- i k y' MUSEE ZOOLOGIQUE Palais de Rumine PI. Riponne 6 CH -1005 LAUSANNE ZUL J ffj*t - S3S". 9o fait QCSG^I DE LA FÉCONDATION DES ORCHIDÉES PAR LES INSECTES l'AItlS. — lMPv SIMON liAÇON ET COUP., HUE d'eRFLRTH, I. * DE LA FÉCONDATION n i:s ORCHIDÉES PAR LES INSECTES ET DES IIO N S RÉSULTA,! S OU CROISEMENT I» A II CHARLES DARWIN M. A., F. R. S. etc. TRADUIT DE I/ANGLAIS PAR L. IIÈROLLE AVEC 34 G R A V U RES PARIS C. RlilNWALD ET », LIBRAIRES-ÉDITEURS 15, IIU F. IIKS SA INTS — PÈRES , 15 1870 _> S ! * ' r i V R E V A c e Deux ouvrages de M. Darwin ont été traduits en français; les observations considérables qu’ils ren- ferment, les vues importantes qui y sont exposées sur un des plus hauts problèmes des sciences na- turelles, ont eu un grand retentissement; et, à quelque opinion qu’on appartienne, on ne saurait méconnaître leur valeur. ' L’ouvrage dont je publie la traduction a sans doute une moindre portée, car il n’étudie qu’une seule famille végétale, au seul point de vue des phé- nomènes qui assurent la fécondation. Néanmoins, j’ai pensé que des recherches poursuivies avec pa- tience, pendant plusieurs années, par un observa- a II PRÉFACE. leur comme M. Darwin, sur un groupe d’êtres aussi remarquable que celui des Orchidées, et sur un acte physiologique aussi capital que celui de la fécondation, intéresseraient les personnes qui se livrent à l’élude de l’histoire naturelle. Nous avons vu l’éminent naturaliste anglais, dans ses autres ouvrages, faire une large place à l’ interprétation des faits, raisonner cl juger en philosophe, for- muler des hypothèses que l’on peut combattre, mais dont on ne saurait nier la grandeur; il sera juste de l’apprécier aussi dans un volume où, sans perdre ses autres mérites, il se montre plus parti- culièrement observateur exact et ingénieux expé- rimentateur. Ce livre n’est pas d’ailleurs aussi spécial qu’on pourrait le croire au premier abord ; les faits qui y sont consignés ont un intérêt général, car ils louchent à l’organisation florale dans sa plus haute expression; ils mettent en lumière le rôle merveil- leux des insectes dans la propagation des plantes; ils viennent à l’appui de celle doctrine que le croi- sement individuel est une loi générale de la nature. M. Darwin a signalé dans divers mémoires des faits tendant à la môme conclusion, observés sur PRÉFACE. ni d’autres piaules; mais nulle part il n’en a réuni un plus grand nombre et de plus décisifs. Je suis heureux d’exprimer ma reconnaissance envers M. Faivre, doyen de la Faculté des sciences de Lyon, dans le laboratoire duquel j’ai pu vérifier un certain nombre des descriptions données dans eet ouvrage, et qui m’a aidé de ses bienveillants conseils. Je remercie également M. Darwin du bon accueil qu’il a fait à ma traduction, et des notes précieuses dont il a bien voulu l’enrichir. Ces notes résument les recherches faites, par lui ou d’autres naturalistes, sur la fécondation des Orchidées, pos- térieurement à la publication de, son ouvrage, et mettent ce travail au niveau des découvertes ré- centes de la science. L. Réuolle. * * . INTRODUCTION L’objet de ce travail est de montrer que les pro- cédés qui servent à la fertilisation des Orchidées sont aussi variés et presque aussi parfaits que les plus beaux mécanismes du règne animal ; et, en second lieu, qu’ils ont pour objet propre la fécondation de chaque fleur parle pollen d’une autre fleur. Dans mon ouvrage sur l’Origine des .espèces , je me suis borné à donner des raisons générales à l’appui de mon opi- nion que tout être organisé , sans doute d’après une loi universelle de la nature, demande à être acciden- tellement croisé avec un autre individu, ou, en d’au- tres termes, qu’un hermaphrodite ne se féconde pas lui-même indéfiniment. On m’a blâmé d’émettre cette doctrine sans en donner des preuves suffisantes, ce que ne permettait pas la médiocre étendue de mon \ 2 INTRODUCTION. ouvrage. Je désire donc montrer que je n’ai pas parlé sans avoir étudié les détails. J’ai été amené à publier ce petit traité séparément, parce qu’il est devenu trop gros pour être réuni au reste de mes travaux sur le même sujet. Comme les Orchidées sont universellement admises parmi les formes végétales les plus étranges et les plus déviées du type primitif, les faits que je publie maintenant conduiront peut-être quelques observateurs à prêter une plus grande attention à la physiologie de nos es- pèces indigènes ; l’étude des nombreux phénomènes remarquables qu’elles présentent élèvera le règne végétal tout entier dans l'estime de beaucoup de gens. Je crains cependant que les détails qu’exige ce sujet ne soient trop minutieux et trop complexes pour qui n’aurait pas un goût prononcé pour l’histoire naturelle. Ce traité m’en donnant l’occasion, je m’ef- forcerai aussi de montrer que l’étude des corps or- ganisés offre un intérêt égal, et à l’observateur plei- nement convaincu que des lois coordonnées régissent la structure de chaque être, et au naturaliste qui voit dans les plus petits détails de structure le résultat de l’action directe du Créateur. Je dois dire d’avance que Christian Konrad Spren- gel, dans son curieux et important travail : Das ent- dcckte Geheimnm der Natur , publié en 1795, a donné un excellent aperçu des fonctions des différents or- ganes chez les Orchidées; en effet, il connaissait bien la place qu’occupe le stigmate ; il avait reconnu que les insectes sont nécessaires pour enlever les INTRODUCTION. 3 masses polliniques, en ouvrant la poche du rostellum et atteignant les glandes visqueuses qu’elle renferme. Mais il passa sous silence beaucoup de faits curieux, sans doute parce qu’il croyait que chaque stigmate reçoit généralement le pollen de sa propre fleur. De même, Sprengel a en partie décrit la structure des Épipactis ; mais, à propos du Listera, il a complète- ment méconnu le remarquable phénomène qui ca- ractérise ce genre et qui a été si bien décrit par le docteur Hooker, dans les Pliilosophical Transactions, 1854. Le docteur Ilooker a donné des dessins et une descriplion exacte et complète de la structure et du jeu des organes; mais n’ayant pas tenu compte du rôle des insectes , il n’a pas entièrement com- pris le résultat. Robert Brown 1 , dans un mé- moire célèbre publié, dans les Linnæan Transactions, exprima l’opinion que la plupart des Orchidées exi- gent pour fructifier l’intervention des insectes; mais il ajouta que la fertilité de tous les ovaires d’une grappe serrée, fait fréquemment observé, est difficile à concilier avec cette idée. Nous verrons bientôt que ce doute est sans fondement. Plusieurs autres auteurs ont aussi exposé des faits ou exprimé des opinions sur la nécessité de l’intervention des insectes dans la fertilisation des Orchidées. J’aurai, dans ce travail, le plaisir d’exprimer ma vive reconnaissance envers plusieurs personnes qui, avec une inépuisable obligeance, m’ont envoyé des Linnæan Transactions, 1833, vol. XVI, p. 704. INTRODUCTION. plantes fraîches, sans le secours desquelles ces recher- ches auraient été impossibles. La peine qu’ont prise quelques-uns de mes bienveillants auxiliaires a été non commune; je n’ai jamais exprimé un désir, demandé un secours ou un renseignement, qu’on neme les ait accordés aussi larges et aussi généreux que possible. Il me paraît utile, dans l’intérêt des personnes complètement étrangères à la botanique qui pour- raient lire ce traité, d’expliquer le sens des mots dont je ferai le plus fréquent usage. Dans la plupart des fleurs, les étamines ou organes mâles entourent comme d’un anneau un ou plusieurs organes fe- melles, qu’on nomme carpelles. Dans toutes les Orchi- dées ordinaires, il n’y a qu’une étamine, et elle se soude au carpelle pour former la colonne. Les étamines se composent d’un fdet servant de support à une an- thère (ce filet manque souvent dans les Orchidées d’Angleterre); dans l’anthère se trouve le pollen, élé- ment mâle et fécondateur . L’anthère se divise en deux loges, très-distinctes chez la plupart des Orchi- dées, et qui semblent même dans quelques espèces former deux anthères séparées . Chez toutes les plantes ordinaires le pollen consiste en une poussière fine et granuleuse; mais chez beaucoup d’Orchidées, les grains sont unis en masses , qui ont souvent pour support un très-curieux appendice, le caudicule; nous l’expliquerons dans la suite avec plus de dé- tails. Les masses de pollen, avec leurs caudicules et autres appendices , ont reçu le nom de pollinies. Rigoureusement, il y a chez les Orchidées trois car- INTRODUCTION. o pelles soudés. Au sommet de ce verticille femelle est une surface antérieure, molle et visqueuse, consti- tuant le stigmate. Les deux stigmates inférieurs sont souvent si complètement soudés, qu’ils ne semblent en former qu’un seul. Dans l’acte de la fécondation, de longs tubes émis par les grains de pollen pénètrent dansle stigmate et conduisent lecontenu desgrainsjus- qu’aux ovules, jeunes graines renfermées dans l’ovaire. Des trois stigmates qui doivent exister, celui du car- pelle supérieur seul est modifié en un organe extraor- dinaire nommé rostellum qui, dans beaucoup de cas, est tout à fait différent d’un vrai stigmate. Ce rostel- lum est rempli ou formé d’une matière visqueuse, et dans un très-grand nombre d’Orchidées les masses polliniques sont fortement attachées à une portion de sa membrane extérieure, destinée, comme les masses de pollen, à être enlevée par les insectes. Cette por- tion qui sera transportée consista généralement chez les Orchidées d’Angleterre en une petite pièce mem- braneuse, portant sous elle une couche ou balle de matière visqueuse que je nommerai disque visqueux ; mais, dans beaucoup d'Orcliidées exotiques, elle est si grande et si importante, qu’une de ses parties doit, comme dans le premier cas, s’appeler le disque vis- queux, l’autre prenant le nom de jjédicelle du rostel- lum; c’est alors au sommet de ce pédicelle que sont fixées les masses polliniques. Le pédicelle., prolonge- ment du rostellum sur lequel, chez beaucoup d’Or- chidées étrangères, les pollinies sont fixées, paraît avoir été généralement confondu, sous le nom de 6 INTRODUCTION. caudicule, avec le vrai caudicule des masses pollini- ques; ces deux organes sont pourtant tout à fait diffé- rents de nature et d’origine. On nomme quelquefois bursicule , fovea ou poche 1 , la partie du rostellum qui n’est pas enlevée et qui entoure la matière visqueuse. Mais il me parait plus convenable de rejeter tous ces termes, d’appeler tout le stigmate modifié rostellum , sauf à ajouter parfois un adjectif pour déterminer sa forme , et de nommer la portion de cet organe qui adhère aux pollinies et est enlevée avec elles, le disque visqueux, disque quelquefois muni d’un pédicelle. Enfin, on nomme sépales les trois divisions exté- rieures de la fleur, et leur réunion forme le calice ; mais au lieu d’être vertes, comme dans la plupart des autres fleurs, elles sont généralement colorées comme les trois pièces intérieures ou pétales. Un des pétales, qui est ordinairement au bas de la fleur, est plus dé- veloppé que les autres et revêt souvent les formes les plus bizarres; on l’appelle lèvre inférieure ou label- lum. Il sécrète le nectar, liqueur qui attire les in- sectes, et souvent il est muni à cet effet d’un long nectaire en forme d’éperon. 1 Dans les principaux traités de botanique français, on appelle le dis- que visqueux rétinacle et le rostellum bursicule. (Trad.) DE LA FÉCONDATION DES ORCHIDÉES CHAPITRE PREMIER Structure des Orchis. — Mouvement des pollinies. — Parfaite adaptation des parties dans POrchis pyrarnidalis. — Des insectes qui visitent les Orchidées, et de la fréquence de leurs visites. — De la fertilité et de la stérilité de quelques Orchidées. — De la sécrétion du nectar, et du retard utile à la fécondation que les papillons éprouvent en le] prenant. A mon avis, les Orchidées anglaises peuvent être réparties en trois groupes, et dans la plupart des cas cette classification est naturelle; toutefois, j’en ex- clus notre Cypripedium indigène, dont la fleur a deux anthères, et que je ne connais point. Le premier de ces trois groupes est celui des Ophrydées ; chez ces plantes, les pollinies sont pourvues à leur extrémité inférieure d’un caudicule attaché dès l’origine à un disque visqueux ; l’anthère est placée au-dessus du rostellum. A ce groupe appartiennent la plupart de nos Orchidées communes. 8 ORCHIS MASCULA. Commençons par le genre Orcliis. Peut-être le lec- teur trouvera-t-il les détails suivants difficiles à com- prendre , mais je peux l’assurer que s’il a la pa- tience de lire ce premier article, il n’aura pas de peine à comprendre ceux qui suivent. Les ligures ci-jointes [fig. 1) montrent la position relative des principaux organes dans la fleur de YOrchis mascula. Les sépales et les pétales sont enlevés, à l’exception du labellum et de son nec- taire. Le nectaire se voit seulement de côté (n, fig. A) ; car son large orifice est tout à fait caché sur la fleur qu’on voit de face (B). Le stigmate (s) est bilobé et consiste en deux stigmates presque entièrement soudés ; il est au-dessous d’un ros- tellum (r) en forme de poche. L’anthère (a, fig. À et B) consiste en deux loges largement séparées, s’ouvrant en avant par une fente longitudinale; dans chacune d’elles se trouve une masse de pollen ou pollinie. La figure C représente une pollinie retirée d’une des deux loges de l’anthère. Elle consiste en une grande quantité de grains de pollen groupés en pa- quets cunéiformes (voy. la fig. F, dans laquelle ces paquets sont fortement séparés), que relient des lils ex- cessivement minces et élastiques. Ces fils se réunis- sent à l’extrémité inférieure de chaque pollinie, et forment ainsi (c, C) un caudicule élastique et droit. L’extrémité du caudicule est fermement attachée au STRUCTURE. 9 disque visqueux (d, C) qui consiste, comme on peut le voir sur une coupe (fig. E), en une petite pièce mem- braneuse, à contour ovalaire, portant sous sa face in- férieure une balle de matière visqueuse. Chaque pol- linie a son disque propre, et les balles de matière vis- queuse sont enfermées l’une et l’autre ( fig . D) dans le rostellum . Le rostellum est une saillie presque sphérique, légèrement aiguë (r, firj. À et B), suspendue au-dessus des deux stigmates soudés ; il mérite d’être décrit avec soin, car chaque détail de sa structure est d’une haute importance. La figure E représente une coupe de l’un des disques et de l’une des halles visqueuses ; et sur la face antérieure de la fleur (fig. D), on voit les deux disques visqueux dans le rostellum. Cette dernière figure (D) est probablement la plus propre à expliquer la structure du rostellum; mais on doit re- marquer que la lèvre antérieure y est considérable- ment abaissée. La partie inférieure de l’anthère est unie à la partie postérieure du rostellum, comme l’indique la figure B. Dans les premières périodes de son développement, le rostellum se compose d’un amas de cellules polygonales, pleines d’une matière brunâtre, puis bientôt ces cellules se fondent en deux balles d’unesubstance demi-fluide, extrêmement vis- queuse et homogène. Ces masses visqueuses sont un peu allongées, presque planes à leur sommet, mais convexes en dessous. Elles sont parfaitement libres 0 RG II 1 S MASCULA Fig. 1. 0RC1IIS MASCULA Cl. ANTHERE, r. ROSTELLUM, S. STIGMATE. /. LABELLUM. 11. NECTAIRE. p. POLLINIE OU MASSE POLLINIQDE. C. CAUDICULE DE LA POLLINIE. (I. DISQUE VISQUEUX DE LA POLLINIE. A. Vue latérale de la Heur : tous les sépales et pétales sont enlevés, sauf le labellum ; on a coupé seulement la moitié du labellum et de la partie pos- térieure du nectaire. B. Face antérieure de la fleur : les pétales et sépales sont enlevés, saufle la- bellum. G. Une pollinie ou masse pollinique, comprenant les groupes de grains de pollen, le caudicule et le disque visqueux. D. Les disques et les caudicules des deux pollinies, vus par devant, dans le rostellum dont la lèvre est abaissée. E. Coupe du rostellum, montrant le disque qui y est renfermé, et le caudicule d’une pollinie. F. Groupes de grains de pollen ; les fils élastiques qui les réunissent son distendus. (Copié sur Bauer.) 12 ORCHIS MASCULA . dans le rostellum, car elles baignent de toute part dans un fluide, excepté en arrière, où chaque balle adhère fortement à un disque, petite portion de la membrane extérieure du rostellum. Les extrémités des deux caudicules sont fermement liées à ces deux petits disques membraneux. La membrane qui forme toute la surface extérieure du rostellum est d’abord continue; mais dès que la fleur est ouverte, au plus léger contact elle se rompt transversalement suivant une ligne sinueuse, en avant des loges de l’anthère et de la petite crête ou repli membraneux (voy. fg. D) qui s’étend entre elles. Cette rupture n’altère pas la forme du rostellum, mais elle convertit sa partie antérieure en une lèvre qu’on peut facilement abaisser. On voit cette lèvre consi- dérablement abaissée dans la figure D, et la figure B en montre le bord. Quand la lèvre est tout à fait abaissée, les deux balles de matière visqueuse sont à découvert. Grâce à l’élasticité de sa partie postérieure, jouant le rôle de charnière, la lèvre ou poche qui vient de se former, dès qu’elle n’est pas abattue par la pression, se relève et recouvre de nouveau les deux balles gluantes. Je ne peux pas affirmer que la membrane exté- rieure du rostellum ne se rompe jamais spontané- ment ; sans nul doute, elle se dispose à la rupture en devenant très-faible suivant certaines lignes; mais j’ai vu quelquefois le fait se produire à la suite du STRUCTURE. 13 contact le plus léger, si léger même qu’à mon avis cet acte n’est pas purement mécanique, mais pourrait, faute d’un meilleur terme, être appelé vital. Plus loin, nous trouverons des cas dans lesquels le plus léger contact ou l’action de la vapeur de chloroforme suffisent pour faire rompre la membrane extérieure du rostellum, suivant certaines lignes définies. Au moment où le rostellum se rompt transversale- ment en avant, il est probable (bien que je n’aie pu m’assurer de ce fait à cause de la position des orga- nes) qu’il se rompt de même en arrière suivant deux lignes ovalaires, ce qui sépare du reste de sa surface extérieure et met en liberté les deux petits disques membraneux, auxquels sont attachés extérieurement les deux caudicules et intérieurement les deux balles de matière visqueuse. Les points de ruptures devien- nent ainsi très-complexes, mais pourtant ils sont strictement déterminés. Comme les loges de l’anthère s’ouvrent en avant, de la base au sommet, même avant l’épanouissement de la fleur, dès que le rostellum, à la suite de la plus légère secousse, s’est convenablement rompu, sa lèvre peut aisément s’abaisser ; les deux petits disques membraneux étant déjà séparés, les deux pollinies deviennent alors absolument libres, mais sont encore couchées côte à côte dans leurs premières places. Ainsi les paquets de pollen et leurs caudicules restent dans les loges de l’anthère ; les disques font encore ORCIIIS MASCULA. partie de la face postérieure du rostellum , mais en sont isolés; les balles de matière visqueuse sont en- core cachées dans la cavité de ce dernier organe. Voyons maintenant comment fonctionne un méca- nisme si complexe. Supposons qu’un insecte s’abatte sur le labellum, vestibule de la fleur très-propre à le soutenir, et qu’il introduise sa tête dans la chambre (voy. fig. I, vue latérale A, vue de face B) au fond de laquelle se cache le stigmate (s), dans l’espoir d’at- teindre avec sa trompe l’extrémité du nectaire, ou, ce qui rend également compte du fait, qu’on fasse pénétrer très-doucement dans le nectaire un crayon finement taillé en pointe. Comme le rostellum, qui a la forme d’une poche, fait saillie dans l’étroite en- trée du nectaire, il est presque impossible d’intro- du ire un objet dans ce canal, sans le toucher. La membrane du rostellum se rompt alors suivant les lignes convenables et sa lèvre ou poche s’abaisse très- aisément ; cela fait, une ou deux des balles visqueuses atteindra presque infailliblement le corps qui vient de s’introduire. Telle est la viscosité de ces balles qu’elles s’attachent fortement à tout ce qu’elles tou- chent. De plus, la matière visqueuse a la propriété chimique spéciale de se prendre en une masse sèche et dure, comme le ciment, après quelques minutes. Les loges de l’anthère étant ouvertes le long de leur face antérieure, quand l’insecte retire sa tête, ou lorsqu’on retire le crayon, les deux pollinies (ou seu- FÉCONDATION. 15 lement l’une d’elles) sont entraînées et fortement unies à l’objet, au-dessus duquel elles s’élèvent comme de petits cornets; on peut le voir sur la figure 2 (À). A B : ' - Fig. 2. A, Masse pollinique d’O. mascula, venant d’être attachée au crayon. — B. Id., après l’abaissement. M V , _ / . I I. t Il est très-nécessaire que la force d’adhésion du ciment soit grande, comme nous allons le voir de suite ; en effet, si les pollinies s’abattent, soit de côté, soit en arrière, elles ne pourront jamais fertiliser une fleur. Par suite de la position qu’elles avaient dans leurs loges, elles divergent un peu lorsqu’elles sont fixées à un objet. Supposons maintenant que notre insecte s’envole et se pose sur une autre fleur, ou qu’on insère le crayon (A, fig. 2) avec la pollinie qui lui est atta- chée, dans le même ou dans un autre nectaire; en jetant les yeux sur le dessin ( fig . 1, A), on se convaincra que la pollinie fermement attachée sera tout simplement poussée contre ou dans son ancienne place, l’une des loges de l’anthère. Comment donc 10 0RC1IIS MASCULA. pourra-t-elle féconder la Heur? Grâce à un merveilleux artifice. Bien que la surface visqueuse reste immo- bile et adhérente, le disque membraneux auquel est fixé le caudicule, disque petit et insignifiant en ap- parence, est doué d’un remarquable pouvoir de contraction (ce mouvement sera décrit plus bas avec plus de détails) grâce auquel la pollinie s’a- baisse en décrivant un arc d’environ 90° toujours dans la même direction, vers la pointe du crayon ou de la trompe ; ce qui a lieu, en moyenne, dans l’espace de trente secondes. La figure 2 montre en B la position que prend la pollinie après ce mouvement. On peut voir en consultant le dessin [fig. 1, A) qu’après ce mouvement (et un espace de temps qui aura permis à l’insecte de voler sur un autre fleur), si le crayon est introduit dans le nectaire, le gros bout de la pollinie viendra frapper précisément la surface du stigmate. Ici, de nouveau, la nature met enjeu un ingénieux mécanisme, depuis longtemps signalé par fiobert Brown 1 . Le stigmate n’est pas assez visqueux pour pou- voir, au contact de la pollinie, la détacher tout en- tière de la tête de l’insecte ou du crayon ; mais il l’est assez pour briser les fils élastiques ( fig . 1, F) qui relient entre eux les paquets de grains de pollen, dont quelques-uns restent à sa surface. Il suit de là qu’une ! Transactioîis of lhe Linnæan Society, vol. XVI, p. 75L FÉCONDATION. 17 pollinie attachée au crayon ou à l’insecte pourra être transportée sur plusieurs stigmates et les fécondera tous. J’ai vu des pollinies d’Orchis pyramidalis adhé- rant à la trompe d’un papillon; les caudicules y res- taient seuls, tous les paquets de pollen ayant été collés aux stigmates des fleurs que l’insecte avait successi- vement visitées. Je dois encore mentionner un ou deux points se- condaires. Les balles de matière visqueuse situées dans la poche du rostellum baignent dans un fluide; ceci est très-important, car, comme je l’ai déjà dit, la matière visqueuse durcit après une exposition à l’air de très-courte durée. J’ai retiré ces balles de leurs poches, et j’ai vu qu’en quelques minutes elles perdent entièrement leur force adhésive. En outre, les petits disques membraneux dont le mouvement, cause de celui des pollinies, est si rigoureusement in- dispensable pour la fertilisation de la fleur, sont fixés à la face supérieure et postérieure du rostellum, sont complètement enveloppés et par suite restent humides dans la base des loges de F anthère ; et ceci est très- nécessaire, car il suffit d’une exposition à l’air d’en- viron trente secondes, pour que le mouvement d’abais- sement se produise; mais tant que le disque est hu- mide, la pollinie reste prête à agir dès qu’elle aura été transportée par un insecte. Enfin, j’ai montré qu’après avoir été abaissée, la lèvre se redresse et reprend sa position primitive, ce 2 18 ORCfflS MASCULA. qui est très-utile ; en effet, si cela n’avait pas lieu, et qu’un insecte, après avoir abaissé la lèvre, manquât d’enlever les balles visqueuses, ou s’il n’en enlevait qu’une seule, dans le premier cas, les deux balles, et dans le second, l’une d’elles, demeureraient exposées à l’air; elles perdraient donc bientôt toute leur force adhésive, et les pollinies deviendraient absolument inutiles. Il est hors de doute que, souvent, dans plu- sieurs espèces d’Orchis, les insectes n’enlèvent à la fois qu’une seule pollinie; il est même probable qu’il en est généralement ainsi, car dans un épi les fleurs les plus basses et les plus anciennement écloses ont presque toujours leurs deux pollinies enlevées, tandis que les fleurs plus jeunes situées immédiatement au- dessous des boutons, ayant été plus rarement visitées, n’en ont perdu qu’une seule. Dans un épi d’Orchis maculata je n’ai pas trouvé moins de dix fleurs, sur- tout parmi les plus élevées, qui n’avaient perdu qu’une seule pollinie; l’autre pollinie était à sa place, la lèvre du rostellum s’étant très-bien redressée, et tout était parfaitement disposé en vue de son prochain enlèvement par quelque insecte. La description que je viens de donner de l’action des organes chez l’Orchis mascula s’applique égale- ment aux 0. morio, fusca, maculata et latifolia, et à l’Aceras anthropophora *. Ces espèces présentent dans 1 Ce genre est évidemment artificiel. L’Aceras est un véritable Orchis, ORCHtS PYRAMIDAL1S. 19 la longueur du caudicule , la direction du nectaire, la forme et la position du stigmate, des différences légères et sans doute coordonnées, qui ne méritent pas d’être examinées en détail. Chez toutes, les pollinies, après leur enlèvement des loges de l’anthère, exécu- tent le curieux mouvement d’abaissement qui est si nécessaire pour les placer, sur la tète de l’insecte, exactement de manière à ce qu’elles viennent frapper la surface du stigmate dans une autre fleur. Chez l’Aceras, le caudicule est plus court que de coutume, le nectaire est réduit à deux petites dépressions ar- rondies, le stigmate est allongé dans le sens transver- sal, les deux disques visqueux sont tellement l’appro- chés dans le rostellum , que leurs bords empiètent l’un sur l’autre; ce fait est digne d’attention, car c’est un pas vers la soudure complète des disques, dont l’O. pyramidalis etl’O. hircina nous offrent l’exemple. Malgré cela, les insectes n’enlèvent parfois qu’une seule pollinie, mais ce fait est plus rare chez l’Àceras que chez les espèces précédentes. Nous arrivons à VOrchis ou Anacamptis pyrami- dalis . , que plusieurs botanistes rangent dans un genre spécial; c’est, parmi les espèces que j’ai soumises à mon examen, une des mieux organisées. La position relative des organes (fig. 5) diffère ici considérable- seulement son nectaire est très-court. Le docteur Weddel a décrit ( An- nales des Sciences naturelles , 3 e série, Bot., t. XVIII, p. 61 de nombreux hybrides, produits naturellement entre cette espèce et VOrcliis galeata. ORCHIS PYRAMIDALIS. 20 ment de ce qu’elle est chez l’O. mascula et les espèces voisines. Le stigmate se compose de deux surfaces ar- rondies et parfaitement distinctes (s, s, A) placées de chaque côté d’un rostellum en forme de poche. Ce dernier organe, au lieu de rester un peu au-dessus du nectaire, est tellement déjeté vers le bas (voy. B, coupe latérale de la fleur), qu’il s’avance au-dessus de lui et ferme en partie son orilice. Le vestibule qui conduit au nectaire, formé par la colonne unie aux bords du labellum, est moins vaste que chez l’O. mas- cula et les espèces voisines. Le rostellum, en forme de poche, est creusé d’un sillon vers le milieu de sa face inférieure; il est plein d’une matière fluide. Il n’y a qu’un seul disque visqueux (fig. C et E), delà forme d’une selle, portant, sur son côté presque plat, les deux caudicules des pollinies ; les extrémités tron- quées de ces caudicules adhèrent fortement à sa sur- face supérieure. Avant la rupture de la membrane du rostellum, le disque en forme de selle, on peut le voir sans peine, fait partie de la surface continue de cet organe. Les membranes qui forment la base des loges de l’anthère, se repliant largement au-dessus du disque, le couvrent en partie et lui conservent sa fraî- cheur, ce qui est d’une grande importance. La mem- brane supérieure du disque se compose de plusieurs couches de petites cellules, et par conséquent son épaisseur estassez grande ; elle est enduite en dessous d’une couche de matière très-adhésive, qui s’élabore STRUCTURE. 2t dans le rostellum. Ce disque unique, en forme de selle, correspond exactement aux deux disques mem- braneux séparés, petits et ovales, auxquels sont fixés les caudicules chez l’O. mascula et les espèces voi- sines: ici, deux disques primitivement distincts se sont complètement soudés. Quand la fleur s’ouvre et que le rostellum, soit spontanément, soit à la suite d’un contact (j’ignore lequel des deux est vrai) s’est rompu suivant des li- gnes symétriques, il suffit de le toucher aussi légère- ment que possible, pour abaisser la lèvre, portion in- férieure et bilobée de sa membrane extérieure qui s’avance dans l’orifice du nectaire. Lorsque la lèvre s’est abaissée, la surface inférieure et visqueuse du disque, bien que restant dans sa position première, est à découvert, et il est presque sûr qu’elle s’atta- chera à l’objet qu’elle touche. Un cheveu d’homme introduit dans le nectaire est assez roide pour abaisser la lèvre, et la surface visqueuse de la selle s’attache à lui. Néanmoins, si la lèvre est trop légèrement tou- chée, elle se redresse et recouvre de nouveau le bord inférieur de' la selle. Pour bien juger delà parfaite adaptation des parties, on peut couper l’extrémité du nectaire et insérer une soie de porc dans l’ouverture ainsi faite, c’est-à-dire dans une direction inverse de celle que la nature s’est proposé de faire suivre aux papillons, quand ils engagent leur trompe dans la fleur; on peut ainsi OR CUIS P Y RAM I DALI S ORCHIS PYRAMDA.US. a. anthère. r. rostellum. /'. crête-guide du labellum. SS . STIGMATE. /. LÀBELLUH. 11. NECTAIRE. A. Fleur vue en face : les sépales et les pétales sont enlevés, sauf le labellum. — B. Fleur vue de côté : les sépales et pétales sont enlevés; le labellum est fendu en deux dans le sens de sa longueur ; Tune des parois de la partie supérieure du nectaire est coupée. — C. Les deux pollinies, attachées au disque visqueux en forme de selle. — D. Le disque ayant exécuté son pre- mier mouvement sans saisir aucun objet. — E. Le disque vu d'en haut, aplati de force, avec une de ses pollinies enlevées; on voit l’abaissement qui résulte du second acte de contraction. — F. Pollinie retirée par une aiguille qu’on a introduite dans le nectaire, après que par son premier mouvement elle a embrassé l’aiguille. — G. La môme pollinie, après le second mouvement d’abaissement et de contraction. 24 ORCHIS PYRAMIDÀI.IS. percer ou déchirer aisément lerostellum, sans jamais atteindre ou en atteignant rarement la selle. Aussitôt que la selle, s’attachant à la soie, est enlevée avec ses pollinies, la lèvre inférieure s’enroule rapidement de dehors en dedans, et laisse l’orifice du nectaire plus largement ouvert qu’il ne l’était d’abord. Cet acte est-il réellement utile aux petits papillons qui visitent si fréquemment ces fleurs, et par suite à la plante elle-même? Je ne prétends pas l’af- firmer. Enfin, le labellum est muni de deux crêtes proémi- nentes (/', fuj. À et B), inclinées en bas vers le centre et s’étalant au dehors comme l’ouverture d’un piège. Ces crêtes sont très-propres à diriger tout corps sou- ple, un cheveu ou un crin par exemple, vers l’entrée étroite et arrondie du nectaire qui, bien que déjà peu spacieuse, est encore en partie fermée par le ros- tellum. Ces crêtes, entre lesquellesglissent les trompes des insectes, peuvent être comparées au petit instru- ment dont on se sert parfois pour guider un fil dans le mince trou d’une aiguille. Voyons maintenant comment agissent ces organes. Qu’un papillon engage sa trompe (et nous allons voir de suite combien fréquemment les lépidoptères visi- tent ses fleurs) entre les deux crêtes-guides du label- lum, ou qu’on insère dans ce passage une soie très- fine, l’objet sera sûrement conduit à l’étroite entrée du nectaire, et ne pourra guère manquer d’abais- FÉCONDATION. 25 ser la lèvre du rostellum ; cela fait, la soie entre en contact avec la surface inférieure du disque en forme de selle qui est suspendu à l’entrée du nec- taire, surface gluante et qui vient d’être mise à nu. Si on retire la soie, on retire avec elle la selle et les pollinies qui lui sont attachées. Presque instantané- ment, dès que la selle est exposée à l’air, il se pro- duit un mouvement rapide ; les deux ailes du disque se recourbent en dedans et embrassent la soie. En enlevant les pollinies par leurs caudicules à l’aide d’une paire de pinces, de telle sorte que la selle n’ait rien à embrasser, j’ai vu ses deux bouts se recourber assez en dedans pour venir se toucher l’un l’autre, suivant mes observations, en neuf secondes (voy. la fig. D), et après neuf autres secondes,, le mouvement continuant, la selle prit l’apparence d’une balle com- pacte. J’ai examiné les trompes de plusieurs papillons, auxquelles étaient attachées des pollinies de cet Or- chis ; elles étaient si menues que les bouts de la selle se rencontraient juste sous elles. Un naturaliste qui m’envoya un papillon avec quelques pollinies atta- chées à sa trompe, et qui ignorait ce mouvement, fut très-naturellement amené à cette conclusion surpre- nante, que l’insecte avait été assez adroit pour percer le centre même de la glande visqueuse de quelque Orchidée. Sans doute, par cet enlacement rapide, le disque s’affermit sur la trompe et maintient les pollinies 26 ORCHIS PYRAMIDAL1S. dressées, ce qui est très-important; toutefois le dur- cissement si prompt de la matière visqueuse suffirait probablement pour atteindre ce but, et l’avantage réel ainsi obtenu est la divergence des pollinies. Les pollinies, attachées au sommet ou côté plat de la selle, sont d’abord dirigées directement en haut et presque parallèles Tune à l’autre; mais dès que ce côté plat s’enroule autour de la trompe fine et cylin- drique de l’insecte ou autour d’une soie de porc, les pollinies divergent forcément. Aussitôt que la selle a embrassé la soie et que les pollinies divergent, com- mence un second mouvement : comme le premier, il est exclusivement dû à la contraction du disque mem- braneux qui a la figure d’une selle, et sera plus com- plètement décrit dans le septième chapitre. Ce mou- vement est celui que nous avons constaté chez l’O. mascula et les espèces voisines; les deux pollinies di- vergentes, qui d’abord étaient perpendiculaires à l’ai- guille ou à la soie (voy. fig. F), décrivent un arc d’en- viron 90° en s’abaissant vers le bout de l’aiguille (voy. fig. G), et viennent finalement s’abattre dans la même direction qu’elle. Trois fois j’ai vu ce mouve- ment s’effectuer trente ou trente-quatre secondes après que les pollinies avaient été enlevées des loges de l’anthère, et par conséquent quinze se- condes après l’enlacement du disque autour de la soie. L’utilité de ce double mouvement devient évidente FÉCONDATION. 27 si l’on fait glisser une soie portant des pollinies qui ont divergé et se sont abaissées, entre les crêtes-guides du labellum, jusque dans le nectaire de la même ou d’une autre fleur (comparez les fig. A et G); on voit alors que les extrémités des pollinies ont pris exac- tement une position telle que l’une vient frapper un des stigmates, et qu’au même instant l’autre s’ap- plique sur celui du côté opposé. Les stigmates sont assez visqueux pour briser les fds élastiques qui relient les paquets de pollen, et on peut voir, même à l’œil nu, quelques grains d’un vert sombre retenus sur leurs surfaces blanches. J’ai montré cette petite expérience à plusieurs personnes, et toutes ont exprimé la plus vive admiration pour la manière merveilleuse dont se fertilise cette Or- chidée. Comme il n’est aucune autre plante, peut-être même aucun animal, chez qui les organes soient mieux adaptés les uns aux autres, et qui dans son en- semble soit plus en harmonie avec d’autres êtres organisés très-éloignés dans l’échelle de la na- ture, il serait juste que je résume en quelques mots les principaux traits de cette harmonie. Les fleurs recevant tour à tour la visite des lépidoptères diurnes et celle des nocturnes, ce n’est point, je pense, un caprice de l’imagination de croire que leur brillante livrée pourpre (qu’elle leur soit ou non donnée spé- cialement dans -ce but) attire ceux qui volent le jour, 28 ORCHIS PYRAMIDALIS. et que la forte odeur de renard qu’elles exhalent fait accourir les nocturnes. Le sépale et les deux pétales supérieurs forment un capuchon qui protège l’an- thère et les surfaces des stigmates contre le mauvais temps. Du labellum naît un long nectaire chargé d’at- tirer les papillons, et, comme des raisons que nous allons bientôt donner tendent à le prouver, le nectar est logé de telle manière qu’il ne peut être aspiré qu’avec lenteur (ce qui est tout différent dans plu- sieurs fleurs appartenant à d’autres tribus), afin que la matière visqueuse formant la partie inférieure de la selle ait le temps de devenir, grâce à sa curieuse pro- priété chimique, dure, sèche et adhérente. Il suffit d’introduire une soie de porc fine et llexible dans l’orifice ouvert entre les crêtes inclinées du labellum, pour se convaincre qu’elles guident la soie ou la trompe et l’empêchent effectivement de descendre obliquement dans le nectaire. Cette disposition est d’une importance évidente; car, si la trompe entrait obliquement, le disque en forme de selle s’attache- rait obliquement à elle, et, après les mouvements combinés des pollinies, celles-ci ne s’appliqueraient pas exactement sur les deux surfaces latérales du stigmate. Voyons maintenant le rostellum qui ferme en partie l’entrée du nectaire, semblable à un piège placé seu- le passage de l’oiseau ; piège si compliqué, si parfait, se rompant suivant des lignes symétriques pour FÉCONDATION. 29 former en haut le disque en forme de selle, en bas la lèvre de la poche; enfin cette lèvre si facile à abaisser, que la trompe d’un papillon peut à peine manquer de découvrir le disque visqueux et de s’attacher à lui ; si cependant elle ne le découvre pas, la lèvre, qui est élastique, se redresse, couvre de nouveau et conserve fraîche la surface gluante du disque. Voyons la ma- tière visqueuse qui est dans le rostellum, n’adhérant qu’à la selle et entourée de fluide, afin qu’elle ne durcisse pas avant l’enlèvement du disque; puis la face supérieure de la selle avec les caudicules qui lui sont attachés, également préservée de la dessiccation par la base des loges de l’anthère, jusqu’à ce qu’é- tant enlevée, elle commence aussitôt son curieux mouvement d’enlacement et fasse ainsi diverger les pollinies; vient ensuite le second mouvement qui les abaisse, et ces mouvement combinés ont exactement pour résultat de permettre que les bouts des pollinies viennent frapper les deux surfaces du stigmate. Ces surfaces ne sont pas assez visqueuses pour tirer à elles, en l’arrachant à la trompe de l’insecte, une pollinie tout entière, mais elles le sont assez pour rompre les fils élastiques et s’emparer de quelques paquets de pollen, en en laissant un grand nombre pour d’autres fleurs. Il faut observer que, bien que l’insecte mette pro- bablement un temps considérable à aspirer le nectar de chaque fleur, cependant le mouvement abaisseur 30 ORC1I1S USTULATA. des pollinies ne commence pas (je le sais par une ex- périence) avant qu’elles ne«oient tout à fait enlevées de leurs loges ; ce mouvement ne sera pas achevé, et les pollinies ne seront pas prêtes à couvrir les sur- faces du stigmate, avant qu’une demi-minute ne se soit écoulée; ce qui donnera largement au papillon le temps de voler sur une autre plante, afin que l’u- nion ait lieu entre deux individus distincts. Signa- lons enfin la merveilleuse production des tubes pol- liniques, leur marche à travers le tissu du stig- mate et les mystères de la germination, phénomènes communs d’ailleurs à toutes les plantes phanéro- games L ’Orchis ustulata 1 2 , semblable à plusieurs égards à l’Orchis pyramidalis, en diffère sous d’autres points de vue. Son labellum est creusé d’un profond canal ; ce canal, tenant lieu des crêtes-guides del’O. pyrami- dalis, conduit au petit et triangulaire orifice d’un court nectaire. Au-dessus de l’angle supérieur du triangle s’avance le rostellum, dont la poche est un peu aiguë en dessous. Par suite de cette position du 1 [Récemment, le professeur Treviranus a confirmé (Botanüche Zei- tung , 1865, p. 241) mes observations sur YOrchis ou Anacamptis pyra- midalis, el ne diffère de moi que sur un ou deux points secondaires. En Angleterre, d'autres observaleurs ont confirmé mes observations sur cette remarquable espèce.] G. I)., mai 1869. 2 Je suis très-obligé envers M. G. Chicliester Oxenden, de Broome Parle, qui m’a fourni des échantillons frais de cet Orchis, et avec une obligeance inépuisable, de nombreux échantillons de plantes vivantes et des indications concernant plusieurs de nos plus rares Orchidées. VISITES DES INSECTES. 31 rostellum tout auprès de l’entrée du nectaire, il y a né- cessairement deux stigmates latéraux; mais on peut re- marquer ici une intéressante gradation : le stigmate unique, médian, à peine lobé, del’O. maculata, devient bilobé chez l’O. mascula et franchement double chez l’O. pvramidalis ; mais il passe de l’une à l’autre de ces deux dernières formes, à l’aide d’une forme inter- médiaire : en effet, chez l’O. ustulata, immédiate- ment au-dessous du rostellum, se trouve une crête étroite qui relie les deux stigmates latéraux ; elle est formée d’utricules ou de tissu stigma tique, exacte- ment comme eux, et présente ainsi elle-même les ca- ractères d’un vrai stigmate. Les disques visqueux sont un peu allongés. Les pollinies exécutent le mouve- ment ordinaire d’abaissement, et en prenant cette position, afin d’être prêtes à frapper les deux stigmates latéraux, s’écartent un peu l’une de l’autre. Je viens de décrire, telle que je l’ai vue sur des plantes fraîches, la structure de plusieurs espèces anglaises du genre Orchis. Toutes ces espèces exigent absolument pour fructifier le concours des insectes. On le comprend, car les pollinies sont tellement en- fouies dans les loges de l’anthère, et le disque avec sa balle de matière visqueuse l’est tellement dans la poche du rostellum, qu’un coup ne saurait les faire tomber. Nous avons vu aussi les procédés très-variés par lesquels, après quelques instants, les pollinies prennent la position convenable pour frapper la sur- 52 VISITES DES INSECTES, face du stigmate, et cette étude montre qu’elles sont habituellement transportées d’une fleur à une autre. Mais, pour m’assurer de la nécessité de l’in- tervention des insectes, j’ai mis un pied d’Orchis morio sous une cloche, avant qu’aucune de ses polli- nies n’ait été enlevée, laissant à découvert trois pieds voisins de la même espèce. Chaque matin j’examinai ces derniers et constatai l’enlèvement de quelques pollinies. A la fin. toutes furent enlevées, sauf celles d’une fleur située au bas d’un épi et d’une ou deux fleurs au sommet de chaque épi, qui ne le furent jamais. Je regardai alors la plante très -bien por- tante que j’avais couverte d’une cloche, et, comme de juste, toutes ses pollinies étaient dans leurs loges. En répétant cette expériencesur des pieds d’O.mascula, j’obtins exactement le même résultat. Ceci montre que les épis placés sous la cloche, lorsqu’ensuite ils furent découverts, n’avaient pas perdu leurs pollinies et par conséquent ne produisirent pas de fruits, tandis que les pieds voisins donnèrent beaucoup de graines ; de ce fail, je conclus aussi qu’il existe sans doute un temps favorable à la fertilisation pour chaque espèce d’Orchis ; les insectes mettent fin à leurs visites dès que ce temps est passé et que la sé- crétion régulière du nectar n’a plus lieu. Depuis vingt ans j’observe les Orchidées, et je n’ai jamais pu voir un insecte visiter une fleur, excepté deux papillons qui aspiraient le nectar d’un Orchis VISITES DES INSECTES. 53 pyramidalis et d’un Gymnadenia conopsea. Je suis sûr que les abeilles visitent quelquefois les Orchidées *, car le professeur Westwood m’en a envoyé deux, l’une de ruche et l’autre sauvage, chargées de polli- nies; en outre, M. F. Bond m’apprend qu’il a vu des pollinies attachées à des abeilles d’une autre espèce ; cependant, je tiens presque pour certain que les Or- chis communs en Angleterre reçoivent rarement la visite des abeilles 2 . D’autre part, j’ai rencontré dans 1 M. Ménière (Bull. Soc. bot. de France, t. ï, 1854, p. 570) dit avoir vu, dans la collection du docteur Guépin, des abeilles prises à Saumur, ayant des pollinies d’Orchidées attachées à leur tête ; il raconte qu’une personne, qui élevait des abeilles près du jardin de la Faculté de Tou- louse, se plaignit de ce qu’elles revenaient du jardin avec la tête cou- verte de petits corps jaunes, dont elles ne pouvaient pas se débar- rasser. Ceci montre combien les pollinies sont fortement attachées. J’ignore si dans ce cas les pollinies appartenaient au genre Orchis ou à d’autres genres de la famille, que je sais être visités par les abeilles. 2 [Après de nouvelles recherches, je reconnais que c'est là une erreur. On peut, je crois, sûrement admettre que les Orchidées à très-longs nectaires, telles que Y Orchis (Anacamptis) pyramidalis, les Gymnadenia et les Platanlhera , sont habituellement fertilisées par des lépidoptères, et que celles dont les nectaires ont une dimension plus ordinaire, sont fécondées par des abeilles et des diptères; de sorte qu’il y a un rapport entre la largeur du nectaire et celle delà trompe de l’insecte qui fertilise la plante. J'ai vu maintenant Y Orchis morio fertilisé par diverses espèces d'abeilles, notamment par l’abeille domestique (Apis mcllifica) que j’ai vue parfois porter de dix à seize masses polliniques, par le Bombas muscorum (il avait plusieurs masses polliniques attachées à la surface nue qui est immédiatement au-dessus de ses mandibules), par YEucera longicornis (onze masses polliniques étaient fixées à sa tête) et par YOsmia ru fa. Ces abeilles et d’autres hyménoptères, mentionnés dans cet ouvrage, m’ont été nommés par notre plus haute autorité en cette ma- tière. M. Fred. Smith, du Muséum britannique. — Les diptères ont été déterminés par M. Walker, du même établissement. Dans l’Allemagne septentrionale, le docteur 11. Muller, de Lippstadt, a trouvé des masses VISITES DES INSECTES. 34 des ouvrages d’entomologie quelques exemples de pollinies qu’on avait vu attachées à des papillons de nuit.M. F. Bond a eu la bonté de m’envoyer un grand nombre de ces insectes dans cette condition, en me permettant d’enlever les pollinies, au risque d’abîmer les échantillons ; c’était chose tout à fait nécessaire pour déterminer les espèces auxquelles appartenaient les pollinies. Chose singulière, toutes ces pollinies (à l’exception d’un petit nombre d’entre elles qui appartenaient aux Orchidées du genre Ha- benaria, dont je vais bientôt parler) étaient celles de l’O. pyramidalis. Voici les noms de vingt-quatre lépi- i polliniques d’Orcliis morio portées par des Bombus silvantm, Lnpidarius , confusus et pratorum. Le même et excellent observateur a trouvé des pollinies û’ Orchis lati folia attachées à un Bombus ; mais cet. Orchis est aussi fréquenté par des diptères. Un de mes amis a examiné l’Orchis mascula, et vu plusieurs fleurs visitées par un Bombus, sans doute le Bombus muscorum. Mais je suis surpris de ce qu'on ait si rarement vu des insectes visiter une espèce aussi commune. Mou fils, M. Georges Darwin, qui s’occupe d’entomologie, a clairement expliqué le mode de fertilisation de Y Orchis uiaculata . Il a vu plusieurs fois une mouche (Empis livida ) insérer sa trompe dans le nectaire, et plus tard j’ai pu moi-même le constater. Il a recueilli six mouches de cette espece, qui portaient des pollinies attachées à leurs yeux sphériques, au niveau de la base des antennes. Ces pollinies avaient exécuté, le mouvement d’a- baissement, et se dirigeaient parallèlement à la trompe, un peu au- dessus d’elle ; elles étaient par conséquent dans une position excellente pour atteindre le stigmate. Une des mouches portait six pollinies ainsi attachées, et une autre en portait trois. Mon fils vit aussi une mouche plus petite et d’une autre espèce (Empis pennipes) insérer sa trompe dans le nectaire ; mais elle ne parut pas agir aussi bien et aussi régu- lièrement que la première ; une mouche de cette seconde espèce avait cinq pollinies, et une autre en avait trois; elles étaient fixées à la face dorsale convexe de leur thorax.] C. D., mai 1809. VISITES DES INSECTES. 55 doptères d’espèces différentes, qui portaient attachées à leur trompe les pollinies de cet Orchis : PIERIS BRASSICÆ. POLYOMMATÜS ALEXIS. LYCŒNA PIILŒAS. ARGE GALATEA. HESPERIA SYLVANÜS. HESPERIA LINEA. SYRICHTI1ÜS ALVEOLUS. ANT1IROCERA FILIPENDÜLÆ. ANTHROCERA TR1FOLI1 1 . LITIIOSIA COMPLANA. LEUCANIA L1TIIARGYRIA (deux specimens). CARADRINA BLANDA CARADRINA ALSINES. AGROTIS CATÀLEUCA. EUBDLIA MENSURARIA (deux spécimens). IIELIOTÜIS MARG1NATA (deux spécimens). EÜCLIDIA GLYPHICA. XYLOPHASIA SUBLUSTRIS (deux spécimens). ÎIADENA DESTINA. TOXOCAMI'A PASTlNUM. SJËLAN1PPE RI VARIA. SPILODES PALËALIS. SPII.ODES CINCTAUS. ACONTIA LUCTUOSA, La grande majorité de ces papillons portaient deux ou trois paires de pollinies, invariablement attachées à leur trompe. L’Acontia en avait sept paires et le Caradrina pas moins de onze ! Les trom- pes de ces deux papillons avaient un aspect étrange, arborescent (fig. 4). Les dis- ques en forme de selle adhé- raient à la trompe, rangés m ü Tête et trompe d un Acontia lue- l’un devant l’autre, avec une tuosa, avec sept paires de poi- ... „ . , , . Unies d’Orchis pvramidalis al- symetrie parfaite (comme cela tachées la trompe, devait nécessairement être, par suite delà direction que les crêtes-guides du labellum avaient imprimée à la trompe), et chaque selle portait sa paire de pollinies. 1 Je dois à M. Parfit t l’examen d’un papillon de celte espèce; le fait est mentionné dans the Entomologistes weeldy Intelligenccr , vol. II, p. 182, et vol. III, p. 5, 5 octobre 1857. Les pollinies furent prises par erreur pour celles d’un Ophrys apifera. Le pollen, naturellement jaune, était de- venu vert; mais ayant été lavé, puis desséché, il reprit sa couleur normale. VISITES DES INSECTES. 3(1 L’infortuné Caradrina, avec sa trompe ainsi encom- brée, aurait eu de la peine à atteindre l’extrémité d’un nectaire et serait bientôt mort de faim. Ces deux papillons doivent avoir visité beaucoup plus des sept ou onze fleurs dont ils portaient les dépouilles, car les pollinies les plus anciennement attachées avaient perdu beaucoup de pollen, montrant ainsi qu’elles avaient déjà payé leur tribut à plus d’un visqueux stigmate. Cette liste montre aussi combien d’espèces de lépi- doptères visitent une seule espèce d’Orchis. L’Hadena fréquente aussi les Ilabenarias. Toutes les Orchidées munies de nectaires en forme d’éperon sont sans doute visitées indifféremment par plusieurs espèces de papillons nocturnes. Deux fois j’ai vu le Gymna- denia conopsea, transplanté à plusieurs milles du lieu où il vivait, avoir presque toutes ses pollinies enle- vées. M. Marshall, d’Ely 1 , a fait la même remarque sur des pieds transplantés d’Orchis maculata. Bien que je ne puisse pas l’affirmer, je soupçonne que les Nœottiées elles Malaxidées, qui n’ont pas de nectaires en forme de tube, sont fréquentées par des insectes d’un autre ordre. Le Listera est généralement fertilisé par de petits hyménoptères, le Spiranthes par des abeilles sauvages. Suivant M. Marshall, pas une seule 1 Gardenefs Ckronicle , 18(51, p. 75. La note de M. Marshall est une réponse à quelques remarques que j’avais déjà publiées dans Gardenefs Ckronicle, 1800, p. 528. VISITES DES INSECTES. 57 pollinie ne fut enlevée sur quinze pieds d’Ophrys muscifera transplantés à Ely ; un Epipactis latifolia planté dans mon jardin, n’eut pas un meilleur sort pendant un premier été ; mais l’été suivant, six fleurs sur dix eurent leurs pollinies enlevées par quelque insecte. Ces faits paraissent indiquer que certaines Orchidées exigent, pour les fertiliser, des espèces déterminées d’insectes. Cependant, un Malaxis palu- dosa, transporté dans un marais distant de deux milles de celui où il croissait, eut immédiatement la plupart de ses pollinies enlevées. Le tableau suivant montre que, dans un grand nom- bre de cas, les papillons accomplissent avec succès leur œuvre de fertilisation ; mais il ne dit pas d’une manière exacte dans combien de cas ils réussissent. En effet, j’ai souvent trouvé presque toutes les pol- linies enlevées, mais, en général, mes observations précises n’ont porté que sur des cas exceptionnels, comme on peut en juger par les remarques jointes à cette liste. Déplus, dans plusieurs cas, les pollinies non enlevées appartenaient aux fleurs les plus hautes, au-dessous des boutons; plusieurs d’entre elles ont sans doute été enlevées plus tard. Plus d’une fois j’ai trouvé les stigmates couverts de pollen dans des fleurs qui n’avaient pas encore perdu leurs pollinies ; elles avaient donc reçu la visite des insectes. Dans beaucoup d’autres fleurs les pollinies avaient été prises, mais aucun pollen n’était encore déposé sur les stigmates. 58 VISITES DES INSECTES. ' Le second lot d’Orchis morio, dont il est question dans le tableau, montre quelle nuisible influence eut le temps extrêmement froid et humide de 1800 sur le nombre des visites des insectes, et par suite sur la fertilité de cette Orchidée. Il ne se produisit cette année qu’un très-petit nombre de graines. J’ai examiné des épis d’Orcbis pyramidalis dans lesquels chaque fleur épanouie avait ses pollinies en- levées. Les quarante-neuf fleurs inférieures d’un épi que m’envoya de Folkestone sir Charles Lyell, produi- sirent quarante-huit belles capsules ; et des soixante- neuf fleurs inférieures de trois autres épis, sept seu- lement n’en produisirent pas. Ces faits montrent d’une manière concluante avec quel succès les insectes s’ac- quittent de leur rôle d’intermédiaires matrimoniaux. Le troisième lot d’Orchis pyramidalis croissait sur un coteau escarpé, herbeux, s’avançant au-dessus de la mer, près de Torquay ; il n’y avait là nul buisson, nul abri pour l’insecte. Surpris du petit nombre des pollinies qui avaient été enlevées, bien que les épis fussent vieux et que plusieurs des fleurs inférieures fussent déjà flétries, je cueillis, pour les comparer aux premiers, six autres épis, dans deux vallons buis- sonneux et bien abrités, situés à un demi-mille de chaque côté du coteau découvert; ces épis étaient certainement plus jeunes etauraient probablement eu dans la suite plusieurs autres pollinies enlevées, mais on voit combien, même alors, ils avaient été plus VISITES DES INSECTES. 59 40 VISITES DES INSECTES. fréquemment visités par les papillons, et par consé- quent fertilisés, que ceux qui habitaient le rivage découvert. L’Ophrys abeille et POrchis pyramidal croissent, mêlés ensemble, sur plusieurs points de l’Angleterre ; il en était ainsi sur ce coteau, mais l’Ophrys abeille, au lieu d’être, comme de coutume, le plus rare des deux, était beaucoup plus abondant que POrchis pyramidal. Qui aurait soupçonné qu’une des principales causes de cette différence était proba- blement l’exposition de ce lieu peu agréable aux pa- pillons et, par suite, peu favorable à la fertilisation de POrchis pyramidal, mais n’influant en rien sur celle de l’Ophrys abeille qui, comme nous le verrons plus loin, ne dépend pas des insectes? J’ai examiné plusieurs épis d’Orchis latifolia, et connaissant bien l’état habituel de POrchis maculata, espèce très-voisine, je fus surpris devoir, dans neuf épis presque fanés, combien peu de pollinies avaient été enlevées. Une fois cependant, j’ai trouvé POrchis maculata encore plus mal fertilisé; sept épis portant trois cent quinze fleurs n’avaient produit que qua- rante-neuf capsules, ce qui fait en moyenne sept cap- sules pour chacun d’eux; les plantes, formant de vastes groupes, étaient rassemblées en plus grand nombre que je ne Pavais encore vu, et j’imagine que les papillons avaient trop de fleurs à sucer et à fertiliser. Sur d’autres plantes, croissant à peu de distance decet endroit, j’ai trouvé plus de trente capsules par épi. VISITES DES INSECTES. 41 L’Orchis fusca présente un exemple plus curieux de fertilisation imparfaite. J’ai examiné dix beaux épis provenant de deux localités du sud de Kent, que m’avaient envoyés M. Oxenden et M. Malden. La plu- part de leurs fleurs commençaient à se flétrir, et le pollen était moisi, même dans les plus hautes ; de là nous pouvons sûrement conclure qu’aucune pollinie n’aurait plus été enlevée. Je n’ai pu examiner en en- tier que deux épis, à cause de l’état trop avancé des fleurs, et le résultat qu’on peut voir sur le tableau ci-dessous, fut : cinquante-quatre fleurs avec leurs deux pollinies en place, et huit seulement avec une ou deux pollinies enlevées. Nous voyons dans cet Orchis et dans l’Orchis latifolia, qui n’avaient été ni l’un ni l’autre suffisamment visités, que les fleurs ayant encore une pollinie étaient plus nombreuses querelles qui les avaient perdues toutes deux. Parmi les fleurs appartenant aux autres épis d’Orchis fusca, j’en ai examiné plusieurs; le nombre des pollinies en- levées n’y était évidemment pas plus grand que dans les deux épis dont le tableau fait mention. Les dix épis réunis avaient eu trois cent cinquante-huit fleurs, mais conformément au petit nombre des pollinies enlevées, il ne s’était développé que onze capsules, et cinq épis sur dix n’en portaient pas une seule ; deux autres n’en avaient qu’une, et sur un seul le nombre s’élevait à quatre. Pour donner une preuve de ce que, comme je l’ai déjà dit, on trouve souvent 42 SÉCRÉTION DU NECTAR, imprégnés de pollen les stigmates des fleurs dont les propres pollinies sont encore en place, j’ajouterai que parmi les onze fleurs qui avaient produit des cap- sules, cinq avaient encore leurs deux pollinies en- fouies dans les loges de leur anthère. Ces faits font naturellement naître un soupçon : si l’O. fusca est si rare dans la Grande-Bretagne, n’est-ce point parce qu’il n’attire pas assez puissamment nos insectes, et par suite, ne donne pas assez de graines? C. K. Sprengel 1 a remarqué qu’en Allemagne l’O. militaris (considéré par Bentham comme une variété de l’O. fusca) n’est aussi, bien qu’à un moindre degré, qu’imparfaitement fertilisé; il a vu, en effet, cinq vieux épis, portant cent trente-huit fleurs, ne produire que trente et une capsules, et il compare cette espèce au Gymnademia conopsea, dont presque toutes les fleurs sonL fertiles. Il me reste à traiter un sujet curieux, voisin du pré- cédent. L’existence d’un nectaire en forme d’éperon, bien développé, semble impliquer la sécrétion du nec- tar. Et pourtant Sprengel, très-consciencieux obser- vateur, après de minutieuses recherches faites sur des fleurs d’O latifolia et d’O. morio, n’a pu décou- vrir une seule goutte de nectar ; Krünitz 2 n’en a pas trouvé non plus, ni sur le labellum, ni dans le nec- 1 Das Entdeckte Gcheimniss, etc., s. 404. 2 Cité par J. G. Kurr dans son Untersuchungen liber die Bedeutung der Nektdrien, 1853, s. *28. Voy. aussi das Entdeckte GeheimnisSj s. 405. SÉCRÉTION DU NECTAR. 45 taire des 0. morio, fusca, militaris, maculata et lati- folia. Pour moi, j’ai étudié les espèces déjà citées dans cet ouvrage, et je n’ai pu y trouver aucune trace de nectar. J’ai examiné, entre autres, onze fleurs d’O. maculata, provenant de différentes plantes et de dif- férents districts, et prises sur chaque épi dans les conditions les plus favorables, sans jamais voir même au microscope le plus petit atome de nectar. Sprcn- gel appelle ces fleurs Scheinmflb lumen , ou fleurs à faux nectar; il suppose, car il savait bien que la fé- condation ne peut avoir lieu sans les visites des in- sectes, que ces plantes doivent leur existence à un système suivi de tromperies. On ne peut pas croire à une aussi monstrueuse imposture, si l’on pense au nombre incalculable d’Orchidées qui ont dû vivre pen- dant d’immenses périodes d’années, et à l’interven- tion indispensable d’un insecte dans la naissance de chacune d’elles; si l’on pense aux dispositions spé- ciales d’où l’on doit conclure qu’un insecte, après avoir visité une fleur qui l’aurait trompé, va presque aussitôt s’abattre sur une seconde fleur pour que l’imprégnation du stigmate ait lieu; elle grand nom- bre des pollinies attachées aux trompes des papillons qui ont visité l’O. pyramidal nous donne de ce fait la preuve la plus décisive. Celui qui ajouterait foi à une telle doctrine abaisserait bien bas les facultés instinctives de plusieurs espèces de papillons. Pour mettre à l’épreuve leur instinct, j’ai fait U SÉCRÉTION DU NECTAR, la petite expérience suivante, que j’aurais dû insti- tuer sur une plus large échelle. J’enlevai dans un épi d’O. pvramidalis quelques fleurs déjà ouvertes, puis je coupai vers la moitié de leur longueur les nec- taires de six fleurs voisines qui n’étaient pas encore écloses. Lorsque toutes les fleurs furent presque flé- tries, je vis que sur quinze fleurs supérieures dont le nectaire était intact, treize avaient perdu leurs polli- nies ; deux seulement les avaient encore dans les loges de leur anthère. Des six fleurs dont j’avais mu- tilé les nectaires, trois avaient leurs pollinies enlevées et trois les avaient encore en place. Ce résultat sem- ble indiquer que les papillons n’agissent pas sans quel que intelligence. On peut dire que la nature a tenté, mais incomplè- tement, la meme expérience. En effet, M. Bentham 1 a montré que l’O. pyramidalis produit parfois des fleurs monstrueuses, dont le nectaire est tantôt nul, tantôt court et imparfait. Sir Charles Lvell m’a envoyé de Folkestone quelques épis qui comptaient plusieurs fleurs dans cet état: j’en ai vu six qui n’avaient pas le moindre vestige de nectaire, et leurs pollinies n’étaient pas enlevées. Sur environ douze autres fleurs ayant, soit un nectaire atrophié, soit un labellum anormal dont les crêtes-guides, tantôt faisaient dé- faut, tantôt étaient développées outre mesure et pre- 1 Handbook of the British Flora , 1858, p. 501. SÉCRÉTION DU NECTAR. 45 naient un aspect foliacé, une seule avait ses pollinies enlevées et l’ovaire d’une autre commençait à se gon- fler. J’ai remarqué que, dans les six premières fleurs et dans ces douze autres, les disques en forme de selle étaient dans un état parfait et enlaçaient prompte- ment une aiguille, lorsque celle-ci était convenable- ment insérée. Les papillons avaient dépouillé de leurs pollinies et très-bien fertilisé les fleurs normales que contenaient ces mêmes épis; tandis qu’ils avaient négligé de visiter leurs voisines monstrueuses, ou, s’ils les avaient visitées, le dérangement survenu dans les rouages si compliqués de la fleur avait mis obstacle à l’enlèvement des pollinies et empêché la fécondation. Ces quelques observations me portèrent de plus en plus à croire que nos Orchidées communes sécrètent du nectar, et je résolus d’examiner rigoureusement l’O. morio. Dès que plusieurs fleurs furent ouvertes, je me mis à les passer en revue pendant vingt-trois jours consécutifs: je les regardai après un brûlant soleil, après la pluie, à toute. heure; je mis les épis dans l’eau et je fis sur eux de nouvelles enquêtes à minuit, et le matin suivant, de bonne heure; j’irri- tai les nectaires avec un crin, je les soumis à l’action de vapeurs irritantes ; je pris des fleurs dont les pol- linies venaient tout récemment d’être enlevées par- les insectes, ce dont j’eus une fois une preuve parti- culière en trouvant au fond du nectaire quelques 46 SÉCRÉTION DU NECTAR, grains d’un pollen étranger 1 ; enfin j’observai des fleurs qui, par leur position dans l’épi, semblaient destinées à perdre bientôt leurs pollinies ; mais je ne vis jamais qu’un nectaire tout à fait sec. Ayant remarqué que, chez d’autres fleurs, la sé- crétion du nectar commence et s’arrête en très-peu de temps, je pensai que chez les Orchis elle se fait peuL-être au premier point du jour. En conséquence, comme l’O. pyramidalis est visité (on peut en juger par la liste placée plus haut) par des papillons et quelques autres lépidoptères diurnes (telles que l’An- throcera et l’Acontia), j’examinai avec soin son nec- taire, choisissant, comme je viens de le dire, des plantes provenant de différentes localités et les fleurs les plus convenables; mais les points luisants de l’intérieur du nectaire n’étaient pas humectés de la moindre gouttelette. De là nous pouvons sûrement conclure que jamais, ni dans mon pays, ni en Alle- magne, les nectaires des Orchidées citées plus haut ne contiennent de nectar. En examinant les nectaires des 0. morio et macu- lata, et surtout de l’O. pyramidalis, je fus surpris de voir combien les membranes intérieure et extérieure du tube ou éperon sont séparées l’une de l’autre; de 1 En mouillant et en séparant les deux lames de la trompe d’un papillon, qui portait des pollinies d’Habenaria attachées à sa tête, j’ai trouvé dans l’eau un nombre surprenant de grains de pollen, qui appar- tenaient à une autre plante. SÉCRÉTION DU NECTAR. 47 même, la structure délicate de la membrane inté- rieure que l’on peut très-aisément percer, et enfin la grande quantité de fluide contenu entre ces deux membranes, m’étonnèrent. Ce fluide est tellement abondant, qu’ayant d’abord simplement coupé les ex- trémités des nectaires d’un 0. pyramidalis, comme je les pressais faiblement sur la plaque de verre d’un microscope, de larges gouttes de fluide exsudèrent des extrémités que je venais de couper, et j’en con- clus que les éperons contenaient certainement du nectar. Mais lorsque je faisais avec soin, sans exercer aucune pression, une fente le long de la surface su- périeure, en regardant dans le tube, je trouvais la surface intérieure parfaitement sèche. J’examinai alors les nectaires du Gymnadenia co- nopsea (plante dont quelques botanistes- font un véri- table Orchis) et de l’Habenaria bifolia, qui sont tou- jours au tiers ou aux deux tiers pleins de nectar. La membrane intérieure avait la même structure que celle de l’O. pyramidal, étant couverte de papilles; mais il y avait entre elles une grande différence, car elle était immédiatement unie à la membrane exté- rieure, au lieu d’en être quelque peu séparée par un espace rempli de fluide, connue dans les espèces d’Or- cbis déjà citées. Ceci me conduit à supposer que, chez ces dernières, les papillons percent la faible mem- brane qui tapisse intérieurement les nectaires, et as- pirent le fluide qui s’amasse abondamment entre les 48 SÉCRÉTION DU NECTAR. deux membranes. Je n’ignore pas que c’esl là une audacieuse hypothèse; car il n’y a pas encore d’exem- ple de nectar contenu entre les deux membranes d’un nectaire 1 , ni de lépidoptères perforant à l’aide de leur trompe si délicate, même la plus faible membrane 8 . Nous avons vu combien et quels admirables rouages sont mis en jeu pour la fertilisation des Orchidées. Nous savons combien il est important que les polli- 1 Le cas qui s’en rapprocherait le plus, mais pourtant en resterait distinct, est celui de quelques plantes monocotylédones (décrit par Ad. Brongniart dans les Bull, de la Suc. bot . de France , 1. 1, 1854, p. 75) ; la sécrétion de leur nectar se fait entre les deux feuillets qui forment les cloisons de l’ovaire. Mais ce nectar est conduit au dehors par un canal excréteur, et, au point de vue morphologique, la surface sécrétante est une surface extérieure. 8 [J’ai repris mes observations sur les nectaires de quelques espèces communes, spécialement sur ceux de YOrchis morio, pendant que dif- ferentes abeilles visitaient continuellement ces fleurs; mais je n’ai jamais aperçu la plus mince gouttelette de nectar. — Chaque abeille laissait pendant un temps considérable sa trompe engagée dans le nectaire, et animée d’un mouvement continuel. J’ai vu un Empis se comporter de même sur YOrchis maculata , et j’ai découvert par hasard sur cet Orehis de petites taches brunes , où des piqûres avaient été faites antérieu- rement. On peut donc sûrement accepter mon hypothèse, que les insectes perforent le revêlement intérieur du nectaire et aspirent le fluide contenu entre les deux parois de ce tube. J’ai dit dans le texte que cette hypothèse était hardie, parce qu’on ne connaissait aucun exemple de lépidoptères perforant une membrane à l’aide de leur trompe délicate : mais j'apprends maintenant de M. R. Trimen, auteur d’un excellent travail sur les lépidoptères du cap de Bonne-Espérance, que dans ce pays les teignes et les papillons font beaucoup de mal aux pèches et aux prunes en perçant leur peau sur des points qui n’ont subi aucune rupture. Des faits qui seront avancés clans cet ouvrage, faits relatifs à des insectes qui rongent le labellum chez diverses Orchidées exotiques, comportent l’idée que des insectes d’Europe perforent la paroi interne des nectaires.] G. D., mai 1869. SÉCRÉTION DU NECTAR. 49 nies attachées à la tête ou à la trompe d’un insecte, ne s’abattent ni de côté ni en arrière. Nous savons que la balle de matière visqueuse qui termine en bas la pollinie devient rapidement de plus en plus vis- queuse, se coagule et durcit en quelques minutes ; nous allons voir aussi que si les papillons éprouvent un retard en aspirant la liqueur du nectaire, c’est un avantage pour la plante, car alors le disque visqueux a le temps de se fixer inébranlablement sur son véhi- cule. Il est certain qu’ils éprouveraient un retard, s’ils avaient à percer quelque point de la membrane intérieure du nectaire et à puiser le nectar dans les espaces intercellulaires. L’avantage qui en résulterait est une preuve à l’appui de cette hypothèse, que les nectaires des espèces d’Orchis citées plus haut ne dé- versent pas le nectar à l’extérieur, mais le déposent dans des réservoirs intérieurs. La singulière observation qui suit confirme encore mieux cette vue. Je n’ai vu les nectaires contenir du nectar que chez cinq espèces anglaises d’Ophrydées, les Gymnadenia conopsea et albida, les Ilabenaria bi- folia et chlorantha et le Peristylus (ou Ilabenaria) vi- ridis. Dans les quatre premières espèces, la surface visqueuse des disques des pollinies, au lieu d’être enfouie dans une poche, est à découvert : ce qui mon- tre bien que la matière visqueuse n’a pas ici les mêmes propriétés chimiques que chez les véritables Ürchis, et ne durcit pas aussitôt qu’elle est exposée 50 SÉCRÉTION DU NECTAR, à l’air. Pour m’en assurer directement, j’ai enlevé les pollinies des loges de l’anthère, de sorte que les surfaces supérieure et inférieure des disques fu- rent, l’une et l’autre, librement exposées à l’air. Le disque du Gymnadenia conopsea resta gluant pendant deux heures, celui de l’Habenaria clilorantha pen- dant plus de vingt-quatre heures. Dans le Peristylus viridis, une membrane en forme de poche recouvre le disque, mais elle est si menue que les botanistes ne font pas mention d’elle. Lorsque j’ai examiné cette espèce, je ne voyais pas encore quelle impor- tance il y a à connaître exactement la rapidité avec laquelle durcit la matière visqueuse; mais voici ce que j’écrivis dans mes notes à cette époque: le disque reste visqueux pendant quelque temps, après qu’on l’a retiré de sa petite pocbe. Maintenant le sens de ces faits est clair; si, comme cela est sans nul doute, la matière visqueuse des disques chez ces cinq dernières espèces est assez gluante pour pouvoir de suite souder fortement les pollinies aux insectes, et si elle ne devient pas rapi- dement de plus en plus visqueuse et dure, il n’est pas nécessaire que les papillons mettent longtemps à aspirer le nectar et soient obligés de percer sur quel- ques points la paroi interne des nectaires ; aussi est- ce exclusivement dans ces cinq espèces que nous trouvons une ample provision de nectar amassée, pour l’usage des insectes, dans le tube ouvert de ces SÉCRÉTION DU NECTAR. 51 organes. Ainsi, quand la matière visqueuse demande quelques instants pour jouer son rôle de ciment, le nectar est logé de telle manière que les papillons mettent plus de temps à l’atteindre ; et quand cette matière est tout d’abord aussi gluante qu’elle le sera jamais, le nectar est tout prêt à être rapidement as- piré : si cette double coïncidence est accidentelle, c’est un heureux accident pour la plante; mais si elle n’est pas fortuite, et je ne puis croire qu’elle le soit, quelle merveilleuse harmonie 1 ! 1 [Depuis la publication de ce travail, les observations suivantes ont été publiées sur des formes voisines de celles que j'ai étudiées. M. J. Traherne Moggridge a donné (Journal of Linnæan Society, vol. VIII, Botany, 1805, p. 256) des détails très-intéressants sur la structure et le mode de fertilisation de YOrchis ou Aceras longibructeata. Comme chez VOrchis pyramidalis, les deux pollinies sont attachées à un seul et même disque visqueux; mais, contrairement à ce qui a lieu chez cette espèce, après avoir été retirées des loges de l’anthère, elles convergent l’une vers l’autre, puis obéissent au mouvement d’abaissement. Mais ce qu’il y a de plus intéressant dans cette espèce, c’est que les insectes puisent le nectar dans de petites cellules ouvertes, donnant à la surface du labelluin rapparence d’un gâteau de miel. M. Moggridge a vu cette plante fécondée par une grosse abeille, le Xylocopa violacea ; il rapporte aussi quelques observations relatives à YOrchis hircina , et décrit la structure et le mode de fertilisation du Serapias cordigera , fécondé par une autre abeille, le CeraLina albilabris . Chez ce Serapias, les deux pollinies sont attachées à un seul disque, après leur enlèvement ; elles sont d’abord inclinées en arrière, mais bientôt après, elles se porlent en avant et en bas de la manière ordinaire. Comme la cavité du stigmate est étroite, les pollinies sont guidées vers elle par deux crêtes, M. Moggridge m’a envoyé de L’Italie septentrionale des plantes vivantes d'Orchis ou Neolinea intacla, accompagnées d’excellents dessins et d’un exposé complet de la structure de toutes les parties. 11 m’apprend que cette espèce produit des graines sans l’intervention des insectes, cas rare chez les Orchidées. Je me suis assuré moi-même de la vérité de ce 52 SÉCRÉTION DU NECTAR. ait en couvrant une plante ; presque toutes les fleurs fructifièrent. Ceci tient à ce que le pollen est extrêmement peu cohérent, et tombe sur le stigmate. Cependant les fleurs sont pourvues d’un court nectaire, et les pollinies ont de petits disques visqueux ; toutes ces parties sont dis- posées de telle sorte que, si un insecte les visitait, les masses polliniques seraient probablement enlevées, mais avec moins de succès que chez beaucoup d’autres Orchidées. Nous trouverons dans la suite un petit nombre d’Orchidées qui présentent des particularités de structure dis- posées à la fois en vue du croisement et de la fécondation de chaque fleur par elle-même. Je peux consulter ici un Mémoire de M. R. Trimen ( Journal of Lin- næan Society, vol. VII, Botany, 1863, p. 144) sur le merveilleux Disa grandiflora , du cap de Bonne-Espérance. Cette espèce présente quelques caractères remarquables : ainsi, les pollinies n’exécutent aucun mouve- ment spontané d’abaissement, car le poids des masses polliniques suffit pour plier la caudicule et lui donner la courbure sans laquelle la fécon- dation ne pourrait s’opérer ; on doit noter aussi que le sépale postérieur sécrète du nectar, et se prolonge en un éperon semblable au nectaire. M. Trimen m’apprend qu’il a vu un insecte de l’ordre des diptères, voisin des bombylius, fréquenter ces fleurs ; je dois ajouter qu’il m’a envoyé la description et des spécimens de différentes autres Orchidées du sud de l’Afrique, confirmant les conclusions générales auxquelles je suis arrivé.] C. D., mai 1869. CHAPITRE II Suite des Ophrydées. — Ophrys mouche et araignée. — Ophrys abeille, en apparence organisé pour se fertiliser toujours lui-même, mais avec des dispositions contraires favorables au croisement. — L’Orcbis gre- nouille; fécondation due à ce que deux parties du labellum sécrètent du nectar. — Gymnadenia conopsea. — Grand et petit Orchis papillon ; leurs différences et leurs modes de fertilisation. — Exposé des divers mouvements des pollinies. Nous arrivons à ces genres d’Ophrydées qui diffè- rent surtout des Orchis, parce que leurs deux rostel- 1 u ms 1 en forme de poche sont distincts au lieu d’être soudés ensemble. Commençons par le genre Ophrys. Dans 1 ’Ophrys muscifera ou Ophrys mouche, le eau- 1 11 n’est pas correct de parler de deux rostellums, mais on me par- donnera cette incorrection à cause de ses avantages. Rigoureusement, le rostellum est un organe impair, résultant d’une modification du stigmate ou du carpelle postérieur; ainsi, chez les Ophrys les deux poches et l’espace qui les sépare forment par leur ensemble le vrai rostellum. De même, chez les Orchis, j’ai parlé de l’organe en forme de poche comme s’il était tout le rostellum, mais en réalité cette dénomination s’applique aussi à la petite crête ou repli membraneux qui s’avance entre les bases des loges staminales. Celte crête plissée ( quelquefois convertie en un sillon) répond au sillon uni qui s’étend entre les deux poches chez les Ophrys, et, si elle est saillante et plissée, elle le doit au rapprochement et à la fusion de ces deux poches. Usera plus complètement question de cette modification dans le septième chapitre. 51 OPHRYS MÜÜCIIE. dieulede la pollinie (B) est courbédeux fois, presque à angle droit. La pièce membraneuse presque circu- laire, au côté inférieur de laquelle est attachée la balle de matière visqueuse, est d’une dimension con- Fig. 5. a. ANTHÈRE. S. STIGMATE. rr. ROSTELLUM. Z. LABELMJM. A. Face antérieure de la fleur : les deux pétales supérieurs sont presque cy- lindriques et filiformes. Les deux rostellums se voient un peu en avant des bases des loges staminales, mais la réduction du dessin empêche de s’en rendre compte. lî. Une des pollinies retirée de sa loge et vue latéralement. sidérable; elle forme nettement le sommet du rostel- lum, au lieu de n’en former, comme chez les Orchis, que la surface postérieure et supérieure; par suite, dès que la fleur s’ouvre, l’extrémité du caudicule qui FÉCONDATION. 55 lui est attachée, est exposée à l’air. Comme on pou- vait s’y attendre d’après cela, le caudicule ne peut pas exécuter ce mouvement d’abaissement qui carac- térise toutes les espèces d’Orchis; car ce mouvement se produit toujours quand la membrane supérieure du disque est pour la première fois exposée à l’air 1 . La balle visqueuse est entourée de fluide, dans la poche formée par la moitié inférieure du rostellum ; et ceci est nécessaire, caria matière visqueuse se dessèche rapidement à l’air. La poche n’est pas élastique et ne peut pas se relever après l’enlèvement de la pollinie. Une telle élasticité n’aurait pas été utile, car ici cha- que disque visqueux a une poche spéciale ; chez les Orchis, au contraire, quand une pollinie a été enlevée, l’autre doit rester recouverte afin d’être toujours prête à s’acquitter de ses fonctions. 11 semble que la 1 [M. T.-1L Farrer, qui a étudié dernièrement la fertilisation de diffé- rentes plantes, m’a convaincu que je m’étais trompé, et que les pollinies de cet Oplirys exécutent le mouvement d’abaissement. Quand l'atmos- phère est très-humide, le mouvement est lent. Mes remarques sur les rapports de diverses plantes entre elles sont donc jusqu’à un certain degré confirmées, mais on ne peut douter que le caudicule naturelle- ment recourbé ne joue un rôle important, en plaçant la masse pollinique dans une position couvenable pour qu elle trappe le stigmate. Continuant à examiner à l'occasion cette espèce, je n’ai jamais pu voir les insectes visiter ses fleurs; mais j’ai été amené à soupçonner qu’ils piquent ou rongent les petites proéminences d’aspect métallique qui existent sous les disques visqueux et se voient aussi chez les espèces voisines. J’ai quelquefois aperçu sur ces proéminences de très-petites piqûres, mais sans pouvoir décider si elles étaient l’œuvre des insectes, ou si elles étaient dues à la rupture spontanée de quelques cellules superficielles.] C. T)., mai 1809. 56 0P1IRYS MOUCHE. nature soit économe au point de s’épargner la dépense d’un peu d’élasticité superflue. Les pollinies ne peuvent pas, comme j’cn ai sou- vent fait l’expérience, être expulsées violemment de leurs cellules. Il est certain, comme nous allons le voir de suite, que quelques insectes visitent, quoique rarement, ces fleurs et enlèvent leurs pol- linies. Deux lois j’ai trouvé le stigmate bien garni de pollen dans des fleurs qui avaient encore leurs deux pollinies dans leurs cellules; et si j’avais examiné un plus grand nombre de fleurs, j’aurais, sans nul doute, observé ce fait plus souvent. Le label- lum allongé de l’Ophrys mouche est un bon lieu de repos pour les insectes: à sa base, juste au-dessous du stigmate, il présente une dépression profonde qui rappelle le nectaire des Orchis ; mais je n’ai jamais trouvé aucune trace de nectar. En outre, bien que j’aie souvent observé ces fleurs sans apparence et sans parfum, je n’ai jamais vu un insecte s’approcher d’elles. De chaque côté de la base du labellum se trouve une excroissance brillante, douée d’un éclat presque métallique, semblable à une gouttelette de fluide ; si dans quelques cas je pouvais croire aux faux nectaires de Sprengel, ce serait dans celui-ci. Pour- quoi les insectes visitent-ils ces fleurs? Je ne peux jusqu’à présent que le conjecturer. Les deux poches qui recou vrent les disques visqueux ne sont pas très-éloignées l’une de l’autre et s’avancent au-des- FÉCONDATION. 57 sus du stigmate : un objet doucement poussé en droite ligne vers l’une d’elles ( dans un Orchis il fau- drait qu’il soit dirigé plus bas) abaisse la poche, touche la balle visqueuse et s’attache à elle, et la pollinie est facilement enlevée. La structure de la fleur me conduit à penser que de petits insectes (comme nous le verrons aussi à propos du Listera) montent le long du labellum jus- qu’à sa base, et qu’inclinant et relevant tour à tour leur tète, ils viennent frapper une des poches; ils s’envolent alors sur une autre fleur avec une pollinie attachée à leur tête, et là, montant de nouveau du sommet à la base du labellum, ils portent la pollinie qui, grâce à la double courbure de son caudicule, vient frapper la surface gluante du stigmate et y laisse du pollen. En étudiant les espèces voisines, nous trouverons de bonnes raisons pour croire que, dans l’Ophrys mouche, le double pli du caudicule remplace le mouvement ordinaire d’abaissement. Les faits suivants montrentque les insectes visitent les fleurs de l’Ophrys mouche et en transportent les pollinies, bien que d’une manière insuffisante. Pen- dant quelques années avant 1858, j’eus l’occasion d’examiner quelques fleurs: j’ai trouvé que sur cent deux d’entre elles, treize seulement avaient une ou deux pollinies enlevées. A cette époque j’écrivis dans mes notes que la plupart de ces fleurs commençaient à se flétrir; cependant je crois avoir compris parmi 58 OPHRYS MOUCHE. elles bon nombre de fleurs fraîchement épanouies, qui peut-être ont été visitées dans la suite. C’est pour- quoi je préfère n’ajouter foi qu’aux observations sui- vantes. Nombre des Heurs dont les deux pollinies ou l'une d'elles avaient été enlevées par les insectes. Sombre des fleurs dont les deux pollinies restaient dans leurs cellules. En 1858, 17 plantes portant 57 fleurs, crois- sant les unes à côté des autres 50 27 En 1858, 25 plantes portant 65 fleurs, crois- sant séparées les unes des autres 15 50 En 1860, 17 plantes portant 61 fleurs. . . . 28 33 En 1861, 4 plantes ayant 24 fleurs, provenant du sud de Kent. (Toutes les précédentes vi- vaient dans le nord du môme comté. ) . . . 15 9 Total 88 119 Ainsi, sur deux cent sept fleurs que j’ai examinées, il n’y en avait pas la moitié qui avaient reçu la visite des insectes; sur les quatre-vingt-huit fleurs visitées, trente et une n’avaient perdu qu’une pollinie. Comme, les visites des insectes sont indispensables à la fer- tilisation de cet Ophrys, il est surprenant (comme pour l’Orchis fusca) que la nature ne l’ait pas rendu plus attrayant pour ces petits animaux. Le nombre des capsules produites est même proportionnelle- ment moindre que celui des fleurs visitées. L’an 1861 fut très-favorable àl’Ophrys mouche dans cette partie OPHRYS ARAIGNÉE. 59 du comté de Kent, et jamais je n’ai vu fleurir un plus grand nombre de ces plantes; j’ai profité de cette occasion pour en observer onze, qui portaient qua- rante-neuf fleurs, mais elles ne produisirent que sept capsules. Deux de ces plantes portèrent chacune deux capsules, trois autres en donnèrent une, de sorte qu’il n’y eut pas moins de six plantes qui furent tout à fait stériles! Que devons-nous conclure de ces faits? Les conditions de vie sont -elles peu favorables à cette espèce, bien que, cette année, elle se soit assez multipliée en certains endroits pour mériter d’être qualifiée de très-commune? La plante pourrait-elle nourrir plus de graines, et serait-ce pour elle un avantage d’être plus féconde? Pourquoi se couvre-t-elle de tant de fleurs, s’il ne lui est pas utile de produire plus de graines ? Sans doute, il y a dans le mécanisme de sa vie quelque chose que nous ne pouvons saisir. Nous allons bientôt voir quel remarquable contraste existe, au point de vue de la production des graines, entre cette espèce et une autre du même genre, l’Ophrys apifera ou Ophrys abeille. Ophrys aranifera , ou Ophrys araignée. — J’ai pu, grâce à M. Oxenden, observer quelques épis de cette espèce rare. Le caudicule (fig. À) s’élève d’abord per- pendiculairement au disque visqueux, puis se courbe ou s’incline en avant delà même manière, mais à un moindre degré, que dans la dernière espèce. Le point d’attache du caudicule avec la membrane du disque 60 Ol’HRYS ARAIGNÉE. OPHRYS ARASIFERA. est caché dans les bases des loges staminales, et ainsi il reste humide. Par suite, dès que les pollinies sont exposées à l’air, le mouvement ordinaire d’abais- sement a lieu, et elles s’abattent en décrivant à peu près un arc de 90°. Par ce mouvement les pollinies (je suppose qu’elles se soient at- tachées à la tète d’un insecte) prennent exactement la posi- tion convenable pour couvrir a. Pollinie avant son abais- la surface du stigmate, qui R. Pollinie S “; 0 n abaisse- est situé > relativement aux raent - rostellums, un peu plus bas dans cette Heur que dans celle de l’Ophrys mouche. Si l’on compare, sur la gravure qui les représente, une pollinie d’Ophrys araignée après son mouvement, avec une pollinie d’Ophrys mouche qui n’a pas la fa- culté de se mouvoir, il est impossible de douter que la courbure rectangulaire et permanente de la der- nière ne serve pas au même usage que le mouvement d’abaissement. J’ai examiné quatorze fleurs d’Ophrys araignée, parmi lesquelles quelques-unes commençaient à se flétrir ; aucune n’avait perdu ses deux pollinies, et trois seulement ri’en avaient plus qu’une. Cette espèce paraît donc, comme l’Ophrys mouche, n’être pas très- fréquemment visitée par les insectes. Les loges de l’anthère s’ouvrent si largement, OPHRYS ABEILLE. 61 que deux paires de pollinies voyageant dans une boîte tombèrent de ces cavités, et s’attachèrent à la fleur par leurs disques visqueux. Il y a ici, comme dans toute la nature, une gradation évidente ; en effet, l’étendue considérable de l’ouverture des loges sta- minales n’a pas d’utilité pour cette espèce, mais elle est de la plus haute importance, comme nous allons le voir immédiatement, dans l’espèce suivante, l’Ophrys abeille. De même, l’inflexion de l’extrémité supérieure du caudicule vers le labellum, sans la- quelle, chez les Ophrvs mouche et araignée, la pol- linie qu’un insecte vient d’enlever et de déposer au sein d’une nouvelle fleur ne pourrait frapper le stig- mate, est exagérée dans l’espèce suivante, mais pour servir à l’accomplissement d’une tout autre vue, la fécondation d’une fleur par elle-même 1 . Ophrys apifera. — Dans l’Ophrys abeille, nous trou- vons des moyens de fertilisation tout à fait spéciaux, si on le compare aux autres espèces du même genre, et même, autant que je peux le savoir, à toutes les 1 [F. Delpino dit ( Feco?idazione nelle piante f etc., Firenze, 18G7) avoir examiné en Italie plus de dix mille individus de cetle espèce, et constaté qu’elle fructifie rarement. Cet Ophrys ne décrète pas de nectar*, llien qu’il n’ait jamais vu d’irisecte sur ces fleurs (sauf une fois, une sauterelle verte), il sait qu'elles sont fécondées par les insectes, ayant trouvé du pollen sur les stigmates de quelques-unes, alors que leurs pollinies étaient encore dans les loges de l’anthère. Les pollinies ne tombent jamais spontanément. Le môme auteur parait croire que j’ad- mets la fertilisation directe chez cet Ophrys; c’est une erreur.] C. D., mai 1869. OPIIRYS ABEILLE. 02 autres Orchidées. Pour les deux poches du rostel- lum, les disques visqueux, la position du stigmate, il ne diffère presque pas des autres Ophrys; mais j’ai remarqué avec surprise qu’il n’en est pas de même pour l’espace qui s’étend entre les deux poches et pour la forme des masses de pollen. Les caudicules des pollinies sont notablement longs, Fig. 7. OPHRYS APIFERA, OU OPIIRYS ABEILLE. a. ANTHÈRE. II. LABELLUM. A. Vue latérale delà fleur, le sépale et les deux pétales supérieurs étant en- levés. Une pollinie, dont le disque est encore dans le rostellum, est figurée au moment où elle tombe de sa loge ; l'autre, dont la chute est presque terminée, regarde déjà la surface cachée du stigmate, fi Pollinie dans la position qu’elle occupe dans sa loge. minces et flexibles, au lieu d’être, comme chez les autres Ophrydées, assez fermes pour se tenir dres- sés. Par suite de la forme des loges staminales, ils sont forcément courbés en avant à leurs extré- 65 FÉCONDATION SANS CROISEMENT, mités supérieures ; les masses de pollen, dont la forme est celle d’une poire, sont logées tout à fait en haut et précisément au-dessus du stigmate. Les loges de l’anthère s’ouvrent d’elles-mèmes dès que la fleur est entièrement épanouie, les gros bouts des pollinies s’en dégagent et tombent, mais les disques visqueux restent toujours dans leurs poches. Quel- que faible que soit le poids du pollen, le caudicule est si mince et devient bientôt si flexible, qu’en peu d’heures les pollinies s’abattent jusqu’à pendre libre- ment dans l’air (voy. la pollinie la plus basse dans la fig. À), exactement vis-à-vis de la surface du stig- mate. Qu’un léger souffle, effleurant les pétales étalés de l’Ophrys, vienne alors ébranler leurs flexibles et élastiques supports, et presque immédiatement elles frapperont le stigmate : dès lors elles ont atteint leur but et l’imprégnation a lieu. Pour m’assurer que nul autre secours n’intervenait dans cet acte, bien que cette expérience fût superflue, je mis une plante sous un filet, afin que le vent puisse agir sur elle sans qu’aucun insecte la visite peu de jours après, les pollinies étaient attachées aux stigmates ; mais sur un épi qu’on laissait sous l’eau dans une chambre tranquille, les pollinies restèrent libres, suspendues en face du stigmate. Piobert Brown 1 a remarqué le premier que la struc- 1 Transact. Linn. Soc., vol. XVI, p. 740. Brown croyait à tort que c’est là un caractère commun à tout Je genre Oplirys. Sur les quatre (34 OPHRYS ABEILLE. ture de l’Üphrys abeille est favorable à la fécondation directe. Si l’on considère la longueur inusitée et par- faitement calculée, la ténuité frappante des caudi- cules des pollinies ; si l’on remarque que les loges de l’anthère s’ouvrent d’elles-mêmes, et que les masses de pollen, en vertu de leur poids, tombent lentement jusqu’au niveau exact de la surface des stigmates, puis oscillent au gré du plus léger souffle, jusqu’à ce qu’elles viennent à la frapper; on ne peut douter que ces details de structure et de fonction, que ne nous offre aucune autre Orchidée d’Angleterre, aient pour objet spécial la fécondation sans croisement. Le résultat est tel qu’on pourrait le prévoir. J’ai souvent remarqué que les épis de l’Ophrys abeille semblent produire autant de fruits que de fleurs ; près de Torquay, j’ai examiné avec soin plusieurs douzaines de plantes, quelque temps après leur flo- raison; sur toutes, j’ai trouvé de une à quatre, et une fois cinq belles capsules, c’est-à-dire autant de capsules qu’il y avait eu de fleurs ; je n’ai trouvé des fleurs stériles, en négligeant quelques fleurs mal formées, situées généralement au sommet de l’épi, que dans un très-petit nombre de cas. Il est bon d’ob- server quel contraste présente ce cas avec celui de l’Ophrys mouche, qui demande l’intervention des in- espèces d’Ophrys qui croissent en Angleterre, celle-ci est la seule à la- quelle il s’applique. FÉCONDATION SANS CROISEMENT. 65 secles, et dont quarante-neuf fleurs n’ont produit que sept capsules. En raison de ce que j’avais vu chez les autres Orchi- dées anglaises, la découverte de la fécondation directe de cette espèce me causa une telle surprise, que du- rant plusieurs années j’observai l’état des masses polliniques dans des centaines de fleurs; mais je n’ai jamais rencontré, pas même une seule fois, des motifs pour croire que le pollen ait été transporté d’une fleur à une autre. Sauf dans quelques fleurs monstrueuses, je n’ai jamais vu une pollinie manquer de s’unir au stigmate de sa propre fleur 1 . Dans un très-petit nom- bre de cas, j’ai constaté la disparition d’une pollinie, mais dans quelques-uns d’entre eux des traces de matière visqueuse étant restées, j’ai pensé que des limaces l’avaient dévorée. Par exemple, en 1860, j’ai examiné dans le nord du comté de Kent douze épis portant trente-neuf fleurs : trois d’entre elles avaient leurs pollinies enlevées, et toutes les autres pollinies étaient adhérentes à leurs stigmates respectifs. Ce- pendant, dans un lot provenant d’une autre loca- lité, j’ai trouvé un cas sans autre exemple : deux fleurs avaient perdu leurs deux pollinies et deux autres n’en avaient plus qu’une. J’ai trouvé sur des 1 [Pour quelque raison que je ne comprends pas, dans un très-grand nombre de plantes des environs (Kent), pendant l’été de 1868, les pol- linies ne sont pas tombées spontanément des loges de Panthère , ou ne sont tombées que longtemps après P éclosion de la fleur.] C. I) , mai 1869. 5 60 OPHRYS ABEILLE, fleurs venant du sud de Kent le même résultat. Près de Torquay, j’ai vu douze épis portant trente-huit Heurs, chez lesquelles une seule pollinie avait été enlevée. N’oublions pas que des ébranlements pro- duits par les animaux, ou les orages, peuvent occa- sionnellement causer la perte d’une pollinie. Dans l’île de Wight, M. A. -G. More a eu la bonté d’examiner avec soin un grand nombre de fleurs. Il a remarqué que, dans les plantes croissant isolément, les deux pollinies étaient invariablement présentes. Mais parmi plusieurs plantes qui vivaient dans deux localités distinctes, en ayant pris quelques-unes chez lui, et choisissant les pieds qui semblaient avoir eu les pollinies enlevées, il examina cent trente-six fleurs : dix d’entre elles avaient perdu leurs deux pollinies, quatorze en avaient perdu une ; ainsi il semblait tout d’abord évident que ces pollinies avaient été trans- portées, attachées à quelque insecte. Mais ensuite M. More ne trouva pas moins de onze pollinies, non comprises dans celles citées plus haut comme enle- vées, dont les caudicules avaient été coupés ou rongés de tous côtés, mais dont les disques visqueux étaient toujours dans les poches; ceci prouve que quelques animaux autres que des insectes, probablement des limaces, s’étaient mis à l’œuvre. Trois fleurs étaient en grande partie rongées. Deux pollinies qui avaient été apparemment entraînées par un vent violent, étaient collées aux sépales; on en trouva trois autres FÉCONDATION SANS CROISEMENT. 67 errant dans la boîte où avaient été rassemblées les plantes; il est donc douteux que plusieurs polli- nies, ou même qu’une d’entre elles, aient été en- levées par les insectes. J’ajouterai seulement que je n’ai jamais vu un insecte visiter ces fleurs 1 . Robert Brown a imaginé qu’elles ressemblent aux abeilles afin que les insectes ne songent pas à leur faire visite ; je ne suis pas de cette opinion. La ressemblance, peut-être plus frappante, de la fleur de l’Ophrys mouche à un insecte, n’empêche pas quelque insecte inconnu de la visiter : ce qui, dans cette espèce, est indispensable pour la fécondation. Soit que nous poussions l’examen anatomique de certaines parties de la fleur aussi loin que nous ve- nons de le faire, soit que nous nous attachions à l’état actuel des pollinies, chez un grand nombre de plantes cueillies dans différentes saisons et provenant de di- verses localités, ou au nombre des capsules fertiles qu’elles ont produites, il est évident, semble-t-il, que nous avons là une plante qui se fertilise toujours di- rectement. Mais voyons maintenant l’autre côté de la question. Lorsqu’on pousse un objet, comme chez l’Ophrys mouche, droit contre l’une des poches du rostellum, la lèvre s’abaisse, le disque, qui est large 1 M. Gérard E. Smith, dans son Catalogue of plants ofS. Kent , 1829, p. 25, dit : « M. l’rice a souvent élé témoin d'attaques faites par une abeille sur l’Ophrys abeille, attaques semblables à celles de l’importun Apis muscorum. » Je ne peux pas comprendre ce qu’il veut dire. 68 OPHRYS ABEILLE. et extrêmement visqueux, s’attache fortement à cet objet, et la pollinie est enlevée. Même après que les pollinies sont naturellement tombées de leurs cellules et sont accolées au stigmate, on peut quelquefois les retirer de cette manière. Aussitôt que le disque est entraîné hors de sa poche, commence le mouvement d’abaissement qui, sur la tête d’un insecte, porterait la pollinie en avant et la rendrait prête à frapper le stigmate. Si enfin l’on porte la pollinie sur un stig- mate, puis qu’on l’en retire, les fils élastiques qui unissent ensemble les paquets de pollen se brisent et laissent quelques-uns de ces paquets sur la surface gluante. De même, dans toutes les autres Orchidées, la lèvre du rostellum s’abaisse dès qu’on la touche légèrement, le disque est visqueux, le caudicule s’a- bat brusquement après l’enlèvement du disque, les fils élastiques sont rompus par la viscosité du stig- mate de façon à ce que chaque fleur ait sa part de pollen : et là, le sens de ces combinaisons est clair, il n’y a pas à s’y tromper. Mais faut-il croire que chez l’Ophrys abeille les mêmes mécanismes existent ab- solument sans but, ce qui serait évidemment si, dans cette espèce, chaque fleur se fertilisait toujours elle- même? Si les disques étaient petits ou seulement peu visqueux, si les arrangements que je viens de men- tionner offraient un moindre degré de perfection, nous pourrions conclure qu’ils commencent à avorter; que la nature, si je puis ainsi parler, voyant que les FÉCONDATION SANS CROISEMENT. 6!) Ophrys mouche et araignée sont imparfaitement fer- tilisés et produisent peu de graines, a changé son plan et réalisé une fécondation sans croisement com- plète et perpétuelle, afin que les graines mûrissent en plus grande abondance. Le cas est aussi embar- rassant que possible, puisque nous avons étudié chez une même fleur des mécanismes disposés dans deux buts précisément contraires 1 . Nous avons déjà vu plusieurs curieuses structures, plusieurs mouvements, par exemple chez l’Orchis py- ramidalis, qui ont pour but, sans nul doute, la fé- condation d’une fleur par le pollen d’une autre; et en parcourant la vaste famille des Orchidées, nous ren- contrerons, beau coup d’autres mécanismes très-variés organisés dans la même vue. C’est pourquoi on ne saurait douter que quelque grand bien ne résulte de l’union de deux fleurs distinctes, souvent portées sur deux pieds distincts; mais les Ophrys mouche et arai- gnée achètent ce bien au prix de leur fertilité, dès lors très-amoindrie. L’Ophrys abeille, au contraire, gagne une grande fertilité au prix d’une fécondation sans croisement, qui semble perpétuelle; mais chez lui persistent les combinaisons ordinaires : assuré- 1 [Le professeur Treviranus a d’abord (Botanische Zeitung, 1862, p. H) mis en doute l’exactitude de ce que je dis sur cet Ophrys, et des différences qui le séparent de YOphrys arachnitcs ; mais ensuite (Bot. Zeitung, 1863, p. 241) il a confirmé pleinement toutes mes assertions.] G. D., mai 1869. 70 OPHRYS ARACHNITES. ment elles sont destinées à lui donner de temps en temps le bienfait du croisement individuel. La con- clusion la plus sûre, à mon avis, est celle-ci : sous l’influence de certaines circonstances qui nous sont inconnues, à de longs intervalles de temps peut-être, un individu d’Ophrys abeille est croisé par un autre. C’est ainsi que les fonctions génératrices de cette plante s’harmoniseraient avec celles des autres Or- chidées, et même avec celles des autres plantes, autant que je peux en juger par ce que j’ai étudié de leur structure. Ophrys arachniles. — Plusieurs botanistes d’un grand poids considèrent cette forme comme une f simple variété du variable Ophrys abeille. M. Oxenden m’en a envoyé deux épis char- gés de sept fleurs. Les loges de l’anthère ne sont ni aussi élevées ni aussi recourbées Fig. s. au-dessus du stigmate que chez l’Ophrys pollinie a bcille. La masse pollinique est générale- ciinites. ment plus allongée. La partie supérieure du caudicule est courbée en avant, et la partie in- férieure obéit au mouvement d’abaissement, comme chez les Ophrys abeille et araignée. La longueur du caudicule est à ce qu’elle est dansl’O. abeille, comme deux est à trois, ou même comme deux est à quatre; mais bien qu’ainsi relativement plus petit, ce cau- dicule n’est ni moins épais ni moins large que celui de l’O. abeille; il est même beaucoup plus ferme, de FÉCONDATION. 71 telle sorte que si l’on pousse le bout supérieur de la pollinie hors de sa cellule, tandis que le disque vis- queux reste enfermé dans sa poche, il se fléchit dif- ficilement vers le bas pour atteindre le stigmate. Nous ne trouvons plus ici de combinaisons spéciales en vue de la fécondation directe. Les sept fleurs qu’on m’a envoyées étaient certai- nement ouvertes depuis longtemps, et les épis étant venus par le chemin de fer avaient reçu plus d’une secousse 1 ; cependant sur six de ces fleurs, les polli- nies étaient encore dans leurs cellules; dans la sep- tième, elles adhéraient toutes deux au stigmate, mais les disques étaient toujours dans leurs poches : il est vrai que cette fleur était plus flétrie et pour- 1 [Depuis, j’ai eu l’occasion d’observer quelques autres échantillons vivants, et j’ai constaté que les pollinies ne tombent pas, même quand on secoue fortement les épis; une immersion dans l’eau pendant une semaine ne les fait pas tomber non plus. M. J. -T. Moggridge a fait (Journal of Linnæan Soc . bot., vol. VIH, 1865, p. 258) une observation remarquable sur YOphny s scolopax, espèce très-voisine de YOphrys arachniles : a Menton, il ne montre aucune tendance à se fer- tiliser directement, tandis qu’à Cannes toutes les fleurs, grâce à une légère modification de la courbure des anthères, qui détermine la chute des pollinies, se fécondent elles-mêmes! Ce botaniste a donné, dans sa Flore de Menton, une description complète des Ophrys scolopax , arach- nites, ara?ii[era et api fera, accompagnée d’excellentes ligures, et le nombre des formes intermédiaires le porte à croire que toutes ces formes peuvent être regardées comme des variétés d’une seule et même espèce ; les différences qui les distinguent lui paraissent être intimement lices à la période de floraison de chacune d'elles. Cn Angleterre, si l’on juge d’après leur distribution, ces formes ne semblent pas être susceptibles de passer de l’une à l’autre, du moins pendant une période de temps modérée et qu’on puisse observer.] C. D., mai 1869. 72 HERMIMUM MONORCHIS. rait avoir été froissée. Des six autres, trois étaient si vieilles que leur pollen était moisi et leurs pétales décolorés ; néanmoins, comme je l’ai constaté de suite, les pollinies étaient encore dans leurs cellules. Or, sur tant de centaines de fleurs d’Ophrys abeille que j’ai examinées, je n’ai jamais rencontré un cas semblable. Considérant cette importante différence fonctionnelle qui sépare l’O. apifera et l’arachnites, les différences plus légères qui existent dans la struc- ture de leurs pollinies et qui entraînent aussi une modification fonctionnelle, enfin la petite dissem- blance de leurs fleurs, il me semble que, bien que ces deux formes puissent être reliées par des variétés intermédiaires, on doit faire de l’Ophrys arachnites une bonne espèce ; son mode de fertilisation l’allie même plus intimement à l’O. aranifera qu’à l’apifera. Herminium monorchis. — L’Orchis musc passe gé- néralement pour avoir des disques nus, ce qui n’est pas rigoureusement correct. Le disque est d’une grandeur inusitée, car il a presque le volume de la masse pollinique : il est de forme presque triangu- laire, asymétrique, un peu semblable à un casque, mais avec un côté proéminent. Il est formé d’une membrane dure ; la base est concave, et c’est la seule partie visqueuse ; une étroite bande membraneuse la recouvre et l’abrite, peut aisément s’en détacher, et répond à la poche des Orchis. Toute la partie supé- rieure du casque répond à ce petit lambeau de mem- FÉCONDATION. 73 brane, de forme ovalaire, auquel le caudicule est, attaché chez les Orchis, et qui devient plus grand et convexe dans l’Ophrys mouche. Si quelque objet ter- miné en pointe vient à ébranler la partie inférieure du casque, la pointe glisse si promptement dans le creux de la base, puis y est si bien retenue par la matière visqueuse, que cette partie semble destinée à s’attacher à quelque point saillant de la tète d’un insecte. Le caudicule est court et très-élastique ; il est fixé, non pas au sommet du casque, mais à son extré- mité postérieure; s’il avait été fixé au sommet, son point d’attache aurait été librement exposé à l’air, et n’aurait pu se contracter pour provoquer l’abaisse- ment des pollinies, lorsque celles-ci ont été retirées de leurs loges. Ce mouvement est bien accusé; il est nécessaire pour donner au gros bout de la masse pollinique la position qui lui permettra de frapper le stigmate. Les deux disques visqueux sont éloignés l’un de l’autre. Il y a deux surfaces stigmatiques transversales, se touchant par leurs pointes sur la ligne médiane; mais la partie large de chacune d’elles s’étend directement au-dessous du disque. Le labellum est dressé, ce qui rend la fleur à peu près tubulaire. Autant que j’ai pu m’en assurer, quelque insecte, en circulant sur la fleur pour y entrer ou pour en sortir, pourrait heurter les extrémités supérieures et extraordinairement saillantes des dis- ques en forme de casque, et déplacer ainsi leurs sur- n HERMINIUM MONORCHIS. faces inférieures visqueuses qui s’attacheraient à sa tête ou à son corps. A la base du labellum, il y a une cavité si profonde qu’elle mérite presque le nom de nectaire; cependant, je n’ai point vu de nectar. Les Heurs sont très-petites et peu apparentes, mais exha- lent, surtout de nuit, une forte odeur de miel. Elles paraissent avoir beaucoup d’attrait pour les insectes; dans un épi qui ne contenait que sept fleurs récem- ment écloses, quatre avaient leurs deux pollinies en- levées et une avait perdu l’une d’elles 1 . 1 [Mon fils, M. Georges Darwin, a complètement expliqué le mode de fécondation de ce petit Orcliis ; ses observations, que j’ai vérifiées de- puis, montrent que cette fécondation diffère de celle de toutes les autres Orchidées que je connais. Il a vu différents petits insectes entrer dans les fleurs, et après de nombreuses visites il n’a pas rapporté moins de vingt-sept d’entre eux, portant généralement une pollinie, quelquefois deux. Ces insectes étaient de pelits hyménoptères (le plus commun était le TeLrastichus diaphantus), diptères et coléoptères (MaUhodes brevicollis). Il parait seulement indispensable que les insectes soient d’une taille très-minime, car le plus grand n’avait qu’un vingtième de pouce de long. Il est extraordinaire que chez tous les pollinies soient attachées à la même place, au côté externe de Tune des deux pattes antérieures, sur la saillie formée par l'articulation du fémur avec l’os coxal ; une seule fois, une pollinie était attachée au côté externe du fémur, un peu au-dessous de l’arliculation. La cause de ce mode spécial d’attachement est assez claire ; la partie moyenne du labellum est si rapprochée de l’anthère et du stigmate, que les insectes entrent toujours dans la fleur par le même point, entre le labellum et l’un des pétales supérieurs : de cette façon, ils s’avancent avec leurs dos tournés, direc- tement ou obliquement, du côté du labellum. .Mon fils en a vu quelques- uns qui, s’étant engagés dans la fleur d'une manière différente, en sor- tirent et changèrent de position. Se tenant ainsi dans un des coins de la fleur, avec leurs dos tournés vers le labellum, ils insèrent leurs têtes et leurs pattes antérieures dans le court nectaire qui se trouve dans le vaste espace situé entre les disques; j'en ai eu la preuve en trouvant dans des fleurs trois insectes morts qui étaient restés attachés aux PERIST YLUS YIRIDIS. 75 Peristylus (ou Habenaria ) viridis. — L’Orchis gre- nouille a été décrit, lui aussi, comme ayant ses dis- ques visqueux nus, ce qui est inexact. Les deux petites poches sont éloignées l’une de l’autre. La balle de matière visqueuse est ovale et ne durcit pas de suite ; sa surface est protégée par une petite poche. La membrane qui forme la face supérieure du disque est large, et, comme dans l’Ophrys mouche (0. muscifera), le point où elle s’unit au caudicule est librement exposé à l’air ; cette partie ne sau- rait donc, en se contractant, faire a oru^anSê exécuter à la pollinie le mouve- îatéraùxT^TL^eïïum S ment d’abaissement dont il a été souvent question 1 . Fig-. 9. PERISTYLUS VIRIDIS, OU 0RCII1S GRENOUILLE. FACE ANTÉHIEUUE DE LA FLEUR disques. Pendant qu’ainsi placés ils aspirent le nectar, ce qui demande en- viron deux ou trois minutes, le renflement articulaire du fémur se trouve, de chaque côté, sous le gros disque en forme de casque ; et quand l’in- secte se retire, ce disque s'adapte bien et s’attache à la jointure. Le mouvement d’abaissement du caudicule se produit alors, et la masse pollinique tombe juste en dehors du tibia ; de sorte que l’insecte, lors- qu'il entre dans une seconde fleur, ne peut guère manquer de fertiliser le stigmate, qui se trouve de chaque côlé, au-dessous du disque. J’aurais peine à citer une fleur dont toutes les parties soient plus merveilleuse- ment coordonnées en vue d’un mode de fécondation plus spécial que dans cette petite fleur de l’Ilerminium.] C. D., mai 1809. 1 [M. Farrer m’apprend que je me suis assurément trompé, et que les pollinies obéissent au mouvement d’abaissement, mais ce mouve- ment n’a lieu que vingt ou trente minutes après leur enlèvement des cellules de l’anthère; c’est là sans doute la cause de mon erreur. 7G PERISTYLUS V1RIDIS. Mais les caudicules ne sont pas l’ecourbés deux fois, comme ceux de l’Ophrys mouche. La surface du stig- mate est médiane et peu étendue ; et quoique les loges de l’anthère soient légèrement inclinées en arrière et convergent un peu à leurs extrémités su- périeures, affectant ainsi la position que prennent les pollinies lorsqu’elles sont attachées à un objet, il est difficile de comprendre comment les pollinies, enlevées par les insectes, peuvent venir s’appliquer sur le stigmate. L’explication en est assez curieuse. Le labellum est allongé; il forme une dépression assez profonde en avant du stigmate, et dans cette fosse, mais en s’ap- prochant un peu du stigmate, on trouve une petite fente («) qui donne accès dans un nectaire court et à deux lobes. Un insecte, pour aspirer la liqueur dont est rempli le nectaire, aurait donc à courber sa tête vers le bas, vis-à-vis du stigmate. Le labellum est sillonné par une crête médiane, qui probablement engagerait l’insecte à s’abattre sur l’un des côtés ; mais, sans doute pour l’y attirer avec plus de sûreté, Il m’affirme que les pollinies, après s’être abaissées, sont beaucoup mieux placées pour atteindre le stigmate. Selon lui, les insectes met- traient peut-être longtemps à puiser le nectar, soit dans ses réservoirs latéraux, soit dans la fente étroite qui conduit au nectaire central ; et pendant ce temps, la pollinie prenant lentement la position qui lui est nécessaire, deviendrait, par suite du durcissement graduel de la matière visqueuse, solidement adhérente au corps de l’insecte ; quand celui-ci visiterait une autre fleur, elle serait dès lors prête à la féconder.] C. D., mai 1869. FÉCONDATION. 77 outre le vrai nectaire, il y a deux fossettes (n') cir- conscrites par les bords saillants du labellum, pla- cées de chaque côté à la base de cet organe, précisé- ment au-dessous des deux poches, et qui sécrètent des gouttes de nectar. Supposons qu’un insecte vienne se poser, probablement sur un des côtés du labellum, et boive d’abord la goutte de nectar qui s’y trouve ; comme les poches sont placées exactement au-dessus des gouttes latérales, la pollinie du côté où s’abreu- vera l’insecte s’attachera presque certainement à sa tête ; s’il se rendait alors vers l’ouverture du vrai nec- taire, assurément il pousserait la pollinie contre le stigmate. Nous voyons donc ici un cas unique : le nectar est sécrété sur les bords de la base du label- lum, aussi bien que dans le petit nectaire central, et cette disposition remplace la faculté qu’ont les pollinies de se mouvoir, si générale chez les autres Orchidées, ainsi que la double courbure des caudi- cules chez l’Ophrys mouche. Si les choses se passent comme je viens de le dire, chaque fleur est fécondée par son propre pollen ; mais si l’insecte puisait d’abord son nectar à la source plus riche du nectaire, et ne venait qu’en second lieu boire les gouttes latérales, les pollinies ne s’attache- raient à sa tête qu’en ce moment, et volant à une autre fleur, il réaliserait l’union de deux fleurs ou de deux pieds distincts. D’ailleurs, s’il aspirait d’a- bord les gouttes latérales, d’après les observations de 78 GYMNADENIA ET HA BEN A RI A. Sprengel sur le Listera *, on pourrait croire que , troublé par l’attachement des pollinies à son corps, il ne continuerait pas immédiatement à s’abreuver de nectar, mais s’envolerait vers une autre fleur; il y aurait donc encore union entre deux individus différents. Je dois au Rév. B. S. Malden, de Cantorbéry, deux épis d’Orchis grenouille. Quelques-unes des fleurs avaient une pollinie enlevée, et l’une d’elles les avait perdues toutes deux. Les deux genres Gymnadenia et Habenaria sont re- présentés en Angleterre par quatre espèces chez les- quelles les disques visqueux sont réellement à dé- couvert. Leur matière visqueuse, comme je l’ai déjà fait remarquer, diffère un peu de celle des Orchis et ne durcit pas rapidement. Leurs nectaires sont rem- plis de nectar. Au point de vue de la dénudation des disques, la dernière espèce, le Peristylus viridis, est dans une condition presque intermédiaire. Les quatre formes suivantes composent une série de transitions graduelles: dans le Gymnadenia conopsea, les disques visqueux sont étroits et très-allongés, rapprochés l’un de l’autre; dans le G. albida, ils sont moins longs, mais encore rapprochés ; ceux de l’Habenaria bifolia sont ovales et distants l’un de l’autre ; enfin ceux de l’fl. chlorantha sont circulaires et plus largement séparés encore. 1 Das Entdeclite Geheimniss der Nalur , p. 407 . GYMNADENIA CONOPSEA. 79 Gymnadenia conopsea. — Par son aspect général, cette plante ressemble beaucoup à un véritable Or- chis ; mais les pollinies ont des disques nus, étroits, semblables à des bandelettes, presque aussi longs que les caudicules (fig. 10). Quand les pollinies sont exposées à l’air, le caudicule s’abaisse en 50 ou 60 secondes ; et comme sa surface antérieure est légère- ment creuse, il embrasse la surface supérieure mem- braneuse du disque. Le mécanisme de ce mouve- ment sera décrit dans le dernier chapitre. Les fils élas- tiques qui relient entre eux les paquets de pollen sont d’une faiblesse inaccoutumée, ce qui s’observe aussi dans les deux espèces suivantes d’Habenaria : l’état de quelques plantes qui avaient été plongées dans de l’esprit-de-vin me l’a bien démontré. Il y a sans doute une relation entre la faiblesse de ces fils et la nature de la matière visqueuse des disques, qui ne devient pas dure, sèche et adhérente comme chez les Orchis ; un papillon portant une pollinie attachée à sa trompe pourrait ainsi visiter plusieurs fleurs, sans que tout son fardeau- lui fût enlevé par le pre- mier stigmate qu’il frapperait. Les deux disques en forme de bande sont placés l’un près de l’autre et forment le palais de la bouche du nectaire. Ils ne sont pas, comme chez les Orchis, renfermés dans une lèvre ou poche située inférieurement, de sorte que la struc- ture du rostellum est plus simple. Quand nous trai- terons des homologies du rostellum, nous verrons 80 GYMNADENIA GOiNOPSEA. GYM.NADENIA CON0PSEA. A. Pollinie avant son abaissement. P. Pollinie après l’abaissement, mais que cette différence estdue aune légère modification, à ce que les cellules inférieures et extérieures du rostellum se résolvent en matière visqueuse; chez les Orchis, au contraire, la surface extérieure garde sa condition primitive, qui est cellulaire et membra- neuse. Comme les deux disques visqueux forment le palais de la bouche du nectaire et avant qu'elle ait embrassé ledisque. ^ par conséquent déje- tés en bas vers le labellum, les deux stigmates, au lieu d’être réunis et placés au-dessous du rostellum, sont nécessairement latéraux et séparés. Ils forment deux saillies proéminentes, presque en forme de cornes, de chaque côté de l’orifice du nectaire. J’ai eu la preuve que ces surfaces sont réellement celles des stigmates, car je les ai trouvées profondément percées par une multitude de tubes polliniques. Comme chez l’Orchis pyramidalis , on fait une agréable expé- rience en introduisant une fine soie de porc dans l’étroit orifice du nectaire; on voit sûrement les longues et étroites bandes visqueuses qui en forment le toit s’attacher à cette soie, et quand onia retire, on retire les pollinies : elles sont fixées à son bord supé- rieur et divergent un peu, sans doute à cause de la position qu’elles avaient dans les loges de l’anthère. FÉCONDATION. 81 Elles s’abaissent alors rapidement jusqu’à ce qu’elles soient dans le même plan que la soie, et si la soie, mise dans la même position relative, est maintenant insérée dans le nectaire d’une autre fleur, les deux extrémités des pollinies viennent exactement frapper les deux surfaces stigmatiques, situées de chaque côté deTentrée du nectaire. Cependant, je ne suis pas tout à fait certain de comprendre pourquoi les polli- nies divergent, car les papillons n’enlèvent souvent qu’une seule pollinie; ce fait me porte à supposer qu’ils engagent leur trompe obliquement dans le nec- taire *. Les fleurs ont une douce odeur, et le nectar que contiennent toujours abondamment leurs nectaires 1 [M. Georges Darwin, s’ étant rendu de nuit dans une localité où cetle espèce croissait en abondance, a pris aussitôt un Plusia chrysilis avec six pollinies attachées à sa trompe, un Plusia gamma (trois pollinies), un Anaitis plagiata (cinq pollinies) et un Triphæna promiba (sept pol- linies). Je dois ajouter qu’il a pris le premier de ces papillons, portant des pollinies de cet Orcliis, dans mon parterre, bien qu’il soit distant de plus d’un quart de mille de tout lieu habité par la plante. Je dis dans le texte que je ne sais pas pourquoi les pollinies divergent afin de frapper les deux surfaces latérales du stigmate; mais l’explication en est simple. La paroi supérieure du nectaire est voûtée, formée de chaque côté par le disque de la pollinie correspondante. Si maintenant un pa- pillon introduit sa trompe obliquement (et il n'y a pas de crêtes-guides, comme chez Y Anacamp lis pyramidalis , pour l’obliger à l’engager di- rectement en avant), ou si l’on introduit obliquement une soie de porc, une seule pollinie, comme me l’ont prouvé des expériences, est enlevée. Dans ce cas la pollinie s'attache de préférence à l’un des côtés de la soie ou de la trompe, et son extrémité, après le mouvement vertical d’a- baissement, est placée exactement de manière à frapper le stigmate correspondant]. C. D., mai 1869. G 82 GÏMNODENIA ALBIDA. semble avoir beaucoup d’attrait pour les lépidoptères, car les pollinies sont enlevées de bonne heure et avec succès. Par exemple, dans un épi qui portait qua- rante-cinq fleurs ouvertes, quarante et une avaient leurs pollinies enlevées ou du pollen déposé sur leurs stigmates; dans un autre épi chargé de cinquante- quatre fleurs, trente-sept avaient deux pollinies en- levées et quinze une seule, de sorte que dans tout l’épi deux fleurs seulement n’avaient point perdu de pollinies. Gymnadenia albüla. — Sur beaucoup de points de sa structure, cette fleur ressemble à la précédente, mais le renversement du labellum la rend presque tubulaire. Les glandes sont nues, petites, mais al- longées et rapprochées. Les surfaces stigmatiques sont en partie latérales et divergentes, le nectaire court et plein de nectar. Quelque petites que soient les fleurs, elles semblent attirer puissamment les insectes : des dix-huit fleurs inférieures d’un épi, dix avaient deux pollinies enlevées, sept n’en avaient plus qu’une. Dans quelques épis dontles fleurs étaient plus avancées, toutes les pollinies étaient enlevées, excepté dans deux ou trois fleurs supérieures 1 . 1 [Le professeur Asa Gray a publié quelques détails intéressants (Ame- rican Journal of Science , vol XXXIV, 1 802, liote^ p. 260 et p. 426 ; et vol. XXXVI, 1865, p. 295) sur le Gymnadenia Lriden Lata, espèce américaine. L’anthère s’ouvre dans le boulon, et invariablement un peu de pollen tombe sur « l’extrémité nue et cellulaire de l’étroite proéminence du rostellum, et, chose étrange,- les tubes polliniques s’engagent dans la 1IABENARIA CHLORANTIIA. 85 Habenaria ou Platanthera chlorantha . — Les pollinies du grand Orchis papillon diffèrent considérablement de celles des espèces mentionnées jusqu’ici. Les loges de l’anthère sont séparées l’une de l’autre par une large membrane connective. Les pollinies sont inclinées en arrière (fig. 11), et les disques visqueux, déjetés en avant de la surface du stigmate, se font face l’un à l’autre. De cette position des disques résulte l’allongement des caudicules et des masses pollini- ques. Le disque visqueux est circulaire, et dans un jeune bouton consiste en une masse celluleuse dont les couches extérieures, qui répondent à la lèvre ou poche des Orchis, se résolvent en matière adhésive. Cette matière a la propriété de demeurer gluante au moins vingt-quatre heures, après que la pollinie a été retirée de sa cellule. Le disque, couvert exté- rieurement d’une épaisse couche de matière adhésive (voir la section C, faite de telle sorte que la couche de matière visqueuse soit en bas), est muni, sur son côté opposé et enveloppé, d’un petit pédicelle en forme de tambour. Ce pédicelle se continue avec la portion membraneuse du disque et présente le même tissu. A l’extrémité enveloppée du pédicelle, le eau- substance de cette partie, de sorte que les fleurs se fécondent elles- mêmes ; cependant, toutes les combinaisons qui favorisent l’enlèvement des pollinies par les insectes (y compris le mouvement d’abaissement) sont aussi parfaites, que chez les fleurs qui exigent le concours des in- sectes. » On ne peut donc guère douter que cette espèce ne soit croisée de temps en temps]; C. D.> mai 1869; 84 HABENARIA CHLORANTHA. dicule est attaché dans une direction transversale et se prolonge en une queue recourbée et rudimentaire, juste au-dessus du tambour. Ainsi le caudicule et le HABENARIA CIILORANTIIA, OU GRAND ORCHIS PAPILLON. aa. ANTHÈRE. îl. NECTAIRE. d. DISQUE. 11'. ORIFICE DU NECTAIRE. S. STIGMATE. /. LA BELL UM. A. Face antérieure de la fleur : tous les sépales et pétales sont enlevés, à l’ex- ception du labellum et de son nectaire. B. Une pollinie (elle est à peine assez allongée). Le pédicelle, en forme de tambour, est caché derrière le disque. G. Coupe d’un disque visqueux, du pédicelle en forme de tambour et de l’ex- trémité inférieure du caudicule. disque visqueux s’unissent par l’intermédiaire d’une pièce qui leur est perpendiculaire, d’une manière très-différente de ce qui a lieu chez les autres Orchi- FÉCONDATION. 8b dées d’Angleterre. Dans le court pédicelle en forme de tambour, on voit une ébauche de ce long pédicelle du rostellum qui, chez beaucoup de Vandées exoti- ques est si remarquable, et qui unit alors le dis- que visqueux au vrai caudicule de la pollinie. Le pédicelle en forme de tambour a la plus haute importance, non-seulement parce qu’il rend ledisque visqueux plus proéminent et plus propre à s’accoler à la tête d’un insecte, lorsque celui-ci engage sa trompe dans le nectaire, au-dessous du stigmate, mais par rapport à son pouvoir de contraction. Les pollinies sont inclinées en arrière dans leurs cellules (voy. fig. À), au-dessus et un peu de chaque côté de la surface du stigmate; si elles se fixaient dans cette position sur la tête d’un insecte, celui-ci pourrait visiter un certain nombre de fleurs sans que le pol- len soit déposé sur leurs stigmates. Mais voici ce qui arrive. Quelques secondes après que l’extrémité in- férieure du pédicelle a quitté la loge dans laquelle elle était enveloppée et se trouve exposée à l’air, un côté du tambour se contracte et cette contraction en- traîne en dedans le gros bout des pollinies ; dès lors le caudicule et la surface visqueuse du disque qui, comme on le voit sur la coupe C, étaient d’abord pa- rallèles, cessent de l’être. Au même moment le tam- bour tourne en décrivant environ un quart de cercle, ce qui porte le caudicule en bas comme une aiguille d’horloge et abaisse le gros bout de la pollinie ou 86 HABENARIA CHLORAÏNTHA. masse des grains de pollen. Après ce double mouve- ment, supposons que le disque droit, par exemple, soit fixé au côté droit de la tête d’un insecte; lorsque l’insecte, après un court intervalle de temps, visite une autre fleur, l’extrémité pollinifère de la pollinie s’étant abaissée et portée en dedans, frappera dès lors infailliblement la surface gluante du stigmate, lequel est situé au centre, sous et entre les loges de l’anthère. La petite queue rudimentaire du caudicule, qui fait saillie au-dessus du pédicelle, est intéressante pour ceux qui croient à la modification des espèces ; elle nous montre que le disque s’est un peu déjeté en dedans, et que primitivement les deux disques étaient encore pins en avant du stigmate qu’ils ne le sont aujourd’hui. Elle nous indique que, par sa structure la forme originelle se rapprochait un peu plus du Bo- natia speciosa, singulière Orchidée du cap de Bonne- Espérance. La remarquable longueur du nectaire, qui contient beaucoup de nectar, l’apparence de la fleur et sa couleur blanche, l’odeur suave qu’elle exhale fortement pen- dant la nuit, toutnous dit que le soin de fertiliser cette plante est remis aux plus grands papillons noctur- nes. Souvent j’ai trouvé des épis dont presque toutes les pollinies étaient enlevées. À cause de la position latérale des disques visqueux et de l’espace qui les sé- pare, le même papillon paraît n’enlever généralement HABENARIA BIFOLIA. 87 qu’une seule pollinie à la fois ; dans un épi qui n’avait pas encore été beaucoup visité, trois fleurs avaient perdu deux pollinies et huit n’en avaient plus qu’une. A cause de la position des disques, on peut prévoir que les pollinies se fixent latéralement sur la tète ou la face des papillons; M. F. Bond m’a envoyé un Iladena dentina qui avait un œil couvert et fermé par un disque, et un Plusia v. aureum avec un disque atta- ché au bord de l’œil. La viscosité des disques est si grande que, si l’on prend à la main une grappe de fleurs, presque toutes les pollinies sont enlevées par les pétales et les sépales qui, ébranlés, viennent tou- cher ces disques ; et cependant il est certain que les papillons de nuit, peut-être les plus petites espèces, visitent souvent ces fleurs sans enlever les pollinies; car en examinant avec soin les disques d’un grand nombre de pollinies laissées dans leurs cellules, j’ai trouvé attachées à eux de petites écailles de lépi- doptères. Habenaria ou Platanthera bifolia ( petit Orchis pa- pillon 1 ). — Je suis prévenu que cette forme et la pré- 1 [Selon le docteur H. Millier, de Lippstadt, le Platanthera bifolia des auteurs anglais est le Platanthera sulstitialis de Bœnninghausen ; il s’accorde parfaitement avec moi pour pour en faire une espèce distincte du Platanthera chlorantha. H dit que cette dernière espèce est unie par une série de gradations à une autre, nommée en Allemagne Platanthera bifolia. 11 donne un aperçu très-complet et très-important de la varia- bilité de ces espèces et de leur structure, en ce qui concerne leur fécondation. Yoy. Verhandl. d. Nat. Verein , Jalir X\V, 3 Forlga, Y Bd., s. 36-38]. C. D., mai 1869. 88 HABENARIA BIFOLLV. cédente sont considérées par M. Bentham et quelques autres botanistes comme deux simples variétés d’une même espèce; car on dit que, l’elativement à la posi- tion de leurs disques visqueux, il y a entre elles des gradations intermédiaires. Mais nous allons voir de suite que ces deux formes diffèrent par un grand nombre de caractères, abstraction fai te des différences dans leur aspect général et leur habitat, dont nous ne nous occupons pas ici. Si dans la suite on vient à dé- montrer que ces deux formes tendent actuellement l’une vers l’autre, ce sera un remarquable exemple de variation; et moi, entre autres, je serais aussi heureux que surpris de ce fait, car certainement ces deux plantes diffèrent plus l’une de l’autre que la plupart des espèces du genre Orchis. Les disques visqueux du petit Orchis papillon sont ovales; ils se font face l’un à l’autre et sont beaucoup plus rapprochés que dans la dernière espèce, telle- ment même que dans le bouton, lorsque leurs surfaces sont cellulaires, ils se touchent presque. Ils ne sont pas placés aussi bas par rapport à l’orifice du nectaire. La matière visqueuse est d’une nature chimique un peu différente, car elle devient beaucoup plus vis- queuse quand on l’humecte, après l’avoir fait long- temps sécher, ou l’avoir plongée dans de l’alcool fai- ble. On peut à peine dire qu’il y ait un pédicelle en forme de tambour ; il est représenté par une crête longitudinale tronquée à l’extrémité où s’attache le FÉCONDATION. 89 B. Disque et caudicule d’H. chlo- rantha, vus d’en haut, avec le pédicelle en forme de tambour, réduit. A. Disque et caudicule d’il, bifo- lia, vus d’en haut. caudicule. Dans la figure 12, les disques des deux espèces sont représentés avec leurs proportions natu- relles, vus verticalement d’en haut. Les pollinies, lorsqu’elles ont été enlevées de leurs cellules, exécutent les mêmes mouvements; mais celui qui les porte en dedans semble être plus accentué que dans la dernière espèce, ce qui résulte de la position du stigmate. Dans les deux espèces, on peut se rendre compte du mouvement si, avec une pince, on enlève une pollinie par son gros bout, et qu’on porte cette pol- linie immobile sur la plaque du microscope; on verra le plan du disque visqueux décrire un arc d’au moins 45°. Les caudicules du petit Orchis papillon sont re- lativement beaucoup plus petits que ceux de l’es- pèce voisine ; les petits paquets de pollen sont plus courts, plus blancs, et dans une fleur parfaitement développée, s’isolent beaucoup plus promptement l’un de l’autre. Enfin, la surface du stigmate n’a pas la même forme, étant plus profondément trifide et présentant deux saillies latérales situées au-dessous des disques visqueux. Ces saillies resserrent l’entrée du nectaire et la rendent presque quadrangulaire. De là je peux conclure que le grand et le petit Orchis papillon sont deux espèces distinctes, dont les carac- 90 HABENARIA MFOÜA. tères différentiels sont masqués par une étroite res- semblance extérieure. Dès que j’eus examiné le petit Orchis papillon, je me sentis convaincu que, vu la position des disques visqueux, il ne devait pas être fertilisé de la même manière que le gi’and; et depuis, grâce à l’obligeance de M. F. Bond, j’ai vu deux papillons, l’Agrotis sege- tum et l’Anaitis plagiata, l’un avec trois et l’autre avec cinq pollinies attachées, non pas sur un des côtés de la tête, comme pour l’espèce précédente, mais à la base de la trompe. Je dois faire remarquer que les pollinies de ces deux espèces d’Habenaria, quand elles sont fixées sur les insectes, se reconnais- sent au premier coup d’œil *. 1 [Le professeur Asa Gray a décrit la structure de dix espèces améri- caines du genre Platanthera (American Journ. of Science , vol. XXXIV, 1862, p. 145, 259 et 424; et vol. XXXVI, 1865, p. 292). La plupart d’entre elles ressemblent , pour leur mode de fécondation, aux deux espèces d’Angleterre ; mais quelques-unes, chez lesquelles les disques visqueux sont l’un à côté de l’autre, présentent des dispositions cu- rieuses, telles qu’un labellum cannelé, des sortes de boucliers latéraux, etc., qui engagent les insectes à insérer leurs trompes directement en avant. D’autre part, le Platanthera Ilookeri (comme me l’a appris le professeur Asa Gray, voy. même vol. XXXIV, 1862, p. 145) diffère à cer- tain égard, et d’une manière très-intéressante, des deux espèces que j’ai décrites. Les deux disques visqueux sont très-éloignés ; un papillon pourrait donc, à moins d’être d’une très-grande taille, boire à l’abon- dante source de nectar sans en toucher aucun : mais ce péril est évité de la manière suivante. La ligne médiane du stigmate est proéminente, et le labellum, au lieu d’être pendant, se recourbe vers le haut : ainsi la fleur se trouve être en avant presque tubulaire et se divise en deux moitiés. Ceci oblige un papillon à se placer sur l’un ou l’autre côté pour prendre le nectar, et de cette façon sa tête viendra presque certaine * RÉSUMÉ. 91 Nous avons terminé l'étude des Ophrydées, mais avant de passer à la tribu suivante je vais récapituler les principaux faits relatifs aux mouvements des pol- linies; ils sont tous dus à la contraction minutieuse- ment réglée d’une petite portion de membrane située entre la couche ou balle de matière adhésive et l’ex- trémité du caudicule, et, en outre, au pédicelle chez les Habenaria. Chez la plupart des espèces du genre Orchis, le stigmate est exactement au-dessous des cel- lules de l’anthère, et il suffit aux pollinies de se por- ment toucher un des disques. Le pedicclle en forme de tambour se con- tracte après avoir été enlevé, comme chez le Platanthera chloranlha. Le professeur Gray a vu un papillon du Canada portant sur chacun de ses yeux une pollinie de cette espèce. Chez le Platanthera flava (selon le même botaniste, American Jour», of Science , vol. XXXVI, 1 865, p. 292) le môme résultat, Centrée des papillons dans le nectaire par un de ses côtés, est atteint par d’autres procédés. Une étroite mais forte saillie s’élève de la base du labeUum, et s’avance vers le bas et vers le haut, de manière à toucher presque la colonne ; le papillon est ainsi forcé de s’abattre de l’un ou de l’autre côté, et de toucher un des dis- ques. Chez le Bonatea speciosa , merveilleuse espèce du cap de Bonne- Kspérance, on trouve une disposition semblable affectée au même usage. Les Platanthera hyperborea et dikUata ont été regardés par quelques botanistes comme des variétés de la même espèce, et le professeur Asa Gray dit ( American Journ. of Science, vol. XXXIV, 1862, p. 259 et 4-251 qu’il a été souvent sur le point de se ranger de cet avis ; mais apres un examen plus approfondi, il trouve entre eux, outre d’autres caractères, une remarquable différence physiologique : le Platanthera dilatata, comme ses congénères, a besoin de l'intervention des insectes et ne pourrait pas se fertiliser lui-même, tandis que chez le Platanthera hyperborea les masses polliniques tombent ordinairement de leurs cellules, lorsque la fleur est très-jeune ou avant son éclosion, et le stigmate est fécondé sans croisement ; mais les mécanismes variés qui favorisent le croisement existent toujours]. C. D., mai 1869. 92 RÉSUMÉ, ter directement en bas. Dans l’Orchis pvramidalis et les Gymnadenia, comme il y a deux stigmates latéraux et inférieurs, les pollinies se portent à la fois vers le bas et en dehors, et par un mécanisme différent dans l’une et l’autre espèce, divergent en formant un an- gle tel qu’elles puissent exactement s’appliquer sur les deux stigmates latéraux. Chez les Habenaria, la surface du stigmate étant inférieure et située entre les deux cellules staminales largement séparées, les pollinies s’abaissent encore, mais en même temps convergent l’une vers l’autre. Un poète pourrait ima- giner que les pollinies, tandis que portées sur le corps d’un papillon elles vont d’une fleur à l’autre, pren- nent volontairement et avec empressement, dans chaque espèce, l’attitude précise qui seule leur per- mettra de réaliser leur désir et de perpétuer leur race. CHAPITRE III Epipactis palustris; curieuse forme du labellum et son importance appa- rente pour la fructification de la fleur — Cephalanthera grandiflora; avortement du rostellum, pénétration hâtive des tubes polliniques, exemple de fécondation directe imparfaite, concours des insectes. — Goodyera repens. — Spiranthes autumnalis; remarquables disposi- tions grâce auxquelles le pollen d’une jeune fleur est transporté sur une autre plante,* sur le stigmate d’une fleur plus avancée. Nous arrivons à une autre grande tribu d’Orchi- dées anglaises, les Néottiées, dont Panthère est uni- que, libre, placée derrière le stigmate. Les grains de pollen sont reliés par de fins fils élastiques qui adhè- rent partiellement entre eux et font saillie près de l'extrémité supérieure de la masse pollinique ; c’est vers le bout opposé chez les Orchis. Dans beaucoup de cas, ces fils s’attachent finalement à la face dor- sale du rostellum; mais les masses polliniques n’ont pas de vrais et distincts caudicules. Dans le seul genre Goodyera, les grains de pollen sont groupés en paquets comme chez les Orchis. Par leur mode de fer- tilisation, les Epipactis et les Goodyera sont très-voisins des Ophrydées, mais leur organisation est plus simple; 94 EPIPACTIS PALUSTRIS. le Spiranthes rentre dans la même catégorie, bien qu’il diffère à certains égards. Le Cephalanthera sem- ble être un Epipactis dégradé ou simplifié ; comme il n’a point de rostellum, organe éminemment carac- téristique, et que ses grains de pollen ne sont pas composés, il est aux autres Orchidées ce qu’un oiseau sans ailes serait au reste des oiseaux. Epipactis palustris 1 . — La partie inférieure du stigmate est bilobée et fait saillie en avant de la co- lonne (voir s sur les dessins C, D, fig. XIII). Sur son sommet se trouve un rostellum unique, petit, presque globuleux. La face antérieure du rostellum (r, C, D) s’avance un peu au delà' de la partie supérieure du stigmate , ce qui n’est pas sans importance. Dans un jeune bouton, le rostellum est une masse de cellules molles, dont la surface extérieure est rugueuse; pendant le développement, ces cellules superficielles changent beaucoup, car elles se convertissent en une trame ou membrane douce, unie, très-élastique, et tellement tendre qu’un cheveu d’homme la perfore ; si l’on perfore ainsi cette membrane ou qu’on la frotte légèrement, sa surface devient laiteuse et quelque peu vis- queuse, et les grains de pollen s’attachent à elle. Dans quelques cas, bien que j’aie observé ceci plus 1 Je suis très-obligé envers M. A. G. More* de Bembridge (ile de Wight), qui m’a plusieurs fois envoyé des échantillons frais de ce bel Orchis. STRUCTURE. 95 complètement dansl’Epipactis latifolia, la surface du rostellum paraît devenir laiteuse et visqueuse sans qu’on l’ait touchée. Cette membrane extérieure, douce et élastique, coiffe comme un bonnet le ros- tellum, et intérieurement elle est tapissée par une couche de matière beaucoup plus adhésive; exposée à l’air, cette matière se dessèche en cinq ou dix mi- nutes. En poussant légèrement le bonnet en haut et en arrière avec un objet quelconque, on l’enlève tout entier, lui et son enduit visqueux, avec une extrême facilité; et un petit moignon carré, la base du ros- tellum, reste seul sur le sommet du stigmate. Dans le bouton, l’anthère est tout à fait libre der- rière le rostellum et le stigmate; elle s’ouvre de haut en bas avant l’épanouissement, de la fleur, et laisse à découvert deux masses polliniques ovales, qui sont alors libres dans leurs loges. Le pollen consiste en granules sphériques, réunis par groupes de quatre; ces grains composés sont reliés entre eux par des fils fins et élastiques. Ces fils forment des paquets qui s’é- tendent dans le sens longitudinal le long de la ligne médiane de la face antérieure de chaque pollinie, vers le point où elle se trouve en contact avec la partie postérieure et supérieure du rostellum. Tel est le nombre de ces fils, que cette ligne médiane parait plus foncée, et que chaque masse pollinique montre une tendance à être divisée longitudinalement en deux moitiés : à tous ces points de vue, il y a une EPIPACTIS PALUSTRIS P»£- *3. EPIPACTIS PALUSTRIS. a. Anthère ; on voit en D les deux loges ouvertes, d. Anthère rudimentaire ou auricule, dont je parlerai dans un autre chapitre. r. Ilostellum ; — s. Stigmate ; — l. Labellum. A. Vue latérale de la lleur (les sépales inférieurs sont seuls enlevés) dans sa position naturelle. B. Vue latérale de la fleur, avec le segment terminal du labellum abaissé, comme il le serait par le poids d’un insecte. C. Vue latérale de la lleur, avec tous les sépales et pétales enlevés, à l'excep- tion du labellum, dont on a retranché la partie qui serait en avant sur le dessin; on peut voir combien l’anthère est grosse et massive. D. Face antérieure de la colonne, avec tous les sépales et pétales enlevés : le rostellum s’est un peu abaissé dans la lleur ici représentée, et doit avoir été plus haut, de façon à cacher une plus grande partie des loges de l’anthère . 98 EPIPACTIS PALUSTRIS. grande ressemblance générale entre ces pollinies et celles des Ophrydées. La ligne suivant laquelle les fils parallèles se diri- gent en plus grand nombre, est la plus résistante ; partout ailleurs les pollinies sont extrêmement fria- bles, et même des niasses de pollen s’en détachent faci- lement. Dans le bouton, le rostellum est un peu cour- bé en arrière et pressé contre l’anthère qui vient de s’ouvrir; les faisceaux de fils élastiques dont j’ai parlé, étant un peu proéminents, contractent alors une forte adhérence avec le pan postérieur du bonnet membraneux du rostellum. Le point d’attache se trouve un peu au-dessous du sommet des masses polliniques; mais sa position exacte est un peu va- riable, car j’ai vu des fleurs chez lesquelles ce point était à un cinquième delà longueur des pollinies, à partir de leur sommet. Cette variabilité offre un grand intérêt, car c’est un pas conduisant à la structure des Ophrydées, chez lesquelles les fils réunis ou cau- dicules naissent des extrémités inférieures des mas- ses polliniques. Lorsque les pollinies se sont fer- mement attachées par leurs fils à la face postérieure du rostellum, celui-ci s’incurve légèrement en avant, ce qui les entraîne en partie hors des loges de l’anthère. Le bout supérieur de l’anthère est mousse, ferme, dépourvu de pollen; il s’avance légè- rement au delà de la surface du rostellum, circon- stance qui, comme nous le verrons, est importante; 99 FÉCONDATION. Les fleurs ( fig . A) se détachent horizontalement de la tige. Le labellum a une curieuse forme, comme on peut le voir sur les dessins : la moitié terminale, qui s’avance au delà des autres pétales et forme un excellent pied-à-terre pour les insectes, est unie à la moitié basilaire par une charnière étroite; elle est naturellement un peu redressée (fl g. A), et ses bords s’engagent en dedans de ceux de la portion basilaire. La charnière d’union est si flexible et si élastique, que le poids d’une seule mouche, M. More me l’as- sure, abaisse la portion terminale (la figure B repré- sente une fleur dans cet état) ; mais le poids est à peine enlevé, qu’instantanément elle se redresse, reprend sa position première et habituelle (fig. A), et à l’aide des curieuses crêtes médianes dont elle est garnie, ferme en partie l’entrée de la fleur. La por- tion basilaire du labellum est une coupe qui, en temps opportun, se remplit de nectar. J’ai dû décrire avec détail toutes ces parties; voyons maintenant comment elles fonctionnent. La première fois que j’étudiai cette fleur, je fus très-em- barrassé : suivant la même marche que si c’eût été un véritable Orchis, je poussai délicatement vers le bas le proéminent rostellum, et il se déchira sans aucune peine; je retirai un peu de matière visqueuse, mais les pollinies restèrent dans leurs loges. Réflé- chissant à la structure de la fleur, j’eus l’idée qu’un insecte y entrant pour aspirer le nectar, comme le 100 EPIPACTIS PALUSTRIS. segment terminal du labellum s’abaisserait sous lui, ne toucherait pas le rostellum; mais qu’une fois en- tré dans la chambre florale, ce même segment s’étant redressé, il serait presque forcé, pour sortir, de mon- ter parallèlement au stigmate dans le haut de la fleur. J’effleurai alors légèrement le rostellum en haut et en arrière avec'une plume d’oiseau ou quelque objet semblable; je fus heureux de voir avec quelle facilité le bonnet membraneux du rostellum se détachait, et grâce à sa grande élasticité, s’adaptait à l’objet, quelle que soit sa forme, puis s’attachait fermement à lui en vertu de la viscosité de sa surface inférieure. Avec le bonnet, de grosses masses de pollen qui lui étaient unies par les fils furent nécessairement enlevées. Néanmoins je n’enlevais pas les masses polliniques aussi nettement que le font les insectes; j’ai fait la même expérience sur une douzaine de fleurs, tou- jours avec ce résultat imparfait. J’ai pensé alors qu’un insecte, en sortant de la fleur, doit na- turellement heurter avec quelque partie de son corps, l’extrémité supérieure, mousse et saillante de l’anthère, qui s’avance au-dessus du stigmate. En conséquence, j’ai dirigé ma plume de telle sorte que, effleurant de bas enhautle rostellum, je l’ai poussée contre le bout mousse et résistant de l’anthère (voy. sect. C) ; ceci délivra dès la première fois les polli- nies, et elles furent retirées en entier. C’est ainsi qu’enfin je compris le mécanisme de la fleur. FÉCONDATION. 101 L’anthère est grosse, située presque parallèlement au stigmate et derrière lui (sect. G), de sorte que les pollinies, quand un insecte les enlève, doivent natu- rellement s’attacher à son corps dans la position qui leur permet de frapper, dès que leur porteur s’abat sur une nouvelle fleur, la surface presque parallèle du stigmate. Il suit de là qu’ici et chez les autres Néot- tiées, le mouvement d’abaissement qu’exécutent si communément les pollinies des Ophrydées, n’a pas lieu. Lorsqu’un insecte portant des pollinies fixées à son dos ou à sa tête, entre dans une autre Heur, le facile abaissement du segment terminal du labellum joue sans doute un rôle important; car les masses polliniques sont extrêmement friables, et si, en en- trant, elles venaient à heurter les extrémités des péta- les, il pourrait se perdre beaucoup de pollen ; mais, grâce à lui, un large passage s’ouvre, et le stigmate visqueux avec sa partie inférieure proéminente, située en face, est le premier objet contre lequel les masses polliniques, s’avançant au-devant du dos de l’insecte, doivent naturellement frapper 1 . Je n'ai pas compté les 1 Craignant d’avoir exagéré l’importance de la conformation spéciale du labellum, j’ai prié M. A. G. More de couper le segment terminal et flexible de ce pétale sur quelques fleurs, avant leur épanouissement, mais je l’ai fait trop tard. 11 n’a pu expérimenter ainsi que sur deux fleurs, situées près du sommet de l’épi. Les capsules qui succédèrent à ces fleurs étaient certainement petites ; mais cela résultait peut-être de leur position. En outre, ces capsules me furent envoyées et perdirent malheureusement la plus grande partie de leurs graines pendant le voyage; je n’ai donc pu reconnaître si les graines étaient bien formées. 102 EP1PACTIS PALUSTR1S. fleurs , mais, dans quelques épis que in’ a envoyés M. More, la grande majorité des pollinies avaient été prises naturellement et nettement par un insecte inconnu 1 . Sur le peu de graines qui restaient, beaucoup étaient mauvaises et ridées. [L’année suivante, M. More a repris cette expérience ; il a enlevé le segment flexible et terminal du labellum sur neuf fleurs : trois d’entre elles n’ont pas produit de capsules sémimfères, ruais ceci est sans doute accidentel. Sur les six bonnes capsules obtenues, deux avaient à peu près autant de graines que les capsules provenant de fleurs non mutilées du même pied; mais quatre en contenaient beaucoup moins. Quant aux graines elles-mêmes, elles étaient bien conformées. Ces expériences, dans la limite de leur étendue, permettent de croire que la portion ter- minale du labellum joue un rôle important en réglant l’entrée des insectes dans la fleur et leur sortie, en vue d’une parfaite fécondation.] C. D. mai 1869. 1 [Mon fils, M. W. E.*I)ar\vin, a étudié avec soin pour moi cette plante, dans i’ile de Wight. Les abeilles de ruche semblent être les principaux agents de la fécondation ; il a vu une vingtaine de fleurs environ visitées par ces insectes qui, pour la plupart, avaient des masses polliniques attachées au-devant de leur tête, juste au-dessus des mandibules. J’ai supposé que les insectes s’introduisent dans les fleurs ; mais les abeilles sont trop grosses pour pouvoir le faire ; elles s’attachaient toujours, pendant qu’elles puisaient le nectar, au segment terminal et mobile du labellum, qui se trouvait ainsi abaissé. Comme ce segment est élastique et tend à se redresser, les abeilles, en quittant la fleur, semblaient s’envoler en s’élevant un peu ; ceci favoriserait, selon moi, le parfait enlèvement des pollinies, tout autant que le ferait l’insecte en se diri- geant vers le haut lorsqu’il sort de la fleur. Peut-être, cependant, ne serait-ce pas aussi nécessaire que je l’ai supposé ; car, à en juger par le point d’attachement des pollinies sur le corps des abeilles, la partie postérieure de la tète doit frapper, et par suite soulever l’extrémité supérieure arrondie et ferme de l’anthère, ce qui dégagerait les masses polliniques. Beaucoup d’autres insectes, outre les abeilles, visitent cet Epipactis. Mon fils a vu quelques grosses mouches ( Sarcophaga camosa) lréquenler ces fleurs; mais elles ne le faisaient pas aussi nettement et aussi régu- lièrement que les abeilles ; néanmoins, deux d’entre elles avaient des EPLPACTIS LAT1F0LIA. 103 Epipactis latifolia. — Cette espèce ressemble à la précédente pour tous les détails que je viens de don- ner; seulement le rostellum s’avance beaucoup plus loin en avant du stigmate, et l’extrémité supérieure de l’anthère s’avance moins. La matière visqueuse qui tapisse le bonnet élastique du rostellum met plus longtemps à durcir. Les sépales et pétales supérieurs sont plus largement ouverts que dans l’Epipactis f)a- lustris : le segment terminal du labellum est plus petit et fermement uni au segment basilaire (fig. 14); il n’est donc plus flexible et élastique : apparemment son unique rôle est de servir de pied-à-terre aux in- sectes. Pour que la fécondation ait lieu, il suffit qu’un insecte pousse en haut et en arrière le rostel- masses polliniques attachées à leur tête. Quelques mouches plus petites (Cœlopa frigida) sont aussi entrées dans les ileurs, et à leur sortie, des masses polliniques étaient plus irrégulièrement attachées à la face dor- sale de leur thorax. Trois ou quatre espèces d’IIyménoptères (l’un de petite taille, le Crabro brevis) visitaient aussi les fleurs; et trois d’entre ces Hyménoptères portaient des masses polliniques sur la face dorsale de leurs corps. Des Diptères encore plus petits, des Coléoptères et des fourmis venaient également aspirer le nectar, mais ils paraissaient trop petits pour pouvoir transporter des masses polliniques. 11 est étonnant que quelques-uns des insectes précédents visitent les fleurs; M. F. Walker m'informe en effet que le Sarcophaga fréquente les matières animales en décomposition, et le Cœlopa une algue qui, par exception, produit des fleurs; le Crabro, comme je l’apprends de M. Smith, cherche de petits Coléoptères (Hallicx) pour en approvisionner son nid. lin voyant que de si nombreuses espèces d’insectes peuvent visiter cet Epipactù je m’étonne aussi d’avoir vu mon fils observer pendant quelques heures, à trois reprises différentes, des centaines de ces plantes, sans avoir surpris à s’arrêter sur ces fleurs une seule des nombreuses abeilles sau- vages qui volaient autour d’elles.] C. D., mai 1869. 104 El'IPACTIS LÀTIFOLIA . lum, qui est très-saillant; il doit pouvoir le faire en se retirant, après avoir puisé à l’abondante source de nectar que contient la cupule dulabellura. Il ne pa- rait nullement être nécessaire que l’insecte pousse en arrière le bout supérieur de l’anthère, qui est peu proéminent; du moins j’ai vu que pour enlever aisé- ment les pollinies, il suffit de tirer le bonnet du ros- tellum dans une direction postéro-supérieure. Fig. 14. EPIPACT1S LATIFOLIA. Fleur vue de côté, avec tous les sépales et pétales enlevés, sauf le labellum. a. Anthère. — r. Rostellum. — s. Stigmate. — l. Labellum. En Allemagne, C. K. Sprengel a pris une mouche qui portait sur son dos des pollinies de cette espèce. En Angleterre, les insectes aiment à visiter ces fleurs ; pendant les mois froids et pluvieux de 1860, dans le Sussex, un de mes amis examina cinq épis portant quatre-vingt-cinq fleurs ouvertes : cinquante-trois d’entre elles avaient perdu leurs pollinies, et trente- deux les avaient encore; mais comme plusieurs de ces dernières étaient immédiatement au-dessous des boutons, de nouvelles pollinies auraient presque cer- FÉCONDATION. 105 tainement été enlevées dans la suite. Dans le Devon- shire, j’ai trouvé un épi de neuf fleurs épanouies, et toutes les pollinies étaient enlevées à une seule ex- ception près : une mouche, trop faible pour enlever ces petits corps, était demeurée engluée à eux et au stigmate, victime d’une mort misérable 1 . 1 [Celte Orchidée n’est pas commune dans nos environs ; cependant, j’ai eu l’heureuse chance d’en voir croître quelques pieds dans une allée couverte de gravier, près de ma maison ; j’ai pu les observer pendant plusieurs années et j’ai découvert ainsi quels insectes les fertilisaient. Quoique des abeilles de ruche et des abeilles sauvages de différentes espèces fussent constamment autour de ces plantes, alors complètement fleuries, je n’en ai jamais vu une, ni aucun insecte Diptère, visiter ces fleurs; d’autre part, j’ai vu à plusieurs reprises, chaque année, la guêpe commune [Vespa sylvestris) en aspirer le nectar. J’ai vu également les masses polliniques enlevées et transportées à d’autres fleurs sur les tètes des guêpes, et la fécondation ainsi effectuée. En outre, M. Oxenden m’a informé qu’un vaste groupe d'E. purpurata (forme dont certains botanistes font une espèce et d’autres une variété), était fréquenté par a des essaims de guêpes. » 11 est très-remarquable que le suc mielleux de cet Epipactis n’ait d’attrait pour aucune espèce d’abeille. Si les guêpes venaient à disparaître de quelque district, il en serait de même de Y Epipactis latifoLia. Le docteur II. Müller, de Lippstadt, a publié ( Verhandl . d. Nat. Verein, Jahr 35, III Folge, Bd., pp. 7-56) quelques observations très-impor- tantes sur les différences dans la structure et le mode de fécondation qui séparent les Epipactis rubiginôsa , microphyla et viridiflora , et sur les affinités qui les réunissent. La dernière espèce est très-remarquable par son manque de rostellum et sa fécondation directe régulière; ceci résulte de ce que le pollen non cohérent de la partie inférieure des masses polliniques émet, lorsqu’il est encore dans les loges de l’an- thère, et même lorsque la fleur est encore à l’état de boulon, des tubes polliniques qui s’engagent dans le tissu du stigmate. Il est probable cependant que cette espèce est visitée par les insectes, et que des croi- sements ont lieu quelquefois ; car le labellum contient du nectar. VE. microphylla est également remarquable, étant intermédiaire entre VE. lalifolia qui est toujours fertilisée par les insectes, etl’Æ. viridiflora 106 CEPHALANTHERA GRANDIFLORA. Cephalanthera grandiflora. — Cette Orchidée sem- ble intimement liée aux Epipactis, bien que certains auteurs l’aient classée dans un rang très-différent. Le stigmate a relativement à l’anthère la même position que chez les Epipactis; mais, par une exception sans autre exemple (mes remarques ne s’appliquent jamais au groupe si différent desCypripédiées), il n’y a point de rostellum. L’anthère est semblable à celle des Epipactis, mais elle située plus haut par rapport au stigmate. Le pollen est extrêmement friable, et s’at- tache promptement à tout objetqui vient à l’effleurer; ses granules sphériques sont isolés, au lieu d’être unis par groupes de trois ou de quatre, comme chez toutes les autres Orchidées 1 ; ils sont reliés entre eux par des fils élastiques faibles et peu nombreux : ainsi l’état du pollen, aussi bien que l’avortement du ros- tellum, témoigne d’une dégradation dans la structure. L’anthère s’ouvrant avant l’éclosion de la fleur, re- jette une partie du pollen, qui se groupe en deux co- lonnes verticales presque libres : chacune d’elles est presque divisée en deux moitiés longitudinales. Ces colonnes ainsi subdivisées se voient vis-à-vis du som- met quadrangulaire du stigmate, qui s’élève jusqu’au qui n’exige pas forcément leur intervention. Tout le mémoire du docteur H. Müller mérite d’être étudié avec soin.] G. D., mai 1869. * Cette séparation des grains de pollen a été observée et figurée par Bauer dans la planche publiée par Lindley dans ses splendides Illustra- tions ot orchidaceous plants . FÉCONDATION. 107 tiers environ de leur hauteur. (Voir la vue de face B et la vue latérale C.) Avant l'épanouissement de la fleur, ou du moins avant qu’elle soit ouverte aussi complètement qu’elle doit l’être, les grains de pollen qui s’appuyent contre le bord supérieur aigu du stigmate (mais non ceux qui occupent les extrémités supérieures et inférieu- res de la masse) émettent une multitude de tubes qui pénètrent profondément dans le tissu de cet or- gane. Après cela, le stigmate s’infléchit en avant, d’où il résulte que les deux fragiles colonnes de pol- len se dégagent tout à fait des loges de l’anthère et même restent suspendues au-dessus de lui : les tubes polliniques qui ont pénétré dans la sub- stance du stigmate les relient à lui et leur servent de support en avant. Si elles n’avaient ce point d’appui, les colonnes ne tarderaient pas à tomber. Contrairement à ce qui a lieu chez l’Epipactis, la fleur se tient droite ; la partie inférieure du labellum est redressée et parallèle à la colonne [ficj. A), les bords des pétales latéraux ne s’écartent jamais beau- coup l’un de l’autre 1 ; ainsi les colonnes de pollen se trouvent protégées contre le vent, et comme la fleur est dressée, leur poids ne les entraîne pas en bas. Ces points sont d’une haute importance pour la plante, car autrement le pollen, au moindre souffle, 1 Bauer figure des fleurs beaucoup plus largement ouvertes ; tout ce que je puis dire, c’est que je n’en ai vu aucune dans cet état 108 CEPHALANTIIERA GRANDIFLORA. tomberait et serait perdu. Le labellum se compose de deux parties, comme celui des Epipactis ; et quand la lleur est à sa période de maturité, la portion termi- Fi g. 15. CEPHALANTHERA GRANDIFLORA. a. Anthère; sur la vue de face B, on voit les deux loges et le pollen. 0. Anthère rudimentaire ou auricule. p. Masses de pollen. s. Stigmate. 1. Segment terminal du labellum. A. La fleur complète et entièrement épanouie, vue obliquement. B. La colonne vue en face, avec tous les sépales et pétales enlevés. C. Yue latérale de la colonne, avec tous les sépales et pétales enlevés; on peut à peine voir les minces colonnes de pollen, entre l’anthère et le stigmate. nale, qui est petite et triangulaire, se rabat à angle droit sur l’autre ; elle devient ainsi une sorte de petit palier devant une porte triangulaire, placée à FÉCONDATION. 109 la moitié de la hauteur d’une fleur figurant presque un tube, et par laquelle les insectes peuvent entrer. Je n’ai pas vu de nectar ; mais comme la partie infé- rieure du labellum forme une petit coupe et présente la même structure que chez les Epipactis, je présume qu’il s’en produit. Bientôt, dès que la fleur est par- faitement fécondée, le segment terminal du labellum se relève, ferme la porte triangulaire, et de nouveau recouvre entièrement les organes de la fructification. Puisqu’une multitude de tubes polliniques pénè- trent de bonne heure dans le tissu du stigmate, où j’ai pu les suivre fort loin, il semble que nous avons ici un second cas (le premier est celui de l’Ophrys Abeille) de fécondation sans croisement perpétuelle. Fortement surpris de cela , je me suis demandé pourquoi le segment terminal du labellum, pendant une courte période de temps, s’abat-il et ouvre-t-il la chambre florale ? Quel est l’usage de la grande masse de pollen, qui se trouve au-dessus et au-des- sous de cette couche de grains dont les tubes pénè- trent seuls dans le stigmate par son bord supérieur ? Le stigmate a une surface visqueuse, large et plate ; et pendant quelques années j’ai presque invariable- ment trouvé des masses de pollen adhérent à sa surface, tandis que par un mécanisme quelconque les fragiles colonnes polliniques s’étaient brisées *. 1 [Pendant l’année 1862, les fleurs de cel Orchis ont paru beaucoup moins fréquemment visitées par les insectes que pendant les année no CEPHALANTHERA GRANDIFLORA. J’ai pensé que, bien que les fleurs soient dressées et les colonnes bien protégées contre le vent, les masses polliniques pourraient à la longue s’affaisser, en vertu de leur propre poids, tomber ainsi sur le stigmate et déterminer une fécondation sans croisement. En conséquence, j’ai couvert d’un filet une plante por- tant quatre boutons, et j’ai examiné ces fleurs aussitôt qu’elles furent fanées; les larges stigmates de trois d’entre elles n’avaient point reçu de pollen, mais quelques grains étaient tombés sur un coin du qua- trième. De plus, sauf le sommet d’une colonne polli- nique de cette dernière fleur, toutes les colonnes étaient encore droites et non brisées. J’ai examiné les fleurs de quelques pieds croissant dans les envi- rons, et partout j’ai trouvé, comme je l’avais déjà fait si souvent, les colonnes brisées et les masses de pollen sur les stigmates. On peut donc sûrement conclure que des insectes visitent ces fleurs, dispersent le pollen et en laissent quelques masses sur les stigmates. On voit dès lors que si le segment terminal du labellum se rabat pour établir momentanément un palier et une porte ; si le labellum est dressé, ce qui rend la fleur tubulaire précédentes ; il y eut peu de masses de pollen brisées. Bien que j’aie examiné ces fleurs à plusieurs reprises, je n’ai jamais trouvé trace de nectar ; mais j’ai lieu de soupçonner que les crêtes dont est pourvue la base du labellum ont quelque attrait pour les insectes; ils viendraient les ronger, comme ils le font sur beaucoup de fleurs de Vandées et d’autres Orchidées exotiques.] G. D., mai 1869. i FÉCONDATION. III et force les insectes à se glisser tout auprès du stig- mate ; si le pollen s’attache de suite à tout objet qui le touche et se groupe en colonnes fragiles, mais pro- tégées contre le vent ; enfin, s’il y a de grosses mas- ses de pollen au-dessus et au-dessous de la couche pollinique dont les grains émettent seuls des tubes pénétrant dans le stigmate : toutes ces dispositions sont coordonnées et chacune d’elles est utile ; or elles seraient sans usage, si la fleur était soumise à une fécondation directe exclusive. Afin de reconnaître jusqu’à quel point la cons- tante et hâtive pénétration des grains de pollen par le bord supérieur du stigmate , auquel ils se fixent, entraîne une fécondation efficace , je couvris une plante immédiatement avant l’épanouissement des fleurs, et j’enlevai le léger filet dont je m’étais servi, dès qu’elles commencèrent à se faner. Grâce à une longue expérience, j’étais sûr qu’en les cou- vrant ainsi quelque temps, je ne nuirais pas à leur fertilité. Ces quatre fleurs couvertes produisirent autant de belles capsules qu’aucune de celles des plantes voisines. Quand ces capsules furent mûres, je les cueillis, ainsi que celles de quelques autres plantes croissant dans des conditions semblables, et je pesai les graines dans une balance chimique. Les graines des quatre capsules cueillies sur des plantes non couvertes pesaient un grain et demi, et celles d’un même nombre de capsules prises 112 CEPHALANTHERA GRANDIFLORA. sur la plante couverte, moins d’un grain; mais ceci ne donne pas une bonne idée des différences relatives de fertilité, car j’ai remarqué qu’un grand nombre des graines de cette dernière plante étaient réduites aux téguments atrophiés et ridés. En conséquence j’ai mêlé les graines, puis j’ai pris quatre petits lots dans l’un des tas et quatre dans l’autre, et les ayant trempés dans l’eau, je les ai comparés sous le microscope composé ; sur qua- rante graines provenant de la plante non couverte, quatre seulement étaient mauvaises, tandis que sur quarante graines de la plante couverte, vingt-sept au moins ne valaient rien ; il y avait donc presque sept fois plus de graines mauvaises sur la plante couverte que sur celles auprès desquelles les insectes avaient libre accès. Ainsi, nous avons un cas complexe et curieux : par les tubes polliniques qui pénètrent de bonne heure dans le stigmate, fécondation directe perpétuelle mais à un degré extrêmement imparfait; ceci serait fort utile à la plante, au cas où les insectes viendraient à ne pas visiter ses fleurs. Cependant, le principal rôle de cette pénétration des tubes polliniques semble être de retenir les colonnes de pollen à leurs places, afin que les insectes, en s’agitant dans la fleur, puis- sent se couvrir de la poussière fécondante. Les in- sectes concourent habituellement beaucoup à la réalisation de cette fécondation directe imparfaite, GOODYERA REPENS. 115 en transportant le pollen d’une fleur sur son propre stigmate ; mais un insecte ainsi enduit de pollen ne peut guère manquer d’unir aussi deux fleurs distinc- « tes. Il semble même probable, d’après la situation relative des parties (quoique j’aie négligé de m’en assurer en enlevant d’avance les anthères, afin de voir si le pollen déposé sur le stigmate provenait d’une autre fleur) que l’insecte se couvrirait plus fréquemment de pollen en sortant d’une fleur qu’en y entrant, et sans doute ceci favoriserait l’union de deux fleurs distinctes. Le Cephalanthera n’offre donc qu’une demi-exception à cette règle générale qu’une fleur d’Orchidée est fécondée par le pollen d’une autre fleur de même espèce. Goodyera repens 1 . — Ce genre, pour la plupart de ceux de ses caractères qui nous concernent, est inti- mement uni aux Epipactis. Le rostellum, en forme de bouclier et presque carré, s’avance au delà du ê stigmate ; il est soutenu de chaque côté par des crêtes inclinées, s’élevant du bord supérieur du stigmate, presque de la même manière que chez le Spiranthes, comme nous allons bientôt le voir. La surface de la partie saillante du rostellum est rude, et quand elle est sèche, on peut voir qu’elle est formée de cellules ; elle est délicate, et quand on la pique légèrement, 1 Des plantes de cette rare espèce, qui croît dans les montagnes, m’ont été envoyées avec beaucoup d’obligeance par le Rév. G. Gordon, d’Elgin. 8 114 GOODYERA REPENS. laisse exsuder une goutte de fluide laiteux et vis- queux ; elle est couverte d’une couche de matière très- adhésive, qui durcit promptement quand on l’expose à l’air. La surface saillante du rostellum, quand on la frotte doucement vers le haut, s’enlève aisément, et entraîne avec elle un morceau de membrane à l’ex- trémité postérieure duquel sont attachées les pol- linies. Les crêtes inclinées qui soutiennent le rostellum ne sont pas retirées en même temps, mais restent saillantes en haut et figurant une fourche, puis bien- tôt se flétrissent. L’anthère repose sur un filet long et large ; des deux côtés une membrane unit ce filet aux bords du stigmate , ce qui forme imparfaite- ment une coupe ou clinandre. Les loges de l’anthère s’ouvrent dans le bouton, et les pollinies s’attachent parleurs faces antérieures, juste au-dessous de leurs sommets, à la face postérieure du rostellum ; à la fin, l’anthère s’ouvre largement, laissant les polli- nies presque à découvert, quoique en partie abri- tées par la coupe membraneuse ou clinandre. Chaque pollinie est incomplètement divisée dans le sens de sa longueur ; les grains de pollen sont groupés en masses presque triangulaires, qui renferment une multitude de grains ; chaque grain se compose de quatre granules, et les masses sont liées entre elles par des fils élastiques très-forts qui, à leurs extrémités supérieures, se réunissent et forment une seule bande FÉCONDATION. H5 brune, aplatie et élastique, dont le bout tronqué adhère à la face postérieure du rostellum. La surface orbiculaire du stigmate est très-vis- queuse, ce qui lui permet de rompre les fils unissant les paquets de pollen, dont la résistance est ici plus grande que de coutume. Le labellum est incom- plètement partagé en deux parties : le segment ter- minal est réfléchi, et le segment basilaire, en forme de cupule, est plein de nectar. L’entrée de la fleur est un passage resserré entre le rostellum et le la- bellum. Depuis que j’ai étudié le Spiranthes, dont je vais parler de suite, j’ai soupçonné qu’à la matu- rité de la fleur la colonne s’écarte davantage du la- bellum, afin de permettre aux insectes portant des pollinies attachées à leur tête ou à leur trompe, d’en- trer plus librement. Dans beaucoup des échantillons qu’on m’a envoyés, les pollinies avaient été enlevées par les insectes, et la petite fourche formée par les deux branches qui soutenaient le rostellum était demi flétrie*. * [M. R. B. Thomson m'informe que dans le nord de l’i cosse il a vu beaucoup d’abeilles sauvages visiter ces fleurs et enlever leurs pollinies, qui étaient attachées à leurs trompes. L’insecte qu’il m’a envoyé est le Bombus pralorum. Cette espèce existe aussi aux États-Unis; et le profes- seur Gray (Amer. Joitrtu of Science, v* XXXIV, 1802, p. 427) confirme les idées que j’ai émises sur sa structure et sou mode de fécondation, qui sont également applicables à une espèce très-distincte, le Goodyera pu- bescens. M. Gray pense que le passage conduisant dans la fleur, très- étroit d’abord, devient plus large, comme je l’avais soupçonné, lorsque la floraison est plus avancée ; mais il croit que c’est la colonne, et non le labellum, qui change de position.] C* D., mai 1809* 116 GOODYERA REPENS. Le Goodyera nous intéresse; c’est un anneau qui relie entre elles quelques formes très-distinctes. Au- cune autre Néottiée ne m’a paru être plus près d’a- voir un vrai caudicule 1 , comme celui des Ophry- dées; et, chose curieuse, dans ce genre seul (autant que j’ai pu m’en assurer) les grains de pollen sont unis en gros paquets comme dans cette dernière tribu. Si les caudicules rudimentaires naissaient de l’extrémité inférieure des pollinies au lieu d’être fixés un peu au-dessous de leur sommet, les pollinies seraient presque identiques à celles d’un véritable Orchis. D’autre part, les deux crêtes inclinées qui soutiennent le rostellum et se flétrissent après l’en- lèvement du disque visqueux, la cupule membra- neuse ou cl inan dre qui se trouve entre le stigmate et l’anthère, et quelques autres détails, décèlent une affinité marquée avec le Spiranthes. La largeur du filet qui supporte l’anthère rappelle le Cephalanthera. Par la structure de son rostellum, à part l’existence 1 Chez une espèce étrangère, le Goodyera discolor, que m'a envoyée M. Bateman, les pollinies se rapprochent encore plus par leur structure de celles desOphrydées; elles s’amincissent en de longs caudicules, rap- pelant beaucoup par leur forme ceux des Orchis. Le caudicule est formé d’un faisceau de fils élastiques, auxquels sont attachés de très-petits et très-fins paquets de grains de pollen, disposés comme les tuiles d’un toit. Les deux caudicules s’unissent prés de leurs bases, et là, sont atta- chés à un disque membraneux tapissé de matière visqueuse» Près delà base, les paquets de pollen deviennent si petits et si fins, et ils sont si fermement attachés aux fils élastiques, que je les crois sans usage; s’il en est ainsi, ces prolongements des pollinies sont de vrais caudicules. SPIRANTHES AUTUMNALIS. H7 des crêtes inclinées, et par la forme de son labellum, le Goodyera se trouve voisin des Epipactis. Le Goo- dyera nous montre sans doute comment étaient les organes reproducteurs dans un vaste groupe d’Orchi- dées, maintenant en grande partie éteint, mais d’où descendent beaucoup d’espèces actuellement vivantes. Spiranthes autumnalis. — Cette Orchidée, gracieu- sement nommée en Angleterre Ladie 3’ tresses , offre quelques particularités dignes d’intérêt 1 . Le rostel- lum est une lame saillante, longue, mince et aplatie, que des épaules inclinées relient au sommet du stig- mate. Au milieu du rostellum, on peut voir un objet brun, étroit, vertical ( fig . 16 , G), bordé de chaque côté et couvert par une membrane transparente. Cet objet brun , je l’appellerai le disque en forme de bar- que. Il forme la partie médiane de la surface posté- rieure du rostellum, et consiste en une bande étroite de la membrane extérieure modifiée. Terminé en pointe au sommet (fig. E), arrondi à la base, légère- ment bombé , il a tout à fait l’aspect d’une barque ou d’un canot. Il a un peu plus de 777- de pouce de long, et moins de 7^ de large. Presque rigide et d’as- pet fibreux, il est en réalité formé de cellules allon- gées et épaissies, en partie fondues entre elles. 1 Je suis très-obligé envers le docteur Battersby, de Torqueay, et M. A. G. More, de Brembridge, qui m’ont envoyé des échantillons de cette espèce ; mais dans la suite, j’ai pu examiner beaucoup de plantes vivantes. 118 SPIRANTHES AUTUMNALIS. Ce bateau, placé verticalement sur sa poupe, est plein d’un fluide épais, laiteux, extrêmement adhésif, Fig. 10. SPIRANTHES AUTUMNALIS (LADIES* TRESSES). a. ANTHÈRE* cl. BORD DD CLINANDRE. p. GRAINS DE POLLEN. ?\ ROSTELLUM. t. FILS UES MASSES POLL1NIQUES. S. STIGMATE 11. RÉSERVOIR DD NECTAR. A. Vue latérale de la fleur dans sa position naturelle, avec les deux sépales inférieurs seuls enlevés. On reconnaît le labellum à sa lèvre frangée et réfléchie. B. Vue latérale d'une fleur arrivée à maturité, avec tous les sépales et pétales enlevés. La position du labellum (qui s’est éloigné du rostellum) et du pétale supérieur, est indiquée par des points. G. Le stigmate, le rostellum et le disque visqueux qui en occupe le centre, vus par devant. D , Le rostellum et le stigmate vus de même, mais après l’enlèvement du disque. E. Le disque visqueux retiré du rostellum, très-amplifié, vu par derrière, avec les fils élastiques des masses polliniques qui lui sont attachés ; les grains de pollen en ont été enlevés. qui, exposé à l’air, brunit rapidement, puis durcit et se coagule tout à fait au bout d’environ une minute. FÉCONDATION. 119 Un objet s’attache à lui en quatre ou cinq secondes, et lorsque le ciment s’est desséché, l’adhérence est merveilleusement forte. Les bords transparents du rostellum, de chaque côté du disque, consistent en une membrane attachée en arrière aux bords du ba- teau et repliée au-dessus de lui en avant, de manière à former la face antérieure du rostellum. Cette membrane repliée sur elle-même recouvre ainsi , comme le pont, la cargaison de matière visqueuse renfermée dans le navire. La face antérieure du rostellum est légèrement sillonnée par une ligne longitudinale, sur le milieu du bateau ; elle est douée d’une propriété vitale re- marquable : en effet , qu’on touche très-doucement le sillon avec une aiguille, ou qu’on fasse glisser une soie de porc le long de ce sillon, immédiatement il se fend dans toute sa longueur, et une gouttelette de fluide adhésif et laiteux exsude au dehors. Cette ac- tion n’est pas mécanique ou due à la simple violence. La fente gagne toute la longueur du rostellum, de- puis le stigmate qui est au-dessous jusqu’au sommet : au sommet elle se bifurque et court en bas sur la face postérieure du rostellum, de chaque côté et au- tour de la poupe du bateau. Quand cette rupture s’est opérée, le disque se trouve tout à fait libre, mais re- tenu entre les branches d’une fourche dans le rostel- lum. La rupture paraît ne jamais se produire spon- tanément. J’ai couvert d’un filet une plante dont les 120 SPIRANTHES AUTUMNALIS. Heurs n’étaient pas encore ouvertes, et cinq de ces fleurs restèrent pendant une semaine complètement épanouies sous le filet : j’examinai alors leurs rostel- lums, et pas un ne s’était fendu; au contraire, sur des épis voisins que je n’avais pas couverts, presque chaque fleur, ayant été visitée et touchée par des in- sectes, après vingt -quatre heures seulement d’épa- nouissement, avait son rostellum fendu. Le rostel- lum se fend au bout de deux minutes quand on l’ex- pose à un peu de vapeur de chloroforme ; et, dans la suite, nous verrons qu’il en est de même pour quel- ques autres Orchidées. Quand on laisse une soie de porc pendant deux ou trois secondes dans le sillon du rostellum et que par suite la membrane s’est fendue, la matière visqueuse qui est dans le disque en forme de bateau est si près de la surface (et même elle exsude un peu) que le disque sera presque infailliblement attaché dans le sens longitudinal à cette soie et retiré avec elle. Quand le disque est enlevé , les deux branches du rostellum (fig. D), que quelques botanistes ont dé- crites comme deux appendices foliacés distincts, de- meurent en place et forment une sorte de fourche. Tel est l’état ordinaire des fleurs, deux ou trois jours après leur éclosion, lorsqu’elles ont reçu la visite des insectes. La fourche se flétrit bientôt. Quand la fleur est en bouton , la face postérieure du disque est couverte d’une couche de grosses cel- FÉCONDATION. 121 Iules arrondies, de sorte que ce disque ne forme pas rigoureusement la surface extérieure du dos du ros- tellum. Ces cellules contiennent peu de matière vis- queuse : elles restent intactes ( comme le montre la figure E) vers le sommet du disque; mais au point où sont fixées les pollinies , elles disparaissent. J’ai conclu de là que la matière visqueuse renfermée dans ces cellules, quand celles-ci s’ouvrent, servait à lier au disque les fils intrapolliniques ; mais, n’ayant pas vu trace de telles cellules chez plusieurs grandes Orchidées étrangères, je présume que cette vue est erronée. Le stigmate est au-dessous du rostellum et se ter- mine par une surface oblique (vov. la vue latérale B); son bord inférieur est arrondi et garni de poils. De chaque côté une membrane (cl, B) s’étend des bords du stigmate au filet de l’anthère, formant ainsi une cupule membraneuse ou clinandre, dans laquelle s’abritent les extrémités inférieures des masses pol- liniques. Chaque pollinie consiste en deux feuilles de pollen, tout à fait disjointes à leurs bouts inférieurs, dis- tinctes aussi à leurs sommets, mais unies par des fils élastiques sur la moitié environ de leur lon- gueur : une très -légère modification convertirait les deux pollinies en quatre feuilles de pollen, ce qui a lieu dans le genre Malaxis et beaucoup d’Orchidées exotiques. Chacune des quatre feuilles consiste, d’ail- 122 SHRANTHES AUTUMNA.LIS. leurs, en une double rangée de grains de pollen, unis seulement sur leurs bords. Les grains de pollen (chacun d’eux est composé de quatre granules) sont unis par des fils élastiques qui sont plus nombreux sur les bords des feuilles et convergent au sommet de chaque pollinie. Les lames ou feuilles de pollen sont très-fragiles, et quand on les place sur le gluant stigmate d’une fleur, de larges tranches en sont aisé- ment détachées. Longtemps avant que la fleur s’ouvre, les loges de l’anthère pressées contre la partie postérieure du rostellum s’ouvrent en haut et, par suite, les polli- nies qu’elles renferment sont mises en contact immé- diat avec le dos du disque en forme de barque ; les fils qui sortent de la masse pollinique s’attachent alors fermement au dos de ce disque, un peu au-des- sus de son milieu. Les loges de l’anthère s’ouvrent ensuite plus bas, leurs parois membraneuses se con- tractent et brunissent; ainsi , tandis que la fleur s’est complètement épanouie, les parties supérieures des pollinies sont tout à fait à découvert, leurs bases reposent dans de petites cupules formées par les loges flétries de l’anthère, et sur les côtés le cli- nandre les protège. Dès que les pollinies sont ainsi devenues libres, elles sont facilement enlevées. Les fleurs sont tubulaires et décrivent une élégante spirale autour de la tige, se détachant d’elle dans une direction horizontale (fig. A). Le labellum est FÉCONDATION. 123 creusé d’un sillon médian et muni d’une lèvre ré- fléchie et frangée, sur laquelle descendent les abeil- les ; à ses angles internes ou basilaires on trouve deux saillies globuleuses qui sécrètent du nectar en abon- dance. Le nectar s’amasse (n, fiq. B) dans un petit réservoir qui est au-dessous. Grâce à la proéminence du bord inférieur du stigmate et des deux nectaires latéraux infléchis, l’orifice qui conduit au réservoir du nectar est fort étroit; il est en outre central. Quand la fleur commence à s’ouvrir , le réser- voir est plein de nectar, et, à ce moment, la partie an- térieure du rostellum, qui offre un sillon peu marqué, est très- rapprochée du labellum; par conséquent, entre ces deux organes reste un passage, mais il est si étroit qu’une soie très-fine peut seule y être intro- duite*. Api’ès un jour ou deux, le labellum s’éloigne un peu du rostellum et laisse ainsi , pour aller au stigmate , un plus large passage. À ce léger mouve- ment du labellum est absolument liée la fertilisation de la fleur. Chez la plupart des Orchidées les fleurs restent 1 Le professeur Asa Gray a bien voulu examiner les Spiranthes gracilis et cernua aux États-Unis. Il a trouvé la même organisation générale que chez le S. aulumnalU , et a remarqué combien l’entrée de la fleur était étroite. Comme à l’égard du Goodyera, le prof. Gray pense que c’est la colonne qui s’éloigne du labellum à mesure que la fleur vieillit, et non, comme je l avais supposé, le labellum qui s’éloigne de la colonne. Il ajoute que ce changement de position, qui joue un rôle si important dans la fertilisation de la fleur, « est si frappant, qu’on s’étonne de ne pas l’avoir remarqué. » (Amer. Journ . of Science, vol. XXXIV, p.427.) SPIRANTHES AUTUMNALIS. 1Ü4 quelque temps ouvertes avant d’être visitées par les insectes; mais, chez le Spiranthes, j’ai généralement trouvé le disque en forme de barque enlevé presque aussitôt après l’épanouissement de la Heur. Par exem- ple, des deux derniers épis que j’eus l’occasion d’exa- miner, l’un avait à son sommet de nombreux bou- tons, et parmi ses sept tleurs inférieures qui seules étaient ouvertes, six avaient déjà perdu leurs disques et leurs pollinies; l’autre avait huit fleurs ouvertes et toutes les pollinies étaient enlevées. Nous avons vu que la fleur doit être à même d’attirer les in- sectes dès qu’elle s’ouvre, car alors le réservoir contient déjà du nectar; et à ce moment le rostel- lum est si rapproché du labellum, qu’une abeille ou un papillon ne pourrait introduire sa trompe dans le passage, sans toucher le sillon médian du rostellum. J’en suis certain, je le sais par des expé- riences répétées à l’aide d’une soie. Remarquons comme tout est merveilleusement combiné pour qu’un insecte, visitant la fleur, enlève les pollinies. Les pollinies sont dès l’abord attachées au disque par leurs lils, et comme les loges de l’anthère se fanent de bonne heure, elles restent li- brement pendantes, quoique le clinandre les abrite. Au contact de la trompe d’un insecte, le rostellum se fend en avant et en arrière : ceci met à nu un disque long, mince et de la forme d’une barque, chargé d’une matière extrêmement visqueuse qui ne peut FÉCONDATION'. 125 manquer de s’attacher longitudinalement à la trompe. Ainsi, quand l’abeille reprend son vol, elle em- porte sûrement avec elle les pollinies; celles-ci étant attachées parallèlement au disque, se fixent parallèlement à la trompe. Ici , cependant , sur- git une difficulté : lorsque la fleur vient de s’ou- vrir et que tout y est pour le mieux arrangé en vue de l’enlèvement des pollinies , le labellum est si rapproché du rostellum que les pollinies atta- chées à la trompe d’un insecte pourraient peut- être ne pas pénétrer assez avant dans la fleur pour atteindre le stigmate; elles seraient renversées ou brisées; mais nous avons vu qu’après deux ou trois jours le labellum se réfléchit davantage et s’écarte de la colonne et du rostellum, ou ce dernier organe s’é- carte du labellum, et le passage devient ainsi plus large. La fleur étant dans cet état, j’ai fait des expé- riences avec des pollinies attachées à une soie fine; en introduisant cette soie dans le réservoir du nec- tar (n, fuj. B), on voit les lames de pollen rester par- faitement adhérentes à la surface visqueuse du stig- mate. On peut voir par la figure B, que l’orifice con- duisant au réservoir du nectar, grâce à la saillie que fait le stigmate, est situé près du bord inférieur de la fleur; les insectes doivent donc diriger leur trompe de ce côté, et un large espace est ménagé pour que les pollinies qui leur sont attachées soient entraînées, sans se heurter contre rien, jusqu’au stigmate. 11 est 126 SPIRÀNTIIES AUTUMNALIS. clair que le stigmate n’est aussi proéminent qu’afin que les pollinies puissent pius sûrement le rencon- trer. Ainsi, chez le Spiranthes, non-seulement il faut que le pollen soit transporté d’une fleur à une autre, comme chez la plupart des Orchidées, mais une fleur nouvellement ouverte, dont les pollinies sont dans les meilleures conditions pour être enlevées, ne peut pas alors être fécondée. En général les vieilles fleurs seront fécondées par le pollen des jeunes, qui leur sera apporté, comme nous le verrons, d’une autre plante; conformément à cela, j’ai remarqué que la surface du stigmate est beaucoup plus visqueuse chez les fleurs avancées que chez les jeunes. Toutefois, une fleur qui n’aurait pas reçu de bonne heure la vi- site des insectes, ne serait pas forcément condamnée, dans la seconde période de sa floraison, à garder inu- tilement son pollen; car les insectes, en introdui- sant et en retirant leurs trompes, les courbent en avant, et ainsi, peuvent souvent frapper le sillon du rostellum. J’ai imité cet acte à l’aide d’une soie, et souvent j’ai réussi à retirer les pollinies. J’ai été conduit à faire cette expérience, en choisissant d’abord pour objet de mon examen des fleurs avan- cées; j’introduisis une soie de porc ou un brin d’herbe très-fin , en droite ligne dans le nectaire, et je ne pus jamais retirer les pollinies; mais je réussis en recourbant ma soie en avant. Ces fleurs FÉCONDATION. 127 dont les pollinies ne sont pas enlevées peuvent sans doute être fécondées, et j’ai vu bon nombre de fleurs dont les pollinies étaient encore en place, avoir des feuilles de pollen sur leurs stigmates. A Torquay, j’ai examiné un certain nombre de ces fleurs qui croissaient ensemble, pendant environ une demi-heure, et j’ai vu trois abeilles sauvages de deux espèces différentes les visiter. J’en pris une et je re- gardai sa trompe : sur la face supérieure, à une pe- tite distance du bout, étaient attachées deux pollinies entières et trois disques en forme de bateau, sans pollen ; cette abeille avait donc enlevé les pollinies de cinq fleurs, et probablement déposé sur les stig- mates d’autres fleurs le pollen de trois d’entre elles. Le lendemain, j’ai observé les mêmes fleurs pendant un quart d’heure, et pris une abeille, à l’œuvre ; à sa trompe étaient attachés une pollinie intacte et quatre disques, l’un placé sur le sommet de l’autre, ce qui montrait combien exactement chaque rostcllum avait été touché par la même partie de la trompe. Les abeilles s’arrêtaient toujours au bas de l’épi, puis, s’élevant le long de sa spirale, puisaient à cha- que fleur l’une après l’autre. Je suppose qu’elles font de même toutes les fois qu’elles visitent une grappe de fleurs très-serrées , trouvant que cette marche leur convient davantage; c’est ainsi que le pic-vert s’élève le long d’un arbre quand il cherche des insectes. Ceci semble une remarque très-insigni- 128 SPIRANTIIES AUTUMNAL1S. fiante, mais voyons ses conséquences. De grand ma- tin, l’abeille va faire sa ronde; supposons qu’elle s’a- batte au sommet de l’épi. Sûrement elle dépouil- lera de leurs pollinies les fleurs supérieures, les plus récemment écloses; mais ensuite, qu’elle vi- site la fleur voisine dont le labellum, selon toute pro- babilité, ne se sera pas écarté de la colonne (car ce mouvement s’effectue lentement et par degrés), et les masses polliniques seront souvent balayées hors de sa trompe et perdues. La nature ne saurait souf- frir une telle prodigalité. L’abeille va 'd’abord à la fleur la plus basse, puis s’élève en spirale le long de l’épi, ne fait rien sur le premier épi qu’elle visite avant d’atteindre ses fleurs supérieures, et enlève à ces dernières leurs pollinies; puis elle vole sur une autre plante, et s’abattant sur les fleurs les plus bas- ses et les plus avancées, dans lesquelles, grâce à la réflexion du labellum, elle trouve un large passage, elle fait frapper ses pollinies contre la saillie du stig- mate : si maintenant le stigmate de la plus basse fleur a déjà été bien fécondé, sa surface desséchée ne re- tient que peu ou point de pollen; mais sur la fleur qui suit immédiatement celle-ci, le stigmate étant visqueux, l’insecte dépose de larges feuilles de pol- len. Puis dès que l’abeille approche du sommet de l’épi, elle- fait une nouvelle moisson de pollinies fraî- ches; elle vole alors sur les fleurs inférieures d’une autre plante et les fertilise; tandis qu’elle fait sa FÉCONDATION. 12 'J ronde et augmente sa provision de miel, sans cesse elle féconde de nouvelles Heurs et perpétue la race de notre Spiranthe d’automne, qui à son tour donnera du miel aux futures générations d’abeilles. !) CHAPITRE IV Malaxis paludosa : simples moyens de fécondation — Listera ovala : sensibilité du rostellum, explosion de la matière visqueuse; rôle des insectes ; parfaite disposition des divers organes — Listera cordata — Neottia nidus-avis : sa fécondation semblable à celle du Listera. Nous arrivons aux dernières Orchidées anglaises, espèces chez lesquelles aucune partie de la surface extérieure membraneuse du rostellum n’est attachée d’une manière permanente aux pollinies. Dans cette subdivision, je ne connais que les trois genres Ma- laxis, Listera et Neottia, que je réunis simplement pour plus de commodité. Le Malaxis n’est pas une forme intéressante au point de vue de la fécondation; mais les Listera et Neottia doivent être rangées parmi les Orchidées les plus remarquables par la manière dont les insectes enlèvent leurs pollinies, grâce à la soudaine explosion de la matière visqueuse contenue dans leurs rostellums. Malaxis paludosa. — Cette rare Orchidée 1 , la plus 1 Je suis très^obligé envers M* Wallis, de flartfield (Suss,ex), pour de nombreux pieds vivants de cette espèce. MALAXIS PALUDOSA. 151 petite des espèces anglaises, diffère des autres par la position de ses fleurs. Le labellum du Malaxis occupe le haut de la fleur 1 , au lieu d’être en bas et d’ètre, comme chez les autres Orchidées, la pièce sur laquelle s’abattent, les insectes; son bord inférieur embrasse la colonne et rend tubulaire l’entrée de la fleur. Grâce à sa position, il protège en partie les organes de la fructification (fig. 17). Chez la plupart des Orchidées, les pièces protectrices sont le sépale et les deux pétales supérieurs; mais ici ils sont réfléchis d’une singu- lière façon (comme le montre le dessin, fig. A), sans doute pour permettre aux insectes de visiter la fleur plus librement. Cette position de la fleur est très-re- marquable, car elle s’est réalisée dans un but déter- miné, comme le montre l’ovaire contourné en spirale. Chez toutes les Orchidées, le labellum est normale- ment en haut de la fleur, et s’il devient ordinaire- ment une lèvre inférieure., c’est par suite de la tor- sion de l’ovaire; mais chez le Malaxis la torsion est portée à un tel degré que la fleur reprend la position qu’elle aurait eue si l’ovaire n’était nul- lement tordu ; cette position, l’ovaire la recouvre en- suite à la maturité, en se détordant peu à peu. 1 Sir James Smith a, je crois, signalé le premier ce fait dans English Flora , vol. IV, p. 47. 1828. Vers le sommet de l’épi, le sépale supérieur n’est point pendant, comme le représente la gravure (fig. A), mais s’a- vance presque horizontalement; la torsion de la fleur n’est prs non plus toujours aussi complète. 31 AL AXIS PALUDOSA Vi S . IV. MALAXIS PALUDOSA. (Copié en partie sur Bauer, mais modifié après l’examen des plantes vivantes) a. ANTHÈRE. p. POLLEN. Cl. CLINANDRE. V. TRACHÉES. ROSTELLUM. S. STIGMATE. /. LABELLÜM. U. SÉPALE SUPÉRIEUR A. Fleur intacte, vue de côté, avec le labellum en haut, dans sa position naturelle. B. Colonne vue par devant : on voit le rostellum, le stigmate en forme de gousset, et les parties antérieures et latérales du clmandre. C. Colonne vue par derrière sur un bouton : on voit l’anthère, faiblement les pollinies pyriformes qu'elle contient, et les bords postérieurs du cli— nandre. D. Fleur ouverte, vue par derrière ; l’anthère maintenant contractée etfiélrie, laisse à découvert les pollinies. E. Les deux pollinhs attachées à une petite masse transversale de matière visqueuse, durcies par l’esprit de-vin. 134 MALAXIS PALUDOSA. Si l’on dissèque cette petite fleur, on voit que la colonne est divisée longitudinalement en trois par- ties; la moitié supérieure de la partie médiane est le rostellum (/?ipère, et fendu sur un de ses côtés. Elles se composent de cellules nombreuses , très-allongées, généralement hexagonales, effilées à leurs deux bouts, pourvues (comme celles de beaucoup d’autres tissus de la fleur) de nucléus et de nucléoles. Les antennes FÉCONDATION. 215 sont les prolongements des côtés de la face antérieure du rostellum. Comme le disque visqueux est en continuité avec la petite frange membraneuse de chaque côté, et que cette frange se continue avec les bases des antennes, ces derniers organes sont mis en relation directe avec le disque. Le pédicelle de la pollinie passe entre les bases des deux antennes. Celles-ci ne sont pas libres dans toute leur longueur; leurs bords externes, sur une étendue considérable, s’unissent intimement et se confondent avec ceux de la chambre stigmatique. Dans toutesles fleurs que j’ai examinées, etquiavaient été cueillies sur trois plantes, les deux antennes avaient la même position ; mais quoique semblables d’ailleurs, elles n’étaient pas placées symétriquement. La partie terminale de l’antenne gauche se recourbe vers le haut (voir fi, g. B, où cette position est mieux indiquée qu’en A), et en outre un peu en dedans, de sorte que sa pointe est sur la ligne médiane et défend l’en- trée dans la fossette du labellum. L’antenne droite est pendante, la pointe tournée un peu en dehors ; par suite de cette position, le pli ou sillon, formé par l’union de ses deux bords, se voit à l’extérieur; tandis que sur l’autre antenne, il est caché le long de la face inférieure. Nous allons voir que l’antenne droite est un organe secondaire, presque paralysé et apparemment sans fonctions. Étudions maintenant l’action de tous ces organes. 216 CATASETUM SACCATDM. Si l’on touche, dans cette espèce, l’antenne gauche (l’une ou l’autre antenne dans les deux espèces qui suivent), les bords de la membrane supérieure du disque, qui sont en continuité avec la surface environ- nante, se rompent instantanément, et le disque se trouve libre. Le pédicelle, qui est très-élastique, lance aussitôt le disque pesant hors de la chambre stigmatique, et avec une telle lorce que toute la pol- linie est expulsée, y compris les deux masses de pol- len, et que la longue pointe lâchement attachée de l’anthère, se détache du sommet de la colonne. La pollinie est toujours lancée avec son disque visqueux en avant. J’ai i mité cette action avec un petit fragment de baleine, portant à l’un de ses bouts un léger poids qui représentait le disque; l’ayant courbé contre un objet cylindrique, j’ai retenu doucement son extré- mité supérieure sous la tête arrondie d’une épingle, pour simuler l’action ralentissante de l’anthère, puis, laissant tout à coup l’extrémité inférieure libre, j’ai vu la baleine violemment lancée, comme la pollinie du Catasetum, avec le petit poids en avant. Je me suis assuré que le disque est lancé le premier, en pressant avec un scalpel sur le milieu du pédicelle, et touchant ensuite l’antenne; le disque sortitaussitôt, mais à cause de la pression exercée sur le pédicelle, la pollinie resta en place. L’élasticité du pédicelle, cause de ce brusque redressement qui entraîne l’ex- pulsion des pollinies, se manifeste encore dans le sens FÉCONDATION. 217 transversal : si l’on fend en deux un tuyau de plume, et qu’on en fasse glisser la moitié sur un crayon trop épais, dès que la pression qu’on a dû employer cesse, il se contracte et se détache du crayon ; or, le pédi- celle de la pollinie se comporte d’une manière ana- logue, car ses deux bords, dès qu’ils le peuvent, se recourbent en dedans. Ces forces combinées suffisent pour lancer violemment la pollinie à une distance de deux ou trois pieds. Quelques personnes m’ont rap- porté, qu’ayant touché des fleurs de ce genre dans leurs serres chaudes, elles ont été frappées à la figure par les pollinies. J’ai touché moi-même les antennes duC. callosum, en tenant la fleur à 92 centimètres en- viron de la fenêtre, et j’ai vu la pollinie frapper un carreau de vitre et s’attacher par son disque adhésif à la surface lisse et verticale du verre. Les observations suivantes sur la nature de l’exci- tation par suite de laquelle le disque se sépare des parties voisines, ont été faites quelquefois sur les deux espèces dont je parlerai après celle-ci. Quelques fleurs qu’on m’a envoyées par la' poste ou le chemin de fer, ont dû éprouver beaucoup de secousses, et cependant l’expulsion des pollinies n’avait pas eu lieu. J’ai laissé deux fleurs tomber de la hauteur de deux ou trois pouces sur une table, sans que ce phénomène se pro- duise. A l’aide d’une paire de ciseaux, j’ai coupé l’o- vaire immédiatement au-dessous de la fleur, les sé- pales, et même dans quelques cas la masse épaisse du 218 CATASETUM SACCATUM. labellum ; mais cette mutilation n’a pas eu le résultat attendu. Des piqûres profondes dans diverses parties de la colonne et même dans la chambre stigmatique, n’ont pas eu plus d’effet. Un coup, assez fort pour faire tomber brusquement l’anthère, comme il m’est arrivé une fois par accident, détermina l’expulsion des pollinies. Deux fois, j’ai pressé assez fortement sur le pédicelle, et par conséquent sur le rostellum qu’il recouvre, mais sans résultat. J’ai comprimé le pédicelle et doucement écarté l’anthère; alors l’ex- trémité pollinifère de la pollinie jaillit au dehors en vertu de son élasticité, et ce mouvement entraîna la séparation du disque d’avec les parties voisines. Ce- pendant M. Ménière 1 a montré que l’anthère se dé- tache quelquefois d’elle-même, ou peut être détachée délicatement, sans que le disque devienne libre, et qu’alors le pédicelle reste pendant en avant du stig- mate. Après avoir expérimenté sur quinze fleurs apparte- nant à trois espèces, je reconnais qu’une violence modérée, exercée sur une partie quelconque de la fleur à l’exception des antennes , reste sans effet. Mais quand on touche l’antenne droite chez le C. sac- catum, ou l’une ou l’autre antenne chez les deux es- pèces suivantes , la pollinie est lancée à l’instant même. Les antennes sont sensibles à leur pointe et 1 Bulletin de la Soc. bot. de France , t. I, 1854, p. 367. FÉCONDATION. 219 dans toute leur longueur. Sur une (leur de C. triden- tatum, il m’a suffi de les toucher avec une soie de porc; cinq fleurs de C. saccatum ont exigé le léger contact d’une fine aiguille; enfin, pour quatre autres, un petit coup fut nécessaire. Même sur le C. triden- tatum, un courant d’air ou d’eau froide, dirigé au moyen d’un petit tuyau, ne suffisent pas; dans aucun cas un cheveu d’homme n’est assez fort : ainsi, les antennes sont moins sensibles que le rostellum du Lis- tera. Mais une extrême sensibilité n’eût pas été utile à cette plante, car il y a lieu de croire que les fleurs en sont visitées par de gros insectes. il est presque certain que la mise en liberté du dis- que ne résulte pas simplement d’un mouvement des antennes; car celles-ci, sur une longueur considé- rable, adhèrent fermement aux bords de la chambre stigmatique, et sont ainsi fixées et inamovibles près de leurs bases. Quelques fleurs, lorsque je les ai re- çues, n’étaient pas sensibles ; mais elles le sont deve- nues après une immersion d’un jour ou deux dans l’eau. J’ignore si ce fait est dû à une maturation plus complète ou à l’absorption de l’eau. Deux fleurs de C. callosum, dont la sensibilité était tout à fait engour- die, furent plongées dans de l’eau tiède pendant une heure, et leurs antennes devinrent très-sensibles ; ceci indique que le tissu cellulaire des antennes doit devenir turgescent pour être à môme de recevoir et de transmettre les effets du contact, et me conduit 220 C1TASETDM SACCATDM. à supposer qu’une vibration se transmet d’un bout à l’autre de ces organes ; s’il en est ainsi, la vibration doit être de quelque nature spéciale, car l’action or- dinaire de diverses forces plus grandes n’entraîne pas la rupture. Deux fleurs placées dans de l’eau chaude, pas assez chaude cependant pour me brûler les doigts, lancèrent spontanément leurs pollinies. Ayant perdu une plante sur laquelle je me proposais de faire d’au- tres expériences, je n’ai pas vu comment agissent les gouttes ou la vapeur des fluides âcres. D’après ces derniers faits, on peut se demander si c’est bien une vibration, produite par le léger contact d’une aiguille, qui est transmise d’un bout à l’autre des antennes. J’ai constaté que, chez le G. tridentatum, les antennes ont un pouce et un dixième de long, et que si l’on touche doucement avec une soie leur extrême pointe, la vibration qui en résulte est transmise, autant que j’ai pu en juger, instantanément dans toute leur lon- gueur. J’ai mesuré la longueur de plusieurs cellules du tissu des antennes, et par un grossier calcul, j’ai trouvé que cette transmission doit se faire à travers non moins de soixante-dix à quatre-vingts cellules fer- mées. Nous pouvons, du moins, sûrement conclure que les antennes, quicaractérisentlegenreCatasetum, sont spécialement destinées à recevoir les effets d’un con- tact et à les transmettre au disque de la pollinie; ce qui amène la rupture d’une membrane et, par un FÉCONDATION. 221 phénomène d’élasticité, l’expulsion de toute la polli- nie. S’il faut une preuve de plus, elle est fournie par la plante dont on a fait le genre Monachanthus, et qui, comme nous le verrons plus loin, est le pied femelle du Catasetum tridentatum ; comme elle n’a point de pollinies à lancer, elle manque entièrement d’an- tennes. J’ai dit que, chez le G. saccatum, l’antenne droite est invariablement pendante, avec la pointe tournée un peu en dehors, et qu’elle est presque paralysée. Cette opinion repose sur cinq expériences, dans les- quelles j’ai violemment frappé, ployé et piqué cette antenne, sans produire aucun effet; tandis qu’à peine avais-je touché l’antenne gauche avec une force bien moindre, la pollinie était lancée en avant. Dans un sixième cas, un grand coup sur l’antenne droite dé- termina l’expulsion : cette antenne n’est donc pas complètement paralysée. Mais comme elle ne défend pas l’abord du labellum qui, chez toutes les Orchidées, semble être chargé d’attirer les insectes, sa sensibilité eût été inutile. La grande dimension de cette fleur, celle surtout de son disque visqueux, et la merveilleuse puissance d’adhésion de celui-ci, me font admettre que le C. sac- catum est visité par de gros insectes. La matière visqueuse, quand elle a durci, devient si adhérente, et le pédicelle est si fort (bien qu’il soit très-mince et large seulement d’un vingtième de pouce à sa base), 222 CATASETUM SACCATUM. qu’à ma grande surprise , il a pu supporter pen- dant quelques secondes un poids de 1,262 grains, c’est-à-dire près de 90 grammes; il a résisté pendant un temps considérable à un poids un peu moins fort. Quand la pollinie est lancée, la grande pointe de l’anthère est généralement entraînée avec elle. Quand le disque va frapper une surface plane, comme celle d’une table, l’extrémité pollinifère de la pollinie est souvent entraînée au delà du disque par suite de la pesanteur de l’anthère, et la pollinie, si elle s’attachait au corps d’un insecte, se fixerait ainsi dans une position fâcheuse au point de vue de la fer- tilisation. De plus, elle décrit souvent un arc trop accentué 1 . Mais il ne faut pas oublier que, dans la 1 M. Bâillon (Bull, de la Soc. bot. de France, 1. 1, 1854, p. 285) dit que le CalaseLum luridum lance toujours sa pollinie en ligne droite et dans une direction telle qu’elle s’attache de suite au fond de la concavité du labellum : dans cette position, selon lui, elle féconde la tleur suivant un procédé qui n’est pas clairement expliqué. Dans un mémoire inséré dans le même recueil (p. 5G7 ) , M. Ménière attaque avec raison la con- clusion de M. Bâillon. Il remarque qu'on peut facilement détacher l’an- thère, qui se détache quelquefois d'elle-même; dans ce cas, grâce à l’élasticité du pédieelle, les pollinies restent pendantes, et le disque visqueux reste encore adhérent au plafond de la chambre du stigmate. M. Ménière donne ensuite à entendre que , par le retrait subséquent et progressif du pédieelle , les masses poli iniques pourraient être entraî- nées dans la chambre stigmatique. Ceci ne saurait avoir lieu sur les trois espèces que j’ai examinées et y serait inutile. M. Ménière continue en montrant de quelle importance sont les insectes pour la fertilisation des Orchidées; il paraît croire que leur intervention est nécessaire chez les Cataselum, que ces plantes ne pourraient se féconder elles-mêmes. M. Bâillon et M. Ménière décrivent tous deux correctement la position recourbée du pédieelle élastique lorsqu’il n’est pas encore libre. Ni CATASETUM CALLOSDM. 225 nature, l’expulsion résulte du contact des antenne s avec un gros insecte posé sur le labellum, et dont la tête et le thorax doivent être peu éloignés de l’anthère. Un objet arrondi, mis dans la même position, est toujours frappé exactement à son milieu, et si on le retire avec la pollinie qui s’est attachée à lui, celle-ci s’abat sous le poids de l’anthère à partir de son arti- culation avec le disque; alors l’anthère tombe, lais- sant les masses polliniques libres et dans une position convenable pour la fertilisation. L’utilité d’une expul- sion aussi violente de la pollinie est sans doute d’ap- pliquer le coussin doux et gluant du disque sur le thorax velu de quelque gros hyménoptère ou le dos sculpté d’un scarabée qui cherche sa nourriture sur les lleurs. Quand le disque et le pédicelle se sont at- tachés à l’insecte, celui-ci ne peut certainement s’en débarrasser; mais les caudicules se brisant assez ai- sément, les masses polliniques doivent être déposées sur le stigmate visqueux d’une fleur femelle. Cataselum callosum. — Cette fleur *, plus petite que la précédente, lui ressemble à beaucoup d’égards. Le bord du labellum est couvert de papilles ; sa ca- vité médiane est petite, et derrière elle se trouve une longue saillie en forme d’enclume ; je mentionne ces l’un ni l’autre de ces botanistes ne semble savoir que les espèces du genre Catasetum (du moins les trois espèces que j’ai examinées) ne sont en réalité que des plantes mâles. 1 Un bel épi de ces lleurs m’a été très-obligeamment envoyé par M. Rucker et déterminé par le docteur Lindley. 224 CATASETUM TRIDENTATDM. détails parce que cette forme est voisine du Myanthus barbatus, que je vais décrire de suite. Le pédicelle est coloré enjaune, très-arqué, uni par une charnière à un disque extrêmement visqueux. Quand Tune ou l’autre des antennes est atteinte, les pollinies sont lancées avec beaucoup de force. Les deux antennes sont placées symétriquement de chaque côté de la saillie en forme d’enclume, et leurs pointes sont dans la cavité du labellum. Les parois de cette cavité ont un goût succulent et agréable. Les antennes ont cela de remarquable, que toute leur surface est hérissée de papilles. La plante que je décris ainsi n’est qu’une forme mâle. Catcisetum tridentatum. — L’aspect général de cette fleur est tout autre que celui des deux premières ; la figure 27 la représente, avec un sépale enlevé de chaque côté. Le labellum occupe le haut de la fleur, situation opposée à celle qu’il a chez la plupart des Orchidées ; il a la forme d’un casque ou d’un seau, qui serait terminé par trois petites pointes. Il est clair, d’après cette position, qu’il ne peut contenir de nectar ; mais ses parois sont épaisses, et ont, comme chez les fleurs précédentes, un goût succulent et agréable. La chambre stigmatique, bien qu'elle ne remplisse pas les fonctions de stigmate, est de grande taille. Le sommet de la colonne et la pointe effilée de l’anthère sont moins allongés que chez le C. sac- catum. Pour le reste, il n’y a pas de différence impor- STRUCTURE. 22 tante. Les antennes sont plus longues et leurs pointes, sur un vingtième environ de leur longueur, sont hé- rissées de cellules papilliformes. Comme précédemment, le pédicelle de la pollinie s’articule avec le disque à l’aide d’une charnière ; l’extrémité antérieure du disque est tournée vers le Fig. 27. CATASETUM TI1IDENTATUM . a. anthère. an. antennes. pci. PÉDICELLE DE LA POLLINIE. I. LABELLU3I. A. Vue latérale de la fleur dans sa position naturelle ; les deux sépales in- férieurs sont coupés. B. La colonne vue par devant et dressée. haut, de sorte que le pédicelle, quand il est attaché à la tête d’un insecte, ne peut se porter en arrière, mais seulement en avant, mouvement qui paraît in- tervenir dans la fertilisation de la plante femelle. Comme dans les au très espèces, ledisque estdegrande taille, et son extrémité postérieure qui, lors de l’ex- 15 226 CATASETUM TRIDENTATUM. pulsion, va frapper l’objet la première, est beaucoup plus visqueuse que le reste de la surface. Cette sur- face est humectée par un fluide laiteux qui, exposé à l’air, brunit rapidement et se prend en une matière de la consistance du fromage. La face supérieure du disque est une membrane forte et formée de cellules polygonales ; chacune de ces cellules contient une ou plusieurs masses d’une matière brune et translu- cide. Cette membrane recouvre, en lui adhérant, une couche épaisse composée de masses arrondies de ma- tière brune (dans la partie inférieure, leur forme de- vient extrêmement irrégulière) séparées l’une de l’autre, et enfouies dans une substance transparente, homogène et très-élastique. Vers l’extrémité posté- rieure du disque, cette couche se transforme en une matière extrêmement visqueuse qui, solidifiée, de- vient brune, translucide et homogène. Ainsi, le * disque a une structure beaucoup plus complexe que chez les autres Vandées. Je ne décrirai rien de plus dans cette fleur, si ce n’est la position des antennes. Sur les six fleurs que j’ai examinées, elles étaient placées exactement de même. Ellesnesont pas symétriques. Toutes deux sont sensibles, maisj’ignoresie’estaumèmedegré. Toutes deux se recourbent sous la voûte du labellum : l’an- tenne gauche s’élève plus haut, et sa pointe s’incurve en dedans vers le milieu ; l’antenne droite est plus basse et mesure toute la base du labellum, mais sa FORMES SEXUELLES. 2*27 pointe dépasse à peine le bord gauche de la base delà colonne. Grâce à la disposition des pétales et des sé- pales, un insecte visitant la fleur doit presque sûre- ment s’abattre sur la crête du labellum; mais il lui sera difficile de ronger une partie quelconque de la grande cavité du labellum sans toucher une des deux an- tennes, car la gauche en défend la partie supérieure, et la droite l’inférieure ; et dès que l’une d’elles sera touchée, la pollinie sera infailliblement lancée et vien- dra frapper la tête ou le thorax de l’insecte. On peut se représenter la position des antennes chez ce Catasetum en supposant un homme dont le bras gauche serait soulevé et plié de façon que la main soit en avant de la poitrine, et dont le bras droit croi- serait ce dernier en passant plus bas, ses doigts atteignant un peu au delà du côté gauche. Chez le C. callosum, les deux bras descendent plus bas et s’éten- dent symétriquement. Chez le C. saccatum, le bras gauche est plié et dirigé en avant, comme chez le C. tridentatum, mais plus bas ; tandis que le bras droit est pendant, presque paralysé, avec la main tournée un peu en dehors. Dans chacun de ces cas, dès qu’un insecte visite le labellum, les antennes transmettent admirablement bien leur message, et le moment est dès lors venu où la pollinie est lancée et transportée à la plante femelle. Le Catasetum tridentatum intéresse à un autre point de vue. Les botanistes furent surpris, quand sir 228 CATASETUM TRIDENTATDM. R. Schoraburgk 1 affirma qu’il avait vu trois formes, regardées comme constituant trois genres distincts, le Gatasetum tridentatum, le Monachanthus viridis et le Myanthus barba tus, croître toutes trois sur un même pied. Lindlev fit observer 5 «qu’un tel fait ébranle jusque dans leurs fondements toutes nos idées sur la stabilité des genres et des espèces.» Sir R. Schom- burgk affirme avoir vu des centaines de pieds deC. tri- dentatum dans l’Essequibo, sans en trouver un seul qui portât des graines 3 ; tandis qu’il fut surpris de voiries gigantesques loges séminifèresdu Monachan- thus. Il remarque avec justesse «qu’on a ici des indi- ces de différence sexuelle chez les fleurs des Orchi- dées. » Le cours de mes recherches m’a conduit à exami- ner moi-même avec soin les organes femelles des C. tridentatum, callosumet saccatum. Dans aucun cas la 1 Transactions of the Linnæan Society , vol. XVII, p. 522. — Le doc- leur Liudley a publié ( Bolanical llegister, fol. 1951) le cas d’une autre espèce de Myanthus et de Monachanthus se rencontrant sur la même tige : il parle aussi d’autres cas analogues. Quelques fleurs étaient dans un état intermédiaire, ce qui n’est pas étonnant, car on trouve parfois des plantes dioïques qui reprennent partiellement les caractères de l’hermaphrodisme. M. Rodgers, de Riverhill, m’a fait savoir qu’ayant apporté de Demerara un Myanthus, il le vit, à la seconde floraison, métamorphosé en Gatasetum. Le docteur Carpenter ( Comparative Phy- siology , 4 e édit., p. G55) fait allusion à un fait semblable observé à Bristol. 2 The Vegetable Kingdom, 1855, p. 178. 5 M. Brongniart dit (Bail, de la Soc . bot. de France, tom. II, 1855, p. 20) que M. Neumann, habile à pratiquer la fécondation artificielle des Orchidées, n’a jamais réussi à féconder les Gatasetum. FORMES SEXUELLES. 229 surface du stigmate n’était visqueuse, comme cela a lieu chez toutes les autres Orchidées excepté Jes Cypri- pedium, et bien qu’elle ne puisse, sans cela, briser les caudicules et retenir les masses polliniques : j’ai soi- gneusement étudié ce point sur des fleurs jeunes et avancées de 0. tridentatum. Si on enlève en grattant, sur les trois espèces ci-dessus, la surface de la cham- bre et du canal stigmatiques, après immersion dans l’esprit-de-vin, on trouve qu’elle est composée d’utri- cules contenant des noyaux semblables pour la forme à ceux des autres Orchidées, mais beaucoup moins nombreux. Les utricules adhèrent mieux entre elles et sont plus transparentes ; pour comparer, j’ai exa- miné les mêmes utricules sur plusieurs espèces d’Or- chidées que j’avais plongées dans de l’esprit-de-vin, et je lésai toujours trouvées beaucoup moins trans- parentes. Chez le C. tridentatum, l’ovaire est plus court, beaucoup moins profondément sillonné, plus étroit à la base et plus plein intérieurement, que chez le Monachanthus. De plus, chez les trois espèces de Catasetum, les cordons ov'ulifères sont courts, et les ovules diffèrent considérablement de ceux d’un grand nombre d’au très Orchidées, auxquels j’ai pu les compa- rer ; ils sont plus fins, plus transparents et moins pul- peux. Ils n’étaient pourtant pas aussi complètement atrophiés que ceux de l’Acropera. Bien que, par leur aspect général et leurs connexions, ils correspondent si clairement à de véritables ovules, peut-être n’ai-je 230 CATASETUM TRIDENTATUM. pas rigoureusement le droit de les désigner ainsi, car dans aucun cas je n’ai pu découvrir le micropyle et le nucelle intérieur; en outre, ils ne sont jamais ana- tropes. En résumé, l’ovaire est étroit et court, sa surface est plus unie, les cordons ovulifères sont moins longs, les ovules eux-mêmes sont presque atrophiés, la sur- face du stigmate n’est pas visqueuse et ses utricules sont vides : si l’on rapproche de ces faits le témoi- gnage de sir R. Schomburgk, qui n’a jamais vu le G. tridentatum produire des graines dans sa propre patrie, on peut regarder avec confiance cette prétendue espèce, aussi bien que les deux autres, comme exclu- sivement mâle. Pour le Monachanthus viridis et le Myanthus barba- tus, j’ai dû à l’obligeance du président et des direc- teurs de la Société linnéenne, de pouvoir examiner l’épi qui portait ces deux fleurs, conservé dans l’esprit- de-vin et envoyé par sir R. Schomburgk. Elles sont représentées par la figure 18. Chez le Monachanthus, comme chez le Catasetum, le labellum occupe le haut de la Heur ; sa cavité n’est pas à beaucoup près aussi profonde, surtout sur les côtés, et son bord est crénelé. Les autres pétales et les sépales sont tous réfléchis, et moins tachetés que ceux du Catasetum. La bractée qui est à la base de l’ovaire est beaucoup plus grande. Toute la colonne, surtout le filet et la pointe de l’an- thère, sont de bien plus petite dimension ; le rostel- FORMES SEXUELLES. 251 lum est beaucoup moins saillant. Les antennes man- quent complètement, et les masses polliniques sont rudimentaires. Ces faits sont intéressants, parce qu’ils confirment l’opinion émise sur la fonction des anten- Fig. 28. MYANTHUS BAUBATDS. MONACHANTHUS YIR1DIS. a. ANTHÈRE. p. MASSE POLLINIQÜE RUDIMENTA’RE. Cin. ANTENNES. S. -FENTE STIGMATIQUE. /. LABELLUM. Sep. LES DEUX SÉPALES INFÉRIEURS. A. Vue latérale d’une fleur de Monachanthus viridis dans sa position natu- relle. (Ces deux dessins sont ombrés d’après le dessin de M. Reiss dans les Linnœan Transactions.) B. Vue latérale d’une fleur de Myanthus barbatus dans sa position naturelle. nés ; en effet, puisqu’il n’y a pas ici de vraies pollinies à lancer, il était inutile qu’un organe spécial trans- mette l’ébranlement dû à son contact avec un corps 252 CATASETUM TRIDENTATOM. étranger, jusqu’au rostellum. Je n’ai pas trouvé trace de disque visqueux ou de pédicelle ; si ces organes existent, il faut qu’ils soient extrêmement rudimen- taires, car il n’y a presque point d’espace pour loger le disque. Au lieu d’une vaste chambre stigmatique, on trouve une fente transversale étroite, immédiatement au- dessous de la petite anthère. J’ai pu introduire une des masses polliniques du Catasetum mâle dans cette fente, qui pour avoir été plongée dans l’esprit-de-vin, était couverte de gouttelettes coagulées de matière visqueuse, et d’utricules. Ces cellules du stigmate différant de celles que nous avons étudiées chez le Catasetum, étaient pleines (après leur immersion dans l’esprit-de-vin) d’une matière brune. L’ovaire est plus long, plus épais vers sa base, plus franchement sillonné que chez le Catasetum ; les cordons ovulifères sont aussi beaucoup plus longs, les ovules plus opa- ques et plus pulpeux, comme chez toutes les Orchi- dées communes. Je crois avoir vu le micropyle à l’extrémité semi-anatrope du testa, avec un gros nu- eelle saillant ; mais comme les échantillons étaient restés plusieurs années plongés dans l’esprit-de-vin et qu’ils étaient un peu altérés, je n’ose rien affirmer. Ces seuls faits montrent d’une manière presque cer- taine que le Monachanthus est une plante femelle; et, en effet, sir R. Schomburgk l’a vu couvert de graines abondantes. Sa fleur diffère de la manière la FORMES SEXUELLES, 255 plus frappante de la fleur mâle du Catasetum triden- tatum, et il ne faut pas s’étonner que ces deux plantes aient été d’abord rangées dans deux genres distincts. Les masses polliniques nous donnent un exemple si curieux et si juste d’une organisation rudimentaire qu’elles méritent une description spéciale; mais je dois décrire auparavant les masses polliniques par- faites de la plante mâle. On peut les voir en D et en E, figure 26, attachées au pédicelle; ce sont deux grosses lames composées de grains de pollen cohé- rents et cireux, courbées en dessus de manière à for- mer un sac, avec une fente ouverte le long de la face inférieure; dans cette fente se loge un tissu cellulaire, pendant que le pollen est en voie de développement. Dans la partie inférieure et allongée de chacune d’elles, se trouve une couche de tissu très-élastique, formant le caudicule ; son extrémité s’attache au pédi- celle du rostellum. Les grains de pollen les plu extérieurs sont plus anguleux, plus jaunes et ont des parois plus épaisses que les grains intérieurs. Dans un jeune bouton, les deux masses polliniques sont enveloppées dans deux sacs membraneux accolés, que percent bientôt leurs extrémités inférieures et leurs caudicules ; et alors les extrémités des caudicules s’unissent au pédicelle. Avant l’épanouissement de t la fleur, les sacs membraneux s’ouvrent, et les masses polliniques qu’ils renfermaient reposent dès lors à découvert sur la face postérieure du rostellum. 234 CATASETUM TRIDENTATDM. Chez le Monachanthus au contraire, les deux sacs membraneux qui renferment les masses polliniques rudimentaires ne s’ouvrent jamais ; ils se séparent aisément l’un de l’autre et se dégagent de l’anthère. Leur tissu est épais et pulpeux; comme la plupart des parties rudimentaires, ils varient beaucoup de dimensions et de forme. Les masses polliniques qui y sont renfermées, et par conséquent restent sans usage, n’ont pas le dixième du volume de celles du mâle; elles ont la forme d’une poire à poudre (/?