ies euttethag haces Meats! ‘ial wh Se hae eI, eh nen ret wn =) | New York State College of Agriculture At Cornell University Ithaca, N.Y. Library wa ; Cornell University Library The original of this book is in the Cornell University Library. There are no known copyright restrictions in the United States on the use of the text. http://www. archive.org/details/cu31924000673024 LA BIOLOGIE DES PLANTES R. CHODAT™ PROFESSEUR A L'UNIVERSITE DE GENEVE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE LA BIOLOGIE DES PLANTES LES PLANTES AQUATIQUES ‘GENEVE PARIS | EDITION ATAR EDITION ATAR CORRATERIE, 12 RUE SAINT-DOMINIQUE, 26 IMPRIME EN SUISSE-~ : nd INTRODUCTION ous le nom de plantes aquatiques, je groupe ces S catégories de végétaux qui, de prés ou de loin, vivent de la vie des plantes des eaux douces. En introduisant ici la vie des lichens, dont beau- coup, si ce n'est la plupart, fuient les lieux humides, jai voulu montrer comment les algues, par une association avantageuse, peuvent quitter les milieux aquatiques proprement dits et s’habituer au milieu aérien. C’est ce qu’on verra aussi a propos des Broméliacées qui, pour d’autres raisons, subissent une évolution analogue. Un répertoire systématique a la fin du volume et un index permettront aux personnes qui s’intéressent plus particuliérement 4 la botanique de retrouver les indications relatives aux plantes étudi¢es dans ce volume. PREFACE DE L’AUTEUR be essais biologiques que je présente au public cultivé sont destinés & développer dans les cercles, méme les plus éloignés de la recherche sclentifique proprement dite, UVintérét pour les choses de la Nature. Il ne peut s’agir, ici, de solutions données aux « Enigmes de U Univers». La Science moderne est plus prudente. Si elle connait la force et la valeur de ses méthodes, si elle est fiere de UV euvre enorme accomplie, elle connail encore mieux ses deficits. Elle sait que Science n’est pas synonyme de solution définitive, mais bien plutét ?ambilion de connaitre, de savoir loujours mieux. Le lecteur doit donc sattendre a plus d'une déceplion, en plus de celles que vous laisse, apres lecture, le titre allé- chant Jun ouvrage. Parmi les plus sensibles, pour lui, il y aura sans Joute celle qui résulle de cetle constatation que, malgré la science de leurs Instituts et de leurs laboraloires, les savants sont encore si peu @accord sur les questions fondamentales d'origine et de finalilé. Mais, vi le lecteur veul bien consentir a suivre UVauteur de cet ouvrage dans le détail des faits, il ne pourra »’ empécher J’étre saisi J’admiration devant cette Nature si riche et si accueillante. Si riche, parce que jamais Uinves- ligation scientifique n’épuise le trésor qui est en elle et qui parait grandir a mesure qu'on Uexploite. Si accuetllante, parce que, malgré lout, elle donne a celui qui la consulte plus quwil n’aurau osé espérer. Et si, chemin faisant, le lecteur s’apergoit que lelle théorte qui, bier encore, recueillait tous les suffrages, semble aujourd hut devoir étre défint- livement abandonnée, il n’y verra point, comme on la prétendu, une faillile de la science, mais le triomphe du bon sens sur la superstition. La biologie proprement dite est une science relativement neuve. Trop longtemps ta botanique et la zoologie se sont bornées a établir de com- pendieux catalogues, des systémes habillés dans un apparat bibliogra- phique parfois plus pédant qu ’instruclif. Et cependant, les savants dea XVIF et XVIILF siécles, ALDROVANDI, SPALLANZANI, BONNET, 8 BIOLOGIE DES PLANTES Burron lui méme, étaient déja attenlifs aux faits biologiques, décri- vant avec soin, avec intelligence, les meurs des animaux. Un Rousseau lui ausst, dans ses lettres sur la botanique saisit bien tout Vintérét qu'il ya a suivre. la plante dans ses vicissitudes au milieu de la nalure. Le genevois P. Vaucuer, apres de belles études sur les Conferves, inau- gure la biologie végétale par son Histoire physiologique des plantes P Europe. Mais déja SPRENGEL et KoLRevTER l’avaient précédé en élu- Jiant la biologie des fleurs. Mais c'est a Cécole anglaise du XIX* siecle que nous devons le renouveau de la biologie. DARWIN dans son « Vi oyage autour du Monde», WALLACE en publiant son « Tropical life», Th. Bett avec son « Natu- raliste au Nicaragua» et « last not least», Bates en faisant connai- tre dans deux beaux volumes la vie des plantes et des animaux de U Ama-~ zonte, ont donné une impulsion puissante a ce genre J études. Matheureusement, depuis lors la biologie, dominée par la théorie trop exclusive Ou lLransformisme, a glissé sur la pente fatale de la scolas- lique évolutionniste. Ceci a provoqué une réaction qui se dessine puissante actuellement et gui demande gu’on substitue aux explications finalistes des néo-darwiniens des descriptions -rigoureuses reposant sur la connais- vance mécanique des relations de cause a effet. Toute une branche inté- ressante de la botanique s’est ainsi développée, celle de la morphologie expérimentale, Dans cette derniére, on établit la dépendance de la forme avec le milieu, on montre gue la lumiére, la chaleur et les autres causes physi- ques impriment, chacune pour elle-niéme ou en combinaison les unes avec les autres, un certain facies aux organes, a la plante entiére. Cela est bien et on ne saurait assez expérimenter. Mais il n’en reste pas moins que, pour le’ moment, la description exacte des Jépendances de Vorga- nisme vis-a-vis Ou milieu et Uaction formatrice, morphogene de ce dernier ne permelttent pas de comprendre les faits extrémement nombreux el variés Padaptation ou de structure gui nous paraissenl comme calculés pour altetndre un certain effet. Le naturaliste est donc contraint ou de refuser de voir ces merveilléuses coincidences ou, les constatant, de renoncer pro- visoirement a les expliquer, c’est-a-dire & en donner la causalité. L’auleur du présent ouvrage est bien de cet avis qwune setence saine ne peut accepler comme démontré que’ ce gut peut élre répélé a PREFACE DE L’AUTEUR 9 volonté. Selon lui, le probleme biologique se raméne en derniére analyse & des equations physico-chimiques el doit pouvoir étre décrit dans le lan- gage simple et général de la mathématique. Mais la plupart des faits les plus intéressants de la biologie sont encore trop peu analysés pour poiwoir étre décrits de cette fagon. Alors intervient, a la place d’une explication en termes. de causalité, un exposé qui consiste en Jes compa- raisons de phénomenes complexes, par lesquelles s’établissent les traits communs et les dissemblances. Celle classification devient naturelle si les fails sont décrits en raison e certaines coordonnées que nous. fournis- sent les classificalions systématiques et U évalualion des homologies. Mon- trer, par exemple, que le méme organe dans une série J espéces Ou méme genre est autrement conformé et que les déviations d'un type idéal sont en rapport avec la siluation de.la plante dans le milieu naturel auguel celle: structure semble correspondre, c'est aussi faire Je la science et de la bonne. science. i Eludier successivement, dans leur développement individuel, soil cha- que espéce, soit dans une espéce chaque organe; et reconnaitre entre ces formes, a un moment donné, et les circonstances extérieures une relation définie, c’est aussi de la science. Il serait inutile, dans une introduction comme celle-ci, O’aborder une discussion trop abstraite et Jessayer Je donner méme les ‘rudiments | June théorie générale de la biologie, c’est-a-dire de la conformité de Lorgane a la fonction. Mais; és maintenant, Vauteur se sent pressé de ‘Otre que, pour lui, cette conformité n’est pas toujours visible; elle n’est pas toujours mantfestée par des appareils qui fonctionnent sous nos yeux. Celles des plantes qui paraissent les plus éonnanles sont évidemment celles que nous comprenons le mieux, parce que leur maniére 0’ étre parail plus étroitement, plus visiblement, corréspondre a un genre de vie. Pour me servir d'une analogie, nous saisissons facilement les opé-. tions successives 0’un travail mécanique, adresse Jun artisan, la force Jun manewre, tandis que nous sommes incapables de saisir le méca- — nisme psychologique. qui préside a Uélaboration d'une euvre scientifique ou artistique. Ainsi, beaucoup de végétaux ne paratssent pas, par leur structure extérieure, étre particuliérement adaplés aux circonstances, a lenviron- nement. La concordance est a chercher alors entre des capacités de 10 BIOLOGIE DES PLANTES nature invisible, comme la vigueur,-la résistance aux conditions Jéfavo- rables, c’est-a-dire entre la sensibilité et le milieu. C’est ce que nous verrrons souvent au cours de cel expose. Comme notre but était d’intéresser les esprits cullivés aux choses de la biologie végétale, nous avons, de propos délibéré, laissé Je cété tout ce gui suppose des connaissances trop spécialisées et, en particulier, ce quia rapport a la struclure microscopique Jes appareils compligqués, Mais le . sujel est si vaste que le lecteur ne v'apercevra guére de cette lacune et nous saura gré J avo allégé notre esquif. Je me suis aussi efforcé employer un langage dépourvu J expres, sions trop techniques, de maniére a rendre la lecture de.cet ouvrage plus facile a ceux qut n’ont pas a& leur dispovition cette nomenclature scienti- fique vouvent utile, mais tout aussi souvent inutilement pédante et encom- brante. : Grace a cet artifice, J évite, me semble-t-il, Cécueil de la spéciali- sation et je porte mon effort sur les questions les plus générales. J'ai aussi cherché & ne parler que de phénoménes que fate étudiés moi-méme ou lout au moins de ceux seulement sur lesquels Zi “aie des renseignements Je premiere main, contrélables par moi-méme ou par Vanalogie qu’ils présentent avec d'autres gue Je connats par mee propres fravaux. : Ce faisant, j'ai essayé Je donner a cel ouvrage une saveur originale, ce qui ne veut pas dire que je mésestime les travaux Je mes confréres; Je les ai mis largement a contribution. Mais on ne parle avec aulorilé que des choses qu'on a expérimentées. Je dois des remerciements & Jes confréres ou a des collégues qui onl bien voulu me préter des clichés ou des photographies. Ce sont MM. D' Brun, Prof. Emile Chaix, D° P ischer. infin mes remerciements vont aussi a U Editeur, la Maison Altar, qui n’a rien négligé pour assurer une exécution lypographique soignée. Genéve, octobre 1917. aC PLANCHE | Biot R. GC. det. Algues des Neiges; de la chaine du mont Blanc. Les neiges colorées. (Prancue I.) S singulier que cela puisse paraitre, il y a une flore des neiges comme ‘il y a une flore des prairies, des dunes ou des étangs. Ce sont non pas des plantes que le vent aurait accidentellement transportées sur ce milieu glacé, maisil s’agit réellement de végétaux qui appartiennent en propre a la neige et qu’on chercherait vaine- ment dans d’autres stations. N’allez cependant pas les chercher sur la neige fraiche qui vient de tomber en hiver ; il faut au déve- loppement et a l’accumulation de cette flore la durée, les neiges persistantes. Jusqu’a ces derniéres années on ne connaissait dans nos Alpes que des neiges colorées estivales. Mais voici que pres- que en méme temps sur la neige qui entoure en hiver les lacs de Davos et de Montana (Grisons et Valais), deux stations d’hiver, cn a reconnu la présence, sur de grandes étendues, d’un nouvel organisme des neiges, une algue d’hiver, une gracieuse Péridiniacée le Glenodinium Pascheri. Comment cet: organisme qui apparatt d’une maniére épidémique sur la blanche neige et y produit des taches étendues d’un rouge brique intense a-t-il pu échapper a lobservation des biologistes! On ne va guére en hiver dans les montagnes; les quelques alpinistes, skieurs, sportsmen, qui s’aven- turent dans ces parages en cette saison, ne sont guére préoccupés de scruter les problémes de la nature. Les difficultés d’une course pénible, la nécessité de songer en premiére ligne a se tirer d’af- faire, absorbent toute l’attention. Et puis il semble qu'il faut a V'accumulation de ces micro-organismes, ce qui les rend visible a Veil nu, une intensité et une durée de luminosité qui n’est pas réalisée partout. Les bourrasques de neige fraiche, qui viennent recouvrir l’ancienne neige tass¢e ensevelissent les premiéres ten- tatives d’une multiplication intensive. Plus haut, vers les sommets ot souffle un vent glacé, les conditions de vie pour les plantes des neiges sont rarement réalisées. Si peu exigeantes qu’elles soient, 12 BIOLOGIE DES PLANTES il leur faut l’élément liquide pour se développer. Sans eau, pas de végétation, pas de croissance.) Corpora non agunt nisi soliila, disait un vieil adage de la chimie ef de l’alchimie. Si cela n’est plus vrai aujourd’hui pour beaucoup de réactions chimiques, les corps qui réagissent les uns sur les autres dans les phénoménes chimi- ques de la vie, ne le peuvent en dehors d’un milieu liquide ou imprégné d’eau proprement dite. C’est dire qu’il faut A ces organismes au moins la température de 0’, celle A laquelle fond la neige pure des solitudes glacées de nos montagnes ou des calottes polaires. Or, en hiver, méme dans les stations les plus ensoleillées de nos Alpes (Montana, Davos), la neige ne fond que pendant une partie de la journée ; méme vers le milieu du jour, Pombre de la montagne ou des arbres interrompt cette fusion; la nuit, tout redevient glacé; les plantes microsco- ‘piques sont prises dans les cristaux de glace qui se forment A la surface de la neige en fusion. Pendant longtemps, rien ne viendra trahir le fourmillement des organismes, des infiniment petits qui, disséminés dans la neige, assimilent, respirent et se multiplient. De méme si, par une belle journée d’été, penché’sur la balustrade d’un bateau a vapeur, le fouriste se laisse fasciner par le bleu cristallin et profond d’un de nos lacs, le Léman par exemple, ce qui l’impressionne, |’émeut, c’est la pureté de ces eaux, leur admi- rable transparence. Mais si ses yeux avaient le pouvoir pénétrant et grossissant d’un microscope, il verrait ces eaux constellées d’or- ganismes de toute sorte, comme la vodte du ciel d’une belle nuit est parsemée d’étoiles. ; De méme ici, dans la neige, des germes de vie sont disséminés et n’attendent que l’occasion de se multplier. I] leur faut, comme a toute plante, lumiére, chaleur, nourriture. Dans nos montagnes, Vintensité lumineuse augmente rapidement avec I’altitude; tous ceux gui ont voyagé sur les glaciers des Alpes ont éprouvé |’action intense du soleil qui fendille la peau, aveugle l’imprudent qui ne s’est pas protégé par des enduits isolants ou des lunettes de gla- . cier. Les organismes des neiges ne vont donc pas manquer de lumiére, bien au contraire ; nous verrons méme qu'ils seront forcés de porter, eux aussi, leurs lunettes de glacier. Il leur faut de la chaleur pour effectuer leur travail de synthése, de nutrition végé- LES NEIGES COLOREES 15 tale. Et voici que la neige parait-un milieu peu propice A satisfaire ace besoin. Tout d’abord elle ne peut guére se réchauffer ; aussi longtemps qu'elle n’est pas toute fondue, la température va se maintenir constante, soit A peu prés A o° centigrade. A l’ombre et le soir, elle va se refroidir et se prendre en glace: les cellules végétales seront dés lors emprisonnées dans ce milieu solide, et © leur développement complétement arrété. Elles ne sont pas les seules & supporter ces ‘alternances de gel et de dégel; beaucoup d’algues, de filaments verts, se maintiennent vivants pendant de. longues semaines d’hiver dans la glace de nos étangs. Je me suis souvent amusé & récolter des algues en cassant la glace des étangs;: A peine cette derniére était-elle fondue que l’on voyait ces orga- nismes, qui avaient comme passé par un frigorifique, manifester , leur vie par |’émission d’un grand nombre de cellules propaga- tricés qui nageaient avec rapidité dans ]’eau glacée. A un point de vue cependant, les organismes des neiges, qui appartiennent tous a la classe des Algues, sont vraiment. daris des circonstances particu- litres. Tout leur cycle vital se fait_A une seule et méme tempéra- ture, celle de la neige-fondante, soit o°.. Lorsque baisse la tempé- rature, leur vie est ralentie, suspendue comme celle d’une graine au repos. Ils ont capacité de vie, mais ne vivent plus; ce sont -comme des horloges arrétées, la température de o° remet le balan- cier en mouvement. La plupart des autres plantes ont un domaine thermique beaucoup plus étendu. Le blé germe déja en automne A une température de 5°; il se feuille, talle et croit avantageusement de 6° 4 16°; il ne marit cependant que si ses jeunes épis sont exposés A une température de 20°. Les dattiers cultivés en Provence, 4 Hyéres par exemple, sont. aussi beaux, aussi robustes que leurs congénéres de l’oasis de Biskra, mais ils ne mfrissent pas leurs dattes. Pour cela, il leur faudrait, comme A ceux du désert, le pied dans l’eau et la téte dans le feu. Tout autour de ce glacier et de ces névés, vous voyez ces robustes et pittoresques aroles, ces vigoureux mélézes. Encore robustes végétativement a la limite de la végétation forestiére, ils n’arrivent pas 4 mirir leurs cénes;; les petits patres, qui sont tres friands de leurs amandes, vont les récolter plus bas. 14 . BIOLOGIE DES PLANTES Eh bien, les algues microscopiques des neiges ont un violon bien simplifié pour y jouer leur symphonie vitale; leur unique corde ést accordée 4 une seule température, A une seule hauteur de son, celui de la neige fondante. n Fig 1. — La Soldanelle (Soldanella alpina), plante apt pee croitre et fleurir dans la neige; ‘ ' A droite, tiges fructifiéres A capsules dressées, ouvertes. Dessin de R. G. Sans doute, d’autres plantes, et parmi les plus gracieuses de nos Alpes, commencent 4 germer, a respirer, & pousser 4 une température de 0°; méme ‘plus d’une de ces plantes supérieures, comme les Crocus et les Soldanelles (fig. 1), se frayent un chemin ° dans la neige et parfois balancent leurs corolles au-dessus du névé qu’elles ont percé ; mais toutes nécessitent pour leur fructification.< une température beaucoup plus élevée. _ ? Nos petites algues des neiges se maintiennent donc toute leur vie A une méme température comme ces favorisés de la fortune . LES NEIGES COLOREES 15 qui, l’hiver durant, grace au chauffage central, se sont maintenus dans des appartements A 18° et qui, vers ]’été, ne pouvant régler la température de leurs demeures A cette douce ‘chaleur, vont passer les canicules 4 2000 m., puis reviennent en ville en passant successivement par les stations intermédiaires aménagées pour la ' société 4 température constante. Cela n’est guére varié, mais cela est ainsi pour les algues des neiges. La seule interruption a cette monotonie de température, c’est le frisson nocturne quand elles passent ainsi périodiquement de vie 4 trépas : espéce de mort qu'il faut bien se garder de confondre avec le sommeil. [Comment se nourrissent ces minuscules plantes dans ce milieu qui parait si peu nutritif? Il est aisé de constater que toutes les espéces, méme celles qui paraissent rouges, brunes ou jaune d’or, possédent dans leur cellule de la chlorophylle, le vert des feuilles qui, dans la lumiére, sert A toutes les plantes a extraire, de l’acide carbonique, le carbone nécessaire 4 leur nutrition! C’est 1A un mode de. nutrition général chez toutes les plantes non parasitesJet dont nous aurons 4 parler plus d’une fois. Et, & ce point de vue, les algues des neiges sont’ vraiment favo- risées; l’eau glacée qui circule sur le névé ef dans le grain du névé inondé de lumiére est beaucoup plus nutritive que l’eau chaude de nos étangs. L’acide carbonique de l’air est contenu dans ce milieu dans une proportion 4 peu prés constante, mais eau froide en contient plus que l’eau chaude. Ainsi, 4 5°, il ya deux fois plus de CO: dissous qu’d 20°!. L’oxygéne, qui est néces- saire A l’entretien de la vie, a la respiration, sans laquelle ne peut se faire aucun travail, se dissout aussi en plus grande’ proportion dans |’eau froide que dans l’eau chaude. On est moins rapide- ment asphyxié dans de |’eau glacée que dans de l’eau tempérée. ‘Voici donc deux conditions essentielles de la vie des plantes : nutrition carbonée et respiration, qui sont favorisées dans ‘ce milieu en apparence hostile 4 la vie. La neige, en tombant, a aussi absorbé les poussiéres de l’air et entrainé les combinaisons azotées qui résultent des décharges électriques dans |’atmosphére. ' Elle n’a donc de la pureté que l’apparence ; en réalité, elle est 1 A 5°, un litre d’eau du lac de Genéve contient 7,5 ecm. d’oxygéne et 0,6 ccm. de gaz carbonique, tandis qu’A 20°, ces chiffres sont respectivement 5,7 et 0,3 ccm. 16 BIOLOGIE DES PLANTES souillée d’une quantité considérable d’impuretés. Toute la question est donc d’expliquer comment, A cette température basse, une croissance active, une multiplication rapide est possible. -Y a-t-il, dans cette vie A o°, qui nous donne le frisson, un mystére plus grand et plus insondable que dans notre propre vie 4 36°? Nous bralons le carbone de notre sang et-de nos fissus, sans flamme, par une combustion lente, continue, mais qui, en principe, est du méme ordre que celle du bois dans notre chemi- née ou de l’huile de notre lampe. Seulement, dans ce dernier cas, il nous faut y mettre le feu et le maintenir 4 une température de plus de 250°, tandis que nous brfilons comme.une lampe qui s’allumerait d’elle-m&me, qui prendrait feu spontanément a une température trés basse. Si nous pouvions expliquer notre propre respiration, nous pourrions sans doute dire aussi pourquoi il arrive que d’autres organismes brilent leurs réserves 4 une température encore plus basse. Il ne s’agit pas ici du combustible de ‘respira- tion, qui est essentiellement le méme chez les plantes inférieures, les plantes-feuilles et les animaux. La physiologie nous fait con- naitre ces matiéres qui sont essentiellement les sucres, les fécules, les graisses. Le chimiste, dans son calorimétre, ne peut amorcer ces réactions entre l’oxygéne de l’air et. les sucres et les graisses qu’en chauffant a plus de 300’, l’animal 4 sang chaud y arrive A 36°, la plante verte de 0-40’, l’algue des neiges & 0°. Mais ce qu'il y a de plus curieux dans ce phénoméne, c’est que, a l’inverse des com- bustions chimiques, qui sont progressivement accélérées par ]’élé- vation de température sans qu’on saisisse une limite supérieure, ici, avec ]’élévation de température, le phénoméne de la respira- . tion, qui avait tout d’abord progressé, s’arréte brusquement, et cet arrét correspond non pas comme l’arrét par les températures basses 4 une simple inhibition, 4 un arrét momentané, mais A une altération définitive, irréversible comme l’on dit: l’organisme meurt. Nos expériences nous ont appris que pour la plupart des algues des neiges, pendant leur vie active, une température plus é¢levée que 4° agit comme l'eau bouillante sur les organismes supérieurs. On a souvent pensé que la respiration, qui est essentiellement — une combustion, serait sous le contréle de ferments oxydants, c’est-_ a-dire de substances spécifiques capables de sensibiliser les LES NEIGES COLOREES 17 réactions, d’accélérer la vitesse de ces réactions. Sans nul doute la respiration des animaux comme celle des plantes dépend de ces substances qu'une science moderne a su extraire de beaucoup d’organismes, mais il y a dans le phénoméne si mystérieux de la respiration plus que cela. C’est comme si la nature vivante était Fig. 2. — Solitude neigeuse sur le glacier du Tour (mont Blanc) ; remarquer la teinte 4 gauche. Comparez fig. 7, qui représente les organismes de la neige rouge récoltée en cet endroit. Phot. de R. C. comme un échafaudage instable que la moindre chiquenaude fait effondrer. Nous verrons ce qu'il faut penser de cette hypothese quand nous parlerons des Thermes. Quoi qu'il en soit, la plupart des algues des neiges meurent 4 une température qui est trop basse pour permettre 4 la plupart des végétaux de notre pays d’effectuer leur germination. Il me semble, en écrivant ce prologue, que je fais comme ces jeunes éphébes qui, devant une salle qui attend impatiemment 2 18 . BIOLOGIE DES PLANTES V'exécution d’une comédie de: Moliére ou d’une tragédie de Shakes- peare, lit un savant mémoire sur le théatre francais ou sur | Videntité réelle ou fictive de Bacon et de l’immortel dramaturge. | Le public s’impatiente, il veut voir jouer la piéce et jugera par lui-méme. Eh bien, sans tarder, laissons parler les artistes eux-mémes, montons ensemble de Champex au col des Ecandies. Le chemin qui avait quitté le vallon d’Arpette s’engage maintenant sur les flancs de l’immense moraine du glacier d’Arpette ; évitant les gros blocs vacillants, nous voici arrivés au bas du col, dans une dépression en vaste cuvette; la neige d’aodt a laissé, en s’évapo- rant, quelques tables de glacier. Notre petite caravane, un peu fatiguée, avance lentement. Quelqu’un me fait remarquer, sur la neige ancienne, des taches tout d’abord éparses, comme celles qu’aurait faites un liquide coloré tombant goutte & goutte, puis des espaces continus d’un beau rouge framboise. C’était en 1895; quoique habitué des solitudes glacées de nos Alpes, je n’avais jamais observé de la neige colorée. La premiére impression était que notre caravane avait été précédée par un chasseur ou un braconnier du pays, dont le petit tonneau de vin rouge qu'il a l’habitude de porter A la facon d’une gourde se serait. | vidé peu 4 peu. Il y a une énorme différence A connaitre une chose par les livres ou de la savoir'par l’observation personnelle. Il ne me fallut cependant pas longtemps pour mé convaincre que la coloration n’était pas accidentelle. Trés irréguligrement, cette teinte envahit la neige jusqu’a plusieurs centimétres de profondeur, un peu de la méme maniére que les colonies bactériennes dissé- minges sur un milieu nutritif pénétrent dans la masse ou tendent . a se confondre en se rencontrant dans leur expansion. Si le _ botaniste algologue remplit un des flacons, qu’il porte’ toujours | sur lui, de la masse neigeuse, celle-ci est de l’apparence et de la | consistance d’une glace aux fraises ou parfois, lorsque la concen- tration est plus forte, de la couleur d’une glace aux framboises. Ce n’est qu’exceptionnellement, lorsque les organismes ont pu pendant longtemps se multiplier autour d’un germe initial, que la © couleur devient plus intense, rouge brique. La beauté et l’intensité du phénoméne nous décidérent sur-le- LES NEIGES COLOREES 19 champ d’en faire une étude méthodique, en nous aidant d’un microscope que nous étions allé prendre 4 Champex (1465 m.), alors notre station d’été, et que non sans peine nous avions hissé jusqu’a ces solitudes glacées. Ce n’était certes pas un laboratoire banal, le microscope sur une table de glacier, les hautes parois de la pointe d’Orny et Fig. 3. — Magdalena bay (Spitzberg). Glacier qui seffondre dans la mer ; la surface était couverte de neige rouge. Phot. de A. Brun. celles du Zénépi; en arriére, le flanc de la moraine, devant nous le névé qui grimpait vers la fenétre du col par lequel les derniers rayons du soir venaient éclairer le miroir de mon instru- ment. Plus ému encore par l’inattendue trouvaille que par la solitude sauvage du site, je le fus davantage encore en reconnais- sant dans cette neige rouge, en plus de l’organisme habituel des neiges rouges, plusieurs autres algues qui m’étaient inconnues et dont deux se trouvaient étre nouvelles pour la Science. 20 BIOLOGIE .DES PLANTES Malgré la lumiére qui baissait, je continuais 4 me laisser absor- ber par ces curieuses observations, bien décidé de ne m’en aller qu’a l’extréme limite du jour, lorsque brusquement je fus surpris par un orage avec coups de tonnerre. C’est un phénoméne gran-: diose dans tous pays et A toute altitude, mais combien plus ici dans cette solitude, dans cet espéce de gouffre noir. J’allais me sauver précipitamment et je me préparais a inter- rompre mes observations lorsque je fus interpellé par un gentleman suivi de deux dames qui fuyaient devant la tempéte et qui, dans le brouillard qui nous enveloppait, avaient perdu la direction. Rassuré, il s’approche, s’étonne de ce microscope a cette altitude, a une heure si tardive. I] s’intéresse malgré la pluie qui vient, et depuis lors n’a cessé de correspondre avec l’auteur de ces lignes sur cet intéressant sujet. Tout en descendant, je lui explique ce que je sais et lui-méme, fervent alpiniste, me promet de surveiller les hautes routes des névés et des glaciers, et il a tenu parole, m’envoyant de diverses grandes excursions de la neige rouge ou d’utiles renseignements. Je dois aussi 4 mon savant confrére le volcanologue bien connu, M. Atsert Brun, la connaissance de la neige rouge du Spitzberg, qu'il a bien voulu récolter pour moi (1909). Cette premiére étude, poursuivie pendant plusieurs jours sur place, a été le point de départ d’observations que nous avons continuées pendant plus de vingt ans, dans diverses régions des Alpes suisses et du Jura francais. Enfin, depuis la création d’un laboratoire de biologie alpine au jardin alpin de la Linnaea & Bourg-Saint-Pierre (1700 m.), nous sommes installés pour pouvoir suivre l’évolution de ces micro-organismes de la neige; nous pou- vons facilement nous procurer de la neige rouge dés le mois de juillet, soit des névés de la Chenalette (2.889 m.), soit des amas de neige qui se maintiennent dans le Vallon des Morts, au Grand-Saint-Bernard (2.470 m.). Observée pour la premiére fois par le Genevois H.-B. pz Saussure, qui, sans en connaitre la nature, l’avait nommée, dans son voyage dans les Alpes (1778), terre rouge de la neige, (au Grand-Saint-Bernard), puis par l’expédition arctique, JoHN Ross (1819), la neige rouge est produite par un ensem- ble d’organismes, dont le principal fut successivement considéré comme un champignon par F. Bauer (1819), comme une rouille de LES NEIGES COLOREES 21 la neige (Uredo nivalis), analogue 4 la rouille qui attaque les céréales, puis par le Suédois AGarDH, comme une algue (Protococcus nivalis) formant une fleur de la neige, nommée par le Norvégien SOMMERFELT (1824) Sphaerella nivalis, et Haematococcus nivalis par FLtotow, qui la considérait comme une espéce paralléle de I’ Haematococcus pluvialis des flaques ou des creux humides des rochers de la plaine et de la montagne. Cette derniére espéce (fig. 41) qui appartient a un autre genre n’est pas rare méme dans les régions élevées, mais elle ne s’est jamais rencontrée dans la neige. Dans le massif du mont Blanc, je l’ai vue colorant en rouge l’eau du bénitier du cimetiére d’ Orsiéres et de la chapelle de Ferret, puis plus haut, au-dessus du glacier de Saleinaz, ei — Cellule mobile (200 dans les creux humides des rochers du dune algue unicellulaire, Chiamy domonas. Ff, flagelle (cils) ; s, Stigma Plan Magnin. C’est' un organisme qui ov tache oculaire; n, noyau; p, ré- serve de nourriture. supporte des températures élevées et Gross. 1650 fois. _Dess. de R. C. que nous sommes arrivés 4 cultiver en culture pure dans le laboratoire, ce que nous n’avons jamais pu faire pour l’organisme rouge des neiges. Le nom de cette plante microscopique unicellulaire a donc subi bien des vicissitudes. Cela provient du fait que jusqu’A ma publication en 1896, elle était trés' mal connue. En 1903, mon savant collégue et ami, le professeur Witte de Christiana, reprenant une suggestion que javais faite en 1896, puis en 1902, la place définitivement dans le genre Chlamydomonas (Chlamydo- monas nivalis Ville). C’est que cet organisme unicellulaire, comme ses congénéres est excessivement variable; ellipsotdes ou ovordes, ses cellules, nagent dans la neige fondante au moyen de deux longs cils qui battent sous l’impulsion de deux vacuoles dont les pulsations alternantes rappellent celles d’un coeur en activité (fig. 4). Ces cellules mobiles sont d’ailleurs trés peu actives ; il est difficile de les conserver longtemps dans cet état, sous le 22 BIOLOGIE DES PLANTES microscope, & cause de |’élévation de la température. On appelle chez les algues des cellules semblables zooupores (fig. 4), & cause de leur mobilité, qui rappelle celle des animaux inférieurs. Chaque cellule est ou nue, ou plus souvent enveloppée par une membrane, sorte de sac hyalin, fait d’une gelée plus ou moins épaisse. On trouve de ces cellules de toute grandeur: de 15 », 4 65 » de longueur. Par le gel ou par |’élévation de la température, ces cellules s’enkystent, ou, sans modifier leurs formes ou en s’arron- dissant, prennent alors l’apparence de cellules Protococcus arron- dies, enveloppées par une simple membrane ou protégées par une auréole gélifiée, faite d’emboitements répétés. C’est sous cette forme que les algues de la neige rouge passent par un temps de repos. Leur multiplication se fait a lintérieur de cette vésicule (fg. 5) par une division simple ou répétée, ce qui fournit 2 ou 4 spores. Ces derniéres sont émises par rupture de la vésicule. J'ai observé parfois la sexualité qui, chez ces plus simples des plantes, ne se marque par aucun signe extérieur: deux petites zoospores, c’est-a-dire cellules mobiles ordinaires, mais qui ont perdu la faculté de se développer et de se multiplier par elles- i mémes, s’attirent, s’ap- prochent, se mettent a cheminer de compagnie; on les voit se souder la- téralement et constituer | ainsi une double cellule, qui, pendant un certain temps, chemine avec ses ’ deux paires de cils. Peu a peu, se fait Ia fusion des deux gamétes, ainsi qu’on nomme les cellules sexuelles. Le développe- ment ultérieur n’a pas été suivi. Fig 5.— Organisme (algue) principal de la neige rouge : Ke Chlamydomonas rivalle} 5, 25 26, 9, 14, aes dons Par ces caractéres, le de cellules immobiles ; 2, é, cellules.en voie de mul- Ch i tiplication ; 5, 11, 12, cellulés mobiles (zoospores). lamy Jomonas des aon Gross. 600 fois. Dess.deR.c.. ne différe que par des LES NEIGES COLOREES 23 caracteres secondaires des Chlamydomonas de nos étangs et de nos flaques d’eau. Nous en reparlerons autre part. Mais la neige rouge n’a pas été constatée que dans nos Alpes ot nous l’avons étudiée dans plusieurs stations du massif du Mont-Blanc, au Grand-Saint-Bernard, au col Fenétre, a Mattmark, etc. Au Spitzberg, elle colore d’immenses étendues de neige et y Fig. 6. — Baie de Smeereburg (au Spitzberg). , On voit sur la neige de trés larges taches de neige rouge. Phot. D' A. Brun. est beaucoup plus apparente; on l’a signalée du Groenland sep- tentrional, des montagnes de la Scandinavie, des Carpathes, du Jura, des Hautes Andes de |’Equateur et de la Bolivie, et enfin, de |’Antarctique. Sa couleur rouge est due A une accumulation, plus ou moins forte, d’huile qui tient en dissolution la méme matiére colorante que celle qui donne A la carotte et A la tomate leur vive colora- 24 BIOLOGIE DES PLANTES tion. C’est cette accumulation d’huile rouge qui masque la couleur verte de la cellule. J’ai cultivé dans un «thermos» contenant de la neige les organismes de la neige rouge: la diminution de lumiére améne la disparition de la carotine, et le vert réapparait. C’est A une cause analogue qu’est due chez des plantes supé- rieures la coloration rouge brique des feuilles en hiver. Lorsque, dans les lieux découverts,.par exemple sur les collines pierreuses ou les dunes du bassin moyen du Rhéne, les buis sont exposés pendant plusieurs semaines 4 la vive insolation, leurs feuilles se colorent en rouge vif comme les tomates ; il ne faut pas confondre cette coloration avec la teinte automnale des feuilles qui est due a un autre pigment. La biologie est la science de la vie, elle cherche 4 expliquer les maniéres d’étre des organismes et, selon le point de vue, donne le nom d’explication a des raisonnements de valeur trés différente. Etablir une relation de cause A'effet, par exemple décrire la for- mation de la carotine et de l’huile sous J’influence de conditions extérieures connues, c’est introduire une explicatiom mécanique, c’est expliquer le résultat par l’antécédent. Cela n’est possible que par l’observation et l’expérience. C’est dela science proprement dite. L’autre méthode consiste & se poser. des questions sur le réle et la fonction des organes, des structures. A quoi servent ces parti- cularités morphologiques? On établit la relation qui unit organe et fonction; on remarque que ces organes semblent trés souvent comme calculés pour fonctionner dans un milieu donné qui est justement celui ou vit la plante ou l’animal considéré. I] semble dés lors que l’organisme est conforme au milieu, ce qu’on exprime en disant qu'il est adapté. Comment se sont constituées ces merveilleuses coincidences entre structure et fonction, entre organismes et milieux adéquats, qui parfois semblent calculées, prévues l'une pour |’autre comme la clef pour la serrure? C’est ce qu'il est impossible de dire aujourd’hui, malgré l’effort magnifique de I’école évolutionniste. Toute structure, toute particularité n’est pas nécessairement adaptée. En particulier, on ne voit pas trés bien ce qui, dans la forme du Chlamydomonas nivalis, correspond d’une maniére plus étroite au LES NEIGES COLOREES 25 milieu spécial, la neige. Et cependant, le peu de motilité qu’exhibe cette espéce, comparée a celle de ses congénéres des étangs et des mares, est évidente ; ici le transport 4 grande distance est quasi impossible, la multiplication se fait de proche en proche comme le développement d’une cellule microbienne dans un milieu solide gélatinisé. Dés lors, manquent les cellules migratrices ou, si elles se développent, leur pouvoir de translation est extrémement affaibli. Le mode d’enkystement avec les enveloppes épaisses et gélifiées protége la cellule contre une rapide dessiccation; I’accu- mulation des réserves nutritives, comme dans une semence, assure la possibilité d’une vie ralentie sans qu’intervienne une brusque contraction comme cela arrive dans les organismes délicats ou trés éphéméres des eaux pures. On raconte, mais je n’ai pu m’assurer de ce fait, que les cellules enkystées bourrées de nour- riture de cet organisme des neiges, qui passent par une vie de repos, peuvent, comme les cellules analogues de I’ Haematococcus rouge des pluies, se dessécher complétement et reprendre vie au contact de ]’eau et 4 la température convenable. Quoi qu'il en soit, ces Chlamydomonas ont fait le four du monde emportées avec les poussiéres cosmiques plus facilement que les spores des Fougéres ou que les minuscules semences de certaines plantes supérieures ubiquistes. La migration des organismes de la neige colorée se fait certainement de massif montagneux 4 massif montagneux, de champ de neige & champ de neige, par des pays tout entiers, a des distances incommensurables. Si maintenant je passe a l’origine et au réle de |’hématochrome, comme on appelle l’huile saturée de carotine rouge de ces algues, je constate qu’on peut expérimentalement provoquer |’accumula- tion de ce pigment par l’action des facteurs ‘qui justement sont actifs sur les névés. Tout d’abord par I’intensité lumineuse, puis par l’augmentation de la nutrition hydrocarbonée avec diminution de la respiration. En hiver souvent, dans les feuilles des plantes persistantes, se continue une active nutrition dans la lumiere ; cette nutrition n’étant pas contrebalancée par une respiration — proportionnelle, il en résulte une accumulation considérable de réserves — huileuses ou sucrées — qui favorisent la production de la carotine. 26 BIOLOGIE DES PLANTES Mais, d’autre part, la matiere verte est facilement décolorée par une trop forte intensité lumineuse ; si elle ne peut se régéné- rer, et elle le fait difficillement A basse température, la plante Fig. 7. — Algues des neiges du Mont-Blanc 1, divers états du Chlamydomonas nivalis (neige rouge); 2, Scotrella nivalis (neige jaune); 3, Ancvlonema Nordenskidldii (neige pourpre); 4, Ankistrodesmus (Raphidium) nivalis (neige verte) ; 5, gonidie de lichen ; 6, 7, squelettes de deux Diatomacées. Comparez avec la planche I. Gross. env. 500—800 fois, Dess. de R. C. meurt d’inanition. L’huile fonctionne ici comme écran protecteur, ce qui parait avantageux a cet organisme, exposé directement A la lumiére intense des hauteurs. Mais revenons a la neige rouge du col des Ecandies, qui comprenait, quoique a titre subordonné, trois autres algues qui depuis lors ont été retrouvées un peu partout dans les mémes | LES NEIGES COLOREES 27 conditions. Tout d’abord une Mésoténiacée, A cellules trés simples, cylindriques, disposées en courts boudins bi- ou tricellulaires, de couleur assez singuliére résultant de la combinaison d’un suc coloré par une anthocyane pourpre et du plastide vert (fig. 7, 3). Les cellules vertes des plantes contiennent dans leur plasma ou matiére vivante, des disques, des bandes ou des corps étoilés, eux-mémes vivants et auxquels s’est attaché, comme une teinture se fixe sur un tissu, le pigment vert nommé chlorophylle. Cette derniére substance est insoluble dans l’eau. Les anthocyanes sont au contraire des matiéres colorantes qui jamais ne s’attachent directement 4 la matiére vivante, mais restent en solution dans le suc des plantes. Ainsi le bleu des bleuets, le rouge des pétales de roses, des passeroses, le violet noir des fruits des myrtilles sont * des anthocyanes. : Dans I’ dncylonema (Nordenskidldii), la coloration pourpre livide est justement la combinaison de ces deux sortes de pigments. Cette plante, observée pour la premiére fois par le botaniste de l’expédition suédoise au nord du Groenland, dirigée par Nor- DENSKIOLD, a été surtout étudiée dans la neige du fjord d’Auleitsivi. Elle a été retrouvée plus tard par Norpsrepr (1878) en Scandi- navie, et, depuis lors, par moi dans les nombreuses neiges rouges, que .j’ai eu l'occasion d’étudier, du Mont-Blanc au Mont-Rose. Sur les falaises neigeuses du Groenland, Berccren l’a constatée en telle abondance qu’elle donnait 4 la surface habituellement im- maculée du névé une teinte bien caractéristique d’un pourpre livide (neige brune). Sans y étre commune, |’ dncylonema ne fait pas défaut aux neiges antarctiques. La troisiéme espéce, reconnue par moi dans la neige rouge du col des Ecandies, était nouvelle pour la science ; ses cellules isolées sont bri¢vement fusiformes, munies d’ailes sinueuses longitudinales, dépendances de la membrane, par quoi elle rappellent les états dormants d’une algue habituellement mobile de nos mares, le Ptero- monas alata, Mais, comme dans la neige, on n’a jamais observé comme dans le Chlamydomonas rouge, des états mobiles, M. Fritscu, botaniste 4 Londres, qui a examiné les Algues rapportées de l’ex- pédition du «Scotia», a proposé pour ces formes le nom générique de Scotiella, ce qui a pour conséquence de désigner notre plante 28 BIOLOGIE DES PLANTES sous le nom de Scotiella nivalis (fig. 7, 2). Cet organisme cache ordi- ; nairement son corps vert sous une forte accumulation d’huile colorée ; en jaune d’or par une substance analogue sinon identique 4 celle: qui produit en automne la coloration jaune dorée des feuilles avant. leur chute. Je l’ai observé sans exception dans toutes les neiges | rouges et surtout dans les neiges noires de nos Alpes et du Jura. Je l’ai trouvé encore plus abondant dans la neige rouge du Spitz- berg. Frirscu, et presque en méme temps GalIN, en ont rencontré ; dans les neiges colorées de |’Antarctide, étudiées A l'occasion des . expéditions polaires du «Scotia » (1902-1904) ou du « Pourquoi - pas?» (1908-1910). Mais, tandis que dans nos Alpes suisses je n’ai su reconnaitre qu’une seule espéce de Scotiella, ces auteurs décri-’ rent pour les neiges des tles Orcades du sud et des iles Argentines, Shetlands du sud, Terre de Graham, etc., en plus du Pteromonas nivalis, deux Scoliella voisins: Scotiella antarclica, S. polyptera, . espéces analogues, qui différent les unes des autres par des carac- teres tirés de la forme et de la dimension des cellules. Jamais dans nos montagnes les Scoliella ne s’accumulent assez et ne sont assez exclusifs pour arriver a produire 4 la superficie de la neige une teinte jaune caractéristique; au contraire, aux Orcades du Sud, le naturaliste R. Brown, du « Scotia», a observé un nouveau type de neige coloré, la neige jaune. Cette derniére, quand elle est éclairée, est d’un jaune brillant pAle ; selon ce méme observa- teur, neige rouge et neige jaune sont souvent bien distinctes dans ces parages. Les mémes causes ne produisent pas toujours les mémes effets: la concentration de l’acide carbonique, la diminution de la respira- tion a o° et la forte intensité lumineuse qui aménent chez le Chla-- mydomonas de la neige & la production d’un écran rouge ont ici pour résultat une superbe coloration dorée qui semble, comme le violet pourpre de I’ ducylonema, avoir comme effet de protéger cet organisme contre la lumiére vive qui arrive directement sur la neige. C’est que chaque plante riposte A sa facon, et rien dans sa forme ou dans ses particularités visibles ne nous avertit de sa capacité de réaction. J’ai en culture pure dans mon laboratoire depuis bien des années des organismes unicellulaires arrondis que LES NEIGES COLOREES 29 rien sous le microscope ne distingue les uns des autres ; mais vis- a-vis de la concentration de la nourriture et de l’intensité lumi- neuse, chacun réagissant a sa facon, par leur accumulation sur les milieux artificiels, les uns forment des disques verts, les autres Fig. 8. — Touristes sur le glacier du Tour, qui ont protégé leurs yeux fee des lunettes noires et leur visage par un voile. Phot. R. C. des disques rouge brique et, enfin, d’autres prennent une vive coloration jaune. Vous avez sans doute fait, en compagnie de charmants amis et de guides éprouvés, de grandes courses de neige et de glacier. Les uns supportent l’extréme sécheresse de l’air et |’intensité lumineuse sans avoir recours 4 la protection des lunettes enfumées, les autres, au contraire, méme protégés par un enduit noiratre, ren- trent de la montagne avec un teint de homard ébouillanté. De méme, il existe dans la neige plusieurs organismes qu'on ne trouve que la et qui cependant semblent ne pas avoir a lutter 30 BIOLOGIE DES PLANTES contre une trop vive lumiére, ce qui améne habituellement a la destruction de la chlorophylle ; il y a des plantes de soleil et des plantes d’ombre également vertes, des fougéres qui, non proté- gées par des buissons ou la forét, blanchissent, s’étiolent, et d’au- tres, plus rares il est vrai, qui bravent la lumiére directe. Les organismes de la neige verte sont formés de cellules en batonnet. Le Raphidium des neiges (.dnkistrodesmus nivalis) ne manque jamais au rendez-vous dans la neige rouge des Alpes, mais il n'y est pas abondant (/’g. 9). Seul M. Scuerrret l’a récolté en dehors de nos limites, dans la neige des Carpathes, en com- pagnie du Svotiella nivalis. Fig. 9. — Ankistrodesmus nivalis (Raphidium). Cellules en voie de multiplication ; Gross. 600 —800 fois. neige du Valais. Dess. de R. C. Cette espéce est trés différente du Raphidium Tireti qui, en 1910, formait au glacier d’Argentiéres une neige verte caractéris- tique, qui m’a été communiquée par mon ancien éléve, M. L. Viret, et dans laquelle j’ai reconnu une espéce nouvelle (fig. 10 el 15). Elle était si abondante dans cette station que les Chlamydomonas rouges et les Scoliella jaunes présents n’arrivaient pas a éteindre la couleur verte du Raphidium. Ce type n’a, depuis lors, jamais été retrouvé, et cependant il est si caractéristique qu'il ne peut étre confondy avec aucune espéce voisine. Ceci doit nous avertir du danger qu'il y aurait de croire’que tout a été dit sur ce sujet, et qu'il serait improbable de trouver d’autres types de neige colorée que ceux décrits jusqu’d LES NEIGES COLOREES 31 présent. Aussi est-ce sans trop de surprise que j'ai appris par un beau travail de M. Gain sur les Algues antarctiques que la neige Fig. 10. — Ankistrodesmus Vireti (Raphiditim Vireti); Cellules en voie de multiplication ; aprés une récolte faite au glacier d Argentiéres. toss. 600 fois. ‘ Dess. de R.C. verte de la. cédte ouest de la Terre de Graham était en majeure partie colorée par un Stichococcus, que cet auteur rapporte au Stichococeus bacillaris de Naegeli (fig. 11), mais que, pour ne rien .préjuger, j’appelle Sticho- coccus nivalis. Il est en effet peu probable que l’espéce de la neige antarctique soit la méme que celle qui, sur les écorces humides de nos arbres ou sur les chapeaux subéreux des champignons Polypores, produit la pruine verte bien connue. Enfin, M. de LaceruEM, étudiant la flore des neiges du Pichincha (4787 m.) dans l’Equateur, y a trouvé une nae (a ie 8? & 0 G we @ Fig. 11 — Cellules de V'Algue verte Stichococcus, genre qui est représenté dans la neige verte par le St. nivalis. Gross. 800 fois. Dess. de R. C. 32 BIOLOGIE DES PLANTES algue filamenteuse qui rappelle les Raphidium, le Raphidonema nivale, et SCHERFFEL une espéce voisine dans les mémes stations du Haut-Tatra. Ainsi, dans les Alpes et autre part, la neige colorée constitue une formation biologique bien distincte, A laquelle j’ai donné, en 1902, le nom de eryoplancton. Les organismes qui la composent sont tout a fait spécifiques. On ne les rencontre pas dans les eaux voi- sines, si ce n’est au pourtour immédiat des champs de neige. En outre, il faut remarquer que les organismes végétaux microscopi- ques, variés et nombreux des lacs, mares, marécages et mousses humides des régions haut-alpines, font totalement défaut aux neiges colorées. Et pourtant le groupe des Desmidiées et plus encore celui des Diatomacées sont d’une extréme richesse de formes dans ces hauteurs ; les Diatomacées, si curieuses avec leur enveloppe siliceuse, y sont représentées par des formes géantes aussi variées qu’abondantes. De méme, dans les ‘eaux glacées qui sourdent du glacier, sur les pierres des ruisselets et des ruisseaux, de nombreuses algues bleues et des Flagellées jaune d’or pullulent. Tout un cortége d’al- gues vertes unicellulaires se rencontre dans les marécages des hautes Alpes jusqu’a la limite des neiges éternelles. Ef cepen- dant, aucune de ces espéces si communes ne s’établit A demeure sur la neige voisine, n'y devient prépondérante ou méme ne s'y laisse reconnaitre le plus souvent. S’il fallait énumérer dans la liste des organismes du cryoplanc- ton tous ceux qui accidentellement ont été une fois rencontrés dans la neige, on pourrait, ainsi que l’a fait Wittrock et d’autres, allonger ce compte. Mais je considére la plupart, sinon la totalité, des especes (autres que celles énumérées tout a l'heure) citées par les auteurs, ou comme incorrectement déterminées, ou ne jouant dans la constitution de cette formation végétale qu’un réle a peine plus important que les écailles des ailes de papillons que le vent a chassées jusque sur les champs de neige, ou que les grains de pollen des coniféres, des aulnes verts ou des rhododen- drons gui se mélent aux poussiéres de toute sorte qui souillent la neige. Il y a lieu de distinguer ici, comme autre part, ce qui est caractéristique, permanent, de ce qui est accidentel. LES NEIGES COLOREES 33 Parmi les causes qui paraissent devoir éloigner de la neige tant d’algues communes dans les eaux et les stations humides du Fig. 12. — Gonidies du Lichen Cladonia furcata. Cellules isolées, agrégées et d'autres produisant des spores. ross. 800 fois. Dess. de R. C. voisinage immédiat des névés, il faut, abstraction faite de l’am- plitude nulle de la température utile, aftirer l’attention sur l’action 34 BIOLOGIE DES PLANTES comburante de la neige au soleil. Cette oxydation se marque partout, dans les dépressions ot s’accumulent les poussiéres, par la carbonisation des débris végétaux tombés sur la neige ou ap- portés par le vent: lichens, débris de feuilles, poussiéres organiques qui, brilés par l’eau oxygénée produite par la vive insolation dans a 13. — Ankistrodesmus Vireti. Cellules arrangées en ¢toile ; du glacier d'Argenti¢res (neige verte). Gross. 600 fois. Dess. de R.C. Yair sec du névé ou du glacier et sous l’influence des catalyseurs présents (matiéres minérales et organiques), contribuent, avec les débris des roches, 4 donner la couleur caractéristique de la neige noire. On trouve presque toujours dans la neige colorée, et aussi dans la neige noire, des cellules vertes arrondies, des gonidies de lichens (fig. 12), ces petites algues nourriciéres qu’emprisonne le LES NEIGES COLOREES ‘ 35 lacis d’un champignon; elles proviennent de la désagrégation des lichens des rochers, par l’action successive du gel et du dégel et que le ruissellement a amenés sur le névé. Quelques-unes de ces cellules, qu’on appelle gonidies, reconnaissables A leur plastide étoilé, finissent par prendre, comme les Scotiella, une teinte jaune d’or. Mais malgré l’abondance des lichens saxicoles qui, jusqu’aux sommets les plus élevés, recouvrent les rochers d’une lépre de couleur vari¢e, verte, grise, rouge ou noiratre (4000-4800 m.), la présence de gonidies vivantes dans la neige est tout A fait excep- tionnelle (jig. 12). Ainsi chaque milieu retient, 4 la fagon d’un filtre, les organismes qui lui sont adaptés. Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. On voit dans cet exemple, que j’ai choisi le pre- mier A cause de son extréme simplicité, qu’un méme milieu ne se traduit pas nécessairement chez les divers organismes qui peuvent Vhabiter, par de mémes réactions. Les formes des cellules des micro-organismes de la neige sont celles de leurs congénéres des eaux voisines ; rien dans leur appa- rence ne trahit donc leur capacité de pouvoir vivre dans ce milieu uniforme et si spécialisé. Cela dépend de leur résistance et de leur pouvoir d’effectuer dans des limites si étroites de température toutes leurs fonctions vitales. Dés lors, les uns ne se protégent pas contre la lumiére, les autres, plus sensibles, développent, chacun, selon son type, un écran particulier. Et, chose strprenante, de la cohorte immense des algues uni- cellulaires, qui comprend d’aprés les énumérations les plus modernes des milliers d’espéces, une dizaine seulement, vrais Esquimaux du régne végétal, ont fait de ce linceul blanc une demeure confor- table. Bien plus rapidement que l’ours polaire qui, loin de sa patrie de glace, dans la ménagerie anxieusement se balance cher- chant la fraicheur, les algues des neiges meurent au contact de climats plus doux. ; p 36 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Wittrock, V. B. — Om snéns och isens flora (1883). Cuopat, R. — La flore des neiges des Ecandies. Bull. Herb. Botsster, Geneve IV (1896) 886. — Id. Monographies d’Algues en culture pure, Berne (1913). — Id. Neige verte du glacier d’Argentiéres. Bull. Soc. bot. Genéve, IV" Serie, t. I (1909) 295. Gain, L. — La flore algologique des régions antarctiques, IJ’ Exp. francaise Charcot (1908-1910), avec contributiéns de N. Wille. —— Etudes critiques et experimentales sur le polymorphisme des Algues, Genéve (1g09). — Algues vertes de la Suisse, Berne (1902). — Les neiges colorées, Revue générale des Sciences (1917) janvier. Fritscu, F. E, — Freshwater Algae collected in the South Orkney, Zinn. Soc. Journ. Botany XL (1912) 294. BIOLOGIE DES PLANTES PLANCHE I] R. C. del. 1. Dépots minéraux formés par les « Algues» des thermes au Pare natio- nal américain (Yellowstone) 2. Vasque d'eau chaude tapissée et bordée d’« Algues» de couleurs varices. Les plantes des Thermes. (Piancue II.) N s’est souvent demandé quelles pouvaient bien avoir été les premiéres plantes. L’imagination des naturalistes est souvent désordonnée; spontanée, elle est capable des hypothéses les plus audacieuses. Tour a tour, les protophytes ou premiéres plantes ont: été cherchées parmi les algues, parmi ces unicellulaires ciliés verts et mobiles, qui semblent contenir en eux, sous une forme raccour- cie, A un état condensé, tout ce qui est essentiel chez les plantes. supérieures: la capacité de sé nourrir d’une maniére indépendante, en assimilant par leur chlorophylle l’acide carbonique de l’eau dans laquelle ils effectuent leur. cycle évolutif; le mouvement qui est l'une des manifestations les plus inéquivoques ‘de la vie ; la capacité de se diriger par un ensemble de sensibilités qu’on appelle tactismes ; la présence méme d’un ceil 'rudimentaire dans la tache rouge de leur stigma (fig. 7); des complications sexuelles qui, dans lessentiel, ne le, cédent en rien aux arrangements qui, chez les végétaux supérieurs, assurent la fécondation directe ou croisée; la multiplication par spores, qui est en principe celle de tous les végétaux A partir des mousses jusqu’aux plantes a fleurs et dont’ les spores males bien connues sont les grains de pollen. Dans la cellule méme de ces unicellulaires, il y a souvent plus de compli- cations visibles que dans celles des Phanérogames. Le botaniste saisit bien le lien qui unit ces simples organismes aux étres supérieurs, ce merveilleux enchainement qui se laisse deviner dans la série des végétaux, des algues unicellulaires aux tulipes. Mais cette cellule des Chins oniadds que nous avons figurée est _ déja un microcosme (jig. 7); cela est déja si compliqué que l’esprit critique se refuse A croire que ces étres ont quelque chose de pri- mifif, quelque chose qui ferait penser aux époques lointaines, ou 38 BIOLOGIE DES PLANTES la vapeur d’eau se condensant a la surface de la terre permettait l'apparition de la vie, assurait la possibilité d’une existence. Car tout vit dans l’eau; cela est évident pour les plantes et les ani- maux aquatiques; cela le serait aussi dés qu’on analyserait le fonctionnement des étres terrestres. Leurs cellules vivantes sont des sacs pleins d’eau ou des gouttelettes de plasma imbibées d’eau. Pour étre assimilé, l’acide carbonique de l’air se dissout tout Fig. 14. — Bassins d’eau chaude, aux thermes de Mammoth Hot Springs au Parc national américain « Yellowstone». Température de 74° C. (d’aprés W. H. Weed). Les dépéts de travertins qui forment les parois des bassins sont d’un blanc pur; la ou l’eau est un peu refroidie, les algues prédominent et donnent lieu a des franges brillamment colorées. Phot. Prof. E. Chaix. d’abord dans l'eau de la cellule. Tout le chimisme de la nutrition se fait dans le milieu liquide qui imprégne chaque organe vivant. L’action si importante des ferments solubles, des diastases des pepsines, etc., ne peut s’exercer sans l’interméde de l’eau. La circulation de la séve, du sang et, dans la cellule, le mouvement du plasma, sont parmi les illustrations les plus évidentes de cette vie aquatique. Mais l’eau qui, aux premiers ages du globe se condensait, selon la théorie de Laplace, & la surface de la terre en refroidisse- LES PLANTES DES THERMES . 39 meht, devait étre cependant de l’eau chaude (/ig. 15). Et puisque, quittant le terrain solide de ]’étude ‘de la nature actuelle, nous nous laissons entrainer par dela les milliers de siécles aux Ages héroxques de la création, il nous sera bien permis de nous deman- der si, logiquement, nous pouvons supposer que la vie a commencé Fig. 15. — Solfatare du Papandajan (Java central). Il s’écoule de la solfatare de arate ruis- seaux acides (acide chioriyariquel: Phot. D‘ A. Brun. dans les eaux chaudes. La plupart des végétaux actuels vivent normalement et se développent le mieux entre des températures qui oscillent de 14° a 30’. Sous l’équateur, la température moyenne de la surface de la mer est de 26°,6 (de Martone); elle diminue rapidement avec la profondeur: & 700 m. (1000 m.), la température de 4° est atteinte puis diminue insensiblement vers les grands fonds pour atteindre 0-2’ vers 2000 m. On voit clairement que la chaleur des 40 ‘ BIOLOGIE DES PLANTES mers, en surface, est un effet direct du soleil et que si les fonds ne sont pas complétement refroidis, c’est que depuis des milliers de siécles s’est accumulée cette réserve thermique qui est un des éléments de stabilité du régime de chaleur de la surface terrestre. Le climat tropical humide, de terre ferme, qui correspond au meilleur rendement végétal, par exemple A Batavia, (6°,11 S) est de 25°,9 avec une oscillation de 1°,1 entre le mois le plus chaud et le mois le plus froid. En Amazonie, 4 Manaos, en pleine selve tropicale, la température s’éléve 4 26° avec une oscillation men- -suelle de 1°,6. On connait dans l’Inde des climats moyens de 27°,70 et parfois la végétation doit subir temporairement des températures plus élevées que 50° C. Mais I’altération des fonctions de respiration et d’assimilation, qui est déja évidente pour la plupart des plantes vers 49°, s’aggrave brusquement au-dessus de 50°. A 51° C., le plasma commence a se coaguler et & perdre ses propriétés électives. Ainsi, dans les eaux comme sur la ferre, l’immense majorité des plantes actuelles sont adaptées 4 des températures moyennes. JI en est de méme des animaux. : Dés lors, il devient extrémement improbable que cette végéta- - tion contemporaine soit une partie conservée du monde primitif * des plantes, alors que la terre non encore refroidie permettait aux _ eaux de sa surface d’atteindre la température a laquelle actuelle- ment toutes, sans exception, meurent. Si, cependant, une plante ® actuelle peut, pendant quelques minutes, parfois quelques heures subir, sans dommage irréparable, une température élevée, la pro- longation de cette température au-dessus de |’optimum améne fatalement 4 la désorganisation et A la mort. Or le temps de. cuisson diminue rapidement avec I’élévation de température. Cette température extréme est pour la plupart des plantes feuil- lées de 510 A 55°, Mais voici que nous avons dans les thermes, dans les sources : chaudes un milieu naturel que nous pouvons consulter pour savoir quelles espéces d’organismes peuvent au besoin supporter de pareilles températures et ceci d’une maniére constante. Les thermes les mieux étudiées A ce point de vue sont celles LES PLANTES DES THERMES 41 Fig. 16. — Une vue générale des sources chaudes de Mammoth Spe (Yellowstone) « Pulpit basins»; les dépdts pénétrent dans la forét qui est détruite. hot. Prof. E. Chaix. du Yellowstone, dans le parc national des Etats-Unis. Dans ce paysage volcanique de laves, d’obsidiennes, desquelles jaillissent les fameux geysers, de nombreuses sources thermales, celles des Mammoth Springs par exemple, s’épanchent en formant sur le versant de la montagne des vasques distinctes souvent disposées en hémicycle, desquelles en cascatelles que répetent plus bas les piscines en gradins, l’eau pure et transparente se concrétionne en dentelles calcaires ou siliceuses d’un blanc éclatant, tandis que, tapissant le fond de chaque cuvette, des algues multicolores con- trastent avec le bleu d’acier de l’eau chaude (fig. 21, 22). Ces sources sont ordinairement entourées de bordures de sub- stance minérale déposées par les eaux. Aux sources Mammoth, cette minéralisation consiste en carbonate de calcium qui forme les terrasses, uniques dans leur genre, et les gradins de marbre si célébres. 42 BIOLOGIE DES PLANTES \ Dans les vasques des geysers du méme parc, les-eaux déposent de la silice qui s’organise en bassins givrés ou s’accumule en colon- Koo @3& @) G8 BOiinEp, Ree & a Fig. 17. — Algues bleues des thermes (Cyanophycées) de divers genres: r, Gloeocapsa quater- - nata ; 2, G. thermalis ; 3, G. violacea ; 4, Lyngbya sp ; 5, 6,7, 8, Oscillatoria des eaux chaudes; 11, Spirulina major et S. caldaria. : Gross. 800—1000 fois. Dess. de R. C., d’aprés Tilden. nettes corallotdes ou moniliformes. Tout autour des sources, le sol est couvert d’une espéce de tuf d’un blanc éclatant. ; Ce qu’on sait moins, c’est que ces travertins sont essentielle- ment dus au travail patient d’une végétation particuliére, de ces algues qu’on a souvent appelées algues bleues, mais qui plus exacte- ment doivent s’appeler Schizophycées ou Cyanopbycées.. Ces plantes sont bien réellement les plus inférieures que l’on connaisse: leurs cellules n’ont pas de noyau défini; jamais ces plantes ne se reproduisent par spores; on n'y découvre aucune sexualité, et le mode de multiplication est limité & un fractionne- _ LES PLANTES DES THERMES 45 ment successif des cellules ou des filaments. Toutes possédent de la chlorophylle, mais elle y est toujours masquée par un pigment bleu (phycocyanine) qui peut, selon les circonstances, passer au violet, au pourpre et méme au jaune: De la combinaison du vert de la chlorophylle avec le bleu de la phycocyanine résulte la cou- leur vert-de-gris qui leur est si habituelle, ou la teinte bleu ver- d&tre, ou vert foncé-brunAtre, ou, si le rouge a remplacé le bleu, les divers tons qui vont du livide au pourpre rouge. _ Lorsque meurent ces algues, la chlorophylle est retenue assez longtemps par le cadavre de la cellule, tandis que les pigments accessoires bleus, violets, rouges, pourpres, ‘tous singuli¢rement fluorescents, se répandent tout autour et contribuent 4 donner aux stations ou ces plantes abondent des teintes singuliéres qui pour- raient &tre comparées pour la beauté du coloris avec les couleurs d’aniline, les fuchsines, les fluorescéines, la cyanine. Selon les Fig. 18. — Autres algues bleues des thermes: 12, Schigothrix sp.; 13, Lyngbya thermalis ; 14, Scytonema caldarium ; 16, Hapalosiphon major; 17, Fischerella thermalis ; 18, Nostoc caldarium ; 19, Rivularia sp.; 20, Oscillatoria sancta ; 30, Gloeocapsa thermalis. Gross. 800—1000 fois. Dess. de R. C. 44. ' BIOLOGIE DES PLANTES variations du milieu, lumiére, nourriture, température, la méme plante peut présenter, en vrai caméléon, toutes les couleurs qui vont du rouge au violet. Parfois méme il semble qu'il y ait une espéce d’adaptation complémentaire par laquelle la Cyanophycée se colore de la teinte complémentaire de la lumiére colorée qui latteint. Dans les sources chaudes, comme aussi autre part, ces plantes microscopiques sont enveloppées dans des gaines mucilagineuses qui les retiennent en forme de peaux, de fines membranes, de cylindres ou de vésicules aux contours irréguliers. Plusieurs des formes allongées en filaments manifestent des mouvements pendu- laires, ce qui leur a valu le nom d’ Ovcillatoria; d’autres sont gra- gracieusement spiralées, celles-ci disposées en bouquets, chacune terminge en un long poil incolore; enfin, les plus petites ne sont que des globules verts ou bleus, ou violacés pourpres, enveloppés dans des capsules mucilagineuses souvent trés dilatées. I] faut de suite remarquer qu’aucune de ces formes ne présente vis-a-vis des sources chaudes, vis-a-vis des conditions dans lesquelles elles sont forcées de vivre, un dispositif qui expliquerait pourquoi elles sont la ‘plutét qu’ailleurs. C’est ce que j’ai déji montré A propos des algues de la neige. Des formes analogues de Cyanophycées se rencontrent aussi sur les rochers humides de nos montagnes ou sur les vases d’eau douce ou salée des régions tempérées. La capacité de résister a cette haute température, qui suffit souvent pour cuire un ceuf en quatre ou cing minutes, comme dans les eaux chaudes du Laugarnes, en Islande, ou dans plus d’une source au parc Yellowstone, réside donc dans une propriété de la matiére vivante. Or, il s’agit ici d’une particularité essentielle du plasma qui, dans chaque cellule, forme un sac absolument clos et au travers duquel doivent se faire les échanges nutritifs et les | sécrétions. C’est une espéce de filtre, mais un filtre qui retient certaines substances nécessaires A la croissance et qui laisse passer les matiéres indifférentes ou les solutions nutritives qui sont utiles au développement d'autres cellules, ot elles sont appelées par une espéce d’automatisme social de l’offre et de la demande et qui est réglé par des ruptures d’équilibre. Lorsque, dans une cellule ou une partie de cellule, une matiére premiére, carbone, azote, soufre, LES PLANTES DES THERMES 45 sels, est incorporée 4 la matiére vivante et qu'elle fait maintenant partie de cette mystérieuse molécule complexe, le granule vivant, l’équilibre est rompu et la matiére premiére (acide carbonique, sels q Pp q azotés, matiéres minérales : potasse, soude, fer, etc.), en solution dans ]’eau, coule pour ainsi dire comme |’eau d’un canal, retenue ve - 2 ° par une écluse, s’écoule vers le seuil le plus bas lorsqu’une dif- Fig. 19. — Vue des sources chaudes de Mammoth Springs (Yellowstone). Phot. Prof. E. Chaix. férence de niveau a été établie par cette bascule. Ceci se passe également entre le monde extérieur, entre les solutions de sub- stances minérales, les gaz de nutrition ou de respiration dans lesquels vivent ces plantes ou que les plantes supérieures absorbent par leurs racines et chacune des cellules. Mais tous ces échanges passent par un courtier bénévole ; ils sont soumis au contréle d’un sévére gardien qui est la couche la plus extérieure de ces sacs de plasma. Aussi longtemps que la structure de cette couche, qui peut étre comparée 4 un grillage infiniment délicat, dont les mailles peuvent se dilater ou se con- 46 BIOLOGIE DES PLANTES tracter automatiquement comme se distend et se contracte le muscle de nos organes, reste intacte, ce jeu de portier attentif peut s’exercer; mais un rien ruine cet agencement, cet échafau- dage, ce délicat réseau qui enveloppe la partie vivante de chaque cellule. Sila continuité de ce film délicat est rompue, par la bréche se précipitent sans ordre les substances extérieures dans le plasma vivant et y causent des désordres irréparables. Or, tout aussi souvent, la surveillance du portier étant mise en défaut, Vécluse, qui retenait dans la cellule les matiéres nécessaires 4 la vie, brusquement s’étant relachée, maintenant largement ouverte, laisse écouler 4 l’extérieur ce qui précédemment n’était échangé qu’é bon escient. Nous sommes assez bien informés sur le va-et- vient de ces écluses, sur la dilatation et la contraction de ces mailles hyper-microscopiques, donc directement invisibles (méme au plus fort grossissement du microscope) par une belle série de recherches physiologiques, mais nous le sommes beaucoup moins sur l’humeur variable du portier, qui est parfois déconcertante, comme tout ce qui se rapporte 4 la vie proprement dite. Ce que nous savons, c’est que l’une des propriétés les plus importantes de.ce film de triage, sa nature en réseau, est altérée par les températures auxquelles il n’est pas accordé. Le gel, la production de glace le rompent en plusieurs endroits; la chaleur le coagule comme elle coagule' le blanc d’ceuf; les acides, les poisons font de méme quand ils caillent le lait; parfois un rien, l’air ou l’eau pure arrivant directement le transforment en caillot comme le sang généreux et brillant est coagulé a J’air libre. Or, ce qu'il y a de curieux, c’est que la température de 52°-85° qui infailliblement détruit cette structure chez la plupart des plantes supérieures en activité et coagule leur plasma sans possi- bilité de retour, laisse inaltérée’]’albumine des plantes thermo-: philes, cette espece de blanc d’ceuf dont est formé le film de triage qui enveloppe le plasma de ces algues des sources chaudes. On les a dénombrées, on les a groupées dans une quinzaine de genres de plus de quarante espéces différentes, en especes lhermo- philes, comme on a groupé les espéces de la neige en planles cryo- -philes. Rares sont les représentants d’autres familles qui savent résister A ces hautes températures. Les bactéries thermophiles, LES PLANTES DES THERMES 47 globules ou filaments incolores, encore plus menus que les Cyano- phycées, sont parmi ces organismes en majorité. Dans l’intestin, dans le fumier échauffé, dans le foin qui fermente et qui finit par s’allumer spontanément, on les a rencontrés, étudiés et recensés. Ils sont plus maniables que les délicates algues des thermes et ont été mieux étudiés au point de vue de leur physiologie. Certains d’entre ces micro-organismes (Hapalosiphon major 51°) ne commencent A vivre d’une vie active qu’a partir d’une tempé- rature qui tue les autres organismes. On a donc par la trouvé une méthode qui permet, dans les mélanges, de leur donner le pas, de les sélectionner; il suffit, en effet, de cultiver ces matiéres intesfi- nales, ces débris de fumier, cette infusion de foin 4 une tempéra- ture supérieure (52°). Bientdt tous les autres organismes meurent, survivent les thermophiles, qu’on peut dés lors isoler. De nos algues des thermes, il en est qui, d’une manitre ana- logue, ne se développent qu’au-dessus de 40-45", ce sont les ther- mophiles exclusives. Mais beaucoup supportent aussi des tempéra- tures plus modérées et méme s’y développent tout aussi bien. Il est d’ailleurs difficile d’affirmer que deux Cyanophycées de méme forme et de méme dimension, dont l’une appartient 4 la flore des sources‘chaudes et l'autre a été rencontrée dans des eaux froides ou tempérées, appartiennent A une seule et méme espéce. Le grand nombre d’espéces de bactéries qui, tout en ayant la méme forme et le méme diamétre, sont physiologiquement différentes, absolu- ment distinctes, nous avertit d’étre prudents. Le microscope, aidé du jugement le plus affiné, ne suffit pas, méme au plus exercé des spécialistes, pour décider si deux formes identiques dans leur structure visible sont réellement identiques. J’ai montré de nombreux exemples de cas semblables dans le monde des algues vertes par mes cultures pures. Cela est aussi vrai pour les Cyanophycées, ce groupe de plantes inférieures, qui comprend la majorité des Algues des thermes. Nous savons qu'il est des plantes thermophiles qui peuvent résister aux basses températures et méme s’y développer et sup- porter cependant les eaux presque bouillantes. On pourrait établir un spectre de température pour la végéetation : 48 BIOLOGIE DES PLANTES 10 20 30 40 50, 60 70 80 90 = 1000 . ‘1, Algues des ag ee — 2. Hydrurus. — 3. Soldanelles. — 4. Blé. — 5. Courges. «+. thermophiles. — 7. Algues thermes. — 8. Certaines bactéries de l'intestin. — 9. Bac? thermes. Quelques botanistes ont vu dans les plantes thermophié: végétaux exceptionnels qui se sont progressivement adaptéé . hautés températures. Les autres les considérent comme fijpaqo- dant en ligne directe de ces plantes primitives, témoins et , miers Ages du globe terrestre, alors que les eaux chaudes 4 saient abondantes des terrains éruptifs que la géologie nous connaitre dans tous les continents. Comme de nos jours, dans la région du Vellocstan. Islande, plus de tris kilométres carrés avec plus de 3600™ chaudes et 100 geysers, mais d’une maniére autrement gig:. pendant l’époque primaire de la terre, dans les innor.: sources chaudes alimentées par de gigantesques geysers, nophycées devaient abonder et colorer les abords de ces ° de leurs singuliéres couleurs aux reflets chatoyants. Ce qui vient appuyer aussi cette vue de l’esprit, c’r: ’ toutes ces plantes vivent dans des eaux fortement minéz. ist: chargées de gaz variés. Il y a en effet dans l’eau de Carls’ (73°) plus d’un demi-gramme de matiéres salines ; 4 Louéche, 2 en a que 0,1948. Dans l’eau chaude des geysers du parc nation 4 américain, cette quantité s’éléve de 1,472 gr. 4 1,63 gr. par” 2 d’eau; dans le grand geyser d’'Islande, cette proportion n’est -** moindre. Ajoutez 4 ceci que l’acide carbonique y est habit. ment contenu 4 une dose de 0,1-0,2 pour mille, c’est-A-dirt fois plus qu’il n’y en a dans l’eau du lac de Genéve 415°. Il. y manque ni la potasse, nila magnésie, ni le calcaire si nécessaires au développement des plantes. Seul le phosphore n’y est contena que dans des proportions minimes. LES PLANTES DES THERMES 49 zz _D’une maniére générale, les eaux chaudes sont moins nutritives e les eaux froides, ce qui explique |’énorme développement des ovairies polaires sous-marines. Mais ici la saturation excessive de l’eau thermale par l’acide -arbonique rappelle ce que de tout temps on a considéré comme TOR ig. 20. — Au Parc national américain; dépdéts calcaires de travertins. ‘a db: Comparez avec la planche II. Phot. Prof. E. Chaix. {snore Ecjpable pour l'atmosphére des temps carboniféres, c’est-a-dire ung, plus grande richesse en acide carbonique. 5{{4jnsi, la minéralisation de l’eau et sa température élevée, qui wi ignt des thermes les algues vertes et les végétaux aquatiques _.4j¢pieurs, sont des conditions qui paraissent convenir d’une ma- niére parfaite & ce groupe de plantes trés inférieures. Mais il y a plus! Les Cyanophycées, plus particuli¢rement des thermes et aussi dans d’autres sources, sont aptes 4 favoriser le 4 5o BIOLOGIE DES PLANTES Fig. 21, 22. — Bassins ¢tagés (Marble basins) 4 Mammoth Springs. formés par I'action des Cyanophycées des thermes (dépots calcaires). Phot. Prof. E. Chaix. LES PLANTES DES THERMES 51 dépét de travertins, dont la structure et la stratification sont directement l’ceuvre de ces modestes ouvriers. Sans doute, en dehors de toute action des algues, l’eau chaude Fig. 23. — Rochers crayeux, sculptés par l'action des algues ct des lichens, jointe a l'action érosive du vent. Les Baux, Provence. Phot. R. C. perdant peu A peu son acide carbonique, dépose du carbonate de calcium en masses blanches comme celles qui incrustent nos chau- diéres; mais, dans ces travertins, ils’agit d’une structure qui est im- médiatement dépendante de la présence et de la croissance de chaque espece de Cyanophycées (fig. 21, 22). Quand se dissolvent ces 52 BIOLOGIE DES PLANTES fibres, ces perles, ces apparences corallordes, on trouve au centre le filament de l’algue ou les cellules arrondies de la Glococapsa. D’ailleurs, l’observation microscopique décéle le carbonate de calcium dans le mucus méme qui enveloppe comme d’une gaine les filaments des algues. Si l’eau cesse d’arriver 4 ces travertins en voie de croissance, Fig. 24. — Desagrégation (carie) des rochers des Baux (Provence), due, au moins en partie, a Vaction ‘des algues et des lichens. Phot R.C les plantes meurent, le vert se change en brun puis en rose chair, et finalement la teinte devient saumon. Mais au bout d’un certain temps toute couleur a disparu, et de la croissance gélatineuse de ces Cyanophycées il ne reste plus qu'un dépdt crayeux, poreux et tendre. Ainsi parfois aux sources « Mammoth ». Les travertins déposés en majeure partie par ]’action des végé- taux aux sources chaudes Mammoth sont souvent en forme d’éven- ‘LES PLANTES DES THERMES 53 tail, formés de fibres et d’excroissances en chou frisé, rappelant certains ouvrages d’argenterie filigranés (PI. II).'. Avec le temps, la couleur des travertins morts, qui est blanche, passe A la surface A un gris de pierre vieillie. Par la pluie, la neige et les infiltrations, les travertins prennent de la compacité et de ’homogénéité. Tout ceci n’est donc plus attribuable a I’ac- 2 wor” ery Y He a a Tm l]) aa a Fr ae aa BI, inn pyeyy ss 4s ait aad PAM ey Hig 25, 26. — Diatomées fossiles. On voit Yenveloppe siliceuse de la cellule, ornementée de essins en relief. : Gross. 450 fois. tion des ,végétaux. Ce sont des phénoménes purement cosmiques. Le plus souvent, dans les innombrables thermes au Parc natio- nal américain les dépdts sont de silice. L’eau des cuvettes y est — “toujours d’une extréme transparence et d’un bleu-vert admirable. L’analyse décéle de la silice et des sels alcalins et alcalino-terreux. On y voit les algues vivre encore 4 la température de 85°C (185°F), mais leur maximum de développement se fait vers’ 60°C 54 E BIOLOGIE DES PLANTES (1 40°F). Leur nature végétale se reconnait.4 la couleur rouge ou brun cuir qui entoure les sources et rappelant la teinte des varechs qu’on trouve autour des cétes-maritimes. Mais, dans les eaux plus ‘chaudes, leur substance gélatineuse dense ressemble plus au car- tilage d’un animal qu’a un produit végétal. Leur couleur est alors brillante, jaune d’or, orangé, rouge, dans les eaux les plus chaudes couleur rose chair ou méme blanche. Lorsque l’eau. est moins chaude, le fond vert émeraude, de la consistance du cuir humide, s’évase en une marge fongoide jaune, vieil or, orangé, puis qui passe par degrés insensibles aux teintes rouge saumon, écarlate, brun cuir ou brun-rouge. Dans ces eaux chaudes se ‘concrétionnent. sous l’influence de ces Cyanophycées des « champignons ».de silice, isolés puis réunis comme se réunissent dans un marécage les touffes serrées des laiches (Carex stricta). Les dépéts: de calcaire ici nene’ aux sources « Mazainach » 76 m., ceux de silice atteignent par place 10 m. d’épaisseur. Il nest donc pas douteux que dans les temps reculés | ot les sources siliceuses et calcaires étaient infiniment plus communes, ‘ ° C > 3 ‘ ‘ , ‘ zi ( 5 } at eC 3 e x Le “y yr 3 f ae 4 ae ie : “ > ee oO ae Re ‘ : _ Fig. 26bis. — Dessins de deux Diatomacées fossiles. Gross. 5oo fois. Ra aprés J. Brun. LES PLANTES DES THERMES 55 “x er ne i ie Fig. 27. — Bassins en réseaux, formés par les travertins calcaires déposés par _l'action des U algues des thermes. Phot. Prof. E. Chaix. a cause de l’action volcanique plus générale, des masses énormes de silice et de carbonate de calcium ont été déposées par des végé- taux, de méme que dans d’autres conditions les coraux, les madré- pores et méme les algues ont constitué des bancs énormes de cal- caire. Les Diatomées, petites plantes unicellulaires, ne font pas défaut aux sources chaudes, mais elles préférent les cuvettes dont leau a été tempérée. Ces Diatomées ont la curieuse propriété d’arréter au passage les plus faibles traces de silice, de s’en for- mer une carapace finement sculptée, aux dessins microscopiques d'une étonnante variété (fig. 25, 26). On sait que des dépéts de silice (Kieselguhr) sont enti¢rement dus a l’activité de ces unicellulaires, mais ils ne jouent dans les sources chaudes qu'un réle subordonné ou nul. Peut-on, dés lors, supposer que les Cyanophycées ont conservé de ces anciens Ages l’habitude de vivre a cette haute température et de végéter dans les-eaux minéralisées. Dans les eaux de nos 56 BIOLOGIE DES PLANTES lacs, beaucoup déposent également des tufs comme au banc du Roc-de-Chére, qu’on voit & 2-3 m. de fond en passant avec le bateau A vapeur devant Talloires, au lac d’Annecy. De méme, dans les lacs verts de Géronte, a Sierre, en Valais, et bien autre part.. Sur les gréves de nos lacs, quelques-unes concrétionnent le calcaire en petits disques, qui ressemblent 4 des coquillages mi- nuscules. C’est ce que nous a appris l'étude de M. Baumann sur le lac de Constance. D’autres vivent dans ies pierres qu’elles carient irréguliére- ment ou pénétrent dans les rochers en facilitant la colonisation des lichens (fig. 23, 24). Plantes des Ages fabuleux, vous étes déjé si anciennes que nous avons plus que de la difficulté & vous faire dire votre secret, celui de vos plus lointaines origines. Isolées dans la Nature actuelle, sans parents rapprochés, vous paraissez étrangéres A la vie géné- rale et cependant elle ne pourrait guére se passer de vous. Premiers pionniers de la végétation avec vos cousines les bac- téries, vous attaquez les rochers, méme les laves, peu aprés la © dénudation d’un pays par une éruption volcanique. Vous préparez le terrain pour une végétation plus complexe. Quelques-unes de vos espéces jouent un réle capital dans la désagrégation des rochers tant calcaires que granitiques. D’autres édifient des bancs minéraux. D’autres produisent des fleurs d’eau étendues ef, enfin, beaucoup se sont associées avec des champignons pour constituer des lichens. D’otu venez-vous? Quels sont les rapports génétiques que vous avez avec les autres plantes? Vous étes d’un monde A part, peut- étre d’un monde précurseur de celui-ci, qui lui, A son tour, a pos- sédé aussi ses familles de plantes, ses espéces, aujourd’hui éteintes dans notre monde trop refroidi. Vous étes peut-étre les fossiles vivants de la grande période volcanique alors que sur toute la terre, fumerolles, mofettes, immenses geysers et cascades bouillonnantes préparaient par leurs incrustations la venue d’un monde nouveau. Peut-étré! Mais au juste qu’en savons-nous? be (Salah ad LES PLANTES DES THERMES 57 BIBLIOGRAPHIE Acarpar. — Flora (1827). Coan, F. — Abbdl. Schles. Gesell. Naturw. (1886). Cuopat, R. — Etudes de biologie lacustre. Bulletin de l’Herbier Boissier, VI (1898). — Principes de botanique, Genéve et Paris, I“, II" et III” éd. Ganpagte): Tue, J. — Minnesota Algae, t (1910). Gomont, M. — Monographie des Oscillatoriées, Aan. Se. natur., 7° série Geol, Baumann, E..— Die Vegetation des Untersees, Ziirich-Stuttgart (1911) 31, fig. 2. Macrertanz, M. — The relation of plant protoplasma to its environment, “in Journ. of the Academy of Natural Science of Philadelpbia (1912). Wesp, W. A. — Formation of travertine and siliceous sinter by the vegetation of hot . springs, U. S. Geolog. Survey, IX" Report (2887-88). Blunuuin ves FLANiBS PLANCHE II] R.C. del. Au Grand St. Bernard, Coloration des rochers par le lichen RHIZO- CARPON GEOGRAPHICUM, 2. Toil a’un village de montagne doni les schistes (ardoises) sont couverts du lichen PLACODIT'M MURORUM et P. ELEGANS. Une audacieuse entreprise. (Prancues III et IV.) N conte du vieux Japon contient Vhistoire suivante : Un jour, le roi des Dragons, qui jusqu’alors était resté garcon, se mit dans la téte de se marier. Sa fiancée était une petite dragonne Agée de seize ans juste, assez gentille, tranquille, et: bien faite pour étre la femme d’un roi. Les réjouissances furent grandes en cette occasion. Mais, hélas! méme les dragons ont leurs épreuves; avant qu’un mois se fat écoulé, la jeune reine tomba malade. Les doc- teurs..... Enfin ils hochérent la téte et déclarérent qu’il n Pa avait rien A faire. La maladie devait suivre son cours, et la reine en mourrait. Mais celle-ci dit A son mari : — Je sais ce qui peut me sauver; donnez-moi le: foie d’un singe vivant ; quand je l’aurai mangé, je serai de nouveau et de suite en bonne santé. o” — Le foie d’un singe vivant! s neva le roi; mais 4 quoi pensez- | vous, ma chére? Comment! Vous oubliez que nous, Oragons, nous vivons dans la mer, tandis que les singes vivent bien loin dict, dans les arbres des foréts, dans les rochers, sur terre. Un foie de singe! Mais, ma chére, vous étes folle! L’histoire raconte ensuite ]’expédition de la méduse, simple et naive, envoyée par le roi pour se procurer le foie d’un singe ; les difficultés de l’entreprise et, finalement, la faillite de ce voyage impossible. L’histoire que je vais raconter est plus ancienne que ce conte du vieux Japon. Iln’y a pas longtemps qu'elle est connue cependant. Dans l’eau, les Algues dont nous avons parlé sont poursuivies par un monde d’ennemis. Je laisse de cété leurs ennemis naturels, les petits herbivores crustacés ou autres petits animaux. On ne plaint guére une antilope qui finit par étre capturée par un lion, mais elle inspire la pitié quand on la voit languir dans la brousse, 60 : BIOLOGIE DES PLANTES attaquée par un microbe, l’astucieux trypanosome qui pullule dans son sang. Chacune de ces Algues a son ennemi particulier, sa maladie microbienne; de délicats mais peu sympathiques Diplozygopsis s’im- plantent sur les gracieuses Astérionelles; des Olpidiopsis (Chytri-~ diacée), s’introduisent dans la superbe cellule du Spirogyra. Tout un cortége de champignons parasites menacent continuellement ces plantes vertes. C’est une mort sans beauté. Je doute fort que ce soit pour ces raisons que plusieurs Algues se sont mis dans... la Fig. 28. — Lichens ou arbuscules appartenant au genre Cladonia; ils vivent sur | humus, le bois pourri ou dans la mousse de la forét. Grandeur naturelle. Dess. de R. C. téte, c’est un peu osé de parler de téte & propos d’algues unicel- lulaires ou microscopiques, disons dans la cellule, le désir de sortir de l’eau et d’aller habiter sur les arbres, dans les rochers, sur la terre. Ce qui est encore plus fou, c’est que dans cette audacieuse expédition elles ont choisi comme compagnons, comme protecteurs, ces champignons redoutables. Mais, qu’on y prenne garde, la nature est complexe, les drames qui s’y passent sont loin de res- sembler dans leur simplicité aux contes du vieux Japon, et nous risquons, en nous aventurant dans cette histoire, avec l’Ame d’une méduse simple et naive, d’en revenir battu A plate couture, ce qui nous fera ressembler a toutes les méduses, qui sont sans os et ne présentent qu'une masse gélatineuse. Le fait est que, depuis Dr Bary, ScHWENDENER et BorneT, UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 61 nous savons que les lichens sont des étres doubles formés de fila- ments de champignons, d’espéces de moisissures, qui emprisonnent des Algues. Ni l’un ni l’autre de ces botanistes n’était lichéno- logue ; ils étaient, comme le disait mon maitre MULLER, d’Argovie, absolument dépourvus de toute compétence en cette branche de | la botanique. La théorie de la double nature des lichens fut donc Aprement combattue par tous les spécialistes, par les meilleurs connaisseurs des lichens. Le Suédois NYLANDER, le Suisse J . Mutter, Allemand Minks, et tant d’autres qui se sont distingués dans ce domaine difficile de la systématique, fous menérent une cam- pagne virulente contre les idées subversives de SCHWENDENER et Borner. Et, pour étre écrites en latin, parfois méme en frés bon latin, ce qui n’est guere l’usage parmi les botanistes qui continuent A se servir pour leurs descriptions de la langue sobre et claire de. ‘Cicéron, ces savantes dissertations d’hommes rompus au métier, d’autorités classées, reconnues, furent impuissantes pour arréter Vhérésie. Aujourd’hui, 4 part M. Exrvinc, personne parmi les botanistes ne renoncerait 4 la théorie de la symbiose, de la vie en commun d’une algue et d’un champignon, pour expliquer la biologie des lichens. Et cependant il y avait, dans l’opposition que faisaient 4 cette nouvelle théorie les mattres de la lichénologie, non pas, comme on la dit trop souvent, une obstination de vieux savants, mais le sentiment trés net que cette histoire était celle de la méduse simple ef naive; qu ’elle était, comme toutes les idées neuves, en partie inexacte, certainement superficielle et mal étayée. ScuwenDEner disait : Il n’y a plus de Lichens ; il serait absurde de conserver ce groupe hétérogene ; qu’on place le champignon parmi ses congénéres, chaque espéce selon ses spores dans le | groupe cormespondant des Champignons; quant aux Algues, elles y sont si peu variées qu’il ne sera pas difficile de les identifier avec des espéces libres déj& connues. Et, en effet, lui-méme et ‘plus tard Borner n’hésitérent pas a considérer les cellules vertes des lichens comme appartenant 4.des algues trés communes dans nos marécages ou nos lieux humides. Mon vénéré maitre Mtitter Argoviensis, comme il aimait a se ~ désigner pour ne pas étre confondu avec d'autres Miiller, bota- 62 BIOLOGIE DES PLANTES nistes aussi, était un savant fort hospitalier. Un jeune botaniste, étranger 4 Genéve, de mes amis, un mycologue, c’est-a-dire un spécialiste dans la science des champignons, étant de passage a Genéve, nous fimes tous deux invités a diner chez Villustre lichénologue. Imprudemment, au dessert, l’autre se mit a parler de la nouvelle théorie, A en exalter les mérites, etc. Cela fit l’effet d’une glace, mais pas d’une glace aux fruits. J’étais consterné, car je savais qu'il fallait parler de ces choses avec ménagements. Dans la soirée, la gaité étant revenue, car Miitter était la bonté méme, l’imprudent mycologue parla de ses ascensions, des lichens qu'il avait, au marteau, détachés du sommet du mont Rose; il serait intéressant d’en connaitre les noms, la station étant peu accessible. On voyait sur la figure classique du lichénologue s’esquisser un sourire narquois. — Mon cher collégue, lui dit-il, vous n’avez guére besoin de moi; vous étes mycologue, vous déterminerez le champignon; votre ami qui est algologue ne refusera pas de vous donner le nom de l’algue. Tous deux nous ffimes interdits, car il nous eft été difficile, comme d’ailleurs 4 tout botaniste, de le faire. Aujourd’hui encore, que tous nous admettons l’idée féconde d’une symbiose, d’une vie en commun d’une Algue et d’un Champignon, nous sommes forcés de reconnaitre que la question n’était pas si simple que se l’imagi- naient les géniaux fondateurs de la théorie de la double nature des Lichens. Parcourez en effet nos montagnes, pénétrez dans les bois, examinez les rochers brilés par le soleil de Provence ou fendillés par le gel des Hautes-Alpes, partout vous rencontrez ces étres singuliers. Intéressants 4 cause de leur double nature, ils ne le sont pas moins par le réle qu’ils jouent dans la constitution du paysage. On me permettra de répéter ce que j’en disais il v a déja longtemps. Ce sont des peintres sans le savoir, et je dois ajouter : ce sont de trés grands peintres que les Lichens. Chacun connait l’importance de la couverture végétale dans la constitution du paysage. La grise garigue de Provence, aride et séche, presque froide méme sous le soleil ardent du Midi, UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 63 cachant mal le sol pierreux et dur, alors méme qu'elle étincelle de mille fleurs, cistes blancs comme des églantiers, ou cistes roses au calice d’argent, genéts et ajoncs comme une pluie d’or répandue sur les épines, romarins et lavandes reflétant le vif azur du ciel dans leurs corolles délicates, la garigue, a l’apogée de sa splen- Fig. 29. — Au sommet du Portalet, dans la chaine du mont Blanc. Désagrégation oe le gel et roches incrustées de lichens noirs ou verts. Phot. R. C. deur n’apparait de loin que comme un vétement de tristesse et de mélancolie. Les landes des collines d’Ecosse et du pays de Galles, dessi- nant, vers le soir, leur profil estompé sur le ciel rosé qui semble continuer la teinte lilacine de leur tapis de bruyére qu’anime la fumée bleudtre du cottage lointain, ont inspiré, au pays classique de l’aquarelle, plus d’un grand artiste. Et, plus prés de nous, lorsque a disparu le dernier des essaims cos- mopolites qui, périodiquement, envahissent,de juilleta mi-septembre, 64 BIOLOGIE DES PLANTES nos plus beaux sites, lorsque cette désharmonie a cessé et que, dans les hauteurs, on ne rencontre plus que l’alpiniste attardé ou, le chasseur de chamois, c’est alors qu'il faut visiter nos belles -montagnes, malgré les jours si courts. Au-dessus de la région des arbres, c’est A ce moment un spec- tacle merveilleux. Du fond des vallées jusqu’au pied des glaciers, quel riche tapis végétal! La prairie alpine, dans sa robe de juin, est moins brillante que la lande alpine en septembre avec ses myrtilles et ses airelles aux tons sivariés. La fratcheur des nuits a fait apparaitre par places des teintes rouges dont la coloration - automnale de nos bois de hétres ne donne qu’une image bien imparfaite. De loin, on dirait un incendie qui gagne le flanc abrupt des monts lorsque, filtrant au travers de la « fenétre» d’un col, la lumiére du couchant vient illuminer ces feuillages rutilants, aviver le vert tendre des jeunes branches, fait vibrer le jaune éteint des saules nains, et dessine une auréole lumineuse tout autour des aigrettes des anémores et des dryades. Mais que serait le paysage sans la présence des lichens, artistes invisibles qui donnent aux sites les plus désolés un charme de cou- leur indéfinissable, qui, de la plaine aux plus hauts sommets, enveloppent de leur réseau toutes les pentes rocheuses et les plus . vives arétes? Prenez cettte pierre {d’un éboulis, examinez-la attentivement. Toute la surface est comme chagrinée, comme saupoudrée d’une efflorescence farineuse. En regardant de prés on apercoit de mul- | tiples petits points noirs, puis, tout autour, des cercles’ ou des rayons a peine indiqués, ici des taches jaunes ou orangées, 1A des enduits bleudtres. Le botaniste, armé d’un verre grossissant, y découvre tout un jardin enraciné dans la pierre et qui la recouvre comme d’une lépre. Un lichénologue y reconnaitrait plusieurs esptces qui empictent les unes sur les autres comme se pénétrent mutuellement les herbes d’un gazon. Nulle part la pierre n’est 4 nu, partout d’invisibles micro-organismes ont sécrété des acides végetaux au moyen desquels ils se sont fait un chemin dans la pierre, calcaire ou granit. Ici, ce sont des lécidies blanches comme la craie, ou noires comme du charbon, IA ce sont des verrucaires, roses comme les pétales d’une églantine, plus loin les thalloydimes UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 65 aux crofites argentées ou carnées, toutes plus ou moins enfouies dans le minéral ou effleurant 4 peine. . Le long des stries sinueuses, oi suinte lentement l’eau du rocher surplombant, ces lichens pulvérulents ou minéralisés font place a d’autres lichens, crofites visqueuses olivAtres ou d’un bleu- noir. Dans les gorges humides des montagnes, la pierre a pris Fig. 30. — Cellules (gonidies) d'une algue unicellulaire (isolée 4 gauche en bas) enserrées par les sucoirs du filament du champignon-lichen. © ; Gross. 1000 fois. Dess. de RC. une curieuse teinte hépatique. Le passant n’y voit que du fer, le botaniste y reconnait encore une végétation, celle d’un des asso- ciés du lichen, une petite algue microscopique, qui s’est échappée de la prison ob maitre lichen la tenait en servitude. Autre part, dans les fissures plus profondes, lorsque les parois se rapprochent et que l’humidité devient plus grande, ali- mentée par la buée blanche du torrent, toute la roche est comme hérissée d’une laine courte et rouge orangé; c’est encore un lichen, mais un lichen en dissociation. 66 BIOLOGIE DES PLANTES Nous savons, en effet, que chaque lichen se compose de deux commensaux. Un lichen est toujours une association, une plante double, la: réunion d’un champignon incolore, par conséquent parasite, et d’une petite algue verte ou colo- rée de diverses maniéres (jig. 30). Tout champignon, quel qu'il soit, étant, en der- « hiére analyse, constitué par un lacis de filaments trés fins, qu’on n’apercoit qu’au microscope, c’est dans ce réseau, dans cette espéce de toile d’araignée déliée, que a le mycélium du lichen retient ‘Nee, Cocegbotnys eu associees i'ués lichens'de captives les petites algues | Gross. 800 fois. ; Dess. de R. C. vertes, bleues ou rouges. Mais qu’on se rassure, ce n’est pas pour les dévorer que le lacis les enveloppe. Bien au contraire, la conservation de ces précieux auxiliaires est pour le lichen la, question importante «to be or not to be». Appliquant contre les cellules de l’algue ses tentacules’ multiples, il saura ne pas abuser de sa puissance, il leur laissera de quoi vivre et se multiplier. Sans doute, presque toute la nourriture est fournie par V'industrieuse plante verte qui sait absorber de l’atmosphére et se les assimiler les matiéres nutritives, mais le lichen n’a-t-il pas construit pour ses ouvriéres de spacieux locaux, bien aérés, ot elles sont 4 l’abri de la sécheresse et des intempéries? En effet, . ces algues microscopiques ne pouvant subsister, laissées A leurs propres forces, que dans des lieux humides, entrainées par le réseau du lichen qui sait pomper et retenir la rosée, protégées contre la sécheresse, elles peuvent ainsi participer A la conquéte ~ du monde par le lichen. Faut-il, dans cette association, ne voir que la domestication de toute une classe par une autre, ou doit-on, au contraire, admirer la sagesse de cette société ot chacun est & sa place, l’algue au UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 67 travail d’assimilation, le champignon-lichen a celui d’expansion, de conquéte et d’organisation? Probléme embarrassant et qui comporte plusieurs solutions, selon le lieu et les circonstances. Le fait est que, lorsque l’humidité augmente, le lichen pourrit et l’algue est rendue 4 la liberté. C’est alors a elle et A elle seule que sont dues les teintes verfes, glauques, brundtres ou rouges des rochers humides et des fissures. Elle devient alors un élément important dans la constitution du coloris du paysage. Ainsi par- fois, le long des torrents alpins, certaines de ces algues, libérées des lichens, colorent fous les blocs de rocher et les galets arron- dis en rouge vif. On dirait qu’ils ont été passés au cinnabre. Elles exhalent un doux parfum de violette qui a valu aux pierres qui en sont couvertes le nom de «Veilchenstein». Mais qu’a la suite d’une crue subite, comme il en arrive souvent au moment de la fonte des neiges, le torrent obstrue son ancien lit et s’en fraye un nouveau, les algues insuffisamment humides se laissent de nouveau envahir par le réseau du champignon-lichen et le lichen se recons- titue sur ces blocs desséchés. Plus haut encore, sur les rocs des plus fiéres cimes, lors- qu’elles sont en partie dégarnies de neige, s’établissent aussi de ces associa- tions passageéres ou permanentes. Vraie toile de Pénélope, la végétation liché- nique enveloppe d’un réseau presque confinu les arétes e nues des rocs les Y plus hardis; elle se fait et se défait sans cesse. En construc- tion pendant labelle Fig. 32. — Gonidies appartenant au genre d’algue verte Cystococ- . 1 cus et vivant en symbiose dans le lichen Cladonia mee saison, quelque Gross. 800 fois. Dess. de R. C. 68 BIOLOGIE DES PLANTES courte qu’elle soit, le lichen, vers l’automne et au printemps, sous V'influence des pluies et des rafales, du gel et du dégel, est détaché | du roc. Ce dernier se fendille et se délite. Il forme alors, ayec d’autres végétaux, sur la neige, cette suie qu'on appelle la neige noire. Car sous l’action comburante du soleil, ces végétaux sont en partie carbonisés. Les petites algues auxquelles conviennent ces conditions s’échappent avec l’eau qui ruisselle. Parfois elles s’accumulent jusqu’a colorer la neige en vert. C’est donc aux lichens qu’est due cette’ admirable patine du . temps, formée de tons atténués, adoucis, et harmonieux, qu’ont prise avec les siécles nos montagnes calcaires ou siliceuses (fig. 29). Lorsque, par hasard, l’exploitation d’une carriére ou le tracé d’un chemin de fer ont éventré les rochers que les lichens ont revétus d’une parure chatoyante et qu’ils ont faconnés par leur lente érosion, toute beauté a disparu. Voyez par exemple au Saint-Bernard, combien serait plus poignante encore la solitude et la désolation de ce site sans arbres si la roche siliceuse n’était pas tout imprégnée de cette lépre jaune et verte, le lichen géographique. Lorsque le -soleil qui des- cend les éclaire, le mont Mort et la Chenalette paraissent comme saupoudrés d’or (planche III"). -Au Bourg-Saint-Piere, en descendant ‘du Saint-Bernard, ce nest certes pas un spectacle banal que celui des toits de schistes qui rutilent au soleil en leur gaie couverture de lichens orangés (planche ITT). Cela rappelle les couleurs analogues que prennent dans les mémes circonstances le sommet des rochers escarpés du col de la Gemmi. Partout ces minuscules végétaux impriment sur la pierre ce _ caracttre de mélancolique beauté qui contribue si fortement A la note dominante du paysage alpestre. Mais, pour le naturaliste, il y a des problémes a résoudre qui sont d’une esthétique supérieure et que l'homme du monde ne fait qu’entreyoir, Suivre pas 4 pas toutes les péripéties de la forma- tion du lichen sur rocher (saxicole). Reconnaitre les organes de reproduction du champignon-lichen, lesquels sont de petits sacs remplis de 8 spores. Voir comment ces spores sont projetés hors des petits tubes qui les contiennent avec la force d’une explosion. nw » UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 69 Reconnaitre qu'il y a un nombre si considérable de lichens que, seuls les spécialistes qui consacrent leur existence 4 ]’étude parti- culiére de ces plantes peuvent a peu prés les connaitre. Con- stater que ces associations ne sont pas quelconques, mais qu'il se fait un choix; les asso- ciés se conviennent ou ont une aversion mutuelle. Découvrir quela morphologie, c’est-a-dire la maniére d’étre des cham- pignons-lichens est toute diffé- rente de celle des champignons parasites. La présence de cel- lules vertes dans leur lacis leur confére des propriétés que ne possédent pas les vrais cham- pignons, étres blafards, tou- jours 4 la recherche d’un héte ou d’une pourriture 4 dévorer, hyéne du régne végétal. Eux, les lichens ont réalisé l'associa- tion de l’aveugle et du paraly- tique. Ils usent de Valgue, mais Fig. 33. — Filaments en chainettes d'un Nostoc, “algue bleue qui entre en symbiose dans les n’en abusent pas. Ils sont aussi, lichens gélatineux. - Gross. 300 fois. vis-a-vis de ces gracieux végé- taux nourriciers dans la situation du patre vis-a-vis du trou- peau, vaches laiti¢res de notre alpin ou rennes du Samoyéde. IL y a en quelque sorte domestication. Le champignon-lichen fournit Yeau et la nourriture minérale contenue dans l'eau. L’algue en retour fabrique, 4 partir de l’acide carbonique de l’atmosphére, le sucre nécessaire & sa propre croissance et un surplus qui est abandonné au champignon-lichen. Faut-il penser que ce surplus est le superflu ou devons-nous supposer que les algues sont en quelque sorte rationnées par I’insatiable lichen? Ce sont des points encore actuellement en discussion. I] va de soi que toute associa- tion, toute société comporte une perte de l’individualité. La coo- 79 BIOLOGIE DES PLANTES pération différe du travail individuel. Ici, comme dans le monde des sociétés, il y a subordination. La question est de savoir si le travail fait A deux ou en société n’aurait pu étre fait par chacun individuellement. Quand il s’agit de lichen, la réponse est aisée. La société, j’allais presque dire la raison sociale champignon-algue, n'est ni algue ni champignon. Ce n’est pas non plus la simple addition des deux, mais c’est un organisme nouveau, a caractére propre, a la fois différent des algues et des champignons, par sa physiologie comme par sa morphologie. Fig. 34. — Sorédies de lichens, c'est-A-dire désagrégation du lichen en petites boules qui com- prennent I'algue-gonidie verte et la petite pelotte formée par les filaments du champignon. Gross. 400 fois. : D’aprés R. Chodat. Il n’y a point de champignons qui vivent sur les rochers, et les algues sont exclues des surfaces desséchées. Les formes prises par les lichens ne se retrouvent ni chez les champignons, ni chez _ les algues. Ainsi l’association consentie ou imposée imprime & la - nouvelle plante, 4 cet étre double, une allure spéciale, qui fait que, sans analyse, le botaniste reconnait immédiatement un lichen d’un champignon. : Mais, dans cette vie en commun, |’un des associés a perdu le pouvoir de vivre seul. Le champignon-lichen, qui a conservé les mémes appareils reproducteurs que ses congénéres les champignons vrais (morilles, pezizes, etc.), ne voit germer ses spores que si elles viennent 4 rencontrer, et le hasard est aveugle, Valgue de UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 71 prédilection, l’algue habituelle sur laquelle puisse s’appliquer le crampon sucoir par lequel débute cette domestication. A défaut d’algue, la spore germe, mais s’arréte dans son développement, méme sur les milieux les plus nutritifs. Et, comme il faut 4 chaque espéce de lichen une catégorie d’algues, les chances de réussir paraissent bien minimes. Cependant, ces’ algues libérées se mul- Fig. 35. — Lichens de divers genres. A, Peltigera, lichen foliacé, dont on voit les fruits en B; C, Solorina ; D, Parmelia sur une écorce ; E, Endocarpon sur rocher (gris souris); F, Ramalina. Grandeur naturelle, , , Dess. de R. C. tiplient avec rapidité. Leur extréme petitesse facilite leur dissé- mination. La plupart supportent la dessiccation si elle s’est faite lentement; elles pourront donc étre emportées comme poussiére et rencontrer sur le roc humide la spore du lichen qui-attend cette occasion avec la résignation fataliste d’un Oriental. Aussi chez beaucoup de lichens voit-on se former des appareils — de dissémination, qu’on appelle sorédies, et qui se présentent a la surface du lichen qu’ils ont crevée comme une farine grossitre que le vent emporte.. Chaque grain est une petite boule formée de 72 BIOLOGIE DES PLANTES quelques filaments du champignon tressés en corbeille et enfermant quelques cellules, parfois une cellule verte appropriée (fig. 34). Visitez les gorges du Trient, sur les parois des falaises abruptes, vous ne manquerez pas de rencontrer d’immenses amas de sorédies vert-de-gris ou jaune doré qui attendent le vent ou le courant qui les emportera. Chaque rocher de nos régions ee est un désert en miniature. Méme lorsque la pluie est abondante, elle n’est pas retenue ; elle humecte a peine la surface lisse du rocher. Prés des glaciers, ou la neige et la glace condensent l’humidité et ou I’air est souvent d’une sécheresse extréme, exposés au soleil d’aoft sur les déserts pierreux, les lichens se desséchent, deviennent friables ; on les réduirait en poussiére entre les doigts. Alors, ils supportent des températures de 50-60°. Sur les rochers des déserts subtro- picaux ils sont de longs mois 4 subir ces températures élevées; leur croissance est alors suspendue, elle ne reprend qu’a la pre- mitre ondée pour s’arréter bientét. Ceci fait que leur croissance est ordinairement lente. Un paysage gaté par l’explosion des rochers met des années regagner sa teinte primitive, des siécles 4 adoucir _ ses arétes, 4 les sculpter artistiquement. I] faut aux lichens des siécles de vie pour effectuer toute leur ceuvre de beauté. Il nous faudrait encore parler de tout ce monde de lichens qui garnissent si gracieusement les branches de nos arbres, qui, sur les troncs lisses des aulnes, tracent comme de petits hiéro- glyphes, pendent en longues chevelures blanches ou noires des rameaux des sapins ou se détachent en jaune d’or del’écorce rouge des mélézes. ; Nous ne devrions pas non plus oublier ceux, plus modestes, qui revétent comme d’une gracieuse dentelle les branches menues des vieux noyers. A la fin de l’hiver, alors que les saules commencent : | a rougir leurs baguettes et que l’herbe desséchée timidement re- verdit, la teinte jaune du lichen du noyer jette dans le paysage délicat une note de lumiére et de gaité qui nous annonce le printemps. On a tenté de s¢parer les deux associés et de: leur imposer une | vie indépendante. Le plus souvent les spores ne germent pas ou, si elles germent, les difficultés de les isoler ne permettent pas de_les UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE ; 73 ' protéger contre les bactéries ou les moisissures habituelles. Dans quelques expériences on est arrivé A les amener jusqu’A la for- mation de tout petits thalles, de petites crofites, mais c’est tout. On n’est, dés lors, pas fondé de dire que ce sont des champignons habituels ; ils sont de la nature morphologique des champignons ; comme eux ils sont formés par des filaments, les hyphes comme on les appelle, mais ils ne peuvent se développer normalement qu’en présence de leur associée, l’algue, la plante qui contient la chlo- rophylle. Et celle-ci! Il est déjA plus facile de Visoler, quoique cette culture aussi nécessite plus de trois mois d’opérations prélimi- naires. Pour aborder et résoudre de pareils sujets, il ne faut pas. étre pressé. J’ai réussi depuis, seul ou avec I’aide de mes collabo- rateurs, A extraire et A cultiver plus de douze gonidies de lichens différents. Jusqu’alors, par l’examen au microscope on n’avait re- connu qu'un petit nombre de formes de gonidies. Parmi les plus habituelles, on cite dans tous les ouvrages les espéces suivantes : Cystococcus humicola, Dactylagoccus, Pleurococcus vulgaris, Sticho- coccus bacillaris, Nostoc. Tous les auteurs modernes, forts de leur jugement exercé au microscope, ne reconnaissaient qu'un petit nombre de ces catégories de cellules vertes. La méme algue aurait la passibilité d’entrér en association avec un grand nombre de formes différentes de cham- pignons-lichens, lesquels s’en serviraient pour leur nutrition 4 la facon du paysan qui trait sa vache. En effet, dans la théorie classique, on suppose que l’algue, assimilant au soleil le carbone de I’air, fabrique du sucre lequel, en excés, est abandonné au: champignon, qui s’en nourrit, tandis qu'il fournit 4 l’algue non seulement ]’eau qu'il sait. puiser dans le sol ou dans l’air humide, mais avec l’eau les sels nécessaires au développement de toutes les plantes vertes. Or, voici que nous avons trouvé que les gonidies des lichens, tout en ayant extérieurement, parfois une 4 une, la méme appa- rence que certaines algues de nos étangs, en différent étonnamment lorsqu’on les cultive comparativement. Les différences qui échap- paient, quand on les observe cellule 4 cellule, se marquent d’une maniére frappante lorsque ces cellules s’étant multipli¢es en for- , 74 BIOLOGIE DES PLANTES mant des tas, c’est-A-dire des espéces de foréts de cellules, on peut évaluer l’apparence de l’ensemble. Chacune de ces gonidies a une maniére a elle de croitre : celle-ci forme des tas vert foncé finement granuleux ; cette autre constitue des croites ridées et visqueuses, une troisiéme prend dans son accumulation l’apparence d’une mire A gros grains arrondis et vert clair, etc. Un enfant les distinguerait au premier coup d’ceil; les individus, c’est-a-dire les cellules isolées, se ressemblent; la société qu’'ils S Ff | Syrah. ASVAN » lad \ i = the ae | ee ee hg 0 \ . Fig. 36. — Gonidies de deux lichens foliacés, Solorina saccata (voyez fig. 35,-C) de la plaine, et Solorina crocea (rouge minimum en dessous) des Hautes-Alpes. Gross. 800 fois. Dess. de R. C. “U forment est totalement différente selon l’origine des individus, mais est toujours réalisée de la méme maniére si on est parti des germes de méme provenance. Or, comme ces tas de cellules ne sont pas des tissus, mais simplement un agrégat de granules, de cellules isolées, il en résulte qu'il peut exister une morphologie sociale comme il existe d’espéce a espéce une morphologie individuelle. On le voit, le microscope est impuissant 4 nous dévoiler tous ces caractéres. Un tas de gravier ressemble a un autre tas de gravier; ici, l’accumulation de particules en apparence identiques aboutit a des apparences tota- lement différentes. Ce n'est pas la moindre des étonnantes parti- cularités des lichens que cette grande diversité des gonidies. Autant UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 75 que nous avons pu le reconnaitre, en particulier dans les genres Cladonia et Solorina, chaque espéce de lichen a sa gonidie propre. Quant 4 la forme du lichen, elle varie d’espéce 4 espéce (fig. 28), de genre & genre, il n’y a que ce trait général que ces champignons- lichens ne ressemblent pas aux champignons proprement dits; tous sont dans leur croissance comme préoccupés de disposer les grains verts, leurs gonidies-algues en une couche qui puisse absorber la lumiére 4 la facon du tissu vert dans le limbe d’une feuille. Cette. couche occupe une zone située un peu au-dessous de la périphérie du lichen qui, par le feutrage de ses filaments, plus dense dans cette région, est comme un épiderme protecteur, une zone limite _ continue. Beaucoup de lichens sont ainsi foliacés (fig. 35); on peut, dés lors, bien affirmer que la morphologie du lichen est dominée par l’influence des cellules vertes. Le tout est un-compromis, une résultante. J’ai montré plus haut que dans leur accumulation en culture, dans le laboratoire, sur des milieux artificiels, chaque gonidie a une morphologie sociale particuliére. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans I’agsociation de deux @tres, de nature dissemblable, les éléments d’une morphologie qui est dans son ex- tréme diversité, cependant spéciale A ce groupe. Ces lichens produisent comme les champignons Ascomycétes, auxquels. ils sont apparentés par leur’mode de reproduction, des spores de diverses catégories. Mais beaucoup d’espéces restent indéfiniment stériles. Je les suspecte méme de produire des spores sans utilité. En effet, la plupart de ces spores ne germent pas. Un trés grand nombre d’entre eux se disséminent par un procédé qui leur permet d’éviter l’aléa de la germination; et, comme pour pou- voir germer et se développer, il leur faut sans doute |’excitation spécifique d’une algue, A laquelle ils sont étroitement adaptés et qu'ils n’ont guéere de chance de rencontrer, ils ont tourné la diffi- culté en fabriquant des propagules (corpuscules propagateurs d’origine non sexuée) de nature double auxquels on a donné le nom de sorédies (jig. 54). La portion, du lichen qui se sorédifie se résout par une des articulations de ses filaments en petits trongons qui, se ramifiant, emprisonnent en une espéce de pilule microscopique les gonidies, spécifiques sans lesquelles le lichen ne peut vivre. Ce faisant, ils 76 BIOLOGIE DES PLANTES se comportent comme ces fourmis tropicales dont l’existence est liée 4 l’établissement de champignonniéres; la reine qui émigre emporte avec elle dans sa bouche un peu du précieux mycete sans lequel aucun établissement, aucune fourmili¢re de cette espéce n'est possible. Voila un instinct bien remarquable chez le champignon-lichen et qui explique que ces végétaux puissent étre si répandus. Quel- ques-uns qui vivent sur les rochers et méme dans les roches grani- tiques les plus dures, granits, gneiss, quartz, ne forment jamais de sorédies, mais en revanche sont fendillés par les alternances de sécheresse et d’humidité, dans les hautes régions par la succession brusque du gel et du dégel. Le vent emporte ces poussiéres qui, de nature double, germent immédiatement si elles tombent sur un milieu propice.. D’aprés Sraut, chez un lichen de rocher, |’ Zadocarpon pusillum, les gonidies entourent les appareils producteurs de spores ; lors- que ces derniéres sont éjaculées, elles emportent avec elles les cel- lules vertes nourriciéres. Le résultat théorique de cette symbiose, c’est, semble-t-il, de permettre a l’algue de quitter le milieu aquatique pour habiter le domaine aérien. On est en droit de supposer que, lorsque les pre- miers lichens s’essayérent A cette symbiose, ce dut étre au bord des cours d’eau ou sur les pierres humides; 14, nous pouvons nous imaginer les algues unicellulaires ou des nostocs (jig. 55) s'es- sayant peu a peu a la vie terrestre, rencontrant des champignons qui, indifférents d’abord, finissent par saisir l'intérét qu’ils ont a se servir de ces gonidies vertes, vraies nourrices, qui ne demandent qu’a faire une «ballade» dans le monde. Mais, comme toujours, notre imagination est trop pauvre; elle revient inconsciemment aux mémes clichés. Voulons-nous l’enrichir, allons puiser A la source méme de I’inépuisable richesse : A la nature elle-méme. Les orga- nismes unicellulaires ont, au contraire des plus compliqués, une distribution géographique immense. Nous avons vu les neiges de l’ancien et du nouveau Monde, de la calotte arctique et de I’ Inlandsis antarctique, habitées par les mémes plantes inférieures proto- phytes, les étangs du Bengale, du Cordofan avoir, en commun avec UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE : 77 les mares du Saléve, en Savoie, un grand nombre de Protococca~ cées vertes. A l’état de spores, a l'état de cellules dormantes, ces minuscules algues desséchées supportent des déplacements énormes. Emportées avec la poussiére cosmique, elles font le tour du monde. On voit aux Canaries la céte orientale de Lanzarote et Fuerte- ventura couverte jusqu’au sommet des montagnes par le sable blanc que le vent de l’est apporte du désert africain, 4 travers une mer large de 75 milles, ce qui équivaut a 135 kilométres. Les spores des algues unicellulaires sont cent fois plus légéres que Fig. 37. — Gonidie du lichen épiphylle qui vit sur les feuilles.du buis; cette gonidie (algue verte) vit aussi a l'état isolé, en liberté. On Vappelle Phycopeltis epiphytica. ae Gross. 420 fois. D’aprés Millardet. ces grains de sable. A plus forte raison, ces germes sont retenus par toutes les surfaces poreuses, rugueuses. On les voit, par exemple, pulluler sur les champignons subéreux, les Dédales,- les Polypores, dont la consistance d’amadou se préte. 4 la fois 4 pom- per l’humidité et A retenir les poussiéres. Examinez un peu plus loin ces écorces des arbres, & demi pourries, tout au moins fen- dillées: elles sont envahies, comme l’humus de la foré€, par un monde de champignons qui continuent la désagrégation, divisent la matiére végétale et la rendent poreuse. Ce sont la aussi des sta- tions de prédilection pour les poussiéres vertes qui, du cédté de l’ombre, dans le parc humide, ont saupoudré de leur pruine verte le tronc des grands arbres. Regardez sous le microscope cet enduit vert: on y voit au hasard des circonstances se faire des rencontres ; 78 BIOLOGIE DES PLANTES des lichens rudimentaires, des algues libres, des filaments de cham- pignons qui enlacent d’une maniére engageante quelques cellules vertes (fig. 30); mais tout cela n’améne pas a des mariages régu- liers, cela se fait et se défait sans ordre. On peut au moins chez un lichen saisir les débuts de la liché- nisation ; ici elle est, si je peux m’exprimer ainsi, facultative. II s’agit de ces curieux lichens qui ont élu domicile sur les feuilles persistantes (planche IV’) des arbustes du sous-bois des Tropiques. Ces feuilles, comme toutes celles des végétaux toujours verts, sont recouvertes d’une pellicule transparente, qu’il n’est souvent pas difficile d’enlever ; la cuticule — comme I’appellent les bota- nistes — n’est pas un tissu formé de cellules, c’est simplement une espéce de vernis qui, sécrété par la feuille, recouvre toute sa sur- face supérieure. Parfois, elle se fendille, elle se boursoufle, elle se détache en lambeaux; c’est 1A que s’est établie une algue, (fig. 57) d’une forme inusitée. Sa spore, en poussant son tube germinatif, le divise rapidement en deux branches qui s’appliquent contre la sur- face, puis chacune a son tour faisant de méme, il se constitue des éventails qui, en s’étalant A droite et 4 gauche, arrivent a la forme d’un disque rayonné. C’est comme sila plante sentait le substratum auquel elle désire s’attacher et si elle agissait en conséquence. On connait d’autres.organismes ou organes qui font de méme, ainsi ces algues: qui, 4 la face inférieure des grosses feuilles de nénuphar, se collent au mucus de l’épiderme. Dans la mer méme, jai signalé ce phénoméne chez des algues brunes qui s’étalent sur d'autres algues pour s’y cramponner. Des champignons qui vivent sur les feuilles du maté ramifient leurs filaments en disques du méme style (fig. 58). Et pour compléter la démonstration, voici que cette mousse (Hépatique) qui, dans la forét humide, s’est étalée sur les feuilles persistantes, se cramponne par des appa- reils de méme construction. Voici des cas dans lesquels aux mé- mes sollicitations correspondent les mémes réponses : algues ver- tes, algues brunes, champignons, mousses épiphylles, c’est-A-dire vivant sur la surface des feuilles. Les gens prudents disent qu'il y a convergence, c’est-A-dire que des plantes appartenant A des groupes systématiques bien différents, dans les mémes conditions se comportent de méme. Les emballés disent qu’il y a adaptation, UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 79 c’est-A-dire que la plante répond d’une maniére adéquate A son milieu. Les scientifiques expérimentent, ils démontrent que si on cultive ces organismes dans d’autres conditions, ces structures ne se font pas, mais qu’on peut, en leur offrant au lieu de feuilles des plaques de verre, provaquer la formation des disques. Les pre- miers font de la morphologie comparée, les seconds font de la téléo- logie, ils y voient de la finalité; les troisitmes, les expérimenta- Fig. 38. — Disque formé par les filaments du champignon tropical qui vit sur les feuilles du ~ Maté (comparez avec la fig. 37). . D’aprés D' Lendner. teurs, raménent les formes 4 des causes efficientes connues, don- nent la loi mécanique du phénoméne. Mais ni les uns ni les autres ne nous apprennent pourquoi tous les végétaux analogues ne se _.comportent pas de méme. La seule chose certaine, c’est qu'il y a des plantes, petites ou grandes, qui sous l’excitation de causes connues, ici le contact, produisent des disques d’adhésion de la forme décrite. Et ceci explique le mode de vie, justifie la présence de ces plantules sur les feuilles.. Souvent ces algues du genre Phy- copellis ou Cephaleuros se bornent 4 produire des disques verts sous la tuticule des feuilles persistantes du sous-bois tropical. On voit donceque la formation’ de. ces disques n’a rien A voir 80 BIOLOGIE DES PLANTES avec la formation des lichens et que c’est un phénoméne habituel dans ces mémes conditions. C’est sur ces petits disques, tantét de trés bonne heure, tout au début, tantét plus tard, qu’un champi- gnon-lichen fait germer sa spore et étale ses minces filaments. Alors la couleur verte est cachée; les disques blanchdtres ou glauques portent finalement les appareils reproducteurs des lichens, de petites assiettes microscopiques, ici, de couleur jaune, et dans lesquelles sont les sacs sporiféres (asque). Mais la présence de l’associé du champignon, n’a pas changé l’apparence générale, c’est la plante verte qui a imposé sa loi; le lichen, l'association n’a pas, ici, de morphologie 4 elle, elle l’em- prunte 4 la plante verte | Ces lichens Strigula n’étaient, jusqu’en 1912, connus que des foréts tropicales; au cours d'une excursion botanique que je fai- sais avec mes éléves dans une forét d’un type unique en Europe, la forét de buis de Coudrée, au bord du lac de Genéve, je mon- trais A ces jeunes gens, dans la forét sombre et humide, pendant des branches, en longs festons, les guirlandes d’une mousse, le Neckera crispa. : L’obscurité relative, l’humidité, les reflets verts et les guir- landes de mousse, les feuilles persistantes de ‘ces arbres dans notre végétation européenne, tout, faisais-je remarquer, rappelle la forét tropicale ; il n’y manque, disais-je, que les lichens épiphylles (lichen sur les feuilles, de éxt et pbddrov). Au fait, si nous regardions ? Aussitét dit, aussitét fait. Je ne m’attendais guere 4 cette surprise: la, sur presque toutes les feuilles, on voyait, soulevant le cuticule en petits disques vert-de-gris, les Stirigula comme on |’aurait vu dans un sous-bois de Cuba, du Congo ou de |’Amazonie! Une année plus tard, M. ELEnxin ne trouvait-il pas A son tour ce méme lichen sur les feuilles des buis du Caucase (planche [/”) | A quand la découverte chez nous d’un vrai Coenogonium comme ceux que j’eus l'occasion de voir dans les foréts sombres et humides du Paraguay? Celui-ci est tout aussi intéressant : figurez-vous, se détachant des troncs lisses et blancs des Mytacées, des chapeaux minces de la forme de certains Polypores de chez nousy zonés comme le BIOLOGIE DES PLANTES PLANCHE 1V R. C, del. Lichen épiphylle, vivant sur les feuilles du Buis a la forét de Coudrée (Savoie). UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE > 81 Polyporus zonatus ou versicolor, mais toute la texture en était comme celle d’une grossiére toile d’araignée, de couleur verte, portant par-ci par-la les petites écuelles jaunes, appareils reproducteurs du lichen (apothécies). A l’examen, on voit que presque toute la toile est formée par les filaments ramifiés de Valgue, laquelle se comporte dans sa morphologie non en algue, car il n’y en a pas de cette structure, mais comme un champignon 4 chapeau, comme un Polypore. C’est comme si la plante verte s’était substituée 4 un champignon. Sans doute, ici, c'est Valgue qui l'emporte comme masse, mais elle a épousé la forme d’un autre organisme.:Les mi- néralogistes appelleraient ceci une pseudo-morphose : a la place du cristal qui disparait, la substance d’un autre minéral remplit la place, épousant dans sa forme extérieure celle d’un corps étran- ger A sa nature cristalline, a sa symétrie propre. Mais ce sont 1a deux cas extrémes, il faudrait tout autant expliquer la cause de la structure de ces crofites blanches ou roses des Verrucaria pointillés de noir,de nos rochers calcaires, les mo- saiques fendillées, aréolées vertes et noires du lichen géographique qui colore des montagnes entiéres dans nos Alpes granitiques . (planche ITT). Les crottes festonnées des Parmelia (fig. 55, D), les arbuscules des Cladonia (fig. 28). et tant d’autres structures qu’on ne voit que chez les lichens. Dans leur folle entreprise de conquérir le monde, les algues, quittant leur milieu aquatique, ont da se préter 4 bien des compro- mis. Elles se sont répandues, multipli¢es, mais non en véritables conquérants. Trop étrangéres au milieu aérien, elles ont da accep- ter les services du champignon, du parasite, dont elles sont deve- nues le serviteur. Il y a sans doute association, vie en commun, mais la question serait de savoir lequel des deux associés est le - plus favorisé. Or, nous l’avons dit plus haut, il nous est possible, — et nous l’avons fait pour plus de douze espéces, — de cultiver en liberté dans le laboratoire les algues vertes des lichens. Peu- vent-elles d’elles-méme échapper 4 ce servage et, se retirant dans. | de sirs asiles, dans les eaux, vivre d’une vie modeste mais indé- pendante? Elles le peuvent sans doute sectentaleneae: Mais elles portent, comme le chien de la fable, la marque indélébile de la domestication. 6 82 BIOLOGIE DES PLANTES T En lutte pour la place avec leurs congénéres indépendants, elles succombent. Pour autant que nous pouvons en juger aujourd’hui dans la nature avec tous ses aléas, ses risques, la concurrence vitale, elles ne se multiplient qu’en servage, comme beaucoup de nos races cultivées de plantes ou d’animaux domestiques. Trop longtemps les botanistes pressés se sont imaginé que tout avait été dit sur la biologie des lichens, mais plus j’avance dans cette minutieuse étude, plus je m’apercois que dans la symbiose il y a, comme dans tout fait biologique, un grand nombre de variantes. Ainsi, il est certain que beaucoup de lichens peuvent, comme les champignons, par leurs poils absorbants, extraire, de l’humus ou des troncs pourris, une partie de leur nourriture. Alors I’algue tire plus de profits de l’association que le champignon; dans d’autres cas assez nombreux, le champignon finit par digérer les algues qui lui avaient servi de nourrice. Une ingratitude aussi notoire n’est pas isolée dans le régne végétal. On en peut trouver des exemples dans la symbiose des Orchidées avec les champignons ; mais dans ce dernier cas, c’est la plante verte qui digére le parasite. On pourra dés lors juger du nombre considérable de combinai- sons qui ont pu, au cours des siécles, s’établir entre les deux asso- ciés, entre la plante aquatique et le végétal parasite. Le premier a quitté ses habitudes de méduse aquatique, le second n’est habituel- lement plus parasite, il s’est associé avec un végétal vert, et les deux constituent une unité physiologique, en quelque sorte l’association de l’aveugle et du paralytique. Nous ne savons pas quand les lichens apparurent pour la premiére fois, nous ne savons pas méme si de nouveaux lichens peuvent aujourd’hui se former. Nous savons cependant une chose, c’est qu'il y a des lichens de hautes régions, certains méme qui ne vivent que tout prés des neiges éternelles, d’autres qui vivent sur les rochers, en collection d’espéces qui se pénetrent mutuellement, y dessinent des taches de couleurs variées, et qu’on retrouve identiques dans les pays les plus éloignés. II y a les lichens des foréts qui garnissent les troncs et les branches de leurs franges argentées ou de leurs laniéres verdatres, qui pendent des branches en longues chevelures grises ou noir oli- vatre; d’autres qui, sur le tronc pourri, mélent leurs petits buis- sons en forme de coraux, aux mousses et aux myrtilles. D’autres, UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 83 Fig. 38 bis. — Forét de Pins d'Alep dans la région nuageuse de la cordilli¢re de Mallorca, dont les arbres sont couverts de lichens en barbes grises du genre Ramalina (cf. fig. 35 F). Phot. R. C. comme le lichen des rennes ou la «mousse d’Islande» (Celraria tslandica, Cladonia rangiferina), qui, au dessus de la zone des foréts, posés sur le col de l’alpe, se laissent pénétrer par les Azalées et les Lycopodes, en un gazon dur. C’est la Toundra qui, dans les régions arctiques, couvre, au dela ducercle, de grandes étendues, broutées par les rennes. Les sables, les rochers maritimes, ceux des cétes de I’Erythrée ou du Sahara, comme les écorces des arbres de chez nous et de tous les pays, tous hébergent des lichens. Et ce quiil y a d’intéressant dans cette multiplicité des formes, c’est qu’on peut, comme pour les végétaux de nature simple: les algues, les mousses, les champignons, les grouper en classes, en ordres, en familles en genres, en espéces et en variétés. En un mot, dans la classification des lichens, l’association se comporte comme une unité; les espéces voisines par l’apparence sont aussi voisines 84 BIOLOGIE DES PLANTES par leurs gonidies, par leurs spores. S'il y a donc eu évolution, ie lichens ont df; eux aussi, se développer 4 partir de quelques types fondamentaux, en une étonnante multiplicité d’espéces. Plus encore, comme chez les autres plantes, il en est d’ aquatiques, ce sont les plus rares, d’hygrophytes, habitant les marécages et les - tourbiéres, de xérophytes, exposées a la lumiére et A la séche- resse, et qui résistent A la dessiccation. En un mot, aux circons- tances si variées de la nature se sont adaptées des formes de lichens chez lesquels il n’est généralement pas difficile de recon- naitre des structures accordées au milieu. ; Ainsi, le conte japonais est devenu une réalité, la plante aquatique s’est aventurée 4 la conquéte des espaces aériens et, dans cette audacieuse entreprise, avec son associé le champignon- lichen, ils ont. tissé autour du monde inerte et du monde des plantes un réseau délicat, atténuant par leurs teintes fines et variées la couleur ‘crue des rochers nus, garnissant branches. et troncs de dentelles ou d’un semis délicat. Et dans ces vicissitudes com- plexes au cours desquelles la plante double se défait et se refait sans cesse, les deux associés qui la composent ont su progresser de compagnie. sans jamais se confondre. D’ailleurs, toute la vie n’est-elle pas lige A une incessante symbiose. Chaque cellule est comme une association d’un noyau et du protoplasma; dans la multiplication de la cellule, de chaque cellule, chacun des deux occupants conserve son individualité, a ses lois, sa biologie propre; dans le plasma de chaque cellule il y a encore des individualités distinctes qui jamais ne se confondent avec lui, se multiplient indépendamment. Et maintenant, si nous poursuivions notre analyse plus loin, nous trouverions, et on en_ ‘connait, des unités plus petites encore, les microsomes, les chon- | driosomes et peut-étre encore d’autres. Le noyau lui-méme qui, nous apparatt au repos comme une unité, lorsqu’il se divise se révéle comme une association de corpuscules, les chromosomes, dont le nombre est fixe pour chaque espéce. Enfin, la matiére vivante est formée de granules, ceux-ci de molécules chimiques, celles-ci d’atomes et eux aussi sont composés. Il n’y a nulle part l’homogénéité, l’unité. Partout, c’est le com- plexe. Lorsque nous isolons les deux associés du lichen, la vie du UNE AUDACIEUSE ENTREPRISE 85 lichen a disparu, mais nous pouvons ja reconstituer; nous ne savons pas séparer de la cellule le noyau du plasma, sans défruire et la vie de la cellule et celle des composants. Les chromosomes eux-mémes seraient composés de particules, les génes, vrais porteurs des caractéres, dont l’association, la symbiose déterminerait la mosatque des caractéres manifestés! Toute la théorie moderne de l’hérédité repose sur cette notion de la symbiose, c’est-4-dire de l'association, dans le noyau de la cellule, d’unités biologiques indépendantes, dissociables et capables de se grouper A nouveau pour reconstituer V'individu apparent. Mais de cette théorie nous parlerons une autre fois. Cest une idée 4 laquelle l’un de ceux qui ont fait le plus avancer la connaissance de la vie des lichens, le vénérable savant russe Famincin, s'est particuligrement attaché, la symbiose, comme prin- cipe général de vie. Société, solidarité, ceuvres collectives, huma- nité, sont-ce la de vains mots ? 86 BIOLOGIE’ DES PLANTES. BIBLIOGRAPHIE Famintzin et Baranetzki. — Entwicklungsgeschichte der Gonidien’ .. von Physcia '_ parietina. Botanische Zeitung (1867) 186-190. Scuwenpener, S. — Die Algentypen der Flechtengonidien. Bale (1869) 38., : — Ueber die Natur der Flechten, in Verhandlung. der naturforsch. Gesellschaft: der’ Schweiz. Session de Rheinfelden (1867) 88-go. De Bary. — Morphologie und Physiologie der Pilze (1866) 291. Borner, Ed. — Recherches sur les gonidies des lichens. Ann. des Se. dileceln Bang V° série, XVII (1873). * Bonnier, G. — Recherche sur la synthése des lichens. Ann. des Sc. naturelles, vir ‘série, IX (1886), Cuopat, R. — Monographies d’algues en culture pure, Gonidies des lichens. Bere (1913) 185, 207 et 217-234. Leretiizr, A. — Etude de quelques gonidies de ene in ces de Botanic, Genéve (Chodat), IX" série, VII" fasc. Famingin. — Die Symbiose als Mittel der Synthese von Organjsmen. Ber. der deutsch. bot, Gesell, KXX. (1912) 435. Miter, J. — Flora (1872) go-93. Nyanper, F, — Animadversio de theoria gonidiorum algologica. Flora (1870) 52. Etrvinc. —- Untersuchungen iiber die Flechtengonidien. Helsingfors (1913), in Atha, : Societatis scientiarum fennicae XLIV (1913). Minss. — Das Mikrogonidium, cin Beitrag zur Kenntnis dest wahren Wesens der Flechten, Bale-Genéve (1879). (aSnot ua) VETHOUALNAYL 8a] dod jafaunvl ua) §:1Y.)YCA HI avd }11340]09 as satsaid say juop (sivjo4 670.7 ap Soid) ausvjuow ap juasso | RP O°’ A JHONV Td SALNVIq Sad aIOOTOIg Histoire biologique d’un torrent. (Prancites V, VI,VIL, VIII.) i OUS voici & Praz-de-Fort, au pied du Portalet, dans le massif du mont Blanc; le torrent de Saleinaz, qui, descendu des névés, se dégage de la base du glacier, rejoint la Dranse de Ferret en précipitant ses eaux laiteuses de rocher en rocher, limant sans cesse, par le sable fin qu’il met en mouvement, les arétes des gros blocs. Ceux-ci sont &4 ce moment et pour cette cause, au commencement de juillet, d’un granit trés joli, au grain comme celui d’une pierre polie par un artisan. Tout autour, les gros blocs de la berge, moussus en haut, sont garnis, sur les cétés, d’un feutre odorant, parfumé comme un bouquet de violettes (planche V). On les dirait passés au minium, tant leur teinte est vive; mais, a l’exa- men, ce vernis se révéle comme formé par les filaments d’une algue aérienne, le Trentepohblia Jolithus: la pierre au parfum de violette. Parfois l’algue est humectée par la pluie, puis elle se desséche ; par les eaux du torrent, elle est tout 4 coup inondée, puis elle est. de nouveau mise 4 sec; la buée de la cascade vient aussi 4 son tour se méler comme une fumée au parfum qui la trahit. Mais, autre part, vers la forét humide de Champex, sous les, pins de montagne, envahis par la barbe grise des lichens, elle est tout aussi abondante, et si, le matin, par la fraicheur, elle est souvent humectée par la rosée, vers le milieu du jour elle ne craint pas l’ardeur méme du soleil qui la desséche complétement. Protégée contre une lumiére trop vive par son « hématochrome » ou huile rouge, comment fait-elle pour résister 4 ces alternances de sécheresse et d’humidité qui tueraient infailliblement d’autres végétaux? C’est encore 14 une de ces propriétés mystérieuses, qui n’appartiennent qu’A un petit nombre de végétaux, de pouvoir ainsi, aprés dessiccation, reprendre vie par l’humidité, d’étre en un mot reviviscents. 88 BIOLOGIE DES PLANTES ~ Dans l’eau du torrent, la mousse, nommée Fontinalis, qui se laisse entrainer par le courant A cause de la flexibilité de ses tiges et qui paraft si délicate avec ses feuilles transparentes, va, elle aussi, subir, sans qu’elle y soit préparée, la crise de la compléte ‘dessiccation ; ses tiges vont retomber sur la pierre exondée lorsque le niveau baisse et, au soleil, vont se comporter comme celles d'une plante morte de soif. Mais, qu’on attende une pluie nouvelle: qui fera grossir le torrent, et voilA que ce cadavre reprend vie comme par enchantement ; cette mousse gonfle ses tissus, étale ses petites feuilles ef se met A respirer de nouveau. Fig. 39. — Mousse aquatique, Fontinalis. Dess. de R. C, La Nature est un merveilleux laboratoire ; 14 nous pouvons en toute saison trouver de nouveaux problémes. Cependant elle ne .se donne qu’A ceux qui savent lui faire une cour assidue. Rare- ment elle répond aux avances des gens pressés, si cé n’est par son sourire un peu moqueur. Elle est d’ailleurs toujours réservée et ne livre jamais tout son secret. La nature a vraiment |’Ame féminine. Nous avons choisi, en ce mois de juillet, cette retraite ombragée vers le bord du torrent. Rien ne sert de courir si l’on ne sait voir et trouver du nouveau partout. Hier, sous ces sapins,. nous avons observé comment ce curieux champignon, qui sort de’ terre comme un gros ver noir, le Cordicepy, attaque et se nourrit d’un autre champignon tout aussi singulier. Celui-ci a l’air d’une truffe noire et vit, lui, de ’humus de la forét. On est toujours plus ou moins le parasite de quelqu’un. Aujourd’hui, j’observe cette curieuse société qui s’est établie sur ce vieux tronc pourri: des lichens, des mousses, de gluants Myxomycétes; une Orchidée a HISTOIRE BIOLOGIQUE D'UN TORRENT 89 plongé ses racines dans le bois vermoulu par I’action des moisis- sures ; puis c’est un bouqu@t d’airelles dont une partie des branches et des feuilles ont pris une teinte rouge cerise sous |’influence d’un champignon parasite qui excite cette espéce de bruyére A de singuliers déportements. L’histoire d’un tronc pourri! ce sera pour une autre fois. En ce moment, mon attention est attirée par un phénoméne aquatique, et puisqu’on ne progresse qu’en suivant une méthode, hélas! laissons de cdté le tronc pourri et soyons bien sages. Il s’agit en effet de l’histoire du torrent. Voici le cinquiéme jour: de notre villégiature et, jusqu’A présent, je n’avais vu que des pierres polies d’une couleur charmante et uniforme, d’un gris argenté brillant; les paillettes de mica scintillaient au soleil. Aujour- d’hui, changement de décor, toutes les pierres sont jaunes, d’un jaune livide assez peu engageant (planche V.). Au toucher elles sont comme enveloppées par une mucosité. Nous reviendrons les jours suivants et, remontant le ravin jusqu’au glacier, nous verrons que le torrent est comme pris par une épidémie de jaunisse, tandis que, dés le confluent avec la ,Dranse, l’ictére des pierres cesse comme par enchantement. Peu 4 peu, de ce mucus, inondé par l’écume du torrent, se détachent des filaments visqueux brundatres plus ou moins ramifiés qui flottent au hasard, suivant dans leur direction le fil de l’eau, et qui peuvent atteindre jusqu’é 25 cm. de longueur. La plante est connue depuis | longtemps sous le nom de Hydrurus penicillatus, V Hydrure en pinceau ( fig. 0). Autant l’algue 4 parfum de violette est résistante A la sécheresse, aux variations de la température, autant celle-ci est délicate. Si elle n’est constam- ment dans une*eau aérée, si elle vient 4 étre momentanément mise A sec, elle prend une teinte verdAtre et meurt. Pendant tout été, elle persiste dans ce torrent, se renouvelant constamment et sur plusieurs kilométres, en remontant le vallon alpin. C’est en vain qu’on la chercherait dans les ruisseaux qui se jettent en été dans le Léman. Mais en hiver elle apparait avec encore plus d’intensité dans nos cours d’eau de plaine. Mon savant ami M. Camille SauvacEeau Va méme signalée en hiver 1895, dans le Rhéne, A Lyon. Dans notre torrent de Saleinaz, la température ne s’éléve guére pendant les mois d’été au-dessus de 6°,5. Du g juillet au 19 aodt, d’aprés les mesures faites trés soigneusement go BIOLOGIE DES PLANTES et trés régulitrement par une de mes éléves, M” Christin, la — température n’oscille qu’entre 4’,9 et 6,7 C. Pendant la méme_ période, celle de la Dranse de Ferret, dont la source et les glaciers d’alimentation sont plus éloignés, varie de 7° 4 8 C. Tout I’hiver, alors que l’eau est encore plus froide,’]’algue se maintient pour disparaitre au moment de la grande fonte des neiges, moment de la grande débAcle qui nettoie Jes pierres de Fig. 40. — A, apparence des filaments muqueux de V'Hydrurus ; B, un bout de filament vu au microscope ; C, cellule mobile de dissémination (zoospore). Dess. de R. C. toutes leurs impuretés. En poursuivant cette étude, on voit que |’ Hydrure est un végétal qui est tué par une température de 14° C. et au-dessus, ce qui explique son absence dans les ruisseaux de la basse région en été. Cette curieuse plante donne naissance, au moment de sa reproduction, A des cellules mobiles, ou éléments de propagation errants, ciliés, d’une forme singuliére (fig. go, C). Ce sont ces zoospores qui s’attachent a la pierre par leur mucus et | qui, dans cette eau froide, si extraordinairement pure, savent trouver assez de nourriture pour se développer en une véritable épidémie. C’est comme si ces végétaux savaient attirer A eux, hors de l’eau presque pure, les molécules nutritives avec une fou- droyante rapidité, BIOLOGIE DES PLANTES Q PLancuE VI R. C, del. Desmidiées (Algues vertes) d'un marais tourbeux des Alpes (Saas-Fee). HISTOIRE BIOLOGIQUE D’'UN TORRENT ° gl Remontons par une radieuse journée du commencement d’aoiat le ruisselet qui alimente notre torrent. Nous voici, 4.2000 m., devant un petit lac ob viennent s’abreuver les troupeaux ; la sur- face de l’eau en est par places toute verte ou toute rouge. Selon la direction de la lumiére, ces teintes se déplacent. Ici,. sur le bord, on voit, au soleil, hors des ouates vertes qui accompagnent ces efflorescences, se dégager des bulles d’oxygéne. La journée Fig, 4. — Quatre espéces de Chlamydomonas : E, Chi. Reinhardi, F, zygote, c'est-a-dire ceuf. condé du dit; G, H, id. du Cal. Steinii; 1, Chl. ‘de Baryana, b, union de deux cellules pour former Feeuf;.J, Chl globulusa, c, gamétes qui s‘unissent, d, zygote, soit ceuf says tC est chaude, nous mesurons la température de ]’eau, elle dépasse 20°. . C’est que ces petites mares alpines peu profondes, alimentées par le suintement des ruisselets, peuvent, dans la journée, s’échauffer beaucoup. Il ne faut donc pas s’étonner si les organismes que nous allons y découvrir sont les mémes que ceux que nous pour- rions observer dans une mare du Paraguay ou du Cordofan. Il y a dabord tout un monde fourmillant de Chlamydomonas (fig. 41) et d’autres algues unicellulaires de diverses espéces, 4 tous les degrés. de développement ; les uns comme des obus qui décrivent une trajectoire tout en tournant sur leur axe, les cils g2 BIOLOGIE DES. PLANTES en avant, d’autres, aplatis comme une raie, fendent l'eau en décri- vant de curieuses spirales, d’autres cheminent de compagnie quatre par quatre ou seize par. seize et, comme associés au méme radeau qu'ils mettent en mouvement, battent chacun de leurs deux cils comme des galé- riens faisant manceuvrer leurs rames (/ig. 42). ' Mais ce qui va capti- ver notre attention, c’est le fait de trouver, 4 ce niveau si inférieur du régne végétal, tous les degrés, toutes les formes de la sexualité. Sans doute, il ne nous sera pas Pi dag Saleigge nscale de Gomtem recorste a ossible d'dlucider tous les problémes qui se rat- tachent A ces constatations, au cours d’une excursion de montagne. Il y faut bien des années de patientes investigations, de travail délicat et difficile, des cultures 4 propos desquelles chaque germe est trié soigneusement selon des méthodes A découvrir. Plus d’in- - succés que de réussites, ce qui donne du prix aux quelques résul- tats positifs. Cé serait trop long d’exposer ici comment on arrive a séparer chacun de ces organismes et & le cultiver en dehors de toute contamination. C’est affaire de spécialiste et le grand public ne s'intéresse -qu’aux résultats. J’ai actuellement en culture pure plus de cent quatre-vingts espéces de ces petits organismes verts, un jardin. botanique en miniature dans lequel il faut que, dans un méme enclos, il n’y aif qu'une seule espéce, issue d’ailleurs d’un seul germe. I] y a grandes difficultés d’emp&cher que les mauvaises herbes, dans ce cas particulier d’autres micro-organismes (donc eux aussi microscopiques) ne viennent souiller ces cultures pures. Au lieu de la mare aux grenouilles, ot. pullulaient cdte A cdte bactéries, champignons, algues d’espéces variées, ainsi que, HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 93 dans une prairie, voisinent des végétaux nombreux et différents, on n'a maintenant, comme dans un champ de bleé, plus qu'une seule espece en culture. Mieux encore, car on n’y voit pas, comme dans le plus soigné de ces champs, coquelicots, bleuets, nielles, ou ivraies. , ‘ Examinons maintenant ensemble deux des organismes micro- scopiques qu’aprés de patientes recherches nous avons réussi 4 isoler de cette mare de montagne. Voici |’ Hematococcus pluvialis qui, dans certains de ses états ressemble si fort & l’organisme de la neige rouge. Cultivé dans une eau frés pure, 4 la lumiére diffuse, il perd complétement sa couleur rouge et se multiplie avec une excessive rapidité. A la lumiére et en milieu nutritif, i] prend une couleur rouge. brique intense. Mais quelque condition que nous fassions varier, il ne produit jamais: autre chose que des cellules arrondies ou des cellules mobiles, des zoospores (jig: 43). _ Voici cette autre espéce qui lui est tout a fait semblable, elle produit avec facilité, & cété des zoospores, de plus petites cellules de méme forme, mais qui, méme dans de bonnes condi- tions, n’arrivent pas a se développer par elles-mémes. Au cours Fig. 43. — Haematocnccus pluvialis (Sphaerella). A, B, F, zoospores, c'est-a-di re cellules mobiles; C, E, D, états enkystés au repos, cellules pleines de matiére rouge (HERIEROELCINC: wie ess. de R. C. 94 BIOLOGIE DES PLANTES se 44. — Chlamydomonas intermedia. A, cellules sexuelles variées; B, multiplication dans enveloppe de la cellule mére; C, union de deux gamétes ; D, commencement de la soudure par un petit processus; E, F, G, H, fusion, états successifs; J, deux gametes trés inégaux ; K, L, moins inégaux. Dess de R. C. de leurs pérégrinations dans le champ du microscope qui sert & les observer, car elles ne sont bien visibles qu’A un grossissement de 500 diamétres, on les voit s’approcher, se rechercher et, fina- lement, s'unir par deux et se confondre en une seule cellule arrondie qui est la zygote, l’ceuf fécondé (/iy. 77). Comment faut- il nommer ces deux cellules? ot est ici le male, ot est la femelle? Les deux cellules sont en apparence égales, mais la grandeur et la forme ne nous renseignent pas suffisamment. En effet, nous en HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 95 Fig. 44 bis. —.Coujugaison chez un Spirogyra. 1, deux filaments se sont anastomosés, conju- gaison habituelle, en haut, passage de la cellule male, en bas, la zygote est formée ; 2, ici ce sont deux cellules du méme filament au vont se confondre, on Boal cellule male qui a percé la paroi, en train de passer dans la cellule femelle pour s’y fusionner ; 3, phénoméne analogue; . 4, id,; 5, la fusion s‘opére entre des filaments distincts, mais en outre des processus sont attirés par la cellule femelle qui excite plusieurs cellules males. voyons qui passent indifférentes l'une A cdté de |’autre : elles sont du méme sexe, elles ne s’atfirent pas; en voici deux autres qui ne paraissent' pas plus différenciées que les précédentes et qui, dés la premiére rencontre, se sont fait des avances, se sont . rapprochées, ont fini par cheminer de compagnie.et par se fusionner. La sexualité, ici, ne se traduit. pas par quelque chose d’extérieur, pas plus que dans les algues dont nous avons fait histoire, la résistance au froid ou la capacité de produire du pigment ne se trahissait extérieurement par aucun signe visible. Il est beaucoup de ces unicellulaires chez lesquels la sexualité est ainsi rudimentaire. . a En voici une autre qui produit dans un méme milieu, selon les lois du hasard, des gamétes ou cellules sexuelles de toute dimen- sion; alors on peut voir simultanément des fusions, des copulations 96° BIOLOGIE DES PLANTES entre des cellules égales, phénoméne qu’on appelle isogamie ; puis entre des cellules faiblement inégales, c’est Vhetérogamie ; enfin, entre des cellules trés inégales (sexualité marquée); alors la cellule femelle peu mobile attire A elle un élément de méme forme, mais beaucoup plus petit, trés agile et le plus souvent trés peu coloré, que les botanistes appellent par analogie avec les mémes : organes des animaux, spermatozoide ou anthérozoide (fig. 44). Chez toutes les plantes supérieures, ainsi les Fougéres et les Phanérogames, ou plantes A fleurs, la sexualité est, comme chez les animaux supérieurs, traduite en derniére analyse par la réunion de deux cellules : l'une, immobile, plus grosse, la cellule femelle ou cuf ; l'autre, mobile, plus petite, la cellule male ou spermatozo‘de. Mais, tandis que chez toutes ces plantes supérieures la déter- mination du sexe est absolue, au moins chez les espéces dont les sexes sont sur des pieds séparés, chez beaucoup de ces unicellu- laires il y a une indétermination déconcertante. Examinons sous le microscope les filaments un peu décolorés de cette ouate verte qui flotte sur le bord de notre mare et qui est suspendue par les bulles d’oxygéne qu’elle émet au soleil. C’est un Spirogyra, bien reconnaissable 4 sa bande verte spiralée. J'ai beaucoup étudié ce genre et j’espére avoir encore de nombreuses occasions de compléter cette étude. Dans les cas habituels, les filaments qui sont simples sont de deux sortes, sans que souvent il soit possible de distinguer le male de la femelle; d’autres fois, les cellules du filament male sont plus courtes qué celles de ]’autre sexe. Tous les auteurs ont décrit la copulation d’une maniére. inexacte. II faut tout d’abord que deux filaments de sexe contraire -se soient accidentellement touchés; alors, au point de contact, les deux cellules poussent un prolongement par lequel elles se \soudent, elles s’anastomosent. Ce premier contact établi, l'irrita- tion sexuelle se transmet aux cellules voisines, et de nombreux ponts s’établissent (fig. 47). Un peu plus tard, on voit le contenu des deux cellules copulatrices se détacher de la membrane, puis, par un orifice que perce le gaméte male, celui-ci se déverse insensiblement dans la cellule femelle adjacente. Finalement, la cellule male vidée est opposée A une cellule ceuf, résultat de Yunion de deux cellules vivantes. La zygote, comme on appelle BIOLOGIE DES PLANTES PLaNcHE VI] Algues du Plancton d’un marécage alpin. a f HISTOIRE BIOLOGIQUE DUN TORRENT 97 Vceuf fécondé, se contracte, s’entoure d’une coque solide et passe par un temps de repos. Ce n’est pas la le seul mode de fécondation; il arrive, chez certaines espéces, que les cellules successives d’un méme filament s’excitent sexuellement; alors, tantdt le contenu de la cellule male perce la paroi de séparation, tantdt l’anastomose se fait par des becs qui s’unissent en boucle des deux cétés de la cloison. Parfois aussi une méme cellule femelle provoque la production de filaments males de plusieurs cellules qui convergent vers cet ceuf sans cependant que la copulation se fasse entre plus de deux cellules. Comment une cellule male mobile ou non peut-elle percevoir Yexcitation, sexuelle et se comporter en conséquence? Cela est bien connu des ‘cellules mobiles, des spermatozotdes des fougéres; on sait que ces éléments fécondants. sont attirés dans l’ceuf par Vexcitation provoquée par la sécrétion d’un acide végétal, le méme qui donne aux pommes leur saveur. C’est l’acide malique. On peut, le sachant, attirer ces spermatozoides qui, dans l’eau, sous le microscope, se mouvaient dans tous les sens, sans orientation spéciale, en leur offrant, dans un petit tube capillaire de verre, Yacide malique qui les attire. On les voit alors immédiatement cesser leur mouvement désordonné, s’orienter et, comme une troupe au commandement, se diriger en bon ordre dans la direction du tube acidulé. Finalement tous entrent dans cette trappe comme si c’était un canal conduisant a la cellule femelle. Voila donc une découverte bien éloquente puisque, en substi- tuant A la nature un appareil, on arrive 4 tromper ‘les cellules males ! Ona dés lors, et encore pour d’autres raisons, tout lieu de supposer que la cellule femelle, chez toutes les plantes, sécréte une substance qui, diffusant dans l’eau autour d’elle,. avertit le gaméte male,. le guide et le détermine 4 s’approcher, puis a se fusionner. Chaque espéce, sans doute, sécréte autour de ses ceufs des substances particulieres, car ilest bien rare que dans la nature les spermatozo‘des, ces cellules mobiles males d’espéces différentes, se trompent. La copulation méme, en mélange complexe, se fait d’espéce a espéce avec une précision mathématique. Voyez ce qui se passe dans |’eau d’un lac tourbeux, comme le 7 98 BIOLOGIE DES PLANTES lac Champex extraordinairement riche en Desmidiées (fig. 45), ° merveilleuses petites algues unicellulaires. ARCHER, qui en a suivi attentivement la copulation, nous dit que la meilleure preuve de l’existence d’un grand nombre d’espéces dans ce groupe d’algues, c'est la régularité avec laquelle chaque forme s’unit avec une forme Fig. 45. — Eau du lac tourbeux de Champex avec cellules de Desmidiées, vues de face et de profil, Cosmarium (1), Sphaerozoma (4) et divers Staurastrum, , ‘identique, non seulement semblable par le profil du contour, mais par tous les détails de la structure de l’enveloppe. N’est-ce pas l’un des sujets les plus merveilleux de la biologie que cet instinct - qui permet (ordinairement, car il y a des exceptions) A chaque étre de trouver son semblable, de le distinguer des espéces voi- sines et de maintenir ainsi la pureté de la race? Retournons 4 nos petites mares alpines dont l’eau verte, HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 99 trouble, est d’une grande richesse en formes curieuses. La plupart de ces derniéres, appartiennent aux Protococcacées, algues uni- cellulaires qui restent isolées ou se groupent en de bizarres associa- tions (fig. 46, 47). Chez toutes, l’enve- loppe résistante, un peu épaisse, est con- struite de maniére a les protéger contre les microbes voraces ou les champignons des- tructeurs. Dans les eaux des étangs, ol ce - danger est réel, on les voit, comme pour évi- ter cette infection, pré- Fig. 46. — Pediastrum duplex, colonie en réseau de cellules. ' Dess. de R. C. parer, au moment de leur naissance, leurs -cellules filles, en les dotant déja de toutes leurs particularités, de celles surtout qui sont nécessaires 4 leur maintien dans le monde liquide, plein d’enne- mis, avant de les met- tre en liberté. Au mo- ment ot elles quittent le ventre de leur mére, elles sont déja armées. pour la vie comme loisillon que la mére chasse du nid quand il peut voler de ses propres ailes (fig. 53). Dans ce monde spécial des Protococcacées suspendues, il n’y a plus de zoospores mi- 4. aaa (cénobe) d'un Pediastrum. ie cellulaire) 7: P. duplex). Dess. de R. C. 100 BIOLOGIE DES PLANTES gratrices, plus de sexualité. La multiplication s’y fait exclusive- ment par division. Mais, en revanche, que de variété dans la forme, les appendices des -cellules, leurs. groupements, tous ces dispositifs paraissant calculés en vue de leur vie de poussiére vivante, suspendue passivement dans les eaux! Voici tout d’abord les formes arrondies qui se sont allégées © par une auréole de mucus au travers de laquelle des piquants | Fig. 48. — Chodatella longiseta. Algue du plancton, dont les cellules produisent sur leur enve- oppe des soies allongées qui augmentent la surface de frottement (diminution de la-capacité de chute). Dess. de R. C. rayonnent en tous sens. En voici d’autres qui, en se multipliant; ont formé des arbuscules dont le centre est occupé par une ‘gelée 4 peine plus lourde que l’eau et qui offre 4 la chute une grande * résistance. D’autres fois la cellule s’allonge et, sur l’ellipse, se des- sinent de longues arétes (fig. 48); celles-ci se groupent en bandes planes ou spiralées, en disques qui fonctionnent comme radeaux}; parfois méme ces radeaux sont comme perforés (fig. 47) ou bien les cellules, disposées en corbeilles ajourées, aménent a des dispo-:: sitions savantes ot la surface est augmentée d’une maniére exces- sive par rapport a la masse (fig. 52). On le voit, ce sont d’ingé- HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 101 nieux architectes trés au courant des questions d’équilibre et de suspension. Un exemple bien simple, que j’utilise dans mon cours devant les étudiants de premiére année, va illustrer cette théorie mieux que d'interminables raisonnements. Voici, je prends ce mor- ceau de craie, je le jette en l’air, il retombe comme une pierre sur la table avec bruit. Je prends le m&me morceau, et dans ‘un petit mortier de porce- laine je le réduis en poudre fine. Maintenant, je renverse le mortier, la poudre se ré- pand dans I’air, mais ne re- tombe ‘qu’avec lenteur. La surface a été multiplide par’ un facteur considérable, le frottement a infiniment aug- menté; de la le ralentisse- ment considérable dans la | chute (fig. 48, 30, elc.). Le ruisseau est devenu riviére, il court vers la plaine, remplit les cuvettes creusées par les anciens gla- ciers, y forme des lacs aux eaux tranquilles, traverse le barrage qui retient les eaux du lac de montagne suspendu au-dessus de la vallée et, en belles cascades, descend vers les dépressions qui s‘alignent en lacs d’éme- raude, ceux de Suisse et de oD Fig. 49. — Dinobryon divergens. Flagellée du lac de enéve; on voit les cellules 4 deux cils inégaux entourées chacune d’une coque cellulosique ou urne allongée; D, cellule qui s’est enkystée (stade de repos). Dess. de R. C. Savoie, espéces de mers en miniature dans le miroir tranquille des- quelles se mirent en bleu profond les silhouettes des hautes cimes. Tous les touristes ont pris 4 Montreux le bateau a vapeur qui, en une croisiére charmante, les a conduits de Chillon au Bouveret et du Bouveret A Genéve, la perle du Léman. Ils ont vu les eaux 102 BIOLOGIE DES PLANTES boueuses du Rhéne, le fleuve-torrent du Valais descendu en cas-— cade sous-lacustre dans ]’eau bleue du lac. Les eaux froides, plus . lourdes, tombent, sans se méler tout d’abord avec celles du grand réservoir .' limpide, dans lequel se clarifient les flots laiteux venus des glaciers. A Genéve, ils ont admiré,. au pont de la Machine, le Rhéne aux eaux toujours transparentes, sa cascade bleue,. de ce bleu qu’on ne s’attend a rencontrer qu’a l’intérieur du glacier idans une grotte de cristal. Au travers de l'eau pure EO reece ra Eine emote du port, ils ont vu tout ee calluler de tx duemnacee. “Synedra longiesina, au fond briller les herbes autre diatomacée en aiguille. Plancton du lac de,Ge- : : neve: Dess. de R. C. aquatiques ef. jouer les poissons. Nulle eau n'est plus pure, nul lac plus bleu, plus limpide, que: celui de Genéve. On se demande de quoi peuvent: donc vivre les poissons. Se mangent-ils mutuellement? Mais cela ne peut durer indéfiniment. Cette eau est silimpide que MM. Fot et Sarasin ont pu constater qu’A 200 métres de profondeur la plaque photographique est encore impressionnée. Devant Yvoire, SCHNETZLER a reconnu une mousse qui, fixée sur un banc lacustre (60 m.), végéte parfaite- ment. Et cependant cette eau pure est, pour qui sait I’étudier, un jardin plein de belles fleurs. Tout un peuple de petits organismes habite sa surface et ses profondeurs. Mais ils y sont si disséminés qu’au plus fort de leur développement l’eau n’en est pas visible- . ment troublée. , Ainsi, suivons dans leur biologie nos ruisseaux, nos torrents qui viennent se jeter dans le lac de Genéve. On pourrait croire que la biologie végétale du Léman serait comme la résultante des vies partielles des affluents, y compris les lacs alpins, les BIOLOGIE DES PLANTES PiancHE VIII R. C. del. Algues du Plancton du lac de Genéve. -HISTOIRE BIOLOGIQUE D’'UN TORRENT 103 tourbiéres ou les mares. Mais un lac comme celui-ci différe essen- tiellement des lacs alpins de faible profondeur, chez lesquels, au cours de l’été, la chaleur de la surface pénétre jusqu’au fond. La végétation des bords, le caractére marécageux d’une grande partie , du bassin lacustre, la tourbe qui colore l’eau, tout contribue 4 faire de l’eaudes petits lacs un bouillon nutritif avantageux pour certaines catégories de micro-organismes. Aussi la flore des petits lacs, des lacs-étangs est-elle beaucoup plus variée en espéces et plus abon- dante comme quantité que celle de l’eau pure des grands lacs. Chez ceux-ci, l'eau de la-profondeur se maintenant 4 une tem- pérature constante (au lac de Genéve 4 4° environ), la variation thermique des couches superficielles y est beaucoup moins con- sidérable. On retrouve ici, comme sur la neige, que des conditions défavorables A une vie intense des organismes végétaux micro- scopiques ont régularisé en quelque sorte la biologie lacustre. I] n’y a plus qu'un nombre restreint d’espéces qui fréquentent ces eaux pures, et ce sont en grande partie des espéces spéciales qui sont ou rares autre part, ou re- présentées par d’autres formes. La majorité de ces organismes appartient au groupe des. Dia- tomées, algues de couleur jaune ou brune, dont chaque cellule est comme enveloppée par une carapace siliceuse faite au moins de deux moitiés ou souvent de piéces siliceuses savamment ajustées et transparentes comme le cristal de roche. On retrouve chez ces Diatomacées (planche VIII 4 +4 10, 14) les mémes arrange- ments qui, chez les algues vertes des maré- cages, assurent la suspension: les Cyclotelles (planche V TIT), aux cellules en boites arrondies réunies les unes aux autres par des bandes gélifiées ; (parfois, ces bandes gélifiées se tordent en spirales, ce qui leur donne plus de rigidité et augmente leur pouvoir de suspension); chez les Cymatopleura, la cellule s'est largement Fig. 51. — Fragilaria aplatie en disque; dans le. Synedra longissima oe lates rer ‘(planche VIII” et fig. 50), la cellule est deve- ane nee Oe Re. ~ . oan 104 BIOLOGIE DES PLANTES nue une longue aiguille ; celles du Fragilaria crotonensis (planche. VIII4 "4 et fig. 51) se sont disposées en peignes, en bandes allon- gées, parfois tordues en spirales; dans Y Asterionella (fig. 50), les cellules se disposent en gracieuses étoiles. Et ce quil.y-a d’intéressant, c'est que toutes ces élégantes architec- . tures, qui semblent comme inventées. a plaisir pour satisfaire notre besoin « d’explication finaliste», n’acquiérent toute leur valeur que dans les eaux qui semblent nécessiter par leurs propriétés. ‘une mise au point perfectionnée de ces mécanismes. Ainsi, dans les eaux plus froides, c’est-a-dire qui ont un poids spécifique plus élevé qui résistent, . par conséquent, mieux a la pression des corps qui chutent et dont la vis- cosité est proportionnellement encore plus grande que l’augmentation de leur densité. C’est, en effet, un fait bien connu que la cohésion de l’eau, c’est- a-dire sa viscosité,. diminue plus rapi- dement avec |’élévation de température que la densité. Ceci rend les particules — de l’eau plus mobiles, plus aisément déplacables, ce qui aurait pour effet une chute accélérée des organismes suspendus, si ceux-ci ne savaient régler™ leur surface de sustentation en consé-.’ quence (fig. 52). rig, 5, Sam, Chott, Yai fait faire par une demes lives, nie de ae ROR ra M! Rayss, a partir d’une des algues: les plus plastiques des eaux pures, le Coelastrum proboscideum, une recherche étendue et méthodique pour donner & ce probléme une base expérimentale. Les résultats étaient « conformes 4 la prévision. Toute cause qui améne & une plus grande HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 105 viscosité de l’eau ou A augmenter son poids spécifique a pour effet de diminuer la surface active de suspension et vice versa. L’organisme répond d’une maniére adéquate aux changements du milieu. Nous ne sommes plus, 4 propos d’une étude de ce- genre, dans la réverie biologique qui cherche des intentions a la nature, mais on y fait usage d’une science saine, celle qui établit la relation de cause 4 effet. Mais reconnaissons que l'effet obtenu semble étre celui qui pouvait étre le plus utile a l’espéce, en cette occurrence. a Tous ces organismes sont dispersés dans l'eau claire de telle maniére que si on examinait au microscope l’eau méme du lac, Fig. 53. — Chodatella echidna. Reproduction de la cellule (armée de- piquants) par 4 cellules spores qui déja dans la cellule mére acquiérent la forme et les processus de l’adulte. Espéce de viviparie. i Dess. de R. C, comme nous avons examiné la neige rouge ou l’eau de la mare aux Chlamydomonas, nous v’aurions aucune chance de rencontrer un seul organisme dans la goutte d’eau mise sous la lentille du microscope. Pour étudier ces organismes, on traine lentement un filet de soie A mailles trés fines pendant plus d’un quart d’heure. On filtre ainsi & travers la soie des centaines de litres d’eau: les organismes retenus sur le filtre se concentrent ef peuvent étre dés lors étudiés sans peine. On remarque alors que beaucoup sont accompagnés d’auréoles gélifi¢es, espéces de parachutes trés légers. Tout ce petit monde végétal vit prés de la surface du lac; a mesure qu’on descend, la flore s’appauvrit ; il faut aux végétaux de la lumiére et-celle-ci est rapidement absorbée par 1’élément liquide. A vingt métres, il n’y a presque plus de vie végétale,, et 106 BIOLOGIE DES PLANTES dans les grands fonds toute plante verte A chlorophylle a disparu. Le temps est particulitrement calme aujourd’hui, je vais louer une barque légére et, pendant que le batelier rame doucement, je laisse trainer mon filet trés prés de la surface de l’eau. On sent ala tension modérée de la corde que tout va bien et que l’eau ne rejaillit pas hors du filet. Un jour que je faisais de méme au lac de Pala- dru, le batelier qui m’accompagnait et qui m’avait observé pendant un instant, timidement, mais d’un ton qui, pour étre déférent laissait cependant percer l’ironie me dit: «L’an dernier, il y en a qui sont venus de Lyon avec des appareils pour prendre du poisson, mais ils n’en ont guére pris et c’étaient pourtant des appareils de péche; je crains bien qu’avec votre petit filet vous n’en attrapiez pas du tout.» Je lui montrais alors qu’il ne s’agissait pas de poissons mais de nouriture du poisson, de cette poussiére vivante qui, dans les eaux des lacs et de la mer, travaille sans relAche A fixer.du carbone organique, A assimiler ce qui est mort, ce qui est inerte, pour lui conférer cette puissance de vie que seuls les végétaux savent multiplier aux dépens du monde inanimé. . J’essayai de lui faire comprendre que ces Diatomées prenant leur énergie au soleil, constituent les prairies sous-lacustres aux- quelles viennent brouter de minuscules animaux, Crustacés Rotiféres, etc., qui, 4 leur tour, servent de nourriture aux pois- sons. Et pour pouvoir remplir leur réle, i] faut qu’elles restent ' prés de la surface, JA ou la lumiére est encore active; ef pour se maintenir 4 un niveau convenable elles ont comme.inventé ces dis- positifs, les ceintures de sauvetage sans lesquelles elles seraient fatalement entrainées vers le royaume des ombres, ot i n’y a, pour les fils de la lumiére, pour des plantes 4 chlorophylle, qu'un tombeau sans réveil. L’homme me regardait tout ahuri. « Sauf votre respect, me dit- il, je crains bien cependant qu’avec cet engin vous ne preniez pas du poisson. » — Grand merci pour votre judicieux conseil, mais nous n’allons, en effet, pas prendre du poisson, ce que nous récoltons, c’est la nourriture du poisson, du tout petit poisson. La pAture méme du plus petit que le plus petit poisson. HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 107 Voyez maintenant, aprés l’avoir trainé dans l'eau qui est fil- trée A travers les mailles, je retire mon filet; j’ai fait par ce temps calme une péche miraculeuse. Si je lave mon filet, 4 l'intérieur, avec la derniére cuillerée d’eau qui reste au fond, celle que je fais découler dans un flacon préparé a |’avance est toute troublée, jaune, dorée par les millions de minuscules organismes que le filtre Fig. 54. — Botryococcus Braunii, algue qui se maintient 4 la surface de l’eau des lacs. grace A son pouvoir de produire de I’huile qui fonctionne comme flotteur. A, vue de l'ensemble de la” colonie, grossi 100 fois; B, portion de celle-ci montrant les gros globules d’huile excrétés (flotteurs); C,D, E, F, divers aspects du détail des colonies et des cel ules. Dess. de R. C, a retenus dans ses mailles si serrées. Nous avons, au moyen de ce filet, filtré des centaines, des milliers de litres d’eau, et mainte- nant que nous avons rassemblé ces plantes éparpillées dans l’eau claire, ce fond de filet est comme un bouillon en fermentation, habité par une infinité de petites algues et d’infusoires. Il serait temps maintenant de nous rapprocher du bord et d’étudier au microscope, pendant qu’ils sont encore vivants, ces organismes du plancton’. II s’agit de ne pas tarder, car la plupart 4 On appelle plancton le monde microscopique des eaux. 108 BIOLOGIE .DES PLANTES sont excessivement fragiles, excessivement sensibles. Hors de leur milieu naturel, ils meurent rapidement, sans qu’on ait pu savoir jusqu’a présent pourquoi. Cette fois-ci nous avons péché tout prés de la surface et, dans le flacon qui contient l'eau troublée par les organismes, on voit déja A l’ceil nu nager des corpuscules verts qui ne sont pas comme les autres, entrainés au fond en une masse’ plus ou moins geélati- neuse. C’est le Botryococcus Braunii dont jai élucidé en 1896 la singuliére oe kplaneke VIIT'5 et fig. 54). Les cellules en céne assez obtus sont groupées en gateaux irréguliérement bosse- lés, comme fichées dans une pate gélatineuse ; tout autour des gateaux, eux-mémes irré- guligrement disposés autour d’un centre organique, il y a une vésicule gélatineuse peu consistante. C’est a l’intérieur de cette vésicule et tout autour des cellules que le Botryococcus Fig. 55, — Deux algues pélagiques du ‘ 2 ine de Gentve A gauche, I'Ana- sécrete une huile abondante, baena circinalis, espéce de Nosto- ‘ i fhe) cacée, A droite, l'Oscillatoria ru- qui lui sert de flotteur; ceci fait bescens ; les deux contiennent dans < ms ’ leurs cellules des vacuoles remplies Oy) que, invariablement, ] algue d'un gaz qui les allege. : . . Dess. de R. C. qui serait assez lourde par elle- méme et dont les gAteaux at- teignent, parfois jusqu’a 1-2 mm. de diamétre, submergée par le mouvement de l]’eau, revient subitement Aa la surface comme une bouée insubmersible. Je ne connais d’ailleurs que cette seule espéce qui fasse ainsi. C’est une algue trés répandue et trés variable. En hiver, par les belles journées ensoleillées, elle colore son huile en rouge, comme le fait sur la neige le Chlamydomonas nivalis. Mais ici, l’huile exeessivement abondante n’est pas une réserve, elle est une sécrétion extracellulaire qui allége la plante et que la moindre pression, sous le microscope, fait déborder en grosses. gouttes confluentes. Quel est maintenant cet organisme dont les cellules en boudin sont attachées les unes aux autres comme les articles d’un saucis~ HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN TORRENT 10 9 son. Il est beaucoup plus petit que le Bolryococcus et d’une cou- leur vert-de-gris bien singuliére. A un fort grossissement, je vois ses cellules farcies de globules rouges (fig. 55). Avec la méme persistance, avec la méme insistance il revient A la surface comme allégé par un flotteur. Mais j’ai beau chercher, je n’y peux trouver, comme dans Vautre espéce, de vé- sicule huileuse. J] faut — songer a autre chose. © Alors je me rappelle que |’ daabena appar- tient A ce groupe des algues bleues dont plu- sieurs forment, dansles étangs, les lacs et les mers, des fleurs d’eau étendues. Au lac de Morat, l’une de ses congénéres couvre par- fois en hiver toute la surface; il arrive sou- vent, aprés des pé- riodes de calme pen- dant lesquelles l’algue a pu librement se mul- , tiplier, s’accumuler 4 la surface, que le vent du nord raméne vers le rivage cesalguesflot- - tantes. Alors, comme leur couleur verte est masquée par un pigment rouge, |’écume du flot qui déferle sur la plage sablonneuse semble souillée d’un sang en décomposition. C’est ici qu’en 1476 les Suisses défirent les Bourguignons et Charles le Téméraire. La superstition po- pulaire y voit le retour périodique du sang des Bourguignons. On retrouve cette Oscillaire dans plusieurs lacs suisses. A Zurich, elle se tient régulitrement 4 13 métres de profondeur ; ——, Fig. 56 — Section a tra- vers la coquille d’une Anodonte, _perforée par les filaments du Foretiella pertorans ; C, vue de l’'apparence de l'algue 4 la surface. ess, de R. C. 110 BIOLOGIE DES PLANTES dans le lac de Genéve, elle est excessivement rare. Je lai aussi rencontrée en grande abondance au lac de Varése, dans la Haute- Italie. La couleur qui a valu son nom a la mer Rouge est due 4 T’abondance d’un organisme analogue. Chez tous, le flotteur est interne. I] s’agit d’un gaz dans lequel j’ai cru reconnaitre de la méthylamine, gaz qui serait sécrété directement dans le plasma vivant et qui, ne pouvant se dissoudre dans la cellule, donnerait naissance 4 ces curieux globules rouges qui se font remarquer chez toutes les espéces flottantes de ce groupe si riche en espéces curieuses. On rencontre: dans ce groupe des cellules arrondies, des cel- -lules disposées en chainettes, des cellules comme chez les Ovcilla- toria, arrangées en longs batons oscillants, des filaments terminés par un long poil, etc. Dans un grand lac 4 eau pure, elles ne jouent qu’un réle subor- donné comme élément de la flore pélagique (plancton), mais sur les bords elles reprennent leur importance. Les unes, ainsi au Roc de Cher au lac d’Annecy, et en plusieurs endroits de la rive vaudoise du Léman, contribuent 4 déposer des tufs sous-lacustres comme elles le font dans beaucoup de thermes. Sur le rivage de nos lacs jurassiques, certaines d’entre elles, qui sont-trés minces, ‘pénetrent dans les pierres calcaires, dans la pierre des galets de la beine. Peu A peu elles carient le caillou, comme les bactéries carient nos dents si nous n’y mettons bon ordre. Comme la pierre est. d’une structure hétérogéne, leur action s’exerce irréguliére- ment; de la ces dessins méandriques qu’on observe sur les galets sculptés des lacs de Genéve, mais surtout de Bienne et de Neu- chatel. Tous les goftts sont dans la nature, les duabena préférent se laisser balancer au gré du flot, les Schizolbrix, leurs voisins, ont le pouvoir de s’enfoncer dans les pierres. I] y aurait & décrire la maniére curieuse dont elles usent pour déliter le caillou, com- ment en sécrétant, autour de leurs filaments ténus, des gaines qui gonflent plus tard, elles ébranlent la structure compacte de la pierre, comment fintalement elles dissolvent le calcaire. Mais ceci nécessiterait des développements qui ne sont pas de mise ici. Il convient cependant de raconter ici |’histoire étonnante d’une algue que j’eus l’occasion de découvrir au lac de Genéve, en 1897. Fig. 57. — Section a travers la coquille d’une Anodonte, passant par le,c6té interne. On voit algue qui a traversé la couche nacrée. venir pousser ses filaments sugoirs du cété du manteau el y provoquer la formasion de petites perles Dess, de R. C. C’était par une froide journée d’hiver, le hasard de la promenade m’avait amené sur le rivage de la Pointe 4 la Bise, & la Belotte, prés de Genéve. Pendant que j’examinais les cailloux du rivage » couverts d’algues, ma petite fille pour passer le temps ramassait des coquillages et en particulier des valves d’anodontes, dont la ‘face intérieure nacrée charmait, par ses couleurs irisées, son ima- gination enfantine. Encore pour. passer le temps, son pére s’ab- sorbant dans ses observations, ne sachant plus que voir, elle imagina de regarder le soleil au travers de ces lunettes translu- cides, lorsque tout A coup elle m’appelle : « Papa, il y a une tache noire dans cette coquille»..On voyait nettement quelque chose qui empéchait le passage de la lumiére au travers de la masse autre part opalescente. Il ne pouvait s’agir que d’un organisme étran- ger A la coquille, et ceci fut confirmé par la couleur verte de la tranche de la valve brisée. Il ne faut: jamais laisser passer la chance. Je me mis immédiatement A la chasse, cherchant dans l’eau les anodontes vivantes, qui se placent perpendiculairement dans la vase, en laissant sortir une partie de leur valve. Dans ces occasions, le biologiste n’hésite jamais; il entre résolument 112 BIOLOGIE DES PLANTES dans l’eau pour y recueillir les précieux objets, observer «in situ» la maniére dont se comportent l’héte et le parasite. Trempé jus- qu’aux os, — une fois n’est pas coutume, — je renonce au tram pour me réchauffer, et je rentre au plus vite pour étudier ma précieuse trouvaille. L’aventure en valait la peine ; il s’agissait d’une plante tout A fait exceptionnelle: une plante verte qui edit pu si elle ]’eft voulu(!) vivre honnétement dans |’eau ou se borner a ronger des pierres. Mais l’occasion, l’herbe tendre... j’allais oublier que la coquille d'une anodonte n’est pas justement un mets délicat. II fallait, pour qu'il en valit la peine, arriver au contact du manteau de |’animal, la ot il y avait quelque avantage nutritif et, pour ce faire, notre algue verte se met a percer la valve du Lamellibranche comme au moyen d'une tariére (/ig. 56), ne s'inquiétant ni de la direction des couches, ni de leur dureté re- lative, traversant cette ma- tiére solide de la couche cor- née et dela couche prismatique comme si c’était du beurre, puis s’étalant contre la surface du manteau en un réseau qui ressemble a un systéme d’ab- sorption. I] est difficile de dire ce que cette plante retire de cette vie en commun avec le Lamellibranche vivant, mais il est bien évident que ce n’est pas pour satisfaire A une pure gloriole d’algue verte en veine d’excentricité qu’elle se met a percer les valves des ano- dontes et A pousser des sucoirs vers le manteau (fig. 57), vers les muscles quicommandent au mécanisme de cette coquille. Fig 58. — Bord méridional des cent chutes de Depuis lors, les anodontes l'Yguazu Stations de prédilection des Podosté- crime monactes. D'aprés Chodat et Vischer. sont devenues rares; ) al sou- HISTOIRE BIOLOGIQUE D’UN. TORRENT 113 vent songé A reprendre cette étude, a suivrepas a pas et & loisir l'infec- tion de l’animal par la _ plante, la réaction pro- gressive de l’anodonte qui produit, en réponse a cette excitation, des espéces de perles. Com- ment le Foreliella) — c’est le nom que j’ai im- posé a cette algue per- forante — se dissémine- t-il. Peut-il vivre sans son héte? dans quelle mesure |’Anodonte en est-elle affectée? Ce sont la des problémes qui attendent leur solu- Fig. 59. — Apinagia yeuaxuensis Apparence des pousses tion. C omme Je dit un algoides. Réduction d'un sixiéme. Phot. d'aprés Chodat et Vischer. -proverbe populaire de chez nous, qu’un artiste de mes amis grava un jour sur le fond d’une boite, en souvenir d’une soirée charmante: « I] n’y a rien de si patient que le travail qui attend qu’on le fasse ». Combien de problémes qui attendent depuis longtemps leur solution. Il faudrait avoir des loisirs, et les professeurs ne les con- naissent que d’oui-dire. Ils comptent sur leurs éléves, mais la plu- part des éléves d’aujourd’hui sdnt des forts en theme qui fréquen- tent assidiment les cours et les laboratoires et ne voient la nature que par les lunettes de leurs livres ou l’interprétation de leur ma- gister. Ils disent que nous avons de la mémoire, mais la vraie mé- moire, c’est le souvenir des choses vues, des expériences faites, des longues heures passées A épier un phénoméne, en un mot c’est le travail personnel, face 4 face avec un probléme difficile. Mais, disent-ils, si les professeurs étaient persuadés de cela, s’ils étaient -conséquents, ils n’écriraient pas des livres! 1 En V’honneur de F. A. Foret, le fondateur de la Biologie lacustre. 114 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE s Cuopat, R. — Algues vertes de la Suisse.: Berne (1902). — Etudes de Biologie lacustre. Bull, de l’Herbier Boissier (1897, 1898). — Sur la structure et la biologie de deux algues pélagiques. Journal de Botanique, Paris (1896). . ; Savvacgau, C. — Sur la présence de I’Hydrurus foetidus & Lyon. Journ. de Bot, (1895). Foret, F. A. — Le Léman, Monographie limnologique, ITI (1901), Lausanne. - Bacumann. — Das Phytoplankton des Siisswassers. Luzern (1911). ‘Le Rovx. — Recherches biologiques sur le lac d’Annecy., Ann. Biol. lacustre. Bruxelles (1907). © Wesenserc-Lunp, C. — Studier over de danske seers plankton. Kjébenhavn (igo04). BIOLOGIE DES FLANTES PLANCHE IX R. C. del. Podostémonacées des chutes de l'Yguagu et de ’Alto-Parana. Cascades et Podostémonacées. (Prancue IX.) be est pour le moins singulier que seuls les rapides, les cas- cades des tropiques aient réussi 4 développer une flore parti- culiére. Les belles chutes du Niagara, celles du Rhin ne montrent sur leurs rochers battus par le courant que des algues, incrustées dans la pierre, ou des mousses. Cependant, en cherchant un peu, il ne serait pas difficile de trouver aussi chez nous, dans les torrents, méme jusqu’a leur ori- gine, des espéces spéciales. N’avons-nous pas parlé plus haut de cette Flagellée dorée qui se développe et se maintient dans l’eau agitée des torrents de montagne (planche V’). Sur un. revétement visqueux,fortement adhérent a la’ pierre, elle pousse des espéces de filaments qui par leur consistance muqueuse n’offrent 4 l’action déchirante du remous de l’eau qu’un minimum de résistance. Chose singuliére, elle est la seule de son groupe qui soit arrivée & former de semblables chevelures. Car tous ses congénéres sont des végétaux unicellulaires, rarement associés en petites boules ou en espéces de fascicules.’ Celle-ci, par un mode singulier de croissance, aprés sa division, qui se fait, comme chez toutes les Flagellées, par un plan longitudinal de seg- mentation, fait glisser l'une des deux cellules en arriére, tandis que la premiére, qui conserve le pouvoir de se diviser active- ment, se segmente de nouveau ef ainsi de suite (fig. go, B). On pourrait presque dire que les cellules s’ajustent successivement comme si elles grimpaient Jes unes sur les autres. Chez d’autres, chaque cellule irait errer au loin, dans l’eau; ici, dans I’eau cou- rante, il sé forme autour dé chacune un fourreau de mucus qui, se confondant avec les précédents, retient ces unicellulaires en un filament, lequel peut atteindre plus. de 10 cm. de longueur (fig. 40). Plus bas,. dans le ruisseau aux eaux rapides, les mousses Fontinalis semblent courir avec l’eau qui entraine leurs longues 116 BIOLOGIE DES PLANTES Fig 60.— Podostemon Warmingii, 1, 2,5, fleur, on voit en 2et5 la fleur nue quia rompu la ees espéce de coiffe dans laquelle elle était enfermée alors que la plante était submergée; i a deux étamines portées sur un filet commun bifurqué, et un pistil 4 deux stigmates; 3, base d'une feuille avec sa stipule, on voit la feuille avec son limbe divisé en deux a la base de la fleur, et A !‘opposé une jeune feuille. — Apinagia yguaxzuensis, 4, base de la plante avec son disque d’adhésion, le stipe de son thalle; en 6, 7, les lames qui ressemblent a des algues. D'aprés Chodat et Vischer. tiges flexibles (/ig. 59). Ce sont aussi les plus robustes de nos mousses. Cependant, aucune plante a fleur, phanérogame, ne se ren- contre dans nos eaux fortement agitées. C’est A peine si, dans les riviéres 4 courant marqué, les Polamogelon et les Zanichellia, comme la mousse citée plus haut, en longues chevelures, indiquent Ja direction du courant. Mais dans la nature tropicale qui est si 2 CASCADES ET PODOSTEMONACEES 117° riche, il y a une famille de plantes a genres nombreux et a espéces excessivement variées qui s’est fait une spécialité de ces Jocalités. Découvertes pour la premiére fois dans les rapides de la Guyane francaise, les Podostémonacées ont dés lors (1775). -été retrouvées dans les principales rivitres et fleuves de l’Amé- rique tropicale et subtropicale. La station la plus méridionale est celle du Salto-Grande de YUruguay ; la plus septentrionale est aux Etats-Unis: (Mass.).’ ' En Afrique, on les connaft surtout du Ca- meroun; aux Indes, M. Wits les a étudiées & Ceylan, dans les Nilghiries et jusque dans le Khasia (fig. 63). - Si je décrivais tout de suite leur apparence, le lecteur pourrait ‘douter de leur réelle situa- tion systématique. Il les prendrait pour des ‘ Lichens d’eau, des Hépatiques ou des Mousses _ aquatiques, ou méme pour des Algues marines qui auraient remonté les fleuves, changeant le / A régime salé pour celui de l’eau douce, comme le ) font certains poissons migrateurs. Et cependant pone cence ces plantes qui, dans leurs appareils végétatifs, _{CPsule). oot gat ae ne rappellent en rien les Phanérogames, ont te eee des fleurs, des étamines et des pistils comme tant d’autres (fig..607), comme ces plantes aquatiques submergées qui se haussent au-dessus du niveau de l’eau pour les ouvrir au soleil, pour exposer leur pollen au vent, ou attirer les insectes fécondateurs (fig: 61). Mais, comme on va le voir tout a l’heure, elles ne sauraient atteindre ce niveau; ce dernier est d’ailleurs indé- cis dans le bouillonnement de l’eau qui se précipite sur la pente rocheuse et qui rejaillit en blanche écume. Pour fleurir, il leur faut attendre la baisse des eaux; elles poussent seulement alors une “ tige florifére qui porte les organes sexués. Mais, 4 ce moment, la Podostémonacée est en danger de mort}; rien ne la protége main- tenant contre la dessiccation. Mise a sec, elle racornit ses tissus et meurt. Elle ne sait pas, comme les Algues des rochers maritimes, supporter périodiquement le- flux et le reflux, ou, comme certaines 118 BIOLOGIE DES PLANTES Mousses aquatiques, résister A la dessiccation et reprendre vie comme les Fougéres dont nous avons parlé. La baisse des eaux, une, deux journées au soleil, a l’air, et, de toute cette végétation aquatique des cascades, il ne reste plus que des crodtes dessé- chées et mortes. Mais ici nous voyons de nouveau |’admirable prévision de la nature ou, si vous aimez mieux, la remarquable adaptation aux circonstances si spéciales dans lesquelles vivent ces plantes. Au moment ou se fait la baisse des eaux, c’est-a-dire aux périodes habituelles de cette baisse, par exemple 4 Ceylan vers la fin de V’année ou au commencement de janvier, les fleurs sont déja toutes prétes ; cachées dans une poche de la plante, dans une espéce d’alvéole, elles sont enveloppées par une coiffe (fig. 6075) a Vintérieur de laquelle elles préparent leurs organes et qui les empéche d’étre mouillées. Lorsque l’eau baisse, elles sont sou- levées par un pédicelle qui les pousse hors de la spathelle, cette poche protectrice; leurs étamines déja prétes abandonnent au vent leur pollen léger ; le pistil a déja étalé ses stigmates et la fécon- _ dation se fait avec rapidité (planche LX, fig. 1a). Peu de jours aprés, le fruit est mfr, il est désarticulé et tombe sur le rocher desséché. Ceci a lieu en février et lorsque, en mars, avec la mousson du S.-W., l’eau s’éleve de nouveau, la germination se fait rapidement et le cycle recommence. En Amérique ou j’ai pu observer la floraison et la fructification des Podostémonacées; elles sont tout aussi rapides ; mais, 41’ Yguazu, au Salto-Grande de Victoria, la fructification se fait déja que l’eau rejaillit encore assez pour humecter les petites plantes, qui n’atteignent ici que quelques centimétres de hauteur. Chez beau- coup d’espéces, la germination se fait si rapidement que l'on trouve souvent les plantules fixées sur le pédicelle. Mais ce qui étonne le botaniste curieux, c’est que le fruit est A peine plus gros que le pistil, et cependant l’embryon remplit toute la semence. Comment cela est-il possible? Or voici qu’on a décou- vert que ces Podostémonacées préparent d’avance, pour y recevoir Vembryon, une cavité (fig. 62) qui est déja suffisante lors de la fécondation et dans laquelle l’ceuf fécondé n’a qu’A se développer sans effort. Cet arrangement unique dans le, régne végétal et le CASCADES ET PODOSTEMONACEES 119 Fig. 62. — Podostemon Warmingii, 1, ovule (jeune semence non fécondée); on y voit a l’exté- rieur le futur tegument de la semence, puis |’amande (nucelle) qui porte 4 son sommet le sac embryonnaire ou se trouve l'ceuf qui doit étre fécondé et au-dessous, une cavité (en formation) destinée 4 recevoir le futur embryon On voit dans cette cavité les debris des cellules dont la disparition dméne 4 la formation de cette cavité. , fait que l’enveloppe de la semence est déja toute préte avant la fécondation, simplifient, accélérent la constitution du fruit. Nous avons vu d’autres plantes aquatiques fleurir 4 l’air, mais pour mirir leurs fruits elles les: retirent dans l’eau, sous l’eau. Ces semences-ci gardent dans leur cavité l’eau nécessaire au dévelop- ‘pement de l’embryon, puis, aprés quelques jours, que dis-je? _ quelques heures de maturation, elles sont susceptibles de germer. Sans doute si, dans la période intermédiaire qui va de la germination, avec la crue des eaux, jusqu’a la décrue, pour une raison de sécheresse exceptionnelle, une partie de la riviere est 120 BIOLOGIE DES PLANTES mise a sec, les Podostémonacées de cette région meurent. Elles n’ont donc pas tout prévu, méme les accidents. Mais il en reste toujours quelques-unes dans les anfractuosités, qui peuvent échap- per au désastre et continuer le cycle dés que l’eau remonte A son niveau. La biologie de ces plantes pendant la période végétative nest pas toujours aisée a débrouiller. Peu de personnes les ont _ .observées en place. Pour cela il faut entrer dans la cascade, et ‘Fig. 63. — Divers aspects des Podostémonacées du Sud de l'Asie. — 1, Willisia selaginoides ; 2, Farmeria metggerivides ; 3, Hydrobryum lichenoides ; 4, 5, Griffithella Hookeriana. D'aprés Willis, parfois la force de l’eau est si violente que le danger d’étre emporté est grand. : Aux chutes de I’Yguazu, les plus grandes.du monde, qui, sur - plus de 4km. de développement, tombent de 70 m. de hauteur (fig. 58, 64, 72, 74) (Niagara 1 km. et 47 m.), nous n’avons pu les étudier que dans l’une des cent chutes latérales et en y mettant des précautions. J’aimerais, et il en vaudrait la peine, explorer & nouveau cet immense cirque d’eaux mugissantes. Lorsqu’on est au pied de ce monde de cascades et que, levant les yeux, on voit, & 80 m. au-dessus, la ligne des eaux qui fait le tour de l’horizon, on est presque terrifié devant ce spectacle grandiose d’un océan qui se déverse dans le gouffre. Les eaux du déluge s’écoulant subite- ment dans les entrailles dela terre, par une faveur divine, dans CASCADES ET PODOSTEMONACEES 121 un paysage d’une impressionnante beauté, au milieu de la végé- tation exubérante des tropiques ; les frondes des grandes fou- geres, les fits des bambous, les stipes élancés des palmiers, et mille espéces d’arbres, aux couronnes penchées sur l’abime garni de mousses, de begonias roses, d’orchidées aux fleurs d’or, de brillantes broméliacées et de lianes fleuries, aux trompettes lilacines, tout cela ajouté au fracas étourdissant, assourdis- sant, qu’on entend méme de trés loin, fait une impression énorme, émotionne au dela de toute expression. Mais la science n’aban- donne jamais ses droits; les merveilles de la biologie, pour ne pas étre saisies en un méme moment, n’en sont pas moins aussi, que dis-je, beaucoup plus étonnantes, plus harmo- nieuses, infiniment plus gran- dioses que tout ce fracas qui fait impression sur nos sens, sur ce qu il y a de plus primi- tif en nous, et qui ne saurait Fig. 64 — Vue d'une partie des cent chutes de étre comparé avec la jouissance fepesaie er Dane ocneeek et Vischer. artistique que procure la com- préhension d’un ensemble de phénoménes biologiques, mystérieu- sement enchainés. On ne trouve les Podostémonacées que sur des rochers auxquels elles se cramponnent; la violence du courant écarte tout autre compétiteur. Maitres de la place, elles semblent le plus souvent s'isoler par espéces, chacune préférant sa station, l’une au milieu de l’écume, l’autre sous une corniche, la troisitme dans le courant encore limpide au bord supérieur de la chute. Selon ces stations, elles sont plus ou moins adhérentes a la pierre. En Asie, dans les , 122 BIOLOGIE DES PLANTES Fig. 65, — Apinagia yguaguensis. La plante fixée par un crampon, se développe en lames algoides qui portent sur leur bord extréme des filaments (branchies). ~ Gross. 11/9 fois. . ' ; ‘D’aprés Chodat et Vischer. 1 eaux frés agitées, les Podostémonacées du genre Lawia s’étalent sur la pierre, s’y cramponnent au moyen d’un ciment (fig. 632) et constituant des crofites. semblables 4 des lichens de rochers, font presque corps avec la pierre. Sur les rebords de ces disques : a~ b a Fig. 66. — Podostemon ‘atrichus. Pousses disposées sur des laniéres appliquées au rochar i a, dans la cascade; b, dans l'eau courante mais plus tranquille. “CASCADES ET PODOSTEMONACEES 123 festonnés il y a des bouquets de petites feuilles, des sortes de branchies. Dans les Hydrobryum, ce sont encore des disques frangés au bord, ou de curieuses ventouses desquelles s’élévent des stipes terminés par un panache de filaments minces. Ces crofites sont remplacées chez d’autres par des laniéres qui ram- pent contre le rocher comme des vers plats et qui, se ramifiant souvent A angle droit, tracent sur la pierre de curieux dessins géométriques (fig. 66). On compare ces Janiéres aux racines de certaines Orchi- dées épiphytes, c’est-a-dire arboricoles, qui, elles aussi, s’appliquent contre la sur- face des écorces, se moulant aux aspéri- tés; les ramifications se font 4 la partie inférieure, trés prés de la marge, comme pour assurer 4 ces appendices une pro- tection contre la déchirure (planche LX 1: et fig. 70); d'autres ramifications, qui portent des espéces de feuilles, divis¢es comme celles des renoncules d’eau, nais- sent de la méme maniére, mais avant de quitter les laniéres, adhérentes 4 la pierre par le milieu de leur face ventrale, elles poussent des crampons spéciaux qui, 4 la facon de griffes ou de ventouses, viennent s’accrocher 4 leur tour au rocher. Parfois pig. 67, — Rameau d'une Mimo- ‘ 1197 ‘ -sacée du Paraguay hors duquel leurs organes basilaires fonctionnent Ala Sere Ses fieers d'un parasite 1 1 de la famille des Rafflésiacées facon de vrilles et enroulent de leurs spires (puneniel fone Gant in tgs les cailloux de la cascade ou les éléments informe se répand dans les ‘ ‘ tissus de l'héte, a la facon d’un dissociés des conglomérats (planche LX 3 champignon, Dess. deR.C. et fig. 69, 71). ; . D’autres, enfin, se fixent par un crampon-disque et s’évasent en forme d’entonnoir, comme le, font certains champignons en trompette (Griffithella) (fig. 65%). Chez les Apinagia YGUAZUENSIS nous avons décrit une forme analogue, mais qui s’étale en.éventail (fig. 59, 65). C’est sur ces appareils foliacés que se détachent des bouquets de filaments qu’on appelle branchies (planche IX ?). ' Ces dernigres formes sont flexibles et habitent les eaux moins 124 BIOLOGIE DES PLANTES ff QOD Y ff y); 4 ae Fig. 68. — Renoncule aquatique (Ranunculus aqua- tilis) A deux sortes de feuilles, dont la morphologic est provoquée par le changement de milieu, feuilles nageantes 3-5 lobées, feuilles submerses finement ramifi¢es, comme des feuilles de cer- taines Podostémonacces. Dess. de R. C. rapides. Ainsi, chez des plantes de cette famille, les notions de racine, tige, feuilles, sont ou confondues ou remplacées par de nouvelles notions qui font abstraction des catégories habituelles. C’est ce qui est aussi évident dans les plantes parasites, celles qui s’enfoncent dans le tissu de leurs hétes comme ces curieux végétaux dont on ne voit que les fleurs poindre hors de la plante hospitaliére (/iy. 67). La aussi, dans les tissus de I’héte, le para- site est une masse informe, il y est constitué par des filaments, des cordons, dans lesquels on ne peut distinguer ce qui appartiendrait a une racine, une tige, des feuilles. Mais qu'il se fortifie en em- pruntant sa nourriture a l’héte, et alors on verra, percant l’écorce, un bourgeon floral, qui tout 4 coup se souvient de sa dignité de plante supérieure et qui porte de vraies feuilles, une corolle, des étamines et des carpelles comme les autres plantes supé- rieures. Chez ces parasites, il y a véritablement dégradation, et cette dernitre impose au thalle la forme des champignons qui poussent dans le bois et y développent les cordons nommés rhizomorphes. Ici, je ne sais s'il faut parler de dégradation, car la plante reste une plante verte qui assimile l’acide carbonique dissous dans l’eau et qui, par conséquent, n’a rien d’un parasite. Si, dans sa forme, elle simule, l’une un lichen crustacé ou foliacé, l'autre CASCADES ET PODOSTEMONACEES 125 une hépatique aquatique, l’autre l’apparence des algues marines ou méme des mousses aquatiques, toutes ces structures sont cependant au service du fravail indépendant d’assimilation dans la lumiére.~Comme chez d’autres plantes submergées, l’eau a eu un effet modificateur. Chez les renoncules d’eau, la feuille- normale a limbe étalé est remplacée par un limbe ramifié en pinceau. Or, nous pourrions insister sur ce fait que ces modifications ne sont qu’une exagération de |’état embryonnaire, que la feuille en pin- ceau existe au début dans le bourgeon et que le seul effet de l'eau a été de pousser au développement excessif de ce qui, dans l'état normal, est représenté au pourtour de la feuille sous forme de dents (fig, 68). On pourrait citer des exemples contraires, des feuilles comme celle de la capucine qui, dans le bour- geon, alors qu’elles n’ont encore qu'un demi-milli- métre de longueur, sont net- tement ramifiées, ef qui, plus tard, au cours de leur évo- lution individuelle, ont tel- lement développé leur masse ‘en une lame que les lobes primitifs ne peuvent plus étre reconnus sur le pour- tour du’ grand disque qui vient s’étaler 4 la lumiére. On voit quelque chose d’a- nalogue dans les monstruo- sités des plantes supérieures, nommées fasciations, chez lesquelles les ramifications de la tige ne se sont pas accentuées, tandis que l’axe Fig. 69. — Podostemon atrichus. Racines rubannées Remit is ui a la fagon de vrilles se sont enroulées autour principal, s’étalant en éven- d'un ca ‘un caillou ; on voit des tiges et des feuilles trés tail, montre en se dévelop- Gross. 3 fois. D'aprés Chodat et Vischer. 126 BIOLOGIE DES PLANTES : / Fig 79 — Podostemon Warmingii, Un bouton floral, la spathelle enfermant les organes floraux . . Groin le dit développement fig. 60,5), les autres dessins montrent les laniéres dont les rami- cations sont munies d’espéces de ventouses par Jesquelles elles se cramponnent au rocher. : D’aprés Chodat et Vischer. pant les insertions prolongées des rameaux et des feuilles comme autant de veines saillantes. C’est aussi ce qui s’observe dans la plante horticole nommée créte de coq. Il y a ainsi, chez les Podostémonacées, deux tendances bien - CASCADES ET PODOSTEMONACEES 127 Fig. 71. — Podostemon atrichus. Insertion de Ja plante, a, sur la tige d'une autre (héte en noir), au moyen de crampons en forme de ventouses (on n’a pas dessiné les feuilles); b, sur un caillou, D’aprés Chodat ét Vischer. distinctes qui se font jour: dans l’une la tige ou la racine tendent 4 s’étaler, leurs ramifications ne sont plus visibles que comme de ,, faibles saillies; on arrive ainsi aux laniéres, aux lani¢res fran- gées, aux éventails, aux entonnoirs, aux crofites circulaires. La seconde tendance est de ramifier 4 l’excés les rudiments de féuilles qui, sur ces lames, se détachent parfois comme des houppes, comme des filaments associés du type des feuilles de 128 BIOLOGIE DES PLANTES renoncule aquatique ou, enfin, d’allonger simplement leurs organes en longs filaments (fig. 63 7). En d'autres termes, les Podostémonacées, en restant A un développement primitif, embryonnaire, se prolongeant pendant toute la croissance, prennent lapparence d’une plante inférieure algoide. Mais, d’autre part, ces plantes 'seraient incapables de vivre dans les cascades si elles n’avaient la faculté de produire des crampons ‘ou si elles ne pouvaient se coller au rocher par un ciment. On congoit, dés lors, que leur morphologie soit toute diffé- rente de celle des espéces aquatiques des eaux tranquilles. La seule analogie qu’elles présentent, au point de vue de leur’ fixa- tion, doit étre cherchée chez ces algues brunes des cédtes de l’Océan, dont les laniéres ou les panaches secoués par Ja vague tendent 4 chaque coup de la marée 4 résister a |’action déchi- ‘rante de l’eau par une fixation solide,.au moyen d’un crampon solidement fixé au rocher. ; Comme ces algues, les Podostémonacées n’ont pas les espaces aériféres qui caractérisent l’anatomie des tissus de toutes les autres plantes aquatiques. Leur aération est assurée par |’agi- tation de l’eau et par la minceur de leurs organes, la petitesse générale de leurs appareils. Ce sont, en effet, de trés petites plantes. Seul le Mourera fluviatilis peut atteindre 30 cm. Les autres ne dépassent guére dix centimétres, le plus souvent elles atteignent, au moment de la floraison, 2-3 cm. de hauteur. Dans les cascades, ot elles se dt ah wen souvent a 1-2 pieds au-dessous de la surface, elles sont dans des conditions, semble- t-il, assez défavorables pour leur éclairage et leur nutrition. Vivant dans des eaux qui jamais ne descendent au-dessous de 14°, le plus souvent qui maintiennent leur température 4 20-25° toute l’année, elles n’ont pas, comme les algues des eaux froides de la neige et des mers arctiques, l’avantage d’un milieu qui tient en dissolution le maximum d’acide carbonique. Mais ce désavan- tage est compensé par le renouvellement rapide de l’eau. La plu- part incrustent leurs parois externes de concrétions siliceuses, et. CASCADES ET PODOSTEMONACEES 129 ceci est plus marqué chez les espéces de la cascade proprement dite que chez celles de l’eau courante, plus flexibles, moins résis- tantes. Fig. 72. — L’une des cascades secondaires de l'Yguazu, a l'extré¢me limite méridionale ; e’est sur Parrete rocheuse que nous avons récolté les Podostémonacées décrites On voit en haut a droite le profil d'un homme, ce qui donne I’échelle. D'aprés Chodat et Vischer. Cette espéce de carapace siliceuse a été parfois considérée comme une protection contre les ennemis, en particulier contre les poissons. Mais Went fait remarquer qu’a la Guyane hol- 9 130 BIOLOGIE DES PLANTES landaise, le nom de ces plantes indique au contraire que certaines espéces sont mangées. par ces animaux. La couleur de ces plantes est souvent plus rose que verte ; chez plusieurs, la couleur rouge est aussi nette, aussi belle que celle des Floridées (algues rouges de I’'Océan). Mais ici, le rouge est di A un pigment qui est dissout dans le’ suc de la plante, Vanthocyane des pétales de nos fleurs, le rouges, des roses, des mauves, des geranium ou du raisin. C’est aussi cette méme colo- ration qu’on voit dans beaucoup de jeunes pousses, au premier printemps. . A VYagué, au centre du Paraguay, oi nous avons, dans la cascade, étudié.pas a pas la situation et l’apparence d’un Podoste- mon qui y était abondant, nous avons remarqué que les plantes situées le plus prés de la-surface, sur les dalles des grés, étaient les plus vivement colorées en rouge, tandis que celles qui s’étaient implantées dans la cascade: elle-méme, sous les corniches et par conséquent plus 4 l’ombre, étaient de coloration olivatre. Déja WEDDEL, 4 propos des Podostémonacées du Rio Tocantins, dit : «..le fleuve semblait, — qu’on me pardonne I’expression, —* rouler sur un tapis de roses ». “ .. Le botaniste qui étudie les Podostémonacées ne peut manquer d’étre frappé par ce fait singulier du peu d’extension qu’ont prise les espéces, chacune en particulier. La plus abondante ¢t Ja plus robuste, le. ions fluviatilis, est dans: plusieurs fleuves des Guyanes, mais’ la plupart des autres ne sont connues que d’une seule localité; on va méme jusqu’a pré- tendre que chaque cascade aurait ses espéces. Aucune des formes | de l’ancien monde ne s’est retrouvée en Amérique. Cela contraste avec l’énorme distribution qu’ont fini par conquérir beaucoup de plantes aquatiques de marécages, dont quelques-unes vont de |’Ar- gentine 4 la Virginie. Le Ceratopteris, cette curieuse fougére des ‘les flottantes, est connu de la. Chine comme de l’Amazonie ou du bassin paranéen. Je le répéte, aucune Podostémonacée nest de grande extension, Comment se peut-il faire que chaque rapide, méme chaque cas- CASCADES ET PODOSTEMONACEES 131 cade ait ses propres es- péces? Si, en se placant au point de vue lamarckien, on voulait rapporter la ° multiplicité des formes A ‘action des milieux chan- geants, on serait ici, comme dans beaucoup d'autres cas, dans un grand embar- ras. Sans doute, toutes les espéces pour vivre dans ce Fig. 73. — Podostemon Warmingii. Racines ram- pantes, rouges, avec pousses latérales (voir aussi le milieu agité ne pourraient —“étail dans fig. 70), z Grand. nat. Phot. d’aprés Chodat ae Vischer, se passer de leurs singu- liers moyens de fixation. On pourrait voir dans la production de ces crampons, de ces ¢rofites collées contre le rocher comme des réponses 4 ce milieu particulier. On pourrait montrer que les algues, dans les mémes circonstances, répondent de méme. Mais s'il est possible de trouver & ces excitations du milieu quelques réactions générales, on ne pourra manquer cependant d’étre tout aussi frappé par l’extréme.multiplicité des formes, méme de formes qui devraient, semble-t-il, répondre de la méme. maniére..a un milieu relativement uniforme, puisqu’elles appartiennent A une seule et méme famille; Mais, dans la structure de ces appareils végétatifs, c’est:comme si la Nature se jouait 4 nous étonner par une faculté d’invention presque infinie. D’ailleurs, n’en est-il pas de méme dans le monde ‘si varié des algues unicellulaires, Des- midiées, qui, dans les mémes conditions, présentent les formes les plus aberrantes, les plus vari¢es? I] est vrai, chacune des espéces répond A sa facon au milieu ou, si l’on préfére dire, ce qui est plus exact, chaque espéce est un appareil adéquat 4 son milieu, a défaut de quoi elle n’y pourrait subsister. L’une s’y maintient par sa capacité de résistance, l’autre par sa rapidité de multipli- cation, une troisiéme par son organisation comme calculée pour ce milieu. Si nous devions classer les espéces de Podostémonacées d’aprés leur degré d’adaptation au milieu si singulier des cas~ cades, nous serions bien embarrassés. Toutes sy cramponnent au rocher, mais dans ce milieu assez uniforme chaque espéce a I’air 1352 BIOLOGIE DES PLANTES de vouloir se singulariser. I] n’y a rien de plus difficile que de donner une idée générale de la forme de ces plantes. La raison de cette diversité n’est donc pas dans le milieu changeant, la rai- son d’étre des espéces dans ce groupe doit étre cherchée autre part. La question se complique si, au lieu de suivre Lamarck, nous voulons nous rattacher a Darwin. La lutte entre les formes, la lutte pour l’exis- tence? Mais les Podostémo- nacées n’ont pas de compéti- teurs; elles sont les seules a pouvoir vivre dans les cas- cades; trés rarement deux es- péces vivent en mélange, leurs gazons sont d’une seule espéce. Je ne voudrais pas aller jusqu’a prétendre que, dans les tropiques, toutes les cas- cades soient comparables: la nature du substratum plus ou moins friable, la rapidité du courant, I’époque des crues sont des facteurs variés, mais qui ne sont pas d’une maniére évidente en relation avec la Fig. 74.— Région argentine du cirque des chutes de l'Yguazu; on ne voit de ce cirque qu'une ol petite partie. D'apres Chodat et Vischer. morphologie externe de ces plantes. Comme nous le ver- rons a propos de Tillandsia épiphytes, la fixation de ces plantes par leurs racines se fait sur des végétaux variés. Indifférentes, les plantules germent méme sur les tiges florales de la méme espece. L’agitation de l’eau? Mais cela est un facteur trés va- riable, et leur adaptation comme on le voit:dans les cascades n’est pas si étroite qu’elles ne puissent vivre que dans une région définie de celles-ci. Et d’ailleurs, pour les espéces qui ont pu étre étudiées sur place, on a reconnu que chacune présente un nombre considérable de possibilités, chaque plante étant CASCADES ET PODOSTEMONACEES 133 extraordinairement plastique tout en conservant sa spécificité. La biologie écologique, celle qui s’occupe des relations qui existent entre la forme et le milieu est donc plus une science des- criptive qu’une science explicative. Elle pose les problémes d’ori- gine, elle trie les hypotheses et rejette celles qui sont inadé- quates ; elle classe les théories, mais la parole est a |’expé- ‘rience. I] ne suffit pas d’ima- giner, d’aprés la comparaison des formes existantes, ce qui a pu étre, comment ont pu se former les espéces. La simi- litude du corps de I’homme et de celui des singes anthro- poides prouve bien leur pa- renté systématique, mais ne prouve pasleurfiliation. Aprés avoir dit que l’homme descend du singe, voici que certains anthropologues, ef non des moindres, ne voient dans le gorille et le chimpanzé que des hommes dégénérés. Dire que les Podostémo- nacées ne sont pas des plantes Fig. 75. — Autre vue del’ Yguazu; au premier plan 1 A i le cocotier de Romanzoff (Cocos Romangoffiana). admirablementadaptéesaleur Deore Choder ef each milieu, c’est nier |’évidence méme, puisque seules dans la nature actuelle elles peuvent habiter les cascades, s’y cramponner par des moyens qui n’appartiennent qu’a elles, que seules parmi les plantes supérieures elles ont pré- paré a l’avance une cavité pour y recevoir l’embryon et qu’elles ont ainsi raccourci le temps de maturation, que seules aussi elles ont modifié leur appareil végétatif jusqu’d lui donner l’apparence des algues qui, dans la mer, vivent dans des situations analogues (fig. 59, 65, 65) pour ce qui est de l’agitation de l’eau. Mais, quand les Podostémonacées renoncérent-elles a la vie terrestre 134 BIOLOGIE DES PLANTES pour descendre dans les cascades? Quels ont été leurs ancétres/ _Leurs fleurs, qui ont’ besoin de I’air pour finir leur floraison et faire leurs fruits, montrent bien que ces plantes n’ont pas une origine aquatique. On en connait cependant une espéce qui peut fleurir sous l’eau et s’y féconder, la fleur encore enfermée dans sa spathelle, par I’action de son propre pollen (Podostemon Barberi, d’apres Wits). Hopxer dit que des espéces du Khasia fructifient aussi sous l’eau. Mais ces exceptions confirment la régle. Les botanistes leur ont cherché des parents, mais ne leur en ont trouvé que de trés éloignés. Dans tous les cas, les plantes auxquelles il faut penser d’aprés la structure de la fleur sont les Saxifragées ou peut-étre les Parnassia. Partout, autre part, la végétation d’une’ station est une asso- ciation de ‘représentants de familles diverses. Les Podostémonacées seules’ sont des plantes exclusives, et c’est 14 leur trait le plus saillant. ae ad BIBLIOGRAPHIE TULASNE. — Nionograghi. Porlnataniaaruin (1852), Archiver Iu Museum Pbistoire naturelle, VI (1852). . Auster, F. — Histoire des plantes de la Guyane (1775) I et IV. : Wanrminc, F, — Familien Podostemonaceae, Vidensk. Selks. Skrifter, VI" série, I et II, in vol. II (1881) etc. (1888, 1891,.1899, 1901). Witus, J. C. — Studies in the morphology and Ecology of the Podostemonaceae. Annals of the Royal bot. Garden Peradenya (1902), 38 pl. Baitton. — Histoire des plantes, IX (1886), 263. Went. — Recherches sur les Podostémonacées, in Compte rend. de V Acad. Amsterdam, XVI (1910). Goxper. — Pflanzbiolog. Schilderungen, II (1889). Wiis. — Sur le défaut d’adaptation chez les ,... Podostémonactées. Proceed. Royat Society, London, LKXXVIII (1914), 532. Cuopat, R. et Viscner, W. — Podostémonacées, in Chodat, La végétation du Para- guay, Bull. Soc. bot., Geneve (1917). IBIOLOG PLANCHE X 1. Broméliacées (Aechmea) dans le Chaco. 2. Broméliacée (Billbergia) sur le tronc d'un arbre. Citernes végétales et marécages suspendus. (Prancne X.) ORSQUE vous voyagez dans le sud de l’Amérique, ce qui, dans la végétation, frappe le plus, c’est sans contredit les grands Bromelia qui, au pourtour des bois ou des {lots de selves, forment un fourré presque infranchissable. Quelque temps ayant la floraison, celle-ci s’annonce par la couleur rouge vif du coeur des grands bouquets de feuilles étroites qui, 4 partir d’un centre rayonnent en jet d’eau vers l’extérieur, formant ainsi une espece d’entonnoir. De loin, ce sont comme des. fusées felgurdares qui sortent d’un coeur vert (fig. 77). Le limbe de chaque feuille est garni, sur son bord, de piquants rabustes ; -légerement carénées, elles se ‘continuent vers leur base en un dhiveau qui, venant se réunir 4 beaucoup d’autres, améne |’eau de pluie vers le’ bourgeon central, le bourgeon floral encore caché au fond de Ventonnoir végétal. Bientét, du milieu de ces feuilles rutilantes s’éléve un gros stipe couvert de squames blanches im- briquées, précédées de feuilles bractées, brusquement replies, et qui, par leurs épines terminales et les dents acérées de leur marge, gardent jalousement cette espéce de chou-fleur de l’approche des herbivores. Maintenant on voit les fleurs violet pourpre, écartant les écailles, dressées comme si elles craignaient de trop oser, montrer l’orifice trilobé de leur corolle. Les bractées rouge feu, les squames blanches, appliquées contre le céne, les corolles vive- ment pourprées, tout cela au milieu d’un bouquet de feuilles vertes et rouges, brille au soleil tropical comme un feu ardent dans le noir de la cheminée sombre. Des buissons voisins, ot ils se sont perchés pour un instant, on entend les oiseaux-mouches fendre . lair d’un ‘vol rapide, avec le ‘bruit strident d’un projectile ; il en est de bleu métallique, de vert -doré, de vert ef bleu, de violet d’aniline, que sais-je, de couleurs plus merveilleuses encore que celles du Bromelia au moment de sa floraison. On voit ces 156 BIOLOGIE DES PLANTES oiseaux-mouches s’approcher de l’inflorescence, battant des ailes d’une maniére impercep- tible avec un frémissement d’aile qui rappelle celui des sphinx de chez nous quand ils visitent les chévrefeuilles, baissant la téte, tandis qu’ils glissent dans l’étroit orifice de la corolle leur long bec effilé et leur langue filiforme. Avec une précision, un coup d’ceil surprenants, |’oiseau vi- site successivement toutes les fleurs d’une inflorescence, puis repart avec un bruit de fléche qui cingle l’air. On a long- temps cru que l’oiseau-mouche vivait exclusivement du nec- tar, du miel des fleurs, mais nous savons aujourd'hui qu'il Fig 76.— Ananas dans la forét de Paraguay ; on se nourrit tout autant des voit autour de la téte fleurie les feuilles en ché- petits insectes qui abondent neau qui aménent l'eau au centre. 7 D'aprés Chodat et Vischer. dans les corolles riches en : nectar (espéces de Thrips). Presque toutes les espéces de Broméliacées sont comme celles-ci, des plantes dont les fleurs, vivement colorées de teintes inattendues, insoupconnées de ceux qui n’ont vu que la végétation des pays tempérés, viennent opposer le vert cru de leur calice, le rouge rubis ou le bleu métallique de de leurs pétales aux couleurs ama- ranthe ou pourpre des bractées qui, tantét les entourent comme d’un involucre, tant6t les surplombent comme d’un dais magnifique. Il en est de rouges, de pourpres, de bleues, de jaunes, d’orangées, combinant ces teintes en contrastes heurtés de mascarade & faire jaloux des perroquets, des aras en personne. Or, les oiseaux- mouches ne sont pas comme nos abeilles d'Europe qui préférent a toutes les couleurs le bleu délicat des véroniques ou le violet CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 137 bleuté des centaurées ; ils aiment décidément les cou- leurs bruyantes, les rouges vermeils, les oranges ruti- lants. Toutes ces plantes Bromé- liacées — il en est de petites et de grandes — ont leurs feuilles étroites disposées en bouquets serrés; toutes, grace a cet arrangement, par la pluie se remplissent donc iné- vitablement d’eau qui, dirigée par les feuilles canaliculées vient séjourner au centre de la rosette. Beaucoup de Mo- nocotylédonées, dont les feuilles sont disposées de méme, se sont arrangées pour faire dévier l’eau qui tendrait } , a s’accumuler au centre du végétal, en laissant retomber Fig 77.— Bromelia Serra Fourré d'une Bromé- : . liacée dont les feuilles en chéneau dirigent l'eau le limbe de leurs feuilles, en vers le centre. D'aprés Chodat et Vischer. établissant a la base du limbe, comme chez les Graminées, deux gouttiéres qui conduisent l’eau vers l’extérieur, ou en s’appliquant, par la gaine de leur base, étroitement contre la tige, en un systéme étanche, imperméable a l’eau. Ici, rien de semblable, les feuilles en chéneau sont comme préoccupées d’assurer un ravitaillement suffisant d’eau, de l’amener au centre de la plante, de convertir cette derni¢re en une espeéce de citerne dans laquelle le liquide parfois séjourne plusieurs mois (fg. 76; 77, 78). Chez ces curieux végétaux le marécage n'est donc pas tout autour, il est dans la plante elle-méme. En Europe, nous n’avons guére que les Dipsacus qui, par la soudure de la base de leurs feuilles, récoltent l’eau de pluie et la 138 BIOLOGIE DES PLANTES conservent pendant la toute premiere période de leur végétation, c’est-a-dire avant l’allongement de leur tige florifere. Si nous avions la curiosité de nous approcher, d’examiner le contenu de ces sacs remplis d’eau nous y trouverions tout un monde d’organismes en voie de putréfaction, une véritable sen- tine, et cependant ce liquide nauséabond ne cause aucun préjudice au végétal supérieur gui parait vouloir, au con- traire, maintenir a la fois la fraicheur de ses vigoureux bour- geons et leur assurer un sup- plément de nourriture azotée. Chez nos grandes Bromé- lia, le liquide est ordinaire- ment plus clair, moins nauséa- bond. Cependant, avec le temps, il prend une teinte colo- rée jaundtre ou brunatre comme l'eau d’un marécage ou d’une tourbiére. Pour de si grandes plantes l’enracinement est mé- diocre ; sans nul doute, l'eau conservée autour de la jeune Fig. 78. — Aechmea polystachya (comparez avec : : f ta planche X) dans les sables du Chace: on inflorescence favorise son déve- vou bien es feulesenchéneauguiconduisent Joppement rapide. On la voit sue one Svar pes Chodat et Vischer. en peu de jours, Ome eu asperge vigoureuse, et géante, s'élever du cceur mouillé et épanouir ses fleurs. Puis, quand, par les colibris, la fécondation est opérée, les fruits agrégés A la base de chaque fleur, a l’aisselle d’une écaille, se développent en de grosses baies juteuses. L’ananas, qui est une plante du méme pays, mais qui préfere les bois humides, remplace lui aussi le gros pompon de bractées roses et de fleurs pourprées, par une accumu- lation de baies qui, avec la tige charnue, forme la grosse pomme de pin comestible bien connue. CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 139 Allons maintenant plus 4 l’ouest vers les plaines arides, par- fois inondées, parfois desséchées, du Gran-Chaco. Mélé aux grands Palmiers A cire ou aux Espinillares presque impéné- trables, sur les argiles comme sur les sables et autre part aussi sur les rochers les plus secs, un autre représentant de cette fa- mille, l’ Aechmea polystachya, haut de quarante a soixante centimetres, presse les unes contre les autres ses touffes rigides (planche X et fig. 78); ses feuilles dressées ou A peine étalées vers l’extérieur, de couleur glauque, vert bleuatre, semblent faites de tole vernie. Elle aussi, au moment de la floraison, pousse une tige, couron- née d’admirables calices roses et de bractées écarlates. Alppro- chons-nous, malgré les épines qui nous déchirent les main§, en ayant soin d’éviter les serpents qui souvent aiment a se ré ugier dans ces brousses. Chaque feuille nous apparait comme un ché- neau qui se dilate & la base en une citerne pouvant contenir jus- qu’ un demi-litre d’eau. Le voyageur, par la sécheresse terrible qui, dans cette région, dure de longues semaines, peut trouver ici le salut; c’est un puits dans le désert. Je dis qu'il peut, il aurait fallu dire il trouve de quoi étancher la soif qui le brile. Nous avons circulé dans ces parages par 37° de chaleur, alors que l’eau dans nos gourdes: s’était, au soleil, échauffée jusqu’é 41°. Mais nous savions trouver le soir au campement l’eau nécessaire 4 calmer notre soif. Dans ces conditions, le voyageur s’habitue ra- pidement 4 boire des eaux brunes du marécage, 4 plus forte raison de ’eau moins réellement croupissante des citernes de-nos Aechmea (Bromelia). M. Barsrocxe-Gruss, dans- son beau livre d’ Un peuple inconnu dans un pays inconnu (Les légendes dans le Chaco) nous raconte une halte dans le désert en ces termes : « Comme la sécheresse durait depuis quelque temps, il n’y avait plus 4 notre disposition que eau qu’on pouvait trouver dans la plante Caraguata (on nomme ainsi toutes les Bromeliacées-citernes), qui est le salut' des voya- geurs dans le Chaco pendant la saison séche. Les longues feuilles en chéneau rassemblent la rosée et la pluie, et c’est ainsi qu'une provision d’eau est conservée pendant quelques mois. J’accompa~ gnai les femmes dans la forét (clairitre), 14 ot cette plante utile 140 BIOLOGIE DES PLANTES 7 se rencontre; nous avions apporté avec nous tout ce que nous avions de pots et de jarres en terre. «Le Caraguata, qui ressemble extérieurement 4 un grand aloés, est muni d’épines nombreuses, ce qui empéche les animaux d’en boire l’eau et ce qui, d’autre part, le rend difficile 4 manier. Au moyen d’un coufeau (machete), nous coupons en travers les som- mets épineux des feuilles sans détacher la plante de ses racines; nous les tenions par-dessus des pots d’argile et, les poignardant par en bas, nous laissions l’eau s’échapper des « citernes». Chaque plante nous donnait une grosse tasse d’eau. Chaque fois qu’un des vases était rempli, nous filfrions l’eau d’un pot dans l’autre en la faisant passer au travers d’un tampon d’herbes, pour la débarrasser du grand nombre d’araignées ét d’autres insectes, comme aussi des débris végétaux, qui s’accumulent dans ces plantes. » Et, dans un autre voyage :.« Nous voyagedmes ainsi jusqu’au milieu du jour & travers un pays ouvert et des foréts de palmiers, et comme nous avions une soif intense, nous nous mimes A la recherche de bosquets dans lesquels nous aurions quelque chance de trouver des Caraguata, mais nous ne trouvdmes que des indi- vidus presque A sec... » Voici donc des végétaux qui, pendant de longues semaines, se maintiennent ‘frais par cet ingénieux systtme des citernes foliaires. Gruss dit que ces feuilles récoltent la rosée ; cela peut paraitre surprenant dans un pays dont on parle avec terreur A cause de sa sécheresse. Mais justement ces plaines et ces rochers bralés par: le soleil ardent du jour, sont froids par les nuits claires; elles sont nombreuses et rafraichies par le rayonnement intense. Nous avons assisté en plein hiver a des variations de température vraiment surprenantes. A’ une ‘heure de’ ]’aprés-midi le thermométre marquait 37°. Ce n’est qu’avec peine que sous ce soleil implacable nous pouvions encore nous intéresser aux parti- cularités biologiques si curieuses de ces déserts, notant, photo- graphiant, examinant sous la loupe ce qui attirait notre attention, nous efforcant de ne pas nous laisser gagner par I’indifférence, la paresse. Et puis, la nuit, sous la tente, la. température baissait, vers les 4 A 5 heures du matin, A 4°. Dehors, le thermométre CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 141 marquait 1° ou 2°; une abondante rosée couvrait les plantes et les Caraguata, avec leurs feuilles dressées, étaient particuli¢rement aptes a diriger cette abondante rosée vers leurs citernes, d’autant Fig. 79. — Aechmea pulchra. Broméliacée arboricole (comparez avec fig. 78), dont l'ensemble es Trestles constitue un entonnoir plein d'eau. D'aprés Chodat et Vischer. mieux que leur surface, couverte de poils, ne se laisse pas mouil- ler dans leur moitié supérieure. Nous ne nous étonnerons dés lors plus autant de trouver, sur les arbres du sud de l’Amérique une vraie cohorte de Bromélia- 1 42 ‘ BIOLOGIE DES PLANTES cées de tous genres. Tout d’abord, un Aechmea (A. pulchra) trés semblable au précédent et dont les racines ne servent guére qu’d fixer la plante a Varbre, mais qui, soit par leur structure — ce sont plutét des cAbles — soit par leur masse, sont incapables d’alimenter en eau cette grosse plante épiphyte. D’ailleurs, soit I’écorce ru- gueuse de l’arbre, soit le peu d'humus qui s’est accumulé autour des racines fixatrices ne pourraient étre utilisés par la plante comme réservoir d’eau. La plante Broméliacée se tire donc d’affaire en ufilisant l'eau qui, inévitablement s’accumule. 4 la base de ses feuilles, dans les citernes. déja décrites (fig. 79). Le botaniste qui des troncs détache ces gros bouquets de feuilles renverse involon- tairement: Jeur contenu sur sa téte. Parfois, sur un méme tronc, | se sont groupées plusieurs espéces: des Billbergia, aux magnifiques — inflorescences pendantes, rouges, bleues et vertes (planche X), des Tillandsia aux feuilles renflées & leur base en une outre, dont I’ori- fice étroit est en communication avec l’étroit limbe canaliculé, des Nidularium, vrais entonnoirs (fig. 96), dont le coeur est égayé de bractées roses ou écarlates. Chacune de ces plantes retient, d’une maniére ou d’une autre, une quantité considérable d’eau, qui_y persiste pendant toute la saison séche; 14 pullulent les organismes habituels des marécages. On y peut récolter des algues vertes microscopiques, des Diatomacées, des mousses et des hépatiques aquatiques. Méme des plantes supérieures y ‘élisent domicile et quelques-unes semblent avoir choisi ces stations de préférence, comme ces Utriculaires qui, vivant dans le minuscule marécage, dans le puits rempli d’eau, grimpent d’une citérne A |’autre au moyen de tiges allongées, émettant de longs flagelles dont le som- met, attiré par |l’eau, vient plonger successivement dans ces lacs groupés autour d’un centre organique ou étagés sur les branches. | Dans la forét tropicale ou subtropicale, quand A la faveur d’un_ cours d’eau on peut en voir l’intérieur, c’est une vraie merveille que ces Broméliacées épiphytes, plus vivement colorées que les plus belles Orchidées, garnissant les grosses branches et suspen- dant leurs’ brillantes inflorescences au-dessus de l’eau noire ou éclatant de couleurs, qu’elles savent rendre brillantes par la pro- duction d’espéces de cellules, de lentilles qui, collectant la lumiére, brillent dans l’ombre comme autant de pierres précieuses. Certains | CLIIERNES VEGETALES ET MAREUCAGES SUSPENDUDS 14” botanistes attribuent aux plantes des yeux et localisent dans |’épiderme des feuilles un systéme de lentilles qui, comme le cristallin de notre cil, sait faire converger la lumiére’ sur un fond coloré. Je n'irai pas jusqu’a parler d’yeux a propos de plantes, car un ceil, ce n’est pas seu- lement une lentille, un appa- reil qui reproduit une image, c’est cet organe sans pareil qui sait voir, qui s’adapte, qui s’efforce, qui scrute, qui est relié A un cerveau. De tout cela, nous ne trouvons guére que des rudiments dans le végétal, et cependant avec quel soin ne semble-t-il pas attirer parfois l’attention sur lui, souvent, comme 1cl, se Fig. 80 — Bromelia du Paraguay, en fleur, aux bractées rutilantes et aux feuilles fonctionnant parant bruyamment, avec une Come cee ea ae, exubérance de couleurs qui, eRe See ORE autre part que sous les tropiques, paraitrait de mauvais goit (planche X). La vivacité du coloris dépend sans doute le plus souvent de Vintensité de la lumiére ; mais ici nous voyons la Nature si déconcertante parer, dans Ja forét méme, les Broméliacées des plus étonnantes teintes et des contrastes les plus accentués. Dans cette forét sombre ne voyons-nous pas aussi les Rubiacées, aux corolles translucides, briller comme des améthystes, des fruits don- ner des feux comme des rubis, et les feuilles de certains Poivres luire comme de superbes émeraudes. Si nous en avions le loisir, nous pourrions montrer que ce ne sont pas, pour la plupart, des bizarreries, mais que ces yeux de couleurs variées, qui dans l’ombre brillent comme ceux d’un félin, assurent au végétal qui les possede 144 BIOLOGIE DES PLANTES un avantage indiscutable. Dans tous les cas, nous n’avons pas de peine a en imaginer un. La question est toujours la méme: vivant dans telle station, cette plante est comme construite pour y vivre. Partant de ce point de vue, nous pourrions poursuivre l’histoire de nos plantes de marécage, lesquelles ayant abandonné la mare de leurs ancétres ont continué, sur l’arbre, 4 vivre dans l'eau et & se comporter comme des plantes aquatiques. En effet, leurs racines ne servent guére qu’a les fixer; elles n’acquiérent jamais le grand développement de celles des plantes terrestres. Emigrées sur les arbres, les Broméliacées continuent, accentuent méme cette réduction des racines qui, chez beaucoup d’espéces, ne sont plus, au moment de la croissance et du développemert des fleurs, que des cordons desséchés, de nature cornée, noircis et qui, en cram- pons, se sont attachés a l’arbre-support ou qui, se moulant sur l’écorce fissurée, s’y sont collés comme par une masse adhésive. Les feuilles de toutes ces Broméliacées ont une structure qui, au point de vue physiologique, parait contradictoire. Une section pratiquée au travers du limbe montre qu'il y a, du cété supérieur, au-dessous d’une épaisse cutine, espéce de vernis protecteur, un tissu de cellules incolores, véritable réservoir d’eau comme celui qui se forme dans la majeure partie des plantes grasses, chez les plantes des rochers secs et des déserts. A la face inférieure, ce tissu aquifére alterne avec un tissu vert en relation avec les sto- mates, petits orifices qui permettent la respiration, l’assimilation de l’acide carbonique et la transpiration. Mais ce tissu est construit comme chez une plante aquatique. Les cellules étoilées laissent entre elles de grosses lacunes. Cette structure de plante aquatique s’exagére encore dans la citerne, dans la région qui est inondée. La plante citerne hésite donc, comme beaucoup de plantes;de marécage, entre le danger d’étre étouffée par l’eau peu aérée et celui non moins réel (pour la portion qui hors de l’eau est expos¢e a la lumiére et a l’air) d’étre desséchée par le vent, la chaleur et la lumiére. La Broméliacée-citerne pare donc adroitement A ces deux dangers contraires. , Protégée contre une rapide dessiccation, soit par ses réser- voirs internes, cellulaires, soit par sa carapace de cutine, la Broméliacée peut puiser l’eau nécessaire A couvrir son déficit de CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 145 transpiration par les poils absorbants en écusson qui tapissent la région inondée des citernes et dont le pied s’enfonce dans la feuille en tissu conducteur. On trouve aussi sur la portion exondée du limbe des poils Fig. 81. — Myrtacée du Paraguay, sur les branches de laquelle sont venus se fixer des Tillandsia ; on voit en haut des touffes grises, portant des tiges dont les unes laissent pendrc les capsules (fruits) ouverts (au milieu de |’espace entre Ies deux branches); de jeunes plantules se sont implantées en dessous (étoiles blanches) (Tillandsia loliacea). D'aprés Chodat et Vischer. semblables qui se laissent mouiller avec rapidité. Ces deux carac- téres, citernes et poils absorbants des feuilles, permettent de comprendre la biologie d’autres Broméliacées. Les unes ont encore des citernes et sont intermédiaires entre les précédentes et les autres qui, dépourvues d’appareils pour conserver l'eau et, comme nous allons le voir, de racines pour l’extraire du sol, de l’écorce ou des rochers, vivent exclusivement de l’air, ce qui leur a valu le nom caractéristique de « Flor del aire». Celles- ci appartiennent toutes au genre Tillandsia. Il en est de trés 146 ; BIOLOGIE DES PLANTES petites, 4 peine d’un pouce de longueur ; d’autres, plus rares, attei- gnent jusqu’a un métre et plus de hauteur. Chez ces plantes qui vivent exclusivement ou sur la couronne extérieure des arbres de la forét tropicale, exposées A la vive lumiére (fig. 81), ou sur les branches des grandes épines des Espi- nillares. des plaines para- néennes ou chacoennes, les feuilles sont couvertes d’un indument presque continu de poils en écusson qui vont, en entonnoir, s'implanter dans la feuille. Par le temps sec, ces poils appliqués contre la feuille lui donnent ae — Dissémination par viviparie du Til-. une apparence finement cha- dsia loliacea, En haut on voit la capsule-fruit ‘ ‘5 ouverte, laissant échapper non pas des graines, grinée, comme poussiéreuse, mais des plantules munies a leur base des poils : de la graine, hors de laquelle elles ont germé déja COmme parsemée de petites dans la capsule, En bas, A droite, deux plantules a réunies en chainette et emportées par la_brise, écailles nacrées ou argentées A gauche, cette ‘chainette s'est accrochée a la . 1 . branche d'un haut buisson et l'une des plantules (fig. 88, 89). Par le temps va pousser une racine crampon (comparez fig. 84). h id tt ‘ d D’aprés Chodat et Vischer. umide, cette apparence de lichen, d’ Usnea ou de Cetra-. ria, disparait et fait place A une teinte vert grisdtre. Du milieu des petites rosettes aux feuilles étroites, en bouquet, part une tige florifére munie d’écailles et terminée par quelques fleurs dont on ne voit poindre, hors des bractées imbriquées, que la corolle tri- lobée. La couleur en est généralement pale, jaune ou violacée. Fécondées, ces fleurs produisent une espéce de longue silique dans laquelle mirissent des semences minuscules, fusiformes, accom- pagnées par une aigrette de poils, soyeuse ou cotonneuse. A la maturité, on voit ces étroites siliques s’ouvrir sous la pression des poils qui foisonnent, et les. semences, allégées par leur fine cheve- lure, se laisser balancer par la brise et transporter par les remous du vent, un peu comme chéz nous, au printemps, sont disséminées les semences des peupliers (fig. 82, 83). CITERNES VEGETALES EF MARECAGES SUSPENDUS 147 Les Broméliacées 4 fruits charnus sont recherchées par les oiseaux, les chauves-souris, les singes.. Dans la forét tropicale et subtropicale américaine, la vie animale se passe principalement dans l’étage supérieur; il faudrait, pour comprendre la vraie biologie de la forét amazonienne ou paranéenne, pouvoir suivre d’arbre en arbre les singes qu’on entend hurler en bandes dans le lomtain de la forét, observer les mceurs des nombreux oiseaux frugivores qui se nourrissent des baies des Broméliacées, des cerises aromatiques des Myrtacées et des fruits charnus des Arotdées; surveiller, le soir, les habitudes des _chauves-souris dix fois plus nombreuses que chez nous, de jour, les perroquets qui se régalent de baies; et jusqu’aux fantastiques Toucans aux | gros et longs becs qui remplacent les longs bras et la queue prenante des singes par l’informe appendice nasal qui les défi- gure. Tous ces frugivores ont contribué et contribuent 4 dissémi- ner les plantes épiphytes & fruits charnus, sur la couronne des arbres et én particulier sur la fourche des troncs ou des grosses branches sur lesquelles ils viennent se percher. Les Tillandsia sont A ce point de vue d’une tout autre bio: logie. Il serait difficile de trouver a |’intérieur d’une autre famille, aussi naturelle que celle des Broméliacées, un contraste plus frap- pant, au point de vue des fruits, que celui que nous présentent les Fig. 83. — Chainette de trois plantules attachée par des poils 4 deux branches voisines ; on voit Saja les petites racines dans les deux plantules de droite Tillandsia avec leurs semences légtres qu’emporte la moindre brise et les lourds fruits charnus, isolés ou agrégés, des dechmea et des Ananas (fig. 68). 148 BIOLOGIE DES PLANTES La capsule des Tillandsia s’ouvre prudemment de -haut en | bas, mettant 4 nu les semences poilues qui y étaient comprimées ~” et qui maintenant dé- gagent leurs aigrettes, Le vent quiles emporte finit par les déposer sur des branches (fig. 81), sur le tronc des arbres, sur les feuilles méme, parfois sur la surface - lisse d’un grand Cierge. Alors Vhumidité du matin ou la surface un peu glutineuse ou cé- Fig. 84. — Tillandsia loliacea (voir fig. 82). Fixation des racée des végétaux les Unllggement ot au, Gansnee ger Ie weer Le cacince gut. neGlent4 gp@ce A. [hw s‘enroulent autour des branches et se dilatent en laniéres ai Bey d’adhésion en se collant, midité de la rosée, elles germent en fournissant rapidement quelques menues radicelles qui manifestent des mou- vements de va-et-vient comme les vrilles des lianes; les unes, au contact de la branche, sont irritées et répondent 4 ce choc, a cette pression par une réaction tactile qui s’exprime par la pro- duction d’un disque d’adhésion, espéce de ventouse (fig. 84, 85) qui vient s’étaler, se mouler exactement sur la surface lisse ou rugueuse de l’écorce. Dés lors la plantule est définitivement fixée et sa germination continue: un petit bouquet de feuilles qui s’al- longent, puis finalement une tige florifére ‘portant quelques fleurs jaunes ou violacées. La faculté de se fixer sur des corps quelconques est géné- rale chez certaines espéces. Ainsi nous avons vu l’une des plus petites, le Tillandsia loliacea, s’attacher & des branches, a des troncs, des pierres, des feuilles lisses; au Brésil, on provoque le développement de ces fleurs de l’air par des fils tendus entre les balcons, ce qui donne, au moment de la floraison, des décors originaux et, selon les espéces, des guirlandes multicolores. On les voit parfois, dans l’ Amérique latine, garnir les fils télégraphiques abandonnés, ce service n’étant pas toujours d’une régularité CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 149 absolue. Nous avons aussi vu la surface verticale et lisse des grandes falaises au Cerro San Tomas, prés de Paraguari, garnie d'un gazon de Tillandsias. Méme de grandes espéces comme le T. rupestris, qui forment habituellement une espéce de prairie (fig. 97), arrivent, si les circonstances ont été favorables, 4 se suspendre aux granites par un disque d’adhésion qui ne dépasse Fig, 85. — Germination de la plantule vivipare du Tillandsia Lorentziana (voir fig. 92). On n’a représenté que la base de la plantule: remarquer Peurelonpe de la graine qui donne les trois touffes de poils par sa dissolution; un petit bouquet de feuilles 6) dont on ne voit pas le sommet (comparez avec fig. 82); de la base de cette plantule sortent trois racines. qui, au contact du substratum, s'étalent 4 leur sommet en disques d’adhésion, espéce de ventouses fixatrices qui vont se mouler et,se coller contre le rocher. D’aprés Chodat et Vischer. pas 0,6 cm. et par lequel une plante de plus de 25 cm. se balance par-déssus l’abime (/ig.'86): A cet effet, le crampon sécréte une substance adhésive et durcit ses radicelles qui deviennent résis- tantes comme un fil de fer.’ Dans cet exemple on voit bien que la plante, méme si elle produit encore au début de minuscules radi- celles, ne peut s’en servir pour se nourrir, pour absorber I’eau. | Chez les espéces qui reposent sur le sol, par exemple chez celles qui, entre les gros blocs des ¢boulis gigantesques des Sierra du Paraguay central et du Cerro d’Acahay, forment de grossiers 150 BIOLOGIE DES PLANTES pubic gazons de 20 A 3o cm. de hauteur et dans lesquels il ne faut avan- cer qu’avec prudence car ils recouvrent souvent des trous pro- fonds ot se plait le « Kiririviju», le plus dangereux des serpents dont la couleur grise, zébrée de noir, se confond avec la teinte des plantes et le grain du granit, méme chez ces espéces en apparence terricoles, la base de la tige, qui s’allonge en un chaume un peu ascendant, ne pousse au dehors aucune racine. Les plantes sonf: comme coupées 4 leur base; on peut en emporter des brasséedit sans aucun effort; accumulées entre les blocs, elles sont comme™ de la paille de bois qu’on dispose: entre des objets fragiles pour les expédier. Elles vivent donc exclusivement de lair. Chez d’autres espéces arboricoles, les radicelles s’enroulent autour des branches menues & la facon des vrilles (fig. 90) d'une clématite qui fixe solidement ses longs sarments aux branches“de nos arbres.’ Mais la clématite, mais toutes les lianes, tous les. épiphytes autres que les Tillandsia restent en communication avec: le sol par des racines, ou si, comme chez certaines Orchidées de la forét humide tropicale, elles y ont renoncé, elles puisent l’humi- dité dans ]’atmosphére par de longues racines. aériennes, envelop- pées d’un voilé spongieux sur lequel la rosée et les poussiéres viennent se déposer. Ici, chez les Tillandsia, chez les « Fleurs de Yair», la racine n’est plus un organe d’ absorption ; elle n'est plus, ' dans les cas cités, qu’un simple crampon, une griffe dont les tissus, . maintenant morts, assurent la fixation du végétal. Chez le Til- landsia arhiza et le T. rupestris, on n’en:voit aucun vestige 2 a Vexté- rieur du végétal, lequel est simplement posé sur les pierres ou serré entre les blocs. J’ai dit: on n’en voit pas; si on les cherchait on les trouverait cependant. Une section pratiquée dans une tige de | ces broméliacées aériennes, en particulier dans les grandes espéces suspendues, révéle une structure unique dans la nature actuelle, Autour du cylindre de la tige, il y a dans I’écorce, immergées dans les tissus de ce fourreau de la tige, des racines dont les fissus sont sclérifiés et qui courent parallélement a la surface jusque tout prés de la base de la tige. Dans l’espéce qui est simplement posée sur le rocher, ces racines ne se font pas un chemin vers l’extérieur, mais, chez une autre espéce qui lui res- semble beaucoup et dont les bouquets de feuilles en longues alénes -CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 161 sont comme suspendus par une ficelle (fig. 86) au rocher, celle-ci s'agrafe 4 la pierre par quelques racines qui ont percé la base de la tige et qui sont venues former un disque d’adhésion en se ramifiant en processus digitiformes, ef comme une main qui cherche a se cramponner, soutiennent le poids considérable du végétal (/ig. 87). Fig. 86 — Belle touffe du Tillandsia rupestris, sur les granites (éboulis) du Cerro San Tomas, cramponnée contre une paroi verticale par quelques petites racines (voir fig. 97), le feuillage, par le sec, blanc de neige; on voit les tiges floriféres horizontales. Le lecteur qui-aura bien voulu me suivre jusqu'ici comprendra ’émotion qui nous saisit, M. le D* ViscHer, mon compagnon de voyage, et moi-méme, 4 la vue de ces merveilleux végétaux. Alors, la chaleur torride, la fatigue, la difficulté de hisser nos appareils photographiques, dont le plus lourd, mais aussi le plus précieux, pése deux kilos, le danger des vipéres, longues de deux métres, sur lesquelles nous avons tout A l'heure failli mettre le pied, tout cela n’est pas oublié, mais cela ne nous arréte pas. Méme la brousse épineuse qui s’ingénie A nous piquer de ses 152 BIOLOGIE DES PLANTES dards varies, la soif intense méme qui nous brile la gorge, tout cela ne fait qu’augmenter l’étrangeté de ces plantes toutes grises, sans racines, sans citernes, auxquelles nous serions cette fois heu- reux de nous rafraichir, ne ft-ce que d’une goutte d’eau. L’oppo- sition de ces végétaux qui, presque desséchés comme les chaumes aprés la moisson (fig. 97), avec tout ce que nous connaissions des autres végétaux qui puisent l’eau dans le sol au moyen de leurs racines, ou méme le contraste apparent qu’ils offrent ‘avec les Broméliacées ‘cifernes, dont on voit du haut de cette Sierra les Bg) 87. — Base de plantes du méme type que la fig. 7-(Tillandsia rupestris). Chez cette plante, es racines qui sont cachées dans l’écorce de la tige, ne font saillie que la base et comme des fils de fer développés en crochets vont s'attacher au rocher (voir fig. 86). - épis fulgurants pointer la plaine comme autant de flammes, cela est plus qu’étonnant. Et cependant la sécheresse n'est pas si ex- tréme qu'il parait, puisque méme ceux-ci savent, dans cet enfer, porter vers le ciel, sur une hampe gracieuse, quelques fleurettes lilacines. Le tableau que j’ai essayé, d’aprés nature, d’esquisser en quelques traits est celui du milieu du jour. I] faudrait revenir ici le matin, vers les quatre heures, par une de ces nuits froides dont jai parlé. On verrait alors ces hérissons aux alénes argentées se couvrir de rosée, la pomper presque instantanément par |’indument des poils grisAtres qui les enveloppent, microscopiques paillettes, dont chacune est, par le sec, une pompe aspirante, et’ dont le mécanisme d’absorption a été élucidé par les recherches de MM. Scuimprer et Mez. _ disque (fig. 88) & plusieurs CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 153 Mais nous pouvons sans tarder expérimenter dés maintenant; le peu d’eau qui.reste au fond de notre gourde va nous servir. On voit qu’en passant un pinceau. imbibé d’eau sur la feuille, celle-ci absorbe l’eau comme une éponge et peu a peu perd sa couleur argentée . pour se vétir d’un ton ver- dAtre qui laisse deviner sous Yindument la chlorophylle de la feuille. Chacun de ces poils, vu den haut, est comme un grandes cellules, les unes centrales, les autres margi~ nales. En section longitudi- — Ee doar ny ewig oe re ick. nale, cet appareil se monfre . constitué par deux régions bien distinctes comme fonctions (ig. 89). L’étage supérieur comprend des cellules mortes, mortes comme celles de la moelle du sureau. Du cété extérieur, leur paroi, par le sec, est formée de zones supperposées d’une substance cornée a ce moment, mais qui par la rosée gonfle comme de la gélatine qu’on met dans l’eau. Cependant, ce gonflement par lequel |’épaisseur de cette paroi est plusieurs fois multipliée est si rapide que quel- ques secondes suffisent, sous le microscope, pour observer tout le phénoméne. Nous appellerons couvercle cette zone membraneuse externe capable de gonflement ; comme elle est beaucoup plus épaisse en son centre que sur ses bords, le disque se bombe vers Yextérieur et s’applique par ses bords contre l’épiderme de la feuille, ce qui augmente la capillarité en diminuant l’espace. L’eau en exces retenue par capillarité, est maintenant pompée dans les cellules du disque, ainsi que nous appellerons les cellules exté- rieures. En effet, par.la sécheresse, l’eau qu’elles contenaient s’étant évaporée, elles se sont successivement effondrées, car leurs minces parois verticales ne sont pas assez rigides pour les main- tenir en dilatation ; ces parois minces se sont plissées en soufflet 154 BIOLOGIE DES PLANTES— d’orgue ou d’harmonica: en se vidant d’eau, elles ne se rem- plissent donc pas d’air, C’est pourquoi, lorsque vient l’humidité, la rosée, la pluie, elles peuvent si facilement se remplir 4 nouveau d’eau en redressant leur soufflet effondré. Comme il n’y a pas. d’air, il y a appel, et le‘couvercle, déja bombé, est encore soulevé dans le méme sens et avec la méme courbure, car les cellules du centre sont beaucoup plus élevées. Or, l’eau pompée dans ce disque passe maintenant dans la pile verticale de cellules, dont la Fig. 89. — Poil absorbant dont les cellules supérieures mortes ompent Yeau de la rosée et ensuite l’abandonnent aux tissus de la feuille qu'on voit au-dessous de la ligne noire qui indique la surface de la feuille. supérieure, comme un sucoir, communique avec toutes les cel- jules du disque, qui ne sont A ce moment que de petits tonneaux pleins d’eau; cette cellule vivante suce maintenant par sa force osmotique l’eau qui n’est retenue par aucune force importante dans le couvercle et I’abandonne aux cellules sous-jacentes, selon la dynamique de l’absorption végétale. Tout cela est facilité par un ingénieux dispositif accessoire. L’épiderme de la feuille est pro- tégé par un vernis cuticulaire imperméable A ]’eau; ce vernis se continue dans la fosse qui sert d’insertion au pied du poil. Tout le pourtour de ce pied’ est: enveloppé par un cylindre de ce méme vernis, tandis que les parois transversales sont perméables & Yeau. Ainsi, de poche en poche, l’eau chemine dans ce. conduit, attirée par les cellules assoiffées du tissu foliaire. C’est peu de chose pour chaque poil, mais comme toute la surface est garnie de ces pompes microscopiques, ]’effet est suffisant. D’ailleurs, le ‘CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 155 Tillandsia ne s'est pas écarté définitivement de ses congénéres Broméliacées citernes, Broméliacées marécages suspendus. Par la pluie, les feuilles-imbriquées constituent, elles aussi, de petits en- tonnoirs, surtout chez les espéces érigées. Quelques-unes méme ont encore des citernes qui se remplis- sent par capillarité et dont eau a quelque peine a s’écouler, méme si la plante est renversée ou si elle est en situation pen- Fig 90 — Tillandsia polytrichioides ; on voit les racines-vrilles entourant une branche; a roite, une capsule ouverte. Réduction de moitié. D’aprés Chodat et Vischer. chée, car l’orifice de la citerne est petit, une bulle d’air forme alors bouchon, par le sec. Mais toutes ont encore dans leurs tissus des réservoirs d’eau A cété des cellules vertes ; elles savent ainsi répartir avec sagesse la fonction, travail d’assimilation, et la fonction réservoir, l’épargne. Les cellules réservoirs peuvent aussi s’effondrer en prenant Yapparence d’un soufflet d’orgue & mesure que les tissus actifs puisent dans cette réserve aqueuse. Mais ces cellules-ci resfent vivantes. ‘Chose qui parait au premier abord surprenante, ces plantes, qui pourraient étre classées parmi les plantes xérophytes, c’est- a-dire des lieux secs, ont dans leurs tissus la structure de plantes semi-aquatiques : des cellules étoilées, des lacunes, |’insignifiance, la réduction du systéme -conducteur pour l’eau. Plus encore, ce 156 BIOLOGIE DES PLANTES dernier systéme s’oblitére rapidement; les vaisseaux spiralés et ponctues se remplissent de gomme et ne peuvent plus conduire. Encore un peu actifs dans le premier Age, ils sont rapidement mis Fig, 91 — Tillandsia usneoides, Plantule fixée par uelques racines (ce qui est exceptionnel, car la plante s‘accroche habituellement par ses feuilles). D'aprés Chodat et Vischer. hors de fonction dans la plante adulte qui, & V’instar des plantes aquatiques, absorbe l’eau par sa surface et non par ses racines. De loin, les arbres qui sont envahis par les Tillandsides (ily ena plus de 250 espéces en Amérique) ont l’apparence de nos bois’: CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 15 garnis de lichens, d’ Evernia, de Parmelia, d’Usnea. Cette impres sion est encore augmentée parce que, comme les gros lichens d nos bois de coniféres, dans la région des nuages, les Tillandsia d Fig. 92. — Vue générale de l'‘endroit ou a été prise la photographie 93; en arriére du rocher, brousse épineuse; sur le rebord, des cactées du genre /chinocactus ; sur les parois verticale des Broméliacées en gazon collées contre la pierre (voir le début de cette végétation fig. 8 Tillandsia Lorentziana). D’aprés Chodat et Vischer. plusieurs espéces, et parmi les plus petites, savent entourer tout la branche. On en voit de dressés, de latéraux et de suspendus leurs tiges floriftres méme ne s’orientent pas, par rapport a | 158 BIOLOGIE DES PLANTES verticale, mais s’éloignent simplement en ligne droite du point d’at- tache de la plante. C’est comme dans le gui, ce parasite de nos arbres qui, se ramifiant en fourche dans toutes les directions, arrive, a former les boules bien connues qui entourent les branches. La plupart des autres végétaux terrestres sont rigoureusement soumis dans leur direction de croissance 4 ]’influence de la pesan- teur ; vis-a-vis de cette force, ils dressent leur tige principale, enterrent leur racine, disposent leurs branches et leurs feuilles. Ces Tillandsia, comme le gui, ne percoivent donc pas, en tant que force d’orientation, la pesanteur. Sans doute, quand ils se détachent du tronc sur lequel ils sont -fixés, ils tombent comme tous les.corps lourds. II s’agit ici d’une tout autre chose: sentir la direction, ordonner sa croissance d’aprés la direction de la pesan- teur, redresser les organes quand par une cause ou une autre ils ont été écartés de la position d’équilibre qui leur est imposée par leur nature qui est de s’orienter par rapport a cette force. Voir comment, & chaque époque de ‘la vie, le végétal sait se diriger, comment méme apres avoir penché ses fleurs pour les présenter aux insectes, il les redresse sur ‘de longs et élastiques pédicelles pour les faire secouer par le vent, c’est un des objets les plus capfivants de la Biologie végétale, c'est saisir comment la plante sait maintenir un équilibre nécessaire ou changer cet équilibre par. un autre équilibre meilleur désormais. Il semblerait. que la perte de cette sensibilité serait pour les plantes ce que serait pour l’homme la perte du sens tactile, de la vue, de l’ou%e. Eh bien! les Tillandsia, qui n’«entendent» plus la pesanteur comme force d'orientation, sont cependant avantagés puisque, autour de la branche, ils vont pouvoir croitre dans les situations les plus diverses ; ’espace & occuper sera plus grand, la_lumiére, Yair pourront avoir meilleur accés. D’ailleurs, tous ne se com- portent pas de méme. C’est un charmant spectacle que celui, au pourtour de la lagune Ypoa, des « Quebrachales » (foréts claires d’arbres épineux ou A petites feuilles sur terrains salés) sur les branches desquelles les Tillandsiées de tout genre ont établi domi- cile, les unes cheminant comme avec précaution sur l’aréte supé- rieure de la branche, se tenant bien prudemment comme un dan is CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 15 seur de corde dans la verticale, les autres garnissant tout | pourtour de la branche de leurs rosettes de feuilles grises, toute fleuries, de couleurs variées, gracieux jardins suspendus. oe 93. — Au sommet du Cerro San Tomas, Paraguay central; on voit sur le rebord rochet eux boules d'une cactée (Echinocactus Schumannianus), entre lesquelles s'est placé un T landsia (T. Durati); comparez avec fig. g2. Il semblerait que dans ce groupe étonnant les especes eusser voulu, dans une espéce de surenchére, nous surprendre au cor cours. Pour vivre sur l’arbre et y suspendre leurs citernes, il ser 160 BIOLOGIE DES PLANTES blerait qu’elles dussent toutes produire, au moins. dans leur jeu- nesse, quelques racines crampons. Mais voici des espéces qui se sont-habituées 4 grimper dans les arbres sans racines. Ce sont en général de grosses plantes. Nous les avons étudiées dans les ravins des plateaux rocheux des « Causses » de Tobaty et des falaises de San Tomas et, plus au nord, dans les Espinillares de Concepcion. L’une de ces ‘espéces, quand elle est encore sur le sol, par exemple dans un ravin rocheux, sans prendre racine, dresse une tige garnie de. feuilles disposées sur deux rangs, et dont ]’extrémité se recourbe spontanément en crochet, lequel finit par s’enrouler en queue de scorpion ; elle s’appuie contre la pente sans s’y cramponner (fig. 94). Ceux des exemplaires qui, 4 1-2 métres, ont atteint aux _premiéres branches d’un petit arbre, changent alors de maniére de faire: les feuilles, en voie de développement, se renversent dans tous les sens en corbeille inversée, ef par leurs extrémités qui se courbent en crochets, elles s’attachent a cette branche, I’enroulent ensuite de leurs spires et, soutenu par ces échasses, le végétal con- tinue a allonger sa tige, A pousser en avant ses longues feuilles en flagelles, en espéces de fouets, pour s’accrocher plus haut. On en trouve qui ont grimpé jusqu’au sommet des grands arbres. La portion située_ au-dessous de la corbeille renversée (fig. 95), des échasses, disparait avec le temps, elle se détruit. Cette espéce évidemment connait la direction de la pesanteur et c’est ce sentiment qui lui fait pousser en avant ses feuilles jeunes et recourber ses feuilles Agées, pour s’établir sur une es- péce de trépied, sur une espéce de céne, en équilibre parfait. Beaucoup de ces Tillandsia ont simplifié leur cycle évolutif en accélérant leur germination; ce phénoméne, pour certaines espéces, est si général, qu'il l’emporte sur la multiplication par semences, qu’emporterait le vent. Chez celles-ci la germination se fait im- médiatement dans la capsule et, lorsque le vent emporte le coton qui enveloppait ces semences, les plantules déjd munies de radi- celles sont prétes 4 s’implanter au contact avec les branches des arbres. I] faut supposer que la capacité de germination dure peu et que, plus rapide est le développement, plus les chances de fixation sont augmentées. Dans tous les cas, cela facilite la colo- CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 161 nisation des arbres voisins, en quelque sorte la prise de pos- session de la branche de proche en proche. Nous avons trouvé’ cette viviparie chez des espéces de Tillandsia de toutes les régions de Amérique du Sud. Notre biologie des Bromé- liacées serait incompléte si nous oubliions l’une des plus remar- quables, dans tous les cas la plus répandue des espéces de cette famille, le Tillandsia us- neoides, qui, de loin, donne aux Légumineuses du Tebicuari et du Parana, comme aux chénes de la Floride, l’apparence de nos foréts de montagnes, quand elles sont garnies des longues barbes ou des fila- ments, des étoupes, des lichens, I’ Usiiea barbata ou! Alectoria Jubala. Il est excessive- ment rare de voir cette minuscule Bro- méliacée se fixer par des racines (fig. 91); le plas souvent elle: “TA OU slat qu acerpoed an sade phoupseobie (eal se suspend par ses fig. 93) ; f droite, la plante allongée et dont le sommet s'est ‘ : . cramponné par ses feuilles-crochets, tandis qu'elle continue a plantules aux feuil- progresser. - D'‘aprés Chodat et Vischer. les recourbées en crochet qui, produisant de longs stolons filiformes munis de quel- ques feuilles et d’autres stolons qui simulent, en effet, I’ Vsnea de nos sapiniéres. La grande extension des Tillandsia usneoides est due aussi au fait que des oiseaux (Ostinops Jecumanus) s’en servent pour la con- fection de leurs nids. Elle se reproduit rarement par semences; le vent en emporte 11 162 BIOLOGIE DES PLANTES - les troncons et les suspend comme de la laine qui s’accroche aux ‘buissons, aux branches des bois humides. Nous avons parlé des citernes et des marécages suspendus, Les Tillandsia avec leur surface spongieuse, d’autres Broméliacées avec leurs feuilles grisAtres et rugueuses, par l’abondance de poils qui pompent de l’eau, sont aussi des espéces de tourbiéres sus- pendues ; vous avez sans doute vu les Sphagnum de nos sagnes, Fig. 95. — Spéeimen dont les feuilles en corbeille renversée - reposent sur le haut d’un arbre. de nos tourbiéres élevées. On s’en sert pour maintenir humides les paniers suspendus dans lesquels. nos jardiniers cultivent les Orchidées arboricoles. On y trouve aussi, A cdté de cellules vertes des cellules mortes qui pompent de l’eau par capillarité. Eh bien! ces amas de mousse hygroscopiques sont envahis par de petites algues vertes, les mémes qui dans l’indument des Tillandsia ‘trouvent l’humidité journalitre qui leur est nécessaire. N’est-ce pas un paradoxe que l’histoire de ces habitants des demi-déserts qui font de leur surface une tourbiére en miniature? Je me suis souvent promené avec des gens du monde; le plus souvent je me suis tu. Il me plaisait de me détacher de mes pré- occupations pour entendre leur aimable et spirituelle conversation. CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 16 Fig. 96. — Grand figuier du Brésil sur la base du tronc duquel s'est fixé un épiphyte du type d: plantes citernes. Photographie commerciale Le naturaliste ne perd pas ses droits, méme dans la sociét bruyante et mondaine. Il y a des puits de science, des citerne profondes, des marécages aussi et des tourbiéres de l’esprit. L science de l’observation ne s’arréte pas au domaine de la botan 164 BIOLOGIE DES PLANTES que. Mais je n'ai jamais pu gofiter le jugement superficiel qu’ils portent souvent sur la Science de la nature et sur les savants qui, préoccupés de menus détails, ne peuvent, disent-ils, s’élever aux grandes vues, aux vues générales. Ah! la pauvreté des idées générales, des jugements d’ensemble, cette admiration conventionnelle des gens du monde pour ce pay- Fig. 97. — Gazon fleuri d'un Tillandsia (T. rupestris) sans racines, simplement posé¢ dans les interstices de I’éboulis, vivant donc exclusivement de l’air (voir la forme fixée dans la fig. 86). D‘aprés Chodat et Vischer. ‘ A , . . sage qu’aucun des spectateurs peut-étre n’a compris, ni dans son agencement, ni dans sa tonalité. Courbez la téte, artistes et sa- vants, il vous faut, pauvres d’imagination que vous étes, l’obser- vation lente, le travail persévérant, avant de saisir les grandes lignes et encore aprés avoir passé votre vie A saisir des rapports, c'est A peine si vous pouvez formuler une régle. L’homme du monde, le politique, le journaliste ont des solutions concrétes 4 tous les problémes. Devant la nature méme, devant un paysage reconnu sublime, ils savent s’émotionner selon les formules consa- CITERNES VEGETALES ET MARECAGES SUSPENDUS 165 crées; ce sont les formules de tout le monde, on les écoute. Et parfois, pourtant, j’ai parlé de ces choses qui nous pas- sionnent, ef j’ai vu les plus indifférents attentifs. C’est lorsque,’ résumant une question longtemps, patiemment, étudiée, on saisis- sait le lien invisible qui unit: tous ces phénoménes. Ici méme je ne sache pas qui pourrait rester indifférent’ devant histoire contée en toute simplicité, des Broméliacées, nombreuses et variées et pourtant si différentes de toutes les autres plantes, de leur voyage terrestre et aérien. L’histoire biologique d’une famille est plus passionnante qu’un choix d’anecdotes ramassées un peu par- tout. En approfondissant un sujet, en limitant ses recherches 4 un petit espace, 4 un clan, on pénétre bien plus avant dans la biologie générale, car l'histoire d'une famille, c’est aussi l'histoire d’un peuple. On pourrait, A propos d’un groupe quelconque de plantes, faire un cours de biologie générale. C’est ce qui m’a autorisé a m’étendre un peu plus que de coutume sur le sujet, presque iné- puisable de la vie des Broméliacées. Et je n’ai pas dit comment se comportent celles qui ont les feuilles, charnues comme des aloés et les fleurs, brillantes comme des jacinthes ni comment se dissé- minent leurs graines ailées. - Comment fonctionnent léurs appareils floraux parmi les plus brillants du régne végétal? Il ne s’agit pas de tout dire, il importe seulement d’attirer l’attention. Je voudrais qu’a la lecture de ces essais biologiques quelques-uns, désirant en savoir plus long, m’accusent d’étre incomplet. 166 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE ‘ Baton. — Histoire des plantes. Picapo. — Les Broméliacées épiphytes considérées comme milieu biologique. Ttase, Paris (1913). . Scurmprr, A. W. — Die epiphyte Vegetation Amerikas, Biolog. Mitt. aus den. Tropen, Jena (1888). — Die Epiphyten Westindiens. Bot. Centralblatt, KVIII (1884). Merz, C. — Die Wasserékonomie der extremen Tillandsizen. Jabrb..f. wiss. Botanik, XL (1904). Cuopart, R. et Viscuzr, W. — Broméliacées in Chodat, _ Végétation du Paraguay. Keine, E. — Revue générale de Botanique, Paris. XXVII (1815). a eevee aN R. C. del. Etang-tourbiére de la « Gruyére» (Jura bernois) avec Pin de montagne, Sphagnum, Myrtilles et Drosera. Arbres amphibies. (Prancue XI.) un certain degré, toutes les plantes sont aquatiques, puisque, sans eau, pas de végétation; leurs racines doivent plonger dans un sol suffisamment humide. On transforme des déserts en plaines fertiles par l’irrigation. Au milieu du Sahara, |’Arabe brise la couche d’alios en forant des puits jusqu’A 7o m. de profondeur pour amener l’eau a la surface et constituer une oasis, une palmeraie, ot les dattiers ont, comme on dit, le pied dans l’eau ef la téte dans le feu. ; Cependant, la plupart des arbres meurent si l’eau qui séjourne dans le sol est trop abondante. Un verger trop inondé voit pourrir les racines des pommiers ; ]’élévation du niveau d’une riviére fait périr les arbres plantés le long des rivages. Leurs racines ne sup- portent pas cette asphyxie prolongée, et on assiste A ce phéno- méne singulier de platanes (fig. 98) qui ont le pied dans l’eau et dont les feuilles se desstchent faute d’eau. La fermentation des racines a amené A la destruction des radicelles et 4 ]’oblitération des conduits. Et cependant, il est, méme chez nous, des arbres qui supportent l’inondation, méme permanente: les saules des rives, les aulnes de nos marécages, parfois les bouleaux des tourbiéres. Chose étonnante, le pin sylvestre, dans sa variété montana, occupe souvent, autour de nos tourbiéres ou sur nos tourbiéres, un espace considérable, comme par exemple a l’étang de la Gruyére, dans le Jura bernois. On le voit, 4 la faveur des touffes des laiches (Carex stricta) s’avancer dans l’eau et plonger finalement ses grosses racines dans la vase humide. Il constitue alors des foréts maré- cages, régulitrement inondées aux hautes eaux. Et cependant rien dans sa structure n’indique un arbre aquatique ; ni son écorce épaisse, ni ses feuilles dures ne rappellent le feuillage large et mince des plantes amphibies (/ig. 99 et planche XT). Beaucoup d’arbres fropicuite supportent l’inondation pendant plusieurs semaines, et méme certains de ces arbres n’habitent que des régions périodiquement inondées, ainsi le palmier 4 cire du sud de l’Amérique. Et cependant on ne saurait le mettre dans la 168 BIOLOGIE DES PLANTES catégorie des arbres amphibies, car il lui faut tout autant une sécheresse prolongée lorsque les eaux ont baiss¢, faute de quoi il finit par pourrir (Copernicia australis, C. cerifera) (fig. 121). C’est qu'un sol humide est un sol mal aéré. Les pins échappent 4 cet inconvénient en remplacant le pivot qu’ils envoient habi- tuellement dans la profondeur s’ils se trouvent dans un sol nor- Fig. 98. — Deux platanes dont la base est inondée et qui meurent lentement par asphyxie de leurs racines; on voit encore, en bas, des pousses feuillées; les branches supérieures sont desséchées a cause de l'inondation. Phot. D‘ Masson. mal, par des racines qui cheminent a ras du sol, 1a ot la vase est plus aérée. D’ailleurs, chez le pin de montagne, il n’y pas de racine pivotante, le systéme radiculaire est étalé au-dessous de la surface (fig. 99). Plus encore que le pin des tourbiéres, le cyprés chauve (Taxo- dium distichum) des Etats-Unis (Virginie, Caroline, Louisiane) pé- nétre 4 demeure dans les grands marécages (//g. 100) ob abondent les nénuphars variés (des Nelumbium, des Brasenia) un peu a la facon de nos pins de marécages en formant une lisi¢re forestiére qui se reconnait de loin aux troncs en gros cénes renversés a la base et ARBRES AMPHIBIES 169 a la haute couronne en parasol. C’est ]’un des rares coniféres qui perde son feuillage en hiver. Au lieu de détacher ses feuilles une a une, il désarticule des petits rameaux qui chaque année portent les aigrettes délicates. Chose curieuse, le méléze (Larix decidua), qui appartient aussi Fig. 99. — Etang de la Gruyére, prés de Saignelégier (Jura bernois) ; on voit la sagne entourée par une forét de Pins de montagne; au premicr plan les arbres pénétrent dans la tourbiére, s'étant implantés dans les touffes solides des laiches (Carex stricta). Phot. de R. C. a la catégorie des arbres coniféres a feuilles caduques, est une plante continentale des régions les plus séches de nos Alpes et de la Sibérie 4 climat continental. Rien de plus triste qu'une forét de mélézes en hiver; ce ne sont que fats et batons desséchés comme si le feu avait passé par la. Tout aussi désolées, les foréts de cyprés chauves pendant la période de défeuillaison. A l’apparence chauve vient ici se joindre la désolation qu’ajoute l’eau, les cadavres flottants ou accumulés 170 BIOLOGIE DES PLANTES des troncs que le vent a renversés. Paysage d’inondation en hiver, Quelques barbes grises de Tillandsia usneoides (fig. 91) (Spanish moss) pendent lugubrement des branches qui se tordent ou se tendent comme un personnage tourmenté. ef too — Dismal Swamp, Lac Drummond, Cyprés chauves en hiver, portant une vegétation ‘épiphytes (Tillandsia usneoides). D’aprés Kearney. Dess. de Mais lorsque revient le printemps, quelle délicate frondaison! On voit tout le long des branches sortir les ramuscules qui porte- ront les feuilles d’un vert gai. C’est comme au mois de mai les bois de mélézes, dans la montagne. Il faut aller voir cet arbre dans le Dismal Swamp, & la limite de la Virginie du N. ot il forme, avec le gommier américain. ARBRES AMPHIBIES 171 (Nyssa biflora, N. aquatica), des foréts mystérieuses dans lesquelles Thabitant ne s’avancait autrefois qu’avec crainte (fig. 102). Nous n’avons rien en Europe qui pourrait rappeler ces marécages forestiers avec leurs eaux foncées (1-3 pieds) rendues livides par la lumiére chlorotique qui filtre A travers le feuillage et qui sem- blent cacher de profonds abimes, vasiéres dans lesquelles on s’enlise Fig. 101. — Le Sterculia Wigmanni a Java. «Sapopema», c'est-a-dire arbre tropical dont les’ racines, a leur insertion sur le tronc, se sont élevees en forme de planches et constituent un socle. Dess. de R. C., d’aprés une photographie de A. Ernst. sans espoir (Dark Swamp). Ici s’accumulent d’immenses quantités de substance organique, des foréts englouties de cyprés plus que millénaires; c’est donc l’un des endroits du monde ot I’on peut le mieux se représenter la maniére dont se sont formés les charbons dans la période carbonifére. I] y a par places jusqu’a trois métres et plus de matiére charbonneuse noire. C’est 14, dans ces eaux sombres, que croit une forét dont les principaux représentants ont la base élargie en un immense 172 BIOLOGIE DES PLANTES socle qui, dans le cyprés chauve, afteint parfois huit A dix fois I’épaisseur des troncs au-dessus du renflement (fig. 100). Le plus singulier de ces arbres a recu, 4 cause de cette particularité, au lac Drummond (fig. 100), le nom de Samson Maul.Cet élargissement de la base s’observe aussi dans les autres arbres de ces stations, en particulier 4 la base du tronc des Nysva et du fréne de la Caroline (Fraxinus caroliniana). Ces arbres atteignent parfois 35 m., et leur tronc au-dessus du tubercule dépasse un m. et demi en diamétre. Dans tous les cas étudiés, il s agit la d’insertions de racines qui, au lieu de se détacher sur une racine primaire pivotante, se déga- gent de la base du tronc pour courir ensuite parallélement au sol. Dans nos foréts, les arbres qui ont cette sorte de racines superficielles ont aussi souvent, mais A un degré moindre, de ces épaississements basilaires : ainsi chez le sapin rouge, mieux encore chez l’érable. Dans la forét. équatoriale, od ces socles prennent parfois des dimensions gigantesques, ils se forment comme chez les arbfes qui maintiennent leurs racines A peu de distance de la surface du sol. Alors on voit le tronc comme soutenu par un socle renforcé de lames ligneuses qui, ainsi que d’énormes planches (sapopema) (fig. 101), viennent en triangle en assurer la stabilité. Ces excroissances extérieures sont parfois si développées, en Amazonie, qu’entré deux saillants le voyageur n’a, pour compléter d’un toit la hutte naturelle offerte par l’arbre, qu’d étendre quel- ques grandes feuilles de palmier sur les hypoténuses de deux Sapopema' adjacents (Sprucz). Ceci s’observe, mais A un degré moindre, chez nos palafitteurs végétaux N. américains, les Taxo- dium et les Nyssa. On pourrait aussi comparer ces socles fixateurs aux énormes griffes des grandes algues marines, comme on en rencontre dans les Saccorhiza et les Laminaria de l’'Océan. Nous ne connaissons rien. des intentions de la nature, mais nous savons que de semblables structures sont réalisées un pew partout dans le régne végétal 1A ot une fixation solide semble s ‘imposer. Nous verrons chez les palafitteurs marins ce méme principe d’élargisse- ment de la base s’affirmer d’une maniére encore plus évidente quoique au moyen d’un systéme tout autre. Nous l’avons égale- ment vu se marquer dans la maniére curieuse dont certains Tillandsia sans racines se dressent sur un socle basilaire fait de tentacules disposées en un large céne ( Sig. 95). ! Sapo racine, péma plat, dans la langue des Indiens de l'Amazonie, d’aprés SPRUCE: & ARBRES AMPHIBIES 173 Fig. 102, — Cyprés chauve entouré de ses racines dressées et qui font saillie hors de l'eau ; en arriére, une végétation de Nyssa (Nyssa biflora).' ‘Dess. deR.C, d'aprés Kearney. Ajoutez encore a cette apparence inusitée de troncs qui sortent comme d’un gros champignon aquatique la couronne des racines aériennes dressées qui émergent du lac ou de la vase du maré- cage, comme autant de gigantesques asperges, .cela. complétera Vimage fantastique qu’offre en beaucoup d’endroits la forét de cyprés chauve. Ce sont en effet des racines, ces énormes doigts qu’on voit réguligrement disposés tout 4 l’entour. II vau- drait mieux dire narines car ils représentent en quelque sorte les grosses narines d’un hippopotame qui éléve au-dessus de l’eau, tout en restant immergé lui-méme, ses orifices respiratoires. Ces racines ériggées ne se développent bien que lorsque l’arbre croit dans un sol couvert d’eau. Dans les grands marécages du Mis- sissipi et de ses bayous, ces productions coniques s’élévent sou- vent jusqu’A 2 m. au-dessus des racines horizontales qui leur onf donné naissance. Aux hautes eaux, alors que le socle est inondé, 174 BIOLOGIE DES PLANTES Fig. 103. — Forét de Cyprés chauves (Taxodium distichum), pénétrant dans un lac de Floride. Dess. de R. C., d’aprés une photographie. . on voit encore (par exemple en Floride) émerger de l'eau, de la nappe uniforme, les narines du cyprés chauve (fig. 102). Dans les gommiers (Nyssa), les racines sortent aussi de l'eau; mais pour respirer hors de la vase ou hors du liquide asphyxiant, elles se relévent sur leur parcours horizontal en forme d’arceaux tournant leur convexité vers le ciel. Plus belles encore, les foréts inondées des régions lacustres de la Floride avec leurs cypraies aux couronnes étalées qui s’avan- cent en colonnes serrées (fig. 103) 4 la conquéte de l’eau noire, dans. ° des lacs ot se sont rencontrés les plus beaux nénuphars (Nymphaea, Nelumbo lutea, Brasenia). Ces arbres sont envahis A un tel point par les Tillandsia qu’ils ressemblent, par leurs barbes grises, A des saules pleureurs d’un nouveau genre. On pourrait aussi les com- parer 4 nos foréts de coniféres lorsqu’elles sont envahies par les épiphytes lichens, les Usnea (U. barbata) ou les Alectoria (A jubata). ARBRES AMPHIBIES *175 Fig. 104. — Palétuvier (Rhizophora mangle) au Cameroun, dont on voit les racines échasses partant des branches inférieures. Dess. de Em. et R. C., d’aprés une photographie. atl n’y a rien de plus beau, 4 mon sentiment, que les paysages : de marécages, surtout lorsque la végétation forestitre les encadre (fig. 103) ou comme, en Camargue, les étangs dans lesquels se refldtent tamaris, genévriers de Phénicie ou pins pignons. = oprraree tt 176 BIOLOGIE DES PLANTES Plus merveilleux encore les rivitres au cours incertain, les grands fleuves américains pleins de graminées aquatiques, dépas- sées par les grandes foréts. mystérieuses qui, avec leurs lianes fleuries, semblent s’écrouler dans les eaux. | La formation marine des palétuviers (mangrove) est beaucoup _plus uniforme : : Lorsque, aprés une longue traversée, le vapeur pénétre dans V'estuaire d’un grand fleuve ou aborde vers une cédte basse des Tropiques, l’ceil, enchanté de contempler de nouveau la céte, aime A se reposer sur le vert uniforme des cordons littoraux de foréts aquatiques qui prolongent le littoral dans la mer. Il y a, en effet, sur toutes ces cdtes basses, que ce soit a l’em- bouchure de l’Amazone, sur la céte de Zanzibar ou dans I’Insu- linde une végétation spécialed’arbres, aux couronnes arrondies, qui se confondent en une ligne presque uniforme d’un vert sombre et qui, sur des échasses, A marée basse, semblent vouloir marcher 4. la conquéte de |’Océan (fig. 107). A marée haute, on ne voit plus que la monotone silhouette de la couronne des palétuviers inondés. Or, ces palafitteurs marins, que le vulgaire croit reconnaitre 4 chaque escale dans son voyage autour du monde, sont loin d’étre aussi uniformes que leur silhouette générale le laisserait supposer. Il y a d’abord les plus répandus, les mangliers (Rhizophora et Bruguiera) qui appartiennent A une famille voisine des myrtes (Rhi- zophoracées) souvent réunie aux Lécythidacées et dont le repré- sentant le plus réputé est le Bertholletia excelsa, la noix de Para bien connue. Le Rhizophora mangle est Yun des palétuviers américains ; le R. mucronata de Y Afrique orientale et de |’Asie tropicale; le R. con- Jjugata est exclusivement asiatique. Les Bruguiera sont répandus de Zanzibar a l’Insulinde (B. gym- norbiza). Les Ceriops de l’ancien Monde sont de la méme famille. Les Sonneratia sont d’une famille voisine des Lécythidacées (Sonnératiacées), de méme que les Lumnitzera et les Laguncularia, qu’on met dans les Combrétacées. Puis viennent les Verbénacées,. du genre Avicennia, de la céte brésilienne et congolaise. (. nilida, A, africana). On voit donc que les principaux représentants des palétuviers appartiennent a des familles systématiquement voisines, car Rhizo- '» ARBRES. AMPHIBIES 177 phoracées, Lécythidacées, Sonnératiacées sont apparentées aux Myrtiflores, parmi lesquelles on rencontre des plantes étroitement adaptées a la vie aquatique (Oenothéracées (Jussieua, Trapa natans). Mais les Xylocarpus de Yancien Monde sont des Méliacées comme les Carapa. Pour bien comprendre cette biologie des palafitteurs végétaux, nous allons, cette fois-ci, nous transporter dans l'Afrique orientale Fig. 105. — «Mangrove» avec racines respiratoires dressées du Xylocarpus granatum, Dess, de R. C., d’'aprés phot. J, Schmidt. équatoriale. Nous aurons pour guide l’un des meilleurs connais- seurs de la flore africaine, M. Ad. ENGLER. Comme a l’embouchure de l’Amazone, on voit, de Laru jusqu’a Beira, méme jusqu’A Durban, les palétuviers occuper le pourtour des estuaires et ne remonter les fleuves que pour autant que l’eau reste encore saumAtre. Si on pénétre en bateau dans ces forma- tions sylvatiques littorales, 4 marée haute, on ne voit guére, au- dessus de la surface de la mer, que les couronnes arrondies de ces petits arbres, d’un vert foncé uniforme. C’est tout d’abord, en venant de la mer, le Rhizophora mucronata, au feuillage toujours’ 12 178 ; BIOLOGIE DES PLANTES vert, qui forme une paroi compacte de limbes coriaces lancéolés..’ A marée basse, on peut voir que du tronc principal partent, de tous cétés, presque 4 angle droit, des grosses racines brunes qui, ‘en grand arc, atteignent la vase ou elles développent des racines secondaires (fig. 104). Ainsi se constitue, 4 la base des arbres, un panier renversé élastique, une espéce de nasse, qui peut résister a la fois au courant du fleuve et au choc des vagues de la mer dé- Fig. 106, — A, Pneumatophores, c'est-a-dire racines dressées de la Verbenacée Avicennia offici- nalis. — B, id., mais racines genouillées du Bruguiera caryophyliata. D’aprés Schimper. montée. On voit parfois aussi des racines adventives, chez les grands arbres, partir des rameaux qui, cette fois-ci, descendent verticalement comme un cable jusqu’é ce qu’elles arrivent au con- tact de la vase ot, A leur tour, elles se fixent par des racines latérales. De ces racines verticales naissent, A une certaine. dis- tance de leur sortie des branches, des racines secondaires qui en arc, comme celles qui sont sorties du tronc, assurent la stabilité. Un peu plus en arriére de ce premier cordon de palétuviers s’en constitue un second, formé par le Ceriops Candolleana, qui est du méme type que le Rhizophora, mais de taille plus réduite. Ce sont 1a les vrais arbres sur échasses, en quelque sorte les éclaireurs, l’avant-garde des palafitteurs végétaux. La haute cou- ARBRES AMPHIBIES 179 7 ronne des Bruguiera gymnorhiza dépasse de beaucoup le cordon uni- forme des mangliers; c’est le plus grand arbre de la formation; 4 sa base se développe aussi, mais comme il convient 4 un végétal qui occupe une zone plus continentale, un systéme de racines en corbeille. En plus, on voit partir du pourtour inférieur du tronc Roe ate ea sh Fig. 107, — La« mangrove» formée par le Bruguiera gymnorhiza avec ses racines genouillées, marée basse, au sud de Liukiu. Dess. de R, C., d’'aprés Warbourg: d’autres racines qui, sur leur premier parcours, se glissent hori- zontalement sous la vase puis se relevent brusquement en genou replié (fig. 106 B, 107) pour disparaitre ensuite de nouveau dans _ le sol. Parfois, ces racines genouillées s’élévent 4 50 cm. au-dessus du parcours horizontal. On donne a ces organes, comme a ceux dont nous allons parler, le nom de pneumatophores, & cause de leur structure spongieuse qui se préte, par ses lacunes, a favoriser la respiration A la facon d’un poumon; mais ce sont ici des racines 180 BIOLOGIE DES PLANTES secondaires qui, nées de la racine horizontale, s’élévent hors du sol pour se replier en angle aigu et s’enfoncer de nouveau. C’est aussi ce qu’on observe chez le Lumnitzera racemosa. Dans les deux espéces suivantes, qui habitent plus 4 ]’intérieur, souvent méme sur le sable exposé aux variations de la marée, du flux et, du reflux, nous voyons se répéter ce que nous avons déja observé chez le cyprés chauve, c’est-a-dire la production de racines aériennes dressées qui, hors de la vase ou du sable, élévent leurs asperges, leurs pneumatophores. Tout autour d’un Sonneratia, d’un Avicenna, i y a, A marée basse, comme une plantation de ces cénes ou de ces cylindres hauts de 0,5 cm. 4 1m. 50 (fig. 105, 106 A). Dans les Xylocarpus, ce sont, sur les racines horizontales, des excroissances disposées en série. Chez toutes ces plantes, il s’agit d’organes qui portent un tissu aérifére spongieux en communication avec l’atmosphére. On peut comparer ces organes aux lenticelles qu’on voit sur le liége qui enveloppe les tiges, les branches de nos arbres et qui, formées de cellules lachement réunies, servent 4 assurer, a travers l’écorce, une aération suffisante des tissus profonds. - Seulement, ici, cette disposition s’exagére, les cellules se spé- cialisent en un tissu, l’aérenchyme, dont l’alvéolation rappelle celle d’un poumon. Comme toujours, il ne serait pas difficile de trouver, méme chez nous, dans les marécages, des arrangements analogues, ainsi 4 la base des tiges des saules, des ombelliféres aquatiques, des salicaires, des Jussieua, etc. Ce qui n’était qu’esquissé chez les cyprés chauves est mainte- nant, chez les palétuviers, amplifi¢, spécialisé. La plante aquatique, marine s'est’ ainsi fabriqué un appareil respiratoire de secours, qui certainement facilite la mise en liberté d’énergie au profit de la croissance, dans un milieu pauvre en oxygéne. On a décrit des racines aériféres de méme valeur chez une plante herbacée trés répandue, le Jussieua repens, d’une famille de plantes alliée aux précédentes, la famille des Onagracées, qui com- prend beaucoup d’espéces aquatiques ou hygrophiles d’eau douce. Ainsi, tout ce cortége de végétaux aquatiques réagit de la méme maniére au contact de l’eau, c’est-A-dire sous J’influence ARBRES AMPHIBIES 181 d'une aération insuffisante ; on ne sera donc pas trop étonné de reconnaitre dans d’autres particularités, en rapport avec la vie -aquatigue, de semblables convergences, c’est-a-dire des répétitions Fig. 108. — A,, Ag, fleurs fécondées vivipares du Bruguiera gymnorhiza ; -Ag, embryon qui vient de se détacher de la fleur Ag; on voit en haut la ligne de rupture circulaire. — B, Autre Bruguiera vivipare ; C, B. eriopetala, plantule qui s'est détachée et qui ger- me, suite de Ag. - : Dess. de R. C. analogues. de forme et de structure, qui paraissent au premier abord constituer comme une réponse au milieu. Mais dans la réac- tion des racines aériféres, qui semble adéquate, c’est-A-dire con- forme, ou plus simplement dit, comme calculée pour le milieu vaseux, la riposte s’exerce directement sous |’influence du milieu ambiant : 382 BIOLOGIE DES PLANTES l’acfion de la vase humide peu aérée s’exerce sur la racine qui y est immergée; dans le cas des échasses des palétuviers, par des raisons plus difficiles 4 définir, les raisons d’équilibre dépendent de la disposition générale des racines dans ]’ensemble des plantes enracinées. ie 109. — Rhizophora mucronata (Java). Trois fruits qui germent sur l’arbre et dont on voit -Pembryon, qui a produit déja une longue racine, prét 4 se détacher et 4 tomber dans la vase; voir sur les cétés de la racine les protubérances qui deviendront les radicelles fixatrices. Comparez avec fig. 110, Dess. de R. C. ARBRES AMPHIBIES 183 Seulement, chéz cés plantes 4 échasses, qui sont d’ailleurs toutes des plantes aquatiques ou des lieux humides, la réaction se fait indirectement et non pas sur l’axe principal de la racine, laquelle généralement ou ne se forme pas, ou se détruit de bonne heure. Dés lors, l’arbre ne peut se fixer par un pivot solide qui fait .défaut.. On sait, d’ailleurs, avec quelle facilité certaines plantes produisent des racines adventives sur les tiges quand ces der- niéres sont exposées A V’humidité et surtout quand elles sont détachées de leur racine. Or, chez nos mangliers, il 's’agit d’un cas semblable; la racine terminale faisant défaut, l’axe aérien est sous V’influence de I’humidité. Les palétuviers & échasses ne font donc qu’utiliser, d’une maniére adéquate, une propriété trés répan- due dans le régne végétal, celle de produire, 4 l’humidité, des racines adventives. Mais pour bien saisir tout ce que cette réaction a de yaleur au point dé vue de la réussite du palétuvier, il faut le reprendre peu aprés sa fécondation. La fleur, qui ressemble un peu 4 celle d’une salicaire de nos marécages, mais dont l’ovaire est infére, laisse tomber dés ce moment sa corolle et ses étamines. Le fruit qui en résulte a la forme d’une poire renversée (fig. 109); au lieu de tomber, il reste attaché a l’arbre. Bientdt on voit du-milieu de ce fruit, suspendu comme uné petite poire et couronné par les dents du calice, sortir progressivement un corps allongé qui ressemble 4 une longue silique, charnue, 4 un haricot géant et qui peut atteindre parfois 40 cm. & 1 m. de longueur. C’est l’embryon dont l’axe, au- dessus des cotylédons, s’est accru en un corps longuement fusi- forme qui s’épaissit, vers son extrémité libre, en une massue allon- gée. Au lieu de laisser tomber son fruit ou de le laisser emporter par les oiseaux frugivores ou de s’ouvrir pour mettre en liberté ses semences, il modifie totalement le mode de faire habituel. Il con- serve sa semence unique, qu'il enveloppe de sa pulpe. Dans cette semence, il ya un gros embryon qui germe en plantule pendant que le fruit est encore attaché 4 la branche. Par conséquent, on peut dire du manglier qu’il est vivipare. Le corps qui tombe est comme un baton fusiforme, Jourd et pointu, qui porte 4 son sommet le bourgeon terminal (fig. 110). La semence unique, enfermée dans un 184 BIOLOGIE DES PLANTES fruit charnu, a germé sur]’arbre. L’embryon se nourrit des réserves au moyen de ses deux gros cotylédons qui, soudés en un ‘corps unique, absorbent les matiéres déposées dans le tissu nourricier, l’al- bumen de la semence. Finalement, la plan- tule, qui comprend un bourgeon terminal (plumule) et IJ’axe al- longé qui s’est déve- loppé au-dessous des cotylédons, se détache de ces derniers qui avaient servi d’inter- médiaires, c’est-a-dire de sucoir, entre le tissu nourricier etd’embryon en voie de croissance. Sila chute de ce corps a lieu A marée basse, la plantule, entrainée en direction verticale par le poids de la par- tie renflée et lourde, s’enfonce directement %/ .dans la vase. Déja avant’ de tomber, la 3 ; Fig. 110. — Kandelia Rheedii, Insulinde. A, fleur fructi- plantule avait préparé fére encore attachée a la branche; hors du fruit sort l'em- ‘ bryon avec sa radicule fusiforme (comparez avec fig. 108 des racines secon-~ et 109); B, embryon qui vient de se détacher et qui a laissé daires, cachées.sous les les cotylédons dans le fruit en place; on voit la ligne de a rupture circulaire 4 la base du bourgeon primaire (plu- tissus du corps en mas- mule) qui se développera en pousse feuillée (fig. C), tandis ; dh que- des racines fixatrices se formeront au bout de la sue; en peu eures, radicule, Dess. de R. C. -ARBRES AMPHIBIES “185 7 elles se développent, percent les tissus et ancrent solidement la plantule dans la vase. Mais, A marée haute, beaucoup de plan- tules sont emportées par le courant, plusieurs se perdent; d’autres, cependant, s’étant imbibées d’eau, plongent grace au renflement en massue qui fait plomb et s’‘implantent dans les bas-fonds, comme il a déja été dit. : La méme viviparie a été observée chez d'autres Palétuviers Aegiceras (Myrsinacée), les Ceriops Candolleana, le Kandelia Rheedii (fig. 110), le Bruguiera eriopetala, B. gymnorbiza (fig. 108, 111) et Mig. ul. — Bruguiera caryophyllata (Asig). Trois fleurs fécondées; de droite a gauche,, embryon en voie de développement; en gris le tissu nourricier, l’embryon en blanc; dans la troisiéme figure, la radicule grossie s'allonge verticalement pour saillir au dehors (comparez avec fig. 108, 109, 110, qui représentent les états plus avancés), D’aprés Schimper. d'autres. Chez d’autres espéces la viviparie fait défaut, mais on retrouve dans la biologie de leurs semences des particularités inté- ressantes. Ainsi, dans les espéces du genre Sonneratia, les semences nombreuses, munies d’une enveloppe ligneuse, flottent et germent sur l'eau en moins de vingt-quatre heures. Chez les -4vicennia, le fruit ovoide tombe sur l’eau, s’ouvre peu aprés par une fente qui émet la plantule déja trés avancée dans son développement et qui, tom- bant au fond de l’eau, s’ancre au sol au moyen de poils crochus. Chez d’autres la semence est munie d’un flotteur qui maintient la plantule dans une situation normale pour sa germination. Ainsi celle des Xylocarpus qui, de forme tétragonale, tourne invariable- ment I’une de ses faces du cédté de la surface de l’eau. On com- prend qu’il en soit ainsi, car de ce cdté le tégument séminal est constitué par une couche épaisse de liége, tandis que-du cété de la pointe, tournée en bas, le tégument est mince. L’embryon lourd, et qui fait plomb, se loge vers le sommet de ce tétraédre et sa 186 BIOLOGIE DES PLANTES 4 radicule peut germer vers l’eau (fig. 113 B). Finalement elle ‘tombe -au fond, ot elle s’implante en se libérant des racines latérales. ; Fig. 112. — Espéce de Ceriops de l'Insulinde; Fig. 113, — Xylocarpus obovatus ; A, graine droite le fruit attaché a l'arbre, vivipare; vue de cété; B, section longitudinale de la agauchel’embryon qui s’est détaché et dont graine; C, graine en germination dans la Vextrémité de la radicule commence a pro- situation qu'elle a lorsqu’elle nage sur duire les radicelles fixatrices. Teau, Dess. de R. C. D’aprés Karsten, Chez toutes les espéces de la formation des Palétuviers,. on a constaté une remarquable conformité entre le mode de dissémina- tion et les nécessités de la station. Il y a lA de troublantes. confor- mités au milieu, que la plus ingénieuse physiologie n explique pas.’ ARBRES AMPHIBIES 187 Mie 4: —A, B,C, légumes indéhiscents d’une Mimosacée sud-américaine, l Inga uruguensis, ont les graines, quon voit dans la section D, sont enveloppées dans une espéce de liége flotteur. Dess. de R. C. Ainsi les semences de beaucoup d’arbres et de plantes de ri- vages germent en peu de jours, méme souvent perdent rapidement leur faculté de germination. , Sans doute, l’absence de période de repos est commune chez les semences des espéces aquatiques ; |’humidité favorise la germi- nation. Mais il faudrait expliquer aussi la structure adéquate du fuseau alourdi des embryons des mangliers qui est dirigé exacte- ment comme le veut la théorie de l’adaptation; expliquer aussi que chez ces espéces les cotylédons se désarticulent au bon moment ; dire pourquoi dans la semence du Xylocarpus le lest est 188 BIOLOGIE DES PLANTES accumulé du cété qui devra laisser passer la radicule en germina- tion et tant d’autres particularités curieuses de ces plantes éton- nantes. Il faudrait avoir le temps de décrire, 4 cdté des semences de cette Méliacée, comme calculées dans leur structure pour ce voyage en mer, les semences ailées des grandes espéces sylva- tiques du genre Cedrela, de la méme famille, emportées par le vent lorsque l’arbre est défeuillé, ou chez d’autres genres de Méliacées, les Trichilia et les Guarea, les semences suspendues sous le feuil- lage, ou exposces sur le feuillage, avec des arilles charnus, de couleur vive, qui attirent les oiseaux de la forét tropicale, friands. de cette pulpe doucedtre, pour bien montrer le lien qui unit le mode de dissémination et l’habitat. Les espéces hydrophiles n’ont pas leurs semences construites pour la dissémination par le vent, celles des foréts n’auraient que faire de flottéurs. Cela est tout aussi évident dans d’autres familles. Prenons, en remontant le grand fleuve, sur les bords de l’ Amazone, 14 ot cesse déja le cordon des Palétuviers, par défaut d’eau saum&tre, comme exemple, les grandes lianes du grand Entada polystachya qui, sur les bords de la forét riveraine, s’élévent jusqu’a 10 et 20 métres de hauteur. 5 C’est une Mimosacée dont le fruit a la forme d’un grand haricot aplati. A la maturité, la peau du fruit se détache succes- sivement par lambeaux et met a nu l’intérieur du gros haricot dont les nervures marginales, formant cadre, retiennent encore pour un temps les semences. Celles-ci sont enfermées chacune dans un flotteur aplati, de {la nature et de la consistance de ce lidge dont on fabrique les bouchons. Dans le grand genre Mimosa, qui comprend plus de trois cents espéces américaines, il est des espéces qui vivent dans l'eau et qui ont développé — et cela ne se trouve que chez les espéces aquatiques ou riveraines — le méme mode de dissémination que les Entada de |’Amazonie. C’est en particulier le cas d’une plante que nous avons rencontrée autour des lacs et des étangs du Paraguay et qui, dans l’eau, forme une brousse épineuse presque inaccessible (Mimosa asperata). On attribue la grande dissémination de I’ Entada scandens, dont les fruits peuvent atteindre un métre de long, A son mode de ARBRES AMPHIBIES 189 désarticulation qui permet a ses semences d’étre transportées par les courants marins. Il faut aussi citer, dans la méme famille des légumineuses, les grands Inga, arbres sur échasses, qui bordent les fleuves de pres- que toute |’Amérique du Sud et dont chaque espéce a un mode particulier de dissémination par l’eau. Voici, par exemple, le fruit Fig. 115, — Marais, espéce d’« Ygapo», bordée d'une forét d’Inga, au Paraguay. d’une espéce de ce genre qui abonde sur les rives du Paraguay. Les semences sont portées dans un légume cylindrique qui ne s’ouvre pas a la facon des haricots, mais dont toute la paroi trans- formée en un tissu spongieux sert de flotteur (/ig. 114). Mais, dira-t-on, toutes les plantes, tous les arbres de maré- cage, tous ceux qui bordent les cours d’eau montrent-ils, chacun dans leur genre, des dispositifs aussi ¢videmment en rapport avec leur mode de vie? Certainement pas. Dans chaque formation végétale, A cdté de plantes dont on peut lire sur leurs organes visibles, sans trop de difficulté, la maniére de se conformer au 190 BIOLOGIE DES PLANTES - milieu, vous en trouvez d'autres, souvent beaucoup d’autres, dont la réaction n’est pas aussi évidente, beaucoup qui dans leur structure visible ne trahissent rien de parti- culier: Des arbres qui, pendant de longues périodes, des semaines, des mois, vivent inondés jusqu’A hauteur d’homme et qui semblent n’avoir pas réagi vis-A-vis de ce milieu si peu aéré. Ainsi, sur les bords des grands fleuves sud-américains, on rencontre quantité de végétaux qui, malgré leur présence exclusive dans ces sta-~ tions, n’ont développé, au cours de leur histoire supposée, aucun appa- reil particulier. Et cependant, ils. sont soumis A des inondations pério- diques et souvent persistantes, par- fois pendant plusieurs mois: chaque année, pendant lesquels les arbres jeunes et les buissons pendant toute leur existence doivent étre doués de la curieuse propriété de survivre A cette submersion compléte et pro- longée, ce qui constitue pour eux une espéce d’hibernation (Spruce). Beaucoup d’ailleurs se disséminent alors que les’ eaux se sont retirdes. Il y a d’abord toute la frange de graminées habituelles sans autre adaptation que celle d’avoir des la- cunes plus abondantes et une végé- tation plus vigoureuse. Souvent ce premier cordon est dépassé par une magnifique graminée, le Gynerium saccharoides, qui, en masses com- Fig. 116. — Grand _ haricot (légunte) d’une Mimosacée de l’ Amazonie, !En- tada polystachya; on remarque que l'enveloppe du fruit se détache par lambeaux (ep.); l'intérieur se divise en articles formés d’un liége qui contient au centre une semence et a laquelle il sert de flotteur. Dess. de R. C. uh a) ee ARBRES AMPHIBIES 191 pactes, croft le long des rives inondées de |’Amazone et que j'ai eu aussi l’occasion d’observer dans les mémes stations du Rio Parana et du Rio Paraguay. D’ailleurs, presque chaque espéce Fi — Palmeraie-marécage (« Buritisales m9 formée par le M. auritia BE: Matto-Grosso, Bresil. Phot. D' Endlich. qui habite I’Ygapo, ou les foréts riveraines, est représentée par un congénére sur terre ferme, ce qui fait supposer que V’une des “formes dérive de l’autre ou que les deux ont une origine commune. 192 BIOLOGIE DES PLANTES On l’appelle en «tupi» Uirva ou arbre fléche. Ses chaumes, de quatre 4 cing métres de hauteur, dépassent les hautes grami- nées ; épaisse comme le poignet, la tige montre des nceuds qui lui donnent de la solidité. On ne lui voit point de feuilles jusqu’A I’en- droit ol, sur deux rangs serrés, il porte un merveilleux éventail de feuilles en grandes laniéres dont les extrémités, gracicusement recourbées, ajoutent 4 la grace de |’écran. Au moment de la floraison de cette herbe, un pédoncule d’un & deux métres de long porte une belle inflorescence qui rappelle, mais en plus robuste, celle de nos roseaux d’ Europe ( Phragmites communis). Souvent, en arriére des Gynerium, on voit des graminées plus vigoureuses encore, des Chusquea, des Guadua, espéces de grands bambous grimpants, faire reposer, comme de gigantesques plumes d’autruches, leurs chaumes de dix 4 vingt métres, sur la paroi de la forét riveraine. Ici et 1a un saule (Salix Humboldtiana), une espéce de saule pleureur, penche ses branches flexibles au-dessus des eaux. Ce sont aussi, par places, les troncs, droits et blancs, arti- culés, des arbres 4 trompettes, les Cecropia, qui élévent contre le ciel bleu leurs rameaux verticillés et leurs grandes feuilles argen- tées en dessous, palmées comme celles de nos marronniers. Ce sont aussi les Hrylbrina aux troncs tortueux qui font penser, par la disposition. de leurs branches, 4 des saules tétards, mais qui, au moment de la floraison, offrent aux colibris des fleurs papiliona- cées d’un rouge éclatant. Ou bien, plus au nord, ce sont les palmeraies chacoennes infi- nies, périodiquement inondées, ou, en Amazonie, dans les iles basses, un monde d’autres palmiers amphibies sur un sol vaseux dépourvu de tout sous-bois. On y trouve, entre autres, ]’ Vbussil, un palmier sans tronc, dont les feuilles arrangées en bouquet élevé. dressé autour de la souche, ne sont pas complétement déchirées ou découpées comme celles des autres espéces de cette famille, mais restent 4 peu prés entiéres, s’élevant toutes droites comme de gigantesques plumes d’oiseau, de 5°A 7 métres de longueur sur 1 m. 80 a 2 métres de largeur. Chacun de ces végétaux est assez caractéristique pour retenir l’attention, mais on n’est pas encore complétement informé sur les particularités de leur biologie de. plantes amphibies. ARBRES: AMPHIBIES 193 Pour bien comprendre la biologie de ces les, de ces plaines ou de ces rives inondées, il faudrait pouvoir séjourner longtemps dans ces régions insalubres, errer au milieu des arbres pendant l’inon-. dation, les surprendre plus tard quand ]’eau s’est retirée et qu’a Vhumidité succéde parfois une extréme sécheresse. BATES, SPRUCE et, plus récemment, mon ancien assistant et ami le D* Jacquzs Huser y ont fait d’intéressantes constatations; mais l’Amazonie, le Brésil, avec plus de 40.000 espéces de Phanérogames, seront longtemps encore des terrains 4 exploiter pour ceux qui auront le courage et la force de tenter de semblables aventures. Déja maintenant nous connaissons de ces végétaux, caractéris- tiques pour ces terrains d’inondation, quelques particularités biolo- giques intéressantes. Parmi les. plus curieuses, les plus générales sont celles qui caractérisent les plantes américaines nommées myrmécophiles, c’est-A-dire amies des. fourmis. Beaucoup de végé- taux arborescents en Amérique donnent, en effet, asile A des four- mis, ce qui a donné lieu a plusieurs interprétations entre lesquelles il faut choisir. Les plus connus de ces vistas les plus souvent cités, sont les arbres du genre Cecropia, dont les troncs, comme ceux d’un bambou, d'une graminée, sont fistuleux et divisés en chambres superposées. On ne rencontre guére de Cecropia, du Paraguay a l’Amazonie, qui ne soit habité par des fourmis. I] suffit de frapper contre le tronc pour les voir sortir de leurs cachettes, de leurs chambres, cher- chant a’se défendre de l’agresseur. Ce sont des fourmis dzleca (A. Muelleri). L’arbre (il en est de plusieurs espéces, Cecropia adenopus, C. palmata) atteint 15 m.; sa ramification est en candé- labre et rien de spécial, quoi qu’on ait dit, ne trahit de l’extérieur la présence des insectes. Si on suit attentivement la colonisation des Cecropia par leurs commensaux, on constate que la reine fécondée d’ Azteca Muelleri choisit une jeune plante de 1-2 métres Je haut et pénetre dans l’une des chambres. A cet effet, elle yerce dans la paroi du fronc un orifice circulaire. Ce travail lui ast facilité par cette curieuse coincidence qu’il y a déja prédispo- sition A cette perforation ; le bourgeon axillaire semble avoir dans e bouton, dans le bourgeon, empéché la paroi du tronc de vépaissir 4 cet endroit précis, si bien que l’animal n’a qu’d 13 194 BIOLOGIE DES PLANTES forer une épaisseur minime et peu résistante. Arrivée dans la grande «cellule», la femelle oblitére l’ouverture avec un peu de la substance médullaire visqueuse qu’elle y trouve. Le résidu de la moelle sert A sa nourriture. Alors elle se met A pondre et éléve quelques ouvriéres qui émigrent en ouvrant la paroi qui s’est recon- stituée par cicatrisation du premier. orifice, . et celles-ci vont 4 leur tour coloniser une chambre située plus haut. Peu a peu, s’établissent dans beaucoup de ces chambres des colonies partielles, lesquelles finissent par se concentrer dans une région supérieure du tronc qui affecte parfois une apparence renflée et comprend quatre a cing en- trenceuds reliés par des perforations. Ces four- mis se nourrissent de la moelle de la jeune plante ou de celle des - entre- neeuds supérieurs encore en voie de croissance. On voit aussi ces bestioles rechercher des glandes brillantes qui sont a la base des pétioles épaissis, du cété inférieur. Ces glandes sont mélées a des poils brun&tres ; finissant par se détacher de leur B pédicelle, elles ne sont A _plus retenues que par le ; ; is ils dans le- Fig. 118 — Cecropia adenopus. A, sommet d'un rameau lac des ipo avec bourgeon enveloppé d'une stipule rae i on voit quel elles sont suspendues au 2° entrenceud une fossette allongée par laquelle ‘ l'insecte pénétre en perforant; dans le premier entree COmme des ceufs minus- noeud on voit la fourmiliére avec les larves; puis suc- : cessivement des chambres dont la moelle a été évidée; cules dans un gazon mi- dans l’entre-nceud inférieur, on remarque la chambre * vide et le trou par lequel elle communique avec l'exté- | Croscopique. Ces corps rieur. — B, section dans une tige jeune du méme arbre; : . dans {eaienena sueroaye, la aelle non encore sont riches en huile et en complétement rongée (en gris}, dans la 4* chambre, des : fourane: See Desk. deR. C. r substances azotées et, ARBRES AMPHIBIES 1 95 bien que les fourmis ne soient pas liges A n’utiliser que cette nourriture et qu’elles ne s’en servent pas pour nourrir les larves, elles paraissent en étre trés friandes. Le naturaliste Brett, qui a publié sur le Nicaragua un remar-: quable volume de biologie (The naturalist in Nicaragua) est le premier qui ait fait la supposition que ces fourmis Azteca vivraient eri symbiose avec les plantes sur lesquelles elles ont élu domicile, la plante fournissant logis et couvert. Mais quel serait le profit pour le végétal? Il le voyait dans la protection qui en résulte- : rait pour les plantes myrmécophiles contre les ravages de ces terribles ennemis de la végétation américaine tropicale, les four- mis découpeuses, les fourmis jardiniéres, qui, avec les débris de feuilles, établissent des terreaux sur lanes elles cultivent des champignons. Pendant longtemps cette hypothése a été acceptée ; développée en théorie par F. Miirter et par Scuimprr, elle n’a pu tenir devant la critique. En réalité, la ‘protection: conférée par ces commensaux est minime si méme elle est réelle. Tout d’abord elle serait nulle dans les jeunes Cecropia, qui sont libres de fourmis avant d’avoir atteint la dimension indiquée plus haut. Les fourmis Azteca sont peu guerriéres, et leurs combats ‘sont menés contre toute .espéce de fourmis qui les dérangent. Les Cecropia ont dailleurs d’autres ennemis plus dangereux, comme par exemple les paresseux, qui aiment 4 manger leurs feuilles et leurs fruits. Quoi qu'il en soit, la présence de ces fourmis n’est pas un inconvénient pour le végétal, qui semble s’étre parfaitement accommodé de cet héte. Ce n’est pas non plus un simple accident, car il y a trop de particularités qui sont comme accordées entre la plante et son héte. Parmi ces structures, il faut citer la prépa- ration des portes 4 percer, la production de glandes nutritives, etc. En 1869, le botaniste Spruce, qui avait passé en Amazonie quinzé années comme botaniste voyageur, de 1849 a 1864, envoyait 4, Darwin, pour @étre lu a la Société Linnéenne de Londres et éventuellement pour étre publié dans ses Transactions un Mémoire sur les' Changements ou modifications dans la structure des plantes, produits par le moyen des fourmis, et dans lequel il expo- sait, d’une manitre excessivement suggestive une théorie qui a été, 196 BIOLOGIE DES PLANTES d’une maniére indépendante, reprise beaucoup plus tard, en 1900, par Jacques Huser et Buscationt lesquels, évidemment, ne connais- saient pas les recherches de Spruce sur le méme sujet. Ce travail fut lu en séance le 15 avril 1869 et, comme de coutume, soumis au Conseil pour décider de sa publication. Aprés mire considéra- tion, la décision fut communiquée a SPRUCE. Le Comité, qui semble avoir été préoccupé de maintenir pure une doctriné darwinienne,‘opposée A lhérédité des caractéres acquis, fait savoir au naturaliste, qui connaissait alors le mieux la biologie amazonienne, que son Mémoire demande quelques modifi- cations avant que ce Comité puisse en recommander la publication. En réalité, il ny avait dans la communication de Spruce autre chose que ce que depuis longtemps Lamarck et ses disciples avaient affrmé et que beaucoup de demi-savants, aujourd'hui, confondant Vévolution avec les théories de I’évolution, appellent darwinisme. Le titre expose bien le point de vue de l’auteur: Ant agency in Plant structure, ou «les modifications dans la structure des plantes qui ont été produites par des fourmis [par la longue durée de l’action desquelles ces modifications sont devenues héréditaires et ont acquis une permanence suffisante pour pouvoir étre employées comme caractéres botaniques] ». J'ai mis entre parenthéses la partie du titre incriminée par le comité de la Société Linnéenne. « Dans les foréts de l’Amazonie et de l’Orinoco et autre part dans |’Amérique tropicale, il y a de nombreuses plantes apparte- nant a des familles trés différentes, qui possédent de singuliéres dilatations de tissus et des membranes, sous la forme de sacs sur les feuilles ou de noeuds fusiformes creux sur leurs pétioles ou leurs branches (transformés en tubercules sur les rhizomes), ou méme des branches minces allongées d’une maniére désordonnée et fistuleuses. J’ai des raisons de suspecter que toutes ces struc- tures, en apparence anormales, doivent leur origine aux fourmis et sont encore maintenues par elles, de telle facon que si leur action était supprimée les sacs immédiatement tendraient a4 dispa- raitre des feuilles, les branches dilatées A devenir cylindriques et les rameaux allongés A se raccourcir, et, quoique l’hérédité de structures qui n’auraient plus raison d’étre puisse dans bien ARBRES AMPHIBIES . 197 ‘des cas se maintenir pendant des milliers d’années sans atténua- tion sensible, je suppose que dans quelques cas cette hérédité cesserait et que la feuille ou la branche retournerait A sa forme primitive. » Darwin, au mois d’avril 1869, dans une lettre intéressante, lui dit : « Vous me demandez mon opinion ; si vous m’aviez posé cette question il y a un ou deux ans, je vous aurais dit que je ne pour- rais croire que la visite des fourmis puisse produire un effet héré- ditaire; mais récemment je suis arrivé A croire un peu plus a. Vhérédité des mutilations, J’ai avancé contre cette croyance que les galles ne sont jamais héréditaires... « Avez-vous observé le commencement de ces sacs dans de jeunes feuilles non encore déployées qui n’auraient pu A ce moment: déjA étre visitées par des fourmis?... « J’ajouterai que vous n’étes pas tout A fait dans la vérité (a la fin de votre Mémoire) en supposant que je crois que les insectes modifient la forme des fleurs...Je crois seulement que des varia- tions spontanées adaptées a la structure de certains insectes réussissent et sont conservées. » Or voici que SPRUCE nous apprend, et ceci a été pleinement confirmé par les observations de Huser, que toutes ces plantes myrmécophiles de |’Amazonie sont trouvées dans ces parties de la forét qui sont adjacentes aux riviéres et qui peuvent étre inondées par ces derniéres ou par les lacs; parfois elles se rencontrent dans la profondeur de la forét. vierge, mais la seulement ot le sol est assez bas pour que l’eau des pluies puisse s’accumuler jusqu’a former un petit lac d’une certaine profondeur. Ce sont donc des plantes de foréts riveraines dont plusieurs sont submergées lors de la crue et qui offrent aux fourmis un refuge contre UVinondation. Presque toutes les fourmis arboricoles, alors méme que dans la saison séche elles pourraient descendre sur le sol et y prendre domicile estival,. gardent les sacs et les tubes mentionnés comme habitations permanentes, et plusieurs espéces paraissent n’avoir jamais d’autre domicile toute l’année. II y a, il est vrai, quelques fourmis qui continuent 4 habiter des Tococca dans des régions ot 198. BIOLOGIE DES PLANTES il n’y a aucun danger d’inondation, comme cela est le cas pour le T. pterocalyx qui croit sur des pentes boisées des Andes. On pourrait citer aussi les Cecropia qui d’habitude bordent les cours d’eau, mais:s’élévent parfois sur les pentes des foréts. Sprucr a comparé ce cas A celui'des palafitteurs habitants des lacs de l'estuaire de I’Orénoque et des savanes inondées de Guayaquil, . dont les descendants, qui habitent la terre ferme, bien loin du ‘domaine des inondations ef des marées de Il’océan, continuent 4 batir leurs demeures sur des pilotis, 4 6 ou 8 pieds au-dessus du . sol. Or, ce qui nous intéresse ici, c feck que tout un groupe biolo- gique de plantes appartenant 4 des familles différentes et qui n’ont pas répondu par une structure adéquate,. visible, 4 l’action de l'eau périodiquement agissante, pendant l’inondation des « Ygapo» ont acquis au cours de leur histoire, en compagnie avec les four- mis, des structures particuliéres qui en font des refuges de fourmis. Toute la question serait de savoir si ces sacs et autres appa- reils, qui sont comme calculés pour les recevoir, sont, ainsi que le croyait Spruce, des ripostes A l’action de ces insectes, dont quel- ques-unes seraient devenues héréditaires, ou s’il faut avec Darwin penser que les étres varient spontanément ef que, dans ces varia- tions, la nature choisit celles qui correspondent 4 certaines condi- tions ou qui sont utiles. C’est 1a l’opposition du lamarckisme (hérédité des caractéres acquis par l’usage, par les mutilations, etc.) et du darwinisme (variation spontanée lente et sélection dans la lutte pour l’existence des formes adaptées qui ainsi l’emportent et survivent). Mais aujourd’hui encore, aprés tant d’anndées de patientes recherches, l’incertitude est tout aussi grande. Le comité dg la Société Linnéenne, dont j’ai le grand honneur d’&tre membre étran- ger, ne me parait pas avoir, A ce moment-la, été bien inspiré en refusant l’impression telle quelle de la superbe contribution du sagace naturaliste anglais. Cette question serait aujourd’hui plus avancée, car, A propos de ces plantes myrmécophiles, sous |’in- fluence de Bett, de Mutter et de Scuimprr, on a bAti des romans biologiques inacceptables au lieu de poursuivre logiquement la question d’origine. ARBRES AMPHIBIES 199 La biologie contemporaine connait sa faiblesse; c’est une science descriptive comme les autres: elle expose les meurs des plantes et des animaux sans pouvoir dépasser dans ses explica- tions la limite incertaine des présomptions. C’est 4 la science de Vhérédité proprement dite, 4 la génétique expérimentale, qu’est dévolue la tache de nous dévoiler l’origine des formes, la trans- mission des caractéres et l’ordre de cette transmission. Mais cette jeune science est prudente; elle a devant elle une tAche im- mense, qu’elle veut aborder méthodiquement. Dans ce livre, nous ne faisons pas encore d’expériences, nous groupons des faits analogues et nous essayons d’entrevoir des solutions. Ceux qui n’ont pas visité les Tropiques se font difficilement une idée de Vimportance des insectes et, en particulier, des fourmis et des termites dans ‘l’Economie biologique de ces contrées. _ Tous les voyageurs s’accordent ‘sur ce point. Ecoutons plutét Spruce, qui se plaint du monde des insectes. Aprés avoir gémi sur les moustiques et les tiques, il ajoute: «....et les fourmis faisaient leur nid au milieu de mes collections de. plantes séches et les saturaient d’acide formique ou méme les découpaient pour les transporter au loin. Quel souvenir que celui d’une ren- trée A la maison, ot je trouvais celle-ci envahie par une armée de fourmis Arriero ou de Saba, qui étaient en train de découper scientifiquement mes piles de spécimens séchés, en disques circu- laires, dont le diamétre était exactement égal au plus long dia- métre de l’artiste. Le peu de notes sur les insectes éparses dans mon journal de voyage se rapportent en effet A des fourmis, qui méritent d’&tre considérées comme les véritables propriétaires actuels de I’Amazonie bien plus que le Peau-rouge ou |’Homme blanc. » On comprendra des lors importance de ce facteur dans la biologie végétale des Tropiques. On commence seulement aujourd'hui a mieux saisir les dépendances mutuelles qui existent entre les deux régnes, plantes et. animaux. Nous savons que, méme chez nous, les fourmis jouent un grand réle dans la dissé¢mination des semences. Ef ce qu ’on connait moins, ce sont les migrations noc- 200 BIOLOGIE DES PLANTES . 3 - “ . - = turnes, ces hordes d’insectes que le voyageur imprudent s’expose 4 rencontrer inopinément sur son chemin et qui le mordent cruelle- ment. Au premier cri que poussent ses compagnons, le voyageur B a 119. — A, feuille de Mélastomacée (Tococca fuianensis) avec sac A fourmis a la base. — » base d'une feuille de Tococca tancifolia, montrant les deux sacs formicaires. _ Fig. A, dess. de R. C.; fig. B, d’aprés Schumann. est amusé de les entendre en gémissant, sauter sur une jambe ou sur V’autre jusqu’é ce qu’A son tour il soit forcé de faire la méme ; danse, les mémes grimaces. Mais il s’agit ici de ces curieuses fourmis qui se sont réfugi¢es sur les végétaux inondés des Ygapo. Nous avons déja parlé de ARBRES AMPHIBIES 201 celles des Cecropia. Encore un mot sur ces arbres 4 trompettes. On les trouve en Amazonie, formant souvent au-dessus du cordon de Gynerium une frange réguliére, 4 un niveau qu’atteint certaine- ment la crue périodique. Sur le cours de certains affluents de l’Amazone, les Cecropia constituent, dans les bas-fonds, des foréts presque pures de tout mélange. Nous les avons vus le long du Rio Parana former une lisiére au-dessus de la ligne régulitre des bambous géants, vers la limite de l’inondation. Quant aux Tococca de la famille des Mélastomacées, ce sont des buissons de 2 4 4 m.; leurs feuilles opposées, lancéolées ou ovales, possédent 4 leur base, tantét sur chaque paire, tantét seulement sur l’une des feuilles de mae paire, un sac ou deux sacs accouples (fig. 119). La majorité des espéces de ce genre ont des feuilles & dads nervures, réunies par des anastomoses disposées en échelle; il ya cependant un petit nombre d’espéces 4 cinq ou méme & sept ner- vures. Chez toutes, l’origine des nervures les plus internes se prend & 3-3 cm. au-dessus de la base du limbe, sur la nervure moyenne. — C’est cette portion du limbe située au-dessous de cette insertion qui se développe en sac. Celui-ci tantét occupe une partie de la largeur du limbe, tantét toute la largeur; le sac s’ouvre en haut par un orifice étroit. Parfois, il y a des sacs des deux cétés de la nervure moyenne. On y trouve toujours des fourmis brunes, trés _ guerriéres, qui attaquent le botaniste qui herborise ; ces fourmis mordent mais ne piquent pas. Chez l'une des espéces basses qui, lors de l’inondation, est complétement noyée, les feuilles ne portent pas de sac & fourmis. Ces bestioles ne pourraient pas y trouver de refuge. D’ailleurs, toutes. les feuilles ne portent pas nécessairement des sacs 4 four- mis. ‘Chez les Mélastomacées, pour une cause inconnue, des deux feuilles opposées, la plus grosse seulement en porte. On pourrait supposer que ces excroissances, qui paraissent anormales, sont comme les replis ou les poches qui se forment sur plusieurs espéces de feuilles sous l’influence de certains aphides. Ce sont alors de véritables galles qui résultent d’une irritation locale provoquée par la présence de ces petits animaux et de leurs ne a aN 202 sono DES PLANTES sécrétions. Tout autour du point d’irritation, les tissus de la feuille se multiplient, elle devient bullulée (vigne : Phyllocoptes vilis, aca- riose) ou en sacs singuliers qui rappellent ceux des Tococca; par exemple dans les Len- tisques. Mais, comme le dit justement Darwm, aucune de ces galles n’est héréditaire.: Ici, au contraire, avant méme que la plante ait pu &tre en contact avec les fourmis, elle leur pré- pare une demeure. Dans les serres 4 Kew, prés Londres, les Tococca cul- tivées produisent sponta- . ° nément de ces poches. Mais déja Spruce avait remarqué que la présence des fourmis provoque une exagération de ces ren- flements. Fig. 120. — Borraginacée de terrains d'inondation, le A Cordia nodosa de Bomazonle dont le noeud est renfié Dans cette méme fa- en formicaire; A gauche, section longitudinale; a . a droite, vue de ext rieur; ona coupé les feuilles. ; mille, les genres My r ae aeons G., d'aprés des matériaux” conservés done, Majeta, Calophysa. ues ont des espéces myrmé- _ cophiles, habitant les mémes Ygapo. Chez le Majela guianensis Aubl., les branches, épaissies au nceud, sont fistuleuses, ce qui met. en communication les sacs des deux feuilles opposées. On trouve également des sacs A fourmis & la base des feuilles d’une Rubiacée américaine, le Duroia saccifera (Amaiona). Ils sont moins marqués chez les Remijia physophora (Rubiacée) et chez la Schizobalanacée Hirtella physophora, tous de la région amazonienne des inondations. Sur les fles inondées des Uaupés, croft un bel arbre de 10 m., le Tachygalia cavipes et le T. plychophysa; leurs feuilles pennées de Césalpiniées (Légumineuses) ont leur pétiole renflé en sac 4 °° ARBRES AMPHIBIES 203 fourmis, qui donne réellement asile 4 des fourmis noires trés petites, lesquelles y pénétrent par un orifice au-dessous du sac. Les Selerolobium ne sont pas en général des arbres de la forét riveraine; la seule espéce myrmécophile croft sur la berge du Rio Negro, qu’il parfume de ses belles inflorescences jaunes. On feave aussi des nids de fourmis sur les branches de cer- taines Borraginées arborescentes appartenant au genre Cordia, qui se renflent au-dessus des feuilles groupées en faux verticilles, Cordia nodosa (Pao de formiga), C. formicarum, C. callococca, etc. e “ Enfin, parmi les plus répandues des plantes 4 -fourmis de la grande dépression amazonienne-paraguayenne, les Polygonacées de divers genres comme les Triplaris, les Coccoloba, les Ruprechlia des stations inondées des foréts riveraines ont, comme les Cecropia, leurs branches fistuleuses, quelquefois le tronc tout entier, de la racine presque jusqu’au sommet des jeunes branches, évidées par Vaction des fourmis Tachi, qui,toutes piquent violemment. Elles entrent dans leurs demeures par une ouverture qui aboutit 4 l’in- térieur d’une stipule caractéristique pour cette famille, et qui, en un fourrreau brun, enveloppe chaque base d’entreneud. Il reste des. recherches de Spruce ce fait bien établi, comme aussi des confirmations d’Huser et de Buscationi, qu’en Ama- zonie, et probablement partout dans |’Amérique du Sud, la myr- mécophilie a pris naissance dans le pays d’inondation et que, de méme que les hommes, des végétaux, pour échapper 4 l’inondation, élévent leurs demeures sur des échasses, sur des pilotis, les four- mis des Ygapo ont su ou profiter des accidents qui se sont formés A la base des feuilles, ou de la nature des tiges des arbres 4 bois’ tendre et A croissance rapide, comme le sont les arbres des maré- . Cages tropicaux, en y creusant ou en agrandissant les. cavités natu- relles, ou bien peut-étre aussi ont-elles été Ja cause de la formation et de la fixation de cés curieuses structures qui semblent parfois calculées pour elles. Comme le dit Spruce, chaque «structure du végétal» doit @tre ramenée a l’action de forces non seulement internes, mais aussi extérieures A la plante elle-méme. «Dans cette merveilleuse «Vie», qui n’existe que par un chan- 204 BIOLOGIE DES PLANTES ae 121, — Paysage de Chaco paraguayen, pays d'inondation, avec les grandes palmeraies Copernicia australis) ; les Capparidacées; arbres a couronne arrondie (Crataeya Tapia), et- les brousses & Acacia Cavenia, plante myrmécophile. Dess. de R. C. gement perpétuel, chaque équilibre est instable, et ce que nous appelons « permanence » n’est peut-étre qu’un état transitoire. » ' Aujourd’hui, la majorité des naturalistes s’est rallide A la théorie de Huser et Buscauioni qui dit que les fourmis arbori- coles ne rendent aucun service & leur plante hospitaliére. Cela est peut-étre exagéré. I] faudrait connaitre mieux encore toute la bio- logie des myrmécophiles des Ygapo pour pouvoir @tre si affir- matif. On ne peut cependant ne pas étre confondu devant certains dispositifs, ceux qui ont provoqué et l’étonnement de Bsr et sa théorie de la symbiose. J’ai en vue les Acacia myrmécophiles comme |’ deacia spherocephala, V Acacia cornigera qui non seulement donnent asile aux fourmis dans leurs grosses stipules métamor- ARBRES AMPHIBIES - 205 55 7 phosées en chambres hospitaliéres aprés la chute des feuilles, mais leur offrent, comme le font aussi les Cecropia, un corpuscule nour- ricier qui, ici, se développe au sommet de chaque foliole. Au Paraguay, V Acacia Cavenia, qui posséde les mémes stipules, est aussi une plante de pays d’inondation. En décrivant cette vie curieuse des arbres amphibies, nous avons voulu montrer combien complexe est la nature dans ses manifestations. Nous ne saisissons de ses intentions a peu prés que celles par lesquelles elle semble aller au-devant de nous en copiant les nétres. Sommes-nous bien sfirs des nétres? Connaissons-nous bien nos semblables? De méme que cette plante qui, inondée pen- dant des mois, ne réagit apparemment d’aucune maniére, il est. beaucoup de-taciturnes qui sentent profondément, mais dont rien sur le visage ne trahit l’émotion. I] me serait facile de montrer que toute action extérieure ne se manifeste pas nécessairement par une réaction visible, mais qu’elle est suivie de modifications internes qui interviennent dans les procés physiologiques de la respiration, de la nutrition, de la périodicité et de bien d’autres caractéristiques de la vie. Encore & propos de cefte catégorie, . dione Gonstatens que le matériel vivant est une mosatque de caractéres, de possibilités qui, différente dans chaque espéce, ne laisse apparaitre son dessin que selon l’action des conditions extérieures. ER” 206 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Bérczsen, F. og. ove Pautsen. — Om vegetationen paa de danskvestindiske ofr, Copen- . hague (1898). Housert, J. — La végétation du Rio Purus (Amazonie), Bull, de UHerbier Boissier, Geneve, IT’ série (1906). Kearney, T. H. — Report on a botanical Survey of the Dismal Swamp region, in Contrib. U. S. Nat. Herb. V (1901). Spruce, R. — Notes of a botanist on the Amazons and Andes, Edit. by A. R. Wallace, London (1908).. Scuimprr, A. F. W. — Die sdaliagiaates Strandflora, fiat: Mitteil. aus den Tropem, III (1891). — Jd. Pflanzengeographie (1898) 416. — Jo. Wechselbezichungen zwischen Pflanzen und Ameisen, 1. c: (1883). ; Scuenx, H. —~ Die Luftwurzeln von Avicennia tomentosa u. Laguncularia r sa, Flora LXXII (1889). Buscarion1, L. et Husert, J. — Eine neue Theorie des hj Goarilacwdas Biolog. C. B, IX (1900). Cuopar et Viscuer, in Chodat, la végétation du Paraguay, IX (1919). Cuopat, R. et Carisso,,.L. — Une nouvelle théorie de la Myrmécophilie, Archives, Genéve, (1920). BioLoun ves cLANTES PLANCHE XII 1, SAXIFRAGA HIRCULUS sur la tourbiére. 2. BETULA NANA, buisson arctique des sagnes. Les Sagnes. (Prancues XII et XIII.) Wee déja décrit plus d’une formation végétale qui doit son existence a. l’exclusion de concurrents, éliminés par des fac- teurs extrémes, qui ne peuvent leur convenir. Le plancton des neiges est protégé, dans sa station, par la froi- dure constante, l’extréme insolation, l’action comburante de la neige au soleil, tandis que les Cyanophycées des thermes, étant les seules 4 supporter une température habituellement supérieure 4 50°, res-: tent maitresses du terrain. L’eau agitée des cascades tropicales protége les Podostémonacées contre tout concurrent. Il y a ainsi dans la Nature des conditions extrémes qui assurent 4 certaines catégories de plantes un domaine réservé. __ : En est-il de méme des Sagnes? Mais disons tout d’abord ce que c’est qu’une Sagne. Sous cette dénomination on comprend, dans le Jura suisse romand, une formation bien définie, la tourbiére élevée: cette tourbiére qui, 4 son apogée, est un bassin d’eau _ dans une dépression imperméable, alimentée principalement par I’eau de pluie, complétement ou presque complétement rempli de mousses du genre Sphagnum (les Sphaignes). Ces mousses forment un immense coussin, bombé en son centre, et souvent de couleur vert pale, ou A reflets rougedtres, ou méme parfois franchement rouges. Lorsque la Sagne est constituée ‘définitivement, le voyageur peut s’avancer sans crainte sur ces canapés élastiques; il sent son pied comprimer la, mousse ce qui fait jaillir l’eau par compression. C’est comme une masse spongieuse imbibée, vraiment comme une _ €ponge pleine de liquide. La surface de ce canapé végétal est parsemée de buttes ou de coussins secondaires qui s’élévent jusqu’a vingt-cing centimétres au-dessus de la superficie générale, ' Mais malheur A l’imprudent qui s’est aventuré dans une sagne en formation; il peut voir l’éponge céder sous ses pas, s’ouvrir, © lengloutir pour toujours. 208 BIOLOGIE DES PLANTES ‘ Revenons prudemment sur la « tourbiére -élevée » déja° sus- ceptible d’exploitation. Les fossés, les creux 4 tourbe nous montrent l’eau brune bien au-dessous du niveau de la surface végétale; cette tranche nous permet de reconnaitre que, de la profondeur 4 la surface, la tourbe a subi des altérations profondes ; presque noire au niveau de l'eau, elle est brune au-dessus, puis, vers la Wy: Q me WR vf ALES WY we Wwe’ SS DA’ PQ SDMA PASE wet QV ct SSIES “Ses >} ee 122. — Sommet d’une mousse de sagne, u genre Sphagnum, rameaux garnis de feuifles. Gross. 2 fois, Dess. de R. C. surface elle palit ; maintenant nous pouvons, en écartant un peu les tiges dont elle est formée, reconnaitre que cette surface est vivante, a une profondeur qui varie de six A vingt centimétres. Elle est tout entiére constituée par’ les extrémités, serrées les unes contre les autres et dressées, des tiges des Sphaignes qu’on peut suivre bien profondément dans la masse tourbeuse, mais qui ne sont plus, au deld de cette zone vivante, que des fibres jaunies et mortifi¢es. Si nous suivons.]’une de ces tiges dans la profondeur nous verrons qu’elle n’est que la rami- fication de tiges plus profondes encore qui, toutes, portent des rameaux dressés. Tige ef rameaux sont couverts de feuilles imbri- quées, qu’on n’apercoit guére parce qu’elles sont dressées ef .appliquées les unes contre les autres. C’est un revétement de petites écailles qui recouvrent Vaxe central, la tige, les rameaux. C’est d’ailleurs une mousse assez singuliére; sans racines, sans poils d’absorption, sans sys- LES SAGNES 209 téme conducteur dans la tige, sans nervures dans les feuilles. Elle est cependant capable d’élever de l'eau de la profondeur de 1’étang vers la surface. Au fait, nous pourrions faire une expérience |! Dans un verre 4 moitié rempli d'eau, je vais placer cette tige feuillée de vingt centimétres de longueur; bientét je m’apercevrai que le sommet se remplit d’eau ef que peu a peu cette eau s’écoule en gouttes qui tombent lourdement de V’extrémité qui s’est penchée. J’ai ainsi fabriqué une petite fon- __ taine qui va, si je n’y mets bon ordre, vider le verre et répandre % le liquide sur les feuilles éparses de mon manuscrit. L’eau a été pompée par capil- larité parce que tout, dans la struc- ture de cette plante, est disposé pour en faire un élévateur d’eau; il y a d’abord la maniére dont les feuilles, qui se laissent mouiller, sont étroitement appliquées con- tre la tige; elles ménagent ainsi des espaces capillaires comme ceux qui se forment entre les pages d’un livre et qui deviennent actifs quand par malheur, ayant renversé l’encrier, elles sucent le facheux liquide. Avec l'aide d’un microscope je pourrais vous mon- _trer que la succion capillaire est encore facilitée par une structure tout a fait adéquate. La tige Fig. 123. — Un fragment de la surface d'une sagne, mélange de Sphaignes (Sphagnum) et de Polytrichum, dont on voit la capsule portée sur un long pédicelle. Gross. 11/s fois. Dess. de R. C. 14 210° BIOLOGIE DES PLANTES vivante est enveloppée par un manteau de cellules mortes; les feuilles a ce fort grossissement, nous montrent une réguliére alternance de cellules mortes incolores, encadrées par de plus étroites cellules vivantes dont on voit bien les grains de chlorophylle. Il s’est donc fait ici une division du travail. Les cellules vertes qui assimilent doivent nécessairement rester en contact les unes avec les autres et, par la base de la feuille, avec la tige qu’elles nourrissent. Les cellules mortes sont maintenant renflées comme autanf de petits tonneaux ; leur paroi est encerclée par une spirale interne de sou- tien qui les maintient tendues. Par des orifices circulaires, une espéce de bonde, ces petits tonneaux peuvent se remplir a condition que les espaces qui séparent deux cellules ‘soient assez étroits pour que la capillarité s’exerce d’une maniére efficace. Et ceci, elles l’obtiennent facilement en se développant en vésicules d’un seul cdté de la feuille, ce qui rapproche les outres du cdté extd- tieur. Les orifices sont ménagés de telle facon qu’ils se regardent d’une vésicule A l’autre. Or, ceci'se répétant autour de la tige, V’eau monte par capillarité d’une vésicule 4 la suivante, puis, retenue par la méme force entre les feuilles imbriquées, elle finit par vaincre cette adhésion et par tomber goutte 4 goutte du som- met de la tige. Il y a, d’une espéce de Sphagnum a l'autre, des variations, mais le principe reste le méme. L’intérét augmente quand on constate que dans le Sphagnum cuspidatum, lorsqu’il est submergé, les nouveaux: rameaux formés ne développent pas cet appareil capillaire. On voit dés lors que la plante réagit d’une maniére adéquate. Toutes les autres mousses sont dépourvues de ce systéme d’ampoules; cependant, le Leucobryum, une Bryacée des tour- bigres, sait aussi élever l’eau par capillarité et s’imbiber d’eau. Mais chez celle-ci la feuille a deux coussinets de cellules vésicules recouvrant une lame verte, mince. Ces ampoules: communiquent .aussi par des trous. ° Voici encore un exemple de deux plantes qui appartiennent 4 deux genres de familles trés éloignées des mousses, et qui, dans les mémes stations, savent utiliser le méme principe d’hydrosta- . fique. Il ne nous faut pas chercher bien longtemps pour décou- vrir dans le Sphagnum des colonies du Leucobryum glaucum. x LES SAGNES 211 La quantité d’eau que peut absorber le Sphagnum sec est vrai- ment étonnante. Cela va de 17 4 20 fois son poids et méme plus. Dans la grande guerre, on s’en est beaucoup servi comme succé- -rdané du coton-charpie hygrophile. Mais il ne suffit pas de décrire ce qui est; il faudrait savoir ce qui a été, comment ce tapis épais de tourbe, surmonté de la zone vivante, a pu se développer. Il est des sagnes qui ont pris naissance 4 partir d’un maré- cage. Il faut évidemment que ce marécage ne soit pas trop pro- fond. La premiére condition, pour la formation d’une tourbiére élevée, c’est que la réserve minérale s’épuise. C’est ce qui arrive si, au bout d’un certain temps; le fond étant occupé par des dépéts imperméables, une végétation active de Potamots, de Myriophyl- lum, de Nénuphars, etc., a épuisé la réserve en matiéres minérales nutritives. Mais il y faut aussi le caractére acide de l’humus qui se forme, 4 l’abri de l’air, par une fermentation lente. Ces matiéres colloydales brunes retiennent les matiéres salines de l'eau, précipitent une grande partie du calcaire et, d’autre part, jouent le réle d’auximones', positives pour les Sphagnum et négatives pour d’autres plantes de marécages. Si les Sphagnum manquent, le marécage peut étre complétement ou presque com- plétement stérilisé, les-plantes supérieures disparaissent. L’analyse chimique montre que, toutes choses étant égales, V’eau d’un pré marécageux ou d’une roselitre (Phragmitée) con- tient jusqu’é 6 1/2 fois plus dé matiéres minérales que celle d’une tourbiére & Sphagnum. On remarque aussi qu'il s’est fait, dans | cette derniére, une intense décalcification.. L’eau d’une sagne est donc une eau pauvre en substances nutritives et presque décalcifiée. C’est dans ce milieu appauvri qu’accidentellement sont trans- portés les Sphagnum. Ces mousses commencent par se multiplier comme plantes flottantes jusqu’A ce que, accumulées, elles soient forcées de vivre céte A cdte. Elles forment un tapis suspendu, sur lequel il est imprudent, dangereux méme de-s’aventurer. Ce n’est qu’au bout de siécles d’activité végétale que, les anciens ma- tériaux, plus profonds, s’étant tassés successivement et ayant cons- titué la base solide de la tourbe, la sagne prend l’apparence et la On appelle auaimone, une substance on accélére le développement ; on dit quel- ques fois aussi vilamines. 212 BIOLOGIE DES PLANTES consistance d’un immense coussin bombé et. élastique. C’est 1a le type de nos grandes tourbiéres. La sagne peut aussi se former dans une forét humide, dont le sol peu profond a été appauvri par la végétation et dans lequel l’excés d’humidité a provoqué la destruction lente; 4 l’abri de lair, de matiéres végétales. Dans ce sol acide, tourbeux, s’établissent enfin des touffes de Sphagnum qui bientét, en buttes, s’élévent de lhumus, entourent le pied des arbres et, progressant, ‘finissent par se confondre. Grace au mode de ramification, qui est centri- fuge, cette disposition, qu’on retrouve dans les plantes a coussi- Fig. 124. — Butte de Sphagnum, dont on a représenté la section transversale (hauteur 55 cm.); a la surface une zone vivante, au-dessous un cceur progressivemcnt mor- Fig. 125, — Butte de Sphagnum, colonisée au sommet par un gazon sec de Polytrich- um (v. fig. 123); au pourtour du sommet par des Andromeda, plus bas par de la tifié; ces buttes qui peu a peu se desséchent bruyére (Calluna vulgaris). Marais des sont plus tard colonisées par une végéta- Ponts, tion de wegeiame supérieurs ou de Poly- D'aprés Frith et Schroeter. arais des Ponts. . D'aprés Frith et Schroeter. trichum. nets, les mousses des murs ou le Silene acaulis des Hautes- Alpes, est rapidement atteinte. Mais, tandis que chez ces plantes. supérieures chaque coussina une racine pivotante centrale unique, _ ici, il n’y a pas de racines. Alors que chez ces mousses de rocher ’ la disposition est telle que les poussiéres de l’atmosphére, la terre, sont retenues entre les rayons du coussinet, et qu’il se fait par cela méme un terreau individuel, ici, chez les Sphagnum, il n’y a rien. de semblable; sur le sol humide ou inondé méme, la sagne est . simplement posée ; elle fonctionne exclusivement comme éponge. On voit parfois de ces tourbiéres qui sont suspendues sur le flanc | des montagnes comme en certaines régions élevées des Alpes, l8 LES SAGNES 213 ot: l’eau qui est amenée par les ruisselets, ne circule plus qu’avec lenteur. Cela commence souvent par un marécage a Eriophorum (Linaigrettes) ou 4 mousses ordinaires, puis vient le Sphagnum qui tend a régner désormais en maitre. Dans le nord de |’Eu- rope, cn Scandinavie, on admire sur les pentes des montagnes Fig. 126. — Au lac de Mattmark (Alpes pennines). En arriére, un gazon continu de jonc arc- tque (Juncus arclicus), en avant, une colonie de Linaigrette (Eriophorum Scheuchgeri). Phot. R. Chod. de belles tourbiéres qui, en moelleux tapis, s’étendent sur le sol et en atténuent tous les contours. Il faut d’ailleurs A la constitution de ces sagnes un climat humide, des brouillards, car l’action desséchante des mousses aquatiques est trés forte. On a constaté que, toutes choses étant égales, une méme surface de terrain ou de marécage occupé par la sagne évapore jusqu’a cing fois plus qu'une méme surface d’eau librement exposée & l’air. Au soleil, la surface de la sagne perd 214 BIOLOGIE DES PLANTES souvent assez d’eau pour paraitre, en été, complétement desséchée. Le Sphagnum n’en est pas sensiblement altéré, car il supporte assez bien une dessiccation prolongée; il a la capacité de ‘revi- viscence. Lorsque la pluie tombe ou ‘que le brouillard permet une absorption d’eau équi- librée avec celle qui s’évapore, le Sphag- num reprend sa teinte verte et rouge qu'il avait échangée;:’ pen- dant la sécheresse, contre l’apparence blanchatre d’un tissu plein d’air. _ Crest dire quel’eau d’une tourbiére élevée provient, en grande partie, de l’atmosphére et que la circulation de cet élément liquide se fait tout aussi bien de Fig, 127. — Deux plantes (Ericacées) des buttes de Spha- Y : 1 gnum. A, Andromeda poly-folia, aux fleurs rosées; B, xy mentf.. Si donc, en été, faenaee aux fleurs ranch ema. Sue ed a oo il arrive que la ete ‘face de la sagne” se desséche, c’est que, dans ces régions de la tourbiére, les sphaignes ne pouvaient élever l’eau du niveau inférieur parce que les tissus profonds ne sont plus capables de conduction. : C’est maintenant sur cette tourbiére élevée, sur ce grand - coussin de mousses, que viennent s’implanter, en un jardin bien caractéristique, un certain nombre de plantes supérieures. - - Il y a d’abord les linaigrettes (Eriophorum vaginatum ) (fig. 12605 el planche XIII) qui, en touffes serrées, viennent dresser leurs BIOLOGIE DES PLANTES PLaNcHE XIII Tourbiére dans le Jura suisse; au fond les pins, plus prés SWERTIA, COMARUM et Linaigrettes. LES SAGNES 215 pompons soyeux et blancs. Quelques Carex (laiches), les C. stricta, C. ampullacea, grosses espéces qu’on voit au pourtour de la sagne. Dans les coussins de mousses, ce sont de plus fins Carex (C. pauci- flora C. heleonastes, C. chordorrhiza, C. canescens). ‘Ne font jamais défaut les gracieux Rosolis aux feuilles rouges étalées sur la mousse et dont les tentacules portent & leur som- met une goutte de «rosée» (planche X71), les Lycopodes, qui: préférent les flaques ou mares d’eau noire non encore envahies ° par le Sphagnum (L. inundatum). De minuscules bruyéres en fines dentelles stment ici et 14 leurs fleurs roses (Oxycoecos palustris). Un peu plus robuste, |’ Andromeda polyfolia fait la transition aux bruyéres proprement dites (fig. 127 et planche XI): les myrtilles. (Vaccinium Myrtillus), les airelles (V. Vitis Idwae), Vairelle des marécages (V’. uliginosum) et, finalement, les Calluna qui, vers la fin de l’été, garnissent les buttes de leurs épis roses. Ce sont déja des sous-arbrisseaux, dont les branches et les racines se ramifient dans la profondeur des mousses. Ici et 14 un buisson un peu plus élevé, c’est le bouleau nain (planche XII el fig. 132) avec ses petites feuilles orbiculaires et ses chatons dressés, dont on ne voit que l’extrémité des branches poindre hors de la sagne. Dans les stations jurassiques et en Allemagne, ce paysage mélancolique s’égaie en été par les étoiles dorées du Saxifraga Hirculus aux pétales ponctués de rouge (planche XII). On le voit souvent s’associer aux Parnassia, qui le copient mais en blanc. Par place, une potentille aux fleurs d’un pourpre rouge foncé (Comarum palustre) surprend le jeune bota- - niste habitué aux potentilles jaunes (planche XIII). , Avec le temps, la surface de la sagne est plus longtemps séche : alors s’installent, au sommet des buttes, des touffes d’une grande mousse aux feuilles dressées et qui porte une livrée de _. petit conifére. Celle-ci est aussi souvent fructifiée que le Spha- ’ gnum l’est rarement (fig. 123). Ce n’est qu’exceptionnellement que de zélés botanistes réussissent 4 découvrir dans cette immense étendue une plante' de sphaigne portant une capsule. La présence des Polytrichum annonce déja la- sécheresse: des tertres de bruyéres et de lichens viennent ensuite et alors il n’y a plus guére 216 BIOLOGIE DES PLANTES de différence floristique entre cette surface tourbeuse et la lande proprement dite. En effet, les plantes les plus caractéristiques des ae alpines (Empelrum nigrum), les Gnaphalium aux pompons blancs et roses (Anlennaria dioica), les rhododendrons eux-mémes et les arnica viennent fleurir ces sagnes-landes. C’est qu’entre les deux formations il y a, dans 1’Europe moyenne et l’Europe septentrionale, toutes les transitions. Au dela du cercle arctique et dans nos Alpes, au-dessus de la limite du dernier sapin, la lande appauvrie, qu’on appelle toundra, passe de méme, dans ces stations plus humides, aux sagnes minuscules des hautes régions. En effet, ce qui’ caractérise toutes ces formations homolo- gues, c’est la pauvreté du sol ou de l’eau en sels nutritifs et aussi’ V’absence de calcaire ; le degré d’humidité et de chaleur détermi- nera si la lande est une sagne, une sagne-lande, une bruyére ou une toundra. Mais il reste éepeadant un certain nombre de plantes qui, dans l'Europe centrale, n’existent que sur le Sphagnum. J’appel- lerai ces espéces «espéces caractéristiques ». Celles qui, d’une autre formation ot elles sont abondantes passent aussi sur le Sphagnum, seront appelées « transfuges ». Ainsi les Drosera ne se trouvent pas dans les landes,-ni V Oxy- coccos, ni les deux gracieuses Orchidées qui accompagnent souvent les Rosolis sur le Sphagnum. Ce sont des plantes qui ont bien réellement des caractéres qui les rendent propres a vivre dans ce milieu. Soit les Drosera, soit les Orchidées citées s’élévent en étages dans le Sphagnum & mesure que sa surface se hausse. Ils croissent donc & la facon de Ja mousse sphaigne elle-méme (fig. 129, 150, elc.). Mais les airelles et les bruyéres sont ici seule- ment des transfuges, car, dans leurs landes de plaine ou de la montagne, elles ne sont pas accompagnées du Sphagnum et des Rosolis. Deux arbres seulement s’aventurent dans les sagnes propre- ment dites, un conifére (Pinus montana) et un bouleau (Betula pu- bescens). LES SAGNES 217 Il nous faut aller voir, a l’étang de la Gruyére, dans le Jura bernois, la superbe sagne-forét qui se refléte dans |’eau noire (planche XI et fig. 99). Pénétrée par les Sphagnum rouges, les airelles et les bruyéres, la forét est exclusivement formée par le pin de montagne au tronc droit, a la couronne étroitement pyra- Fig. 128. — Le Pin de montagne (Pinus montana) sur les rochers calcaires du Jura (Court- Moutier). Comparez la forme rabougrie avec les futs de la variété de Pour Diere (Be ae midale; on la voit s’avancer vers l|’étang a la faveur des touffes des laiches (Carex ampullacea, C. vtricla). Et de cet arbre, si voisin du pin sylvestre, dont il differe surtout par l’obliquité des cénes et leur asymétrie, les botanistes nous disent qu'il n’est pas lié a ces stations humides. Descendons de Tramelan a Court, a l’entrée des superbes cluses de Court-Moutier ; dans les rochers, le pin de montagne découpe sa silhouette tourmentée sur le gris lilacin de la pierre (/ig. 128). 218 BIOLOGIE DES PLANTES ~ a. 68 7 Mais ici il est réduit, rabougri. Dans les Alpes, le pin de mon- tagne est assez rare. En Dauphiné, en Valais (Champex), c’est un arbre longuement pyramidal, au feuillage condensé et -foncé comme celui’ de l’arole. Au Parc national suisse, cette forme Hig: 129. — Orchidee 4 fleurs vertes, des sagnes. On voit, 4 gauche, les pseudo-bulbes et les euilles grossies ; A droite, la maniére dont la tige s‘allonge en étages pour suivre la croissance... du Sphagnum et maintenir son niveau (Liparis Loeselii). Dess, deR, C. °°, LES SAGNES 219 a alterne avec le pin couché des éboulis qui, plus A l’est, est l’arbre ‘caractéristique des Alpes orientales. Mais partout le pin de mon- tagne choisit des stations stériles: rochers, éboulis, sables, landes et sagnes. On ne le voit pas dans les marécages proprement dits. Ce transfuge a certains principes, mais il n’épouse guére ceux de ses associés, il supporte sécheresse et humidité, ce qui lui ‘per- met de s’associer successivement 4 des groupes de plantes diverses, appartenant 4 des formations distinctes : l’éboulis, le rocher, la tourbitre, la lande. Selon les. stations, il modifie sa vie, se res- treint ou se dépense largement, se dresse hautain ou se fait petit, rampe méme, et, partout ot il réussit il domine, il dépasse ses associés. I]. est de ceux qui ne peuvent réussir que dans les mi- lieux rabougris par la misére physiologique; dans les bons ter- rains, il ne peut lutter. Il envahit les stations que les autres -dédaignent. Est-ce bien vrai? ‘Nous lui faisons tort: il réussit la ou d’autres, trop exigeants, ne savent pas firer parti des faibles ressources du sol et, dans ce sol appauvri, il arrive cependant par- fois & dresser des fats de 15 a a 20 m. de hauteur et de 45 cm. d’épaisseur. . Ces eaux épuisées que les autres mousses dédaignent, les Sphagnum les ont converties en de gracieuses, mais mélancoliques prairies, la lande s’y est installée et les racines ligneuses, les troncs et les branches des Calluna et des bouleaux nains se sont mélés aux fissus spongieux des mousses et, 4 leur tour, ont contri- bué, dans le fond de la sagne, 4 former la tourbe. Des pins de montagne ont été enfouis dans la tourbiére et le bouleau blanc est venu en automne agiter son menu feuillage jaunissant au-dessus des bruyéres roses (planches XII et XIII), tandis qu’au printemps: suivant le vent secouait ses petites samares triangulaires. A son tour, il a été englouti par l’éponge végétale. Ainsi, depuis des siécles, s’accumulent, sans se détruire, des masses végétales qui lentement se charbonnent sous l’eau. Des bactéries spéciales, des champignons, moisissures particulitres, étudiés par mon éléve Dazewska, altérent, mais lentement, ces cadavres de plantes, leur extraient l’oxygéne nécessaire 4 leur respiration et leur font subir une fermentation qui les transforme peu 4 peu en tourbe, en char- bon, en lignite. A l’air, dans le sol meuble des landes, ce proces 220 Ai. BIOLOGIE DES PLANTES de fermentation, quoique lent aussi, finit par détruire, oxyder les débris charbonneux. Ici la majeure partie est conservée, la struc- ture végétale dans la tourbiére est trés longtemps’ respectée. On peut dés lors reconnaitre 14, dans le fond de la sagne, dans cette tourbe compacte, la nature. des plantes qui ont été enfouies il y a des siécles et des siécles et reconstituer ainsi l'histoire de la végétation de ces tourbiéres depuis des périodes fabuleuses. . Les sagnes sont donc nos. houilléres. récentes, et nous allons les inter- roger. Ce travail de reconstitution historique a été fait par beau- coup de botanistes du nord de |’Europe et de la Suisse. Voyons par quelques exemples quelques-uns des résultats de cette enquéte. A tout seigneur tout honneur! Le pin de montagne, le pin a crochets, comme on dit parfois, est actuellement un conifére qui va des Pyrénées au Caucase; plus abondant dans le premier massif, il s’avance vers les Alpes occidentales par les Cévennes, devient rare 4 partir du Valais pour réapparaitre abondant dans |’Enga- dine, puis dans les Alpes orientales ; rare dans les Carpathes et en Macédoine, il l’est encore plus au Caucase. Vers le nord, on le voit s’avancer dans les Vosges et le Schwarzwald, dans l’Erzgebirge et le Riesengebirge; au sud, il pénétre jusqu’aux Abruzzes ; on le trouve aussi au mont Ventoux, de 1400-1800 m. Si on ne consultait que sa distribution actuelle, le pin de mon- tagne serait classé parmi les végétaux montagnards des massifs de l'Europe moyenne. Par sa plus ou moins grande abondance, il se marquerait comme plante plus occidentale qu’orientale. Mais déja sa distribution morcelée dans les Alpes et le Jura fait songer a une plante relique, 4 aires disjointes, lesquelles sont comme auv- tant de refuges pour cette espéce. Elle ne persiste que lorsque la lutte pour l’existence se dessine plus particuligrement favorable pour elle, par l’incapacité pour ses concurrentes de vivre dans les stations stériles qu’elle préfére. , Nous sommes assez bien informés sur son histoire paléontolo- gique. Absente actuellement des régions polaires ou nordiques, elle y était abondamment représentée pendant les temps tertiaires LES SAGNES 221 (Miocéne), par.exemple au Spitzberg, d’aprés Oswald Herr. Avec Vépoque glaciaire, qui désole les pays nordiques, l’arbre est refoulé vers le sud. Saporta la signale des tufs quaternaires du Midi de la France ; Ficus, du glaciaire des environs de Nancy; Moore, des tourbiéres fossiles d’Irlande;. d’autres, du nord de 1 Allemagne. C’est donc bien une espéce d’origine nordique qui, depuis le _glaciaire, “s’est avancée jusque dans les massifs de l'Europe méridionale, l’Ibérie, l’Italie, la Macédoine. Beaucoup plus commune en Suisse et en France pendant les époques glaciaires successives qu’aujourd’hui, elle a cédé le pas A d’autres arbres plus entreprenants, plus robustes, dés que les conditions de vie sont devenues meilleures. Depuis les époques de sa grandeur, elle s’est réfugiée dans les tourbiéres, sur les rochers des gorges fraiches du Jura bernois ou dans les dolomies stériles de ]’En- gadine. Les stations isolées du plateau central (France), qui ont été décrites par M. ‘Roux, sont particuli¢rement intéressantes, car ici le pin est complétement isolé; perdu dans quelques tour- biéres, au milieu d’une végétation d’une tout autre origine. Voici donc un arbre qui a vu le déclin du Tertiaire en Europe, qui a assisté 4 l’envahissement progressif des plaines de ]’Europe par les glaciers. Il a survécu au mammouth, 4 l’ours des cavernes, 4 Vhomme paléolithique. Le pin de montagne est donc un fossile vivant; autour de l’étang de la Guyére, il dessine un paysage glaciaire typique (planche XT), et ses associés, le bouleau nain en particulier, complétent cette impression de la végétation d’un autre Age. Les sagnes sont par conséquent des musées paléontologiques. Comme certaines iles ont gardé une flore ancienne parce qu’elles n’ont pas été envahies par les nouvelles flores continentales, les tourbiéres élevées, impropres a l’établissement d’une flore plus exigeante, conservent ou aftirent 4 elles les éléments quater- naires, glaciaires ou autres, qui fuient la lutte, comme les habi- tants de la Nouvelle-Guinée qui se retirent devant la civilisation envahissante-de V’immigré européen, l'envahisseur, l'homme des ‘ temps nouveaux et lui abandonnant les meilleurs terrains se contentent de refuges dédaignés. 222 BIOLOGIE DES PLANTES L’apparence mélancolique du paysage de la tourbiére élevée n’est donc pas seulement due a l’étrangeté de cette station, mais . Fig. 130, —, Maniére dont le Scheuchzeria palustris (Jonca-- pines) éléve ses tiges hors du . Sphagnum pour atteindre le niveau biologique et amener ses feuilles étroites a la surface. Dess. de R. C. ce sentiment qui saisit le plus. insensible vient certainement de ce que l’on devine, sans le comprendre complétement, le drame qui se joue ici. L’inutile prairie moussue, les bouleaux tortueux ou rabougris, les pins de montagne lugubres dans leur étroit — manteau de verdure : c’est ici le refuge d’une armée décimée, d’un vieux peuple fatigué de vivre. Mais toutes les sagnes ne sont pas si anciennes. D’abord nous savons a n’en pas douter que la plupart des grandes sagnes datent de l|’époque glaciaire. Au fond de ces cuvettes on a découvert comme contemporaines du mammouth des plantes qui actuellement ne se trouvent méme plus dans les hautes Alpes. Plusieurs de ces plantes qui, autre- fois, étaient abondantes dans les tour- biéres ont en partie disparu. Ainsi le Scheuchzeria palustris qui, trouvé fossile par Scuroerer-dans la plupart des tour- biéres, n’existe plus actuellement que’ dans peu de stations. ' Plus intéressante encore est la pré- sence dans les tourbes anciennes d'une. Nymphéacée (fig. 131) qui, actuellement, est localisée aux Etats-Unis et qui, cer- tainement, appartenait A cette flore ter-- tiaire américaine-européenne que |’époque glaciaire a détruite chez nous. Le Brasenia purpurea des Etats-Unis del’ Est était trés répandu dans nos sagnes comme il lest actuellement dans les tourbiéres dont nous ‘ LES SAGNES 223 avons parlé encore 4 propos des foréts amphibies du Dismal Swamp (fig. 100, 102). D’autre part, les sagnes paraissent avoir constitué une oasis dans le monde: actuel oi se seraient maintenues des plantes arc- tiques datant de l’immigration de ces plantes 4 partir des régions &> / is \ i Fig: 131. — Petite Nymphéacée des Etats-Unis (Brasenia purpurea), Ec Perenon fossile dans les sagnes du centre de l'Europe. On a marqué par un pointillé la gaine gélatineuse qui enveloppe les tiges et la base des pétioles. Dess. de R. C. polaires lors des grandes extensions glaciaires. C’est ainsi qu’a Einsiedeln le Trientalis europea (fig. 133) et le Juncus stygius ont été souvent considérés comme des reliques glaciaires-arctiques. Dans le Jura, le bouleau nain et le saxifrage jaune (S. Hirculus) ont aussi été pris pour des résidus de cette ancienne flore (planche XII). Mais comme ces plantes ont toutes des moyens de dissémina- tion qui favorisent leur transport 4 de grandes distances, il n’est pas certain que les stations suisses soient vraiment des refuges pour ces plantes; on pourrait aussi supposer une réimmigration actuelle de plantes arctiques par le moyen des sagnes de 224 BIOLOGIE DES PLANTES l’Allemagne du Nord et de l'Europe centrale. Il n’est, en effet, pas difficile de montrer la continuité relative de l’aire de ces plantes & partir de leurs stations suisses A celles du Nord par les ‘tour- biéres de ]’Allemagne. ; ee ‘ ESS SS Fig. 132, — Rameau, quatre fois grossi, du Betula nana avec deux chatons femelles. Com arez avec planche XII, Dess, deR. C. On sait en effet que dans beaucoup de stations du nord de l’Allemagne, les tourbiéres sont d’origine relativement récente et que les plantes arctiques, qu’on y rencontre, y sont arrivées par migration actuelle. Lorsqu’'il s’agit de résoudre des questions aussi complexes que celles relatives A V’histoire de la végétation et de la: distribution actuelle des plantes, il faut, ayant d’avoir recours A des explica- tions exceptionnelles, essayer de les aborder par le moyen de la géographie botanique actuelle. cl LES SAGNES 225 “Voyons ce qu'il en est des sagnes. Nous avons vu que les sphaignes ne réussissent que dans ces circonstances exceptionnelles qui résultent de l’épuisement du milieu liquide en sels nutritifs. II serait absurde de dire que les sagnes sont des reliques d’un autre Age, l’Age des tourbiéres : il n'y a jamais eu, en effet, une période semblable. Les condi- tions pour la formation d’un milieu semblable étant réalisées en cet endroit ou en celui-ci, la colonisation peut se faire et se fait assez souvent par le vent, les migrations des oiseaux de marécages et l'homme lui- méme. De tourbiére en tour- biére, les plantes de marécages ont a franchir des distances souvent considérables, et ce- pendant rien n’est plus uni-~ forme dans l’Europe centrale que la composition de la flore des sagnes. La colonisation de ces derniéres s’est faite A tra- vers les airs; elle n’a pu se faire de proche en proche par une. migration terrestre puis- qu'il aurait fallu 4 cela une con- finuité du régime de tourbiére qui n’a jamais existé. Le pro- Fig.'133. — Primulacée de tourbiére: Trien- talis europaea, aux fleurs blanches; on voit aussi chez cette plante la maniére dont la tige s’éléve dans la mousse et y produit des feuilles rudimentaires. Dess. de R. C. bléme Je plus proche est donc d’étudier les conditions de transport des plantes des sagnes d’une tourbiére 4 l'autre. Or les Drovera, ‘les Andromeda, les Calluna, les Orchidées, le Parnassia, le Saxi- fraga Hirculus, toutes ont des semences d’une excessive légéreté. Les Airelles et les Oxycoccos ont des baies que les oiseaux transportent. Les sphaignes elles-mémes s’attachent aux pieds des oiseaux palmipédes et supportent une dessiccation prolongée. 15 226 BIOLOGIE DES PLANTES Il devient dés lors difficile d’attribuer 4 chaque facteur sor importance réelle. Néanmoins le paysage des sagries est ur paysage arctique dont le caracttére nordique est encore accentué par la présence, autour de plus d’une tourbiére, de la forét du Pinus montana, le Pin des tourbiéres, conifére qui, venu du Nord, comme on I’a vu plus haut, en a disparu depuis lors. Ainsi, dans l’Europe centrale, aucune station végétale n’est plus intéressante 4 étudier puisque tous ses habitants sont en quelque sorte, directement ou indirectement, des reliques glaciaires 4 propos desquelles d’intéressants problémes d’histoire végétale se posent et avec quelque certitude de pouvoir étre résolus. On a fait sur ce sujet, surtout dans les pays scandinaves, des études méthodiques qui ont décelé dans ces tourbiéres une succession de flores par laquelle on peut reconstituer Vhistoire climatique du pays depuis l’époque glaciaire. Mais la tourbiére aussi a une fin, car, par sa propre activité, la sagne finit par arréter sa crois- sance. Dans la zone supérieure elle s’épaissit annuellement de 2-3 cm., ce qui ne représente, dans les couches inférieures, aprés compression de la tourbe par son propre poids, que 1-2 mm. La sagne a donc une croissance excessivement lente. Cependant il arrive un moment ot la hauteur du coussin dépasse la capacité d’élever utilement, par capillarité, ’eau du réservoir du fond: alors, cette surface se desséchant, elle devient propre A l’extension de la lande 4 bruyéres et 4 lichens dont nous avons parlé et, peu a peu, la forét de pins et de bouleaux s’installe. Ace moment la tourbiére est de toute beauté, surtout en automne. Mais peu a peu le niveau de la tourbiére a diminué par compression, la forét réduisant par son ombre |’évaporation de la surface, le sphagnum, au-dessous, se met A croitre; il enveloppe les troncs qui pour- rissent, et ces derniers sont, en tombant, ensevelis dans le sphagnum jeune, et le stade sagne, pur sphagnum, recommence. C’est ce phénoméne qui permet de comprendre qu’il y ait plu- sieurs horizons dans la succession des couches de la tourbe et qui sont dus a une régulation autonome, 4 une alternance spon- tanée de la mousse et de la forét. C’est ce qui s’observe un peu partout. Dans le nord de l’Allemagne, au Danemark et dans la Scandinavie, c’est-a-dire autour de la Baltique, tous ceux qui LES SAGNES | ‘227 ont étudié la succession des couches de la tourbe ont pu constater au fond de la tourbiére une végétation glaciaire, puis la toundra, puis la sagne avec pénétration de foréts, selon le-schéma indiqué ci-dessus. Apparaissent successivement le bouleau, le peuplier tremble, puis le pin sylvestre et cette végétation forestiére suivie d’une croissance nouvelle de la mousse; dans une période ultérieure, on voit apparaitre le chéne et le coudrier, puis la tourbe recommence & se former jusqu’a la période actuelle. _Les uns voient dans ces successions la preuve d’une modifica- tion importante et périodique du climat depuis les temps gla- ciaires ; pour d’autres, il ne s’agit que d’oscillations périodiques pluriséculaires et autonomes que subit la tourbiére, dans sa crois- sance, lorsqu’elle passe par les périodes d’humidité ou de séche- resse causées, comme il a été dit plus haut, par sa propre activité ; sphagnum, sphagnum-lande, lande-forét, forét, sphagnum. On dit souvent, dans les traités de géo-botanique, que les tourbiéres font défaut aux régions tropicales; cela n’est vrai qu’en partie; il n’y a pas, dans ces pays, de tourbiéres profondes comme chez nous, oi d’immenses tapis de sphagnum s’étendent par-dessus eau noire. Mais le long des ruisselets, sur les pentes douces, nous avons vu,de vraies sagnes A sphagnum mélées aux Lycopodes, et dans lesquelles prennent pied les Eriocaulonacées, comme chez nous s’implantent dans les sphaignes les touffes de Eriophorum vaginatum. On y trouve aussi les jolies Mayaca, Monocotylédonées & végétation de mousse et aux gracieuses fleurs roses. A la longue, sur le parcours d’un ruisseau ou méme d’une riviére 4 cours lent, la végétation, sur la pente, en arréte ou en dévie le cours; il se constitue alors une formation qui ressemble a nos tourbiéres ef qu’on a nommée -Ypayeré. Elles occupent souvent toute la largeur d’un vallon; dans la profondeur, se forme une tourbe noire. En d’autres points, pénétrent dans ces Ypayérés des fougéres aux troncs courts comme autant de petits Cycas, les Blechnum capense,-des Cypéracées du genre Scleria, puis, sous les arbres (Villaresia Congonha et les Symplocos), de grandes fougéres arborescentes. On y trouve aussi parfois, comme chez nous dans les marécages ‘ou les lieux humides le Prunus padus, le P. brasiliensis. Mais tout cela n’arrive pas a 228 BIOLOGIE DES PLANTES former une tourbe persistante ; l’activité des organismes destruc- teurs, bactéries, insectes termites, etc,, est trop grande, sous les: Tropiques, pour permefttre la fossilisation lente de ces débris. végétaux. Le domaine exclusif des sagnes proprement dites ‘est l’hémi- sphére nord‘et, dans cette région, la zone tempérée ef méme Fig. 134. — A, fleur de l'Oxycococcos palustris (voyez aussi planche XI) et_de Andromeda polifolia), grossie, 7 fois. Dess. de R.C. froide. Rares dans les. Alpes, elles jalonnent le Jura, des Rousses au Jura septentrional. Partout elles’ sont remarquables par la pauvreté relative de leur flore. Partout elles frappent le biologiste par le contraste qu’offrent les plantes supérieures insérées sur le sphagnum avec la mousse elle-méme. En effet, ces bruyéres, ce genévrier, le pin de montagne lui-méme, ont tous la structure de végétaux. de lieux secs, le bouleau nain y compris. En effet, le Calluna a réduit ses feuilles et cache ses stomates dans des sillons, |’ Empe- trum les a enveloppés dans un cylindre, fait du reploiement de la LES SAGNES 229 feuille. Le. myrtille se débarrasse de ses feuilles et les remplace par des figes vertes.et ailées comme le font les genéts des landes séches; la face inférieure des feuilles y est couverte de cire, qui diminue la transpiration ; 1’dnadromeda, Y Oxycoccos ont aussi des feuilles de plantes xérophytes. Aucune modification ne s’observe qui indiquerait que ces végétaux des landes, qui sont parmi les stations les plus séches, les plus arides, les plus pauvres, auraient subi sur le milieu humide. de la tourbiére une adapta- tion hygrophile. C’est que les racines de plusieurs de ces espéces circulent dans la mousse humide sans atteindre le niveau de l’eau; ainsi qu’on l’a dit: plus haut, la couche supérieure du sphagnum se desséche avec facilité au soleil. Plus encore, vers Vautomne, lorsque la tourbiére est refroidie, plus tard encore avec les premiers gels, alors que l’absorption de l’eau glacée est rendue difficile, le soleil et le vent agissent fortement pour dessé- cher ces plantes qui ont conservé leurs feuilles pendant la mau- vaise saison. La contradiction qui semblait évidente entre la structure de ces plantes et leur situation sur l’eau est donc moins choquante. | Mais on a déja dit que la lande ne s’établit que sur cette portion © du Sphagnum qui est la plus séche, il vaudrait mieux dire la moins humide. En réalité, ce que ces plantes trouvent ici, c’est le milieu pauvre en sels nutritifs qui leur convient, comme elles le trouvent aussi dans le bois pourri de nos foréts qui, avec ses mousses, fait souvent l’effet d’une tourbiére en miniature. ‘ 230 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE * Friin et Scurorrer, C. — Die Moote der Schweiz,. in Soc. helvétique des. Sciences naturelles, Nouveaux Mémoires (1904). Gragrsner, P, — Die Heide Norddeutschlands, Leipzig (1991). Anversson, GuNNAR. — Vaxtpaleontologiska undersdkningar af svenska torfimasce, Buh. k. Svensk. Akad. Handl., XVIII (1895). 2 Cuopat, R. — La végétation du Paraguay, Les Ypayérés, p. 20 (Genéve). — Weser, C. A. — Die wichtigsten Humus und Torfarten und ihre Beteiligung an dem Aufbau deutscher Moore. Berlin (1908). ‘o8poauput uN.p aovsuns Dp Y JUubsstinalf wnaln] apydnny a7 edad Yr ead aTAATATET Zones de végétation et associations. (Prancues XIV, XV et XVI.) N des chapitres les plus intéressants de la biologie des plantes, c’est celui qui traite des associations et des forma- tions, autrement dit de la sociologie végétale. Cette science, comme toutes les sciences vraies, a des origines | lointaines. L’homme primitif, en lutte constante avec la nature, a fait, dés le début de son entrée dans le monde, de multiples expériences. (On peut assurer que plus un peuple est. primitif, plus il est au courant des choses de la nature, cette école de toute vraie science. Aussi le devoir du botaniste en voyage est-il de recueillir pieusement les traditions populaires, les dénomina- tions par lesquelles plantes, parties de. plantes ou groupements végétaux sont désignés dans chaque pays. Méme sous une appa-. rente erreur se cache une observation juste. Ainsi j’ai entendu des femmes du Val d’Hérens appeler les colchiques et les crocus «tréfle ». Ce n’est sans doute pas le tréfle du botaniste, mais le nom est bien choisi, il fait remarquer la symétrie de la fleur qui est sur le type trois. Avant que de sourire, le jeune botaniste _ fera bien de s’informer, il trouvera généralement les habitants des champs remarquablement bien informés sur les plantes et leurs groupements habituels. En Espagne, le -paysan distingue trés clairement la forét (monte) du maquis (monte-bajo) de la — garigue 4 labiées (tomillares) ; ila désigné par un nom spécial les landes A cistes (charales) et les génistées (tojal). Mais il n’en a sans doute pas toujours été ainsi. Le terme de lande exprime V’idée du pays non cultivé (Land) par opposition aux cultures, dé méme que le terme équivalent, lui aussi d’origine ger- manique, «Heide» s’applique primitivement 4 tout terrain non cultivé, sauvage. En France, on fit ensuite la distinction entre «lande» et « friche », pays incultivable et pays sauvage non 232 BIOLOGIE DES PLANTES cultivé mais cultivable. Or, comme les landes A bruyéres sont les plus répandues des terres stériles, l’association des deéfinitions améne peu a peu a caractériser les landes comme des terrains incultes couverts de bruyéres, de genéts, de fougéres et autres plantes spontanées de peu de valeur (Liftré). Ici, le caractére de stérilité, absence de valeur au point ‘de vue agricole est le point de départ du terme; il ne s’agit pas d’un vague instinct de géo-botanique, mais’ c’est le résultat d’une observation et d’une expérience populaires. Dans le Jura suisse, le mot Sagne désigne, nous l’avons vu, une tourbiére élevée, envahie par les mousses du genre Sphagnum et puis ensuite par les éléments des landes, bruyéres et lichens. Frappé comme le vulgaire par des deéfinitions instinctives, le botaniste qui fait ]’énumération des plantes d’un pays, localise-:ses _plantes selon ces grandes divisions de la géo-botanique populaire. Cependant, chez les botanistes eux-mémes, l’idée de grouper les plantes selon des associations définies ou selon des. définitions géographiques, ne se fait jour que peu A peu. Les anciens, en situant leurs plantes, font comme les peuples primitifs, ils sont moins guidés dans leurs énumérations par des. considérations scientifiques que par le souci d’utiliser les termes consacrés dans le langage usuel ; ils parlent de lieux incultes, lieux arides, soli- taires, lieux aréneux, rochers, marécages, sol inutile et aride, sol Apre et aride, les prés, les champs, les haies, les foréts, lieux . ensoleillés, .rivages,. rivages maritimes, lieux humides, prés ‘humides, vignes, lieux secs et brflés par le soleil, aprés:. les moissons, etc. C’est ce qu’on rencontre 4 chaque page de ce vieux livre de I’Ecluse sur les plantes d’Espagne, la premiére énumération des. richesses végétales de l'Ibérie. Méme chez les modernes, ainsi dans la Géographie botaniqueé raisonnée de De Canpo.te, la notion d’association et de relation: entre le milieu et la flore est A peine esquissée. Il en est tout autrement de la distribution par zones. Les anciens n’avaient de la géographie botanique que de vagues lueurs; ceux, du moyen age croyaient retrouver en France et en Allemagne ou en Espagne les plantes d’Orient énumérées par les anciens, Dtos- ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 233 Fig. 135, — Phragmitaie en floraison. Pinchat, Genéve. Phot. R.C. CORIDE, Pine, THtopuraste. De 1a une confusion qui se perpétue jusque dans les temps modernes. Mais peu A peu on s’apercoit que chaque région a ses plantes spéciales 4 cété de plantes plus répandues. Les flores énumérent ces productions et bientdt, mais surtout au XIX™ siécle, des travaux étendus montrent que la distribution des plantes suit des régles qui dépendent du climat, du sol, de I’altitude, etc. On distingue ainsi des régions, arctique, tempérée, méditerranéenne, subtropicale, etc. Dans chaque terri- toire se laissent de méme définir des subdivisions d’autant plus nombreuses que le pays est plus accidenté; elle sont constituées par des aires réguligrement étagées selon la longitude ou la latitude si le pays est géographiquement plus uniforme. Ainsi dans I’ Historia Slirpium Helvetia de Haier, en 1768, ot se trouve définie une géographie botanique selon|'altitude et la latitude. (Voir H. Curis, La flore de la Suisse et ses origines.) Mais, en plus, les botanistes depuis Humso.pr ont attiré l’attention sur ces apparences de végétation qui font que l’ensemble présente une certaine physiognomie. De loin on reconnait une pinéde, 234 BIOLOGIE DES PLANTES une sapiniére, une palmeraie, une brousse, une savane ou une steppe herbeuse. Cela provient, ou bien de ce que la majorité des plantes qui font partie de cette catégorie végétale sont d’une seule espéce (espéces sociales), soit de ce que, comme dans la brousse épineuse, la plupart des arbrisseaux ou des arbustes sont du méme type épineux, ou comme dans la prairie toutes les herbes ont pris plus ou moins la méme apparence graminotde. : Mais, dans la forét, il y a plusieurs étages de végétation, le couvert des arbres, le sous-bois, les épiphytes, c’est-A-dire les plantes qui vivent sur les arbres; dans la prairie également, entre les hautes herbes, se dressent, comme sous leur protection, de minuscules végétaux qui y végétent en espéce. de sous-bois en miniature. Nous avons montré qu’en pleine dune, sous les buis qui fournissent une ombre épaisse, peut se cacher une végétation de sous-bois en raccourci. La saison fait aussi varier la flore et son apparence. Au printemps, avant la feuillaison, le’ sous-bois de la chénaie fleurit; en été, l’apparence du: couvert est tout autre. D’ailleurs, le terme prairie est exclusivement physiognomique, car la composition d’une prairie alpine ou d’une prairie améri- caine des Etats-Unis, quand méme les deux sont des étendues de végétaux herbacés, leur composition est tout autre ; une liste ~ de plantes montrerait tout de suite cette différence. On a dés lors établi une régle qui malheureusement n’est pas toujours suivie. Tout d’abord établir une liste des plantes en donnant, dans cette énumération, 4 chaque espéce sa valeur propre comme fréquence, comme abondance d’individus, ou comme importance au point de vue de la masse végétale. Ainsi, dans une avyocia- _ Hon, comme on appelle ces groupements habituels, il y a rarement un groupement pur d’une seule espéce; il y a presque toujours un assemblage d’espéces variées qui sont les unes vis-a-vis: des autres dans une sorte de dépendance harmonique. Certaines prédominent, ce sont les plus nombreuses en individus ou les plus importantes comme masse (espéces prédominantes); il y a ensuite une graduation A établir qui va des. espéces abondantes en individus jusqu’aux espéces rares. Enfin il y a dans chaque station des étages dominants, commie celui de la couronne des ~ ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 235 arbres dans une forét, et les étages dominés, tel que le sous-bois buissonnant, et sous ce dernier les herbes et les mousses. Et cependant cette association, parfois complexe, a une certaine phy- siognomie générale qu'elle doit habituellement A l’espéce abon- dante ou aux espéces prédominantes. Si l’on fait abstraction de la physiognomie, on classera les associations d’aprés une ou deux des espéces abondantes. Ainsi l’association du Pinus sylvestris-dans les Alpes, celle du Pin d’Alep, sur les cétes de la Méditerranée, ou celle du Pin parasol, sur les dunes maritimes. Mais toutes ces pinédes ont un air de famille, un méme facies qui est da A la silhouette familiére deg espéces du genre Pinus. Ce sont les Piniéres ou Pinédes, comme il y a des Chénaies, des Hétrates, des Chataigneraies, des Aulnaies, des Sapiniéres, etc. Et toutes sont des foréts, les unes a feuilles persistantes, les autres a feuilles caduques. Si maintenant nous poursuivons cette enquéte, nous verrons que les Pinédes © sont habituellement sur un sol aréneux léger, les ‘Chétaigneraies fuient le calcaire, les 4ulnaies s’établissent sur un sol compact et humide. Il est donc assez facile, pour cerfaines associations, de trouver un rapport entre Ja nature du sol et leur présence en cet endroit. Ce sonf les lieux édaphiques, les conditions de terrain. Les foréts de Mélézes (Laricaies) et les Hétrates seront rarement en compétition, car le Méléze préférant un climat continental, et le Hétre ne poussant pas dans ces mémes conditions, les deux arbres rarement s’associeront. Au contraire, souvent la forét sera, au moins dans Il’Europe moyenne, une association complexe d’arbres variés, Sapins, Erables, Chénes et Hétres. La définition de forét perd alors de sa netteté comme association, car en ces stations la prédominance d’une espéce n’est pas clairement mar- quée. Il en sera des sociétés végétales comme des _ sociétés humaines, il en est de simples et de complexes. Dans tous les cas, botaniquement parlant, l'association, c’est-a-dire. l’énumération des espéces qui vivent habituellement ensemble, est de toutes ces notions la plus essentielle, c’est la base de toutes autres sorfes de considérations géo-botaniques. On pourra, par exemple, choisir une espéce, disons le roseau ordinaire, et noter, dans toutes les stations o& on les rencontrera, ses associés. Or, comme cette 336 BIOLOGIE DEL PLANTES Graminée a une immense extension — on la connait du centre de l’Afrique, de l’Amérique comme de l’Asie, — on s’attendra a la trouver associée A des végétaux bien différents. Et cependant: partout ses exigences vis-a-vis de l’humidité sont les mémes ; c'est toujours une haute Graminée dont le pied est dans l'eau une partie de l'année ou toute l’année.. Il y a donc des plantes de grande extension et d’autres si rares qu’elles ne sont connues que d’une seule localité. Cette extréme localisation est rare chez les plantes aquatiques ou amphibies, car l’eau est un milieu assez uniforme; Dés lors, si nous choisissons comme plante type pour caracté- riser une association: la Pbhragmitaie', le terme signifiera autre chose dans |’'Ouganda, au Mississipi, sur les bords du Danube ou au pourtour de nos étangs. _ Le terme qui devait désigner une «association» ne garde sa valeur que pour un territoire restreint dans lequel les commensaux restent les mémes, tandis que pour un territoire plus étendu il sert a caractériser une « formation », c’est-A-dire un facies particulier des piéces d’eau et des marécages. Dés lors, la rigueur qu’on aimerait voir régner dans la nomenclature disparait, la notion est élastique, le terme s’applique A deux catégories “différentes de la _géographie des plantes. On passe de la notion de vociété A celle de station. Dans le premier cas, le Phragmites était la plante la plus caractéristique de.sa compagnie; dans le second cas, il est ' comme le réactif qui fait connaitre la nature du sol. Mais voici une nouvelle complication; le géographe qui, de loin, voit un marécage, ou qui, peu informé, de prés, reconnaft des roseaux, décrit cette apparence comme une Roveliére, et cepen- dant le Phragmites est absent de cette roseligre. A la place du Phragmité il y a, ou le grand roseau du Midi, |’ drundo Donax, ou, chez nous, une plus petite Graminée, le Phalaris arundinacea, ou enfin, sous les tropiques, des fourrés de Bambous ou de Gyne- ‘ rium. Toutes ces grandes Graminées, dans des stations analogues, ont la mame apparence sociale, celle de grands roseaux, c’est la Roseliére, notion physiognomique tout d’abord, puis, aprés examen de la station, notion édaphique, c’est--dire réactif du milieu géo- ‘graphique. A des conditions de vie analogues correspondent des i a 1 Poragmiles communis. Roseau. ZONES DE VEGETATIONS ET ASSOCIATIONS 237 formes analogues. I] y a coin- cidence. Sur les rochurs, on trouve des plantes grasses, des plantes épineuses, des plantes en coussinets, toutes ces formes font défaut aux plantes aquatiques. Soit dans leur mode d’implantation dans la vase ou sur le rocher sub- mergé, soit dans la structure de leurs organes immergés ou émergés, on remarque de nou- velles coincidences qui sont comme des ripostes au milieu ; c'est comme si ces formes étaient adaptées a ce milieu, comme construites pour vivre dans ces stations. Deécrire pour chaque catégorie de sta- tion la conformité de structure au milieu, c’est étendre a un Fig. 136. — Bambusaie. Phot. R. C. nouveau domaine l’enquéte sur les associations. Les plantes sont donc non seulement habituelle- ment associées en groupements définis, mais dans les groupements qui, par leur ensemble, se marquent avec une certaine physionomie la structure interne, la disposition des parties et leur développe- ment se répétent analogues de station en station, quand méme les plantes sont différentes, quand méme elles appartiennent 4 des familles, 4 des genres, A des espéces distinctes. Il y a des plantes grasses parmi les Cactacées, Crassulacées, Géraniacées, Asclépia- dacées, Euphorbiacées, des apparences de Bruyéres chez des Coni- feres, des Euphorbiacées, des Polygalacées, des Myrtacées, des Mélastomacées, etc., des Joncs dans les plus différentes familles. Aussi les anciens botanistes, se laissant guider par l’apparence, donnaient-ils les mémes noms aux plantes les plus diverses. Ainsi Ciusius, qui réunit les Empetrum aux vrais Erica et leur associe méme une Algue brune éricotde de la Méditerranée. 238 BIOLOGIE DES PLANTES a b c¢ d e f Fig. 137. — Lac avec rivage ; schéma, montrant les zones de végétation sur la gréve humide, les roseaux entremélés de laiches (Carex stricta); puis un premier cordon (6) de roseaux (Phragmites) dans l'eau; un second de joncs (Scirpus) avec, au fond, le gazon des Chara; c, des potamots; d, des nénuphars; e, de nouveau des joncs; f, les potamots et les myrio- phyllum. ; La biologie végétale réunit ces différents. points de vue, elle s’en sert pour essayer d’effectuer une espéce de synthése, repré- senter la plante vivante dans son milieu, trouvant son équilibre vis-a-vis du milieu changeant et en relation avec ses associés. On.... concoit dés lors que le probléme puisse &tre compliqué et que, pour cette cause, plus d’une question attende encore sa solution. Choisissons comme exemple, pour illustrer ce qui vient d’étre dit, les formations qui, chez nous, s’établissent au pourtour des étangs et des lacs-étangs, en laissant de cdté ce qui a trait A la flore microscopique. _ Il vaut mieux choisir pour cette démonstration des bassins profonds de 20 A 25 m.; on saisira mieux chez eux la zonation qui résulte de l’augmentation de. profondeur. On peut tout de suite reconnaitre au bord de ces lacs-étangs les zones géographiques suivantes : A) La gréve exondée, plus ou moins humide. B) La gréve inondée, talus plus ou moins abrupt qui indique l’'action érosive de |’eau. c) Une surface 4 peu prés horizontale, la beine ou blanc-fond, qui résulte de l’effondrement du bord primitif et dont les ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 239 matériaux se sont alluvionnés. Cette beine est de 1 m. 50 a 3 m..au-dessous de la surface. , D) Le mont, la pente nouvelle formée par la beine d’alluvion. £) Le reste du talus primitif. F) Le plafond du lac. A chacune de ces zones correspond une végétation particu- lire (fig. 137), | | | Une ceinture littorale de roseaux et de joncs, qui émergent d’ordinaire et qui s’avancent sur la beine. On y distingue habi- tuellement un premier cordon de roseaux (Phragmites communis) qui peut plonger jusqu’é 1 ou 2 m. de profondeur; une seconde zone plus interne de Scirpus lacustris, formée par des joncs qui s'enfoncent jusqu’A 3 m. de profondeur mais qui, habituellement, — vont moins profondément. Mais, dans d’autres cas et parfois dans les baies du lac de Genéve, la Scirpaie est externe. Plus a l’inté- térieur et occupant des fonds de 2 & 4 m. dans les lacs-étangs du Jura et généralement en une zone de peu d’étendue qui souvent se méle aux précédentes, une’ nupharaie & nénuphars jaunes ou blancs, dont les feuilles, portées sur de longs pétioles, atteignent la surface et nagent. abcde f _ Fig. 138. — Etang avec pente accentuée; a, cordon de laiches (Carex stricta); b, alisma; + c, Typha (Massettes) ; a, myriophyllum ; e, nénuphars ; J, potamots, 240 BIOLOGIE DES PLANTES La zone suivante ne comprend que des plantes submergées — pendant la majeure partie de leur existence et qui ne sortent de l'eau que leur extrémité florifére. Ce sont les Polamogeton et le * Myrtophyllum spicatum ou le Ceratophyllum demersum. ‘Fig. 139. — Le Nuphar juranum de Magain: forme des eaux profondes des petits lacs junesslguss ‘apres Ant, Magnin. Le fond du lac, jusqu’A des profondeurs, de 20a 3o m., ‘est occupé. par des gazons étendus d’algues calcaires’'in- crustées, les Chara, ou sans calcaire, les Ni- tella. Cette zone est habituellement -par 10 a 15.m. de fond. Les Characéesn’atteignent sur le fond que de 10 a 20 cm. de hauteur, mais elles y constituent souvent devrais gazons (Chara hispida, Ch. ru- dis, Ch. ceratopbylla, Cb. contraria, Ch. aspe- ra) (Nitella syncarpa). Disons tout de suite que les deux zones ex- ternes, Phragmitaie et Scirpaie, méme la Nu- pharaie, ne se main- tiennent, au lac de Genéve, que dans les petites baies abritées, la ot le caractére la- custre fait place au caractére étang maré- cageux. La Characaie BIOLOGIE DES PLANTES PLANCHE XV 1. Passage de la roseliére a la joncaie et ala nupharaie. 2. Gréves inondées du lac de Genéve avec Renoncules, Mvosotis et Littorella. ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 241. et la Potamogétonaie s’établissent normalement. On voit du pont des bateaux A vapeur qui circulent sur le lac de grandes trainées ou des taches étendues de ces gazons sous-lacustres. Aux mois de juillet et d’aoait, les Potamots, enracinés par 15 m. de fond, vien- nent épanouir: leurs épis 4 la surface jusqu’A 200 m.-du rivage, et les rames des bateliers viennent s’enchevétrer dans le lacis compliqué de leurs longs cables. Jamais au lac de Genéve la Nupharaie ne s’établit dans le lac proprement dit. Quant aux Roseliéres ‘et aux Joncaies, elles s'abritent volontiers dans les anses, ot la vague est moins forte. M. Macnin, qui a minutieusement étudié les lacs du Jura, fait une distinction nette entre le mode de vie du Nénuphar aux roses blanches, qui prend pied par un gros rhizome, lequel se ramifie dans la vase, A 20 cm. ou 1 m. de fond, tandis que le Nénuphar jaune a le rhizome sur le ‘sol et atteint des fonds de 2 a4 4m. sur les bords de la beine. Dans sa variété juranum, ce. dernier développe, dans les eaux profondes, des pétioles et des pédoncules de 4 m. de longueur. ‘Mais cette espéce n’est pas rare dans les étangs sur le Plateau suisse, entre les grands lacs, dont il semble craindre les vagues et l’eau trop pure. A chacun de ces types correspond, dans les eaux moins pro- fondes, des formes biologiquement paralléles. Les petites flaques sur la gréve caillouteuse ont, dans les Renoncules aux feuilles na- geantes, un modéle réduit des Nénuphars; aux Phragmites cor- respondent de plus petites graminées, comme le Phalaris arundi- nacea, plus petite encore comme le Deschampsia littoralis, aux Scirpes’ correspondent les menus Eleocharis palustris plus petits encore E. acicularis et le minuscule E. Lereschii, tandis que, en prairie sous-lacustre, alors stérile ou en cordon plus rapproché du bord, un plantain aquatique vient dresser hors de l'eau ses. fleurs aux étamines oscillantes (/ig. 140). Pour compléter cette florule de végétaux nains, une renoncule rampe dans l'eau et fleurit Al’air, tandis que le myosotis, tout autour, rachéte |’ exiguité de sa taille par de superbes fleurs bleues et roses (planche XV, B). La od l’eau est un peu plus profonde, |’ Hippuris répéte les 16 242 BIOLOGIE DES .PLANTES gazons des littorelles ou se méle A ces derniéres, tandis que, plus’ prés du bord, il porte ses fleurs rudimentaires a l’aisselle de cha- cune de ses feuilles en verticille. > i 140. — Le Littorella lacustris plantaginacée des rivages ct des eaux peu profondes. Selon a profondeur de l'eau, le pédicelle floral s’allonge plus ou moins pour amener a lair la fleur, dont les étamines a longs filets vont secouer au vent leur pollen ; C, forme aquatique stérile 4 feuilles rubannées. Dess. de R C., en partie d’aprés Glick. Si maintenant, plus en arriére, nous étudions, comme par exemple, dans les eaux mortes de Coudrée, entre la forét et le nouveau rivage, la zonation des plantes aquatiques dans les étangs qui sont entourés par des dunes lacustres, nous trouvons au centre une Nupharaie qui se méle, aux Phragmiles et aux Scirpus, puis aux Cladium. Vers le bord, des touffes de, Carex en mottes tendent 4 se souder et & former un terrain solide; elles sont en- core 4 moitié immergées dans |’eau du marais et avancent pro- ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 243 gressivement jusqu’é la Phragmitaie, méme dans la Phragmitaie. Enfin, un nouveau cordon fait du Schoenus nigricans puis, A la limite de la zone inondée, une haie continue de Scirpus Holoschoenus. Cette succession se répéte autre part et elle est tout A fait ty- pique pour ces eaux mortes enclavées dans les sables.. Ainsi, dans ces diverses stations se marquent des zones bien définies, chacune d’elle correspondant A des degrés d’humidité va- riable. Cependant, chacune de ces plantes peut vivre, quand elle n'est pas en concurrence, dans d’autres zones. C’est ainsi que les Scirpes (joncs) peuvent se développer.sous l’eau sans fleurir, alors elles allongent leurs feuilles ; les Littorella en gazons ou les Hip- puris se multiplier végétativement pendant longtemps, sans fleurir. D/ailleurs, ‘dans nos marécages et nos étangs, beaucoup d’au- tres végétaux s’associent A ces plantes-types dont il a été ques- tion et souvent simulent leur facies. Aux Phragmites correspondent les graminées Calamagrostis, Epigeios, Phalaris arundinacea. Aux Scirpes, aux .joncs simples, oT limosum, les hautes Massettes, les joncs (Juncus aculi- florus, J. obtusiflorus), le Ranunculus Lingua, lés Ombelliféres aquatiques aux feuilles 4 segments linéaires, etc. (Ocnanthe phellan- rium). Puis, dans la région extréme des Phragmites, les iris d’eau, les Butomes, les Sparganium, les Cyperus, Y Acorus Calamus. Au Carex stricta se mélent les Carex’ ampullacea et beaucoup d'autres espéces, selon ‘les stations. Un ail méme, vient se méler aux joncs qui bordent la littorellaie et répéte l’apparence des Eriophorum et des Scirpus gazonnants. ‘Puis ce sont les Triglo-. chin, les Alisma, etc.: Et ces facies végétaux se sepbtent dans:le monde entier. Autour des grandes Nupharaies du Vicloria regia (V. orbi- gniana) des eaux mortes du Rio Paraguay, on voit, répétant le type des joncs, de singuliers Solanum aux tiges' simples, qui se dressent, comme autant de Scirpus,, en un cordon de batons inon- dés. Dans les marécages, mélés aux Cypéracées, les Polygala joncotdes et- équisétoxdes, des Asclépiadacées et une foule d’au- tres plantes tropicales auxquelles a été donné le nom de jonco%des, 244 BIOLOGIE DES PLANTES équiséetordes, subtiles, ténus, /enuicaulis, semblent porter |’em- preinte du marécage et la livrée de ses joncs. C’est une journée chaude de juillet; dans les saulées et les eupatoires qui bordent l|’étang, quelques lianes ont grimpé dans Fig. 141, — Bord d'un marais, avec dunes lacustres, de Sciez (lac de Genéve); on voit bien le cordon externe du jonc, le Scirpus Holoschoenus. Phot. R. C les buissons : les grands liserons ouvrent au soleil leurs coupes blanches ; de gros bourdons se glissent jusqu’au fond des calices; la douce-amére secoue ses gracieuses fleurs violettes et porte déa des baies vertes ou rouges par-dessus les lysimaques jaunes. Le bord argileux est garni de grands lisma, dont les inflorescences dressées ressemblent 4 de gracieux candélabres; leurs corolles aux trois pétales bleu-lilas alternent avec les fleurs non écloses et les fruits déja mtrs (/ig. 143). ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 245 Dans |’eau, de grandes massettes (Typha) ont déja perdu leurs fleurs males et mfrissent leurs fruits disposés en robustes pom- pons cylindriques. Puis, c’est l’eau plus profonde, masquée par places par l’accumulation des lentilles d’eau (Lemna). Les pota- mots: sont venus étaler sur l’eau leurs feuilles nageantes ; on voit déja leurs rameaux fructiféres qui ont renversé dans |’eau leurs épis presque mirs. Une seule plante 4 ce moment fleurit dans l'eau, — je veux dire pousse sa tige florifére hors de l'eau, — c’est le Myriophyllum (planche XVI), le millefeuille d’eau. Il a ses tiges _flottantes entre deux eaux; d’autres sont encore enracinés. La plupart nagent librement sans racines, portant & chaque nceud une croix de feuilles ramifi¢es en peigne. Les j jeunes inflorescences sont encore submergées, mais voici que ces derniéres se mettent 4 dres- ser leur épi hors de l’eau par une courbure de l’entrenceud situé entre les deux derniers verticilles de feuilles. Plus tard; quand les fruits miariront, cette courbure se fera en sens contraire et’ l’épi fructifére sera entrainé dans l’eau. La plante parait donc savoir 4 ‘quel moment elle doit, élever son extrémité au-dessus de la surface de l’étang ét change de sentiment avec ]’Age (tonus). Les botanistes qui aiment a classifier ef qui frouvent avantage a se servir d’expressions chdisies, disent que son tonus change avec lage. « Sij jeunesse savait, si vieillesse pouvait. » Il n’y a pas que les plantes qui changent d’humeur en vieillissant. D’abord, le Myriopbyllum sait maintenir ses branches termi- nales tout prés de la surface de l'eau; il sait aussi effectuer une courbure comme calculée pour amener non pas les feuilles hors de l'eau — elles s’y dessécheraient rapidement — mais toute la portion florifére. ka courbure continue jusqu’a ce que l’axe soit parfaite- ment vertical; alors les tiges inondées s’arrangent A faire balancier et A maintenir & l’inflorescence sa direction normale. Si pour une cause ou pour une autre le rameau était déplacé par une courbure de compensation, la région qui a déja effectué la premiére courbure rétablirait |’équilibre rompu et I’épi sortirait de nouveau, droit vers le ciel. _ Les physiologistes disent aussi que cette plante est géotro- pique, c’est-A-dire qu'elle s’oriente par rapport a la pesanteur ;, elle n’est en équilibre que lorsque son épi occupe, au-dessus de 246 BIOLOGIE DES PLANTES l’eau, une situation verticale. Mais le reste de sa tige, ses feuilles dans l'eau, n’occupent aucune situation particuli¢re, sinon d’étre pres de la surface; pour percevoir l’orientation, il faut 4 la Fig. 142. — Myriophyllum spicatum, fortement grossi. A, Sommet de la tige florifére (com- parez avec planche XVI); 1, boutons des fleurs males encore clos; 2, les étamines ont soulevé les pétales, dont deux sont déja tombés dans la fleur de droite; fleur male épanouie avec bractée, préfeuilles et calice: de ce dernier s‘élévent les filets des étamines. B, fleur femelle nue. situce plus bas (cfr. planche XVI), on voit la bractée, les préfeuilles et le pistil avec ses stigmates papillcux. Dess. de R. C. plante son épi en voie de développement, et, chose intéressante, ce mouvement qui se fait au profit de l’inflorescence ne s’exécute pas par une partie de I’inflorescence, mais par le dernier ou l'un des derniers entrenceuds foliiféres. Remarquez aussi que les ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 247 feuilles, disposées en croix, se disposent de maniére quelconque par rapport au fila plomb; la seule chose qui parait leur étre nécessaire, c'est de s’écarter de la tige, de s’étaler complétement. Mais, choisissons parmi ces innombrables épis qui s’élévent: de 5 810 cm. au-dessus de I’eau celui-ci, qui est déja bien développé. Je vois que l’épi comprend des étages assez nombreux. A chaque étage, il y a quatre feuilles rudimentaires, les plus inférieures res- semblent encore aux feuilles submergées, elles sont encore pecti- nées en peigne ou, si elles sont plus simplifi¢es, simplement den- tées. Les croix alternent 4 chaque étage; dans les moyens et les supérieurs, les bractées, — comme on appelle la feuille qui pré- céde un bouton floral, — sont simples et portent, A l’angle qu’elles forment avec la tige, une fleur. Commencons par les derniéres fleurs qui sont encore en boutons; chacun de ces petits boutons ovoides est accompagné de deux feuilles minuscules: les brac- téoles des botanistes, aussi nommées préfeuilles. On voit clai-' rement que le développement se fait de bas en haut de l’inflores- cence, car les plus petites, les. moins avancées, sont au sommet. A ce moment-ci, il y a encore trois étages de boutons disposés — par quatre ; ils sont encore contigus, les uns au-dessus des autres. Je détache une des fleurs les plus avancées mais non encore ou~ verte et j’apercois un calice court 4 quatre dents, puis une corolle dont les quatre pétales rouges en dehors, se recouvrant les uns les autres, enveloppent les étamines comme d’un capuchon. Au dedans, il y a huit étamines et, au dedans de ces étamines, quatre ovaires rudimentaires, qui devraient donner le fruit aprés la fécondation. Mais voici que je m’apergois qu'il y a, 4 la base de l’inflorescence, des étages de fleurs d’un autre type; ce sont les femelles; elles sont aussi, chacune, précédées par deux minuscules bractéoles, mais je n’y apercois ni calice ni corolle; elles ne sont donc. pas protégées, leurs quatre carpelles tiennent ensemble en un ovaire tarbiné en toupie, couronné par quatre stigmates disposés en croix et couverts de longues papilles, de poils roses. Ces fleurs femelles non protégées exhibent et étalent leurs stigmates, offrant cette surface au pollen qui doit y étre amené par un véhicule ou un autre. Ces fleurs-ci ne peuvent donc se passer d’une fécondation croisée puisqu’elles ne possédent pas les organes mAles, les éta-_. 248 BIOLOGIE DES . PLANTES mines, le pollen qui est la poussiére fécondante. On trouve ainsi quatre ou cing étages de fleurs femelles qui se séparent successive- ment par I’allongement des entrenceuds. Comme a ce moment-ci les fleurs males situées plus haut ne‘sont pas encore ouvertes, la fécondation doit se faire, et se fait réellement, par le pollen apporté d’épis voisins, par le vent. C’est A la fois un des objets les plus simples et parmi les plus intéressants que l’épi florifere du Myriopbyllum. Examinons a loisir et, pour cela, transportons nos plantes aquatiques 4 la mai- son, nous nous organiserons un laboratoire dans la chambre de bain on sur la terrasse. Cela ne sera d’ailleurs pas compliqué : dans une cuvette nous placerons soigneusement les tiges sous l'eau, par une pierre plate nous maintiendrons lorientation primitive. Les épis étant bien’ verticaux, situés comme dans le marécage hors de l’eau, nous pourrons 4 chaque moment, et les vacances d’été nous en laissant le loisir, revenir voir ce qui se passe. Eh bien! ce qui va suivre est assez singulier. _ Voici les fleurs males prés de s’ouvrir (planche XVI’ et fig. 142); leurs pétales encore recourbés sont d’une vive couleur rouge; bientét je m’aper¢ois que la fleur ne s’épanouit pas comme celle que je connais, comme par exemple une fleur de pommier, en étalant ses pétales en une gracieuse étoile. Ici, je vois les pétales se détacher par leur base, et réunis encore par leur sommet en une espéce de capuchon, étre poussés en avant par le développement des étamines, plus justement dit par l’allongement des filets des étamines qui soulévent les anthéres (sacs A pollen), encore enve- loppées par le capuchon formé par les quatre pétales. Ce petit manége prend bien une demi-journée. Les étamines maintenant commencent a diverger et, ce faisant, décollent les pétales qui, un a un, sont éliminés avant méme que le pollen soit complétement mir. Voici donc une fleur qui-possédait quatre beaux pétales rosés, ornement habituel d’une fleur, et qui les rejette comme on se débarrasse d’un vétement inutile. D’ailleurs, les fleurs femelles, situées plus bas, sont nues, elles aussi mais elles le sont dés le début; elles ont jugé inutile ce développement de pétales, car, plus rapidement mires, les pre- miéres sorties de l'eau, elles n’ont pas besoin de. cette enveloppe BIOLOGIE DES PLANTES PLancHE XVI R. C. del. 1. MYRIOPHYLLUM qui vient fleurir au-dessus de l'eau 2. POTAMOGETON dans le lac de Genéve. ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 249 protectrice. Les fleurs mAles, au contraire, vont se développer étage aprés étage ; ce développement sera précédé par |’allonge- ment de l’entrenceud sous-jacent. C’est dans leur capuchon que les anthéres vont préparer leur pollen jusqu’A l’y amener Aa la maturation presque compléte. I] faut A chaque étage le temps d'une journée. Le pollen, pour garder son activité, doit ne pas se dessécher, et les anthéres, pour arriver A leur maturation et pré- parer leur mécanisme d’ouverture qui permettra |’émission du _ pollen, doivent se développer dans une atmosphére humide sous la-protection de la corolle. Mais maintenant, pour cette sorte de fleur, la corolle est inutile. Le J ‘yriophyllum pouvait choisir entre deux modes de fécondation: par les insectes, par le vent; il a préféré ce dernier véhicule. En effet, les filets des étamines maintenant érigés, minces mais élasfiques, portent chacun une anthére ou double sac a pollen, que le vent, que la moindre brise fait osciller, et hors desquels le ‘pollen, comme une pous- siére séche et légére, s’échappe d’un coup en une fumée légére et soufrée. La corolle serait plutét génante; la plante sait fort bien s’en débarrasser au bon moment, aprés s’en étre servie pendant la maturation du pollen comme enveloppe protectrice. Remarquez aussi avec quelle apparente sagesse cette plante développe successivement les étages de fleurs males. A chaque jour suffit sa peine; elle multiplie les chances de réussite en ne mettant pas tous ses cufs dans un méme panier. Comme un joueur prudent, elle espace ses mises; c’est l& un caractére qui est souvent réalisé chez les plantes qui se servent du vent comme interméde de leur pollinisation. Mais chez peu de végétaux il y a cette réguligre périodicité qui assure une dissémination accordée au développement rythmique correspondant des fleurs femelles, dans les inflorescences plus jeunes. En choisissant le vent comme interméde, le Myrtophyllum ne s'est pas conformé A une régle qui serait générale dans les plantes aquatiques. Voyez le Nénuphar aux grandes fleurs ouvertes, l’Alisma aux corolles lilacines (fig. 143), les Utriculaires aux fleurs éperonnées, elles sont, celles-la, visitées par les insectes et ne s’en portent pas plus mal. D’ailleurs, chez le Myriophyllum, cette ané- mophilie ou fécondation par l’interméde du vent n’est pas non 250 BIOLOGIE DES PLANTES plus un caractére de famille, car non loin d’ici, tout pres méme, sur le bord de I’étang, des Epilobes de deux espéces (de la méme famille) attirent tout un monde d’insectes. Mais, chez eux, la corolle aux quatre pétales roses s’étale et contribue, aprés l’épa- nouissement, a rendre la fleur visible aux insectes. Il ya d’ailleurs des anémophiles terrestres (beaucoup de nos arbres: coudriers, Fig. 143 — Fleur (fortement grossie) de l'Alisma Plantago ; on voit la collerette, qui réunit les ases des étamines, produire dans l'intervalle une gouttelette de nectar. Dess. de R. C. P 8 bouleaux, aulnes, chénes, frénes, etc.), mais chez tous il manque le nectar, cette sécrétion sucrée qui attire les insectes et la vive coloration. des corolles ou des inflorescences. Puisque nous y sommes, ne quittons pas cet étang. Il y a plus de choses curieuses 4 étudier ici que nous n’avions tout d’abord pensé. Malgré la chaleur humide, toujours désagréable aux rhu- matisants, nous allons surveiller l’//isma et ses fleurs aux trois pétales violet pale. Au besoin, nous nous servirons de jumelles pour l’étudier a notre aise, et bien installé sur cette touffe de lai- che, nous attendons les insectes butinants. Ils sont variés. Remarquez maintenant, comment, ense promenant dans cette fleur largement ouverte, l’insecte se couvre de pollen en frélant les ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS © 261 anthéres portées sur les filets divergents, tandis qu’il touche avec son abdomen aux stigmates, étalés en rayons, des nombreux car- ‘pelles du centre de la fleur. Il va butiner le nectar qui brille en gouttelettes limpides sur le bord de la collerette qui réunit les étamines par leur base (fig. 145). Cet Alisma est le type d’une famille vaste que plusieurs ont subdivisée en sous-familles, mais qu’on peut sans danger pour la systématique laisser sous le nom d’Hydrocharitées ou de Nata- dées. Sans aller bien loin, nous pouvons, A son sujet, faire une incursion dans l’un des domaines les plus passionnants de la Biologie végétale. Chez les Potamots, leurs alliés qui sont repré- sentés dans nos marécages et dans nos lacs par plus de 20 espéces, le plus souvent, les épis floriféres qui ressemblent extérieurement A ceux des Myriophyllum, sont aussi anémophiles. ! Mais ici les fleurs sont hermaphrodites, c’est-d-dire qu’on trouve les deux sexes dans un méme bouton; cependant, ces fleurs 4 étamines et a pistils ne peuvent se féconder d’elles-mémes, car les Onganes des deux sexes dans une méme fleur ne marissent pas_ en méme temps. Ici, chez les Potamogeton (planche XVI), les stig- mates sont déja préts 4 recevoir le pollen alors que les anthéres de cette méme fleur sont encore appliquées contre la base de l’ovaire et, pour longtemps encore, incapables de s’ouvrir pour laisser .échapper le pollen. I] y a donc, dans cette fleur, un premier stade femelle. La fécondation étant faite par l’interméde du vent qui apporte le pollen étranger, les étamines qui étaient restées inac- tives s’étalent, ouvrent leurs sacs et émettent un pollen abondant. Nous voici maintenant dans la phase male: le pollen, par le temps calme, s’accumule en sortant. des anthéres dans des appa- reils en forme de cuiller qui sont des appendices des filets de l’éta- mine et, lorsque le vent vient A souffler gentiment par-dessus l’étang, on voit partir des inflorescences, comme un nuage de soufre. N’avez-vous jamais assisté, dans la montagne, au départ du pollen qui s’était accumulé pendant le calme entre les écailles des chatons males des sapins et qui tout A coup est enlevé par la brise: on voit alors partir de larbre comme une fumée soufrée que le vent emporte ou il veut. Ce qui nous intéresse ici, c’est la formation, sur l’étamine elle- 252 BIOLOGIE DES PLANTES méme, de cette cuiller sur laquelle le pollen expulsé de I’anthére est déposé provisoirement. A part ces écailles dorsales des étamines, les Potamogeton ne possédent aucune espéce d’enveloppe florale; les fleurs y sont Fig. 144. — Potamogeton lucens, Reams au %g. Dess. de R. vertes et nues. Rien n’y attire ou ne retient les insectes. Rarement, quelques collecteurs de pollen s’y arrétent un instant. , Quelques espéces de Potamo- geton semblent pouvoir fleurir sous l'eau; mais leur biologie est en- core mal connue. Mais a défaut d’espéces de ce genre nous avons les Zanichellia (Zanichellia pa- lustris) qui ressemblent extérieu- rement aux minces Potamogeton des cours d’eau ou des lacs de montagne. Ici, les fleurs sont tou- jours submergées; elles sont ré- duites 4 la plus simple expres- sion. I] en est de mAles et de femelles ; les :premiéres dévelop- pent une seule étamine, les se- condes ont au dedans d’une en- veloppe en forme de sac ouvert 4 carpelles dont les stigmates, en forme d’entonnoir, sont aptes 4 accumuler les poussiéres, le pollen par conséquent. Celui-ci, qui est du poids spécifique de l'eau, reste suspendu dans le liquide; les” mouvements occasionnés par les variations de température et l’agi- tation le déplacent et l’aménent accidentellement vers le stigmate des fleurs femelles. Ici donc I’in- termédiaire c’estl’eau, et le pollen 3 ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 253: s'arrange en conséquence; il n’est -plus ni visqueux comme celui des plantes visitées par les insectes, ni sec et léger comme le pollen des fleurs anémophiles; il a la densité de l’eau, ce qui l’empé&che. ala fois d’étre amené a la surface ou de tomber lentement vers la profondeur. Chose intéressante déja chez ce Zanichellia et mieux’ encore chez une autre Naiadée de I’océan, le pollen s’allonge en une sorte de baton, ce qui augmente sa résistance 4 la chute, comme nous I|’avons deja vu a propos des Raphidium et des Synedra du plancton. Mais la Nature partout infiniment ingénieuse s’est, semble-t-il, chez les plantes aquatiques, surpassée encore ; elle déroute le bio- logiste qui veut mettre de l’ordre ¢t de la méthode dans ses clas- sifications. . Nous aimens a ncus imaginer une nature enfantine maladroite qui, lentement, accumule ses expériences, faites autant d’échecs que de réussites ; nous nous la sommes imaginée évoluant, corrigeant ses erreurs, progressant toujours. Mais a coup sir, une nature réalisant du premier coup, sans tatonnements, un appareil com- pliqué, cette Nature-lA nous est incomprchensible. Dans tous les cas elle n’expose guére, comme les bons artistes, que les réussites, gardant pour elle, le plus souvent les détruisant, les ¢bauches. C’est une idée un peu puérile que celle qui nous est libéralement exposée par les charlatans du transformisme, & savoir que les dif- férentes espéces d’un méme genre sont comme une série d’ébauches, tentatives plus ou moins réussies d’une suite d’essais pour arriver a la forme parfaite. Je connais d’honnétes, mais naifs naturalistes qui, dans cette exposition universelle, plus réellement universelle que nos foires et exhibitions internationales, accordent aux espéces, en leur qualité de jurés, des diplémes d’encouragement, des prix de 1" et de 2™.classe et méme des « hors-concours ». Il ya,. pour ces sida, des espéces peu évoluées, des espéces A un degré de perfec- tion plus avancé que d’autres. Le baréme de ces jugements? C’est en général le degré de complication visible ; pour eux, Vespéce évoluée c’est celle qui parait le mieux adaptée 4 son milieu par une certaine coincidence entre sa structure, sa biologie et les con- ditions de vie. Pour moi, plus j’avance dans cette étude plus je vois que ce que nous retenons, ce sont les cas les plus simples, ceux 254 BIOLOGIE DES PLANTES dans lesquels la relation entre le milieu et la structure est la plus évidente. Voici une plante qui, de tous temps, a fait l’admiration des éléves de premiére année, c'est le /’allisneria spiralis, mais je ne vois rien dans sa biologie que je ne trouverais au méme degré, quoi- que sous une autre forme, dans le modeste .//yriophyllum. Comme GEL, OLE tii \ Fig. 145 — Vallisneria spiralis. A, Schéma re- présentant la plante femelle au moment ov les fleurs ont été élevées a la surface de eau. B, Plante male dont on voit A gauche le bou- ton d'inflorescence qui contient dans son inté- rieur les fleurs males globuleuses qui devront se détacher ct arriver 4 la surface. le J’allisneria, la plante étudiée en téte de ce chapitre sait éle- ver ses fleurs hors de l'eau; elle sait détacher des organes comme les pétales devenus inutiles, sérier sa pollinisation de facon a la rendre efficace, etc., etc. Chez le /allisneria tout cela se lit plus aisément, prend une tournure plus dra- matique, frappe donc plus Vimagination. En réalité, chaque forme vivante se révéle A qui sait l’interroger comme un appareil merveilleusement construit, tantét étroitement ajusté a des circonstances trés spéciales, tantét capable par une moins exclusive spécialisation d’oc- cuper d’immenses espaces en vertu de toute la gamme de ses possibilités. Mais nous aurons a reprendre ces ques- tions de philosophie botanique. Revenons donc au /“allis- nerta, C'est encore une plante de la méme famille des Naia- dées, comme les Polamogeton et les Zanichellia. Fixée au fond d’eaux stagnantes peu protondes, elle développe en- ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 255 tre ses feuilles longuement rubanées, sur un pédicelle de longueur variable, une spathe comme celle qui, dans les Alisma, enveloppe les” jeunes inflorescences; ici, elle est formée de trois piéces soudées en un capuchon, dans lequel il y a une fleur quand il s'agit de plantes femelles, ou tout un petit épi de fleurs aux boutons globuleux, quand il s’agit de la -plante male. Lors de la maturation, le pédicelle, au-dessous de la spathe femelle, s’al- Fig. 146. — Fécondation du Vallisneria américain (v. Wy-lii nob.); au centre le sommet dela . fleur femelle, dont on voit les trojs piéces d’enveloppe en gris et Jes trois stigmates divisés et spiralés en plus clair, le tout au fond d'une cuvette produite par l'action méme de la fleur sur Veau ; autour, sur l'eau, quatre fleurs males nageant au Been de leurs sépales renversés, ce pe esquif couronné par les deux étamines qui ont émis feur pollen: voir au pourtour de entonnoir la culbute des fleurs males. Dess. de R. C., d'aprés Wylie. longe beaucoup, sans que tout d’abord la fleur soit élevée jusqu’au niveau de l’eau; alors il s’enroule en spirale et finit, au dernier _ moment, par se dérouler presque complétement en s’allongeant et en se redressant. A ce moment la fleur femelle sortie de sa spathe, est portée sur un pédicelle spécial. Pour atteindre la sur- face de l’eau, les pédicelles s’allongent parfois jusqu’é plus d’un métre de longueur ; les feuilles rubanées peuvent atteindre jusqu’d 80'cm. de longueur. Alors l’allongement du pédicelle cesse, la fleur femelle écarte ses trois sépales (il n’y a plus dans cette fleur ° 256 BIOLOGIE DES PLANTES que de minuscules pétales au fond du calice) ; puis les trois stigmates échancrés s’étalent entre les sépales qu'ils arrivent A dépasser extérieurement. Alors dans les plantes mAles, dont la spathe est portée par un pédicelle qui n’atteint que quelques centimétres de longueur, se fait une curieuse transformation. Par la fente irré- guliére de la spathe qui.s’ouvre on voit les boutons males — il en est parfois plus de mille — petits globules de 0,3 a 0,4 millimétres de diamétre — se détacher de ]’axe du centre de la spathe et monter dans l’eau comme des bulles d’air. En effet, chacune de ces fleurs mAles, non encore épanouies, renferme de l’air, ce qui I’allége. Souvent, dans les pays ou ces plantes abondent, il y a des trainées de fleurs males qui, en parfait équilibre sur l’eau, sont poussées par le vent. Arrivées a la surface, les trois sépales verts s’étalent, se recourbent en arriére et constituent ainsi un appareil a trois - nacelles qui repose sur la surface de l’eau sans se mouiller. Des trois étamines, habituellement deux seulement se développent, leurs filets divergent; poussées par le vent ou le courant, les fleurs mAles épanoutes arrivent au contact des fleurs femelles; la position des anthéres est telle que la pollinisation se fait par contact ‘entre ces derniéres ef les stigmates qui sont venus comme a leur rencontre. La fleur fécondée est ensuite ramenée sous |’eau par l’enroulement du pédicelle. Le fruit plus lourd que I’eau mirit et germe sur le fond ( Sig. 145). Mais chez une espéce voisine américaine, la: fécondation se fait un peu autrement. La fleur femelle qui arrive, par son long pédicelle, A'la surface de l’eau, est garnie extérieurement d’un revétement de cire, ce qui empéche l’adhésion de l’eau; il se forme autour de chaque fleur femelle une espéce de petite cuvette parce que l’eau ne peut la mouiller. Alors les fleurs males, dont. les étamines sont contigués et qui portent leur pollen en une espéce de massue, chassées par le vent, arrivent dans le voisinage de la fleur femelle. Si la vague est plus accentuée, la fleur femelle oscille et plonge plus ou moins, ce qui approfondit la cuvette en un entonnoir. Dans celui-ci culbutent les feurs m4les qui, cette fois peuvent chavirer, sans danger pour elles, car elles sont capturées par la fleur femelle au moment ou elle s’enfonce légerement. On. voit les petites fleurs mAles culbuter les unes sur les autres} ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 257 lorsque la fleur femelle remonte, le film d’eau retire une partie de ces fleurs males, tandis que d’autres, plus avancées, restent dans la fleur femelle au contact des stigmates. Ce manége excessivement ccurieux, surveillé par M. Wvyuiz, rappelle celui de I’ Elodea cana- densis, la peste d’eau, chez laquelle les fleurs m4les se détachent x. aussi, montent dla surface, mais, cette fois-ci, explosent subitement en jetant leur pollen sur l’eau. Le vent se charge de conduire le Fig, 147. — La lentille d’eau (Lemna minor). Toute la plante formée de feuilles-tiges el eae nantes et munie d’une 4 deux racines qui plongent dans I'eau, Dess. de R, C. pollen vers la fleur femelle qui A la surface de l’eau, par les mouvements de plongée, capture les graines de pollen (fig. 246). Mais quelque curieuses que soient les structures adéquates pour - assurer la fécondation chez toutes ces plantes aquatiques, la mul- tiplication s’y fait principalement par boutures ou par stolons. Des branches accidentellement détachées, des stolons qui rampent sur la vase et vont prendre racine au-dessous du bourgeon. ter- minal assurent & ces végétaux, en dehors de toute fructification, une persistance certaine. Nombreuses sont les plantes aquatiques qui-pendant de longues périodes se reproduisent ainsi et exclusi- vement ainsi. Voyez les lentilles d’eau (Lemna minor, L. trisulca) sur nos marécages et nos étangs qui, en quelques semaines, en recouvrent toute la surface comme d’un manteau vert. Elles bourgeonnent 17 258 8 BIOLOGIE DES PLANTES constamment, chaque nouvel article en reproduit deux ou trois nouveaux qui, détachés a leur tour, proliférent (fig. 147). La vitesse de croissance de ces plantes est extraordinaire. Beaucoup de plantes franchement aquatiques peuvent aussi mener une vie terrestre. Elles sont dés lors bien faites pour nous renseigner sur les équilibres morphologiques qui correspondent A ces deux modes de vie. Suivons, sans trop nous écarter de ce que nous savons déja, lune de nos plantes, |’ dlisma Plantago. Comme plante terrestre, elle produit, au-dessus de son faisceau de racines, des feuilles dont le contour est figuré dans notre dessin ; le limbe y est dressé (ig. 150). Si cette plante vient A étre inondée, les feuilles déja formées ne se modifient pas, mais les nouvelles sont autres ; & une grande profondeur, les limbes nouveaux sont linéaires (70-80 cm.) sans distinction de pétiole et de limbe, tandis que, cultivée dans de l’eau de profondeur moyenne, il se forme des feuilles nageantes chez lesquelles on voit un long pétiole flexueux se terminer par un limbe ovale qui nage a la surface de l’eau a la facon d’une feuille de Nénuphar. En outre, dans l’eau peu profonde, naissent des feuilles intermédiaires, comme forme, entre les feuilles nageantes et les feuilles aériennes (/ig. 150). Cette transformation est encore plus évidente chez le Sagillaria, une plante systématiquement trés voisine des lisma (fig. 149). Les feuilles submergées sont trés semblables 4 celles des Tallisneria, elles sont longuement rubanées, tandis que les feuilles ‘aériennes sont franchement sagittées comme l’indique le nom du genre (fig. 179). On obtiendrait des effets analogues si l’expérience avait porté sur la Renoncule aquatique aux fleurs blanches. Cette plante peut exister sous trois formes : une forme terrestre des lieux humides a limbe en forme de feuille de lierre ; une forme aquatique dont les limbes nageants vont étaler leur surface lobée sur la surface de l'eau et dont les feuilles submergées sont divisées en pinceau. Certaines espéces ont ainsi dans l’eau les deux formes de feuilles, tandis que d'autres ne développent jamais que des feuilles en pinceau ( /ig. 68). Cette derniére forme de feuille ne s’observe jamais chez les Monocotylédonées aquatiques qui, sous l’eau, se bornent a sim- ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 259. plifier ou a allonger leur limbe, tandis que beaucoup'de Dicotylé- donées appartenant A des familles trés variées divisent le limbe de leurs feuilles submergées (Renonculacées, R. aquatilis ; Nym-_ phéacées, Cabomba - aquatica; Primulacées, Hottonia palustris; - , ’ i . wee r ‘ i . illes Fig. 148. — Primulacée aquatique (Hottonia palustris) aux fleurs violacées et aux feuilles_ ss Rosment ramifiées. a ess, de R. C. E 260 BIOLOGIE DES’ PLANTES Composées, Bidens Beckii ; Onagrariées, MHyriophyllum spicdtum .. Il semblerait au premier abord que ces deux groupes de plantes. se comporteraient vis-a-vis de la submersion d’une maniére oppo-- sée. Mais nous allons examiner dans le bouton foliaire, tout au centre, lA o& se forment les nouveaux organes, Jes jeunes feuilles ‘ Fig. 149 — Sagittaria sagittifolia, A, feuilles submergées qui passent a la forme linéaire; B, forme habituelle, dete aoe: C, forme dareies 3, feuiliea nageantes; E, id. ; D’aprés Gltick, — de I’une et de l’autre des catégories. Les jeunes feuilles des Mono- cotylédonées, donc des Alisma, des Sagittaria, sont entiéres, sans trace méme d’indication d’une ramification quelconque. Chez les Dicotylédonées énumérées, au contraire, a ce stade, la jeune. feuille embryonnaire est déja fortement ramifiée ; plus tard, si elle devient ine fewille terrestra crac ramifinatinand na Ga nannannalcannt nine’ ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 261 sur la feuille adulte que’ comme des dents ou des lobes de valeur secondaire. Pour arriver a ce stade, la jeune feuille dilate sa portion moyenne en une peau, en une membrane qui porte sur h Me 150. — Alisma Plantago. A, exemplaire 4 feuilles inférieures submergeées, linéaires, deux ioe a illes intermédiaires, deux feuilles dont les limbes nagent 4 la surface de l'eau. B, forme graminifolium, submergée. : D’aprés Glick. son bord les ramifications primaires maintenant arrétées dans leur croissance. La forme terrestre s’est donc manifestée comme chez les ; | 5 262. Boe DES PLANTES _ ‘Monocotylédonées par un développement transversal, par la dilatation du limbe primitif. Le milieu aquatique, au contraire, a favorisé |’allongement en une laniére de la feuille primitive, comme il favorise chez les Dicotylédonées l’allongement des segments primitifs, des organes préexistants. I] s’agit donc, dans tous ces cas, de |’allongement, chez les Monocotylédonées, de la seule laniére primitive ; chez les _ Dicotylédonées, de toutes les laniéres de la feuille embryonnaire..-- La lumiére favorise chez la plupart des plantes le développement . des limbes, tandis que l’obscurité allonge les organes. On parle souvent de ]’action morphogéne de l'eau, c’est-a-dire _de l’action formatrice de l’eau qui semble modeler les organes. Que faut-il entendre par 14? Est-ce l’eau comme substance chi- mique, l’eau parce que l’eau diminue la transpiration, l’eau parce qu’elle exerce une pression ou parce qu’elle absorbe rapidement la lumiére, ou enfin parce ane ce milieu est beaucoup moins aéré que V'atmosphére? | : On voit, par ces questions, que lorsque les. -biologistes lui attri- buent une action modelante sur les organismes aquatiques ou amphibies, ils traitent de ce facteur comme d’une unité alors que, comme nous venons de le voir, son action se laisse représenter ‘par au moins cing facteurs différents. "La vie végétale dans les eaux diminue assez rapidement avec la profondeur. Dans la mer, il n’y a plus que des, Algues rouges 4 la profondeur de 50-100 m.; les autres ont déja disparu 4 des pro- fondeurs moindres. La lumiére est en effet rapidement absorbée par l'eau. Ce sont tout d’abord les radiations rouges, puis les plus réfrangibles selon l’ordre du spectre solaire. L’intensité lumineuse dans l'eau de mer bien claire, au soleil, est diminuée jusqu’a n’avoir plus que I’éclat de la lumiére de la lune & 34 m. pour le rouge, A 177 m. ‘pour le‘jaune et & 32 m. pour le vert. _ Dans le lac Léman, 4 60 m., il n’y a plus qu'une mousse qui ait été rencontrée ; méme les Algues microscopiques diminuent rapi- ‘dement en espéces et en nombre d’individus avec |’éloignement de la surface. : Or il est évident que ce qui arréte si brusquement la vie & ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 263 une certaine profondeur, c’est la diminution considérable de la lumiére. Il est peu de végétaux verts qui peuvent supporter une atténuation considérable de lumiére s’ils n’ont, comme la mousse des cavernes ou certaines plantes des sous-bois sombres de la forét tropicale, des appareils spéciaux pour concentrer cette lumiére. La pression de l’eau joue sans doute aussi un réle; il n’a d’ailleurs jamais été bien défini. On peut, dans un milieu suffisammient humide, reproduire le plus souvent les formes aquatiques par. la diminution de la lumiére ou par l’obscurité, D’autre part, chez les Algues, nous avons monfré, dans nos travaux et ceux de nos éléves, que les organismes augmentent leur surface 4 mesure que l’aération devient plus mauvaise, ef ceci en dehors de toute diminution de lumiére. La division du limbe des Renoncules ou l’allongement excessif de celui’ des feuilles des Alisma et des Sagittaria, accompagné d’un amincissement, produit en partie par la diminution de la lumiére, en partie par l’asphyxie relative, a pour effet écologique de mettre la. plante dans des conditions favorables au point de vue de sa respiration. Cette action de l’eau, milieu peu aéré, se traduit, dans la structure de toutes ces plantes Supremes par la. production d’espaces aériferes nommés lacunes, espéces de sacs qui abondent dans toutes les parties du végétal aquatique.: Ces espaces remplis d’air allégent nécessairement la plante et lui conférent ainsi:la propriété de nager, de s’élever jusqu’d la surface, comme portée par un flotteur, de tendre ainsi mécaniquement, vers Yair et la lumiére. ' : Il est alors d’autant plus intéressant ae découvrir que, chez beaucoup de ces plantes aquatiques, les fruits (Vallisneria), les bourgeons d’hiver (Hydrocharis) sont dépourvus de ces lacunes et quils s’alourdissent en se gorgeant de nourriture, d’amidon en particulier. Ils descendent, ainsi lestés, vers la vase du fond ou ils passent la mauvaise saison. Dans le groupe des Navades, il est une plante qui ne peut manquer d’étre signalde ici, c’est V' Aponogeton Jenestralis des eaux stagnantes de Madagascar ; elle arrive 4 augmenter sa surface de respiration par un procédé qui, avec cette régularité, est unique dans le régne végétal. Nous avons eu en culture. cette plante dans 264 BIOLOGIE: DES PLANTES le laboratoire et. nous avons pu en suivre l’évolution. II s’agit chez elle, non pas de se créer une atmosphére in- terne, par la formation de canaux aéri- feres, mais de transformer une feuille elliptique en un réseau dont les fils sont les nervures et les mailles ouvertes, le parenchyme déchiré. Ce phénoméne de perforation du limbe commence de bonne heure par des fentes allongées entre les nervures ét les nervilles; puis, ces derniéres s’allongeant, les mailles du réseau s’agrandissent-; fmalement, la feuille est comme une dentelle, per- forée de fenétres, un limbe ajouré. Nous avons suivi pas & pas ce phé- noméne ; on voit, 4 mesure que la dé- chirure progresse, un tissu cicatriciel -border les mailles, reconstituant un épiderme nouveau qui tapisse les perforations. I] n’y.a A> éeci aucune cause externe directe, car on ne voit pas pourquoi,’ comme chez les autres -Aponogéton, les portions du limbe si- tuées entre les nervures ne pourraient suivre, dans leur développement, le systéme des nervures (/ig. 151, 152), : _ Certains auteurs ont attribué cette Fig 151. — Aponogeton fenestralis, perforation 4 l’influence du mouvement ae Fcc n tee de l'eau; mais M. GurtLot, qui nous hot, lnst. bot., Genéve. 3 » g a a rapporté ces plantes de Madagascar nous a affirmé les avoir récoltées dans des eaux tranquilles. On ne saurait donc y voir une adaptation A la vie dans les cascades ; il faut mettre ces structures en paralléle avec les feuilles en pin- ceau des Renoncules aquatiques ou en peigne des Myriophyllum. On pourrait presque dire que la seule chance que peut avoir une Monocotylédonée de diviser sa feuille, c’est de la déchirer. - D’aprés Serguéef, Inst. bot., Genéve. — Aponogeton Bernertanus, cultivé dans le laboratoire et a l’obscurité. a 2 Bb is 266 _ BIOLOGIE DES PLANTES C’est ce que font aussi les Bananiers qui laissent au vent le soin de diviser leurs feuilles en menues laniéres, ou les Palmiers qui, dés le début, les dilacérent, tantét selon le mode des Dattiers, tantét selon le mode des Chamaerops ou des Lataniers. Mais ici le résultat biologique est tout autre, les grandes feuilles de ces arbres offrent une moins grande résistance au vent, tandis que dans V Aponogeton fenestralis la perforation du limbe a pour effet d’augmenter, dans des eaux chaudes, stagnantes, pauvres en air, la surface de respiration. _ , Ce groupe des Naiades a des représentants dans toutes les parties du monde ; dans les petits lacs de nos Alpes, on trouve en abondance des Potamogeton comme dans les mares arctiques ; le Vallisneria n’apparait que plus au ‘sud, par exemple dans. les lacs insubriens, puis tout autour de la Méditerranée. Cette plante supporte d’ailleurs, ce qui est rare chez les végétaux supérieurs, une température habituelle de 42°, comme certaines Algues des thermes. ; ‘Ces plantes, on l’a vu, mécaniquement détachées ou broutées | ‘par les mollusques aquatiques, produisent des rameaux nageants qui s’accumulent parfois en véritables radeaux aquatiques. L’ Hy- Orocharis Morsus Ranae, qui est de la méme famille, est un végétal nageant, 4 feuilles d’un petit Nénuphar; d’ailleurs par sa fleur blanche, elle aussi, rappelle les Nymphaea ; elle couvre parfois des étendues tonsidérables grace 4 ses tiges horizontales minces qui se terminent par un bourgeon d’ou sortiront de nouvelles rosettes de feuilles nageantes et des fleurs. En automne, elle émet des bourgeons ovotdes nommés hibernacles qui se détachent et qui, plus lourds que l’eau, descendent et hivernent au fond sur la vase, pour revenir, au printemps suivant, allégés, flotter & la surface et s’y développer en nouvelles plantes nageantes. Cette categorie de végétaux nageants méritait d’étre désignée par un nom qui en fraduisit la biologie : on l’appelle macroplanc- ton, par opposition au microplancton formé par les algues suspen- dues:des eaux douces et des eaux salées ou saumA@tres. Les len- tilles d’eau dont j’ai déjA parlé en sont chez nous I’expression la plus parlante. Appartenant 4 une famille dans laquelle nous trou- vons le gouet ou Pied de veau, celle des Arovdées, qui comprend . ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 267 aussi les Calla (Richardia africana) aux grands cornets blancs, ef les Anthurium aux spathes écarlates de nos serres, les . Lemna ont simplifié leur végétation en renoncant presque totalement aux notions de la morphologie habituellé. On me demandera en effet ce que sont ces lentilles qui bourgeonnent en produisant de nouvelles lentilles. Si ce sont des feuilles, ob sont les tiges? Si ce sont des tiges, ol. sont les feuilles? . En réalité, la plante se moque de nos catégories ; nous avons classé pour nos convenances les organes des plantes en racines, ‘tiges (ou axes) et feuilles. Cependant, toute plante commence par un ceuf qui est une cellule; & ce moment au moins il n’y a aucun de ces membres. L’embryon des plantes supérieures qui se développe a partir de cet ceuf par multiplication de cellules, rapidement se décide 4 fabriquer une petite racine ou radicule, puis une ou: deux premiéres feuilles ou cotylédons et, enfin, une tige rudimentaire représentée par un minuscule bourgeon. | __ Notre lentille d’eau est donc une plante supérieure, car a cer- tains moments elle produit de minuscules fleurs qui ont carpelles et étamines. La fécondation faite, l’ceuf se développe en embryon logé dans une petite graine. Cet embryon a ceci de particulier qu’il ne développe pas sa tige rudimentaire, mais que, élevé vers la surface de l’eau par un flotteur, il produit toute la plante par prolifération, par bourgeonnement d'une premiére feuille, nommée cotylédon. C’est un cas assez rare dans le régne végétal que cette multiplication a partir de la feuille qui -fonctionne comme point végétatif A la facon d’une tige. Ceci a également lieu chez les Utriculaires flottantes (jig. 274). ee Mais ce n’est pas toujours que les plantes nageantes du macro- plancton arrivent A leurs fins par une simplification 4 l’extréme ; la plupart suivent un autre chemin. D’ailleurs, nous verrons que chacune a sa maniére de se comporter. Je vous transporte maintenant dans un marécage du Chaco, ce pays aux grands horizons, encore incomplétement connu, car il est dangereux de s’y aventurer. A cerfains moments, inondé par les crues du fleuve, c’est un imménse et incertain marécage, domaine des alligators qui semblent flotter dans l'eau peu profonde comme 268 BIOLOGIE DES PLANTES autant de vieux troncs d’arbres; 4 d’autres moments, l’eau se retire et laisse des espaces déserts, brilés par le soleil tropical. Dans les bas-fonds, l’eau séjourne, s’échauffe et devient ‘propice au développement rapide du macroplancton. Je ne pense pas que nulle autre part on ait cité une telle abondance de végétaux flot- tants. Au Pilcomayo, riviére aux bords incertains qui traverse ce pays sauvage, l’abondance des végétaux flottants — en particu:” e 153. — Amaranthacée na; eante (Alternanthera Hassleriana), dont }a tige, sous linfluence e leau, se transforme’en flotteurs renfiés, portant aux noeuds les feuilies dressées et cau avec les deux groupes de racines, fonctionnent comme balancier. Dess. de R. lier des graminées — est telle A certains moments de l'année que des expéditions bien outillées, munies de canots automobiles, ont été forcées de renoncer A aller plus avant. Approchons-nous d’un de ces marécages comme nous en avons vu au Chaco; nous allons y rencontrer tout d’abord deux plantes inattendues dans cette compagnie des végétaux aquatiques flot- tants. La premiére est une amaranthacée dont presque tous les congénéres sont des habitants des campos les plus secs (espéces de steppes américaines) (fig. 153). -Leurs fleurs, groupées en capitules, sont enveloppées dans des pétales glumacés, de la nature de la paille, ce qui les fait ressem- bler tantét 4 des immortelles, tantdt A des graminées. Ces ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 269 capitules blancs, roses ou jaunes d’or, sont d’un effet ornemental assez puissant pour en avoir justifié ’introduction dans les jar- dins (Amaranthus, Celosia, etc.). Celle qui nous intéresse n’a qu'un capitule blanc argenté brillant, mais elle nous surprend par son * mode de vie; elle occupe sur l’eau, des espaces considérables y ramifiant ses tiges, renflées en forme de gros cigares ou de ton- neaux allongés, couverts de grossiers poils rouges. Ces flotteurs sont 4 moitié plongés dans l’eau, & la facon d’un navire, d’un tor- pilleur & demi immergé. Le tout est lesté par les deux feuilles assez grosses qui se dressent dans un plan vertical. Elles servent en méme temps de balancier 4 cet esquif en équilibre mobile. Des racines, qui divergent, complétent le systéme du balancier. Les poils cités ont pour effet, 4 la surface de l'eau, d’aug- menter l’adhésion par leur force capillaire; en outre, ils aménent ala surface des tiges, mal protégées par ailleurs contre la dessicca- tion, l’eau nécessaire & leur compléte imbibition : c’est le principe ‘de l’éponge. On le voit, c'est comme si chaque particularité avait été calculée pour la flottaison ge cette plante vraiment merveil- leuse. Cette méme plante peut vivre au pourtour du marécage en végétal terrestre. Alors elle dresse ses entrenceuds qui ne dévelop- pent plus de poils; elle change donc d’humeur par rapport A la pesanteur, ses nouvelles branches ‘s’amincissent, les feuilles y sont plus étroites et le végétal tout entier rappelle 4 s’y méprendre une espéce déja connue du bord des marécages sud-américains, |’ Alter- nanthera phylloxeroides. Le systématicien qui, en Europe, examinerait les formes en de ces deux plantes les classerait certainement dans la méme espéce et en ferait une méme variété. Mais voici que les deux entrent dans l'eau, l’une et l’autre gonflent leurs entrenceuds, mais celle-ci n’ar- rive pas & former les gros cigares-flotteurs, ni les poils-éponges, niles grosses feuilles-balanciers. Identiques en apparence sur la terre terme, les deux espeéces se révélent distinctes au contact de, Vélément aqueux. «C’est au travail qu’on connait, l’ouvrier.» La Nature vivant est riche en exemples de cette sorte, mais les botanistes de cabi- net, dherbier et aussi parfois de laboratoire n’y ont pas pris 270 BIOLOGIE DES PLANTES garde. Le plus.souvent ils tuent la plante avant de l’examiner, de l’étiqueter. I] est temps qu’on traite la Botanique comme une science de la Nature et que la pseudo-science du collec. tionneur fasse place A l'in- vestigation, a la résolution de problémes que suggérent les phénoménes du vivant. I] faudra sans doute toujours’ des collectionneurs et des. collections, mais, de grace, qu’on ne donne pas a cela le nom de science; les ma- tériaux sont nécessaires, mais le probléme essentiel, cest de saisir la vie sur le fait, c’est d’observer et d’ex- périmenter pour contrdler les observations. Voici, dans le méme ma- récage, une autre plante plus étonnante encore. Elle appartient au genre Phyl- Pig, aM, — opborbacte nageante (Phyilonthus Jantbys, genre d’ Euphorbia- pores ainared d’un rebord Mess de Re. la ode qui comprend plus de 400 espéces. De toutes ces espéces, une seule eet nageante. Découverte’ pour la premiére fois par Richard Spruce en Amazonie, ce savant naturaliste écrivait : « Quoique aussi éloigné de Salvinia (fougére aquatique nageante) que les péles le sont l'un de l’autre, le Phyllanthus fluitans ‘lui res- semblait tellement, dans son apparence générale, que je pouvais 4 peine croire mes yeux en reconnaissant qu'il appartenait aux plantes a fleurs. C’est un des nombreux cas que j’ai rencontrés. de plantes qui, totalement différentes par la structure de leurs fleurs et de leurs fruits, arrivent 4 se ressembler dans: leurs appareils ZONES DE. VEGETATION ET ASSOCIATIONS : 271 végétatifs lorsqu’elles sont soumises aux mémes conditions d'exis- tence. C’est l’une des causes, je-ne saurais en douter ; mais il’ yen a probablement d’autres, cachées quelque part, plus profondes, que nous n’avons été jusqu’é présent capables de pénétrer, qui ont, comme dans le cas analogue nommé « mimicry » chez les insectes, aidé 4 provoquer ces étonnantes ef inaftendues simulations. » En effet, la ressemblance est frappante au premier coup d’ceil: comme dans la fougére aquatique, dont il faudra dire quelques mots pour la comparer 4 une autre fougére de notre marécage, la tige filiforme porte deux rangées de feuilles qui sont comme posées sur l’eau, tandis que des racines plongent dans |’élément liquide. Mais, 4 l’examen, cette ressemblance du Phyllanthus fluitans et de la Salvinia ne parait plus que superficielle. Chacune de ces plantes a réalisé le probléme de la flottaison a sa facon. Ici, la feuille orbiculaire, de couleur verdAtre fortement teintée de rouge, de la couleur rouge d’une belle prune, repose sur l’eau par sa nervure moyenne et par son bord membraneuz, tandis que des deux cédtés de, la nervure elle s’éléve en une vési- cule dont le rebord, formé par oe marge de la feuille, vient adhérer © a la superficie de l’eau. GrAce a ce dispositif, chaque feuille forme avec la surface de l’eau un double sac qui emprisonne une grosse bulle d’air. Voyez, en outre, l’ingéniosité de ce flotteur : l’eau peut humecter la marge inférieure, mais la cire qui, comme un mince vernis, recouvre d’une pruine légére la surface extérieure, rosée, de la feuille, empéche celle-ci d’étre mouillée du cété supé- rieur (fig. 154). Ainsi, la plante se maintient en un constant équilibre qui lui permet, comme A la lentille d’eau, d’occuper d’immenses étendues. Tout A l’heure, nous avons mentionné une fougére nageante, la Salvinia natans. N’étaient les organes reproducfeurs, espéces de sacs sporiféres qui sont exactement du type général des fou- géres, on aurait quelque peine 4 reconnaitre dans ce végétal un parent des Polypodes et des Adiantum. Cette plante, absolument dépourvue de racines, posséde A cdté des deux séries de feuilles nageantes, une troisiéme série de feuilles qui simulent des racines, mais qui sont en réalité des feuilles vertes ramifi¢es comme celles 272 BIOLOGIE DES PLANTES d’une renoncule submergée. Ce sont A la fois des flotteurs-balan-: ciers et des appareils d’absorption.. Grace aux aspérités qui cou- vrent la surface-des. feuilles et A la cire qui les empéche d’étre mouillées, ces derniéres résistent. a l’agitation de l’eau et reviennent auto-- matiquement A la surface (fig. 155). Telle autre’, bean” coup plus grande, est encore une fou- gere dont la tige, ‘trés courte, ne s’en- racine pas; les feuil- les sont munies a leur base d’un gros. flotteur plein d’air, tandis que leur limbe étalé. sur l’eau est, de méme que les précé-. dents, recouvert de cire. On voit ces grosses feuilles en éventail proliférer sur leur bord et, par, un bourgeonnement particulier qui rappelle celui des lentilles d’eau (Zemna), donner naissance 4 de nouvelles plantes qui se détacheront et iront propager l’espéce. _ Enfin tout prés, dans ce méme marécage, voici les Pontédé-. riacées nageantes, elles aussi constituées par une rosette de feuilles munies A leur base d’un simple flotteur. Dans ces eaux chaudes, elles se multiplient rapidement. Au bord du lac Ypacaray et dans les eaux du Chaco, elles s’accumulent sur de grandes étendues, refoulant toute autre végétation. Comme elles portent sur une tige assez courte une belle inflorescence violette, de l’apparence et de la couleur de celle d’un petit Iris, au moment de la floraison, elles couvrent ces eaux comme d’un jardin suspendu. Avec les. ‘Graminées flottantes qui ont renflé leurs chaumes et qui s’agré~ ‘gent en gazons denses, elles arrivent A former des {les flottantes Fig. 155. — Le Salvinia natans, fougere aquatique nageante. 1 Ceratopteris thalictroides, ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 273 qui entravent la navigation. Dans ces iles circule une vie végetale et animale intense ; elles sont animées par le cri, le jacassement de milliers d’oiseaux qui ont élu domicile sur les troncs d’arbres 4 moitié pourris qui, entrainés de la rive, sont arrétés par cette barriére ; des buissons y‘ont germé et s’élévent déja 4 une cer- taine hauteur, comme les Neplunia, les Caperonia et bien d’autres qui ont cette.méme capacité de produire des flotteurs. Miss Patuts a observé de semblables iles flottantes, mais con- stituées en majeure partie de roseaux (Phragmites communis), dans le Delta du Danube}. On assiste parfois 4 la migration de ces iles flottantes (nommées’ en Amazonie « Cannarana ») sur l’Orinoco, le Mississipi, |’ Amazonie et le Rio Paraguay. Elles occupent parfois une étendue de 1 4 2 hectares. Elles se forment naturellement dans les marais qui com- muniquent avec les fleuves ou dans les baies tranquilles, ou ces graminées sont faiblement enracinées ; } souvent méme la base des chaumes est déjd pourrie lorsque la crue arrive; les gazons compacts sont facilement détachés de la vase et entrainés vers la riviere. De méme que dah’ nos lacs les Potamots arrivent a atteindre la longueur de 44 5 métres, dans les eaux mortes de Amazone ‘supérieure, Spruce a mesuré des Paspalum (P. pyrami- dale) (Paspalum repens, selon Huser), graminées de ces iles, qui possédaient 78 nceuds avec une longueur de 15 métres. I] y a des fles flottantes qui atteignent 6 4 10 métres en épaisseur. Des neeuds, partent des racines allongées. La surface de ces radeaux porte A certains moments d’innombrables panicules, ce qui les fait ressembler 4 une prairie arfificielle de chez nous, au mois de juin. C’est- aussi dans ces iles qu’abondent les Salvinia, les --Ceratopteris, les Limnobium, des Polygonum aquatiques, grandes renouées qui ressemblent aux /lernanthera dont on a parlé. Le danger que courent les vaisseaux qui naviguent sur les grands fleuves de |’Amérique, pendant la crue, n’est pas petit. On a vu des vapeurs ancrés dans le fleuve, emportés par la masse végétale et faire naufrage. Parfois des alligators, des gros serpents d’eau, énormes Eunectes, méme des Jaguars, sont emportés sur ces fles par le courant. 4CE£. s. Linn. Soc. 43. 274 -BIOLOGIE DES PLANTES On congoit dés lors que ces masses flottantes puissent servir 4 propager beaucoup d’éspéces qui, sans elles, tomberaient rapi- dement, en s’imbibant, au fond de J’eau ou altéreraient leurs semences par un séjour prolongé dans |’eau, Nulle part dans la nature nous ne voyons d’une maniére plus évidente que chez les plantes aquafiques, amphibies ou nageantes, la morphologie s’écarter plus singulitrement du type général. On est bien forcé dés lors de considérer la vie aquatique, chez les plantes supérieures, comme le mode exceptionnel. En nous pla- cant au point de vue de la filiation, il n’y a pas lieu de. douter que les plantes terrestres ne doivent étre, chez les Spermaphytes “(a fleurs_et a semences), considérées comme les plus primitives, les moins déviées du plan général. ‘La vie aquatique qui a rendu superflue, chez beaucoup d’es- péces, l’existence de nervures compliquées pour la circulation de Yeau, qui a fait. disparaitre les pores qui mettent l’intérieur de la plante en communication avec l’extérieur, avec l’air, ou qui les a localisés sur les faces exposées A l’air, a cependant ordinairement respecté la structure générale de la fleur qui, le plus souvent, reste , aérienne ou doit arriver 4 la surface pour y étre fécondée. ‘Mais elle a profondément modifié la morphologie des feuilles ; certaines espéces répondent 4 ce milieu spécial d’une manieére si adéquate qu’on en reste confondu d’admiration. Etudions, pour terminer, l’une des plus curieuses ‘des formes nageantes, celle des Utriculaires. Ici, comme chez les lentilles d’eau, la plante a, renoncé aux définitions étroites de la mor- phologie habituelle: elle est constituée tout entitre par des feuilles qui s’allongent en stolons, flanqués d’appendices foliacés, lobés, et d’autres appendices en forme d’utricules,' ce qui leur a valu. leur nom. Lorsque le moment de la floraison est venu, on voit se dresser un fil qui, cette fois-ci, porte des feuilles écailleuses et, A son sommet, dans I’air, des fleurs jaune d’or, que viennent visiter les insectes. Chez l'une des espéces qui habitent les maré- cages du Chaco déja citées, chaque inflorescence porte, dans l’eau, a sa base, de singuliers appendices disposés en croix et dont la région moyenne est renflée en sacs allongés, en flotteurs.: La PES I = ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 276. Fig. 155bis. — Apparence générale de I'Utricularia vulgaris. D’aprés Kerner. stabilité de l’inflorescence est donc facilitée, assurée, par le jeu de ce balancier, véritable ceinture de sauvetage qui régle le niveau auquel doit se maintenir le végétal pour étre fécondé par les - insectes. On a.cru pendant longtemps, et c’était l’opinion de Pyrame de Candolle, que les utricules étaient les véritables organes de sus- pension, qu’ils avaient la faculté de s’alléger et de s’alourdir selon les nécessités. Ce sont, en réalité, des trappes au moyen des- quelles l’Utriculaire compléte sa nutrition par un supplément de 276 BIOLOGIE DES PLANTES - viande fraiche. Rien de plus surprenant que ces utricules carnivores. La cavité est tapissée du cdté intérieur par des glandes digestives qui sécrétent un suc gastrique. trés actif. De petits animaux. Copépodes, Ostracodes (Cypris). sont attirés vers les urnes par la sécrétion d'un mucilage. .Involontairement; ils poussent devant eux |’obturateur de lurne, espéce de porte, qui céde faci- lement A un animal venant du dehors, mais par le jeu d’un cran d’arrét, ne permet pas la sortie aux animaux qui sont entrés dans la trappe. Ces petits animaux sont rapidement étouffés par la gelée qui est abondante dans l’urne ; bientdt la Fig. 156. — Portion d'une _ «tige» submergée de I'Utri- ea cularia minor, montrant les lobes foliacées et les Fig. 157, — Utricularia vulgaris, por- urnes (ascidies). tion d'une «tige» avec lobes foliacés Dess. de R. C. et lobes «urnéS». Dess. deR. C. digestion s’y effectue, comme dans un estomac le bol alimentaire se ramollit pour étre finalement digéré et absorbé dans |’intestin. Tout ceci se passe sous l’eau. I] en est de méme chez 1’ Aldrovandia (fig. 159, 160) des eaux tempérées du centre et du sud de!’Europe. Comme I’ Vitricularia, cette plante est sans racines ; ses feuilles sont 4 chaque neeud en verticille de 8 & 9, chacune portée sur un pétiole, lui-méme terminé 4 son sommet par un groupe de soies assez raides. Le limbe foliaire est si clairement construit pour la capture des petits animaux qu'il vaut la peine de |’étudier en détail. Etalé, il comprend des deux cétés de la nervure médiane: ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 277 7 1° au centre, une zone couverte de glandes digestives; 2° autour de cette zone active, une zone dépourvue de glandes et entourée & son tour par une marge glutineuse qui attire les animaux; le tout est bordé par un liseré muni .de soies. Pour comprendre ce mécanisme, il faut examiner, tout d’abord, la structure générale et puis aborder ensuite l’analyse des particularités. Lorsque la feuille qui, au repos, dispose ses deux moitiés selon un angle de 60°, est fermée, on remarque que la zone interne, bombée vers l’extérieur forme une vésicule hermétique- ment close: les marges, large- ment aplaties, sont venues s’ap- pliquer l’une contre l’autre comme les deux valves d’une huitre. La proie est ainsi en- fermée dans une cavité diges- tive, dans laquelle elle peut encore se débattre, pendant un certain temps. Il y a donc une trappe qui se ferme brusque- ment sur |’imprudent qui pénétre dans l’aire de la zone interne. C’est qu’en progressant vers I’in- térieur, l’animal a rencontré des organes sensibles, qui sont des soies, que le moindre attouche- ment déforme et irrite; cette irri- tation se transmet au limbe et en particulier 4 la nervure qui, par un mouvement de charniére, ferme ee 158. — Structure dés poils sensibles Aldrovandia vesiculosa. A, poil sen- sible; \f, socle; hy, hg et As, les étages a4 cellules allongées et 4 parois externes épaisses ; g, articulation perceptive a pa- rois minces; B, articulation avec les cel- lules voisines; C, la méme aprés courbure, on voit la déformation que subira le plasma sensible. D’aprés Haberlandt. la boite sur ‘imprudent visiteur. Alors entrent en action d’autres _ poils, beaucoup plus courts, qui sécrétent un suc digestif. En méme temps la feuille émet une bulle d’air qui refoule le suc de ‘ 278 BIOLOGIE DES PLANTES digestion, en quelque sorte le bol alimentaire, vers |’extérieur, c’est-a-dire vers la marge, ou sont situées les papilles digestives et absorbantes. Cette région fonctionne donc comme un intestin,. tandis que la plus interne a le réle d’une cavité stomacale. L’ani- mal étouffé est rapidement digéré. | : Fig. 159. — Aldrovandia. L’une des feuilles verticillées (comp. avec fig 160) a limbe étalé< a, pétiofe muni au sommet d’appendices en forme de soies ; 6, rebord plat de ‘la feuille qui, lorsque la feuille repliera ses deux valves, s'appliquera exactement sur le rebord correspondant de l'autre moitié; d, région bombée vers l’extérieur, sur la- quelle sont les soies sensibles et qui peut contenir l'insecte. , ‘ Dess. de R. C. Quant a la perception de irritation, causée par le contact de l’animal avec les soies sensibles, elle est facilitée par un ingénieux dispositif étudié par M. Hasertanpt. Chacune de ces soies est rigide dans sa partie inférieure et sa pointe, mais les deux régions _ sont relies entre elles par une zone moyenne moins résistante. . ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 279 Toute ‘pression exercée sur l’extrémité a, pour effet, de la déplacer latéralement, tandis que le pied de la soie reste rigide. De cette maniére, la zone moyenne est tendue d’un cété, de l’autre elle est pincée, comprimée, ce qui lui fait faire un pli. Ceci agit comme une égratignure, une piqdre sur un épithélium sensible; de 1a Vintensité de la réaction effectuée par la nervure foliaire qui, en un mouvement réflexe, fonctionne comme une charniére (fig. 158). Ly Fig. 160. — Feuille de l'Aldrovandia, dont le limbe s'est replié et s'est fermé; les deux valves sont appliquées l'une contre l'autre par leurs bords b. Dess. deR. C, Si Virritation a été produite par un corps dur quelconque, inerte, l’occlusion des valves se fait immédiatement, mais ces der- niéres ne tardent pas A s’étaler de nouveau; ceci n’a pas lieu, si Virritationa été produite par un corps vivant, par une proie! C’est une idée répandue que les plantes manquent de vraie sensibilité, ou que si elles en ont une, ce n’est qu’exceptionnelle- ment qu’elle se manifeste, par une réaction visible, comme dans le cas de I’ dldrovandia qui, au moindre contact, ainsi qu’une paupiére, se ferme brusquement. Comme chez les animaux, I’ dldrovandia réagit par un mou- vement effectué par une zone motrice. La nervure foliaire joue le réle du muscle qui se contracte; mais, pour obtenir cet effet, il ne suffit pas d’irriter cefte nervure, il faut toucher une place 280 BIOLOGIE DES PLANTES sensible, ici localisée dans l’articulation, au milieu de la longueur des soies, spécialement construites A cet- effet. Cette irritation doit étre conduite jusqu’a l’organe moteur; il y a donc bien ici, comme. chez I’animal, la chaine bien connue du réflexe nerveux. Mais, pour étre plus frappante ici que dans les autres mouvements des végé- taux, cette localisation de zones sensibles et motrices ne fait pas défaut autre part. De quoi s’est-il agi dans l’exposé que j’ai fait des équilibres variés que prennent, selon les circonstances, les organes des végé- taux aquatiques, sinon de sensibilité vis-a-vis de ces excitations? Lorsque le Myriophyllum ou le Potamogeton effectue la courbure de sa tige, qui aménera |’épi florifére au-dessus de l’eau pour y fleurir et s’y féconder, la perception se fait par l’épi jeune qui est en quelque sorte la cervelle du systéme, tandis que la courbure s'effectue bien plus bas, dans l’eau, par la zone de la tige qui a conservé le pouvoir de croissance, c’est~a-dire par l'un des derniers entre neeuds. Tous ces mouvements.par lesquels la plante maintient - son niveau, dispose ses feuilles par rapport A l’horizon ou la sur- face de l’eau, entraine ses fruits pour les marir sous l’eau, toutes ces flexions, ces plongées savantes et, par conséquent, comme minutieusement calculées, sont possibles parce que, quelque part dans le végétal, il y a comme un cerveau, comme des ganglions, - des fibres sensibles qui percoivent les variations du monde ambiant et qui, vis-4-vis de ces variations, aménent 4 un nouvel équilibre Plus encore, et bien moins compréhensible 4 notre pauvre petite ‘jugeotte, il y a ces changements de sensibilité amen¢s par lage, par la dépendance mutuelle des parties, coordonnées en un mot, dépendant de I’état de l’individu A un moment donné. Mais, toutes les plantes, dans les mémes circonstances, ne se comportent pas de méme. En naissant, elles avaient déja leur nature propre, leur personnalité. On peut, il est vrai, forcer presque toutes les Monocotylédonées amphibies 4 déve- lopper, dans l’eau profonde, des feuilles d’un seul et méme type, des lanitres étroites, mais qu’on baisse le niveau et le naturel, ... c’est-a-dire le spécifique, «revient au galop», celle-ci produisant des feuilles ovales, alors que celle-la les forme en fer de lance, une autre en cceur. ZONES DE VEGETATION ET ASSOCIATIONS 281 Tandis que ce Potamot nageant, pour entrainer ses fruits dans Yeau, courbe ses pédoncules, son voisin ne fait que les défléchir latéralement | Ainsi notre science nous permet, il est vrai, de savoir que ces mouvements, comme toutes nos actions, ne peuvent s’effectuer sans puiser dans l’énergie accumulée en nous par la nutrition et libérée de nos tissus et de notre sang par la respiration ; mais elle ne sait pas encore nous expliquer en quoi consiste ce clavier. sensible sur lequel dame Nature joue quelques airs, mais qui dif- fére de plante 4 plante. Celui qui devant tant d’énigmes 4 résoudre désespérerait ne serait pas de la race des chercheurs; & la quéte de I’absolu VYhomme de science, sans y atteindre, enrichit l’humanité de quel- ques expériences. Ce faisant, il gagne, lui aussi, en méthode et renonce & quelques erreurs. ORY” 282 BIOLOGIE DES PLANTES BIBLIOGRAPHIE Guiicx, H. — Biologie und morphologische Untersuchungen iiber Wassergewichse, Jena (1905-1911). ; : Warminc, E. — Lehrbuch der Skologischen Pflanzengeographie. : Kircuner, Loew u. Scuroeter. — Lebensgeschichte der Bliitenpflanzen, Stuttgart — (1904, se continue). : ; Kerner, v. Maritaun. — Das Pflanzenleben der Donaulander, Inspruck (1863). Franautt, Ch. —. Projet de nomenclature. phytogéographique, Comptes rendus du Congrés, Paris (1900). Macenin, A. — Les lacs du Jura, Paris (1904). Moss, C.-E. —- The fundamental Units of vegetation, New Phylologist, 1X (1910). The Journal of Ecology; Cambridge University Press (1913 et seg.) 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De ce tronc partent les feuilles et les fleurs qui sont élevées par de longs pétioles ou pédoncules jusqu’a la surface de l’eau; les feuilles se placent sur l'eau quand le pétiole n’est pas assez robuste, mais chez certaines espéces la vigueur est suffisante pour élever le limbe au-dessus de la surface; il en est de méme des fleurs qui, presque toujours, s’épanouissent 4 l’air ef a la lumiére. Cependant, dans deux espéces, l’une et l'autre de l Amérique équaforiale, les fleurs peu brillantes semblent pouvoir se féconder sans s’ouvrir. Rien de plus intéressant que le procés de régulation par lequel les Nénuphars s’adaptent & des niveaux d’éau variables. La lon- gueur des pétioles et des pédoncules dépend de la hauteur de la colonne d’eau. On peut s’assurer de cet ajustement en placant des plantes en culture dans un milieu ot l’eau est plus profonde. On verra le lendemain que leurs pétioles se sont allongés de quelques. centi- métres et que les limbes nagent de nouveau 4 la surface de l'eau. Sil’on a mis la plante dans de l’eau moins profonde, les feuilles dont les pétioles sont trop longs n’ont qu’A augmenter l’angle qu’ils font avec le point de départ, et les limbes sont de nouveau 4 la sur- face de l’eau. Par contre les nouvelles feuilles ne développent que des pétioles de la longueur nécessaire pour atteindre la surface. D’ailleurs, ces plantes ont un remarquable instinct pour utiliser la place, un peu comme les feuilles des arbres de nos foréts qui savent 284 BIOLOGIE DES PLANTES se placer en de curieuses mosatques comme pour utiliser la lu- miére de la maniére la plus avantageuse. Ici, chez les Nénuphars, Fig. 161. — Serre dans laquelle on a cultivé le Victoria regia ; au premier plan, la fleur épa- nouie; grandes feuilles qui adhérent si fortement a l'eau qu'un jeune homme peut s'y tenir debout. Phot. commerciale. comme pour céder la place aux feuilles plus jeunes, les anciennes allongent leurs pétioles, ce qui les écarte de plus en plus de la verticale qui passe par le point de départ, le point végétatif. Les causes physiques qui interviennent pour renseigner la plante sur LES NENUPHARS — LES NUPHARAIES 285 ce qu'elle doit faire sont encore mal connues; il semble pourtant que la tension de l’oxygéne joue un réle dans ce phénoméne. Quant au limbe qui nage, son insertion sur le pétiole est telle que la submersion n’est guére possible. En effet, le limbe étant plus ou moins attaché en son milieu, la tension du pétiole tend a appliquer la lame sur l’eau. Si ce pétiole était inséré A la base du limbe par tension du premier, il y aurait submersion. On constate un semblable ajustement pour ce qui est des fleurs. Il a déja été Fig. 162. — Serre dans laquelle on a cultivé le Victoria regia. Grandes feuilles qui adhérent Si tortement sur l'eau qu'une jeune fille peut s’y tenir debout. Phot. du Jardin botanique de Moscou. dit que si le niveau s’éléve, le pédoncule s’allonge pendant le développement de la fleur jusqu’A ce que la surface ait été atteinte. Mais si on fait croitre un nénuphar dans un bassin peu profond, le pédoncule floral, qui continue 4 croitre malgré le peu de profon- deur, trouve moyen, par une courbure appropriée, de garder le bouton floral sous |’eau jusqu’é la maturation de la fleur. Alors ce pédoncule se raidit, se redresse et éléve la fleur épanouie hors de l'eau (Nymphaea flavo-virens). Ces « roses des eaux » ont l’habitude de n’ouvrir leurs fleurs que pendant quelques heures et a certaines heures du jour. M. Conrap a établi pour les espéces cultivées par lui (Phila- 286 BIOLOGIE DES PLANTES delphie) un horaire de Flore. Il faut se lever matin pour assister au réveil du nénuphar des. Amazones, lequel s'épanouit vers trois 4 quatre heures du matin et se ferme déja vers cing A six heures. C’est seulement alors, par contre, que notre commun nénuphar (var. candidissima) s'épanouit, pour fermer sa corolle vers le milieu de l’aprés-midi. , Le WN. rudgeana, espéce originaire de lAmérique tropicale, commence sa floraison A neuf heures du soir et I’a déja terminge a minuit. : Notre nénuphar blanc ouvre ses fleurs 4 des heures varies selon la latitude; on a indiqué 7 heures du matin pour Upsal et 8-9 heures pour Innsbruck. La fleur du NV. amazonum s’ouvre deux nuits de suite. La pre- miére nuit, son bouton est encore plongé d’un centimétre dans l'eau; vers 3 heures du matin, elle commence a étaler ses sépales jusqu’A 4h. 15. A 4h. 45, cette fleur se prépare déja a se refermer. et l’occlusion est compléte &4 6 h. du matin. La seconde nuit, lépanonissement est plus avancé; déja vers le soir les sépales commencent 4 diverger, mais ce n’est que vers 3 heures du matin que le centre de la fleur s’étale un peu et que les étamines s’ouvrent. A 5 heures, au plus tard a 6 heures du matin, l’occlusion est par- . faite et le bourgeon floral est progressivement retiré sous l'eau, ce qui prend a peu prés 8 heures. Ce second jour, le mouvement | des sépales qui s’ouvrent est assez rapide pour étre vu; parfois l’espace parcouru par un sépale A son sommet était de 5 cm. en 6 minutes. La lumiére est le eaneipal facteur qui influe sur cet épanouis- sement périodique, mais la chaleur intervient. Certaines espéces ne font ces mouvements que si la température est suffisamment élevée. Mais notre MW: alba est beaucoup: moins sensible A ces variations de température que les espéces exotiques. La fécondation se fait par des coléoptéres qui viennent visiter ces grandes fleurs pour en récolter le pollen; tantét il y a fécon- dation croisée, tantét directe. Aprés la pollinisation, le pédoncule retire la fleur sous l'eau, ou comme chez le lotus d’Egypte’ par une courbure en crosse, ou chez la plupart des autres par LES NENUPHARS — LES NUPHARAIES 287 un enroulement en.spirale, un peu comme cela a lieu chez le Val- lisneria spiralis. Si la fleur n’a pas été fécondée, ces mouvements n’ont pas lieu. Dans l’eau, ot il a été ainsi retiré, le fruit miarit ‘et de la capsule ouverte s’échappent finalement les semences qui montent 4 la surface au moyen d’un appendice qui, fonctionne comme flotteur; au lieu de germer sur place, elles sont ainsi dis- séminées par le courant de |’eau. Finalement, les semences, débarrassées de leur flotteur, se noient et vont germer dans la vase du fond. Chaque plantule développe tout d’abord une feuille étroite joncoide, puis des feuilles aquatiques submergées et seulement ensuite les feuilles nageantes & longs pétioles. Comment ne pas @tre saisi d’étonnement devant cette série d’actes qui semblent comme calculés pour un effet proche ou loin- tain et qui s’enchainent logiquement. Je voudrais qu’au lieu de dépenser tant de talent et d’énergie 4 identifier des milliers d’es- péces et de variétés déja cent fois, mille fois catalogyées, nos jeunes naturalistes, aprés l’apprentissage systématique nécessaire et utile, s’essayent A suivre dans leur histoire les espéces d’un groupe naturel de plantes d’Europe. L’un ferait germer, des om- belliféres de prairie ou de marécage, l’autre étudierait la dissé- mination des fruits charnus par les oiseaux, un troisiéme l’enra- cinement et la conquéte du terrain par les composées bisannuelles ou persistantes. Mais pour cela il faudrait transformer |’ensei- gnement des sciences dans les Universités puis dans les écoles spéciales- qui forment les maitres, en détournant les éleves des sciences exclusivement verbales, ou méme de l’anatomié, science le plus souvent morte, pour les diriger du cédté de la vie et de ses manifestations. , : . Ces magnifiques plantes, si décoratives, caractérisent la zone dite des Nupharaies dans le monde entfier, de la Nouvelle-Zé- | lande au nord de l’Amérique. Le Nymphaea alba s'éléve: jusqu’a 1200 m. dans nos Alpes. II est des espéces qui sont extrémement répandues comme celle-ci, qui va de l'Europe au nord de I’Afrique.. Les deux espéces de lotus des anciens qui figurent sur les monu- ments égyptiens sont le N. lotus, espéce & floraison nocturne, et le N. cerulea ou lotus bleu, a floraison diurne. Le D* Schweinfurth 288 BIOLOGIE DES PLANTES ‘ qui a étudié les plantes des tombeaux égyptiens, a reconnu le lotus bleu non seulement a ses pétales aigus, mais 4 ses feuilles Fig. 163. Le Victoria crugiana, couvrant de grandes ¢tendues, au Rio Paraguay. entieres, sur plus d’une décoration de sarcophage ; enfin, on a,par- fois rencontré des décorations, de la période ptoléméenne, ot le lotus est peint en bleu. Le méme voyageur-naturaliste a pu cons- tater que, soit l’une soit l’autre de ces espéces, souvent conservées LES NENUPHARS — LES NUPHARAIES 289 comme guirlandes des morts, documents aussi certains que des échantillons récents d’herbier, n’avaient.varié en rien depuis les 1500-2000 ans avant J.-C. qui nous séparent de la XX* et XXI° dynasties. Remarquable constance de l’espéce ! Blanches comme dans le Nymphaea alba, les fleurs sont presque identiques, mais bleu pdle, dans le Nymphaea caerulea, jaune d’or Fig. 164. — Nuphar luteum. A, fleur (comparez avec planche XIV) ; B, ‘fruit. Dess. de R. C., d’aprés Magnin. dans le WV. sulfurea, rouges dans N. rubra; quelques espéces comme N. rubra, N. Zanzibarensis et N. gigantea ont des fleurs de plus de 30 cm. de diamétre. Ces Nénuphars de I’Inde, du Mexique et des Etats-Unis, avec leurs hybrides de toutes nuances, sont les orne- ments favoris de nos étangs et de nos serres. Du méme type biologique, le Victoria regia de ! Amazonie et son cousin, espéce paralléle, le V”. cruziana du haut Paraguay, Yemportent sur toutes les autres comme grandeur et beauté des fleurs ; leurs immenses feuilles 4 bords repliés, retroussés comme ceux d’une feuille A gdteau, ont parfois deux métres de diamétre. Ces immenses limbes résistent A l’action déchirante des tempétes par le réseau solide de leurs nervures A la face inférieure. Cet arran- gement explique aussi que de grands enfants puissent, sans danger, 19 290 BIOLOGIE DES PLANTES se placer sur ces limbes sans. que ceux-ci se replient. Ils sont comme portés sur un cadre et un treillis solides (fig. 161 el 162). Beaucoup d’autres végétaux aquatiques sont du méme type. Ainsi au point de vue des feuilles, plusieurs Potamogétons, des. Hydrocharitacées et des Alismatacées aux feuilles nageantes, plus ou moins orbiculaires, avec le pétiole au milieu du disque et des fleurs qui ressemblent 4 de petits nénuphars, sans appartenir A la méme famille. Ce sont la des phénoménes de convergence et qui frappent l’une ou l’autre des espéces dans les familles les plus diverses. Ainsi, dans les Hydrocharitacées, |’ Hydrocharis morsus rane des tourbiéres du plateau suisse, le Limnanthemum Hum- boldtianum, Gentianacée des Tropiques, les Renoncules d’eau comme les Ranunculus aquatilis, R. trichophyllus; mais chez der- niéres, il y a aussi des feuilles submergées, en pinceau (branchies), Les Nuphars jaunes des lacs du Jura ef des tourbiéres du nord de l'Europe représentent un second type de Nénuphars, mais dont Y’ovaire est complétement libre. Leur biologie est A peine diffé- rente de celle des précédents.. Il y a dans ce groupe plusieurs espéces mal définies et qui sont reliées les unes aux autres par des intermédiaires embarrassants méme. pour le botaniste systé- maticien (planche XIV et fig. 139, 164). Il faut encore citer, de cette famille, les Nelumbo asiatiques, aux feuilles dressées et terminées en entonnoir, de ]’Asie tropicale et de l’Extréme-Orient. CW” Les Joncs. — Les Roseaux. . ’ i lees le plus caractéristique des joncs de chez nous est le Scirpus lacustris, dont les tiges, au moment de la floraison, atteignent parfois plus de deux métres de hauteur. I] est le modéle de beaucoup de plantes de la méme station et qui, toutes, ont pris cette apparence joncoide 4 tige simple, lisse et flexible, et le long de laquelle l'eau n’adhére que passagtrement (Planche XV et fig. 164 bis). Il y a tout d’abord le groupe important et nombreux en espéces des joncs proprement dits (Juncus lamprocarpus, J. alpinus, J. obtusiflorus), puis les Eleocharis petits et grands (EL. palustris, E, uniglumis, E. setacea), les Schoenus (S. nigricans), les Cyperus. N’oublions pas de citer ici ces plantes joncoides qui, par leurs feuilles, font penser aux Allium, comme la Ciboule (dllium Schenoprasum) et qui se retrouvent dans les familles les plus diverses et les plus éloignées les unes des autres, au point de vue systématique. Toutes ces ciboules vivent dans les mémes stations: zones humides ou submergées ou temporairement inondées. - Ainsi, dans les Isoétes, espéces de Lycopodinées de marécage qui simulent un Eleocharis, ou aussi, chez cette singuli¢re Plantaginée, des. eaux mortes de nos lacs, le Littorella lacustris qui souvent forme des prairies de petites Ciboules, parfois immergées. Alors elles vont porter leur unique fleur hors de Yeau, sur un pédoncule, ce qui permet aux étamines, disposées comme chez le plantain lancéolé (Plantago lanceolata), d’osciller, 4 lair et de laisser emporter leur pollen par le vent (fig. 140 4. B.). On remplirait un livre de la description des espéces joncoydes dans les diverses familles. Je veux citer encore, dans les flaques autour des lacs, ce singulier Ranunculus reptans que l'on voit dessinant sur la vase de nos -gréves lacustres des réseaux de tiges filiformes munies de feuilles étroites, ou un peu spatulées ; 292 BIOLOGIE DES PLANTES dans l'eau les feuilles de cette espéce deviennent semblables 4 celles d’un Littorella; elles perdent leur limbe et sont parfaite- Fig. 164bis. — Scirpus la- custris. Sommet de la tige simple avec l'inflorescence, _(Comparez avec pl. XV). Dess. de R. C. ment joncoides ( Planché XV’). Toutes ces plantes cheminent sur des tiges souterraines peu profondes qui se rami- fient en jeu d’orgue ou en série réguliére. (fig. 166). Si les rhizomes, on nomme ainsi ces figes souterraines qui cheminent horizontale- ment, sont profonds, les racines qui en sor- tent semblent fuir la vase et s’approcher: de la surface comme pour y respirer. Les joncaies acquiérent dans les maré- cages tropicaux une importance énorme. On y retrouve les mémes formes biologiques que “ chez nous, mais en plus grand. Ainsi, le Pa- pyrus des anciens, qu’on frouve déja en Europe dans les marécages de la Sicile, & Syracuse, mais qu'il faut aller voir 1A ot il est réellement chez lui, au coeur de ]’Afrique. Dans les immenses marais du pourtour des grands lacs il forme des fourrés puissaits dans lesquels se cachent les hippopotames. Tl est de la famille des Cypéracées dont la majorité des espéces préfére les milieux humides. Et parmiles espéces si nom- breuses- de cette famille, il en est de toutes les régions aquatiques, les Eléocharis inon- dés, les Scirpus des grands lacs, les Cyperus Papyrus des marais subtropicaux, les Carex (600 espéces) de toute sorte. Quelques formes de Carex s’échappent des eaux et deviennent des plantes de prairies, de ro- chers ou de foréts. Nl est alors instructif de comparer les diverses .catégories: Carex des tourbiéres LES JONCS — LES ROSEAUX 295 dont les feuilles et les épis étroits rappellent les joncs, ceux des marais inondés, aux feuilles raides, dressées et qui vivent en touffes; les Carex des rochers et des sables, aux feuilles étalées et brillantes et A structure hautement xérophyte, et enfin les espéces sylvatiques aux feuilles minces et flexueuses. : Le jeune biologiste fera bien de surveiller les Cypéracées dans leurs stations; il verra combien chaque forme semble comme construite pour un terrain donné. ° Veet PHA. 8. ¢, * OA: C. s. hH.P. Fig. 165. — Section au travers d’un marais a la forét de Coudrée (Savoie). Dans l'eau, au centre, le roseau (Phragmites communis), roseliére R. ; tout autour les buttes-touffes des laiches (Carex stricta), encore dans l'eau; A la limite de l'eau (s), Schoenus nigricans ; plus 4 l’extérieur, le cordon du Scirpus Holoschoenus exondé; sur la pente de sable l'Hippophae rhamnoides et au sommet le Pin. 7 Dess. de R. C. Plus d’une espéce constitue des touffes, en se multipliant par de nouvelles pousses serrées les unes contre les autres, comme dans le Carex stricta, ce qui asséche la station; peu 4 peu les touffes se rejoignent et la prairie remplace le marécage. ' Les laiches et leurs congénéres, en général des plantes peu élevées, sont dépassées par les Roselitres, grandes graminées, qui, elles aussi, se constituent en société, grace 4 leurs rhizomes, ramifiés dans tous les sens, et grace aussi 4 leurs stolons qui ram- pent sur le sol 4 plusieurs métres de distance ( fig. 155). Par le vent, on voit les feuilles de ces roseaux tourner comme des girouettes et leur limbe indiquer la direction du vent. Cela est possible, grace au fait que la gaine des feuilles, peu adhé- rente et lisse a l’intérieur, se déplace autour du chaume; il y a aussi une espéce d’articulation 4 leur base. 294 BIOLOGIE DES PLANTES 4 Dans le Midi de l'Europe, les Roselitres sont faites sou- vent de l’Arundo Donax, de la Canne; au centre de |’Afrique, les roseaux de Phragmites communis (c'est une forme géante de iit Il Fig. 166. — Eleocharis acicularis. A, forme aquatique stérile. B, forme terrestre sur sol tout @ fait sec, prolongé de hampes fertiles et de hampes stériles. % Dess. de R. C., d'aprés Glick.. LES JONCS — LES ROSEAUX 295 Fig. 167, — Récolte du Cyperus giganteus, dans une lagune du Paraguay central. Phot. commerciale. notre plante d’Europe) atteignent la hauteur d’une jeune forét. A errer dans ces’ fourrés, on se croirait au milieu d’un bosquet de bambous. : Citons aussi les joncaies immenses des lacs sud-américains avec leur Cyperus giganteus qu’on récolte en grand pour la con- ‘fection des nattes (fig. 167). Dans chacune de ces régions du lac, de la tourbiére ou du marécage, bien d’autres plantes se mélent aux espéces types signa- lées ; plus on s’écarte de la terre ferme plus aussi les espéces de familles différentes doivent, pour supporter ]’immersion temporaire ou permanente, étre munies de dispositifs qui les associent aux espéces dominantes. Alors dans la Nupharaie, dans la Joncaie, dans la Phragmitaie se constituent des sociétés qui tantét comprennent des plantes qui ont toutes le méme facies aquatique, toutes taillées 296 BIOLOGIE DES PLANTES & la méme mesure ou qui, au contraire, utilisent le milieu et l'association selon leur nature. Ainsi méme dans la Phragmitaie on peut trouver des lianes, comme le grand Convolvulus sepium ou le Solantim Julcamara, des Iris jaunes (I. pyeudo-acorus), des Buto- mus & Yapparence caricotde, etc., etc., et une foule d’espéces chez lesquelles la vie subaquatique n’a pas essentiellement modifié la structure et la morphologie externe. Dans le marécage ordi- naire, 4 la joncaie du lac succéde la Phragmitaie du bord, puis la Caricaie de la lisi¢re ; & cette derniére vient se méler la cohorte des espéces des prairies marécageuses les Eupatorium, Lysimachia, Lythrum Salicaria, Acorus Calamus,’ Rumex, Gentianes, Renon- cules, R. lingua, R. sceleralus, Thalictrum flavum, Spiraea Ulmaria, Sanguisorba officinalis, Lotus uliginosus, Euphorbia palustris, Oeno- thera ; Epilobium roseum, Cicuta virosa, Oenanthe, Erythraea Cenlau- rium, Menyanthes lrifoliata, Symphytum officinale, Scutellaria galeri- culata, Mentha, Gratiola officinalis, Pedicularis palustris, Valeriana officinalis; puis dans ces pAturages acides s’aventurent des buissons comme le Salix repens, le S. purpurea, S. incana, le Rbamnus fran- gula, le Viburnum Opulus. Enfin les Aulnes, ‘les Peupliers finissent par dessécher la tourbiére et préparent l’avénement d’une flore plus xérophyte, plus amie de la sécheresse. Chaque station se modifie donc spontanément, par sa propre _ activité ; il y a des successions comme disent les Américains, une histoire des formations aquatiques. Celles-ci se laissent particulié- ment bien déchiffrer dans les marécages autour des étangs qu’elles finissent par envahir. A leur tour elles sont supplantées par la flore voisine des prairies. La succession d’étages de végétation, que nous venons d’es- quisser, n’est pas particulitre aux formations des pays tempérés. Dans les régions subtropicales et tropicales, des zones semblables se forment autour des étangs, des marécages.: Mais aux Cypéra- cées, aux Graminées. s’associent des plantes appartenant 4 d’au- tres familles des Monocotylédonées: de grandes Aroidées, de puissantes Cannacées et Marantacées, des touffes d’Eriocaulo- nacées et de Centrolépidacées. L’apparence de ces Roseliéres ou de ces joncaies est, de loin, la méme que chez nous, mais la vigueur a doublé ou triplé! En remontant en bateau les fleuves du LES JONCS — LES ROSEAUX 297 Brésil ou des pays: platéens, on peut, comme dans un cinémato- graphe, voir se dérouler un film, celui de la succession des forma- tions littorales. Ainsi, le long des fleuves 4 étiage, comme A |’ Alto Parana, les zones se marquent, sur un parcours de plusieurs centaines de kilométres, avec. une netteté extraordinaire et une désespérante monotonie. Au: niveau le plus bas, une zone d’algues, puis une assise -glauque de graminées amphibies A la- quelle succéde un cordon gris de l’/Euphorbiacée des marécages, le Croton urucurana; enfin, encore dans la zone inondable, une forét de grands bambous qui s’étend sur tout le cours du fleuve, de Posadas aux chutes de la Guayra. Ces grandes Graminées sont en quelque sorte la Phragmitaie des régions tropicales et sub- tropicales. Grace au systéme des rhizomes souterrains les Bam- busaies deviennent exclusives sur le bord des cours d’eau et y constituent des fourrés presque infranchissables et ceci A un niveau bien défini. Pendant de longues années, leurs troncs ramifiés en gigantesques plumes d’autruche ont formé, le long de ces fleuves, une admirable frange de gracieux panaches. Mais voici que le voyageur qui s’était habitué & voir, chaque année, s’allonger les arceaux et les rameaux, assiste, un jour, & un phénoméne unique dans le monde végétal. Sur plus de 400 kilomé- tres, le méme mois de la méme année, les bambous, qui jusqu’alors n’avaient jamais fleuri, se mettent, comme d’un commun accord, a se couvrir de thyrses et 4 secouer leurs étamines au vent qui se joue dans leur fier plumage. Je dis d’un commun accord, oui, car tous les individus fleurissent sur un espace immense comme si, aprés avoir tant tardé, ils s’étaient donné le mot. On voit, chez nous, au printemps, les arbres fruitiers fleurir en méme temps; il y a un temps de floraison et un temps de feuillaison. Cela est si régulier chaque année que nous le trouvons tout naturel. Mais chez ces bambous, la floraison ne se fait qu’une fois dans la vie; les gigantesques chaumes porteront des semences, puis, l’an suivant, de nouveau, comme d’un commun accord, toute cette végétation s’arréte. On voit, au-dessus du cordon argenté des Croton uru- curana (Euphorbiacée & feuilles de guimauve), sur des centaines de kilométres, la forét lisitre des bambous desséchée. Certains bambous fleurissent tous les cing ans; d’autres 298 , BIOLOGIE DES PLANTES attendent trente années et méme plus. Leur vitesse de croissance es tout d’abord lente, puis s’accélére ; dans le Bambusa arundinacea, on a vu la tige s’allonger de plus de 91 cm. en un jour; chez le Phyllostachys mitis de 84 cm. en 24 heures. Certaines espéces _poussent, de leurs rhizomes, des asperges qui, en une matinée, s’élévent 4 la hauteur du tabouret de bambou sur lequel le bota- niste est assis pendant qu'il fait ses observations. _ Cette coincidence de la floraison de certains bambous va méme si loin que la mémé année le Phyllostachys puberula qui ne fleurit qu’a des périodes trés éloignées, c’est-a-dire tous les soixante ans, a porté des fleurs dans tout |’Extréme-Orient et, chose plus curieuse, la méme année aussi, en Europe, dans les parcs ot cette espéce a été introduite. Cela ne parait pas aller de soi; il faudrait A cette mystérieuse concordance une cause extérieure, la saison, un phénoméne climatique extréme. Mais comment, méme dans une région aussi uniforme que |’Alto-Parana, de Posadas au Guayra, imaginer que fous les bambous, fous les individus de ces foréts riveraines seraient sous la méme influence édaphique (du sol) et climatique, que tous, au méme moment, auraient la méme dispo- sition individuelle? A ‘plus forte raison nous paraitra étonnante la simultandité de floraison des bambous, d’une certaine espéce, au Japon, en Suisse et en France, alors que dans tous les pays ot cette espéce a été introduite elle a tardé plus d’un demi-siécle & fleurir. —. C’est que précisément la rareté du phénoméne établit la néces- sité d’un point de départ unique : ou bien tous les bambous d’une région sont reproduits asexuellement par voie végétative, par l’extension des rhizomes tout le long d’une méme région, d'une méme zone, d'un étage qui est celui qui leur convient; ou bien il s’agit de semences emportées_par les eaux et déposées la méme année'le long de tout le rivage d’amont en aval, et la germination au niveau déterminé de la berge se fait simultanément. Dés lors, il y aurait uniformité du point de départ. Chez les végétaux annuels ou qui fleurissent bisannuellement la floraison, 4 une époque déterminée de l’année, est sensiblement fixée ; les flores indiquent avec une certaine approximation la période de floraison. L’espéce est prin- taniére, perce-neige (Galanthus nivalis); tardive (Colchicum autum- LES JONCS — LES ROSEAUX 299 nale); automnale, le lierre (He- dera Helix). Malgré certaines différences il y a une régula- rité assez frappante pour que le botaniste annonce avec une forte chance de réelle prévi- - sion la floraison ou le début de la floraison au moins pour le mois. La périodicité de ces plantes est relativement fixde; 4 moins de circonstances ex- ceptionnelles, elles fleurissent, se feuillent, fructifient et se . défeuillent 4 des périodes dé- terminées. On peut sans doute altérer plus ‘ou moins cette périodicité par des facteurs extérieurs exceptionnels, mais, il n’y a, dans le retard ou | l’avancement du phénoméne, rene is qu un ‘déplacement anormal Fig: 168. i Bords du cafion du Rio Alio« . : . » arana, limite de l’'Argentine et du Paraguay. hors régle et qui montre, qu’en os ‘yoit la pouneer “des ponnatigns selon See Reed * iq *étiage qui vaut ici de 20 4 30 m. dehors de la périodicité inhe- amboenie desséchée au- dessous de la forét, oto R. C. rente a chaque organisme, il y a la dépendance relative de cette périodicité, de ce naturel, si je puis ainsi m’exprimer, vis-A-vis des conditions extérieures. Or, il est ‘certain que la floraison des bambous pour étre espacée de 5-15-3o0- 60 années souffre de quelques irrégularités qui dépendent de causes exceptionnelles. Si l’on pouvait prévoir l’année de floraison, on arriverait par l’intervention de la- fumure ou par une autre action extérieure, A retarder ou 4 avancer ce moment. On sait . que l’action de l’éther avance le moment de la floraison de cer- taines plantes horticoles ; d’autres conditions, comme |’élévation de la température en hiver, permettent de « forcer » les plantes. Mais ici, il s’agit d’une périodicité annuelle, tandis que chez les bambous la périodicité est beaucoup plus espacée, parfois a phases soixante fois plus longues. Dans ces conditions, les facteurs * 300 BIOLOGIE DES PLANTES individuels sont évidemment moins importants, l’exactitude de la prévision, ou si l’on aime mieux la régularité du cycle, devient |” plus grande; disons, dans le cas du Phyllostachys, soixante fois plus grande au moins. C’est comme le joueur qui répéte le méme geste A un jeu de hasard, la probabilité augmente rapidement avec “la fréquence ; ; ici, la fréquence, c’est le grand nombre de jours, de mois, d’années. Je pense que la simultanéité de floraison doit étre d’autant plus parfaite que les intervalles spécifiques du rythme sont plus longs. Si on examine la croissance d’une plante, par exemple d’une | graminée (comme I’est aussi le bambou), on voit que, considérée dans son ensemble, l’augmentation en poids qui est la seule mesure vraiment inéquivoque et qui tient compte de la plante entiére, suit une courbe réguliére ; cette augmentation, lente tout d’abord, va s'accélérant. Mais cette accélération comme la chute des corps suit une régle bien définie. C’est ce qu’on appelle une courbe loga- rithmique,. celle qui exprime le mode d’accélération d’une réaction chimique qui marche d’elle-méme et ob la cause d’accélération est donnée par la quantité de matiére déja formée. Que I’on compare la croissance d’un enfant ou de l’avoine, on verra que les deux phénoménes se laissent décrire de la méme maniére; mathématiquement parlant, c’est un seul et méme phéno- méne. Si l’on examine non pas une plante d’avoine mais cent plan- tes, non pas un enfant mais cent enfants pris au hasard, la crois- sance est un phénoméne continu, régulitrement accéléré, jusqu’é un moment qui est celui du ralentissement et qui, pour |’avoine comme pour l’homme, correspond a la maturation sexuelle. Vers ce moment, il intervient un nouveau facteur qui travaille en sens contraire et fend vers un autre équilibre. Or, toute périodicité, toute maturation et, par extension, toute réaction chimique aprés avoir été accélérée, tend vers un équilibre. Cela est di, par le jeu des réactions: secondaires, 4 la production de déchets, poisons, produits accessoires qui, en petite quantité au début, n’avaient aucune action marquée, mais qui, par leur accumulation, travaillent en sens contraire de Ja réaction princi- pale et tendent a l’arréter. Il y a alors équilibre, il y a arrét. Or, cet arrét, ce peut étre une période de repos, l’hivernage ; pendant cette période, les fonc- LES JONCS — LES ROSEAUX 301 tions de respiration arrivent 4 détruire ces matiéres qui entravaient le développement. Et si, comme dans le repos hivernal, ]’abaisse- ment de la température favorise l’action d’un ferment qui attaque le produit accessoire, cause de la fatigue, ‘du ralentissement, de la défeuillaison, efc., alors, cette cause d’arrét étant supprimée, avec les beaux jours recommence une nouvelle poussée. Ou bien, avec la maturation et la production des semences, la plante est arrivée 4 l’équilibre; elle désassimile et meurt. Ce qui dans nos bambous surprend, c’est la simultandité du phénoméne. Mais nous ne devons pas perdre de vue que ces bam- bous, sur d’immenses étendues, ne sont peut-étre que les pousses d’une méme plante, multipli¢e végétativement, par les organes sou- terrains ; par conséquent chaque partie est comme une bouture, et on sait combien uniforme est la multiplication par boutures. II se pourrait aussi que, chez les bambous qui montrent cette remar- quable périodicité, les semences se forment, comme chez beaucoup de plantes supérieures, sans vraie fécondation, par une espéce de parthénogénése, par une bouture intra-ovarienne. Nous connaissons. beaucoup d’exemples de cette perte de la sexualité chez des plantes qui continuent A fleurir, 4 développer des étamines et des. pétales, mais sans s’en servir dans la fécondation. Ainsi, Yembryon d’un pissenlit se forme sans fécondation; en est-il de méme des bambous périodiques? je le suspecte et je pense qu’a cela est due cette extréme régularité. Mais dans le cas des ' Phyllostachys le probléme est plus simple. Une enquéte soignée a montré que tous ces Phyllostachys introduits de )Extréme-Orient en Europe I’ont été par multiplication végétative de plantes pro- -yenant d’une méme région. Il y a donc uniformité — il s’agit en quelque sorte d’un seul individu — et la périodicité s'y manifeste avec une régularité vraiment mathématique. ’ Partout nous trouvons dans le monde végétal une espéce de périodicité, souvent trés précise, trés étroitement li¢e & un rythme régulier et alternant. Tout 4 ’heure, on a cité la régularité de la floraison des nénuphars, les uns la nuit, les autres le jour; cer- taines de ces fleurs ne s’ouvrent que deux fois successivement, d’autres plusieurs fois de suite. On sait que diverses conditions aménent A une certaine inversion de ce rythme, mais cela n’est que passager. Car la périodicité — le rythme — est une qualité 302 : BIOLOGIE DES PLANTES inhérente a la nature de chaque espéce ; chacune a son oscillation, en quelque sorte sa longueur d’onde. Ce caractére commie tout autre, peut-étre dévié, déplacé; mais avec une persistance remarquable l’oscillafion revient a sa valeur premiére dés que la cause incidente a cessé d’agir. Il n’y a rien de si triste que la forét de bambous |’année qui suit la floraison; pendant quafre jours de navigation nous avons suivi le long du chenal du Haut Parana, 4 I'infini, le cor- tége des Chusquea desséchés, lugubres batons gris ou jaune vio- lacé, qui font penser 4 un lendemain de catastrophe, A une épi- démie, une peste végétale a laquelle rien n’aurait résisté. Et ce que nous avons observé en Amérique se voit périodiquement au Bengale, au Japon, partout ob les bambous occupent de grandes surfaces. Mais nulle part il n’est possible, comme le long du grand fleuve américain, d’assister & ces gigantesques funérailles sur la totalité de l’aire d’une espéce. C’est un phénoméne. grandiose et lugubre a la fois, mystérieux dans sa grandeur comme d'autres le sont dans leur infinie petitesse. GaP BIBLIOGRAPHIE. Branois, D.-J. — Périodicité des Bambous, in Engl. u. Pranél. Natiirl. Pflanzen- familien (Graminées, p- 20). Conrap, H.-S. — The waterlilies. Carnegie Institution, Publication n° 4. Macnin. — Les lacs du Jura, Paris.- Grjicx, H. — Biologische und morphologische Untersuchungen ber Wassergewichse, Jena (1908-1911). Cosrtantin; J. — Etudes sur les feuilles des plantes aquatiques, Ann. Sc. naturelles, VII’ série, II (886). Harsupercer. — The vegetation of the New Yersey, Pine-Barrens, Philadelphia (1916). Baumann, E. — Die Vegetation des Untersees, Stuttgart (1912). Gozset, K. — Pflanzenbiologische Schilderungen, Marburg (1889 et 1893). Kiister, E. — Ueber den Rythmus im Leben der Pflanzen, Zeilschr. f. allg. Physiologie, ; 17 (1916). Hort, S. — Ueber die Ursache der Bliitenkrankheiten des Bambus, in Bull. Imp. Centr. Agric, Exper, Stat., Japan. n° 38 (1911), 1-44, pl. I et II. Ore TABLE DES PLANCHES Planche I. . . . a ee ee ae ee eo | | Chlamydomonas nivalis. 1, zoospore mobile 4 deux cils; 2, id. mais immobile; 3, multiplication par spores; 4, petite zoospore qui a perdu ses cils; 5, cellule arrondie a l’état de repos, entourée d’une auréole de gelée; 6, grosse cellule a l’état de repos; 7, division en deux cellules ; 8, zoospore mobile 4 deux cils ; 9, 10, fusion latérale de deux cellules ; 11, zoospore arrétée; 12, état de repos, arrondi; 13, multiplication par quatre ; 14, cellule arrétée ; 15, zoospore géante dont on voit en avant les deux trous par lesquels passent les cils. ; Gonidie de lichen, 16, 17. — Scotiella nivalis, 18, 19, 21, 22, 23, divers états de la méme algue. — Raphidium nivale (Ankistrodesmus nivalis), 20, 24, 25. — Ankistrodesmus Vireti, 26. — Ancylonema Nordenskhiéldii, 27, 28. — Glenodinium Pascheri, 29 (lac de Montana). Planche Tf 2 a kk we See RR a Sw SORES A. Vue générale des cascades incrustantes a Mammoth Spring, Yellowstone. ‘Voir les teintes jaundtres, livides, dues aux algues. B. Autour de 1a vasque d’eau chaude, la bordure des Cyanophycées aux couleurs changeantes. (D’aprés une photographie commerciale.) Planehe: TEs. a: a Ge we Se SS me Hw ow BG) A. Vue prise au Grand S‘-Bernard ; au premier plan, pierre incrustée du lichen RAizocarpon geographicum. Remarquer les teintes vertes sur les mon- tagnes et les rochers autour du lac. ; B. Placodium, lichen couleur de minium qui est, 4 gauche, représenté comme incrustant la pierre ; il donne, au coucher du soleil, ta couleur vive des toits couverts d’ardoises. 304 © BIOLOGIE DES PLANTES Planche IVs 4 « «© «= © ® & * «© % = w « ‘pa Br A. Portion de feuille de Buis, grossi 6 fois, sur laquelle on voit le lichen épiphylle Strigula Buxi s’étaler sous la cuticule de la feuille ; le centre est déja désorganisé, B, Id., moins fortement grossie; on voit au bord antérieur un autre lichen épiphylle, le Catillaria Bouteillei, au bord supérieur, un petit thalle de Parmelia. PlanchérV 3.0 ai Gh. we Gh a ee ip 87 Torrent de montagne (Praz de Fort, Valais) dont les pierres se colorent par l’Hydrurus (en jaune) et par les Trentepohlia (en rouge). Planché Vie «) 4 2 SS 2 aS ee we Desmidiées, algues vertes du groupe des Conjuguées, rencontrées dans une méme mare tourbeuse 4 Saas-Fée (1800 m.). Espéces diverses des genres: 1, Penium ; 2, Penium; 3, 4,5, Cosmarium; 6, 7, Euastrum vue de face et profil; 8. 9, 10, Xanthidium; 11, 12, 13, 14, divers aspects, de face et de profil, de plusieurs espéces de Staurastrum,; 15, 16, 17, 18, Euasirum ; 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, Cosmarium divers; 27, 28, ceufs fécondés (zygotes) de Desmidiées ; 29, Spirotaenia. ; Planche VIE « Gots eg oe & Wo ee eS ee pee Algues vertes vivant ensemble dans une mare de montagne: 1, cellules arrondies (4) 4 paroi étoilée du genre Trochiscia; 2, Polyédre; 3, Scenedesmus acutiformis ; 4, Pediastrum a 8 cellules ; 5, Kirchneriella.en forme de lune; 6, Oocystis fusiforme ; 7, Scenedesmus (espéce voisine du S. guadricauda; 8, Polyédre muni de longs piquants; 9, Oocystis bernardinensis; 10, Ankistro- desmus falcatus ; 11, 12, Scenedesmus wisconsinensis ; 13, Tetraedron mini- mum, 14, Tetraedron caudatum ; 15, Scenedesmus falcatus, 16, Golenkinia radiata; 17, Selenastrum Bibrayanum; 18, Pediastrum octocellulaire ; 19, Chlorella en multiplication formant ses spores; 20, Scenedesmus quadri- cauda, avec 4 piquants; 21, Kirchneriella coniorta; 22, Raphidium (An- kistrodesmus falcatus) en faisceau; 23, quatre cellules d’un Kirchneriella en croissant; 24, Zoospore biciliée d’un Chlamydomonas ; 25, quatre cellules associées du Scenedesmus bijuga; 26, deux cellules retenues par les deux valves de la membrane de la cellule mére brisée: 27, Colonie flottante du TABLE DES ILLUSTRATIONS 305 méme Dictyosphaerium Ehrenbergianum, en arbuscule rayonnant; 28, quatre cellules du Scenedesmus obliquus ; 29, Cellule a quatre soies du Lagerheimia genevensis. : Planche VIII . : : oe oe a 2. oe S Spe ted 1, 2, Sphaerocystis Schroeteri ; 3, Cyclotella Comta, diatomacée; 4, 14, Fragilaria crotonensis, diatomacée dont les cellules sont disposées en peigne; 5, Petite Cyclotella; 6, Melosira catenata, petite diatomacée, vue de profil ; 7, Ankistrodesmus lacustris ; 8, Dinobryon stipitatum, flagellée jaune dorée, ciliée ; 9, Peridinium tabulatum, flagellée munie d’un long cil; 10, Synedra longissima, diatomacée en longue aiguille; 11, Coccomyxa lacustris ;'12, 16, Cosmarium, espéce de Desmidiée; 15, Botryococcus Braunii, colonie de |’algue émettant de gros globules d’huile ; 17, Ceratium hirundinella. Planche IX. ae SP Be ie de GA Oe Spi aa Podostemon Warmingii, des laniéres-racines, rose violacé, partent des feuilles et, en a, une fleur qui vient de sortir de son enveloppe (spathelle) ; on voit les deux -étamines et le pistil (en brun). — Apinagia Yguaguensis, espéce de racine-cordon sur lequel sont fixées des lames, plus ou moins rami-: fiées et arquées, terminées par des touffes branchies. — Podostemon atrichus (comparez avec fig. 69 du texte). Planche Xi 4 2 4 @ wo & Bow 2 4 oe pe dds A. Paysage du Chaco paraguayen; au preimier plan, les touffes de la Broméliacée Aechmaea polystachya, |a plante-citerne avec ses inflorescences rouges ; plus en arriére, le palmier Copernicia australis, puis une lagune et dans le lointain, la Palmeraie. B. Tronc moussnu, portant par-dessus la riviere une Broméliacée du genre Billbergia aux bractées roses ; forét paraguayenne. n Planche XI. . . . . ‘ eo go Oe. Oe. Spe 167 A. Etang-tourbiére de la Gruyére(Jura bernois), avec Sphagnum et touffes de Carex dans lesquelles se sont implantés. les arbres’: Pinus montana ; au premier plan le Sphagnum, & gauche, de couleur rouge. B. Surface de Sphagnum avec Myrtille en fleur, 4 gauche, Oxycoccos au feuillage ovale, Drosera, 4 droite, avec ses feuilles en train de digérer de petits insectes. 306 BIOLOGIE DES PLANTES Planche XII. . . . . . so = & ‘Pe 207 A. Saxifraga Hirculus sur la Sagne, en arriére Je bois de Betula pubescens, ‘ B. Branches du Bouleau nain (Betula nana) dans la Sagne. Planche XIII. . . . 2. 2... eee pe 28 Tourbiére dans le Jura suisse; au fond les pins, plus prés Swertia,: Comarum et Linaigrettes. Planche XIV . 2 Le Nuphar luteum fleurissant 4 la surface d’un matecage: Etang de Bienne. Planche 2Vo« « » = # 4 » 4 @ * &© « «# Qe aap A. Roseliére (Phragmites communis), plus avant dans le lac, la joncaie (Scirpus lacustris), puis !a Nupharaie (Nymphaea alba). B. Gréve mouillée du lac de Genéve 4 la Belotte. Ranunculus reptans avec ses stolons rampants et qui prennent racine. A gauche, le Myosotis,. plus en arriére, la graminée Deschampsia littoralis; 4 droite, des tiges de Littorella lacustris. Planche RVI 5 3 = @ He 6. e » = 4 « & pe BMG A gauche, deux pousses floriféres du Myriophyllum spicatum ; en arriére sur la rive, des saules au feuillage argenté et des joncs; un premier épi qui vient fleurir au-dessus de l’eau, on né voit encore que les fleurs mAles rosées$ plus prés, l’épi est plus émergé, les fleurs supérieures sont encore fermées; il y adeux étages de fleurs qui ont dressé leurs étamines, puis plus bas les fleurs femelles déja prétes 4 étre pollinisées. A droite, le Potamogeton lucens. SEY? INDEX SYSTEMATIQUE! Pages Acacia Cavenia (Mimosacée) . . . 205 Acorus Calamus (Aroidée) . 243, 296 “ Aechmea (Broméliacée) 138, 139, 141 142 ' Aegiceras (Myrsinacée) i) ges Se 185 ~ Airelle (Vaccinium Vitis Ideae, Ericacée). 2 2... we 225 Aldrovandia vesiculosa (Droséra- GEE)E Sa le) lee ee at fe Ra eas 277 Alectoria jubata (Lichen) - 3 ee 4 AUBUES 6 eo vay Sa (SR, At od oe 59 Algues bleues (Cyanophycées) 32, ¢ 42 Allium schoenoprasum (Ciboule, Liliacée) Alternanthera (Amaranthacée) 268, 273 Alisma Plantago (Alismatacée) 239, 244 243, 250, 258, 260, 261 Amaranthus (Amaranthacée). . . 209 Anabaena (Cyanophycée) . . . . 108 Ananas (Broméliacée). . .... 136 Ancyionema (Alg. Desmidiée) 26, 27 Androméda (Ericacée) 212,214,225, 228 Ankistrodesmus nivalis (Raphi- dium, Algue verte) ... . 26 Ankistrodesmus Vireti (Alg. verte) 13 31 Antennaria dioica (Composée) . . 216 Anthurium (Aroidée) . . . . . . 269 Apinagia (Podostémonacée) 116, 122 123 Aponogeton fenestralis (= Ouvi- randra) (Aponogétonacée). . . 263 Pages Arnica montana (Composée) . 216: Arole (Pinus cembra) (Conifére) 13 Arundo Donax (Canne, Graminée). 236 Asterionella gracillima (Alg. Dia- « tomacée). ........ 102, 104 Avicennia (Verbénacée). 176, 178, 185 Bactéries thermophiles (Bactéria- (a a ae ae 17 Bambou (Bambusa, Chusquea, Phyllostachys, Graminées) 236, 297 Betula nana (Bétulacée). . . . . 224 » pubescens... . . . . 216 Bidens (Graminée) ..... . . 260 Billbergia (Broméliacée). . . . . 142 Blé (Triticumvulgare, Graminée) 13 Blechnum capense (Fougére) . . 227 Botryococcus Braunii (Algue) 107, 108 © Bouleau (Bétulacée). . . . . . 216 » WAM. es ca a, a ce 215 Brasenia (Nymphéacée) 168, 174, 221 223 Bromelia serra (Broméliacée) 135, 137 143 Bruguiera (Rhizophoracée) 176,178, 181 185 Bruyéres (Ericacées). ..... 215 Butomus (Butomacée) . 243, 296 Cabomba (Nymphéacée). ... . 259 Calamagrostis (Graminée) . . . . 243 1 Voir pour les noms d’espéce le renvoi aux pages indiquées. 308 BIOLOGIE DES PLANTES Pages Calluna (Ericacée) . . . 212, 225, 228 Calophysa (Mélastomacée) . ' » 202 Caperonia (Euphorbiacée) . . . . 273 Caraguata (Bromelia). . 140, 141 Carex (Cyperacée) . 217, 238, 242, 243 B StRICtAS oe ae el ee he 167 Cecropia (Moracée) 192, 193, 194, 203 Cedrela (Méliacée). . . . . + es 188 Celosia (Amaranthacée) .... . 269 Ceratophyllum (Cératophyllacée) . Ceriops (Rhizophoracée) 176, 178, 240 186 Cetraria (Lichen) ...... 83, 146 Chara (Alg. Characée) . . . 238, 240 Chusquea (Graminée)...... 302 » (Bambusée). . . . . . 303 Chlamydomonas (Algue): . 37, 9! » intermedia. . . 94 » nivalis . 21, 28 Chodatella (Algue) 100, 105 Chytridiacées (Champignon) .. 60 Cicuta (Ombellifére). . . . . . . 269 Cladium (Cypéracée) ...... 242 Cladonia (Lichen). ..... 60, 81 » rangiferina . . 11. 84 Coccoloba (Polygonacée) i bes ee 203 Coccobotrys (gonidie, algue) . 66 Cocos Romanzoffiana (Palmier) 133 Coelastrum (Alg. verte)... .. 104 Coenogonium (Lichen) ..... 80 Colchicum (Liliacée) . 2... , 296 Comarum palustre (Rosacée). . . 215 Convolvulus sepium (Convolvula- REE) ok ae a G8 Wes eee 206 Copernicia cerifera (Palmier). . . 168 - » australis. . . . 168, 204 Cordia nodosa (Boraginacée) » «+ 202 Cosmarium (Alg. Desmidiée). 98 Crataeva tapia (Capparidacée) 204 Crocus (Iridacée) ..... ‘ 14 Croton (Euphorbiacée) . ... ., 297 Cryoplancton. .... 2... 32 Fragilaria (Alg. Diatomacée) . . . Pages, Cyanophycées........ 42, 49 Cymatopleura (Diatenicée) . » + 103 Cyperus (Cypéracée). . 243, 201, 295 Cyprés chauve (Taxodium, Coni-.- fere). 2 sw wwe ns 168, 170, 173,, Cystococcus (Alg. verte, Gonidie) 73 » Dactylococcus (Alg.) ...... 73 Dattier (Phoenix, (Palmier) 13 Deschampsia (Graminée) . . 241 Desmidiées (Algues) eters t 32, 98° Diatomacées (Algues siliceuses) . 103 » fossiles. . . 53, 54, 55 Diplozygopsis (Champignon). 60 Dipsacus (Dipsacée). . . . 137 Drosera (Droséracée) ...... 225, Duroia (Rubiacée). , 202 Dinobryon (Algue) ....... Tor Eleocharis (Cypéracée) , 241, 291, 294 Elodea (Hydrocharitacée) . 257 Empetrum (Empétracée) 216, "08, 237 Endocarpon (Lichen) ...... 76 Entada (Mimosacée) . 188, 190. . Epilobium (Oenothéracée) . 296 . Equisetum (Equisétacée). . 243 Erica (Ericacée). . 2. . 237 Eriocaulonacée . . . . +. 227 Eriophorum (Cypéracée) . 214, 227 Erythraea (Gentianacée). . . . . 2096 Erythrina (Papilionacée). . . . . 192 Euphorbia (Euphorbiacée) . . . . 296 Evernia (Lichen) ........ 157 Farmeria (Podostémonacée) - 120° Fischerella (Cyanophycée).. . . . 43 Flagellées (Algues) . . . .. 32 Fontinalis (Mousse) 88, 115 Foretiella (Algue). . . . 1... 109 5 INDEX SYSTEMATIQUE 509g Pages Pages Galanthus (Liliacée). . . 298 | Limnanthemum (Gentianacée) . 290 Glenodinium (Algue, Péridiniacée) 11 | Limnobium (Hydrocharitacée) . 273 Gloeocapsa (Cyanophycée) . . 42, 52 | Linaigrette (Eriophorum) . 214 Gonidies (Alg.) 33, 65, 66, 67, 73, 74 | Littorella (Plantaginée) 242, 2Q1 Gonium (Alg. verte). . 2... g2 | Lotus bleu (Nymphéacée) . . 287 Gratiola (Scrophulariacée) . . . . 296 | Lumnitzera (Combrétacée) 175, 180 Griffithella (Podostémonacée) 120, 123 | Lycopode (Lycopodiacée) 215, 227 Guarea (Méliacée). . . . . 188 | Lyngbya (Cyanophycée) . 2, 43 Gynerium (Graminacée). . . 190, 236 | Lysimachia (Primulacée) 296 Lythrum Salicaria (Lythracée) . 296 Haematococcus (Alg.) . . 25, 93 Hapalosiphon (Cyanophc.) ne AS AR Majeta (Mélastomacée). ne ed 202 Hippophae (Eléagnacée) 293 | Manglier (Rhizophora) ..,. . 176 Hirtella (Schizobalanacée) . 202 | Mauritia (Palmier) 191 Hottonia (Primulacée) . . 259 | Mayaca (Mayacacée). 227 Hydrobryum (Podostémonacée) . 120 | Méléze (Larix, Conifére) 169 123 | Menyanthes (Gentianacée) . 296 Hydrocharis (Hydrocharitacée). . 263 | Mimosa asperata (Mimosacée) 188 266, 290, 299 | Mourera (Podostémonacée) . 128, 130 Hydrurus (Algue, Flagellée), 89,90, 115 | Myriophyllum (Oenothéracee, Ha- Hippuris (Oenothéracée) . 241 loragidée) . 238, 239, 240, 245, 280 Myrmidone (Mélastomacée) 202 Myrtille (Vaccinium Myrtillus) 215 Inga (Mimosacée) 187, 189 Iris (Iridacée) . 296 . : > Neige rouge (Chlamydomonas ni- valis) . ; ee x a BO Juncus (Juncacée). . 238, 243, 291 | Nelumbium (Nymphéacée). 168, 174 » stygius . 223 290 Jussieua (Oenothéracée) . . 177, 180 | Neptunia (Mimosacée) . . 273 Nymphaea (Nymphéacée) ia 238, 239 283, 285, 286, 289 Kandelia (Rhizophoracée). . (84, 185 Nitella (Alg. Characée) 240 Nostoc (Cyanophycée) 43, 69, 73 Laguncularia (Combrétacée) . . . 176 aleg a e 5 i = noe Laiche (Carex) 167, 215, 238, 239, 296 ENE PSS Larix decidua (Conifére). . 169 Lawia (Podostémonacée). . . 122 | Oenanthe (Ombellifére) 243 Lemna (Aroidée). . 245, 257, 267, 272 Olpidiopsis (Champignon) . 60 Leucobryum (Mousse). . 210 | Oscillatoria (Cyanophycée) 42, 43, 108 Lichens 64, 71 Oxycoccos (Ericacée) 310 BIOLOGIE DES PLANTES Pages Palétuvier (Rhizophora)... . 175 Parmelia (Lichen). . . 71, 81, 157 Paspalum (Graminée) 2: 273 Papyrus (Cypéracée) . . 292 Pediastrum (Alg.). . 99 Pedicularis (Scrophulariacée) . 296 Peltigera (Lichen). ..... 71 Péridiniacées (Algues) of JT Peste d’eau (Elodea) . 257 Peuplier (Populus) vw B96 Phalaris (Graminée). . 236, 241, 243 Phragmites (Roseau, Graminée) . 233 242, 293 Phycopeltis (Alg.). . 2... Ty. Phyllanthus (Euphorbiacée) 270 Phyllostachys (Bambusée) 298 Pin de montagne (Pinus montana) 167, 217, 216, Pin sylvestre (P. sylvestris) Platane (P. acerifolia). . Pleurococcus vulgaris (Alg.). . . Polygala joncoide (Polygalacée). Podostemon (Podostémonacée) 117, 119, 125, 126, Polygonum (Polygonacée.). Polytrichum (Mousse) Potamogeton (Potamogétonacée) . 352, Potamots (Potamogétonacée) 238, Protococcus Prunus Padus (Rosacée} Pteromonas (Alg.). . 2. . Ramalina (Lichen) . 7s Ranunculus (Renonculacée) 124, 259, 290, 2901, Raphidium (Alg. verte) Remigia (Rubiacée) . . Richardia (Aroidée) . Rivularia (Cyanophycée) . Rhamnus (Rhamnacée) 220 . 235 . 168 73 243 . 116 127 373, » BES 251 280 239 22 227 27 83 243 296 30 202 267 13 . 296 Pages Rhizophora (Rhizophoracée) 175, 177 182 Rhododendron ee foes oe BIG Roseaux .. 1 +. 293, 294 Rosolis (Drosera) ...... 215 Ruprechtia (Polygonée) . . . . 203 Sagittaria (Alismatacée) 258, 260, 261 Salix (Salicinge) . . . . 192, 296 Salvinia (Fougére) . . . . 271, 272 Sapopema .. . 172 Saxifraga hirculus (Saxitreganée) #215 225 Scheuchzeria (Scheuchzériacée) . 222 Schizophycée (Cyanophycée). . 42 Schizothrix (Cyanophycée) . . 43, 110 Schoenus (Cypéracée) 243, 291, 293 Scirpus (Cypéracée) 238, 242, 291, 292 293 » Holoschoenus... . “243 Scleria (Cypéracée) . 2... 2... 227 Sclerolobium (Césalpiniacée, Lé- gumineuse). ... . .. . 203 Scotiella (Algue) ..... 28 Scutellaria (Labiée) . ‘ 296 Scotiella nivalis (Alg.). 2... ., 26 Scytonema (Cyanophycée) . . . 43: Solanum dulcamara (Solanacée) . 296 Soldanella (Primulacée) ee Solorina (Lichen) . . Ty 94s 98 Sonneratia (Sonnératiacée) 176, 180, 185 Sorédies (Lichen) .. .. 70, 72 Sparganium (Sparganiacée) . 243 Sphaerozoma (Alg. Desmidiée). . 98 Sphagnum (Mousse) . . —208, 209 Spirogyra (Algue verte) 60, 95, 96 Staurastrum (Desmidiée) . . . . 98 Sterculia Wigmanni (Sterculiacée) 171 Stichococcus nivalis (Alg. verte) 31, 73 Strigula (Lichen) .. . . 78, 80 Symbiose (Lichen) .. ... = 85 INDEX SYSTEMATIQUE 311 Pages Symplocos (Symplocacée) . 227 Synedra longissima (Alg. Diato- macée). . . mas 102, 103 Tachygalia (Légumineuse) . . . . 202 Taxodium distichum (Conifére) 168 174 Thalictrum (Renonculacée). . . . 296 Tillandsia (Broméliacée) 132, 142, 145 146, 147, 148, 152, 155, 156, 161 164, 170 Tococca (Mélastomacées) . . 197, 200 Trapa (Oenothéracées) . 177, 239, 245 Trentepohlia (Alg. verte). x 187 Trichilia (Méliacée) . : 188 Trientalis (Primulacée) 223, 225 Triglochin (Scheuchzériacée). . 243 Triplaris (Polygonacée) . . . 203 Pages Usnea (Lichen) 146, 157, 174 Vaccinium (Ericacée) «B59 Valeriana (Valérianacée) 296 Vallisneria (Hydrocharitacée) 254, 263 287 Verrucaria (Lichen) . . 66, 81 Viburnum (Caprifoliacée) . . . 296 Victoria (Nymphéacée) . 243, 284, 285 288, 289 Villaresia (Icacinacée) aan DOF Willisia (Podostémonacée) . . . . 120 Xylocarpus (Méliacée) . 177, 185, 186 Zanichellia (Potamogétonacée) 116, 252 TABLE DES MATIERES Introduction. . . . . oo gf ae Se elge. <6 Préface de l’auteur. tavgeufte 2: cfs ee. Hoe. ot ee 8 7 Les neiges colorées , . ... . os Ep ou ok Il Les plantes des thermes. . . . . . ge 8 iow a me BF Une audacieuse entreprise . . : Sos) Gu ee 59 Histoire biologique d’un torrent . gg ee Oe a 87 Gascades et Podostémonacées . . . .-. 1. 2. 1 se « ets Citernes végétales et marécages suspendus . belts shea i Mite ee AAS5 Arbres amphibies . . . . . eg ee we ee Les Sagnes. . . 1... Be Sloss Ca. Role & . 207 Zones de végétation et associations . . . . . . ee ee 88 Les nénuphars — les Nuphardies. . . 08S Ce ae a RS 283 Les joncs — Les roseaux. . . . oe cB oes oem oe 291 Table des planches : . 303 Index systématique PS. a ah AED Ag fF gl og . . 307 t Z CLICHES ET IMPRESSION ATAR, GENEVE (SUISSE)