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LETTRES

ECRITES DE LA

M O N T A G N E.

Far y. y. ROUSSEAU:

PREMIERE PARTIE.

A A M S T E R D A M, Chez MARC MICHEL R E Y. M D C C L X 1 V,

AVERTISSEMENT.

V^ 'est revenir tard , je le fens , fur un fujet trop rebattu & déjà prefque oublié. Mon état, qui ne me permet plus aucun travail fuivi, mon averfion pour le genre polémique, ont caufé ma lenteur à écrire & ma répugnance à publier. J'aurois même tout à fait fupprimé ces Lettres, ou plutôt je ne ks aurois point écrites, s'il n'eut été queflion que de moi: Mais ma Patrie ne m'efl pas tellement deve- nue étrangère que je puifTe voir tranquille- ment opprimer fes Citoyens , furtout lorfqu'ils n'ont compromis leurs droits qu'en défendant ma Caufe. Je ferois le dernier des hommes fi dans une telle occafion j'écoutois un ientiment qui n'efl plus ni douceur ni pa- tience , mais foiblefTe & lâcheté , dans celui qu'il empêche de remplir fon devoir.

Rien de moins important pour le public, j'en conviens , que la matière de ces Lettres.

AVERTISSEMENT.

I^a Conftitution d'une petite République , le fort d'un petit particulier, rexpofé de quelques jnjuflices , la réfutation de quelques fophifmes ; tout cela n'a rien en foi d'affez confidérable pour mériter beaucoup de Le6leurs: Mais fi mes fujets font petits mes objets font granda, & dignes de Tattention de tout honnête hom- me. Laifibns Genève à fa place, & Roufleau dans fa dépreflion ; mais la Religion, mais la liberté, lajuflice! voila, qui que vous foyez, ce qui n'efl pas au delTous de vous.

Qu'on ne cherche pas même ici dans le fty- le le dédomagement de l'aridité de la matière. Ceux que quelques traits heureux de ma plume ont fi fort irrités trouveront dequoi s'appaifer dans ces Lettres. L'honneur de défendre un opprimé eut enflamé mon cœur fi j'avois par- lé pour un autre. Réduit au trifle emploi de .me défendre moi-même, j'ai du me borner à

A V E R T I s* s E M E N T.

raifonner ; m'échauffer eut été m'avilir. J'aurai donc trouvé grâce en ce point devant ceux qui s'imaginent qu'il eft eflenciel à la vérité d'être dite froidement; opinion que pourtant j'ai peine à comprendre. Lorfqu'une vive per- fuafion nous anime, le moyen d'employer un langage glacé? Quand Archimede tout tranî^ porté couroit nud dans les rues de Syracufe, en avoit-il moins trouvé la vérité parce qu'il fe paffionnoit pouf elle? Tout au contraire, celui qui la ferit ne peut s'abftenir de l'adorer j celui qui demeure froid ne l'a pas vue.

Quoi qu'il en foit, je prie les Leéteurs de vouloir bien mettre à part mon beau ftyle, &. d'examiner feulement fi je raifonne bien ou mal ; car enfin , de cela feul qu'un Auteur s'exprime en bons termes , je ne vois pas comment îl peut s'enfuivre que cet Auteur ne fait ce qu'il dit»

TABLE

DES

LETTRES

Ec de leur contenu.

' PREMIERE PARTIE.

:-. LETTRE PREMIERE. Pag. i

Etat de la qiicftion par rapport à routeur. Si elle efi de la compétence des Tribunaux civils. Manière hijufte de h refondre.

L E T T R E II. 63

Be la Religion de Genùije. Principes de la Réformation, V Auteur en:ame la difcujjion

des miracles.

TABLE

LETTRE in. Pag. io<^

Continuation du mêm» Sujet, Court examen quelques autres accufations. L E T T R E IV. 179

L'Auteur Je fuppofe coupable; il compare la pro- cédure à la Loi,

L E T T R E V. £i6

Continuation du même Sujet, Jurifprudence tirée des procédures faites en cas femblabks. But de T Auteur en publiant la profejjîon de foi*

L E T T R E VL 311

S'il eji vrai que F Auteur attaque lex Gouverne^ mens. Courte analyfe de fon Livre. La pro- cédure faite à Genève eft fans exemple , ^ fia été fuivie en aucun pays.

SECONDE PARTIE.

LETTRE VII. Pag. i

Etat p'éfent du Gouvernement de Genève , fixé par rEdit de la Médiation.

LETTRE Vin. Page 5i

Efprit de cet Edit. Contrepoids quil donne à la

PiiiJJance arifiocratiqiie. Entreprîfc^ du petit

Confeil d'anéantir ce contrepoids par voye de

' ' fait. Examen des încdfitéfîiâns allégués. Syf-

teîne des Edits fur les emprifonnemens.

L E T T R É I X. i4î;

Manière de raifonner de ï Auteur des Lettres écrites de la Campagne. Son vrai but dans cet Ecrit. CJmx de ces exemples. Car ad; ère de la

* Bourgeoifie de Genève. Preuve par les faits^ Conclufion.

F I N.

AVERTISSEMENT DU LIBRAIRE.

J'Ai fait ce qui a dépendu de moi poiff ren- dre l'édicion de ces Lettres correcte ; il s'y efl néanmoins glifé quelques fautes d'impreifion , que le lecteur corrigera aifément. Voyez r er- rata.

Catalogue des Oworages de Mr. J. J. Roiijfeait^ que j'ai mprimés fur ces Manufcrits,

Difcours fur l'origine & les fondemcns de l'incgalitc

parmi les Hommes, Lettre contre les Spectacles , Julie, ou la nouvelle Heloïfe, rrincipes du Droit politique. Lettre de J. J. Routleau à Chriftophe de Beaumont, Lettres écrites de la Montagne.

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Première par

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cet.

AVIS au Relieur.

Il y a 4 Cartons qui fe trouvent imprimés avec la feuille marquée d'une étoile, le Relieur aura foin de le.» placer elxaâçmcnt à leur place.

LETTRES

LETTRES

ECRITES DE LA

MONTAGNE.

PREMIERE LETTRE,

JNoN, Monfieur, je ne vous blâme point de ne vous être pas joint aux Répréfentans pour foutenir ma caufe. Loin d'avoir approuvé moi- même cette démarche, je m'y fuis oppofé de tout mon pouvoir , & mes parens s'en fonè retirés à ma follicitation. L'on s'eft tu quand il falloit parler ; on a parlé quand il ne reftoig ^u'à fe taire. Je prévis l'inutilité des répréfen- tations , j'en preflentis les conféquences : je jugeai que leurs fuites inévitables troubleroienc ie repos public , ou changeroient la conflitu- tion de l'Etat. L'événement a trop juftifié mes fartïc L A

i. ' P R Ë M I E R E

craintes. Vous voila réduits à l'alternative qui m'efiFrayoit. La crîfe vous êtes exige une autre délibération dont je ne fuis plus l'objet. Sur ce qui a été fait vous demandez ce que vous devez faire: vous confidérez que l'effet de ces démarches , étant relatif au corps de la Bourgeoifie, ne retombera pas moins fur ceux qui s'en font abflenus que fur ceux qui les ont faites. Ainfi , quels qu'aient été d'abord le» divers avis , l'intérêt commun doit ici tout réu- nir. Vos droits réclamés & attaqués ne peu- vent plus demeurer en doute ; il faut qu'ils foient reconnus ou anéantis , & c'efl leur évi- dence qui les met en péril. Il ne falloit pas approcher le flambeau durant l'orage -, mai» aujourd'hui le feu eH à la maifon.

Quoiqu'il ne s'agiffe plus de mes intérêts, TTîon honneur me rend toujours partie dans cet- te affaire ; vous le (kvQZ , & vous me confuJ-

LETTRÉ. 3

t€t toutefois comme un homme neutre j vous fuppofez que le préjugé ne m'aveuglera point & que la paffion ne me rendra point injuftet je l'efpere aulîî ; mais dans des circooftances fi délicates , qui peut répondre de foi ? Je fens qu'il m'efl: impoffible de m'oublier dans une querelle dont je fuis le fujet, 6c, qui a mes mal- heurs pour première caufe. Que ferai-je donc , Monfieur , pour répondre à votre confiance & juftifier votre eftime autant qu'il eft en moi? Le voici. Dans la jufte défiance de moi - mê- me , je vous dirai moins mon avis que mes raifons: vous les péferez, vous comparerez, & vous choifirez. Faites plus ; défiez - vous tou- jours , non de mes intentions ; Dieu le fait,' elles font pures ; mais de mon jugement.' L'homme le plus jufle, quand il efl: ulcéré voie rarement les chofes comme elles fonr. Je ne ▼eux fûrement pas vous tromper, mais je puis A 2

t P R E M I t: R E

me tromper ; je le pourrols en toute autre chofe , & cela doit arriver ici plus probable- ment. Tenez- vous donc fut vos gardes , & quand je n'aurai pas dix fois raifon , ne me l'accordez pas une.

Voila , Monfieur , la pre'cautiorî que vous devez prendre , & voici celle que je veux prendre à mon tour. Je commencerai par voua |)arler de moi , de mes griefs , des durs pro- cédés de vos Magiftrats; quand cela fera faic & que j'aurai bien foulage mon cœur, je m' ou» blierai moi-même ; je vous parlerai de vous, de votre fituation , c'ell - à - dire , de la Répu- blique ; & je ne crois pas trop préfumer de moi , fi j'efpsre , au moyen de cet arrange- ment , traiter avec équité la queflion que vous me faites.

J'ai été outragé d'une manière d'autant plu« cruelle que je me fiatois d'avoir bien mérité de

LETTRE. s

]a Patrie. Si ma conduite eut eu befoin de grâ- ce , je pouvois raifonnablement elpérer de l'obtenir. Cependant , avec un empreflemenc fans exemple, fans avertiffement , fans cita- tion , fans examen , on s'efl hâté de flétrir mes Livres ; on a fait plus ; fans e'gard pour mes malheurs pour mes maux pour mon état , oji a décrété ma perfonne avec la même précipi- tation , l'on ne m'a pas même épargné les ter- mes qu'on employé pour les malfaiteurs. Ces Meflieurs n'ont pas été indulgens , ont - ils du moins été juftes? C'efl ce que je veux recher- cher avec vous. Ne vous effrayez pas , je vous prie , de l'étendue que je fuis forcé de donner à ces Lettres. Dans la multitude de queftions qui fe préfentent , je voudrois être fobre en paroles : mais , Monfieur , quoi qu'on puiffe faire, il en faut pour raifonner. Raflemblons d'abord les motifs q fils or.t A3

« PREMIERE

donnés de cette procédure , non dans le re'- quifitoire , non dans l'arrêt , porté dans le fe- cret, & reflé dans les ténèbres (i); mais dans les réponfes du Confeil aux Répréfentations des Citoyens & Bourgeois , ou plutôt dans les Lettres écrites de la Campagne ; ouvrage qui kur fert de manifefle , & dans lequel feul ils daignent raifonner avec vous.

Mes Livres font , " difent - ils , impies 5, fcandaleux téméraires , pleins de blafphèmes & de calomnies contre la Religion. Sous l'apparence des doutes l'Auteur y a raffem-

(i) Ma famille demanda par Requête communi- •cation de cet Arrêt. ' Voici la réponfe. Du 25 Juin 1762.

J?n Confeil ordinaire , Vîi la préfente Requête ^ arrêté quil n'y a liau, d'accorder aux Juppliam les fins d'icelle.

LULLI-N.

L'Arrêt (^u Parlement de Paris fut imprimé auflî- tôt que Vencl'û. Imaginez ce que' c'eft qu'un Etat H- Jbre l'on tien: cachés de pareils Dccrccs contra l'honneur & la liberté des CitoycBsJ

LETTRE. 7^

blé tout ce qui peut tendre à fapper, ébran- 1er & détruire les principaux fondemens de la Religion Chrétienne révélée.

Ils attaquent tous les Gouvernement.

j, Ces Livres font d'autant plus dangereux & répréhenfibles qu'ils font écrits en Fran- çois , du flyle le plus fedufteur , qu'ils p:^? roilTent fous le nom & la qualification d'un Citoyen de Genève , (Se que , félon l'intenr tion de l'Auteur, l'Emile doit fervir de gui- de aux pcres aux mères aux précepteurs.

En jugeant ces Livres , il n'a pas été poffible au Confeil de ne jetter aucun regard fur celui qui en étoit préfumé l'Auteur. "

Au relie , le Décret porté contre moi ^y n'efl, " continuent - ils , ni un jugement ^jini une^fcntence , mais un fimple appointe- 5, ment provifoire qui laifToit dans leur entier ç, mes exceptions & défenfes , & qui dans le A 4

t PREMIERE

cas prévu fervoit de préparatoire à la pro- ^, cédure prefcritte par les Edits & par l'Or- 3, donnance ecclefiaftique. "

A cela les Répréfentans , fans entrer dans Texamen de la docirine , objectèrent ; que le Confeil avoic jugé fans formalités prélimi- naires : que l'Article 88 de l'Ordonnance eccléfiaftique avoit été \'iolé dans ce juge- ment: que la procédure faite en 1562 contre Jean Morelli à forme de cet Article en ,, montroit clairement l'ufage , & donnoit par 5, cet exemple .une jurifprudence qu'on n'au- roic pas du méprifer ; que cette nouvelle manière de procéder étoit même contraire à la règle du Droit naturel admife chez tous ,, les peuples , laquelle exige que nul ne foit 3, condanné fans avoir été entendu dans fe£ défenfes; qu'on ne peut flétrir un ouvrage fans flétrir ep même ccmi l'Auteur dont ^

LETTRE. p

Ji porte le nom ^ qu'on ne voit pas quelles ex- ceptions & défenfes il refte à un homme de'- claré impie , téméraire , fcandaleux , dans Ces écrits ^ & après la fentence rendue êi exécutée contre ces mêmes écrits , puifque les chofes n'étant point fufceptibles d'infa- mie , celle qui réfulte de la combuilion d'un Livre par la main du Bourreau réjaillit né- ceflkirement fur l'Auteur : d'où il fuit qu'on n'a pu enlever à un Citoyen le bien le plus précieux, l'honneur; qu'on ne pouvoit dé^ truire fa réputation , fon état , fans com- mencer par l'entendre ; que les ouvrages j, condannés & flétris méritoient du moins autant de fupport & de tolérance que divers 5, autres écrits l'on fait de cruelles fatyrej fur la Religion , & qui ont été répandus & même imprimés dans la Ville : qu'enfin par ,, rapport aux Gouvernemens , il a toujoufi

As

lo P R E M I E RE

5, été permis dans Genève de raifonner librcr ment fur cette matière générale , qu'on n'y défend aucun Livre qui en traite , qu'on n'y flétrit aucun Auteur pour .en avoir traité ^ quel que foit fon fentiment ; & que , loin d'attaquer le. Gouvernement de la Républi- que en particulier , je ne laîlTe échapper aur curie occafion.d'en faire, l'éloge."

A ces objeélions il fut ; répliqué de la part du Confeil ; que ce n'efl point manquer à la règle qui veut que nul ne.foit condanné fans ^, l'entendre y que de condanner un Livre a- près en avoir pris Jefture & l'avoir examiné fuffifamment : que l'Article .88 des Ordon- , nances n'ell applicable qu'à un homme qui dogmatife.& non à un Livre deflruftif de la Religioa Chrétienne : qu'il n'efl pas: vrai 5, que la flétrifTufe d'un om^age fe communi* ^, que à l'Auteur , lequel peut n'avoir étç

LETTRE. IX

qu'imprudent ou maladroit : qu'à l'égard des j,f ouvrages fcandaleux tolérés ou même impri- mes dans Genève , il n'efl: pas raifonnablc de prétendre que pour avoir diflimulé quel- :,, quefoîs , un Gouvernement foit obligé de diffimuler toujours j que d ailleurs les Livres l'on ne fait que tourner en ridicule la Religion ne font pas à beaucoup près auffi punifTables que ceux fans détour on l'at- taque par le raifonneraent. Qu'enfin ce que le Confeil doit au maintien de la Religion 5, Chrétienne dans fa pureté , au bien public, aux Loix , & à l'honneur du Gouvernement lui ayant fait porter cette fentence , ne lui 5, permet ni de la changer ni de l'affoiblir.** Ce ne font pas toutes les raifbns objec* lions & réponfes qui ont été alléguées de part & d'autre, mais ce font les principales, & eK les fuffifent pour établir par rapport à moi I4

PREMIERE

queflion de fait & de droit.

Cependant comme l'objet , ainfi pré fente, demeure encore un peu vague , je vais tâcher <îe le fixer avec plus de précifion , de peur que vous n'étendiez ma défenfe à la partie de cet objet que je n'y veux pas embrafler.

Je fuis homme & j'ai fait des Livres ; j'ai donc fait aufli des erreurs (2). J'en apperçoij moi-même en aflez grand nombre : je ne dou- te pas que d'autres n'en voyent beaucoup da- vantage , & qu'il n'y en ait bien plus encore que ni moi ni d'autres ne voyons point. Si l'on .ne dit que cela j'y foufcris.

(2) P^xceptons , fi l'on veut , les Livres de •Géométrie & leurs Auteurs. Encore s'il n'y a point d'erreurs dans les propofitions mêmes, qui nous af- furera qu'il n'y en ait point dans Tordre de déduc- tion, dans le choix, dans la méthode? Euclidc dé- montre , & parvient à fon but : mais quel chemin •^ prend -il? combien n'erre t-il pas dans fa route? La fcience a beau être infaillible ,• l'homme qui la ciU-^ tive fe trompe fouvent.

LETTRÉ. t$

Mais quel Auteur n efi: pas dans le même cas, ou î'ofe flatter de n'y pas être ? Là-def- fus donc , point de difpute. Si l'on me réfute & qu'on ait raifon , l'erreur efl corrigée & je me tais. Si l'on me réfute & qu'on ait tort ,' je me tais encore ; dois-je répondre du fait d'autrui ? En tout état de caufe , après avoir entendu les deux Parties, le public efl: juge, il prononce, le Livre triomphe ou tombe, & le procès efl fini.

Les erreurs des Auteurs font fouvent forÊ indifférentes ; mais il en efl aufîî de domagea- bles , même contre l'intention de celui qui les commet. On peut fe tromper au préjudice du public comme au fien propre ; on peut nuire innocemment. Les controverfes fur les matiè- res de jurifprudence , de morale , de Religion tombent fréquemment dans ce cas. NécefTai- fement un des deux difputans le trompe , A

14: P R Ê M I E R Ë

Ferreur far ces matières imporcant toujours de- vient faute ; cependant on ne la punit pas quand on la pré fume involontaire. Un Iiomme n'eft pas coupable pour nuire en voulant fer- vir , & fi Ton pourfuivoit criminellement un Auteur pour des fautes d'ignorance ou d'inad- vertance , pour de mauvaifes maximes qu'on pourroit tirer de fes écrits très conféquemment mais contre fon gré , quel Ecrivain pourroit fe mettre à l'abri des pourfuites ? Il faurdoit être infpiré du Saint Efprit pour fe faire Au- teur & n'avoir que des gens infpirés du Saine Efprit pour juges.

. Si l'on ne m'impute que de pareilles fautes, je ne m'en défends pas plus que des fimples er- reurs. Je ne puis affirmer n'en avoir point commis de telles , parce que je ne fuis pas un Ange ; mais cçs fautes qu'on prétend trouver dans mes Ecrits peuvent fort bien n'y pas ê»

LETTRE. 1^

ire, parce que ceux qui les y trouvent ne font pas des Anges, non plus. Hommes & fujeta à l'erreur ainfî que moi , fur quoi pre'tendent- ils que leur raifon foit l'arbitre de la mienne. Se que je fois puniflable pour n'avoir pas penfé comme eux?

Le public efl donc auflî le juge de fembla- bles fautes ; fon blâme en efl le feul châtimenc Nui ne peut fe fouflraire à ce Juge , & quant- à-moi je n'en appelle pas. Il efl: vrai que fi le Magiftrat trouve ces fautes nuifibles il peuc défendre le Livre qui les contient ; mais je le répette ; il ne peut punir pour cela l'Auteur qui les a commifes ; puifque ce fcroit punir un délit qui peut être involontaire , & qu'on ne doit punir dans le mal que la volonté. Ainfi ce fi'efl point encore ce dont il s'agit.

Mais il y a bien de la différence entre un Livre qui contient des erreurs nuifibles & im

ï6 PREMIERE

Livre pernicieux. Des principes établis , lar chaîne d'un raifonnement fuivi , des conféquen- ces déduites manifeflent l'intention de l'Au- teur , & cette intention dépendant de fa vo- lonté rentre fous la jurifdiclion des Loix. Si cette intention efl; évidemment mauvaife , ce n'efl plus erreur , ni faute , c'eft crime ; ici tout change. Il ne s'agit plus d'une difpute îiccéraire dont le public juge félon la raifon, mais d'un procès criminel qui doit être jugé dans les Tribunaux félon toute la rigueur des Loix ; telle efl la pofition critique m'ont mis des Magiflrats qui fe difent juftes , & des Ecrivains zélés qui les trouvent trop démens. Sitôt qu'on m'apprête des prifons , des bour- reaux , des chaînes , quiconque m'accufe efl un délateur ; il fait qu'il n'attaque pas feule- ment l'Auteur mais l'homme , il fait que ce

qu'il

LETTRE. rf

jqu*il écrit peut influer fur mon fort (3) ; ce ïieû plus à ma feule réputation qu'il en veut, c'efl à mon honneur à ma liberté , à ma vie.

Ceci i MonOeur j nous ramené tout d'un coup à l'état de la queflion dont il me paroic que le public s'écarte. Si j'ai écrit des choies répréhenfibles on peut m'en blâmer , on peut fupprimer le Livre. Mais pour le flétrir, pour

(3) îl y ^ quelques années qu'à la première ap* parition d'un Livre célèbre je réfolus d'en attaquer les principes, que je trouvois dangereux. J'exécu- tois cette entreprife quand j'appris que l'Auteur é- toit pourfuivi. A l'inftant je jettai mes feuilles au feu , jugeant qu'aucun devoir ne pouvoit autorifer la baflefTe de s'unir ^V la fôulè pour accabler un homme d'honneur opprimé. Quand tout fut pacifié j'eus occafion de dire mon fentîment fur le même fujet dans d'autres Ecrits ; mais je l'ai dit fans nom- mer le Livre ni l'Auteur. J'ai cru devoir ajouter ce refpeâ; pour fon malheur à l'eftime que j'eus toui jpurs pour fa perfonne. Je ne- crois point que cette façon de penfcr me foit particulière; elle ell com- mune à toiis les honnêtes gens. Sitôt qu'une affaire eft portée au criminel , ils doivent fe taire, à moin» qu'ils ne foient appelles pour témoigner.

Partie L B ^^^^.1

tS P R E M î Ê R' Ê

'jîi'attaquer pcrfonnellement , il faut plus ; la fad^ ^e ne fufGt pas, il faut un délit, un crime; faut que j'aye écrit à mauvaife intention un Li^ fvre pernicieux , & que cela foit prouvé , non Éomme un Auteur prouve qu'un autre Auteur {fè xrompe , mais comme un accufateur doit convaincre devant le Juge l'accufé. Pour être traité comme un malfaiteur il faut que je fois convaincu de l'être. C'efl: la première queflion

r

qu il s'agit d'examiner. La féconde , en fuppo- ûHt l6 délit conftaté , efl d'en fixer la nature , te lieij il a été commis, le tribunal qui doit fil? J9ger,-Ia,]i:-9i qui le condanne, & la peine ^hi'tlbit le'fiiïriiÇ' Ç<^s deux queflions une fois réfolues décideront H jfai lété trâiïé juftement

':'J "-:.■ ' ' '

OU. non. icoq 333,-^ -i:

~''Pour favoir fi j'ai écrit des Livres pernicieux il faut en examiner les principes , & voir ce qu'il en réfulferoit fi ces principes étoient ad- piis. Comme j'ai tjaité beaucoup do matier^rs^

LETTRE. ip

•je dois me reflraindre à celles fur lefquelles je fuis pourfuivi , favoir , la Religion & le Gouvernement. Commençons par le premier article , à l'exemple des juges qui ne fe font pas expliqués fur le fécond.

On trouve dans l'Emile la profelTion de foi d'un Prêtre Catholique , & dans l'Héloïfe celle d'une femme dévote : Ces deux Pièces s'accor- dent afTez pour qu'on puifîe expliquer l'une par l'autre , & de cet accord on peut préfumer a- vec quelque vraifemblance que fi l'Auteur qui a publié les Livres elles font contenues ne les adopte pas en entier l'une & l'autre, du moins il les favorife beaucoup. De ces deux profeffions de foi la première étant la plus é- tendue & la feule l'on ait trouvé le corps du délit , doit être examinée par préférence. Cet examen, pour aller à fon but, rend en- core un éclairciflement néceflaire. Carrcmar- B 2

20 PREMIERE

quez bien qu'édaircir & diflirguer les pror pofitions que brouillent & confondent mes accufateurs , c'efl leur répondre. Comme ils difputent contre l'évidence, quand la quef- tion ell bien pofée, ils font réfutés.

Je diftingue dans la Religion deux parties , outre la forme du culte, qui n'eft qu'un céré- monial. Ces deux parties font le dogme & la morale. Je divife les dogmes encore en deux parties ; favoir , celle qui pofant les principes de nos devoirs fcrt de bafe à la morale, & celle qui , purement de foi , ne contient que des dogmes fpéculatifs.

De cette divifion , qui me paroit exa6le , réfulte celle des fcntimens fur la Religion d'une part en vrais faux ou douteux, & de l'autre en bons mauvais ou indiiférens.

T^e jugement des premiers appartient à la raifon feule , & fi les Théologiens s'en font em- parés 5 c'cft comme raifonneurs , c'cft comme

LETTRE. u

profefTeurs de la fcience par laquelle on par- vient à la connoiflance du vrai & du faux en matière de foi. Si l'erreur en cette partie efl nuifible, c'eft feulement à ceux qui errent , & c'efl feulement un préjudice pour la vie à ve- nir fur laquelle les Tribunaux humains ne peu- vent étendre leur compétence. Lorlqu ils con- noiffent de cette matière , ce n'eft plus comme Juges du vrai & du faux , mais comme Mi- niilres des Loix civiles qui règlent la forme extérieure du culte : il ne s'agit pis encore ici de cette partie; il en fera traite ci- après.

Quant à la partie de la Religion qui regar- de la morale , c'eft-à-dire , la juftice , le bien public, l'obéiifance aux Loix naturelles & po- (itives , les vertus fociales & tous les devoirs de l'homme & du Citoyen , il appartient au Gouvernement d'en connoître : c'eft en ce point feu] que la Religion rentre directement B3

ri^2 PREMIERE

fous fa jurifdiflion , & qu'il doit^bannir , non Terreur , dont il n'efl pas juge , mais tout fen- timent nuifible qui tend à couper le nœud fo- çial

Voila, Monfieur, I^ dillinftion que vous a- vez à faire pour juger de cette Pièce , portée îiu Tribunal , non des Prêtres , mais des Ma- gillrats. J'avoue qu elle n'efl pas toute affir- mative. On y voit des objections & des dou- tes. Pofons, ce qui n'efl pas, que c^s doutes foient des négations. Mais elle eft affirmative ^ans fa plus grande partie ; elle efl affirmative & démonllrative fur tous les points fondamen- taux de la Religion ci\'ile ; elle efl tellement décifive fur tout ce qui tient à la Providence éternelle, a l'amour du prochain, à la juftice, 51 la pa'S , au bonheur des hommes, aux Loix çle la focic'té , à toutes les vertus , que les oh- je^ions les dQ.ites menées y ont pçiir objôc

LETTRE. ^3

quelque avantage , & je défie qu'on m'y mon-' tre un feul point de do6lrine attaqué que je nç' prouve être nuifible aux hommes ou par lui-) même ou par fes inévitables effets.

La Religion efl utile & même n^ceffaire aux Peuples. Cela n'efl: il pas dit foutenu prou-/ dans ce même Ecrit ? Loin d'attaquer leS' vrais principes de la Religion, l'Auteur les po-, fe les affermit de tout fon pouvoir ; ce qu'il at-, taque , ce qu'il combat , ce qu'il doit combat-, tre , c'efl le fanatifme aveugle , la fuperflitiori cruelle , le ftupide préjugé. Mais il faut , di-» fent-iîs , refpecter tout cela. Mais pourquoi? Parce que c'efl ainfi qu'on mené les Peuples^ Oui , c'efl: ainfi qu'on les mené à leur perte, La fuperftition efl le plus terrible fléau du gen-» re humain ; elle abbrutit les fimples , elle per- fécute les fages, elle enchaîne les Nations, el-5 ^e fait par tout cent maux effroyables : que^

B4

i4 PREMIERE

bien fait-elle ? Aucun ; fi elle en fait , c'efl aux Tyrans ,• elle eft leur arme la plus terrible , & cela même efl le plus grand mal qu elle ait jamais fait.

Ils difent qu'en attaquant la fuperflition je Veux détruire la Religion même : comment le favent-ils ? Pourquoi confondent - ils ces deux caufes , que je diflingue avec tant de foin? Comment ne voyent-ils point que cette impu- tation réfléchit contre eux dans toute ia force, & que la Religion n'a point d'ennemis plus terribles que les défenfeurs de la fuperflition? Il feroit bien cruel qu'il fut fi aifé d'inculper l'intention d'un homme , quand il efl (i diffici- le de la juflifier. Par cela même qu'i^ n'efl pas prouvé qu'elle efl mauvaife , on la doit juger bonne. Autrement qui pourroit être à l'abrî des JL'gemens arbitraires de fes ennemis ? Quoi î leur (impie affirmation fait preuve de ce qu'ilj

LETTRE. 15;

ne peuvent favoir, & la mienne, jointe à tou- te ma conduite , n'établit point mes propres fentimens? Quel moyen me refte donc de les faire connoître ? Le bien que je fens dans mon cœur je ne puis le montrer, je l'avoue ; mais quel eft l'homme abominable qui s'ofe vanter d'y voir le mal qui n'y fut jamais ?

Plus on feroit coupable de prêcher l'irrelî- gion , dit très bien M. d'Alembert , plus il eft criminel d'en acculer ceux qui ne la prêchent- pas en effet. Ceux qui jugent publiquement de mon Chriftianifme montrent feulement l'ef- pece du leur , & la feule chofe qu'ils ont prou- vée efl: qu'eux & moi n'avons pas la même Religion. Voila précifément ce qui les fâche: on fent que le mal prétendu les aigrit moins que le bien même. Ce bien qu'ils font forcé» de trouver dans mes Ecrits les dépite & les jgêne ; réduits à le tourner en mal encore , ilç

B5

a6 P R E M I E R F

fentent qu'ils fe découvrent trop. Combien il» feroient plus à leur aife fi ce bien n'y étoiG pas!

Quand on ne me juge point fur ce que j'ai dit, mais fur ce qu'on afTure que j'ai voulu di-^ re , quand on cherche dans mes intentions le mal qui n'eft pas dans mes Ecrits, que puis-j2 faire? ils démentent mes difcours par mes pen- fées ; quand j'ai dit blanc ils affirment que j voulu dire noir ; ils fe mettent à la place de Dieu pour faire l'œuvre du Diable ; comment dérober ma tête à des coups portés de fi haut ?

Pour prouver que l'Auteur n'a point eu l'horrible intention qu'ils lui prêtent je ne vois qu'un moyen; c'eft d'en juger fur l'Ouvrage. Ahl qu'on en juge ainfi, j'y confens ; mais cette tâche n'eft pas la mienne, & un exa-i jnen fuivi fous ce point de vue feroit de m^ part une indignité. Non, Monfieur, il n'y «

LETTRE. 27

ni malheur ni flétriflure qui puiflènt me rédui- re à cette abjeftion. Je croirois outrager l'Au* reur l'Editeur le Le6leur même , par une jufli- fication d'autant plus lionteufe qu'elle efl: plus- facile ; c'eft dégrader la vertu que montrer qu'elle n'eflpas un crime; c'efl obfcurcir l'évi- dence que prouver qu'elle efl la vérité. Non, lifez & jugez vous-même. Malheur à vous, fi, durant cette lefture , votre cœur ne bénit pas cent fois l'homme vertueux ferme qui oie inftruire ainfi les humains !

Eh ! comment me réfoudrois -je à jaftifier cet ouvrage ? moi qui crois eifacer par lui les fautes de ma vie entière; moi qui mets les maux qu'il m'attire en compenfation de ceux que j'ai faits, moi qui, plein de confiance ef- pere un jour dire au Juge Suprême : daigne ju- ger dans ta clémence un homme foibîe ; j'ai fait le mal fur la terre, mais j'ai publié cet E^ crit.

$S PREMIERE

Mon cher Monfieur , permettez à mon cœur gonflé d'exhaler de tems en tcms fes foupirs; mais foyez fur que dans mes difcuffions je ne mêlerai ni déclamations ni plaintes. Je n'y mettrai pas même la vivacité de mes adverfai- res ; je raifonnerai toujours de fan g - froid. Je reviens donc.

Tâchons de prendre un milieu qui vous fa- tisfafle , & qui ne m'avilifle pas. Suppofons un moment la profeffion de foi du Vicaire adop- tée en un coin du monde Chrétien , & voyons ce qu'il en réfulteroit en bien & en mal. Ce ne fera ni l'attaquer ni la défendre; ce fera la juger par fes effets.

Je vois d'abord les chofes les plus nouvelles fans aucune apparence de nouveauté ; nul chan- gement dans le culte & de grands changement dans les cœurs, des converficns fans éclat, de foi fans difpute, du zèle fans fanatifme, dg

LETTRE. 2V,

la raifon fans impiété , peu de dogmes & beaucoup de vertus , la tolérance du philofo- phe & la charité du Chrétien.

Nos profélytes auront deux règles de foi qui n'en font qu'une , la raifon & l'Evangile ; la féconde fera d'autant plus immuable qu'elle ne fe fondera que fur la première , & nulle- tnent fur certains faits , lefquels ayant befoin d'être atteflés , remettent la Religion fous l'au- torité des hommes, ,

Toute la différence qu'il y aura d'eux aux autres Chrétiens eft que ceux-ci font des gens qui difputent beaucoup fur l'Evangile fans fe foncier de le pratiquer, au lieu que nos gens «'attacheront beaucoup à la pratique , & ne difputeront point.

Quand les Chrétiens difputeurs viendront leur dire. Vous vous dites Chrétiens fans l'ê- tre j car pour être Chrétiens jl faut croire eo

|o PREMIERE

Jéfus - Chrifl , & vous iïy croyez point ; les

Chre' tiens paifibles leur répondront: Nous

,, ne favons pas bien ïî lioiis droyons en Jé-

fus-Chrift dans votre idée^ parce que nous

\l ne rèfïténdbns pas. Mais nous tâchons d'ob-

7,' TctveY ce "qu'il hoUs prefcrit. Nous fommes

Chrëtiehs',' chacuns à notre manière , nous

*„ en gardant fa parole, & vonyen croyant ëh

lui. Sa charttë veut quéîioûs foyons touî!

5, frères , nous la fuivons eîl vous admettant

%y pour tels; pour l'amour de lui ne nous ôtez

'V, pas'un' titre' que nous honorons de toutes

nos forces & qui nous eft aufli cher qu'à

»

?>

vous.

; t'Jii^t.^él '.\i -^i

"'■"Les Chrétiens difputeurs infilleront fans dai> te. En vous renommant de Jéfus il fau droit 'nous dire à quel titre? Vous gardez, dites- Vous, fa parole, mais quelle autorité lui doiî* pez-vous ? ReconnoiiTez-vouS h Révélation?

L ' E^^ 1? t Ef fe 1^

Ne la reconnoilTez-vous pas? Admettez - vous -l'Evangile eh entier , ne l'admettez- vous qu'eu jiartie? Sur quoi fondez- vous ces diftinftions ? Plaifans Chrétiens , qui marchandent avec le maître , qui choifilTent dans fa doftrine ce qu'il leur plait d'admettre & de rejetter!

A cela les autres diront paifiblement. Mes >, frères , nous ne marchandons point ; car -„ notre foi n'eft pas un commerce: Vous fup- pofez qu*il dépend de nous d'admettre ou de ii^ rejetter comme il nous plait; maïs cela n'eft „^pas,' & notre raifon n'obéit point à notre ■„ volonté. Nous aurions beau vouloir que ce >, qui nous paroit faux nous parut vrai , il '„ nous parôitroit faux malgré nous. Tout ce ^, qui dépend de nous eil: de parler félon notre >, penfée ou contre notre penfée, & notre fenî ), crime eft de ne vouloir pas vous tromper, ' Nous reconnoiflbns l'autorité de Jéfusf

. } n

^2 P R E M I Ë R- E

,^ Ghrill , parce que notre intelligence acquief^ ,,, ce à Tes préceptes & nous en découvre la fubiimité. Elle nous dit qu'il convient aux hommes de fuivre ces préceptes, mais qu'il étoit au defîlis d'eux de les trouver. Nous admettons la Révélation comme émanée de 3, TEfprit de Dieu , fans en favoir la manière, .„ & fans nous tourmenter pour la découvrir: pourvu que nous fachions.que Dieu a parlé, 5, peu nous importe d'expliquer comment ii s'y efl: pris pour fe faire entendre. Ainlî re- connoiiTant dans l'Evangile l'autorité divi- ne, nous croyons Jéfus-Chrift revêtu de cet- te autorité ; nous reconnoilTons une verti4 5, plus qu'humaine dans fa conduite , & une fageffe plus qu'humaine dans fes leçons. Voila ce qui efl: bien décidé pour nous, j, Comment cela s'efl:-il fait ? Voila ce qui ne l'eft: pj^s j cela nous pafle. Cela ne vous paf-

fe

n

LETTRE. 35

5, fepas, vous; à la bonne heure; nous vous en félicitons de tout notre cœur. Votre rai- Ton peut être fupérieure à la nôtre ; mais ce n'ed pas à dire qu'elle doive nous fervir de Loi. Nous confentons . que vous fâchiez tout ; foufFrez que nous ignorions quelque chofe.

„,Vous nous demandez 11 nous admettons tout l'Evangile ; nous admettons tous les enfeignemens qu'a donné Jéfus-Chrifl:. L'u- tilité la néceffité de la plupart de ces enfei- j, gnemens nous frape & nous tâchons de nous y conformer. Quelques - uns ne font: pas à notre portée ; ils ont été donnés fans ,, doute pour des efprits plus intelligens que nous. Nous ne croyons point avoir atteinc les, limites de la raifon humaine , & les hommes plus pénétrans ont befoin de pré* ,, ceptes plus élevés.

Partie L C

34- PREMIERE

5, Beaucoup de chofes dans l'Evangile paf- ,j fent notre raifon , & même la choquent ; nous ne les rejettons pourtant pas. Con- vaincus de la foiblefle de notre entende- ment , nous favons refpeder ce que nous ne pouvons concevoir, quand l'afTociation de ce que nous concevons nous le fait ju- ger fupérieur à nos lumières. Tout ce qui 5, nous efl: néceflaire. h favoir pour être faints nous paroit clair dans l'Evangile ; qu'avons- nous befoin d'entendre le refte ? Sur ce j, point nous demeurerons ignorans mais ex* cmpts d'erreur, & nous n'en ferons pas moins gens de bien ; cette humble réferve elle-même efl l'efprit de l'Evangile.

Nous ne refpeftons pas précifément ce Livre Sacré comme Livre, mais comme la parole & la vie de Jéfus - Chrifl:. Le carac- tere de vérité de fagefle & de fainteté qui

LETTRE. 35

j, s'y trouve nous apprend que cette hifloirc n'a pas été eflenciellement altérée (4) , mais il n'efl; pas démontré pour nous qu'elle ne l'ait point été du tout. Qui fait û les cho- fes que nous n'y comprenons pas ne font point des fautes gliffées dans le texte ? Qui fait fi des Difciples fi fort inférieurs à leur maître l'ont bien compris & bien rendu par tout ? Nous ne décidons point là-deflus, 5, nous ne préfumons pas même , & nous ne vous propofons des conjeftures que parce que vous l'exigez.

Nous pouvons nous tromper dans nos 5, idées , mais vous pouvez auffi vous tromper j, dans les vôtres. Pourquoi ne le pourriez-

(4) en feroient les fimples fidelles, fi l'on ne pouvoit favoir cela que par des difculîîons de critique, ou par l'autorité des Pafteurs ? De quel front ofe-t-on faire dépendre la foi de tant de fcien- ce ou de tant de foumiflion?

C 2

36 PRE M 1ERE

vous pas étant hommes ? Vous pouvez avoir autant de bonne foi que nous , mais vous 5, n'en fauriez avoir davantage : vous pouvez être plus éclairés , mais vous n'êtes pas in- faillibles. Qui jugera donc entre les deux partis ? fera- ce vous ? cela n'ell pas jufte. Bien moins fera-ce nous qui nous défions fi fort de nous-mêmes. LaifTons donc cette décifion au juge commun qui nous entend , 5, & puifque nous fommes d'accord fur les re- ,„ gles de nos devoirs réciproques , fupportez- 5, nous fur le refle, comme nous vous fuppor- tons. Soyons hommes de paix , foyons fre- res ; unifions - nous dans l'amour de notre commun maître , dans la pratique des ver- tus qu'il nous prefcrit. Voila ce qui fait le vrai Chrétien.

Que fi vous vous obflinez à nous refufcr ce précieux titre j après avoir tout fait pour

LETTRE. 37

,, vivre fraternellement avec vous, nous nous 5, confolerons de cette injuftice , en fongeant 5, que les mots ne font pas les chofes , que les premiers difciples de Jëfus ne prenoient point le nom de Chrétiens , que le martir Etienne ne le porta jamais , & qye quand Paul fut converti à la foi de Chrill , il n'y avoit encore aucuns Chrétiens (5) fur Ja terre."

Croyez- vous, Monfieur, qu*une controver- fe ainfi traitée fera fort animée & fort longue', & qu'une des Parties ne fera pas bientôt ré- duite au filence quand l'autre ne voudra point difputer.

Si nos Profélytes font maîtres du pays ils rivent , ils établiront une forme de culte aufïï fimpleque leur croyance, & la Religion qui

(5) Ce nom leur fut donné quelques années près à Aucioche pour la première fois.

C3

38 PREMIERE

réfultera de tout cela fera la plus utile aux hommes par fa fimplicité même. Dégagée de tout ce qu'ils mettent à la place des vertus , & n'ayant ni rites fuperflitieux , ni fubtilités dans la do6lrine elle ira toute entière à fon vrai but, qui efl: la pratique de nos devoirs. Les mots de dévot & ^orthodoxe y feront fans ufage ; la monotonie de certains fons articulés n'y fera pas la piété ; il n'y aura d'impies que les mé- dians , ni de lidelles que les gens de bien.

Cette inflitution une fois faîte , tous feront obligés par les Loix de s'y foumettre , parce qu'elle n'efl point fondée fur l'autorité des hommes , qu'elle n'a rien qui ne foit dans l'or- dre des lumières naturelles , qu'elle ne contient aucun article qui ne fe rapporte au bien de la fociété , & qu'elle n'efl: mêlée d'aucun dogme inutile à la morale , d'aucun point de pure fpéculation.

LETTRE. 39

Nos Profélytes feront-ils intolérans pour ce- la? Au contraire, ils feront toJérans par prin- cipe , ils le feront plus qu'on ne peut l'être dans aucune autre doftrine , puifqu'ils admet- tront toutes les bonnes Religions qui ne s'ad- mettent pas entre elles , c'efl-à-dire , toutes cel- les qui ayant l'eflenciel qu'elles négligent , font l'effenciel de ce qui ne l'eft point. En s'atta^ chant , eux , à ce feul eflenciel , ils laifleront les autres en faire à leur gré l'acceflbire , pour- vu qu'ils ne le rejettent pas : ils les laifferonB expliquer ce qu'ils n'expliquent point , décider ce qu'ils ne décident point. Ils laifferont à cha- cun fes rites , fes formules de foi , fa croyan- ce : ils diront ; admettez avec nous les princi- pes des devoirs de l'homme & du Citoyen ; du relie , croyez tout ce qu'il vous plaira. Quant aux Religions qui font eflenciellement mauvai- fes , qui portent fhomme à fau^e le mal , ils ne C4

40 PRt^MIERE

les toléreront point ; parce que cela même ed contraire à la véritable tolérance , qui n'a pour but que la paix du genre humain. Le vrai to- lérant ne tolère point le crime , il ne tolère aucun dogme qui rende les hommes méchans.

Maintenant fuppofons au contraire, que nos Profélytes foient fous la domination d'autrui: comme gens de paix ils feront foumis aux Loix de leurs maîtres , même en matière de Reli- gion , à moins que cette Religion ne fut eifen- ciellement mauvaife ; car alors , fans outrager ceux qui la profeffent , ils refuferoient de la ■profefTer. Ils leur diroient; puifoue Dieu nous appelle à la fervitude , nous voulons être de bons ferviteurs , & vos fentimens nous empê- cheroient de l'être ; nous connoiffons nos de- voirs nous les aimons , nous rejettons ce qui nous en détache ; c'eft afin de vous être fidel- les que nous n'adoptons pas la Loi de l'iniquité.

Mais û Ja Religion du pays eft bonne en d-

LETTRE. 4J

le -même, & que ce qu'elle a de mauvais foit feulement dans des interprétations particuliè- res , ou dans des dogmes purement fpéculatifs ; ils s'attacheront à l'eflenciel & toléreront le refle , tant par refpeél pour les Loix que par amour pour la paix. Qiiand ils feront appelles à déclarer exprefTément leur croyance , ils le feront , parce qu'il ne faut point mentir ; ils diront au befoin leur fentiment avec fermeté, même avec force; ils fe défendront par la rai- fon fi on les attaque. Du refle , ils ne difpu- teront point contre leurs frères , ôc fans s'ob- fliner à vouloir les convaincre , ils leur refe- ront unis par la charité , ils affifleront à leurs aflemblées , ils adopteront leurs formules , & ne fe croyant pas plus infaillibles qu'eux , ils fe foumettront à l'avis du plus grand nombre, en ce qui n'intéreffe pas leur confcience & ne kur paroit pas importer au falut.

42 PREMIERE

Voila le bien , me direz - vous , voyons le mal. Il fera dit en peu de paroles. Dieu ne fera plus l'organe de la méchanceté des hom- mes. La Religion ne fer vira plus d'inflrument à la tyrannie des gens d'Eglife & à la vengean-». ce des ufurpateurs ; elles ne fervira plus qu'à rendre les croyans bons & juftes ; ce n'efl: pas le compte de ceux qui les mènent : c'efl pis, pour eux que fi elle ne fervoit à rien.

Ainfi donc la doftrine en queflion efl bon- ne au genre humain & mauvaife à fes oppref- feurs. Dans quelle clafle abfolue la faut-il met- tre? J'ai dit fidellement le pour & le contre; comparez & choififfez.

Tout bien examiné , je crois que vous con- viendrez de deux chofes : l'une que ces hom- mes que je fuppofe fe conduiroient en ceci très conféquemment à la profeffion de foi du Vicaire j l'autre que cette conduite feroit non

LETTRE. 4.3

feulement irréprochable mais vraiment chré- tienne , & qu'on auroit tort de refufer à ces hommes bons & pieux le nom de Chrétiens; puifqu'ils le mériteroient parfaitement par leur conduite , & qu'ils feroient moins oppofés par leurs fentimens à beaucoup de fe£les qui le prennent & à qui on ne le difpute pas , que plufieurs de ces mêmes fe6les ne font oppofées entre elles. Ce ne feroient pas , 11 l'on veut, des Chrétiens à la mode de Saint Paul qui étoit naturellement perfécuteur , ^ qui n'avoit pas entendu Jéfus-Chrifl: lui-même; mais ce fe- roient des Chrétiens à la mode de Saint Ja- ques , choifi par le maître en perfonne & qui avoit reçu de fa propre bouche les inftruftions qu'il nous tranfmet. Tout ce raifonnement efl bien fimple, mais il me paroit concluant.

Vous me demanderez peut-être comment on peut accorder cette do6i:rine avec celle d'un homme qui dit que l'Evangile eft abfurde

44 PREMIERE

& pernicieux à la fociété ? En avouant fran- chement que cet accord me paroit difficile, je vous demanderai à mon tour eft cet hom- me qui dit que l'Evangile efl: abfurde & perni- cieux ? Vos Meffieurs m'accufent de l'avoir dit ; & ? Dans le Contradt Social au Chapi- tre de la Religion civile. Voici qui efl: fingu- lier ! Dans ce même Livre & dans ce même Chapitre je penfe avoir dit précifément le con- traire: je penfe avoir dit que l'Evangile efl: fu- blime & le plus fort lien de la fociété (6). Je ne veux pas taxer ces Mefl!ieurs de menfonge ; mais avouez que deux propofitions fl contrai- res dans le même Livre & dans le même Cha- pitre doivent faire un tout bien extravagant. N'y auroit-il point ici quelque nouvelle é- quivoque , à la faveur de laquelle on me rendit

(6) Contrat Social I^IV. Chap. 8. p. 3io- 311. de l'Edition in 8.

LETTRE. Is

plus coupable ou plus fou que je ne fuis ? Ce mot de Société préfente un fens un peu vague : il y a dans le monde des fociétés de bien des fortes, & il n'eft pas impoffible que ce qui ferc à Tune nuife à l'autre. Voyons : la méthode fa- vorite de mes aggreffeurs efl: toujours d'offrir avec art des idées indéterminées ; continuons |)0ur toute réponfe à tâcher de les fixer.

Le Chapitre dont je parle efl defliné, com- me on le voit par le titre , à examiner com- ment les inflitutions religieufes peuvent entrer dans la conftitution de l'Etat. Ainfi ce dont il s'agit ici n'eft point de confidérer les Reli- gions comme vrayes ou faufles , ni même com- me bonnes ou mauvaifes en elles-mêmes , mais de les confidérer uniquement par leurs rapports aux corps politiques , & comme parties de la Légiflation.

Dans cette vue, l'Auteur fait voir que tour

4<< PREMIERE

tes les anciennes Religions , fans en excepter la juive , furent nationnales dans leur origine , appropriées incorporées à l'Etat , & formant la bafe ou du moins faifant partie du Syfteme le'giflatif.

Le Chriilianifme , au contraire , efl dans fon principe une Religion univerfelle , qui n'a rien d'exclufif, rien de local, rien de propre à tel pays plutôt qu'à tel autre. Son divin Au- teur embraffant également tous les hommes dans fa charité fans bornes, eft venu lever la barrière qui féparoit les Nations , & réunir tout le genre humain dans un peuple de frè- res : car en toute Nation celui qui le craint ^ qui s'adonne à la jujlice lui cjl agréable (7). Tel efl: le véritable efprit de l'Evangile.

Ceux donc qui ont voulu faire du Chriftia- -

(7) Aa. X. 35.

L E T T R E„ 47

nifirie ' une Religion nationnale & l'introduire comme partie conflitutive dans le fyftême de la Légiflation , ont fait par deux fautes, iiuifibles, l'une à la Religion, & l'autre à l'E- tat. Ils fe font écartés de Tefprit de Jéfus- Chrifl: dont le règne n^efl: pas de ce monde , & mêlant aux intérêts terreflres ceux de la Reli- gion , ils ont fouillé fa pureté célefte , ils en ont fait l'arme des Tyrans & l'inftrument des perfécuteurs. Ils n'ont pas moins bleffé les faines maximes de la politique , puifqu'au lieu de Amplifier la machine du Gouvernement , ils l'ont compofée , ils lui ont donné des reflbrts étrangers fuperflus , & l'affujetiflant à deux mobiles différens , fouvent contraires , ils ont caufé les tiraillemens qu'on fent dans tous les Etats chrétiens l'on a fait entrer la Reli- gion dans le fyftême politique.

Le parfait Chriftianifme eft l'inftitution fo-

48 PREMIERE

ciale iiniverfelle ; mais pour montrer qu'il n'eft point un établifTement politique & qu'il ne concourt point aux bonnes inftitutions parti- culières , il falloit ôter les Sophifmes de ceux, qui mêlent la Religion à tout , comme une pri- fe avec laquelle ils s'emparent de tout. Tous les établifTemens humains font fondés fur les paffions humaines & fe confcrvent par elles: ce qui combat & détruit les paffions n'efl; donc pas propre à fortifier ces établiflemens. Com-. ment ce qui détache les cœurs de la terre nous donneroit-il plus d'intérêt pour ce qui s'y fait ? comment ce qui nous occupe uniquement d'ur ne autre Patrie nous attacheroit-il davantage à ©elle -ci?

Les Religions nationnales font utiles à l'E- tat comme parties de fa conllitution , cela ell inconteftable ; mais elles font nuifibles au Gen- re humain , & même à l'Etat dans un autre

fens;

L E T T R E. i^

. fens: j'ai montré comment & pourquoii

Le Chriflianirme ^ au contraire , rendant les hommes juites modérés amis de la paix , eft très avantageux à la fociété générale ; mais ii .énerve la force du rcflbrt politique , il com- plique les mouvemens tle la machine, il rompt l'unité du corps moral , & ne lui étant pas af- fez approprié il faut qu'il dégénère ou qu'il de- meure une pièce étrangère & embarrallante.

Voila donc un préjudice & des inconvéniens des deux côtés relativement au corps politi- que. Cependant il importe que l'Etat ne foie pas fans Religion , & cela importe par des rai- fons graves , fur lefquelles j'ai par tout forte- ment infiflé : mais il vaudroit mieux encore n'en point avoir , que d'en avoir une barbare & perfécutante qui , tyrannifant les Loix m.ê" mes ) contrarieroit les deroirs du Citoy-en. Ou diroit que tout ce qui s'efi palTé dans Genève partie I. D

^0 PREMIERE

à mon égard n'efl fait que pour établir ce Cha* pitre en exemple , pour prouver par ma pro- pre liiftoire que j'ai très bien raifonné.

Que doit faire un fage Légiflateur dans cet- te alternative? De deux chofes l'une. La pre- mière , d'établir une Religion purement civi- le , dans laquelle renfermant les dogmes fonda- mentaux de toute bonne Religion , tous le» dogmes vraiment utiles à la fociété , foit unî- verfelle foit particulière , il omette tous les au* très qui peuvent importer à la foi , mais nulle- ment au bien terreftre , unique objet de la Lé- giflation : car comment le myflère de la Tri- nité , par exemple , peut-il concourir à la bon- ne conftitution de l'Etat , en quoi fes membres feront- ils meilleurs Citoyens quand ils auront rejette le mérite des bonnes œuvres , & que fait au lien de la fociété civile le dogme du pcchc originel ? Bien que le vrai Chriftianifmc

LETTRE. ^-jr

foie une inftitution de paix, qui ne voit que le Chriftianifrae dogmatique ou théologique efl, par la multitude & l'obfcurité de Tes dogmes ^ fur-tout par l'obligation de les admettre * un champ de bataille toujours ouvert entre les hommes j & cela fans qu'à force d'interpréta- tions & de décifions on puifle prévenir de nouvelles difputes fur les décilions mêmes?

L'autre expédient eft de lailTer le Chriflia* îiifme tel qu'il efl datis fon véritable efprit , li- bre , dégagé de tout lien de chair , fans autre obligation que celle de la confcience ^ fans au- tre gêne dans les dogmes que les mœurs & les Loix. La Religion Chrétienne efl: , par la pu- reté de fa morale, toujours bonne & faine dans l'Etat , pourvu qu'on n'en fafle pas une partie de fa confl:itution, pourvu qu'elle y foit admi- fe uniquement comme Religion , fentiment. Opinion , croyance 5 mais comme Loi poUtî*

^- F R E M I E R E

que , le Chriftianifme dogmatique efl un mai> vais etablilTement.

Telle eft , Monlîcur , la plus forte confé- ijuence qu'on puilTe tirer de ce Chapitre, où, hi^n loin de taxer le pur Evangile (8) d'être pernicieux à la fociété , je le trouve , en quel- que forte, trop focJable, embrafiant trop tout le genre humain pour une Legiilation qui doit être exclufive ; infpirant l'humanité plutôt que Je patriotifme , & tendant à former des hom- mes plutôt que des Citoyens (9). Si je me fuis

(8) Lettres écrites de la Campagne p. 30. l (9) C'efl: inerveille devoir l'afTortiment de bcnui- fentir.iens quon va noiw entaiTant dans les Livres .-: ïl lïc 'faut potif cefa que des mots , fc les vbrtiis en jpapier ne coûtent gueres; mais, elle?, n^ s'agéncenc: pas tout-à-fait ainfi dans \c coeur de Thomme, & il V a loin des peintures tiax réalités. ''Le-'patïtotifme- éi riiunianité. fontj poi. exemple, deux vertus in- coinpatibîes dnns leur énergie; '& furtout chez un peuple entier. i>e Légifiateur qui, ks voudra toutes, deux n obtiendra ni l'une ni l'autre: cet accord ne SVîft-j-iiiiais-v'ti'- -il ne î"e verra jamais, parce qu'iP

LETTRE. ^^

trompé j'ai fait une erreur en politique, mais ell mon impiété?

La fcience du falut & celle du Gouverne- ment font très différentes ; vouloir que la pre- mière embraffe tout efl un fanatifme de petit efprit ; c'eft penfcr comme les Alchymiftes, qui dans l'art de faire de l'or voyent auffi la médecine univerfelle , ou comme les Maho- rnétans qui prétendent trouver toutes les fcien- ces dans l'Alcoran. La doctrine de l'Evangile n'a qu'un objet ; c'eft d'appeller & fauver tous les hommes; leur liberté, leur bien-être ici- bas n'y entre pour rien , Jefus l'a dit mille fois. Mêler à cet objet des vues terreflres , c'efl al- térer fa fimplicité fublime , c'ed fouiller fa fainteté par dus intérêts humains : c'eit cela qui efl vraiment une impiété.

cf]: contraire à la nature , 6c qu'on ne peut donner deux objets à la même paiîion.

D3

^4 PREMIERE

Ces dîflinclioJîs font de tous tems établies. On ne les a confondues que pour moi feul. En ôtant des Inilitutions narionnales la Religion Chrétienne , je l'établis la meilleure pour le genre humain. L'Auteur de rEfprit des LoLx a fait plus ; il a dit que la mufulmane étoit la meilleure pour les contrées afiatiques. Il rai- fonnoit en politique , & moi auflî. Dans quel pays a-t-on cherché querelle, je ne dis pas 3, l'Auteur, mais au Livre (10)? Pourquoi donc fuis - je coupable , ou pourquoi ne 1 etoit - il pas?

Voila , Monfieur , comment par des extraits jBdelles un critique équitable parvient à con- noître les vrais fentimens d'un Auteur & le

(10) II eft bon de remarquer que le Livre de rEfprit des Loix fut iraprimc pour la première fois â Genève, fans que les Scholavques y truuvaflcnt rien à reprendre, & oue ce fut un Paileur qui cor- ligca rEdition,

LETTRE. 55

deffein dans lequel il a compofé fon Livre. Qu'on examine tous les miens par cette me'- thode , je ne crains point les jugemens que tout honnête homme en pourra porter. Mais ce n'efl pas ainfî que ces Meflieurs s'y pren- nent , ils n'ont garde , ils n'y trouveroient pas ce qu'ils cherchent. Dans le projet de me ren- dre coupable à tout prix , ils écartent le vrai but de l'ouvrage ; ils lui donnent pour but cha- que erreur chaque négligence échapée à l'Au- teur, & fi par hazard il laifle un pafTage équi- voque , ils ne manquent pas de l'interpréter dans le fens qui n'efl pas le fien. Sur un grand champ couvert d'une moilTon fertile, ils vont triant avec foin quelques mauvaifes plantes, pour accufer celui qui l'a femé d'être un em- poifonneur.

Mes propofitions ne pouvoîent faire aucun mal à leur place ; elles étoient vraies utiles D4

5^ PREMIERE

honnêtes dans le fens que je leur donnois. Ce font leurs falfifications leurs fubreptions , leurs interprétations fraudaleufes qui les rendent pu- niflables: Il faut les brûler dans leurs Livres, & les couronner dans les miens.

Combien de fois les Auteurs diffamés & le public indigné n'ont -ils pas réclamé contre cette manière odieufe de déchiqueter un ou- vrage , d'en défigurer toutes les parties , d'en juger fur des lambeaux enlevés ça & au choix d'un accufateur infidelle qui produit le mal lui - même , en le détachant du bien qui le corrige & l'explique , en détorquant par tout le vrai fens? Qu'on juge la Bruyère ou la Rochefoucauît fur des maximes ifolées , à ïa bonne heure ; encore fera - 1 - il jufle de comparer & de compter. Mais dans un Li- vre de raifonnement , combien de fens divers ne peut pas avoir la même propofitioii feloà

LETTRE. !^7

. la manière dont l'Auteur l'employé & dont il la fait envifager? Il n'y a peut-être pas une de celles qu'on m'impute à laquelle au lieu je l'ai mife la page qui précède ou celle qui fuit ne ferve de réponfe , & que je n'aye prife en un fens différent de celui que lui donnent mes accufateurs. Vous verrez avant la fin de ces Lettres des preuves de cela qui vous fur- prendront.

Mais qu'il y ait des propofitions faufTes, répréhenfibles , blâmables en elles-mêmes , ce- la fufïit-il pour rendre un Livre pernicieux ? Un bon Livre n'efl pas celui qui ne contient rien de mauvais ou rien qu'on puilTe interpré- ter en mal ; autrement il n'y auroit point de bons Livres : mais un bon Livre eft celui qui contient plus de bonnes chofes que de mauvai- fes, un bon Livre eft celui dont l'effet total -cfl de mener au bien , malgré le mal qui peit D5

S$ PREMIERE

s'y trouver. Eh ! que feroic-ce , mon Dieu i . fi dans un grand ouvrage plein de vérités uti- les, de leçons d'humanité de pieté de vertu, il étoit permis d'aller cherchant avec une mali- gne exaftitude toutes les erreurs, toutes les propofitions équivoques fuipe6tes, ou inconfi- dérées, toutes les inconféquences qui peuvent ëchaper dans le détail à un Auteur furchargé de fa matière , accablé des nombreufes idées qu'elle lui fuggere, diflrait des unes par les autres, & qui peut à peine alTembler dans fa tête toutes les parties de fon valte plan ? S'il étoit permis de faire un amas de toutes fes fautes, de les aggraver les unes par les autres, en rapprochant ce qui cCt épars , en liant ce qui efl ifolé ; puis , taifant la multitude de chofes bonnes & louables qui les démentent qui les expliquent , qui les rachettent , qui fnontrent le vrai but de l'Auteur, de donner ces

LETTRE. 59

affreux receuil pour celui de fes principes, d'a- vancer que c'efl le réfumé de fes vrais fen- timens, & de le juger fur un pareil extrait? Dans quel défert faudroit-il fuir, dans quel an» tre faudroit-il fe cacher pour échaper aux pourfuites de pareils hommes , qui fous l'appît- rcnce du mal puniroient le bien , qui compte- roient pour rien le cœur les intentions, la droi* ture par tout évidente , & traîteroient la faute la plus légère & la plus involontaire comme le crime d'un fcélérat? Y a-t-il un feul Livre au monde , quelque vrai , quelque bon , quel- que excellent qu'il puiffe être qui put échaper à cette infâme inquifition ? Non, Monfieur, il n'y en a pas un , pas un feul , non pas l'E^ vangile même : car le mal qui n'y feroit pas ils fauroient l'y mettre par leurs extraits infidel- Jes , par leurs fauffes interprétations.

Nous vous déferons, oferoient-ils dire, un

'6ù ?R E M I E R E

'Livre fcandakux ^téméraire , impie, dont la mo- rale ejl d'enrichir le riche S de dépouiller le pau- vre Ça) , d'apprendre aux enfans à renier leur îne- re £5* leurs frères (/?), de s' emparer fans fcrupule iu bien d' autrui (c) , de n'inflruire point les mé' chans, de peur qu ils ne fe corrigent ^ qu'ils ne f oient pardonnes (rf) , de hdir père , 7/iere , fem- me, enfans , tous f es proches (e); un Livre 011 Von fouffie par tout le feu de la dif corde (/) , oh Ton fe vante ctarm^r le fils contre le père {g) , les farens l'un contre l'autre (h) , les domefliques contre leun maîtres (î) ; oh Von approuve la vio-

(a) Matth. XIII. i?. Luc XIX. 26.

(b) Matth XII. 48. Marc. III. 33.

(c) Marc. XI. 2. Luc.XlX. 30.

(d) Marc. IV. 12. Jean XII. 40. (0 Luc. XIV. 26.

(J) Matth. X. 34. Luc. XIL 51. 52.

(g) Matth. X. 35. Luc. XIL 53.

{h) Ibid,

Q) Maith. X. 36.

- f E T T K E, •' 6P

Jafîon des Lo'ix (^), oïi Von hnpofe en devoir la ■perfécutiQU (/); ou. pour porter les peuples au bri- gandage on fait du bonheur éternel le prix de la force S Ici conquête des hommes violent (jn).

Figurez -vous une ame infernale analyfant aind tout l'Evangile, formant de cette calom- nieiife analyfe fous le nom de Profeffion de foi évangélique un Ectit qui feroit horreur , & les dévots Pharifiens prônant cet Ecrit d'un air de triomphe comme l'abrégé des leçons de

Jéfus - Chriil. Voila pourtant; jufqu'où peut

\ /

mener cette indigne méthode. (Quiconque

,1 aura lu mes Livres & lira les imputations

de ceux qui m'acculent , qui me jugent, qui me condannent , qui me pourfuivent , ver- ra que c'efl: ainfi que tous m'ont' traité.

{k) Matth. XII. 2. & feqq, (/) Luc. XIV. 23. (wi) Mattih. XI. 12.

6z PREMIERE

Je crois vous avoir prouvé que ces Mef- (jcurs ne m'ont pas jugé félon la raifon ; j'ai maintenant à vous prouver qu'ils ne m'ont pas jugé félon les Loix: mais laifTez-moi repren- dre un infiant haleine. A quels trifles eflais me vois-je réduit à mon âge ? Devois - je ap- prendre fî tard à faire mon apologie? Etoit* ce la peine de commencer?

LETTRE. a

SECONDE LET T R E.

J'ai fuppofé, Monfieur, dans ma précédente Lettre que j'avois commis en effet contre la foi les erreurs dont on m'accufe, & j'ai fait voir que ces erreurs n'étant point nuifîbles à la fociété n'étoient pas puniflables devant h juftice humaine. Dieu s'efl réfervé fa propre défenfe, & le châtiment des fautes qui n'of- fenfent que lui. Cell: un facrilege à des hom- mes de fe faire les vengeurs de la divinité,' comme fi leur proteftion lui étoit néceflaire. Les Magiftrats les Rois n'ont aucune autorité fur les âmes , & pourvu qu'on foit fidelle aux Loix de la fociété dans ce monde , ce n'efl point à eux de fe mêler de ce qu'on deviens dra dans l'autre , ils n*ont aucune inlpec- tion. Si l'on perdoit ce principe de vue , les

«4- SECONDE

\ Loix faites pour le bonheur du genre humain en feroient bientôt le tourment, & fous l.ur inquifition terrible , les hommes , jugés par ieur foi plus que par leurs œuvres , feroicijt ■tous à la merci de quiconque voudroit les opprimer-.

' Si les Loix n'ont nulle autorité fur les fentr- •mens des hommes en ce qui tient uniquement a la Religion , elles n'en ont point non plus en cette partie fur les écrits l'on manifedc ces ientîmens. Si les Auteurs de ces Ecrits font puniiTables , ce n'ed jamais précifément pour avoir en(èigné l'erreur , puifijue la Loi ni fes iminidres ne jugent pas de ce qui n'eft préci- fément qu'une erreur. L'Auteur des Lettres é- crites de la Campagne paroit convenir de ce principe (ri). Peut-être même en accordant

que'

(fi) A cet égard, dit-il page 22, je retrouve af.

LETTRE. C$-

que la Politique & la Philofupbîe pourront foute- mr la liberté de tout écrire , le poufTeroit-il trop loin (o). Ce n'efl: pas ce que je veux exami- mincr ici.

Mais voici comment vos Meflieurs & lui tournent la chofe pour autorifer le jugement rendu contre mes Livres & contre moi. Ils me jugent moins comme Chrétien que comme Citoyen ; ils me regardent moins comme im- pie envers Dieu que comme rebelle aux Loix; .ils voyent moins en moi le péché que le cri- me , & l'héréfie que la defobéifTance. J'ai , fe* Jon eux, attaqué la Religion de l'Etat ; j'aî donc encouru la peine portée par la Loi contre ceux qui l'attaquent. Voila , je crois , le fens

fez mes maximes dajis celles des répréfentations ; & pa- ge 29, il regarde comme mconteftable que perfunns iie peut être pourjmvî pour fes idées fur la Religion. {g) Page 30.

Partie L %

S6 SECONDE

<k ce qu'ils ont dit d'intelligible pour juffcifier leur procédé.

Je ne vois à cela que trois petites difficul- tés. La première , de favoir quelle eft celte Religion de l'Etat ; la féconde, de montrer comment je Tai attaquée ; la troiiieme , de trouver cette Loi félon laquelle j'ai été jugé.

Queft-ce que la Religion de l'Etat? C'eft la fainte Réformation évangélique. Voila fans contredit des mots bien fonnans. Mais qu'ed:- ee à Genève aujourd'hui que la fainte Réforma- tion évangélique? Le fauriez-vous , Monfieur, par hazard ? En ce cas je vous en félicite. Quant à moi, je l'ignore. J avois cru le favoir ci-devant; mais je me trompois ainfi que bien d'autres, plus favans que moi fur tout autre point, & non moins ignorans fur celui-là.

Quand les Réformateurs fe détachèrent de l'Eglife Ilomaiuc ils l'accuferent d'erreur ; &

LETTRE. 67.

pour corriger cette erreur dans fa fource, ils donnèrent à l'Ecriture un autre fens que celui que l'Eglife lui donnoit. On leur demanda de quelle autorité ils s'écartoient ainfi de la doc- trine reçue ? Ils dirent que c'étoit de leur autorité propre, de celle de leur raifon. Ils dirent que le fens de la Bible étant intelli- gible & clair à tous les hommes en ce qui étoit du falut , chacun étoit juge compétent de la doftrine , & pouvoic interpréter la Bi- ble , qui en eft la règle , félon fon efprit par- ticulier ; que tous s'accord croient ainfi fur les chofes effencielles , & que celles fur lefquel- les ils ne pourroient s'accorder ne l'étoienc point.

Voila donc l'eiprit particulier établi pour unique interprète de l'Ecriture ; voila l'autori- té de l'Eglile rejettée; voila chacun mis pour .Ja do6lrine Ibus propre jurifdiftion. Tels

6S SECONDE

font les deux points fondamentaux de la Ré- forme : leconnoître la Bible pour règle de fa croyance , & n'admettre d'autre interprète du fens de la Bible que foi. Ces deux points combinés forment le principe fur lequel les Chrétiens Réformés fe font féparés de l'Egli- fe Romaine , & ils ne pouvoient moins fai- re fans tomber en contradiction ; car quelle autorité interprétative auroient-ils pu fe réfer- ver, après avoir rejette celle du corps de l'E- ■giife?

IMais, dira-t-on, comment fur un tel princi- pe les Réformés ont-ils pu fe réunir ? Com- ment voulant avoir chacun leur façon de peu» fer ont-ils fait corps contre l'Eglife CathoU- 'que? Ils le dévoient faire: ils fe réuniffoient en ceci, que tous reconnoilToient chacun d'eux comme juge compétent pour lui-même. Ils to- léroient & ils dévoient tolérer toiitvs les inter-

LETTRE. C)9

prétations hors une, favoir celle qui ôte la li- berté des interprétations. Or cette unique in- terprétation qu'ils réjettoient étoit celle des Catholiques. Ils dévoient donc profcrire de concert Rome feule , qui les profcrivoit égale- ment tous. La diverfité même de leurs façons de penfer fur tout le refte étoit le lien com- mun qui les uniiToit. C etoierit autant de pe- tits Etats ligués contre une grande PuiiTance, ôc dont la confédération générale n'ôtoit rien à l'indépendance de chacun.

Voila comment la Réformation évangélique s'efl établie , & voila comment elle doit fe confervcr. 11 eft bien vrai que la do6lrine du plus grand nombre peut être propofée à tous, comme la plus probable ou la plus autorifée. Le Souverain peut même la rédiger en formu- le & la prefcrire à ceux qu'il charge d'enfei- gner, parce qu'il faut quelque ordre quelque

70 SECONDE

règle dans les înilruélions publiques , & qu'au fond l'on ne gêne en ceci la liberté de peiTon- ne, puifque nul n'efl forcé d'enfeigner malgré lui : mais il ne s'enfuit pas de-là que les particu- liers foient obligés d'admettre précifément ces interprétations qu'on leur donne & cette doc- trine qu'on leur enfeigne. Chacun en demeure feul juge pour lui-même, & ne reconnoit en cela d'autre autorité que la fienne propre. Les bonnes inftruflions doivent moins fixer le choix que nous devons faire que nous mettre en état de bien choifir. Tel efl le véritable ef- prit de la Reformation ; tel en eft le vrai fon- dement. La raifon particulière y prononce, en tirant la foi de la règle commune qu'elle é- tablit, favoir l'Evangile; & il efl: tellement de VefTence de la raifon d'être libre , que quand elle voudroit s'affcrvir à l'autorité, cela ne dé- pendroit pas d'elle. Portez 'la moindre atteii>-

LETTRE. 71

te à ce principe, & tout révangelifme croule à l'infliant. Qu'on me prouve aujourd'hui qu'en matière de foi je fuis obligé de me foumettre aux décifions de quelqu'un , dès demain je me fais Catholique, & tout homme conféquent & vrai fera comme moi.

Or la libre interprétation de l'Ecriture em- porte non feulement le droit d'en expliquer les paflTages , chacun félon fon fens particulier , mais celui de refier dans le doute fur ceux qu'on trouve douteux, & celui de ne pas com- prendre ceux qu'on trouve incompréhenfibles. Voila le droit de chaque fidelle, droit fur le- quel ni les Fadeurs ni les Magiftrats n'ont rien à voir. Pourvu qu'on refpecle toute la Bible & qu'on s'accorde fur les points capitaux, on vit félon la Réformation évangelique. Le fer-- ment des Bourgeois de Genève n'emporte rien de plus que cela.

E4

72 S E C O N D E

Or je vois déjà vos Dofteurs triompher fur ces points capitaux , 6c prétendre que je m'en écarte. Doucement, MefTieurs, de grâce; ce D'ell pas encore de moi qu'il s'agit, c'efî; de. vous. Sachons d'abord quels font , félon vous , ces points capitaux, lâchons quel droit vous avez de me ccMitraindre à les voir je ne les vois pas , «S: peut-être vous ne les vo- yez pas vous-mêmes. N'oubliez point , s'il vous plait, que me donner vos décifions pour loix, c'eft vous tcartcr de la fainte Réforma- tion évangélique , c'cfl en ébranler les vrais fondemens;. c'eO: vous qui par la Loi méritez punition.

Soit que l'on confidere Yéint politique de votre République lorfque la Réformation fut inflituée, foit que l'on pcfe les termes de vos anciens Edits par rapport à la Religion qu'ils prefcrivent, on voit que la Réformation efl

LETTRE. 73-

par tout mife en oppofition avec l'Eglife Ro- maine , & que les Loix n'ont pour objet que d'abjurer les principes & le culte d-e celle - , deftrudtifs de la liberté dans tous les fens.

Dans cette pofition particulière l'Etat n'e- xiftoit, pour ainfi dire, que par la réparation des deux Eglifes , & la République étoit ané- antie fi le Papifme reprenoit le delïïis. Ainfi la Loi qui fixoit le culte évangélique n'y confi- deroit que l'abolition du culte Romain. C'efl ce qu'attellent les inveftives , même indécen- tes, qu'on voit contre celui-ci dans vos pre- mières Ordonnances, & qu'on a fagement re- tranchées dans la fuite , quand le même danger n'exifloit plus : C'eft ce qu'attefte auffî le fer- ment du Confifloire , lequel confifle unique- ment à empêcher toutes idolâtries^ hhfphènwSy dijjolutions , (^ autres chofes contreve?iantes à rbonneiir de Dieu ^ à la Réformation de /'£• E 5

74 S E C O 'N D E

vangik. Tels font les termes de l'Ordonnance paflee en 1562. Dans la revue de la même Ordonnance en 1576 on mit à la tête du fer- ment , de "cciller fur tous /caudales (p) : ce qui

montre que dans la première formule du fer- ment on n'avoit pour objet que îa féparation de TEglife Romaine ; dans ia fuite on pourvut encore à la police : cela cfl: naturel quand un établiflement commence à prendre de la con- fiftance: Mais enfin dans Tune & dans l'autre leçon, ni dans aucun ferment de Magiftrats , de Bourgeois, de MiniUres , il n'eft queftion ni d'erreur ni d'hércfie. Loin que ce fut l'objet de la Réformation ni des Loix, c'eût été fe mettre en contradiction avec foi- même. Ainfi vos Edits n'ont fixé fous ce mot de Ré' formation que les points controverfés avec TE-

glife Romaine.

(/>) Ordon. Ecclef. Tit. HI. Arr. LXXV.

f

LETTRE. 75

Je fais que votre hifloire & celle en géné- ral de la Réforme eft pleine de faits qui mon- trent une inquifition très févere, & que, de perfécutés les Réformateurs devinrent bientôt perfécuteurs : mais ce contrafle , fi choquant dans toute l'hiflioire du Chriftianifme , ne prou- ve autre chofe dans la vôtre que l'inconfé- quence des hommes & l'empire des paffions fur la raifon. A force de difputer contre le Clergé Catholique, le Clergé Proteûant prit l'efprit difputeur & pointilleux. II vouloit tout décider , tout régler , prononcer fur tout : chacun propofoit modcllement fon fentiment pour Loi fuprême à tous les autres ; ce n'étoit pas le moyen de vivre en paix. Calvin , fans doute , étoit un grand homme ; mais enfin c'c- toit un homme , & qui pis efl , un Théolo- gien : il avoit d'ailleurs tout l'orgueil du génie qui fent fa fupériorité, & qui s'indigne qu'on

-6 SECONDE

la lui difpute : la plupart de fes collègues é- toîent dans le même cas; tous en cela d'autant plus coupables qu'ils étoient plus inconfé- quens.

Auffi quelle prife n'ont-ils pas donnée en ce point aux Catholiques, & quelle pitié nell-ce pis de v^oir dans leurs défenfcs ces favans hommes, ces efprits éclairés qui raifonnoient fi bien fur tout autre article, déraifonner 11 fo- tement fur celui-là ? Ces contradiftions ne prouvoient cependant autre chofc, finon qu'ils fuivoient bien plus leurs pallions que leurs prin- cipes. Leur dure orthodoxie étoit elle-même u- ne héréfie. C'ctoit bien l'cfprit des Réforma- teurs, mais ce n'étoit pas celui de la Réfor- mation.

La Religion Protdlante cil tolérante par principe, elle efl tolérante eflenciellcment, el- îe refl autant qu'il eft pofîible de l'être , puif-

LETTRE. 77

que le feul dogme qu'elle ne tolère pas eft celui de rintolérance. Voila l'infurmontable barrière qui nous fépare des Catholiques & qui réunit les autres communions entre elles ; chacune regarde bien les autres comme étant dans l'erretir; mais nulle ne regarde ou ne doit regarder cette erreur comme un obfta- cle au falut (g).

Les Réformés de nos jours, du moins les Miniftres , ne connoilTent ou n'aiment plus leur Religion. S'ils l'avoient connue & aimc'e, à la publication de mon Livre ils auroient pouffé de concert un cri de joye , ils fe fe-

{q) De toutes les Seétes du ChnTtianifme la Lu- thérienne me paroît la plus inconféquentc. Elle a réuni comme à plaifir contre elle feule toutes les objeétlons qu'elles fe font l'une à l'autre. Elle eft en particulier intolérante comme l'Eglife Romaine; mais le grand argumeat de celle-ci lui manque: elle çft intolérante fans favoir pourquoi.

^^È SECONDE

Toient tous unis avec moi qui n'attaquois quç jeurs adverfaires; mais ils aiment mieux aban- donner leur propre caufe que de foutenir h mienne : avec leur ton rifiblement arrogant , avec leur rage de chicanne & d'intolérance, ils ne favent plus ce qu'ils croyent ni ce qu'ils veu- lent ni ce qu'ils difent. Je ne les vois plus que comme de mauvais valets des Prêtres, qui les fervent moins par amour pour eux que par hai- ne contre moi. (r) Quand ils auront bicndifpu- , bien chamaillé , bien ergoté , bien prononcé ; to'it au fort de leur petit triomphe, le Cierge Romain , qui maintenant rit & les laifle faire, viendra les chafler armé d'argumens ad bomi- nem fans réplique, & lc« battant de leurs pro- pres armes , il leur dira : cela ''ca bien ; mais à

(f) Il efl: alTcz ruperflu, je crois, d'avertir que j'excepte ici mon Paftciir , & ceux qui , fur ce point , penfent comme lui.

LETTRE. 7iî

prêjcnt ùtez-voiis de là, méchans intrus que "vous êtes ; "ùQus na-vez travaillé que pour nous. Je re- viens à mon fujet.

L'Eglife de Genève n'a donc & ne doit a- voir comme Réformée aucune profeffion de foi précife , articulée , & commune à tous fes membres. Si l'on vouloit en avoir une, en cela même on blefleroit la liberté évangelique , on renonccroit au principe de la Réformation , on violeroit la Loi de l'Etat. Toutes les E- glifes Proteftantes qui ont drefle des formules de profeffion de foi , tous les Synodes qui ont déterminé, des points de doftrine, n'ont voulu que prefcrire aux Pafteurs celle qu'ils dévoient enfeigner , & cela étoit bon & con- venable. ]>.lais fi ces Eglifes & ces Synodes ont prétendu faire plus par ces formules , ôi prefcrire aux fidelles ce qu'ils dévoient croire ; alors par de telles décidons ces afTemblées

Sa SECONDE

n'ont prouvé autre chofe , fi non qu'elles igno- rcdent leur propre Religion.

L'Eglife de Genève paroiflbit depuis long- tems s'écarter moins que les autres du vérita- ble efprit du ChriftianifiTie , & c ell fur cette trompeufe apparence que j'honorai Tes Paf- teurs d'éloges dont je les croyois dignes ; car mon intention n'étoit aiTurément pas d'abufer le public. Mais qui peut voir aujourd'hui ces mêmes Minillres , jadis fi coulans & devenus tout à coup fi rigides, chicaner fur l'orthodo- xie d'un Laïque & laiffer h leur dans une û fc-indaleufe incertitude ? On leur demande ù Jéfus-Chrill efl; Dieu, ils n'ofent répondre: on leur demande quels myfleres ils admettent , ils n'ofent répondre. Sur quoi donc répondront- ils , & quels feront les articles fondamentaux , différens des miens , fur lefquels ils veulent qu'on fe décide, fi ceux-là n'y font pas com- pris? Un

LETTRE. St

Un Philofophe jette fur eux un coup d'œil rapide ; il les pénecre , il les voit Ariens , Soci- niens; il le dit, & ptnfe leur faire honneur: mais il ne voit pis qu'il expofe leur intérêt temporel ; la feule cliofe qui généralement dé- cide ici -bas de la foi des hommes.

Auffi tôt allarmés, effrayés, ils s'affemblent^' ils difcutent , ils s'agitent , ils ne favent à quel faint fe vouer ; & après force confultatlons (j-) , délibérations , conférv.nces , le tout abou- tit à un amphigouri l'on ne dit ni oui non , & auquel il efi: auffi peu polllble de rien comprendre qu'aux deux plaidoyés de Rabe- kis (t). La doftrine orthodoxe n'ed elle pas

(s) Qiiand on eji bien décidé fur ce quon croit, difoit à ce fujet un Journalifte , une profejfiun de foi doit être bientôt faite.

(t) 11 y auioit peut-être eu quelque embarras à s'expliquer plus clairement fans être obligés de fc ^retrader fur certaines chofcs.

Partie L F

U SECONDE

bien c'aire , & ne la voila-t-il pas en de fûres mains ?

Cependant parce qu'un d'entre eux compi- Jant force plaifanteries fcliolaftiques auffi bé- nignes qu'élégantes, pour juger mon Cliridia- nifme ne craint pas d'abjurer Je fien ; tout charmés du favoir de leur confrère, & furtout de fa logique , ils avouent Ton do6le ouvrage , & l'en remercient par une députation. Ce font, en vérité, de fingulieres gens que Mes- iieurs vos Miniflres ! on ne fait ni ce qu'ils croyent ni ce qu'ils ne croyent pas ; on ne fait pas même ce qu'ils font femblant de croire: leur feule manière d'établir leur foi eft d'atta- quer celle des autres ; ils font comme les Jé- fuites qui , dit-on , forçoient tout le monde à fjgner la conftitution fans vouloir la liguer eux- mêmes. Au lieu de s'expliquer fur la doctrine qu'on leur impute ils penfent donner le chan-

LETTRE. 83

ge aux autres Eglifes en cherchant querelle à leur propre défenfeur ; ils veulent prouver par leur ingratitude qu'ils n'avoient pas befoin de mes foins, & croyent fe montrer aJGTez Or- thodoxes en fe montrant perfécuteurs.

De tout ceci je concluds qu'il n'eft pas aifé de dire en quoi confifte à Genève aujourd'hui la fainte Réformation. Tout ce qu'on peuC avancer de certain fur cet article efl, qu'ellô doit confifter principalement à rejetter les points conteflés à l'Eglife Romaine par leS premiers Réformateurs , & furtout pai' Calvin. C'efl-là l'efprit de votre inflitution; c'efl par que vous êtes un peuple libre , & c'efl par ce côté feul que la Religion fait chez vo\i9 partie de la Loi de l'Etat.

De cette première queftion je pafle à la féconde , & je dis ; dans un Livre la vérité futilité la necefTité de la Religion en général

F 2

84 SECONDE

■efl établie avec la plus grande force, où, fans donner aucune excliifion (7) , l'Auteur préfère la Religion Chrétienne à tout autre culte, & la déformation évangélique à toute autre fe£le, comment fe peut- il que cette même Réfor- iTiation foit attaquée ? Cela paroit difficile à concevoir. Voyons cependant. ; J'ai prouvé ci-devant en général & je prou- verai plus en détail ci-aprés qu'il n'efl pas vrai que le Chriftianifme foit attaqué dans mon Li- vre. Or lorfque les principes communs ne font pas attaqués on ne peut attaquer en particulier aucune fed:e que de deux manières; favoir, indireftement en foutenant les dogmes diftinc- jtifs de fes adverfaires, ou direftement en at* taquant les fiens.

(u) J'exhorte tout Icftcur équitable à relire u! pefer dans l'Emile ce qui fuit immédiatement la' profeuîoa de foi du Vicaire, & je reprends U parole.

L E T T R É. gjî

Mais comment aurois-je foutena les dogmes diftinftifs des Catholiques , puifqu'au contraire ce font les fculs que j'aye attaqués , & puirqiie'' c'efl cette attaque même qui a foulevé contre moi le parti Catholique , fans lequel il eft iïir que les Protcflans n'auroient rien dit? Voila ^ je l'avoue , une des chofes les plus étranges' dont on ait jamais ouï parler, mais elle n'en- eft pas moins vraie. Je fuis confeffeur de la., foi proteftante à Paris , & c'eft pour cela que je le fuis encore à Genève.

Et comment aurois-je attaqué les dogmes diftin6lifs des Proteftans , puifqu'au contraire ce font ceux que j'ai foutcnus avec le plus de for- ce , puifque je n'ai celTé d'infifler fur l'autorité de la raifon en matière de foi , fur la libre in- terprétation des Ecritures , fur la tolérance é- \'angélique , & fur l'obéiflance aux Loix , mê- ms en matiere.de culte; tous dogmes diftinc-

/

Ç(S SECONDE

tifs & radicaux de l'Eglife Réformée , & fans lefquels , loin d'être folidement établie , el- le ne pourroit pas même exifler.

Il y a plus : voyez quelle force la forme mê- me de l'Ouvrage ajoute aux argumens en fa- veur des Réformés. C'efl un Prêtre Catholi- que qui parle , & ce Prêtre n'efl ni un impie ni un libertin : C'efl: un homme croyant Ôc pieux, plein de candeur , de droiture, & mal- gré fes difficultés fes obje6lions fes doutes , nourriffant au fond de Ton cœur le plus vrai refpetl pour le culte qu'il profeffe ; un homme qui , dans les épanchemens les p'us intimes dé- clare qu'appelle dans ce culte au fervice de TEglife il y remplit avec toute l'exactitudî pofTible les foins qui lui font prcfcrits , que fa confcience lui reprocheroit d*y manquer vo- lontairement dans la moindre chofe , que dans le œyfliere qui choque le plus fa raifon, il fe |

L E T T R E. 87

recueille au moment de la confécration pour la faire avec toutes les difpofitions qu'exigent l'Eglife <& la grandeur du facrement, qu'il pro- nonce avec refpeél les mots facramentaux , qu'il donne à leur effet toute la foi qui dépend de lui, & que, quoi qu'il en foit de ce myf- tere inconcevable , il ne craint pas qu'au jour du jugement il foit puni pour l'avoir jamais profané dans fon cœur (a;).

Voila comment parle & penfe cet homm3 vénérable , vraiment bon , fage , vraiment Chrétien , & le Catholique le plus fincere qui peut-être ait jamais exifté.

Ecoutez toutefois ce que dit ce vertueux Prêtre à un jeune homme Proteftant qui s'é- toit fait Catholique & auquel il donne des con- feils. Retournez dans votre Patrie, repre-

(jc) Emile T. 111. p. 185 & i8(5,

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8S SECONDE

nez la Religion de vos pères , fuivez-la dans la fincérité de votre cœur & ne la quittez plus; elle efl: très-fimple & très-fainte; je la crois de toutes les Re'igions qui font fur ,, la terre celle dont la morale efl la plus 5, pure , & dont la raifon fe contente le mieux (j). "

Il ajoute un moment aprè?. Quand vous 5, voudrez écouter votre confcience, mille ob- 5, ftacles vains difparoîtront à fa voix. Vous 5, fentircz que dans l'incertitude nous fom- mes , c eft une incxcufable préfomption de profcfTv^r une autre Religion que celle ^ l'on ell , & une faufleté de ne pas prati- quer fincérement celle qu'on profvfre. Si l'on s'égare , on s'ôte une grande excufe au tribunal du Souverain Juge. Ne pardonne-

(y) ibid, p. 195.

LETTRE. 89

ra-t-il pas plutôt Terreur l'on fut nourri que celle qu'on ofa choiGr foi-même? (z) " Quelques pages auparavant il avoit dit: Si j'avois des Proteftans à mon voifmage, ou dans ma ParoifTe , je ne les diflinguerois 5, point de mes Paroiffiens en ce qui tient à la charité Chrétienne ; je les porterois tous^ également à s'entre - aimer , à fe regarder comme frères , à refpecler toutes les Reli- gions & à vivre en paix chacun dans la fienne. Je penfe que folliciter quelqu'un de quitter celle il efl né, c'eft le folliciter de mal faire & par conféquent faire mal foi- même. En attendant de plus grandes lumie- res , gardons l'ordre public , dans tout pays rcfpeèlons les Lo'x, ne troublons point le j, culte qu'elles prefcrivent , ne portons point

(s) Ibid, p. 195. , ,

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90

SECONDE

les Citoyens à la defobéifTance : car nous ne favons point certainement fi c'efl un bien pour eux de quitter leurs opinions pour d'autres , & nous favons certainement que c'efl un mal de defobéir aux Loix. "

Voila, Monfieur, comment parle un Prâ- tre Catholique dans un Ecrit l'on m'accufe d'avoir attaqué le culte des Réformés, & il n'en efl pas dit autre chofe. Ce qu'on auroit pu me reprocher, peut-être, étoit une par- tialité outrée en leur faveur, & un défaut de convenance, en faifant parler un Prêtre Ca- tholique comme jamais Prêtre Catholique n'a parlé. Ainfi j'ai fait en toute chofe précifé- ment le contraire de ce qu'on m'accufe d'a- voir fait. On diroit que vos Magiftrats fe font conduits par gageure: quand ils auroient parié de juger contre l'évidence ils n'auroient pu mieux réuflîr.

LETTRE. 91

Mais ce Livre contient des objeftions , des difficultés , des doutes ! Et pourquoi non , je vous prie ? efl le crime à un Proteftant de propofer fes doutes fur ce qu'il trouve dou- teux , & fes obje6lions fur ce qu'il en trouve fufceptible ? Si ce qui vous paroit clair me pa* roit obfcur , fi ce que vous jugez démontré ne me femble pas l'être , de quel droit prétendez- vous foumettre ma raifon à la vôtre, & me donner votre autorité pour Loi, comme fi vous prétendiez à l'infaillibilité du Pape? N'efl-il pas plaifant qu'il faille raifonner en Catholique pour m'accufer d'attaquer les Proteflans ?

Mais ces obje6lions & ces doutes tombent fur les points fondamentaux de la foi ? Sous r^parence de ces doutes on a raflemblé tout ce qui peut tendre à fapper , ébranler & dé* truire les principaux fondemens de la Religion Chrétienne? Voila qui change la thefe, & li

93 SECONDE

cela eit vrai , je puis être coupable ; mais auîîî ceft un menfonge, & un menfonge bien im- prudent de la part de gens qui ne favent pas eux-rhêmes en quoi confiftenc les princ:pes fon- damentaux de leur Cliriftianirme. Pour moi , je fais très bien en quoi confident les principes fondamentaux du mien , & je l'ai dit. Prefque toute la profeffion de foi de la Julie eft affir- mative, toute la première partie de celle du Vicaire efl affirmative, la moitié de la fécon- de partie efl: encore affirmative , une partie du chapitre de la Religion civile eft affirmaative, la Lettre à M. l'Archevêque de Paris eft af- firmative. Voila, Meffieurs, mes articles fon- damentaux : voyons les vôtres.

Ils font adroits, ces Meilleurs ,• ils établif- fent la méthode de difcufiion h plus nouvelle ôi. la plus commode pour des pcrfécuteurs. Ils laiflent avec art tous les principes de la doc- .

L E T T R E. 9^

trine incertains & vagues. Mais un Auteur a- t-il le malhsur de leur déplaire , ils vont fure- tant dans Tes Livres quelles peuvent être Tes cDinior.s. Quand ils croyent les avoir bien conftatées, ils prennent les contraires de ces mêmes opinions & en font autant d'articles de foi. Enfuite ils crient à l'impie au blafphê- me, parce que l'Auteur n'a pas d'avance ad- mis dans fes Livres les prétendus articles de foi qu'ils ont bâtis après coup pour le totir- menter.

Comment les fuivre dans ces multitudes de points fur lefquels ils m'ont attaqué ? comment raflembler tous leurs libelles, comment les lire ? Qui peut aller trier tous ces lambeaux toutes ces guenilles chez les frippiers de Ge- nève ou dans le fumier du Mercure de Neuf-' châtel ? Je me perds je m'embourbe au milieu de tant de bétifes. Tirons de ce fatras un feul

p^ SECONDE

article pour fervir d'exemple , leur article le plus triomphant , celui pour lequel leurs pre- dicans (*) fe font mis en campagne & dont ils ont fait le plus de bruit : les miracles.

J'entre dans un long examen. Pardonnez- m'en l'ennui, je vous fupplie. Je ne veux dif- cuter ce point fi terrible que pour vous cpar" gner ceux fur lefquels ils ont moins infiflé.

Ils difent donc J. J. Roufleau ncû. pas Chrétien quoiqu'il donne pour tel; car nous, qui certainement le fommes, ne pen- fons pas comme lui. J. J. RouiTeau ne croie point à la Révélation , quoiqu'il dife y croi- re: en voici la preuve Dieu ne révèle pas fa volonté immédia-

(*) Je n'aurois point employé ce terme que je trouvois déprifant, fi l'exemple du Confeil de Ge- nève, qui s'en fervoit en écrivant au Cardinal de Fleury, ne m'eût appris que mon fcrupule étoit mal fondé.

LETTRE. s>5

tement à tous les hommes. Il leur parle par fes Envoyés , & ces Envoyés ont pour preuve de leur miffion les miracles. Donc quiconque rejette les miracles rejette les 5, Envoyés de Dieu, & qui rejette les En- voyés de Dieu rejette la Révélation. Or Jean Jaques RoufTeau rejette les miracles. "

Accordons d'abord & le principe & le fait comme s'ils étoient vrais : nous y reviendrons dans la fuite. Cela fuppofé, le raifonnemenc précédent n'a qu'un défaut : c'eil qu'il fait di- reftement contre ceux qui s'en fervent. Il efl très bon pour les Catholiques, mais très mau- vais pour les Proteflans. Il faut prouver à mon tour.

Vous trouverez que je me répète fouvenr, mais qu'importe? Lorfqu'une même propofi- tion m'efl nécefTaîre à des argumens tout dif- férens , dois - je éviter de la reprendre ? Cette

çfG S' E C O N D E

•aftcdation feroit pucriîc. Ce n eil pas de v^- •►riét^î guil s'agit, c'ed de vcricé, de raifonne- 1 .mens JLilles & concluans. PalTez le refle, & ne fongez qu'à cela.

<Juand les premiers Reformateurs commen- -cerent à fe. faire entendre TEglife univerfclle étoit en paix \ tous les fcntimens ctoient una- nimes ; il n'y avoin pas un dogme elkncicl débattu parmi les Clirciicns.

Dans cet état tranquille , tout à coup deux ou trois hommes élèvent leur voix, (S: cri;.iii: dans toute l'Europe: Chrétiens, prenez garde à vous ; on vous trompe , on vous égar j , on vous mené dans le chemin de l'enfer : le Pape efl l'Antechrifl , le fuppôt de Satan, fon Egli- j| fe efl l'école du menfonge. Vous êtes perdus fi vous ne nous écoutez.

A ces premières clameurs l'Europe étonnée .Tefta quelques momens en filence , attendant

L E T T R' E, gf

ce qu'il en arrîveroif* Enfin le Clergé revenu de fa prémie're furprife & voyant que ces nouveaux venus fe faifoient des Sedlateurs, comme s'en fait toujours tout homme qui dog- matife , comprit qu'il falloit s'expliquer avec eux. Il commença par leur demander à qui ilis en avoient avec tout ce vacarme? Ceux-ci re'*- pondent fièrement qu'ils font les apôtres de la vérité , appelles à réformer l'Eglife & à rame- ner les fidelles de la voye de perdition les conduifoient les Prêtres.

Mais, leur répliqua-t-on, qui vous adonné cette belle commiffion , de venir troubler la paix de l'Eglife & la tranquillité publique? Notre confcience, dirent-ils, laraifon, la lu- mière intérieure, la voix de Dieu à laquelle nous ne pouvons réfifter fans crime : c'eft lui qui nous appelle à ce faint miniHiere, & nous fuivons notre vocation.

Partie L G

•\98 SECONDE

î Vous êtes donc Envoyés de Dieu, repri- rent les Catholiques. En ce cas, nous conve- nons que vous devez prêcher réformer inftrui- •re, & qu'on doit vous écouter. Mais pour obtenir ce droit commencez par nous mon- ;trer vos lettres de créance. Prophétifez , gué- rifTez , illuminez , faites des miracles , déployez ies preuves de votre niiffion.

La' réplique des Réformateurs efl belle, & Vaut bien la peine d'être tranfcritte.

5, Oui , nous fommes les Envoyés de Dieu : ,, mais notre miffion n'eft point extraordinai- i, re : elle efl: dans rimpuli]on d'une confcien- ce droite , dans les lumières d'un entende- 5, ment fain. Nous ne vous apportons point 5, une Révélation nouvelle ; nous nous bor-' ,j nons à celle qui vous a été donnée, & que vous n'entendez plus. Nous venons à vous , non pas avec des prodiges qui peuvent être

LETTRE. 95

5, trompeurs & dont tant de faiifles doftrines ,, fe font étayées, mais avec les û^^nQs de la vérité & de la raifon qui ne trompent point; avec ce Livre faint que vous deiî- gurez & que nous vous expliquons. Nos mi- ,, racles font des argumens invincibles, nos prophéties font des démon flrations : nous vous prédifons que fi vous n'écoutez la voix de Chrifl; qui vous parle par nos bouches, vous ferez punis comme des ferviteurs infi- délies à qui l'on dit la volonté de leurs maî- très, & qui ne veulent pas l'accomplir. "

Il n'étoit pas naturel que les Catholique» convinfTent de l'évidence de cett^ nouvelle do6lrine , & c'eft auiïi ce que la plupart d'en- tre eux fe gardèrent bien de faire. Or on voie que la difpute étant réduite à ce point ne poa- voit pKis finir, & que chacun devoit fe don- ner gain de caufe ; les Proteflans foutenantf G 2

loo SECONDE

toujours que leurs interprétations & Icurï preuves étoient li claires qu'il falloit être de mauvaife foi pour s'y refiifer ; & les Catholi- ques, de leur côté, trouvant que les petits ar- gumens de quelques particuliers , qui même -n'étoient pas fans réplique , ne dévoient pas l'emporter fur l'autorité de toute l'Eglife qui de tout tems avoit autrement décidé qu'eux Jcs points débattus.

Tel efl: l'état la querelle eft refiée. On n'a ceffé de difputer fur la force des preuves : difpute qui n'aura jamais de fin , tant que les hommes n'auront pas tous la même tête.

Mais ce n'étoit pas de cela qu'il s'agiffoit pour les Catholiques. Ils prirent le change, & fi , fans s'amufer à chicanner les preuves de leurs adverfaires, ils s'en fuflent tenus à leur difputer le droit de prouver, ils les auroienï cmbarrafrés, ce me femble.

LETTRE. ICI

Premièrement " , leur auroient-ils dit , vo- tre manière de railbnner n eft qu'une peti- tion de principe ; car fi la force de vos preuves eft le figne de votre mitTion , il s'enfuit pour ceux qu'elles ne convainquent; pas' que votre miiTion eft fauffe , & qu'ainfi nous pouvons légitimement, tous tant que nous fommes , vous punir comme héreti- '„ ques, comme faux Apôtres, comme per- turbateurs de l'Eglife & du Genre humain. ,, Vous ne prêchez pas , dites- vous , des DoÊlrines nouvelles: & que faites -vous donc en nous préchant vos nouvelles expli- cations? Donner un nouveau fens aux na- rôles de FEcriture n'eft-ce pas établir une nouvelle do6lrine? N'eft-ce pas faire parler Dieu tout autrement qu'il n'a fait? Ce ne font pas les fons mais les fens des mots qui ç, font révélés : changer ces fens reconnus <Si

G3

I02 SECONDE

fixés par rEg'ife, c'eft changer la Révélation, Voyez , de plus, combien vous êtes in- juftes! Vous convenez qu'il faut des mira- jy clés pour autorifer une million divine , & cependant vous , fimples particuliers de vo- tre propre aveu , vous venez nous parler a- vec empire & comme les Envoyés de Dieu 5, (ad). Vous réclamez l'autorité d'interpréter l'Ecriture à votre fantaifie, & vous préten- dez nous ôter la même liberté. Vous vous

(aa) Farel déclaia en propies termes à Genève devant le Conf'.'il cpifcopal qu'il étoit Envoyé de Dieu: ce qui ht dire à l'un des membres du Con- feil ces paroles de Caïphe : // a bhfphimé : qu'ejî il iefoin crautre témoignage '? Il a mérité la mort. Danst •la doctrine des miracles il en falloit un pour ré- pondre à cela. Cepen>-îant Jéfus n"cn fit point en cette occafion , ni Knrel non plus. Froment déclara de même au Magilb;c qui lui defendoit de prêcher, qu'il valoît mieux obcir à Die'J. qu'aux: hommes, & continua de prêcher malgré la défcnfe; conduite qui certainenKnt ne pouvoit s'autorifcr que par un ordre exprès de Dieu. -

LETTRE. 103

5, arrogez à vaus feuls un droit que vous refu- fez & à chacun de nous & à nous tous qui compofons l'Eglift;. Quel titre avez -vous donc pour foumettre aiiid nos jugemens -, cornmuns à votre efprit particulier ? Quelle infupportable fuffifance de prétendre avoir toujours raifon , & raifon feuls contre tout le monde , fans vouloir laifTer dans leur ,, fentiment ceux qui ne font pas du vô- tre , & qui penfent avoir raifon auf- fi (*) ! Les dillindlions dont vous nous pa- yez feroient tout au plus tolérables (1 vous difiez fmplement votre avis, &. que vous 3, en rellafficz-là ; mais point. Vous nous fai-

(*) Quel homme, par exemple, fut jamais plus ^tranchant plus impérieux, plus décifif, plus divine- ment infiiiliible à fon gré que Calvin , pour o,m la ; moindre oppofition la moindre objc6lion qu'on ofoit lui faire étoit toujours une œuvre de Auan , un cri- 'ine digne du feu ? Ce n'efl: pas au fcul Scrvet qu'il en a coûté la vie pour avoir ofé penfer autrement que lui.

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Ï04 SECONDE

tes une guerre ouverte ; vous foufflez le feu de toutes parts. Réfifter à vos leçons c'eft 3, être rebelle , idolâtre , digne de l'enfer. Vous voulez abfolument convertir, convain- cre, contraindre même. Vous dogmatifez, vous prêchez , vous ccnfurez , vous anathé- matifez, vous excûmmimicz, vous puniflez, vous mettez à mort : vous exercez l'autorité des Prophètes , & vous ne vous donnez que pour des particuliers. Quoi ! vous Nova- teurs y fur votre feule opinion , foutenus de j, quelques centaines d'hommes vous brûlez vos adverfaires ; & nous, avec quinze Sié- clés d'antiquité & la voix de cent millions d'hommes, nous aurons tort de vous brù- 1er ? Non , ceffez de parler d'agir en Apô- très, ou montrez vos titres, ou quand nous ferons les plus forts vous ferez très-juflç» ,3 ment traités on impofleurs. **

LETTRE. 105

Acedifcours, voyez -vous, Monfieur, ce que nos Réformateurs auroient eu de folide à répondre? Pour moi je ne le vois pas. Je pen^ fe qu'ils auroient été réduits à fe taire ou à faire des miracles. Trifte reflburce pour des amis de la vérité !

Je concluds de -là qu'établir la'nécefTité des miracles en preuve de la miflîon des Envoyés de Dieu qui prêchent une doctrine nouvelle, c'efl: renverfer la Réformation de fond - en - comble ; c'eft faire pour me combattre ce qu'on m'accufe fauflement d'avoir fait.

Je n'ai pas tout dit , Monfieur , fur ce cha- pitre ; mais ce qui me refle à dire ne peut fe couper, & ne fera qu'une trop longue Lettre: Il eft tems d'achever celle-ci.

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io6 TROISIEME

LETTRE TROISIEME.

J E reprens , Monfieur , cette queflion des mi- •racles que j'ai entrepris de difciiter avec vous, & après avoir prouvé qu'établir leur néceffitc jc'étoit détruire le Proteftantifme , je vais cher- •cher à préfent quel efl: leur ufage pour prou- ver la Révélation.

Les hommes ayant des têtes fi diverfement organifées ne fauroient être afFe6lés tous éga- lement des mêmes argumens, furtout en ma- tières de foi. Ce qui paroit évident à l'un ne paroit pas même probable à l'autre j l'un par fon tour d'efprit n'efl; frappé que d'un genre de preuves , l'autre ne l'ed que d'un genre tout différent. Tous peuvent bien quelquefois con- venir des mêm^s chofes, mais il eft très-rare qu'ils en conviennent par les mêmes raifons;

LETTRE. 107

ce qui, pour le dire en paflaiit, montre comi bien la difpate en elle-même efl peu Tentée: autant vaudroit vouloir forcer autrui de voir par nos yeux.

Lors donc que Dieu donne aux hommes une Révélation que tous font obligés de croire, il faut qu'il l'établifle fur des preuves bonnes pour tous, & qui par conféquent foient auffi diverfes que les manières de voir de ceux qui doivent les adopter.

Sur ce raifonnement , qui me paroit jude & fimple, on a trouvé que Dieu avoit donné à la miflion de fes Envoyés divers carafteres qui rendoient cette miffion reconnoiflahle à tous les hommes, petits & grands, fages 6c fots , favans & ignorans. Celui d'entre eux qui a le cerveau afTez flexible pour s'affe6i:er à la fois de tous ces caraéleres e\ï heureux fans doute : mais celui qui n'efl: frappé que

io8 TROISIEME

de quelques-uns n'efl: pas à plaindre, pourvni qu'il en foit frappé fuffifamment pour être perRiadé.

Le premier, le plus important, le plus cer- tain de ces cara6leres fe tire de la nature de ladoftrine; c'eft- à-dire, de fori utilité, de fa beauté (i), de fa fainteté, de fa vérité, de fa profondeur , & de toutes les autres qualités ± qui peuvent annoncer aux hommes les inftruc-

(i) Je ne fais pourquoi l'on veut attribuer au progrès de la philofophie la belle morale de nos Livres. Cette inorale, tirée de l'Evangile, étoit •Chrétienne a\rant d'être philofophique. Les Chré- tiens l'en feignent fans la pratiquer, je l'avoue; mais que font de plus les philofophcs , fi ce n'cfl: .de fe donner à eux-mêmes beaucoup de louanges, qui n'étant répétées par perfonne autre, ne prou- vent pas grand chofc , à mon avis ?

Les préceptes de Platon font fouvcnt très-fulUi- mes, mais combien n"evre-t il pas qucl(]ue fois , & jufqu'où ne vont pas fes erreura? (^uant à Cice- ron , peut-on croire que fans Platon ce Rhéteur eut trouvé fes offices ? L'F-vangilc foui cft quant A la /iiorale, toujours fur, toujours vrai, toujours uui- ^AÇ, 6c toujouis femblable à lui-même.

L .E T T R E. 105;

tîons de la fuprême fagelTe, & les préceptes de la Tapréme bonté. Ce cara6lere ell,- com- me j'ai dit, le plus fur, le plus infaillible, il porte en lui-même une preuve qui difpenfe de toute autre ; mais il efl le moins facile à conf- tater : il exige , pour être fenti , de l'étude de la réflexion des connoifTances , des difcufïions qui ne conviennent qu'aux hommes fages qui font inftruits & qui favent raifonner.

Le fécond caraftere eft dans celui des hom,- mcs choifis de Dieu pour annoncer fa parole; leur fainteté , leur véracité , leur juflice , leurs mœurs pures & fans tache , leurs vertus inac- celTibles aux pafTions humaines font, avec les qualités de l'entendement , la raifbn l'efprit le favoir la prudence, autant d'indices refpe6la- bles, dont la réunion, quand rien ne s'y dé^ ment , forme une preuve complette en leur faveur, & dit qu'ils font plus que des hom-

^is T'R O I s I E M E .,

;

pies. Ceci efl le figne qui frappe par préférerî» x:e le» gens bons & droits qui voyent la vérité par tout ils voyent la jufhice, & n'enten- dent la voix de Dieu que dans la bouche de la vertu. Ce caractère a fa certitude encore, mais il n'eft pas impofTible qu'il trompe , & ce n'cil pas un prodige qu'un impofleur abufe les gens de bien, ni qu'un homme de bien s'a- bufe lui-même , entraîné par l'ardeur d'un faint zèle qu'il prendra pour de rinfpiration.

Le troifieme cara6lere des Envoyés de Dieu, eft une émanation de la PuifTance di- vine , qui peut interrompre & changer le rcours de la nature à la volonté de ceux qui reçoivent cette émanation. Ce caradlere eit fans contredit le plus brillant des trois , le plus frappant, le plus prompt à fauter aux yeux, celui qui fe marquant par un effet fubit & fen- fible, femble exiger le moins d'examen & de

L E T T RE:- XII

' difcuffion : par - ce caractère elt auffi celui cjui faific fpécialemeiit le peuple , incapable de raifonnemens fuivis , d'obfervations lentes & fûres, & en toute chofe efclave de fes fens: mais c'eft ce qui rend ce même caractère é- quivoque, comme il fera prouvé ci-aprés; & en effet, pourvu qu'il frappe ceux auxquels il eft deftiné qu'importe qu'il foit apparent ou réel? C'eft une diftinftion qu'ils font hors d'é- tat de faire: ce qui montre qu'il n'y a de figne vraiment certain que celui qui fe tire de la doctrine, & qu'il n'y a par conféquent que les bons raifonneurs qui puilfent avoir une foi folide & fûre ; mais la bonté divine fe prête aux foiblefles du vulgaire & veut bien lui donner des preuves qui falfent pour lui.

Je m'arrête ici fans rechercher û ce dénom- brement peut aller plus loin : c'eft une difcuf- fion inutile à la nôtre : car il eft clair que quand

112 TROISIEME

' tous ces fignes fe trouvent réunis c'en efl: af^ fez pour perfuader tous les hommes, les fages | les bons & le peuple. Tous , excepté les foux, incapables de raifon, & les méchans qui ne veulent être convaincus de rien.

Ces carafteres font des preuves de l'auto- rité de ceux en qui ils réfident; ce font les raifons fur lefquelles on efl obligé de les croi- re. Quand tout cela efb fait la vérité de leur million efl établie ; ils peuvent alors agir avec ^ droit ôc puifTance en qualité d'Envoyés de Dieu. Les preuves font les moyens , la foi due à la doftrine efl la fin. Pourvu qu'on ad- mette la do6lrine c'efl la chofe la plus vaine de difputer fur le nombre & le choix des A preuves , & une feule me perfuade , vou- loir m'en faire adopter d'autres efl un foin perdu. Il feroit du moins bien ridicule de fou- tenir qu'un homme ne croit pas ce qu'il dit

croire ,

LETTRE.

"5

èroire, parce qu'il ne le croit pas précifément par les mêmes raifons que tioUs difôns avoir de le croire auffi.

Voila, ce me femible, des principes clairs & inconteflables : venons à Tapplication. Je me déclare Chrétien ; mes perfécutetirs difent que je ne le fuis pas. Ils prouvent que je nt fois pas Chrétien parce que je rejette la Ré- vélation , & ils prouvent que je rejette la Ré- vélation parce que je ne crois pas aux mi- racles.

Mais pour que cette conféquence fut jufte,' il faudroit de deux chofes l'une : ou que lej miracles fuflent Tunique preuve de la Révé- lation, ou que je rejettaffe également les au* très preuves qui l'attertent. Or il n'efl: pas* vrai que lés miracles foîenc Tunique preuve de la Révélation , & il n'efl: pas vrai que je rejette les autres preuves ; puifqu'au contraire

Partie h II

ii4: TROISIEME

on les trouve établies dans l'ouvrage même' l'on m'accufe de détruire la Révélation (2).

Voila précifément à quoi nous en fommes. Ces Meffieurs, déterminés a me faire malgré moi rejetter la Révélation , comptent pour rien que je l'admette fur les preuves qui me convainquent , fi je ne l'admets encore fur cel- les qui ne me convainquent pas , & parce que je ne le puis ils difent que je la rejette. Peut-on rien concevoir de plus injufte & de plus extravagant?

Et voyez de grâce fi j'en dis trop ; lorf- qu'ils me font un crime de ne pas admettre

(2) Il importe de remarquer que le Vicaire pou^ voit trouver beaucoup d'objeftions comme Catho- lique, qui font nulles pour un Proteftant. Ainfi le fcepticifmc dans lequel il rclte ne prouve en aucu» ne façon le mien , furtout après la déclaration très txprelfe que j'ai faite à la fin de ce mcme Ecrie On voit clairement dans mes principes que plu- ïieurs des objeclioiis qu'il contient portent à faux.

LETTRE. 115

une preuve que non feulement Jéfus n'a pas donnée, mais qu'il a refufëe expreflement.

Il ne s'anonça pas d'abord par des miracles mais par la prédication. A douze ans il dil^ putoît déjà dans le Temple avec les Doc- teurs , tantôt les interrogeant & tantôt les furprenant par la fagefle de fes réponfes. Ce fut le commencement de fes fondions , comme il le déclara lui-même à fa mère & k Jofeph (3). Dans le pays avant qu'il fit aucun miracle il fe mit à prêcher aux peuples le Ro- yaume des Cieux (4) , & il avoit déjà ralTem- blé plufieurs difciples fans s'être autorifé près d'eux d'aucun figne , puifqu'il eft dit que ce fut à- Cana qu'il fit le premier (5).

Quand il fit enfuite des miracles , c'étoit le

(3) Luc. XI. 46. 47- 49-

(4) Matth. IV. 17.

(s) Jean II. 11. Je ne puis penfer que perfon^

H z

ii6 TROISIEME

plus fouvent dans des occafions particulières dont le choix n'annonçoit pas un témoignage public, & dont le but étoit 11 peu de manifef- ter fa puifTance, qu'on ne lui en a jamais de* mandé pour cette fin qu'il ne les ait refurés. Voyez là-deflus toute l'hiftoire de fa vie; é- coutez furtout fa propre déclaration: elle efl fi décifive que vous n'y trouverez rien à ré- pliquer.

Sa carrière étoit déjà fort avancée, quand les Do6leurs, le voyant faire tout de bon le Prophète au milieu d'eux , s'aviferent de lui demander un figne. A cela qu'aiiroit ré- pondre Jéfus, félon vos Meffieurs? ,, Vous demandez un fignc, vous en avez eu cent. Croyez-vous que je fois venu m'annoncer à

ne veuille mettre au nombre des fignes publics de fa mifTion la tentation du diable & le jeûna de qua* 4?ante jours.

LETTRE. 117

vous pour le Meffie fans commencer par rendre témoignage de moi, comme Ci j'a- vois voulu vous forcer à me mëconnoître & vous faire errer malgré vous? Non , Ca- na , le Centenier , le Lépreux , les aveu- gles, les paralytiques, la multiplication des pains, toute la Galilée, toute la Judée dé- pofent pour moi. Voilâmes fignes; pour- quoi feignez vous de ne les pas voir?"

Au lieu de cette réponfe , que Jéfus ne fît point, voici, MonQeur, celle qu'il fît.

La Nation méchante ^ adultère demande un fignCy [j* il ne lui en fera point donné. Ail- leurs il ajoute. // ne lui fera -point donné d'au- tre figne que celui de Jonas le Prophète, Et leur tournant le dos, il ien alla (6).

Voyez d'abord comment , blâmant cette

(6) Marc. VIII. 12. Matth. XVI. 4. Pour abroger j'ai fondu enfenible ces deux partages, mais j'ac confervé la diflinftioa eflencielle à la queftion.

Ha

ri8 TROISIEME

manie des fîgnes miraculeux , il traite ceux qui les demandent? Ec cela ne lui arrive pas une fois feulement mais plufieurs (7). Dans le fyflême de vos Meflleurs cette demande é- toit très légitime : pourquoi donc infulter ceux qui la faifoient?

Voyez enfuite à qui nous devons ajouter foi par préférence; d'eux, qui fouticnnent que c'efl rejetter la Révélation Chrétienne que de ne pas admettre les miracles de Jéfus pour les ilgnes qui l'établifTent , ou de Jéfus lui-même, qui déclare qu'il n'a point de figne à donner^

Ils demanderont ce que c'efl: donc que le fîgne de Jonas le Prophète? Je leur répondrai que c'efl: fa prédication aux Ninivites , prcci- fément le mêirie ligne qu'enploj^oit Jéfus avec

(7) Conférez les paHages fuivanf. Matth. XII. 39. Al. Marc. VlII. 12. Luc. XI. 29. Jcau U. i8. ly. ;V. 4a. V. 34. 3û. 3S>.

LETTRE. ii|

fes Juifs, comme il l'explique lui-même (8). On ne peut donner au fécond palTage qu'un fens qui fe rapporte au premier , autrement Jéfus fe feroit contredit. Or dans le premier paflage l'on demande un miracle en figne ^- Jéfus dit pofîtivement qu'il n'en fera donné aucun. Donc le fens du fécond paffage n'in- dique aucun figne miraculeux.

Un troifieme paflage, infifleront-ils , expli- que ce figne par la réfurreftion de Jéfus (9). Je le nie ; il l'explique tout au plus par fa mort. Or la mort d'un homme n'efl: pas un miracle ; ce n'en efl: pas même un q-f après avoir refi;é trois jours dans la terre un corps en fuit retiré. Dans ce pafl^age il n efl: pas die un mot de la réfurreâion. D'ailleurs que? genre de preuve feroit - ce de s'autorifer durant

(8) Matth. XII. 41. Luc. XI. 30. 32.

(9) Matth. XII. 40.

H4

f2Q TROISIEME

ÙL vie f^r un ligne qui n'aura lieu qu'après Ç^ mprt ? Ce feroit vouloir ne trouver que des incrédules; ce feroit cacher la chandelle fqus le boifleau: Comme cette conduke feroit iiir Julie, cette interprétation feroit impie.

De plus, l'argument invincible revient en- core. Le fens du troideme palFage ne doit pas attaquer le premier , & le premier afErrne qu'il ne fera point donné de figne, point du tout , aucun. Enfin , quoiqu'il en puiffe être , il relie toujours prouvé par le témoignage de Jéfus même, que, s'il a fait des miracles dur rant fa vie, il n'en a point fait ep figne de fa miiïion.

Toutes les fois que les Jui& ont infifté fu]ç ce genre de preuves , il les a toujours renvo- yés avec mépris , fans daigner jamais les f^r tisfaire. II n'approuvoit pas même qu'on prit çn ce fens fes œuvres de charité. Si vous ne

. LETTRE. i2r

tjoyez des prodiges &f des miracles , ij$us ne croyez point; difoit-il à celui qui le prioit de guérir fon fils (lo). Parle-t-on fur ce ton^ quand on veut donner des prodiges en preuves ?

Combien n'étoit-ii pas e'tonnant que , s'il en eut tant donné de telles, on continuât fans cefTe à lui en demander? Qiiel miracle fais-tu , lui difoient les Juifs, afin que Payant vu nous croyons à toi ? Moyfe donna la manne dans le défert à nos pères ', mais toi, quelle œuvre fais^ tu (a) ? C'efl: à peu près , dans le fens de voj Mefîieurs, & laifTant à part la Majeflé royale, comme 11 quelqu'un venoit dire k Frédéric. On te dit un grand Capitaine ; ^ pourquoi donc ? QuaS'tu fait qui te montre tel^ Gujlave vain^ quit à Lcipfic à Liitzen , Charles a Frawjiat à

(lo) Jean IV. 4S. (;o) Jean Vi. 30. 31. & fuiv, H5

Î2Î TROISIEME

î^arva ; mais font tes monumens ? Q^içUè victoire as -tu remportée, quelle Place as- tu pri- fe, quelle marche as-tu faite, quelle Campagne " t'a couvert de gloire ? de quel droit portes - tu le nom de Grand ? L'impudence d'un pareil difcours eft elle concevable , & trouveroit - on fur la terre entière un homme capable de le i cenir ?

Cependant, fans faire honte à ceux qui lui en tenoient un femblable, fans leur accorder aucun miracle , fans les édifier au moins fur ceux qu'il avoît faits, Jéfus, en rdponfe à leur queftion , fe contente d'allégorifer fur le pain du Ciel : aufll , loin que fa reponfe lui donnât de nouveaux Difciples , elle lui en ôta plu- fieurs de ceux qu'il avoit, &. qui, fans doute, penfoient comme vos Théologiens. La défer- tion fut telle qu'il die aux douze ; Et vous , ne voulez-vous pas aujjî vous en aller? Il ne pa-

LETTRE. 12^

rok pas qu'il eut fort à cœur de conferver ceux qu'il ne pouvoit retenir que par des miracles.

Les Juifs demandoient un figne du Ciel. Dans leur fyftême, ils avoient raifon. Le figne qui devoit conftater la venue du Meflîe ne pouvoit pour eux être trop évident , trop de'- cifif , trop au deflus de tout foupçon , ni avoir trop de témoins occulaires; comme le témoi- gnage immédiat de Dieu vaut toujours mieux que celui des hommes, il étoit plus fur d'en croire au figne même, qu'aux gens qui difoient l'avoir vu , & pour cet effet le Ciel étoit préférable à la terre.

Les Juifs avoient donc raifon dans leur vue, parce qu'ils vouloient un Meffie appâ- tent & tout miraculeux. Mais Jéfus dit après le Prophète que le Royaume des Cieux ne «vient point avec apparence , que celui qui

124 TROISIEME

J'annonce ne débat point , ne crie point , qu'on n'entend point fa voix dans les rues. Tout ce- la ne refpire pas l'ollentation des miracles; aulTi n'étoit-elle pas le but qu'il fe propofoit dans les fiens. Il n'y mettoit ni l'appareil ni l'authenticité néceflaires pour condater de vrais lignes, parce qu'il ne les donnoit point pour tels. Au contraire il recominandoit le fecret aux malades qu'il guérilToit , aux boi- teux qu'il faifoit marcher, aux polTédcs qu'il délivroit du Démon. L'on eut dit qu'il crai- gnoit que fa vertu miraculeufe ne fut connue ; on m'avouera que c'étoit une étrange manière d'en faire la preuve de fa miflion.

Mais tout cela s'explique de foi- même, fi- tôt que l'on conçoit que les Juifs alloient cher- chant cette preuve Jéfus ne vouloit pas qu'elle fut. Celui qui me rejette a^ difoitil, ^ui le juge, Ajoutoit-il , ks miracles que j'a^

LETTRE. i2^-

faits le condannerom ? Non , mais ; la parole que fai portée le condannera. La preuve efl; donc dans la parole & non pas dans les mi- racles.

On voit dans l'Evangile que ceux de Jéfus étoient tous utiles : mais ils étoient fans éclat fans apprêt fans pompe , ils étoient fimples comme fes difcours, comme fa vie, comme toute fa conduite. Le plus apparent le plus palpable qu'il ait fait efl fans contredit celui de la multiplication des cinq pains & des deux poilTons qui nourrirent cinq mille hommes. Non feulement fes difciples avoient vu le mir racle, mais il avoit pour ainfi dire pafle par leurs mains; & cependant ils n'y penfoient pas , ils ne s'en doutoient prefque pas. Con- cevez-vous qu'on puifTe donner pour figne$ notoires au Genre humain dans tous les fic- elés des faits auxquels les témoins les plus

125 TROISIEME

imnédiats font à peine attention (b)?

Et tant s'en faut que l'objet réel des mira- cles di Jéfus fut d'établir la foi, qu'au con- traire il commençoit par exiger la foi avant que de faire le miracle. Rien n'efl: fi fréquent dans l'Evangile. C'efl: prccîfément pour cela, c'ell parce qu'un Prophète n'ell fans honneur que dans Ion pays, qu'il fit dans le fien très peu de miracles (r) ; il eft dit même qu'il n'en pût faire , à caufe de leur incrédulité (d). Comment? c'étoit à caufe de leur incrédulité qu'il en falloit faire pour les convaincre, fi fes miracles avoient eu cet objet; mais ils ne l'a- voient pas. C'étoient fimplement des aftes de

(6) Marc. VI. 52. 11 eft dit que c'étoit à caufe que leur cœur étoit ftupide; mais qui s'oferoit van- ter d'avoir un cœur plus intelligent dans les chofes faintes que les difciples choifis par Jéfui.

(c) Maith. XUI. 53.

Id) Marc. VI. 5.

LETTRE. 157

bonté, de charité, de bienfaifance, qu'il fai- foit en faveur de Tes amis, & de ceux qui cro- yoient en lui ; & c'étoit dans de pareils a6les que confifloient les œuvres de miféricorde , vraiment dignes d'être Tiennes , qu'il difoic rendre témoignage de lui (^). Ces œuvres mar- quoient le pouvoir de bien faire plutôt que la volonté d'étonner, c'étoient des vertus (/) plua que des miracles. Et comment la fuprême fa-* gefTe eut-elle employé des moyens fi contraires à la fin qu'elle fe propofoit ? Comment n'eut* elle pas prévu que les miracles dont elle appu- yoit l'autorité de Tes Envoyés produiroient un effet tout oppofé , qu'ils feroient fulpefter h vérité de rhifl;oire tant fur les miracles que fur îa miffion , & que parmi tant de folides preu-

(e) Jean. X. 25. 32. 38.

(/) C'efl le mot employé dans l'Ecriture; nos tiaduéleiirs le rendent par celui de miracles.

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bienfaànce, qu'il fai- lis, & e ceux qui cro- )it dansde pareils aéles ouvres c miféricorde , tre JÊ'^m , qu'il difoic ' œuvres mar- plutôt que la 'tus (/) plua fuprême fa* fi contraires nment n'eut- .it elle appu<^ duiroient fufpc :acle

m TROISIEME

ves, celle-là ne feroitque rendre plus difficiles fur toutes les autres les gens éclairés & vrais? Oui je le foutiendrai toujours , l'appui qu'on veut donner à la croyance en efl le plus grand obflacle : ôtez les miracles de l'Evangile & toute la terre efl aux pieds de Jcfus-Chrift (5). Vous voyez , Monfîeur , qu'il eft attefté par FEcriture même que dans la Million de Jéfus- Ghrift les miracles ne font point un figne telle- ment néceflaire à la foi qu'on n'en puifTe avoir fans les admettre. Accordons que d'autres paf- fages préfentent un fens contraire à ceux - ci y

ceux-

(g) Paul prêcliant aux Athéniens fut écouté fort paifiblement jufqu'à ce qu'il leur parlât d'un hom- me reffufcité. Alors les uns fe mirent à rire; les «titres lui dirent: Celafuffit, nous entendrons le fejîi •une autre fois. Je ne fais pas bien ce que penfent au fond de leurs cœurs ces bons Chrétiens à lu mode; mais s'ils croyant à Jéfus par fes miracles, nit)î j'y crois malgré fes miracles , & j'ai dans l'eC- prit que Hia foi vaut mieux- que U leur.

LETTRE. Î20

.eeux - ci réciproquement préfentent un fenâ contraire aux autres , & alors je choifis , ufanc de mon droit , celui de ces fens qui me paroic le plus raifonnable & le plus clair. Sij'avoiâ l'orgueil de vouloir tout expliquer , je pouf rois en vrai Théologien tordre & tirer chaque paffage à mon fens ; mais la bonne foi ne me permet point ces interprétations Sophiftiques ; fuffifamment autorifé dans mon fentiment (/;)

(h) Ce fentiment ne m'efl point tellement parti- culier qu'il ne foit anffi celui de plufieurs Théolo- giens dont l'orthodoxie eft mieux établie que celle du Clergé de Genève. Voici ce que m'écrivoit la- delTus un de ces Mefîleurs le 28 Février 1764.

Quoiqu'on dife la cohue des modernes apolo- ,, giftes du Chriftianifme, je fuis perfuadé qu'il n'y ,, a pas un mot dans les Livres facrés d'où l'on puifle légitimement conclurre que les miracles aient été dcftinés à fervir de preuve pour les hommes de tous les tems & de tous les lieux* Bien loin de - , ce n'étoit pas à mon avis le principal objet pour ceux qui en furent les té* moins oculaires. LOrfque les Juifs demandoîenc des miracles à Saint Paul , pour toute réponfcs

Punie L I

I30 TROISIEME

P^r qac je comprends, je relie en paix fur ce qU'î je ne comprends pas , (S: que ceux qui me l'expjiquent me' font encore moins com- prendre. L'aucorité que je donne à lEvangile je ne la donne point aux interprétations des, l;Lommes, & je n'pntends pas plus les foumet- tre à la mienne- que -me foumettre à la leur.

«.-^l leur pr échoit Jéfas cruciric. A coup fur j^ Grôuus, les Auteurs d^- la foclcté de Boyie, j, Ver-n€s, Veinet &c. euffent été à la place de cet j,. Apôtre, ils n'auroient rien eu dg plus piclic que d'envoyer chercher des tréteaux pour fatisfaire y. à une demande qui quadre fi bien avec leurs principes. Ces gens -là croyent faire merveilles „■ avec leurs ramàs^ d'argùnicns ; mais un jour ou .doutera j'efpcrc,' s'ils n'ont pas été compilés pav ,^ une fûciété d'incrédules , fans qu'il faille Ctrc Hardouin pour .cela, "

(Ju'on penfe' pas , au rcfte que l'Auteur de cette Lettre foit mon partiian ; . tant s'en faut : il eft un dq mes adverfaires. Il trouve feulement que le^ autres ne favent ce. qu'ils di'fent. 11 foiipçonne peut-être pis : car la foi de ceux qui croyent fut les miracles, fera toujours très fufpede aux gens wclaiïés.

LETTRE. 131

La régie eft commune , & claire en ce qui importe ; la raifon qui l'explique efl: particuliè- re , & chacun a la Tienne qui ne fait autorité que pour lui. Se lailTer mener par autrui Tlit cette matière c'eft fubilituer l'explication an texte , c'efl; fe foumettre aux hômhies & non pas à Dieu. . .

Je reprends mon raifonnement , & après a* voir établi que les miracles m font p?.s un Ci- gne nécelTaire à la foi, je vais montrer en confirmation de cela que les miracles ne fonc pas un figne infaillible & dont les hommes puifTent juger.

Un miracle efl, dans un fait particulier," un afte immédiat de la puiiïance divine , un changement fenfible dans l'ordre de la nature , une exception réelle & vifible à fes Loix, Voila l'idée dont il ne faut pas s'écarter l'on veut s'entendre en raifonnant fur cette I z

132 TROISIEME

matière. Cette idée offre deux queflions à ré- foudre.

La première : Dieu peut-il faire des niira- c'es? C'ell-à-dire , peut-il déroger aux Loix qu'il a établies? Cette queflion férieufement traitée feroic impie (i elle n'étoit ab farde : ce feroit feire trop d'honneur à celui qui la réfou- droit négativement que de le punir ; il fuffiroit de l'enfermer. Mais aufïï quel homme a ja- mais nié que Dieu put faire des miracles ? Il fiilloit être Jrïébreu pour demander 11 Dieu pouvoit dreffer des tables dans le défert.

Seconde queflion : Dieu veut -il faire des miracles ? C'ell autre chofe. Cette queflion en elle-même & abflraftion faite de toute autre confidcration efl parfaitement indifférente; el- le n'intereffe en rien la gloire de Dieu dont nous ne pouvons fonder les deffeins. Je dirai plus ; s'il pouvoit y avoir quelque différence

LETTRE. 133

quant à la foi dans la manière d'y répondre , Jes plus grandes idées que nous puilTions avoir de la fagefle & de la majellé divine feroienc pour la négative, il n'y a que l'orgueil humain qui foit contre. Voila jufqu'où la raifon peut aller. Cette queflion , du refle, efl purement oifeufe, & pour la réfoudre il faudroit lire dans les décrets éternels ; car , comme on verra tout à l'heure , elle efl impoffible à décider par les faits. Gardons nous donc d'ofer porter un œil curieux fur ces myfleres. Rendons ce rel^ pe6l à Feflence infinie de ne rien prononcer, d'elle : nous n'en connoilTons que l'immenfité.

Cependant quand un mortel vient hardi- ment nous affirmer qu'il a vu un miracle , il tranche net cette grande quellion ; jugez Ci l'on doit l'en croire fur fa parole ! Ils feroient mille que je ne les en croirois pas.

Je laiffe à part le groflier fophifme d'emplo-

13

131 TROISIEME

yer la preuve morale à condater des faits na- turelleiTient impolTibles, puis qu'alors le prin- cipe même de la crédibilité fondé fur la pof- Cbilité naturelle efl: en défaut. Si les hom- mes veulent bien en pareil cas admettre cette preuve dans des chofes de pure fpé-julation , ou dans des faits dont la vericé ne les touche gueres, aflurons-nous qu'ils feroient plus diffi- ciles s'il s'agilToit pour eux du moindre intérêt temporel. Suppofons qu'un mort vint rede- mander fes biens à fes héritiers affirmant qu'il efl reiTufcité & requérant d'être admis à la preuve (/'), croyez- vous qu'il y ait un fcul tri- bunal fur la terre cela lui fut accordé? Mais encore un coup n'entamons pas ici ce débat: îaiffons aux faits toute la certitude qu'on leur donne , & consentons- nous de diftinguer ce

(i) Prenoz bien garde q'.ie dans ma fiippoficioB c'eft une icruvrciftion véritu' Ij & non pas une faiif- fe mort qu'il s'a^àt de conilutJr.

1

LETTRE. 135

^uê le fens' peut attefler de ce que la raifon peut conclurre.

Puifqu'un miracle efl: une exception aux Loix de la nature , pour en juger il faut con- ïioître ces Loix , & pour en juger fûrement il faut les connoître toutes: car une feule qu'on ne connoîtroit pas pourroit en certains cas in- connus aux fpedlateurs changer l'effet de cel- les qu'on connoîtroit. Ainfi celui qui prononce qu'un tel ou tel a6î:e eft un miracle déclare qu'il connoit toutes les Loix de la nature & qu'il fait que cet a6le en efl une exception.

Mais quel efl: ce mortel qui connoit tou- tes les Loix de la nature ? Newton ne fe van- toit pas de les connoître. Un homme fage té- moin d'un fait inouï peut attefl:er qu'il a vu ce fait & l'on peut le croire ; mais ni cet homme fage ni nul autre homme fage fur la terre n'af- firmera jamais que ce fait, quelque étonnant I4

136 TROISIEME

qu'il puifTe être , foit im miracle ; car com- ment peut - il le favoir ?

Tout ce qu'on peut dire de celui qui fe vante de faire des miracles eft qu'il fait des chofes fort extraordinaires ; mais qui eft - ce qui nie qu'il fe faffe des chofes fore extraor- dinaires ? J'en ai vu , moi , de ces chofes là, & même j'en ait fait (k).

(k) J'ai vu à Venife en 1743 une manière de forts âflez nouvelle, & plus étrange que ceux de Prencile. Celui qui les vouloic confuUcr entroit dans une chambre, & y rcftoit feul s'il le dcfiroit. I.à d'un Livre plein de feuillets blancs il ea tiroit un à fon choix; puis tenant cette feuille il daman- doit, non à voix haute, mais mentalement ce qu'il VQuloit favoir. Enfuîte il plioit fa feuillQ blan- che , l'enveloppoit, la cachetoit, la plaçoit dans un Livre ainfl cachetée: enfin après avoir récité cçrtcUnes formules fort baroques fans perdre fon Livre de vue, il en alloit tirer le papier, recon- noitre le cachet, l'ouvrir, & il trouvoit fa réponfe" écrite.

Le magicien qui faifoit ces forts étoit le premier Secrétaire de l'Ambaifadeur de France, & il s'uppcl- lôit J. J. Roulfcau.

LETTRE. 137

L'étude de la nature y fait faire tous If s jours de nouvelles découvertes : l'induflrie hu- maine fe perfeftionne tous les jours. La Chy- mie curieufe a des tranfmutations , des préci- pitations, des détonations, des explofions, des phofphores , des pyrophores , des tremblemens de terre , & mille autres merveilles à faire fi- gner mille fois le peuple qui les verroit. L'iiui- le de Gayac & l'efprit de nitre ne font pas des liqueurs fort rares ; mêlez-les enfemble , & vous verrez ce qu'il en arrivera ; mais n'allez pas fai- re cette épreuve dans une chambre, car vous pourriez bien mettre le feu à la maifon (/). Si les Prêtres de Baal avoient eu M. Rouelle au

Je me contentois d'être forcicr parce que j'étois modcfte ; mais j'avois eu l'ambition d'être Pro- phète, qui m'eut empêché de le devenir?

(/) Il y a des précautions à prende pour réuflîr dans cette opération: l'on me difpsnfera bien, jo pcnfc, d'en mettre ici le Récipé.

15

i38 TROISIEME

ïAilieu d'eux leur bûcher eut pris feu de lui- incme & Elie eut été pris pour dupe.

Vous verfez de l'eau dans de l'eau , voila de l'encre ; vous verfez de l'eau dans de l'eau , voila un corps dur. Un Prophète du Collège de Harcourt va en Guinée & dit au peuple ; reconnoifTcz le pouvoir de celui qui nV envoyé ; je vais convertir de l'eau en pierre ; par des moyens connus du moindre Ecolier il fait de la glace : voila les Nègres prêts à l'adorer.

Jadis les Prophètes faifoient defcendre à leur voix le feu du Ciel ; aujourd'hui les enfans en font autant avec un petit morceau de ver- re. Jofué fit arrêter le Soleil; un feifeur d'al- manacs va le faire éclipfer; le prodige efl en- core plus fenfible. Le cabinet de M. l'Abbé Nollet ell un laboratoire de magie, les récréa- tions mathématiques font un recueil de mii-a- ' des; que dis -je? les foires même en foLirmii-

LETTRE.

139

leront , les Briochés n'y font pas rares ; le feul Payfan de Northollande que j'ai vu vingt fois allumer fa chandelle avec fon côufeau â de- quoi fubjuguer tout le Peuple, mê:r>e à Paris; que penfez - vous qu'il eut fait en Syrie ?

C'eft un fpe6lacle bien fingulier que ces foi* res de Paris ; il n'y en a pas une l'on nef voye les chofes les pluâ étonnantes , fans que le public daigne prefque y faire attention ; tant on eft accoutumé aux chofes étonnantes, & même à celles qu'on ne peut concevoir ! On y voit au moment que j'écris ceci deux machines portatives féparées, dont l'une marche oa s'ar- rête exactement à la volonté de celui qui fait marcher ou arrêter l'autre. J'y ai vu une tête de bois qui parloit , & dont on ne parloit pas tant que de celle d'Albert le grand. J'ai vu même une chofe plus furprenante; c'étoit for- ce têtes d'hommes, de favans, d'Académiciens

140^ TROISIEME

qui couroient aux miracles de« convulTions , & qui ^n revenoient tout émerveillés.

Avec le canon, l'optique, l'aimant, le baro- mètre , quels prodiges ne fait-on pas chez ks jgnorans? Les Européens avec leurs arts ont toujours pafTé pour des Dieux parmi les Barba- res. Si dans le fein même des Arts, des Scien- ces, des collèges, des Académies j fi dans le milieu de l'Europe, en France , en Angleterre , un homme fut venu le fiécle dernier , armé de tous les miracles de réle6lrieité que nos phyfi- ciens opèrent aujourd'hui , l'eut-on brûlé com- me un forcier , l'eut - on fuivi comme un Pro- phète ? Il eft à préfumer qu'on eut fait l'un ou l'autre : il efl: certain qu'on auroit eu tort.

Je ne fais fi l'art de guérir eft trouvé ni s'il fe trouvera jamais : Ce que je fais c'efl: qu'il n' efl pas hors de la nature. Il efl tout aufïï na- turel qu'un homme guériffc qu'il l'efl qu'il tom-

LETTRE. 141

be malade; il peut tout aufli bien guérir fubite- ment que mourir fubitement. Tout ce qu'où, pourra dire de certaines guérifons , c'eû qu'elles font furprenantes, mais non pas qu'elles font impolTibles ; comment prouverez- vous donc que ce font des miracles? Il y a pourtant, je l'a- voue, des chofes qui m'étonneroient fort fi j'en étois le témoin : ce ne feroit pas tant de voir marcher un boiteux qu'un homme qui n'avoit point de jambe , ni de voir un paralytique mou- voir fon bras qu'un homme qui n'en a qu'un reprendre les deux. Cela me frapperoit encore plus , je l'avoue , que de voir refTufciter un mort j car enfin un mort peut n'être pas mort (;/2). Voyez le Livre de M. Bruhier.

(m) Lazare étoit déjà dans la terre? Seroit-H le premier homme qu'on auroic enterré vivant ? Il y étoit depuis quatre jours ? Qui les a comptés ? Ce n'eft pas Jéfus qui étoit abfent. Il puoit déjaf Qu'en favez-vous? Sa fœur le dit; voila toute la preuve.

142 TROIS! E M E

Au refte, quelque frappant que put me pà^ .toitre un pareil fpeclacle, je ne voudrois pour jrien au monde en être témoin ; car que fais- je ce qu'il en pourroit arriver ? Au lieu de me Tendre crédule , j aurois grand peur qu'il ne me rendit que fou : mais ce n'eft pas de moi qu'il s'agit ; revenons.

On vient de trouver le fecret de reffiifciter des ûoyés; on a déjà cherché celui de refTufci- ter les pendus ; qui f^it fi dans d'autres genres de mort , on ne parviendra pas à rendre la vie

i'jeft'roi le dcîgaiût en. eut fait dire autant a toute autre femme, quand même cela n'eut pas tté vrai. JéfUs ne fait que l'appïlier , ^ ii fort. Prenez garde de mal raifonner. Il s'agilFoit de rimpolîîbilicé phy» fique; elle n'y eft plus. Jéfus faifoit bien plus de façons dans d'autres cas qui n'étoi^nt pas plus diffi- ciles: voyez la note qui fuit. Pourquoi cette diffé- rence, fi tout étoit également miraculeux? Ceci peut être une exagération, & ce n'efl: pas la plus l'ovte que faint Jean ait faite; j'en attefte le dernier Verfet de fon livangile.

LETTRE. 143

à des corps qu'on en avoit cru privés. On ne favoit jadis ce que c'çtoit que d'abattre la ca- taracte ; c'ell un jeu maintenant pour nos chi- rurgiens. Qui fait s'il n'y a pas quelque fecrec trouvable pour la faire tomber tout d'un coup? Qui fait fi le poJIeireur d'un pareil fecret ne peut pas faire avec iimplicité , ce qu'un fpeéla- teur ignorant va prendre pour un mirack, éc ce qu'un Auteur prévenu peut donner pour tel (*) ? Tout cela n'efl pas vraifemblable.

(*) On voit quelquefois daus le détails des faits rapportés une gradation qui ne convient point à une opération furnaturelle. On préfente à Jéfus uii aveugle. Au lîeu de le guérir à l'inftant, il l'em- mené hors de la bourgade. il oint fes yeux de falive, il pofe fes mains fur lui; après quoi il lui demande s'il voit quelque chofe. L'aveugle ré- pond qu'il voit marcher des homme» qui lui paroif- fent comme des arbres : Sur quoi , jugeant que la première opération n'eft pas fufEfante, Jéfus la re- commence, & enfTn l'homme guérit.

Une autre fois , au Heu d'employer de la faiivç pure , il la délaye avec de la terre.

144- TROISIEME

foit: Mais nous n*avons point de preuve que cela foit impofTible, & c'efl: de l'impolTibilité phyfique qu'il s'agit ici. Sans cela , Dieu dé- ployant à nos yeux fa puiflance n'auroit pa nous donner que des lignes vraifemblables , de limples probabilités ; & il arriveroit de*Ià que l'autorité des miracles n'étant fondée que fur l'ignorance de ceux pour qui ils auroient été faits, ce qui feroit miraculeux pour un fiécle ou pour un peuple ne le feroit plus pour d'au- tres j de forte que la preuve univerfelle étant

en

Or je le demande , à quoi bon tout cela pour un miracle? La nature difpute-t-ellc avec fon maî- tre? A-t-il bcfoin d'cftbrt, d'obftin^.tion , pour fe faire obéir? A-til befoin de falive, de terre, d'in- grédiens ? A-t-il même befoin de parler, & ne fuffit-il pas qu'il veuille? Ou bien ofera-t-on dire que Jéfus, fur de fon fait, ne lailîe pas d'ufer d'un petit manège de charlatan, comme pour fe faire va- loir davantage, & aiiiufer les fpeiflateurs ? Dans le fyftême de vos Mefficurs, il faut pourtant l'ijn ou i'autre. ChoififTcz.

LETTRE. 14^

en défaut, le fyllême établi fur elle feroit dé- truit. Non , donnez-moi des miracles qui de- meurent tels quoi qu'il arrive , dans tous les tems & dans tous les lieux. Si plufieurs dô, ceux qui font rapportés dans la Bible paroifTcnt être dans ce cas, d'autres auffi paroiflent n'y pas être. Répond-moi donc, Théologien , pré- tends-tu que je pafle le tout en bloc, ou tu me permets le triage ? Quand tu m'auras de?, cidé ce point, nous verrons après.

Remarquez bien , Monfieur , qu'en fuppo- fant tout au plus quelque amplification dans les circonftances , je n'établis aucun doute fur le fond de tous les faits. C'efl ce que j'ai déjà dit, & qu'il n'efl: pas fupçrflu de redire. Jéfus, éclairé de l'efprit de Dieu , avoit des lumières fi fupérieures à celles de fes difciples , qu'il n'efl pas étonnant qu'il ait opéré des multitu- des de chofes extraordinaires l'ignorance Partie I. K

U6 TROIS! K M K

des fpeftateurs a vu le prodige qui n'y étoît ' pas. A quel point , en vertu de ces lumières pouvoit-il agir par des voyes naturelles, incon- nues à eux & à nous (o) ? Voila ce eue nous ne favons point & ce que nous ne pouvons favoir. Les fpeclateurs des chofes merveilleu- fes font naturellement portes à les décrire avec exagération. Làdeflus on peut de très bonne- foi s'abufer foi-mênie en abufant les autres: pour peu qu'un fait foit au deflus de nos lumiè- res nous le fuppofons au deilus de la raifon ,

(o) Nos hommes de Dieu veulent à toute foixe que j'ayc fait de Jéfus un ImpOileqr. Ils sY'chauiFent pour répondre à cette indigne accufaiitîn , aiin qvi'Qiî pçiife que je l'ai faites ils la fiippcrcnt avec un air de certitude; ils y infillcnt, ils y reviennent aireftueufement. Ah ii: ces doux Chrétiens pou- voicnt m'arraclicr à la fin quelque, blafphûnje, quel triomphe! quel contentement, quelle édification pour leurs charitables âmes ! Avec quelle ftiinre joye ils apporteroienc les tifons allumés au feu de leur zcle, pour cmbrafer mon bûcher l

LETTRE. 14?

^ refprit voit enfin du prodige le cœu* nous fait défirer fortement d'en voir.

Les miracles font, comme j'ai dit, les preu- ves des fimples, pour qui les Loix de la nature forment un cercle très étroit autour d'eux. Mais la fphere s'étend à mefure que les hom- mes s'inflruifcnt & qu'ils fentent combien il leur refte encore à favoir. Le grand Phyficien voit fi loin les bornes de cette fphere qu'il ne fauroit difcerner un miracle au-delà. Cela ne fe peut efl; un mot qui fort rarement de la bou- che des fages; ils difent plus fréquemment, je ne fais.

Que devons-nous donc penler de tant de miracles rapportés par des Auteurs , véridi- ques , je n'en doute pas , mais d'une fi craflTe ignorance, & pleins d'ardeur pour la gloi- je de leur maître ? Faut - il rejettcr tous ces faits ? Non. Faut- il tous les admettre ? Je l'i* K 2

148 TROISIEME

gnore (/>). Nous devons les rdpefter fans prononcer fur leur nature, duffions - nous être

([') Il y en a dans l'Evangile qu'il n'ell: pas mê- me poffible de prendre au pied de la Lettre fans renoncer au bon fens. Tels font, par exemple, ceux des poffedés. On reconnoit le Diable à fon ouvre, & les vrais polTédés font les méehans; la raifon n'en rcconnoicra jamais d'autres. Mais pai- fons; voici plus.

Jéfus demande à" un grouppc de Démons codi- nicnt il s'appelle. Quoi 1 Les Démons ont des roms ? Les Anges ont des noms ? Les purs Ef- prits on des noms ? Sans doute pour s'entre ap- pcller entre eux, ou pour entendre quand Dieu les appelle.^ JVbis qui leur a donné ces noms? En quelle langue en font les mots? Quelles font les touches qui prononcent ces mots, les oreilles que leurs fons frappent ? Ce nom cefl Légion, car ils font plufieurs , ce qu'apparammcnt Jéfus ne favoic pas. Ces Anges, ces Intelligences fablimes dans le mal comme dans le bien , ces Etres Célellcs qui ont pu fc révolter contre Dieu, qui ofcnt combattre fcs Décrets éternels , fe logent en tas dans le corps d'un homme: forcés d'abandonner ce malheureux, ils demandent de fe jetter dans un "troupeau de co- chons, ils l'olniennciu; ces cochons fe précipitent dans la mer; 6i ce font les augurtcs preuves de la iiiiffion du Rédempteur du genre humain , les

ft

LETTRE. 149

cent fois décrétés. Car enfin l'autorité des loix ne peut s'étendre jafqu'à nous forcer de mal raifonner ; & c'efl pourtant ce qu'il faut faire pour trouver nécefljirement un miracle h Taifon ne peut voir qu'un fait étonnant.

Quand il feroit vrai que les Catholiques ont un moyen fur pour eux de faire cette diUinc- tion , que s'enfuivroit-il pour nous ? Dans leur fyflême, lorfque l'Eglife une fois reconnue a décidé qu'un tel fait cfl un miracle, il efl un miracle ; car f Eglife ne peut fe tromper. Mais ce n'efl pas aux Catholiques que j'ai à faire ici , c'eft aux Réformés. Ceux-ci ont très bien réfuté quelques parties de la profeffion de foi

preuves qui doivent l'attefter à tous les peuples de tous les âges, & dont nul ne fauroit douter , Ccis peine de dannation ! Juftc Dieu ! La tête tourne ; on ne fait l'on efl. Ce font donc Ih^ JVÎeflieurg, les fondemens de votre foi ? La mienne en a de plus fîlrs, ce ni« feQiblc.

K3

I50 TROISIEME

du Vicaire qui , n'étant écrite que contre l'E- giifi Romaine , ne pouvoit ni ne devoit rien prouver contre eux. Les Catholiques pourront i de même réfuter aifcment ces Lettres , parce que je n'ai point à faire ici aux Catholiques , & ^ue nos principes ne font pas les leurs. Quand il s'agit de montrer que je ne prouve pas ce que je n'ai pas voulu prouver , c cfh que mes adverfaires triomphent.

De tout ce que je viens d'expofcr je con- cluds que les faits les plus atteftés , quand mê- me on les admettroit dans toutes leurs circon- llances , ne prouveroicnt rien , & qu'on peut îneme y foupçonner de l'exagération dans les cîrconilances , fans inculper la bonne foi de ceux qui les ont rapportés. Les découvertes continuelles qui fe font dans les loix de la na- ture, celles qui probablement fe feront enco- re, celles qui reflcronc toujours à faire ^ les

LETTRE. 151

progrès padcs préfens & fliturs de rinduftrie humaine ; les diverfcs bornes que donnent les peuples à Tordre des polTibies félon qu'ils font plus ou moins éclairés ; touc nous prouve qu(j nous ne pouvons connoître ces bornes. Cepen- dant il faut qu'un miracle pour être vraiment tel les paff^. Soit donc qu'il y ait des mira- cles , foit qu'il n'y en ait pas , il eft impolTible au fige de s'afTlirer que quelque fuit que ce piiifTe être en efl un.

Indépendamment des preuves de cette im- pofiibilité que je viens d'établir, j'en v^ois une autre non moins forte dans !a fuppofition mê- me : car , accordons qu'il y ait de vrais mira- cles; de quoi nous ferviront-iis s'il y a aufïï de faux miracles defqueîs il cft impoffibîe de les difcerner? Et faites bien attention que je n'ap- pelle pas ici faux miracle un miracle qui n'efl pas réel, mais un a6le bien réellement furna- K 4

152 TROISIEME

turel fait pour foutenir une fauile doftrine. Comme le mot de miracle en ce fens peut bief- fer les oreilles pieufes , employons un autre mot & donnons - lui le nom de prejlîge : mais fouvenons - nous qu'il eft impoffible aux fens humains de difcerner un preflige d'un miracle. La même autorité qui attefte les miracles ftttefte aufïi les preftiges, & cette autorité prouve encore que l'apparence des prediges ne diffère en rien de celle des miracles. Com- ment donc diflinguer les uns des autres , & que peut prouver le miracle , celui qui le voit ne peut difcerner par aucune marque afluree &: tirée de la chofe même fi c'ell fœuvre de Dieu ou fi c'ed l'oeuvre du Démon ? Il faudroit un fécond miracle pour certifier le premier. Quand Aaron jetta fa verge devant Pharaon ^ qu'elle fut changée en ferpent, les magi- ciens jetterent aufli leurs verges ôc elles furcnc

L E T T R E.. 153

changées en ferpens. Soit que ce changement fut réel des deux côtés , comme il eft dit dans l'Ecriture, foit qu'il n'y eut de réel que le mi- racle d'Aaron & que le preftige des magiciens ne fut qu'apparent , comme le difent quelques Théologiens , il n'importe ; cette apparence c- toit exactement la même ; l'Exode n'y remar- que aucune différence, & s'il y en eut eu, les magiciens fe feroient gardés de s'expofer au parallèle , ou s'ils l'avoient fait ils auroient été confondus.

Or les hommes ne peuvent juger des mira- cles que par leurs fens, & fi la fenfation efl la même , la différence réelle qu'ils ne peuvent appercevoir n'efl rien pour eux. Ainfl le fî- gne, comme figne , ne prouve pas plus d'un côté que de l'autre, & le Prophète en ceci n'a pas plus d'avantage que le Magicien. Si c'cfl encore de mon beau flile, convenez qu'il

K5

154- TROISIEME

en faut un bien plus beau pour le réfuter.

Il efl: vrai que le ferpent d'Aaron dcvora les ferpens des Magiciens. Mais, forcé d'admet- tre une fois la Magie , Pharaon put fort bien n'en conclure autre chofe , finon qu'Aaron é- toit plus habile qu'eux dans cet art ; c'efl; ainfi que Simon ravi des chofes que faifoit Philip- pe, voulut acheter des Apôtres le feciet d'en faire autant qu'eux.

D'ailleurs l'infériorité des Magiciens étoit due à lapréfence d'Aaron. Mais Aaroil abfent, eux faifant les mêmes fignes , avoient droit de prétendre à la même autorité. Le figne en lu> même ne prouvoit donc rien.

Quand Moyfe changea l'eau en fang, les Magiciens changèrent l'eau en fang ,• quand Moyfe produifit des grenouilles, les Magiciens produifirent des grenouilles, lis échouèrent à la troifieme playe ; mais tenons-nous aux deux

LETTRE. 155

premières dont Dieu, même avoit fait la preu- ve du pouvoir Divin (q). Les Magiciens fi- rent aulTi cette preuve-là.

Quant à la troifieme playe qu'ils ne purent imiter, on ne voit pas ce qui la rendoit fi dif- ficile , au point de marquer que le doigt de Dieu étoit'îà. Pourquoi ceux qui purent produire un animal ne purent-ils produire un infede, & comment, après avoir fait des grenouilles, ne purent- il s faire des poux ? S'il efi: vrai qu'il n'y ait dans ces chofes - que le premier pas qui coûte , c'étoit aflurément s'arrêter en beau chemin.

Le même Moyfe, inflruic par toutes ces ex- périences , ordonne que fi un faux Prophète vient annoncer d'autres Dieux , c'efl:-à-dire, une faufle do6lrine ^ & que ce faux Prophète

(5) Exode VU. 17,

15(5 TROISIEME

autorife fon dire par des prédiétîons ou des prodiges qui réufliflent , il ne faut point l'é- couter mais le mettre à mort. On peut donc employer de vrais lignes en faveur d'une fauf- fe doctrine ; un ligne en lui - même ne prou- ve donc rien.

La même do6lrine des lignes par des prelli- gcs eft établie en mille endroits de l'Ecriture. Bien plus ; après avoir déclaré qu'il ne fera point de fignes, Jéfus annonce de faux ChriUs qui en feront ; il dit qu'Us feront de grands fignes, des miracles capables de fédulre les élus mêmes , s'il étoit poffîble (r). Ne feroit-on pas tenté fur ce langage de prendre les lignes j pour des preuves de faufleté?

Quoi! Dieu, maître du choix de fes preu- ves quand il veut parler aux hommes , choilît

(r) Matth. XXIV. 24. l^arc. XIII. 22.

LETTRE. 157

par préférence celles qui fuppofent des con- noiflances qu'il fait qu'ils n'ont pas! Il prend pour les inilruire la même voye qu'il fait que prendra le Démon pour les tromper ! Cette marche feroit-eîle donc celle de la divinité? Se pourroit-il que Dieu & le Diable fuiviflent la même route? Voila ce que je ne puis conce- voir.

Nos Théologiens , meilleurs raifonneurs mais de moins bonne foi que les anciens , fonç fort embarrafles de cette magie : ils vou- droient bien pouvoir tout à fait s'en délivrer, mais ils n'ofent ; ils fentcnt que la nier feroit nier trop. Ces gens toujours fi décififs chan- gent ici de langage; ils ne la nient ni de l'ad- mettent; ils prennent le parti de tergiverfer, de chercher des faux - fuyans , à chaque pas ils s'arrêtent ; ils ne favenc fur quel pied danfer.

Î58 T R O I S I E M Ë

Je 'crois, Monfieur , vous avoir fait fentîi' git la difficulté. Pour que rien ne manque à fa clarté, la voici mife en dilemme.

Si l'on nie les preftigcs, oh ne peut prou- ver les miMeîeS 5 ^arcé que ' les uns & les au* très font foMdés Air la- même autorité.

Et fi i'éîi 'Mmét lespreftî^s' avec les mira- cles , on n'a point de règle fûre précife & claire pour diflinguer les uns des autres : ainfi les -mirâGles tiè prouvent rieri; "'-'-Je fais -bie-è '<^ué' nos génsaînfi preffés re- viennent â la doélrine : mais ils oublient bon- nement que fi la do^lrine efl établie , le mira- cle éft fuperfiu , & que fi elle ne l'efi; pas, elle ne peut rien prouver.

Ne prenez pas ici le change , je vous fiip- plie, & de ce-que je n'aî pas regardé les mi- racles comme effeneiels au Cliriflianirme , n'al- lez pas conclure que j'ai rejette les miracle^.

LETTRÉ. 159

Non, Monfieur, je ne les ai rejette's ni ne les rejette ; fi j'ai dit des raifons pour en dou- ter, je n'ai point dîffimulé les raifons d'y croi- re ; il y a une grande différence entre nier une chofe & ne la pas affirmer , entre la rejet- ter & ne pas l'admettre , & j'ai 11 peu décidé ce point, que je défie qu'on trouve un feul endroit dans tous mes écrits je fois affir- matif corrtre les miracles.

Eh ! comment l'aurois- je été malgré mes pro- pres doutes , puifque partout je fais quant- à moi , le plus décidé , je n'affirme rien encore. Voyez quelles affirmations peut faire un hom- me qui parle ainfi dès fa Préface (s).

A regard de ce qu'on appellera la partie fyftcmatique , qui n'efl autre chofe ici que -„ la marche de la nature , c'efl ce qui dé-

(/) Piéfacc d'Emile, p. iv.

i6o TROISIEME

j, routera le plus les lefleurs j c'efl: auffi par îi qu'on m'attaquera fans doute , & peut-être 5, n aura- 1- on pas tort. On croira moins lire un Traité^d'éducation que les rêveries d'un vi- I fionnaire fur l'éducation. Qu'y faire? Cen'eft pas fur les idées d'autrui que j'écris , c'eft fur les miennes. Je ne vois point comme les autres hommes ; il y a longtems qu'on 5, me l'a reproché. Mais dépend - il de moi ,, de me donner d'autres yeux, & de m'affec- ter d'autres idées ? Non j il dépend de moi de ^, ne point abonder dans mon fens , de ne point croire être feul plus fage que tout le mon- ,, de; il dépend de moi, non de changer de fentiment, mais de me défier du mien: Voi- la tout ce que je puis faire, & ce que je fais. Que fi je prends quelquefois le ton af- firmatif , ce n'efl point pour en impofer au le6leur ; c'efl pour lui parler comme je pen-

fe.

LETTRE. i6i

fe. Pourquoi propoferois-je par forme de 5, doute ce dont quant à moi je ne doute point ? Je dis exa6tement ce qui fc palTe dans mon efprit.

5, En expofant avec liberté mon fentiment, j'entends fi peu qu'il fafle autorité , que j'y joins toujours mes raifons , afin qu'on les pe- fe & qu'on me juge. Mais quoique je ne veuille point m'obftiner à défendre mes i- j, dées, je ne me crois pas moins obligé de les propofer ; car les maximes fur lefquelles je 5, fuis d'un avis contraire à celui des autres ne j, font point indifférentes. Ce font de celles dont la vérité ou la faufleté importe à con- j, noître , & qui font le bonheur ou le mal- 5, heur du genre humain. "

Un Auteur qui ne fait lui- même s'il n'efl point dans l'erreur , qui craint que tout ce qu'il dit ne foit un tiliu de rêveries, qui, no

Partie L L

ï62 TROISIEME-

pouvant changer de fentimens , fe défie du fien , qui ne prend point le ton affirmatif pour ]e donner, mais pour parler comme il penfe, qui, ne voulant point faire autorité, dit tou- jours fes raifons afin qu'on le juge, & qui mê- me ne veut point s'obfliner à défendre fes i- dées; un Auteur qui parle ainfi à la tête de fon Livre- y veut - il prononcer des oracles ? veut-il donner des décifions, & par cette dé- claration préliminaire ne met- il pas au nombre des doutes fes plus fortes affertions?

Et qu'on ne dife point que je manque à mes engagémens eh m'obftinanc à défendre ici mes idées. Ce feroit le comble de l'injuflice. Ce ne font point mes idées que je défends , c'efl ma perfonne. Si Ton n'eut attaqué que rnes Li- vres , j'aurois conllamment gardé le filence; c'étoit un point réfolu. Depuis ma déclaration faite en 1753, m'a-t-on vu répondre à quel-

I

LETTRÉ. î(53

qu^un j> 011 me taifois-je faute d'a^grefTeurs ? Mais quand on me poiirfuic , quand on me dé- crète , quand on me deshonore pour avoir dit ce que je n'ai pas dit , il faut bien pour me défendre montrer que je ne l'ai pas dit. Ce font mes ennemis qui malgré moi me remet- tent la plume à la main. Eh ! qu'ils me laif^ fent en repos , & j'y laifferai le public ; j'en donne de bon cœur ma parole.

Ceci fert déjà de réponfe à l'objeftion rétor- five que j'ai prévenue, de vouloir faire moi- même le réformateur en bravant les opinions de tout mon liecle ; car rien n'a moins l'air de bravade qu'un pareil langage , & ce n'eil pas afllirément prendre un ton de Prophète que de parler avec tant de circonfpeftion. J'ai regar- dé comme un devoir de dire mon fentiment en chofes importantes & utiles; mais ai-je dit un mot , ai-je fait un pas pour le faire adopter à L 2

i64 TROISIEME

d'autres ; quelqu un a-t-il vu dans ma conduite l'air d'un homme qui chercholt à fe faire des feftateurs ?

En tranfcrivant l'Ecrit particulier qui fait tant d'imprévus zélateurs de la foi, j'avertis en- core le lefteur qu'il doit fe défier de mes juge- mens, que c'efl à lui de voir s'il peut tirer de cet Ecrit quelques réflexions utiles, que je ne lui propofe ni le fentiment d'autrui ni le mien pour règle , que je le lui préfente à exami- ner (i ).

Et lorfque je reprends îa parole voici ce que j'ajoute encore à la fin.

J'ai tranfcrk cet Ecrit, non comme une

régie des fentimens qu'on doit fuivre en ma-

.^, tiere de Religion , mais comme un exemple

de la manière dont on peut raifonner avec

(0 Emile. T. II. p. 3(50.

I

LETTRE. 165

fon élevé pour ne point s'écarter de 'a thode que j'ai tâché d'établir. Tant qu'on ne donne rien à l'autorité des hommes ni aux préjugés des pays l'on efl: né, les feules lumières de la raifon ne peuvent dans j, l'inftitution de la Nature nous mener plus loin que la Religion naturelle , & c'efc à quoi je me borne avec mon Emile. S'il en .„ doit avoir une autre, je n'ai plus en cela le droit d'être fon guide; c'fifl à lui feul de la choifir. (v) "

Quel eft après cela l'homme affez impudent pour m'ofer taxer d'avoir nié les miracles qui ne font pas même niés dans cet Ecrit ? Je n'en ai pas parlé ailleurs (.r).

(v) Ibid. T. III. p. 204.

(.v) J'en ai parlé depuis' dans ma lettre à M. de Beaumont : mais outre qu'on n'a rien dit fur cette lettre , ce n'efl pas fur ce qu'elle contient qu'on peut fonder les procédures faites avant qu'el- le ait paru.

L3

i66 .T R O I S I E M E

Qaoi ! parce que l'Auteur d'un Ecrit publié par un autre y introduit un raifonneur qu'il défaprouve (3'), & qui dans une difpute rejet- te les miracles, il s'enfuit delà que non feule- ment l'Auteur de cet Ecrit mais l'Editeur re- jette auffi les miracles? Qad tiffu de téméri- tés ! Qu'on fe p ::rmette de telles prcfomptions dans la chaleur d'une querelle littéraire , cela 1 efl très blâmable & trop commun ; mais les prendre pour des preuves dans les Tribunaux ! Voila une jurisprudence à faire trembler l'hom- me le plus jufte & le plus ferm^ qui a le mal- heur de vivre fous de pareils magiftrats.

L'Auteur de la profdrion de foi fait des ob- je6lions tant fur l'utilité que fur la réalité des miracles , mais ces olje6lioîw ne font point des négations. Voici delTus ce qu'il dit de plu*

(y) Emil-. T. III. i\ iji.

LETTRE. 167

fort. Ceft Torçîre inaltérable de la nature qu! montre le mieux l'Etre fuprême. S'il arrivok beaucoup d'exceptions , je ne faurois plus qu'en penfer , & pour moi je crois trop en Dieu pour croire à tant de miracles 11 peu dignes de lui. "

Or je vous prie , qu'efl - ce que cela dit ? Q[une trop grande multitude de miracles les rendroit fufpecls à l'Auteur. Qu'il n'admet point indiflinftement toute forte de miracles, & que fa foi en Dieu lui fait rejetter tous ceux qui ne font pas dignes de Dieu. Quoi donc? Celui qui n'admet pas tous les mira- cles rejette - 1 -il tous les miracles , & faut - il croire à tous ceux de la Légende pour croiie l'afcenfion de Chrifl ?

Pour comble. Loin que les doutes contenus dans cette féconde partie de la profeflîon de foi puilfent être pr^ pour des négations, Jes L4

i6ù T R O S I E M E

négations , au contraire , qu'elle peut conte- nir , ne doivent être prifes que pour des dou- tes. C'efl la déclaration de l'Auteur , en la commençant, fur les fentimens qu'il va com- battre. Ne donnez , dit - il , à mes difcoiirs que Y autorité de la raifon. J'ignore fi je fuis dans ï erreur. Il efi difficile , q;.iand on difcuîe de ne pas prendre quelquefois le ton affirmatif ; mais fouvenez - vous quici toutes mes affirmations ne font que des raifons de douter (z). Peut- on par- ler plus pofitivement ?

Quant à moi , je vois des faits atteftés dans les faintes Ecritures ; cela fuiîit pour arrêter fur ce point mon jugement. S'ils étoient ail- leurs, je rejctterois ces faits ou je leur ôterois ie nom de miracles ; mais parce qu'ils font dans l'Ecriture je ne les rejette point. Je ne

, . , » , ,,

(2) Emile T. III. p. 131.

LETTRE. 169

ks admets pas , non plus , parce que ma raifon s'y refufe , & que ma déciQon fur cet article n'intérelTe point mon falut. Nul Chrétien judi- cieux ne peut croire que tout foit infpiré dans la Bible, jufqu'aux mots & aux erreurs. Ce qu'on doit croire infpiré efl: tout ce qui tient à nos devoirs; car pourquoi Dieu auroit-il infpiré le refte ? Or la do6lrine des miracles n'y tient nullement ; c'efl ce que je viens de prouver. Ainfi le fentiment qu'on peut avoir en cela n'a nul trait au refpeft qu'on doit aux Livres facrés.

D'ailleurs, il efl împofllble aux hommes de s'afFurer que quelque fait que ce puiffe être efl un miracle (^aa) ; c'efl encore ce que j'ai prou-

(oû) Si ces Mefficurs difent que cela efl: décidé dans l'Ecriture, de que je dois reconnoitre pour mi- racle ce qu'elle me donne pour tel ; je réponds que c'efl: ce qui efl: en queflion , & j'ajoute que ce rai- fonnemeut de leur part eH un cercle vicieux. Car

L5

i-o TROISIEME.

vé. Donc en admettant tous les faits contenus dans la Bible , on peut réjetter les miracles fans impiété, & même fans inconféquence. Je n'ai pas été jufques là.

Voila comment vos Meffieurs tirent des miracles, qui ne font pas certains, qui ne font pas néceflaires, qui ne prouvent rien, & que je n'ai pas rejettes, h preuve évidente que je renverfe les fondemens du ChriHiianinne , & que je ne fuis pas Chrétien.

L'ennui vous empêcheroit de me fuivrc fi j'entrois dans le même détail fur les autres ac- cufations qu'ils entalTent , pour tâcher de cou- vrir par le nombre l'injuflice de chicune en particulier. Ils m'accufent par exemple de ré- jetter la prière. Voyez le Livre, & \'ous trou-

puifqu'ils veulent que le miracle ferve de preuve à la Révélation, ils ne doivent pas employer rriito- rite de la Révélation pour conlhter le miracle.

L E T T R E. 171

verez une prière dans l'endroit même dont il s'agit. L'homme pieux qui parle (bb') ne croit pas, il efl: vrai, qu'il foit abfolument néceflai- re de demander à Dieu telle] ou telle chofe en particulier (ce). Il ne defaprouve point qu'on

(hh) Un Miniftre de Genève, difficile apurement en Chriftianifme dans les jugemens qu'il porte du mien, affirme que j'ai dit, moi J. J. RoufiTeau, que je ne priois pas Dieu : Il l'affiire en lout autant de fermes, cinq ou fix fois de fuite, & toujours en me nommant. Je veux porter refpeft à l'Eglife, mais ofcrois-je lui demander oii j'ai dit cela? Il efl: per- mis à tout barbouilleur de papier de déraifonner & bavarder tant qu'il veut; mais il n'eft pas permis à un bon Chrétien d'être un calomniateur public.

(ce) Quand vous prierez dit Jéfus, priez ainjî. Quand on prie avec des paroles , c'eft bien fait de préférer celles-là; mais je ne vols point ici l'ordre de prier avec des paroles. Une autre prière cft pré- férable ;c'efl: d'être difpofé à tout ce que Dieu veut. Me voici y Seigneur^ pour faire ta volonté. De toutes les formules, l'Oraifon dominicale efl;, fans con- tredit, la plus parfaite; mais ce qui efl: plus parfait encore efl l'entière réfignation aux volontés de Dieu. Non point ce que je veux , vxais ce que tu veux. Que dis-je? C'efl l'Oraifon dominicale elle même, Klls

172 TROISIEME

le fafTe ; quant à moi , dit-il , je ne le fais pas , perfuadé que Dieu efl un bon père qui fait mieux que fes enfans ce qui leur convient. Mais ne peut-on lui rendre aucun autre ail te aufli digne de lui ? Les hommages d'un cœur plein de zèle, les adorations, les louanges, la contemplation de fa grandeur, l'aveu de no- tre néant , la réfignation à fa volonté , la fou- miffion à fes loix , une vie pure & fainte, tout cela ne vaut-il pas bien des vœux intéref- fés & mercenaires ? Près d'un Dieu jufte la meilleure manière de demander efl: de mériter d'obtenir. Les Anges qui le louent autour de

efl toute entière dans ces paroles ; One ta volonté fait faite. Toute autre prière efl: fiiperflue & ne fait que contrarier celle-là. Que celui qui penfe ainfî fe trompe, cela peut être. Mais celui qui publi- quement l'accufe à caufe de cela de détruire In mo- rale Chrétienne & de n'être pas Chrétien , eft-il un fort bon Chrétien lui-même"?

LETTRE. 173

fon Trône le prient-ils? Qii'auroient-ils à lui demander ? Ce mot de prière eH fouvent em- ployé dans l'Ecriture pour hoîmnage , adoration , & qui fait le plus eft quite du moins. Pour moi, je ne rejette aucune des manières d'ho- norer Dieu ; j'ai toujours approuvé qu'on fe joignit à l'Eglife qui le prie; je le fais; Je Prêtre Savoyard le faifoit lui-même (dd). L'E- crit fi violemment attaqué efl: plein de tout cela. N'importe: je rejette, dit-on, la prière; je fuis un impie à brûler. Me voila jugé.

Ils difent encore que j'accuie la morale Chrétienne de rendre tous nos devoirs im- praticables en les outrant. La morale Chré- tienne efl celle de l'Evangile ; je n'en recon- nois point d'autre , & c'efl: en ce fens aufli que l'entend mon accufateur, puifque c'efl dej

{(îd) Emile T. III. p. 185.

lU TROISIEME

imputations celle-là fe trouve coniprire qu'il conckid, quelques lignes après, que c'efl: par dérifion que j'appelle l'Evangile divin (<?<•).

Or voyez fi l'on peut avancer, une fauffecé plus noire & montrer une mauvaife foi plus marquée, puifque dans le palTa^e de mon Li- vre où ceci fe rapporte , il n'eH: pas même pof- fible que j'aye voulu parler de l'Evangile.

Voici, Moniieur, ce pafTage: il efl: dans le quatrième Tome d'Emile , page 64. En n'af* ferviflant, les -honnêtes femmes qu'à de tnC{ \ ,-,'tes devoirs , on ^ banni du mariage tout ce , qui pouvoit le rendre agréable aux hom- mes. Faut'il s'étonner fi la taciturnité qu'ils voyent régner chez eux les en ehalTe, ou s'ils font peu tentés d'embralTer un état fl déplaifant. A force d'outrer tous les de-

(ee) Lettres écrites de la Campagne p. 1 1.

LETTRE 17^.

5, voirs , le Chriftianifme les rend impratica- 5, blés & vains: à force d'interdire aux fem- 5, mes le chant la danfe & tous les amufemens du monde , il les rend mauffiides , grondeu-r fes , infupportables dans leurs maifons. "

Mais eft-ce que l'Evangile interdit aux femmes le chant & la danfe? efl-ce qu'il les aflervit à de trides devoirs? Tout au con- traire il y efl parlé des devoirs des maris , mais il n'y eft pas dit un mot de ceux des femmes. Donc on a tort de me faire dire de l'Evangi- le ce que je n'ai dit que des Janfeniftes, des Mcthodiftes, & d'autres dévots d'aujourd'hui, qui font du Chriftianifme une Religion auflî terrible & déplaifante, (ff) qu'elle efl; agréable

(j^) Les premiers Réformés donnèrent d'abord dans cet excès avec une dureté qui fit bien des hy- pocrites, & les premiers Janfeniftes ne manquèrent pas de le^ imiter en cçla. Un prédicateur de Ge- nève , appelle lienri de la Marre , foutenoit en

I

176 TROISIEME

& douce fous la véritable loi de Jëfus - ChriH. Je ne voudrais pas prendre le ton du Père Berruyer , que je n'aime guère , & que je trouve même de très mauvais goût; mais je ne puis m'empêcher de dire qu'une des chofes qui me charment dans le caraftere de Jéfus, n'efl pas feulement la douceur des mœurs , la fimplicité, mais la facilité la grâce & même l'élégance. Il ne fuyoit ni les plaillrs ni Iqs fêtes, il alloit aux noces, il voyoit les fem- mes, il jouoic avec les enfans, il aimoit^es

par-

chaire que c'étoit pécher que d'aller à la noce plus joyeufement que Jéfus - Chrift n'étoit allé à la mort. Un curé Janfenifte foatenoit de même que Jes feftins des noces ctoienc une invention du Dia- ble. Quelqu'un lui objeda là-deflus que Jéfus-Chrifl: y avoit pourtant afCIlé, & qu'il avoit môme dai- gné y faire fon premier miracle pour prolonger la gaité du feflrin. Le Curé, un peu embarradé, ré- pondit en grondant : Ce n'ejl pas ce (^liUfii demUux,

LETTRE. 177

parfums , il mangeait chez les financiers. Ses difciples ne jeunoient point ; Ton auftérité n'ctoit point facheufe. Il étoit à la fois indul- gent & jude , doux aux foibles & terrible auX" méchans. Sa morale avoit quelque chofe d'at- trayant, de carefiant, de tendre; il avoit le cœur fenfible , il étoit homme de bonne focie'- té. Quand il n'eut pas été le plus fage des mortels, il en eut été le plus aimable.

Certains pafTages de Saint Paul outrés on mal entendus ont fait bien dés fanatiques , & ces fanatiques ont fouvent défiguré & desho- noré le Chriftianifme. Si l'on s'en fut tenu à î'efpric du Maître, cela ne feroit pas arrivé- Qu'on m'accufe de n'être pas toujours de l'avis de Saint Paul , on peut me réduire à prouver que j'ai quelquefois raifon de n'en pas être. Mais il ne s'enfuivra jamais de -là que ce foît par dérifion que je trouve l'Evangile divin.

Partie L M

Î78 TROISIEME

Voila pourtant comment raifonnent mes per* {éditeurs.

Pardon , Monfieur ; je vous excède avec ces longs détails ; je le fens & je les termine ; je n*en ai déjà que trop dit pour ma défenfe, & je m'ennuye moi-même de répondre toujours par des raifons à des accufations fans raifon.

~ L E T T R E. 17^

QUATRIEME LETTRE.

Te vous ai fait voir , Monfieur , que les im- putations tirées de mes Livres en preuve que j'attaquois la Religion établie par les loix é- toient faufles. C'eft, cependant, fur ces impu- tations que j'ai été jugé coupable , & traité comme tel. Suppofons maintenant que je le fufle en effet , & voyons en cet état la puni- tion qui m'étoit due.

Ainfi que la vertu le vice a fes degrés.

Pour être coupable d'un crime on ne l'eft pas de tous. La juïlice confifle à mefurer ex- aftement la peine à la faute , & l'extrême pC- tice elle-même cfl: une injure , lorfqu'elle n*a nul égard aux confidérations raifonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi.

Le délit fuppofé réel, il nous refte à cher- M a

i8o QUATRIEME

cher quelle .efl fa nature & quelle procédure efl: prefcritte en pareil cas par vos loix.

Si j'ai violé mon ferment de Bourgeois , comme on m'en accufe, fai commis un crime d'Etat , & la connoifTance de ce crime ap- partient direftement au Confeil ; cela eft in- conteftable.

Mais n tout mon crime confifte en erreur fur la doftrine, cette erreur fut-elle même une impiété ; c'efl: autre chofe. Selon vos Edits il appartient à un autre Tribunal d'en connoîtrt en premier reflbrt.

Et quand même mon crime feroit un crime d'Etat , û pour le déclarer tel il faut préalable- ment une décifion fur la do6lrine , ce n'efl pas au Confeil de la donner. C'efl bien à lui de punir le crime , mais non pas de le confta- ter. Cela efl formel par vos Edits, comme nous verrons ci -après.

LETTRE. I8t

Il s'agit d'abord de favoir fi j'ai violé mon ferment de Bourgeois, c'ell-à-dire , le ferment qu'ont prêté mes ancêtres, quand ils ont été admis à la Bourgeoifie : car pour moi , n'ayant pas habité la Ville & n'ayant fait aucune fonc- tion de Citoyen , je n'en ai point prêté le fer- ment : mais paflbns.

Dans la formule de ce ferment, il n'y a que deux articles qui puiffent regarder mon délit. On promet par le premier , de vhre félon la Réformation du St. Evangile ; & par le dernier , de ne faire ne fouffrir aucunes pratiques machi' nations ou entreprifes contre la Rêformaiion du St. Evangile.

Or loin d'enfreindre le premier article, je m'y fuis conformé avec une fidélité & même une hardieife qui ont peu d'exemples, profefiant hautement ma Religion chez les Catholiques , quoique j'eufie autrefois vécu dans la leur ; & M 3

18a QUATRIEME

Ton ne peut alléguer cet écart de mon enfance comme une infraèlion au ferment, furtout de- puis ma réunion authentique à votre Eglife en 1754. & mon rétabliflement dans mes droits de Bourgeoifie , notoire à tout Genève , & dont j'ai d'ailleurs des preuves pofitives.

On ne fauroit dire , non plus , que j'aye en- freint ce premier article par les Livres condan- nés ; puifque je n'ai point cefle de m'y décla- rer Protellant. D'ailleiu^s , autre chofe efl: la conduite, autre chofe font les Ecrits. Vivre félon la Reformation c'efl: profefler la Réfor- mation , quoiqu'on fe puilTe écarter par erreur de fa doflrine dans de blâmables Ecrits , ou commettre d'autres péchés qui offenfent Dieu , mais qui par le feul fait ne retranchent pas le délinquant de l'Eglife. Cette difl:in6lion , quand on pourroit la difputer en général , e(t ici dans le ferment même ; puirqu'on y fépare en deux

LETTRE. 183

articles ce qui n'en poiirroit faire qu'un, fi !a profelTion de la Religion étoit incompatible a- vec toute entreprife contre la Religion. On y jure par le premier de vivre félon la Réforma- tion , & l'on y jure par le dernier de ne rien entreprendre contre la Réformation. Ces deux articles font très diflinfts & même féparés par beaucoup d'autres. Dans le fens du Légiflateur ces deux chofes font donc féparables. Donc quand j'aurois violé ce dernier article , il ne s'enfuit pas que j'aye violé le premier. Mais ai- je violé ce dernier article? Voici comment l'Auteur des Lettres écri- tes de la Campagne établit l'affirmative, pa- ge 30.

Le ferment des Bourgeois leur impofe l'o-

,, bligation de ne faire ne /ouvrir être faites,

aucunes pratiques machinations ou entreprife s

contre la Sainte Réformation E''Jangé!ique. Il

M 4

184 QUATRIEME

j,' ièmble que c'efl un peu (à) pratiquer & ma- . chiner contre elle que de chercher à prou- 5, ver dans deux Livres û féduifans que le pur -,, Evangile efl: abfarde en lui-même & perni- 3, cieux à la fociété. Le Confeil étoit donc j,. obligé de jetter un regard fur celui que tant de préfomptions véhémentes accufoient 3, de cette entreprifc."

Voyez d'abord que ces MefTieurs font agré- ables 1 II leur femble entrevoir de loin un peu de pratique & de machination. Sur ce petit femblant éloigné d'une petite manœuvre, ils jettent un regard fur celui qu'ils en préfument l'Auteur ; & ce regard eil un décret de prife de corps.

(a) Cet un peu y fi plaifanc & fi différent du ton grave & décent du refte des Lettres , ayant été rçtranché dans la féconde édition , je ra'abftiens d'aller en quête de la griffe à qui ce petit bout, noa d'oreille, mais d'ongle appartient*

LETTRE. 185

' Il eft vrai que le même Auteur s^e'gaye à prouver enfuite que c'efl par pure bonté pour moi qu'ils m'ont décrété. Le Confeil^ dit-il, -pouvoït ajourner perfonnellement M. RouJJeau , H pouvait rajjlgner pour être ouï , il pouvoit le dé- créter De ces trois partis le dernier et oit in-

comparablement le plus doux ce n'êtoit au

fond quun avertijfement de ne pas revenir , s'il ne vouloit pas s''expofet à une procédure , ou s'il vouloit s'y expofer de bien préparer fes défen- fes (h).

Ainfi plaifantoit, dit Brantôme, l'exécuteur de l'infortuné Dom Carlos Infant d'Efpagne. Comme le Prince crioit & vouloit fe débattre. Paix, Monfeigneur, lui difoit-il en l'étranglant, tout ce qu'on en fait n'eji que pour votre bien.

Mais quelles font donc ces pratiques & ma-

S Ci) Page 31.

M Â

i86 QUATRIEME

chinations dont on m'accufi? Pratiquer y fî« j'entends ma langue , c'efl fe ménager des in- telligences fecrettes ; iiiacbiner , c'eft faire de fourdes menées , c'efl faire ce que certaines gens font contre le Chriflianifme & contre moi. Mais je ne conçois rien de moins fecret , rien de moins caché dans le monde , que de . publier un Livre & d'y mettre Ton nom. 1 Quand j'ai dit mon fentiment fur quelque ma- " tiere que ce fut , je l'ai dit hautement , à la fa- ce du public, je me fuis nommé, & puis je fuis demeuré tranquille dans ma retraite : on me perfuadera difficilement que cela refTemble à des pratiques & machinations.

Pour bien entendre l'efprit du ferment & le fens des termes, il faut fe tranfporter au tems la formule en fut dreflee & il s'agifToit efTencielîement pour l'Etat de ne pas retomber fous le double joug qu'on venoit de fecouer.

LETTRE. 187

Tous les jours on découvroit quelque nouvel- le trame en faveur de la maifon de Savoye ou des Evêques , fous prétexte de Religion. Voila fur quoi tombent clairement les mots de pra- tiques & de machinations, qui, depuis que la langue Françoife exifte n'ont fûrement jamais été employés pour les fentimens généraux qu'un homme publie dans un Livre il fe nomme , fans projet fans objet fans vue parti- culière, & fans trait à aucun Gouvernement. Cette accufation paroit fi peu férieufe à l'Au- teur même qui l'ofe faire, qu'il me reconnoit jidelk aux devoirs du Citoyen (c). Or comment pourrois-je l'être , fi j'avois enfreint mon fer- ment de Bourgeois 7

Il n'eft donc pas vrai que j'aye enfreint ce ferment. J'ajoute que quand cela feroit vrai ,

(c) Page 8.

i8S QUATRIEME

rien ne feroit plus inouï dans Genève en cho- fes de cette efpece, que la procédure faite con- tre moi. 11 n'y a peut- être pas de Bourgeois qui n'enfreigne ce fernient en quelque article (d), fans qu'on s'avife pour cela de lui cher- cher querelle , & bien moins de le décréter.

On ne peut pas dire, non plus, que j'attaque la morale dans un Livre j'établis de tout mon pouvoir la préférence du bien général fur le bien particulier & je rapporte nos de- voirs envers les hommes à nos devoirs envers Dieu ,• feul principe fur lequel la morale puiffe être fondée , pour être réelle & paiTer l'appa- rence. On ne peut pas dire que ce Livre tende en aucune forte à troubler le culte établi ni l'ordre public , puifqu au contraire j'y infifle fur

(rf) Par exemple, de ne point fortir de la Ville pour aller habiter ailleurs fans permiiîion. Qui eft- ce qui demande cette permiiîion ?

I

LETTRE. 189

le refpeél qu'on doit aux formes établies , fur l'obéifTance aux loix en toute chofe, même en matière de Religion , & puifque c'efl: de cette obéiflance prefcritte qu'un Prêtre de Genève m'a le plus aigrement repris.

Ce délit fi terrible & dont on fait tant de bruit fe réduit donc , en l'admettant pour réel , à quelque erreur fur la foi qui , fi elle n'efl avantageufe à la fociété , lui ell du moins très indifférente ; le plus grand mal qui en réfulte étant la tolérance pour les fentimens d'autrui , par conféquent la paix dans l'Etat & dans le monde fur les matières de Religion.

Mais je vous demande , à vous, Monfieur, qui connoiflez votre Gouvernement & vos loix, à qui il appartient de juger, & furtout en première inftance , des erreurs fur la foi que peut commettre un particulier? Eft-ce au Confcil , efl;-ce au Confifloire ? Voila le nœud de h queftion.

jpo QUATRIEME

II falloit d'abord réduire le délie à Ton efpe- ce. A préfent qu'elle efl connue , il faut com- parer la procédure à la Loi.

Vos Edits ne fixent pas la peine due à celui qui erre en matière de foi & qui publie Ton erreur. Mais par l'Article 88 de l'Ordonnance eccléfiaflique , au Chapitre du Confifloire , ils règlent l'Ordre de la procédure contre celui qui dogmatife. Cet Article efi: couché en ces termes.

S'il y a qnelqiùin qui dogmatife contre la doc» îrine reçue, qu'il foit appelle pour conférer avec lui: s'il fe range, qu'on le fupporte fans fcandak ni diffame: s'il eft opiniâtre, qu'on l'admonefle par quelques fois pour cffaycr à le réduire. Si on 'Doit enfin qu'il foit befoin de plus grande féiiérî' té, qu'on lui interdife la Sainte Cène , S qu'on sn avertifje le Magiflrat afin d'y pourvoir. On voit par là. lo. Que la première inqui-

1

LETTRE. îgi

fition de cette efpece de délit appartient au Confifloire.

20. Que le Légiflateur n'entend point qu'un tel délit foit irrémiflîble , fi celui qui l'a com- mis fe repent & fe range.

3°. Qu'il prefcrit les voyes qu'on doit fuivre pour ramener le coupable à fon devoir.

4.°. Que ces voyes font pleines de douceur d'égards de commifération ; telles qu'il con- vient à des Chrétiens d'en ufer , à l'exempl/g de leur maître , dans les fautes qui ne troublent point la fociété civile & n'intérefîent que h Religion.

50. Qu'enfin la dernière & plus grande pei- ne qu'il prefcrit eft tirée de la nature du délit, comme cela devroit toujours être, en privanÇ le coupable de la Sainte Cène & de la com- munion de l'Eglife, qu'il a ofFenfée, & qu'i) veut continuer d'offenfer.

i

4

Ï92 (^ U A T R I E M E

Après tout cela le Confifloire le dénonce au Magiftrat qui doit alors y pourvoir ; parce que la Loi ne foufFrant dans l'Etat qu'une feule Religion , celui qui s'obfline à vouloir en pro- fefler & enfeigner une autre , doit être re- tranché de l'Etat. . - ■.^^^...., ;:;. >

On voit l'application de toutes les partiesi de cette Loi dans la forme de procédure fui- vie eu 1563 contre Jean Morelli. ^r Jean MorclIi habitant de Genève avoit fait J & publié un:. Livre., danvS: lequel il. attaquoit la difcipline eccléfiailique & qui fut cenfuré aa Svnode d'Orléans. L'Auteur , fe plaignant beaucoup de cette cenfure & ayant été , pour ce même Livre appelle au Confifloire de Ge-. nève , . n'y voulut point comparoitre & s'en- fuit y puis étant revenu avec la permiffion du Magiftrat pour fe réconcilier avec les Minif- îres il ne tint compte de leur parler ni de fe

rendre

LETTRE. 1^3

rendre au Confiftoire , jafqu'à ce qu'y étant cité de nouveau il comparut enfin , & après de longues difputes, ayant refufé toute efpe- ce de fatisfa6lion , il fut déféré & cité au Confeil , , au lieu de comparoitre , il fie préfenter par fa femme une excufe par écrit, & s'enfuit derechef de la Ville.

Il fut donc enfin procédé contre lui , c'efl:- à-dire, contre fon Livre, & comme la fen* tence rendue en cette occafion eft impor- tante, même quant aux termes , & peu con- nue , je vais vous la tranfcrire ici toute en* tiere; elle peuc avoir fon utilité.

(e) Nous Sindiques Juges des caufes crî- 5, minelles de cette Cité , ayans entendu le rapport du vénérable Confifloire de cet-

Ce) Extrait des procédures faites & tenues con* tre Jean Morelli. Imprimé à Genève chez Françolt fcrrin. 1563 page 10.

Partie L N '

i94 (QUATRIEME

5, te Eglife , des procédures tenues envers Jean Morelli habitant de cette Cité : d'au- tant que maintenant pour la féconde fois il a abandonné cette Cité , & au lieu de 3, comparoitre devant nous & nôtre Confeil, quand il y étoit renvoyé , s'eft montré des- 5, obéilfant : à ces caufes & autres juftes à ce nous mouvantes, feans pour Tribunal au lieu de nos Ancêtres , félon nos anciennes coutumes , après bonne participation de Confeil avec nos Citoyens , ayans Dieu & 5, . fes Saintes écritures devant nos yeux & in- voqué fon Saint nom pour faire droit juge- ment ; diflms. Au nom du Père du Fils & du Saint Efprit, Amen. Par cette nôtre déf- finitive fentence,- laquelle donnons ici par écrit , avons avifé par meure délibér.uion .^ de procéder plus outre, comme en cas de ^ contumace dudic Morelli : furtout afin d'à-

LETTRE. icjj'

5, vertir'tous ceux qu'il appartiendra , de fe donner garde du Livre , afin de n'y être point abufës. Eftant donc duement infor- mez des refveries & erreurs lefquels y font contenus , & furtout que le dit Livre tend 5, à faire fchifmes & troubles dans l'Eglife d'une façon féditieufe: l'avons condanné & condannons comme un Livre nuifible & pernicieux , & pour donner exemple, or- donné & ordonnons que l'un d'iceux foic j, préfentement bruflé. Défendans à tous Li- 5, braires d'en tenir ni expofer en vente : & à tous Citoyens Bourgeois & Habitans de cette Ville de quelque qualité qu'ils foient, j, d'en acheter ni avoir pour y lire: comman- dans à tous ceux qui en auroient de nous les apporter , & ceux qui fauroient il y en a , de le nous révéler dans vingt quatre heu- res, fous peine d'être rigoureufement punis* N %

J9C QUATRIEME

Et à vous noftre Lieutenant commandons que faciez mettre noftre préfente fentence à 5, due & entière exécution."

Prononcée es* exécutée le Jeudi feizîeme jour

de Sepiembre mil cinq cens foixante trois.

Ainfi figné P. Chenelat."

Vous trouverez , Monfieur , des obfervations de plus d'un genre à faire en tems & lieu fur cette pièce. Quant à préfent ne perdons pas notre objet de vue. Voila comment il fut pro- cédé au jugement de Morelli , dont le Livre ne fut brûlé qu'à la fin du procès, fans qu'il fut parlé de Bourreau ni de flétriflure,, & dont la perfonne ne fut jamais décrétée , quoiqu'D fut opiniâtre &. contuma.^.

Au lieu de cela , chacun fait comment le Confeil a procédé contre moi dans l'inftant que l'Ouvrage a paru , & fans qu'il ait même été fait mention du Confiftoire. Recevoir le

LETTRE. i97

Livre par la pofle, le lire, l'examiner, le dé- férer, le brûler, me décréter, tout cela fut faifaire de huit ou dix jours : on ne fauroit imaginer une procédure plus expéditive.

Je me fuppofe ici dans le cas de la loi, dans le feul cas je puifTe être puniflabîe. Car autrement de quel droit puniroit-on des fautes qui n'attaquent perfonne & fur lefqucl- les les Loix n'ont rien prononcé?

L'Edit a-t-il donc été obfervé dans cette af- faire ? Vous autres Gens de bon fens vous imagineriez en l'examinant qu'il a été violé comme à plaiilr dans toutes fes parties. Le Sr. RoulTeau " , difent les Répréfentans , n'a point été appelle au Confiftoire , mais le j, magnifique Confeil a d'abord procédé con- tre lui; il devoit être fupporté fans fcandale^ mais fes Ecrits ont été traités par un juge- ment public , comme téméraires , impies j N3

ip8 (QUATRIEME

fcandakux ; il de voit être fupporté fans dif' famé ; mais il a été flétri de la manière la plus diffamante , fes deux Livres ayant été 5, lacérés & brûlés par la main du Bourreau.

L'Edit n'a dont pas été obfervé " con- tinuent - ils , tant à l'égard de la jurifdifton 5, qui appartient au Confiftoire , que rélative- 5, ment au Sr. RoufTeau , qui devoit être ap- j, pelle , fupporté fans fcandale ni diffame, admonefté par quelques fois, & qui ne pou- voit être jugé qu'en cas d'opiniâtreté ob- flinée."

Voila, fans doute, qui vous paroit plus clair que le jour , & à moi auffi. Hébien non : vous allez voir comment ces gens qui favent montrer le Soleil à minuit favent le cacher k midi.

L'adrelfe ordinaire aux fophifles efl d'en- talTer force argumens pour en couvrir la foi*

L E T T R E, îp9

bîelTe. Pour éviter des répétitions & gagner du tems, divifons ceux des Lettres écrites de la Campagne ; bornons nous aux plus effen- ciels , laifTons ceux que j'ai ci-devant réfutés , & pour ne point altérer les autres rapportons les dans les termes de l'Auteur.

Ceft d'après nos Loîx, dit-il , que je dois eX' amïner ce qui s'ejl fait à regard de M. Roujfeait. Fort bien ; voyons.

Le 'premier Article du ferment des Bourgeois les oblige à vivre félon la Réformation du Saint E- vangile. Or, je le demande, efi-ce vivre félon l'Evangile, qu'è d'écrire contre V Evangile!

Premier fophifme. Pour voir clairement Ci c'efl: mon cas , r-emettez dans la mineure de cet argument le mot Réformation que l'Auteur en ôte , & qui efc néceflaire pour que fon rai- fonnement foit concluant.

Second lophifme. Il ne s'agit pas dans cet N4

^oo QUATRIEME

article da ferment d'écrire félon la Reforma- tîon, mais de vivre félon la Réformation. Ces deux chofes , comme on l'a vu ci - devant font diftinguées dans le ferment même; & l'on a vu encore s'il eft vrai que j'aye écrit ni contre la Réformation ni contre l'Evangile.

Le ■premier devoir des Syndics ^ Confeil efi àe maintenir la pire Religion,

Troifieme fophifme. Leur devoir efl bien de maintenir la pure Religion , mais non pas de prononcer far ce qui n'efl: ou n'ell pas la pure Religion. Le Souverain les a bien char- gés de maintenir la pure Religion , mais il ne les a pas faits pour cela juges de la doftrine. C'eft un autre corps qu'il a chargé de ce foin, & c'cft ce corps qu'ils doivent conful- ter furtoutcs les matières de Religion , comraq ■■ ils ont toujours fait depuis que votre Gouver* netnent exifte. En c^ de délit en ceç roatic^

LETTRE. 20I

res , deux Tribunaux font établis , l'un pour le conftater, & l'autre pour le punir; cela ell évident par les termes de l'Ordonnance: nous y reviendrons ci-après.

Suivent les imputations ci - devant exami- nées, & que par cette raifon je ne répéterai pas ; mais je ne puis m'abftenir de tranfcrire ici l'article qui les termine: il efl: curieux.

// eji "Vrai que M. RouJJeau ^ fes parti/ans p-éîendent que ces dmites n attaquent point réelle- ment le Omjîianifme , quà cela près il continue iîappelkr divin. Mais fi un Lvcre caraciérifé^ comme l'Evangile l'efl dans les ouvrages de M. Roujfeau, peut encore être appelle divin , qu'on ms (life quel efi donc le nouveau fens attaché à ce terme '^ En vérité fi cefi; une cantradiftion , elle cjl choquante', fi c'efi une plaifanteric , convenez ^uelk eft bien déplacée dans un pareil fujet (/) ?

(/) Page II.

N S '

roi QUATRIEME

J'entends. Le culte fpirituel , la pureté du cœur, les œuvres de miféricorde, la confiance, l'humilité, la réfignation, la tolérance, l'oubli des injures, le pardon des ennemis, l'amour du prochain , la fraternité univerfelle & l'union du genre humain par la charité , font autant d'inventions du diable. Seroit-ce le fenti- ment de l'Auteur & de fes amis ? On le diroit à leurs raifonnemens & furtout à leurs œuvres.

£w vérité , fi cefi une contradiction , elle eft choquante. Si cefi une -plaifantcrie , convenez quelle efi bien déplacée dans un pareil /ajet.

Ajoutez que la plaifanteric fur un pareil fu- é jet eft fi fort du goût de ces Meffieurs, que, félon leurs propres maximes, elle eut dû, fi je J'avois faite , me faire trouver grâce devant eux (5).

Après l'expofition de mes crimes, écoutez

C^) Page 23;

LETTRE. 203

les raifons pour lefquelles on a ù cruellement renchéri fur la rigueur de la Loi dans la pour- fuite du criminel.

Ces deux Livres -paroiffint fous le nom d'un

Citoyen de Genève. L'Europe en témoigne fon

fcandale. Le premier Parlement d'un Royaume

voijin pourfuit Emile ^ fon Auteur. Que fera

îe Gouvernement de Genève ?

Arrêtons un moment. Je croîs appercevoir ici quelque menfonge.

Selon notre Auteur le fcandale de l'Europe força le Confeil de Genève de févir contre le Livre & l'Auteur d'Emile , à l'exemple du Par- lement de Paris: mais au contraire, ce furent les décrets de ces deux Tribunaux qui caufe- rent le fcandale de l'Europe. Il y avoit peu de jours que le Livre étoit public à Paris lorfque le Parlement le condanna (h) ; il ne paroiflbic

(b) C'étoit un arrangement pris avant que le Li- vre parut.

204 QUATRIEME

encore en nul autre Pays , pas même en Hol- lande, où il étoit imprimé; & il n'y eut en- tre le décret du Parlement de Paris & celui da Confeil de Genève que neuf jours d'interval- le (/); le tems à peu près qu'il falloit pour avoir avis de ce qui fe pafToit à Paris. Le va- carme affreux qui fut fait en Suifle fur cet- te affaire, mon expulfion de chez mion ami, les tentatives faites à Neufchâtel & même à la Cour pour m'ôter mon dernier azile, tout cela vint de Genève & des environs, après le décret. On fait quels furent les inltigateurs , on fait quels furent les émifTaires , leur aftivité fut fans exemple ; il ne tint pas à eux qu'on ne m'otât le feu & l'eau dans 1 Europe entière, qu'il ne me reftât pas une terre pour lit , pas

(i) Le décret du Parlement fut donné le 9 Juia & celui <Ju Confeil le 19.

LETTRE. 20S

une pierre pour chevet. Ne tranfpofons donc point ainfi les chofes , & ne donnons point pour motif du décret de Genève le fcandalc qui en fut l'effet.

Le premier Parlement d'un Royaume voijîn pourfaif Emile ^ fon Auteur. Que fera le GoU' vernement de Genève ?

La réponfe eft fimple. Il ne fera rien , il ne doit rien faire, ou plutôt, il doit ne rien fai- re. Il renverferoit tout ordre judiciaire , il bra- veroit le Parlement de Paris , il lui difputeroic la compétence en l'imitant. C'étoit précifément parce que j'étois décrété à Paris que je ne pou- vois l'être à Genève. Le délit d'un criminel 3 certainement un lieu & un lieu unique; il ne peut pas plus être coupable à la fois du même délit en deux Etats, qu'il ne peut être en deux lieux dans le même tems , & s'il veut purger !es deux décrets, comment voulez- vous qu'il

!ao6 Q U A T R I E I\l E

fe partage ? En effet , avez-vous jamais ouï dire qu'on ait décrété le même homme en deux pays à la fois pour le même fait ? C'en eft ici le premier exemple, & probablement ce fera le dernier. J'aurai dans mes malheurs le trifte honneur d'être à tous égards un e- xemple unique.

Les crimes les plus atroces , les afraffinats même ne font pas & ne doivent pas être pour- fuivis par devant d'autres Tribunaux que ceux des lieux ils ont été commis. Si un Gene- vois tuoit un homme , même un autre Gene- vois en pays étranger , le Confeil de Genève ne pourroit s'attribuer la connoiffance de ce crime : il pourroit livrer le coupable s'il étoit réclamé , il pourroit en foUiciter le châtiment, mais à moins qu'on ne lui remit volontairement le jugement avec les pièces de la procédure, il ne le jugeroit pas, parce qu'il ne lui appartient

LETTRE. 207

pas de connoître d'un délit commis chez un autre Souverain , & qu'il ne peut pas même or- donner les informations néceflaires pour le condater. Voila la règle & voila la réponfe à la quellion ; que fera le Gouvernement de Genè- ve ? Ce font ici les plus fimples notions du Droit public qu'il feroit honteux au dernier Magif- trat d'ignorer. Faudra - 1 - il toujours que j'en- feigne à mes dépends les élemens de la jurif- prudence à mes Juges?

Il devoît fuivant les Auteurs des Répréfenta- tions Je borner à défendre provijîonnellement le dé* bit dans la Ville (k). C'efl, en effet, tout ce qu'il pouvoit légitimement faire pour contenter fon animofitc ; c'efl ce qu'il avoit déjà fait pour la nouvelle I léloïfe , mais voyant que le Parle- ment de Paris ne difoit rien , & qu'on ne fai-

^ (k) Page 12.

2o8 QUATRIEME

foit nulle part une femblable défenfe , il en eut honte & la retira tout doucement (/). il/j/f îine improbation fi foibk naiiroit-clîe pas été ta- xje de fecrette connivence ? Mais il y a long- tems que , pour d'autres Ecrits beaucoup moins toîérables, on taxe le Confeil de Genève d'une connivence afllz peu fecrette , fans qu'il fe mette fort en peine de ce jugement. Perfon- 9ie, dit-on , n aiiroit pu fe fcanâalifer de la mode'' ration dont on auroit ufc. Le cri public vous apprend combien on eil: fcandalifé du contrai- re. De bonne foi , s'il s'ctoit agi d'un homme aufft défagréabk au public que M. RouJJcau lui était cher y ce quon appelle modération n auroit -il

. pas

(l) Il faut convenir que fi l'Emile doit ûtrc iL'- fendu , rriéloïfe doit être tout au moins brûlée. Les notes furtout en font d "une hardicfie dont la profeflîon de foi du Vicaire n'approclie affurtimcnt pas.

'LETTRE. 209

■pas été taxé d'indifférence , de tiédeur impardoU' nable "? Ce n'auroit pas été un (1 grand mal que cela , & l'on ne donne pas des noms 11 honnê- tes à la dureté qu'on exerce envers moi pour mes Ecrits , ni au fupport que l'on prête à ceux d'un autre.

En continuant de me ruppôfer coupable , ruppofonS) de plus, que le Confeil de Genève avoit droit de me punir , que la procédure eue été conforme à la Loi , & que cependant , fans vouloir même cenfurer mes Livres, il m'eut

^reçu paiflblement arrivant de Paris ; qu'au- roient dit les honnêtes gens ? Le voici. Ils ont fermé les yeux, ils le dévoient.

•„ Que pouvoient-ils faire? Ufer de rigueur

en cette occaQon eut été barbarie, ingrati- tude , injullice même , puifque la véritable

■„ juftice compenfe le mal par le bien. Le coupable a tendrement aimé la Patrie,- il eu Partie L O

210 QUATRIEME

a bien mérité ; il l'a honorée dans l'Europe , & tandis que fes compatriotes avoient hon- 5, te du nom Genevois, il en a fait gloire, il l'a réhabilité chez l'étranger. Il a donné ci- devant des confeils utiles, il vouloit le bien public , il s'efl: trompé , mais il étoit pardon- nable. Il a fait les plus grand éloges des Magillrats , il eherchoic à leur rendre la confiance de la Bourgeoifie ; il a défendu la Religion des Minières , il méritoit quelque j, retour de la part de tous. Et de quel front euilent-ils ofé févir pour quelques erreurs contre le défenfeur de la divinité, contre l'apologifte de la Religion fi généralement attaquée, tandis qu'ils toléroient qu'ils per- mettoient même les Ecrits les plus odieux, les plus indécens , les plus infultans au Chrif- 5, tianifme, aux bonnes mœurs, les plus def- ..„ tru6lifs de toute vertu, de toute morale.

LETTRE. 2rr

5, Ceux mêmes que Roufleau a cru devoir ré- futer? On eut cherché les motifs fecrets d'une partialité fi choquante ; on les euC trouvés dans le zèle de l'accufé pour la liber- & dans les projets des Juges pour Ja dé- truire. RoufTeau eut paiTé pour le martir des loix de fa patrie. Ses perfécuteurs en pre- nant en cette feule occafion le mafque de l'hypocrifie euflent été taxés de fe jouer de la Religion , d'en faire l'arme de leur ven- geance & l'inflrument de leur haine. Enfia par cet empreflement de punir un homme dont l'amour pour fa patrie eft le plus grand crime , ils n'euffent fait que fe rendre o- dieux aux gens de bien , fufpe6ls à la bour- geoifie & méprifables aux étrangers." Voi- la, Monfieur, ce qu'on auroit pu dire; voila tout le rifque qu'auroit couru le Confeil dans le cas fuppofé du délit , en s'abftenant d'eii connoître. 0 a

zi2 QUATRIEME

- Quelqu'un a eu raifon de dire qu'il falloït bru» hr l'Evangile ou les Limes de M. Roujjeau,

La commode méthode que fuivent toujours ces Meflieurs contre moi ! s'il leur faut des preuves, ils multiplient les aflertions & s'il leur faut des témoignages , ils font p^ler des (Quidams.

La fentence de celui-ci n'a qu'un fens qui ne foit pas extravagant , & ce fens eft un blafphême.

Car quel blafphême n'efl-ce pas de fuppofer i'Evangile & le recueil de mas Livres fi fem- blables darK leurs maximes qu'ils fe fuppléenc mutuellement, & qu'on en puilTe indifféremr ment brûler un comme fuperflu, pourvu que l'on conferve l'autre ? Sans doute , j'ai fuivi jdu plus près que j'ai pu la do6lrine de l'Evan- gile; je l'ai aimée, je l'ai adoptée étendue ex- pliquée , fans m'arrêter aux obfcurités , aux

LETTRE. ^13

difficultés , aux myfteres , fans me détourner de l'eflenciel : je m'y fuis attaché avec tout le zè- le de mon cœur ; je me fuis indigné , récrié de voir cette Sainte doftrine ainlî profanée avilie par nos prétendus Chrétiens , & furtout par ceux qui font profeffion de nous en inftruire. J'ofe même croire, & je m'en vante, qu'au- cun d'eux ne parla plus dignement que moi du vrai Chriftianifme & de fon Auteur. J'ai là- defTus le témoignage l'applaudifTement même de mes adverfaires , non de ceux de Genève à la vérité , mais de ceux dont la haine n'eft point une rage , & à qui la paiîion n'a point ôté tout fentiment d'équité. Voila ce qui eft vrai , voila ce que prouvent , & ma réponfe au Roi de Pologne , & ma Lettre à M. d' A- lembert, & l'Héloïfe, & l'Emile, & tous mes Ecrits , qui refpirent le même amour pour l'E- vangile, la même vénération pour Jéfus-Chriii

03

114 QUATRIEME

Mais qu'il s'enfuive de-]à qu'en rien je puifle approcher de mon Maître & que mes Livres puiflent fuppléer à Tes leçons , c'eft ce qui efl: faux , abfurde , abominable ; je détcfle ce blaf- phême & défavoue cette téméricé. Rien ne peut fe comparer à l'Evangile. Mais fa fubli- me fjmplicité n'eft pas également à la portée de tout le monde. Il faut quelquefois pour l'y mettre rexpofer fous bien des jours. Il faut conferver ce Livre fàcrë comme la règle du Maître, & les miens comme les commentai- res de l'Ecolier.

J'ai traité jufqu'ici la queflion d'une maniè- re un peu générale ; rapprochons-la maintenant des faits , par le parallèle des procédures de 3563 & de 1762, & des raifons qu'on donne de leurs différences. Comme c'ell ici le point décifif par rapport à moi, je ne puis, fans né- gliger ma caofe, vous épargner ces détails ^

LETTRE. 215^

peut-être ingrats en eux-mêmes, mais intéref- fans , à bien des égards , pour vous & pour vos Concitoyens. C'eft une autre difcuffion qui ne peut être interrompue & qui tiendra feule une longue Lettre. Mais, Monfieur, enco- re un peu de courage ; ce fera la dernière de cette efpece dans laquelle je vous entretiendrai de moi.

04

3i6 CINQUIEME

CINQUIEME LETTRE.

jfxPKEs avoir établi, comme vous avez vu, la nécelTiLé de févir contre moi, l' Auteur des Lettres prouve , comme vous allez ^' oir , que la procédure faite contre Jean ^Nlorelli, quoi- qu exaftemsnt conforme à l'Ordonnance , & dans un cas femblable au mien , n'étoit point un exemple à fuivre à mon égard ', attendu , premièrement, que le Confeil étant au deiïïis de l'Ordonnance n'cft point obligé de s'y con- former; que d'ailleurs mon crime étant plus grave que le délit de Morelli devoit être trai- té plus févérement. A ces preuves l'Auteur a- joute , qu'il n'efl pas vrai qu'on m'ait jugé fans m'entendre , puifqu'il fuffifoit d'entendre le Li- vre même & que la liétriiTure du Livre ne tombe en aucune fajon fur l'Auteur ; qu'enfin

LETTRE. 217

les ouvrages qu'on reproche au Confeil d'avoir tolérés font innqcens & tolérables en compa- raifon des miens.

Quant au premier Article, vous aurez peut- être peine à croire qu'on ait ofé mettre fans façon le petit Confeil au defîlis des Loix. Je ne connois rien de plus fur pour vous en con- vaincre que de vous tranfcrire le paflage ce principe efl établi & de peur de changer le fens de ce paffage en le tronquant , je le tranfcrirai tout entier.

{a) L'Ordonnance a- 1- elle voulu lier les mains à la puilTance civile & l'obliger à ne réprimer aucun délit contre la Religion qu'après que le Confiftoire en auroit con- 5, nu ? Si cela étoit il en réfulteroit qu'on pourroit impunément écrire contre la Relî-.

., (a) Page 4. f O 5

2i8 CINQUIEME

ligion , que le Gouvernement feroit dans rimpuilTance de réprimer cette licence, & ,, de flétrir aucun Livre de cette efpece; car 5, fi l'Ordonnance veut que le délinquant pa- roifle d'abord au Confifloire, l'Ordonnance 5, ne prefcrit pas moins que s'il fc range on le 5, fupporte fans diffame. Ainfi quel qu'ait été fon délit contre la Religion , l'accufô en fai- 3, fant femblant de fc ranger pourra toujours 3, échapper ; & celui qui auroit diffamé la Re^' ligion par toute la terre au moyen d'un re- 5, pentir fimulé devroit être fupporte y^?zj- dif- famé. Ceux qui connoifllnt l'efprit de févé- rite , pour ne rien dire de plus , qui régnoit , lorfque l'Ordonnance fut compilée, pour- ront-ils croire que ce foit-là le fens de l'Ar- 5, ticle 88. de l'Ordonnance ?

Si le Confifloire n'agit pas , fon inaftion enchaînera-t-elle le Confeil? Ou du moins

LETTRE. 219

fera-t-il réduit à la fon6lion de délateur au- 5, près du Confitloire ? Ce n'efl: pas ce qu*a entendu l'Ordonnance , lorfqu'après avoir traité de l'établilTement du devoir & du pou- voir du Confifloire , elle conclud que la puif- fance civile refte en fon entier , en forte qu'il ne foit en rien dérogé à fon autori- , ni au cours de la juflice ordinaire par aucunes remontrances eccléfiailiques. Cette Ordonnance ne fuppofe donc point, comme on le fait dans les Répréfentations , que dans cette matière les Miniflres de l'Evan- 5, gile foient des juges plus naturels que les j, Confeils. Tout ce qui efl du refTort de l'au- 5, torité en matière de Religion efl du reflbrt 5, du Gouvernement. C'efl le principe des 5, Proteftans, & c'efl fînguliérement le princi- pe de notre Conflitution qui en cas de dif- pute attribue aux Confeils le droit de dé" eider fur le dogme."

220 CINQUIEME

Vous voyez , Monfieur., dans ces dernières lignes le principe fur lequel eft fondé ce quj les précède. Ainfi pour procéder dans cet -ex- amen avec ordre , il convient de commencer par la fin.

Tout ce qui efi du rejjort de r Autorité en ma- tière de Religion eji du reJJort du Gouvernement,

Il y a ici dans le mot Gouvernement une é- quivoque qu'il importe beaucoup d'éclaircir , & je vous confeille , fi vous aimez la conftitution de votre patrie, d'être attentif à la difliinç- tion que je vais faire ; vous en fentirez bien» tôt l'utilité.

Le n;ot de Gouvernement n'a pas le même fens dans tous les pays , parce que la confljtu- tion des Etats n'efl: pas par tout la même.

Dans les Monarchies la puiiTance execu- tive eft jointe à l'exercice de la fouveraineté , le Gouvernement n'eft autre chofe que le Son-

LETTRE. ^21

verain lui-même, agiflant par fes Miniftres , par fon Confeil , ou par des Corps qui dépen- dent abfolument de fa volonté. Dans les Ré- publiques, furtout dans les Démocraties, le Souverain n'agit jamais immédiatement par lui- même , c'efl: autre chofe. Le Gouvernement n'ell alors que la puilTance executive , & il efl: abfolument diflin6l de la fouveraineté.

Cette diftinftion efl très importante en ces matières. Pour l'avoir bien préfente à l'efpric on doit lire avec quelque foin dans le Contrat Social les deux premiers Chapitres du Livre troifieme, ou j'ai tâché de fixer par un fens précis des exprelîîons qu'on lailToit avec art incertaines , pour leur donner au befoin telle acception qu'on vouloit. En général, les Chefs des Républiques aiment extrêmement emplo- yer le langage des Monarchies. A la faveur de termes qui femblent confacrés , ils favenC

222 CINQUIEME

amener peu à peu les chofes que ces mots fi- gnifient. C'efl ce que fait ici très-habilement l'Auteur des Lettres, en prenant le mot de Gouvernement f qui n'a rien d'effrayant en lui- même, pour l'exercice de la fouveraineté , qui feroit révoltant , attribué fans détour au petit Confeil.

C'efl ce qu*il fait encore plus ouvertement à dans un autre paffage (b) -, après avoir dit que le Petit Confeil eft le Gouvernement même^ ce qui efl: vrai en prenant ce mot de Couver- nement dans un fens fubordonné , il ofe ajouter qu'à ce titre il exerce toute l'autorité qui n'efl: pas attribuée aux autres Corps de l'Etat ; pre- nant ainfi le mot de Gouvernement dans le fens de la fouveraineté , comme fi tous les Corps de l'Etat , & le Confeil général lui - me-

; (&) Page 66,

LETTRE. 223

me , étoient inftituës par le petit Confeil : car ce n'eft qu'à la faveur de cette fuppofition qu'il peut s'attribuer à lui feul tous les pouvoirs que la Loi ne donne expreflement à perfonne. Je reprendrai ci- après cette queflion.

Cette équivoque éclaircie , on voit à décou- vert le fophifme de l'Auteur. En effet , dire que tout ce qui efl du reflbrt de l'autorité en matière de Religion efl du reffort du Gou- vernement , eil une propofition véritable , pur ce mot de Gouvernement on entend la puifTance légiflative ou le Souverain ; mais elle efl; très faufle fi l'on entend la puilTance execu- tive ou le Magiflrat ; & l'on ne trouvera ja- mais dans votre République que le Confeil gé- néral ait attribué au petit Confeil le droit de régler en dernier reflbrt tout ce qui concerne la Religion.

Une féconde équivoque plus fubtile encore

S24 CINQUIEME

vient à l'appui delà première dans ce qui fuit. Cejl le principe des ProtcJIans, ^ cejl fingii- licrement Tefprit de notre conjlitution qui, dans le cas de difpute attribue aux Confcils le droit de décider fur le dogme. Ce droit , foit qu'il y ait difpute ou qu'il n'y en ait pas, appartient fans contredit aux Confcils mais non pas au Confeil. Voyez comment avec une lettre de plus ou de moins on pourroit changer la conftitution d'un Etat !

Dans les Principes des Proteftans , il n'y a point d'autre Eglife que l'Etat & point d'autre Légiflateur eccléfiaftique que le Souverain. C'efl: ce qui efl: manifefte , furtout à Genève, l'Ordonnance eccléfiaflique a reçu du Sou- verain dans le Confeil général la même fanc- tion que les Edits civils.

Le Souverain ayant donc prefcrit fous le nom de Réformation la doétrine qui devoit ê-

tre

LETTRE, 22^

tre enfeîgnée à Genève & la forme de culte qu'on y devoic fuivre , a partagé entre deux corps le foin de maintenir cette do6lrine & ce eu! te tels qu'ils font fixés par la Loi. A l'un elle a remis la matière des enfeignemens publics , la dcclfion de ce qui eft conforme ou contraire à la Religion de l'Etat, les avertiflemens & admonitions convenables, & même les puni* tions fpiritueiles , telles que rexcommunication» Elle a chargé l'autre de pourvoir à l'eséciitioti des Loix fur ce point comme fur tout autre , & de punir civilement les prévaricateurs ob* flinés»

Ainfi toute procédure régulière fur cette matière doit commencer par l'examen du fait ; favoir^ s'il efl vrai que l'accufé foit coupable d'un délit contre la Religion, & par la Loi cet examen appartient au feul Confilloire.

Quand le délit eft condaté & qu'il ed de

Pm-îk L P

226 C I N O U I E M E

nature à mériter une puni:ion civile, c efl: alors ' au INÎagiilrat feu! de faire droit , & de décer- ner cette punition. Le Tribunal eccléfiaftique dénonce le coupable au Tribunal civil , & voi- lât comment s'établit fur ce:te matière la com- pétence du Confeil.

Mais lorfque le Confeil veut prononcer en Théologien fur ce qui efl ou n'efl: pas du dog- me, lorfque le Confifloire veut ufurper la jurif- dicliort civile, chacun de ces corps fort de fa compétence j il défobéîf à la Loi & au Souve- rain qui l'a portée , lequel n'efl pas moins Lé- giflateur en matière eccléiiaflique qu'en matiè- re civile, & doit être reconnu "t-el des deux- côtés.

Le Magiflrât efl toujours juge des Minif- tres en tout ce qui regarde le civil, jamais en ce qui regarde le dogme ; c'eft le Confilloire. Si le 'Confeil prononjoit les jugcmens de l'E-

L E T T R E, 22::

lli'iio il auroit le droit d'excommunication , &. au contraire fes membres y font fournis eux-p mêmes. Une contradi6lion bien plaifante danS cette affaire efl que' je fuis décrété pour mes erreurs & que je ne fuis pas excommunié ; le Confeil me pcurfuit comme apoftat & le Confifloire me laifTe au rang des fidelJes l Cela neft-il pas ;flngulier?

Il efl bien vrai que s'il arrivée des diffentions entre les Miniflres fur la do6lrine, & que par l'obftination d'une des parties ils ne pulHent s'accorder ni entre eux ni par l'entremife des Anciens, il eft dit par l'Article 18. que la eau- fe doit être portée au Magidrat pour y mettre drdrc.

Mais mettre o»dre à la qujerelle n'efl; pas- décider du dogme. L'Ordonnance explique el- le-même le motif du recours au Magiîlrat ;. c cft l'obflination d'une ^es Parties. Or la po- P 2,

2z^ C î N Q U I E M E

lice dans tout l'Etat, rirjfpeclion fur les quefel-* les, le maintien de la paix & de toutes les fondions publiques, la réduction des obdinés, font incontcdablement du reflort du Magiilrat. Il- ne jugera pas pour cela de la doclrine , mais il rétablira dans l'aiTemblée l'ordre convenable pour qu'elle puifTe en juger.

Et quand le Confeil feroit juge de la doc- trine en dernier relTort , toujours ne lui feroit- il. pas permis d'intervertir l'ordre établi par la Loi, qui attribue au Confifcoire la première connoiilance en ces matières; tout de même qu'il ne lui efl pas permis , bien que juge fu- prème, d'évoquer à foi les caufes civiles, a- vant qu'elles aient palTé aux premières appel- lations.

1/article i8 dit bien qu'en cas que les Mi- niflres ne puiflent s'accorder, la caufe doit être portée au jMagidrat pour y lueitre ordre ;

LETTRE. 339

mais il ne dit point que la première connoiP- fance de la do6lrine pourra être orée au Con- fiitoire par le IVIagiftrat, & ii n'y a pas un -feul exemple de pareille ufurpation depuis que la République exifre (r). CeO: dequoi l'Auteur

(c) Il Y ^^'i^ ^^'^^ 'fi rei:<;ie!Tie nécle beaucoup de dirputes f'-ir h prcdcftination , dont on auroit dit faire rainufeincnt des écoliers , & dont on ne man- qua pas, f^Ion lufage, de f::ire une grande affaire d'Ktat, Cependant ce furent !es Miniflres qui la dé- cidèrent, & mûine contre l'intérêt publjc. Jamais, que je fachc, dcpuii les Edics, le petit Confeil ne s'eft avifé de prononcer fur le do;^.ne fans leur concours. Je ne counois qu'un jugeineuc^de cette efpece, & il fut rendu par le, Deux-Cent. Ce fut d^xM la grande querelle de iû69 fur la grâce parti- culière. Aprôi de longs & vains débats dans laCom- pr;gnie & dans le Confilloire, les Profefreurs, ns pouvant s'accorder , porter-ent l'atFaire au petit Con- feil, qui ne la jugea pas. Le Deux-Cent l'évo<^]ua & la jugea. L'importante quellion dont il s'agilfoit é- toit de favoir fi Jéfus étoit mort leulcment pour le falut des élus , ou s'il étoit mort aulTî pour le faluc des dannés. Après bien des féances à de meures délibérations, le Magnifique Confeil des Deux-Cents prononça que Jéfus n'étoit mort que pour le fuUi£

P3

*3o C I N Q U I E M E

des Lettres paroit convenir lui-même eii difant qvien cas de difpute les Confeils ont le droit de décider fur le dogme ; car c'efl dire qu'ils n'ont ce droit qu'après l'examen du Confidoire, & qu'ils ne l'ont point quand le Confiiloire cil d'accord.

Ces diftinflions du reiTort civil & du reflbrt cccléfiâftique font claires , & fondées, non feu-

des élus. On conçoit bien que ce jugement fut une affaire de favair, & que Jéfus feroit mort pour les dannés, fi le ProfeflTeur Tronchin avoit eu plus de crédit que fon adverfuire. Tout cela fans doute cft fort ridicule: on peut dire toutefois qu'il ne s'agif- foit pas ici d'un dogme de foi, mais de l'uniformi- té de rinftru6l:ion publique dont rinfpc(5lion appar- tient fans contredit au Gouvernement. On peut a- jouter que cette belle difpute avoit tellement excité l'attention que toute la Ville étoit en rumeur. Mais n'importe; les Confcils dévoient appaifer la quercl- te fans prononcer fur la doctrine. La décifion de toutes les qucftions qui n'intéreiTcnt perfonne & ou qui que ce foit ne comprend ri^n doil toujours eue laiiTôe aux ïhcolosiens.

LETTRE. 231

îemenî: far la Loi, mais fur la raifon, q li ne veut pas que les Juges , de qui dépend le fo;c des particuliers en puifTenc décider autrement que fur des faits conitans , fur des corps de dé- lit pofitifs , bien avérés , & non f jr des impu- tations auili vagues auifi arbitraires que cel- les des erreurs fur la Religion ; &. de quelle fureté jouiroient les Citoyens , 11 , dans tan: de dogmes obfcurs , fufceptibles de divcrfes interprétations , le Juge pouvôit clioifn* au gré de fa palTion celui qui chai^geroit ou dif- culperoit TAccufé, pour le condanner ou l'ab^ foudre ?

La preuve de ces difliinclions eft dans fin» llitution même , qui n'auroit pas établi un Tribunal inutile ; puifque fi le Confeil pouvoit juger , furtout en premier rcfîbrt , des matières cccléfiaftiques , l'inftitution du Confiu;oire ne ,iviroit de rien.

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i32 C I N Q LM E M E

Elle eil encore en mille endroits de TOr- donnance , le Legiflateur diftingue avec tant de foin l'autorité des deux Ordres ; dis- tinclion bien vaine, fi dans l'exercice de fcs fonclioiis l'un étoit en tout fournis à l'autre. Voyez dans les Articles XXIII & XXIV. la fpécification des crimes puniffables par les Loix , & de ceux dont la prcmicrc 'mqnifiîioH Appartient au ConJïJJoire.

Voyez la fin du même Article XXIV , qui veut qu'en ce dernier cas, après la convi61iou du coupable le Confiftoirc en falTc rapport au Confeil , en y c.joutant fon avis. Jfiii , dit l'Or- donnance , qrte le jugement concernant la punî- tîQn fait toujours refervé à la Seigneurie. Ter- mes d'où l'on doit inférer que le jugement concernant la doflrine appiirtient au ConfiA <;oire.

Voyez le ferment deç Miniitrcs , qui jurent'

LETTRE. 233

de fe rendre pour leur part fujets & obéiflans aux Loix ; & au Magillrat entant que leur Mi- nillere le porte : c'eft-à-dire fans préjudicier à ja liberté qu'ils doivent avoir d'enfeigner feloa que Dieu le leur commande. Mais feroit- cette liberté s'ils étoient par les loix fujets pour cette do6lrine aux décifions d'un autre corps que le leur ?

Voyez l'Article 80 , non feulement l'EdiÊ prefcrit au Confiftoire de veiller & pourvoir aux défordres généraux & particuliers de l'E- glife , mais il l'inftitue à cet ejffet. Cet arti- cle a-t-il un fens ou n'en a-t-il point ? ed-il ab- folu , n'efl'il que conditionnel ; & le Confiftoi- re établi par la Loi n'auroit-il qu'une exigen- ce précaire, & dépendante du bon plaifir du Confcil ?

Voyez l'Article 97 de la même Ordonnance, dans les cas qui exigent punition civile, l\

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£34 CINQUIEME

efl dit que le Confiftoire ayant ouï les Panics & fait les remontrances & cenfures ecclériaf- tiques doit rapporter le tout .au Confeil , lequel fur fon rapport , remarquez bien la répétition de ce mot favifer a d'ordonner ^ faire jugement y félon r exigence du cas. Voyez, enfin, ce qui fuit dans le même Article , & n'oubliez pas que c'efi: le Souverain qui parle. Car combien que ce foîent chofes conjointes^ cf infépayahlcs que la Seigneurie ^ fupérlorité que Dieu nous a don- née, £? le Gouvernement fpirituel qiiil a établi dans fon Eglife , elles ne doivent pullement être confifes ; piiifque celui qui a tout empire de com- inander ^ auquel nous voulons rendre toute fu- jétion comme nous devons , veut être tellement re- connu Auteur du Gouvernement politique ^ ec- cUfiafiique , que cependant il a cxprejpment dif- cerné tant les vocations que r adminijlration de ïun IS de Vautre,

LETTRE. 2Ç55

Pvlais comment ces adminiilrations peuvent- elles être diflinguées fous l'autorité commune ciu Légiflateur, H l'une peut empiéter à Ton gré fur celle de l'autre? S'il n'y a pas de la contradiction, je n'en làurois voir nulle part. A l'Article 88, qui prefcrit exprefîement l'or- dre de procédure qu'on doit obferver contre ceux qui dogmatifent , j'en joins un autre qui n'efl: pas moins important ; c'efl l'article 53 au titre du Cathéchlfme, il efl: ordonné que ceux qui contreviendront au bon ondre , après avoir été remontrés Tuffifamment , s'ils perfiflent , foient appelles au Confifloire , &f Ji lors ils ne "ceident obtempérer aux remontrances qui leur feront faites , qiiil en foit fait rapport à la Sei^ gneurie.

De quel bon ordre cfl-il parlé ? Le Titre le dit ; c'cft du bon ordre en matière de doc- trine , puifqu'il ne s'agit que du Cathéchifm*;

Î3<5 CINQUIEME

qui en efl le fommairc. D'ailleurs le maintien, du bon ordre en général parole bien plus ap- partenir au Magillrat qu'au Tribunal eccléfiaf- tique. Cependant voyez quelle gradation ! Pre- mièrement il faut remontrer ; Il le coupable per- fifle , il faut Tappeller au Confiftoirc ; enfin s'il ne veut obtempérer , il faut faire rapport à k ' Seigneurie. En toute matière de foi , le der- nier relTorc eft toujours attribué aux Confeils j telle efl la Loi , telles font toutes vos Loix. J'attends de voit quelque article , quelque paf- fage dans vos Edits , en vertu duquel le petit Confeil s'attribue auflî le premier r^flurt, & puifTe faire tout d'un coup d'un pareil délit le fujet d'une procédure criminelle.

Cette marche n'efl pas feulement contraire à îa Loi , elle efh contraire à l'équité , au bon fens, à l'ufage univcrfel. Dans tous les pa^^î du monde la règle veut qu'en ce oui concerne

Lettre 217

ù:

V-îie fcience ou un art , on prenne , avant que de prononcer , le jugement des ProfefTeurs dans cette fcience ou des Experts en cet art ; pourquoi , dans la plus obfcure dans la plus difficile de toutes hs fciences , pourquoi , lorf- qu'il s'agit de l'honneur & de la liberté d'un homme, d'un Citoyen, les Magiilrats négli- geroient-ils les précautions qu'ils prennent dans l'art le plus mécanique au fujet du plus vii intérêt?

Encore une fois , à tant d'autorîte's à tanc de raifons qui prouvent l'illégalité & l'irrégula* rite d'une telle procédure quelle Loi , quel dit oppofe-t-on pour la juflifier? Le feul paA fage qu'ait pu citer l'Auteur des Lettres eft ce* lui -ci , dont encore il tranfpofe les tenr.es pour en altérer rcfprit.

Ojie Toutes les remontrances eccUJiaJiïques fi f'\i]h:t en telle forts que -j^ar le Confifloire ne fuit

233: C ï N Q U I E M E.

en rien dérogé à l'autorité de la Seigneurie ni d:- la jifjîice ordinaire; mais que la puijjlmce civile demeure en fon entier (d).

Or voici la conféqiience qu'il en tire. Cet- 5, te Ordonnance ne ftippore donc point, corn- ,', me on le fait dans les Représentations que les Miniflres de l'Evangile foient dans ces i, matières des Juges plus naturels que les Confcils. *' Commençojis d'abord par remet* tre le mot Confeil au flngulier, & pour caufe.

Mais oïl eft-ce que les Répréfentans ont fuppofé que les Miniflres de l'Evangile fuflent dans ces matières dès Juges plus naturels que le Confeil (c).

(d) Ordonnances eccléfiaftiques Ait. XCVII.

(e) L'examen ^ la difcujjion de cette. matière , di- fent-ils pnge 42, oprartiennent mieux aux Blinif- Wes de l'Evangile qu'au Magnifique ÇonJeU. Quelle cil- la matière dont il s'agit dans ce paffnge? C'cll; la quellion û fous l'iipparence djjs doutes j'ai ralTeiiiblé

LETTRE. 239

Selon l'Edit le Confifloire & le Confeil font Juges naturels chacun dans fa partie, l'un de la doftrine , & l'autre du délit. Ainfî la puifTan- ce civile & l'éccléflaflique relient chacune en fon entier fous l'autorité commune du Souve- rain ; & que fignilieroic ici ce mot même de PuiJJance civile , s'il n'y avoit une autre Puijfan- ce fous-entendue ? Pour moi je ne vois rien dans ce paffage qui change le fens naturel de ceux que j'ai cités. Et bien loin de-là ; les li- gnes qui fuivent les confirment, en détermi- nant l'état le Confifloire doit avoir mis la

dans mon Li^re tout ce qui peut tendre à fappcr é- bianler & détruire les principaux fondemens de la Religion Chrétienne. L'Auteur des Lettres part de- là pour faire dire aux Rcpréfentans que dans ces . matières les Miniftres font des Juges plus naturels que les Confeils. Ils font fans contredit des Juges- plus naturels de la quelHon de Théologie , mais non pas de la peine due au délit, & c'eft aufli ce que les Répréfi^tans n'ont ni dit ni fait entendre.

Uo CINQUIEME

procédure avant qu elle foit portée au Confciï. C'eft précifément la conclafion contraire à cel- le que l'Auteur en voudroit tirer.

Mais voyez comment , n'ofant attaquer l'Ordonnance par les termes , il l'attaque par les conféquences,

j, L'Ordonnance a-t*elle voulu lier les mains à la puilTance civile , & l'obliger à ne ré- primer aucun délie contre la Religion qu'a- près que le Confifloire en auroit connu ? Si cela étoit ainfi il en réfukeroit qu'on pour- roit impunément écrire contre la Religion y car en faifant femblant de fe ranger l'accufé pourroit toujours échapper, & celui qui au- roit difl\imé la Religion par toute la terre devroit être fupporté fans diffame au moyen 5, d'un repentir fimulé (/). "

if) Page i.^

LETTRE.

241

C'ell: donc pour éviter ce malheur affreux, cette impunité fcandaleufe , que l'Auteur ne veut pas qu'on fuive la Loi à la Lettre. Tou- tefois feize pages après , le même Auteur vous parie ainfl.

La politique & la philofophie pourront 5, foutenir cette liberté de tout écrire, mais nos Loix l'ont réprouvée : or il s'agit de fa- ,, voir fi le jugement du Confeil contre les Ou- vrages de M. Rouffeau & le décret contre fa perfonne font contraires à nos Loix , <& non de favoir s'ils font conformes à la phî- 5, lofophie & à la politique (g)."

Ailleurs encore cet Auteur, convenant que la flétriflure d'un Livre n'en détruit pas les ar- gumens & peut même leur donner une publi- cité plus grande , ajoute : A cet égard , je

(g) Page 30.

Partie L Q

Î42 CINQUIEME

retfouve afTez mes maximes dans celles des Répréfentations. Mais ces maximes ne font pas celles de nos Loix (/;). "

En refferrant & liant tous ces paffages , leur trouve à peu près le fens qui fuit.

Quoique la Pbilofophîe la Politique ^ la rai/on pulffent foutenir la liberté de tout écrire , on doit dans notre Etat punir cette liberté ^ parce que nos Loix la réprouvent. Mais il ne faut pourtant pas fuivre nos Loix à la Lettre , parce qu alors an ne puniroit pas cette liberté,

A parler vrai , j'entrevois je ne fais quel galimathiàs qui me choque ; & pourtant l'Au- teur me paroit homme d'efprit : ainfi dans ce réfumé je penche à croire que je me trompe làns qu'il me foit poffible de voir en quoi.- Comparez donc vous-même les pages 14, 22,

(i) Page a2,

LETTRE. 143

30 ; & vous verrez fi j ai tort ou raifon.

Qioi qu'il en foie, en attendant que l'Auteur nous montre ces autres Loix les préceptes de la Phiiofophie & de la Politique font îé" prouvés , reprenons l'examen de fes objeftions contre celle-ci.

Premièrement j loin que, de peur de lailîk un délit impuni , il foit permis dans une Ré-> publique au Magiflrat d'aggraver la Loi, il ne lai ell pas même permis de l'étendre aux dé- lits fur lefquels elle îi'efl pas formelle, âzYôn fait combien de coupables échappent en An- gleterre à la faveur de la moindre didîn^lioiî fubtile dans les termes de la Loi. Quiconque efi plus févere que les Loix y dit Vauvenargue, efi

un Tyran (i),

(<) Comme il n'y a point à Genève de Loix péna- les proprement dites, le Magiftrat inflige arbitrairé- Mîent la peine des crimes ; ce qui eft aflurément »ri

244 CINQUIEME

Mais voyons fl la conféquence de rimpiinî- , dans refpece donc il s'agit , elT: fi terrible que l'a fait l'Auteur des Lettres.

Il faut , pour bien juger de l'efpric de la Loi, fe rappeller ee grand principe, que les meilleures Loix criminelles font toujours celles qui tirent de la nature des crimes les châti- mens qui leur font impofés. Ainfi les aflaffins doivent être punis de mort , les voleurs , de la perte de leur bien , ou , s'ils n'en ont pas , de celle de leur liberté , qui eil alors le feul bien qui leur refte. De même, dans les délits qui

grnnd défaut dans la Lcgiflation & un abus énorme dans un Etat libre. Mais ccttti autorité du Magif. trat ne s'étend qu'aux crimes contre la loi naturelle & reconnus tels dans toute fociété , ou aux chofes fpécialement défendues par la loi pofiti^'e ; elle ne va pas jufqu'à forger un délit imaginaire il n'y eïi' a point , ni, fiir quelque délit qae ce puilTe e- tre, jufqu'à renverfer, de peur qu'un coupable n'é*»' chape, l'ordre de la procédure fixé par la Loi.

LETTRE. 245

font uniquement contre la Religion , les peines doivent être tirées uniquement de la Religion ; tel efl- , par exemple , la privation de la preu- ve par ferment en chofes qui l'exigent ; telle efl: encore l'excommunication , prefcritte ici comme la peine la plus grande de quiconque a dogmatifé conrre la Religion. Sauf, enfuite, le renvoi au Magidrat , pour la peine civile due au délit civil, s'il y en a.

Or il faut fe refibuvenir que l'Ordonnance, l'Auteur des Lettres, & moi, ne parlons ici que d'un délit fimple contre la Religion. le délit étôit complexe , comme fi, par exem- ple , j'avois imprimé mon Livre dans l'EtaC fans permifîîon , il eft inconteflable que pour ê- tre abfous devant le Confiftoire , je ne le ferois pas devant le Magiitrat.

Cette difdnclion faite, je reviens & je dis: il y a cette différence entre les délits contre

*45 CINQUIEME

la Religion & les délits civils , que les demier$ font aux hommes ou aux Loix un tore un mal tëel pour lequel la 0reté publique exige r4écer- fairement réparation & punition ; mais les aa- Xtes font fe-^ilement des ofFenfes contre la di- vinité, à qui nul ne peut nuire & qui pardon- ne au repentir. Quand la divinité efl appaifée, il n'y a plus de d41it 4 punir, fauf le fcandale, & le fcandale. fe. répare çn donnant au repen- tir la même publicité qu'a eu la faute. La cha- rité Chrétienne imite alors la clémence divine, & ce ferait une iuconféquence abfurde de ven- ger, la Religion par une rigueur que la Religion réprouve. La juflice humaine n'a & ne doit avoir nul égard au repentir , je l'avoue ; mais voila s précifément pourquoi , dans une efpecc de délit que le repentir peut réparer , l'Ordon- «ancè a pi>s d,es mçfures pour que le Tribuna. mvll n'en prjt p.as d'^bcrd connoiflance»

LETTRE. 24.7

^inconvénient terrible que l'Auteur trouve ii laifler impunis civilement les délits contre la Religion n'a donc pas la réalité qu'il lui çjonne ^ § la conféquence qu'il en tire pour prouver que tel n'efl: pas l'efprit de la Loi, n'efl point ùjHe , contre les teripes formels de la Loi.

Jiijji qiiçl qu'ait été le délit contre la Religion , ajoute- 1- il, ïaccufé en fuijant fcmblant de fc mnger- pourra toujours écbapp er. L' Ordonn ance m dk p2S'^ s'il fait femblant de fe ranger ^ elle dit, iilfe range ^ & il y a des règles aulîî cer- taines qu'on en puiÇe avoir en tout autre cas pour diftinguer ici la réalité de la faufle appa- rence , furtout quant aux effets extérieurs, fei^ls compris fous ce mot , s'il fe range,^

Si le çlçlinquant s'étant rangé retombe , il. commet un nouveau délit plus grave & qui tnérite m traitement plus rigoureux. Il eft re- bps , ^ les voyes de le ramener à Ton devoir

24S C I N (^ U I E iM K

font plus féveres. Le Confeil a defllis pour modèle les formes judiciaires de l'inquifition (Q, & fi l'Auteur des Lettres n'approuve pas qu'il foit auffi doux qu'elle , il doit au moins lui lâifTer toujours la diftin^lion des cas ; car il n'eft pas permis , de peur qu'un délinquant ne retombe , de le traiter d'avance comme s'il étoit déjà retombé.

C'ell pourtant fur ces faufTes confequences que cet Auteur s'appuye pour affirmer que l'E- dit dans cet Article n'a pas eu pour objet de ré- gler la procédure & de fixer la compétence des Tribunaux. Qu'a donc voulu l'Edit, félon lui? Le voici.

Il a voulu empêcher que le Confiiloire ne fé- vir contre des gens auxquels on imputeroit ce qu'ils n'auroient peut-être point dit , ou dont on auroit exagéré les écarts; qu'il ne févit,dis-

{k) Voyez le manuel des Inquifiteurs.

LETTRE. 249

je , contre ces gens-là fans en avoir conféré a- vec eux, fans avoir elfayé de les gagner.

Mais qu eft-ce que févir, de la part du Con- fifloire ? C'eft excommunier , & déférer au Confeil. Ainfi, de peur que le Confilloire ne défère trop légèrement un coupable au Con- feil , l'Edit le livre tout d'un coup au Confeil. C'efl: une précaution d'une efpece toute nou- velle. Cela efl: admirable que, dans le même cas , la Loi prenne tant de mefures pour em- pêcher le Confifloire de févir précipitamment, & qu'elle n'en prenne aucune pour empêcher le Confeil de févir précipitamment ; qu'elle porte une attention fi fcrupuleufe à prévenir la diffamation, & qu'elle n'en donne aucune à prévenir le fupplice ; qu'elle pourvoye à tant •de chofes pour qu'un homme ne foit pas ex- communié mal- à -propos, & qu'elle ne pour- voye à rien pour qu'il n^ foit pas brûlé mal- Q5

250 C î N Q U I E IM E

â^propos ; qu elle craigne il foyt la rigueur des( Miniftres, & (i peu celle des Juges! C'étoit bien fait aiTarémcut de compter pour beau- coup la communion des fideliçs; m,ais ce pé- tait pas bien fa'.t de compter pour fi peu leur fûietç , leur liberté , leur vie ; & cette même Religion qui prefcrivoit tant d'indulgence à fes gardiens ^ ne devoit pas donner taiit de, bî;rbarie à fes vengeurs.

Voila toutefois, félon notre Auteur, la {o- IJde raifon pourquoi l'Ordonnance n'a pas vou^ lu dire ce qu'elle dit. Je crois que l'expofe? c'efl ajTez y répondre, PafTons maintenant à, l'application ; nous ne la trouverons pas moins curieufe que l'interprétation,

L'Article 88 n'a pour objet que celui qui dogmatife , qui enfeigne , qui i^iftruit, 11 ne parle point d'un fimple Auteur, d'^in homm.e qui ne f^it que publier im î-iyre, ^ qui, ^u,

LETTRE. ZS^

furplus, fe tient en repos. A dire la vérité, cette diflin^lion me paroit un peu fubtilejcar, £X)mme difent très bien les J^épréfentans , on dogmatife par écrit , tout comme de vive voix. J^lais admettor^s cette fubtilité; nous y trouve- rons une di{lin<5tion de faveur pour adoucir la Loi , non de rigueur pour l'aggraver.

Dar.s tous les Etats du monde la police veille avec le plus grand fpin fur ceux qui in- (Iruifent qui enfeignent qui dogmatifent { elle ne pevmet ces fortes fonctions qu'^ gens autorifés." Il n'eH pas même permis de prêcher îa bonne doftnne fi l'on n'efl reju prédica^ tcur. Le Peuple aveugle efl facile à féduire; un homme qui dogmatife , attroupe , <S: bien- t<5t il peut ameuter. La moindre entreprife en cp point efl toujours regardée comme un at- tentat punifTable , à caufe des confé^uences f^ai peuvent en réfultcr.

25^ C I N (^ U I E M E

Il n'en ell pas de même de l'Auteur d'un Livre ; s'il enfeigne , au moins il n'attroupe point , il n'ameute point , il ne force perfon- ne à l'écouter, à le lire, il ne vous recherche point , il ne vient que quand vous le recher- chez vous-même ; il vous laifTe réfléchir fur ce qu'il vous dit , il ne difpute point avec vous , ne s'anime point , ne s'oblline point, ne levé point vos doutes, ne réfout point vos objec- tions, ne vous pourfuit point; voulez -vous le quitter, il vous quitte, &, ce qui eft ici l'ar- ticle important , il ne parle pas au peuple.

Aufli jamais la publication d'un Livre ne fut- elle regardée par aucun Gouvernement du mê- me œil que les pratiques d'un dogmatifeur. Il y a même des pays la liberté de h prefle eft entière ; mais il n'y en a aucun il foit per- mis à tout le monde de dogmatifer indiflfé- remment. Dans les pays il eft défendu

LETTRE. 2.75

d'împrjmer des Livres fans permiflîon , ceux qui défobéifTent font punis quelquefois pour a- voir défobéi ; mais la preuve qu'on ne regarde pas au fond ce que dit un Livre comme une chofe fort importante efl, la facilité avec la- quelle on laifle entrer dans l'Etat ces mêmes Livres que, pour n'en pasparoître approuver les maximes , on n'y laifle pas imprimer.

Tout ceci efl vrai, furtout, des Livres qui ne font point écrits pour le peuple tels qu'onc toujours été les miens. Je fais que votre Coa- feil affirme dans fes réponfes que , félon Vinten- t'îon de t Auteur, V Emile doit fervir de guide auxi près ^ aux mères ( /) : mais cette afl*ertion n'efl: pas excufable , puifque j'ai manifeflé dans la préface & plufieurs fois dans le Livre une intention toute différente. Il s'agit d'un nou-

(0 Pajje 22 & 23 , des Répréfeiitations impri*

mecs.

£54. C :i N Q U I E M E

veau fyftême d'éducation dont j'offre le plan k Texamen des fages , & non pas d'une méthode pour les pères & les mères, à laquelle je n'ai Jamais fongé. Si quelquefois, par une figure aflez commune , je parois leur adrefler la pa- role, c'efl:, ou pour me faire mieux entendre, ou ponr m'exprimer en moins de mots. Il cfb vrai que j'entrepris mon Livre à la follicitation d'une mère ;; mais cette mcre , toute jeune & toute aimable qu'elle ell, a de la philofophie & connoit le cœur humain ; elle efl par la fi- gure un ornement de fon fexe, & par le génie une exception. C'eft pour les elprits de la: trempe du fien que j'ai pris la plume, non pour des Mcflieiirs tel ou tel, ni pour d'autres Mef- fieurs de pareille étoffe , qui me lifent fans m' entendre, & qui m'outragent fans me fâcher. Il réfulte de la diftinflion fuppofée que fi la' procédure prefcritte par l'Ordonnance contre'

LETTRE; ^^s

an homîne qui dogmatife n'efl pas applicable à l'Auteur d'un Livre, c'efl qu'elle eil trop fé- vere pour ce dernier. Cette conféquence il naturelle, cette conféquence que vous & tous mes le^leurs tirez fûrement ainfi que moi, n'efl point celle de l'Auteur des Lettres. II en tire une toute contraire. Il faut l'écouter lui-mê- me : vous ne m'en croiriez pas, fi je vous parfois d'après lui;

5, II ne faut que lire cet Article de l'Or- donnance pour voir évidemment qu'elle n'a ,;, en vue que cet ordre de perfonnes qui ré- ,j pandent par leurs difcours des principes efti- ^ mes dangereux. Si ces perfonnes Je rangent^ y eft-il dit , çw'on les fupporîe fans diffame, Pourquoi? G'efl qu'alors on a une fureté raifonnable qu'elles ne répandront plus cet- -j te yvraye , c'efl qu'elles ne font p'us à ,; crainJre^ Mais qu'importe la rétraélation

2S6 CINQUIEME

vraie ou fîmulée de celui qui par la voye 5, de l'impreffion a imbu tout le monde de fes opinions? Le délit efl confommé; il fub- fiftera toujours, & ce délit, aux yeux de la Loi , efl de la même efpece que tous les autres, le repentir efl; inutile dés que la 5, jufbice en a pris connoiflance. "

Il y a dequoi s'émouvoir , mais calmons- hous , & raifonnons. Tant qu'un homme dog- matife , il fait du mal continuellement ; juf- qu'à ce qu'il fe foit rangé cet homme efl: à craindre; fa liberté même efl: un mal, parce qu'il en ufe pour nuire , pour continuer de dogmatifer. Que s'il fe range à la lin , n'im- porte; les enfeignemens qu'il a donnés fonc toujours donnes , & le délit à cet égard efl: au- tant confommé qu'il peut l'être. Au contraire, auflltôt qu'un Livre efl publié , l'Auteur ne fait plus de mal , c'efl le Livre feul qui en

fait.

LETTRE. 257

fait. Que l'Auteur foit libre ou foit arrêté, le Livre va toujours fon train. La détention l'Auteur peut être un châtiment que la Loi prononce , mais elle n'efl jamais un remède au mal qu'il à fait , ni une précaution pour en arrêter le progrès,

Ainfi les remèdes à ces deux maux ne font pas les mêmes. Pouf tarir la fource du mal que fait le dogmatifeur , il n'y a mil moyen prompt & fur que de l'arrêter: mais arrêter l'Auteur c*efl rie remédier à rien du tout; c'efl au con» iraire augmenter la publicité du Livre , ai par conféquent empirer le mal , comme le dit très bien ailleurs l'Auteur des" Lettres. Ce n'eft donc pas lin préliminaire à la procédure , ce h'efl pas une précaution convenable à la cho- fe ; é'efl: une peine qui rie doit être infligée que par jugement , & qui n'a d'utilité que châtiment du coupable. A moins donc q«e fon

Partis T. R

25^ CINQUIEME

délit ne foit un délit civil , il faut commencef par raifonner avec lui, l'admoneller , le con-» vaincre , l'exhorter à réparer le mal qu'il a fait ^ à donner une rétraftation publique , à la don- ner librement afin qu'elle falTe fon effet , & à la motiver fi bien que ces derniers fentimens ramènent ceux qu'ont égaré les premiers. Si loin de fe ranger il s'obitine, alors feulement on doit févir contre lui. Telle eft certaine- ment la marche pour aller au bien de la chofe 5 tel efl: le but de la Loi , tel fera celui d'un fa- ge Gouvernement , qui doit bien moins fe pro ■pofer de punir r Auteur que d'empêcher F effet ds Fouvrage (/w).

Comment ne le feroit-ce pas pour l'Auteur d'un Livre, puifque l'Ordonnance, qui fuit en tout les voyes convenables à l'efprit du Chrif-

(m) i

âge 25.

LETTRE. 250

tiâniTme , ne veut pas même qu'on arrête îc dogmatifeur avant d'avoir épuifé tons les moyens pofTibles pour le ramener au devoir ? elle aime mieux courir les rifques du mal qu il peut continuer de faire que de manquer à la charité. Cherchez, de grâce, comment de ce- la feul on peut conclurre que la même Ordon- nance veut qu'on débute contré l'Auteur par un décret de prife de corps?

Cependant l'Auteur des Lettres , après avoir déclaré qu'il retrouvoit aflez fes maximes fur cet article dans celles des Répréfentans , ajou- te; mais CCS maximes ne font pas celles de nos Loix , & ufi moment après il ajoute encore , que ceux qui inclinent à une pleine tolérance pourvoient tout au plus critiquer Je Confeil de tùt" voir pas dans ce cas fait taire une Loi dont F ex- ercice ne leur paroit pas convenable (n). Cette.

(îj) Page 23.

R 2

26o CINQUIEME

condufion doit furprendre , après tant d'efforts pour prouver que la feule Loi qui paroit s'ap- pliquer à mon délit ne s'y applique pas nécef- fairement. Ce qu'on reproche au Confeil n'eft point de n'avoir pas fait taire une Loi qui exifte , c'efl: d'en avoir fait parler une qui n'exifle pas.

La Logique employée ici par l'Auteur me paroit toujours nouvelle. Qu'en penfez-vousj Monfieur? connoiflez-vous beaucoup d'argu- ïnens dans la forme de celui-ci?

La Loi force le Confeil à févîr contre VAu' teiir du Livré.

Et efl-elle cette Loi qui force le Confeil à fcvir contre l'Auteur du Livre ?

Elle nexïfic pas , h la vérité : mais il en exif te une autre, qui, ordonnant de trait ei' avec dou- ceur celui qui dogmatife , ordonne , pur confi»

LETTRE. 261

qiient , de traiter avec rigueur V Auteur , dont elle ne parle point.

Ce raifonnement devient bien plus étrange en- core pour qui fait que ce fut comme Auteur ^ non comme dogmatifeur que IMorelli fut pour- fuivi; il avoit auflî fait un Livre , & ce fut pour ce Livre feul qu'il fut accufé. Le corps du de'- lit , ^lon la maxime de notre Auteur étoit dans le Livre mêrne , l'Auteur n' avoit pas befoin d'être entendu ; cependant il le fut , & non feulement on. Te^ntendit , mais on l'att-endit ; on fuivit de point en point toute la procédure prefcrite par ce même article de l'Ordonnance qu'on nous dit ne regarder ni les Livres ni ks Auteurs. On ne brûla même le Livre qu'a- près la retraite de l'Auteur, jamais il ne fut dé- crété, l'on ne parla pas du Bourreau (0); en^

(«) Ajoutez la circonTpeclion du Magillrat dans

R3

/

2(52 CINQUIEME

îin tout cela fe fit fous les yeux du Legifla- teur, par les rédacleurs de l'Ordonnance, au moment qu'elle venoit de paffer dans le tems même régaoit cet efprit de févérité qui , félon notre Anonyme, l'avoît diftée, & qu'il allègue en juftîfîcation très claire de la ri- gueur exercée aujourd'hui contre moi.

Or écoutez - dclfus la difl;in6lion qu'il fait. Après avoir expofé toutes les voyes de

toute cette affaire, fa marche lente & graduelle dans Japrocéd.ne, le rapport du Confiftoire, l'appareil du jugement. Les Sindics montent fur leur Tribu- nal public, ils invoquent le nom de Dieu , ils ont fous leurs yeuK la faince Ecriture ; après une; incure délibération, après avoir pris confcil des Citoyens, ils prononcent leur jugement devant le peuple afin qu'il en fâche les caufes , ils le font imprimer & publier , cc tout cela pour la fimplç condannation d'un Livre, fans fléu'iiTure, fans décret contre l'Au- teur , opiniâtre & contumax. Ces Meflleurs, de- puis lors, ont appris à difpofer moins cércmonieu- fement de l'honneur &. de la libeité des hommes , & furtout des Citoyens : Car il cft à remarquer que Moielli ne l'étoic oas.

LETTRE. 253

douceur dont on ufa envers Morelli , le tems qu'on lui donna pour fe ranger, la procédure lente & régulière qu'on fuivit avant que fon Livre fut brûlé, il ajoute. Toute cette 5, marche ed très fage. Mais en faut-il con- clurre que dans tous les cas & dans des cas 5, très différens, il en faille abfolument tenir une femblable ? Doit - on procéder contre un homme abfent qui attaque la Religion de la même manière qu'on procéderoit con- 5, tre un homme préfent qui cenfure la difci- pline (/))?" C'ed- à-dire en d'autres termes; doit - on procéder contre un homme qui n'attaque point les Loix , & qui vit hors de leur jurifdiftion , avec autant de douceur que contre un homme qui vit fous leur jurifdic- tion & qui les attaque ? " Il ne fembleroit

O) Page 17.

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264 CINQUIEME

pas , en effet , que cela dut faire une queflioî^. Voici, j'en fuis fur, la première fois qu'il ;i paifé par l'efprit humain d'aggraver la peine d'un coupable, uniquement parce que le-cri- me n'a pas été commis dans l'Etat,

A la vérité," continue- t-il, on remir- 5, que dans les Répréfentations à l'avantage de M. E.ouireau que Morelli avoit écrit contre 5, un point de difcipline , au lieu que les Li- vres de jM. Roufleau , au fentiment de fes ,, Juges , attaquent proprement la Religion. Mais cette remarque pourroit bien n'être pas généralement adoptée, & ceux qui re- gardent la Religion comme l'Ouvrage de 5, Dieu & l'appui de la conftitution pourront 5, penfer qu'il efl moins permis de l'attaquer 3, que des points de difcipline, qui, n'étant que l'Ouvrage des hommes peuvent être fuf- 3, pc6ls d'erreur, Ôc du moins fufceptibles çi'u-

LETTRE. 265

3, ne infinité de formes & de combinaifon^s j, diiTérentes (g) ?

Ce difcours, je vous l'avoue , me paroîtroit tout au plus paflàble dans la bouche d'un Ca- pucin , maî^ il me choquerait fort fous la plu- me d'un Magiftrat. Qu'importe que la remar- que des Répréfentans î?e foit pas gcnéralement adoptée , Ci ceux qui la rejettent ne le font que parce, qu'ils raifonnent mal ?

Attaquer la Religion efl: fans contredit un plus grand péché devant Dieu que d'attaquer la difcipline. Il n'en efl: pas de même devai^t les Tribunaux humains qui font établis pour punir les crimes, non les péchés , & qui ne Ipnt pas les vengeurs de Dieu mais des Loix.

La Religion ne peut jamais faire partie de la Légiflation qu'en ce qui concerne les a6Uons

G) Page 18.

S66 CINQUIEME

des hommes. La Loi ordonne de faire ou de s'abflenir, mais elle ne peut ordonner de croi- re. AinQ quiconque n'attaque point la pratique de la Religion n'attaque point la Loi.

Mais la difcipline établie par la Loi fait ef- fenciellement partie de la Légiflation , elle de- vient Loi elle-même. Quiconque l'attaque at- taque la Loi & ne tend pas à moins qu'à trou- bler la conflitution de l'Etat. Que cette con- ftitution fut , avant d'être établie , fufceptible de plufieurs formes & combinaifons différen- tes , en eft-elle moins refpcélable & facrée fous une de ces formes , quand elle en eft une fois revêtue à l'exclufion de toutes les autres ; & dès lors la Loi politique n eft-elle pas con- fiante & fixe ainfi que la Loi divine?

Ceux donc qui n'adopteroient pas en cette affaire la remarque des Répréfcntans auroient d'autant plus de tort que cette remarque fut

LETTRE. 2^7

faite par le Confeil même dans la fentence con- tre le Livre de Morelli , qu'elle accufe furtout de tendre à faire fcbifme ^ trouble dans l'Etat ^hine manière féditieufe ; imputation dont il IC" roit difficile de charger le mien.

Ce que les Tribunaux civils ont à défendre n'efl: pas l'Ouvrage de Dieu , c'efl l'Ouvrage des hommes ; ce n'efl pas des âmes qu'ils font chargés , c'efl des corps ; c'efl de l'Etat & non de l'Eglife qu'ils font les vrais gardiens, & lorfqu'ils fe mêlent des matières de Religion , ce n'efl qu'autant qu'elles font du refTort des Loix , autant que ces matières importent au bon ordre & à la fureté publique. Voila les faines maximes de la Magiflrature. Ce n'efl pas, fi l'on veut, la dodlrine de h puifTance abfolue , mais c'efl celle de la juflicc & de I4 raifon. Jamais on ne s'en écartera dans le^ Tribunaux civils fans donner dans les plus fu,-

m CINQUIEME

. nèfles abus, fans mettre l'Etat en combuftion, fans faire des Loix & de leur autorité le plus odieux brigandage. Je fuis fâché pour le peu- ple de Genève que le Confeil le méprife alTez pour Tofer leurer par de tels difcours , donc les plus bornés & les plus fuperftitieux de l'Eu- rope ne font plus les dupes. Sur cet Article vos Répréfentans raifonnent en hommes d'.K- tat , & vos Magifhrats raifonnent en Moines. Pour prouver que l'exemple de MoreîU ne fait pas règle, l'Auteur des Lettres oppofe à la procédure faite contre lui celle qu'on fit en 1632 contre Nicolas Antoine^ un pauvre fou <ju'à la follicitation des Minières le Confeil fit brûler pour le bien de fon ame. Ces Auto-da- fés n'étoient pas rares jadis à Genève , & il paroit par ce qui me regarde que ces Mef- fieurs ne manquent pas de goût pour le^ re- siouveller.

L E T t R E: 2(^

Commençons toujours par trànfcrire fidelle- ment les paflageâ , pour ne pas imiter la mé- thode de mes perfécuteurs.

Qu'on voye le procès de Nicolas -Antoî- j, ne. L'Ordonnance eccléfiaftique exi{loit,& 3, on étoit aflez prés du terris elle avoit été rédigée pour en connoître l'efprit ; Antoine fut- il cité au Confiftoîre ? Cependant parmi tant de voix qui s'élevèrent contre cet Ar- rêt fanguinaire, & au milieu des efforts que firent pour le fauver les gens humains ôc modérés , y eut - il quelqu'un qui réclamât j, contre l'irrégularité de la procédure? Mo- 5, relli fut cité au Confiftoire , Antoine ne le fut pas; la citation au Confiûoire n'efl donc ,, pas néceflâire dans tous les cas (r)."

Vous croirez là-defTus quei le Confeil procé-

(0 Page 17.

270 CINQUIEME

da d'emblée contre Nicolas Antoine comme il a fait contre moi, & qu'il ne fut pas feule- ment queflion du Confifloire tii des Miniftres : Vous allez voir.

Nicolas Antoine ayant été, dans un de Tes accès de fureur , fur le point de fe précipiter dans le Rhône , le Magiftrat fe détermina à le tirer du logis public il étoit , pour le met- tre à l'Hôpital , les Médecins le traitèrent. Il y refla quelque tems proférant divers blaf- phêmes contre la Religion Chrétienne, Les Miniftres le voyoient tous les jours , & tâ- 5, choient , lorfque fa fureur paroifToit un peu 5, calmée, de le faire revenir de fes erreurs, 3, ce qui n'aboutit à rien , Antoine ayant die j, qu'il perfifteroit dans fes fentimens juHju à la 5, mort qu'il étoit prêt de fouifrir pour la gloi- re du grand Dieu d'Ifrael. N'ayant pu rien j) gagner fur lui , ils en informèrent le Con-

LETTRE.

271

j, feil , ils le répréfenterent pire que Servet , i, Gentilis & tous les autres Antitrinitairesj 5, concluant à ce qu'il fut mis en chambre j, claufe ; ce qui fut exécuté. " (x).

Vous voyez d'abord pourquoi il ne fut pa$ cité au Confifloire; c'efl: qu'étant grièvement malade & entre les mains des Médecins, il lui étoit impoflible d'y comparoitre. Mais s'il n'ai- loit pas au Confiftoire, le Confîfloire ou fes membres alloient vers lui. Les Miniftres le voyoient tous les jours , l'exhortoient tous les jours. Enfin n'ayant pu rien gagner fur lui , ils le dénoncent au Confeil , le répréfcntent pire que d'autres qu'on avoit punis de mort, re- quièrent qu'il foit mis en prifon, Ôc fur leut requifition cela efl: exécuté. En prifon même les Miniftres firent de leur

(s) Hift. de Genève , in -12. T. 2. page 550 & fuiv. à la note.

t7i CINQUIÈME

mieux pour le ramener , entrèrent avec» lUî dans la difculîîon de divers paflages de l'an- deri Teftament , & le conjurèrent partout ce qu'ils purent imaginer de plus touchant de renoncer à fes erteurs (t) , mais il y demeura ferme. Illefutaufîi devant le Magiftrat, qiiî lui fit fubir les interrogatoires ordinaires. Lorf- qu'il fut qùeïlion de juger cette afFàire, le Magiflrat confulta encore le^ Miniftres, qui comparurent enConfeilau nombre de quinze; tant Pàfleurs que Profefleurs. Leurs opinions furent partagées , mais l'avis du plus grand nombre fut fuivi & Nicolas exécuté. De forte que le procès fut tout eccléfiaftique , & que

Nicolas

(t) S'il y eut renoncé, eut-il également été brû- lé? Selon maxime de l'Auteur des Lettres il au- roit l'être. Cependant il paroit qu'il ne l'auroit jpas été; puifque, malgré fon obftination , le Ma- giftrat ne laiffa pas de confulter les Minilb'es. Il regardoit , en quelque forte , comme étant encore fous leur jurifJiftion.

I. E T T R E. 2^3

Nicolas fut, pour ainfi dire, brûlé par la main des Minières»

Tel fut , Monfieur , Tordre de la procédure dans laquelle l'Auteur des Lettres nous afliire qu* Antoine ne fut pas cité au Confifloire. D'où" il conclud que cette citation n'efl donc pas toujours néceflaire. L'exemple vous paroit-il bien choifi? ...

Suppofons qu'il le foït, que S^èhruîVrà-t-îl ? Les Répréfentans concluoient d'un fait en confirmatidn d'une Loi. L'Auteur des Let- tres conclud d'un fait contre cette même Loi. Si l'autorité de chacun de fes deux faits détruit celle de l'autre, refte la Loi dans fon entier. Cette Loi, quoiqu'une fois en- freinte, en eft-elle moins exprefle, & fuffi" toit -il de l'avoir violée une fois pour avoir droit de la violer toujours ?

Concluons à notre tour. Si j'aî dogmatl-

Partie L 8

274 CINQUIEME

, je fuis certainement dans le cas de la Loi: fi je n'ai pas dogmatifé , qu'a- 1- on à me dire ? aucune Loi n'a parlé de moi (w). Donc on a tranfgrefle la Loi qui exifte, ou fuppo^é celle qui n'exifle pas.

Il ell vrai qu'en jugeant l'Ouvrage on n'a pas jugé définitivement l'Auteur. On n'a fait encore que le décréter , & l'on compte cela pour rien. Cela me paroit dur , cependant; mais ne foyons jamais injufles, même envers ceux qui le font envers nous , & ne cherchons point l'iniquité elle peut ne pas être. Je ne fais point un crime au Confeil , ni même à l'Auteur des Lettres de la diltinttion qu'ils mettent entre l'iiomme & le Livre , pour fe

' (jî) Rien de ce qui ne blcde aucune Loi natu- relle ne devient criminel, que lorfqu'il cft défendu par quelque Loi pofitive. Cette remarque a pour but de faire fentir aux raifonneurs fuperûciels que mon dilemiu» efl exact.

LETTRE.

75

difailper de m'avoir jugé fans m'entendre. Les Juges ont pu voir la chofe comme ils la mon- trent , ainfi je ne les accufe en cela ni de fu- 4)ercherie ni de mauvaife foi. Je les accufe feu- lement de s'être trompés à mes dépends en un point très grave; & fe tromper pour ab- foudre efl pardonnable , mais fe tromper pour punir efl une erreur bien cruelle.

Le Confeil avançoit dans fes réponfes que, malgré la flétriflure de mon Livre , je reflois , quant à ma perfonne , dans toutes mes ex- ceptions & défenfes.

Les Auteurs des Répréfentations répliquent qu'on ne comprend pas quelles exceptions & défenfes il refte à un homme déclaré impie, téméraire , fcandaleux, & flétri même par la main du Bourreau dans des ouvrages qui por- tent fon nom. Vous fuppofez ce qui n'efl point , ** dit

S 2

2'^6 CINQUIEME

à cela TAuteur des Lettres ; favoîr , que le jugement porte fur celui dont l'Ouvrage 5, porte le nom : mais ce jugement ne l'a pas encore effleuré, fes exceptions & défenfet j, lui refient donc entières." (x).

Vous vous trompez vous-même , dirois-je à cet écrivain. Il efl: vrai que le jugement qui qualifie & flétrit le Livre n*a pas encore atta* gué la vie de l'Auteur , mais il a déjà tué fon honneur ; fes exceptions & défenfes lui reftent encore entières pour ce qui regarde la peine affli6live, mais il a déjà reçu la peine infa- mante: Il efl déjà flétri & deshonnoré, au- tant qu'il dépend de fes juges : La feule chofe qui leur relie à décider , c'efl s'il fera brûlé ou non*

La difl:jn6lion fur ce point entre le Livre ôi

. ix) Page 21,

LETTRE. 277

l'Auteur efl inepte , puifqu'un Livre n'efl pas punifTable. Un Livre n'efl en lui-même m impie ni téméraire ; ces épiihetes ne peuvent tomber que fur la doftrine qu'il contient , c'eft- à-dire fur l'Auteur de cette doftrine. Quand on brûle un Livre, que fait le Bourreau ? Deshonore- 1- il les feuillets du Livre? qui jamais ouït dire qu'un Livre eut de l'honneur?

Voila l'erreur; eu voici la fource: un ufags mal entendu.

On écrit beaucoup de Livres; on en écrie peu avec un defir fincere d'aller au bien. De cent Ouvrages qui paroifFent , foixante au moins ont pour objet des motifs d'intérêt & d'ambition. Trente autres, diftés par l'efpric de parti, par la haine, vont, à la faveur de l'anonyme porter daps le public le poifon de la calomnie & de la fatyre. Dix, peut-être, & c'efl beaucoup, font écrits dans de bonnes

278 CINQUIEME

vues : on y dit la vérité qu'on fait , on y cher- che le bien qu'on aime. Oui ; mais efl; rhomme à qui l'on pardonne la vérité ? Il faut donc fe cacher pour la dire. Pour être utile impunément , on lâche Ton Livre dans le pu- blic, & l'on fait le plongeon.

De ces divers Livres , quelques uns des mauvais & à peu près tous les bons font dé» nonces & profcrits dans les Tribunaux : la raifon de cela fe voit fans que je la dife. Ce n'efl, au furplus, qu'une fimple formalité, pour ne pas paroître approuver tacitement ces Li- vres. Du refte , pourvu que les noms des Au- teurs n'y fuient pas , ces Auteurs , quoique tout le monde les connoifle & les nomme , ne font pas connus du Magidrat. Plufieurs même font dans l'ufage d'avouer ces Livres pour s'en faire honneur , ôc de les renier pour fe mettre à couvert ; le même homme fera l'Auteur ou

LETTRE. 279

ne le fera pas , devant le même homme félon qu'ils feront à l'audience ou dans un foupé. C'efl alternativement oui & non , fans difficul- té , fans fcrupule. De cette façon la fureté ne coûte rien à la vanité. C'efl: la prudence & l'habileté que l'Auteur des Lettres me repro- che de n'avoir pas eue , & qui pourtant n'exi- ge pas , ce me femble , que pour l'avoir on le mette en grands fraix d'efprit»

Cette manière de procéder contre des Livres anonymes dont on ne veut pas connoître les Auteurs efl devenue un ufage judiciaire. Quand on veut févir contre le Livre on le brûle, parce qu'il n'y a perfonne à entendre, ^ & qu'on voit bien que l'Auteur qui fe cache n'efl pas d'humeur à l'avouer; fauf à rire le foir avec lui - même des informations qu'on vient d'ordonner matin contre lui. Tel efl Tu Page.

S 4

2So CINQUIEME

Mais lorfqu'uD Auteur mal -adroit, c'eft-â- dire, un Auteur qui connoit fon devoir , qui le veut retnplir, fe croit obligé de ne rien dire au public qu'il ne l'avoue , qu'il ne fe nomme, qu'il ne fe montre pour en répondre , alors l'é- quité , qui ne doit pas punir comme un crime la mal-adrelTe d'un homme d'honneur , veut n qu'on procède avec lui d'une autre manière i elle veut qu'on ne fépare point la caufe du Li^ vre de celle de l'homme, puifqu'il déclare en mettant fon nom ne les vouloir point féparer j^ elle veut qu'on ne juge l'ouvrage qui ne peut; répondre , qu'après avoir ouï l'Auteur qui ré- pond pour lui. Ainil , bien que condanner un Livre anonyme foit en effet ne condanner que le Livre , condanner un Livre qui porte le nom de l'Auteur , c'efl condanner l'Auteur même , & quand on ne la point mis à portée de répondre, c'efl le juger fans l'avoir entendu.

LETTRE. 2U

L'aflignation préliminaire , même , Yon veut , le décret de prife de corps eft donc in- difpenfahle en pareil cas avant de procéder au jugement du Livre, & vainement diroit-on avec l'Auteur des Lettres que le délit efl: évi- dent, qu'il ell dans le Livre même; cela ne dilpenfe point de fuivre la forme judiciaire qu'on fuit dans les plus grands crimes, dans les plus avérés , dans les mieux prouvés: Car quand toute la Ville auroit vu un homme en aiTadîner un autre , encore ne jugeroit - on point l'afladin fans l'entendre, ou fans l'avoir mis à portée d être entendu.

Et pourquoi cette franchife d'un Auteur qui |e nomme tourneroît-elle ainfi contre lui? Ne doit-elle pas , au contraire, lui mériter des é- gards ? Ne doit - elle pas impofer aux Juges. ' plus de circonfpe6lion que s'il ne fe fut pas nommé? Pourquoi, quand il traite des quel*; S5

1S2 CINQUIEME

tions hardies s'expoferoit-il ainfi, s'il ne fe fentoit raflliré contre les dangers , par des rai- fons qu'il peut alléguer en fa faveur & qu'on peut préfumer fur fa conduite même valoir la peine d'être entendues ? L'Auteur des Let- tres aura beau qualifier cette conduite d'im- prudence & de mal-adrelTe ; elle n'en eft pas moins celle d'un homme d'honneur , qui voit fon devoir d'autres voyent cette impruden- ce , qui fent n'avoir rien à craindre de quicon- que voudra procéder avec lui juflement , & qui regarde comme une lâcheté punillable de publier des chofes qu'on ne veut pas avouer. S'il n'efl: queflion que de la réputation d'Au- teur, a-t-on befoin de mettre fon nom à fon Livre ? Qui ne fait comment on s'y prend pour en avoir tout l'honneur fans rien rifquer, pour s'en glorifier fans en répondre, pour prendre un air humble à force de vanité ? De

LETTRE.

quels Auteurs d'une certaine volée ce petic our d'adrefTe efl: - il ignoré ? Qui d'entre eux ne fait qu'il efl: même au deflbus de la dignité de fe nommer , comme fi chacun ne devoit pas en lifant l'Ouvrage deviner le Grand homme qui l'a compofé ? Il Mais ces Meflieurs n'ont vu que l'ufage or- dinaire , & loin de voir l'exception qui faifoit en ma faveur , ils l'ont fait fervir contre moL lis dévoient brûler le Livre fans faire mention de l'Auteur , ou s'ils en vouloient à l'Auteur, attendre qu'il fut préfent ou contumax pour brûler le Livre. Mais point ; ils brûlent le Livre comme fi l'Auteur n'étoit pas connu ^ & décrètent l'Auteur comme fi le Livre n'étoit pas brûlé. Me décréter après m'avoir diiFa- mé! que me vouloient-ils donc encore? Que me réfervoient-ils de pis dans la fuite? Igno- roient- ils que l'honneur d'un honnête homme

28+ C I N Q U I E M E

lui efl: plus cher que la vie? Quel mal rcfle-t-iî à lui faire quand on a commencé par le fle'- trir? Que me fert de me préfenter innocent devant les Juges , quand le traitement qu'ils me font avant de m' en tendre efl la plus cruel- le peine qu'ils pourroient m'impcfer fi j'étoia jugé criminel?

On commence par me traiter à tous égards comme un malfaiteur qui n'a plus d'honneur à perdre & qu'on ne peut punir déformais que dans fon corps, & puis on dit tranquillcm.ent que je refle dans toutes mes exceptions & dé- •fenfes! Mais comment ces exceptions & dé- fenfes effaceront - elles l'ignominie & le mal qu'on m'aura fait foulfrir d'avance & dans mon Livre & dans ma perfonne , quand j'au- rai été promené dans les rues par des archers, quand aux maux qui m'accablent on aura pris foin d'ajouter les rigueurs de la prifon ? Quoi

LETTRE. <i2s

donc ! pour être jufte doît-on confondre dans îa même clafle & dans le même traitement toutes les fautes & 'tous les hommes ? pour un acle de franchife appelle mal-adreflèj faut-il débuter par traîner un Citoyen fans reproche dans les prifons comme un fcélérat? Et quel avantage aura donc devant les juges l'eftime publique & l'intégrité de la vie entière , Ci cinquante ans d'honneur vis à vis du moindre indice (y) ne fauvent un homme d'aucun af- front ?

(y) Il y auroit , à l'examen , beaucoup à rabat- tre des préfomptions que l'Auteur des Lettres affec- te d'accumuler contre moi. Il dit , par exemple , que les Livres déférés paroiflbient fous le même format que mes autres ouvrages. Il efl: vrai qu'ils ctoient in doUze & in otHiavo; fous quel format font donc ceux des autres Auteurs ? Il ajoute qu'ils é- toient imprimés par le même Libraire; voila ce qui n'eft pas. L'Emile fut imprimé par des Libraires ' dîfFérens du mien , & avec des caradleres qui n'a- voient fervi à nul autre de mes Ecrits. Ainfi l'in- dice qui réfiiltoit de cette confrontation n'étoit point contre moi, il étoit à ma décharge.

28.6 CINQUIEME

La comparaifon d'Emile & du Contra61 Social avec d'autres Ouvrages qui ont été tolérés, & la partialité qu'on en prend oc- cafion de reprocher au Confeil ne me fem- j, blent pas fondées. Ce ne feroit pas bien raifonncr que de prétendre qu'un Gouver- nement parce qu'il auroit une fois diiïimulc feroit obligé de diflimuler toujours : fi c'efl u- ne négligence on peut la redreffer^fi c'efl un 5, filence forcé par les circonflanccs ou par la politique , il y auroit peu de juflice à en fai- re la matière d'un reproche. Je ne prétends point juflifier les ouvrages défignés dans les Répréfentations ; mais en confcience y-a-t- il parité entre des Livres l'on trouve des traits épars & indifcrets contre la Religion^ & des Livres fans détour fans ménage- ment on l'attaque dans fes dogmes dans fa morale, dans fon influence fur la Société

lettre; %zr~

5) civile? Faifons impartialement la compa- raifon de ces Ouvrages, jugeons en par- l'impreffion qu'ils ont faite dans le mon- de ; les uns s'impriment & fe débitent par tout; on fait comment y ont été reçus les autres (s)."

J'ai cru devoir tranfcrire d'abord ce para- graphe en entier. Je le reprendrai maintenant par fragmens. Il mérite un peu d'analyfe.

Que namprime-t-on pas à Genève ; que n'y; tolère- 1- on pas? Des Ouvrages qu'on a peioe à lire fans indignation s'y débitent publique- ment ; tout le monde les lit , tout le monde les aime , les Magiftrats fe taifent , les Miniflres fourient , l'air auflere n'efl: plus du bon air. Moi feul & mes Livres avons mérité l'aninjad- verfion du Confeil, & quelle animadverfion ?

(z) Page 23 & 24.

i8^ CINQUIEME

L'on ne peut même l'imaginer plus violente ni plus terrible. Mon Dieu î je n'aurois jamais cru d'être un fi grand fcélérat.

La comparai/on â* Emile à? du Contrat Social ceoec Vautres Ouvrages tolérés ne me femhk pas fondée. Ah je l'efpere!

Ce ne feroit pas bien raifonner de prétendre qiiun Gouvernement, parce qu'il aurait une fois diffimulé , feroit obligé de dijjînmler toujours;, Soit ; mais voyez les tems les lieux les perfon- nes; voyez les écrits fur lefquels on difîimule, & ceux qu'on choifit pour ne plus dilîîmuler ; Voyez les Auteurs qu'on fête à Genève, & voyez ceux qu'on y pourfuiti

Si c'eft une négligence on peut la redreffer, C)tÊf\t pouvoit^ on l'auroit dû, l'a-t-on fait? Mes écrits & leur Auteur ont été flétris fan? avoir mérité de l'être; & ceux qui font mé- fité ne font pas moins tolérés qu'auparavant.

L'eî^

L E T T R Ei zi^

L'exception n'fefl: que pour moi feul;

Si ceji un Jiîence forcé par les ch'conftances Cîf par la politique ^ il y iauroit peu de jujlice à en faire la matière d'un reproche. Si l'on vous force à tolérer des Ecrits puniflables , tolérés donc auffi ceux qui ne le font pas. La décence au moins exige qu'on cache au peuple ces choquantes acceptions de perfonnes ^ qui pu- niflent le foible innocent des fautes du puiiTanc coupable. Quoi! ces diflinftions fcandaleufes font - elles donc des raifons j & feront - elles toujours des dupes? Ne diroit-on pas que le fort de quelques fatyres obfcenes intérefîe beau- coup les Potentats , & que votre VDle va ê- tre écrafée l'on n'y tolère , fi l'on n'y im^ prime, fi l'on n'y vend publiquement ces mê- mes Ouvrages qu'on profcrit dans le pays des! Auteurs ? Peuples ^ combien on vous en fai6 accroire en faifant fi fouvent intervenir ici

Vartie L T

2po CINQUIEME

Puiflances pour autorifer le mal qu'elles igno- rent & qu'on veut faire en leur nom !

Lorfque j'arrivai dans ce pays on eut die que tout le Royaume de France étoit à mes troulTes. On brûle mes LivTes à Genève ; c'efl: pour complaire à la France. On m'y décrète ; la France le veut ainfi. L'on me fait chaiTer du Canton de Berne j c'efl la France qui l'a demandé. L'on me pourfuit jufques dans ces Montagnes; fi l'on m'en eut pu chafler, c'eut encore été la Fiance. Forcé par mille outrages j'écris une lettre apologétique. Pour le coup tout étoit perdu. J'étois entouré, furveillé;la France envoyoit des efpions pour me guetter , des foldats pour m'enlever , des brigands pour m'aflafliner ; il étoit même imprudent de fortir de ma maifon. Tous les dangers me venoient toujours de la France , du ParlemeiM: , du Cler- gé , de la Cour même 5 on ne vit de la vie un

L E T T R E. 29E

pauvre barbouilleur de papier devenir pour fou malheur un homme auflî important. Ennuyé de tant de bêtifes , je vais en France ; je con^ noiffois les François , & j etois malheureuJTi.' On m'accueille, on me carefTe, je reçois mil- le honnêtetés & il ne tient qu'à moi d'en re- cevoir davantage. Je retourne tranquillement chez moi. L'on tombe des nues; on n'en re«i" vient pas; on blâme fortement mon étourde* rie , mais on cefle de me menacer de la Fran- ce; on a raifon. Si jamais des afîaffins dai- gnent terminer mes foufFrances , ce n'efl: fli- rement pas de ce pays-là qu'ils viendront.

Je ne confonds point les diverfes caufes de mes difgraces ; je fais bien difcerner celles qui font l'effet des circonftances , fouvrage de la trifle neceflîté , de celles qui me viennent uni- quement de la haine de mes ennemis. Eh ! plut- à-Dieu que je n'en euife pas plus à Genève T 2

2P2 C I N Q U I E M E

qu'en France , & qu'ils n'y fuffent pas pkij implacables ! Chacun fait aujourd'hui d'où font partis les coups qu'on m'a portés & qui m'ont été les plus fenfibles. Vos gens me repro- chent mes malheurs comme s'ils n'étoient pas' leur ouvrage. Quelle noirceur plus cruelle que £e me faire un crime à Genève des perfécu- tions qu'on me fufcitoit dans la Suiffe, & de ïii'accufer de n'être admis nulle part , en me faifant chaOer de par tout ! Faut-il que je re- proche à l'amitié qui m'appella dans ces con- trées le voifinage de mon pays ? J'ofe en at- tefler tous les Peuples de l'Europe ; y en a-t-il un feul, excepté la SuiiTe, je n'euffe pas été reçu , même avec honneur ? Toutefois dois-je me plaindre du choix de ma retraite? Non, "malgré tant d'acharnement & d'outra- ges , j'ai plus gagné que perdu ; j'ai trouvé un homme, Ame noble & grande ! ô Georgç

I

LETTRE. 293

Keith! mon prote6leur mon ami, mon père! que vous foyez, que j'achève mes trif- tes jours , & dufle-je ne vous revoir de ma vie ; non , je ne reprocherai point au Ciel mes miferes; je leur dois votre amitié.

En confc'ience, y-a t-il parité entre des Livres oïl Yon trouve quelques traits épars £5* indifcrets contre la Religion , i^ des Livres oîifans détour fans ménagement on Y attaque dans fes dogmes y dans fa morale , dans fon influence fur la fo- ciété ?

En confcience ! II ne fiéroit pas à un

impie tel que moi d'ofer parler de confcience .... fur tout vis-à-vis de ces bons Chrétiens ....

ainfi je me tais C'eft pourtant une llngu-

liere confcience que celle qui fait dire à des Magiflrats ; nous fouifrons volontiers qu'on blafphême , mais nous ne fouffrons pas qu'on raifonne ! Otons, IMonfieur, la difpai'ité des

2p4 CINQUIEME

fujets; ceft avec ces mêmes façons de pcnfer que les Athéniens applaudilToicnt aux impiétés d'Ariftophane & firent mourir Socrate.

Une des chofes qui me donnent le plus de confiance dans me^ principes cil de trouver leur application toujours jufte dans les cas que j'avois le moins prévus ; tel eft celui qui le préfente ici. Une des maximes qui découlei^ de l'analyfe que j'ai faite de la Religion & de ce qui lui efl efi^enciel eft que les hommes ne doivent fe mêler de celle d autrui qu'en ce qui 3es intéreffe ; d'où il fuit qu'ils ne doivent ja- mais punir des offenfes (ad) faites uniquement

(aa) Notez que je me fers de ce mot offenfer Dieu Mon l'iifage, quoique je fois très Oloigné de l'admettre dans fon fens propre, & que je le trou- ve très mal appliqué ; comme fi quelque être que ce foit , un homme , un Ange , le Diable même youvoit jamais offenfer Dieu. Le mot que nous îcndons par offenfes eft traduit comme prefque tout le lefte Uu cexre faciéi c'ell tout dire. Des hom-

LETTRE. 2^5

à Dieu, qui faura bien les punir lui-même. //

faut honorer la divinité ^ ne la venger jamais , dirent après Montefquieu les Répréfentans ; ils ont raifon. Cependant les ridicules outrageans, les impiétés groffieres , les blafphêmes contre Ja Religion font punilTables , jamais les raifon- nemens. Pourquoi cela ? Parce que dans ce premier cas on n'attaqne pas feulement la Re- ligion , mais ceux qui la profefTent , on les in- fulte, on les outrage dans leur culte, on mar- ines enfarinés de leur théologie ont rendu & défigu- ré ce Livre admirable félon leurs petites idées , & voila dequoi l'on entretient la folie & le fanatifme du peuple. Je trouve très fagc la circonfpeflion de l'Eglife Romaine fur les tradudions de l'Ecriture en langue vulgaire, ôc comme il n'efl: pas néceffaire de propofcr toujours au peuple les méditations volu{> tucufes du Cantique des Cantiques, ni les malédic- tions continuelles de David contre fes annemis, ni les fubtilités de St. Paul fur la grâce, il cft dange- reux de lui propofcr la fublime morale de l'Evangi- le dans des termes qui ne rendent pas exafcement le fens de l'Auteur ; car pour peu qu'on s'en écarte, en prenant une autre route on va très loin.

T4

^9A CINQUIEME

gue un mépris révoltant pour ce qu'ils refpet- tcnt & par conféquent pour eux. De tels outrages doivent être punis par les loix, parce qu'ils retombent fur les hommes, & que \q$ hommes ont droit de s'en reflentir. Mais ^^ le mortel fur la terre qu'un raifonnement doive offenfer ? eft celui qui peut fe fâcher de ce qu'on le traite en homme & qu'on le fuppofe raifonnable? fi le raifonneur fe trompe pu nous trompe , & que vous vous intérefliez à lui ou à nous, montrez lui fon tort, défabbi- fcz-nous, battez- le de fes propres arme?. Si vous n'en voulez pas prendre la peine , ne di-; tes rien , ne l'écoutez pas , lailTez-le raifonner ou déraifonner , & tout efl fini fans bruit , fans querelle , fans infulte quelconque pour qui que ce foit. M^is fur quoi peut- on fonder la ma- xime contraire de tolérer la raillerie le mé- pris l'outrage, & de punir k raifon? La mica* ne s'y perd.

LETTRE. 2P7

Ces Mefliôurs voyent fi foavent M. de Vol- faire. Comment ne leur a-t-il point mfpiré cet efprit de tolérance qu'il prêche fans cefle , <Sf dont il a quelquefois befoin ? S'ils l'euITent ua peu confuké dans cette affaire, il me paroiç qu'il eut pfi leur parler à peu près ainfi.

Meffieurs , ce ne font point les raifon-? neurs qui font du mal , ce font les caffards, La Piiilofophie peut aller fon train fans rif^ ., que; le peuple ne l'entend pas ou la laifle j, dire , & lui rend tout le dédain qu'elle 4 pour lui. Raifonner efl: de toutes les folies des hommes celle qui nuit le moins au genrç humain, & l'on voit même des gens làge? entichés par fois de cette folie-là. Je ne rai-, ,, fonne pas, moi, cela eft vrai, mais d'autres ,, raifonnent ; quel mal en arrive-t-il ? Voyez ^ tel, tel, & tel ouvrage; n'y a-t-il que des sj plaifanteries dans ces Livres-là? Moi-même T5

298 CINQUIEME

enfin, fi je ne raifonne pas, je fais mieux ;^ 5, je fais raifonner mes lefleurs. Voyez mon 5, chapitre des Juifs ; voyez le même chapitre plus développé dans le Sermon des cinquan- 3, te. II y a du raifonnement ou l'équivalent, je penfe. Vous conviendrez auflî qu'il y a peu de détour , & quelque chofe de plus que des traits épars ^ indifcrets.

Nous avons arrangé que mon grand crc- -, dit à la Cour & ma toute-puilTance préten- due vous ferviroient de prétexte pour laif- j, fer courir en paix les jeux badins de mes vieux ans: cela eft bon, mais ne brûlez pas pour cela des écrits plus graves ; car alors cela feroit trop choquant.

J'ai tant prêché la tolérance ! Il ne faut j, pas toujours l'exiger des autres & n'en ja- 5, mais ufer avec eux. Ce pau\Te homme croit en Dieu? payons -lui cela, il ne fera pas

_i

LETTRE. 299

fe6te. Il efl: ennuyeux? Tous les raifonneurs le font. Nous ne mettrons pas celui-ci de nos foupés; du refte, que nous importe? Si l'on brûloit tous les Livres ennuyeux, que deviendroient les Bibliothèques? & l'on 5, brûloit tous les gens ennuyeux, il faudroit 5, faire un bûcher du pays. Croyez - moi , laif- fons raifonner ceux qui nous laiffent plai- fanter ; ne brûlons ni gens ni Livres ; & relions en paix ; c'eft mon avis. " Voila , félon moi , ce qu'eut pu dire d'un meilleur ton M. de Voltaire , & ce n'eut pas été , ce me femble , le plus mauvais confei! qu'il auroit donné.

Faifons impartialement la comparai/on de ces

ouvrages; jugeons en par Vimprejjion qu'ils ont

faite dans le monde. J'y confens de tout mon

cœur. Les uns slmpriment S Je débitent partout^

On fait comment y ont été reçus les autres.

.3

00 CINQUIEME

Ces mots les uns & les autres font équivo* ques. Je ne dirai pas fous lefquels rAuteur en- tend mes écrits ; mais ce que je puis dire , c'eft: qu'on les imprime dans tous les pays , qu'on les traduit dans toutes les langues, qu'on à mê- me fait à la fois deux traductions de l'Emile à Londres , honneur que n'eut jamais aucun au- tre Livre excepté l'Héloïfe , au moins , que je fâche. Je dirai, de plus, qu'en France, en Angleterre , en Allemagne, même en Italie on me plaint on m'aime on voudroit m'ac- cueîUir , & qu'il n'y a par tout qu'un cri d'in- dignation contre le Confeil de Genève. Voila ce que je fais du fort de mes Ecrits ; j'igno- re celui des autres.

Il ell tems de finir. Vous voyez , Monfieur, que dans cette Lettre & dans la précédente je me fuis fuppofé coupable ; mais dans les trois premières j'ai montré que je ne l'étois pas, Or

LETTRE. SOI

jugez de ce qu'une procédure injulle contre un coupable doit être contre un inïiocent!

Cependant ces Meflîeurs , bien déterminés à laiffer rubfifter cette procédure ^ ont hautement déclaré que le bien de la Religion ne leur per- mettoit pas de reconnoître leur tort , ni l'hon» neur du Gouvernement de réparer leur injuHi*- ce. Il faudroit un ouvrage entier pour moni- trer les conféquences de cette maxime qui con- facre & change en arrêt du deftin toutes les iniquités des Miniflres des Loix. Ce n'efl: pas de cela qu'il s'agit encore , & je ne me fuis propofé jufqu'ici que d'examiner fi l'injurtice avoit été commife , & non fi elle devoit être réparée. Dans le cas de l'affirmative , ndus verrons ci- après quelle refiburce vos Loix fe font ménagée pour remédier à leur violation. jEn attendant, qiïe faut-il penfer de ces juges inflexibles , qui procèdent dans leurs jugemens

303 CINQUIEME

aullî légèrement que s'ils ne tiroient point à conféquence, & qui les maintiennent avec au- îant d'obftination que s'ils y avoient apporté le plus mur examen?

Quelque longues qu'aient été ces difcuflîons, j'ai cru que leur objet vous donneroit la pa- tience de les fuivre ; j'ofe même dire que vous le deviez , puifqu'elles font autant l'apologie de vos loix que la mienne. Dans un pays libre & dans une Religion raifonnable, la Loi qui rendroit criminel un Livre pareil au mien fe- roit une Loi funeile, qu'il faudroit fe hâter d'abroger pour l'honneur & le bien de l'Etat. Mais grâce au Ciel il n'exifte rien de tel par- mi vous, comme je viens de le prouver, & il vaut mieux que l'injuftice dont je fuis la vic- time foit l'ouvrage du Magiftrat que des Loix; car les erreurs des hommes font paflageres, mais celles des Lois durent autant qu'elles.

I LETTRE. 303

Loin que i'oflracirme qui m'exile à jamais de mon pays foit l'ouvrage de mes fautes , je n'ai jamais mieux rempli mon devoir de Ci- toyen qu'au moment que je cefTe de l'être, ôC j'en aurois me'rité le titre par Tafte qui m'y fait renoncer. fc-. Rappeliez- vous ce qui venoit de fc pafTer il y avoit peu d'années au fujet de l'Article Ge- nève de M. d'Alembert. Loin de calmer les murmures excités par cet Article l'Ecrit pu- blié par les Pafleurs l'avoit augmenté , & il n'y a perfonne qui ne fâche que mon ouvra- ge leur fit plus de bien que le leur. Le parti Proteflant, mécontent d'eux, n'éclatoit pas, mais il pouvoit éclater d'un moment à l'autre, & malheureufement les Gouvernemens s'allar- ment de û peu de chofe en ces matières , que les querelles des Théologiens , faites pour tom- ber dans l'oubli d'elles-mêmes prennent ton-

304 C I N Q U I E M Ë

jours de l'importance par celle qu'on leaf veut donnen

Pour moi je regardois comme la gloire ôc le bonheur de la Patrie d'avoir un Clergé ani- mé d'un efprit Ci rare dans fon ordre, & qui, fans s'attacher à la dodlrine purement fpécula- tive, rapportoic tout à la morale & aux de- voirs de l'homme & du Citoyen. Je penfois que, fans faire diretlement fon apologie, juf" tifier les maximes que je lui fuppofois & pré- venir les cenfures qu'on en pourroit faire étoit un fervice à rendre à l'Etat. En montrant que ce qu'il négligeoit n'étoit ni certain ni utile, j'efpérois contenir ceux qui voudroient lui en faire un crime: fans le nommer, fans le défigner , fans compromettre fon orthodo- xie, c'étoit le donner en exemple aux autre? Théologiens.

L'entreprife étoit hardie, mais elle n'étoit

pat

LETTRE Soi

pas téméraire, & fariè des circdnftâiices qu'il étoit difficile de prévoir, elle devoit nàturel- lerïient réuflir. Je li'étois pas feul de fenti- ment ; des gens très éclairés d'illufl:res Màgil^ trats même penfoient comme moi. Confidéreé l'état religieux de l'Europe au moment j6 publiai mon Livre, & vous verrez qu'il étoic plus que probable qu'il feroit par tout accueil- li. La Religion décréditée ert tout Heu par I^ philofophie âvoit perdu fon afceildant jufques fur le peuple. Les Gens d'Eglife, obftinés h ï'étayer par fon côté foible, avoient làifT^ miner tout le refte , & l'édifice entier portanc à faux étoit prêt à s'écrouler. Les controveir-i fes avoient cefle parce qu'elles n'intéreifoienc plus perfonne , & la paix régnoit eiitre différens partis, parce que nul ne fe foucîoîc plus du fien. Pour ôter les mauvaifes brari<i

. ches on avoit abattu l'ai-bre ; pour le re|

f Partie L V

So5 CINQUIEME

ter il falloit n'y Jaiflbr que le tronc.

Qiiel moment plus heureux pour établir fo- lidement la paix univerfelle , que celui l'ani- ■! moficë des partis fufpendue laiiToit tout le mon- de en état d'écouter la raifon ? A qui pouvoit déplaire un ouvrage fans blâmer , du moins fans exciurre perfonne, on faifoit voir qu'au fond tous étoient d'accord ; que tant de diiTen- tions ne îi'étoient élevées , que tant de fang n'avoit été verfé que pour des malentendus; que chacun devoit refier en repos dans fon cul- te, fans troubler celui des autres; que partout on devoit fervir Dieu , aimer fon prochain, obéir aux Loix, & qu'en cela feul confifloit Teflence de toute bonne Religion ? Cétoit éta- blir à la fois la liberté philofophique & la pié- té religieufe ; c'étoit concilier famour , de l'or- dre & les égards pour les préjugés d'autrui; c'étoit fans détruire les divers partis les rame-

LETTRE. 3D^

ïîer tous au terme commun de l'humanité ôcdù, h raifon ; Iroin d'exciter des querelles , c'étoic couper la racine à celles qui germent encore > & qui renaîtront infailliblement d'un jour à l'autre, lorfque le zèle du fanatifme qui n'efl qu'alToLipi fe réveillera: c'étoit, en im inot.> dans ce fiécle pacifique par indifférence, don- net à chacun des raifons très fortes , d'être toujours ce qu'il efl: maintenant fans favoic pourquoi.

Que de maux tout prêts à renaître n'é- toient point prévenus fi l'on m'eut écoutél Quels inconvéniens étoient attachés à cet avantage ? Pas un, non, pas un. Je défie qu'on m'en montre un feul probable <3c mê- me poffible, fi ce n'efl; l'impunité des er- reurs innocentes & l'impuiffance des per- fécuteurs. Eh comment fe peut -il qu'après tant de triftes expériences & dans un fiécle fi

V 2

3ô8 CINQUIEME

éclairé, les Gouvernemens n'aient pas encore appris à jetter & brifer cette arme terrible , qu'on ne peut manier avec tant d'adreffe qu'elle ne coupe la main qui s'en veut fervir ? L'Abbé de Saint Pierre vouloit qu'on ôtât les écoles de théologie & qu'on foutint la Reli* gion. Quel parti prendre pour parvenir faiis bruit à ce double objet , qui , bien vu , fe confond en un? Le parti que j'avois pris. Une circonftance malheureufe en arrêtant l'effet de mes bons defleins a raffemblé fur ma tête tous les maux dont je voulois délivrer le genre humain. Renaitra - 1 - il jamais un autre ami de la vérité que mon fort n'effraye pas? je l'ignore. Qu'il foit plus fage , s'il a le mê- me zèle en fera-t-il plus heureux? J'en doute. Le moment que j'aVois faifi , puifqu'il efl man- qué, ne reviendra plus. Je fouhaite de tout mon cœur que le Parlement de Paris ne fe

LETTRE. 309

fepente pas un jour lui-même d'avoir remis dans la main de la fuperftition le poignard que j'en faifois tomber.

Mais laifTons les lieux & les tems éloignés , (5^ retournons à Genève. C'ed que je veux vo.us ramener par une dernière obfervation que vous êtes bien à portée de faire , <S^ qui doic certainement vous frapper. Jettez les yeux fur ce qui fe pafTe autour de vous. Quels font ceux qi;i me pourfuivent, quels font ceux qui mq défendent ? Voyez parmi les Réprcfentans l'é- lite de vos Citoyens, Genève en a- 1- elle de plus eflimables ? Je ne veux point parler de mes perfécuteurs ; à, Dieu ne plaife que je fouil- le jamais ma plume & ma caufe des traits de la Satyre ; je laifle fans regret cette arme k mes ennemis : INlais comparez ôc jugez vous» même. De quel côté font les mœurs , les ver- tus, la folide piété, le plus vrai patriotifme?

V3

3IO C I N (^ U I E M E

Quoi ! j'offenfe les loix , & leurs plus zèles (défenreurs font les miens! J'attaque le Gou- vernement , & les meilleurs Citoyens m'ap- prouvent ! J'attaque la Religion , & j'ai pour moi ceux qui ont le plus de Religion ! Cette feule obfervation dît tout ; elle feule montre mon vrai crime & le vrai fujet de mes difgra» Ces. Ceux qui me haïflent & m'outragent font mon éloge en dépit d'eux. Leur haine s'expli^ que d'elle-même. Un Genevois peut-il s'y îromper?

LETTRE. su

SIXIEkE LETTRE.

JCjNCOre une Lettre, Monfieur, & vous êtes délivré de moi. Mais je me trouve en la com- mençant dans une fituation bien bizarre ; obli- gé de l'écrire, & ne Tachant de quoi la rem- plir. Concevez-vous qu'on ait à fe juftilier d'un crime qu'on ignore, & qu'il faille fe défendre fans favoir de quoi l'on efl accufé ? C'efl pour- tant ce que j'ai à faire au fujet des Gouverne- mens. Je fuis, non pas accufé , mais jugé, mais flétri pour avoir publié deux Ouvrages téméraires fcandakux impies^ tendans à détruîH la Reîigim Chrétienne & tous les Gouvememens. Quant à la Religion , nous avons eu du moins quelque prife. pour trouver ce qu'on a voula dire , & nous l'avons examiné. Mais quant .aux Gouvernemens, rien ne peut nous fournir V4

3^:

SIXIEME

moindre indice. On a toujours évité toutç efpecQ d'explication fur ce point: on n'aja- tnais voulu dire en quel lieu j'entreprenois ainfî de les détr-uire , ni comment , ni pourquoi , ni îien de ce qui peut conflater que le délit n'efl pas imaginaire. C'eil: comme fi Ton jugcoit quelqu'un pour avoir tué un homme fans dire ni , ni qui , ni quand ; pour un meurtre ab- ftrait. A l'Inquifition l'on force bien l'accufé de deviner de quoi on l'accufé, mais on ne le juge pas fans dire fur quoi>

L'Auteur des Lettres écrites de la Campagne évite avec le même foin de s'expliquer fur ce prétendu délit ; il joint également la Religion & les Gouvernemens dans la même accufation générale: puis, entrant en matière fur la Re- ligion, il déclare vouloir s'y borner, & il tient parole. Comment parviendrons- nous à vérifier i'accufation qui rdgarde les Gouvernemens., ù

LETTRE. 313

ceux qui l'intentent refufent de dire fur quoi elle porte ?

Remarquez même comment d'un trait de plume cet Auteuif change i'état de la queftion. -Le Confeil prononce, que mçs Livres tendent à détruire tous les Gouvernemcns. L'Auteur des Lettres dit feulement; qtie les Go,uvernemens y font livres à la plus audacieufe critique. Cela efl fort différent, Un^ criiiquc , quelque a^u- dacieufe qu'elle puiflb être n'efl point une con- fpiration. Critiquer ou blâmer quelques Loix n'ell pas renyerfer toutes les Lois. Autant vaudroit accufer quelqu'un d'aiTaffiner les ma- lades lorfqu'il n\ontre les fautes des Médecins. I-j-î: Encore une fois, que répondre à des rai- P.Cpns qti'on ne veut pas dire? Comment fe ju- ftifier contre un jugement porté fans motifs;? Que , fans preuve de part ni d'autre , ces Mef- fleurs difent que je veux renyerfer tous les

314 S I X I E M E

Gouvernemens , & que je dife, moî, que je ne veux pas renverfer tous les Gouvernemens , il y a dans ces afTertions parité exacte , excep- té que le préjugé efl pour moi ; car il efl à prc- fumer que je fais mieux que perfonnc ce que je veux faire.

Mais la parité manque , c*efl: dans l'effet <3e Taffertion. Sur la leur mon Livre efl brû- lé , ma perfonne efl décrétée ; & ce que j'af- firme ne rétablit rien. Seulement , û je prouve que l'accufation efl: faulTe & le jugement ini- que , l'affront qu'ils m'ont fait retourne à eux- mêmes : Le décret , le Bourreau tout y devroit retourner; puifque nul ne détruit û radicale- ment le Gouvernement , que celui qui en tire lin ufage direftement contraire à la fin pour laquelle il efl: infl:itué.

Il ne fuffit pas que j'affirme, il faut que je prouve ; & c'efl; ici qu'on voit combien eft

LETTRE. 315

déplorable le fort d'un particulier fournis à d'injuiles Magiflrats , quand ils n'ont rien à craindre du Souverain , & qu'ils fe mettent au deflus des loix. D'une affirmation fans preuve, ils font une démonftration ; voila l'innocent puni. Bien plus, de fa défenfe même ils lui font un nouveau crime , & il ne tiendroit pas à eux de le punir encore d'avoir prouvé qu'il étoit innocent.

Comment m'y prendre pour montrer qu'ils n'ont pas dit vrai ; pour prouver que je ne détruis point les Gouvernemens? Quelque en-^ droit de mes Ecrits que je défende , ils diront que ce n'efl: pas celui-là qu'ils ont condanné^ quoiqu'ils ayent condanné tout , le bon comme le mauvais , fans nulle diftinclion. Pour ne leur laifler aucune défaite, il faudroit donc tout re* prendre, tout fuivre d'un bout à l'autre, Li- vre à Livre, page à page, ligne à ligne, (&

3i6 SIXIEME

prefqiie enSn, mat à mot. Il fauclroit de plus, examiner tous les Gouvernemjens du monde, puifqu ils difent que je les détrujs tous. Quel- le entreprife I que d'années y faudroit-il em- ployer? ÇK\e à'in-fûUos faudroit- il écrire ; 6c après cela, qui les liroit?

Exigez de moi ce qui eft fairable. To-ùt homii^e . fçnfé doit fe contenter de ce que j'ai à vous dire : vous ne voulez fûreme^t rieij ^e plus.

De mes deux Livres brûlés à la fois, foi^ <^es imputations communes , il n'y en a. qu'un qg,i traite du droit politique ôc des matières de Gouvernement. Si l'autre en traite , ce n'efl; que dans un extrait du premier. Ainlî je fuppofe que c'eft fur celui-ci feulement que tombe l'accufation. Si cette accufation portoit fur quelque paflage particulier, on l'auroit ci- té, faas doute j on en, auroit du moins ej^trajt

Lettré.

SI?

quelque maxime, fidelle ou infidelle, comme on a fait fur les points concetnans la Ileli- gion.

C'eft donc le Syflême établi dans le coi-ps de l'ouvrage qui détruit les Gouvernemens ; il ne s'agit donc que d'expofèr ce Syflême ou faire une analyfe du Livre ; & nous n'y vo- yons évidemment , les principes deftruélifs dont il s'agit, nous faurons du moins les chercher dans l'ouvrage , en fuivant la mé- thode de l'Auteur.

Mais, Monfieur, fi durant cette analyfe ; qui fera courte, vous trouvez quelque confé- quence à tirer , de grâce ne vous preffez pas. Attendez que nous en raifonnîons enfemblè. Après cela vous y reviendrez Ci vous voulez, (^u'efl-ce qui f^ut que l'Etat efl: un? C'eft l'union de fcs membres. Et d'où nait l'unioh de Tes membres ? De l'obligation qui les litf.

5i8 SIXIEME

Tout, efl d'accord jufqu ici.

Mais quel efl le fondement de cette obli* gation? Voila les Auteurs fe divifent. Se- lon les uns , c'eil la force ; félon d'autres , l'autorité paternelle ; félon d'autres , la vo- lonté de Dieu. Chacun établit fon prin- cipe & attaque celui des autres : je n'ai pas moi-même fait autrement, &, fuivant la plus faine partie de ceux qui ont dif* cuté ces matières , j'ai pofé pour fonde- ment du corps politique la convention de fes membres , j'ai réfuté les principes différens du mien.

Indépendamment de la vérité de ce princi- pe, il l'emporte fur tous les autres par la fo* lidité du fondement qu'il établit ; car quel fon- dement plus fur peut avoir l'obligation parmi les hommes que le libre engagement de celui ^ui s'oblige ? On peut difputer tout autre

.-W;

LETTRE. 31^

principe (a) ; on ne fauroit difputer celui-là. Mais par cette condition delà liberté, qui en renferme d'autres, toutes fortts d'engage- mens ne font pas valides, même devant les Tribunaux humains. Ainfi pour déterminer celui-ci l'on doit en expliquer la nature , on doit en trouver l'ufage & la fin , on doit prou- ver qu'il eil convenable à des hommes , & qu'il n'a rien de contraire aux Loix naturelles: car il n'efb pas plus permis d'enfreindre les Loix naturelles par le Contrat Social , qu'il n'efl: permis d'enfreindre les Loix pofitives par les Contrats des particuliers, & ce n'efl que par ces Loix-mêmes qu'exifle la liberté

(a) Même celui de la volonté de Dieu, du moins cjuanc à l'application. Car bien qu'il foit clair que ce que Dieu veut l'homme doit le vouloir , il n'ell pas clair que Dieu veuille qu'on préfère tel Gou- vernement à tel autre, ni qu'on obéiffe à Jaques plu- tôt qu'à Guillaume. Or voila dcquoi il s'agit.

S2Ô S I X I £ M E

qui donïie force à rengagement.

J'ai poor réfukat de cet examen qUe Vétà- bliflement du Contraél Social efl un pa6le d'u- ne efpece particulière, par lequel chacun s'en- gage envers tous, d'où s'enfuit l'engagement réciproque de tous envers chacun , qui efl l'objet immédiat de l'union.

Je dis que cet engagement efl d'une efpece particulière, en ce qu'étant abfolu , fans con- dition, fans réferve, il ne peut toutefois être injufle ni fafceptible d'abus ; ptiifqu'il n'eft paà polfible que le corps fe veuille nuire à lui - mê- me, tant que le tout ne veut que pour tous;

Il efl encore d'une efpece particulière en ce qu'il lie les contraflans fans les afTujétir à pcr- funne , & qu'en leiir donnant leur feulé volon- té pour règle il les laille aufTi libres qu'aupara- vant.

La volonté de tous efl donc l'ordre la règle

fjprê"

i

LETTRE. 331

fiiprême, & cette règle générale & perfoni^^ fiée efl: ce que j'appelle le Souverain*

Il fuit de-là que la Souveraineté eft indî* vilible , inaliénable , & qu'elle réfide efFencieU lement dans tous les membres du corps.

Mais comment agit cet être abftraic & colle6lif? Il agit par des Loix, & il ne fauroit agir autrement»

Et qu'efl - ce qu'une Loi ? C'efl une décla^ ration publique 6c folemnelle de la volonté générale , fur un objet d'intérêt commun.

Je dis 5 fur un objet .d'intérêt commun ; parce que la Loi perdroit fa force & cefFeroit d'être légitime, fi l'objet n'en importoit à tous,

La Loi ne peut par fa nature avoir un objet particulier & individuel : mais l'application de la Loi tombe fur des objets particuliers 6c individuels.

Le pouvoir Légiflatif qui efi; le Souverain a

Farîle I. X

322 SIXIEME

donc befoin d'un autre pouvoir qui exécute, cefl- à-dire, qui réduife la Loi en aftes parti- culiers. Ce fécond pouvoir doit être établi de manière qu'il exécute toujours la Loi, & qu'il n'exécute jamais que la Loi. Ici vient l'inllitution du Gouvernement.

Qu'efl-ce que le Gouvernement ? Cefl un corps intermédiaire établi entre les fujets & le Souverain pour leur mutuelle correfpon- dance, chargé de l'exécution des Loix & du maintien de la Liberté tant civile que politique. Le Gouvernement comme partie intégran- te du corps politique participe à la volonté générale qui le conflitue ; comme corps lui même il a fa volonté propre. Ces deux volontés quelques fois s'accordent & quelques fois fe combattent. Cefl de Teffet combiné de ce concours & de ce conflit que réfulte le jeu de toute la machin^?,

LETTRE. 323

Le principe qui conflitue leis diverfes formes du Gouvernement confifle dans le nombre des membres qui le compofent. Plus ce nombre ed petit , plus le Gouvernement a de force ^ plus le nombre efl grand, plus le Gouvernement efl: foible ; & comme la fouveraineté tend tou- jours au relâchement, le Gouvernement tend toujours à fe renforcer. Ainfi le Corps exécutif doit l'emporter à la longue fur le corps légifla* tif , & quand la Loi efl enfin foumife aux hom- mes, il ne refte que des efelaves&des maî- tres ; l'Etat efl détruit.

Avant cette deflru6lion, le Gouvernement doit par fon progrès naturel changer de forme & pafTer par degrés du grand nombre au moindre. '% Les diverfes formes dont le Gouvernement cfl fufceptible fe réduifent à trois principales. Après les avoir Comparées par leurs avantagea

5H S I X I E M E

& par leurs inconvénicns , je donne la préfé- rence à celle qui efl intermédiaire entre les deux extrêmes , & qui porte le nom d'Ariflo- cratie. On doit fe fouvenir ici que la confti- tution de l'Etat & celle du Gouvernement font deux chofes très diflinftes, & que je ne les ai pas confondues. Le meilleur des Gouveme- mens cfl l'ariflocratique ; la pire des fouverai- ïietés efl l'ariflocratique.

Ces difcuffions en amènent d'autres fur la înaniere dont le Gouvernement dégénère, & fur les moyens de retarder la deftruiflion du corps politique.

Enfin dans le dernier Livre j'examine par •voye de comparaifon avec le meilleur Gouver- nement qui aie exifté, favoir celui de Rome, h police la plus favorable à la bonne conlli- tution de l'Etat; puis je termine ce Livre & tout rOnvragc par des recherches fur la nu-

LETTRE,. 325

ciere dont la Religion peut & doit entrer comme partie conftitative dans la compofif tion du corps politique.

Que penfiez-vous , Monfieur , en lifant cet- te analyfe courte & fidelle de mon Livre ? Je le devine. Vous difiez en vous-même ; voila riiiftoire du Gouvernement de Genève. Ceft ce qu'ont dit à la lefture du même Ouvrage tous ceux qui connoifTent votre Confcitution.

Et en effet , ce Contra6l primitif, cette ef- ibnce de h Souveraineté, cet empire des Loix, cette inllitution du Gouvernement , cette ma- nière de le reflerrer à divers degrés pour com-? penfer l'autorité parla force, cette tendance à lufarpation, ces aÛembîées périodiques, cet- te adrelTc à les ôter , cette defcruélion pro* chaîne , enfin , qui vous menace & que je vtailois prévenir ; n'ell - ce pas trait pour trait l'image de votre République, depuis fa naiflai>- <ce jufqu'à ce jour ? X 3

326 s I X I E M E

J'ai donc pris votre Conllltution , que je trouvois belle , pour modèle des inflitutions politiques , & vous propofant en exemple à l'Europe , loin de chercher à vous détruire j'ex<r pofois les moyens de vous conferver. Cette Conflitution , toute bonne qu'elle eft , n'eft pas fans défaut ,• on pouvoit prévenir les aké-» rations qu'elle a foufFertes, la garantir du dan- ger qu'elle court aujourd'hui. J'ai prévu ce danger , je fai fait entendre, j'indiquois des préfervatifs ; étoit-ce la vouloir détruire que de montrer ce qu'il falloit faire pour la main- tenir? C'ëtoit par mon attachement pour elle que j'aurois voulu que rien ne put l'altérer. Voila tout mon crime ; j'avois tort , peut- être ; mais fi famour de la patrie m'avcuglï^ fur cet article , étoit-ce à elle de m'en punir ? Comment pouvois-je tendre à renverfer tous ks Gouverncmens , en pofant en principes

LETTRE. 327

tous ceux du vôtre ? Le fait feiil détruit Tac- CLifation. Puifqu'i] y avoit un Gouvernement exidant fur mon modelé, je ne tendois donc pas à détruire tous ceux qui exifloient. Eh ! Monfieur ; fl je n'avois fait qu'un Système, vous êtes bien fur qu'on n'auroit rien dit. On fe fut contenté de reléguer le Contracl Social avec la République de Platon l'Utopie &. les Sévarambes dans le pays des chimères. Mais je peignois un objet exiitant, & l'on vou!oic que cet objet changeât de face. Mon Livre portoit témoignage contre l'attentat qu'on al- loit faire. Voila ce qu'on ne m'a pas pardonné. Mais voici qui vous paroitra bizarre. JMon Livre attaque tous les Gouvernemens , & il n'eft profcrit dans aucun ! Il en établit un ftjul , il le propofe en exemple , & c'eft dans celui- qu'il eft brûlé! N'eft-il pas fingulier que les Gouvernemens attaqués fe taifcnt ^ & que I X4.

028 s I X I E M E

le Gouvernement refpedlé fëvifle? Quoi! Le I^îagiilrat de Genève fe fait le protecteur des autres Gouvernemens contre le fien même ! Il punit Ton propre Citoyen d'avoir préféré les Loix de fon pays à toutes les autres ! Cela eft- il concevable , & le croiriez-vous fi vous ne reufificz vu? Dans tout îe refte de l'Europe quelqu'un s'ed-il avifé de flétrir louvrage? Non ; pas même l'Etat il a été impri- mé (b). Pas même la France les iVIagif- trats font là-dcHus fi féveres. Y a-t-on défen- du le Livre? Rien de femblabic ; on n'a pas laifie d'abord entrer l'édicion de 1 lollande , mais on l'a contrefaite en France, &. l'ouvra- ge y court fans dilBculcé. C'étoit donc une

(b) Dans le fort des premières clameurs caufces par les procédures de Paris & de Genève , le Ma- giftrat furpris défendit les deux Livres : mais fur ion pj,-opre çxa,mcn ce fage Magiftrat a bien chanj^ij ^c fentimcnt, furtout quant au Contraft Social,

LETTRE. 529

affaire de commerce & non de police : on préféroit le profit du Libraire de France au profit du Libraire étranger. Voila tout.

Le Contrat Social n'a été brûlé nulle part qu'à Genève il n'a pas été imprimé ; le feul Magiflrat de Genève y a trouvé des principes deftru61ifs de tous les Gouverne- mens. A la vérité , ce Magiflrat n'a point dit quels étoient ces principes ; en cela je crois qu'il a fort prudemment fait.

L'effet des défenfes indifcretes efl de n'être point obfervées & d'énerver la force de l'auto- rité. Mon Livre efl dans les mains de tout le monde à Genève , & que n'efl-il également dans tous les cœurs ! Lifez-le, Monfleur, ce Livre fi décrié , mais fi nécefl^aire ; vous y verrez partout la Loi mife au defTus des hom- mes ; vous y verrez par tout la liberté récla- înée , mais toujours fous l'autorité des loix, X5

330 SIXIEME

fa.ns lefquelles la liberté ne peut exifler , Se fous lefquelles on efl toujours libre, de quel- que façon qu'on foit gouverné. Par je ne fais pas, dit-on, ma cour aux puiffances: tant pis pour elles; car je fais leurs vrais intérêts, fi elles favoient les voir & les fuivre. Mais les palTions aveuglent les hommes fur leur propre bien. Ceux qui foumettent les Loix aux paffions humaines font les vrais dedruc- teurs des Gouvernemens : voila les gens qu'il faudroit punir.

Les fondemens de l'Etat font les mômes dans tous les Gouvernemens , & ces fonde- mens font mieux pofés dans m^n Livre que dans aucun autre. Quand il s'agit enfuite de comparer les diverfes formes de Gouverne- ment , on ne peut c\'iD£r de pefer fcparément les avantages & les inconvénicns de chacun : c'efl ce que je crois avoir fait avec impartial!-

LETTRE. 331

té. Tout balancé , j'ai donné la préfcrenco au Gouvernement de mon pays. Cela étoît naturel & raifonnable; on m'auroit blâmé je ne l'eufTe pas fait. Mais je n'ai point don- né d'exclufion aux autres Gouvernemens ; au contraire : j'ai montré que chacun avoit fa raifon qui pouvoit le rendre préférable à tout autre , félon les hommes les tems & les lieux. Ainfl loin de détruire tous les Gou-

, vernemens, je les ai tous établis.

^ En parlant du Gouvernement Monarchique en particulier, j'en ai bien fait valoir l'avanta-^ ge , ôi. je n'en ai pas non plus dcguifé les dé^ fauts. Cela eft, je penfe, du droit d'un hom- me qui raifonnc; & quand je lui aurois donné Texclufion, ce qu'aflurément je n'ai pas fait, s'enfuivroit-il qu'on dut m'en punir à Genève? Ilobbes at-il été décrété dans quelque Monar- chie parce que fes principes font deflru6lifs do.

ô6'

S I X I E INI E

tout Gouvernement républicain , & fait - on le procès chez les Rois aux Auteurs qui rejettent & dépriment les Républiques? Le droit n'ed- pas réciproque , & les Républicains ne font- ils pas Souverains dans leur pays comme les Rois le font dans le leur. Pour moi , je n'ai rejette aucun Gouvernement, je n'en ai mé- prifé aucun. En les examinant , en ks com- parant j'ai tenu la balance 6c j'ai calculé les poids : je n'ai rien fait de plus.

On ne doit punir la raifon nulle part, ni même le raifonnement ; cette punition prou^ veroit trop contre ceux qui l'impoferoient. Les Répréfentans ont très bien établi que mon Livre , je ne fors pas de la théfe générale , n'attaquant point le Gouvernement de Genèva & imprimé hors du territoire, ne peut être confidéré que dans le nombre de ceux qui trai' tent du droit naturel ôc politique, fur kfquels

LETTRE. 333

les Loix ne donnent au Confeil aucun pouvoir, &. qui fe font toujours vendus publiquement dans la Ville , quelque principe qu'on y avance & quelque fentiment qu'on y foutienne. Je ne fuis pas le feul qui difcutant par abftraclion des queflions de politique ait pu les traiter avec quelque hardieffe ; chacun ne le fait pas , mais tout homme a droit de le faire ; plufieurs nfent de ce droit, & je fuis le feul qu'on pu» niffe pour en avoir ufé. L'infortuné Sydneî penfoit comme moi, mais il agiflbit; c'efl pouf fon fait & non pour fon Livre qu'il eut l'hon-^ neur de verfer fon fang. Althufius en Allema- gne s'attira des ennemis, mais on ne s'avifa pas de le pourfuivre criminellement. Locke, Mon* tefquieu , l'Abbé de Saint Pierre ont traité les

mêmes matières , & fou\Tnt avec la même lU

/ berté tout au moins. Locke en particulier le»

:< traitées eyai^emc-nt dans les mêmes principes

334 S I X i È M E

que moi. Tous trois iont nés fous des Rois, ont vécu tranquilles & font morts honorés dans leurs pays* Vous favez comment j'ai été traité dans le mien.

Aufli foyez fiir que loin de rougir de ces fiétrifflires je m'en glorifie , puifqu'clles ne fer- vent qu'à mettre en évidence le motif qui me les attire , & que ce motif n'efl que d'avoir bien mérité de mon pays. La conduite du Confeil envers moi m'afflige, fans doute, en rompant des nœuds qui m'étoient fi chers; mais peut-elle m'avilir ? Non , elle m'élève , elle me met au rang de ceux qui ont fouffert pour la liberté. Mes Livres, quoi qu'on faffe , por* teront toujours témoignage d'eux-mêmes, & le traitement qu'ils ont reçu ne fera que fiu- ver de l'opprobre. ceux qui auront l'honneur d'être brûlés après eux.

Fin de la première Partie,

LETTRES

ECRITES DE LA

MONTAGNE.

TAR 7. y. ROUSSEAU.

SECONDE PARTIE.

A A M S T E R D A M,

Chez MARC MICHEL RE Y,

M D C C L X I V.

LETTRES

ECRITES DE LA

MONTAGNE.

I SECONDE PARTIE»

SEPTIEME LETTRE.

Vous m'aurez trouvé diffus, Monficur; mais il falloit l'être , & les fujets que j'avois à trai* ter ne fe difcutent pas par des épigrammes. D'ailleurs ces fujets m'éloignoient moins qu'il ne femble de celui qui vous intérefle» En par- lant de moi je penfois à vous ; & votre quel^ tien tenoic (i bien à la mienne, que l'une eft déjà réfolue avec l'autre, il ne me refte que la conféquence à tirer. Par tout l'innocen* I te n'eft pas en fureté, rien n'y peut être? par Partie IL A

s SEPTIEJME

tout les Loix font violées impunément, il n'y a plus de liberté.

Cependant comme on peut fcparer l'intérêt d'un particulier de celui du public, vos idées fur ce point font encore incertaines ; vous perfillez à vouloir que je vous aide à les fixer. Vous demandez quel efb l'état préfent de vo- tre République , & ce que doivent faire fes Citoyens? Il efl plus aifé de répondre à la pre- mière queflion ' qu'a l'autre.

Cette première queflion vous embarrafle fû- rement moins par elle-même que par les folu* lions contradictoires qu'on lui donne autoin* de vous. Des Gens de très bon fens vous difent ', nous fommcs le plus libre de tous les peuples, & d'autres Gens de très bon fens vous difent ; nous vivons fous le plus dur efclavage. Lef- quels ont raifon, me demandez-vous ? Tous, Monfieur ; mais à différens égards : une dif-

LETTRE. 3

tin6lion très fimple les concilie. Rien n'effc plus libre que votre état légitime ; rien n'efl; plus fervile que votre état a6luel.

Vos îoix ne tiennent leur autorité que de vous ; vous ne reconnoilïèz que celles que vous faites ; vous ne payez que les droits que vous impofez ; vous élifez les Chefs qui vous gou- vernent j ils n'ont droit de vous juger que par des formes prefcrites. En Confeil général vous êtes Légiflateurs , Souverains , indépendans de toute puiflance humaine; vous ratifiez les traités , vous décidez de la paix & de la guer- re ; vos Magiflrats eux - mêmes vous traitent de Magnifiques, très honorés S Souverains Sei' meurs. Voila votre liberté: voici votre fer- vitude.

Le corps chargé de l'exécution de vos Loix en ell l'interprète & l'arbitre fuprême ; il les fait parler comnje il lui plait ; il peut les faire A a

4 SEPTIEME

taire; il peut même les violer fans que vous puiiTiez y mettre ordre ; il eft au defTus des Loix.

Les Chefs que vous élifez ont, indépendam- ment de votre choix, d'autres pouvoirs qu'ils ne tiennent pas de vous , & qu'ils étendent aux dépends de ceux qu'ils en tiennent. Limités dans vos éleftions à un petit nombre d'hom- mes , tous dans les mêmes principes & tous animés du même intérêt, vous faites avec un grand appareil un choix de peu d'importance. Ce qui importeroit dans cette affaire feroit de pouvoir rejetter tous ceux entre lefquels on vous force de choifir. Dans une éIe6lion libre en apparence vous êtes fi gênés de toutes parts que vous ne pouvez pas même élire un pre- mier Syndic ni un Syndic de la Garde : le Chef de la République & 1^ Commandant de la Pxace ne font pas à votre choix.

LETTRE. 5

Si l'on n'a pas le droit de mettre fur vous de nouveaux impôts, vous n'avez pas celui de rejetter les vieux. Les finances de l'Etat font fur un tel pied que fans votfe concours .elles peuvent fuffire à tout. On n'a donc jamais befoin de vous ménager dans Cette vue , & vos droits à cet égard fe réduifent à être ex- empts en partie & à n'être jamais néceflaires.

Les procédures qu'on doit fuivre en vous ju- geant font prefcrites; mais quand le Confeil veut ne les pas fuivre perfonne ne peut l'y con- traindre, ni l'obliger à réparer les irrégularités qu'il commet. Là-deffus je fuis qualifié pour faire preuve, & vous favez fi je fuis le feuL

En Confeil général votre Souveraine puif- fance efl: enchaînée : vous ne pouvez agir que quand il plait à vos Magifi:rats, ni par- ler que quand ils vous interrogent. S'ils veu- lent même ne point afl"embler de Confeil gé- A3

6 SEPTIEME

néral , votre autorité votre exiftence eu. ane'an- tie, fans que vous puilTiez leur oppofer que de vains murmures qu'ils font en polTeffion de méprifer.

Enfin vous êtes Souverains Seigneurs dans l'aflemblée , en fortant de - vous n'êtes plu» rien. Quatre heures par an Souverains fubor- donncs, vous êtes fujets le refte de la vie & livrés fans réferve à la difcrétion d'autrui.

Il vous efl arrivé, Me{rieurs,'ce qu'il arri- ve à tous les Gouvernemens femblables au vôtre. D'abord la puiflance Légiflative & la puifTince executive qui conftituent la fouve- raineté n'en font pas diflin6les. Le Peuple Sou- verain veut par lui-même, & par lui-même il fait ce qu'il veut. Bientôt l'incommodité de ce concours de tous à toute chofe force le Peuple Souverain de charger quelques-uns de fes membres d'exécuter fes vobntés. Ces Qffi-

LETTRE. 7

ciers, après avoir rempli leur commiiîion en rendent compte, & rentrent dans k commu- ne égalité. Peu- à- peu ces commiffions de- viennent fréquentes , enfin permanentes. In- fenfiblement il fe forme un corps qui agit tou- jours. Un corps qui agit toujours ne peut pas rendre compte de chaque a6le ; il ne rend plus compte que des principaux j bientôt il vient à bout de n'en rendre d'aucun. Plus la puiflance qui agit ed aftive, plus elle énerve la puilfance qui veut. La volonté d*hier effc cenfce être aufli celle d'aujourd'hui; au lieu que l'afte d'hier ne difpenfe pas d'agir aujour- d'hui. Enfin l'inaélion de la puiflance quî veut la foumet à la puiflance qui exécute ; celle-ci rend peu- à- peu fes adlions indépen- dantes , bientôt fes volontés : au lieu d'agir pour la puiflTance qui veut , elle agit fur elle, IJ ne rcfl:e alors dans l'Etat qu'une puilTance A 4-

3 SEPTIEME

agîflante, c'eft l'executive. La puiflance exe- cutive n'efl que la force , & règne la feu- le force l'Etat efl diflbut. Voila, Monfieur, comment périment à la fin tous les Etats dé" înocratiques.

Parcourez Jes annales du vôtre , depuis le tems ou vos Syndics, fimples procureurs éta- blis par la Communauté pour vaquer à telle ou telle affaire, lui rendoient compte de leur Com- jniflîon le chapeau bas , & rentroient à l'inflant dans l'ordre des particuliers , jufqu'à celui ces mêmes Syndics , dédaignant les droits de Chefs & de Juges qu'ils tiennent de leur élec- tion , leur préfèrent le pouvoir arbitraire d'un corps dont la Communauté n'élit point les membres, & qui s'établit au defllis d'elle con- tre les Loix : fuivez ks progrès qui féparent ces deux termes , vous connoitrez à quel point vous en êtes ôc par quels dégrés vous y êtes parvenus.

LETTRE. p

Il y a deux fiécles qu'un Politique auroit pu prévoir ce qui vous arrive, II auroit dit; l'In- ftitution que vous formez eft bonne pour le préfent , & mauvaife pour l'avenir ; elle efl bonne pour établir la liberté publique , mau- vaife pour la conferver , & ce qui fait mainte- nant votre fureté fera dans peu la matière de vos chaînes. Ces trois corps qui rentrent teK lement l'un dans l'autre , que du moindre dé- pend l'aftivité du plus grand , font en équilibre tant que l'aftion du plus grand efl: nécefliaire & que la Légillation ne peut fe paiïer du Légif- lateur. Mais quand une fois l'établifTement fera fait , le corps qui l'a formé manquant de pouvoir pour le maintenir , il faudra qu'il tom- be en ruine , & ce feront vos Loix mêmes qui cauferont votre deftruftion. Voila précifé- ment ce qui vous efl: arrivé. Cefl; , fauf la difproportion , la chute du Gouvernement Po- As

10 s E P T I 2 !\î E

lonois par l'extrémité contraire. La conflitu- tion la République de Pologne n'efl; bonne que pour un Gouvernement il n'y a plus rien à faire. La vôtre , au contraire , n'efl bonne qu'autant que le Corps légiiktif agit toujours.

Vos Magiftrats ont travaillé de tous les tems &. fans relâche à faire pafTer le pouvoir Hiprême du Confeil général au petit Confeil par la gradation du Deux-Cent ; mais leurs ef- forts ont eu des effets différens, félon la ma- nière dont ils s'y font pris. Prefque toutes leurs entreprifes d'éclat ont échoué , parce qu'alors ils ont trouvé de la rcfiftance, & que dans un Etat tel que le vôtre , la rcfiftance publique eft toujours fûre , quand elle efl: fondée fur les Loix.

La raifon de ceci eft évidente. Dans tout Etat la Loi parle parle le Souverain. Or

LETTRE. fi

dans une Démocratie le Peuple efl Souve- rain, quand les divifions intedines furpendent toutes les formes & font taire toutes les au- torités, la fienne feule demeure, & fe por- te alors le plus grand nombre , réfide la Loi & l'autorité.

' Que fi les Citoyens & Bourgeois réunis ne font pas le Souverain , les Confeils fans les Ci- toyens & Bourgeois le font beaucoup moins encore , puifqu'ils n'en font que la moindre partie en quantité. Sitôt qu'il s'agit de l'auto- rité fuprême , tout rentre à Genève dans l'éga- lité, félon les termes de l'Edit. Qjie tous foïcnt contens en degré de Citoyens ê? Bourgeois , fans 'oouloir fe préférer ^ s' attribuer quelque autorité S Seigneurie par deffus les autres. Hors du Confeil général , il n'y a point d'autre Souve- rain que la Loi, mais quand la Loi même eft attaquée par fes IMiniflres , c'cft au Légiflateur

is SEPTIEME

à la foutenir. Voila ce qui faic que partout règne une véritable liberté , dans les entre- prifes marquées le Peuple a prefque toujours l'avantage.

Mais ce n'eft pas par des entreprifes mar- quées que vos Magiftrats ont amené les chofes au point elles font ; c'efl par des efforts modérés & continus , par des changemens prefque infenfibles dont vous ne pouviez pré- voir la conféquence, Si. qu'à peine même pou- viez-vous remarquer. Il n'efl: pas poffible au Peuple de fe tenir fans cefle en garde contre tout ce qui fe fait , & cette vigilance lui tour- neroit même à reproche. On l'accuferoit d'ê- tre inquiet & remuant , toujours prêt à s'allar- mer fur des riens. Mais de ces riens-là fur lef- quels on fe tait , le Confeil fait avec le tems faire quelque chofe. Ce qui fe paffe aftuelle- ment fous vos yeux en eft la preuve.

î. E T T R E. Ï3

Toute l'autorité de la République réfide - dans les Syndics qui font élus dans le Confeii général. Ils y prêtent ferment parce qu'il efl leur feul Supérieur , & ils ne le prêtent que dans ce Confeii , parce que c'efl à lui feul qu'ils doi- vent compte de leur conduite , de leur fîdélitë à remplir le ferment qu'ils y ont fait. Ils ju- rent de rendre bonne & droite juftice ; ils font les feuls Magiftrats qui jurent cela dans cette affemblée , parce qu'ils font les feuls à qui ce droit foit conféré par le Souve- rain (âf), & qui l'exercent fous fa feule au-

Çi) II n'eft conféré à leur Lieutenant qu'en fous* ordre, & c'efl pour cela qu'il ne prête point fer- ment en Confeii général. Mais , dit l'Auteur des Lettres , le ferment que prêtent les memires du Con- feii ejî-il moins obligatoire , £f l'exécution des engage' mens contrariés avec la divinité même dépend - elle du lieu dans lequel on les contraBe ? Non , fans doute mais s'enfuit-il qu'il foit indifférent dans quels lieux â dans quelles mains le ferment foit prêté, & ce choix ne marque- 1- il pas ou par qui l'autorité eft conférée, ou à qui l'on doit compte de l'wfage qu'on

14- SEPTIEME

torité. Dans le jugement public des criminels ils jurent encore feuls devant le Peuple , en fe levant (/;) & hauflant leurs bâtons, d'avoir fait droit jugement , fans haine ni faveur, p'iant Dieu de les punir s'ils ont fait au con- traire i & jadis les fentences criminelles fe rendoient en leur nom feul , fans qu'il fut fait mention d'autre Confeil que de celui des Ci- toyens , comme on le voit par la fentence de Morelli ci-devant tranfcrite , & par celle de Valentin Gentil rapportée dans les opufcules de Calvin.

Or vous fentez bien que cette puiflance cx- clufive , ainfi reçue immédiatement du Peu- ple, gêne beaucoup les prétentions da Con-

en faic? A quels hommes d'Etat avons-nous à faire s'il faut leur dire ces chofes-là? Les ignorent- ils, ou s'ils feignent de les ignorer?

(b) Le Confeil cft préfcnt aufli , mais fes mem- bies ne jurent point à demeurent affis.

«

LETTRE. is

Teil. Il efl donc naturel que pour fe délivrer de cette- dépendance il tâche d'affoiblir peu-à- peu l'autorité des Syndics , de fondre dans le Confeil la jurifdiélion qu'ils ont reçue, & de tranfmettre infenfiblement à ce corps pernaa- iient , dont le Peuple n'élit point les mem- bres 5 le pouvoir grand mais pafTager des Ma- giltrats qu'il élit. Les Syndics eux-mêmes, loin de s'oppofer à ce changement doivent auffi le favorifer ; parce . qu'ils font Syndics feulement tous les quatre ans , & qu'il? peu- vent même ne pas l'être j au lieu que , quoî qiî'il arrive, ils font Confeillers toute leur vie, le Grabeau n'étant plus qu'un vain cérémo- nial (c).

(c) Dans la première Inftitution , les quatre Syn- dics nouvcllemenC élus à. les quatre anciens Syndics rejettoient tous les ans huit membres des feize ref- tans du petit Confeil & en propofoient huit nou- veaux , lefquels paffoient enfuite aux fufFrages des

i6 SEPTIEME

Cela gagné, réleétion des Syndics devicn* dra de même une cérémonie tout aufli vai- ne que l'eft déjà la tenue des Confeils géné- raux.

Deux-Cens, pour être admis ou- rejettes. Mais in. fcnfiblcment on ne rcjetta des vieux Confeillers quo ceux dont la conduite ayoit donné prife au blâme, &. lorfqu'ils avoient commis quelque f4ute grave, oa n'attendoit pas les élevions pour les punir; mais- on les mettoit d'abord en prifon , & on leur faifoic leur procès comme au dernier particulier. Par cet- te règle d'anticiper le châtiment & de le rendre fëvere, les Confeillers reliés étant tous irréprocha- .bles ne donnoicnt aucune prife à l'exclufion : ce ■qui changea cetufage en la formalité cérémonieufe & vaine qui porte aujourd'hui le nom de Graheau. Admirable effet des Gouvcrnemens libres, les u- furpations mêmes ne peuvent s'établir qu'à l'appui de la vertu 1

Au refte le droit réciproque ' des deux Confeils cmpêcheroit fcul aucun des deux d'ofer s'en fervir fur l'autre linon de confcrt avec lui, de peur de s'cxpofer aux répréfailles. Le Grabeau. ne fert pro- prementqu'à les tenir bien unis contre la bourgcoi- fie, & à faire fauter l'un par l'autre Içs msmbi-e» qui u'auroicnt pas l'cfpric du corps.

LETTRE. t7

raux , & le petit Confcil verra fort paifibie- ment les exckîfions ou préférences que le •Peuple peut donner pour le Syndicat à fes membres, lorfque tout cela ne décidera plus de rien.

Il a d'abord pour parvenir à cette fin un grand moyen dont le Peuple ne peut connoî- tre : c'efl la police intérieure du Confeil , dont , quoique réglée par les Edits , il peut diriger la forme à fon gré ((f) , n'ayant aucun furveillant qui l'en empêche ; car quant aa Procureur général, on doit en ceci le comp- ter pour rien (e). Mais cela ne fuffit pa»

(d) C'cft ainfi que dès l'année 1655 le petit Con*' fctl & le Deux -Cent établirent dans leurs Corps la balote & les billets, contre l'Edit.

(e) Le Procureur général , établi pour être l'home me de la Loi , n'cft que l'homme du Confeil. Deux: caufes font prefque toujours exercer cette charge contre l'efprit de fon inftitution. L'une eft le vice de l'inftitution même qui fait de cette Magiftrature

Pmie IL B

i8 S E P T I E E M E

encore ; il faut accoutumer le Peuple même à ce tranfport de jurifdiftion. Pour cela on îie commence pas par ériger dans d'impor- tantes affaires des Tribunaux compofés de feuls Confeillers , mais on en érige d'abord de moins remarquables fur des objets peu in- térefîans. On fait ordinairement préfider ces Tribunaux par un Syndic auquel on fubditue

un degré pour parvenir au Confcil : au lieu qu'un Procureur général ne devoit rien voir au deflus de fa place & qu'il devoit lui être interdit par la Loi d'afpirer à nulle autre. La féconde caufe efl l'iiu- prudence du Peuple qui confie cette charge à des hommes apparentés dans le Confeil , ou qui font de familles en poffefnun d'y entrer , fans confidérer qu'ils ne manqueront pas ainfi d'employer contre lui les armes qu'il leur donne pour fa défenfe. J'ai oui •des Genevois diftitigiier l'homme du peuple d'avec l'homme de la Loi , comme fi ce n'étoit pas la mê- me chofe. Les Procureurs généraux devioicnt être durant leurs fix ans les Chefs de la Bourgciofie , & devenir fon confeil après cela: mais ne la voila-t-il pas bien protégée & bien conftiliée, & n'a- 1- elle ■pas fort à le féliciter de fon choix?

LETTRE. 19

quelquefois un ancien Syndic , puis un Con* feiller, fans que perfonne y falTe atteriiion; oii repette fans bruit cette manœuvre jufqu à ce qu'elle falîe ufage ; on la tranfporte au crimi- nel. Dans une occafion plus importante on é- rige un Tribunal pour juger des Citoyens. A la faveur de la Loi des récufations on fait préfider ce Tribunal par un Confeiller. Alorâ le Peuple ouvre les yeux & murmure. On lui dit, dequoi vous plaignez - vous ? Voyez les exemples; nous n'innovons rien.

Voila, Monfieur, la politique de vos Ma- giftrats. Ils font leurs innovations peu-à-peu, lentement , fans que perfonne en voye con- féquence ; & quand enfin l'on s'en apperçoit & qu'on y veut porter remède , ils crient qu'on veut innover.

Et voyez, en effet, fans fortir de cet exem-» •pie, ce qu'ils ont dit à cette occaGon. lis, B 2

ao SE P T I E M E

s'appuyoient fur la Loi des récufations : on leur répond ; la Loi fondamentale -de l'Etat veut que les Citoyens ne foient jugés que par leurs Syndics. Dans la concurrence de ces deux Loix celle - ci doit exclure l'autre ; en pareil cas pour les obferver toutes deux on dcvroit plutôt élire un Syndic ad actiim. A ce mot , tout eft perdu ! Un Syndic ad actiim ! innovation ! Pour moi , je ne vois rien de il nouveau qu'ils difent: ïi c'efl le mot, on s'en fert tous les ans aux élections; & fi c'eft la chofe, elle eft encore moins nouvelle; puif- que les premiers Syndics qu'ait eu la Ville n'ont été Syndics (\viad a&iim : Lorfque le Procureur général eft recufable , n'en faut - il pas un autre ad aSlmn pour faire fes fondions ; & les adjoints tirés du Deux - Cent pour rem- plir les Tribunaux, que font -ils autre chofe que des Confeillers ad aclum ? Quand un noii-

LETTRE. 21

vel abus s'introduit ce n'eft point innover que d'y propofer un nouveau remède ; au contrai- re, c'efl: chercher à rétablir les chofes fur Tan- cîen pied. Mais ces Meflieurs n'aiment point qu'on fouille ainfi dans les antiquités de leur Ville : Ce n'efl: que dans celles de Carthage & de Rome qu'ils permettent de chercher l'ex- plic-ition de vos Loix.

Je n'entreprendrai point le parallèle de cel- les de leurs entreprifes qui ont manqué & de celles qui ont réuffi : quand il y auroit com- penfation dans le nombre , il n'y en auroit point dans l'effet total. Dans une entreprife exécutée ils gagnent des forces ; dans une en- treprife manquée ils ne perdent que du tems. Vous, au contraire , qui ne cherchez & ne pouvez chercher qu'à maintenir votre conlli-^ tution , quand vous perdez , vos pertes font réelles , & quand vous gagnez , vous ne

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22 SEPTIEME

gagnez rien. Dans un progrès de cette ef. pece comment efpérer de relier au même, point ?

De toutes ks époques qu'offre à méditer l'hiftoire inftru6live de votre Gouvernement, la plus remarquable par fa caule & la plus im- portante par fon effet , efl celle qui a produit le règlement de la Médiation. Ce qui donna lieu primitivement à cette célèbre époque fut une entreprife indifcrete, faite hors de tems par vos Magiftrats. Avant d'avoir affez affer- mi leur puiffance ils voulurent ufurpcr le droit de mettre des impôts. Au lieu de réferver ,ce coup pour le dernier l'avidité le leur fit por- ter avant les autres, & précifément après une commotion qui n'étoit pas bien affoupie. Cet- te faute en attira de plus grandes, difficiles à réparer. Comment de fi fins politiques igno- roient-ils une maiiime auffi fimple que celle.

LETTRE. 23

qu'ils choquèrent en cette occafion? Par tout pays le peuple ne s'apperçoic qu'on attente à fa liberté que lorrqu'on attente à fa bourfe; ce qu aufli les ufurpateurs adroits ie gardent bien de faire que tout le refte ne foit fait. Ils voulurent renverfer cet ordre & s'en trou* vereat mal (/). Les fuites de cette affaire produiilrent les mouvemens de 1734 & l'af- freux complot qui en fut le fruit.

Ce fut une féconde faute pire que la pre- mière. Tous les avantages du tems font pour eux j ils fe les ôtent dans les entreprifes bruf-

(/) L'objet des impôts établis en 17 16 ctoit la dépenfe des nouvelles fortifications : Le plan de ces nouvelles fortifications ctoit immenfe oc il a été exé- cuté en partie. De vaftes fortifications rendoient néceffaire une groŒe garnifon , & cette grofTe gar- nifon avoit pour but de tenir les Citoyens & Bour- geois fous le joug. On parvenoit par cette voyc à former à leurs dépends les fers qu'on leur prépa- roit. Le projet étoit bien lié , mais il marchoît iiïis un ordre rétrosrade. Aullî n'a-t-il pu réuiTu".

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24. SEPTIEME

ques, & mettent la machine dans le cas de fe remonter tout d'un coup: c'ed ce qui fail- lit arriver dans cette affaire. Les événemens qui précédèrent la Médiation leur firent per- dre un ficcIe & produifirent un autre effet défavorable pour eux. Ce fat d'apprendre à l'Europe que cette Bourgeoifie qu'ils avoient voulu détruire & qu'ils peignoient comme une populace effrénée, favoit garder dans fes avantages la modération qu'ils ne connurent jamais dans les leurs.

Je ne dirai pas û ce recours à la Média- tion doit être compté comme une troificme fiuite. Cette Médiation fut ou parut offcirte; fi cette offre fut réelle ou follicitée c'efl ce que je ne puis ni ne veux pénétrer : je fais feulement que tandis que vous couiiez le plus l^rand danger tout garda le filence , & que ce nience ne fut rompu que quand le daiigeç

LETTRE. 25

paHa dans l'autre parti. Du refle , je veux d'autant moins imputer à vos Magiflrats d'a- voir imploré la Médiation, qu'ofer même en parler eft à leurs yeux le plus grand des crimes.

Un Citoyen fe plaignant d'un emprifonne- ment illégal injufte & deshonorant , deman- doit comment il falloit s'y prendre pour re- courir à la garantie. Le Magiflrat auquel il s'adrefToit ofa lui répondre que cette feule propolition méritoit la mort. Or vis-à-vis du Souverain le crime feroit auiïî grand & plus grand, peut-être, de la part du Confeil que de la part d'un fimple particulier ; & je ne vois pas l'on en peut trouver un digne de mort dans un fécond recours, rendu légitime par la garantie qui fut l'effet du premier.

Encore un coup , je n'entreprends point de difcuter une queftion fi délicate à traiter

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26 s £ P T I E IM E

& fi difficile à foudre. J'entreprends lim- plement d'examiner, fur l'objet qui nous oc- Cupe, l'état de votre Gouvernement, fixé ci- devant par le règlement des Plénipotentiaires,, mais dénaturé maintenant par les nouvelles entreprifes de vos Magiftrats. Je fuis obligé de faire un long circuit -pour aller à mon but , inais daignez me fuivre , & nous nous re- trouverons bien.

Je n'ai point la témérité de vouloir criti- quer ce règlement; au contraire, j'en admire la fagefle & j'en refpe6le l'impartialité. J'y crois voir les intentions les plus droites & les dirpofitions les plus judicieufes. Quand on fait combien de chofes étoient contre vous dans ce moment critique, combien vous aviez de préjugés à vaincre , quel crédit;, à furmon- ter , que de faux expofés à détruire ; quand on fe rappelle avec quelle confiance vos adverfai*

LETTRE, 27

res comptoient vous ëcrafer par les mains d'autmi , l'on ne peut qu'honorer le zèle la çonllance & les talens de vos défenfeurs , l'é- quité des PuiiTances médiatrices & l'intégrité des Plénipotentiaires qui ont confommé ceç ouvrage de paix.

Quoi qu'on en puifTe dire, l'Edit de la Mé- diation a été le fakit de la République , & quand on ne l'enfrtindra pas il en fera la con* fervation. Si cet Ouvrage n'eil: pas parfait en lui-même , îl l'effe relativement ; il l'eft quant aux tems aux lieux aux circonftances ; il efl le meilleur qui vous put convenir. I] doit vous être inviolable & facré par pruden- ce , quand il ne le feroit pas par nécefîité, & vous n'en devriez pas ôter une Ligne, quand vous feriez les maîtres de l'anéantir. Bien plus , la raifon mêm.e qui le rend néceir iàire , le rend néceiTaire dans fon entier. Com-

28 SEPTIEME

ine tous les articles balancés forment l'cquili- bre, un feul article altéré le détruit. Plus le règlement efl; utile , plus il feroit nuifible ainfi mutilé. Rien ne feroit plus dangereux que plufieurs articles pris féparément & détachés du corps qu'ils afFermiflent. 11 vaudroit mieux que l'édifice fut rafé qu'ébranlé. Laiflez ôter une feule pierre de la voûte , & vous ferez écrafés fous fes ruines.

Rien n'efl: plus facile à fentir par l'examen des articles dont le Confeil fe prévaut & de ceux qu'il veut éluder. Souvenez-vous , Mon- fieur , de l'efprit dans lequel j'entreprends cet examen. Loin de vous confeiller de toucher à l'Edit de la Médiation, je veux vous faire fentir combien il vous importe d- n'y laiffer porter nulle atteinte. Si je parois critiquer quelques articles, c'eil pour montrer de quel- le conféquençe ,il feroit d'ôter ceux qui Içs

LETTRE. £9

rcftifient. Si je parois propofer des expédiens qui ne s'y rapportent pas , c'ell pour mon- trer la mauvaife foi de ceux qui trouvent des difficultés infurmontables rien n'eil plus aifé que de lever ces difficultés. Après cette explication j'entre en matière fans fcrupule, bien perfuadé que je parle à un homme trop équitable pour me prêter un deflein tout con- traire au mien.

: Je fens bien que fi je m'adreflbis aux é- trangers il conviendroit pour me faire enten- dre de commencer par un tableau de votre conflitution ; mais ce tableau fe trouve déjà tracé fuffifamment pour eux dans l'article Ge- nève de M. d'Alembert , & un expofé plus détaillé feroit fuperflu pour vous qui connoif- fez vos Loix politiques mieux que moi-mê- me, ou qui du moins en avez vu le jeu de plus près. Je me borne donc à parcourir les

33 s E P T r E M E

articles du règlement qui tiennent à la quef- tion préfente & qui peuvent le mieux eii fournir la folution.

Dès le premier je vois votre Gouverne- ment compofé de cinq ordres fubordonnés mais indépendans, c'ell-à-dire exiflans nécef- fairement , dont aucun ne peut donner attein- te aux droits & attributs d'un autre , & dans ces cinq ordres je vois compris le Confeil gé- néral. Dès - je vois dans chacun des cinq une portion particulière du Gouvernement ; mais je n'y vois point la PuifTance conftitutix'e qui les établit , qui les lie , & de laquelle ils dépendent tous : je n'y vois point le Souverain. Or dans tout Etat politique il faut une Puif- fance fuprême , un centre tout fe rapporte, un principe d'où tout dérive, un Souverain qui puifTe tout.

Figurez - vous , Monlîeur , que quelqu'un

LETTRE. 31

fVous rendant compte de la conftitutîon de l'Angleterre vous parle ainii. Le Gouver- nement de la Grande Bretagne efl compofé de quatre Ordres dont aucun ne peut at- tenter aux droits & attributions des autres ; ravoir,le Roi, la Chambre haute, la Cham- bre baffe, & le Parlement ". Ne diriez-vous pas à l'inftant ; vous vous trompez : il n'y a que trois Ordres. Le Parlement qui , lorfque le Roi y fiége, les comprend tous, n'en ellpas un quatrième: il efl: le tout ; il efl: le pouvoir unique & fuprême duquel chacun tire fon cxiflence & Tes droits. Revêtu de l'autorité îégiflative , il peut changer même la Loi fon- damentale en vertu de laquelle chacun de ces ordres exifl:e; il le peut, & de plus, il l'a fait. Cette réponfe efl: jufl:e , l'application en efl: claire ; & cependant il y a encore cette diffé- rence que le Parlement d'i^ngleterre n'efl: fou-

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SEPTIEME

verain qu'en vertu de la Loi & feulemens par attribution & députation. Au lieu que le Confeil général ^de Genève n'eft établi ni dé- puté de perfonne ; il efl fouverain de fon pro- pre chef: il efl; la Loi viv^ante & fondamen- tale qui donne vie & force à tout le refl;e, ôc qui ne connoit d'autres droits que les fiens. Le Confeil général n'efl: pas un ordre dans TEtat, il efl: l'Etat même.

L'Article fécond porte que les Syndics ne pourront être pris que dans le Confeil des Vingt-cinq. Or les Syndics font des Magif- trats annuels que le peuple élit & choifit , non feulement pour être fes juges , mais pour ê- tre fes Prote6leurs au befoin contre les mem- bres perpétuels des Confeils , qu il ne choifit pas fe). L'ef-

(g) En attribuant la nomination des membres du petit Confeil au Deux-Cent rien n'ctoit plus aifé

LETTRE.

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. L'effet de cette reflriftion dépend de h dif- férence qu'il y a entre l'autorité des membres du Confeil & celle des Syndics. Car la dif- férence n'ell très grande , & qu'un Syndic n'eftime plus fon autorité annuelle comme Syn^ die que fon autorité perpétuelle comme Con- feiller , cette éleftion lui fera prefque indiffé- rente ; il fera peu pour l'obtenir & ne fera rieij pour la juflifier. Quand tous les membres du Confeil animés du même efprit fuivront les

|,- ,

■que d'ordonner cette attribution félon la Loi fon; d amentale. II fafFifoit pour cela d'ajouter qu'on ne pourroit entrer au Confeil qu'après avoir été Audi» teur. De cette manière la gradation des charges é- toit mieux obfervée , & les trois Confeils concou- roient aux choix de celui qui fait tout mouvoir ; ce qui étoit non feulement important mais indifpenfa- ble, pour maintenir, l'unité de la conftitution. Les Genevois pourront ne pas fentir l'avantage de cette daufe , vu que le choix des Auditeurs efl: aujour- d'hui de peu d'effet; mais on l'eut confidiré bieii djfférçmment quand cette charge fat dev'cnue fçufe porte du Confeil.

Partie IL C

31 S E P T I E M E

mêmes maximes, le Peuple, fur une conduite commune à tous ne pouvant donner d'ex- clufion à perfonne , ni choifir que des Syndics déjà Confeillcrs , loin de s'alTurer par cette é- leélion des Patrons contre les attentats du Con- fcil, ne fera que donner au Confeil de nou- velles forces pour opprimer la liberté.

Quoique ce même choix , eut lieu pour l'or- dinaire dans l'origine de l'inflitution , tant qu'il fut libre il n'eut pas la même conféquen- ce. Quand le Peuple nommoit les Confeillers lui-même , ou quand il les nommoit indireéle- ment par les Syndics qu'il avoit nommés , il lui étoit indifférent & même avantageux de choifir fes Syndics parmi des Confeillers déjà de fon choix (b) , & il étoit fage alors de

(Z)) Le petit Confeil dans fon origine n'étoîf qu'un choix fait entre le Peuple, par les Syndics, de quelques Noyibles ou Prud - hommes pour leur

LETTRE. 35

préférer des chefs déjà verfés dans les affai- res : mais une confidération plus importante eut l'emporter aujourd'hui fur celle - là. Tant il efl vrai qu'un même ufage a des ef- fets différens par lès changemens des ufages qui s'y rapportent , & qu'en cas pareil c'efl innover que n'innover pas!

L'Article III. du Règlement eft plus confi- dérable. Il traite du Confeil général légitime-

fervir d'Afleflenrs. Chaque Syndic en choififlToit quatre ou cinq dont les fonctions finifToient avec les fiennes : quelquefois même il les chan,a;eoit durant le cours de fon Syndicat. Henri dit VEJpagne fut le premier Confciller à vie en 1487 , & il fut établi par le Confeil général, 11 n'étoit pas môme nécef- faire d'être Citoyen pour remplir ce polie. La Loi n'en fut faite qu';\ l'occafion d'un certain Michel Guillct de Thonon , qui, ayant été mis du Confeil étroit, s'en fit chafTer pour avoir ufé de mille fi- nefles ultramontaines qu'il apportoit de Rome il avoit été nourri. Les Magiftrats de la Ville, alors vrais Genevois & Percs du Peuple , avoicnt toutes ces fubtilités en horreur.

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35 S E P T i E M E

ment afTemblë: il en traite pour fixer les- droits, & attribuLÎons qui lui font propres, ôc il lui en rend plufieurs que les Confeijs inférieurs avoient ufurpé?. Ces droits en totalité font grands & beaux , fans doute ; mais première- ment ils font fpécifiés , ôc par cela foui lirai- îés ; ce qu'on pofe exclud ce qu'on ne pofe pas, & même le mot Imités efl dans T Article, Or il eil de l'eflence de la Puiflance Souverai- ne de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle n'efl rien. Comme elle contient émi- nemment toutes les puiflances aftives de TE- îat & qu'il n'exifte que par elle , elle n'y peut reconnoître d'autres droits que les ficns & ceux qu elle communique. Autrement les pof- fefieurs de ces droits ne feroient point partie du corps politique ; ils lui feroient étrangers par ces droits qui ne feroient pas en lui , & la perfonne morale m.anquant d'unité s'évanouï- rpit.

L E T T II E. 3^/.

Cette limitation même cft pofitive en ce qui concerne les Impôts. Le Confeil Sou- i^erain lui-même n'a pas le droit d'abolir eux qui étoit établis avant 1714. Le voila donc à cet égard fournis à une puilTance fu" périeure. Quelle efl: cette PuifTance ?

Le pouvoir LégiOatif confifte en deux cho- fcs inféparables : Taire les Loix ôi les mainte- nir; c'ed- à- dire, avoir inrpe6lion fur le pou- voir exécutif. Il n'y a point d'Etat au monde le Souverain n'ait cette infpeélion. Sans cela toute liaifon toute fubordlnation maftqiianc entre ces deux pouvoirs 5 le dernier ne dépen- droit point de l'autre ; l'exécution n'auroit au- cun rapport néceflaire aux Loix; la Loi ne feroit qu'un m.ot , & ce mot ne fjgnifieroi: rien. Le Confeil général eut do tout tems ce droit de proteflion fur fon propre ouvra- ge , il l'a toujours exercé : Cependant il n'en

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38 SEPTIEME

efl point parlé [dans cet article, & s'il n*y ëtoit fuppléé dans un autre , par ce feul fi- lence votre Etat feroit renverfé. Ce point eft important & j'y reviendrai ci -après.

Si vos droits font bornés d'un côté dans cet Article , ils y font étendus de l'autre par les paragraphes 3 & 4: mais cela fait -il com- penfation ? Par les principes établis dans le Contract Social, on voit que malgré l'o- pinion commune , les alliances d'Etat à E- tat , les déclarations de Guerre & les traités de paix ne font pas des aftes de fouveraine- mais de Gouvernement , & ce fentiment cil conforme à l'ufage des Nations qui ont le mieux connu les vrais principes du Droit politique. L'exercice extérieur de la Puif- fance ne convient point au Peuple ; les gran- des maximes d'Etat ne font pas à fa portée ; il doit s'en rapporter là-deffus à ks chefs qui ^

LETTRE. 39

toujours plus éclaires que lui fur cej point, n'ont guère intérêt à faire au dehors des trai- tés défavantageux à la patrie ; Tordre veut qu'il leur laiflè tout l'éclat extérieur & qu'il s'attache uniquement au folide. Ce qui impor- te efTenciellement à chaque Citoyen , c'eft l'ob- fervation des Loix au dedans, la propriété des biens, la fureté des particuliers. Tant que tout ira bien fur ces trois point , laifTez les Confeils négocier & traiter avec l'étranger ; ce n'cfl: pas delà que viendront vos dangers les plus à craindre. C'efl autour des individus qu'il faut raflembler les droits du Peuple , & quand on peut l'attaquer féparément on le fubjugue tou- jours. Je pourrois alléguer la fageffe des Ro- mains qui , laifTant au Sénat un grand pouvoir au dehors le forçoient dans la Ville à re/pe6ler le dernier Citoyen ; mais n'allons pas Ci loin chercher des modèles. Les Bourgeois de

.40 SEPTIEME

INfeufcbâtel fe font conduits bien plus fagemeni fous leurs Princes que vous fous vos JNIagif- trats (/;). Ils ne font ni la paix ni la guerre, ils ne ratifient point les traités, mais ils jouïf- ferit en fureté .de leurs franchifes ; & com- lïie la Loi n'a point préfumé .que dans une petite Ville un petit nombre d'honnêtes Bour- geois fefoient des^fcélérats , on ne reclamé point dans leiirs murs , on nj connoit pas même l'odieux droit d'emprifonner fans for- malités. Chez vous .on s'efl toujours laifle fé- duîreà l'apparence, & l'on a négligé l'eflenr fenciel. s'.eft trop occupé du Confeil gé- néral, & pas affez de fes membres : il falloir nioins fonger à l'autorité , & plus à la liber- té.

: (b) Ceci foie ait eit mottanC à part les alnis, qu.'aiTiiiéraent je fuis bien éloi^'nc ^i'^ppiouvcr.

LETTRE. 4t

té. Revenons aux Confeils ge'ne'raux*

Outre les Limitations de l'Article III, les Articles V & VI en offrent de bien plus é- tranges. Un corps fouverain qui ne peut ni fe former ni former aucune opération de lui- même , & foumis abfolument , quant à Ion ac^ tivité & quant aux matières qu'il traite, à des tribunaux fubalterncs. Comme ces Tribunaux n'approuveront certainement pas des propor- tions qui leur feroient en particulier préjudi- ciables , {] l'intérêt de l'Etat fe trouve en con- flit avec le leur le dernier a toujours la préfé- rence, parce qu'il n'efl permis au Lcgiiliteur de connoître que de ce qu'ils ont approuvé. A force de tout foumettre à la règle on dé- truit la première des règles, qui eft la juPdce & le bien public. Quand les hommes fcnti- ront-ils qu'il n'y a point de défordre auffi fu- ncfte que le pouvoir arbitraire, avec lequel ils rarîle If. D

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SEPTIEME

penfent y remédier? Ce pouvoir efl lui-même îe pire de tous les défordres : employer un td moyen pour les prévenir, c'eft tuer les gens afin qu'ils n'aient pas la fièvre.

Une grande Troupe formée en tumulte peut faire beaucoup de mal. Dans une afllnlblée nombreufe, quoique régulière, û chacun peut dire & propofer ce qu'il veut , on perd bien du tems à écouter des folies & l'on peut c- tre en danger d'en faire. Voila des vérités înconteffcâbles ; mais efl - ce prévenir l'abus d'une manière raifonnabIe,que de faire dépen- dre cette afîembîée uniquement de ceux qui poudroient l'anéantir, & que îîitî n'y puilîe ïien propofer que ceux qtii ont le plus grand intérêt de lui nnire? Car, Monfieur, n'eft-ce pas exactement Fctat des chofjs , & y a-î- il un feul Genevois qui puifîe douter que fcxiflence du Conf-iî général dépendojt tnisc

LETTRE. 4^

à -fait du petit Confiril, le Confeil général ne fut pour jamais fupprimé?

Voila pourtant ]e Corps qui feul convoqus ces afTemblées & qui feul y propofe ce qu'il lui plait : car pour le Deux-Cent il ne fait que répéter les ordres du petit Confeil, & quand une fois celui-ci fera délivré du Confeil géné- ral le Deux-Cent ne rembarraifera gueres ; il ne fera que fuivre avec lui la route qu'il a .^ frayée avec vous.

Or qu ai-je à craindre d'un fupéricur inco- ttiode dont je n'ai jamais befoin , qui ne peut ie montrer que quand je le lui permets, ni ré- pondre que quand je l'interroge ? Qiiand je l'ai réduit à ce point ne puis-je pas m'en re- garder comme délivré ?

Si l'on dit que la Loi de l'Etat a prévenu l'abolition des Confeils généraux en les ren- dant- néceflliires à l'éleftion des ]Magiflrats & D ?.

44- SEPTIEME

à la fanclion des nouveaux Edits; j* répond?, quant au premier point, que toute la force du Gouvernement étant paflee des mains des INTagiflrats élus par le Peuple dans celles du petit Confeil qu'il n'élit point & d'où fe tirent les principaux de ces Magidrats , l'éleélîon & l'affemblée elle fe fait ne font plus qu'une vaine formalité fans confiftance, & que des Confeils généraux tenus pour cet unique objet peuvent être regardés comme nuls. Je réponds encore que par le tour que prennent les cliofcs il feroit même aifé d'éluder cette Loi fans que le cours des affaires en fut arrêté : car fup- pofons que, foit par la rejeftion de tous les fujets préfentés , foit fous d'autres prétextes, on ne procède point à l'élection des Syndics , le Confeil , dans lequel leur jurifdi6lion fe fond infenfiblement , ne l'exercera - 1 - il pas à leur défaut, comme il l'exerce dès à préfent indé-

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LETTRE. 45

pendamment d'eux ? N'ofe-t-on pas déjà vous dire que le petit Confeil , même fans les Syn- dics , ed le Gouvernement ? Donc fans les Syndics l'Etat n'en fera pas moins gouverné. Et quant aux nouveaux Edits , je réponds qu'ils ne feront jamais aflez néceflaires pour qu'à l'aide des anciens & de Tes ufurpations , ce m.ême Confeil ne trouve aifément le mo- yen d'y fuppléer. Qui fe met au deflus des anciennes Loix peut bien fe paflfer des nou- velles.

Toutes les mefurcs font prifes pour que vos /ifTemb'ées géné:-a'es ne foicnt jamais néceffai- res. Non feulement le Confeil périodique in- fliiué ou plutôt rétabli (/) l'an 1707. n'a ja-

(i) Ces Confeils périodiques font aufll anciens que la Lt'giflation , comme on le voit par le dernier Arti- cle de l'Ordonnance eccléfiaftiquc. Dans cc'lle de 1575 imprimée en 1735 ces Confeils font fixés de cinq en cinq ans; mais dans l'Ordonnance dei5(5i impri.

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46 S E P T I E RI E

msis étc tenu qu'une fois & reuiement poL;r- ] abolir (^k) , mais par le paragraphe 5 du r.roi- fieme Arcicle nu règlement il a été pourvu fans vous &. pour toujour» aux frais de radnii- lîiflration. Il n'y a que le feu! cas chimérique d'une guerre indifpcnfable le Confeil giné-. ïal doive abfolumenc être convoqué.

Le p^tit Confeil pourroit donc fupprimer sibfolument les Confeils généraux fans nutre in- convénient que de s'attirer quelques rcpréfen- tations qu'il efl: en poîTerfion de rebuter , ou

i'iiéc en 1562 ils «^toieiU iixés de trois en trois ans. II n'efl pas raifonnable de dire que ces Confeils n'a- voient pour objet que la lecture de cette Oidonnan- ce , piiifque rimpreiïîon qui en fut faite en niêin-c tems donnoit â chacun la facilité de la lire à toute heure à fon aife , fans qu'on eut befoin pour cela feul de l'appareil d'un Confeil général. Maîheureu- femcnton a pris grand foin d'ctTacer bien des tradi- tions anciennes qui feroient maintenant d'un grand Vifagc pour rcclairciflemcpt des Edit%

(.t) j'examinerai ci-après cet Edit d'abolition.

LETTRE. 4?.

d'exciter quelques vains murmures qu'il peuc rnéprifer fans rifque ; car par les articles VII, XXIir. XXIV. XXV, XLIII. toute efpece de réfiilance eil défendue en quelque cas que ce puifTe être , <& les reiTources qui font hur§ de la conftitution n'en font pas partie & n'en corrigent pas les défauts.

11 ne le fait pas, toutefois, parce qu'au fond cela lui eft. très indifférent, & qu'un fi- mulacre de liberté fait endurer plus patiem- ment la, fervitude. Il vous amufe à peu de. frais, foit par des éle6lions fans conféquence quant au pouvoir qu'elles confèrent & quant au choix des fuj'^ts élus, foit par des Loi^ qui paroiflent importantes , mais qu'il a f:iin de rendre vaincs, en ne les obfervant qu'au- tant qu'il lui plait.

D'ailleurs on ne peut rien propofer dans, CCS aiTemblécs, on n'y peut rien difcuter, on D4

48 SEPTIEME

n'y peut délibérer fur rien. Le petit Confeil y préfide, & par lui-même , & par les Syn- dics qui n'y portent que l'efprit du corps. Là- même il efl Magiftrat encore & maître de fon Souverain. N'eft-il pas contre toute rai- fon que le corps exécutif règle h police du corps Légiilatif , qu'il lui prefcrive les matiè- res dont il doit connoître, qu'il lui interdife ]e droit d'opiner, & qu'il exerce fa puifTance abfolue jufques dans les a6tes faits pour la contenir ?

Qu'un corps 11 nombreux (/) ait befoin de

(/) Les Confcils gcnéraux étoient autrefois très fréqiiens à Genève, & tout ce qui fe fiufoit de quel- que importance y étoit porté. En 1707 M. le SjMi- dic Chouet difoit dans une hara!)gi:e devenue célè- bre que de cette fréquence venoit jadis la foibleUe & le malheur de l'Etat; nous verrons bientôt ce qu'il en faut croire. Il infiîle aulïï fur l'extrême augmen- tation du nombre des membres, qui renJroit au- jourd'hui cette fréquence impofîîble, affirmant qu'au- trefois cette alTemblcc ne palToit pas deux à trois

LETTRE. 49

police & d'ordre , je l'accorde : Mais que cet- te police & cet ordre ne renverfent pas le

cents , & qu'elle eft à préfent de treize à quatorze cents. Il y a des deux côtés beaucoup d'exagéra- tion.

Les plus anciens Confcils j^énéraux étoient au moins de cinq à fix cents membres ; on feroit peut- être bien embarrafTé d'en citer un feul qui n'ait été que de deux ou trois cents. En 1420 on y en compta 720 ftipulans pour tous les autres , & peu de tems après on reçut encore plus de deux cents Bourgeois.

Quoique la Ville de Genève foit devenue plus commerçante & plus riche, elle n'a pu devenir beaucoup plus peuplée, les fortifications n'ayant pas permis d'aggrandir l'enceinte de fes murs & ayant fait rafer fes fauxbourgs. D'ailleurs , prefque fans territoire & à la merci de fes voifins pour fa fubfif- tance , elle n'auroit pii s'aggrandir fans s'afFoiblir. En 1404. on y compta treize cents feux faifant au moins treize mille âmes. Il n'y en a gueres plus de vingt mille aujourd'hui; rapport bien éloigné de celui de 3 à 14. Or de ce nombre il faut déduire encore celui des natifs, habitans , étrangers, qui n'entrent pas au Confeil général ; nombre fort aug- menté relativement à celui des Bourgeois depuis le refuge dt.'s François & le progrès de l'indiiflrie, QacI(]Ut's Confcils généraux font allés de nos jours

^-o s E P T I E INI E

but de fon inftitution. Efl-ce donc une chef- fe plus difficile d'établir la règle fans fervitu-

a quatorze â mcnic à quinze cents ; mais commu- nément ils n'approchent pns de ce nombre; fi quel- ques-uns même vont à treize, ce n'cft que dans des occafions critiques tous les bons Citoyens croiroient manquer à leur ferment de s'abfentcr , & les Magifiirats, de leur côté, font venir du de- hors leurs cliens pour favorifer leurs manœuvres ; or ces manœuvres , inconnues au quinzième fiéclc n'exigeoient point alors de pareils expédicns. Gé- néralement le nombre Ordinaire roule entre huit A neuf cents; quelquefois il refte. au-dcfibus de celui de l'an 14.20, furtout lorfque l'affeinblée fe tient en été & qu'il s'agit de chofes peu importantes. J'ai moi-même alllfté en 1754 ^ un Confeil général qui n'écoit certainement pas de lept cents membres.

Il réfulte de ces diverfes confidérations que , tout balancé, le Confeil général eft à-pcu-près au- jourd'hui, quant au nombre, ce qu'il étoit il y i deux ou trois fiéclc?, ou du moins que la diffé- rence eft peu confidérable. Cependant tout le mon- de y parlùit alors ; la police Ci, la décence qu'on y voit régner aujourdI)ui nétoit pas établie. Ori crioit quelquefois ; mais le peuple étoit libre , le Magiflirat refpeité , Ci le Confeil s'allcmbloit fré- quemment. Donc M. le Syndic Chouet accufoic faux, & raifonnoit mal.

LETTRE. st

de entre quelques centaines d'hommes natu- rellement graves & froids , qu'elle ne l'e'tok k Athènes, dont on nous parle, dans l'aflemblés de plufieurs milliers de Citoyens emporte's bouillans «& prefque effrénés ; qu'elle ne l'étoic dans la Capitale du monde, le Peuple en corps exerçoit en partie la PuilTance executi- ve, & qu'elle ne l'efl; aujourd'hui même dans le grand Confeil de Venife , aufTi nombreux que votre Confeil général? On fe plaint de rimpolice qui règne dans le Parlement d'An- gleterre; & toutefois dans ce corps compofé de plus de fept cents membres, fe traitent de û grandes affaires , tant d'intérêts fe croîfent , tant de cabales fe forment, tant de tètes s'échauffent , chaque membre a le droit de parler , tout fe fait , tout s'expé- die , cette grande Monarchie va fon train ; & chez voiTS les intérêts font fl fimpbs fi peu

52 SEPTIEME

compliqués, l'on n'a, pour ainfi à régler que les affaires d'une famille , on vous fait peur des orages comme tout alloit renverfer ! Monfieur, la police de votre Confeil général eft la chofe du monde la plus facile ; qu'on veuille fmcérement l'établir pour le bien pu- blic , alors tout y fera libre & tout s'y paffcra plus tranquillement qu'aujourd'hui.

Suppofons que dans le Règlement on eut pris la méthode oppofée à celle qu'on a fui- vie ; qu'au lieu de fixer les Droits du Confeil frénéral on eut fixé ceux des autres Confeils, ce qui par là-même eut montré les fiens ; con- venez qu'on eut trouvé dans le feul petit Con- feil un affemblage de pouvoirs bien étrange pour un Etat libre & démocratique , dans des chefs que le Peuple ne choifit point cSc qui retient en place toute leur vie.

D'abord l'union de deux chof-s par-tout ail- leurs

LETTRE. 53

leurs incompatibles ; favoir , I adminiftration des affaires de l'Etat & l'exercice fuprême de la jaflice far les biens la vie & l'honneur- des Citoyens.

Un Ordre, le dernier de tous par fon rang & le premier par fa puiffance. il Un Confeil inférieur fans lequel tout eft mort dans la République ; qui propofe feul, qui décide le premier, & dont la feule voix, même dans fon propre fait , permet à fes fu- périeurs d'en avoir une. f Un Corps qui reconnoit l'autorité d'un au- tre , & qui feul a la nomination des membres de ce corps auquel il efl: fubordonné.

Un Tribunal fuprême duquel on appelle ; ou bien au contraire, un Juge inférieur qui pré- fide dans les Tribunaux fupérieurs au fi:;n.

Qui , après avoir fiégé comme Juge infé- rieur dans le Tribunal dont on appelle , non

Partie H. E

54 SEPTIEME

feulement va fieger comme Juge fuprême dans e Tribunal eft appelle , mais n'a dans ce Tribunal fuprême que les collègues qu.'il s'cO: lui - même choifis.

Un Ordre , enfin , qui feul a fon aftivité propre , qui donne à tous les autres la leur , & qui dans tous foutenant les réfolutions qu'il a prifcs, opine deux fois & vote trois (m).

(m) Dans un Etat qui fe gouverne en Pv.épubli- que & l'on paile la langue françoife , 'l faudroit fe faire un langage à part pour le Gouvernement. Par exemple, Délibérer, 0[nner , Voter , font troi* chofci très dilFcrentes & que les François ne diftin- guent pas alTez. Délibérer, c'cft pefer le pour & le contre ; Opiner c'efl; dire Çi.ni avis & le moti- ver ; Vvter c'cfl: donner fon fiifïrage , quand il refte plus qu'à recueillir les vOix. On met d'abord la matière en délibérntjon. Au premier tour on opine; on vote au dernier. Les Tribunaux ont par tout à- peu -près les mjmcs forme? j mais comme dans les Monarchies te public n'a pas bcfoin d'en apprendre les termes ,^ ils relient confacrés au Ear- rcau. C'cfl: par une autre inexaftitudc de la Lan- gue en CCS matières que M, de Montcfquicu, qui

LETTRE.

.•)v')

I

L'appel du petit CoRrv.ij au Deux-Cent cTt un véritable jeu d'enfant. C'ell une farce en politique, s'il en fut jamais. AufTi n appelle-t- on pas proprement cet appel un appel; c'efh une grâce qu'on implore en juftice , un re- cours en caflation d'arrêt ; on ne comprend pas ce que c'ed. Croit- on que 11 le petit Confeil n'eut bien fenti que ce dernier recours ctoit fans conféquence, il s'en fut volontaire- ment dépouillé comme il fit? Ce déOntérefle- ment n'eft pas dans fes maximes.

Si les jugemens du petit Confeil ne font

pas toujours confirmés en Deux-Cent, c'ed

dans les affaires particulières & contradiclo:-

' ires il n'iîiiporte guère au Magiflrat li-

]a favoit fi bien , n'a pas laiffé c'e dire toujours la Puijjfance exécutrice, bîeTant ainli l'analogie, & fïi- fant adiefrif le mot exécuteur qui cfi: fubftantif. C'cil îa int-iTie faute oue s'il eut dit; le Pouvoir l'gj-jïatsur;

E 2

56 SEPTIEME

quelle des deux Parties perde ou gigne fbrr procès. Mais dans les affaires quon pourfuic d'office, dans toute affaire le Confeil lui- même prend intérêt, le Deux -Cent repare-t- il janiais fes injullices , protège - 1 - il jamais l'opprimé, o-fe-t-il ne pas confirmer tout ce qu'a fait le Confeil , ufa-t-il jamais une feule fois avec honneur de fon droit de faire grâ- ce ? Je rappelle à regret des tems dont la niémoire efl terrible & néceffaire. Un Ci- toyen que le Confeil immole à fa vengeance a recours au Deux -Cent; f infortuné s'avilit jufqu'à demander grâce; fon innocence n'ell ignorée de perfonne ; toutes les régies ont été violées dans fon procès: la grâce efl refufée, ôc l'innocent périt. Fatio fentit û bien l'inu- tilité du recours au Deux -Cent qu'il ne dai- gna pas s'en fervir.

Je vois clairement ce qu'efl le Deux Cent

LETTRE. 37

h. Zurich , à Berne , à Fribourg & dans les autres Etats aridocratiques ; mais je ne faurois voir ce qu'il eft dans votre Conllitution ni quelle place il y tient. Eft- ce un Tribunal fupérieur ? En ce cas , il eft abfurde que le Tribunal inférieur y ûége. Eft-ce un corps jL qui répréfente le Souverain? En ce cas c'cft au Rcpréfenté de nommer Ton Pwéprcfentanc.

(L'établiftement du Deux -Cent ne peut avoir d'autre fia que de modérer le pouvoir énor- me du petit Confeil ; & au contraire, il ne fait ■' que donner plus de poids à ce même pouvoir. Y Or tout Corps qui agit conftammenc contre refpric de Ton Inftitution eft mal inftitué! Que fert d'appuyer ici fur des choies notoi- i' res qui ne font ignorées d'aucun Genevois ? Le Deux Cent ncd rien par lui-même; il n'cft que le petit Confeil qui reparoit fous une autre forme. Une feule fois il voulut tâcher de fe- E 3 -

SK SEPTIEME

Ci..aier le joug de As maîtres & fe donner une exiftence indépendinte , & par cet unique ef- fort l'Etat faillit être renverfé. Ce n'efl qu'au feul Confeil général que le Deux -Cent doit > encore une apparence d'autorité. Cela fj vit bien clairement dans l'époque dont je parle, & cela fe verra bien mieux dans la fuite , G le petit Confeil parvient à fon but : ainfi quand de concert avec ce dernier le Deux Cent tra- vaille a déprimer le Confeil général, il iravail- le à fa propre ruine, & s'il croit fuivre les bri- fées du Deux - Cent de Berne , i! prend bien groiuérement le change ; mais on a prefque toujours vu dans ce Corps peu de lumières & moins de courage, & cela ne peut guère ê- tre autrement par la manière dont il efl: jem.- pli (n).

00 Ceci s'entend en gcPiéral & feulement ds ,l'e!piit du corps : car je fcis qu'il y a dans le Deux-

L E T T R E. 59

Vous voyez , Moafiv^ur, combien au lieu de^ fpécifier les droits du Confeil Souverain, il eue été p!us utile de fpécifier les attribu- tions des corps qui lui font flibordonnés , & fans aller plus loin , vous voyez plus évidem- ment encore que, par h force de certains ar- ticles pris ftparcment , le petit Confeil eft

Cent des membres très éclaires & qui ne manquent pas de zèle : mais incetlammenc fous les yeux du petic Confeil , livrés à fa meici fans appui fans reiTource, & fentant bien qu'ils feroient abandonnés de leur Corps , ils s'ablaennent de tenter des dérnar- cb'j". iivatiles qui ne feroicnt que les compromettre à les perdre. La vile tourbe bourdonne à tria.n- phe. Le fage fe tait & gémit tout bas.

Au refte le Deux- Cent n'a pas toujours été dans le diferédit il eil tombé. Jadis il jouît de la con- fidération publique & de la confiance, des Citoyens; auffi lui laiffbient- Ils fans inquiétude exercer les droits du Confeil général, que le petit Confeil tacha dès -lors d'attirer à lui par- cette voye indirecte. Nouvelle preuve de ce qui fera dit plus bas, que la Bourgcoifle de Genève cil j'C".: remuante & niî cherche guère à s intriguer des alr'uiies d'Etat.

E4

(5o S E P T I E M E

l'arbitre fuprême des Loix & par elles du fort de tous les particuliers. Quand on confidere les droits des Citoyens & Bourgeois afTcmblés en Confeil général , rien n efl plus brillant : Mais confidérez horsde-là ces menées Citoyens & Bourgeois comme individus; que font- ils, que deviennent ils? EfcLives d'un pouvoir ar- bitraire, ils font livrés fans défenfe à la mer- ci de vingt-cinq Defpotes; les Athéniens du moins en avoienc trente. Et que dis-je vingt- cinq? Neuf fuffifent pour un jugement civil, treize pour un jugement criminel (o). Sept ou huit d'accord dans ce nombre vont être pour vous autant de Décemvirs ; encore les Décemvirs furent ils élus par le peuple ; au lieu qu'aucun de ces juges n'ed de votre choix; & l'on appelle cela être libres!

(o) EJits civils Tit. I. Art. XXXVI.

LETTRE. 6i

HUITIEME LETTRE.

J'ai tiré, Monfieur, l'examen de votre Gou- vernement préfent du Règlement de la Me'- diation par lequel ce Gouvernement efl fixé; mais loin d'imputer aux Médiateurs d'avoir voulu vous réduire en fervitude , je prouve- rois aifément au contraire , qu'ils ont rendu voire fiiuation meilleure à plufieurs égards qu'elle n'étoit avant les troubles qui vous for- cèrent d'accepter leurs bons offices. Ils ont trouvé une Ville en armes ; tout étoit à leur arrivée dans un état de crife & de confufion qui ne leur pcrmettoit pas de tirer de cet état la régie de leur ouvrage. lîs font remon- tés aux tems pacifiques , ils ont étudié la conftitution primitive de votre Gouvernement ; dans les progrès qu'il avoit déjà fait , pour

6i H U I T I E M E

le remonter il eut fallu le refondre: la raifdn 1 équité ne permettoient pas qu'ils vous en donnaflent un autre, & vous ne l'auriez pas accepté. N'en pouvant donc ôter les dé- fauts , ils ont borné leurs foins à l'affermir tel 'que l'avoient lailTé vos percs ; ils font corrigé même en divers points, & des abus que je viens de remarquer , il n'y en a pas un qui n'exidât dans la République longtems avant quoles Médiateurs en euiTent pris con- noiilance. Le feul tort qu'ils femblent vous avoir fait a été d'ôter au LégiHateur tout ex- ercice du pouvoir exécutif & l'ufage de la force à l'apui de la juftice ; mais en vous donnant une reffource auffi fûre & plus légi- time, ils ont changé ce mal apparent en un vrai bienfiit : En fe rendant garants de vos droits ils vous ont clirpcnfcs de les défendre vous-mêmes. Eh! dans la mifcrc des chcfes

LETTRE JS^

humaines quel bien vaut Ja peine d'être ache- té du fang de nos frères? La liberté jnêma efl; trop chère à ce prix.

Les Médiateurs ont pu fe tromper, ils é- toient hommes ; mais ils n'ont point voulu vous tromper ; ils ont voulu être jufles. Cela fe voit, même cela fe prouve; & tout mon- tre , en effet , que ce qui cft équivoque ou défeclueux dans leur ouvrage vient fouvent de néceffité , quelquefois d'erreur , jamais de mauvaife volonté. Ils avoient à concilier des chofcs prefque incompatibles , ]es droits du Peuple & les prétentions du Confeil , l'empi- re des Loix & la puiiTance des hommes, l'in- dépendance de l'Etat & la garantie du Rè- glement. Tout cela ne pouvoit fe faire fans un peu de contradiftion , & c'efl de cette contradiftion , que votre Magillrat tire avan- tage, en tournant tout en fa faveur, 6: fai-

6^ HUITIEME

fant fervir la moitié de vos Loix à violer l'autre.

Il efl clair d'abord que Ip Règlement lui- même n'efl: point une Loi que les Médiateurs ayent voulu impofer à la République , mais feulement un accord qu'ils ont établi entre fes membres , & qu'ils n'ont par conféqucnt porté nulle atteinte à fa fouveraineté. Cela efl; clair , dis- je par l'Article XLIV , qui laifle au Con- feil général légitimement aflemblé le droit de faire aux articles du Règlement tel change- ment qu'il lui plait. Ainfi les Médiateurs ne mettent point leur volonté au defllis de la fien- ne, ils n'interviennent qu'en cas de divifion. C'ell le fens de l'Article XV.

Mais de réfulte aulTi la nullité des réfervei & limitations données dans l'Article III aux droits & attributions du Confeil général; car fi le Confeil général décide que ces réferves

&

LETTRE. 6$

& limitations ne borneront plus fa piiiflan- ce , elles ne la borneront plus ; & quand tous les membres d'un Etat fouverain règlent Ton pouvoir fur eux-mêmes , qui eft-ce qui a droit -de s'y oppofer ? Les exclufions qu'on peut inférer de l'Article III ne fignifient donc autre chofe, finon que le Confeil général fe renferme dans leurs limites jufqu'à ce qu'il trouvée à propos de les paiTer.

r ■' Cefl ici l'une des contradi6lions dont j'ai parlé, Si. l'on en démêle aifément la caufe. II étoit d'ailleurs bien difficile aux Plénipotentiai- res pleins des maximes de Gouvernemens tout diflFérens , d'approfondir allez les vrais princi- pes du vôtre. La Conditution démocratique a jusqu'à préfent été mal examinée. Tous ceux qui en ont parlé, ou ne la connoiflbient pas, ou y prenoient trop peu d'intérêt , ou avoient in- térêt de la préfenter fous un faux jour. Aucun

I Partie IL F

66 HUITIEME

d'eux n'a ruffifamment diftingué le Souverain du Gouvernement , la Puiflance légiflative de rexécLitive. Il n'y a point d'Etat ces deux pouvoirs foient fi fëparés, & l'on ait tant afFeclé de les confondre. Les uns s'imaginent qu'une Démocratie efl un Gouvernement tout le Peuple efl: Magifl:rat & Juge. D'autres ne vo^'cnt la liberté que dans le droit d'éli- re fes chefs , & n'étant foumis qu'à des Prin- ces , croyent que celui qui commande efl: toujours le Souverain. La Confl:itution dé- mocratique efl certainement le Chef- d'œuvre de l'art politique : mais plus l'artifice en efl admirable , moins il appartient à tous les yeux de le pénétrer. N'efl: - il pas vrai, Monfieur ^ que la première précaution de n'admettre aucun Confeil général légitime que ■fous la convocation du petit Confeil , & la fcconde précaution de n'y foiiffrir aucune

LETTRE. Cf

proportion qu'avec l'approbation du petit Confeil , fuffifoient feules pour maintenir le Confeil général dans la plus entière dépendan- ce ■? La troifieme précaution d'y régler la compétence des matières étoit donc la chofe du monde la plus fuperflue ; & quel eut été l'inconvénient de laifler au Confeil général la plénitude des droits fuprêmes, puifqu'il n'en peut faire aucun ufage qu'autant que le petit Confeil le lui permet ? En ne bornant pas les droits de la Puiflance fouveraine on ne la ren- doit pas dans le fait moins dépendante & l'on évitoit une contradiction : ce qui prouve qu© c'efl: pour n'avoir pas bien connu votre Con- flitution qu'on a pris des précautions vayiîs en elles-mêmes & contradiftoires dans leur objet.

On dira que ces limitations avoient feule- ment pour fin de marquer les cas les Con*

V 2

68 H U I T I E M E

fei's infëriears feroient obliges d'aflembler le Confei! général. J'entens bien cela; mais n'é- toir-il pas plus naturel & plus fimple de mar- quer les droits qui leur étoient attribués à eux- mêmes, & qu'ils pcuvoient exercer fans- le con- cours du Confeil général ? Les bornes étoient- elles moins fixées par ce qui eft au deçà que par ce qui efl au delà, & lorfque les Confeiis inférieurs vouloient paffer ces bornes, n'eft- il pas c'air qu'ils avoient befoin d'être autorifés ? Par , je l'avoue, on mettoit plus en vue tant de pouvoirs réunis dans les mêmes mains, mais on préfentoit les objets dans leur jour véritable, on tiroit de la nature de la chofe le moyen de fixer les droits refpeftirs des divers corps , & l'on fauvoic toute contra- diélion.

A la vérité l'Auteur des Lettres prétend que le petit Confeil étant le Gouvernement

LETTRE. 6ç)

même doit exercer à ce titre toute l'autorité qui n'ell: pas attribuée aux autres corps de l'E- tat ; mais c'efl: fappofer la fi^nne antérieure aux Edits; c'cO: fLippofer que le petit Conf-il, fource primitive de la puiflance, ga-!'de ainfi tous les droits qu'il n'a p;is a'iénés. Recon- noifTcZ-vous, IMonfieur, dans ce priixipe ce- lai de votre Conflitution ? Une preuve fi cu- ri.ufe mérite de nous arrêter un motnent.

Remarquez d'abord qu'il s'agit (/)) du pouvoir du petit Confeil , mis en oppnfition avec celui des Syndics , c'cft-à-dire, de cha- cun de ces deux pouvoirs féparé de l'autre. L'EJit parle du pouvoir d:^s Syndics fans le Confeil , il ne parle point du pouvoir du Confeil fans les Syndics; pourquoi cela? Par- ce que le Confeil fans les Syndics eft le Gou-

(/)) Lettres écrites de la Campagne page 66>

H U I T I E JM E

vernement. Donc le filence même des Edîts fur le pouvoir du Confeil loin de prouver la nullité de ce pouvoir en prouve l'étendue. Voila, fans doute, une conclufion bien neu- ' ve. Admettons-la toutefois, pourvu que Tan^ cécédent foie prouvé.

Si c'efl: parce que le petit Confeil efl: le Gouvernement que les Edits ne parlent point de fon pouvoir , ils diront du moins qwe le petit Confeil eft le Gouvernement ; à moins que de preuve en preuve leur filence n éta- blilTe toujours le contraire de ce qu'ils ont dit.

Or je demande qu'on me montre dans vos Edits ,011 il efl dit que le petit Confeil efl le Gouvernement, & en attendant je vais vous montrer, moi, il efl dit tout le contraire. Dans l'Edit politique de 1568, je trouve le préambule conçu dans ces termes. Pourcc que le Gomernement ^ EJlat de cette Fille confijle

LETTRE.

par quatre Syndkqiies , le Confeiî des vingt-cinq , k Confeil des Joîxante, des Deux-Cents, du Géné^ rai 5 C5^ un Lieutenant en la juftice ordinaire , a- vec autres Offices, félon que bonne police le re- micrt , tant pour F adminijîration du bien public que de la jujîice , nous avons recueilli l'ordre qui

jufquici a été objervé afin quil foii

gardé à f avenir comme s'enfuit.

Dès l'article premier de l'Edit de 1738, je vois encore que cinq Ordres co?npofent le Gou- vernement de Genève, Or de ces cinq Ordres les quatre Syndics tout feuls en font "un, le Confeil des vingt-cinq , font certainement: compris les quatre Syndics en fait un autre, & les Syndics entrent encore dans les trois fuivans. Le petit Confeil fans les Syndics n'eft donc pas le Gouvernement.

J'ouvre l'Edit de 1707, & j'y vois à l'Ar- ticle V en propres termes , que Alejfimrs les 74

72 HUITIEME

Syndics ont la direction ^ le Gouvernement de TEtat. A l'in fiant je ferme le Livre , & je dis; certainement félon les Edits le petit Con- feil fans les Syndics n'efl pas le Gouverne- ment, quoique l'Auteur des Lettres affirme qu'il Tefl:.

On dira que moi-même j'attribue fouvent dans ces Lettres le Gouvernement au petit Confeil. J'en conviens; mais c'tfl; au petit Confeil préfldé par les Syndics ; & alors il eO; certain que le Gouvernement provifion- nel y réfide dans le fens que je donne à ce mot: mais ce fens n'efl: pas celui de l'Auteur des Lettres ; puifque dans le mien le Gou- vernement n'a que les pouvoirs qui lui font donnes par la Loi , & que dans le fien , au contraire , le Gouvernement a tous les pou- voirs que la Loi ne lui ôte pas.

Refte donc dans toute fa force robje6tion

LETTRE. -^3

des Répréfentans , que , quand l'Edîc parle des Syndics , il par'e de leur puifiance , & que, quand il par'e du Confeil , il ne parle que de Ton devoir. Je dis que cette objec- tion rtde dans toute fa force ; car l'Auteur des Lettres n'y répond que par une aflertion démentie par tous les Edits. Vous me ferez plaifir , Monfieur , fi je me trompe , de m'ap- prendre en quoi pèche mon raifonnement.

Cependant cet Auteur , très content du ficn , demande comment , fi le Légifiateur na- voit pas confidéré de cet œil le petit Confeil, on pourvoit concevoir que dans aucun endroit de VEdit il nen réglât r autorité ; quil l'a fiippo- fût par tout S ([^iil ne la déterminât nulle part (q)?

J'oferai tenter d'éclaîrcir ce profond myf-

(5) IbiJ. page 67.

74 H U I T I E M E

tere. Le Légiflateur ne règle point la puif- fîmce du Confeil, parce qu'il ne lui en don- ne aucune indépendamment des Syndics , & lorfqu'il la fuppofe, c'eft en le fuppofant aulîî préfidé par eux. Il a déterminé la leur, par conféquent il eft fuperilu de déterminer la iîenne. Les Syndics ne peuvent pas tout fans le Confeil, mais le Confeil ne peut rien fans les Syndics ; il n'efl rien fans eux , il eft moins que n'étoit le Deux-Cent même lorf- quilfut préfidé par f Auditeur Sarrazin.

Voila , je crois , la feule manière raifon- nable d'expliquer le filence des Edits fur le pouvoir du Confeil ; mais ce n'efl pas celle qu'il convient aux Magiftrats d'adopter. On eut prévenu dans le règlement leurs fingulie- res interprétations fi l'on eut pris une mé- thode contraire , & qu'au lieu de marquer les droits du Confeil général on eut déterminé les

LETTRE. 75:

leurs. Mais pour n'avoir pas voulu dire ce que n'ont pas dit les Edits , on a fait enten- dre ce qu'ils n'ont jamais fuppofé.

Que de chofes contraires à la liberté publi- que & aux droits des Citoyens & Bourgeois, & combien n'en pourrois-je pas ajouter enco- re? Cependant tous ces défavantages qui naif- foient ou fembloient naitre de votre Conflitu- tion & qu'on n'auroit pu détruire fans l'ébran- ler, ont été balancés & réparés avec la plus grande fageiTe par des compenfations qui en naiiïbient aufli , & telle étoît précifément l'in- tention des Médiateurs , qui , félon leur propre déclaration , fut de conferver à chacun fis droits fis attributions particulières provenant de la Loi fondamentale de F Etat. M. Micheli Du Cret aigri par fes malheurs contre cet ouvrage dans lequel ri Rit oublié, l'accufe de renvcrfer l'in- ftitution fondamentale du Gouvernement & de

7(5 HUITIEME

dépouiller les Citoyens & Bourgeois de leurs droits ; fans vouloir voir combien de ces droits, tant publics que particuliers, ont été confervés ou rétablis par cet Edit , dans les Articles IIÏ, IV, X, X[, XII, XXII, XXX, XXXI, XXXII, XXXIV, XLII, & XLIVi fans fonger furtout que la force de tous ces Articles dépend d'un feul qui vous a auffi été confervé. Article eflenciel, Article équipon- derant à tous ceux qui vous font contraires, & fi néccffaire à Veff^t de ceux qui vous font favorables qu'ils feroicnt tous inutiles fi l'on venoit à bout d'éluder celui-là, ainfi qu'on l'a entrepris. Nous voici parvenus au point im- portant ; mais pour en bien fentir l'importance il falloit pefer tout ce que je viens d'expofer. On a beau vouloir confondre l'indépendan- ce & la liberté. Ces deux chofes font 11 dif- férentes que même elles s'excluent mutuelle*

ment.

LETTRE. 77

ment. Quand chacun fait ce qu'il lui plaitj on fait fouvent ce qui déplaît à d'autres , & cela ne s'appelle pas un état libre. La liberté confifte moins à faire fa volonté qu'à n'être pas fournis à celle d'autrui; elle confifte encore à ne pas foumettre la volonté d'autrui à la nô- tre. Quiconque eft maître ne peut être libre, & régner c'eft obéir. Vos' Magiftrats favenc cela mieux que perfonne, eux qui comme O- thon n'omettent rien de fervile pour comman- der (r). Je ne connois de volonté vraiment

(r) En général, dit l'Auteur des Lettres, les hom- mes craignent encore plus d'obéir qu'ils n aiment à com- mander. Tacite en jugeoit autrement & connoiffbit le cœur humain. Si la maxime étoit vraie, les Va- lets des Grands fcroicnt moins infolens avec les ]jOurgeois, & l'on vcrroit moins de fainéans ram- per dans les Cours des Princes. Il y a peu d'iiom- mes d'un crcur afTez fain pour'favoir aimer la liber- té : Tous veulent commander, à ce pri>: nul ne craint d'obéir. Un petit parvenu Te donne ceiit maîtres pour acquérir dix valets. Il n'y a qu'à voir

Partie II, O

78 HUITIEME

libre que celle à laquelle nul n'a droit d'oppo- fer de la réfiftance; dans la liberté «ommune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un au- tre lui interdit , & la vraie liberté n'efl jamais deflru6live d'elle-même. Ainfi la liberté fans la juflice efl une véritable contradi6lion ; car comme qu'on s*y prenne tout gène dans l'exé- cution d'une volonté défordonnée.

Il n'y a donc point de liberté fans Loix, ni quelqu'un efl au deffus des Loix : dans l'é- tat même de nature l'homme n'ell libre qu'à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit , mais il ne fert pas ; il a des chefs & non pas des maîtres ; il

la fierté des nobles dans les Monarchies; avec quel- le emphafe ils prononcent ces mots de fervice & de fervir; combien ils s'elliment grands & refpeclables quand ils peuvent avoir l'honneur de dire , le Roi vion mnttre ; combien ils méprifent des Républicains qui ne font que libres , à qui certainement font plus nobles qu'eux.

LETTRE.- 7^

obéit aux Loix,mais il n'obéit qu'aux Loix, & c'efl par la force des Loix qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les Républiques au pouvoir des Magi- ftrats ne font établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte facrée des Loix : ils en font les Miniilres non les arbitres , ils doivent les garder non les enfreindre. Un Peuple eft. libre , quelque forme qu'ait fon Gouverne- ment , quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la LoL En un mot , la liberté fuit toujours le fort des Loix , elle règne ou périt avec elles;' je ne fâche rien de plus certain.

Vous avez des Loix bonnes & fages , foie en elles-mêmes, foit par cela feul que ce font" des Loix. Toute condition impofée à chacun par tous ne peut être onéreufe à perfonne, & Ja pire des Loix vaut encore mieux que le G 2

go HUITIEME

meilleur maître; car tout maître a des préfe'* rences , & la Loi n'en a jamais.

Depuis que la Conftitution de votre Etac a pris une forme fixe & ftable , vos fonc- tions de Lëgiflateur font finies. La fureté de l'édifice veut qu'on trouve à préfent autant d'obUacles pour y toucher qu'il falloit d'abord de facilités pour le conftruire. Le droit né- gatif des Confeils pris en ce fens efl: l'appui de la République : l'Article VI du Règlement cfl: clair âc précis ; je me rends fur ce point aux raifonnemens de l'Auteur des Lettres, je les trouve fans réplique, & quand ce droit fi juftement réclamé par vos iNIagiflrats feroît contraire à vos intérêts, il fau droit fou fi'rir ô: vous taire. Des hommes droits ne doivent ja- mais fermer les yeux à l'évidence , ni difputer contre la vérité.

L'ouvrage efl confommé, il ne s'agit pliîs

LETTRE. 8i

qne de le rendre inaltérable. Or l'ouvrage du Légifliteur ne s'altère & ne fe détruit jamais que d'une manière ; c'ed quand les dépoiitaires de cet ouvrage abufent de leur dépôt , & fe font obéir au nom des Loix en leur défobéif- fant eux-mêmes (.'•). Alors la pire chofe naic de la meilleure, &. la Loi qui fert de fauve- garde à la Tyrannie eH plus funelle que la Tyrannie elle-même. Voila précifément ce

(s) Jamais le Peuple ne s'ell: rebellé contre les I.oix que les Chefs n'aient commencé par les en- freindre en quehiue cl-iofe. C'cil: fur ce principe certain qu'à la Chine quand il y a quelque révolte dans une Province on commence toujours par punir le Gouverneur. En Europe les Rois fuivent con- ftammcnt la maxime contraire, auffi voyez comment profperent leurs Etats! La population diminue par tout d'un dixième tous les trente ans,* elle ne dimi- nue point à la Chine. Le Defpotifme oriental fe foutient parce qu'il ed plus févere fur les Grands que furie Peuple: il tire ainfi de lui-même fon pro- pre remède, j'entends dire qu'on commence à pren- dre à la Porte la maxime Chrétienne. Si cela eft, on verra dans peu ce qu'il en réfultera.

03

Si H U I T I E M E

que prévient le droit de Répréfentation fH- pulé dans vos Edics & reftraint mais confir- mé par la Médiation. Ce droit vous donne | infpeftion , non plus fur la Légiilation com- me auparavant, mais fur l'adminidration ; & | vos Magillrats , tout puiiTans au nom des »' Loix, feuls maîtres d'en propofcT au Lcgifla* teur de nouvelles, font fournis à fts jugemens s'ils s'écartent de celles qui font établies. Par cet Article feul votre Gouvernement fujet d'ailleurs à plufieurs défauts confidéra- bles, devient le meilleur qui jamais ait exif- té: car quel meilleur Gouvernement que celui dont toutes les parties fe balancent dans un parfait équilibre, les particuliers ne peuvent tranfgreller les Loix parce qu'ils font fournis à des Juges, & ces Juges ne peuvent pas non plus les tranfgreffer , parce qu'ils font fur- veillés par le Peuple ?

LETTRE. 83

1] efl vrai que pour trouver quelque réalité dans cet avantage, il ne faut pas le fonder fur un vain droit: mais qui dit un droit ne die pas une chofe vaine. Dire à celui qui a tranf- greffé la Loi qu'il a tranfgreffé la Loi, c'eft prendre une peine bien ridicule ; c'eH: lui apprendre une chofe qu'il fait auffi bien que vous.

Le droit eft, félon Puffeadorf , une qualité morale par laquelle il nous eft dil quelque cho- fe. La fimple liberté de fe plaindre n'efl donc pas un droit , ou du moins c'eft un droit que la nature accorde à tous & que la Loi d'aucun pays n'ôte à perfonne. S'avifa-t-on jamais de (lipuler dans des Loix que celui qui perdroic un procès auroit la liberté de fe plaindre? S'a- vifa t-on jamais de punir quelqu'un pour l'avoir fait? eft le Gouvernement, quelque abfolii qu'il puifle être , tout Citoyen n'ait pas le G 4.

84 H U I T I E M P:

droit de donner des mémoires au Prince ou à Ton Miniftre fur ce qu'il croie utile à l'E- tat, & quelle rifée n'exciteroit pas un Edit public par lequel on accorderoit formellement aux fujets le droit de donner de pareils mémoi- res? Ce n'efl: pourtant pas dans un Etat def- potique , c'eit dans une République , c'efl dans une Démocratie , qu'on donne authentique- ment aux Citoyens, aux membres du Souve- rain , la permiffion d'ufer auprès de leur Ma- giftrat de ce même droit que nul Defpotc lï'ôta jamais au dernier de fes efchves.

Quoi ! Ce droit de Répréfentation confif- teroit uniquement à remettre un papier qu'on efl même difpenfé de lire, au moyen d'une réponfe féchement négative (f)? Ce droit fi

(t) Telle , par exemple , que celle que fit le Confeil le lo Août 1763 aux Répréfentations renii- feslc 8 à M. le premier Syndic par un grand nom- bre de Citoyens & Bourgeois.

LETTRE. 85

folemnellement îlipulé en compenfation de tant de facrifices, fe borneroit à la rare pré- rogative de demander & ne rien obtenir? Ofer avancer une telle propofition , c'eft ac- cufer les Médiateurs d'avoir ufé avec la Bour- geoifie de Genève de la plus indigne fuper- cherie, c'eO: offenfer la probité des Plénipo- tentiaires, l'équité des PuifTances médiatrices; c'efl blefler toute bienféance , c'efl: outragei: même le bon fens.

Mais enfin quel eft ce droit? jufqu'où s'é- tend-il? comment peut-il être exercé? Pour- quoi rien de tout cela n'eft-il fpécifié dans l'Article VII ? Voila des queflions raifonna- bles ; elles offrent des difficultés qui méritenR examen.

La folution d'une feule nous "donnera cel- le de toutes les autres, & nous dévoilera le véritable efprit de cette inUitution.

gC H U I 1' I E M Ë

Dans un Etat tel que le vôtre , la foiî- veraineté efl entre les mains du Peuple , le ^ LégiHateur exide toujours , quoiqu'il ne fe montre pas toujours. Il n'eft raflemblé âc ne parle authentiquement que dans le Confeil géne'ral ; mais hors du Confeil général il n' efl pas anéanti ; fes membres font épars , mais ils ne font pas morts; ils ne peuvent parlef par des Loix , mais ils peuvent toujours veil- ler fur l'adminillration des Loix ; c'efl; un droit , c eft même un devoir attaché à leurs perfonnes, & qui ne peut leur être ôté dans aucun tems. De-là le droit de Répréfenta- ,, tion. Ainfi la Répréfentation d'un Citoyen ' d'un Bourgeois ou de plufieurs n'eft que la déclaration de leur avis fur une matière de leur compétence. Ceci eft le fens clair & néceflaire de TEdit de 1707, dans l'Articl* V qui concerne les Répréfentations*

LETTRE. 87

Dans cet Article on profcrit avec -raifon h voye des fignatures, parce que cette vo« ye efl: une manière de donner fbn fufFrage, de voter par tête comme fi déjà l'on étoit en Confeil général, & que la forme du Confeil général ne doit être fuivie que lorfqu'il efl: lé- gitimement aflemblé. La voye des Répréfen- rations a le même avantage , fans avoir le même inconvénient. Ce n'efl: pas voter en Confeil général , c'efl opiner fur les matières qui doivent y être portées ; puifqu'on ne compte pas les voix ce n'ell pas donner fbn fuffrage , c'efl; feulement dire fon avis. Cet avis n'efl, à la vérité, que celui d'un parti- culier ou de plufieurs ; mais ces particuliers étant membres du Souverain & pouvant le répréfenter quelquefois par leur multitude, la raifon veut qu'alors on ait égard à leur avis, non comme à une décifion , mais comme à

88 HUITIEME

une propofition qui la demande , & qui la rend quelquefois nécelTaire.

Ces Répréfentations peuvent rouler fur deux objets principaux , & la différence de ces objets décide de la diverfe manière dont le Confeil doit faire droit fur ces mêmes Ré- préfentations. De ces deux objets < l'un efl: de faire quelque changement à la Loi, l'au- tre de réparer quelque tranfgreflion de la Loi. Cette divifion efl complette & com- prend toute la matière fur laquelle peuvent rouler les Répréfentations. Elle efl fondée fur l'Edit même qui , diflingant les termes félon ces objets impofe au Procureur géné- ral de faire des injîances ou des remontrances félon que les Citoyens lui ont fait des plain- tes ou des réqiiifitions Qi).

Cette

(ji) Requérir n'efi: pas feulement demander , mais

LETTRE. ^g

Cette diftinclion^ une fois établie , le Con- feil auquel ces Répréfentations font adref- fées doit les envifager bien différemment fé- lon celui de ces deux objets auquel elles fe rapportent. Dans les Etats le Gouverne* ment & les Loix ont déjà leur affiete , on doit autant qu'il fe peut éviter d'y toucher, & furtout dans les petites Républiques , le moindre ébranlement dcfunit tout. Ua- verfion des nouveautés efl donc généralement bien fondée; elle lefl; furtout pour vous qui

demander en vertu d'un droit qu'on n d'obtenir. Cette acception eft établie par toutes les formules judiciaires dans lefquelles ce terme de Palais efl: employé. On dit réquérir jiijîice', on n'a jamais dit réquérir grâce. Ainfî dans les deux cas les Cito- yens avoient également droit d'exiger que leurs ré- quî/ttiom ou leurs plaintes , rejcttées par les Confeils inférieurs , fufTent portées en Confeil général. Mais par le mot ajouté dans l'Article VI. de l'Edit de 1738, ce droit eft reftraint feulement au cas de la plainte, comme il fera dit dans le texte.

Partie II H

90 HUITIEME

ne pouvez qu'y perdre , & le Gouvernement lie peut apporter un trop grand obilacle à leur établiflement; car quelques utiles que fufr fent des Loix nouvelles , les avantages en font prefque toujours moins fûrs que les dan- gers n'en font grands. A cet égard quand le Citoyen quand le Bourgeois a propofë fon avis il a fait fon devoir , il doit au furplus avoir aflez de confiance en fon Magiftrat pour le juger capable de pefer l'avantage de ce qu'il lui propofe & porté à l'approuver s'il le croit utile au bien public. La Loi a donc très fagement pourvu à ce que rétabliflemenc & même la propofition de pareilles nouveau- tés ne paflat pas fans l'aveu des. Confeils, & voila en quoi doit confifler le droit négatif qu'ils réclament, & qui, félon moi, leur ap- partient incontellablcmcnt. Mais le fécond objet ayant m principe tout

LETTRÉ. 91

■oppofé doit être envifagé bien difFe'remmenti Il ne s'agit pas ici d'innover ; il s'agit , au con- traire, d'empêcher qu'on n'innove ; il s'agit non d'établir de nouvelles Loix , mais de main- tenir les anciennes. Quand les chofes tendent au changement par leur petite, il faut fans cef- fe de nouveaux foins pour les arrêter. Voila ce que les Citoyens & Bourgeois , qui ont un fi gi'and intérêt à prévenir tout changement, fe propofent dans les plaintes dont parle l'E- dit. Le Légiflateur exiftant toujours voit l'ef- fet ou l'abus de fês Loix : il voit fi elles font fuivies ou ttanfgreflees , interprétées de bonne ou de mauvaife foi ; il y veille , il y doit veil- ler ; cela eft de fon droit , de fon devoir , mê- me de fon ferment. C'eft ce devoir qu'il rem- plit dans les Répréfentations, c'efl ce droit, alors, qu'il exerce ; & il foroit contre toute raifjn , il feroit même indécent, de vouloir H 2

92 HUITIEME

étendre le droit négatif du Confeil à cet otr- jet- là,

: Ceja feroit contre toute raifon quant au Lé- . giilateur; parce qu'alors toute la folemnité des Loix feroit vaine & ridicule, & que réellement l'Etat n'auroit point d'autre Loi que la volon- té du'petit Confeil, maître abfolu de négliger, Biéprifer , violer , tourner à fa mode les règles gui lui feroient prefcrites,& de prononcer iioir û la Loi diroit blanc, fans en répondre à per- fonne. A quoi bon s'alTembler folemncllement dans le Temple de Saint Pierre, pour donner aux Edits une fanélion fans effet ; pour dire au petit Confeil : MeJJleurs , voila le Corps de Loix que nous établ/Jpjns dans VEtaî , 6? dont nous vous rendons les dépofitaires , pour vous y confor- mer quand vous le jugerez à propos , (j* pour k îranfgrejjer quand il vous plaira. Cela feroit contre la raifon quant aux Ré-

LETTRE. 93

préfenCations. Parce qu'aîors le droit ilipulé par un Article exprès de l'Edit de 1707 & confirmé par un Article exprès de l'Edit de 1738 feroic un droit illufoire & fallacieux, qui ne fignifieroit que la liberté de fe p'aindrâ inutilement quand on eft vexé; liberté qui j n'ayant jamais été difputée à perfonne, ell ridicule à établir par la Loi.

Enfin ' cela feroit indécent en ce que par une telle fuppofition la probité des Médiateurs ferôit outragée , que ce feroit prendre vos Ma- giftrats pour des fourbes & vos Bourgeois pour des dupes d'avoir négocié traité tranfigé avec tant 'd'appareil pour mettre une des Par- ties à l'entière difcrétion de l'autre ,' & d'avoir compenfé les concelTions les plus fortes par des fûretés qui ne fignifieroient rien.

Mais, difenc ces Meflieurs , las termes de l'Edit font formels : // 7ie fera rien forts au

H3

^4 HUITIEME

Confia général quîl naît été traité ^ approuvé;:^ d'abord dans le Confiil des F'mgt-cinq, puis dans çcliii des Deux - Cents,

Premièrement qu'efl-çe que cela prouve au- (re chofe dans la queftion préfente , fi ce n'eil une marche réglée & conforme à l'Ordre , & î'obligation dans les Confeils inférieurs de trai- ter & approuver préalablement ce qui doit être porté au Confeil général ? Les Confeils :ne font -ils pas tenus d'approuver ce qui eft •prefcrit par la Loi? Quoiî les Confeils n'ap- prouvoient pas qu'on procédât à réle6lion des Syndics, n'y devroit-on plus procéder, & f; les fujets qu'ils propofent font rejettes , ne font- ils pas contraints d'approuver qu'il eu foit propofé d'autres ?

D'ailleurs , qui ne voit que ce droit d'ap-. prouver & de rejetter , pris dans fon fens, abfolu s'applique feulement aux propofitions,

LETTRE. 9^

qui renferment des nouveaute's , & non à celles qui n'ont pour objet que le maintien de ce qui efl: établi ? Trouvez-vous du bon fens à fuppofer qu'il faille une approbation nouvelle pour réparer les tranfgreffions d'une ancienne Loi ? Dans l'approbation donnée à cette Loi lorfqu'elle fut promulguée font contenues tou- tes celles qui fe rapportent à fon exécution : Quand les Confeils approuvèrent que cette Loi feroit écablie , ils approuvèrent qu'elle feroit obfervée , par conféquent qu'on en puniroic les tranfgrefieurs ; & quand les Bourgeois dans leurs plaintes fe bornent à demander répara- tion fans punition , l'on veut qu'une, telle pro- pofition ait de nouveau befoin d'être approu- vée? Monlieur, fi ce n'efl: pas fe moquer des gens , dites -moi comment on peut s'en moquer ?

Toute la difficulté confifte donc ici dans la H 4

9.6 H U I T I E M E

feule queflion de fait. La Loi a - 1 - elle été tranfgrelfée , ou ne •râ-t-elle pas été ? Les Ci- toyens & Bourgeois difent qu elle l'a été ; les Magiilrats le nient. Or voyez, je vous prie, "S l'on peut rien concevoir de moins raifonna- bie^ en pareil cas que ce droit négatif qu'ils s'attribuent ? On leur dit , vous avez tranf- ■grefle la Loi. Ils répondent ; nous ne l'avons pas tranfgrefTée ; &, devenus ainfi juges fuprê- mes dans leur propre caufe , les voila jufliliés contre l'évidence pîu" leur feule affirmation. Vous m'é demanderez fi je prétends que raffirmation contraire foit toujours l'évidence? Je ne dis pas cela ; je dis que quand elle le ,j •feroit vos Magiftfats ne s'en tiendroient pas moins contre l'évidence à leur prétendu droit négatif. Le cas eft aftuellement fous vos yeux; & pour qui doit être ici le préjugé le plus légitime "? Efl-il croyable, eil-il naturel

1

LETTRE. 97

que des particuliers fans pouvoir fans autorité viennent dire à leurs Magiftrats qui peuvent être demain leurs Juges ; vous avez fait une injujlke , lorfque cela n'eft pas vrai ? Que peuvent efpérer ces particuliers d'une démar- che auffi folle , , quand même ils feroient fûrs de l'impunité ? Peuvent - ils penfer que des Magiflrats ^i hautains jufques dans leurs torts, iront convenir fottêment des torts mêmes qu'ils n'auroient pas? Au contraire, y a-t-il rien de plus naturel que de nier les fautes qu'on a fai- tes? N'a-t-on pas intérêt de les foutenir, & n'efli-on pas toujours tenté de le-faire lorfqu'on le peut impunément & qu'on a la force en main ? Quand le foible & le fort ont enfem- ble quelque difpute, ce qui n'arrive gueres nqu'au détriment du premier, le fentiment pî^r cela feul le plus probable eft toujours que c'efl le plus fort qui a tort. H 5

p8 H. U I T I E. M E

Les probabilités , je le fais, ne font pas d:» preuves : Mais dans des faits notoires com- parés aux Loix, lorfque nombre de Citoyens affirment qu'il y a injuftice , & que le Ma- giflrat accule de cette injuflice affirme qu'il n'y en a pas, qui peut être juge, fi ce n'eft: le public indruit , & trouver ce public inftruit à Genève fi ce n'eft dans le Confeil général compofé des deux partis? ^

11 n'y a point d'Etat au monde le fti- jet lézé par un Magiflrat injude ne puifle par quelque voye porter fa plainte au Sou- verain , & la crainte que cette relfource in- fpire eO: un frein qui contient beaucoup d'i- niquités. En France même, l'attachement des Parlemens aux Loix eft extrême, la vo^ ye judiciaire eft ouverte contre eux en pi»*, fleurs cas par des requêtes en caiTation d'Ar- îêt. Les Genevois font privés d'un pareil

L E T T R

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avantage ; la Parcie condannée par les Con- feils ne peut plus , en- quelque cas que ce puifle être , avoir aucun recours au Souve- lain: mais ce qu'un particulier ne peut faire pour fon intérêt privé, tous peuvent le fai- re pour rintérêt commun : car toute tranf- greffion des Loix étant une atteinte portée à la liberté devient une affaire publique , ôç quand la voix publique s'élève , la plainte doit être portée au Souverain. Il n'y auroit fansi, cela ni Parlement ni Sénat ni Tribunal fur la terre qui ne fut armé du funefle pouvoir qu'ofe ufurper votre Magiftrat ; il n'y auroic point dans aucun Etat de fort aufli dur que le vôtre. Vous m'avouerez que ce feroit une étrange liberté!

Le droit de Répréfentation efl; intimement;- lié à votre conftitution: il eft le feul moyen Dofllble d'unir la liberté à la fubordination ,

loo HUITIEME

& de maintenir le Magiftrat dans la dépendan- ^^. ce des Loix fans altérer Ton autorité fur le peu- ple. Si les plaintes font clairement fondées , (? les raifons font palpables, on doit préfumer le Confeil aflez équitable pour y déférer. S'il ne l'étoit pas , ou que les griefs n'euffent pas ce degré d'évidence qui les met au defllis du doute, le cas changeroit, & ce fcroit alors à la volonté générale de décider ; car dans vo- à tre Etat cette volonté efl: le Juge fuprême & l'unique Souverain. Or comme dés le com- mencement de la République cette volonté a- voit toujours des moyens de fe faire entendre & que ces moyens tenoient à votre Conftitu- | tion , il s'enfuit que TEdit de 1 707 fondé d'ailleurs fur un droit immémorial & fur l'ufa- ge confiant de ce droit, n'avoit pas befoin de plus grande explication. Les Médiateurs ayant eu pour maxime fon-

LETTRE.

lOI

damentale de s'écarter des anciens Edits le moins qu'il étoii poffible , ont laifle cet Arti- cle tel qu'il étoit auparavant , & même y ont renvoyé. Ainfi par le Règlement de la Média- tion votre droit fur ce point eft demeuré par- faitement le même , puifque l'Article qui le pofe efl: rappelle tout entier.

Mais les Médiateurs n'ont pas vu que les changemens qu'ils étoient forcés de faire à d'autres Articles les obligeoient, pour être conféqucns , d'éclaircir celui-ci, & d'y ajou- ter de nouvelles explications que leur travail rendoit néceflaires. L'effet des Répréfenta- tions des particuliers négligées efl: de devenir enfin la voix du public & d'obvier ainfi au déni de juftice. Cette transformation étoit alors légitime & conforme à la Loi fondamentale, qui, par tout pays arme en dernier reflbrc le Souverain de la force publique pour l'exé- cution de fes volontés.

ibs H U 1 1 I E M É

Les Médiateuri; n'ont pas fuppôfé ce déni de juflice. L'événement prouve qu'ils l'ont dd fuppofer. Pour affurer la tranquillité publique ils ont jugé à propos de féparer du Droit la puiflance , & de fupprimer même les alTem- blées & députations pacifiques de la bourgeoi- fie; mais puifqu'ils lui ont d'ailleurs confirmé fon droit, ils dévoient lui fournir dans la for- me de l'inftitution d'autres moyens de le faire valoir , à la place de ceux qu'ils lui ôtoient : ils ne l'ont pas fait. Leur ouvrage à cet égard eft donc refté défectueux ; car le droit étant demeuré le même , doit toujours avoir les mêmes effets.

Auffi voyez avec quel art vos Magiftrats ft {)l*évalent de l'oubli des Médiateurs ! En quel* que nombre que vous puifTiez être ils ne vo- yent plus en vous que des particuliers , 6i depuis qu'il vous a été interdit de vous m^fl-

I

LETTRE. to3

trer en corps ils tegardent ce corps comme anéanti : il ne l'eft pas toutefois , puifqu'il conferve tous fes droits, tous (es privilèges, & qu'il fait toujours la principale partie de l'Etat & du Légiilateur. Ils partent de cet- te fuppofition faufle pour vous faire mille difficultés chimériques fur l'autorité qui peut les obliger d'aflembler le Confeil général. Il n'y a point d'autorité qui le puilTe hors cel- le des Loix , quand ils les obfervent : mais l'autorité de la Loi qu'ils tranfgrelTent retour- ne au Légiflateur ; & n'ofant nier tout-à-fait qu'en pareil cas cette autorité ne foit dans le plus grand nombre , ils raflemblent leurs obje6lions fur les moyens de le conflater. Ces moyens feront toujours faciles {itôt qu'ils fe- ront permis, & ils feront fans inconvénient, puifqu'il eft aifé d'en prévenir les abus. Il ne s'agiflbit ni de tumultes ni de

104 HUITIEME

violence : il ne s'agifToit point de ces reObur- ces quelquefois nécefîaires mais toujours ter- ribles , qu'on vous a très fagement interdi- tes ; non que vous en ayez jamais abufé, puifqu'au contraire vous n'en uflites jamais qu'à la dernière extrémité , feulement pour . votre défenfe, & toujours avec une modéra- ,jL tion qui peut-être eut vous conferver le droit des armes , fi quelque peuple eut pu l'avoir fans danger. Toutefois je bénirai le Ciel , quoi qu'il arrive , de ce qu'on n'en ver- ra plus l'affreux appareil au milieu de vous. Tout ejl permis dans les maux extrêmes , die % plufieurs fois l'Auteur des Lettres. Cela fut- il vrai tout ne feroit pas expédient. Qiiand l'excès de la Tyrannie met celui qui la fouf- fre au defïïis des Loix , encore faut - il que ce qu'il tente pour la détruire lui laiffe quel- que efpoir d'y réuflir. Voudroit-on vous ré- duire

LETTRE. 105

d.iire à cette extrémité ? je ne puis croi- re, & quand vous y feriez, je penfe encore moins qu'aucune voye de fait put jamais vous en tirer.. Dans votre pofition toute fauf- fe démarche efl fatale, tout ce qui vous in- , duit à la faire eO: un piège , & fuffiez-vous iîn**in[tant les maîtres , en moins de quinze jours vous feriez écrafés pour jamais. Quoi- que faffent vos Magiflrats, quoique dife l'Au- teur des Lettres , les mo^^ens violens ne con- viennent point à la caufe jude : fans croire qu'on veuille vous forcer à les prendre , je crois qu'on vous les verroit prendre avec plaifir ; & je crois qu'on ne doit pas vous faire envifager comme une redource ce qui ne peut que vous ôter toutes les autres. La jiiflice & les Loix font pour vous ; ces ap- puis, je le fais, font bien foibles contre le crédit & l'intrigue ; mais ils font les feuls Pmie n. I

io5 HUITIEME

qui vous refient: terez-vous-y jufqu'â h fin, ^

Eh! comment approuverois-je qu'on vou^ lut troub'er la paix civile pour qae'qae intc'- rêt que ce fut, moi qui lui facrifiLii le p'us cher de tous lés miens? Vous le favez, Mon- fieur, j'ëtois défiré, fcllicitc; je n'avois qu'à paroîcre ; mes droits ctoient foutenus , peut* être mes affronts réparés. Ma préfence eut ^ du moins intrigué mes perfëcuteurs , & j'é- tois dans une de ces pofitions enviées, dont quiconque aime à faire un rolle fe prévaut toujours avidement. J'ai préféré l'exil perpé- tuel de ma patrie ; j'ai renoncé à tout, mê- me à l'efpérance , pkitôt que d'expofer I.i tranquillité publique : j'ai mérite d'être cru fincere, lorfque je parle en fa faveur.

Mais pourquoi fupprimer des aflembléeà paifibles & purement civiles , qui ne pou- Voient avoir qu'un objet légitime, puifqu'elle»

L E T T R. E. IC7

refloient toujours dans îa fubordînation due au Maglilrat ? Pourquoi , JaiHant à la Bourgeoi- CiQ le droit de faire des Répréfentations , ne les lui pas laiiTer faire avec l'ordre & l'anthen- ticité convenables ? Pourquoi lui ôter les mo- yens d'en délibérer entre elle , & , pour éviter des aflemblées trop nonibreufes , au moins par fes députés? Peut-on rien imaginer de mieux réglé, de plus décent, de plus convenable que hs aflemblées par compagnies & la forme de traiter qu'a fuivi la Bourgeoilie pendant qu'el- le a été la maîtrefTe de l'Etat ? N'efl-il pas d'une police mieux entendue de voir monter à THôtel-de- Ville une trentaine de députés au nom de tous leurs Concitoyens, que de voir toute une Bourgcoifie y monter en foule ; cha- cun ayant fa déclaration à faire , ôc nul ncî pouvant parler que pour fui ? Vous avez vu , ïlonficur, les Répréfentans en grand nombre,

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log HUITIEME

forcés de fe divifer par pelotons pour ne pas faire tumulte & cohue , venir fëparément par bandes de trente ou quarante, & mettre dans leur démarche encore plus de bienféance & da modeftie qu'il ne leur en étoit prefcrit par la Loi. Mais tel efl l'efprit de la Bourgeoifie de Genève ; toujours plutôt en deçà qu'en delà de fes droits, elle ell ferme quelquefois, elle n'eft jamais fédîtieufe. Toujours la Loi dans îe cœur, toujours le refpeft du Magidrat fous les yeux, dans le tems même la plus vive indignation devoit animer fa colère , & rien ne l'empêchoit de la contenter , elle ne s'y livra jamais. Elle fpt jufle étant la plus forte; même elle fut pardonner. En eut -on pu dire autant de fes opprelTeurs ? On fait le fort qu'ils lui firent éprouver autrefois ; on fait celui qu'ils lui préparoient encore. Tels ibnt les hommes vraiment dignes de.

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LETTRE. lop

la liberté parce qu'ils n'enTabufent jamais , qu'on charge pourtant de liens & d'entraves comme la plus vile populace. Tels font les Citoyens , les membres du Souverain qu'on traite en fujets, & plus mal que des fujets mêmes ; puin]ue dans les Gouvernemens les plus abfoius on permet des alTemblées de communautés qui ne font préfidées d'aucun Magidrat.

Jamais, comme qu'on s'y prenne, des ré- glemens contradiftoires ne pourront être ob- fervés à la fois. On permet on autorife le droit de Répréfentation , & l'on reproche aux Répréfentans de manquer de confidence en les empêchant d'en avoir. Cela fi'eft pas jude , & quand on vous met hors d'état de faire en corps vos démarches , il ne faut pas vous ob- jeder que vous n'êtes que des particuliers. Comment ne voit -on point que fi le poids I -.

lîo H U ï T I E M E

des Répréfcntat'ons dépend du nombre des llépréfentans , quand elles font générales il ed impoffible de les faire un à un'; & quel ne feroit pas l'embarras du Magiftrat s'il avoit à lire fucceflivemcnt les Mémoires ou à écoutée, les difcours d'un millier d'hommes, comme iî- y efl obligé par la Loi ?

Voici donc la facile folution de cette gran- de dilîiculcé que l'Autair des Lettres fait va- loir comme infoluble (x). Que lorfque le Ma- gidrat n'aura eu nul égard aux plaintes des particuliers portées en Répréfentations , il per- mette l'alTemblée des Compagnies bourgeoi- fes ; qu'il la permette féparément en des lieux en des tems différens ; que celles de ces Com- pagnies qui voudront à la pluralité des fuffra- ges appuyer les Répréfentations le fafTent par kurs Députés. Qu'alors le nombre des Dépii-

(.V) Page 83.

L E T T R Ê. III

tés repréfentans fe compte ; leur nombre total cfr fixe ; on v^rra bientôt û 'eii"s vœax font ou ne font pas ceux de l'-Etat.

Ceci ne fignifie pas, prenez-y bien garde, <l'>.ie ces alTen-iblées partielles puilTent avoir au- cune autorité , fl ce n'cO; de faire entendre leur fentiment fur la matière d-^s Repréfenta- tions. Elles n'auronî>, comme alTembîees au- torifées pour ce feul cas , nul autre droit que celui des particuliers ; leur objet n efl pas de changer la Loi mais dj juger fi elle eft fuivie, ni de redrelTer des griefs mais de montrer le .b-foin d'y pourvoir: leur avis, fut-il unanime, ne fera jamais qu'une Répréfentation. On faura feulement par fi cette Réprérentatioa. mérite qu'on y défère, foit pour afi^embler le Confeil général fi les Magiftrats l'approuvent, foit pour s'en dii]:)enfer s'ils l'aiment mieux, en faifmt droit par eux-mém.s fur les juf- I4

lia HUITIEME

tes plaintes des Citoyens & Bourgeois.

Cette voye eft fimple, naturelle, fûre, elfe efl: fans inconvénient. Ce n'efl pas même line Loi nouvelle à faire, c'efl feulement un Article à révoquer pour ce feul cas. Cepen- dant fi elle effraye encore trop vos Magif- îrats , il en refte une autre non moins faci- ^ le, & qui n'eil pis plus nouvelle: cVfl: de 1 rétablir les Confeils généraux périodiques, & d'en borner l'objet aux plaintes mifes en Ré- préfentations durant l'Intervalle écoulé de l'un à l'autre , fans qu'il foit permis d'y porter au- cune autre queftion. Ces afllmblées, qui par riine dillinQion très iiriportante (v) n'auroient à pds l'autorité du Souverain mais du Magiflrat iuprême , loin de pouvoir rien innover ne

pourroient qu'empêcher toute innovation de [ 1

(>•) Voyez le Coniruct Sochl. L. III. Chap. jj.

LETTRE.

113

la part des Confeils, & remettre toutes cho- fes dans l'ordre de la Le'giflation , dont le Corps dépofitaire de la force publique peut maintenant s'écarter fans gêne autant qu'il lui plaît. En forte que , pour faire tomber ces affemblées d'elles mêmes , les Magiflrats n'au- roient qu'à fuivre exactement les Loix : car Ja convocation d'un Confeil général feroit inutile & ridicule lorfqu'on n'auroit rien à y porter ; & il y a grande apparence que c'eft ainfî que fe perdit l'ufage des Confeils généraux pério- diques au feizieme fiécle , comme il a été dit ci - devant.

Ce fut dans la vue que je viens d'expofer qu'on les rétablit en 1707 , & cette vieille queftion renouvellée aujourd'hui fut décidée alors par le fait même de trois Confeils géné- raux confécutifs , au dernier defquels pafla l'Article concernant le droit de Répréfenta- l 5

ÎH ri U I T I E M E

tion. Ce droit n ecoit pas contefté mais éludé ; les Magiilrats n ofoient dirçonvenir que lorf- qu'ils refufoient de fatisfaire aux plaintes de Ja Bourgeoifie la queflion ne dut être portée en Confeil général ; mais comme il appartient à eux feuls de le convoquer , ils prétendoienc foirs'ce prétexte pouvoir en difrerer la tenue à leur volonté, & comptoient lafler à farcc de- délais la confiance de la Bouraieoific. Toute- fois fon droit fut enfin û bien reconnu qu'on fit dès le 9 Avril convoquer l'aflemblée géné- rale pour le 5 de Mai , afin , dit le Placard , de léguer par ce moyen les iujinuations qui ont été Tépandues que la convocation en pounoit être éludée à? renvoyée encore loin.

Et qu'on ne dife pis que cette convocation fut forcée par quelque afte de violence ou par quelque tumulte tendant à fédirion , puifque tout fe traitoit alors par dépucation , co.nme le

I

LETTRE. 115

Çonfeil Favoit defiré , & que jamais les Ci- toyens & Bourgeois ne furent plus paifibles dans leurs aflembîées, évitant de les faire trop, nombreufes & de leur donner un air impo- fant. Ils pouffèrent même û loin la décen- ce &j j'ofe dire, la dignité, que ceux d'entre, eux qui portoient habituellement l'épée la po- ferent toujours pour y afilter Çz). Ce ne fut qu'après que tout fut fait , c'eii -à-dire à la fitv du troifieme Confeil général , qu'il y eue un cri; d'armes caufé par la faute du Confeil , qui eue l'imprudence d'envoyer trois Compagnies de la garnifon la bayonnete au bout du fuùl, pour

(2) Ils curent la même attention en 1734 dans leurs Répréfcnfations du 4. Mars, appayôcs de mil- le ou douze cents Citoyens ou Bourgeois en per- fonnes , dont pas un feul n'avoit IVpée au côté. Ces foins, qui pavoitroient minutieux dans tout au- tre Etat, ne le font pas dans une Démocratie , & caractérifent peut-être mieux un peuple que des traits, plus (iclataus.

ii6 HUITIEME

forcer deux ou trois cens Citoyens encore af- femblés à Saint Pierre.

Ces Confeils périodiques rétablis en 1707. furent révoqués cinq ans après ; mais par quels . moyens & dans quelles circonftances ? Un ; court examen de cet Edic de 17 12 nous fera juger de fa validité.

Premièrement le Peuple effrayé par les exé- cutions & profcriptions récentes n'a voit ni li- berté ni fureté ; il ne pouvoit plus coinpter fur rien après la frauduleufe amniflie qu'on employa pour le furprendre. II croyoit à cha- que infbant revoir à fes portes les Suiffes qui fervirent d'archers à ces fangbntes exécutions. Mal revenu d'un effroi que le début de l'Edit ëtoit très propre à réveiller , il eut tout accor- dé par la feule crainte ; il fentoit bien qu'on ne l'affembloit pas pour donner la Loi mais pour la recevoir.

Les motifs de cette révocation , fondés fur

LETTRE. 117

les dangers des Confeils généraux périodiques, font d'une abfurdité palpable à qui connoit le moins du monde l'efprit de votre Conftitutiori & celui de votre Bourgeoifie. On allègue les tems de pefbe de famine & de guerre, comme fi la famine ou la guerre écoient un obflacle à la tenue d'un Confeiî, & quant à la pefte, vous m'avouerez que c'efl prendre fes précau- tions de loin. On s'effraye de l'ennemi, des mal - intentionnés , des cabales; jamais on ne vit des gens fi timides ; l'expérience du paffé devoit les ralTurer: Les fréquens Com'eils gé- néraux ont été dans les tems les plus orageux le falut de la République, comme il fera -mon- tré ci-après , & jamais on n'y a pris que des réfolutions fages & courageufes. On foutient ces affemblées contraires à la ConHitution , dont elles font le plus ferme appui ; on les dit contraires aux Edlts , &. elles font établies par

$î8 H U I T I E M E

les Edits; on les accufe de nouveauté, & ellcà font auifi anciennes que la Légiflation. II n'y a pas une ligne dans ce préambule qui ne foie une faufîeté ou une extravagance , & c'eft fur ce bel expofé que la révocation palTe, fans programme antérieur qui ait inflruic les mem- bres de ralTemblée de la propofition qu'on leur vouloit faire , fans leur donner le loifir d'en délibérer entre eux , même d'y penfer, & dans un tems h Bourgeoifie mal inf- truite de l'hifloire de Ton Gouvernement s'en hifToit aifément impofer par le Magiftrat.

Mais un moyen de nullité plus grave en- core efl: la violation de l'Edit dans fa partie à cet égard la plus importante , favoir la ma- nière de déchiff"rer les billets on de compter les voix ; car dans l'Article 4 de l'Edit de 1707 il eft dit qu'on établira quatre Secré- taires ad ad:inn pour recueillir les fuffrages^

LETTRE. ïiî>

deux des Deux-Cents & deux du Peuple, lef^ quels feront choi fis fur le champ par M. le premier Syndic & prêteront ferment dons Temple. Et toutefois dans le Confeil géne'- ral de 1712, funs aucun égard à l'Edit pre'- cédent on fait recueillir les fuffrages par les deux Secrétaires d'Jiltat. Quelle fut donc la raifon de ce changement, & pourquoi cette manœuvre illégale dans un point fi capital, comme fi Ton eut voulu tranfgreffer à plaifir la Loi qui venoit d'être faite ? On commence par violer dans un article l'Edit qu'on veuc annuler dans un autre ! Cette marche cfl-elle régulière? fi comme porte cet Edit de révo- cation l'avis du Confeil fut approuvé prefque unanhnement (aa) , pourquoi donc la furprife & la confternation que marquoient les Citô-

(aa) Par la manière dont il m'eft rapporte qu'on c'y prit, cette unanimic« n'ctoit pas difficile à obtc-

120

HUITIEME

yens en fortant du Confdl, tandis qu'on vo- yoic un air de triomphe & de fatisfaélion fur les vifages des Magiflrats {hb) ? Ces différen- tes

nir , & il ne tint qu'à ces Mefïïem's de la rendre complette.

Avant l'aflemblée, le Secrétaire d'Etat Meftrczat dit: Laîjfez les venir ; je les tiens. H employa, dit- on , pour cette un les deux mots ylppr^bation, & Re- je&ion, qui depuis font demeurés en ufage dans les billets : en forte que quelque parti qu'on prit tofit rcvenoit au même. Car fi l'on choifliroit Jplrohaii'in l'on approuvoit l'avis des Confeils , qui rejettoit rademblée périodique; & fi l'on {n tnoit Rcjeàion l'on rejettoit rairemblée périodique. Je n'invente pas ce fait, & je ne le rapporte pas fans autcrrîté; je prie le leéteur de le croire ; mais je dois à la vé- rité de dire qu'il ne me vient pas de Genève, & à la jufiiice d'ajouter que je ne le crois pas vrai : je fais feulement que l'équivoque de ces deux mof; a- bufa bien des votans fur celui qu'ils" dévoient choi- fir pour' exprimer leur intention , & j'avoue encore que je ne puis imaginer aucun motif honnête ni au- cune excufe légitime à la tranfgreffion de la loi dans le recueillement des fulFragcs. Rien ne prouve mieux la terreur dont le Peuple étoit faifi que le fi- lence avec lequel il laifTa palTer cette irrégularité.

(bh) Ils difûient entre eux en fortant, & bien

LETTRE. i2ï

tes contenances font-elles naturelles à gens qui viennent d'être unanimement du même avis?

Ainll donc pour arracher cet Edit de re'^ vocation l'on ufa de terreur , de furprifo , vraifemblabiement de fraude, & tout au moins on viola certainement la Loi. Qu'on juge fi ces carafteres font compatibles avec ceux d'une Loifacrée, comme on affecle de l'appeller?

Mais fuppofons que cette révocation Cok légitime & qu'on n'en ait pas enfreint les conditions (ce) , quel autre effet peut-on lui

d'antres l'entendirent; 7ious venons de faire îine gran- de journée. Le lendemain nombre de Citpj^ens fu- rent fe plaindre qu'on les avoit trompés , & qu'ili n'avoient point entendu rcjctter les anfcmblées géné- raks, niais l'avis de; ConfciLs. On fe moqua d'eux, (ce) Ces conditions portent qu'aiiam cbmgement à VEdit n'aura force qu'il naît été approuvé dans ce Jouverain Confeil. Rc'tc donc à fuvoir fi les infrac- tions de l'Edit ne font pas des chan*cmensà l'Edit?

Partis IL K

122 HUITIEME

donner, que de remettre les chofes fur le pied elles étoient avant rétabliiTerrient de la Loi révoquée , & par conféquent la Bourgeoifie dans le droit dont elle étoit en pofreliion? Quand on caffe une tranfiiclion , les Parties ne reflent-elîes pas comme elles étoient avant çju'elle fut pafiee?

Convenons que ces Confeib généraux pé- îiodiques n'auroient eu qu'un ftul inconvé- nient , mais terrible ; c'eut été de forcer les Magiftrats & tous les ordres de fe contenir" «dans les bornes de leurs devoirs & de leurs droits. Par cela feul je fais que ces aflem- blées fi effarouchantes ne feront jamais réta- blies , non plus que celles de la Bourgeoifie par compagnies ; mais auffi n'efh-ce pas de cela qu'il s'agit ; je n'examine point ici ce qui doit ou ne doit pas fe faire , ce qu'on fera ni ce qu'on ne fera pas. Les expédient

LETTRÉ. m

iqiie j'indique fimplemenc comme poiTibles ôc faciles, comme rires de vocre conflicution , n'étant plus conformes aux nouveaux Edics ne peuvent paiïer que du confentem.ent des Confeils , & m.on avis n'eft afTarément pas qu'on les leur propofe : mais adoptant un moment la fuppoiition de l'Auteur des Let- tres, je réfous des objeftions frivoles; je fais voir qu'il cherche dans la nature des chofes des obfi:acIcs qui n'y font point , qu'ils ne font tous que dans la mauvaife volonté dU Confeil, & qu'il y avoit s'il l'eut voulu cenc moyens de lever ces prétendus obfiiaclcs , fan* altérer la Conftitution , fans troubler Tordre j & fans jamais expofer le repos public.

Mais pour rentrer dans la queflion tenons- nous exactement au dernier Edit , & vous n'y verrez pis une feule difficulté réelle con- tre l'effet néccflaire du droit d'2 Répréfeiî- talion. K.2

124- HUITIEME

1, Celle d'abord de fixer le nombre des Répréfentans eft vaine par l'Edit même, qui ne fait aucune diftinftion du nombre, & ne donne pas moins de force à la Répréfenta- tion d'un feu! qu'à celle de cent.

2. Celle de donner à des particuliers le droit de faire afTembier le Confeil général efl: vaine encore ; puifque ce droit , dangereux eu non , ne réfulte pas de l'effet nécelfaire des Répréfentations. Comme il y a tous les ans deux Confeils généraux pour les élec- tions , il n'en faut point pour ces effet affem- bler d'extraordinaire. Il fuffit que la Répréfen- tation, après avoir été examinée dans les Con- feils, foit portée au plus prochain Confeil gé« néral , quand elle cfl de nature à l'être (c/i). La féance n'en fera pas même prolongée d'u-

(oJ) J'ai diftingué ci-devant les cas les Confeils font tcnijs de l'y perler, & ceux ils ne le font pas»

LETTRE. 125

ne heure, comme il ell manifefte à qui con- noit l'ordre obfervé dans ces afTemblées. Il faut feulement prendre la précaution que la propofition paiTe aux voix avant les éleclions : car Cl Ton attendoit que féleftion fut faite , les Syndics ne manqueroient pas de rompre auffi- tôt l'afTemblée, comme ils firent en 1735.

3. CeHe de multiplier les Confeils généraux cil: levée avec la précédente & quand elle ne le feroit pas , feroient les dangers qu'on y trouve? c'efb ce que je ne faurois voir.

On frémit en lifant l'énumération de ces dangers dans les Lettres écrites de la Campa- gne , dans l'Edit de 1712, dans la Harangue de M. Chouet ; mais vérifions. Ce dernier dit que la République ne fut tranquille que quand ces afiTemblées devinrent plus rares. Il y a une petite inverfion à rétablir. Il falloit dire que ces affemblées devinrent plus rares quand

K3

i26. H U I T I E M E

k République fut tranquille. Lifcz, MonHeur, les faftes de voLre Ville durant le feiziemc lié- de. Comment rccoua-t-elle le double joug quji î'écrafoit? Cmment étouffd- 1- elle les fa6tions ^ui la déchiroienc S? CorDment réfifta-t-cllc à^ fes voifins avides , qui ne la feçouroient que pour l'alTcrvir ? Comment s'ûablit dans foa fein ]a liberté cvangctique &;. politique:'^ Com- ment fa conftitution prit-elle de la confiruance? Comment fe forma le fyftême de fou Gouv^er- Ev'ment ? L'hiftoire de ces mémorables tems çfl un enchainemcnt de prodiges. Les Ty- rans , les VoiGns , les ennemis , les amis , les fujets, les Citoyens, la guerre, la, pelle, h fa- ijiine , tout fembloit concourir à la perte de cette malheureufe Ville. On conçoit à peine comment un. Etat déjà formé eut pu échapper à toùs CCS périls. Non feulement Genève ea échappe , mais c'eil durant ces crifes terribles

LETTRE, 127

qu2 fe confomme le grand Ouvrage de fa Lé- giilacion. Ce fut par Tes fréquens Confeils gé- néraux (ec) , ce fut par la prudence & la fer- meté que Tes Citoyens y portèrent qu'ils vain- quirent enfin tous les obfcaçles , <Si, rendirent ieur Ville libre & tranquille , de fujette & dé- chirée qu'elle étoit auparavant ; ce fut après avoir tout mis en orvire au dedans qu'ils fo virent en état de faire au dehors la guerre avL^c gloire. Alors le Confeil Souverain a- voit fini fes fonctions , c'étoit au Gouverne- ment de faire les fiennes : il ne refloit -plus aux

(eo) Comme on les aflbmbloit alors dans tous les cas ardus félon les Edits , & que ces cas ardus rc- venoient très fouvcnc dans ces tems orageux , \<i Confeîl général étoit alors plus fréquemment con- voqué que n'ell aujourd'hui le Deux-Cent. Qu'on en juge par une feule époque. Durant les huit premiers mois de l'année 1540 il fe tint dix-huit Confeiis gé- néraux, & cette année n'eut^rien de plus extiao:\ii- nairc que celles qui avoicnt précédé oc que celles cjui fui virent.

K4

128 HUITIEME

Genevois qu'à défendre la liberté qu'ils vq- noient d établir , & à fe montrer auSl braves foldats en campagne qu'ils s'étoient montrés dignes Citoyens au Confeil : c'cft ce qu'ils fi- rent. Vos annales atteflent par tout l'utilité des Confeils généraux ; vos Meffieurs n'y vo- rent que dc-s maux effroyables. Ils font l'ob- jeclion, mais l'hiftoire la réfout.

4. Celle de s'expofer aux faillies du Peuple quand on avoifine à de grandes PuilTances fe réfbut de même. Je ne fâche point en ceci de meilleure réponfe à des fophifmes- que des faits condans. Toutes les réfolutions des Con- feils généraux ont été dans tous les tems aulîi pleines de fageffe que de courage ; jamais el- les ne furent infclentes ni lâches ; on y a quelquefois juré de mourir pour la patrie ; mais je dcfie qu'on m'en cite un feul , même de ceux le Peuple a le plus influé , dans

L E T T R Er i!î9'

lequel on ait par étourderie îndirpofé les Puif- fances voifines , non plus qu'un feul Ton ait rampé devant elles. Je ne ferois pas un pareil défi pour tous les arrêtés du petit Con- feil : mais palTons. Quand il s'agît de nouvelles réfolutions à prendre, c'efl: aux Confeils infé« rieurs de les propofer , au Confeil général de les rejetter ou de les admettre j il ne peut rien faire de plus ,- on ne drfpute pas de cela : Cette objedlion porte donc à faux. -

5. Celle de jetter du doute & de robfcurité fur toutes les Loix n'efl: pas plus folide, parce qu'il ne s'agit pas ici d'une interprétation va- gue, générale, & fufceptible de fubtilités ; mais d'une application nette & précife d'un fait à la Loi. Le Magiftrat peut avoir fes raifons pour trouver obfcure une choie claire , mais cela n'en détruit pas la clarté. Ces MeP fleurs dénaturent la quellion. Montrer par h K5

I30 II JU I T I E

"A ?

lettre d'une Loi qu'elle a éié violée n'efc pas propofer des doutes fur cette Loi. S'il y 3, dans les termes de h Loi un feul fens félon lequel le fait fo.it jufEiiié , le Conf^il dans fa. ïépoiife ne manquera pas d'étab'ir ce fjns. Alors la llëpréfentation perd fa force, & fi Ton y perfifte , elle tombe infailliblement en Confeil général : Car l'intérêt de tous ed trop grand, trop préfent,trop fenfible,furtout dans une Ville de commerce, pour que la géné- ralité veuille jamais ébranler fautorité , le Gou- vernement , la Légiilation , en prononçant qu'une Loi a été ttanfgrefTée , lorfquil eft pof-< (ible qu'elle ne l'ait pas été.

C'efl au Légiflateur, c'eit au rédaéleur des Loix à n'en pas lailTcr les termes équivoques, Quand ils le font ; c'efl: à féquité du MagiA trat d'eu fixer le fens dans la pratique ; quand la Loi a plufieurs feiis , il ufe de fon droit en

L E T T R E. Î3Î

|iréférant celui qu'il jui plaît: mais ce droit ne va point jufqu'à changer le feus littéral deç loix & à leur en donner un qu'elle n'ont pas; autrement il n'y auroit plus de Loi. La ouei^ tion ainfz pofée e(l ù nette qu'il lH facile au bon fens de prononcer, &, ce bon fens qui prononce fe trouve alors dans le Confeil gène'» rai. Loin que de-iî; naiilent des difcuffions in-, terminables , c'ell par qu'atî contraire on les prévient; c'efl par qu'élevant les Edits au- deffus des interprétations arbitraires & parti- culières que l'intérêt ou la paliion peut fuggé- rer, on efl: fur qu'ils difent toujours ce qu'ils difent, & que les particuliers ne font plus en doute, fur ciiaque affaire, du fens qu'il plaira au Magiflrat de donner à la Loi. N'efl-iJ pas clair que les diiîicukés dont il s'agit mainte- nant n'exifteroient pliy, ii l'on eut pris d'abord ce moyen de les réfoudre ?

132 HUITIEME

6. Celle de foumettre les Confeils aux or- dres des Citoyens efl: ridicule. Il efl: certain que des Répréfentations ne font pas des or- dres , non plus que la requête d'un homme qui demande juftice n'eft pas un ordre ; mais le Magiflrat n'en efl; pas moins oblige de rendre au fuppliant la jullice qu'il demande, & le Conleil de faire droit fur les Répré- fentations des Citoyens & Bourgeois. Quoi- que les Magiftrats foient les fupérieurs des particuliers, cette fupériorité ne les difpenfe pas d'accorder à leurs inférieurs ce qu'ils leur doivent, & les termes refpe6tueux qu'emplo- yent ceux-ci pour le demander n'ôtent rien au droit qu'ils ont de l'obrenir. Une Rëpré- fentation eft, û l'on veut, un ordre donné au Confeil, comme elle efh un ordre donné au premier Syndic à qui on la préfente de la communiquer au Confeil j car c'ell ce qu"il efl:

LETTRE. 133

toujours obligé de faire, foit qu'il approuve la Répréfentation , foit qu'il ne l'approuve pas. Au refte quand le Confeil tire avantage du mot de Répréfentation qui marque infériorité ; en difant une chofe que perfonne ne difpute, il oublie cependant que ce mot employé dans le Règlement n'efb pas dans TEdit auquel il

^ renvoyé , mais bien celui de Remontrances qui ' jfc^nte un tout autre fens: à quoi l'on peut

* ajouter qu'il y a de la différence entre les Re- montrances qu'un corps de Magiftrature fait à fon Souverain, & celles que des membres du Souverain font à un corps de Magiflratu- re. Vous direz que j'ai tort de répondre à une pareille objeftion ; mais elle vaut bien la plupart des autres. r

7, Celle enfin d'un homme en crédit con- tenant le fens ou l'application d'une Loi qui le condannC; & féduifant le public en 1* fa-

i3| HUITIEME

Vcur, ed: telle que je crois devoir m'abftenîi' de la qualifier. Eh 1 qui donc a connu h Eourgeoifie de Genève pour un peuple fer- vile , ardent , imitateur , (lupide , ennemi des Joix, & II prompt à s'enflammer pour les in- térêts d'autrui ? Il faut que chacun ait bien vu le lien compromis dans les affaires publi- ques , avant qu'il puifle fe réfoudre à s'en mêler.

Souvent Tinjullice & la fraude trouvent des protefteurs ; jamais elles n'ont le public pour elles ; c'eft en ceci que la voix du Peuplé eu la voix de Dieu ; mais malheureufement cette voix ficrée efl: toujours foible dans les affaires contre le cri de la puiffance , & la plainte de l'innocence opprimée s'exhale murmures méprifés par l-i tyrannie. Tout ce qui fe fait par brigue & fédu6lion fe fait par préférence au profit de ceux qui gouvernent;

LETTRE. Î3J-

cela ne fauroit être autrement. La rufe , le préjugé, l'intcrêt, la crainte, rcfpoir, la va- nité , les couleurs fpécieufes ^ un air d'ordre &. de fubordination , tout efl pour des hommes habiles conflitués en autorité & verfés dans l'art d'abufer le peuple. Quand il s'agit d'op- pofer l'adrelTe à l'adrefTe , ou le crédit au cré- dit, quel avantage immenfe n'ont pas dans une petite Ville les premières familles toujours unies pour dominer , leurs amis , leurs cliens , leurs créatures , tout cela joint à tout le pou- voir des Confeils, pour écrafer des particuliers qui oferoient leur faire tête , avec des fophif. mes pour toutes armes? Voyez autour de vous dans cet inftant même. L'appui des loix, l'é- quité, la vérité, l'évidence , l'intérêt commun, le foin de la fureté particulière , tout ce qui devroit entraîner la foule fuffit à peine pour protéger des Citoyens refpe6lés qui réclament

135 HUITIEME

contre l'iniquité la plus manifefte ; & l'on veut que chez un Peuple éclairé l'intérêt d'un brouillon fafTe plus de partifans que n'en peut faire celui de l'Etat ? Ou je connois mal votre Bourgeoifie & vos Chefs , ou fi jamais il fe fait une feule Répréfcntation mal fondée, ce j qui n'efl: pas encore arrivé que je fâche ; l'Auteur, s'il n'efl méprifable, efl un homme perdu.

Eli -il befoiîi de réfuter des objeftions de cette efpece quand on parle à des Genevois ? Y a-t-iî dans votre Ville un feul homme qui n'en fente la mauvaife foi , & peut- on férieu- fement balancer l'ufage d'un droit facré, fon- damental , confirmé, néceflairc, par des in- convéniens chimériques que ceux mêmes qui les obje6lent favent mieux que perfonne ne pouvoir exiller ? Tandis qu'au contraire ce droit enfreint ouvre la porte aux excès de la

plus

LETTRE; Î37

plus odieufe Olygarchie , tiu point qii'on U Voit attenter déjà fans prétexte à la liberté des Citoyens, & s'arroger hautement le pouvoir de les emprifonner fans aflriélion ni condition j fans formalité d'aucune efpece , contre la te- neur des Loix les plus précifes , ôc malgré toutes les proteflations.

L'explication qu'on ofe donner à ces Loiî eft plus infultante encore que la tyrannie qu'ori exerce en leur nom. De quels raifonneiriens on vous paye ? Ce n'efl: pas aiTez de voui traiter en efclaves fi l'on ne vous traite encore, en enfans. Eh Dieu ! Comment a-t-on pii mettre en doute die queftions auffi claires, comment a-t-oh pu les embrouiller à ce point? Voyez , Monfieur , fi les pofer n'efl: pas léS réfoudre ? En finiiTant par cette Lettre , j'efpere rie la pas alongër de beaucoup.

Un homme peut être confliitué prifonnier d<3

l'art le II, L

I3S HUITIEME

trois manières. L'une à l'inftance d'un autre homme qui fait contre lui Partie formelle ; la féconde étant furpris en ilagrant délit & failî fur le champ , ou , ce qui revient au même , pour crime notoire dont le public cH témoin; & la troifieme , d'office , par la fimple autorité du Magiftrat, far des avis fecrets, fur des m- dices , ou fur d'autres raifons qu'il trouve fuf- fifantes.

Dans le premier cas , il efl ordonné par les Loif de Genève que l'accufateur revête les prifons , ainfi que l'accufé ; & de plus , s'il p'ell pas folvabîe, qu'il donne caution des dé- pends "& de l'adjugé. Ainfi l'on a de ce côté dans l'intérêt de l'accufateur une furcié rair •fonnablc que le prévenu n'efl pas arrêté in- juftcment.

Dans le fécond cas, la preuve eft dans le fait même , & l'accufé efl en quelque forte

LETTRE. 137

convaincu par fa propre détenticn.

Mais dans le troifiemc cas on n'a ni la même fiireté que dans le praTiier, ni la mê- me évidence que dans le fécond, & c'ed pour ce dernier cas que_ la Loi, fuppofant le Ma- gifirat équitable, prend feulement des miCfures pour qu'il ne foit pas furpris.

Voila les principes fur lefquels le Légiila- teur fe dirige dans ces trois cas ; en voici maintenant Y application.

Dans le cas de la Partie formelle, on a dés le commencement un procès en règle qu'il faut fuivre dans toutes les formes judiciaires: c'eft pourquoi l'affaire eft d'abord traitée en première inllance. L'emprifonncment ne peut être fait fi^ parties ouïes ^ il na été psrmïs par jujlice (ff). Vous favcz nue ce qu'on appelle à Genève la Juftice eft le Tribunal

(//) Edits civils. Tit. XII. Art. i. L 2

I40 HUITIEME

du Lieutenant & de Ces aflîflans appelles , Auditeurs. Ainfi c'efl: à ces Magîftrats & non à d'autres, pas même aux Syndics , que la plainte en pareil cas doit être portée , & c'eft à eux d'ordonner l'emprifonnement des deux parties ; fauf alors le recours de Tune des deux aux Syndics, fi, félon les termes de l'Edit, dk fe fcntûit grevée par ce qui aura été ordon- né (gg). Les trois premiers Articles du titre XII, fur les matières criminelles fe rapportent évidemment à ce cas -là.

Dans le cas du flagrant délit , foit pour cri- me, foit pour excès que la police doit punir, il efl permis à toute perfonne d'arrêter le cou- I pable; mais il n'y a que les Magillrats char- '' gés de quelque partie du pouvoir exécutif, tels que les Syndics, le Confeil , le Lieute- nant, un Auditeur , qui puiflent l'écrouer; un

L E T T R E. i4r

Confeiller ni plufieurs ne le pourroient pasj & le prifonnier doit être interrogé dans les \'ingt- quatre heures. Les cinq Articles fuivans du même Edit fe rapportent uniquement à ce fécond cas; comme il eft clair, tant par l'or- di'e de la matière , que par le nom de crimi' ncî donné au prévenu , puifqu'iî n'y a que le feul cas du flagrant délit ou du crime notoi- re, où Ton puliTe appeller criminel un accu- avant que fon procès lui foit fait. Que fi l'on s'obiline à vouloir qaacciifé & criminel foient fmonymes , il faudra , par ce même langage , qu'innocent & criminel le foient aufii. Dans le refte du Titre XII il n'eft plus queftion d'emprifonnement , & depuis l'Arti- cle 9 incluflvement tout roule fur la procédu- re & fur la forme du jugement dans toute efpece de procès criminel. Il n'y efl: point parlé des emprifonnemens faits d'office. L3

14-2 HUITIEME

Mais il en eft pané d.ns l'Edic poliiique fur l'Office des quatre Syndics. Pourquoi ce- la? Parc^ que cet Article rient immédiatement à la liberté civile, que le pouvoir exercé fur ce point par le Magiftrat efl: un aclc de Gou- verneçî^nt plutôt que de Magidrature , & qu'un fimple Tribunal de judice ne doit pas être revêtu d'un pareil pouvoir. Auffi l'Edic l'accorde-t-il aux Syndics fculs, non au Lieu- tenant ni à aucun autre Magiilrar.

Or pour garantir les Syndics de la furprife dont j'ai parlé, TEdit leur prefcrit de mander premièrement ceux qu'il appartiendra, d'exami- ner d^ interroger , & enfin de faire emprifonner fi mejîier cfi. Je crois que dans un pays li- bre la Loi ne pouvoit: pas moins faire pour mettre un frein à ce terrible pouvoir. Il faut que les Citoyens aient toutes les fûretés rai- fonnables qu'en faifant leur devoir ils pour- ront coucher dans leur lit.

LETTRE. 143

L'Article fuivant du même Titre rentre, comme il eO: manifefle, dans le cas du cri. me notoire & du flagrant délit , de même que rAriicîe premier du Titre des matières crirainelles , dans le même Edit politique. Tout cela peut paroître une répétition : mais dans VEdk civil la matière efl: confidérée quant à l'exercice de la juîlice , & dans l'Edit politi- que quant à la fureté des Citoyens. D'ailleurs les Loix ayant été faites en difFérens tems, & ces Loix étant l'ouvragé des hommes, on n'y doit pas chercher un ordre qui ne fe dé- mente jamais & une perfe6lion fans défaut. Il fuffit qu'en méditant fur le tout & en com- parant les Articles , on y découvre l'efpric du Légiflateur & les raifons du difpofitif de fon ouvrage.

Ajoutez une réilexion. Ces droits judi- cieufement combinés ', ces droits réclamés par

14^ HUITIEME

les Répréfentans en vertu des Edits , vous en joiiiffiez fous la fouveraineté des Evêques, Neufçhâtel en jouit fous fes Princes , & à yous Républicains on veuz les ôter ! Voye:?^ les Articles lo, ii, & plufieurs autres des franchifes de Genève dans l'a6le d'/\demarus, Fabri. Ce monument n ell pas moins refpec- table aux Genevois que ne l'eft aux Anglois; 1^ grande Chartre encore plus ancienne, ôç je doute qu'on fut bien venu chez ces der- niers à parler de leur Chartre avec autant de mépris que l'Auteur des Lettres ofe en mar- quer pour la vôtre.

Il prétend qu'elle a été abrogée par les Çonftitutjons de la République (M). Mais au

Cbh) 'Cétoit par une Logique toute femblable qu'en 1742. on n'eut aucun égard au X^aité de So-r Icure de 1570, foutenant qu'il étoit furanné; quoi- qu'il fut déclaré perpétuel dans I'A6te môme , qu'il n'ait jamais été abrogé par aucun autre , 6l qu'il

L E T T R E, ï45

contraire je vois très fouvenç dans vos Edits ce mot, comme d'ancienneté, qui renvoyé aux ufages anciens , par conféquent aux droits fur lefquels ils étojent fondés; & comme fi l'E- vêque eut prévu que ceux qui dévoient pro- téger les franchifes les attaqueroient , je vois qu'il déclare dans l'Açle même qu'elles feroqt perpétuelles , fans que le non-ufage ni aucune prefcription les puifTe abolir. Voici, vous en conviendrez , une oppofition bien finguliere. Le favant Syndic Chouet dit dans fon Mç- ^loire à Mylord Towfcnd que le Peuple de Qenève entra, pî^r la Réformation, dans Içs droits de l'Evêque , qui étoit Prince tempo- rel & fpirituel de cette Ville. L'iVuteur des Lettres nous afTare au contraire que ce mç- me Peuple perdit en cette occafion les fray- ait été rappelle plufîcurs fois , notamment dans l'ac- te de la Médiation.

L5

146 HUITIEME

chifes que l'Evêque lui av^oit accordées. Au- quel des deux croirons-nous?

Quoi ! vous perdez étant libres des droits dont vous jouiffiez étant fujets ! Vos Magif- j^ats vous dépouillent de ceux que vous ac- cordèrent vos Princes ! Ci telle eft la liberté que vous ont acquis vos pères , vous avez dequoi regretter le fang qu'ils verferent pour elle. Cet afie fîngulier qui vous rendant Sou- verains vous ôta vos franchifes, vàloit bieri, ce me femble , la peine d'être énoncé , & , du moins pour le rendre croyable, on ne pou- voit le rendre trop folemnel. eft-il donc cet afte d'abrogation ? Ailurément pour fe prévaloir d'une pièce auffi bizarre le moins qu'on puifTe faire eft de commencer par la montrer.

De tout ceci je crois pouvoir conclure avec certitude, qu'en aucun cas poflible, h

i

LETTRE. 147

Loi dans Genève n'accorde aux Syndics ni à perfonne le droit abfolu d'emprifonner les particuliers fans aftriftion ni condition. Mais n'importe: le Confeil en réponfe aux Répré- fentations établit ce droit fans re'pîique. II n'en coûte que de vouloir , & le voila en poircffion. Telle efl la comodité du droit négatif.

Je me propofois de montrer dans cette Lettre que le droit de Répréfentation , inti- mement lié à la forme de votre Conflitii- tion n'étoit pas un droit illufoire & vain; mais qu'ayant été formellement établi jpar l'E'Jit de 1707 & confirmé par celui de 1738 , il devoit néceflairement avoir un ef« fet réel: que cet effet n'avoit pas été ftipu- dans l'Afte de la Médiation parce qu'il ne l'étoit pas dans l'Edit, & qu'il ne l'avoit pas été dans l'Edit , tant parce qull réfultoic

148 HUITIEME

alors par lui-même de la nature de votre Conflitution , que parce que le même Edit en établifibic la fureté d'une autre manière: Que ce droit & Ton effet néceflaire donnant feul de la confiftance à tous les autres, étoit l'unique & véritable équivalent de ceux qu'on avoit ôtés à la Bourgeoise; que cet équiva- lent, fuffirant pour établir un folide équilibre entre toutes les parties de l'Etat , montroit h fagefTe du Règlement qui fans cela feroie l'ouvrage le plus inique qu'il fut poffible d'i- maginer : qu'enfin les difficultés qu'on éle- voit contre l'exercice de ce droit étoienc <^es difficultés frivoles , qui n'exidoient que dans la mauvaife volonté de ceux qui les propofoient , & qui ne balanjoient en au- cune manière les dangers du droit négatif abfolu. Voila, Monfieur , ce que j'ai vout lu faire j ç'efl: à vous à voir fi j'ai réuflj.

LETTRE. 149

NEUVIEME LETTRE.

T'Ai cru, Monfieur, qu'il valoit mieux établir direftement ce que j'avois à dire , que de m'attacher à de longues réfutations. Entrepren- dre un examen fuivi des Lettres écrites de la campagne feroit s'embarquer dans Une mer de fophirmes. Les faifir, les expofer feroit félon moi les réfuter; mais ils nagent dans un tel flux de doftrine , ils en font fi fort inondés, qu'on fe noyé en voulant les mettre à fec.

Toutefois en achevant mon travail je ne puis me difpenfer de jetter un coup d'œïl fur celui de cet Auteur. Sans analyfer les fubtilités politiques dont il vous leurre , je me conten- terai d'en examiner les principes , & de vous montrer dans quelques exemples le vice de fes raifonnemens.

150 NEUVIEME

Vous en avez vu ci-devant rinconféquence par rapport à moi : par rapport à votre Ré- publique ils font plus captieux quelquefois, & ne font jamais plus folides. Le feul & véri- table objet de ces Lettres ell d'établir le pré- tendu droit négatif dans la plénitude que lui donnent les ufurpations du Gonfeil. C'efl à ce but que tout fe rapporte ; foit direftement, par un enchaînement néceflaire ; foit indirec- tement par un tour d'adrefle, en donnant le change au public fur le fond de la ' qutllion.

Les imputations qui me regardent font dans le premier cas. Le Confeil m'a jugé contre la Loi: des Répréfentations s'élèvent. Pour éta- blir le droit négatif il faut éconduire les Ré- préfentans; pour les éconduire il fiiut prouver qu'ils ont tort ; pour prouver qu'ils ont tort il faut foutem'r que je fuis coupable , mais coupable à tel point que pour punir mon

LETTRE. 151

crime il a fallu déroger à la Loi.

Que les hommes frémiroient au premier mal qu'ils font, s'ils voyoient qu'ils fe mettent dans la trille néceflîté d'en toujours faire, d'être méchans toute leur vie pour avoir pu l'être un moment , & de pourfuivre jufqu'à la mort le malheureux qu'ils ont une fois perfécuté !

La queftion de la préfîdence des Syndics , dans les Tribunaux criminels fe rapporte au fécond cas. Croyez-vous qu'au fond le Confeil s'embarrafTe beaucoup que ce foient des Syn- dics ou des Confcillers qui préfident, depuis qu'il a fondu les droits des premiers dans tout le corps ? Les Syndics , jadis choifis parmi tout le Peuple (a) , ne l'étant plus que dans

(a) On poulToit fi loin l'attention pour qu'il n'y c;it dans ce choix ni cxclufion ni préférence autre <]uo celle du mérite, que par un Edit qui a été a- broyé deux Syndics dévoient toujours être pris dans le b-.is de la Ville &: dcui dans le haut.

l

151 N E U V I E M E

le Confeil ^ de chefs qu'ils ëtoient des auttes Magiftrats font demeure's leurs collègues, & vous avez pu voir clairement dans cette affai- re que vos Syndics j peu jaloux d'une autorité paflagere , ne font plus que des Confeillers. Mais on feint de traiter cette queftion commô importante , pour Vous diflraire de celle qui refl; véritablement , pour vous laiffer croire encore que vos premiers Magiflrats font tou- jours élus par vous , & que leur puifTancé eft toujours la même.

Laiffons donc ici ces quedions accefToires que, par la manière dont l'Auteur les traité on voit qu'il ne prend guère à cœur. Bor- nons-nous à pefer les raifons qu'il allègue en faveur du droit négatif auquel il s'attache avec plus de foin, &j)ar lequel feul, admis ou rejette, vous êtes efclaves ou libres.

L'art qu'il employé le plus adroitement pôui'

cela

I

L E T T R E. î^^

eela eft de réduire en propofitions générales un fyftême dont on verroit trop aifément Je foible b'il en faifoit toujours l'application. Pour vous écarter de l'objet particulier il flate votre amour -propre en étendant vos vues fur de grandes queftions , & tandis qu'il met ces quef- lions hors de la portée de ceux qu'il veut fé^ duire, il les cajole & les gagne en paroiffanc les traiter en hommes d'Etat. Il éblouit ainfi le peuple pour l'aveugler , & change en thefes de philofophie des queflions qui n'exigent que du bon fens, afin qu'on ne puifTe l'en dédire, & que ne l'entendant pas, on n'ofe le défa* vouer.

Vouloir le fuivre dans fes fophifmes abîlraits feroit tomber dans la faute que je lui reproche. D'ailleurs , fur des queflions ainfi traitées on prend le parti qu'on veut fans avoir jamais tort : Gar il entre tant d'élémens dans ces pro*

Pmic IL M

154 N E U V I E M E

pofr.ions, on peut les envifliger par tant de faces , qu'il y a toujours quelque côté fufcepti- ble de l'afpecl qu'on veut leur donner. Quand on fait pour tout je public en général un Li- vre de politique ,on y peut philofopher à fon aîfe: l'Auteur, ne voulant qu'être lu & jugé par les hommes inUruits de toutes les Nations & verll's dans la matière qu'il traite, abilraic & gënérallfe fans crainte ; il na s'appéfantic pas fur les détails élémentaires. Si je parlois à vous feul , je pourrois ufer de cette métho- de ; mais le fujet de ces Lettres intérefTe un peuple entier, compofé dans fon plus grand nombre d'hommes qui ont plus de fens & de jugement que de lefture & d'étude, & qui pour n'avoir pas Je jargon fcientifique n'en font que plus propres à faifir le vrai dans toute fa flmplicité. Il faut opter en pareil cas entre rimérêc de l'Auteur & celui des

Ë t t R Ë.

ï5.

Lccleu/s ^ & qui veut fe rendre plus uiile doit fe réfoudre à erre moins éblouifTant. .

Une autre fource d'erreurs ôc de faufles applications, ed d'avoir laifie les idées de ce droit négatif trop vagues trop inexactes; ce qui fert à citer avec un air de preuve ks exemples qui s'y rapportent le moins, à de'- tourner vos Concitoyens de leur objet par k pompe de ceux qu'on leur préfente^ à foule- ver leur orgueil contre leur raifon, & à ks confolcr doucement de n'être pas plus libres que les maîtres du monde. On fouille avec tîrudition dans l'obfcurité des fiécîes, on vous promené avec fade chez les Peuples de l'an* tiquité. On vous étale fucceflivement Athè- nes, Sparte, Rome, Carthage; on vous jette aux yeux le fable de la Lybie pour vous ehi- J)êcher de voir ce qui fe pafle autour de vous.

Qu'on fixe avec précifion, comme j'ai tâ- M 2

156 NEUVIEME

ché de faire , ce droit négatif, tel que pre'- tend l'exercer le Confeil ; & je foutiens qu'il n'y eut jamais un feul Gouvernement fur la terre le Légiilateur enchaîné de toutes manières par le corps exécutif, après avoir livré les Loix fans refende à fa merci , fut réduit à les lui voir expliquer, éluder, tranf- grefler à volonté, fans pouvoir jamais appor- ter à cet abus d'autre oppofition , d'autre droit, d'autre réfiftance qu'un murmure inu- tile & d'impuifTantes clameurs.

Voyez en effet à quel point votre Anony- me efl: forcé de dénaturer la queflion, pour y rapporter moins mal-à-propos fes exemples.

Le droit négatif ri étant pas , dit-il page iio, h poirooir de faire des Loix , mais d'empn'bey que tout le monde indijlinfteinent ne puijfe mettre en mouvement la piùffance qui fait les Loix , ^ ne donnant pas la facilité dlnnover, mais le poii"

LETTRE. 157

'Voir de s'oppofcr aux innovations , va àired^e^ ment au grand but que Je propofe une focïété politique , qui eft de Je conferver en confervant fa coriftitution.

Voila un droit négatif très raifonnable, & dans le fcns expofé ce droit efl en efFet une partie fi eiTencielle de la conflitution démocra- tique , qu'il feroic généralement impolTible qu'elle le maintint , fi la Puiflance Légiflative pouvoit toujours être mife en mouvement par chacun de ceux qui la compofent. Vous con- cevez qu'il n'eft pas difficile d'apporter des exemples en confirmation d'un principe aulïi certain.

Mais fi cette notion n'ed point celle du droit négatif en quefl;ion , s'il n'y a pas dans ce paflage un feul mot qui ne porte à faux par l'application que l'Auteur en veut faire, vous m'avouerez que les preuves de l'avanta- M3

i5B N E U V I E M E,

ge d'un droit négatif tout différent ne font pis fort concluantes en faveur de celui qu'il veut établir.

Le droit négatif nejl pas celui de faire des Lolx. Non , mais il efl: celui de fe palTer de Loix. Faire de chaque a6le de fa volonté un^ Loi particulière eft bien plus commode que de Cuivre des Loix générales , quand même on un feroit foi -même l'Auteur. Mais d'euipS' cher que tout le monde indifllnctement ne puljfe' mettre en mowoement la piiffance qui fait les Lolx. Il falloit dire au lieu de cela : mais d'en:- •pêcher que qui que ce folt ne pulffe protéger les Loix contre la puijjance qui les fubjugue,

' Oui ne donnant pas la facilité d'innover

Pourquoi non ? "Qui eft-ce qui peut empêcher d'innover celui qui a la force en main , & qui n'cft obligé de rendre compte de fa condui- re à perfonne? Mais le powvir d'' empêcher Ici

L E T T 11 E. 159

' Innova: î.:: s. Difons mieux,* le poirjoir d'emp^- xher quùrn ne s'oppofe aux innovations.

C'efb' ici , Monfieur , le fophifme le plus fubtilj & qui revient; le plus fbuvent dans l'é- rrit que j'e-xamine. Celai qui a la PuifFancc executive ifa jamais befoin d'innover par des aftions d'éclat. 11 n'a jamais befoin de con- ftater cette innovation par des a6les folemnels*. ÏI lui fufHc , dans l'exercice continu de fa pulf- fance de plier peu à peu chaque chofe à fa volonté, & cela ne fait jimais une fenfation bien forte.

Ceux au contraire qui ont Tœil afiez attentif & Tefprit aflez -pénétrant 'pour remarquer ce progrés & pour en prévoir la conféquence , n'ont ^ pour l'arrêter qu'un de ces deux partis à prendre; ou de s'oppofer d'abord à la pre- mière innovation qui n'efl: jamais qu'une ba- gatelle , (St alors on les traite de gens inquiets j' M 4

i6p NEUVIEME

brouillons , pointilleux , toujours prêts à cher- cher querelle;" ou bien de s'élever enfin conjcre im abus . qui fe. renforce , & alors on crie à rinnoyation. Je défie que, quoi que vos Mar gifcrats entreprennent, vous puiffiez en vous y oppcfant éviter à la fois ces deux repro- ches. Mais à choia; , préférez le premier. Cha- que fois que le Confcil altère quelque, ufage , il a fon but que perfijnne ne voit , & qu'il fe garde bien de montrer. Dans le doute, arrê- tez toujours toi^te Jiou veau , petite ou gran- de. Si les Syndics étoient dansl'ufa^e d'enu^er au Confeil du pied, droit, & qu'ils y vouluf- fept entrer du pied gauche, j'e d^ qu'il iaii- droit les en empêcher. .

Nous avons .ici la preuve bien fcnfible de la facilité de ^onclurre le pour &. le contre par la méthode que .iliit notre Auteur : car appli- quez au droit de Répréfcntation dès Citoyens,

LETTRE. i5i

ce .qu'il applique au droit négatif des Con- feiis , & vous trouverez que fa propofitioa générale convient encore mieux à votre ap- plication qu'à la Tienne. . Le droit de Répréfen- tatîon, direz- vous, tl étant -pas k droit de faire des Loix, mais d'empêcher que la puîjjance qui doit les adminiflrer ne les îranfgrejjc , S ne don^r nant pas le pouvoir d'innover mais de s'oppofer aux nouveautés , va directement au grand but que Je propofe une fociété politique ; celui de fe €onferver en confervant fa conflitution. N'efl- ce pas exaélement ce que les Répréfentans avoient à dire, & ne femble-t-il pas que l'Au- teur ait raifonné pour eux ? Il ne faut point que les mots nous donnent le change fur les idées. Le prétendu droit négatif du Confeil efl; réellement un droit pofitif, «& lepluspofî- tif même que l'on puifTe imaginer, puifqu'il rend le petit Confeil feul maître direfl & ab» M 5

i6^ N E U VIE M E

folu de l'Etat: & d2 toutes les Loix ; <i le drait de lleprérentation pris 'dans Ton vrai fens n'clt lui - même qu'un droit négatif. Il confiîle uniquement à empêcher la puilTanca executive de riert exécuter contre les Loix.

Suivons les- aveux de TAuteur fur les pro- pofltions qu'il préfente; avec trois mots ajou- tés , il aura pofé le mieux du monde votre ctat prcfent,

Commp.il li'y auroït 'point de liberté dans un Etat Je corps chargé de r exécution dés Loix^ auroit droit de les faire parler à fa famai/ie, puifqu il poîirroit faire exécuter comme des Loix fes vblontés les' plus tyranniques.

Voila, je penfe, un tableau d'après nature^ vous allez voir un tableau de fantaifie mis en ' oppofàtion^ " '

Il ri y aurait point aujfi de Gouvernement dans m Etat oh le Peuple ixerceroit fans rcgk ht '

LETTRE. 1(53

p'JJfûiice Légijfathe. D'accord; mais qui efli- çe qui a propofé que le peuple exerçât fan? Tegle h puifTance lcgiflativ<2 ?

Après avoir ainfi pofé un autre droit néga- tif que celui dont il s'agit- j l'Auteur s'inquiet-e beaucoup pour favoir l'on doit placer c^ droit: riégatlf dont il ne s'agit point, & il éiti- biiî. là-deiliis un principe qu'aflurément je ne 'conteflerai pas. C'efl ^ue, cette force négà^ tive peut fans inconvénient rêfider dans le Goih k}ernement , il fera de la nature"^' ^U bien de la (hofe quon l'y place. Puis viennent les exem^ pies, que je ne m'attacherai pas à' fuivré; par- ce qu'ils font trop éloignes de nous' & de tout point étrangers à la qutilion. ' Celui feul de l'Angleterre qui efî fous nos yeux & qu'il cite avec raifon comme un mo- ûd\e de la jufle balance des poùvoifs refpeC- tifs, mérite un moment d'exafn^n, <?c je ne

i54 NEUVIEME

me permets ici qu'après lui la comparaifon du petit au grand.

Malgré la pmjjance Royale , qui efi très gran- de , la Nation na pas craint de donner encore au Roi la voix négative. Mais comme il ne peut Je pajjer longtems de la puijjlmce Ugijlative , i^ quil ny aurait pas de fureté pour lui h ïirri- ter, cette force négative nefl dans le fait qu'un moyen d'arrêter les entreprifes de la puijfancc ïégijlatiiye , (^ le Prince, tranquille dans la pof- fejjion du poitVQir étendu que la Conflïtution lui ûffure fera inîéreffé à la protéger (b).

Sur ce raifonnement & fur l'appiication qu on en veut faire , vous croiriez que le pou- voir exécutif du Roi d'Angleterre eft plus grand que celui du Confeil à Genève que le droit négatif qu'a ce Prince efl: femblable à

:i) Page 117.

L E T T R E. i6s

celui qu'ufurpent vos Magiflrats , que votre Gouvernement ne peut pas plus fe pafTer que celui d'Angleterre de la puiflance légiflative, & qu'enfin l'un & l'autre ont le même intéfêc de protéger la conflitution. Si l'Auteur n'a pas voulu dire cela qu'a-t-il donc voulu dire, & que fait cet exemple à fon fujet?

C'efl: pourtant tout le contraire à tous é- gards. Le Roi d'Angleterre , revêtu par lés Loix d'une fi grande puiflance pour les proté- ger, n'en a point pour les enfreindre: perfon- ne en pareil cas ne lui voudroit obéir, chacun craindroit pour fa tête; les Miniflres Cux- mê- mes la peuvent perdre s'ils irritent le Parle- Tnent : on y examine fa propre conduite. Tout Anglois à l'abri des Loix peut braver la puïC- fance Royale ; le dernier du peuple peut exiger & obtenir la réparation la plus authentique s'il eft le moins du monde ofFenfé j Hippofé que le

j66 N' E U V J Ë m

1'.

jPrinCe ofât enfreindre la Loi dans h moindi^ chofe, rinfraclion feroit à i'indant reîcvce; i) ed: fans droic & feroit fàus pouvoir pour la foutenir.

Chez vous la Puiflance du petit Confeil eft abfolue à tous égards ; il ell le Miniflre ôc le Prince j la partie & le Juge tout •• à - la - fois : il ordonna & il exécute ; il cite^ il faifit , il emprifonne , il juge , il punit lui-même : il a la force en main pour tout faire ; tous ceux qu'il .employé font irrécherchables ; il tie rend icompte de fa conduite ni de la leur à perfon* tie ; il n'a rien à craindre du Légiflateur, aur quel il a feul droit d'ouvrir la bouche , & de- vant lequel il n'ira pas s'accufer. Il n'cH: ja* mais contraint de réparer fes injuftices, & tout ce que peut efpérer de plus heureux l'innocent qu*il opprime, c'efl d'échapper enfin fain & lîiuf, mais fans faîisfa6lion ni dédomajemenL

L E T T Pv E. 167

Jiigsz de cette différence par les faits les plus récens. On imprime à Londres un ouvra- ge violemment fatyrique contre les Miniflres ^ le Gouvernement, le Roi même. Les Impri- meurs font aiTêtés. La Loi n'autorife pas cet arrêt, un murmure public s'élève, il faut les relâcher. L'affaire ne finit pas : les Ouvriers prennent à leur tour le Magiffrat à partie, 6^ ils obtiennent d'immenfes dommages & in- térêts. Qu'on mette en parallèle avec cette affaire celle du Sieur Bardin libraire à Genè- ve; j'en parlerai ci -après. Autre cas ; il fait un vol dans la Ville; fans indice & fur des foupçons en l'air un Citoyen efl emprifon- contre les loix ; fa maifon efl fouillée , oa ne lui épargne aucun des affronts faits pour les malfaiteurs. Enfin fon innocence efb re- connue, il efl relâché, il fe plaint, on le îaif- fe dire , & tout efl fini.

i63 N E U V I E M E

Siippofons qu'à Londres j'eufle eu le mal- heur de déplaire à la Cour, que fans juflice & faiis raifon elle eut faifi le prétexte d'un de mes Livres pour le faire brûler & me décré- ter. J'aurois préfenté requête au Parlement comme ayant été jugé contre les Loix ; je l'aurois prouvé ; j'aurois obtenu la fatisfaftion îa plus authentique, & le juge eut été puni, peut-être cafle.

Tranfportons maintenant M. Wilkes à Ge- nève , difant, écrivant, imprimant, publiant contre le petit Confcil le quart de ce qu'il a dit, écrit, imprimé, public hautement à Lon- dres contre le Gouvernement la Cour le Prin- ce. Je n'affirmerai pas abfolument qu'on l'eut fait mourir, quoique je le pente; mais fûre- ment il eut été faid dans l'inllant même, &

dans peu très grièvement puni (c).

On

(c) La Loi mettant M. Wilkes à couvert de ce

LETTRE. Î60

On 1dira que M. Wilkes ëcoîc membre M corps lëgîflatif aaiis fon " pays ; " ôc nidî , iid î'ëtoîs-je pas^ àuflî dans mieii? 11 èfl vfài que l'Auteui^ des Lettrés veut qu'on n'ait àu° ciiri égard à' laqiiàlîté de Cito'yèn. Le^ rè^ gJes, dit-il, de la procédure font âf doivent étrç égales pour tous les hommes.: elles ne âérivenu pas, du droit de îâ Cité ; elles émanent du droit de Hnimaniîé (^).

Heureufement pour vous le fait n'eil pas vrai {e)y & quant à la maxime, c'efn fous

V'; .'ik-^-y •;"..* -^«L

côté , il a fallu pour l'inquiéter prendre un autr§ tQm: , & c'eft encore la Religion qu'on a fait inter- venir dans cette affaire.

(•(/) Page 54.

(jf) Le droit de recours à la grâce n'appartenoic par l'Edit .qu'aux Citoyens & Bourgeois ; mais pat leurs bons- offices ce droit & d'autres furent coui=< muniqués aux natifs & habitans , qui ^ ayant fait caufe communs avec eux , avoient befoin des mê- mes précautions pour leur fureté ; les étrangers en" font demeurés exclus. L'on fent auffi que le choix

Vmit lîc Pif

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des mots très honnêtes cacher un rophifme bien cruel. L'intérêt du Magiftrat, qui dans votre Etat le rend fouvent partie contre le Citoyen , jamais contre l'étranger , exige dans le premier cas que la Loi prenne des pré-

de quatre parens ou amis pour affifter le prévenu dans un procès criminel n'efl: pas fort utile à ces derniers; il ne l'efl: qu'à- ceux que le Magiflrat peut avoir intérêt de perdre, & à qui la Loi donne leur ennemi naturel pour Juge. Il eft étonnant même qu'après tant d'exemples efFrayans les Citoyens & Bourgeois n'aient pas pris plus de mefures pour la fiireté de leurs perfonncs, & que toute la matière criminelle refte, fans Edit* & fans Lois , prefque abandonnée à la difcrétion du Confeil. Un fervice pour lequel feul les Genevois & tous les hommes juftes doivent bénir à jamais les Médiateurs eft l'a- bolition de la queftion préparatoire. J'ai toujours fur les lèvres un rire amer quand je vois tant de beaux Livres, les Européens s'admirent & fefont compliment fur leur humanité, fortir des mêmes pays l'on s'amufe à difloquer & brifcr les mem- bres des hommes , en attendant qu'on fâche s'ils font coupables ou non. Je définis la torture un mo- yen prefque infaillible employé par le fort pour charger le foibie des crimes dont il le veut punir.

LETTRE. J7t

Cautions beaucoup plus grandes pour que l'ae- cufé ne foit pas condanné injuftement. Cette diftintlion n'eu; que trop bien confirmée par les faits. Il n'y a peut-être pas, depuis l'é- tablifTement de la République, un feul exem- ple d'un jugement injuile contre un étran- ger, & qui comptera dans vos annales com- bien il y en a d'injufles & même d'atroces contre des Citoyens? Du refte, il ell très vrai que les précautions qu'il importe de prendre pour la fureté de ceux-ci peuvent fans inconvénient s'étendre à tous les préve- nus , parce qu'elles n'ont pas pour but de fauver le coupable j mais de garantir l'inno- cent. C'efl pour cela qu'il n'efl: fait aucune exception dans l'article XXX du règlement," qu'on voit affez n'être utile qu'aux Genevois* Revenons à la comparaifon du droit négatif dans les deux Etats.

N 5

172 NEUVIEME

Celui du Roi d'Angleterre confifte en deux chofes ; à pouvoir feul convoquer & diflbu- dre le corps légillatif , &. k pouvoir rejetter les Loix qu'on lui propofe; mais il ne confiflà jamais à empêcher la puiflance légiflative de connoître des infra6lions qu'il peut faire à la Loi.

D'ailleurs cette force négative eft bien tem- pérée ; premièrement , par la Loi triennale (/) qui l'oblige de convoquer un nouveau Vailù- fnerit au bout d'un certain tems ; de plus , par fa propre néceffité qui Toblige à le laifTcr prefque toujours alTemblé (g) ; enfin , par le' droit négatif de la chambre des communes, qui en a, vis-à-vis de Tui-même , un non

(/) Dev'Cnue feptennale par une faute dont les Anglois ne font pas à fe repentir.

(g) Le Parlement n'accordant les fubfides que' pour une année, force aind le Roi de les lui rede- Biandcr tous les ans.

I

LETTRE. 173

inoins puiflant que le fien.

Elle efl: tempérée encore par la pleine au- torité que chacune des deux Chambres une fois aflemblées a fur elle-même ; foit pour propofer, traiter, difcuter, examiner les Loix & toutes les matières du Gouvernement; foit par la partie de la puilTance executive qu'el- les exercent & conjointement & féparément; tant dans la Chambre des Communes , qui ponnoit des griefs publics & des atteintes portées aux Loix, que dans la Chambre des Pairs, Juges fuprêmes dans les matières cri- minelles, & furtout dans celles qui ont rap-- port aux crimes d'Etat.

Voila, Monfieur, quel eft le droit négatif du Roi d'Angleterre. Si vos Magiftrats n'en réclament qu'un pareil , je vous confeille de ne le leur pas contefter. JNIais je ne vois point quel befoin , dans votre fituation préfente, N ^

174 NEUVIEME

ils peuvent jamais avoir de la puiflance le'gif- lative , ni ce qui peut les contraindre à la convoquer pour agir réellement , dans quel' que cas que ce puifTe être; puifque de nou- velles Loix ne font jamais nécelTaires à gens qui font au defliis des Loix, qu'un Gouver- nement qui fubfifle avec fes finances & n'a point de guerre n'a nul befibin de nouveaux impôts, & qu'en revêtant le corps entier du pouvoir des chefs qu'on en tire , on rend le choix de ces chefs prefque indifférent.

Je ne vois pas même en quoi pourroit les contenir le Légiflateur, qui, quand il exiile, n'exifle qu'un inflant, & ne peut jamais déci- der que Tunique point fur lequel ils Tinter-^ rogent.

Ileft vrai que le Roi d'Angleterre peut fai^ re la guerre & la paix ; rrtais outre que cette puilTançe efl; plus apparente que réelle , du

LETTRE. 175

moins quant à la guerre , j'ai déjà fait voir ci- devant & dans le Contra6l Social que ce n'efl pas de cela qu'il s'agit pour vous, & qu'il faut renoncer aux droits honorifiques quand on veut jouir de la liberté. J'avoue encore que ce Prince peut donner & ôter les places au gré de fes vues , & corrompre en détail le Légif- lateur. C'efl précifément ce qui met tout l'a- vantage du côté du Confeil , à qui de pareils moyens font peu néceffaires & qui vous en- chaîne à moindres frais. La corruption efl un abus de la liberté ; mais elle eft une preuve que la liberté exifle , & l'on n'a pas befoin de cor- rompre les gens que l'on tient en fon pouvoir : quant aux places , fans parler de celles dont le Confeil difpofe ou par lui-même , ou par le Deux-Cent , il fait mieux pour les plus impor- tantes ; il les remplit de fèi propres membres, ce qui lui eft plus avantageux encore j car oq N4

I7.j5 NEUVIEME

efl: toujours plus fur ue ce qu'on fait par fes mains que de ce qu'on fait par celles d'autrui. L'iiifloire d'Angleterre efl: pleine de preuves lie la réfillance qu'ont faite les Officiers ro- yaux à leurs Princes , quand ils ont voulu tranfgrefTer les Loix. Voyez fi vous trouverez chez vous bien des traits d'une réfiltance pa- reille faite au Confeil par les Officiers de l'E- tat , même dans les cas les plus odieux ? Qui- conque à Genève cH: aux gages de la Répu- blique cefle à l'inftant même d'être Citoyen ; il n'efc plus que l'efclave & le fateliite de^ vingt - cinq , prêt à fouler aux pied5 la Patrie & les Loix fitôt qu'ils l'ordonnent. Enfin la Loi , qui ne laifife en Angleterre aucune puif* fance au Roi pour mal faire, lui en donnç une très grande pour faire le bien ; il ne ps.- jfojt p^s que ce fuit de ce côté que le Confe^ çft ialou^ d'étçndre la fienne.

LETTRE. 177

Les Rois d'Angleterre affurés de leurs a- yantages font inte'refles à protéger la conflitu- tion préfente , parce qu'ils ont peu d'efpoir de la changer. Vos Magiftrats, au contraire ^ fûrs de fe fervir des formes de la vôtre pour en changer tout à fait le fond , font intérefles à conferver ces formes comme l'inflrument de leurs ufurpations. Le dernier pas dangereux qu'il leur refte à faire eft celui qu'ils font au- jourd'hui. Ce pas fait , ils pourront fe dire encore plus inte'refles que le Roi d'Angleterre ^ conferver la conflitution établie , mais par un motif bien différent. Voila toute la parité que je trouve entre fétat politique de l'Angle- terre & le vôtre. Je vous laifle à juger dans lequel efl la lib.erié^

Après cette comparaifon , l'Auteur, qui fe pîait à vous préfenter de grands exemples , yous offre celui de l'ancienne Rome. Il lu| N 5

178 N E U V I E M E

reproche avec dédain fes Tribuns brouillons & féditieux : Il déplore amèrement fous cette orageufe adminiflration le trifle fort de cette ïnalheureufe Ville, qui pourtant n'étant rien encore à l'éreflion de cette^ Magiflrature , eut fous elle cinq cents ans de gloire & de profpérités , & devint la capitale du mon- de. Elle finit enfiji parce qu'il faut que tout finifle ; elle finit par les ufurpations de fcs Grands , de fes Confuls , de fes Généraux qui l'envahirent : elle périt par l'excès de fa puif- fance ; mais elle ne l'avoit acquife que par la tonte de fon Gouvernement. On peut dire en ce fens que fes Tribuns la détruifirent (h).

(b) Les Tribuns ne fortoient point de la Ville; ils n'avoient aucune autorité hors de fes murs; auffi les Confuls pour fe fouftraire à leur infpcdion te- noient-ils quelquefois les Comices dans la campagne. Or les fers des Romains ne furent point forgés dans Rome, mais dans fcj armées , & ce fut par leurs

LETTRE. 179

Au relie je n'excufe pas les fautes du Peu- ple Romain , je les ai dites dans le Contra6l

conquêtes qu'ils perdirent leur liberté. Cette per- te ne vint donc pas des Tribuns.

Il eft vrai que Ce far fe fervit d'eux comme Syl- la s'étoit fervi du Sénat ; chacun prcnoit les mo- yens qu'il jugeoit les plus prompts ou les plus fûrs pour parvenir : mais il falloit bien que quelqu'un parvint, & qu'importoit qui de Marius ou de Syl- h, de Céfar ou de Pompée, d'Oétave ou d'Antoinci fut l'ufurpateur ? Quelque parti qui l'emportât Tu- furpation n'en étoic pas moins inévitable ; il falloit des chefs aux Armées éloignées , & il étoit fur qu'un de ces chefs deviendroit le maître de l'Etat; Le Tribunat ne faifoit pas à cela la moindre chofe.

Au refte, cette même fortle que fait ici l'Auteur des Lettres écrites de la Campagne fur les Tribuns du Peuple, avoit été déjà faite en 1715 par M. do Chnpeaurouge Confciller d'Etat dans un Alcmoirc contre l'OfScc de Procureur général. M. Louis Le? Fort, qui rempIifToit alors cette charge avec éclat, lui fit voir dans une très belle lettre en réponfe à ce Mémoire, que le crédit & l'autorité des Tribuns avoient été le falut de la République, & que fa dcf. trublion n'étoit point venue d'eux , mais des Coii' fuis. Sûrement le Procureur général Le Fort no prévoyoit guercs par qui feroit renouvelle de nos jouis fcntimenc qu'il réfutoit fi bien.

i8o N E U V I E M E

Social ; je l'ai blâmé d'avoir ufarpé la puif- fance executive qu'il devoit feulement conte- nir (f). J'ai montré fur quels principes le Tri- bu nat devoit être inllitué , les bornes qu'on devoit lui donner, & comment tout cela fe pouvoic faire. Ces règles furent mal fuivies a Rome ; elles auroient pu l'être mieux. Toute- fois voyez ce que fit le Tribunat avec fes a- bus, que n'eut-il point fait bien dirigé ? Je vois peu ce que veut ici l'Auteur des Lettres: pour conclurre contre lui - même j'aurois pris le même exemple qu'il a choifi.

Mais n'allons pas chercher fi loin ces illuf- tres exemples , fi fafl:ueux par eux-mêmes, & fi trompeurs par leur application. Ne laifiez point forger vos chaînes par l'amour - propre.

(0 Voyez le Contract Social Livre IV, Chap. V. Je crois qu'on trouvera dans ce Chapitre qui ell fort court , quelques bonnes maximes Tur cett;e matière.

L E T T R E. iSi

Trop petits pour vous comparer à rien , ref- t^z en vous-mêmes , & ne vous aveuglez ^oint far votre pofition. Les anciens Peuples lie font plus un modèle pour les modernes ; ils leur font trop étrangers à tous égards. Vous Itirtout, Genevois, gardez votre place, & n'allez point aux objets élevés qu'on voua préfente pour vous cacher l'abyme qu'on creu^ fe au devant de vous. Vous n'êtes ni Ro- mains, ni Spartiates; vous n'êtes pas même Athéniens. Laiflez-là ces grands noms qui ne vous vont point. Vous êtes des Marchands» des Artilans, des Bourgeois, toujours occu- pés de leurs intérêts privés de leur travail de leur trafic de leur gain ; des gens pour qui la liberté même n'eft qu'un moyen d'acquérir fans obftacle & de polTéder en fureté.

Cette fituation demande pour vous des ma"-» xime« particulières. N'étant pas oiflfs com^'

1^2 NEUVIEME

m2 étoient les anciens Peuples ^ vous ne pou° vez comme eux vous occuper fans cefTe du Gouvernement mais par cela même que vous pouvez moins y veiller de fuite, il doit être inftitué de manière qu'il vous foit plus aifé d'en voir les manœuvres & de pourvoir aux abus. Tout foin public que votre intérêt exi- ge doit vous être rendu d'autant plus facile à remplir que c'eft un foin qui vous coûte & que vous ne prenez pas volontiers. Car vouloir vous en décharger tout- à -fait c'efl vouloir cefler d'être libres» Il faut opter, dit le Philofophe bicnfaifant , & ceux qui ne peuvent fupporter le travail n'ont qu'à cher* cher le repos dans la fervitude.

Un peuple inquiet défœuvré remuant, &, faute d'affaires particulières toujours prêt à fe mêler de celles de FEtat, a befoin d'être contenu, je le fais; mais encore un coup la

LETTRE. 183

Bourgeoifie de Genève efl-elle ce Peupîe-Ià? Rien n'y reflemble moins; elle en efl: l'anti- pode. Vos Citoyens , tout abforbés dans leurs occupations domefliques & toujours froids fur le refte, ne fongent à l'intérêt public que quand le leur propre efl attaqué. Trop peu foigneux d'éclairer la conduite de leurs chefs, ils ne voyent les fers qu'on leur prépare que quand ils en fentent le poids. Toujours dif- traits , toujours trompés , toujours fixés fur d'autres objets , ils fe laiffent donner le change fur le plus important de tous, & vont tou- jours cherchant le remède , faute d'avoir lîi prévenir le mal. A force de compafîcr leurs démarches ils ne les font jamais qu'après coup. Leurs lenteurs les auroient déjà perdus cent fois fi l'impatience du Magiflrat ne les eut fauves, & fi, prefle d'exercer ce pouvoir fu- prême auquel il afpire , il ne les eut lui-même avertis du danger.

ï84 NEUVIEME

Suivez î'hiftorique de votre Gouvernement , vous verrez toujours le Confeil , ardent dans les entreprifes , les manquer le plus fouvenc par trop d'emprefîement à les accomplir , & vous verrez toujours la Bourgeoifie revenir en- èn fur ce qu elle a lailTé faire fans y mettre oppofition.

En 1570. l'Etat ëtoît obéré de dettes & af- àîgé de plufleurs fléaux. Comme il étoit maK aifé dans la circonftancé d'aiTembler fôuvent le Confeil général , on y propofé d'autorifer les Confcils de pourvoir aux befoiris préfens: la propofition pafle. Ils partent de - pour s'ar-» ifoger le droit perpétuel d'établir des impôts , '& pendant plus d'un fiécle on les laifle faire fans ia mdindre oppofition.

En 1714. on fait par des vues fecrettes (^')

fen-

(k) II en a été parle ci-devant.

LETTRE. 185

Tentreprife immenfe & ridicule des fortifica- tions , fans daigner confulter le Confeil géné- ral, & contre la teneur des Edits. En confé- qaence de ce beau projet on établit pour dix ans des impôts fur lefquels on ne le confu'te pas davantage. Il s'élève quelques plaintes j on les dédaigne ; & tout fe tait.

En 1725 le terme des impôts expire; il s'a- git de les prolonger. Cétoit pour la Bourgeoi- fie le moment tardif mais nécefTaire de reven- diquer fon droit négligé fi longtems. Mais la pefte de Marfeiile & la Banque royale ayant dérangé le commerce , chacun occupé des dan- gers de fa fortune oublie ceux de ù liberté. Le Confeil , qui n'oublie pas fes vues , renou- velle en Deux-Cent les impôts , fans qu'il foie queflion du Confeil général.

A l'expiration du fécond terme les Citoyens fe réveillent, Ôc après cent foixante ans d'in-

Partie IL O

1^6 NEUVIEME

dolence, ils réclament enfin tout de bon leur droit. Alors au lieu de céder ou temporifer, on tranie une confpiration (/). Le complot fc

(i) Ils'agifToit de former, par une enceinte bar- ricadée , une efpece de Citadelle autour de l'éléva- tion fur laquelle efl: l'Hôtcl-dc- Ville , pour aflervir de -là tout le Peuple. Les boiï déjà préparés pour cette enceinte, un plan de difpofition pour la gar- nir, les ordres donnés en conféquencc aux Capitai- nes de la garnifon, des tranfports de munitions & d'armes de l'Arfenal à l'Hôtcl-de-Ville , le tampon- nement de vingt-deux pièces de canon dans un bou- levard éloigné , le tranfmarchement clandcftin de pluficurs autres ; en un mot tous les apprêts de la plus violente entrcprife faits fans l'aveu des Con- feils par le Syndic de la garde & d'autres Magif- trats , ne purent fuffire , quand tout cela fut décou- vert, pour obtenir qu'on fit le procès aux coupa- bles , ni môme qu'on improuvât nettement leur projet. Cependant la Bourgoifie, alors maîtrcffe de la Place, les laiflfa paifiblement fortir fans troubler leur retraite , fans leur faire la moindre infulte, fans entrer dans leurs maifons, fans inquiéter leurs familles , fans toucher à rien qui leur appartint. En tout autre pays le Peuple eut commencé par maf- facrcr ces confpirateurs, ^ mettre leurs maifons au pillage.

1 È T t R Ë. ÏÉf

découvre ; les Bourgeois font forcés de pren- dre les armes, & par cette violente entreprifé 1g Confeil perd en un moment un fiécle d'à- furpation.

A peine tout femble pacifié que , ne pou- vant endurer cette efpece de défaite, on for- me un nouveau complot. Il faut derechef re- courir aux armes j les Puiflances voifines in- terviennent ^ & les droits 'mutuels font enfin réglés.

En 1650. les Confeils inférieurs introduifent dans leurs corps une^ manière de recueillir les fuifrages, meilleure que celle qui efl établie, mais qui n'efi: pas conforme aux Edits. On continue en confeil général de fuivre fancien- ne fe gliffent bien des abus , & cela dure cinquante ans & davantage , avant que les Citoyens fongent à fe plaindre de la contra- vention ou à demander l'introduction d'un pa- O 2

i88 NEUVIEME

reil ufage dans le Confeil dont ils font mem- bres. I!s la demandent enfin , & ce qu'il y a d'incroyable efl: qu'on leur oppofe tranquille- ment ce même Edit qu'on viole depuis un demi- ficelé.

En 1707. un Citoyen efl jugé clandefline- ment contre les Loix , condanné , arquebufé dans la prifon, un autre efl pendu fur la dépo- jQtion d'un feul faux-témoin connu pour tel, un autre efl trouvé mort. Tout cela pafle, & il n'en efl plus parle qu'en 1734. que quel- qu'un s'avife de demander au Magiflrat des nouvelles du Citoyen arquebufé trente ans auparavant.

En 1736 on érige des Tribunaux criminels fans Syndics. Au milieu des troubles qui ré- gnoient alors , les Citoyens , occupés de tant d'autres affaires , ne peuvent fonger à tout. En 1758. on répète la même manœuvre j celui

LETTRE. 1H9

qu'elle regarde veut fe plaindre ; on le fait tai- re, & tout fe tait. En 1762. on la renouvel- le-encore (/;?) : les Citoyens fe plaignent enfin

(ni) Et à quelle occadon ! Voib. une inquifition d'îLtat à faire fr^^mir. Eil-il concevable que dnns un , pays libre on punifTe criminelleinent un Cicoyen pour avoir , dans une lettre à un autre Citoyen noa imprimée , raifonné en termes décens & mefurés fur la conduite du Magi;b-at envers un troificme Citoyen ? Trouvez-vous des exemples de violences pareilles dans les . Gouvernemens les plus abfolus ? A la retraite de M. de Silhouette je lui écrivis u- ne .Lettre qui courut Paris. Cette Lettre étoit d'une hardielTe que je ne trouve pas moi-même exempte de blâme; c'ed: peut-jtre la feule chofe répréhenfi- ble que j'aye écrite en ma vie. Cependant m'a-t-011 dit le moindre mot ce fujet ? On n'y a pas mi- me fongé. Eii France on punit les libelles; on fait très bien ; mais on laifTc aux particuliers une liber- té honnête de raifonncr entre eux fur les affaires publiques , à il eft inoui qu'on ait cherché querelle à quelqu'un pour avoir , dans des lettres redises manufcritcs , dit fon avis ,' fans fatyre & fans in- vcftive, fur ce qui fe fait dans les Tribunaux. A- prcs avoir tant aimé le Gouvernement républicain' faudra t-il changer de fentiment dans ma vieilleiTe, & trouver enfin qu'il y a plus de véritable liberté dans les Moijarchies que dans nos Républiques?

03

Î9© N E U V I E M E

l'année fuivante. Le Confeil répond ; vous ve^ jiez trop tard ; l'ufage efl établi.

En Juin 1762. un Citoyen que le Confeil avoit pris en haine efl; flétri dans Tes Livres, & perfonnelleinent décrété contre l'Edit le plus formel. Ses parens étonnés demandent par requête communication du décret ; elle leur efl: refufée, & tout fe tait. Au bout d'un an d'attente le Citoyen flétri voyant que nul ne proteile renonce à fon droit de Cité. La Bour- geoifie ouvre enfin les yeux & réclame contre ]a violation de la Loi : il n'étoit plus tems.

Un fait plus mémorable par fon efpece, (Quoiqu'il ne s'agifl!e que d'une bagatelle efl celui du Sieur Bardin. Un Libraire commet à fon correfpondant des exemplaires d'un Li- vre nouveau; avant que les exemplaires ar- rivent le Livre efl: défendu. Le Libraire va, déclarer au Magifl:rat ia commiflion , ôi àc'.

LETTRE. 191

mander ce qu'il doit faire. On lui ordonne d'avertir quand les exemplaires arriveront; ils arrivent , il les déclare , on les faifit ; il at- tend qu'on les lui rende ou qu'on les lui paye,- on ne fait ni l'un ni l'autre: il les re- demande , on les garde. Il préfente requête pour qu'ils foient renvoyés, rendus, ou pa- yés : On refufe tout. Il perd {es Livres , & ce font des hommes publics chargés de punir le vol, qui Ijs ont gardés.

Qu'on pefe bien toutes les circonflanceu de ce fait , & je doute qu'on trouve aucun autre exemple femblable dans aucun Parle- ment , dans aucun Sénat , dans aucun Con- feil , dans aucun Divan , dans quelque Tribu- nal que ce puifTe être. Si l'on vouloit attaquer le droit de propriété fans raifon fans prétexte & jufques dans fa racine , il feroit impofTiblc de s'y prendre plus ouvertemeiu. Cependant 04,

ICJ2 NEUVIEME

l'affaiire pafle, tout le inonde fe tait> & fans des griefs plus graves il n'eut jamais été quefdon de celui-là. Combien d'autres font refiés dans l'obfcurité faute d'occafions pour les mettre en évidence?

Si l'exemple précédent efh peu important en lui-même , en voici un d'un genre bien différent. Encore un peu d'attention, Mon-^ ficur, pour cette affaire, & J3 fupprime tou- tes celles que je pourvois ajoCitcr.

Le 20 Novembre 1763 au Canfeil général alTemblé pour l'éleftion du Lieutenant & da •Tréforier , les Citoyens remarquent une dif- férence entre l'Edit imprimé qu'ils ont & l'E- dit manufcrit dont un Secrétaire d'Etat fiiit le6lure , en ce que Téleclion du Tréforier doit par le prçmier fe faire avec celle des Syndics, & par le fécond avec celle du Lieu- tenant. Ils remarquent, de plus, que l'élec-

LETTRE. ip3

tion du Tréforier qui félon l'Elit doit fe fai- re tous les trois ans, ne fe fait que tous les fix ans félon l'ufage , <Sc qu'au bout des trois ans on fe contente de propofer la confirma- tion de celui qui efl: en place.

Ces différences du texte de la Loi entre le Manufcrit du Confeil & l'Edit imprimé, qu'on n'avoit point encore oblervées, en font remarquer d'autres qui donnent de l'inquiétu- de fur le refle. Malgré l'expérience qui ap- prend aux Citoyens l'inutilité de leurs Ré- préfentations les mieux fondées , ils en font à ce fujet de nouvelles , demandant que le texte original des Edits foit dépofé en Chan- cellerie ou dans tel autre lieu public au choix du Confeil, l'on puilTe comparer ce tex«« te avec l'imprimé.

Or vous vous rappellerez, Monfieur, que par TArticle XLII de fEdit de 1738 il efl: dit O5

19+ N E U V ï E M E

qu'on fera imprimer an plutôt un Code gé- néral des Loix de l'Etat, qui contiendra tous les Edîts & Rcglemens. Il n'a pas encore été qucftion de ce Code au bout de vingt Çix ans, & les Citoyens ont gardé le filence (ji). Vous vous rappellerez encore que, dans un Mémoire imprimé en 1745, un membre prof- crit des Deux- Cents jetta de violens foupçons fur la fidélité des Edits imprimés en 171 3 & réimprimés en 1735 , deux époques égale-

(n) De quelle excufe de quel prétexte peut-on couvrir rinobTervation d'un Article aufîî exprès & auflî important ? Cela ne' fe conçoit pas. Quand par hazard on en parle à quelques Magiflrats en converfation , ils répondent froidement. Chaque E- dit particulier eji imprimé , rajjemblez - les. Comme fi l'on étoic fur que tout fut imprimé , & comme fi le ïecueil de ces chiffons formoit un corps de Loix complet, un code général revêtu de l'authenticité requife & tel que l'annocc l'Article XLII ! Eft-ce ainfi que ces Meflîeurs rempliOTent un engagement aufil formel ? Quelles conféquences finilhes ne pourroit-on pas tirer de pareilles omiflions ?

LETTRE. igs

ment fufpeftes. Il dit avoir coUationné fur des Edits maiiufcrits ces imprimés, dans les- quels il affirme avoir trouvé quantité d'erreurs dont il a fait note, & il rapporte les propres termes d'un Edit de 1556, omis tout entier dans l'imprimé, A des imputations fi graves le Confeil n'a rien répondu, & les Citoyens ont gardé le lilence.

Accordons , il l'on veut , que la dignité du Confeil ne lui permettoit pas de répondre a- lors aux imputations d'un profcrit. Cette mê- me dignité, l'honneur compromis, la fidélité fufpeftée exigeoient maintenant une vérifica- tion que tant d'indices rendoieiît néceffaire, & que ceux qui la demandoient avoient drois d'obtenir.

Point du tout. Le petit Confeil juflifîe le changement fait à l'Edit par un ancien ufage- iu(|uel le Confeil général ne s'étant pas op-

iç6 NEUVIEME

pofé dans Ion origine n'a plus droit de s*op- pofer aujourd'hui.

Il donne pour raifon de la difFérence qui efl entre le Manufcrit du Confeil & l'impri- mé, que ce Manufcrit efl un recueil des E- dits avec les changemens pratiqués, & con- lèntis par le filence du Confeil général ; au lieu que l'imprimé n'efl; que le recueil des mêmes Edits, tels qu'ils ont palTé en Confeil général.

Il juftifie la confirmation du Tréforier con- tre l'Edit qui veut que l'on en élife un au- tre, encore par un ancien ufage. Les Cito- yens n'appevçoivent pas une contravention aux Edits qu'il n'autorife par des contraven- tions antérieures : ils ne font pas une plainte qu'il ne rebute , en leur reprochant de ne s'être pas plaints plutôt.

Et quant à la communication du texte ori-

LETTRE. 197

ginaî des Loîx , elle eft nettement refufée (0) ; foit comme étant contraire aux règles; foit par- ce que les Citoyens & Bourgeois ne dokent

(0) Ces refus fi durs k fi fùrs à toutes les Ré-

préfentations les plus raifonnables & les plus juftes paroiffent peu naturels. Eft-il concevable que le Confeil de Genève , compofé dans fa majeure par- tie d'hommes éclairés & judicieux, n'ait pas fenti le fcandale odieux & même elFraj^ant de refufer à des hommes libres, à des membres du Légiflateur, la communication du texte authentique des Loix, & de fomenter, ainfi comme à plaifir des foupçons pro- duits par l'air de myftere & de ténèbres dont il s'enviroiiije fans ceiTe à leurs yeux? Pour moi, je penche à croire que ces refus lui coûtent, mais qu'il s'efl prefcrit pour règle de faire tomber l'ufa- ge de? Répréfentaùons , par des réponfes conllam- ment négatives. En effet eft-il à préfumer que les hommes les plus patiens ne fe rebutent pas de de* mander pour ne rien obtenir ? Ajoutez la propofi- tion déjà faite en Deux-Cent d'informer contre les Auteurs des dernières Rcpréfentations , pour avoir ufé d'un droit que la Loi leur donne. Qui voudra déformais s'expofer à des pourfuites pour des dé- jnarchcs qu'on fait d'avance être fans fuccès V Si c'eft le plan que s'tft fait le petit Confeil, il faut avouer qu'il le fuit très bien.

tpS NEUVIEME

cowioître d'autre texte des LoLv que le texti imprimé , quoique le petit Confeil en fuive un autre & le fafle fuivre en Confeil général (p).. U eft donc contre les règles que celui qui a pafle un a6le ait communication de l'origi- nal de cet a6le , lorfque les variantes dans les copies les lui font foupçonner de falfification ou d'incorreflion , & il efl: dans la règle qu'on ait deux différens textes des mêmes Loix , l'un pour les particuliers & l'autre pour le Gouvernement ! Ouïtes-vous jamais rien de femblable? Et toutefois fur toutes ces décou- vertes tardives, fur tous ces refus révokans, les Citoyens , éconduits dans leurs demandes les plus légitimes , fe taifent, attendent, & demeurent en repos.

(p) Extrait des Regiflres du Confeil du 7. Dé- cembre 1763 en réponfe aux Répréfentations ver- baies faites le 21 Novembre par fix Citoyens ov. JRourii:eois.

LETTRE. 199

Voila , Monfieur , des faits notoires daffs votare Ville , & tous plus connus de vous que de moi ; j'en pourrais ajouter cent autres, fans compter ceux qui me font échapés. Ceux- ci fuffiront pour juger fi la Bourgeoifie de Genève eft ou fut jamais, je ne dis pas re* muante & féditieufe, mais vigilante, attenti- ve , facile à s'émouvoir pour défendre Tes droits les mieux établis & le plus ouverte- ment attaqués?

On nous dit qu'««^ Nation vive, îngénîeuft ^ très occupée de fes droits politiques aiiroit un extrême befoin de donner à fou Gouvernement une force négative (q). En expliquant cette force négative on peut convenir du princi- pe; mais oft-ce à vous qu'on en veut faire l'application? A-t-on donc oublié qu'on voua

(q) Page 170,

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ctenne ailleurs plus de fang-froid qu'aux autres Peuples (r) ? Et comment peut- on dire que celui de Genève s'occupe beaucoup de fes droits politiques , quand on voit qu'il ne s'en occupe jamais que tard , avec répugnance , & feulement quand le pe'ril le plus prelTant l'y contraint ? De forte qu'en n'attaquant pas fi brufquement les droits de la Bourgeoifie, il ne tient qu'au Confeil qu'elle ne s'en occupe jamais.

Mettons un moment en parallèle les deux partis pour juger duquel l'aclivité ell le plus à craindre, & doit être placé le droit négatif pour modérer cette a6livité.

D'un côté je vois un peuple très-peu nom- breux , paifible & froid , compofé d'hommes

labo-

(r) Page 154.

LETTRE. 201

laborieux, amategrs du gain, fournis pour leur propre intérêt aux Loix & à leurs Miniftres , tout occupés de leur négoce ou de leurs mé- tiers ; tous , égaux par leurs droits & peu diftingués par la fortune, n'ont entre eux ni chefs ni cliens ; tous , tenus par leur com- merce par leur état par leurs biens dans une grande dépendance du Magiftrat , ont à le ménager; tous craignent de lui déplaire; s'ils veulent fe mêler des affaires publiques c'eft toujours au préjudice des leurs. Dillraits d'un côté par des objets plus intérelFans pour leurs familles; de l'autre, arrêtés par des con- iîdérations de prudence , par l'expérience de tous Iqs tems , qui leur apprend combien dans un auffi petit Etat que le vôtre tout pr^rti- culier efl: inceflamment fous les yeux du Con- feil il efl: dangereux de l'offenfer, ils font por- tés par les raifons les plus fortes à tout facri- Parîic IL P

202 NEUVIEME

fier à la paix ; car c efc par ^le feule qu'ils peu- . vent profpérer ; & dans cet état de chofes chacun trompé par fon intérêt privé aime en- core mieux être protégé que libre, & fait fa cour pour faire fon bien.

De l'autre côté je vois dans une petite Ville, dont les affaires font au fond très peu de chofe, un corps de Magiflrats indépendant & perpétuel, prefque oifif par état, faire fa principale occupation d'un intérêt très grand, & très naturel pour ceux qui commandent, c'efl d'accroitre inceffamment fon empire ; car l'ambition comme l'avarice fe nourrit de fes avantages , & plus on étend fa puiffance , plus on cil dévoré du défir de tout pouvoir. Sans ce fie attentif à marquer des diftances trop peu fenfiblcs dans fes égaux de naiffance , il ne voit en eux que fcs inférieurs , & brûle d'y xroÏT fcs fujcts, Armé de toute la force publi-

L E T T R E. ' 2Ô|

que, dépofitaire de toute l'autorité, interprêr<5 & dirpenfateur des Loix qui le gênent , il s'en fait une arme ofFenfive & défenfive , qui le rend redoutable , refpeÊlable, facré pour tous ceux qu'il veut outrager. C'eft au nom même de la Loi qu'il peut la tranfgrefTer impuné- ment. Il peut attaquer la conditution en fei- gnant de la défendre ; il peut punir comme un rebelle quiconque ofe la défendre en efFet* Toutes les entreprifes de ce corps lui devien- nent faciles ; il ne laifle à perfônne le droit de les arrêter ni d'en connoître: il peut agir , dif- férer , fufpendre ; il peut féduire effrayer pu- nir ceux qui lui réfiftent, & s'il daigne em- ployer pour cela des prétextes , c'eft plus par bienféance que par nécefîîté. Il a donc la vo- lonté d'étendre fa puiflance , & le moyen de parvenir à tout ce qu'il veut. Tel efl: l'état re- latif du petit Confeil &. de la Bourgeoifie d3 P à

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Genève. Lequel de ces deux corps doit avoir le pouvoir négatif pour arrêter les entreprifes de l'autre ? L'Auteur des Lettres affure que c'efl le premier.

Dans la plupart des Etats les troubles inter- nes viennent d'une populace abrutie & ftupi- de , échauffée d'abord par d'infuppor tables vexations , puis ameutée en fccret par des brouillons adroits , revêtus de quelque autorité qu'ils veulent étendre. Mais eft-il rien de plus faux qu'une pareille idée appliquée à la Bour- geoifie de Genève, à fa partie au moins qui fait face à la puiflance pour le maintien des Loix? Dans tous les tems cette plrtie a tou- jours été l'ordre moyen entre les riches & les pauvres, entre les chefs de l'Etat & la popu- lace. Cet ordre, compofé d'hommes à-peu- près égaux en fortune, en état, en lumières, n'cfl ni afTez élevé pour avoir des prétentions.

LETTRE. 205

ni affez bas pour n'avoir rien à perdre. Leur grand intérêt leur intérêt commun efl: que les Loix foient oblcrvées, les Magiflrats refpec- tés, que la conftitution fe foutienne & que l'Etat foit tranquille. Perfonne dans cet ordre ne jouît à nul égard d'une telle fupériorité fur les autres qu'il puilTe les mettre en jeu pour fon intérêt particulier. C'ed la plus faine partie de la République, la feule qu'on foit af- furé ne pouvoir dans fa conduite fe propofer d'autre objet que le bien de tous. Aufli voit- on toujours dans leurs démarches communes une décence, une'modeftie, une fermeté ref» peélueufc , une certaine gravité d'hommes qui fe fentent dans leur droit & qui fe tiennent dans leur devoir. Voyez , au contraire , de quoi l'autre parti s'étaye ; de gens qui na- gent dans l'opulence, & du peuple le plus ab^ jet. Eft-ce dans ces deux extrêmes , l'un fait P3

5GÔ

NEUVIEME

pour acheter l'autre pour fe vendre , qu'on,

doit chercher l'amour de la juftice & des loix ?.

C'eft par eux toujours que TEtat dégénère: Le

riche tient la Loi dans fa bourfe , & le pauvre

aime mieux du pain que la liberté. Il fuffit de

comparer ces deux partis pour juger lequel

doit porter aux Loix la première atteinte ; &

cherchez en effet dans votre hiftoire il tous i.

^es complots ne font pas toujours venus du cô- ^ de la Magiflrature , & û jamais les Cito- yens ont eu' recours à la force que lorfqu il l'a fellu pour s'en garantir ?

On raille, fans doute, quand, fur les confë- quences du droit que réclament Vos Concito- yens , on vous répréfente l'Etat en proye à la brigue, à la fédu6tion , au premier venu. Ce droit négatif, que veut avoir le Confeil fut in- connu jufqu'ici; quels maux en efl-il arrivé?; Il en fut arrivé d'affrenx s'il eut voulu s'y te-

'LETTRE. 207

nlr quand la Bourgeoifie a fait valoir le fien. Rétorquez l'argument qu'on tire de deux .cents ans de profpérité ; que peut-on répondre ? Ce Gouvernement, direz - vous , établi par le tems, foutenu par tant de titres , autorifé par un fi long ufage , confacré par fes fuccès , & le droit négatif des Confeils fut toujours ignoré, ne vaut-il pas bien cet autre Gouver- nement arbitraire, dont nous ne connoifTons encore ni les propriétés, ni Tes rapports avec notre bonheur, âc la rai (on ne peut nous montrer que le comble de notre mifere ?

Suppofer tous les abus dans le parti qu'on attaque & n'en fuppofer aucun dans le fien, efl un fophifme bien groffier & bien ordinai- re, dont tout homme fenfe doit fe garantir. 11 faut fuppofer des abus de part & d'autre , parce qu'il s'en gliffe par tout ; mais ce n'efl: fjiis à dire qu'il y ait égalité dans leurs coCf

f4

20g N E U V I E M E

féquences. Tout abus efl un mal, fouvent iné- vitable , pour lequel on ne doit pas profcrire ce qui ed bon en foi. . Mais comparez , & vous trouverez d'un côté des maux fûrs , de» maux terribles fans borne & fans fin ; de l'au- tre l'abus même difficile , qui s'il efl grand fera pafTager, &. tel, que quand il a lieu ri portç toujours avec lui fon remède. Car encore une fois il n'y a de liberté poffible que dans roti- fervation des Loix ou de la volonté généra- le, & il n'efl pas p^.us dans la volonté géné- rale de nuire à tous , que dans la volonté particulière de nuire à foi-même. Mais fup- pofons cet abus de la liberté aufTi naturel que l'abus de la puifTance. Il y aura toujours cette différence entre l'un & l'autre, que l'abus de la liberté tourne au préjudice du peuple qui en abufe, & le punifTant de fon propre tort k force à en chercher le remède;, àinfi de ce

LETTRE. 209

côté le mal n'efl: jamais qu'une crife , il ne peut faire un état permanent. Au lieu que l'abus de la puilTance ne tournant point au préjudice du puifTant mais du foible, eft par fa nature fans mefure fans frein fans limites: Il ne finit que par la deflru6tion de celui qui feul en refTent le mal. Difons donc qu'il faut que le Gouvernement appartienne au petit nombre , l'infpeftion fur le Gouvernement à la généralité , & que fi de part ou d'autre l'abus efl inévitable , il vaut encore mieux qu'un peuple foit malheureux par fa faute qu'opprimé fous la main d'autrui.

Le premier & le plus grand intérêt public eft toujours la juftice. Tous veulent que les conditions foient égales pour tous, & la juf- tice n'efl que cette égalité. Le Citoyen ne veut que les Loix & que l'obfervation des Loix. Chaqi^ particulier dans le peuple fait

p 5

2ïo N E U V I E M E

bien que s'il y a des exceptions, elles ne fe- ront pas en fa faveur. Ainfi cous craignent les -exceptions, & qui craint les exceptions aime ia Loi. Chez les Chefs c'efl toute autr^ chofe : leur état même efl: un état de préférence, & ils cherchent des préférences par tout (s). S'ils veulent des Loix, ce n'efl pas pour leur obéir, c'e{t pour en être les arbitres. Ils veulent des Loix pour fe mettre à leur place & pour fe faire craindre en leur nom. Tout les favo* tife dans ce projet. Ils fe fervent des droits-

(i) L-\ juflice dans le peuple efl une vertu d'd- tat; la violencr & la Tyrannie eft de même dans les Chefs un vice d'état. Si nous étions à leurs places nous autres particuliers , nous deviendrions comme Qux violcns ufurpateurs iniques. Quand des Magif- trats viennent donc nous prêcher leur intégrité leur modération , leur juflice , ils nous trompent, s'ils \:2ulent obtenir a,infi la confiance que nous ne leur, devons pas : non qu'ils ne puiffcnt avoir perfonnel- lement ces vertus dont ils fe vantent; mais alors ils font une exception; & ce n'efl pas aux exceptions^ que ia Loi doit avoir égard.

L E T T R E. 211

qu'ils ont pour ufiirper fans rifque ceux qu'ik n'ont pas. Comme ils parlent toujours nu nom de la Loi, même en la violant, quiconque ofe la défendre contre eux efl un féditieux un re- belle: il doit périr j & pour eux, toujours fûrs de l'impunité dans leurs entreprifes, le pis qui leur arrive eft de ne pas rcuffir. S'ils ont befoin d'appuis , par tout ils en trouvent. C'eft une ligue naturelle que celle des forts , & ce qui fait h foibleffe des foibles efl de ïie pouvoir fe liguer ainfi. Tel efl; le deftin du peuple d'avoir toujours au dedans & au dehors fes parties pour juges. Heureux! quand il en peut trouver d'afiez équitables pour la protéger contre leurs propres maximes , con- tre ce fentiment fi- gravé dans le cœur hu- main d'aimer & favorifcr les intérêts fembla- blés aux nôtres. Vous avez eu cet avantage une fois, & ce fut contre toute attente. QuamJ

212 NEUVIEME

la Médiation fut acceptée , on vous crut é- crafés: mais vous eûtes des défenfeurs éclai- rés & fermes, d-:rs Médiateurs intègres & gé- néreux ; la juftice & la vérité triomphèrent, Puiffiez-vous être heureux deux fois ! vous aurez jouï d'un bonheur bien rare , & dont vos opprefFeurs ne paroiflent guère allarmés. Après vous avoir étalé tous les maux ima- ginaires d'un droit auflî ancien que votre Conilitution & qui jamais n'a produit aucun mal , on pallie on nie ceux du Droit nouveau qu'on ufurpe & qui fe font fentir dès aujour- d'hui. Forcé d'avouer que le Gouvernein..nC peut abufer du droit négatif jufqu'à la plus intolérable tyrannie , on affirme que ce qui arrive n'arrivera pas, & l'on change en pof- iibilité fans vraifemblance ce qui fe paffe au- jourd'hui fous vos yeux. Perfonne, ofe-t-on dire , ne dira que le Gouvernement ne foit

LETTRE. 213

équitable & doux; & remarquez que cela fe dit en réponfe à des Répréfentations l'on fe plaint des injuftices & des violences du Gouvernement. C'eft vraiment ce qu'on peut appeller du beau ftyle: c'eft l'éloquence de Périclès , qui renverfé par Thucydide à la lutte, prouvoit aux fpeélateurs que c'étoit lui qui l'avoit terrafle.

Ainfi donc en s'emparant du bien d'autrui fans prétexte , en emprifonnant fans raifon les innocens , en flétrilTant un Citoyen fans l'ouïr , en jugeant illégalement un autre , en proté- geant les Livres obfcenes , en brûlant ceux qui refpirent la vertu , en perfécutant leurs auteurs, en cachant le vrai texte des Loix, en refufant les fatisfaftions les plus juftes, en exerçant le plus dur deipotifme , en dé- truifant la liberté qu'ils devroient défendre, en opprimant la Patrie dont ils devroient ê-

014- NEUVIEME

tre les peres , ces INleffieurs fe font complî- tnent à eux-mêmes fur la grande équité de leurs jugemens, ils s'extafient fur la douceur de leur adminiftration , ils affirment avec con- fiance que tout le monde eft de leur avis fur ce point. Je doute fort, toutefois, que cet avis foît le vôrre , & je fuis fur au moins qu'il n'ed pas cilui des Répréfentans.

Que l'intérêt particulier ne me rende point injulle. C'efc de tous nos penchans celui con- tre lequel jj me tiens le plus en garde <Sc auquel j'efpere avoir le mieux réfifté. Votre Magiftrat eft équitable dans les chofes indif- férentes , je le crois porté même à l'être tou- jours ; fes places font peu lucratives ; il rend juftice & ne la vend point ; il eft perfonnelle^ ment intègre , défintéreffé , & je fais que danâ ce Confeil fi defpotique il règne encore de la droiture & des vertus. En vous montrant

LETTRE. 215

les conféquences du droit négatif je vous ai moins die ce qu'ils feront devenus Souveraine, que ce qu'ils continueront à faire pour l'être. Une fois reconnus tels leur intérêt fera d'être toujours jufles , & il l'efl dès aujourd'hui d'ê- tre jufles le plus fouvent: mais malheur à quiconque ofera recourir aux Lois encore , & réclamer la liberté ! C'efl: contre ces infor- tunés que tout devient permis, légitime. L'é- quité , la vertu , l'intérêt même ne tiennent point devant l'amour de la domination , & celui qui fera jufte étant le maître n'épargne aucune injuftice pour le devenir.

vrai chemin de la Tyrannie n'eft point d'attaquer direftement le bien public; ce feroit réveiller tout le monde pour le défendre ; mais c'eft d'attaquer fucceflivement tous fes dcfen- feurs, & d'effrayer quiconque oferoit encore afpirer à l'être. Perfuadez à tous que rintcrôt

2ï5 NEUVIEME

public n'efl; celui de perfonne , & par cela feul la fervicude eft établie ; car quand chicun fera fous le joug fera la liberté commune ? Si quiconque ofe parler efl: écrafé dans Tin- flant même , feront ceux qui voudront l'i- miter, & quel fera l'organe de la généralité quand chaque individu gardera le filence ? Le Gouvernement févira donc contre les zélés & fera jufle avec les autres, jufqu'à ce qu'il puifTe être injufte avec tous impunément. Alors fa juflice ne fera plus qu'une écono- mie pour ne pas diffiper fans raifon fon propre bien.

Il y a donc un fens dans lequel le Confeil eft; jufte , & doit l'être par intérêt : mais il y en a un dans lequel il eft: du fyft:ême qu'il s'cft fait d'être fouverainement injufte , & mille ex- emples ont du vous apprendre combien la pro- te6lion des Loix eft infufSfante contre h hai- ne

LETTRE.

îî€ du Magiflrat. Que fera-ce, lorfqiie deve* iiLi feul maître abfolu par Ton droit négatif il ne fera plus gêné par rien dans fa conduite , & ne trouvera plus d'obftacle à fes paffions ? Dans un fl petit Etat nul ne peut fe cacher dans, la foule , qui ne vivra pas alors dans d e- ternelles frayeurs , & ne fentira pas à chaque inftant de fa vie Je malheur d'avoir fes égaux pour maîtres? Dans les grands Etats les par- ticuliers font trop loin du Prince & des chefs- pour en être vus , leur petitefFe les lauve, 6i pourvu que le peuple paye on le laiiTe en paix. Alais vous ne pourrez faire un pas fans fentir le poids de vos fers. Les parens , les amis , les protégés , Iqs efpions de vos maîtres feront plus vos maîtres qu'eux; vous n'oferez ni dé- fendre vos droits ni réclamer votre bien ,' crainte de vous faire des ennemis ; les recoins les plus obfcurs ne pourront vous dérober à J.1 Partie IL q

ti^ N Ë C V T E M E

Tyrannie , il faudra néceffairement en être fjî- tellîte ou vi6lime : Vous fentirez à la fois Tefclavage politique & le civil, à peine ofe- rez-vous refpirer en liberté. Voila ^ Monfieur, doit naturellement vous mener luflige du droit négatif tel que le Confeil fe l'arrogé. Je crois qu'il n*en voudra pas faire un ufage auffi funefte, mais il pourra certainement, & la feule certitude qu'il peut impunément être in- jufte, vous fera fentir les mêmes maux que s'il î'étoit en effet.

Je vous ai montré , MonHeur , l'état de vo- tre Conftitution tel qu'il fe préfcTite à mes yeux. Il refaite de cet expofé que cette Con- ftitution, prife dans fbn enfemble eft bonne & faine, & qu'en donnant à la liberté fcs véri- tables bornes, elle lui donne en môme tems toute la foJiJité quelle doit avoir. Car le Goavcrfiement ayant un di'oit négatif contre

L Ë T T Pv E.

J2I9

ies innovations du Légidateur, & le Peuple un droit négatif contre les ufurpations da Confeiî, les Loix feules régnent & régnent fur tous; le premier de l'Etat ne leur efl pas moins fournis que le dernier, aucun ne peut les enfreindre, nul intérêt particulier ne peut les changer, & la Conflitution demeure inébranlable.

Mais fi au contraire les Miniilres des Loi.T en deviennent les feuls arbitres , & qu'ils puif- fent les faire parler ou taire à leur gré : Ci le droit de Répréfentation feul garant des Loix & èe la liberté n'ed qu'un droit illufoire &. vain qui n'ait, en aucun cas aucun effet né- ceflaire; je ne vois point de fervitude pareille à la vôtre , & l'image de la liberté n'cfl: plus chez vous qu'un leurre méprifant &. puérile,, qu'il efl: même indécent d'offrir à des hommes fenfés. Que fert alors d'affembler le LégiOa- teur , puifque la volonté du Confeil efc l'tmi-*

q2

120 NEUVIEME

que Loi ? Que fert d'élire folemnellement des Magiftrats qui d'avance écoient déjà vos Ju- ges , & qui ne tiennent de cette ëkftion qu'un pouvoir qu'ils exerçoient auparavant ? Soumettez- vous de bonne grâce, & renoncez à ces jeux d'enfants , qui , devenus frivoles , ne font pour vous qu'un aviliflement de plus.

Cet état étant le pire l'on puilTe tomber n'a qu'un avantage ; c'eft qu'il ne fauroit chan- ger qu'en mieux. C'efl; Tunique reflburce des maux extrêmes ; mais cette reflburce efl tou- jours grande , quand des hommes de fens & de cœur la Tentent & favent s'en prévaloir. Que la certitude de ne pouvoir tomber plus bas que vous n'êtes doit vous rendre fermes dans vos démarches ! mais foyez fûrs que vous ne fortirez point de l'abîme , tant que vous ferez divifés, tant que les uns voudront ngir & les autres refter tranquilles.

LETTRE. 221

Me voici, Monfieur, à la conclufion de ces Lettres. Après vous avoir montré l'état vous êtes , je n'entreprendrai point de vous tracer la foute que vous devez fuivre- pour en fortir. S'il en efi; une , étant fur les lieux mê- mes, vous & vos Concitoyens la devez voir mieux que moi ; quand on fait l'on efl & l'on doit aller, on peiît fe diriger fans peine.

L'Auteur des Lettres dit que fi on remar- qiioit dans un G oui: er ne ment une pente à la vio- lence il ne fa^lroit pas attendre à la redrejjer que la Tyrannie s'y fut fortifiée (f). Il dit en- core , en fuppofant un cas qu'il traite à la vé- rité de chimère, qu'// refteroit un remède trifie mais légal , à? qui dans ce cas extrême pourrok être employé comme on employé la main d'un

(0 Page 172.

222.

NEUVIEME

Œrurgien , quand la gangrène Je déclare ( ^ ). Si vous êtes ou non dans ce cas fuppofé. çhiniériqùe , c'efl ce que je viens d'exami- ner. Mon confeil n' efl donc pJus ici nécef- faire ; l'Auteur des Lettres vous l'a donné, pour moi. Tous les moyens de réclamer contre l'injaflice font permis quand ils font paifiblcs, à plus force raifon fgnt permis ceux qu'autorifeut les loix.

Quand elles font tranfgrefîees dans des cas particuliers vous avez le droit de Répréfcnta- tion pour y pourvoir. Mais (pand ce droit même eft contcllé , c'efl le cas de la garantie. Je ne l'ai point mife au nombre dos moyens qui peuvent rendre efficace une llépréfcnta- tion , les Médiateurs eux - mêmes n'ont point entendu l'y mettre , puifqu'ilj ont déclaré

(iî) Page loï»^

LETTRE, 223

vouloir porter nulle atteinte à l'indépendance de l'Etat , & qu'alors , cependant , ils auroienc mis, pour ainfi dire, la Clef du Gouverne- ment dans leur poche (.x). AïnCi dans le cas particulier l'effet des Répréfentations rejettées efl: de produire un Confeil général ; mais l'ef- fet du droit même de Répréfentation rejette paroit être le recours à la garantie. Il faut que la machine ait en elle-même tous les reflbrts qui doivent la faire jouer : quand elle s'arrête, il faut appeller l'Ouvrier pour la remonter. .

(x) La conféquence d'un tel fyftême eut été d'é- tablir un Tribunal de la Médiation réfident à Ge- nève , pour ccfnnoîrre des tranfgrelîîons des Loix. |*ar ce Tribunal la fouveraincté de la République eut bientôt tti détruite, mais la liberté des Cito- yens eut été beaucoup plus affurée qu'elle ne peut l'être fi l'on Tjte le droit de Répréfentation. Or de n'être Souverain (]ue de nom ne figniiie pas grand'- çhfiCç, mais d'ctr.; libre en effet lignifie beaucoup.

Q4

224 N E U V I E M E

Je vois trop va cette refTource , & je fens encore mon cœur patriote en gémir^ Aufll, je le répète, je ne vous propofe nen; qu oferois-je dire ? Délibérez avec vos Conci- toyens &. ne comptez les voix qu'après les a- voir pefées. Défiez-vous de la turbulente jeu- nefle , de l'opulence infolente & de l'indigen- ce vénale; nul falutaire confeil ne peut venir de ces côtés-la. Confukez ceux qu'une hon- nête médiocrité garantit des féduftions de Fambition & de la mifere ; ceux dont une ho- .norable vieillefle couronne une vie fans repro^ che ; ceux qu'une longue expérience a verfés dans les affaires publiques ; ceux qui , fans am- bition dans l'Etat n'y veulent d'autre rang que celui de Citoyens ; enfin ceux qui n'ayant jamais eu pour objet dans leurs démarches que le bien de la patrie & le maintien des Loix, ont mérité par leurs vertus l'eflimc du pa-

LETTRE. 225

blie, & la confiance de leurs égaux.

Mais furtout réunifiez -vous tous. Vous ê- tes perdus fans refTource fi vous reftez divi- fés. Et pourquoi le feriez- vous , quand de grands intérêts communs vous unifTent ? Com^ ment dans un pareil danger la baffe jaloufle &les petites paffions ofent- elles fe faire en- tendre ? Valent -elles qu'on les contente à fi haut prix , & faudra -t- il que vos enfans difent un jour en pleurant fur leurs fers ; voila le fruit des diffentions de nos pères ? En un mot , il s'agit moins ici de délibération que de concorde ; le choix du parti que vous prendrez n'efl pas la plus grande affaire : Fut- il mauvais en lui-même, prenez -le tous en- femble; par cela feul il deviendra le meilleur, & vous ferez toujours ce qu'il faut faire pour- vu que vous le faffiez de concert. Voila mon avis, Monfieur, ôc je finis par j'ai coin- Q5

â26 N Ê U V I E M È

mencé. En vous ôbéiflant j'ai rempli mon 'dernier devoir envers la Patrie. Maintenant je prends congé de ceux qui l'habitent ; il ne leur refte aucun mal à me faire , & je ne puis plus leur faire aucun bien.

F I N,

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grand nombre de Manufciipts^ & principalement fur

ceux de Mr. Arkcnholiz , par Mr. D. M. Profeireur

&.C. 4. I vol. Figures Amtlerdam. 1764.

mm- idem, 12. 4 vol. Figure?, 1764.

jinth>vdica îiniveifdis five de compojiîme ^ refohitione

adibmstica. Aiictore If: Newton. Cum commeiUario ]o-

hannis Caftillionci , 4. 2 z^ot. fig. AmJîeloJami. 1761. Additions à l'Effai fur l'Hiftoire univerfellc par Mr.

de Voltaire. 8. i vol. Amilcrd-mi, 1763. AiTertions (Extraits des) dws Jefuites. 8. 3 vol. Am-

(lerdam. 1763. L'Fîommc en Société ou nouvelles vues politiques jwur

porter la population au plus haut degré en France. 8.

2 vol. Amftcrdam. 1763. t.a voix de la Natiu:e ou les avantures de I\Jadnie. la

Marqui(« de ***, 8. 5 pnrt. Amfterdam 17(54.

F J UT E s

NÉCESSAIRES A CORRIGER.

"T ^Auteur n ayant pu fuivre Vimpreffion defesfeuilleSy JLj des fautes de copie dans le Manufcrit , des qui- ^ro-quo de V Imprimeur dans les renvois ^ ont rendu plujïeurs endroits inintelligibles , furtout dans la qua- trième Lettre. Les correEiions en feroient trop longues à indiquer j &* le Lecteur ne prendrait pas la peine de les faire. On fe borne à marquer ici les plus fa- ciles fur des fautes qui font équivoque ou contre- fens i on néglige toutes les autres,

PREMIERE PARTIE.

Vage 140^ ligne 2 Tout émerveillés , /i/è^ tout émerveillées.

■— - 2.02* Ld ligne 10 Gf les deux fuivantes ne doi- vent point former un alinéa ni être en italique j mais s'écrire, à la fuite de celles qui précé-^ dent j ù" du même caractère.

208 9 ce mot dit-on, doit être en. ita- lique comme le refte de la ligne.

<— 263. 5 ipd.ffer y ajoute^ une virgule,

' 277 - 14 d'intérêt &, lifei d'intérêt ou.

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'j. inelllcurs Jour.

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des 170. vol.

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la même Jour-

I rcvoux, 1764.

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1763.

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rc.iicrt. . .

iJcm. In-x2. 15 vol.

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2Lc. 4. I Vol.

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■>i. 1761.

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- par ^^ir.

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. ^■. 3 vol. Au>-

\.\ m. 1763.

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2 vol. Aii.U^iu.[..i. 1

t..i voix de la {x'atiire eu .

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Marqiûr* de ***. 8. 5 p rt- J.

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NÉCESSATIFS A CORRIGER.

L\4utcur n vreVimprcJJiondefcsfciùlleSy

iUi fj.:it:^ dans le Mdnufcrit ^ ^ei qui-

"pro-quo de ilm-imeur dans les renvois j ont rendu plufïcurs en.iro. "- 'hlcs , furtout dans la (jua~

trkrn.c Lettre. L. \ .. /.'i en [croient trop longues à indiquer ^ &* Id.ccieur ne prendroit pas la peine de Us faire. On f (orne à marquer ici les plus fa- ciles fur des Jjus qui font équivoque ou contre- fais ; on néglige outes les autres»

PRE MERE PA

Vage 140^ /

202. La U

2C

SECONDE PARTIE.

page 22 , ligne 1 1 , Avant d'avoir aiïez affermî leur puifTance ils voulurent ufurper le droit de mettre des impôts.

Efface-^ cette phrafe ^ ùr fubjlituei-y ce qui fuit.

Ils avoient doucement ufur- le droit de mettre les im- pôts : avant d'avoir allez af- fermi leur puifTance ils vou- lurent abufer de ce droit,

—— 5*2 - I pour ainfi , ajoute^ dire.

99 ^ ^ ^^^ "^ ^^^ ^^^^ > effacei ne4

- 128 10 effacei à.

AVIS AU RELIEUR;

Il y a quatre cartons imprimés avec la feuille marquée d'une étoile. Le Relieur aura foin de les mettre exadement à leur place.

RÉPONS

AUX LETTRES

ÉCRITES DE LA MONTAGNE;

PVBLIÈE A Genève i sous ce titre:

SENTIMENT DES CITOYENS.

A GENEVE;

&• /e trouve j A PARIS,

Chez DucHESNE, Libraire, rue S.Jacques,

au-defTous de la Fontaine S. Benoît,

au Temple du Goût.

AïTr). ce. Lxv.

C3]

» '■ '

L ETT

DE J. J. ROUSSEAU j^C/ LIBRAIRE.

A Moticrs, le 6 Janvier I7<5/.

jE vous envoie^ Monfieur^ une Pièce imprimée &r publique à Genepe ^ &• que je vous prie d'imprimer £r publier à Paris J pour mettre le Public en état d'entendre les deux Parties ^ en atten- dant les autres Réponfes plus foudroyan- tes quon prépare à Genève contre moi. Celle-ci eft de M, Verne s ^ Miniftre du faim Évangile J &* Pafleur à Séligny : je Vai reconnu d^ abord àfonfiyle pafto- rai. Si toutefois je me trompe j il ne faut qu attendre pour s'en éclaircirj car s'il m efi V Auteur ^ il ne manquera pas de

[43

la rec&nnoître hautement félon h devoir d'un homme d'honneur ù" dun bon Chré- tien j s^il ne Veft pas, il la défavouera de même ^ ^ le Public faura bientôt à quoi s^en tenir.

Je vous connois trop j Monjïeur^ pour croire que vous voulujjîe^ imprimer une Pièce pareille jjî elle vous venoit dune autre main : mais puifque ceji moi qui vous en prie y vous ne deve^ vous en faire aucun fcrupule. Je vous falue de tout mon çœur^

ROUSSEAU.

E5Î

SENTIMENT

DES CITOYENS* :

A Près les Lettres de la Cam- pagne , font venues celles de la Montagne. Voici les fenti- mens de la Ville.

On a pitié d'un fou; mais quand la démence devient fu- reur, on le lie. La tolérance, qui eft une vertu, feroit alors un vice.

Nous avons plaint Jean- Jac- ques Roufleau, ci-devant Ci- toyen de notre Ville , tant qu'il s'eft borné, dans Paris, au mal- heureux métier d'un Bouffon qui recevoit des nazardes à

aiij

LSI

rOpéra , 6c qu'on proftituoit marchant à quatre pattes fur le Théâtre de la Comédie. A la vérité 5 ces opprobres retom- boient, en quelque façon, fur nous : il étoit trifte , pour un Genevois arrivant à Paris, de fe voir humilié par la honte d'un Compatriote. Quelques-uns de nous l'avertirent, & ne le corri- gèrent pas. Nous avons pardon- né à fes Romans , dans lefquels îa décence ôc la pudeur font iauffi peu ménagées , que le bon fens. Notre Ville n'étoit connue auparavant que par des mœurs pu- f es , ôc par des Ouvrages folides gui , attiroient les Étrangers à notre Académie : c'eft pour la orerpiere fois qu'un de nos Ci- toyens l'a fait connoîcre par des

[7]

Livres qui allarment les mœurs , que les honnêtes gens méprifent & que la piété condamne.

Lorfqu'il mêla l'irréligion à fes Romans^ nos Magiftrats fu- rent indifpenfablement obligés d'imiter ceux de Paris & de Ber- ne (a) , dont les uns le décrétè- rent, & les autres le chafTerent, Mais le Confeil de Genevcjécou- tant encore fa compafTion dans fa juftice , lailToit une porte ou- verte au repentir d'un coupable égaré qui pouvoit revenir dans fa Patrie ôc y mériter fa grâce.

Aujourd'hui la patience n'efl-

(a) Je ne fiis chafTé du Canton de Berne qu'un mois après le Décret de Genève.

aiv

en

elle pas lafTée , quand il ofe pu-; bliçr un nouveau Libelle , dans lequel il outrage, avec fureur, la Religion Chrétienne, la Ré- formation qu'il profefTe, tous les Minières du faint Évangile , ÔC tous les Corps de TEtat ? La dé- mence ne peut plus fervir d'ex- 'cufe, quand elle fait commettre des crimes.

Il auroit beau dire à préfent: reconnoifTez ma maladie du cer- veau à mes inconféqucnces ôc à mes contradiâions. Il n'en de- meurera pas moins vrai que cette folie l'a pouffé jufqu'à infulter à Jefus-Chrift , jufqu'à imprimer Pag. 40, q^g l'Evangile efl un Livre fc an* tite Édi- ^'^^^"•^ 5 téméraire , impie , dont la tion, morale ejl et apprendre aux enfans à renier leurs mères éC leurs Jr^"

y

l9l réside* Je ne répéterai pas les

autres paroles : elles font frémir* Il croit en déguifer l'horreur en les mettant dans la bouche d'un Contradicteur; mais il ne répond point à ce Contradi£leur imagi- naire. Il n'y en a jamais eu d'affez abandonné pour faire ces infâ- mes objections, & pour tordre fi méchamment le fens naturel ôc divin des Paraboles de notre Sauveur. Figurons-nous , ajoute- t-il , une ame infernale anaiifant ainjl l' Evangile, Eh ! qui l'a ja- mais ainfi analifée ? eft cette ame infernale (a). La Métrie,

{a) Il paroît que l'Auteur de cette Pièce pourroit mieux répondre que perfonne à fa queftion. Je prie le Lee-

t«o3

dans fon Homme machine^ dîc qu'il a connu un dangereux Athée , dont il rapporte les rai- fonnemens fans les réfuter : on voit affez qui étoit cet Athée ; il n'efl: pas permis affurément d'é- taler de tels poifons fans préfen- ter Fantidote.

Il eft vrai que RoufTeau , dans cet endroit même , fe compare à Jcfus-Chrift avec la même hu-- milité qu'il a dit que nous lui devions drefTer une ftatue. On fait que cette comparaifon eft un des accès de fa folie. Mais une folie qui blafphême à ce point ,'

teur de ne pas manquer de confuker , dans l'endroit qu'il cite, ce qui pré- cède & ce qui fuit»

peiit-elle avoir d'autre Médecin que la même main qui a fait juf- tice de fes autres fcandales ?

S'il a cru préparer, dans fon ilyle obfcur, une excufe à fes blafphêmes , en les attribuant à un Délateur imaginaire , il n'en peut avoir aucune pour la ma- nière dont il parle des Miracles de notre Sauveur. Il dit nette- ment, fous fon propre nom : i^ Pa^, pS\ y a des Miracles ^ dans l Evan- gile ^ il nefl pas pojihle de. prendre au pied de la lettre fans 'rinoncer au bon Jens ; il tourne en ridicule tous les prodiges que Jefus daigna opérer pour établir la Religion.

Nous avouons encore ici la démence qu'il a de fe dire Chré- tien, quand il fappe le premier

[1^3

fondement du Chnftîanifmej mais cette folie ne le rend que plus criminel. Etre Chrétien, ÔC vouloir détruire le Chriftianif- me, n'eft pas feulement d'un Blafphémateur , mais d'unTrai- tre. ;

Après avoir infulté Jefus- Chrill, il n'eft pas furprcnant qu'il outrage les Miniftres de fon faint Évangile.

Il traite une de leurs profef-

Fa^. f ?. ^o^s ^^ ^^^5 à' Amphigouri) ter- me bas & de jargon , qui lignifie déraifon. Il compare leur décla- ration aux Plaidoyers de Rabe- lais; ils ne favent, dit-il, ni ce qu'ils croient , ni ce qu'ils veu- lent , ni ce qu'ils difent.

p - On ne fait y dit-il ailleurs , ni ce qiiils croient , ni ce qui/s ne

Ci? 3

croient pas , ni ce qii ils font Jem-^

blant de croire*

Le voilà donc qui les accufe de la plus noire hypocrifie, fans la moindre preuve , fans le moin- dre prétexte. C'eft ainfi qui! traite ceux qui lui ont pardonné ia première Apoftafie, & qui n'ont pas eu la moindre part à la punition de la féconde , quand fes blafphêmes répandus dans un mauvais Roman, ont été livrés au Bourreau. Y a-t-il un feu! Citoyen parmi nous qui , en pe-; fant de fang froid .cette condui- te, ne foit indigné contre le Calomniateur X

Eft-il permis à un homme dans notre Ville d'offenfer à ce point nos Pafteurs, dont la plu- part font nos païens ôc nos amis ,

[14] & qui font quelquefois nos con-

folateurs ? Confidérons qui les traite ainfi; efi:-ce un Savant qui difpute contre des Savants ? Non, c'eft l'Auteur d'un Opéra, ôc de deux Comédies fifflées. Efl-ce un homme de bien qui, trompé par un faux zèle , fait des repro- ches indifcrets à des hommes vertueux? Nous avouons avec douleur, & en rougiffant, que c'eft un homme qui porte encore les marques funeftes de fes dé-- bauches , ôc qui , déguifé en fal- timbanque, traîne avec lui de Village en Village , & de Mon- tagne en Montagne, la malheu- reufe dont il fit mourir la mère , ôc dont il a expofé les enfans à la porte d'un hôpital , en rejettant les foins qu'une perfonne chari-

Ci;]

table vouloit avoir d'eux , & en abjurant tous les fentimens de la Nature , comme il dépouille ceux de l'honneur ôc de la Re- ligion [û].

(a) Je veux faire, avec fîmplicité, la déclaration que femble exiger de moi cet article. Jamais aucune maladie de celles dont parle ici l'Auteur, ni petite , ni grande, n'a fouillé mon corps. Celle dont je fuis affligé, n'y 3 pas le moindre rapport : elle eft née avec moi, comme le favent les Per- fonnes encore vivantes qui ont pris foin de mon enfance. Cette maladie eft connue de Meflieurs Malouin , Mo- rand ^ Thyerri , Daran , le Frère Cô- me. S'il s'y trouve la moindre marque de débauche , je les prie de me con- fondre, & de me faire honte de ma devife. La Perfoane fage , & générale-

Cell donc celui qui ofe

înent eftimée , qui me foigne dans mes maux & me confole dans mes afflic- tions , n'eft malheureufe , que parce quelle partage le fort d'un homme fort malheureux ; fa mère efl: aduelle- ment pleine de vie, & en bonne fanté malgré fa vieiilefTe. Je n'ai jamais ex- pofé , ni fait expofcr auLUU cnfunt à la porte d'aucun hôpital, ni ailleurs. Une Perfonne qui auroit eu la charité dont on parle, auroit eu celle d'en garder le fecret ; & chacun fent que ce neft pas de Genève, je n'ai point vécu , & d'où tant d'animofité fe ré- pand contre moi , qu'on doit attendre des informations fidelles fur ma con- duite. Je n'ajouterai rien fur ce pa(^ fage , fînon qu'au meurtre près j'aime- rois mieux avoir fait ce dont fon Au- teur m'accufe, que d'en avoir écrit un pareil.

donner

donner des confeils à nos Conci- toyens ! [ nous verrons bientôt quels confeils. ] C'efl: donc ce- lui qui parle des devoirs de la fociété !

Certes il ne remplit pas ces devoirs quand , dans le même Libelle^ trahiflant la confiance d'un ami [^], il fait imprimer Pag. Cj, une de fes Lettres pour brouiller

[a] Je crois devoir avertir le Public que le Théologien qui a écrit la Let- tre dont j'ai donné un extrait, n'eft, ni ne fut jamais mon ami ; que je ne l'ai vu qu'une fois en ma vie, & qu'il n'a pas la moindre chofe à démêler , ni en bien , ni en mal avec les Miniftres de Genève. Cet avertiflement m'a paru néceffaire pour prévenir les téméraires applications.

B

[i8] cnfemble trois Palpeurs. Ceft ici qu'on peut dire , avec un des premiers hommes de l'Europe, de ce même Écrivain^ Auteur d'un Roman d'Education^ que pour élever un jeune homme ^ il faut commencer par avoir été bien élevé {cl\.

Venons à ce qui nous regarde particulièrement, à notre Ville qu'il voudroit bouleverfer, parce qu'il y a été repris de Juflice. Dans quel efprit rappelle-t-il nos troubles aflbupis ? Pourquoi ré- veille-t-il nos anciennes querel-

\cî\ Tout le monde accordera , je penfe , à l'Auteur de cette Pièce , que lui &: moi n'avons pas plus eu la même éducation , que nous n'avons la même Religion.

[19] îes^ & nous parle-t-il de nos malheurs ? Veut-il que nous nous égorgions [ ^ ] , parce qu'on a bnilé un mauvais Livre à Paris ôc à Genève ? Quand notre liberté & nos droits feront en danger, nous les défendrons bien fans lui. Il eft ridicule qu'un homme de fa forte, qui n'eft plus notre Con- citoyen , nous dife :

Vous n'êtes ) ni des Spartiates y pao-. 340. ni des Athéniens ; vous êtes des Marchands , des Artifans ^ des

[il] On peut voir, dans ma con- duite, les douloureux facrifices que j'ai faits pour ne pas troubler la paix de, ma Patrie, & dans mon Ouvrage , avec quelle force j'exhorte les Citoyens à ne la troubler jamais, à quelque extré- mité qu^on les réduife.

Bij

[20]

Bourgeois occupés de vos intérêts privés se de votre gain. Nous n'd- tions pas autre chofe^ quand nous réfiflames à Philippe II & au Duc de Savoye; nous avons acquis notre liberté par notre courage ôc au prix de notre fang , ôc nous la maintiendrons de

même.

Paçr. îcro. Qu'il cefie de nous appeller Xhid. E/clavss , nous ne le ferons ja- mais. Il traite de Tyrans les ?^la- giftrats de notre République, dont les premiers font élus par

Pag. ij^. nous-mêmes. On a toujours vu, dit-il, dans le Confeil des Deux- Cents . peu de lumières éC encore moins de courage. Il cherche ^ par. des menfongës accumulés , à exciter les D'eulx-Cents contré le Petit Confeil \ les Payeurs con-

tre ces deux Gorps; & enfin ^ tous contre tous , pour nous expofer au mépris & à la rifée de nos voifms. Veut-il nous animer en nous outrageant ? veut-il ren- verfer notre Conftitution en la défigurant^ comme il veut ren*- verfer le Chriftianifme , dont il ofe faire profefîion ? Il fufFit d'à- ? vertir que la Ville qu'il veut: troublei:, le défavi3u€ avec Kôr?^:) reur. S'il a cru que noiis tirerions^j l'épée pour le Roman d'Emile, il peut mettrecettie idée dans le nombre de fes ridicules ôc de ï^qs folies. Mais il faut lui apprendre que 5 fi on châtie légèrement un Romancier impie , on punit ca- pitalement un vil féditieux.

Pojl-fcriptiim d'un Ouvrage des Citoyens de Genève, inti-

[22 J

tulé : Rèpoiife aux Lettres écrites de la Campagne.

Il a paru , depuis quelques jours , une Brochure de 8 pages i/2-8s. fous le titre de Sentiment des Citoyens ; perfonne ne s'y ell trompé. Il feroit au deflbus des Citoyens de fe juftifier d'une pareille produ£lion. Conformé- ment à l'Article 3. du titre XI. de l'Edit, ils l'ont jette au feu, comme un infâme Libelle.

FIN.

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