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DANS LE SUD DE |VIflDflGASCflR

PÉNÉTRATION MILITAIRE

SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

1900- 1902

DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION RÉSERVES

Clichés du lieutenant Imbert, de l'infanterie coloniale. Cartes et croquis par le sergent Baldai^ff, de la légion étrangèr<

Colonel IaYAUTEY

Dans le Sud

de

Madagascar

PÉNÉTRATÊON MÊLÊTAÊRE

SÊTUATÊON POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

1900 - 1902

NOIHBHEUSES PHOTOGHflPHIES ET CHIITES DAflS LE TEXTE ET HORS TEXTE

PARIS

Henri GHARLES-LAVAUZELLE

Éditeur militaire 10, Rue Danton, Boulevard Saint-Germain, 118

(même maison a limoges)

Lorsqu 'après un an de séjour en France le Général Galliéni reprit, au mois de juillet 1900, le Gouverne- ment Général de Madagascar, il voulut bien me confier le commandement du Sud de l'Ile, de nombreuses régions étaient encore ou insoumises ou im pénétrées.

Au bout de vingt mois de commandement, la mis- sion qui m'avait été confiée a pu être considérée comme terminée. Il n'entre nullement dans mon esprit d'atta- cher plus d'importance qu'elles ne comportent aux petites opérations de guerre exécutées pendant cette période. Tout l'honneur et le mérite en reviennent du reste à mes subordonnés, qui les ont menées directe- ment. Mais l'œuvre de pacification, de pénétration et d'organisation qui m'avait été confiée par le général Galliéni s'est déroulée conformément à un programme d'ensemble qui a été l'application rigoureuse dans une vaste région, pendant une période prolongée, des mé- thodes inspirées par ce Maître colonial. Elle peut donc être considérée en quelque sorte comme représentative de sa doctrine. Ce programme, il en a approuvé le prin- cipe, il en a suivi et dirigé l'exécution. C'est à ce titre que j'ai pensé qu'il pouvait y avoir quelque intérêt à en présenter le développement à ceux qui ont à cœur les choses coloniales.

L'étude qui suit n'est pas un récit. Elle est presque exclusivement constituée par la série des documents officiels et, en particulier, des rapports que j'adressais au Général Galliéni, au fur et ^i mesure de la pénétra- tion. Il m'a semblé que la succession de ces textes, écrits au jour le jour, ferait ressortir d'une manière plus vivante les difficultés à résoudre et la méthode suivie.

r PARTIE

Création du Commandement supérieur du Sud et période préparatoire

Septembre 1900 Mars 1901

Chapitre I". Création du Commandement supérieur du Sud.

If. Sitaalion initiale : Coup d'reil géographique.

IH. Période préparatoire pendant la mauvaise saison (octobre 1900

à février 1901).

IV. Programme d'action pour la campagne ISOi 1902.

CHAPITRE r

CRÉATION DU COMMANDEMENT SUPÉRIEUR DU SUD

Les raisons qui motivaient la création du commandement su- périeur du Sud sont exposées dans la lettre suivante, que le Général Galliéni envoyait le 18 août 1900, de Tamatave, au Mi- nistre des Colonies, exactement un mois après son retour, et qu'il me donnait en communication pour me servir de direc- tive initiale.

L'ensemble du Sud de Vile, formé par la province de Fia- narantsoa, la province de Farajangana et les cercles militaires des Bara, de Fort-Dauphin et de Tulear présenie encore deux zones qui méritent toute l'attention (1).

A l'Est, la zone forestière, qui s'étend parallèlement à la côte, aux confins des provinces de Fianarantsoa, de Farafan- gan'a et du cercle des Bara. depuis Ikongo, au Nord, jus- qu'au cercle de Fort-Dauphin, au Sud.

2" Au Sud, le pays des Mahafaly et des Antandroy.

On peut dire que ce sont les deux seules régions de Ma- dagascar où la question de pacification se pose encore, mais elle s'y pose nettement et ce serait une illusion de l'y croire résolue.

i" Zone de l'Est. La région d'Ikongo est habitée par les Tanala, petite peuplade turbulente et pillarde, qui n'a jamais vécu que de vols et à laquelle la nature particulièrement difficile du pays rocheux et boisé a assuré l'impunité. H y a un an, elle a assailli et enlevé des postes, d'où elle a tiré une trentaine de fusils à tir rapide et un approvisionnement consi- dérable de munitions, qui donnent un noyau solide aux nom-

(1) Cartes 1 et 2.

12 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

breux fusils à pierre qu'elle possède. A la suite d'une dernière colonne, en novembre '1899, on a adopté, à V égard des Tanala, une solution transitoire qui, je le crains, n'est pas une bonne solution. Ils sont exempts de tout impôt, de tout travail, de toute obligation, quelconque et on leur assure dans une certaine me- sure leur nourriture en riz. C'est une situation qui ne pourra pas se prolonger indéfiniment; il est à craindre qu'ils rede- viennent un danger pour les popidations pacifiques et pour les centres commerciaux et agricoles de la province de Farafanga- na. Déjà, il m'est rendu compte que, malgré l'accord rétabli en apparence, ils se sont livrés, ces temps derniers, à quelques agressions contre les populations soumises et laborieuses des Antaimorona et que ces actes sont restés sans répression faute de moyens d'action suffisants, et aussi par suite du désir de ne pas compromettre une situation qu'il peut-être un peu trop convenu de retarder comme acquise. Il est donc à prévoir qu'il faudra chercher une autre solution plus décisive.

La région située entre la province de Farafangana et le cercle des Bara, notamment au point de fonction du cercle de Fort- Dauphin, est également des plus douteuses pour des causes analogues. A mesure que le trafic se développe, tant sur la côte que dans la région intérieure de Betroka, elle constitue un (langer pour les voisins pacifiques.

Dans l'ensemble de cette zone, les réfractaires bénéficient largement de leur situation à cheval sur des circonscriptions différentes, entre l'administration desquelles il m'est signalé que l'accord n'est pas absolu. C'est pourquoi je regarde que la pre- mière mesure qui s'impose est, tout en nmintenant l'organisa- tion administrative actuelle, d'y superposer une direction supé- rieure d'ensemble.

Zone du Sud. A mon départ, la pénétration des pays Antandroy et Mahafaly n'était pas commencée. Notre occupa- tion se limitait, à l'Est, à la ligne du Mandraré, en avant de Fort-Dauphin, au Nord à la ligne de l'Onilahy, de Tulear à Be- troka.

Au mois de novembre dernier, le Général Pennequin a fait commencer la pénétration, ainsi qu'il vous en a rendu compte, et il a créé dans ce but, au mois de mars, le territoire du Sud pour assurer la liaison de l'action militaire des trois cercles des

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 13

Bara, de Forl-Daiiiihui et de Tidear, qu'il a confiés au lieute- nant-colonel Valet.

Les troupes de Tulear ont successivement pris pied sur la ligne de la Linta, tant par la côte, elles ont créé les postes dltampolo et d\Androka, que par Vintérieur, elles ont créé les postes de Soannmanga et d'Ejeda.

Le cercle de Fort-Dauphin a progressé sur la côte, a été créé ilxj a quelques jours le poste du Faux-Cap.

Les troupes du cercle des Bara ont pris pied sur le cours supérieur de la Menarandra, le poste de Bekily a été créé à la (in de piUlef.

Toutefois, comme, d'après les renseignements que fui re- cueillis jusqu'ici, le pays des Mahafuly et des Antandroy sem- ble présenter peu de ressources, comme d'autre part ses habi- tants sont de nature guerrière, très indépendants, et qu'à leur contact les incidents sont toujours à craindre, je me suis de- mandé s'il n'y aurait pas lieu d'ajourner cette pénétration et de se borner à entourer ces pays réfractaires à notre domination d'une ceinture de postes qui les isolerait, empêcherait leurs in- cursions dans les régions paisibles et les amènerait, par cette sorte de blocus, à se soumettre spontanément à notre domina- tion.

J'ai donc cru devoir donner les instructions les plus for- melles pour que nous ne soyons entraînés sous aucun prétexte dans un engrenage d'opérations militaires prolongées et oné- reuses et pour qu'on se contente d'abord d'affermir les résultats obtenus.

J'ai résumé ces instructions de la façon suivante :

(( J'estime qu'aucune action militaire ne doit être engagée qu'en vue d'un résultat politique et économuiue ciui la justifie. Aujourd'hui que nous avons donné le gros effort militaire qui a assuré notre prédominance politique, qui a dégagé les lignes de communications importantes, qui a assuré la liberté des transactions entre les points de l'Ile ayant le plus de valeur économique, nous ne devons plus faire de pénétration militaire onéreuse, que si elle doit être rémunérée par les recettes qui doivent en résulter. »

En un mot, ce à quoi je tiens essentiellement en ce qui con- cernes les zones douteuses de l'Est et du Suil, c'est que, d'une

14 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

part, nous n'y soyons pas malgré nous entraînés dans un en- grenage d'opérations militaires qui pourraient être évitées et que, d'autre part, il ne s'y foime pas des (( œufs prêts à éclore », des centres de piraterie tels que celui des Tanala, tels que nous en avons eu si longtemps au Tonkin, qu'on réussit à dissimuler pendant quelque temps, mais qui vous mettent tout à coup, en présence d'un incident grave au moment le plus inopportun. C'est pourquoi je suis résolu à me faire suppléer dans le Sud, en y créant une direction supérieure d'ensemble exercée par quelqu'un qui puisse voir et régler sur place les questions dont, à la distance de Tananarive et avec la longueur des communications, les détails m'échappent. Je compte confier cette mission au colonel Lyautey, en lui donnant des attribu- tions qui lui permettent d'assurer la coordination des efforts, de remédier aux divergences qui favorisent le désordre sur les confins des diverses circonscriptions et d'assurer entre elles, aux points de vues politique, militaire et administratif, l'unité de vue et de direction que je regarde comme indispensable et urgente.

J'estime que ce sera le moyen le plus rapide, en activant la solution d'une situation encore indécise, de préparer le pas- sage à l'administration civile des circonscriptions militaires du Sud et de s'y acheminer à une organisation administrative rationnelle et définitive, basée sur les groupements naturels. Sur ce point, les données sont encore contradictoires ou incomplètes et c'est un des premiers objets sur lesquels j'appelle rattention et l'étude du colonel Lyautey.

Ces vues se trouvaient résumées et précisées dans les consi- dérations de l'arrêté suivant, qui créait le commandement supé- rieur du Sud à la date du 12 septembre 1900.

Arrêté.

Le Général commandant en chef et Gouverneur Général de Madagascar,

Considérant que l'œuvre de pacification et de pénétration n'est pas encore complètement terminée dans les régions Sud de Madagascar et que cette œuvre s'achèvera d'autant plus vite

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 15

que l'organisation du pays sera plus élroitement basée sur la répartition ethnographique des populations;

Considérant que les provinces civiles de Fianarantsoa et Fara- fangana, ainsi que les cercles militaires des Bara, de Fort- Dauphin et de Tulear, sont délimités par des frontières encore indécises et qui ne tiennent pas encore suffisamment compte de la différence de races et de mœurs des populations qui les habitent; que pour certaines de ces circonscriptions, formations momentanées, des modifications territoriales semblent devenues nécessaires;

Attendu que le placement temporaire sous une autorité uni- que de ces différentes régions permettra seul d'aboutir à la constitution de groupements de populations par races et par familles, base d'une division ultérieure du pays en provinces civiles logiquement et définitivement organisées et d'obtenir ainsi la pacification complète de ces régions et leur ouverture à la colonisation et au commerce.

Arrête :

Les provinces civiles de Fianarantsoa et de Farafangana et les cercles militaires des Bara, de Tulear et de Fort-Dau- phin formeront un commandement supérieur qui prendra le nom de Commandement supérieur du Sud.

Les administrateurs chefs de province et les commandants de cercle relèveront directement, tant au point de vue adminis- tratif qu'au point de vue politique, du Commandant supérieur du Sud.

CHAPITRE II

SITUATION INITIALE COUP D'ŒIL GÉOGRAPHIQUE

Il résulte des documents qui précèdent que, malgré l'énergie des efforts dépensés depuis deux ans, deux obstacles princi- paux s'opposaient à l'achèvement de la pacification du Sud :

1" Le chevauchement de la plupart des groupes rebelles sur plusieurs circonscriptions administratives ne dépendant pas du même commandement; «

Le caractère provisoire et artificiel de la délimitation des circonscriptions créées forcément au fur et à mesure de notre occupation du pays, avant que la connaissance approfondie des conditions ethnographiques, géographiques et politiques ait permis de les asseoir sur une base rationnelle.

Dans l'intérieur de chacune des circonscriptions, le travail de nettoyage se trouvait accompli de manière à peu près com- plète, mais les éléments hostiles étaient rejetés dans les zones limitrophes, passaient d'une province à l'autre, sans qu'une action combinée, la seule efficace, fut possible faute d'une direc- tion d'ensemble.

C'est ainsi que les groupes ïanala insoumis débordaient de la province de Fianarantsoa dans la province de Farafanga- na (1); que les groupes Tambavalo et Andrabé insoumis se trou- vaient à cheval sur la province de Farafangana, lies cercles des Bara et de Fort-Dauphin; que les peuplades Antandroy et Ma- hafaly, les plus rebelles à notre influence, s'enchevêtraient entre les cercles de Fort-Dauphin et de Tulear, dont la délimitation n'était pas encore précisée; que les tribus des Bara Imamono et des Bara-Be, si récemment soumises, encore douteuses, et dont la dernière, sous le chef Inapaka, avait formé le noyau de

(1) Voir la carte 2,

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 17

la sérieuse insuireclion du Vohingezo, se trouvaient sur les confins respectifs du cercle des Bara et du cercle de Tulear. La création du territoire militaire du Sud, sous le commandement du lieutenant-cololonel Valet, avait remédié à cette situation en partie, mais incomplètement. Ce territoire n'englobait que les trois cercles militaires des Bara, de Fort-Dauphin et de Tulear. La province de Farafangana lui avait été rattachée provisoire- ment au point de vue militaire, mais non pas au point de vue politique et administratif, tandis que le principe primordial de la doctrine du Général Galliéni c'est que l'action militaire politique et administrative forme un tout inséparable; les Ta- nala d'Ikongo lui échappaient entièrement. Enfin Fianarantsoa était en dehors de son action. Or, c'est dans ce centre, situé dans une région salubre et pleine de ressources, que se trou- vaient les réserves, les approvisionnements, la formation sani- taire centrale, le nœud des communications postales et télé- graphiques. En conséquence, rfest que fut établi le siège du nouveau commandement.

Il résulte des considérations qui précèdent que si les opé- rations antérieures avaient entièrement pacifié et dégagé la région centrale d'une part et les régions côtières, sauf l'extrê- me Sud, d'autre part, les éléments insoumis ou douteux re- jetés par notre double pénétration agissant dans les deux sens, l'une venant de la côte, l'autre venant du centre, se trouvaient répartis suivant un vaste ruban circulaire ou, si l'on veut, un V, conformément au schéma ci-dessous (1).

Cette persistance des groupes rebelles était favorisée non seulement par les conditions politiques qui viennent d'être indi- quées, mais encore par des conditions de terrain, la zone dans laquelle ils avaient établi leurs derniers refuges se trouvant être celle de montagnes, de rochers et de forêts qui forme dans toute l'Ile une barrière intérieure de forme elliptique entre les régions côtières et le plateau central.

Déterminer la dislocation totale de ces groupements était le problème à résoudre.

Le commandement, l'administration et l'occupation de ces

(1) Page suivante. Madagascar.

18

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Regi

ions insoumises

"Z^^ Région dont lorafanisation yy>y/y était a compreter

cinq provinces ou cercles étaient assurés de la manière sui- vante :

Province de Fianarantsocu : M. l'administrateur en chef Bes- son.

Disposant de 250 miliciens et d'environ 150 partisans.

A Fianarantsoa se trouvaient : la portion centrale du 2* ré- giment de tirailleurs malgaches avec la 9' compagnie; deux détachements des 11^ et 12^ compagnies d'infanterie de ma- rine; une section d'artillerie.

Province de Farafangana : M. l'administrateur-adjoint Gou- jon. Disposant de 250 miliciens et d'environ 50 partisans.

Cercle des Bara (chef-lieu : Betroka) : M. le lieutenant-colo- nel Wéber remplacé, dès le début, en octobre, par le lieute- nant-colonel Lavoisot.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 19.

Disposant des l'*, 3^ 8^ compagnies du 2" régiment de tirail- leurs malgaches, des portions principales des 11" et 12" com- pagnies du 13" régiment d'infanterie de marine; au total : 723 fusils et 350 miliciens.

Cercle de Fort-Dauphin : M. le capitaine Détrie.

Disposant de la 4" compagnie de légion; de la 7" compagnie du 2" régiment de tirailleurs malgaches; de la 10** compagnie et d'un peloton de la 11" compagnie du 3" régiment de tirailleurs sénégalais; au total : 500 fusils, 200 miliciens, une pièce d'ar- tillerie.

Cercle de Tulear : M. le commandant Lucciardi.

Disposant des l'® et 3" compagnies de légion (la 1" transpor- tée presque aussitôt hors du commandement); de la 10" compa- gnie du 2" régiment de tirailleurs malgaches; de la 7" compa- gnie et d'un peloton de la 11" compagnie du 3" régiment de ti- railleurs sénégalais; au total : 700 fusils, 200 miliciens, une pièce d'artillerie.

En outre, chacun des trois cercles militaires disposait d'une section de conducteurs pour son ravitaillement.

C'était donc un total (conducteurs compris) de 2.500 fusils de troupes régulières, de 1.250 miliciens armés du fusil 1874, et de 4 pièces de 80 de montagne.

Mais l'obligation de ne pas dégarnir les postes sur lesquels leposait l'organisation du pays absorbait la majeure partie de ces forces et n'en laissait disponible qu'une faible partie pour les opérations actives, condition qui imposait de ne por- ter successivement l'effort principal que sur un point à la fois.

Le Commandant supérieur avait à sa disposition :

Un olTicier-adjoint, le capitaine d'artillerie coloniale Char- honnel;

Un officier de renseignements, le lieutenant d'infanterie co- loniale Libersart, remplacé plus tard par le lieutenant d'infan- terie coloniale AUard;

Un administrateur adjoint, M. Bonneval, pour l'étude des questions civiles.

En outre, la présence à Fianarantsoa du lieutenant-colonel Valet, mis à la tête du 2" régiment de tirailleurs malgaches,

20 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

et chargé d'assurer l'expédition des affaires pendant les déplace- ments du Commandant supérieur, laissait à ce dernier toute liberté de mouvements. Sa grande connaissance des questions du Sud il venait d'exercer le commandement en faisait le plus précieux des collaborateurs .

Tous les services militaires et civils relevaient du Comman- dant supérieur et ne correspondaient avec les services centraux que sous son couvert, de façon que l'unité de direction fût as- surée d'une manière absolue-

Coup d^œil géographique (1).

La partie de l'Ile constituée en commandement supérieur du Sud comprenait environ le tiers de Madagascar, c'est-à-dire une superficie un peu supérieure au tiers de la France; mais ce vaste pays, peuplé d'une façon très inégale et oij des groupes de population dense sont séparés par des zones presque dé- sertes, ne contient qu'un peu moins d'un million d'habitants (900. OOQ d'après les derniers recensements).

Le Sud de Madagascar, comme le reste de l'Ile, est constitué par une série de plateaux étages.

A VEst ces plateaux sont nettement délimités par une falaise rocheuse qui s'abaisse brusquement à une distance moyenne de la côte d'environ 60 kilomètres. Cette falaise ou plutôt ces alignements de falaises parallèles, profondément déchirées, cou- vertes de forêts forme une région aussi pittoresque que difficile. Elle est habitée principalement par les peuplades Ta- nala et Andrabé.

Au Sud la falaise s'éloigne de la côte d'environ 150 kilo- mètres, et limite au Nord les vastes plaines habitées par les Antandroy et les Mahafaly.

A VOuest, au contraire, les plateaux s'abaissent insensible- ment par de longs mouvements de terrain.

La ligne de partage des eaux est beaucoup plus rapprochée de la côte Est que de la côte Ouest. Il en résulte que les cours d'eau de la côte Est, après avoir suivi sur le plateau central

(1) Voir la carte n^ 1.

PÉRIODE PRÉPARATOIBE 21

des couloirs parallèles à la côte, s'en échappent par les brèches de la falaise et ont un caractère nettement torrentiel. Les fleuves de la côte Ouest au contraire, beaucoup plus longs et plus im- portants, ouvrent à travers de larges vallées des communica- tions faciles.

L'étage le plus élevé du plateau central est le Betsiléo, d'une altitude moyenne de 1.200 mèti^s. Jl forme la province de Fia- naranlsoa. C'est une région d'un climat très tempéré, habitée par une population dense et homogène, les Betsiléo, et oîi, malgré le peu de richesse du sol, l'abondance des eaux et une humidité presque constante maintiennent une fertilité moyenne et un aspect verdoyant.

Le second étage des plateaux, au Sud du précédent, constitue la majeure partie du pays des Bara, caractérisé par de vastes plaines dénudées, désertes et incultes.

Les régions côtières présentent le caractère tropical : for- mées principalement de terres d'alluvions, elles sont beaucoup l)lus fertiles que le plateau central. La zone côtière de l'Est, habitée par une population dense, forme la riche province de Fàrafangana; la zone côtière de l'Ouest forme le cercle de Tulear : elle est moins favorisée que la précédente, moins peuplée, mais propice à l'élevage; les plaines de l'Ândroy, qui forment la zone côtière du Sud, sont couvertes en grande partie d'une forêt épineuse, dominent les euphorbes et les cactus, d'un caractère tout spécial et d'un accès très difficile. Les pluies, limitées à quelques mois de l'année, y suffisent néan- moins à assurer le pâturage de nombreux troupeaux.

Il résulte de ce rapide coup d'œil qu'au point de vue mili- taire les régions les plus difficiles sont les zones forestières de l'Est et du Sud, qui offrent à la résistance des défenses et des couverts que ne comportent pas les zones découvertes du Centre et de l'Ouest. Le degré et la marche de la pacification ont logiquement subi l'influence de ces conditions naturelles.

CHAPITRE m

PÉRIODE PRÉPARATOIRE PENDANT LA MAUVAISE SAISON (OCTOBRE 1900 A FÉVRIER 1901)

I. Incidents Frénée et Lorin. II. Etablissement de communications télé- graphiques. — m. Action préparatoire sur les deux ailes de la zone in- soumise : dans la zone forestière de l'Est; 2" à l'Ouest, dans le cercle de Tulear; premiers essais de protectorat.

I

INCIDENTS FRÈNÈE ET LORIN

Dès ma prise de commandement, je me trouvai en présence de deux incidents qui faisaient toucher du doigt, pour ainsi dire, le degré de tension de la situation dans les deux régions qui, dès l'abord, appelaient le plus spécialement l'attention :

La zone forestière de l'Est et la zone de l'Extrême-Sud.

Zone forestière de l'Est. Incident Frénée. Notre oc- cupation avait été poussée sur le revers Ouest de la forêt, dans la vallée de l'Itomanpy, jusqu'à Midongy (1), avait été créé un poste formant le siège d'un secteur. C'était en réalité notre poste avancé du Sud au contact immédiat avec les épais massifs forestiers occupés par les Andrabé insoumis. A la fin d'août, le lieutenant Frénée, oflTicier-ad joint du secteur de Midongy, s'était rendu en forêt à un rendez-vous que lui avait donné le chef Tsiadiso, qui semblait décidé à se soumettre. L'entrevue avait eu lieu sans incident le 23 août. Comme le lieutenant Frénée

(1) Cartes 1 et 2.

FÉRIODE PEÉPARATOIRE

23

rentrait avec son détachement de 32 fusils, il fut brusquem'înt assailli en forêt par les gens de Tsiadiso, qui l'avaient suivi sous bois. Le lieutenant était traversé de part en part par une sagaie. Deux de ses tirailleurs étaient tués. La petite troupe parvint à gagner le mamelon de Befotaka elle s'organisa défensivement et elle résista pendant deux jours à plus de 300 rebelles; malgré sa blessure, qui semblait mortelle, le lieu- tenant Frénée, porté sur une civière, gardait le commandement, secondé par le soldat Ehrentrant, seul Européen l'accompa- gnant. Celui-ci faisait preuve du plus beau sang-froid, assurant

'^Anc/etra

sous le feu de l'ennemi l'enlèvement des blessés et des tués ainsi que de leurs armes, organisant la défense de la position et faisant sans retard parvenir à Midongy un billet demandant simplement un gradé de renfort et des munitions. Ce fut le

24

DANS LE SUD DE MADAGASCAK

capitaine Lespagnol, commandant le secteur, qui arriva lui- même avec 35 fusils, dispersa l'adversaire, dégagea la recon- naissance et la ramena à Midongy. Le lieutenant Frénée, que le soldat Ehrentrant avait, tout en assurant la défense, soigné avec le plus grand dévouement, échappa à la mort par miracle; quel- ques mois plus tard, la croix de la Légion d'honneur et la mé- daille militaire venaient récompenser ces deux braves.

Zone de l'Extrême-Sud. Incident Lorin. Dès le mois d'avril, la pénétration, qui s'était limitée jusque-là à la ligne du Mandraré à l'Ouest de Fort-Dauphin, avait commencé en pays Antandroy, sur la rive droite de cette rivière. Les postes

Imanomio

d'Antanimora, d'Ambovombe avaient été créés, mais le pays traversé n'était pas acquis pour cela, car, le 7 octobre, le lieu-

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 25

tenant Lorin, dirigeant, sur la rive droite du Mandrare, à l'Ouest (ïlfotiaka, la construction d'une route à la tête de cinq tirailleurs indigènes au milieu de la tribu des Analavé, qui était consi- dérée comme soumise, avait été subitement assailli par une quarantaine d'hommes à la traversée d'une clairière; deux de ses hommes sur cinq étaient tués, lui-même sérieusement blessé d'un coup de sagaie. Il se maintenait néanmoins pendant six heures contre ses adversaires, tandis qu'un des trois tirailleurs qui lui restaient réussissait à se glisser à travers les assail- lants et à chercher un renfort qui venait le dégager.

* *

Il s'agissait de remédier sans retard à la situation créée par ces deux incidents.

Je prescrivis donc au capitaine Lespagnol, commandant le secteur de Midongy, de prélever tous les éléments disponibles de son secteur pour rouvrir le chemin de Midongy à Befotaka et pour créer un poste de 100 fusils en ce dernier point, aux lieux mêmes oii avait été assailli le lieutenant Frénée, afin de ne pas laisser à des adversaires aussi nombreux et agressifs que les Andrabé l'impression que nous soyons restés sous le coup d'un échec et d'affirmer notre installation au milieu d'eux; application de ce principe primordial que tout pas en avant doit être sanctionné par l'occupation effective et que le terrain, une fois gagné, ne doit jamais être évacué. Le poste fut créé le 20 octobre, mais il était formellement prescrit de se Hmiter à cette mesure, de rester sur la défensive et de ne s'engager dans aucune autre opération contre les Andrabé avant qu'un programme d'ensemble ait été adopté.

D'autre part, le commandant du cercle de Fort-Dauphin fai- sait châtier les Analavé, auteurs de l'agression contre le lieu- tenant Lorin, par une reconnaissance dirigée par le lieutenant Colombat, son officier-adjoint ; mais, aussi, je donnai comme instructions formelles d'arrêter toute pénétration ulté- rieure jusqu'à nouvel ordre. Au commandant de Fort-Dauphin, qui me proposait la création du poste de Beloha, en plein pays

28. DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Antandroy, sur la rive droite de la Manambovo, je télégraphiais le 15 octobre :

<( Prière de n'engager aucune nouvelle progression afin d'é- viter incidents et action militaire jusqu'à bonne saison prochaine. Ligne conduite absolue est maintenir statu quo et positions acquises et se limiter à ligne postes existants en avant Mandraré pour protéger cette ligne et ne pas s'étendre plus à l'Ouest. Occupation Beloha à ne pas envisager pour le moment. »

Je lui écrivais en même temps :

« Il importe en effet qu'il y ait simultanéité absolue

dans la ligne suivie entre les circonscriptions voisines; or, le commandant Lucciardi, dans le cercle de Tulear, conformé- ment aux instructions du Général, a ajourné toute pénétration active du pays Mahafaly; il se borne à isoler les groupes réfrac- taires, à chercher à les pénétrer ou à les dissocier par des in- fluences politiques et à fortifier les postes existants. Si ces moyens ne suffisent pas, il sera temps de prendre, au retour de la belle saison, une autre ligne de conduite.

)) Pour le moment, il en résulte qu'un poste à Beloha (1) serait tout à fait en l'air, sans aucun appui du côté Ouest et séparé, en cas d'incident, des renforts de l'Est par la Manambovo.

» Actuellement, la fièvre jaune arrête la relève des Sénéga- lais. L'expédition de Chine arrête la relève des cadres de l'in- fanterie de marine, il serait donc impossible de vous renforcer le cas échéant. Vous devez néanmoins maintenir de la manière la plus solide les situations acquises entre le Mandraré et la Manambovo. Mais, ce qui importe, c'est de ne pas ouvrir de chapitres nouveaux qui, par engrenage, nous mènent au delà de ce que nous voulons. »

Ce qui importait, en effet, et c'était la raison même de la création du commandement du Sud, c'était d'empêcher la péné- tration de se poursuivre sur tous les points à la fois, avec des moyens souvent insuffisants, au risque d'échecs qui nous au- raient engagés malgré nous en obligeant à y remédier sur-le- champ et de subordonner l'action de chaque cercle à un pro- gramme d'ensemble pour tout le Sud, programme qu'il fallait

(1) Beloha est porté sur le croquis (e) à la gauche du volume.

PÉRIODE PEÉPAEATOIBE 27

tout d'abord étudier et préparer sur place. Le plan d'action une fois adopté, la besogne s'engagerait sur un seul point à la fois, il serait alors possible de porter tout l'effort, en prélevant, s'il était nécessaiie, sur les effectifs de régions momentané- ment réser\'ées, et en n'ouvrant successivement de nouveaux chapitres qu'après avoir complètement terminé les précédents. Cette conception avait pour conséquence de maintenir provi- soirement le statu quo dans la plus grande partie du comman- dement; il n'en résultait aucun inconvénient pratique, puisque nous entrions dans la mauvaise saison et que cinq mois nous séparaient de l'époque la plus favorable aux marches et opé- rations; néanmoins, la ligne de conduite que j'estimais indis- pensable d'imposer n'était pas sans susciter des impatiences locales, absolument naturelles, puisqu'elles témoignaient sur- tout du désir d'action qui animait chacun, mais qui n'en devaient pas moins céder devant l'obligation d'une conception d'ensem- ble méthodique et suivie, la seule efficace.

J'utilisai cette période à une série de reconnaissances dans la zone forestière, qui permissent d'arrêter les premières lignes du programme.

II

ÉTABLISSEMENT DE COMMUNICATIONS TÉLÉGRAPHIQUES

Le plus urgent était d'abord d'établir des communications rapides entre Fianarantsoa et les chefs-lieux de cercles et pro- vinces. Ni Farafangana, ni Fort-Dauphin, ni Tulear n'étaient reliés par le télégraphe, qui s'arrêtait à Betroka (1). Dès ma prise de commandement, le Gouverneur général voulut bien mettre à ma disposition un agent des postes, M. Cassagnac, pour établir le réseau indispensable. 11 se mit à l'œuvre pen- dant la saison la plus rude. Grâce à l'activité et à l'énergie dé- ployées par le personnel technique et le personnel militaire qui

(1) Carte n" 1.

28 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

lui était adjoint, 864 kilomètres de ligne furent exécutés en quelques mois. A la date du l"" avril 1901, Fort-Dauphin était relié à Fianarantsoa; à la date du 10 juillet 1901, Farafangana était relié, par Mananjary, au réseau central et, à la date du 6 octobre 1901, la ligne de Tulear était terminée. A mesure de l'avancement des lignes, des postes provisoires étaient établis aux points terminus pour abréger progressivement la durée des communications.

Cette pose, en moins de dix mois, de près de 900 kilomètres de fil télégraphique, dans des régions malsaines et difficiles, à travers de vastes étendues désertes, oii le recrutement de la main-d'œuvre se faisait avec une peine extrême, fait le plus grand honneur au personnel employé à la construction.

Plus tard, au cours même des opérations, ce réseau télégra- phique était complété par un réseau optique. Ce réseau, rapi- dement installé par le capitaine Charbonnel, adjoint au Com- mandant supérieur, comprenait une ligne de huit postes qui, branchée à Ihosy sur la ligne électrique, reliait Ivohibe, Ifan- dana et Midongy, assurant ainsi une communication rapide avec les secteurs forestiers en voie de pénétration (1).

III

ACTION PRÉPARATOIRE SUR LES DEUX AILES DE LA ZONE INSOUMISE

Comme il a été dit plus haut, la répartition des groupes re- belles dans le Sud affectait d'une manière générale la forme d'un V (2). Avant qu'une connaissance plus approfondie du pays permît d'arrêter les détails du programme à suivre, la situation générale apparaissait assez clairement pour voir que, dans son ensemble, la méthode qui s'imposait consistait à peser

(1) Carte 4.

(2) Voir le croquis page 18.

•PERIODE TRÉP ARATOIRE 29

simultanément sur les deux branches du V, de manière à opé- rer le refoulement vers le Sud des éléments réfractaires.

En ce qui concerne la branche Ouest du V, cette manière de procéder avait comme résultat d'isoler du territoire Sakala- va, des incidents étaient encore à prévoir, les groupements insoumis du cercle de Tulear, afin d'empêcher les éléments hostiles de se prêter un mutuel appui d'un territoire à l'autre. Il faut ajouter que, dans la partie supérieure de la branche Ouest du V, l'exécution de ce programme était singulièrement facilitée par l'action militaire et politique menée par les com- mandants du cercle de Tulear, le commandant Toquenne, puis le commandant Lucciardi, antérieurement à ma prise de com- mandement. Notre pénétration en était à sa deuxième phase; notre autorité n'y était plus contestée par personne; il fallait et c'était encore une tâche fort délicate procéder à une organisation stable qui donnât aux populations paisibles une garantie contre le retour des troubles récents, aux éléments réfractaires l'impression de notre établissement définitif dans le pays et à tous l'assurance que notre prise de possession marquerait l'avènement d'un régime de justice, de tranquillité, exempt de toute tracasserie.

Nous verrons plus loin comment le commandant Lucciardi, commandant le cercle de Tulear, avait déjà conçu et commencé cette première partie de la tâche.

10 Action préparatoire dans la zone forestière de l'Est.

En ce qui concerne la branche Est du V, il était d'autant plus urgent d'en commencer sans retard le rabattement vers le Sud, qu'elle était une constante menace pour des intérêts éco- nomiques de premier ordre. Le groupe des Tanala insoumis du massif d'Ikongo avait son siège à 60 kilomètres de Fianaran- tsoa, était sur le flanc Sud et à proximité de la route de Manan- jary à Fianarantsoa et pouvait compromettre d'un moment à l'autre la sécurité de cette importante voie commerciale, d'au- tant plus que des groupements suspects étaient signalés égale- ment au Nord de cette route. Il pouvait en résulter des inconvé- nients plus graves encore, si ces infiltrations, se propageant au Nord, atteignaient les provinces d'Ambositra et de Mananjary,

30 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

entièrement pacifiées, et les exploitations aurifères de l'Ampoa- sary, en pleine activité. Les tournées que j'avais faites dans la province de Farafangana et dans l'Ikongo, les plaintes que m'avaient adressées les colons, l'attitude indécise que j'avais trouvée chez les chefs soumis d'Ikongo accoutumés par les com- promis passés avec eux, par l'exemption des impôts, à nous traiter d'égal à égal, la complicité évidente d'une notable partie de la population avec les groupes rebelles m'avaient fixé sur l'urgence de dégager tout d'abord cette région.

Voici ce que j'exposais à ce sujet au Général en chef, à la date du 10 décembre 1900 (1) :

« D'une manière générale, les groupes hostiles à notre domi- nation sont échelonnés dans la zone forestière et montagneuse parallèle à la côte Est.

» Ce sont, en allant du Nord au Sud :

» Le groupe des Tanala de l'Ikongo, dont le vieux roi Tsiandrofana, ainsi que ses fils, nous sont soumis, bien que l'un de ces derniers soit fort sujet à caution, mais dont un autre chef héréditaire très influent, Andriampanoha, tient tou- jours la brousse avec un groupe de fidèles, disposant non seulement de leurs fusils à pierre, mais de 12 Lebels et de munitions enlevés il y a un an au poste de Sasinaka. Une nota- ble partie de la population est en complicité occulte, mais cer- taine, avec lui; la partie soumise de la population n'ose pas réunir de troupeaux ni étendre ses cultures de crainte de leurs incursions; ce groupe constitue une menace constante pour les routes de Fianarantsoa à Mananjary et Fianarantsoa à Fara- fangana. Il est impossible de circuler sur cette dernière voie sans escorte.

» Le groupe de Rahiandry, à l'Est d'Ivohibé, dans le cer- cle des Bara, mais débordant dans le district de Karianga de la province de Farafangana.

» 3" Les Tambavalo, sur les deux rives de l'Iantara, à che- val sur la province de Farafangana et le cercle des Bara.

(1) Rapport du 10 décembre, 111 A. (Voir la carte n" 2.)

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 31

» Les groupes des Andrabé et du Ranofotsy, qui occu- pent la vallée de l'Itomampy,, le massif de l'Imandabe et sont, par conséquent, à cheval sur les cercles des Bara, de Fort-Dau- phin et sur la province de Farafangana.

» Bien que séparés, on peut dire que ces groupes forment pourtant un filon ininterrompu tout le long de la forêt, à tra- vers laquelle ils communiquent de proche en proche. Les Tam- bavalo sont certainement en relations par le Nord avec les Ta- nala insoumis de la province de Fianarantsoa.

» Leur action n'est pas combinée et, pour le moment, sauf les Andrabé qui viennent d'attaquer le lieutenant Frénée, de tenter l'enlèvement du poste de Befotaka et d'assaillir plusieurs convois, leur attitude est plutôt passive, mais ils ne veulent pas reconnaître notre domination et offrent avant tout le danger de constituer des noyaux tout formés et tout prêts pour les mécon- tents. Ce qui le prouve, d'ailleurs, c'est que leur effectif varie suivant les circonstances; il augmente à la suite du moindre incident favorable; un semblant de succès dans une de leurs opérations fait tout à coup grossir leurs rangs de tribus en ap- parence soumises, comme le cas s'est produit récemment, lors du guet-apens dans lequel est tombé le lieutenant Frénée.

» C'est ce qui fait leur danger et nous oblige absolument à nous en rendre maîtres.

» Que le groupe des mécontents grossisse autour de ces noyaux, que l'entente s'établisse, qu'un chef résolu surgisse, et alors la situation deviendrait tout à fait sérieuse et d'autant plus que le pays, extrêmement difficile, leur offrirait des repaires inaccessibles, il serait très dur d'aller les chercher et d'ob- tenir des résultats décisifs, mais d'oij, par contre, il leur serait facile de sortir et de nous inquiéter.

» Pour une autre raison encore, il nous est impossible de les négliger.

» Tandis que dans les régions Mahafaly et Antandroy, les groupes réfractaires ne sont pas sur nos principales lignes de communications et n'entravent pas sérieusement, pour le moment du moins, le commerce et la colonisation, j'ai préco- nisé la méthode d'investissement lent et d'isolement sans co- lonnes, ici il n'en peut-être de même. La zone forestière occu- pée par ces groupes hostiles s'interpose en effet entre la côte Est et les marchés de l'intérieur et gêne toutes les communi-

32 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

cations commerciales entre le plateau central et les points côtiers de Vohipeno, Farafangana, Vangaindrano et Fort-Dau- phin, qui sont ses débouchés naturels.

» Pendant mon séjour à Farafangana, la chambre consulta- tive m'en a très nettement exprimé ses plaintes.

» Les causes principales qui ont jusqu'ici empêché la ques- tion de se résoudre sont :

» La méthode trop souvent adoptée des « colonnes en coup de lance », dont quelques-unes menées par des officiers en mission, tandis que la seule besogne efficace se fait par les chefs de circonscription établis sur place, au courant du pays et solidaires de ses intérêts;

» 2" Mais surtout, la situation de ces groupes hostiles placés à cheval sur plusieurs circonscriptions dont les frontières cou- pent, suivant un tracé tout à fait conventionnel, la zone fores- tière au préjudice de l'unité d'action et de direction.

» Des considérations précédentes découle la méthode à adop- ter :

» Assurer l'unité de direction; » Diviser le travail.

» J'espère atteindre ce but en créant du Nord au Sud une série de circonscriptions à cheval sur les diverses provinces et englobant toutes les parties contaminées.

» J'applique dès maintenant ce système :

» A la région d'Ikongo, en y plaçant un officier mis à la disposition de M. l'administrateur en chef Besson et les effec- tifs nécessaires, tout en y maintenant M. l'adjoint des affaires civiles Ravel, bien au courant du pays;

» A la zone située au Nord de la Mananara et qui en- globe tous les Tambalavo. Je vais y mettre le capitaine Le Rou- villois. Il aura sous son autorité tout le secteur d'Ivohibé dé^ pendant du cercle des Bara, ainsi que le district de Karianga et la partie forestière du district de Farafangana. Rien ne sera changé pour le moment aux limites administratives. Il dépen- dra de l'administrateur de Farafangana pour les districts de cette province et du cercle des Bara pour Ivohibé; seulement, tout en procédant à la pacification, le capitaine Le Rouvillois

PERIODE PREPARATOIHE 33

préparera à loisir, sur place, disposant (Je tous les moyens d'information et tout le temps nécessaire pour les contrôler, une délimitation définitive. Il me semble, d'après les renseigne- ments que j'ai jusqu'ici, qu'elle aboutira à attribuer plus tard à Farafangana presque tout le secteur d'Ivohibé actuel, dont les populations, en majorité Tanala et ayant, par les vallées, leurs débouchés vers la côte, semblent s'y rattacher naturelle- ment.

» Aussitôt le capitaine Le Rouvillois arrivé, j'irai moi-même procéder sur place à cette organisation.

» J'estime qu'il y aura lieu d'adopter ultérieurement une solution analogue au Sud de la Mananara, par la création d'une circonscription à cheval sur Farafangana, les Bara et Fort- Dauphin, englobant tous les Andrabé et les Ranofotsy. J'irai étudier le plus tôt possible cette question sur place et je vous présenterai alors un programme d'ensemble pour toute la paci- fication. »

A) Action préparatoire dans la région dlkongo. En con- séquence de ce qui précède, le 11 décembre 1900, le lieutenant Libersart était mis à la tête du district d'Ankarimbelo, partie Sud de la région d'Ikongo (1), oii le noyau rebelle paraissait avoir sa principale installation, M. Besson, administrateur en chef de la province de Fianarantsoa, allait lui-même s'établir à Fort-Carnot, chef-lieu de la région. Très au courant des indigènes, exerçant sur eux une grande autorité, il allait met- tre en œuvre sur place tous les moyens politiques et admi- nistratifs et coordonner l'action des trois districts de la région Tanala :

Celui d'Ifanadiana, commandé par M. l'inspecteur de milice Lafond, avec 70 miliciens;

Celui de Fort-Carnot, commandé par M. l'adjoint des affaires civiles Ravel avec 60 miliciens,

Et celui d'Ankarimbelo.

Le lieutenant Libersart était chargé de mener l'action mili- taire contre les noyaux rebelles.

(1) Carte 2. Madagascar.

34 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Le 2 janvier 1901, cet officier, ayant enfin obtenu par les émissaires et par les chefs restés soumis des renseignements précis sur l'installation d'Andriampanoha en forêt, escaladait de nuit la falaise couverte de bois et prenait de revers le village des rebelles; ceux-ci se réfugiaient dans des grottes préparées pour leur servir d'abris naturels. Le 3 janvier, une des issues de ces grottes était découverte avec la plus grande difficulté, vivement attaquée, et les Tanala, délogés, abandonnaient les caisses de cartouches Lebel. Il résultait des renseignements recueillis qu'un chef des Tambavalo du Sud, Tsiahoro, était venu prêter main-forte à Andriampanoha, ce qui confirmait l'existence d'une entente entre tous les groupements rebelles de la forêt. Pendant les semaines suivantes, le lieutenant Allard,. qui avait remplacé le lieutenant Libersart, continuait la chasse pied à pied dans la forêt et, à la fin de mars, avait obtenu la soumission de la plus grande partie du groupe et la red- dition de dix fusils Lebel. Il ne semblait plus y avoir à ce moment de noyau constitué, toute trace d'Andriampanoha et de ses deux compagnons les plus fidèles, Izaïta et Andriamane- tony, avait disparu et on les donnait comme ayant rejoint les Tambavalo au Sud. A cette date, fin de mars, je rendais donc compte au Général en chef que la pacification de l'Ikongo pou- vait être considérée comme réglée. Je me trompais. J'aurais tenir compte d'un élément qu'on ne doit jamais perdre de vue, c'est que, lorsqu'une situation insurrectionnelle est due h l'influence personnelle d'un chef local, elle ne doit jamais être considérée comme réglée tant que ce chef n'est pas entre nos mains. Le fait même de sa disparition sans laisser de trace est la preuve des complicités locales; l'on peut être à peu près assuré qu'il réapparaîtra à la première occasion et que l'affaire sera à recommencer. C'est ce qui se produisit quelques mois plus tard.

B) Action préparatoire contre les Tambavalo. Pendant que l'action contre les rebelles de l'Ikongo était ainsi engagée, elle se préparait en même temps contre les rebelles Tambavalo, au Nord de la Mananara, où, comme il a été dit plus haut, était constitué, à la date du 1" janvier, un secteur à cheval sur le cercle des Bara et la province de Farafangana, sous le commandement du capitaine Le Rouvillois.

PÉEIODE PRÉrARATOlRE 35-

Cet officier, après avoir reconnu la situation, me faisait, à la date du 16 janvier, les propositions suivantes :

Il résulte die tous les renseignements recueillis qu'il existe dans la forêt, dans le quadrilatère formé par l'Iantara au Nord, la route d'Ifandana à ï'arafangana au Sud, la lisière de la forêt à l'Est et la ligne Ifandana-Imandabe à l'Ouest, un groupement d'environ 350 fusils, qui ont été jusqu'ici rebelles à toutes nos exhortations et nos conseils pour obtenir leur soumission. Ces tribus ont installé dans la forêt des villages fortifiés, de très riches cultures, des pâturages et quelques villages ouverts. La forêt a été en somme organisée défensivement par eux.

Depuis un an environ, il existe, entre nos troupes et ces re- belles, un espèce de pacte tacite par lequel, nous nous sommes engagés à ne pas venir les troubler chez eux et, de fait, pas une reconnaissance n'est entrée dans la forêt depuis un an.

Le poste d'Imandabe est en face d'un repaire de 60 fusils installé à la lisière de la forêt à 1.800 mètres de ses parapets, sans que ce groupemjcnt ait été jamais inquiété. Par contre, les rebelles n'attaquent jamais un convoi sur la route Ifandana- Mahabetana et s'abstiennent le plus possible de piller du côté d'Ivohibé.

Il n'en est pas de même malheureusement du côté de Fara- fangana et je reçois actuellemient l'écho des plaintes de l'admi- nistrateur et de celles des colons de la province. Il ne se passe pas de nuit sans qu'un vol soit commis dans les populations soumises de la province de Farafangana et surtout chez nos colons. C'est ainsi que M. L.... s'est trouvé obligé de renoncer à l'élevage par suite des nombreux a'oIs qui avaient été commis chez lui.

La richesse agricole de cette province est compromise par le fait même de cette situation.

Il y a donc lieu d'agir énergiquement.

Jusqu'à présent, il semble quje les mesures adoptées se soient bornées à la formation de colonnes qui, pendant un mois ou deux, ont parcouru la forêt, sans qu'aucune occupation eût suivi cette opération.

Il y avait à cette manière de faire une raison en ce sens que les commandants de secteur, n'ayant pas sous leur direction la lisière Ouest, ne pouvaient prendre pied dans la forêt et l'orga- niser.

Quoi qu'il en soit, le but qui doit être actuellement poursuivi doit être l'occupation de la forêt.

Mais il est nécessaire que cette occupation soit faite d'une façon méthodique.

Il résulte de nombreux renseignements recueillis que la sai- son actuelle ne serait pas favorable à cette occupation ; d'abord,'

36 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

la destruction des villaares fortifiés exigerait l'emploi de forces assez nombreuses qui, opérant en pleine saison des pluies, subi- raient des fatigues telles que l'effectif serait rapidement di- minué. En outre, à cette période de force doit succéder une période d'installation pendant laquelle les troupes devront con- struire des postes tout en fournissant de nombreuses reconnais- sances.

La situation demande également que toute la forêt soit occu- pée entièrement de fa^on que les rebelles chassés d'une partie de la forêt n'aillent pas se refaire dans une autre.

Il y a donc lieu de profiter des parties de la région forestière qui ne sont pas occupées pour nous y installer, nous y organi- ser au moyen des habitants que nous amènerons et qui nous fourniront des partisans et des émissaires connaissant tous les sentiers. Puis, au moment cette organisation sera à peu près complète et la saison sera moins mauvaise, c'est-à-dire vers la moitié d'avril, les opérations actives pourront commencer dans la partie occupée par les nebelles, les autres sous-secteurs redou- blant d'activité pour courir sur tout groupement ennemi si- gnalé.

A cette période, qui durera jusqu'à la désorganisation com- plète des bandes, succédera l'occupation de la partie de la forêt conquise dans les mêmes conditions que l'autre, mais avec plus de moyens d'action.

Il y aurait, d'ailleurs, avantage à ce que cette ligne de con- duite fût adoptée dans tous les secteurs forestiers, de façon qu'il y ait simultanéité dans les opérations.

Je transmis ces propositions au Général en chef, en leur don- nant mon entière approbation, et elles servirent de base au programme adopté plus tard pour la pacification.

L'action préparatoire se trouvait ainsi amorcée dans toute la partie supérieure de la branche Est du V occupé par les groupes insoumis ou douteux du commandement.

Action préparatoire à l'Ouest dans le cercle de Tulear. Premiers essais de protectorat. Pendant ce temps, une action d'un autre genre et d'un vif intérêt était exercée par le commandant Lucciardi dans le cercle de Tulear sur la partie supérieure de la branche Ouest du V.

Cet officier supérieur avait pris, dès le mois d'août, le com- mandement du cercle de Tulear. Il avait jugé spontanément que la méthode logique à suivre pour la pacification était une pro-

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 37

gression du Nord vers le Sud. Son cercle se trouvait nettement divisé par le cours de l'Onilahy en deux parties d'importance sensiblement égale; au Sud, c'était le pays Mahafaly, encore à peu près impénétré et dont une grande partie nous était nette- ment hostile; la partie Nord nous était à peu près acquise, mais il y subsistait encore bien des éléments douteux et le voisinage du territoire Sakalava, dont il était essentiel d'isoler les éléments réfractaires, y nécessitait l'établissement d'une solide organisation politique.

A) Premier essai de protectorat au Nord de VOnilahy. Au moment de mon arrivée, le commandant Lucciardi était en train de préparer cette organisation dans des conditions du plus haut intérêt.

Voici ce que j'écrivais au Général en chef (rapport du 10 décembre 1900) :

(( Le cercle de Tulear se divise en deux zones : Sud et Nord de l'Onilahy.

» Le Sud de l'Onilahy, c'est le pays Mahafaly, oii la situation n'est pas encore nette.

» Au Nord de l'Onilahy, c'est un véritable projet de protec- tion que le commandant Lucciardi propose d'établir chez les Bara-Imamono, groupement de 30.000 habitants, compact et homogène. Cette tentative est en si complète conformité de vues avec celles que vous m'avez exposées que je l'ai autorisé à en commencer l'application immédiatement. Je ne saurais mieux faire d'ailleurs que de vous transcrire son rapport (1). »

Le secteur des Bara-Imamono comprend environ 30.000 ha- bitants (9.050 contribuables d'après le dernier recensement) appartenant à la tribu des Bara-Imamono. Ces derniers recon- naissent tous comme chef Impoinimerina, qui, dès l'arrivée des Français à Tulear, en 1897, a fait preuve d'un grand sens poli- tique en acceptant immédiatement notre autorité. Son influence sur ses sujets est telle qu'il a été fidèlement obéi par tous et que c'est grâce au concours fourni par les Bara-Imamono que nous

(1) Rapport du commandant Lucciardi, du 18 novembre 1900.

/ f^ Dauphin

Cpoqais d'ensemble du cercle de Taleap.

PÉRIODE rRÉPARATOIHE 39

avons pu avoir raison assez facilem^ent de la résistance opposée à notre pénétration par les tribus voisines.

Les Bara-Imamono se livrent principalement à la culture du riz et à l'élevage ; on compte qu'ils possédaient environ deux ou trois tètes de bétail par habitant ; les exportations de bétail échappent à la statistique douanière parce qu'elles s'opèrent exclusivement vers l'intérieur; ce sont les Betsiléo qui en font le commerce et qui s'y enrichisssent, d'ailleurs, très rapidement; cette exportation de bœufs vers le pays Betsiléo atteint 300 grosses têtes par mois, chiffre approximatif, soit une valeur de 500.000 francs par an ; d'autre part, 200 tonnes de riz environ provenant du pays Bara alimentent annuellement le marché de Tulear. On voit donc que le mouvement commercial de la région des Bara-Imamono dépasse un million de francs par an. Anka- zoabo est, d'ailleurs, un centre dont l'importance augmente d'une façon très sensible ; deux commerçants y ont déjà con- struit des maisons en briques à étage ; des marchands ambulants Betsiléo y affluent tous les jours.

Le groupement de cette population homogène de 30.000 Bara sous les ordres d'un seul chef m'a fait penser qu'on pourrait y tenter l'expérience d'une administration simple, dont seraient chargés les chefs indigènes, sous le contrôle d'un administrateur français, civil ou militaire, résidant à Ankazoabo ; j'ai exposé longuement mes vues à ce sujet à Impoinimerina, que je crois réellement doué d'un sens politique très fin et qui, en tout cas, est remarquablement obéi par tous ses chefs secondaires, dont la plupart, d'ailleurs, lui sont attachés par les liens du sang.

J'ai fait entendre à Impoinimerina que les fonctions d'un chef de secteur consistaient :

A garantir la sécurité absolue dans le secteur, c'est-à-dire, d'un côté à faire la police intérieure en réprimant les délits commis par les habitants du secteur, d'un autre côté à faine la police extérieure en empêchant les malfaiteurs venant des pays voisins de commettre des déprédations dans le secteur ;

A régler les contestations s'élevant entre les habitants ;

A recueillir l'impôt ;

A assurer l'exécution de toutes les mesures administratives prescrites par l'autorité française (recrutement de travailleurs pour les travaux d'utilité publique, recensements, mesures d'hy- giène, etc.).

Impoinimerina m'a assuré qu'il se chargerait volontiers de régler les affaires concernant les Bara-Imamono, mais qu'à l'é- gard des Européens, des Indiens, etc., et des indigènes autres que les Bara, il préférait ne pas intervenir et laisser ce soin aux autorités françaises.

Il a hésité cependant à assumer la responsabilité de la police intérieure et extérieure au moyen de partisans armés et m'a

40 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

demandé de maintenir nos postes militaires actuels jusqu'à ce qu'il ait recruté un assez grand nombre de Bara dévoués qu'il emploierait à cette beso^e. Il m'a demandé, en outre, de s'adjoindre un secrétaire indigène qui sache lire et écrire, afin de tenir les comptes de l'impôt.

L'organisation militaire, politique et administrative à donner au secteur Bara pourrait donc avoir pour base les dispositions suivantes :

A) Impoinimerina serait nommé chef des Bara-Imamono, avec le titre de gouverneur principal et les appointements de deux cents francs par mois.

B) Un secrétaire indigène lettré lui serait adjoint aux appoin- tements de quinze francs par mois.

C) M. le capitaine Chieusse, qui commande actuellement le secteur des Bara-Imamono, exercerait les attributions de rési- dent auprès du chef Impoinimerina.

D) Trente partisans armés et équipés comme les miliciens et inscrits sur les contrôles de la compagnie de milice du cercle seraient mis à la disposition d'Impoinimerina pour assurer la police intérieure et extérieure du secteur.

E) M. le capitaine Chieusse résiderait à Ankazoabo, poste militaire occupé par trente tirailleurs de sa compagnie.

Lorsque les partisans Bara seront armés et instruits, les postes de milice de Fort-Delavau et de Bereta seraient supprimés, ce qni permettrait de licencier environ soixante miliciens.

Cette organisation était immédiatement sanctionnée par le Gouverneur Général. Elle créait un précédent des plus heureux. Alléger les charges de notre administration en utilisant dans la plus large mesure les éléments indigènes, en maintenant les groupements constitués, en conservant les chefs traditionnels est un des buts qu'il est le plus désirable d'atteindre en politique coloniale. Il convient malheureusement de remarquer que c'est un de ceux qui répugent le plus à beaucoup de nos agents. Imbus des formules administratives de la Métropole, élevés dans le culte de la symétrie et de l'uniformité, ils n'admettent pas volontiers la diversité et la souplesse que comporte tout système se rapprochant plus ou moins du protectorat. Le goût d'ingérence méticuleuse dans le détail n'y trouve pas son compte et il semble à beaucoup qu'ils se trouvent diminués dans leur importance et dans leur prestige par l'autorité déléguée à côté d'eux à des chefs indigènes. Il n'y a pas de tendance contre la- quelle il y ait plus d'intérêt à réagir. Chaque fois que nous

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 41

trouvons des groupements ethniques tout formés, des institu- tions locales, notre premier intérêt est de les sauvegarder et de nous en servir. Nous y réalisons d'abord une économie de personnel, mais surtout une économie de temps. Lorsque, par ignorance, maladresse ou préjugé, nous avons détruit ces assi- ses traditionnelles et que nous ne nous trouvons plus qu'en face d'une poussière sociale, ce sont des années, sinon des siècles, qu'il nous faut ensuite pour reconstituer à notre admi- nistration une base solide. Les exemples abonderaient, si je me laissais aller à mes seuls souvenirs personnels. Dans cet ordre d'idées, j'aurais vivement désiré pouvoir reconstituer en un seul bloc tous les groupements de race Bara qui formaient environ le tiers de mon commandement. Malheureusement, des rivalités de famille, des compétitions de chefs également im- portants à ménager rendaient impossible d'en réunir les élé- ments épars. Du moins, l'heureuse initiative du commandant Lucciardi marquait-elle un premier pas dans cette voie et dé- passait-elle de beaucoup en portée le simple fait de l'organi- sation de la tribu des Bara-Imamono, en raison du précédent qu'elle créait. Aussi accueillis-je avec la plus entière approba- tion ses propositions d'étendre peu à peu ce régime à toute la partie de son cercle située au Nord de l'Onilahy.

En dehors des Bara, il s'y trouvait deux groupements eth- niques distincts : les Tanosy et les Masikoro, pour le moment extrêmement divisés. Les conditions dans lesquelles le com- mandant Lucciardi comptait arriver à les reconstituer ressor- tent du rapport suivant qu'il m'adressait fin février 1901 :

Groupement Tanosy. Les Tanosy du cercle de Tulear qui ont émigré de la région de Tort-Daupliin, il y a soixante ans environ, et qui se sont établis sur le moyen Onilahy, forment un groupement de 25.000 habitants environ. Jusqu'à ce jour, les commandants de secteur et de poste avaient adminis- trer directement en s'adressant à chaque chef de village, aucun groupement important n'ayant pu être formé. Il était intéres- sant d'essayer d'agglomérer le bloc Tanosy dans les mêmes con- ditions que celui des Bara-Iraamono. Ces tentatives ont abouti à une première division en trois groupes :

1" Sur la rive droite de l'Onilahy, les Tanosy-Zafitomana ont élu pour chef Rainigaroka, qui réside à'Sakamaré (1).

(1) Croquis page 38.

42 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

2"* Les Tanosy-Zafiramimk ont élu pour clief Befanitsiky, qui réside à Toiigobory.

Sur la rive gauche de l'Ouilaliy, les villages n'ont pas encore pu se mettre d'accord sur le choix d'un chef unique.

Cette organisation a permis de remplacer la garnison militaire de Sakamaré par un simple poste de 16 miliciens et de faire assurer la police intérieure par les chefs élus à chacun desquels j'ai donné 4 partisans Tanosy enrôlés comme miliciens.

C'est un premier pas fait vers la constitution d'un secteur Tanosy obéissant à un seul chef Tanosy, dans les mêmiss condi- tions que le groupement des Bara-Imamono.

GitorPEMENï Masikoro, Les Sakalava-Masikoro occupent la zone côtière entre l'Onilahy et le Mangoky, groupés dans les vallées de formation alluvionnaire et, par suite, très fertiles. Ils ont un très grand nombre de chefs appartenant tous à la famille royale Masikoro, dont le représentant le plus notoire était le roi Tompomanana, décédé depuis deux ans, qui avait réussi à grouper la plupart d'entre eux sous son autorité. En poursuivant toujours l'idée d'établissement du régime du pro- tectorat, il parait possible de la réaliser par l'élection d'un chef unique choisi dans la famille royale, dont le prestige aux yeux des populations est considérable. Ce chef résiderait à Tulear, auprès du commandant du cercle. J'ai exposé déjà aux chefs indigènes l'avantage qu'il y aurait pour eux à se mettne d'accord sur Je choix du plus digne, auquel je confierais l'administration et la police intérieure dans les mêmes conditions que pour Impoinimcriua. Le bloc Sakalava-Masikoro représente une po- pulation de 30.000 habitants environ.

Les rivalités personnelles ne permirent pas d'aboutir du pre- mier coup au choix d'un chef unique. Les Masikoro du Nord élirent Lahiabo, les Masikoro du Sud Rebiby. Mais, dans la pensée du commandant Lucciardi, aussi bien chez les Masi- koro que chez les Tanosy, il n'y avait qu'un acheminement vers l'unification des groupements. Cette pensée se réalisa par la suite. Le lieutenant-colonel Lavoisot, successeur du com- mandant Lucciardi, poursuivant la même politique, parvint à grouper, à la fin de 1901, tous les Tanosy sous le commande- ment du chef unique Befitory; chez les Masikoro, au début de 1902, la découverte de la complicité de Lahiabo avec des agita- teurs du territoire Sakflava fournit l'occasion de réunir lous les Masikoro sous la seule autorité du chef Rebiby.

Enfin divers motifs de mécontentement fournis par Inapa-

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 43

ka, chef des Bara-Be, permettent d'espérer qu'une occasion prochaine donnera l'occasion d'agglomérer sa tribu à celle d'Im- ix)inimerina et de marcher ainsi vers la constitution d'un im- portant groupement Bara sous la direction de ce chef.

B) Action préparatoire contre les Mahafaly. Tandis que le commandant Lucciardi assurait au Nord de l'Onilahy une organisation politique solide et rationnelle destinée à préve- nir tout retour d'incidents dans ce que j'ai appelé la branche supérieure Ouest du V^.il procédait, pendant la môme période, au Sud de l'Onilahy, à une série d'opérations ayant pour objet de circonscrire les noyaux Mahafaly insoumis et de les empê- cher de venir inquiéter par leurs déprédations les régions en pleine voie d'organisation pacifique.

Comme cette région des Mahafaly, demeurée très longtemps impénétrée et insoumise, avait été l'objet d'hypothèses assez contradictoires depuis notre occupation de Madagascar, il n'est pas sans intérêt de reproduire le premier rapport (18 août 1900) dans lequel le commandant Lucciardi, après sa prise de commandement, exposait la situation de cette région et la po- litique à y suivre :

A). Situation topographique. Si l'on considère, d'une part le cours de l'Onilahy outre Saint-Augustin et SakamaPe, limite Est du cercle de Tulear (150 kilomètres), d'autre part la côte entre Saiut-Augustin et le cap Sainte-Marie (350 kilomètres, sans suivre les contours), puis le cours du Menarandra depuis son embouchure jusqu'à son confluent avec le Manambahy et, enfin, une ligne Sud-Nord entre ce dernier point et Sakamaré, on obtient un quadrilatère dans lequel se trouve compris le pays Maliafaly. Pour être plus exact, il faut retrancher de ce quadrilatère une bande de 60 kilomètres de longueur et 40 kilo- mètres de largeur environ, le long de la rive gauche de l'Oni- lahy moyen, dont la population appartient à la race Tanosy, ralliée à notre cause depuis le début de notre occupation; on pourrait peut-être encore ajouter à ce quadrilatère quelques ter- ritoires situés sur la rive gauche du Menarandra, plusieurs g-rouf^ements de race Mahafaly sont établis au milieu de la po- pulation de race Antandroy.

La caractéristique de ce pays est le manque d'eau douce; seule, la vallée du Menarandra, assez abondamment arrosée, possède des pâturages permanents susceptibles de nourrir de beaux trou- peaux. Le lit de la Linta est le plus souvent à sec et le lac Tsi-

TULEAR

Postes à créer Frontière du Cercle deTule«r

iïTnT|T Régions \ia.\>\tees.(Ler'este est ùiha

Région JJahafaly.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 45

manampetsotra est salé, quoique ses abords soient recouverts d'uiue belle végétation paxoe que les nombreux puits qu'on y a creusés donnent de l'eau douce.

En dehors de ces trois zones (Menarandra, Linta, lac Tsima- nampetsotra), on trouve de l'eau douce très rarement, en creu- sant des puits dans quelques dépressions du sol, de sorte que l'in- térieur de ce vaste quadrilatère, à l'exception des groupements d'Ejeda et d'Ankazontaha, renferme une population très clair- semée et très pauvi-e. Si d'Ejeda, qui se trouve à peu près au centre du quadrilatère considéré, et aboutissent plusieurs sentiers partant de divers points de la côte, on veut gagner la périphérie, on est obligé de parcourir des plateaux complète- ment brûlés par le soleil et presque totalement dépourvus d'eau.

Cette particularité suffirait pour expliquer la faible densité de la population et le manque de cultures sur les rares points se trouve de l'eau douce ; on trouve, cependant, quelques champs de manioc, de patates, de maïs, de sorgho et des am- pemby (variété de haricots), avec des troupeaux de bœufs, mou- tons et chèvres. Le pays n'est pas privé complètement de végé- tation; les pluies, même très rares, de l'hivernagie suffisent pour faire pousser des hautes herbes, des lianes, des arbustes, dont l'intisy, produisant le. caoutchouc, et quelques arbres rabougris.

Le long de la côte, les ports les goélettes de petit et moyen tonnage peuvent mouiller, à l'abri des vents du Sud-Ouest, qui régnent toute l'année dans ces parages, sont assez nombreux ; on peut citer les quatre principaux : Beheloka, Itampolo, Androka et Ampalaza.

B). Situation économique. Les Mahafaly ne sont pas agri- culteurs, à cause des conditions climatériques du pays et de l'insécurité qui y règne ; ils ont besoin de demander à leurs voi- sins les vivres qui leur manquent ; cette nécessité les a fait refluer vers la périphérie, d'où leurs incursions vers le Nord pour piller les cultures et les troupeaux des Tanosy de l'Onilahy; d'où leur poussée vers la côte, ils peuvent faire du commerce avec les traitants, qui leur apportent divers produits industriels et agricoles et reçoivent d'eux, en échange, du caoutchouc. Le pays Mahafaly fournit tout le caoutchouc exporté par le port de Tulear (122 tonnes en 1899, d'une valeur de 532.000 francs). Tulear est le port d'attache des goélettes qui naviguent dans ces parages jusqu'à Betanty (Faux-Cap). Fort-Dauphin reste étranger à ce mouvement commercial. On peut affirmer que le pays Mahafaly et la côte Antandroy, de la baie de Saint-Augus- tin à Betanty (Faux-Cap) inclusivement, se rattachent à Tu- lear au point de vue économique. On exporte aussi du pays Ma- hafaly quelques bœufs, des moutons et des chèvres, mais en pe- tite quantité.

46 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

C). Situation politique. Nous avons trouvé dans le pays cinq chefs principaux :

Au Nord, en contact avec les Tanosy, les cliefs Mahafaly Re- fotaka et Tsiverenga ;

Au centre du quadrilatère, vers Ejeda, le chef Tsibasy;.

Au Sud, le chef Tsiampondy, qui commande entre Androka et le Menarandra, et Yoriaadro, au Nord-Est des Etats de Tsiam- pondy, sur le moyen Menarandra.

Les deux premiers, Refotaka et Tsiverenga, n'ont pas voulu entrer en contact avec nos postes et sont actuellement en rébel- lion contre nous ; leur autorité s'est éparpillée entre les chefs de village, dont les uns ont fait leur soumission et les autres gar- dent une attitude, sinon hostile, du moins un peu hésitante.

Tsiampondy, Tsibasy et Yoriandro sont ralliés à notre cause. Ils ont souvent accompagné nos troupes en neconnaissanoe, leur fournissant des vivres et des porteurs. Ils demandent, en échange, la protection de nos armes contre les Antandroy de la rive gauche du Menarandra, tribus pillardes, sur le territoire desquelles les troupes du cercle de Eort-Dauphin n'ont pas encore pénétré.

En dehors de ces groupements principaux, qui reconnaissent l'autorité des chefs susnommés, on trouve un grand nombre de petits villages éloignés les uns des autres, ainsi que de petites bandes de quatre à cinq pillards vivant d'une façon indépen- dante. Dans la zone côtière, comprise entre Saint-Augustin et Itampolo notamment, chaque petit centre a son chef particulier.

Aucune règle, aucune contrainte, aucun principe de justice me sont admis dans ce pays oxi la force prime tout. Les chefs prélèvent sur leurs sujets quelques amendes consistant géné- ralement en bœufs, ou vivent des redevances qu'ils imposent aux traitants qui viennent de Tulear ; souvent, ces traitants voient leurs marchandises mises complètement au pillage.

D). Situation militaire actuelle. Nous occupons, sur la côte, les postes d'Androka et d'Itampolo ; à l'intérieur, le poste d'Ejeda. La frontière Tanosy est tenue par les postes de Saint-Augustin, Tongobory, SakamaTé, Betioky. Le cercle de Fort-Dauphin tient Bekitro, à trois jours de marche à l'Est d'Ejeda, vers le Haut-Menarandra. De plus, un détachement de 50 conducteurs sénégalais, avec 50 mulets et 15 voitures Lefeb- vpe, est chargé du ravitaillement de la garnison d'Ejeda et fait circuler ses convois de voitures entre ce point et Tongobory.

Nos reconnaissances ont parcouru en divers sens le quadri- latère Mahafaly à l'Est et au Sud-Est de la ligne Itampolo- Ejeda-Betioky-tongobory. Seule, la région située à l'Ouest de cette ligne (région du lac Tsimanampetsotra) n'a pas encore été visitée. Nous possédons, cependant, sur cette dernière des

PÉRIODE rRÉPARATOIRE 47

renscûgnemeuts fournis par les traitants de ïulear et des Yezo de la côte.

La valeur militaire des Mahafaly est à peu près nulle ; les quelques groupes dissidents qui ont fait mine de combattre nos troupes ne leur out opposé qu'une faible résistance. D'ailleurs, leur armement se compose de mauvais fusils à pierre et ils ne se procurent de la poudre qu'avec les plus grandes difficultés.

E). Organisation militaire a établir. Se tenir provisoi- rement sur la périphérie; au Nord, ga,rder les postes de Saint- Augustin, Tongobory, Sakamaré, Betioky, afin de protéger les populations Tanosy contre les incursions des petites bandes Ma- bafaly que nous sommes impuissants à faire totalement dispa- raître, ou, du moins, dont la poursuite nous entraînerait à des dépenses Lors de proportion avec la valeur des résultats; gar- der Ejeda provisoirement, pour protéger le roi Tsibasy, notre allié, mais réduire la garnison à 30 ou 35 hommes. Les cinq pos- tes de Saint-Augustin, Tongobory, Sakamaré, Betioky, Ejeda peuvent être tenus par une compagnie de 150 sénégalais.

A l'Ouest, tenir sur la côte les quatre ports principaux : Be- heloka, Itampolo, Androka, Ampalaza ; on protégera ainsi les. établissements des traitants européens et assimilés et des Indiens qui font le trafic assez important de la région ; on sera maître de la situation économique du pays, on aura des points d'appui pour faire la police parmi les tribus côtières ; on sera à proxi- mité des groupements principaux, de manière à pouvoir affermir l'autorité des chefs indigènes ralliés à notre cause.

La question du ravitaillement des troupes ainsi réparties sera résolue de la façon la plus simple et 'la plus économique : au Xord, par la voie d'eau de l'Onilaliy et un détachement d'une dizaine de conducteurs sénégalais placé à Tongobory avec 5 voi- tures et 12 mulets ;

Sur la côte, par des goélettes du port de Tulear, qui sont en nombre plus que suffisant poiir répondre aux besoins prévus.

Seul le poste d'Eseva, sur le Moyen-Menarandra, sera ravi- taillé par des convois de porteurs Mahafaly; mais, comme il sera composé de sénégalais (70 environ), ils pourront en partie s.8 nourrir sur le pays, qui fournit du sorgho, du mais, des patates, etc.. D'ailleurs, comme la création de ce poste répond aux pres- santes demandes de notre allié Tsiampondy, celui-ci fournira facilement les porteurs nécessaires, qui n'auront que deux jours de marche à faire pour se rendre d' Ampalaza, sur la côte, à l'intérieur.

Devant me rendre à Ejeda dans les premiers jours du mois de septembre prochain, j'arrêterai, de concert avec M. le capi- taine Corre, commandant le secteur Mahafaly, les conditions d'exécution du programme que je viens d'exposer.

F). Organisation politique a établir. Nous devons, selon

48 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

moi, renforcer l'autorité des chefs actuels, tels que Tsiampondy, Tsibasy, Voriaadro, qui sont sincèrement venus à nous; allouer à Tsiampondy, qui est le plus intelligent et le plus écouté et dont la puissance est la plus considérable, des appointements réguliers, afin de remplacer les impôts qu'il prélevait autrefois sur les traitants de la côte. Les chiefs des postes placés sur la périphérie du quadrilatère Mahafaly auront à étudier les mœurs, l'histoire, les habitudes des populations qui les avoisinent, à déterminer les affinités qui les rapprochient les unes des autres, le degré de parenté de leurs chefs, de manière à agglomérer peu à peu ces petits groupes épars et à formjer un nombre restreint de centres politiques qu'il nous sera facile de surveiller et de diriger. Nous pouvons ainsi espérer que, dans un délai plus ou moins éloigné, le pays Mahafaly aura, au point de vue politique, une organisa- tion adéquate à l'organisation militaire, c'est-à-dire qu'à côté de chacun de nos chefs de poste se trouvera placé un chef indi- gène ayant sous son autorité les populations faisant partie du sous-secteur correspondant au poste militaire.

En résumé, le pays Mahafaly est aujourd'hui à peu près com- plètement reconnu au point de vue géographique et topogra- phique. Seule, une bande côtière de 100 kilomètres de longueur sur 100 de large (région du lac Tsimanampetsotra) n'a pas en- core été visitée. Il est avéré que ce pays est très pauvre, que sa population est très clairsemée, qu'elle ne possède quje quelques troupeaux et peu ou point de cultures, qu'elle ne peut vivre qu'en prenant contact pour fairie des échanges (jusqu'ici c'était pour piller) avec les Tanosy de la vallée de l'Onilahy et avec les petits ports de la côtç. Notre occupation militaire devra donc êti« réduite au strict minimum pour protéger ces échanges, faciliter le commerce du caoutchouc, qui représente un capital considérable (532.000 francs par an), pouvant peut-être s'accroî- tre.

S'il est reconnu que le sol est pauvre, nous ignorons les ri- chesses que peut renfermer le sous-sol ; ce problème pourra être résolu par des explorations scientifiques (colons, explorateurs, officiers choisis, etc.) qui, grâce à notre occupation militaire, à l'influence des chefs indigènes ralliés à notre cause, aux rensei- gnements topographiques déjà recueillis par nos officiers, pour- ront parcourir le pays Mahafaly en toute sécurité, sous la pro- tection, si c'est nécessaire, de faibles escortes fournies par les garnisons placées sur la périphérie.

Je pense que la réalisation de ce programme répond complè- tement aux exigences actuelles, aux intérêts généraux de la co- lonie et particulièrement à ceux de la province de Tulear.

En même temps qu'il exposait ainsi la situation à l'autorité supérieure, le commandant Lucciardi effectuait une tournée

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 49

dans le pays Mahafaly, afin d'arrêter sur place les détails d'exé- cution du programme proposé. Il avait des entrevues avec les chefs Tsibasy, Voriandro et Tsiampondy, et acquérait la convic- tion que, si les deux premiers avaient franchement accepté notre autorité, par contre le dernier se considérait comme no- tre égal et n'avait noué des relations avec nos chefs de postes que pour se procurer l'appui de nos armes contre les tribus Antandroy voisines, dont il convoitait les troupeaux. Aussi, le commandant Lucciardi donna-t-il à ses officiers les instructions suivantes :

Androka, le 24 septembre 1900.

La touruée que je viens dje faire en pays Mahafaly a affermi chez moi la conviction que ce pays est trop pauvre pour justifier les dépenses exagérées qu'entraînerait une occupation militaire complète. Aucune entreprise agricole importante ne parait avoir de chance de succès, si ce n'est sur les bords du Menarandra ; il est donc inutile que nous assumions la charge de prendre en main les populations Mahafaly, dont le rendement sera à peu près nul au point de vue de la colonisation.

Le programme de pénétration consistera, par suite, à occuper la périphérie du pays Mahafaly, par les postes de la vallée de rOnilahy et par ceux qui tiendront les principaux ports de la côte. Nous pourrons ainsi protéger les traitants européens, créo- les, indiens, etc., qui sont établis sur la côte, ainsi que les popu- lations Yezo (1) qui paraissent complètement ralliées à notre cause.

A l'intérieur du pays Mahafaly nous devons nous borner à exécuter des reconnaissances topographiques destinées à préparer une occupation ultérieure ou à ouvrir la voie aux explorations scientifiques. Quant à la police, elle doit être confiée aux chefs indigènes, dont nous appuierons l'autorité.

Tous savez que ces chefs indigènes se considèrent toujours comme les possesseurs du sol et qu'ils paraissent tolérer notre présence sans reconnaître la souveraineté de la France. Il est essentiel dans les kabary (2), et chaque fois que l'occasion s'en présente, d'affirmer, au contraire, la prise de possession du pays par l'autorité française; il serait désirable de donner une sanc- tion à cette affirmation, en imposant à ces chefs un tribut annuel, mais, comme ce tribut serait de peu de valeur, en raison de la

(1) Population riveraine de la côte,

(2) « Kabary », réunion populaire pour écouter le discours du chef, syno- nyme du mot « palabre ».

Madagascar. 4

SO DANS LE S UD DE MADAGASCAR

pauvreté du pays, et comme, d'autre part, nous n'avons aucun intérêt à imposer notre domination par la forcée, il importe d'a- dopter une politique d'expectative et de se borner à poser le prin- cipe de notre souveraineté, sans lui donner une application im- médiate.

Ainsi, sur la côte, nous protégeons et administrons directement les populations de race européenne et assimilée, ainsi que les Vezo ; à l'intérieur, nous chargeons les chefs indigènes de faire la police, c'est-à-dire d'y empêcher le plus possible les vols, les luttes entre tribus, etc. Vous pouvez demander à ces chefs indi- gènes, ou du moins aux plus influents d'entre eux, s'ils consen- tent à accepter ce rôle, moyennant une rétribution mensuelle, ce qui équivaudrait à en faire des fonctionnaires payés par le budget local de la colonie.

Cette ligne de conduite était conforme au principe posé plus haut : ajourner pour le moment la pénétration complète du pays des Mahafaly, mais les empêcher de déborder à l'extérieur et d'y inquiéter les populations paisibles, et y maintenir les situa- tions acquises. Dans ce but, le petit port d'Ampalaza, débouché de la vallée de la Menarandra, était occupé le 24 septembre 1900 par un détachement de sénégalais, achevant ainsi le blocus de la partie méridionale de la côte Mahafaly. En outre, une vive impulsion était imprimée à l'action militaire des postes établis sur la périphérie du pays encore insoumis. Les garnisons d'An- droka et d'Itampolo rayonnaient autour de ces points pour en éloigner les pillards des bandes d'Emahazo (reconnaissances du capitaine Corre, du lieutenant de Bridiers, de l'adjudant Lave- hat, du sergent Georges).

Le 5 octobre, Tsiampondy se présentait devant le poste dAm- palaza avec 800 guerriers et demandait avec arrogance « pour- quoi les Français s'étaient établis dans son pays sans son au- torisation, et déclarait qu'étant un chef très puissant, disposant d'un plus grand nombre de guerriers que les Français, il ne voulait cependant pas leur faire du mal ».

Le capitaine Ghapuis, commandant le poste, se conformant aux instructions reçues, affirma notre volonté de rester dans le pays et Tsiampondy déconcerté se retira avec tout son mon- de, sans oser faire aucun acte d'hostilité.

Le l*' novembre, une attaqu© des trois chefs Emahazo, La- havana et Tsiverenga contre le poste d'Ejeda était vigoureu-

PÉRIODE PRÉPABATOIKE 51

sèment repoussée et les pertes infligées aux rebelles, 10 tués, 20 blessés, déterminaient la soumission du chef Tsiverenga.

Le 12 décembre, à la suite de reconnaissances effectuées par le lieutenant de Bridiers, le poste de Beheloka était créé sur la côte, reliant Saint-Augustin à Itampolo et complétant ainsi le réseau des postes côtiers. Il servait de base aux reconnais- sances chargées de déterminer les centres de population en- core inconnus établis dans le quadrilatère, jusque-là impénétré, Beheloka-Itampolo-Ejeda-Betioky, et il avait comme résultat d'a- mener l'adhésion immédiate à notre domination de la popula- tion Vezo, rivale des Mahafaly, établie sur la côte.

L'établissement des postes d'Ampalaza et de Beheloka ayant fermé aux chefs rebelles Mahafaly les débouchés sur la côte et les reconnaissances de nos garnisons leur ayant donné l'impres- sion de notre force, il fut facile au commandant du secteur Mahafaly d'entrer de nouveau en relations avec Tsiampondy, qui, appréciant plus sainement la situation, réclama de nou- veau notre appui contre les pillards Antandroy de l'Est. Ceux- ci continuaient leurs déprédations aussi bien contre les Maha- faly de Tsiampondy que contre les populations paisibles des Tanosy et des Bara-Vinda, auxquelles ils venaient de prendre 400 bœufs, de tuer 4 personnes et d'enlever plusieurs enfants.

Une opération militaire, dirigée en mars 1901 par le capi- taine Gerboz, officier-adjoint du cercle, dans le triangle Bekitro- Bekily-Ejeda, en infligeant à ces tribus un châtiment sévère et en leur reprenant les bœufs et les enfants volés pour les res- tituer aux populations soumises, donnait à toute cette zone le sentiment de notre force, notamment à Tsiampondy, qui avait accompagné l'opération. Dès lors, le but du commandant Luc- ciardi était, en mettant Tsiampondy dans notre main, d'arriver à en faire un chef unique dés Mahafaly et à s'appuyer sur lui pour avoir raison des derniers noyaux d'insoumis.

En résumé, par la combinaison d'une action purement poli- tique au Nord de l'Onilahy et d'une action militaire au Sud de cette rivière, le commandant Lucciardi était parvenu, au com- mencement de mars, à dégager entièrement le Nord de son cer- cle et à circonscrire avec précision le péril Mahafaly.

52 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

♦**

A la fin de la période préparatoire, au moment la bonne saison allait s'ouvrir, la situation était donc nettement éclaircie sur les deux ailes; à l'Est, par l'action engagée dans l'Ikongo et par la constitution du commandement du capitaine Le Rou- villois, à l'Ouest, par l'action du commandant Lucciardi.

La pesée s'exerçait dès lors simultanément sur les deux branches du V. Pendant ces quatre mois, tous les éléments de la situation s'étaient clairement dégagés. D'autre part, j'avais à ce moment parcouru une grande partie de mon commande- ment. Le 20 février 1901, je réunissais à Betroka mes comman- dants de cercle : le lieutenant-colonel Lavoisot, le commandant Lucciardi et le commandant Blondiat, qui venait remplacer le capitaine Détrie dans le commandement du cercle de Fort-Dau- phin. Je me trouvais donc en mesure d'établir pour la pénétra- tion et l'organisation du Sud un programme d'ensemble que je soumis au Gouverneur Général.

Ce programme, ayant reçu son approbation, fut communiqué à tous mes collaborateurs, afin de leur servir d'instructions générales pour la période active qui allait s'ouvrir.

CHAPITRE IV

INSTRUCTIONS GÉNÉRALES POUR L'ACTION

MILITAIRE, POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE DANS

LE COMMANDEMENT SUPÉRIEUR DU SUD EN 1901

I. Programme d'action militaire. II. Programme d'organisation politique et administrative.

.4 Messieurs les Administrateurs, Chefs de province et Comman- dants de cercle du Commandem£nt supérieur du Sud.

Fianarantsoa, le l*' avril 1901.

Messieurs,

A la suite de mes tournées dans le cercle des Bara et dans la province de Farafangana et de mes entretiens pvec les com- mandants des cercles de Tulear et de Fort-Dauphin, je me suis trouvé en possession de tous les éléments nécessaires pour déterminer le programme d'action militaire, politique et admi- nistrative à suivre dans le Commandement supérieur du Sud pendant l'année 1901.

J'ai été ainsi en mesure de proposer ce programme au Gou- verneur Général dans deux rapports d'ensemble : l'un relatif à l'action militaire, l'autre relatif à l'organisation politique et ad- ministrative.

Chacun de vous a reçu en temps utile les instructions de détail nécessaires pour son action particulière.

Mais le Gouverneur Général ayant donné son entière appro- bation aux programmes que je lui ai soumis, et les ayant trans- mis lui-même à la Métropole comme traçant la ligne à suivre dans le Sud en 1901, ces programmes se trouvent, par ces hau- tes sanctions, avoir reçu un caractère exécutoire absolu, sinon

54 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

dans leur application de détail, du moins dans leurs grandps lignes.

Je crois donc utile de vous en donner connaissance. Vous devrez les considérer comme mes instructions générales pour l'année 1901.

Ils vous permettront, en vous rendant compte de l'ensemble de la situation et de la marche que je compte suivre, de coopé- rer à l'œuvre commune de la façon la plus efficace et la plus conforme aux vues de l'autorité supérieure.

Je désire, pour le même motif, que vous en donniez con- naissance à vos commandants de secteur et de district

L'œuvre particulière, menée dans chaque circonscription, jusqu'aux plus petites, gagne toujours à ce que celui qui la mène se rende compte de la mesure dans laquelle il se rattache à l'œuvre générale.

Vous voudrez bien, en m'accusant réception de ces docu- ments, me faire connaître les changements survenus dans la situation de votre circonscription depuis la date à laquelle ils ont été établis, et ne pas hésiter à me proposer les modifica- tions de détail que vous suggérerait votre connaissance parti- culière de la région que vous commandez.

Le Colonel Commandant supérieur du Sud, LYAUTEY.

PROGRAMME D'ACTION MILITAIRE (1).

Betroka, le 26 février 1901.

Mon Général,

Je viens de faire dans la province de Farafangana et tout le long de la zone forestière de l'Est, d'Ivohibé, au Nord, jusqu'à Midongy, au Sud, des reconnaissances qui me mettent, je crois, en mesure de vous exposer avec précision la situation.

(1) Suivre tout ce chapitre sur les cartes n»" 1 et 2.

PÉRIODE rEÉl'ARATOIRE 55

En outre, la réunion à Betroka du lieutenant-colonel Lavoi- sot, du commandant Lucciardi et du commandant Blondlat, mes commandants de cercle, me permet de vous fixer sur l'en- semble de la question militaire dans le Sud et le programme à y suivre.

I. Zone forestière de l'Est (1).

Au point de vue militaire, la situation est sérieuse, mais elle est claire. D'abord, il y a une chose très nette : c'est qu'il existe un filon ininterrompu d'insoumis à travers toute la zone forestière depuis Ikongo jusqu'à la frontière du cercle de Fort- Dauphin.

Tous les groupes sont en relations. Depuis la dislocation du groupe d'Ikongo par le lieutenant Libersart, c'est au Sud que sont allés les dissidents auxquels le chef Tsiahoro, des envi- rons d'Ivohibé, était venu prêter appui, et ils se sont réunis à Tsivoa, le 'chef principal des Tambavalo. Tsivoa leur avait fait déclarer « qu'ils trouveraient toujours asile près de lui contre nous, qu'il offrirait le même appui ailx gens du Sud de la Mana- nara si nous les pressions trop, de même qu'il irait rejoindre les gens du Sud en cas de besoin ».

L'existence de ces relations résulte nettement du rapport ci-joint du sergent Lousteau (2), commandant le poste d'Iman- dabe, excellent agent, très au courant des choses rebelles, du dernier rapport du lieutenant Allard, et de tous les renseigne-

(1) Cartes n°' 1 et 2.

(2) Le sergent Lnusteau, chef de poste à Imandabe, à M. le Capitaine commandant le secteur d'Ivohibé.

Imandal)e, le 2 février 1901.

J'ai l'honneur de vous rendre compte que Sahabaka vient de m'arriver de retour de chez Tsivoa. 11 me paraît très ennuyé de la réponse qu'il est chargé de porter. En effet, les rebelles rassemblés au grand complet vous font dire qu'ils ne consentiraient à se soumettre qu'une fois que les postes d'Ifandana et d'imandabe auront été supprimés. Ils ne veulent même en- trer en relations avec nous qu'après cette évacuation.

Malgré l'interrogatoire que j'ai fait subir à Sahabaka, c'est tout ce que

56 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ments d'émissaires recueillis sur place par le capitaine Le Rou- villois.

Mais, malgré ces relations ininterrompues, on peut diviser la question en deux champs d'action bien distincts :

Au Nord de la Mananara; Au Sud de la Mananara.

D'abord, parce que la Mananara est un gros obstacle, ac- tuellement infranchissable à gué, et toujours difficile : la tra- versée ne s'en fait dans la zone forestière que par de rares pirogues gardées par les villages complices. Les relations et surtout les passages de groupes sérieux avec femmes, enfants, et provisions ne sont donc pas commodes.

Ensuite, parce que les intérêts matériels, les habitudes sont distincts sur les deux rives. Au Nord, avant l'exode dans la forêt, les gens formaient la population assez dense de la haute vallée de l'Iantara, entre le pic d'Ivohibé et Ifandana, et avaient leur marché à Farafangana. Au Sud, ils résidaient dans les vallées de l'Itomampy et de l'Ionaivo et avaient leur marché à Vangaindrano.

Car il faut noter, et en .tenir le plus grand compte pour la façon de procéder à leur égard, que pour beaucoup de ces groupes, ce sont des exigences exagérées au début, des mala- dresses d'agents mal informés, passant trop peu de temps dans le pays, qui ont amené l'exode dans la forêt.

j'ai pu obtenir de lui. Heureusement qu'il a montré moins de discrétion ave? Tsitesa qui m'a répété ce qui suit :

Vingt hommes armés, venant de l'Ikongo, seraient venus chez Tsivoa lui oflfrir leurs services pour l'aider à se défendre contre nous. D'autre part, sept individus, également armés, seraient venus trouver Tsivoa et lui faire la proposition suivante : a Si les vahaza vous font la guerre et brûlent vos villages, venez chez nous dans l'Ivondro(a^, nous vous recevrons ; de même, si une colonne se fait dans l'Ivondro et que nous soyons chassés, nous viendrons nous réfugier chez vous, mais nous ne nous soumettrons pas. »

Tsimihony a acheté deux fusils, trois cornes de poudre, aux gens da l'Ikongo. Imaharanga en a acheté une (même provenance), ce qui, plus les deux qu'il avait, porte à trois le total de cornes de poudre qu'il possède. Tsiondevo (de Sosobahy) a aussi acheté deux cornes de poudre. Il paraît qu'il y a à Sosobahy une quarantaine de fusils pour défendre le village. Plusieurs possèdent deux fusils,

(a) Région de Midongy.

PÉRIODE TRÉPARATOIRE 57

On peut espérer par la politique la plus loyale, la plus sui- vie, avoir raison de la plupart de ces dissidences, mais il est à craindre qu'il ne subsiste un noyau d'irréductibles avec lesquels aucune entente ne soit possible et qui ne se soumettent que contraints et forcés.

Il faut aussi tirer du passé des leçons pour la conduite à tenir désormais. Toutes les tribus soumises qui bordent la li- sière de la forêt à l'Est habitent des vallées riches, sont très jalouses de leurs récoltes, de leurs troupeaux, fières et indé- pendantes, et la forêt voisine est une tentation grande. Elles y voient un refuge toujours possible pour le cas des exi- gences inopportunes viendraient apporter un trop grande trou- ble dans leurs habitudes et leur existence. J'ai réuni, en kabary, les chefs de ces tribus, amenés par le lieutenant Frey- demberg, résidant à Vohimarina, qui est sur place depuis deux ans, qui a suivi à l'égard des indigènes la politique la plus sage, les a bien en main et auquel ils sont très attachés, et ils m'ont parlé très nettement, très fièrement, disant sans ambages qu'ils avaient un bon chef, qu'ils payaient régulière- ment l'impôt, cultivaient en paix, mais que, si on leur donnait un jour un mauvais chef, si on ne payait pas leur travail, ils reprendraient la forêt. Du moins était-ce franc.

Telle étant la situation, voici la méthode et le programme adoptés :

A) Au Nord de la Mananara.

MÉTHODE ADOPTÉE. Je VOUS en ai déjà donné les pre- mières lignes dans mes lettres précédentes.

Comme directive d'ensemble : Rabattre vers le Sud, de ma- nière à préserver avant tout les parties pacifiées du Nord. Ne tolérer à aucun prix que les morceaux brisés projettent des éclats vers le Nord, sur la route de Mananjary, ni sur les ex- ploitations aurifères de l'Ampoasary (1), ce qui serait désas- treux.

Donc, organiser le mouvement du Nord vers le Sud en fer- mant constamment la porte vers Nord. Si, dans la dernière

(1) Carte 1.

58

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

phase du programme, j'avais abouti à mettre tous les irréduc- tibles chez les Andrabé, dût ce groupe en être doublé, je re- garderais ce résultat comme très satisfaisant, la question étant beaucoup plus facile à résoudre avec un bloc compact qu'avec des molécules insaisissables répandues dans toute l'économie.

Une ligne de postes à l'Ouest de la forêt A. B. G. D..., une ligne à l'Est, M. N. 0. P...

A. B. M. N. se mettent en liaison, investissent le premier secteur ainsi formé, se relient ensuite par des transversales dont l'intersection donne lieu au poste X, en plein centre de la forêt. Le nettoyage se fait. Le terrain est rendu <( réfrac- taire aux pirates )>, suivant une formule que j'ai souvent em- ployée : appui sur les populations soumises; leur armement; ouverture de chemins; installation d'un marché.

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Puis on passe au secteur suivant, B. G. N. 0., appuyé sur le précédent, qui ferme la porte au Nord, et l'on procède de même en aboutissant au poste Y.

Et ainsi de suite.

Le mécanisme, une fois déclanché, continue à jouer, pous- sant devant lui, plus au moins vite, selon la résistance qu'il rencontre, et se développe comme une triangulation.

Le capitaine Le Rouvillois a déjà adopté et appliqué cette méthode. Je l'ai expliquée à chacun des oflTiciers que nous avons mis nous-mêmes à leur place, et je les en crois aujourd'hui

PERIODE PREPARATOIRE

59

bien pénétrés et, il est superflu de le dire, pleins d'entrain et de confiance.

Situation actuelle. La théorie donnée, voici la pratique : Le déclanchement a été donné le 1" janvier.

a) Zone réglée. Le lieutenant Libersart, secondé par M. Ravel, chef du district d'Ikongo, a commencé le 2 janvier par briser les noyaux de résistance Tanala restés entre Ikongo et Ankarimbelo. Le lieutenant Allard, qui l'a remplacé à Anka- rimbelo, étroitement lié avec le lieutenant Bouche à Karianga et avec le poste d'Ivohibé, a continué, en pourchassant les dé- bris de manière à rendre impossible toute réinstallation re- belle dans cette région. D'après les renseignements, il n'y reste que quelques hommes avec un fusil 86.

Les chefs Andriampanoha, Izaïta, Andriambelo, dont deux auraient été blessés, seraient partis pour le Sud et y auraient rejoint Tsivoa. (Depuis lors, Andriambelo est venu faire sa sou- mission, à Ankarimbelo en y rapportant six fusils Lebel).

b) Zone en train. figuré ci-joint.

Actuellement, le secteur en travail est

Le lieutenant Dubuffe y installe le poste central d'Ivatovory. Ce quadilatère est relativement facile, peuplé de beaucoup

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d'habitants acquis à notre cause, que le capitaine Le Rouvillois arme de carabines 74, dont il relie les villages, de manière à le rendre impraticable aux groupes qui, venant d'Ikongo, le

60

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

traversent encore, et à faire uni mur à l'égard du secteur sui- vant, qui sera le plus dur.

c) Zone à régler. Entre l'Iantara et la Mananara. A régler en deux morceaux, séparés par la route d'Ifan- dana à Farafangana.

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Le morceau Nord est entièrement occupé par les réfrac- taires, formés en majeure partie par la tribu des Tambavalo, qui peuplait en plaine, avant son exode, la haute vallée de l'Iantara, (en A) oii l'on voit encore leurs rizières abandonnées.

Sans vous donner ici tous les noms des chefs, je tiens à en mentionner trois : Ts'ivoa, âgé, le plus irréductible de nos en- nemis; Tsiahoro, qui lui sert d'intermédiaire avec les groupes du Nord, et Faname, établi à la lisière en face du poste d'Iman- dabe. Ce Faname n'était pas éloigné de s'entendre avec nous; il est en excellentes relations personnelles avec le sergent Lous- teau, commandant le poste d'Imandabe depuis 18 mois il y avait entre eux un pacte tacite et il aurait certainement réoccupé son village sans l'influence de Tsivoa, auquel il sem- ble attaché par un vrai point d'honneur, et aussi parce qu'au fond il se méfie irrémédiablement de nous il sait que le sergent Lousteau ne sera pas toujours dans le pays et, s'il croit entièrement en lui, il ne croit pas en ses successeurs, tant il est vrai que, dans cette question de pacification, la question de personnes est prépondérante, que c'est d'elle qu'il faut tenir compte, avant tout, que pour ces postes au contact des in-

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 61

soumis il faut choisir ses agents homme par homme, que la rigide application du tour de départ colonial est la négation de toute politique efficace, que c'est le plus grave, le plus cons- tant, le plus fondé des griefs qu'on puisse élever contre l'ad- ministration militaire, et qu'ici du moins nous devrions tout faire pour l'atténuer en ne l'appliquant rigidement qu'aux offi- ciers et sous-officiers des régions pacifiées, de manière à lais- ser les autres en place le plus longtemps possible.

Bref, lors de mon passage à Imandabe, j'ai fait, par l'inter- médiaire du sergent Lousteau, une tentative personnelle auprès de Faname, lui offrant s'il voulait venir à nous avec ses 60 fusils, réoccuper son village et nous servir de partisan d'é- vacuer le poste d'Imandabe et de n'y laisser que des partisans de son bord avec le sergent. Il a d'abord semblé accueillir la proposition, puis, sous l'influence de Tsivoa, consulté, a réso- lument rompu et lié son sort au sien. J'appelle toute votre attention sur les lettres du capitaine Le Rouvillois et du ser- gent Lousteau (1). Elles montrent à quel degré d'hostilité et de résolution les Tambalavo en sont venus à notre égard.

(1) Imandabe, le 14 février 1901.

Le sergent Lousteau, chef de poste à Imandabe, à Monsieur le Capitaine commandant le secteur divohihé.

Mon Capitaine,

J'ai l'honneur do vous rendre compte que, malgré mon désir de faira traîner en longueur les pourparlers avec les rebelles, tout est rompu avec eux. Voici du reste en détail ce qui s'est passé :

J'ai envoyé hier matin les nommés Ifanany, Bemanoro, Inidria dan> riabozava demander à Faname ce qui résultait de l'entrevue que ce dernier avait eue avec Tsivoa. Je faisais prévenir Faname que Rato était à Iman- dabe avec le désir de causer avec lui. Quand Faname a su que Rato était au poste, il l'a envoyé immédiatement chercher. Rato, accompagné de ses trois partisans, s'est rendu sur le bord de la forêt, Faname l'attendait déjà. Faname a tenu les propos suivants :

« J'avais bien l'intention de me soumettre, mais, après l'entretien que je viens d'avoir avec Tsivoa, j'y renonce. Tsivoa m'a dit que si je sortais c'est que j'avais peur des vahaza (1) et que je serais un lâche. Comme je me trouve seul à vouloir sortir, je préfère rester avec mes camarades, n& sachant pas ce qui m'attend quand j'aurai quittxj la forêt. Du reste, mes hommes ne veulent pas faire l'esclave des vahaza en portant leurs charges. En outre, nous avons suffisamment de fusils pour nous défendre quand nous serons attaqués et assez de nourriture pour ne pas être obligés d'en

(1) Les vahaza, terme générique désignant les Européens.

62 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Nous avons donc au moins 380 fusils décidés à toute résistance. Le pays est très difficile. La forêt couvre la falaise tourmentée qui s'abaisse à l'Est, formée de gorges, de ravins, qui offrent de nombreuses positions défensives, vrai pays à pirates, style Haut-Tonkin, oîi les repaires sont fortifiés de palanques et les chemins barrés d'abatis et de petits piquets.

C'est ce que le capitaine Le Rouvillois va aborder vers le l''" avril, par la méthode concentrique la plus rigoureuse expo- sée précédemment, en y appliquant tous ses moyens en offi- ciers et en hommes et avec l'aide d'une pièce d'artillerie.

Avant de décider qu'on procédera, en dernier ressort, par la force à cette opération de la forêt, je me suis demandé si on ne pourrait la négliger, l'isoler, et laisser ces 400 fusils v vivre chez eux, pourvu qu'ils n'inquiètent ni nos convois, ni nos courriers.

Or, cela n'est pas possible, parce que, d'abord, ils pèsent lourdement sur les populations paisibles de la plaine, vont jusqu'aux abords de Farafangana voler des bœufs, comme ré- cemment chez MM. Blanc et Lecomte, mais surtout parce qu'ils servent de noyau d'attraction. Ci-joint une lettre du lieutenant Cautellier (1), commandant le poste de Ranotsara-du-Nord, au

chercher hors de chez nous. Si les vahaza se croient capables de prendre nos villages, nous les attendons, qu'ils y viennent. Ils peuvent même pren- dre comme guides Inidia, Ifanany et Bemandro, qui connaissent notre repaire, cela nous est indifférent. S'ils n'ont pas assez de cartouches, qu'ils aillent en chercher à Fianarantsoa. Nous ne sortirons de la forêt que lors- que tous les postes seront évacués ou que tous nos chefs seront morts. Nous sommes fatigués de ces pourparlers qui durent depuis trop longtemps. Il est inutile d'envoyer de nouveaux émissaires, car nous leur couperons la tête. Le jour nous serons vaincus et que nous voudrons nous soumettre, nous préviendrons Rato et Ifanany. Je suis content que Rato soit présent aujourd'hui ; il était avec le sergent le jour de l'entente tacite, il est pré- sent aujourd'hui à la rupture. »

(1) Ranotsara-du-Nord, le 11 février 1901.

Le sous-lieutenant Cautellier, commandant le groupe de Banotsara, à Monsieur le Capitaine commandant le secteur d'Ivohibé.

Mon Capitaine,

J'ai l'honneur de vous rendre compte de ce qui suit concernant Inama- loza :

Avant-hier, 9 février, conformément aux instructions contenues dans la lettre en date du 7 février de M. le capitaine commandant le sous-secteur d'Ivohibé, j'ai fait prévenir Inamaloza qu'il devait se rendre à Ranotsara

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 63

sujet du chef Inamaloza, qui menace, si on ne lui donne pas raison dans une affaire de bœufs avec un autre chef, d'aller rejoindre les gens de la forêt. Au kabary de Vohimarina, les chefs soumis m'ont très naturellement exposé qu'au premier cas de mécontentement ils rejoignaient les chefs de la forêt. C'est un aimant pour tous les mécontents et tous les hésitants. II faut donc que ces installations fortifiées d'insoumis soient détruites et qu'ils soient contraints à sortir de la forêt et à re- prendre leurs rizières.

Il y a pour cela un autre motif, c'est que, pour y faire leur riz et pâturer leurs bœufs, ils brûlent la forêt. Les désastres sont déjà énormes. D'après les évaluations locales, elle s'est rétrécie des 3/4 depuis dix ans. Les témoins existent d'ailleurs; des troncs de grands arbres carbonisés se dressent à de larges distances de la lisière, jalonnant les anciennes surfaces. Et, comme il n'y a pas d'autre source de bois dans cette région de Madagascar, le péril est très sérieux. A cet égard, j'estime qu'aux postes principaux, tels qu'Ivohibe, Ifandana, devraient être annexées des pépinières pour commencer le reboisement des environs, et que le réseau de postes actuel établi pour la pénétration sera tout indiqué, une fois la pacification obtenue, pour servir de réseau de surveillance forestière.

le plus tôt possible et y amener les deux témoins cités par lui et les vingt- six bœufs, objet du litige entre Tsireny et lui. Les deux partisans que j'avais envoyés sont revenus me disant : « qu'Inamaloza refusait de venir à Ranotsara, l'afiFaire devant être jugée à Ivohibé. C'est à Ivohibé qu'où lui avait dit de conduire les bœufs et non à Ranotsara. » J'ajoute en pas- sant qu'Inamaloza n'avait pas l'air de se presser pour amener les bœufs à Ivohibé. Dès que je reçus cette réponse, j'envoyai à Isahara, village d'Ina- maloza, mon caporal de tirailleurs et quatre tirailleurs renouveler à ca chef l'ordre que je lui avais donné. S'il refusait de venir, le caporal devait l'amener à Ranotsara, ainsi que les deux témoins et conduire en même temps à ce poste vingt-six bœufs pris à Inamaloza.

Le caporal vient de rentrer conduisant vingt-deux bœufs appartenant à Inamaloza. Ce chef, suivant son troupeau, n'a pas manqué d'arriver. Son attitude a été des plus insolentes. Après m' avoir demandé raison de la me- sure dont il était l'objet, il m'a traité de menteur et m'a accusé de cher- cher à lui prendre ses bœufs. Lorsque je lui dis d'attendre au village da Ranotsara le passage de M. le capitaine commandant le sous-secteur qui doit arriver demain, il refusa d'abord à plusieurs reprises et quitta le poste pour retourner dans son village, disant qu'il allait se réfugier dans la forêt. Ce n'est que sur la menace de le garder de force à Ranotsara qu'il est rentré au poste. En ce moment, il attend au village de Tsivcanino l'ar- rivée de M. le capitaine commandant le sous-secteur, qui doit amener Tsi- reny et tranchera ici le différend.

64 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Bref, le capitaine Le Rouvillois exécutera maintenant son programme jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la Mananara, ayant pour but d'occuper effectivement la forêt et cCy rendre impossible toute installation fixe des rebelles, en les repoussant constamment vers le Sud. Mais, il a comme instructions for- melles, et cela répond entièrement à son caractère, de tenir toujours, à tout moment, la porte ouverte à toute soumission, de ne tenir compte d'aucun fait passé, de traiter ceux qui seront entre nos mains de telle sorte qu'ils prennent confiance en no- tre parole et en notre humanité.

Je veux espérer que, devant cet investissement progressif, cette résolution bien arrêtée de notre part d'en finir, les plus hostiles mêmes finiront par se désagréger et qu'il ne restera que quelques chefs irréductibles qui finiront, abandonnés de tous, par céder à leur tour.

B) Au Sud de la Mananara.

Ici le filon suspect s'infléchit à l'Ouest.

Le prolongement de la grande forêt, entre l'Itomampy et la côte, est probablement sillonné par quelques passages; mais, entre la Mananara et Midongy, il ne s'y trouve aucune installa- tion ni soumise, ni insoumise. La communication est entière- ment libre entre Soarano et Vangaindrano.

Soarano, dont le lieutenant Croll commande le district, est le centre d'une petit© confédération, les Zafimarazoha, qui oc- cupe toute la basse vallée de l'Itomampy, dont la « reine » Raoleza, son ministre-consort Takara et son fils Laimanjaka nous sont entièrement dévoués. Toute cette région, fertile et bien cultivée, la guerre n'a jamais passé, donne une im- pression de prospérité rare; il y a peut-être là, avec Laiman- jaka, les éléments d'un petit protectorat, car sa famille, an- cienne et respectée, se ramifie sur les tribus voisines.

Le lieutenant Croll a tout ce monde parfaitement en main. C'est lui-même qui a créé le poste de Soarano, il y a deux ans; il fait par bonheur une troisième année et c'est une preuve de plus de l'influence que le choix d'un officier sage et sa présence prolongée dans un pays peuvent avoir sur la situation politique.

PÉmODE raÉPARATOIKE 65

Massif dlvolobc (1). Les insoumis sont à l'Ouest dans le massif d'Ivolobe.

Je vous ai signalé, dans mon dernier rapport, les inquiétudes qu'inspiraient au lieutenant-colonel Lavoisot ces groupements qui semblaient se grossir de l'exode de villages voisins de la vallée de l'Ionaivo, la récolte faite, pour ne pas payer Vimpôt.

Je vous signalais qu'autour de ce groupe gravitaient deux petits noyaux rebelles, l'un commandé par le chef Bekea, l'au- tre commandé par le chef Behezamena. 11 ne s'agissait pas ici de chefs politiques, mais de simples chefs de brigands qui terrorisaient la contrée. Je vous signalais que le lieutenant- colonel Lavoisot avait décidé d'en finir de suite avec ces deux groupes accessoires, de manière à assurer la paix aux popu- lations paisibles de l'Ionaivo et à isoler le groupe d'Ivolobe.

Or, le lieutenant Corbel, commandant le poste d'Iakora, a ti'ès brillamment enlevé, le 5 février, quelques jours avant mon passage à Soarano, le repaire de Bekea, énergiquement défen- du. Il a pu, grâce à une dure marche de nuit dans ce massif de roches et de forêts, surprendre les pirates, auxquels il a infligé des pertes cruelles, en ne perdant lui-même qu'un mili- cien tué et un tirailleur blessé. Cette affaire, les Européens présents, le docteur Conan, le soldat de Vit et le clairon La- croix, de la 12" compagnie du 13^ ont vaillamment entraîné les indigènes, a eu une grosse répercussion. Bekea, blessé à la cuisse, a été emmené dans l'Ivolobe.

Le mouvement d'attraction du groupe d'Ivolobe s'est brus- quement arrêté. Il y reste le chef principal Tsimifahy avec un noyau sérieux, mais quelque désagrégation y apparaît et des soumissions sont venues au lieutenant Corbel, au poste d'Ia- kora.

Ici encore, le lieutenant-colonel Lavoisot va appliquer i.i méthode générale, en partant des quatre postes d'Iakora, Soa- rano, Midong)^, Ranotsara (Sud).

Le mouvement va se préparer, dès maintenant, très métho- diquement et progressivement.

Il est vraisemblable, s'il reste un noyau irréductible, qu'il ira chez les Andrabé.

(1) Carte 2. Madagascar.

66 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

(L^Corbel)V ^^^ ^U- Croll)

(S^ Lapierre) / /(Cap"-* Bonnefoy

Les Andrabé. C'est ce qu'il y a de plus sérieux clans l'Est de mon commandement.

Les renseignements que j'ai recueillis sur place ont confir- mé tout ce dont je vous ai rendu compte dans mes précédents rapports sur ce groupement solide et agressif, chevauchant sur les trois provinces des Bara, de Farafangana et de Fort-Dau- phin, et qui, depuis l'agression contre le lieutenant Frénée, n'a pas cessé ses tentatives.

Je les résume :

Le 24 novembre, attaque sérieuse de Befotaka sur trois faces, les agresseurs arrivent à quelques mètres de la palis- sade;

Le 30 novembre, attaque du convoi du sergent Seube en- tre Befotaka et Midongy;

Du 16 au 18 décembre, le lieutenant Durmelat, comman- dant le poste de Befotaka, fait une reconnaissance pour déter- miner l'emplacement et la force des groupes rebelles. Les chefs Tsimanaira et Befondehy se soumettent, le chef Befanoa est tué.

Mais, à la même date (le 17), un courrier de Midongy à Befo- llaka est enlevé;

Les 29 et 30 décembre, attaque, entre Befotaka et Midongy, du convoi de l'adjudant Marenger escorté par 68 fusils. Nous avons trois tirailleurs blessés et, le 30, 25 fusils de renfort lui sont envoyés de Midongy pour le dégager.

Les communications entre Midongy et Befotaka sont inter- ceptées; le sentier de forêt qui suit l'Itomampy est coupé sur huit kilomètres par des abatis et des petits piquets.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 67

Befotaka ne communique et ne se ravitaille que par Rano- tsara-du-Sud.

Du reste, le pays est terriblement difTicile. C'est une région de hautes montagnes et d'épaisses forêts, la guerre est dure. . Mais ici nous y voyons beaucoup moins clair qu'au Nord.

Sauf sur la ligne Midongy-Befotaka, l'on est au contact, les renseignements sont contradictoires et imprécis.

Ce dont il s'agit d'abord, c'est de déterminer avec précision la région occupée par les Andrabés. Ils semblent avoir pour centre de résistance le massif d'Imandabe, dans la province de Farafangana. Ils ne dépassent pas au Nord le chemin de Mi- dongy à Amparihy, c'est un fait acquis.

Mais combien sont-ils de fusils ? Les appréciations yarient de 400 à 800. Jusqu'où s'étendent-ils au Sud? Quels points occupent-ils ? Autant d'inconnues à déterminer. Aussi ai-je dé- cidé, avant d'adopter un programme, d'envoyer une reconnais- sance préparatoire, dirigée par le capitaine Savy, officier-ad- joint du cercle des Bara, qui accompagnait le colonel Lavoisot et moi dans notre tournée. Il a pour mission de faire tout le tour du pays insoumis, en le serrant d'aussi près que possible. Il sera accompagné dans chaque zone par le chef de circon- scription, le lieutenant Roy, de Vangaindrano, le chef du poste de milice d'Amparihy, le lieutenant Pettelat, de Ranomafana, etc.

Je compte que cette reconnaissance sur la périphérie, vue par les mêmes yeux, en ramenant les renseignements de sour- ces diverses à la même échelle, me donnera les éléments né- cessaires pour établir nettement la situation.

Je voudrais ensuite la faire régler, comme je le fais du côté du capitaine Le Rouvillois, par l'établissement d'une circon- scription provisoire, à cheval sur les trois provinces, dirigée par un capitaine concentrant en ses mains tous les fils de l'action politique et militaire; mais il faut un officier de premier choix (1),

(1) Cet officier a été le capitaine Mouveaux, qui a pris son commande- meni le 15 mai 1901.

68 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

C) Questions communes a l'ensemble de la zone forestière.

Composition des troupes. Au Nord de la Mananara, dans le secteur d'Ivohibé, la 5" C'^ du ^ malgaches, dont le centre est à Ivohibé (200 fusils).

55 hommes de la ii^ O" du iS" colonial, dont le centre est à Ifandana. 100 miliciens. 100 partisans.

Au Sud de la Mananara, dans le secteur de Midongy :

Un peloton de la i™ C" du ^ malgaches, dont le centre est à Betroka (100 fusils).

Un peloton de la S" C du 2" malgaches, dont le centre est à Isohy (100 fusils).

S5 hommes de la 1^ O" du iS" colonial, dont le centre est à Midongy.

60 miliciens.

20 partisans.

Ivohibé a assez de fusils.

Il faudra que je renforce Midongy en tirailleurs, en y portant le complément de la 1" C'^ et peut-être en sénégalais, pour ré- soudre la question des Andrabé.

Il y a presque assez d'Européens (je les compléterai lors do la relève), mais ils sont mal répartis. Je trouve leurs installa- tions mauvaises. A Ivohibé, à Ifandana, à Midongy, à Ranot- sara, ils sont aussi mal que possible et l'état sanitaire s'en res- sent sérieusement.

D'une manière générale, le secteur de Midongy, avec ses postes établis dans des clairières fraîchement défrichées, entou- rés de bois, est très malsain pour les Européens et il n'y faut laisser que le strict indispensable.

Le secteur d'Ivohibé-Ifandana est sain. C'est qu'il faut maintenir les réserves européennees destinées à coopérer à l'ac- tion contre la forêt.

D'autre part, dans ces deux compagnies éparpillées, dont la moitié de chacune est détachée à Fianarantsoa, il n'y a plus assez de lien ni de discipline.

PÉRIODE PRÉPARATOIEE

G9

C'est pourquoi j'ai décidé, ainsi que je vous l'ai télégraphié, de ramener la 12^ G'" du 13' à Fianarantsoa, je la maintien- drai à fort effectif. Ce sera ma réserve européenne bien in- stallée, près du médecin, remise et tenue en main par son capi- taine.

La 11" C sera groupée dans le secteur d'Ivohibé, qui est sain, ne fournissant au secteur de Midongy, qui est malsain, que les stricts Européens nécessaires, deux par poste, comme encadrement.

Tous les hommes de la 11' qui ne seront pas strictement indispensables dans les postes seront groupés à Ivohibé et Ifandana, postes sains, faciles à ravitailler par Farafangana, et ils y seront parfaitement placés comme réserve militaire. Il est de la plus extrême urgence de remédier à la situation ac- tuelle, en enlevant tous les Européens malingres des petits postes.

Je fais donc construire en chacun des postes d'Ivohibé et d'Ifandana un pavilloni pour les Européens.

^6aAal(xlin.a. n^^ohiSe

Sanoàsar, ( du nord,

/iArtotsar^

(oUc SCLOt)

/oJcorcL

C'est non seulement une nécessité d'hygiène, mais encore une nécessité politique, car là, comme partout, l'attitude des populations tient beaucoup à ce qu'elles croient que nous ne

70 DANS LE STJD DE MADAGASCAR

resterons pas dans le pays, parce qu'elles nous y voient instal- lés aussi mal qu'elles.

Infirmerie. Elle est à Ivohibé dans des paillettes, dans la plus misérable installation. Elle est donc à construire et à in- staller de toutes pièces.

J'estime, puisqu'il faut la faire entièrement, qu'il est préfé- rable de la transporter à Ifandana.

En effet, elle est destinée aux évacuations des secteurs d'Ivo- hibé et de Midongy. Or, elle est beaucoup trop loin des postes extrêmes du Sud, Ranotsara, Befotaka. Les malades ne peu- vent supporter un tel trajet. Le médecin ne peut arriver à temps.

Le schéma ci-dessus (!) fait ressortir les conditions avantageu- ses dans lesquelles elle fonctionnera à Ifandana, d'autant plus que le jour oii il y aura un service côtier, les évacuations pour- ront se faire par Farafangana, ce qui sera un gain inapprécia- ble pour les malades et pour le Trésor.

Ravitaillement. Les deux schémas ci-dessous font ressor-

Ravitaillement actuel )/voAe6é

LEGENDE

@ Gérances d'annexé

et Magasins de transit ® Postes

■■■■I" par mu lets

. parbourjanes

- par pirogues

tir, d'une part, la situation actuelle, d'autre part, la situation projetée.

(1) Page précédente.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE

71

Actuellement, un seul tronçon, d'Ifandana à Ivohibé, est pra- ticable aux mulets. Tout le reste du ravitaillement se fait par bourjanes, charge lourde pour les populations peu denses, et pesant uniquement sur les tribus soumises, qui s'en plaignent : c'est l'argument le plus fortement invoqué par les insoumis pour ne pas nous revenir.

Le projet nouveau supprime le magasin de transit de Van- gaindrano. 11 réduit les quatre centres de distribution, Fara- fangana, Vangaindrano, Ivohibé, Midongy, à deux : Farafan- gana et Ifandana, qui devient la gérance d'annexé centrale.

Il utilise, sur un parcours de 90 kilomètres, la voie d'eau Mananara-Itomampy, toujours navigable jusqu'à Midongy.

Il demande la transformation en chemins muletiers des che- mins :

De Farafangana à Ifandana;

D'Ifandana à la Mananara.

navitdillernent projef:é

Ivohibè

LEGENDE Gérances aL annexe MoL^oLsins Ue trauisit Postes

aam Par muLeis

Par bouiyaunes

piroacLAS

En résumé, par sa situation, Ifandana est destiné à devenir le centre de la circonscription forestière, au point de vue ravi- taillement, évacuations, communications, aussi bien qu'au point de vue de l'action militaire.

Il est sur la voie la plus courte entre Farafangana et le pla- teau central.

72

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Il peut et doit devenir un marché actif.

Le jour prochain oii se disloquera le cercle des Bara, tandis que les secteurs d'Ihosy et de Betroka, situés dans le bassin Ouest de l'île, se rattacheront à Tulear, les secteurs d'Ivohibé et de Midongy, situés sur le versant Est, devront former, tant que la pacification n'y sera pas achevée, un cercle-annexe dont le siège sera tout désigné à Ifandana, tandis que d'Ivohibé, situé à l'extrême limite Nord, il serait impossible d'exercer aucune ac- tion sur la région de Midongy.

II. Insoumis du Sud (1).

Cercle de Fort-Dauphin. II résulte des derniers ren- seignements que la situation est loin d'être nette dans le cercle de Fort-Dauphin.

Conformément aux instructions données antérieurement à votre retour, on y a poussé la pénétration à travers le pays An- tandroy, mais l'organisation en arrière n'a pas été encore com- plètement assurée.

Tstvory-^

Bekit

Anttnà

Le capitaine Ducarre, commandant le secteur d'Ambovombé depuis le 1" janvier 1901, dès ses premières reconnaissances, a constaté qu'il n'occupait que quelques points au milieu d'une

(1) Carte 2.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 73

population insoumise, qu'entre lui et Antanimora était placé le groupe importcint et hostile des Analavondravé, qu'un autre groupe réfractaire était sur ses derrières entre Ambovombé et Behara.

D'autre part, les Antandroy, sur les deux rives de la Manam- bovo, sont beaucoup plus nombreux et mieux armés qu'on ne le pensait. Us se ravitaillent en poudre comme ils veulent.

Bref, nous ne tenons solidement que le pays à l'Est du Man- draré.

J'ai entretenu de la situation le commandant Blondlat. Je lui ai communiqué vos instructions données à Tamatave (1). Je l'ai prié de s'en inspirer exclusivement et de ramener tout le monde à leur application. Je lui ai prescrit de ne regarder comme acquis que la ligne du Mandraré, et sans évacuer, bien entendu, aucun des postes en avant de cette ligne, de les utiliser pour une action méthodique et progressive s'avançant à l'Ouest comme une triangulation, par analogie avec la méthode suivie dans la forêt.

Les postes sont tout placés, comme il ressort du schéma ci- dessus, pour procéder à ce nettoyage méthodique, mais il y aura certainement des morceaux durs à briser parce que nous gênons formellement dans leurs moyens d'existence des gens dont le métier était de voler des bœufs et de piller les traitants de la côte. Ce n'est donc pas fini de ce côté. C'est la seule cir- conscription de mon commandement les effectifs seront peut- être insuffisants pour la tâche à remplir.

Cercle de Tulear. Dans le cercle de Tulear, la politique suivie par le commandant Lucciardi développe ses résultats avec une précision remarquable.

Elle s'inspire exclusivement des intérêts généraux de la co- lonie : faire l'administration la plus économique possible, s'ap- puyer sur les chefs locaux, réduire les effectifs, négliger les régions improductives.

Au Nord de l'Onihaly, chez Impoinimerina, secteur d'Anka- zoabo, les troupes régulières évacuent progressivement les pos- tes et les passent aux miliciens du chef indigène nouvellemant

(1) Voir page 13.

74 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

investi, qui n'aura plus auprès de lui que le capitaine résidant à Ankazoabo, et ses quelques hommes dlescorte. Voilà de la bonne politique.

Sur rOnilahy, les protectorats indigènes s'organisent chez les Tanosy.

Le long de la côte, la ligne des postes est complète et reliée.

Entre les deux pinces de cet étau, les dissidents céderont d'eux-mêmes par la force des choses, sans résistance militaire.

Il est possible que la soumission complète et spontanée des Mahafaly ne soit qu'une question de temps assez rapproché.

Il ne reste dans le cercle de Tulear qu'une zone réellement troublée : c'est, comme toujours, la zone contiguë aux deux cer- cles voisins, Fort-Dauphin, Bara, le triangle de Bekily-Ejeda- Bekitro, à cheval sur les trois cercles, parce que jusqu'ici les liaisons ont été insuffisantes, et les Antandroy, qui sont décidé- ment des gens fort encombrants, en profitent pour aller voler les bœufs de Tsiampondy et des tribus soumises sur le territoire de Tulear, ils ont même leurs pacages une partie de l'année; de même, ils vont voler des bœufs vers Bekily et de même, à l'Est, jusque vers Behara.

La réunion à Betroka. des trois commandants de cercle leur a permis de s'entendre nettement pour une action commune et de donner à leurs chefs de poste des instructions identiques. Le cercle de Tulear aura donc certainement à coopérer par l'Ouest, le jour oii nous en serons à la question Antandroy-

Je ne demanderais pas mieux de laisser ces derniers tran- quilles; je ne suis nullement pressé, ni même désireux d'occu- per leur pays, mais je suis très désireux, quand les autres questions seront réglées, de les y maintenir et de les empêcher, par une solide ceinture, d'envoyer constamment leurs éclats dans les parties paisibles. Seulement, comme ils en vivent, ils mettront vraisemblablement une fort mauvaise volonté à se laisser enclore et il v aura des incidents.

En résumé, la situation et le programme militaire sont les suivants :

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 75

A VEst, nécessité de nettoyer la forêt qui intercepte nos com- munications et notre commerce entre la côte et le plateau cen- tral.

A cet effet :

Au Nord de la Mananara : Pénétration progressive de la fo- rêt, dirigée du Nord au Sud, dès maintenant commencée et qui aboutira vraisemblablement, vers avril, à des opérations plus ou moins sérieuses, plutôt plus que moins, contre le noyau Tam- bavalo.

Au Sud de la Mananara : Nettoyer le massif d'Ivohibé par une action concentrique des postes existants, action commencée dès maintenant, qu'il n'est pas impossible de voir aboutir à une désagrégation, sans coup de force ni effusion de sang.

Résoudre les Andrabé, qui ôtent toute sécurité au Sud de la province de Farafangana.

Dès maintenant, reconnaissance préparatoire sur la péri- phérie du massif qu'ils occupent, pour déterminer leurs posi- tions et leurs forces, et donner ainsi les éléments du plan de campagne à adopter pour une opération décisive, probablement sérieuse, à diriger contre eux vers mai ou juin.

Au Sud : Reprendre, dès maintenant, méthodiquement et de l'Est vers l'Ouest, l'occupation de la zone entre le Mandraré et la Manambovo, zone qui a été traversée et dépassée, il est vrai, mais en laissant derrière soi des groupes insoumis qui inquiètent les parties pacifiées;

Lorsque le Mandraré sera solidement occupé et ses der- rières bien assurés, procéder, entre les cercles de Fort-Dauphin et de Tulear, à une action périphérique autour desi Antandroy, les isoler de la côte, ils se ravitaillent en poudre, les main- tenir dans leurs limites et mettre fin à leurs déprédations dans les régions pacifiées.

76 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

II PROGRAMME D'ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE

Le but que vous m'avez assigné est de préparer progressive- ment le passage des régions du Sud au régime civil.

Actuellement, mon commandement comprend deux provinces civiles, Fianarantsoa et Farafangana, et trois cercles militaires, Tulear, les Bara et Fort-Dauphin (1).

Je viens de vous faire ressortir, dans mon programme mili- taire, qu'elles étaient les régions non encore pacifiées.

Au point de vue des affinités géographiques et des intérêts économiques, tous les renseignements qui m'ont été donnés depuis quatre mois et ceux que j'ai recueillis pendant mes tour- nées dans le cercle des Bara et la province de Farafangana m'ont amené aux conclusions suivantes :

Le cercle des Bara se divise en deux parties principales bien distinctes :

Celle de V Ouest, qui correspond à la majeure partie des sec- teurs d'Ihosy et de Betroka, est constituée par le bassin de rOnilahy et de ses tributaires ; ses relations économiques sui- vent le cours de ces rivières et aboutissent à Tulear; ce port est le marché naturel de Betroka, Ranohira, etc.. Ces relations traditionnelles se sont encore développées depuis l'amélioration récente des voies de communication.

Celle de VEst, correspondant aux secteurs d'Ivohibé et de Midongy, est constituée géographiquement par les bassins de ritomampy, de l'Ionaivo et de l'Iantara, tributaires de la côte Est. Farafangana et Vangaindrano sont ses marchés naturels et les tribus de ces secteurs sont si étroitement mêlées à celles de Farafangana qu'il est souvent très difficile d'en faire la délimi- tation.

(1) Voir la carte 2, à la gauche du volume.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 7T

Ces deux régions sont séparées par un haut et épais massif rocheux et désert, très difficilement franchissable, qui forme la ligne de partage de l'Ile et à travers lequel les communications sont très difficiles.

En un mot, la première partie est nettement fonction de la côte Ouest et la deuxième de la côte Est.

En dehors de ces deux parties principales, il en existe deux autres : au Nord, la vallée d'ihosy, qui, bien que le fond de la population soit Bara, s'est peu à peu peuplée d'infiltrations Hova et Betsiléo, qui tendent à devenir prédominantes et y ont apporté une manière de vivre, une activité commerciale et agricole qui la font différer essentiellement des autres régions Bara.

Au Sud, la région de Bekily, fort peu peuplée, appartient géographiquement au pays Antandroy, et, au point de vue eth- nographique, il n'y a pas plus de raisons pour l'attribuer à l'un qu'à l'autre des trois cercles auxquels elle confine.

Telle étant la situation, voici le programme que je compte suivre au point de vue de l'organisation politique et administra- tive :

1" Période.

La partie Est du cercle des Bara correspondant aux régions insoumises sera constituée en un cercle-annexe militaire, le cercle-annexe d'Ifandana (1) sous le commandement du capi- taine Le Rouvillois, à la date du 1" mai. Son action politique se liera étroitement à celle de la province de Farafangana, à laquelle la rattachent les conditions ethnographiques et éco- nomiques et dans laquelle elle est destinée à se fondre peu à peu.

Les parties Ouest du cercle des Bara, complètement paci- fiées, seront réunies au cercle de Tulear.

Le lieutenant-colonel Lavoisot succède au commandant Luc- ciardi (2) dans le commandement de ce cercle, qui se trouvera ainsi doublé d'étendue. Mais, sa mission, conformément aux instructions que vous m'avez données, est essentiellement une

(1) Carte 3, à la gauche du volume,

(2) Appelé aux fonctions de chef d'état-major du corps d'occupation.

78 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

mission de liquidation. Il lui appartient de préparer progressi- vement et un à un le passage à l'administration civile de chacun des secteurs pacifiés et de déterminer sur place, avec le plus grand soin, la circonscription qu'il y aura lieu de maintenir ultérieurement sous le régime militaire.

Ces solutions se préparent dès maintenant :

M. l'administrateur-adjoint Bastard va remplacer le ca- pitaine Chieusse à Ankazoabo, comme résident auprès d'Im- poinimerina, chef des Bara-Imamono. Il va s'appliquer à faire entrer dans le même système de protectorat le groupe limi- trophe des Bara-Be, qui, sous le chef Inapaka, occupe la partie occidentale du cercle d'Ihosy, entre la Menamaty et la Malio ;

2" Le capitaine Chieusse est transporté dans le secteur Ta- nosy, s'établit le régime du protectorat, et il y a des chancps pour que cet officier obtienne auprès des Tanosy les mêmes résultats qu'auprès d'Impoinimerina;

L'administration du secteur de Tulear sera entièrement aux mains des fonctionnaires civils déjà en service dans cette ville;

La première circonscription le lieutenant-colonel La- voisot cherchera à appliquer ce régime sera le secteur du Bas- Mangokay ;

D'autre part, le secteur de Betroka est, dès maintenant, confié à M. l'inspecteur de milice Vivié, mis hors cadres, et qui a déjà rempli avec succès des fonctions analogues dans la pro- vince de Majunga.

Le lieutenant-colonel Lavoisot procédera en même temps, en ce qui concerne le service du ravitaillement, le service des constructions, à une série de mesures transitoires qui permet- tront à ces divers services de continuer à fonctionner, une fois la province passée à l'administration civile.

Il étudiera la délimitation exacte de la région Mahafaly, qu'il y aura lieu de laisser constituée en circonscription mili- taire, de manière que cette peuplade turbulente reste en- tourée d'un système de postes fortement constitués et ne puisse troubler les partie^ pacifiées.

La région de Bekily est annexée au cercle de Fort-Dauphin (1),

(1) Carte 3,

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 79

(le manière à mettre dans la même main tous les postes (lui in- vestissent le pays Aniandroy et à assurer l'unité d'action et de direction à l'égard de cette peuplade; tous les renseignements s'accordent à la signaler comme nombreuse, guerrière, peu dis- posée à supporter notre voisinage et toujours prête à inquiéter le trafic côtier et le commerce des régions pacifiées.

Période.

[{attachement de la vallée dlhosy au Bctsiléo. Pour ne pas apporter de trouble dans les habitudes administratives des populations, je n'ai pas voulu faire coïncider ce rattache- ment avec la dislocation du cercle des Bara. Il faut que le ca- pitaine Dudouis, qui commande à Ihosy depuis trois ans et qui a toute la population en main, préside lui-même aux modifica- tions actuelles, prenne le contact avec M. l'administrateur-ad- joint Bastard et amène lui-même les Bara-Be à adopter le même régime de protectorat que les Bara-Imamono.

D'autre part, M. l'administrateur Lacaze, remplaçant M. l'ad- ministrateur en chef Besson (1) dans la direction de l'impor- tante province du Betsiléo, il convient de le laisser s'y installer, y voir clair, avant de lui donner une nouvelle circonscription. Mais j'estime que ce rattachement pourra se faire dans le cou- rant de l'année.

Rattachement à la province de Farafangana des parties pacifiées du cercle dlfandana. A mesure que le capitaine Le Bouvillois aura complètement pacifié et organisé la zone fo- restière, il la passera tribu par tribu à la province de Farafan- gana (2). Si cette action exercée du Nord au Sud peut se pour- suivre avec la méthode rigoureuse qui réussit jusqu'ici, et sauf incidents imprévus, j'estime que, vers le mois d'août, le dis- trict de Karianga pourra être remis à l'administration civile, ainsi qu'une partie des tribus au Nord de la Mananara.

(1) A la date du 16 avril 1901.

(2) Commandée depuis le 26 mars 1901 par M. l'administrateur Bénévent.

80

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Période.

Cette période s'ouvrira quand la plus grande partie du cer-

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Organisation administpative proposée pour le Sad après la pacification l'issae de la 3'' période).

cle de Tulear sera préparée à l'administration civile, comme il vient d'être dit précédemment, et quand la zone forestière de l'Est, jusqu'aux Andrabé inclus, sera pacifiée et organisée.

PÉRIODE PRÉPARATOIRE 81

Je ferai tous mes efforts et je dirigerai tous ceux de mes collaborateurs pour que ces résultats soient atteints à la fin de l'année 1901.

J'estime qu'à ce moment l'organisation politique pourra être la suivante :

A) Provmces civiles. Province de Fianarantsoa agrandie de la vallée d'Ihosy;

Province de Tulear, s'étendant depuis le Mangoka au Nord jusqu'à une ligne à déterminer au Sud de l'Onilahy;

Province de Farafangana, comprenant deux parties :

a) La zone côtière avec le régime civil de plein exercice;

b) Un hinterland comprenant la zone forestière organisée soit en cercle-annexe, soit en districts commandés par des offi- ciers, mais sous la direction de l'administrateur de la province dont ils dépendront administrativement et politiquement.

Je crois en effet de toute sagesse et de toute prudence que, même après la pacification et l'organisation complète, cette haute région montagneuse si difficile, qui a toujours servi d'abri à tous les mécontents, reste pendant quelques années occupée par quelques troupes, dont la présence suffira à prévenir et à empêcher toute velléité d'insoumission.

B) Circonscriptions militaires. Il n'en subsisterait qu'une (ou deux) dans la pointe extrême Sud de l'Ile, comprenant le cer- cle actuel de Fort-Dauphin et le pays Mahafaly.

Les pays Antandroy et Mahafaly sont très déshérités. Les habitants, quoique très nombreux, y vivent de bœufs, de manioc, de patates et surtout de pillages. Ils ne cultivent pas les rizières.

II n'existe dans ces régions aucune communication facile, il y a de vastes espaces sans eau. Les relations par terre en- tre le pays Mahafaly et le pays Antandroy sont très difficiles.

C'est pourtant dans ces circonscriptions seules qu'il y aura lieu de maintenir, pendant un temps difficile à déterminer, un assez grand nombre d'unités. Elles comporteront un comman- dement fortement constitué, qui puisse assurer l'unité de leur action, leur administration, leur ravitaillement; il faudra donc qu'il dispose des ressources nécessaires en approvisionnemenis, on matériel, en personnel.

Madagascar. 6

82 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Je ne vois pas, pour le moment du moins, ce commande- ment pourra être placé ailleurs qu'à Fort-Dauphin.

La plus X grande partie des ravitaillements, les communica- tions, la transmission des ordres ne pourront être assurés que par la côte et par goélettes.

Fort-Dauphin est le seul port de la côte Sud, le seul point puissent être établis des magasins, le seul qui comporte des ressources commerciales et maritimes, le seul qui comporte les installations nécessaires au siège d'un commandant.

Je crois donc que la solution la plus rationnelle pour plu- sieurs années encore, sera de laisser à la province de Fort-Dau- phin un commandant militaire, à la tête d'une administration mixte : une administration civile appliquée à toute la région à l'Est du Mandraré et dirigée par l'administrateur adjoint au commandant, avec le concours de fonctionnaires exclusivement civils et une administration militaire, appliquée à toute la ré- gion à l'Ouest du Mandraré.

Il est possible aussi qu'on regarde comme plus pratique de constituer la région Mahafaly en circonscription militaire indé- pendante, communiquant avec le commandement central par Tulear (1).

; Au surplus, c'est au cours de cette année seulement, à mesure que se développera la situation, qu'il sera possible de déterminer avec précision le régime définitif et la délimitation à établir dans ces régions encore mal connues.

Ce qui précède suffit, je crois, à en donner les grandes lignes et à tracer à chacun pour l'année courante un programme bien défini.

Tel est, mon Général, le programme que, à mon sens, il y a lieu de poursuivre et que, avec le haut appui de la confiance dont vous m'honorez et la bonne volonté de tous mes collabo- rateurs, je ferai tous mes efforts pour mener à bien.

(1) C'est la solution qui a été adoptée en décembre 1902.

ir PARTIE

PERIODE D'EXECUTION

Avril 1901 —Mai 1902

Chapitbe I", Action dans la zone forestière de l'Est.

II. Action dans le cercle de Fort-Dauphin.

III. Action dans le cercle de Tulear.

Le programme qui précède s'est accompli au cours de l'année 1901 et pendant les cinq premiers mois de l'année 1902.

De sérieux incidents, l'obligation imprévue de repren- dre à certains moments des parties considérées comme acquises, tous les aléas en un mot inséparables des opé- rations coloniales plus que de toutes autres, ont parfois semblé compromettre sa réalisation. Mais dans leur en- semble les phases successives s'en sont déroulées comme il avait été prévu.

Nous allons en suivre l'exécution en reproduisant la série des Rapports adressés au Général en chef, après l'exécution de chacune des parties du programme :

1" Dans la zone forestière de l'Est : À) Au Nord de la Mananara;

B) Au Sud de la Mananara ;

C) Dans la région d'Ikongo.

Dans le Cercle de Fort-Dauphin. 3" Dans le Cercle de Tulear.

CHAPITRE r

ACTION DANS LA ZONE FORESTIÈRE DE L'EST

I. Au Nord de la Mananara : avril à juin 1901. II. Au Sud de la Mana- nara : juin à novembre 1901. III. Dans la région d'Ikongo : septembre à décembre 1901. IV. Organisation de la zone forestière après la paci- fication.

I

ACTION AU NORD DE LA MANANARA (1).

(AvRn. A Juin 1901).

Midongy, le 20 juin 1901.

Mon Général,

Le 1" avril, je vous soumettais le programme (2) que je comp- tais suivre pour la campagne de 1901.

J'envisageais successivement les deux régions l'action militaire s'imposait encore :

La zone forestière de l'Est;

2" Les insoumis du Sud.

Je divisais la zone forestière elle-même en deux champs d'action qui devaient faire l'objet de deux séries d'opérations successives et distinctes (3) :

(1) Rapport adressé au général Galliéni à la suite des opérations au Nord de la Mananara.

(2) Chapitre précédent.

(3) Carte 2, à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution 89

1" Au Nord de la Mananara;

Au Sud de la Mananara.

Je vous exposais les raisons pour lesquelles je croyais devoir appliquer le programme d'action militaire en allant du Nord vers le Sud.

La question se trouvait ainsi divisée en trois périodes, aussi bien par suite du placement naturel des groupes insoumis que dans l'ordre chronologique, à savoir :

Action au Nord de la Mananara, que j'appellerai solu- tion de la question Tambavalo, du nom de la principale tribu insoumise;

2" Action au Sud de la Mananai^a, que j'appellerai question de rivolobé et des Andrabé, du nom des deux groupements insoumis entre lesquels elle se divise;

3" Action contre les insoumis du Sud du cercle de Fort-Dau- phin, que j'appellerai la question Antandroy, du nom de la principale peuplade en cause.

Je vous rendais compte que la première période s'ouvrait sous la direction du capitaine Le Rouvillois.

Elle vient d'être réglée.

Avant d'ouvrir la seconde période, j'ai l'honneur de vous rendre compte de l'exécution de la première.

Je me permets de vous reporter d'abord à mon programme d'ensemble du 1" avril et au croquis qui l'accompagnait (1). Je vous y exposais la méthode adoptée : division de la forêt du Nord au Sud en zones à occuper successivement par une action simultanée partant des postes d'investissement établis précé- demment sur la lisière.

Je vous rendais compte que, dès lors, l'action était entamée dans la zone au Nord de l'Iantara, circonscrite entre les quatre postes d'Ivohibé, de Karianga, d'Imandabé et de Vohimarina, entre lesquels s'installait au centre de la forêt le poste d'Iva- tovory.

(1) Page 5S.

90

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

hohibe

frnâ.nda6e

Karianga

yohLmoLrinou

D'après les renseignements, c'est dans la partie Sud de cette zone seulement se trouvaient les repaires fortifiés du chef Tsiahoro, que devait commencer la résistance sérieuse.

A partir de ce moment, j'ai laissé une initiative absolue au capitaine Le Rouvillois, mis à la tête du nouveau cercle-an- nexe d'Ifandana englobant toute la zone forestière. Je lui avais sufTisamment indiqué les lignes du programme adopté et c'est lui qui a mené toute l'affaire sans aucune intervention supé- rieure.

Avant d'entamer la lutte, le capitaine Le Rouvillois fit les plus sérieuses tentatives de conciliation. 11 mit en liberté Saha- baka, fils de Tsivoa, chef politique des Tambavalo. Sahabaka devint pour nous dans toute la suite de la campagne un émis- saire et un guide absolument dévoué; mais, à ce moment, il ne put même pas obtenir d'être reçu par son père, qui se re- fusa à toute entente. En même temps, le sergent Lousteau, chef de poste d'Imandabé, faisait de dernières tentatives égale- ment infructueuses auprès de Fanamé.

Enfin, un pasteur de la mission norwégienne établi à Ivo- hibé, M. Hagen, s'offrit à servir d'intermédiaire. A deux re- prises, avec beaucoup de dévouement et un vrai courage, il alla chez les rebelles; il était même parvenu à en décider une trentaine à venir à Ivohibé, mais quatre seulement se présen-

PÉRIODE d'exécution 91

tèrent annonçant l'arrivée prochaine des autres, qui ne vin- rent pas, malgré la prolongation, de délais qui leur fut accor- dée. A sa dernière entrevue avec eux, le 28 mai, M. Hagen fut, au contraire, de leur part l'objet de démonstrations hostiles. Il fut établi, d'après les déclarations ultérieures des rebelles, que, se croyant invulnérables dans leurs repaires de la forêt parfaitement fortifiés, ils avaient seulement cherché à gagner du temps pour perfectionner leurs défenses et commencer leurs récoltes.

Tout en poursuivant les négociations, le capitaine Le Rou- villois achevait méthodiquement et sans relâche sa préparation.

Les postes d'investissement étaient renforcés et tous ceux d'une même zone d'action réunis en groupements, sous le com- mandement d'un seul chef.

Au Nord, dans le groupement de Karianga (1) sous les ordres du lieutenant Bouche, une liaison étroite était établie entre les postes de Karianga, de Fort-Clavier, d'Iampasika et d'Ivohibé, de manière à empêcher autant que possible toute infiltration dans la région de l'Ikongo.

A l'Ouest dans le groupement d'Imandabé (sergent Lousteau) était créé le nouveau poste d'Ivondrokely au centre d'un petit massif forestier, afin d'empêcher à la fois les rebelles chassés de la forêt d'y trouver un abri et en même temps de protéger et de maintenir les populations soumises groupées aux envi- rons.

A l'Est, le groupement de Vohimarina (lieutenant Freydem- berg) était augmenté de 30 fusils et créait sur la crête fores- tière un avant-poste, Karimalaza, destiné à serrer de plus près l'investissement.

Au centre le groupement d'Ivatovory (lieutenant Dubufe) pous- sait au Sud le poste d'Antanambao en pleine forêt pour se rapprocher des repaires de Tsiahoro.

Enfin, au Sud de la zone rebelle était créé le groupement df^ la Mananara commandé par le lieutenant Cambay; ayant son centre au nouveau poste d'Ambararata, sur la route d'Ifandana à Vangaindrano, pour y assurer la sécurité et empêcher des installations rebelles de se produire dans cette partie de la for.êt.

(1) Croquis page suivante.

92

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Tous ces postes étaient reliés entre eux et leur organisation complétée par un service de police indigène et d'émissaires

Ià.mpasLJ(a.

Ivohibt.

ïmcuxalai

Emplacements des gpoapes rebelles et de nos postes aa début des opéfations.

PÉRIODE d'exécution 93

dont les agents circulaient la nuit sur les sentiers et entouraient les rebelles d'un réseau de surveillance étroite.

Ce service, qui a parfaitement fonctionné, a été un des fac- teurs importants du succès, empêchant les colonnes de s'éga- rer, indiquant les points faibles des positions ennemies.

Le mérite en revient au lieutenant Freydemberg d'abord, puis au sergent Lousteau qui, établis depuis longtemps dans le pays, connaissant parfaitement les habitants et les mœurs, s'y étaient acquis des partisans éprouvés et nous ont permis, dans ce pays particulièrement diflîcile, de partir de bases certaines, ce qui manque souvent dans ces sortes d'opérations.

Bien que fixé depuis moins longtemps dans le district de Karianga, le lieutenant Bouche, grâce aux mêmes qualités, avait également réussi à former un service de renseignements, des partisans et une milice locale qui nous ont parfaitement éclai rés.

Le ravitaillement a été constitué de manière que chaque poste eût, en plus de sa réserve réglementaire, constamment quinze jours de vivres. En outre, tous les Européens désignés pour marcher étaient munis de deux jours de vivres et les indi- gènes de quatre jours.

Le nombre de porteurs demandés aux populations a été ré- duit au minimum, les ressources ayant été placées d'avance aux points qui exigeaient les moindres déplacements.

Les renseignements d'émissaires avaient fait connaître que les défenses des repaires étaient sérieuses et pratiquées avec une véritable entente de la fortification. Elles se composaient le plus souvent d'une triple ligne :

Une tranchée abritée par un parapet en terre et rondins crénelés (voir le croquis page 98) ;

Une palissade;

Des abatis parmi lesquels était dissimulée une ligne de trous-de-loup, au milieu de chacun desquels se dressait un pi- quet souvent en fer à extrémité barbelée, recouverts de feuil- lages, qui constituaient une formidable défense, à laquelle, aussi bien qu'aux petits piquets semés sur les sentiers, nous devons 98 blessures.

Toutefois, les renseignements ajoutaient que les défenses les plus solides étaient tournées du côté de la lisière Ouest de

94 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

la forêt, d'où les rebelles attendaient l'attaque. La plupart de ces ouvrages semblaient avoir ainsi une gorge plus faible- ment défendue du côté de l'Est.

Le capitaine Le Rouvillois donna donc comme règle générale de prononcer l'attaque principale par les faces Est et, les vil- lages fortifiés étant par groupes, d'attaquer toujours d'abord le repaire le plus fort, occupé par le chef le plus en vue, afin de porter un coup décisif à la défense de chaque groupe.

Les troupes, à l'effectif de 2S0 hommes et une pièce d'artille- rie de montagne, furent divisées en deux groupes, l'un sous le commandement du capitaine Le Rouvillois, l'autre sous le commandement du capitaine Pécon de Laforest.

Je reproduis ici, l'ordre 1, ainsi que les instructions A et B, établis au début des opérations par le capitaine Le Rouvillois.

Ordre j.

Ivohibé, 4 avril 1901.

Conformément aux ordres du Commandant supérieur du Sud, une partie des troupes du secteur d'Ivohibé sera rassemblée pour chasser les rebelles de la forêt comprise dans le quadrila- tère Antanambao, Ifandana, Yondrozo, Vohimarina sous le commandement du capitaine Le Rouvillois.

Composition. 11* compagnie du 13* régiment : 2 sous-offi- ciers, 12 hommes.

compagnie malgache : 5 sous-officiers, 135 tirailleurs.

8* compagnie malgache : 35 tirailleurs.

Artillerie : la pièce de Fianarantsoa.

Milice : 1 garde principal, 30 hommes d'Ivohibé, 30 hommes de Karianga.

Commandement. Capitaine Le Rouvillois, commandant le secteur.

Troupes. Seront divisées en deux groupes composés de quatre sections commandées chacune par un officier ou un sous- officier et comprenant un ou deux soldats européens et 28 indi- gènes.

Groupe de l'Est. Sous le commandement du capitaine de Laforest 3 sections tirées des garnisons de Vohimarina-Von- drozo et 10 hommes d'Ifandana sous le commandement du lieu- tenant Freydemberg. 1 section de miliciens fournie par le poste de Karianga sous le commandement du lieutenant Bouche.

PÉRIODE d'exécution 95

Groupe de V Ouest. Sous le commandement du capitaine Le Rouvillois. 3 sections fournies par les garnisons de Ranotsara, Analavoka, 20 iiommes d'IvoLibé, 6 hommes d'Imandabé et 8 hommes d'Ifandana commandés par le lieutenant Dubufe et le sous-lieutenant Cautellier. 1 section de miliciens fournie par le poste d'Ivohibé et commandée par le garde principal Mercier.

Artillerie. La pièce de Fianarantsoa commandée par le lieutenant Bidon.

Service de santé. Le docteur Crenn accompagnera le grou- pe de l'Ouest, un infirmier indigène sera affecté à chaque groupe.

Bourjanes. Les officiers, sous-officiers, caporaux et soldats auront droit aux bourjanes réglementaires.

Chaque groupe disposera de : 2 bourjanes pour le transport des munitions de réserve, 2 pour le transport des outils, 2 pour le transport des médicaments, 20 pour le ravitaillement.

Ravitaillement. Les Européens porteront 2 jours de vivres, les tirailleurs 4 jours. Les bourjanes destinés au ravitaillement seront divisés en 2 échelons correspondant à 2 jours de vivres.

Lorsqu'un des échelons sera vidé, il ira se ravitailler au poste le plus voisin, d'après les ordres du commandant des troupes. Les tirailleurs, miliciens et les bourjanes toucheront la ration en nature.

Dans chaque groupe, le plus élevé en grade dans chaque unité administrative signera le bon pour tous les hommes du groupe appartenant à cette unité.

Le sous- officier chargé du ravitaillement du groupe établira le bon pour les bourjanes affectés à chaque groupe.

Le sous-officier qui commandera l'escorte du convoi remettra ces bons au gérant du magasin.

Munition?. Réserve : par groupe, une caisse de cartouches modèle 1886, 1 caisse du modèle 1879-83.

Outils. Par groupe : 8 angady (1), 4 haches, 6 serpes, 50 mètres de cordage, 1 levier en fer.

Concentration. Le 8 au soir, les 2 groupes devront se concen- trer : celui de l'Est au village Mahasesy, sur la rive gauclio de l'Iantara, à la sortie Est de la forêt; celui de l'Ouest et l'ar- tillerie au poste d'Antanambao.

(1) Bêches malgaches.

96 DANS LE SUI) DE MADAGASCAR

Instructions A.

Opérations. Les opérations seront divisées en deux parties :

a) Opérations au Nord de l'Iantara ;

b) Opérations au Sud de l'Iantara.

Chaque partie comprendra elle-même trois périodes :

Destruction de toute organisation défensive dans la zone attaquée ;

Occupation effective et reconnaissance complète de la dite zone ;

Construction d'un poste et tracé de sentiers.

En général, l'opération de la journée aura pour but la des- truction de toute organisation ennemie dans une zone donnée et son occupation effective. Chaque commandant de groupe, sui- vant les obstacles qu'il rencontrera, indiquera le but de chaque action partielle (enlèvement d'un village ou d'une position for- tifiée), et donnera ses instructions aux chefs de section et à l'ar- tillerie s'il y a lieu. Dès que l'avant-garde se heurtera à des petits piquets, elle quittera le chemin et marchera au coupe- coupe, le sentier étant en général repéré pour le feu.

Si l'avant-garde ne peut plus avancer, elle devra, en mainte- nant solidement sa position, chercher à s'étendre sur les flancs. Le commandant du groupe donnera alors ses instructions pour l'attaque.

Lorsqu'une fraction aura réussi une mission déterminée, elle ne devra pas perdre de vue le but à atteindre, malgré les attaques sur ses flancs ou sur ses derrières. Le commandant de cette frac- tion se bornera à opposer à ces attaques le minimum de fusils et continuera son mouvement.

Feux. Le feu sera fait, en général, par demi-eection. Les demi-S'8ctions ne feront feu qu'à l'avertiss-ement du chef de sec- tion, qui donnera la hausise et le but à atteindre.

On évitera ainsi le gaspillage des munitions. Devant un village fortifié, le feu de quelques bons tireurs prêts à faire feu sur tout ce qui s-e montre peut être efficace.

Partisans. Les partisans qui n'ont pas d'uniforme porteront une coiffe rouge pour éviter les méprises ; ils seront attachés à l'une des sections de chaque groupe. Le chef de section veillera à ce qu'ils ne gaspillent pas leurs munitions.

Artillerie. La pièce sera amenée sur l'emplacement et tirera sur le point indiqué par le commandant du groupe. En général, le lieutenant commandant la pièce marchera avec lui.

Précautions. La sonnerie de la casquette a été choisie pour

PÉRIODE d'exécution 97

indiquer qu'un, détachement i-eçoit des projectiles d'une troupe amie. Toute troupe entendant cette sonnerie dans la direction oii elle tire devra cesser son feu. De même, quand un village sur lequel plusieurs fractions font feu sera pris, la même sonnerie devra se faire entendre.

Instetjctions B.

Le capitaine commandant le secteur rappelle que les opérations qui vont avoir lieu dans la forêt ont pour but, non pas la des- truction de l'adversaire, mais sa soumission. Il en résulte un changement notable dans la manière d'agir.

Il a été, en effet, constaté qu'iin des plus grands obstacles à la soumission des rebelles a été le dénuement complet dans lequel ils se trouvaient, par suite de l'anéantissement de leurs ressources. En conséquenoe, toute destruction systématique sera complètement écartée.

Toutes les prises (bœufs, riz, etc.) seront prises en compte par le service des approvisionnements et distribuées sur bons régu- liers aux troupes pour éviter des transports inutiles. Mais les sommes provenant de ces cessions seront mises à part de façon à constituer des secours pour les rebelles qui se soumettront et leur permettre de faire leurs cultures.

Seuls, les villages fortifiés devront être mis hors d'état de se défendre, le but principal étant de détruire toute organisation de l'adversaire.

* * *

Je n'entrerai pas dans le détail des opérations qui font l'objet du rapport spécial du capitaine Le Rouvillois, que je ne fais que résumer (1).

Ces opérations se divisent en deux périodes bien distinctes. : Au Nord de l'Iantara du 8 au 16 avril; Au Sud de l'Iantara du 16 avril au 1" mai.

La première période a comme objectif principal la prise et la destruction des repaires de Tsiahoro.

La seconde a comme objectif principal la prise et la destruc- tion des repaires de Tsivoa, Imaharanga, Fanamé et de tout ce qui gravite autour d'eux.

Dans chacun de ces groupes, en effet, le repaire principal

(1) Suivre sur le croquis (a), à la gauche du volume. Madagascar.

ùi^rte de reéroûte

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I^epaiPe de Tslabopo.

PÉRIODE d'exécution 99

est entouré, protégé par des repaires secondaires qui forment autant de lignes à enlever successivement.

Opérations au Nord de l'Iraanta. L'ordre 1 est donné le 4 avril.

Le 8 avril, la concentration des deux groupes est terminée.

Le groupe Le Rouvillois (115 fusils réguliers, 34 partisans, la pièce d'artillerie et l'ambulance) à Antanambao, au Nord des positions rebelles.

Le groupe Pécon de Laforest (135 fusils réguliers et 30 par- tisans) à Mahasesy, au pied de la falaise, à l'Est des positions rebelles.

La marche combinée et concentrique commence le 9 avril au matin.

Le groupe Le Rouvillois tombe sur le village fortifié de Ra- mane, l'enlève sans pertes, après l'avoir canonné, et reprend sa marche de manière à aborder le 10 au matin le repaire de Tsiahoro par le Nord, pendant que le groupe de Laforest l'a- bordera par l'Est.

Mais, dans sa marche du 9, le groupe de Laforest se trouvait amené, dès midi, après avoir escaladé la falaise, au contact du repaire de Tsiahoro. Le capitaine de Laforest, jugeant qu'il n'y a pas à hésiter à bénéficier de la surprise, divise sa troupe en deux groupes; il prescrit au lieutenant Freydemberg de tour- ner le repaire par le Nord-Est et de tenter l'escalade dt? ce côté en prenant les rebelles à revers.

Cette attaque est appuyée de front par le lieutenant Bouche. Au moment oii Freydemberg escalade sous le feu la face Nord, le capitaine de Laforest porte tout son monde à l'assaut et le repaire est enlevé des deux côtés à la fois.

Nous avons un tirailleur et un partisan tués et quatre tirail- leurs blessés dont un mortellement.

C'est grâce seulement à la surprise et la rapidité avec la- quelle l'affaire est menée que nous n'avons pas plus de pertes. Cette affaire fait honneur au capitaine Pécon de Laforest qui a montré autant de décision à la concevoir que d'entrain à la mener.

Quand le groupe Le Rouvillois se présente le lendemain 10, à midi 30, il trouve le repaire enlevé. Les défenses du repaire étaient si bien comprises, avec ses

100 DANS LE STJD DE MADAGASCAR

parapets de rondins et de terre, ses flanquements, ses défenses accessoires, qu'il peut être transformé immédiatement en poste.

Il reçoit le nom de poste Ralefa, du nom d'un tirailleur tué à l'assaut.

L'enlèvement du repaire de Tsiahoro, auquel les rebelles avaient fait une légende d'invulnérabilité, avait un effet moral sérieux.

Afin d'en profiter, les deux groupes reprennent leur marche, dès le 11, pour enlever les repaires de Tsiandevo à Sosoba. Ils les trouvent évacués.

La chute imprévue du repaire de Tsiahoro avait fait tomber toute défense fixe au Nord de l'Iantara.

Les journées des 12 et 13 se passent en poursuites et recon- naissances pour achever le nettoyage de cette zone.

Le 15, le poste Ralefa (repaire de Tsiahoro), étant complète- ment organisé, reçoit la garnison et les approvisionnements du poste d'Antanambao, qui est évacué par les troupes régulières et remis à la garde des partisans du chef Befanindry.

Des pirogues sont concentrées à Ifasy pour le passage de l'Iantara et, le 15 au soir, les deux groupes, après avoir passé l'Iantara, sont concentrés sur la rive Sud, à Karimalaza.

Opérations au Sud de l'Iantara (1). Le groupement le plus rapproché de l'Iantara, au Sud de cette rivière, était celui de Tsivoa, le vieux chef politique des Tambavalo, dont tous su- bissaient à un plus ou moins haut degré l'influence; c'était donc le premier à enlever. Ce groupement se composait de plu- sieurs villages très bien fortifiés établis en avant du plus fort d'entre eux nommé Anivorano. (Croquis page 102.)

Ici, grâce à l'excellent service de police signalé plus haut, les renseignements étaient plus précis, et, parmi nos guides et émissaires, nous avions le fils de Tsivoa lui-même, Sahabaka, en lutte avec son père.

En raison du prélèvement des fusils laissés au poste de Rale- fa et de la nécessité de ne pas laisser aborder un de ces vil- lages fortifiés sans canon,, les troupes furent réunies à partir de ce moment en un seul groupe.

Le 16 au matin, la colonne se mettait en marche et, après

(1) Croquis (a) à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution 101

quatre heures d'une marche pénible, se trouvait en présence du premier village fortifié formant avant-poste, celui de Ta- voaka, dissimulé dans un taillis tellement épais qu'on ne dis- tinguait la palissade qu'à environ 10 mètres. Ce sont les lieute- nants Bouche et Freydemberg qui enlèvent la palissade à la tète de leurs sections et enfoncent la porte, suivis de près par le capitaine de Laforest et le lieutenant d'artillerie Bidon.

Un tirailleur et un partisan sont blessés, le village surpris est évacué en désordre. La section du lieutenant Cautellier poursuit les fuyards.

Le 17 avril, les troupes reposent. Le 18, elles nettoient la vallée de la Sisambato et y enlèvent le village fortifié d'Am- boangivé.

Les abords du Nord de la position de Tsivoa étant ainsi dégagés, le capitaine Le Rouvillois décide d'attaquer le 19 les positions principales.

Le 19 avril, à 10 heures du matin, les troupes abordent les trois villages fortifiés de Tsivoa, qui sont enlevés sans résis- tance; les rebelles se concentrent au Sud au poste le plus fort, celui d'Anivorano.

Les troupes l'abordent à 2 h. 30 par le Sud qui, d'après les renseignements des guides, est le côté le plus faible. Le capi- taine de Laforest, avec les sections Freydemberg, Cambay et Cautellier et celle du sergent Thibault, commande la ligne d'at- taque dirigée contre le saillant Sud-Ouest. La section Bouche soutient l'artillerie au Sud tout en surveillant une des lignes de retraite du repaire (1).

Le repaire est enlevé à 3 heures sous un feu dirigé d'abord de l'enceinte crénelée, puis d'une ligne intérieure ; l'attaque nous coûte 3 tirailleurs tués, dont le sergent indigène Omory, et 2 blessés.

Dès le lendemain 20, la colonne, après avoir laissé une gar- nison provisoire dans le repaire enlevé et pour en dégager com- plètement les abords, se porte à l'Ouest sur le village de Rabisy qui est évacué sans résistance et détruit.

Le capitaine Le Rouvillois décide que le repaire d'Anivorano, qui en raison de ses défenses peut être transformé immédiate- ment en poste, formera au Sud de l'Iantara le poste central de

(1) Croquis page suivante.

102

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

la forêt entre Vohimarina et Imandabé, conformément à la mé- thode tracée dans le programme général. En outre, l'occupation permanente du réduit de Tsivoa est

i^it

P Porte principaU P' Porte

Prise d'flnivopano (Zaflmafasoa).

REPAIRE DE TSIVOA

d'un sérieux effet moral. Ce poste reçoit le nom de poste Omory, du nom du sergent tué à l'assaut. Il est placé sous les ordres du lieutenant Freydemberg.

PÉRIODE d'exécution 103

La journée du 21 est employée à l'aménager et à le ravitail- ler.

Le 22 avril, des renseignements ayant appris qu'il reste au nord, dissimulé dans la forêt, un dernier groupe de villages fortifiés, le capitaine Le Rouvillois s'y porte avec le lieutenant Bouche, la pièce d'artillerie et 150 fusils.

Les deux villages, malgré trois lignes de défenses, sont éva- cués sans résistance et détruits.

Le groupement de Tsivoa étant ainsi disloqué et ses repaires enlevés, il reste au Sud-Ouest le groupement de Fanamé et, sur son chemin, les villages fortifiés d'Imaharanga.

Pour profiter de l'effet produit, le capitaine Le Rouvillois reprend la marche, le 24, avec, comme objectif, le repaire d'Imaharanga. Ce repaire est bien fortifié, mais sur trois faces seulement et peu défendu à la gorge, d'après les renseigne- ments très précis des émissaires.

En conséquence, menacé seulement de front, il est enlevé par surprise par la gorge par la section Cautellier.

Un caporal indigène y est tué.

Le 24 au soir, la colonne est à Imandabé, d'où elle prépare l'attaque du groupe de Fanamé.

La journée du 25 se passe à reconnaître les approches et à déterminer le point d'attaque le plus faible qui est par l'Est.

C'est, en conséquence, par cette direction,, malgré le détour qu'elle impose et l'obligation de ne marcher qu'en forêt, que l'attaque s'exécute le 26.

Les villages sont évacués devant nous. A partir de ce mo- ment, les rebelles changent de tactique. La rapidité et la vi- gueur de notre action contre celles de leurs positions qu'ils regardaient comme les plus fortes les ayant découragés, ils renoncent à les défendre. Au lieu de résister dans les villages fortifiés, ils commencent une guerre d'embuscades contre les troupes en marche, tirant sur l'avant-garde, sur les flancs, sur l'arrière-garde, sur les convois.

Les 27 et 28 avril sont employés à nettoyer la région com- prise entre le poste d'Imandabé et le poste Omory oij subsis- tent encore des villages fortifiés qui sont détruits; un tirailleur est mortellement blessé.

Il est signalé qu'il existe encore un rassemblement armé important au village de Tsivalaka, de la tribu des Maroampos.

.104 DANS LE SUD DE MADAÔASCAll

Une reconnaissance commandée par le lieutenant Freydemberg, dirigée contre ce point, l'occupe le 30 avril. , Le 2 mai, le chef des Maroampos se présente à Ifandana en rendant 25 fusils. C'est l'ouverture de la période des soumis- sions.

Les opérations d'ensemble au Nord de la Mananara sont ter- minées.

*

* *

Il reste à purger entièrement la forêt des derniers rebelles, à relier les postes anciens et nouveaux par d'incessantes recon- naissances, à empêcher les groupes dispersés de reformer de nouvelles installations. Cette tâche est répartie entre :

Le lieutenant Cautellier, installé au poste Ralefa;

Le lieutenant Freydemberg, installé au poste Omory;

Le lieutenant Bouche, installé au poste d'Imandabé;

Le lieutenant Cambay, installé au poste d'Ambararata.

La forêt est divisée en quatre zones entre ces quatre officiers qui y font des battues quotidiennes.

Dans sa reconnaissance du 6 mai, le lieutenant Freydemberg a un homme tué et un blessé.

Dans celle du 8 mai, il disperse un groupe en train de se reformer, il a un tirailleur tué et deux blessés.

Du 9 au 25 mai, chacune des reconnaissances menées tant par le lieutenant Freydemberg, par le lieutenant Cautellier que par le capitaine de Laforest, donne lieu à des engagements.

Il s'est à ce moment produit un incident sérieux. Le chef Tsia- horo, chassé de son repaire, est remonté vers le Nord et ses excitations ont déterminé à se soulever une partie de la tribu des Masitoko, qui tuait le 16 mai, près d'Inanatona (1), aux environs d'Iampasika, le sergent Pelletier et un milicien; du côté des rebelles, le chef des Masitoko était tué.

A cette nouvelle, le lieutenant Burgeat avec le garde de mi- lice Lavie et 43 fusils se porte d'Ivohibé sur Inanatona, où,

(1) Croquis (a) à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution i05

le 20 mai, les rebelles, postés en forêt, tuent le garde Lavie (1) et blessent grièvement le lieutenant Burgeat.

Le lieutenant Petitjean, venu d'Ivohibé pour remplacer le lieu- tenant Burgeat, nettoie les environs d'Inanatona à la suite d'un engagement, le 29 mai, qui lui coûte 3 tués et 1 blessé. Dès le lendemain, les Masitoko viennent faire leur soumission et rapportent les fusils à tir rapide enlevés à nos morts.

A la nouvelle de ces incidents, je m'étais rendu sur les lieux et, le 6 juin, les Masitoko me confirmaient à moi-même, à Ina- natona, leur soumission.

Ce sont les derniers engagements au Nord de la Mananara.

L'ensemble des pertes pendant ces opérations est de 13 tués et 18 blessés au feu, outre 98 hommes blessés, la plupart griè- vement, par les petits piquets défensifs semés aux abords des positions.

Enfin, le 6 juin, touta résistance étant reconnue impossible- devant l'organisation de la forêt et l'action incessante des re- connaissances, le chef politique des Tambavalo, Tsivoa, suivi

(1) Note parue au Journal officiel de la colonie à la suite de la mort du garde Lavie :

« Le gouverneur général de Madagascar et dépendances a le regret de porter à la connaissance de la colonie la mort de M. Louis-Clément-Charles Lavie, garde principal de 1" classe de la garde indigène, décédé, le 18 mai, au cours d'une reconnaissance effectuée dans le cercle d'Ifandana.

» le 4 janvier 1870, à Barjac (Gard), ancien maréchal des logis ren- gagé au 19* d'artillerie, M. Lavie, libéré du service le 23 mai 1896, arrivait dans la grande île le 6 septembre de la même année, en qualité de garde principal de classe, fonctions auxquelles il venait d'être nommé par ar- rêté du 18 juillet. Promu à la classe le 27 février 1898, puis, le 10 dé- cembre suivant, à la l""*, il a été trois fois proposé pour le grade d'inspec- teur de classe, en raison de services signalés, rendus notamment dans le cercle de Maintirano, il commanda la compagnie de milice et fit preuve, pendant la durée des opérations du Fonjia, d'un dévouement et d'une bra- voure remarquables. C'est à titre tout à fait exceptionnel que la médaille coloniale lui était accordée, le 26 mai 1899.

» Affecté à la compagnie du cercle de Tulear, il fut placé, par le chef de cette circonscription, à la tête du sous-secteur, très important, de Manera, et sut montrer autant de fermeté que de tact dans le commandement d/3 ses hommes, ainsi que dans l'administration de son territoire.

» Tout dernièrement, M. Lavie prenait une part des plus actives à la répression des mouvements hostiles qui se produisaient dans les régions du sud. Le 18 mai, il était tué, près d'Iampasika, par un coup de feu tiré d'une embuscade.

» M. Lavie, mort en véritable soldat, a laissé, tant chez ses supérieurs que chez ses camarades, des regrets unanimes. »

Antombohobe.

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IvondroÂi

Chef-lieu c/e Secteur O Poste Limite de districts

ECHELLE KILOMETRIQUE

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rÉEioDE d'exécution 107

de la plus grande partie de son monde, vient faire sa soumis- sion à Imandabé. Dans les huit jours qui suivent, il nous fait remettre 231 fusils.

Dans ces conditions sa soumission est acceptée, sous la réserve qu'il quitte la forêt et qu'il réinstalle ses anciens vil- lages dans la vallée de l'Iantara.

Cette soumission m'est solennellement confirmée par Tsivoa suivi de son peuple, à Imandabé, le 11 juin.

* *

La situation est alors la suivante :

La zone forestière au Nord de la Mananara est complètement nettoyée de tout groupement rebelle.

Elle est divisée en quatre districts sous les ordres :

Du lieutenant Libersart ayant son centre à lampasika;

Du lieutenant Cautellier ayant son centre au poste Ralefa;

Du lieutenant Freydemberg ayant son centre au poste Omory;

Du lieutenant Gambay ayant son centre à Ambararata.

Les deux premiers districts font partie du secteur d'Ivohibé commandé par le capitaine Boin, arrivé le 6 juin de France et replacé dans cette région qu'il avait déjà commandée deux ans auparavant et il avait laissé le meilleur souvenir.

Les deux derniers font partie du secteur d'Ifandana com- mandé directement par le commandant du cercle.

Ces postes centraux sont reliés entre eux par un chemin faî- tier qu'on est en train de débroussailler; ils forment, en outre, avec les postes de la lisière de la forêt, un dispositif en quin- conce conforme au schéma de mon rapport du 1®"" avril (1).

Ce réseau, relié par des reconnaissances incessantes, rend toute réinstallation et toute nouvelle formation de groupe im- possibles dans la forêt.

Il n'y a plus, du reste, aucun groupement rebelle au Nord de la Mananara. Seul, le chef Tsiahoro, qui nous a voué une haine implacable, tient encore la campagne avec une dizaine

(1) Page 58.

108 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

de partisans. Il a été rejeté par la milice de Fianarantsoa. H est traqué par les habitants qui aspirent à se débarrasser de ce voisinage dangereux; sa tête est mise à prix.

Il est pourtant resté un noyau de guerriers Tambavalo (une centaine environ) jusqu'ici irréductibles sous les ordres des chefs Imaharanga et Tavoaka, mais ils ont regardé partie comme perdue au Nord de la Mananara et ont gagné au Sud dans le secteur de Midongy, le massif de l'Ivolobé ils sont actuellement traqués par le lieutenant Corbel.

Les secteurs d'Ivohibé et d'Ifandana sont donc entièrement nettoyés et par conséquent la première partie du programme, « opérations du Nord de la Mananara », est remplie.

II

ACTION AU SUD DE LA MANANARA (1).

(Juin a novembre 1901.)

Midongy, le 6 décembre 1901.

Mon Général,

J'ai l'honneur de vous envoyer un exposé d'ensemble des opérations dirigées par le capitaine Mouveaux, commandant le secteur de Midongy, opérations qui ont abouti à la pacifica- tion des régions situées au Sud de la Mananara.

Cet exposé fait suite à mon rapport du 11 juin relatif à la pacification de la forêt au Nord de la Mananara (2).

* * *

Dans le programme d'ensemble pour la campagne de 1901, je divisais la zone forestière en deux champs d'action qui de-

(1) Rapport adressé au général Galliénià la suite des opérations au Sud de la Mananara.

(2) Le précédent, page 87.

PÉRIODE d'exécution 109

valent faire l'objet de deux séries d'opérations successives et distinctes :

Au Nord de la Mananara; 2" Au Sud de la Mananara.

*

* *

Mon précédent rapport vous a rendu compte de la première période, à la suite de laquelle la zone forestière au Nord de la Mananara a été complètement pacifiée, sauf la région de l'Ikon- go, à l'extrôme-Nord : celle-ci fait actuellement l'objet d'opéra- tions particulières sous la direction du capitaine Bétrix (1).

La seconde, dirigée entièrement par le capitaine Mouveaux, est celle qui fait l'objet du présent rapport.

*

* *

La large vallée de l'Itomampy (2) divise la région au Sud de la Mananara en deux champs d'action distincts.

Cette vallée, fertile et découverte, est habitée, de Midongy à Soarano, par des populations qui se sont soumises à nous dès l'origine; mais les deux massifs montagneux qui limitent son bassin à l'Ouest et à l'Est avaient servi d'abri, depuis notre arrivée dans le pays, aux populations qui ne voulaient pas accepter notre domination :

A l'Ouest, le massif de l'Ivolobé;

A l'Est, la région des Andrabô et des Ranofotsy.

Ces deux massifs, hérissés de rochers, couverts d'épaisses forêts, sont parmi les pays les plus difficiles de l'Ile.

A) Massif de l'Ivolobé. Dès la fondation du poste d'Ia- kora, en juillet 1899, les réfractaires à notre dominatioîi se réfugièrent dans ce massif, grossis, lors de la création des postes de Soarano et de Ranotsara-du-Sud, des réfractaires qui ne voulaient pas subir le contact de nos nouveaux postes,

(1) Le rapport sur les opérations dans l'Ikongo suit celui-ci, page 127.

(2) Suivre toute l'action au Sud de la Mananara sur le croquis (b) à la

gauche du volume.

Sentier dans la forêt, bapp.'cadé par les rebelles.

PÉRIODE d'exécution 111

puis de tous les voleurs de bœufs de la vallée de l'Ionaivo et du Haut-ltoinampy. Ce groupement obéissait d'une manière générale au chef Tsiafara, autour duquel gravitaient les chefs Tsimifahy, Bekea et liehezamena.

Je vous signalais en outre, dès mon arrivée, que ce groupe- ment, tout à fait indépendant des Andrabé malgré leur voisi- nage, était au contraire en relations avec les Tambavalo du Nord de la Mananara et que c'était que les débris de ces der- niers, après leur expulsion, chercheraient probablement un abri.

Ces prévisions se sont réalisées exactement.

C'est le lieutenant Corbel, commandant le district d'Iakora, qui a eu la part prépondérante dans le nettoyage du massif de rivolobé.

Le 5 février 1901, il arrêtait le développement local du grou- pement rebelle en enlevant le repaire de Bekea. Puis avec la coopération du lieutenant CroU venant de Soarano, il battait le Nord du massif, que ces deux ofïïciers faisaient reconnaître, dont ils dégageaient les approches et dans l'intérieur duquel ils lançaient leurs émissaires et leurs partisans dirigés par le chef indigène Takar,. de Soarano.

Le 25 mars, le chef Behezamena, traqué par le lieutenant Croll, faisait sa soumission.

Du S avril au 1" mai, le capitaine Bonnefoy, le lieutenant Corbel et le lieutenant Croll, partant de Midongy, d'Iakora et de Soarano, exécutaient une série de reconnaissances com- binées au cours desquelles ils battaient tout le Nord du massif.

Au cours de ces reconnaissances, nous eûmes avec les re- belles de nombreux engagements dont l'un coûta la vie à Takar, notre fidèle partisan, mari de Raoléza, reine des Zafimarozahas de Soarano.

Le 15 mai, le capitaine Mouveaux prend le commandement du secteur de Midongy. Il prescrit au lieutenant Corbel, confor- mément à la méthode générale que j'avais indiquée, d'occuper effectivement l'Ivolobé en y créant un poste au centre du qua- drilatère Iakora, Ranotsara-du-Sud, Midongy, Soarano.

Le capitaine Mouveaux procède lui-même à l'installation de ce poste le 12 juin. Il était temps.

Le lendemain même, quand l'enceinte du poste commençait à s'élever, apparaissaient les débris des Tambavalo, chassés par les opérations du capitane Le Rouvillois au Nord de la

112 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Mananara, qui, conformément aux prévisions, venaient cher- cher un refuge dans ce massif. Us étaient au nombre d'une centaine de guerriers sous la conduite du jeune chef Imaha- ranga, qui avait refusé de nous faire sa soumission après la défaite.

Ce groupe, ne trouvant plus la place libre, se rejette au Sud du massif, il fait cause commune avec le groupement local du chef Tsiafara.

Le capitaine Mouveaux, ayant alors à diriger les opérations contre les Andrabé qui constituaient le gros morceau de son affaire, charge exclusivement le lieutenant Corbel d'en finir avec rivolobé.

Du 15 juin au 15 août, cet officier se livre à une chasse pied à pied, battant méthodiquement le massif, harcelant les rebelles dont il parvient à reprendre le contact chaque fois qu'ils se sont dérobés.

Le détail de ces reconnaissances est donné dans les rapports du capitaine Mouveaux et du lieutenant Corbel.

Cette action très rude, menée dans un pays de rochers, couvert d'une épaisse forêt, sans communications tracées, fait grand honneur au lieutenant Corbel.

De jour en jour, les groupements se désagrègent; le 25 août, le chef Tsiafara se soumet au poste de Ranotsara-du-Sud, en rendant ses fusils. Le massif étant devenu intenable, le grou- pement Tambavalo, à son tour, l'évacué pour aller chercher un refuge à 170 kilomètres à l'Ouest, dans la région d'Isoanala, Bekily, dans le cercle de Fort-Dauphin. Mais il tombe sur le capitaine Vacher, commandant le secteur de Tsivory, qui venait d'être chargé de prendre en main cette région douteuse. Il se décide alors à remonter vers le Nord sur Betroka, Ima- haranga fait sa soumission le 23 septembre, rend ses 100 fusils et s'installe sur les emplacements qu'on lui assigne.

Rien n'est plus caractéristique de la liaison des diverses pro- vinces et de la disparition des zones pouvant servir d'asile aux réfractaires que l'itinéraire suivi par ces derniers Tambavalo allant chercher vainement un abri à travers tout le Sud, de circonscription en circonscription, pour reconnaître qu'ils n'a- vaient plus d'autre ressource que de se soumettre.

A cette date il ne reste plus un rebelle dans le massif de rivolobé.

PÉRIODE d'exécution

H3

X aeAil^'

Sa pacification est due entièrement au lieutenant Gorbel. Il y a enlevé 173 fusils. Il a amené tous les habitants à se réin- staller dans les vallées et, depuis lors, c'est-à-dire depuis près de trois mois, aucun symptôme d'agitation ne s'est manifesté et ces populations semblent entièrement soumises au droit com- mun.

B) Les Andr.vké. Origine de la question. Dans mon pro- gramme du 1" avril, je vous exposais que le noyau insoumis des Andrabé et des Ranofotsy, retranchés dans le haut massif montagneux et forestier qui sépare la vallée de l'Itomampy de la plaine côtière, me paraissait être le groupe de la forêt qui se présentait, au point de vue militaire, dans les conditions les plus sérieuses. Il avail résisté jusqu'ici à toute tentative de pénétration. Il comprenait non seulement les tribus origi- naires du pays, mais encore tous les dissidents du Sud de la province de Farafangana qui n'avaient pas voulu subir notre contact.

En 1898, le lieutenant Marchegay, commandant le district de Vangaindrano, avait créé le poste d'Amparihy, au pied Est de la falaise, au débouché des gorges de l'Isandra; mais les tentatives faites pour remonter cette vallée avaient échoué.

Mad-gascar. 8

114 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

Une reconnaissance, dirigée en avril 1900 pour ouvrir à M. l'ad- ministrateur Goujon la haute vailée de l'Isandra, afin de lui per- mettre d'établir notre administration, avait été arrêtée.

Les tentatives faites par l'Ouest n'avaient pas eu plus de suc- cès.

Une reconnaissance, partie de Midongy, dirigée par le lieute- nant Frénée, à la suite d'une offre de soumission faite par le chef Tsiadiso, était tombée, le 25 août 1900, dans un guet- apens (1) le lieutenant Frénée avait été grièvement blessé et ramené au village de Befotaka- Le capitaine Lespagnol, venu pour le dégager, créait en ce point un poste en y laissant le lieutenant Durmelat avec 60 hommes. Mais peu à peu les grou- pes hostiles s'étaient resserrés autour du nouveau poste. Le chef Bemalanpo s'était établi entre lui et Midongy, interceptant les communications.

En novembre 1900, Befotaka était vigoureusement attaqué.

Le 2 décembre, un convoi de ravitaillement dirigé par le sergent Seube, allant de Midongy sur Befotaka, était attaqué et obligé de rétrograder.

Du 26 au 30 décembre 1900, l'adjudant Marenger, chargé de ramener de Befotaka à Midongy un troupeau de prises avec 70 fusils, était vivement attaqué et avait trois blessés.

A partir de ce moment, Befotaka est à peu près bloqué. Les reconnaissances se heurtent, à une heure du poste, à des em- buscades, à une organisation défensive de la forêt, à une accu- mulation d'abatis, de petits piquets, de retranchements qui rendent toute progression impossible jusqu'à nouvel ordre.

Le lieutenant Boissonnas, succédant au lieutenant Durmelat, ne peut faire que des reconnaissances aux abords du poste.

* *

Avant d'établir un programme d'opérations qui; ne pouvaient commencer d'ailleurs que lorsque la fm de la campagne au Nord de la Mananara aurait dégagé des effectifs et éclairci la

(1) Voir plus haut, page 22,

PÉRIODE d'exécution 115

situation, il était indispensable tout d'abord de voir clair dans cette région jusqu'alors impénétrôe.

La zone qu'occupaient les groupes insoumis n'était pas net- tement déterminée : sa situation à cheval sur les trois pro- vinces de Fort-Dauphin, de Farafangana et d'Ifandana, avait favorisé la prolongation de cette incertitude, et les renseigne- ments provenant de ces trois sources étaient imprécis et parfois contradictoires.

Reconnaissance du capitaine Savy. C'est pour y voir clair et me mettre en mesure d'adopter un programme que je décidai, fin février, de faire exécuter la reconnaissance périphérique du pays Andrabé par le capitaine Savy, officier de renseignements de l'ancien cercle des Bara. Je vous ai transmis précédem- ment son rapport. En faisant contrôler sur place par le même officier tous les renseignements de provenances diverses, je voulais les ramener en quelque sorte à la même « échelle » et en outre les préciser et les compléter.

Cette reconnaissance fut exécutée du 20 mars au 4 mai.

Le capitaine Savy, accompagné du sergent Lachèze, partit de Betroka avec 25 fusils, ayant toute latitude pour prendre dans chaque poste les renforts nécessaires et se faire accom- pagner par les chefs de poste. Il se rendit d'abord à Midongy pour y recueillir les renseignements au chef-lieu du secteur. De là, il gagnait Vangaindrano, dans la province de Farafan- gana, où il prenait le lieutenant Roy, commandant le district, et se rendait avec lui à Amparihy.

D'Amparihy, remontant le cours de l'Isandra, avec 50 fusils, il reconnaissait les gorges qui ferment, par l'Est, l'accès du pays Andrabé. Il s'y enfonçait jusqu'à Ampisopiso, d'où après vm léger engagement, il reconnaissait le débouché de la Manan- dria.

Puis, revenant sur ses pas, il reconnaissait, en longeant le pied de la falaise, les deux cirques d'Ambalafolo et de Vatanata habités par des tribus suspectes chez qui les rebelles venaient se ravitailler. Après avoir poussé une pointe sur le col de Ta- nisoa, d'où il reconnaissait la haute vallée de la Manandria, il regagnait Midongy en reconnaissant la vallée de la Manamana, il avait un engagement, un tué et un blessé. De Midongy, il remontait l'Itomampy jusqu'à Befotaka à travers le groupe-

iiiB DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ment de Bemalampo, qui cherchait à lui barrer le chemin dans un engagement il eut un blessé. De Befotaka, il poussait enfin au Sud chez les Ranolotsy.

Le capitaine Savy avait ainsi contourné, en les serrant d'aussi près que possible, les positions des Andrabé par l'Est, le Nord et l'Ouest. l'écran des rebelles l'empêchait de faire les pbservations nécessaires, il l'avait percé et rapportait des ren- seignements très complets.

Il en résultait :

Que le noyau des groupes hostiles était concentré dans la haute vallée de l'Isandra et de son affluent la Manandria; que les défenses (abatis, petits piquets) y avaient été accumulées sur tous les accès, ainsi que des retranchements dans la vallée de l'Isandra; ces défenses étaient particulièrement sérieuses aux gorges qui resserrent les vallées. Celles-ci, d'ailleurs, ne sont sur tout leur parcours que d'étroiis couloirs, sauf quelques épanouissements fertiles et très cultivés doat les abords étaient particulièrement défendus;

Qu'en dehors des vallées, dans les massifs de forêts, des abris et des repaires étaient ménagés pour y recueillir les rebelles après leur expulsion des vallées, notamment :

a) Dans le massif à l'Est de la Manandria;

b) Dans le massif entre la Manandria et l'Isandra;

c) Dans le massif d'Imandabé.

Des renseignem.ents ultérieurs faisaient connaître qu'il y en avait également au Sud de l'Isandra, dans les hautes vallées du pays Ranofotsy;

Que les principaux centres de culture et par conséquent de ravitaillement des rebelles, se trouvaient :

a) Dans le cirque d'Andoaria (haute Manandria) contenant de nombreux villages;

b) Dans la haute vallée de l'Isandra, formant cirque;

c) Dans la vallée de la Manandroy, au Sud-Est de Befotaka; En outre, de nombreux champs de patates dissimulés dans

la forêt.

Enfin, il était établi que les cirques d'Imola (Ambalafolo) et de Vatanata, au pied de la falaise, peuplés et très cultivés, ravi- tafilaient largement les rebelles. Les tribus qui les habitaient, tout en reconnaissant notre domination et en nous accueillant

PÉRIODE d'exécution 117

quand nous passions, étaient trop près des rebelles, trop appa- rentées avec eux et trop à leur merci pour refuser quoi que ce soit;

4" Le nombre des guerriers était évalué à un millier environ. Il est vrai que leur armement consistait en fusils à pierre et en sagaies; mais, étant donnée la nature du pays, l'on est con- stamment dans une épaisse forêt, oîi des pistes à peine frayées ne peuvent être suivies que homme par homme, il n'y a pas de champ de tir de la moindre étendue, ces armes, employées presque à bout portant, sont aussi dangereuses que des fusils à tir rapide.

Le capitaine Savy rapportait, en outre, de sa reconnaissance un levé d'ensemble de la région et des croquis de détail qui manquaient jusqu'ici, sauf sur les points que le lieutenant Guibé avait déjà reconnus en 1897-98. Ce dernier officier a laissé une trace profonde dans la région. Les meilleurs docu- ments et les itinéraires que conservent les postes émanent de lui, et il est juste de signaler la part qui lui revient aujourd'hui dans la préparation de cette campagne.

Prise de commandement du capitaine Mouveaux. Telle était la situation quand le capitaine Mouveaux prit le commandement du secteur de Midongy, le 15 mai.

Son premier soin fut de jeter les bases d'un service de ren- seignements et d'émissaires qui n'existait pas jusque-là et de dégager tout d'abord la route de Befotaka, afin d'avoir *sur l'Itomampy une base d'opérations assurée.

Des reconnaissances incessantes relièrent les deux postes qui depuis huit mois ne communiquaient plus.

Devant cette reprise d'activité et sous l'impression produite dans le pays par la ferme attitude du capitaine Mouveaux, qui commença par faire comprendre qu'il ne connaîtrait plus que des amis et des ennemis et n'admettrait pas de douteux, le chef rebelle le plus rapproché, Bemalanpo, établi entre Befo- laka et Midongy, l'un des auteurs principaux de l'agression Frénée, se soumet en rapportant un fusil 86, un fusil 74 et les 40 fusils de son groupe.

Ouverture de la pénétration. C'est à ce moment, 18 juin, que j'arrive à Midongy.

118 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Je venais de rcevoir à Ifandana, le 14 juin, la soumission de Tsivoa, le chef politique des Tambavalos, soumission qui marquait la fin des opérations au Nord de la Mananara. Des effectifs se trouvaient ainsi disponibles. Je décidai que la péné- tration des Andrabé devait commencer immédiatement.

Pour me rendre compte de la situation, je fis, avec le capi- taine Mouveaux, commandant le secteur, et 125 fusils, une re- connaissance offensive dans l'intérieur du massif sur Andoaria, qui fut occupé le 22 juin, après une légère résistance. Un poste de 50 fusils y était établi sous le commandement du lieute- nant Evrard.

Ce point, placé à la tête des trois vallées de la Manandroy, de la Manamana et de la Manandria, séparées par de simples seuils, au centre de hautes montagnes, au milieu d'un des cen- tres de ravitaillement des rebelles, à une journée de marche de Midongy et à une journée de Befotaka, formait, avec Midongy et Befotaka, le sommet d'un triangle équilatéral. C'était un bon coin de pénétration dans le pays Andrabé.

Ayant ensuite traversé la partie Nord du massif, pour abou- tir par le col de Tanisoa à Amparihy, au pied Est de la falaise, je fus en mesure, après cette première vue de la région et au moyen de renseignements recueillis, de donner les instructions suivantes :

La pénétration du pays Andrabé sera dirigée par le capitaine Motlveaux. Elle se fera simultanément par l'Ouest et l'Est, en parlant d'un côté dn triangle Midongy - Andoaria - Befotaka, de l'autre, d'Amparihy ;

2^ Pour assurer l'unité de direction, les tribus des Andrabé- Yatanata, Imola et Sahafera, qui bordent le pied Est de la fa- lais'C, ainsi que le district d'Andriambé, sont détachés provisoire- ment des provinces de Farafangana et de Fort-Dauphin et mis sous les ordres du capitaine Mouveaux, ainsi que le lieutenant Pettelat, commandant le secteur de Ranomafana dans le cercle de Fort-Dauphin, qui sera chargé de l'investissement et de la pénétration par le Sud de la région Ranofotsy et fera réoccuper les postes d'Andasibé et d'Andetra ;

Le capitaine Le Rouvillois mettra à la disposition du capi- taine Mouveaux 100 tirailleurs de renfort, et l'administrateur Bénévent 45 miliciens.

En outre des officiers du secteur, les lieutenants Keller, de la légion, Roy et Charles-Roux, hors cadres, sont mis à la disposi- tion du capitaine Mouveaux ;

rÉEioDE d'exécution 119

Ces renforts reçus, le capitaine Mouveaux commencera la pénétration.

Il se rendra lui-même à Amparihy avec 100 fusils pour établir vers le 20 juillet, du côté d'Ampisopiso, le premier poste de péné- tration par l'pjst, d'où il se reliera à Andoaria, dégageant ainsi la vallée de la Manandria. Le poste d'Andoaria devra avoir reçu des ordres pour diriger le même jour une reconnaissance prenant de revers les défenses de la Manandria.

Il y aura ainsi une première ligne continue jetée à travers le pays Andrabé, de Midongy à la côte, par Andoaria, Ampi- sopiso, Amparihy ;

Sur cet axe central la pénétration continuera de proche en proche ;

Il y aura alors à nettoyer d'abord le massif à l'Est de la Manandria, après avoir établi un poste vers Tanisoa. Ce net' toyage méthodique se fera sous l'action combinée de ce nouveau poste, d'Andoaria, d'Ampaxihy et d'Ampisopiso ;

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Il y aura ensuite à dégager la région entre Ampisopiso et Befotaka. A cet efi:et, le lieutenant Boissonnas fera dès mainte- nant les reconnaissances préliminaires pour pousser un poste à l'Est de Befotaka vers le massif d'Imandabé.

C'est alors que se produira apparemment l'action décisive contre le noyau central de résistance sous la pression des trois postes en tenaille : Imandabé, Andoaria et Ampisopiso ;

9** La ligne de l'Isandra étant ainsi atteinte et occupée, il res-

120

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

tera à nettoyer les massifs Sud, entre cette vallée et le cercle de Fort-DaupLin ;

10° Une compagnie sénégalaise (1) venant de Majunga sera cantonnée vers le 25 juillet à Yohimangidy, près Vangaindrano, elle sera mise aux ordres du capitaine Mouveaux, qui l'utili- sera par fractions au fur et à mesure des besoins.

En résumé, je compte que la pénétration du pays Andrabé se développera suivant l'aspect schématique d'une triangulation dont les triangles, partant de l'Est et de l'Ouest, s'avanceront à la rencontre l'un de l'autre dans l'ordre des numéros du schéma ci-dessous.

Midongy

BefotAka

Amparih^

Le triangle I est déjà construit. Le triangle II est en construction.

Suivant le plan général de nettoyage du Nord au Sud, le capi- taine Mouveaux divisa son terrain en deux champs d'action distincts :

(1) J'avais demandé au général en chef de me prêter cette compagnie sénégalaise exclusivement pour le coup de force pour lequel je craignais que les tirailleurs de recrutement Betsiléo ne fussent un peu légers en face d'adversaires accoutumés à les considérer comme de qualité guerrière infé- rieure. 80 sénégalais seulement furent utilisés, le reste maintenu en ré- serve à Fort-Dauphin, Dès novembre, cette compagnie fut remise à la dis- position du général en chef.

PÉRIODE d'exécution

121

Au Nord de l'Isandra;

2'' Au Sud de l'Isandra.

Le 22 juillet, le capitaine Mouveaux, ayant reçu ses renforts, partait d'Amparihy, commençait la pénétration par l'Est en s'en- gageant dans les gorges de l'Isandra, tandis que le lieutenant Evrard partant d'Andoaria prononçait un mouvement vers le Sud. Les défenses établies par les Andrabé, à l'entrée des gor- ges, étaient abordées simultanément par trois groupes com- mandés par les lieutenants Croll, Roy et Charles-Roux, sou- tenus par une pièce Hotchkiss. Sous l'action de ces mouvements convergents, les défenses de la gorge tombèrent après une faible résistance, qui ne nous coula que deux blessés. Un poste de 50 fusils sous le lieutenant Croll y était installé à Ambatomainty. La liaison avec Andoaria était établie et la vallée de la Ma- nandria, que les rebelles avaient organisée défensivement, était dégagée le 25 juillet. Un poste était installé à Vatanata, au pied Est de la falaise; tout le massif forestier était battu de recon- naissances, partant des trois postes, qui en assuraient l'évacua- tion, et les triangles II et III étaient acquis.

Le 18 août, le capitaine Mouveaux, ayant reçu le peloton de

ohony

%^' £z,tra. 80 Sénégalais du lieutenant Suzzoni venant de Vangaindrano,

i22 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

partait d'Andoaria, passait, à travers le massif de Vohitelo, de la vallée de la Manandria dans celle de l'Isandra, en enlevant des crêtes fortifiées occupées par les rebelles.

Le 19, le capitaine Mouveaux, avec ce peloton, remontait la rive droite de l'Isandra, tandis que le lieutenant Relier, avec 30 fusils, remontait la rive gauche, en poussant devant eux les groupes ennemis à coups de fusil.

Le 20, les deux groupes continuaient leur marche du Nord au Sud, en remontant les gorges difficiles du Haut-Isandra.

Le 21, ils faisaient leur jonction sur le Haut-Isandra, avec :

Le lieutenant Boissonnas, venant de Befotaka (du Nord-Ouest);

Le lieutenant Pettelat, venant de la vallée d'Ezira (du Sud- Ouest);

Le lieutenant Croll, venant d'Ambatomainty (Est), qui s'était heurté, le 20, à une résistance sérieuse sur le Lalangy, affluent de l'Isandra, et arrivait, néanmoins, au contact des trois au- tres groupes, le 21.

Ce fut une marche concentrique des mieux combinées, dans un pays des plus difficiles.

Un poste est installé dans les environs du point de rencontre des quatre groupes, à Lohony, sous le commandement du lieu- tenant Suzzoni, avec 60 fusils, en plein massif forestier, avec mission d'avoir l'action mobile la plus active, et de rendre la forêt intenable. Ce poste se trouve intermédiaire entre le poste de l'Ezira et le dernier poste à créer au cœur du massif d'Iman- dabé.

Le 22 août, le lieutenant Pettelat remonte l'Isandra pour bat- tre les massifs qui le séparent de l'Ezira.

Le même jour, le capitaine Mouveaux se porte sur le La- langy, contre la position signalée par le lieutenant Croll; il la trouve occupée et la fait enlever par les lieutenants Suzzoni et Relier; les adversaires laissent trois cadavres dans le repaire, nous avons trois blessés.

La forêt de Befanala est battue par le lieutenant Boissonnas, qui est blessé d'un coup de sagaie.

Le 25, le massif d'Imandabé se trouve pénétré par tous les côtés à la fois et, devant cette arrivée simultanée de tous les groupes, est abandonné par les Ândrabé. Le poste d'Imandabé y est établi.

A cette date, tout le massif des Andrabé se trouve donc

X ftanotsara

Légende

Districts dépendant

J^ Districts dépendant militaire

^ politiquement du Secteurde

'wi. et ddmini5tr*tivement,des C

S ou Provinces voisines.

tairement et

idongy.

CERCLE

Secteap de Midongy.

DIVISION EN DISTRICTS

124 * DAXS LE STJD DE MADAGASCAR

occupé; les positions fortifiées, abordées simultanément, de front, de flanc et de revers, sont tombées presque sans résis- tance; toutes les vallées, tous les déboiichés sont tenus; les Andrabés surpris, coupés les uns des autres, sont dispersés par petits groupes dans les massifs qu'il s'agit maintenant de fouiller, de battre, en divisant le pays en petits secteurs étroi- tement reliés. Le capitaine Mouveaux, maître de tous les points importants, divise donc la région en districts :

District de Lohony, sous les ordres du lieutenant Suzzoni, avec un peloton de Sénégalais. Ce district est exclusivement forestier et aucun indigène ne devra y habiter ;

District de Ranofotsy, avec un poste provisoire dans la vallée de l'Ezira. sous les ordres du lieutenant Pettelat, avec 45 fusils prêtés par le cercle de Fort-Dauphin;

District d'Andriambé, également sous les ordres du lieutenant Pettelat;

District dlmandabé, sous les ordres du lieutenant Thollon, qui crée le poste d'Imandabé, au débouché des gorges de l'Isan- dra.

C'est alors, dans chaque district assez restreint pour être entièrement dans la main de son chef, une battue sans relâche-

Ainsi traqués et mis dans l'impossibilité de tenir sérieuse- ment^ les Andrabé commencent le mouvement de soumission.

Du 12 septembre au 15 octobre elles se succèdent presque journellement.

408 fusils et 2.000 sagaies sont rendus; les autres fusils, con- trôlés et marqués, sont laissés, provisoirement, entre les n'ains des soumissionnaires venus les premiers.

La première condition de soumission imposée aux popula- tions est de sortir de la forêt. Les hautes vallées de l'Itomampy et du Haut-Mandraré, qui forment des cirques fertiles, se re- peuplent, les villages commencent à s'y reconstruire et un sentier muletier est ouvert en pleine traversée du massif, de Befotaka à Imandabé, Ambatomainty, Amparihy, c'est-à- dire à travers ce qui était regardé depuis deux ans comme le cœur même de la résistance des Andrabé.

Le recensement des tribus qui échappaient jusque-là à notre autorité donne le chiffre de 4.600 hommes.

PÉRIODE d'exécution 125

* * *

Je viens de parcourir toute cette région.

J'ai pu suivre sans escorte et sans armes les voies où, au mois de juin, je n'avais pu pénétrer qu'à coups de fusil, et dans ces mêmes vallées, que j'avais vues désertes, en friche, coupées de barricades et d'abatis, j'ai trouvé des villages neufs, des cultures se reconstituant et des populations en main, ve- nant au-devant du représentant de l'autorité.

*

Le capitaine Mouveaux a tout l'honneur de ces résultats. Il n'a eu, comme pertes, que :

2 tirailleurs tués;

1 officier et 5 tirailleurs blessés au feu;

4 tirailleurs et 7 miliciens blessés par les petits piquets (1).

Si la question a été ainsi résolue en quelques semaines et presque sans pertes, il ne faut pas s'y tromper : ce résultat n'est qu'à la rapidité, à la vigueur et à la méthode avec les- quelles l'action a été conduite.

C'est, parmi les opérations menées cette année, une de celles qui a donné les résultats les plus décisifs et les plus complets. Elle a été préparée avec un soin minutieux.

Le capitaine Mouveaux a commencé par s'assurer un service d'émissaires et de partisans qui a remarquablement fonctionné; il a réparti ses groupes d'action, sans donner l'éveil, sur cha- cun des points qui lui ont servi de base d'opérations. Ce n'est que lorsqu'il a eu tous ses moyens en main qu'il a agi. Il a usé constamment de la méthode concentrique. Accoutumés, depuis trois ans, à n'être attaqués que par un côté à la fois (2),

(1) On a déjà sir^nalé dans le rapport sur les opérations au Nord do la Mananara combien cette défense accessoire, dissimulée dans les trous re- couverts de feuilles, perforant le pied de part en part, était dangereuse.

(2) Il a été dit plus haut pourquoi le défaut d'unité d'un commandement englobant les diverses provinces ne permettait pas, avant la création du commandement supérieur du Sud, d'opérer autrement.

126 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

par des reconnaissances qui se retiraient aussitôt, parfois f près des échecs, les Andrabé avaient fini par s'accoutumer à l'idée que c'était notre manière de combattre. En dehors des voies de communication usuelles, sur lesquelles ils avaient disposé tous leurs moyens de défense tournés d'un seul côté, ils re- gardaient leurs montagnes et leurs forêts comme inaccessibles. Leurs systèmes d'émissaires et de sonneries de trompe les appelaient tous, simultanément, sur le point unique nous étions signalés. Ils s'y trouvaient ainsi en force derrière leurs barricades et nous offraient une résistance sérieuse.

Ils ont été absolument surpris par la méthode adoptée. L'ar- rivée simultanée des groupes débouchant sans sentier, à tra- vers les falaises et la forêt, dans les cirques, tournant leurs défenses, passant par des pistes oii ils étaient persuadés que les Européens ne s'aventureraient pas, les a absolument démo- ralisés.

Il y avait eu, certes, depuis trois ans, des opérations menées vigoureusement dans cette région. Mais, toujours, elles l'avaient été par un seul côté à la fois, avec la méthode « linéaire » et non la méthode « concentrique », la seule efficace, et cela, du reste, faute d'unité de direction entre les différents cercles, de moyens d'action et d'effectifs sufïisants.

Il y a une conclusion à en tirer : c'est qu'il n'y a qu'une ma- nière de finir les questions d'insoumis, c'est de les finir com- plètement. Toute demi-mesure, toute solution bâtarde, tout com- promis, aboutissent fatalement, un. jour ou l'autre, à un recom- mencement.

Nous voyons aujourd'hui, dans l'Ikongo (1), que si faible, si peu armé'que soit le noyau dont on ne s'est pas débarrassé, on le retrouve un jour devant soi.

L'action contre les Andrabé fournit une démonstration to- pique de l'efTicacité de la méthode tracée par le général Gal- liéni pour avoir raison de tout groupement insoumis. Qu'il

(1) Voir page 127.

PÉRIODE d'exécution 127

s'agisse de pirates ou de Fahavalos, du Tonkin ou de Madagas- car, elle est toujours la même, reposant sur deux principes :

Ne procéder que par actions concentriques*,

Occuper sur-le-champ, et définitivement, le terrain acquis et l'organiser à mesure (1).

En l'espèce, il y avait trois ans que les insoumis du massif Andrabé tenaient tête k toute tentative de pénétration. Ils avaient infligé des pertes sérieuses aux reconnaissances diri- gées d'un seul côté à la fois. Ce sont les mêmes adversaires qui avaient assailli pendant deux jours la reconnaissance Frénée, tenté d'enlever liefotaka et investi ce poste; ils parais- saient avoir acquis un certain esprit offensif et avaient pres- que pris figure d'adversaires sérieux. Néanmoins, en présence d'une méthode qui les surprenait et déroutait leurs prévisions, ils n'ont tenu sérieusement dans aucune de leurs défenses et n'ont offert qu'une résistance dérisoire. Il en sera vraisembla- blement toujours ainsi à l'égard d'adversaires primitifs, aux- quels échappe toute idée d'action combinée et de manœuvre, et qui se jugent perdus dès qu'ils cessent de n'avoir affaire qu'à l'attaque de front et qu'ils se voient simultanément menacés de flanc et de revers. C'est l'enseignement à en tirer.

III

ACTION DANS LA RÉGION DE L'IKONGO

^Septembre - I>ÉCEHBR£ 1901.)

Tandis que le (( nettoyage » de la zone forestière se terminait au Sud, un foyer d'incendie s'était, à l'encontre des prévisions, rallumé au Nord dans la région des Tanalas de l'Ikongo, la plus voisine de Fianarantsoa (2).

(1) Cette méthode a été exposée dans la brochure Du rôle colonial de l'armée, on la résumait dans cette formule : « Une organisation qui marche. » (Armand Colin, 1900.) (2) Voir les caries n" 1 cl 2, à la gauche du volume.

128 DANS LE SrD DE MADAGASCAR

Le plus simple, ici encore, est de reproduire le rapport adres- sé au Général en chef après le règlement de cette dernière ques- tion (1).

Le 13 février 1902.

Mon général,

Il y a un an, je vous rendais compte que le lieutenant Li- bersart, puis le lieutenant Allard, venaient de briser les noyaux de résistance Tanala qui s'étaient maintenus dans l'Ikongo et qu'il n'y restait que quelques hommes armés de fusils, mais que les chefs Andriampanoha et Izaïta n'avaient pas fait leur soumission et semblaient partis pour le Sud afm d'y rejoindre les Tambavalo.

Ils avaient, en effet, lié partie avec Tsiahoro, qui, seul des chefs Tambavalo, ne fit pas sa soumission à la suite des opé- rations du capitaine Le Rouvillois.

En outre, sous les excitations de Tsiahoro, la tribu des Ma- sitoko, dans le district d'Iampasika, qui confine à la région d'Ikongo, s'était soulevée le 16 mai et avait tué le sergent Pelle- tier et le garde de milice Lavie et blessé le lieutenant Burgeat. Je ne reviens pas sur ces faits, dont je vous ai rendu compte précédemment (1). Mais, si la plus grande partie des Masitoko s'était ensuite soumise, le noyau des plus compromis était resté en forêt. Il en était résulté, entre ces réfractaires Masi- toko, Tsiahoro et ses quelques partisans, Andriampanoha, Izaï- ta et les leurs, la formation d'un nouveau groupement dans le Nord de la zone forestière; il y subsistait ainsi une tache qui m'empêchait de regarder la pacification de la forêt comme complète, malgré les résultats obtenus dans la zone du Sud.

La persistance de ce groupement se trouvait favorisée par deux circonstances :

D'abord, l'enchevêtrement des circonscriptions administra- tives en ce point, les districts contaminés se trouvant appar- tenir, en allant du Sud au Nord :

Celui d'Iampasika, au cercle d'Ifandana;

(1) Suivre toute l'action dans l'Ikongo sur le croquis (c) à la gauche du volume.

(2) Voir page 104.

PÉRIODE d'exécution 129

Celui de Karianga, à la province de Farafangana;

Ceux d'Ankarimbelo et d'ikongo (Fort-Carnot) à la province de Fianarantsoa.

Ensuite, à la nature du terrain constitué par deux épais mas- sifs, l'Andringilra et le massif d'ikongo, rocheux, coupés de gorges profondes, couverts de forêts et situés à cheval sur les trois circonscriptions.

L'unité d'action n'existait donc pas.

Aussi, le 17 septembre, constituai-je un secteur provisoire, comprenant les trois districts d'Iampasika, d'Ankarimbelo et de Karianga, sous le commandement du capitaine Bétrix.

L'Ikongo proprement dit ne semblait pas encore conta- miné à ce moment; aussi n'avais-je pas cru devoir le rattacher dès lors à la nouvelle circonscription.

Mais dès le 19 septembre un de nos fonctionnaires indigènes, tout dévoué à notre cause, Sivy, y était assassiné, ainsi que son frère, et, le 20 septembre, le village d'Antaranjaha était brûlé. M. l'administrateur Lacaze, rendu sur les lieux avec l'inspecteur de milice Lafond et 60 miliciens, me rendait compte que le pays semblait terrorisé par ces nouveaux incidents et que l'agitation pouvait s'y généraliser.

N'ayant pas encore la certitude que ces incidents eussent une corrélation avec ceux des districts précités, je me contentai d'abord d'y envoyer le lieutenant Charles-Roux, qui connais- sait déjà le pays, avec tous les miliciens disponibles et 25 tirail- leurs.

Cet officier divisait immédiatement le district d'ikongo en pe- tites circonscriptions, ayant chacune à leur tête un de ses ca- dres européens (sous-ofTiciers et gardes de milice), avec un chef indigène responsable. Il organisait un bon service d'émis- saires et battait lui-même tout le pays par des reconnaissances incessantes.

Il me rendait bientôt compte que c'étaient Andriampanoha et Izaïta qui étaient à la tête du mouvement, en relations étroi- tes avec Tsiahoro et les Masitoko dans les districts voisins. Izaïta blessé comptait peu, mais Andriampanoha, descendant de la race royale des Tanalas, chef depuis quatre ans de la résistance à notre domination, s'étant jusqu'ici toujours dérobé à nos tentatives contre lui, jouissait d'un sérieux prestige, et il est certain, ainsi que je vous en rendais compte depuis un

Madagascar. 9

rÉRioDE d'exécution 131

an, que ce personnage était resté le chef occulte de toute la région Tanala. Les gens, même soumis, ne nous obéissaient qu'en apparence, et pour eux tous il restait le véritable chef, Tant qu'on n'en n'aurait pas fini avec lui, il ne faudrait jamais regarder la pacification comme assurée.

Son partisan le plus actif était Andriamanétony, qui, pour le moment, cherchait à soulever la région basse, entre Belemoka et Sasinaka, limitrophe de la province de Mananjary, province pacifiée et dégarnie de troupes, ces incidents pouvaient avoir une répercussion.

En résumé, le mouvement avait comme chef reconnu An- driampanoha, disposant de l'influence politique, aidé de parti- sans déterminés, dont les trois principaux étaient : Andria- manétony, Imarolaza, le chef des meurtriers du sous-gouver- neur Sivy, et Tsiahoro, vrai chef de bandits ne reculant devant aucun coup de main.

Le noyau régulier de leurs partisans était très faible, 30 ou 40 fusils au maximum, tantôt se groupant, tantôt se disper- sant, insaisissables; mais, par le fait, ils avaient la complicité latente de toute une population qui, ne s'étant jusque-là jamais sentie sérieusement en main, leur prêtait tout son concours, aussi bien par des attaches de race que par suite de la terreur qu'ils inspiraient, assurait leur subsistance, les renseignait, les aidait à se dérober et leur fournissait des partisans tempo- raires qui, sur chaque point, venaient grossir leur noyau cen- tral.

Enfin, ils étaient puissamment favorisés par la nature de ce pays difficile et oii le régime climatérique de chaleur et de pluies incessantes rend l'action de l'Européen si pénible.

* * *

Dans ces conditions, il n'y avait plus qu'à mettre toute la ré- gion contaminée sous le même commandement. J'adjoignis donc le 10 octobre le district d'Ikongo au secteur du capitaine Bétrix.

Son commandement, définitivement constitué, comprenait ainsi :

132 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Le district d'Iampasika, lieutenant Libersart;

Le district de Karianga, lieutenant Bouche;

Le district d'Ankarimbelo, lieutenant Laurent;

Le district de Fort-Carnot, lieutenant Charles-Roux.

En outre, M. l'adjoint des affaires civiles Ravel, depuis long- temps à Fort-Carnot, restait adjoint au capitaine Bétrix.

Dès lors, l'unité d'action et de direction étant bien assurée, les résultats ne se firent pas attendre.

Dans le district d'Iampasika, le lieutenant Libersart faisait déjà depuis plusieurs semaines, à travers le massif de l'Andrin- gitra, une chasse pied à pied aux réfractaii'es Masitoko.

Le 28 août, il leur avait enlevé un repaire en leur tuant trois hommes.

Le 1" septembre, il les avait délogés d'un second repaire.

Le 11 octobre, les derniers Masitoko se rendaient à lui, en lui remettant leurs derniers fusils.

En même temps, Tsiahoro, voyant la situation devenue inte- nable pour lui dans l'Andringitra, traqué journellement,, ayant constaté que la nouvelle organisation militaire donnée à l'Ikon- go ne lui laissait pas l'espoir d'y reconstituer un noyau de ré- sistance, craignant le sort qui lui serait réservé s'il tombait entre nos mains, prenait le parti de filer au Nord le long de la forêt et d'aller, de la façon la plus imprévue, se constituer prisonnier à Tananarive le 14 octobre. Cette nouvelle, qui don- nait la meilleure des sanctions à la nouvelle organisation adop- tée, avait un retentissement très heureux dans la région et en dégageait définitivement la partie Sud.

Aussi, dès le 10 novembre, pouvais-je rendre le district d'Iam- pasika au secteur d'Ivohibé et le district de Karianga à la pro- vince de Farafangana.

Le lieutenant Libersart, disponible, venait remplacer à Fort- Carnot le lieutenant Charles-Roux.

Dans les districts d'Ankarimbelo et de Fort-Carnot, le capi- taine Bétrix, dès son arrivée, avait appliqué le système de divi-

PÉRIODE d'exécution 133

sien en très petites circonscriptions avec chefs responsables : six districts commandés chacun par un oflTicier ou un sous- officier.

Ce système, doublé d'un bon service d'émissaires, couvre le pays d'une police serrée.

Le 16 octobre, on est sur la piste du chef Izaïta qui, le 18, est pris par le sergent Edart. Il est envoyé en prison à Fiana- rantsoa.

Dès lors, c'est pendant sept semaines contre Andriampanoha et Andriamanetony une chasse en forêt pied à pied, malgré la venue de la mauvaise saison et la continuité des pluies.

Il y a des engagements presque journaliers avec la bande, dont le contact ne se perd que pour se reprendre aussitôt. Elle s'égrène de jour en jour, soit en perdant des hommes au feu, soit par des soumissions individuelles.

Je me rends moi-même à Fort-Carnot, le 23 novembre, pour voir sur place la situation et pour y sanctionner les promesses faites aux indigènes qui nous secondent.

Enfin, le 1" décembre, un premier groupe de chefs rebelles se détache et nous fait sa soumission.

Le 9 décembre, Imarolaza, le chef des meurtriers de Sivy, se rend au sergent de Béon. Bien qu'il soit le plus compromis de tous, nous lui laissons la vie sauve, conformément à notre promesse envers tous ceux qui se rendraient spontanément.

A cette nouvelle, Andriampanoha, las, comme il l'a déclaré depuis, de la vie de bête traquée qui lui était faite, mais qui attendait de connaître le sort réservé à Imarolaza pour se dé- cider lui-même, vient le 14 décembre se rendre au lieutenant Laurent, avec Andriamanetony et ses derniers partisans. Il remet à cet officier son fusil modèle 1886, avec les fusils de divers modèles qui leur restaient.

Tous les chefs rebelles sont emmenés en prison à Fiana- rantsoa en attendant leur déportation à Sainte-Marie, que vous avez décidée.

C'étaient ces chefs qui, depuis quatre ans, entretenaient, dans la région de l'Ikongo, tantôt ouvertement, tantôt à l'état latent, une situation insurrectionnelle, laquelle se rallumait pé- riodiquement après qu'on l'avait cru éteinte. Andriampanoha, avec son prestige de race, en était l'âme, car lui jamais n'avait

134 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

admis le moindre contact avec nous et n'avait pas simulé de soumission.

Il semble donc bien, cette fois, que leur reddition met iin à la rébellion de la région d'Ikongo et que de ce fait la pacifi- cation de la forêt, sur toute son étendue de 500 kilomètres jus- qu'à Fort-Dauphin, puisse être regardée comme un fait accom- pli.

IV

ORGANISATION DE LA ZONE FORESTIÈRE APRÈS LA PACIFICATION

Quelque temps après ce dernier épisode, je parcourais une dernière fois du Nord au Sud, jusqu'à Fort-Dauphin, la zone forestière sur sa longueur de 500 kilomètres. Voici ce que j'écri- vais au Général en chef :

(( La forêt est aujourd'hui entièrement purgée de rebelles. On communique librement et sans escorte d'Ivohibé et d'Ifan- dana à Farafangana, de Midongy à Vangaindrano. Les commer- çants de Farafangana s'établissent dans l'intérieur, les indi- gènes travaillent à ouvrir les chemins et payent l'impôt. Mais l'important, c'est que cette situation se maintienne, que ce ne soit plus à recommencer et que les indigènes soient mis dans l'impossibilité, au premier mécontentement, au |jreniior caprice, de refaire en forêt des installations insurrectionnelles.

» Il n'y a qu'un moyen : c'est que la forêt soit occupée par nous pour qu'elle ne soit pas occupée par eux.

» Il importe donc de maintenir le système établi : une ligne de postes de surveillance sur chaque lisière, une ligne de postes dans l'intérieur même sur la médiane, et c'est dans ces derniers que doivent être de préférence établis les chefs de districts.

» Suivant l'expression caractéristique d'un de mes chefs de province : « les indigènes, jusqu'ici, allaient en forêt pour s'y dérober au fanfakana (I); désormais ils iront dans la forêt quand Us auront à faire au fanjakana. »

(1) L'autorité, le gouvernement.

\

LEGENDE

Axes des trois lignes

de postes'

Médiane

Lisière Ouest

Us /ère Est

Limites des districts

ECHELLE KILOMETRIQUE

fe*.,,? I r , f 7 y . r y

C>saofsat!oD de la sarveillaoce \t zone Toi«estièpe.

136 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

» La forêt est désormais sectionnée du Nord au Sud, en districts, pour le moment très nombreux et de très petite su- perficie afin de faciliter la surveillance, mais qui devront êti^e progressivement réduits en nombre ainsi que les postes. »

Dès janvier 1902, en effet, le nombre des postes était réduit de 22 à 11 et le nombre d'officiers, de sous-officiers et de fusils affectés à cette zone réduit d'autant.

On verra dans la partie économique de cette étude les consé- quences^ immédiates qu'eurent, au point de vue du développe- ment commercial et de la reprise des transactions, ce «net- toyage » de la forêt et la réouverture des communications entre la côte et l'intérieur.

En terminant ce chapitre relatif à la pacification de la zone forestière, il n'est que juste de dire quel effort elle a exigé de la part des cadres subalternes, officiers et hommes de troupe, qui s'y sont consacrés. Si ces « chasses au rebelle » offrent un médiocre intérêt tactique, par contre elles réclament de ceux qui les font une énergie et une endurance peu communes. C'est dans une brousse impénétrée qu'il faut frayer son chemin à travers les obstacles naturels et artificiels accumulés, ac- quérir une mobilité et une habitude de manquer de tout com- parables à celles de l'adversaire, marcher, sous une pluie pres- que continuelle dans cette zone forestière, aussi souvent de nuit que de jour, sans compter avec la fatigue ni la fièvre. Ce n'est qu'à ce prix qu'on atteint le résultat et qu'on parvient à mettre l'adversaire « sur ses fins ». Je pourrais citer tel lieutenant qui pendant trois années consécutives n'est pas sorti des postes forestiers.

C'est pourquoi, si l'on peut reprocher à la guerre coloniale d'être parfois une insuffisante école du haut commandement, par contre serait-il souverainement injuste de méconnaître la trempe qu'elle donne aux cadres subalternes. C'est journelle- ment que les capitaines, lieutenants, sous-officiers ont à y faire acte de volonté et de décision, à se tirer de périls eux et

rÉEioDE d'exécution 137

leur troupe, à veiller aux moindres détails d'équipement, à aviser à tous les imprévus, à jouer du terrain et des circonstan- ces, à faire et leur carte et leur chemin, à mettre en œuvre, en un mot, tous les ressorts qui font l'homme de guerre. Ces qualités, nulle part, en notre époque de paix prolongée, on ne saurait mieux les acquérir qu'à cette école pratique. Aussi, qu'il s'agisse de reconnaître un défilé, ou de commander un avant-poste en face de « grands adversaires », peut-on être assuré que nul ne s'en acquittera mieux que l'officier ou le sous-officier formé à cette rude école (1).

(1) Depuis que ces lignes ont été écrites, a paru dans la Bevuc de Paris du l*"" octobre 1902 une étude de Dragomirov sur les « Causes des revers autrichiens en 1859 », il est intéressant de noter (pages 466 et 467) les termes dans lesquels il parle des qualités qu'acquièrent, au point de vue de la guerre en général, les officiers subalternes trempés par la guerre co- loniale.

CHAPITRE II

ACTION DANS LE CERCLE DE FORT-DAUPHIN

I. Période préparatoire : avril à juillet 1901. II. Opérations entre le Mandraré et la Manambovo : juillet à décembre 1901. III. Occupation de la région entre la Manambovo et la Menarandra et liaison avec le cercle de Tulear : décembre 1901 à mai 1902.

L'action dans le cercle de Fort-Dauphin peut se diviser en trois périodes :

ka fofêt de cactas et d'euphorbes dans le cercle de popt-Daaphin.

Période préparatoire jusqu'en juillet 1901, pendant la- quelle le commandant Blondlat se borne à consolider les résul- tats acquis et à préparer ses moyens d'action pour l'achève- ment de la pénétration;

PÉRIODE d'exécution 139

Achèvement du « nettoyage » entre le Mandraré et la Ma- nambovo et opérations actives contre les groupes Antandroy réfractaires, de juillet 1901 à janvier 1902;

Occupation de la région entre la Manambovo et la Mena- randra et liaison avec le cercle de Tulear, de janvier à mai 1902.

I

PÉRIODE PRÉPARATOIRE

(Avril-Juillet 1901.)

On a vu plus haut (1) les motifs pour lesquels la progression de la pénétration vers l'Ouest dans le cercle de Fort-Dauphin avait été provisoirement arrêtée à la ligne de la Manambovo. Il s'agissait en effet, comme on l'a indiqué :

D'affermir d'abord la situation entre le Mandraré et la Ma- nambovo, qui était loin d'être nette, et de s'y rendre maître des tribus encore hostiles ou douteuses;

De ne se laisser engager dans aucun engrenage tant que la solution de la question de la zone forestière et la paci- fication des régions du Nord ne laisseraient pas des officiers et des effectifs disponibles pour parer à tout imprévu.

L'issue des opérations contre les Tambavalo et le bon début de l'action contre les Andrabé permettaient, à la fin de. juin, d'envisager de nouveau la reprise des efforts dans le cercle de Fort-Dauphin, l'on n'était d'ailleurs pas resté inactif.

Après avoir mis en train la pénétration chez les Andrabé, je me rendis donc dans le cercle de Fort-Dauphin^ pour y étu- dier sur place la situation.

J'avais, au préalable, réuni à Amparihy le commandant de ce cercle, ainsi que l'administrateur de la province de Farafan-

(1) 1" partie, chapitre IV.

140 DAXS LE SUD DE MADAGASCAR

. ^ f-

gana et le commandant du cercle d'Ifandana, pour établir entre eux une entente étroite au sujet de l'action contre les Andrabé et les Ranofotsy; ceux-ci s'étendaient en effet sur des districts qui dépendaient des trois provinces et qui en furent provisoi- rement détachés pour les placer, comme on l'a vu, sous le seul commandement du capitaine Mouveaux, afin d'assurer l'u- nité de direction.

Arrivé à Fort-Dauphin le l*"" juillet, je passai tout le mois à reconnaître le pays des Antandroys, à visiter les postes déjà établis, puis à reconnaître le pays Mahafaly à travers lequel je rejoignis à Tulear, au commencement d'août, le Gouverneur général, qui faisait son inspection côtière. Je lui remis le rap- port suivant sur la situation à cette date dans le cercle de Fort- Dauphin.

Fort-Dauphin, le 10 août 1901.

La situation du cercle de Fort-Dauphin à la date du 1"'" août 1901. T^e cercle de Fort-Dauphin, envisagé, tant au point de vue de la pacification qu'au point de vue de l'état social et économique, ainsi que des caractères géographiques et cli- matériques, se divise en deux régions bien distinctes : la ré- gion Est et la région Ouest.

Leur limite Sud-Nord est marquée par le cours de la Tarasy, puis par la ligne de hauteurs nettement accusée qui ferme à l'Est le bassin du Mandrare.

I. Aspect du pays (1). La région Est est montagneuse, presque jusqu'à la côte, et boisée; les fonds des vallées y sont généralement fertiles; elle présente tous les carctères cli- matériques de la côte Est.

C'est le pays d'origine des Tanosy. La population est paci- fique, habituée de plus ou moins longue date à notre contact, d'un état social relativement avancé, analogue à celui de la pro- vince de Farafangana. Elle est acquise, en somme, à notre do- mination et peut recevoir, dès maintenant, une organisation appropriée.

Toutefois, il convient d'excepter de cette appréciation géné- rale la zone Nord de cette région, jalonnée par la ligne Anda- sibe-Esira, zone de hautes montagnes et de forêts qui se ratta- chent à celles qu'occupent les Ranofotsy et les Andrabé insou- mis, sorte de marche frontière entre k province de Fort-Dau- phin, celle de Farafangana et le cercle d'Ifandana. Ses hautes

(1) Suivre sur le croquis (d), à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution 141

vallées, fertiles, habitables et difficilement accessibles, sont des refuges tout préparés pour les groupes qui cherchent à échap- per à notre domination et qui passent facilement du bassin du llaut-ltomampy dans celui du Haut-Mandraré. La limite politi- que des trois [jrovinces, déterminée par les chaînes de partage, est factice dans la pratique. La situation politique de cette zone, son occupation, la surveillance à y exercer, sont étroitement liées à la question des pays rebelles, Ranofotsy, Andrabé, se poursuivent actuellement les opérations militaires. Même après l'issue favorable de ces opérations, cette région nécessitera un régime spécial.

11 résulte de ce qui précède que la région Est du cercle de Fort-Dauphin, constituée par les secteurs de Manambaro, Fort- Dauphin, Ranomafana, offre, dès maintenant, une situation qui a permis d'y établir un régime administratif normal et serré dans les secteurs civils de Manambaro, de Fort-Dauphin et dans la partie Sud du secteur de Ranomafana, tandis que la partie i\ord de ce dernier secteur (rive gauche du Mandréré) reste un territoire de conmiandement. C'est pourquoi je viens de mettre cette dernière partie sous la direction politique et militaire du commandant du secteur de Midongy, chargé de réduire la ré'- bellion des Andrabé et des Ranofotsy. Il était essentiel, en effet, d'assurer une unité d'action absolue sur toute la région acces- sible aux groupes rebelles et sur tous les groupes de population susceptibles de subir leur contact et leur influence.

La région Ouest du cercle de Fort-Dauphin présente, à tous les points de vue, des caractères absolument différents de la |)récédente. C'est une région basse, entièrement plate, sur la- quelle s'abaissent brusquement, à l'Est et au Nord, les derniers contreforts de l'arête centrale de l'Ile. Cette immense plaine, qui rappelle les steppes asiatiques et africaines, n'a pas d'ana- logue à Madagascar. C'est le pays habité par les Antandroy. Il se divise lui-même en deux zones bien définies, dont les carac- tères ont une importance capitale aux points de vue militaire et politique.

La zone Nord, sensiblement délimitée par l'alignement Ifota- ka-Antanimora, est découverte, ce qui en simplifie singulière- ment l'occupation et la sur\eillance. Elle correspond, d'une manière générale, au secteur d'Imanombo, qui englobe en outre, au Nord, une région montagneuse avec les cirques fertiles et peuplés de Mahaly et de Tsivory.

La zone Sud s'étend jusqu'à la mer et correspond au secteur d'Ambovombe ; c'est la « région cactée » ou, d'un seul mot, r « Androy », puisque ce mot, dans le dialecte local, signifie « aux arbustes épineux ».

Elle est entièrement couverte d'une forêt, mais d'une forêt d'un caractère spécial, à qui elle doit son nom, cactus, eu-

142 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

phopbes et arbres épineux de toutes les variétés imaginables, qui en rentlent l'accès singulièrement difficile et en constituent un abri presque impénétrable.

Les cours d'eau, à sec pendant la plus grande partie de Tannée, s'y perdent dans un sol sablonneux. Hors d'eux, de très rares points d'eau, situés, pour la plupart, dans des clairières espacées, y limitent d'une manière très restreinte la possibilité des communications et les points de stationnement.

Ce qui semble inconcevable, c'est qu'une région aussi in- hospitalière abrite une des populations les plus denses de Ma- dagascar. Les renseignements les plus récents et les plus cer- tains l'évaluent à environ quatre-vingt mille habitants et il est vraisemblable qu'un contact plus étroit donnera une évaluation plutôt supérieure.

Quant aux bœufs, c'est à plusieurs centaines de mille qu'il faut les évaluer.

Quelles que soient les légendes qui courent au sujet de l'apti- tude de ces gens et de ces bêtes à se passer d'eau, il est plus que probable que la forêt recèle, en dehors des clairières, des points d'eau inconnus.

L'explication de la présence de cette nombreuse population semble être la suivante :

Il paraît établi, d'après les traditions locales, que les Antan- droy ont émigré du Nord, des régions Bara et Tanala, et parti- culièrement des vallées de la Mananara et de l'Itomampy, dont les noms se reproduisent avec précision dans leurs récits.

D'humeur farouche et belliqueuse, très jaloux de leur indé- pendance et de leurs troupeaux, rebelles, à toute discipline sociale, ils n'ont pu supporter, ni le contact des populations d'état social plus avancé, telles que les Hova et les Betsiléo, ni la domination des Bara, et ont émigré aussi loin qu'ils ont pu.

En Indo-Chine, ils auraient passé au delà de la frontière, en Chine ou au Laos. Ici, ils ont été arrêtés par un obstacle absolu : la mer ; mais les circonstances leur ont fait trouver, à proximité, un pays à leur convenance, l'Androy. D'une part, il assurait un abri presque impénétrable à leur indépendance; de l'autre, il leur offrait un réduit d'où ils pouvaient rayonner au loin pour satisfaire leur passion dominante, le vol des bœufs, qu'ils ramenaient ensuite en sûreté derrière leurs cactus.

J'avais envisagé d'abord l'éventualité d'investir cette région sur sa périphérie par une ceinture de postes, et de l'isoler, sans la pénétrer au delà des postes déjà occupés, c'est-à-dire, de la ligne Antanimora-Ambovombe.

Mais, d'une part, j'ai trouvé la question déjà plus engagée à la suite d'une série de reconnaissances poussées jusqu'à la Menarandra. D'autre part, les nouveaux renseignements sur la

PÉRIODE d'eXÉCUTIOX 143

densité de population d'une région présentée jusque-là comme peu peuplée changeaient complètement la question.

Il ressort, en effet, de la déclaration qui m'a été faite par les commerçants de Fort-Dauphin en séance de la chambre consul- tative, que leurs affaires prennent un essor nouveau depuis que la pénétration de nos troupes s'est accentuée dans l'Ouest et qu'il en est résulté une notable augmentation du chiffre de vente de leurs toiles et de leurs facilités d'achats de bœufs.

Or, la raison d'être de nos opérations militaires coloniales est toujours, et avant tout, économique, et c'est précisément le cas pour l'Androy, puisqu'il est désormais établi que ce pays est un sérieux marché d'importation et d'exportation : importa- tion de toiles, exportation de bœufs.

Mais il faut aussi que l'effort à donner soit proportionné au rendement, c'est-à-dire, en l'espèce, qu'il ne soit pas besoin d'énormes effectifs et de tout ce qu'ils entraînent.

Or, ici il faut exclure a priori l'idée de gros effectifs. Le cer- cle de Fort-Dauphin tout entier comporte :

1 compagnie 1/2 de tirailleurs sénégalais, 2 compagnies de tirailleurs malgaches, 1 compagnie de légion ; sauf, probable- ment, un peloton de Sénégalais de plus, il n'en faut pas da- vantage.

De gros effectifs dans l'Androy ne trouveraient pas à vivre et ne pourraient pas se mouvoir, faute d'eau et faute de por- teurs. J'ai dit combien les points d'eau étaient rares ; quant aux porteurs, les Antandroy se refuseraient absolument à les fournir spontanément et il ne faudrait pas songer à les exiger de vive force, dans leurs impénétrables abris, sous peine de déterminer une situation qu'il est nécessaire, à tout prix, d'évi- ter.

Et pourtant, dans ces conditions, la pénétration, en raison de ses avantages économiques, doit et peut s'exécuter malgré nos faibles effectifs et malgré la difficulté du pays, et cela grâce à un certain nombre de circonstances favorables.

Circonstances qui facilitent la pénétration. Au premier rang de celles-ci il faut placer l'anarchie qui règne chez les Antandroy.

Malgré leur identité d'oiigine, ils sont divisés en un très grand nombre de petites peuplades constamment en guerre. Ils ne peuvent supporter la suprématie de l'une d'elles. Plusieurs de leurs groupes vivaient sous l'autorité d'une sorte de dynastie : la famille des Zafimanara. Ils l'ont déposée, il y a quelques an- nées, et ses représentants vivent aujourd'hui sans aucune auto- rité au Sud d'Antanimora.

En second lieu, le pays est plat ; il suffit d'un débroussaille- ment pour y pratiquer, entre tous nos postes, des voies charre- tières, et, conmie il ne pleut presque jamais, celles-ci ne de-

144 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

manderojit que le plus léger entretien. Du coup, la grosse ques- tion du ravitaillement se simplifie singulièrement.

En épargnant aux populations l'obligation du portage, nous éviterons une des causes les plus constantes et les plus sérieu- ses de mécontentement.

En troisième lieu, et c'est le facteur le plus important, il n'existe nulle part, vis-à-vis de nous, d'état insurrectionnel à proprement parler.

Dans le pays Antandroy il y a impénétration, il n'y a pas insurrection.

Ceci tient à deux causes :

Ces gens-là ne nous haïssent pas ; ils nous voient arriver sans aucun plaisir, c'est évident, mais sont encore indécis sur ce que nous leur apportons en bien ou en mal. Cela tient à ce que, depuis notre apparition dans le pays, ils n'ont été l'objet de notre part d'aucune violence, d'aucune injustice, d'aucune brutalité ;

2" Notre prestige est intact. La sagesse et la fermeté avec lesquelles a été menée jusqu'ici la pénétration, les précautions prises pour établir les postes et mener les reconnaissances dans des conditions d'effectifs et de sécurité qui imposent le respect, n'ont pas donné l'occasion du moindre échec partiel.

Il y a dans ces deux éléments une base excellente qu'il ne faut perdre à aucun prix.

Chez les Antandroy, il semble que l'état d'âme actuel se ré- sume dans cette double formule : " Le Vazaha (i) nous appor- tera-t-il du bien ou du mal, l'avenir le dira. En tout cas, il est le plus fort. » De la question ainsi posée découle la méthode à appliquer :

Il faut que notre premier contact continue à être équitable et bienfaisant. C'est l'œuvre de la politique à adopter, dès main- tenant, par les commandants de secteur, qui ont à prendre le rôle d'arbitres contre les tribus, en réprimant le brigandage, en faisant rendre les bœufs et les enfants votés, en attirant auprès des postes des commerçants qui répandront du bien-être dans les populations.

Il faut, en même temps, maintenir inviolable le prestige de notre supériorité matérielle en ne créant que des postes peu nombreux, mais très forts, en ne hasardant jamais un convoi ni une reconnaissance sans avoir pris toutes précautions utiles, bref en évitant à l'indigène toute tentation de se mesurer avec nous et, enfin, en infligeant une répression immédiate et sévère à toute démonstration d'hostilité.

(1) Lo blanc.

PÉRIODE d'exécution 145

H. Situation acquise depuis le l^r janvier 1900. Après avoir ainsi tracé les caractères du pays Antandroy, sa situation sociale et les lignes générales de la politique à y suivre, voyons quelle est la situation actuelle.

Au !"■ janvier 1900, l'occupation du cercle de Fort-Dauphin était limitée à la ligne Tsivory-Mandraré.

Au cours de l'année 1900, le capitaine Trousselle exécuta dans le Nord de la région, entre le Mandraré et la Manambovo, une série de reconnaissances très actives, très bien comprises. Il donna aux habitants la plus haute idée de notre mobilité et de notre endurance.

II évita toute violence inutile et, dans les occasions il eut à employer la force, prit des dispositions qui nous évitèrent toute perte. Il établit les postes d'Imanombo, Bekitro et Anta- nimora.

Au Sud, en juin 1900, le capitaine Combe crée le poste d'Am- bovombe et, en novembre 1900, le heutenant Vallod en établit un autre au Faux-Cap.

Mais la présence de ces deux postes avancés dans la région cactée, non seulement ne suffisait pas, mais encore leurs com- munications, aussi bien entre eux qu'avec l'arrière, n'étaient pas assurées.

C'est à ce point de la question que le capitaine Vacher et le capitaine Ducarre prirent respectivement, en décembre 1900, le commandement des secteurs d'Imanombo et d'Ambovombe.

Leur premier soin, conformément aux instructions reçues, fut, avant toute progression ultérieure, d'affermir, de janvier à avril 1901, la situation existante.

A) Secteur d'Ambovombe. Plusieurs petites opérations, très bien menées par le capitaine Ducarre contre les tribus Antan- droy de la région d'Ambovombe, dégagent la route Fort-Dau- phin-Ampasimpolaka-Ambovombe.

B) Secteur dlmanombo. Les Analave du chef Ghiko conti- nuant à voler les bœufs des tribus soumises de la vallée du Haut-Mandrare, le capitaine Vacher décide une opération con- tre eux.

Le 12 mars, après une marche de nuit, il enlève, avec qua- rante fusils, les troupeaux de Ghiko. Les deux groupes de la re- connaissance sont commandés par le lieutenant Gayda et le ser- gent Vincentelli.

Quinze jours après, le chef Ghiko vient faire sa soumission. Depuis ce temps, les Analaves n'ont plus inquiété les tribus paisibles du Nord.

C) Pendant la môme période, le lieutenant Vallod, resté un peu trop isolé, au Faux-Cap, repousse une attaque contre son poste des chefs de la région avec environ trois mille guerriers. Sa

Madagascar. 10

146 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ferme allilude, ainsi que des reconnaissances marquées de quelques engagements, amènent les tribus voisines de la mer, entre la Manambovo et le cap Sainte-Marie, à lui faire leur sou- mission.

Il pousse ensuite une reconnaissance jusqu'à Beloha, il reçoit des chefs de la région des assurances de soumission qui n'ont pas encore été suivies de sanction, mais qui pourront donner lieu à de nouvelles négociations.

Telle est la situation que trouve le commandant Blondlat en succédant au capitaine Détrie dans le commandement du cercle, en mars 1901.

A la suite de sa première tournée, le commandant Blondlat décide :

La liaison du Faux-Cap et d'Ambovombe, par la création des postes de Tsihombe et d'Ambondro ;

L'occupation effective de la ligne de la Manambovo (créa- tion des postes de Tsihombe et d'Ankoba) ;

La limitation, pour le moment, de l'action militaire à la ligne de la Manambovo, jusqu'à ce qu'on ait obtenu la pacifica- tion complète de toute la zone située à l'Est et la protection effective des tribus de cette zone contre les tribus agressives et pillardes situées à l'Ouest de la Manambovo (Antemanantsy et Antehodo). C'est ce programme qui s'exécute actuellement.

A) Dans le secteur de Behara, le capitaine Met a définitive- ment assuré la soumission du groupe Antatsimo, entre Behara et Ampasimpolaka et, comme sanction, lui a fait exécuter les routes de ravitaillement d'Andrahomana à Ampasimpolaka et de Behara à Manambaro.

B) Dans le secteur d'Ambovombe, le capitaine Ducarre a créé, le 15 juin, le poste d'Ambondro, avec le lieutenant Barbazan.

Il a conmiencé, le 2 juillet, la création du poste de Tsihombe, s'installe le lieutenant Vallod, laissant l'adjudant Girardey au Faux-Cap.

Cette progression avait été précédée, au début de mai, par une démonstration d'un millier de guerriers autour du poste d'Ambovombe. Le capitaine Ducarre, tenant, avant tout, à éviter un conflit, montre la plus grande sagesse, ne tire pas un coup de fusil et réussit, par la fermeté de son attitude, par les mesures prises pour la défense du poste et par les mouve- ments qu'il prononce sur les flancs de l'adversaire et contre ses puits, à amener sa dispersion. Mais il lui inflige comme amende une remise d'armes, l'exécution de la route qui mène au poste d'Ambondro et un premier paiement d'impôt.

La création du poste d'Ankoba est décidée, et a été commen- cée depuis le l*' août.

En môme temps, sans entamer l'occupation de la rive droite

PÉRIODE d'exécution 147

de la Manambovo, le capitaine Ducarre, à la suite d'agressions et de vols de troupeaux commis par les Antemanantsy contre les groupes soumis, passe la Manambovo, attaque les Antema- nantsy le 3 juin, et leur reprend cent trente bœufs qu'il rend aux tribus volées.

La politique suivie se résume donc de la façon suivante :

Altitude la plus ferme à l'égard des tribus dont nous occu- pons déjà le territoire, en exigeant leur obéissance en échange de notre protection ;

Sanction de leur obéissance par l'exécution des routes et le paiement d'impôts ;

Sanction de notre protection en prenant fait et cause pour elles, et en agissant de vive force sur les tribus qui les volent.

C) Dans le secteur dlmanombo, la même ligne de conduite est suivie.

Dès mars, l'adjudant Granier, qui avait pris le commande- ment du poste de Bekily à la suite de l'agression dont avait été victime le lieutenant Lambert, avait amené la soumission du groupe des Milalie, dont l'adhésion nous assurait par le Nord une bonne base d'action contre les Antemanantsy.

Ceux-ci continuant à victimer les Milahe et leur ayant volé de nombreux troupeaux, le capitaine Vacher lance contre eux l'adjudant Granier, qui, du 20 au 24 mai, leur prend trois mille bœufs.

Du coup, un certain nombre des chefs Antemantsy sont venus le 1" juillet se présenter, à Imanambo, au capitaine Vacher, qui leur a fait connaître les conditions auxquelles leur soumission pourrait être acceptée.

Les troupeaux volés restent confisqués pour être restitués à leurs légitimes propriétaires. (Si ceux-ci ne peuvent être re- trouvés, les bŒ'ufs de prises sont vendus conformément aux dispositions de l'arrêté du IG janvier 1901.) Les armes leur sont laissées, en principe, pour leur permettre de se défendre contre leurs ennemis, mais un certain nombre sont remises en signe de soumission.

Ils exécuteront les routes et les travaux de poste dont nous aurons besoin ultérieurement.

IIL Situation ACTUELLE. —Programme a suivre. Je viens de constater, au cours de ma tournée par lîehara-Ambovombe- Tsihombe-Ankobo-Imanombo, l'état actuel de la situation, que je résume dans le schéma ci-joint (j).

Il a pour but de faire ressortir nettement ce qui est actuelle- ment acquis et ce qui reste à acquérir.

A l'Est et au Nord de la ligne A, il n'y a plus besoin d'aucune

(1) Croquis (e) s la gauche du volume.

148 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

escorte, pas plus pour les convois et pour les courriers que pour les Européens voyageant isolément.

Les populations prennent nettement contact; un commer- çant français est installé à Behara, des commerçants Hova et Betsiléo à Imanombo.

Gomme sanction toute récente, la population commence à uti- liser la pièce de cinq francs pour ses achats.

A l'Est et au nord de la ligne B, les convois et les cour- riers peuvent circuler sans escorte, mais il est encore prudent de donner une escorte à l'Européen voyageant isolément. Un commerçant créole vient de s'installer à Ambovombe; l'usage de la piastre n'y est pas encore adopté par les populations, qui pratiquent toujours l'achat par échanges ;

A l'Est et au iNord de la ligne G, les isolés ainsi que les convois nécessitent encore des escortes. Les groupes des. Analavondrové, les groupes d'Ankoba ont encore besoin d'être surveillés de près et d'être mis en main.

Le groupe des Analavé, qui se tient tranquille depuis la cap- ture des bœufs de Ghiko, n'a certainement pas renoncé à profi- ter d'une bonne occasion et a besoin d'être sérieusement sur- veillé.

Enfin, à l'Ouest de la ligne G, c'est la zone impénétrée, qui est encore celle des fortes reconnaissances et, éventuelle- ment, des opérations militaires.

La lecture de ce schéma indique d'elle-même le programme à suivre ultérieurement :

Une politique telle, que, sans interruption, les lignes A et B puissent être portées vers l'Ouest, de manière à se confondre avec la ligne C.

Le capitaine Ducarre, commandant le secteur d'Ambovo^mbé, va donc poursuivre méthodiquement l'établissement de notre domination dans la région cactée, du Mandraré à la Manambo- vo, par l'établissement d'un réseau de postes. Ges postes de- vront être, avant tout, bien reliés entre eux, par des routes lar- gement débroussaillées, par des reconnaissances incessantes qui envelopperont chaque groupe de tribus d'un véritable filet, les isolant les unes des autres et leur donnant la sensation permanente de notre occupation effective.

Ghacun de ces postes sera le centre d'une politique rayon- nante sur les chefs voisins, établissant avec eux des relations de plus en plus fréquentes, les habituant à notre contact et les attirant par l'établissement de comptoirs, pour lesquels le com- mandant Blondlat fait largement appel aux commerçants de Fort-Dauphin. On peut espérer ainsi les amener, par l'appât des toiles et de la pacotille, à se défaire pour l'exportation du superflu de leurs bœufs. Ils ont d'énormes troupeaux, c'est pour

PÉRIODE d'exécution 149

eux le signe tangible de la puissance et de la richesse, sans qu'ils consentent jusqu'ici à s'en défaire spontanément. Ils attachent une idée traditionnelle et presque superstitieuse à les conserver jalousement, à les « collectionner » pour ainsi dire.

D'autre part, le lieutenant Vallod cherche, dès maintenant, par l'action des postes de Tsihombé et du Faux-Cap, à agir sur les tribus assez homogènes comprises dans le triangle Manam- bovo, Ankoba, Cap Sainte-Marie, pour les grouper, si possible, en une confédération placée sous l'autorité d'un représentant de la famille de Manga, l'ancien chef héréditaire.

Enfin, par le Nord, le capitaine Vacher, commandant le sec- teur d'Imanombo, dont la presque totalité du secteur est dès maintenant acquise à notre domination et qui aura, de ce fait, des effectifs disponibles, va, dès maintenant, s'installer à Beki- tro pour commencer la pénétration, du Nord au Sud, du pays Antemanantsy.

Ces tribus sont encore sous le coup de la leçon que leur a donnée l'adjudant Granier ; plusieurs de leurs chefs sont venus, comme on l'a dit plus haut, faire spontanément des offres de soumission à Imanombo ; il s'agit d'en profiter et de donner une sanction à ces préliminaires.

Celte sanction semble devoir être l'établissement d'un poste sur la moyenne Menarandra, vers P (t). Ce poste se reliera im- médiatement avec Ankoba, d'une part, et, d'autre part, avec le cercle de Tulear, qui va créer lui-même, vers M, un poste relié à Ejeda.

Il y aura ainsi, pour la première fois, dans le Sud, une liai- son étroite et continue par terre entre Fort-Dauphin et Tulear, jalonnée de postes à un jour de marche au plus les uns des autres ; ce sera véritablement l'axe de notre domination dans les régions Antandroy et Mahafaly.

Dans le cercle de Fort-Dauphin, il ne restera plus qu'une zone en dehors de notre action, entre le cap Sainte-Marie, Anko- ba, Beloha et la Basse-Menarandra.

Elle a été traversée :

Par une reconnaissance du lieutenant Vallod ;

Par la mission géodésique du capitaine Tixier ;

Par la mission scientifique de M. Grandidier, qui s'est joint à une reconnaissance du lieutenant Vallod du Faux-Cap à Am- palaza.

Mais elle nous échappe encore et les dispositions de ses habi- tants sont encore incertaines ; il est, en outre, assez difficile

(1) Croquis (e) à la gauche du volume.

150 DANS LE SUD DE MADAGASCAB,

d'y discerner les groupes Antandroy de ceux qui obéissent au chef Mahafaly, Tsiampondy, du cercle de Tulear.

Ce n'est donc que par une action commune et étroitement liée des deux cercles que la question de l'occupation de cette dernière zone pourra se résoudre. Cette action ne pourra se produire efficacement que lorsque les lignes successives du programme qui vient d'être exposé pour le cercle de Fort-Dau- phin auront été définitivement acquises, et aussi lorsque, dans le cercle de Tulear, la question de Tsiampondy (qui ne laisse pas de me préoccuper) aura fait un sérieux pas en avant.

J'espère, sans pouvoir l'affirmer, que cette période s'ouvrira au mois de septembre.

Ce que pourra être Voccupation définitive, une fois la péné- tration terminée. En résumé, sauf incidents toujours possi- bles, on peut prévoir qu'avant la fin de l'année la pénétration de tout le cercle de Fort-Dauphin sera un fait accompli.

Cette pénétration sera sanctionnée par un réseau de postes progressivement poussés de l'Est à l'Ouest, reliés entre eux et communiquant à moins d'une journée de marche.

Mais ce serait se tromper gravement que de regarder alors la question comme résolue. Il s'agit de pays que nous ignorions à peu près complètement, qui échappaient entièrement à notre action, et qui se trouvent beaucoup plus peuplés que nous ne le pensions. L'occupation serrée ainsi établie nous en assurera la possession effective et nous garantira contre tous risques d'insurrection, ainsi que contre les incursions armées dirigées contre les pays pacifiés. De plus, elle nous permettra de pren- dre petit à petit le contact avec les populations, de faire de la région une reconnaissance complète et de déterminer toute une série de données géographiques, hydrographiques et ethnogra- phiques qui nous manquent encore pour établir un système rationnel.

Le but à atteindre alors sera, grâce à une connaissance pré- cise du pays, d'aboutir à une occupation beaucoup plus res- treinte et définitive. Il semble a priori que cette occupation dé- finitive sera basée sur la possession des deux éléments vitaux de la région :

1"* Les points d'eau importants ;

Les pacages, vont nécessairement les troupeaux pen- dant la saison sèche.

Jusqu'ici, les appréciations divergent à cet égard. Les décla- rations des indigènes ne concordent pas. Selon les uns, la pres- que totalité des troupeaux trouvent à vivre, pendant la saison sèche môme, dans l'intérieur de la région cactée ; selon les autres, au contraire, la plus grande partie va chercher sa nour- riture dans les immenses parcours déserts qui avoisinent la

I

PÉBIODE d'eXÉCUTIOX 151

Haule-Menarandra et ses affluents, et dont les pâturages offri- raient des ressources à toute époque de l'année.

Actuellement, faute de renseignements suffisants, nous ne pouvons que pousser nos postes devant nous, aux points oîi l'on est assuré notoirement de trouver des puits et de pouvoir en creuser. Ambovombe, Ambondro, Ankoba, Antanimora n'ont pas d'autre raison d'être ; ce sont des sentinelles qui gardent des puits.

Au premier de ces postes, le capitaine Ducarre a déjà exécuté des travaux i cmarquables en faisant pratiquer, à côté des puits indigènes à éboulcments continuels, des puisards à revêtements de dix à quinze mètres de profondeur.

Incidemment, je crois devoir appeler l'attention sur l'intérêt qu'il y aurait à faire étudier par des officiers techniques l'éta- bUssement de puits artésiens dans cette région la couche d'eau est, à coup sûr, à peu de profondeur.

Quoi qu'il en soit, lorsque nous aurons toutes les données de la question, il suffira probablement d'un nombre beaucoup plus restreint de postes, établis dans les régions de pacages et sur les lignes d'eau obligées, pour nous assurer la possession effec- tive et définitive de tout le pays.

On peut, en effet, poser cette formule : « Qui est maître des bœufs est maître du pays. » Chaque jour nous en apporte des exemples. La tribu la plus réfractaire, du jour oiî l'on met la main sur ses troupeaux, vient aussitôt à résipiscence. On en voit, dès le lendemain, les chefs venir aux postes demander quelle satisfaction il faut donner pour rentrer en possession des bœufs. C'est, jusqu'ici, la seule façon efficace qu'on ait eue d'obtenir la reddition de fusils après une agression, un commencement de paiement d'impôt, le débroussaillement de routes.

Le moyen est d'autant plus infaillible que les indigènes com- mencent à se rendre compte que nous ne confisquons pas leurs troupeaux à notre profit, comme le faisaient les Hova ou les tri- bus rivales, mais que nous les leur rendons à mesure qu'ils nous donnent satisfaction, sauf ceux que nous restituons aux tribus volées.

Je crois que, d'une manière générale, lorsque les communi- cations seront bien ouvertes et tout à fait sûres, les chefs lo- caux bien en main, le ravitaillement bien assuré, l'occupation se réduira aux lignes du Mandraré, de la Manambovo et de la Menarandra.

Nous allons entrer partiellement dans cette voie, puisque le commandant lîlondlat prévoit la suppression imminente du poste de Tsitevempeko et la réduction prochaine à un simple block- haus de liaison du poste d'Antanimora.

Dans la région cactée, la période transitoire sera beaucoup

152 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

plus longue et cette simplification du système, qui est l'objectif à atteindre, ne peut être envisagée avant 1902 ou 1903.

IV. Ravitaillement. On peut dire que la question du ravitaillement est la principale pierre d'achoppement des en- treprises coloniales. Pour assurer la possession et la sécurité d'un pays, il faut l'occuper, et, quelles que soient la sagesse et la modération des chefs de poste qui prennent le premier contact avec la population, ils sont forcés de lui imposer, dès l'abord, la charge qui, de toutes, est la plus odieuse aux peu- plades indépendantes, sauvages et guerrières, celle de faire des convois continuels pour porter les approvisionnements et les matériaux indispensables.

C'est pourquoi la première préoccupation qui doit guider toute pénétration coloniale est celle de substituer, dans le plus bref délai, le portage mécanique au portage à dos d'homme.

La circonstance la plus favorable qu'on puisse souhaiter, c'est que la nature du pays se prête, dès l'abord, à ce portage mécanique.

Or, c'est ici le cas on l'a dit plus haut et on ne saurait en profiter avec trop de soin. D'une part, la proximité de la côte permet de multiplier les points d'atterrissement du maté- riel et des vivres ; d'autre part, la nature du sol, dans la plus grande partie du cercle de Fort-Dauphin, permet, moyennant un simple débroussaillement, d'y ouvrir des voies charretières avec un minimum d'efforts.

Ceci posé, le commandant Blondlat a établi son ravitaillement de la façon suivante :

Des niagasins côtiers sont établis à Fort-Dauphin, à Andra- homana et au Faux-Cap. Au moyen de marchés passés avec des patrons de goélettes, ils sont approvisionnés périodiquement. La compagnie de conducteurs du cercle et ses mulets sont frac- tionnés entre ces trois points.

De Fort-Dauphin partent les voies charretières de Manam- baro et de Belavenona ; celle-ci se prolonge par une voie mule- tière à travers les contreforts montagneux jusqu'à Ranoma- fana.

D'Andrahomana, oiî est le siège de la compagnie de conduc- teurs, part une voie charretière sur Ampasimpolaka, d'oii elle se bifurque, d'une part sur Ambovombe, d'autre part sur Be- hara et Ifotaka, d'où elle se ramifie, à son tour, d'une part sur Ranomainty, de l'autre sur Antanimora, Imanombo et Tsivory.

Du faux-Cap, une voie charretière se dirige sur Tsihombé, d'où elle se bifurque sur Ambondro et Ankoba.

PÉRIODE d'exécution

153

VOIES DE COMMUNICATION ET DE RAVITAILLEMENT

LEGENDE

Magasins côti'er» = Route chaprehére

Route muletière

Chemin de bour-janes 4. 4. «t. Limite de cercle

En outre, pour l'éventualité les goélettes feraient défaut ou subiraient de trop longs retards, ces trois réseaux sont réu- nis par des tronçons charretiers :

De Manambaro à Behara ;

D'Ambovombe à Ambondro ;

D'Ankoba à Antanimora, de façon à pouvoir, en cas de be- soin, assurer tout le ravitaillement par terre depuis Fort-Dau- phin.

Tout ce réseau charretier, dont l'établissement n'a consisté qu'en un débroussaillement et un très léger terrassement sur certains points, est actuellement terminé, ou va l'être dans peu de mois.

Il ne restera donc plus à assurer par porteurs que le ravi- taillement des quelques gradés européens d'Esira, par Rano- mafana ;

De Mahaly, par Tsivory ;

De Bekilro et de Bekily, par Imanombo, et le ravitaillement en riz de Bekitro et de Bekily, par Isoanala.

154 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Quand il s'agit de l'établissement de nouveaux postes, le com- mandant Blondlat procède de la façon suivante pour alléger les charges :

Prenons pour exemple Ambondro, qui se construit à un jour de marche en avant d'Ambovombe. Tout le ravitaillement néces- saire au nouveau poste a été au préalable réuni à Ambovombe, ainsi que les matériaux : tôles ondulées, châssis, accessoires, literie, munitions. Puis la route charretière a été faite jusqu'à l'emplacement du nouveau poste. Et c'est alors seulement que la garnison y est poussée, suivie d'un fort convoi de voitures amenant sans délai tout ce qui est nécessaire à son premier éta- blissement. Les tirailleurs étant eux-mêmes leurs propres con- structeurs, la population ne subit aucune charge du fait de la création du poste, hormis celle de l'établissement de la route.

En outre, la circulation immédiate des voitures donne à la population la sanction du travail qu'elle vient d'accomplir. Ceci est d'une importance capitale.

La conclusion à en tirer, c'est la nécessité absolue de pour- voir assez largement les compagnies de conducteurs des régions le ravitaillement peut se faire dès maintenant par voitures ou par mulets, pour que le portage à dos d'homme y soit com- plètement supprimé. 11 y a à cela un avantage économique, mais surtout un avantage politique de premier ordre.

V. Conclusion. Telle est, dans ses grandes lignes, la situation militaire et politique dans le cercle de Fort-Dauphin, ainsi que le programme général à y suivre.

Il résulte, à mes yeux, de la tournée que je viens de faire, poste par poste, dans le pays Antandroy, que la situation y est plus claire, plus simple à dénouer qu'elle ne m'avait apparu au début.

Il ressort, en première ligne, de tout ce que j'ai vu que le cercle de Fort-Dauphin bénéficie d'avoir été, dès l'origine, commandé avec une parfaite continuité de vues. On n'y trouve pas trace de fausses manœuvres, d'erreurs de direction, de gaspillage d'efforts.

Cette situation satisfaisante donne une grande confiance sur l'issue du programme.

Mais je rapporte de cette étude de détail sur le terrain la conviction absolue que cette région doit rester, pendant long- temps encore, territoire de commandement. Je l'avais indiqué dans les précédents rapports, mais, aujourd'hui, je n'ai plus un doute à cet égard.

De même qu'au Tonkin il y a des marches-frontières des- tinées à rester sine die territoires militaires, il y a, à Madagas- car, des marches-côtières que la nature de leurs populations.

PÉRIODE d'exécution 155

leur élat social, la difficulté du pays, imposent de laisser pour longtemps eiicore sous l'auloiité militaire.

Il ne m'appartient pas de parler du territoire Sakalave ni de certaines régions du Nord; mais, en ce qui concerne mon com- mandement, j'aflirme que dans la région Sud, comprenant le cercle de Fort-Dauphin et le pays au Sud de l'Onilahy, on ne saurait, pour le moment, prévoir l'organisation d'une adminis- tration civile sans s'exposer à de graves mécomptes. Elle ne disposerait ni des moyens matériels, ni de l'élasticité adminis- trative qui lui permettraient de maintenir ces régions d'une ma- nière efficace.

J'ai toujours été le premier à provoquer le passage à l'ad- ministration civile des régions que je regarde comme mûres pour ce régime. Je n'ai pas hésité, malgré beaucoup d'objec- tions auxquelles je ne me suis pas arrêté, à envisager la ces- sation prochaine du commandement militaire dans une partie de mon commandement. Aussi, est-ce en toute conscience et en toute conviction que je regarderais comme très prématuré un changement de régime dans la région Sud. Ce serait y aller à des déceptions certaines et à d'éternels recommencements.

Les populations auxquelles nous y avons affaire sont autre- ment loin des Hova et Betsiléo que ceux-ci ne le sont de nous. Ici, ne l'oublions pas un instant, nous en sommes à 1' « âge du fer », à un état social qui remonte, en Europe, aux époques préhistoriques.

Ces gens vivent nus, sans besoins, au dernier degré de cul- ture, ignorant l'usage de la monnaie, n'ayant même pas les in- dustries rudiineiitaires, pasteurs, guerriers, rebelles à toute discipline sociale.

Mais ils sont nombreux, possesseurs d'immenses troupeaux qui, faute de circulation, restent une richesse improductive. Ils valent donc la peine qu'on les fasse entrer dans l'économie générale de la Grande Ile. Or, ils ne sont sensibles qu'à la suprématie de la force, à la supériorité matérielle de notre armement et à l'appareil défensif de nos postes. Ce respect de notre force se double chez eux du respect de notre parole et de notre justice, que nous avons sauvegardées jusqu'ici entière- ment.

C'est donc à l'abri de nos postes seuls, fortement constitués et les tenant en respect, que pourront, pendant de longues années, se faire leur pénétration économique et la prise de leur contact moral.

Je ne vois pas une seule de nos institutions civiles qui puisse être appliquée de longtemps à des peuples qui ne comprennent la répression que sous la forme de confiscation de bœufs ou de remise d'armes, qui ne connaissent que la responsabilité collec- tive et qui, après un assassinat, se refusent h livrer le coupa-

d56 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ble, mais admeltent que la tribu entière doit une réparation sous forme de travaux ou d'amendes.

Il a déjà été prématuré d'appliquer au cercle de Fort-Dau- phin l'arrêté du 6 décembre 1899, réglementant le recrutement et l'avancement des fonctionnaires indigènes. Il est impossible ici de se servir d'autres agents que des chefs naturels, et c'est à eux seuls qu'il faudra attribuer quelque traitement. Il est impossible de les faire entrer dans une hiérarchie rigide et de subordonner leur titularisation dans un emploi à un stage plus ou moins long dans la classe inférieure.

Ce sont des chefs de clan ; il faut simplement que le budget comprenne un chiffre global pour le traitement des chefs et que, dans les limites de ce crédit, le commandant de cercle puisse se mouvoir avec la plus entière élasticité.

Ils n'ont même pas le commencement d'initiation des peupla- des sauvages chez lesquelles ont pénétré les missions chrétien- nes. Celles-ci n'ont jamais, vers l'Ouest, dépassé Fort-Dauphin. Les tribus de race Tanala qui peuplent la zone forestière de l'Est sont déjà d'un degré très supérieur dans l'échelle de l'hu- manité. Nous avons pu y fonder quelques écoles qui recrutent des élèves et plusieurs nous ont étonnés par leur rapidité d'as- similation. Ici, au contraire, chez les Antandroy et les Maha- faly, la seule tentative faite dans ce sens a rencontré une répul- sion, une hostilité même qui imposent d'ajourner encore tout essai de ce genre.

J'ajoute que le commandement de cette région doit décidé- ment être maintenu à Fort-Dauphin et ne peut être que là. La pénétration et l'organisation, telles que je les ai exposées, doi- vent, pour être eflicaces, faire appel simultanément à tous les moyens : matériels, économiques et commerciaux.

C'est à Fort-Dauphin seulement que le commandement pourra agir sur les commerçants pour faire doubler notre pénétration militaire de leur pénétration économique, indispensable pour créer des besoins, provoquer des échanges, exporter le sur- croît des troupeaux.

C'est à Fort-Dauphin qu'est la base du ravitaillement^ par mer comme par terre ; que se trouvent les ressources matériel- les, ateliers, magasins, ouvriers, qui permettent de pourvoir, d'alimenter, de réparer.

C'est également qu'est le sanatorium officiers et cadres peuvent venir se refaire, physiquement et moralement.

C'est aussi, pour les indigènes, la capitale doit résider le chef.

Enfln, il n'existe pas dans la région Antandroy un seul point puisse être établi le centre matériel d'un commandement sans dépenses aussi exagérées qu'inutiles. Il ne faudrait, à aucun prix, y (Téer un chef-lieu factice qui ne survive pas aux

PÉRIODE d'exécution 157

nécessités temporaires qui en auraient provoqué la création et qui ne répondrait ici à aucune réalité.

Je conclus donc, de la manière la plus ferme, à ce que, dans les prévisions de l'avenir, lorsque tout l'ancien cercle des Bara et la majeure partie du cercle de Tulear entreront dans l'ensem- ble de l'organisation civile de l'Ile, la région Sud soit maintenue en territoire militaire avec Fort-Dauphin comme chef-lieu.

Rien n'empêchera, d'ailleurs, de constituer en district civil la partie Est de celte circonscription, qui n'en constitue du reste que la minime partie, spécialement quant au chiffre de sa |)opulation.

II

OPÉRATIONS ENTRE LE MANDRARÉ ET LA MANAMBOVO (1).

Juillet - Décembre 1901.

Après mon passage dans le cercle de Fort-Dauphin, le com- mandant Blondlat avait, comme premier objectif, d'achever le nettoyage complet du pays entre le Mandraré et la Manambovo.

Tandis qu'à l'Est du Mandraré la pacification, ainsi qu'on l'a vu dans le rapport précédent, pouvait être considérée comme acquise, à l'Ouest de cette rivière l'état de la pacification pou- vait se représenter sous l'aspect d'une teinte dégradée partant du Nord et aboutissant à l'extrême Sud de la zone côtière net- tement rebelle.

D'une part, l'occupation du poste de Tsihombé et nos recon- naissances sur la basse Manambovo avaient déterminé un grou- pement des éléments hostiles de la rive Ouest de cette rivière sous le commandement du chef Tsiseza.

Ils avaient profité d'un dégarnissement momentané du poste de Tsihombé pour attaquer ce poste, d'ailleurs sans succès.

D'autre part, sur la rive Est de la Manambovo, des éléments hostiles refoulés peu à peu du Nord au Sud avaient fini par se concentrer le long de la mer dans la zone la forêt de cactus

(1) Cartes n°» 3 et 4 et croquis (il) à la gauche du volume.

158 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

est peut-être la plus impénétrable. Tout ce qu'il y avait de guer- riers réfractaires dans l'Androy semblait s'y être concentré sous les ordres du chef Tsitity, menace constante pour les ré- gions du Nord qui commençaient à payer l'impôt et à acheter nos produits.

Le commandant Blondlat se heurta dans la zone la plus voi- sine de la côte à une résistance sérieuse qui nous coûta des pertes cruelles. Nos adversaires étaient servis par la nature du pays. La forêt de cactus épineux offre un réduit des plus diffi- cilement accessibles. On n'y pénètre que par d'étroits sentiers constamment interceptés par les épines qui occasionnent de douloureuses blessures. On n'y chemine que un par un, sans vues, sans champ de tir. C'est une des régions les plus diffi- ciles de Madagascar, nulle n'est plus favorable aux embuscades.

Le commandant Blondlat m'exposait le 16 octobre son pro- gramme pour en finir avec les groupes insoumis à l'Est de la Manambovo, par le télégramme suivant :

Mon but est d'emprisonner les populations rebelles dans la région limitée : au Nord, par la route Ampasimpolaka, Ambo- vombe, Ambondro; à l'Est, par les populations amies de Ma- nambaro ; au Sud, par la mer ; à l'Ouest, par le méridien d'Am- bondro. Ces populations sont actuellement déjà très gênées par suite de la difficulté d'aller chercher l'eau et de faire pâturer leurs troupeaux en plaine. Je compte qu'il suffira de leur rendre la vie un peu plus dure pour les forcer à faire leur soumission, qui se produira par désarmement aussi complet et général que possible. Ceci posé, mes moyens sont les suivants : pendant qu'Ambovombe renforcé fournira journellement une reconnais- sance vers le Sud et une forte patrouille sur chacune des routes Ampasimpolaka, Ambondro, deux colonnes partiront d' Ampasim- polaka et d'Ambondro, elles emporteront huit jours de vivres et seront journellement ravitaillées en eau (1); de la sorte, elles constitueront, pour ainsi dire, des postes mobiles qui auront pour objet de capturer les troupeaux, d'enlever les villages, de détruire les abris fortifiés, en un mot, de montrer à ces gens-là que nous pouvons pénétrer chez eux et y imposer notre volonté, ce qu'ils ne croient pas. Je suis persuadé que, dès l'ouverture de ce programme, la situation se dessinera.

(1) L'obligation de se ravitailler en ean constitue une des plus grandes difficultés dans l'Androy.

PÉRIODE d'exécution 159

Comme précédemment, je reproduis le rapport par lequel je rendais compte ultérieurement au Général en chef de l'exécu- tion de ce programme :

<i Fort-Dauphin, le 1" janvier 1902.

Mon Général,

Je vous envoie ci-joint le rapport du commandant Blondlat, commandant le cercle de. Fort-Dauphin, sur les opérations qu'il a dirigées du 15 octobre au 10 novembre 1901 contre le noyau Antandroy insoumis établi le long de la côte au Sud de la ligne des postes Ampasimpolaka-Ambovombé-Ambondro.

Ces opérations sont le développement du programme d'en- semble que j'ai tracé au début de mon commandement.

Je vous y rendais compte que, tandis que je faisais procé- der au nettoyage méthodique de la zone forestière, du Nord au Sud, par le commandant du cercle d'Ifandana, je donnais au commandant du cercle de Fort-Dauphin le programme suivant :

Reprendre dès maintenant méthodiquement, et de VEst vers VOuest, Voccupation de la zone entre le Mandraré et la Manambovo, zone qui a été traversée et dépassée, il est vrai, mais en laissant derrière soit des groupes insoumis qui inquiè- tent les parties pacifiées ;

2" Lorsque le Mandraré sera solidement occupé et ses der- rières bien assurés, procéder, entre les cercles de Fort-Dauphin et de Tulear, à une action périphérique autour des Antandroys, les isoler de la côte, oii ils se ravitaillent en poudre, les ynain- tenir dans leurs limites et mettre fin à leurs déprédations dans les régions pacifiées.

A votre passage à Tulear, je vous rendais compte des pre- mières phases de l'exécution de ce programme (1).

A ce moment le commandant Blondlat était parvenu par une action convergente, du Nord-Est vers le Sud-Ouest, à dé- limiter nettement :

(1) Rapport précédent, page 140.

160

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

La zone complètement pacifiée

La zone indécise ;

3" La zoine encore impénétrée (1).

-LEGENDE

Le commandant Blondlat, continuant après mon départ son action de compression face au Sud-Ouest, se heurta, au Sud d'Ambovombé, aux deux groupes de Sevoliitras du Sud et des Maroalakas.

Les seconds avaient toujours refusé de reconnaître notre domination; mais les premiers, commandés par le chef Tsitity, avaient fait un semblant de soumission.

Au mois de mai, Tsitity avec 1.500 guerriers avait presque investi et fortement menacé le poste d'Ambovombé. Devant la ferme attitude du capitaine Ducarre, il s'était décidé à tempori- ser et s'était même présenté à moi à mon passage à Ambo- vombé.

Mais en voyant dans le courant de juillet et d'août son in- vestissement se resserrer par la création d'Ambondro et de Tsihombé, il avait compris que la période d'indépendance, de pillages de bœufs et de brigandages allait se clore et qu'il allait être acculé à l'obligation de payer un impôt régulier et de re-

(1) Croquis (e) à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution 161

mettre ses fusils, obligation à laquelle étaient déjà soumis ses congénères du Nord. Il résolut donc de faire une dernière ten- tative pour nous chasser du pays, entraînant avec lui un grand nombre de tribus limitrophes, les Maroalakas à l'Est, les gens d'Ezila, d'Imokola, etc., au Nord-Ouest.

Au mois de septembre, il annonçait au capitaine comman- dant le secteur d'Ambovombé qu'il ne paierait pas l'impôt, se déclarait en guerre et, passant des paroles aux actes, atta- quait nos convois, enlevait à l'un d'eux des femmes et des en- fants et venait tirer des coups de fusil sur le poste d'Ambo- vombé.

Des faits analogues se passaient à la môme époque du côté d'Ambondro, le poste essuyait quelques attaques, et, quelques jours plus tard, les groupes de l'Ouest d'Ambovombé intercep- taient la route d'Ambondro par des abatis et attaquaient un dé- tachement commandé par un sergent.

Cependant, un certain nombre de groupes (les Sevohistras du Nord, les Ikonkos et autres du Sud) nous restaient résolu- ment soumis, ce qui donnait au commandant Blondlat une base d'action et lui permettait d'avoir des émissaires et des parti- sans.

C'est dans ces conditions que le commandant Blondlat dé- cidait d'en finir avec ces groupes « de plus grande résistance » et de leur infliger une sévère leçon qui établît d'une manière incontestée notre domination entre le Mandraré et la Manam- bovo.

Il prenait lui-même, le 18 octobre, le commandement des opérations.

Elles ont eu pour base la méthode concentrique prescrite pour toutes les opérations exécutées dans mon commande- ment. La pénétration s'est faite simultanément par trois grou- pes :

Par l'Est, groupe du capitaine Met venant d'Ampasim- polaka;

Par le Nord, groupe du capitaine Ducarre agissant d'Am- bovombé ;

Par l'Ouest, groupe du heu tenant Barbazan venant d'Am- bondro.

Madagascar. 11

162

DANS LE SrD DE MADAGASCAR

Le commandant Blondlat marchait avec le groupe Nord, groupe central.

ABC A'.b:

LÉGENDE

Postes successif» du groupe de l'Est. Postes que devait occuper celui de l'Ouest

impelaka

Le terrain est celui que j'ai décrit dans mon rapport pré- cédent. C'est la zone des cactus et des plantes épineuses les plus épaisses et les plus difficiles à pénétrer. Le cheminement ne peut s'y faire que pied à pied.

Le passage suivant du rapport du commandant Blondlat fait ressortir les difficultés des opérations dans un tel pays :

A peine nos troupes dépassaient-elles la zone de protection du bivouac que 1' a antsiva» (1) rassemblait les guerriers ennemis; les quelques espaces découverts étaient vite franchis.

Alors commençait un pénible chjeminement entre de hautes murailles de cactus dans un A'éritable boj^au encombré d'abatis d'arbres, de raquettes, de plantes épineuses. Il est difficile de se rendre un compte exact des difficultés que la marchje présente dans ces conditions, les hommes obligés de marcher à la file indienne, et deux travailleurs pouvant, au plus, débarrasser ensemble le chemin barré parfois sur une longueur de plusieurs centaines de mètres. Il ne fallait pas d'ailleurs, songer à aller à

(1) Conque servant de trompette.

PÉRIODE d'exécution 163

droite ui à gauche, à essayer de tourner les passages difficiles ou les obstacles; les raqu^ettes forment un bloc, le sentier qui les traverse est barré. Pour arriver au village qui est le cœur de ce chaos épineux, il faut débarrasser le sentier et le suivre. Il n'y a pas d'autre solution.

Il est (le même impossible de faire des mouvements com- binés. Dans ces endroits couverts, l'on circule dans de véri- tables labyrinthes, les mécomptes seraient trop à redouter et il suffit d'avoir un peu pratiqué cette guerre particulière des pays l'on ne voit pas, pour se rendre compte que le seul moyen d'arriver à un résultat est de conserver tout son monde groupé et que, en n'agissant pas ainsi, on s'expose à perdre le commandement et à faire tirer les fractions les unes sur les autres.

De ce que j'avais vu, j'avais pu conclure qu'une fois le but bien indiqué il n'y avait qu'à marcher droit dessus en brisant les obstacles.

Pondant que les travailleurs débouchaient les sentiers, les guerriers Antandroy se glissaient autour de nous, tiraient leurs coups de fusil devant, derrière, sur les côtés. En certains en- droits ils avaient creusé des tranchées, des trous de tirailleurs. Généralement ils nous suivaient par des sentiers parallèles à ceux sur lesquels nous étions engagés, connus d'eux seulement, et d'ailleurs impraticables pour nous. C'est qu'ils lâchaient leurs coups de fusil, puis ils couraient à l'abri recharger leurs armes.

On ne pouvait ni les voir, ni se couvrir par des patrouilles qui ne pouvaient circuler. Il n'y avait donc qu'un moyen, tirer. Il est évident que dans un pays européen cette méthode ne serait guère applicable; car elle entraîne une grande consommation de munitions; mais, ici, les munitions ne sont pas mesurées, il est de tout intérêt de s'en servir, et c'est l'emploi des feux toujours tirés en salves qui nous a jj^rmis de n'avoir pas de pertes plus fortes ; au début, les hommes exécutaient les salves debout.

Ce procédé, qui permettait de battre fort bien le terrain à deux cents mètres, avait l'inconvénient de laisser intacte la zone im- médiatement proche des tireurs, zone dans laquelle les guerriers ennemis couchés par terre se trouvaient presque en sûreté. Dès le troisième jour, nous fîmes tirer à genoux. Ces tirs furent très efficaces et firent subir aux Antandroys des pertes sensibles.

Une fois le chemin débarré, le village était facilement pris, parce que toujours abandonné.

Il est évident qu'en entrant on recevait bien encore à bout portant ou à peu près les coups de fusil des derniers défen- seurs. Les cases détruites, il fallait sortir du village, et c'était alors la répétition de la marche précédente. Chemins barrés, embuscades, tranchées, coups de fusil dans toutes les directions.

164 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Si l'on revenait sur ses pas, il arrivait fréquemment qu'il fallait redébouchier le chemin même par lequel on était venu et que derrière nous les indigènes avaient de nouveau barricadé. Cela se passait ainsi pendant de longues heures. Le 23 octobre, les troupes quittèrent le bivouac à 5 heures du matin et y revin- rent à 3 heures 30 du soir sans avoir pu s'arrêter, ni manger, ayant constamment tiré et reçu des coups de fusil.

Lieatenant MOOSfilER-BOISSOfJ, de l'inîantefie coloniale, tué à l'ennemi le 22 octobre 1901,

Les opérations se poursuivaient donc de cette manière pour les trois groupes. Au centre, toutefois les chemins étaient moins fortement barricadés.

Les pertes n'ont pas été nombreuses, mais elles ont été très cruelles, puisque deux excellentsi officiers y ont trouvé la mort et que le commandant Blondlat y a été grièvement blessé.

Le lieutenant Mousnier-Buisson, officier de renseignements du cercle, marchant avec le groupe de l'Ouest, y a été tué d'une balle au front le 22 octobre.

Le capitaine Astoin, de la légion étrangère, venu pour rele-

PÉRIODE d'exécution Ifiî)

ver le capitaine Met en fin de séjour, a reçu, le 26 octobre, une balle dans le ventre, dont il est mort à Ambovombé le 29 (1). Le commandant Blondlat, marchant avec le groupe du Nord,

Capitaine flSTOlN, de la légion étrangèFc, tué à l'ennemi le 29 oc'obfe 1901.

a reçu, le 23 octobre, une balle dans la jambe; malgré la gra- vité de sa blessure, il voulut continuer à exercer le comman-

(1) C'est dans les termes suivants que le général en chef portait à la connaissance du corps d'occupation, par la voie du Journal officiel de la colonie, la mort de ces deux officiers :

« Le général commandant en chef du corps d'occupation et gouvemeu. général de Madagascar et dépendances a le regret de porter à la connais- sance de la colonie la mort de M. le lieutenant Mousnier-Buisson.

» le 31 décembre 1876, à Boisseuil (Haute-Vienne), M. Mousnier- Buisson entrait à Saint-Cyr en octobre 1896. Il en sortait le l®' octobre 1898, avec le grade de sous-lieutenant.

» Affecté au régiment d'infanterie de marine à Rochefort, il était dé- signé, le 28 janvier 1899, pour faire partie du corps d'occupation de Mada- gascar.

» Débarqué dans la colonie le 6 mars, il servit, de mars 1899 à octobre 1900, dans le cercle des Bara, il commanda le poste d'Isoanala, puis, en dernier lieu, celui de Bekily.

» En octobre 1900, M. le lieutenant Mousnier-Buisson fut désigné comme adjoint au commandant du cercle de Fort-Dauphin, et, en cette qualité, participa à l'opération dirigée, depuis le commencement de septembre 1901,

166 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

dément jusqu'à la fin des opérations, le 10 novembre, date à laquelle il a été évacué sur Fort-Dauphin son état a inspiré de sérieuses inquiétudes.

Hors de ces officiers, il n'y a eu de tués qu'un tirailleur sénégalais et deux partisans et de blessés qu'un caporal de milice, un tirailleur sénégalais et sept partisans. Et encore, la balle qui a tué un des partisans était destinée au capitaine Ducarre. Il est donc certain que nos adversaires, qui tiraient presque à bout portant embusqués dans les cactus, ne visaient qu'aux officiers.

Malgré ces pertes et grâce à la ténacité du commandant, de ses cadres et aussi de ses troupes qui ont témoigné d'une

dans la région d'Ambovombé, afin d'obtenir la soumission définitive des tri- bus Antandroy.

» C'est au cours d'un des engagements que nous eûmes avec les Antan- droy qu'il tomba mortellement atteint, le 22 octobre dernier.

» Energique, infatigable, plein de dévouement et d'entrain, M. le lieu- tenant Mousnier-Buisson était un de ces officiers qui peuvent, grâce à leur valeur et à leurs qualités, légitimement compter sur un bel avenir mi- litaire.

» L'armée perd en lui un officier intelligent, d'un caractère doux et affa- ble, et qui sera très vivement regretté de ses camarades autant que de ses chefs. »

<( Le général commandant en chef du corps d'occupation et gouverneur général do Madagascar et dépendances a le regret de porter à la connais- sance de la colonie le décès de M. le capitaine Astoin.

» le 10 avril 1867, à Fort-de-France (Martinique), M. le capitaine Astoin entrait à l'Ecole spéciale militaire le 28 octobre 1885. A sa sortie, il était affecté au 61« régiment d'infanterie, et, nommé lieutenant, restait classé au même régiment.

» Promu capitaine le 30 décembre 1896, et affecté, tout d'abord, au 30« de ligne, il passait, le 16 janvier 1899, au 1«' régiment de la légion étran- gère et était désigné, en septembre 1900, pour servir à Madagascar, oii il débarquait le 2 octobre.

» Il y fut nommé au commandement du secteur d'Ambohibé (cercle de Tulear), et s'acquitta, jusqu'au 2 septembre 1901, de ses fonctions admi- nistratives et militaires à la satisfaction de tous.

» Affecté, à cette date, à la compagnie du bataillon étranger, dans le cercle de Fort-Dauphin, le capitaine Astoin prit part, dès son arrivée dans cette région, aux opérations dirigées contre les tribus Antandroy réfrac- taires et fut, le 26 octobre, près d'Ambovombé, atteint à l'abdomen d'un coup de feu tiré par un rebelle du groupe Maroaloka. Il mourut sans ago- nie, le 29 octobre, à Ambovombe, des suites de cette blessure.

» M. le capitaine Astoin était un officier du plus grand mérite; à ses remarquables qualités militaires, à une bravoure à toute épreuve, il joi- gnait une instruction très étendue. Ses chefs l'avaient en haute estime et il était profondément aimé de ses hommes, qu'il traitait toujours avec justice et bonté. »

PÉEIODE d'exécution

167

véritable ardeur à venger leurs officiers, le résultat a été déci- sif. Les groupes Maroalakas et Sévohistra ont été complète- ment disloqués. A la fin des opérations, les deux groupes in- soumis avaient rendu 700 fusils et les groupes douteux voisins 250. Les résultats obtenus ressortent du schéma suivant (1).

Situation acqaise le 1" janviep 1902.

Notre domination a fait un pas sérieux vers l'Ouest et sur- tout le châtiment infligé à ces groupes chez lesquels les Hovas n'avaient jamais pu pénétrer et qui étaient regardés comme les plus guerriers des Ântandroy ont eu une répercussion que j'ai constatée moi-même lors de mon second passage dans le cercle de Fort-Dauphin à la fin de décembre. »

(1) Comparer au croquis (c) à la gauche du volume.

168 DANS LE STJD DE MADAGASCAR

III

OCCUPATION DE LA RÉGION ENTRE LA MANAMBOVO ET LE MAN- DRARÈ ET LIAISON AVEC LE CERCLE DE TULEAR

(DÉCEMBRE 1901 A Mai 1902.)

Au cours (les opérations contre les Antandroy, l'état d'esprit des indigènes avait passé par deux phases.

Au premier moment, la mort de deux de nos officiers et la blessure du commandant Blondlat, ramené à Fort-Dauphin en- core très souffrant, avaient eu une répercussion nettement défavorable à nos intérêts. Comme il arrive toujours en pareil cas, les faits avaient été considérablement grossis par les indi- gènes. Ils s'étaient répété que, puisque trois officiers avaienl été atteints, il devait y avoir eu un nombre de soldats touchés beaucoup plus considérable. Ces incidents avaient été présentés comme un grave échec pour nous. Le bruit s'était répandu d'un soulèvement général des Antandroy qui allaient nous rejeter du pays.

Il y avait eu de nombreux kabary dans ce sens. L'écho m'en était parvenu en décembre jusqu'à Midongy, je me trouvais de passage me rendant dans le cercle de Fort-Dauphin sitôt que j'avais appris la blessure du commandant Blondlat. Dans une des tribus de l'Est, celle des Romeloka, située entre^Ma- nantenina et le pied de la falaise, l'agitation avait failli devenir sérieuse. Des émissaires avaient parcouru la région en exci- tant les Tanosy à suivre l'exemple des Antandroy, leur re- prochant de s'être laissé désarmer et leur démontrant qu'avec les haches dont ils sont tous munis (ils sont presque tous bûche- rons), quelques fusils cachés qu'ils avaient encore et leurs sa- gaies, ils pouvaient avoir raison de nos faibles postes. Le mouvement devait se faire simultanément sur Manantenina, le chef de poste n'avait que quatre miliciens, et sur Ranomafana 400 bourjanes devaient apporter dans le poste du bois de

PÉRIODE d'exécution

construction commandé par le chef du secteur, mais, cette fois, avec les haches cachées sous les lambas pour se rendre

maîtres de la faible garnison. C'est grâce à une conversation surprise par hasard, que le lieutenant Pettelat, chef du secteur,

170 DANS LE SUD DE MADAGASCAK

qui était avec moi dans le massif du Ranofotsy, fut avisé. Ren- dus sur-le-champ à Ranomafana, nous pûmes mettre la main sur les meneurs désignés et nous assurer par leurs aveux que ce programme était de tous points exact. Des mesures immédiates furent prises, quelques garnisons renforcées et toute velléité de mouvement étouffée.

A la seconde phase, au contraire, les faits se sont rétablis, les indigènes ont su qu'en dehors des pertes si cruelles que nous avions faites en la personne de deux officiers d'élite, mais n'en avions eu que très peu dans les opérations contre les Antan- droy; mais, par contre, les pertes infligées à ceux-ci s'am- plifièrent dans les récits indigènes, ainsi que la sévère leçon infligée aux tribus Maroalaka et Sevohistra. Nous avons béné- ficié de la réputation d'inviolabilité que ces tribus avaient con- servée dans le pays depuis que les Hovas n'avaient pu réussir à y pénétrer. Finalement, leur échec avait amené la dissolution de tous les groupes hostiles ou indécis entre le Mandraré et la Manambovo.

L'énergie du commandant Blondlat, remis rapidement sur pied après sa grave blessure, n'y avait pas peu contribué.

Au même moment la soumission du chef Mahafaly Emahazo, dans le cercle de Tulear, dont il sera rendu compte au chapi- tre suivant, apportait un nouvel élément favorable à la situa- tion.

Aussi pouvais-je, de Fort-Dauphin, au commencement de janvier 1902, rendre compte au Général en chef, dans les ter- mes suivants, des résultats acquis pendant le quatrième trimes- tre 1901 :

« Trois faits principaux ont marqué, au point de vue mili- taire, le quatrième trimestre 1901 :

» La fin de la pacification de la zone forestière de l'Est, résultant des dernières opérations du capitaine Mouveaux, dans la région Andrabé, et de la capture d'Andriampanoha dans rikongo par le capitaine Bétrix. Cette pacification a été sanc- tionnée par la suppression du cercle-annexe d'Ifandana et son rattachement à la province de Farafangana, à partir du 1"' jan- vier;

» La progression vers l'Ouest du commandant Blondlat

PÉRIODE d'eXÉCTJTION

171

dans le pays Antandroy et sa marche à la rencontre du cercle de Tulear.

» 3" La soumission d'Emahazo, dans le cercle de Tulear el la dissolution de son groupe.

» Cette situation est indiquée sur la carte 4, qu'il est intéressant de comparer à celle donnant la situation des groupes rebelles en janvier 1901 (1).

; FfAnara.ntsoa.

Schéma 1. Régions insoumises le 1" janvief 1901.

» De la comparaison de ces documents il résulte que la ré- gion impènétrée s'est réduite de plus de moitié, et le pas en avant accompli de ce côté a été sanctionné par la création du poste de Tsimilofo.

(1) Voir les cartes n°» 2, 3 et 4, à la gauche du volume.

d72

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

» Ce poste, en relation avec le poste d'Ampanihy dans le cer- cle de Tulear, a permis d'établir une ligne continue de courriers hebdomadaires entre Fort-Dauphin et Tulear par l'itinéraire Ambovombé-Ankoba-Ampanihy-Ejeda et cette création affirme d'une manière effective la progression de notre occupation dans le Sud.

X F/ a na.ra.nl: s oa

Schéma n" 2. Régions insoumises le 1" ianvieii 1902.

» En résumé, au début de 1901, les emplacements occupés par les groupes insoumis ou indécis présentaient l'aspect d'un ruban circulaire figuré sur le schéma 1 (1) et se trouvent ré- duits au tronçon porté sur le schéma 2.

(1) Page précédente.

rÉRioDE d'exécution 173

» Dès maintenant l'occupation du pays à l'Ouest de la Ma- nanibovo est commencée. Pour la faciliter en divisant le travail, le commandant Blondlat a constitué un nouveau secteur, celui du Faux-Cap, entre la Manambovo et la Menarandra, distinct de celui d'Ambovombé. Le capitaine Vallod, qui le commande, a ob- tenu la soumission du chef Tsimaha, voisin de Tsihombé, et la reddition de 153 fusils.

» La création du poste de Tsimilofo presse cette zone par le Nord (1). La zone impénétrée commence donc à être sérieuse- ment entamée par le capitaine Vallod à l'Est et par le ca- pitaine Vacher au Nord. Au moment cette progression ap- prochera de la Menarandra, il y aura une période délicate pour déterminer les groupements qui ressortent de l'influence du chef Tsiampondy, dépendant du cercle de Tulear, et pour dé- limiter nettement les champs d'action des deux cercles de Tu- lear et de Fort-Dauphin. »

La situation étant donc devenue plus nette à l'Est de la Ma- nambovo, je fus en mesure, pendant mon dernier séjour dans le cercle de Fort-Dauphin, en décembre 1901 -janvier 1902, de déterminer avec le commandant Blondlat les mesures à prendre pour sa dernière période d'action militaire, la prise de possession du pays à l'Ouest de la Manambovo et la liai- son effective avec le cercle de Tulear.

Je décidai que cette liaison devait se faire, non plus en conti- nuant notre progression vers l'Ouest comme cela avait eu lieu jusqu'ici; je craignais en effet de nous heurter à de nouveaux groupes Antandroys solidement armés et retranchés dans leurs cactus, qui pouvaient nous infliger de nouvelles pertes; il fallait les éviter à tout prix, non seulement à cause du premier devoir de ménager la vie de nos officiers et de nos hommes, mais aussi à cause du retentissement qu'elles ont sur les indigènes.

J'estimais qu'il était préférable au contraire de la reprendre par le Nord en se prolongeant vers le Sud sur la rive gauche de la Menarandra et en partant de la base du poste de Bekitro. Nous nous avancions ainsi dans un pays plus découvert en y bénéficiant de la présence de groupements soumis à l'influence

(1) Carte 4.

174 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

de Tsiampondy et qui, par suite, nous étaient déjà acquis dans une certaine mesure; je jugeais que ce jalonnement de la vallée de la Menarandra jusqu'à la mer, auquel participeraient des officiers et des troupes du cercle de Tulear, aurait pour résultat d'isoler complètement le dernier groupe Antandroy impénétré et par suite d'arriver peut-être à sa réduction sans coups de fusil. J'ai dit en effet précédemment que l'expérience de la guerre coloniale enseigne que tout mouvement de revers et toute ac- tion concentrique exercent un effet presque infaillible sur les indigènes.

Les faits ont justifié ces prévisions.

Cette liaison avec le cercle de Tulear et la prise en main de la région restée douteuse entre les deux cercles avaient d'ailleurs été engagées déjà par une série de mesures préparatoires.

C'est ainsi qu'au mois d'octobre j'avais rattaché au cercle de Fort-Dauphin les régions d'Isoanala-Bekily dépendant du cercle de Tulear (1). Cette rectification de frontière avait eu pour objet de mettre dans la même main toutes les régions sur lesquelles s'étendaient les incursions à main armée des Antandroy voleurs de bœufs et tous les postes ayant pour mission la surveillance et la répression de ces incursions. Le but était de faire une affectation aussi nette que possible d'une part à la province de Tulear des régions pacifiées, de l'autre à la province de Fort-Dauphin de celles oii il y avait encore une action militaire à exercer, de façon que lorsque la pro- vince de Tulear passerait à l'administration civile elle fût en- tièrement dégagée de toutes préoccupations militaires et que celles-ci fussent exclusivement réservées au cercle de Fort- Dauphin, destiné à rester encore sous le régime du commande- ment.

C'est ainsi également qu'avait été créé, à la date du 4 octo- bre, le poste de Tsimilofo dont le rôle ressort nettement des considérants de l'ordre établi pour sa création par le comman- dant Blondlat :

Le poste de Tsimilofo est créé à la date du 4 octobre et dépend du secteur de Tsivory. Il est commandé par le lieutenant Gayda. Il a pour objet :

(1) Voir la carte 3, à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution 175

De prolonger vers le Sud et vers l'Ouest l'action de Bekitro et d'Ankoba ;

De rendre effective la soumission des tribus des Antema- nantsa, des Milalié et des Antehodo ;

D'assurer la liaison avec le cercle de Tulear par le poste d'Ampaniliy avec lequel il se tiendra en relations constantes et à qui il communiquera tous les renseignements intéressants ;

D'amorcer les progrès ultérieurs de la progression dans le Sud-Ouest.

Dès lors, cette action vers le Sud se continuera sans interrup- tion. Le lieutenant Gayda, poussant devant lui, se heurte à la tribu des Afondrahosa dont le chef lui refuse obéissance en déclarant qu'il allait se joindre aux Antehodo dont nous avions peur et s'oppose à sa marche. Un engagement livré le 15 jan- vier 1902, oiî les Afondraliosa laissèrent 9 hommes sur le terrain et perdirent 256 têtes de bétail, en eut raison.

En mars, la saison des pluies ayant fait constater que les crues de la Manambovo, absolument à sec pendant la pl'is grande partie de l'année, empêchaient par contre, pendant cette saison, toute action du poste d'Ankoba sur la rive droite, ce poste était déplacé et reporté au Sud-Ouest à Montovohitsy, qui était mis immédiatement en relation avec Tsimilofo.

Le poste d'Ankoba devenait alors un simple blockhaus jalon- nant la ligne de ravitaillement.

Le nouveau poste était mis sous les ordres du lieutenant Libersart (1); son action sur les tribus voisines avait pour résul- tat immédiat d'étendre la partie acquise au 1*' avril (2).

Le 5 avril, le commandant Blondlat se rendait lui-même à Tsimilofo, prenait rendez-vous sur la Ménarandra avec les offi- ciers que j'avais prescrit au commandant du cercle de Tulear d'y déléguer de son côté, le capitaine Savy, son adjoint et le capitaine Bourgeron, commandant le secteur Mahafaly. Le chef Maliafaly Tsiampondy s'y trouvait lui-même.

D'un commun accord on reconnaissait sur place l'emplace-

(1) Mis à la disposition du cercle de Fort-Dauphin après la pacification do la zone forestière, ainsi que troia autres officiers, suivant le principe adopté de concentrer successivement tout l'effort sur une seule région du Sud en y portant toutes les ressources disponibles en officiers, effec- tifs, etc.

(2) Voir le croquis page suivante.

176

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ment de tous les groupements Mahafaly établis sur la rive Est de la Ménarandra et relevant traditionnellement de l'autorité de Tsiampondy. Ce chef étant en effet notre plus solide point d'appui dans le pays Mahafaly et devant, dans nos prévisions, nous aider à y établir ultérieurement un régime de protectorat analogue à celui d'Impoinimérina chez les Baras, il y avait intérêt à éviter toute mesure pouvant nous l'aliéner et risquant de diminuer vis-à-vis des populations son autorité que nous n'avions qu'avantage à utiliser.

Situation le 1" avcll 1902.

La frontière entre les cercles de Tulear et de Fort-Dauphin, c'est-à-dire entre les tribus de race Mahafaly et celles de race Antandroy, qui jusqu'alors, à cause de l'enchevêtrement de ces tribus, était restée assez indécise et vaguement fixée à la vallée de la Ménarandra, était ainsi déterminée sur le ter- rain. Comme sanction, la création de deux postes était décidée: l'un à Beloha, prolongeant vers le Sud l'action de Tsimilofo;

PÉRIODE d'eXÉCUTIOX 177

l'autre, en face, dépendant du cercle de Tulear, à la lisière des groupements Mahaialy, aussi bien pour assurer la liaison effec- tive des deux cercles et faciliter entre eux la tranmission des communications que pour assurer une police serrée sur les confins entre Mahafaly et Antandroy toujours disposés à en venir aux mains.

Enfin le capitaine Vallod était chargé de préparer la création d'un dernier poste au Sud, vers Ankemaka, destiné à terminer le jalonnement jusqu'à la mer et à achever ainsi l'investisse- ment par l'Ouest des derniers groupements côtiers Antandroy restés douteux.

Le commandant Blondlat rendait ainsi compte, le 3 mai 1902, des résultats obtenus dans cette dernière période :

Dans la bande de terrain récemment acquise les postes ne sont distants que de six heures en moyenne; leur création n'a précédé que de fort peu en général, même elle a suivi parfois, l'établisse- niicnt de bonnes routes charretières. La façon dont nous avons procédé pour occuper cette dernière zone permet donc d'espérer sérieusement que nous n'aurons plus à vaincre de résistance à beaucoup près aussi énergique que celle des Antandroy d'Am- bovombé, les populations de l'Extrême-Ouest Androy, prises dans un réseau si serré de postes bien reliés entre eux, ne pou- vant nous résister.

Quant à la bande de terrain encore im pénétrée, le capitaine Tallod recherche dès maintenant, conformément à mes instruc- tions, l'emplacement d'un poste à créer dans la région d'Anko- maka ; je compte l'installer très prochainement et achever ainsi la pénétration de l'Androy.

Paciûcation. Les résultats sont plus considérables encore au point de viie de la pacification qu'au point de vue de la péné- tration, en raison de l'obligation que je me suis assignée de con- solider notre œuvre en arrière avant d'aller plus loin. Par pacifi- cation j'entends : tranquillité et sécurité du pays ; soumission à notre volonté; désarmement; paiement de l'impôt; recensement.

Tranquillité et sécurité du pays. L'année dernière, à pareille époque, les vols de bœufs et les assassinats étaient encore très fréquents; les Antemanantsas, le chef Ghiko des Analavé, les Analavondrové, pour ne citer que quelques-uns des groupes les plus turbulents, pillaient leurs voisins dès que l'occasion s'en présentait; les routes n'étaient rien moins que sûres, aussi n'y avait-il à peu près aucun commerçant établi près de nos postes. Encore en septembre, mêmie fortement escorté, l'on ne pouvait Madagascar. 12

178 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

pas aller d'Ambovombé à Ankoba sans difficultés. Aujourd'hui plus rien de tout cela : il n'est à peu près plus question de vols de bœufs ni d'assassinats; en tout cas, ce ne sont plus que des attentats individuels et sans importance. Auprès de chacun de nos postes sont établis plusieurs commerçants (Créoles, Hovas, Betsiléos, Indiens).

Au cours de mon dernier voj^age, j'ai rencontré en plein pays Antemanantsa des commerçants hovas qui se rendaient de Bel^tro à Tsimilofo sans même une sag'aie à la main. Les lieute- nants commandant les districts d'Ambovombé et d'Antanimora se promènent dans leur district avec des escortes de six à huit tirailleurs.

Soumission à notre volonté. Il y a un an, il était à peu près impossible d'obtenir les bourjanes dont nous avions besoin; au- jourd'hui cela ne souffre plus de difficultés. La construction des routes charretières nécessitait des kabary interminables, des menaces et des pressions armées; quand j'ai décidé récemment de créer un poste à Beloha, j'ai prescrit au capitaine Vallod de se rendre à ce point; à son passage du 15 au 20 mars, il donna aux populations l'ordre de faire la route Montovohistra-Beloha et d'apporter les matériaux nécessaires à la construction du poste; à mon passage, un mois après, tous les travaux étaient terminés et soigneusement exécutés.

DésaTinement. Le lieutenant Connen me disait à mon der- nier passage à Antanimora qu'en septembre dernier le fait seul de parler de désarmement aurait amené un soulèvement. Du 1" octobre au l""" avril, nous avons enlevé 4.4^25 fusils aux An- tajidroy, sans protestations sérieuses de leur part.

Je calcule le nombre de fusils dont ils disposent de la façon suivante :

L'Androy doit contenir une population totale de 125.000 ha- bitants environ, il faut compter un homme adulte pour 3,4 ha- bitants. La population masculine adulte s'élève donc à environ 37.000. Or, on compte en Androy un fusil pour trois hommes; les Antandroys pvaient donc environ 12 à 15.000 fusils dont nous leur avons enlevé le tiers environ. Je saisis toute occasion pour leur en enlever d'autres, soit sous forme d'amende, soit même provisoirement comme perception d'impôts, ce qui n'est sans doute pas rémunérateur pour le Trésor, mais réalise une écono- mie autrement importante d'opérations militaires et de mouve- ments de troupes. Je pense qu'ainsi, à la fin de 1902, le désar- mement sera virtuellement terminé. En tout cas, on ne voit plus en Androy les gens se promener avec le fusil sur l'épaule.

Paiement de l'impôt. L'année dernière, le secteur d'Am- bovombé a recueilli par la force 9.000 francs environ ; c'est d'ailleurs cette question qui a été la cause finale et déterminante

PÉRIODE d'exécution 170

du mouvement insurrectionnel d'octobre ; le secteur du Faux- Cap n'avait rien perçu. Cette année, tous les groupes Antandroys sont venus au premier appel payer l'impôt qui est perçu en na- ture et collectivement par groupe. Je compte percevoir en bœufs une recette de 40 à 50.000 francs environ.

Je suis assuré que l'année prochaine l'impôt sera payé indi- viduellement et en argent par tous les Antandroy,

Recensement. Les Antandroy s'y soumettent avec un© bonne volonté surprenante.

En résumé, je crois que la question Antandroy est virtuelle- ment résolue et qu'elle le sera eft'ectivemjent d'ici peu; il ne se produira d'incidents, s'il s'en produit, que dans la bande étroite encore impénétrée, mais ce ne seront, je pense, que des incidents partiels et sans importance; d'ailleurs, la création prochaine d'un poste dans la région d'Ankomaka rendra encore plus im- probables ces incidents mêmes.

Tels sont les résultats que j'ai constatés au cours de ma der- nière tournée en Androy.

Ils ont été si soudains et si complets, que, si j'avais en face de moi une population unie et compacte (comme les Hova par exemple), je me méfierais et j'envisagerais l'éventualité d'avoir prochainement affaire à un soulèvement général, les indigènes simulant la soumission afin d'endormir notre confiance et de se préparer à un nouvel effort; mais avec les Antandroy divisés en groupes, sous-groupes, poussière de groupes, ennemis les uns des autres, cela n'est pas à redouter.

Dans un autre document, répondant à ma préoccupation de chercher les bases d'une organisation indigène, le commandant Blondlat m'écrivait vers la même date :

Je n'ai pas gi-and espoir de trouver un chef indigène à qui nous puissions confier une autorité analogue à celle dont jouis- sent Tsiampondy et les autres chefs protégés du cercle de Tulear. Mais nous procédons comme dans les secteurs de l'Est déjà paci- fiés, où, après avoir désarmé les chefs qui pouvaient nous être les plus utiles, nous les avons élevés petit à petit à une situation prépondérante ; les autres chefs commencent à passer par leur intermédiaire pour venir à nous, llatsifolahina à Beharo; Be- Icafo à Ambovombé; Tsikondro à Antanimora; Vokiando à Tsi- hombé sont déjà reconnus comme vrais chefs indigènes et sont de bons auxiliaires.

Le désarmement opéré, la reconnaissance du pays et le recen- sement terminés, le principe de l'impôt admis, des chefs choisis et poussés au premier rang, nous pourrons diminuer comme nous l'avons fait dans la partie Est du cercle le nombre et les efîctifs des postes.

iSO DANS LE SUD DE MADAGASCAR

* *

Lors de la suppression du commandement supérieur du Sud, le 10 mai, on pouvait donc dans l'ensemble du cercle de Fort- Dauphin considérer l'occupation comme achevée et les bases de l'organisation comme fixées.

Le point essentiel, la liaison avec le cercle de Tulear, était résolu. On pouvait envisager la réduction prochaine du nom- bre des postes et la réduction de l'occupation militaire, ce qui est le but auquel il est le plus constamment désirable d'attein- dre.

Mais il n'en faut pas conclure qu'il n'y aura plus d'incidents. Le 19 mai, un sergent a été encore blessé d'un coup de feu au sud d'Ambondro. Il se produira certainement d'autres faits analogues. Dans un pays aussi difficile, on est toujours à la merci d'un coup de feu isolé. Ainsi que l'écrivait au mois de janvier un des commandants de secteur les plus expérimentés, le capitaine Vacher :

Il n'y a aucun doute à avoir sur la durée de notre tâche à l'égard d'une population aussi impulsive que versatile, soumise à toutes les influences, dont un kabary, un songe, ou le résultat d'un horoscope peuvent modifiier les dispositions en quelque? heures.

Ces incidents sont surtout à redouter tant que le désarme- ment ne sera pas complet. Il est en effet extrêmement difficile d'empêcher le ravitaillement en poudre de ces tribus côtières. Tandis qu'il a été relativement facile d'isoler à l'Est de l'Ile la zone forestière, ici il est à peu près impossible, sur la vaste étendue de côte qui s'étend du cap Sainte-Marie à Tulear, d'exercer une surveillance complète et effective. Toutefois, il est, je crois, possible d'affirmer que ces faits resteront isolés, à peu près individuels, et qu'il n'y subsiste plus de groupement assez sérieux pour mettre en péril comme précédemment les régions pacifiées. C'est par celles-ci avec l'introduction croissante do nos produits, de nos tissus, de notre pacotille, se créent de jour en jour de nouveaux besoins (nos meilleurs auxiliaires), que se propagera dans les régions nouvellement acquises la pénétration économique et sociale qui est la plus efficace et la plus durable.

CHAPITRE m

ACTION DANS LE CERCLE DE TULEAR

I. Situation d'avril à juillet 1901. H. Action chez les Mahafaly et dis- location du groupe d'Emahazo : août 1901 è février 1902, III. Action contre Refotaka et sa soumission : février à mai 1902.

SITUATION D'AVRIL A JUILLET 1901 (D

Nous avons laissé le cercle de Tulear au mois d'avril 1901, époque à laquelle le commandant Lucciardi, appelé aux fonc-

Impoinimerina, chef des Bafa-Imamono.

lions de chef d'état-major du corps d'occupation, en avait remis le commandement au lieutenant-colonel Lavoisot.

(1) Suivre sur le croquis (/"), à la gauche du volume.

182 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

A la même date, ce cercle s'était considérablement étendu par suite de la dislocation du cercle des Baras dont il acquérait les secteurs de Bétroka et d'Ihosy. Il recevait ainsi comme limite orientale la chaîne de partage de l'Ile et comprenait toute la zone dépendant géographiquement de la côte Ouest.

A ce moment, la situation y était la suivante. Toute la région au Nord et sur les rives de l'Onihaly, entièrement pacifiée, s'or- ganisait sous un régime se rapprochant du protectorat. Au Sud de l'Onihaly, dans le pays Mahafaly, ne subsistaient plus que deux groupements constitués nettement hostiles : celui de Refotaka, ancien chef héréditaire qui n'avait jamais accepté notre domination, exerçait encore dans le pays une influence occulte, mais sérieuse, et gravitait avec ses partisans dans la zone située entre Ejeda-Betioky d'une part et la mer de l'autre; celui d'Emahazo, à l'Ouest de la basse Linta. Notre politique était d'y prendre comme point d'appui le chef le plus influent, Tsiampondy, dont l'attitude était restée jusque-là assez flottante. L'action militaire à envisager dans ce cercle, très différente de celle engagée à l'Est et au Sud, était donc aussi réduite que possible. Il s'agissait simplement de se débarrasser des deux noyaux insoumis, de nettoyer ainsi complètement le pays Ma- hafaly et de se relier alors effectivement au cercle de Fort- Dauphin en reconnaissant sur place et en déterminant la fron- tière commune.

Chose singulière, cette tâche, qui semblait si simple comparée à celle des autres cercles, fut la plus longue à réaliser et ce ne fut qu'aux derniers jours de mon commandement, en mai 1902, que la situation commença à s'éclaircir.

La question n'avait pas fait un pas depuis trois mois, quand, en juillet 1901, traversant le pays Mahafaly en venant de Fort- Dauphin, je réunis à Ejeda le 19 juillet avec le commandant du cercle et le nouveau commandant de secteur, capitaine Du- halde, les principaux chefs Mahafaly, Tsiampondy, Voriandro, Tsibasy et Tsiveranga.

Cette situation doit être attribuée pour la plus grande part aux tergiversations de Tsiampondy. L'intérêt de faire de ce chef influent le pivot de notre politique Mahafaly, de nous appuyer sur lui pour avoir raison des rebelles voisins, était si grand à nos yeux qu'il exigeait à son égard des ménagements particu- liers. Les événements ont du reste justiflé cette manière de

PÉRIODE d'exécution 183

procéder puisque, sans avoir à employer la force contre lui, nous l'avons amené finalement à nous prêter son appui pour avoir raison des chefs rebelles Emahazo et Refotaka.

Mais, pour le moment, nous n'en étions pas encore. Tsiam- pondy ne se rendit à mon appel qu'entouré d'un appareil impo- sant et escorté de près de 2.000 guerriers bien armés, qui éta- blirent militairement leur campement à peu de distance du nôtre. Il cherchait évidemment à faire parade de sa force et se présentait beaucoup plus en allié bénévole qu'en vassal soumis. Le dernier rapport du commandant du cercle s'exprimait ainsi à son égard :

Tsiamponrly échappe complètement à notre action. Invité, lors de l'arrivée du capitaine commandant le secteur, à se pré- senter à Androka pour faire sa connaissance, il n'a pas daig'né se déranger. Tout en se disant l'ami des blancs, il nje fait que ce qu'il veut. Quant aux autres chefs convoqués à Androka, ils ne se sont pas présentés,

A la suite d'un séjour à Tongobory et d'une reconnaissance de la vallée de l'Onilahy, j'avais les éléments nécessaires pour présenter au Général en chef à son passage à Tulear, au com- mencement d'août 1901, la situation du cercle et les mesures à y prendre.

Elles se résumaient ainsi :

Le cercle de Tulear se divise nettement en deux régions sépa- rées par l'Onilahy.

Au Nord de l'Onilahy : un régime procédant du protectorat s'organise et réussit dans le secteur des Bara-Imamono avec le chef Impoinimerina dans les secteurs Masikoro (Ambohibé et Tulear) avec les chefs Lahiabo et Rebiby, ainsi que dans les secteurs Tanosy, il conviendrait néanmoins de chercher à remplacer les chefs actuels par un chef unique. 11 faut tendre à agglomérer au secteur des Bara-Imamono le groupe des Bara-Bé (secteur d'Ihosy) dont le chef Inapaka, l'ancien fau- teur de l'insurrection du Vohingezo, est peu intelligent et mal en main. Le secteur de Betroka, de population peu dense, ne comporte pas de groupement constitué important; c'est un pays de parcours pour des gens venant soit de la zone fores- tière de l'Est, soit du Sud, et il faut surtout exercer une police vigilante.

Toute cette zone est pacifiée; il reste à y surveiller Inapaka,

184 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

toujours disposé à échapper à la main, et également les popula- tions riveraines du Mangoky, dont les attaches ou les rivalités avec les Sakalaves de la rive droite amènent de fréquents inci- dents. Au Sud de l'Onilahy :

La bande riveraine dépend du secteur de Tongobory.

Tout en étant soumises en apparence, les populations subis- sent l'influence du chef Refotaka, ancien mpanjaka (1) de la fa- mille royale à laquelle appartiennent Tsiampondy et les autres chefs. Il nous a fait autrefois une soumission de très courte durée, mais a repris la brousse aussitôt, a refusé tout contact avec nous malgré les nombreuses avances qui lui ont été faites. Il n'a avec lui qu'un petit noyau de fidèles, mais en réalité, comme Andriampanoha dans l'Ikongo, il dispose de la compli- cité occulte de toute la population, sur laquelle il exerce une influence le prestige de race et la superstition entrent pour une grande part ; il s'appuie principalement sur les éléments Mahafaly de cette, zone et aussi sur les éléments Bara de la vallée de lOnilahy; il terrorise les groupements paisibles et signale son apparition par des enlèvements de bœufs et d'en- fants; il ne menace d'ailleurs ni nos postes, ni nos convois, mais il reste insaisissable, se déplaçant avec une extrême mobihté et trouvant toujours dans la population un appui qu'elle lui donne, soit par complicité, soit par peur. En somme, il est très gênant. Il empêche de donner à cette région fertile et paisible de l'Onilahy le développement qu'elle comporte et y ôte toute sécurité à des populations qui ne demandent qu'à y'cultiver en paix. En outre, il constitue un noyau permanent qui, faible aujourd'hui, peut se grossir à la première occasion et nous causer de sérieux embarras. Le capitaine commandant le sec- teur de Tongobory, dont il dépend, a reçu comme instructions de regarder la solution de cette question comme son premier objectif, d'y appliquer tous ses moyens militaires et pohtiques par la méthode d'action concentrique et de subdivision des responsabilités, qui a été appliquée dans l'Est et dans le Sud et dont j'ai exposé les principes au commandant du cercle.

Au Sud, dans le pays exclusivement Mahafaly, j'ai trouvé quatre chefs principaux: Tsiampondy, Voriandro, Tsibasy et Tsi- vérenga (ce dernier récemment soumis), parmi lesquels Tsiam- pondy a de beaucoup le plus d'autorité et de sujets. Les autres, du reste, subissent implicitement son influence. Tsiampondy, malgré l'adhésion publique qu'il nous donne, se considère tou- jours comme un allié bénévole et non comme un vassal. Il est encore flottant et on sent qu'il ne faudrait pas grand'chose pour

(1) Chef héréditaire, roi.

PÉRIODE d'exécution 185

le jeter du mauvais côté. Il est influençable. 11 subit d'une part les avis de deux mauvais conseillers indigènes, et, d'autre part, les bons avis d'un traitant, M. Speyer, établi à Ampalaza, dans le pays depuis douze ans et qui nous seconde très efflcacement. Outre ces quatre chefs principaux, il y a sur la rive droite de la Linta un rebelle déclaré, Emahazo, qui groupe autour de lui tous les mécontents. Il n'a pas le prestige ni l'autorité morale de Uefotaka, mais, comme lui, il forme le noyau d'un groupe- ment de force variable, se signale par des actes de brigandage à grande distance et peut devenir un embarras sérieux. Il est du reste difficile de discerner la mesure dans laquelle Tsiam- pondy est ou n'est pas en relation avec lui, entrave ou facilite son action. En tout cas, tant que ces deux groupements ne se- ront pas dissous, et tant qu'on n'aura pas mis la main sur ces deux chefs rebelles, il est impossible de regarder comme acquis, non seulement le pays, mais même les régions voisines dans le rayon assez étendu peuvent se porter leurs agressions; la sécurité y reste toujours précaire et à la merci d'un coup de main et la circulation ne peut s'y faire que sous bonne escorte avec l'appareil militaire. Il faut ajouter que, sans être aussi dif- ficile que la région Antandroy, l'aspect en est le même : c'est toujours la forêt de cactus, moins touffus, plus clairsemés, mais offrant de nombreux abris; la rareté des points d'eau, dont plu- sieurs nous sont inconnus, y complique encore notre action.

Toutes les questions au Nord étant résolues et l'organisation créée par le commandant Lucciardi y donnant dès maintenant ses résultats, le moment est venu de prendre définitivement en main avec le pays Mahafaly. Je juge que notre action doit y avoir comme base l'influence de Tsiampondy à qui il faut à la fois imposer notre autorité sans contestation tout en renforçant la sienne sur tout le pays Mahafaly. J'estime que la meilleure manière de procéder est d'aller s'installer chez lui-même en créant un poste au cœur même du pays près de sa résidence. Ce sera le siège du chef du secteur qui le surveillera et le diri- gera tout en l'appuyant. Je crois, en effet, que la seule manière de mettre un grand chef indigène dans notre main, c'est de s'installer auprès de lui, de lui imposer notre contact qui peu à peu le façonne à notre régime et lui ouvre des horizons in- soupçonnés. C'est ce qui s'est produit pour Impoinimerina, et je suis porté à croire que c'est ce qui se produira pour Tsiam- pondy. Nous avions d'abord envisagé le procédé d'investis- sement : isoler les Mahafaly par une ceinture de postes empê- chant les incursions dans les parties pacifiées et leur imposant « un blocus » économique qui les amenât forcément, un jour ou l'autre, à demander notre entremise. Mais, après avoir parcouru le pays, je suis convaincu que cet investissement serait pure- ment théorique comme toutes les « nvurailles de Chine », et que la meilleure des solutions c'est encore de s'installer en plein cœur

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

du pays douteux. C'est aussi la moins onéreuse, car très rapi- dement le poste central établi auprès du chef l'este le seul né- cessaire et l'on peut supprimer les postes secondaires.

J'ai d'abord établi dans le pays l'unité de direction en subor- donnant au capitaine Duhalde, commandant le secteur, le capi- taine Chapuis, résidant à Ejeda, la situation était mal défmie entre les secteurs de Tongoborx- et Mahafaly. Ejeda devient le centre d'un district nettement délimité correspondant aux grou- pes dépendant des chefs Tsibasy et Tsiverenga.

Un district constitué à x\ndroka, sous le commandement du lieutenant Contet, dont relèvera un sous-district à Itampolo sous les ordres de l'adjudant Lavenat, exercera l'action directe sur le groupe rebelle d'Emahazo, dont il englobera la zone d'installations habituelles. Enfm, le capitaine Duhalde, comman- dant le secteur, ayant avec lui le lieutenant Laroque, comman- dera directement le district comprenant les domaines de Tsiam- pondy et de Voriandro. Par Tsiampondy, auprès duquel il va re- chercher l'emplacement d'un poste, il exercera l'action centrale et directrice. En même temps il se maintiendra en relation con- stante avec le cercle de Fort-Dauphin, de manière à seconder la progression des capitaines Vacher et Vallod le long de la Mena- randra, et en s'inspirant du principe que j'ai posé dans les ter- mes suivants :

Je tiens avant tout à ce que Vaction sur les deux rives de la Menarandra soit constamment liée et à ce qu'il y ait identité absolue de politique et de procédés. Il importe que les indigènes sentent bien qu'il n'y a qu'une domination, une méthode, et qu'il ne leur vienne pas l'idée que nous épousons leurs querelles de clocher et quils peuvent se couvrir d'un chef de secteur en passant chez l'autre, tout en constatant néanmoins que nous défendons leurs intérêts. C'est une question de doigté et de mesure.

En ce qui concerne la manière d'envisager le rôle des postes vis-à-vis de ces populations encore si éloignées de nous et si méfiantes à notre égard, je l'ai tracé ainsi dans mes instruc- tions :

Ne pas perdre de vue que la sanction la plus certaine de la pacification définitive, c'est la reprise de confiance des indigè- nes à notre égard et à l'égard de nos traitants, la reprise du commerce, de l'exportation du caoutchouc, la pénétration de nos produits, le bon accord de nos tirailleurs avec la popula- tion ; en arriver en un mot à ce que nos postes deviennent des centres d'attraction et non des pôles de répulsion. C'est ce qui s'est produit dans la zone forestière et dans l'Est du cercle de Fort-Dauphin, les populations, à mesure de leur soumission, viennent s'agglomérer autour de nos postes qui se transforment ainsi rapidement en marchés.

PÉEIODE d'exécution 187

II

ACTION CHEZ LES MAHAFALY ET DISLOCATION DU GROUPE D'EMAHAZO

(AOXTT 1901 A FÉVRIER 1902.)

Le capitaine Duhalde, chargé du secteur Maliafaly, se con- formait entièrement à l'esprit de ces instructions. A dater du mois d'août son activité s'exerça sans interruption avec une méthode rigoureuse et aboutit à livrer en mars 1902, au mo- ment de son départ, une situation à peu près nette dans le pays confié à son commandement.

Il choisit pour emplacement du siège du secteur Ampanihy, à trois quarts d'heure de la résidence de Tsiampondy; ce poste fut installé le 27 septembre avec 60 fusils. Tsiampondy prit l'habitude d'y venir régulièrement, d'en recevoir la direction, et son attitude commença à se modifier. Il mit sans aucune diffi- culté à notre disposition les moyens nécessaires à la construc- tion du poste d'Ampanihy et à l'établissement d'une route char- retière reliant ce poste à Ampalaza et permettant de le ravitail- ler pan la mer.

En même temps, la sécurité de la zone indécise entre les deux cercles de Tulear et de Fort-Dauphin sur la haute Mena- randra et la confiance en notre protection des populations pa- cifiques se trouvaient affermies par deux opérations exécutées par le capitaine Chapuis, commandant le district d'Ejeda :

L'une, à la fin de juillet, avec le concours du capitaine Va- cher, venant du cercle de Fort-Dauphin, atteignait les Ante- sambaka qui venaient d'attaquer et de piller les Mahafaly, et leur reprenait 1.100 têtes de bœufs dans un engagement qui coûtait 16 hommes à nos adversaires;

L'autre, dirigée contre les Antemamintsy qui venaient de piller aux abords de l'Onilahy et d'assassiner le courrier entre Bekily et Ejeda, les atteignait le 19 septembre, leur tuait leur

188 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

chef Emara et leur reprenait 250 bœufs volés. Les communi- cations entre Bekily et Ejeda étaient dégagées et aucune agres- sion ne s'est plus produite de ce côté depuis lors.

D'autre part, le lieutenant Gontet entamait par la côte l'ac- tion contre Emahazo.

Il commençait par l'isoler entièrement de la côte en se débar- rassant de son complice Masindabo, chef du groupement d'Ant- sahara (1), qui était tué le 8 septembre dans un engagement et sa bande mise en fuite en nous abandonnant une centaine de bœufs volés.

Le 22 octobre, c'était le tour de Vaovelo, chef d'Antanane- hanto, qui venait rendre 30 fusils au poste d'Itampolo.

En novembre, la tribu des Antevelo jusque-là inféodée à Emahazo se soumettait à Androka en livrant Esadriaka, pro- pre frère d'Emahazo.

Dès lors, commençait contre Emahazo lui-même une chasse pied à pied.

Le 9 décembre, il était délogé d'un de ses repaires à la suite d'un engagement qui lui coûtait 6 tués. Le lieutenant Contet, ne perdant plus sa trace, le délogeait à nouveau à la fin du mois.

En janvier 1902, Emahazo, traqué sans relâche, commen- çait des pourparlers qui aboutissaient le 6 février à sa soumis- sion. Le capitaine Duhalde en rendait compte de la façon sui- vante, qui fait ressortir de quelles difficultés et de quelles complications sont entourées les prises de contact personnel avec ces insoumis :

J'avais établi mon bivouac à Bezava, le 3 février.

Le 5 février au soir, les émissaires envoyés auprès d'Emahazo revenaient m'apportant comme gage de la véracité de leurs paroles la sagaie de ce dernier avec des promesses de soumission, mais, sous prétexte que la Linta était grosse, Emahazo disait nje pouvoir venir me trouver. Je renvoyai immédiatement les émissaires avec mission de dire à Emahazo que je l'attendais jusqu'au lendemain soir, 6 février, et que, s'il n'était pas vienu à cette date, je quitterais Bezava le lendemain matin et que les hostilités commenceraient de suite.

Enfin, le 6 à 6 heures du soir, Repitetsy et Masindalesy arri- vèrent m'annonçant qu'Emahazo était avec une partie de ses partisans à quelque distance dans la brousse, mais qu'il avait

(1) Voir le croquis (f) à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exécution 189

peur de se présenter au bivouac, que les Sénégalais l'effrayaient et qu'il me demandait de me rendre seul avec M. Speyer au- devant de lui. Je lui fis répondre que j'irais au-devant de lui avec M. Speyer et sans armes, que je ferais la moitié du trajet, qu'il devait faire le reste. Comme il avait été convenu, je rendis avec M. Speyer, sans armes, à la distance indiquée. Ema- hazo sortit alors d'un fourré avec douze de ses partisans. Il vint nous trouver : je lui dis qu'il avait ma parole, que sa vie serait respectée, que nous venions sans armes au-devant de lui qui était armé, qu'il devait nous témoigner autant de confiance que nous en montrions, et qu'il ne devait pas craindre de se rendre à mon bivouac. Comme il était déjà tard, je remis au lendemain de traiter des conditions qui lui seraient faites.

Emahazo était venu avec son oncle Kélimasy, sa femme, un de ses fils et onze de ses partisans.'

Dans un long kabary fait le 7 février au matin, il fut con- venu :

V Qu'Emabazo remettrait au poste d'Androka les fusils qui lui restaient ;

Que le reste de ses partisans se rendrait à Androka avec Kélimasy pour y faire leur soumission ;

Qu'il s'installerait au village de Sardona à trois heures à l'Est d'Androka ;

Qu'il irait une fois par semaine se présenter au poste d'An- droka ;

Que le troupeau qui lui avait été enlevé par les Antémi- labè resterait acquis à ces derniers, mais que, ne voulant le lais- ser dépourvu de tout, le capitaine commandant le secteur lui donnerait 60 têtes de bétail qui étaient la propriété de l'Etat et ne provenaient pas de vols ;

Que toutes les anciennes affaires seraient considérées com- me terminées et ne seraient reprises d'aucun côté ;

Que comme preuve de soumission, il accompagnerait le capitaine au chef-lieu du secteur à Ampanihy.

Emahazo est venu à Ampanihy il est encore en ce mo- ment. Il se montre très confiant et s'est proposé pour diriger nos reconnaissances partout besoin serait.

Au commencement de février 1902, grâce à l'impulsion vi- goureuse et méthodique donnée par le capitaine Duhalde dans le secteur Mahafaly, tout groupement rebelle constitué y avait donc disparu. Remplacé à cette date dans son commandement, pour cause de fin de séjour, par le capitaine Bourgeron, il a été dit au chapitre précédent comment cet officier, accompagné de Tsiampondy, avait procédé en avril à la liaison effective avec

190 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

le cercle de Fort-Dauphin, tout le long de la vallée de la Me- narandra jusqu'à la mer.

Néanmoins, si les groupements constitués ont été disloqués, il reste dans le pays Mahafaly trop d'éléments réfractaires, la soumission des chefs y est encore trop récente et par consé- quent trop précaire, pour qu'il ne faille pas s'attendre pendant quelque temps encore à y voir renaître des foyers d'incendie partiels et s'y produire des incidents.

III

ACTION CONTRE REFOTAKA ET SA SOUMISSION

FÉVRIER A Mai 1902.

Par contre, au Nord de la limite du secteur Mahafaly, les questions restées en suspens n'étaient pas résolues, au con- traire. Bien que le chef Refotaka m'eût été signalé k mon pas- sage, au mois de juillet, comme devant être amené à se sou- mettre à bref délai, aucun résultat n'avait encore été atteint.

Dès le 15 novembre 1901, à la suite de rapports me rendant compte de diverses reconnaissances, j'avais écrit au comman- dant du cercle :

Cest le principe même des reconnaissances sur lequel j'ap- pelle voire attention. Vous savez combien les reconnaissances (( linéaires », c'est-à-dire dirigées dans une seule direction, sans combinaison avec d'autres actions, sont contraires à la méthode que fai toujours préconisée en matières d'opérations militaires coloniales et dont l'on s'est toujours bien trouvé dans la pra- tique. Or, il faut absolument en finir avec ces chefs rebelles. Sans être importants pour le moment, ces groupements ont l'inconvénient^de pouvoir former à un moment donné le noyau d'un groupement plus sérieux de mécontents.

Pour en finir avec Emahazo comme avec Refotaka, il n'y a qu'un moyen, c'est de charger de chacun d'eux exclusivement

PÉRIODE d'exécution 191

les commandants de secteur respomables en leur demandant une action continu et vigoureuse, usant simultanément de tous les moyens, politique, reconnaissances combinées, concours des chefs acquis à noire cause, promesses de récompenses, etc. H faut que les chefs rebelles se sentent traqués sans repos ni trêve de manière que, ou bien ils tombent entre nos mains, ou bien se sentent acculés à nous demander merci. H ne suffit pas qu'à des intervalles espacés on dirige contre eux une re- connaissance en l'air qui sera toujours sans résultat.

On a vu plus haut que l'application de cette méthode avait rapidement réussi avec Emahazo dans le secteur Mahafaly.

Il résultait des renseignements trouvés à mon retour de Fort-Dauphin, en février 1902, que non seulement Refotaka te- nait toujours la campagne, mais que son influence s'était même accrue.

Le lieutenant-colonel Lavoisot, commandant le cercle, m'é- crivait le 15 janvier 1902 :

La question Kefotaia qui s'agite autour de Betioky est difficile à résoudre.

Il est à peu près seul, se déplaçant toujours la nuit, n'ayant plus aucun établissement fixe : c'est une unité qui erre dans un pays difficile et étendu.

Personne ne veut nous servir d'intermédiaire vis-à-vis de lui, ni nous renseigner sur son compte; otïres d'argent, menaces, rien n'y fait. Il est à la fois craint et vénéré. Les Mahafaly le subissent, sont ses victimes sans se plaindre, personne ne le vendra.

Dans ces conditions, il est fort difficile de s'emparer de lui. L'adjudant Fresnel, commandant le poste de Betioky, a essayé d'obtenir des renseignements des Mahafaly, qui n'ont jamais voulu parler. Un instituteur de la mission norvégienne a fourni quelques renseignements sur les habitudes de llefotaka. C'est d'après ces renseignements que l'adjudant Fresnel est allé ten- dre une embuscade à un point d'eau oii il a en eft'et pris un troupeau de bœufs qui venait d'être volé par Refotaka aux Tanosy; mais ce point d'eau est dans une région si difficile à parcourir, couverte qu'elle est d'une brousse épineuse impéné- trable, que llefotaka a pu échapper à la poursuite.

Refotaka répand d'ailleurs la terreur dans la région et ferme la bouche aux gens qui pourraient nous renseigner. Un homme d'un village situé à 15 kilomètres de Betioky avait guidé l'ad- judant sur 09 point dVau ; deux jours après, cet hom^io et sor. fils étaient assassinés.

j92 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Nous ne viendrons jamais à bout de E^fotaka que par les embuscades et les postes volants.

J'en charge les lieutenants Caries et Magnien.

Le lieutenant Caries vient du reste de prendre à l'Est, cliez reux puisqu'il a des relations étroites et cachées avec les chefs les Bara-Vinda, le frère, le beau-frère de Refotaka et 250 bœufs lui appartenant. Ce fait prouve qu'il peut devenir dange- Bara.

A ces renseignements s'ajoutait, le 20 février, la nouvelle que deux chefs Bara-Vinda de la région de Benenitsa avaient pris parti pour Refotaka et que le chef Mahafaly Tsibasy, des environs d'Ejeda, était fortement suspecté de lui prêter son ap- pui.

Ces renseignements démontraient clairement l'attraction con- tinue exercée par les noyaux rebelles, si peu importants qu'on les juge au début, et sur l'urgence d'en finir avec eux radi- calement.

Je décidai donc, le l®' mars 1902, d'appliquer la méthode qui avait jusque-là réussi dans l'Est, c'est-à-dire d'assurer l'unité de direction en constituant une circonscription englobant toute les zones de parcours de Refotaka et celles il avait des atta- ches à un titre quelconque. Le commandement en fut donné au capitaine d'artillerie coloniale Charbonnel, qui avait par- ticipé à l'exécution de toute la pénétration dans la zone fores- tière et dans le Sud. Il fut entendu avec le lieutenant-colonel Lavoisot que le lieutenant Caries à Tongobory, le lieutenant Magnien à Sakamaré, le lieutenant Simonin à Benenitsa, le lieutenant Laroque à Ejeda, l'adjudant Fresnel à Betioky étaient mis sous ses ordres, à la tête de cinq districts entre lesquels se divisaient l'action et la responsabilité.

Il était temps d'en finir avec cette question persistante et irritante, car d'autres symptônes inquiétants se manifestaient au Nord de l'Onilahy, région que nous avions lieu de croire absolument acquise.

Incident LoMabo. Au commencement d'avril le chef La- hiabo, des Masikoro du Nord (1), avait été convaincu de com-

(1) Voir le croquis (f) à la gauche du volume.

PÉRIODE d'exÉCUTIOX 193

plicité avec des chefs du territoire Sakalave voisin des in- cidents sérieux venaient de se produire. De même race qu'eux, il avait participé à un complot ayant pour but d'attaquer simul- tanément nos postes. Arrêté par le lieutenant Voirin, comman- dant le secteur d'Ambohibé, il avait été déporté quelques jours après à l'île de Sainte-Marie. Le mouvement avait été ainsi pré- venu : il en était d'ailleurs résulté l'avantage de placer tous les Masikoro sous le commandement du chef unique Rebiby, conformément au programme précédemment exposé.

Incident Inapaka. Tous les commandants des secteurs Bara, d'Ankozoabo, d'Ihosy, d'ivohibé avaient été immédiate- ment priés de faire une sérieuse enquête sur la répercussion que ces incidents pouvaient avoir eue sur leurs chefs indigènes. On avait ainsi acquis la certitude qu'une certaine agitation exis- tait chez les Bara, résultant de trois faits :

r Les incidents survenus en territoire Sakalave;

Le désarmement général que j'avais prescrit le 1" jan- vier comme on le verra plus loin. Il s'était effectué à peu près intégralement dans l'Est et le Centre, mais dans l'Ouest plu- sieurs chefs s'étaient demandé s'il n'y avait pas une der- nière occasion de soulèvement à saisir avant de rendre leurs dernières armes;

L'annonce de la dislocation prochaine du commandement supérieur du Sud et du transport à Tamatave d'une partie de la garnison de Fianarantsoa avait été interprétée et colportée dans le pays comme l'indice d'une prochaine évacuation de l'Ile par nos troupes.

Il était prouvé qu'une réunion de chefs secondaires Bara avait eu lieu sur le haut plateau désert de l'Horombé au Sud- Ouest d'Ihosy et que la question d'un mouvement y avait été agitée, mais écartée à la majorité comme ne devant avoir au- cune chance de succès; que ni Impoinimerina, chef des Bara- Imamono, ni Isambo, chef des Bara d'ivohibé, ne semblaient avoir prêté l'oreille à ces suggestions; mais, par contre, Ina- paka, toujours signalé comme disposé à échapper à la main, aurait eu des pourparlers suspects avec Mahavory, chef des Bara-Vinda, et peut-être par intermédiaire avec Refotaka, et aurait songé à se préparer dans le massif de l'Isalo, au Nord- Madagascar. 13

194 DANS LE SUD DE MADAGASCAB

Est de Benenitsa, un repaire il aurait déjà envoyé quelques hommes et quelques bœufs.

Le capitaine Dudouis, commandant le secteur d'Ihosy, très au courant du pays des Bara, prenait vivement l'affaire en main. Inapaka, se sentant brûlé, demandait le 25 avril à venir me parler à Fianarantsoa. Je refusai, ne voulant pas lui donner par cette démarche une importance qu'il avait toujours cherché à grandir. Ce fut le capitaine Dudouis qui alla s'installer chez lui et le força à procéder au désarmement final de sa tribu. De son côté Mahavory, cheif des Bara-Vinda, pour donner une preuve de sa fidélité, ramenait le 22 avril à Benenitsa les chefs Bara qui avaient fait cause commune avec Refotaka.

Soumission de Refotaka. Ces incidents confirmaient l'op- portunité qu'il y avait d'en finir par une action décisive contre Refotaka.

Le capitaine Charbonnel avait pris son commandement le 15 mars et avait mis immédiatement en jeu l'action combinée de ses cinq districts en constituant dans chacun d'eux des groupes mobiles de vingt fusils avec deux gradés européens. Ces groupes devaient opérer sous une direction d'ensemble suivant la méthode qui avait été appliquée dans l'Est.

La liaison établie avec le secteur voisin de Tsivory, dans le cercle de Fort-Dauphin et avec le secteur Mahafaly, assurant la coopération du poste de Bekily et celle du chef Tsiampondy.

Refotaka avait deux campements : Matindrambo et Anakin- dria. Trois groupes de population soi-disant soumis le cou- vraient, le renseignaient, gardaient ses troupeaux et lui por- taient des vivres. Les centres de ces groupes étaient :

Andoarano-Kelimasy;

lamboro;

Bevovoka-Beheloka.

Les deux points de Kelimasy et lamboro étaient occupés !e 3 et le 8 avril et donnaient une base d'action.

Le campement de Matindrambo est signalé le premier.

Le 22 avril, les groupes des lieutenants Magnien, Larroque et les partisans enlèvent Matindrambo; Refotaka ne tient pas et se dérobe vers le Nord.

A ce moment le lieutenant Magnien apprend l'existence du

rÉEioDE d'exécutioit

195

campement d'Anakindria et trouve des gens pour l'y conduire. Il remonte à lambora, force la marche et, le 23 au soir, avec

■LEGENDE Limile de* districts. 1 Diskrict Tongobopy

Limilc W«* zones d action des

postes et des (Troupes mobiles.

Poste»

Centres d'action des groupes mobiles %0fJ0 cU pATCours de fiefoUka.

n d* Sakamare

m d* Betioky

IV d* Benenitsa

V d' Ejeda

^^ A^.

Action contpe Refotaka.

les partisans et le groupe de l'adjudant Fresnel qui venait d'ar- river, il enlève Anakindria. Le 25, quatre chefs de la région de Beheloka viennent offrir

196

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

à Refotaka de le cacher au Nord du lac. 11 refuse et leur confie seulement ses femmes et ses bœufs. Lui continue à fuir en dehors de tout sentier vers le Sud-Sud-Ouest. L'adjudant Fres- nel l'atteint le 30 avril, le 1" mai et le 3 mai. Ce dernier jour il se heurte au groupe Fresnel et au groupe Larroque, qui lui barre le sentier du Sud qu'il vient enfin d'atteindre.

Cette fois Refotaka, se voyant sur ses fins, se décide à envoyer un des émissaires de Tsiampondy dire à ce dernier de venir avec M. Speyer afin de s'entremettre pour sa soumission. Lui- même se rend au Nord du lac de Tsimanampetsosy, chez les chefs de la côte.

Pendant deux jours tout mouvement est arrêté pour per- mettre à Tsiampondy de passer.

Mais, le 12 mai, Refotaka, changeant d'avis, refusait de rece- voir les envoyés de Tsiampondy. Le mouvement était repris par quatre groupes qui, le 13 à midi, étaient aux points mar- qués sur le croquis ci-dessous investissant Bevovoka, asile de Refotaka.

, Beheloka

Maroccrtvo

A. Groupe Fresnel

B. d' Bertrand

C. d* Châtelain

D. Caries

©

locmboro

©

JùndrcOL

Celui-ci, tiré de sa quiétude, se dérobait encore avec deux hommes entre deux groupes, mais faisait appel de nouveau à Tsiampondy. Quant aux quatre groupes, ils arrêtaient trois des chefs amis de Refotaka.

Le capitaine Charbonnel, avant de laisser partir Tsiampondy,

PÉRIODE d'exécution 107

I

lui montrait combien il serait contraire à ses intérêts de ne pas réussir dans ses négociations. Les chefs blancs en conclu- raient sûrement ou qu'il ne voulait pas réussir et qu'alors il ne nous était pas dévoué, ou qu'il ne pouvait pas et qu'alors il n'était pas un aussi grand chef qu'il le prétendait. C'est pen- dant ce kabary qu'arriva l'envoyé de Refotaka; Tsiampondy partit immédiatement. Il devait venir à Maroarivo cinq jours après, le 19, soit amener Refotaka, soit annoncer que décidé- ment celui-ci refusait de se soumettre.

Le capitaine Charbonnel profitait de ce délai pour tout pré- parer au cas 011 Tsiampondy échouerait.

Le plateau devait être entièrement occupé par sept groupes ayant chacun leur centre et leur zone d'action.

Deux autres groupes complètement mobiles devaient con- stamment marcher sur le point Refotaka était signalé.

Il n'existait qu'un très petit nombre de pistes praticables. On commence le débroussaillement d'autres pistes en nombre suffi- sant pour relier tous les postes provisoires.

En outre, le désarmement complet fusils et sagaies est prescrit et commencé.

Le 18 au soir, Tsiampondy faisait demander au capitaine Charbonnel de venir à Ejeda pour y recevoir la soumission de Refotaka.

Refotaka y arrivait enfin le 21 mai suivi de ses gens. Tous étaient renvoyés chez eux, sauf Refotaka et l'un de ses com- pagnons.

L'influence qu'il avait exercée si longtemps dans le pays ne permettait pas de l'y conserver. Il était donc conduit sous es- corte à Tulear pour être transporté à Sainte-Marie.

L'effet dans le pays était immédiat. Dans les deux semaines suivantes, les habitants rendaient 500 fusils et 4.000 sagaies. Tsiampondy lui-même venait à Tulear le 27 mai, démarche qu'il n'avait pu encore se décider à faire, et, comprenant que cette fois toute idée de résistance éventuelle devait être aban- donnée dans le Sud, acceptait de procéder lui-même au désar- mement des populations Mahafaly, opération qui doit être con- sidérée comme écartant toute chance de soulèvement sérieux sur ce dernier point.

Le dernier groupement rebelle sérieusement constitué sub-

198 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

sistant dans le commandement supérieur du Sud se trouvait dissous et la tâche militaire qui m'avait été assignée par le Gouverneur général vingt mois auparavant se trouvait ainsi accomplie.

Iir PARTIE

(1)

CONCLUSIONS ET CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Chapitre I". Conclusions politiques et militaires.

II. Considérations économiques et administratives.

(1) Cette partie, sauf quelques passages, est la reproduction du rapport final adressé au Grouvorneur général lors de la suppression du Commande- ment supérieur, en mai 1902. C'est pourquoi la rédaction offre le plus sou- vent la forme de comptes rendus et de propositions.

CHAPITRE V""

CONCLUSIONS POLITIQUES ET MILITAIRES

Suppression du commandement supérieur du Sud : Situation politique et militaire en mai 1902. Politique à suivre à l'égard des chefs indigènes. II. Désarmement. III. Organisation administrative. Division du Sud en quatre grandes provinces. Organisation intérieure de chaque provin- ce : Fianarantsoa, Farafangana, Fort-Dauphin, Tulear. Substitution progressive de l'administration civile à l'administration niilitaire. Pro- cédé général à suivre. TV. Occupation militaire à maintenir dans le Sud. Concordance du secteur, unité politique, et de la compagnie, unité militaii'e. Idée des corps mixtes. V. Ravitaillement. Organisation du service. Masses de ravitaillement. VI. Question do la pénétration. VII. Quelques considérations militaires : Artillerie marchant avec les co- lonnes. Tir. Tenue. Installation des troupes. Service sanitaire. Conclu- sions.

I

SUPPRESSION DU COMMANDEMENT SUPÉRIEUR DU SUD

Situation politique et militaire dn Sad en mai 1909.

II avait été entendu, au moment de la création du Comman- dement supérieur du Sud, que ce rouage était essentiellement temporaire. Le but précis qui lui était assigné était d'en finir avec les groupements rebelles chevauchant sur plusieurs provin- ces, en assurant entre celles-ci l'unité de direction, et de poser dans le Sud les bases d'une organisation administrative ration- nelle conforme aux conditions géographiques et économiques et à l'état social des divers groupements ethniques.

Dès décembre 1901, après la dislocation des principaux grou-

202 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

pes rebelles, on pouvait prévoir que la réalisation de ce but n'était plus qu'une affaire de quelques mois. A ce moment, tous les éléments nécessaires pour fixer les principes d'une organi- sation définitive étaient connus. Il était donc possible d'envisa- ger la date précise à laquelle ce commandement militaire et politique pourrait être supprimé, conformément aux désirs maintes fois exprimés par l'autorité métropolitaine. D'accord avec le Gouverneur général, il fut convenu que cette mesure pourrait être prise au printemps de 1902. A cette époque, chaque province, organisée sur des bases rationnelles, bien reliée avec ses voisines, ne comportant plus que des questions intérieures, devait être en état d'achever, par elle-même, l'œuvre commen- cée, sans qu'il fût besoin d'un rouage intermédiaire entre elle et le gouvernement général. La date de la suppression du com- mandement supérieur fut ultérieurement fixée au 10 mai 1902.

A ce moment, sauf le groupement rebelle de Refotaka dont la soumission apparaissait imminente et devait en effet survenir quelques jours après, il ne subsistait plus dans le Sud aucun noyau rebelle organisé.

Est-ce à dire que ces vastes régions dussent être regardées comme définitivement acquises et comme ne devant donner lieu à aucun retour insurrectionnel ?

Non certes.

Dès qu'il s'agit de populations aussi turbulentes que les Bara, les Tanala, les Antandroy et tous leurs dérivés, divi- sées entre elles, pour qui la guerre de tribu à tribu et les vols de bœufs à main armée revêtant le caractère de véritables expéditions ont été depuis des siècles une passion et un sport favoris, habituées de temps immémorial à ne vivre que le fusil et la sagaie à la main, ignorantes jusqu'ici de tout régime ad- ministratif et fiscal régulier, ayant puisé un haut sentiment de leur indépendance dans leur résistance séculaire aux tentatives des Hovas, il serait téméraire de penser qu'on ait pu, d'un coup, transformer leur tempérament.

Aujourd'hui, elles sont incontestablement sous l'impression très vive de notre force. Notre domination a revêtu à leurs yeux, depuis deux ans, un caractère impératif qu'elles lui mé- connaissaient jusque-là; non pas que l'action exercée sur elles

COKCLUSIONS 203

antérieurement eût été moins bien conçue et moins bien dirigée, mais parce que l'organisme du commandement du Sud a seul permis d'imprimer à celte action un ensemble et une simulta- néité qui lui ont donné une efficacité supérieure. Précédemment les groupements insoumis avaient toujours trouvé par un dé- placement, par un changement de province, le moyen d'éch&p- per à notre autorité. Cette fois, la réunion de tout le Sud sous une direction unique, qui seule a permis d'adopter un pro- gramme d'ensemble, la faculté, grâce aux lignes télégraphiques nouvellement construites, de faire concorder exactement l'ac- tion des différentes circonscriptions, les ont enveloppés d'un filet aux mailles duquel ils n'échappaient d'un côté que pour y retomber de l'autre. Ils en ont eu le sentiment très net; cela résulte de toutes les déclarations faites par les chefs à chaque nouvelle soumission et qui pouvaient toujours se résumer dans cette formule : Décidément il n'y a plus rien à faire !

Mais il est très probable que certains de ces groupes cherche- ront un jour à se reprendre. L'essentiel est de ne pas leur en faciliter l'occasion et de leur enlever autant que possible leurs moyens d'action. On verra plus loin (1) que le pas le plus im- portant qui ait été fait dans cette voie a été de leur imposer le désarmement, qui doit être poursuivi avec une fermeté absolue en même temps qu'une surveillance étroite sera exercée sur les côtes pour empêcher l'introduction de la poudre. Ce qui importe le plus, c'est de ne pas leur donner le sentiment d'un changement de régime; il est donc essentiel, en premier lieu, de conserver provisoirement dans les régions récemment sou- mises les effectifs actuels et lorsqu'on envisagera la possibi- lité, prochaine d'ailleurs, de les réduire, de ne le faire que très progressivement, sans à-coup et surtout sans substitution brus- que d'une unité à une autre; en second lieu, d'y maintenir le plus longtemps possible le personnel européen actuel en fa- cilitant dans la plus large mesure les prolongations de séjour. La dépense budgétaire résultant de la prolongation du séjour d'un chef de district qu'on laissera côte à côte avec son suc- cesseur tout le temps nécessaire pour l'initier aux populations

(1) Page 207.

204 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

qu'il aura à diriger ne sera jamais perdue : elle coûtera tou- jours moins cher à coup sûr que le moindre soulèvement avec les transports et les mouvements qu'il entraîne pour le répri- mer; — en troisième lieu, en choisissant personnellement, avec un soin minutieux, les remplaçants des officiers et fonction- naires actuellement en fonctions dans ces régions. On ne saurait trop insister sur l'importance qu'il convient d'attacher au choix des personnes vis-à-vis de ces populations primitives et semi- féodales- Il faut être convaincu que la plupart des mouvements de rébellion sont dus, le plus souvent, à des erreurs de per- sonnes. Les déclarations des chefs soumis ont été caractéris- tiques à cet égard. Mais ce qu'il importe d'ajouter, c'est que ces fautes initiales ne sont généralement pas le fait de mau- vaises intentions, ni d'une dureté naturelle de la part de ceux qui les ont commises, mais le plus souvent, de leur ignorance des populations et de la situation.

C'est pourquoi je me suis toujours appliqué à préparer les successeurs des cammandants de secteur ou de district, en les faisant d'abord servir en second ou en les envoyant d'avance auprès de leur prédécesseur; on ne saurait trop insister sur l'opportunité de persévérer dans cette manière de procéder.

Politique à suivre à Tégard des ciiefs indigènes.

Les études laites par les capitaines Mouveaux et Boin (1) font toucher du doigt un des éléments dont il importe de tenir le plus grand compte : les grands chefs indigènes. On sait que les chefs naturels de la région centrale et de l'Ouest appartien- nent tous à la première caste de la tribu noble des Zafimanely. Isambo, chef d'Ivohibé, Inapaka, chef des Bara-Bé, Impoini- merina, chef des Bara-Imamono, tous trois actuellement gou- verneurs ou sous-gouverneurs, la reine Raoleza, qui, sous le nom de son fils, actuellement sous-gouverneur, commande dans ritomampy, tous appartiennent à cette caste dont faisait également partie Toera, le chef Sakalave tué sur la Tsiribihina en 1897.

(1) Etudes parues dans Notes, Ecconnaissances et Explorations, du 30 no- rembre 1897, page 446.

CONCLUSIONS 205

C'est sur cette caste, en somme, que nous nous appuyons; nous transformons ses membres en fonctionnaires et c'est, sans aucun doute, la meilleure politique à suivre, parce que ces chefs nous apportent l'appoint de leur autorité traditionnelle et parce qu'ils nous servent à maintenir dans l'obéissance les castes moins élevées des Zafimanely, qui seraient toutes prêtes à donner des chefs aux mécontenta, si la caste supérieure se prêtait à se laisser évincer par eux.

Il y a eu, à notre connaissance, au cours de cette année, plu- sieurs pourparlers entre les Zafimanely de l'Ouest et de l'Est (1), de seconde et de troisième caste, pourparlers qui ont été éventés par les grands chefs dont nous avons consacré la situation.

Seulement, il convient d'avoir toujours l'œil ouvert sur ces derniers. Leur fidélité n'est faite que de notre force; il est facile de comprendre qu'ils ne se sont pas résignés sans regret à un état de choses qui les a fait descendre de la situation de (( rois » à celle de fonctionnaires subalternes obéissant au moindre chef de district. J'ai trop souvent préconisé le système qui consiste à leur conserver leur autorité traditionnelle et à se rapprocher, en les utilisant, d'un régime peu coûteux de « pro- tectorat intérieur » pour suggérer l'idée de les diminuer davan- tage et de les mettre à l'écart. Mais c'est sous la condition de se maintenir à leur égard dans une juste mesure et de se garder autant de les trop grandir en négligeant de les contrôler, que de les désaffectionner en les humiliant.

Ils sont tous en relations entre eux, quelle que soit la dis- tance qui les sépare. Il paraît y avoir eu, il y a quelques mois, des pourparlers assez suspects autour d'Isambo, chef d'Ivohibé, qui semble pourtant nous être tout acquis, avec des émissaires venus de l'Ouest, probablement d'Inapaka, peut-être d'Im- poinimérina. Le sens général, autant du moins qu'on est ren- seigné, en aurait été que, s'il n'y avait plus rien à faire dans l'Est, on pourrait encore un jour former un noyau de résis- tance dans l'Ouest, le ravitaillement en fusils et en poudre serait encore praticable par l'intermédiaire des traitants in- diens de la région de Tulear et par le canal de Mozambique.

(1) Voir page 193.

DANS LB SXTD MADAGASCAK

Il suitlit d'avoir vent de ces menées pour en conjurer le péril^ mais il en ressort la nécessité de n'avoir auprès de ces chefs que des agents européens unissant la fermeté au tact et ayant une police toujours en éveil.

Il faut également en retenir que ces chefs de la même race sont toujours en relations entre eux à travers les diverses pro- vinces — et ceci importe surtout au moment disparaît le rouage central du commandement du Sud. Ce qu'il conviendra avant tout d'éviter, c'est que chaque chef de province cède à la tentation naturelle de s'isoler dans son commandement et de négliger les renseignements qui portent sur une circon- scription voisine. Dans une circonstance toute récente, un ren- seignement de cette nature avait été donné incidemment, sans qu'on y attachât d'importance, tandis qu'il contrôlait un ren- seignement analogue provenant d'une circonscription éloignée et acquérait par un intérêt des plus sérieux.

Il est indispensable, aujourd'hui que le commandement du Sud est supprimé, de stimuler à cet égard les chefs de pro- vince, de leur imposer l'obligation de se maintenir en relations avec leurs voisins afin qu'ils leur communiquent ces indices, d'apparence minime, qui, par leur recoupement avec d'autres, suffisent souvent à prévenir un accident.

En résumé, l'essentiel c'est qu'on ne se figure pas que tout est fini et réglé dans le Sud, en dix-huit mois, et que la pacifi- cation y est complète. Non, il faut le dire sincèrement, si les groupes rebelles constitués ont été dissous, la pacification mo- rale du Sud n'est pas terminée, ne pouvait pas l'être et des incidents y sont encore à prévoir.

Du reste, la mission qui m'était confiée n'avait pas d'autre objet que de résoudre les groupements insoumis à cheval sur plusieurs provinces, en assurant entre elles l'unité d'action, de constituer le commandement local et d'asseoir une organisa- tion provinciale dans des conditions telles que chaque circon- scription pût achever à elle seule sa tâche propre, œuvre de temps, de patience, qui demandera plusieurs années.

Dans ces limites et sous ces réserves, on peut affirmer, sem- ble-t-il, que les zones limitrophes des provinces de Fianarant- soa, de Tulèar, de Farafangana et de Fort-Dauphin sont réelle- ment acquises à notre autorité et qu'il n'y existe plus de noyau

CONCLUSIONS 207

de résistance qui exige une action commune. Mais dans cha- cune de ces provinces il y a encore une besogne intérieure à terminer qui ne pouvait être menée en dix-huit mois à complet achèvement et cette besogne ne se terminera pas sans inci- dents (1).

Voilà ce dont il importe d'être bien convaincu si l'on veut éviter des surprises.

II

DÉSARMEMENT

Tandis que les indigènes étaient encore sous l'impression produite par la succession d'opérations qui avaient achevé la pénétration, le moment avait paru opportun pour procéder au désarmement général et laisser une situation aussi nette que possible.

Cette question du désarmement est très complexe. Beaucoup de difficultés sont nées dans les pays cçnquis, non seulement à Madagascar, mais ailleurs, de la diversité des régimes appli- qués à cet égard.

Il est évident que le désarmement est la seule sanction abso- lument complète et efficace de la pacification d'un pays. Nous n'occupons jamais nos colonies qu'avec des effectifs infimes par rapport au chiffre de la population et le but à se proposer constamment doit être de les réduire de plus en plus afin de diminuer les charges financières que représentent les corps d'occupation.

Quels que soient les résultats obtenus au point de vue de la conquête matérielle et morale des indigènes, quel que soit leur degré de soumission, si complète que paraisse l'adhésion

(1) Cest ainsi qu'en juillet 1902 il s'est produit un soulèvement de tribus Antandroy du cercle de Fort-Dauphin qui paraissaient soumises, et qu'il a fallu réduire par la force. Il y en aura d'autres encore.

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

de leurs chefs, il ne faut pas se faire l'illusion que notre domi- nation leur soit agréable. S'il est permis d'espérer que l'évolu- tion ultérieure de leur état social, la diffusion des besoins issus de notre civilisation, la disparition des générations qui* ont connu l'indépendance, pourront y amener une acceptation com- plète et sans arrière-pensée du régime que nous y avons im- porté, nous n'en sommes encore à ce point dans aucun de nos empires coloniaux.

Dans les conditions actuelles, laisser leurs armes aux mains de ces populations si nombreuses en face de nos faibles unités, c'est leur laisser la tentation permanente du soulèvement. Il faut donc, de toute nécessité, aboutir au désarmement; seu- lement le point délicat est le choix du moment. Il ne faut le prescrire ni trop tôt, au risque de provoquer un soulèvement de populations disposant encore de beaucoup de moyens et insuffisamment matées; ni trop tard, c'est-à-dire après que les populations, remises de la surprise de notre force et nous ayant comptés, auraient repris possession d'elles-mêmes et seraient tentées de résister à cette dernière exigence, sanction fmale de la perte de leur indépendance. Il y a donc toujours un mo- ment propice entre tous qu'il faut saisir.

Il ne suffit pas, en effet, de prescrire d'un trait de plume, à un commandant de secteur établi avec ses 250 fusils au miheu de 10.000 hommes encore armés, de procéder à leur désarme- ment; il faut que ceux-ci le veuillent bien. Si, malgré les objec- tions de ce chef établi sur place, l'ordre ferme est maintenu et qu'il lui faille bon gré, mal gré, essayer de l'exécuter sans y réussir, le résultat est déplorable; ou bien les indigènes se soulèvent et tout est à recommencer, ou bien, si l'expérience n'est pas poussée jusqu'au point elle provoquerait le soulè- vement, les indigènes en gardent une méfiance invincible, l'ap- privoisement commencé est à reprendre et ce n'est qu'au bout de longues années parfois que le but peut être atteint. Ce ne sont pas des considérations théoriques; des exemples pourraient être cités à l'appui.

D'autre part, pour que le désarmement soit efficace, il faut qu'il soit général. Prescrire le désarmement d'une région pa- cifiée sans procéder au désarmement d'une région voisine, à moins que celle-ci ne soit séparée de la première par une bar-

CONCLUSIONS 209

Hère naturelle ou par une ceinture militaire infranchissable, c'est livrer la première sans défense aux incursions des habi- tants de la seconde. C'est ce qui s'était produit avant la créa- tion du Commandement supérieur, dans le Sud de Madagascar, où, en 1899, le désarmement avait été imposé aux Bara-Ima- mono dans le cercle de Tulear, tandis que dans le cercle li- mitrophe des Bara on jugeait qu'il était prématuré de l'appli- quer aux Bara-Bé leui's voisins. Il en est résulté que ceux-ci avaient pris l'habitude de se livrer impunément chez les Ima- mono à des agressions à main armée pour enlever des bœufs et des enfants. Il fallut restituer des armes aux Imamono, au moins dans la zone limitrophe de leurs turbulents voisins, jus- qu'au moment il a été possible de procéder au désarmement total.

Il y a au désarmement partiel un autre inconvénient : ou bien la population qu'on désarme fait passer une partie de ses fusils chez ses voisins restés armés cette augmentation du nombre des armes est très difficile à contrôler, ou bien encore, tout en livrant ses fusils, elle en achète en secret à ses voisins et les garde cachés.

Pour faciliter le désarmement et lui donner le plus d'effica- cité possible, il y a généralement deux étapes à marquer. Aus- sitôt l'occupation d'un pays acquise, on y impose le contrôle des armes. Elles sont laissées aux mains des habitants, chacun d'eux doit les présenter au chef-lieu du secteur elles sont inscrites et reçoivent une marque; c'est une mesure de sim- ple police que les habitants comprennent et acceptent générale- ment. Il ne faut, du reste, pas avoir l'illusion de croire qu'ils les apportent toutes à ce contrôle, mais de gré ou de force ils en apportent de beaucoup le plus grand nombre. Le jour peut s'effectuer le désarmement intégral, l'opération commence par le retrait de toutes les armes contrôlées, il est alors beau- coup plus facile de procéder à la recherche des armes dissimu- lées.

La progression à suivre est donc celle-ci :

Profiter du succès de tout coup de force, de toute opéra- tion ayant réussi pour se faire remettre par les vaincus le plus d'armes possible. Ceci c'est la conséquence de l'opération

Madagascar. **

210 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

de guerre, c'est la reddition des armes, sanction, dans tous les pays, de toute reddition de troupes;

2^ Exiger de ceux qui nous ont prêté leur concours et de tous ceux qui nous sont restés fidèles de faire marquer leurs armes comme il a été dit plus haut;

Faire comprendre peu à peu à ces derniers que leurs voi- sins ayant été mis hors d'état de nuire, ils n'ont plus besoin de leurs armes et arriver au désarmement intégral.

Dans le Sud de Madagascar les Betsiléo et les tribus côtiè-. res de la province de Farafangana, populations pacifiques, agricoles et commerçantes, avaient toujours eu peu d'armes; c'est pourquoi, du reste, elles étaient toujours restées exposées aux incursions de leurs voisins guerriers, Bara et Tanala, dont elles souffraient au point que notre conquête des pays occupés par ces derniers a été pour elles une véritable déli- vrance.

Dès le début de notre occupation, le désarmement de ces populations a été rapidement un fait accompli.

A la fin de décembre 1901, à la suite des opérations dans la zone forestière, de la dislocation de tous les groupes rebelles qui l'occupaient et des coups portés aux xVntandroy, la situa- tion a paru assez dégagée pour procéder au désarmement gé- néral et simultané de toutes les parties effectivement occupées du commandement.

Les deux premières phases de la progression indiquée plus haut : reddition par les gro'upes vaincus, contrôle des armes conservées, étaient accomplies.

Je décidai donc que le désarmement intégral commencerait le P' janvier 1902 et j'envoyai à mes commandants de cercle la circulaire suivante :

Midongy, le 7 décembre 1901.

Je viens de constater, au cours de la tournée que je fais actuellement dans la zone forestière, qu'il n'y subsiste plus un seul groupement insoumis.

Les Tambavalo comme les Andrabé ont été chassés de leurs repaires et jetés hors de la forêt.

CONCLUSIONS 211

Celle-ci est occupée par une ligne de postes liés entre eux qui y rend toute réinstallation impossible.

Les soumissions n'ont d'ailleurs été acceptées que sous la condition de la reddition des armes, de sorte que les anciens insoumis sont aujourd'hui désarmés.

Dans ces conditions, je juge que le moment est venu de pro- céder au désarmement général des populations soumises. Il n'y a aucun motif pour laisser entre leurs mains ces armes dès qu'il n'y a plus de groupes insoumis contre lesquels elles aient à se défendre. 11 suffit de laisser armés les quelques partisans nécessaires pour assurer la police.

La conservation de ces fusils par la population, même lors- qu'ils sont marqués et contrôlés, a le double inconvénient qu'elle peut toujours être tentée de s'en servir contre ceux qui en sont démunis et surtout que ces armes font l'objet d'acliats et d'é- changes qu'il est presque impossible d'empêcher, de sorte qu'on apprend un beau jour qu'un pays qu'on croyait avoir désarmé se trouve réarmé.

Le fait vient de se produire chez les Hovalahy ny lantara (1) qui, après avoir été complètement désarmés, se trouvent avoir aujourd'hui 100 fusils, qu'ils ont notoirement achetés dans la région d'Ihosy et grâce auxquels ils ont prêté leur assistance à Tsiahoro.

Mais, pour que le désarmement ne soit pas un trompe-l'œil, il faut qu'il soit général, sans aucune exception; sinon les gens d'une région qu'on désarme s'en vont dans une région qu'on ne désarme pas ou bien que l'on désarme avec moins de ri- gueur.

Il n'y a pas d'opération qui demande à être faite avec plus d'unité et d'ensemble.

A partir du 1*"" janvier, les commandants des secteurs d'Ivo- hibé et de Midongy (cercle d'Ifandana), de Ranomafana et de Tsivory (cercle de Fort-Dauphin), de Betroka, de Benenitsa et de Tongobory (cercle de Tuléar), commenceront donc le désar- mement complet de leur populations en retirant les fusils mar- qués et en procédant sans relâche à la recherche des fusils ca- chés.

Ils feront d'abord comprendre par des kabaiy à la popula- tion que celte mesure est la sanction naturelle de la. fin de l'insurrection, qu'elle n'a pour elle aucun caractère vexatoire, puisqu'elle s'opère simultanément et de la même façon dans les territoires voisins.

Pour que la sécurité soit absolument assurée, il convient, en

(1) Tribu particulièrement turbulente du secteur d'Ivohibé.

212

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

même temps que la re-mise des fusils, d'interdire complètement le port de la sagaie; elle présente tout autant de dangers en ce qui concerne les agressions de courriers, d'isolés, les vols à main armée; il importe donc de faire comprendre aux indigè- nes que, dans le monde entier, dans un pays bien policé, la première garantie de paix, c'est que personne ne circule armé.

Comme on le voit, il n'était pas fait mention dans ces in- structions des secteurs de Behara, d'Ambovombé, du Faux-Cap,

ni du secteur Mahafaly, c'est-à-dire de la zone Exlrême-Sud- Ouest de Madagascar : c'est qu'en effet cette zone était en pleine pénétration militaire, que tout l'effort de nos troupes y était porté à ce moment, qu'elle se trouvait dans une des conditions énumérées plus haut, c'est-à-dire isolée du reste du pays par une véritable barrière militaire soit de postes, soit de troupes en marche, et que le désarmement partiel s'y faisait par la force, au fur et à mesure des opérations et sous les formes les plus diverses. Toutes les occasions y étaient saisies :

CONCLUSIONS 213

redditions d'armes imposées aux groupes qui nous avaient opposé une résistance armée, amendes pour vols de bœufs, première obligation de l'impôt sous forme de fusils.

En un mot, le désarmement s'opérait dans toute la zone acquise derrière un arc de cercle dont la concavité était tour- née vei's la mer et qui allait toujours en s'en rapprochant.

Du 1" janvier au mois d'avril, les résultats obtenus étaient les suivants :

Fusils rendus :

Secteurs d'Ivohibé et de Midongy (zone forestière).... 4.284

Secteurs du cercle de Tuléar 1.390

Secteurs du cercle de Fort-Dauphin 2.317

Soit 7.991

soit près de 8.000 fusils dans les parties acquises à notre domi- nation. La grande inégalité de ces chiffres vient de ce que les régions du Centre et de l'Ouest avaient déjà subi plusieurs dé- sarmements partiels et qu'il n'y restait plus qu'un nombre d'ar- mes relativement faible.

Quant au nombre de sagaies rendues, il se chiffre par plu- sieurs miniers.

Les fusils rendus étaient immédiatement détruits et les fers des sagaies transformés en « angadys » (1) au chef-lieu du sec- teur, symbole caractéristique de l'évolution accomplie.

Cette opération ne s'effectua pas sans velléités de résis- tance, qui n'en prouvaient que mieux d'ailleurs la nécessité; mais, comme les groupements insoumis venaient d'être dislo- qués, que tout le monde, amis et adversaires, était sous l'im- pression de notre irrésistibilité, il ne se produisit pas d'incidents sérieux.

D'autre part, pendant la même période, dans la zone en pénétration, 4.423 fusils étaient repris aux Antandroy par les divers moyens signalés plus haut.

Quant aux Mahafaly, il avait été jugé opportun de ne pas soulever la question tant que la soumission de Refotaka ne serait pas acquise, afin de ne pas risquer d'incidents pendant

(1) Bêches malgaches.

214 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

cette dernière période d'opérations. Mais l'on a vu plus haut qu'après que nous eûmes eu raison de Refotaka, Tsiampondy, chef des Mahafaly, venu pour la première fois à Tulear, pro- posait spontanément de commencer le désarmement de ses tri- bus. Convaincu du caractère définitif de notre établissement, enserré de toutes parts, sentant que désormais aucune résis- tance organisée n'était possible, témoin de ce qui se passait dans les régions voisines, il comprenait qu'il ne pouvait donner une meilleure preuve de son adhésion à notre régime. En un mot, le moment opportun était arrivé, tandis qu'il est évident que si, au mois de juillet 1901, lorsqu'il se présentait à mon bivouac, presque d'égal à égal, escorté de 2.000 guerriers, j'a- vais, avec mes 100 fusils, prétendu lui imposer le désarmement, il y aurait eu beaucoup de chances de provoquer un incident sans arriver à un résultat.

L'opération n'est du reste pas terminée, elle se poursuit ac- tuellement sur tous les points et se fera vraisemblablement jus- qu'à achèvement complet; mais elle exige toute l'activité, toute la fermeté, toute la patience des chefs de circonscriptions. Malgré tout, il faut être bien persuadé qu'il restera pendant longtemps encore, sinon toujours, des fusils et de la poudre cachés. Alors même que le désarmement intégral semblera ter- miné, il n'y en aura pas moins, au moment l'on s'y attendra le moins, des coups de fusils tirés sur un courrier, un convoi ou des isolés.

III

ORGANISATION ADMINISTRATIVE

Division du Sud eu quatre grandes provinces.

Le Sud, au moment de la création du Commandement supé- rieur, comprenait cinq provinces. La suppression des circon- scriptions intérieures et toutes militaires du cercle des Bara

CONCLUSIONS 215

d'abord le 1" mai 1901, puis du cercle d'Ifandana le 31 décem- bre 1901, conséquence de la pacification, en a réduit le nombre à quatre.

Le Sud de Madagascar se trouve donc divisé en quatre gran- des circonscriptions (1) :

Au NoUD, sur le plateau central, la province de Fianarant- sao, peuplée en grande majorité de Belsiléo, mêlés au Sud et à l'Ouest d'éléments Bara, mais débordant à l'Est dans la région côtière en englobant une partie purement Tanala, celle d'Ikongo. C'est une circonscription l'unité politique, admi- nistrative et fiscale est dès maintenant établie, sauf dans la région Tanala.

Au Centre, les deux provinces côlières de Farafangana et de Tulear, adossées l'une à l'autre et délimitées par la ligne de partage des eaux. Elles étaient précédemment séparées par une circonscription répondant aux nécessités du moment, le cercle des Bara. Sa suppression, en rattachant les popula- tions intérieures à chacune des deux circonscriptions côtières avec lesquelles elles se trouvaient en relations naturelles, géo- graphiquement et économiquement, force ces populations à rentrer dans la circulation et facilite leur attraction vers la région côtière, conformément à la politique générale suivie dans l'île.

Les populations de ces deux provinces sont très hétérogènes.

La province de Farafangana se divise en deux zones très nettes :

La zone côtière peuplée d'Antaimoronas, d'Antaisakas et d'Antaifasys, pacifiques, laborieux et déjà socialement avan- cés ;

Un hinterland, correspondant à l'ancien cercle d'Ifandana, peuplé de Bara, de Tanala, primitifs, sauvages, indépendants et devant être maintenus pendant longtemps encore sous un régime de commandement. C'est ce qu'a nettement déterminé

(1) Voir la carte 4, à la gauche du volume.

216 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

d'ailleurs l'arrêté du 31 décembre 1901 dans ses considérants et dans ses articles (1).

La province de Tulear se divise elle-même en deux zones bien distinctes, l'une Nord, l'autre Sud, séparées d'une manière générale par la crête Sud de la vallée de l'Onilahy, cette vallée se rattachant tout entière à la zone Nord :

La zone du Nord, peuplée de Tanosy, de Bara, de Vezo, de Masikoro, tous à peu près soumis à notre domination ;

La zone du Sud, peuplée de Mahafaly, dont la pénétration est en train de s'effectuer.

La première toute prête pour l'administration civile, la se- conde à maintenir sous un régime de commandement.

On peut adopter dans le cercle de Tuléar l'une ou l'autre des deux combinaisons suivantes : soit le diviser en deux circon- scriptions entièrement séparées, une province civile au Nord, un cercle militaire au Sud; soit le maintenir tout entier encore sous l'autorité unique du commandant du cercle, sous les ordres duquel peut s'organiser l'administration civile com-

(1) Le général oommandant en. ohef du corps d'occupation et gouverneur général de Madagascar et dépendances;

Vu les décrets des 11 décembre 1895 et 30 juillet 1897 ;

Considérant qu'à la suite de la pénétration et de l'occupation de la zone forestière, tout état insurrectionnel y ayant disparu, le cercle militaire d'Ifandana peut être supprimé ;

Considérant les avantages économiques et politiques qui résulteront du rattachement de cette zone à la province de Farafangana ;

Considérant toutefois que cette région forestière doit être encore ocfoupée par des troupes pendant un certain temps, pour empêcher tout noyau insur- rectionnel de s'y reformer ;

Sur la proposition de M. le colonel commandant supérieur du Sud,

Arrête ;

Article l®"". I^ cercle-annexe d'Ifandana est supprimé à la date du l*' janvier, et les territoires qui le constituent sont rattachés à la province de Farafangana.

Les territoires qui le constituaient formeront deux districts :

Au sud de la Mananara, le district de Midongy, comprenant le secteur actuel de Midongy ;

Au nord de la Mananara, le district d'Ivohibé, comprenant les secteurs actuels d'Ivohibé et d'Ifandana.

Article 2. Les deux districts d'Ivohibé et de Midongy, comprenant la zone forestière récemment pacifiée, resteront commandés par un. officier.

CONCLUSIONS 217

plèle de la région Nord, la région Sud restant constituée mili- tairement.

Provisoirement cette dernière solution paraît s'imposer, la partie du cercle de Tuléar, prête pour l'administration civile, s'intercale, en effet, comme un coin, entre le territoire Saka- lave et le pays Maliafaly; elle est donc exposée à recevoir la répercussion des incidents encore à prévoir dans ces deux ré- glons si récemment soumises, et il vaut encore mieux y main- tenir quelque temps encore un commandement militaire dis- posant de tous les moyens d'action et pouvant parer aux im- prévus sans avoir à recourir à personne, que de risquer un recul dans la situation (1).

Au Sud, le cercle de Fort-Dauphin, cercle côtier, formant une unité géographique et économique, limité au Nord par la ceinture montagneuse des petits bassins qui se déversent vers le sud, de Manantenina au cap Sainte-Marie.

La plus vaste partie de cette circonscription comprend les Antandroy, qui en fonnent la population la plus nombreuse, tout récemment soumise et dont la pénétration s'achève. Le groupe Tanosy, à peu près soumis, sans être complètement en mains, n'y occupe que la zone restreinte côtière de l'Est. Cette circonscription, avec Fort-Dauphin comme chef-lieu, est à maintenir longtemps encore en territoire de commandement : les motifs en ont été précédemment développés (2).

Organisation intérieure de chaque pro%'ince (3).

Telle étant l'assiette à peu près définitive des quatre pro- vinces qui forment le Sud de l'île il reste à présenter rapi- dement l'organisation intérieure de chacune d'elles, la façon dont leurs subdivisions se répartissent pour le moment entre

(1) Ce commandement militaire, maintenu pendant huit mois encore à la suite de ces propositions, a pu être supprimé le 4 décembre 1902; la

Çartie Nord du cercle de Tulear a été constituée en province civile, avec ulear comme chef-lieu ; la partie Sud, c'est-à-dire le pays des Mahafaly, en a été détachée pour former uu cercle militaire, avec Andrcdia comme chef- lieu.

(2) 2* partie, chapitre II, pages 154 et suivantes.

(3) Carte 5, à la gauche du volume.

218 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

les administrateurs civils et militaires et les régions qu'il con- vient encore de particulièrement surveiller (l).

PROVINCE DE FIANARANTSOA.

La province de Fianarantsoa est divisée en sept districts (2) :

Ambohimahasoa. . . ] ,, , .

Fianarantsoa i ^exclusivement Betsiléos,

Ambalavao ^ au Centre.

Ifanadiana )

Ikongo Tanalas à l'Est.

District de l'Ouest ou de la J Betsiléos avec de nombreux

Mananantanana j éléments Baras,

Ihosy à l'Ouest.

Les trois premiers comprennent la presque totalité de la po- pulation Betsiléo groupée autour des trois grands centres d'Ambohimahasoa, de Fianarantsoa et d'Ambalavao, région presque aussi avancée que l'Irnérina comme état social et com- me administration et beaucoup plus développée au point de vue agricole.

Ces trois districts sont dotés d'une administration complète et commandés par des fonctionnaires civils.

Le district dlfanadiaua est commandé par un agent civil.

Le district Tanala d'Ikongo est commandé par un oflTicier disposant d'un détachement de tirailleurs. Ce pays, un noyau insurrectionnel avait persisté jusqu'à ces derniers temps, n'est soumis que depuis décembre 1901 et demande à être encore fortement tenu en main.

District de VOuest ou de la Mananantanana. District nou-

(1) Carte 5 à la gauche du volume.

(2) Le cercle et la province sont des circonscriptions de même ordre, de même que le secteur et le district, subdivisions du cercle eb de la province ; seulement, ces dénominations ont été choisies pour distinguer les circonscrip- tions administrées par des fonctionnaires civils (provinces et districts), et par des officiers (cercles et secteurs).

CONCLUSIONS 219

vellement constitué à l'Ouest du Betsiléo pour prendre en main une vaste région qui formait jusque-là une marche inoccupée entre le Betsiléo et le territoire Sakalave. Ce territoire servait d'asile à des bandes de voleurs de bœufs et aux groupes de population qui voulaient échapper à l'impôt, et la liaison effec- tive avec le territoire Sakalave n'existait pas.

Le district est divisé en trois sous-gouvernements indigènes et a son chef-lieu à Solila.

Les résultats de cette organisation récente sont intéressants. Les vols de bœufs semblent avoir cessé; plus de quatre cents familles, provenant du Betsiléo central, sont venues se fixer dans la circonscription de Solila.

Un arrêté du 7 mars 1902, qui a réduit de 20 à 10 francs le taux de la taxe personnelle pour ce district, et un arrêté du 28 février 1902, qui a concédé des avantages aux villages de peuplement, favorisent ce mouvement d'émigration, tout à fait conforme aux vues du Gouverneur général sur l'impulsion à donner aux populations du plateau central vers les côtes et les régions intermédiaires.

Les postes de milices-frontières sont en contact avec les postes limitrophes du territoire Sakalave avec qui la liaison est ainsi établie.

Le district d'îhosy, récemment rattaché à la province de Fianarantsoa, est peuplé de Bara, mais avec une immigration croissante de Betsiléo qui peuplent presque entièrement l'ag- glomération d'îhosy et se répandent dans les environs.

L'administration civile du Betsiléo peut être appliquée pror chainement à ces deux derniers districts.

Dans le district d'Ikongo, au contraire, il est essentiel de maintenir pendant quelque temps la section de tirailleurs et de laisser cette circonscription sous le commandement d'un officier.

PROVINCE DE FARAFANGANA

La province de Fara-fangana, y compris l'ancien cercle d'Ifan- dana, est divisée en huit districts :

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Vohipeno n

. , ^ > Districts côtiers.

Ankarana...... , (

Vangaindrano j

Kariaiiga..... .; \

T , .. , l Districts intérieurs.

Ivohibe. j

Midongy ;

dont quatre (Vohipeno, Farafangana, Ankarana, Karianga) sont dirigés par des fonctionnaires et quatre (Vangaindrano, Vondrozo, Ivohibé, Midongy) par des officiers.

Ces trois derniers districts, qui comprennent la région fores- tière la plus récemment soumise et qui a opposé pendant qua- tre ans une sérieuse résistance à notre pénétration, exigent la surveillance la plus étroite et doivent continuer à être com- commandés et occupés militairement.

Le district de Vangaindrano peut avantageusement être com- mandé, quelque temps encore, par un officier, parce que, con- finant aux Andrabé si récemment soumis, il peut y avoir à parer à des imprévus et à coopérer avec Midongy.

D'une manière générale, on peut dire que la province est pacifiée. Les faits suivants sont significatifs à cet égard:

L'administrateur Bénévent, dans ses dernières tournées, et moi dans les miennes, avons traversé sans escorte la forêt sur des points différents.

Le retentissement de cette pacification a eu assez de portée pour que des indigènes émigrés à Tamatave pendant l'insurrec- tion de 1896 soient rentrés à leurs villages, dans la région de Midongy, munis de papiers en règle. "

Les incendies de forêts, qui offraient tant de gravité et de péril, sont complètement arrêtés. Leur cessation a été une des conditions les plus rigoureusement imposées aux habitants et, dans ma dernière tournée, j'ai vu de larges zones de forêt se reconstituant sur les lisières. Ce résultat ne s'obtient qu'en forçant la population à quitter la forêt et à refaire ses instal- lations dans les vallées. Ce n'est pas sans peine, parce que les indigènes ont dans la forêt l'attirance de l'abri et celle du riz de montagne qui leur coûte moins de peine à cultiver que

CONCLUSIONS 221

le riz de plaine. Néanmoins, en étant impitoyable à cet égard, on arrive petit à petit à vider complètement la forêt.

Le mouvement commercial de la côte vers l'intérieur, qui était nul il y a un an, à cause de l'insécurité de la traversée de la forêt, a pris une extension soudaine. J'y reviendrai dans un chapitre suivant (1).

Les prospecteurs d'or, qui n'osaient pas s'aventurer dans cette zone, s'y sont répandus en grand nombre depuis quelques mois.

Néanmoins, si la province de Farafangana ne doit plus com- porter d'opérations militaires proprement dites, il y subsiste encore nombre de tribus turbulentes qu'il faut tenir de très près et contre lesquelles des opérations de police locale seront probablement nécessaires. Ce sont :

Dans le district d'Ivohibé : les Masitoko, qu'on a beaucoup de peine à sortir de la forêt, qui y ont toujours quelques fusils cachés et qui se sont livrés encore récemment à des attentats contre des individus isolés; les Hovalahy-ny-Iantara, gens insupportables, entre Ivohibé et Sakalalina, qu'il faut constam- ment remettre à la raison ;

Dans le district de Vondrozo : les Antsoro et les Ivatobé, qui nous sont restés fidèles pendant l'insurrection, mais qui s'en estiment un peu trop, le prennent de haut, ont des fusils cachés et nous occasionneraient de sérieuses difficultés s'ils venaient à se révolter; les Vohilakatra, obéissants pour le moment, mais peu sûrs; les Zafinivolo et leur chef Ra- mahavalo, également très peu sûrs, qui ont certainement beaucoup d'armes cachées, car ils n'en ont remis que très peu. C'est pour maintenir de très près ces quatre tribus, importan- tes par leur population et leur vigueur et formant le groupe- ment le plus suspect, qu'a été créé le district de Vondrozo.

Dans le district de Midongy : les Andrabé du Haut-Ito»- manpy, qui ont présenté une certaine résistance au désarme- ment, lequel n'a pu s'obtenir qu'en s'assurant à Midougy de leur chef Uaby; les Bara du Haut-Ionaivo, dit Zafindravalo, que favorise la nature difficile des hauts massifs qu'ils habi-

(1) Situation commerciale, page 300.

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

tenl et qui se sont, eux aussi, prêtés difficilement au désarme- ment.

CERCLE DE FORT-DAUPHIN

Le cercle de Fort-Dauphin comprend sept secteurs ou dis- tricts :

Le secteur de Ranomafana, Le district de Fort-Dauphin, Le district de Manambaro, Le secteur de Béhara, Le secteur de Tsivory, Le secteur d'Ambovombé, Le secteur de Tsiombé,

Les trois premiers peuvent être considérés comme pacifiés, ceux de Fort-Dauphin et de Manambaro sont dirigés par des fonctionnaires civils.

Toutefois, dans le secteur de Ranomafana il subsiste, au Sud de Manantenina, le groupement suspect des Romek>ka, chez qui un commencement de mouvement a être réprimé en décembre 1901 (1).

Le secteur de Beliara, bien que pacifié, doit rester, jusqu'à nouvel ordre, commandé militairement, car il est presque exclu- sivement peuplé d'Antandroy soumis, mais récemment. Il sert de base d'action contre les Antandroy insoumis et c'est lui qui fournit nos émissaires et nos partisans.

Le secteur de Tsivory est acquis dans sa partie Est et Nord, mais dans sa partie Ouest il participe activement à la pénétra- tion des Mahafaly et des Antandroy. On n'a qu'à se reporter à ce qui" a été dit plus haut (2), pour se rendre compte de la peine qu'on aura à faire perdre à ces peuplades l'habitude des expé-

(1) Page 168.

(2) Page 202.

CONCLUSIONS 223

ditions armées souvent lancées à de longues distances, pour razzier des bœufs. Depuis des années toute la vie économique du Sud a été arrêtée par ces brigandages.

Quant aux secteurs d'Ambovombé et de Tsiombé, ce sont les secteurs de pénétration active du pays Antandroy. Il a été longuement traité de leur situation (1).

CERCLE DE TULEAR

Le cercle de Tulear comprend sept secteurs qui sont, du Sud au Nord : Le secteur Mahafaly, Le secteur de Tongobory, Le district de Tulear, Le secteur d'Ambohibé, Le district d'Ankazoabo, Le secteur de Benenitsa, Le district de Betroka.

Les secteurs Mahafaly, de Tongobory, d'Ambohibé, de Bene- nitsa sont commandés par des officiers; les districts de Tulear, d'Ankazoabo, de Betroka, par des fonctionnaires civils.

L'Onilahy, laissant au Sud le secteur Mahafaly et la moitié du secteur de Tongobory, divise, comme on l'a vu, ce cercle en deux zones bien distinctes politiquement et géographique- ment.

La zone Nord [moitié nord du secteur de Tongobory, sec- teurs d'Ambohibé et de Benenitsa, districts de Tulear, d'An- kazoabo et de Betroka] comprend les groupements de race Ta- uosy, Masikoro et Bara, auxquels est appliqué un régime se rapprochant du protectorat. Dans toute celte zone Nord du cercle de Tulear on a pu réaliser d'une manière satisfaisante le régime de semi-autonomie, avec un très petit nombre de chefs naturels, inauguré par le commandant Lucciardi, régime qui pourra probablement être étendu aux Mahafaly, mais dont,

(1) Pages 168 et suivantes.

224 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

malgré mon vif désir, il a été impossible jusqu'ici de trouver les éléments dans l'Est et le Sud, parce que les tribus trop nombreuses et divisées y forment une véritable poussière et qu'il a fallu de toute nécessité les grouper en .districts avec une administration à peu près directe. Ici, au contraire, mal- gré quelques flottements inévitables, la formule semble trou- vée et, moyennant la fermeté et un contrôle constant sans tra- casserie de la part des résidents français, il faut espérer qu'elle donnera de bons résultats.

Snbslitntion progressive de radministralion civile à I^administration militaire.

Les deux croquis ci-après font ressortir la progression suivie par l'administration civile depuis deux ans.

On remarquera que dans les provinces civiles un certain nombre de districts restent administrés par des officiers sous la direction des chefs de province; tandis que dans les cercles militaires des secteurs sont déjà administrés par des fonction- naires civils sous le commandement de l'officier supérieur, chef de province. Ce n'est pas un hasard ni un caprice, mais cela répond à une conception qui facilite grandement l'évolution à l'administration civile des régions nouvellement soumises.

Une province civile dans laquelle certaines circonscriptions sont maintenues sous le commandement d'officiers disposant de leurs unités est une région qui dans son ensemble est sou- mise, à laquelle peuvent être appliqués la plupart des règle- ments administratifs, fiscaux, qui régissent la colonie, mais dont certaines zones généralement caractérisées par la diffi- culté du pays restent à surveiller particulièrement pour y empêcher toute formation ou toute réinstallation de groupe rebelle. Les officiers placés à la tête de ces zones, tout en y parant aux imprévus au moyen des effectifs dont ils disposent, y introduisent peu à peu, sous les ordres de l'administrateur, un régime administratif normal.

Un cercle militaire dans lequel certaines circonscriptions sont déjà confiées à des administrateurs civils est, au con-

CONCLTJSIONS

225

traire, une région qui dans son ensemble est d'une soumission incomplète ou douteuse, des mouvements de troupes, évo- luant d'une circonscription sur rautr*e, peuvent être néces-

LÉGENDE ^^1 Provinces civiles. Cercles militaires

Progression de l'fldmfnistpation civile.

SITUATION AU 1" JANVIER ICOl.

saires pour parer à des imprévus et il importe que tous les moyens politiques et militaires soient encore maintenus dans la même main, mais où, d'autre part, certaines zones, par leur degré de pacification, par le nombre de colons qui y sont déjà installés, comportent une administration complète qu'il y a avantage à confier à des fonctionnaires civils.

Madagascar. 15

DANS LE SUD DE MADAGASCAE

Dans le premier cas, le régime de commandement maintenu dans des zones de plus en plus restreintes disparaît peu à peu sous la direction supérieure de l'administrateur, chef de pro-

LEGENDE -

Province civi/e 1 1 1 1 1 1 1 II Cercles militaires Districts civi/s

Not» Lti troia districts dont )ei noms sont sou/iffn*s d'un trait noir tn province civile, retient ccdministris pOLr-deg q^iciers enraiton de leur soumission récente »t de ta nécessite dy maintenir des trou/tes . Ces districts sont d'aiUAUrs. OUI poinLde vue administroUi/'.jeuini.' " rentes tfu.e tes ouitret districts civtt

Ppogpesslon de l'AdmlnistPation civile.

SITUATION AU 1" MARS 1902.

vince; dans le second cas, le régime civil se prépare peu à peu sur des surfaces croissantes, sous la direction supérieure du commandant militaire du cercle.

Ce procédé présente Textrême avantage de ménager les transitions, chose si essentielle dès qu'il s'agit du gouverne-

CONCLUSIONS 227

ment des indigènes. Ceux-ci passent insensiblement d'un ré- gime à l'autre. C'est la meilleure manière d'éviter les à-coups qui se produisent si souvent lorsqu'on fait brusquement passer toute une région d'une administration à l'autre et qui ont sou- vent eu comme conséquence la nécessité de revenir en arrière et de replacer temporairement sous un régime de commande- ment des régions passées prématurément au régime civil.

C'est qu'en effet on n'est pas le maître de l'esprit des indi- gènes. On tient souvent trop peu de compte de leur « menta- lité » si différente de la nôtre. On oublie trop que les moindres actes de l'infime minorité européenne qui les gouverne sont de leur part l'objet d'une observation attentive et des commen- taires les plus imprévus. C'est ainsi que, dans plusieurs cir- constances, un brusque passage du régime militaire au régi- me civil, qui n'était à nos yeux qu'un simple acte administratif, leur est apparu comme un commencement d'évacuation motivé par des événements extérieurs et comme le prélude de la fin prochaine de notre domination.

Des faits simples, commentés par les éléments hostiles qui subsistent toujours dans le pays, sont démesurément grossis et provoquent une agitation sourde, souvent occulte, qui nous remet un beau jour en présence d'une situation à laquelle il faut vigoureusement remédier. Ces inconvénients peuvent pres- que toujours être évités si l'on apporte le soin le plus extrême à ménager les transitions de régime.

Il ne faut jamais oublier que l'indigène n'aime pas à « chan- ger de figures », si l'on veut me passer cette expression; mais que, pourvu que la « figure » à laquelle il est habitué reste, peu lui importe le régime qu'elle applique.

Dans ces régions du Sud, si rebelles à l'idée de centralisation, étrangères souvent les unes aux autres, ce que l'indigène con- naît le mieux, c'est son chef de secteur, pas toujours son chef de province et il ignore presque entièrement l'autorité supé- rieure (1). L'important est donc de ne changer les « figures »

(1) Au début des opérations contre les Tambavalo, dans tel secteur, l'au- torité française, pour les indigènes, c'était le sergent X..., qu'ils connais- saient et en qui ils avaient toute confiance, et tout ce que pouvaient leur dire le commandant de cercle et moi-même avait infiniment moins d'auto- rité que ce que leur disait le sergent.

â28 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

auxquelles l'indigène est accoutumé, que très progressivement et non pas simultanément, mais une à une, en les y préparant, et c'est à quoi paraît répondre au mieux le procédé qui vient d'être exposé.

IV

OCCUPATION MILITAIRE A MAINTENIR DANS LE SUD

Il est de toute évidence que, dans un pays si récemment sou- mis que le Sud de Madagascar et sur certains points la situation acquise est encore si peu affermie, il est indispensa- ble de maintenir une organisation militaire assez solide pour parer à tout imprévu.

Néanmoins, comme cette organisation a été présentée par- fois comme une grosse machine de guerre très onéreuse comp- tant des effectifs trop nombreux et risquant, par même, d'en- traîner facilement aux opérations militaires, il n'est pas inu- tile de remettre les choses au point et, en montrant combien cette occupation est déjà restreinte, de prévenir les réductions intempestives qui compromettraient prématurément notre domi- nation.

Au moment de ma prise de commandement il y avait dans le Sud :

TROUPES RÉGULIÈRES.

2 compagnies du 13^ régiment d'infanterie colo- niale à 150 hommes, soit s.. 300 fusils.

2 compagnies de légion étrangère à 180 pré-

sents, soit 360

6 compagnies du 1" régiment de tirailleurs mal- gaches à 200 (1) présents, soit 1.200

3 compagnies du 3* régiment de tirailleurs séné-

galais à 150 hommes, soit 450

au total 2.310 fusils.

(1) Ce chiffre était même forteonent dépassé dans la pratique.

CONCLUSIONS 229

2 sections d'artillerie,

3 sections de conducteurs (ont été portées à 4 au cours de

l'année par la venue de la portion centrale de la compa- gnie à Fianarantsoa).

GARDE INDIGENE.

Compagnie de milice du Betsiléo 250

de Farafangana... 200

des Baras. 330

de Tulear 150

de Fort-Dauphin. .. 250

au total 1.200 1.200

Soit au total 3.510 fusils.

La garde indigène ayant été réduite à la date du 1" mai 1902 à une simple force de police d'effectifs beaucoup plus réduits et une partie de ses hommes ayant été versée dans les com- pagnies de tirailleurs, il restait dans le Sud au 1*" mai 1902 :

TROUPES RÉGULIÈRES.

250 fusils.

H" compagnie du 13" colonial à 100 hommes.... 12' compagnie du 13* colonial à 150 hommes....

1 compagnie de légion étrangère 100

1 peloton de légion étangère 75

8 compagnies du 2" malgache renforcées d'une partie des miliciens licenciés et formant un

total de 1.400

3 compagnies du 3* sénégalais à un effectif

moyen de 159 hommes, soit 477

au total 2.302

230^ DANS LE SUD DE MADAGASCAR

FORCES DE POLICE.

Brigade de police du Belsiléo 200

de Farafangana 250

de Tuîéar , 100

au total 550 550

Soit au total 2.852 fusils.

Les effectifs européens, ceux dont l'entretien est le plus onéreux, avaient donc été notablement réduits; les effectifs de tirailleurs indigènes légèrement relevés pour compenser l'importante réduction des effectifs de milice; quant à ces der- niers, ils avaient été abaissés de plus de moitié.

Dans l'ensemble il y a donc eu en un an réduction : de 3510 2852-658 fusils, et de 2 sections d'artillerie, c'est-à- dire d'environ un cinquième.

En outre, la compagnie de conducteurs d'artillerie dont les quatre sections, réparties entre Fianarantsoa, Farafangana, Fort-Dauphin et Tuléar, assuraient le ravitaillement des trou- pes, après avoir été portée au cours des opérations à l'effectif de 340 conducteurs et 360 mulets, a été réduite progressive- ment, dès que les circonstances le permettaient; la section de Farafangana, devenue inutile par suite de la pacification de la zone forestière, a été supprimée le 1"* mai 1902; la compagnie a été ainsi maintenue à 206 conducteurs et 202 mulets, et au cours de l'année 1902 elle pourra subir encore de -notables réduc- tions (1).

En résumé, c'est avec un effectif de 2.300 fusils de troupes régulières et de 550 fusils de forces de police que se trouve tenu près du tiers Sud de l'Ile comprenant environ un million

(1) La compagnie tout entière a été supprimée le l*"" juillet 1902, et le nombre d'animaux indispensables pour le ravitaillement versé aux compa- gnies au compte de la masse de ravitaillement.

CONCLUSIONS 23Ii

eriiabilants (1) parmi lesquels les populations les plus guer- rières, les plus sauvages de l'Ile, dont une notable partie n'est soumise que de cette année et dont une partie à l'Extrême-Sud est encore en voie de pénétration, populations qui étaient égale- ment les mieux armées, puisque, malgré le désarmement qui, depuis un an, a amené le retrait d'environ 12.000 fusils, nous en avons encore devant nous probablement 12.000 chez les An- tandroy et les Mahafaly.

On peut donc regarder cette occupation comme réduite à sa plus simple expression. Ce résultat n'a pu s'obtenir, du reste, qu'en assurant le jeu le plus large entre les différentes unités, en -variant à l'extrême les effectifs selon les régions qu'elles occupent.

On me permettra de m'y arrêter un instant, parce qu'il y a l'essai sur une vaste échelle d'une application de la doc- trine du « secteur-compagnie » telle qu'elle a déjà été formu- lée ailleurs (2).

Concordance entre le secteur, unité politique, et la compagnie, unité militaire.

La doctrine fondamentale du secteur, conçue et appliquée pour la première fois au Tonkin, au deuxième territoire mili- taire commandé par le colonel Galliéni, repose sur l'identité du commandement territorial et du commandement militaire dans les régions qu'on juge nécessaire de maintenir sous l'au- torité militaire et a pour base la « compagnie ».

Le secteur correspond par conséquent à une circonscription telle que, soit par son étendue, soit par l'importance de sa

(1) Résultats des derniers recensements, ne comprenant pas encore toutes les parties impénétrées :

Fianarantsoa. . 358.268

Farafangana (environ) 250.000

Fort-Dauphin 135.287

Tuléar , 127.400

Total 870.955

(2) Bôle colonial de l'armée. (Armand Colin, 1900.)

232 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

population, soit par la nature de cette population, son adminis- tration, son occupation militaire, sa police, puissent être assu- rées par les éléments constitutifs d'une compagnie.

Le but essentiel est d'assurer d'une manière absolue l'unité de commandement et de réunir dans les mains d'un seul chef tous les moyens d'action.

L'application de cette doctrine ne serait d'ailleurs ni prati- que, ni par conséquent coloniale, si elle n'avait pas une sou- plesse et une élasticité qui lui permissent de s'adapter à des conditions variables.

Les secteurs ne peuvent et ne doivent être ni de même éten- due, ni occupés dans des conditions identiques. Telle région peu peuplée ou pacifiée peut former un secteur très vaste; telle autre de population très dense ou peu sûre peut former un secteur très restreint. Il y a aussi à tenir grand compte de l'homogénéité des groupements de populations, de l'impor- tance de leurs chefs, de la communauté des intérêts écono- miques.

Dans tout problème à résoudre il faut une connue; cette connue consiste ici dans les cadres de la compagnie et c'est le nombre fixe d'officiers, de sous-olficiers constituant ces ca- dres qui forme cette constante, tandis que les variables sont l'étendue territoriale et les effectifs de la troupe.

L'application de cette doctrine dans le Sud de Madagascar a permis de proportionner strictement le nombre de fusils aux besoins de la situation, sans garder nulle part de forces sans emploi et, grâce à sa souplesse, de varier ces forces et de les réduire progressivement sans à-coup, sans déplacements d'u- nité, à mesure que la pacification s'accentuait.

Il y avait, au l"' mai 1902, dans le Sud, dix secteurs occupés militairement.

Chacun d'eux sauf deux exceptions, Ranomafana et Bas- Mangoky, commandés par des lieutenants correspond à une occupation de compagnie, et encore ces deux exceptions con- firmaient-elles la règle, puisqu'elles s'appliquaient à deux cir- conscriptions préparées et déjà proposées pour être remises à l'administration civile, c'est-à-dire passant par un régime de transition.

CONCLUSIONS 233

Examinons les autres successivement :

Ivohibé et Midongy, récemment pacifiés et habités par les populations les plus turbulentes de la zone forestière, exigeaient une occupation solide. Les l""* et o' compagnies du 2' régiment de tirailleurs malgaches qui les occupaient étaient à effectifs très renforcés 255 fusils, 3 lieutenants et une majoration de sous-officiers.

Le secteur de Tsivory, aux deux tiers pacifié, mais partici- pant pour un tiers à la pénétration Antandroy, était occupé par la 7" malgache, avec un effectif porté à 210 fusils et 3 lieute- nants.

Le secteur d'Ambovombé étant en pleine pénétration Antan- droy, bien qu'il soit de superficie quatre fois moindre que le précédent, comptait néanmoins 166 fusils de la 10* sénéga- laise.

Le secteur du Faux-Cap, également en pleine pénétration Antandroy, était occupé par la il* compagnie malgache avec 210 fusils, renforcée d'un peloton de Sénégalais et 3 lieutenants.

11 en était de même pour le secteur Mahafaly, avec la T com- pagnie sénégalaise renforcée d'un peloton et 3 lieutenants.

Par contre le secteur de Behara, dans le cercle de Fort-Dau- phin, entièrement pacifié, ne comptait plus qu'un peloton de la 4' compagnie de légion à laquelle étaient adjoints quelques tirailleurs malgaches pour le service extérieur.

Dans le cercle de Tulear, le secteur Tanosy, presque en- tièrement pacifié et prédomine la question administrative, était occupé par la 10* compagnie du 2* malgache, mais réduite à 128 fusils.

Et enfin, dans le secteur de Benenitsa, complètement pacifié, les cadres de la 8* malgache n'avaient plus qu'un rôle adminis- tratif et de police et l'effectif de la compagnie y était réduit à 80 fusils.

On voit donc que, si tous ces secteurs ont été constitués de manière à correspondre à la capacité de commandement et d'administration d'un capitaine et des cadres de sa compagnie, par contre les effectifs « fusils » y variaient de 80 à 255.

Cette variabilité, qui peut choquer les esprits systématiques,

234 DANS I-E SUD DE MADAGASCAil

est, au contraire, la conséquence forcée de l'idée sur laquelle repose le secteur.

Il est évident que Ivohibé, par exemple (région au Nord de la Mananara), et Midongy (région au Sud de la Mananara), for- ment deux groupements ethniques et géographiques homogè- nes qu'il y a tout intérêt à ne pas subdiviser et à laisser dans la main d'un seul chef.

De même pour Benenitsa et le secteur Tanosy : si l'on ne considère que l'importance des fusils nécessaires pour leur occupation, on eût pu les fondre en un seul avec une seule compagnie, mais ils forment deux groupements ethniques et géographiques différents qu'il y a intérêt à laisser distincts et dont l'étendue et l'importance comportent pour chacun les cadres d'une compagnie sans en comporter l'effectif.

Si, au contraire, l'on s'en tenait à la conception rigide et for- maliste de compagnies d'effectif égal, il eût fallu deux compa- gnies dans chacun des secteurs d'Ivohibé et de Midongy; mais alors il y aurait eu dans chacun deux capitaines superposés, avec tous les inconvénients qui en résultent, et pléthore de cadres.

Dans d'autres secteurs, au contraire, ce serait l'inverse avec les inconvénients inverses.

Ma constante préoccupation a été d'éviter le mélange des unités et de concentrer chacune d'elles dans une région nette- ment déterminée. Aussi longtemps, au contraire, que le prin- cipe de l'uniformité d'effectif des compagnies avait été regardé comme à peu près intangible, on avait été amené, pour ren- forcer des régions qui l'exigeaient, à y faire de nombreux dé- tachements provenant de compagnies éloignées, à y mettre quelquefois des compagnies entières de renfort ; d'où des ca- pitaines sans emploi, ou bien exerçant simplement des fonc- tions de chef de poste, sans responsabilité, sans intérêt et, d'autre part, il fallait moins de troupes, des lieutenants exerçant des commandements beaucoup plus importants, trop importants pour leur grade et leur expérience. Combien plus simple de se dégager de l'idée d'uniformité obligatoire des compagnies pour, au contraire, les renforcer il est né- cessaire et les réduire au minimum ailleurs. L'essentiel est

CONCLUSIONS 235-

d'éviter, avant tout, le mélange des unités et de n'avoir, dans une même circonscription, qu'un seul chef, une seule admi- nistration, une seule troupe et, par conséquent, une seule res- ponsabilité.

L'avantage de la compagnie identifiée au secteur, c'est qu'avec la fixité de ses cadres et l'élasticité de ses effectifs, elle présente un organisme d'une souplesse qui s'adapte aux con- ditions les plus variables et qui permet l'occupation la plus économique d'un pays en n'y affectant que le nombre d'unités strictement nécessaires. D'autant plus qu'à mesure que la sé- curité progresse, les effectifs peuvent être réduits dans chaque unité, sans qu'il y ait mouvement des unités, c'est-à-dire sans modification de l'organe de direction, les cadres, ce qui est si essentiel.

Telle région comportant logiquement dix secteurs, c'est-à- dire dix capitaines-administrateurs, peut être occupée aujour- d'hui par 2.000 fusils, dont l'effectif pourra être ramené pro- gressivement à 1.000 fusils, sans le moindre à-coup, sans tou- cher au personnel dirigeant, sans que les indigènes, en un mot, s'apperçoivent d'un changement de régime.

Et dans le Sud, en particulier, j'estime que cette réduction de fusils pourra s'effectuer progressivement à bref délai.

Idée des corps mixtes.

Pour que l'organisme militaire administratif soit completv, il convient de rappeler qu'à chacune de ces compagnies indigènes est adjoint le groupe nécessaire de soldats européens, qui varie généralement de vingt à quarante, fournis soit par des réserves européennes extérieures, soit par échange avec des compagnies voisines.

Ces petits groupes d'européens (ouvriers, employés, secré- taires, encadrements) sont indispensables pour assurer à un secteur tous ses moyens d'action.

On s'est demandé si, dans ces conditions, il n'y aurait pas avantage à prévoir dans l'organisation de l'armée coloniale un certain nombre de compagnies mixtes destinées aux territoires militaires, du moins en ce qui concerne le ïonkin et Madagas-

236 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

car. On disposerait ainsi d'un organisme souple et complet aussi propre au rôle de guerre qui exige le plus souvent un noyau d'Européens formant réserve, qu'au rôle d'occupation admi- nistrative qui exige également un noyau d'Européens assurant les divers services et l'encadrement. On éviterait de la sorte ces emprunts d'unité à unité, ces « subsistants », toujours pleins d'inconvénients au point de vue du commandement et de la bonne gestion administrative.

Toutefois, comme cette constitution de compagnies formant corps a soulevé des objections, le même résultat pourrait être atteint par la création soit de bataillons mixtes formant corps, soit de régiments mixtes affectés exclusivement aux territoires militaires et comprenant des compagnies indigènes et des compagnies européennes dans une proportion à déter- miner, ces dernières fournissant aux premières tous les élé- ments nécessaires.

On serait ainsi amené à envisager une modification partielle de l'organisation régimentaire aux colonies. Tous ceux qui ont pratiqué le commandement colonial savent à quelles diffi- cultés et à quels inconvénients aboutit, en territoire militaire, la juxtaposition du commandement régimentaire et du com- mandement territorial. Les effectifs nécessaires et des cadres de choix sont mis à la disposition des commandants de terri- toire pour exercer le double rôle militaire et administratif qui est la raison d'être des territoires militaires : ces troupes res- tent néanmoins administrées et commandées dans une certaine mesure par le commandant de régiment souvent fort éloigné, qui continue à noter le personnel, à assurer les nominations et les mutations des cadres subalternes qu'il connaît mal et ne voit pas à l'œuvre. Il y a une contradiction flagrante et souvent un grave préjudice pour le personnel qui dépend de deux chefs et dont la carrière est aux mains de celui cfui possède le moins d'éléments d'appréciation.

Il y aurait deux moyens d'y remédier :

Ou bien en limitant l'organisation régimentaire aux corps stationnés dans les places centrales et les territoires civils et en constituant en dehors d'eux un certain nombre de compa- gnies mixtes indépendantes destinées aux territoires militaires. Dans ce cas, des bureaux centraux de comptabilité, établis

CONCLUSIONS 237

au siège des territoires, assureraient l'administration de ces compagnies sans intervenir en rien dans leur commandement, qui serait exercé exclusivement par le commandant territorial.

Ou bien, plutôt, en attribuant à chaque territoire militaire soit des bataillons formant corps, soit un ou plusieurs régiments constitués, administrés par leurs lieutenants-colonels chefs de corps, comme il arrive le plus souvent aux colonies, mais sous l'autorité absolue du commandant de territoire. Soit que ces régiments soient composés de compagnies mixtes, soit qu'ils soient eux-mêmes des régiments mixtes (si l'on trouve des inconvénients à la première solution) comprenant un certain nombre de compagnies européennes, le commandant territorial disposerait entièrement de tous les éléments nécessaires pour pourvoir à toutes les nécessités, en opérations comme en sta- tion, et l'unité de commandement, l'unité d'action et de direction seraient ainsi sauvegardées.

Cette constitution de corps mixtes présenterait, semble-t-il, l'avantage de se prêter entre toutes à l'encadrement des ré- serves indigènes, question qui se pose dès aujourd'hui dans toutes nos colonies elle est d'ailleurs sérieusement étudiée. Le nombre croissant des militaires indigènes libérés, la né- cessité de prévoir leur utilisation et leur encadrement, pour qu'ils deviennent un appoint et non un péril, le rôle que l'évolution de la politique générale du monde semble assigner aux colo- nies dans les conflits à venir, lui donnent une importance capitale : la prévision d'un certain nombre d'unités mixtes pa- raît donner un des meilleurs moyens de la résoudre.

Il est à souhaiter que ce point soit l'objet d'une étude sé- rieuse le jour l'on sera forcément amené à compléter la loi sur l'armée coloniale, en s'inspirant des conditions organi- ques absolument spéciales sur lesquelles reposent le fonction- nement et l'emploi des troupes coloniales, et en se souvenant qu'elles sont laites cVabord pour les colonies, que celles-ci sont leur seule raison d'être, et que tout autre emploi de ces trou- pes ne doit être envisagé qu'à titre d'exception.

238 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

V

RAVITAILLEMENT

Organisation dn service.

Le ravitaillement a été assuré pour la majeure partie, pen- dant la dernière période de la pénétration du Sud, par les sec- tions de conducteurs d'artillerie, soit par mulets de bâts, soit par voitures Lefebvre attelées de mulets.

Dans tout le Sud, en effet, les porteurs font défaut. Il est très difficile de décider les indigènes à porter: la crainte d'être obligés de faire des convois doit être comptée au nombre des causes d'insoumission; la même crainte a empêché souvent les indigènes des régions impénétrées de venir à nous et de s'éta- blir à proximité des postes.

C'est pourquoi il était indispensable d'organiser le ravitail- lement de manière à employer le moins possible, comme por- teurs, les indigènes de ces régions et d'utiliser dans la plus large mesure le transport par voitures, ou au moins par bâts. Cette solution se trouvait du reste grandement facilitée par la nature du pays dans les cercles de Tulear et de Fort-Dauphin, c'est-à-dire sur la plus grande étendue des territoires de pé- nétration. Le pays est généralement plat, il y pleut très peu, le sol est consistant, l'établissement de routes charretières n'y est, le plus souvent, qu'une question de débroussaillement. Dans ces deux cercles, un réseau de pistes en éventail, par- tant du chef-lieu, s'étabUt au fur et à mesure de la pénétration.

En ce qui concerne le cercle d'Ifandana, la question était moins simple, en raison des difficultés du pays; pourtant deux circonstances favorables, l'abaissement de la falaise entre le port de Farafangana et Ifandana et la navigabilité de l'Ito-

CONCLUSIOISS

mampy sur un parcours de 100 kilomètres, permirent d'y assu- rer le ravila.illement suivant un T, dont le pied fut constitué par une piste charretière établie de la côte à Ifandana et dont les deux branches furent constituées, celles du Sud par l'Ito- manpy, celle du Nord par une piste charretière facile à établir dans l'un des couloirs, à peu près horizontaux, parallèles à la côte. Les avantages de cette solution ont déjà été présentés au chapitre IV de la P partie (1); il en sera reparlé ultérieurement à l'article « Voies de communication ».

Une section de conducteurs commandée par un lieutenant fut affectée à chacun des trois cercles Tulear, Fort-Dauphin, Ifan- dana, cette dernière ayant son siège hors du cercle, à Farafan- gana, port d'approvisionnement du cercle.

Le siège de la compagnie dont relevaient ces trois sections fut ramené de Tananarive à Fianarantsoa, à côté du comman- dant supérieur sous les ordres duquel était placé le capitaine commandant la compagnie. L'unité de direction était ainsi assurée.

Cette disposition plaçant une unité de cette nature entière- ment sous les ordres du commandement, pour logique qu'elle soit, est si rarement appliquée aux colonies et si difficile même à y appliquer, pour des motifs qu'il est superflu de développer ici, qu'il convient d'en prendre acte.

Les bons résultats en furent d'ailleurs évidents. Le placement de chacune des sections sous les ordres de chacun des com- mandants de cercle, la possibilité, grâce à la présence à Fia- narantsoa de la portion centrale auprès du commandement su- périeur, de pourvoir sur-le-champ à tous leurs besoins, au remplacement du matériel, à la relève du personnel fatigué, à la solution immédiate des questions administratives, permirent d'obtenir de ces sections un maximum de rendement. Elles rendirent des services inappréciables. Il est juste de dire que le commandement trouva dans le capitaine d'artillerie Dalbavie, commandant la compagnie, et dans les lieutenants Bertrand, Carleron, Gauthé, Bourely, commandant les sections, des auxiliaires aussi dévoués qu'entendus.

(1) Page 70.

240

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Dans chaque cercle, l'organisalion du service fut la suivante (les effectifs donnés sont ceux correspondants à la période la plus active de la pénétration).

Cercle dUfandana. Effectif de la section :

1 lieutenant,

6 gradés et cadres européens, 70 conducteurs indigènes, 60 mulets, 19 voitures Lefebvre.

\

Ivohlbè^

flanoàsarcL

du. Nord. «

Magasin de cercle ® Magds/n de secteur , Route charretière. fyvl-

'~~^~ \taL Uem ent par voitures Chemin muletier. Ravi- tailiement par mulets. BieJ nayigaJile- Ravc-

\tculle.meixt pocrpiroffues. Sentiers. RavitAillement

pa.rbourja.nes

Magasin centpal : Ifandana.

Base de ravitaillement à Farafangajia.

Le magasin central du cercle, à Ifandana, était relié à Fara- fangana par une route en construction, déjà charretière dans ses deux tiers Est, encore muletière dans son tiers Ouest.

Le magasin du secteur d'Ivohibé était relié au magasin cen- tral par une route charretière. D'Ivohibé, le ravitaillement en éventail des divers postes était assuré par porteurs.

CONCLUSIONS

Ut

Le magasin du secteur de Midongy était relié au magasin central: 1" par un chemin muletier de 28 kilomètres, d'Ifandana h la Mananara; par les 100 kilomètres navigables de l'Ito- mampy.

De Midongy le ravitaillement en éventail des divers postes était assuré par porteurs.

Cercle de Fort-Dauphin.

1 lieutenant,

8 gradés et cadres européens, 120 conducteurs indigènes, 126 mulets, 40 voitures Lefebvre.

Effectif de la section

LÉGENDE

IB Magasin central M Magasin de transi

Bout» charretier»

Chemin muletjtr

S«nlierd«l>our)anei

«RaviUilItment pai

«-«^goélettes

o„ Pistes reliant le» un»

% Jauxautres lesSsyi

") 1 témeS de pistes tiar-

Magasin central à Fort-Dauphin.

Magasins secondaires sur la côte desservis par des goé- lettes à Andrahomana (siège de la section) et au Faux-Cap.

Fort-Dauphin sert de dépôt. Il approvisionne : par mer,

Madagascar. If»

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

les magasins d'Andrahamana et du Faux-Cap; par la route muletière de Belavenana à Ranomafana, il approvisionne di- rectement le magasin de secteur de Ranomafana.

II. Andrahomana est le point de départ d'un réseau de pistes charretières desservant :

Le magasin de secteur d'Ambovombé; Les magasins de secteurs de Behara, d'Imamombo et les postes intermédiaires.

III. Le Faux-Cap est le point de départ de pistes charretières approvisionnant le magasin de secteur de Tsiombé, les postes d'Ambondro, d'Ankoba et ultérieurement à l'Ouest, les derniers postes créés dans la région de la Basse-Menarandra.

Cercle de Tulear. Effectif de la section :

1 lieutenant,

6 gradés et cadres européens, 70 conducteurs indigènes, 89 mulets, 33 voitures Lefebvre.

Magasin central à Tulear.

Magasins secondaires: Tongobory (approvisionnement par voi- tures ou par pirogues); Ampalaza (approvisionnement par goé- lettes).

Tongobory, est stationnée la portion principale de la sec- tion, ravitaille par voitures Lefebvre les postes de la zone Nord du pays Mahafaly.

Ampalaza, est également stationné un détachement de la section, ravitaille le magasin d'Ampanihy, chef-lieu du secteur Mahafaly.

Les postes situés sur l'Onilahy sont ravitaillés par pirogues venant de Tongobory; les postes côtiers par goélettes venant de Tulear.

CONCLUSIONS

243

LEGENDE.

ggi Magasin central 0 _ d'_ r«gi«n

Pistes muletières

I Pistes cha.rr«tieres

loooo Pistes re/iant les système» de routes utilisies pour le ravitaillement g^^j Biefs navig&bles utilisés . pour le ravitaillement

Le rôle des sections de conducteurs n'a pas été limité au ra- vitaillement; elles ont en outre contribué dans une large mesure au transport des matériaux pour les constructions de postes et les travaux divers, et elles ont également prêté leur con- cours au commerce local, moyennant les prix de rembourse» ment assez faibles fixés par une circulaire du 19 mars 1902 (1).

A Farafangana, à Fianarantsoa, elles ont ainsi favorisé un commencement d'utilisation commerciale des premières routes

(1) 1 franc par tonne kilométrique.

244' DANS LE SUD DE MADAGASCAR

établies en attendant que les particuliers aient pu se munir de l'outillage nécessaire.

Les commandants des unités de conducteurs sont allés spon- tanément au-devant de ces rôles multiples en se dégageant de tout esprit de formalisme ou de particularisme et ont ainsi démontré l'utilité dont l'emploi des compagnies de conducteurs, ainsi .entendu, pouvait être pour la simplification des divers services et pour le bien du pays.

Masses de ravitaillement.

Telle étant l'organisation des transports pour le service du ravitaillement, il convient de rappeler que ce service fonction- nait dans le Sud, comme dans tout le reste de l'Ile, d'après le principe des Masses de ravitaillement, système fécond, souple et pratique entre tous.

Ce régime inauguré au Tonkin, dans le deuxième territoire, commandé par le colonel Galliéni, a été exposé déjà dans maints documents (1). Il suffit donc d'en rappeler ici les gran- des lignes.

Le principe de la masse de ravitaillement est basé sur la possibilité de mieux disposer des sommes dépensées par l'Etat pour V alimentation des troupes en donnant aux rationnaires la valeur représentative de la ration en argent au lieu de leur délivrer les denrées en nature.

Son but principal est d'améliorer le bien-être et, en particu- lier, le régime alimentaire des troupes, sans augmenter les charges du Trésor.

Uune de ses conséquences immédiates est d'aider au dé- veloppement commercial de la colonie en facilitant l'écoulement des produits locaux et en utilisant les ressources spéciales à chaque localité et à chaque région (2).

(1) Au Tonkin, par le commandant Famin.

Petites opérations militaires au Tonkin, par le commandant Chabrol. La colonisation en Indo-Chine, par M. de Lanessan. Bapport d'ensemble du général Galliéni, publié €ii 1899.

(2) Instructions établies par le commissaire des colonies Xoguès (25 fé- vrier 1899).

CONCLUSIONS 245

La prime journalière de la masse de ravitaillement est payée, exactement comme la solde même, aux commandants d'unité. Elle est perçue pour toutes les journées donnant droit aux vivres en nature; mais, au lieu d'être remise directement à cha- que rationnaire, elle est versée en bloc entre les mains des commandants de compagnie, qui en font l'emploi le plus con- forme aux besoins et au bien-être de leurs hommes.

iW.iie prime journalière est calculée, en principe, non pas seulement d'après la valeur intrinsèque des denrées, mais d'après la somme que l'Etat serait forcé de débourser pour fournir les rations en nature, c'est-à-dire que l'allocation accordée comprend, en outre du prix des denrées, le montant des frais de transport et des frais généraux que l'Etat aurait à supporter s'il avait à faire les distributions réglementaires de vivres.

Sous ce régime, ce n'est plus aux services administratifs qu'incombe la charge de prévoir, d'acheter, de recevoir et d'entretenir les approvisionnements, ni de mettre chaque ayant droit en possession de ce qui doit lui revenir. Cette charge incombe aux chefs d'unité, qui y apportent d'autant plus d'ini- tiative, d'activité et de soins, qu'ils sont plus intéressés que personne à la bonne alimentation de leur troupe, et sont ainsi amenés à tirer le meilleur parti du commerce local, des res- sources du pays, à les développer même au besoin. En outre, ils sont d'autant plus incités à pratiquer la meilleure gestion de cette masse que leur unité en bénéficie directement.

En effet, le boni qui résulte toujours de la bonne gestion de cette masse est divisé en trois parts :

L'une fait retour au Trésor pour atténuer les dépenses sup- portées par le budget vivres;

La seconde constitue le « fonds commun » qui, laissé à la disposition du commandant territorial (commandant de cercle militaire), constitue une sorte de caisse d'épargne chargée :

1" De fournir des secours aux unités dont les masses se trouvent en débet;

De parer aux dépenses pour cas de pertes ou détériorarr lions de force majeure;

De subvenir aux dépenses exceptionnelles que le comman-

246 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

dément peut avoir dans certains cas à ordonner dans l'intérêt de la santé et de l'hygiène des hommes;

De payer les allocations et indemnités au personnel em- ployé.

La; troisième est versée à l'ordinaire des compagnies, qui ont, de ce fait, un intérêt direct à l'accroissement du boni.

En somme, avec ce système, les rationnaires ne peuvent, en aucun cas, être traités moins bien qu'avec le système des distributions en nature faites par les magasins administratifs, car, s'ils peuvent obtenir un régime de beaucoup supérieur en achetant sur place, à meilleur marché, des denrées plus fraî- ches et plus variées, il leur est toujours loisible, avec l'argent qu'ils touchent, de recourir, quand ils le désirent, aux distri- butions des magasins administratifs qui représentent le mini- mum de ce qui est nécessaire à leur subsistance. L'Etat con- tinue en effet à entretenir, au centre de chaque région, des magasins administratifs; ceux-ci remplissent l'office de régula- teurs des marchés régionaux, en ce sens que le prix des den- rées délivrées par ces magasins représente un maximum que ne peuvent pas dépasser les acheteurs militaires sans obérer la situation de la masse. Ces magasina contiennent des stocks de prévoyance ou de réserve; l'obligation imposée d'y recourir périodiquement et très temporairement y assure le renouvelle- ment des denrées.

D'autre part, avec la masse de ravitaillement, l'Etat ne peut jamais dépenser plus qu'il ne dépenserait s'il continuait à faire faire les distributions journalières de vivres par les ma- gasins administratifs. II réalise, au contraire, de sérieuses éco- nomies en bénéficiant d'une part de boni et en laissant à la charge de la masse (fonds commun) une grande partie des frais généraux (manutention, surveillance, déchets, transports, etc.). Il lui reste surtout le gros avantage de la suppression des pertes par cas de force majeure qui sont supportées par la masse de ravitaillement (1).

On peut dire que les avantages d'un système si souple, si favorable à la bonne alimentation des troupes, à l'initiative des

(1) Extrait du rapport sur le fonctionnement de la masse de ravitaille- ment, établi par M. le commissaire des colonies Noguès (25 février 18d9).

CONCLUSIONS 247

chefs d'unités, en même temps si économique, ne trouve plus un contradicteur parmi ceux qui ont eu à l'appliquer.

L'application de ce régime dans les cercles du Sud ne date que de 1899; or ce sont les premières années qui sont les plus onéreuses; néanmoins, au règlement de cŒnpte du dernier tri- mestre 1901, les trois cercles du Sud se trouvaient avoir versé au Trésor, comme part contributive de boni :

Ifandana 9.683 09

Fort-Dauphin 11.145 63

Tuléar 18.974 83

Soit un total de 39.803 55

représentant le tiers du boni global réalisé pendant l'année 1901. Les deux autres tiers ayant été laissés, l'un au fonds commun, l'autre aux unités, il avait donc été réalisé une économie de 119.410 fr. 62 sur ce qu'aurait coûté le régime de la distri- bution directe de la ration aux militaires par les services ad- ministratifs.

VI

QUESTION DE LA PÉNÉTRATION

En terminant ces considérations sur l'organisation du Sud de Madagascar et sur les mesures prises pour en assurer l'oc- cupation, il convient d'aborder franchement une objection qui a été formulée fortement et souvent : était-il utile d'occuper ces régions sauvages, en partie peu habitées et peu fertiles, et n'était-il pas plus économique et plus simple de se borner à y occuper quelques points côtiers et, à l'intérieur, de les isoler des régions pacifiées et productives par une ceinture de pos- tes ?

Ce qui se pose ainsi, c'est, en un mot, la question de Vuti- lité de la pénétration.

248 DANS LE SUD DE MADAGASCAK

Son principe même et sa nécessité ont été développés dans le rapport d'ensemble du général Galliéni, de mars 1899 (1).

Néanmoins, la question a été si souvent reprise, tant à la tribune que dans la presse oiî cette pénétration a été l'objet de vives critiques et a même été présentée parfois comme un simple prétexte à des opérations militaires dont on eût pu se dispenser, qu'il convient d'y revenir encore une fois.

En premier lieu, il faut remarquer que la question s'est sur- tout soulevée à la suite d'incidents qui parvenaient à la Métro- pole isolés les uns des autres, sans qu'on y eût connaissance du programme d'ensemble auquel ils se rattachaient, et qui revêtaient par un caractère d'aventures de guerre qui au- raient pu être évitées. Je crois que ce qui précède aura du moins suffisamment établi que la pénétration militaire du Sud s'est développée conformément à un programme mûrement étudié et fermement suivi, le moins d'éléments possible ont été laissés au hasard.

Quant au principe même de l'isolement des régions du Sud, il peut être séduisant à première vue. Je l'avais moi-même pré- conisé d'abord, mais la connaissance et la pratique du pays m'ont rapidement démontré qu'il était irréalisable.

On peut isoler un pays désert ou bien séparé des régions pa- cifiées par de vastes déserts ou par des barrières infranchis- sables; mais, quand il s'agit de pays habités par des popula- tions relativement denses et guerrières, il ne suffit pas de vou- loir leur isolement, il faut que celles-ci s'y prêtent.

Or, ce n'était le cas pour aucune des régions du Sud.

Avant notre arrivée, on ne saurait trop le dire, les pacifi- ques populations agricoles et commerçantes du Betsiléo et de la côte Est étaient en butte aux agressions incessantes de leurs voisins Bara ou Tanala. Il n'y avait pour elles aucune sécu- rité. Les preuves en subsistent éloquentes. Tous les sommets montagneux du Betsiléo offrent encore les traces des réduits, des « oppida » fortifiés où, dès que le Sakalave ou le Bara était signalé, la population se rêfugiait, abandonnant aux pillards les villages de la plaine, les récoltes, une partie des troupeaux; les agresseurs remportaient toujours un riche bu-

(1) Edition Lavauzelle, pages 162 et suivantes.

CONCLUSIONS 249

lin de bétail et aussi de femmes et d'enfants emmenés en escla- vage. Cette histoire est d'hier, les récits des générations ac- tuelles en somt encore remplis. Mais, si récente qu'elle soit, c'est aujourd'hui de l'histoire ancienne. Tous ces réduits sont abandonnés sans retour et ne sont plus visités que par les ama- teurs de pittoresque. Toute la vie est descendue dans les val- lées où elle s'étale sans appréhension et sans précautions. Nous avons réellement apporté à ces pays la Pax romana.

Il en est de même sur la côte Est l'on voyait encore en 1900 les colons aussi bien que les indigènes paisibles ne se livrer à l'élevage qu'avec la plus extrême timidité, sous la me- nace perpétuelle des pillards de la forêt.

Dans l'Est, la zone forestière formait entre la côte et le pla- teau central une véritable barrière interceptant tout trafic, empêchant tout développement économique. Les traitants qui s'y aventuraient étaient exposés à tous les aléas, le plus sou- vent rançonnés. La pénétration, l'occupation de la forêt, l'obli- gation imposée à ses populations d'évacuer leurs repaires et de descendre dans les vallées, y ont subitement, en quelques mois, transformé les conditions économiques et ouvert au commerce côtier des marchés jusque-là inconnus.

Les Bara, à leur tour, pâtissaient des incursions Antandroy et Mahafaly presque autant que les Betsiléo pâtissaient des leurs. De nature guerrière, beaucoup plus nombreuses qu'on ne le croyait, pratiquant l'agression à main armée comme un sport dont on rapportait à la fois profit et honneur, ces tribus ne comptaient ni avec la distance, ni avec les risques à courir- Les nombreux esclaves de races moins fontes que nous avons trouvés détenus encore chez elles en témoignent.

Qu'il y ait eu à protéger contre elles les populations parmi lesquelles nous étions établis, la question ne fait pas un doute. Mais ne pouvait-on assurer celte protection par une ceinture de postes établis sur la périphérie? C'est une solution qui, sur place, ne supporte pas l'examen. Rien n'est plus illusoire et plus onéreux à la fois que les « murailles de Chine »; c'est pour le coup qu'il faut accumuler les postes et les effectifs, et encore ne peut-on jamais établir un filet assez serré pour que des groupes aussi mobiles, aussi légers, aussi endurants, en

250 DANS LE SUD DE MADAGASCAK

un mot aussi insaisissables, ne passent pas entre ses mailles. Non, il faut le reconnaître nettement, il n'existe qu'un moyen d'avoir prise sur ces populations, c'est d'aller chez elles, de s'installer au cœur même de leur territoire, le plus souvent auprès de leur chef : on a vu que, grâce à l'organisation à peu près féodale de la plupart de ces peuplades, le nombre de ces chefs est relativement limité. Par le fait même de cette organi- sation féodale, on tient par le chef tous les fils de la vie so- ciale; c'est par lui seul qu'on transforme peu à peu le mode d'existence des populations. La pénétration ainsi conçue exige évidemment un effort préalable, mais cet effort est relative- ment court; il est « une fois donné »; aboutissant à l'établisse- ment d'un poste unique au centre d'une région autour de la- quelle la théorie de l'investissement en eût nécessité un grand nombre, il est en somme moins onéreux que tout autre système. Il a l'avantage d'aboutir à une solution définitive.

Il y avait, du reste, un autre motif pour lequel, après avoir soumis les peuplades du plateau central, puis les Bara, les Tanala, nous ne pouvions, une fois arrivés en face de la bar- rière Antandroy-^Mahafaly, nous arrêter. C'eût été, aux yeux des peuplades Bara, Tanala, à peine soumises et accoutumées à regarder leurs voisins du Sud comme irréductibles, un aveu d'impuissance de notre part et un affaiblissement de notre prestige, dont n'eussent pas manqué de tirer parti les éléments turbulents de ces tribus, pour essayer de secouer notre domi- nation. Or, avec les si faibles effectifs dont nous disposons, nous ne nous maintenons que par le prestige de nos armes, par l'impression que rien ne résiste à leur action. C'est pour cela, du reste, que toujours nous nous attachons à éviter à tout prix les insuccès, parce que, si minimes qu'ils soient, ils sont toujours démesurément amplifiés et ont un retentissement des plus défavorables à notre situation. C'est ainsi que les morts du sergent Pelletier et du garde de milice Lavie, dues au sim- ple hasard d'une embuscade, ont été données un instant comme résultant d'une reprise générale d'insurrection de la zone fo- restière et ont failli la remettre en feu. C'est ainsi que les morts du capitaine Astoin et du lieutenant Mousnier-Buisson, dues, comme on l'a vu, à de simples accidents de guerre, ont été présentées jusque dans le Betsiléo comme survenues au cours

CONCLUSIONS 251

d'un grave échec qui nous avait été infligé par les Anglais (!) débarqués à Fort-Dauphin.

Or, s'arrêter en face de la barrière Ântandroy, les Hovas n'avaient jamais pu pénétrer, eût constitué pour nous un échec moral plus redoutable que les insuccès matériels partiels occa- sionnés parfois par les incidents de la pénétration.

Enfin, comme on l'a dit, les blocs impénétrés, tels que les Sakalaves du Ménabé, en 1897, les Antandroy et les Maha- faly en 1901, sont non seulement une menace constante pour leurs voisins, mais leur causent un dommage permanent en conservant le butin qu'ils leur ont enlevé. Nous avons trouvé chez les Sakalaves du Ménabé des centaines d'esclaves Hovas et Betsiléo que notre pénétration a rendus à la liberté et à leurs familles. Les Mahafaly et les Antandroy avaient aussi des esclaves, femmes, enfants, d'origine Tanosy et Bara, que nous avons délivrés. La pénétration Mahafaly-Antandroy était donc, en quelque sorte, une condition de la soumission com- plète des populations du plateau central, qui la regardaient, non seulement comme une garantie pour leur sécurité ultérieure, mais encore comme un bienfait immédiat les faisant rentrer en possession de leurs troupeaux volés, de leurs femmes, de leurs enfants.

En l'espèce d'ailleurs, et au point de vue économique, notre pénétration nous a prouvé que les régions de l'Extrême-Sud contenaient des ressources sérieuses, une population dense, d'énormes richesses de bétail jusque-là immobilisées; on n'en soupçonnait en rien l'importance. Après une seule année d'ef- forts, nous nous trouvons avoir ouvert au commerce de Fort- Dauphin et de Tuléar un marché imprévu de consommateurs et de produits d'exportation. Nos postes implantés au cœur même de ces populations sont devenus sur-le-champ des cen- tres d'attraction pour les traitants; les habitants commencent à pratiquer l'échange en attendant qu'ils s'accoutument à l'u- sage de la monnaie, qui leur était jusqu'ici inconnu.

On peut, dès maintenant, envisager le moment leurs im- menses troupeaux, dont jusqu'ici ils avaient refusé de se des- saisir, entreront dans la circulation et répondront à la demande qu'en fait l'Afrique du Sud. A mesure que le contact se prend, que les besoins se développent, que le désarmement se pour-

252 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

suit (et on a vu plus haut avec quelle progression ininterrom- pue cette opération s'effectue), les postes secondaires établis au fur et à mesure de la pénétration disparaissent pour ne laisser subsister que quelques postes centraux dont l'action est politique et économique aussi bien que militaire.

Avec la solution de l'investissement, au contraire, le nombre de postes périphériques n'est susceptible d'aucune diminution, ]es populations réservées persistent dans leur isolement et J'absence de contact ne permet aucune modification de leur état social.

A ces considérations, il s'en ajoute une autre dont la pratique coloniale démontre l'importance.

Chaque fois que l'on croit devoir laisser impénétrées de vas- tes régions, si celles-ci sont habitables et offrent des ressour- ces (ce qui est le cas pour le Sud de Madagascar), elles devien- ment l'abri tout indiqué pour les éléments réfractaires des parties occupées. Leur force de résistance, puis bientôt leur force d'expansion s'en accroissent d'autant. La surveillance de leurs abords devient de plus en plus difficile et, par conséquent^ de plus en plus lourde et de plus en plus onéreuse. Tôt ou tard il faut se décider à y intervenir offensivement. Mais alors on le fait avec autrement d'efforts et de difficultés qu'au début. C'est ce qui s'est produit au Tonkin oii, pour avoir voulu maintenir des zones réservées et présenter prématurément une pacifica- tion factice, il a fallu, après d'innombrables incidents, pro- céder, dix ans api'ès la première, à une seconde conquête dans des conditions moins opportunes et moins favorables; c'est de celle-ci seulement que datent le grand développement éco- nomique et l'essor définitif de notre empire d'Extrême-Orient.

On peut dire que dès maintenant, dans le Sud de Madagascar, l'éventualité de tout effort militaire sérieux est écartée; il est dès maintenant donné et définitif.

Dans le même ordre d'idées, on a vu plus haut, au cours de l'exposé des opérations de pénétration, combien il importait dans les parties pénétrées elles-mêmes de ne tolérer le maintien d'aucun noyau réfractaire. Il n'y a pas de politique plus décevante que celle qui consiste à fermer les yeux sur l'existence de ces petits groupements d'insoumis, à s'en tirer

CONCLUSIONS 253-

avec eux par des compromis plus ou moins bâtards. Si insigni- fiants qu'ils paraissent, ils constituent un danger permanent parce qu'ils forment des centres d'attraction pour tous les mé- contents, pour tous les irréguliers. On ne peut jamais dire que tel chef rebelle qui tient toujours la brousse n'a plus d'impor- tance parce qu'il n'a plus que vingt hommes avec lui. On n'est jamais sûr, en effet, qu'il n'en aura pas deux cents demain.

C'est pourquoi je me suis attaché sans relâche, pendant qu' « on y était », à en finir radicalement avec tous ces petits noyaux réfractaires généralement favorisés par l'extrême diffi- culté du pays ils établissaient leurs derniers repaires. Qu'il s'agît d'Andriampanoha chez les Tanala, d'Imaharanga chez les Tambavalo, d'Emahazo ou de Refotaka chez les Mahafa- ly, la persistance de ces chefs d'autorité traditionnelle à res- ter en état de rébellion, si réduit que fût le noyau groupé au- tour d'eux, constituait un péril non négligeable. Le faible chif- fre de leurs partisans reconnus ne signifie rien; ce qui signi-. fiait, c'était la complicité occulte de toute une population, le prestige dont leur irréductibilité même les enitourait à ses yeux et en faisait, au moindre incident, les chefs désignés de nou- veaux mouvements insurrectionnels. Aussi n'ai-je pas eu de cesse que ces chefs ne fussent tombés entre nos mains et que soit leur soumission sans réserve et leur installation pacifique, soit leur déportation hors de l'île, nous eussent enlevé tout souci à leur égard.

La justification de cette occupation intégrale et de cette des- truction radicale des derniers groupements insoumis est sanctionnée par deux faits : d'abord la pacification morale immédiate et le développement économique soudain qui en ont toujours été la conséquence; ensuite la diminution du nom- bre des postes et la réduction des effectifs qui en résultent. Il n'y a pas à douter qu'à cet égard l'année 1902 elle-même et a fortiori les années suivantes n'en apportent une preuve qui se chiffrera par des économies tangibles.

254 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

VII

QUELQUES CONSIDÉRATIONS MILITAIRES

Les principes fondamentaux sur lesquels repose la méthode préconisée par le général Galliéni dans les opérations coloniales sont, on l'a vu :

L'emploi prépondérant de Vaction concentrique;

La sanction de tout pas en avant par Voccupation définitive et V organisation du pays.

L'application et la justification pratique de ces principes ont été présentées dans les chapitres relatifs aux opérations mili- taires : il n'y a pas à y revenir. On se bornera à rappeler ici les quelques points de doctrine qui ont été indiqués au cours de l'exposé des opérations.

Nécessité de l'unité de direction sans la moindre atténuation, le commandement politique et le commandement militaire de- vant toujours être réunis dans la même main dans toute région à pénétrer pour la première fois.

Pour le commandement militaire lui-même, écarter toute cause de conflit et par conséquent de retard et de déperdition de forces, en plaçant directement sous les ordres du commandant terri- torial, à tous les échelons, toutes les armes et services, artille- rie, service constructeur, ravitaillement, service de santé.

Identité, en territoire militaire, de l'unité de commandement, la compagnie^ et de l'unité d'administration politique, le sec- teur, la première pliant ses effectifs, variables par conséquent, âux nécessités de la seconde.

Possibilité d'un nouveau progrès dans ce sens, en étudiant !a création soit de compagnies mixtes, soit d'un certain nombre

CONCLUSIONS 255

de corps mixtes, deslinés aux territoires militaires, composés de compagnies européennes et de compagnies indigènes dans une proportion à déterminer, les premières formant à la fois le noyau solide pour la période d'opérations et le réservoir de spécialités pour la période d'occupation et d'organisation; cette création ayant pour objet essentiel d'itentifier l'organi- sation territoriale et l'organisation régimentaire qui s'enche- vêtrent actuellement au grand détriment de l'unité d'action et de l'intérêt des officiers dépendant de deux autorités diffé- rentes.

Comme conséquence de ce qui précède, attribuer toujours la direction de toute opération au chef territorial, à celui-là seul qui est destiné à organiser le pays qu'il aura conquis. Les rai- sons impératives de cette conception ont été développées ail- leurs en détail (i). On a montré que le fait pour un chef de sa- voir que c'était à lui qu'incomberaient l'organisation et la mise- en valeur du pays après sa conquête modifiait radicalement les procédés de conquête et était la meilleure manière d'en ex- clure toute idée de destruction, de violence, de précipitation, ''«mme conséquence, éviter autant que possible les « mission^' spéciales » d'officiers d'état-major ou détachés mis momenta- nément à la tête d'une opération coloniale à court terme. D'p- bord il y a rarement d'opération coloniale à court terme, la préparation sur place, l'exécution, l'organisation ultérieure du pays formant un bloc inséparable; et, en outre, se préoccupant peu d'un pays qu'il ne connaît pas, qu'il ne verra plus et dont il n'aura pas la responsabilité, l'officier en mission est généra- lement dominé par la pensée de faire « vite et brillant ». Or, rien n'est plus contraire à la réalité coloniale oii les bonnes be- sognes sont lentes et obscures. Les officiers d'état-major, à moins qu'ils ne prennent en même temps que la direction des opérations et pour tout le temps nécessaire le commandement territorial, n'ont qu'un mode d'emploi qui leur convienne en opé- rations, celui d'état-major.

Il reste à appeler l'attention sur quelques points spéciaux.

(1) Bôïe colonial de Varmée. (Armand Colin, 1900.)

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

iàrtillerie marchant avec les colonnes.

Le général Galliéni a toujours préconisé l'emploi de l'artil- lerie en raison de son effet moral et matériel qui, en accélérant les solutions, nous évite des pertes. Beaucoup de commandants de colonnes, au contraire, sans contester l'effet de l'artillerie, la regardent comme un impédimentum qui alourdit, retarde et par suite nuit aux succès des opérations. Il est certain qu'une seule pièce de montagne transportée à bras, avec les 80 porteurs qu'elle exige pour son matériel, ses munitions et pour la relève indispensable au personnel pendant la marche (1), représente à première vue un élément lourd et encombrant qui effraie. Aussi toute une école préconise-t-elle avec instance l'emploi à peu près exclusif des mulets de bât. Mais si l'emploi des mulets peut à la rigueur se concevoir soit dans les pays plats, soit dans ceux existent des voies d'accès frayées, ils sont absolu- ment inutilisables dans les pays tels que le Haut-Tonkin ou tels que ceux il fallait opérer dans le Sud de Madagascar. Il faut la plupart du temps y marcher en forêt à la boussole, s'y frayer son chemin et y franchir des obstacles continuels. Il faut donc ou user de porteurs ou se passer d'artillerie. Or, nous croyons que l'emploi de l'artillerie contre les positions défensives occu- pées par des rebelles et contre des repaires fortifiés est indispen- sable si l'on veut éviter des pertes sérieuses et arriver rapide- ment à un résultat décisif. Il s'agit donc de la rendre la plus mobile, la plus maniable possible. On me permettra d'indiquer ici le procédé qui a été employé dans le Sud de Madagascar et qui semble applicable à d'autres cas.

La plus grande difficulté vient de la mauvaise qualité des por- teurs recrutés au dernier moment, sans préparation préalable, avec un matériel de transport le plus souvent improvisé. D'au- tre part, il serait abusif et beaucoup trop onéreux de maintenir ces porteurs en permanence dans l'effectif pour le seul motif de les entraîner et de les préparer à une éventualité qui ne se pro- duira qu'accidentellement.

(1) La pièce, pai- exemple, est portée par 4 hommes, mais il lui en faut 12, formant trois équipes alternant, pour que la marche soit possible sans arrêt.

CONCLUSIONS 257

II y avait donc à chercher un moyen terme qui permît de con- cilier la préparation permanente des porteurs avec les intérêts budgétaires.

Dès la création du commandement du Sud, en octobre 1900, dans la prévision que la section d'artillerie de Fianarantsoa pourrait avoir à marcher au printemps, il fut décidé avec le lieu- tenant Bidon, commandant cette section, que les 120 porteurs nécessaires à la section en opération recevraient une instruc- tion préparatoire.

Avec l'autorisation du général en chef, 30 auxiliaires furent affectés en permanence à la section. Au moyen d'un roulement, les 120 hommes se trouvaient ainsi, au bout de quatre mois, avoir reçu un mois complet d'instruction. Ils furent d'ailleurs choisis avec le plus grand soin dans la région même parmi les plus vigoureux des hommes du contingent annuel. Ils recevaient, pendant la durée de leur convocation, une solde et un vêtement distinctif. Ils perdaient ainsi leur qualité de simples coolies pour prendre un caractère militaire qui fût pour eux un réel stimulant en les rehaussant à leurs yeux et à ceux des indi- gènes; ils recevaient d'ailleurs la dénomination de conducteurs auxiliaires.

Un matériel spécial de transport fut étudié et établi, réunis- sant toutes les conditions de légèreté, de solidité et de rapidité suggérées par la pratique journalière. Sans entrer dans les détails, ce matériel comprenait pour chaque pièce :

Un filanzana d'affût;

Un filanzana de pièce; tous les deux à deux brancards et quatre porteurs ;

3' Un porte-roues à deux porteurs;

Un porte-rallonge de flèche à deux porteurs, construit pour recevoir également les nécessaires aux armements et de bouche à feu.

Les caisses à munitions (modèle réduit) étaient fixées par deux à un porte-caisse à deux porteurs établi de façon que les caisses pussent être ouvertes sans être débrêlées.

Les supports de caisse étaient taillés de façon à pouvoir rem- placer soit ceux d'affût, soit ceux de pièce dont les ruptures pouvaient être ainsi rapidement réparées. Le petit nombre d'ou- tils nécessaires (une bêche, une pioche, une pelle, trois haches,

Madagascar. 17

258

DANS LE SITD DE MADAGASCAR

douze coupe-coupe, les cordages) étaient brêlés en surcharge sur les porte-caisses.

Tout ce matériel fut construit avec un bois spécial à la fois léger et solide et séché au préalable (hazondrano).

11 y aurait intérêt à prévoir comme complément de matériel un couple de radeaux-sacs du modèle en usage dans la cava- lerie (1), pouvant être portés par deux hommes pour le pas- sage des rivières. Les pirogues sont, en effet, généralement in-

Tpa versée de l'IantaFa en radeau -sac le 7 juin 1901.

suffisantes, surtout comme stabilité, pour le poids de la pièce et de l'affût; il faut les assembler par deux, trois et même par quatre, et pour cela il faut les trouver et même encore n'est-on pas garanti contre les accidents. Il s'en est produit au premier passage de l'Iantara oii une pièce est tombée à l'eau, tandis que, dans la seconde partie des opérations, deux radeaux-sacs accou- plés ont offert toute la stabilité désirable (2).

(1) Radeau-sac en toile cachou du commandant Habert.

(2) Ce radeau-sac peut rendre en bien d'autres circonstances de grands

CONCLUSIONS 259

Pendant leur période d'instruction, les hommes étaient exer- cés non seulement au portage, mais encore aux fonctions de servant, sauf celles de pointeur. Une équipe spéciale destinée au débroussaillement recevaift l'instruction du tir au mous- queton. Exercés en terrain difficile et varié aux environs de Fianarantsoa, les hommes ainsi instruits reçurent un entraîne- ment exceptionnel. Aussi lorsque, au bout de six mois, 80 d'entre eux ayant tous reçu six semaines d'instruction furent mobilisés pour les opérations au nord de la Mananara, les résultats obtenus dépassèrent-ils toute attente.

L'artillerie marcha en forêt dans les sentiers, frayés à me- sure, exactement à la même vitesse que l'infanterie, sans un à-coup, sans un retard; le chargement du matériel s'obtint en moins d'une minute et la mise en batterie entre 40 et 50 se- condes.

Tir.

Il serait essentiel de développer encore davantage l'instruc- tion et la pratique du tir dans nos troupes coloniales.

Nos soldats européens tirent médiocrement et nos soldats indi- gènes tirent mal. Nous perdons de ce fait une grande partie du bénéfice de la supériorité de notre armement. Accoutumés à ne pas compter avec les munitions, nos hommes en font un véritable gaspillage : l'emploi des feux de salve a fait perdre peu à peu la pratique du tir individuel. Nos tirailleurs indi- gènes surtout tirent avec une précipitation, une nervosité et une insouciance de viser qui ôtent toute efficacité à leur feu. Ce défaut est d'autant plus sensible que nos adversaires procèdent d'une façon contraire; dans l'impossibilité le plus souvent de se

services aux colonies. D'un poids léger, un porteur en porte facilement trois ou quatre. Plus stable que la pirogue, il supporte autant et même plus de personnel et de matériel qu'elle. La faculté de le transporter en reconnais- sance dispense de réunir à l'avance des pirogues aux points de passage, per- met par de tenir une marche secrète et facilite la surprise. Accouplés, ils peuvent porter des poids considérables. Si la rivière n'est pas trop large, un va-et-vient s'organise vite et donne une extrême rapidité au passage. Si elle est trop large, il se manœuvre avec de petites rames transportées avec lui. Il serait très utile d'en munir chaque poste dans les pays coupés de cours d'eau. Il en a été fait un usage fréquent et efficace au coxirs de cette cam- pagne.

260 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ravitailler en munitions, forcés de ménager leur poudre, d'uti- liser comme projectiles les morceaux de fer les plus disparates, ils ménagent leur feu avec un soin extrême, mais presque tous leurs coups portent. Il en est de même, qu'il s'agisse de pirates Chinois ou d'insoumis Sakalaves et Antandroy. Un de nos prisonniers Sakalaves, examinant un jour l'armement per- fectionné de nos .troupes, comparait avec orgueil l'ineffica- cité de nos feux roulants avec l'efficacité de leur coup unique et espacé. Aussi, quand une circonstance a fait tomber entre les mains de nos adversaires quelques-unes de nos armes à tir rapide et un approvisionnement de nos munitions, deviennent- ils beaucoup plus redoutables. La possession de quelques Lebels par une bande suffit à accroître notablement sa confiance et sa force. Du reste, le soin minutieux que nos adversaires pren- nent de leurs armes dénote l'importance qu'ils y attachent; au- cune troupe européenne ne présente à une inspection des armes mieux astiquées et mieux entretenues que celles que nous trou- vons entre les mains de ces sauvages d'ailleurs si insoucieux de toute propreté et de tout confort. On doit en tirer une consé- quence : puisque nos soldats indigènes sont le plus souvent de même race que leurs adversaires, quelques-uns même sont d'an- ciens rebelles, rien ne devrait être plus facile que de déve- lopper chez eux le soin des armes et la qualité du tir. Il suf- firait de s'y attacher. Les leçons de la guerre sud-africaine prouvent ce que peut produire le feu avec les armes actuelles. Il serait essentiel d'assurer à nos troupes coloniales, pour les- quelles l'état de guerre est constant, la supériorité du; tir. Il y aurait donc à lui donner la première place dans les instructions, de préférence au maniement d'armes et aux exercices de gar- nison qui leur sont à peu près inutiles. On ne saurait trop en pénétrer les officiers et les sous-officiers coloniaux.

Teaiic.

Après une expérience, par bonheur fort courte, d'un vête- ment de toile bleue, on est revenu avec raison pour nos troupes coloniales à la toile kaki : celle-ci assure beaucoup mieux l'in- visibilité. C'est, en effet, l'une des conditions dont la nécessité

CONCLUSIONS 261

est la plus admise aujourd'hui. A ce point de vue, il est indis- pensable que les officiers se distinguent le moins possible de leurs hommes : il est constant que nos adversaires visent sur- tout aux officiers et ménagent nos troupes indigènes; la propor- tion des pertes est éloquente à cet égard. Il faut absolument en tenir compte. Le casque colonial surtout est un point de mire trop favorable; l'usage, trop souvent abandonné, de le recou- vrir d'une coiffe kaki devrait être d'une application absolue. Autant que possible rien ne devrait distinguer l'ofiTicier de la troupe. Nos vaillants officiers mettent souvent leur point d'hon- neur à faire tout le contraire. C'est un faux point d'honneur contre lequel il importe de réagir par des prescriptions for- melles. Leur vie est plus précieuse dans les opérations colo- niales que partout ailleurs; une troupe indigène privée de son chef est désemparée et risque les pires catastrophes; la mort, la blessure même, d'un chef, officier ou gradé, prend aux yeux des indigènes une importance capitale : ne distinguant pas nos hiérarchies, ils l'exploitent et elle a souvent, si subalterne que soit le grade, une véritable portée politique. Dans cette der- nière campagne, le cercle de Fort-Dauphin en a fourni une preuve nouvelle ajoutée à toutes celles que donnent les expédi- tions coloniales. Ces pertes, en outre du devoir que nous avons de ménager la vie précieuse de nos compatriotes, doivent donc, dans l'intérêt même du succès de nos opérations et du prestige de notre force, être évitées à tout prix, et l'ardeur, l'insouciance du péril qui caractérisent nos cadres nous font un devoir plus strict encore de leur imposer rigoureusement toutes les mesures qui atténuent pour eux le danger.

Iimfallatinn des tronpes.

Madagascar, comme le Tonkin, a fait ressortir combien, en dehors de toutes les autres considérations, la bonne installa- tion des troupes européennes avait d'importance au point de vue politique. Les indigènes, toujours portés à croire que notre occupation n'est que temporaire, ne la regardent comme défi- nitive que lorsqu'ils nous voient bien installés, dans des condi- tions en rapport avec la supériorité qu'ils nous reconnaissent. Au Tonkin, les vastes et confortables bâtiments construits par

262 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

le colonel Galliéni pour le logement de nos troupes sur la fron- tière du 2" territoire ont contribué peut-être tout autant que nos opérations de guerre et notre diplomatie à persuader aux Chinois du Quang-Si que nous étions résolus à ne plus abandon- ner la partie. A Madagascar, le bruit de notre évacuation pro- chaine circule encore périodiquement parmi les indigènes. Il n'y a pas, pour le dissiper, d'argument plus convaincant que de solides installations.

L'intérêt du bien-être moral et matériel des soldats européens, le souci de leur hygiène, concordent donc ici avec l'intérêt poli- tique. Seulement il est essentiel d'avoir à l'avance un plan d'en- semble et une conception générale de notre occupation défini- tive, afin de ne pas disperser inutilement les crédits et de ne pas s'exposer à construire à grands frais des bâtiments qui risquent de ne pas être toujours utilisés; mais, cette réserve essentielle étant faite, il importe de ne rien négUger pour donner à nos troupes tout le confort possible sur les points des garnisons doivent être maintenues.

A cet égard, grâce aux crédits accordés par le Gouverneur général et à l'initiative des commandants de cercles et des com- mandants d'unités, on est déjà largement entré dans cette voie dans les trois places principales du Sud : Tuléar, Fort-Dauphin, Fianarantsoa.

L'essentiel, en ce qui concerne ces constructions, est de tenir compte du principe qui revient toujours sous la plume dès qu'il s'agit de caractériser les choses coloniales : la varia- bilité. Rien n'est à éviter ici avec plus de soin que le modèle- type: il est d'autant plus essentiel de le rappeler, que ce mo- dèle-type tient plus de place dans la préparation technique de nos corps constructeurs. Ici tout impose la variété : l'extrême différence des climats Fianarantsoa il gèle, tandis que Tu- léar a la température tropicale), la diversité des matériaux et l'impossibilité, faute de moyens de transport, de se procurer ceux qui manquent, l'obligation, par conséquent, de tirer parti seulement des ressources du pays, ici la brique, ailleurs la pierre, le bois; le béton, le fer et la tôle n'étant généralement utilisables que sur les côtes en relations maritimes avec l'Eu- rope ou sur les points oii des voies de communication achevées permettent de les amener.

CONCLUSIONS '20^

Le mode de construction, la disposition des locaux, leur orientation diffèrent donc d'après ces divers facteurs.

Dans tous les cas, ce qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est que ces installations ont toujours un caractère de sanatorium, on peut même dire de sanatorium moral autant que matériel. Les soldats les plus solides sont généralement détachés dans la brousse et ce sont de préférence ceux qui ont à s'acclimater ou à se refaire physiquement et moralemer>t qui sont dans les places de garnison. Rien ne doit être négligé pour leur bien-être et si c'est une voie dans laquelle on entre aujourd'hui si lar- gement en France, à plus forte raison doit-on le faire aux co- lonies, oiî l'homme, éloigné des siens, éprouvé par le climat, n'ayant pas le stimulant de l'instruction intensive, a tant de motifs de dépression.

Qu'on m'excuse d'entrer à cet égard dans quelques détails. J'estime que sur ce point il ne suffit pas d'assurer, comme on le fait le plus souvent^ le bon logement des hommes, mais qu'une installation coloniale devrait toujours comporter trois éléments constitutifs d'importance à peu près égale dans des locaux contigus : le logement, la distraction, V ablution.

A cet égard, ayant eu l'occasion de visiter à peu près toutes les casernes anglaises des escales d'Extrême-Orient et à mon dernier voyage celles d'Aden, j'ai pu y constater à quel point ces conditions y étaient toujours réalisées.

Le logement doit comporter, avant tout, de l'espace, hauteur et surface : il ne s'agit plus de mesurer à chaque homme l'in- tervalle réglementaire des lits tel qu'il est compté en France, mais de lui donner assez de place pour avoir un coin à lui il se détende sans heurter le voisin.

L'ablution, dans des pays elle est une nécessité de chaque instant, comporte un local contigu aux chambres, librement ou- vert, sans prescriptions d'heures ni limite de temps, chacun puisse aller barboter à son moment et à son aise. Il en est ainsi dans toutes les casernes des Anglais, et c'est certainement pour leurs troupes un facteur prépondérant de propreté et de santé.

La distraction comporte la salle de réunion, sont les livres et les jeux, ainsi que les jardins si faciles à établir dans la plu- part des pays coloniaux et qui, entourant les maisons, leur

264 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ôtent l'aspect désolé de nos casernes. A Singapore, à Aden, chaque compagnie a sa bibliothèque ouverte à toute heure avec ses sièges de repos, ses gravures aux murs: je ne parle pas des jeux extérieurs, si favorables à l'hygiène qu'ils soient, parce qu'il y a une question d'éducation nationale sur laquelle il faut reconnaître qu'il est bien diflTicile d'influer.

Si l'on objecte la dépense résultant de tels aménagements, on peut répondre d'abord qu'on en fait bien d'autres, plus dis- cutables, mais surtout que l'essentiel est d'imposer le principe d'une manière impérative les combinaisons se trouveront plus économiques qu'on ne pense. Si déjà l'on cessait de s'obstiner à regarder les vérandahs qui entourent presque tous nos bâtiments coloniaux comme de simples corridors, et si on leur donnait la largeur des vérandahs anglaises, on en ferait des locaux d'agrément utilisables comme réfectoires, comme salles de jeux et ce serait déjà une des meilleures combinai- sons.

Le principe admis une fois pour toutes, dans le moindre poste provisoire il ne serait ni très difficile, ni beaucoup plus cher de construire trois paillotes contiguës au lieu d'une, l'une pour le dortoir, l'autre pour la réunion et la troisième, pourrait être souvent amenée l'eau de la source voisine et être pratiqué un réservoir, pour l'ablution.

Quant à la distraction, il suffirait, j'en ai eu la preuve, d'as- surer l'installation et de s'adresser en France à l'initiative pri- vée, si généreuse à cet égard, pour avoir des livres et surtout des abonnements (1).

Service sanilaire.

Bien que nulle part plus qu'à Madagascar l'autorité n'ait le souci de ce service, il y est encore assuré au point de vue des troupes d'une manière insuffisante et défectueuse pour un

(1) Qu'il me soit permis ici d'exprimer la gratitude de nos soldats à l'U- nion des Femmes de France, à la Société de secours aux blessés, à madame Taine, qui ont déjà si généreusement doté les places et les ambulances du Sud, et à la librairie Armand Colin, qui a bien voulu servir des abonne- ments de choix et donner les premiers éléments d'une bibliothèque à la garnison de Fianarantsoa.

CONCLUSIONS 265

motif qui ne dépend pas de l'autorité locale, l'insuffisance nu- mérique des médecins. Il arrive constamment qu'une troupe en opération marche sans médecin il est superflu de développer la gravité de cette situation; les postes ne peuvent être visi- tés qu'à de très rares intervalles. Il n'y a pas de question plus sérieuse, on y revient plus loin dans un article spécial (l).

Conclusions.

On ne saurait pratiquer la vie militaire coloniale sans être frappé des différences profondes qui la distinguent de la vie militaire métropolitaine.

Certes, les principes fondamentaux restent les mêmes : uni- té de direction, subordination des moyens au but, ainsi que les qualités essentielles du chef : la décision, la volonté, le goût des responsabilités, mais presque toujours les procédés diffè- rent du tout au tout et, pour un officier qui passe d'une carrière à l'autre, c'est toute une éducation à refaire.

Au point de vue tactique, combien peu de rapports entre nos guerres d'Europe et ces opérations qui ne comportent pres- que jamais que la marche un par un en file indienne de colon- nes entières, les facteurs avant-garde, flanquement, dispa- raissent presque entièrement, oiî la portée des armes n'a que rarement lieu de produire ses effets, en raison de la limitation des champs de tir, oii les obstacles à vaincre sont beaucoup moins la résistance de l'adversaire que le climat, la difficulté du pays, l'épuisement de la troupe.

Au point de vue de la (onnation de Vofficier subalterne, com- bien peu de rapports entre celle de l'officier d'Europe d'une part, toujours encadré, commandé, si limité dans une tâche restreinte et nettement définie et, d'autre part, l'initiative, la responsabilité, la variété des connaissances nécessaires à l'offi- cier colonial qui doit être simultanément chef de guerre, con- structeur, topographe, médecin, chef politique et administratif, assurer lui-même la subsistance de ses troupes et parfois de ses populations.

(1) Page 352.

266 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Au point de vue des services constructeurs, artillerie ou génie, combien peu de rapports entre la technique métropolitaine et la technique coloniale dans laquelle intervient l'extrême diver- sité des climats et des besoins qu'ils impliquent, non seule- ment d'une colonie à l'autre, mais encore dans la même colo- nie, et 011 il faut tenir compte de la violence des éléments, de la diversité des matériaux, de la pénurie des ressources, de l'incertitude de la main-d'œuvre, de l'insuffisance d'ouvriers professionnels, de la modicité habituelle des crédits, de l'im- possibilité de spécialiser les services auxquels incombent tant de travaux qui ne sont pas en France de leur ressort, de l'obli- gation de faire constamment face à l'imprévu et de s'ingénier journellemenit à la recherche de combinaisons nouvelles.

Au point de vue état-major, combien peu de rapports entre un service qui, d'une part, a comme facteurs les chemins de fer, le télégraphe, les moyens d'action les plus modernes, la connaissance approfondie et minutieusement étudiée de théâ- tres d'opération dont la topographie est complète et certaine, les magasins d'approvisionnements constitués à l'avance, le plus souvent les ressources du pays et, d'autre part, un service auquel manquent tous ces éléments, qui ne peut, faute de moyens de communication rapides, assurer la combinaison des mouvements qu'au moyen d'ordres donnés longtemps à l'avance, dont les éléments d'action sont des colonnes d'effectif infiniment moindres, il est vrai, qu'en Europe, mais alourdies par d'énormes convois et aussi par le mode de marche qui leur est imposé, pour qui la question de ravitaillement est la préoc- cupation la plus lourde et la plus constante, à qui manquent généralement les cartes et les renseignements.

Tous ceux qui ont commandé des opérations coloniales se- ront d'accord pour reconnaître qu'un officier de troupe venant directement de l'armée métropolitaine par permutation, un offi- cier d'état-major débutant aux colonies, ont toujours besoin d'une préparation, plus ou moins longue selon les tempéra- ments, avant de se dégager des habitudes de la métropole, de la rigidité de son service, de la précision de ses formules et pour s'adapter à la souplesse, à la variabilité, à l'imprévu, à la contingence des nécessités coloniales.

Dans ces conditions, aujourd'hui que l'armée coloniale a pris

CONCLUSIONS 267

une si grande extension, et que la politique générale du monde laisse envisager les expéditions coloniales comme une des éven- tualités de l'avenir, peut-on se demander s'il ne serait pas opportun de faire à ces questions une place plus large dans l'enseignement militaire.

Ne pourrait-on concevoir à Saint-Cyr, du moins pendant les six derniers mois, une section coloniale analogue à la section dp cavalerie, oii les officiers destinés à débuter aux colonies recevraient les connaissances indispensables en ce qui con- cerne les constructions, l'établissement des routes, le service de sécurité en marche et en station, l'alimentation, etc.; un cours de constructions coloniales à Fontainebleau, plus important que les deux leçons qui, si je ne me trompe, y sont faites actuel- lement, et même pourquoi pas ? une place à l'Ecole de guerre (1) pour les expéditions coloniales, pourvu toutefois qu'un tel enseignement soit donné par des hommes qui soient maîtres de leur sujet pour l'avoir pratiqué ?

(1) Cet enseignement y est aujourd'hui en voie de création.

CHAPITRE II

CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES ET ADMINISTRATIVES

I. Situation fiscale. II. Situation agricole : Plateau central. Régions cô- tières. Zone forestière. Zone des cactus. III. Situation commerciale : Développement de Faranfagana. Décroissance de Fianarantsoa. Situation de Fort-Dauphin. Avenir de Tuléar. IV. Elevage : Bœufs. Chevaux. Anes. V. Voies de communication : Routes de Fianarantsoa à Tana- narive et à Mananjary. Prévisions pour la prolongation du réseau. -^ VI. Service de santé et assistance médicale. VII. Enseignement : En- seignement officiel. Enseignement privé. VIII. Politique indigène.

SITUATION FISCALE

Les recettes et les dépenses du budget local de l'exercice 1901, arrêtées au 31 décembre pour les cinq provinces constituant le commandement supérieur du Sud, ont donné les chiffres sui- vants :

CIRCOiNSCRlPTIONS.

RECETTES.

DÉPENSES.

2.053.973 00 581.067 00 118.301 00 322.084 CO 205.194 00

1.106.969 00 248.884 00 119.296 00 316.007 00 243.821 00

Province de Farafangana

Cercle d'Ifandana

Cercle de Fort-Dauphin

Totaux

3.280.619 00 2.034.977 CO

2.034.977 00

Report des dépenses

1.245.642 00

CONCLUSIONS 269

D'où un excédent de recettes sur les dépenses de 1.245.642 francs.

Il est évident que cet excédent de recettes n'a qu'une valeur relative puisqu'il ne s'agit pas ici d'un budget autonome, mais d'une partie du budget général de Madagascar, et que cet excédent représente la part contributive du Sud aux dépenses intéressant l'ensemble de la colonie.

Dans le chiffre des dépenses, les travaux publics, qui repré- sentent la dépense la plus profitable à la colonie, entrent pour un chiffre de 687.976 francs auquel il faut ajouter environ 300.000 francs de travaux (hôpitaux, casernements, magasins) exécutés au compte du budget colonial (1).

La majeure partie des recettes est constituée par la taxe per- sonnelle. Cette taxe, fixée jusqu'au 1^' janvier 1901 uniformé- ment à 5 francs pour toute l'Ile, a subi, à cette date, une mo- dification importante par suite de la suppression du régime de la prestation. On sait que, sous ce régime, tout Malgache de 16 à 60 ans était astreint à 30 jours de travail, à l'ex- ception des hommes engagés chez les Européens. Il en était résulté de nombreux abus, les engagements fictifs contractés contre rémunération pour échapper à l'obligation du travail ayant donné lieu à une véritable spéculation. En outre, ce ré- gime était considéré comme un vestige de l'ancien servage.

(1) On sait qu'il existe aux cx)loiues deux sortes de budget : le budget local et le budget colonial. En principe, le premier, constitué par les recettes ef- fectuées dans la colonie, supporte les dépenses civiles ; le second, dont les recettes sont fournies par la métropole, supporte les dépenses militaires.

A mesure que les ressources des colonies se développent, elles prennent à leur charge une part crois^sante des dépenses militaires, pour lesquelles elles versent alors des subventions au budget colonial. Il importe eu outre d'ob- server — ce qu'on perd trop souvent de vue dans la métropole quand ou s'élève contre le chiffre des budgets militaires coloniaux que ces derniers n'ont pas seulement pour objet l'entretien des effectifs et la solde des offi- ciers, mais encore la construction de travaux publics, hôpitaux, caserne- ments, magasins administratifs. Or, ces travaux profitent autant à la colonie qu'aux services militaires proprement dits. Les hôpitaux, dans la pratique, sont tous mixtes. Les casernements, les magasins, à mesure que les effectifs diminuent, sont souvent affectés à des services civils, réduisant ainsi d'au- tant les chargea de la colonie. Il n'est donc ni exact ni équitable de tirer des chiffres des budgets coloniaux des conclusions absolues contre l'exagération des corps d'occupation, car ils supportent pour une large part des dépenses qui, en fin de compte, ne profitent qu'à la colonie.

270 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Sa suppression fut donc prononcée par arrêté du 31 décembre 190t; mais, vis-à-vis d'une population naturellement peu labo- rieuse, inaccoutumée au travail libre et disposée à ne travailler que striûtement pour la satisfaction de ses besoins fort res- treints, il était indispensable de trouver un moyen qui, l'obli- geant au travail, permît d'assurer l'exécution des travaux pu- blics, le fonctionnement des divers services et les besoins de la colonisation. C'est pourquoi, en compensation de la prestation supprimée, la taxe personnelle fut élevée dans des proportions qui obligeassent l'indigène à travailler pour s'en acquitter. Elle fut fixée à un taux variable pour les différentes régions de l'Ile, en raison de leur extrême diversité au point de vue de leurs ressources, des conditions de leur vie économique et des facultés imposables de leurs populations.

En ce qui concerne le Sud, les fixations furent les suivantes :

Province de Fianarantsoa : 20 francs, c'est-à-dire le qua- druple;

Province de Farafangana, cercle de Tuléar, cercle de Fort- Dauphin : 10 francs, c'est-à-dire le double;

Cercle des Bara : la taxe fut maintenue à 5 francs, en rai- son de la pauvreté de la région et de l'état insurrectionnel de toute sa partie Est.

Les cercles de Fort-Dauphin et de Tulear comprenaient du reste des parties impénétrées ou insoumises auxquelles la nou- velle taxe pas plus que l'ancienne ne pouvait être appliquée.

Enfin, au cours de l'année 1901, le cercle des Bara fut dis- loqué, ses deux secteurs Est formant le cercle d'Ifandana et ses deux secteurs Ouest passant au cercle de Tulear mais en conservant chacun le même régime fiscal.

De ce qui précède, il ressort qu'il y eut forcément dans le Sud, au cours de l'année 1901, une grande diversité dans le régime fiscal, justifiée d'ailleurs par les si grandes différences de l'état social des populations et de la situation politique des diverses régions, dont plusieurs étaient occupées pour la première fois et soumises, pour la première fois aussi, par conséquent, à

CONCLUSIONS

271

une redevance qui ne pouvait être au début que très légère et marquer simplement notre souveraineté.

Il est intéressant de voir, dans ces conditions, quelle fut la progression du rendement de la taxe personnelle de l'année 1900 à l'année 1901 :

Province de Fianaranlsoa. Province de Farafangana.

Cercle de Tulear

Cercle des Bara (1900)1. . . Cercle d'Ifandana (1901)... Cercle de Fort-Dauphin.. ,

Totaux . .

DKCEMBBE 19C0.

386.527 60 184.807 20 111.512 83 59.717 60

)) 84.795 00

827.360 23

31 DÉCLMBRE 1901.

1.620.127 00 434.010 00 267.502 00

» 1U.104 80 163.405 00

2. 5%. 148 80

AUGMENTA- TIONS.

1.233.599 00 249.202 80 155.989 17

)) 51.387 20 78.610 00

1.768.788 57

Ces chiffres demandent quelques commentaires.

Dans la province de Fianarantsoa, la taxe personnelle avait été quadruplée, le chiffre atteint en 1901 est un peu plus du quadruple de celui de l'année précédente. La majoration de plus d'un million répond donc à la fois à l'augmentation de la taxe et à la rentrée d'un petit nombre de nouveaux contribua- bles.

Dans la province de Farafangana, la taxe personnelle a été doublée, le quotient des chiffres des deux anaées est de 2,3 au lieu 2. Le chiffre perçu a dépassé de 64.286 francs le double du chiffre de l'année précédente; cette majoration pro- vient de la remise sous le régime de l'impôt des populations forestières jusque-là en état insurrectionnel.

Le cercle de Tulear comprend en 1901 une partie de l'ancien cercle des Bara, dont l'autre partie a formé le cercle d'Ifan- dana. Le total des perceptions des cercles de Tulear et d'Ifan- dana porte donc sur les régions qui formaient précédemment les cercles de Tulear et des Bara. En comparant l'ensemble des deux circonscriptions, la majoration a été de 207.377 francs.

272 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

On peut dire qu'elle provient presque uniquement de nouveaux contribuables. En effet, les quatre secteurs de l'ancien cercle des Bara avaient eu leur taxe maintenue à 5 francs, comme l'année précédente, et si, dans le cercle de Tulear, la taxe a été théoriquement élevée de 5 à 10 francs, pratiquement les 10 francs n'ont été touchés que dans la région au Nord de l'Oni- lahy. On peut donc dire que ces 200.000 francs d'augmenta- tion sont presque exclusivement le résultat de la pacification de la zone forestière et de la progression de la pénétration en pays Mahafaly (1).

Dans le cercle de Fort-Dauphin, la majoration a été de 78.610 francs. Le recouvrement pendant le l*' trimestre 1902 des taxes encore dues l'a augmentée de 25.000 francs.

Le chiffre de 1900 sera donc largement doublé. On peut dire qu'ici aussi l'augmentation provient surtout de nouveaux con- tribuables. La taxe personnelle a bien été portée de 5 à 10 francs, mais dans la pratique la nouvelle taxe n'a été perçue que dans les secteurs pacifiés au Nord e.t à l'Est de Fort-Dauphin, qui comprennent la moindre partie de la population.

C'est donc la progression de la pénétration chez les Antan- droy qui a assuré la majeure partie de l'augmentation des re- cettes.

En résumé, près de 300.000 francs de l'augmentation de la taxe personnelle de 1901 sont dus au progrès de la pacifica- tion et au paiement pour la première fois de l'impôt par des populations que jusque-là s'y étaient dérobées. Une partie no- table nous échappe encore dans l'Extréme-Sud et sera amenée progressivement, elle aussi, dès 1902 peut-être, et certaine-

(1) Les deux secteurs d'Ivohibé et de Midoiigy, qui ont formé en 1901 cercle d'Ifandana, sont compris pour une part de 21.792 francs dans le chiffre global de 55.717 francs perçu en 1900 dans le cercle des Baras.

Or, en 1901, dans le cercle d'Ifandana, formé de ces deux secteurs, il a été perçu 111.104 francs. La différence de 111.104 francs 21.792 francs, c'est-à-dire 89.392 francs, représente donc exactement la majoration d'impôt résultant de la seule pacification de la zone forestière de l'Est et de sou entrée dans notre administration.

Il peut être intéressant de constater que cette augmentation de recettes, conséquence d'un fait qui a été le résultat direct et le premier en date da la création du commandement supérieur, couvrait à elle seule et bien au delà la dépense nécessitée par ce rouage.

CONCLUSIONS 273

ment en 1903, à se soumettre à l'impôi. Il est évident qu'avec des populations de cette nature l'application d'un régime fiscal doit être essentiellement prudente et progressive. Il faut s'y garder de tout procédé rigide et uniforme et laisser la plus grande souplesse aux moyens de perception. La plupart du temps celles-ci ne peuvent avoir lieu que sous la forme de recouvrements collectifs ou de perceptions en nature. Chez les peuplades les plus récemment soumises ou en voie de péné- tration le numéraire est à peu près inconnu, les transactions ne se font que par voie d'échanges : c'est donc en cire, peaux, caoutchouc, et surtout en riz et en bœufs, le tout vendu au profit du Trésor, que la taxe peut y être perçue.

A l'égard de ceux des Antandroy chez lesquels nous péné- trons pour la première fois, le commandant du cercle de Fort- Dauphin a même été amené à ne demander comme premier impôt que la remise d'un nombre déterminé de fusils. Il est certain que la recette qui en résulte pour le Trésor est nulle, sans qu'il y ait d'ailleurs de ce fait déficit dans les prévi- sions budgétaires puisqu'il s'agit ici exclusivement des An- tandroy, c'est-à-dire de peuplades qui, n'ayant jamais payé d'impôt et n'ayant jamais été recensées, ne figuraient sur au- cun rôle, mais qui, par contre, nous ont infligé par le feu des pertes cruelles et imposé des opérations onéreuses. Les J 2.000 fusils qui sont encore entre leurs mains doivent être, comme il a été dit, une de nos grosses préoccupations, et l'on peut affirmer qu'une combinaison, si peu fiscale qu'elle pa- raisse, qui en ferait rentrer pendant les années 1902 et 1903 une bonne partie entre nos mains et qui, par là, nous éviterait de nouvelles et onéreuses opérations de guerre, serait une com- binaison heureuse aussi bien au point de vue économique qu'au point de vue politique.

Ainsi ressort nettement la variabilité des procédés que nous sommes conduits à employer pour amener les populations à l'obligation de l'impôt, puisque nous en arrivons à le percevoir même en fusils.

Du reste, les instructions les plus récentes adressées le 25 février lt)02 par le Gouverneur général aux chefs de provinces consacrent le principe de la variabilité des procédés déjà em- ployés dans le Sud et les tempéraments à observer dans le re- Madagascar. 18

274 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

couvrement de l'impôt à l'égard de populations primitives et récemment soumises.

Telle étant la situation au point de vue des procédés à em- ployer, il convient d'examiner la base sur laquelle repose l'im- pôt. Comme on l'a vu dans les tableaux ci-dessus, les percep- tions sont constituées en grande majorité par la taxe de capi- tation. Dans un pays neuf, manquent tant d'éléments d'ap- préciation, il est impossible d'aboutir dès l'abord au régime fiscal le plus rationnel. En attendant que l'expérimentation, la reconnaissance et la détermination des richesses mobilières et immobilières aient permis de donner aux divers impôts leur assiette définitive, on est forcé de procéder par tâtonnements et de recourir aux moyens les plus simples : il n'y en a pas de plus simple que l'impôt de capitation.

Il est vivement à désirer qu'il puisse être remplacé en partie, à bref délai, par des impôts qui, en donnant les mêmes res- sources globales, ne pèsent pas uniformément sur toutes les classes de la population et atteignent mieux la richesse. Les impôts sur les rizières et sur les troupeaux, qui viennent d'être appliqués pour la première fois dans certaines provinces du Sud, marquent déjà un pas dans cette voie, mais il n'y aura de progrès réel que lorsque ces taxes et d'autres seront calculées de manière à permettre une diminution de la taxe de capitation qui dégrève les contribuables les plus pauvres (1).

Cette taxe, telle qu'elle est fixée actuellement dans les diverses provinces, est-elle en rapport réel avec les facultés imposables des populations ? C'est ce qu'il est très difficile de préciser à défaut de tant d'éléments d'appréciation encore inconnus. Les opinions sont très divergentes à cet égard. Le seul critérium concluant (dans les années qui viennent) résultera du plus ou moins de facilité de la perception de l'impôt. Il est certain qu'actuellement dans les régions fortement imposées comme le Betsiléo, l'époque des perceptions constitue un moment de crise.

(1) Cette considération ne s'applique qu'aux régions oii il y a des riches et des pauvres et la propriété est individuelle; mais dans les nombreuses ré- gions du Sud, au contraire, la propriété est collective, l'impôt de capitar tion, perçu collectivement, est celui qui convient le mieux à la situation.

CONCLUSIONS 275

On voit beaucoup d'indigènes vendre hâtivement et à perte des récoltes et du bétail; mais il faut bien se garder d'en tirer des conclusions absolues, en raison du caractère même de l'indi- gène à l'esprit duquel l'idée de l'épargne sous quelque forme que ce soit échappe entièrement jusqu'ici. Il arrive couramment qu'il ait eu maintes fois devant lui l'argent nécessaire au paie- ment de l'impôt, mais il l'a toujours dépensé à mesure et se trouve surpris lorsque arrive l'époque du recouvrement. C'est pourquoi il y aurait tant d'intérêt à lui donner celte idée d'épargne. Dans ce but, au début de mon commandement, j'avais proposé de mettre à l'étude un projet de création do caisses d'épargne postales; si, d'ailleurs, ce projet n'a pas eu de suite, c'est parce que l'on étudie actuellement la créa- tion d'un système général de caisses d'épargne qui pour- raient être placées partout il y a des caisses de fonds d'a- vances. Ce serait une mesure des plus heureuses. Sans compter les avantages qu'elle présenterait pour les Européens et qu'il n'y a pas à envisager ici, elle permettrait d'habituer progres- sivement l'indigène à l'épargne et au placement à intérêt qu'il ne connaît jusqu'ici que sous la forme de l'usure. Celle-ci, pra- tiquée spécialement par les Hovas à l'égard des populations moins avancées, est un véritable fléau qui précisément exerce surtout ses ravages à l'occasion du recouvrement de l'impôt. Il serait facile d'amener à user des caisses d'épargne d'abord les indigènes au contact immédiat des Européens, employés du gouvernement, serviteurs employés des diverses missions, et peu à peu l'usage s'en généraliserait.

Ce qui frappe actuellement, à première vue, dans l'impôt de capitation, ce sont ses variations d'une région à l'autre. Comme le font très clairem.ent ressortir les instructions les plus ré- centes du Gouverneur général (1), ce sont non seulement des considérations économiques, mais des considérations politi- ques qui ont motivé dès l'abord ces variations de la taxation

(1) Instructions du 26 février 1902, déjà citées.

276 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

qu'il faut tendre à uniformiser, du moins dans les régions pré- sentant les mêmes caractères techniques et économiques et sé- parées les unes des autres par des limites géographiques qui constitueraient ainsi des limites fiscales (1).

Les variations de taxation dans les régions limitrophes en- traînent, en effet, de nombreux inconvénients; le premier de tous est de déterminer l'exode des populations se transportant dans la région la plus favorisée. Ce n'est pas que dans certains cas cet exode ne présente des avantages, s'il s'agit par exemple de déterminer un mouvement d'une population trop dense vers des zones moins peuplées ou de déterminer la constitution d'une population artificielle dans une zone dont des motifs politiques exigent le. repeuplement. Telles sont les régions intermédiaires entre le plateau central et la côte Est, la région Tanala noitam- ment il y a tout avantage à pousser les Betsiléo; telle encore la région Ouest du Betsiléo, limitrophe du pays Sa- kalava, jusqu'ici presque déserte, et par suite livrée au par- cours de brigands ei de réfractaires. II a été reconnu néces- saire d'y reconstituer le peuplement par des Betsiléo séden- taires, résultat qui a été o-btenu au moyen de dégrèvements accordés aux villages de peuplement.

Mais, sauf ces cas particuliers, répondant à un objet spécial, il est essentiel d'aboutir à l'uniformité de la taxe de capitation dans les régions contiguës et que rien ne sépare.

A cet égard, le Sud de Madagascar peut se diviser en deux zones : l'une, celle de VEst, comprenant tout le Betsiléo et la région côtière, c'est-à-dire les provinces de Fianarantsoa et de Farafangana. Ce sont celles qui présentent le plus de res- sources, celles oiî la vie économique et sociale est déjà la plus développée : elles sont habitées par des populations denses en contact constant les unes avec les autres; l'autre, celle de V Ouest et du Sud, comprenant les cercles de Tulear et de Fort-Dauphin habités par des populations beaucoup moins denses, beaucoup moins avancées, parfois à peine soumises. Ces deux zones sont d'ailleurs séparées d'une manière générale par de hauts pla- teaux à peu près déserts qui constituent bien entre elles la

(1) Instructions du 25 février 1902.

CONCLUSIONS 277

barrière économique naturelle envisagée par les instructions (id Gouverneur général comme pouvant constituer une limite fiscale.

Il en résulte que deux régimes seulement de taxe de capi- tation sont à envisager pour le Sud : l'un, celui de la taxe la plus élevée, uniforme pour les provinces de Fianarantsoa et de Farafangana; l'autre, celui de la taxe la moins élevée, pour les cercles de Tulear et de Fort-Dauphin.

Actuellement il n'en est pas ainsi puisque la province de Fianarantsoa (Betsiléo) est soumise à une taxe de 20 francs et celle de Farafangana à 10 francs seulement. Cette inégalité de régime provient de la même idée qui a fait imposer à l'Emyrne la taxe la plus élevée. On a procédé de même et par analogie pour le Betsiléo. On est parti du point de vue que, sur le plateau central, les indigènes, beaucoup plus denses et civilisés, bénéfi- ciant dans une plus large proportion des services de l'Etat et des grands travaux publics, il était équitable que leur part con- tributive aux dépenses ayant pour objet le progrès général du pays fût plus élevée que celle imposée aux autres peuplades- Mais ce raisonnement, probablement exact encore pour l'E- myrne, a cessé de l'être pour le Betsiléo tous les grands tra- vaux essentiels, constructions, routes, sont faits, oii, par suite, l'argent de l'Etat ne se répand plus dans le pays et où, comme on le verra plus loin, la situation commerciale est en décrois- sance forcée. La ressource dominante du plateau central Bet- siléo, presque la seule même, est la culture du riz; mais, pour qu'elle soit rémunératrice, il lui faut des débouchés : or, actuel- lement, il y a déjà surproduction et, faute de voies de transport faciles et économiques vers la côte, il y a pas d'écoulement assuré. C'est pourquoi, pour les mêmes motifs qui ont fait pla- cer en première urgence l'exécution des voies de communi- cation (routes et chemins de fer) destinée^ à mettre en relation avec la côte ce grand marché intérieur à population dense et à surproduction de riz qu'est l'Emyrne, il n'est pas moins ur- gent d'ouvrir la communication avec la côte de cet autre grand marché intérieur de 350.000 consommateurs et de surproduc- tion de riz qu'est le Betsiléo. La route charretière de Fiana- rantsoa à Mananjary répond à cet objet. Bien qu'en bonne voie d'exécution sur les deux tiers de sa longueur, elle n'a pu être,

278 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

faute de crédits, terminée en 1902, mais ce qui précède fait ressortir de quelle urgence est son achèvement. L'abaissement du prix de transport résultant de l'emploi des voitures, si accen- tué déjà sur la route de Tananarive à Tamatave, assurera seul au riz du Betsiléo le débouché rémunérateur qui lui manque actuel- lement. On peut en dire autant des chemins actuellement en construction ou en projet du Betsiléo vers Vohipeno et Fara- fangana et en général de tous ceux qui ouvrent des affluents du plateau central vers la côte et qui sont destinés à avoir une répercussion directe des plus favorables sur le régime fiscal de la colonie.

Il est incontestable toutefois que, dès 1901, le but spécial qu'on s'était proposé par l'élévation de la taxe personnelle au moment de la suppression de la prestation, celui d'obliger les indigènes au travail, a été atteint. Aussi bien en ce qui con- cerne les chantiers de travaux publics qu'en ce qui con- cerne le développement des cultures locales, les Betsiléo ont fourni un effort inaccoutumé jusque-là.

Par contre, si le plateau central du Betsiléo n'est plus, à notre avis, dans une situation économique qui justifie une taxation spécialement élevée, la province côtière de Farafangana, pour des motifs qu'on verra plus loin (1), a pris un essor commercial qui a une répercussion notoire sur le rendement des impôts.

Il s'est donc produit entre les deux régions une sorte d'équi- libre économique qui justifie l'uniformisation des taxes. C'est pourquoi, et avec la pensée de simplifier autant que possible le système en vigueur, j'ai envisagé que le régime fiscal appliqué au Sud de l'Ile pouvait être avantageusement ramené à deux types seulement : l'un applicable aux régions de l'Est, l'autre, plus léger, aux régions moins favorisées de l'Ouest et du Sud.

Il est évident du reste que, dans la zone Est elle-même, cer- tains groupes pourront être l'objet d'une régime de faveur au moyen de l'établissement de cotes irrécouvrables. Sans toucher au principe de l'uniformisation de l'impôt, on pourra ainsi en

(1) Page 302.

CONCLUSIONS 279

ajourner temporairement la perception intégrale. Tels sont les groupes Tanala, Tambavalo eit autres habitant la zone fores- tière où l'état d'insurrection prolongée n'avait pas permis de développer les ressources naturelles et il est indispensable, au point de vue politique, de ne modifier que très progressive- ment et très prudemment le régime fiscal.

♦**

Tel étant le principe deux régimes seulement, l'un plus lourd à l'Est, l'autre plus léger à l'Ouest et au Sud je n'au- rais garde de préciser le chiffre de la taxation qui convient à l'un et l'autre. Seules l'expérience, la facilité plus ou moins grande de perception des taxes actuelles pourront donner les indications nécessaires.

Ce qui importe, c'est que le chiffre des impôts étant arrêté reste fixe, au moins pendant quelque temps; c'est de ne pas donner aux populations le sentiment que leur taux et leur nom- bre puissent augmenter chaque année. Sinon l'on risquerait de créer chez elles un état d'inquiétude et de découragement des plus préjudiciables à l'acceptation de notre domination, à la re- prise des affaires et au souci de l'épargne. Il importe au premier chef, une fois la période inévitable de tâtonnements passée, de donner au contraire au pays une impression de stabilité et de fixité en s'en tenant à un régime fiscal bien défini et qui ne change plus de longtemps.

Enfin, la seule chose essentielle, conforme d'ailleurs à toutes les vues exprimées par l'autorité supérieure et notamment par les instructions du Gouverneur général du 27 février 1902, est de ne pas imposer au pays, dès le début, un régime fiscal incom- pressible qui ne présente pour l'avenir aucune élasticité.

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

II

SITUATION AGRICOLE

Il ne s'agit pas ici d'entrer dans une étude détaillée. Elle a sa place dans les nombreuses publications spéciales qui trai- tent de la maitière; le Rapport d'ensemble du général Galliéni de 1899, la Bévue de Madagascar, le Journal ofl'iciel de la colo- nie offrent déjà tous les renseignements acquis jusqu'à ce jour.

Il s'agit simplement de donner du Sud de Madagascar au point de vue agricole une impression d'ensemble résultant de mes nombreuses tournées et des données les plus récentes.

D'une manière générale, il paraît maintenant bien établi que le plateau. central ne se prête, sauf de rares exceptions, qu'aux cultures indigènes et que les entreprises agricoles européennes doivent en être détournées et se limiter aux provinces côtières qui comportent seules des cultures rémunératrices.

Le document le plus important relatif à la valeur agricole des terres de Madagascar est l'étude publiée par MM. Muntz et Rousseaux (1), à la suite de l'analyse faite par eux au labora- toire de l'Institut national agronomique des échantillons de terre prélevés dans les diverses régions de l'île.

Ce remarquable document a clairement fait ressortir que dans son ensemble le sol de Madagascar est d'une richesse mé- diocre faute d'éléments constitutifs essentiels, mais que toute- fois son infériorité naturelle peut être modifiée favorablement par des conditions climatériques spéciales aux pays tropicaux.

Cette remarque s'applique d'ailleurs spécialement aux régions côtières oii le sol, déjà sensiblement meilleur que sur le plateau central, bénéficie encore de la combinaison des pluies et des cha- leurs tropicales.

(1) Imprimerie nationale, 1901.

CONCLUSIONS

281

MM. Muntz et Rousseaux insistent du reste sur la nécessité de ne pas étendre d'une manière rigoureuse à des régions 011 les conditions climatériques sont si différentes, des données établies pour les terres de France situées sous un climat tem- péré et soumises à un régime des eaux régulier.

Repiquage du Piz pi<ès de Betpoka.

Il faut également remarquer et il importe d'appeler toute l'attention sur ce point que les échantillons de terre sur lesquels a porté leur analyse n'ont pas été prélevés dans l'île d'une manière uniforme; le fait s'explique tout naturellement par l'époque ces envois ont été faits (1898), alors que beau- coup de régions n'étaient pas encore pénétrées ou étaient en- core en insurrection. Il suffît, du reste, de jeter les yeux sur la carte qui accompagne l'étude de MM. Muntz et Rousseaux et sur laquelle figurent les points de prise des échantillons ana- lysés pour constater leur accumulation sur certains points, en Emyrne, par exemple, région dès lors la plus pacifiée et la

DANS LE SrD DE MADAGASCAR

plus régwlièrement acîromisfrée, msis aussi ccWe doni le sol

est de beaucoup le plus pauvre. Par contre, ne figurent pas d'échantillons provenant des vallées de l'Itomanpy, de l'Iantara, ni de la zone de la province de Farafangana intermédiaire entre la côte et la falaise forestière, c'est-à-dire des régions du Sud qui paraissent les plus fertiles et où, sur certains points, la nature du sol semble même différer notablement du resde de l'Ile.

Aussi était-il très utile qu'il y eût un complément d'analyse. Il a été prescrit par une circulaire du gouverneur général du 8 janvier 1902. En la transmettant à mes commandants de pro- vinces et de cercles, j'ai cru devoir appeler toute leur attention sur l'observation que je viens de signaler en les priant d'ap- porter le plus grand soin à la formation de la nouvelle collec- tion. Cette fois, du moins, grâce à l'occupation intégrale du Sud sur lequel on n'avait précédemment que des données très insufTisantes, l'analyse des échantillons pourra donner des ré- sultats à peu près complets.

Il n'est pas impossible que, sans modifier l'appréciation d'en- semble de la valeur agricole de l'Ile, on soit amené à des appré- ciations très différentes sur certaines régions.

Au point de vue agricole, on peut diviser le Sud en quatre zones :

La zone du plateau central; Les régions côtières; 3** La zone forestière; La région des cactus.

IMateau central.

La partie principale en est le Betsiléo. Dès le début de mon commandement, dans mes premiers rapports (novembre 1900), j'avais signalé la nécessité d'en détourner les colons agricoles européens. Le gouverneur général a donné, dès ce moment, une certaine publicité à ces conclusions et les a complètement adop-

CONCLUSIONS 283

tées ainsi qu'il résulte de tous les documents parus depuis. Malgré tout, les concessionnaires qui s'y sont établis, liés par les dépenses qu'ils y ont faites, persistent à y rester et y vé- gètent, et quelques nouvelles demandes de concessions conti- nuent à se produire. La raison qui les motive est toujours la même : recherche d'un habitat sain. Or, il y a une concep- tion erronée contre laquelle on ne saurait trop réagir. Voici, en effet, en quels termes j'ai entendu en France le plus souvent poser la question par des personnes désireuses d'aller colo- niser : « Je voudrais m'établir à Madagascar, pourriez-vous m'indiquer une région saine et fertile ? » Question qui provo- quait toujours la même réponse : « Entendons-nous, si elle est saine elle ne sera pas fertile, si elle est fertile elle ne sera pas saine, puisque ce qui fait la richesse des pays tropicaux c'est une combinaison de chaleur et d'humidité toujours défa- vorable à la salubrité. »

Certaines entreprises agricoles ne persistent vraisemblable- ment dans le Betsiléo, malgré les échecs trop probables qui les y attendent, qu'en raison de la salubrité qu'y trouvent les fa- milles des concessionnaires. 11 est évident que le pionnier colo- nial doit se placer dans des conditions d'indépendance et de rusticité qui ne le rivent pas ainsi dès l'abord à une région dé- favorable.

S'il s'agit de faire de la culture indigène, l'indigène y suffit et la fait à beaucoup meilleur compte que l'Européen.

Les seules cultures qui peuvent être rémunératrices pour l'Européen sont les cultures dites riches ou cultures tropicales. Or, le Betsiléo, comme tout le plateau central, n'a rien de tro- pical, son altitude moyenne est de 1.200 mètres. La tempéra- ture, qui ne s'y élève jamais au-dessus de 25°, y descend en hi- ver jusqu'à 0" et même au-dessous ( 3" à Fianarantsoa en juin 1901). Du reste, les expériences faites jusqu'ici ont été trop concluantes. Depuis cinq ans des exploitations de café en grand ont été tentées, menées avec grand soin et ont échoué. Ce ré- sultat est plus encore à la nature du sol qu'au climat. Toutes avaient pourtant bien débuté et donné une ou deux belles récoltes, puis subitement, au bout du même laps de temps, les arbustes ont dépéri et cessé de produire. On s'est trouvé en présence d'un des cas signalés par MM. Muntz et Rous-

284 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

seaux : « Il peut se faire, disent-ils, qu'au début d'une mise en exploitation une terre faiblement pourvue d'éléments fer- - tilisants porte une belle récolte, mais plusieurs récoltes suc- cessives l'épuiseront rapidement. C'est le cas des terres vierges nouvellement défoncées dont la fertilité ne saurait se mainte- nir bien longtemps si elles n'ont pas une réserve suflTisante. » On voit par combien le caractère récent de noitre établisse- ment à Madagascar doit nous rendre prudents dans nos con- clusions, puisque les résultats obtenus à quelques années de distance peuvent être diamétralement opposés. Il faut des an- nées et une série d'expérimentations successives pour arriver à des conclusions offrant quelque centitude.

Ce n'est pas que le café et certaines cultures rémunératrices ne puissent réussir dans le Betsiléo, mais dans des conditions toutes spéciales d'abri, de fumure, dans les fossés de villages par exemple l'on trouve notamment d'excellent café. Mais alors ceci n'est plus que du ressort des indigènes pour la con- sommation locale et exclut toute idée d'entreprise européenne à large base.

Il semble qu'au point de vue agricole, en dehors des cultures indigènes, il n'y ait guère que la sériciculture qui puisse donner des résultats satisfaisants dans le Betsiléo. L'élevage du mûrier se fait presque partout à Madagascar, mais le plateau central seul est propice à l'élevage du ver. encore il y a probable- ment pour l'Européen avantage à laisser l'indigène faire lui- même la mûraie et à se borner pour son compte à le diriger et à assurer l'écoulement des produits.

Il est possible aussi que la vigne donne de bons résultats. Les essais tentés jusqu'ici dans le Betsiléo ont beaucoup meil- leure apparence qu'en Emyrne. Ils ne sont, eux aussi, ni assez anciens, ni assez étendus pour être concluants, mais ils sont en voie de développement assez intense et méritent d'être suivis. En tous cas, malgré le cri d'alarme qui a été poussé en France à ce sujet, ils ne constitueraient pas de longtemps un péril pour la métropole. S'ils réussissaient, il faut considérer qu'une pro- duction vinicole limitée serait une ressource inappréciable pour la consommation locale, au cas oii les circonstances! politiques extérieures suspendraient momentanément les importations de la métropole.

CONCLUSIONS 285

Par contre, le Betsiléo est une des régions les. plus propices aux cultures indigènes. A cet égard, il importe de réagir contre l'assimilation qui se fait encore fréquemment entre l'Emyrne et le Betsiléo. Le sol du Betsiléo est notablement plus fertile que celui de l'Emyrne. Il est possible que l'analyse chimique ne donne pas des résultats sensiblement différents, mais, comme le disent M3i. Muntz et Rousseaux, l'expérimentation locale prime les résultats de laboratoire. Or, si l'on vient de l'Emyrne, il est impossible de ne pas être frappé de l'aspect riant du Bet- siléo. Tandis que, en Emyrne, les fonds de vallées seuls sont cul- tivés, les mamelons complètement dénudés, et que, pendant une grande partie de l'année, l'aspect du sol est rouge et la pous- sière aveuglante, les villages et surtout les valas (1) habitent de préférence les Betsiléos sont entourés d'arbres et de jardins, les mamelons sont couverts de cultures vivrières et les parties boisées sont relativement nombreuses. Cette différence si sen- sible et tout à l'avantage du Betsiléo provient probablement pour une part de la qualité meilleure de la terre, mais surtout de la diversité des climats. La saison sèche absolue de l'Emyrne, pendant des mois il ne tombe pas une goutte d'eau, n'existe pas ici. A défaut de grosses pluies, il y a à toute époque de l'année des brouillards pluvieux qui y entretiennent une humi- dité à peu près constante et des plus favorables à la culture.

L'indigène Betsiléo est essentiellement cultivateur. Il pratique au plus haut degré l'art de l'irrigation, grâce à laquelle il l)ousse ses rizières aussi haut que possible aux flancs des ma- melons. C'est par excellence un pays de production du riz. Mal- heureusement, comme il a été dit plus haut, le riz manque de débouchés. On a vu combien à cet égard l'ouverture de com- munications avec la côte était indispensable pour amener une surproduction de culture. Celle-ci repose également sur le dé- veloppement de la population qui sera amenée à s'étendre dans les régions limitrophes il y a encore de vastes espaces in- cultes propices à l'établissement de rizières. Cet accroissement de la population est très vraisemblable; la proportion de la na- talité est forte, l'important est de combattre la mortalité infan-

(1) Valas, groupements isolés d'habitations analogues aux fermes d'Eu- rope.

286 DANS LE SUD DE MADAGASCAK

tile et de remédier à de déplorables habitudes d'hygiène. De» grands progrès sont déjà réalisés à cet égard par l'assistance médicale et par l'œuvre remarquable du docteur Beigneux dont il sera parlé plus loin (1). Avec un accroissement de sa popu- laition déjà dense, le pays Betsiléo peut devenir, au point de vue économique, un centre actif de production de riz et un marché croissant d'acheteurs pour nos produits.

A l'égard du développement agricole, la ferme hippique de l'Iboaka, à vingt kilomètres de Fianarantsoa, créée au début de 1901, dont il sera reparlé plus loin à propos de l'élevage el à côté de laquelle a été établi un jardin d'essais, aura cer- tainement une influence appréciable.

Elle doit servir :

D'école aux indigènes, au point de vue de l'emploi des instruments aratoires ;

De champ d'expériences pour la culture de certaines cé- réales et de plantes fourragères qui peuvent influer très favo- rablement sur l'état des troupeaux du pays;

Pour l'utilisation et l'exploitation rationnelle des prairies naturelles (fauchage, conservation des fourrages), choses in- connues des indigènes, bien que le Betsiléo soit particulière- ment propre à la pratique des prairies naturelles, ainsi que le démontrent celles au milieu desquelles est installée l'Iboaka et qui sont jusqu'ici si favorables aux animaux qui s'y trouvent. Dès cette année les prairies ont été fauchées, les greniers rem- plis et autour de la ferme s'élèvent de grandes meules qu'on voit certainement pour la première fois sur le sol malgache et qui assureront la nourriture des animaux pendant toute l'année;

De ferme-école pour le croisement et l'élevage des bœufs et des moutons. L'essai commencé à cet égard avec des tau- reaux de France sans bosse et avec des béliers de Sologne est à poursuivre ;

De champ d'expériences pour les cultures spéciales : la sériciculture rationnelle et le tabac. La culture de cette der- nière plante a déjà pris une certaine extension chez les indi- gènes et pourrait être dans l'avenir une ressource pour le pays

(1) Page 358.

CONCLUSIONS 287

si rintroduction de plants de bonne qualité se faisait sur une grande échelle. Les essais faits à la ferme de l'Ibcaka avec di- verses espèces de tabac cultivés en Europe sont déjà pleins de promesses.

J'appelle ici l'attention sur la façon dont doit être envisagé le rôle des jardins d'essais. Au début de notre occupation, pen- dant la période de tâtonnements et aussi d'efforts si intenses et méritoires donnés dans toutes les branches d'activité, des jardins d'essais ont été ébauchés un peu partout et on y a pra- tiqué d'abord un peu pêle-mêle des essais de toutes les variétés de cultures possibles. On y voyait côte à côte des plantes des régions les plus tempérées de l'Europe et des régions purement équatoriales. Depuis, les idées se sont précisées et la méthode s'est créée. Ces jardins ont été limités à un très petit nombre de points choisis dans des régions nettement différentes et ont pris leur vrai caractère de champs d'expérimentation pratique. Les cultures y sont maintenant rigoureusement restreintes à celles qui ont réellement chance de convenir à la région oîi ils sont établis. Ils ont perdu tout caractère de jardins botaniques de luxe, une culture transportée hors de son habitat naturel peut toujours être réalisée à l'état de phénomène à force de soins spéciaux, pour prendre un caractère plus modeste et autrement utile d'école pratique locale. C'est ainsi que toutes les cultures tropicales ont été rigoureusement exclues du jardin d'essais du Betsiléo, qui se borne à l'introduction et à l'expéri- mentation rationnelle de cultures accessibles aux indigènes et de nature à développer la prospérité régionale. C'est aux jar- dins d'essais côtiers, au contraire, tel que celui de Nampohana à Fort-Dauphin et tel qu'il conviendrait d'en créer un à Tulear, qu'il appartient d'expérimenter les cultures riches convenant à ces diverses régions.

Régions côliëres.

En ce qui concerne les cultures indigènes, les dernières in- structions du Gouverneur général (instructions aux chefs de provinces du 25 février 1902) ont fait ressortir combien elles étaient encore au-dessous des possibilités de production du

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

pays. Il est incontestable que dans ces régions les popula- tions sont loin de tirer tout le parti possible de l'étendue du sol cultivable et de sa fertilité, ne voient pas au-delà de la satisfaction de leurs besoins immédiats et sont à la merci du moindre aléa (sécheresse, sauterelles) : j'en avais du reste été frappé dès le début de mon commandement ainsi qu'il ressort du rapport que j'adressais au Gouverneur général à la suite de ma première tournée dans la province de Farafangana, le 1" novembre 1900 :

(( Les cultures sont très insuffisantes dans les vallées moyen- nes, malgré la richesse de la terre, et très développées dans les vallées basses. Mais elles pourraient l'être encore bien da- vantage. Les larges vallées alluvionnaires de la Manambara et de la Matitanana offrent les meilleures conditions naturelles, mais les tribus qui les habitent sont paresseuses, peu indus- trieuses et peu soucieuses de développer leurs cultures au-delà de ce qu'il faut pour assurer leur bien-être. Aussi ne comptent- elles que sur la pluie pour l'irrigation de leurs rizières.

» Il en résulte que, quand on a une sécheresse prolongée, comme cette année, la récolte est très compromise, tandis que, grâce aux larges rivières et à leurs affluents qui sillonnent cette basse région, l'irrigation pourrait être assurée constamment au moyen des procédés annamites (norias, siphons, etc-). H y aurait une voie oii il serait extrêmement intéressant d'en- gager le pays avec des administrateurs au courant des mé- thodes d'Extrême-Orient».

Ces appréciations ont reçu la haute sanction du Gouver- neur général. Dans les insftructions du 25 février 1902, il a appelé l'attention sur la nécessité de faire l'éducation des popu- lations des régions côtières au point de vue de l'utilisation des eaux qui y coulent en si grande abondance. Il a envisagé l'éven- tualité de reprendre, temporairement, l'application du principe de l'obligation à la culture pour la création de rizières irri- guées dans les régions le sol est particulièrement fertile. Il a laissé prévoir la création ultérieure d'un service spécial d'hydraulique agricole. Rien ne serait plus opportun que la création de ce service, car les questions hydrauliques et toutes celles relatives au régime des eaux sont des plus délicates et exigent de n'être traitées qu'en connaissance de cause. En atten-

CONCLUSIONS 289

dant, il semble qu'il y aurait un grand intérêt à faire rédi- ger une instruction pratique à l'usage des administrateurs cô- tiers, présentant, avec figures à l'appui, les modes d'irrigation et de drainage en pays de plaine. La rédaction de cette instruc- tion pourrait être avantageusement confiée à des agents ayant résidé dans le delta du Tonkin, les procédés d'endiguement^ de siphons, de canaux, de norias sont si variés; et si efficaces. Pour ce qui concerne le Sud, une instruction de cette nature rendrait, dès maintenant, les meilleures services dans la pro- vince de Farafangana et dans le Nord de celle de Fort-Dauphin. Ce seraient là, par excellence, les travaux à faire effectuer par les collectivités comme il est prévu aux instructions pré- citées, de même que « l'obligation à la culture » qu'elles pré- voient également serait dans les mêmes régions tout à fait jus- tifiée.

Au point de vue des Européens, la plupart des concessions de la région côtière ont été l'objet d'études détaillées parues soit au Journal officiel de la colonie, lors des tournées du Gouver- neur général, soit dans des publications spéciales. J'y renvoie pour tous les renseignements techniques, me bornant ici à un aperçu d'ensemble.

Les principales exploitations européennes sont localisées sur la côte Est, c'est-à-dire, pour ce qui concerne le Sud, dans la province de Farafangana et dans la partie orientale du cercle de Fort-Dauphin.

Les dominantes de la côte Ouest (cercle de Tulear) sont l'éle- vage et le commerce.

Les établissements des Européens sur la côte Est ont suivi la marche de la pénétration et de la pacification.

Ils sont donc beaucoup moins denses que dans la région Tamatave-Mahanoro et vont s'espaçant de plus en plus en allant vers le Sud. Je crois devoir mentionner cinq principaux de ces établissements, parce que, échelonnés le long de la zone cô- tière, ils poursuivent chacun plus particulièrement un objectif spécial et offrent, de ce fait, des caractéristiques intéressantes.

On comprendra qu'il ne m'appartienne pas d'en apprécier

Madagascar. 19

290

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ici la valeur commerciale, ni de risquer des pronostics à l'é- gard de leurs chances de succès. Ces pronostics seraient du reste des plus aléatoires parce que ces établissements en sont tous à leur période de début et parce que leurs chances re- posent en partie sur des facteurs tels que les capitaux engagés, les efforts personnels, la santé des concessionnaires, facteurs qui échappent à l'appréciation. Je me borne à constater que dans chacun d'eux se développe un effort intéressant engagé avec

y, FIANARANTSQA.

Ambila.

(£000*1^>^

Andema.ka. ^. <4000".*> ''i

méthode, qu'ils sont très sérieusement dirigés et méritent plei- nement d'être encouragés et de réussir.

Je ne veux les envisager qu'au point de vue des essais ca- ractéristiques que chacun d'eux poursuit et des conséquences

CONCLUSIONS 291

qui peuvent en résulter pour les établissements similaires qui se créeraient ultérieurement dans les mêmes régions.

Du reste, sur ce sujet, il convient toujours de distinguer deux ordres d'idées qui correspondent d'ailleurs à deux pé- riodes différentes, mais que ceux qui s'occupent de coloni- sation et les colons eux-mêmes confondent parfois : l'ordre d'i- dées essais et l'ordre d'idées exploitation commerciale.

Or, les concessions que j'envisage, dont chacune présente une caractéristique très spéciale, étant des premières établies dans le pays, présentent forcément le caractère d'essais.

Ce sont, en allant du Nord au Sud :

La concession d'Ambila (6.000 hectares) à la Société agricole et immobilière;

La concession d'Andemaka (4.000 hectares), dirigée par M. Ri- chard ;

La concession de Raibola (736 hectares), à MM. Blanc et Lecomte;

La concession de l'Emeraude (400 hectares), à MM. Conchon et Garenne;

La concession de M. Auguste Marchai, dans l'Androy (25.000 hectares).

Il est superflu de dire que le caractère tropical des cultures diminue d'intensité en allant vers le Sud. Les deux dernières concessions mentionnées sont situées au Sud du tropique et par conséquent dans la zone tempérée australe. Il en résulte que les expériences réalisées dans chacune de ces concessions feront ressortir les zones la réussite de chacune des cul- tures tropicales cessera d'être assurée. Pour chacune de ces culture la zone-limite est encore assez indécise : il y a donc un sérieux intérêt. C'est ainsi que pour le cacaoyer, par exem- ple, la plantation de M. Richard, un certain nombre de ces arbustes sont expérimentés, donnera une indication certaine parce qu'elle est placée à la limite de la zone considérée comme apte à cette culture.

La plantation d'Ambila, tout en poursuivant certaines autres cultures, a pour objet spécial l'exploitation de la ramie. On

292 DAXS LE SUD DE MADAGASCAR

sait quel est l'intérêt de ce textile riche, très à l'ordre du joyr actuellement en Europe et dont l'utilisation industrielle paraît devoir être susceptible d'une sérieuse extension! le jour oiî l'on sera nettement fixée sur l'outillage qui convient le mieux à sa préparation; il faut que ce produit puisse être préparé sur place pratiquement et à peu de frais, de façon à être couram- ment accepté par les filatures (1).

Dans la plantation d'Andemaka, M. Richard, ancien enseigne de vaisseau, tout en expérimentant le cacaoyer et en pratiquant des cultures immédiatement rénumératrices, telles que le café et la vanille, a pour objectif principal l'expérimentation de la culture du caoutchouc, spécialement de l'espèce céara. On sait comment se pose actuellement, dans le Sud de Madagascar, la question du caoutchouc. Originairement très abondant à l'état naturel, très apprécié comme qualité, il a été de la part de l'in- digène, sitôt qu'il en a connu la valeur, l'objet d'une exploita- tion meurtrière qui a abouti à la destruction des lianes et à l'épuisement des ressources du pays en essences caoutchou- tifères. En outre, l'indigène recueillant la gomme sans soins et introduisant dans l'intérieur des boules des matières étran- gères destinées à en augmenter le poids apparent, ces négli- gences et ces fraudes ont discrédité sur le marché le caoutchouc de Madagascar, Il convient donc à la fois de revenir à une ex- ploitation rationnelle et de procéder à une reconstitution des ressources. De résulte l'intérêt de l'expérience poursuivie à Andemaka par M. Richard.

La plantation de Raibola comporte principalement du café et de la vanille. Créée en 1899, par M. Louis Lecomte, ancien élève de Grignon, elle représente un effort considérable. L'exploita- tion s'en fait avec une méthode rigoureuse. 1.500 mètres de Decauville relient les diverses parties de l'exploitation et les mettent en communication avec les fosses à fumier.

1.300 pieds de vanille, dont la culture a été commencée en

(1) L'exploitation de cette concession a été arrêtée, il est vrai, depuis que ces lignes ont été écrites; mais il n'en comvient pas moins de signaler l'intérêt de l'expérimentation de la ramie.

CONCLUSIONS 293

1901, réussissent jusqu'ici à souhait, mais la culture principale est le café. 1.500 pieds de quatre ans vont donner cette an- née (1) leur première récolte. 3.000 autres sont déjà plantés. Il y a un essai en grand de greffage des caféiers de Bourbon de la meilleure qualité sur le caféier Libéria de moins bonne qualité, mais plus rustique et plus résistant. Or, le café se présente, dès maintenant, comme une culture rémunératrice pour le plan- teur de Madagascar, tant en raison de la facilité de son écou- lement presque illimité en France, il bénéficie du demi-droit de douane, qu'en raison de son écoulement croissant à Mada- gascar même, sa consommation tant par l'Européen que par l'indigène prend chaque jour plus d'extension.

Il est à noter qu'avant de s'installer à Raibola, MM. Blanc et Lecomte avaient commencé l'exploitation du café dans le Betsiléo et qu'aussitôt après y avoir constaté qu'ils y étaient assurés d'un échec pour les causes énumérées plus haut, ils ont pris sans hésiter la décision courageuse d'abandonner leur concession et de la transporter dans une région plus propice.

Le thé est également l'objet d'essais. Ici comme dans le Bet- siléo il semble réussir, mais les plantations sont encore trop récentes et trop peu importantes pour en tirer des conclusions.

La concession de VEmeraude est exploitée par MM. Conchon et Garenne, officiers d'infanterie coloniale en congé, précédem- ment en service à Madagascar. Elle est située à 34 kilomètres au Nord-Ouest de Fort-Dauphin, c'est-à-dire dans la région Ex- trême-Sud de Madagascar; mais le choix du terrain, l'abri d'un écran de montagnes contre les vents froids du Sud, la qualité du sol formé d'une épaisse couche d'humus, l'abondance des eaux, la placent dans des conditions particulièrement favora- bles qui permettront probablement d'y pratiquer des cultures tropicales. Après s'être proposé d'abord de mener de front la culture et l'élevage, les concessionnaires ont renoncer à peu près au second de ces objectifs pour des causes qui seront exposées dans un chapitre suivant. Mais, ne se bornant pas aux cultures riches, vanille et café, qui semblent devoir réus- sir sur leur terrain, ils tentent un essai intéressant de dévelop-

(1) 1902.

294 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

pement rationnel et intensif des cultures vivrières locales, no- tamment du manioc, dont ils se proposent de faire l'exploita- tion industrielle (tapioca). La proximité du port de Fort-Dau- phin, desservi par un service régulier, de bonnes voies de com- munication leur permettent d'introduire l'outillage approprié, condition rarement réalisable, pour le moment du moins, sur la plupart des points de l'Ile. La proximité de ce port assure en outre l'écoulement des produits.

Enfin la concession de 25.000 hectares de M. Augusto Mar- chai située dans l'Androy, sur la rive gauche du Mandraré, en pleine région du caoutchouc Intisy, a pour objet la reconsti- tution des plants et l'exploitation rationnelle de cette précieuse matière. Ce qui a été dit plus haut de la question du caoutchouc suffit à faire comprendre l'intérêt de cette tentative. M. Marchai a déjà installe à Fort-Dauphin même l'outillage nécessaire pour l'épuration du caoutchouc, de manière à en faire l'exploitation industrielle aussitôt que sa concession sera mise en valeur.

Il convient de mentionner également le jardin d'essais de Nampohana, établi à sept kilomètres de Fort-Dauphin, dont le noyau a été constitué par un ancien domaine de M, Marchai créé en 1880 et figurait déjà une grande variété d'intéres- sants spécimens de plantes économiques et d'ornement. Cette station d'essais dépend du service central d'agriculture; elle est dirigée par M. l'agent de culture Delgove, qui lui a donné un développement considérable, y a introduit de nouvelles es- pèces, spécialement celles pouvant présenter un intérêt pra- tique dans la région, et y procède dès maintenant à des ces- sions de plants et de graines aux colons qui en expriment le désir.

La question la plus sérieuse qui se présente pour toutes les concessions qui viennent d'être énumérées, ainsi que pour toutes celles dont il n'a pas été fait mention et pour celles qui se créeraient ultérieurement, est la question de la main d'œuvre. On sait combien à Madagascar elle est limitée et aléatoire. Les essais d'introduction de main-d'œuvre étrangère n'ont pas donné jusqu'ici de résultats encourageants pour leur continuation.

CONCLUSIONS 295

On peut espérer que le développement des besoins chez les indi- gènes, l'élévation de l'impôt, l'accoutumance à notre contact les inciteront à travailler pour les Européens dans des condi- tions qui restent rémunératrices pour ces derniers. Néanmoins il y aura tout intérêt à remplacer autant que possible la main d'œuvre indigène, puisqu'elle est difficile à recruter et produit peu, par le travail animal et l'outillage mécanique. On vient de voir que dans une partie des concessions mentionnées on est déjà entré dans cette voie; c'est, du reste, à côté de tous les autres, encore un des avanttages de la zone côtière, que la proxi- mité des ports permettant l'introduction à bon compte des ma- chines, des moyens de transport et des animaux de bât ou de trait.

En résumé, ce que je me suis proposé en présentant ces cinq types d'exploitations dans la zone côtière, c'est, en laissant de côté toute considération sur leur valeur commerciale, de faire ressortir comment se crée une expérimentation dans un pays neuf. Mieux que toute étude théorique, que tout enseignement d'école, les résultats obtenus au bout de quelques années dans chacune de ces plantations, étant donné qu'elles se trouvent jalonner la côte Est de Madagascar jusqu'à l 'extrême-Sud, donneront des indications précieuses sur les cultures domi- nantes qui doivent y être pratiquées, sur la zone-limite qui doit être assignée à chacune d'elles, et sur la valeur d'essais nouveaux tels que la culture de la ramie et la plantation ra- tionnelle du caoutchouc.

Zone forestière.

La zone forestière englobe les deux versants de la falaise qui s'étend du Nord au Sud, parallèlement à la côte Est. Réduite par endroits à vingt ou trente kilomètres de largeur à la suite de destructions successives, elle s'épanouit au Sud dans les hautes vallées de l'Itomanpy, de l'Ionaivo, de la Manampanihy et du Mandraré en un épais massif forestier. Elle couvrait autre- fois toute la zone côtière jusqu'à la mer. Les vestiges en sub- sistent nombreux. Dans la zone entre Manantenina et Fort- Dauphin, c'est une véritable forêt de troncs calcinés qui se

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

dresse encore jusqu'au rivage. Sur le plateau, la vallée de 1^ Mananara, celle de l'Iantara, offrent le même spectacle. Les causes de ce fait sont de deux ordres, les unes naturelles, les autres accidentelles.

Les premières, de date ancienne, sont dues au recul forcé des limites de la forêt devant la vie s'établissant sur la côte et en- traînant les défrichements indispensables pour l'installation des villages, l'établissement des, cultures et des pâturages.

Les secondes, accidentelles et récentes, sont dues à la fois à l'indolence des indigènes et à l'insoumission d'une partie d'entre eux à la suite de notre arrivée.

L'indigène de cette zone, moins laborieux que le Hova et le Betsiléo, préfère la culture des rizières de montagnes à celle des rizières irriguées, parce qu'elle exige un beaucoup moindre effort. Au lieu d'établir des canaux, de travailler le sol profon- dément, soit au moyen du piétinement des bœufs, soit par l'an- gady (bêche malgache), il suffit d'incendier un quartier de forêt, dont les débris forment un engrais naturel qui fertilise le sol, pour une courte durée toutefois. Après l'épuisement d'une zone on passe à la suivante et c'est ainsi que la forêt disparaît, que le régime des eaux se modifie et que le sol s'appauvrit.

D'autre part, l'insoumission d'une partie de la population fuyant notre contact et se réfugiant dans les forêts a produit les mêmes résultats.

Au début de 1901, cette zone forestière était presque entiè- rement occupée par les tribus insoumises. Le maintien de cette situation, en outre de ses conséquences politiques, avait comme conséquence économique d'accélérer fatalement la des- truction progressive de la forêt dont les rebelles brûlaient l'intérieur pour y faire leur riz de montagne et les autres cul- tures nécessaires à leur consommation. Un des premiers objec- tifs que j'aie imposés à mes chefs de circonscription dans cette zone fut d'obliger à toute force les habitants à réintégrer les vallées et à y reprendre les cultures; le résultat est déjà en grande partie atteint.

Les dernières instructions du Gouverneur général (25 février 1902) ont appelé l'attention sur l'urgente nécessité d'arrêter le développement du riz de montagne « sans le prohiber tout d'un coup sous peine de provoquer une crise ». Or, depuis le début

CONCLUSIONS 297

de 1901, les mesures les plus fermes ont été appliquées à cet égard dans le Sud sans interruption et ont donné déjà des résul- tats appréciables. Dès maintenant, tout nouveau défrichement a été interdit et les cultures de riz de montagne ont été can- tonnées dans les superficies déjà défrichées et en imposant aux indigènes une rotation annuelle. On ne peut, en effet, obliger tout à coup certaines de ces populations à la culture exclusive du riz en plaine parce que celle-ci exige un nombre de bœufs suffisant pour défoncer le sol en le piétinant. Or, leurs trou- peaux ayant été consommés par elles pendant les années d'in- surrection, il faut leur laisser le temps de les reconstituer.

Mais, d'autre part, sur beaucoup de points déjà les cultures de rizières irriguées ont été largement reprises dans les vallées, autour de nouveaux villages reconstitués de toutes! pièces, no- tamment dans les vallées de l'Iantara et de l'Isandro, et ce n'est pas l'un des moindres résultats des opérations qui ont dégagé la forêt.

Du reste, depuis la pacification, j'ai provoqué à plusieurs reprises la venue à Fianarantsoa des chefs indigènes de cette zone, notamment des chefs Tambavalo, qui habitent la belle vallée de l'Iantara, et des chefs Zafimarozaha,; qui habitent la vallée plus belle encore de l'Itomanpy (qui est à signaler au passage comme la région peut-être la plus intéressante du Sud au point de vue des possibilités agricoles). Ils ont été accom- pagnés par les officiers de ces régions qui leur ont fait voir les belles rizières et les procédés d'irrigation du Betsiléo. De retour chez eux, ils s'en sont montrés vivement frappés et il y a un premier jalon pour les pousser dans la voie d'une meilleure culture des fertiles régions qu'ils habitent.

En outre, nous avons beaucoup poussé à l'émigration des Betsiléo dans ces vallées. Plusieurs s'y sont déjà établis et peu- vent y servir d'éducateurs agricoles. C'est un mouvement qui ne fait que commencer et qui est à développer et à suivre.

Au point de vue forestier proprement dit, cette zone renferme de sérieuses richesses. Les plus beaux bois d'ébénisterie y abon- dent, tels que le palissandre, le bois de rose, l'ébène et aussi les bois de construction tels que le lalona, le maira ou bois de fer, le vitanaha, qui sert à la construction des pirogues, l'ambaraka, employé pour les jantes des roues.

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Aussi, dès aujourd'hui, à Fianarantsoa, des ouvriers tra-, vaillant pour leur propre compte ainsi que les ouvriers em- ployés aux divers services publics exécutent-ils des travaux soignés d'ébénisterie. Il en est de même à Fort-Dauphin, à l'Ecole professionnelle créée par la mission lazariste ; mais, par contre, on voit couramment en dehors de ces centres les bois les plus précieux employés pour les usages les plus communs. Il est évident qu'il y a un gaspillage de vraies richesses et qu'il est désirable qu'une exploitation rationnelle amène le plus tôt possible un meilleur emploi de ces ressources forestières. Mais ici intervient la question des voies de communication. Tant qu'elles manqueront, le transport des bois au bord des cours d'eau ou à proximité des routes déjà existantes sera tellement onéreux, sinon impossible, qu'on continuera à n'exploiter que les bois situés à proximité des voies déjà existantes et à laisser les autres à la merci des indigènes.

Si tentante que soit l'exploitation industrielle de ces richesses improductives, il convient d'être très prudent avant de s'y en- gager. Il y a tout intérêt à faire dès maintenant la reconnais- sance des forêts, à y prévoir même et à y préparer l'établisse- ment de concessions, mais il importe de ne pas y engager pré- maturément des capitaux, dans la construction d'usines, dans l'entretien d'un personnel, dans l'installation d'un outillage avant que la situation du pays ait pris son assiette à peu près défi- nitive. Il faut d'abord être assuré du tracé et de la construction des voies commerciales les plus importantes afin de s'établir de préférence à proximité, et aussi de l'emplacement des centres 011 la demande de matériaux sera la plus intense pendant une période prolongée. A se lancer hâtivement dans des tentatives de ce genre on risquerait de gros mécomptes et des dépenses de transport et d'installation abusives qu'il serait par la suite impossible d'amortir. Il suffit, pour s'en rendre compte, de noter qu'en 1897 le transport de la tonne de Tamatave au pla- teau central variait de 1.200 à 1.500 francs; que, depuis la construction des routes et l'introduction des voitures, il est maintenant descendu à 300 francs et s'abaissera probablement encore. Le transport du personnel s'est abaissé dans les mêmes proportions. On voit dans ces conditions de quel intérêt il est d'attendre avant de transporter dans la zone forestière un outil-

CONCLUSIONS 299

lage lourd et onéreux et de grever d'autant les frais généraux d'une entreprise.

Actuellement la préservation de la forêt est assurée par le réseau des postes militaires établis à la suite des opérations. Les mesures à prendre pour cette préservation sont au pre- mier rang des instructions données aux chefs des districts et des postes. Ce réseau de postes forme dès aujourd'hui la base d'une organisation forestière rationnelle et, le jour elle sera créée et se substituera à l'organisation militaire, elle pourra prendre avantageusement à peu près le même dispositif. Les postes établis aux lisières et sur l'axe pourront servir non seu- lement de résidence aux agents, mais aussi de stations fores- tières 011 se feraient dans des pépinières l'étude des essences ainsi que des essais de reboisement. Celui-ci, pratiqué de proche en proche, pourra recouvrir une partie des anciennes super- ficies. A cet égard, il est intéressant de constater les progrès déjà réalisés depuis deux ans dans le Betsiléo et dans le pays Tanala, par suite de l'interdiction des incendies dans la forêt elle-même.

Zone des cactus.

Cette zone, qui forme l'Extrême-Sud de l'Ile et qui est habitée par les peuplades Antandroy et Mahafaly, a comme caractéristi- que son manque d'eau. Elle a donc peu d'avenir au point de vue agricole. On ne peut y faire que peu de rizières, et les seules cultures resteront celles dont vivent les habitants (mil, patates, manioc), très nombreux d'ailleurs.

Les possibilités économiques de cette région sont ailleurs : dans le caoutchouc et surtout dans l'élevage.

300 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

III

SITUATION COMMERCIALE

Le commerce du Sud de l'Ile gravite autour de quatre centres principaux : l'un à l'intérieur, Fianarantsoa sur le plateau cen- tral, tributaire du port de Mananjary; trois situés sur la côte : Farafangana sur la côte Est, Fort-Dauphin sur la côte Sud, Tuléar sur la côte Ouest (1).

Quatre faits principaux caractérisent l'évolution du Sud depuis 1901 au point de vue commercial :

Le développement de Farafangana; La décroissance de Fianarantsoa;

La pénétration du pays Antandroy par le commerce de Fort-Dauphin;

L'avenir ouvert à Tulear.

Ces faits sont les conséquences de la pacification presque complète du Sud, qui a rouvert aux divers marchés leurs dé- bouchés naturels au détriment de la prospérité de marchés artificiels créés par les circonstances.

D'une part, l'occupation de toute la zone forestière de l'Est par des groupes rebelles formait une barrière presque infran- chissable entre la côte Est et ses marchés naturels de l'intérieur.

D'autre part, l'insécurité du pays Bara et l'absence de voies de communication limitaient l'action économique de Tulear vers l'intérieur.

C'était Fianarantsoa qui bénéficiait de cette situation. Le pla- teau central ayant été dégagé par les opérations de pénétration des années précédentes, l'action économique de Fianarantsoa

(1) Cartes n°* 1 et 4, à la gauche du volume.

CONCLUSIONS 301

s'étendait vers le Sud jusqu'aux confins du cercle de Fort-Dau- phin, et l'on constatait, il y a quelques mois encore, cette ano- malie que Midongy et Befotaka, par exemple, c'est-à-dire la haute vallée de l'Itomampy, bien que situés à quatre jours du grand centre de Vangaindrano sur la côte, s'approvisionnaient en grande partie à Fianarantsoa, à près de 300 kilomètres de là, pour y prendre des marchandises venant elles-mêmes de Mananjary. On voit par conséquent quelle plus-value elles pou- vaient subir et combien il était impossible dans ces conditions de donner un essor commercial à ces régions centrales nos tissus, notre pacotille, ne pouvaient pénétrer qu'avec une majoration de prix qui les rendait inaccessibles aux indigènes.

Il en était de même de toute la région d'Ivohibé qui, bien que tributaire géographiquement et économiquement de Farafan- gana, en était séparée par la partie de la forêt occupée par les Tambavalo insoumis; ceux-ci pillaient les convois et avaient ôté aux traitants de Farafangana et à leurs intermédiaires indi- gènes toute possibilité de pénétration.

De même Bétroka, au lieu de recourir à son marché naturel, Tulear, vivait sur le Betsiléo.

Aux motifs provenant de l'insécurité s'ajoutait aussi un fac- teur résultant des circonstances : toutes les troupes, tous les officiers opérant dans ces régions étaient venus du Nord ainsi que les commerçants indigènes attirés à leur suite, avaient pris contact avec Fianarantsoa à leur passage, y avaient conservé leurs correspondants et gardé l'habitude d'y recourir.

Cette situation s'est déjà trouvée considérablement modifiée par la suppression du cercle des Bara, au mois de mars 1901. Par le fait de la disparition de cette circonscription intérieure, toute la région de Bétroka et de Ranohira et le bassin de l'Oni- lahy ont cessé de regarder au Nord pour regarder à l'Ouest. Du coup, leur centre administratif se trouvant transporté à Tulear, ils ont repris l'habitude d'y recourir exclusivement, rentrant ainsi dans l'ordre naturel des choses.

302 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Développement prU par Farafangana.

a) Commerce intérieur. Pendant la période suivante, tant que la zone forestière de l'Est n'a pas été dégagée, le cercle d'Ifandana, seul débris subsistant du cercle des Bara, a par force continuer à s'adresser à Fianarantsoa. Mais, du mo- ment où au mois d'août 1901, après la solution de la question Tambavalo, et surtout au mois de novembre, après la solution de la question Andrabé, la zone forestière s'est trouvée dégagée, le marché de Farafangana et, subsidiairement, celui de Vangain- drano ont repris subitement toute leur extension naturelle.

Les tournées successives que j'ai faites dans ces régions, en février, en juin et en décembre 1901, m'en ont fait toucher du doigt tout le développement. Partout, lors de ce dernier voyage, à Ivohibé, à Ifandana, à Soarano, à Midongy, j'ai trouvé, s'in- stallant, les représentants des maisons européennes de Fara- fangana, et partout aussi des commerçants iVntaifasy de la côte Est venant disputer victorieusement le marché aux Hovas et aux Betsiléo. Ce sont ces Antaifasy que j'ai trouvés égale- ment s'installant dans les moindres de nos postes de la forêt, y pénétrant avec nos troupes et y apportant, avec nos tissus, notre pacotille, échangés avec les bœufs, la cire et les peaux, une transformation économique presque soudaine dans la vie des indigènes. A six mois de distance, j'ai trouvé revêtus de lambas, de chapeaux et même de vêtements complets pour les notables et les chefs, les mêmes gens que j'avais vus précédem- ment presque nus dans l'appareil sauvage le plus primitif.

La marée montante de cette pénétration de la côte vers l'in- térieur se touche du doigt à Ivohibé, le point de cette zone le plus rapproché du Betsiléo, se livre une dernière lutte entre Farafangana et Fianarantsoa.

L'un des deux commerçants européens établis dans ce centre est devenu un client de Farafangana, tandis que l'autre, corres- pondant d'une maison de Fianarantsoa, continue à s'y appro- visionner, mais l'issue n'est pas douteuse et Farafangana doit nécessairement l'emporter (1).

(1) Des marchés hebdomadaires ont été créés à Midongy, Ifandana, oii il n'en existait pas précédemment, et sont devenus rapidement très actifs.

CONCLUSIONS 303

Ce n'est donc pas seulement au point de \ue du ravitaillement des troupes que l'ouverture de la route charretière reliant le port de Farafangana à Ifandana dans l'intérieur, pour laquelle le gouvernement général a accordé les crédits nécessaires, et qui est en voie d'achèvement, présente un si grand intérêt, mais encore au point de vue du développement économique de la région. Elle est la véritable voie de pénétration commerciale entre cette partie de la côte et le plateau central. Arrivée à Ifandana en deçà de la forêt et de la falaise, elle bénéficie vers le Nord de la route charretière d'Ifandana à Ivohibé déjà créée par les moyens locaux, vers le Sud du bief navigable de 100 kilomètres de l'Itomanpy, auquel 25 kilomètres de piste charre- tière d'Ifandana à Soakibany la relieront. Cette route forme donc le pied d'un T dont les deux branches répandront la vie commerciale dans toute l'économie de la zone forestière. Déjà les commerçants de Farafangana se mettent en mesure d'y faire circuler des voitures légères et l'un deux se disposait, lors de mon dernier passage, à organiser sur l'Itomanpy un service de batellerie jusqu'à Midong>\

Il y a donc un mouvement intéressant.

Le rattachement du cercle d'Ifandana à la province de Fara- fangana, à la date du l*"" janvier 1902, n'a pas été seulement la sanction politique de la pacification, mais: la sanction écono- mique d'un fait acquis.

Du reste, je me suis essentiellement attaché, pour les modi- fications territoriales dont j'ai provoqué au cours de cette année l'adoption par le gouvernement général, à tenir compte des conditions économiques au moins autant que des conditions politiques, militaires ou ethniques. D'ailleurs, elles sont pres- que toujours fonction les unes 'des autres. C'est ainsi qu'après la dislocation du cercle des Bara, Ihosy a été rattaché au Betsiléo, parce que, seul de cet ancien cercle, ce point était pratiquement tributaire de Fianarantsoa. C'est ainsi également que la région d'Isoanala-Behily a été rattachée à Fort-Dau- phin, parce que tous les renseignements ont démontré que cette région, par Tsivor>', s'approvisionnait à la côte Sud.

Le schéma ci-dessous fait ressortir les quatre zones entre les- quelles se divise le Sud au point de vue commercial, par rap- port aux quatre grands centres d'approvisionnements : Tulear,

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DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Farafangana, Fort-Dauphin et Fianarantsoa. Et l'on peut se rendre compte que la division provinciale correspond désormais aux zones d'influence commerciale.

Division da Sad en zones de rayonnement naturel des quatre grands marchés qal l'approvisionnent.

Cette constitution de vastes provinces, non plus seulement côtières, mais pénétrant profondément à l'intérieur, procède d'une conception générale. Il semble en effet que, pour l'en- semble de l'Ile, l'organisation territoriale la plus rationnelle tîonsiste, sauf pour l'Imerina et le Betsiléo, dans la constitution de vastes provinces de pénétration, ayant leur base sur la côte et se soudant les unes aux autres sur le plateau central, forçant ainsi les populations côtières à entrer en relations avec les populations intérieures, allant pour ainsi dire chercher ces dernières, ainsi que leurs produits, en supprimant par le jeu

CONCLUSIONS 30î^

même de l'adminisitration ces barrières intérieures toujours si difficiles à briser dans les pays primitifs, surtout lorsqu'elles sont favorisées par la nature comme à Madagascar, oii la zone forestière et la falaise à l'Esté des zones désertiques à l'Ouest, opposent leur obstacle à la facilité des relations.

L'efflcacité de cette conception se vérifie dès maintenant à Farafangana, la suppression de la barrière isolante, aussi bien par suite de la soumission des tribus forestières que par la disparition de la frontière administrative, a suscité entre la côte et l'intérieur un trafic soudain dans des proportions imprévues.

b) Commerce extérieur. L'ouverture pour Farafangana d'un vaste marché intérieur nouveau a coïncidé heureusement avec le rétablissement en 1901 du service maritime régulier de la Ville-de-Pernambucco, des Chargeurs Réunis. Après quel- ques tâtonnements inévitables, ce service fonctionne d'une ma- nière satisfaisante, le port de Farafangana est maintenant des- servi à l'aller et au retour de ce paquebot.

Toutefois, une lourde entrave pèse encore sur Farafangana, et il est de toute nécessité qu'elle puisse être levée pour que ce port et cette province prennent l'essor qu'ils comportent. C'est l'impossibilité de recevoir ou d'expédier par des connais- sements directs en France et l'obligation d'être ainsi tributaii*e de Tamatave et de Mananjary. A la suite de ma dernière tournée, j'avais saisi de la question l'agent général de la compagnie à Diégo-Suarez; je crois devoir reproduire ici cette lettre, parce qu'un exemple fera mieux ressortir quelle aggravation de frais et par conséquent quelle obstruction au développement écono- mique d'une région peut résulter de dispositions de détail, pres- que toujours faciles à modifier.

15 janvier 1902.

Monsieur l'Agent général.

Lors de mon dernier passage à Farafangana, j'ai constaté la situation particulièrement défavorable dans laquelle se trou- vaient les commerçants de celte ville, par suite de l'impossi- bilité de recevoir ou d'expédier des marchandises par connais- sements directs avec la France.

Cette situation, je crois, vous a déjà été signalée. Mon atten-

Madagascar. SO

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lion avait été appelée sur elle à mes voyages précédents ei je l'avais signalée au Gouverneur général, mais elle a pris, depuis quelques mois, une acuité plus grande pour des rai- sons récentes. La pacification de la zone forestière, qui séparait Farafangana du plateau central, a assuré à ce port des com- munications nouvelles et des débouchés importants. Les affai- res, par suite, y prennent et pourraient y prendre encore un développement qu'elles n'avaient pas jusqu'ici. Mais pour le moment elles sont certainement entravées par les conditions onéreuses du transit.

Le transbordement des marchandises se fait à Mananjary. Farafangana est donc tributaire de la société de batelage de ce port, ce qui double le prix du transit. De nombreux chiffres m'ont été donnés. Permettez-moi de vous citer un exemple à titre de document. Un commerçant reçoit fm décembre une commande d'objets divers: outillage, quincaillerie, literie, conserves, etc., dont le prix s'élevait au total de i.632 fr. 35.

Avec le connaissement direct de Le Havre, Bordeaux ou Mar- seille à Farafangana, ces marchandises rendues à destination auraient été majorées, droits compris, de 840 francs de frais divers: caissage, chemin de fer, camionnage, fret, assurance, débarquement et emmagasinage, soit environ 52 p. 100 à ajou- ter à la facture.

Or, au lieu de 840 francs, il y a eu à payer 1.270 francs, en raison des deux connaissements Bordeaux-Mananjary, avec transit Mananjary-Faralangana, soit environ 78 p. 100 de majoration sur la facture, c'est-à-dire 26 p. 100 dont le seul transbordement de Mananjary grève l'acheteur et le commerce de la région de Farafangana et le met dans un état d'infériorité absolue à l'égard de Mananjary.

Cette situation entrave gravement le développement économi- que de la province de Farafangana, qui compte 300.000 habi- tants, qui est une des plus riches et des plus favorisées de l'île au point de vue du sol et du chmat et à laquelle, ainsi que je vous l'ai dit en débutant, la pacification ouvre des débouchés tout nouveaux.

Vous m'excuserez donc, Monsieur l'Agent général, d'insister auprès de vous pour vous prier de présenter ces arguments à votre compagnie et de faire tout le possible pour que ses ba- teaux acceptent avec connaissement direct, aussi bien des mar- chandises venant de France à destination de Farafangana, que cdles expédiées de ce port vers la France.

Je crois que votre compagnie elle-même bénéficierait d'ail- leurs du surcroît d'activité qui en résulterait dans les affaires de cette région.

CONCLUSIONS 307

L'agent de la Compagnie des Chargeurs Réunis, qui n'a cessé d'ailleurs de faciliter par tous les moyens le développement du commerce dans les régions placées sous mon commandement, a donné sur-le-champ satisfaction à ces demandes dans la mesure qui dépendait de lui. Il fit connaître que le service des vapeurs était modifié de façon à assurer la coïncidence à Diégo-Suarez du bateau côtier Ville-de-Pernambucco avec le bateau venant de France chaque mois, pouvant l'accoster bord à bord et transborder à peu de frais et sans perte de temps des marchandises venant d'Europe et destinées à Farafangana. Les réceptionnaires des marchandises à destination du Sud pou- vaient ainsi désormais faire transiter leurs marchandises à Diégo- Suarez, au lieu de les faire transiter à Mananjary, les con- ditions d'embarquement et de débarquement sont extrêmement mauvaises. Une réduction était accordée sur le tarif de trans- port de la VUle-de-Pernambucco, le prix du fret étant abaissé de 50 à 35 francs par tonne pour les marchandises venues de France. L'opération très simple du transit à Diégo-Suarez, faite à raison de 5 francs par tonne, se substituant aux opé- rations compliquées et onéreuses de Mananjary, il en résulte déjà une économie notable. En outre, en vue de favoriser l'ex- portation des produits du Sud, leur fret était abaissé de Fara- fangana à Tamatave, au prix réduit de 20 francs par tonne de 800 kilogs, ce tarif permettant d'expédier les marchandises sur Marseille en transitant à Tamatave sur les paquebots des Mes- sageries maritimes sans aucune perte de temps.

Enfin, des propositions ont été faites à Paris en vue de l'acceptation de connaissements directs pour le port de Fara- fangana et en vue d'une combinaison comprenant Farafangana dans les escales des vapeurs de la ligne directe et assurant éga- lement, tous les trois mois, un service direct de retour sur la France, le tonnage d'exportation n'éh comportant pas davan- tage pour le moment. Ces propositions étaient en voie d'accep- tation au moment de mon départ.

Outre les Chargeurs, un vapeur allemand, le Zanzibar, touche directement à Farafangana deux fois par an. Il apporte d'Aile- magne des produits qui sont souvent de la camelote, mais qui ont l'avantage d'être à si bon marché que, malgré les droits, ils concurrencent avantageusement nos produits similaires au-

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près des indigènes [il n'est pas question ici de tissus], lesquels donnent le plus souvent la préférence aux produits moins chers au détriment de la qualité. Cette infériorité du producteur fran- çais, en ce qui concerne l'exportation pour les populations in- digènes, et son obstination à cet égard à ne pas tenir compte de l'expérience sont trop connues et ont été développées par trop d'hommes compétents pour qu'il y ait à insister ici.

Quoi qu'il en soit, dès cette année 1901, le mouvement de Fa- rafangana s'est considérablement développé, tant en importa- tion qu'en exportation.

Les exportations sont passées de 221 tonnes à 32S tonnes, malgré la diminution sensible du caoutchouc due aux causes communes à toute l'île, mais grâce à l'exportation des cires et des peaux, dues celles-ci uniquement à la pacification.

Il reste à émettre un vœu justifié par l'impontance crois- sante de cette province.

L'ouverture de la route d'Ifandana ouvrira bien un débouché vers l'intérieur, mais il importe essentiellement de se préoc- cuper, dans un avenir prochain, de l'ouverture de communi- cations longitudinales à la côte.

La solution la plus pratique semble être l'établissement d'un chemin de- fer côtier à voie étroite de Mananjary sur Farafan- gana, Vangaindrano et, au delà dans le cercle de Fort-Dauphin, sur Manantenina et Sainte-Luce. La prolongation du percement du canal des Pangalanes (1) qui sera vraisemblablement pour- suivi entre Andévorante et Mananjary semble ne pouvoir être poussée au-delà de ce port. Il a été reconnu en effet que, entre Mananjary et Farafangana, l'importance croissante des seuils à percer enlèverait tout avantage à cette combinaison. La voie ferrée en question serait donc la prolongation du canal des Pangalanes. L'horizontalité de toute cette côte, oii les contre-

(1) Il existe le long d'une partie de la côte Est une dune littorale entre la mer et une série de lagunes séparées les unes des autres par des seuils nommés « pangalanes ». En perçant ces seuils et en draguant dans les la- gunes un chenal suffisant, on obtient un canal qui constitue une commu- nication intérieure de port à port à l'abri des risques de la navigation cô- tière. Il est actuellement percé de Tamatave à Andévorante et sa prolon- gation est prévue jusqu'à Mananjary.

CONCLUSIONS 309

forts montagneux cessent loin du rivage, semble en rendre la construction facile et par conséquent économique moyennant la traversée des estuaires par des ferry-boats.

Cette zone côtière est la plus peuplée, la plus fertile et la plus riche de la province. Elle n'a pas de débouchés. La barre de la côte Est y interdit tout cabotage. Quelques rares chalands de Farafangana, appartenant à des particuliers, font, quand le temps le permet, quelques voyages sur Yangaindrano et sur Vohipeno ot pour le compte seulement des maisons auxquelles ils appartiennent. On juge combien ce service est irrégulier, insuffisant, précaire et limité d'ailleurs à un tout petit nombre d'intérêts.

Il en résulte que la voie maritime ne sert à rien aux gros centres côtiers de Vohipeno, de Vangaindrano, de Sandravi- nainy, et il n'y a du reste aucun progrès à réaliser de ce côté en raison de la barre. Ils sont donc tributaires du seul port de Farafangana (qui est lui-même d'un accès si précaire) et sont grevés par ce fait de lourds frais de portage. Cette situation se répercute dans toute la zone intérieure, dans toute cette large bande si favorisée par la nature au point de vue de la richesse du sol et de la densité de la population et dont les gros villages, se succédant sans interruption, donnent la plus vive impression de prospérité. Une voie de communication donnera seule à cette région le développement qu'elle comporte. Il semble que la. plus pratique serait une ligne ferrée à voie étroite, dont les cours d'eau, si nombreux, tous pirogables sur un certain parcours, formeraient les affluents. Il est inutile d'insister sur les avan- tages qu'y trouveraient les concessions européennes qui sont établies dans cette zone et celles qui ne manqueront pas de s'établir par la suite.

Cette voie, faisant suite au canal des Pangalanes, formerait pour les produits de la côte Est, si peu favorisée au point de vue des ports, un véritable drain aboutissant au Nord à Ta,- matave, au Sud à Sainte-Luce, le seul bon mouillage de cette côte, excellent d'ailleurs, et dont, comme on le verra plus loin, il y aurait tout intérêt à tirer parti.

Il semble, pour ce qui concerne du moins les régions qui étaient placées dans le commandement du Sud, que l'établisse- ment d'une voie de transport économique le long de la côte Est

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s'impose dans un assez bref délai en raison de la richesse de cette côte et de l'importance de son exploitation.

Décroissance de Fianarantsoa.

Le commerce de Fianarantsoa a précisément perdu tout ce que la pacification, en rouvrant les débouchés à l'intérieur, a fait gagner au commerce côtier. La même cause a réduit con- sidérablement son importance comme centre militaire et comme centre administratif et aussi comme centre de ravitaillement des troupes. Précédemment, les approvisionnements venant de la côte par Mananjary y étaient concentrés et distribués ensuite dans les postes du Sud. Aujourd'hui, le ravitaillement de cha- que cercle se fait par ses propres ports, ce qui est rationnel, mais ce qui a diminué brusquement un des principaux élé- ments de gain pour les porteurs Betsiléo. Enfin, l'achèvement presque complet des constructions destinées aux services pu- blics a tari une des sources importantes de bénéfices locaux.

Il s'est produit un phénomène économique inévitable. La prépondérance commerciale du plateau central au début de no- tre occupation était artificielle et ne pouvait être que tempo- raire. Nous avions été amenés, pour des raisons politiques et militaires, a nous établir d'abord au cœur du pays, à y con- centrer nos forces, nos ressources, pour en refaire la conquête pied à pied en rayonnant du centre vers la périphérie. Mais il est évident que rien n'était moins économique et ne devait être plus transitoire que de faire afiluer à grands frais les approvi- sionnements au centre pour les reporter ensuite sur la péri- phérie. Sitôt qu'il fut possible, il a été de toute logique de les faire aboutir directement aux points côtiers les plus rapprochés de chacune des régions auxquelles ils étaient destinés, au grand bénéfice et de l'Etat et des consommateurs.

La situation politique initiale avait également accumulé au centre les troupes, les services, la grande majorité des consom- mateurs européens, que l'achèvement de la pénétration, l'oc- cupation totale de l'Ile, la décentralisation ont peu à peu ré- pandus sur tous les points et groupés spécialement sur les côtes.

En outre, l'insécurité dés régions côtières, l'arrêt des trans-

CONCLUSIONS 311

actions ainsi que l'application de la politique de races avaient fait refluer tous les Hovas sur le plateau central et avec eux toute l'activité commerciale. Aujourd'hui, au contraire, il se produit un mouvement inverse, favorisé d'ailleurs par l'autorité supérieure qui encourage par tous les moyens la population du plateau central, la plus dense et la plus avancée à la fois, à porter son activité sur les régions côtières vers lesquelles se dessine un courant d'émigration Hova et Betsiléo qui s'accen- tue chaque jour.

II était donc fatal qu'il se produisît une <( crise du plateau central ». Elle atteint aujourd'hui le Betsiléo comme l'Emyrne.

Pourtant ces causes générales ne suffisent pas à expliquer la crise intense qui y sévit sur la vente du produit d'impor- tation le plus important, les tissus; le pays Betsiléo n'en reste pas moins un marché de plus de 300.000 acheteurs, dont les vêtements se composent exclusivement de toile. S'en est-il pen- dant les années précédentes constitué un stock, que les indi- gènes puissent ne pas renouveler pendant quelque temps? Se sont-ils laissés surprendre par l'augmentation de la taxe mo- tivée par la suppression de la prestation et appliquée pour la première fois? C'est ce qu'il est difficile de préciser, mais le fait est indéniable. Cette situation doit forcément entraîner une cer- taine diminution du nombre des maisons de commerce qui s'était accru à Fianarantsoa pour les causes énumérées plus haut, mais qui dépassent actuellement les besoins et se nuisent par une concurrence exagérée. Il y a intérêt pour un certain nom- bre d'entre elles à se transporter à la côte.

Toutefois, il peut se produire une éventualité qui modifierait d'une manière favorable la situation économique de Fianarant- soa et lui rendrait d'une part ce qu'il aura perdu de l'autre. C'est le cas l'exploitation de l'or se développerait dans la zone forestière limitrophe. Or, il semble bien qu'il doive en être ainsi. Depuis quelques mois que la région d'Ikongo, celles de Karianga et d'Ivohibé se sont trouvées rouvertes avec une sécurité inusitée, de nombreux prospecteurs ont pénétré dans les hautes vallées de la Matitanana, de la Rienana et de l'Ian- tara. Il est impossible de donner des chiffres. Mais, de l'avis gé'- néral, il y aurait des possibilités de production aurifère comr

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parables à celles qui existent dans la région plus au Nord, à

LEGENDE

Signaux acceptes en

I9TO et antérituremetit

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Schéma aoeifère.

l'Est d'Ambositra. Il est même vraisemblable que de proche en proche on arrivera à des constatations analogues dans toute

CONCLUSIONS 313

la zone forestière jusqu'au Sud, aussi bien dans les vallées de riantara et de l'Itomanpy que dans les hautes vallées du ver- sant Est. On comprendra toutefois quelle réserve s'impose eii ce qui concerne les prévisions à cet égard.

Les statistiques de la production aurifère de la province de Fianarantsoa ne font, du reste, ressortir que faiblement ce progrès; elle n'a augmenté que d'un tiers, de 60 kilogrammes en 1900, à 89 kilogrammes en 1901, mais il faut faire entrer en ligne de compte le fait que, dans l'attente de la loi minière, parue récemment, on ne s'est pas pressé d'exploiter. Les re- connaissances ne s'en sont pas moins poursuivies et ce sont elles qui ont donné ilieu unanimement aux pronostics favorables qui viennent d'être signalés. Ils sont confirmés par l'accroissement si rapide des demandes de signaux, tel qu'il ressort du schéma ci-dessus.

Si réellement la région avoisinant Fianarantsoa depuis le Haut-Faraony jusqu'à la Haute-Rienana, présentait une vraie richesse aurifère, il se produirait à Fianarantsoa un mouve- ment analogue à celui qui a assuré le développement d'Ambo- sitra et l'afflux des prospecteurs y ramènerait la vie commer- ciale, dont les raisons énumérées plus haut ont amené la di- minution.

Situation commerciale de Fort-Danpiiin.

On a déjà signalé (1) les conséquences favorables résultant pour le commerce de Fort-Dauphin de la pénétration du pays des Antandroy par nos troupes. Ce pays, que nous trouvions beaucoup plus peuplé et surtout beaucoup plus riche en bœufs que nous n'avions prévu, ouvrait un sérieux marché d'impor- tation et d'exportation : importation de toiles et exportation de bœufs.

Dès lors, néanmoins, je signalais l'extrême difficulté d'ame- ner l'Antandroy à se défaire de son bétail. Il porte à ses trou- peaux un attachement superstitieux, il les conserve avec un soin jaloux comme signe tangible de richesse et aussi pour les

(1) Voir page 143.

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#

hécatombes des cérémonies funèbres. D'autres causes étant venues entraver encore l'exportation des bœufs, j'ai trouvé, lors de ma dernière tournée, en janvier 1902, à rencontre des espé- rances que j'avais envisagées en août 1901, le marché de Fort- Dauphin à l'état tout à fait stagnant.

Je vais en résumer rapidement les motifs, en essayant de faire ressortir ce qu'il y a d'accidentel d'une part et de per- manent de l'autre.

Ce qui est certain d'abord, c'est que l'exportation des bœufs sur Lorenço-Marquez, qui n'avait cessé de se développer depuis 1900, et avait pris une activité particulière dans les six pre- miers mois de 1901, ainsi qu'il ressortait de la plus-value des recettes de douanes à l'exportation, s'est subitement arrêtée.

Cet arrêt de la demande de l'Afrique du Sud, qui semblait en contradiction avec la logique des faits, fut attribué à plusieurs causes.

On l'imputa d'abord à la tuberculose signalée chez certains troupeaux du Sud- Bien qu'une sécheresse exceptionnelle et des invasions de sauterelles aient, en 1901, gravement atteint les pâ- turages et que l'état des animaux s'en soit ressenti, il résulte des missions de vétérinaires dont il sera reparlé plus loin que la si- tuation n'est nullement compromise et parfaitement remédiable.

Le discrédit momentané qui a arrêté l'exportation des bœufs de Fort-Dauphin sur Lorenço-Marquez doit être atitribué à d'au- tres causes, à savoir :

Mauvaise qualité des animaux livrés par les indigènes aux commerçants de Fort-Dauphin, tant à cause de leur répugnance à se défaire de leur meilleur bétail qu'à cause des bas prix offerts à Fort-Dauphin.

Encombrement du marché de Lorenço-Marquez, par suite de l'interception des communications avec l'intérieur de l'Afri- que du Sud causée par la guerre.

Formation à Lorenço-Marquez d'un syndicat de bouchers por- tugais ayant de gros approvisionnements à écouler.

Discrédit jeté sur Fort-Dauphin à la suite de diflficultés ren- contrées par les marchands portugais, lors de leur dernière lenitative d'achat, en ce qui concernait les moyens d'embarque- ment.

CONCLUSIONS 315

Bref, rexportation des bœufs, si bien engagée, s'est trouvée subitement arrêtée et les troupeaux déjà réunis sont restés en souffrance à Fort-Dauphin.

Pour remédier à cette situation, j'ai demandé qu'avant tout il fût établi un service sanitaire vétérinaire à la sortie de cha- cun des ports d'exportation du Sud (Fort-Dauphin et Tulear); que chacun de ces ports fût poun u dans la plus large mesure de dépôts de tuberculine, substance ayant pour objet, non pas de guérir, mais de discerner d'une manière à peu près infailli- ble les animaux sains des animaux contaminés; que les vé- térinaires à la sortie fussent munis d'une marque caractéris- tique à apposer sur les animaux dont ils autorisaient la sortie, l'autorité locale ne tolérant l'exportation d'aucune tête de bé- tail ne portant pas cette marque qui acquerrait ainsi rapide- ment un crédit certain et ferait prime sur les marchés d'expor- tation. En résumé, sélection, marquage et contrôle des ani- maux exportés. On verra plus loin, à propos de Tuiear et de la question de l'élevage, les suites données à ces mesures.

En outre, il a été prescrit de développer à Fort-Dauphin, par tous les moyens, la libre concurrence, d'y faciliter les transac- tions et le libre usage des moyens d'embarquement aux ache- teurs étrangers, de façon à mettre un terme au monopole de fait qui s'était établi.

Déjà, grâce à ces mesures, les acheteurs sont revenus et ont offert des prix plus élevés, de nature à déterminer la sortie d'animaux meilleurs.

Une mesure fiscale inopportune a influé également sur la situation. L'Antandroy, essentiellement méfiant, se dérobe au contact direct avec l'acheteur européen et accepte de préfé- rence comme intermédiaires les Anlatsimo, gens d'une tribu commerçante et active établie à leur frontière Est, entre eux et Fort-Dauphin. Ceux-ci introduisent chez les Antandroy les toiles et la pacotille de nos commerçants, en échange de leurs bœufs, seul mode de trafic, puisque l'usage du numéraire n'est pas encore adopté par ces populations. L'interprétation rigide d'une circulaire édictée en Emyrne avait fait rentrer ces intermédiaires dans une classé de patentables imposés à 100

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t

francs; aucun d'eux n'étant en mesure de payer cette somme, ils ont subitement arrêté leur trafic et, faute d'intermédiaires, la diminution du commerce des bœufs s'est encore accentuée. L'essor commercial qui avait suivi nos premières opérations de pénétration dans l'Androy avait été si sensible, nous avait apparu si clairement comme la meilleure sanction de l'effort militaire que nous avions donner, qu'on s'explique qu'un de nos officiers ait pu m'écrire: « Par le sang, nous avons ou- vert les portes de l'Androy, le fisc les referme. » Cette for- mule, sous forme un peu vive, exprime au mieux le sentiment qu'on ne peut s'empêcher d'éprouver quand on voit les efforts les plus pénibles, les meilleures volontés, les expériences lo- cales les mieux mûries, frappées de stérilité par je ne sais quel besoin d'uniformisation, de réglementation rigide en complet désaccord avec la réalité des faits. Du reste, il a suffi de si- gnaler le cas au Gouverneur général pour obitenir une large atténuation de cette prescription si inopportune. Néanmoins, et sans attacher à ce cas plus d'importance qu'il ne comporte, j'ai cru devoir le signaler en passant, comme un indice signi- ficatif d'un état d'esprit trop fréquent et qui pèse si lourde- ment sur toutes nos tentatives coloniales. C'est celui qui a produit la « théorie du bloc », comme l'a qualifiée M. Chailley- Bent, d'après laquelle toutes nos colonies et toutes les parties de chacune d'elles sont (( susceptibles d'être soumises à une même règle et réservées à une même destinée (1) ».

Il faut tenir compte aussi de la diminution de l'exploitation du caoutchouc, qui constituait à lui seul 80 p. 100 des transac- tions. On a vu plus haut (2) que cette cessation est due à la des- truction de presque toutes les lianes caoutchoutifères et à la mauvaise qualité du caoutchouc livré, recueilli sans soins ou frauduleusement mélangé de matières étrangères.

Il résulte de ces diverses causes que les produits d'expor- tation faisant défaut, lesquels constituaient les seuls moyens de trafic, puisque les transactions se font ici exclusivemeni par la voie de l'échange, les importations se sont trouvées atteintes

(1) Dix années de politique coloniale, ps^ge 2.

(2) Page 292.

CONCLUSIONS 317

par contre-coup. On vient de voir ce qu'il peut y avoir de mo- mentané dans cette situation.

Mais d'autres éléments défavorables pèsent encore sur le commerce de Fort-Dauphin.

D'abord, la pénurie des communications maritimes avec les marchés naturels et avec le principal d'entre eux, la côte Orien- tale d'Afrique. Les vapeurs des Chargeurs Réunis, qui touchent mensuellement à Fort-Dauphin et qui précédemment touchaient aussi au Cap, vont maintenant directement à Santos au Brésil et n'acceptent plus de fret. Il en résulte qu'il n'y a plus de com- munications directes entre Fort-Dauphin et l'Afrique du Sud. Les négociants préfèrent garder leurs produits (caoutchouc, peaux, etc.) plutôt que de se soumettre au tarif de frets élevés qu'ils seraient dans l'obligation de subir par la voie de Tama- tave avec transbordement à Diégo-Suarez par les Messageries maritimes. Il va y avoir dès maintenant amélioration sur ce dernier point, grâce aux mesures récentes prises par la com- pagnie des Chargeurs Réunis et signalées plus haut à l'occa- sion du commerce de Farafangana. Quant aux communications avec l'Afrique du Sud, la même compagnie met actuellement à l'étude un projet qui modifierait la situation et dont il sera parlé plus loin à l'occasion de Tulear.

Malheureusement Fort-Dauphin a contre lui la mauvaise ré- putation de son port et il est difficile d'y attirer de nouveaux bateaux tant qu'on n'y aura pas apporté les améliorations les plus urgentes, c'est-à-dire l'établissement de corps-morts et l'éclairage de l'entrée. Toutefois, la construction récente d'un appontenient de soixante-quinze mètres a déjà réalisé un pro- grès réel pour le service intérieur du port.

Mais, comme ces améliorations ne feront jamais de Fort- Dauphin, ouvert aux plus mauvais vents, un port très satisfai- sant, il y a lieu de porter l'attention sur l'excellent mouillage de Sainte-Luce, situé à vingt-cinq kilomètres au Nord. Une reconnaissance effectuée en 1901 par le bateau de guerre le Scorpion a fourni les renseignements les plus intéressants à cet égard.

La tenue y est excellente; par les plus grosses brises du

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Sud, la mer est calme; par celles du Nord-Est, on y roule légèrement, mais la mer, brisée par la côte et les récifs qui s'infléchissent vers VEst, dans le Nord de la baie, n'est jamais menaçante. Le bateau y est resté mouillé, les feux éteints, pen- dant quinze jours, en toute sécurité, bien que de très fortes brises du Nord-Est aient soufflé au large pendant cette période. Les communications avec la terre n'ont cessé d'avoir lieu à toute heure du jour et de la nuit. En tout temps, les embarca- tions peuvent accoster directement la plage dans une crique complètement abritée contre tous les vents par des rochers accores (1).

Ce mouillage avait bien été reconnu par les Français au xvir siècle, mais les fièvres de cette côte basse, contre lesquel- les on ne disposait pas des moyens préventifs actuels et l'hos- tilité des habitants leur firent préférer Fort-Dauphin, dont la situation et le relief sont si favorables à une installation mili- taire et dont les grandes brises du Nm^d-Est rendent le climat salubre. Fort-Dauphin, si bien situé et si riant, restera en tout état de cause le siège administratif, le sanatorium, le meilleur emplacement pour un hôpital et pour une garnison, mais il conviendrait certainement d'étudier s'il n'y aurait pas intérêt à prévoir dès maintenant l'installation à Sainte-Luce du centre commercial. Il n'y a pas encore eu à cet égard de dé- penses importantes engagées à Fort-Dauphin, Sainte-Luce n'en est qu'à vingt-cinq kilomètres et lui est relié par une bonne route charretière. Des communications faciles existent déjà en- tre Sainte-Luce et l'intérieur. Enfin, on a vu plus haut que ce point pourrait être le terminus méridional d'un chemin de fer côtier futur, prolongeant le canal des Pangalanes, formant le drain du commerce de la côte Est et aboutissant ainsi au véri- table port de relâche de toute cette côte pour des bâtiments moyens (mouillage par huit mètres), le seul qui offre de telles conditions entre Tamatave et Tulear.

En tout cas, il ne semble pas que le commerce de Fort-Dau- phin, tout en étant susceptible d'un certain développement, soit

(1) Renseignements donnés au Gouverneur général par le commandant du Scorpion,

CONCLUSIONS 319

appelé au même avenir que celui de Farafangana et surtout de Tulear. Ses marchés intérieurs sont forcément bornés par les massifs montagneux qui limitent le bassin côtier. Il est vrai qu'il y a l'Androy avec les grosses réserves de bœufs qui y ont été signalées; mais, si le courant commercial avec l'Afrique du Sud s'établit définitivement par Tulear, ainsi qu'il est très vraisemblable, en raison de la situation de ce port et de sa tenue exceptionnelle, il n'est pas impossible qu'une partie de l'exportation de l'Androy lui-même soit attirée de ce côté; la distance est plus grande, en effet, les relations ne sont pas actuellement établies, mais les communications par terre sont si faciles à travers ces vastes plaines sans obstacles, qu'il est possible que les acheteurs, pénétrant de Tulear jusque dans l'Androy, préfèrent y amener les animaux achetés pour y bé- néficier de la sécurité de l'embarquement et de la proximité plus grande de la côte d'Afrique.

Avenir ouvert à Tulear.

Tandis que j'ai signalé <( le développement » de Farafan- gana, je parle ici de « l'avenir » de Tulear. C'est intentionnelle- ment que j'emploie ces deux termes distincts.

Tandis qu'en effet Farafangana est maintenant lancé, Tulear ne l'est pas encore. Mais il peut et doit l'être et cela avec une autre ampleur que tous les autres ports du Sud de Madagascar et même, je crois, que. la plupart des ports de l'Ile.

Tulear, c'est l'Afrique du Sud.

Uu reste, le schéma ci-après (1) fait ressortir sa situation spé- ciale plus nettement que tous les rapports.

Des trois ports de l'Afrique du Sud dont Tulear est le plus rapproché, Beïra, Lorenço-Marquez, Durban, partent déjà trois voies ferrées de pénétration, l'une dans le Matebélé, la seconde dans le Transvaal, la troisième dans l'Etat d'Orange. Ce ne sont donc pas seulement des zones côtières, mais encore de vastes débouchés intérieurs que ces trois ports ouvrent à l'exportation de Tulear. En ce qui concerne la seconde et la troisième de ces lignes, il est inutile de développer l'importance du marché qu'elles

(1) Page suivante.

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

ouvriront dès que la guerre sera terminée (1) et qu'il faudra reconstituer les ressources qu'elle aura détruites.

D'après la carte de l'Afrique publiée par la Société de Géographie de Paris, 1900.

Ce marché, c'est à Tulear qu'il appartient de le prendre. Malheureusement, jusqu'ici, les circonstances n'ont pas permis à ce port de répondre aux destinées qui pourraient s'ouvrir devant lui.

Au point de vue naturel, il est éminemment favorisé.

Il est le port le plus rapproché de la côte d'Afrique.

Il est, par les vallées de la Fiherenana et de l'Onilahy, le dé- bouché de régions qui sont ou peuplées et fertiles (Bara-Ima- mono, Tanosy) ou riches en bétail (Mahafaly, Bara). S'ou- vrant au Nord et au Sud par deux, passes à peu près également praticables, il est fermé, vers la haute mer, par une cein- ture de récifs d'environ dix kilomètres de développement. Cette digue naturelle, arrêtant la houle du large sur toute la péri- phérie de la rade intérieure, forme un vaste port qui offre aux navires une excellente tenue et des eaux calmes et tranquilles. Dans son état actuel, il présente cependant un inconvénient qui

(1) Ce rapport avait été établi avant la fin de la guerre de l'Afrique du Sud.

CONCLUSIONS 321

tient d'une part à la pente excessivement faible du terrain de la plage et, d'autre part, aux apports de sable faits, soit par les courants maritimes soit par les rivières. Il en résulte qu'à marée basse la mer découvre jusqu'à près d'un kilomètre du rivage, circonstance qui rend les débarquements et embarque- ments du commerce particulièrement longs et onéreux.

Mais ces conditions si favorables étaient restées neutralisées jusqu'ici.

En ce qui concerne l'Afrique du Sud, aucun service maritime n'y reliait Tulear. En ce qui concerne les marchés intérieurs, dont il serait le débouché, aucune route sérieuse n'y donne encore accès. En ce qui concerne le port même, il n'y avait, il y a un an, ni éclairage pour l'entrée des passes, ni appontement permettant d'atteindre à marée basse les fonds accessibles aux embarcations. 11 en résulte que l'embarquement et le débar- quement des marchandises sont actuellement grevés de trois transbordements par goélettes, pirogues, porteurs.

Ces derniers points peuvent dès maintenant être considérés comme réglés, le Gouverneur général ayant ouvert en 1901 un crédit de 75.000 francs pour l'établissement d'un appontement dont la construction est commencée et ayant prévu sur les res- sources du budget extraordinaire l'éclairage du port et la con- struction d'un phare.

Mais le point essentiel c'est d'ouvrir les communications avec l'Afrique du Sud. Dès le début de mon commandement, tous mes efforts ont tendu à obtenir une prolongation jusqu'à Tulear du service côtier de la côte Est, pour mettre en relations Tulear et Fort-Dauphin, et à obtenir en outre de l'une des compagnies do navigation une modification d'itinéraire reliant Tulear à l'un des port de la côte d'Afrique; c'était sortir tout le Sud de l'Ile de l'inertie économique dans laquelle il végète depuis cinq ans; c'était faire rentrer dans la circulation ses ressources improduc- tives et assurer comme conséquence l'accroissement de sa pro- duction.

Grâce à l'intérêt que n'a cessé d'y attacher le général Gal- liéni, la question semble près d'aboutir, mais il n'est pas inutile de rappeler les objections auxquelles on s'est heurté si long- temps chez les services et les compagnies intéressées, parce

Madagascar. 21

322 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

t

qu'elles pourraient se reproduire de nouveau. On opposait que le trafic actuel d'exportation de Fort-Dauphin et de Tulèar, tel qu'il ressortait des statistiques, ne semblait pas justifier un ser- vice spécial.

A ces objections émanant de l'une des compagnies pres- senties, je répondais ce qui suit (1) :

J'ai toujours cru que la mise en train des affaires coloniales pouvait être envisagée comme celle d'une affaire commerciale, que les marchés ne venaient qu'à ceux qui allaient les prendre et qu'à leur défaut ils risquaient de passer à d'autres plus initiatifs et plus audacieux; que, comme pour les affaires com- merciales, il ne fallait pas négliger ici le rôle prépondérant du « commis-voyageur ». En l'espèce, savoir si dès maintenant les produits exportés suffiraient à couvrir les frais d'un service direct, il me semble que cela importe peu et du reste cela ne serait nullement concluant.

Il faut, en effet, considérer que jusqu'ici les échanges avec la côte d'Afrique ne se sont faits qu'au moyen des ressources du commerce local, qui ne dispose pas d'un matériel flottant per- mettant des voyages réguliers de Tulear à la côte opposée.

Les bœufs n'ont pu être exportés que par une goélette de 175 tonnes qui a mis une vingtaine de jours pour gagner l'Afri- que. Ces bœufs ont beaucoup souffert en route, beaucoup sont morts, les survivants sont arrivés en mauvais état. En outre, les exportateurs, n'ayant pas de débouché assuré, se sont vus dans l'alternative, ou de céder le bétail à très bas prix, ou de le garder à bord privé de nourriture. Ils ont, par conséquent, été obligés d'en passer par les conditions d'achat les plus dés- avantageuses. Grâce à l'importation de viandes congelées, les acheteurs de la côte d'Afrique pouvaient attendre que le bétail manquant d'eau et de fourrage leur fût donné pour rien.

Les chiffres actuels ne donnent donc en aucune façon l'idée de ce que serait le commerce dans le cas oij Tulear serait relié à la côte d'Afrique par une ligne de navigation à vapeur. Ce commerce ne sera vraiment rémunérateur que le jour les transports seront faits dans des conditions telles que le bétail arrive à destination en peu de jours, n'ayant pas souffert de la traversée et du manque de nourriture. Il faudra s'attendre même à ce que ce mouvement soit peu important au début. Il faudrait, en effet, que des installations se créent dans l'inté- rieur pour répondre à ces conditions économiques nouvel- les, que les commerçants y aillent acheter du bétail. Le mou-

(1) Rapport au Gouverneur général, du 4 avril 1902.

CONCLUSIONS 323

vement, réguKarisé au bout de quelques mois, serait certaine- ment irrégulier d'abord, par suite de l'éloignement de Tulear des centres d'élevage et parce qu'il faudrait remonter un courant établi, les marchands de bœufs ayant jusqu'ici trouvé plus de bénéfices à amener leur bétail vers l'intérieur, à Fianarantsoa, que vers la côte, à Tulear. Le fret serait donc d'abord peu considérable et ne viendrait que progressivement, mais il vien- drait.

Outre la nécessité pour les commerçants, éleveurs et agricul- teurs de s'outiller, il faudrait, en effet, que les exportateurs cherchassent sur la côte d'Afrique des représentants sérieux qui assureraient l'écoulement des produits dans de bonnes con- ditions. Un certain temps s'écoulerait donc avant que les tran- sactions aient pris leur extension normale.

Pour le début, un bateau de 6 à 700 tonnes avec une marche économique de 8 à 9 nœuds à l'heure et un équipage aussi peu dispendieux que possible suffirait probablement.

Mais, se baser sur le chiffre de ce qui sort actuellement avec les moyens de transport absolument insuffisants, irréguliers et aléatoires dont on dispose, pour en déduire ce qui sortirait avec des moyens assurés réguliers, est contraire à toute logi- que. Les affaires créent les affaires. Les produits du Sud, bien qu'ils existent, ne viennent pas aux ports et ne sortent pas, par- ce qu'il n'y a pas de débouchés. Que les débouchés s'ouvrent, Us viendront et surtout s'accroîtront. La demande suscite l'offre. Il est bien connu qu'une ligne de chemin de fer porte et suscite la vie elle pénètre. N'en est-il pas de même pour les U- gnes de navigation ? C'est pourquoi il semble que, pour assu- rer ce marché de l'Afrique méridionale au Sud de Madagascar dont l'avenir et le développement en dépendent et que lui offrent sa situation géographique comme les circonstances, aucun sa- crifice ne devrait être épargné et qu'à défaut de l'initiative pri- vée et dans le but même de la susciter, l'Etat ne devrait pas recu- ler devant une subvention. Une éventualité aussi importante que l'alimentation de l'Afrique du Sud, en face de laquelle la fin de la guerre nous mettra peut-être demain, ne justifie-t-elle pas l'intervention de l'Etat? Ne voyons-nous pas d'autres Etats ne pas hésiter à soutenir, à inspirer même des entreprises des- tinées à s'assurer la possession de marchés avec lesquels celui de l'Afrique du Sud peut rivaliser largement.

Mais, pourra-t-on répondre, la question ne sera pas résolue parce qu'un service périodique sera assuré par un paquebot de passagers d'une des compagnies subventionnées qui ne remplira nullement les conditions nécessaires à l'exportation de troupeaux, pour laquelle il faut des bâtiments spéciaux.

Soit, mais du moins ce service ouvrira-t-il des relations qui jusqu'ici n'existent pas, permettra-t-il d'y voir clair dans une

324 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

situation que nous ne connaissons que de seconde main, pro- voquera-t-il le voyage des négociants, des intermédiaires qui prépareront les affaires commerciales: celles-ci suivront. Si ce service avait existé, n'aurait-on pu déjà envoyer à Lorenço- Marquez, à Durban, un chef de province côtière, quelques-uns de nos agents locaux, pour nouer des relations avec nos con- suls, avec les autorités locales, avec les négociants, pour contrô- ler sur place les renseignements qui nous parviennent contra- dictoires, pour, en un mot, jouer, au profit de la colonie, le rôle de <( commis-voyageur ».

Maintenant, demandera-t-on, les capacités d'exportation du Sud de Madagascar valent-elles tant d'efforts ? Je le crois.

Les bœufs d'abord et de beaucoup pour la plus forte part. On sait en quel nombre la pénétration récente en a révélé l'exis- tence tant chez les Antandroy que chez les Mahafaly, sans compter les troupeaux des Tanosy et des Bara de la région du Nord de l'Onilahy. Il y a d'immenses réserves. On les a pré- sentées, il est vrai, comme atteintes par la tuberculose, et quel- ques cas constatés sur des sujets débarqués en Afrique mena- çaient d'y discréditer le bétail du Sud de l'Ile. Il est donc d'une extrême importance de remettre à cet égard les choses au point. Depuis le mois d'août 1901, des vétérinaires en mis- sion ont parcouru pendant plusieurs mois la province de Fa- rafangana et les pays Antandroy, Mahafaly et Tanosy. L'un d'eux, M. le vétérinaire Schuler; est aujourd'hui établi en per- manence à Tulear, d'où il rayonne dans le Sud. Il résulte de leurs observations que la tuberculose n'existe que partielle- ment, que la grande majorité des troupeaux est saine et que la cause de la maladie doit être attribuée à la pléthore d'ani- maux qui, faute d'exportation, se sont accrus au delà des fa- cultés fourragères du pays. Les animaux atteints sont en effet des animaux âgés, forcés de céder le pas, c'est-à-dire la place du meilleur fourrage, aux animaux jeunes et vigoureux : ceux- ci sont indemnes. En outre, les indigènes avec leur attache- ment superstitieux à leurs troupeaux et leur répugnance à en trafiquer, dont il a été parlé précédemment, se débarrassent de préférence des mauvais, c'est-à-dire des malades, et gar- dent les bons, surtout si l'on n'en offre qu'un prix modique comme il a eu lieu jusqu'ici. Le mal lui-même indique le re- mède. Le jour oiî le jeu régulier de l'exportation, en assurant

coNCLxrsioNs 325

un écoulement normal, mettra fin à la surproduction et ne maintiendra dans le pays que le nombre d'animaux qu'il est susceptible de nourrir, il y a toute chance pour que la maladie disparaisse; déjà elle est notablement atténuée. Sur l'indica- tion du vétérinaire et sous l'autorité des chefs de circonscrip- tion, des mesures énergiques ont été prises; les animaux ont été divisés en catégories; les animaux atteints, isolés. Il a été con- staté que le mal s'atténuait sous l'influence d'une alimentation plus riche. La sélection la plus rigoureuse est faite pour l'ex- portation. Enfin et surtout la présence d'un vétérinaire a permis d'établir à Tulear le service sanitaire à la sortie, préconisé dès le début. L'approvisionnement de tuberculine constitué en quantité suffisante donne une garantie absolue pour l'exporta- tion.

Ces mesures répondent d'ailleurs complètement aux condi- tions exigées par les autorités anglaises pour l'entrée du bétail, ainsi qu'il ressort de la communication faite par M. Julien Meyer, conseiller du commerce extérieur, résidant à Durban, qui a été insérée au Journal ojjiciel de Madagascar du 18 juin 19t)2, ainsi que la déclaration du chef du service vétérinaire anglais à Durban et l'arrêté royal sur la tuberculose concernant les animaux importés dans la colonie du Natal. Les mesures prises actuellement dans l'Ile donnent une entière satisfaction aux exigences formulées dans ces documents.

En tout cas, si les troupeaux du Sud ont été, pour les causes qui viennent d'être indiquées, partiellement atteints par la tu- berculose, ils ont échappé aux affections plus graves et notam- ment à la peste bovine qui a ravagé l'Afrique du Sud. Aussi, et en y ajoutant la disparition des troupeaux résultant de la guerre du Transvaal, la demande se présente-t-elle sans inter- ruption. C'est par milliers que depuis ces derniers mois l'Afri- que du Sud demande des bœufs à Madagascar. A cette de- mande notre offre est en mesure de répondre. C'est, si l'on veut me passer cette expression, le moment psychologique pour la mise en valeur des ressources de ces régions. Il importe de le saisir en facilitant ce mouvement par tous les moyens possibles. Une des mesures les plus urgentes, semble-t-il, serait de consti- tuer plus fortement le service vétérinaire en plaçant un vétéri- naire fixe en permanence à chacun des deux ports, Tulear et

326 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Fort-Dauphin, afin de contrôler la sortie de la manière la plus rigoureuse, et d'adjoindre à chacun d'eux un vétérinaire mo- bile destiné à parcourir, l'un le pays Mahafaly, l'autre le pays Antandroy pour y prescrire et y assurer les mesures d'hy- giène et de sélection nécessaires. Sur ces quatre vétérinaires, il y en a déjà un sur place : ce serait donc trois à demander à la métropole pour le Sud de Madagascar la richesse des troupeaux mérite cette dépense.

Après les bœuls, les animaux de basse-cour, porcs, volailles, les œufs, manquent totalement sur la côte opposée et les trou- pes anglaises spécialement leur offrent une demande assurée. Simple petit fait bien significatif : un troupeau de 300 dindons venant du Betsiléo, c'est-à-dire de 500 kilomètres à l'intérieur, a été amené à Tulear en novembre 1901 pour être transporté en Afrique, et, à l'occasion de la Christmas, ces volailles se sont payées jusqu'à une livre sterling. A mon passage à Tulear, un très petit traitant possesseur d'une petite goélette de vingt- cinq tonnes se faisait 10.000 francs par voyage avec le seul trafic de porcs et de volailles. On peut juger d'après ces faits quelle extension pourrait prendre l'élevage de ces animaux dans toute la région côtière de Tulear. Comme pour les bœufs, l'ex- portation serait restreinte au début, mais ne tarderait pas à augmenter dans de fortes proportions, parce que la certitude d'un débouché ferait entreprendre par beaucoup un élevage peu coûteux et très rémunérateur.

Il faut y ajouter les moutons qui sont déjà dans celte province d'une qualité supérieure à ceux de tout le reste de l'Ile. J'appelle toute l'attention sur l'utilité de faire à cet égard une expérience sérieuse et en grand de croisement et d'amélioration, en raison des conditions particulièrement favorables que paraît présenter cette région, si l'on en juge par la qualité et la quantité des moutons qui s'y trouvent déjà-

Les cultures maraîchères, qui font également défaut sur la côte d'Afrique, peuvent prendre une grande extension tant sur la côte que dant toute la vallée de l'Onihaly le pirogage en assurera le transport à bon marché.

Il faut ajouter le maïs qui, sur la côte d'Afrique, est large- ment consommé par les indigènes et les animaux; cette denrée, d'après les renseignements, y serait importée en grande partie

CONCLUSIONS 327

de rAmérique du Sud. Or, les régions d'Ambohibé et de Tulèar peuvent fournir de grosses quantités de maïs qui trouveront un débouché certain.

En résumé, la situation est la suivante : d'un côté une de- mande presque illimitée de bétail, d'animaux de basse-cour, de productions maraîchères par la côte orientale d'Afrique oiî la production est presque nulle; d'un autre côté, en face, dans le Sud de Madagascar, une offre considérable et qui peut le devenir plus encore.

Des solutions sont du reste à pied d'œuyre.

Une circulaire du Gouverneur général du 28 mai 1902 a trans- mis aux chefs de province les propositions d'une des compagnies de navigation en vue de relier par un service direct Fort-Dau- phin et Tulear avec la côte d'Afrique.

De nombreux acheteurs de bœufs, parmi lesquels un groupe anglais particulièrement important et solide, venus de cette côte, ont commencé leurs opérations dans la région de Tu- lear (1).

Pour tirer de ce pays tout le parti qu'il comporte, il reste à établir une bonne voie de communication entre Tulear et son hinterland, afin d'ouvrir à l'exportation les régions intérieures des Bara-Imamono, des Bara-Bé et de Bétroka.

On m'excusera d'avoir autant insisté sur la question de Tu- lear, mais je crois qu'il y a tout intérêt, au début d'une colonie, à nettement orienter sa politique économique extérieure vers ses marchés naturels. Or, de même qu'en Indo-Chine un des premiers buts assignés à notre activité est la pénétration éco- nomique des provinces méridionales de la Chine, il semble que, pour Madagascar, un des buts essentiels à atteindre est l'ac- quisition du marché de l'Afrique du Sud et que Tulear, par sa situation géographique aussi bien que par les qualités natu- relles de son port, est un des points les mieux indiqués pour cet objet.

(1) Ce mouvement s'est considérablement accentué depuis que ces lignes ont été écrites.

328 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

IV

ÉLEVAGE

Bœufs.

La question de l'élevage est l'objet d'appréciations contra- dictoires sur lesquelles l'insuffisance de l'expérimentation ne permet pas encore de se prononcer. Aussi se gardera-t-on avec soin de toute formule absolue.

L'élevage est un des mots qui, dès l'origine, ont exercé le plus d'attraction sur l'Européen, dès qu'il s'est agi de Mada- gascar et notamment du Sud, dont seul il est ici question. II semble bien qu'il faille un peu en rabattre. Il est certain que l'indigène ne fait pas d'élevage au sens propre du terme. Il ne cherche pas à améhorer la qualité de son bétail et n'use, à son égard, d'aucun des procédés rationnels de croisement, d'abri, de nourriture, qui constituent l'élevage à proprement parler. A ce point de vue, tout est à lui apprendre. Mais, d'au- tre part, la pratique de l'élevage par l'Européen semble, jus- qu'à nouvel ordre, très difficile. Les essais, dont quelques-uns très sérieux, tentés jusqu'ici dans les régions que j'ai comman- dées ont échoué. Il n'y a pas de tentative que l'indigène, si jaloux de son béitail, voie de plus mauvais œil. L'Européen a déjà, de ce fait, la plus grande peine à constituer son troupeau: les indigènes refusent de lui vendre ou ne se défont que de leurs plus mauvais animaux. Une fois néanmoins le troupeau consti- tué, si limitée que soit la main-d'œuvre que comporte l'élevage, on ne peut se passer de l'indigène, soit pour le gardiennage, soit pour les soins, si rudimentaires qu'ils soient, à donner aux animaux. Mais, d'une part, il ne porte aucun intérêt aux ani- maux qui ne lui appartiennent pas en propre, ne les surveille pas au pâturage, ne les change pas d'emplacement comme il le fait pour les siens; d'autre part, le bétail appartenant au

CONCLUSIONS 329

« vazaha » (1) étant toujours de bonne prise, les vols sont si nombreux qu'il n'y a aucune sécurité pour le troupeau.

Deux colons du cercle de Fort-Dauphin, qui avaient persisté jusqu'ici et étaient parvenus à se constituer un troupeau de 400 têtes, ont subi de telles pertes, supporté de tels frais sans aucun profit, qu'ils y ont renoncé à leur tour.

Les marchends européens eux-mêmes, qui réunissent des troupeaux non pour l'élevage mais en vue de la vente, éprou- vent de grandes difficultés à assurer leur garde et leur con- servation.

On est donc amené à se demander si, pour le moment, il n'y a pas lieu de détourner l'Européen de l'élevage proprement dit, et s'il n'est pas forcé de se borner, jusqu'à nouvel ordre, au rôle d'intermédiaire, allant chercher les bœufs et en pro- voquant l'arriva-ge aux ports d'embarquement, sous la conduite de leurs propriétaires ou de leurs gardiens habituels.

Mais alors c'est du commerce, ce n'est plus de l'élevage.

Et pourtant, le rôle de l'Européen ainsi compris n'est pas sans influence sur l'élevage lui-même, en raison de la sélec- tion à laquelle il procède dans ses achats. Le jour oiî l'indigène ayant acquis, à notre contact, de nouveaux besoins, se rendra compte de l'avantage qu'il y a pour lui à vendre son bétail au lieu de l'accumuler, et ce jour viendra vite, il se rendra compte également que les animaux qu'on lui prend et qu'on lui paie le plus cher sont ceux qui sont dans le meilleur état et que les autres lui restent pour compte. Il sera donc amené fatalement à les mieux soigner, c'est-à-dire à faire en somme de l'élevage. C'est quand le mouvement d'exportation des bœufs qui a été signalé plus haut sera décidément établi, que les tour- nées de vétérinaires mobiles prendront leur efficacité. En con- statant l'influence que l'état des animaux exerce sur la vente, les indigènes comprendront la portée des mesures que leur recommanderont les vétérinaires, mesures qu'ils ne pratiquent pas jusqu'ici: choix des emplacements des pâturages, leur chan- gement fréquent, abreuvoir à l'eau courante et non plus aux eaux stagnantes et pleines de microbes, division des troupeaux en deux groupes isolés l'un de l'autre, d'un côté les animaux

(1) L'Européen.

330 DANS LE STTD DE MADAGASCAR

*

sains, de l'autre les animaux malades ou suspects, etc. Cette initiation progressive par nos soins de l'indigène à l'élevage, en vue de la vente pour l'exportation, est peut-être actuellement la meilleure solution; c'est, du reste, un des buts que le général Galliéni se propose d'assigner au service vétérinaire dont il prévoit l'organisation, ainsi qu'il ressort de sa dernière lettre aux chambres consultatives (19 février 1902).

En résumé, la question est très complexe. Elle exige, avant qu'on puisse formuler une doctrine, de nombreux tâtonnements et un sérieux complément d'observations expérimentales.

On sait que des sociétés ont demandé dans le Sud de Mada- gascar la concession de vastes superficies territoriales pour y pratiquer l'élevage. Des contrats ont été conclus; mais il n'y avait pas encore, au moment de mon départ, de commencement d'exécution. Leur principe repose sur la constitution de lots centraux d'achat et de lots de pacage intermédiaires entre les centres d'achat et les deux ports d'exportation, Tulèar et Fort- Dauphin, afm d'assurer la nourriture des animaux durant leur trajet vers la côte. Ces sociétés se disaient assurées d'un per- sonnel choisi qui leur eût permis d'encadrer et de sui'veiller les indigènes chargés du soin du bétail. Si ces sociétés se con- stituent réellement et si elles sont sérieusement menées, cette expérience sera d'un haut intérêt au point de vue de l'avenir de l'élevage dirigé par des Européens.

En attendant, je suis porté à croire que la voie la plus prati- que dans laquelle on ait pour le moment le plus de chances de réussite, consiste à s'associer à des indigènes choisis parmi les plus intelligents, les plus riches et les plus accoutumés à notre contact, tels qu'il en existe quelques-uns parmi les grands pro- priétaires du Betsiléo, dans la province de Farafangana et tels qu'il pourra en être trouvé dans la province de Tulèar (comme Impoinimérina, par exemple), et de leur faire toucher du doigt les avantages et les profits qu'ils tireraient de l'élevage ration- nel. Le mieux, chaque fois qu'il sera possible, serait de faire pratiquer cet élevage à côté d'eux, dans des établissements de l'Etat qui sont, en raison du prestige de l'autorité, couverts vis-à-vis des indigènes d'une immunité et de garanties qui man- quent aux établissements privés et ces éleveurs indigènes viendraient s'inspirer de nos procédés.

CONCLUSIONS

331

Déjà, à la ferme de l'Iboaka, près de Fianarantsoa, se pratique l'élevage des bovidés sans bosse et des bovidés du pays, plusieurs indigènes notables viennent s'inspirer de nos méthodes et cherchent à les imiter.

Ferme d'élevage de l'Iboaka.

Une fois le pli pris et les procédés vulgarisés parmi les indi- gènes, il est probable que l'Européen trouverait moins de résis- tance à pratiquer l'élevage pour son compte.

Il y aurait même probablement intérêt à tenter l'association entre l'Européen et le propriétaire indigène surtout à proxi- mité des ports d'exportation, l'indigène acceptant la direction de l'Européen pour tous les soins rationnels à donner aux trou- peaux, pour leur amélioration, pour d'élevage en un mot, et ce dernier lui servant d'intermédiaire et assurant la vente.

Il est bien entendu que ces considérations concernent exclu- sivement le Sud de Madagascar, seule région dont il m'appar- tienne de parler, et il est possible qu'elles ne s'appliquent nulle- ment aux autres parties de l'Ile.

332 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Chevaux.

L'indigène ne pratique nulle part l'élevage du cheval dans le Sud de Madagascar. Le cheval n'y existe pas en dehors du Betsiléo. Et pourtant, que de services il rendrait! Dès mainte- nant une voirie rurale complète permettrait de l'utiliser non seulement dans le Betsiléo, mais encore dans la province de Farafangana, dans tout le cercle de Fort-Dauphin et, grâce à la facihté des communications, dans une grande partie de la province de Tulear. Toutes les tournées des administrateurs, des chefs de district et de poste pourraient être assurées par ce moyen, réalisant ainsi une si notable économie de porteurs.

C'est pourquoi, dès la création du commandement du Sud, il avait été décidé par le général Galliéni qu'une ferme hippi- que y serait établie. Il existait à Fianarantsoa un commence- ment de jumenterie créée par M. l'administrateur en chef Bes- son à qui sont dues, dans des branches si diverses, tant d'ini- tiatives heureuses et fécondes; mais, faute de moyens, faute de personnel approprié et faute aussi de pâturages à proxi- mité, elle n'avait pas donné de résultats et une seule jument avait survécu.

Le nouvel établissement fut installé au début de 1901 à 25 kilomètres au nord de Fianarantsoa, dans la vallée de l'Iboaka, dont il prit le nom, sur un mamelon situé au milieu de 100 hectares de pâturages d'excellente qualité. L'eau amenée de sources voisines permit d'établir sur les flancs du mamelon le jardin d'essais annexé à la ferme dont il a été parlé plus haut à propos de la situation agricole. Ce jardin se trouvait ainsi bénéflcier du fumier, de la main-d'œuvre et des moyens d'exploitation de la ferme qui bénéficiera à son tour de ses expériences culturales et de ses plantes fourragères, d'où no- table économie dans la double gestion.

La direction en fut confiée au lieutenant de cavalerie Charles Roux, secondé par le vétérinaire Tatin. Un sous-officier de ca- valerie et le personnel indigène nécessaire leur furent adjoints.

Les constructions et les aménagements divers, vivement me- nés et rapidement achevés avec un crédit de 15.000 francs, sont un modèle d'installation pratique et économique. Le domaine

CONCLUSIONS 333.

est traversé par la route de Fianarantsoa à Mananjary, ce qui permet d'assurer tout le service par voitures et par bâts et d'éviter ainsi les dépenses de transport.

La ferme hippique débuta avec deux étalons barbes, un éta- lon malgache et neuf juments (huit arabes et une de Tarbes). Elle reçut en juin 1901 une augmentation de trois étalons abyssins et huit juments barbes. Au moment de mon départ, en mai 1902, elle reçut un nouveau complément et doit, au cours de cette année, recevoir un contingent d'abyssins. Le tableau ci-annexé (1) présente le nombre des animaux, d'espè- ces diverses, qui se trouvaient à la ferme en avril 1902.

L'expérience qui se poursuit à l'Iboaka avec autant de mé- thode que de compétence technique présente un réel intérêt. Si elle réussit, elle peut être le point de départ d'une diffusion du cheval dans tout le Sud de Madagascar, mais à la condi- tion d'être complétée.

Jusqu'ici, en effet, l'expérience ne porte guère que sur une catégorie de chevaux : le cheval barbe, grand cheval qui ne peut être ici qu'un cheval de luxe. L'essai de ce cheval a échoué en Emyrne, il est incontestable que jusqu'ici il a mieux réussi

(1) Bépartition des animaux de la ferme de Vlboaha (avril 1902) :

l Abyssins 5

Etalons ] Barbe 1

( Malgache 1

J—'- [ ^S:":^';..:.:.:.;. ;;:::::;;;::;:::;;::::;;;::;;;;:::;::;:;:: â

Pouliches Nées . eu 1901 13

Poulains 4

Amenés en novembre 1900 : 36 ânesses et 3 bau- dets 39

Amenés en décembre 1901 : 130 ânesses et 11

Anes et ânesses. { baudets 141

Vendus : 36 dans le Betsiléo; 5 envoyés à Fort- Dauphin pour y être vendus (a).

Produits : 11 ânons, 26 ânesses 37

i Taureaux (sans bosse) 2

Vaches (sans bosse) 7

Veaux et génisses (sans bosse) 4

Vaches malgaches 10

i' Béliers (dont 1 algérien et 3 solognots) 4 Brebis (un troupeau de 30 brebis malgaches par

bélier) 120

Brebis à laine (dont 3 algériennes et 1 solognote). 4

Total 407

(o) 109 autres ont été vendus d'avril à juillet 1902.

334

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

dans le Betsiléo; la qualité des fourrages, la meilleure distri- bution des saisons, les facilités d'installations y ayant été fa- vorables, 15 produits dont 3 poulains et 12 pouliches sont nés depuis février 1901. Ils sont tous dans un état excellent et, sauf les maladies habituelles aux poulains de cet âge, gourme, coliques, etc., ils se sont toujours bien portés. Il est intéressant

Type de cbeval malgache.

de constater ces résultats et l'expérience méritait d'être tentée. Mais il est essentiel de ne pas s'aventurer dans les pronostics et de se garder de tout optimisme. L'expérience est de trop courte durée encore pour être déjà concluante. Au bout de dix-huit mois seulement, la constitution du sol en lui-même ne différant d'ailleurs pas sensiblement de celle de l'Emyrne, rien ne garantit encore que ces chevaux échapperont à l'affection si grave de l'ostéomalacie qui a frappé tous les chevaux arabes transportés à Tananarive et en Emyrne et qui a été attribuée jusqu'ici à l'absence d'éléments calcaires dans le sol et dans les aliments. Si, jusqu'à nouvel ordre, cette maladie paraît les

CONCLUSIONS 335

avoir épargnés, du moins n'ont-ils pas échappé à une cer- taine déperdition de vigueur, à une diminution insensible mais progressive de leurs qualités propres, qui démontre que le grand cheval n'est pas celui qui convient à Madagascar. A cet égard, la nature s'est chargée de tracer la voie à suivre : les quelques centaines de chevaux et juments que nous avons trouvés à notre arrivée à Madagascar tiraient leur origine d'animaux de provenances les plus diverses (Inde, Maurice, Afri- que du Sud) et certainement de tailles et de modèles très dif- férents. Néanmoins, après quelques générations ils présentaient tous un modèle assez uniforme d'une taille ne dépassant pas 1",30 à l^iO. Le fait est concluant. C'est évidemment de la petite race qu'il y faut faire. En améliorant la race du pays par l'introduction de géniteurs de choix, barbes ou abyssins, on a déjà obtenu de bons résultats, mais le très petit nombre des juments indigènes, presque toutes groupées autour de Ta- nanarive, dans une région pauvre en pâturages, rend cette façon de procéder tout à fait insuffisante. Il faudrait ainsi un temps infini pour augmenter d'une façon sérieuse la popula- tion chevaline de l'Ile. L'introduction des juments étrangères s'impose. Il semble qu'il faille absolument renoncer aux juments d'Algérie. Mais il y aurait un grand intérêt à faire des expé- riences avec d'autres races de plus petite taille et plus rus- tiques, comme les poneys d'Australie, les chevaux de l'Inde et surtout les chevaux abyssins.

Les qualités très remarquables du cheval actuel de Madagas- car, dont l'oiigine est due au mélange de différentes races im- portées, semblent indiquer qu'on arrivera certainement à trou- ver une race bien appropriée au sol de l'Ile.

A cet égard, étant donnés les aménagements favorables de la ferme hippique de l'Iboaka et le soin avec lequel elle est dirigée, cet établissement semble désigné pour tenter, avec le plus de chances de succès, les différentes expériences qui seules pourront indiquer la race à importer de préférence. Elles seraient d'autant plus utiles à faire le plus tôt possible dans le Sud, que les moyens de traction mécanique n'étant pas appelés de longtemps à y prendre le même développement qu'en Emyrne, une monture usuelle y serait d'un emploi immédiat et général.

336

DANS LE SUD DE MADAGASCAE

En outre, les progrès de la voirie charretière, l'ouverture prochaine de la route de Fianarantsoa à Mananjary, du moins sur une grande partie de sa longueur, devront avoir comme sanction l'emploi des voitures. L'indigène ne comprendrait pas qu'on lui eût demandé un tel effort s'il n'en voyait pas sans tarder l'utilisation pratique. Concurremment avec les mu- lets et les ânes, des chevaux de petit modèle, bien conformés, bien doublés, résistants et rustiques, conviendraient à la trac- tion.

Le Gouverneur général a, du reste, apprécié itout l'intérêt qui s'attache à l'expérience poursuivie dans le Sud, puisqu'il y destinait la majeure partie des animaux qui devaient être amenés d'Abyssinie, en attendant qu'il soit possible d'y intro- duire des juments d'autres races de petite taille. Il ne faudra jamais perdre de vue, en effet, que le but essentiel d'un établis- sement comme la ferme hippique ne doit pas être seulement de produire des chevaux et de les vendre dans de bonnes con- ditions, mais avant tout de constituer un champ d'expériences pour déterminer la meilleure race de chevaux convenant à un pays elle est, en somme, à créer.

CONCLUSIONS 337

Anes.

La ferme de l'Iboaka a reçu 166 ânesses et 14 baudets d'Al- gérie, amenés en deux convois, en novembre 1900 et décem- bre 1901.

Nous avons cru devoir préconiser avec insistance l'introduc- tion à Madagascar du petit âne d'Algérie. Rustique, résistant, se nourrissant de peu, demandant un minimum de soins, spé- cialement conformé pour la charge avec le dos large et court, de prix peu élevé, il nous a semblé que, dans un pays la main-d'œuvre est limitée et sera de plus en plus onéreuse, c'é- tait le porteur de Vavenir. Jusqu'ici ces prévisions semblent justifiées. Ces animaux se sont depuis dix-huit mois admirable- ment comportés, sans un accident, sans un symptôme de ma- ladie ou d'anémie.

37 produits sont nés dont 11 baudets et 26 ânesses.

Il importe avant tout, pour que l'expérience soit concluante, de ne vendre les produits qu'à deux ans, quand les animaux seront faits. Sinon, vendus prématurément, ils seraient utilisé-s par l'acheteur, pressé d'en tirer profit, comme des animaux faits, ne résisteraient pas, et l'on ne manquerait pas d'imputer à la race les mécomptes qui ne seraient attribuables qu'à l'in- curie et à l'impatience des acheteurs. Il importe d'éviter cet inconvénient qui fausserait toutes les données du problème. C'est encore une année de patience après laquelle la colonie est assurée de rentrer largement dans ses frais. Elle aura du moins mené jusqu'au bout une expérience qui, croyons-nous, aura une influence sérieuse sur la situation économique du pays.

Du reste, en attendant la vente des produits, il a suffi de con- server une quarantaine de mères à la ferme pour assurer la reproduction; tout le reste a été mis en vente à un prix fixe de 200 francs, prix relativement élevé par rapport à la taille des animaux et à leur valeur dans leur pays d'origine, faible, au contraire, si l'on considère qu'ils sont revenus à la colonie à 350 francs, transport compris. Il est évident q-ue ce sacri- fice, minime d'ailleurs, a été fait très sagement pour achalander les animaux dans l'Ile en y tenant compte de tous les intérêts. La colonie une fois rentrée dans ses débours, les produits pour- Madagascar. 22

338 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

i

ront être vendus à beaucoup meilleur marché. Plus de 150 ani- maux ont été vendus (1) à ce prix de 200 francs, dont plusieurs par lots de 40 et de SO, à des commerçants qui ont parfaite- ment compris le parti immédiat qu'ils pourraient tirer de ces « équipes », remplaçant avantageusement les bourjanes.

L'écoulement est donc dès maintenant assuré.

Les animaux déjà vendus servent généralement de porteurs avec une charge moyenne de 60 kilogrammes, ce qui représente la charge d'un porteur et demi du commerce et de deux por- teurs de bagages, et avec l'avantage sur les bourjanes qu'il n'y a pas à discuter le prix ni à craindre la rupture des engage- ments, l'abandon des charges, l'aléa du service. Il suffit d'avoir un conducteur de confiance par 5 ou 6 bourriques.

L'expérience des longs convois par ânes sur des routes com- me celles de Fianarantsoa à Mananjary va seulement commen- cer (2), c'est alors seulement qu'on aura des appréciations exac- tes sur la charge à donner aux ânes, la longueur de l'étape à leur faire faire, la proportion entre le nombre des animaux et celui des conducteurs, et qu'on pourra renseigner utilement les colons désireux d'essayer ce mode de transport.

Mais il est vraisemblable que c'est pour les convois de peu d'étendue que le petit âne sera le plus utile. Le colon et sur- tout l'indigène s'en serviront pour porter le fumier nécessaire à leur propriété, les briques pour leurs constructions, le riz, le manioc, etc. On en usera pour aller au marché. En somme, c'est surtout dans le service des petits transports journaliers que l'âne rendra de grands services et économisera des frais de bourjanes considérables. Bien qu'en principe ces animaux soient des porteurs, certains commerçants ont essayé de les atteler à des voitures basses et légères et les résultats ont été bons. Un négociant de Fianarantsoa assurait son service, au début de 1902, au moyen d'une petite voiture à âne avec laquelle il faisait transporter jusqu'à 200 kilogrammes à chaque voyage.

ill est à souhaiter que la ferme de l'Iboaka essaime. Il y aurait intérêt à installer une station-annexe dans le cercle de Tulear, tant pour le petit cheval que pour le mouton. A l'égard

(1) Juin 1902.

(2) Juin 1902. .

CONCLUSIONS 339

'1 ce dernier, rien de sérieux n'a été tenté encore. Les races autochtones, sans laine, sont médiocres : il semble pourtant que les immenses pâturages du Sud, notamment dans la réjîion de Tulear, présentent toutes les conditions convenant à la pro- duction du mouton. Avec le débouché qu'offre l'Afrique du Sud et avec l'exemple de l'Australie, il est superflu d'insister sur les avantages économiques qui résulteraient pour Madagascar du développement de ce produit. Ce n'est que d'expérimenta- tions menées rationnellement et surtout poursuivies pendant une durée suffisante qu'on pourra tirer des conclusions. En tout cas, telle qu'elle est organisée, la ferme de Tlboaka, avec les 407 animaux quelle comprenait en 1901, a marché avec un crédit annuel de 18.000 francs (non compris les 15.000 francs de l'installation). Les résultats ont certes justifié ce modeste chiffre. Si l'on tient compte des recettes résultant des ventes d'animaux déjà faites et de celles que donnera, dans les exer- cices suivants, la vente des produits, on peut même envisager que la colonie pourra rentrer à peu près entièrement dans ses débours (1). y

V

VOIES DE COMMUNICATIONS

Les instructions du Gouverneur général du 29 janvier 1901, sur l'établissement du réseau des routes de Madagascar, en ont tracé le programme d'ensemble.

Elles en définissaient l'économie générale dans les termes sui- vants :

Sur Varête faîtière de Vite et dominant les deux versants, une route carrossable de Diégo-Suarez à Fort-Dauphin, à laquelle viendront aboutir les grandes routes régionales se dirigeant vers la côte... aux principaux ports... Mananjanj, Farafangana,

(1) Depuis que ce chapitre a été écrit, il a paru dans la Bévue de Mad(v- gascar (numéro du 10 octobre 1902) une très intéressante monographie sur la ferme de l'Iboaka, par le lieutenant Charles Roux et le vétérinaire Tatin.

340

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Fort-Dauphin, sur la côte Est, Ambohibé, Tulear, sur la côte Ouest.

Ces instructions étaient accompagnées du schéma suivant (en ce qui concerne le Sud).

i^/>a

nâr/ve

Anés/nâ6é

Ambositra.

Ambohimâ.hâiSoa. Fianâ^nôLnUoa.

Sur ce schéma, le tracé de la route centrale n'était pas fi- guré au delà de Fianarantsoa au Su3, de même que la dernière transversale indiquée était celle de Fianarantsoa à Mananjary sur la côte Est.

La détermination du tracé de la route centrale au Sud de Fianarantsoa ainsi que celle des transversales suivantes étaient donc réservées pour l'avenir.

Aucune des transversales du versant Ouest n'y figurait encore.

CONCLUSIONS 341

Rentes de Fianaranlsoa à Taiianarivc on ronte centrale et à llananjary. (1)

Dans le cadre prévu par ces instructions n'incombaient donc au commandement supérieur du Sud que :

L'exécution du tronçon de la route centrale comprise entre Fianarantsoa et la limite Nord de la province du Betsiléo, tron- çon A. B. du schéma ;

L'exécution de la route transversale Fianarantsoa-Mananjary. Celle-ci, bien qu'elle chevauchât sur le commandement supé- rieur et la province de Mananjary, était placée tout entière sous la direction technique du capitaine du génie Almand, chef du service des travaux publics civils et militaires du comman- dement supérieur.

Ce programme embrassait un développement de route de 235 kilomètres, à savoir :

Sur la route centrale 90 kilomètres, dont 25 communs à la transversale de Mananjary, depuis Fianarantsoa jusqu'à Ala- kamisy.

Sur la transversale Fianarantsoa-Mananjary 145 kilomètres depuis Alakamisy, elle se raccorde à la précédente, jusqu'à Tsarahafatra, à 20 kilomètres de Mananjary, elle emprunte la voie fluviale jusqu'à ce port.

Sur ces deux itinéraires la situation au début de 1901 était la suivante :

Route centrale. Une piste établie par l'administration pro- vinciale avec les moyens locaux réunissait Fianarantsoa à la frontière Nord de la province. Certains tronçons établis en plaine ou en terrain peu difficile étaient praticables aux charrettes, mais non reliés les uns aux autres : les massifs montagneux et les parties rocheuses restaient absolument infranchissables.

Route de Mananjary. Une piste avait été établie par l'ad- ministration provinciale de Fianarantsoa jusqu'à Ranomafana (35 kilomètres) : le tracé, d'une manière générale, en avait été bien conçu, mais le peu de largeur de la piste, l'insuffisance des

(1) Carte 6, à la gauche du volume.

342 DANS LE SUD DE MADAGASCAK

travaux dans la forêt soumise à l'action continuelle des pluies et des éboulements, le maintien de certaines pentes inacces- sibles ne permettaient pas dans la pratique d'utiliser ce tron- çon pour les voitures chargées. l)e Ranomafana à Tsarahafatra (100 kilomètres), rien n'était fait. C'est dans ces conditions que les travaux destinés à donner à ces deux routes leur tracé et leur profil définitifs, de les établir dans toutes les conditions de solidité et de durée, furent entrepris le 15 mai 1901.

Les conditions d'exécution des deux routes étaient définies d'une manière formelle par les instructions du 29 janvier 1901.

Sur la route centrale prévue sur le type des grandes routes carrossables de l'île, telle que celle de Tananarive à Tamatave largeur de 5 mètres et pentes maxima de 8 p. 100, conditions qui entraînaient pour la rectification des tronçons faits et pour la traversée des massifs montagneux des travaux considérables.

Sur la route de Mananjary prévue sur le type des routes secondaires largeur de 3 mètres, avec empierrement dans la traversée de la zone forestière, et pentes maxima de 10 p. 100.

Pour la route centrale, 135.000 francs furent alloués en 1901 et 80.000 francs en 1902.

Pour la route de Mananjary, 175.000 francs furent alloués en 1901 et 80.000 francs en 1902.

Après un an de travaux dirigés dans leur ensemble par le capitaine du génie Almand, les résultats, en juin 1902, étaient les suivants :

Sur la route centrale, entre Alakamisy et Ambohimahasoa (30 kilomètres), les 20 kilomètres les plus difficiles étaient achevés comportant la traversée du massif du Mandalahy, laquelle pré- sentait d'extrêmes difficultés et entraînait des travaux d'art con- sidérables.

Sur la route de Mananjary, 92 kilomètres avaient été exé- cutés depuis Alakamisy jusqu'à la limite des deux provinces de Fianarantsoa et de Mananjary, sous la direction du capi- taine du génie Rieuneau. Il restait donc à faire 53 kilomètres dans la province de Mananjary. Mais le plus difficile était fait, puisque les 75 kilomètres exécutés comportent la traversée de la falaise et de la forêt, avec ses deux dénivellations brusques,

344 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

l'une de 600 mètres, l'autre de 300 mètres, correspondant aux deux marches d'escalier qui caractérisent le versant oriental de l'Ile dans toute sa longueur.

D'après le plan de campagne de 1902, la totalité de la route de Mananjary aurait être achevée vers le mois d'août ou de septembre.

D'autre part, la route centrale aurait être achevée jusqu'à la limite Nord du Betsiléo, vers le mois de juin.

L'obligation de satisfaire sur d'autres points de l'Ile à d'au- tres dépenses incombant au budget local n'a pas permis d'al- louer dès 1902 les crédits nécessaires.

La continuation de la route centrale a été ajournée.

Le crédit affecté à la route de Mananjary, réduit à une men- sualité de 10.000 francs, ne permettra vraisemblablement pas d'y terminer dès 1902 les travaux indispensables pour assurer l'exécution continue jusqu'à la côte.

Mais il suffira, en 1903, d'un effort relativement faible pour mener cette route à complet achèvement; seulement, il convient de le prévoir avec des crédits sufTisants.

La route de Mananjary, qui est surtout le débouché de ce port vers l'intérieur et qui est inversement le seul débouché du Bet- siléo sur la côte, répond à des besoins trop sérieux et trop pres- sants pour être ajournée davantage.

On a vu plus haut, dans l'exposé de la situation commerciale, quels intérêts y sont engagés. Ce dont il s'agit, c'est de l'ouver- ture du marché intérieur qu'est le Betsiléo, actuellement sans débouché. On a dit quelles causes défavorables pèsent aujour- d'hui sur le développement économique de cette province si populeuse et si capable de mise en valeur agricole par l'indi- gène. L'ouverture d'une communication avec la côte, impatiem- ment attendue et hautement annoncée, en suscitant l'activité éco- nomique de cette population, peut seule y remédier.

CONCLUSIONS 345

Prévisions pour la prolongation ulléricnrc dn réseau routier du Sud de Madagascar.

Ainsi qu'il a été dit plus haut, les instructions du Gouver- neur général du 29 janvier 1901, tout en prévoyant la con- struction future de la route centrale jusqu'à Fort-Dauphin et celle de nombreuses transversales sur les deux versants, arrê- taient leur schéma figuratif à Fianarantsoa, au Sud.

L'ouverture du Sud, la progression de la pacification, la pé- nétration de régions jusqu'ici inconnues, la constatation d'in- térêts économiques imprévus permettent aujourd'hui de pré- senter avec précision le programme du réseau des routes dans le Sud de l'Ile et ont même permis de l'engager sur un certain nombre de points.

A, ROUTE CENTRALE.

Jusqu'ici, la seule route connue et usitée pour se rendre par terre de Fianarantsoa à Fort-Dauphin, c'est-à-dire la \utu.re route centrale, suivait l'itinéraire Ihosy-Bétroka-Tsivory.

Or, si l'on réunit par une ligne droite Fianarantsoa et Fortr Dauphin, la ligne ainsi tracée passe par Ivohibé, la vallée de ritomampy, Midongy, et s'écarte très sensiblement de la pré- •cédente.

Si l'on n'avait pas envisagé jusqu'ici ce second itinéraire, bien que beaucoup plus direct, c'était que les régions qu'il tra- verse étaient en grande partie en possession des rebelles et qu'il résultait aussi des premiers renseignements que les hauts massifs forestiers du Haut-Itomampy étaient difficilement fran- chissables.

Or, d'une part, les régions rebelles ont été entièrement dé- gagées; d'autre part, en ce qui concerne le terrain, les recon- naissances détaillées du pays ont amené à des conclusions tout opposées.

Il en résulte, en effet, que ce tracé suit presque constam- ment une série de couloirs naturels de la disposition la plus

346 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

favorable, de sorte qu'il se trouve réunir les conditions sui- vantes :

De Fianarantsoa à Fort-Dauphin, il est de beaucoup le plus court; Il est le plus facile; Il traverse constamment des régions peuplées.

Sa brièveté. Il a environ 95 kilomètres de moins que l'autre, 445 kilomètres au lieu de 540.

Sa facilité. De Fianarantsoa à Ambalavao (45 kilomè- tres), tronçon commun aux deux itinéraires, la route est à peu près faite par radministration provinciale.

D'Ambalavao à Ivohibé (90 kilomètres), partie difficile, deux cols à franchir tracé à déterminer.

Dlvohibé à la Mananara (55 kilomètres), série de vallées sé- parées par des seuils insensibles et, du reste, voie déjà rendue charretière cette année sur 35 kilomètres.

Les voitures Lefebvre y circulent.

Traversée de la Mananara, large de 300 mètres, passage à établir par pirogues accouplées et pontées ou par bac.

De la Mananara à Midongy (75 kilomètres), large vallée de ritomampy sans dénivellation aucune difficulté main- d'œuvre sur place.

De Midongy à Imandabé (30 kilomètres), traversée de la forêt et de la falaise, mais favorisée par les deux couloirs adossés de la Mananara et de la Manandria séparées par un seuil peu élevé; néanmoins gros travaux à exécuter.

Dlmandabé à Manantenina (60 kilomètres), plaine mamelon- née, peu de difficultés.

De Manantenina à Fort-Dauphin (95 kilomètres), le long de la côte sans dénivellation, sentier muletier déjà fort bon, avec des ponts en charpente bien établis, qui pourra se transformer en piste charretière par simple élargissement de la piste actuelle.

L'ancien tracé par Bétroka, au contraire, après avoir tra- versé, entre Ambalavao et Bétroka, une série de massifs fort difficiles, rencontre entre Bétroka et Tsivory une haute chaîne des plus dures à franchir.

CONCLUSIONS 347

Régions traversées. Un des plus grands avantages de ce tracé est de suivre sans interruption des régions peuplées offrant des ressources, des porteurs. Il eu résulte qu'il ouvre non seulement une voie stratégique ou politique, mais encore une voie commerciale et qu'il facilite considérablement les voya- ges et le transport des courriers. On peut ajouter que c'est un des trajets les plus pittoresques et intéressants de l'Ile, tandis que l'ancien itinéraire par Bétroka, en outre de sa longueur, traverse surtout dçs régions désertes, arides et désolées.

Aussitôt ce tracé reconnu, il a été adopté pour les courriers, qui gagnent ainsi quatre jours sur le trajet de Fianarantsoa à Fort-Dauphin, ainsi que pour les détachements et les isolés.

Il résulte de l'adoption de ce nouveau tracé pour la route prin- cipale, que tout travail qui y sera exécuté sera dès maintenant du travail utile, contribuant à la route Nord-Sud de l'avenir. C'est pourquoi j'ai facilité dans la plus large mesure la construc- tion des tronçons d'intérêt local et de ravitaillement situés sur ce tracé, à savoir :

La route charretière d'Ivohibé à Ifandana, dont l'intérêt commercial a été développé plus haut;

Le tronçon Ifandana-Mananara qui, en se reliant dès main- tenant au bief navigable de l'Itomampy, assure le débouché commercial de cette vallée vers Farafangana.

Si l'on veut poursuivre l'exécution de la route centrale Nord- Sud de l'Ile, ce sera donc à ce tracé qu'il conviendra, dans les exercices suivants, d'appliquer les crédits, en en poursuivant l'exécution de proche en proche à partir de Fianarantsoa et en ayant le bénéfice d'utiliser les tronçons déjà faits sur de nota- bles parcours.

Mais, il faut le dire sans hésiter, pour ne pas laisser engager des travaux inutilement onéreux au détriment d'autres plus immédiatement nécessaires et rémunérateurs, cette route cen- trale, pour ce qui concerne le Sud, ne doit passer qu'en seconde importance. Il semble même que, lorsqu'on en reprendra l'exé-

348 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

cution, il sera inutile de lui maintenir le type de grande route carrossable, entraînant, par conséquent, de grands travaux, pré- vu par les instructions de janvier 1901, qui, par contre, ne pré- voyaient qu'un type secondaire pour les routes tranversales, telles que celle de Mananjary. Il semble, au contraire, si l'on envisage, comme on doit toujours le faire, les travaux publics dans leur rapport avec les productions du pays et les réalités économiques, qu'à Madagascar, dans le Sud du moins, la pré- pondérance doit être donnée aux voies de communications trans- versales, celles qui mettent en relations l'intérieur avec la côte. Ce sont elles qui auront une répercussion directe et immédiate sur le développement du pays. C'est dans ce sens seul que se fait actuellement presque tout le trafic important. Sur l'axe de l'Ile, au contraire, entre les diverses parties du plateau central, le trafic est sans importance; il le sera de moins en moins et les raisons en sautent aux yeux. Une route monumen- tale reliant à grand frais ces diverses parties n'aurait donc pas de raison d'être commerciale. Mais cette voie répond évidem- ment à des nécessités militaires, stratégiques, administratives et politiques qui exigent sur l'axe de l'Ile une communication facile et praticable en tout temps. Seulement, elle peut être établie à peu de frais sur un type modeste, facilement réalisa- ble, comportant avant tout sur tous les cours d'eau des moyens de passage assez solidement établis pour résister aux crues, pour garantir la circulation contre toute interruption. Ce n'est pas le sens du trafic, il ne s'y fera donc jamais de roulage im- portant, ce qui permet de concevoir la construction beaucoup plus simplement.

B. ROUTES TRANSVERSALES.

1"" Transversales du versant Est. Mais les voies vitales, les véritables artères qui assureront la circulation féconde dans ce corps à animer qu'est Madagascar, ce sont les transversales allant de l'intérieur à la côte.

On a déjà suffisamment parlé de celle de Mananjary, la plus importante du Sud dans l'ordre d'urgence, parce qu'elle ouvre aux 350.000 Betsiléos la vie économique.

CONCLUSIONS 349

La première transversale qui ait une réelle importance com- merciale au Sud de Mananjary est celle de Farafangana vers l'intérieur.

L'adoption du tracé précédent pour la route centrale place le terminus de cette transversale à Ifandana elle la ren- contre à environ 90 kilomètres de la côte.

On en a développé plus haut (1) tout l'intérêt.

Déjà rendue praticable aux voitures Lefebvre, de Farafan- gana à Vondrozo, sur un parcours de 60 kilomètres, pour les besoins du ravitaillement par les moyens locaux, la construc- tion s'en poursuit sur les 30 kilomètres restants de Vondrozo à Ifandana, avec un crédit budgétaire spécial, sous la direc- tion du lieutenant d'artillerie coloniale Gauthé.

Par le fait, cette nouvelle transversale du versant Est se trou- vera dès cette année (2) ouverte au commerce dans des condi- tions, sinon définitives au point de vue de l'exécution et des ouvrages d'art, du moins absolument acquises comme tracé et déjà satisfaisantes comme exécution, ayant été établie sous la direction d'un officier technique.

Je crois que c'est la- seule transversale du versant Est qu'il faille envisager pour le moment comme route charretière.

Transversales du versant Ouest. Les instructions du Gouverneur général du 29 janvier 1901 ont ajourné l'étude des communications du plateau central avec le versant Ouest. Néan- moins, il convient d'indiquer ce que les circonstances et les nécessités du ravitaillement ont amené à faire déjà de ce côté.

A) De Tulear à lianohira, piste charretière praticable aux voi- tures Lefebvre exécutée jusqu'à Manera. Des reconnaissances ont été faites pour sa prolongation jusqu'à Ranohira. Elle pourra plus tard être prolongée jusqu'à Ihosy par la vallée du Hazo- fotsy, et d'Ihosy une coupure naturelle très caractéristique qui existe dans l'arête centrale de l'Ile donne dès maintenant une

(1) Page 303.

(2) 1902.

350 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

communication facile avec Ivohibé oii cette transversale rejoin- drait la route centrale.

Cette route a une importance spéciale; c'est le débouché naturel de Tulear vers le plateau central. On a trop insisté plus haut sur l'avenir de Tulear comme port d'exportation et sur la nécessité de lui ouvrir ses marchés naturels intérieurs pour y revenir ici. Il suffit de dire que celte considération et la facilité relative de l'exécution de cette route, commencée déjà sur un certain parcours, méritent de la placer dès maintenant en première urgence au même titre que celles de Mananjary et de Farafangana.

B) De Tulear à Bétroka par Tongobory et la vallée de l'Oni- lahy. Route déjà en partie charretière et praticable aux voi- tures Lefebvre, et par oii se fait le ravitaillement de Bétroka; tire son importance principale de ce qu'elle est, elle aussi, un affluent de Tulear.

Enfm, dans le cercle de Fort-Dauphin, un réseau de pistes charretières, dont le détail a été donné précédemment (1), par- tant de Fort-Dauphin, s'ouvre dès maintenant en éventail vers l'Ouest dans le pays Antandroy. Elles ont été établies dans la seule prévision du ravitaillement des postes et les voitures Le- febvre y circulent; mais elles pourront, dans un avenir plus ou moins lointain, se transformer en voies commerciales. Seule- ment, tout en tenant compte des services qu'elles rendent ac- tuellement, il ne faut pas s'illusionner sur leur valeur. Sauf aux abords immédiats de Fort-Dauphin, certains tronçons ont été construits avec soin, ce sont de simples pistes oii les tra- versées de passages difficiles n'ont été rendus praticables qu'avec le minimum de travaux et qu'il faudrait refaire pres- que entièrement et après de sérieuses études pour leur donner un caractère définitif. Il est vrai de dire que dans toute la région absolument plate de l'Androy, il ne pleut presque jamais, les routes emprunteront les pistes actuelles presque sans aucune modification. Du reste ces indications n'ont qu'un caractère général, car on a le temps d'y penser.

(1) Page 152.

CONCLUSIONS 351

*

En résumé, le réseau des voies de communications indispen- sable, mais suffisant d'abord, pour assurer la vie économique du Sud de Tlle peut être envisagé de la façon suivante :

Trois grandes transversales charretières de l'intérieur vers la côte, deux à l'Est, une à l'Ouest, aboutissant respectivement aux ports de Mananjary, Farafangana et Tuiear. A celles-là, qui sont les voies commerciales par excellence, doivent être donnés le premier effort et les crédits les plus importants.

Un éventail de chemins charretiers, d'un rayon assez limité d'ailleurs, assurant les communications entre le port de Fort- Dauphin et les parties Tanosy, c'est-à-dire les parties peuplées et cultivées du cercle. Quant à l'Androy, il y suffira longtemps des voies actuelles de ravitaillement.

Une route centrale reliant les terminus intérieurs des trans- versales : voie de circulation administrative et politique indis- pensable, .mais non commerciale, et à laquelle il convient de ne donner qu'un effort et des crédits très limités, sauf pour celles de ses parties qui se confondent avec les affluents côtiers.

Enfin, la voie côtière, chemin de fer de préférence, dont il a été parlé à l'exposé de la situation commerciale (1) destinée à constituer entre Sainte-Luce d'une part et Mananjary de l'au- tre le drain de la côte Est, c'est-à-dire de la partie la plus riche et la plus prospère. La route centrale se confondrait du reste avec cette voie sur le parcours Manantenina - Fort-Dau- phin.

II semble utile d'avoir ce programme général devant les yeux, de manière non seulement à bien savoir d'avance oîi porter les ressources en main-d'œuvre et en crédits, mais surtout pour empêcher les ressources de se disperser ailleurs, pour pré- venir les « emballements », les excès de zèle et les bonnes volontés irréfléchies, qui, perdant de vue les intérêts généraux

(1) Page 309.

352 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

pour des intérêts particuliers, s'engagent elles-mêmes ou font engager le pouvoir central dans des constructions de route aux- quelles l'on regrette ensuite d'avoir consacré des ressources qui eussent été mieux employées ailleurs. Tous ceux qui ont la pratique des colonies savent qu'il y a un écueil dont on ne saurait trop se garer.

VI

SERVICE DE SANTE ET ASSISTANCE MÉDICALE

Le service de santé dans le Sud est assuré par quatre for- mations : les infirmeries-ambulances de Fianarantsoa, Fara- fangana, Fort-Dauphin, Tulear.

A chacune d'elles. est attaché un médecin. Chaque province a en outre un médecin mobile dont les points d'attache sont :

Pour la province de Fianarantsoa, à Fianarantsoa;

Pour la province de Farafangana, à Ifandana;

Pour le cercle de Fort-Dauphin, à Ambovombé;

Pour le cercle de Tulear, à Tongobory.

En outre, deux médecins indigènes de colonisation à Fiana- rantsoa.

Le service de santé comprend deux services distincts, mais assurés par le même personnel : le service de santé propre- ment dit, relevant de l'autorité militaire, pour les soins à donner aux troupes et par extension aux fonctionnaires et employés de l'Etat; ses dépenses sont supportées par le budget colonial; le service médical de V assistance indigène, dont les dépenses sont supportées par le budget local.

L'un et l'autre sont assurés, sauf quelques exceptions, par les médecins du corps d'occupation.

Les médecins militaires des colonies ont donc un double rôle : celui de médecin des troupes, analogue à celui qu'ils remplis- sent dans toutes les garnisons, de plus en plus restreint à me- sure que les effectifs diminuent, que la pacification s'accentue

Madagascar.

354 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

et que les opérations militaires se font plus rares; et celui de médecin des indigènes, rôle de la plus haute portée sociale, humanitaire et économique. Tandis que le premier est soumis à des règlements rigides et à des procédés uniformes qui limi- tent son intérêt, le second laisse place à une initiative, à une variété de procédés, à un développement de la personnalité à peu près sans limites.

Service de santé.

L'ambulance de Fianaranlsoa, établie provisoirement de la façon la plus défectueuse dans l'ancienne résidence réservée à la reine, lors de ses voyages dans le Betsiléo, s'installe au cours de cette année 1902 dans le nouvel hôpital militaire con- struit avec le plus grand soin sur un vaste emplacement se trouve l'eau, à proximité de la ville.

La préoccupation qui a dominé dans le choix de l'emplace- ment et dans les dispositions adoptées a été d'assurer non seulement les conditions les plus favorables au point de vue technique, mais aussi de donner à l'établissement un caractèl'e riant, confortable et sympathique qui influe favorablement sur le moral des malades. La distribution de l'eau, le développe- ment des plantations permettent d'y aménager un véritable parc au milieu duquel les divers services seront disséminés en écar- tant autant que possible l'uniformité, l'aspect de prison ou de caserne qui caractérisent trop souvent les formations sanitaires.

En raison de sa situation sur le plateau central, de son cli- mat tempéré, des ressources qu'offre la ville, l'hôpital de Fia- narantsoa peut jouer le rôle d'un véritable sanatorium pour les troupes aussi bien que pour les employés et les particuliers éprouvés par le climat de la côte et de la région forestière.

A Farafangana, l'infirmerie-ambulance a été installée dans un immeuble acheté à la mission norvégienne, au bord de la mer, sur un emplacement particulièrement favorable, riant, bien aéré. Comme il n'y a pas de garnison à Farafangana ni dans la zone côtière, c'est surtout une formation d'évacuation pour les trou- pes stationnées dans l'hinterland de Farafangana, c'est-à-dire dans la zone forestière qui nécessite une occupation encore

CONCLUSIONS 355

assez nombreuse. Les malades évacués, ou bien rejoignent leurs postes après leur rétablissement, ou bien sont rapatriés direc- tement par le service maritime qui dessert Farafangana.

A Fort-Dauphin, l'ambulance est bien installée dans des lo- caux neufs et bien appropriés, sur un emplacement des mieux choisis, dominant la mer et battu de sa brise. Il y manque un pavillon de malades supplémentaires qui va être commencé, sur des crédits prévus.

A Tulêar, l'ambulance a aussi dès maintenant une installa- lion satisfaisante.

Assistance médicale.

Ainsi qu'on vient de le dire, le rôle des huit médecins du Sud n'est pas seulement militaire : il s'exerce au moins autant^ sinon plus, vis-à-vis de la population de près d'un million d'habitants qui habite le Sud. Si restreint, si dérisoire même que soit leur nombre, ils nous apportent un des moyens d'action les plus puissants et les plus bienfaisants sur les indigènes.

C'est à cet ordre de services que répond VAssistance mé- dicale.

Elle a été instituée et réglementée dans le Betsiléo en même temps qu'en Emyrne par l'arrêté du 17 mars 1901.

Son principe a été étendu aux autres provinces par la circu- laire du 27 septembre. 1901.

Mais dans la pratique, et dès avant cette réglementation, l'as- sistance médicale s'est exercée, dès le début de notre occupation, partout pénétraient nos médecins.

C'est une des institutions qui, dès le début, ont le plus vivement occupé l'attention du général Galliéni. En outre de sa portée humanitaire et sociale qui va de soi sans qu'il y ait lieu d'y insister, elle a à Madagascar une portée économique spéciale. Comme le dit le général Galliéni dans les premières instruc- tions qu'il a donnés sur cet objet : « En outre du devoir d'hu- manité qui nous incombe et de l'obligation de nous attacher nos nouveaux sujets, nous travaillons ainsi au développement de la race malgache. C'est une véritable nécessité qui s'im- pose à nous pour remédier au plus grave inconvénient que ren-

356 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

I

contrent à Madagascar les projets et entreprises de coloni- sation, c'est-à-dire au peu de densité de la population. »

Ce qu'il faut à Madagascar avant :tout, c'est la main-d'œu- vre. En fortifiant et en multipliant par une meilleure hygiène et un développement de la natalité, la main-d'œuvre actuelle, nous ne remplissons pas seulement un devoir social et moral, mais nous employons le meilleur moyen pour mettre l'Ile en valeur. Dès maintenant ce service a reçu à Madagascar un développement qu'il n'a, croyons-nous, encore atteint dans au cune autre colonie.

Il serait injuste d'ailleurs de méconnaître les efforts faits déjà dans cette voie avant notre occupation par les différentes missions religieuses, notamment en ce qui concerne les lé- proseries.

L'assistance médicale est organisée par province. Chaque pro- vince dispose d'un budget dit : « Budget de l'assistance médicale indigène » alimenté : par une subvention du budget local calculée à raison de 0 fr- 50 par an et par habitant; dans certaines provinces (le Betsiléo par exemple), par une taxe spé- ciale des léproseries, que double une subvention du budget local de même importance que le montant de la taxe; par des dons en nature ou en argent.

Dans chaque province ou cercle fonctionne une commission d'assistance médicale et d'hygiène présidée par le chef de la province ou du cercle et composée d'un médecin militaire, d'un fonctionnaire européen, du gouverneur principal indigène, d'un médecin indigène de colonisation et de notables indigènes nom- més par le chef de province.

Un hôpital indigène doit être établi au chef-lieu de chaque province. L'admission des indigènes aux hôpitaux, les consul- tations et les délivrances de médicaments sont gratuites, mais des salles spéciales peuvent être aménagées dans les hôpi- taux pour des malades payants.

Des contrats peuvent être passés avec des établissements de bienfaisance privés, qui reçoivent des malades moyennant paie- ment d'une subvention du budget provincial.

C'est ce qui a lieu pour la léproserie de Farafangana, créée par la mission lazariste, et à Tulear la mission luthérienne

séance de vaccination.

358 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

»

norvégienne prépare également la création d'une léproserie, l'Etat se dispensant alors sur ces deux points de créer des éta- blissements similaires.

Tout l'ensemble du service ainsi que les commissions régio- nales ressortent du comité central fonctionnant à Tananarive sous la direction du directeur du service de santé.

PROVINCE DE FIANARANTSOA

L'assistance médicale y fonctionne dès maintenant régulière- ment.

Elle est à proprement parler l'œuvre personnelle de M. le mé- decin-major de l""^ classe Beigneux, Depuis plus de deux ans, il s'y est voué tout entier. J'ai eu à maintes reprises l'occasion de rendre hommage à cette œuvre et de témoigner mon admiration pour le dévouement sans bornes et l'abnégation du docteur Bei- gneux, dont le nom est entouré d'un véritable prestige parmi toute la population du Betsiléo.

Elle mériterait une étude spéciale, qui ne peut trouver place ici, mais dont il faut souhaiter qu'il se fasse quelque jour une monographie.

Je me borne donc à un résumé des résultats obtenus en 1901 :

Entrées à l'hôpital : hommes 491, femmes et enfants 353. Total : 844.

Journées de traitement : hommes 16.947, femmes 7.993. To- tal : 24.940.

Consultations gratuites journalières : 61.051.

Vaccination. Chaque semaine, à l'ambulance, il y a une séance de vaccination. Chaque mois, une tournée faite par un médecin de colonisation. Les indigènes viennent en foule d'Âm- bohimahasoa et même de la région tanala d'Ikongo.

Il y a 98 p. 100 de réussites.

Le nombre des vaccinations s'est élevé à 109.431, soit presque un tiers de la population.

Maternité. Une salle de l'ambulance a été consacrée aux accouchements, dont beaucoup ont été l'objet de traitements an- tisyphilitiques.

CONCLUSIONS 359

C'est sur ce point que les résultats les plus considérables ont été atteints :

En 1900, le chiffre des avortements était de 20 p. 100;

En 1901, ce chiffre tombait à 6 p. 100.

Ce résultat offre un intérêt capital, puisqu'il influe directe- ment sur le chiffre de la natalité que nous avons tant d'intérêt a développer.

Les femmes viennent de plus en plus nombreuses et ont perdu ce sentiment de crainte si vivace encore dans les populations plus sauvages du Sud.

Il n'existe pas à Fianarantsoa de sages-femmes diplômées, quelques-unes ont fait un stage à l'hôpital établi avant notre arrivée par la mission anglaise de Londres. Il y aurait un réel intérêt à exiger des sages-femmes exerçant à Fianarantsoa, qui toutes sont des empiriques, un stage à la maternité de l'am- bulance.

Il y a une consultation spéciale pour les nourrissons de moins de 18 mois. Ils reçoivent à l'hôpital la quantité de lait dont ils ont besoin. L'énorme mortalité infantile vient surtout de ce que les enfants sont astreints trop tôt au régime du riz. Chez les enfants soignés à l'hôpital, on n'a relevé qu'une mortalité de 2,72 p. 100, tandis que dans la province la mortalité infantile est de 32 p. 100.

Orphelinats. Il est inutile de créer des orphelinats dans la province de Fiana/antsoa. Les indigènes adoptent très facile^ ment les enfants étrangers. Il suffît de les encourager dans cette voie. Actuellement on donne une prime de deux francs par mois par enfant assisté. Cette prime est donnée en nature (lambas, toiles, etc.).

Incurables. Dans le plan du futur hôpital indigène est prévu un pavillon de 6 places pour les aliénés.

Léproserie. Elle a été instituée par arrêté du 20 avril 1900, créée par M. l'administrateur en chef Besson, et a reçu en 1901 une très grande impulsion.

On a construit une infirmerie de 8 lits et une maison pour le surveillant, fait de nombreuses plantations d'arbres; chaque lé-

360 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

*

preux, en outre des rizières, a un jardin à lui oii il cultive des plantes vivrières et potagères.

En 1902, la léproserie comprendra 20 cases à 4 comparti- ments et 20 à 2 chambres, qui permettront d'y installer les 550 lépreux qui existent encore dans la province à l'état libre.

Il existe, en outre, trois léproseries créées par les différentes missions religieuses. La léproserie de la mission catholique avec 70 malades, la léproserie de la mission protestante anglaise avec 54 malades et la léproseriq de la mission luthérienne nor- végienne avec 30 malades (1).

Médecins de colonisation. Les deux médecins de colonisa- tion font surtout les tournées de vaccination.

Résultats obtenus. La mortalité générale a diminué d-e 15 p. 100.

Décès : en 1900, le chiffre des décès était de 45 p. 1.000; en 1901, ce chiffre est descendu à 30 p. 1.000.

Naissances : en 1900, le chiffre des naissances était de 30 p. 1.000; en 1901, ce chiffre est monté à 52 p. 1.000.

Les décès ont donc diminué d'un tiers et les naissances aug- menté d'un quart.

D'après ces données, si ces résultats se poursuivent, la po- pulation du Betsiléo doublerait en 30 ans.

L'hôpital indigène n'est encore installé que provisoirement et fort mal d'ans des locaux de fortune improvisés autour de l'in- firmerie-ambulance, en attendant l'achèvement de l'hôpital indi- gène. La construction de ce dernier vient d'être commencée avec les crédits fournis par le budget provincial de l'assistance mé- dicale sur un emplacement contigu à celui de l'hôpital militaire.

Il existe en outre, à Fianarantsoa, un hôpital dépendant de la Société des missionnaires de Londres. Son installation est très bonne, avec ce souci de confort et d'élégance que les Anglais apportent à toutes leurs constructions et que nous som- mes trop portés à négliger; aussi, bien que les ressources en personnel et en matériel y soient très inférieures à celles de

(1) Chiffres de 1901.

CONCLUSIONS 361

notre formation sanitaire et que la médication n'y soit pas gra- tuite, les indigènes de condition aisée, surtout les femmes, pré- fèrent-ils y aller. Il est à souhaiter que, dans le nouvel hôpital indigène, on donne satisfaction par des installations séparées, payantes s'il le faut, à ce désir de certaines classes d'éviter la promiscuité.

Dès que les crédits du budget provincial le permettront, il sera construit deux hôpitaux indigènes de moindre importance dans les deux gros centres ruraux du Betsiléo : Ambalavao et Ambohimahasoa.

PROVINCE DE FARAFANGANA

Le service de l'assistance médicale a été installé à Farafan- gana en 1901 par M. le docteur Kérandel.

11 comprend :

1" Un service de consultations gratuites, qui a réussi dès l'origine auprès des Hovas et des Betsiléos étabhs sur la côte, mais qui est bea.ucoup plus lent à faire accepter par les autres populations. Celles-ci, surtout en ce qui concerne les maladies à long traitement, d'effet non immédiat, conservent leur con- fiance dans le sorcier. Mais il sufïït de la cure heureuse d'un cas ditTicile pour établir l'influence du médecin européen. C'est ainsi que le docteur Kérandel, ayant réussi coup sur coup cinq opérations de la cataracte, a acquis une autorité qui lui a gagné la confiance des indigènes. La consultation indigène a mainte- nant environ 40 malades;

Un hôpital indigène, qui s'installe en 1902 avec un pa- villon d'hommes pour 10 lits et un pavillon de femmes pour S lits. Il sera doublé en 1903 et augmentera progressivement avec les ressources du budget provincial. Chez ces populations moins avancées que les Hovas et les Betsiléos, les débuts de l'hôpital ont rencontré des difficultés qui se présenteront souvent. Les sorciers ont cherché à en détourner les indigènes, répandant les bruits les plus terrifiants sur notre médication, nous prêtant des arrière-pensées hostiles aux indigènes, présentant l'hôpital comme une prison oii les gens seraient amenés clandestinement et de force;

362 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Un service de vaccination gratuite. Ce service, qui obtient de si grands résultats dans le Betsiléo, a trouvé ici une difTi- culté spéciale. Le vaccin préparé à Tananarive, et qui réussit parfaitement sur le plateau central, a généralement échoué. Rien n'est plus défavorable, au point de vue de notre action médicale sur les indigènes. Le fait s'étant produit sur plusieurs autres points de la côte, il a été reconnu que l'altération du vaccin était due à la grande différence de climat et de température; il y sera remédié au moyen d'une préparation spéciale à Diégo- Suarez du vaccin destiné aux régions côtières et chaudes;

Une léproserie créée en 1902, par la mission lazariste, à laquelle la colonie donne simplement une subvention de 60 francs par lépreux et par an. Au bout de quatre mois cette installa- tion, poursuivie avec la plus grande activité par le R. P. Lasne, comprenait déjà un village de 50 cases, contenant chacune 2 lépreux, soit 100 (1). Il sera étendu au fur et à mesure des res; sources que trouvera la mission, de manière, si possible, à hospitaliser les 2.000 lépreux environ que contient la province. Il est entouré de rizières et de terrains à mettre en culture, à exploiter par les malades, les lépreux y menant la vie libre, suivant le principe fixé pour tous ces établissements. Les soins leur sont donnés par deux religieuses dépendant de la mission lazariste, qui, en attendant d'avoir pu former des auxiliaires indigènes, donnent elles-mêmes tous les soins aux malades et assurent tout leur service.

Il restera à y adjoindre une maternité pour isoler les parents des enfants qui, parfois, naissent sains et peuvent le rester.

Le médecin de l'ambulance est le directeur technique de la lé- proserie, qu'il inspecte périodiquement.

Il n'a pu encore être envoyé de Tananarive, faute de sujets, aucun médecin indigène de colonisation. Il en faudrait quatre au moins à répartir dans les principaux centres, pour le ser- vice des vaccinations et des consultations journalières, sous la condition d'évacuer sur Farafangana les malades les plus sé- rieux.

Il serait de la plus haute importance également d'avoir des

(1) Mai 1902.

CONCLUSIONS 363

sages-femmes indigènes formées à Tananarive ou à Fianarant- soa. Dans la campagne que nous poursuivons pour développer la natalité et pour lutter contre la mortalité infantile, nous rencontrons un sérieux obstacle dans le crédit dont jouissent les <( matrones » auxquelles les indigènes laissent le privilège de soigner les femmes en couches. Ignorantes de tout soin de propreté, usant des procédés les plus défectueux, elles contri- buent largement à la stérilité des femmes et à la mortalité des enfants.

La province de Farafangana est celle du Sud l'organisa- tion de l'assistance médicale est la plus urgente. Elle est très populeuse, habitée par des populations prolifiques et laborieu- ses, qui fournissent une des meilleures mains-d'œuvre de l'Ile et peut devenir un véritable réservoir de travailleurs pour la côte Est. Il y a donc un réel intérêt à la développer encore en y répandant les soins médicaux et à y combattre énergiquement l'alcoolisme. Pour ce dernier point, M. l'administrateur Béné- vent a d'ailleurs provoqué une élévation de droits qui, en res- treignant la fabrication du toka ou rhum malgache, pourra atté- nuer ce fléau.

CERCLE DE FORT-DAUPHIN.

Le service de l'assistance médicale indigène prévu à partir du 1*' janvier 1902 comporte :

Un service de consultations gratuites auquel M. le docteur Mayer a donné une vive impulsion en 1901;

2" Un hôpital indigène de 25 lits pouvant être établi écono- miquement avec les matériaux de démolition des baraquements de Rova (1), auxquels doivent être substitués de nouveaux ca- sernements ;

S** Un service de vaccination gratuite;

4** Un village de lépreux pour une quinzaine de familles seu- lement, les lépreux étant rares dans la province.

L'organisation ne s'appliquera, pour le moment, qu'à la par-

(1) « Citadelle », en langue hova.

364 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

*

tie orientale de la province habitée par les Tanosy, qui sont les seuls assez accoutumés à notre contact pour que le médecin ait accès auprès d'eux.

La plupart des observations signalées pour la province de Farafangana s'appliquent également ici.

CERCLE DE TULEAR

Le service de l'assistance médicale prévu à partir du 1" jan- vier 1902 comporte :

Un service de consultations gratuites. Il fonctionne déjà largement sur l'initiative des médecins militaires qui se sont succédé, et son crédit parmi les indigènes a été favorisé par les cures heureuses de deux grands chefs, Impoinimerina et Rebiby, par M. le docteur Pin, à qui les indigènes ont dès lors donné toute leur confiance;

Deux hôpitaux, l'un à Tulear auprès de l'ambulance, l'autre à Ankazoabo, le centre important des Bara-Imamono;

Une léproserie pour laquelle des pourparlers sont engagés avec la mission luthérienne norvégienne, pouvant contenir en- viron une centaine de lépreux, c'est-à-dire la totalité de ceux de la province.

L'organisation ne s'appliquera pour le moment qu'à la ré- gion au Nord de l'Onilahy; deux médecins de colonisation sont nécessaires, l'un pour Tulear, l'autre pour Ankazoabo chez les Bara-Imamono.

* *

On voit, d'après ce qui précède, quelle différence de procédés il convient d'appliquer selon les populations si diverses elles- mêmes vis-à-vis desquelles on se trouve. Les unes, telles que les Betsiléos, d'état social relativement avancé, accoutumées à notre contact par l'action des missions chrétiennes établies dans le pays de longue date, sont toutes préparées à recevoir comme un bienfait le médecin et les mesures d'hygiène et de prophy-

CONCLUSIONS 365

laxie que nous introduisons chez elles; les autres, plus re- belles à ce qui vient de nous, inlluencées par leurs sorciers dé- tenteurs jusqu'ici du monopole de la médication, témoignent d'abord d'une grande méfiance à l'égard de nos médecins. Mais il suflTit de quelques cures heureuses, surtout si elles s'appli- quent à des cas dont le traitement leur a été jusque-là inconnu ou à des chefs influents, pour établir sur-le-champ le prestige du médecin et lui attirer la clientèle. Ici, comme toujours d'ail- leurs, prévaut essentiellement la question de personne. Les indigènes sont vite conquis par la bienveillance d'accueil, la sol- licitude, le zèle actif et surtout la patience du médecin qui se donne corps et âme à l'œuvre de l'assistance médicale. C'est, il faut le dire, l'immense majorité. On ne saurait trop rendre hommage à l'abnégation, au dévouement, au désintéressement que prodiguent les médecins coloniaux et qui font d'eux le plus souvent les agents les plus actifs et les plus efficaces de l'in- fluence française.

Il y a tel district, habité par des peuplades réfractaires à notre pénétration, mais ravagées par des maladies, oii le meil- leur chef administratif serait le médecin à la condition qu'il fût pénétré de sa mission jusqu'à l'apostolat et il rempla- cerait avantageusement aussi bien les fonctionnaires divers que les troupes d'occupation. Je me souviens qu'en 1898, ayant à pénétrer en pays Sakalava, chez des populations, absolument rebelles à notre domination, que décimait la variole, j'avais acquis la conviction que, si j'avais eu à ma disposition une escouade de médecins munis de bon vaccin, j'aurais pu épar- gner toute opération militaire, assuré de voir nos adversaires venir d'eux-mêmes rendre leurs armes à ceux qui leur eussent apporté le remède au mal qui les frappait.

A ces médecins coloniaux, il ne manque qu'une chose, le nombre. Ils ne suffisent pas à la tâche. Si je prends pour exem- ple les régions que je commandais, il en eût fallu le double pour y assurer le service d'une façon strictement suffisante :

Le Betsiléo avec deux médecins à Fianarantsoa exigerait deux médecins mobiles pour ses 320.000 habitants;

2* La province de Farafangana, qui en a près de 300.000, exigerait, avec un médecin mobile attaché à l'ambulance, deux autres médecins, l'un au Nord et l'autre au Sud de la Mananara;

366 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Le cercle de Fort-Dauphin exigerait un médecin destiné spécialement à pénétrer la population Antandroy, la plus sau- vage de l'Ile, dont il serait si important d'acquérir la confiance;

Le cercle de Tulear, avec sa vaste superficie, exigerait un médecin affecté aux Mahafaly qui sont à peu près dans les mêmes conditions que les Antandroy, un second pour la région si peuplée et si disposée à accepter notre direction au Nord de l'Onilahy, un autre pour l'hinterland, Bétroka et Ihosy.

C'est qu'en effet le rôle du médecin mobile perd toute effi- cacité s'il s'applique à une région telle qu'il ne puisse la visiter qu'une ou deux fois en un an, sans suivre les effets de sa mé- dication. L'inefficacité du trailement non suivi devient même souvent, dans ce cas, nuisible à son action. Son rôle n'est utile que s'il est affecté à une région assez restreinte pour qu'il puisse y exercer une action constante et y ramener à la petite formation sanitaire centrale qu'il y improvisera toujours, les malades qui ont besoin de soins suivis. Il lui faut un point d'atta- che et autour de lui un champ hmité au rayon d'action qu'il peut parcourir mensuellement. Ce n'est pas en se promenant toute l'année et en passant comme un météore qu'il peut laisser une trace durable.

De cette pénurie de médecins souffre toute la colonie et, on peut le dire, toutes les colonies. Cette situation provient en partie de l'idée qui préside encore trop souvent à la fixation de leurs effectifs. Ils sont calculés sur l'effectif des troupes, comme si le médecin colonial n'était qu'un médecin militaire et son service un service de garnison. Nous retrouvons ici en- core la tendance à ramener les choses coloniales au point de vue métropolitain, à spécialiser chaque service, à restreindre le rôle de chacun, tandis que la pratique des colonies enseigne si vite la nécessité d'y tirer de chaque agent européen tout le parti possible» sans s'arrêter aux considérations de galons et d'ha- bit. Spécialiser l'officier, l'administrateur, le médecin militaire, le médecin civil dans des attributions étroites dont il soit inter- dit à chacun de sortir, telle est le plus souvent la conception des bureaux, si contraire à la réalité des choses dans des pays il y a tout avantage à économiser le personnel, à diminuer les frais généraux, à tirer de chacun le maximum de rende- ment et oij, du reste, les maladies, les vacances, les mutations,

CONCLUSIONS 367

la pénurie de personnel obligent dans la pratique à sortir constamment de cette spécialisation. Il existe encore une école qui, de même qu'elle regarde comme une diminutio capitis pour l'officier le rôle d'administrateur, bien qu'il y ait pour lui un si vigoureux stimulant de toutes les facultés et un tel pallia- tif contre l'oisiveté, regarde comme une déchéance pour le mé- decin militaire le fait de sortir de la routine du service de gar- nison, réduit souvent aux colonies à si peu de chose, pour se consacrer à la médecine civile et surtout à la médecine indigène. Et pourtant, par la variété des cas, par la multiplicité des affec- tions, ce sont ces dernières qui, en fournissant aux médecins coloniaux le moyen de donner la plus grande extension à la pratique de leur art, leur assurent une supériorité à laquelle rendent hommage tous ceux qui connaissent ce corps d'élite. Cfttc conception de leur mission donne à celle-ci un intérêt, une portée sociale et humanitaire qui sont des stimulants dont on ne saurait méconnaître l'importance et qui ont une influence indéniable sur la valeur morale et intellectuelle de ceux qui l'ont ainsi comprise. Si donc, dans notre nouvel empire colonial, on reconnaît au médecin le rôle civilisateur et bienfaisant qui lui revient de droit, il importerait d'envisager une réforme qui en étende le cadre dans une proportion qu'on peut évaluer du simple au double.

Il faudrait, comme corollaire, augmenter dans les mêmes proportions le nombre des infirmiers français qui actuelle- ment est tout à fait insuffisant.

Je me permettrai toutefois une observation. Pour que le rôle du médecin ainsi entendu ait toute son efficacité, il faut lui laisser une large initiative, toute sa liberté d'action et une sta- biUté assurée dans sa région. Il y aurait, je crois, à cet égard, à modifier les errements actuels, communs du reste à toute l'ad- ministration française, en atténuant d'une part la rigueur de la centralisation au chef-lieu de la colonie oii doit être soumis et discuté chaque projet dans chacun de ses détails avant d'aboutir, d'autre part le développement de la « paperasse » administrative qui absorbe la majeure partie du temps du mé- decin attaché à une formation sanitaire au grand dommage de son service actif et, enfin, la fréquence des mutations si pré-

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

judiciables, surtout en des pays toute action sur les indi- gènes est exclusivement question de personne.

L'institution de médecins indigènes de colonisation formés à l'école de médecine à Tananarive complète de la façon la plus heureuse l'organisation de l'assistance médicale. Il est évi- dent qu'ils peuvent être les meilleurs intermédiaires entre les indigènes et nous; on en réclame partout et, lorsque leur recru- tement sera assez étendu, on en emploierait facilement dix dans le Sud. Toutefois, on me permettra de dire qu'il y a un écueil à éviter. Le général Galliéni a nettement défini leur rôle dans ses instructions sur l'assistance médicale : « Ils sont formés en vue d'un résultat immédiat, qui est, non pas de préparer des savants, des spécialistes, mais de former des praticiens complètement familiarisés avec les traitements et les soins qu'exigent les maladies ou affections courantes et pouvant en outre, dans les cas les plus graves, permettre d'attendre ou quelquefois de suppléer le médecin européen. ; )i Mais ces mé- decins se recrutent jusqu'ici et se recruteront longtemps eur core chez les Hovas. Ils ont les qualités de la race, l'intelli- gence et la faculté d'assimilation, mais aussi ses défauts, ses prétentions et son âpreté au gain. Répandus dans les provin- ces, ils se résignent mal au rôle d'auxiliaire modeste du méde- cin européen. Ils se targuent d'être de vrais docteurs qu'ils ne sont pas et cherchent parfois à se dérober à leur rôle subal- terne pour faire autant que possible de la clientèle payante. Au lieu des « affections courantes », ils sont attirés par les opérations graves et exceptionnelles qu'ils essaient parfois de pratiquer à l'insu du médecin européen. Ils sont très fiers de leurs broderies d'or, plus voyantes que les modestes galons de nos médecins. Peut-être y aurait-il intérêt à les ramener à un sens plus juste de la réalité, en atténuant leurs distinctions extérieures, mais surtout en trouvant pour les désigner un qua- lificatif intermédiaire entre celui de médecin (qui se transforme vite en celui de docteur) et celui d'infirmier, qualificatif qui ré- pondrait ainsi à leur véritable rôle, celui pour lequel ils ont été institués et dans lequel ils peuvent rendre de si éminents services (1).

(1) Voir à oe sujet la Bévue des Deux-Mondes du 15 mai 1902, Mma

CONCLUSIONS

3m

VU

ENSEIGNEMENT

Au moment de sa création, le commandement supérieur du Sud a été constitué en une circonscription scolaire spéciale. Un inspecteur de l'enseignement y a été affecté avec résidence à Fianarantsoa comme les autres chefs de service.

École officielle François de |lilab>

L'enseignement est officiel ou privé. Le premier est donné par des instituteurs indigènes formés dans les écoles de l'Etat, le second par des instituteurs indigènes formés dans les mis- sions des diverses confessions chrétiennes et aussi par les mis- sionnaires eux-mêmes.

Th. Bentzon, exposant l'intéressante organisation médicale établie dans la Petite-Russie, signale les médecins inférieurs, espèce d'officiers de santé portant le nom spécial de « feldshër », les distinguant nettement à la fois du vrai médecin et de l'infirmier.

Madagas'ar. 2*

370 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

Les deux enseignements sont régis par l'arrêté du 25 mars 1901, qui règle le fonctionnement de l'enseignement officiel ainsi que les rapports de l'Etat avec l'enseignement privé, en stipu- lant les conditions sous lesquelles ce dernier peut bénéficier de certaines subventions et de certains avantages.

JEnseâgncment orficiel.

L'enseignement officiel n'existe dans le Sud que dans les provinces du Betsiléo et de Farafangana. Il comprend : une école supérieure à Fianarantsoa, l'Ecole normale François de- Mahy, ayant comme personnel français un directeur, une directrice et deux adjointes; 34 écoles primaires dans le Betsi- léi et 4 écoles primaires dans la province de Farafangana, toutes dirigées par des instituteurs indigènes brevetés à l'Ecole François de Mahy.

L'Ecole normale François de Mahy, est installée depuis le 7 février 1902 dans des locaux définitifs, spacieux et appro- priés à leur destination, qui ont remplacé avantageusement les locaux provisoires elle avait été établie d'abord. Aux termes de l'arrêté qui a créé les écoles normales (3 en tout pour Mada- gascar), elle devrait comprendre: un cours normal destiné à former les instituteurs officiels; une section commerciale et administrative destinée à former des employés et des fonc- tionnaires indigènes; un jardin d'essais pour l'enseignement de l'agriculture et un atelier pour l'enseignement du travail manuel. Dans la pratique ne fonctionnent que le cours normal et le jardin d'essais, faute de personnel français disponible pour la section commerciale et pour l'atelier de travail manuel, bien que ces deux ordres d'enseignement soient ceux de la portée pratique la plus immédiate.

L'école comptait au l*' mai 1902:

181 garçons, dont 78 boursiers; 149 filles.

Elle comprend un ouvroir et une cuisine d'étude pour les filles. Ce n'est pas un établissement provincial : c'est, avant tout,

coNCLrsioxs 371

un établissement de diffusion de notre influence dans le Sud de l'Ile. C'est à cette idée que répond principalement l'institution des boursiers, qui ne sont pas seulement des élèves instituteurs, mais aussi et surtout des fils de chefs des peuplades Bara et Tanala destinés à succéder à leurs pères : tels le fils d'Inapaka, chef des Bara-Bé; le fils d'Isambo, chef des Bara d'Ivohibé; les fils de Raolèza, reine des Zafimarazaha de la vallée de l'Ito- manpy, etc. Avant mon départ j'appelais l'attention de l'inspec- teur de l'enseignement sur cette catégorie d'élèves dans les termes suivants:

L'institution des boursiers, en ce qui concerne ceux qui pro- viennent des régions à demi-sauvages, les plus récemment sou- mises, a une portée politique plus encore que professionnelle. Ils sont destinés à porter notre inlluence et les connaissances prises à notre contact parmi des populations encore très éloi- gnées de nous; ils doivent donc être l'objet de soins particu-- liers et même, de votre part, de relations personnelles qui vous gagneront leur confiance et leur amitié. Ces boursiers compren- nent deux catégories : a) les jeunes gens choisis en raison de leurs aptitudes pour devenir des instituteurs et des interprètes; b) les fils de chefs, qui succéderont à leurs pères comme gou- verneurs ou petits chefs dans des régions ces fonctions sont encore traditionnellement héréditaires. Vous comprenez l'in- térêt spécial avec lequel doivent être suivis ces derniers sur lesquels reposera un jour notre autorité dans leurs tribus. Lors même qu'ils ne sont pas intelligents et très appliqués au travail, ils ne doivent pas moins être l'objet de soins particu- liers. Il y a lieu, en ce qui les concerne, de vous tenir en relations avec les commandants de provinces et de secteurs dont ils re- lèvent. Ils vous feront connaître l'intérêt spécial qui s'attache à chacun d'eux, l'emploi auquel ils sont destinés à leur sortie de l'école. Il est essentiel surtout qu'aucun d'eux ne puisse quitter l'école à votre insu, sans être aussitôt signalé, car ils sont, dans une certaine mesure, des otages entre nos mains.

A Fort-Dauphin, dans le même ordre d'idées, le capitaine Dé- trie, commandant le cercle, avait eu l'idée heureuse d'attirer aux écoles, sous le nom de Pupilles du cercle, plusieurs fils de chefs entretenus aux frais de la colonie. Cette institution a été maintenue et développée par son successeur.

L'enseignement donné dans les écoles primaires est très fai- ble. Les instituteurs indigènes proviennent, comme on l'a vu,

372 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

de l'Ecole François de Mahy, qui en a breveté 26 en 1901. Ce nombre est peut-être trop considérable et la quantité a été obtenue aux dépens de la qualité. Il n'y en a guère qui soient capables d'enseigner le français avec un résultat pratique pour leurs élèves. Ils n'ont souvent conservé de leur enseignement pédagogique trop hâtif que des formules machinales. Dans ces conditions, non seulement ils ne servent à rien, mais ils offrent même un certain danger, parce qu'avec leurs galons, leur titre de fonctionnaire, leur jeunesse, l'absence de contrôle eu- ropéen immédiat, ils sont pleins de prétentions et portés à abuser de leur situation. Ils ne compensent pas par une influen- ce morale et sociale sur les enfants l'insuffisance de leur en- seignement pédagogique. On verra plus loin par quel procédé il semblerait possible de remédier à cette situation.

Enseignement privé.

L'enseignement privé est donné par les missions chrétiennes des diverses confessions qui sont:

Dans le Betsiléo:

Les jésuites,

Les frères de la Doctrine chrétienne.

Les sœurs de Saint-Joseph de Cluny Fianarantsoa-ville),

La mission protestante française,

La « London Missionnary Society »,

La mission luthérienne norvégienne;

Dans les provinces de Farafangana, de Fort-Dauphin et de Tulear :

Les missionnaires lazaristes,

Les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul Fort-Dauphin-ville),

La mission luthérienne norvégienne.

Les missions du Betsiléo ont à Fianarantsoa des écoles nor- males où elles forment leurs instituteurs, qu'elles présentent à l'examen annuel officiel pour le brevet. Elles y ont des ateliers professionnels, des jardins d'études et pour les filles des ou- vroirs et des écoles maternelles oii, sous la direction soit des

CONCLUSIONS

373

sœurs, soit des femmes de missionnaires, s'obtiennent des ré- sultats très remarquables et se forment de bonnes ménagères. De même, à Fort-Dauphin, la mission lazariste a un atelier professionnel s'exécutent avec les bois précieux du pays des travaux très intéressants et qui fournit des meubles à tous les Européens de la région. Les sœurs et les dames des mis- sions norvégiennes y ont également des ouvroirs qui donnent de très bons résultats.

École de la mission lazariste de foPt-Daapbln.

Les écoles rurales, sauf dans les localités réside un mis- sionnaire qui le plus souvent fait lui-même la classe, sont très faibles comme enseignement. Toutefois, grâce à l'action du missionnaire qui rayonne constamment dans son district, elles bénéficient d'un certain contrôle et d'une surveillance mo- rale.

374 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

* *

Depuis notre arrivée dans le Sud, la question de l'enseigne- ment a passé par une période de tâtonnements et d'expéri- mentation assez prolongée pour qu'on puisse aujourd'hui en tirer des conclusions.

Je crois, pour ma part, qu'il y a certaines modifications à apporter au système actuel. Il semble que l'essentiel, mainte- nant que rexpérienc(î a fourni des données suffisantes, est de bien préciser le but à atteindre, de limiter l'effort, afin de le rendre plus efficace, et de profiter de ce qu'il existe sur place un enseignement privé fortement constitué pour attribuer res- pectivement à cet enseignement et à celui de l'Etat deux rôles bien distincts, de façon qu'ils se complètent au lieu de se faire concurrence.

Les principes à adopter pour l'enseignement dans le Sud pourraient se résumer dans les termes suivants :

L'enseignement supérieur à VEtat, renseignement primaire aux missions.

Restreindre Vensei£inement du français comme degré d'in- struction et comme nombre d'élèves au strict nécessaire pour former les interprètes, employés de VEtat, fonctionnaires; main- tenir l'enseignement du malgache et développer dans toute la mesure du possible l'enseignement professionnel et agricole.

Ce que demande le Sud avant tout, il ne faut le perdre de vue à aucun prix, c'est de la main-d'œuvre, main-d'œuvre agricole d'abord, main-d'œuvre ouvrière, et non pas des fonctionnaires et des lettrés. La population qui domine dans les écoles, qui y prime et qui est appelée à nous rendre les plus grands ser- vices pour la mise en valeur agricole et industrielle de l'Ile, les Hovas, n'est déjà que trop naturellement portée au mandarinat.

L'enseignement primaire aux missions, ai-je dit, mais la for- mule n'est pas absolue. Il est évident que, dans les régions les missions ne sont pas établies, c'est à l'enseignement officiel qu'il faut avoir recours. Il devrait donc continuer à préparer des instituteurs primaires, non plus en nombre illimité, « à la

CONCLUSIONS 375

grosse » pour ainsi dire, mais seulement dans la proportion des besoins. Dans ces conditions, il sera possible d'être plus exi- geant pour la délivrance du brevet et de faire prédominer la qualité sur la quantité. Mais dans les régions, qui sont les plus nombreuses et les plus populeuses, sont établies les missions, l'enseignement primaire oflTiciel devient une super- fétation inutile et onéreuse. Nous devons être trop heureux d'a- voir là un personnel tout formé, acclimaté au pays, en connais- sant parfaitement la langue et les mœurs, offrant toute garantie au point de vue de l'honorabilité et du dévouement. Il est évi- dent qu'il faut alors le subventionner largement; c'est ce que font les Anglais dans presque toutes leurs possessions, mais si larges que soient les subventions, elles ne représentent jamais qu'une part minime de ce que coûterait un personnel similaire d'instituteurs officiels européens en soldes, indemnités, trans- ports et constructions. La plupart des missionnaires sont fixés dans le pays sans esprit de retour, ont peu de besoins, vivent simplement. Il est impossible d'en exiger autant des institu- teurs français et de leurs familles, dont les mutations, le rapa- triement et les installations ne se font qu'à grands frais. Il faut considérer, du reste, qu'au point de vue de la neutralité con- fessionnelle et de la liberté religieuse, nous sommes ici dans des conditions particulièrement favorables puisque nous som- mes en présence d'une telle diversité de confessions que les indigènes n'ont que l'embarras du choix et restent entièrement maîtres d'aller à l'une ou à l'autre. L'Etat peut donc sans in- convénient leur abandonner l'enseignement primaire, certain que leurs influences se contrebalanceront et que leur rivalité sera la meilleure des garanties contre la prépondérance abusive de l'une d'elles.

Si l'on objecte la faiblesse relative de l'enseignement pédago- gique généralement donné par les missions, j'oserais dire que c'est peut-être précisément qu'est leur avantage. Le petit bagage de français et de connaissances générales qu'elles don- neront à leurs élèves est bien probablement tout ce qu'il leur faut de longtemps, et l'enseignement officiel, comme nous le verrons tout à l'heure, sera toujours pour donner une in- struction intensive à un aussi grand nombre d'apprentis fonc- tionnaires et employés qu'il sera nécessaire. Par contre, avec

376

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

les missions, la stabilité de leurs membres, leur connaissance des indigènes, on sera assuré d'une direction morale et sociale qui n'est pas à dédaigner. Quant à l'enseignement profession- nel et agricole, auquel il importe tant de donner autant d'in- tensité que possible, les missions sont toutes disposées et pré- parées à entrer dans cette voie.

École matevnelle pfotestante française à flaoavantsoa.

L'enseignement primaire ainsi conçu, avec des visées moins ambitieuses qu'aujourd'hui, éviterait un grave péril, déjà me- naçant : la formation d'une population de déclassés auxquels on ne pourrait donner d'emplois, et toute préparée à former une classe de mécontents et de besogneux. Dans le même ordre d'idées, nous avons pu constater dans le Sud combien il importe d'être très réservé à l'égard de l'envoi des indigènes dans les écoles de France. Ni les discours', que tiennent ceux qui en re- viennent, ni les lettres qu'écrivent à leurs amis de Madagascar ceux qui s'y trouvent ne sont favorables à notre autorité.

Il est évident que cette conception de l'enseignement a pour condition expresse le loyalisme absolu des missions. Il est su-

CONCLUSIONS 377

perflu de dire que celui des missions françaises, de quelque con- fession qu'elles soient, est sans réserve. Les membres euro- péens des missions étrangères s'efforcent, il faut le reconnaître, de nous donner toute garantie à cet égard : plusieurs d'entre elles ont même adjoint des instituteurs français à leurs princi- pales écoles. Toutefois, il est impossible de méconnaître qu'il subsiste, chez certains adhérents indigènes des missions an- glaises dans le Sud, un souvenir des anciennes rivalités et une tendance à accueillir les bruits défavorables à notre domination, îl n'y a pas de question confessionnelle, mais une question purement politique. La preuve en est que les adhérents indigènes des missions protestantes norvégiennes ne nous donnent pas la même préoccupation. Les indigènes savent parfaitement d'une manière générale que la France et l'Angleterre se sont trouvées en rivalité fréquente, qu'il y a eu entre les deux nations lutte d'influence pour la suprématie à Madagascar; quelque loyaux que soient à notre égard les nationaux anglais établis dans l'Ile, il leur est impossible d'empêcher que les mécontents, tous ceux qui pensent qu'ils trouveraient profit à un changement de do- mination, ne tournent instinctivement les yeux de leur côté. Celte disposition se trouve notamment parmi ce qui subsiste de l'ancien parti Hova, qui avait subi à un si haut degré l'em- preinte anglaise, et dont il y a des représentants sur presque tous les points de l'Ile. Il n'y a pas lieu d'insister ici sur cette question : il sufTit, du reste, pour parer à tout péril, que l'Etat exerce constamment le contrôle qui lui revient et use de fermeté à l'égard de tout établissement dont l'influence prendrait un caractère hostile à notre autorité.

Quant à l'enseignement ofTiciel, le rôle à lui réserver est au- trement important que celui qui lui reviendrait en cherchant à y développer avec intensité l'enseignement primaire.

C'est avant tout un rôle d'inspection et de modèle. Il faudrait l'envisager comme le régulateur, le stimulant des divers ensei- gnements privés et non pas comme leur concurrence.

Il semble qu'en principe il ne devrait avoir que des écoles normales; les écoles primaires ne seraient que des exceptions pour les régions qui échappent à l'action des missions, dans

378 DAXS LE SUD DE MADAGASCAE

*

la mesure toutefois l'on jugerait utile d'y introduire l'ensei- gnement.

Dans ces écoles normales, formant, comme le spécifie l'arrêté du 25 mars 1901 (chapitre III du titre II), le degré supérieur de l'enseignement, la prépondérance serait donnée à la section commerciale et administrative et à l'enseignement professionnel manuel.

La section commerciale et administrative, destinée à former des employés des divers services de l'Etat, télégraphie, topo- graphie, comptabilité, etc., des agents pour les maisons eu- ropéennes, serait constituée avec une supériorité d'enseigne- ment pratique qui y attire, au sortir de l'enseignement pri- maire, les meilleures élèves des missions.

Pour les sections de l'enseignement professionnel et agricole prévues par l'arrêté du 25 mars 1901 sous le nom d' « écoles ré- gionales », l'Etat possède comme personnel, notamment parmi le personnel formé au génie et parmi les ouvriers régimen- taires libérés, et comme matériel, les ressources qui manquent aux missions.

Réorganisée sur ces bases dans le Sud, l'école François de Mahy, de Fianarantsoa, serait réellement une école de l'ensei- gnement supérieur spécial, tandis qu'elle est en réalité surtout encore une école primaire. En prévoyant pour l'avenir une école de même ordre à Tulear pour les populations de l'Extrême- Sud, la part de l'Etat serait suffisante.

Dans ces conditions restreintes, il serait possible alors de con- stituer les écoles officielles d'une façon solide et pratique, de recruter pour ces établissements peu nombreux et d'un rôle bien défini un personnel de premier ordre. C'est ainsi seulement que l'enseignement officiel serait en mesure d'exercer dans toute sa plénitude son double rôle vis-à-vis de l'enseignement privé : celui de modèle régulateur donnant dans ses écoles un exemple des méthodes les plus pratiques et les plus modernes dont les écoles privées pourraient constamment s'inspirer et oij elles trouveraient un stimulant qui les empêchât de se main- tenir dans des routines surannées; celui d'inspection, ses re- présentants ayant comme mission, ainsi qu'il a heu dans les possessions anglaises, d'inspecter les écoles privées, d'en con- trôler le fonctionnement, de fournir à l'autorité les éléments

CONCLUSIONS 379

nécessaires pour lixer le chiffre des subventions et pour clas- ser les écoles dans les catégories donnant droit à certains avantages, prévues par l'arrêté du 25 mars 1901, mais se gardant toutefois de les pousser dans une voie pédagogique uniforme, y encourageant la prédominance du travail manuel et n'exprimant pas le regret, comme j'ai vu le fait se produire, que, dans une école de filles, l'enseignement du français et de la géographie ne soit pas aussi développé que l'enseigne- ment de la couture et des soins du ménage.

On comprend quelle qualité de choix un tel rôle exige de ceux qui en sont chargés. Il ne faut pas que le contrôleur soit trop notoirement inférieur au contrôlé. L'enseignement privé pos- sède à sa tête, dans chacune des missions, des hommes distingués par leur valeur intellectuelle, leur expérience, la haute dignité de leur vie : ces qualités doivent se retrouver au même degré chez ceux qui ont charge de contrôler leur action. Ce n'est évidemment qu'en se limitant à un petit nombre d'agents, mais alors de premier choix, qu'on peut espérer trouver ces qualités à un degré tel que l'organisme officiel, son personnel, l'ensei- gnement qu'il donne, apparaissent, aux yeux des indigènes aussi bien qu'aux yeux des Européens, avec la supériorité qui doit le caractériser.

VIII

POLITIQUE INDIGÈNE

Quand on va de Fianarantsoa à Fort-Dauphin, il semble, au cours de cette marche de 500 kilomètres, qu'on voit s'étager devant soi, comme en une coupe géologique, tous les âges de l'histoire.

A Fianarantsoa, le nombreux groupement Hova établi dans le Betsiléo en est, par le costume, l'habitation, et aussi par l'as- similabilité intellectuelle et l'instruction, au degré le plus avancé de la civilisation moderne. Quelques-uns sont déjà des bour- geois de France.

380 DANS LE SrD DE MADAGASCAR

Les Betsiléo eux-mêmes nous présentent une race rurale très voisine de certaines des nôtres; les petites métairies iso- lées, nommées X)a\as, qu'ils préfèrent au groupement par vil- lages et qui sèment la campagne, entourées de jardins, de haies fleuries, de champs de pommes de terre et de maïs, évoquent tels aspects du Perche et de la Bretagne.

En descendant au Sud nous trouvons les Bara. Ici nous remontons dix siècles. Nous sommes chez des féodaux. La haute caste des Zafimanély délient héréditairement l'influence et le pouvoir : ses représentants maintiennent jalousement leurs liens de parenté et leurs traditions. Le chef vit sur son fief, au milieu de sa nombreuse clientèle, ne marche qu'entouré de ses guer- riers, à qui, hélas! nous ne laissons que le bâton en place du fusil et de la noble sagaie, au grand profit de la paix sociale, au grand dommage du pittoresque. C'est entouré de l'appareil d'un seigneur du xir siècle, de plusieurs centaines d'hommes, de serviteurs, qu'lmpoinimerina est venu, en juillet 1901, saluer à Tulear, le général Galliéni.

Remontant les hautes vallées de la zone forestière, nous voici chez les Tanala, chez les Andrabé. Nouveau bond en arrière. A mon premier kabary, à Midongy, j'étais en pleine Iliade; les tribus étaient venues de loin amenées par leurs chefs. Assis en demi-cercle sur les vastes glacis du poste, les groupes étaient massés, en rangs profonds, chacun derrière son roi, ainsi qu'on les désigne encore couramment. Ceux-ci parlèrent tour à tour, déroulant leurs périodes nombreuses et imagées, amples dans leurs gestes, orateurs nés. Dès que l'un avait dit, il se ras- seyait après avoir jeté sur son peuple un regard circulaire, le suivant se levait et il convenait de laisser cours à ces élo- quences royales : leur prestige en dépendait; chacun des dis- cours était scandé par le murmure approbateur du peuple, par le frémissement des sagaies dont les fers brillaient au- dessus des têtes. Les jeux suivirent; les hommes joutant de la sagaie, couverts du bouclier; les adolescents luttant, nus, corps à corps; les femmes, frappant des mains, encourageaient de leurs gestes et de leurs chants. Et quand, selon la coutume, furent apportés les présents d'hommage, les deux jeunes hom- mes conduisant un taureau, leur lamba ramené sur le bas du

CONCLUSIONS 381

visage, évoquèrent brusquement à mon souvenir la frise des Panathénées.

Enfln, à l'Extrême-Sud de l'Ile, près du cap Sainte-Marie, chez les Antandroy, nous sommes aux âges préhistoriques. l'organisation sociale la plus rudimentaire : aucun indice de civilisation. Les groupes, à l'état anarchique, guerroient sans cesse pour la possession des troupeaux à laquelle ils attachent un prix superstitieux, n'en trafiquant pas. Ils vivent sans be- soins, dans des huttes informes, dissimulées derrière d'impéné- trables murailles d'euphorbes et de cactus, ignorant l'usage de la monnaie, insoucieux de tout perfectionnement. Gomme jeux, des danses sauvages, oiî les hommes, les bras enlacés sur plusieurs rangs de profondeur, frappent la terre du pied au rythme d'un air rude et monotone.

Ce rapide tableau suffit à faire comprendre combien il se- rait impossible et absurde de prétendre enfermer dans une for- mule uniforme une telle diversité de races. Je ne crois pas, en effet, qu'il y ait d'autre exemple de plus profondes divergences d'état social sur un espace aussi restreint. Nulle part donc ne s'impose davantage la nécessité d'une politique indigène. « Po- litique indigène la définit M. Chailley-Bert (1) veut dire une politique qui reconnaît des différences de race, de génie, d'aspirations et de besoins entre les habitants indigènes d'une possession et leurs maîtres européens et qui conclut de ces différences à la nécessité de différences dans les institutions. »

C'est bien l'idée fondamentale qui a toujours guidé le géné- ral Galliéni et dont il s'est inspiré en posant le principe de la politique de races. Il l'a rappelé à toute occasion et récemment encore dans ses dernières instructions générales du 25 février 1902. Il semblerait donc que sous un tel chef rien ne fût plus facile que de l'appliquer, mais il est une chose, malheureuse- ment, contre laquelle aucune bonne volonté ne peut prévaloir, ce sont nos institutions, c'est ce dogme rigide qui exige, aussi- tôt qu'une terre est déclarée terre française, que tout l'arsenal

(1) Dix années de politique coloniale, chapitre IV, page 45.

382 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

*

de nos lois, de nos règlements administratifs, de notre justice, de notre comptablilité, y soit transporté.

Ce n'est pas ici le lieu de discuter les mérites respectifs des deux systèmes du protectorat et de l'annexion. Quels que soient les avantages du premier si souple, si économique et si fécond, il faut reconnaître, néanmoins, qu'il est des cas les nécessités internationales imposent l'annexion. Mais, parce que l'obligation d'être le maître chez soi force parfois à rem- plir cette formalité, faut-il i^so facto qu'elle ait comme dernier aboutissement la création de nouveaux départements? Notre con- stitution, notre législation sont-elles assez intangibles pour ne pas permettre de concevoir un système où, sous le drapeau fran- çais, des possessions aussi nombreuses et aussi diverses, et dans chaque possession des régions aussi profondément sé- parées les unes des autres que celles que nous venons de par- courir, recevraient chacune la formule qui convient à son état social? Peut-on prétendre enfermer dans le même moule (et quel moule rigide!) l'homme des cavernes, le compagnon d'Ulysse, le chef féodal et le lettré Hova pourvu de ses brevets scolaires? Non, et c'est pourquoi il est essentiel, dès lors que le protec- torat n'a pu être nominalement maintenu, de continuer à faire « de la politique et de l'administration de protectorat ».

Faire de la politique et de l'administration de protectorat signifie : maintenir le plus possible dans leur intégrité les roua- ges indigènes, les institutions, les usages; utiliser les chefs tra- ditionnels, leur laisser l'exercice direct de la police, de l'admi- nistration, de la justice même, de la perception de l'impôt, sous le simple contrôle d'un seul agent résidant auprès du chef. C'est par cet agent, en contact permanent avec le chef indigène, que s'ouvrira progressivement l'horizon de ce dernier, et par lui celui de son peuple; c'est par son intermédiaire que nous fe- rons pénétrer peu à peu nos idées de justice, d'humanité et de progrès, c'est-à-dire notre intervention dans ce qu'elle a de bienfaisant et de légitime, à l'exclusion de ce qu'elle a de tra- cassier et d'insupportable pour des populations dont elle trou- ble toutes les coutumes et toutes les traditions. Ce régime a deux caractéristiques qui devraient le rendre indiscutable : il est le seul conforme à la réalité des situations; il est le plus éco- nomique.

CONCLUSIONS 383

*%

On a vu, au début de ces pages (1), les premiers essais tentés dans ce sens, par le commandant Lucciardi, dans le cer- cle de Tulear, chez les Bara-Imamono et les Tanosy.

Un premier obstacle s'opposait à leur extension aux autres cercles, la législation en vigueur. Une série d'arrêtés de 1899 et de 1900, calqués sur ceux régissant l'Emyme, avaient réglé minutieusement l'organisation du personnel administratif indi- gène des provinces du Sud, sa hiérarchie, son avancement, le temps minimum à passer dans chaque grade et dans chaque classe. On comprend que, dans ces conditions, il était difficile de faire pratiquement de l'administration basée sur les tradi- tions locales. A la mort d'Impoinimerina, chef des Bara-Ima- mono, par exemple, faire débuter son lils comme chef de canton de quatrième classe à la solde annuelle de 180 francs, avec l'obligation pour lui de rester ensuite deux ans dans chaque classe de chaque grade avant d'être promu à l'échelon supérieur pour n'arriver qu'au bout de longues années au som- met de la hiérarchie, c'était s'interdire de donner comme suc- cesseur à son père celui auquel seul les indigènes reconnais- saient l'autorité traditionnelle; c'était s'interdire dans tous les autres cas de prendre comme chefs les plus dignes de com- mander et se mettre aux mains d'une hiérarchie de fonction- naires sans racines locales, absolument inadéquate à l'état social du Sud.

Sur ma demande, le Gouverneur général voulut bien rappor- ter tous ces arrêtés et les remplacer par un document unique (18 septembre 1901), laissant à l'organisation administrative in- digène du Sud une extrême élasticité et contenant notamment les deux articles fondamentaux suivants :

Article V. Les nominations peuvent être faites directe- ment au grade, soit de gouverneur principal, soit de gouverneur, soit de sous-gouverneur, sans que le passage par le grade infé-

(1) Pages 36 et suivantes.

384 DANS LE SUD DE MADAGASCAE

rieur soit nécessaire, irmis la première nomination ne peut se faire que dans la dernière classe du grade.

Article VI. Les groupements susceptibles d'une organi- sation en protectorat intérieur recevront l'appellation de tribus autonomes et seront constitués^ sur la proposition du chef de province et du commandant supérieur, par arrêté du Gouver- neur général.

Le premier de ces articles, jetant par-dessus bord le forma- lisme des lents avancements hiérarchiques, donnait la lati- tude de placer directement à la tête de chaque groupement, dans un rang conforme à sa situation, son chef naturel. La condition de ne nommer d'abord qu'à la classe inférieure de chaque grade ceux-ci n'en comportant d'ailleurs que trois présentait l'avantage de laisser un stimulant pour récompenser les ser- vices ultérieurs.

Le second article, enfin et surtout, consacrait le principe des protectorats intérieurs.

Le Gouverneur général, en promulguant cet arrêté, avait bien voulu le faire précéder de l'exposé des motifs que je lui avais adressé et que je demande la permission de reproduire en par- tie, à cause des principes qu'il pose.

((

. . . .Les populations (1) des régions qui forment mon commande- ment sont extrêmement diverses au point de vue de la race, des mœurs, des traditions, de l'état social et du degré de civilisa- tion.

Sauf les groupes de race Betsiléo, accoutumés depuis long- temps déjà à une organisation hiérarchisée, ayant atteint un degré d'instruction qui y permet le recrutement réguher des fonctionnaires indigènes, les autres groupes de populations, Tanala, Bara, Antandroy, Mahafaly, etc., sont loin de remplir les mêmes conditions.

... La plupart de ces populations vivent traditionnellement en tribus ou clans, l'autorité ne peut être utilement exercée que par les chefs naturels, souvent même héréditairement dans une même famille.

J'estime, en m'inspirant essentiellement de la politique de races que vous nous avez toujours recommandé d'appliquer

(1) Journal officiel de Madagascar du S octobre 1901.

CONCLUSIONS 385

dans la plus large mesure, qu'il importe au plus haut point de conserver à notre profit le bénéfice de cette situation. Elle nous permet, en effet, d'exercer d'un manière sine et simple notre administration par l'intermédiaire des chefs naturels.

Dans certains cas même, ces groupes de populations se trou- vent assez importants, l'autorité de leur chef traditionnel est suffisamment établie et nous offre assez de garanties, comme il a lieu chez les Bara-Imamono, pour donner à ces groupes une autonomie relative, qui en fait une sorte de protectorat intérieur sous le contrôle d'un fonctionnaire résident.

Je n'ai pas besoin d'insister sur les avantages qui résultent de telles organisations au point de vue de la simplification de l'administration et de l'économie du personnel européen.

Dans ces conditions, il est indispensable, en cas de décès, de mutation ou de nouvelle création, de pouvoir donner immédia- tement l'autorité légale à celui qui en est naturellement investi ainsi qu'une situation conforme à l'importance de son comman- dement, sans être lié par des règles strictes de hiérarchie ou par des conditions d'avancement.

Dans la province même du Betsiléo, j'ai été amené à consta- ter que les districts de population Tanala et Sakalave ne peu- vent être administrés par les mêmes règles que les districts du Haut-13etsiléo et rentrent dans les conditions qui viennent d'être énoncées.

En conséquence, j'ai l'honneur de proposer à votre signature un arrêté qui sanctionnera les principes que je viens de vous exposer »

Grâce à ces dispositions un certain nombre de groupements purent être reconstitués avec leurs chefs naturels. A cet égard, le Sud se divise en deux zones. L'une comprend les régions déjà organisées ou susceptibles d'être organisées 'progressi- vement en tribus autonomes et l'autre les régions l'extrême division des groupements ne permet pas, pour le moment du moins, d'envisager encore cette organisation.

D'une manière générale, les premières sont au centre et à l'Ouest, les secondes à l'Est et au Sud.

D'un côté, on effet, se sont trouvés des groupements impor- tants obéissant traditionnellement à un chef unique, soit héré- ditaire, soit élu. De l'autre, nous n'avons trouvé encore qu'une poussière de tribus. Dans la province de Farafangana, elles sont jusqu'ici non seulement réfractaires à s'agglomérer en grou- pes compacts, mais encore dans la même région, dans le même district, divisées elles-mêmes en plusieurs castes auxquelles il

Madagascar. 2B

DANS LE SUD DE MADAGASCAR

faut donner des chefs distincts si l'on veut avoir des intermé- diaires qui se fassent obéir.

Au point de vue de la race, et en négligeant les sous-divi- sions, la zone d'organisation féodale correspond aux Bara d'aboi'd, puis aux Tanosy, aux Sakalaves-Masikoro et aux Ma- hafaly.

Les Bara ont déjà pu être groupés sous un très petit nombre de chefs :

Isambo, chez les Bara de l'Est;

Inapaka, chez les Bara-Bé;

Mahavory, chez les Bara-Vinda,

Et surtout Impoinimérina, chez les Bara-Imamono.

Comme on l'a dit plus haut (1), il est probable que si, à l'ori- gnie de notre occupation, la situation eût été mieux connue, on eût pu réunir en un seul bloc tous les groupes Bara sans ex- ception, depuis riantara à l'Est jusqu'aux Masikoro à l'Ouest et depuis le Betsiléo au Nord jusqu'à la chaîne de partage au Sud, sous l'autorité d'un seul chef de la caste Zafimanely. Au- jourd'hui, il est difTicile de revenir sur des situations person- nelles que nous avons créées; néanmoins, il serait de bonne politique de se proposer comme but d'arriver à agglomérer tous les Bara de l'Ouest, sous la seule autorité d'Impoinimerina. Mahavory, chef des Bara-Vinda, est vieux; Inapaka, chef des Bara-Bé, n'est pas sûr (2), l'occasion se présentera donc de ne pas leuc donner de successeurs.

Il en ira de même chez les Mahafaly, actuellement divisés entre quatre chefs : Tsibasy, Voriandro, Tsiverenga, Tsiampon- dy. Ce dernier, comme on l'a vu, est de beaucoup le plus impor- tant. La soumission récente des derniers groupes dissidents sem- ble l'avoir définitivement mis en main. Voriandro est vieux et disparaîtra bientôt. Tsibasy et Tsiverenga n'ont pas toujours eu une attitude bien nette et reconnaissent d'ailleurs la supré- matie de Tsiampondy. Il peut ne pas être diflTicile d'arriver à un groupement unique. On pourrait donc concevoir, dans un

(1) Page 41.

(2) Depuis lors, Inapaka a fait une tentative de soulèvement à la suite de laquelle il a été révoqué et transporté dans une autre région.

CONCLUSIONS 387

avenir prochain, la vaste province de Tulear tout entière con- stituée en quatre grands groupements indigènes seulement, ho- mogènes et compacts, de races et de traditions distinctes (1) :

Les Bara sous Impoinimerina ;

Les Masikoro sous Rebiby ;

Les Tanosy sous Befltory;

Les Mahafaly sous Tsiampondy.

Auprès de chacun d'eux, un seul agent français comme guide et conmie contrôleur, c'est-à-dire une notable économie de per- sonnel européen.

A l'Est, deux groupements seulement de quelque importance ont pu jusqu'ici être constitués : Les Bara d'Ivohibé sous Isambo ; Les Zafimarazalm sous la reine iîaoleza.

Il ne semble pourtant pas impossible, malgré l'extrême mor- cellement des tribus tel qu'il nous apparaît actuellement, qu'une plus complète connaissance du pays, une patiente observation nous fassent retrouver aussi des influences prépondérantes naturelles, permettant d'agglomérer quelques-uns des trop nom- breux groupements actuels, (^est du moins le but à se pro- poser alin de sortir d'une situation qui exige une administration directe et une ingérence dans le détail abusive et onéreuse.

Quant aux Antandroy de l'Extrême-Sud, on a vu que pour le moment leur état social rudimentaire ne paraît pas permettre d'y constituer des organismes indigènes utilisables. Il ne sem- ble pas qu'avec eux il y ait autre chose» possible de long- temps que de les tenir par nos chefs de secteurs militaires, en tenant compte toutefois de leurs mœurs, de leurs coutumes, si primitives et si simplistes qu'elles soient, c'est-à-dire en ne cherchant à leur appliquer aucune de nos institutions.

Je n'ai pas parlé du Betsiléo parce que, occupé dès le débuts

(1) Il est bien entendu que ce ne sont que des indications de principe,^ dont les circonstances peuvent modifier l'application, surtout en ce qui concerne la désignation des chefs.

388 DANS LE StJD DE MADAGASCAR

très assimilable, il a reçu une administration indigène complète et hiérarchisée qui fonctionne sous la direction des chefs de district français. On y fait donc de l'administration directe, très directe même. Mais, aussi pourtant, il y aurait très pro- bablement avantage et économie à revenir un peu en arrière.

Le général Galliéni l'a nettement indiqué dans ses dernières instructions:

Je signalerai, écrivait-il, ce qui me parait être un écueil; ce serait de faire de l'administration européenne avec le per- sonnel indigène, c'est-à-dire de nous laisser aller à imposer aux populations de l'Emyrne et du Betsiléo les complications de notre administration métropolitaine.

M. l'administrateur en chef Besson, avec son sens si complet des indigènes et sa profonde connaissance du Betsiléo, avait discerné tout le parti à tirer du représentant le plus qualifié et le plus distingué de l'ancienne race royale Betsiléo, le prince Batovonony. C'est aujourd'hui notre premier fonctionnaire dans la province; son dévouement nous est garanti, son autorité naturelle, son expérience des affaires, sont aujourd'hui éprou- vées. Sous sa direction il ne serait pas impossible d'essayer d'appliquer aux 300.000 Betsiléos une administration plus ex- clusivement indigène, d'y détendre, d'y simplifier les rouages français. L'expérience vaudrait la peine d'être tentée.

Telle paraît être,^ dans ses grandes lignes, la politique indi- gène à suivre dans le Sud de Madagascar, extrêmement diverse d'une population à l'autre, variable d'une période à la suivante, toujours souple et modifiable, basée essentiellement sur l'idée de protectorat, s'en rapprochant même de plus en plus (au rebours de la conception commune), à mesure que nous aurons trouvé et formé les éléments indigènes utilisables. Il est, en effet, généralement admis que le protectorat est un régime infé- rieur et transitoire qui doit tendre, d'une manière continue, vers l'administration directe. Il semble, au contraire, et c'est par- ticulièrement le cas dans un pays comme Madagascar la majorité de la population s'était mise en insurrection, que

CONCLUSIONS 389

si, au début d'une domination qu'il faut imposer, l'administra- tion directe a pu seule parfois donner les moyens d'action suffisants, il y a tout intérêt, après la période de conquête, à la détendre et à l'alléger, et à reconstituer, dans toute la me- sure du possible, les organismes traditionnels.

Maintenant, dans quelle mesure cette administration de pro- tectorat est-elle compatible avec notre législation dans son état actuel ? Aussi peu que possible. On ne parvient à l'appli- quer — et encore! qu'au moyen de combinaisons », dans le sens italien du mot combinazione, qui sont à la merci du moindre aléa, de la moindre réclamation d'un chef de service central, du moindre caprice d'un bureau métropolitain.

Comme on l'a rappelé, en effet, qui dit terre française dit terre comportant tout l'arsenal de nos lois. Si leur applica- tion s'ajourne sur un point et pour un temps, c'est simple tolérance. Or, Madagascar est terre française. La diversité de races et l'écart de leur degré de civilisation y comportent les systèmes d'administration les plus variés. Au point de vue du régime de la propriété, si la propriété individuelle existe dans la plupart des régions, beaucoup d'autres ne connaissent et n'admettent que la propriété collective, par familles ou par clans; dans d'autres, la propriété collective elle-même n'a pas de lixilé, les villages et les cultures se déplaçant. Au point de vue judiciaire, beaucoup de peuplades ne conçoivent que la res- ponsabilité collective, se refusent à livrer les coupables d'un assassinat ou d'un vol, mais admettent pleinement que la tribu tout entière doit une réparation; et il en est ainsi de presque toutes les institutions.

Quoi qu'il en soit, par le fait seul de l'annexion, toute notre législation administrative, judiciaire, fiscale, domaniale, nos rè- glements de comptabilité publique, devraient théoriquement s'y appliquer. Et, ce qu'il faut dire, c'est que, malgré son ano- malie, celte uniformisation est ce à quoi les services centraux tendent constamment et fatalement. Elle représente à leurs yeux la perfection. Recrutés le plus souvent directement dans la métropole, sans préparation coloniale, ils ne reconnaissent ni Mahafaly, ni Tanala, ni Bara, ni Belsiléo, séparés par des périodes historiques: tous leur apparaissent sous l'aspect sy- métrique de contribuables, de patentables, de justiciables, d'ad-

390 - DANS LE SUD DE MADAGASCAE

*

0

ministrables, à faire rentrer avec le moins de délai possible dans l'appareil uniforme et majestueux oii le citoyen français est encadré.

Jusqu'ici la main vigoureuse du général Galliéni a prévenu les exagérations de cette tendance. On a vu dans quelle large me- sure il a, dans le Sud, préservé des régions auxquelles il con- venait de maintenir une certaine autonomie: mais ce n'est que partie remise, tant que dans la métropole elle-même n'aura pas été reconnu et consacré le principe de la diversité des législations coloniales.

Quelques exemples, pour terminer, feront mieux ressortir cette nécessité.

En ce qui concerne la comptabilité, les premières instruc- tions établies à l'usage du protectorat intérieur des Bara-Ima- mono étaient aussi complètes que difficiles à appliquer. Elles supposaient ou bien, chez le féodal Impoinimérina et chez son entourage, la mentalité de comptables de profession, ou bien la présence auprès de lui d'un nombreux personnel européen qui eût détruit toute l'économie du régime de protectorat. Il a suffi, comme toujours, de présenter la situation au Gouverneur général pour obtenir une simplification conforme à la situation. Mais tous les administrateurs civils ou militaires sont d'accord pour constater quelles entraves, quelle complication, quelle source -de retards et de paperasserie inutile constituent nos règlements financiers de comptabilité publique, qu'il s'agisse de la comptabilité-finances (assiette et recouvrement des impôts locaux, solde du personnel) ou de la comptabilité -ynatièr es (mo- bilier, approvisionnements, travaux). Nos règlements financiers exigent des vérifications compliquées qui sont difficiles et même quelquefois impossibles à obtenir dans un pays neuf et supposent un personnel indigène complètement assimilé et un personnel européen tout à fait exagéré comme nombre. Ces règlements n'ont pas été établis pour des pays neufs et ne sont que la transplantation des règlements financiers métro- politains, transplantation faite par des comptables de l'admini- stration métropolitaine ne connaissant généralement pas le pays et ses nécessités spéciales. Il est possible qu'il ne puisse en

CONCLUSIONS 391

être autrement pour le moment, en raison de la rigidité unifor- me imposée à tous les documents qui doivent aboutir à la Cour des comptes. Mais, bien que je ne me permette d'aborder qu'a- vec la plus extrême réserve ces sujets techniques, ne pourrait- on concevoir une réforme qui permettrait de contrôler et d'apu- rer sur place le budget local et de simplifier un peu la comp- tabilité?

En ce qui concerne la propriété foncière, il y aurait évi- demment à tenir compte, dans les législations coloniales, de la nécessité, dans beaucoup de régions, de maintenir le principe de la propriété collective, seule en rapport avec l'état social des indigènes. II en résulte forcément des règles spéciales, notam- ment en ce qui concerne la constitution, par l'Européen, de propriétés individuelles en pays de propriété collective, l'obli- gation pour lui de s'adresser, non plus à des individus, mais au chef représentant la collectivité. Bref, tout un modus vivendi résultant de la juxtaposition de deux régimes aussi différents.

Mais c'est surtout dans Vordre judiciaire que nos institutions offrent le plus de difficultés à l'établissement d'une politique de protectorat comme celle que réclame le Sud de Madagascar. Gomme le dit encore M. Chailley-Bert (1), « le principe doit être la variété des institutions judiciaires, à la fois dans les diverses colonies et pour une même colonie dans ses diverses parties, suivant qu'elles sont plus ou moins avancées ». On sait qu'il existe une école qui tend exactement à l'inverse et qui consi- dère que le régime le plus bienfaisant pour les indigènes, sou- haitable dans le plus bref délai, consiste dans l'application in- tégrale à tous nos sujets ou protégés de toutes nos institutions judiciaires et, par conséquent, de notre magistrature. Je crois qu'il n'y a pas de plus extraordinaire et périlleuse illusion, et qu'à cet égard tous ceux qui ont vécu aux colonies, sans dis- tinction, sont unanimes. Dans le Sud de Madagascar, seule partie de notre domaine dont j'aie à parler ici, l'état social des populations ne comporte ni la séparation des pouvoirs, ni d'autres législations que le droit coutumier. L'administrateur

(1) Dix années de politique coloniole, chapitre IX, page 163.

392 DANS LE SUD DE MADAGASCAR

y est donc le juge qualifié, en contact journalier avec les indi- gènes, connaissant souvent et appelé à connaître de plus en plus leur langue, possesseur de tous les éléments qui permettent d'apprécier tous les faits d'une cause et aussi, il faut bien le dire, les conséquences politiques du jugement, conséquences dont il est impossible de ne pas tenir compte dans des pays que nous tenons beaucoup plus par notre prestige et par l'au- torité morale de nos représentants que par notre force ma- térielle. Il faut être convaincu que les lenteurs et les com- plications de notre procédure, l'instruction, les délais qui s'é- coulent entre l'arrestation d'un prévenu et l'application de la peine sont choses dont les avantages échappent entièrement aux indigènes. Ils n'y voient que de l'indécision et de la faiblesse, une source de gêne extrême pour leurs habitudes, leurs inté- rêts, et, à leurs yeux, les délits trouvent une sanction autrement sérieuse et efficace dans la justice simple et rapide à la- quelle ils sont accoutumés. Certes, l'indigène est, avant tout, sensible à la bonne justice; c'est même une des choses il reconnaît le plus vite notre supériorité, comparant l'équité et le désintéressement de ses juges français à la vénalité et à l'ar- bitraire de beaucoup de ses juges indigènes. Mais cette équité et ce désintéressement, on peut les trouver chez les admini- strateurs comme chez les magistrats, avec cette garantie de plus que les premiers connaissent le pays, ses mœurs, son droit coutumier, tandis que les seconds, transférés constam- ment d'une colonie à l'autre, enfermés dans la rigide formule de nos Godes et dans l'appareil compliqué de notre procédure, sont beaucoup moins préparés à s'adapter à la mentalité de leurs justiciables (1). Nulle part mieux qu'ici ne se vérifie la formule : Summum jus summa inpirm.

(1) Il doit être bien entendu que nous n'envisageons ici le maintien des pouvoirs judiciaires aux mains des administrateurs que dans les pays d'état social rudimentaire et pour un temps : il n'est pas question un instant de porter atteinte au principe tutélaire de la séparation des pou- voirs judiciaire et administratif, qui doit rester le but à atteindre. C'est une question de mesure et d'opportunité. Ce qui importe, c'est d'être con- vaincu que, même avec la séparation des pouvoirs, la justice coloniale ne peut pas s'exercer dans les mêmes conditions que la justice métropolitaine, ni dans les mêmes conditions d'une colonie à l'autre ; qu'il faut autant de législations que de colonies, et, dans une même colonie, des législations diverses, et qu'il importe au plus haut point qu'il y ait un personnel spécial préparé à cette mission. Il semble qu'on réaliserait déjà un sérieux progrès

CONCLUSIONS

Et il en serait de même si l'on examinait successivement cha- cune de nos institutions. On verrait que pour aucunes d'elles son application intégrale n'est compatible avec une politique et une administration de protectorat. Si donc l'on a été con- vaincu, par le tableau qui en a été tracé au début de ce cha- pitre, que la diversité des races du Sud de Madagascar et l'on pourrait en dire autant pour la plupart de nos colonies ne comporte pratiquement qu'un tel régime, on comprendra combien il est nécessaire et urgent de poser le principe de la diversité et de la souplesse des législations et des institutions coloniales. C'est à ce prix seulement que tant d'efforts, de dé- vouements et d'initiatives actuellement dépensés aux colonies, seront féconds et efficaces.

Mais les institutions elles-mêmes ne valent que par les hom- mes qui les appliquent. Les plus souples et les plus larges peuvent être appliquées avec rigidité et étroitesse, de même que les plus rigides peuvent être interprétées largement. Une bonne politique indigène est la base fondamentale de la ges- tion à la fois la plus économique et la plus rémunératrice de notre domaine colonial. Pour la pratiquer dans son infinie diversité et dans sa souplesse, il faut, non seulement les insli- tiiUons coloniales qui nous manquent encore, selon le mot si juste d'un grand administrateur colonial, M. Le Myre de Vi- 1ers, mais aussi des hommes animés de l'esprit colonial. La meilleure façon de définir cet esprit, c'est de signaler l'état d'Ame dont il est l'antithèse et dont il implique l'exclusion abso- lue. On le retrouve dans l'ordre militaire comme dans l'ordre civil, sous deux noms différents : dans le premier cas, il se nomme le caporalisme; dans le second cas, le fonctionnarisme. Ni l'un ni l'autre n'ont leur place aux colonies.

en spécialisant les magistrats coloniaux dans chacun des groupes do co- lonies : Indo-Chine, Madagascar et dépendances, Afrique, Antilles; il leur serait ainsi possible d'acquérir la connaissance de la langue et des droits coutumiers. Ce progrès pourrait être complété en soumettant à une pré- paration préliminaire, spéciale à chaque colonie, au mcyon, par exempl'^, d'écoles de droit locales, chacun des groupes de magistrats coloniaux. En constituant ainsi, pour chaque colonie, un cadre de juges à côté du cadre d'administrateurs, on pourrait, sans inconvénient, réaliser rapidement et partout la séparation des pouvoirs.

En terminant, je ne me dissimule pas ce que ce trop long exposé a d'aride et d'ingrat, sauf peut-être pour ceux qui ont des raisons spéciales de s'intéresser au Sud de Madagascar.

Toutefois, je ne le considérerai pas comme inutile si ceux qui auront eu la patience de le lire jusqu'au bout en gardent deux impressions :

De la partie administrative et économique, la convic- tion que les conditions vitales d'une œuvre coloniale sont l'extrême diversité des procédés, l'absence d'idées préconçues, l'adaptation la plus souple aux nécessités locales dans leur infinie variété ;

De la partie militaire, un sentiment de gratitude pa- triotique pour les cadres des troupes coloniales. Offi- ciers et sous-officiers aux prises constantes avec les diffi- cultés, les rigueurs du climat, les privations, les res- ponsabilités, y développent journellement, dans un labeur obscur, les meilleures qualités de notre race. Ils se donnent tout entiers, sans compter, sachant que le plus souvent leur œuvre restera anonyme et ignorée. C'est l'honneur d'une carrière d'avoir com- mandé à de tels hommes, si, surtout, l'on a pu parfois gagner leur confiance et leur dévouement, si l'on a senti leur cœur battre à l'unisson du sien.

18 juillet lî)02.

FIN

TABLE DES MATIERES

ire PARTIE.

27

CREATION UU COMMANDEMENT SUPERIEUU DU SUD ET l'EUIODE DE PREPARATION

(septembre 1900 - mars 1901).

Pages. CuAP. I. Création du commaiideinent supérieur du Sud 11

II. Situation initiale : Coup d'œil géographique. 16

III. Période de préparation pendant la mauvaise saison. ... 22

I. Incidents Frénée et Lorin 22

II. Etablissement de communications télégraphi-

ques

III. Action préparatoire sur les deux ailes do la

zone insoumise 28

IV. Instructions générales pour l'action militaire, politique

et administrative dans le commandement supérieur du Sud en 1901 53

I. Programme d'action militaire 54

II. Programme d'organisation politique et admi-

nistrative 76

IP PARTIE. PÉRIODE d'exécution (avril 1901 - mai 1902).

CiiAP. I. Action dans la zone forestière de l'Est 87

I. Au nord de la Mananara (avril-juin 1901) 87

II. Au sud de la Mananara (juin-novembre 1901). 108

III. Dans la région d'Ikongo (septembre-décem-

bre 1901) 127

IV. Organisation de la zone forestière après la pa-

cification 134

II. Action dans le cercle de Eort-Dauphin 138

I. Période préparatoire (avril-juillet 1901) 139

II. Opérations entre le Mandraré et la Manam-

bovo (juillet-décembre 1901) 157

III. Liaison avec le cercle de Tuléar (décembre

1901 - mai 1902) 168

III. Action dans le cercle de Tuléar 181

I. D'avril à juillet 1901 181

II. Action chez les Mahafaly (avril 1901 - février

1902) 187

III. Action contre Refotaka (février - mai 1902).. 190

398 TABLE DES MATIÈRES

III« PARTIE.

CONCLUSIONS ET CONSIDÉRATIONS GENERALES.

Pages.

CiiAr. I. Conclusions politiques et militaires 201

I. Suppression du commandement supérieur du

Sud. Situation politique et militaire en

mai 1902 201

II. Désarmement 207

III. Organisation administrative. Progression de

l'administration civile 214

IV. Occupation militaire à maintenir dans le Sud.

Concordance du secteur unité politique et de la compagnie unité militaire. Idée des

corps mixtes 228

V. Ravitaillement : Organisation du service.

Masses de ravitaillement 238

VI. Question de la pénétration 247

VII. Quelques considérations militaires 254

Chap. II. Considérations économiques et administratives 268

I. Situation fiscale 268

II. Situation agricole 280

III. Situation commerciale 300

IV. Elevage 328

V. Voies de communication 339

VI. Service de santé et assistance médicale 352

VII. Enseignement 369

VIII. Politique indigène 379

Paris et Limoges. Imprimerie militaire Henri CHARLEa-LAVAUZELLB.

CARTES ET CROQUIS

CARTE No 1

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ECHELLE KILOMETRIQUE

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Carte da Sad et divisions administratives à la création da Commandement sapériear (septembre 1900).

CARTE 4.

LEGENDE

Partie impénétrèe Partie insoumise

Parties douteuses ou tùe pourcours

des rebelles

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Lignes lelegrap.hitjfu.es électrttfues

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Situation de la pacification en février 1902 et modifications de l'organisation tewltorlale.

CARTE No 3

LEGENDE

Partie impenétrée Parties insoumises

Parties douteuses ou de parcours des rebelles Limites administratives

Situation de la pacification en octobre 1901.

CARTE 2.

LÉGENDE

Partie impénétrée Parties insoumises

/. Parties douteuses ou ^ de parcours des rebelles ._ Limites administratives

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ECHELLE KILOMETRIQUE

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Situation de la pacification en janvlep 190t

CARTE No 5.

LEGENDE

Limite de Province

Limite de Secteur ou District

0 Poste militaire

(j)) Poste de milice ou de partisans

3 Postes mixtes

(J Chef- lieu de Province

Partie Impénétrée

Partie insoumise

Partie douteuse

Tribus soumises mais restant

a surveiller pendant longtemps

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ECHELLE KILOMETRIQUE

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Situation admioistfative ea mal 1902. Division en districts et sec'ears.

ARTE No 6.

LEGENDE

( RC) Route centrale adoptée

Ancten ittnércure

i A.r\ Route transversale adoptée

- = = —- d" projetée

MMèéAAMMMM Charretier terminé . ^^s^^^^ss Naviqable en touie maison. . ^ ,, ., Lianes tété^rAphKjru^ éùecirtOLLeS Routes de ravitaillement /s

AméosUra.

Voles de commanlcatlon.

CROQUIS a.

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^ Poste régulier

O Poste provisoire ou p»rli$ans

+ Repaire fortifié

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Opérations aa nord de la Mananara.

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ECHELLE KILOMETRIQUE

Opérations au sud de la Mananafa.

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