difficiles, qu'elle ne se veuille bien accommoder à celles qui seront en la puyssance de la Royne d'Escoce d'acomplyr; et ainsy elle a ottroyé au dict sieur

179

évesque sa pleyne liberté, avec licence d'aller conférer li- brement avec sa Mestresse ; lequel desjà l'est allée trou- ver, et a emporté ung bien ample saufconduict pour en- voyer les sires de Leviston ou de Bethon en Escoce , affin d'exécuter ce qui a esté arresté, entre la dicte Dame et moy, de retirer les siens hors du pays.

J'estime , Sire, que le dict évesque de Roz aura escript toute sa dernière négociation à M"^ l'archevesque de Glasco pour la fère entendre à Vostre Majesté, qui sera cause que je ne vous toucheray icy les particularitez d'icelle si- non en ce qu'il a semblé que la dicte Dame vouloit fort incister d'avoir le Prince d' Escoce en ses mains; et qu'il fût envoyé par Vostre Majesté aulcuns des parans de la Royne d' Escoce à estre icy quelque temps ostaiges, pour l'observance des choses qui seront promises; et que la li- gue se conclût offancive et deffancive entre l'Angleterre et r Escoce. Mais j'espère. Sire, qu'elle se contantera à moins; et affin que aulcune longueur n'y puysse venir de nostre costé , le dict sieur évesque m'a très expressément requis de suplier très humblement Vostre Majesté qu'il vous playse m' envoyer, par ce mesme gentilhomme présent porteur , ung pouvoir ample pour assister en vostre nom au traitté qui se fera ; lequel , pendant que les choses se monstrent en assés bonne disposition , il estime estre très nécessaire de conclurre sans délay, ou aultrement il y courra ung manifeste dangier d'en perdre pour jamais l'oc- casion. Mais, par mesme moyen, il sera vostre bon play- sir, Sire, de m' envoyer une particullière instruction des poinctz vous desirez que cest affère se réduise pour vostre service, affin que vostre intention soit (s'il m'est possible ) toute la règle de ce qui s'y fera.

1^2.

480 Les alFères du duc de Norfolc semblent prendre un^ mesme acheminement que ceulx de la Royne d'Escoce , car la Royne, saMestresse, a enfin envoyé deux de son con- seil parler à luy , qui ne luy ont touché que cinq poinctz ; sçavoir: celluy de son mariage avec la Royne d'Escoce, comme est ce qu'il l'avoit ozé pratiquer sans le sceu de sa Mestresse ; celluy d'une lettre qu'il avoit escripte au comte de Mora , il disoit avoir passé si avant au mariage qu'il ne pouvoit avec son honneur et conscience s'en reti- rer; le treizième, s'il ne s'en vouloit point despartyr main- tennant, sans jamais y entendre, sinon avec le congé de la dicte Royne sa Mestresse ; le quatriesme estoit de la reli- gion, comme souffroit il que toutz ses principaulx officiers et serviteurs fussent ou déclairez ou suspectz Catholiques ; et le cinquiesme, quelle seurté vouloit il donner à la Royne sa IViestresse de luy demeurer à jamais fidelle et obéyssant subject et serviteur. A toutes lesquelles choses j'entendz qu'il a si bien et sagement respondu que la dicte Dame en est assés satisfaicte; et s'espère qu'il sera remiz, du premier jour , en sa mayson de ceste ville , mais encores soubz quelque garde, pour quelques jours.

L'espérance de la paix de vostre royaulme ayde grande- ment à l'advancement des affères de l'ung et de l'aultre, et estime l'on que, succédant icelle , tout yra bien pour eulx ; mais aussi, si elle ne se conclud , aulcuns ont opinion que cecy n'aura esté qu'une aparance pour pouvoir passer l'esté sans trouble, et qu'ilz tremperont encores cest y ver en leurs accoustumées prysons.

J'entendz que le duc d'Alve mène ceulx cy d'ung grand artiffice sur l'accord de leurs différantz ; car, d'ung costé, il les brave bien fort, et les adoulcit encores plus de l'aul-

181 tre, et leur donne de grandes espérances de la bonne affec- tion que son Maistre a d'accommoder, mieulx que jamais, leur trafficqz en toutz ses pays^ bien que, entendant la Royne d'Angleterre qu'aulcuns de ses fugitifz sont passez devers le dictduc, et d'aultres sont allez en Espaigne, et qu'on lève maintennant des gens de guerre en Flandres , elle souspeçonne que c'est plustost contre elle que pour la réception de la Royne d'Espaigne, comme l'on en faict le semblant ; et , à ceste cause , elle a commandé de mettre encores en ordre quatorze de ses grandz navyres, oultre ceulx qui sont desjà pretz. Sur ce , etc.

Ce xi^ jour de juing 1570.

IXSTnUCTIOX AU S' DE VASSAL de ce qu'il fault fère entendre à Leurs Majestez , oultre le contenu des lettres:

Qu'après que la Royne de Navarre, en apvril dernier, eust expé- dié devers le Roy les S" de Telligny et de Beauvoys , lorsqu'ilz ve- noient du camp des Princes, et avec eux le S-' de La Chassetière pour adjoinct , elle fit une dépesche par deçà , laquelle a esté si long- temps sur mer, qu'elle n'est aiTivée que despuys huict ou dix jours : et par icelle semble qu'on ayt cogneu que la dicte Dame inclinoit à la paix;

Et que par le dict La Chassetière elle ayt faict dire à part au Roy et à la Royne qu'il ne tiendroit à elle que la dicte paix ne se fit , et qu'elle suplioit Leurs Majestez de vouloir ottroyer à ceulx de la nouvelle religion l'éedict de l'an lxvu , qu'ilz apellent l'éedict de Chartres , et encores ung presche davantaige en la prévosté de Paris, et qu'avec cella elle s'esforceroit de les fère contanter et de conclurre la dicte paix;

Qu'aulcuns icy ont esté bien ayses de ceste disposition de la dicte Dame, comme advenue contre leur espérance , car pensoient que les ministres la tiendroient la plus destornée de ce désir qu'ilz pour- roient. Aultres ont estimé qu'elle s'est trop hastée de parler d'ict-l- luy éedict de Chartres , lequel ilz disent estre fort dangereux et de nulle seureté ; et qu'il eust toutjours esté assés à temps de le requé-

182

rirj car les menées de court ne permettent qu'on accorde jamais les choses ainsy qu'on les demande ; ou bien altandre que le Roy l'eust offert de luy mesmes , et que eulx l'eussent lots tout libre- ment et avec humilité receu de la pure concession et ottroy de Sa Majesté ;

Que despuys , ne venant de France sinon toutjours nouvelles de continuation de guerre, et comme le Roy reffuzoit de rendre les offices et bénéfices à ceulx de la dicte religion , et de ne payer leurs reytres, M' le cardinal de Chastiilon , désespérant assez, pour ceste cause, de la paix, a sollicité plus vifvement que jamais les choses qui pou- voient servyr à se maintenir et à maintenir ceulx de son party en réputation par deçà, et à se procurer toutjours nouveaulx crédictz en Allemaigne.

A quoy semble que l'ayt davantaige confirmé de fère la venue d'ung aultre messagier, qui a esté dépesché de la Rochelle après le retour des depputez; lequel a aporté une forme d'arlicles, les- <iuelz à la vérité je n'ay pas veuz , mais l'on m'a dict qu'ilz contien- nent que le Roy ottroye pour seureté à ceulx de la nouvelle religion la Rochelle, Sanxerre et Montauban , plus vingt quatre villes pour leur exercisse , lesquelles il nommera après la confection de la paix ; (jue les haultz justiciers pourront fère prescher pour eulx , leurs subjectz, et ceulx qui y pourront assister; les genlishommes , qui <«t moyenne justice , auront aussi presche pour eulx et leur famille seulement ; que la vendition des biens eclésiastiques faicte par les Princes sera cassée ; les offices de ceulx de la dicte religion demeu- reront vanduz; et que les Princes payeront et renvoyeront leurs reytres ; et m'a l'on dict que desjà l'on a envoyé les dicts articles (!n Allemaigne avec des additions au marge, qui contiennent les laysons pourquoy on ne les peult ainsy accepter.

Ung Allemand , qui naguières est arrivé de la part du comte Pal- latin pour donner compte à la Royne d'Angleterre de Testât des choses de delà, nomméement de ce qui se présume de la diette et des nopces du prince Cazimir son filz, dict que, parce que les levées du Roy en Allemaigne ne passent en avant, celles des aultres demeu- rent aussi en suspens, mais qu'au reste elles se tiennent prestes pour le besoing, et que le prince d'Orange s'est retiré pourquel<|ues jours eu Testât d'une sienne parente, attandant les nopces du dict Cazimir, ausquelles il espère de pouvoir radresser ses affères ; et que M-- de Lizy ayant passé par Helderberc, il a séjourné ung jour ou deux, après avoir heu quelque petite conférance avec le dict S' Pallatin, a

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prins le chemin de Genève avec une troupe de genlishommes Fran- çoys qui vont trouver le camp des Princes.

Desquelles apparences de guerre , parce que ceulx cy voyent qu'elles ne fout poinct cesser les propos qui se mènent de la paix , et qu'il se trouve encores des difTicultez sur l'accord des différandz des Pays Bas , ilz deviennent assez irrésoluz comme debvoir procé- der ez choses d'Escoce , et craignent bien fort que, de les poursuy- vre davantaige , la paix de France et la victoire du Roy d'Espaigne sur les Mores i ne se convertissent en une guerre sur eulx; ce qui les faict plus voUonliers incliner aulx remonstrances que je leur fays dessus. Et encores que le temps et l'ocasion pressent bien fort (le pourvoir aulx affères d'E'^coce , ou aultrement ilz vont incliner à Id part des Anglois , sans que les Anglois y facent plus grand ef- fort, le mesme temps et la mesme ocasion néantmoins semblent se monstrer bien à propos au Boy pour pouvoir meintennant conser- ver, sans grand coust et quasi par moyens paysibles, ce que sa cou- ronne a heu toutjour d'alliance et d'authorité au dictpays; etcroy que mal ayséement une aullre foys y pourra il , sans vioUance et possible sans une grande guerre et à grandz fraiz et difficulté, y re- médier.

Les souspegons ne sont légiers à ceulx cy, du costé du Roy d'Es- paigne , parce que deux des principaulx hommes d'Irlande sont al- lez à recours à luy, et luy sont allez offrir accez, entrée et obéys- sance pour la protection de la religion caiholi(|ue en leur pays; et pareillement aulcunsdes principaulx fugitifz Anglois , qui s'estoient retirez en Escoce , sont passez devers le duc d'Alve. A l'ocasion de quoy, le comte de Lestre a, despuys dix jours, faict fère une plaincte à M' l'ambassadeur d'Espaigne de ce qu'on recepvoit les rebelles de ce royaulme en Flandres; et il a respondu qu'il n'en sçavoit rien,

< Cette victoire se rapporte aux avantages obtenus par don Juau sur les Maures d'Espagne, qui s'étaient soulevés en 1569. Il s'agit plus particulière- ment ici, soit du combat devant Finix , qui entraîna le pillage de la ville (fin avril 1570) , soit du combat livré dans les montagnes de Baza et de Filabres dans les premiers jours de mai 1570. Ces victoires furent immédiatement sui- vies d'un traité conclu avec Abaqui , l'un des principaux chefs des révoltés , qui se rendit auprès de Don Juan, le 19 mai, et fit le lendemain sa sou- mission solennelle. Cependant la guerre continua quelque temps encore, par suite de la résistance d'Aben-Aboo, qui s'était fait proclamer roi d'Andalousie , sous le nom de Muley-Abdala ; elle ne finit qu'au mois de novembre suivant, après qu'Abcii-Aboo eut été tué par Seniz, autre chef des Mores.

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mais qu'il ne fesoit double (lu'ilz ne fussent bien receuz ez terres du Roy Catholique, puysqu'ilz estoient chassez pour estre Catholiques, mais que ce ne seroit pour y mener rien par armes contre la Royne d'Angleterre.

Or, en ce qui concerne les différandz des Pays Bas, il a esté bien près d'y mettre ung bon accord, carie duc d'Alve en a faict toutes les démonstrations du monde; et en mesme temps est advenu par des intelligences , que la Royne d'Angleterre a en Flandres , qu'on luy a faict veoir la coppie d'une lettre que le Roy d'Espaigne es- cripvoit au dict duc , par laquelle il luy mandoit de regaigner, par toutz les moyens qu'il pourroit, l'amytié de la Royne d'Angleterre et des Anglois; dont ilz estiment que la difficulté , qu'il sentoit lors en la guerre des Mores , le faisoit parler ainsy, et qu'à ceste heure ayant quelque bon succez en icelle , il se veult tenir plus ferme sur la restitution des prinses.

Sur laquelle restitution icelluy duc , à l'arrivée des dicts commis- saires , leur a dict que la demande , qu'ilz estoient venuz fère des biens des Anglois , estoit très raysonnable -, mais que celle des sub- jeclz du Roy, son Maistre, qui demandoient pareillement d'avoir les leurs, n'avoit moins de rayson, et qu'il failloit venir à une mutuelle satisfaction des deux costez. Et néantmoins , s'estant puys après laissé aller à des expédiantz qui revenoient assés à son profflct , et qui donnoient grand espérance d'ung accord , il s'en est despuys desparty par ung adviz, qu'on luy a envoyé de deçà, d'ung aultre proffict plus grand d'envyron cent cinquante mil escuz , s'il retient les biens des Anglois; lesquelz biens il a desjà , pour ceste ocasion , faictz remettre de noïiveau soubz sa main , ou bien les deniers qui sont provenuz de la vante d'iceulx ; et meintennant l'on est après à fère quelque évaluation des ungs et des aultres , pour veoir si l'on pourra venir à quelque compensation.

Ceulx qui ont esté les plus contraires à la Royne d'Escoce et à ses affères commancent , à ceste heure , de se fère de feste et de luy promettre toute faveur et secours; et le mesmes est du duc de Nor- folc , car ceulx qui ont esté ses plus mortelz ennemys se gettent à genoulx devant la Royne, leurMestresse, pour la suplier pour luy ; et bien qu'en cella y puisse avoir de la simulation, pour plustost pro- longer que pour désir d'ayder ses affères , ilz semblent néantmoins estre resduictz à ungpoinct que, si quelque nouveau accidant ou quelque grand malheur ne survient, ilz seront pour estre bientost accommodez.

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AULTRE INSTRUCTION A PART

Que ce qui plus me fait incister icy aulx choses d'Escoce , et en solliciter pareillement Leurs Très Chrestiennes Majestez, est qu'il ne peult revenir que à une merveilleuse diminution de leur estime et grandeur, de se laysser ainsy arracher comme par force la Royne d'Escoce et les Escouçoys de leur protection ; et de souffrir que la Royne d'Angleterre leur emporte de leur temps ceste alliance , qui a esté conservée huict centz ans à la couronne de France, et laquelle assés souvant luy a esté très ulille , et quelquefoys bien fort né- cessaire.

Et je considère que , de s'y opposer meintennant par Leurs Ma- jestez , ce n'est les mettre en nouvelle guerre , ains plustost divertir celle qui leur pourroit venir d'icy ; ny mettre le Roy en grandzfrays de ses deniers, ains empescher que les Anglois n'envoyent les leurs en AUemaigne contre luy, ny l'attachera de grandes difficultez , car la seule démonstration de vouloir envoyer mille harquebouziers en Escoce , ou le passaige d'iceulx seulement , rendra ceste entreprinse achevée sans aulcunement venir aulx mains , de tant qu'ung chacun juge que la Royne d'Angleterre ne les sentyra sitost joinctz aulx Escouçoys partisans pour leur Royne, lesquels à présent sont les plus fortz, qu'elle ne viegne à telle composition qu'on vouldra; et si, ne demeurera que plus ferme en la paix , joinct que je n'ay faict ceste instance , sinon après que , par la conférance de ceulx qui entendent bien Testât de ce royaulme, j'ay comprins que c'estoit jouer à boule veue.

Et puys, je voy que ceulx qui ont persévéré jusques icy en l'affec- tion du Roy, s'ilz ne sont entretenuz de quelque bon espoir, voyre de quelque démonstration de son présent secours, comme de celluy seul entre les princes chrestiens, qui justement et légitimement peult mouvoir ses armes en ceste cause , ilz se vont sans aulcun double jetter ez braz du Roy d'Espaigne , et bien que ce ne soit aultant de droict, comme ez braz du Roy, ilz ont néantmoins desjà leurs mes- sagiei-s devers luy, et à ceulx est desjà faicte promesse de secours; mesme le duc d'Alve leur donne entendre qu'il est si prest qu'il ne reste sinon que la Royne d'Escoce envoyé son pouvoir et consante- ment pour l'acepter.

Et de ce, la dicle Dame a naguières receu ses lettres ou bien celles de son Maistre , car je ne sçay encores duquel des deux; laiit y a

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qu'on Passeure fort que, en toutes sortes, elle sera assistée et aydée à sa restitution par le Roy Catliolique, lequel cependant l'exorte de se réserver libre de son mariage , et de ne s'obliger à nul , sinon avec l'adviz et bon conseil qu'il luy en donnera.

Néantmoins commanceans les affères d'Escoce de s'aclieminer par la gracieuse voye de la négociation , que Leurs Majestez m'ont com- mandé de fère , j'espère qu'elles succéderont assez sellon leur désir, sans y fère aultre effort ny despence; mais à toutes ad vantures, parce que la malice des ennemys , et la faulte de cueur des amys , et la jalouzie de ceste Royne contre sa cousine sont choses que j'ay tout- jour fort suspectes , je désire que Leurs Majestez voyent à clair quel a esté et quel est le cours de ceste affère , afiin qu'ilz puyssent juger quant, et commant, et en quelle sorte il y pourra fère bon.

Après que j'ay heu, par deux foys, résoluement déclairée à la Royne d'Angleterre qu'elle ne pouvoit , sans contravention des tret- tez , envoyer ses forces en Escoce , et que pourtant elle debvoit ac- cepter les honnestes condicions et offres que la Royne d'Escoce luy faisoit, par le moyen desquelles elle obtiendroit, mieulx que par la force et sans aulcune despence, ce qu'elle prétandoit, et si, auroit conservé l'amytié du Roy, la dicte Dame a demeuré quelques jours fort incertaine comme elle en uzeroit ; dont aulcuns des siens , crai- gnantz le changement de sa dellibéralion , ont trouvé jjnoyen , il y a envyron quinze jours , de luy fère signer une lettre au comte de Sussex pour le fère passer si avant en l'entreprise qu'on ne s'en peult plus retirer. '

De quoy m'ayant esté donné adviz, et estant bien informé que la dicte lettre avoit esté substraicte , j'envoyay incontinent solliciter ceulx , qui avoient bonne affection en ceste cause , de le fère entendre à la dicte Dame , et de convaincre vers elle ceulx qui avoient ozé en- treprendre ung tel faict, et qui la vouloient, contre toute rayson, mettre en guerre avecques le Roy.

Ce que ayant bien oportunéement sceu fère , ilz ont si bien irrité la dicte Dame qu'elle a monstre d'en estre fort courroucée , et qu'en toutes sortes elle vouloit sortir par quelque aultre meilleur moyen hors de cest affère ; dont , assignant jour à ceulx de son conseil d'en venir délibérer devant elle, les ungs,pour rompre le coup, ont trouvé bon de s'absenter en ceste ville par prétexte du terme de la justice, et les aultres , ne pouvant contradire à colla, y sont venuz aussi pour le mesme prétexte, mais en effect ce a esté i)our fère des as- semblées soparéement avec les partisans et amys, pour voir comme

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ilz pourroient , de chascun costé , advancer leur intention et retarder d'aiiltant celle des aullres.

Et enfin milord Qiiiper , qui est chef de la partie contraire , après avoir bien consulté avecques les siens, avoit, au partir de ceste ville, délibéré de s'en aller en la contrée pour allonger et interrompre la matière ; mais le comte d'Arondel le prévint en son propre logis, et le somma de se trouver, le iij« jour après , devers la Royne leur Mes- tresse pour résouldre cestuy et aultres trèsurgentz affères, «qui ne pouvoient , disoit il , sans mettre la dicte Dame et son royaume eu grand dangier, estre plus prolongez. »

Icelluy Quiper, en grand collère , luy respondit qu'il ne délibéroit de retourner en court , qu'il ne fût plus de trois foys fort expressé- ment appelle , veu que la Royne tenoit si peu de compte d'observer les choses une foys arrestées , et qu'elle mesprisoit à ceste heure ses conseilz, et ne recepvoit plus sinon ceulx qui luy estoient très dom- maigeables , es quelz il ne vouloit en façon du monde intervenir.

Le comte répliqua que à la diarge qu'il avoit neconvenoit bien de gouverner ainsy ce royaulme par collère, car c'estoit par rayson et justice qu'il le debvoit modérer, et qu'il se sçauroit aussi bien cour- roucer que luy s'il vouloit; mais qu'il prévoyoit ung si grand incon- véniant d'une généralle sublévation en ce royaulme et de tant de guerres avecques les estrangiers, qu'il ne pouvoit pour son debvoir différer plus longtemps d'en avertyr sa Mestresse, et qu'il falloit que luy, comme son premier conseiller, s'y trouvast présent pour en del- libérer, ce que, s'il reffuzoit de fère, qu'il fût asseuré qu'il luy seroit reproché ; et que , absent ou présant , il ne lairroit de bien chanter les vespres au secrétaire Cecille , car ce n'estoit que d'eulx deux que j)rocédoit le retardement de toutz les aff'ères de ce royaume. Cella fut lors cause que le dict Quiper s'estant ung peu remiz, et estant le propos venu à plus gracieulx termes entre eulx , ilz se promirent l'ung à l'aultre de se trouver, le cinquiesme jour après , à Ampton- court.

Pendant laquelle assignation, le secrétaire Cecille fit tout ce qu'if peult pour destourner la dicte Dame de son bon propos , et luy oza bien dire assés licentieusement , présent le comte de Lestre, qu'elle s'en alloit habandonnée de ses meilleurs serviteurs, puysqu'elle se vouloit ainsy précipiter d'elle mesmes en ung manifeste et trop cer- tain péril de sa propre personne et estât par la restitution et delli- vrance de la Royne d'Escose.

A quoy , en collère , elle luy demanda comme il cognoissoit cella,

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car jusques à ceste heure , elle n'avoit ouy nulle rayson de luy dessus qui ne fût playne de passion et de liayne , et comme il nv. respondoit rien, le comte de Lestre dict : « Voyez, Madame, quel homme est le secrétaire, car se trouvant hier avec nous tous à Lon- dres, il asseura qu'il vous donroit conseil de restituer la Royne d'Escoce, et meintennant il parle en toute aultre façon. » « Ainsy, respondit elle , me raporte il plusieurs choses assés souvant de vostre part, qui puys après est tout le contraire. Quoyqu'il y ayt, maistre Secretary , dict elle , je veulx sortyr hors de cest affère et entendre à ce que le Roy me mande , et ne m'en arrester plus à vous aultres frères en Christ. »

Sur cella, m'estant arrivée la dépesche du Roy du nij' de may , il a esté le plus à propos du monde que j'aye faict ceste troisième re- charge, du xxij'' du dict moys, à la dicte Dame, comme je luy ay desjà mandé, par laquelle voyantz les adversayres qu'elle se layssoit conduyre à la rayson , et que desjà elle m'accordoit de retirer ses forces hors d'Escoce et de procéder à la restitution de la Royne sa cousine ; après que j'en ay heu aussi parlé au conseil, ilz ont pré- paré l'ung d'entre eulx pour venir, en présence des aultres, tenir le merveilleux et bien insolant propos qui s'ensuyt;

C'est de dire à la dicte Dame « qu'elle estoit estrangement piptc et trompée en ceste affère, car il estoit désormais trop clair que ceulx, de qui elle commançoyt de suyvre le conseil, estoient touiz gens partiaulx et bandez contre elle en faveur de la Royne d'Escoce , et qu'il n'y avoit rien plus aparant et vraysemblable ; que les propos de moy ambassadeur estoient emprumptez, ou de M"^ le cardinal de Lorrayne qui m'avoit mandé d'ainsy parler, ou de la Royne d'Es- coce qui m'en avoit prié ; et que, veu les affères que le Roy avoit chez luy, il n'estoit pour mander et encores moins pour fère ce que je disoys -, et que desjà l'on avoit passé si avant aulx choses d'Escoce qu'il n'estoit plus temps de s'en retirer, ny la dicte Dame ne pour- roit désormais , sans dangier et sans perdre trop de réputation , rap- peller ses forces de Lislebourg ; mais que , si elle poursuyvoit son entreprinse , il estoit trop évidant que l'Escocé s'en alloit conquise . et les Escouçoys toutz renduz ses subjectz et tributaires , et son authorité establye au dict pays , et sa religion à jamais confirmée par toute l'isle ;

» Que ce qu'il disoit estoit ung bon et droict conseil, et ce qu'on alléguoit au contraire estoit tout faulx et suspect , et qu'il vouloit mourir pour une si digne querelle, laquelle convenoit à la grandeur

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et dignité de la couronne d'Angleterre , non de se mouvoir ainsy ny de changer de délibération pour les paroUes d'un ambassadeur, comme il sembloit que la dicte Dame vouloit fère, et que le Roy, Henry VIII% n'eust pas lasché prinse, ainsy que honteusement et misérablement l'on le conseilloil à elle de le fère ; et qu'il offroit , au cas que , pour l'amour de la Royne d'Escoce , les Françoys passassent de deçà , que luy mesmes luy yroit trancher la teste , s'il playsoit à la Royne luy en bailler la commission , s'atachant particullièrement au comte de Lestre comme pour le taxer qu'il ne se monstroit fidelle en cest endroict à sa Mestresse. »

Le comte luy a respondu « que ces propos estoient d'ung homme indigne d'estre au conseil de la Royne , et que , de sa part , il l'avoit conseillée droictement sellon conscience et honneur, et sellon qu'il estoit dellibéré de vivre et mourir en l'opinion qu'il luy avoit don- née, et mesmes à maintenir, contre quiconques vouldroit dire le con- traire , qu'il ne luy avoit rien dict qui ne fût digne d'ung très bon et très fidelle conseiller, serviteur et subject; et puysqu'ilz en ve- noient , qu'ilz fissent tout le piz qu'ilz pourroient de leur costé , et que la dicte Dame regardât quel party elle vouldroit prandre, car luy et plusieurs aultres estoient résoluz de persévérer à jamais en leur délibération. »

La dicte Dame , se trouvant en perplexité , a respondu en coUère au premier qui avoit parlé, « que ses conseilz estoient toutjour sem- blables à luy mesmes , qui ne luy en avoit jamais donné que de té- mérayres et dangereux , et que , tant s'en falloit qu'elle vollùt avoir ung aultre royaulme au pris qu'il disoit de la vie de sa cousine , qu'elle aymeroit mieulx avoir perdu le sien que de l'avoir consenty ; et qu'il n'entreprint sur sa teste de tenir jamais plus un tel langaige, et qu'au reste eulx toutz mettoient ses afi'ères , et elle , et son estât, en grand dangier, de se porter ainsy tant contraires et opposans en leurs opinions, »

Sur cella , après quelque peu de silence , le comte d'Arondel a commancé de dire « que la collère , ny la passion , ny la hayne ou iimytié, qu'on pouvoit avoir à la Royne d'Escoce, ne les debvoit mou- voir de donner conseilz précipitez ni dangereux à leur Mestresse , ny de venir à nulle contention entre eulx , ains procéder en tout par prudence et modération; et que luy vouloit, en présence d'elle et de son ccmseil, librement dire qu'il estoit trop clair qu'en l'entre- prinse d'ayder une partie des Escouçoys qui estoient désobéyssantz, ou qui avoient quel autre prétexte que ce fût contre leur Royne

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Souverayne, ne pouvoit avoir rien de seux'té, ny d'équité, ny de profRct , ny rien auUre chose que force difDcultez , force despences , une très mauvaise estime des gens de bien , une grande offance des aultres princes, et une très certaine ouverture de plusieurs guerres, que la dicte Dame et son royaulme n'estoient pour pouvoir soub- stenir ;

« Que c'estoit mal juger des parolles miennçs, qu'elles fussent em- pruntées , car jusques icy l'on les avoit trouvées conformes à celles du Roy Mon Seigneur , et leur mesmes ambassadeur par ses lettres les avoit souvant confirmées; et qu'on n'avoit encores veu, quant ung ambassadeur d'ung si grand prince avoit résoluement dict ouy ou non^ qu'il se trouvât puys après aultrement; car seroit exemple fort nouveau, qu'ung ambassadeur se mit en dangier d'estre désadvouhé, et n'en fauldroit plus envoyer si Ton en venoit ; par ainsy, qu'ayant esté mon dire clair et exprès , il n'y avoit point de doubte qu'il ne fût procédé du commandement et de l'intention du Roy Mon Sei- gneur;

« Qu'il n'y auroit ny honte, ny dangier, de se retirer de ceste entre- prinse d'Escoce ; de honte , parce que cella se feroit sur l'instance «t prière d'ung grand Roy pour conserver la paix et les trettez, le- <piel promettoit non seulement de n'altempter rien de son costé , mais d'accomplir toutes choses à l'advantaige de la Royne; et enco- res moins de dangier , car ne seroit mal aysé de ramener les gens qui estoient à Lislebourg jusques à Barvich, sans qu'on en perdit pas ung ;

» Que possible le Roy Henry VIII' n'eust pas voUu lascher prinse, mais de son temps l'Angleterre estoit en meilleure disposition et mieulx unye que meintennant , et si l'avoit il merveilleusement es- puysée et ruynée pour les guerres de France ; es quelles toutesfoys il n'avoit jamais ozé rien entreprendre qu'il n'eust ung Empereur pour compaignon, tant s'en failloit qu'on peultfère meintennant es- tât du Roy Catholique , son filz, que au contraire l'on l'avoit bien fort offancé , et si enfin les entreprinses du Roy Henry en France estoient tornées à rien; que pourtant la dicte Dame advisàt de pren- dre l'expédiant qui plus luy pouvoit admener de paix et de seurté en son royaulme , qui plus luy pouvoit confirmer l'amytié des aultres princes , et qui plus pouvoit justiffier la droicture de ses intentions envers Dieu et les hommes. »

iV ceste opinion ayant celluy du conseil , qui est le plus homme /le guerre , adjouxté (juil se ofiroit d'aller luy mesmes retirer les

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Anglois , qui estoient à Lislebourg , en si bonne sorte que , sans aulcun dangier et à l'honneur de la Royne , il les reconduyroit toutz à Barvich , il fut conclud qu'on advertiroit incontinent le comte de Sussex de l'accord d'entre la dicte Dame et moy, pour donner ordre iju'on n eust à fère nulle entreprinse davantaige dans TEscoce.

Mais, le lendemain, survint ung inconvéniant qui cuyda tout gaster, car ayant l'évesque de Roz escript une fort courtoyse lettre au comte de Lestre pour obtenir de la Royne qu'elle luy vollùt donner au- dience , affin d'avoir conflrmation de sa bouche des choses que je luy avois dict qu'elle accordoit , pour les pouvoir plus seurement escri- l)re ; elle ne se peult tenir qu'elle ne dict au dict comte que la lettre l'arguoitde souspeçon, qu'on luy imposoit, d'avoir trop prins à cueur le party de la Royne d'Escoce : laquelle parolle le piqua si fort qu'a- près s'estre plainct de ce qu'elle vouloit ainsy tourner l'honnesteté de la lettre à son trop grand préjudice , il luy dict : « qu'il ne luy avoit jamais donné occasion de penser aultrement de luy que comme d'ung sien bon conseiller, qui a toutes les obligations du monde de ne luy estre jamais aultre que son très obéissant et très fidelle ser- viteur ;

« Que, en ce qu'il luy conseilloit de la Royne d'Escoce, il croyoit, comme en Dieu, que consistoit tout son repos et sa principalle seurté , et que de fère le contraire estoit sa ruyne et destruction , et qu'il ne changeroit jamais d'adviz , estant en elle de suy vre lequel «ju'elle vouldroit ; mais que , pour ne luy donner aulcun souspeçon de luy, il se privoit désormais fort voUontiers de n'entrer plus en son conseil. » Et ainsy s'en partit pour lors , et s'en vint à Londres, bien que, incontinent après, la dicte Dame luy envoya, et au marquis de Norampton, une commission pour parler au dict évesque de Roz, affin de luy confirmer les choses qu'il desiroit, car pour encores elle ne le vouloit admettre en sa présence ; toutesfois cella a esté ra- billé despuys , et le dict comte raesmes a faict parler le dict évesque à la dicte Dame.

Geste tant grande division de court, laquelle est encores plus grande dans le royaulme, est cause dont, pour ne laysser intéresser le Roy ny sa couronne d'une si ancienne alliance , j'ay ainsy entre- prins de m'oposer à ceulx de ce conseil qui s'esforcent de la luy os- ier, qui ne sont personnaiges guières principaulx , ny bien fort au- ihorizez, pour me joindre aulx aultres qui font tout ce qu'ilz peuvent {)our la luy conserver, qui sont les premiers et plus nobles de ce royaulme, et d'en escripre ainsy que j'ay faict à Leurs Majestez.

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CXIV' DEPESCHE

du XVI'' jour de juing 1570. (Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Vollet.)

Nouvelle irritation d'Élisabetii contre l'évêque de Ross , Marie Stuart et le duc de Norfolk. Changement opéré dans les résolutions de la reine d'Angleterre. Nouvelles d'Ecosse, le traité conclu par l'ambassadeur a commencé à recevoir son exécution. Mesures prises contre ceux qui répandraient les bulles du pape en Angleterre. ~- Affaires d'Allemagne. Propositions que doit faire le pape à la diète de Spire. Messager en- voyé à Londres par l'amiral Coligni. Motifs qui ont changé les résolu- tions d'Elisabeth.

Au Roy.

Sire , il n'y avoit guières plus de deux heures que le S»^ de Yassal estoit party, pour vous aporter ma dépesche du xi^ du présent , quand le S'" de Sabran est arrivé avec celle de Vostre Majesté du dernier du passé , sur laquelle m' ayant la Royne d'Angleterre assigné audience à demain, je mettray peyne , Sire , de fère, s'il m'est possible, qu'elle veuille bien conformer son intention à ce que me mandez estre de la vostre ; et de luy oster, si je puys, une nouvelle offance , que, despuys huict jours , elle a conservé contre l'évesque de Ross avec tant d'indignation qu'elle jure de ne le vouloir jamais veoir, ainsy que le S'^ de Yas- sal vous l'aura peu dire, chose que je crains assés que me sera bien difficile de remédier, et qui pourra possible retar- der beaucoup les affères de la Royne d'Escoce; mes- mement que ceulx, qui nous sont contraires , ont heu desjà de quoy fère de ung mauvais office contre elle, c'est de changer la pluspart des bonnes dellibérations qui avoient esté faictes sur les choses du Nord et d'Escoce ; et ont aussi

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miz tant de traverse à la liberté du duc de Norfolc, qu'il semble qu'elle soit meintennant bien fort retardée , ny ceulx qui veulent bien à la Royne d'Escocc et au dict duc n'ont peu mieulx, pour ce coup, que de céder ung peu au courroux de leur Mestresse ; dont le comte de Lestre s'est absenté pour douze ou quinze jours en sa maison de Qui- lingourt , et le comte d'Arondel s'en est venu en ceste ville. Et cependant noz affères dorment, sinon en tant que noz ennemys les vont réveillant pour les fère eschap- per; mais j'espère qu'après le retour du dict évesque et de ces seigneurs , nous y donrons telle presse qu'il nous y serra baillé une bonne ou bien une mauvaise réso- lution.

J'entendz que la dicte Royne d'Angleterre a heu si grand désir de contanter Vostre Majesté , sur ce qu'elle m'avoit promiz de révoquer ses gens de Lislebourg, que , l'ayant, incontinent après ma précédante audience, mandé au comte de Sussex, il les a heu retirez premier qu'on luy ayt peu fère nul contraire mandement ; de sorte que Drury, avec ses quatorze centz hommes, car plus grand nombre n'en avoit il mené par dellà, a esté de retour à Barvyc le iiij* de ce moys : j'en sçauray demain par la dicte Dame encores mieulx la certitude, et pareillement si elle aura poinct retiré sa garnyson de Humes et de Fascas- tel. L'on dict que le comte de Lenoz est arrivé à Lisle- bourg, et que ceulx du party du jeune Prince, son petit filz, l'ont associé au gouvernement; néantmoins que le duc de Chastellerault et les trois comtes d'Honteley, d'Ar- guil et d'Athel, lesquelz ont, dezlex^ demay, soubzsigné à l'authorité de la Royne d'Escoce, et qui se portent toutz quatre conjoinctement lieutenants d'elle, avec l'aproba-

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tiori du reste de la noblesse et du pays, commaueent de réduyre toutes choses bien fort à leur dévotion.

Cependant l'on se trouve icy en grand perplexité et en plusieurs difficultez , pour la bulle dont vous ay cy devant escript , et en ont ceulx de ce conseil miz la matière en dé- libération; mais ne s'en pouvans bien accorder, ilzontfaict une grande assemblée des plus sçavans de ce royaulme pour veoir comme il y fauldroit procéder ; et m'a l'on dict qu'il est résolu que ceulx , qui auront ozé, ou qui auzeront cy après, entreprendre d'aficher bulles, proclamations, pla- cartz ou aultres telles choses si expresses contre la Royne, en lieux publiez , seront attainctz et convaincuz de lèze ma- jesté , et les aultres qui s'en trouveront seulement saisis, n'encourront pas du tout si grand crime , mais ilz n'évit- teront pourtant l'indignation du prince; et semble bien que, à l'ocasion de la dicte bulle, les Catholiques sont plus du- rement traittez, et qu'on a plus grand aguet à les observer de près qu'on n'avoit auparavant; mesmes le dict évesque de Roz a senty que cella est venu ung peu hors de temps pour sa Mestresse.

L'escuyer du prince d'Orange arriva icy la sepmaine pas- sée , sur les navyres qui revenoient de conduyre la flotte de Hembourg ; qui a aporté lettres de son maistre à ceste Royne , et au comte de Lestre , et au secrétaire Cecille , et encores d' aultres lettres à la dicte Dame de son agent qui est en AUemaigne, en datte ces dernières du xxvj*' de may; qui contiennent divers adviz , premièrement , que la diette a esté prolongée du xxij'' de may au xxij'^ de juing, et que le Pape a fort conjuré l'Empereur de s'y trouver, qui aul- trement s'en vouloit fort excuser, et ce , pour deux consi- dérations , que Sa Saincteté a heues , dont l'une se publie

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assés , qui est pour mettre en avant ung décrect qu'il ne soit désormais plus loysible aulx Allemans d'aller travailler les estatz des aultres princes chrestiens, par prétexte de se- courir leurs subjectz pour la cause de la religion ; et l'aultre, laquelle on tient secrecte , est pour fère passer ung aultre décrect contre les comte Pallatin et duc de Vitemberg , et contre quelconques princes, ou aultres, qui se seroient des- partys et séparez des deux religions receues en l'Empire : sçavoir, la Catholique et celle de la confession d'Auguste , affin de les priver non seulement de l'eslection, dignitez , charges , estatz et aultres leurs prééminances , mais y en subroger tout incontinent d' aultres , et les exclurre eulx , pour jamais, de la paix publicque d' Allemaigne. Ce qu'ayant le duc Auguste descouvert , et craignant que la présente désauthorisation et ruyne de ces princes ne fût puys après celle de luy mesmes, a vollu interrompre la dicte diette ; mais ne le pouvant fère , les dictes lettres portent que , par prétexte de conduyre sa fille en son mesnaige , il s'est ac- compaigné du Lansgrave et de huict ou neuf mil chevaulx , pour s'opposer aulx décrectz, et qu'ung chacun juge, puys- qu'il s'en vient ainsy à Heldelberg , qu'il se trouvera sans faulte à la dicte diette et que mal ayséement s'achè- vera elle sans quelque tumulte , puysque luy et les aultres princes se vont ainsy acompaignant ; qu'il s'estimoit que le Cazimir, incontinent après la dicte diette, ou bien plus- tost, s'achemineroit avec ses reytres au secours des Princes et de l'Admyral de France; que le duc Jehan Guillaume de Saxe avoit donné pour Vostre Majesté le alliguet' à ses gens pour les fère marcher par tout le moys de may ; et

* La solde du mois.

496 qu'il avoit dict aulx aultres princes protestantz que ce qu'il en faisoit n'estoit que pour se maintenir en crédit vers Vos- tre Majesté , et en la pancion que vous luy donnez, laquelle luy faisoit bien besoing pour s'entretenir, mais qu'il ne nuyroit en façon du monde à ceulx de la nouvelle religion ; et qu'au reste, l'on se resjouyssoit bien fort en Allemaigne de ce que le Roy d'Espaigne s'estoit modéré vers les Fla- mans de leur avoir ottroyé ung pardon général par l'on espéroit que les Pays Bas se maintiendroient en paix ; et est l'on icy après à dépescher le dict escuyer pour s'en re- tourner devers son maistre.

M^^l'Amyral a trouvé moyen de fère passer jusques icy en grand dilligence devers M "^ le cardinal de Chatillon ung messagier , qui n'a point aporté de lettres , mais seulement créance de bouche ; de laquelle je n'ay encores entendu le contenu, sinon que on m'a dict que c'est pour les choses d' Allemaigne, et si n'ay rien sceu du dict homme jusques à ce qu'il a esté renvoyé, car n'a esté arresté que deux jours icy, et s'en retourne, à ce qu'on dict, par Paris soubz quel- que passeport emprumpté.

- Mi ; Ce XVI* jour de juing 4570.

A LA Roy NE.

Madame, de ce que M*^ l'évesque de Roz, deux jours après que la Royne d'Angleterre luy eust ottroyé sa liberté, a esté trouvé partant de nuit avec le comte de Southanton, jeune seigneur catholique; et de ce qu'on se persuade que la bulle du Pape n'a esté expédiée sans le consentement de Yoz Majestez Très Chrestiennes et du Roy d'Espaigne; et qu'en mesmes temps milord de Morlay, principal sei-

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gneur d'Angleterre , beau filz du comte Derby, estant ap- pelle en ceste court n'y est voUu venir, ains est passé delà la mer à Doncquerque; plusieurs choses en ce royaume monstrent tendre à quelque altération , mesmes que , pour les dicts accidentz , icelluy comte de Soutanthon a esté mandé et aussitôt miz en arrest ez mains du capitaine de la garde ; et maistre Cormuaille, ancien conseiller, et plu- sieurs aultres Catholiques ont esté examinez et aulcuns d'eux miz en la Tour ; et le duc de iNorfolc , qui attandoit quelque eslargissement , a esté resserré. Dont je crains aussi que les affères de la Royne d'Escoce, qui comman- çoientde s'acheminer , en soient de mesmes bien fort esloi- gnez et retardez , mais je feray , pour le regard de ce der- nier, le mieulx que je pourray envers la dicte Dame pour la fère passer oultre en ce qu'elle m'a commancé d'accor- der : et j'espère. Madame, que j'en descouvriray demain assés son intention , bien que , pour l'absence du comte de Lestre, ny elle ne vouldra m'en donner sa résolution, ny moy cercher de l'avoir , si je sentz qu'il n'y face bon. Sur ce, etc^

Ce XVI" jour de juing 1570.

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CXV' DÉPESCHE

du xix*' jourde juing 1570.

(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques Tauriel.)

Détails d'audience. Changement de conduite de la reine d'Angleterre. Ses plaintes contre le pape. Sa colère contre Marie Stuart et l'évêque de Ross. Insistance de l'ambassadeur pour que le traité toucliant l'Ecosse reçoive son exécution. Déclaration d'Elisabeth qu'elle va donner les or- dres nécessaires à l'effet de faire retirer ses troupes , et qu'elle consent à traiter de la restitution de Marie Stuart. Motifs secrets qui font agir la reine d'Angleterre. Nouvelles des protestans de France; leur désir d'en venir prochainement à une bataille décisive.

Au Roy.

Sire, il n'est advenu sinon, ainsy que je l'avois pencé, que je trouverois à ceste heure la Royne d'Angleterre aul- trement disposée que lorsque je parlay à elle, le xx* du passé, non toutesfoys ez choses qui sont particullières de Vostre Majesté, car en celles m'a elle respondu conrnie les aultres foys; c'est de désirer toutjour la paix de vostre royaulme et que son ambassadeur luy puisse bientost man- der la conclusion d'icelle, estant bien marrye qu'on la va ainsy prolongeant; et qu'elle vouldroit bien sçavoir si tout ce que les aultres, de leur costé, disent que Yostre Ma- jesté leur a offert est vray; et, quoy que soit, que, comme Chrestienne , elle désire que vous les accommodiez en leur religion, et, comme Royne, qu'ilz vous randent entièrement ce qu'ilz doibvent à vostre authorité.

A quoy je luy ay satisfaict, sellon que la lettre de Vos- tre Majesté, du dernier du passé, m'a baillé ample argu- ment de respondre au tout, avec ung sommaire récit de lestât de votre armée, soubz la conduicte de M"^ le mares-

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chai de Cossé, et des exploictz que M' le mareschal de Danville a faictz du costé du Languedoc; ce qui n'a esté sans parler des aprestz d'Allemaigne et des nopces du Cazimir, par manière toutesfoys de me demander ce que j'en sçavois : et je n'ai obmiz de mencionner aussi les levées du duc Jehan Guillaume de Saxe et de Bronsouyc , comme elles commançoient de bransler pour Vostre Ma- jesté.

Et a la dicte Dame faict venir, par deux foys , à propos de me dire que l'Empereur luy a naguières escript avec aultant d'abondance, d'affection et de bienveuillance , comme au contraire le Pape s'est esforcé de luy donner ung bien mauvais salut par une sienne bulle, en laquelle il r appelle ^/2^/c/orMm serva\ mais que c'est chose de quoy elle ne se soucye guières, sinon qu'elle pense que tant d'estranges et insolantz désordres, qu'on voyt advenir, présagent bientost la fin du monde; et, avec un rire ex- traordinaire, m'a compté la façon dont mylord de Morlay, estant désembarqué à Donquerque, a demandé de parler au bourgemestre de la ville, se faisant ung des plus avancez et des plus illustres seigneurs d'Angleterre.

Et se sont jusques toutz noz propos passez bien fort gracieusement; mais, quant c'est venu à toucher du faict de la Royne d'Escoce, il est bien mal aysé. Sire, que je vous puisse dire en combien de façons la dicte Dame a monstre qu'on l'avoit de nouveau exaspérée et aigrie con- tre elle et contre l'évesque de Roz ; car luy ayant seule- ment suyvy la teneur de voz lettres avec les honnestes satisfactions qui y sont, elle, en commémorant ses bien- faictz vers sa cousine, m'a récité les offances vieilles et nouvelles qu'elle a receu d'elle et de ses ministres, et

200 qu'elles luy estoient si griefves que, si elle les eust tenues aussi vériffiées, il y a ung moys, comme elle faict meinten- nant , elle n'eust heu garde d'entrer en nul tretté des affères de la dicte Dame avec moy; et qu'elle entendoit que, nonobstant le dict tretté , Rostre Majesté faisoit em- barquer quelques geas en Bretaigne pour envoyer à Dom- bertrand, ce qu'elle remettoit bien à vostre discrétion, et vouldroit qu'il fût vray, car ne fauldroit plus parler d'ac- cord; toutesfoys qu'elle pence que c'est parce que je vous ay mandé l'acheminement de ces harquebuziers , que le comte de Sussex avoit envoyez au comte de Morthon, en quoy je eusse bien faict de ne me haster de le vous escripre sans en parler à elle ou à son secrétaire, qui m'eussent faict entendre que ce n'estoit aulcunement pour se mesler des droictz du royaulme entre la Royne d'Escoce et son filz, mais pour s'opposer à ceulx qui favorisoient et recepvoient ses rebelles, et pour donner ayde à ceulx qui les vouloient chasser ; que, en ce que je lui avois dict que les Escouçoys estoient après à vous sommer de leur envoyer secours par vertu de voz alliances, qu'elle croyoit bien que Ledinthon, qui avoit esté le plus traystre de toutz à sa Mestresse , conseilloit meintennant de ce fère, mais qu'elle pense que Vostre Majesté n'escoutera de si meschantz subjectz que ceulx là, et ne vouldra pour eulx oublyer une si rescente preuve d'amytié, comme est celle qu'elle vous a monstrée ez présentes guerres de vostre royaulme, d'avoir rejecté toutes les persuasions qu'on luy a faictes, et toutes les occa- sions qu'on luy a offertes, d'y pouvoir fort incommoder voz affères , et porter ung grand proffict aulx siens ; que , de ce que son ambassadeur vous avoit requiz de n'envoyer voz forces en Escoce avec l'asseurance qu'elle n'y envoyeroit

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point les siennes, que je croye fermement que tout ce qu'elle vous aura mandé ou qu'elle vous mandera par luy, elle l'acomplyra, mais qu'il fault considérer la distance des lieux, et qu'il n'est possible de si tost exécuter une paroUe comme elle est dicte; qu'elle remercye Vostre Majesté du commandement que m'avez faict de ne m'es- pargner d'aller jusques vers la Royne d'Escoce, s'il est besoing, pour l'exorter qu'elle luy veuille fère d'hon- nestes offres, et icelles acomplyr et inviolablement obser- ver; qu'elle ne fait doubte qu'elle ne promette assés, mais qu'elle ne tiendra jamais ; et que l'évesque de Roz est desjà allé devers elle pour luy parler, qui me relèvera de ceste peyne , duquel toutesfoys elle ne peult plus espérer aulcun bon office, et que hardyment la Royne d'Escoce envoyé ung aultre ministre, car celluy ne parlera jamais plus à elle.

De toutz lesquelz propoz de la dicte Dame, plains de courroux , voyant que je ne pouvois recuillyr rien de certain , je luy ai demandé s'il luy playsoit point accom- plyr les deux choses, qu'elle m'avoit naguières promises; de procéder dilligentment à la restitution de la Royne d'Escoce et de retirer ses forces hors de son pays.

La dicte Dame, intermélant plusieurs aultres propos, m'a enfin respondu que , pour l'honneur de Vostre Ma- jesté, elle continuera et paraschèvera le tretté avec la dicte Dame aussitost qu'elle luy aura faict entendre son intention sur ce que l'évesque de Roz luy aura dict; me touchant, en passant, que d' aultres foys elle luy avoit escript que, s'il n'estoit trouvé bon de la remettre avec magnifficence et aparat en son pays, qu'elle estoit con- tante qu'on l'envoyât privéement comme une qui retournoit

202 aulx siens ; en quoy elle a tout jours vollu pourvoir que ce fût avec seureté de sa vie : et quant à retirer ses forces, que je donne toute asseurance à Vostre Majesté que, suy- vant sa promesse , le comte de Sussex les a desjà révo- quées à Barvych, hormiz quelque peu de gens, qu'il a miz à la garde de deux chasteaux; lesquelz elle ne dellibère randre, qu'elle ne soit satisfaicte des outraiges que luy ont faict ceulx à qui ilz apartiennent.

A cella je luy ay répliqué que ce ne seroit retirer ses forces que de laysser garnyson dans deux chasteaulx, et que je la pouvois asseurer que Vostre Majesté ne s'armeroit jamais pour maintenir les rebelles d'Angleterre , ainsy qu'elle, de son costé, disoit ne s'armer aussi contre les droictz de la Royne d'Escoce : néantmoins de tant que ceste alliance d'Escoce, qui a duré neuf centz ans à vostre couronne , vous abstreinct d'assister meintennant l'aucto- rité de la Royne d'Escoce, vostre belle sœur, contre ses propres rebelles ; et y voulant elle, en mesmes temps, pour- suyvre les siens, qu'enfin vous viendriez aulx armes et à la guerre entre vous contre votre propre vouloir et intention ; et que vous aviez trop plus de rayson de mettre garnyson dans Dombertrand que elle d'en tenir dans Humes et Fascastel.

Elle allors m'a respondu qu'elle ne sçavoit, à la vérité, comment le comte de Sussex en a usé, ny quelles gens il a layssé dans ces chasteaulx ; mais que tout cella se pourra accommoder par le tretté , et qu'elle désire bien sçavoir quelle responce Vostre Majesté me fera, et ce que vous aurez respondu à son ambassadeur sur ce qu'elle a derniè- rement tretté avec moy.

Et layssant ainsy ces propos, nous sommes passez a

203 d'aultres plus graciéulx, avec lesquels s'est finye ceste audiance , despuys laquelle m' estant pleinct au secrétaire Cecille de la dicte garnyson des deux chasteaulx , il m'a respondu que ce n'estoit chose de conséquence; car n'y avoit que quarante hommes en l'ung, et vingt en l'aultre ; et que le tretté mettroit fin à tout cella ; me priant de con- tinuer à fère tousjours bons offices entre Voz Majestez, et qu'il contendra avec moy de les fère encores meilleurs, s'il peult. Sur ce, etc.

.'!(.)•> J'j Hkjifjo ' Ce XIX* jour de juing 1570. )•.

''^\ A LA ROVNE.

Madame, les propos, que Vostre Majesté verra, en la let- tre du Roy , que la Royne d'Angleterre m'a tenuz, procè- dent, à mon adviz, de l'une de trois occasions et, possible, de toutes trois ensemble : la première , des véhémentes inpressions qu'on luy a données , et qu'on luy donne encores, de ne se debvoir jamais tenir bien asseurée de la Royne d'Escoce, dont aulcuns me disent que, quoy aussi que la dicte Dame me promette, son intention, ny celle des siens, n'est de se despartyr aulcunemeiit des premières dellibéra- tions qu'ilz ont faictes sur ceste paouvre princesse et sur son pays, sinon qu'ilz y soyent contrainctz par la force ; la se- conde, qu'on l'asseure que le capitaine La Roche et le ca- pitaine Puygaillard sont desjà embarquez à Suscivye , avec cinq centz harquebouziers brethons, pour passer en Es- coce : ce que la dicte Dame m'a dict le sçavoir bien au vray, mais qu'elle est bien advertye aussi que, le ix* de ce raoys, ils n'estoient encores bougez, et, possible, a elle vollu ainsy braver lorsqu'elle s'est trouvée en plus grand

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peur; et la troisiesme est qu'on luy a fort magniffié les for- ces, qui sont en l'armée des Princes de Navarre et de Condé, l'asseurant qu'elles sont suffizantes de travailler as- sez toutes celles de Voz Majestez , sans qu'en puyssiez en- voyer dehors.

Car, voycy. Madame, ce quej'entendz qu'on a mizpar escript et monstre à la dicte Royne d'Angleterre et puys pu- blié , de main en main, de la créance qu'a aportée le mes- sagier de M'^ l'Amyral. C'est que le dict sieur Amyral for- tiffie Roane, pour estre ung lieu très oportun et com- mode à maintenir la guerre , et y fère son magazin , et pour y retirer ses mallades ; et avoir ce passaige de Loyre à son commendement , pour y pouvoir sans difficulté re- cuillyr les secours d'AUemaigne et incommoder grande- ment toutz les aultres pays d'alentour; que, oultre qu'il a avec luy les viscomtes , et les troupes de gens de cheval et de pied qui estoient en Gascoigne , qui ne sont petites , il a recuilly en Languedoc ung grand nombre de bien bons soldatz , et que le comte de La Rochefoucault l'est venu trouver avec huict centz chevaulx et deux mil harquebu- ziers, toutz gens d'eslite; que de la Charité est arrivé dans son camp une troupe de quatorze centz bons hommes, toutz à cheval ; que M"^ de Lizy y est aussi arrivé d'une aultre part, avec douze centz harquebuziers et cinq centz chevaulx, lesquelz il a recuilliz en revenant d'AUemaigne; et que tout cella ensemble faict la plus brave armée de Françoys qui de longtemps ayt esté veue en France , oultre les rey- tres qu'il a, qui ne sont guyères diminuez ; et qu'il ne désire rien tant que de venir à une journée, laquelle il cercherade donner bientost par toutz les moyens qu'il luy sera possi- ble ; et que l'armée du Roy , que M"^ le mareschal de Cossé

205 conduict , est composée de huict mil Suisses nouvellement levez, car des vieulx n'en y a guières plus, et de quatre mil Françoys, d'ung nombre de reytres, qu'on paye à trois mil , qui ne sont que dix huict centz , soubz la charge du jeune comte de Mensfelt , duquel il ne se deffye pas trop, et d'envyron quatre mil chevaulx françoys; et qu'il a esté mandé à M'' le mareschal de Damville de se joindre au sieur mareschal de Cossé, affin de donner la bataille, la- quelle néantmoins semble qu'il lavouldra évitter; car s'est logé vers Dun le Roy, et se couvre de la rivière d' Allyé. Les- quelles nouvelles, comme elles mettent en grand suspens les opinions des hommes, aussi suspendent elles les dellibé- rations des affères; et croy qu'elles retarderont ceulx que nous traictons icy meintennant , attandant ce qui pourra succéder; mesmes que j'entendz que , parmy leurs esgHzes, il est desjà ordonné de fère prières et jeunes pour ceste prochaine bataille , tant ilz pensent que les choses en sont prez; et encores quejem'asseure. Madame, que si cecy est vray, Voz Majestez l'auront bien entendu d'ailleurs, tou- tesfoys, pour l'inportance de l'affère, et pour le dangier qu'aulcuns personnaiges d'honneur et de bien, qui confé- rons quelquefoys ensemble , avons peur que puysse avenir , je n'ay vollu différer de le vous mander incontinent par ce courrier exprès, avec les responses de la dicte Rope d'Angleterre. Et sur ce , etc.

, Ce xix** jour de juing 4570.

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CXVr DÉPESCHE

. , du xxiejour dejuing 1570. ( Envoyée jusques à la court par Groignet, l'un de mes secrétaires. )

Message de ia reine d'Angleterre , afin que le roi soit sur-le-champ averti qu'elle se considérera comme dégagée de sa parole si l'expédition française, destinée à porter des secours en Ecosse , sort des ports de Bretagne. Désir de l'ambassadeur que l'on ajourne cette expédition. Nouvelles d'Allemagne , tout se prépare pour donner d'importans secours aux protestans de France. Lettre secrète à la reine-mère. Dispositions prises par les protestans de France , en Angleterre et en Allemagne , dans le but de continuer la guerre avec vigueur.

Au Roy.

Sire, les responces etadviz, que je vous ayescript des- puys trois jours, m'ont semblé estre assez pressez pour les vous debvoir fère sçavoir par ung courrier exprès , comme j'ay faict; et meintennant. Sire, je suys instantment re- quiz par la Royne d'Angleterre de vous en dépescher en- cores ung , tout présentement , pour vous notiffier ce que , par ung sien secrétaire , nommé maistre Sommer, elle m'a envoyé dire jusques en mon logis : c'est qu'elle avoit bonne souvenance des choses naguières accordées entre elle et moy , touchant la Royne d'Escoce, et qu'elle estoit preste de les acomplyr tant à continuer et paraschever le tretté avecques elle , que à révoquer ses forces hors de son pays, comme desjà elle les avoit faictes retirer à Barvyc; mais que , ayant très certain advertissement comme il s'embar- quoyt des compaignies en Bretaigne pour les envoyer de dellà, qu'elle vouloit bien déclairer à Vostre Majesté que, si elles y passoient, elle se tenoit, d'ors et desjà, quicte et deschargée de la promesse qu'elle m' avoit faicte, et qu'elle

"207 exploicteroit dans le dict pays par son armée , qui est en- cores entière et en estât, tout ce qu'elle verroit estre expé- diant et à propos pour son service; et qu'elle continueroit de retenir la Royne d'Escoce elle est, sans plus en- tendre à nul tretté avecques elle ; et , de tant que cella im- portoit beaulcoup à vostre commune amytié, à laquelle elle avoit regrect d'y veoir intervenir ceste altération , me prioit que je vous en voulusse promptement advertir par homme exprès, qui peult retourner en dilligence, affin que je l'en peusse résouldre.

Et bien , Sire , que j'aye respondu au dict Somer que j'avois freschement reçeuune responce de Yostre Majesté, laquelle j'yrois aporter àla dicte Dame , et j'espérois qu'elle la contenteroit , il n'a layssé pourtant de percister que je debvois dépescher promptement devers Vostre Majesté 5 qui est l'occasion du voyage de ce mien secrétaire , par lequel je vous suplieray très humblement, Sire, que, en voz propos à l'ambassadeur d'Angleterre et en voz apretz de Bretaigne, il vous playse monstrer toutjour que vous estes prestz d'entretenir ce qui a esté accordé en vostre nom à la dicte Dame, et de différer l'embarquement et passaige de vostre secours en Escoce, jusques à ce qu'aurez veu ce qui succédera du tretté qu'elle a commancé avec la Royne vostre belle sœur; et qu'elle veuille achever de retirer la garnyson qui est demeurée dans Humes et Fascastel, comme elle a desjà retiré le principal de ses aultres forces du pays , nonobstant que vous rescentiez beaucoup ce dernier exploict de ses gens , qui ont abattu quatre maysons du duc de Chastellerault et bruUé toutz ses villaiges.

Et après , Sire, que j'auray parlé à la dicte Dame sur la bonne responce, que m'avez commandé luy fère par vostre

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dépesche du x^ du présent, je feray entendre ce que j'au- ray peu comprendre de ses propos , tant sur ce faict de la Royne d'Escoce que sur ce que la dicte Dame peult avoir sceu des choses d'AUemaigne : d'oii j'entendz qu'elle a fres- chement receu lettres , qui lui parlent de l'acheminement de l'Empereur à Espire pour la diette; et comme la Royne d'Espaigne passe oultre vers les Pays Bas, laquelle deux mil chevaulx allemans viennent accompaigner jusques à Nimeguen , le duc d'Alve la doibt aller recepvoir , et qu'elle meyne deux de ses petitz frères pour les passer en Espaigne, (au lieu des deux aisnez) qui s'en retourneront sur les mesmes vaysseaulx , qui la seront allez conduyre; et que les nopces du Cazimir ont été accomplyes , se sont trouvez trèze mil chevaulx , lesquelz on tient pour chose asseurée que s'acheminent incontinent en France, au se- cours de Messieurs les Princes et Amyral; que les trois électeurs laycs se sont liguez ensemble pour s'oposer aulx décrectz qui pourroient estre faictz ou contre leur religion, ou contre les libertez d'AUemaigne; et qu'il sem- ble encores que c'est principallement pour erapescher que l'Empereur ne puysse fère créer son filz roy des Romains, non sans quelque esbahyssementcommant celluyde Brande- bourg s'^est joinct à cella , veu qu'il est pensionnaire à six mil escuz par an du Roy d'Espagne , et qu'il s'est toutjours monstre amy et serviteur de la mayson d'Austriche; et que aus dictes nopces du dict Cazimir a appareu quelque désordre de l'ung des deux ducz Jehan de Saxe , Frédéric ou Guillaume , qui sur quelque débat a voUu tuer le comte Pallatin ; et que quelque homme Gantoys a esté prins et exécuté pour avoir confessé qu'il estoit venu à la dicte as- semblée, pour donner un coup de pistollé au prince d'O-

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range. De toutes lesquelles nouvelles, Sire, celle de la des- cente de ces AUemans en votre royaulme me semble con- sidérable, parce qu'il y a grand aparance qu'on l'exécu- tera, si la paix ne se conclud bientost; et j'en ay icy de grandz indices , et pareillement d'une armée de mer , qui se prépare par ceulx de la nouvelle religion , de bon nom- bre de vaysseaulx pour fère une descente de deux ou trois mil hommes en quelque lieu de Normandie , Bretaigne ou Guyenne; et ne monstrent qu'ilz espèrent encores, en fa- çon du monde, la dicte paix, bien que, tout à ceste heure, Ton me vient de dire qu'il a esté semé quelque bruict à la bource de ceste ville qu'elle est desjà conclue. Sur ce, etc.

Ce xxi^ jour de juing 1570.

A LA. ROYNE.

(Lettre à part du dictjour.)

Madame, ce n'est tant pour satisfère à la Royne d'An- gleterre, que je vous envoyé présentement ce mien se- crétaire, comme pour vous aporter ceste mienne lettre à part, par laquelle je veulx bien asseurer Vostre Majesté que, sur la créance du messagier de M"^ l'Admyral, duquel je vous ay naguières faict mencion , il a esté tenu , dez di- manche dernier , entre les principaulx , qui sont icy, de la nouvelle religion , Françoys et Flamans , ung conseil bien fort secrect; duquel, à la vérité , je n'ay pas bien descou- vert toutes les dellibérations, mais ceulx cy sçay je bien de certain, c'est que, incontinent après la tenue du dict conseil, il a esté dépesché de par eulx , coup sur coup , deux mes- sagiers en Hembourg , pour y aporter les lettres de res- ponce et de crédict, que de longtemps ilz se sont pourveuz m 14

'240

icy pour l'ùre leurs payemens en Allemaigiie; et que c'est pour fère incontinent marcher leurs nouvelles levées ; et qu'ilz sont après à ordonner deux d'entre eulx pour les al- ler trouver , affin de les conduyre et leur servyr de mares- chauk de camp , jusques à ce qu'ilz seront arrivez en l'ar- mée des Princes; et estiment le nombre des dicts Alle- mans non moindre que de douze à quinze mil chevaulx ; et pour ordonner aussi ung général de mer, d'entre les gen- tilhommes qui sont icy, pour l'envoyer bientost fère une descente de deux mil cinq centz hommes , en ipielque lieu de Normandie ou Bretaigne , ilz ont inteUigence ; et que desjà les vaysseaulx , les vivres et toutl'apareilh de l'entreprinse est prest à la Rochelle , s'yront joindre les vaysseaulx du prince d'Orange, qui sont en cestecoste, et encores deux toutz nouveaulx qu'ung sien serviteur a heu , despuys deux jours, permission d'aller armer et équiper à Amthonne. Et semble qu'il y ayt icy aulcuns gentishommes françoys qui , à regrect , feront ce voyage , et que , si Vos- tre Majesté les vouloit gratiffier et les retirer au service du Roy, ilz habandonneroient très vollontiers l'aultre party, lequel aultrement ilz sont contrainctz de suyvre; vous suppHant très humblement , Madame , de ottroyer au gentilhomme, pour qui le sieur de Vassal vous aura parlé, laseureté qu'il vous demande, laquelle j'estime que re- viendra au proffict de vostre service. Et faictes semblant , Madame , s'il vous playt, que vous n'avez heu ces adviz de moy, aultrement il sera dangier que je ne vous en puysse plus mander, s'ilz cognoissent que j'aye tant de notice de ces affères ; car les dicts de la nouvelle religion sont bien- tost advertys de tout ce que le Roy, et Vous, et Monsei- gneur, dictes et faictes; et mesmes l'on m'a asseuréque,

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eu France , oultre ceulx de l'aultre party , il y en a aulcuns, lesquelz on ne m'a poinet nommez , qui ne sont point dé- clairez de leur costé , qui toutesfoys sont respondans de ia paye de cesreytres, qui doibvent venir.

Par ainsy, Madame, considérant Testât des choses, et le peu de confiance que Voz Majestez doibvent mettre en rien qui soit que en Dieu seul , et en vous mesmes ; et que la descente du Cazimir vous doibt estre très suspecte , pour l'alliance du duc Auguste , qui ne l'a prins pour son gendre pour sa présente grandeur, ains possible pour celle il aspire par les troubles des aultres estatz ; et que la Royne d'Angleterre ne fauldra d'incliner à leur entreprinse , je ne puys que prier Dieu bien fort dévottement qu'il vous doinct , Madame , à bientost conclurre la paix , et la conclurre telle que la descente des Allemans en soit bien certainement divertye, et Voz Majestez exemptes de toute surprinse, déception et dangier. Et sur ce, etc.

Ce xxi^ jour de juing 1570.

Je vous puys asseurer, Madame , que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, ne s'attendent aulcunement à la paix, ains à continuer la guerre ; et semble que l'ambiguité et la longueur, dont l'on pro- cède à vous rendre responsesur les articles de la dicte paix, n'est que pour gaigner le temps et attendre leur secours.

U.

2i2

CXVir DEPESCHE

du xxv» jour de juing 1570. (Envoyée exprès par Jehan Monyer, postillon , jusques à Calais.)

Retard apporté à la désignation d'une audience demandée par l'ambassa- deur. — Interrogatoire subi par l'évéque de Ross devant le conseil d'Ai> gleterre. Conditions arrêtées dans ce conseil au sujet du traité qui peut être conclu avec la reine d'Ecosse. Nouvelles d'Allemagne. Avis donné au roi d'une entreprise qui se prépare pour opérer une descente en France.

Au Ro¥.

Sire, affiu de mettre la Royne d'Angleterre hors de la peyne, elle est, de l'aprest qu'on luy a dict que Yostre Majesté faict en Bretaigne pour envoyer des gens en Es-» coce, je luy ay, dez mardy dernier, envoyé demander audience, pour luy fère veoir vostre bonne responce dessus en la façon que par voz lettres, du de ce moys, il vous playt me le commander; et le secrétaire Cecille, ayant conféré avecques elle, m'a respondu qu'elle ne me la pouvoit si tost ottroyer, à cause qu'elle se trouvoit mal, comme à la vérité elle faict, de sa jambe, mais que je luy pourrois escripre cella mesmes que j'auroys à luy dire. Dont de tant. Sire, qu'on m'a adverty qu'il y a de l'ar- tiffice en cella, pour fère tremper l'évesque de Roz, et pour fère en sorte que la dicte Dame renvoyé cependant ses forces en Escoce, et qu'elle face jetter de ses grandz navyres en mer, pour la persuasion qu'on luy donne que, nonobstant voz bons propoz, qu'avez tenuz à son ambassa- deur, vous ne lairrez d'envoyer gens par dellà; j'ay escript ce matin à la dicte Dame que, de tant qu'une lettre ne pourroit suffire pour tout ce que j'avois à luy dire, ny me

213

raporter sa responce, et que les propos, que j'avois à luv tenir de vostre part, n'estoient toutz que pour son contante- ment, que je me garderoys de les employer ny par escript, ny par présence, en actes si contraires, comme seroit d'en travailler sa santé, et que partant j'attendrois fort paciem- ment et de bon cueur la commodité de "sa convalescence ; laquelle je prioys Dieu de luy donner bientost et bien par- faicte.

Je ne suis trop marry. Sire, de ce retardement parce que le comte de Lestre et ceulx , qui portent faveur à ceste cause, seront cependant de retour; en l'absence desquel z ayantz les aultres ouy l'évesque de Roz sur le faict, dont on le chargeoit, d'avoir tretté en secret avec le comte de Su- ramptjion, et ayantz vollu aussi tirer de luy ce qu'il aportoit de l'intention de sa Mestresse, sans l'admettre à la présence de la Royne d'Angleterre, après qu'il s'est bien deschargé de l'ung, et qu'il leur a heu remonstré qu'il ne pouvoit fère l'aultre pour aulcunes choses secrectes qu'il ne pou- voit commettre qu'à elle mesmes, ilz se sont desbordez jusques de luy dire qu'ilz ne se soucyoient pas tant de l'advancement de ceste matière qu'ilz le voUussent presser de la leur proposer ; mais, de tant que la Royne d'Escoce et luy, qui est son ministre, et toutz les princes qui par- lent pour elle, estoient papistes, et par ainsy ennemys de leur Mestresse et de son estât, qu'ilz tenoient pour très suspect tout ce qui se trettoit de sa restitution ; à l'ocasion de quoy il falloit, avant toutes choses, qu'elle et luy fissent profession de la religion réformée, et bien qu'ilz y ayent meslé quelque soubzrire, ce n'a esté toutesfoys sans parol- les véhémentes pour essayer s' ilz pourroient gaigner ce point.

En quoy le dict sieur évesque a usé de saiges responces ,

2U

qui seroient longues à mettre icy ; mais cependant j'ay des- couvert, Sire, comme ne pouvant ceulx cy vaincre le désir, que leur Mestresse a de sortyr de cest affère, qu'ilz se sont dellibérez de se tenir fermes et résoluz aux condicions qui s'ensuyvent : Que la religion protestante soit establye et confirmée en Escoce; que la Royne d'Escoce se doibve obliger, par sèrement solemnel , et fère obliger les siens , qu'elle n'entendra jamais à nul party de mariage, sans l'ex- près consantement de la Royne d'Angleterre ; qu'elle chassera les rebelles anglois, qui se sont retirez en son pays, sans jamais plus en recepvoir , et que désormais ilz seront randuz mutuellement par l'ung prince à l'aultre sans contradict; qu'elle cédera à la Royne d'Angleterre, et aulx descendans qui procéderont d'elle, tout le droict et tiltre qu'elle prétend à ceste couronne; qu'elle déclairer a, d'ors et desjà, pour son successeur à celle d'Escoce et à ses droictz prétanduz de ceste cy son filz le Prince d'Escoce ; que le dict Prince sera mené pour être nourry en Angle- terre soubz quelque promesse, que la dicte Royne d'An- gleterre fera, de le déclairer pareillement son successeur immédiat après elle, au cas qu'elle n'eust point d'enfans; que ligue sera faicte , offencive et deffencive , entre les deux roynes et leurs royaulmes à jamais, à laquelle sera donné lieu à Vostre Majesté d'y pouvoir entrer si bon vous semble, mais soubz des condicions que je n'ay encores peu bien sçavoir quelles elles sont ; qu'il ne sera loysible d'introduyre nul estrangier en armes, d'où qu'ilz soient, dans le pays, ny par quelque couleur ou prétexte que ce puisse estre ; et, finalement, que Vostre Majesté baillera ostaiges, à estre icy quelque temps, pour la seureté des choses susdictes.

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Je n'ay eiicores, Sire, donné cest adviz à l'évesque de Roz, lequel aussi n'a pas heu loysir de me conférer les offres qu'il aporte de sa Mestresse; mais Vostre Majesté, s'il luy playt, me commandera de bonne heure sa bonne vollonté dessus , affin que je me trouve bien préparé d'icelle, quant il en sera temps ; car j'espère que nos amys vaincront l'opiniastreté de noz emiemys de ne demeurer trop fermes sur si dures condicions comme seroient toutes celles icy ensemble.

Au surplus, Sire, il se continue fort que ceste nuée d'Allemans des nopces du Cazimir yra estre ung orage en vostre royaulme au secours des Princes et de l'Amyral , ayant le comte Pallatin escript par deçà que en la dicte assemblée ne seroit rien obmiz de ce qui apartiendroit au secours de leur rehgion en France ; duquel secours , pour l'incertitude de l'intention du duc Auguste, les détermi- nations n'avoient peu prendre aulcune bonne résolution jusques à ceste heure; qu'il avoit déclairé que le sien seroit le premier prest, et qu'il l'envoyeroit à ses despens. Et estime l'on que la dicte assemblée des nopces a esté principallement projettée pour estre une contrediette de celle que l'Empereur a assignée à Espire, affin de résoul- dre, de eulx mesraes et sans le dict Empereur, les affères d'AUemaigne à la dévotion des trois ellecteurs laycs, qui semblent avoir tiré celluy de CoUoigne eclésiastique à leur party; et pour ordonner aussi de l'establissement de leur religion en France et en Flandres, mais surtout pour em- pescher que l'ellection du roy des Romains ne se puisse fère en la personne du filz, ny du frère de l'Empereur, non sans quelque opinion qu'ilz veuillent, entre eulx et de leur propre authorité , nommer le dict Auguste rov des

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Romains. Et de tant, Sire, que, de jour en jour, me viennent plusieurs indices que ceulx de la nouvelle religion ont une descente en main en quelcun de voz portz ou places de mer de dellà , ilz prétendent mettre deux mil cinq centz hommes en terre, et qu'à cest effect ilz aprestentung grand armement à la Rochelle; et que je sçay que les vaysseaulx du prince d'Orange , qui sont en ceste mer estroicte, s'y préparent; aussi que j'entendz qu'ilz sont sur la dellibération s' ilz convyeront les Anglois d'estre de la partie, lesquelz tiennent quatorze grandz navyres et plu- sieurs aultres vaysseaulx en estât, et grand nombre d'hom- mes enroUés pour cpielque effect; je vous suplye très humblement, Sire, qu'il vous playse advertyr incontinent les gouverneurs de Normandie, Picardie, Rretaigne et Guyenne, car je ne sçay proprement s'adresse leur entre- prinse, qu'ilz ayent à y prendre garde et se préparer si bien qu'ilz ne puissent estre surprins^ Sur ce, etc.

Ce XXV* jour de juing 1570.

€XV1IIS DEPESCHE

du xxix» jour de juing 1570.

( Envoyée exprès jusques à Dièpepar Brogle , messagier. )

Audience. Discussion des affaires d'Ecosse. Promesse de la reine d'ar- rêter toute hostilité , et d'entendre les propositions de l'évêque de Ross. ^Desir manifesté par Elisabeth de voir la paix rétablie en France. Com- munication faite par la reine à l'ambassadeur des nouvelles qu'elle a reçues d'Allemagne.

Au Roy. Sire, s'estaat la Royne d'Angleterre asséstost repen-

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tye de ne m' avoir , le xxiij^ du présent, ottroyé audience, elle m'a mandé, le deuxième jour après, que je la vinse trouver quant il me plairroit; et se sont, la lettre qu'elle me faisoit escripre dessus par le secrétaire Gecille et la mienne , que pour cest aultre effect je luy escripvois , la- quelle elle a heu bien agréable , rencontrées en chemin , dont je suys allé trouver la dicte Dame le xxvj« de ce moys à Otlant; m' ayant faict appeller en sa chambre privée, en laquelle elle estoit en habit de mallade, ayant sa jambe en repoz, après m' avoir compté de son mal, et faictes ses excuses de ne m' avoir peu si tost ouyr comme je l'avois désiré , je luy ay ramentu les choses cy devant accordées entre nous, et comme je n'avoys failly, suyvant son désir, de dépescher ung homme exprès pour aporter à Vostre Majesté la déclaration que sur icelle elle m'avoit envoyé notiffier par son secrétaire Sommer ; laquelle déclaration je luy voulois bien dire que je ne l'avoys peu trouver guiè- res mauvayse, encore qu'il y eust quelque peu de menace , parce qu'il y avoit aussi de la franchise et une vraye démon- stration qu'elle faisoit de vouloir évitter toute altération entre Voz Majestez, dont j'espérois que ce qu'elle entendroit meintennant de vostre intention en cella la contanteroit.

Et ainsy , Sire, je luy ay récitté mot à mot le contenu de vostre lettre du x* de ce moys , non sans qu'elle ayt donné une claire cognoissance , sans en rien dissimuler , qu'elle recepvoit ung singulier playsir de ce~que je luy disoys ; m' ayant tout aussitost prié bien fort expressément de luy en vouloir bailler aultant par escript, afïin de le monstrer à quelques ungs de ses conseillers, qui luy di- soient qu'elle ne debvoit laysser de procéder et pourvoir aulx affères d'Escoce, tout ainsy que si Vostre Majesté ne

218 luy avoit rien faict promettre par moy, ny luy mesmes rien dict à son ambassadeur : car croy oient que vous n'aviez aul- cune vollonté d'en rien observer, ainsy que voz aprestz de Bretaigne , qui ne cessoient pour cella , leur en donnoient assés bon tesmoignage; ce néantmoins qu'elle s'en vouloit reposer en vostre paroUe , comme d'ung magnanime Roy et Prince vertueux et saige, qui regardiez à conserver l'a- mytié des princes voz voysins , entre lesquelz ce seroit elle qui vous randroit la sienne plus parfaicte et accomplye ; et qui, oultre le remercyement très grand qu'elle vous fesoit de l'esgard qu'avez heu maintennant à icelle , vous cognois- triez qu'elle ne l'auroit moins ferme en l'observance de ses promesses qu'elle s'asseuroit de la persévérance de la vostre, en celles que vous luy faysiez.

J'ay suyvy, Sire, à luy dire qu'elle trouveroit toutjour toute seurté et vérité en voz paroUes et en celles de la Royne vostre mère , et que toutz les jours il luy viendroit nouvelles preuves, que Voz Majestez n'avoient aultre in- tention que de vivre en grande unyon de paix, et de toute bonne intelligence avecques elle ; bien que je luy voUois confesser tout librement que, le lendemain de l' aultre au- dience qu'elle m' avoit donnée à Amthoncourt, je n'avoys failly de vous fère une dépesche , non pour aigryr ainsy les matières, comme il m' avoit semblé que je l'avois trouvée elle aigrye et changée en peu de jours, ( ce que je n'atri- buoys aulcunement à elle, ains à d'aultres, qui avoient fort à regrect la bonne unyon de Yoz Majestez), mais que je ne vous avois pas vollu celler ce qu'elle m'avoitrésoluement dict de vouloir en toutes sortes retenir les deulx chasteaulx de Humes et Fascastel, jusques à ce que ceulx à qui ilz apartiennent eussent satisfaict à l'obligation des frontières ;

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et que meintennant j'avois à la requérir très instantment de deux choses : l'une, que, de tant que Vostre Majesté avoit tant voUu defférer à nostre accord qu'ayant ung arme- ment tout prest pour le secours d'Escoce, et les Escouçoys sur le lieu qui vous requéroient de Tenvoyer, et qui vous lemonstroient le gast, le bruslement et la démolition de leurs maysons nobles du pays, et la détention de leur Royne en Angleterre; et que, nonobstant tout cella, vous aviez différé et quasi interrompu le dict secours pour luy com- playre, qu'elle, de sa part, voUût entièrement retirer ses forces hors du dict pays, comme elle me l' avoit promis, et nomméement celles qu'elle avoit encores dans les deux chasteaulx; la segon de chose estoit qu'ayant M'' l'évesque de Roz aporté toute l'intention et ung ample pouvoir de tretter et conclurre toutes choses avec elle pour sa Mes- tresse, qu'elle y vollût meintennant procéder, ainsy dilligem- ment qu'elle vous avoit promiz de le fère, sans plus remettre la matière en longueur. s , i

Sur lesquelles deux choses. Sire, nous avons heu beau- coup de contention, et n'ay, pour le regard de la^première, peu obtenir rien de mieulx que ce que la dicte Dame vous prie , Sire , de vouloir laysser les loix de leurs frontières- aller leur cours accoustumé, suyvant lequel, le différant des dicts deux chasteaulx et des aultres attemptatz doib- vent estre vuydez par les gardiens d'icelles, qui ne faul- dront de randre lors les dicts deux chasteaulx, sans que cependant ceulx qui sont dedans facent nul acte d'hostillité, qui estoit une rayson que, quand elle seroit vostre vassalle, vous ne la luy pouviez bonnement reffuzer ; et , quant au segond , encor qu'elle eust proposé de ne veoyr jamais l'évesque de Roz pour des occasions, lesquelles il n'avoit

220 peu ny iiyer riy excuser, que néantmoins elle me promettoit de l'ouyr dans deux ou trois jours; et qu'aussitost que le sir de Leviston, lequel nous avions dépesché en Escoce, se- roit de retour avec les aultres commissaires escouçoys, elle vacqueroit sans aulcune intermission aulx afières de la dicte Dame.

Après lequel propos estimant, Sire, que je ne le deb- vois pour ceste fois poursuyvre plus avant, la dicte Dame m'adict d'elle mesmes qu'elle desiroit fort que, la première foys que je retournerois vers elle, je lui peusse aporter la conclusion de la paix de vostre royaulme, estant bien mar- rye qu'elle alloit ainsy traynant.

Je luy ay respondu que je n'avoys nul plus grand désir que de la pouvoir satisfaire en cella, et que ceste sienne bonne intention obligeoit Vostre Majesté et tout vostre royaulme beaucoup à elle, ne faysant doubte, quant elle y pourroit ayder de quelque chose , qu'elle ne le fyst.

« Il n'y a, respondit elle, nulle œuvre en ce monde je m'employasse plus voUontiers, ny je courusse de meil- leur cueur, encores que je soys boyteuse, que je ferois à celle là, et que de ce j'en asseurasse Yostre Majesté. »

J'ay dessus passé oultre à luy dire que je craignois bien que ceste longueur peult admener quelque chose entre deux, et attirer encores possible en vostre royaulme une partie de ces Allemans,quis'estoient trouvez auxnopces du duc Cazimir; et qu'elle sçavoit bien ce qui en estoit, qui seroit ung bon tour de bonne sœur si elle vous en vouloit advertyr, comme je luy vouloys bien dire que la condicion de la cause et celle de sa qualité, qui estoit Royne, l'obli- geoient de le fère, et mesmes d'empescher qu'il ne se pré- parât rien pour soubstenir l'opiniastretté et obstination de

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voz subjectz contre vous, qui n'estoit exemple que per- nicieulx pour elle mesraes.

Elle m'a respondu qu'elle ne sçavoit pas entièrement tout ce qui en estoit, mais que l'Empereur luy avoit bien escript que, par prétexte du secours de la nouvelle religion en France, il s' estoit faicte une plus grande assemblée à ces nopces du Cazimir, que ne requéroit l'ordre des ma- ryez, et qu'il monstroit par sa lettre qu'il la tenoit fort suspecte pour luy mesmes; adjouxtoit d'aultres gracieulx propos de ce qu'il avoit veu maryer son frère l'archiduc, encor qu'il l'eust d'aultres foys tout dédyé à elle, mais qu'il la prioyt que les dictes nopces ne luy fussent d'aulcune jalouzie, car elles n'empescheroient qu'il ne fût encores tout sien; et que par le propos de la dicte lettre et par plusieurs aultres indices elle croyoit asseuréement qu'il y auroit ung nouveau secours d'AUemans pour ceulx de la Rochelle, si la paix ne succédoit. Et par ce, Sire, qu'il seroit trop long de mettre icy toutz les aultres propoz qu'avons heu en ceste audience, je les remettray à une aultre foys ; et adjouxteray seulement ung mot de la récep- tion de vostre dépesche du xix^ de ce moys, par le S"" de Vassal , et du voyage que faictes fère par deçà au S*" de Poigny, lequel nous mettrons peyne de l'aprofitter le mieulx qu'il nous sera possible. Sur ce, etc.

Ce XXIX* jour de juing 1570.

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CXIX' DÉPESCHE

du jour de juillet 1570. ^ {Envoyée exprès jusques à la court par le S' de Sabran.)

Résolutions d'Elisabeth de maintenir l'accord fait au sujet de l'Ecosse , et d'entrer en négociation sur la restitution de Marie Stuart Espoir de la prochaine liberté du duc de Norfolk. État de la négociation des Pays- Bas. Mémoire général , sur les affaires d'Angleterre. Bienveillance montrée par Elisabeth aux seigneurs catholiques. Condition mise à la liberté du duc de Norfolk. Mémoire secret. Communication faite par l'ambassadeur à la reine d'Angleterre de la réponse du roi sur les articles proposés pour la restitution de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, pour avoir Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ainsy vertueusement parlé , comme vous avez, à l'ambassadeur de la Royne d'Angleterre; et pour m' avoir commandé de déclairer icy à elle vostre résolue intention de ne vouloir habandonner aulcunement la Royne d'Es- coce , ny les affères de son royaulme ; il est advenu que la dicte Dame a cessé d'en poursuyvre plus avant l'entre- prinse par la force, et qu'elle s'est coudescendue d'en ve- nir au tretté, duquel je vous ay desjà envoyé le commance- ment. Il est vray, Sire, que, despuys dix jours, l'on luy a si bien faict acroyre que , nonobstant vostre promesse , vous ne larriez d'envoyer des gens en Escoce, que la dicte Dame, changeant de délibération, avoit desjà mandé au comte de Sussex de rentrer de rechef avec son armée en pays, et d'y saysir toutes les places qu'il pourroit; et à l'amyral Clynton de getter promptement six grandz na- vyres en mer , non pour aller attaquer la flotte des Fran- çois au combat de main, laquelle ilz entendoient estre

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jiourveue de deux mil bons harquebouziers , mais pour la mettre à fondz à coups de canon, s'il estoit possible; et mandé davantaige que le sir de Leviston , lequel nous avions dépesché vers le duc de Chastellerault et vers les aultres seigneurs escouçoys , pour leur apporter nostre accord , fût arresté aulx frontières ; et qu'au reste elle ne tretteroit ny admettroit jamais plus l'évesque de Roz en sa présence; s'esforceans encores ceulx , qui menoient ceste mauvaise pratique, de me fère retarder mon audience, affin que je ne peusse assés à temps y remédier ; dont a esté assés mal aysé , Sire , de retirer la dicte Dame" de ceste opinion. Néantmoins, j'ay miz peyne de luy dire et encores de luy bailler par escript, si à propos , la res- ponce de Yostre Majesté du du passé , et de l'asseurer tant de la seurté et vérité qu'elle trouveroit toutjour en voz promesses, que, oultre les choses que je vous ay desjà mandé qu'elle m'avoit en présence lors accordées , voicy , Sire, ce que de ceste vostre bonne responce s'en est des- puys ensuyvy :

Que la dicte Dame a escript au comte de Sussex de cas- ser son armée et se retirer luy à Yorc, laissant quelques compaignies aulx gardiens des frontières, et une petite garnyson dans Humes et Fascastel; qu'elle a ordonné à son admyral de ne getter nulz navires dehors, ains de fère cesser pour ceste heure tout l'armement et apareil d'iceulx; qu'elle a mandé au comte de Lenoz, qui estoit à Lislebourg, avec trois centz Escouçoys entretenuz aux despens de la dicte Dame , de se retirer à Barvyc; qu'on n'eust à donner aulcun empeschement au sir de Leviston en la frontière, ains de luy laysser librement poursuyvre son voyage ; et finale- ment , suyvant sa promesse , qu'elle a si paciemment ouy

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l'évesque de Roz, et si favorablement receu des ouvrages, qu'il luy a présentez de la part de sa Mestresse , lesquelz elle mesmes avoit faictz de sa main, qu'il m'a dict n'avoir jamais heu une plus bénigne audience de la dicte Dame ny plus pleyne de satisfaction, qu'il a faict ceste foys, avec promesse que, aussitost que le sir de Leviston et aultres commissaires escouçoys seront arrivez, qu'elle procédera en toute dilligence aulx affères de la Royne d'Escosse. Et si , semble , Sire , que le duc de Norfolc ayt aussi assés ad- vancé le faict de sa liberté , et qu'il est en termes d'estre bientost remiz en son logis de ceste ville, soubz quelque soubzmission qu'il pourra fère à la dicte Dame.

Au surplus. Sire, de tant qu'il se trouve meintennant beaucoup de diminution et de deschet en la merchandise d'Espaigne, qui a esté arresté par deçà, et que ceulx cy ne la veulent fère bonne, ny veulent pareillement estre tenuz de celle des trèze ourques, que ceulx de la Rochelle en ont emmené pour leur part, il semble que leur accord avec le duc d'Alve n'est près d'estre faict; mesmes que une ordonnance, de nouveau publiée en Flandres contre les Anglois , monstre que le duc en est assés esloigné , bien que par aultres moyens il en faict de plus en plus attaicher la pratique, affin de la faire tumber à son poinct, ainsy qu'on attand dessus des commissaires de Flandres qui doibvent bientost arriver; et ceulx cy désirent tant d'en sortyr qu'il semble qu'à la fin ils se layrront plyer à ce que le dict duc vouldra, comme desjà la dicte Dame lui a offert cinquante mil escuz du sien ; mais la demande passe ung million. Les sollicitations et dilligences de ceulx de la nouvelle religion ne s' intermettent d'une seulle heure, ce qui faict acroyre au monde qu'ilz sçavent très bien que le

225 propos de la paix sera acroché à quelque difficulté , et que la guerre sera encores continuée. Sur ce, etc.

Ce V' jour de juillet 1570.

INSTRUCTION AU DICT S' DE SABRAN

des choses qu'il fault fère entendre à Leurs Majestés, oultre les lettres :

Que la Royne d'Angleterre est bien fort sollicitée d'interrompre la paix de France par aulcuns,qui luy fontacroyre, qu'aussitost que le Roy l'aura conclue, il se ressouviendra des mauvais déportemens, dont les A nglois, durant ceste guerre, ont usé, par mer et par terre, à la Rochelle, icy, et en Allemaigne, contre luy ; ce qui n'est toules- foys leur principalle craincte , ains qu'avec la dicte paix s'en ensuyve l'accomodement des affères de la Royne d'Escoce , laquelle ilz cer- chent de ruyner, pour préférer à son tiltre, de la succession de ceste couronne , ses aultres compétiteurs qui y prétendent.

Mais comme la dicte Royne parle toutjour en fort bonne façon de la dicte paix , aulcuns m'ont asseuré que , à bon escient , elle la désire , et qu'elle vouldroit en toutes sortes que la querelle des subjectz fût bien esteincte au proffict et advantaige du Roy, ny les affères d'Es- coce ne la peuvent mouvoir au contraire , parce qu'elle veult , com- mant que soit , sortir d'iceulx ; et seulement elle crainct que le Roy et le Roy d'Espaigne s'accordent à sa ruyne , car aultrement elle estime bien que , se concluant la paix en France , le Roy recepvra en grâce ceulx de ses subjectz , qui ont senty quelque faveur et support d'elle , et que ceulx seront toutjour moyen que la dicte paix soit aussi entretenue entre la France et l'Angleterre.

Et la cause de luy fère ainsy souspeçonner, que l'intelligence des deux Roys soit à son dommaige , procède de la bulle ; car ne peult croyre que , sans leur consentement , le Pape l'ayt ozé expédier ainsy rigoureuse contre elle comme elle est; joinct que le duc d'Alve se tient à ceste heure trop plus ferme sur l'accord des prinses qu'il ne faisoit, et a monstre une très grande anymosité contre les Anglois par une ordonnance, qu'il a faicte tout de nouveau publier contre eulx ; et si , voyent les dicts Anglois qu'il se pourvoyt de beaulcoup plus de forces par mer et par terre , qu'il ne leur semble estre be- soing pour la réception ou conduicte de la Royne d'Espaigne ; ce qui leur donne occasion de croyre qu'il ayt quelque entreprinse sur ce royaulme ; enlendans mesmeraent que le Roy d'Espaigne est fort à m. 15

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bout de ses Mores, et que toutz les Catholiques, qui s'absentent d'icy, vont à recours à luy.

A l'occasion de quoy j'ay prins, entre deux, l'oportunité de fère rccepvoir, le mieulx que j'ay peu, à la dicte Dame les honnesles expé- dians et moyens, que le Roy luy a offertz, sur cequ'ilz i)euvent avoir à démesler l'ung avecques l'aultre ; dont semble que enfin elle se lairra conduyre à quelque rayson , et m'a l'on asseuré que , en l'en- droit des Françoys^ Alleraans et Flamans , de la nouvelle religion , qui sont icy, elle a faict, despuys cinq ou six jours , des démonstra- tions assés expresses qu'elle desiroit la paix de France ; et pareille- ment a monstre, touchant les choses d'Escoce, qu'elle vouloit con- tanter le Roy ; et a commandé à ceulx de son conseil de me donner satisfaction sur les choses raysonnables que je leur pourray deman- der pour les subjectz de;Sa Majesté.

Non que , pour tout cella , je cognoisse que ceulx du dict conseil , qui portent le faict de la religion nouvelle , aillent en rien plus froidz ny plus remiz que de coustume , ny que les principaulx agentz , qui sont icy pour ceste cause, intermettent une seule sollicitation ny dil- ligence vers eulx, ny à tenir souvant conseil avecques les ministres, pour envoyer lettres et messaigiers de toutz costez et pour recouvrer poUices de crédit pour Allemaigne , ensemble pour pourvoir, par mer et par terre , à tout ce qu'ilz pensent estre besoing pour continuer la guerre, me venans confirmez de plus en plus les adviz, que j'ay desjà mandez , qu'il s'apreste ung nouveau secours d'Allemans pour eulx , et qu'ilz préparent une descente par mer en quelque lieu de Normandie , Picardie ou Bretaigne ; dont je crains bien que ung des serviteurs de M' de Norrys , nommé Harcourt , qui est Françoys , le- quel a esté naguières dépesché d'icy vers son maistre , ayt heu com- mission de passer pour cest effectplus avant jusques en Allemaigne, ou jusques au camp des Princes.

Néantmoins la démonstration de la dicte Dame est, pour ceste heure, de vouloir trop plus entretenir l'espérance des Catholiques en son royaume que d'essayer de la leur rompre , ny de les mettre en aulcune souspeçon des Protestans, ayant par son garde des sceaux , en l'audience du dernier jour du terme passé, faict dire à l'assem- blée qu'elle avoit ung très grand regret de veoir que ses subjectz ca- tholiques se monstrassent intimidez pour leur religion , ny qu'il y en eust qui, pour cause d'icelle , s'absentassent, comme ilz faisoient, de son royaulme ; et qu'elle les vouloit toutz admonester de bon cueur de déposer ceste peur, et de prendre telle asseurance d'elle , qu'el'e

'227

n'innoveroit ny permettroit estre innové rien des ordonnances sur ce establyes par ses Parlementz etEstatz, soubz lesquelles son royaulme avoit desjà vescu plusieurs ans en grand repos, et qu'elle n'enten- doit en façon du monde que les Catholiques fussent forcez en leurs consciences.

Dont despuys, la dicte Dame , entendant qu'on avoit rigoureuse- rtient examiné et tenu assés estroict le sir Jehan Cornouaille, jadis conseiller de la Royne Marie , et trois aultres personnaiges d'assés bonne qualité, qu'on avoit envoyé à la Tour pour estre cognuz affec- tionnez catholiques , elle s'en est asprement prinse à ceulx qui l'a- voient osé fère ; et, pour leur fère plus de honte, elle a ottroyé que le dict Cornouaillepuysse venir luy baiser la main, pour le renvoyer libre en sa mayson, et a commandé que les aultres soyent tirez de la Tour.

Et, encor qu'on luy ayt voUu imprimer beaucoup de nouvelles souspeçons du comte d'Arondel, de milord Lomeley, du viscomte de Montégu et d'aulcuns aultres seigneurs réputez catholiques, qui, pour ceste cause, s'estoient lenuz retirez , elle n'a layssé de les en- voyer quérir avecques faveur; et n'a rejette les propos que eulx mes- mes et d'aultres luy ont meu sur la liberté du duc de Norfolc , non- obstant que, ez quartiers de son duché, ayenl esté naguières surprins deux gentishommes, assés familiers et serviteurs de sa mayson, qui pratiquoient de soublever le peuple et se saysir du chasteau de Far- lin, qui est la principalle forteresse du pays.

Et semble que le dict duc seroit desjà délivré , sans la compétance en sont le comte de Lestre et le secrétaire Cecille , lesquelz veu- lent chacun en avoir tout le gré, et estime l'on que le comte soit marry de ce que n'ayant peu conduyre ce faict avant son parlement , il ayt trouvé , à son retour, que le dict Cecille l'avoit bien fort ad- vancé , lequel , à ce que j'entendz , a tenu un tel moyen vers sa Mes- tresse : c'est de luy avoir persuadé qu'elle debvoit concéder l'eslar- gissement du dict duc , s'il luy déclaroit par une lettre , escripte et signée de sa main, qu'il confessoit l'avoir offancée en ce que, sans son sceu, il avoit preste l'oreille au mariage de la Royne d'Escoce, bien qu'il eust toutjours estimé que c'estoit pour la seurté d'elle et pour le repoz de son royaulme , mais puysqu'elle n'estimoit qu'il fût ainsy, et qu'il s'apercevoit à ceste heure qu'il estoit assés aultrement, il s'en despartoit entièrement et pour jamais, £t promettoit de n'en- tendre à cestuy , ny à nul aultre mariage, en sa vie , que ce ne fût avec le congé et bonne grâce de la dicte Dame : lecjuel expédiant je croy qui sera suy vy.

15.

2'28

Estant ce dessus escript , j'ay heu adviz comme un pacquet du docteur Mont, agent pour ceste Royne en Allemaigne, estoit arrivé, dez hyer au soyr, par lequel il mande que le Pape faict bien fort presser l'Empereur de commancer la diette et de procéder à la pri- vation et désauthorisation des trois ellecteurs laycs, pour substituer trois princes catholiques à leur lieu; sçavoir : l'archiduc Ferdinand, le duc de Bavière et le duc de Bronsouyc; mais que, se trouvans les aultres accompaignés de dix ou douze mil chevaulx, et dict Em- pereur seulement de douze ou quinze centz , il faict grand difficulté de se trouver à la dicte diette.

Et que, par lettres du comte Pallatin venues en mesmes pacquet, le dict sieur comte escript que le Pape s'esforce de troubler F Allemaigne, ainsy qu'il a troublé le royaulme de France ; et que Dieu lui est tes- moing que , de sa part , il désire la tranquillité et le repoz de la Chrestienté et singulièrement du dict royaume , en ce toutesfoys que la paix s'y puisse fère estable et à la seurté de sa religion , aultrement il promect qu'il ne sera rien obmiz de ce qui sera besoing pour ré- [)rimer ceulx qui la veulent empescher. Il semble que, sur ceste al- tération d' Allemaigne , le dict Pallatin s'employeroit assés voUontiers à procurer la dicte paix , dont le Roy pourra essayer de se prévaloir de leurs mesmes divisions, et je mettray peyne de fère sonder icy, parmi les Protestans, s'ilz sentent que d'icelles leur vienne nul re- tardement ou changement en leurs affères ; car j'estime bien qu'on attandra de veoir que pourra produyre ceste diette , qui est si sus- pecte aux princes protestans , premier qu'ilz se divertissent à nulles aultres entreprinses, et cella donra quelque loysir à Sa Majesté.

DIRA DAVANTAIGE , DE MA PART , A LEURS MAJESTEZ .'

Que ne sachant comme la Royne d'Angleterre eust peu prandre ce que Leurs Majestez me commandoient de luy dire , touchant la ligue d'entre la Royne d'Escoce et elle, comme le Roy estoit contant d'y en- trer, j'ay estimé que, pour réserver tout l'advantaige à Leurs Majestez , et obvier qu'on n'y puisse rien calompnier, que j'en debvois parler en la façon que j'ay faict :

C'est que j'ay dict à la dicte Dame qu'ayant le Roy entendu les trois poinctz , ausquelz s'estoit restreinct tout le premier pourparlé d'entre les seigneurs du conseil d'Angleterre et l'évesque de Roz; sçavoir : de la religion, du liltre de ceste couronne et de la ligue ; que, quant au premier, de la religion, estant desjà certain ordre re-

t229

ceu dessus eu Escoce, lequel la Royne n'a jamais enfrainct, il vouloit tant seulement prier à ceste heure la dicte Dame de ne fère force ny vioUance à la conscience de la dicte Royne d'Escoce , ny in- nover-rien en ceste matière qui peult admener plus d'altération au monde qu'il n'en y a :

Et du segond , qui est le tiltre de la couronne d'Angleterre , qu'il desiroit que la dicte Royne d'Escoce luy en fît toqte la cession et transport, qu'elle et son conseil estimeroient luy estre besoing pour sa perpétuelle seurlé et pour ceulx qui pourroient provenir d'elle :

Au regard du troisiesme , qui concerne la ligue , qu'il ne seroit marry qu'elle se fit entre elles , pourveu que ce ne fût contre luy, ny au préjudice des aultres ligues qu'il a avec la dicte Royne d'Angle- terre et son royaume , et pareillement avec la Royne d'Escoce et le sien ; et layssay dessus amplement discourir la dicte Dame et estendre ses responces , sans l'interrompre de rien , ainsy que je l'ay desjà mandé.

Mais reprenant, puys après, le propos, je luy diz que, ayant con- sidéré de moy mesmes combien il sourdoit à toute heure de grandes espines et de nouvelles diffîcultez en ce faict de la restitution de la Royne d'Escoce, à cause qu'on la luy proposoit toutjours fort sus- pecte du costé de France , j'avois suplié le Roy de vouloir luy mes- mes intervenir en la ligue deffencive , qui se feroit entre elles deux , affln qu'en lieu de se deffyer de luy, elle en print dorsenavant toute asseurance et seurté ; et que le Roy m'avoit respondu qu'il le voul- droit bien, mais qu'il ne voyoit pas le moyen commant cella se pour- roit fère ; toutesfoys, si je le voyois icy sur le lieu, qu'il s'en remettoit bien à moy de passer oultre -,

Et que je pensoys qu'il avoit regardé à la jalouzie , que les aultres princes en pourroient prendre , et possible encores à la diversité de la religion; dont, de tant qu'il ne m'avoit commandé d'en déclairer si avant à la dicte Dame , et que néantmoins c'estoit chose que je ne pouvois effectuer sans elle , je prenois sa parolle pour garant que le propos seroit réservé et ne passeroit plus avant qu'entre nous deux , ou bien , si elle en vouloit communiquer à son conseil , qu'elle me promettoit de ne dire jamais que cella fût procédé de moy.

La dicte Dame , ayant très agréable le dict propos , lequel a esté cause que toutl'affère est retourné en bons termes, et néantmoins, estant marrye que je y allois si réservé, me demanda, trois ou quatre foys, si j'avois poinct pensé nul bon moyen en cella. Je ne luy vol- luz soubdaiii respondre , afiin de luy en laysser à elle mesmes mettre

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quelcun en avant; mais enfin je luy diz que celluy que je voyois le plus honeste estoit que la Royne d'Escoce le requist, et que le Roy, pour le bien et considération d'elle, auroit plus grande ocasiond'y entendre : et n'en est encores la chose plus avant.

CXX' DEPESCHE

du ix« jour de juillet 1 570. (Envoyée exprès jusques à Dièpepar M' Allexandre.)

Arrivée de M' de Poigny en Angleterre. Affaires d'Ecosse et d'Allemagne. Nouvelles apportées de la Rochelle; combat de Sainte -Gemme près Luçon. Déclaration du duc d'Albe que les préparatifs maritimes faits dans les Pays-Bas n'ont d'autre but que d'assurer la conduite en Espagne de la nouvelle reine.

Au Roy.

Sire, estant M'^ de Poigny arrivé le iiij^ de ce moys en ceste .ville de Londres, j'ay envoyé, le jour d'après, fère entendre sa venue à la Royne d'Angleterre, et la prier de nous donner audience, laquelle la nous a prolongée jusques aujourduy, dimenche, que nous Talions trouver à Otland, assés incertains que pourra réuscyr de son voyage ; car il semble que la dicte Dame ayt escript à son ambassadeur par dellà qu'il s'estoit trop advancé de vous requérir de l'envoyer, et que desjà il s'est excusé de n'avoir onques pensé de vous parler de telle chose. Et encores est advenu que les Escouçoys ont freschement couru et pillé le bestial en la frontière d'Angleterre, à l'ocasion de quoy le comte de Sussex, non seulement n'a séparé son armée, mais a faict grande instance qu'il luy fût permiz de rentrer encores une foys en Escoce, et a retenu pour ceste occasion quel- ques jours davantaige à Auvyc le sir de Leviston, que nous

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envoyons en Escoce. Toutesfoys l'on nous asseure qu'il est meintennant passé; dont n'estant encores les choses qu'en assés bons termes, nous incisterons, aultant qu'il nous sera possible, qu'elles soyent effectuées ainsy qu'on a commancé de les tretter.

Et cependant, Sire, je diray à Yostre Majesté qu'il y a quelque aparance, parmy ceulx de la nouvelle religion qui sont icy , que la nouvelle , qu'ilz ont despuys trois jours d' AUemaigne , leur jette l'espérance de leur secours ung peu plus loing qu'ilz ne pensoyent, entendans comme l'as- semblée de Heldelberc s'est séparée ; etque le duc Auguste, estant allé devers l'Empereur , luy a parlé en si bonne sorte de l'ocasion qui le pressoit de s'en retourner chez luy, que non seulement l'Empereur le luy a permiz, mais ne luy a reffuzé son excuse, de ne se pouvoir sitost trouver à la diette; et que despuys, le comte Pallatin l'est sembla- blement allé saluer, qui luy a offert d'intervenir luy mesmes à icelle diette, si les aultres princes y viennent; et que, contre l'opinion qu'on avoitque, pour craincte de ceste assemblée de Heldelberc, le dict Empereur ne passeroit oultre , l'on mande qu'il est arrivé le xviij^ de juing à Espire, accompaigné seulement, oultre ceulx de sa court, du duc Jehan Georges Pallatin , qui monstre de vouloir asprement quereller une quarte part du Pallatinat ; et que le dict Empereur est allé descendre à l'esghze principalle, au grand contantement des Catholiques, se descouvrant de plus en plus que icelle diette est principallement indicte pour procéder contre les trois ellecteurs protestans, des- quelz n'ayant leur dignité prins aultre origine ny fondement que de l'authorité du Pape, par la bulle jadis sur ce expé- diée, il semble n'estre sans rayson que, par la mesmes

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authorité, puysqu'ilz s'en sont substraictz, joinct celle de l'Empereur, ilz en puissent meintennant estre fort légiti- mement privez ; non que les dicts de la religion se tien- nent pour cella moins asseurez que devant d'avoir leur se- cours, ains plus, à ceste heure qu'ilz disent que, parce que les dits princes ont descouvert ceste entreprinse , ilz se veulent plus évertuer, qu'ilz n'ont encores jamais faict, pour la deffense de la religion ; bien pensent qu'affin qu'ilz se puissent mieulx opposer à tout ce qui se pourroit décretter contre eulx, ils vouldront retenir les forces dans le pays jusques à la fin d'icelle diette; et aussi que n'ayantz les draps de ceste dernière flotte d'Angleterre heu encores assés bonne vante en Hembourg, leurs lettres de crédit, qui sont assignées dessus, n'ont peu estre si tost employées ; et le payement est retardé d'ung moys : mais ilz n'intermet- tent cependant aulcune poursuyte ny dilligence en cella, mesmes qu'on leur a escript que les deniers, pour la levée de Vostre Majesté, sont desjà arrivez par dellà.

Et j'entendz. Sire, que jeudy dernier, arriva ung soldat de la Rochelle , qui magniffie bien fort quelque routte que les Huguenotz ont donnée aulx capitaines La Rivière et Puygaillart près de Lusson ^ , ouest demeuré, à ce qu'il dict, plus de cinq centz des nostres sur la place, et dix sept capitaines avec plus de deux centz aultres prisonniers ; et , sellon les lettres que le dict soldat a apportées, lesquelles ont esté veues en ceste court, le comte de La Roche Foucault, qui estoit party pour s'aller joindre au camp des

^ Combat livré à Sainte-Gemme-la-PIaine, en Poitou, dans lequel La Noue, qui commandait les Protestans dans la Saintonge , remporta une victoire si- gnalée sur les troupes royales. La blessure qu'il reçut quelques jours après, à l'assaut de Fontenay , nécessita l'amputation du bras gauche , mais il ne tarda pas à reprendre son commandement.

233 Princes , s'en est retourné d'Angoulesme , à cause de la blessure du S"^ de La Noue, de qui l'on n'espère guyères la guéryson, affin de ne laysser la Rochelle et le pays sans gouverneur; et que le dict sieur comte est après à mettre aulx champs envyron cinq mil hommes de pied et cinq centz chevaulx , avec trois pièces d'artillerye , pour aller reprendre Xainctes, et de marcher en Brouaige ; et que le capitaine Sores estant adverty que deux très riches flottes revenoient des Indes, l'une pour Espaigne, et l'aultre pour Portugal, qui doibvent arriver à ce moys d'aoust, est allé essayer s'il en pourra piller quelque une, ayant, comme il semble, pour ceste occasion remiz l'en- treprinse de leur descente, dont vous ay ci devant escript, jusques à son retour ; et cependant les vaysseaulx du prince d'Orange et ceulx de quelques pirates françoys , qu'ilz nomment le capitaine Joly, du Mur, Bouville et aultres, ont combattu, vendredy dernier, dans ceste mer estroicte, une flotte de douze grandes ourques, lesquelles, soubz la conserve de deux aultres grandz navyres de guerre, pas- soient de Flandres en Espaigne, et ont prins l'admyralle et une aultré des plus riches.

Le duc d'Alve a fait déclairer icy par l'ambassadeur d' Espaigne que l'armement, qu'il prépare en Flandres, n'est pour aultre effect que pour conduyre la Royne, sa Mestresse, devers le Roy son mary, avec l'apareil qui con- vient à une si grande princesse comme elle est , pour le dangier des pirates; ce que j'estime qu'il a fait expressé- ment pour garder que les Anglois n'arment de leur costé ; car ilz ne pourroient, puys après, se tenir qu'ilz n'allassent se présenter en mer au passaige de la dicte Dame, en dan- gier qu'il y peult survenir quelque accident, ce qu'il veult

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bien évytter ; et a mandé que ceulx qu'il a faict depputer sur le différant des merchandises , sont desjà partys pour venir par deçà. Sur ce, etc.

Ce ix« jour de juillet 1570.

CXXr DÉPESCHE

du xuii« jour de juillet 1570. (Envoyée exprès jusques à Dièpe par Jehan Girault.)

Audience accordée par la reine d'Angleterre à M' de Poigny, envoyé vers elle pour négocier la mise en liberté de Marie Stuart , et son rétablisse- ment.— Nouvelles d'Ecosse. Insistance de l'ambassadeur pour qu'Elisa- beth refuse toute protection aux protestans de France , s'ils ne consentent pas à accepter les conditions offertes par le roi.

Au Roy.

Sire, nous avons esté, despuys quatre jours en çà, trouver la Royne d'Angleterre à Otland , laquelle a mons- tre de recepvoir, avec playsir, les lettres et recommenda- tions, que Yoz Majestez lui ont faictes présenter par M' de Poigny, et l'a receu à luy mesmes bien fort favorable- ment ; dont , après aulcuns bien honnestes propos , de l'ayse qu'elle avoit d'entendre de voz bonnes nouvelles et vostre retour en bonne santé vers les quartiers qui sont plus près d'icy, elle a commancé de lyre assés hault voz lettres; sur lesquelles monstrant de s'esbahyr de l'occasion que luy mandiez du voyage dudict S'^ de Poigny, que ce fût à l'instance de son ambassadeur, elle nous a dict, tout clai- rement, qu'elle n' avoit point donné ceste charge à son am- bassadeur, ainsy qu'il se pourroit bien vérifïier par la minute des lettres que , despuys deux moys , elle lui avoit

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escriptes : et le secrétaire Cecille , lequel elle a appelle dessus, n'a failly de le confirmer de mesmes.

Puys, elle a suyvy à dire qu'il estoit advenu l'ung de deux ; ou qu'on avoit équivoque sur ce qu'elle avoit accordé que la Rope d'Escoce et moy peussions envoyer ung gentilhomme jusques en Escoce pour voir comme les armes s'y poseroient, et comme elle feroit retirer ses forces hors du pays,^ ainsy que , pour cest effect, le sir de Leviston estoit desjà par dellà, mais non de fère venir exprès ung gentilhomme de France ; ou bien qu'il y avoit de l'artiffice; mais, d'où que peult venir la faulte, elle n' estoit que heureuse, puysqu'elle luy estoit moyen de pouvoir mieulx ' entendre Testât et bonne disposition de Voz Maj estez.

A quoy ayantz vifvement incisté qu'il n'y avoit, ny pou- voit avoir , nul mescompte ny artiffice de vostre costé , le dict S"^ de Poigny a allégué qu'il avoit veu son dict ambas- sadeur estre longtemps en l'audience avec Voz Majestez à vous discourir et monstrer plusieurs papiers 5 et que , au sortir de là, vous luy aviez commandé de s'en venir, qui ne pouvoit estre, sans que le dict ambassadeur l'eust ainsi re- quis. Et a poursuyvy de réciter à la dicte Dame bien parti- culièrement tout le contenu de sa charge , en si bonne et gracieuse façon, qu'elle a monstre d'en avoir tout contante- ment.

Il est vray , Sire , qu'elle a commancé de respondre par une plaincte, qu'elle nous a faicte , de l'affection que Vostre Majesté monstre de se souvenir trop plus de la Royne d'Escoce et de ses affères que des bons tours de bonne sœur et vraye amie, qu'elle vous a monstrez en ces troubles de vostre royaulme ; mais que pourtant elle ne veult

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laysser, sur la considération qu'avez heue de n'envoyer voz forces en Escoce , de vous en randre ung bien fort grand mercy, et non moindre pour l'amour de vous que pour l'amour d'elle mesmes, car l'honneur est égal à toutz deux; et qu'au reste, encores qu'on dye que les femmes ont toutjours des responces et deffaictes toutes prestes, qu'elle n'en usera en cest endroict, ains prendra temps pour bien consulter l'affère , affin de nous donner , par après, plus grande satisfaction.

Et ainsy. Sire, nous sommes attandans qu'est ce qu'elle trouvera par son conseil qu'elle nous debvra dire; et, de tant qu'elle nous a touché de l'armement, qu'elle dict estre encores tout prest en Bretaigne, contre l'asseurance que je luy avois donnée que vous l'aviez contremandé, et aussi de quelque personnaige qu'avez freschement dépes- ché par mer en Escoce ; et que , parmy cella , elle nous a ramentu plusieurs offances que la Royne d' Escoce , à ce qu'elle dict, luy a faictes, avec grande deffiance d'elle et de M"^ le cardinal de Lorrayne, je ne vois pas que nous soyons encores bien prez de conclurre quelque bon marché entre elles. Tant y a que comme il n'a esté, à mon adviz, rien oublyé de ce qui se pouvoit desduyre en ceste pre- mière remonstrance , nous ne dellibérons d' estre moins pressantz en la segonde. Ce poinct, au moins , nous de- meure gaigné despuys dix jours , que l'armée de la dicte Dame, suyvant ce que je vous ay cy devant mandé, est en- tièrement cassée, et ne reste nulles aultres forces en la frontière du North que la garnison acoustumée de Barvich et celle qu'on a layssédans les deux chasteaux de Humes et Fascastel. Il est vray que, dedans Barvych, demeure ung bien fort grand appareil de guerre , qu'on y avoit desjà

237 préparé pour la généralle entreprinse d'Escoce , et l'armée peult , en bien peu de jours , estre rassemblée. Je ne sçay si le comte de Lenoz aura de mesmes obéy à ce que je vous ay mandé, Sire, qu'on luy avoit escript de se retirer au dict Barvych et de licentier les trois centz Escouçoys qu'on entretenoit près de luy ; car, sellon les dernières nouvelles qui sont venues de dellà, il s'entend que le dict de Lenoz es- toit encores à Esterlin , le xxvj^ du passé , avec les comtes de Morthon et de Mar, créez lieuctenans du jeune Roy son petit filz, jusques au dixième de ce moys; auquel jour toutz ceulx de ceste faction se debvoient trouver à Lislebourg pour mettre quelque résolution en leurs affères. Hz ont esté en termes de porter le dict jeune Roy au dict Lislebourg affin qu'avec sa présence ilz peussent recouvrer le cbasteau, mais le lair de Granges a respondu que le dict Prince y se- roit le bien venu ; néantmoins qu'il vouloit demeurer le plus fort dedans, attandant que la Rope sa mère et luy fussent d'accord comme ilz entendroient qu'il en usast. Ce- pendant la dicte Dame a envoyé confirmer à sa dévotion le dict de Granges , et ses aultres bons serviteurs de dellà , par le dict sir de Leviston, qui leur a apporté, de par elle, trois mil escuz, de la somme que je luy ay naguières fornye, afïin qu'ilz ayent de quoy se pourvoir des choses qui sont néces- saires pour la garde du dict cbasteau de Lislebourg et de celluy de Dombertrand.

Sur la fin de nostre audience, Sire, j'ay faict mencion à la dicte Dame de Testât auquel sont encores les affères de vostre royauhne, et comme Vostre Majesté, ayant donné ung clair tesmoignage au monde de sa bonne intention à réunyr toutz ses subjectz, et esgallement les conserver, et d'avoir concédé à ceulx, qui se sont ellevez, une si grande

238 satisfaction, pour leur religion et pour leurs affères, et encores pour la seurté de leur personnes , qu'il ne leur reste plus aulcune excuse de ne debvoir poser les armes, ny de quoy pouvoir alléguer à la dicte Dame , ny aulx aul- tres princes protestans , que vous pourchassiez d'extermi- ner leur religion, puysque permettez qu'elle ayt cours et exercisse en vostre royaulme ; qu'elle veuille donques croyre que vous ne cerchez en ceste guerre que le seul re- couvrement de l'obéyssance qu'ilz vous doihvent; et que leur entreprinse, s'ilz passent oultre, ne peult estre dressé que contre vostre estât et authorité; et que n'estantz naiz au pareilh degré d'honneur de Voz Majestez, il est sans doubte que , s'ilz pouvoient avoir quelque advantaige sur vous, que eulx et leurs semblables entreprendroient de fère le mesmes, par toutz les aultres estatz de la Chres- tienté, pour y abattre l' authorité et esteindre le sang royal des princes souverains; dont la priez que, s'ilz diffèrent ou reffuzent d'accepter vos honnestes offres, qu'elle les veuille tout aussitost priver de toute faveur et retraicte en ses portz et pays , et employer ses bons moyens , icy et en Allemaigne , et vers les princes protestantz , desquelz ilz attandent leur secours, et partout elle pourra, par mer et par terre , qu'ilz ne puissent exécuter leurs mauvaises et violantes intentions.

A quoy la dicte Dame m'a respondu que je luy estois tesmoing , que , entre ses meilleurs désirs , elle avoit tout- jours heu bien expécial celluy de la paix de vostre royaulme, et qu'elle espéroit que voz subjectz ne se diffa- meroient tant que de la rejetter, si les condicions estoient telles que je disoys ; et que d'autresfoys elle m'avoit dict ipi'elle vouloit réserver une oreille aulx raysons que les

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aultres pourroient alléguer, lesquelz, si n'en avoient de si bonnes qu'ilz se peussent bien excuser de l'obéyssance et déposition d'armes que Vostre Majesté leur demande , qu'elle les tiendroit puys après pour rebelles; et qu'elle croyt que leur longueur vient de ce que les exemples du passé leur font peur ; comme encore elle pense que , quant Dieu vous aura donné la paix, l'on ne cessera, avant deux ans, de vous pousser à la guerre, pour oster ceste religion, et mesmes à vous anymer contre ce royaulme comme con- tre ung coin de terre qui sert de retrette aulx Protestans ; ains qu'elle sçayt bien qu'on a voUu imprimer au cueur de Monsieur d'aspirer par ce moyen à quelque couronne, mais qu'elle espère que vostre prudence et la sienne, et vostre modération , résisteront à si mauvais et pernicieulx conseilz; et, quant aulx choses d'Allemaigne, qu'elle m'a naguières adverty de ce que l'Empereur luy en avoit es- cript, et bientost elle attand lettres de dellà, desquelles elle me fera part, c'est en substance. Sire, ce qui s'est passé en la dicte audience. Sur ce, etc.

Ce xiv^ jour de juillet 1570.

Tout présentement viennent d'arriver les commissaires de Flan- dres, que le duc d'Alve a envoyez pour venir visiter lesprinses et en fère l'évaluation. Et semble que l'espérance de liberté est prolongée au duc de Norfolc encores pour trois moys.

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CXXir DÉPESCHE

du xix^ jour de juillet 1 570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet. )

Audience accordée à M' de Poigny et à l'ambassadeur. Refus de la reine d'Angleterre de laisser passer M' de Poigny en Ecosse. Consentement qu'elle lui accorde de se rendre auprès de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, la Royne d'Angleterre nous a prolongé six jours entiers sa responce, et, le septiesme, elle nous a mandé venir à Otland pour la nous fère , qui y sommes arrivez sur le poinct qu'elle estoit preste d'en desloger, à cause que, la nuict précédante, quelques ungs y estoient mortz si soubdainement qu'on eust souspeçonné que ce fût de peste. Néantmoins s'estans ceulx de son conseil incontinent as- semblez, M"^ de Poigny et moy avons esté premièrement introduictz vers eulx , et ilz nous ont faict entendre par mi- lor Chamberlan ce qui s'en suyt :

Que la Royne , leur Mestresse , ne voulant aulcunement contradire la paroUe de Vostre Majesté, en ce que mandiez avoir dépesché M*^ de Poigny vers elle , sur l'instance que son ambassadeur vous en avoit faicte, elle a estimé avoir occasion de vous en remercyer, comme elle faict de bon cueur; mais qu'elle vous prie. Sire, de croyre que son ambassadeur n'a poinct heu ceste charge; et, quant à celle, qu'avez donnée au dict S"" de Poigny, d'assister par deçà au tretté qui se fera entre elle et la Royne d'Escoce, encor que ce soit chose apartenant à elles deux, nul aultre qu'elles et leurs subjectz n'ont que voir, et l'arbitrage ny l'authorité de nul aultre prince n'est requise , néant-

241 moins elle est contante que, luy ou moy, ou toutz deux ensemble , interveignons pour Vostre Majesté en ce qui s'y fera, comme en ung acte qu'elle veult vous estre tout clair et cogneu; et au regard d'aller visiter la Royne d'Escoce, qu'ilz layssoient à la Royne , leur Mestresse , d'en tretter avecques nous ; mais, quant à passer plus avant jusques en Escoce , de tant que cella leur sembloit debvoir plus apor- ter d'empeschement que de proffict au tretté , et possible engendrer de grandes difficultez en tout l'affère, comme desjà ung pareil exemple les en avoit faictz saiges, qu'ilz avoient tout librement dict à la dicte Dame , qu'il n'estoit besoing qu'elle l'y layssût passer; à cause de quoy ilz prioient Vostre Majesté de trouver bon que, pour n'mter- rompre ung si bon œuvre, il se déportast entièrement d'y aller.

A quoy ayant le dict S"^ de Poigny fort pàrticullièrement et bien respondu, et s' estant principallement arresté à ne debvoir estre aulcunement empesché de passer en Escoce, par des raysons très aparantes, qu'il leur a sagement et fort vifvement remonstrées; et y ayant aussi fort ferme- ment incisté de ma part, avec prière qu'ilz le voUussent acompagnier d'ung aultre gentilhomme des leurs pour pouvoir esclayrer ses actions, affin de n'en prendre point de deffiance , nous les avons fort pressez de n'uzer en chose de si petite importance, laquelle n'estoit que pour leur proffict, d'aulcun reffuz qui vous peult ou mal contanter, ou préjudicier à. la liberté des trottez.

Sur quoy iceulx seigneurs, ayantz de rechef miz l'affère en dellibération , nous ont , par le secrétaire Cecille , pré- sens toutz les aultres, faict dire que, considéré que en ceste cause les personnes qui y interviennent sont Vostre

III. 16

Majesté, la Royne leur Mestresse et la Royne d'Escoce, sçavoir : les deux comme principalles en intérest , et Vous , Sire , comme allyé fort estroit à l'une , et en bonne amytié avecques l'aultre; et que la matière touche principallement à leur Mestresse comme invahye en son tiltre , et au nom , armes et enseignes de son estât, par la Royne d'Escoce ; laquelle n'a jamais voUu, quelque dilligence qu'on en ayt sceu fère , aprouver le tretté sur ce faict avec ses deppu- tez , bien que légitimement authorisez du feu Roy son mary, vostre frère , non sans indignité de ceste couronne : considéré aussi que ceulx, qui tiennent son party en Es- coce, non seulement ont retiré les rebelles d'Angleterre, ains se sont joinctz avec eulx pour venir assaillyr ce royaulme , et que , nonobstant tout cella , ainsy que les choses estoient en termes de quelque modération entre le comte de Sussex et les Escossoys, au moys d'apvril der- nier, survenant dessus ung gentilhomme françoys, tout fut interrompu , et commancèrent incontinent ceulx du dict party de la Royne d'Escoce de tumultuer et de devenir si iusolantz , que le dict de Sussex fut contrainct de exploicter ses forces contre eulx ; et encores tout freschement le sir de Leviston n'a esté sitost par dellà que ceulx de la frontière d'Escoce n'ayent incontment entreprins de courre et piller celle d'Angleterre : considéré aussi que le dict sir de Le- viston sera en brief de retour avec les aultres depputez du royaulme, lesquelz, si ne sont desjà partys, sont si près de le fère , que le mieulx (p'adviendroit au dict S' de Poigny seroit ou de les faillyr en chemyn , ou de les ren- contrer en Ueu, d'où possible ilz ne vouldroient passer plus avant, jusques à ce que sa légation fût entendue de ceulx qui les envoyent, qui seroit d'aultant retarder la be-

243 soigne; joinct que, tant plus nous incisterions au dict voyage, plus nous le leur rendrions suspect, et leur don- nons' à penser que Vostre Majesté ne l'auroit commandé , ny pour satisfère à leur ambassadeur, ny pour l'utillité de leur Mestresse , ainsy que nous nous esforcions de le leur persuader; ilz percistoient, en ce qu'ilz avoient desjà con- seillé à la dicte dame , qu'il n'estoit aucunement expédiant que le dict S"^ de Poigny passât oultre. Bien nous vou- loient, quant au reste, donner seurté pour elle qu'aussi- tost que les dicts seigneurs escouçoys seroient arrivez, elle sera preste de procéder sur les afleres d'entre la Royne d'Escoce et elle , sellon le tretté qui en a desjà esté com- mancé avecques moy, et dont j'en ay mis quelque forme en escript, et d'entendre à la restitution de la dicte Dame , aultant , qu'avec son honneur et sa seureté , elle le pourra fère.

Et sont demeurez si fermes en cella que, ne pouvant gaigner rien davantaige avec eulx, nous sommes allez trouver leur Mestresse ; et elle nous a tenu le mesmes lan- gaige , adjouxtant seulement , pour le regard de l'in- dignité et moquerie, que nous alléguions estre en cest empeschement du voyage du dict S"" de Poigny en Es- coce , puysqu'il estoit si avant, qu'elle prenoit en sa charge d'en contanter Yostre Majesté; mais, quant à aller devers la Royne d'Escoce, s'il me sembloit que d'une telle visite, après les occasions que je sçavois bien qu'elle luy avoit données de beaucoup d'oflances , et sur l'opinion qu'on pourroit prendre que ce fût par cramcte ou par me- naces qu'elle l'ottroyoit, il n'en peult advenir de préjudice à sa réputation , ny aulcun intérest à votre commune amy- tié, qu'elle estoit contente de le permetttre.

1G.

244 M

Sur quoy je l'ay priée de prendre de bonne part l'hon- neste office que Vous, Sire, faisiez envers vostre belle sœur, et qu'elle layssât aux mal affectionnez, d'y donner telle interprétation qu'ilz vouldroient , car ce ne pourroit jamais estre qu'à la louange de sa bonté, et vertu, et encoresà son honneur et proffict. Et ainsy, Sire, elle a donné saufconduict au dict S"^ de Poigny d'aller trouver la dicte Dame 5 chose que nous n'espérions guyères et laquelle monstre desjà debvoir estre de beaucoup de moment pour vostre service, en ce royaulme et en celluy d'Escoce. Et avant s'acheminer, le dict S'" de Poigny a advisé de donner entier compte de toute sa négociation à Voz Majestez, ainsy qu'il vous plairra le voyr par ses lettres, ne voulant, Sire , pour quelques aultres empeschemens , qui comman- cent de paroistre tout de nouveau en cest affère , venantz de heu d'où moins vous l'attandiez , laysser d'espérer que la paix de vostre royaulme ne soit pour bientost vuyder ceste, et encor d' aultres plus grandes difficultez ; ainsy que ceste Royne n'a vollu finir l'audience sans monstrer une conjouyssance du bon espoir qu'elle dict avoir d'icelle, et que ce luy sera aultant de joye , de santé et de bon porte- ment, si elle en peult bientost entendre la conclusion. Sur ce , etc. Ce xix« jour de juillet 1570.

A LA Royne. Madame, nous n'avons peu, pour ce coup , obtenir rien de mieulx en la négociation de M-" de Poigny que de luy permettre qu'il puysse aller visiter la Royne d'Escoce de la part de Voz Majestez; qui n'est si peu. Madame, qu'on ne le tienne icy en beaucoup , et que la réputation de vostre couronne n'en semble estre en quelque chose rele-

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245 vée , et qu'on ne commance de bien espérer de tout le reste. Nous avions , avant aller à ceste segonde audience , heu advertissement de certaynes traverses , que la commu- nication du S-^ dom Francès avec M»^ de jNorrys vous y faict, qui a esté cause que j'ai, avec le plus de véhémence et d'affection que j'ay peu, touché à la Royne d'Angleterre les poinctz qui la doibvent asseurer de vostre amytié, et ceulx qui la luy peuvent rendre utille et pleyne de confiance , et le mesmes aulx seigneurs de son conseil ; dont le comte de Lestre et le secrétaire Cecille m'ont despuys recerché de plus estroicte conférance avec eulx ; et M"^ de Roz a raporté d'elle, et d' eulx, plus amples promesses sur l'advancement de toutz les affères de sa Mestresse ; ainsy que plus en par- ticullier je le vous manderay, dans quatre ou cinq jours , que je dépescheray ung des miens devers Vostre Majesté. Et vous diray cependant. Madame, que le dict S"^ iNorrys a mandé qu'il y avoit grand apparance que la paix succè- deroit bientost, ce qui faict monstrer ceulx' cy en meilleure disposition vers toutes les choses de vostre service. Hz sont après à jetter cinq grandz navyres avec mil hommes de- hors, avitaillez pour deux moys, par prétexte d'aller ré- primer les pirates, mais c'est pour le souspeçon qu'ilz se donnent de l'armement du ducd'Alve; auquel toutesfoys ceste Royne a naguières, par persuasion du dict S'^ Norrys, escript une lettre pleyne d'affection , affin de prendre asseu- rance de luy, et luy en donner tout aultant d'elle , touchant le passaige de la Royne d'Espaigne. J'entendz qu'il est arrivé plusieurs lettres d'AUemaigne, et entre autres du comte Pallatin , qui semble inviter ceste princesse à désirer la paix de France. Sur ce, etc.

Ce xhY*" jour de juillet 1570.

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CXXlir DÉPESCHE

du xxv« jour de juillet 1 570. (Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrétaire.)

Délibération du conseil sur la mise en liberté du duc de Norfolk. Disposi- tions prises par Elisabeth pour apaiser les troubles de son royaume. Préparatifs maritimes et militaires dont on doit se défier en France, malgré les assurances de paix et d'amitié données par la reine, et la bonne volonté qu'elle montre à l'égard de Marie Stuart. Nouvelles d'Ecosse et d'Alle- magne. — Mémoire général sur les affaires d'Angleterre. tail des me- sures prises en Angleterre pour se défendre contre toute agression. Bonnes dispositions montrées en faveur de Marie Stuart et du duc de Nor- folk. — Mémoire secret. Intrigues de l'Espagne en Angleterre pour tra- verser tous les projets de la France. Mission secrète de don Francès d'Alava. Désir du cardinal de ChatiUon de voir la pacification s'établir en France ; conditions auxquelles les protestans offrent de se soumettre.

Au Roy.

Sire, aujourduy, et tout demain, la Royne d'Angle- terre sera en la mayson du comte de Betford , à xx mil d'icy, elle a mandé venir sou garde des sceaulx et ses aultres principaulx conseillers pour dellibérer de la liberté du duc de Norfolc ; de laquelle l'on luy donne grande es- pérance qu'il la pourra obtenir bientost, à tout le moins d'estre remiz en sa mayson. Et de là, la dicte Dame veult continuer son progrez, sans toutesfoys esloigner guières plus que de trente mil la ville de Londres vers Sufloc, Norfolc et Sussex, affin d'appayser ces trois pays, qui sont voysins d'ici , lesquels ont monstre d'estre disposez à quelque nouveaulté ; et elle espère de modérer par sa pré- sence r affection des hommes, et fère exploicter la justice contre ceulx qui sont prins, et abattre toute l'intelligence qu'on luy faict acroyrc que les estrangiers ont en ces quartiers là; et, par mesme moyen, pourvoir à la seureté de

217 ses porlz tout le long d'icelle frontière, ainsy que, à grande dilligence, elle les faict fortiffier, à cause qu'ilz sont expo- sez vers Holande et Zélande ; d'où elle crauict les entre- prinses du duc d' Alve , nonobstant que dom Francès d'A- lava ayt, à ce qu'on dict, remiz elle et luy à traicter amyablement et par lettres bien gracieuses l'ung avec l'aultre , et que le dict duc luy ayt freschement envoyé des depputez sur le faict des prinses ; mais ces démonstrations ne la peuvent tant asseurer, comme les aultres apparances de la sublévation, qu'elle a senty en son pays , et le raport qu'on luy faict, qu'en l'armement de Flandres se prépare d'embarquer trois mil chevaulx, grand nombre de gens de pied , force artillerye , pouldres , pionniers , monitions et tout aultre appareil de guerre , la mettent en deffiance. De quoy est advenu que la dicte Dame, despuys six jours, a faict arrester toutz les navyres tant estrangiers que aultres , qui sont par deçà , et serrer les passaiges , et en- voyé son admirai à Gelingan et le long de la Tamise pour ordonner une armée de mer, du plus grand nombre de vaysseaulx et de maryniers qu'il luy sera possible , affin de l'avoir preste à tout momant, quant il sera besoing; et commande aussi qu'on tienne deux mil chevaulx et huict mil hommes de pied toutz pretz. Dont je suys après , Sire , de regarder si cest appareil se feroict poinct à quel- que aultre fin contre vostre service; mais, encore que je n'en descouvre rien, je vous suphe néantmoins. Sire, très humblement que cecy vous serve d'ung adviz pour ne laysser à l'arbitre des Anglois rien du vostre , qui ne soit pourveu contre les entreprinses qu'ilz y pour- roient fère ; car vostre royaulme est ouvert et exposé à toutes injures , tant que cette guerre durera.

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Je veulx toutesfoys bien asseurer Yostre Majesté que ceste Royne et les siens m'ont, despuys dix jours, tenu des propos plus exprès de la confirmation d'amytié entre Yoz Majestez, et de la persévérance de paix entre voz deux royaulmes , qu'ilz n'avoient faict despuys que je suys en ceste charge ; ny M"^ de Roz , ny moy, ny toutz ceulx qui portons icy le faict de la Royne d'Ecosse, n'avons jamais mieulx espéré de la restitution d'elle que meintennant ; mais il ne se fault arrester aux parolles ny aparances de ceulx cy , ains se donner garde d'eulx , puysqu'ilz se met- tent en armes. La dicte Royne d'Escoce aura un singulier playsir, et une fort grande consolation, d'estre visitée par M"" de Poigny de la part de Yoz Majestez, et ne vous sçau- rois exprimer. Sire , combien ung chacun estime que cella luy sera ung commancement de bonheur et ung advance- ment au reste de toutz ses affères, es quelz l'on nous pro- mect toutjours une prompte expédition , aussitost que les depputez d'Escoce seront arrivez; mais je crains qu'ilz soyent retardez pour l'occasion d'une assemblée, que ceulx du party du jeune Prince se vouloient esforcer de tenir à Lislebourg , le x^ de ce moys , pour y créer ung régent ; à quoy le duc de Chastellerault et le comte de Honteley déli- béroient de s'oposer, et à cest efiect s'estoient acheminez avecques bonnes forces vers le dict Lislebourg. L'opinion, que ceulx cy ont , que la paix se doibve conclurre en vostre royaulme les faict monstrer mieulx disposez aulx choses d'Escoce, et si d'avanture elle succède, je pense qu'ilz passeront oultre à les accommoder.

J'entendz que les nouvelles d'AUemaigne sont que l'Empereur n'advance guières rien en la diette, et que les seulz ecclésiastiques le sont venuz trouver 5 qu'il semble

249 que les princes protestans , pour empescher qu'il ne puisse fère créer son filz roi des Romains , se veulent ser- vyr d'une ancienne observance de l'Empire, que jamais la dignité d'Empereur n'a passé successivement que jusques à cinq d'une mesme famille, et qu'il est à présent le cin- quiesme Empereur de la maison d'Autriche, à quoy les princes éclésiastiques ne monstrent guières contradire pour ne laysser aller cest estât héréditayre ; que le comte Pal- latin est aproché une lieue près d'Espire accompaigné seulement de quatre centz chevaulx , offrant de se trouver à l'assemblée, si les aultres ellecteurs y viennent ; que le reste de la trouppe de Heldelberc est entièrement sépa- rée , parce que l'Empereur a faict entendre au dict Pallatin et au duc Auguste que , s'ilz se tenoient ainsy accompai- gnez , qu'il manderoit aulx aultres princes de l'Empire de s'accompaigner de mesrnes, en le venant trouver; qu'il semble que le secours , pour ceulx de la nouvelle religion en France, est de quelques jours retardé pour attendre que produira ceste diette , et aussi pour l'espérance, qu'on a , que la paix se doibve conclurre ; que le susdict comte Pallatin a exorté ceste Royne et les siens , et pareillement le cardinal de Chastillon, de procurer la dicte paix; qu'il a esté reffuzé au duc de Bronsouyc de fère une levée aulx terres de l'évesque de Munster , et que vers le dict Muns- ter se sussitent les mesmes sectes qu'on y a d' aultres foys veues ; que les deniers pour ceulx de la nouvelle religion en Hembourg seront prestz à fornyr dans la fin de ce moys; qu'il y a quelque apparance que le voyage de la Royne d'Espaigne sera retardé, et qu'elle ne passera point par Flandres , ains yra prendre ung aultre chemin , et que , à cause de cella , l'on estime que le duc d' Alve commencera

250 de réduyre bientost son armement à ung moindre équi- page , qui ne soit que pour combattre seulement les vays- seaulx du prince d'Orange, lesquelz , en la prinse qu'ilz ont faicte de deux grandz navyres de conserve , qui alloient conduire une flotte vers Espaigne , et d'ung vaysseau de la dicte flotte , ilz ont jette en mer toutz les Espaignolz , qui estoieut dessus ; et despuys le S"^ de Galeace Fregose qui est icy, et ung aultre gentilhomme , qui se dict escuyer du prince d' Orange, ont esté faictz cappitaines des dicts deux grandz navyres de conserve, lescpielz ilz rabillent en dilli- gence pour s'aller incontinent joindre aulx aultres. Sur ce , etc. Ce xxv^ jour de juillet 1570.

INSTRUCTION DES CHOSES

qu'il fault fère entendre à Leurs Majestez , oultre le contenu des lettres ;

Qu'il semble que , par l'examen des gentishomraes qui ont esté prins en Norfolc, l'on a descouvert que l'assemblée, qu'ilz prétan- doient de fère le jour de S*^ Jehan au dict pays, n'estoit pour chasser les estrangiers , ainsy qu'ilz le donnoient à entendre , ains pour commancer une généralle ellévation en ce royaulme, tendans à trois fins : l'une, de changer l'estat du gouvernement; l'aultre, de recou- vrer l'exercice de la religion catholique ; et la tierce , de tirer le duc de Norfolc hors de prison : sur lesquelz trois poinctz se trouve qu'ilz avoient desjà minuté une proclamation pour l'envoyer publier partout.

Etcella, avec la bulle qui est formelle contre ceste Royne, et avec ung escript qui a despuys couru , encores plus formel , contre aul- cuns de ses conseillers, (et nomméement contre Quiper, Cecille, le chancellier du domayne et le chancellier des comptes , et dont la conclusion d'icelluy est que la communauté du royaulme, quoyquc coste, veult avoir la religion catholique) , met ceulx cy en une indu- bitable opinion qu'il y a une grande conjuration desjà dressée dans le pays ;

Et qu'elle est fomentée par le Roy et le Roy d'Espaigne, sans le consentement desquelz le Pape , comme ilz disent , n'eust jamais ose expédier une bulle si rigoureuse comme il a faict; joiiict que l'arme- uient (|u'ilz entendoienl se préparer en Rretaigne pour colleur do se- courir les Esconçoys, et l'apareil du duc d'Alve, tr()[) i>lus grand (pTil

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ne sembloit estre requis pour le passaige de la Royne d'Espaigne , leur a faict croyre, jusques icy, que tout cella se dressoit contre eulx "en faveur des Catholiques de ce royaulme.

Dont, pour y remédier, ilz ont, en premier lieu , expédié une or- donnance fort furieuse , du dernier du moys passé , contre les por- teurs de bulles et semeurs de ces libelles ; laquelle porte commission d'apréhender les autheurs d'iceulx , si fère se peult, affin de les pu- nir et de descouvrir par eulx qu'est ce qu'il y a de plus caché en leurs dellibéra lions.

Après , ilz ont dépesché trente cinq lettres aulx trente cinq com- tes de ce royaulme , pour mander aulx officiers qu'ilz ayent à fère enroUer promptement en chacune d'icelles , sellon sa portée , nng nombre d'hommes, jusques à cinquante mil en tout, tant de pied que de cheval, et à iceulx bailler cappitaines, lieutenantz , enseignes, tabourins et trompettes , et leur ordonner une paye par an d'envy- ron trois escuz à chacun , et ung peu plus aulx capitaines ; dont les deniers se prendront sur le plat pays , avec commandement de fère monstres par tout ce moys, et le continuer puys après de quartier en quartier, et qu'on ayt aies exercer principallement à la haquebutte ;

Et ont ordonné à l'admyral Clynton de dresser ung estât, par lequel il puysse mettre en mer, toutes les foys que la Royne, sa Mestresse, le commandera, cinquante bons navyres de guerre avec douze mil hom- mes dessus, maryniers et soldatz, et que ravitaillement en tout aul- tre appareil en soit prest et tout dressé ez lieux qu'il cognoistra en estre besoing ;

Faisans leur compte de combattre les ennemys en mer, premier que de leur permettre nulle descente par deçà , avec opinion (jue , quant tout le monde aura bien conjuré contre eulx, qu'ilz pourront avec ceste provision ayséement se deffandre :

Car jugent que, s'ilz gaignent une bataille navalle, ilz pourront bien garder qu'on n'aproche , puys après , leur coste , et , s'ilz de- meurent égaulx , (lu'encores empescheront ilz qu'on n'y puysse des- cendre ;

Et si, d'avantiu'e, ilz perdent, que ce ne pourra estre sans avoir tant rompu les ennemys qu'ilz seront contrainctz de s'en retourner pour se reffère; que si, à toute extrémité, il advient que les en- nemys facent quelque descente , qu'allors les cinquante mil hommes se trouveront prestz pour les combattre au désembarquement.

Lequel apareil inthimide grandement les Catholiques, lesquelz si, l'eslé se passe sans qu'il aparoise quelque confort pour eulx, ne

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s'attandent de moins que d'estre fort rigoureusement trettez l'yver prochain ; car ilz voyent que leurs adversayres , lesquelz ont la Royne , l'authorité et la force en leurs mains , commancent desjà de ' les menacer, et monstrent de n'attandre sinon que le temps les as- seure contre les entreprinses des estrangiers pour y mettre la main.

Et avoient les dicts Catholiques prins pour mauvais signe la lon- gueur que ceulx de ce conseil usoient ez afFères de la Royne d'Es- coce, et en ceulx du duc de Norfolc ; vers lesquelz , à cause de ces rescentes defliances , ilz voyoient qu'ilz alloient changeant toutes leurs premières bonnes dellibérations , car ilz remettoient de com- mancer le tretté avec l'ambassadeur de la dicte Dame jusques à la venug des depputez d'Escoce; et sur ceulx du duc, ilz luy avoient faict dire, le xij« de ce moys, que, pour aulcunes occasions, qui es- toient fort considérables, la Royne, saMestresse, estoit conseillée de ne luy ottroyer sa liberté jusques après la S' Michel , qui monstre bien qu'ilz ne vouloient que gaigner temps ; et cependant ilz travail- loient de se liguer davantaige avec les princes protestans.

Et n'avoit esté sans apparance que les dicts Catholiques eussent fondé grande espérance en l'apareil du duc d'Alve , et possible en- cores quelque peu en cellui qu'ilz entendoient estre prest en Bretai- gne, mais la venue des depputez de Flandres la leur oste de ce costé là; et l'opinion, qu'ilz ont, que la guerre doibve continuer en France la leur fait perdre de l'aultre.

Cella surtout les descoraige qu'ayantz, jusques à ceste heure, pensé que le Roy d'Espaigne et ses ministres procèderoient de bonne intelhgence avecques le Roy sur les affères de la Royne d'Escoce , qui sont conjoinctz avec ceulx de la religion catholique en ce royaulme, ainsy que je m'en estois ({uelquefoys prévalu; et comme aussi nulle aultre chose n'avoit, tant que ceste cy, retenu ceulx de ce conseil en quelque crainte, il s'est meintennant descouvert qu'il va tout aultrement , et que dom Francès d' Alava a tenu de telz propos à M-^ Norrys, (ainsy que le dictlNorrys l'a escript par ses dernières let- tres , arrivées à sa Mestresse , pendant (\\ie M' de Poigny et moy attandions sa responce , ) que aulcuns , qui en ont heu assés tost la communication, m'ont tout incontinent adverty que , à l'ocasion d'i- ceulx , nous serions fort mal responduz ; et que toutz les affères , le Roy Très Chrestien pouvoit avoir intérestz par deçà, en demeure- roient fort traversez.

Qui a esté cause que, en l'audience ensuyvant, je me suys esiargy, premièrement vers les seigneurs de ce conseil , parce que , d'arrivée,

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nous avons esté introduictz vers eulx , et puys envers la dicte Dame, en toutz les pins francz et ouvertz propos , que j'ay estimé les pou- voir confirmer en Tamytié du Roy, et à bien espérer d'icelle, sans toutesfoys toucher ung seul mot ni du Roy d'Espaigne , ny de ses ministres ; et est advenu, sur noz remonstrances, que l'on nous a ac- cordé une partie de ce que nous demandions, et qu'on nous a faict, sur le reste, assés meilleure responce que l'on n'espéroit, ainsy que je l'ay mandé par mes précédantes.

Et bien qu'à la grande instance de Madame de Lenoz , l'on eust auparavant envoyé par mer vers le North un nombre d'armes , de pouidres et d'argent, pour les fère tenir au comte de Lenoz en Es- coce , j'ay sceu néantmoins que , despuys cella , la Royne d'Angle- terre a dict à la dicte dame de Lenoz qu'elle estoit résolue de re- mettre la Royne d'Escoce en son royaulme , sur les offres qu'elle et le Roy luy-faysoient, qui estoient telles qu'avec son honneur elle ne les pouvoit reffuzer. A quoy la dicte dame de Lenoz ayant respondu que la dicte Royne d'Escoce n'en observeroit rien , la Royne luy a répliqué que si feroit , parce qu'elle l'y obligeroit à peyne d'estre privée de la succession de ce royaulme , si elle y contrevenoit , car aultrement elle ne luy en vouloit fère tort; et n'a la dicte dame de Lenoz peu gaigner rien davantaige , encore qu'elle ayt très instant- ment priée la dicte Dame que , si elle persévéroit en ceste vollonté , il luy pleut de mander à son mary (ju'il s'en retornàt.

Et le secrétaire Cecille m'a mandé que je croye fermement qu'il ne sera miz aulcun retardement ez affères de la Royne d'Escoce, et qu'il ne cerche , de sa part , que la seurté àe sa iMestresse , laquelle estant mortelle , et n'y ayant , après elle , nul plus prochain au droict de ceste couronne que la Royne d'Escoce , qu'il ne luy sera , ny meintennant, ny à l'advenir, jamais contraire; et le mesmes a il confirmé à l'évesque de Roz , avec lequel il est desjà entré si avant en matière qu'ilz sont quasi d'accord de toutz les poinctz , qui sem- bloient estre les plus différantz.

Encores , monstrent les affaires du duc de Norfolc qu'ilz pourront aussi mieulx réuscyr que la responce du xiy du présent ne le luy faisoit espérer, et que la Royne permettra qu'ilz soient, dans trois ou quatre jours , miz en dellibération pour après estre procédé à sa liberté , sellon qu'ung chacun dict qu'il demeure fort deschargé et justiffié de toutes les choses qu'on luy pourroit imputer.

Je veulx bien advouher que je ne cognois rien de plus exprès en ceulx cy que leur simulation , ny rien de plus certain que leur in-

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constance ; par ainsy, je ne puys fère grand fondement sur chose qu'ilz disent , ny qu'ilz promettent. Néantmoins ilz peuvent incliner de nostre costé, aussi bien que d'ung aultre , et j'estime qu'il n'est que bon de les y tenir bien disposez , si l'on peult , affin de se pré- valoir de la paix qu'on a avec eulx , et évitter les inconvénians et in- commoiiitez qui pourroient advenir, sllz se despartoient du tout de nostre intelligence.

AtTLTIlE INSTRUCTION A PART POUR DIRE A LEURS MAJESTEZ :

Que, jusques à ceste heure , la Royne d'Angleterre et ses conseil- lers protestans avoient esté retenuz d'une grande craincte , et les sei- gneurs, et gens de bien catholi(iu€s,conduictz de grande espérance sur le faict de la Royne d'Escoce, et sur toutz les alîères de ceste isle, par l'opinion qu'ilz avoient que le Roy d'Espaigne et le duc d'Alve seroient toutjour en bonne intelligence avec le Roy.

Et n'estoit peu de consolation aus dicts Catholiques de veoir en •luelle peyne les dicts Protestans vivoient pour ne sçavoir si la bulle estoit expédiée , ou du propre mouvement du Pape , ou bien par la réquisition du Roy, ou bien à l'instance du Roy d'Espaigne : car ilz disoient que si c'estoit seulement du Pape , ce n'estoit chose de mo- ment ; si c'estoit du Roy seul , encor croyoient ilz que M"^ le cardinal de Eorrayne l'auroit procuré , sans que pour cella le Roy se vollût trop haster de rien entreprendre ; mais, si c'estoit par le commun con- sentement du Roy et du Roy d'Espaigne , ilz tenoient pour indubi- Itible que l'entreprinse de ceste isle estoit desjà jurée entre eulx.

En quoy, pour en avoir quelque lumyère , ilz cerchoient de toutz costez s'il se trouveroit que moy, ou M"' l'ambassadeur d'Espaigne, eussions tenu la main à la fère notiffier et publier par deçà , mais il semble qu'ilz n'ont rien trouvé contre moy, sinon qu'il leur est venu un adviz d'Itallie, par la voye de Flandre, comme la dicte bulle a esté expédiée à l'instance de l'ambassadeur de France , qui est à Rome , et que l'ambassadeur du Roy Catholique par dellà n'a faict que y prester son consentement, comme à chose apaitenant de si près à la religion catholique qu'il ne luy a esté loysible de la contradire ; dont leur semble que j'en debvois estre participant, mais je croy qu'à ceste heure ilz en demeurent toutz esclarcy.

Et, quant à l'ambassadeur d'Espaigne, parce que M^FeUon, le- quel est accusé d'avoir affiché la dicte bulle, a confessé , estant sur la question, que le prestre espaignol du dict sieur ambassadeur la luy

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avoit baillée; qui, pour ceste occasion, s'est despuys absenté, car il estoit commandé de le prandre, quelque part qu'il pourroit estre trouvé , jusques en sa chambre ; non seulement l'on en a chargé le dict sieur ambassadeur, ains aussi luy impute l'on les aultres libel- les , qui ont couru en ce royaume , contre le garde des sceaux et Cecille , et contre quelques aultres du conseil ; mais ne pouvant son prestre eslre trouvé, l'on ne sçayt commant procéder contre luy.

Et n'ont layssé pour cella les Catholiques de s'entretenir toutjour en l'espérance de la faveur du Roy son Maistre et du duc d'Alve^ pour les affères de la Royne d'Escoce et de la religion catholique ; de sorte que le dict Felton a bien ozé dire tout hardyment qu'il y avoit trente mil hommes de valleur en Angleterre, dont les six rail estoient genlishommes , et vingt cinq milordz parmy, qui estoient toutz prestz d'exposer leurs vies pour la mesmes querelle , qu'ilz le vouloient fère mourir à luy.

Mais , despuys cpielques jours , iceulx Catholiques non seulement, se sont retirez de ceste espérance , ains sont entrez en grand frayeur d'estre descouvertz qu'ilz l'ayent heue , parce qu'ilz estiment (jue le dict sieur ambassadeur ayt communiqué toutes choses au S' dom Francès d'Alava, lequel ilz tiennent aujourduy pour trop plus grand serviteur de la Royne d'Angleterre que de son Maistre ; car M"^ Norrys a escript qu'il luy a promiz de disposer si bien les affères de la dicte Dame vers le Roy, son dict Maistre, et vers le duc d'Alve, qu'elle n'a garde de recepvoir aulcun mal ny dommaige d'eulx , et que hardyment elle ne preigne peur des démonstrations et préparatifz du dict duc , car il la veult bien asseurer qu'il n'a aulcun comman- dement de luy nuyre, ny d'attampter, pour quelque occasion que ce soit , rien par armes contre elle ; et qu'au reste le dict dom Fran- cès luy a descouvert que c'est »]' le Nonce , qui «st en France, qui a envoyé icy la bulle à l'ambassadeur d'Ëspaigne pour la publier.

Duquel acte du dict dom Francès plusieurs seigneurs et gens de bien de ce royaulme se sont fort escandalizez, et les aulcuns se sont confirmés en une opinion, laquelle ilz avoient desjà conceue, que les ministres du Roy d'Ëspaigne vont procurant vers ceulx cy, et partout ilz peuvent, la continuation de la guerre de France; et que , voyarrtz le faict de la Royne d'Escoce , de laquelle ilz s'estoient desjà promiz et l'aliance, et le filz , et le royaulme , et le tiltre d'An- gleterre, se conduire meintennant au nom et soubz la faveur du Roy, qu'ilz le veulent traverser; et qu'ilz sont jalouz de ce que aul- cuns soigneurs de ce royaulme se monstrent bien affectionnez à Leurs

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Très Chrestiennes Majestez , qui est ung propos qu'on m'a tenu, pré- sent M' de Poigny, auquel je réserve d'en fère entendre le surplus à Leurs Majestez , à son retour; et adjouxteray seulement icy une preuve, que le duc d'Alve nous a donné de son intention en ce [ qu'ayant le Pape envoyé, par la banque d'Anvers, douze mil escuz, pour les gentishommes fuytifz d'Angleterre , il a conseillé qu'on ne leur envoyé ny tout, ny partie de la somme , tant qu'ilz seront en Escoce, et par ce moyen il a interrompu le dict secours.]

Il est bien certain que , jouxte ceste communication grande d'entre dom Francès et le dict S"^ Norrys, ceste Royne a naguières escript une bonne lettre au Roy d'Espaigne , laquelle le dict dom Francès a prins en sa charge de la luy fère tenir, et une aultre au duc d'Alve, par laquelle elle l'exorte de vouloir entretenir l'alliance d'entre ceste couronne et la mayson de Bourgoigne , comme , de sa part , elle la veult entièrement conserver : et , quant aulx prinses , qu'elle est preste d'y satisfère de sa part, en ce qu'il s'y veuille disposer de la sienne, et qu'il veuille depputer des personnaiges propres pour en accorder, qui ne soyent de ceulx qui veulent troubler ce royaume, ainsy que l'ambassadeur, icy résidant, et ceulx, qui cy devant y ont esté envoyé , se sont esforcez de le fère ; et que de l'apareil qu'elle entend qu'il faict bien grand par mer, il ne veuille rien attampter en ses portz , car elle offre toute faveur et seur accez en iceulx à la Royne d'Espaigne et à ceulx de sa troupe : tant y a que l'ambassadeur d'Es- paigne, nonobstant tout cella, ne laysse d'estre bien fort offancé contre dom Francès , de ce qu'il a parlé de la bulle , et desjà il en a escript au duc d'Alve.

J'ay faict sonder, par interposée personne , M' le cardinal de Cha- tillon et le S' de Lumbres quel désir ilz avoient à la paix et à trans- férer la guerre hors de France ; et voycy ce qui m'a esté raporté des propos du dict sieur Cardinal : qu'il désire infinyement la dicte paix, espérant par icelle jouyr de la bonne grâce de Leurs Majestez et de six vingtz mil ^^ de rante en France , en lieu de mille pouvrettez et indignilez, qu'il s'esforce de supporter, le plus dignement qu'il peult, en Angleterre;

Que se souvenant que le Roy, et la Royne, et Monsieur, pour fer- meté de l'aultre dernière paix , luy firent l'honneur de luy en don- ner leur promesse de leurs propres mains dans la sienne , et que ceulx, qui la leur ont faicte rompre, sont ceulx raesmes avec qui ilz ont à conclurre meintennant ceste cy , les cheveulx luy en dressent de frayeur ;

257

Que le Roy a la paix très ferme et bien asseurée , toutes les foys qu'il luy playrra, à bon esciant, que ceulx de la religion puyssent vi- vre , en conscience et honneur , soubz la faveur de sa protection , en son royaulme;

Que, de transférer la gueiTC ailleurs , c'est ce que son frère, Mon- sieur l'Admyral , a toutjour désiré , mais de le fère raeintennant , et laysser ceulx, qui sont de leur mesmes religion, estre cependant mas- sacrez, murdriz et ruinez en leurs maysons, en France, par ceulx qui ont la justice et l'authorité et les forces à la main , ilz sont entière- ment tout résoluz du contraire ;

Que , si le Roy les veult recepvoir en sa bonne grâce, et leur ot- troyer la dicte paix et seurté qu'ilz luy demandent , comme à ses bons subjectz, et qu'il se veuille servyr de son frère et de luy, ilz ont en main de quoy luy fère le plus grand et le plus notable service, que sa couronne ny nul de ses prédécesseurs ayent receu de deux centz ans en cà;

Qu'il cognoist bien que les Anglois ne cerchent de fère rien pour la religion en ceste guerre, ains de travailler la France, et qu'il crainct bien que, se faisant la paix, l'on ne le layrra sortir, de trois moys après, de ce royaulme.

Quant au susdict de Lurabres , lequel s'inlitulle ambassadeur de toutz les princes protestans vers ceste Royne, l'on m'a dict qu'il de- sire aussi bien fort la paix de France, etvouldroit que la guerre fût desjà transférée aulx Pays Bas , et n'eust tenu à luy que la descente, que ceulx de la Rochelle dellibéroient de fère tn (]uelque port de Normandie ou Picardie , si Sores ne fût allé sur la route des Indes, ne 86 fût faicte en Olande : et desjà luy et beaucoup de ceulx de son pays font estât , par ceste paix , de se retirer en France , car semble qu'il y ayt mutuelle obligation entre les Françoys et Flamans , qui sont de ceste religion , de se subvenir les ungs aulx aultres, et de ne cesser, qu'ilz ne soyent toutz remiz en leur maysons pour y pouvoir vivre en seurté avec l'exercice de leur religion.

Aulcuns Françoys de la dicte religion, qui sont icy , ne prennent nul party, attandans la dicte paix ; ou bien, si elle ne succède, ilz del- libèrent de recourir à la grâce et clémence de Sa Majesté.

258

CXXIV' DÉPESCHE

du xxx< jour (le juillet 1570. {Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Trainte des Anglais qu'une ligue générale n'ait été formée contre eux. Ré- solution du conseil de rendre la liberté au duc de Norfolk , et de lever une forte armée navale. Armement de la flotte. Mission de M* Figuillem dans les Pays-Bas. Déclaration faite à l'ambassadeur que l'armement de la flotte n'a d'autre objet que de rendre les honneurs à la reine d'Espagne »ur son passage, et de se tenir en défense contre les entreprise» que pour- rait tenter le duc d'AJbe.

Au Roy.

Sire, s' estant la Royne d'Angleterre aperceue que le mal de son pied empyroit par le travail de son progrez , encore qu'elle n'allât qu'en coche , elle s'est arrestée à Cheyneys , qui est celle mayson du comte de Betfort , je vous ay mandé, par mes dernières, qu'elle debvoit de- meurer tout le xw*" et xxvi*' de ce moys ; mais elle y a séjourné davantaige, et n'en bougera encores de quelques jours. Ceulx de son conseil se sont assemblez au dict lieu pour prendre quelque bon ordre sur aulcunes choses qu'ilz ont veu estre aultres, ou bien avoir aultre événement, qu'ilz ne pensoient ; premièrement, sur la détention du duc de Norfolc , par laquelle, au lieu d'en avoir assoupy et retardé les troubles de ce royaulme , ilz cognoissent meintennant que c'est par qu'ilz les ont advancez et faict naistre , car auparavant il n'y en avoit point ; et sur la guerre d'Irlande , laquelle ilz cuydoieut desjà achevée, ilz ont nouvelles que, despuys naguyères, l'on s'y est bien battu, et que ceulx du party de la Royne, leur Mestresse, ont heu du pyre , et que mesmes les saulvaiges monstrent

259 de vouloir passer oultre, et qu'ilz attandent du secours d'ailleurs; aussi sur le faict de la Royne d'Escoce, du- quel, parce que Vostre Majesté le porte et le favorise, ilz voyeut que toutz leurs affères d'Escoce en succèdent si mal qu'ilz sont bien en peyne commant le remédier ; pareille- ment sur leurs difiFérans des Pays Bas , lesquelz viennent meintennant à leur estre de tant plus suspectz , que , par le pardon général publié en Envers par le duc d' Alve , à vestemens blancz *, le xvi^ de ce moys, l'on leur faict acroyre que le prince d'Orange est comprins, et qu'on a randu ses biens à ses enfans ; et aussi par l'accord des Mores en Espaigne ^ , ilz estiment que les affères du Roy d'Espaigne demeurent si establys en ses pays qu'il n'a rien plus à fère meintennant que se rescentyr de l'injure, qu'ilz luy ont faicte et à ses subjectz , ainsy que le duc d'Alve semble d'en avoir l'apareil tout prest ; et encores sur la paix de vostre royaulrae, laquelle, de tant qu'ilz la tiennent desjà comme conclue , sans qu'ilz s'en soyent meslez, ilz craignent que Vostre Majesté se veuille de mesmes conduyre meintennant en icelle vers eulx, comme ilz se sont assés mal déportez vers vous durant la guerre; mais principallement sur la division et mal contantement de leurs propres subjectz , d'où ilz prévoyent que, s'il n'y est, devant toutes aultres choses, pourveu, ce sera de que leur viendront les plus dangereuses guerres et les plus grandes difficultez dont, de tant que la Royne leur Mes- tresse s'oppose toutjour bien fort aulx moyens, qu'on luy

< Le duc d'Albe déploya, pour la publication de cette amnistie, une pompe extraordinaire. Ces mots vêlements blancs se rapportent probablement à quelque particularité des costumes employés dans cette cérémonie.

2 Voir la note ci-dessus, p. 183.

17

2(30 met en avant, qui tendent ou à la guerre ou à la despence; après avoir bien longuement débattu toutes ces matières , ilz luy ont enfin conseillé que, d'ung costé , elle veuille mettre le duc de Norfolc hors de pryson , et que, par sa liberté et par l'ayde qu'il luy pourra fère, elle se tirera ayséement hors des plus apparans dangiers ; et dresser , de l'aultre , tout promptement une bonne armée de mer , qui sei^viroit de remédier à tout le reste, sans regarder de si près à la despence, qu'elle y pourra fère, qu'elle ne re- garde encores plus à la conservation de son estât et à l'honneur et grandeur de sa couronne.

Sur laquelle leur résolution s' estant la dicte Dame assés collérée contre ceulx, qui l'avoient faicte estre jusques icy trop rigoureuse contre le dict duc , leur a respondu qu'elle estoit contante de prendre bientost ung bon expédiant avecques luy , qui ne viendroit toutesfoys ny d'aulcun d'eulx, ny de toutz ensemble , et dont il n'en auroit à re- mercyer que elle seule 5 et quant à dresser une armée , qu'elle ne se vouloit opposer à leur conseil, mais seule- ment les prier qu'ilz advisassent de n'entreprendre rien qui ne fût bien nécessaire , et qui ne la mist en plus de peyne qu'elle n'est. Dont, tout sur l'heure, les commis- sions ont esté dépeschées, telles que j'ay cy devant man- dées à Vostre Majesté : de dresser une armée royalle de toutz les grandz navyres de la dicte Dame et de bon nom- bre d'aultres vaisseaulx particulliers, et de lever quatre mil maryniers, et tenir prestz huict mil hommes de pied et deux mil chevaulx ; dont, quant aulx navyres et hommes pour mettre dessus, qui sont maryniers et soldatz tout ensemble, cella s'exécute en toute dilligence ; et, dans le x^ du pro- chain, j'entendz qu'il sortyra en mer sept grandz navyres

26i des premiers prestz, les meilleurs à la voyle, avec douze centz hommes dessus , et les aultres suyvront après, à la mesure qu'on les aura fornys d'hommes et de vivres ; car ilz ont desjà tout leur aultre apareil et fornyment. Mais , quant aulx huict mil hommes de pied et deux mil chevaulx, l'on ne se haste encores de les fère marcher.

Or , en ce mesmes conseil , a esté advisé de renvoyer devers le duc d'Alve maistre Fyguillem, bourgeois de ceste ville , l'ung des commissaires des prinses , par pré- texte de luy aporter une honneste responce sur l'accord de leur diflerandz , comme ceste Royne le prye d'y vou- loir entendre en quelque bonne sorte , et qu'elle est con- tante de reffère le nombre des raerchandises et tout ce qui en est dépéry etdescheu, despuys le premier inventoire qui en fut faict; ce que n'estant encores aprochant delà satisfac- tion , parce que le dict inventoire ne contient guières bien le tiers des dictes merchandises, ny que celle moindre par- tie des deniers qui estoit ez quaysses merquées pour le Roy d'Espaigne, j'ay bien pensé qu'il n'y alloit que pour descouvrir l'intention du dict duc, et à quoy tandoit son armement , et quelles pratiques menoient les Anglois ca- tholiques, qui ont naguières passé d'Escoce et d'icy de- vers luy. Tant y a, Sire, que , nonobstant cest argument, lequel m'a bien faict juger qu'en leur faict y avoit plus de peur que d'entreprinse , voyant néantmoins que leur appa- reil estoit tel qu'il le falloit avoir suspect, mesmes que nul ne me sçavoit asseurer au vray de l'occasion d'icelluy , et qu'ilz ne cessoient de tretter toutjour d'accord avec le duc d'Alve, j'ay pensé qu'il estoit expédiant de les fère parler; dont ay suplié la dicte Dame et iceulx seigneurs de son conseil que , de tant que j'avois à vous donner ad-

262 viz de leur armement, il leur pleust m'advertyr comme ilz desiroient que je le vous escripvisse , affin d'évitter que , pour la jalouzie que vous en pourriez avoir , vous ne leur en fissiez prendre une aultre en vous armant de vostre costé.

A quoy ilz m'ont respondu que je sçavois bien que le duc d'Alve faisoit une bien fort grande armée de mer, et encor qu'il leur eust notiffié par l'ambassadeur de son Maistre , qui est icy, et encores faict dire à M"^ Norrys par celluy qui est en France, que c'estoit seulement pour con- duyre la Royne d'Espaigne et non pour occasion quelcon- que , d'où ilz deussent prendre tant soit peu de deffiance de luy , que néantmoins la dicte Dame luy avoit bien voUu dépescher ung messaigier pour l'advertyr qu'elle estoit dellibérée de mettre aussi ses navyres en mer, avec sept ou huict mil hommes dessus , pour accompaigner la dicte Royne d'Espaigne, sa bonne sœur, tout le long de la mer de son royaulme , avec commandement à sou admyral , lequel yroit luy mesmes en l'armée , de la recepvoir, hon- norer et bien tretter en toutz ses portz et havres , luy viendroit à playsir de descendre et prendre terre : dont me prioient d'asseurer Vostre Majesté que, sur leur vie et honneur , il n'y avoit aultre chose ; et que le dict sieur Admyral ne bougeroit que la responce du dict duc ne fût arrivée. Bien me vouloient dire que aulcuns de leurs re- belles trettoient en secrect et ouvertement avecques le dict duc , et que les Escossoys se vantoient aussi qu'ilz auroient bientost ung secours de Flandres ; dont se vouloient trou- ver prestz à tout besoing.

Voylà , Sire, ce qu'ilz m'ont dict , et en quelle façon ils se sont descouvertz de la légation du susdict Figuil-

263 lem, qu'ilz avoient toutjour tenue fort secrecte ; et comme, soubz démonstrations honnestes , îlz se pourvoyent contre les malles intentions les ungs des aultres. Je observeray le progrez de leurs actions, du plus près que je pourray, pour vous en donner toutjour les plus seurs adviz qu'il me sera possible; et sur ce, etc. Ce xxx^ jour de juillet 1570.

CXXV' DÉPESCHE

-^ du vi" jour d'aoust 1570.

{Envoyée exprès jusques à la court par W de Poigny.)

Visite de M' de Poigny à la reine d'Ecosse. Audience de congé lui est don- née par la reine d'Angleterre. Heureux effet de son voyage. Meilleur traitement fait à Marie Stuart et au duc de Norfolk , à qui il est permis de sortir de la Tour pour être gardé chez lui. Remontrances de l'ambassa- deur à Elisabeth sur les nouvelles entreprises faites contre l'Ecosse. Excuses données par la reine. Résolution prise de signifier le traité aux deux partis en Ecosse. Continuation des armemens maritimes en An- gleterre. — Déclaration du duc d'Albe à M* Fuyguillem envoyé vers lui par Elisabeth. Arrivée à Londres d'un député de la Rochelle.

Au Roy.

Sire, après que M*^ de Poigny a heu satisfaict à la visite, que Yostre Majesté luy avoit commandé vers la Royne d'Escoce, par l'espace de quatre jours, qu'il luy a esté per- raiz d'estre auprès d'elle, avec ung infmy contantement et très grande satisfaction de la dicte Dame, il s'en est re- tourné par deçà ; et estant icy , nous avons ensemble con- sidéré que, puisqu'il estoit contrainct de se déporter du sur- plus de son voyage en Escoce, parce que la Royne d'An- gleterre ne le trouvoit bon, et que les commissaires es- cossoys n'estoient point arrivez , qu'il estoit expédiant qu'il ne temporisât plus en ce lieu; dont sommes allez , le

264 iiij^ du présent , trouver la dicte Dame à Cheyneys , elle est encores. A laquelle le dict S'^ de Poigny a faict en- tendre, bien à propos, les choses qu'il avoit veues et aprinses de Testât de la Roy ne d'Escoce, et de sa santé, et aussi de sonestroicte garde, et d'aulcunes aultresparticulla- ritez de ses affères , luy incistant bien fort de luy vouloir ottroyer ung peu plus de liberté qu'elle n'a; et luy ayant au reste ramentu de rechef les principaulx poinctz de sa charge , avec offre de passer encor en Escoce , s'il estoit besoing, pour disposer ces seigneurs de dellà à la conti- nuation du tretté , la dicte Dame luy a faict plusieurs di- verses responces es quelles, sans luy reffuzer ny accorder aussi tout ce qu'il demandoit, sinon touchant aller en Es- coce , qu'elle luy a bien ouvertement dényé , elle a mons- tre, au reste , qu'elle vouloit beaucoup defférer à Vostre Majesté; et, après qu'avec de bien honnestes répHques , il a heu tiré d'aultres secondes et meilleures responces de la dicte Dame, ila prins congé d'elle. Dont, de tant. Sire, que Vostre Majesté entendra mieulx au long et par ordre de luy, que ne feroit par ma lettre , tout ce qui s'est passé en son audience , et ce qu'il y a proposé, ensemble ce qu'il y a obtenu, et ce que la dicte Dame l'a prié de vous dire , je me déporteray de vous en toucher icy plus avant, si n'est pour vous dire , Sire , qu' encor qu'il ne vous raporte résolution de toutes choses, son voyage ne laisse pourtant d'estre et bien utille, et heureux, puisque par icelluy est advenu que ceste Royne a commancé de se modérer tant envers la Royne d'Escoce qu'elle l'a layssée visiter de vostre part et luy a eslargy ung peu sa liberté ; et qu'en mesmes temps le duc de Norfolc , qui estoit en pryson , a esté remiz en sa mayson, bien que ce soit encores soubz

265 quelque garde ; qui sont tout présaiges de quelques bons succez ez aultres affères de la dicte Dame.

Or de ma part , Sire , ayant heu à remercyer la dicte Dame de la déclaration qu'elle m'avoit mandé fère, que son armement n'estoit aulcunement dressé uy contre Yos- tre Majesté, ny contre vostre royaulme, et de ce qu'elle avoit monstre se resjouyr infinyement de la nouvelle , que je luy avois faict entendre, qu'on tenoit en France la paix pour faicte ; et que sur le dict armement elle m'a heu con- firmé le mesmes , adjouxtant que c'estoit le duc d'Alve et non Vostre Majesté qui avoit à se doubter d'icelluy, et qu'avec plusieurs paroUes, et par tout aultre semblant, elle a exprimé ung très grand désir à la dicte paix, et luy tarder beajicoup que je la luy puysse bien asseurer de vostre part, j'ay tiré le propos à luy parler des choses que nous avions entendu d'Escoce : comme pour empescher l'effect de l'ac- cord, qui estoit tant bien commancé, l'on avoit trouvé moyen de retarder M"" de Leviston (qui l'alloit notiffier aulx seigneurs d'Escoce ) vingt deux jours en la frontière de deçà , et despuys , estant passé en celle de dellà , les adversaires de la Royne d'Escoce ne permettoient qu'il passât oultre pour acomplyr sa légation; que cependant le comte de Sussex avoit envoyé solliciter ceulx du party de la Royne d'Escoce de poser les armes, d'abandonner les rebelles angloys, de ne recepvoir les estrangiers, et de cas- ser les proclamations, qu'ilz avoient faicte de l'authorité de leur Royne, pour remettre le faict du gouvernement du pays en tel estât que le comte de Mora l' avoit layssé; et que , pendant que la dicte Dame se prenoit bien asprement à la Royne d'Escoce de ce que ses fuvtifz trouvoient faveur et retrette en son pays, c'estoient les

266 mauvais subjectz de la Royne d'Escoce qui avoient relevé une forme d'authorité, en tiltre de régent, contre et au préjudice d'icelle en son royaulme, soubz l'adveu et protec- tion des lettres de la dicte Royne d'Angleterre , qui avoient esté leues publiquement en l'assemblée, y assistant maistre Randolf et son agent par dellà; et que le comte de Lenoz, à présent créé régent, se vantoit qu'il auroit tout secours d'elle pour estre meintenu en ceste sienne nouvelle autho- rité , et que mesmes le comte de Sussex , en sa faveur, ren- treroitde rechef avecques forces en Escoce , et que l'armée de mer de la dicte Dame seroit bientost devant Domber- tran pour l'assiéger; dont, de tant que, sur ce que je vous avois escript et asseuré du contraire, vous aviez contre- mandé voz forces, qui estoient toutes prestes eq Bretaigne, et V0U5 estiez venu de toutz ces différantz à ung tretté d'accord, duquel ne voyez à présent sortyr nul effect, je ne pouvois, pour ma justiffication envers Vostre Majesté, que recourir à la promesse, qu'elle m'avoit faict fère dessus par les seigneurs de son conseil, laquelle elle m'a- voit despuys confirmée en parolle de Royne et de Prin- cesse chrestienne, pleyne de foy et de vérité-, et, suyvant icelle , la suplyer de vouloir demeurer aulx bons termes du dict tretté et icelluy paraschever, ou bien me dire quelle satisfaction elle pensoit que j'en debvois donner à Yostre Majesté.

La dicte Dame , se voyant fort pressée de ce propos , et voyant que j'estois adverty de toutes les pratiques qui se menoient en Escoce, s'est efforcée de leur donner le meilleur lustre qu'elle a peu , alléguant que ceulx du party de la Royne d'Escoce, pour avoir de rechef rentré en l<i frontière d'Angleterre, (d avoir dressé avec milor Dacres

267 une bien dangereuse entreprinse sur icelle , si le comte de Sussex ne l'eust descouverte, et pour avoir, en procla- mant l'authorité de la Royne d'Escoce, déolairé ceuk de l'aultre party rebelles, avoient commancé les premiers de donner occasion à elle de se départyr du dict traicté, dont estoit délibérée de ne souffrir plus leurs attemptatz et de remédier à leurs mauvaises entreprinses.

Je luy ay répliqué que Vostre Majesté ny la Royne d'Escoce n'aviez rien innové de vostre part, et qu'on ne pouvoit prétendre que ceulx du party de la Royne d'Escoce eussent aussi peu vioUer le tretté jusques à ce qu'il leur auroit esté légitimement notifïié ; par ainsy, que je incistois toutjour à l'entretennement et continuation d'icelluy.

Enfin la dicte Dame, laquelle faict grand fondement de sa parolle jusques à me dire que si je la trouve jamais manquer d'icelle , je la veuille estimer indigne que je face jamais plus nul office de vostre ambassadeur vers elle , et les seigneurs de son conseil, ausquelz j'ay aussi faict la mesme remonstrance , m'ont accordé qu'il sera donné moyen à M'^ de Leviston , ou bien à quelque aultre , qui sera présentement dépesché d'icy , de pouvoir aller seure- raent jusques vers le duc de Ghastellerault , et vers les aultres seigneurs du party de la Royne d'Escoce , pour leur signiffier l'accord encommancé, et les sommer d'en- voyer des depputez pour le continuer et parfaire.

Cependant , Sire , la dicte Dame continue toutjour son armement en fort grand dilligence , et n'en reraect rien pour chose que le duc d'Alve luy ayt respondu, lequel aussi, à ce que j'entendz, a parlé ung peu bien ferme à maistre Fuyguillem, depputé de la dicte Dame, lequel est revenu despuys trois jours : c'est qu'il luy a dict qu'il pré-

268 paroit son armée de mer pour couduyre seurement la Royne, sa Mestresse, en Espagne, et que rien n'en estoit dressé contre les amys et confédérez de son Maistre , mais bien pour se deflandre et se venger des injures de ses en- nemys; et quant à la pleincte qu'il faysoit que l'ambassa- deur d'Espaigne, icy résidant, avoit donné des saufcon- duictz aulz rebelles d'Angleterre pour passer en Flandres; que le Roy, son Maistre, le chastieroit s'il avait mal faict, mais que, pour un rebelle anglois qu'il y avoit en Flandres, il y en avoit cinq centz flamans en Angleterre : au regard de se contanter de l'accord des raerchandises sellonl'inven- toire qui en avoit esté faict , qu'il vouloit de sa part rendre aulx Anglois tout entièrement ce qu'il leur avoit faict saysir et arrester , et qu'ainsy entendoit il qu'il fût de mes- mes satisfaict aulx subjectz de son Maistre. Bien m'a l'on dict qu'il a usé à part d'aultres paroUes gracieuses au dict Fuyguillem, qui les mect en plus grande espérance d'accord que jamais.

Il est arrivé , despuys lundy dernier , ung des superinten- dans des finances de la Rochelle, nommé le présidant des comptes de Bretaigne , lequel on dict estre principalle- ment venu pour trois choses 5 l'une ^ pour adviser le moyen de desdommaiger la Royne d'Angleterre et les siens des trèze ourques de merchandises d'Espaigne, qui furent, dès le commencement , menées des portz de ce royaulme à la Rochelle , et fère pour cella , ou pour recouvrer nouveaulx deniers , pour du sel et du vin , quelque nouveau contract entre eulx ; la seconde , pour consulter avec M'^ le cardinal de Chatillon des articles de la paix, et les notiffier, de la part de la Royne de Navarre , à ceste Royne ; la tierce , pour aporter à la dicte Dame quelques adviz et pacquet/.

269 qui la concernent , lesquelz ilz ont surprins quelque part. Surce,etCi Ce vi^^ jour d'aoust 4570.

CXXVr DÉPESCHE

du XI» jour d'aoust 1570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Forces de l'armée navale que l'Angleterre vient de mettre en mer. Crainte qu'Élisabetli, rassurée contre toute attaque de la part du duc d'Albe, n'em- ploie cet armement à une entreprise sur l'Ecosse. État des négociations au sujet de l'Ecosse et de Marie Stuart. Conclusion de la paix en France. Nouvelles de la Rochelle et d'Allemagne. Exécution de Felton à Lon- dres; continuation des exécutions dans le Norfolk.

Au Roy.

Sire , sellon la bonne communication que j'ay faicte à M"" de Poigny, pendant qu'avons esté ensemble , de toutes choses de deçà, dont j'ay peu avoir quelque notice, j'es- père qu'il aura donné bon compte à Vostre Majesté non seulement de celles qui s'y mènent ouvertement, mais aussi d'aulcunesqui se présument, lesquelles ne sont encores qu'en discours; et pareillement de Testât sont demeu- rées celles de la Royne d'Escoce, de façon que je n'auray à toucher icy , sinon de ce qui a succédé despuys son parte- ment; qui est, Sire, que la Royne d'Angleterre a faict donner une si grand presse à son armée de mer qu'on l'a rendue toute preste à sortyr , dans le xx^ du présent , en nombre de xxix de ses grandz naxires , bien artillez et bien garnys de toutes monitions de guerre , et avitaillez pour trois mois , avec cinq mil cinq centz honunes dessus et son admy- ral en personne pour y commander , oultre ung nombre d'aultres vaysseaulx , que le comte de Betfort faict équiper en guerre au pays d'Ouest, qui doibvent sortir, soubz la

270 coiiduicte de Haqueris, et trèze navyres des Françoys et des Flamans, de la nouvelle religion, qui sont attendans en l'isle d'Ouyc. Quelcung est revenu de la mer sur un batteau lé- gier , qui raporte avoir veu , sur la coste de Flandres , en- vyron cinquante quatre voyles desjà hors des portz , ce qui faict davantaige haster ceulx cy en leur entreprinse ; et les seigneurs de ce conseil ont envoyé signiffier, par deux aldre- mans de Londres, à M'^ l'ambassadeur d'Espaigne qu'il les veuille venir trouver, à S* Auban, à xx mil d'icy, affin de conférer ensemble ; mais ne saichant comme ilz vouldroient user vers luy , il est en doubte s'il yra.

Je ne descouvre point encores , Sire , que la dicte Dame ayt à nul aultre effect entreprins cest armement que pour le souspeçon du duc d' Alve , et croy, à la vérité , que cella seul en est la première ocasion ; mais , à ceste heure, qu'elle a faicte la despense , et que le duc luy a en plusieurs sortes déclairé qu'il ne veult rien entreprendre contre elle, et aussi n'y a il nul aparance quelconque qu'il soit pour le fère, ny qu'il divertisse ailleurs son armée qu'à la con- duicte de la Royne , sa Mestresse , tant qu'elle soit du tout descendue en Espaigne , je crains que la dicte Royne d'Angleterre employé cependant la sienne contre l'Escoce; car de la dresser contre la France je n'en ay ny indice ny sentyment, mais quelcun m'a bien dict qu'on la conseille de se saysir de Dombarre , et m'a l'on donné adviz qu'elle a mandé de nouveau au comte de Sussex de tenir mil cinq centz harquebouziers , six centz corseletz et quatre centz chevaulx, toutz prestz en la frontière, qui est argu- ment qu'elle espèreroit, par ce secours de terre, facilliter r entreprinse à son armée de mer ; et que , par mesmes moyen, elle satisferoit au comte de Lenoz, lequel luy

274 ayant demandé une grande provision de deniers pour soul- doyer des Escossoys près de luy, elle luy a respondu cpi'elle ayme mieulx employer son argent à souldoyer des siens que non d'en acquérryr des estrangiers; néantmoins j'en- tendz qu'on l'a tant pressée qu'enfin elle luy a envoyé trois mil 1^ d'esterlin, qui est dix rail escuz. De cecy, Sire, et d'aulcunes condicions assés dures, que la dicte Dame a naguières proposées, bien qu'en ryant, à M*^ l'évesque de Roz , de vouloir pour sa seurté , en restituant sa cousine, avoir des ostaiges d'elle, et le Prince son filz , et le chas- teau de Dombertran; et luy ayant le dict sieur évesque respondu que mal ayséement se pourroit tout cella fère, je crains que la dicte Dame se veuille pourvoir, de bonne heure, d'aulcuns aultres moyens bien contraires à celluy du tretté , que nous avons commancé ; mais , nonobstant ceste démonstration , nous ne layssons de luy incister toutjour qu'elle doibt demeurer aulx bons termes du tretté , et icelluy paraschever, sellon qu'elle mesmes a prié M' de Poigny de vous asseurer. Sire, que, si la Royne d'Escoce luy faict de bien honnestes et honnorables offres, qu'elle procédera très honuorableraent envers elle ; et , suyvant cella , elle nous a despuys baillé ses lettres pour fère passer sans difficulté milord de Leviston jusques le duc de Chastellerault et les aultres seigneurs du party de la Royne d'Escoce sont assemblez, affin de leur notiffier l'accord encoramancé, et les sommer d'envoyer des depputez pour ayder à le conclurre 5 et , par mesmes dépesche , nous avons adverty les dicts seigneurs de se donner garde des en- treprinses de deçà. Ceulx qui portent icy bonne affection à la Royne d'Escoce estiment. Sire , qu'il importe beaucoup que , en parlant à l'ambassadeur d'Angleterre, et par aul-

272 très démonstrations en Bretaigne , Yostre Majesté face toutjour cognoistre qu'elle désire secourir et remédier les affères de la dicte Dame.

J'entendz que M'^ Norrys a escript, du iij^ du présent, que la paix estoit desjà conclue dez le premier ^ , et qu'il restoit rien plus à accorder que quelque formalité sur le désarmer et sur reconduyre les reytres hors de vostre royaulme, ce qui faict regarder à plusieurs icy, si Vostre Majesté vouldra incister plus fort, à ceste heure, au resta- bhssement des choses d'Escoce, et s'il en pourra bien sortyr du différant entre la France et l'Angleterre ; mais je leur en oste l'opinion le plus que je puys.

Le présidant venu de la Rochelle est allé desjà une foys jusques à ceste court, et m'a l'on dict que, à cause des adviz et des lettres interceptés, qu'il disoit aporter con- cernant ceste princesse, elle l'avoUu ouyr, mais bien fort en secrect. Les depputez aussi des princes d'Allemaigne ont esté ouys une foys , et puys se sont retirez à Lon- dres. Il semble que leur négociation demeure en quelque suspens par le retour d'ung Oynfild, qui vient freschement d'Allemaigne, l'y ayant, dez le moy de may, ceste prin- cesse envoyé pour tretter d'aulcunes choses fort secrecte- ment avec les dicts princes, et mesmes a heu grande communication avec l'évesque de CoUoigne. La dicte Dame commance de n'avoir plus si suspecte la diette d'Espire comme l'on la luy faisoit , puisque le comte Pal- latin y intervient. L'on dict que ung agent du jeune duc

' Cette paix, connue sous le nom de paix boiteuse et mal assise, parce qu'elle fut négociée par M' de Biron, qui était boiteux , et par le sieur de Mesmes , seigneur de Malassise, fut conclue à Saint-Germain en-Laye , le 11 août 1570. Les articles au nombre de quarante-six sont rapportés dans l'édit de pacifica- tion , donné à Saint-Germain , le 15 du même mois.

273 des Deux Ponts est venu poursuyvre icy, contre ceulx de la Rochelle, le payement d'environ quarante mil escuz, qui furent trouvez ez coffres du feu duc, son père ; lesquelz monsieur l'Admyral print, avec obligation de la Royne de Navarre et des principaulx de l'armée, qu'ilz seroient ac- quittez contantz en Angeterre. Maistre Felton a esté , despuys trois jours, exécuté devant icelle mesme porte de l'évesque de Londres, il âvoit affiché la bulle, ayant soubstenu toutjour fort opinyastrément que l'interdict du Pape sur ceste Royne est juste et juridique. L'on continue aussi les exécutions en Norfolc. La dicte Dame poursuyt son progrez vers Oxfort , et a voUu que je soys sorty de Londres , à cause de la peste , pour pouvoir plus librement négocier avec elle. De quoi. Sire , et du desloignement de sa court , je crains demeurer moins bien adverty de beaucoup de choses au villaige que je n'étois à la ville , mais j'y mettray toutjour la meilleure dilligence que je pourray. Sur ce , etc. Ce xi^ jour d'aoust 4570.

J'ay faict courir après ce pacquet , qui estoit desjà dépesché dez le matin, pour y adjouxter la réception de voz lettres du luj' du pré- sent, qui m'ont esté rendues par mon secrétaire, avec la bonne et désirée nouvelle de la paix; sur laquelle, après avoir remercyé Dieu, et, de rechef, de tout mon cueur très humblement baysé les mains de Vostre Majesté , j'en yray demain fère la conjoyssance à ceste Royne , laquelle , à ce que j'entendz , dépesché ung gentilhomme en France, mais ne sçay encores sur quelle occasion.

18

274

CXXVir DEPESCHE

, du xiiii« jour d'aoust 1570.

{Envoyée exprès jusques à Calais, par Bordillon.) Résolution prise par la reine d'Angleterre d'envoyer Walsingham en France.

Au Roy.

Sire, il y a trois jours que la Royne d'Angleterre avoit dépesché le S"^ de Yalsingan pour aller fore aulcuns offi- ces vers Vostre Majesté, et pour les fère en une façon , si la paix estoit faicte , et en une aultre , s'il trouvoit qu'elle fût encores à fère; dont, à ceste heure , que j'ay envoyé demander audience à la dicte Dame pour la luy aller annoncer, toute bien faicte et bien conclue, elle m'a mandé que je seray le très bien venu avec ceste très bonne nouvelle, et qu'elle adesjà expédié ung sien gen- tilhomme en France pour vous en aller fère la conjouys- sance de sa part; en quoy je vous suphe très humblement. Sire, lui agréer, et gratiffier en toutes sortes ceste sienne bonne et prompte démonstration , ainsy qu'elle s'atend bien que, pour avoir toutjour ouvertement déclairé qu'elle la desiroit, et pour s'estre offerte de s'employer à la fère, et mesmes pour avoir , durant la guerre , rejette toutes les persuasions qu'on luy a données de se déclairer de l'aul- tre party , et avoir encores , sur le pourparlé de paix , procédé en sorte qu'elle veult bien estre veue d'avoir aydé en quelque chose à la conclurre, elle se répute avoir grandement mérité de vostre amytié. Et j'entendz. Sire, que, par mesmes moyen , elle vous fera tenir quelque pro- pos du faict d'Escoce, estant le dict de Yalsingan princi-

275 pallement envoyé pour notter et comprendre, aultant qu'il luy sera possible, à quoy, après ceste paix, va l'intention de Yostre Majesté , tant sur les choses qui ont passé du costé de ce royaume durant la guerre, que pour voir en quoy vous persévérez touchant celles du dict pays d'Escoce et touchant la Royne d'Escoce, vostre belle sœur; dont j'es- time , Sire , que le plus de faveur et de grattiffication que pourrez monstrer sur celles premières , et plus de fermeté et persévérance ez aultres, sera ce qui plus donra d'accom- modement à vostre service et plus de réputation à voz affères de deçà. Icelluy Valsingan est tenu icy pour bien habille homme , fort affectionné à la nouvelle religion, et très con- fidant du secrétaire Cecille ; qui va desjà fère ung com- mencement d'essay en la charge que, à mon adviz, l'on luy a désignée d'ambassadeur ordinaire vers Yostre Ma- jesté après M"^ Norrys. Sur ce, etc.

Ce XI v" jour d'aoust 4570.

CXXVlir DEPESCHE

du XYiii« jour d'aoust 1 570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par l'homme du S" de Valsingan.)

Audience. Communication oi&cielle donnée par l'ambassadeur à Élisabetli de la conclusion de la paix en France. Contentement manifesté par la reine de cette nouvelle. Vives démonstrations en faveur du roi. Pro- messe de la reine de hâter la conclusion du traité avec Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, le jour de la my aoust, j'ay esté porter la certitude

de la paix de vostre royaulme à la Royne d'Angleterre, à

Penleparc , qui est trente deux mil loing de Londres; la- is.

276 quelle a monstre non seulement de la bien recepvoir , mais d'en vouloir caresser et honorer la nouvelle, ayant faict parer sa court, et estant elle mesmes parée et merveilleu- sement bien en poinct; et m'a, à l'arrivée et au retour, faict mieulx recueillyr et accompaigner que de coustume , et encores me reconvoyer par des gentilshommes exprès une grand partie du chemyn , de sorte qu'elle et les sei- gneurs de son conseil, vers lesquelz j'ay faict aussi la con- joyssance de vostre part, n'ont rien obmiz de ce qui se peult monstrer d'extérieur pour donner entendre qu'ilz ont ung très grand plésir de cet accord. Mais , pour descouvrir quelque chose de l'intérieur, j'ay dict à la dicte Dame , en luy présentant les lettres et recommendations de Voz Ma- jestez , que Dieu vous avoit faict la grâce de vous donner la paix avecques voz subjectz; et qu'aussitost que vous l'aviez peu conclurre vous luy en aviez faict la première part , affin de luy advancer, devant les aultres princes, voz alhez et confédérez, l'ayse et le playsir que vous estimiez qu'elle en recepvroit, parce que, plus que nul de tous eulx, elle avoit toutjour mdnstré de la désirer , et mesmes de se vouloir employer à la fère ; dont cecy luy estoit ung très asseuré tesmoignage que vous n'eu avez miz rien en oubly, et que vous luy rendrez la tranquillité de vostre royaulme aultant utille , comme elle avoit toutjour faict paroistre qu'elle l'auroit très agréable.

La dicte Dame, usant de toutes les démonstrations d'ayse et de contantement qu'il est possible, m'a respondu qu'elle ne pouvoit assés à son gré vous remercyer de la faveur, que luy aviez faicte , de luy advancer ceste boime nouvelle de vostre paix, ny assés s'enconjouyr avecques Voz Majestez; et que n'ayant heu moindre désir que vous mesmes de la

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voir bien succéder , ainsy que sa conscience l'en faisoit , à ceste heure , estre bien fort contente , et que la certitude s'en pouvoit encores vériffier par lettres et tesmoings , elle ozoit bien esgaller l'ayse qu'elle recepvoit d'en entendre la conclusion, à celluy que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Messieurs vos frères, voyre quel que soit de voz propres subjectz, en pouviez avoir ; ce que estant bien conféré avec le peu de désir que vous sçavez que les aultres princes en avoient, elle vous layssoit à juger si une pre- mière conjouyssance ne lui en estoit pas deuhe , et pour- tant que vous ne doubtissiez qu'elle ne la receust avec trop plus d'abondance de playsir et d'affection, qu'elle ne le pouvoit, par parolle ny par nulle aultre démonstration , bien exprimer ; seulement elle prioyi; Dieu de la vous fère , et à voz subjectz, très longuement et heureusement jouyr 5 et qu'en cor qu'on luy eust voUu imprimer que vostre paix luv seroit ung commancement de guerre , et que vous vous layrriez aisément aller à l'instigation, que ses ennemys vous feroient , de la luy commancer sinon directement , au moins par moyens indirectz de la Royne d'Escoce, qu'elle ne le se vouloit toulesfoys persuader ; et vous pryoit , de tant que vous estiez sur le poinct de vous former une in- pressiou d'amytié ou d'ayne pour l' advenir , que vous vol- lussiez retenir elle et son royaulme , qui ne sont pas des plus grandz mais non aussi des moindres , au mesmes degré d'amytié qu'elle veult droictement persévérer vers vous et le vostre ; et que, ayant auparavant proposé de vous dépes- cher le S"^ de Valsingan , affin qu'il servyst à quelque bon effect entour la conclusion de la dicte paix , elle l'y feroit encores plus vollontiers passer^ à ceste heure qu'elle estoit conclue , pour non seulement vous en aller fère la conjovs-

278 sance , mais vous remercyer infinyement de celle que vous luy en aviezdesjùfaicte.

Je n'ay failly dessus, Sire, d'user des meilleurs et plus convenables propos, que j'ay peu, pour mettre la dicte Dame en grande confiance de Vostre Majesté et de vostre royaulme 5 et , après avoir touché quelque mot du com- mandement, quemefeziez, d'avancer toutjour les affères de la Royne d'Escoce ; à quoy elle m'a respondu en très bonne façon et avec nouvelle promesse d'y procéder du premier jour , sellon qu'elle avoit bonnes nouvelles que les seigneurs escossoys des deux costez s'y vouloient disposer , elle m'a licencié avec tant de bonnes paroles et démonstrations de son contantement, et de vouloir donner toute satisfaction à Vostre Majesté, que je craindrois d'en diminuer la meilleure part, si je m'esforcoys de le vous vouloir davantaige ex- primer : dont la layrray à tant jusques à la prochaine dépes- che d'ung des miens, que j'envoyeray bientost devers Vostre Majesté , par lequel je vous feray amplement entendre tou- tes aultres choses. Et seulement. Sire, j'adjouxteray à ce pacquect la lettre, que la dicte Damo vous escript, oultre celles qu'elle a baillé au dict Valsingan pour Voz Majestez, lequel est desjà dépesché, et avecques luy le sir Henry Co- ban pour aller saluer, de la part de ceste Royne , la Royne d'Espaigne au Pays Bas 5 et croy qu'il passera jusques à Espire devers l'Empereur. Sur ce, etc.

Ce xviij^ jour d'aoust 1570.

A LA Royne.

Madame, j'obmetz, tout à esciant , d'escripre à Voz Majestez par ceste dépesché beaucoup de propos, qui ont

279 esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et moy en ceste dernière audience , pour les vous mander cy après plus expressément par ung des miens ; et suffira , s'il vous playt , Madame, que, en ceste cy, je vous dye, sur la nouvelle que j'ay annoncée à la Royne d'Angleterre de la paix de vostre royaulme, qu'il ne se peult exprimer ung plus grand ayse que celluy que , en parolle et en semblant , elle a monstre d'en recepvoir; et croy que, sans la crainte des choses d'Escoce, que son cueur aussi s'y conformeroit. J'entendz qu'elle a prins quelque souspeçon de ce que les depputez des Princes n'ont faict rien entendre de ceste der- nière conclusion à son ambassadeur, comme ilz avoient faict les aultres foys ; au moins n'en avoit il encores rien escript à la dicte Dame, quant j'ay esté devers elle, laquelle en estoit mal contante ; et discouroient quelques ungs dessus qu'il y pourroit bien rester encores quelque difficulté : tant y a que les choses d'icy ne layssent pourtant de prendre aultre forme, sur ce que je leur en ay desjà dict, mesmes en l'endroict de l'ambassadeur d'Espaigne , auquel aultrement l'on estoit prest de fère piz que jamais. J'espère qu'il en réuscyra aussi de l'utillité à vostre service. Sur ce , etc.

Ce xviij* jour d'aoust 1570.

280

CXXIX' DÉPESCHE

du xxi» jour d'aoust 1570. ( Envoyée exprès jusqtces à la court par Guilliaume Beroudier. )

Rapport de ce que l'ambassadeur a pu savoir des instructions données à Walsingham. Conclusion définitive de la paix de France. Ins- tance de l'ambassadeur pour que le roi se prononce avec fermeté sur les affaires d'Ecosse. Effet produit en Angleterre par l'assurance que la paix est définitivement signée en France. :. ,

I

Au Roy.

Sire, ceste bien asseurée confirmation de la paix, qui m'est venue par les lettres de Vostre Majesté du xi^ du présent, avec les articles d'icelle, qu'il vous a pieu par raesme moyen m' envoyer, ont miz la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil hors de tout doubte qu'elle ne soit à présent bien conclue et arrestée 5 car, parce que M"" Norrys leur avoit escript que, de vostre costé. Sire, elle estoit bien signée , mais qu'elle reste it à signer par Messieurs les Princes et Admyral , et que M' le cardinal de Chatillon n'en avoit encores nulles nouvelles , aussi que de dellà l'on man- doit que aulcuns s'y opposoient, et que le parlement de Paris ne. la vouloit en façon du monde recepvoir, plusieurs ont estimé que la matière estoit encores bien acrochée 5 et le S'^ de Yalsingan mesmes , quant il m'est venu dire adieu, n'a sceu tenir son langaige si mesuré qu'il n'ayt assés monstre qu'il estoit dépesché sur telle opinion. Et j'ay despuys entendu que, l'ayant la dicte Dame faict ar- rester, lorsque je la suys allé trouver, jusques après qu'elle m'auroit ouy, aussitost qu'elle a comprins par mon récyt que les depputez estoient de rechef renvoyez avec les dicts articles vers les Princes , elle l'a soudain faict partyr, sur

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la mesme dépesche qu'elle luy avoit desjà baillée, luy man- dant qu'il n'estoit besoing d'y rien changer.

Or, Sire, ce que j'ay peu descouvrir de sa charge est qu'ayant ceste princesse l'esprit fort agité de tant de def- fiances, que je vous ay cy devant mandées, et se trouvant mal satisfaicte de ce que ceste dernière conclusion de paix s'est menée si estroictement que son ambassadeur a sous- peçonné y debvoir avoir des conventions qui la touchoient, puysqu'on les luy tenoit secrectes, elle a advisé d'envoyer cestuy cy tout exprès par dellà affin que , trettant avec ceulx de l'ung et l'aultre party, il puysse juger de quelle disposi - tion, après la dicte paix, se trouvera Vostre Majesté et vostre royaume vers elle et le sien, avec commandement d'accommoder son parler à Testât il verra que les cho- ses seront, et de se conduyre néantmoins en ce qu'il aura à négocier avec ceulx de la nouvelle religion , sellon certain règlement qui a esté arresté avec les depputez , qui sont icy, des princes d'Allemaigne , et dont l'ung d'eulx est allé avecques luy ; et de mesler, à ce que j'entendz, parmy l'a- parance d'exorter ceulx de la dicte religion à vostre obéys- sance , cpi'ilz veuillent bien regarder à l'establissement de ce qui leur sera promiz pour l'exercice d'icelle et pour l'establissement de la paix, et que, en ces deux choses, elle et les dicts princes ne sont pour les habandonner jamais , comme ilz ont encores tout présentement et auront tout- jour toutes choses bien prestes pour les secourir ; leur re- monstrant aussi qu'ilz n'ont assés bien faict leur debvoir d'avoir obmiz, en l'instruction qu'ilz ont donnée à leurs depputez pour fère ce tretté , laquelle a esté envoyée icy de la Rochelle, et traduicte incontinent en anglois et im- primée à Londres, de n'y avoir faict quelque honnorable

28'i mencion d'elle et du bon relFuge qu'ilz ont trouvé en son royaulme, avec d'aultres particularitez que je suys bien ayse qu'elles n'arrivent qu'après la paix faicte ; car possible n'eussent elles de guières servy à la conclurre.

Et au regard de Yostre Majesté, j'entans, Sire, que sa commission porte que , au cas qu'il trouve les choses non encores bien accordées , qu'il vous offre toutz les moyens et offices, qui seront cognuz pouvoir procéder d'elle , pour vous ayder à les accorder avec vostre gran- deur, réputation et advantaige ; mais s'il trouve la paix desjà conclue , ainsy que , grâces à Dieu , elle l'est, qu'il vous en face la meilleure et plus expresse conjoyssance qu'il pourra, et qu'il vous exorte , Sire, à l'entretenue- ment et observance d'icelle , avec offre de tout ce qui est en la puyssance de la dicte Dame pour vous assister contre ceulx qui la vous vouldroient traverser ou empescher ; et vous prier, au reste, de ne vous laysser jamais persuader du con- traire , car vous ayant elle jusques icy gardé ce respect d'avoir rejette toutes les très véhémentes persuasions qu'on luy a données de se déclairer contre vous , elle proteste que, par cy après , elle ne le pourra plus fère ; et que , si vous entreprenez la guerre contre la religion d'où elle est, qu'elle employera toutes ses forces , son estât et sa cou- ronne à la deffance , faveur et protection d'icelle; et qu'elle entrera en la ligue des princes protestans contre Vostre Majesté, ainsy qu'ilz ont encores icy à ceste heure leurs ambassadeurs pour l'en solliciter; et avec charge aussi au dict Yalsingan de vous fère entendre , de la part de la dicte Dame , touchant la Royne d'Escoce , qu'elle ne luy veult aulcun mal , ny veult en façon du monde procurer sa niync , que seulomenl elle cerchc de s'asseurer des guerres

283 et dangiers, qui luy ont esté toutjour imminentz du costé d'elle et de son royaulme , chose qu'elle estime que ne debvez trouver mauvaise ; et qu'encores , pour l'amour de Vostre Majesté, sera elle contante d'user si honorable- ment vers la dicte Dame , que ung chacun jugera qu'elle luy aura la plus grande de toutes les obligations, qu'elle ayt jamais heue à personne de ce monde.

Qui est tout ce , Sire , que j'ay aprins de la dépesche du dict y alsingan , et ne sçay encores s'il y a heu rien de plus ou de moins , ou de changé despuys ; dont je suplie très humblement Vostre Majesté de gratiffier si bien à Yd dicte Dame ses bonnes parolles que ses intentions en puys- sent toutjour devenir meilleures , car aussi estime elle vous avoir beaucoup obligé de ne vous avoir faict sentyr tant de mal et d'empeschement, de son costé, comme l'on l'a bien incitée et conseillée de vous en fère .

Au regard , Sire , des choses d'Escoce , encores que la dicte Dame ayt, de rechef, très expressément donné pa- roUe à M"^ de Roz de procéder au tretté , aussitost que les depputez d'Escoce seront arrivez, car plustost n'y veult elle nullement entendre; néantmoins , de tant que je suys seurement adverty que le comte de Sussex , lequel a en- cores des forces en la frontière , et le secrétaire Cecille mènent des pratiques, et croy que [c'est] sans le sceu de la dicte Dame , pour tirer la matière en longueur et pour fère rentrer de rechef les Anglois en Escoce au secours du party du régent , qui se trouve le plus foible ; il sera le bon playsir de Vostre Majesté d'en parler en telle sorte aulx ambassadeurs de la dicte Dame qu'ilz cognoissent que vous incistez , Sire, très fermement à la continuation et accom- plissement du tretté et à l'entretennement de ce qui ouest

284 desjà arresté ; ou aultremeiit que vous n'estes pour man- quer de secours à ceulx de voz allyés qui ont recours a vostre protection , et faveur. Et sur ce , etc.

Ce xxi^ jour d'aoust 1570.

A LA ROYNE.

Madame, ce peu de temps qui a passé , despuys la pre- mière nouvelle de la conclusion de la paix , laquelle Voz Majestez m'escripvoient du iiij'= du présent, jusques à la confirmation que j'en ay présentement reçeue, qui n'est que six jours entre deux , nous a donné à dicerner ceulx qui désirent icy véritablement la paix de vostre royaulme, et l'establissement de vos affères, d'avec ceulx qui n'en cerchent que le perpétuel trouble et la diminution de vos- tre grandeur; et n'eu est l'affection de la religion aulcu- nement la reigle, car plusieurs catholiques et plusieurs pro- testans meslez ensemble , bien que par divers respectz , monstrent d'en estre très marrys, et de mesmes plusieurs des deux partys s'enréjouyssent conjoinctement ; mais ceulx sur toutz, es quelz gist toute l'espérance de la religion ca- tholique en ce royaulme , en font une très solemnelle res- jouyssance, et désirent la conservation de vostre couronne, et croyent et espèrent que d'icelle a de procéder la réu- nyon de l'esglize et le restablissement de la religion catho- lique en ceste mesmes isle, aussi bien qu'en tout le reste de la Ghrestienté, par les moyens que Dieu vous inspirera, plus qu'aulx aultres princes chrestiens, puysque à vous, plus qu'à eulx toutz, il vous a faict sentyr combien en est dangereuse et pleyne de toutz maulx la division.

Les Huguenotz , qui estoient par deçà , commancent de n y estre plus si bien veuz qu'ilz souloient , et n'y peuvent

285 désormais vivre sans soupeçon. J'entendz que ceulx , qui estoient pirates , se vont peu à peu retirant , et Clément Joly, ayant réduict tout son équipage à deux bons navyres, s'en va avec Haquens, qui dresse une flotte pour retourner aulx Indes. Ceulx cy ont desjà miz dehors six de leurs grandz navyres, soubz la conduicte de maistre Charles Ha- vart , filz de miloird Chamberlan , lequel commandera en l'armée parce que l'admyral est mallade-, et y en mettront encores quatre dans ceste sepmayne , mais ilz ne donnent grand presse aulx aultres vingt navyres, parce qu'ilz ont adviz que l'apareildu duc d'Alve ne peult estre prest, jus- ques envyron la S* Michel, bien qu'ilz sçavent qu'il est allé desjà recuillyr la Royne, sa Mestresse, à Nimegen. Maistre Henry Coban s'apreste toutjour pour l'aller saluer, de la part de ceste Royne, et avecques luy s'en retourne par dellà le mesmes merchant depputé sur le faict des mer- chandises, nommé Fuiguillem, qui en est naguières revenu ; et sur ce, etc. Ce xxr jour d'aoust i570.

CXXX' DÉPESCHE

du xxvie jour d'aoust 1570. (Envoyée jusques à la court par La Bresle, chevaulcheur.)

Assurance de l'ambassadeur que l'armement des Anglais n'est pas dirigé con- tre Calais. Recommandation qu'il fait de se prémunir néanmoins en France contre toute surprise. Instance de la reine d'Ecosse pour obte- nir du roi un secours efficace ; sa conviction qu'Elisabeth ne veut pas lui rendre la liberté. Nouvelles des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, je n'ay trouvé nouveau l'adviz, qu'on vous a donné, de l'entreprinse de ceulx cy sur Callais , car je pense en

i286 avoir mandé quasi aultant à Yostre Majesté par le S' de Sabran , sur le commancement de juillet, et vous avoir dez lors particuUarisé quant, commant, et en quel lieu, ilz avoient proposé de fore leur descente , mais que bientost après ilz avoient changé de dellibération , parce qu'ilz avoient jugé que ce seroit attacher une grosse guerre, de laquelle ilz n'a- voient ny rien de bien prest pour la commancer, ny nul moyen de la meintenir, sinon par noz troubles, lesquelz ilz voyoient desjà incliner à la paix ; et aussi qu'il m'advint lors de toucher ung mot à quelcun des leurs de ce que j'en avois senty, et en mesmes temps M"^ de Gordan saysyt des armes qu'on pourtoit à Callais , dont estimèrent que le tout estoit des- couvert, de sorte que leur présent armement ne monstre qu'il soit à nul aultre effect que pour tenir la mer, sans pou- voir mettre gens en terre, ainsi que, pour en esclarcyr davantaige Yostre Majesté , je renvoyé ce mesmes cour- ryer pour vous en aporter Testât, tel que je l'ay peu re- couvrer , duquel encores il s'en fault beaucoup qu'il soit amsy bien prest , comme le dict estât le porte ; et ne le pourront avoir si soubdain faict plus grand, ny levé les gens de guerre que n'en soyons, de quelques jours devant, ad- vertys. jNéantmoins, Sire, ayant premièrement descouvert qu'ilz ont heu intention de tenter quelque chose sur le brul- lant désir de recouvrer Callais , et les voyant à ceste heure (bien que pour aultres fins) estre en armes, j'ay adverty M'^ de Gordan, et les aultres gouverneurs de vostre frontière, de se tenir sur leurs gardes ; et ay suplié Yostre Majesté , comme je lasuplie encore très humblement, de leur mander de rechef qu'ilz ayent à se monstrer si préparez et pour- veuz qu'ilz facent perdre à ceulx cy toute l'ocasion et la vollonté, qu'ilz pourroient avoir, d'y rien entreprendre.

'287 La Royne d'Escoce renvoyé ung serviteur du S' Dou- j^las en France , auquel elle a commiz une dépesche pour Vostre Majesté ; et croy, Sire, qu'elle vous persuade de tout son pouvoir , que , touchant sa liberté et restitution , vous ne vous en veuillez plus attandre à ce que la Royne d'Angleterre vous en fera dire ou promettre , car elle pense avoir assés d'aparans argumens pour juger que l'intention de ceulx, qui guydent les conseilz de la dicte Dame, n'est aulcunement d'y entendre, ains de s'opiuiastrer, de plus en plus , à sa détention et à luy fère perdre son estât ; ainsy que, despuys le commancement du tretté, ilz ont, soubz main, faict créer le comte de Lenoz régent en Escoce , et se préparent à ceste heure d'y envoyer gens, argent et tout aultre secours pour le maintenir 5 en quoy la dicte Dame me prie que , quoyque ceulx cy me puissent dorsenavant alléguer , je ne vous veuille plus entretenir en aulcune es- pérance du dict tretté ; ains que je vous suplye très hum- blement. Sire, d'aller au devant de la malle entreprinse qu'ilz ont sur elle, premier qu'ilz l'ayent dutout ruynée, et premier qu'ilz ayent achevé de vous oster une telle allyée, et l'alliance , et les allyez que vous avez en elle , son royaulme et ses subjectz. Dont semble bien. Sire, que, ayant Vostre Majesté porté jusques icy, par voz vertueuses paroUes et bonnes démonstrations, beaucoup de faveur aulx affères de la dicte Dame , Iots mesmes que les vostres sen- toyent plus d'empeschement, que, grâces à Dieu, ilz ne font à ceste heure, s'il vous playt d'en user meintennant de semblables, ou ung peu de plus expresses, et les fère sonner au S'^ de Yalsingan, avant qu'il s'en retourne, qu'elles seront de bien fort grand moment pour meintenir la cause de la dicte Dame, jusques à ce que y puyssiez.

288 à bon esciant, adjouxter les effectz. Mais affin , Sire, que voyez plus clayrement quel il y fera, je vous manderay, du premier jour, par le S"^ de Vassal, le plus particulière- ment que je pourray , Testât de toutes choses d'icy , et ce que la Royne d'Angleterre m'aura respondu sur le faict de son armement ; laquelle je vays présentement trouver.

Et ne vous diray davantage , Sire, sinon que le jeune Coban s'apreste toutjour pour passer en Flandres , et ne me suys trompé du jugement, que j'ay faict, qu'il yra jus- ques à Espire, dont je mettray peine d'entendre quelque chose de sa commission. La nouvelle de la paix de vostre royaulme a esté utille à l'ambassadeur d'Espaigne; car, oultre qu'elle est cause qu'on ne l'a resserré , l'on luy a despuys faict beaucoup de favorables démonstrations. Il est vray qu'on a envoyé surprendre, jusques dans le port de Bergues en Flandres, le docteur Estory et ung maistre Par<per , toutz deux Anglois catholiques , qui estoient depputez par le duc d'Alve sur la visite des merchandises d'Angleterre pour les confisquer, et les a l'on transportez par deçà, et tout incontinent miz dans la Tour de Lon- dres ; en quoy l'on a manifestement viollé la franchise des Pays Bas , chose qu'on ne peult croyre que le duc d'Alve puisse aulcunement dissimuler. Sur ce , etc.

Ce xx\i« jour d'aoust 4570.

289

CXXXr DÉPESCHE

du ye jour de septembre 1570. ( Envoyée exprès jusques à la court par le S'-tle Vassal. )

Audience. Plainte de l'ambassadeur au nom du roi , qui est averti que l'armement de la flotte d'Angleterre est destiné à une entreprise sur Ca- lais. — Vive protestation de la reine qu'elle n'a jamais eu un pareil projet , et qu'elle n'a d'autre intention que de repousser les attaques, qui pour- raient être dirigées contre elle. Demande d'explications sur les arme- mens faits en Bretagne. Débat sur les délais apportés à la conclusion du traité concernant Marie Stuart. Nouvelle invasion des Anglais en Ecosse, Mémoire. Discussions des Anglais sur la paix de France. Leur crainte qu'une ligue générale ait été formée contre eux. Changement de con- duite d'Elisabeth à l'égard de l'ambassadeur d'Espagne. Dispositions prises pour éviter une attaque de la part du duc d'Albe. Résolution de faire sortir la flotte pour rendre honneur à la reine d'Espagne , et se tenir prête au besoin à livrer bataille. Négociations d'Elisabeth en Allemagne. NouveUes de la diète. Blémoire necret. Assurance donnée parle duc de Norfolk, depuis sa mise en liberté , qu'il reste dévoué à la reine d'Ecosse. Nécessité d'imposer à la reine d'Angleterre un délai, dans lequel le traité avec Marie Stuart devra être conclu. ttilité de faire quelque changement dans la garnison de Calais. Projet d'une entreprise du roi d'Espagne sur l'Angleterre : insistance faite auprès de Marie Stuart pour qu'elle s'aban- donne entièrement au duc d'Albe du soin de sa restitution. Disposition d'Elisabeth à renouer la négociation de son mariage avec l'archiduc Char- les.— Avis d'une correspondance entretenue avec l'Angleterre par quel- qu'un qui approche le duc d'Anjou. Nouvelles répandues à Londres sur les projets du roi.

Au Roy.

Sire , estant la Royne d'Angleterre en une mayson es- quartée dans les boys , à quarante cinq mil de Londres , qui s'apelle Vuynck, elle m'a mandé dire que, si l'affère dont j'avois à luy parler estoit hasté , je vinsse prendre ma part de l'incommodité du lieu oii elle estoit; mais, si ce n' estoit chose pressée, qu'elle me prioyt d'attandre jusques au vnj'^ jour ensuyvant, qu'elle se randroit près d'Oxfort,

m 19

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en la mayson de M' de Norrys , qui seroit plus commode. Et comme elle a entendu que je ne vouloys temporiser , et que j'estois desjà prez du dict Vuynck, elle a envoyé trois gentishommes pour me conduyre , non en la mayson elle estoit, mais en une fueillée, qui lui estoit préparée pour tirer de l'arbaleste aulx dains dedans les toilles; au- quellieu elle est venue bientost après, grandement accom- paignée, oùm'ayant, avant descendre du coche, et après en estre descendue , fort favorablement reccu , premier qu'elle se soit divertye à la chasse , m'a demandé des nou- velles de Voz Majestez. '' *^"

Et parce qu'on m'avoit dict que le S"^ de A'ualsingan , touchant son voyage en France , luy avoit escript qu'il trouvoit le monde par dellà mal contant de la paix , je luy ay bien voUu dire. Sire, que Vostre Majesté estoit venue à Paris en sa court de parlement pour y fère bien recepvoir les articles de la dicte paix , lesquelz y avoient esté ac- ceptez avec ung grand consentz de tout ce sénat, et que de vous en estiez al|é randre grâce à Dieu en la grand es- glize de Nostre Dame, et solemniser la feste de la my aoust ; et que, le soir, estiez allé prendre le souper en l'hos- tel de ville , pour mieulx establyr le repoz entre ce grand peuple, lequel a accoustumé de servyr d'exemple aulx autres villes voysines ; et que vous estiez après à regarder princi- pallement à deux choses : l'une, de bailler argent aulx rey- tres et estrarigiers , au premier jour de septembre, affin de les chasser eulx, et le trouble et malheur , hors de vostre royaulme; et l'aultre estoit de jouyr heureusement de ceste paix, premièrement avec voz subjectz , et puys avec les princes voz voysins , allyez et confédérez , chose qui estoit bien conforme à ce qu'elle m'avoit prié dernièrement de

t>91 vous escripre : (que vous voliussiez conserver l'amytié des princes voz voysins , comme }e la pouvois bien asseurer que vous la vouliez conserver droicte et entière envers elle , aultant qu'avec nul prince de vostre alliance) ; mais qu'il y avoit ung aultre ambassadeur, lequel je ne cognoissois point, qui vous avoit advisé , Sire , de penser tout aultre- ment 'd'elle en vostre endroict , et qu'elle avoit fermement résolu de vous fère bientost la guerre ; dont je remercyois Dieu que la vigillance de celluy m'eust relevé de la plus notable infamye, gentilhomme eust peu tomber, d'avoir miz mon Roy, Mon Seigneur , et ses affères en ung mani- feste dangier, s'il ne vous eust advisé d'y prendre garde, et de vous bien deflandre du costé, duquel je m'esforçoys de vous persuader que vous seriez le moins assailly 5 bien que je ne demeurois sans coulpe de m'estre layssé endor- myr par ses bonnes parolles, sur ce que m'aviez com- mandé d'avoir les yeulx plus ouvertz , qui estoit l'obser- vance et l'entretennement des trettez.

Sur quoy la dicte Dame , pleyne d'esbahyssement , m'a demandé qui ce pouvoit estre , et que l' infamye tumberoit plus sur elle que sur moy , et qu'elle espéroit de nous en descharger si bien toutz deux que la honte en demeure- roit à celluy qui la nous vouloit fère.

J'ay suyvy à luy dire que je luy en communiquerois, au long et auplain, tout ce que Yostre Majesté m'en escrip- voit , affin de procéder ainsy clairement vers elle , comme j'avoys faict jusques icy, et comme je la suplyois de ne me contrf\indre d'en user aultrement ; car, pour ne le sçavoir fère , et pour ne mettre , par ma sotise , voz affè- res en dangier, j'aymois trop mieulx d' estre révoqué, et qu'elle me renvoyAl d'où j'estois venu.

1!).

2î)2 Dont , liiy ayant baillé dessus la lettre de Yostre Majesté, avec l'adviz du viif du passé, elle a leu très curieusement l'ung et l'aultre; et puys, sans avoir guières. pensé, m'a dict qu'elle me feroit en celia une responce franche et pleyne de vérité : c'est qu'elle prioyt Yostre Ma- jesté de croyre que l'adviz estoil tout entièrement faulx , et que , en son armement, elle n'avoit aultre entreprinse que celle, qu'elle m'avoit faict escripre par ceulx de son conseil , et despuys confirmée de sa propre parolle , qui est celle , Sire, que je vous ay desjà escripte; et que , quant il se trouveroit aultrement , elle vouloit que vous la tinssiez pour descheue du rang de Yostre Majesté, Dieu l'a constituée Royne légitime et Princesse chrestienne. 11 est vray que chose semblable , ou peu différante , luy pouvoit avoir esté offerte , mais non de six mois en çà. A quoy elle vouhe à Dieu qu'elle n'a jamais voUu entendre, et ne le fera, soubz tant de bonnes paroUes de paix et d'a- mytié , comme elle m'a prié vous asseurer de sa part ; et qu'elle vouloit bien dire aussi qu'ayant Yostre Majesté procédé en bonne façon vers elle sur les affères de la Royne d'Escoce , qu'elle ne vouldroit que bien user vers vous , et achever droictement le tretté qui est dessus commancé; mais que si , pour l'ocasion de la dicte Dame, laquelle vous sçavez qu'elle luy tient beaucoup de tort , vous la vouliez ennuyer, (ainsy que le comte de Betfort luy avoit escript despuys deux heures, du pays d'Ouest, que \ostre Majesté avoit douze navyres toutz prestz et gar- nys de toutes monitions de guerre à S* Malo , pour les pas- ser en Escoce , et n'attandoit on plus que les gens de guerre pour les mettre dessus ; et que , d'abondant , vous aviez faict arrester en Bretaigne toutz les navyres anglois

'urs

comme en temps de guerre, ) qu'elle s'eslorceroit de vous fère tout le pis qu'elle pourroit.

Je lépliquay, Sire , que je mettrois peyue de vous fère bien entendre sa responce touchant le faict de Callays ; et je la prioys de vous en fère dire aultant par son ambassa- deur , affin que peussiez cognoistre que ce que je vous en escriprois procédoit de son intention, ce qu'elle m'accorda; et, quant au reste, je la pouvois asseurer que je ne sça- vois rien de l'apareil de S* Malo, mais que je mettrois tout- jours ma vie pour la seurté de la parolle, que vous luy aviez promise : tant y a que je la suplioys ne trouver mauvais , si, pour n'estre faulx ny desloyal à Yostre Majesté, je vous escripvois, touchant le faict d'Escoce , qu'elle nous re- mettoit à untretté, duquel je n'espérois ny fin ny com- mancement : car elle n'y vouloit procéder jusques à ce que les depputez des seigneurs d' Escoce seroient arrivez , et le comte de Sussex empeschoit qu'ilz ne se peussent as- sembler pour en eslire quelques ungs; et que la création <le ce régent , lequel avoit tout incontinent faict pendre trente trois bons serviteurs de la Royne d'Escoce , et les aultres rolles qui se jouoyent entre le dict comte de Sussex et les ennemys de la dicte Dame par dellà, me faisoieut veoir qu'on ne tendoit à rien moins que à la paciffica- tion.

A cella la dicte Dame m'a respondu qu'il n'y avoit nul tort de sa part ny des siens, et qu'elle est toute résolue de procéder au dict tretté , et n'attand sinon une responce de la Royne d'Escoce , laquelle l'évesque de Roz luy doibt porter dans deux jours , pour , incontinent après , envoyer deux de son conseil devers elle alîin de tretter ouvertement de tout ce qu'elles ont à démesler ensemble; et que j'as-

294 seure Yostre Majesté que, s'il y ^ nul des siens qui veuille traverser le dict tretté , qu'elle l'en fera amèrement re- pentyr. Et m' ayant la dicte Dame tenu plusieurs aultres fort gracieulx propos, tant du présent des haquenées qu'elle vous veult fère, que de ce qu'elle a envoyé saluer la Royne d'Espaigne et l'Empereur, estant venue l'heure de la chasse, elle print l'arbaleste , et tua six dains, dont me fit faveur de m'en donner bonne part ; et au prendre congé, me pria très instantment de vous donner toute satisfaction d'elle sur le faict du dict Callais , et luy procurer pareille satisfaction de Vostre Majesté sur ce qu'on luy a dict de S' Malo. Sur ce, etc. Ce v'' jour de septembre 1570.

Sur la closture de la présente , est venu adviz comme le comte de Sussex est rentré en Escoce , ainsy que luy mesmes l'a escript. Nous sommes après, icy, d'en demander réparation, et Vostre Majesté y pourvoirra, s'il luy playt, par dellà.

OUJLTRE LE CONTEMU DES LETTRES,

le dict S' de Vassal dira, de ma part, à Leurs Majestez :

Qu'on juge icy diversement de la paix de France , car les ungs di- sent que le Roy Ta faicte ainsy que monsieur l'Admyral l'a vollue, luy laissant, après l'avoir vcincu, plus d'exercice de sa religion qu'il n'avoit auparavant, et loutz les estatz et villes qu'il a demandé : les aultres, au contraire, disent que le dict sieur Admyral s'est layssé al- ler aulx promesses du Roy, et qu'il s'est condescendu aulx plus hon- teuses et dommaigeables condicions de paix qu'il se pouvoitfère, ayant layssé perdre les principalles esglizes, que ceulx de sa religion eussent ez bonnes villes du royaulme, pour se contanter de quelques meschantz faulxbourgs ; et d'avoir soubmiz, de rechef, eulx et leurs biens aulx pariemens, lesquelz leur sont capitalz ennemys; et d'a- voir accordé au Roy le (piini de leur revenu pour payer les reytres, dont beaucoup de Calbolicpios et de Protcstans estrangiers, et mes- memeiit ceulx, qui.n'ayment ny la grandeur ny l'establissement du Roy, itrgueut i)arlà qu'il y doibt avoir quelque secrecte convention

295

conlie les cstatz voysins ; et descouvrent qu'e» leur cneur ilz sont iiiarrys de la paix de France , et qu'ilz la craignent.

Mais d'aultres plus modérez , <]ui en désirent la conservation, ju- i;ent tout librement que nul moyen plus heureux^ ny plus prudent, ny plus conjoinct d'honneur avec proflict, se pouvoit trouver au monde , que cestuy cy de la pacifRcation ; par laquelle le Roy a re- gaigné l'obéyssance de ses subjeciz, et eulx la bonne grâce sienne, et loutz ensemble chassé le trouble et le malheur hors du royaume.

Et, à ce propos, la Royne d'Angleterre m'a dict que quelquefoys ung prince pouvoit bien avoir fort bon droict sur un estât, qui pour- tant ne le jouyssoit pas, et que, hormiz le lillre, il estoit toutjouren peyne ou d'encon(|uerre ou d'en delfandre tout le reste; et par ainsy que le Roy a conquiz , par ceste paix, le plus beau royaulme de tout le monde; lequel auparavant il ne possédoit pas, et dont nul aultre <pie le sien n'eust peu si longtemps suporter les maulx de la division, sinon avec la mutation ou avec laruyne entière de Testât, dont elle le conseille de ne le mettre plus en hazard.

Néantmoins monstrans aulcuns des principaulx du conseil de la dicte Dame qu'ilz craignent meintemiant la dicte paix , ilz donnent à cognoistre (|u'ilz ne la desiroient pas; et mesmes ung, qui sçayl assés de leurs secretz, a raporté qu'ilz ont dict que, si leur entreprinse de Picardie n'eust point esté descouverle, et que je n'en eusse riensenty, ou bien que monsieur l'Admyral eust peu conduyre son armée vers la frontière du dict pays de Picardye ou Normandie , ilz luy eussent bien donné moyen d'évitter Tiionteuse paix qu'il a faicte.

Et despuys la conclusion d'icelle , ceulx de ce pays n'usent de si familière conversation avec les Françoys de leur mesmes religion, tomme ilz faisoient au[)aravant , et ne leur layssent nulz raarinyers anglois dans leurs vaysseaulx , bien qu'ilz n'en ayent quasi point d'aultres; et seulement vers M-^ le cardinal de Chastillon ilz mons- Irent luy porter encores quelque honneur et respect, pour l'obliger davantaige à estre ministre de conserver la paix entre ces deux royaulmes.

Et, encor (juc de certains proi)Os <iuon leur a faict acroyre, qui ont esté naguières tenuz près du Roy, au préjudice de ce royaulme ; et de la rescente mémoire de la bulle, avec la division qu'ilz voyent croistre toutjour parmy leurs subjeclz; et de certaine coppie de let- tre quilz pensent avoir recouvert, que le duc d'Alve a escripte à Monsieur, frère du Roy, pour l'inciter, à ce (ju'ilz disent, contre eulx; et de l'advertissement , qu'ilz ont , que le dict duc pourchasse, envers

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l'Empereur, de fère. mettre en arrest toutes les merchaiidises d'An- gleterre, qui sont en Hembourg, pour la réparation des prinses, que les Anglois ont faictes en mer sur les subjectz de son Maisire . la dicte Dame et les seigneurs de son conseil soyent entrez en de bien grandz et divers pensements, néantmoins ilz n'en ont esté guières esmeuz jusques à la nouvelle de la paix ; mais lorsqu'ilz ont veu qu'elle estoit conclue à l'honneur et advantaige du Roy, ilz n'ont heu rien plus hasté que de consulter et dellibérer, tout incontinent, comme ilz se pourroyeat munyr contre l'orage, qu'ilz craignent leur advenir; en quoy ilz ont pensé qu'ilz le pourroient divertyr par gra- cieuses négociations et bonnes parolles, bien que possible esloignées de ce qu'ilz ont en intention.

Et ont commancé de dépescher premier devers le Roy le S"' de Vualsingan pour la coiijouyssance de la paix , et pour luy donner bonne espérance des affères de la Royne d'Escoee, avec le surplus de sa commission, sellon que je l'ay mandé, en la sorte que je l'ay peu descouvrir; bien que la dicte paix leur semble formidable parce qu'ilz n'ont esté appeliez à la fère , et que les principaulx , qui gui- dent les conseilz de la dicte Dame , s'opinyastrent, de plus en plus, à la détention de la Royne d'Escoee , et à interrompre le tretté encom- mancé, pour fère de rechef rentrer les Anglois en Escoce, ainsy que l'enipeschement qu'on a donné à M"" de Leviston en la frontière, pour créer cependant le comte de Lenoz régent, et la forme de procéder du comte de Sussex contre ceulx du party de la Royne d'Escoee, le tesmoignent ; dont le Roy me commandera s'il sera expédiant que je tire de la dicte Royne d'Angleterre une résolue responce sur le dict a f fère.

Et pour le regard du Roy d'Espaigue, ayans eulx pensé de tretler plus mal que jamais son ambassdeur, et luy ayant mandé par ung sien secrétaire (\ue la Royne d'Angleterre ne le tenoit plus pour ambassadeur, etfaict dire par deulx aidremans qu'il s'en vînt trouver ceulx du conseil à S' Aulban , à xl mil de Londres, j'ay sceu despuys qu'ilz avoient faict préparer ung logis pour le resserrer, Tasseurance de la paix n'est si tost arrivée qu'on n'ayt changé de toute aultre façon en son endroict, l'envoyant visiter avec bonnes parolles et offres d'accord sur les dilférans; et luy ont envoyé Haquens pour se justifRer de ce <pi'on luy avoit rapporté qu'il dres- soit une flotte pour aller aux Indes, (jui l'a asseuré qu'il n'en estoit nen, et qu'il n'avoit intention de naviguer en lieu d'où le Roy, son Mestre, poult eslre olfancé. Hz ont envoyé Fuyguillem devers le

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di (. d'Alve, et ont dépesché le jeune Coban devers la Royne d'Es- IWigne, avec les plus expresses parolles et les meilleures démonslra- ti( ns d'amytié, dont ilz se sont peu adviser.

Et néantinoins, ne se trouvans bien satisfaictz de la responce, que le duc d'Alve leur a faicte touchant son armement, parce qu'il a faict uiencion qu'il estoit dressé contre les ennemys , ilz ont résolu de se présenter en mer, quant la dicte Dame passera , et de disposer leurs grands navyres, en sorte qu'ilz luy gaignent le vent, (ainsi qu'ilz di- sent qu'ilz ont cinq ventz qui leur servent et qui leur don- nent l'advantaige , ) et en ceste sorte la saluer et luy monstrer toutz signes d'amylié; mais s'il n'est prins en ceste sorte de l'aultre part, et qu'ilz ne ressaluent, et ne rendent les mesmes signes d'amytié et d'amayner, avec la soumission requise, que , à la moindre mauvaise démonstration qu'ilz feront, ceulx cy se tiendront pour provoquez, et attacheront le combat. Et y a grande apparance que, si la dicte Dame est contraincte , par quelque occasion de temps , de relascher l)ardeçà, qu'elle ne s'enpouna partyr quant elle vouldra, bien qu'on luy fera tout l'honneur et bon trettement qu'il sera possible; et mons- irent ceulx cy estre toutz advertys de l'apareil du duc d'Alve et de de celluy d'Espaigne, mais ne craindre l'ung ni l'aultre ; et ont donné charge par tout le pays d'user de signalz pour courir aulx portz , au cas que l'on y «aborde , affin d'en demeurer les maistres.

Et ont donné charge au susdict jeune Coban, après qii'il aura visité la Royne d'Espaigne, de passer ouUre devers l'Empereur, avec lettres, parolles et offres de grande amytié et de grande intelli- gence en son endroict ; et pour l'exorter de demeurer en bonne unyon avec les princes de l'Empyre ; et luy donner compte des dif- férans des Pays Bas ; et aussi , à ce que j'entendz , quelque peu des choses d'Escoce ; mais surtout de le prier qu'il n'ordonne rien en Hembourg contre les Anglois , ny contre leurs merchandises ; et , afiin de le disposer mieulx vers elle, que icelluy Coban luy remet- tra en termes, avec affection, le propos du mariage avec l'archiduc son frère , bien que nul se peult persuader qu'elle ayt intention de l'ef- fectuer.

Et cependant, en l'endroict du dict Empereur et des aultres prin- ces catholiques, elle faict valoir et se sert de ceste légation des prin- ces protestans, qui ont encores icy leurs ambassadeurs; et je les ay faict fort observer, et ay trouvé que entre euLx y a ung docteur, (|ui a seul la charge de toute la négociation, et porte seul la parolle, sans en rien conférer aulx aultres , personnaige si secret et réservé ,

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»|u'on ne peult tirer ung seul mot de luy : seulement l'on m'a adv^'ty qu'il a porté une lettre à la dicte Dame , soubsignée de plusieurs princes, sçavoir ; des trois ellecteurs Pallatin, de Saxe, Brandebou'''g, les premiers des lansgraves, après et succecifvement d'aultres, jns- (|ues à douze des principaulx d'Allemaigne, réservé cellui de Vitem- berg , quia accepté , à ce qu'on dict, pencion du Roy d'Espaigne ; et qu'en la dicte lettre est faicte mencion de ce que le Roy leur a escript de la paix , et la responce qu'ilz luy ont faicte , et qu'itz exortent la dicte Dame d'espérer toutjour bien d'eulx, et de s'asseu- rer que toutz ensemble luy demeureront bien unys en affection et intelligence, ainsy quilz le luy ont promiz; et qu'ilz n'obmet- tront rien de ce qui sera recjuiz pour l'establissement de leur reli- gion, et pour la seurté des princes, peuples et estatz, qui l'ont re- ceue ; et que , sur la dicte lettre, il a heu quatre foys conférance, à part, avec la dicte Dame, laquelle, à mon adviz, l'entretiendra jusques après avoir heu responce des aultres princes , car elle ne se veult voUontiers obliger à nulle ligue , et ne le fera sinon bien contraincte, de tant que les plus grandz frays en auroient à tumber sur sa bourse. Ce qui s'entend icy de la dielte est que les trois ellecteurs ont fort suspecte la proposition, que l'Empereur y a faicte, parce qu'il leur semble (|u'elle tend à leur oster l'authorité des armes , et de ne pouvoir fère levées de gens de guerre en Allemaigne, et de diminuer la grandeur de celluy de Saxe , par prétexte de relever celle de ses cousins ; et que le dict Empereur finira la dicte diette par tout le moys d'octobre , pour s'en retourner avant l'yver à Vienne , non sans en avoir premièrement indicté une aultre ; et qu'encores qu'il n'ayt, pour ceste foys, procédé à la création du roy des Ro- mains, il a néantmoins si bien dressé la pratique , que , pourveu (ju'il puysse gaigner les trois eclésiasticjues, dont ne se deffye plus que de celluy deColloigne, il espère qu'il le pourra effectuer, en baillant le tiltre de roy de Bohême à uug tiers pour avoir ceste voix davan- laige aulx suffrages; et n'y obstera i)lus que le reiglement de la bulle dorée de n'admettre tant d'Empereurs d'une mésmes famille , mais le Pape y dispensera; et semble bien que, cella advenant. Ton pro- cédera aussi à la privation du Pallatin, car l'on a opinion que, celluy séparé des trois , les aulires deux demeureront bien foybles, et que le plus grand soing, <iu'ayt à présent le Roy d'Espaigne, est défère créer son ne[>veu roy des l\omains pour la conservation de ses Pays Haset de ses estalz (riiallyo , et «|u'il n'espargne peyne, ny argent, ny nul de toutz les moyens dont il se peult adviser, pour rellectuer.

299

DIRA d'abondant, a PART, A LEURS MAJESTEZ :

Que le duc de Norfolc, despuys estre hors de la Tour, m'a en- voyé remercyer des bons offices, qu'il a sentys de ma bonne vol- lonté durant sa pryson, lesquelz luy ont esté d'un singulier espoir et très grande consolation ; et s'asseurant que cella est procédé du commandement de Leurs Majestez Très Chrestiennes , il m'a prié de leur en bayser très humblement les mains de sa part, et de les asseurer qu'après sa Mestresse, il leur demeure très dévot et fidelle serviteur plus qu'à nul prince de la terre, et qu'il leur re- commande toutjour la cause de la Royne d'Escoce , pour la res- titution de laquelle il veult mettre sa personne, sa vie et son bien.

Il suplie néantmoins Leurs Majestez que l'expécial propos de sa dévotion et affection , vers leur service et vers la Royne d'Escoce , ne passe plus avant que entre Leurs dictes Majestez et Monseigneui", poiu' le dangier qu'il y a que , s'il estoit sceu de deux endroictz, lesquelz j'ay expécifflez au S' de Vassal , il ne luy en advînt beau- coup de mal ; bien désire qu'en ce que Leurs Majestez vouldront parler en leur conseil des gens de bien et principaulx de ceroyaulme, qui désirent la continuation de la paix , et l'entretennement des trettez d'entre la France et l'Angleterre, et la restitution de la Royne d'Escoce , qu'ilz luy facent l'honneur de le nommer toutjour des pre- miers.

Leurs Majestez ont veu de (juelle façon j'ay procédé ez affères de la Royne d'Escoce, et parce qu'il semble adviz à la dicte Dame que je me repose trop sur les paroUes de la Royne d'Angleterre, et que par icelles je pourrois interrompre le bon secours qu'elle attend du Roy, elle m'a escript : dont Leurs Majestez, s'il leur playt, orront dessus le dict S-^ de Vassal, et me manderont par luy comme j'en auray à user, et si le Roy trouvera bon que, de sa part, je face instance à la Royne d'Angleterre de restablyr, dans ung moys, la lloyne d'Escoce en son estât par la voye du trelté, en s'acommodaiil entre elles mesmes de leurs différans , ou bien luy bailler son se- cours pour estre remise; et, à faulte de ce fère, que la dicte Royne d'Angleterre trouve bon <[ue le Roy luy baille le sien, soubz bonne seurté(|u'il ne portera aulcun dominaige ny à la Royne d'Angleterre, ny à sou royauline, ny n'usera par mer, ny par terre, vers elle, ny vers les Anglois, sinon comme avec bons amys, allycz et confédérez, |>ourveu (jullz facent de mesmes.

300

Au regard de l'adviz, qu'on a donné au Roy, de l'entrepriiise de Callais , je pense avoir toutjour mandé à Sa Majesté ce qui en a esté ordinairement proposé à ceste Royne et à son conseil, despuys que je snys par deçà , et les choses n'en sont pas passées plus avant. Il est vray que milord Coban, despuys le xv d'aoust, a faict enten- dre à la dicte Dame que, si elle veult entretenir quelques compaignies, l'espace de deux ou trois moys , toutes prestes , en la coste de deçà_, qu'il a promesse d'aulcuns, qui habitent dans la ville et territoire de Callais, lesquelz ont desjà prins argent de luy, de les mettre d'em- blée dedans la dicte ville, et de surprendre M"^ de Gordan , et de le luy randre prysonnier entre ses mains. A quoy la dicte Dame a res- pondu que son adverlissement venoit tard, de tant que la paix estoit desjà conclue en France ; et qu'il fauldroit rompre toutz les trettez et commancer, à ceste heure , qui est bien hors de sayson, une grosse guerre; en quoy je suplie très humblement Sa Majesté de regarder s'il sera bon que la garnyson du dict Callais soit changée , puisque les choses en sont en cest estât.

Touchant l'intention , que le Roy d'Ëspaigne a sur les choses de ceste isle, il se descouvre, de plus en plus, qu'il dellibère d'y fère quelquefoys ung essay, quant il en aura le moyen; car il a mandé à son ambas.sadeur qu'il entretienne les plus vifves qu'il pourra, les bonnes intelligences qu'il a dans le pays, et que, quant bien on le vouldroit renvoyer, qu'il ne bouge en façon du monde de sa charge, jusquesà ce que tous les différans de ces prinses soyent vuydez; et, quant au faict de la Royne d'Escoce, (]ue le duc d'Alve a comman- dement résolu de la secourir, mais ne dict en quelle façon ; seule- ment le dict ambassadeur inciste qu'elle se veuille mettre ez mains du dict duc, et que, sans double, il pourvoirra à ses affères et à sa restitution.

La Royne d'Angleterre, vivant en très grand deffîance du Roy d'Ëspaigne, et en peu de confiance du Roy, a mandé à l'Empereur que, si l'archiduc Charles veult passer en Angleterre, qu'il y sera le très bien venu , et que n'estant demeuré la conclusion de leur ma- riage que sur le différand de la religion , elle espère que ses peuples luy accorderont l'exercice de la catholique à luy et à sa mayson très vollontiers, en contemplation de ce mariage. Et à quoy que aille ce jeu, car quelques ungs l'extunent plein de tromperie, la dicte Dame commance de publier qu'elle assemblera bientost uiig parlement pour cest cffect; et, en la dernière audience, elle m'a dict qu'elle n'avou nul aultre regrect , sinon de n'avoir pensé à sa postérité, et

301

oomine je luy respondiz qu'il y avoit encores assés temps : « Je crains, dict elle, que mon temps ayt emporté la vollonté à ceulx qui y eussent vollu prétendre. »

Il y a ung certain personnaige prez de Leurs Majestez et de Mon- seigneur, qui escript assés souvent au secrétaire Cecille par aultre voye que celle de M' Norrys, et naguières luy a envoyé deux lettres, lesquelles le S' Espinolla et Fortivy luy ont baillées, par il s'es- force merveilleusement de broiller les matières par deçà , et aigrir (•este princesse, et la mettre en grand defiiance du Roy ; mais le plus souvant il luy représente des motz et des propos , qu'il dict que .^lonsieur a tenuz contre elle , tant en sa chambre que en ses repas : et, en toutes sortes, celluy se monstre si malicieulx que ung An- glois, qui a communication des dictes lettres , lequel n'ayme pas beaucoup la France, mais ne vouldroit pourtant que la guerre se prînt entre les deux royaumes , m'en a faict toucher assés expressément ung mot, afiîn que j'advertisse Leurs Majestez, mesmement Mon- sieur, de fére observer qui peult estre celluy qui faict ung si mauvais office près d'euix. Il ne se soubscript guières aux lettres, seulement il s'est une foys soubsigné Emanuel. Il y a en son cachet ung lyon rampant, et compose assés souvent ses lettres, partie en itallien, partie en françoys, et partie en latin. Il avoit mandé cy devant plu- .sieurs choses, lesquelles , ayant esté trouvées manteuses, on n'y ad- jouxte grand foy ; mais, despuys trois moys , ayant faict entendre à \I' Norrys que Leurs Majestez le feroient appeller pour luy tenir ung tel et ung tel propos, et estant ainsy advenu, il a fort regaigné son crédit.

II a esté escript une lestre de ceste court en la contrée, dont les chefz m'ont esté raportez : c'est que la paix de France a esté conclue au préjudice et pour aller faire la guerre aulx Pays Bas; que le Roy ne prétend plus espouser la fille de l'Empereur, aias la sœur du Prince de Navarre , et donner Madame, sa sœur, en mariage au dict Prince de Navarre, ayant pour cest effect interrompu le propos du Roy de Portugal , et que M' de Guyse avoit prétandu d'espouser Ma dicte Dame , sœur du Roy : à quoy M' le cardinal de Lor- rayne luy tenoit la main, dont toutz deux en sont mal veuz à la court.

302

CXXXir DÉPESCHE

du x^ jour de septembre 1570. ( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet. )

Maladie de l'ambassadeur. Mission de sir Henri Coban auprès de la reine dlîsp.igne et du duc d'Albe. Continuation des armemens en Angleterre. Troisième invasion du comte de Sussex en Ecosse ; changement apporté dans ses résolutions par la nouvelle de la paix de France. Demande d'une ré- paration pour cette dernière atteinte portée aux traités.

Au Roy.

Sire , despuys mes précédantes , lesquelles sont du cin- quiesme du présent, je n'ay point sorty de mon logis à cause d'une grosse fiebvre, qui m'avoit desjà surprins, quant j'allay trouver la Royne d'Angleterre à Yuynck, et ce voyage me l'augmenta bien fort, parce que je le fiz par ung bien mauvais temps , de sorte qu'il ne m'a esté possible de me ravoyr jusques à ceste heure, que, grâces à Dieu, je commence à me trouver mieulx, et pourray continuer le service de Vostre Majesté comme auparavant; et si, ne l'ay tant intermiz, durant mon mal, que je n'aye toutjour heu soing de m' enquérir comme alloient les affè- res en ceste cour; d'où l'on m'a raporté. Sire, qu'on y est fort attandant de sçavoir quelle aura esté la négociation du S*^ Vualsingan devers Vostre Majesté , ainsy que le sir Henry Coban a desjà mandé , touchant la sienne de Flan- dres, qu'il a esté bien veu du duc d'Alve, et bien fort gra- cieusement receu de la Royne d'Espaigne, et qu'elle a monstre tenir grand compte du messaige qu'il luy a faict de la |)art de la Royne d'Angleterre, sa Mestresse, et luy a grandement gratiffié non seulement les bonnes parolles et ollres, rpio la dicte Royne d'Angleterre luy a mandées,

303 mais encores le voyage qu'elle luy a commandé fère de- vers l'Empereur, son père; dont, pour ceste occasion, elle l'a tant plustost licencié avec faveur et avec ung présent d'une chayne de quatre centz escuz. 11 a mandé aussi la belle distribution et consulte , qui a esté faicte , de beau- coup de bienfaictz aulx seigneurs de Flandres, à l'arrivée de la dicte Dame; ce que l'on estime qui confirmera gran- dement le pays à la dévotion du Roy, son mary, et d'elle.

Ceulx cy cependant se hastent de getter dix grands na- vyres dehors, et maistre Charles Havart, qui a charge d'v commander, est passé, despuys trois jours, en ceste ville avec les capitaines et gentishommes qui le vont accompai- gner. L'on dit que, parce que le duc d'Alve a miz douze navyresen mer pour la conserve de la pescherie, que ceulx cy se veulent trouver en esgalles forces dans ce canal.

Le comte de Betfort est encores au pays d'Ouest, a semblé, du commancement , qu'il n'eust esté envoyé que pour dresser certayne Hotte, de laquelle je vous ay desjà mandé que Haquens se préparoit pour la conduyre aulx Indes; mais s'en estant despuys le dict Haquens venu ex- cuser envers l'ambassadeur d'Espaigne, et l'asseurer qu'il n'a point pensé en la dicte entreprinse, et ne cessant pour- tant le dict Betfort de fère toutjour armer et équiper vays- seaulx au dict quartier d'Ouest, je ne puys fère que je ne suplie très humblement \ ostre Majesté d'en fère donner adviz aulx gouverneurs de voz portz et places de dessus ceste mer; et je mettray peyne d'en fère aussi advertir en Escoce, car, pour ceste heure, je ne puys descouvrir rien de plus j)articullier de la dicte entreprinse ; seulement , Sire, par un nouvel adviz qu'on m'a donné, je me confirme en l'opinion, que je vous av desjà mandée, qu'il est expé-

30/4

(liant de changer quelque partie de la garnyson de Callays sellon que M*^ de Gordan estimera qu'il se debvra fère, en la vertu et vigilance duquel ceulx (^ cognoissent bien que conciste grandement la conservation de ceste place.

Le comte de Sussex a escript freschement une lettre au comte de Lestre, en laquelle il s'esforce de fère trou- ver bon son dernier exploict en Escoce, encores qu'il l'ayt exécuté sans le commandement de ceste Royne ni de ceulx de son conseil, alléguant qu'il a estimé importer beaucoup à l'honneur de la couronne d'Angleterre, et bien fort à sa propre réputation , de ne laysser inpuny ung seul de ceulx qui ont retiré et soubstenu les rebelles de ce royaulme ; et qu'à la vérité, il se soucye bien fort peu que la Royne d' Escoce et les siens se trouvent offancez, pourveu qu'il ayt bien servy à la Royne , sa Mestresse ; mais qu'il a en- tendu que la paix est conclue en France , sans que la dicte Royne, sa Mestresse, y soit comprinse, ny sans qu'elle s'y soit entremise si avant qu'on ayt grand occasion de luy en sçavoir grâce; par ainsy qu'il crainct que Vostre Majesté tourne meintennant ses entreprinses aulx choses d' Escoce, et qu'il luy semble que la Royne, sa Mestresse, les doibt accommoder, le plustost qu'il luy sera possible, avec la Royne d'Escoce, et la restituer par ses propres moyens, sans attandre que les estrangiers y mettent la main. Qui est desjà, Sire, bon commancement de veoir réprimé, par l'establissement de la paix et de vos affères, le cueur de cestuy cy, qui monstroit de l'avoir merveilleusement obs- tiné; et le réprimera aussi, comme j'espère, à plusieurs aultres, qui se débordoient, à cause des troubles de vostre royaulme , en plusieurs audacieuses entreprinses contre vostre grandeur.

305 Or n'ayant, Sire, pour mon indisposition, peu aller trouver la Royne d'Angleterre, affin de me plaindre du dict comte de Sussex ; et estant aussi M-^ de Roz conseillé de n'y aller point, toutz deux avons escript à la dicte Dame et aulx seigneurs de son conseil , et, pour mon regard, je leur ay demandé, au nom de Vostre Majesté, que rayson et réparation soit faicte des choses attamptées au préjudice du tretté , et que la dicte Dame me veuille mander ({uelle satisfaction j'auray à donner à Vostre Majesté de ceste dernière expédition du dict de Sussex, et en quelle inten- tion elle demeure du susdict tretté; dont l'on m'a desjà adverty qu'il me sera faict une bien fort bonne responce, aussitost que le secrétaire Cecille se trouvera ung peu mieulx; lequel, pour quelque indisposition, n'a ozé, il y a plus de six jours, venir en la présence de la Royne, sa Mestresse; et maistre Mildmay a esté envoyé quéryr en dilligence, affin que le dict Cecille et luy, et M'^l'évesque de Roz s'acheminent incontinent devers la Royne d'Es- coce. Sur ce, etc. Ce x^ jour de septembre 1570.

Je viens d'estre adverty que le sire Guilhemme Stuart est présan- tement arrivé d'Escoce , de la part du comte de Lenoz ; je croy que c'est pour mettre quelques mauvais parlys en avant : nous prendrons garde à sa négociation.

•20

800

CXXXIir DÉPESCHE

du xv« jour de septembre 1570. ( Envoyée exprès jusques à la court par M^ Lavaur Féron. )

Sortie en mer d'une partie de la flotte anglaise. Explications données par Elisabeth sur la récente expédition du comte de Sussex en Ecosse. Néces- sité de se montrer prêt en France à porter secours aux Ecossais. Message du cardinal de Chatillon à l'ambassadeur.

Au Roy.

Sire, lundy dernier, xi^ de ce moys, le sire Charles Havart est sorty en mer avec dix grandz navyres seule- ment de ceste Royne et envyron trois mil cinq centz hommes dessus , envitaillez pour deux moys , dont les huict centz sont harquebouziers 5 le surplus de l'armement se va en- tretennant en petitz appareilz , sans y donner trop grand haste : dont semble qu'on se contantera d'honnorer le pas- saige de la Royne d'Espaigne de ce nombre de dix vays- seaulx , sans en mettre davantaige dehors ; et qu'on tiendra le reste de l'armée preste pour ung besoing , si d'avanture quelque ocasion survenoit , comme , à la vérité , ceulx cy ne se peuvent fyer ny aulx paroUes ny aulx démonstrations du duc d'Alve. Néantmoins ilz ont, despuys la paix de vostreroyaulme, changé de dellibération touchant les choses d'Espaigne, car ayant proposé, commant que ce fût, de renvoyer ou bien de resserrer estroictement l'ambassadeur d'Espaigne , j'entendz qu'ilz ont meintennant résolu en ce conseil de ne parler plus de cella , et que la Royne d'An- gleterre se layssera conduyre à luy permettre de continuer son office vers elle, si son Maistre le requiert; bien qu'elle ne le peult avoir guières agréable parce qu'elle estime

307 qu'il a dict et faict aulcunes choses directement contre elle et contre Testât de son pays.

Au regard de ce que j'avois escript à la dicte Dame, et aulx seigneurs de son conseil, de me fère rayson et répara- tion du dernier exploict , que les Anglois ont faict en Es- coce, la dicte Dame m'a mandé que je ne vouldray estre si inique juge que de condampner l'une des parties sans l'ouyT ; et que je n'imputeray la coulpe de ce faict au comte de Sussex son lieuctenant, quant j'entendray que milord Heryset aultres, de la frontière d'Escoce, sont venuz accompaigner en armes les rebelles de ce royaume pour courre et piller de rechef la frontière d'Angleterre, et fère de telles iusolances qu'ilz ont donné de très grandes occasions au dict de Sussex de leur courre sus ; choses toutesfoys qu'elle m'asseureestre advenu sans son comman- dement et sans l'ordonnance de son conseil, et en la- queUe le dict de Sussex a procédé de luy mesmes , mais avec telle modération qu'il n'a touché qu'à ceulx qui l'avoient provoqué, dont le dommaige n'est pas grand , et il s'est desjà retiré ; et elle luy a mandé qu'il ne passe plus oultre, parce qu'elle est résolue de pourvoir par le tretté à toutz ces différans, qu'elle a avec la Royne d'Escoce et son royaulme , ainsy que desjà elle a ordonné à maistre Mildmay et au secrétaire Cecille d'aller, pour cest effect, devers la dicte Dame ; et , en ce qu'il semble que je me voulois atacher à sa parolle et promesse, qu'elle me veult bien dire que je n'ay heu nulle occasion et ne l'auray ja- mais de me plaindre qu'elle ne me l'ayt toutjour randue véritable , me priant de vous donner dessus , Sire , ceste mesmes satisfaction de l'expédition de son lieuctenant, affin que Vostre Majesté ne la preigne en pire part qu'elle

20.

308 n'est. Oui est tout ce que la dicte Dame et ceulx de son conseil ont respondu à ce que je leur avois escript.

Or, Sire , il semble bien par aulcunes coppies de lettres, que j'ay veues du dict de Sussex, et par ce que M"" le comte de Lestre m'en a faict entendre j que ceste entreprinse est advenue sans le sceu de la dicte Dame , et qu'elle n'en est guières contante; tant y a qu'on ne désadvouhe pour cella le dict de Sussex , lequel a son garant en court , et il a cependant porté beaucoup de dommaige d'avoir abattu sept ou huict maysons nobles et faict le gast partout il a passé dans le pays. L'aparance est que ceste princesse veult en toutes sortes passer oultre au dict tretté , meue de l'apréhention du dangier, il luy semble qu'aultrement elle va tumber , lequel les ennemys de la Royne d'Escoce n'ont de quoy le luy pouvoir meintennant effacer ; mais ilz la font opiniastrer à des condicions trop dures, comme d'avoir le Prince d'Escoce entre ses mains , quelque place et des ostaiges ; dont ceulx, qui entendent bien les affères, estiment que , pour les bien effectuer, il est requis que la dicte Dame sente vostre secours en Escoce , ou au moins si prest d'y passer qu'elle ne le craigne moins que s'il es- toit desjà par dellà.

Je n'ay encores peu savoir quelles est la commission du sire Guilhaume Stuard, lequel le comte de Lenoz a envoyé ; bien m'a l'on dict qu'il asseure que les seigneurs d'Escoce ont desjà ordonné quelques depputez pour venir icy , mais nous incisterons qu'on passe oultre sans les attandre. Sur ce, etc. Ce xv« jour de septembre 4570.

Ainsy que je fermoys la présente, M-- le cardinal de Cliatillon m'a envoyé visiter et dire qu'il avoit esté se conjouyr de la paix avecques la Royne d'Angleterre, et que bientost il retournera prendre congé

- 309

(relie pour aller trouver Voz Majestez ; mais qu'avant partyr il ne faul- dra de me venir saluer, comme ambassadeur de son Roy et Maistre, et prendre le diner en mon logis ; et qu'il desiroit bien entendre comme procédoientles choses de la dicte paix en France, parce que plusieurs attandoient de le sçavoir pour s'y retirer. J'ay respondu qu'il y avoit assés longtemps que je n'avois point heu de dépesche , mais que je sçavois bien que Voz Majestez donnoient bon ordre que la paix print establissement et durée , dont vous plairra mo commander comme j'auray à me gouverner et conduyre envers le dict S' cardinal et aultres Françoys qui sont par deçà.

CXXXIV^ DEPESCHE

(lu xixejourde septembre 1570.

{Envoyée exprès jusques à Calais par Ofivyer Champernon)

Nouvelles de la flotte. Négociation avec l'Espagne. Afl'aires d'Ecosse. Incertitude sont les protestans français de savoir s'ils peuvent rentrer en France. Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, estans sortys les dix iiavyres de la Royiie d'An- gleterre soubz la conduicte de sire Charles Havart , ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes , ilz se tiennent meintennant parez en la coste de deçà , attan- dans que la flotte de Flandres se mette à la voyle , et de- meiu-ent ceulx cy assés persuadez que le passaige de la Royne d'Espaigne sera paysible, sans rien attempter en nul de leurs portz ; mais ilz craignent grandement qu'es- tant arrivée par dellà, le retoiu* de l'armée ne soit à leur dommaige, et qu'on n'y embarque des Hespaignolz pour fère quelque descente en Irlande , ou bien ez quartiers du North d'Escoce, ou en quelque aultre endroict de ceste isle , attandu mesmement que milord de Sethon et iing

310

frère du S"^ de Ledinthon sont passez en Flandres, et qu'on dict que le comte de Vuesmerland et la comtesse de Nor- thomberland sont arrivez devers le duc d'Alve, et que plu- sieurs fuytifz de ce royaulme sont en l'armée, qui va con- duyre la Royne d'Espaigne; dont a esté miz icy ung nou- vel ordre de tenir si pretz les aultres grandz navyres de ceste Royne qu'il n'y puysse avoir une seule heure de re- tardement , quant ilz seront commandez de sortyr, et or- donné d'augmenter les vivres, qui y sont nécessaires pour quelque moys davantaige ; bien que la dicte Dame et les seigneurs de son conseil se contantent bien fort des bonnes responces , que le dict duc d'Alve a faictes au jeune Coban, en ce mesmement que, luy ayant faict pleincte de l'ambas- sadeur d'Espaigne, de ce qu'il avoit dédeigné de venir de- vers iceulx seigneurs du conseil , et qu'à ce moyen l'ac- cord de leurs différans avoit esté retardé, il luy a respondu que l'ambassadeur avoit quelque rayson de n'avoir voUu complayre du tout à ce que les dicts du conseil luy avoient mandé , parce qu'ilz avoient usé de trop dures formalitez envers luy, et ne l' avoient, il y a tantost deux ans , tretté ny recogneu pour ambassadeur , et mesmes ceste foys avoient envoyé des aldremans devers luy comme s'il eust esté crimineulx ; néantmoins qu'il luy escriproit de ne fère plus de difficulté de convenir avec eulx, toutes les foys qu'ilz le feroient appeller pour tretter des affères d'entre le Roy, son Maistre, et la Royne d'Angleterre; et ainsy l'a escript le dict duc au dict ambassadeur, de sorte qu'ilz vont, de chacun costé, cerchant les moyens de renouer leurs af- fères et d'acommoder leurs différans.

La malladie du secrétaire Cecille a donné quelque re- tardement aulx affères de la Royne d'Escoce ; néantmoins

31i

l'on avoit desjà ordonné à sire Quainols de s'aprester pour aller avec M^ Mildmay devers la dicte Dame, mais se trou- vant le dict secrétaire Cecille raeintennant ung peumieulx, le voyage luy est réservé ; et cependant milor de Sussex a escript que les seigneurs escouçoys , du party de la Royne d'Escoce, ont tenu une grande assemblée sur les choses que nous leur avions mandées par milor de Leviston , et qu'ilz y ont prins une résolution , laquelle ilz envoyent fère entendre à la Royne d'Angleterre par le dict mesmes Le- viston et par aultres leurs depputez , lesquelz il attandoit du premier jour en la frontière pour leur bailler saufcou- duict de passer plus avant. Et mande néantmoins le dict de Sussex que, en Escoce, l'on ne s'attend guières d'avoir secours de France; tant y a qu'on m'a dict que madame de Norrys s'est plemcte grandement à la Royne sa Mes- tresse de ce que le dict de Sussex est rentré en Escoce , parce qu'ayant son mary asseuré Yostre Majesté que cella ne se feroit point , elle craint que ne vous en preigniez meintennant à luy, et que ne le faciez arrester et resserrer. Les Ffançoys, qui sont icy, se préparent pour retourner toutz en leurs maysons : il est vray qu'entendans qu'àRoan, à Dieppe, à Callais, et en quelques aultres endroictz, l'on faict difficulté de les recepvoir , il y en a quelques ungs qui demeurent en suspens , dont envoyent devers moy pour sçavoir comme ilz en auront à user; et je leur répond que je n'ay pas de plus expresse déclaration de vostre in- tention là dessus que celle^ qui est contenue par vostre éedict, et que, de ma part, je ne voy qu'ilz ayent nulle oc- casion de doubter. Je ne sçay si cella sera occasion que M*^ le cardinal de Chatillon prendra le chemin de la Ro- chelle pour voir , de en hors , comme il se pourra as-

Si'-I seurer de l'establissement de la dicte paix. M"^ le vydame, à ce que j'entendz, part dans deux jours et va passer ou à la Rye , ou à Callais ; et , de tant, Sire , qu'on donne en- tendre à aulcuns merchans voz subjectz, qui poursuyvent encores icy la restitution de leurs biens , que tout le faict des déprédations est remiz par vostre éedict, il vous plairra me commander ce que je leur en auray à respondre, affin qu'ilz ne facent dorsenavant la poursuyte en vain.

11 semble que le S"" de Ghantonay , escripvant icy à l'ambassadeur d'Espaigne , luy ayt mandé que l'Empereur n'aprouve guières la paix de France, comme ne l'estimant de durée ; et que la diette se prolongera beaucoup oultre le moys d'octobre ; et que les fianceailles de Vostre Ma- jesté se feront avant la Toutz Sainctz, sans toutesfoys qu'on y attande pour cella la venue de Monseigneur vostre frère, mais plustost celle de monsieur de Lorrayne ; et que , es- tant le comte Pallatin à Espire , il a entendu que ses mi-. nistres avoient presché publiquement l'arrianisme à Hel- delberc, dont il dellibéroit d'aller réprimer une telle inpiété, mais qu'il fauldroit qu'il corrigeât premier la sienne. Sur ce, etc. Ce xix* jour de septembre 4570,

313 CXXXV' DÉPESCHE

du xxnu" jour de septembre 1570.

( Envoyée exprès jusques à Calais par la voie dtu S' Acerbo. )

Interruption des arméniens. -^ Mouvement dans le pays de Lancastre. Négociation de l'évêque de Ross. Conférence de l'ambassadeur avec le cardinal de Chatillon. Sollicitations faites auprès de lui par le vidame de Chartres.

Au Roy.

Sire, l'aprest des vingt navyres, que ceulx cy debvoient jetter dehors, après les dix qui sont desjà sortys, se va peu à peu discontinuant, et les a l'on ramenez de l'embou- chure de la rivière de Rochestre, desjà ilz estoient, jusques à leur arcenal accoustumé de Gelingan, ce qui monstre qu'à peyne s'en servyra l'on de ceste année ; les aultres dix se tiennent toutjour sur la coste près de Dou- vres, attandant le passaige de la Royne d'Espaigne, à laquelle le temps ne sert aulcunement, et ceulx, qui s'y en- tendent, disent qu'à peyne luy servira il encores de trois sepmaines ; et est veuu quelque adviz en ceste court que le Roy d'Espaigne, son mary, luy a mandé que, si l'on voyt que la navigation ne soit bien fort propre et fort seure , qu'elle attande de se mettre sur mer jusques au prochain printemptz , et que possible , entre cy et , il aura faict dessein de la venir trouver pour visiter ses Pays Ras : ce que possible a donné occasion à la Royne d'Angleterre de fère cesser son armement. Laquelle aussi, comme j'entendz, est tumbée en une grande souspeçon d'une nouvelle elléva- tion qu'on luy a dict qui se prépare au pays de Lenclastre, semble qu'elle ayt desjà envoyé gens pour recognoistro

316

A quoy il m'a répliqué que ce avoit bien esté son premier désir, mais, puysqu'on luy mandoit de se randre ainsy bien- tost à la Rochelle , affin de donner forme aulx choses qu'il falloit ordonner, à ce commancement , pour satisfère à Vostre Majesté, et qu'avec très grande incommodité il pour- roit fère ce grand tour par terre, qu'il estoit contrainct d'y aller par mer ; mais qu'aussitost qu'on auroit pourveu à vostre satisfaction, qu'il vous yroit très humblement bayser les mains, et à la Royne, et à Messeigneurs voz frères, sellon qu'il espér oit que Yoz Majestez le luy permettraient , me priant cependant de le vous fère ainsy trouver bon , et que ne veuillez jamais penser de luy que comme d'ung vostre très humble et très obéyssant serviteur.

Le deuxiesme jour après, à l'exemple de luy , M' le vy- dame de Chartres , estant prest à partyr , m'est aussi venu, visiter avec plusieurs bonnes parolles de l'affection et dévo- tion, qu'il dict avoir à vostre service, et m'a requis de deux choses : c'est de vous vouloir tesmoigner, par mes pre- mières, que ses déportemenz par deçà n'ont esté en rien contre vostre dict service ; et l'aultre, de luy bailler ung mien passeport pour se conduyre, luy, sa femme et son trein , jusques à la Fretté , pour , incontinent après , vous aller très humblement bayser les mains. Je luy ay agréé, eu la meilleur façon que j'ay peu, sa bonne intention vers Vostre Majesté, mais j'ay faict plusieurs difficultez sur l'une et l'aultre de ses demandes ; et qu'encor que je ne voulois pas nyer que je ne l'eusse faict observer , je ne pouvois toutesfoys vous justifiier en aultre sorte ses actions, parce que toutes ne me pouvoient estre bien cogneues , que de vous dire , Sire , que je ne sçavois pas qu'il en heust faict icy de plus mauvaises contre vostre service que d'y estre

347 venu; et , quant au passeport , que ce seroit préjudicier à la liberté de la paix de luyen bailler. A quoy il m'a répliqué que , pour le regard du premier , il se contentoit bien de ce mien tesmoignage, mais du second, il m'en a tant pressé que j'ai esté contrainct de lui bailler mon dict passeport. Etvoylà, Sire, tout ce qui a passé entre les dicts sieurs cardinal et vydame, et moy, dont semble bien que les Anglois n'ont prins grand playsir à ces deux visites; car par icelles ils sont contrainctz de fère quelque meilleur juge- ment de la réunyon de vostre royaulme qu'ilz ne la pen- soient; mais je ne suis point allé randre la pareille à l'ung ny à i'aultre en leur logis , parce que je n'enavois nul ordre de Vostre Majesté. Sur ce, etc. ' ' M

Ce xxiv^ jour de septembre i570.

CXXXVr DÉPESCHE

du pénultième jour de septembre 1570. (Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Campernon. )

Négociation avec les Pays-Bas. Retard apporté au voyage de la reine d'Es- pagne. — Résolution d'Elisabeth de procéder à la conclusion du traité avec Marie Stuart. Mission de M' de Vérac en Ecosse. .

Au Roy.

Sire , par le retour du S-^ de Sabran je demeure assés esclarcy d'aulcunes choses de vostre intention, lesquelles j'espère que me les ferés plus parfaictement et plus parti- cuUièrement entendre, quant le S' de Vassal me viendra retrouver; et vous diray cependant. Sire, que la Royne d'Angleterre, achevant son progrez de ceste année, arrive aujourduy à Vuyndesor , elle dellibère fère du séjour.

318 et y attendre le retour des gentishommes, qu'elle a envoyé en France, en Flandres et en Allemaigne, pour, puis après, y assembler son conseil affin de prendre résolution sur les choses qu'ilz reporteront. Les commissaires de Flandres , qui estoient allés visiter les merchandises arrestées ez portz de deçà, dizent qu'ilz y ont trouvé perte et diminution de plus de la moictié; mais, touchant celles qui sont dans Londres, l'on leur a faict acroyre que, si le duc d'Alve veut procéder à uiig bon accord de leurs différans , sellon les honnestes offres que la Royne d'Angleterre luy a faictes, qu'on leur en révellera pour plus de cent mil escuz davan- taige qu'on ne leur a encores monstrées. A quoy ilz res- pondent qu'on leur baille premièrement le vray estât d'i- celles, affin d'en fère un certain raport au dict duc, et que, puys après, l'on pourra facillement parvenir aulx condicions de l'accord; et veulent, chacun de son costé, gaigner l'ad- vantaige de ce point : dont le différant s'en entretient plus longuement, mais non sans une grande espérance que bien- tost il s'accommodera : car le duc d'Alve et les principaulx ministres du Roy d'Espaigne, qui sont en Flandres, mons- trent n'avoir aulcun plus grand soin que de regaigner l'a- mytié de la Royne d'Angleterre et de s'esforcer de luy complayre; ce que la dicte Dame, à ce qu'on m'a dict, attribue plus à la paix de vostre royaume que à leur bonne voUonté : et dellibère., de sa part , de suyvre et entretenir cella par les meilleures démonstrations qu'elle pourra, mais non sans qu'elle demeure toutjour en beaucoup de sous- peçon et de deffiance, à cause de la retrette de ses subjectz fuytifz, et de la légation d'aulcuns Escossoys devers le dict duc en Flandres. Cependant les dix grandz navires de la dicte Dame demeurent toutjour en la coste de deçà pour

319

honiiorer le passaige de la Royiie d'Espaigne, non sans qu'elle se repente assés de les avoir si tost faictz jetter dehors , parce que la despance y va grande, et ne se peult juger si le temps pourra encores servyr, de deux moys , à la dicte Royne d'Espaigne. Néantmoins il est venu nou- veau mandement à Londres de tenir encores un g nombre de marinyers prestz , comme pour quatre navyres davan- taige : je ne sçay encores à quel effect.

Nous avons tant pressé l'advancement des afieres de la Royne d'Escoce que le secrétaire Cecille et maistre Mild- may ont esté du tout dépeschez , dez mardy dernier, pour aller devers la dicte Dame , et M*^ de Roz avec eulx , oiî j'espère qu'il se prendra quelque bon ordre pour le resta- blissement d'elle à sa couronne; mais, de tant que, sur les condicions, qu'on luy propose, plusieurs nous donnent divers conseilz , je ne m'advanceray d'y intervenir, au nom de Vostre Majesté, sans vous avoir faict quelque, aultre dépes- che plus ample et plus expresse dessus. Bien me con- firme l'on, de plus en plus. Sire, que ceste Royne, veult résoluement entendre à conclurre le tretté , et que cepen- dant elle a mandé au comte de Sussex de casser toutes les compaignies extraordinaires, qu'il a voit levées en la fron- tière du North. L'arrivée du S'^ de Yeyrac en Escoce met ceulx cy en quelque jalouzie, mais il ne seroit que bon qu'ilz l'eussent encores plus grande, car je crains bien fort qu'ayant M"^ Norrys escript icy que Vostre Majesté est ré- solue de n'envoyer nulles forces par dellà jusques au prin- temps, que cella leur face prolonger le tretté, soubz espé- rance qu'il puysse cependant survenir quelque chose à leur commodité et advantaige. Sur ce, etc.

Ce xxix^ jour de septembre 4570.

320

CXXXVir DÉPESCHE

du v" jour d'octobre 1570.

(Eîivoyée jusques à Calais par und gui s'en est allé avec le S' Frégouse.)

Retour de Walsingham en Angleterre , chargé de faire connaître à la reine la déclaration du roi toucliant l'Ecosse. Prochain départ de la reine d'Es- pagne.— Suspension des affaires politiques à Londres pendant l'absence de Cécil envoyé vers Marie Stuart Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, j'ay receu, le xxix« du passé, les lettres qu'il a pieu à Yostre Majesté m'escripre, du xxij* auparavant, par le S'" de Valsingan, qui me les a envoyées passant par Lon- dres , et m'a mandé qu'au retour de randre compte à sa Mestresse de ce qu'il a faict en France , qu'il me viendra voir. Il me semble. Sire, que rien n'a pu venir plus à propos, pour les présens affères de la Royne d'Escoce , que d'avoir Vostre Majesté ainsy fermement et vertueusement parlé, comme avez faict, à l'ambassadeur M'^Norrys et à luy; et dont je ne fauldrayde représanter à leur dicte Mestresse voz mesmes propos, telz qu'ilz sont contenuz en vostre lettre , la première foys que je l'yray trouver , ayant es- timé qu'il estoit bon, pour aulcuns respectz, de les luy ré- server jusques à la venue d'une aultre vostre dépesche, pour luy laysser cependant digérer ce faict sur le récit , que le dict de Valsingan luy fera, des propres paroles et démonstrations qu'il a ouyes et veues de Vostre Majesté , et aussi pour n'interrompre rien en la commission qu'elle a donnée au secrétaire Cecille et à Maistre Mildmay vers la Royne d'Escoce ; ausquelz j'ay opinion qu'elle envoyera en dilligence notiffier la déclaration qu'avez faict à ses

32d dicts ambassadeurs , affin qu'ilz ne s'en retournent sans ré- souldre quelque chose avec elle ; ayant plusieurs adviz , de divers lieux , assés certains qu'il tarde infinyement à la dicte Royne d'Angleterre qu'elle puysse, en quelque seure façon qui ayt aparance d'honneur et d'advantaige, se dé- mesler du faict de la dicte Dame , non sans se repentyr de s'en estre si avant entremise. Et est sans doubte que , si l'affère pouvoit tumber en la main de quelque aultre , qui le manyât avec plus de modération que ne faict le se- crétaire Gecille, ou que luy mesmes, après avoir veu la Royne d'Escoce , se volust modérer , et ne fère plus, sur des petitz momentz, naistre de si grandes difficultez et longueurs, qu'il a faict jusques icy, que toutz les difTérans d'entre ces deux Princesses et leurs deux royaulmes se pourroient facillement et bientost accommoder, dont de ma part , Sire , je ne fauldray d'y incister à toute heure ; mais la vifve parolle et la démonstration que Vostre Majesté fera d'un prochain secours , attandant qu'il s'ensuyve à bon esciant, s'il est nécessaire, y servyront infinyement.

La dicte Royne d'Angleterre a dépesché ung saufcon- duict pour les depputez d'Escoce , et a mandé au comte de Sussex de les bien recepvoir et honorer , et qu'il ad- vertisse ceulx du party du régent d'envoyer promptement les leurs. Le susdict de Valsingan a desjà parlé à quel- ques ungs de ses amys de la continuation de la paix de France comme en doubte, alléguant des occasions qui luy font juger qu'elle aura quelque establyssement , et d'aultres qui lui font croyre qu'elle ne pourra estre de du- rée; dont de ce qu'il en a dict, et du rapport qu'il en aura faict en ceste cour, je mettray peyne qu'il m'en viegne quelque adviz , affin de le vous mander par mes premières.

11

322

Il aura encores rencontré M' le cardinal de Chastillon en ceste dicte court , car son congé luy avoit esté dilFéré jusques à hyer.

L'on estime que la Royue d'Espaigne s'embarquera à ce commancement d'octobre , car, ayant le retour de la lune esté sur un temps propre et qui sert bien à sa naviga- tion , l'on estime qu'il durera assés pour la conduyre jus- ques en Espaigne ; dont s'atand de sçavoir comment et en quelle bonne façon se seront déportez les navyres de la Royne d'Angleterre à la saluer, et la convoyer le long de la coste de ce royaume. Les commissaires de Flandres pour- chassent leur congé , mais il semble qu'on le leur prolon- gera jusques au retour du secrétaire Cecille , car en son absence rien ne se dépesche ; et mesmes l'on a remiz, à cause de luy, l'ouverture du terme de la justice jusques au premier de novembre , par prétexte toutesfoys de la peste; laquelle va néantmoins diminuant, et chacun s'en retourne à la ville. Il semble que Henry Coban, qui est allé devers l'Empereur, ayt heu charge de ne presser guières son re- tour : dont il a cependant renvoyé ung des siens avec une dé- pesche, de laquelle je n'ay encores bien aprinsle contenu, si n'est qu'il semble mander que, ne pouvant l'Empereur fère guières réuscyr aulcune bonne résolution ez choses qu'il a proposées en la diette , qu'il deUibère bientost la rompre; et j'entandz que le comte Pallatin a aussi escript qu'il a quelque opinion que le Pape se soit advancé de créer de luy mesmes , sans attandre la vollonté des ellec- teurs, l'archiduc Charles roy des Piomains, et que cella sera pour admener beaucoup de trouble en Allemaigne ; dont est bruict icy que desjà quelques princes ont esté vers

323 Hembourg, comme pour s'asseurer d'aulcunes levées de gens de guerre. Sur ce , etc.

Ce v^ jour d'octobre 4570.

CXXXVlir DEPESCHE

du X* jour d'octobre 1570.

( Envoyée exprès jusques à Calais par le S' Troies^)

Ktat de la négociation en faveur de Marie Stuart. Conduite faite à la reine d'Espagne par la flotte anglaise. Crainte l'on est en Angleterre que les hostilités commencent au retour de la flotte espagnole. Négociation avec les Pays-Bas, Départ du cardinal de Chatillon pour la Rochefle ; mauvais accueil reçu à Dieppe par le vidame de Chartres. Prise nouvellement faite en mer, malgré la paix , par le capitaine Sores. Aflaires d'Allemagne.

Au Roy.

Sire , rendant le S*^ de Valsingan compte à la Royne , sa Mestresse , de la négociation qu'il a faicte en France , j'entendz qu'il luy a faict ung très bon rapport des louables qualitez de Vostre Majesté , de ce que ung chacun vous tient pour prince magnanime , constant , certain et bien fort véritable , et uny par ung grand et naturel amour avec la Royne vostre mère , et avec Monseigneur vostre frère, desquelz il a aussi fort dignement parlé; et que, par la force de leur conseil et la fermeté de voz éedictz , la paix de vostre royaulme a d'estre perdurable , et voz aultres afieres à recepvoir beaucoup d'establissemeiit : dont la dicte Dame a de beaucoup davantaige estimé , et heu en plus grand prix , les bonnes paroUes de paix et d'amytié , que Vostre Majesté luy a mandées. Et luy ayant le dict de Valsingan, par mesmes moyen, touché le propos, que luy avez tenu, de la restitution de la Royne d'Escoce ,

21.

324 vostre belle sœur, avec l'expression de l'airectioii qu'H a cogiiu que vous v aviez ; et ayant, de ma part, faict fère dessus, le plus à propos que j'ay peu, ung office par le comte de Lestre , il est advenu que la dicte Dame a tout incontinent dépesché vers le secrétaire Cecille pour l'adver- tyr qu'il ayt à procéder en si bonne façon vers la Royne d'Escoce, qu'il ne s'en retourne sans conclurre quelque chose avecques elle. Dont, à la première occasion qui me viendra d'aller parler à la dicte Dame , je luy confirmeray ceste sienne voUonté, et n'obmettray rien de ce qui pourra servyr à bien advancer et effectuer le propos , et à esta- blyr pareillement l'araytié d'entre Yoz Majestez.

L'on tient que la Royne d'Espaigne est passée , et que les navyres de la Royne l'ont saluée et accompaignée jus- ques en la coste de Biscaye , et que sire Charles Havart luy a baysé les mains avec ung présent d'ung beau dya- mant , que la Royne sa Mestresse luy a envoyé, qui est l'ung de ceulx tpie le Roy d'Espaigne avoit donnez à la feu Royne Marie , sa sœur , ou à elle, qui sont estimez valoir, l'ung huict mil ducatz, et l'aultre cinq mil; et que la dicte Royne d'Espaigne , de son costé , a faict bailler quatre mil ducatz au dict Havart et aulx siens 5 mais la vérité et cer- titude dececy se sçaura mieulx quant le dict Havart sera de retour, lequel est encores en mer. Tant y a que ces dé- monstrations , lesquejs sont devenues toutes aultres qu'on ne les sembloit préparer du commancement , donnent à cognoistre qu'il n'y a en effect nulle malle vollonté entre les Espaignolset les Anglois, ains qu'ilz cerchent de s'ac- commoder ensemble en gaignant, aultant qu'il leur sera possible, chacun de son côté, quelque advantaige; dont usent d'artiffice à fère bien espérer ou à intimider l'ung

325 l'aultre en ce qu'ilz peuvent; et semblent néantmoins que les dicts Anglois ne demeurent meintennant sans une grande souspeçon du retour de l'armée d'Espaigne, par ce mesmement qu'on leur a raporté que une partie d'icelle est demeurée toute appareillée , et bon nombre de gens pretz à s'y embarquer en Olande ; et qu'ilz sçavent que aulcuns fuytifz et aulcuns Escossoys sont toutjour près du duc d'Alve pour l'inciter à quelque entreprinse par deçà : et à ceste occasion , mècredy dernier, ceste Royne a faict de rechef appeller toutz les officiers de la maryne à Vuyn- desor, mais je ne sçay encores ce qu'elle leur a ordonné; et est la dicte Dame après a fère cercher deniers de toutz . costez.

Les commissaires de Flandres s'attandent d'avoir de- main leur congé , et semble qu'ilz ne s'en retournent guiè- res plus contantz ny mieulx satisfaictz que quant ilz sont venuz ; car , oultre la perte et diminution qu'ilz ont trouvé ez merchandises, qui estoient encores en estre , l'on leur a baillé ung compte si désadvantaigeulx de celles qui ont esté vendues par auctorité de justice, tant au priz que aulx fraicz , qu'elles ne reviennent pas au cinquiesme de la juste valleur. Par ainsy l'accord se monstre encores assés difficile à fère , et cependant l'on ne sçayt si le temps, et la longue souspencion du traffic, pourra produyre quelque chose de nouveau entre eulx.

Monsieur le cardinal de Chastillon print congé de ceste court lundy dernier, non sans recepvoir beaucoup de fa- veur de ceste Royne et plusieurs présens (de haquenées et de chiens de sang) des seigneurs d'auprès d'elle ; et s'en est allé à Hamptonne attandre la commodité de son passaige à la Rochelle. Aulcuns demeurent escandalisez des diffi-

326 cultes qu'on a faictes à M' le vydame de Chartres à Dièpe, mais je rendz quelque rayson dessus , qui monstrent de les satisfère. Ung agent de Portugal, qui est en ceste ville, dict que le capitaine Sores s'est esforcé de piller de re- chef la Madère, et qu'au retour de ceste entreprinse il a prins un des gaUons du Roy de Portugal venant des In- des , qui estoit demeuré derrière , lequel estoit bien fort riche 5 de quoy ung chacun monstre icy estre fort offancé d'entendre ung tel acte après la paix , et crainct on que de la Rochelle ayt à sortyr beaucoup de désordre en la mer, s'il n'y est remédié.

J'entans qu'il est arrivé des lettres d' Allemaigne , qui semblent confirmer ce qu'on avoit auparavant escript de la création du roy des Romains par le Pape, jusques avoir envoyé une coppie du brevet , et que ung chacun pense que les princes ellecteurs procéderont à une contraire el- lection de leur part; mesmes qu'il semble que l'Empereur face toute démonstration d'avoir ignoré et de n'aprouver aulcunement ceste procédure de Sa Saincteté ; et qu'il a esté descouvert qu'on avoit de rechef incidié à la vie du comte Pallatin. Sur ce, etc.

Ce x^ jour d'octobre 1570.

327

CXXXIX' DEPESCHE

du xTi» jour d'octobre 1570. ( Envoyée exprès jusques à la court par Gro'ujniet, mon secrétaire.)

Conditions proposées par Cécil à la reine d'Ecosse. Soulèvement des ca- tholiques dans le pays de Lancastre. Ordre donné au comte de Derby de se rendre à la cour. Retour à Londres de sir Charles Havart , amiral de la flotte anî^laise. Mémoire. Opinions diverses sur la durée de la paix en France. Conférence de l'ambassadeur avec l'ambassadeur d'Espagne. Ligue du roi d'Espagne avec le pape et les Vénitiens contre les Turcs. Vives sollicitations pour que le roi consente à en faire partie. Offres faites par leducd'Albe à Elisabeth. —Négociations des Écossais avec le duc d'Albe. Conditions proposées à Marie Stuart, si elle veut obtenir l'appui de l'Espagne. Détails sur la négociation de Cécil avec Marie Stuart. Crainte que les Écossais n'acceptent toutes les conditions imposées par l'Angleterre.

A L R G Y .

Sire, ayant le S"^ de Vassal couru une si dangereuse for- tune, en voulant repasser la mer, que le naufrage de luy, et de ceulx qui estoient en son mesme navyre, a esté tenu pour vériffié en ceste ville, il n'est paS à croyre combien je ine suys resjouy, quant, oultre l'espérance des hommes, il a pieu à Dieu de le saulver et le fère retourner sauf à Cal- lais, avec les lettres et dépesches de Yostre Majesté, il est encores attandant le vent ; mais j'espère qu'il sera bien- lost icy, et qu'il me rendra instruict de l'intention de Yos- tre Majesté, laquelle je mettray peyne. Sire, en ce qu'il sera besoing de la notiffier à la Royne d'Angleterre , de la luy fère bien entendre, et de fère, par toutz les moyens, persuasions et instances, qu'il me sera possible , qu'elle y veuille conformer la sienne.

Le secrétaire Cecille et son adjoinct sont arrivez avec l'évesque de Roz , le premier de ce mois, devers la

3^28 Kovne d'Escoce, à laquelle ilz ont présenté, avec grand respect et révérance , une lettre , que la Royne d'Angle- terre luy a escripte , laquelle avoit le commancement fort rigoureux et plein d'une recorda tion de beaucoup d'offan- ces qu'elle reprochoit à la dicte Dame ; mais que , pour en abolyr la mémoire, elle luy dépeschoit ces deux siens con- fidans conseillers, pour préparer le chemyn d'ung bon tretté d'amytié entre elles deux ; et n'y a heu aultre chose que cella pour le premier jour, sinon l'humayne et favorable réception, que la dicte Dame leur a faicte. Mais, le len- demain, estans entrez en conférance, elle leur a respondu, à chacun poinct de la dicte lettre , avec taht de fondement de rayson et avec tant de modestie qu'ilz ont monstre de demeurer très bien satisfaictz ; et ayant convenu la dicte Dame, pour son regard, et eulx, pour la Royne d'Angle- terre, d'ensepvelir pour jamais les choses mal passées, et de procéder à ung renouvellement de vraye et parfaicte in- telligence entre elles, sellon que le debvoir de leur proxi- mité et du commun {)roffict de l'une et de l' aultre, et de leurs deux royaulmes, le requéroit; ilz luy ont leu les ar- ticles de l'instruction, qu'ilz portoient, lesquelz se sont trouvez, pour la pluspart, concerner l'expresse cession et résignation du tiltre de ce royaulme par la dicte Royne d'Escoce auproffict de la dicte Royne d'Angleterre, sans préjudice de la future succession d'icelluy, au cas que la dicte Royne d'Angleterre n'ayt point de hgnée : Que, pour seurté de cella, le Prince d'Escoce doibve estre mené et norry en Angleterre , sans préfiger temps de le randre , sinon au cas que la Royne , sa mère , arrive à morir, ou qu elle luy veuille résigner sa couronne d'Escoce; Que gouverneurs luy seront baillez, telz ([ue la Royne d'Angle-

3'29 terre advisera , comme les comtes de Lenoz , de Mar ou aultres ; Que trois comtes et trois lordz Escoçoys vien- dront estre ostaiges, l'espace de trois ans, en ce royaulme, pour la seurté des choses qui seront promises 5 Que trois chasteaulx, sçavoir : Humes, Fascastel et encores ung aul- tre , en Gallovaye ou Quinter, demeureront , pour le dict temps, ez mains de la Royne d'Angleterre ; Que , sans le consantement d'icelle ou de la pluspart de la noblesse d'Escoce, la dicte Royne d'Escoce ne se maryera; Que ligue sera faicte entre elles et leurs deux royaumes ; Que , au cas que nul prince estrangier, sans ocasion à luy raysonnablement donnée, entrepreigne d'assaillyr ce royaulme, la dicte Royne d'Escoce sera tenue de le secou- rir d'hommes et de navyres, aulx despens toutesfoys de la Royne d'Angleterre 5 Que le murtre du feu Roy d'Es- coce et celluy du comte de Mora seront punys ; Que le comte de Northomberland et aultres fuytifz d'Angleterre seront randuz ; Et que , au cas que la dicte Royne d'Es- coce meuve à jamais pleinte ny querelle du tiltre de ce royaulme, ny assiste à nul aultre, qui la veuille mouvoir en quelque façon que ce soit contre la dicte Dame, qu'elle demeurera privée de la future succession d'icelluy. Et avoient d' aultres articles, concernans la seurté des subjectz d'Escoce, lesquelz ilz n'ont encores monstrez, mais ilz ont fortincisté d'avoir promptement la reçponce sur ceulx cy.

Je ne sçay si la Royne d'Escoce l'a encores faicte, seulement j'ay entendu qu'ung pacquet du dict secrétaire arriva, sabmedy au soir, à la Royne d'Angleterre, et que, tout incontinent, elle assembla son conseil ; et le lendemain matin, le courrier fut renvoyé avecques responce.

Aulcuns amvs de la dicte Royne d'Escoce m'ont faict

- 330 advertyr qu'elle est au plus grand dangier, encores elle ayt poinct esté, à cause de la sublévation qui se descouvre estre toute formée au pays de Lenclastre , de laquelle on luy attribue l'ocasion , aussi bien que de celle passée du North ; et que pourtant, elle et nous, qui soubstenons icy son faict, debvons condescendre à ce que la Royne d'An- gleterre luy vouldra demander , et luy complayre du tout , pourveu qu'elle puysse avoir sa liberté; et ne fère diffi- culté de luy accorder le Prince d'Escoce, pour quelque temps, avec honnestes condicions. Aultres de ses amys conseillent le contraire : qu'elle peut bien accorder hardy- ment toutes choses raysonnables à la Royne d'Angleterre, mais non de luy bailler son filz , ny ostaiges , ny places ; mais plustost qu'elle mesmes oflre de demeurer en Angle- terre pour asseurance de ce qu'elle promettra. Je sçay, à la vérité, qu'on tient de très dangereux conseilz sur la personne de ceste princesse, pour l'opinion qu'on a qu'elle ayt trop bonne part en ce royaulme, et que, quant elle sera du tout ostée, que pareillement sa querelle sera du tout esteincte , se persuadant que , ny les Escouçoys , ny les Anglois, ses partisans, ny mesmes Vostre Majesté ne se soucyeront guières, puys après, de la relever. Et est in- croyable combien la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil sont esmeuz pour les choses du dict pays de Len- clastre , sans toutesfoys en fère grand démonstration ; car les ayant voUues remédier par la voye de la justice , en- voyant par dellà ung procureur fiscal , ilz ont veu que cella ne suffizoit , et que plusieurs ouvertement se déclairoient substrectz de l'obéyssance et jurisdiction de la Royne d Angleterre, jusques à ce qu'elle se seroit jettée hors de l'interdict de l'csglize catholique : dont elle a mandé au

334 comte Dherby, principal seigneur de tout le dictpays, do la venir trouver, par prétexte de vouloir assembler toutz ceulx de son conseil, dont il est i'ung des principauh , afifin de pourvoir à Testât de ce royaume ; et qu'il veuille mener ses enfans avec luy, pour monstrer qu'ilz ne sont coulpables d'aulcunes choses qu'on leur a vollu imposer. L'on ne sçayt encores si le dict comte vouldra obéyr; tant y a. Sire, que je vous ay bien vollu envoyer le susdict adviz de la Royne d'Escoce, par homme exprès, affin qu'il vous playse m'y commander vostre voUonté; et cependant je verray ceste princesse pour l'adoulcyr et modérer, le plus qu'il me sera possible, sur icelluy, et pour la fère passer oultre au tretté encommancé.

J'entendz que sire Charles Havard a raporté à la dicte Dame ung grand contantement du debvoir , qu'il a faict envers la Royne d'Espaigne, et des honnestes propos, que la dicte Royne d'Espaigne l'a enchargé de dire à la dicte Dame de sa part , ayant accepté , avec toute affection , le présent qu'elle luy a envoyé, et ayant faict donner une chayne de mil ducatz au dict Havart , et une aultre ung peu moindre à son vis admyral , et encores dix aultres chay- nes aulx capitaines des dix navyres. Sur ce , etc.

Ce xvi^ jour d'octobre d570.

POUR FAIRE ENTENDRE A LEURS MAJESTEZ

oultre ce dessus:

Que , par aulcunes leUres, que la Royne de Navarre et Messieurs les Princes , ses filz et nepveu , et M' l'Admirai ont escriples par deçà, et par des parolles et démonstrations , dont M' le cardinal de Chatillon a usé, en prenant congé de ceste court, la Royne d'Angle- terre et les siens demeurent assez persuadez que la paix de France sera de durée.

Et y sont confirmez davantaige par la réputation^ qui court, que

- 330 advertyr qu'elle est au plus grand dangier, encores elle ayt poinct esté, à cause de la sublévation qui se descouvre estre toute formée au pays de Lenclastre , de laquelle on luy attribue l'ocasion, aussi bien que de celle passée du North ; et que pourtant, elle et nous, qui soubstenons icy son faict, debvons condescendre à ce que la Royne d'An- gleterre luy vouldra demander , et luy complayre du tout , pourveu qu'elle puysse avoir sa liberté; et ne fère diffi- culté de luy accorder le Prince d'Escoce, pour quelque temps, avec honnestes condicions. Aultres de ses amys conseillent le contraire : qu'elle peut bien accorder hardy- ment toutes choses raysonnables à la Royne d'Angleterre , mais non de luy bailler son filz, nyostaiges, ny places; mais plustost qu'elle mesmes offre de demeurer en Angle- terre pour asseurance de ce qu'elle promettra. Je sçay, à la vérité, qu'on tient de très dangereux conseilz sur la personne de ceste princesse, pour l'opinion qu'on a qu'elle ayt trop bonne part en ce royaulme, et que, quant elle sera du tout ostée, que pareillement sa querelle sera du tout esteincte , se persuadant que , ny les Escouçoys , ny les Auglois, ses partisans, ny mesmes Vostre Majesté ne se soucyeront guières, puys après, de la relever. Et est in- croyable combien la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil sont esmeuz pour les choses du dict pays de Len- clastre , sans toutesfoys en fère grand démonstration ; car les ayant vollues remédier par la voye de la justice , en- voyant par dellà ung procureur fiscal, ilz ont veuque cella ne suffizoit, et que plusieurs ouvertement se déclairoient substrectz de l'obéyssance et jurisdiction de la Royne d'Angleterre, jusques à ce qu'elle se seroit jettée hors de l'interdict de l'esglize catholique : dont elle a mandé au

331 comte Dherby , principal seigneur de tout le dict pays , de la venir trouver, par prétexte de vouloir assembler toutz ceulx de son conseil, dont il est i'ung des principaulx , affin de pourvoir à Testât de ce royaume ; et qu'il veuille mener ses enfans avec luy, pour monstrer qu'ilz ne sont coulpables d'aulcunes choses qu'on leur a voUu imposer. L'on ne sçayt encores si le dict comte vouldra obéyr; tant y a, Sire, que je vous ay bien voUu envoyer le susdict adviz de la Royne d'Escoce, par homme exprès, afïin qu'il vous playse m'y conmiander vostre vollonté; et cependant je verray ceste princesse pour l'adoulcyr et modérer, le plus qu'il me sera possible , sur icelluy, et pour la fère passer oultre au tretté encommancé.

J'entendz que sire Charles Havard a raporté à la dicte Dame ung grand contantement du debvoir , qu'il a faict envers la Royne d'Espaigne, et des honnestes propos, que la dicte Royne d'Espaigne l'a enchargé de dire à la dicte Dame de sa part , ayant accepté , avec toute affection , le présent qu'elle luy a envoyé, et ayant faict donner une chayne de mil ducatz au dict Havart , et une aultre ung peu moindre à son vis admyral , et encores dix aultres chay- nes aulx capitaines des dix navyres. Sur ce , etc.

Ce xvi« jour d'octobre 4570.

POUR FAIRE ENTENDRE A LEURS MAJESTEZ

oultre ce dessus :

Que , par aulcunes leUres, que la Royne de Navarre et Messieurs les Pi'inces , ses filz et nepveu , et M' l'Admirai ont escriptes par deçà, et par des parolles et démonstrations , dont M' le cardinal de Chatillon a usé, en prenant congé de ceste court, la lloyne d'Angle- terre et les siens demeurent assez persuadez que la paix de France sera de durée.

Et y sont confirmez davantaige par la réputation, qui court, que

332

le Roy a prinz une ferme résolution de vouloir que, en cesl endroicf et toutz aultres, sa parolle interviendra, qu'elle ayt à estre très certaine et véritable , et que la Royne et Monseigneur, frère du Roy, interposent, par une bonne intelligence, si fermementleur conseil et authorité à cella, qu'il n'est en la main de nul aultre de le pouvoir rompre.

Et a raporté le S^ de Valsingan , qu'encorqne le mariage des deux filles de l'Empereur avec le Roy et le Roy d'Espaigne , et l'intelli- gence que ung chacun présumoit demeurer toutjour secrecte entre la Royne et M-^ le cardinal de Lorrayne , et l'authorité de Monsei- gneur, frère du Roy, lequel après avoir mené la guerre et heu plu- sieurs victoires contre ceux de la nouvelle religion, ne coraporteroit jamais quilz demeurassent dans le royaulme, fussent trois occasions qu'aulcuns remarquoient pour réputer la paix fort douteuse ; néan- moins ilz jugeroient, à ceste heure, que c'estoit par la vraye et parfaite intelligence de la Royne, et de Monseigneur, et de M"^ le cardinal de Lorrayne, et de toutz les Princes avecques le Roy, que la dicte paix se randroit plus ferme et plus estable ; etquemesmesle conseiller Ca- vaignes luy a voit dict qu'il s'en promettoit une bien longue conti- nuation , et en plus d'advantaiges pour eulx que les articles ne por- toient.

Ce qui a remiz en réputation les affères du Roy en ce royaulme, et croy que de mesmes ilz en sont relevez ailleurs, car l'ambassadeur d'Espaigne, qui esticy, despuys la première foys qu'il me raporta le jugement, que le duc d'Alve faisoit de la dicte paix, comme s'il l'esti- moit pleyne dedangier pour la Chrestienté, il dict meintennanl qu'il ne faict double que le Roy et son prudent conseil ne Tayent cogneue nécessaire , et qu'il faut que Sa Majesté Très Chreslienne la rande utille , et luy face produyre, non seulement pour luy et pour son royaulme, mais aussi pour ses voysins et pour toute la Chrestienté, ung vray repos.

Et s'est le dict ambassadeur curieusement enquiz à moy de deux choses : l'une, si je sçavois que M- le cardinal de Chatillon eust parlé en ceste court de tranférer meintennant la guerre, qui est achevée en France , au pays de Flandres ; et de cella il a vollu que j'en aye sondé le dict S' cardinal , quant il est venu en mon logis, lequel m'a tout franchement respondu, qu'il pourroit estre qu'il en eust parlé comme d'ung commun souhait, que toutz ceulxdesa religion y avoient; mais non qu'il en vît l'eiitreprinse bien preste ; et j'en ay satisfaict le dict ambassadeur.

838

El l'aiiUre chose, qu'il m'a demandée, est si j'avois entendu pouniuoy le Roy avoit faict renforcer la garnyson de Péronne, de S' Quintiu el des auitres villes de Picardie , et changé celle de Cal- lais , inonstrant que le duc d'Alve en avoit prins quelque souspeçon ; à quoy je luy ay respondu que le Roy n'avoit en cella que renvoyé les garnysons en leurs lieux accoustumés , car Ton les en avoit tirez, durant la guerre, pour s'en servir au cain|), et que meintennant il dislribuoit en ses frontières ses gens de guerre pour plus soUager son royaume et pour ne demeurer pourtant désarmé.

Et, en lamesmesconférance, icelluy sieur ambassadeur, me magnif- iant grandement la ligue * qui a esté faicte entre le Pape , le Roy Ca- tholique, son Maistre , et les Vénicieus contre le ïurc, m'a dict que le Roy, son Maistre , s'estimoit estre miz hors' par icelle de tout le daiigier de Ja guerre du dict Turc, et qu'il n'avoit qu'à contribuer seulement au secours accordé , dont se irouvoit fort adélivré pour mettre bientost fin à la guerre des Mores , et pour entendre aulx choses de Flandres, d'Allemaigne et du costé de deçà ;

Que le dict ambassadeur pensoit que l'Empereur enfin entreroit en la dicte ligue, comme il en avoit une fort grande voUonté, mais il desiroit le fère par aprobation de la diette , affin d'obliger les estatz d'Allemaigne à la contribution et au secours de la dicte guerre.

Et a adjouxté (]ue , si le Roy Très Chrestien y vouloit entrer et quicter la pratique du Turc, retirant son ambassadeur qu'il a près de luy, qu'il s'aquerroit ung grand nom et une grande louange envers le Siège Apostolique et envers toute la Chrestienté; et, quant il ne bailleroit que quatre galléresde secours , que son nom et la réputation de la couronne de France y en vauldroient cent.

Je luy ay respondu que ceste ligue estoit faicte pour la conserva- tion des estatz , qui estoient exposez aulx entreprinses du Turc, et que l'Empereur avoit rayson d'y entrer pour l'ocasion des siens, aussi bien que le Pape et le Roy, son Maistre , et les Véniciens_, car toutz ensemble y estoient bien fort intéressez, et leurs dicts estatz y cou- roient de grandz dangiers ; mais que Dieu avoit constitué le Roy et

' Cette ligue ne fut définitivement conclue que quelque temps après , au mois de mai 1571. Don Juan fut nommé général de la ligue , et remporta, le 7 octobre de la même année, la célèbre victoire de Lépante. Le pape choisit pour commandant de sa flotte Marc- Antoine Colonne , et la république de Venise nomma pour son amiral Sébastien Venieri, qui fut élu doge en 1577.

334

son royaulme'en lieu, (jui estoit tout gardé des incursions du Turc; par ainsy qu'il n'avoit à fère ligue deffencive contre celluy qui ne Tassailloit , ny le pouvoit assaillir ; et seroit en vain consommer ses forces et ses deniers pour aultruy, et entrer en une guerre non né- cessaire ; mais que je croyoisbien que, quant toutz les princes chres- tiens conviendroient en une entreprinse de ruyner l'Empire du Turc et amplier la Chrestienté, et que le Roy y verroit quelque bon fonde- ment, que ce seroit luy le premier qui y employeroit sa propre per- sonne et ses forces , aussi bien qu'avoient faict ses prédécesseurs.

Laquelle rayson le dict ambassadeur a monstre d'aprouver, et a adjouxté que possible n'estoit on pas trop loing d'une si grande et vertueuse délibération ; et puys a continué me dire que les Anglois, pour ne pouvoir bien entendre toutz les secretz de la dicte ligue, la tenoient pour fort suspecte , comme , à la vérité , j'ay sceu qu'iceulx Anglois discourent entre eulx , qu'ayant le Pape passé si avant que d'avoir ouvertement interdit cette Royne et son royaulme, et estant le Roy d'Espaigne fort offancé desdicts Anglois, et les Véniciensassés mal contantz des prinses et déprédations de l'année passée, qu'il est à croire qu'on n'a dressé ceste ligue dans Rome, sans y incérer quel- que article bien exprès contre l'Angleterre, et que le général de la mer qui a esté créé par icelle , qui est don Juan d' Austria , aspire bien fort à l'entreprinse.

Néantmoins, le duc d'Alve entretient les dicts Anglois en une si ferme opinion de l'amytié du Roy, son Maistre, qu'ilz s'en tiennent trop plus que bien asseurez ; et semble que , ny luy de son costé, ny eulx du leur, ne s'ennuyent de laysser encores les choses en sus- pens, sans aultrement les esclarcyr, parce que le temporiser vient à propos pour chacun, bien que possible non guières pour les Mestres ny pour leurs estatz , mais pour ceulx qui les manyent ; et m'a l'on asseuré que le dict duc a offert à ceste Royne de luy envoyer dix mil hommes de guerre , pour la servyr en ses atfères, qu'elle pour- roit avoir dans son royaulme , ou bien contre l'Escoce, si elle en a besoing ; mais qu'elle n'a accepté ny l'ung ny l'aultre , ny ne de- meure pour cella trop dellivrée du souspeçon qu'elle s'est conceue du dict duc.

J'entendz que milord de Sethon , estant arrivé en Envers, a soubdain envoyé demander audience à icelluy duc jusques à Bergues, lequel s'est excusé de la luy pouvoir si tost bailler, pour estre fort empes- ché à l'embarquement de la Royne , sa Mestresse ; dont le dict de Sethon, ne voulant prolonger les matières, luy a envoyé incontinent

335

les lettres des seigneurs d'Escoce et une cop|)ie de son instruction, mais le duc ne s'est hasté pour cella de luy rien respondre, ains l'a remiz à quant il seroit en Envers, (jue le conseil du pays y seroit as- semblé ; et cependant il l'a faict convyer à dyner par le marquis de Chetona, le secrétaire Courteville s'est trouvé, avec lesquelz il a heu grand conférance; et despuys il a envoyé icy demander qu'est ce qu'il aura^ respondre, si le dict duc requéroit d'avoir la Royne d'Ëscoce entre ses mains, ou qu'elle y veuille mettre le Prince d'Es- coce son filz ; s'il inciste qu'elle ne se marye sans le conseil du Roy Catholique , et qu'elle veuille entrer en ligue avecques luy, sans exception d'aulcune aultre ligue ; s'il demande avoir quelques portz et places au pays, pour la retrette de ceux qu'il y envoyera ; et final- lement, s'il requiert que la réduction de la religion catholique soit faicte en tout le royaulme, et que l'aultre en soit chassée , et toutz ceulx qui en sont.

En quoy semble que le dict de Courteville aytjdesjà touché toutz ces poinctz au dict de Sethon , et , quoy que soit , on m'a bien baillé pour chose asseurée que maistre Jehan Araelthon, qui a résidé des- puys quinze moys , ordinairement, près du dict duc d'Alve , a esté naguières envoyé par icelluy duc avec deux aultres gentishommes , ung italien et ung espaignol , jusques en Escoce, pour recognoistre quelque commode descente ; et que le dict Amelthonleur a monstre les ports et villes de Montroz et Abredin.

Quant, après plusieurs miennes instances et de M' l'évesque de Uoz, la Royne d'Angleterre eust , à la fin de septembre , commandé au secrétaire Cecille, et à maistre Mildmay, d'aller devers la Royne d'Escoce, elle ne se peult tenir de jetter quelques motz de jalouzie des perfections de sa cousine , demandant au dict secrétaire, s'il se lairroit point gaigner à elle , comme les aultres , qui Tavoient veue ; dont il tomba en ung merveilleux doubte que le voyage luy fût per- nicieux , et escripvit dez lors à ung sien amy qu'il s'en excuseroit, s'il luy estoit possible, ce qui donna à penser, estant incontinent après devenu mallade, qu'il le conlrafaisoit, mesmes qu'il ne se sentoit estre bien voUu de la dicte Royne d'Escoce , et n'estimoit pouvoir raporter honneur de ceste négociation ; tant y a que , ne voulant (ju'ung aultre Feust, il dellibéra de veincre toutz ces doubtes et (lifïicultez, mais, premier que de partir, aflln d'oster toute souspe- çon à sa iMestresse, il dressa les articles de son instruction , ainsy durs qu'ils sont contenuz en la lettre du Roy, et les communica à la dicte Dame, qui les aprouva , et puys au conseil , quelques

836 -

ungsluy remonsirèrent qu'il seroit bon de les modérer, affin qu'ilz ne malconientassent par trop ceste princesse , et qu'ilz fussent .iprouvez des aultres princes; mais il respondit qu'on luy layssàt inanyer cest affère , lequel il entendoit très bien , et le conduy- roit à bonne fin, à l'honneur de sa Mestresse et de son royaulme; et qu'il feroit que la Royne d'Escoce et les princes, ses allyez, ne seroient que bien ayses d'en passer par là. Tant y a qu'estant sur le lieu , M' de Roz m'a mandé qu'il monstre d'avoir une grande vollonté de conclurre le tretié, et qu'il espère que le 'retour du S' de Valsingan , sur lequel l'on luy avoit faict une dépesche, se- roit cause de luy fère modérer les dures condicions de sa première instruction.

Et m'a le dict sieur évesque mandé davantaige que creinct que les seigneurs escossois, partisans de sa Mestresse, commençant de n'es- pérer guières nul secours de France , condescendront à telles condi- cions de tretté qu'on leur vouldra imposer ; et que quelques ungs sont desjà après à s'acommoder àl'authorité du comte de Lenoz ; ny l'arri- vée du S' de Vayrac ne les a peu tant confirmer qu'ilz veuillent de- meurer davantaige en double, ny mettre plus en hazard leurs vies et leurs biens.

Tant y a que le lair de Granges, cappitaine de Lislebourg, a mandé que , s'il playt au Roy fère descendre mille harquebuziers seulement ez quartiers du Nord d'Escoce, qu'il rechassera le dict de Lenoz et les Anglois plus loing que Barvich , et réduyra la ville de Lislebourg à l'obéissance de la Royne sa Mestresse , et qu'il ne sera plus parlé que de l'alliance de France en tout le royaulme d'Escoce.

CXL' DÉPESCHE

du xvu" jour d'octobre 1570.

{Envoyée exprès par ung des miens , jusques à Calais.)

Communication officielle des articles proposés à Marie Stuart. Nécessité de remontrer à la reine d'Angleterre qu'elle ne peut enlever à la France Talliance de l'Ecosse.

Au Roy. Sire , vous ayant escript , du jour de hier , assés ample-

337

ment toutes choses de deçà , ceste cy n'est que pour dire à Yostre Majesté comme, ce matin , M*^ l'évesque deRoz m'a envoyé, en grand dilligence, les articles ' que les deppu- tez de la Royne d'Angleterre ont baillez à la Royne d'Es- coce, sa Mestresse, me priant de lui envoyer, tout inconti- nent, lemessagier avec ma responce et mon adviz dessus; et que je veuille considérer que le moindre dilay ou em- peschement, qui puysse intervenir en cest aflere, est ung extrême détriment à sa dicte Mestresse ; mais qu'il mettra peyne d'entretenir la matière en suspens , jusques à ce que ma response arrive , et qu'il est tout certain , si l'on fault ceste foys de conclurre quelque chose, que la dicte Dame et ses affères , et ceulx de son royaulme , demeurent déplorez et hors de tout remède pour jamais. Sur quoy, Sire, j'ay esté en grand peyne , car le faict me semble d'un costé si important , que je ne me doibz ingérer de rien dellibé- rer ny respondre sur icelluy , sans exprès commandement de Vostre Majesté, et, de l'autre, je voys ceste pouvre princesse en si dangereux estast, que le moindre retar- dement peult admener une extrême ruyne sur elle et sur son royaulme; dont, en telle extrémité, j'ay prins expédiant de respondre premièrement au dict sieur évesque, en la meilleur façon que j'ay peu, sellon le peu de loysir qu'il m'a donné d'y penser, et d'envoyer tout aussitost à Vostre Majesté les dicts articles et ma dicte responce, aflRn qu'il vous playse, enmesmes dilligence, me remander vostre bon commandement ; lequel je mettray peyne, aultant qu'il me sera possible, d'exactement accomplyr; et j'espère qu'on

* Ces articles , ainsi que les réponses de Marie Smart , n'ont pas été transcrits sur les registres de l'ambassadeur; mais ils sont textuellement rapportés par les historiens, et notamment par Camden etRapin Thoira». III. iiJ

338 ne s'opiniastrera du tout à toutes les condicions des dicts articles, ayant desjà faict office, j'ay cogneu en estre Jjesoing , pour les fère modérer; et je sçay que ce que \oz Majestez en ont fermement et vertueusement mandé , par le S"" de Yalsingan, à ceste Royne , en fera bien rabattre quelque chose. Tant y a que Vostre Majesté verra s'il seroit bon que, faisant appeller l'ambassadeur d'Angleterre en sa présence, et luy monstrant d'estre bien ayse de la conti- nuation du tretté , vous lui faysiez tout clairement enten- dre que vous ne pourriez tout ensemble meintenir l'amytié avecques la Royne, sa Mestresse, et veoir qu'elle s'esforçât de vous soubstraire l'alliance d'Escoce; et que, de tant que vous avez entendu que ceulx, qui dressent le tretté, y aspirent , que vous l'avez bien voUu exorter d'advertyr sa Mestresse qu'elle se veuille déporter d'entreprendre une telle offance contre vous 5 laquelle vous ne pourriez com- porter , attandu mesmementque vous n'avez désiré ny pro- curé que tout bon accord entre elle et la Royne d'Escoce , et bonne paix entre leurs deux royaumes , pourvu que ce ne soit au préjudice de vostre dicte alliance. Sur ce, etc. Ce xvij^ jour d'octobre i570.

33î>

CXLF DÉPESCHE

du xxv« jour d'octobre 1 570.

( Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience. Assurances réciproques d'amitié. Consolidation de la paix en France. Plainte du roi contre la dernière invasion du comte de Sussex en Ecosse. —Vive insistance de l'ambassadeur pour qu'il soit procédé à la restitution de Marie Stuart, sous des conditions honorables pour la France. Plaintes d'Elisabeth contre la reine d'Ecosse. Instance de l'am- bassadeur afin qu'une résolution définitive soit prise sans retard. Protestation d'Elisabeth qu'elle ne veut plus retenir Marie Stuart en An- gleterre.

Au Roy.

Sire, je n'ay receu jusques au xviij« du présent , la dé- pesche de Vostre Majesté , du xxvj« du passé , car le S'' de Vassal, qui me l'aportoit, oultre la première tour- mente , que je vous ay mandé qu'il a voit soufferte , il a , par trois fois, despuys, s'esforceant de passer de deçà, tout- jour esté rejette en la coste de dellà , et a esté si travaillé de la mer, que d'une fiebvre quarte, qu'il avoit auparavant, il est tumbé en une continue, qui l'a contrainct de demeu- rer du tout à Callais, d'où il m'a envoyé le pacquet; sur lequel , Sire , ayant veu , le xx' de ce moys , la Royne d'Angleterre , j'ay estimé luy debvoir fère entendre le re- tardement d'icelluy , et comme beaucoup plustost qu'àceste heure, vous m'avez commandé que je l'allasse trouver, affin de luy randre, de vostre part , le plus exprès et le plus grand mercys, qu'il me seroit possible, pour la tant prompte et ouverte conjouyssance , qu'elle avoit usé vers vous sur la paix de vostre royaulme 5 et qu'ayant prévenu en cella toutz les aultres princes , voz alliez , vous demeuriez très fermement persuadé que , plus que toutz eulx , elle vous

2:2.

340 avoit véritablement désiré ce bien, et l'establissement de voz afleres 5 dont la priez de regarder en quoy elle se voul- droit meintennant prévaloir de vous et de vostre présente paix ; car vous métriez peyne de la luy randre aultant utille, comme elle avoit monstre de l'avoir toutjour très agréable ; et que me commandiez , au reste, de n'obmettre rien qui peult servir à luy fère bien cognoistre vostre bonne affec- tion et celle de la Royne , vostre mère , en cest endroict ; mais que je n'entreprendrois de luy en dire davantaige , parce que Voz Majestez s'estoient mieulxsceu explicquer, par leur propre parolle, au S' de Valsingan, que je ne le sçaurois fère sur vostre lettre : et comme il avoit dignement représanté l'intention d'elle à Voz Majestez par dellà , qu'ainsy espérois je que , à son retour, il se serQÏt très bien acquité de luy fère bien entendre les vostres , et toutz les bons propos que luy avez tenuz de la parfaicte amytié , en laquelle dellibériez persévérer avec elle et son royaume. Et suyviz , Sire , à luy toucher quelques motz du bon et as- seuré establissement , que prènent les choses de la paix en vostre royaulme, affin qu'elle ne donnast foy à certaine let- tre, que je sçavois qu'on luy avoit monstrée de quelcunde vostre court, qui a escript à ung seigneur de ce royaulme, en langaige françois et lettre françoyse fort proprement, sans toutesfoys se soubsigner, sinon par parrafe, qu'il voyoit que les troubles alloient recommancer plus fort que devant , en vostre royaulme, à cause de plusieurs désordres et vioUances qu'on fesoit à ceulx de la religion ; et que Messieurs les Prin- ces «ivoient envoyé fère des remonstrances dessus à Vostre Majesté, qui leur aviez rendu de fort bonnes responces -, et aviez soubdain dépesché lettres pour y pourvoir, mais l'on n' y avoit vollu obéyr ; dont ilz avoient renvoyé vous en fère

341 nouvelle pleinte; et vous aviez de rechef escript que justice en fût dilligemment faicte, mais que l'on avoit contempnc etmesprisé vos lettres, ce qui leur faisoit penser qu'il y avoit quelque très dangereuse entreprinse couverte contre ceulx de la dicte religion ; dont les dicts Princes s'estoient retirez mal contans à la Rochelle , non sans avoir desjà adverty leurs amys en AUemaigne. De laquelle nouvelle l'on me vouloit bien asseurer que la dicte Dame et ceulx de son conseil seroient pour changer beaucoup de leurs premières dellibérations , mesmement en l'endroictde la Royne d'Es- coce, si je ne mettois peyne de luy persuader le contraire Ce qui m'a faict estendre plus avant le propos, lequel seroit long à mettre icy; mais elle a monstre de l'avoir bien fort agréable, et m'a respondu que le dict sieur Valsingan avoit trouvé les paroUes, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy avoient usé sur la conjoys- sance de la paix , si pleynes d'honneur et si dignes , qu'il n'avoit osé entreprendre de plus particullièrement les luy exprimer que de l'asseurer que de plus dignes n'en pou- voient estre proférées de nulz princes de la terre ; et que, sur ce que je luy en disoys meintennant , elle remercyoit infinyement Voz Majestez 4' avoir vollu ainsy pénétrer en son cueur, pour y bien cognoistre l'affection, qu'elle a, trop plus certaine et vraye, que nul de toutz vos allyez, à la dicte paix de vostre royaulme ; et que , tout ainsy qu'elle a cy devant prié Dieu de la vous donner , que ainsy, à ceste heure, que vous l'avez, elle le prie de la vous conserver si entière que nulz plus obéyssantz ny plus fidelles subjectz à leur prince que les vostres , ny nul meilleur prince que Vostre Majesté à eulx , se puyssent trouver en tout le monde .

34'2 Et a poursuyvy aulcunes particullaritez qui sembloient bien extraictes de la susdicte lettre ; mais je y ay respondu en façon qu'elle m'a semblé demeurer bien édiffiée des choses de vostre royaume ; et puys j'ay adjouxté que le S"^ de Valsingan , à mon adviz, n'avoit failly de luy dire ce que Yostre Majesté me commandoit de luy représanter encores une foys , c'est que vous aviez esté bien fort escan- dalisé du dernier exploict du comte de Sussex en Escoce, et que une seule chose vous avoit contante , que ses deux ambassadeurs , et moy pareillement par mes lettres , vous avions asseuré que cella estoit advenu sans son sceu et sans son commandement; en quoy vous la vouliez donc très expressément prier de fère quelque réparation ou démons- tration là dessus , par les Escouçoys peussent cognoistre que son intention , aussi bien que la vostre , avoit esté d'abstenir de toute voye d'hostillité, et de remettre toutz leurs différans à ung bon tretté d'accord, ainsy que , sur la [)arolle d'elle, vous les en aviez asseurez, et aviez différé de leur bailler vostre secours; et qu'au reste vous aviez heu ung singulier playsir d'entendre qu'elle eust envoyé ses depputez devers la Royne d' Escoce pour commancer de procéder au tretté; et que Yous, Sire, et la Royne, chacun séparément, en voz lettres, me commandiez de la prier et conjurer, au nom de l'amytié, que luy portez, qu'elle vous fît meinten- nant cognoistre combien elle vouloit satisfère aulx choses, qu'elle vous a faictes espérer, et que asséssouvant elle vous a promises, pour la liberté et restitution de la Royne d' Es- coce , et de tourner son cueur à ne vous vouloir ny offancer ny mescontanter en cella, ains correspondre à ce que, pour le seul respect de son amytié , et non d'aultre chose , vous desiriez qu'on ne vînt aulx viollantz remèdes , dont l'on

343 vous recherchoit très instautment d'y user; et que plu- sieurs raysons , lesquelles vous luy aviez desjà faictes en- tendre , pressoient vostre honneur et vostre debvoir , et l'honneur de vostre couronne , de n'abandonner, en façon du monde , ny la liberté, ny la restitutipn de ceste pouvre princesse , vostre belle soeur, ny mesmes les affères de ceulx qui soubstiennent sou party en Escoce , quant bien elle n'y seroit plus , et de n'y espargner nul moyen , ny pouvoir, que Dieu vous ayt donné en ce monde 5 dont de- siriez infînyement que le dict tretté sortît à effect, et que, par icelluy , elle demeurast contante et bien satisfaicte de tout ce qu'elle pouvoit honnestement et honnorablement demander à la Royne d' Escoce , pourveu que ce ne fût contre sa consience , ny contre sa dignité , ny contre son estât , ny au préjudice des trettez , que vous avez avec l'Angleterre, ny derrogeant à vostre alliance avec les Es- couçoys ; car, au reste , vous vouliez, de bon cueur , estre garant de toutes les choses qui seroient promises et accor- dées par le tretté.

Auquel propos, qui a esté avec attention, mais non sans passion , fort dilligemment escouté de la dicte Dame , elle m'a respondu qu'elle s' esbahyssoit grandement , comme Voz Majestez Très Chrestiennes avez tant à cueur la Royne d' Escoce, que ne vollussiez avoir aulcune considération aulx grandes oflances, qu'elle luy a faictes : premièrement, de luy iupugner sa condicion pour la fère déclairer illégi- time; puysde s' estre attribuée Je titre de sou royaulme; et tinallement, d'avoipesmeuses propres subjectz contre elle; et que ce eust bien esté assés à Voz Majestez de l'avoir faict admonester une foys d'y procéder, sellon que l'hon- neur et debvoir l'y pouvoit convyer, sans luy en fère si

344 souvant répéter les instances, comme , à toutes les audien- ces , je ne faillois de les luy renouveller ; et que, puysque j'en a vois esmeu le propos , elle me vouloit bien dire que ung pacquet d'une damed'Escoce luy estoit, despuys deux jours, tumbé entre mains, dedans lequel elle avoit trouvé une enseigne d'or , en laquelle estoit engravé ung lyon avec les armes d'Escoce, soubstenuz de deux cornes , et ung liépart avec les armes d'Angleterre , lequel le lyon (lessiroit , et ung mot en Anglois qui dict : alnsy abat- tra le Lyon Escouçoys le Liépart Anglois ; et puys une lettre d'une dame , qui se soubsigne Flemy , laquelle mande à milord de Leviston, de présenter la dicte ensei- gne à la Royne d'Escoce, sa bonne Mestresse , laquelle en entendra bien la signiffication , qui est celle propre qu'elles ont souvant devisée et désirée entre elles; et que cella, avec plusieurs aultres occasions, la randoient de plus en plus offancée contre la dicte Dame.

A quoy j'ay répliqué que, si elle considéroit en quelle honne sorte et modeste façon vous l'aviez toutjour faicte requérir sur les affaires de la dicte Royne d'Escoce, elle se réputeroit vous en avoir de l'obligation, et non qu'elle s'en tînt mal contante, comme j'espérois que le temps le luy feroit quelquefoys cognoistre ; et que, si elle y eust vollu entendre la première foys, nous en fussions à ceste heure aulx mercyemens, et non plus aulx tant répétées instances; et qu'au reste je ne faysois doubte que plusieurs en Angle- terre , et plusieurs en Escoce , ne cerchassent , par le moyen d'elle, de ruyner la Royne d'Escoce, et plusieurs aussi, par la Royne d'Escoce, delà ruyner à elle, s'ilz pouvoient; mais qu'elles feroient bien de s'accorder ensem- ble à la propre ruyne d'eulx , et à leur confusion ; et que

345 c'estoit à elle de cercher meintennant ou sa vengeance , ou sa seureté, en cest affère; et si c'estoit sa vengeance, qu'elle considérât les dangereuses conséquences qui en pouvoient advenir, et combien elle s'aquerroit par l'in- dignation de toutz les aultres princes, et la hayne généralle des habitans de ceste isle et de presque toute la Ghres- tienté 5 si, sa seureté , que Vostre Majesté concourroit à la luy fère trouver telle, comme elle la pourroit désirer. A quoy la dicte Dame , avec affection, m'a prié de vous escripre que , pour l'honneur de Vostre Majesté , et non pour aultre respect du monde, elle a commancé d'envoyer ses*depputez, et de procéder, envers la Royne d'Escoce, en une façon que nul aultre prince, ny princesse offancée comme elle, ne l'eust jamais faict, et qu'elle se contraindra à toutes les conditions, qu'il luy sera possible, pour remet- tre la dicte Dame , par la voye du tretté, le plus honno- rablement qu'elle pourra, en sonroyaulme; et, quant elle ne le pourra en ceste façon, qu'encor vous donne elle parolle de la renvoyer , commant que soit , à ceulx qui tiennent son party en son pays , car ne la veult plus retenir en son royaulme 5 et que, par ainsy, elle espère vous satisfère si bien que vous n'aurez plus occasion de vous quereller de ce faict , ny de luy en fère plus parler. Qui sont. Sire, les principaulx poinctz qui ont esté desduictz en ceste au- dience. Sur ce, etc Ce xxv« jour d'octobre 1570.

sm CXLir DÉPESCHE

du xxxe jour d'octobre 1570.

{Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne, le postillon.)

Négociation concernant Marie Stuart. Nouvelles d'Ecosse. Avis que le duc d'Albe demande à quitter le gouvernement des Pays-Bas. Affaires d'Allemagne. Ligue contre les Turcs.

Au Roy.

Sire, le retour des depputez de la Royne d'Angleterre ne nous faict que bien espérer du tretté , qu'ilz ont encom- mancé avec la Royne d'Escoce , de laquelle , et des res- ponces qu'elle leur a faictes, semble qu'ilz ayent miz peyne d'en fère prendre beaucoup de contanteraent à leur Mes- tresse , et qu'enfin le tretté se conclurra ; lequel se fût desjà advancé de dresser, avant la venue des depputez d'Escoce, si la raalladie de milord Quiper ne fût survenue , laquelle est cause qu'on s'est résolu d'attandre qu'ilz soient arrivez ; et que cependant icelluy Quiper pourra estre guéry. Je mettray peyne, Sire, d'entendre par M'^ de Roz, aussitost qu'il sera de retour en ce lieu, les susdictes responces de la Royne d'Escose, alïin de les vous mander ; et vous man- deray , par mesmes moyen, ce que j'auray aprins d'une dépesche, qui vient d'arriver du comte de Lenoz , la- quelle aulcuns présument estre pour certaine surcéance d'armes , qui doibt estre accordée pour deux mois en Escoce. Et j'entens que le gentilhomme, qui l'a apportée, dict que le duc de Ghastellerault, et ceulx du party de la Royne d'Escoce, s'opiniastrentde vouloir tenir une assem- blée , sur le faict de Testât du pays, nonobstant la dépes-

347 che de leurs depputez par deçà ; et que le S' de Flemy est sorty en armes de Dombertran pour se saysir des lieux plus prochains de sa place, affin d'y dresser des logis et estables , comme pour y recepvoir la gent et cavallerie qu'il attand bientost de France ; laquelle persuasion , avec le raport que le cappitaine Comberon faict de la ferme affection ,^ en quoy il a trouvé Voz Majestez vers les choses d'Escoce , pourront aulcunement servyr à l'advancement du dicttretté. Et y eust pareillement servy assés le doubte , auquel la Royne d'Angleterre demeuroit du retour de l'armée , qui est allé conduyre la Royne d'Espaigne , si elle n'eust receu ung adviz, (qui est assés semblable à ung aultre, que l'am- bassadeur d'Espaigne, qui est icy, en a, bien qu'il dict ne le tenir du duc d'Alve), que la dicte armée est réservée pour ramener en Flandres la princesse de Portugal , affin d'y estre régente, et le duc de Médina Celi, qu' elle admeyne pour y estre cappitaine général et superintendant des affères soubz elle ; et qu'avec la raesmes armée le dict duc s'en retournera, puis après, en Espaigne, et que, despuys l'em- barquement de sa Mestresse , icelluy duc a encores dépes- ché ung des siens, en dilligence, devers le Roy son Mais- tre , pour fère, en toutes sortes, résouldre son congé , re monstrant son eage et son indisposition ; et qu'il a remiz le pays en ung si bon et si paysible estât , et si hors de toute souspeçon de guerre , qu'on ne doibt plus rien crain- dre de ce costé , ayant faict exécuter les principaulx chefz

« Le duc d'Albe avait été investi du gouvernement des Pays-Bas en 1566. Le projet dont il est ici mention ne fut pas exécuté; il fut maintenu dans sa charge jusqu'à la fin de 1573, époque à laquelle il céda le gouvernement à don Louis de Requessens, commandeur de Castille , après avoir publié une amnistie générale, au mois de décembre de cette année.

:UH

de la cédition , et ruyné si bien toutz les moyens et la ré- putation du prince d'Orange, qu'il n'ose plus sortyr de Nausau; qu'il a miz ung si bon nombre des principaulx princes d'Allemaigne en la pencion de son Maistre, que les aultres^ ne luy pourront nuyre ; qu'il a accreu ses revenuz de Flandres de douze centz mil escuz par an; qu'il a as- chevé la forteresse d'Envers; ordonné celle de Vallencien- nes ; estably les évesques ; confirmé la noblesse ; réduict les loix , coustumes et ordonnances ; et si bien pourveu à toutes choses au dict pays, qu'il ne reste qu'à y entretenir le bon ordre qu'il y layssera ; et que mesmes il a acheminé en si bonne façon ce qu'il avoit àdémesler avecques les An- glois, qu'on vit en une doulce surcéance avec eulx , avec grande espérance d'un fort prochain et entier accord. Le- quel adviz semble que la dicte Dame tienne pour assés vé- ritable , et quoy que ce soit , elle a fait ramener en leur arcenal accoustumé de Gelingan les dix navyres qu'elle avoit envoyez convoyer la Royne d'Espaigne , et a faict licencier les gens et mariniers qui estoient dessus , et faict cesser toutz ses aultres aprestz et apareilz de mer.

Le sire Henry Goban escript d'Espire qu'il sera res- pondu sur les choses qu'il a proposées à l'Empereur, in- continent après que les nopces de la princesse EHzabeth seront faictes, et j'entans que, à la vérité, il a renouvelle le propos du mariage de l'archiduc Charles, mais l'on ne l'a suyvy ainsy chauldement qu'il espéroit. D' aultres lettres sont venues d'Allemaigne, qui font mencion de certein dif- férant, qui cuyda arriver à Heldelberc, devant l'Empereur, entre Jehan Georges Pallatin et Jehan Guilhaurae de Saxe, sur leur précédance , à qui seroit premier assiz au festin , de sorte qu'ilz furent prestz de mettre la main aulx armes;

349 mais l'Empereur assembla soubdein les principaulx, qui estoient près de luy, et prononcea pour le dict Georges , remonstrant si bien la rayson à l'anltre, que la chose se passa gracieusement; et que le comte Pallatin avoit ins- tamment prié rimpératrix et la princesse sa fille, qu'elles voUussent accompaigner l'Empereur en sa mayson de Heldelberc; mais la dicte Dame s'en estoit excusée en une façon si résolue de n'y vouloir aulcunement aller, que le dict Pallatin en estoit demeuré assés mal contant ; que r Empereur avoit une grande affection d'entrer en la ligue contre le Turc, et qu'il estoit après à persuader le Vay- vaulde de renoncer à l'alliance et à la souverayneté d'icel- luy, et de luy deffandre l'entrée de la Transilvanie , luy promettant , s'il perdoit , pour ceste occasion , rien de son estât qu'il le récompeuseroit en Bohesme; et qu'on avoit opinion, s'il pouvoit conduyre le dict Vayvaulde à cella, que les Estats de l'Empyre luy consentiroient voUontiers d'entrer en la dicte ligue , et s'obligeroient à luy bailler deniers et secours pour icelle, bien qu'on souspeçonnoit assés que, n'ayantz les Véniciens esté secouruz à propos de ceulx de la susdicte ligue, ils cercheront d'accommoder leurs aflfères et de procurer en toutes sortes par deniers, ou bien en accordant quelque tribut sur Ghipre , de fère paix avec le dict Turc ; au moyen de quoy ceste ligue de- meureroit, puys après, assés froide, et bien fort foible. Sur ce, etc. Ge xxx" jour d'octobre 1570.

850

CXLIir DÉPESCHE

du ix« jour de novembre 1 570.

(Envoyée à la court par M' le secrétaire de L'Aubespine. )

Audience. Vives plaintes de la reine contre la réception faite par le roi à M' de Norris , son ambassadeur, et contre la déclaration du roi en faveur de la reine d'Ecosse. Nécessité se trouve le roi de réclamer la liberté de Marie Stuart. Protestation qu'il ne veut pas rompre la paix. Com- munication officielle du mariage du roi. Compliment de la reine sur cette union. Lettre secrète à la reine-mère sur la proposition du ma- riage de la reine d'Angleterre avec le duc d'Anjou. Mémoire. Bruits répandus en Angleterre et en Allemagne que la pacification de France n'est point sérieuse, et qu'elle cache quelque secret dessein du roi. Dé- tails particuliers concernant la négociation avec la reine d'Ecosse. Rap- prochement entre l'Angleterre et l'Espagne. Plainte de Walsingham au sujet de l'accueil que lui a fait le roi dans son audience de congé.

Au Roy.

Sire, estant, sabmedy dernier, avec la Royne d'Angle- terre pourluy fère part de la dépesche, que M"^ de L'Au- bespine m'a apportée, et des aultres choses qu'il m'a sa- gement faictes entendre de l'intention de Vostre Majesté, j'avois advisé de luy commancer quelque gracieulx propos de vostre mariage, ainsy qu'on m'avoit adverty que je me gardasse bien de luy user d'aulcune rigoureuse démons- tration, si je ne voulois donner aulx ennemys de la Royne d'Escoce l'entier gain de leur cause, et advancer grande- ment les artères d'Espaigne, pour d'aultant deffavoriser toutz ceulx de France en son endroict; et que c'estoit à l'ociasion de certaine deflaveur, que son ambassadeur luy avoit mandé qu'il avoit naguières receu de Vostre Majesté, meslée de quelque menace contre elle mesmes, sur les af- fères delà Royne d'Escoce, de quoy elle estoit fort offan- cée; et que noz ennemys s' esforceroient d'y semer encores

351 du verre , pour randre la playe incurable ; par ainsy, qu'il estoit hesoing que je radoulcisse le faict.

Mais la dicte Dame me prévint , car aussitost que j'en- tray en sa chambre privée , elle s'advança de me dire qu'elle me recepvoit mieulx que son ambassadeur ne l'a- voit esté en sa dernière audience en France, me remons- trant la façon dont Vostre Majesté avoit parlé àluy; de laquelle disoit estre de tant plus marrye que deux aultres gentishommes anglois, qui n'avoient jamais plus veu vostre ctmrt , luy avoient raporté , premier que son ambassadeur luy en eust rien escript, qu'elle ny ses messagiers n'es- toient guières prisez ny respectez en France.

Sur quoy l'ayant escoutée paciemment, je luy respon- diz que je n'avois rien entendu de cest affère, et que je sçavois, et estois bon tesmoing, que Vostre Majesté avoit toutjours bien receu, avecques beaucoup d'honneur et fa- veur, ses ambassadeurs , et toutz les propos qu'ilz vous avoient toutjours tenuz de sa part , aultant que de nul aul- tre prince ny prmcesse de la terre ; ce qui me faisoit croyre que l'ocasion n' estoit meintennant procédée de Vostre Majesté; et j'en comprenois quelque chose parce qu'elle- mesmes disoit que vous aviez la botte , quant son ambas- sadeur arriva , et que vous luy aviez demandé comme est ce qu'il venoit à telle heure; et qu'au reste, elle debvoit interpréter à bien la franchise de vostre parler sur les af- fères de la Royne d'Escoce; mesmes que s' estant la dicte négociation continuée despuys par lettres, vous m'aviez envoyé la coppie de celle , que vous aviez escripte à son ambassadeur; laquelle je trouvois fort honnorable, et bien conforme à tout ce qui pouvoit convenir à l'entretennement de vostre commune amytié.

352

Elle me répliqua qu'elle ne sçavoit que penser de la dicte réponse par escript, et s'esbaliyssoit assés comme V ostre Majesté y avoit voUu adjouxter de sa main , me priant de la luy monstrer, si je l'avois présente, affinque la débatissions ensemble, dont la luy ayant monstrée, elle me dict, par deux foys, qu'elle n'estoit semblable à celle qu'elle avoit desjàveue; et que néantmoins elle trouvoit en ceste cy cella bien dur, que vous disiez vouloir secourir la Royne d' Es- coce en ceste sienne nécessité , et procurer sa liberté par toutz les moyens que Dieu avoit miz en vostre puyssance ; et qu'estant la dicte Royne d'Escoce entre ses mains, vous infériez par que si elle ne la restituoit par le tretté , que vous luy dénonciez desjà la guerre.

Sur quoy je luy desduysis les raysons, par lesquelles Yostre Majesté ne pouvoit moins dire que cella, ny moins fère que ce que vous en disiez ; et quant elle vouldroit , d'un cœur non ulcéré , considérer Testât de cest affère , que non seulement elle ne se tiendroit pour offancée , ains cognoistroit vous avoir beaucoup d'obligation de l'honneste et modeste façon , dont vous y aviez procédé ; et que , no- nobstant les lettres de son dict ambassadeur, suyvant les honnorables propos et honnestes démonstrations de con- tantement , dont elle vous avoit usé touchant vostre ma- riage, lorsque luy en aviez premièrement escript l'accord, vous me commandiez de luy dire en quoy en estoient mein- tennant les choses ; qui espériez que son playsir augmen- teroit de sçavoir qu'elles fussent ainsy bien advancées qu'elles estoient, et prestes de recepvoir ung bien prochain et bien heureulx accomplissement; et luy particularisay le voyage de M"^ le comte de Retz à Espire , afiBn d'apporter les pouvoirs à l'archiduc Ferdinand, pour espouser, au nom

353

de Vostre Majesté , la princesse Elizabeth sa niepce , et comme la cérémonye s'en debvoit célébrer, le xv^ du passé, par l'archevesque de Mayance, et puys s'acheminer la dicte Dame, le xxiiij^ du dict moys, grandement accompaignée, en France; et que Monseigneur, frère de Vostre Majesté, et Madame de Lorrayne, vostre sœur, estoient desjà vers la frontière pour la recepvoir et pour la mener fère sa première entrée à Mézières, toute sa mayson luy seroit présentée, et 3e à Compiegne , auquel lieu Voz Majestez prépa- roient desjà ce qui convenoit à un si solempnel et si royal mariage, pour le xv*= du présent; et puys l'on conduyroit la dicte Dame à S* Deniz pour la sacrer et couronner Royne de France; et se parloit de l'entrée à Paris au premier jour de l'an, quant messieurs les mareschaulx et aultres principaulx seigneurs, qu'aviez envoyez, pour establir, sans dilay ny excuse , vostre éedict par toutes les provinces de vostre royaume , pourroient estre de retour ; et que , comme Vostre Majesté et la dicte Royne d'Angleterre aviez accoustumé d'agréer, l'ung àl'aultre, la communica- tion de voz bonnes fortunes et prospéritez , que vous luy aviez bien vollu fère part de ceste cy, pour l'asseurer que ceste vostre nouvelle alliance n'estoit pour diminuer, ains pour fortiffier et augmenter davantaige celle que vous avez, et en laquelle vous voulez bien persévérer, avec elle; et que je croyois que vous seriez bien ayse d'entendre qu'elle fust en ces mesmes termes, à présent vous trouviez, fort allègre et bien disposé , affin que mutuellement vous vous peussiez conjoyr de son contantement , comme vous vous asseuriez qu'elle se resjouyssoit bien fort du vostre.

La dicte Dame, avec abondance de playsir, me respon- dit que cest agréable propos effaçoit beaucoup la dolleur

;î54

(lu'elle avoit pris de l'aultre , et qu'elle vous randoit le plus exprès grand mercys qu'elle pouvoit de la communi- cation , qu'il vous playsoit luy fère , de chose si privée, et apartenant de si près à vostre personne , comme est vostre mariage ; et qu'elle n' avoit pas pensé que les choses fus- sent si près de leur accomplissement , car eust préparé d'y envoyer de ses gentishommes pour y assister; et qu'il semble qu'encor que les espousailles du Roy d'Espaigrie ayent précédé , que néantmoins voz nopces seront plustost consommées, et qu'elle vouldroit de bon cueur pouvoir es- tre à la feste ; car monstreroit à tout le monde qu'elle se resjouyt plus véritablement de vostre prospérité et conten- tement, qu'il ne luy est possible de l'exprimer par paroUe; que, touchant le premier propos concernant son ambassa- deur, elle me prioit de vous en mander le mal qu'elle en avoit sur le cueur, et qu'elle espéroitque vous luy en don- riez quelque satisfaction , qui la guériroyt, et luy osteroit tout l'empeschement, qu'elle avoit, de ne se pouvoir tant resjouyr de ce segond propos du mariage comme elle de- sireroit de le fère ; que , touchant le dict segond propos , elle vouloit prier Dieu de bényre l'espoux, et l'espousée , et les nopces, avec toute la postérité qui en viendroit, la- quelle se pourroit dire estre de la plus royalle et noble ex- traction de la terre; et que, touchant la Royne d'Escoce, qu'elle avoit trouvé les responces, qu'elle avoit faictes à ses depputez, fort honorables, dont n'estoient guièresloing d'accord entre elles; et que les depputez d'Escoce seroient hientost icy, pour y procéder du premier jour, comme il luy tardoit, plus qu'à nul aultre de ce monde, que cella prînt bientost une bonne fin; et, au regard de ce que je luy avois touché de la pleincte de ceulx de Roan, qu'elle

355

y feroit dilligemment regarder par ceulx de son conseil , affin de vous donner, en l'endroict de ceulx là, occasion de fère bien tretter toutz ses subjectz en France , comme elle désire qu'ilz y continuent leur traffic.

Et y a heu plusieurs aultres privez discours entre la dicte Dame et moy ; lesquelz je remetz , avec plusieurs aultres choses, à M" de L'Aubespine pour les vous fère en- tendre,* de la mesmes suffizance, qu'il m'a très dignement raporté celles que Vostre Majesté luy avoit donné charge de me dire, et vous présentera les recommendations de la Royne d'Angleterre , comme elle l'a enchargé de ce fère. Sur ce, etc. Ce ix*" jour de novembre 1570.

A LA Royne.

Madame , il est venu fort à propos , par l'arrivée de M"^ de L'Aubespine, que j'aye heu à parler à la Royne d'An- gleterre du contenu de la dépesche, qu'il m'a apportée, de Voz Majestez, du xix*" du passé 5 suyvant laquelle j'ay adoulcy, par les gracieulx propos du mariage du Roy , le mieulx que j'ay peu, le courroux, que la dicte Dame avoit, du malcontantement, que son ambassadeur. M'" Norrys, luy avoit mandé qu'on luy avoit naguières donné en France , ainsy que, plus au long, je l'escriptz en lalettre duRoy, voussupHant très humblement. Madame, que, la première foys que Voz Majestez verront le dict ambassadeur, elles luy veuillent dire quelque bonne paroUe de faveur, et me com- mander, par vos premières, d'en dire quelque aultre de sa- tisfaction icy à la dicte Dame ; car, avec bien peu , j'es- père que tout cella se rabillera. Elle a suyvy avecques playsir et a faict longuement durer le propos, que je luy

356 -- ay commancé , du dict mariage du Roy , et est venue à parler du sien : qu'elle n'avoit faict bien de ne se maryer poinct, mais qu'elle estoit desjà si vieille que nul, de ceulx qui y pourroient prétandre , n'en avoit plus de volonté , et qu'elle n'avoit jamais pensé d'en espouser, qui ne fût de mayson royalle; que l'Empereur avoit bien employé son voyage d'avoir logé ses deux filles aulx deux plus grandz Roys; et qu'elle avoit esté bien ayse de pouvoir honorer celle qui estoit allée en Hespaigne, pour l'amour du père, qui la luy avoit recommandée , et l' avoit priée de favoriser et asseurer son passaige ; et que , ayant sceu comme elle estoit arrivée, à saulvement , en Espaigne , elle avoit soub- dain dépesché ung homme exprès à Espire pour l'en adver- tyr; qu'elle s'asseuroit que, l'Empereur establyroit son alliance , qu'il procureroit d'y confirmer aussi celle d'Angleterre.

Ausquelles choses je luy ay respondu que Voz Majestez recepvroient grand contantement des honnorables propos, qu'elle tenoit du mariage du Roy , et loueroient fort sa prudente dellibération d'avoir réservé franche sa voUonté pour se maryer , quant il luy plairoit , et que mesmes ce soit avec un royal prince ; que , à la vérité, elle avoit favo- risé et honnoré grandement le passaige de la Royne d' Es- paigne , de laquelle j'entendois qu'elle se contantoit bien fort , par les bonnes parolles et honnestes lettres , que sire Charles Havart luy en avoit raporté; et que j'espérois qu'elle recepvroit encore plus de contantement de la Royne , sa sœur , et se termina pour lors le propos , et toute l'audience , avec beaucoup de plésir et contantement de la dicte Dame ; laquelle, demeurant en quelque craincte de la déterminée résolution en quoy elle voyt que Voz Ma-

357 jestez Très Chrestiennes, pour leur honneur, persévèrent de vouloir secourir la Royne d'Escoce, et néantmoins que vous avez désir de conserver son amytié , et ne l'offancer , elle se monstre plus disposée de parachever le tretté ; lequel nous poursuyvrons , avec la plus continuelle instance , qu'il nous sera possible , comme la Royne d'Escoce , de son costé , ne pert en cella heure, ny moment. Sur ce , etc. Ce ix^ jour de novembre 1570.

A LA RO V NE.

( Aultre lettre à part. )

Madame, quant Vostre Majesté me dépescha, présent le Roy et Monseigneur, voz enfans , pour venir en ceste charge, ellem.e descouvrit cemesmes désir, dont, à présent, il luy playt me fère mencion par sa petite lettre du xx^ du passé •; et je vous suphe très humblement, Madame, de croyreque j'ay toutjour, despuys, fort soigneusement re- gardé s'il y auroit nul moyen.de l'effectuer, sans que j'ay esté ny endormy, ny paresseux, de pénétrer, aultant qu'il m'a esté possible , ez affères de deçà et en l'intention de ceux qui lesmanyent, par des voyes toutesfoys bien esloi- gnées du dict propos , pour voir s'il y auroit rien qui s'y peult bien raporter et accomoder. En quoy, si j'eusse trouvé quelque fondement, je n'eusse différé une seule heure de le vous mander, ny en eusse perdu une aultre à le bien et diUigemment poursuyvre. Mais, Madame, voycy en

< Lettre, escrite de la main de la Roine mère, à M' de La Mothe Fénélon, pour lui estre rendue en mains propres , du 20 octobre 1570 : « Monsieur de La » Mothe Fénélon , monsieur le cardinal de Chastillon a faict tenir propos à » mon flls , le duc d'Anjou , d'une ouverture de mariage de la royne d'Angle- » terre et de mon dict fils...» Voir le Supplément à la Correspondance Diplo- matique de La Mothe Fénélon , contenant les lettres qui lui étaient écrites de la cour.

358 quoy, pour quel regard que ce soit , en sont meintennant les choses : que la Royne d'Angleterre, quoy qu'elle ayt donné charge au jeune Coban de renouveller, par motz couvertz et artificieulx , le propos du mariage de l'archiduc ; et que, assés souvant, elle et les siens en jettent d'aultres, bien ex- près , touchant Monseigneur vostre filz , ce n'est toutesfoys , quant à l'archiduc, que pourmonstrer de vouloir accepter l'alliance de la maison, d'où les deux grandz Roys se sont nouvellement allyez ; et rabiller par ce moyen , si elle peult, ses différans avec le Roy d'Espaigne, et fère pren- dre de quelque jalouzie à Voz Majestez Très Chres- tiennes , comme aussi en fère prendre encores une plus grande au Roy d'Espaigne du propos de Mon dict Seigneur, vostre filz; et s'entretenir, par la réputation de ces deux grandz partys, en plus grande estime envers les siens. Mais le jugement d'ung chacun est conforme à celluy que faict Vostre Majesté, qu'elle ne se soubsmettra jamais à nul mary, ainsy que, d'elle mesmes, elle s'en monstre toutjour assés esloignée ; et les siens l'en détournent davantaige, af- fin de disposer toutjour, ainsy qu'ilz font, d'elle et de son royaulme.

Et ung des principaulx, qui soit auprès d'elle, a na- guières dict que , despuys trois moys , le vydame de Char- tres a mené une secrecte pratique avec le secrétaire Cecille, pour le mariage de Mon dict Seigneur, vostre filz, avec elle; et qu'il a offert de fère, par ce moyen, advancer le tiltre de ceux de Herfort àceste couronne, au cas que la dicte Dame ne puysse avoir d'enfans; et que le propos n'a peu estre que bien ouy, pour le regard de Mon dict Seigneur, de presque toute la noblesse; mais que la pluspart d'icelle l'a mal receu et heu fort odieux touchant ceux de Herfort ; et

359 qu'il jugeoit que le dict vydame n'y avoit pas grand moyen, mais qu'il avoit advancé cella pour complayre au dict Cecille, sachant l'extrême affection, qu'il a, à ceulx de Herfort; les- quelz sont deux petitz masles, issuz de celle madame Catherine ' , prochaine de ceste couronne , qui est morte dans la Tour. Et n'y a poinct de fille en ce royaulme, petite ny grande , qui prétande à la dicte succession, sinon une sœur de la dicte dame Catherine , qui est bossue , et a espousé un huissier de la salle de présence , ny la Royne d'Angleterre n'a la vollonté d'en adopter pas une; et croy que , quant elle le vouldroit l'ère , au préjudice de ceulx qui y prétandent droict, qu'elle ne le pourroit effectuer par le parlement, ny mesmes en fère déclairer ung des prétan- dans, tant les partz sont contraires, et les maysons princi- palles de ce royaulme opposantes l'une à l'aultre sur ce poinct. De quoy j'estime que le droict de la Royne d'Escoce ne s'en rendra que plus fort, bien qu'il semble qu'un tel faict ne se démeslera, sans beaucoup de débat.

Quelcun m'a dict qu'on a voUu aussi proposer le ma- riage du Prince de Navarre avec ceste Royne , le fai- sant le plus riche subject de l'Europe, et allégant quel- ques droictz, qu'il a nouvellement gaignez , en la chambre impérialle, contre le Roy d'Espaigne, qu'on dict valloir plusieurs millions d'or , mais le propos n'a esté suyvy.

Or, Madame, je ne voys pas qu'il y ayt lieu de mettre, pour ceste heure , rien en avant de nostre costé , et , par ainsy, je m'en tayray du tout , ainsy qu'il vous playt me

' Catherine, sœur puînée de Jeanne Gray. Elle avait épousé le comte de Hereford,et deuN enl'ans étaient issus de ce mariage, Henri et Edouard. Ma- rie, dernière sœur de Jeanne Gray. avait été mariée à un simple gentilhomme nommé Revt.

360 le commander, bien que je vous suplye de ne laysser de suyvre et escouter bénignement ce qu'on vous en pourra toucher, monstrant que les plus grandes difficultez vous semblent estre du costé de la dicte Dame ; sans toutesfoys advancer parolle , de laquelle elle se puysse advantaiger. Et cependant je veilleray, plus que jamais , sur ce qui se pourra descouvrir ou venir en lumyère , propre à cest ef- fect , vous voulant bien advertyr , au reste , Madame , que de France, l'on a naguières escript à la Royne d'Angleterre que Vostre Majesté ne désire aulcunement l'expédition des affères de la Royne d'Escoce, ains que vous auriez playsir qu'elle ne bougeât encores d'Angleterre; de quoy semble que l'évesque de Roz ayt heu un semblable adviz de ceste court, mais je luy ay faict cognoistre qu'il n'y a rien au monde plus faulx que cella. Sur ce , etc.

Ce ix^ jour de novembre 4570.

POURRA LE DICT SIEUR DE L'ALBESPINE ,

oultre le cou tenu de la dépesche , dire à Leurs M^ estez :

Que quelques ungs du conseil d'Angleterre incistent fermement à la Royne, leur Mestresse, de ne debvoir, en façon du monde, tretter avec la Royne d'Escoce ; et que, pour nulles menaces , ny effortz, qu'elle ayt à craindre du costé du Roy , elle ne se doibt haster de la délivrer, car jugent que la paix ne sera de durée en France ; et que, par aulcunes lettres et adviz, qu'ilz ont de dellà la mer, ilz ont des- couvert que le Pape, le Roy d'Espaigne, et les Véniciens sont propre- ment ceulx qui ont conseillé de la fère ainsy qu'elle est, pour peur, qu'ilz avoient, que ceux de la nouvelle religion ne gaignassent tant d'advantaige , pendant que eulx seroient occupez en la guerre du Turc et en celle des Mores, qu'il ne fût, puys après, plus temps d'y remédier ; et que néantmoins , ilz ont promiz au Roy, qu'aussi- tost qu'ils se verroient démeslez de ces deux guerres , qu'ilz luy foruyroient ung si notable secours qu'il pourroit fort ayséement purger son royaulme de toute ceste secte de Huguenotz;

Que cella se irouvoit ainsy confirmé par une dépesche de M-^ le

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Nonce à l'aultre Nonce , qui est en Espaigne , laquelle avoit esté interceptée , et qu'on avoit trouvé dedans la coppie d'une lettre du Pape à M"^ le cardinal de Lorrayne , (jui en faisoit assés expresse mencion ;

Que, nonobstant les bonnes démonstrations du Roy sur l'observance de la paix, que les aultres Princes et les principaulx de la court ozoient assés ouvertement déclairer qu'ilz l'avoient à contre cueur ; et que, à Thoulouse et à Lyon , ne la vouloient encores bien recepvoir, ce qui estoit signe qu'elle s'en iroit plustost rompue que establye ;

Et qu'ilz sçavoient que le Roy mesmes , accompaigné de M" les cardinaulx, et d'aulcuns princes, et aultres plus privez de son con- seil, avoit, par acte fort secrect, dict et déclairé , en sa court de parlement de Paris , que son intention n'estoit d'entretenir aulcune- ment deux religions en son royaulrae ; et qiie ce, qu'il avoit instant- ment pourchassé la paix, avoit esté pour séparer l'armée des Hugue- notz , et renvoyer les estrangiers ; mais qu'après cella il metlroit aultre ordre et une meilleure forme aulx affères de la dicte religion ; et que aulcuns des assistans avoient fort loué et magniffié son opi- nion, et avoient tout hault randu grâces à Dieu qu'il eust miz un si catholique désir dans le cueur de nostre Roy ;

Que Messieurs les Princes et Adrayral , estantz assez informez de cecy, se tenoient sur leurs gardes, et avoient desjà envoyé notiffier toutes ces particullaritez à leurs amys en Allemaigne; et que mesmes les cappitaines et colonnelz, qui estoient venuz vers Hembourg, pour s'asseurer de certaines levées de gens de guerre pour les princes protestans, en avoient parlé assés clair; par lesquelles remonstrances l'on a fort essayé de persuader la dicte Dame qu'elle devoit attandre l'événement de ces choses de France, premier que de rien remuer en celles d'Escoce.

Mais j'ay, à ceste heure , tout à propos , par la venue du dict S' de L'Aubespine , notifBé à la dicte Dame, et assés publié en sa court, le bon ordre , que le Roy a prins, d'envoyer messieurs les mares- chaulx et aultres seigneurs et cappitaines , avec des maistres de reques- tes et des commissaires, par toutz les lieux et provinces de son royaulme , pour y exécuter son éedict sans dilay, ni excuse; ce qui faict prendre à la dicte Dame et aulx siens meilleure opinion de nos- tre paix, et semble qu'elle se résould de passer oullre au tretté de la Royne d'Escoce.

Car voycy en quoy en sont meintennant les choses , que le secré- taire Cecille et maistre Mildmay, estans de retour vers elle, luy ont,

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d'entrée, protesté qu'encor qu'ilz eussent l'honneur d'estre toutz entièrement siens, ses conseillers et subjectz, qu'ilz avoient néant- moins juré à la Royne d'Escoce de luy rapporter aultant fidellement et à la vérité tout ce qu'ilz avoient veu , cogneu et ouy d'elle, comme s'ilz fussent ses propres messagiers ; et ainsy ont faict leur raport si bon que la dicte Dame est demeurée fort satisfaicte de la dicte Royne , sa cousine , et en grande voUonté de conclurre ung bon tretté avec elle.

Sur quoy, icelluy Cecille luy a demandé d'où estoit doncques ad- venu que , pendant qu'ilz estoient sur le lieu , elle leur eust mandé d'agraver les condicions à la dicte Royne d'Escoce, et les luy pro- poser plus dures, qu'elle ne leur avoit commandé de le fère, quant ilz partirent : « Prenez vous en , respondit elle , à millord Quiper, vostre beau frère ; car c'est luy qui m'y a contraincte. »

Et j'ay sceu, à la vérité , que, quant leS"^ de Valsingan revint de France, la dicte Dame assembla ceulx de son conseil pour déterminer des affères de la dicte Royne d'Escoce, suyvant ce que le Roy luy en mandoit, et leur ayant elle mesmes proposé les choses en une façon, qui la monstroient incliner bien fort à la restitution de la dicte Dame, le dict Quiper luy respondit seulement ; « Qu'il la voyoit si disposée en cest affère , qu'il ne failloit que l'exécuter, sans plus le mettre en dellibération. » « Ouy, dict elle , beaucoup d'ocasions, à la vérité , me meuvent de le désirer ainsy : mais je veux modérer mon désir par vostre adviz. » Il répliqua soubdain : « Qu'il estoit pour la conseiller et non pour la contradire , et que, voyant son con- seil ne pouvoir avoir lieu, qu'il se déportoit de le bailler. » Sur quoy la dicte Dame, assés en coUère, luy adressa ces paroUes : « Je vous ay creu, ces deux ans passez, de toutes choses, en mon royaulme, et je n'y ay veu que troubles, despenses et dangier». Je veux, àceste heure , user, aultant de temps, de mon propre conseil, pour voir si je m'en trouveray mieux. » Et, sur ce poinct, elle se retira dans son cabinet ; mais le dict Quiper et ceulx du conseil ne layssèrent pour cella, d'altérer assez la besoigne, et s'esforcèrent, par plusieurs moyens, de randre , touchant ceste négociation , bien fort suspect Cecille à la dicte Dame.

Néantmoins, despuys le retour du dict Cecille, ayant de rechef esté le conseil rassemblé pour ouyr son raport et les responces de la dicte Royne d'Escoce, encor <inc le dict Quiper se soit opiniastré contre la restitution d'elle , et soubstenu qu'on debvoit délaysser (;e trelte, il semble (ju'il n'ayt peu rien gaigncr; et qu'à ceste occa-

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sion , il soit parly de court mal contant ; et que la dicte Royne d'Angleterre se soit confirmée, de plus en plus , de vouloir trettcr.

Dont despuys , ayant M' l'évesque de Roz esté devers elle , elle luy a dict : « Que ses deux depputez luy avoient raporté beaucoup de satisfaction de la dicte Royrie d'Escoce , et qu'elle trouvoit ses responces fort honnorables ; dont elles deux s'acorderoient fort ay- séement des aultres choses , qui sembloient demeurer encores en dif- férant ; et qu'il ne restoit plus que l'arrivée des depputez d'Escoce, lesquelz elle vouloit attandre, premier que de passer plus oultre. » Et, comme le dict sieur évesque luy toucha ung mot de la difficulté, qu'il y avoit, de conclurre la ligue, de peur de préjudicier à celle de France, et qu'il la pryoit qu'il en peult communiquer avecques moi : « Je veulx bien, dict elle, que vous en communiquiez à l'ambassa- deur du Roy, mais il ne fault que luy, ny aultre , m'estiment si sotte , puysque la Royne d'Escoce est entre mes mains , que je ne veuille bien pourvoir, premier qu'elle en sorte , qu'elle n'aille estre ung instrument à ung aultre prince de me fère la guerre. »

Et ainsy le dict sieur évesque de Roz , et moy, sommes après à conférer ensemble les articles et condicions , qu'on propose à la dicte Royne d'Escoce ; en quoy je incisteray fermement que l'inten- tion du Roy soit suyvye , ou , au moins , qu'il ne soit faict préjudice à rien , qui touche son service ; et semble qu'il est expédiant d'ac- commoder ces aiîères par le présent tretté , sans les remettre à une aultre fois, car aultrement la dicte Dame et son estât restent en ung très grand dangier ; et de tant que les dicts depputez d'Escoce sont desjà acheminez , sçavoir : du party de la Royne , milord Herys, milord Bonet et le dict sieur évesque, qui est desjà icy ; et, de la part du régent, le comte de Morthon, milord Clames et l'abbé de Domfermelin ; et qu'on les attand toutz dans six ou sept jours , et que desjà il se parle de l'entrevue des deux Roynes, ung chacun es- père que l'accord réuscyra.

Pendant que les dicts depputez estoient avec la Royne d'Escoce, elle a dépesché ung sien tapissier, nommé Serve, en Flandres, de- vers milord de Sethon , luy apporter ung pouvoir et procuration d'elle , en forme , pour tretter avec le duc d'Alve ; et luy communi- quer les articles, que les dicts depputez luy ont proposez ; et l'as- seurer, qu'encor qu'elle soit en beaucoup de nécessitez , qu'elle toutesfoys ne conclurra rien sans l'adviz de ses amys. Néantmoins, elle a, d'elle mesmes, accordé, par une lettre de sa main, de bailler le Prince , son filz , à la Royne d'Angleterre ; et l'ambassadeur d'Es-

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paigne, qui est icy, conseilloit néantmoins qu'elle luy accordât plus- tost les places de Dombertran , Lislebourg , et d'Esterlin , et force ostaiges, que non le dict Prince.

Les gracieulx propos et honnestes lettres , que la Royne d'Espai- gne a mandez à la Royne d'Angleterre , sont cause que le dict sieur ambassadeur comraance d'estre plus respecté et favorisé des Anglois qu'il ne souloit , et qu'il est recherché, soubz main, de vouloir de- mander audience de la dicte Dame , à laquelle il n'a parlé, xxij moys a , et qu'elle la luy ottroyera fort voUontiers. Sur quoy il a respondn qu'en ayant esté plusieurs foys reffuzé , il importe beaucoup à l'hon- neur de son Maistre que la dicte Dame la luy veuille ottroyer d'elle mesmes; et, par ainsy, qu'il est dellibéré d'attandre qu'elle le luy mande , ou le luy face dire par quelcun des siens.

Et cependant , l'on a pareillement recerché le S' Ridolfy de re- prendre le propos de l'accord des différans des prinses , sellon ce qu'il en avoit quelquefoys miz en avant, dontdesjàil en a escript une lettre à M-^ le comte de Lestre , qui monstre d'y avoir quelque af- fection , et il a esté assés bien respondu. Je croy que cest affère se rendra de tant plus facille, que les Anglois trouveront de difficultez en nous ; et semble que M-^ Norrys se soit , puys peu de jours, pleinct de quelque deffaveur, qu'on luy a faicte en France , et que sa Mes- tresse en soit bien mal contante :

Comme aussi le S' de Valsingan, parmy les propos, qu'il m'a tenuz, des lionnestes faveurs , qu'il avoit receues de Leurs Majestez Très Chrestiennes , il y a meslé je ne sçay quoy de deffaveur, qu'il luy sembloit que le Roy luy ayt faict, en la seconde audience , de ne luy avoir monstre si bon visage , ny usé de si gracieuses paroUes , que en la première ; et d'avoir, luy présent, dict à ]Vr Norrys qu'il estoit marry qu'il s'en volust sitost retourner, l'ayant trouvé homme de bien en sa charge; et qu'il vouloit prier la Royne d'Angleterre, sa bonne sœur , de ne luy bailler poinct de successeur, qui fût turbu- lant, ny homme qui n'ayraàt la paix et le repos ; comme si Sa Majesté entendoit de dresser ce propos à luy, car il estoit en termes de luy succéder; et qu'il croyoit que M-^ de Glasco luy eust faict donner ceste attache , bien qu'il ne se soil , à ce qu'il dict , jamais ingéré ez affères de la Royne d'Escoce, sinon quant la Royne , sa Mestresse, le luy a commandé ; et que je sçay bien qu'il fault obéyr à son natu- rel prince, quant il commande quelque chose.

Ce qui l'avoit fort descouragé d'accepter la légation en France , craignant de n'estre agréable à Sa Majesté ; toutesfoys que la Royne, sa

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Mestresse, luy avoit commandé 'de s'aprester, me priant d'asseurer Leurs dictes Majestez Très Chrestiennes (pie nul jamais ne tiendra ce lieu , qui ayt plus droicie intention à meintenir la paix et la bonne amytié entre nos deux Maistres et leurs deux royaumes que luy ; et que, s'en allant l'alTère de la Royne d'Escoce composé , il luy sera - bloit qu'il ne restoit plus aulcune occasion de différant entre la France et l'Angleterre. A toutes lesquelles choses je luy ay respondu, sellon l'honneur et grandeur du Roy, et comme il debvoit prendre la franchise du parler de Sa Majesté en bonne part ; et luy ay donné , au reste, toute bonne espérance de sa légation, voyant qu'aussi bien elle luy estoit desjà commise ; et estime l'on qu'encor qu'il soit tenu pour homme fort affectionné à la religion nouvelle , et assés contraire de la Royne d'Escoce, que néantmoins il se rendra modéré.

CXLIV' DEPESCHE

du xnii« jour de novembre 1570.

{Envoyée exprès jusques à Calais par le corier de Flandres.)

Discussion des articles du traité proposé concernant la reine d'Ecosse. Efforts de l'ambassadeur afinjde faire accepter les conditions envoyées par le roi. Consentement de Marie Stuart à ce que son fils soit donné en otage à la reine d'Angleterre. Motifs de cette détermination, qui est contraire aux instructions reçues de France. État de la négociation avec les Pays-Bas ; nouvelles de Flandre.

Au Roy. Sire, après le parlement du S-^ de L'Aubespine, j'ay communiqué le contenu des lettres de Vostre Majesté, du xxvFij* du passé , qui me sont arrivées , ainsy qu'il partoit, à MM'évesque de Roz; et, suyvant icelles, je l'ay pressé d'incister vifvement à la Royne d'Angleterre de passer oultre au tretté encommancé, et que, de sa part, il la veuille dorsenavant poursuyvre par la forme, et non aultrement, qu'il a pieu à Vostre Majesté me le près- cripre, luy desduysant les raysons, pourquoy la Royne, sa Mestresse, ny luy, ne la doibvent excéder; lesquelles ray-

366 sons j'ay aussi mandées à la dicte Royne, sa Mestresse, avec ung extraict de ce qui en est porté par vos dictes der- nières.

Sur quoy le dict sieur évesque m'a asseuré de la par- faicte correspondance de sa dicte Mestresse, et de luy, à vouloir, en tout et partout, suyvre l'intention et les conseils de Vostre Majesté ; et que , ayant despuys trois jours esté devers la Royne d'Angleterre, pour luy présenter ung pourtraict, que la dicte Royne d'Escoce luy envoyoit, du Prince son filz, il l'avoit instantment sollicitée de passer oultrè a parfère le dict tretté, et de luy déchirer si les responces , que sa dicte Mestresse avoit faictes à ses depputez , luy sembloient raysonnables , affin qu'il la peult advertyr de ce qu'elle en debvoit espérer; et que la dicte Dame luy avoit respondu que les depputez, qu'elle at- tandoit d' Escoce , d'ung chacun des costez , debvoient arri- ver dans quatre ou cinq jours, avec le comte de Sussex et maistre Randolf, qui venoient toutz de compaignye, et qu'estantz icy, elle feroit incontinent procéder au dict tretté; que, quant aulx responces de sa dicte Mestresse, elle les avoit prinses de fort bonne part, et n'estoient trop esloignées de ce qui convenoit à fère ung bon accord ; qu'encor que la dicte Royne d'Escoce fît grande difficulté sur l'article de la ligue , à cause de celle de France, qu'il ne falloit qu'elle s'y arrestèt; adjouxtant, avec ung soubz- rire, que , puysque Vous , Sire , vous estes meslé avec la mayson d'Autriche, qui est de sa ligue, que vous ne deb- viez trouver mauvais qu'elle se meslât avec celle d'Escoce, qui est de la vostre. A quoy luy, de Roz, luy avoit soubdain respondu qu'il fauldroit donc qu'elle constituast ung sem- blable douaire à sa Mestresse, etdonnastung semblable en-

367 tretennemeiit des gardes , des gendarmes , des bénéfices , plusieurs privilèges , et aultres grandz advantaiges aulx Escouçoys en Angleterre , que Vostre Majesté leur faisoit jouyr en France; et que, sellonson adviz, il n'aparoissoit aulcun honneste moyen de fère ligue entre elles deux, si- non en y comprenant Yostre Majesté ; et que la dicte Dame luy avoit répliqué, dessus , que les dicts entretennemens estoient trop grandz pour en vouloir charger son estât , mais que , touchant la ligue , elle m'en parleroit, et en fe- roit parler par son ambassadeur à Yostre Majesté.

Or, Sire , ce poinct de la dicte ligue , plus que nul de ceulx , qui sont contenuz es dicts articles , me semble im- porter grandement à l'honneur et réputation de vostre couronne, et, à ceste cause, j'ay desjà dict tout hault que j'interrompray en vostre nom l'accord, et protesteray de l'infraction des précédans trettez , plustost que d'en laysser rien passer. Au regard de l'aultre article, auquel Vostre Majesté estime que je n'ay assés expressément respondu à l'évesque de Roz , touchant ne bailler le Prince d'Escoce aulx Anglois : je vous supplie très humblement , Sire , de croyre que je luy ay, par ung adviz escript de ma main, premier qu'il soit allé vers sa Mestresse avec les depputez, ainsi que jel'ay communiqué au S^ de L'Aubespine, ex- pressément conseillé de ne l'accorder en façon du monde ; mais la dicte Dame, suyvant d' aultres adviz, que le dict évesque mesmes luy a pareillement apportez par escript, de plusieurs ses affectionnez et meilleurs arays et serviteurs de ce royaulme, et aussi par l'adviz des seigneurs, qui tien- nent son party en Escoce , l'a offert à la Royne d'Angle- terre par sa lettre du séziesme du passé, comme chose, sans laquelle le dict évesque de Roz dict que la dicte Royne

368 d'Angleterre ne fût jamais entrée en tretté, et sa Mes- tresse fût demeurée au plus dangereux estât de sa personne et de toutz ses affères, qu'elle ayt encores esté, pour l'o- casion de ceulx qui avoient monstre se rebeller au pays de Lenclastre ; avec ce , Sire , que ceulx de ce conseil ont toutjours estimé qu'il ne se pourroit prendre aulcune aul- tre assez bonne seureté de la dicte Royne d'Escoce, que d'avoir son filz par deçà, affin qu'il leur fût ung instrument tout accommodé pour contenir sa mère ou pour la déchas- ser ; aussi qu'il semble bien que les Escouçoys, qui procu- rent la restitution d'elle, ne sont que bien ayses que le Prince s'en aille, affin que ceulx du contraire party ne puyssent plus redresser aulcune compétance dans le pays ; et encores y a il plusieurs principaulx personnaiges en ceste court, qui incistent assés que le dict Prince ne viegne en façon du monde en Angleterre , de peur qu'il n'y advance et establisse par trop le droict , que sa mère a à la succession de la couronne, au préjudice des aultres prétendans. Ce qui faict que plus vollontiers, la dicte Royne, sa mère , consent qu'il y soit mené , et mesmes qu'elle voyt bien que le contradire ne luy serviroit de rien , tant la chose est hors de sa puyssance ; mais l'on n'a layssé pourtant d'envoyer solliciter les deux partys, en Escoce , de s'y opposer; et aussi le grand père , et l'ayeuUe, et plusieurs aultres, en ce mesmes royaulme, de ne le trouver bon, et de le debvoir empescher; pareillement à la mesme Royne d'Angleterre de luyjecter ung escrupuUe dans le cueur, touchant ce petit Prince , disant que , à son advènement au monde , il a déchassé sa mère hors de son estât, et qu'il pourroit bien, en venant en Angleterre, chasser sa tante hors du sien. Tant y a , Sire, que ce poinct est desjà tenu comme

369 pour accordé entre elles deux ; et sur cella se faict le fon- dement de tout le reste; et estime l'on , Sire , pourveu que vous obteniez la restitution de la dicte Dame et la réunyon des Escouçoys, et que l'authoritédesAnglois et leurs forces soyent mises hors du pays , que Vostre Majesté , quant au reste, ne doibt empescher qu'elle ne se puysse prévaloir de son filz à le bailler ostage quelque temps, pour recouvrer sa liberté , et retirer sa personne , et son estât , horz du grand dangier ilz sont.

Néantmoins, Sire , en cella, et en toutz les aultres cha- pitres dutraicté, j'incisteray toutjour, le plus fermement qu'il me sera possible, que l'intention de Vostre Majesté soit entièrement suyvye ; et , de tant que la Royne d'An- gleterre s'est plaincte à moy des dommageables condicions, qu'elle dict estre apposées contre l'Angleterre, dans le dernier tretté d'entre le feu Roy, Françoys le Grand, vostre ayeul, et Jaques quatriesme , Roy d'Escoce , lequel je croy estre de l'an 1535 ' , je supplie très humblement Vostre Majesté de m'en fère envoyer une coppie affin d'y respondre ; et me commander au reste , Sire , touchant ce dessus, si je doibz incister tout oultre, que la Royne d'Escoce se retire de la promesse, qu'elle a faicte, de bailler son filz, et qu'il vous playse d'en déclairer franche- ment vostre vollonté à M-^ de Glasco, son ambassadeur.

Au surplus. Sire, les différans des Pays Ras demeuroient acrochez en ce que , sur la diminution que le duc d' Alve a trouvé estre ez merchandises des subjectz du Roy d'Es-

* Jacques IV était mort en 1513 , deux ans avant l'avènement de Fran- çois I". L'ambassadeur veut sans doute parler du traité de Rouen , conclu le 26 août 1517, entre Jacques V et François I", et renouvelé en 1535, lorsque Jacques V épousa Madelaine de France.

III 24

370 paigrie , pour en avoir une partie esté gastée et les aultres mal vendues par deçà , il vouloit que celles des Anglois fussent prinses en récompence , sellon qu'elles valloient en Angleterre , et non sellon qu'elles ont esté vendues en Flan- dres; en quoy il faisoit proffict d'envyron cent mil escuz; mais ceulx cy, ayant, à ce qu'ilz disent, plus d'esgard au déshonneur que à la perte , qui leur viendroit en cella , n'ont vollu passer ce poinct, ni accorder aulcune inégalle et plus advantaigeuse condicion aux Espaignolz et Flamans que à eulx ; dont les lettres estoient desjà signées de ceste Royne pour mander àmaistre Figuillem, son agent à pré- sent en Flandres , qu'il s'en retournast tout incontinent , si le dict duc ne vouloit tenir compte du prix, à quoy les merchandises d'Angleterre ont esté vandues, ainsy quelle oflroit de fère le semblable par deçà, de celles d'Espaigne, et d'estre preste d'administrer justice pour celles, qui ne se trouveroient en estre, contre ceulx qui en seroient coulpables , ce qui alloit fère une grande interruption en tout l'affère ; mais , voulant le duc en toutes choses l'ac- commoder, il l'a si bien faict négocier icy, soubz main , par l'ambassadeur d'Espaigne, et par aultres personnes interposées, qu'il n'y a rien, à ceste heure , plus eschauffé entre ceulx de ce conseil que d'en vouloir bientost sortyr. Et, à cest efiect, le S' Ridolfy, qui s'en estoit auparavant meslé, est appelle en court, et pareillement Cavalcanty et Espinola ; et s'entend que le S" Thomas Fiesque arri- vera demain, ou après demain, de Flandres, qui aporte la résolue intention du dict duc; et est l'on après à trouver moyen que le dict ambassadeur d'Espaigne escripve, sur l'ocasion du passaige de la Royne d'Espaigne, etsur l'hon- neur et convoy que luy ont faict les navyres d'Angleterre ,

371

et sur son arrivée à saulvement par dellà , une bien hon- neste lettre à la Roy ne d'Angleterre, affin qu'elle envoyé aulcuns de son conseil pour en conférer davantaige avec luy ; lesquelz auront charge de lui octroyer audience de la dicte Dame pour le jour, qu'il vouldra l'aller trouver. Et de tant que le Roy d'Espaigne a mandé au dict duc de regaigner, par toutz les moyens qu'il pourra, l'amytié des Anglois; et qu'il ne veult, sur son partement , laysser ceste besoigne en détail, il la presse bien fort, estans ve- nues nouvelles que le duc de Médina Celi est prest de s'em barquer à Laredo pour passer en Flandres, il pourra arriver à la fin de ce moys, sur la mesmes armée qui a conduict par dellà la Royne d'Espaigne , et que la prin- cesse de Portugal n'y vient poinct pour encores, mais ce sera le cardinal de Grandvelle , qui viendra assister au dict duc de Médina Celi. Sur ce, etc.

Ce xiv*= jour de novembre i570.

CXLV* DÉPESCHE

du xix« jour de novembre 1 570. ( Envoyée exprès jusques û Calais par Olivier. )

Retard apporté à la négociation du traité concernant la reine d'Ecosse. Mission de lord Seyton , dans les Pays-Bas , auprès du duc d'Albe. De- mandes faites au duc de la part de Marie Stuart. Nouvelles des Pays-Bas et de la Moscovie.

Au Roy. Sire, j'ay de nouveau faict entendre à la Royne d'An- gleterre que les longueurs , qu'elle avoit uzé , et qu'elle con- tinuoit d'user, ez affères de la Royne d'Escoce, vous avoient donné grande ocasion de parler ainsy ferme,

24.

372 comme vous aviez faict, à son ambassadem-, et d'essayer, à la tin, si pourrez accomplyr ce que franchement vous luy en avez dict ; laquelle s'est excusée que le retardement n'est cy devant provenu , ny encores ne provient , de son costé , ains de celluy de la Royne d'Escoce et de ses dep- putez , qui ne sont encores arrivez , et qu'elle ne voyt pas comme l'on puysse bonnement procéder à fère le tretté sans eulx , et sans ceulx du contraire party ; et n'y a heu nulle rayson, ny offre , qui l'ayt peu mouvoir de ceste opi- nion parce, à mon adviz , qu'elle a promiz à ceulx du dict contraire party de ne fère rien , qu'elle n'ayt première- ment pourveu à la seureté du jeune Prince d'Escoce et à celle d'ung chacun d'eulx. Et ainsy nous sommes attendans l'arrivée d'iceulx depputez , desquels je n'ay encores nulles bien certaines nouvelles , sinon que le comte de Lenoz a escript qu'il avoit ottroyé de bailler saufconduict à ceulx du bon party , et qu'il nommeroit les siens aussitost qu'il sçau- roit qui sont les aultres , afifin d'en envoyer de semblable qualité; et que cependant il dépeschoit l'abbé de Domfer- melin , lequel , pour ceste occasion , est attandu , d'heure en heure , en ceste court.

Je prends quelque argument. Sire , de l'intention de la dicte Dame, qu'elle a vollonté d'en sortyr, sur ce que M'^ iNorrys l'ayant fort instantment requise de luy donner son congé; et s' estant le secrétaire Cecille desjà miz à dresser la dépesche du S"^ de Valsingan pour luy aller suc- céder, elle a considéré que, s'il partoit sur ce poinct, Vostre Majesté pourroit concepvoir quelque mauvaise espérance des affères de la Royne d'Escoce, tant pour le chan- gement d'ambassadeur, que pour le souspeçon que ce nou- veau leur fût trop contraire ; dont elle a mandé au S"^ Nor-

:i7;î

rys d'avoir patience jusques à ce que les dicts alFères soient achevez. Bien m'a l'on dict qu'il a renvoyé en dilligence ung des siens , pour remonstrer à la dicte Dame que le dil- lay seroit par trop long; car dict qu'il n'espère veoir les affères de la dicte Royne d'Escoce jamais accommodez , tant que certaine occasion durera en France ; laquelle , Sire, je n'ay pas encores bien sçeu quelle elle est, et semble aussi qu'il l'ayt mandée assés en général ; car l'on m'a dict que plusieurs y font diverses interprétations. Ce- pendant M-^ de Sethon, qui est en Flandres, m'a escript que, si ung certain pacquet, que la Royne d'Escoce, sa Mestresse, m'avoit adressé pourluy, luy eust esté randu pour se pouvoir expédier du duc d'Alve, cpi'il fût desjà devers Votre Majesté; et, à la vérité, Sire, le dict pac- quet a esté, parmesgarde, aporté, dez le xxvij'= du passé, par mon secrétaire jusques à Paris ; dont j'estime qu'il l'aura meintenant receu.

Et voycy. Sire, ce que j'ay entendu de la négociation du dict de Sethon , qu'il a esté ouy à part, et puys en con- seil, par le duc d'Alve, sur les trois poinctz , pour lesquelz il estoit envoyé principallement devers luy : le premier, pour avoir le secours , qu'il leur avoit souvant promiz, le quel le dict de Sethon offroit de conduyre en lieu seur, il pourroit commodéement descendre, et l'assistance des Escouçoys et des Anglois catholiques, et tout bon entre- tennement et bonne retrette ne luy deffauldroit dans le pays ; le second , pour recepvoir dix mil escuz, que le dict duc avoit accordé à la Royne, sa Mestresse, pour la fourni- ture des chasteaulx de Lislebourg et Dombertran ; et le troisiesme, pour le prier d'interdire de mesmes le com- merce aulx Esfouçovs en Flandres, que Vostre Majesté le

374 leur a prohibé en France à ceulx, qui ne sont du party de la Royne, sa Mestresse. Sur quoy, le dernier jour du moys passé , M"" de Noerguerme a esté envoyé devers luy pour luy fère la responce que, touchant le secours, le -duc y estoit très disposé, lequel avoit trouvé son offre et ses autres expédiantz fort convenables à l'entreprinse ; mais l'importance d'envoyer une armée de mer en pays estrangé estoit si grande que l'exprès commandement du Roy, son Maistre , y estoit requis , auquel il en avoit desjà escript ; et pourtant il falloit attandre sa responce , laquelle ne tar- deroit guières ; que touchant les dix mil escuz , de tant que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, avoit escript au dict duc que la Royne d'Escoce luy dépeschoit ung homme exprès, avecques un pacquet, pour l'advertyr en quelle sorte elle entendoit qu'on ordonnast de la dicte somme, qui est , Sire , le susdict pacquet qui a esté apporté à Paris , qu'il prioyt le dict de Sethon d'avoir pacience jusques au quatriesme du présent , que le messagier pourroit estre ar- rivé , dedans lequel jour, l'on la luy l'eroit fornyr con- tante. Au regard du troisiesme, de tant que le commerce d'Angleterre estoit fermé, et si l'on restreignoit encores celluy d'Escoce, il eu pourroit venir grand détriment aulx Pays Bas, le dict duc, premier que d'y rien ordonner, en avoit voUu escripre au Roy, son Maistre, duquel il feroit bientost entendre son intention, tant sur cestuy que sur le premier article au dict de SethoD*. Et semble , Sire , que icelluy de Sethon ayt escript à sa Mestresse qu'on l' avoit faicte plus espérer du secours du dict duc qu'il n'a trouvé qu'elle en eust occasion, et que icelluy duc ne pense plus que à quicter les choses pour se retirer en Hespaigne. Maistre Jehan Âmilthon a continué une négociation se-

375 parée de celle du dict S' de Sethon avec le dict duc , dont monstrent n'y avoir bonne intelligence entre eulx. C'est luy qui a conduict les deux gentishommes espaignolz en Escoce pour visiter la descente , et les a faict parler au comte d'Honteley, et les a promenez et Testiez en divers lieux dans le pays.

Au surplus, Sire, l'on a appelle, despuys trois jours , les principaulx merchans de ceste ville à Hamptoncourt pour le faict de Roan et pour celluy des Pays Bas. J'entans, quant à celluy de Roan , qu'on me baillera la responce par escript sur ce que j'en ay remonstré à la Royne d'An- gleterre; et, quant ù l'aultre , que le comte de Lestre et le secrétaire Cecille , si aultre empeschement ne survient , en yront conférer avec l'ambassadeur d'Espaigne, lequel a desjà escripte la lettre à la dicte Dame, dont, par mes pré- cédantes, je vous ay faict mencion; et presse l'on, de cha- cun costé, bien fort l'accommodement de ces différans. A quoy sert beaucoup le mauvais trettement qu'ont naguières receules merchans anglois en Moscouvie , ilz pensoient dresser quelque grand commerce ; mais l'ambassadeur mos- covite, qui naguières estoit par deçà, s'en estant retourné mal satisfaict de ce pays, a faict emprisonner tous les An- glois, qui se sont trouvez au sien, et a faict arrestcr leurs merchandises. Le susdict ambassadeur d'Espaigne s'est conjouy en ceste court des bonnes nouvelles qu'il a heu, que la guerre des Mores avoit du tout prins fm^ Quel- cun, à ce que j'entans, luy a escript que le duc de Mé- dina Celi diffère sa venue en Flandres jusques en janvier, et qu'il a la vollonté de passer en France. Sur ce, etc.

Ce XIX* jour de novembre 1570.

Vovez ci dessus la note, p. 183.

376

CXLVr DÉPESCHE

du xxv® jour de novembre 1 570. {Envoyée par Jehan Monyer jusques à Calais exprès. )

Déclaration du roi à l'ambassadeur d'Angleterre concernant l'Ecosse. Irritation causée à la reine d'Angleterre par les menaces du roi. Opi- nion de l'ambassadeur qu'Elisabeth est bien décidée à éviter la guerre. Instance faite auprès d'elle pour l'engager dans l'alliance d'Espagne. Succès des efforts de l'ambassadeur , qui parvient à empêcher l'exécution de ce projet. Assurance de dévouement au roi donnée par Walsingham , désigné pour l'ambassade de France. Remontrance faite par l'ambassa- deur à la reine d'Angleterre des motifs qui doivent forcer le roi à secourir, même par les armes, la reine d'Ecosse.

Au Roy.

Sire , entendant que M'^ Norrys, par sa dernière dépes- che , avoit rafreschy à la Royne, sa Mestresse , les mesmes propos, qu'il luy avoit auparavant escript, qu'il trouvoit en Vostre Majesté une ferme résolution de secourir la Royne d'Escoce, et que vous continuez d'user de paroUes et dé- monstrations fort expresses en cella^ j'ay miz peyne de sçavoir comme la dicte Dame le prenoit ; dont aulcuns, qui désirent la modération des affères, m'ont mandé qu'elle se trouvoit toute scandalizée qu'allors que, pour vous com- playre , elle avoit envoyé deux de ses principaulx conseillers devers la Royne d'Escoce, pour donner commancement à ungbon tretté, et qu'à vostre instance elle avoit envoyé re- tirer son armée de sur la frontière d'Escoce, c'estoit lors pror prement qu'il luy sembloit que vous aviez délayssé la voye, que vous aviez toutj ours tenue, de procéder en cest endroict par gracieuses prières et honnestes remonstrances , pour y aller meintennant par une aultre façon de la menacer, et de rudoyer son ambassadeur; et qu'encores ne se sentoit elle

377 si piquée de ce que vous en aviez dict de vous raesmes, qui aviez parlé en Roy, ainsy qu'il luy avenoit bien à elle de parler quelquefoys en Royne, comme de ce que vostre con- seil avoit trouvé bon qu'il en fût escript une lettre bien ex- presse et bien considérée à son dict ambassadeur; et qu'elle se résolvoit de ne fère rien par menaces, et de monstrer à tout le monde que , si elle condescendoit à quelque accord en cest endroict, ce ne seroit que par le seul bénéfice de sa bonne vollonté envers vous, et de sa propre bonté envers la Royne d'Escoce, et quetoutz aultres effortz et instances ne servyroient que d'empyrer et retarder davantaige la besoigne.

D' aultres, qui cognoissent assés bien son intention, m'ont faict dire qu'encor qu'elle ayt parlé ainsy devant ceulx de son conseil, affin d'estre estimée princesse de cueur, comme, à la vérité, elle l'est, si a elle monstre , en d' aultres siens propos , à part , qu'elle vouloit évitter, en toutes sortes, d'avoir la guerre à Vostre Majesté; et que c'estoitparvoz vertueuses responces et par voz démonstrations et appa- reilhz , qu'elle avoit passé si avant à tretter, et que, sans cella , il y en a assés qui l'eussent bien engardée d'y tou- cher, et la destourneroient encores d'y prendre jamais aul- cune bonne résolution ; par ainsy, qu'ilz estimoient que toute la ressource et restablissement de ceste pouvre prin- cesse, et de son royaulme, concistoit en la seulle faveur et assistance, que Vostre Majesté luy feroit; dont semble qu'entre deux si contraires adviz le plus expédiant sera de suyvre une voye de millieu.

Et , à ce propos , Sire , ayant une foys la dicte Dame faict délibération d'envoyer ung des plus grandz d'auprès d'elle en France, ainsy qu'elle mesmes m'en avoit touché

378 quelque mot, pour honnorer, à son pouvoir, les nopces de Vostre Majesté, et la venue de la Royne Très Chrestienne ; et mesmes ayant pensé que ce seroit le comte de Lestre , comme plus agréable à Rostre Majesté, affin de fère en cella quelque démonstration , qui correspondît à celle de l'honnorable convoy, qu'elle a faict fère, avec grande ma- gnifficence et grande despence , par dix grandz navyres de guerre, à la Royne d'Espaigne, j'ay sceu que quelques malicieulx luy sont venuz mettre en avant qu'il y avoit grand apparance que le dict comte ne seroit bien receu ; et que Vous, Sire, aviez donné à cognoistre, en l'endroict de M"^ Norrys , que ses aultres ambassadeurs seroient peu respectez , dont debvoit considérer combien elle demeure- roit moquée et offancée, si, à ung tel et si grand des siens, comme le dict de Lestre , n'estoit faicte la faveur et bon recueilh et bon trettement qu'elle s'attaudoit; s'esforceans d'imprimer à la dicte Dame , bien qu'au plus loing de leur affection, qu'elle debvoit, par toutz moyens, retournera la bonne intelligence du Roy d'Espaigne; et qu'allors elle n'auroit à se craindre de la France, et pourroit, à son play- sir, disposer de la Royne d'Escoce. Sur quoy, voyantz qu'elle ne rejettoit le propos, ilz ont essayé de l'induyre à donner audience à M"^ l'ambassadeur d'Espaigne sur l'oc- casion d'une lettre, qu'il luy a escripte; et semble bien. Sire, que si, de mon costé, j'eusse aultrement usé envers elle que sellon qu'il vous avoit pieu me le commander, sçavoir, de la plus gracieuse et modeste façon qu'il me se- roit possible , qu'elle s'y fût condescendue , et heust du tout résolu de n'envoyer point en France et d'interrompre possible les affères d'Escoce; mais elle s'est tenue ferme à ne vouloir encores rien céder aulx choses d'F^spaigne; et

379 croy que si , du costé du duc d'Alve , ne vient quelque houneste satisfaction, que les différans auront plusempyré que amande, d'y avoir faict cest essay, ayant la dicte Dame mandé à son depputé, qui est en Flandres, que, si le duc ne veult admettre la compensation des merchandises et prendre celles d'Angleterre aupriz qu'elles ont esté van- dues , qu'il s'en viegne , avec résolution qu'aussitost qu'il sera icv, l'on procédera à la vante de celles d'Espaigne. Dont chacun estime que le dict duc plyera à ce poinct , et qu'il envoyera, pour cest effect, nouveaulx depputez par deçà; bien que l' entrecours et le commerce d'entre les deux pays n'est pour estre encores radressé.

Cependant le propos de n'envoyer poinct en France, et d'interrompre le tretté de la Royne d'Escoce , n'a poinct heu lieu ; et a remiz la dicte Dame d'y dellibérer, dont j'ay esté conseillé de fère dessus une petite négociation par lettre avec M"^ le comte de Lestre , affin de luy bailler argument d'en parler à sa Mestresse. Je ne sçay encores ce qui en réuscyra ; tant y a que , ayant moy mesmes à parler, dans ung jour ou deux , à elle , sur l'occasion de la dépesche de Vostre Majesté, du vi'= du présent , qui m'est tout présentement arrivée, je mettray peyne de rabiUerles choses, le plus que je pourray.

Le S^ de Valsingan est venu, ce dimenche passé, pren- dre son.disner en mon logis, et m'a dict que M-" Norrys avoit tant faict qu'il avoit obtenu son congé , et que à luy estoit desjà résoluement commandé , par la Royne , sa Mestresse, de s'aprester pour luy aller bientost succéder 5 mais qu'elle n'avoit encores ordonné à l'ung le jour de son retour, ny à l'aultre celluy de son partement; et que, pour le peu d'establissement, qu'on disoit que la paix prenoit en

380 France, qu'il n'ozoit y admener encores sa femme; jus- ques à ce qu'il eust veu sur ce lieu, comme il en alloit. A quoy je luy ay si bien respondu, jouxte le contenu de ce qu'il vous avoit pieu m'en escripre , qu'il en est de- meuré aultrement persuadé; et au reste , Sire , il jure et promect d'estre ambassadeur paysible près de Vostre Ma- jesté ; et de ne cercher aultre chose, en sa charge, que les moyens d'accroistre et augmenter davantaige l'amytié d'entre Vous et la Royne, sa Mestresse , et la bonne paix d'entre voz royaulmes et subjectz. Sur ce , etc.

Ce xxv^ jour de novembre 1570.

A LA Roy ne .

Madame, parla lettre, que j'escriptz présentement au Roy, Yoz Maj estez verront comme la Royne d'An- gleterre se répute estre mal trettée et ung peu rudoyée de certains propos , qui ont esté dictz et escriptz à son ambassadeur, touchant les affères de la Royne d'Escoce; et n'a pas long temps qu'elle me dict qu'il sembloit que Voz Majestez Très Chrestiennes fussent constituées entre elles, comme alliez à toutes deux, mais tenans l'oreille, qui devoit estre ouverte de son costé , tout jour bouchée , et celle du costé de la Royne d'Escoce très prompte «t toutjour fort ententive à toutes ses pleinctes; et .que vous ne vous portiez en cella ainsy égallement, comme l'équité et la rayson le requéroient.

A quoy je luy respondiz que, à la vérité, l'une et l' aultre vous debvoient compter pour leurs principaulx alliez et con- fédérez; et que, pour le regard d'elle, veu le bon estât de ses affères, Voz Majestez n'avoient à fère aultre office,

381 en son endroict, que de vous conjouyr de sa prospérité, et luy offrir ce qui pouvoit estre en vostre puyssance , pour meintenir et acroistre sa grandeur, comme, à toute oc- casion , vous seriez prest de le fère ; mais , quant à la Royne d'Escoce, je craignois bien fort que ceulx , qui la voyoient ainsy captive et deschassée de son estât , comme elle est , ne vous estimassent beaucoup plus abstreinctz par les trettez de pourchasser chauldement sa liberté et resti- tution que vous ne le faisiez ; et, quant elle vouldroit con- sidérer ung peu de plus près cest affère , et la despence que vous aviez desjà comraancée pour préparer, dez l'esté passé, ung secours, et l'avoir, pour l'amour d'elle, despuys révoqué, et d'en entretenir raeintennant ung aultre, sans l'envoyer, pour attandre le tretté; tant s'en fault qu'elle se deiit tenir offancée de Voz Majestez, que, au contraire, elle réputeroit vous avoir de l'obligation de l'honneste et modeste façon , dont vous y aviez procédé ; et dont vous luy déclariez encores tout franchement la contraincte né- cessité, que vous aviez, d'entreprendre quelque aultre es- say , comme vous le pourriez fère, au cas qu'elle voUût rejetter celluy de voz honnestes prières et gracieuses re- monstrances.

Ainsy la dicte Dame se modéra pour lors , et proposa d'envoyer le comte de Lestre devers Yoz Majestez , pour fère la conjouyssance des nopces du Roy et de la venue de la Royne, vostre belle fille , et accommoder, par mesmes moyen , le faict de la Royne d'Escoce; mais quelcun, des- puys , en a traversé le propos; dont j'en suys aulx termes , que je mande en la dicte lettre du Roy; et essayeray, Ma- dame , à ceste prochaine audience, de rabiller le faict , et de moyenner, en quelque bonne sorte , si je puys, que le

382 dict voyage du comte de Lestre , ou au moins de quelque aultre milor, ne soit interrompu , si toutesfoys Yostre Ma- jesté me faict entendre qu'elle l'ayt agréable. Sur ce, etc. Ce xxv^ jour de novembre 1570.

CXLVir DEPESCHE

du dernier jour de novembre 1570. ( Envoyée exprès jusques à la court par Joz , mon secrétaire.)

Audience.— Notification officielle des fiançailles du roi et des fêtes ordonnées pour célébrer le mariage. Invitation faite à la reine d'Angleterre d'en- voyer une ambassade extraordinaire au roi, et aux seigneurs anglais d'as- sister au tournoi qui est annoncé en France. Vives sollicitations en faveur de la reine d'Ecosse. Gracieuses réponses d'Elisabeth sur la communica- tion du mariage du roi. Son emportement contre les déclarations qui lui sont faites au sujet de l'Ecosse. Sa ferme volonté de conclure le traité avec Marie Stuart sans l'intervention du roi. Mémoire général sur les affaires d'Angleterre. Détails secrets sur les projets des catholiques dans le pays de Lancastre ; secours qu'ils demandent au roi ; appui qu'ils espèrent du duc de Norfolk. Hésitations d'Elisabeth sur le parti qu'elle doit prendre à l'égard de Marie Stuart ; opinion émise dans le conseil qu'il faut la faire mourir ; crainte de l'ambassadeur que l'on ait voulu l'empoi- sonner. — Négociations avec l'Espagne ; persistance d'Elisabeth dans son refus d'accorder audience à l'ambassadeur d'Espagne.

Au Roy.

Sire, jemesuys bien aperceu, cestefoys, qu'on s' estoit ef- forcé de randre la Royne d'Angleterre fort offancée contre Vostre Majesté, car je l'ay trouvée preste de me recomman- cer les mesmes querelles et plainctes, qu'elle m'avoit faicte, en la précédante audience ; et, sans ce que M"^ le comte de Lestre estoit , peu d'heures auparavant , arrivé de dehors, qui l'avoit entretenue sur une lettre , qu'il avoit naguières receue demoy, elle nem'eust encores randu de si gracieu-

883 ses responces , comme entin , après avoir longuement dé- battu ensemble je les ay raportées ; et croy que ce a esté aussi parce que , d'entrée , je luy ay dict que \ ostre Ma- jesté me commandoit de luy compter comme voz fmnceail- les avoient esté fort honnorablement faictes à Spire , le dernier dimenche du mois passé ; et que, incontinent après, la Princesse Elizabeth s'estoit acheminée , en bonne et grande compaignye, pour venir en France ; et que, sellon le compte de ses journées, elle debvoit arriver à Mézières le XX* du présent, Y ostre Majesté l'alloit rencontrer pour V célébrer, au playsir de Dieu , voz nopces, le xxiij*" , et que bientost après , vous en retourneriez vers Paris , pour y fère vostre entrée ; auquel lieu vous aviez remiz lestrium- phes des nopces , parce que Mézières estoit trop petite ville pour un tel appareil ; et y aviez, à ceste occasion, faict cryer un tournoy général , qui seroit ouvert , à toutz ve- nantz, le premier jour de l'an. Ce que vous me comman- diez de luy notiffier et aulx seigneurs de sa court, affin que, s'il luy playsoitd'y en envoyer, ou permettre qu'ilz y allas- sent, que \ ostre Majesté et Monsieur promettiez qu'ilz y se- roient bien receuz, et leur donnez lieu, avec vous mesmes, de s'esprouver aux honnestes exercices d'armes, qui s'y fe- roient; et que, pour l'honneur d'elle , ilz y seroient respec- tez et favorisez ; qu'il me souvenoit bien de ce qu'elle m'avoit dict , que l'Empereur, envoyant la Royne d'Espai- gne à sonmary, la luy avoit recommandée, dont ellel'avoit grandement honnorée , et faict fort honnorablement con- voyer, avec magnifficence et despence, par dix de ses grandz navyres de guerre, passant en ceste mer; et que, si le dict seigneur avoit, d'avanture, oublyé de luy fère une pareille recommandation , par lettre , de son aultre fille , qu'il en-

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voyoit à ung grand Roy , son mary , qui luy estoit allyé , qu'il ne layssoit pourtant de la luy recommander de tout son cueur, et qu'il s'atandoit bien qu'elle useroit de toutes démonstrations de bienveuillance envers elle; et, quant bien il luy auroit plus expressément recommandé celle qu'il envoyoit en la mayson d'Austriche, d'où il est, qu'il y avoit plusieurs aultres bonnes occasions, qui la doibvent convyer d'avoir en non moindre recommendation celle qui vient en la mayson de France, je la pouvois asseurer qu'elle es- toit aultant aymée, honnorée et respectée que en nulle aultre part de la Chrestienté ; et pourtant je m'asseurois qu'elle n'oblyeroit de envoyer quelque honnorable ambas- sade en France , pour fère , tout ensemble , deux grandes conjouyssances : l'une, pour les nopces de Yostre Majesté, et r aultre pour la venue de la Royne Très Chrestienne , sa bonne sœur, et bonne voysine. Et luy ay bien voUudire cella. Sire, parce que je sçavois qu'on luy avoit faict rom- pre sa dellibération d'y envoyer; puys j'ay adjouxté qu'elle debvoit prendre pour ung grand signe d'amytié, que vous luy feziez communication de chose si privée , comme vos- tre mariage , et que mesmes , il sembloit que vous aug- mentiez votre ayse du contantement que vous pensiez luy donner de celluy que Vostre Majesté recepvoit ; que, ou- tre cella , vous me commandiez de luy fère encores fort bonne part d'ung aultre bien grand contantement que vous aviez de voir vostre royaulme très paysible ; et que vostre éedict s'y alloit establissant, ainsi que vous le pouviez sou- hayter, de quoy vous vous en conjoyssiez avec elle, comme avec celle qui proprement desiroit que ceste prospérité vous fût entière, et accomplye en vostre royaulme; et que vous luy en desiriez une toute semblable au sien , et luy of-

385 ~

friez tout ce qui estoit en vostre puyssance pour l'y mein- tenir ;

Que, pour la fin de vostre lettre, vous me commandiez luy fère entendre le singulier playsir, que ce vous avoit esté, de voir que voz honnestes prières et gracieuses remons- trances eussent eu tant de lieu que , pour l'amour de vous, elle heût envoyé ses depputez devers la Royne d'Escoce, pour donner commencement à ung bon traicté , et eust mandé retirer son armée de sur la frontière d'Escoce ; de quoy ne vouliez faillyr de la remercyer, et la remerciés eucores bien fort de vous avoir déclairé qu'elle seroit bien ayse de pouvoir honnorablement restituer la Royne d'Es- coce par la voye du traicté ; et que, quant cella n'advien- droit ainsy , qu'encores la renvoyeroit elle aulx seigneurs escouçoys qui tiennent son party ; en quoy vous la supliez très affectueusement d'y vouloir persévérer , et de vous en fère bientost paroistre ceste sienne bonne intention par effect, affin de vous descharger de l'inportunité de ceulx qui vous abstraignoient , par vertu des traictez , de luy bailler secours 5 lesquelz se monstroient de tant plus ar- dantz à le pourchasser , que le comte de Lenoz poursuyvoit toutjour d'user de vioUance contre eulx , au préjudice de la surcéance d'armes ; et que vous desiriez. Sire, que les conditions du traicté réuscissent toutes bien fort seures et honnorables pour elle, et pareillement bien honnestes et esloignées de toute offance pour la Rope d'Escoce, et pour vous : ou bien, si c' estoit par l'aultre moyen qu'elle la vollust restituer, que vous y requériez sa sincérité et sa grandeur de cueur à le fère ; en sorte que la liberté qu'elle luy donroit ne luy fût ung nouveau tourment et peyne.

La dicte Dame, depposant ung peu de la sévérité, qu'elle

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386 avoit usé à me recepvoir , m'a respondu que ces propos luy sembloient meilleurs qu'elle n' avoit espéré de les ouyr de Vostre Majesté, après une telle menace et rigoureuse dé- monstration , que vous aviez usée vers son ambassadeur , et préparée en Bretaigne; et qu'elle ne pouvoit fère que, pour ceulx de vostre mariage , elle ne vous en remercyât aultant, de vraye et bonne affection, comme il luy estoit possible de le fère, et que vous ne vous tromperiez jamais, si vous vouliez droictement croyre qu elle estoit et seroit toutjours très ayse de voz prospéritez et contantemens , aultant et plus que nul de toutz les princes de vostre al - liance; et, quoy qu'il y ayt, que vous luy feriez grand tort si ne demeuriez très fermement persuadé que vostre ma- riage luy est singulièrement agréable, et qu'elle prioyt Dieu d'y envoyer ses bénédictions , affin qu'il fust très heureux aulx espousez , et que la postérité en fust de mesmes très heureuse. Et s'est le propos poursuyvy à dire que Vostre Ma- jesté se pouvoit promettre une bonne part de la vigne , qui est pour ceulx qui peuvent passer le premier an de leurs nopces sans se repentyr , et que ceste vigne estoit propre- ment pour les mariages si bien et si convenablement faictz comme le vostre.

A. quoy j'ay adjouxté que Vostre Majesté n' avoit garde de tumber en nulle sorte de repentailles , et que celle de la vigne s'entendoitque nul n' estoit maryé de si bonne heure, qu'il ne se repentît de ne l'avoir esté plustost, et que j'es- pérois voir ung matin qu'elle seroit touchée de ce repentir; ce que , en soubzriant , elle a advouhé , et que mesmes elle en estoit desjà bien fort attaincte; et a continué que, quant à la recommendation que l'Empereur luy avoit faicte de la Royne d'Espaigne, cella estoit advenu, parce qu'elle avoit

387 envoyé devers elle eu Flandres, et puys devers luy à Spyre, sur l'occasion du différant , qu'elle avoit avec le Roy d'Es- pagne, qui n'estoit procédé de luy, mais de ses ministres; et que, voyant que sa fille auroit à passer en ceste mer, il luy avoit escript de luy vouloir randre son passaige bien asseuré, qui aultrement, possible, ne l'eust guières esté; et qu encores que la Royne Très Chrestienne ne vînt poinct en ceste mer, si ne lairroit elle de l'honnorer ; et puysque je luy faisoys ceste notiffication de la remise des triomphes à Paris, qu'elle adviseroit d'envoyer quelcun de sa part pour fère la conjouyssance , mais quant à tournoyer , qu'il y avoit quelques ans qu'elle avoit entretenu sa court, comme en veufve, sans y fère tournoys; dont craignoit que les braz de ses gentishommes fussent devenuz si engourdiz qu'en lieu d'aller aquérir de l'honneur , ils y gaignassent de la honte pour eulx et pour leur nation; au regard de la paix de vostre royaulme , que Yostre Majesté ne s'en resjouys- soit pas plus droictement qu'elle, qui ne cédoit à nul, qui, plus qu'elle, la vous désirât stable et de durée ; ce qui la faisoit de tant plus esbahyr pourquoy Yostre Majesté entre- prenoit de la rudoyer , et mal traicter pour la Rope d'Es- coce, et qu'elle n'eust jamais pensé que vous l'eussiez vol- lue accomparër de respect à elle , et ne tenir en trop meil- leur compte son amytié que celle de la dicte Royne d'Es- coce.

Et s'est eslargie en tant de parolles aigres contre la dicte Royne d'Escoce, et sur vos dictes menaces, et sur les secours qu'elle entendoit s'aprester de rechef en Rre- taigne , que je suys demeuré assés esbahy comme la dicte Dame estoit si changée despuys l'aultre foys , dont ne me suis peu tenir (luy gardant néantmoins toutjours tout le res-

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388, pect qu'il m'a esté possible ) , que ne luy aye fermement répliqué qu'elle se faisoit grand tort de prendre ainsy en mauvaise part les très honnestes et gracieuses remonstran- ces, que Yostre Majesté luy faisoit pour la Royne d'Es- coce, et la franchise dont vous luy déclairiez comme vous estiez coutrainct de la secourir ; qui pourtant monstriez , par la patience dont vous y procédiez , que vous auriez grand regrect qu'il vous en fallust venir à tant. Et n'av obmiz de luy respondre à toutz ses aultres argumentz , ung à ung , luy demandant enfin quelle aultre voye donques estimoit elle que Yostre Majesté pourroit tenir pour, tout ensemble, conserver son amytié, et s'acquicter de son deb- voir envers la Royne d'Escoce.

A quoy , après y avoir ung peu pensé , elle m'a respondu qu'elle vous prioyt , de toute son affection , de ne mons- trer , par voz parolles et aprestz , que vous mesprisez son amytié , et de ne vouloir traitter que honnorablement avec elle et avec son ambassadeur , comme elle estoit preste d'user de mesmes envers vous; car aymoit mieulx venir à toutes aultres extrémités que de souffrir rien qui fût indigne de sa réputation , ny de celle de sa couronne. Et quant au reste, elle me vouloit bien dire qu'elle ne prétandoit que nul aultre prince s'entremît du traicté d'entre elle et la Royne d'Escoce, que elles deux, et que je ne debvois craindre qu'il s'y fît ligue contre Yostre Majesté , mais bien pour se deffandre entre elles , si quelcun les vouloit assaillyr ; et qu'elle avoit mandé, pour le jour d'après, l'évesque de Roz , et puys, pour le lendemain , l'abbé de Donfermelin qui estoit desjà arrivé, affin de les ouyr , l'ung après r aultre, et donner, puys après, le plus d'advance- ment qu'elle pourroit au dict traicté.

389 Et n'ay raporté, pour ceste foys, aultre chose de la dicte Dame sinon que noz propos se sont terminez gra- cieusement, et j'ay sceu despuys qu'ilz ont eu beaucoup d'eflect à la modérer sur tout ce qui peult concerner vos- tre commune am\1ié et les aflières de la dicte Royne d'Escoce. Sur ce, etc. Ce xxx^ jour de novembre 1570.

POUR FÈRE E\TE1VDRE A LEURS MAJESTEZ,

oultre le contenu des lettres :

Que d'aulcunes choses , dont la Royne d'AngleieiTC est en peyne . il y eu a principal lement trois, qui , à ceste heure , la travaillent : l'ellévalion à quoy se sont monstrez promptz ceulx de Lenclaslre, elle n'ose toucher, de peur que le mal n'en deviegne plus grand et plus universel en son royaulme ; la seconde est les aÉfères de la Royne d'E^oce , lesquelz sont suportez du Roy, et soubstenuz avec tant d'affection par une partie de ses subjectz , et contradictz si opi- niastrément par l'auUre , mesmement par les évesques et princi- paulx de la nouvelle religion , qu'elle ne sçayt quel expédiant y prendre ; la troisiesme est les différans des Pays Ras, des(]uelz tant plus l'accord s'en prolonge, plus les prinses se dépérissent, et elle s'en tient comme responsable , et les commerces cessent , desquelz avoit accoustumé de tirer les meilleurs et plus clairs revenuz ;

Et, qui pis est, qu'il semble que ces trois causes se vont confortant lune à l'aultre , et quelles sont pour devenir toutes à ung : à fére quelque grand effect dans ce royaulme, dont la dicte Dame assemble souvant ceuLx de son conseil iwur y remédier -, et je ne sçay encores •luelles résolutions ilz y mettent, parce qu'ilz les tiennent fort secrec- tes, mais voycy ce que j'ay aprins de particullier sur chacune des dictes occasions , d'où se pourra aulcunement colliger à quoy elles auront à devenir.

Un seigneur bien entendu ez affères de ce royaulme, qui naguiè- res estoit en conversation avec d'aultres personnaiges de bonne qua- lité, en ceste ville, leur dict que la Royne, leur Mestresse , estoit à présent fort particullièremeni informée de ce qui se passoit au quar- tier de Lenclastre ; et que ung des principaulx autheurs de l'entre prinse en estoit venu descouvrir si véritablement tout ce qui en esloU, qu'il n'avoit espargné dacuser son propre père, et avoil esté enferme

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quatre heures avec le secrétaire Cecille , pour hiy notiflîer les per- sonnes, et luy expécifier les delUbérations, et luy ouvrir encores les moyens d'y remédier ;

Et que, sellon son rapport, sembloit que le comte Dherby, deux de ses enfans, et la pluspart de la noblesse du pays se fussent ouver- tement soubstraietz de l'obéyssance de la dicte Dame, et eussent dé- clairé de ne vouloir plusrespondre à sa justice, ny obéyr à chose qui se fît par son autorité, allégans que Dieu et leur conscience les pressoient de ne recognoistre pour leur Royne et Souveraine celle qui estoit déclairée illégitime et interdicte par l'esglize, jusques à ce qu'elle se fût mize hors de l'interdict; et que c'estoit sir Thomas Stanlay, se- cond filz du dict Dherby, qui conduysoit principallement cest affère, lequel se promettoit d'avoir toutz les principaulx de ce royaulme de son parti , hormiz le comte de Betfort, le comte de Huntington et le duc de Norfolc , parce que ceulx estoient l'un épicurien , l'aultre sacrementaire , et le tiers neutre ; et que la dicte Dame estoit pour demeurer en gi-and peyne de cecy, si de Lenclastre mesmes l'on ne fuy eust mandé qu'elle ne s'en donnât poinct de peur, car il restoit encores des gens de bien en si grand nombre dans le pays qu'ilz romproyent ayséement les entreprinses de ces papistes.

J'ay entendu d'ailleurs que ung gentilhomme, que les dicts de Lenclastre avoient envoyé devers aulcuns seigneurs des quartiers de deçà, leur a dict qu'ilz se mettroient trente ou quarante mil hommes assés promptement ensemble , si eulx se vouloient déclairer ouverte- ment de leur party ; et que iceulx seigneurs luy ont respondu qu'ilz ne pouvoient rien fère de eulx mesmes, si le duc de Norfolc n'estoit de la partie , lequel estoit encores dettenu , et ne monstroit qu'il eust voUonté de rien remuer.

Laquelle responce semble que , sans en rien communiquer au dict duc, ilz rayent ainsy expressément faicte à icelluy gentilhomme pour ne se descouvrir à nul anglois , car ilz ne se fyent les ungs des aul- tres ; et que néantmoins semble qu'ilz sont assez délibérez et résolus à l'entreprinse , pourveu qu'elle soit conduicte secrectement , et que le dict duc en veuille estre , et donner parolle qu'il advancera le droictde la Royne d'Escoce au tiltre de ce royaulme, et qu'il pro- mettra ([ue l'exercice de la religion catholique aura cours pour ceulx qui la vouldront avoir ; car aultrement ilz aymeroient mieulx que la Royne d'Escoce prînt le parly du plus estrangier du monde que le sien ; mais , cella accordé , qu'ilz tiendront l'entreprinse pour bien fort advancéo , en ce que le Pape, et le Roy. et le Roy d'Espai-

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gne les veuillent secourir de six mil haniuebouziers seulement, on six divers lieux, qui soient conduicts par gens, qui ne sachent en fa- çon du monde ilz vont.

Aulcuns estiment ([ue le duc de Norfolc n'accepteroit que très voUontiers les dictes deux conditions , mais il ne peult fère aulcun bon fondement sur ceulx qui se meslent de l'entreprinse , s'estant trouvé une foys trop déceu en celle de son mariage ; et aussi, qu'estant encores resserré , il estime, possible, qu'il ne se pourroit assés bien prévaloir de ses propres moyens.

Et d'ailleurs il se sent assés olfancé d'aulcunes choses, que les principaulx de son intelligence ont exécuté contre luy, despuys sa détention , mesmement le viscomte de Montagu, lequel a faict tout ce qu'il a peu en faveur de millord Dacres , de qui il a espousé la sœur , pour débouter la niepce, qui est maryée an filz ayné du duc , de toute la succession Dacres ; et millord de Lomelay, (]ui a espousé la fille du comte d'Arondel, de laquelle il n'a poinct d'enfans, voyant (|ue toute la succession de son beau père va au filz ayné du dict duc, qui est filz d'une aultre sienne fille , il l'induict de vendre, pièce a pièce, tout son estât et ses terres -. dont n'y a bonne intelligence en- tre les principaulx, qui sont pour fère quelque effect. Par ainsy semble qu'il seroit mal à propos de rien remuer, et le dict duc, de sa part , fonde toute son espérance des affères de la Royne d'Es- coce, au secours et démonstrations du Roy ; duquel il dict qu'il veult dépendre, et qu'il espère qu'avec une bien médiocre assistauco de luy, les choses d'Escoce viendront à estre bien remédiées, et ne trouve bon que la dicte Royne d'Escoce ny luy s'embroillent avec les dicts de Lenclastre, lesquelz néantmoins se promettent du dict duc et des aultres principaulx seigneurs du royaulme, et encores des estrangiers, tout secours, quant il en serabesoing; et, attau- dans cella, ilz ne remuent rien , ny ne sont pareillement recerchez.

Au regard des affères de la Royne d'Escoce , les depputez, qui ont esté devers elle , ayant faict un très bon rapport des propos et démonstrations , dont elle leur a usé , tendans à une bonne paix et sincère amytié , sans fraulde , entre les deux Roynes et leurs royaul- mes , ilz ont ayséement induict la dicte Royne d'Angleterre de vouloir venir en accord ; laquelle a miz en considération ce que aulcuns aultres de son conseil luy ont remoiistre, qu'elle avoit desjà beaucoup despendu pour les choses d'Escoce, sans avoir rien esta- bly de ce qu'elle prétandoit, et que, quant ceulx du party de la dicte llovne dEscoco ne viendroicnt csirc qu'il moiclié itrez sccou-

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ruz du Roy, de ce que le comte de Mora etcelluy de Lenoz l'ont esté d'elle, que non seulement ilz déboutteroient leurs adversayres, mais pourroient procurei- une dangereuse revenche contre l'Angleterre.

Ce qui a faict que la dicte Dame s'est fort opposée à ceulx (jui vouloient interrompre le tretté, lesquelz n'ont heu enfin aulcun plus fort argument que de luy remonstrer que, puysque le Roy s'afFec- tionnoit si fort à le pourchasser, elle debvoit croyre qu'il y prétan- doit quelque grand intérest, qui ne se descouvroit encores , lequel pourioit bien revenir au dommaige d'elle ; et que, quant bien il n'y auroit, à présent , sinon ce , qu'il l'a menacée, et qu'il a rudoyé son ambassadeur, encores importoit il grandement à sa grandeur et ré- putation qu'elle ne fist rien pour ceste foys.

Et a cella faict tant d'impression en l'opinion de la dicte Dame qu'elle s'est cuydée estranger de l'amityé du Roy, et se despartyr de tout bon propos d'avec la Royne d'Escoce. Néantmoins , en ma dernière audience , après avoir paysiblement escoutté tout ce que je luy ay vollu dire dessus , conforme à l'intention du Roy, en la plus gracieuse façon et esloignée d'offance qu'il m'a esté pos- sible, elle m'a enfin respondu ce qui est desduict en la lettre du Roy.

Dont ceulx qui sont contraires au tretté, voyantz qu'elle inclinoit toutjour de passer oultre , ont advisé de l'abstraindre , parla con- science, de ne le vouloir aulcunement fère , que , premier, la Royne d'Escoce n'ayt expressément promiz et fort solennellement juré qu'elle n'innovera rien en la religion, quant elle sera de retour en Escoce, ny pareillement en ce royaulme, si, d'avanture, elle y vient à succéder ; et nous a esté raporté qu'ilz avoient encores passé oultre à dellibérer sur la vie de ceste pouvre princesse ; dont en estant venu un tel advertissement à l'évesque de Roz , et s'estant dessus la dicte Dame trouvée bien mal, nous avons esté en grand peur d'elle, et avons miz peyne que d'icy luy a esté envoyé aulcuns bien bons remèdes en fort grande dilligence.

Or, de ce qui se peult espérer de l'yssue de son faict_, je l'ay assés desduict par toutes mes dépesches précédentes , et par celle de ceste datte, et que, nonobstant mes traverses, et empeschemens qu'on y faict , qu'il y a grande apparance que le tretté succédera avec le temps ; et que l'abbé de Domfermelin , lequel , à ce qu'on dict, est venu devant, de la part du comte de Lenoz , pour l'interrompre , ne pourra sinon le retarder quelque peu de jours.

Quant aulx difiérans des Pays Bas, ceulx qui ont senty que la d:ictç

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Dame se tenoit ofTancée du costé de France, luy sont venuz mettre en avant qu'en toutes sortes elle debvoit retourner à l'intelligence du Roy d'Espaigne, et ne se soucyer de toutz les aultres accidans du monde. A quoy l'ayans trouvée en général fort bien disposée, ilz ont espéré de la pouvoir fère condescendreà ce pariicuUier, de recepvoir une lettre de l'ambassadeur d'Espaigne , et de fère qu'elle luy ran- droit responce, ou luy accorderoit audience, ou bien envoyeroit quel- ques ungs du conseil pour tretter avecques luy ; et, à la vérité, ilz ont trouvé moyen de luy fère bien recepvoir la dicte lettre, en laquelle le dict ambassadeur s'est seulement conjouy avec elle de cequelaRoyne d'Espaigne , après avoir esté honnorablement convoyée par ses na- vyres, est arrivée à bon port le nij» du mois passé ; et n'a touché aul- cun autre poinct. Mais, quant il a esté question d'avoir la responce, et de passer plus avant avec le dict ambassadeur, elle a respondu qu'il suffizoit, pour ceste heure, qu'on dict à son secrétaire qu'elle avoit receu sa lettre, et avoit esté bien ayse, comme elle le sera tout- jour, d'entendre toutes bonnes nouvelles de la Royne d'Espaigne, sa bonne sœur.

Sur quoy aulcuns se sont entremiz d'accommoder, et les aultres de traverser l'affère, qui enfin est demeurée en ce , (lue , si l'ambas- sadeur avoit quelque lettre de son Maistre pour la dicte Dame qu'il la luy envoyât , et elle adviseroit d'entrer en si bon tretté avecques son dict Maistre , qu'elle donroit à cognoistre de n'avoir heu jamais aultre désir que bien conserver son amytié ; et que desjà elle luy avoit escript trois lettres, despuys ces diffétans, à nulle desquelles elle n'avoit esté respondue, et qu'il importoit beaucoup à sa réputa- tion qu'elle ne parlât ny escripvît plus en ceste affère, jusques à ce qu'elle eust de ses nouvelles.

Et n'a rien servi de remonstrer à la dicte Dame que le dict am- bassadeur pouvoit avoir des lettres de son dict Maistre , lesquelles ne luy estoit loysible de présenter que par luy mesmes ; car a res- pondu que si son Maistre ne la pryoit, par une sienne bien expresse lettre, de luy redonner sa présence , qu'elle ne l'y admettra jamais ; et qu'il feroit bien d'en envoyer ung aultre , car la souvenance des choses qu'il avoit escriptes d'elle, et de ce qu'il s'estoit meslé de l'es- lévation du North et de la bulle , ne permettoient qu'elle le peult avoir jamais agréable.

Et , sur ceste résolution , elle n'a plus vollu différer d'escripre à son depputé en Flandres, que, si le duc d'Alve ne vouloit admettre la compensalion des merchandises, et prendre celles d'Angleterre

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pour le priz qu'elles ont esté vandues par dellà, qu'il s'en vint; et que, aussitost qu'il seroit icy, il seroit procédé à la final le vante de celles d'Espaigne, dont s'entend que le S' Thomas Fiesque sera de rechef dépesché pour venir accorder ce poinct; et que le duc d'Alve ne s'y opiniastrera ; et, quant au principal faict de l'entrecours, que le S' Ridolfy passera bientost devers icelluy duc, pour mettre en avant quelque bon expédiant.

CXLVUr DEPESCHE

du vue jour de décembre 1570.

{Envoyée exprès jusques à Calais par Guillaume Bernard.)

Sollicitations pour ramener Elisabeth à de meilleurs senlimens envers la France. Prière de l'ambassadeur au roi afin de l'engager à faire un plub favorable accueil à l'ambassadeur d'Angleterre. Maladie-subite de Marie Stuart. Arrivée de quelques-uns des députés d'Ecosse. Affaires des Pays-Bas et d'Allemagne. Prochain départ du cardinal de Chatillon. Espoir de l'ambassadeur que Leicester , ou quelqu'un des grands d'Angle- terre, sera envoyé en France à l'occasion du mariage du roi.

A u R 0 Y.

Sire, après vous avoir dépesché mon secrétaire, le der- nier de l'aultre mois, j'ay cerché desçavoir en quelle dis- position continuoit d'estrela Royne d'Angleterre vers Vos- tre Majesté et vers la Royne d'Escoce; et j'ay aprins, Sire, que luy ayant esté naguières parlé de l'ung et de l'au- tre , à heure bien propre, et en termes convenables pour luy oster l'inipression de ces menaces et rigoureuses dé- monstrations, dont son ambassadeur s'est plainct qu'on luy avoitusé en France, elle a monstre d'avoir beaucoup de re- grect que cella fût advenu pour interrompre les tesmoigna- gesdela bonne affection, qu'elle se préparoit de manifester bientost au monde qu'elle avoit vers Yostre Majesté ; et encores de celle que , pour l'amour de vous , elle vouloif

395 fère sentyr à ia Royiie d'Escoce; et qu'on sçavoit bien qu'elle avoit desjà proposé d'envoyer une ambassade en France , non moins honnorable que si elle y eust dépesché ung sien propre frère , pour fère la conjoyssance de voz nopces et de la venue de la Royne , et pour honnorer l'ung etl'aultre , ensemble la Royne , vostre mère , de quelques présens , et de vous gratiffier et vous accorder tout ce qu'elle eust peu pour la Royne d'Escoce.

Sur quoy luy ayant , l'ung de ceulx qui estoient pré- sens, assés soubdain remonstré qu'elle ne debvoit laysser de le fère pour chose , que son ambassadeur luy eust es- cript, parce que moy, vostre ambassadeur par deçà , asseu- rois bien fort que Vostre Majesté n' avoit aulcune vollonté de l'offancer, et que mesmes elle pouvoit cognoistre qu'en- cores que vous travaillissiez de satisfère à ce que vous deb- viez à la Royne d'Escoce et aulx Escossoys, vous cerchiez néantmoins de n'avoir poinct de guerre à elle; car, d'ung costé, vous pourchassiez le tretté, et lui déclairiez, de l'aul- tre, qu'au cas qu'il ne succédât vous seriez contramct d'en- voyer vostre secours en Escoce; et s'est esforcé, par ce moyen, de ramener la dicte Dame à sa première bonne delli- bération d'envoyer en France ; de quoy elle ne s'est monstrée trop esloignée. Néantmoins , de tant que sa principalle en- tente est de fère veoir aulx siens que les princes estrangiers l'honnorent et la respectent , et que , ilz ne le voul- droient fère, qu'elle a le cueur bon pour ne leur rien céder, alBn que cella luy serve pour se maintenir en plus d'autho- rité dans son royaulme , elle a enfin respondu que nul ne la debvoit conseiller de porter honneur à celluy qui luy vou loit oster le sien, ny de recercher d'amytié celluy qui mes- prisoit la sienne , et qu'elle abaysseroit par trop la dignité

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de la couronne d'Angleterre, si elle monstroit de fère quel- que chose par menaces ; dont attandroit de veoir comme ses démonstrations de bonne voUonté auroient à être bien receues en France , premier qu'elle advanturast de les en- voyer offrir.

Sur quoy j'ay esté advisé , Sire , par ung , qui est bien affectionné à vostre service , de vous debvoir escripre que, de tant qu'il ne vous peult estre imputé que à grande courtoysie de defférer quelque chose aulx dames , et que ceste cy n'a, au fondz de son cueur, que très bonne affec- tion de persévérer en toute amytié et inteUigence avec Yostre Majesté et avec la France; et qu'il est dangier qu'elle s'en retire , pour s'adjoindre ung aultre party qui la recerche infinyement , et vous pourriez estre quel- quefoys bien marry qu'elle y eust passé, lorsque, possible, vous vouldriez , avec très grand désir, l'avoir réservée du vostre ; et que les affères d'Escoce ne succéderont que mieulx à vostre désir, et mesmes il vous viendra plusieurs aultres commoditez de ceste princesse et de son royaulme, si vous la regaignez ; que Vostre Majesté fera bien de por- ter quelque faveur à son ambassadeur, et de luy tenir des propos honnestes, et plains d' amytié et de bienveuillance vers elle , luy faysant quelque part des nouvelles de vostre mariage ; et que, estant les choses d'Escoce accommodées, ainsy que vous espériez qu'elles le seroient, par le tretté, et dont vous la priez que ce soit bientost , que vous pourrez , puys après , vivre en une très parfaicte intelligence et en- tière amytié avec elle 5 et que desjà le dict ambassadeur est adverty que s'il vous plaît , Sire, parler à luy en ceste sorte , que , pour deux motz que Vostre Majesté luy en dira , il y ayt à luy en escripre plusieurs de si bons à sa Mes-

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tresse , qu'il luy face perdre la mémoire de ceulx qui luy ont faictmâl au cueur; et que , si Yostre Majesté avoit agréable de m'en fère aussi toucher quelques unes en vos- tre première dépesche , qui fussent assés exprès pour les pouvoir monstrer à la dicte Dame , qu'elle en demeureroit très grandement satisfaicte , et toutes choses en yroient mieulx. Dont de tant, Sire, que ce conseil ne peult estre que décent à Vostre Majesté , et que ceulx, qui portent icy les affères de la Royne d'Escoce, m'ont prié de levons fère trouver bon , je n'ay voUu faillyr de le vous escripre tout incontinent, et adjouxter. Sire, qu'il me semble qu'il ne pourra estre que honneste et utille à vostre service d'en user ainsy.

Cependant il est advenu que la Royne d'Escoce est tumbée fort mallade, et qu'ayant changé d'air et de logis, à Chiffil, pour cuyder s'y trouver mieulx, son mal est aug- menté, de sorte qu'elle a mandé à l'évesque de Roz de l'aller trouver en dilligence, et de luy admener ung homme d'esglize pour l'administrer; lequel est party ce matin pour luy aller luy mesme fère ce sainct office , par faulte d'aul- tre , et a mené deux bons médecins , que la Royne d'An- gleterre luy a baillez , laquelle a escript une bonne lettre à la dicte Dame , qui la consolera grandement ; car aussi nous a elle mandé que son plus grand mal est d'ennuy de ses affères , et que nous ne demeurions en souspeçon de l'adviz que nous luy avions mandé, parce qu'elle a fort bien prins toutjour garde à son vivre. Nous estimons que c'est son accoustumé mal de costé, et que bientost nous aurons meilleures nouvelles d'elle ; lesquelles, Sire, je vous feray incontinent tenir.

L'abbé de Domfermelin a faict plusieurs vifves remons-

398 trances à la Royne d'Angleterre pour rompre le traicté , desquelles elle a esté assés esmeue ; mais enfin elle l'a renvoyé pour aller quérir les aultres depputez du party du régent , avec dellibératiou de passer oultre , monstrant toutesfoys n'estre contante que les depputez, qui viennent pour le party de la Royne d'Escoce, ne sont personnaiges plus principaulx qu'ilz ne sont : car a entendu que c'est seulement l'évesque de Galoa et milord Leviston 5 mais l'on luy a donné espérance que le comte d'Arguil pourra venir, ce qui fera encores quelque longueur en cest affère ; mais j'y donray toutjour le plus de presse qu'il me sera possible.

L'on s'esbahyt qu'il y a plus d'ung mois que nul cour- rier n'est venu de Flandres , mais l'on ne le prend que pour bon signe, de tant qu'ayant esté escript au depputé , qui est en Envers, d'aller incontinent trouver le duc d'Alve à Bruxelles, pour luy proposer la dernière offre; et que, s'il y faict nulle difficulté , qu'il s'en retourne tout inconti- nent, l'on estime que le dict duc l'a acceptée , et que l'on est meintennant après à conclurre les chappitres de l'ac- cord. J'entendz que le jeune Coban a esté licencié de l'Empereur, dez le viij^ du passé, pour s'en retourner de- vers sa Mestresse 5 il est encores en chemin, mais ungper- sonnaige d' assés bonne qualité, allemant, est arrivé des- puys deux jours, qui se dict ambassadeur du duc Auguste de Saxe, duquel je n'ay encores rien aprins de sa légation; je travailleray d'en entendre quelque chose. Monsieur le cardinal de Ghastillon partit hyer de ceste ville pour aller à Canturbery, pour estre plus près du passaige, dellibérant d attandre des nouvelles de son homme, qu'il a envoyé en France. Il m'est, de rechef, venu visiter, avec plusieurs

399 bonnes parolles de sa dévotion et fidellité vers vostre ser- vice , et qu'il n'a nul plus grand désir au monde que de vous en fère , et qu'il espère bientost vous aller bayser les mains pour plus expressément le vous tesmoigner. Sur ce, etc. Ce vu* jour de décembre 1570.

Je pense avoir desjà tant rabattu de courroux de la Royne d'An- gleterre que , si elle n'envoyé le comte de Lestre en France, que au moins y dépeschera elle ung aultre milord de bonne qualité.

CXLIX' DÉPESCHE

du xiii*^ jour de décembre 1570. {Envoyée jusques à la court par Antoine Jaquet, chevaulcheur.)

Maladie de Marie Stuart. —État de la négociation qui la concerne. Incer- titude sur la négociation des Pays-Bas. Nouvelles d'Allemagne. —Récla- mations relatives aux plaintes des négocians de Rouen et delà Bretagne.— Résolution de la reine d'Angleterre d'envoyer un ambassadeur en France, à l'occasion du mariage du roi.

Au Roy. Sire, il n'est venu aulcunes nouvelles de la Royne d'Es- coce despuys mes aultres lettres, de devant celles icy, lesquelles sont du septième de ce mois , qui est signe, Sire, qu'elle se trouve mieulx, ou au moins qu'elle ne va en em- pyrant ; car son mal est assés tost publié en ce royaulme. J'espère que , par mes premières , je vous pourray mander quelque chose de particuUier de sa convalescence , sellon que les bons médecins, qu'on lui a admené d'icy, et les bons remèdes qu'on luy a envoyez, luy auront, avec l'ayde de Dieu, peu servir. Cependant l'abbé de Domferraelm a fort négocié en ceste court, pour interrompre le tretté, mais il ne l'a peu fère; dont, voyant que la Royne d'An-

400 gleterre incistoit toutjour que les depputez de son party vinssent, il s'est résolu de les attandre icy , et a dépesché ser Guilhaume Stuart en poste pour les aller quéryr , et pour apporter une dépesché et responce de la dicte Dame au comte de Lenos. 11 estime que les comtes de Morthon et de Glames viendront. L'on a opinion que les depputez de l'aultre party sont desjà à Cheffil avec la Royne d'Es- coce, leur Mestresse , et que l'évesque de Roz, qui l'est allée trouver , les adraènera bientost par deçà. Je vays , en son absence, entretenant, la plus vifve que je puys, la pratique du dict tretté et, par toutes les sondes que je y fays , je trouve que la résolution demeure ferme de passer oultre; non que pour cella. Sire , il ne s'y voye beaucoup de difficultez , semblables à celles du passé , et mesmes que le comte de Sussex , à son arrivée , y en a semé plu- sieurs de celles qui tesraoignent le regrect, qu'il a, d'estre depposé de sa charge , et de ce que son armée luy a esté cassée, maguiffiant ces derniers exploictz d'Escoce, et monstrant combien il seroit facille , et hors de dangier , d'y en exécuter de plus grandz, veu les ordinaires empes- chemens, que Yostre Majesté et les princes de dellà la mer ont en leurs affères. Néantmoins l'on pourra juger plus à clair du succez de cest affère , quant toutz les dep- putez seront achevez d'arriver, ce que je n'espère devant le huictiesme de janvier.

11 est , coup sur coup , arrivé trois courriers de Flan- dres , qui sont allez descendre au logis du secrétaire Ce- cille en ceste ville , il est encores mallade ; qui les a examinez à part, et les a assés tost expédiez vers la Royne sa Mestresse, sans permettre qu'ilz ayeut rien publié de leur dépesché. Tant y a que j'ay ung adviz d'assez bon

401 lieu, que le duc d'Alve, en baillant sa responce au dep- putté de la dicte Dame , ne luy a accepté son offre , ny aussy ne la luy a reffuzée; mais il luy a miz en avant d'aul- tres gracieulx expédientz , par lesquelz il faict espérer à ceste princesse , et aulx siens , que non seulement le faict de ces prinses, mais aussi celluy du commerce et de l' en- trecours, et pareillement toutz aultres différans, d'entre le Roy Catholique et elle, et d'entre leurs pays et subjectz, se pourront facillement accommoder, avant la fin de feb- vrier , ou au moins , dans tout le mois de mars. Je ne sçay si elle s'y endormyra, mais ceulx de son conseil monstrent qu'il y a une extrême nécessité de trafiquer en ce royaulme, et pressent bien fort l'ambassadeur d'Espaigne de leur ot- troyer des passeportz, pour envoyer des navyres et mer- chandises en Biscaye et Andelouzie.

Le jeune Coban est arrivé, despuys trois jours, en ceste court, lequel n'a passé en ceste ville; dont n'ay encores rien aprins de certain de ce qu'il a raporté de sa légation. Il est vray que quelques lettres sont venues d'Allemaigne, par lesquelles l'on escript que l'Empereur luy a notiffié le mariage de l'archiduc Charles, son frère, avec la fille de Bavière , et que cella , avec quelques bonnes parolles d'a- mytié, ont esté toute la substance de la responce qu'il luy a faicte.

Il a esté procédé si gracieusement ez choses de Lenclas- tre , que les sires Thomas et Edouart Stanlays et le sire Thomas Gérard, soubz parolles de seureté, se sont enfin venuz représanter en ceste court , le comte de Lestre et le secrétaire Cecille leur ont, d'entrée , monstre grand faveur. Je ne sçay quelle sera l'yssue de leur faict. Le dict secrétaire Cecille m'a envoyé , par le S^ de Quillegray ,

-26

40'i son beau frère , la responce , que les maire et eschevifis de Londres font aulx remonstrances de voz subjectz de Roan , et m'a mandé que, si les dicts de Roan ne s'en contentent , qu'ilz les apostillent , ou bien qu'ilz depputent deux d'entre eulx pour en conférer avec deux aultres de Londres , affin de s'en accommoder ensemble. Car sa Mes- tresse désire que, pour l'honneur de Vostre Majesté, ilz soyent contantes , et le commerce continué. Et m'a dict aussi le dict Cecille que, pour remédier aulx désordres d'entre la Bretaigne et l'Angleterre, il vous playse , Sire, ordonner à M"" de Montpensier de fère une recerche des prinses et déprédations faictes aux Anglois par dellà , et y depputer des commissaires pour en juger sommairement ; et sa dicte Mestresse pourvoyra de fère le semblable par deçà, pour la restitution des biens des Bretons , et qu'aul- trement le commerce d'entre les deux pays va estre de tout interrompu.

Monsieur le comte de Lecestre m'a envoyé dire , ce matin, par ung de ses gentishommes , qu'il a continué vers la Royne , sa Mestresse, la négociation que j'avois commancée avec luy , suyvant laquelle ayant priz en bonne part noz remonstrances , elle s'est résolue de persévérer en tous debvoirs de bonne amytié vers Vostre Majesté, et qu'elle envoyera une bien honnorable ambassade en France, pour fère la conjouyssance de voz nopces et de la venue de la Royne. J'entendz que ce sera milord Boucart, pa- rant en mesme degré de la dicte dame qu'est milord d'Ous- don. Sur ce, etc. Ce xiij^ jour de décembre d570.

403

CL'' DÉPESCHE

du xvme jour de décembre 1570. (Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

NouveUes de la santé de Marie Stuart. Préparatifs de départ de lord Buchard et des seigneurs de sa suite pour assister aux fêtes du mariage du roi. Négociation des Pays-Bas. Nouvelles d'Allemagne. Affaires d'Irlande.

Au Roy.

Sire, suyvant ce que, en mes précédantes du xiij" de ce moys , j'avois espéré de vous pouvoir, par celles de ceste heure, mander de bonnes nouvelles de la Royne d'Escoce, il est advenu que M"^ l'évesque de Roz m'a escript, du xj* de ce moys, tout Testât auquel il l'a trouvée, quant il est ar- rivé vers elle ; qui est chose pitoyable à ouyr, mesmes que, oultre la complication de beaucoup de malladies , qui la pressent , elle est affligée d'ung extrême ennuy de ses af- fères, et d'un crèvecueur trop grand, qu'elle a, d'aulcunes mauvaises parolles qu'on a aprins au Prince d'Escoce , son filz, de proférer d'elle. Néantmoins, par la bonne dilligence et les bons remèdes , qu'on luy a usé, les médecins jugent qu'elle est à présent hors de dangier; ce que je vous con- firmeray , Sire , par mes subséquentes , sellon la certitude qui m'en viendra chacun jour. Les depputez de son party ne sont encores arrivez, et estime l'on qu'on a changé l'el- lection, et que le comte d'Athil, ou celluy d'Arguil, avec milord Herys, seront envoyés. Leur longueur aporte beau- coup de retardement à leurs propres affères , et à ceulx de

leur Mestresse.

Cependand milord Boucard se met au plus honneste équipage qu'il peult , pour aller trouver Vostre Majesté ,

26.

404 et a commandé la Royne , sa Mestresse , au comte de Rotheland, et encoresà vingt chevaliers ou gentishorames de sa court, de l'acompaigner, monstrant qu'elle veult hon- norer, à son pouvoir, ce tant illustre mariage des deux personnes, qui sont les plus royalles et de la plus haute ex- traction de la Chrestienté, et d'honnorer encores particul- lièrement la venue de la Royne, comme d'une princesse, que , oultre les communes occasions de leur mutuelle bien- veuillance, elle veult , pour l'honneur de l'Empereur, son père , contracter une fort estroicte et bien fort espécialle amytié avec elle. Et s'attand bien aussi la dicte Dame que Voz trois Majestez Très Chrestiennes et Messeigneurs voz frères , et Mesdames voz sœurs , et pareillement toute la France , luy gratiffierez ceste sienne bienveuillance et grande démonstration; laquelle je vous puys asseurer, Sire, qu'on me la tesmoigne icy pour une fort grande expression du désir, qu'elle a , de persévérer en toute bonne amytié avec Vostre Majesté , et d'accommoder encores , pour l'hon- neur de vous, les afleres de la Royne d'Escoce; ce que je remets bien à le voir par les effectz. Tant y a que je vous su- plie très humblement. Sire, décommander que les choses, qui conviennent à bien et favorablement recepvoir une si notable ambassade, soient ordonnées de bonne heure.

Au regard des différans de Flandres, j'entendz que le duc d'Alve a faict remonstrer, soubz main , au depputé de la Royne d'Angleterre qu'il ne pouvoit, en façon du monde , accepter son offre de prandre les merchandises d'Angleterre au pris qu'elles avoient esté vandues; car il y feroit , par trop , le dommaige de son Maistre, mais qu'il s'esforceroit bien de luy fère trouver bon que ce fûtsellon qu'elles avoient vallu en Envers , ung mois auparavant les

i()5 saysies , parce que l'empeschement , survenu despuys , sur le commun commerce des deux pays , les avoit faictes ve- nir beaucoup plus chères; et que c'estoit ung expédiant , qui luy sembloit fort raysonnable , et par lequel il espéroit qu'on viendroit facillement au moyen d'accommoder les aultres affères du commerce, et de l' entrecours, et detoutz les différans qu'ilz pouvoient avoir ensemble ; auquel ex- pédiant. Sire , semble que ceulx cy condescendront, mais, de tant que le dict duc n'en a encores rien escript à l'am- bassadeur, qui est icy, l'on estime que ce n'est matière bien preste. *

Il ne se publie encores rien de la responce, que le jeune Coban a raportée de l'Empereur; pourra estre qu'avant mes premières j'en auray aprins quelque chose pour le vous mander, mais, quant à l'allemant, qui estoit arrivé ung peu devant luy, c'est ung capitaine qui s'appelle sire Hans 01- samer, d'Auxbourg, qui désire estre receuau service et à la pencion de la Royne d'Angleterre ; et , pour tesmoi- gnage de sa valleur, il a aporté des lettres de recommen- dation du duc Auguste, et quelque présent de coffres d'Al- lemaigne à la dicte Dame , et six belles pères de pistollés au comte de Lestre. L'on estime que luy et ung aultre am- bassadeur, que le comte Pallatin et le comte de Mans- felt ont en mesmes temps envoyé icy , par prétexte de quelque reste de payement de reistres, poursuyvent ce que leurs aultres ambassadeurs , l'esté passé, avoient miz en avant d'une ligue avec ceste princesse , dont je mettray peyne d'en entendre ce qui en est.

L'ambassadeur d'Espaignem'a dict qu'on avoit icy adviz d'Irlande comme les sauvaiges ont surprins ung chasteau sur ung port de mer, appartenant au comte d'Esmont, pri-

I

406 sonnier en la Tour de Londres , lequel la Royne d'Angle- terre avoit commis en garde à quelque aultre gentilhomme du pays , et que les dicts sauvaiges y ont miz une garnyzon de Bretons , de quoy l'on ne m'a encores parlé , et je n'en ay poinct d'adviz d'ailleurs; ayant au reste, Sire, biendil- ligement considéré ce que Vostre Majesté m'a escript , du premier de ce moys , touchant le dict pays , qui est une chose qui se raporte assés bien à ce que je vous en manday, dez le xj^ de juing dernier 5 et me semble, Sire, que ceulx cy ont meintennant fort oublyé la plus grand souspeçon qu'ilz eussent en cest endroict, car ilz n'ont nul appareil, sur mer; et si, estiment qne l'Espaigne n'est encores bien délivrée des Mores, et que le Roy Catholique a receu honte et perte en l'entreprinse du Levant , n'ayant sou armée de rien servy au secours deNict)cye', nyrien exploicté de bien, en tout le voyage, que la perte de quatre ou cinq mil soldatz , et s'est retirée, sans bonne intelligence, d'avec celles des aultresallyez. Possible qu'ilz s'endorment ez belles parolles du duc d'Alve. J'essayeray de voir, ung peu de près, en sont, à présent , les choses , affin de vous en escripre plus à certain par mes premières; mais il est requis , Sire, qu'on y ayt principallement l'œil ouvert du costé d'Es- paigne et de Flandres; car c'est là, desjà sont passez ceulx qui ont à conduyre l'entreprinse, si aulcune s'en faict. Sur ce, etc. Ce xviij^ jourde décembre 1570.

< La ville de Nicosie , malgré les efforts de la flotte combinée des chré- tiens , fut prise par les Turcs, le 9 septembre 1570.

- 407

CLr DÉPESCHE

(lu xxiii'- jour de décembre 1 570

{Envoyée exprès jusf/ues à Calais, par Jehan Monyer.)

Retour de sir Henri Coban de sa mission en Allemagne. Rapport qu'il fait à la reine de ce qui s'est passé aux fiançailles du roi à Spire. Conférence de l'ambassadeur et de lord Buchard. Instructions qui ont été don- nées à lord Buchard par la reine d'Angleterre. Espoir de l'ambassa- deur de ramener Elisabeth à une entière confiance dans le roi. Conva- lescence de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, j'ay fort dilligemmeiit cerché de sçavoir si ceulx cy avoient nul sentyment de l'aprest , que Vostre Majesté m'a mandé par sa lettre du premier de ce mois , mais je trouve qu'ilz ne se deffient à ceste heure , peu ny prou, de cest endroict , estans en termes de bien accorder leurs dif- férans avec le duc d'Alve; et ayant la Royne d'Angleterre receu , par le retour du jeune Coban , qui a repassé par Flandres , une lettre du Roy Catholique et une aultre du dict duc , desquelles , à la vérité , je ne sçay encores la te- neur ; tant y a que le dict duc luy faict espérer beaucoup de l'amytié de son Maistre , et luy promect plusieurs bons of- fices de sa part ; sur quoy elle et les siens sont à présent endormys. Il est vray qu'ayant la responce, que icelluy duc a faicte au depputé d'icy, (laquelle, du commancement , avoit semblé fort raysonnable), esté baillée à examiner aulx gens de lettre de ceste ville , ilz l'ont en quelque part trouvé captieuse , de sorte qu'on estime qu'il y aura en- cores bien à débattre. Le dict jeune Coban a faict ung honuorable rapport des fianceailles de Yostre Majesté , les- quelles il a veues cellébrer à Spire , et de la bonne grâce ,

408 vertu et débonaireté de la Royne , des vertueulx déporte- mens de M"^ le comte de Retz aus dites fianceailles , avec honneur et dignité , et pareillement de monsieur le comte de Fiesque , et de toutz les Françoys , qui estoient en leur compaignie ; et s'est loué des honnorables propos , que le dict S"" comte de Retz luy a tenuz de la Royne d'Angle- terre, sa Mestresse , et de la faveur qu'il luy a faicte parti- cuUièrement à luy ; mais quant aulx aultres contantemens , qu'il a raporté de la cour de l'Empereur, j'entendz que sa dicte Mestresse ne les a aulcunement goustez, ains qu'elle demeure oflancée des responces, que l'Empereur luy a faictes; lesquelles j'espère que, par mes premières, je les vous pourray mander.

Lundy dernier, M'^ de Yalsingan me lit ung somptueulx festin , auquel il appella milord de Boucart , le comte de Rotheland , et une trouppe des plus habilles hommes de bonne qualité de ceste ville , qui me vinrent quérir fort honnorablement en mon logis; il me dict qu'il estoit du tout dépesché pour aller succéder à M'' Norrys, et qu'il me donnoit paroUe , en homme de bien , de se comporter en telle sorte, en sa légation, que Vostre Majesté en auroit tout contantement ; et me fit toute ceste compaignie une fort honneste démonstration de bienveuillance envers la France. Le dict S"^ de Boucard me dict , à part , que sa Mestresse luy avoit commencé de bailler son instruction , et que , sans les choses que son ambassadeur luy avoit es- criptes, elle eust faict fère le voyage par le comte de Lestre, lequel , à présent , ne pouvoit plus estre ainsy bien prest comme elle le desireroit 5 bien que je luy eusse, à ce qu'elle disoit , desjà interprété en si bonne sorte ce que Vostre Majesté avoit faict et dict , en l'endroict de son ambassa-

4U9 deur, qu'elle en demeuroit fort satisfaicte, mais qu'elle vou- loifque le dict de Boucart accomplyst si honuorablement ceste légation au lieu du dict de Lestre , que Yoz Majes- tez Très Chrestiennes , et toute la France , en puissiez re- cepvoir le contantement , qu'elle desireroit ; et luy avoit parlé en une façon qu'elle monstroit ne vous porter moins bonne affection , que si elle vous estoit propre sœur ger- raayne , et qu'elle fût vrayement fille de la Royne , vostre mère; et qu'il y en avoit, qui luy conseilloient de composer aultreraent son langaige , quant il seroit en France , mais qu'il n avoit garde , et qu'il vous représenteroit droictement les propos de sa Mestresse. Il est , à la vérité , ung bien modeste gentilhomme, et aussi bien intentionné que j'en cognoisse poinct en ceste court, il eust désiré que le terme de vostre entrée à Paris n'eust pas esté si court, affin d'a- voir plus de loysir de se préparer ; et luy ay donné quelque espérance qu'elle pourra estre prolongée jusques au viij^ ou X* de janvier.

Je vays demain trouver la Royne, sa Mestresse, et es- père, puysqu'elle a commancé de bien prandre mes raysons, que je la ramèneray aulx premiers termes de la bonne amytié, que Vostre Majesté désire continuer avec elle, sel- Ion le bon argument que je luy en feray voir par vos lettres du xxij« du passé; et ne larray de luy toucher des affères de la Royne d'Escoce, encores qu'ilz luy soyent toutjours fort espineux; et la remercyerai de la consolation, qu'elle luy a donnée par ses lettres , en ceste grande malladye elle a esté, de laquelle l'on pense icy qu'elle ne soit en- cores bien hors de dangier; mais , tout présentement , ung sien serviteur, qui est son fruytier, et faict l'office d'apo- ticquaire , et qui la servyt vendredy dernier à son disner,

410 m'a apporté certeines nouvelles qu'elle se trouve mieulx. La Royne d'Angleterre est après à l'envoyer visiter par ung gentilhomme des siens , et luy envoyer une bague , qu'elle a faicte fère exprès , pour renouveler quelques merques d'amytié entre elles; et semble qu'il ne tient plus qu'aulx depputez d'Escoce qu'on ne procède au traicté. Sur ce , etc. Ce xxiij^ jour de décembre 1570.

CLir DÉPESCHE

du xxix« jour de décembre 1 570. ( Envoyée jusques à la court par le S" de Sabran. )

Audience. Explication sur le mauvais accueil dont s'est plaint l'ambassa- deur d'Angleterre. Satisfaction de la reine. Discussion des affaires de la reine d'Ecosse. Plainte d'Elisabeth au sujet des menaces faites par le roi. Lettre secrète à la reine-mère. Conférence du cardinal de Chatillon avec l'ambassadeur ; projet de mariage du duc d'Anjou avec Elisabeth. Commencement de cette négociation. Déclaration de Leicester qu'il fa- vorisera ce projet. Propos tenu à ce sujet par l'ambassadeur à la reine d'Angleterre. Mémoire. Proposition du comte de Sussex sur les affaires de Marie Stuart. Efforts des Anglais pour enlever à la France l'al- liance de l'Ecosse. Poursuites dirigées au sujet des troubles du pays de Lancastre. Affaires^ d'Espagne et des Pays-Bas. Confiance des Anglais dans les promesses du duc d'Albe, Négociation de sir Henri Coban en Allemagne. Mécontentement d'Elisabeth contre l'Empereur. Nouvelle d'un grand armement fait en Espagne.

Au Roy.

Sire, j'ay dict à la Royne d'Angleterre que sur la dé- pesche que je vous avois faicte par le S' de L'Aubespine, touchant le malcontantement qu'elle avoit des choses, qui avoient esté faictes en l'endroict de son ambassadeur, Vostre Majesté ne m'avoit guières vollu différer sa responce, en

411

laquelle j'avois trouvé tout ce qui s'étoitpassé avecquesluy, le jour dont il se pleignoit; dont me commandiez de le re- présanter à elle par le menu, et que, s'il luy restoit nul bon désir , ni aulcune bonne affection envers Vostre Ma- jesté , et si elle ne vouloit condempner la franchise et sin- cérité, dont vous desiriez uzer en son endroict , vous espé- riez qu'elle n'interprèteroit que à bien tout ce qui vous estoit advenu de fère et dire , lors, à son dict ambassadeur : et néantmoins, parce que je vous avois mandé qu'elle de- siroit d'en estre satisfaicte , vous n'aviez voUu différer d'en mettre la satisfaction dans vostre lettre , et y aviez ad- jouxté l'intention, dont vous aviez parlé, des affères de la Royne d'Escoce , et ce que vous en aviez encores sur le cueur ; à quoy vous la supliez toutjour de pourvoir , et puys veniez, en vostre lettre, à d'aultres particuUaritez , qui es- toient toutes à son contantement ; dont , de tant que vous y expliquiez si bien vostre intention , que je craignois d'of- fusquer beaucoup la clarté d'icelle , si je la rédigoys en mes propos, j'avois aporté le propre extraict de vostre chiffre, pour le luy monstrer , après toutesfoys avoir impétré d'elle qu'elle ne prendroit, sinon en fort bonne part , tout ce qui y estoit contenu.

La dicte Dame , me remercyant de la communication que je luy vouloys fère de vostre dépesche, affin d'y com- prendre mieulx vostre intention , la leust fort curieusement du commancement jusques à la fin, et considéra de prez toutes les particuUaritez qui y estoient contenues; et puys me dict-qu'elle vouloit bien demeurer contante et satisfaicte de ce qu'il vous playsoit, et prendre de bonne part les bons argumens, qu'elle\oyoit dans vostre lettre, de vostre bonne amytié vers elle ; mais cella luy faisoit mal que vous

4I'i l'y coUoquiez segonde , après la Royne d'Escoce, bien qu'elle méritast d'estre première , et que , si vous y aviez touché aulcunes honnestes et bien gracieuses particullari- tez pour elle , vous y aviez encores plus amplement pour- suyvy les affères de la dicte Royne d'Escoce; dont eust désiré que, au moins ceste foys, vous eussiez oublyé d'y mettre le mesmes langaige , que vous aviez escript à son dict ambassadeur, mais il y estoit tout semblable ; et qu'elle voyoit bien que vous ne l'aviez peu dire , ny escripre, à luy, ny à moy, sans que vous ne l'eussiez heu ainsy dans le cueur ; néantmoins qu'elle estimoit que vous luy réser- viez toutjour une très bonne affection, ainsy que vous l'es- cripvez-, et que , pour le regard de la Royne d'Escoce , elle avoit esté très desplaysante de sa malladye, et de ce qu'il sembloit qu'elle ne fust encores hors de dangier, néant- moins elle l'envoyeroit visiter par ung gentilhomme, affin de luy donner toute la consolation qu'il luy seroit possible ; qu'elle espéroit que ses depputez seroient bientost icy, luy ayant néantmoins mandé d'en fère venir de plus capables que ceulx qui avoient esté nommez, car c' estoit derrision d'envoyer ceulx là; et, qu'aussitost qu'ilz seroient venuz, des deux partys, qu'on procèderoit au tretté, auquel, quant à ce que Vostre Majesté me commandoit de prendre garde qu'il n'y fût rien faict à vostre préjudice , qu'elle ne le prétandoit aulcunement , mais seulement de fère que la Royne d'Escoce ne luy nuysît poinct à elle; au regard de voz nopces, qu'elle avoit receu ung singulier playsir d'en entendre l'honnorable récit, que je luy en avois faict, et qu'elle se délectoit de les ouyr cellébrer et magniffier, comme les plus honnorables de nostre temps ; (es quelles n' avoit esté besoing de dispence , ainsy que aulx aultres,

413 sembloit qu'enfin le Pape permettroit de se mesler avec les propres sœurs); et qu'elle les envoyeroit honnorer et aprouver encores de sa part , par ung de ses barons , qui estoit son parant fort prochain du costé de sa mère ^ lequel elle avoit expressément choisy à cest effect pour vous con- tanter ; et vous pryoit , Sire , de le vouloir bien recepvoir, et r accepter avecques faveur; et vous remercyoit , au reste , de tout son cueur , de ce que , pour vous avoir désiré toute félicité en vostre mariage , et avoir invoqué la béné- diction de Dieu sur icelluy , vous luy en avez souhayté ung pour elle, quifustàson contantement , chose qu'elle s'as- seure que vous luy vouldriez procurer de bonne affection, et elle aussi y vouldroit suyvre très voUontiers vostre juge- ment, sellon qu'elle s'asseuroit que vous luy vouliez beau- coup de bien , si elle en venoit à cella ; et qu'au reste elle n' avoit poinct doubte de l'establissement de la paix de vostre royaulme, néantmoins qu'elle estoit infinyement bien ayse de vous voir bien résolu de la maintenir , et que toutz vos subjectz se rangeassent, comme ilzfaisoient, à bien exacte- ment l'observer.

Toutz lesquelz bons propos , Sire , elle a estenduz en plusieurs honnestes termes d'amytié et de bonne affection envers Yoz Majestez Très Chrestiennes et au plaisir, qu'elle disoit participer avec celluy qu'elle jugeoit fort grand , et quasi incroyable , de la Royne , vostre mère , sur les prospéritez qu'elle voyoit aujourduy en ses enfans et en la France; ce que j'ay suyvy avec les .meileures parolles, que j'ay estimé convenir à vostre grandeur et à l'honneur et dignité du présent estât de voz affères; etmesuys ainsi

licencié d'elle.

Or, Sire, le comte de Lestre m'a faict une ouverte

414 démonstration de la bonne intelligence , en quoy la dicte Dame veult demeurer avec Vostre Majesté , mais que voz ennemys luy objectent que ce n'est de la dignité de sa couronne, ny de l'honneur de son royaume, qu'elle se laysse aller à voz menaces sur les affères de la Royne d'Es- coce , et qu'il me vouloit dire que la dicte Dame avoit heu mille et mille foys plus de respect à vous pour la Royne d'Escoce, que non pas à elle , et que je pouvois dire qu'en vostre nom j'avoys tiré son affère hors des abismes, néant- moins qu'elle en vpuloit bien avoir le gré et l'honneur, et que tout seroit gasté , si l'on y procédoit par rigueur; dont ayant Vostre Majesté à procéder en cella avecques une femme , desiroit qu'il vous pleust luy uzer de toutes agréa- bles paroUes, et encores de gracieuses prières , et qu'avec ceste courtoysie le dict sieur comte espéroit de vaincre les adversayres de ceste cause , lesquelz il estoit incroyable combien ilz lui avoient donné de peyne jusques icy. Et sur ce, etc. Ce xxix^ jour de décembre i570.

A LA Royne.

(Lettre à part.)

Madame, j'ay à dire à Vostre Majesté, touchant le par- ticuUier de la petite lettre du xxi® de novembre que , quant W le cardinal de Chastillon a repassé en ceste ville, en s'en retournant d'Amptome , il m'est venu visiter pour sa- tisfère, à ce qu'il dict, à son debvoir envers Voz Majestez, et a curieusement examiné de quelle intention Elles et Mon- seigneur éstoient en l' entretenu ement de la paix, et si elles se vouloient poinct tirer hors de la subjection du Roy d'Elspaigne et des aultres princes, qui tirannisent vostre

415

couronne , et si Mon dict Seigneur estoit si avant au partv de la princesse de Portugal qu'il ne peult entendre à celluy de la Royne d'Angleterre, lequel, s'il le vouloit, se pourroit meintennant conduyre , estendant son propos en plusieurs aultres choses , lesquelles revenoient toutes à ces trois poinctz.

Je luy ay respondu, quant à la paix, qu'il ne doubtât que Voz Majestez et Monseigneur ne la rendissiez stable et de durée, jouxte l'édict, qui en avoit esté faict, pourveu que eulx, de leur costé, l'observassent; que vostre delli- bération estoit de fère voz affères, sans dépendre de nul aultre prince, mais qu'il seroit bien dangereux, à la fin de ceste guerre des Protestans , d'en laysser renoveller une des Catholiques, veu l'intelligence que luy mesmes disoit que les aultres princes avoient dans le royaume ; par ainsy qu'il vous failloit laysser bien establyr , et qu'il considérât combien il avoit esté besoing que Voz Majestez et Mon dict Seigneur eussiez usé d'une ferme et constante vertu , et d'une grande magnanimité, à fère ceste paix, estant assez contradicte de toutz les aultres princes catholiques; que, touchant la Royne d'Angleterre, elle avoit toujour monstre ne vouloir poinct de mary , ou de ne vouloir en- tendre à nul autre que à l'archiduc; mais si, à ceste heure que Mon dict Seigneur estoit en Heur d'eage , et florissant en toutes vertuz, aultant et, possible, plus que nul prince de la Chrestienté, elle trouvoit bon de l'espouser, je ne faisois doubte que luy et Voz Majestez, et toute la France, embrassissiez ce party avec toute afl'ection, comme le plus grand et le plus honnorable de toutz les aultres , et du- quel j'estimois qu'adviendroit plus de réconcilliation au monde, plus de paix à la France, et plus de terreur aulx

/H6 ennemys d'icelle, que de nulle chose, qu'il se peult aujour- duy mettre en avant.

Ce qu'il monstra de recepvoir avec affection et d'en de- meurer bien fort consoUé; et s'en retourna, puys après, au logis du comte de Lestre , il fut tout le soir en privée conférance avecques luy : puys, le matin, il me manda qu'il espéroit que noz propos produyroient quelque bon effect.

Peu de jours après, ainsi que j'étois bien mallade , le S"" Guydo Cavalcanty me vint, par forme de visite, en mon lict entretenir d'ung grand circuyt de bonnes parolles; lesquelles il fit tumber sur Mon dict Seigneur, et que le ma- riage de l'archiduc avec la fille de Bavière, l'indignation, que la Royne d'Angleterre en avoit prins , et ce qu'elle vouloit bien monstrer qu'elle estoit pour trouver aussi bon party que le sien ; et puys les différans des Pays Bas , ceulx de la Royne d'Escoce , la paix de la France , l'accommode- ment qui se pourroit fère de Callais, s'il y avoit enfans, la disposition venue de Monsieur, qui estoit desjà homme, celle qui commanceroit doresenavant de passer de la dicte Royne d'Angleterre , estoient toutes influances pour fère effectuer, ceste année, ung bien heureux mariage entre eulx ; et que , si je le trouvois bon , il en mettroit quelque chose , comme de luy mesmes , en avant au secrétaire Ce- cille , avec de si bonnes considérations, qu'il espéroit qu'elles auroient effect , me priant de fère entendre ceste sienne bonne intention à Yostre Majesté. ,

Auquel Cavalcanty , parce que je le cognoissois fort de ceste court , et que c' estoit luy qui avoit toutjour entretenu le party de l'archiduc , je respondiz que le propos me sem- bloit si honnorable et si advantaigeux pour Monseigneur, que j'avois ung grand playsir qu'il me l'eust miz en avant ,

417

et que je ne fauldrois d'en donner adviz à Vostre Majesté , ne voyant qu'il y peult avoir que tout bien d'en entamer telz propos, comme il les sçauroit bien penser et bien sage- ment conduyre, car je le réputois pour ung expécial servi- teur de Vostre Majesté et bien affectionné à la France; que, pour ma part, ne saichant, à présent, en quelle disposition vous en pouviez estre , je ne luy pouvois dire sinon que , de toutz les partys, dont je vous avois ouy fère grand cas , mesmes pour le Roy vostre filz, vous aviez toutjour estimé le plus grand et le plus digne celluy de la Royne d'An- gleterre 5 et que sur ung tel fondement se pourroit bien es- tablyr une bonne alliance, si l'on s'y disposoit du costé de deçà.

A trois jours delà, le dict Cavalcanty me revint trouver, qui me dict avoir desjà ouvert ce bon propos au dict secré- taire, et qu'il l'avoitreceu avec affection, mais que, ayant esté longtemps mallade , sans avoir veu sa Mestresse , il ne l'avoit peu suyvre; mais il l'avoit pryé de l'aller trouver à Amthoncourt, aussitostqu'ilyseroit, et qu'ilz en tretteroient plus amplement.

Despuys cella , Madame , j'ay esté au dict Amthoncourt, me trouvant à part avec le comte de Lestre, après d'aul- tres discours , je luy ay dict tout ouvertement qu'ung per- sonnaige de bonne qualité, lequel toutesfoysjeneluyay point nommé, m' av oit tenu le susdict propos, lequel j' avois receu avec honneur et respect , mais que je n'en voulois user si- non ainsy qu'il me conseilleroit ; car je sçavois que Voz Majestez le réputoient comme conseiller et protecteur de tout ce que vous auriez à fère en ce royaulme, et que , si quelque chose debvoit advenir de cella , vous ne vous en vouldriez jamais adresser qu'à luy. Lequel me respoudit

418 (iQ'il y avoit plusieurs jours qu'il avoit désiré de conférer avecques moy de eest alïère, sur ce qui en avoit esté desjà miz en termes par le vydame de Chartres et par d'aultres, mais, plus expressément que par nul, par M"^ le cardinal de Ghastillon , qui avoit parlé si haultement des grandes qua- litez de Monsieur, comme le cognoissant bien , qu'il l' avoit faict le plus désirable prince de la terre ; que , de sa part, il s'estoittoutjour opposé au party d'Austriche bien que , en aparence, utille à saMestresse, mais puysqu'elle estoit ré- solue de n'entendre à celluy de nul de ses subjectz , qu'il se vouloit sacriffier pour conduyre celluy de Monsieur ; et qu'il y vouloit procéder en telle façon que ung esgal et mu- tuel advantaige fût gardé aulx deux, affin de ne fère naistre d'ung tel pourchaz d'amytié aulcune matière d'offance , (;omme il voyoit bien qu'il en restoit quelcune assés grande du propos de l'archiduc, et qu'on estoit pis que jamais avec le lloy d'Espaigne, nonobstant les bonnes lettres, que luy et le duc d'Alve avoient naguières escriptes; et que, en brief , il viendroit exprès à Londres pour me festoyer en sa mayson, et pour tretter amplement de cest affère avecques moy; duquel il estoit d'adviz que je touchasse cependant quelque mot à la Royne, sa Mestresse ; et qu'il espéroit que, sur ceste occasion , se dresseroit ung voyage pour luy en France, puysqu'il avoit failly ceste foys d'y aller ; et qu'il avoit ung infiny désir d'aller bayser les mains à Yoz Ma- j estez, comme recognoissant le Roy pour son supérieur, à cause de l'honneur, qu'il luy avoit faict, de son ordre.

Et de ce pas il -me mena en la chambre privée de sa Mestresse, je la trouvay mieulx parée que de coustume, et qui monstra qu'elle s'attandoit bien qu'en luy parlant des nopces du Roy , je luy en desirerois une pour elle ; a

419 qaoy elle m'achemina , par aulcuns siens propos , sur les- quelz enfin je luy diz qu'il me souvenoit bien de ce qu'elle m'avoit asseuré de n'avoir poinct faict de veu de ne se raa- ryer pas, et que le plus grand regrect qu'elle eust estoit de n'avoir pensé de bonne heure à sa postérité, et qu'elle ne prendroit jamais party, qui ne fût de mayson royalle , con- venable à sa qualité ; sur quoy je serois marry qu'elle m'estimât si mal abille que je n'entendisse bien que cella quadroit merveilleusement bien en Monseigneur, frère du Roy, comme en celluy, lequel j'osois (sans passion nyflat- terye) réputer le plus acomply prince , qui aujourduy ves- quit au monde pour mériter ses bonnes grâces ; et que je me réputerois le mieulx fortuné gentilhonune de la terre, si je pouvois intervenir à quelque conamancement d'une si heureuse alliance, qui peult revenir à bon eflect; car j'en demeurerois cellèbre à toute la postérité.

La dicte Dame receust merveilleusement bien ce peu de motz , et me respondit que Monsieur estoit de telle estime et de si exellante qualité qu'il estoit digne de quelque grandeur qui fût au monde, et qu'elle croyoit que ses pen- sées estoient bien logées en plus beau lieu qu'en elle , qui estoit desjà vieille, et qui , sans la considération de la pos- térité , auroit honte de parler de mary , et qu'elle estoit desjà de celles dont onvouldroit bien espouser le royaume, mais non pas la royne , ainsy qu'il advenoit souvent entre les grandz, qui se maryoient la pluspart sans se voir; et que ceulx de la mayson de France avoient bien réputation d'es- tre bons marys , à bien fort honnorer leurs femmes , mais à ne guières les aymer. Et suyvyt assés longtemps ces pro- pos avec toutes les plus honnestes et favorables parolles , qui se pouvoient respondre à ung , (jui monstroit ne parler

27.

420 aulcuneraent que de luy mesmes, et sans aulcune charge. Dont ne fault doubter, Madame, que ce qui en seroit mein- tennant miz en avant ne fût receu d'elle, et embrassé de tout son royaulme, avec affection; mais je ne puys juger en- cores si elle l'acomplyroit par après, car souvent elle a pro- miz à ses Estats de se maryer, et puys elle a trouvé moyen d'en prolonger et interrompre les propos. Néantmoins, de tant qu'on imputera à une très grande faulte à la France d'avoir layssé eschapper ung si grand party, comme estces- tuy cy , qui semble se présenter à Monseigneur, je desire- rois que vous l'eussiez desjà disposé de le vouloir ; et que, sur ce qui en est desjà entamé entre M"" le comte de Lestre et moy, Yostre Majesté me commendast de passer oultre, et me prescript la forme comme j'aurois à le fère : car il me semble bien que ce sera à nous ( si l'on en vient ) de parler les premiers , mais qu'il fauldroit qu'ilz y respon- dissent si clairement que l'affère fût plus tost conclud que divulgué, à cause des jalouzies , traverses et inconvénians, qui y pourroient survenir; et puys après, l'on y pourroit bien adjouxter les cérémonyes et respectz qui y seroient né- cessaires pour honnorer l'acte; surtout je prendray garde, aultant qu'il me sera possible , que n'y soyez trompez ny remiz à nulle longueur. Sur ce , etc.

Ce xxix^ jour de décembre d570.

Encores tout présentemeut, je viens de recepvoir adviz, de bon lieu, que le susdict propos commence de prendre icy grand fonde- ment ; dont je continueray d'en escripre toutjour quelque mot, à part, à Vosire Majesté ; mais il n'y a rien plus requis que de tenir la ma- tière secrecte.

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ADVERTYRA LE DICT DE SABRAN LEURS HAJESTEZ,

oultre le contenu des lettres :

Que milord de Sussex a proposé, à son arrivée, de fort mauvais con- geilz contre les affères de la Royne d'Escoce , remonstrant qu'avec quatre centz mil escuz, qui ont esté employez ceste année, par ses mains, contre les Escouçoys , il a bien chastié ceulx d'entre eulx, qui avoieni osé offancer la Royne , sa Mestresse, en retirant et supportant ses re- belles ; et qu'il avoit estably aulx aultres un régent à sa dévotion ; et relevé si bien la part du jeune Roy, que ceulx de l'aultre party ne fais,oient plus que ce qu'il leur ordonnoit, et les avoit presque rengez à se soubsraettre à luy ; et que, pendant que le Roy Très Chrestien estoit encores bien laz des guerres civiles de son royaulme , et les aultres princes de dellà la mer assés empeschez, chacun en son estât, il s'esbahyssoit comme la Royne, sa Mestresse, se retranchoit ainsy court à elle mesmes son entreprinse, de ne se saysir de l'Escoce , comme il luy avoit facillité la voye de ce fère , et de pouvoir establyr par ung repos en ceste isle ; lequel aultrement il n'espéroit l'y veoir jamais bien asseuré, mesmement si la Royne d'Escoce estoit restituée ; et qu'on ne pouvoit donner ung plus loyal conseil à la Royne , sa Mestresse , que d'interrompre ce propos encommancé , et de luy fère poursuyvre chauldement , à ce prochain printemptz, son entreprinse de renvoyer l'armée en Escoce; car s'asseuroit, dans peu de jours , la randre maistresse de Lislebourg , Esterlin et Dombertrand, et de forclorre aulx Françoys leur descente et retrette au dict pays ; lesquelz aussi , séllon son opinion , n'avoient, à présent, guières à cueur les choses de deçà la mer, se trouvant seigneurs de Callais.

Auquel conseil s'estantz joinctz ceulx , qui avoient toutjours heu le mesmes adviz, ilz ont cuydé traverser grandement toutz noz affè- res; mais la Royne mesmes n'a monstre qu'elle y inclinast; et aul- cuns seigneurs plus modérez ont remonstré' au dict de Sussex qu'il y avoit plus de dangier et d'inconvéniant en ceste entreprinse qu'il n'y en voyoit, de sorte qu'il n'est demeuré bien ferme en son opi- nion. Il est vray que l'abbé de Domfermelin est fort ordinaire en sa compaignve , ce qui le nous rend toutjour assés suspect , mais l'évesque'de Roz, avant partyr, luy est allé remonstrer plusieurs choses , par lesquelles il l'a ramené à ceste rayson que , s'il se pouvoit establyr quelque bonne seureté entre les deux Roynes, il confessoit,

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veu la proximité d'elles, et le droict de la future succession à celle d'Escoce, que le plus expédiant seroit de la restituer; mais n'a parlé que condicionnellement , et par difficulté/, avec un désir très ambicieux de demeurer en charge ; et qu'en tout événement, il failloit que la dicte Dame quiclast l'alliance de France pour en fère une nouvelle et perpétuelle avec laRoyne d'Angleterre.

A quoy le dict cvesque luy a remonstré qu'il esloit impossible de ce fère, et qu'il ne seroit lionneste ny proffîttable à la Royne d'Angle- terre de le requérir, joinct que, si elle pressoitde cellasa Mestresse, elle la presseroit à elle de renoncer à l'alliance de Bourgoigne. A quoy il a soubdaiu respondu que Dieu vollust garder sa Mestresse d'un si dangereux conseil , comme de quicter les anciennes alliances de sa couronne, mais qu'il n'estoitde mesmes à ceste heure, en l'en- droict de la Royne d'Escoce, parce qu'il falloit qu'elle [irint la loy de la Royne d'Angleterre. Tant y a que , despuys, il semble que, à cause du duc de Norfolc , le dict de Sussex se soit ung peu modéré ; et toutjour le comte de Lestre et le secrétaire monstrent persévérer droictement à vouloir que l'accord succède par le traicté ; dont nous vivons en meilleure espérance.

Et ceste honnorable ambassade , que la Royne d'Angleterre en- voyé meintennant en France , monstre qu'elle n'a le cueur esloi- gné de cella; mesmes M' le cardinal de Chastillon m'a asseuré, ceste dernière foys qu'il m'est venu visiter, qu'il sçavoit certaine- ment que la résolution estoit prinse, entre la dicte Dame et ceulx de son conseil, de restituer la Royne d'Escoce, mais que je ne m'esbahysse de la longueur; car elle estoit naturelle à ceulx cy, sellon que luy mesmes l'avoit esprouvé; et que, despuys l'aultre foys qu'il avoit esté avecques moy^ ayant considéré , par les choses que M' de Roz et moy luy avions desduictes , que le Roy avoit grand intérest à la restitution de la dicte Royne d'Escoce, il en avoit parlé si à propos à la Royne d'Angleterre qu'il l'avoit fort disposée d'y prendre quel- que bon expédiant. Ceulx aussi, à qui cestaffère est aultant à cueur en ceste court comme leur propre vie, m'asseurent qu'il ne tient plus (ju'à la venue des depputez d'Escoce qu'on ne passe oultre à con- clurre le traicté, et m'ont faict advertyr de suplier Leurs Majestez Très Chrestiennes de fère, en cest endroict , l'office que j'ay donne charge au S- de Sabran de leur dire.

Le sire Thomas Stanlay a esté ouy et examiné en ce conseil sur les mouvemens de Lenclastre ; et puys son frère Édouart après luy, et le sir Thomas Gérard, après , en présence de toutz deux, leur estant

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reinoiislré qu'ilz proposoient ung très mauvais exemple d'eulx au dict pays de ne se ranger à la forme de religion, qui estoit ordonnée, sellon les parlemens, à la tran(|uillité publique du royaulme ; et que, s'ilz ne s'y déportoient plus sagement, la Royne, leur Mestresse, ne pourroit de moins que procéder contre eulx par la voye de justice ; et, i)our ceste foys, ne leur ont touché que ce point de la religion. A quoy ils ont respondu qu'ilz estoient personnaiges qualifiiez , et bien cautionnez en ce royaulme, et que , s'ilz se fussent sentys coul- pables d'aulcune chose envers la Royne et son estât, qu'ilz ne fussent point venuz , et qu'ilz avoient, en toutz leurs actes , toutjours pro- cédé en fort gens de bien, dont les requéroient qu'ilz ne voUussent prendre aulcune mauvaise opinion d'eulx , ny rien ordonner à leur préjudice , que leurs accusateurs ne fussent présens , car ils s'asseu- roient de leur bien respondre, et de se bien justifiîer devant eulx. Jlz sont encores à la suyte de la court , et cependant est venu nou- velles que celluy, qui les avoit defférez, est mort de quelque accidant fort soubdain et fort estrange.

J'ay faict dire , de loing, à aulcuns, qui ont parfaicte cognoissance des choses de ce royaulme, que j'avois entendu que la Royne d'An- gleterre et ceulx de son conseil avoient toutjours heu pour suspect le retour de l'armée d'Espaigne, et qu'il sembloit qu'à ceste heure ilz en fussent en plus grand doubte que jamais ; dont je les pryois de me mander en quoy ilz estimoient cpie les choses en fussent. Les- quelz m'ont respondu quasi conformément, de plusieurs endroictz, qu'à la vérité l'on estoit en assés de defiiance du costé d'Espaigne et de Portugal, tant à cause des prinses de l'an 1569, que de ce que les fuytifz de ce royaulme s'étoient retirez vers le duc d'Alve ; et que Estuqueley estoit passé devers le Roy Catholique pour l'inviter à quelque entreprinse en l'Yrlande, ainsy qu'il estoit homme pour le luy sçavoir imprimer et pour se offrir à laconduyre; et que ung itallien, nommé Lotini, lequel ceste Royne entretennoit en Yrlande, avoit esté naguières chassé pour souspeçon, qu'on avoit heu, qu'il s'entendit avec le dict Estuqueley ; néantmoins que la dicte Dame et toutz ceulx de son conseil demeuroient fermement persuadez que le Roy d'Espaigne ne romproit jamais avec eulx, tant qu'dz seroient saysys des merchandises et deniers qu'ilz ont prins sur luy, car il auroit aultant perdu; joinct qu'ilz estoient si avant en traicte avec le duc d'Alve, qu'ilz attcndoient plustost accord que guerre de son costé ; et que l'on estoit après à y regarder de si près, qu'on estnno.t bien qu'il ne scroit rien laysséen différand, d'où l'on en peuli venir

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cy après aulx armes. Par lesquelles responces se peult assés cognois- tre que ceulx cy ne sont bien aperceuz des appareil/ d'Espaigne ni de Portugal ; ce qu'ilz monsti ent encores mieulx par le peu de pré- voyance qu'ilz donnent aulx choses de la guerre; car je n'ay en- tendu qu'ilz ayent, pour encores, ordonné aultre chose que aulx pourvoyeurs de la marine de sçavoir prendre ravitaillement pour vingt cinq navyres , dans quinze jours , quant il leur sera com- mandé.

Tant y a que le duc d'Alve, par les difficultez qu'il faict naistre, l'une après l'aultre^ en ces différans des prinses , et qu'il ne se haste de parler guières expressément de l'accord du commerce, et de l'en- trecours, monstre qu'il vouldroit, en quelque façon, s'asseurer des dictes prinses, lesquelles montent à grand somme; etpuys essayer de se revencher; dont il va temporisant et entretennant ceulx cy de parolles et de bonnes espérances , afTin qu'ilz n'y preignent garde. Et je sçay, à la vérité, qu'il a naguières envoyé, par le jeune Coban, une lettre du Roy, son Maistre, à la Royne d'Angleterre, en laquelle son dict Maistre rend seulement ung fort grand et fort exprès grand mercys à la dicte Dame pour l'honnorable convoy qu'elle a faict fère par ses grandz navyres à la Royne, sa femme, passant en ceste mer ; et ne touche nul aultre poinct , ni mesmes luy faict aulcune mencion des trois lettres, que la dicte Dame luy a escriptes , despuys les dictes prinses ; et, par mesme moyen , le duc d'Alve luy en a escript une, de sa part , pour accompaigner celle de son Maistre, et pour prendre congé d'elle, et l'exoiter à lentretennement de la paix et de l'alliance avec son dict Maistre , avecques grandz offres de s'employer droiclement à le randre de mesmes bien disposé envers elle.

Quant au voyage du dict jeune Coban à Espire, l'on m'advertyt, avant son partement, qu'il y alloit pour renouveiler le propos de l'archiduc Charles, mais ce n'estoit que une démonstration, que la Royne d'Angleterre vouloit faire pour s'en prévaloir en ses présens affères de dehors et de dedans son royaulme , et qu'en effect l'en- vye ne luy estoit crue de se maryer; mesmes que n'y ayant le comte de Sussex rien advaucé, quant il y alla, encores estoit il à croyre que ung jeune gentilhomme de nulle authorité, qui à peyne avoit poil en barbe, y feroii à ceste heure encores moins.

Tant y a qu'avec plusieurs aultres propos d'amytié le dict Coban a proposé à l'Empereur que sa Mestresse Tavoit envoyé vers luy pour continuer la mesmes négociation, que, trois ans a, le comte de

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Sussex luy avoit commancé ; à laquelle elle n'avoit, plus tost qu'à ceste heure, peu randre responce, pour avoir esté souvent despuys assés mallade, et pour les guerres de France, Flandres et aultres empes- chemens, qui estoient jusques en son propre pays survenuz ; mais qu'elle n'avoit toutesfoys , en différant la responce, pensé de rien interrompre au propos de l'archiduc son frère, et que, s'il luy playsoit de passer meintennant en Angleterre , il y seroit le très bien venu, et qu'estant resté tout le différant sur sa religion, elle espéroit que ses subjectzy consentyroient qu'il eust , pour luy et les siens, si ample exercice d'icelle qu'il en demeureroit content.

Lequel propos le dict Empereur monstra recepvoir de bonne part, etprint temps de luy respondre, affin d'advertyr l'archiduc son frère; et enfin la responce a esté que luy et son dict frère estoient bien marrys que la bonne intention de la dicte Dame leur eust esté si tard notifliée ; de laquelle ilz luy demeureroient néantmoins bien fort obligez ; et que son dict frère n'avoit peu penser de moins, luy différant, elle, trois ans sa responce, sinon qu'il n'estoit accepté ; dont il avoit regardé à ung aultre party, et desjà s'y estoit obligé avec une princesse, sa parente, catholique, avec laquelle il n'auroit point de différent pour sa religion ; qu'il luy vouloit dire, encores une aultre foys, qu'il avoit grand regrect que l'ocasion n'eust esté ac- ceptée de toutz deux , quant elle s'estoit présentée , et qu'il ne lairroil pourtant de demeurer très bon amy et comme frère à la dicte Dame; laquelle il vouloit au reste exorter, pour son bien, de vivre en bonne paix avec les princes , ses voysins ; dont estant mein- tennant les deux plus grandz ses gendres , il auroit grand playsir qu'elle se déportât comme bonne sœur avec eulx, et qu'il la vouloit advertyr que de dépendoit sa seureté et celle de son estât. Et avec ces honnestes paroUes, et quelque présent de vaysselle d'argent, il a licencié le dict Coban.

Laquelle responce n'a peu, en façon du monde, estre bien goustée ny bien priuse de la dicte Dame, laquelle en demeure offancée jus- ques au cueur ; et ne s'est peu tenir de dire que l'Empereur luy fai- soit injure, et que, si elle estoit aussi bien homme comme elle est femme, qu'elle le luy redemanderoit par les armes. Sur quoy il m'est tombé entre mains une lettre d'ung seigneur de ceste court qui mande aussi à ung aultre <- La cause du dueil et fâcherie de nostre Royne est asseuréement le mariage de l'archiduc Charles avec la fille de sa sœur, la duchesse de Bavière , soit ou que véritablement elle eust assis son amour et fantasie en luy ; ou bien qu'elle est marrye

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que sa beaulté et sa grandeur a'ayent esté plus instantment requises de luy ; ou bien qu'elle a perdu , à ceste heure, l'entretien qu'elle donnoit par à son peuple , craignant qu'elle soit pressée par ses Estatz et par son parlement de ne différer plus à prendre parly, qui est le principal poinct que tout son royaulme luy requiert. »

Despuys ce que dessus escripr, j'ay esté adverty qu'il vient d'arri- ver ung navyre de Cadix, qui porte des lettres du ij' de ce mois, par lesquelles l'on mande le grand aprest de guerre, qui se faict en Es- paigne; et que aulcuns l'interprètent estre contre le Turc; aultres disent que c'est pour parachever la guerre des Mores, qui encores se renouvelle; et aultres que c'est pour descendre en Yrlande. Je pren- dray garde comme ceulx cy le prendront et comme ilz y pourvoyrront.

CLIir DÉPESCHE

du vi^ jour de janvier 1571.

Nouvelles d'Espague. Pompe déployée pour le mariage du roi. Mouve- mens dans les Pays-Bas et en Irlande.

Au Roy. Sire '

11 se continue icy que le duc d' Alve partira en mars pour s'en retourner en Espaigne, et qu'il prendra le chemyn d'Itallye, il layssera quelques compaignies italliennes, qui l'accompaigneront jusques ; lesquelles pourront servyr à la guerre contre le Turcq , au commancement du prin- temps; et que le duc de Médina Cœli s'embarquera, à ce prochain febvrier, pour passer en Flandres, et qu'il admè- nerales deux filz aysnez de l'Empereur; ne se faisant icy

Le premier feuillet du registre, qui contient les dépêches de l'année 157 J , se trouvant déchiré, le commencement de cette lettre manque : c'est au reste la seule lacune que présente le manuscrit,

427 aulcune démonstration qu'on se doubte de luy , ny de l'ar- mée de mer , qui le vient conduyre , parce que plusieurs vaysseaux de la dicte armée ont passé, et qu'il est desjà arrivé en Flandres plus de deux centz voyles d'Andelouzie ou de Portugal; qui faict encore discourir à aulcuns que le dict duc et iceulx petitz princes pourront s'acheminer par la France , puysqu'ilz ont layssé venir tant de vaysseaulx par deçà.

L'on a heu en admiration en ceste court l'ordre , lapa- reil, les riches habitz, les présens et la despance , dont a esté usé aulx nopces de Vostre Majesté , ainsy soubdain après la guerre passée , et de ce qui se prépare encores pour une entrée à Paris 5 qui leur faict bien juger que la grandeur de vostre estât a ung bien solide fondement , et que si Vostre Majesté joue ung peu son jeu couvert, et commance de s'aquiter et de fère les affères, il n'est pas à croyre combien il demeurera d'impression au monde des grandes forces et oppulance de vostre royaulme , et de la merveilleuse ressource qui est en icelluy. Sur ce, etc.

Ce vi'^ jour de janvier d571.

L'on me vient d'adverlyr qu'au soir arrivèrent deux nouvelles en ceste court : que ceulx de la nouvelle religion des Pays Bas ont surprins un chasteau prés de Groninguem, le duc d'Alve y a en- voyé huict centz Espaignolz pour le reprendre ; et (jue, en Irlande, sont descenduz quelques soldats françoys, en moindre nombre de deux centz, appeliez par les saulvaiges du pays , et que desja le comte d'Ormont s'est esforcé de les combattre; mais ilz se sont faictz lascher. Si ainsy est , cella troublera assés les affaires de ce royaume.

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. CLIV' DÉPESCHE

duxiiiejour de janvier 1571.—

( Envoyée exprès jusques à Calais par la voie du S"' Acerbo. )

Affaires d'Ecosse. État de ]a négociation de lord Seyton en Flandre. Nouvelles d'Espagne et d'Allemagne. Projet de Walsingham de traiter avec les protestans d'Allemagne. Bruit répandu en Angleterre que les armes ne tarderont pas à être reprises en France. Lettre secrète à ta reine-mère sur la proposition du mariage du duc d'Anjou.

Au Roy.

Sire, bien peu d'heures après que je vous ay heu fàict ma dépesche du vj^ du présent , mon secrétaire est arrivé avec celle de Vostre Majesté du xxvj^ du passé, en laquelle j'ay trouvé deux de voz lettres 5 desquelles l'une répond fort bien aux particuUaritezque je vous avois auparavant man- dées , et l'aultre est pour la faire voir à la Royne d'Angle- terre , qui en recepvra une très acomplye satisfaction , la- quelle luy sera davantaige confirmée par les bons propos et démonstrations , pleynes de faveur, qu'avez usé à son am- bassadeur. De quoy je mettray peyne , Sire, d'en faire icy le proffict de vostre service, et n'obmettray de toucher à la dicte Dame les principauk poinctz de vos dictes lettres ; et ceulx mesmement qui concernent l'honneur et grandeur de Vostre Majesté , dont , de ce qu'elle m'y aura responduje ne fauldray de le vous mander par mes premières ; vous vou- lant au reste bien dire , Sire , touchant la mainlevée qu'avez donnée aux merchans escossoys, qu'encor que la Royne d'Escoce se soit tenue ung peu opiniastre à ne vouloir que cella se fît , si, étions après , M'^ de Roz et moy, à luy en os- ter l'opinion , parce que le comte de Lenoz acrochoit le tretté à ce seul poinct, disant qu'il ne passeroit jamais oul- tre sans que les merchans jouyssent de l'abstinence d'hos-

429 tillîté , aussi bien que les aultres subjectz , et qu'elle leur estoit viollée quand on leur faisoit saysir leurs biens et na- vyres. Les députez delà dicte Dame commencent [d'arri- ver ] aujourduy , et nous avons nouvelles que ceulx [ de l'autre parti sont] desjà en chemin; par ainsy, j'espère que bientost [il sera procédé ] au dict tretté , sellon que j'ay aussi entendu que la Royne d'Angleterre [a] ordonné six depputez pour y vaquer de sa part , assavoir [lord Qui- per] garde des sceaulx , le marquis de Norampthon, le comte de Lestre , le comte de Sussex, le secrétaire Ce- cille , et le sixiesme reste à nommer , qu'on pense sera maistre Mildmay.

Cependant est advenu à Lislebourg qu'ayans deux sol- datz du château esté saysiz par l'autorité du comte de Le- noz, ainsy qu'ilz s'en retournoient du Petit Lict, et menez ez prisons de la ville , le capitaine Granges , qui en a esté offancé , a , le soir mesmes , sur le tard , faict lascher toute l'artillerie du chasteau par dessus la ville; et, à l'instant mesmes , a faict sortir cinquante soldatz qui sont allez forcer les dictes prysons , et ont ramené leurs compagnons avec eulx. De quoy le dict de Lenoz se plaint grandement, comme d'une infraction d'abstinence d'armes , mais non sans avoir tant de peur qu'il a cuydé habandonner Lislebourg pour se retirer à Esterling.

J'estime, Sire, que le S' de Sethon est maintenant de- vers Vostre Majesté, ayant prins congé du duc d'Alve dez le xviij« du passé , après avoir obtenu de luy les dix mil escuz, que je vous ay ci devant mandé; desquelz j'entendz qu'il a envoyé les sept mil en Escoce , par le frère du se- crétaire Ledingthon, qui est party,le mesmejour, pour s'aller embarquer à Fleysinghes; il en a miz deux mil en

432 ner par son moyen à l'obéyssance et grâce de sa M estresse, et ne l'ayant le dict S"" Norrys voUu ouyr, sans l'exprès congé d'elle , le dict de Vualsingan a heu commandement de l'accepter, et luy offrir sa rémission , et mesmes de l'employer, s'il est possible, à regaigner le comte de Vues- merlan et les aultres , qui sont dellà la mer : ce qui sera bon , Sire , de trouver moyen d'empescher pour quelque temps , attandant que les affaires d' Escoce soyent accom- modez.

Et pour la fin , il y a ici ung advis , venu de Gennes , comme par lettres de Thurin, du iiij^ du passé , l'on mande que les armes se vont reprandre pour deux occasions : l'une, parce que la Royne de Navarre use en Béarn d'une extrême rigueur contre les Catholiques; et l'aultre, par la difficulté que M"^ de Savoy e faict à la comtesse d'Autremont de luy randre quelques chasteaulx; et qu'encor que Vostre Ma- jesté ne puisse mais de l'une ni de l'aultre , que le feu néantmoins s'en ralumera plus fort que jamais en vostre royaulme. Sur ce , etc.

Ce xiij^ jour de janvier 1571 .

A LA Royne.

(Lettre à part.)

Madame , je puys asseurer Vostre Majesté que le faict de la petite lettre commance d'aller bien chauldement en ceste court , duquel ayantz les dames de la privée chambre heu quelque sentyment , elles l'ont desjà descouvert à quel- ques seigneurs de ce royaulme , qui y font diverses interpré- tations ; et aulcuns d'eulx m'ont mandé que, de tant qu'il semble que le cardinal de Chastillon le conduict sans moy, qu'on n'y cer choit guières de faire le proffict du Roy ni de

433 son royaume. J'ai monstre que le propos m'estoit nouveau, et que je ne pensois qu'il y en eust rien en termes auprès de Voz Majestez; et de faict, Madame, je travailleray, aul- tant qu'il me sera possible, qu'il soit mené par le plus se- cret et destorné cheming que faire se pourra ; car je sentz qu'il en est besoing. Je suys adverty que celluy qui va en France aura charge de suyvre bien curieusement ce qui luy en sera touché , et que mesmes quelcun neutre sera possi- ble pryé de passer en mesme temps affin d'en entamer le propos. Je croy que M'" le comte de Lestre m'a envoyé prier de disner demain avecques luy pour m'en parler , et que M"" le cardinal de Chastillon revient expressément en court pour ce faict, et que mesmes il y est, à ceste occa- sion, bien désiré, possible qu'il se plaindra, par mesmes moyen, de la détention de ses biens en France ; dont de tout ce qui succédera, et que j'en pourray entendre, je ne faul- dray d'en advertyr incontinent Vostre Majesté. Sur ce, etc. Ce xii]*" jour de janvier 1571.

CLV' DÉPESCHE

du X vin' jour de janvier 1571.

(Envoyée jusques à Calais par homme exprès.)

Audience. Vives démonstrations d'amitié de la part d'Elisabeth au sujet du mariage du roi. Son intention de procéder au traité avec la reine d'Ecosse. Nouvelle que les Gueux ont repris les armes en Flandre. Lettre secrète à la reine-mère sut l'état de la négociation relative au mariage du duc d'Anjou. Confidence de Leicester à l'ambassadeur. - Proposition faite au nom du roi par le cardinal de ChatiUon à la reine d'Angleterre.- Discussion dans le conseil.- Divisions causées en Angleterre parce projet.

Au Roy. Sire i'av esté trouver la Roype d'Angleterre à Hamp-

_ 434 toncourt le xiiij*' de ce mois, laquelle n'a failly de me de- mander incontinent quelles nouvelles j'avois de Yostre Majesté, et comme vous vous trouviez en mariage. A quoy je luy ay respondu que vous me commandiez de luy conti- nuer encores le mesmes propos , que je luy avois desjà commancé, de vostre conjoyssance touchant la Royne ; et que , si vous aviez receu ung singulier playsir de sa venue, il s'estoit despuys redoublé et devenu si grand , par les vertueuses et excellentes qualitez qui se trouvoient en elle, que vous en demeuriez le plus content prince de la terre ; mesmes qu'elle se faisoit merveilleusement aymer et bien, vouloir de la Royne , vostre mère , de Messieurs voz frères, de Mesdames voz sœurs , de Monsieur de Lorrayne et de toutz les princes et seigneurs de vostre court , et général- lement de toute la France ; ce que vous mettiez en compte d'une grand félicité; oultre que, à l'ocasion d'elle, les princes d'Allemaigne, (lesquelz je lui ay nommez, sellon le contenu de vostre lettre), s'estoient despuys, par leurs am- bassadeurs, conjouys avec Vostre Majesté de ce que Dieu avoit en ce temps réuny et renouvelle le sang de l'an- cienne alliance de la Germanye avec la France ; et que , pour ceste occasion, ilz vous avoient envoyé offrir, et à Messeigneurs voz frères , toutz leurs moyens et forces pour vous en servyr, ainsy qu'il vous plairoit les employer, et que leurs dicts ambassadeurs n' avoient obmiz de se conjouyr pareillement de la paix de vostre royaulme, et de ce qu'ilz l'y avoient trouvée très bien establye, et vous avoient su- plyé de l'y vouloir entretenir. Qui estoient choses qui vous avoient apporté beaucoup de satisfaction ; desquelles vous vouliez bien faire part à la dicte Dame , pour le playsir que vous estimiez qu'elle en recepvroit.

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A quoy, par parolles fort expresses, elle m'a respondu qu'elle se sentoit grandement obligée à Vostre Majesté de la communication qu'il vous playsoit luy faire de ce pro- pos, lequel elle réputoittrès honnorable et vrayement digne d'estre tenu entre princes , qui avoient bonne et vraye amytié ensemble , comme elle vous suplyoit de croyre que , de son costé , elle la vous portoit entière et parfaicte, et de bien bonne sœur; et qu'à ceste occasion elle se resjouyssoit, non guières moins, du beau serain que Dieu monstroit meintennant en voz affères , après tant de divers orages que vous y aviez souffertz, que si c'estoit pour elles mes- mes, car aussi pensoit elle y participer. Et a suyvy à parler de ceste ambassade d'Allemaigne comme d'une chose qu'elle réputoit authoriser bien fort vostre grandeur : et puys est retournée à ce qu'elle avoit entendu de la louable et vrayment royalle norriture de la Royne 5 chose que je luy ay asseurée qui demeuroit très confirmée par les exem- ples qu'elle en monstroit, et que, non moins par eflect que en tiltre , elle estoit Royne Très Chrestieune et Très Dé- votte, et au reste tant de bonne grâce, doubce et débon- naire, et sans cérémonye, que Vostre Majesté n'avoit nul plus grand playsir que d'estre , jour et nuict, en sa com- paignye.

A quoy elle m'a respondu que la recordation des amours du père et grand père luy faisoient ung peu craindre que vous les vouldriez imiter, et m'a révellé ung secrect de Vos- tre Majesté, lequel je confesse. Sire, que je n'avois pas sceu ; et que néantmoins si vous continuez de rendre ainsi vostre parolle certayne et véritable, et estre bon mary, comme vous en avez desjà la réputation , qu'elle ne faict doubte que vostre règne n'en soit très heureux et éloigné

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436 de ces inconvénians et disgrâces, qui ont accoutumé de venir aux princes qui ne tiennent leur parolle , et à ceulx qui ne gardent leur loyaulté. Et a continué ce propos et plu- sieurs aultres , en termes bien fort honnorables de Yoz trois Majestez très Chrestiennes et de Monseigneur vostre frère ; lesquelz j'ay suyviz sans rien obmettre de ce que j'ay estimé convenir à vostre honneur et grandeur.

Et pour la fin , je luy ay faict voir vostre lettre , qui por- toit sa satisfaction , laquelle elle a entièrement leue , et n'y a heu nulle partie qu'elle n'ayt bien considéré, et elle ne se soit arrestée pour m'y faire de fort bonnes responces; lesquelles, en somme, sont : qu'elle remercye Dieu que Vostre Majesté coramance de cognoistre son intention , la- quelle elle peult jurer n'avoir jamais esté de vous vouloir offancer ny nuyre ; ains d'avoir toutjours désiré la conser- vation de vostre authorité et l'establyssement de vostre grandeur comme d'elle mesmes ; et que son malcontante- ment est seulement procédé de ce qu'elle ne s'est trouvée si aymée et bien voUue de Vostre Majesté comme elle pen- soit le mériter, et qu'elle n'advouera jamais, quant bien on la mettroit sur la roue, qu'elle n'ayt heu occasoin de se douloir; mais la satisfaction en est meintenant si ample qu'elle vous en doibt de retour beaucoup de grandz mer- cys, et ne vouldroit n'avoir esté offancée; qu'elle vous re- mercye bien grandement du compte que vous voulez tenir de son parant, lequel elle a desjà dépesché pour se trouver à vostre entrée ; ( et le comte de Lecestre aussi a faict har- nacher les haquenées, qui s'aschemineront devant ; ) et que ce luy est ung singulier playsir , que vous veuillez bien re- cepvoir son nouveau ambassadeur ; que quant à celluy qui s'en retourne elle vous prie de croyre qu'il a faict toutjours

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toutz les meilleurs offices, pour rentretennement de l'amy- tié, qu'il est possible, et qu'il en sera pour ceste occasion mieulx receu d'elle à son retour; qu'au surplus elle vous veult asseurer de la convalescence et bonne santé de la Royne d'Escoce, et que desjà elle a donné audience à ses depputez, avec lesquelz elle procédera à faire le traicté aussitost que ceux de l'aultre party seront arrivez, qui sera dans huict ou dix jours au plus loing; et qu'il luy tarde, plus qu'à nulle personne qui vive, que cest affaire soit bien- tost accommodé.

Lesquelles siennes responces, Sire, j'aymiz peyne de luy gratiffier le plus que j'ay peu au nom de Vostre Ma- jesté, et me suys ainsy licentié d'elle bien fort gracieuse- ment. Et parce que j'ay trouvé une conformité de tout ce dessus en ceulx de son conseil , je ne puys sinon bien juger de la présente intention d'elle et d'eulx envers Vostre Ma- jesté ; et néantmoins cella sera cause que j'observeray de plus prez toutes choses pour voir si , soubz ceste apparance, il y auroit quelque chose de caché , qui soit contre vostre service; car, à cequej'entendz, le mesmes comte de Le- noz, celluy de Morthon, et le lair de Glannes, viennent pour se trouver au traicté.

Au regard des différandz des Pays Bas , il n'en est rien venu par le dernier courrier , dont ceulx cy ne sont con- tantz , sinon qu'on a escript que le duc d'Alve n'a encores rien respondu au depputé d'Angleterre sur sa dernière proposition, parce qu'on pense qu'il est attendant sur icelle quelque ordre d'Espaigne. Sur ce, etc.

Ce xviij^ jour de janvier 1571.

Présentement l'on me vient de donner adviz que les Gueux ont Fecommancé la guerre en Flandres ; ce qui feroit prendre assés de

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nouveaulx desseings à ceulx cy. Le S' Guilhaume Lesley, bon sub- ject de la Royne d'Escoce, parant del'évesquede Roz, est venu avec les depputez de la dicte Dame ; il estime avoir de bonnes intel- ligences icy, et se dict très dévot au service de Vostre Majesté.

A LA Royne .

(Lettre à part.)

Madame, avant que monsieur le comte de Lestre me menât, dimanche dernier, en la présence de la Royne d'An- gleterre, il m'entretint quelque temps sur le faict de la petite lettre , et je me plaigniz à luy qu'il estoit desjà trop divulgué , ce qu'il m'asseura n'estre procédé de la court , ains de ce qu'on voyoit n'^y avoir rien de plus convenable; et , par ainsy, ung chacun en parloit ; dont il vouloit sonder, à la vérité, l'intention de la dicte Dame et de ceulx de son conseil, affin de dresser, puys après, l'affaire en si bonne sorte que , s'il venoit à succéder, ou bien qu'il demeurast sans effect, il n'eust à raporter sinon contantement à chacun des costez; et qu'il me vouUoit dire tout librement, que la dicte Dame ne s' estoit jamais monstrée disposée à prendre party, comme elle faisoit meintenant , par ce , possible, qu'elle s'y voyoit contraincte pour les nécessitez de son royaulme; et que sur les privez propos, qu'il luy en avoitte- nuz, elle n'avoit rien objecté que l'eage ; à quoy il avoit res- pondu qu'il ne layssoit pourtant d'estre desjà homme. « Mais aussi, respondit elle, ne laisseroit il d'estre toutjour plus jeune que moy. » « Tant mieulx sera ce pour vous, » avoit il respondu, en ryant. Et me pria le dict comte d'en toucher quelque mot à la dicte Dame, laquelle, à la vérité , a prins de fort bonne part toutz les motz que je luy ay proposez aprochans de cella; car je ne luy en ay poinct touché de plus exprès que de luy avoyr dict, sur

431) le contantement que le Roy avoit de vivre en grand amytié et privaulté avecques la Royne, que je conseillerois à une princesse , qui vouldroit rencontrer un très parfaict et ac- comply bonheur de mariage , d'en prendre de la mayson de France. A quoy elle m'a respondu que madame d'Es tampes et madame de Vallantinois luy faisoient encores peur, et qu'elle ne vouldroit un mary qui ne l'honnorast seulement que pour Royne , s'il ne l'aymoit aussi pour femme. A quoy j'ay réplicqué que celluy, dont j'entendois parler, entre les exellantes qualitez, dont il abondoit aultant que nul prince de la terre , il avoit celle péculière qu'il sçavoit extrêmement bien aymer, et se randre de mesmes parfaictement aymable. « A la vérité, m'a elle respondu, il a tant de perfections en luy qu'on n'en ouyt jamais parler qu'avec grand louange. » Et , peu après que je fuz party d'a- vec la dicte Dame, M"^ le cardinal de Ghastillon vint parler longtemps à elle, dont je n'ay sceu ce qu'il luy dict ; car, ny auparavant, ny despuys, nous n'avons conféré ensemble : mais voycy madame ce que j'ay aprins d'ailleurs et de fort bon lieu :

Qu'après qu'il fût retiré , la dicte Dame assembla ceulx de son conseil pour leur dire que le dict sieur cardinal luy avoit demandé trois choses : l'une, si elle estoit point libre de toute promesse pour se pouvoir maryer elle vouldroit; l'aultre, si elle en vouloit prandre de ceulx de son royaulme ou bien ung estrangier ; et la troisiesme que, au cas que ce fût ung estrangier, si elle vouldroit point accepter Mon- sieur, frère du Roy; et qu'elle luy avoit respondu qu'elle estoit libre , qu'elle ne vouloit point espouser de ses sub- jectz, et qu'elle vouloit de bon cueur entendre au party de Monsieur avec les condicions qui se pourront adviser. Sur

440 quoy le dict sieur cardinal luy avoit dict qu'il avoit donques charge de luy en parler, et luy avoit présenté à cest effect une lettre de créance du Roy, et l' avoit priée que , de tant que l'affaire estoit de grande conséquence au monde, qu'elle le voUust communiquer à son conseil, premier que passer oultre ; de quoy elle leur vouloit bien dire qu'elle n' avoit trouvé cella bon, et luy avoit respondu qu'elle es- toit Royne Souverayne , qui ne deppendoit de ceulx de son conseil, ains eulx toutz d'elle, comme ayant leurs vies et leurs testes en sa main , et qu'ilz n'auseroient faire que ce qu'elle vouldroit; mais, de tant qu'il luy avoit repré- senté les inconvéniantz , qui avoient cuydé survenir à la feu Royne, sa sœur, d'avoir vollu tretter son mariage avec le Roy d'Espaigne sans ceulx de son conseil, elle luy avoit promiz de le leur proposer; dont vouloit que eulx toutz luy en donnassent promptement leur adviz.

Sur quoy, iceulxdu dict conseil bayssans la teste, n'en y eust pas ung qui respondit ung seul mot, parce que le pro- pos estoit nouveau à la pluspart d'eulx , sinon, au bout de pièce, ung des principaulx s'advancea de dire que Monsieur sembloit estre bien jeune pour la dicte Dame : « Gom- mant, respondit elle, prenant le mot en aultre sens, suys je pas encores pour luy satisfaire. » Et puys , suyvit à dire que le dict sieur cardinal, oultre la lettre de créance , avoit des articles à proposer, sur lesquelz elle estimoit estre bon de l'ouyr pour voir si les condicions pourroient estre accep- tées ; ce que ung chacun aprouva. Et pour lors, n'y eust rien davautaige sinon que , le lendemain , Dupin et le ministre du dict sieur cardinal furent dessus en privée conférance plus de trois heures avec le secrétaire Cecille.

Duquel propos l'on me vouloit bien advertyr qu'il corn-

441 mançoit à courir une merveilleuse contention dans ce royaulnoie sellon les parciallitez de Bourgoigne , et sellon celles de la religion , et que aulcuns estimoient que la dicte Dame ne se servoit d'icelluy sinon pour la commodité de ses affaires , sans qu'elle eust aucune affection de se maryer ; et, par ainsy, que je prinse garde que le Roy ne fût trompé et moqué. Et d'aultres, qui sont bien affectionnez au Roy, et portent le faict de la Royne d'Escoce , et mesmes les seigneurs catholiques, m'ont mandé qu'ilz demeuroient fort escandalizez que cest affaire se menast par le dict sieur cardinal, et qu'ilz voyoient bien que c'estoit plus pour ac- commoder le faict de ceulx de la Rochelle, que non celluy d'entre ces deuk royaulmes, à l'intérest des catholiques ; dont ilz vouloient penser à leurs affaires , me priantz seu- lement de leur vouloir estre toutjours tel comme je sçavois qu'ils s'estoient, en temps et lieu, monstrez bons amyset serviteurs du Roy; et se sont esforcez de m' imprimer une grand jalouzie de ce que je n'estois participant de ce propos.

Sur quoy, pour leur faire prendre bonne espérance et les retenir toutjour en la dévotion, qu'ilz ont esté jusque» icy vers VozMajestez, et pour descouvrir plus avant toutes choses par leur moyen , je leur ay mandé que j'avois esté toutjours réputé si fidelle à vostre service , et si loyal à voz intentions, que si cest affaire estoit en telz termes qu'ilz dizoient, il ne passeroit guières que Voz Majestez ne m'en fissent entendre leur intention , et que la conclusion ne se feroit sans que je y fusse employé ; dont je les asseurois que Voz dictes Majestez ne consentyroient jamais le passaige de Monsieur en ce royaulme, sans qu'il eust bonne intelli- gence avec eulx, et sans que les affaires de la Royne

442 d'Escoce, et les leurs, n'en demeurassent bien accommodez, et que de cella vous leur en donriez la main et vostre pro- messe ; chose , Madame , que , comme elle semble néces- saire et fort importante pour bien asseurer le négoce, ainsy est il requis qu'elle soit tenue fort secrecte et menée bien dextrement.

Il est venu quelque sentyment de ce party à la notice de l'ambassadeur d'Espaigne, et de celluy, qui est agent icy pour le Pape , dont en ont escript chauldement dellà la mer. Je sçay aussi que l'évesque de Roz en a escript à M"" le cardinal de Lorrayne , dont ne luy fauldra dényer le faict , s'il vous en parle , mais luy donner meilleure espé- rance par des affaires de la Royne d'Escoce que jamais. Le S*^ Cavalcanty a grand désir de passer en France pour servyr d'un tiers neutre à mouvoir ce propos entre Vostre Majesté et milord de Boucard, parce qu'il estime ne se pouvoir avec dignité entamer par l'ung ny l'aultre party, sans ung tel moyen ; et sur ce, etc.

Ce xviij^ jour de janvier 1571.

Il semble fort requis que Vostre Majesté ne se haste de dépescher message ny ambassade par deçà sans voir que l'affaire soit comme tout asseuré.

443

CLVr DÉPESCHE

du xxiii« jour de janvier 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Retour d'Elisabeth à Londres après la cessation de la peste.— Affaires d'Ecosse. Audience. —Plainte de la reine au sujet de la descente d'un parti de Français en Irlande. Avis donné par elle d'une levée qui se prépare en Allemagne. Son désir de voir la réunion des églises proposée par le roi. Négociation des Pays-Bas. Lettre secrète à la reine-mère. Confé- rence de l'ambassadeur avec le cardinal de Chatillon sur le projet de ma- riage du duc d'Anjou. Avis sur l'entreprise faite en Irlande par des Bretons.

Au Roy.

Sire , ceuk de ceste ville de Londres ont monstre beau- coup de resjouyssance à la venue de leur Royne, laquelle, pour cause de la peste , n'y avoit esté, il y a deux ans. Elle va aujourduy veoir ung bastyment nouveau qu'on y a édiffié, fort commode , et de grand ornement , affin de luy donner le nom; qui, jusques à ceste heure, a esté appelle par pro- vision la Bource. Le festin luy est préparé en la maison de maistre Grassein. L'on dict qu'après demain elle descendra à Grenwich pour y passer le reste de l'yver , se dresse desjà le lieu pour faire ung tournoy à ce caresme prenant ; duquel le comte d'Oxfort et sire Charles Havard doivent estre les tenans.

Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent toutjour en bonne disposition, attandant l'arrivée des depputez de l'aultre party , lesquelz , parce que j'avois incisté qu'on ne les debvoit attandre, le secrétaire Cecille m'a opiniastré- ment débattu que l'honneur de sa Mestresse n'estoit de procéder sans eulx , mais que je ne fisse nul doubte que les choses n'allassent bien ; et encores que , despuys (juatre

444 jours aulcuns de ce conseil se soient plainctz à l'évesque de Roz d'une entreprinse , qu'on a voUu faire en Escoce , pour tuer le comte de Lenoz; et de ce qu'ilz ont entendu qu'on fornyst de l'argent dellà la mer aulx rebelles d'An- gleterre , ilz n'ont guières répliqué à ce qu'il leur a res- pondu, qu'il estoit esbahy comme le dict de Lenoz duroit tant au dict pays, veu les viollances et désordres qu'il y faisoit; et, quant aux fugitifs d'Angleterre, qu'il croyoit que rien ne leur manqueroit , mais que ce n' estoit de sa Mestresse qu'ilz estoient secouruz , parce qu'elle n'avoit de quoy le faire.

Et hyer, la Royne d'Angleterre, m' ayant envoyé quéryr, me dict que , si l'on faisoit nul oultrage au dict de Lenoz , qu'elle ne procèderoit aulcunement au dict tretté ; dont j'ay conformé ma responce à celle du dict sieur évesque de Roz, adjouxtant que rien n'en debvoit estre imputé à la Royne d' Escoce, parce qu'elle n'en pouvoit mais , et que mesmes l'on avoit de sa part desjà dépesché ung gentilhomme en Escoce pour obvier à cest inconvénient.

Et suyvyt la dicte Royne d'Angleterre à me dire que la principalle occasion, pour laquelle elle m' avoit prié de venir, estoit pour me communiquer ung adviz par escript , qu'on luy avoit envoyé d'Irlande , lequel elle me prioit de faire tenir à Vostre Majesté ; et que , pour ne faire voir au monde que les armes fussent prinses entre les Françoys et les Anglois, et ne rompre aulcunement la paix avec la France , elle avoit faict gracieusement remonstrer au capi- taine La Roche et à ceulx , qui sont avec luy en Irlande , de se retirer ; ce que , trois moys a , ilz avoient promis de faire ; mais monstrans à ceste heure qu'ilz ont une aultre dellibération , elle vous en vouloit bien advertyr , affin qu'il

445 vous pleust , Sire , y pourvoir sellon que les bons trettez de paix , qui sont entre Voz Majestez, le pouvoient requérir.

J'ai respondu que ce propos m'estoit nouveau, comme celluy , duquel je n'a vois cy devant ouy parler , et que je le vous représaiiterois le mieulx que je pourrois, avec l'ex- prétion des mesmes parolles , et de l'intention, que j'avois cognue en elle , de vouloir évitter toute occasion de diffé- rand avec Vostre Majesté ; et luy en ferois tenir vostre res- ponce , aussitost que je l'aurois receue.

Et s'exaspéra bien fort la dicte Dame contre celluy Fitz Maurice, qui est en Bretaigne , disant que luy et son père avoient usurpé, comme traystres , le tiltre du comte d'Es- mont , bien que le vray comte soit encore vivant en ce

royaulme.

Après ce propos, il en succéda ung aultre , par lequel nous vinsmes à parler des aprestz d' Allemaigne, qui seroient longs à mettre icy, mais je prins par occasion de deman- der tout librement à la dicte Dame si elle entendoit qu'il y eust rien de dressé contre Vostre Majesté , ny contre vostre royamne, ainsi que, d'aultre fois, elle vous avoit bien faict ce bon tour , de vous en réveller quelque chose par moy.

Elle me respondit qu'encores que ses intelligences n'es- toient plus telles vers l' Allemaigne , ni avec l'Empereur, comme elles souloient, néantmoins elle y en avo.t encores d'assés bonnes pour pouvoir asseurer Vostre Majesté qu .1 s'y préparoit une levée ; laquelle elle ne sçavoit encores si viendroit à effect, mais croyoit que ce n estoit pour vous nuyre, carelle le vous diroit, et y opposeroitle crédit qu eUe

y pourroit avoir, mais c'estoit en faveur du prince d O- range ; et qu'elle estoit fort marrye qu'on poursuyvit ams les aff ires de la religion par les armes , de quoy ne pouvoit

440 revenir , à la fin , que une grande ruyne à la Chrestienté ; et qu'elle me prioit de vous exorter , Sire, qu'avec la bonne intelligence, qu'avez raeintenant avec l'Empereur, vostre beau père , avec lequel elle continuoit aussi toutjour mie bien fort estroicte amytié, et avoit naguières receu de ses lettres, il vous pleust, à ceste heure, mettre en avant quel- que favorable moyen d'accord et de réunyon en l'esglize ; et que , de sa part , elle vous y assisteroit , et ne s'y monstre- roit aulcunement opiniastre.

Je luy louay grandement cestuy sien très vertueux de- sir, et , sans toutesfois accepter ny reffuzer aussi d'en faire rien entendre à Yostre Majesté, affin que vostre intention en cella soit réservée au temps et moment qu'il vous semblera bon de la manifester; je la priay seulement, en ryant , qu'elle ne vollust observer l'extrémité de ne concéder aulx Catholiques l'exercice de leur religion en Angleterre , comme il n'en estoit permis pas ung aulx Protestans en Espaigne, ny en Flandres, et qu'elle suy- vist l'exemple de Yostre Majesté, qui estiez au milieu, qui avez permiz le cours des deux en vostre royaulme.

Elle respondit que les Catholiques ne se pouvoient pas beaucoup plaindre d'elle, et qu'elle cognoissoit le Roy d' Espaigne d'ung si bon naturel qu'il ne vouldroit aussi retenir la Chrestienté en ce dangereux suspend, elle est, s'il y ozoit procurer les remèdes, mais que les passionnez l'en empeschoient , lesquelz elle vouldroit qui en sentissent seulz le mal.

Et se continua assés longtemps ce propos entre la dicte Dame et moy, au millieu duquel, me venant à toucher des différans , qu'elle accusoit le duc d'4lve luy avoir succité avec le Roy son Maistre, me dict que je serois tout

447 esbahy si je sçavois quelles choses le dict duc , despuys urig mois , avait vollu tretter avec elle , au préjudice de ses voysins, ce qu'elle réservoit à une aultre foys, et que néantmoins c'estoit une parenthèse digne de noter.

Or, Sire , touchant les dicts différans , le depputé d'An- gleterre , qui est aulx Pays Bas, a escript, ceste foys, à la dicte Dame qu'il avoit présenté à icelluy duc les derniers articles, qu'elle luy avoit envoyez; qui les avoit cognuz si raysonnables que, ne luy restant plus que contradire pourquoy il ne les deubt accepter, il avoit respondu qu'il y vouloit penser : et ainsy le faict en demeure , qui se con- forme assés à ce que Yostre Majesté m'en a mandé , en chiffre, par ses dernières du iij^ du présent , que j'ay bien notté. Et sur ce , etc. Ce xxiij^ jour de janvier 1571.

A LA RoViNE.

( Lettre à part.)

Madame, s' estant M'^ le cardinal de Chatillon, jeudy dernier, convyé à disner en mon logis, il m'a compté la favorable expédition , qu'il a obtenue de Voz Majestez , sur le recouvrement de ses biens , et comme il s'en est venu conjouyr avec la Royne d'Angleterre ; et puys m'a parlé du faict de la petite lettre en bien fort bonne sorte , et que ce dont je m'estois plainct au comte de Lestre , que le propos en cstoit trop divulgué , n'estoit procédé d'ail- leurs que du peu de discrétion , que le vydame y avoit tenu, qui en avoit parlé et escript icy et en France à trop de gens , et que , de sa part, il n'en avoit jamais faict rien sçavoir qu'à Voz Majestez; desquelles, après qu'il avoit heu responce, il y avoit procédé le plus secrectement qu'il avoit peu ; et que les choses en estoient en assés

- 448 bons termes , et ceux du conseil en beaucoup de diverses opinions dessus entre eulx , mais qu'il n'y avoit encores rien de conclud. Sur quoy luy ayant aprouvé grandement son intention et les sages moyens , qu'il tenoit , pour la bien conduyre , je l'ay sondé de plusieurs endroictz pour voir s'il y avoit nulle aultre fin et prétention en luy que celle qu'il monstroit en aparance ; mais toutz ses propos sont revenuz à la considération de la grandeur que ce se- roit pour Monsieur, et combien elle accroistroit celle du Roy et de sa couronne, et ravalleroit d'aultant celle d'Es- paigne ; ne me touchant toutesfois tant de particuUaritez de l'affaire comme j'en sçavois , et comme je vous en ay desjà escript; dont j'ai fait semblant d'en sçavoir encores moins , attendant si Vostre Majesté (pour y procéder avec plus de lumyère, par les adviz que pourrons avoir de divers lieux) trouvera bon que nous nous communiquons secrectement l'ung à l' aultre, car je croy bien que les Pro- testans reçoipvent mieulx ce propos , venant du dict sieur cardinal que ne f croient de moy. Et il y va , à mon opi- nion, d'une droicte et bien bonne vollonté.

Les Catholiques , qui sont la partie la plus grande , plus noble et plus forte , et y a plus d'asseurance , le tiennent fort suspect , et vouldroient avoir quelque asseu- rance de Yoz Majestez par mon moyen. La dicte Dame nous oyt fort bien , et avec grande affection, l'ung et l'aul- tre, dont Vostre Majesté me commandera comme j'en au- ray à uzer ; et seulement vous suplie très humblement , Madame, de réserver, entre le Roy et Vous, et Monsieur, ce que je vous ay escript par ma petite lettre de devant ceste cy, et ce que , cy après , je vous pourray escripre ou mander des propos , que la dicte Dame tiendra en privé ,

AA9 ou avec ceulxdeson conseil, sans qu'il se puysse jamais co- gnoistre qu'ilz vous viennent de moy. J'aydictà M-^le car- dinal que si le propos alloit en avant , qu'il estoit bien be- soing de le conduyre à ce poinct qu'on ne s'advançât de le publier, ny de faire aulcune ouverte démonstration, du costé de Voz Majestez , d'y vouloir entendre , jusques à ce qu'on le vît tout conclud et bien arresté; car, puys après, l'on y adjouxteroit bien toutz les honnorables actes et respectz , qu'on vouldroit ; et que surtout il n'y fût usé de longueur ny de remises. A quoy il m'a respondu que , le lendemain, il estoit convyé en court et qu'il verroit ce qu'il y pourroit advancer.

J'ay sceu, Madame , que , pendant que nous estions en- semble, la Royne d'Angleterre estoit enfermée avec ceulx de son conseil pourprandre résolution de ce qu'elle debvoit respondre au dict sieur cardinal, et qu'elle a la matière si à cueur qu'elle ne prend playsir de parler, ny ouyr parler, d'aultre chose; et, de ma part. Madame , tant plus je con- sidère le party, plus il me semble estre grand , honnorable et advantageux pour le Roy, et pour Monsieur; dont je ne désire sinon qu'il soit exempt de tromperie , comme je prendray bien garde , du plus prez qu'il me sera possible , qu'il n'y en ayt point , et que Dieu le veuille bien achever. Et sur ce , etc. Ce xxiij^ jour de janvier 1571.

Millord de Boucard est bien fort affectionné à ce propos , ei désire y estre employé. Sa Mestresse iuy a dict qu'elle réserve de lui bail- ler son instruction à riieure qu'il partyra. J entendz que le comte de Lestre, si cella va en avant , est desjà désigné à passer en France pour l'aller conclurre. Je suys convyé aujourduy avecques la Royne; sur ceste bonne occasion, je notteray ce qu'elle me dira.

tu III.

450 ~

ADVIZ SLR LES CHOSES DIRL INDE :

Que on auroit suborné certaines gens pour pratiquer et suciter une rébellion en Yrlande , dont ung d'eulx se nomme de La Roche, gouverneur de Morlays en la Basse Bretaigne, qui s'en est allé là, avecques quatre navyres, pour se randre en l'endroict le comte de Desmond se tenoit , et qu'il s'en est retourné de et a admené avecques luy ung gentilhomme , nommé Fitz Maurice , qui , pour le présent, se tient secrectement en la Basse Bretaigne , et sollicite d'avoir des forces pour les mener ce printemps en Yrlande :

Que le capitaine de Brest auroit prins ung fort, nommé d'Ingin, et une petite isle , non guières loing de là, en Yrlande.

CLVir DÉPESCHE

du dernier jour de janvier 1571.

{Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer).

Réjouissances faites à Londres pour célébrer la rentrée d'Elisabeth. Con- versation de la reine et de l'ambassadeur au sujet de cette fête. Affaires d'Ecosse. État de la négociation des Pays-Bas. Nouvelles d'Allema- gne et d'Espagne. Leltre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Anjou.

Au Roy .

Sire, le jour que j'ay esté convyé, pour accompaigner la Royne d'Angleterre au festin de la Bource, n'a esté guières moins solemnel en Londres , que celluy du couronnement de la dicte Dame , car on l'y a receue avec concours de peuple , les rues tandues , et chacun en ordre et en son rang , comme si ce eust esté sa première entrée ; et elle a heu grand playsir que j'y aye assisté , parce qu'il s'y est monstre plus de grandeur, ainsy soubdain, que si la chose eust esté préméditée de longtemps; et n'a obmiz la dicte Dame de me faire remarquer l'affection et dévotion qui

4od s'est veue eu ce grand peuple; lequel, despuvs le matin jusques à l'heure qu'ayant donné le nouveau nom de Change Real à la Bource , elle s'est voUue retirer, envy- ron les huict heures de nuict, il ne s'est lassé d'estre par les rues, les ungs en leur rang, les aultres à la foule, avec force torches, pour l'honnorer, et luy faire mille acclama- tions de joye, chose qu'elle m'a demandée si, au petit pied, ne me faisoit pas souvenir des resjouyssances , qu'on faisoit à Paris, quant Vostre Majesté y arrivoit ; et qu'elle me confessoit tout librement qu'il luy faisoit grand bien au cueur de se veoir ainsy aymée et désirée de ses subjectz , lesquelz elle sçavoit n'avoir nul plus grand regrect que, la cognoissant mortelle , ilz ne voyoient nul certain succes- seur, yssu d'elle , pour régner sur eulx , après sa mort; et que la France estoit très heureuse de cognoistre ses Roys, et ceulx qui, par ordre , debvoient, les ungs après les aul- tres, succéder à la couronne.

J'ay respondu, le plus au contentement et satisfaction de la dicte Dame, à toutz ses propos, qu'il m'a esté possi- ble , louant beaucoup ce que je voyois de sa grandeur, qui estoit à priser, sans rabattre néantmoins rien de ce qu'on sçait assés estre de plus en la vostre ; et qu'au reste, il me sembloit qu'elle auroit bien à faire à s'excuser envers Dieu et le monde , si elle frustroit ses subjectz de la belle posté- rité, qu'elle leur pouvoit bailler, et qu'ilz attandoient d'elle pour les gouverner ; qui a esté ung article , sur lequel elle s'est prinse à discourir plusieurs aultres choses , avec play- sir et avec modestie, lesquelles je vous puys asseurer. Sire, que ne se sont passées sans qu'elle ayt monstre , en plu- sieurs endroictz , de vouloir persévérer en grande amytié avec Vostre Majesté; et, le soir mesmes, la résolution du

20.

452 voyage de milord Boucard a esté du tout prinse , luy com- mandant la dicte Dame ne faillyr d'estre prest à partir de- main , qui est le premier jour de febvrier, ainsy qu'il faict.

Or, Sire, nonobstant l'acclamation du peuple, la dicte Dame et ceulx de son conseil ne layssent de craindre la di- vision et sublévation du pays : car ayans les filz du comte Dherby essayé d'obtenir leur congé pour retourner vers leur père , il leur a esté dict qu'ilz n'en parlassent poinct , s'ilz n'en vouloient estre du tout reffuzez, jusques à ce que les affaires de la Royne d'Escoce fussent accommodez, qui monstre que, par iceulx, ilz entendent acquiéter les leurs. Et le semblable a esté dict au duc de Norfolc, de ne presser sa plus ample liberté, jusques à ce qu'il ayt esté ordonné de celle de la Royne d'Escoce et de sa restitution, de laquelle l'on nous faict toutjour espérer de bien en mieulx ; et qu'il n'y a retardement que de ces depputez de l'aultre party, desquelz le comte de Lenoz a, de rechef, escript qu'ilz es- toient party s , et qu'il a voit surciz la tenue du parlement , ainsy que la Royne d'Angleterre le luy avoit mandé, pour remettre toutes choses à ce qui seroit ordonné par le tretté.

Hyer, on tenoit en ceste court la pratique des différaiis de Flandres pour toute désacordée , non sans beaucoup d'indignation contre le duc d'Alve et contre l'ambassadeur d'Espaigne; mais, ce jmatin, par aulcunes lettres d'Envers, s'est entendu que le dict duc avoit condescendu à la plus- part des choses , que le depputé de Londres avoit désirées ; et que le S'^ Thomas Fiesque seroit en brief par deçà pour entièrement les conclurre. Je ne sçay s'il est ainsy, ou si c'est artiffice : tant y a que cella ne pourra estre que pour le regard des merchandises ; car, quant à l'entrecours et

~ 45;^ -

commerce, j'entendz qu'il n'en est, pour encores, faict aul- cune mencion.

11 est nouvelle icy que le duc de Sualsambourg a quatre mille chevaulx et six mil hommes de pied ez environs d' Hem- bourg, et que c'est en faveur duroy de Dannemarc , pour se rescentir d'aulcuns mauvais déportemens , que icelle ville a uzé contre luy , durant la guerre contre le roy de Suède, et m'a dict l'ambassadeur d'Espaigne que le duc d'Alve est très bien adverty que ce n'est à aultres fins que pour branqueter la dicte ville ; et que ce que le comte de de Vuandeberg a aussi entreprins, de retourner en quelcune de ses terres en Frize , n'a esté qu'une légière course, la- quelle ne luy a bien réuscy 5 et que le dict duc craint si peu, pour ceste année, les mouvemens d'Allemaigne, qu'il renvoyé une partie de sa cavallerie au secours des Véni- ciens contre le Turq, estimant qu'il n'eust peu rien succéder plus à propos pour le repos de la Ghrestienté que la mort soubdainement advenue du duc Auguste'. Néantmoins il m'a confessé que , pour quelque souspeçon de guerre aulx Pays Bas , le dict duc ne parloit plus de s'en retourner en Espaigne , et que le propos du duc de Médina Cœli es- toit réfroydy, s'estans desjà expédiez les princes de Bohesme de Leurs Majestez Catholiques pour s'en retourner par Gennes en Allemaigne, sans qu'il fût nouvelles que le dict duc les accompaignât ; qu'au reste toutz les articles de la ligue contre le Turc estoient accordez ; ne restoit plus que celluy de la création du lieuctenant de général : que le Pape vouloit que ce fût Marc Anthonio CoUonna, et le Roy d'Espaigne , puisque dom Joan d'Austria estoit le gé-

cette nouvelle était fausse. Auguste, duc et éleeteur de Saxe, est mort seize ans après , le U mars 1586.

454 néral, desiroit que le commandador major de Castille ou bien Joan André Doria eussent à commander soubz luy. Sur ce, etc. Ce xxxi^ jour de janvier 1571.

A LA Roy NE.

(Lettre à part.)

Madame , estant en ce festin, j'ay esté convyé pour accompaigner la Royne d'Angleterre, le xxiij^ de ce mois, elle a prins playsir de deviser l' après dinée, fort longtemps avecques raoy ; et , entre aultres choses , elle m'a dict qu'elle estoit résolue de se maryer , non tant pour ne s'en sçavoir passer, (car elle en avoit assés faict de preuve), comme pour satisfaire à ses subjectz; et aussi pour obvier, par l'authorité d'ung mary, ou par la nayssance de quelque lignée , s'il playsoit à Dieu luy en donner , aux entreprinses qu'elle sentoit bien qu'on feroit contre elle , et sur son estât , si elle devenoit si vieille qu'il n'y eust plus lieu de prendre party, ny espérance qu'elle deubt avoir d'enfans. 11 est vray qu'elle craignoit grandement de n'estre bien aymée de celluy qui la vouldroit espouser , qui luy se- roit ung second inconvénient plus dur que le premier , car elle en mourroit plustost ; et que , pourtant, elle y vouloit bien regarder.

Je luy ay respondu que à si prudentes considérations et si vrayes, comme celles qu'elle disoit, je n'avois que ad- jouxter, sinon qu'elle pouvoit, dans ung an, avoir bien pourveu à tout cella , si , avant les prochaines Pasques , elle se maryoit à quelque prince royal , dontl'ellection s'en pour- roit aiséement faire; et j'en cognoissoys ung qui estoit nay à tant de sortes de vertu, qu'il ne failloit doubter qu'elle n'en fût fort honnorée et singulièrement bien aymée, et

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dont j'espèrerois qu'au bout de neuf mois après, elle se trouveroit mère d'ung beau filz; par ainsy, en se rendant très heureuse de mary et de lignée , elle amortyroit , par mesmes moyen , toutes les malles entreprinses qui se pour- roient jamais dresser contre elle.

Ce qu'elle a aprouvé bien fort, et a suivy le propos assés longtemps , avec plusieurs parolles joyeuses et mo- destes ; et estoit M"^ le cardinal de Chatillon au mesmes fes- tin , auquel elle n'a point parlé à part; mais, le lendemain, il a demandé audience , et a esté quelque temps avec elle ; puys, au retour, il m'est venu dire adieu, parce qu'il partoit le lendemain pour Canturbery , et m'a compté Tes- tât où il layssoit l'affaire , qui luy sembloit estre en termes d'y pouvoir commancer quelque fondement , mais non quMl y en vît encores nul pour s'y debvoir arrester ; dont dépes- cheroit Dupin pour le vous aller représanter tel qu'il es- toit, affin que Vostre Majesté, sellon sa prudence, nous vollût commander, à luy et à moy, ce que nous aurions

à faire.

Je luy descouvriz quelques choses que j'avois aprinses de sa négociation, pour luy donner plus grand lumyère comme elle estoit receue , et avons advisé d'user de bonne intelligence ensemble, mais secrectement , affin d'obvier aulx soupeçons de ceste court, qui bientost seroient si grandz en ce faict, que plus ne se peult dire ; et n'ay pomt faict semblant au dict sieur cardinal que Vostre Majesté m'en ayt encores faict mencion ; mais ceulx qui m'ont donné les premiers adviz de ce qu'il en a proposé , m'ont adverty qu'à la vérité il n'a point monstre lettre de Voz Majestez, qui luv en donnast expresse commission ; dont la dicte Dame s'estoit retirée, et avoit dict que, quant vous y vouldr.e/.

456 entendre , vous m'en commanderiez quelque chose , comme vous fiant beaucoup de moy. Et ceulx mesmes m'ont mandé qu'elle a parlé de ce faict à plusieurs des siens , à part l'ung de l'aultre , et mesmes a voUu avoir le conseil du duc de Norfolc , qui a respondu qu'il avoit esté le prin- cipal autheur d'induyre les Estatz de ce royaulme à la suplyer de se maryer , et de laysser à sa liberté de pren- dre le party que bon luy sembleroit : dont ne vouloit changer d'opinion ; que quant à Monsieur , toutes choses estoient grandes en luy, mais qu'il falloit regarder aux Gondicions , sur quoi le mariage se pourroit conclurre , qui fussent honnorables pour sa Mestresse et heurées pour son estât.

D'aultres m'ont mandé que les quatre principaulx, qui guydent les intentions de la dicte Dame, se sont assemblez pour résouldre qu'est ce qu'ilz luy en conseilleroient. Je vous manderay bientost leur conseil , et vous adjouxteray cependant, Madame, cestuy cy du mien, qu'encor que ceste princesse soit bonne et vertueuse, je ne la tiens toutesfois esloignée du naturel de celles qui veulent mons- trer de fouyr , lorsque plus elles sont recerchées ; et ceste nation a aussi cella de pécuHer que , plus on désire quel- que chose d'eulx , encor qu'à leur proffict , plus ilz la sous- peçonnent; dont sera bon de ne descouvrir trop d'affection de vostre costé. Madame, jusques à ce qu'ilz se soyent layssez clairement entendre du leur. Je vous escripray bien- tost d'aultres choses plus importantes de ce propos par le S"^ de Vassal , qui vous pourront assés esclayrer : et sur ce , etc. Ce xxxi^ jour de janvier 1571,

457

CLVIir DÉPESCHE

du vie jour de febvrier 1571.

( Envoyée exprès jusques à la court par le S-- de Vassal. )

Négociation concernant Marie Stuart. Congé accordé par la reine aux flls du comte de Dherby. Concession faite par le pape au roi d'Espagne du royaume d'Irlande , sous la condition d'y rétablir la religion catiiolique. Entreprise préparée par les Espagnols pour s'emparer de ce pays. Lettre secrète à la reine-mere. Négociation du mariage du duc d'Anjou. Mémoire. Nouvelles d'Allemagne. Projet des protestans de faire une entreprise contre les Pays-Bas. Affaires d'Ecosse. Mémoire secret. Dé- tails circonstanciés et confidentiels sur la proposition de mariage du duc d'Anjou.

Au Roy.

Sire , s' estant la Royne d'Angleterre bien trouvée de sa santé en ceste ville de Londres , d'où le grand y ver a chassé toute souspeçon de peste , elle s'est résolue d'y passer le reste du caresme prenant , et , à ceste cause , s'est allée loger en sa mayson de Ouesmestre, l'on ra- dresse les lisses pour le tournoy, dont je vous ay cy devant escript; ayant remiz la dicte Dame de ne descendre à Grenvich jusques à environ la my mars , que noz amys de ceste court nous donnent grand espérance que les affaires de la Royne d'Escoce seront, entre cy et , accommo- dez, nonobstant les grandz empeschemens que les comte et comtesse de Lenoz s'esforcent d'y mettre ; qui , despuys huict jours , ont donné entendre qu'il y avoit une entre- prinse dressée en Escoce pour venir enlever la dicte Dame du lieu elle est , et l'aller remettre par force en son es- tât. De quoy est advenu que le comte de Gherosbery l'a faicte despuis fort observer, et luy a usé ceste rigueur qui l'a faicte recheoir en liebvre , mais l'on y a remédié le

458 mieulx et par le plus sage moyen qu'on a peu. Les deppu- tez de l'aultre party s'espèrent en ce lieu , dans cinq ou six jours, et n'est possible que plus tost qu'ilz arrivent nous puissions aulcunement advancer le tretté. Ceulx qui portent icy ce faict m'ont prié , Sire , de vous advertyr en dilligence que milord Boucard a commission expresse de vous en parler et de remander incontinent par deçà vos- tre responce , et tout ce qu'il aura pu noter de vostre in- tention en cella, affin que , sellon qu'il vous y aura cogneu ou remiz, ou affectionné , l'on procède icy ou froydement, ou bien avecques effect , au dict tretté ; dont Vostre Ma- jesté luy pourra user des mesmes parolles vertueuses et modestes qu'il a faict jusques icy, affin de consommer l'honnorable œuvre, qu'avez commancé , de la restitution de ceste princesse , qui touche assés à Vostre Majesté et à la réputation de vostre couronne ; et aussi pour obvier aulx inconvéniens qu'à faulte de ce pourroient cy après sur- venir.

Les deux filz du comte Derby , nonobstant qu'on les ayt advertys de ne demander leur congé , n'ont layssé d'ins- tantment le pourchasser; et leur est advenu ce qu'ilz avoient pansé, qu'on ne le leur auzeroit reffuzer, dont, après que la Royne leur a faict quelque réprimande, et les a heu admonestez de se mieulx déporter pour l' advenir, avec quelque difficulté de ne leur bailler sa main à bayser, elle les a licenciez.

Au surplus , Sire , aulcuns seigneurs catholiques de ce royaulme me viennent d' advertyr qu'ilz ont tout fresche- ment receu nouvelles de Rome, comme le Royd'Espaigno a envoyé proposer au Pape l'offre que Estuqueley luy a faicte du royaulme d'Yrlande, de la part de ceulx du pays , qui

459 sont prestz de le recepvoir, et comme il n'y a voUu enten- dre , sans la concession de Sa Saincteté, comme de celluy, de cpii relève, de droict , icelle couronne ; et que Sa dicte Saincteté luy en a desjà envoyé son consens avec permission d'entreprendre , au nom de Dieu , ceste conqueste , en ce qu'il restablyra la religion catholique au dict pays ; et que le dict Roy est dellibéré d'y faire descendre bientost , ou du costé d'Espaigne ou de Flandres, dix mil hommes. Je ne sçay . encores si les dicts seigneurs catholiques ont encores descouvert rien de cecy à leur Royne ; tant y a que je ne vois pas qu'il se face nul préparatif pour y résis- ter : et l'ambassadeur d'Espaigne m'a curieusement enquiz comme il alloit de ces Brethons , qui estoient descenduz au dict pays , et en quoy en estoit la plaincte , que la Royne d'Angleterre m'en avoit faicte. A quoy je luy ay res- pondu, sellon l'intention que j'ay estimé qu'il me le de- mandoit. Et a l'on opinion. Sire, qu'affin que ceulx cyne souspeçonnent rien de l'entreprinse , et qu'ilz ne prei- gnent nulle deffiance du Roy d'Espaigne , le duc d'Alve les va entretenant d'ung grand artiffice sur l'accord des mer- chandises , lequel pourtant se monstre enveloupé chacun jour de nouvelles difficultez. Sur ce, etc.

Ce vi^ jour de febvrier 157i.

A LA Royne.

{Lettre à part.)

Madame, j'ay sceu que des quatre seigneurs que je vous escripviz, par ma précédante petite lettre, qui s' estoit as- semblez pour dellibérer de ce qu'ilz avoient à conseiller à leur Mestresse touchant le party de iMonseigneur vostre lilz, le premier l'a plainement aprouvé comme très bon

460 et très honnorable; le second l'a entièrement contradict, comme suspect à la religion protestante, plein de jalou- zie aulx aultres princes, et très dangereux pour ce royaume; le tiers a assez suyvy ceste seconde opinion ; et le qua- triesme s'est joinct au premier, mais avec ung conseil as- sés dangereux : c'est qu'il a dict qu'il falloit , en toutes sortes , suyvre le propos , car si leur Mestresse estoit réso- lue de se marier et de ne vouloir point des siens , il n'y avoit nul prince si commode au monde pour elle que Mon- sieur, et qu'il ne falloit doubter que le mariage ne s'en ensuyvyst , avec l'honneur et advantaige d'elle et de son royaume : si, d'advanture, elle n'en avoit nul désir, en- cores sçavoit il le moyen comme , avecques le mesmes honneur et advantaige, après qu'on se seroit servy du pro- pos, l'on le pourroit rompre sans offancer Monsieur, qui n'en demeureroit que bien affectionné à la dicte Dame , mais que tout le mal gré en tumberoit sur le Roy, par ce qu'il n'auroit vollu accomplyr les condicions ; et s'en engendre- roit une division entre les deux frères , qui ne seroit que utille à l'Angleterre. Ce n'est pourtant. Madame, que celluy , qui a donné ce conseil , n'ayt bonne affection au party, mais il est anglois , et possible il a proposé cella , affin qu'il se trouve tant moins de contradisans au présent désir de le dicte Dame , laquelle monstre cercher bien fort qui le luy veuille aprouver; et c'est cependant un adviz à Yostre Majesté pour divertyr que tel inconveniant n'ad- viegne.

J'ay cerché de sçavoir qu'est ce qui avoit réussy du dict conseil, etaulcuns de ceulx, qui ne sont encores bien ré- soluz s'ilz debvoient trouver le dict party bon ou mauvais, m'ont mandé que toutes les parolles et démonstrations de

Ai)i la dicte Dame et des siens ne sont que simulation, affin de pouvoir bientost tenir ung parlement dessus , et tirer de l'argent des subjectz , et se meintenir en quelque réputa- tion vers eulx et vers les princes estrangiers; et que pour- tant l'on ne se doibt haster d'en parler plus avant , jusques à ce que l'on y voye quelque meilleur fondement ; et que mesmes le comte de Lestre s'estoit de nouveau faict pro- poser à sa Mestresse par aulcuns des principaulx du con- seil, qui avoit fort réfroydy le propos. D'aultres m'ont mandé que la dicte Dame persévéroit , et à bon esciant , et pour causes nécessaires, à se vouloir marier; et que, sur le partement de milord Boucard , entendant les diver- ses opinions que ceulx de son conseil avoient dessus , elle les avoit assemblez pour leur dire , la larme à l'œil, que, si nul mal venoit à elle, à sa couronne et à ses subjectz , pour n'avoir espousé l'archiduc Charles , il debvoit estre imputé à eulx et non à elle ; qui aussi estoient cause que le Roy d'Espaigne av'oit esté offancé, et que le royaulme d'Escoce estoit en armes contre le sien, et qu'il n'avoit tenu aussi à eulx que le Roy n'eust esté beaucoup provo- qué davantaige par leurs déportemens en faveur de ceulx de la Rochelle , si elle ne les eust empeschez ; dont les prioit très toutz de luy ayder meinteuant à rabiller toutz les maulx par ung seul moyen, tjui estoit de bien conduyre ce party de Monsieur; et qu'elle tiendroit pour mauvais subject, et ennemy de ce royaulme et très déloyal à son service, qui aulcunement le luy traverseroit. Dont me vouloient bien asseurer que nulz, à présent, n'y ozoient plus contradire.

Je n'ay layssé , pour cella , de tenir fort suspect le comte de Lestre , à cause de l'adviz précédant , jusques à

462 ce que luy mesmes, lundy dernier , s'est convyé à dyner en mon logis avec le marquis de Norampthon, le comte de Sussex , le comte de Betfort , milord Chamberlan , et aultres seigneurs deceste court, tout exprès pour me ve- nir compter comme les partisans d'Espaigne, qui craignent infinyement le mariage de Monsieur, et aussi le secrétaire Cecille qui ne veult en façon du monde que sa Mestresse ayt ny luy, ny nul aultre mary que soy mesmes , qui est roy plus qu'elle , l'avoient fort instantraent sollicitée de vouloir accepter le dict comte de Lestre comme celluy qui seroit de très grande satisfaction à tout le royaulme , et qu'elle mesmes l'avoit pryé de les en remercyer ; mais il luy avoit respondu que , quant le temps luy estoit bon , ils luy avoient esté contraires , et meintenant que le temps ne luy servoit plus ilz monstroient de luy ayder, et qu'ilz ne fai- soient cella , ny comme bons serviteurs d'elle, ny comme vrays amys à luy, ains pour interrompre le propos de Mon- sieur ; par ainsy, qu'elle l'excusât s'il ne leur en sçavoitnul gré, ny leur en randoit nul mer cy s. Et a adjouxté qu'il espéroit que les amys pourroient plus en cecy que les ad- versayres. J'ay donné instruction. Madame, d'aulcunes aultres particuUaritez dessus au S"" de Vassal , comme à ung gentilhomme , que je tiens fort secrect et fidelle, qui vous en rendra bon compte ; et sur ce , etc.

Ce vi^ jour de febvrier 1571.

«IRA LE S" DE VASSAL A LEURS MAJESTEZ,

oultre les choses susdictes :

Que, despuys quelque temps ençà, la Royne d'Angleterre a dé- claré qu'elle se vouloit maryer, et a monstre que ce sien désir estoit fondé sur une tant raysonnable et quasi nécessaire occasion que plu- sieurs, qui souloient opinyastrerle contraire, commencent d'en par-

463

!er, à ceste heure, aultremenl ; néantmoins , sur ce qui ne se peult bien dicerner encores, si elle le veult à bon esciant, ou bien si elle le veult ainsy donner à croyre , et sur la diversité des partys ausqueiz elle pourroit entendre, et des condicions qui auroient à se requérir, non seulement ceulx de son conseil, mais ceulx de sa noblesse , et presque toutz ses principaulx subjectz en sont en grand contention entre eulx, et se bandent desjà en plusieurs conseils et assemblées secrectes pour en tretter, sellon que le désir, ou de pourvoir à la religion protestante ; ou d'ayder à la catholique ; ou de préjudicier aulx tiltres prétendus de la succession de ce royaulme ; ou de favori- ser les affaires de la Royne d'Escoce ; ou de nourryr amytié avec la France; ou bien de confirmer plus que jamais celle de Bourgoigne ; ou de n'innover rien au présent estât de ce royaulme , qui est doulx à plusieurs , pousse les ungs et les autres à interrompre ou bien ad- vancer le propos.

Néantmoins, pour estre encores ceste matière trop peu meure, la dicte Dame réserve la tenue de son parlement jusques en may ou juing, pour en mieulx dellibérer, lequel aultrement debvoit estre convoqué en ce moys de janvier, sur la nécessité d'avoir, argent ; car l'AUemaigne et l'Escoce, despuys deux ans, luy ont assés es- puysé ses finances; et l'interruption du commerce n'a permiz qu'elle lesayt peu remplyr, bien que, en certain propos, elle m'a naguières donné entendre qu'elle avoitheu si peu de nécessité, que encores n'avoit elle aulcunement touché aulx deniers du Roy d'Espaigne.

Parlettres,naguières venues de dellà la mer, de divers lieux, l'on est en diverses opinions, en ceste court , des choses d'AUemai- gne ; car les ungs mandent que le duc d'Alve a intelligence avec le duc de Sualsambourg, pensionnaire du Roy d'Espaigne, contre la ville de Hambourg, parce qu'elle a receu le commerce des An- glois, et est encores pleyne de leurs merchandises , et si , a favorise les pratiques du prince d'Orauge, et forny argent pour icelles contre

les Pays Bas.

Les aultres escripvent que les princes et capitaines, qui lèvent gens en Allemaigne, s'entendent avec le dict de Sualsambourg et avec le comte de Vuandeberc, et que, soubz colleur l'ung d assiéger Hem- bourg pour le roy de Danemarc, et l'aultre de recouvrer ses erres, ilz se préparent toutz deux, et le roy de Dannemarc aussi, al entre- prinse des Pays Bas, avec le secours que le Prince d Orange, beau frère des trois, doibt admener d'Allemaigne ; et que iceUuy roy de Dannemarc dellibère d'interrompre toutz les trafficz d Ostrelan, ei

AM

(les régions froydes , aulx Flamans ; et mesmes leur serrer une ri- vière, par ilz ont accoustumé de recouvrer leurs bledz et aultres provisions, affin de cominancer, de bonne heure , à leur retrancher vivres.

Et adjouxtent que Monsieur, frère du Roy, n'est que bien disposé à ceste entreprinse pour recouvrer ceste portion des dicts Pays Bas, qui apartient à la couronne de France ; et qu'il a suplié le Roy de luy permettre de faire ung essay pour en agrandir son appanaige, et d'y employer la gendarmerye, et ce grand nombre de gens de guerre, qui sont meintennant en France , mesmes que les Françoys ne désirent rien tant que cella ; s'apercevans enfin des tromperies et simula- tions du Roy d'Espaigne et de ses ministres , et murmurans que les jours ont esté advancez à sa dernière femme , Fille de France , par mauvais trettement qu'elle a reçeu avecques luy, dont j'ay merveil- leusement rejette tout le contenu de cest article , quant on m'en a parlé ;

Et que le duc d'Alve, craignant ung si grand orage , commance de mettre ung grand ordre à ses affaires , à recueillyr deniers et armes de toutz costez, et faire secrecte description de gens de guerre. Néant- moins l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, monstre de ne croyre, en façon du monde, qu'il y ayt nulz aprestz contre les Pays Bas, ains tout le contraire , ainsi que je l'ay mandé par ma précédante dé- pesche , qu'encor qu'il pense bien qu'il ne tiendroit aulx Anglois que telles choses ne fussent mises en avant et exécutées , que néant- moins la Royne d'Angleterre n'y veult advancer ses deniers contans, ni aultre chose que paroUes et promesses , qui ne sont sufBzantes pour mouvoir les Allemans, ni pour faire marcher une armée.

Comme , à la vérité , j'entendz que le capitaine, qui est icy pour le duc Auguste, et qui asseure n'y avoir aulcune certitude de la mort de son maistre, mais bien qu'il estoit fort mallade, n'a esté encores guières bien respondu sur la pratique qu'il mène d'avoir deniers pour les dicts aprestz d'Allemaigne; et si , semble qu'il n'in- ciste pas fort que la dicte Dame veuille entrer en nulle ligue avec les princes protestans, s'estant layssé entendre que le dict duc Au- guste aussi n'y entrera pas et qu'il ne cerche que fère amys de toutz costez, pour s'en ayder aubesoing; néantinoins qu'il favorisera et assistera la dicte entreprinse d'iceulx princes.

Le susdict ambassadeur d'Espaigne a heu adviz que M' le cardinal de Chatillon a proposé à ceste Royne, et à ceulx de son conseil, s'ilz trouveroient bon que le comte Ludovic de Naiissau vînt avec aulcuns

465 bons navyres de guerre de la Rochelle pour se joindre à ceulx du S- de Lumbres , afTin de tenir ceste mer subjecte contre le duc d'Alve à la dévotion toutesfoys de ce royaulme, et que cella a esté bien receu du dict conseil et favorisé du comte de Lestre, et qu'il entend qu'on arme à cest effect à la Rochelle plusieurs navyres, chose qu'il estime ne pouvoir estre trouvée bonne du Roy.

Les depputez de la Royne d'Escoce sont venuz plusieurs fois prandre familièrement leur disner en mon logis, et m'ont, entre aultres choses, remonstré qu'ilz sont envoyez, de la part des princi- paux seigneurs de leur pays , pour assister au tretté et y procurer la restitution de leur Mestresse, avec charge de procéder en tout sel- Ion qu'elle leur ordonnera , et avec article espécial de ne faire rien au préjudice de l'alliance de France ; et qu'ilz supplient très hum- blement le Roy, qu'au cas que le dict tretté ne succède , qu'il veuille avoir souvenance d'eulx ; car ilz disent avoir esté toutz essayez, l'ung après l'autre , par grandes offres et présens , de la part de la Royne d'Angleterre, pour suyvre son party, et qu'ilz ont tout rejette, et ont choysy de souffrir plustost toutes extrémitez que de quicter ung seul point de l'alliance et dévotion qu'ilz ont à la couronne de France;

Et que les dicts seigneurs requièrent une chose de l'évesque de Roz et de moy, c'est que nous les veuillons advertyr, de bonne heure, s'il y aura apparance que le tretté ne succède , affin de se pourvoir; et que, sans mettre le Roy ennulle guerre ouverte, s'il luy playt les ayder, quelque temps, de quatre mil escùz par mois , pour entretenir trois cens homes dans le chasteau de Lislebourg , et sept cens hommes en la campaigne , ilz promettent de faire ce qui s'ensuyt :

Sçavoir, le lair de Granges, capitaine du dict chasteau de Lisle- bourg, de surprendre les comtes de Lenoz et de IWorthon , et les mettre dans son dict chasteau , pour en faire ce que leur Mestresse commandera, et de randre paysible et obéyssante la ville de Lisle- bourg à la dicte Dame ; les aultres seigneurs qu'avec les sept centz hommes, ilz chasseront les Anglois de tout le pays, estandront leur ligue, remettront partout l'authorité de la Royne d'Escoce, de sorte qu'il ne se parlera plus que de luy obéyr, et de demeurer fermes en l'alliance de France, et qu'ilz réduyront, tout entièrement, le royaulme en l'estat qu'il estoit auparavant , estantz toutz les prmci- paulx de la noblesse de ce désir, sinon le dict Lenoz , qui n'a, a présent , cinq cens escuz de rante au dict pays , et Morthon , qui est

homme nouveau et sordide.

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466

Le Roy d'Espaigne a escript à son ambassadeur, qui est icy, qu'il le résolve clairement, et en brief, de ce qui se doibt espérer de la restitution de la Royne d'Escoce, et en quoy l'on est du tretté, monstrant qu'il a bien fort à cueur la matière ; et icelluy ambassa- deur a dicta l'évesque de Roz que son Maistre ne regarde sinon comme le Roy commancera d'y procéder, car, de sa part, il y esttout prest et tout résolu. Et par lettre de Rome s'entend que le Pape a desjà miz une provision de deniers ez mains du duc d'Alve, pour ayder l'entreprinse sellon que l'ordre en sera mandé par Ridolfy ; le- quel Ridolfy et les seigneurs catholiques de ce pays, me recerchent fort de mettre en avant que les deux Roys se veuillent entendre et se unyr à la dicte entreprinse ; ce que j'ayme mieulx qui me soit proposé par le dict ambassadeur, qui iljjTm'en a parlé, longtemps y a, que non pas par eulx.

Je ne puis encores juger au vray si la dellibération de la dicte entreprinse est bien certaine , et moins encores quel événement elle pourra avoir. Tant y a que , pour la conformité de celle d'Yrlande, elle me semble trop esloignée du vraysemblable , et je sens bien que les Escouçoys , doubtans du secours de France , commancent fort d'espérer en cestuy cy; et le duc d'Alve leur a desjà advancé quel- (jues deniers , ainsy que je l'ay desjà escript.

AULTRE MÉMOIRE ET IIVSTRUCTIOIV A PART:

Que le propos de maryer Monsieur avec la Royne , a prins son commancement de ce que, ayant, en une mienne audience, parlé à la dicte Dame des fianceailles du Roy, qui se debvoient faire à Espire , après qu'elle se fût retirée avec ses dames , elle se plaignit que , se faisans plusieurs honnorables mariages en la Chrestienté, nul de son conseil ne luy parloit à elle de prandre party, et que, si le comte de Sussex fût présent, au moins luy ramentevroit il l'archiduc Charles.

Ce que ayant l'une des dames raporté au comte de f^estre, il s'es- forcea , le lendemain , affin de luy complayre, de luy remettre si bien le dict archiduc en termes , que le voyage de Coban en fut inconti- nent dressé ; et, de en avant , elle monstra, de plus en plus, estre résolue de se maryer, et de parler d'affection de l'archiduc, de sorte que le dict comte se repentyt assés d'en avoir meu le propos.

Sur quoy arrivant le vydame de Chartres pour prandre congé d'elle, il luy parla de Monsieur, frère du Roy, et en parla aussi à

AOl

plusieurs de son conseil , (\m en furent les ungs bien ayses pour traverser l'aultre propos, et les aultres marrys, qui ne vouloient <lu'on mit , en façon du monde , cestuy cy en avant.

Dont , après que le dict Coban fût de retour avec la responce de reffuz , elle commança lors d'ouyr, avec plus d'affection , ceulx qui luy proposoient 3Ionsieur ; et arrivant dessus quelque responce du vydame, et survenant, peu après, M' le cardinal deChalillon, la matière s'est si bien eschauffée que la dicte Dame ne parle plus que de luy, et a dict, tout hault, « que les siens l'avoient souvant pressée de semaryer, mais puys après ilz y avoient adjouxt*tant de dures con- dicions qu'ilz l'en avoient engardée , et qu'elle cognoistroit mein- tenant qui seroient ses bons et lidelles subjectz , et les sauroit bien remarquer, et qu'elle tiendroit pour desloyaux ceulx qui luy traver- seroient ce tant honnorable party » .

Et comme l'une de ses dames regrettoit que Mon dict Seigneur n'eust quelques ans davantaige, elle respondit : « Il a vingt ans qui en vallent vingt cinq, car il n'y a rien en son esprit, ny en sa personne, qui ne soit d'homme de valleur. »

Et à milord Chamberland qui luy faisoit ung compte , comme Mon dict Seigneur avoit faict une course jusques à Roan pour voir une jeune flamande fort belle , que le père, craignant qu'elle ne se derro- bât pour le suyvre, l'avoit jettée en haste hors de la ville et con- duicte à Dièpe , n'attendoit que le vent pour la passer en Angle, terre , l'une des dames respondit : « Et bien c'est qu'il n'est point paresseux pour aller voir les dames , il ne craindra guières de passer la mer. « « Ce ne seroit , respondit la Royne , à mon proffict qu'il fût si dilligent , mais il n'en est pourtant moins à priser. «>

Et au baron de Vualfrind , lequel je luy présentay de la part du Roy, après qu'elle luy eust assés ami)lement parlé du mariage de l'archiduc, eu une façon pleyne de jalouzie et de desdein, réprou- vant bien fort les nopces d'entre si prochains , comme l'oncle et la niepce : « Bien que le Roy d'Espaigne, disoit elle, comme grand prince , eust possible estimé que son exemple servyroit de loy au monde, mais c'estoit une loy contre le ciel ; » luy dit : « Que l'ar- cliiduc luy estoit grandement obligé de ce que, l'ayant reffusé, elle luy avoit faict trouver mieulx qu'elle , et l'amytié ne deffauldroit , car, s'ilz ne s'aymoient comme espouzés, ilz s'aymeroient comme parans ; et qu'elle espéroit aussi trouver mieulx que luy, dont le regrect ces- seroit des deux costez» Puys se corrigea que ; - « A la vente elle ne J'avoit pas refîuzé, mais elle avoit bien différé la responce, et il ne

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Tavoit vollue attandre; néantmoins elle ne lairroit d'aymer ethonno- rer toiitjour l'Empereur, et tonte sa mayson , sans aulcun excepter. » Et , au retour de là, le dict sieur baron me demanda si je pensois qu'elle eust parlé d'affection et avec jalouzie du dict archiduc , ou bien par manière de deviz , et qu'il se repentoit de ne luy avoir pro- posé le prince Rodolfe , qui a desjà dix sept ans. Je luy respondiz que « le voyage , que le jeune Coban avoit dernièrement faict de- vers l'Empereur, monstroit que, si l'archiduc eust vollu, à ceste heure, entendre à ce party, qu'il eust esté accepté. » Il répliqua « qu'il en auroit doncqu^s beaucoup de regrect , et qu'il s'estoit trop hasté de s'obliger à celle de Bavière , bien qu'il me vouloit dire que les conditions , sur lesquelles on le vouloit maryer avec ceste Royne , estoient, à ce qu'il avoit ouy dire, si dures et iniques qu'il eust esté trop plus subject que Roy. »

L'on me vient d'advertyr que , sabmedy dernier, se plaignant la dicte Dame à l'admyralle Clinton et à rhilady Coban des difficultez, qu'aulcuns des siens trouvoient au party de Monsieur, comme trop jeune, elle les avoit conjuré de luy en dire librement leur opinion, et que , comme les deux plus loyales , et elle se fyoit plus qu'en dames de ce monde , elles ne luy en vollussent rien dissimuler ; et que la dicte Clinton , luy ayant fort loué ses perfections et confirmé grandement son opinion de se maryer, avoit aprouvé entièrement qu'elle deùt espouser Monsieur ; et que sa jeunesse ne luy debvoit faire peur, car il estoit vertueux , et elle , pour luy en donner, en toutes sortes, plus de satisfaction que nulle aultre princesse du monde ne sçauroit faire. Ce que la dicte Dame avoit accepté avec tant de démonstration de playsir, que milady Coban , n'y ozant rien contradire, avoit seulement dict que les mariages estoient toutjour mieulx faictz et plus plains de contantement, (juant l'on espousoit personne de âge pareil , ou aprochant au sien, que quant il y avoit grande inégalité. A quoy elle avoit respondu : « Qu'il n'y avoit que dix ans de différant entre deux , et qu'il eust esté fort à propos que ce eust esté luy qui les heùt davantaige ; mais, puysqu'il playsoit à Dieu qu'elle fût la plus vielle , elle espéroit rj^'il se contenteroit des aultres advantaiges. »

Il semble que milord Boucard va par dellà fort pourveu de bonne intention en cest endroict , et qu'il désire infinyement d'y estre employé ; et le secrétaire , qu'il mène , qui luy a esté ordonné par la dicte Dame , s'est venu offryr à moy de servyr, en tout ce qu'il pourra, jusques à la mort; et le S' Cavalcanty y est plus ardant que

im

nul, mais je ne sçay s'il a encores descouvert en quelle intention en est Cecille : tant y a que deppendant entièrement de luy, il sera bon d'aller ung peu réservé en son endroict , et néantmoins s'en servyr en ce que Leurs Majestez cognoislront qu'il leur y pourra estre mi- nistre commode et opportun ; car, oultre qu'il se dict très dévot à la France, et péculier serviteur de la Royne, il est fort bien entendu ez humeurs de deçà. Il n'a voUu partyr avec le dict Boucard pour n'estre veu aller aulcunement pour ce fait , et m'a dict qu'il n'est pas expressément commandé de faire le voyage, mais qu'on est bien fort ayse qu'il le face , et il part demain matin.

CLIX' DEPESCHE

du xu^ jour de febvrier 1571.

( Envoyée exprès par Jehan Volet jusques à Calais. )

,I«égociation de Walsingham , ambassadeur en France. Affaires d'Irlande ; crainte des Anglais qu'une entreprise ne soit tentée sur ce pays.— Affaires d'Ecosse ; retards apportés à la conclusion du traité. Ligue contre les Turc». Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy. Sire, parla première dépesche, que le S-^ de Vualsin- guan a faict par deçà ' , il s'est si grandement loué à la Royne, sa Mestresse, de l'honorable réception et des vertueuses responces qu'il a eues de Vostre Majesté , et des bons propos et démonstrations que la Royne, vostre Mère , et Monseigneur, luy ont usé , que le comte de Les- tre m'a mandé qu'elle m'en rendra ung bien fort grand mercys , la première fois que je l'yray trouver, affin que je le vous face puys après entendre de sa part 5 et que je vous représante le grand contantement qu'elle en a reçeu ,

, voir les Mémoires et instructions pour les -!-^-Jlf;2rEll7el 'X' .ociations de Walsingham. ministre et secrétaire d état sous Elisabeth . reine d'Angleterre, 1 vol. in-û% Amsterdam, 1700.

470 qui ne la pourriez, à ce qu'il dict, en nulle chose du monde plus grandement gratiffier que de favoriser ses am- bassadeurs. Et n'ay point sçeu , à la vérité , Sire , que , pour ce commancement , il ayt donné que une bien fort bonne satisfaction de Voz Maj estez à sa dicte Mestresse. Il est vray qu'il a asseuré la dicte Dame , ainsy qu'on m'a dict , que la pratique , que le capitaine La Roche mène en Yrlande, n'est incogneue en vostre court; de quoy aul- cuns de son conseil luy ont voUu persuader qu'elle devoit donc révoquer milord de Boucard qui, pour ceste occasion, a esté arresté ung jour à Ganturbery ; mais elle a vollu qu'il ayt passé oultre, espérant que , sur ce qu'elle m'a na- guières proposé d'icelluy faict, Vostre Majesté l'en satis- fera bientost.

La dicte Dame commance de tourner ses pensées aulx choses du dict pays d' Yrlande , car, oultre le faict du dict capitaine La Roche , elle a toutjours crainct que le Roy d'Espaigne se vouldroit revancher des prinses de mer par quelque entreprinse sur icelluy pays ; et, encores, par le dernier courrier de Flandres , entendant que le duc d'41ve se monstroit si réfroydy en la composition des dictes prinses, que l'agent de la dicte Dame estoit sur le poinct de s'en re- venir, sans avoir rien faict, elle en entroit en plus grande deflGance , mais ung aultre courrier extraordinaire en vient d'arriver, qui dict que icelluy agent a heu , despuys huict jours, une meilleure responce du dict duc. Néantmoins , estantz desjà aulcuns indices venuz à la dicte Dame de la dellibération du dict Roy d'Espaigne en cella , et luy en ayant M'^ le cardinal de Chatillon , à ce qu'on m'a dict , mandé , despuys six jours , d'aultres certains adviz , elle monstre , à présent, de le croyre ; dont a mandé à millord

471 Sydney debitis d' Yrlande , qui estoit prest à s'en venir par deçà , de ne bouger de sa charge , et de pourvoir soigneu- sement à la garde du pays , et qu'elle donra promptement ordre qu'il luy soit envoyé tout ce qui luy sera besoing.

Les choses d'Escoce se brouillent de nouveau , car ceulx du party de la Royne commancent de se revancher par dellà sur ceulx qui suyvent le party du comte de Lenoz , et le comte de Morthon, faisant le long à venir , prolonge icy beaucoup le tretté , ce qui donne X;ependant loysir à la com- tesse de Lenoz et aulx siens de remettre en l'opinion de la Royne d'Angleterre plusieurs malles impressions contre la Royne d'Escoce, luy persuadant qu'elle aspire à sa vie et à la déboutter de son estât, si bien qu'elle en est entrée en de grandes souspeçons, mesmes contre ses plus intimes conseillers; qui faict que toute ceste court s'en trouve divi- sée et en grand perplexité. Dont les depputez de la dicte Royne d'Escoce, craignans qu'enfin cella n'admène une ropture du dict traicté , suplient , de rechef, très humble- ment Vostre Majesté , de les vouloir, de bonne heure , et par secrectz moyens , secourir de ceste provision de quatre rail escuz par moys, qu'ilz vous demandent, durant quelque temps , afïin d'exécuter promptement ce qu'ilz ont projecté pour le restablissement de l'auctorité de leur Mestresse, et pour la conservation de leur pays, et pour l'honneur et la gloire de Vostre Majesté et de l'alliance qu'ilz ont avec vostre couronne 5 s'asseurans que la guerre ne durera ja- mais ung ou deux tiers d'an. Et m'ont proposé, au cas que voz présens affaires ne permissent. Sire, que lespuys- siez si tostayder de ceste somme, qu'il soit vostre bon play- sir de la leur faire recouvrer sur l'afferme du doua.re de leur Mestresse , en la faisant délivrer à quelques merchans

472 pour deux ou trois ans à venir, moyennant qu'ilz advance- ront les deniers, desquelz, s'il en debvoit survenir cy après nul intérest à Vostre Majesté , ou quelque diminution à leur dicte Mestresse, ilz se offrent de le faire rembourser par les Estatz de leur pays; et ne vous auront , à ce qu'ilz disent, moindre obligation que si le secours estoit tout en- tièrement sorty de voz propres finances. A quoy vous playrra , Sire , me faire respondre par voz premières , car, sellon que j'en enteudray vostre voUonté , je les laysseray, ou bien les divertir ay d'en envoyer poursuyvre le moyen par dellà, comme ilz ont dellibéré de faire.

Il est nouvelles icy que l'Empereur a offert d'entrer en la ligue contre le Turq, et que, en propre personne, il luy commancera la guerre , pourveu que les confédérez luy veuillent souldoyer vingt mil hommes de pied, et luy don- ner douze mil escuz par moys , pour les aultres provisions de l'armée; et qu'il a esté de nouveau provoqué à cella, à l'ocasion de ce que le Turq luy a mandé qu'il ayt à luy re- mettre entièrement le tiltre du royaulme de Transilvanye , sans jamais plus le s'aproprier.

L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a adviz que le comte de Sualsemberg , après avoir composé avec ceulx d'Embourg, pour quarante mil tallardz contants, et avec ceulx de Brème pour vingt cinq mil , a séparé ses gens ; par ainsy, toute la peur de ceste guerre est estaincte. Sur ce, etc. Ce xij^ jour de febvrier 4571.

473

CLX' DÉPESCHE

du xvne jour de febvrier 1571.— (Envoyée exprès jusques à Calais par Bon Jehan. )

Affaires d'Ecosse. Efforts de l'ambassadeur pour empêcher que le prince d'Ecosse ne soit livré à la reine d'Angleterre.— Sollicitation faite par le duc d'AIbe, au nom du roi d'Espagne, en faveur de Marie Stuart,— Négociation des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, par la dépeschede Vostre Majesté, du premier de ce mois , que le S"" de Sabran m'a apportée , il m'a esté si sagement et avec tant de bonnes considérations satisfaict sur tout ce que , par mes précédantes , jusques au vingt quatriesme du passé , je vous avois escript de Testât des choses de deçà , qu'il ne me reste rien à présent que de bien ensuyvre ce que clairement et fort exprès il vous playt m'en commander, qui mettray peine, Sîre^ que vous y soyez le plus exactement bien servy qu'il me sera possible; seulement je me trouve empesché du faict du petit Prince d'Escoce , lequel je vous suplie très humblement , Sire, de croyre que j'ay travaillé aultant que j'ay peu , et sans trop me descouvrir, à disposer icy les depputez de la Royne , sa mère , et ay pareillement envoyé disposer ceulx de l'aultre party jusques en Escoce , pour s'opposer à ce qu'il ne soit admené par deçà , et n'ay obmiz nul des inconvéniens qui en pourroient advenir , que je ne les leur aye toutz repré- sentez ; et av sondé si avant iceulx depputez de la dicte Dame qu'ilz m'ont confessé que les seigneurs qui les ont envoyez, déclairent, en ung article de leur instruction, qu'ilz ne le peuvent consentyr ; néantmoins qu'ilz leur ont

474 baillé pouvoir, à part, d'en user comme la Royne, leur Mestresse , leur ordonnera ; et m'ont remonstré que , de- meurant les choses en Testât qu'elles sont, la Royne d'An- gleterre tient en ses mains la mère, le filz et le royaulme, et a desjà estably un sien subject pour régent au pays, et qu'ilz ne peuvent , sans ung notable secours de Vostre Majesté, plus différer de se soubmettre eulx mesmes à ce que la dicte Royne d'Angleterre vouldra : sçavoir est, d'obéyr au dict régent , et recognoistre le jeune Prince pour leur Roy , si , d'avanture , leur Mestresse n'est bien- tost restituée ; et que, si le tretté n'eust esté miz en avant, par lequel l'armée d'Angleterre a esté retirée , il est sans doubte qu'ilz se fussent desjà toutz rangez à ce party, de sorte , Sire , qu'il ne se fault guières attandre que , du costé de la Royne d'Escoce, laquelle a desjà baillé son consentz, ny de ceulx qui tiennent pour elle , il se face grande ré- sistance à cest article ; qui est néantmons le principal , au- quel la Royne d'Angleterre et les siens incistent , et sans lequel elle monstre de vouloir poursuyvre ses entreprinses , ainsy qu'elle les a commancées au dict pays.

Je verray ce que je pourray faire secrectement avec les depputez de l'aultre party , qui ne sont encores arrivez , mais l'on les attand dans quatre jours 5 car il est nouvelles qu'ilz ont desjà passé Rarwich, et ne voys point. Sire, qu'il reste plus de ce costé nul moyen en cecy , que je ne l'aye desjà tante; dont adviserez s'il s'en pourra trouver quelcun aultre d'ailleurs qui y puysse mieulx remédier.

Au regard de l'article de la ligue, j'en useray tout ainsy , sans plus ny moins , qu'il vous playst me le pres- crire , et semble bien que desjà , sur les fermes et ré- soluz propos, que j'en ay tenuz à la Royne d'Angleterre

475 et aulx siens, ilz soyent en quelques termes de n'eu parler point.

L'évesque de Roz est allé presser les seigneurs de ce conseil de vouloir commancer le dict tretté , plus pour cognoistre si leur Mestresse avoit changé de vollonté que pour espérance de rien faire , jusques à ce que les aultres soyent icy; et a trouvé qu'à leur arrivée elle del- libère de passer oultre , meue beaucoup plus des difficultez, qui surviennent chacun jour plus grandes , et en Escoce, et en son pays, que de bonne affection qu'elle y ayt; et luy ont iceulx du dict conseil dict deux choses : l'une, qu'il ne fault que la Royne, sa Mestresse, escoutte les con- seilz qu'on luy mandra de dellà la mer, de ne consentyr que son filz viegne en Angleterre , car , sans ce poinct , qui estoit desjà accordé par elle , il ne fault plus parler de tretté; la segonde, qu'elle veuille délaysser du tout la pra- tique de se maryer avec dom Joan d'Austria , et n'ouyr plus sur cella M"" le cardinal de Lorrayne , qui en renou- velle, à ce qu'ilz disent, encores à présent le propos. A quoy il a respondu eu général , que , si la Royne d'An- gleterre veult bien user envers sa Mestresse , elle se peult asseurer qu'elle la trouvera toute disposée à son amytié, et à faire toutes choses à son contantement.

Or, a le duc d'Alve escript, par le dernier ordinaire, une lettre à la Royne d'Angleterre, en laquelle, entre aultres choses , il luy faict entendre la charge , qu'il a du Roy d'Espaigne son Maistre, de la prier bien fort affec- tueusement qu'elle veuille condescendre à quelque bon ac- cord avec la Rope d'Escoce, et luy raoyéner sa restitution; et qu'une des choses qu'il désire aultant à ceste heure est de les voir elles deux et leur deux royaulmes en bonne

476 paix et unyon, en quoy , s'il se peult rien ayder et servyr, il offre de bon cueur s'y employer. Je n'ay encores aprins les aultres particuUaritez delà dicte lettre, sinon qu'on m'a asseuré que la dicte Dame l'a heue fort agréable, et que le secrétaire Cecille a dict que le ducd'Alve se monstre à ceste heure fort rabillé vers elle , et la recherche beaucoup d'amytié ; et que sur ce que M*" Prestal l'avoit, puys peu de jours , voUu estreindre à quelques pratiques avec les re- belles d'Angleterre et d'Yrlande, et avec les Escouçoys du party de la Royne, il n'y avoit vollu entendre. Ce qui faict meintenant , Sire , que ceulx cy se rasseurent des choses d'Yrlande; et à la vérité, la comtesse de Nort- homberland , et aulcuns fuytifz , qui sont en Flandres , ont naguières escript que le Roy d'Espaigne a bien bonne af- fection de les secourir et d'entreprendre en Yrlande, mais que le duc d'Alve en estoit tout réfroydy, et qu'il leur est besoing d'envoyer ung personnaige de bonne qualité en Espaigne pour négocier, par eulx mesmes, leur affaire avec le Roy d'Espaigne. Je ne sçay s'ilz auront esleu à cella millord de Sethon ; tant y a que je vous puys asseu- rer , Sire , qu'il estoit , le xxiij^ du passé , au logis de l'ambassadeur d'Escoce à Paris, possible qu'il aura passé oultre.

L'accord des prinses estoit venu à une manifeste rop- ture avec le depputé de ceste Royne, qui s'estoit desjà acheminé pour s'en retourner, sans avoir rien faict, quant le duc d'Alve l'a contremandé pour luy dire qu'il avoit receu nouvelles lettres d'Espaigne, par lesquelles il luy vouloit bien signiffier la bonne intention du Roy , son Maistre, envers la Royne d'Angleterre, sa bonne sœur, et comme il avoit désir d'accorder à toutes les choses ray-

Ail sonnables qu'elle vouloit; par ainsy que les difficultez se- roient bientost vuydées, et qu'il envoyeroit un notable conseiller par deçà pour l' accommodement de toutes choses ; dont s'attand, à ceste heure icy, l'arrivée du S^ Suene- gheme de Bruges , qui vient avec le dict depputé d'An- gleterre. Sur ce, etc. Ce xvif jour defebvrier 1574.

CLXr DÉPESCHE

du xsiii* jour de febvrier 1 57 1 . 1^ Envoyée exprés jmques à Calais par ung çentUhommt esccii^s.)

Audience. - As.urance. d'amlUé. - Maladie de ia reine de France. _ D*». veu du roi au »je. de ia descente de, Breton, en Iriande. - Sati.tacuou d-Élfabetl. à raison du refus qu'aurait fait ie duc d'Anjou de .e mettre a ia tête d'une entreprise sur i'Iriande.

Au Roï. Sire, à la dellibération, que j'aïois, d'aller trouver la Royue d'Angleterre sur ce que le S' de Sabran m avo.t apporté, «m'y est encores venue nouvelle oct^sion, par la dépesche suyvante , que j'ay cependant receue de Vos- tre Majesté , du vj- de ce moys, de laquelle j ay fatct de toutung avec la première; et n'ay séparé les potnct. d l'une ny de l'aultre, s.non par l'ordre que je les ay trouve, en icelles qui y sont si bien et si dtsttnctement comprins, ; I ::sté bLing d'y adjouxter du ™ien ^e ^de- Lnt ce que j'ay estimé à propos pour les fatre b,en pran-

'Ta^STetpondu, quant au premier, qu'elle avoit ung sLu eTplaysfr que ses ambassadeurs vous eussent b en r^iffié laVoicte intention , qu'elle a. à la commune

; 478

paix d'entre Voz Majestez , et à celle particulière de vos- tre royaulme ; et qu'elle vous prie, Sire, de croyre que , quant au debvoir de persévérer en vostre amytié , et à dé- sirer le bien et establissement de voz affaires , qu'elle y est si parfaictement disposée que nul du monde ne le sçauroit estre davantaige ; et que vous cognoistrez qu'elle l'a desjà ainsy monstre par effectz, quant plusieurs choses , de celles qui ont passé despuys trois ans , vous seront mieulx co- gneues qu'elles ne le sont à présent; et qu'elle vous pro- mect, pour l'advenir, qu'il sortyra, de son costé, occa- sion aulcune , par vostre dicte amytié puysse estre offan- cée, pourveu que vous ne veuillez poinct offancer la sienne; qu'elle avoit grande occasion de vous remercyer de ce qu'il vous avoit pieu fort favorablement licencier l'ung de ses ambassadeurs, etrecepvoir avecmesme faveur l'aultre , et de ce, encores, qu'avez commancé de faire honorer gran- dement milord Boucart à C allais , à Bolloigne et à Mon- trueil ; dont il luy avoit escript le bon trettement qu'on luy avoit faict en ces trois villes , et que Vostre Majesté aussi ne trouveroit en eulx , s'ilz ne veulent estre traystres à elle et désobéyssans à ses commandemeas , que toute disposi- tion de vous honorer et servyr, et vous complayre en tout ce qu'il leur sera possible ; que la nouvelle que je luy ap- portois de la malladye de la Royne , à ceste heure qu'elle guérissoit et alloit en amandant, n'estoit si fâcheuse à ouyr, comme si je la luy eusse dicte , quant elle estoit en dan- gier, dont elle prioyt Dieu pour sa convalescence , comme pour la sienne propre ; et que Dieu vous avoit vollu tempé- rer à toutz deux, par ce petit ennuy, le grand ayse de vos- tre mariage , affin de le vous randre meilleur et de plus de durée cy après ; qu'encor que le sacre et couronnement

479 d'elle , et sou entrée fussent remiz à une aultre foys , et que ceulx, qu'elle a envoyez par dellà, ne puvssent voir toutz les triomphes qu'ilz s'attandoient, elle toutesfois ne vouldroit avoir différé davantaige la conjoyssance de voz nopces , ny de la venue de la Royne , pour ne deffaillir à ce que , non moins de son affection que de son debvoir, elle estimoit estre tenue en cella; au demeurant, qu'elle de- meuroit très contante et bien satisfaicte de la responce , que vous luy faisiez sur les choses d'Yrlande, et encores plus de ce qu'elle s'asseuroit que Yostre Majesté l'accom- plyroit ainsy par œuvre , comme elle avoit desjà entendu que, sur ce que M"^ le cardinal de Lorrayne et M"" le Nunce et l'arsevesque de Glasco avoient naguières proposé à Mon- sieur, frère de Vostre Majesté , de faire une entreprinse au dict pays, il avoit esté si vertueulx et si sage, qu'il n'y avoit voUu entendre , ny Yoz Majestez Très Chrestiennes y pres- ter l'oreille, dont ne vouloit obmettre de vous en remer- cyer toutz trois de tout son cueur ; mais pourtant elle n'a- voit vollu ottroyer de saufconduict au dict arsevesque de Glasco, bien que la Royne d'Escoce le luy eustfort instant- ment faict demander par l'évesque de Ross ; car avoit opinion que c'estoit plus pour venir interrompre le tretté que pourl'advancer; et que, estant le comte de Morthon prest à arriver dans peu d'heures, l'on procèderoit incon- tinent au dict tretté avec le plus d'expédition que faire se

pourroit.

Je luy ay seulement répliqué. Sire, quant à l entre- prinse, qu'elle disoit avoir esté proposée à Mons.em- si elle sçavoit à la vérité que cella fût vray, et m'ayant soubdame- ment respondu que ouf, tant certainement que mesmes elle avoit par escript le mesmes propos , qm luy en avoit

480 esté tenu, j'ay suyvy à luy dire qu'elle prînt bien garde que cella ne procédast de quelque mauvaise boutique pour cuyder luy en mettre la jalouzie dans le cueur, car M*^ le cardinal estoit ung si prudent et si advisé seigneur en ses conseilz, qu'à peyne en avoit il miz ung tel en avant à Monsieur, en temps de si bonne paix ; néantmoins , com- mant que la chose allât, elle voyoit que Vostre Majesté faisoit ung grand fondement de la paroUe , que luy aviez donnée , de désister de toute entreprinse d'armes , jusques à ce que le traicté fût achevé , et que vous faisiez aussi pa- reil estât de celle que vous aviez d'elle , pour la liberté et restitution delà Roy ne d'Escoce ; dont je la suplyois qu'elle y voUust meintenant mettre le désiré effect , que Vostre Majesté attandoit de sa bonté et de sa promesse.

Elle m'a respondu qu'elle voyoit bien que Vostre Ma- jesté ne pourroit jamais oublyer cest affaire , parce qu'il y en avoit assés qui le vous recordoient , et qu'elle espéroit qu'il s'acommoderoitbientost, non sans qu'on se mouquast assés par tout le monde d'elle, d'estre si indulgente et fa- cille envers celle qui l'a infinyement offancée ; qu'au reste elle recepvoit ung singulier playsir d'entendre que Vostre Majesté eust une si vertueuse et si droicte intention à la réunyon de l'esgUze, comme je le luy asseuroys, qui ne pourroit estre que cella n'admenast ung grand bien à la Chrestienté, et qu'elle vous y correspondroit de sa part , avec telle affection et promptitude , comme vous le pour- riez désirer 5 qui pourtant vous prioyt de persévérer en ce sainct propos , et ne vous laysser persuader à ceulx qui vous y vouldroient proposer les armes.

Et ainsy me suys gracieusement licencié de la dicte Dame , mais j'ay comprins despuys , par aulcuns propos du

/i81 secrétaire Cecille , qu'elle avoit heu ung singulier playsir que Vostre Majesté n'a advoué les choses d'Yrlande, parce qu'elle a envoyé pour surprendre ce qui s'y trouvera de Bretons et estrangiers pour les chastier. La dicte Dame a faict dépescher lettres à toutes ses provinces pour convo- quer ung parlement, au deuxiesme jour d'avril prochain , en ceste ville de Londres, avec secret mandement de n'es- lire aulcun depputé , qui ne soit déclairé protestant. Elle estime que la tenue d'icelluy ne sera que de dix jours, de- dans lesquelz elle espère avoir obtenu ce qu'elle prétend , de quelque subvention de deniers; d'un decrect sur les biens et personnes des fugitifz ; et sur quelque reiglement plus estroict en leur religion 5 qui sont les trois poinctz pour lesquelz l'assemblée se faict. Les commissaires de Flandres ne sont encores venuz , mais l'on me vient d'ad- vertyr que le comte de Morthon est tout meintenant arrivé. Sur ce, etc. Ce xxiij'^ jour de febvrier 1571.

FIN DU TROISlÈMt VOLUME.

31

.71 1'>,

TABLE

DES MATIÈRES DU TROISIÈME VOLUME. Année 1570.

81« Dépêche. A janvier.

Cages

AU ROI.

Audience.

1

Ib.

A LA REINE.

Nouvelles de la Rochelle. Déroute des révoltés du nord.

6

Ib.

7

82' Dépêche. 10 janvier.

AU ROI.

Nouvelles du nord.

10 H

A LA REIIVE.

Craintes des Anglais.

12 13

83e Dépêche. !.'> janvier.

AU ROI.

Le comte de Northumberland

14

prisonnier. Affaires d'Allemagne et des Pays-Bas.

A LA REINE.

Affaires de la Rochelle.

15

16

18

Ib.

84« Dépêche. 21 janvier.

AU ROI. Exécutions dans le nord.

A LA REINE.

Propositions faites à Marie

Stuart. Lettre en chiffre. Mémoire secret. Projets du duc d'Albe. l^oposition d'une ligue avec

l'Espagne contre l'Angle

terre.

85"= Dépêche. 28 janvier. AU ROI.

Mission de M"^ de Montlouet. Nouvelles d'Allemagne.

20 21 24

Ib.

26 27 29

Ib.

Ib. 35

86« Dépêche. 2 février.

Pages

AU ROI.

37

Audience.

Ib.

Mort du comte de Murray.

39

A LA REINE.

40

Affaires d'Ecosse.

Ib.

87e Dépêche. 10 février.

AU ROI.

41

Audience.

/*.

Arrestation de l'évêquedeRoss.

43

A LA REINE.

/*.

Préparatifs contre l'Ecosse.

44

Note. Etat général des affaires.

4.'>

88« Dépêche. 13 février.

AU ROI.

47

Négociation avec les Pays-Bas.

Ib.

Affaires d'Ecosse.

49

89« Dépêche. 17 février.

AU ROI.

50

Sollicitations des protestans.

51

Préparatifs de guerre.

.'52

A LA REINE.

53

Divisions en Angleterre.

Ib.

Mémoire général sur l'état des

affaires.

54

90» Dépêche. 22 février.

AU ROI.

58

Audience.

Ib.

A LA REINE.

61

Affaires de Marie Stuart.

62

91« Dépêche. '■26 février.—

AU ROI.

65

Affaires de la Rochelle.

Ib.

Instances de Marie Stuart.

66

484

Pages 9±* Dépêche. -2S février.

AV ROI. 67

Défaite de lord Dacre. Ib.

93« Dépêche. 4 mars. -^

Ali ROI. * 69

Affaires d'Ecosse. Ib.

A LA REINE. 71

Changement dans les disposi- tions d'Elisabeth. Ib.

Mémoire. Préparatifs deguerr« en Angleterre. 72

Mémoire secret. Projet pour le rétablissement de Marie Stiiart en Ecosse, et de la religion catholique en Angle- terre. 76

94« Dépêche. 9 mars.

AU ROI. 79

Continuation des préparatifs de

guerre. Ib.

9o' Dépêche. 14 mars.

AU ROI 82

Satisfaction donnée à Elisa- beth. Ib. Affaires d'Ecosse. 83

96« Dépêche. 19 mars.

AU ROI. 85

Nouvelles d'Allemagne. 86

Succès des révoltés en Irlande. 87

9"!' Dépêche. 27 mars. AU ROI.

Audience. Ib.

A LA REINE (lettre secrète) 94

Avis d'une levée d'armes en Allemagne. Ib.

Mémoire sur les troubles du nord 93

Mémoire secret. Avis du duc d' Albe ; propositions de Cécil et de Leicester ; projets des seigneurs catholiques. 98

98« Dépêche. 31 mars.

AU ROI. 105

Modération d'Elisabeth. Ib.

Le comte d'Arundel mis en li- berté. 104

Pages 99* Dépêche. 4 avril.

AU ROI. 106

Faveur du comte d'Arundel. Ib. Projet contre l'Ecosse. 107

100* Dépêche. 9 avril.

AU IlOI. 110

Préparatifs de guerre. Ib.

101e Dépêche. 13 avril.

AU ROI. 113

Continuation des préparatifs. Ib. Nouvelles des protestans de France. 114

i02« Dépêche. 18 avril,

AU ROI. 116

Nouvelles d'Ecosse. Ib.

AL\REIIVE. 120

Nécessité de la paix en France. 121 Lettre secrète. 122

Mémoire Résolution du conseil

d'Angleterre. Ih.

Mémoire secret sur divers pro- jets de mariage. 125

103» Dépêche. 23 avril.

AU ROI.

Prise d'armes contre l'Ecosse. 104e Dépêche. 27 avril.— AU ROI

Etal des partis en Ecosse. iOï^' Dépêche. 5 mai. j AU ROI.

88 j Audience.

j Nouvelles d'Ecosse.

I 106' Dépêche. 8 mai.—

I AU ROI.

I Débats dans le conseil. Première invasion en Ecosse.

A LA REINE.

Déclaration du roi touchant l'Ecosse.

Mémoire général.

Mémoire secret sur la déclara- tion du roi.

107« Dépêche. 13 mai. AU ROI.

Nouvelles de l'invasion.

128

Ib.

130 Ib.

133 Ib. 1.37

138 Ib. 139 142

Ib.

144

148

Ib.

108« Dépêche. 17 mai. -

AU ROI. , 154

Hésitation d'Elisabeth à pour- suivre son entreprise sur l'E- cosse. Ib.

109« Dépêche. 22 mai.

AU ROI. 137

Proposition d'un accord tou- chant Marie Stuart et l'E- cosse. Ib.

110« Dépêche. 27 mai.

AU ROI. 161

L'évêque de Ross mis en li- berté. 165

Audience. Ib.

Résolution du conseil d'éviter la guerre. 168

Traité concernant l'Ecosse. 169

1 1 Dépêche. 1 " juin.

AU ROI. 171

Affaires d'Ecosse. Ib. Exécution des Northon. 173 Bulle qui déclare Elisabeth hé- rétique. Ib.

1 1 Dépêche. 5 juin.

Air ROI. 174

Maintien du traité conclu. 175

Audience accordée à l'évêque

de Ross. 176

115* Dépêche. 11 juin.

AU ROI, 178

Liberté de l'évêque de Ross. 179 Conditions de la restitution de

Marie Stuart. Ib.

Interrogatoire du duc de Nor- folk. 180 Mémoire général. 181 Mémoire secret. Discussion sur le traité. 183

11 Dépêche. 16 juin.

AU ROI. 192

Changement dans les résolu- tions d'Elisabeth. Ib.

A LA REINE. 196

Mesures de rigueur contre les catholiques. Ib.

- 485

Pages

Page» 115« Dépêche. 19 juin.

AU ROI. 198

Audience. Ib.

A I.A REINE. 205

Nouvelles de la Rochelle. 204

1 16» Dépêche. 21 juin.

AU ROI. 206

Expédition de Bretagne. Ib.

Nouvelles d'Allemagne. 208

A LA REINE (Letfre .recréée) 209 Projets des protestans de

France. Ib.

117« Dépêche. 23 juin.

AU ROI. 212

Conditions du traité pour Ma-

rie Stuart. Nouvelles d'Allemagne.

214 213

118« Dépêche. 29 juin.—

AU ROI. »

Audience.

216 Ib.

|19« Dépêche. 3 juillet.

AU ROI.

Négociation touchant l'Ecosse. Mémoire général. Mémoire secret. Articles con- cernant Marie Stuart.

222 Ib. 225

228

120« Dépêche. 9 juillet.

AU ROI.

Mission de M>- de Poigny. Combat de Sainte - Gemme ,

près Luçon. Déclaration du duc d'Albe.

230 Ib.

232 233

121e i)épéc/je. 14 juillet. -—

AU ROI.

Audience.

234 Ib.

122= Dépêche. —19 juillet.—

AU ROI.

Audience.

A LA REINE.

Espoir de la restitution de Ma- rie Stuart.

240 Ib. 244

Ib.

123« Dépêche. 23 juillet.

AU ROI.

Délibération concernant le duc de Norfolk.

246 Ib.

486

rages

Préparatifs de guerre. 247

IVouveUes d'Allemagne. 248

Mémoire général. 250

Mémoire secret. Intrigues de

l'Espagne. Dispositions du cardinal de

Ghalillon.

254

256

124« Dépêche. W juillet.—

AU ROI.

Crainte en Angleterre d'une ligue générale; arméniens.

258

125«= Dépêche.— 6 août.

AU ROI.

Visite de M-^de Poigny à Marie

Stuart. Audience.

263

Ib. 264

liH' Dépêche.— li août.— -

AU ROI.

Force de la flotte armée en

guerre. Paix de France. Kxécuiion de Felton.

269

Ib. 272 273

127e Dépêche.— 14 août.

AU ROI.

Mission de Walsingham en France.

274

Ib.

128= Dépêche.— IB août.—

AU ROI.

Audience.

A LA REINE.

Doutes sur la paix de France.

275

£76 278 279

129« Dépêche.— 2i août.—

AU ROI.

Instructions de Walsingham. Affaires d'Ecosse.

A LA REIIVE.

Effet de la pacification.

280 281

283 284 Ib.

13')'' Dépêche.— 26 août.

AU ROI.

D'une entreprise sur Calais. Instances de Marie Stuart.

285 Ib. 287

Pages

131» Dépêche. 5 septembre.

AU ROI. 289

Audience. 290

Deuxième invasion en Kcosse. 294

Mémoire qénéral. ib.

Mémoire secret. Dévouement du duc de Norfolk à Marie Stuart; projet de l'Espagne contre l'Angleterre. 299

132« Dépêche. 10 septemb.

AU ROI. 302

Mission de sir Henri Coban aux

Pays-Bas. Jb.

Troisième invasion en Ecosse. 504

133« Dépêche. 15 septemb. AU ROI. 306

Sortie de flotte. Ib.

Explications sur la dernière in- vasion en Ecosse. 307

Message du cardinal de Chatil- lon . 308

134« Dépêche. 19 septemb.

AU ROI. 309

Négociation avec l'Espagne. 310 Affaires d'Ecosse. 311

135= Dépêche. 24 septemb. AU ROI. 313

Mouvement au pays de Lancas- tre. Ib.

Conférence avec le cardinal de Chatillon. 314

136"= Dépêche. 29 septemb.

AU ROI. 317

Négociation des Pays-Bas. 318 Mission de M' de Vérac en

Ecosse. 319

IZl' Dépêche. 5 octobre.

AU ROI. 320

Retour de Walsingham. Ib.

Cécil envoyé vers Marie Stuart. 321 Nouvelles d'Allemagne. 522

i38« Dépêche. 10 octobre.

AU ROI. 323

Passage de la reine d'Espagne. 324 Prises faites par le capitaine Sores. 326

139* Dépêche. 16 octobre.

AU ROI. 327

Conditions proposées à Marie Stuart. 328

Soulèvement au pays de Lan- castre. 330

487

Mémoire général. Intrigues de l'Espagne, affaires d'Ecosse.

i 40* Dépêche— il octobre.

AU ROI.

De l'alliance d'Ecosse. 14f« Dépêche. 25 octobre. Ar ROI.

Audience.

142» Dépêche. 30 octobre.— AU ROI.

Négociation de Marie Sttiart.

Nouvelles d'Allemagne.

143« DépécAe. 9 novembre.—

AU ROI.

Audience.

A LA «KVVE.

Nouveaux détails d'audience. Lettre .secrète. Proposition du

mariage du duc d'Anjou avec

Elisabeth. Mémoire générât. 144« Dépêche.— lino\tmb.—

AU ROI.

Articles proposés à Marie

Stuarl. Nouvelles des Pays-Bas. 145' jDép^cAe— i9novemb.—

AU ROI.

Mission de lord Seyton. 146' DépécAe.— 25novemb.— AU ROI.

Déclaration du roi concernant l'Ecosse.

A LA REIN£:

Détails d'audience.

Pages

3:^1

536

357

539 /*.

546 Ib. 348

3.50 Ib.

355 Ib.

357 360

365

Ib. 369

371 373

376

Ib.

380

Ib.

Fagfes 147' Dépêche, 30 novembre.

AU ROI. 582

Audience. 583

Mémoire général. Projet des ca- tholiques dans le pays de Lan- caslre; Opinions émises dans le conseil contre Marie Stuart ; Négociations de l'Angleterre avec l'Espagne. 389 1 48« Dépêche. 7 décembre.

AU ROI. 394

Maladie de Marie Stuart. .~>97

Affaires des Pays-Bas et d'Al- lemagne. 398

149» Dépêche. 13 décemb.

Au ROI. 399

Négociation de Marie Stuarl. Ib. Retour de sir Henri Coban. 400

150« Dépêche. 18 décemb.—

AU ROI. 403

Préparatifs de départ de lord Buchard. Ib.

Nouvelles d'Irlande. 405

151' Dépêche. 23 décemb. AU ROI. 407

Rapport de Coban à son re- tour d'Allemagne. Ib.

Instructions de lord Buchard. 408

152' Dépêche. 29 décemb.—

AU noi. 410

Audience. 411

A LA REINE {lettre secrète). 414 Négociation du mariage du duc

d'Anjou. Ib.

Mémoire général. 421

Année 157 i

i 53* Dépêche. 6 janvier

AU ROI. ^^^

Nouvelles d'Espagne. ^*-

Mouvemens dans les Pays-Bas

et en Irlande. -427

154* Dépêche. 13 janvier.—

AU ROI. *^^

Affaires d'Ecosse. ^*

Première partie.

Pages

Page» 429

Mission de lord Seyton.

Nouvelles d'Allemagne. 431

A LA RElîVE {lettre secrète). 432

Négociation du mariage. Ib.

155e Dépêche.— iS janvier.—

AU ROI. 433

Audience. '*•

Prise d'armes des Gueux. 437

488

A LA REINE {lettre secrète) . 438

Négociation du mariage. Ib.

lf)6« Dépêche. 23 janvier.

AU ROI. 445

Audience. 444

ALAREllVE {lettre secrète). 447

Négociation du mariage. Ib.

Avis sur les affaires d'Irlande. 450

157« Dépêche. 31 janvier.

AU ROI. Ib.

Fêtes pour le retour d'Elisa- beth à Londres. Ib,

Affaires d'Ecosse. 452

Nouvelles d'Allemagne. 453

A LARE IIVE (Ze«r esc crête). 454

Négociation du mariage. Ib.

158« Dépêche. 6 février.

AU ROI. 457

Nouvelles de Marie Stuart. Ib.

;i;.i!^rl'

Pages Concession de l'Irlande faite par le pape au roi d'Espagne. 458 A LA REINE (/e«>"e secrète). 459 Négociation du mariage. Ib.

Mémoire général. 462

Mémoire secret sur la négocia- tion du mariage. 466 159« Dépêche. 12 février.—

AU ROI. 469

Négociation de Walsingham. Ib.

Affaires d'Irlande. 470

Nouvelles d'Ecosse. 471

160» Dépêche. 17 février.

AU ROI. 473

Affaires d'Ecosse. Ib.

Nouvelles des Pays-Bas. 476

161 ' Dépêche. 23 février. AU ROI. 477

Audience. Ib.

Convocation du parlement. 481

FIN DE LA TABLE DU TROISIEME VOLUME.

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