SIMPENDERE , VERO. Library of the University of Toronto & =) ee Cat « PAR ; Ni 4 1e \ DESCRIPTION DES EAUX DE CHANTILLY, ET DU HAMEAU. Far y the Interne BEN st DESCRIPTION DES EAUX DE CHANTILLY ET D'ÉTÉ AM EAU. Par M. LE CAMUS DE MÉZIERES ; Architeile. Dans fa pompe éléganre admirez Chantilly, De Héros en Héros , d’âge en âge embelli Les Jardins de M, l'Abbé de Lille, ch, x, Æ ET ARELF;, L'AUTEUR rue du Foin-Saint-Jacques, au College de Maitre Gervais. Chez< B. MORIN, Libraire, rue Saint-Jac- ques, à la Vérité. BELIN , Libraire, rue Saint-Jacques. M'*D2C 6. LX X'ETPE Avec Approbation & Permifion. PERRET EN MS Fe F 16 A SON AITESSE SÉRÉNISSIME MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONDE, MoONSEIGNEUR, LE droit de propriete eft Jacré 3 l’Ouvrage que j'ai l'honneur de préfenter à votre ALTESSE SÉRÉNISSIME, eft la defcription d'un féjour # délicieux qui lui appartient ; l'hommage lui en et di, & je Jupplie votre AITESSE SÉRÉNISSIME de l’agréer. Je fuis avec le plus profond refpect , DE VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME MONSEIGNEUR, Le très-humble & très- obciflant Servireur, ‘ Le Camus DE MEZIERES. Ce NN De DESCRIPTION DES E AUX DE CHANTILLY HET DU HAMEAU (). Re Naïade Nonette (2), noncha- lamment appuyée fur fon urne , en (1) Le Hameau eft un endroit charmant, que Son Alteffe Séréniffime Monfeigneur Louis-Jofeph de Bourbon , PRINCE DE CONDÉ, a fait arran- ger en 1780, dans une ifle formée par ‘la Nonette, & par différentes fouces d'eaux vives & fraîches. Ce lieu délicieux a été difpofé en moins de trois mois fous les ordres & fur les deflins de M. le Roi, habile Architeéte, qui jouir de la confiance entiere du Prince, & quila mérite. Son aménité, fon goût, fa probité en font les principes (2) Riviere qui prend fon origine près de Nan- À 4 8 Defcription des Eaux regardoits échapper les ondes pures & argentines. « C'eft ainfi, difoit- elle , que s'écoule la vie des hu- mains. Eflorcons-nous de con- tribuer au bonheur de leurs jours. Les Dieux doivent fe faire con- noître par les bienfaits. Fertili- fons ces campagnes; embelliflons ces lieux (1), ils appartiennent à un Prince doux, aimable; fon af- pet captive les cœurs; c'eftle Dieu tutélaire de ce canton. Cherchons, ainfi que lui , à faire le bien. S'il teuil-le-Haudouin , pafle par Senlis , & fait l’or- nement des Jardins de Chantilly. L'art, fans trop fe montrer, s’eft réuni à la nature-pour embellir ces lieux de délices. (1) Les Jardins & le Parc de Chantilly. de Chantilly. 9 nous eft difficile de l’égaler , il eft beau de concourir à la gloire de fes rivaux », Elle dit , & fe partage en deux bras. L'un paffe au fond du Parc, l'embellit & forme uneentréetriom- phale ; l’autre enrichit le Château de fes eaux , & par le fecours de l'art prenant différentes métamor- phofes , fe régénere en fe multi- pliant. | Bientôt elle quitte fa forme de riviere , & , comme Naïade , entre dans un veftibule circulaire (1), (2) Baffin de 240 pieds de diametre, qui, continuellement entretenu des eaux de la No- nette , fournit la belle chüte qu'on voit à la 10 De/fcriprion des Eaux dont l'étendue feule eft capable d'en impofer. Glorieufe , fatisfaite de fa pre- miere démarche , Nonette veut pé- nétrer plus avant. Avec quel bruit , avec quelle pompe ne s'annonce- t-elle pas ? Mille portes lui font ouvertes , elle fe montre de toutes parts. Semblable à Prothée , on la voit fe changer en montagne de diamant; on diroit l'inftant d’après que c’eft Iris qui lui fuccede. On tête du canal, & qu'on apperçoit de Ia plus grande diftance. On en a fu artiftement ména- ger quantité de points de vue des plus riches & des plus agréables. Ce font des foins d’Artiftes , & M. le Roi en a bien fu profiter. de Chantilly. 11 —— la voit en nape de cryftal; par dif: férentes chûtes , elle forme des caf cades , des lames qui , comme des rayons de lumiere , étonnent l’ima- gination la plus vive. L'aimable Nonette , aufli fur- prife de la fituation du lieu qu'elle veut parcourir , que frappée de la magnificence du Prince qui en eft poffeffeur , fait mille vœux pour captiver fa bienveillance. Elle s’ap- proche avecla disnité d’une Déeffe; la candeur , la majefté l'accompa- gnent : fa pudeur enfantine , fon embarras ingénu lui prêtent denou- veaux charmes ; elle avance en tremblant , quoique le plus noble 12 Defcription des Eaux traitement lui foit afluré ; la gran- deur d’ame du Prince, fa généro- fité en font de furs garants : mais Nonette a des prétentions ; en Déefe , elle voudroit l'emporter par fon propre mérite. Doit-elle faire valoir fes titres , fes préroga- tives ? doit-elle s'appuyer fur les avantages & l'utilité qu'elle peut procurer ? Que faire ? Entraînée par fon penchant , Nonette porte un regard timide fur Condé , ne peut le foutenir & le laiffe tomber ; elle fait un nouveleffort , s'appro- che , lui offre hommages & tri- buts; en ce moment rien ne lui coûte , elle veut plaire. L'avantage d'embellir la demeure d'un Prince de Chantilly. 13 aimable , anime fon efpoir. Pour mieux remplir les conditions d'un traité qui lui eft glorieux , elle cher- che à fixer fon féjour en ces can- tons. Le Prince répond à fesvœux. Contente & pénétrée de recon- noiffance , toujours occupée de l'objet qui le frappe , & fembla- ble à Venus éprife du bel Adonis, elle ne fonge qu’à plaire , elle épan- che fes eaux & les renouvelle fans ceffe. On voit naître une magnifique piece d’eau à pan (1) , qu’on pour- roit prendre pour un lac fort éten- du. Condé furpris ne veut pas être (1) Tête du canal. 14 Defcription des Eaux enrefte, il invoque l’Architedure; les bords du lac font revêtus en belle pierre ;un gazon toujours frais & fleuri en fait la feconde bordure. La richefle & l’opulence forment un contrafte heureux avec la na- ture , principal ornement de ces lieux enchanteurs. Trop d'unifor- mité deviendroit ennuyeufe. Une vafte étendue d'eau , toute belle qu'elle foit , étonne l'ame fans la fa- tisfaire. Il faut d’autres objets pour lui donner de l’eflor. Notre aima- ble Naïade attire , par la beauté & la pureté de fes eaux , des bandes innombrables de Cygnes ; leur beauté efface ceux de Méandre (2). (2) Les Anciens font mention du chant des de Chantilly. 1$ Des carpes énormes & de dif- férentes couleurs embellifflent ce tableau. On les apperçoit fe livrer Cignes , fur- tout à l'inftant de leur môrt. Juf- qu’à préfent nous avons regardé cette aflertion comme une fiétion : maïs voici ce qui vient d’ar- river tout récemment à Chantilly même. En 1740, des Cygnes étrangers s’abaiflerent dans une piece d’eau, dont la glace n’étoit point prife de toutes parts. Bientôt on en eft inftruit au Château ; on court vifiter ces nouveaux h6ô- tes , on approche avec prudence , on leur jette à manger , ils l'acceptent. Bientôt on fait tendre des filets, on les prend, & on leur coupe les ai- les. D’autres ont fuccédé; il en refte actuelle- ment deux , un mâle & une femelle, ils ont quatre petits. Un Chañnoine de Senlis, qui fe promenoit en ces cantons, les entend , & s’apperçoit d’une ef- pece d'harmonie. De retour il en fait part à quelques-uns de fes confreres, M. de Mongez, 16 Defcription des Eaux des combats d'autant plus intéref- fans, que le deflous du ventre des oïfeaux de Venus leur fert comme de l'Abbaye de Sainte Genevieve , & Garde du Cabinet, en étant informé , fe tranfporte à Chantilly, examine & fait un Mémoire fur ce phénomene , où il difcute favamment le dire des Anciens fur le chant des Cygnes. De retour à Paris, il lit ce morceau intéreffant àl’Académie des Sciences , il eft accueilli. Celle des Infcrip- tions en demande aufli la leture , comme re- cherche fur l'antiquité. L'Abbé de Mongez, en Juillet dernier 1783 ; paroît Al’Affemblée , c’eft ume grace fpéciale ; il y avoit plus de 80 ans que pareil honneur n’a- voit été accordé à un étranger; les Membres feuls ont droit de leéture. Nouveaux applaudifflemens à M. l'Abbé de Mongez. Le Prince eft inftruit de ce Mémoire curieux , il en écrit à l’Académie, defire qu’on lui life le Mémoire : on lui députe deux Académiciens ; ‘un équipage envoyé par le de de Chantilly. 17 de retraite & de barriere; fouvent auffi on les en voit fortir pour jou- ter & bondir. Imaginez-vous diffé- rens quadrilles de nos anciens Che- valiers. La diverfité de leurs uni- Prince, les tranfporte avec l’Auteur du Mé- moire-& le Secrétaire de l’Académie , en trois heures à Chantilly; ils font reçus avec accueil & magnificence, Le lendemain, le Prince veut accompagner les Académiciens, il propofe de facrifier un de fes propres Cygnes, d'autant qu'on lui avoit dit que ces animaux ne chantoient qu’en marque de victoire fur quelqu’autre oïfeau. Le Cigne do- meftique lâché , les nouveaux arrivés tombent deflus, le tuent, fe mireut à préluder & à pro- duire l'harmonie qu’on attendoit, Le mâle prenoit les deux notes m2, fa, la femelle re, mi, & avec ces quatre tons, ils for- merent un concert mélodieux. B 18 Defcription des Eaux formes fait un vrai fpeëtacle ; le blanc , le brun foncé, le rouge, l'écaille de tortue font autant de nuances qui varient continuellez ment & paroiffent entre deux eaux; l'ame eft ravie par des plaïfirs tou- jours renaiflans. Approchez-vous du bord? ces différentes carpes viennent à vous, femblent vous carefler & vous ad- mirer ; elles prennent à la main les préfens que vous leur offrez; vous êtes à leur égard une Divinité dont elles viennent former la cour. Telles fur la mer Tyrienne les Syrennes folâtres cherchent à vous féduire & vous plaire : c'eft ainfi de Chantilly. ‘ » que dans les maifons de Céfar (1), d'habiles Architeëtes avoient placé de femblables poiflons dans de grandes pieces d'eau qu'ils ren< doient par ce moyen intéreffantes ; en leur donnant le mouvement & la vie. Lifons Martial (2), nous le ver- rons célébrer les poiflons qu'Au- guite avoit à Baies, ancienne ville (1) Pline, liv. xxxr1. (2) Martial, liv. 4, Ep. 30. Nous croirions faire un larcin, fi nous ne citions fes vers, ce Baïiano procul à läcu manemus. » Pifcator, fuge, ne nocens recedas, æ Sacris pifcibus hæ norantur undæ #» Qui nofunt Dominum manumqgue lambune » Illam, quâ nihil eft in orbe majus, # Quidquid nomen habent, & ad Magiftri » Vocem quifque fui venit citatus, B 2 20 Defcriprion des Eaux du royaume de Naples. « Ils appro- » chent , dit-il, chacun à comman- » dement & à leur nom ». C’étoit une efpece d'exercice que l’on voyoit en ce temps, avec autant de plaïfir que de furprife. Si l'on regar- de ce trait comme une fiétion , au moins nous ofons aflurer comme fait certain, qu'en fiflant fur les bords du canal , formé des dons de la généreufe Nonette, on voit arriver une quantité prodigieufe de poiffons qui femble venir à l'or- dre; vous les appercevez..… Mais qu'entends-je ? .... Eft-ce le fon du cor? Diane vient - elle chaffer? Chantilly raflemble tous ‘de Chantilly. 21 les plaifirs , c’eft le rendez-vous des Dieux. J'apperçois une partie du cortege de Bacchus. Sans doute ce vainqueur des Indes vient pour participer à quelque fête. (1) Je vois déja un Satyre qui conduit la monture du nourricier Silene. Voyez le grave maintien du quadrupede à longues oreilles ; qu'il eft plaifant !.... que cet ani- mal eft finguliérement harnaché ! qu'il eft fatisfait ! A le voir, ondi- roit que le Dieu de la Folie s’eft amufé à lui confier tous fes gre- lots... Mais quel mouvement dans mea ss (1) Le manger qu'on apporte aux poiflons. B 3 22 Defcription des Eaux les eaux ! elles font agitées , elles bouillonnent. Que fignifie ce nou- veau phénomene? L'air eft paifi- ble & tranquille. Cependant tous les poiffons fe réuniflent & for- ment le cortege le plus nombreux. Les Cygnes battent d’une aile amoureufe , ils s’en fervent comme de voiles, planent, fillonnent fur la furface de l'onde , & arrivent au même port.... Quelle préci- pitation ! quelle ardeur ! A voir l’em- preflement de ces différens ani- maux aquatiques , on diroit qu'ils veulent dévorer l'âne & les reli- ques. Mais feroit-ce une viétime que l’on veut facrifier? la gravité de Maitre Aliboron femble l'an- de Chant 5 PE En noncer. Il avance d’un pas égal... les eaux s’agitent de plus en plus : à mefure qu'il approche, letrouble augmente , l'onde écume , les va- gues s’élevent , les poiffons s'élan- cent , les Cygnes agitent leurs ailes, l'eau femble être remplacée. par tous ces animaux attentifs aux mou” vemens & de l'âne & du maitre. Arrivé fur le bord de l’humide élément, le Satyre s'arrête , fifle une Hymne féduétrice. Aufli - tôt une joie particuliere s'empare de l’armée aquatique , fes mouvemens vifs & empreflés l’annoncent. On entend un bruit fourd , une efpece de murmure ; cette expreflion , B 4 24 Defcription des Eaux quoique muette , n'en eft pas moins éloquente. Comme grand facrifi- cateur , le Satyre prend les offran- des , & après avoir regardé du côté du Château pour annoncer la gé- nérofité du Prince , il les lance dans les eaux. Aufli-tôt la fcene change, la fureur s'empare des en- fans d'Amphitrite & des oifeaux de la Déefle des Amours; on di- roit qu'ils : s’entre - dévorent. On les voit s’élancer , les uns la gueule béante , les autres le bec ouvert; ils s’arrachent avec avidité la proie qui leur eft offerte. Tel que dans une mêlée on voit les différens uniformes fe difputer de Chantilly. °. 2$ un drapeau ; tantôt vaincus , tan- tôt vainqueurs , les uns &t les autres fe l’arrachent : ainfi les animaux aquatiques , qui font leur afyle des eaux de la charmante Nonette , étonnent & frappent les yeux par la diverfité des couleurs & des mou- vemens. Mais infenfiblement la ré- volution ceffe , la tranquillité re- naît à mefure que les offrandes fe confomment. Le Satyre difparoit , déja l’on n'entend plus les grelots de la monture du pere nourricier de Bacchus. Les combattans dif- paroïffent , le calme fuccede. Différentes chaloupes paroïffent: la variété des formes flatte la vue , 26 Defcription des Eaux elles font ornées de banderoles de différentes couleurs ; les enfans d'Eole prennent plaifir à les faire voltiger. Les flots en font enor- gueillis , ils fufpendent leurs cours, & femblent fe livrer à l'admiration; lorfqu'ils font obligés de céder la place ; un long murmure annonce leur chagrin. Tout concourt à l’idée de la fête la plus brillante. On voit de toutes parts regner la joie & les plaifirs. O vous , dont les idées ont peine à fe développer , paflez en ces lieux , bientôt elles s'étendront, bientôt vous éprouverez une ef- EPS Chassis { 27 pece d’extafe, deraviflement , d'en- thoufiafme. Mais il n’eft point de bonheur complet, Nonette trop aimable, malgré l'abondance de vos eaux qui vous fait le plus grand honneur , quelque rare que foit un triom- phe femblable au vôtre , une chofe m'inquiette , l'étendue du lieu que vous avez convoité eft remplie de vos tréfors , les canaux en regor- gent ; qu'allez-vous devenir ? Vous abondez en richeffes, vos eaux fe répandent , s'échappent malgré vous ; il faut les porter ailleurs. Je fens ce qu'il en coûte pour quit- ter un féjour de délices , dont on 28 Defcription des Eaux fait la plus belle parure ; je conçois le grand facrifice que vous êtes obligée de faire. L'induftiieufe Nonette à prévu ce qui pouvoit arriver ; elle fait qu à la fuite du canal il fe trouve un Château (1) bâti fans doute par quelque Géant pour y captiver différentes fources en dépit de Neptune , & les forcer à fe répan- dre dans les Jardins où Flore les attend; Nonette en conçoit l’utili- té , elle en faifit les avantages ; c'eft (:) Le pavillon de Manfe qui renferme la pompe des eaux hautes du Château, & qui eft à la fuite de la grande piece d’eau quarrée, dont le jet s'éleve de foixante pieds de haut. de Chantilly. 29 pour elle un moyen de plaire à fon Prince. Sans craindre les différen- tes épreuves qu'il lui faut fubir pour fe rendre en ces lieux , elle trouve dans les obftacles un nou- veau fujet de gloire & de triom- phe. Eprife d’ailleurs de la beauté du féjour qu'elle eft fur le point de quitter , fes regrets deviennent plus vifs , fon ardeur l'encourage & la porte à de nouveaux fuccès. Dans fes juftes tranfports , ofant tout entreprendre , elle calcule fes for- ces ; le defir lui fournit des moyens; avec toute la majefté d’une Déeffe qui connoit fon pouvoir, elle prend fon eflor , s’élance fur des ouvra- ges avancés qui fervoient de ter- 30 Defcription des Eaux rafle au Château. Bientôt les ponts de bois fervent de vannes & for- ment un moulin : elle emploie la force qu’elle tire de fon propre pied , pour pafler dans des tuyaux bientôt contraints à la recevoir, Errante , mais par une fuite d’ef- forts dignes d’elle elle fort de cette cruelle torture , & s'échappe dans un fuperbe réfervoir ( 1 ) dont s'é- toient émparé différentes fources : leur forme étoit majeftueufe ; leurs charmes n'étoient point couvérts d’un voile importun ; elles avoient pour ornement des couronnes de rofeaux ; de longues trefles de © (1) Réfervoir des Sources, de Chantilly. 31 cheveux argentés flottoient fur leurs épaules. Nonette paroïit avec toute la magnificence d’une Naïade : à fon afpeët les Sources étonnées baif- fent la tête en figne de refpe& , & fufpendent pour un inftant les eaux de leurs urnes. Pourquoi ,; leur dit d'un ton févere la triomphante Nonette, pourquoi vous raffembler à mon infu ? à quel titre difpofez-vous de ces lieux ? quelle eft votre au- dace ! Je fuis riviere; j'arrofe le canton , & vous paroiffez ici avec un front tranquille ! craignez ma 32 Defcription des Eaux vengeance.......A.ces mots la Source qui fournit en partie le canal fupérieur , le long de la grande allée , reconnoit fa faute, balbutie quelques excufes, & fe fent pénétrée d'un froid glacial. Par fuite de fa générofité ordi- naire , la bienfaifante Nonette eft touchée de commifération & lui pardonne; elle met cependant une condition , c'eft que tant qu'elle voudra former le canal où elle roule fes eaux , elle confervera la même fraicheur dont elle eft at- teinte pour l'inftant. C'eft d'après cette convention que l’on nomme l'endroit où elle pañfe le canal des TRuITES , fans doute à caufe que ce de Chantilly. 33 ce poiffon cherche toujours les eaux vives & fraiches. Nonette fait plus, elle veut que cet endroit porte les marques de fa magnificence. A l'inftant même elle produit à l'extrémité du canal une cafcade formée d'un gros bouillon d’eau qui fait aller cinq nappes qu'accompagnent fix jets fortant des rocailles ( 1 ) : bientôt elle forme elle-même une grande & magnifique nappe d’eau, & tombe ainfi dans le Canal , dont la fraicheur & la tranfparence ne peu- vent être mieux comparées qu'à celle de la fontaine des Ris, dont ( 1) Cafcade à la tête du canal des Truites, C 34 Defcription des Eaux il eft fait mention dans les Jardins d'Armide. Une autre fource (1) non moins abondante devient ftupéfaite , & refte fans mouvement; elle vou- droit fuir , les forces lui manquent, & devient comme morfondue. Tel qu’un jeune courfier que la trop grande ardeur emporte , s'épuife de forces , fe trouve tout-à-coup contraint de s'arrêter , & ne peut avancer ni reculer. Plus l’état de cette fource eft cruel , plus la généreufe Nonette eft affectée de la voir foufirir ; elle (1) Canal des Morfondus. de Chantilly. ; $ eft la premiere à lui prêter des fe- cours. Ses foins ñne font pas inu- tiles , la fource reprend des forces, & parvient à fa prèmiere vigueur. Nonette contente ; exigé pour ‘toute condition, que le Canal qui contiendra cette fource foit nommé par la fuite le Canal des Morfondus. Les autres fources fe foumet- tent à difcrétion , rendent armes & bagages. Nonette accepte , & leur impofe pour loi de recon- noître à jamais fon autorité , & de fervir comme ferfs à l’embel- liffement des jardins qu'elle ido- lâtre. Enorgueillie de ce triomphe , La C2 36 Defcription des Eaux Naïade s'empare des neuf portes & canaux (1) qu'elle rencontre. Sem- blable au Nil (2) qui fertilife l'E. gypte , elle répand fes eaux & em- bellit les Parterres de l'Orangerie. Ici , elle forme cinq baflins qui jouent nuit & jour. Celui du milieu renferme fix Dauphins, dont les jets fe croifent & forment l'afpe le plus agréable. Elle pañfe aux deux côtés de cet agréable en- (1) Neuf foupapes qui font dans le réfervoir des fources , & portent l’eau aux jets du par- terre de l'Orangerie. (2) Le Nil a neuf embouchures , fuivant Pto- lomée , & fept feulement , fuivant le fentiment des Anciens , ainfi que Virgile s'exprime au 6°. Livre de l'Enéide : Ex fepcem gemini turbant crepida oftia Nili, de Chantilly. 37 droit , dont Flore fait {es délices. Là elle produit deux fontaines en buffets , auxquelles les jets de qua- tre Dauphins qui s’entrelacent prè- tent des charmes. Ici elle fait en- core jouer le long de la ferre un autre buffet non moins agréable. Que Nonette ne fait - elle poinr pour prolonger les plaifirs ? Elle parcourt un petit canal où fe trouve un Loup marin qui lance de l’eau, & où elle donne l'ame & la vie à trois gros bouillons qu'on pren- droit pour de nouvelles fources. Que l'on juge de fa généro- fité : elle permet à une des Sour- ces, nouvelle tributaire , dont elle C 3 38 Defcripuon des Eaux connoît la falubrité & l’excellence, de rouler fes eaux le long de la Galerie des Cerfs, & de devenir pour les habitans de Chantilly une fontaine dont les faveurs fe répan- dent à leur ufage. La généreufe Naïade forme par l'abondance de fes eaux un nou- veau canal qui fépare du Parterre de l'Orangerie l'Ifle d'Amour & celle du Bois- Vert : elle fer- pente dans la derniere à travers les arbres toujours verds & frais, & fe rend fous un fuperbe porti- que de treillage qui renferme un baffin ceintré , où font placés deux Dragons qui fe combattent ; les jets de Chantilly. 39 qui fortent de leur gueule frap- pent fur l’un & fur l'autre avec impétuofité , & femble annoncer leur acharnement à fe détruire. Nonette n'oublie point de fe rendre à l'Ifle d'Amour ; elle fait qu’elle fait le principal ornement des endroits où elle pale : dans celui - ci on lui a élevé une Sta- tue en marbre (1), du bas de laquelle fort une nappe d’eau abon- dante qu'y recoit un Baflin où tou- tes les Nymphes d’alentour vien- nent confulter leurs charmes & leurs appas. C'eft à la faveur de ces eaux limpides & claires qu'elles arrangent leurs belles chevelures , (1) Fxécnrée par M. C 4 40 Defcription des Eaux & les treflent avec les rofes & le jafmin. Nombre de routes formées par des berceaux garnis de lilas & de chevrefeuils aboutiflent à une grande falle découverte où fe trou- ve un Baflin. De droite & de gau- che font d’autres falles de différens jeux , d'où on apperçoit un beau jet d’eau , au milieu d’un fuperbe portique. Non loin & à la pointe de cette Ifle on découvre le Temple de Venus; des colonnes ioniques en treillages artiftement travaillés en font la décoration. de Chantilly. 4i Au-deffus de la porte d'entrée on a placé les colombes de Venus, le flambeau & les fleches de l’A- mour. L’Acrotere eft ornée de vafes & de corbeilles de fleurs. C’eft le Temple de la Déeffe de Cithere; le myftere eft à la porte : dans l'intérieur , la Beauté , les Graces & les Plaifirs fe tiennent par la main. L’aimable Folie danfe au milieu d'eux. L’Occafion ne fait que fe montrer & difparoître : elle craint de fe voir faifie par le toupet de cheveux qu’elle a fur le front. La Naïade ne dédaigne point de participer à l’ornement de ce 42 Defcription des Eaux lieu , elle y forme différens bouil- Jons qui jouent continuellement & tombent dans des cuvettes de mar- bre artiftement travaillées. Au mi- lieu de chaque croifée, elle pro- duit un jet qui prend la forme d'une bougie, & imite un fuperbe candélabre; l’eau eft recue dans des vafes d'albâtre agathifés , & fur les bords jouent de petits Amours aux- quels le Sculpteur habile a femblé donner la vie. Pendant que nous nous occu- pons de l'art avec lequel on a dif- pofé ces lieux, que nous admi- rons les huit tableaux des fujets galants, peints par Boucher , que de Chantilly. 43 nous contemplons le plafond qui repréfente Vénus & les Ris , la Naïade Nonette, impatiente de faire de nouveaux miracles & de jouir de tous les avantages du bel efpace qui fe préfente à la tête du Canal , prévoit qu on en peut créer une Îfle enchantée , & former un délicieux Hameau. Elle invite le Prince à faire un chef-d'œuvre qui repréfente l'Innocence & la Paix , vertus dont il eft pénétré. Elle lui indique l’Archite&e ha- bile (1 ) qui pénetre la marche de nos fenfations , les faifit & les fait jouer à fon gré. Que de fcenes agréables & que (1) M. le Roy. 44 Defcription des Eaux de tableaux charmans n’a-t-on pas lieu d’efpérer dans un féjour conçu & formé fous des aufpices auf flatteurs! La dépenfe y préfide , le goût la guide & la fixe. Que de genres, que d’efpeces! les objets dont ils font compofés , quoiqu'infenfibles & inanimés , agiflent fur les facultés de notre ame, les développent & leur font perdre un eflor fubli- me qui ne peut partir que d'une fource divine. CONDÉ feul , l'aima- ble CoNDÉ doit opérer ce miracle; il faut être infpiré par les Dieux, pour chanter leur gloire & leur puiffance. PRINCE AIMABLE, fouf- de Chantilly. 45 frez que je faiïfifle ce moment, fouffrez que je m’affranchifle des regles vulgaires,& que votre carac- tere heureux fe trouve peint dans le tableau que je veux faire de vos amufemens. Le bien public le de- mande, infpirez-moil, le vrai génie eft éclairé de la divinité ; fes moin- dres lueurs portent l'empreinte de leur fource enflammée , elles effa- cent par un éclat véritable ces fauffes lumieres qui, fans inté- refler les cœurs , éblouiflent les yeux des hommes ordinaires. Le Hameau t:i) Déjà les Ponts font jettés fur (1) Le Hameau , ainf que le Jardin Anglois 46 Defcription des Eaux le canal, on pénètre dans l'Ile où fe trouve le Hameau fortuné ; il eft précédé d'un Jardin Anglois , coupé de ruiffeaux qui ferpentent mollement entre des gazons émail- lés de fleurs; on y voit de rians bofquets , dont la nature feule fem- ble avoir fait les frais. L’Innocen- ce & la Paix en ont la garde ; qui le précede , étoit, il y a trois ans , une vafte & fimple prairie arrofée par la Nonette, Elle offroit la nature toute fimple , & n'avoit d’autres ornemens que les beftiaux dont elle étoit toujours couverte. En 1780, S. A, S. fe proménant en ce canton, accompagné de fon Archite“e, propofa des idées. M. le Roy les rédigea, en donna les deflins, & en moins de trois mois le tout fut completté & parfait. On ne peut plus prompte exécution , c’eft une vraie fécrie. de Chantilly. 47 fans leur aveu , on ne peut y avoir accès. Un bois délicieux fe préfente ; les rofes, le lilas , le jafmin y ré- pandent de toutes parts les plus doux parfums , quoique planté nouvellement, on diroit, à la gran- deur des arbres , que c’eft un bois antique & facré , où les Dieux fai- foient autrefois leur réfidence. Tout y croît , tout y poufle d'une ma- niere furprenante. On a vu de jeunes hêtres porter des boutons deux fois la même année , & croi- tre en conféquence. Déjà les arbres qui forment le bois , élevent au ciel une tête altiere 48 Defcription des Eaux qui fe dérobe aux yeux; auffi ja- mais les cruels Aquilons ne fouf- flent le frimat dans ce canton, ils le refpe&tent , un vent doux & frais en agite feulement les feuillages. Les Zéphirs libres de leur chaine folatrent dansles airs. Si on reflent à l'agitation des feuilles une forte de friflonnement , fi l'on éprouve enfin cette horreur facrée des bois, c'eft une fenfation qui intérefle, c'eft un plaifir nouveau. De quelle odeur fuave & délicieufe n'eft-on pas frappé , lorfque l’Aurore écla- tante ouvre les portes enflammées de lorient ! On croiroit volontiers avoir fait la découverte d’un fixieme fens ,'dont on recoit les premieres faveurs. de Chantilly 49 faveurs. Tous les jours fe renou- vellent , & tous les jours on ref fent un plaifir nouveau. On croi- roit volontiers que c'eft l'inftant où fe prépare le near & l’ambroifie des Dieux. Qu'il eft doux de ref pirer cet air embaumé par des par- fumsles plus purs , de jetter les yeux fur ce tapis d’un verd tendre & naiffant , &de voir un ruiffeau dont l'onde fugitive femble quitter à regret ces beaux lieux ! On te fuivroit volontiers , inté- reffant ruifleau , dont les eaux cou- lent au pied de ces arbres que tu careffes, & fur lefquels tu répands la fraicheur & la fécondité ! D so Defcription des Eaux Promenades enchanterefles , vous me faites jouir d'un calme qui tient de l’extafe ! Ici le ramage des oifeaux , for- ment un concert raviflant. Le rof- fignol jaloux enfle un gofier flexi- ble & fait entendre l'harmonie de fes roulemens. Ses rivaux confus fe taifent , ils fufpendent leurs chants pour écouter en filence les accents du Dieu de lamufique cham. pêtre. Il varie fes fons , il les pro- longe , il éclate en cadence. Le fameux chantre de la Thrace n’a ja- mais rien exécuté avec autant de précifion. Heureux habitans de ces lieux , que votre fort eft “au d'envie ! de Chantilly. SI La les triftes fons de la plain- tive Tourterelle agitent les fens , émouvent l'ame , elle gémit , elle pleure la mort de fa chere moitié ; on ne peut lui refufer de douces larmes , en fe rappellant ces vers naïfs & attendriffans : Que fais-tu dans ces bois, paiñble Tourterelle ? Je languis , j'ai perdu ma Compagne fidelle, Ne crains-tu point que l'Oifeleur Ne te fafle mourir comme elle ? Si ce n’eft lui, ce fera la douleur. Plus loin ,s’amufent deux jeunes enfans aufli beaux que le fils de Vé: nus. Approchons , c'eft un nid de Fauvette qu'ils viennent de trou- ver .La tendre mere voltige autour d'eux; quelle fouffre du larcin qu’on D 2 2 Defcription des Eaux lui fait ! qu'elle eft agitée ! fans ceffe elle vole & revole d'une branche à l’autre. Il femble qu'elle va fon- dre fur eux. Ses accens annoncent les reproches les plus vifs , fa modulation change & pale au ton fuppliant , elle invoque le ciel & la terre , dans ce moment fon chant eft douloureux & preffant , il excite la commifération , tous les moyens font employés pour fléchir. Comment y tenir plus Jong-temps ?.... Déja le cœur de J'ainé des deux enfans eft ému , eft touché. Pourquoi, s’écrie-t-il ; en regardant fon frere , pourquoi exciter le trouble & le chagrin -dans ces pauvres animaux ? Ils font _ de Chantilly. s3 fi beaux , fi légers ; fi intéreffans, vois , mon frere , vois comme le pere & la mere reclament leurs droits , vois comme ils font agités. Sans doute ils font leur bonheur de cette couvée que nous enle- vons , pourquoi les en priver ? Ce font leurs petits | remettons-les en leur place. Aufli-tôt dit , aufli- tôt fait. C’eft la nature qui parle. Vous eufliez vü le mâle emprefé, battre des ailes | contempler fa compagne ; vous eufliez entendu fes chants devenir tout- à - coup cent fois plus mélodieux qu’aupa- ravant. Pénétrés de fatisfation , les D 3 $4æ Defcription des Eaux deux freres verfent des larmes de tendrefle , & ces larmes embel- liffent les traits de leur vifage con- tent ; ils jettent à côté du nid quelques fruits , quelques petits morceaux de pain. Qui ne feroit touché jufqu'à l’ame dans une fem- blable occafon ! Quels délices ! Quels fenfations précieufes ! Que le ciel vous bénifle , Jeuneffe trop aimable , le germe de la bienveil- lance eft déja gravé dans votre Cœur... Soyez heureux , vous le méritez ; la fenfibilité eft un vrai tréfor ; qui la poffede , eft au- deffus des hommes ordinaires. Pleins de ces fenfations délicieu- fes , avançant quelques pas, un de Chantilly. SS torrent ( 1 ) fe préfente, fes eaux femblent bondir , il les roule avec impétuofité ; le mugiflement qu'el- les font eft effrayant , les échos des environs le répetent | & en aug- mentent le bruit ; on diroit que c’eft le tonnerre qui roule fourde- ment dans une campagne voifine. Cependant les ondes font toujours tranquilles & claires; plus brillan- tes que le criftal , elles n’annon- cent point la fureur des Dieux ; ceft quelque nouveau charme de la généreufe Nonette; plus que jamais elle cherche à faire les dé- lices de ce canton : à chaque inf- + (1) Le torrent, D 4 $6 Defcription des Eaux tant de nouvelles formes font les heureufes variétés de ce tableau. Tantôt de fimple ruiffeau qui ferpente entre les gazons, & fe contente d'un doux murmure, elle devient furibonde. Comme le Nil, ce fleuve fi vanté de l'Egypte , elle forme ces fameufes cataraétes dont parlent les Voyageurs , & qu'onne peut voirfans le plus grand étonnement. F'antôt coulant entre deux rochers , elle mugit , écume & femble fe précipiter dans les goufires les plus profonds. Ici cal- me & tranquille , elle offre un fable pur & brillant ; là, à travers la tranf- parence de fes eaux , on apper- de Chantilly. S7 coit les jeux de fes habitans. Ils nagent , plongent , fe croifent à envi , & gliflent cent fois les uns fur les autres , fans altérer la pureté du liquide élément. Du milieu de ces eaux s'éleve une grotte qui en impofe par fa forme févere. Ses percés font har- dis , l’enfemble en eft majeftueux. C'eft la demeure de quelque divi- nité ; eft-ce celle d'Amphitrite ? Ef - ce celle de Calipfo ? L'une commande aux mers , l’autre eft fur le penchant d'une montagne. Celle-ci eft au milieu d'un bois. Les rayons du foleil qui s'échap- pent à travers les branchages, lui $8 Defcription des Eaux donnent tout-à-la-fois un ton äm- pofant & myftérieux ; la paix, la tranquillité regnent aux environs; on croiroit que c'eft la grotte où les trois Triomphes à demi-nus & les cheveux épars apparurent à Daphnis pour le confoler de l’en- lévement de Chloé que venoient de faire les Méthimiens C’eft [à qu'elles lui apprirent que Chloé n'étoit point une fimple Bergere, née pour garder les Troupeaux. C'eft en ce lieu qu’elles lui annon- cerent que le lendemain il la verroit libre avec toutes fes brebis & fes chevres ; qu'il devroit.ces avan- tages au Dieu Paon, dont il aper- cevoit à quelque diftance fous un de Chantilly. s9 chêne , laftatue ayant les deux pieds d’un bouc & deux cornes en tête, portant de la main droite une flûte & tenant de l’autre un jeune bou- quin. C’eft en cette grotte que Daphnis fut heureux , il y vit bai- gner fa Chloé. Les arbres voifins, émus des charmes de la Bergere, courberent leur tête pour couron- ner ce lieu fortuné , & en for- mer un fanétuaire myftérieux , que les rayons du foleil ne pouvoient pénétrer. Telle eft cette grotte ; les doux zéphirs y confervent une frai- cheur délicieufe , malgré les ar- deurs du foleil. L'intérieur , ainfi 60 Defcription des Eaux que les dehors ne doivent rien à l'art. On n’y apperçoit que la fim- ple nature. La beauté faifit du pre- mier coup d'œil, fes droits font irréfiftibles ; les fenfations qu'elle produit font mille fois au - deffus detout ce que l’on peut dire : heu- reux qui les éprouve! Non loin de la grotte , les eaux forment une ance où fe trouve un grand nombre de Pirogues ( 1 ). Leurs différentes couleurs , leurs mats , leurs banderoles forment le fpe&acle le plus raviflant ; elles | (1) Efpece de petites gondoles d’un feul mor- ceau de bois d’Aune recreufé dans lequel on tient trois. Le Prince & fa Cour les montent fouvent. de Chantilly. 61 fontmontées par les Ris & les Jeux; les Graces en tiennent le gouver- nail. On les voit folâtrer fur l'onde & remplir les défis que propofe l'aimable Folie. L’A&tivité , la Dili- sence & l’Adreffe font de la partie, c’eft à qui arrivera le premier au but indiqué ; c'eft à qui fe croifera & évitera dans fa courfe de fe heur- ter contre tels & tels rochers en les doublant jufqu'atrois ou quatre fois. S'écarte-t-on de ces lieux en- chantés? on rencontre ces jardins qui repréfentent celui des Hefpé- rides. Des arbres en pleine terre portent des pommes d'or. Du fein de leur feuillage épais ; on voit 62 Defcriprion des Eaux naître & fe développer tout en- femble l’albâtre des fleurs & l'or brillant des fruits. C’eft l'amour de Flore & le charme de fes yeux. Les cruels Dragons dont parle la fable ne deffendent pas l'entrée de ce lieu ; la gaieté en garde la porte; ceft elle qui vous conduit à une charmante Guinguette dont la dif- tribution eft formée de treillages garnis de Chevre feuille. On y trouve des tables, des fieges. On croiroit volontiers qu'il n’y a plus qu'à demander les garçons , & fe faire fervir. L'endroit propre à recevoir la mufique eft un grand Berceau for- de Chantilly. 63 mé d'arcades placées entre deux canaux bordés d'un beau gazon, femé d’amaranthes & de violettes. Les ondes tranfparentes & fugiti- ves offrent le brillant du criftal, & femblent former par leur mur- mure un concert analogue : on fe- roit tenté de croire que c'eft quel- que contredanfe que l’on prélude , & que les aéteurs , en attendant, font allés auprès de Bacchus pour en implorer le fecours , & lui de- mander des forces nouvelles. L'efprit s’amufe , l'imagination s’échauffe à de femblables fcenes. Imaginez-vous voir à cette table deux amans paflionnés qui depuis 64 Defcription des Eaux long-temps foupiroient après un rendez - vous ; l'amour eft induf- trieux , & fait fe contrefaire ; à les entendre , c'eft le hafard qui les a réunis ; les parens de Dirphé , qui Taccompagnent , en font les du- pes ; dans le vrai, ce rendez-vous eft dû au ftratagème de l'ingé- nieufe fille. A cetteautre table, vous voyez toutes les têtes réunies ; ce font des femmes qui reflentent déja les fumées du vin qu’elles ont bu, & fe font entrelles l’aveu des moyens dont elles fe font fervi pour tromper leurs maris. Elles font animées , & dans ce délire elles de Chantilly. 65 elles fe promettent bien que ce ne fera pas la derniere fois. Un verre de vin verfé de nouveau Îles ex- cite , les rend plus hardies ; elles chantent , rient & s'applaudiffent. Ici c'eft un Vieillard, galant hom- me , qui, avec fa femme & fa fille, vient fe délafler du travail de la femaine. C'eft dans le vin qu'il veut noyer fes foucis ; fa femme docile l'écoute , elle entre volon- tiers dans fes fentimens: Zirphile, leur fille , Âgée au plus de quinze ans , eft diftraite , trifte & mélan- colique ; fes regards font errans; FAmour l'a déjà frappée ‘d'un de fes traits. L'idée de fon amant, E 66 Defcriprion des Eaux qu'elle n'a point vu depuis quel- ques jours , porte le trouble dans fon ame ; une ardeur brûlante em- brâfe fes fens; l’image de celui qu'elle aime vole fans ceffe de fon imagination à fon cœur : tout lui déplait , tout l'importune. En vain fes parens cherchent à la difliper ; inquiete , rêveufe , elle écarte les ris & les jeux, & ne garde que l'amour. La ce font de bons Grivois qui ne fongent qu'au plaifir , l'inftant feul les conduit ; peu inquiets du futur , ils ne penfent qu'à boire. Que deviendra leur ménage ? que feront leurs créanciers ? peu leur de Chantilly. 67 importe ; ils boivent , cela leur fuit , ils font contens. De cet autre côté ce font des Philofophes du temps, qui veulent approfondir la matiere; pour en bien juger , ils s'en rempliffent & dorment. Non loin, c’eft une Femme avec trois enfans, dont un à la ma- melle , l’autre qu’elle porte fur fon dos , un troifieme qui latient par le tablier, & peut-être bien un quatrieme invifible , dont onne parle point : elle eft encore de- bout , & reproche à fon mari la perte de fon temps , qu'il ny a point de pain pour le lendemain. 2 63 Defcription des Eaux Et que m'importe à moi, dit-il gravement , ton demain, je ny ferai peut-être point : tiens, crois- moi , prend ce verre , tu ne peux fuivre meilleur exemple ; je me porte bien, je fuis content. Ton demain , encore une fois, n’eft qu'une chimere. La pauvre femme, docile par tempérament , s’affeoit , écoute , fe laifle aller & boit. La nuit clofe , elle eft la premiere à lui obferver qu'il veut s’en aller de trop bonne heure, On ne finiroit point , fi l’on vou- loit parcourir toutes les fcènes qui fe paflent à de pareilles tables , & dans ces lieux de récréation du de Chantilly. 69 peuple. Il eft d’un grand Prince de Les connoître. Jupiter par fois a def cendu fur terre. Laïiflons ces obfer- vations,contemplons de nouveau la belle nappe d’eau placée à la tête du canal. Par d'heureux percés ha- billement ménagés, on en a fu con- ferver le point de vue; c’eft un nouvel arc de triomphe que l'Ar- tifte femble avoir élevé à la Naïade Nonette , qui fe préfente de toutes parts ; c'eft le pendant du rocher, placé du côté oppofé d'où elle fait découler de la maniere la plus pittorefque , des eaux pures & claires qui forment des chûtes raviflantes, des ruiffeaux délicieux, & un beau canal qui fe trouve au E 3 70 Defcription des Eaux ss pied même du rocher (1). On voit fortir avec étonnement de cette mafle des arbres fuperbes ; d'où peuvent -ils prendre leur nourri- ture ? il ne paroit point deterre, ce ne font que des pierres , & ce- pendant ils font de la plus belle ve- nue , ainfi que des rofeaux, & une infinité d’autres plantes aquatiques. T'els font les preftiges de l’art : ces miracles, ces enchantemens , nous les devons à Condé ; mais ce n'eft. pas ici le feul lieu que la belle Naïade veut embellir par des fouterreins cachés , des allées tor- tueufes & couvertes qui ferpen- (1) Le rocher. de Chantilly. 71 tent dans le bois (1); la chere No- nette fe féparant en deux ruif- feaux, va encore fournir un ca- nal , dont les deux extrémités forment des nappes & bouillons d'eau , qui occafionnent un mur- mure enchanteur. Les eaux du ca- nal ont le même avantage , & fe renouvellent fans cefe. Comment fuivre la charmante Nonette dans tous fes tours & détours? Paflons dans le Hameau, elle viendra encore l’embellir. Pro- fitons de fes bienfaits , jouiflons , elle le veut : pénétrons dans ce féjour de délices que Condé a (1) Différens petits ruifleaux. E 4 72 Defcription des Eaux créé , tout y refpire l'amenité , l'innocence , la pureté; c’eft le vrai tableau de fes fentimens. LE HAME AU. Au milieu de tapis de gazons tou- jours verds , on voit s élever hum- blement fept maifons détachées , couvertes en chaume , & formant par leur difpofition une place irré- guliere. D'un côté , eft l'orme fous lequel fe tiennent les affemblées ; c'eft là que Palamon, ce vieillard refpetable , termineles différents. La jeunefle folâtre s'y réunit Îles fêtes , & par des jeux innocens cher- che à fe délaffer des travaux de la femaine, de Chantilly. 73 _ A quelque diftance on voit un puits où le Hameau vient puifer une eau pure que l’aimable Nonette a foin de lui fournir. Plus loin , c’eft une paliffade , formant un jardin planté de légumes & d'arbres cul- tivés avec foin. La beauté , la falu- brité des fruits annoncent que les Dieux en font protecteurs. Flore embellit les dons de Pomone. Dans ce féjour délicieux on fe rappelle Philémon & Baucis, ce couple refpettable , qui , par fes vertus & le grand âge , faifoient l'honneur du canton. C’eft là fans doute , c'eft dans l'une de ces chaumieres qu'ils reçurent Jupiter & Mercure , lorf- que ces Dieux voulurent éprouver 74 Defcription des Eaux fi la race des humains étoit aufli méchante que les Géants fem- bloient l’annoncer par leur con- duite. Parcourons cet endroit fortuné , & rendons graces aux Dieux. Une de ces chaumieres fert de moulin , & le Meüûnier l’habite ; une chute d’eau abondante fait tour- ner la meule & le bluteau. Tous les inftrumens propres à l’art de moudre , &utiles pour les farines , s’y trouvent dans le meilleur état. Dans une piece à côté on a pra- tiqué un pétrain , un four, une huche ; la Meüniere qui annonce de Chantilly. 75 la plus grande prôpreté , foit par fes habillemens , foit par l’arran- gement du ménage , y fait un pain excellent , digne d'être offert aux Dieux titulaires de l'endroit. À quelque diftance fe préfente une autre maifon qui contient une étable & une laiterie. L'ordre & la propreté regnent dans l'un & l’autre endroit d’une maniere admi- rable. Les animaux y font forts & bien portans , leur peau liffe & leur poil luifant annoncent les foins que l'on prend de leur entretien. To , la vache Io , malgré la beauté que Ju- piter lui avoit affetée ,ne pourroit l'emporter. Le lait , la crême & le 76 Defcription des Eaux beurre y font parfaits; on en fert fur la table des Dieux , & ils en font leurs délices. Non loin on apperçoit un autre édifice , dont les dehors repréfen- tent la plus grande fimplicité ; cou- vert , ainfi que les autres , en chau- me , on le croiroit l'habitation d’un pauvre payfan. Le dedans contient une fuperbe cuifine où rien ne man- que. Comus & l'Abondance y pré- fident ; on pourroit y préparer les noces de l’Amour & de Pfyché. Une autre maifon du même genre pour. les dehors fe trouve à peu de diftance, Elle eft fimple , ruftique, de Chantilly. 77 & femble préfenter l'indigence, Dans l'intérieur on voit avec fur- prife une fuperbe falle à manger , dont la décoration eft pleine de goût & de génie; elle forme une halte qu'on croiroit être celle de Diane , lorfqu’au rendez-vous de chaffe elle raflemble les différentes Nymphes invitées à partager fes plaifirs. On eft au milieu d’un bois touffu , la cime des arbres forme une voûte qui couronne & met à l'abri de toutes les intempéries de Fair. Les vents & la froidure en font bannis ; les feuls zéphirs font admis ; les cruels orages en font écartés. Il ne doit régner en ce lieu que la joie & les plaifirs. La gaieté 783 Defcription des Eaux & la délicateffe font les frais de la converfation. | Flore , couronnée de rofes & de jafmin , embellit ce féjour & varie la fcene; fes dons précieux répan- dent lenjouement , l'ame s’épa- nouit. Bacchus , jaloux de tous ces apprêts dont on ne l'a point averti, entre , frappe de fon thyrfe le buf- fet , & fait paroître nombre de fla- cons remplis de fon neétar divin : prêt à les répandre à grands flots , la Continence s'y oppofe, Chaque Dieu a fes dons, & vient participer à la Fête. L'Hiver même paroît , & tout engourdi, de Chantilly. 79 offre de la glace pour frapper les liqueurs du degré de fraicheur fi vanté par les gourmets : il prétend imiter les fruits de chaque faifon, par le moyen des différens apprêts; il triomphe , & compte faire en partie les délices du repas. Pomone , non fans dépit, ainfi que Flore, fe réuniflent à F'Hi- ver : & préparent d'accord un deffert brillant & fomptueux. C'eft ainfi que l’on concourt à mériter la bienviellance de Copé: il s'attache Îles cœurs & captive l'Olimpe. Déjà les buffets font rangés , la table eft dreflée & fervie, les fié- 80 Defcripruion des Eaux ges qui l'entourent font des bancs de verdure , ils ont l'agrément & la fraîcheur du tendre gazon , la mollefle & l’élafticité du duvet e mieux choifi. Des fleurs bordent la lifiere de la falle , elles croiffent de toutes parts ; on ne peut faire un pas qu'on ne foit obligé de les fouler aux pieds. ) Des guirlandes de lys & de ro- fes treffées par la main des Graces, pendent du haut des arbres, & foutiennent des luftres que les plus habiles Artiftes ne dédaigneroïent point d’avouer pour le travail & le goût. Le de Chantilly. D:51 Le foleil dans fon char étin- celant parcourt -il l'horifon? le jour qu'il donne & qui pañle par les croifées pour éclairer ce lieu , femble fe filtrer à travers les bran- chages pour répandre cette lu- miere douce & agréable, ce ton fuave & modulé qui fait la majefté, le myftérieux des boïs , que toute ame fenfible favoure avec tant de délices. C'eft ainfi que l’aménité en- traine avec elle & captive des tré- fors inépuifables inconnus auxames vulgaires , ils n’en font que plus précieux ; ce n'eft qu'en fe rap- prochant de la nature qu’on peut 82 Defcription des Eaux goûter les vrais plaifirs; dans le fein de la fimplicité on trouve la vérita- ble abondance , les Dieux de ce canton nous le font connoitre ; il n'eft point de plus fublimes leçons. Non-loin encore une autre mai- fon , couverte aufli de chaume , fe trouve dédiée à l'Adreffe & aux Jeux innocens ; la fraude & la fu- pércherie y font enchainées ; la Bonne - foi , l'Amufement & les Ris ont feuls le droit d'y régner. DT É AR D Au milieu de la piece qui fe préfente , on trouve un grand & fuperbe Billard avec tout l'attirail de Chantilly. 83 des inftrumens le mieux foignés : on peut fe faifir des armes qui s'offrent à la main pour faire affaut ; les unes bien afhilées & en pointes; d’autres avec mafle , & à peu près femblables aux houlettes de nos bergers, femblent défier les a@teurs. Deux globes d'ivoire font attaqués méthodiquement : des mouvemens foumis aux principes de mathé- matiques tendent à précipiter la bille de l’adverfaire dans l’un des fix trous pratiqués pour cet effet, à diftance égale. L'intelligence du joueur , le degré de force, la juf- tefle du coup décident du nom- bre des points que l’on gagne , & enfin du fuccès de la partie. F 2 84 Defcription des Eaux A cette ancienne maniere de jouer , qui nexigeoit que deux billes blanches d'égale groffeur , on a joint une troifieme bille de couleur , qui différencie les coups, & rend l'intérêt du jeu plus vif. Enfin , c'eft un exercice doux & modéré, l'adrefle y préfide, des combinaïifons non moins inté- reffantes fans cefle occupent l'ef prit; point de mauvaifes finefles , point de furprife : on ne craint point de conteftation, les regles font invariables. Pendant la nuit un nombre delu- mieres , dont l'éclat s’augmente par le fecours de plaques d'argent de Chantilly. 85 brillanté , rendent cet exercice plus agréable encore , & femblent l'em- porter fur le jour même. Les dehors de la maifon voi- fine , quant à l’ornement , font analogues aux autres édifices; mais dans l'intérieur on voit un beau cabinet de Livres ; la fcience & le goût en ont fait le choix. CABINET DE LIVRES. La Morale, la Politique , l'Hif toire ,les Belles-Lettres, Sciences & Arts s'y préfentent avec tout l'éclat qui leur appartient, Veut-on entretenir un doux F3 86 Defcription des Eaux commerce avec les Mufes ? elles offrent aufli-tôt les chef-d'œuvres qu’elles ont tiré de la foule & qu’elles protegent. Le Génie de la poéfie vous carefle & vous inf pire. La Comédie, la Tragédie produifent les richeffes & les beau- tés que les favoris d'Apollon ont mis au jour. Les Romans y tiennent peu de place , fans doute , parce que la plus grande partie ne préfente que du clinquant ; s'ils tiennent de la fraîcheur de la rofe , bientot ils en éprouvent le fort ; le même jour qui les voit naître , les voit auffi mourir, de Chantilly. 87 Dans cette aimable folitude L’efprit captif fort de prifon ; Le plaifir abrege l’étude, Tous deux étendent la raifon. Le C. de Bernis , dans [on Poëme des quatre Saifons. On appercoit une efpece de grange ; les dehors n’annoncent rien de plus , mais fi l’on pénetre dans l’intérieur , on fe croit tranf- porté tout-à-coup dans le Palais d'Armide : on fe trouve au milieu d’un fallon fuperbe où l’architec- ture & les arts étalent leurs ri- chefles ; l'élégance & le goût y préfident. Des pilaftres corinthiens accouplés en décorent le pour- tour. La pureté des profils , la beauté des proportions y font le F 4 88 Defcriprion des Eaux plus grand effet ; ils portent un entablement dont la frife ef or- née de confoles & de guirlandes artiftement Jettées , & qui don- nent tout-à-la-fois le caraétere ga- lant & le ton impofant. Le plafond repréfente un ciel doux & ferein , fymbole de l’ame de ceux qui l’habitent : on y voit voltiser des Amours qui jouent entr eux & tiennent des guirlandes de fleurs ; tels que ceux d'Ama- thonthe , qui s'amufent dans le Palais de Venus. Les croifées & l'entre - deux des pilaftres font décorés de glaces de Chantilly. 89 dune beauté & d'une grandeur admirables. Les encadremens en font faits avec la plus grande in- telligence , la fculpture fe déta- che du fond avec art , le fallon femble doubler d’'étendue. Les percés paroïflent vrais & natu- rels; on ne les voit ni biaifer ni grimacer. L'effet en eft d'autant plus magique , que les joints des glaces font cachés par des moitiés de candelabres du meilleur goût , & qui ne paroiffent nullement poftiches ; s'il n’y en avoit point on les defireroit , ils font nécef. faires pour le décore. Heureux preftiges de l’art, dont l'effet joint l'agréable à l’utile. 90 Defcription des Eaux Toute l’archite@ure de ce lieu charmant eft dorée avec un goût admirable , rien n’y tient du ton lourd & matériel qu’entraine pour l'ordinaire cette richefle , lorf- qu'elle eft trop multipliée. L'effet en eft galant , & les meubles y con- courent, ils font de taffetas couleur de rofe ; les rideaux , de pareille étoffe , font relevés avec élégance par des crépines & des glands qui femblent placés par les Graces. Deux cabinets accompagnent ce fallon , & répondent à fa magni- ficence. Rien n'y manque pour la commodité ; peut-être même pourroit-on y reprocher un luxe trop afiatique. de Chantilly. 91 En entrant dans le fleurifte que renferme l'enceinte de ce lieu ,on reconnoit le jardin particulier & délicieux que Flore s'eft mé- nagé pour le partager avec Zé- phir. Chaque objet frappe, éveille & fatisfait les fens; c'eft ici que je vais vous faire reproche, char- mante Nonette : Vous faites les délices de tous lés autres jardins, & vous n'avez point coopéré à l'embelliffement de celui-ci. Je de- firerois y voir un bouillon,une nap- pe; quelques jets en feroient toute la dépenfe ; il eft des Dieux d'ailleurs de faire des miracles. Un ruiffeau qui fe formeroit naturellement tiendroit de lenchantement ; on 92 Defcription des Eaux le verroit couler à travers le ga- zon fleuri du Hameau ; on le ver- roit ferpenter dans la prairie voi- fine , où les Bergers de la vailée de Tempé auroïent envié de voir paître leurs troupeaux. Que de fcènes agréables un pareil tableau n'offret-il point à l'imagination ! c’eft le féjour heureux qui fait les délices de faimable CONDÉ : fa Cour brillante vient avec empref- fement en partager les douceurs, 4 de Chantilly. 93 Eaux pu CHATEAU ET DES PARTIES ÉLEVÉES. Pendant que nous formons des vœux , la généreufe Naïade met en ufage le deuxieme bras de ri- viere qu'elle a fçu ménager pour les parties hautes du Parc. Pour parvenir à fon but & fur- prendre fes admirateurs , elle for- me deux grands réfervoirs , qu’elle place à l'entrée du village, & à la tête d'une peloufe délicieufe ; là naiflent deux beaux étangs, dont l'eau toujours renouvellée & tranf- parente entretient des poiffons d’un manger délicieux. 94 Defcription des Eaux Ces deux étangs dans l’origine n'en faifoient qu'un ; mais les idées de la Naïade , toujours vaftes & fertiles , ont féparé en deux l'im- menfe réfervoir , par le moyen d'une digue , pour en faciliter la pêche & le nétoiement , fans que l'eau puiffe manquer en l’un ou en l'autre tout à la fois. A peu de dif- tancecette digue paroît fort étroite, mais ce n’eft qu'une fuite de l'objet de comparaifon , car elle eft affez large pour qu'une voiture y puifle pañfer. Combien de fois a-t-on vu de jeunes Princes (1) montés fur des chars auffi brillants que ceux du (1) Monfeigneur le Prince de Bourbon & autres Seigneurs. de Chantilly. 9$ foleil, parcourir cettedigue au grand galop. T'els les anciens Romains s'élançoient dans leCirque,& d’une courfe aufli légere que le vol , fa- voient fur leur char éviter la borne: tels ceux-ci , avec la plus grande adrefle , parcourent avec une ra- pidité comparable à celle d’un trait, ce long efpace , dont la lar- geur n'a que ce qui eft néceffaire pour foutenir les roues. Quels charmes , lorfqu’en quit- tant ces deux miroirs , la vue eft entrainée à parcourir l'étendue d'une fuperbe peloufe toujours émaillée de fleurs , qui croiffent à l'envi : elle eft bordée à droite 96 Defcription des Eaux d'un bois fuperbe &de la plus belle . venue ; à gauche, d'édifices pour loger différens Officiers du Cha- teau ; chacune de ces maiïfons a fon jardin , fermé d’un treillage à hau- teur de quatre pieds environ, pour en laiffer voir les fleurs ; la Naïade efpere, dit-on, trouver le moyen de les careffer & de les embellir. Le fond eft terminé par les difté- rentes formes d’un Château im- menfe & fuperbe , dont les maffes variées & deflinées fur l’horifon procurent un point de vue admi- rable : on croiroit découvrir une de ces Villes fuperbes d'Italie qu'on ne peut apperCevoir fans étonne- ment ; Nonette elle - même fur- prife 62 290) de Chantilly, 97 prife de la beauté de ce point de vue & de l’enfemble enchanteur du lieu , en eft émerveillée : on l’a vu trois fois (fi l’on en croit quel- ques vieux habitans ) au milieu des Nymphes du canton , épuifée en contemplation , fommeiller fur la peloufe. Les Zéphirs , dans la crainte de l’éveiller , agicoient dou- cement leurs ailes volages : des co- lombes échappées des bois jouoient avec eux , & différens oifeaux tem- pérant le fon de leur voix, for- moient la plus douce mélodie. Quittant les bras de Morphée, la Naïade traverfe les écuries du Château , les enrichit d’une fon- G DH LORS 08 Defcription des Eaux JR SR IR LE ONQE CP ES taine , dont l’eau eft reçue dans un baffin , où fe baignent deux Che- vaux de plomb artiftement travail- lés, & de grandeur naturelle. On croit voir les chevaux du char du Soleil , lorfqu’ils fe plongent dans Le fein de T hétis. L’un fembleboire, & fait jaillir l'eau; auprès de lui un enfant qui embouche une con- que marine , diftribue abondam- ment les HouEié de Nonette, L'autre Cheval s’abreuve dans une coquille qui faitnappe, & un fecond enfant y eft adapté. La Naïade parcourt auffi les che- nils , elle y répand fes tréfors en y formant trois fontaines que la n de Chantilly. 99 fculpture a eu le foin de décorer relativement au lieu & au genre d'animaux auxquels elles font def- tinées. Jci c’eft un Cerf, là c’eft un Sanglier , d’un autre côté c’eft un Chien ; tous jettent de l’eau, & rempliffent les baflins propofés à les recevoir. Paffe-t-on dans le Parc par la terrafle ? On voit la Statue équef- tre du dernier Connétable de Mont- morenci,armé à l'antique ,& l'épée nue à la main. On defcend par un fuperbe efcalier dans les magnif- ques jardins , vrais chef- d'œuvres de le Nôtre (1). C’eft ici que ce © — (1) Homme de génie, excellent Archirede G;2 oo Defcription des Eaux célebre Artifte à fçu mettre à pro- fit tous les avantages que la géné- reufe Naïade lui préfentoit; il en répand avec profufion les trélors. Nonette forme à fes ordres la fon- taine de la gerbe que l’on voit avec tant de plaifir ; elle produit à droite une fuperbe piéce d’eau qui fymé- trife avec les foflés du Château qu'elle a eu foin de remplir. Delà onappercçoitunbras du grand canal, & fur les côtés , le parterre enrichi de dix baflins enchanteurs ; ceux du milieu forment miroirs. C’eft un de jardins, & bon Décorateur. Louis XIV. con- noifloit fon mérite , & lui a rendu juftice en l'honorant de la prote@ion la plus particuliere ; c'eft ainfi que les Grands s’imortalifent. de Chantilly. 101 fuperbe tableau , dont toutes les ri- chefles femblent s’encadrer au moyen d’une grande portion de cercle, percée en fon milieu par une belle & large allée qui mene à la Forêt de Hallette. Confidere-t-on le fuperbe efca- lier qu'on vient de defcendre ? la richeffe s’y préfente avec le goût; tout ce qu'on apperçoit eft noble & majeftueux. Le mur rampant de chaque côté de l’efcalier , eft per- cé d’une grande niche traitée dans le genre de rocaille. Dans chacune de ces niches, on a placé une fi- sure de Fleuve. L'eau qui fort de lurne & que jettent des enfans G 3 #02 Defcriprion des Eaux qui groupent avec la figure prins cipale , rombe en nappe & fe marie agréablement avec l'onde qui fort du deflous des rochers. La terraffe de droite & de gau« che qui accompagne les parties rampantes , font décorées chacune de fix colonnes tofcanes , accou- plées & ifolées. Dans les deux ni- ches qui font entre les colonnes on voit des figures du pieddefquelles fortent trois nappes qui retombent dans un baflin , & forment enfuite le petit canal qui regne le long des murs , & où font trois jets qui ani ment toute cette partie & lui don- nent du jeu, de Chantilly 103 La complaifante Naïade nous a déjà fait parcourir fur la gauche _ les belles eaux du parterre des îles du bois Vert & de l'Amour. Laif- fons ces lieux enchantés , paflons à la partie gauche du Château , vers la galerie des cerfs pour y con- templer la cafcade de Beauvais. CAScADE DE BEAUVAIS. Bientôt on apperçoit quatre bel- les rampes ornées de figures de marbre blanc ftatuaire. Cinq maf- carons ou têtes de fleuves répan- dent des eaux abondantes dans deux coquilles qui forment nappes & fe _ rendent dans un grand baflin de G 4 104 Defcription des Eaux dix jets. Toute l'architeure en eft rocaillée & au devant de cha- que pilaftre , on a placé un guéri- don d’eau. Sept autres jets qui font au deflus , produifent par leur dif- tribution & la forme heureufe du baflin , l'effet le plus agréable. On voit encore trois grands jets qui concourrent à l’embéliflement : l'a- bondance de ces eaux frape les yeux de toutes parts; leur murmure naturel , leur mouvement bruïant, leur fituation tiennent l'ame en fuf- pens & la jettent dans une douce mélancolie, Ne de Chantilly. 10$ BA EC EURATRAUE Nonette fournit à quelque dif- tance les eaux d'un baflin placé au milieu d'un parterre de gazon. Du centre de cette piece, plus longue qu’elle n'eft large , s'éleve une forte gerbe accompagnée de huit jets, dont quatre partent des angles. | Entre ce parterre & les cafca- des de Beauvais s’éleve une allée de tilleuls qui conduit à une autre piéce ,qu'on appelle la Forsarne de la Tenaille , & dont les effets phy- fiques font à peu-près femblables & furprenans, 106 Defcriprion des Eaux | FONTAINE DE LA TENAILLE. Cette fontaine eft formée par une belle gerbe qui part d’une cou: pe, portée fur un fort pié- d'eftal, d’où elle retombe dans le baflin par quatre mafcarons. On voit s’é- lancer du pourtour de la rampe de gazon qui environne cette fon- taine , des jets qui y font cachés pour furprendre les fpectateurs trop indifcrets qui femblent n'être contens , qu'autant qu'ils touchent groffierement ce qui n'eft fait que pour les yeux, dr de Chantilly. 107 P O:T-A GIR'RUS Ne nous arrêtons pas plus long- tems , la charmante Naïade a déjà pañlée dans les potagers par des ca- naux fouterrains. Déjà eilereprend fes eaux vives & falutaires dans nombre de réfervoirs , moins faits pour la décoration que pour l'utilité. L'abondance fuffit en ce lieu ; point de formes élégantes & particulieres ; on y tient encore de la fage fimplicité de nos peres. Toute la fuperficie y eft divifée par de grands carrés , enceints de bons murs , Où rien ne manque pour la qualité, Flore & Pomone en font 108 Defcriprion des Eaux leurs délices & leur plaifirs , elles invitent la belle Nonette à y par- ticiper. Aufli-tôt la Naïade péné- tre dans les réfervoirs qui y font multipliés. Les Garçons Jardiniers contens de pareils avantages s’em- parent, autant qu'ils peuvent, de ces tréfors humides : ils rempliflent de grands vafes , & en portent un de chaque main pour arrofer les dif- férentes plantes ; la prévoyante & bienfaifante Nonette qui appré- henderoit quelque ravage fi elle tomboit à grands flots , fe conver- tit en pluie douce pour carefler également toutes les feuilles. Dieux puiffans , qui fortifiez toute de Chantilly. 109 laterre , & dont le fourire enfante les fleurs qui l’embéliffent , faites fouffier les zéphirs , & daignez nous accorder un ciel aufli pur que vous êtes grands. Déjà vos faveurs fe répandent. Le Printems le plus beau fait fentir fes douces influences ; les plantes croiffent ; les légumes paroifflent au gré de nos fouhaits ; les falades appétif fantes & de toutes couleurs s’y dif- tinguent par leur fraicheur & leur beauté ; les fraifes annoncent par leur parfum l’ambroifie & la bonté de leur fruit ; la douce odeur du melon vineux fe fait fentir ; les ana- nas , ce fruit rare & délicieux , croît comme dans fon propre climat; les 110 Defcription des Eaux treilles font tapiflées de verds feuil- lages & décorées de raifins des ef peces les plus rares & les plus fuc- culentes. Les efpaliers fe cou- vrent de pourpre ; les Tyriens ja- loux ambitionneroient de limiter pour en couvrir leur Roi. La va- riété des couleurs que les fruits of- frent de toutes parts, enchante les yeux , ils embaument l'odorat. La pêche prend un ton de vélouté; fa teinte, fa fraicheur excitent les fen- fations les plus délicates. Que ne fuis-je animé du génie de Virgile! que ne puis-je chanter comme lui ces tréfors champêtres ! Peut-être je peindrois les lieux chéris de Flore, Le Narcifle en mes vers s'emprefferoit d'éclore, de Chantilly. 117 Les rofes ouvriroient leurs calices brillans , Le tortueux concombre arrondiroit fes flancs, Du perfil toujours verd , de pâles chicorées , Ma Mufe abreuveroit les tiges altérées , Je courberois le lierre & l’acanthe en bercaux, Etlemyrthe amoureux ombrageroit les eaux( 1}. dou SET ou Re TE D Ta AT DES mans Ja Dec n pese 00%... - Mais ce qui me flatteroit le plus, c'eft que je diroïs d'une maniere (r) Cette élégante traduétion du commence- ment du quatrieme Livre des Géorgiques eft de M. l'Abbé de Lille, En voici les vers latins : nous croirions faire un larcin , fi nous ne les rapportions pour ceux qui aiment cette Langue, Forfitan & pingues hortos quæ cura colendi Ornaret , canerem , biferique rofaria Pælti, Quoquo modo potis, gauderent intyba rivis 3 Et virides apio ripæ, tortusque per herbam Crefceretin ventrem cucumis : nec fera comantem Narciflum, aut flexi racuiflem vimen acanthi, Pallansefque hederas & amançes liscora myrçhos. % ox 112 Defcription des Eaux convenable : C'eft à toi, CoNDÉ, que tous ces prodiges doivent leur naiffance: fi tes illuftres Ancé- tres ont donné l’efquiffle de ces lieux enchantés , c’eft de toi qu'ils tiennent l'exiftence , tu les as em- belli , perfe&ionné, tu en as même créé la plus grande partie. Que ne fais-tu pas pour leur entretien ! quel foin n'exige-tu pas de tes Jardiniers habiles & bien choiïfis! Rien ne manque ; on ne peut rien defirer : fi tu parle ; on voit l'empreffement & le zele voler au devant de tes defirs. Ce ne font point les richef- fes, la naiffance qui donnent de pa- reils avantages , ce font des refforts plus puiffants, l'amour feul peut les produire de Chantilly. 113 produire. Jouis , Prince aimable , jouis pendant des fiecles d’un bon- heur aufli délicat, PaviLLzonN ROMAIN. Suivonsla Naïade , elle veut tout embellir , elle eft déja paflée au Pa- villon Romain , édifice agréable des potagers, compofé de trois pie- ces, dont les deux de l’extrêmité font éliptiques , & ornées chacune d’une niche dans laquelle eft prati- qué un champignon d’eau , formant trois napes. La coquille en eft por- tée fur un pied-douche, foutenu de deux Dauphins. Le murmure & le jeu des eaux plus brillantes que ai4 Defcription des Eaux le criftal , réunis au beau point de vue qui fe préfente , donnent un nouvel effor à l’ame ; c’eft un effet éleëtrique , on eft frappé d'étonne- ment. Des glaces placées dans le fond des niches , comme on fe le propofe , en augmenteront encore l'effet pittorefque & piquant , & éleveront l’efprit au-deffus de l'état ordinaire. Au centre de ce lieu féduifant, une baignoire élevée de cinq à fix pouces de terre compléttera Îa grotte où Diane vient fe rafraichir & fe baigner avec fes Nymphes , après. avoir parcouru Îles Forêts. Le plafond offre un ciel dans le- D de Chantilly. 11$ quel on voit voler différens oi- feaux. Le pourtour intérieur des murs eft peint en treillage , & forme un bel efpalier. Les fruits en paroif fent naturels , plufieurs perfonnes y ont été trompées, tels que les oi- feaux l'ont été aux raifins de Zeu- MIS ac! Ce n’eft pas par inconftance que fa Naïade ne refte point plus long- tems en cet endroit, elle a formé le projet de former une cafcade ; elle ofe défier les eaux fuperbes de l'orgueilleufe Italie. & 116 Defcription des Eaux LA GRANDE CASCADE. Déjà les deffins en font formés, le goût y préfide ; que ne peut point une Déefle ? Au milieu d’un beau baflin cir- culaire s’éleve un Rocher, d'où fort une gerbe confidérable , en- tourée d’un cordon de huit jets, dont les eaux fourniflent quatre napes qui font d'autant plus éton- nantes , qu'on voit encore fe re- produire quinze jets. Quatre gradins couverts d'un ta- pis de gazon , toujours verd , fleuri & décoré de fept gueridons , d'où EEE RESTE LL de Chantilly. 117 fort une onde brillante , circonf- crivent ce fuperbe endroit. Au deflus eft un autre Baffin de treize Jets placés avec art. Les eaux jailliffantes de huit candélabres , fourniffent dix mafcarons,dont huit tiennent lieu de chapiteau à des efpeces de gaines à bandes rufti- quées en forme de glaçon, L’ef- pace de l’un à l’autre pilaftre eft ondé , rocaillé, & produit fix buf- fets que font jouer deux Dragons & un mafque. Ce riche morceau eff terminé en cet endroit par un troifieme Baffin o&togone , dans lequel font H 3 118 Defcription des Eaux cinq jets bien nourris & relatifs à l'étendue. Telle eft la premiere partie de cette cafcade au bas de laquelle fe trouve un grand palier , où abou- tiflent fix grandes allées de diffé- rens endroits du Parc. La vue en eft riche & brillante ; on croiroit être au milieu d’un des Palais de Neptune , où tous les fleuves de l'Univers viennent payer leur tri- but. Nonette feule cependant , par l'économie qu'elle a fçu pratiquer dans la diftribution de fes eaux , répond à toute cette magnificence & va continuer fes prodiges. Elle n'a encore rempli que la moitié de de Chantilly. 119 fon projet : bientôt en effet elle profite de la fituation du lieu , elle fe changetoute eneau, & continue la cafcade dont elle s’occupoiten la doublant d’étendue, Deux beaux efcaliers en fer-a- cheval fe développent avec grace, & commencent à defliner cet en droit. Les rampes font décorées de quatre fuperbes*gueridons , en- tremêlés d'autant de jets qui re- tombent en deux longues nappes dans un deuxieme Baflin , où font encore fix jets; infatigable , elle s'écoule én nappes dans un troifie- me Baflin de quatre beaux jets ; les côtés rampans de ces nappes font H 4 120 Defcription des Eaux en rocailles & bordés de deux rangs de chandeliers interrompus par qua- tre paliers , ornés chacun de jets. L’efpace d’ailleurs de ces nappes & paliers forment cinqbelles & magni- fiques nappes tombant dans autant de Baflins garnis alternativement de foleils & de jets. Toutes ces eaux fe réuniflent & pañlent alternati- vement en bouillonnant , danstrois pieces différentes , dont une eft partagée de fix jets, l’autre de qua- tre , & enfin en un Baflin qui pro- duit un miroir que les Nymphes du canton viennent fouvent con- fulter. V1 de Chantilly. 121 L:EEG'R'A ND ET. De ce même côté & dans le bofquet voifin on voit une Statue pé- deftre du grand Conpé. La Naïade en eft enchantée , & par fuite du zele & de l’attachement dont elleeft pénétrée pour les Chefs de cette illuftre Maifon , elle fait un dernier effort , elle exige contribution de tous fes Vaflaux , & forme un jet fuperbe de foixante pieds. Après ce trait , nous nous con- tenterons d'admirer l'incomparable Naïade ; ce que nous en dirions de plus ne pourroit qu'affoiblir le tableau, 122 Defcription des Eaux EÉTANG DE SYLviE (1). Nous paflerons fous filence l'Etang de Sylvie, qui conduit à la Fontaine de ce nom. La limpi- dicité de fes eaux l'emporte fur le brillant du diamant le plus pur. La MÉNAGERTIE. . Nous 4 dirons rien de la Mé- —— (1) Ce lieu a pris fon nom de l'Ode que Théophile y fit, intitulée : 4 Maïfon de Silvie , & dans laquelle il célebra fous cet emblème la Duchefle de Montmorenci ( Marie - Félix des Urfins } en reconnoiffance de la retraite que ce Poëte avoit trouvée à Chantilly chez le Duc de Montmorency , après l’Arrêt rendu contre Jui le 19 Août 1623. Qu'il eft beau d’être le protecteur des malheureux ! de Chantilly. 123 nagerie. Toutes les cours ont cha- cune une Fontaine ruftiquée & traitée en rocaille , avec des Ani- maux en couleur naturelle , qui repréfentent les Fables du fameux La Fontaine, Nous ne parlerons pas non plus de fon grand Baflin, dont le mi- lieu eft orné d’une colonne de granite pofée fur un piédeftal , ni de la Fontaine de Narciffe, où l'on voit ce Berger fe mirer, étendre les bras avec tranfport pour embraffer fon image , dont il eft épris , & quil voit dans l'eau. 124 Defcription des Eaux LA FATSANDERTES Nous nous tairons fur la Fai- fanderie & fur fon Buffet d’eau formé par des rocailles, fur la multitude de fes divifions fermées de grillages , & avec chacune un Baflin; nous ne ferons pas non plus mention de la jolie Cafcade qui termine cet endroit. Tia L'ALTERTLE La beauté de la Laiterie nous entraineroit dans un trop long dé- tail. Malgré la magnificence de fon Baflin de marbre , dont il fort un bouillon d'une groffeur furprenan- de Chantilly. 125 te , & qui forme d’ailleurs, parle moyen des fources tributaires de Nonette , huit bouillons dans un baffin dont le jet s'éleve de quarante cinq pieds ; nous n’en dironsrien, ainfi que du Sallon qui eft rond, voûté , pavé de marbre en compar- timent , & conftruit d'une. belle pierre. Il en fera de même du fu- perbe Buffet de breche violette , qui regne à hauteur d'appui dans le pourtour de ce lieu charmant , & fur lequel font rangés quantité de vafes aux armes de S. A. S. Nous ne voulons nous entre- tenir que des foins généreux de la charmante Naïade qui fait les 126 Defcript. des Eaux de Chant. délices de Chantilly, y répand fes tréfors , & cherche continuelle- ment à l'embellir. C’eft à vous, PRINCE généreux , que nous de- vons ces avantages. Puiflions-nous, au nom des Habitans & de celui des Etrangers qui viennent en ces lieux , vous témoigner leur fa- tisfaétion & leur reconnoiffance. C'eft un hommage qui vous eft dû. F I Y. TABLE L: riviere Nonette avant d'entrér dans Le Parc, | age 7 Grand bafin fervant de réfervoir pour LS la cafcade , ; 9 Cafcade à la tête du canal , F4 10 Piece d'eau à pan, | 13 Canal, ét QE" 14 Les Cygnes , ibid. Les Carpes, 1$ Le manger qu'on apporte aux animaux aquatiques, | 21 & fuiv. Chaloupes’, 2 Le pavillon de Manfe, 28 Réfervôir des Jources , 30 Cafcade à la tête du canal des Truites, 33 Canal des Morfondus , 35 Les neuf foupapes du réfervoir des fources | 36 Parterre de l'Orangerie ,.. . ibid. Le canal du Loup marin, 37. La Fontaine qui fournit de l’eau aux habitans de Chantilly, 8 3 Canal qui fépare le Parterre de l'Orangerie, l'Ifle d'Amour & celle du Bois-Vert, ibid. Le portique de treillage du Bois-Vert, ibid. Fontaine à l'entrée de l'Ifle d'Amour, où fe trouve la Statue dela Nonette, 39 L'Ifle d'Amour , 40 Le Temple de Venus, ibid. Son intérieur , 4L LesJardins Anglois qui précedent le Hameau , 45 Les. Ruifeaux qui y ferpentent , 46- Le Torrent % 53 La Grotte 5 | s7 Le Port où Jont les Pirogues , 60 La Guinguette, 62 Le Rocher, 69 LE.H AM E AU. La place formée par différentes chaumieres, 72 Le Puits, 73 Le Moulin à eau & dépendances, 74 L'Etable & la Laiterie, 75 La Cuifine ; 76 La Salle à manger, 77 Le Billard, 82 Cabinet de Livres : 8$ La Grange, faifant falle d'afemblée, 88 Le Fleurifte, C2: Eaux du Château €» des parties élévées, 93 Les deux Etangs à l'entrée du village, 94 La Peloufe , 9$ Les Ecuries , : 97 Les Chenils , 98 La Statue du Connétable de Montmorenci, 9$ Efcalier des Jardins, ibid. Parterre, 100 Murs rampans des efcaliers , leur décoration & richeÏ[e , 10Ï Cafcade de Beauvais , 103 La Gerbe, À 10$ Fontaine de la Tenaille, 106 Potagers, 107 Pavillon Romain , 113 La grande Cafcade , 116 Le grand Jet, i2t Etang de Sylvie, 122 La Ménagerie, ibid. La Faifanderte , 124 FIN. APPROBATION. Jar lu par ordre de Monfeigneur le Garde des Sceaux un livre intitulé : Defcription des Eaux de Chantilly & du Hameau , & je n’y ai rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreflion. À Paris, ce 26 Août 1783. BEGUE DE PRESLE. PERMISSIO N. Louis , par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre : À nos amés & feaux Confeil- lers, les Gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Confeil, Prévôt de Paris , Baillifs , Séné- chaux , leurs Lieutenans Civils, & autres nos Jufticiers qu'il appartiendra : SazuTr. Notre amé le Sieur L. C. M., Architecte, Nous à fait expofer qu'il defireroit faire imprimer & don- ner au Public un livre intitulé : Defcription des Eaux de Chantilly, & du Hameau, s'il Nous plaifoit lui dccorder nos Letcres de Permiffion pour ce néceffaires. À ces CAUSES, voulant fa- vorablement traiter l'Expofant, Nous lui avons permis & permetrons par ces Préfentes , de faire imprimer Jedit Ouvrage autant de fois que bon lui femblera , & de le faire vendre & débirer par tout notre Royaume, pendant le temps de cinq années confécutives , à compter du jour de la date des Préfentes. Faifons défenfes à toûs Im- primeurs , Libraires, & autres Perfonnes de quel- que qualité & condition qu’elles foient , d’en in- troduire d'impreflion étrangere dans aucun lieu de notre cbéiflance ; à la charge que ces Préfenres feront enregiftrées rout au long fur le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'icelles; que l'impreffion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs , en bon papier & beaux cara@teres ;que l’Impétrant fe conformera en tout aux Réglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725 , & à l’Arrét de notre Confeil du 30 Août 1777, à peine de déchéance de la préfente Permiflion ; qu'avant de l’expofer en vente, le Manufcrit qui aura fervi de copie à l'impreflion dudit Ouvrage, fera remis dans le même état ou l’Approbation y aura été donnée, ès mains de-notre très-cher & féal Cheva- lier Garde des Sceaux de France , le Sieur Hur DE MIROMESNIL, Commandeur de nos Ordres ; qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre , un dans celle de notre rrès-cher & féal Chevalier Chancelier de France, le Sieur ne MaurEovw, & un dans celle dudit Sieur HuE DE MIROMENIL : le tout a peine de nullité des Préfentes; du con- tenu defquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant & fes ayans-caufes, pleinement & paifiblement , fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trouble où empéchement. Vourows qu'a la copie des Préfentes , qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, foi foit ajoutée comme à l'Original. COMMANDONS au premier notre Huiflier ou Sergent fur ce requis, de faire pour l'exécution d'icelles tous actes requis & néceffai- res, fans demander autre permiflon, & nonob{= ftant clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires. Car tel eft notre plaifir. DonNNE à Paris, le dixieme jour du mois de Septembre, l’an de grace mil fept cent quatre- vingt-trois, & de notre Regne le dixieme. Par le Roi en fon Confeil. LE BEG ME: Repiftré fur Le Regiftre XXI. de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris , N°. 3059 , fol. 936 , conformément aux difpofitions énoncées dans la préfente Permiffion ; & à la charge de remettre à ladite Chambre les huit Exemplaires prefcrits par l'Article CNIIE du Réglement de 1723. À Paris , ce 12 Septembre x 7 8 34 LECLERC , Syndic. EUR RASE AS, Pace 15 , Lg, 8, la, 4f. le. Pag. 30, lip. :$, pied, if. poids. Pag. 44, lig. 11, perdre , lf. prendre, Pas. $3, lig. 1, virgule, ax lieu de point & virgule, Pag. 58, lig s ; de Triomphes, 4f. Nym- phes. | Pag. 70, lig. 14 , après embellir , :/ faut un point. sd Pag. 71, lig. 12 , Palamon,, if. Palemon. Pag. 98, lig, 13, & un fecond enfant y eft adopté, if. & donne le jeu à tout l'enfemble. Pag. 100, lig. 4, répand, dif. a répandu. Pag. 111, vers 3 , de pâles Zf. des pales. s NU AUS A : SRE, = “4 DAYS APPEL Li, etre NES