PR CR nt | "4 ie = renom PA IERUSNIE — | ses à | + = DESCARTES —— — … DISCOURS DE . FA HU il | 2 | 1846 ITY Ci. 86E Ce UNNERS fl | DEPARTMENT OF RENCH | } OL-HN AN 4 4) °2.2:> LIBRAIRIE HACHETTE & Cie, PARIS & Classiques Français & NOUVELLE COLLECTION À L'USAGE DES ÉLÈVES. FORMAT PETIT IN- 16 CARTONNÉ BOILEAU. Œuvres poétiques (Brunetière)... Poésies et Extraits dés æuvresen prose (Brunetière Sermons choisis (Rébelliau).. Oraïisons funèbres (Rébelliau).. BUFFON. Discours sur Le Style Nollet) Morceaux choisis (E. Dupré)..…. CHANSON DE ROLAND. Extraits (G. Paris) CHATEAU BRIAND. (Brunetière , CHEFS-D'ŒUVRE POET QU ES DU XVIe SIÈCLE (Lemercieri. CHOIX DE LETTRES DU XVIIe SIÈCLE (Lanson). CHOIX DE LETTRES ‘pu XVIIIe SIÉCLE (Lanson).... CHRESTOMATHIE DU MOYEN AGE (G. Paris et Langlois)... CONDILLAC. Traité «es Sensa- tions, liv. I (Charpentier)... CORNEILLE. Scènes choisies (Petit de Julleville Théâtre choisi (Petit de Julle- Chaque pièce, DESCARTES. Discours de [La Méthode (Charpentier Principes de La Philosophie, 1'e partie (Charpentier) DIDEROT. Extraits (Texte)... EXTRAITS DES CHRONI - QUEURS(G. Paris et Jeanroy). EXTRAITS DES HISTORIENS DU XIXe SIECLE (C. Jullian). EXTRAITS DES MORALISTES Thamin).. : FÉNELON. Fables ! Ad.Regnier). Sermon pour la Fête de l'Épi- phanrie (G. Merlet Téléinaque (A. Chassang) ..... Lettre à ! Aradémie (Cahen) ..… FLORIAN. Faëles (Geruzez).….. JOINVILLE. Histoire de saint Louis (Natalis de Wailly)... KANT. Fondements de la Méta- Physique des mœurs (Lache- Ler) .. LA BRUYÉÈRE. Caracières (Se vois- KL En ve re re # >” DE ET TE E » > À = a " [ RURAL D OL Me ee CS PÉRR RLAE Les Fr re à | É CE e : ns É ns om de PA sr Ve BR 2 2 ÿ ÿ > D UT ES s- 1 ET le de a = Fr = ar ; ÈS < k u ODE COURS DE LA MÉTH A LA MÊME LIBRAIRIE Descartes. — Les Principes de Philosophie, livre 1”, publié avec une introduction et des notes par M. CHARPENTIER. Un vol. DEAN A6 MAR ES EME ATEN ren RUE L fr. 50 7173-10. — Coulommiers. Imp. Pauz BRODARD.— 7-10. DESCARTES DISCOURS DE LA MÉTHODE NOUVELLE ÉDITION PUBLIÉE AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES PAR T.-V. CHARPENTIER Ancien professeur de philosophie au lycée Louis-le-Grand. NEUVIÈME ÉDITION PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie 19, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 719 1910 INTRODUCTION La révolution qui s’accomplit au commencement du dix- septième siècle, qui transforme les sciences mathéma- tiques, qui fonde les sciences de la nature et qui institue la philosophie moderne est, sans aucun doute, l'événement le plus considérable de l’histoire depuis l’étanlissement du christianisme. Cette révolution est l’œuvre de quelques grands hommes, Galilée, Bacon, Descartes, Pascai. Des- cartes est un des plus grands. De tous ses ouvrages, celui qui fait le mieux connaître son esprit, son génie, sa doctrine est le Discours de la méthode. On peut donc affirmer que ia 1ecture du Discours de la méthode est indispensable à tous ceux qui ont quelque souci de l’his- toire et des progrès de l'esprit humain. Le Discours de la méthode est un livre court, écrit en français d'un style sévère mais simple et limpide ; il semble immédiatement intelligible à tous les lecteurs : c’est une ‘llusion. Peut-être n’y a-t-il pas d'ouvrage dont l’intel!i gence complète suppose une réunion aussi rare de connais sances variées, historiques et scientifiques. Le but que uous nous proposons ici n’est pas de répondre à toutes les questions qu'un lecteur pénétrant peut poser à propos du Discours de la méthode. Nous nous adressons à des jeunes gens intelligents qui le lisent pour la première fois Cette introduction se composera de trois parties : dans la première, nous essaierons de réunir les traits princi- paux de la vie de Descartes; dans 1a seconde, nous tâche- rons de résumer sa doctrine; la troisième contiendra quel- ques détails nécessaires à connaître sur le Discours de la melhode. INTRODUCTION VIE DE DESCARTES Suivant le but que l’on poursuit, on divise la vie de Des- cartes de différentes manières. Ceux qui s’attachent sur. tout aux événements extérieurs la distribuent en trois pé- riodes, la Jeunesse, les voyages, le séjour en Hollande. Nous, qui nous proposons surtout, d'étudier la pensée du maître, nous procéderons autrement. Dans une première période nous placerons tous les événements qui précèdent la crise décisive de 1619; la seconde période renfer- mera tous les faits qui s’accomplissent pendant que la philosophie cartésienne se constitue dans l'esprit de Des- cartes (1619-1629); à la troisième, se rapporte la coun- position de tous les ouvrages qui nous ont transmis cette philosophie, Il Le 31 mars 1596 René Descartes naquit à La Haye, en Touraine. Sa jeunesse n’eut rien de particulier. Il fit ses études au collège des Jésuites de La Flèche, une des meil- leures et des plus célèbres écoles du temps. Il en sortit à seize ans aussi instruit qu’il pouvait l'être. Son père estima qu’étant né gentilhomme et riche, il ne pouvait être que de robe ou d'épée, mais qu'avant de faire un choix, il devait voir le monde, la cour et la guerre. Quaut à lui, il avait reçu de la nature deux instincts puissants, le goût du mouvement, des aventures, des spectacles extraordinaires, et le goût de la méditation; avec cela, une passion indomptable, celle de la vérité, mais de la vérité certaine, de la vérité supérieure à toute dis- cussion. Son caractère explique les bizarreries de sa con- duite. Si l’on ne veut pas tout confondre, il faut examiner INTRODUCTION. 3 d'abord la suite de ses actions, puis chercher à comprendre ie développement de sa pensée. En 1613, à dix-sept ans, il arrive à Paris. Il se met fort dans le monde et recherche avec. empressement la com- pagnie des gens de mérite. Brusquement il disparaît : il vit enfermé dans une solitude qu'il s’est faite au faubourg Saint-Germain. [l part ensuite pour la Hollande où il sert comme volontaire dans les troupes de Maurice de Nassau Il y reste à peine deux années. L repart, traverse une partie de l'Allemagne, et assiste, en passant à Francfort, au couronnement de l’empereur Ferdi- nand IL. En 1619, il est engagé dans les troupes du duc de Bavière. C’est pendant l'hiver de cette année que, réduit à l’inaction par la rigueur du froid, il s’enferma dans un poële. Alors se produisit en lui la crise morale dont nous avons parlé, cette crise qui devait fixer sa vie et avoir tant d'influence sur les destinées de la philosophie moderne. Descartes était sorti du collège instruit et chrétien; du este, l'esprit travaillé d’une multitude de doutes. Une seule étude lui avait donné pleine satisfaction, à cause de la cer- titüude qu’elle comporte, l'étude des mathématiques. Dans les années qui suivirent, ces germes se développèrent. On peut dire en un mot que Descartes devint peu à peu scep- tique et grand mathématicien. Il est probable que, comme tous les honnêtes gens de son temps, il lut beaucoup Mon- taigne, mais il ne put jamais parvenir à trouver que le scepticisme fût un doux el mol oreiller pour une tête bien faite. Il eut des moments de découragement, et mème de désespoir. Les mathématiques le soutinrent en présentant à son esprit une suite infinie de vérités inébranlables, dans ja connaissance desquelles il avançait sans cesse avec une aisance et une rapidité merveilleuses. Il en était là, quand il entra dans son poële à la lin de 1619. 4 INTRODUCTION. Son âme, échauffée par une méditation intense, s’éleva au dernier degré de l’exaltation, sans rien faire perdre à son esprit de son admirable lucidité. Il s’attacha d’abord au doute. 11 aperçut clairement que le doute se détruit lui- meme, puisque la pensée qui doute est sûre de son existence dans le temps même qu’elle doute, de sorte que l’affirma- tion je pense, donc je suis est absolument hors des at- teintes du scepticisme. Il vit ensuite que la méthode, qui assure aux mathématiques une certitude incontestée, pou- vait être portée à un degré de généralité qui permettrait de l’appliquer partout, sans lui rien faire perdre de ses avantages. Il fut dès lors convaincu qu’à la différence du philosophe ancien, il était en possession non seulement du levier, mais du point d'appui qui permettront de soulever le monde. De ce moment sa vie fut fixée. Une nuit, il vit en songe un volume d’Ausone ouvert sur sa table, et il y lut ces quelques mots : Quod vitæ sectabor iler. La route était ouverte devant lui. Nous savons où elle le devait con- duire. Il serait fort étrange que, cnez un croyant tel que Des: cartes, une crise comme celle-ci eùtété complètement desti- tuée de tout caractère religieux. Aussi savons-nous qu’il n’en fut pas de la sorte. Une des causes qui plus tard conduisi- rent Descartes en Italie fut le désir d’aller en pèlerinage à Notre-Dame de Lorette, pour accomplir un vœu qu’il avait fait dans les jours solennels de sa vie dont nous nous occu- pous maintenant. Toutefois il importe de ne rien exagérer. Sans doute on ne peut se défendre de rapprocher cette nuit du 10 novembre 1619, nuit décisive passée par Descartes dans son poéle de Bavière, à la nuït du 23 novembre 1654 dans laquelle la vie morale de Pascal se trouva transformée, et dont la fameuse amulette nous a conservé le souvenir Mais les résultats furent bien différents. Après s’être écrié : INTRODUCTION 5 « Jésus-Christ! Jésus-Christ! » Pascal conclut en disant : « Renonciation totale et douce. Soumission totale à Jésus- Christ et à mon directeur. » Descartes n’avait pas à recon- quérir la foi perdue ou du moins éclipsée, puisque ses doutes n’avaient jamais atteint la foi. Ce qu’il avait recon quis, c’était la confiance dans la raison, et cette confiance ne devait plus l’abandonner jamais Il Rien cependant n’est changé dans la vie extérieure de Descartes. Pour sa vie intérieure même, on ne peut pas dire que ses travaux aient changé d’objet. Seulement, avec un fondement sûr pour ses spéculations philosophiques, avec une méthode éprouvée, on peut dire qu'il a trouvé la paix. Dès l’année suivante (1620) il reprend ses voyages. En 1621 il est en Hongrie, guerroyant sous les ordres du comte de Bucquoy, qu’it abandonne tout aussi vite que le duc de Bavière. 11 reprend dès lors sa liberté complète et voyage simplement. Il traverse la Moravie et la Silésie, visite les côtes de la mer Baltique, le Holstein, les côtes de la mer d'Allemagne, et rentre en Hollande par la Frise orientale. À La Haye, il se lie avec l'Électrice palatine ; à Bruxelles, il voit la cour de l’infante Isabelle, qui l’arrête à peine, et bientôt, par Rouen, il rentre à Rennes dans sa famille. Il était parti en 1613. Ce premier voyage avait donc duré environ sept ans. Nous savons ce qu’il en avait rapporté. [l est probable qu'il fit peu de confidences. Ses projets phi- losophiques toutefois n’avaient rien d’absolument incom- patible avec un établissement honorable. Aussi ne fit-il au- cune objection définitive quand ses parents et ses amis ie pressèrent de se marier, de prendre une profession, de se 6 INTRODUCFION. fixer, en un mot. S'il fut ar.êté, ce fut par un sentiment assez ombrageux d’indépenaance. Il remit à plus tard sa dé- cision. En 1623, nous le trouvons à Paris. Cette même année il part pour l'Italie. I] parcourt les Grisons, la Valteline, Ins- pruck; Venise, où il assiste au mariage du doge avec l’Adriatique ; Rome, où ilse trouve aux fêtes du Jubilé, où il se lie avec le cardinal Barberini; Lorette, où il accomplit le vœu dont nous avons parlé; la Toscane, le Piémont. Il quitte enfin l'Italie, sans avoir cherché à voir Galilée. En revenant, il assiste au siège de Gavi attaquée par le conné- table de Lesdiguières. En 1625, il est de retour à Rennes lans sa familie. Il y reste bien peu de temps, car, l’année suivante, il est à Paris. Deux ans plus tard, en 1628, il est, sous les ordres du cardinal de Richelieu, au siège de la Rochelle. Pendant cet assez long séjour en France, il avait formé divers pro- jets, examiné divers établissements, et enfin, il avait pris son parti de n’être qu’un philosophe. A la fin de mars 1629, 1 part pour la Hollande. 11 devait y demeurer vingt ans, et y composer tous ses grands ouvrages. On est assez embarrassé pour indiquer au juste le déve- loppement de la pensée de Descartes pendant la période qui nous occupe. Ce qui nous reste de la correspondance commence en 1629. Les indications de Baillet{ sont infini- ment précieuses ; mais ce sont des indications qu'il faudrait pouvoir contrôler, et les éléments d’un contrôle efficace font défaut. Le Discours de la méthode nous fournit heu- reusement des renseignements, trop peu détaillés sans doute, mais du moins très précis et parfaitement cer- lains : 1. Dans la Vie de Monsieur Descartes, 169, 2 vol in #. INTRODUCTION. 7 « Je continuais de m'exercer en ,;a méthode que Je m’é- iais prescrite; car, outre que j'avais soin de conduire géné- ralement toutes mes pensées selon ses règles, je me ré- servais de temps en temps quelques heures, que j’employais particulièrement à la pratiquer en des difficultés de Mathé- matiques, ou même aussi en quelques autres, que je pouvais rendre quasi semblables à celles des Mathématiques, en les détachant de tous les ‘principes des autres sciences que je ne trouvais pas assez fermes, comme vous verrez que ‘ai fait en plusieurs qui sont expliquées en ce volume. Et ainsi, sans vivre d’autre façon, en apparence, que ceux qui, n'ayant aucun emploi qu’à passer une vie douce et inuo- cente, s’étudient à séparer les plaisirs des vices, et qui, pour jouir de leur loisir sans s’ennuyer, usent de tous les divertissements qui sont honnêtes, je ne laissais pas de poursuivre en mon dessein, et de proliter en la connais- sance de la vérité, peut-être plus que si je n’eusse fait que lire des livres ou fréquenter des gens de lettres. « Toutefois ces neuf années s’écoulèrentavant que j'eusse encore pris aucun parti touchant les difficultés qui ont coutume d’être disputées entre les doctes, n1 commencé à chercher les fondements d'aucune Philosophie plus certaine que la vulgaire. Et l'exemple de plusieurs excellents esprits, qui en ayant eu ci-devant le dessein me semblaient n’y avoir pas réussi, m'y faisait imaginer tant de difficultés que ie n’eusse peut-être pas encore sitôt osé l’entreprendre, si je n’eusse vu que quelques-uns faisaient déjà courre le bruit que j'en étais venu à bout... Je pensai qu'il fallait Jue Je tàchasse par tous moyens à me rendre digne de la réputation qu'on me donnait; et il y a justement huit ans que ce désir me fit résoudre à m'éloigner de tous les ieux où je pouvais avoir des connaissances, et à me retirer ici, en un pays où la longue durée de la guerre a fait établir de 8 INTRODUCTION. tels ordres, que ies armées qu’on y entretient ne semblent servir qu’à faire qu’on y jouisse des fruits de la paix avec d'autant plus de sûreté, et où, parmi la foule d’un grand peuple fort actif et plus soigneux de ses propres affaires que de celles d’autrui, sans manquer d’aucune des commo- dités qui sont dans les villes les plus fréquentées, j'ai pu vivre aussi solitaire et retiré que dansles déserts les plus écartés!, » De ces paroles de Descartes on serait tenté de conclure qu’à partir de 1619 il n’a fait autre chose qu’employer sa méthode à l’étude de questions particulières, et qu’en 1628 seulement il a posé les fondements de sa métaphysique. Mais comment croire que, sceptique et presque désespéré avant 1619, il n’ait pas cherché à se débarrasser de ses doutes en faisant usage de la méthode merveilleuse et vrai- ment infaillible qu’il croyait avoir trouvée. Il faut avoir re- cours à une autre interprétation. {l est probable que, de 1619 à 1629, Descartes a singulièrement augmenté ses con- naissances mathématiques; que, dans le même temps, il a rassemblé bien des expériences et constitué son système de physique; que, dans le même temps encore, son système de philosophie s’est peu à peu développé dans son esprit. Ce système, sans doute, n’était pas encore, en 1629, arrêté dans toutes ses parties; mais il est impossible de supposer que les traits principaux n’en eussent pas dès lors été fixés. Maintenant aevons-nous croire que quelque événement parliculier ait définitivement fait cesser les irrésolutions de Descartes et pour ainsi dire précipité son départ? Baillet raconte qu’un jour, à son retour du siège de la Rochelle, notre philosophe assistait à une sorte de conférence philo- 4 lhscours de la méthode. 3° partie. à |a fin. INTRODUCTION. 9 sophique chez le nonce du pape, M. de Bagné. Il dut argu- menter à son tour. Il le fit avec une telle supériorité, que la docte assemblée fut saisie d’admiration. Le cardinal de Bérulle, celui que Bossuet, dans l’oraison funèbre d’Hen- riette de France, appelle « le grand Pierre de Bérulle », lui fit un cas de conscience de travailler au perfectionnement et à la publication de sa philosophie. Descartes a toujours eu pour les faiseurs de livres un vrai mépris de gentil- homme. C’est peut-être à cette circonstance toute fortuite que nous devons la composition de ses ouvrages. Il Avant 1629, Descartes n’est pas un écrivain. Sa vie est vraiment double : pour le monde, c’est un gentilhomme de loisir; du reste, un cavalier parfait, comme aurait dit Corneille, son contemporain; au fond, c’est un mathé- maticien, non par profession, mais par génie naturel et par goût, comme le furent plus tard Pascal, Fermat et le marquis de L’Hôpital; avant tout, c’est un philosophe. Après 1629, il devient un écrivain, et dès lors, les deux vies dont nous parlons se trouvent un peu mêlées. Com- mençons par donner quelques détails sur son séjour en Hollande. On a dit souvent, et nous avons dit nous-même, qu’en 1629 il se fixa dans ce pays. Le fait est vrai, mais d'une vérité purement relative. A partir de 1629, il ne quitte plus guère la Hollande, et pourtant nous avons encore à signaler trois voyages qui se rapportent à cette époque : en France, en | Angleterre, en Danemark et dans la basse Allemagne. Alors ” même qu'il ne sort pas de la Hollande, notre philosophe ne refuse jamais de donner satisfaction à son humeur voya- geuse. Rarement il passe une année entière dans le même 10 INTRODUCTION. lieu. Parfois 11 établit sa résidence dans quelque grande ville, et prend plaisir à s’isoler au milieu d’une foule im- mense et affairée; plus souvent il choisit une habitation commode et presque somptueuse dans un site ravissant, à quelque distance d’une ville capable de lui procurer toutes les ressources nécessaires à ses besoins et à ses études, D'ordinaire, il laissait ignorer à ses amis de France le lieu de sa retraite. On communiquait avec lui par l’intermé- diaire du P. Mersenne, son condisciple de La Flèche et le plus cher de ses amis. Nous espérons qu’on nous saura gré de donner ici quelques détails précis sur sa personne et sur son genre de vie. Ces détails se trouvent épars dans la biographie de Baillet. Nous empruntons l’excellent résumé qu’en a fait M. Adolphe Garnier dans son édi- tion aujourd'hui épuisée des œuvres philosophiques de Descartes. Il était d’une taille au-dessous de la moyenne. Sa tête était fort grosse, son front large et avancé, ses cheveux noirs et rabattus jusqu'aux sourcils. À quarante-trois ans, il les remplaça par une perruque, modelée sur la forme de ses cheveux, et, regardant cette substitution comme favorable à sa santé, il pressa son ami Picot de suivre son exemple. Ses yeux étaient très écartés; son nez saillant et large, mais allongé ; sa bouche grande, sa lèvre inférieure dépas- saut un peu celle du dessus; la coupe du visage était assez ovale; son teint avait été pâle dans l’enfance, un peu cra- moisi dans la jeunesse, et devint olivâtre dans l’âge mûr. ll avait à la joue une petite bulbe qui s’écorchait de temps en temps et renaissait toujours. La figure exprimait la mé- ditation et la sévérité. Ceux qui ne se contenteraient pas de ces détails peuvent aller voir au Louvre les deux portraits qui nous restent de lui. Le premier est de Sébastien Bour- don, de grandeur naturelle Descartes est vu presque de SNTEODUCTION. 41 face, 1a tête nue; il est enveloppé d'un manteau noir, la main droite posée sur une espèce d'appui en pierre, et Le- aant de la gauche son chapeau. Ce portrait est assurément intéressant à étudier; mais il est un peu académique, et semble manquer de naïveté. Le second portrait est de beau- coup supérieur. [l est de Frans Hals, aussi de grandeur naturelle. La tête est découverte, vue de trois quarts, et tournée vers la droite. Descartes porte un col rabattu, un manteau noir et tient un chapeau à la main. C’est ce por- trait qui a été gravé par Edelinck. La gravure est très belle. Descartes avait une voix faible à cause d’une légère altération du poumon qu'il avait apportée en naissant. Pen- dant son enfance il était tourmenté d'une toux sèche qu’il avait héritée de sa mère. Depuis l’âge de dix-neuf ans il prit le gouvernement de sa santé, et se passa du secours des médecins : son hygiène était de mener un train de vie uniforme, d'éviter tout changement brusque; sa médecine la diète, un exercice modéré et la confiance dans les forces de la nature. Ses vêtements annonçaient des soins, mais non du faste. Il ne courait pas après les modes, mais il ne les bravait pas non plus: le noir était la couleur qu’il préférait; en voyage, il portait une casaque de gris brun. Les revenus dont il eut la jouissance après la mort de son père et celle de son oncle maternel, paraissent s'être élevés à six ou sept mille livres. Dans les dix dernières années de sa vie il faut y ajouter la pension de 3000 livres qui lui fut payée par la France. 1i n’était m avare ni cupide, mais cependant il savait défendre ses intérêts. Il était sobre, et, par un singulier effet de son tempéra- ment, la tristesse et la crainte augimeutaient son appétit. Vers la fin de sa vie, il diminua la quantité des aliments qu’il prenait le soir, et dont il était gêné pendant la nuit. 12 INTRODUCTION. Il buvait très peu de vin, s’en abstenait souvent des mois entiers, évitait les viandes trop nourrissantes, et préférait les fruits et les racines, qu’il croyait plus favorables à la vie de l’homme que la chair des animaux. Picot prétendait que, par ce régime, Descartes espérait faire vivre les hom- mes quatre ou cinq siècles, et que le philosophe aurait fourni cette longue carrière, sans la cause violente qui vint troubler son tempérament et borner sa vie à un demi-siècle: mais Descartes était fort éloigné de ces prétentions; car, dans une lettre à Chanut, du 15 juin 1648, il écrivit qu’au lieu de chercher les moyens de prolonger la vie, il avait trouvé une recette bien plus facile et bien plus sûre, qui était de ne pas craindre la mort, 1 dormait dix à douze heures. Il travaillait au lit le ma- tin. {l dinait à midi, et donnait quelques neures à la con- versation, à la culture de son jardin, à des promenades qu’il faisait le plus souvent à cheval. Il reprenait son tra- vail à quatre heures, et le poussait jusque fort avant dans la soirée. Dans les deux ou trois dernières années de sa vie, il se dégoûta de la plume. Il était doux et affable pour ses domestiques, et paya jusqu’à sa mort une pension à sa nourrice. Quant aux se- crétaires ou copistes qu'il employa successivement pour l’aider dans ses recherches et dans ses expériences, il les traitait comme ses égaux et s’occupait de leur avancement; la plupart devinrent gens de mérite, et ont fini par acquérir une honorable position : Villebressieux, jeune médecin de Grenoble, se rendit célèbre par ses inventions en méca nique; Gaspard Guschaven devint professeur de mathéma- tiques à l’université de Louvain; Gillot enseigna la méca- nique, la fortification et la navigation aux officiers de l'armée du prince d'Orange; Schluter fut nommé auditeur en Suède ‘ INTRODUCTION. 13 Pour ce qui est des relations mondaines de Descartes, il est certain qu'elles n’ont jamais été nombreuses. Elles ont été rares, parce qu'elles ont été choisies. Il nous est impos- sible d'entrer ici dans des détails qui seraient infinis. Nous ne pouvons toutefois négliger de citer M. de Zuitlichem, ie père de Huyghens, l'Électrice palatine, et surtout sa fille, la princesse Élisabeth, qui, jusqu’à la mort de Descartes, entretint avec lui le commerce le plus suivi et le plus affec- tueux. C’est à la princesse Élisabeth que Descartes dédia ses Principes ; il la considéra toujours, non seulement comme son amie la plus dévouée, mais aussi comme son dis- ciple le plus fidèle et le plus éclairé #. Revenons à ses travaux. Jusqu’alors il s’était occupé de mathématiques et de physique. Sa physique d’ailleurs, nous le verrons plus tard, était toute géométrique. À partir du moment où nous sommes parvenus, l’objet de ses études change. Il néglige sensiblement la physique et même les mathématiques. C’est l'étude de la nature vivante qui l’occupe tout entier. Il devient en peu d'années grand anatomiste, grand physio- logiste et habile médecin. Sur ce point, le Discours de la methode nous apporte un témoignage indiscutable. Au reste, les seuls travaux que nous ayons ici en vue sont des tra- vaux de recherche. Nous devions donner ces indications avant que de nous occuper de travaux d’un autre ordre, ceux qui se rapportent à la composition et à la publication des ouvrages dans lesquels la philosophie cartésienne se trouve exposée. Descartes, ayant pour objet de fonder une philosophie nouvelle, devait naturellement penser tout d’abord à pr>- 4. Sur .es rapports ae Descartes de M. Foucher ae Careil: Descarke\, avec la princesse Élisabeth, on la princesse Élisabeth et la reine pourra consulter le récent travail Christine. Paris, 1879. 14 INTRODUCTION senter au public l’ensemble de sa doctrine.Tel fut, en etfet son dessein. {| commença donc à rédiger un grand ouvrage qui devait avoir pour titre : Le Monde, ou Traité de la lu- miere!. Son travail avariçait de manière à lui donner satis- faction, quand il apprit que l’inquisition romaine venait de condamner Galilée pour avoir soutenu le système de Co- pernic sur le mouvement de la terre. Aussitôt il s’arrêta, et, dans le premier moment, prit la résolution de ne plus rien écrire (1633). Une pareille résolution a de quoi surprendre, il faut tâcher de l'expliquer. Que le système de Copernic fut une doctrine suspecte, Descartes ne pouvait pas l’ignorer, car tout le monde le sa- vait. Déjà même, en 1616, l'inquisition avait condamné le mouvement de la terre, et il est certain que Descartes l’a- vail entendu dire. Sa surprise est donc assez étrange. Sa résolution ne l’est pas moins. Était-il inquiété dans sa foi ? Nullement. Son adhésion au système de Copernicparaîtaussi ferme et aussi tranquille après qu'avant le décret de l’in- quisition. Était-il eflrayé des conséquences fâcheuses que pouvait avoir la publication de son livre? Mais on ne voit pas bien ce qu'un Français établi en Hollande pouvait avoir à craindre de l’inquisition romaine dont les décrets n’étaient même pas reçus en France. La vérité est qu'il ne s'était pas sans peine décidé à écrire : le métier de faiseur de livres lui paraissait médiocrement compatible avec la qualité de gentilhonme. Nous savons d'ailleurs que, dès 1619, il avait pris la résolution de tenir les questions religieuses absolu- ment en dehors de ses recherches, et même de ses médita- tions philosophiques, et c'était un de ses principes de ne 1. Il nous en reste une esquisse de l'ouvrage entier se trouve 122: 2n quinze chapitres qui formeut une le Discours de la méthade, ‘* -eutaine de payes. Au reste, le plan partie. ET ee . INTRODUCTION 15 revenir jamais sur une résolution prise. En adoptant le système de Copernic, il s'était flatté de n'adopter qu'une opinion de physique sans aucune conséquence pour la foi. Le décret de l'inquisition lui faisait croire qu’il s’était trompé sur ce point. Enfin, il était catholique, et catho- lique soumis. Braver l’autorité de l’Église dans un pays hérétique lui paraissait une sorte de déloyauté et presque de forfaiture. Sa résolution est donc à la fois très hono- rable et très intelligible. Dès qu’elle fut connue, elle sou- leva contre lui tous ses amis, sans aucune exception. Cependant il tint bon, et son livre demeura supprimé. Mais pour donner satisfaction à tous ceux dont l’iniluence l'avait une première fois décidé, il promit de composer un autre ouvrage dans lequel il exposerait d’abord sa méthode, ensuite les principaux résultats auxquels cette méthode lui avait permis de parvenir dans les sciences. Telle est l'ori- gine du Discours de la méthode !. L'ouvrage, paru en 1637, et qui contenait, outre le Dis- cours lui-même, trois traités : la Dioptrique, les Méteores et la Géométrie, renfermait, sans parler de la méthode, deux parties bien distinctes; une partie scientifique et une partie métaphysique. De la partie scientifique, Descartes ne prit pas d’abord beaucoup de souci. Il laissa les géo- mètres Schooten, Florimond de Beaune, commenter son livre et développer ses idées, et se contenta de répondre par lettres à quelques objections ou à quelques demandes d’éclaircissements qui lui furent adressées surtout par l'in - termédiaire du P. Mersenne. Il comprit d’ailleurs sur-e- champ que sa Géométrie se défendrait toute seule et triom- pherait d'elle-même. La partie métaphysique de son œuvre 4. Nous nous occuperons plus méthode. Nous devons maintenant tard en détail du Discours de la poursuivre notre récit 1e INTRODUCTION. était plus facilement attaquable. Elle était d’ailleurs tout entière renfermée dans une seule partie, c’est-à-dire dans quelques pages du Discours de la méthode. I] jugea néces- saire de la développer, et se mit àcomposer ses Méditations melaphysiques. Le Discours de la méthode, écrit en français, s’adressait à tout le monde. Les Méditations, écrites en latin, dédiées à Messieurs les doyens et docteurs de la sacrée Faculté de théologie de Paris, furent évidemment destinées aux philo- sophes et aux théologiens. Elles furent de plus communi- quées avant l’impression aux écrivains du temps les plus habiles et les plus célèbres en ces matières, Arnauld, Hobbes, Gassendi, etc., qui envoyèrent leurs objections. Descartes y fit des réponses, et le tout parut en 1641. Six ans après, il en parut une traduction française par M. le Auc de Luynes, que Descartes revit, et à laquelle ii fit | quelques changements et additions. Cette traduction a donc rang d’original. Cependant le système du monde et la physique générale n'avaient pas encore été exposés. L’ensemble de la doc- trine n'avait pas encore été présenté au public d’une façon complète et dogmatique. Ce fut pour combler cette lacune que Descartes composa un nouvel ouvrage qui parut à Amsterdam, en 1644, sous ce titre: Renati Descartes Prin- cipia Philosophie. Les trois grands ouvrages que nous venons d'indiquer embrassent toutes les parties de la philosophie, à l’excep- tion de la seule morale. Descartes ne voulut jamais publier an traité dogmatique de morale, mais pour montrer com- ment il entendait que sa méthode fût appliquée aux ques- ;tions de cet ordre, il fit paraître, en 1649, son Traité des passions de l'âme, qui clot la liste des grands ouvrages pu- bliés de son vivant. Lés. de ou Li [NTRODUCTION. 17 L'effet produit par ces publications fut vraiment immense Une philosophie nouvelle, certainement égale et par cer tains côtés supérieure aux grands systèmes de l'antiquité, apparaissait brusquement. Ce fut une révélation. Dès lors Descartes eut des amis et des ennemis, des admirateurs et des détracteurs, des disciples et des adversaires. Il perdit un peu de sa sérénité; car il était moins sensible à ja gloire qu'aux tracasser'es, et les tracasseries ne lui manquérent pas. Il est inutile d’entrer dans ces détails. Nous n'avons plus qu’à donner quelques indications sur les dernières années de sa vie, et sur les principales circonstances de sa mort. | Il avait alors pour ami intime et pour admirateur pas- sionné M. Chanut, ambassadeur de France en Suède. Celui- ci conçut le dessein d’inspirer à la reine Christine le désir d’avoir à sa cour un des hommes les plus extraordinaires de son temps. Il n’eut pas de peine à réussir. La reine fit faire par Chanut d’abord, puis par d’autres personnes, des démarches très actives pour déterminer Descartes à venir se fixer à Stockholm. Celui-ci résista longtemps. [1 sentait bien qu’il allait sinon perdre, du moins compromettre l'in- dépendance absolue dont il avait joui toute sa vie. Cepen- dant la pensée qu’il pourrait concilier à la princesse Élisa- beth et à la maison palatine la protection de la Suède acheva de le déterminer t. {1 partit. Il fut reçu par Chris- tine d'une manière digne de lui; mais le climat de la Suède se trouva contraire à sa santé. Au mois de février 1650, il tomba malade d’une inflammation de poitrine, et le 11 du même mois il était mort. Il avait cinquante-trois ans, dix mois et onze jours. ’ 4. Voyez le récent travail de | La princesse Elisabeth et la reine M Foucher de Careil: Descartes, Christine. Paris. 1879. ? 18 INTRODUCTION. RÉSUMÉ DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES La philosophie cartésienne est une philosophie complte, c’est-à-dire une philosophie qui a la prétention de fournrr des principes à l’aide desquels on peut résoudre toutes les questions que l'esprit humain se pose légitimement. Nous laissons maintenant de côté la méthoce que nous examinerons plus tard à propos du Discours de a méthode. Cela posé, la philosophie cartésienne se divise en trois parties : la métaphysique ou science des gremiers prin- cipes, la physique ou science du monde, et la science de l’homme. Nous devons examiner ces tro:s sarties successi- vement. MÉTAPHYSIQUE Toute métaphysique a la prétention d'être générale. En réalité, une métaphysique, quelle qu’elle soit, a pour objet de résoudre le problème particulier que s’est posé le philosophe qui linstitue. La métaphysique de Piaton explique comment l’unité, qui est un besoin de la pensée, se concilie avec la diversité, qui est un fait constam- ment observé dans la nature : la métaphysique de Kant explique dans quelle mesure la connaissance humaine, la science peut être légitime. La métaphysique cartésienne s'attache au problème de la certitude. Descartes part du doute sincèrement, sérieusement, et non par hypothèse, comme le feront plus tard ses disci- ples, Malebranche ou Fénelon. Mais au lieu de prendre son parti du doute, ou même de s’y complaire, comme Prota- goras ou comme Montaigne, il considère le doute comme un INTRODUCTION 19 fait qu’il soumet à une rigoureuse analyse. Ce qu'il consi- dère, ce n’est donc pas le doute, mais son doüte. Or, son doute n’est, après tout, qu’un mode de sa pensée. Mais tout mode de sa pensée, le doute comme tout autre, suppose sa propre existence. Son doute suppose donc sa pensée, et sa pensée suppose sa propre existence. Le sceptique le plus déterminé est donc forcé de dire : Je doute, donc je pense; je pense, donc je suis. Quand le sophiste grec disait que l’homme est la mesure de toute chose, il convenait lui- même que toute chose a une mesure, et que cette mesure . est l’homme. Il est vrai que cette mesure même varie d’un ‘ndividu à l’autre : Pierre n’est pas Paul. Mais peu im- porte ici. — Je ne sais pas, disait Descartes, s’ilexiste d’au- tres hommes que moi; mais, quand j’existerais seul, à tout le moins suis-je sûr absolument d’exister. Il y a donc au moins une vérité qui défie tous les efforts du doute, c’est l’existence certaine de celui qui doute, dans le temps même qu'il doute. Maintenant, poursuit Descartes, quand je m’examine moi-même par la conscience ou par la réflexion, je trouve en moi une foule d’idées qui me paraissent être des repré- sentations de choses différentes de moi-même. Ces idées, en tant que représentations, sont peut-être de pures chimères; mais, en tant que modes de ma propre pensée, elles sont toutes aussi certaines que ma pensée même, ou, si l'on veut, que mon propre doute. Le problème qui se pose . maintenant est donc celui-ci : Mes idées, qui sont certaines, en tant que modes de ma propre pensée, sont-elles des re- | présentations vraies de quelque réalité différente de moi- même? J’ai l’idée de la feuille de papier sur laquelle j'écris. Cette feuille de papier me paraît blanche, et j'ai l’idée de cette blancheur. Peut-être ces deux idées ne sont-elles rien que 20 INT »DOCTION. des modes de ma propre pensée. Peul-être ne correspon- dent-elles à rien d’existant en dehors de moi-même. Mais au point de vue qu'on appelle dans l’école le point de vue formel, ces deux idées me semblent fort différentes : l’idée de la feuille de papier est celle d’un objet; l’idée de la blancheur est celle d’une qualité, qui n’est rien en dehors de l'objet qui la possède, de l’objet auquel elle est atta- chée. Mais peut-être que tout cela est une pure illusion. [Il me semble que je suis par rapport à mes idées tout jus- tement ce qu'est la feuille de papier par rapport à la blan- cheur. Il est possible que j’aie, sans m’en apercevoir, donné à la feuille de papier une existence comparable à la mienne. Je ne puis tirer de ces considérations aucune conclusion certaine. Je trouve en moi l’idée de Dieu, c’est-à-dire d’un être infiniment parfait. Cette idée diffère beaucoup non seule- ment de toute idée de qualité, mais encore de toute idée de substance ou d'objet. Dieu me paraît être non pas seu- lement une chose, mais une chose qui est par soi, c’est- à-dire une chose qui possède en soi la raison de sa propre existence. Maintenant, puis-je croire que j'ai formé l’idée de Dieu sur le modèle de l’idée que j'ai de moi-même, comme je l’ai supposé tout à l’heure pour l’idée d'une feuille de papier? Nullèment. Dieu est infini, et je suis fini; Dieu est infiniment parfait, et je suis imparfait. L’idée de Dieu ne peut donc être en moi, que si elle y a été mise par une cause infiniment parfaite. Cette cause, c'est Dieu lui- même Que si nous reprenons les choses d’une autre manière, aous arrivons à la même conclusion. Par ma conscience je me saisis moi-même dans un mo- ment particulier du temps. Mais comment se fait-il que je suis? Est-ce parce que j'ai déià existé? Mais quelle est INTRODUCTION 21 mon origine? Ou bien je suis par moi-même, mais c est im- possible, car je suis imparfait ; ou bien Je suis par quelque autre chose, et cette autre chose, qui est par soi, ne peut être que Dieu lui-même. Jusqu'ici j'ai pris pour point de départ de mon raisonne- ment un fait observé en moi. Ne puis-je me placer en de- hors du monde des phénomènes, et, pour ainsi dire, dans le domaine de la pensée pure? Dans toute démonstration, les mathématiciens partent d’une définition.Toute conséquence rigoureusement déduite d’une définition leur paraît rigou- reusement démontrée. Ne pouvons-nous pas suivre ici la même méthode? Par définition Dieu est l’être absolument parfait. De cette définition on peut déduire évidemment que Dieu existe, car il est plus parfait d’être que de ne pas être. Dieu existe donc. C’est une conséquence de sa défini- tion. Il importe en tout cela de bien observer la marche que suit la métaphysique cartésienne. Le point de départ est l'existence du moi don=ée par la conscience, si l’on veut, dans le phénomène même du doute. Mais l'existence du moi, qui est certaine, est inintelligible sans une autre existence que celle du moi. Cette autre existence est celle d’un être infiniment parfait, c’est l'existence de Dieu. Revenons maintenant au problème primitif, au problème _de la certitude. Nous sommes en possession de vérités cer- taines : quel est leur caractère? C’est l'évidence. L’évidence est donc la marque à laquelle la certitude se reconnaît. ._ { Mais, puisque nous connaissons cette marque et puisqu'elle | ne peut nous tromper, comment peut-il arriver qu’en fait nous nous trompions si souvent ? Le problème de l'erreur forme une sorte de complément indispensable du problème de la certitude. L'erreur ne se rencontre que dans nos jugements, c’est 22 INTRODUCTION donc la nature du jugeme it que nous devons examiner, si nous voulons découvrir la cause de l'erreur. Or le jugement n’est pas un fait purement intellectuel; c’est un acte. Il renferme donc nécessairement en lui-même un élément vo- lontaire. La volonté est libre. Nous sommes donc libres de juger ou de ne juger pas. Si nous savons suspendre notre jugement jusqu’à ce que l'évidence soit faite, nous ne nous tromperons jamais. L'erreur n’a donc qu’une cause, la pré- cipitation du jugement, qui n’est au fond qu’un mauvais usage de la volonté. Nous serions mal venus à nous plaindre de nos erreurs. Nous pouvons prendre nos mesures pour ne jamais nous tromper. Il ne nous reste plus à examiner qu’un seul point pour terminer le résumé de la métaphysique proprement dite, c’est la question de l’existence du monde extérieur. Les dif- ficultés que les philosophes ont rencontrées dans létude de ce problème viennent de ce qu'ils se sont toujours laissé tromper par une équivoque. Quand on demande si le monde extérieur existe, de quel monde veut-on parler? Il y a deux mondes : le monde de la sensation, qui est aussi le monde de l'apparence, et le monde de la raison, qui est celui de la science; dans le premier, le soleil est un disque d’un demi-pied de diamètre; dans le second, le soleil est un globe plusieurs millions de fois plus gros que la terre. Maintenant, quand on demande si le soleil existe, prétend- on demander s’il existe dans l’espace un disque lumineux d’un demi-pied de diamètre, ou bien s’il existe à une im- mense distance de nous un globe enflammé plusieurs mil- lions de fois plus gros que notre terre? Pourquoi tant d’es- prits pénétrants, et même tant d’esprits supérieurs, ont-ils mis en doute l’existence du monde? c’est qu’ils ont eu en vue un ensemble d’apparences absolument contradictoires entre elles. L'œuvre de la science consiste à substituer à INTRODUCTION. 23 cet ensemble d’apparences un système dans lequel toutes les parties sont absolument cohérentes entre elles, un sys- ‘ème dans lequel nulle contradiction ne peut trouver place. Que si l’on prend les choses de cette manière, si l’on entend le monde de cette façon, on n’a pas de peine à se débarras- ser de toutes les objections de ce que j'appellerai l’idéa- lisme vulgaire; mais il subsiste toujours une objection plus métaphysique, qui est celle-ci : peut-être le monde même le la science n'est-il pas autre chose qu’une création, ou, si l’on veut, qu'une construction chimérique de la raison. Descartes n’hésita pas à reconnaître que, placée au dé- but même de la métaphysique, avant le Cogito, ergo sum, cette objection est irréfutable. Mais nous savons mainte- tenant que Dieu existe, et qu’il ne peut pas nous tromper. Au fond, c’est uniquement de cette vérité que dépend toute la solidité du principe de l'évidence. Comment donc pourrions-nous, sans mettre en doute la véracité divine, supposer que le monde de la science n’est qu'une nee ? Ainsi toute la métaphysique de Descartes se réduit à cet enchaînement absolument indissoluble de vérités évidentes : Je ne puis douter, sans être sûr que J existe; Si j'existe, Dieu existe nécessairement ; Si Dieu existe, le monde lui-même ne peut manquer d'exister. Ainsi Dieu est la raison, l’explication de toute existence. On pourrait sans doute le poser d’abord à priori; mais, en agissant de lasorte, on laisserait subsister le scepticisme. Mieux vaut partir du doute, montrer que le doute se détruit lui-même, et s'élever ensuite jusqu’à Dieu. Cela fait, on n’a pas de peine à prouver que toutes choses se disposent et sarrangent suivant les lois mêmes de la raison. 24 INTRODUCTION PHYSIQUE La métaphysique nous enseigne que le monde existe parce que Dieu l’a créé. On peut même dire en toute rigueur que Dieu le crée continuellement ; car, le temps n’existant pas pour Dieu, on ne saurait distinguer en lui deux moments qui seraient, le premier, celui de la “réation, et le second, celui qui auraitimmédiatement suivi la création. Il s’agit inaintenant de décrire le monde : cette description est l’objet de la physique. La méthode à suivre est une méthode de déduction à priori. Dieu a créé le monde, donc les lois de l’univers sont des conséquences des perfections infinies de Dieu. La matière doit être une. La diversité, les changements qui se produisent en elle ne doivent tenir qu’aux modifi- cations du principe unique qui la constitue. Le principe de la matière, sa quaité première et essentielle est ce sans quoi la matière ne peut être conçue, c’est l'étendue. Mais l'étendue pure se confond avec l’espace, il n’y a donc pas deux espaces, l’un vide de matière, l’autre plein de matière. Tout est plein. Les parties de l’étendue étant parfaitement homogènes, on ne voit pas comment, dans un tel monde, le change- ment et même la diversité sont possibles. Mais il faut re- marquer d’abord que l’étendue peut prendre toute espèce de figures; que les parties de l’étendue peuvent avoir les unes par rapport aux autres une infinité de siluation®, qu’enfin des corps réduits à l’étendue sont mobiles. La diversité des corps et leurs changements s’expliquent par des différences de figures et par le mouvement. Mais comment le mouvement est-il possible dans le plein ? L’éten- due est divisible à l'infini, et ses parties sont parfaitement mobiles; le mouvement circulaire se conçoit dans le plein. INTRODUCTION. 2 Tout corps en mouvement est comme une portion d’une roue qui tourne autour de son essieu. L’étendue est mobile, mais le mouvement ne lui est pas essentiel. Dieu n’a donc pas seulement créé l'étendue , il a communiqué à cette étendue une certaine quantité de mou- vement. Cette quantité demeure toujours la même. Tous les phénomènes de la nature se réduisent à des change- ments de mouvement. Les lois de la nature ne sont donc que les lois de la transformation et de la communication des mouvements. À Toutes ces lois d’ailleurs se déduisent d’un même prin- cipe, le principe de l’immutabilité divine: Dieu est immua- ble: ce qu’il a une fois établi se conserve nécessairement. Dieu a mis dansle monde une certaine quantité de mouve- pen Les changements qui s’accomplissent doivent être tels | que la quantité de mouvement se conserve toujours dans ie | monde. De ce principe, dont la formule ne laisse pas que d’être un peu vague, Descartes déduit trois lois générales de la nature et, de plus, sept règles, par le moyen desquelles on peut déterminer combien les corps qui se rencontrent changent les mouvements les uns des autres! Voici ces lois et ces règles : Première loi. Chaque chose demeure en l’état qu’elle est pendant que rien ne le change. Deuxieme loi. Tout corps qui se meut tend à conser- ver son mouvement en ligne droite. Troisieme loi. Si un corps qui se meut en rencontre un plus fort que lui, il ne perd rien de son mouvement, et s’il en rencontre un plus faible qu'il puisse mouvoir, i! ec perd autant qu'il en donne. Premiere regle. Si deux corps étaient exactemer. 4. Voyez Principes, 2° parte. 26 INTRODUCTION. égaux et se mouvaient d'égale vitesse en ligne droite l’un vers l’autre, lorsqu'ils viendraient à se rencontrer, ils rejailliraient tous deux également et retourneraient cha- cun vers le côté d’où il serait venu, sans perdre rien de leur vitesse. Deutième règle. Si lun des deux corps était tant soit peu plus grand que l’autre et qu’ils se rencontrassent avec même vitesse, il n’y aurait que le plus petit qui rejaillirait vers le côté d’où il serait venu, et ils continueraient par après leur mouvement tous deux ensemble vers ce même côté. Troisième règle. Si ces deux corps étaient de même grandeur, mais que B eût tant soit plus de vitesse que C, non seulement, après s’être rencontrés, C seul rejaillirait et ils iraient tous deux ensemble, comme devant, vers le côté d’où C serait venu, mais aussi il serait nécessaire que B lui transférât la moitié de ce qu’il aurait de plus de vitesse. Quatrième règle. Si le corps C était tant soit peu plus grand que B et qu’il fût entièrement en repos, de quelque vitesse que B pût venir vers lui, jamais il n’aurait la force de le mouvoir, mais il serait contraint de rejaillir vers le même côté d’où il serait venu. Cinquième règle. Si, au contraire, le corps C était tant soit peu moindre que B, celui-ci ne saurait aller si lente- ment vers l’autré, lequel je suppose encore parfaitement 2n repos, qu’il n’eût la force de le pousser et de lui trans- férer la partie de son mouvement qui serait requise pour faire qu'ils allassent par après de même vitesse. Sixième règle. Si le corps CG était en repos et parfai- tement égal en grandeur au corps B, qui se meut vers Jui, il faudrait récessairement qu’il fût en partie poussé par B et qu’en partie il ‘e fit rejaillir; en sorte que, si B était INTRODUCTION. 27 senu vers C avec quatre degrés de vitesse, il faudrait qu'il lui en transférât un, et qu'avec les trois autres, il retournât vers le côté d’où il serait venu. Septième règle. Si B et C vont vers un même côté et que C précède mais aille plus lentement que B en sorte qu'il soit enfin atteint par lui, il peut arriver que B trans- férera une partie de sa vitesse à C pour le pousser devant soi, et il peut arriver aussi qu'il ne lui en transférera rien du tout, mais rejaillira avec tout son mouvement vers le côté d’où il serait venu; à savoir, non seulement lorsque C est plus petit que B, mais aussi lorsqu'il est plus grand, pourvu que ce en quoi la grandeur de C surpasse celle de B soit moindre que ce en quoi la vitesse de B surpasse celle de G, jamais il ne doit rejaillir, mais il doit pousser G en lui transférant une partie de sa vitesse; et, au con- traire, lorsque ce en quoi la grandeur de C surpasse celle de B est plus grand que ce en quoi la vitesse de B surpasse celle de C, il faut que B rejaillisse, sans rien communiquer à C de son mouvement; et enfin lorsque l’excès de gran- deur qui est en C est parfaitement égal à l’excès de vitesse qui est en B, celui-ci doit transférer une partie de son mouvement à l’autre, et rejaillir avec le reste !. s Le point auquel nous sommes parvenus est à la fois le | | plus important et le plus délicat de la physique carté- sienne, et c’est précisément sur ce point que les opinions de Descartes deviennent contraires à la vérité 2. Rechercher en détail, pour les rectifier ensuite, les erreurs 1. Voyez l'énoncé de ces règles avec les développements qu’elles comportent dans les Principes, êe partie. 2. Pour ceux teurs qui détail les d'entre nos lec- voudraient discuter en règles de Descartes, nous donnerons les indications sui: vantes : Quand on étudie les effets du choc des corps, il faut distinguer deux cas : 4e cas : Les deux corps À et B, qui se choquent, manquent absolu- 28 INTRODUCTION que notre auteur a commises nous entrainerait bien loin. Mieux vaut indiquer le vice de méthode qui a été la cause première de toutes ces erreurs. Rien n’est en effet plus étrange que de voir un homme d’un tel génie se tromper aussi complètement dans des matières d'ordre purement scientifique. Ce qui dans toute cette physique fait complè- tement défaut, c’est l'expérience. Il est impossible de dé- cider à priori que les corps ne sont qu’étendue. On peut sans doute affirmer à priori que Dieu est inmuable. Peut- être même peut-on se hasarder à dire qu'il s’y a pas dans le monde création de mouvement et que la quantité de mouve- ment d'élasticité. Alors le choc a | pour effet de les déformer sans dé- velopper entre eux aucune force de réaction. Appelons m et v la masse et la vitesse du corps À ; m'et v’ la masse et la vitesse du corps B. Supposons que v soit plus grand que v’. Appe- ‘ons æ’ la quantité dont la vitesse de B augmente par l'effet du choc, et æ la quantité dont la vitesse de À diminue par l'effet du même choc. Nous aurons entre ces six quantités la relation suivante : ,_ Mmu+mv V—I=V+HT = —— m+in 2 cas : Les deux corps À et B sont parfaitement élastiques, c’est- à-dire qu'ils se compriment au mo- ment du choc pour reprendre aussi- tôt après leur forme primitive. Ainsi le corps A perdra d'alord une vitesse Z puis recevra par la réaction élas- tique une sutre vitesse égale à x en sens inverse Maintenant, si l'on fait les mêmes suppositions que dans le premier cas, on aura les relations suivantes . m'(v—v') Van EAN — 2 m'v' + v(m—m') m+m/! , miv — v') v+2z—=v+2 Pr 2 mv + v'(m —m) m+m Voy. pour de plus amples déve- loppements le Cours de physique de VÉcole polytechnique, par M. Jamin (5° Leçon). Nous laissons de côté la discussion de ces parti- culiers. Pour discuter les règles de Des- cartes, on devra d'abord examiner dans quel cas il se place. Ensuite on devra donner à m, m’, v, v’, les valeurs relatives convenables [D ne parle pas de masse, mais, comme il suppose les deux corps homosènes, identiques, on devra prendre à la place des masses les volumes qui, dans ce cas, sont pro- portionnels aux masses. Enfin, on devra donner aux vitesses les mêmes signes ou des signes contraires, suivant qu’elles sont dirigées dans le même sens ou en sens invers* INTRODUCTION 29 ment qui existe dans l'univers ne peut ni s'accroitre ni diminuer. Mais de ces principes métaphysiques il est im- possible de déduire à priori une expression nathémalique de cette quantité de mouvement qui demeure toujours la même. Nous sommes assurément furt loin de prétendre que tout dans la physique soit à posteriori. Tout au contraire, Kant a démontré, suivant nous d'une façon définitive, que la physique contient nécessairement un élément à priori. Mais cet élément ne donne que la forme de la science, l'expérience seule peut en fournir la matiere. Au reste, Descartes a compris lui-même que sa méthode ne pouvait lui suffire absolument. Quand, après avoir fait connaître ce qu’il appelle les Principes des choses maté- rielles, il arrive à l'exposition du système du monde, il voit bien qu’il faut « qu'il aille, pour ainsi dire, au-devant des causes par leurs effets et qu'il ait recours à plusieurs expériences particulières ». Comment en effet découvrir à priori qu'il existe un soleil autour duquel circulent telles et telles planètes, etc., etc. ? Mais ici encore l'expérience ne trouve pas la place qui doit lui appartenir. Le système du monde qui nous montre des corps célestes nageant dans une matière fluide et emportés dans les tourbillons de cette matière, ce système n’est pas d'accord avec l'observation. : Il devait après moins de cinquante ans être remplacé défi- nitivement par le système de Newton. Nous nesaurions com- parer ici ces deux systèmes, et d’ailleurs la comparaison que nous en pourrions faire n’aurait qu'un simple intérêt historique. Disons seulement que, si Descartes n’a pas fait à l'observation la place qui lui convient dans la vraie mé- thode scientifique, ce n’est pas du tout qu'il ait cédé à linfluence de quelque préjugé scolastique. 1 avait proscrit l'emploi des causes finales en physique; en métaphysique, il avait soutenu que toutes les vérités et même les vérités 30 INTRODUCTION. nécessaires dépendent uniquement de la libre volonté de Dieu. N'était-ce pas établir que l’observation seule peut nous faire connaître ce qui existe. Il faut avoir le courage d’avouer que les plus grands hommes ne savent pas toujours résister aux entraînements de leur génie. Une faculté ex- traordinaire de spéculation métaphysique, telle est la seule cause de la puissance et de la faiblesse de Descartes. | Devons-nous cependant accepter comme conclusion ce | mot, dédaigneux jusqu’à l’impertinence, que l’on répète sans zesse, parce qu'il est de Voltaire : «la physique de Descartes | est un roman?» Non, sans doute. Un Jugement vraiment . équitable et peut-être définitif est celui de d’Alembert : cle grand mérite de Descartes est d’avoir vu que le problème du monde est un problème de mécanique. » Aujourd’hui rien ne semble plus simple, mais nul ne peut dire ce que Newton a dû au système de Descartes. Que s’il est nécessaire de faire appel à l’expérience dés qu'on cesse d'étudier en quelque sorte in abstracto les propriétés de la matière pour s'attacher à des questions particulières d'astronomie, à plus forte raison en est-il de même quand on entre dans le domaine de Ja physique ter- restre proprement dite. Descartes n’a pas méconnu cette nécessité : mais ici, comme en astronomie, l'emploi qu’il fait de la méthode expérimentale est timide et insuffisant. La tendance à laquelle il cède toujours est d'expliquer tout phénomène particulier par les propriétés générales de la matière. Il ne prend pas garde que, si l’on a toujours le droit de considérer une pareille explication comme pos- sible, en fait, il est souvent prudent de l’ajourner pour ainsi dire indéfiniment. Le principe cartésien que la ma- lière est toujours et partout homogène, une et identique à elle-même, ce principe, ou, si l’on veut, cette hypothèse n'est guère contredite, et cependant personne même au- mm, INTRODUCTION 31 juura hui, n’oserait expliquer les diverses propriétés des différents corps par la diversité des modifications d’une seule et même substance. Ce que nous n’osons pas faire, malgré la supériorité incontestable de nos connaissances expérimentales, Descartes le fait constamment. Aussi la quatrième partie de ses Principes ne présente-t-elle plus guère aujourd’hui qu’un intérêt historique. On y trouve des vues de génie, mais l’ensemble a dû être complètement abandonné. SCIENCE DE L'HOMME HL nous reste à faire connaître la doctrine cartésienne sur la nature vivante en général, et sur l’homme en par- ticulier. Descartes est d’abord un mathématicien. Quand il aban- donne les mathématiques pures pour la physique, il porte dans cette nouvelle étude toutes ses habitudes d'esprit. Quand ensuite il abandonne la physique pour la physiolo- gie, il n’a garde de changer une méthode qui lui a procuré dans la physique même les succès les plus brillants. C’est par cette raison que s’explique l’idée assez étrange qu'il s’est formée des êtres vivants. Il avait d’ailleurs assez pro- fondément étudié les forces purement physiques de la nature pour être d'avance convaincu que ces forces pou- vaient, dans leurs combinaisons, enfanter toutes les mer- veilles. Ancun prodige de mécanique ne pouvait ie sur- prendre. Un tel esprit, profondément pénétré du besoin, du sentiment de l'unité, devait être naturellement amené à croire qu'un organisme n’est pas autre chose qu’un me- canisme. Ces deux mots renferment toute sa doctrine. ainsi, pour Descartes, un animal est une machine, et rien de plus. _ Cette doctrine a d’abord excité les plus vives défiances 32 INTRODUCTION et les plus sérieuses objections. Pourtant elle n'est pas sans analogie avec certaines doctrines modernes, que des savants très prudents acceptent encore aujourd’hui sans scrupule. L'organicisme, qui ne veut voir dans la fonction qu'une suite de la forme, de la structure de l'organe, est bien une sorte de mécanisme physiologique. La méthode de Cl. Bernard, qui réduit la physiologie à la simple recherche des conditions physiques et chimiques des phé- nomènes vitaux, tend à faire considérer la vie comme une simple combinaison de forces physico-chimiques. Il est vrai que le système de Descartes est plus radical encore ; mais on est en droit de le considérer comme un progrès, quand on songe aux superstitions médicales qui régnaient sans conteste au commencement du dix-septième siècle. Il est certain que, grâce à Descartes, la médecine a pris rang parmi les sciences positives. L’esprit qui anime les méde- cins modernes de l’école de CI. Bernard est le pur esprit cartésien. Après avoir fait connaître le principe, le caractère gé- néral du système, il est indispensable d’en indiquer au moins quelques applications. Il faut convenir d’abord que la physiologie cartésienne contient une multitude d’erreurs | de détail. Si l'organisme est un mécanisme, c’est un mé- canisme infiniment plus compliqué que celui que Descartes imagine. Les nerfs, assurément, ne sont pas des vaisseaux, et les phénomènes nerveux ne s'expliquent pas par les mouvements des esprits animaux circulant dans les nerfs. Mais il existe au moins une grande fonction qu’on explique encore aujourd’hui comme le faisait Descartes. Il est vrai qu'Harvey a tout le mérite de l’invention. Mais il s’agit uniquement ici d’une question de méthode, et Descartes a eu raison de soutenir que ia méthode d’Harvey est pré- cisément la sienne INTRODUCTION. 33 Si tout organisme est un mécanisme, il ne faut pas hé- siter à reconnaître que l’homme, en tant que corps, est une machine. C’est une conséquence que Descartes accepte parfaitement. Mais nous savons que l’homme pense, et la pensée paraît être absolument inexplicable par un méca- nisme, si compliqué, si parfait qu’il puisse être. Dans la philosophie cartésienne l’étude de l’homme est donc néces- sairement double, car la pensée doit être étudiée directe- ment en elle-même par la conscience. Nos pensées sont des actions ou des passions. Nos actions sont nos volontés, dont la nature est d’être libre. Nos passions sont des perceptions ou des connaissances, qui sont elles-mêmes de deux sortes : si ces passions sont produites dans l’âme par le corps, ce sont des passions proprement dites; si elles ont pour cause l’âme même, elles forment comme une classe intermédiaire entre la passion pure et la pure action. Pour Descartes, la sensation et tous les plaisirs, toutes les peines, en un mot, tous les phénomènes affectifs qui s’y rapportent forment comme une classe inférieure de pen- sées, qui dépendent en grande partie du corps. Elles sont dans l’âme, mais c’est le corps qui les produit dans l’âme. Au-dessus se trouvent les phénomènes de pur entendement, les idées qui sont adventices, factices ou innées. Les idées adventices n’appartiennent pas à lentendement seul, car elles viennent du dehors; les idées factices sont l’œuvre de l’entendeme: 1, :e produit de notre faculté de combi- naison; les 1dées années ne viennent d'aucune cause exté- rieure, elles ne sont pas l’œuvre de l'entendement, elles lui sont en quelque sorte données comme les lois de sa constitution même. Quant à la volonté, c’est l’action pure. Elle est libre. La liberté est un état absolu qu U 3 34 INTRODUCTION. ne comporte pas de degré. Elle est entière, ou elle n’es' pas. Cette philosophie de la pensée est présentée par Des cartes avec une grande netteté, mais en même temps avec beaucoup de prudence et avec une certaine réserve. Elle est le point de départ de tous les systèmes modernes: Les uns la combattent, les autres la développent; tous relèvent d’elle sans exception. Un dernier point reste à éclaircir. Nous avons dit que, pour Descartes, l’homme est double. Il est corps et esprit, éten- due et pensée. Comment deux éléments aussi différents et même aussi contraires peuvent-ils s’unir pour former une unité telle que l’homme? C’est un des points les plus em- barrassants de la philosophie cartésienne. Descartes a bien dit que l’âme n’est pas logée dans le corps, comme un «pilote dans son navire; » maisen quoi consiste précisément l'union de l’âme avec le corps? Descartes ne l’a pas dit, et les hy- pothèses de ses disciples paraissent loin d’être satisfai- santes. L'âme est immortelle. Descartes le croit et l’aflirme. Mais les raisons qu’il apporte à l'appui de son affirmation ne semblent pas absolument démonstratives. La vérité est que la morale occupe dans la philosophie cartésienne une nlace assez étroite, et que les vraies preuves de l’immor- talité de l’âme sont les preuves morales. Au point de vue “-étaphysique, il est à craindre que l’immortalité de l’âme ue reste une simple possibilité, et par conséquent, comme disait Platon, une belle espérance dont il faut s’enchanter soi-même. Nous avons indiqué les points essentiels du système de Descartes, nous devons maintenant revenir au Discours de la melhode. INTRODUCTION. 35 DU DISCOURS DE LA MÊTHODE Pour comprendre le Discours de la méthode, il est indis- pensable de bien connaitre le but que Descartes s'est pro- posé en l’écrivant, et l'ensemble de l'ouvrage auquel le Discours sert d'introduction. Nous avons vu que vers 1629, peu de temps après son arrivée en Hollande, Descartes avait commencé la compo- sition d’un grand ouvrage qui devait être l’exposition com- plète de son système. Nous avons vu que, troublé par la nouvelle de la condamnation de Galilée, ü s’était brusque- ment arrêté dans son travail. Rien ne put le décider à reprendre sa tâche ; mais, pour donner satisfaction à ses amis, il entreprit la composition de l’ouvrage qui nous occupe ici. Son obiet fut à la fois très net et très simple : donner de son système un aperçu rapide; exposer en détail sa méthode; prouver par des exemples indiscutables la puissance extraordinaire de ses procédés d'investigation Le livre dut être composé de quatre parties : le Discours de la méthode ; la Dioptrique; les Metéores et la Géome- trie. Le Discours de la methode eut pour objet d'exposer la partie philosophique de l'ouvrage; les trois autres trai- tés renferment les applications de la méthode. On peut dire, sans rien exagérer, que jamais livre plus extraordinaire ne sortit des mains d’un homme. La Diop- trique expose la loi de la réfraction de la lumière, connue encore aujourd’hui sous le nom de loi de Descartes ; l’ex- plication des principaux phénomènes que présente la marche de la lumière à travers des verres de différentes formes, et, par exemple, daus les lunettes d'approche; enfin la première théorie scientifique de la vision. Les Méléores 36 INTKHODUCTION. renferment la première explication de l’arc-en-ciel double. On n’y rencontre pas, il est vrai, la découverte de la dé- composition de la lumière par le nrisme; mais cette inven- tion, qui était réservée à Newton, est admirablement vré- parée. La Géométrie est plus étonnante encore. Elle contient une réforme complète de l'algèbre, le moyen de ré- soudre les équations du troisième et du quatrième degré; elle indique des méthodes absolument nouvelles, d’une fécondité incomparable, comme la méthode des coeff- cients indéterminés et celle qui est connue aujourd’hui sous le nom de Règle des signes de Descartes. Enfin elle contient l’exposition de toute une science absolument nou- velle, l’application de l'algèbre à l’étude des propriétés des lignes courbes : cette science est poussée si loin, qu’elle enseigne le moyen de trouver en général les tangentes à une courbe quelconque définie par son équation. Quand on songe que toutes ces découvertes apparaissent à la fois dans un livre écrit avec une aisance et une clarté merveilieuses, on s'explique l'admiration des contemporains, et l’onconçoit que les témoignages qu’ils ont donnés de cette admiration ne doivent pas sembler excessifs. On conçoit aussi comment une méthode capable de donner de tels résultats dut s’impo- ser tout d’abord avec une autorité en quelque sorte absolue. Il est inutile que nous présentions ici le plan du Discours de la méthode. Ce plan a été donné par Descartes lui- même. On le trouvera plus loin. Il est d’ailleurs tellement simple, que quelques lignes suffisent pour l’exposer. Mais il importe que nous fassions connaître la méthode même de Descartes. Nous nous servirons pour cela non seule- ment du Discours de la méthode, mais des Règles pour la direction de l'esprit, qui sont un commentaire naturel du : Discours. INTRODUCTION. 37 La méthode que nous étudions est générale, c'est-à-dire qu’elle s'applique à toutes les questions, quelles qu'elles soient. Elle est de plus tellement compréhensive que tous les procédés d'investigation antérieurement connus, l’ana- iyse des anciens, l’algèbre et la logique scolastique, n’en sont que des applications particulières. Pour la bien com- prendre, il est nécessaire de parcourir toute la suite d’idéss qui a conduit Descartes lui-même à la concevoir. Trouver la solution d’un problème d’arithmétique, c’est trouver par des opérations arithmétiques un où plusieurs nombres qui satisfont aux conditions indiquées dans l’énoncé de la question. Par exemple, si l'on demande de trouver deux nombres dont la somme soit égale à 30 et la diffé- rence égale à 20, la solution du problème consiste à indi- quer les opérations arithmétiques qu’il faut exécuter sur les deux nombres donnés, 20 et 30, pour trouver les deuy nombres demandés, 25 et 5, qui satisfont à l’énoncé de la question. Il est facile d’apercevoir que tout problème d’arithmé- tique peut être généralisé. La généralisation corsiste à laisser indéterminéesles données de la question, et à cher- cher seulement les opérations arithmétiques qu’il faut effectuer sur ces données pour trouver la valeur des nombres cherchés. Pour fixer les idées et simplifier le langage, on désigne les nombres donnés par des lettres telles que a et b, les nombres cherchés par des lettres telles que x et y. Si l'or traite de celte manière le problème que nous venons d’indi- quer, on trouve pour solution les deux formules que voici : / Lu a +b 2 a— h y—= 38 INTRODUCTION. L’arithmétique, ainsi généralisée n’est autre chose que l'algèbre. La grande découverte mathématique de Descartes est d’avoir reconnu qu’à toute opération arithmétique corres- pond une opération géométrique. Ainsi, partager un nombre quelconque a en deux parties égales, c’est effectuer sur les deux nombres a et 2 l'opération arithinétique bien connue de tout le monde sous le nom de division : partager une droite & en deux parties égales, c’est faire sur la ligne a des opérations géométriques enseignées dans tous les CIE à FE a traités élémentaires. Tout symbole algébrique, tel que 5: a donc une double signification. 11 désigne à la fois une opération arithmétique et une opération géométrique. Ces deux opérations sont distinctes, mais elles se correspondent : elles reviennent en quelque sorte l’une à l’autre ; car toute quantité arithmétique peut être considérée comme la représentation d’une quantité géométrique, et réciproque- ment toute opération arithmétique peut être considérée comme la représentation d’une opération géométrique. Ces considérations ont conduit Descartes à concevoir une algèbre infiniment plus générale que l'algèbre vulgaire. Cette algèbre nouvelle n’est autre chose qu’un art de com- biner suivant des règles fixes des symboles, qui ont tous une double signification arithmétique et géométrique. Et maintenant, comme la science de la nature a pour princi- pal objet de découvrir et d'exprimer Îles relations mathé- matiques qui existent entre une infinité de grandeurs, telles que des temps, des forces, des vitesses, etz., on conçoit sans peine que l’algèbre, telle que nous venons de la défi- nir, puisse devenir une méthode générale applicable aux mathématiques d'abord puis, sans exception à toutes les sciences physiques INTRODUCTION 39 Cependant cette méthode, si générale qu’elle soit, n’est pas encore universelle. On ne voit pas, en effet, comment il serait possible de l'appliquer à d'autres objets que les quantités ou grandeurs mathématiques. Donc Descartes a dû lui faire subir une transformation nouvelle, pour lui donner un nouveau degré de généralité. Au fond, trouver la solution d’un problème de mathéma. tiques, quel qu'il soit, c’est découvrir une combinaison d'éléments ou de données de la question, qui satisfasse à des conditions indiquées par l’énoncé. Mais quel autre procédé pourrait-on suivre pour trouver la solution d’une question quelconque, même non mathématique ? La vraie méthode, la méthode absolument générale consiste 2onc dans un art de combiner ou d’ordonner, analogue à l’al- gèbre, mais plus général que l'algèbre même. Elle en- seigne d’abord à découvrir par l’analyse les éléments de la question, puis à s’assurer par une énumération conve- nable qu'aucun élément essentiel n’a été omis, à distinguer enfin parmi tous ces éléments l’élément essentiel, que Des- cartes appelle l'absolu de la question : ce premier travail achevé, la méthode doit enseigner à former avec les élé- ments découverts diverses combinaisons, en commençant par les plus simples pour s’élever ensuite comme par degrés aux plus complexes, jusqu’à ce qu’on arrive enfin à la com- binaison qui donne la solution de la question. Que l’on compare celte formule aux quatre règles du Discours de la mélhode, on verra que nous ne faisons pas autre chose que les répéter, en les expliquant un peu. On à dit quelquefois que la méthode de Descartes était une méthode à priori. Ce n’est pas absolument exact. Sans doute, la méthode est à priori quand les éléments de 1a question peuvent être déterminés sans aucun appel à l’ex périence. C’est le cas de toutes les questions mathéma 40 INTRODUCTION. tiques. Mais dans les questions physiques, l'expérience seule peut déterminer les éléments de la question. Bien plus, dans les problèmes de ce genre, quand on a cru dé- couvrir la combinaison d’éléments qui donne la solution de la question, l'expérience seule peut décider si la solution ainsi découverteest la solution véritable. Qu'il s’agisse, par exemple, d'expliquer comment se forme l’image d’un objet vu à travers une loupe. Il est évident qu’un des éléments principaux de la question estla modification que les rayons subissent dans leur direction en traversant le verre. Or l’expérience seule peut faire connaître le phénomène de la réfraction, et la loi de la réfraction est ici l’absolu de la question. Maintenant, quand on aura cherché parmi tous les effets de la réfraction celui qui paraît satisfaire à la question qu’on s’est posée, l’expérience seule pourra déci- der si la combinaison d’effets de la réfraction à laquelle on s'arrête est bien conforme à la réalité des choses. On voit que, dans la méthode cartésienne, la part faite à l'expérience paraît suffisante, et qu'aux yeux de la critique la plus sé- vère, cette méthode paraît ne rien laisser à désirer. L'influence qu’elle a eue dès l’origine et qu’elle exerce encore aujourd’hui est vraiment extraordinaire; et cette influence est sensible non seulement dans la philosophie et dans les sciences positives, mais dans les lettres mêmes. Toutefois il ne faut rien exagérer, et le dernier point que nous venons d'indiquer demande une explication précise. | Des historiens d’une grande autorite ont cru pouvoir affirmer que le Discours de la methode a été pour la prose française ce qu’a été le Cid pour notre poésie. C’est une exagération. Le livre qui a vraiment transformé la prose française au dix-septième siècle, ce n’est pas le Discours de la méthode. ce sont les Provinciales. Pour nous, nous INTRODUCTION. a acceptons pleinement le jugement de Sainte-Beuve dans Port-Royal : « Le succès littéraire et mondain que n’avait pas eu Des- cartes, c’est Malebranche qui l’a eu. Car il ne l’a pas eu, et ce n’est que par une fiction rétrospective, par une pure con- struction de leur esprit que d'habiles critiques de nos jours lui ont prêté une réputation autre que philosophique, et ont fait du Discours de la methode une des époques de notre langue. Jamais Descartes, de son vivant, n’a eu d'influence comme écrivain. Ce n’est qu’un témoin de la langue de son temps. Il la parlait bien et l’écrivait naturellement, mais on ne peut dire qu'il lait fait avancer : réservons cet hon- neur entier à Pascal {. » Cependant, l'influence que n’a pas eue le Discours de la méthode, la philosophie cartésienne a pu l'avoir. Fonte- nelle a fort bien dit dans sa petite Digression sur les an- _ciens et les modernes : « Ce qu’il y a de principal dans la philosophie et ce qui de là se répand sur tout, je veux dire la manière de rai- sonner, s’est extrêmement perfectionné dans ce siècle. Avant M. Descartes on raisonnait plus commodément ; les siècles passés sont bien heureux de n'avoir pas eu cet homme-là. C’est lui, à ce qu’il me semble, qui a amené cette nouvelle manière de raisonner, beaucoup plus estimable que sa philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse ou incertaine, suivant les propres règles qu’il nous a apprises. » Sulunte-Beuve, qui cite ces paroles de Fontenelle, ajoute : « Descartes a contribué plus que personne à faire de l'esprit humain un instrument de précision, et cela mène loin 5. » 1. Port-Royal, t. V, p. 215. | 2. Port-Royal, t. V, p 19 42 INTRODUCTION. Nous pouvons terminer sur ce mot, absolument vra: en tous sens, une introduction destinée à faire sentir l’im- portance du Discours de ia méthode, et à fournir ‘es con- naissances nécessaires pour le pien entelure. DISCOURS DE LA MÉTHODE . POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON ET CHERCHER LA VÉRITÉ DANS LES SCIENCES Si ce discours semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties : et en la première, on trouvera diverses considérations touchant les sciences; en la seconde, les principales règles de la méthode que l'au- teur a cherchée ; en la troisième, quelques-unes de celles de la morale, qu’il a tirées de cette méthode; en la quatrième, es raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l’âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphy- sique ; en la cinquième, l’ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du cœur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine, puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes; et, en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus en avant en la recherche de la nature qu'il n’a été, et quelles raisons l'ont fait écrire {. 4. On voit que cette division est de la premiere édition (1657). Nous de Descartes. Dans l'édition origi- avons placé dans notre texte, mai: nale (1637), elle est marquée par en italiques, les additions iatro- des indications à la marge. Nous duites par Descartes dans la tr avons reproduit exactement le texte duction latine. 4 DISCOURS DE LA MÉTHODE. PREMIÈRE PARTIE CONSIDÉRATIONS TOUCHANT LES SCIENCES Le bon sens est la chose du monde la mieux par- tagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent : mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous ies hommes‘; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous condui- sons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses ?. Car ce n’est pas assez d’avoir l’es- prit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus : et ceux qui ne marchent que fort lentenent peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent. Pour moi, je n’ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun : même j’ai sou- 4. Ce qui est égal en tous les | de distinguer le vrai d'avec le hommes, ce n'est pas le talent na- faux. turel ou acquis de découvrir la ?% >urte de délinitivu ds ls we vérilé Cachée, c'est le pouvar thode — DISCOURS DE LA MÉTHODE. 45 vent st uhaité d’avoir la pensée aussi prompte, ou l’ima- -gination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample, ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci, qui servent à la perfection de l'esprit { : car, pour la raison, ow le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu’elle est toute entière en un chacun; et suivre en cect l’opinion commune des philosophes, qui disent qu’il n’y a du plus et du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes (formas substantiales) ou na- tures des individus d’une même espèce. Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d’heur de m'être rencontré dès ma jeu- nesse ? en certains chemins, qui m'ont conduit à des considérations et des maximes, dont j'ai formé une Méthode, par laquelle il me semble que j'a moyen d'augmenter par degrés ma connaissance. et de l’élever peu à peu au plus haut point, auquel x médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d’atteindre %. Car j'en ai déjà recueilli de tels fruits, qu’encore qu’au jugement que je fais de moi-même, je tâche toujours de pencher vers le côté de la défiance, plutôt que vers celui de la présomption ; et que regardant d’un œil de Philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n’y en ait 1. Remarquez ce résumé des de 4619. Descartes avait alors vingt- qualités qui constituent, selon Des- | trois ans. cartes, la perfection de l'esprit. 3. Ne pas prendre trop au sérieux 2. L'époque précise paraît diffi- les formules de modestie dont Les- ctle à fixer. On a proposé la date cartes se sert ici. 16 DISCOURS DE LA MÉTHODE. quasi aucune qui ne me semble vaine et inutile, Je ne aisse pas de recevoir une extrême satisfaction du pro- crès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérilé, et de concevoir de telles espérances pour l'avenir, que si entre les occupations des hommes, purement hommes, il y en a quelqu’une qui soil solidement bonne et importante, j'ose croire que c’est celle que j'ai choisie. Toutefois il se peut faire que Je me trompe, et ce n’est peut-être qu'un peu de cuivre et de verre que je prends (vendito) pour de l’or et des diamants. Je sais combien nous sommes sujets à nous méprendre en ce qui nous touche; el combien aussi les jugements de nos amis nous doivent être suspects, lorsqu'ils sont en notre faveur. Mais je serai bien aise de faire voir en ce liscours quels sont les chemins que j'ai suivis, et d’y représenter ma vie comme en un tableau‘, afin que chacun en puisse juger, et qu'apprenant du bruit commun (ipse post tabulam delitescens) les opinions quon en aura, ce soit un nouveau moyen de m’in- struire, que j’ajouterai à ceux dont j'ai coutume de me SC VIT. Ainsi mon dessein n’est pas d'enseigner ici la Mé- hode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai täché de conduire la mienne. Ceux qui se mêlent de 4. Ainsi l'exposition de la phi- Dans le Discours, l'exposition est sophie cartésienne est absolument pour ainsi dire biographique; elle différente dans le Discours de la est, au contraire, toute logique x :'ode et dans les Principes. dans les Principes. DISCOURS LE LA MÉTHODE, 41 donner des préceptes se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels ils les donnent, et s'ils manquent en la moindre chose, ils en sont blämables. Mais ne proposant cet écrit qu2 comme une histoire, ou, si vous l’aimez mieux, que comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu’on peut imiter, on en trouvera peut-être aussi plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espère qu’il sera utile à quelques-uns, sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise. J’a. élé nourri aux lettres dès mon enfance, et, pour ce qu'on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avais un extrême désir de les apcrendre. Mais sitôt que j’eus achevé tout ce cours d'études‘ au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d'opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d'erreurs, qu'il me semblait n’avoir fait autre profit en tâchant de m’instruire, sinon que j'avais découvert de plus en plus mon ignorance. Et néanmoins j'étais en l’une des plus célèbres écoles de l’Europe ?, où je pen- sais qu'il devait y avoir de savants hommes, s’il y en avait en aucun endroit de la terre ‘ j'y avais appris _ tout ce que les autres y apprenaient; et même ne m’étant pas contenté des sciences qu’on nous ensei- gnait, j'avais parcouru tous les livres traitants de celles qu'on estime les plus curieuses et les plus rares, qui 4. A ue ans, er 1612. Il était 9. Le collège des Jésuites de [a néon 1596. Flèche. 48 DISCOURS DE LA MÉTHODE. avaient pu tomber entre mes mains : avec cela, Je savais les jugements que les autres faisaient de moi; et je ne voyais point qu'on m'estimât inférieur à mes condisciples, bien qu'il y en eùt déjà entre eux quelques- uns, qu’on destinait à remplir les places de nos maitres: et enfin notre siècle me semblait aussi fleurissant, et aussi fertile en bons esprits, qu’ait été aucun des pré- cédents. Ce qui me faisait prendre la liberté de juger par moi de tous les autres, et de penser qu’il n’y avait aucune doctrine dans le monde qui fût telle, qu’on m'avait auparavant fait espérer. Je ne laissais pas toutefois d’estimer les exercices, auxquels on s'occupe dans les écoles. Je savais que les langues que l’on y apprend sont nécessaires pour ‘intelligence des livres anciens ; que la gentillesse des fables réveille l'esprit; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu’étant lues avec discrétion, elles aident à former le jugement{; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs ; et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées; que l’Éloquence a des forces et des beautés incomparables ; que la Poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes; que les Mathéma- tiques ont des inventions très subtiles, et qui peuvent beaucoup servir, tant à contenter les curieux qu’à faci- liter tous les arts, et diminuer le travail des hommes; 4. Descartes déclare que l'étude ment. Opinion remarquable chez un des lettres sert à former le juge- mathématicien. DISCOURS DE LA METHODE. 49 que les écrits qui traitent des mœurs contienner plusieurs enseignements, et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ; que la Théologie enseigne gagner le ciel; que la Philosophie donne moyen d2 parler vraisemblablement de toutes choses{, et se faire admirer des moins savants; que la Jurisprudence, la Médecine, et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin qu'il esL bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connaître leur juste valeur, et se garder d’en être trompé. Mais je croyais avoir déjà donné assez de temps aux langues ; et même aussi à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Car c’est quasi le même de converser avec ceux des autres siècles, que de voyager. [Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule, et contre raison ; ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n’ont rien vu?: - mais lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays : et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles oassés, on demeure ordinairement fort ignorant de selles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fable: font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point (irrilantque nos hoc 4 acto te 1. De tous ces exercices de l'écoie, un ton quelque peu méprisant. { est remarquable que la philosophie 2. Ce qu'il faut priser surtout, sit le seul dont Descartes parle sur | c’est la liberté de l'esprit, à 50 DISCOURS DE LA MÉTHODE. ad ea suscipienda quæ supra vires, vel ad ea spe- randa quæ supra sortem nostram sunt) ; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent m n’augmentent la valeur des choses pour les rendre plus dignes d’être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circon- stances‘, d’où vient que le reste ne parait pas tel qu’il est, et que ceux qui règlent leurs mœurs par les exemples qu'ils en tirent, sont sujets à tomber dans les extravagances des Paladins de nos romans, et à conce voir des desseins qui passent leurs forces. J'estimais fort l’Éloquence; ei j'étais amoureux de la Poésie : mais je pensais que l’une et l’autre étaient des dons de l'esprit, plutôt que des fruits de l’étude. Ceux qui ont le raisonrement le plus fort, et qui digèrent le mieux leurs pensées afin de les rendre claires et intel- ligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu’ils proposent, encore qu’ils ne parlassent que bas-breton, et qu’ils n’eussent jamais appris de Rhétorique ? : et ceux qui ont les inventions les plus agréables el qui les savent exprimer avec le plus d'ornement et de douceur, nelaisseraient pas d’être | s meilleurs Poètes, encore que l’art Poétique leur fût inconnu. Je me plaisais surtout aux Mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons*, mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et pen- 4. Observation importante sur le premier mérite en philosophie. la manière de lire l’histoire. D'où il suit que les mathématiques 2. Admirable rhétorique. sont plus près de la vraie philoso- 3 L'évidence et la certitude sont phie que tous les systemes DISCOURS DE LA MÉTHODE. 51 sant qu'elles ne servaient qu'aux arts Mécaniques, je m’étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes el si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé. Comme au contraire je comparais les écrits des anciens païens, quitraientdes mœurs, à des palais fort superbes et fort magnifiques, qui n'étaient bâtis que sur du sable, el sur de {a boue; ils élèvent fort haut les vertus, et les font paraître estimables par-dessus toutes les choses qui sont au monde, mais ils n’enseignent pas assez à les connaître, et souvent ce qu'ils appellent d’un si beau nom n’est qu’une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide {. Je révérais notre Théologie, et prétendais autant qu'aucun autre à gagner le ciel; mais ayant appris comme chose très assurée, que le chemin n’en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu'aux plus doctes ?, et que les vérités révélées qui y conduisent sont au-des- sus de notre intelligence, je n’eusse osé les soumettre à la faiblesse de mes raisonnements, et je pensais que pour entreprendre de les examiner, et y réussir, il était besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, el d'être plus qu'homme. Je ne dirai rien de la Philosophie, sinon que voyant qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dis- pute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n'avais 4. Allusion à la philosovhie stor- 2. C'est en cela que la religion cienne. chrélientie diffère de la philosophie, 59 DISCOURS DE LA MÉTHODE. point assez ‘le présomption pour espérer d’y rencon- trer mieux que les autres; et que considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu'il v en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable #. Puis, pour les autres Sciences, d'autant qu’elles em- pruntent leurs principes de la Philosophie, je jugeais qu'on ne pouvait avoir rien de bâti qui füt solide, sur des fondements si peu fermes; et ni l'honneur ni le gain qu'elles promettent n'étaient suffisants pour me convier à les apprendre: car je ne me seniais point, grâce à Dieu, de condition qui m'obligeàt à faire un métier de la science pour le soulagement de ma for- tune ; et quoique je ne fisse pas profession de mépriser lagloire en Cynique, je faisais néanmoins fort peu d’étal de celle que je n’espérais point pouvoir acquérir qu'à faux titres (hoc est ob scientiarum non verarum co- gnitionem). Et enfin, pour les mauvaises doctrines, je pensais déjà connaître assez ce qu’elles valaient, pour n'être plus sujet à être trompé, ni par les promesses d’un Alchimiste, n1 par les prédictions d’un Astrologue, ni par les impostures d’un Magicien, ni par les artifices ou la vanterie d'aucun de ceux qui font profession de savoir plus qu’ils ne savent. C’est pourquoi sitôt que l’âge me permit de sorur 4. Sika philcsophie ne comporte qui mettent fin à loutes les disputes, pas de démonstrat.ons rigoureuses le scepticisme est .e vrai. 4 DISCOURS DE LA MÉTHODE. 93 de «a sujélion de mes Précepteurs', je quittai entiè- rement l'étude des lettres ; et me résolvant de ne cher- cher plus d'autre science que celle qui se pourrait rouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde, j'employai le resle de ma jeunesse à voyager ?, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurset conditions, à recueillir diverses expériences, à m'éprouver moi-même dans les ren- contres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j'en pusse tirer quelque profit. Car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et dont l’événement le doit punir bientôt après s’il a mal jugé; que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d'autre conséquence, sinon que peut-être il en ürera l’autant plus de vanité qu’elles seront plus éloi- gnées du sens commun : à cause qu'il aura dû em- ployer d'autant plus d'esprit et d'artifice à tâcher de les rendre vraisemblables %. Et j'avais toujours un ex- trême désir d'apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec 1ssurance en cette vie. il est vrai que pendant que je ne faisais que consi- 1. En 1612 Descartes u’ait seize tion, un homme de guerre, un [RER homme du monde. Il ne manque 2. De 1612 à 1629, c'est-à-dire | jamais l’occasion de témoigner sou pendant dix-sept ans. peu d'estime pour les gens de 4 Descartes est un homme d'ac- lettres. u4 DISCOURS DE LA MÉTHODE. dérer les mœurs des autres hommes, je n’y trouvais guère de quoi m’assurer ; et que j'y remarquais quasi autant de diversité que j'avais fait auparavant entre les opinions des Philosophes. En sorte que le plus grand profit que j'en retirais était que voyant plusieurs choses qui, bien qu’elles nous semblent fort extrava- gantes et ridicules, ne laissent pas d’être communé- ment reçues et approuvées par d’autres grands peuples, j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m'avait été persuadé que par l'exemple et par la coutume : el ainsi je me délivrais peu à peu de beau- coup d'erreurs, qui peuvent offusquer notre lumière naturelle et nous rendre moins capables d'entendre raison. Mais après que j’eus employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde, et à tâcher d'acquérir quelque expérience, je pris un jour résolu- tion d'étudier aussi en moi-même, et d'employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je devais suivre. Ce qui me réussit beaucoup mieux, ce me semble, que si je ne me fusse jamais éloigné, ni de mon pays, ni de mes livres. DEUXIÈME PARTIE PRINCIPALES RÈGLES DE LA MÉTHODE J'étais alors en Allemagne ‘, où l’occasion des guerres qui n’y sont pas encore finies? m'avait appelé, 1. En Bavière, pendant l'hiver de | 2. Il s’agit de laguerre de Trente 4610 à 1690. ans, DISCOURS DE LA MÉTHODE 93 et comme je retournais du couronnement de l'Empe- reur { vers l’armée, le commencement de l'hiver m’ar- rêla en un quartier où ne trouvant aucune conversa- tion qui me divertit, et n'ayant d’ailleurs par bonheur aucuns soins ni passions qui me woublassent, je de- meurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j'avais tout loisir de m’entretenir de mes pensées. Entre lesquelles l’une des premières fut que je m’avi- sai de considérer que souvent il n’y a pas tant de per- fection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu'un seul Architecte a entrepris et achevés, ont coutume d’être plis beaux et mieux or- donnés, que ceux que plusieurs ont tâché de raccom- moder, en faisant servir de vieilles m ailes qui avaient élé bâties à d’autres fins. Ainsi ces anciennes cités, qui n'ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un Ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que considérant leurs édifices chacun à part on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres; toutefois à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune, que la volonté de quelques hommes usant de raisons qui les a ainsi dis- 4. Merdinand Il 56 DISCOURS DE LA MÉTHODE. posés. EL si on considère qu'il y a eu néanmouns de tout temps quelques officiers qui ont eu charge de prendre garde aux bâtiments des particuliers, pour les: faire servir à l’ornement du public, on connaîtra bien qu'il est malaisé, en ne travaillant que sur les ouvrages d'autrui, de faire des choses fort accomplies. Ainsi je m'imaginai que les peuples, qui ayant été autrefois demi-sauvages, et ne s’élant civilisés que peu à peu, n’ont fait leurs lois qu’à mesure que l'incommouité des crimes et des querelles les y a contraints, ne sau- raient être aussi bien policés, que ceux qui, dès le commencement qu’ils se sont assemblés, ont observé les constilutions de quelque prudent Législateur. Comme il est bien certain que l’état de la vraie religion, dont Dieu seul a fait les ordonnances, doit être incompara- blement mieux réglé que tous les autres. Et pour par- ler des choses humaines, je crois que, si Sparte a été autrefois très florissante, ce n'a pas été à cause de la bonté de chacune de ses lois en particulier, vu que plusieurs étaient fort étranges, el même contraires aux bonnes mœurs, mais à cause que n'ayant été inventées que par un seul, elles tendaient toutes à même fin. Et ainsi je pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables. et qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant compo- sées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent. Et ainsi encore je pensai, LISCOURS DE LA METHODE. ñ? que pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos Précepteurs, qui élaient souvent contraires les uns aux autres, el qui ni les uns ni les autres ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque im- possible que nos jugements soient si purs ni si solides qu’ils auraient été si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n’eussions jamais été conduits que par elle. Il est vrai que nous ne voyons point qu'on jette par terre toutes les maisons d’une ville, pour le seul des- sein de les refaire d'autre façon, et d'en rendre les rues plus belles ; mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir, et que même quel- quefois ils y sont contraints, quand elles sont en dan- “er de tomber d’elles-mêmes, et que les fondements n’en sont pas bien fermes. À l'exemple de quoi je ne persuadai qu’il n’y aurait véritablement point d’appa- rence qu'un particulier fit dessein de réformer un État, en y changeant tout dès les fondements, et en le renversant pour le redresser ; ni même aussi de réfor- mer le corps des sciences, ou l’ordre établi dans les écoles pour les enseigner. Mais que pour toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance je ne pouvais mieux faire que d'entreprendre une bonne fois de les en ôter, afin d'y en remettre par après, ou 4. Cette pensée doit être cons- | philosophie cartéslenne, et l’origr: c dérée comme le joint de départ de ?- de toute la philosophie moderne 58 DISCOURS DE LA MÉTHODE. d’autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison. Et je crus fer- mement que par ce moyen je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne m’appuyasse que sur les principes que je m'étais laissé persuader en ma jeunesse, sans avoir jamais examiné s'ils étaient vrais. Car bien que je remarquasse en ceci diverses diffi- cultés, elles n’étaient point toutefois sans remède, ni comparables à celles qui se trouvent en la réformation des moindres choses qui touchent le public. Ces grands corps sont trop malaisés à relever étant abattus, ou même à retenir étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes. Puis pour leurs imperfec tions, s’ils en ont, comme la seule diversité qui esi entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l’usage les a sans doute fort adoucies, et même il en a évité, ou corrigé insensiblement quantité, auxquelles on ne pourrait si bien pourvoir par prudence, et enfin elles sont quasi toujours plus supportables (ab assuetis populis) que ne serait leur changement : en même façon que les grands chemins, qui tournoient entre des montagnes, deviennent peu à peu si unis et si com- modes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre que d’entreprendre d’aller plus droit, en grimpant au-dessus des rochers, et descendant jusques au bas des précipices". C’est pourquoi je ne saurais aucunement approuver 4. La réforme cartésienne, dans } dû porter que su: les choses de ‘a pensée de son auteur, n'a jamais | pure spéculation. On voit qu’en DISCOURS DE LA MÉTHODE. 99 ces humeurs brouillonnes et inquiètes, qui n’étant appelées, ni par leur naissance ni par leur fortune, au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d’ÿ faire toujours en Idée quelque nouvelle réformation. Et si je pensais qu'il y eût la moindre chose en cet écrit par laquelle on me püt soupçonner de cette folie, je serais très marri de souffrir qu’il fût publié. Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si mon ouvrage m'ayant assez plu, je vous en fais voir ici le modèle, ce n’est pas pour cela que je veuille conseiller à personne de l’imiter : ceux que Dieu a mieux partagés de ses grâces auront peut-être des desseins plus relevés, mais je crains bien que celui-ci ne soit déjà que trop hardi pour plusieurs. La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues auparavant en sa eréance n’est pas un exemple que chacun doive suivre. et le monde n’est quasi composé que de deux sortes d’esprits auxquels il ne convient aucunement. A savoir de ceux qui, se croyant plus habiles qu’ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées : d’où vient que s'ils avaient une fois pris la liberté de douter des principes qu’ils ont reçus, et de s’écarter du chemin commun, jamais ils ne pourraient lenir le sentier qu'il faut prendre pour aller : plus droit, et demeureraient égarés toute leur vie, volitique, Descartes n’est nullement de tradiiun, n’admettant que des an revolutionnaire; il est un homme changements lents et progressifs. 60 DISCOURS DE LA METHODE Puis de ceux qui ayant assez de raison, ou de modestie pour juger qu’ils sont moins capables de distinguer # vrai d'avec le faux que quelques autres par lesquels 1 peuvent être instruits, doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres, qu'en chercher eux-mêmes de meilleures. Et pour moi, j'aurais été sans doute du nombre de ces derniers, si je n’avais jamais eu qu’un seul maître, ou que je n'eusse point su les différences qui ont été de tout temps entre les opinions des plus doctes. Mais ayant appris dès le Collège qu’on ne saurait rien ima- giner (le si étrange et si peu c:oyable, qu'il n'ait été dit par quelqu'un des Philosophes; et depuis en voya- geant, ayant reconnu que tous ceux qui ont des senti- ments fort contraires aux nôtres ne sont pas pour cela barbares ni sauvages, mais que plusieurs usent autant ou plus que nous de raison ; et ayant considéré com- bien un même homme, avec son même esprit, étant nourri dès son enfance entre des Français ou des Allemands, devient différent de ce qu’il serait, s’il avait toujours vécu entre des Chinois ou des Canni. vales; el comment jusques aux modes de nos habits, la même chose qui nous a plu il y a dix ans, et qui uous plaira peut-être encore avant dix ans, nous semble maintenant extravagante et ridicule : en sorte que c’es’ bien plus la coutume et l'exemple qui nous persuade, qu'aucune connaissance certaine !; et que néanmoins la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille 1. On pourra remarquer que Des- nresque dans les mêmes termes que ‘artes pare ici de la coutume Montaigne ou Pascal. ———) DISCOURS DE LA MÉTHODE. 1 rien, pour les vérités un peu malaisées à découvrir, à rause qu'il est bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple; je ne pous vais choisir personne dont les opinions me semblassent devoir être préférées à celles des autres, et je me trou- vai comme contraint d'entreprendre moi-même de me conduire. Mais comme un homme qui marche seul, et dans les ténèbres, je me résolus d’ailer si lentement, et d’user de tant de circonspection en toutes choses, que si je n’avançais que fort peu, je me garderais bien au moins de tomber. Même je ne voulus point commencer à rejeter tout à fait aucune des opinions, qui s'étaient pu glisser autrefois en ma créance sans y avoir été intro- duiles par la raison, que je n’eusse auparavant ein- ployé assez de Lemps à faire le projet de l'ouvrage que . j'entreprenaïs, et à chercher la vraie Méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable (sed ut veterem domum inhabitantes, non eam ante diruunt quam noræ in ejus locum exstruendæ exemplar fuerint pre- meditati, sic prius qua ratione certi aliquid possim invenire cogitavi, et satis multum temporis impendi in quærenda vera methodo)!. , J'avais un peu étudié, étant plus jeune, entre les parties de la Philosophie, à la Logique, et, entre les 4. Ce qui va suivre est la partie bornerons ici, comme dévelopre- la plus importante du Discours de ments et comme explications, à ce - la Méthode; chaque mot demande- qui est essentiel, en renvoyant pour fait un commentaire. Nous nous les détails à / Introduction. 62 DISCOURS DE LA MÉTHODE. Mathématiques, à l'Analyse des Géomètres et à l’AI- gèbre‘, trois arts ou sciences qui semblaient devoir contribuer quelque chose à mon dessein. Mais en les examinant je pris garde que, pour la Logique, ses syllogismes, et la plupart de ses autres instruclions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait, ou même, comme l’art de Lulle ?, à parler sans jugement (et copiose) de celles qu’on ignore, qu’à les apprendre. Et bien qu’elle contienne en effet beaucou de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois tant d’autres mêlés parmi, qui sont ou nuisibles ou superflus, qu’il est presque aussi malaisé de les en sépa- rer, que de tirer une Diane ou une Minerve hors d’un bloc de marbre qui n’est point encore ébauché*. Puis pour l’Analyse des anciens, et l’Algèbre des modernes, outre qu’elles ne s'étendent qu’à des matières fort 1. Le mot Analyse est un mot grec qui signifie solution en remon- tant (äva Avou). L'Analyse est une méthode qui consiste à supposer résolu le problème que l’on cherche, et à tirer de cette supposition des conséquences qui conduisent à la solution cherchée. Ici Descartes entend par Analyse des géomètres, une méthode qui consiste à cher- cher la solution des problèmes par des constructions géométriques, et, en général, par l'étude directe des figures, sans aucune intervention de l'algèbre. L'Algèbre est une arith- métique général je, dont l'objet est d'étudier les relations qui exis- tent, ou que l'on suppose exister entre les grandeurs de toute sorte prises en général 2. Raymond Lulle, né en 1234, à Palma, dans l'île de Mayorque, mort en 4315. Son grand art (ars magna) consistait dans un tableau de toutes les idées, à l’aide duquel il se flattait de fournir des arçu- ments pour tous les sujets, et de résoudre toutes les questions posées en forme. C'était une sorte de mé- canique intellectuelle, qui acquit à l’auteur, fort original d’ailleurs, une bruyante réputation. 3. Cette logique est la logique d’Aristote arrangée par les scolas- tiques. Descartes lui reproche sur- tout de n'être pas une méthode d'invention. La Logique de Port- Royal est un excellent manuel de logique scolastique, réformée suivant les principes cartésiens, JA = DISCOURS DE LA MÉTHODE. 63 abstraites, et qui ne semblent d’aucun usage, la pre- mière est toujours si astreinte à la considération des figures, qu'elle ne peut exercer l’entendement sans fatiguer beaucoup l'imagination, et on s’est tellement assujetti en la dernière à certaines règles, et à certains chiffres, qu’on en a fait un art confus et obscur qui em- barrasse l’esprit, au lieu d’une science qui le cultive ‘ Ce qui fut cause que je pensai qu'il fallait chercher quelque autre Méthode qui, comprenant les avantages de ces trois, fût exempte de leurs défauts?. Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu’un État est bien mieux réglé, lorsque, n’en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées : ainsi au lieu de ce grand nombre de pré- cepies dont la Logique est composée, je crus que j’au- rais assez des quatre suivants, pourvu que ‘je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer. *._ Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la Précipi- tation et la Prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. 1. L'analyse des anciens et l’al- 3. Règle de l'évidence. Descartes rèbredes modernes ont été réformées s'affranchit de deux autorités Ë celle par Descartes. C’est dans la géométrie de l'antiquité et celle de l'Église. qu’on peut étudier cette réforme. Ne pas oublier que les questions de 2. Caractère essentiel de la mé- foi sont réservées. Descarles 7) &bode cartésienne. revient souvent. 54 DISCOURS DE LA MÊTH DE, Le second, de diviser chacune de: lifficuités que jexaminerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, el qu'ii serait requis pour les mieux résoudre #. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples, et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus com- posés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres ?. Et le dernier ,de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales (fum in queæ- rendis medüs, tum in difficultatum partibus percur- rendis), que je fusse assuré de ne rien omettre$. Ces longues chaînes de raisons toutes simples et faciles, dont les Géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer, que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entre-suivent en même façon“, et que pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir 4, Règle de l'analyse. Elle a pour objet de découvrir le principe duquel dépend la solution de chaque question. Ce principe est ce que les- cartes appelle l'absolu de la question. 2. Règle de la synthèse. C'est la méthode générale d'exposition et de démonstration; le meilleur exem- 3. Règle de l’énumération ou de l'induction. Suivant Descartes, l'i- gnorance el l'erreur viennent pres- que toujours de ce qu’en étudiant une question, on & négligé quel- qu'un des eléments essentiels de cette question. 4 On peut reconraître que la ple que l’on puisse donner de cette méthode de déduction à prieri, c'est un bon traité de géométrie élémentaire. méthode générale de Mescartes a pour modèle la méthode de déduc tion à priori des géomètres. V oz sur ce ooint l’Introductiva. | . / } DISCOURS DE LA MÉTHODE. fi aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde tou- jours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne dé- couvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de cher- cher par lesquelles il était besoin de commencer : car je savais déjà que c’était par les plus simples et les plus aisées à connaître; et considérant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls Mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne füt par les mêmes qu’ils ont exami- nées (satis intelligebam illos circa rem omnium fa- cillimam fuisse versatos, mihique idcirco et illam eamdem primam esse examinandam); bien que je n'en espérasse aucune autre utilité, sinon qu’elles accoutumeraient mon esprit à se repaître de vérités, et ne se contenter point de fausses raisons. Mais Je n'eus pas dessein pour cela de tâcher d'apprendre toutes ces sciences particulières qu’on nomme commu nément Mathématiques; et voyant qu’encore que leurs objets soient différents, elles ne laissent pas de s’ac- corder toutes, en ce qu’elles n’y considèrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent, je pensai qu’il valait mieux que j'examinasse seutement ces proportions en général, et sans les su p- 1. Ainsi, pour Descartes comme saire de toute philosophie et de pour Platon, l'étude des mathema- toute investigation sérieuse dans tiques est le commencement néces- les sciences 5 66 DISCOURS DE LA MÉTHODE. poser que dans les sujets qui serviraient à m’en rendre la connaissance plus aisée; même aussi sans les y as- treindre aucunement, afin de Les pouvoir d’autant mieux appliquer après à tous les autres auxquels elles con- viendraient {. Puis ayant pris garde que, pour les connaître, j'aurais quelquefois besoin de les considérer chacune en particulier; et quelquefois seulement de les retenir, ou de les comprendre plusieurs ensemble : je pensai que pour les considérer mieux en particulier, je les devais supposer en des lignes, à cause que je ne trouvais rien de plus simple, ni que je pusse plus dis- tinctement représenter à mon imagination et à mes sens; mais que pour les retenir, ou les comprendre plusieurs ensemble, il fallait que je Les expliquasse par quelques chiffres les plus courts qu’il serait possible ; et que par ce moyen, j'emprunterais tout le meilleur de l'Analyse Géométrique et de l’Algèbre, et corrigerais tous les défauts de l’une par l’autre. Comme en effet j'ose dire que l’exacte observation de ce peu de préceptes que j'avais choisis me donna telle facilité à démêler toutes les questions auxquelles 4. Descartes indique ici de quelle manière originale il a conçu les mathematiques. Pour lui, au-dessus de toutes les sciences mathémati- ques particulières, il existe une science générale qui étudie les rap- ports ou les proportions en général. Cette science est plus générale que la géométrie, qui n’étudie que l’é- tendue, et même que l’algèbre, qui n’est autre chose qu’une arithmé- tique généralisée. À vrai dire, c'est une sorte d’algèbre que tousles ma thématiciens connaissent fort bien aujourd’hui, mais dont on n'avait pas l’idée avant Descartes. 2. Ainsi les considérations géo- métriques pourront donner aisément la solution d’une question d’algèbre, et des considérations algébriques la solution d’une question géomé- trique. On voit à quelle hauteur Descartes s’est placé pour considé- rer les mathématiques. pe DISCOURS DE LA METHODE. 6? ces deux sciences s’étendent, qu’en deux ou trois mois que j'employai à les examiner, ayant commencé par les plus simples et plus générales, et chaque vérité que je trouvais étant une règle qui me servait après à en trouver d’autres, non seulement je vins à bout de plusieurs que j'avais jugées autrefois très difficiles, mais il me sembla auss’ vers la fin que je pouvais dé- terminer, en celles mêmes que j'ignorais, par quels moyens, et jusques où il était possible de les résoudre. En quoi je ne vous paraïîtrai peut-être pas être for! vain, si vous considérez que n’y ayant qu'une vérité de chaque chose, quiconque la trouve en sait autant qu’on en peut savoir : et que par exemple un enfant instruit en l’Arithmétique ayant fait une addition sui- vaut ses règles, se peut assurer d’avoir trouvé, tou- chant la somme qu’il examinait, tout ce que l’esprit humain saurait trouver. Car enfin, la Méthode qui enseigne à suivre le vrai ordre, et à dénombrer exac- tement toutes les circonstances de ce qu’on cherche, contient tout ce qui donne de la certitude aux règles de l’arithmétique. Mais ce qui me contentait le plus de cette Méthode était que par elle j'étais assuré d’user -en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir : outre que je sentais en la pratiquant, que mon esprit s’accoutumait peu à peu à concevoir 1. On peut dire que pour Des- toutes les conditions qui détermi- zartes, comme pour Pascal, toute la nent la solution ‘de la question wméluode consiste dans l’ordre et cherchée. dass is dénombrerr ent complet de | Conférez Pascal, Opuscules. 68 DISCOURS DE LA MÉTHODE. plus nettement et plus distinctement ses objets; et que ne l’ayant point assujettie à aucune matière par- ticulière, Je me promettais de l’appliquer aussi utile- ment aux difficultés des autres sciences que j'avais fait à celles de l’Algèbre (in geometricis vel algebraïcis). Non que pour cela j'osasse entreprendre d’abord d’exa- miner toutes celles qui se présenteraient, car cela même eût été contraire à l’ordre qu’elle prescrit; mais ayant pris garde que leurs principes devaient tous être em- pruutés de la Philosophie, en laquelle je n’en trouvais point encore de certains, je pensai qu'il fallait avant tout que je tàchasse d’y en établir ; et que cela étant la chose du monde la plus importante, et où la Précipita- tion et la Prévention étaient le plus à craindre, je ne devais point entreprendre d’en venir à bout, que je n’eusse atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans que j'avais alors; et que je n’eusse au- paravant employé beaucoup de temps à m’y préparer, tant en déracinant de mon esprit toutes les mauvaises opinions que j'y avais reçues avant ce temps-là, qu’en faisant amas de plusieurs expériences, pour être après la matière de mes raisonnements, et en m’exerçant toujours en la Méthode que je m'étais prescrite, afin de m'y affermir de plus en plus. 4. On voit que pour Descartes, | contient le principe de toutss le: la philosophie ou métaphysique sciences. 4 #/ #1 ir DISCOURS DE LA MÉTHODE. üÿ TROISIÈME PARTIE QUELQUES RÈGLES DE MORALE TIRÉES DE LA MÉTHODE Et enfin, comme ce n’est pas assez, avant de com- mencer à rebâtir le logis où on demeure, que de l’a- battre, et de faire provision de matériaux et d’Archi- tectes, ou s’exercer soi-même à l’Architecture ; et outre cela d’en avoir soigneusement tracé le dessin; mais qu’il faut aussi s’être pourvu de quelque autre, où on puisse être logé commodément pendant le temps qu’on y travaillera; ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m'’obli- gerait de l’être en mes jugements, et que je ne lais- sasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, ie me formai une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes, dont je veux bien vous faire part. La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion (quam optimam judicabam) en laquelle Dieu m'a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modé- rées, et. les plus éloignées de l’excès qui fussent com- munément reçues en pratique, par les mieux sensés de ceux avec lesquels j'aurais à vivre‘. Car commen- çant dès lors à ne compter pour rien les miennes pro- 4. En tout ce,a, quoi qu’on ait pu sincère. Les preuves :bondert dire, Descartes est parfaitement Inutile d'y insister. 70 DISCOURS DE LA MÉTHODE pres, à cause que je les voulais remettre toutes à l’exa- men, j'étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. Et encore qu’il y en ait peut- être d'aussi bien sensés parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j'aurais à vivre; et que pour savoir quelles étaient véritablement leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu'ils oraliquaient qu'à ce qu'ils disaient; non seulement à cause qu’en la corruption de nos mœurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu'ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l’ignorent eux-mêmes, car l’ac- tion de la pensée par laquelle on croit une chose étant différente de celle par laquelle on connaît qu'on la croil, elles sont souvent l’une sans l’autre !, Et entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissais que les plus modérées; tant à cause que ce sont tou- jours les plus commodes pour la pratique, et vraisem- blablement les meilleures, tous excès ayant coutume d'être mauvais; comme aussi afin de me détourner moins du vrai chemin, en cas que je faillisse, que si ayant choisi l’un des extrêmes, c’eût été l’autre qu’il eüt fallu suivre. Et particulièrement je mettais entre les excès toutes les promesses par lesquelles on re- tranche quelque chose de sa liberté : non que je désap- prouvasse les lois, qui pour remédier à l’inconstance 1. Excellente remarque. Pour con- | entend les principes qui nous font naître les hommes, il faut observer agir; à ce compte, on peut très non ce qu'ils disent, mais ce qu'ils bien ignorer ce qu’on croit. Oppo- font. — Par croyance, Descartes sition du spéculatif et du pratique [| ——— DISCOURS DE LA MÉTHODE. 71 des esrrits faibles, permettent lorsqu'on a quelque bon dessein, ou même pour la sûreté du commerce, quel- que dessein qui n’est qu'indifférent (modo ne bonis moribus adversemur), qu'on fasse des vœux ou des contrats qui obligent à y persévérer : Anais à cause que je ne voyais au monde aucune chose qui demeurût toujours en même état, et que pour mon particulier, je me promettais de perfectionner de plus en plus mes jugements et non point de les rendre pires, j'eusse pensé commettre une grande faute contre le bon sens, si pour ce que j'approuvais alors quelque chose, je me fusse obligé de la prendre pour bonne encore après, lorsqu'elle aurait peut-être cessé de ‘être, ou que j'aurais cessé de l’estimer telle{. Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais ; et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées. [mitant en ceci les voyageurs qui se trouvant égarés en quelque forêt ne doivent pas errer en tournoyant tantôt d’un côté tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n’ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir: car par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins 4. Descartes esl, par caractere, le plus indépendant des homnwes. 172 DISCOURS DE LA MÉTHODE. à la fin quelque part, où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt. Et ainsi les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c'est une vérité très cerlaine, que lorsqu'il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opi- nions, nous devons suivre les plus probables, et même qu'encore que nous ne remarquions point davantage de probabilité aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques-unes, et les considérer après non plus comme douteuses, en tant qu’elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve telle. Et ceci fut capable dès lors de me délivrer de tous les repentirs et les remords qui ont coutume d’agiter les consciences de ces esprits faibles et chancelants, qui se laissent aller inconstamment à pratiquer comme bonnes, les choses qu'ils jugent après être mauvaises !. Ma troisième maxime était de tâcher toujours plu- tôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde: et généralement de m’ac- coutumer à croire qu'il n’y a rien qui soit entière- ment en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui . manque de nous réussir est au regard de nous absolu- ment impossibl- Et ceci seul me semblait être sul- fisant pour m'empêcher de rien désirer à l’avenir que { Ce n’est paslà seulement une | une excellente maxime de mer2!e -syle de morale vnrovisoire c'est pratique. DISCOURS DE LA MÉTHODE. 13 je nacquisse, et ainsi pour me rendre content : car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qu semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou du Mexique : et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains étant malades, ou d’être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une ma- tière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. Mais j'avoue qu'il est besoin d’un long exercice, et d’une médita- tion souvent réitérée, pour s’accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses : et je crois que c'es principalement en ceci que consistait le secret de ces Philosophes, qui ont pu autrefois se soustraire de l'empire de la Fortune, et malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car s’occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par la Nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n'était en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul était suffisant pour les empêcher d’avoir aucune affection pour d’autres choses ; et ils disposaient d’elles si absolument, qu’ils avaient en cela quelque raison de s’estimer plus riches, et plus 14 DISCOURS DE LA MÉTHODE. puissants, et plus libres, et plus heureux, qu'aucun des autres hommes, qui n’ayant point cette Philosophie, tant favorisés de la Nature et de la Fortune qu’ils puis- sent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulentt, Enfin, pour conclusion de cette morale, je m’avi- sai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tàcher à faire choix de la meilleure, et sans que je veuille rien dire de celle des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c’est-à-dire que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pour- rais en la connaissance de la vérité suivant la Mé- thode que je m'étais prescrite. J'avais éprouvé de si extrêmes contentements depuis que j'avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu’on en püt recevoir de plus doux, ni de plus inno- cents, en cette vie: et découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités, qui me semblaient assez importantes, et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j'en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me tou- chait point. Outre que les trois maximes précédentes n'étaient fondées que sur le dessein que j'avais de continuer à m'instruire : car Dieu nous ayant donné à chacun quelque lumière pour discerner le vrai 1. Cette règle est toute stoi- même. Ainsi il est stoicien, au cienne. Descartes le reconnaît lui- moins dans une certaine mesure. DISCOURS DE LA MÉTHODE. 15 d’avec le faux, je n’eusse pas cru me devoir conten- ter des opinions d’autrui un seul moment, si je ne me fusse proposé d'employer mon propre jugement à les examiner lorsqu'il serait temps : et je n’eusse su m'exempter de scrupule en les suivant, si je n'eusse espéré de ne perdre pour cela aucune occa- sion d'en trouver de meilleures, en cas qu’il y en eüt; et enfin, je n'eusse su borner mes désirs ni être con- tent si je n'eusse suivi un chemin par lequel, pen- sant être assuré de l'acquisition de toutes les connais- sances dont je serais capable, je le pensais être par inême moyen de celle de tous les vrais biens qui se- raient jamais en mon pouvoir : d'autant que, notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose, que selon que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu’on puisse, pour faire aussi tout son mieux, c’est-à-dire, pour acquérir toutes les vertus, et ensemble tous les autres biens, qu’on puisse acquérir; et lorsqu'on est certain que cela est, on ne saurait manquer d’être content (contentus el beatus). Après m'être ainsi assuré de ces maximes, et les avoir mises à part, avec les vérités de la foi, qui ont toujours été les premières en ma créance, je jugeai que pour tout le reste de mes opinions je pouvais li- brement entreprendre de m’en défaire. Et d’autant que j’espérais en pouvoir mieux venir à bout en con- { Descartes est resté toute 52 vie fidèle à sa résolution. 16 DISCOURS DE LA MÉTHODE versant avec les hommes, qu'en demeurant plus long- temps renfermé dans le poêle où j'avais eu toutes ces pensées, l’hiver n’était pas encore bien achevé que je me remis à voyager. Et en toutes les neuf années suivantes, je ne fis autre chose que'r ‘rouler çà et là dans le monde, tâchant d’y être spectateur plutôt qu’ac- teur en toutes les Comédies qui s’y jouent; et faisant particulièrement réflexion en chaque matière sur ce qui la pouvait rendre suspecte, et nous donner occa- sion de nous méprendre, je déracinais cependant de mon esprit toutes les erreurs qui s’y étaient pu glisser auparavant. Non que j'imitasse pour cela les Scep- tiques, qui ne doutent que pour douter et affectent d’être toujours irrésolus : car au contraire tout mon dessein ne tendait qu’à m’assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc ou l’argile Ce qui me réussissait, ce me semble, assez bien, d’au- tant que tâchant à découvrir la fausseté ou l’incer- ütude des propositions que j’examinais, non par de faibles conjectures, mais par des raisonnements clairs et assurés, je n’en rencontrais point de si douteuse, que je n’en tirasse toujours quelque conclusion assez certaine, quand ce n’eût été que cela même qu'elle ne contenait rien de certain. Et comme en abattani un vieux logis, on en réserve ordinairement les démo- litions, pour servir à en bâtir un nouveau: ainsi en détruisant toutes celles de mes opinions que je jugeais être mal fondées, je faisais diverses observations et ac- quérais plusieurs expériences qui m'ont servi depuis à en établir de plus certaines. Et de plus, je continuas de l} it DISCOURS DE LA MÉTHODE. 77 m’exercer en la Méthode que je m'étais prescrite. Car outre que j'avais soin de conduire généralement toutes mes pensées selon ses règles, je me réservais de temps en temps quelques heures que j’employais particulièrement à la pratiquer en des difficultés de Mathématiques, ou même aussi en quelques autres que je pouvais rendre quasi semblables à celles des Mathématiques, en les détachant de tous les principes des autres sciences que je ne trouvais pas assez fermes, comme vous verrez que J'ai fait en plusieurs qui sont expliquées en ce volume. Et ainsi sans vivre d’autre façon en apparence que ceux qui,n’ayant aucun emploi qu’à passer une vie douce et innocente, s’étu- dient à séparer les plaisirs des vices, et qui pour jouir de leur loisir saus s’ennuyer usent de tous les diver- tissements qui sont nonnêtes, je ne laissais pas de poursuivre en mon dessein, et de profiter en la con- naissance de la vérité, peut-être plus que si je n’eusse fait que lire des livres ou fréquenter des gens de lettres. Toutefois ces neuf ans s’écoulèrent avant que j’eusse encore pris aucun parti touchant les difficultés qui ont coutume d’être disputées entre les doctes, ni commencé à chercher les fondements d’aucsne Phi- losophie plus certaine que la vulgaire. Et l’:xemple de plusieurs excellents esprits, qui en ayart eu ci-devant le dessein me semblaient n’y avoir pas réussi, m'y faisait imaginer tant de difficultés, que je n’eusse peut- être pas encore sitôt osé é l'entreprendre, si je n'eusse vu que quelques-uns faisaient déjà courre le bruit 78 DISCOURS DE LA MÉTHODE. que j'en étais venu à bout. Je ne saurais pas dire sur quoi ils fondaient cette opinion; et si j'y ai contribué quelque chose par mes discours, ce doit avoir été en confessant plus ingénument ce que j'ignorais que n’ont coutume de faire ceux qui ont un peu étudié (qui doctr haberi volunt), et peut-être aussi en faisant voir les rai- sons que j'avais de douter de beaucoup de choses que les autres estiment certaines; plutôt qu’en me vantant d'aucune doctrine. Mais ayant le cœur assez bon pour ne vouloir point qu'on me prit pour autre que je n'étais, je pensai qu’il fallait que je tâchasse par tous moyens à me rendre digne de la réputation qu’on me donnait: et il y a justement huit ans que ce désir me fit résoudre à m’éloigner de tous les lieux où je pouvais avoir des connaissances, et à me retirer ici en un pays où la longue durée de la guerre a fait établir de tels ordres, que les armées qu’on y en- tretient ne semblent servir qu’à faire qu’on y jouisse des fruits de la paix avec d'autant plus de sûreté ; et où parmi la foule d’un grand peuple fort actif, et plus soigneux de ses propres affaires que curieux de celles d'autrui, sans manquer d’aucune des commodités qui sont dans les villes les plus fréquentées, j'ai pu vivre aussi solitaire et retiré que dans les déserts les plus écartés ! . Descartes s’est retiré en Hol- méthode a été écrit l’année même 1 ne en 1629 : ceci est donc écrit de sa publication. Voir sur ce HO en 137. Ainsi le Discours de La la Correspondance. NÉ DISCOURS DE LA MÉTHODE. 19 QUATRIÈME PARTIE PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU ET DE L’AME HUMAINE, OU FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE Je ne sais s1 je dois vous entretenir des premières méditations que j'y ai faites!; car elles sont si Méta- physiques et si peu communes, qu’elles ne seront peut- être pas au goût de tout le monde: et toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sout assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d’en parler. J’avais dès longtemps remarqué que pour les mœurs ? il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu'il a été dit ci-dessus : mais pour ce qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’ fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût en- tièrement indubitable#, Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer : et pour ce qu’il ya des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières 4. En Hollande, vers 1629. _ rhonisme. Ce qu’il veut, c’est éta- 2. Dans la conduite de la vie. blir une philosophie qui soil 3. C'est ce qu'on a nommé le absolument inattaquable aux objec- doute méthodique. La grande préoc- | tions des sceptiques. cupation de Descartes, c'est le Pyr- Voir l’Introduction. 80 DISCOURS DE LA MÉTHODE. de Géométrie, et y font des Paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetar comme fausses toutes les raisons que j'avais. prises auparavant pour Démonstrations : et enfin considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons, étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l'esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songest. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose: et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des Sceptiques n’élaient pas capables de l’ébranler, |e jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la Philosophie que je cherchais?. Puis examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu'il n’y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse: mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n’élais point; et qu’au contraire de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses (sive quidlibet aliud cogitarem) il-suivait très évidemmer! et très certainement que j'étais ; au lieu que si j'eusse 1. Résumé des plus fortes objec- 2. Ce principe est plus souver! tions des sceptiques. Nous verrons | peut-être exprimé en latin : Cogitv, dans la première méditation que Des- ergo sum. Voir sur cepoint les ot: cartes y ajoute encore quelquechose, | jections à la 2° méditation. Le DISCOURS DE LA METHODE. 8i seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avais jamais imaginé eût été vrai (quamois interim el meum corpus et mundus et cætera omnia quæ unquam imaginatus sum revera existerent), je n’avais aucune raison de croire que j'eusse été: (durante illo tempore), je connus de là que j'étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle, en sorte que ce Moi, c'est-à-dire, l’'Ame par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne füt point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est {. Après cela je considérai en général ce qui est requis _à une proposition pour être vraie et certaine ; car puisque je venais d’en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste celte certitude. Et ayant remarqué qu'il n’y a rien du toul en ceci, je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour penser il faut être : je jugeai que je pouvais prendre / pour règle générale, que les choses que nous concevons | fortclairement et fort distinctement sont toutes vraies; mais qu'il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons dis’ tinctement. 1. Ce point a donné lieu aux plus vives. Il est impossible de les discussions les plus longues er ies ; résumer dans une note. 6 82 DISCOURS DE LA MÉTHODE. Ensuite de quoi, faisant réflexion sur ce que je dou- tais, et que par conséquent mon être n’était pas tout parfait : car je voyais clairement que c’était une plus grande perfection de connaître que de douter, je m’avisa de chercher d’où j'avais appris à penser à quelque chose de plus parfait que je n’étais ; et je connus évidemment que ce devait être de quelque nature qui fût en effet plus parfaite. Pour ce qui est des pensées que j'avais de plusieurs autres choses hors de moi, comme du ciel, de la terre, de la lumière, de la chaleur, et de mille autres, je n'étais point tant en peine de savoir d’où elles venaient à cause que, ne remarquant rien en.elles qui me semblât les rendre supérieures à moi, je pouvais croire que si elles étaient vraies, c’étaient des dépen- dances de ma nature, en tant qu’elle avait quelque perfection ; et si elles ne l’étaient pas, que je les tenais du néant, c’est-à-dire, qu’elles étaient en moi pour ce que j'avais du défaut. Mais ce ne pouvait être le même de l’idée? d’un être plus parfait que le mien : car de la tenir du néant, c'était chose manifestement impos- sible; et pour ce qu’il n’y a pas moins de répugnance 1. Par le Cogilo, ergo sum, Des- Descartes l’existence de la pensée carles a démontré sa propre exis- | prouve l'existence de l'âme; la tence. Ii se propose ici de démon- nature de la pensée prouve l’exis- trer l'existence de quelque chose tence de Dieu. Il s’agit ensuite de en dehors de lui. Ce quelque chose, démontrer l'existence du monde. c'est Dieu Remarquez en quoi le 2. Descartes explique le mot Idée carlésianisme diffère de la philo dans une note de la traduction latine sophie vulgaire. D'ordinaire on du Discours de la méthode : hoc admet comme évident que le corps lyin loco el ubique in sequenti- existe, el on cherche à démontrer || bus nomen ideæ generaliler sumi l'existence de l'âme. On admet que | pro omni re, cogitata, quatenus le monde existe, et on cherche à habet tantum esse quoddam ob- : démontrer l'existence de Dieu. Pour | jectivum in intellectu. \ DISCOURS DE LA MÉTHODE. 83 .que le plus parfait soit une suite et une dépendance du moins parfait, qu'il ÿ en a que de rien procède quelque chose, je ne la pouvais tenir non plus de moi-même: de façon qu'il restait qu’elle eût été mise en moi par une nature qui fût véritablement plus parfaite que je n'étais, et même qui eût en soi toutes les perfections dont je pouvais avoir quelque idée, c’est-à-dire, pour m'expliquer en un mot, qui fût Dieu‘. A quoi j'ajoutai que puisque je connaissais quelques perfections que je n'avais point, je n’étais pas le seul être qui existàl (j'userai, s’il vous plait, ici librement des mots de l’école), mais qu’il fallait de nécessité qu'il y en eùt quelque autre plus parfait, duquel je dépendisse, el duquel j’eusse acquis tout ce que j'avais: car si j'eusse été seul et indépendant de tout aulre, en sorte que j’eusse eu de moi-même tout ce peu que je parli- cipais de l’Être parfait, j'eusse pu avoir de moi, par même raison, tout le surplus que je connaissais me manquer, et ainsi être moi-même infini, éternel, im- muable, tout connaissant, tout-puissant, et enfin avoir toutes les perfections que je pouvais remarquer être en steam 1. Toute idée doit être considé- autres. Par exemple, l’idée d'un rée de deux manières : objet est fort différente de l'idée 1° Comme un simple phénomène d’une simple qualité. 11 faut expli- psychologique ; quer à quoi tieuneut ces différences 2 Comme la représentation de de valeur. C’est ce que Descartes quelque objet. cherche à faire ici. L'iiée de Dieu, En tant que phénomènes psycho- en tant que phénomène psycholo- logiques, toutes nos idées sont ab- gique, n’est qu'un simple phéno- lument équivalentes et s'expliquent mène psychologique. Iei Descartes par la seule activité de l'intelligence cherche à démontrer qu'un être qui les produit. Mais, en tant que absolument parfait ne saurait être représentations, nos idées ont des représenté comme tel par une de valeurs fort différentes les unes des nos idées, s’il n'existait nes 84 DISCOURS DE LA MÉTHODE. Dieu. Car suivant les raisonnements que je viens de faire, pour connaître la nature de Dieu autant que la mienne en était capable, je n’avais qu’à considérer de toutes les choses dont je trouvais en moi quelque idée, si c'était perfection ou non de les posséder, et j'étais assuré qu'aucune de celles qui marquaient quelque imperfection n’était en lui, mais que toutes les autres y étaient. Comme je voyais que le doute, l’inconstance, la tristesse, et choses semblables, n’y pouvaient être, vu que j'eusse été moi-même bien aise d’en être exempt. Puis, outre cela, j'avais des idées de plusieurs choses sensibles et corporelles: car quoique je supposasse que je rêvais, et que tout ce que je voyais ou imaginais était faux, je ne pouvais nier toutefois que les idées n’en fussent véritablement en ma pensée: mais pour ce que j'avais déjà connu en moi très clairement que la nature intelligente est distincte de la corporelle, considérant que toute composition témoigne de la dépendance, et que la dépendance est manifestement un défaut, je jugeais de là, que ce ne pouvait être une perfection en Dieu d’être composé de ces deux natures, et que, par conséquent, il ne l'était pas; mais que s’il y avait quel- ques corps dans le monde, ou bien quelques intelli- gences ou autres natures qui ne fussent point toutes parfaites, leur être devait dépendre de sa puissance en telle sorte, qu’elles ne pouvaient subsister sans lui un seul moment. 1. Nous avons là une preuve suis imparfait, donc il existe un nouvelle de l'existence de Dieu. être infiniment parfait. Le principe Elle se résume ainsi : Je suis, et je de cet argument est que la perfes st cri nt nas 1 DISCOURS DE LA METHODE. 8: Je voulus chercher après cela d’autres vérités, e: m'élant proposé l’objet des Géomètres, que je concevais somme un corps continu, ou un espace indéfiniment ‘tendu en longueur, largeur et hauteur ou profondeur, divisible en diverses parties, qui pouvaient avoir di- verses figures, et grandeurs, et être mues ou transpo- sées en {outes sortes, car les Géomètres supposent tout cela en leur objet, je parcourus quelques-unes de leurs plus simples démonstrations; el ayant pris garde que cette grande certitude, que toutle monde leur attribue, n’est fondée que sur ce qu’on les conçoit évidemment, suivant la règle que j'ai tantôt dite, je pris garde aussi qu’il n’y avait rien du tout en elles qui m’assurât de l'existence de leur objet: car par exemple je voyais bien que, supposant un triangle, il fallaft que ses trois angles fussent égaux à deux droits, mais je ne voyais rien pour cela qui m’assurât qu’il ÿ eût au monde aucun triangle : au lieu que revenant à examiner l’idée que j'avais d’un Être parfait, je trouvais que l’existence y était comprise, en même façon qu’il est compris en celle d’un Triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou en celle d’une Sphère, que toutes ses parties sont également distantes de son centre, ou même encore plus évidemment ; et que par conséquent il est pour le moins aussi certain que Dieu, qui est cet Être parfait, est ou existe, qu'aucune démonstration de Gérmétrie le saurait être‘. uou ést la raison même de l’exis- qu'autant qu'elles sont parfaites tence. Les choses ne sont que 1. Troisième preuve de l’exis- varce qu'elles sont parfaites, et tence de Dieu. Descartes croit celle 86 DISCOURS DE LA MÉTHODE. Mais :e qui fait qu’il y en a plusieurs qui se per- suadent qu'il y a de la difficulté à le connaître, et même aussi à connaître ce que c’est que leur âme, c'est qu'ils n’élèvent jamais leur esprit au delà des choses sensibles, . et qu’ils sont tellement accoutumés à ne rien consi- dérer qu’en l’imaginant, qui est une façon de penser particulière pour les choses matérielles, que Lout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’être pas intelli- gible. Ce qui est assez manifeste de ce que même les Philosophes tiennent pour maxime dans les Écoles, qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n'ait premiè- rement été dans le sens, où toutefois il est certain que les Idées de Dieu et de l’âme (rationalis) n’ont jamais été, et il me semble que ceux qui veulent user de leur imagination pour les comprendre, font tout de même que si pour auir les sons, ou sentir les odeurs, ils se voulaient servir de leurs yeux : sinon qu'il y a encore cette différence, que le sens de la vue ne nous assure pas moins de la vérité de ses objets que font ceux de l’odorat ou de l’oute; au lieu que ni notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais as- surer d'aucune chose, si notre entendement n’y inter- vient !, preuve toute semblable aux dé- monstrations des géomètres. En réométrie, un objet étant déter- uiné par sa définition, on tire en- suite de cette définition par voie analyse toutes les propriétés que objet possède. De même ici, Dieu étant en quelque sorte posé par son idée, Descartes prétend démontrer qul existe, parce que l’existence est implicitement contenue dans l’idée même de Dieu. Reste à savoir si ce tour étrange de démonstra- tion, dont on trouve la première idée dans saint Anselme, est vrai- ment rigoureux. , 1. Descartes pose ici très nette- ment le principe de son idéalisme en face du sensualisme professé par l’école. JT DISCOURS DE LA MÉTHODE. 87 Enfin s’il y a encore des hommes, qui ne soient pas assez persuadés de l'existence de Dieu et de leur âme (animas absque corpore esse res revera existentes), par les raisons que j'ai apportées, je veux bien qu'ils sachent que toutes les autres choses, dont ils se pen- sent peut-être plus assurés, comme d’avoir un corps, et qu’il y a des astres, et une terre, et choses sem- blables, sont moins certaines : car encore qu'on ait une assurance morale de ces choses, qui est ae qu'il semble qu'à moins que d’être extravagant on n’en peut douter ; toutefois aussi à moins que ft être déraison- nable, lorsqu'il est question d’une certitude métaphy- sique, on ne peut nier, que ce ne soit assez de sujet pour n’en être pas entièrement assuré, que d’avoir pris garde qu'on peut en même façon s’imaginer, étant endormi, qu'on a un autre corps, et qu’on voit d’autres astres et une autre terre, sans qu’il en soit rien. Car d’où sait-on que les pensées qui viennent en songe . sont plutôt fausses que les autres, vu que souvent elles ne sont pas moins vives et expresses ? Et que les meil- leurs esprits y étudient tant qu'il leur plaira, je ne crois pas qu’ils puissent donner aucune raison qui soit suffisante pour ôter ce doute, s’ils ne présupposent l'existence de Dieu. (Car premièrement cela même que j'ai tantôt pris pour une règle, à savoir que les choses que nous concevons très clairement et très distincte- ment sont toutes vraies, n’est assuré qu'à cause que Dieu est ou existe, et qu’il est un être parfait, et que lout ce qui est en nous vient de lui : d’où il suit que nos idées ou notions, étant des choses réelles, et qui 88 DISCOURS DE LA MÉTHODE. viennent de Dieu, en tout ce en quoi elles sont claires et distinctes, ne peuvent en cela être que vraies. En sorte que si nous en avons assez souvent qui contien- nent de la fausseté, ce ne peut être que de celles qui ont quelque chose de confus et obscur, à cause qu’en cela elles participent du néant (non ab Ente summo, sed a nihilo procedunt), c’est-à-dire, qu’elles ne sont en nous ainsi confuses qu’à cause que nous ne sommes pas tout parfaits (quia nobis aliquid deest, sive quia non omnino perfecti sumus). Et il est évident qu’il n’y a pas moins de répugnance que la fausseté ou l’imper- fection procède de Dieu en tant que telle, qu’il y en a que la vérité ou la perfection procède du néant. Mais sinous ne savions point que tout ce qui est en nous de réel et de vrai vient d’un Être parfait et infini, pour claires et distinctes que fussent nos idées, nous n’au- rions aucune raison qui nous assurât qu’elles eussent la perfection d’être vraies {. Or après que la connaissance de Dieu et de l’àâme nous a ainsi rendus certains de cette règle, il est bien aisé à connaître que les rêveries que nous imaginons étant endormis, ne doivent aucunement nous faire douter de la vérité des pensées que nous avons étant éveillés. Car s’il arrivait même en dormant qu’on eùt quelque idée fort distincte, comme par exemple qu’un Géomètre inventât quelque nouvelle démonstra- 1. Ilya ici une assez grande faire dépendre l'évidence même en difficulté. Descartes a d’abord quelque sorte de lieu. Mais com- fondé la certitude uniquement sur | ment sait-il que Dieu existe, sinon l'évidence, maintenant il semble parce que cela est évident? 2 DISCOURS DE LA MÉTHODE. 89 lion, son sommeil ne l’empêcherait pas d’être vraie: et pour l'erreur la plus ordinaire de nos songes, qui consiste en ce qu’ils nous représentent divers objets en même façon que font nos sens extérieurs, n’impurte pas qu’elle nous donne occasion de nous défier de la vérilé de telles idées, à cause qu’elles peuvent anssi nous tromper assez souvent sans que nous dormions : comme lorsque ceux qui ont la jaunisse voient tout de couleur jaune ; ou que les astres ou autres corps fort éloignés nous paraissent beaucoup plus petits qu’ils ne sont. Car enfin, soit que nous veillions, soit que nous dormions, nous ne nous devons jamais laisser per- suader qu’à l’évidence de notre raison. Et il est à re- marquer que je dis, de notre raison, et non point de notre imagination ni de nos sens : comme encore que nous voyions le soleil très clairement, nous ne devons pas juger pour cela qu’il ne soit que de la grandeur que nous le voyons; et nous pouvons bien imaginer distinctement une tête de lion entée sur le corps d’une chèvre, sans qu'il faille conclure pour cela qu’il y ait au monde une Chimère: car la raison ne nous dicte _point que ce que nous voyons ou imaginons ainsi soit véritable. Mais elle nous dicte bien que toutes nes idées ou notions doivent avoir quelque fondement de vérité, car il ne serait pas possible que Dieu qui est tout parfait et tout véritable les eût mises en nous sans cela ; ei pour ce que nos raisonnements ne sont jamais si évidents ni si entiers pendant le sommeil que pen- dant la veille, bien que quelquelois nos imaginations soient alors aular: ou plus vives et expresses, elle nous 90 DISCOURS DE LA MÉTHODE. dicte aussi que, nos pensées ne pouvant être toute. vraies, à cause que nous ne sommes pas lout parfaits, ce qu'elles ont de vérité doit infailliblement se rencon- rer en celles que nous avons étant éveillés plutôk qu'en nos songes{, CINQUIÈME PARTIE ORDRE DES QUESTIONS DE PHYSIQUE Je serais bien aise de poursuivre, et de faire voir ici toute la chaine des autres vérités que j'ai déduites de ces premières: mais à cause que pour cet effet, il se- rait maintenant besoin que je parlasse de plusieurs questions, qui sont en controverse entre les doctes, avec lesquels je ne désire point me brouiller, je crois qu'il sera mieux que je m’en abstienne; et que je dise seule- menten général quelles elles sont, afin de laisser jugez aux plus sages sil serait utile que le public en fût plus particulièrement informé. Je suis toujours demeuré ferme en la résolution que j'avais prise, de ne supposer aucun autre principe, que celui dont je viens de me 1. On a dit souvent que Descartes fait dépendre de la véracité divine la certitude de l'existence du monde. Cela est vrai, mais il faut s'entendre. Il existe, en réalité, deux mondes, le monde des appa- rences sensibles, le monde que la raison et la science nous font con- naître. Dans le premier monde, le soleil est un disque d'un demi-pied âe diamètre; dans le second, le soleil est un globe, plusieurs mil- lions de fois plus gros que la terre. Il ne s’agit pas de démontrer l’exis- tence réelle du monde des appa- rences, puisque ce monde n’a pas d'existence réelle. Pour l'autre monde, Descartes croit que son existence s'appuie sur des raisons certaines évidentes, et qui dépen- dent, par conséquent, de la véracité divine. a DISCOURS DE LA MÉTHODE. 91 servir pour démontrer l'existence de Dieu et de l'âme, et de ne recevoir aucune chose pour vraie, qui ne me sembiàt plus claire et plus certaine que n'avaient fait auparavant les démonstrations des Géomètres: et néan- moins j'ose dire, que non seulement j'ai trouvé moyen de me satisfaire en peu de temps, touchant toutes les principales difficultés dont on a coutume de traiter en la Philosophie ; mais aussi que j'ai remarqué certaines sois, que Dieu a tellement établies en la nature, et dont 1l a imprimé de telles notions en nos âmes, qu’après y avoir fait assez de réflexion, nous ne saurions douter qu’elles ne soient exactement observées, en tout ce qui est ou qui se fait dans le monde. Puis en considérant la suite de ces lois, il me semble avoir découvert plusieurs vérités plus utiles et plus importantes que tout ce que j'avais appris auparavant, ou même espéré d'apprendre. Mais pour ce que j'ai tàché d’en expliquer les prin- cipales dans un traité‘, que quelques considérations m’empêchent de publier ?, je ne les saurais mieux faire connaître, qu’en disant ici sommairement ce qu’il contient. J'ai eu le dessein d'y comprendre tout ce que 4. Ce traité avait pour titre: Du . pour avoir soutenu la même opi- monde ou de la lumière. Il nous | nion dans son ouvrage intitulé : e2ste un ouvrage de Descartes qui | Quatre dialogues sur les systèmes porte 2e titre, mais ce n’est qu'une | du monde de Ptolémée et de Co- fbaucte. pernic.C'est la nouvelle de cette con 2. Dans le traité en question, | damnation qui décida Descartes à lescartes soutenait le mouvement supprimer son traité du Monde et se la terre. Galilée avait été con- à le remplacer par :on Discours de «amné par l'inquisition, en 1633, la méthode. 32 DISCOURS DE LA MÉTHODE. e pensais savoir avant que de l’écrire, touchant la aature des choses matérielles : mais tout de même que tes peintres, ne pouvant également bien représenter dans un tableau plat toutes les diverses faces d’un corps solide, en choisissent une des principales qu’ils met- tent seule vers le jour, et ombrageant les autres, ne les font paraître qu’autant qu’on les peut voir en la regardant: ainsi craignant de ne pouvoir mettre en mon discours tout ce que j'avais en la pensée, j’entrepris seulement d'y exposer bien amplement ce que je con- cevais de la lumière ; puis à son occasion d’y ajouter quelque chose du soleil et des étoiles fixes, à cause qu’elle en procède presque toute ; des cieux, à cause qu’ils la transmettent, des planètes, des comètes !, et de la terre, à cause qu’elles la font réfléchir ; et en particulier de tous les corps qui sont sur la terre, à cause qu'ils sont ou colorés, ou transparents, ou lumi- neux, et enfin de l’homme, à cause qu'il en est le spec- tateur. Même pour ombrager-un peu toutes ces choses, etpouvoir dire plus librement ce que j'en jugeais, sans être obligé de suivre ni de réfuter les opinions qui sont reçues entre les doctes, je me résolus de laisser tout ce monde ici à leurs disputes, et de parler seulement de ce qui arriverait dans un nouveau, si Dieu créait maintenant quelque part dans les espaces imaginaires assez de matière pour le composer, et qu'il agität diversement et sans ordre les diverses parties de cette matière, en sorte qu'il en composàt un Chaos aussi À Les comèles ont une lumière propre (4 DISCOURS DE LA MÉTHODE. 93 confus que les Poètes en puissent feindre, et que par après il ne fit autre chose que prêter son concours ordinaire à la Nature, et la laisser agir suivant les lois qu’il a établies. Ainsi premièrement je décrivis cette matière, et tàchai de la représenter telle qui n'y a rien au monde, ce me semble, de plus clair m plus intelligible, excepté ce qui a tantôt été dit de Dieu et de l’âme : car même je supposai expressément, qu'il n’y avait en elle aucune de ces formes ou qualités dont on dispute dans les Écoles, ni générale- ment aucune chose, dont la connaissance ne fût si na- turelle à nos âmes qu’on ne pût pas même feindre de l’ignorer. De plus, je fis voir quelles étaient les lois de la Nature ; et sans appuyer mes raisons sur aucun autre principe que sur les perfections infinies de Dieu, je tàchai à démontrer toutes celles dont on eût pu avoir quelque doute, et à faire voir qu’elles sont telles, qu’encore que Dieu aurait créé plusieurs mondes, il n’y en saurait avoir aucun où elles manquassent d’être observées*. Après cela je montrai comment la plus grande part de la matière de ce Chaos devait, ensuite de ces lois, se disposer et s’arranger d’une certaine façon qui la rendrait semblable à nos cieux : comment 4. On reconnaitra que cette hypo- thèse est précisément celle que La Place a développée plus tard dans son Système du monde. 2. Le plan qu'indique ici Des- cartes est précisément celui qu'il a suivi dans les Principes. — Re- marquez ce qui est dit ici des ‘lois de la nature. Descartes prétend les connaître non pas en les obser vant, mais en les déduisant des perfections infinies de Dieu. En suivant cette méthode, il s’est trompé souvent. Il ne faut pas se hâter d’en conclure qu'il n’y a pa dans les lois de la nature un élé- ment à priori. C'est un point que nous ne pouvons pas discuter ici 94 DISCOURS DE LA MÉTHODE. cependant quelques-unes de ses parties devaient com- poser une Terre, et quelques-unes des Planètes, et des Comètes, et quelques autres un Soleil, et les Étoiles fixes. Et ici m'étendant sur le sujet de la lumière, j'expiiquai bien au long quelle était celle qui se devait trouver dans le Soleil et les Étoiles, et comment de là elle traversait en un instant? les immenses espaces des cieux, et comment elle se réfléchissait des Planètes et des Comètes vers la Terre. J’y ajoutai aussi plusieurs choses touchant la substance, la situation, les mouve- ments et toutes les diverses qualités de ces cieux et de ces astres ; en sorte que je pensais en dire assez pour faire connaître qu’il ne se remarque rien en ceux de ce monde, qui ne düût,oudu moins qui ne pütparaitre tout semblable en ceux du monde que je décrivais. De là je vins à parler particulièrement de la Terre : comment, encore que j'eusse expressément supposé que Dieu n’a- vait mis aucune pesanteur ? en la matière dont elle était composée, toutes ses parties ne laissaient pas de tendre exactement vers son centre: comment y ayant de l’eau et de l’air sur sa superficie, la disposition des cieux et des astres, principalement de la Lune, y devait causer un flux et reflux, qui fût semblable en toutes ses circonstances à celui qui se remarque dans nos 1. Erreur : la lumière ne se 2. Par pesanteur Descartes en- transmet pas d’une manière instan- tend ici une sorte de qualité tanée. La vitesse de transmission occulte. Pour lui, la matière n'a de la lumière est très grande; à d'autre qualité que l'étendue; il l’époque de Descartes, on ne savait croit pouvoir tout expliquer par pas la déterminer. Vétendue et le mouvement. r ds. ot ed [4 DISCOURS DE LA METHODE 95 mers!; etoutre cela un certain cours tant de l’eau que de l’air du levant vers le couchant, tel qu’on le remarque aussi entre les Tropiques : comment les montagnes, les mers, les fontaines, et les rivières pou- vaient naturellement s’y former; et les métaux y venir dans les mines ; et les plantes y croître dans les cam- pagnes; et généralement tous les corps qu’on nomme mêlés ou composés s’y engendrer : etentre autres choses, à cause qu'après les astres je ne connais rien au monde que le feu qui produise de la lumière, je m’étudiai à faire entendre bien clairement tout ce qui appartient à sa nature, comment il se fait, comment il se nourrit, comment il n’a quelquefois que de la chaleur sans tumière, et quelquefois que de la lumière sans chaleur; comment il peut introduire diverses couleurs en divers corps, et diverses autres qualités, comment il en fond quelques-uns, et en dureit d’autres, comment il les peut consumer presque tous, ou convertir en cendres et en ‘umée; et enfin comment de ces cendres, par la seule violence de son action, il forme du verre: car cette ‘ransmutation de cendres en verre me semblant être aussi admirable qu'aucune autre qui se fasse en la nalure, je pris particulièrement plaisir à la décrire ?. Toutefois je ne voulais pas inférer de toutes ces choses, que ce monde ait été créé en la façon que je proposais : car il est bien plus vraisemblable que dès 1. Le flux et le reflux s’ex- table a été donnée par NeWton, pliquent bien par l’action du soleil 2. L’explication de tous ces phé- et de la lune; mais l'explica- | nomènes particuliers est, sinon toy: tion donnée par Descartes n’est | à fait imaginaire, au moins fos vas exacte. L’explication véri- uêlée d'erreurs. 96 DISCOURS DE LA MÉTHODE. le commencement Dieu l’a rendu comme il devait être. Mais il est certain, et c’est une opinion communément reçue entre les Théologiens, que l’action par laquelle maintenant ille conserve! est toute la même que celle par laquelle il l’a créé: de façon qu’encore qu’il ne lui aurait point donné au commencement d’autre forme que celle du Chaos, pourvu qu'ayant établi les lois de la Nature, il lui prêtât son concours pour agir ainsi qu’elle a de coutume, on peut croire, sans faire tort au miracle de la création ?, que par cela seul toutes les choses qui sont purement matérielles auraient pu avec le temps s’y rendre telles que nous les voyons à présent: et leur nature est bien plus aisée à concevoir lorsqu'on les voit naître peu à peu en cette sorte, que lorsqu’on ne les considère que toutes faites. De la description des corps inanimés et des plantes, je passai à celle des animaux, et particulièrement à celle des hommes. Mais pour ce que je n’en avais pas encore assez de connaissance pour en parler du même style que du reste, c’est-à-dire, en démontrant les effets par les causes, et faisant voir de quelles se- mences, eten quelle façon la Nature les doit produire, je me contentai de supposer que Dieu formât le corps d’un homme entièrement semblable à l’un des nôtres, tant en la figure extérieure de ses membres, qu’en la 4. C’est la doctrine que les phi- 2. Si l’on appelle miracle tout fait losophes appellent : doctrine de la | qui est en dehors des lois de la création continuée. Sur ce point, nature, la création est un miracle; les théologiens et les philosophes | car le cours ordinaire des lois de sont beaucoup moins d’accord que la nature n’amène aucun fait de ne le dit Descartes. création. CA, 7 . arS M DISCOURS DE LA MÉTHODE. 97 sonformation intérieure de ses organes, sans le com- poser d'autre matière que de celle que j'avais décrite, et sans mettre en lui au commencement aucune âme raisonnable, ni aucune autre chose pour y servir d’àme végétante ou sensitive, sinon qu’il excitât en son cœur un de ces feux sans lumière que j'avais déjà expliqués, et que je ne concevais point d'autre nature que celui qui échauffe le foin, lorsqu'on l’a renfermé avant qu'il fût sec, ou qui fait bouillir Les vins nouveaux, lorsqu'on les laisse cuver sur la râäpe. Car examinant les fonc- tions, qui pouvaient en suite de cela être en ce corps, j'y trouvais exactement toutes celles qui peuvent être en nous sans que nous y pensions, ni par conséquent que notre âme, c’est-à-dire cette partie distincte du corps dont il a été dit ci-dessus que la nature n'est que de penser, y contribue, et qui sont toutes les mêmes, en quoi on peut dire que les animaux sans raison nous ressemblent : sans que jy en pusse pour cela trouver aucune de celles qui, étant dépendantes de la pensée, sont les seules qui nous appartiennent en tant qu'hommes ; au lieu que je les y trouvais toutes par après, ayant supposé que Dieu créât une âme rai- sonnable, et qu’il la joignit à ce corps en certaine façon que je décrivais{. Mais afin qu’on puisse voir en quelle sorte j'y trai- tais cette matière, je veux mettre ici l'explication du mouvement du cœur et des artères, qui étant le pre- 1. On voit que pour Descartes taux se réduisent à un pur méca- le corps vivant n’est qu'une ma- nisme, d’où l’hypothèse des bêtes- chine, et que les phénomènes vi- machines. 7 98 DISCOURS DE LA MÉTHODE. mier et le plus général qu’on observe dans les animaux, on jugera facilement de lui ce qu’on doit penser de tous les autres. Et afin qu’on ait moins de difficulté à entendre ce que j'en dirai, je voudrais que ceux qui ne sont point versés en l’Anatomie prissent la peine, avant que de lire ceci, de faire couper devant eux le cœur de quelque grand animal qui ait des poumons, car il est en tout assez semblable à celui de l’homme; et qu'ils se fissent montrer les deux chambres ou conca- vités qui y sont ?, premièrement celle qui est dans son côté droit, à laquelle répondent deux tuyaux fort larges : à savoir la veine cave, qui est le principal 1. Les anatomistes modernes con- sidèrent le cœur comme formé de quatre cavités : 4° l'oreillette droite, qui occupe la partie supérieure à droite ; elle reçoit les deux veines caves, supérieure et inférieure, qui amènent le sang veineux de tout l'organisme vers le cœur. Elle communique avec le ventricule roit placé au -dessous par une ou- serture appelée auriculo-ventricu- aire droite, fermée par une triple “alvule, nommée valvule tricuspide ; æ le ventricule droit, qui commu- ique avec l'oreillette droite, comme aus venons de le dire, et où prend -aissance l'artère pulmonaire, fer- née par une triple valvule et qui -onduit le sang veineux aux pou- nons; 3 l'oreillette gauche, qui reçoit les quatre veines pulmo- naires, qui se réunissent deux à deux à leur entrée dans l'oreillette, et amènent le sang artériel du pcunon au eœur. Cette oreillette ouimunique avec le ventricule gauche placé au-dessous par l’ou- verture auriculo-ventriculaire gau- che, laquelle est fermée par une double valvule, nommée bicuspide ou mitrale ; 4 le ventricule gauche qui communique avec l'oreillette gauche, comme nous l'avons dit, et d’où part l'artère aorte fermée par une triple valvule et qui con- duit le sang dans l'organisme entier. Descartes réduit le cœur aux seuls ventricules. Pour lui, les oreillettes ne sont qu’un épanouis- sement des vaisseaux. Ainsi l'oreil- lette droite est un épanouissement des veines caves, et l'oreillette gau- che, un épanouissement des veines pulmonaires. Il en résulte que, pour Descartes, le cœur n’a que deux cavités; il n’existe pour lui qu’une seule veine cave, et qu'une seule veine pulmonaire ; mais on voit que c'est pure affaire de description. 2. Les deux ventricules. Ù 3. Nous comptons aujourd'hui LA pe DISCOURS DE LA MÉTHODE. 99 réceplacle du sang, et comme le tronc de l’arbre dont toutes les autres veines du corps sont les branches ; et la veine artérieuse {, qui à été ainsi mal nommée, pour ce que c’est en effet une artère, laquelle, pre- aant son origine du cœur, se divise, après en être sortie, en plusieurs branches qui se vont répandre par- tout dans les poumons. Puis celle qui est dans son côté gauche, à laquelle répondent en même façon deux tuyaux, qui sont autant ou plus larges que les précé- dents; à savoir l'artère veineuse ?, qui a été aussi mal nommée, à cause qu'elle n’est autre chose qu'une veine, laquelle vient des poumons, où elle est divisée en plusieurs branches, entrelacées avec celles de la veine artérieuse, et celles de ce conduit qu’on nomme le sifflet; par où entre l’air de la respiration et la grande artère #, qui sortant du cœur envoie ses bran- ches par tout le corps. Je voudrais aussi qu'on leur montrât soigneusement les onze petites peaux *, qui comme autant de petites portes ouvrent et ferment es quatre ouvertures qui sont en ces deux concavités: à savoir, trois à l’entrée de la veine cave, où elles sont tellement disposées, qu’elles ne peuvent aucune- deux veines caves. Descartes ap- pelle veine cave la réunion de nos deux veines caves en ce que nous appelons l'oreillette droite. 1. L’artère pulmonaire. On noue aujourd'hui artère tout vaisseau qui conduit le sang du cœur vers les organes, et veines tout vaisseau qui ramène le sang des organes vers le cœur Dans la grande circulation, les artères cun- duisent le sang rouge, et les veines le sang noir; c'est l'inverse dans la petite circulation. 2. L'oreillette gauche, formée de la réunion des veines pulmo- naires. 3. La trachée-artère. 4 Artère avrte. 5. Qu'on nomme aujourd’hui des valvuies. Nous les avons fait con- naître dans une note précédente. 100 DISCOURS DE LA METHODE. ment empêcher que le sang qu’elle contient ne coule dans la concavité droite du cœur, et toutefois empê- chent exactement qu’il n’en puisse sortir; trois à l’en- trée de la veine artérieuse, qui étant disposées tout au contraire, permettent bien au sang, qui est dans cette concavité, de passer dans les poumons, mais non pas à celui qui est dans les poumons d’y retourner; et ainsi deux autres à l’entrée de l'artère veineuse, qui laissent couler le sang des poumons vers la concavité gauche du cœur, mais s'opposent à son retour ; et trois à l'entrée de la grande artère, qui lui permettent de sortir du cœur, mais l’empêchent d’y retourner. Et il n'est point besoin de chercher d’autre raison du nombre de ces peaux, sinon que l’ouverture de l’artère veineuse, étant en ovale à cause du lieu où elle se ren- contre, peut être commodément fermée avec deux, au lieu que les autres, étant rondes, le peuvent mieux être avec trois. De plus, je voudrais qu’on leur fit considérer que la grande artère et la veine artérieuse sont d’une composition beaucoup plus dure et plus ferme que ne sont l’artère veineuse et la veine cave; et que ces deux dernières s’élargissent avant que d’en- trer dans le cœur, et y font comme deux bourses, nommées les oreilles du cœur‘, qui sont composées d’une chair semblable à la sienne; et qu'il y a tou- jours plus de chaleur dans le cœur qu’en aucun autre endroit du corps; et enfin que cette chaleur est capable de faire, que s’il entre quelque goutte de sang en ses 1 Ce que nous appelons les oreillettes du cœur. V NE DISCOURS DE LA MÉTHODE. 101 concavités, elle s’enfle promptement et se dilate, ainsi que font généralement toutes les liqueurs, lorsqu'on les laisse tomber goutte à goutte en quelque vaisseau qui est fort chaud #. Car, après cela, je n’ai besoin de dire autre chose pour expliquer le mouvement du cœur, sinon que lorsque ses concavités ne sont pas pleines de sang, il y en coule nécessairement de la veine cave dans la droite, et de l’artère veineuse dans la gauche : d’au- tant que ces deux vaisseaux en sont toujours pleins, et que leurs ouvertures, qui regardent vers le cœur, ne peuvent alors être bouchées. Mais que sitôt qu'il est entré ainsi deux gouttes de sang, une en chacune de ces concavités, ces gouttes, qui ne peuvent être que fort grosses, à cause que les ouvertures par où elles entrent sont fort larges, et Les vaisseaux d’où elles vien- nent fort pleins de sang, se raréfient et se dilatent, à cause de la chaleur qu’elles y trouvent, au moyen de quoi, faisant enfler tout le cœur, elles poussent et ferment les cing petites portes, qui sont aux entrées des deux vaisseaux d’où elles viennent, empêchant ainsi qu'il ne descende davantage de sang dans le cœur ; et continuant à se raréfier de plus en plus, elles poussent et ouvrent les six autres pelites portes, qui sont aux entrées des deux autres vaisseaux par où elles sortent, faisant enfler par ce moyen toutes les branches de la veine artérieuse, et de lagrande artère, quasi au même instant que le cœur, lequel inconti- 4. Gela n’est pas exact. 102 DISCOURS DE LA MÉTHODE nent après se désenfle, comme font aussi ces artères, à cause que le sang qui yest entré s’y refroidit, et leurs six petites portes se referment, et les cinq de la veine cave et de l'artère veineuse se rouvrent, et donnent passage à deux autres gouttes de sang, qui font derechef enfler le cœur et les artères, tout de même que les précédentes. Et pour ce que le sang, qui entre ainsi dans le cœur, passe par ces deux bourses qu’on nomme ses oreilles, de là vient que leur mouvement est con- traire au sien, et qu’elles se désenflent lorsqu'il s’enfle{. Au reste, afin que ceux qui ne connaissent pas la force des démonstrations mathématiques, et ne sont pas accoutumés à distinguer les vraies raisons des vraisem- blables, ne se hasardent pas de nier ceci sans l’exami- uer, je les veux averlir que ce mouvement qre je viens d'expliquer, suit aussi nécessairement de la sexle dis- position des organes qu'on peut voir à l’œil dans le cœur, et de la chaleur qu'on y peut sentir avec les doigts, et de la nature du sang qu’on peut connaître par expérience, que fait celui d'une horloge, de la force, de la situation, et de la figure de ses contre-poids et de ses roues. Mais si on demande comment le sang des veines ne s’épuise point, en coulant ainsi continuellement dans e cœur, et comment les artères n’en sont point trop remplies, puisque tout celui qui passe par le cœur s’y va rendre ; je n’ai pas besoin d’y répondre autre chose, {. Ce n’est pas la vraie cause du formé de fibres cortractiles. Ces ciuuvement du cœur. Le cœur est fibres se contractent sous l'inflnence un muscle, c'est-à-dire, qu'il est du systeme nerveix. DISCOURS DE LA MÉTHODE. 103 que ce qui a déjà été écrit par un médecin d’Angle- terre { auquel il faut donner la louange d’avoir rompu la glace en cet endroit, et d’être le premier qui a en- seigné, qu'il y a plusieurs petits passages aux extrémi- tés des artères, par où le sang qu’elles reçoivent du cœur entre dans les petites branches des veines ?, d’où il se va rendre derechef vers le cœur, en sorte que son cours n’est autre chose qu'une circulation perpé- tuelle. Ce qu’il prouve fort bien, par l'expérience ordi- naire des chirurgiens, qui ayant lié le bras médio- crement fort, au-dessus de l’endroit où ils ouvrent la veine, font que le sang en sort plus abondamment, que s'ils ne l’avaient point lié : et il arriverait tout le con- traire, s’ils le liaient au-dessous entre la main et l’ou- verture ; ou bien qu'ils le liassent très fort au-dessus. Car il est manifeste que le lien médiocrement serré, pouvant empêcher que le sang qui est déjà dans le bras ne retourne vers le cœur par les veines, n’em- pêche pas pour cela qu’il n’y en vienne toujours de nouveau par les artères, à cause qu’elles sont situées au-dessous des veines ; et que leurs peaux étant plus dures sont moins aisées à presser; et aussi que le sang qui vient du cœur tend avec plus de force à pas- 4. Harvey (William), né en motu cordis et sanguinis in ani- 1578, à Folkestone (comté de Kent), mort en 1657, professeur d’anato- mie et de chirurgie au collège de médecine de Londres. Il commu- niqua, en 1619, à ses élèves, la dé- couverte de la circulation du sang, et la fit connaître au monde savant en 1628, par une dissertation inti- tulée : Exercitatio analomica de malibus. — Descartes a écrit er marge de la prem. Éd. Harvoeus, de Motu corais. 2. Harvey a démontré par l’ex- périence l'existence de ces pas- sages. Celui qui les a vus pour la première fois est le Hollandais Swammerdam. La démonstration est parfaitement rigoureuse 104 DISCOURS DE LA MÉTHODE. ser par elles vers la main, qu'il ne fait à retourner de là vers le cœur par les veines; et puisque ce sang sort du bras par l’ouverture qui est en l’une des veines, il doit nécessairement y avoir quelques passages au-des- sous du lien, c’est-à-dire, vers les extrémités du bras, par où il y puisse venir des artères. Il prouve aussi fort bien ce qu'il dit du cours du sang, par certaines petites peaux, qui sont tellement disposées en divers lieux le long des veines, qu’elles ne lui permettent point d'y passer du milieu du corps vers les extrémilés, mais seulement de retourner des extrémités vers le cœur *; et de plus par l'expérience qui montre que tout celui qui est dans le corps en peut sortir en fort peu de temps par une seule artère lorsqu'elle est coupée, encore même qu'elle fût étroitement liée fort proche du cœur, et coupée entre lui et le lien, en sorte qu’on n’eût aucun sujet d'imaginer que le sang qui en sorti- rait vint d’ailleurs. Mais il y a plusieurs autres choses qui témoignent que la vraie cause de ce mouvement du sang est celle que j'ai dite. Comme premièrement la différence, qu'on remarque entre celui qui sort des veines .et celui qui sort des artères, ne peut procéder que de ce qu'étant raréfié et comme distillé, en passant par le cœur, il est plus subtil et plus vif, et plus chaud incon- tinent après en être sorti, c'est-à-dire, étant dans les artères, qu’il n’est un peu devant que d’yentrer, c’est- à-dire, étant dans les veines : et si l’on y prend garde, 4. Les valvules des veines DISCOURS DE LA MÉTHODE. 105 on trouvera que cette différence ne parait bien que vers le cœur, et non point tant aux lieux qui en sont les plus éloignés. Puis la dureté des peaux, dont la veine artérieuse et la grande artère sont composées, montre assez, que le sang bat contre elles avec plus de force que contre les veines. Et pourquoi la concavité gauche du cœur et la grande artère seraient-elles plus amples et plus larges que la concavité droite et la veine artérieuse, si ce n’était que le sang de l'artère vei- neuse, n'ayant été que dans les poumons depuis qu’il a passé par le cœur, est plus subtil, etse raréfie plus fort et plus aisément, que celui qui vient immédiate- ment de la veine cave ! ? Et qu'est-ce que les médecins peuvent deviner en tâtant le pouls, s’ils ne savent que selon que le sang change de nature, il peut être raréfié par la chaleur du cœur plus ou moins fort, et plus ou moins vite qu'auparavant? Et si on examine comment cette chaleur se communique aux autres membres, ne faut-il pas avouer que c’est par le moyen du sang, qui passant par le cœur s’y réchauffe et se répand de là par tout le corps : d’où vient que si on ôte le sang de quelque partie, on en ôte par même moyen la cha- leur ; et encore que le cœur fût aussi ardent qu'un fer embrasé, il ne suftirait pas pour réchauffer les pieds et les mains tant qu'il fait, s’il n’y envoyait con- tinuellement de nouveau sang. Puis aussi on connaît de là, que le vrai usage de la respiration est d'apporter 1. Descartes ne pouvait pas con- mons. Ces phénomènes n'ont pu naître les phénomènes chimiques être expliqués qu'après la décou- qui s'accomplissent dans les pou- verle de l'oxygène par Lavoisier. 106 DISCOURS DE LA MÉTHODE, assez d’air frais dans le poumon, pour faire que lesang, qui y vient de la concavité droite du cœur, où il a été raréfié et comme changé en vapeurs, s’y épaississe, et convertisse en sang derechef, avant que de retomber dans la gauche ; sans quoi il ne pourrait être propre à servir de nourriture au feu qui y est!. Ce qui se con- firme par ce qu’on voit que les animaux qui n’ont point de poumons, n’ont aussi qu’une seule concavité dans le cœur ; et que les enfants, qui n’en peuvent user pendant qu'ils sont renfermés au ventre de leurs mères, ont une ouverture par où il coule du sang de la veine cave en la concavité gauche du cœur, et un con- duit par où il en vient de la veine artérieuse en la grande artère, sans passer par le poumon. Puis la coction, comment se ferait-elle en l’estomac?? si le cœur n’y envoyait de la chaleur par les artères, et avec cela quelques-unes des plus coulantes parties du sang qui aident à dissoudre les viandes qu’on y a mises. Et l’action qui convertit le suc de ces viandes en sang, n’est-elle pas aisée à connaître, si l’on consi- dère qu’il se distille, en passant et repassant par le cœur, peut-être plus de cent ou deux cents fois en chaque jour. Et qu’a-t-on besoin d'autre chose pour expliquer la nutrition, et la production des diverses humeurs qui sont dans le corps, sinon de dire que la force, dont le sang en se raréfiant passe du cœur vers 1. La chaleur animale est due à est un ensemble de phénomènes des phénomènes chimiques com- chimiques et physiologiques que plètement inconnus au dix-septième Descartes ne connaissait pas et ne siècle. pouvait pas plus connaître que ses 2. La digestion dans l'estomac contemporairs nl hs D he Re TE 12 ai DISCOURS DE LA MÉTHODE. 107 les extrémités des artères, fait que quelques-unes de ses parties s'arrêtent entre celles des membres où elles se trouvent, et y prennent la place de quelques autres qu’elles en chassent; et que selon la situation, ou la fizure ou la petitesse des pores qu’elles rencontrent, les unes se vont rendre en certains lieux plutôt que les autres ; en même façon que chacun peut avoir vu divers cribles, qui étant diversement percés servent à sépa- rer divers grains les uns des autres. Et enfin ce qu'il y a de plus remarquable en tout ceci, c’est la généra- tion des esprits animaux‘, qui sont comme un vent très subtil, ou plutôt comme une flamme très pure et très vive, qui montant continuellement en grande abondance du cœur dans le cerveau, se va rendre de là par les nerfs dans les muscles, et donne le mou- vement à tous les membres: sans qu’il faille imaginer d'autre cause, qui fasse que les parties du sang, qui étant les plus agitées et les plus pénétrantes, sont les plus propres à composer ces esprits, se vont rendre plutôt vers le cerveau que vers ailleurs ; sinon que les artères, qui les y portent, sont celles qui viennent du cœur le plus en ligne droite de toutes ; et que selon les règles des Mécaniques, qui sont les mêmes que celles de la nature, lorsque plusieurs choses tendent ensemble à se mouvoir vers un même côté où il n’ya pas assez de place pour toutes, ainsi que les parties du sang qui sortent de la concavité gauche du cœur tendent vers le cerveau, les plus ‘aibles et moins agi- 1. Les esprits animaux n'existent pas. 108 DISCOURS DE LA MÉTHODE tées en doivent être détournées par les plus fortes, qui par ce moyen s’y vont rendre seules. J'avais expliqué assez particulièrement toutes ces choses dans le traité que j'avais eu ci-devant dessein dé publier. Et ensuite j’y avais montré, quelle doi être la fabrique des nerfs et des muscles du corps hu- main, pour faire que les esprits animaux, étant dedans, aient la force de mouvoir ses membres : ainsi qu’on voit que les têtes, un peu après être coupées, se re- muent encore et mordent la terre, nonobstant qu’elles ne soient plus animées; quels changements se doivent faire dans le cerveau pour causer la veille, et le som- meil et les songes; comment la lumière, les sons, les odeurs les goûts, la chaleur, et toutes les autres qua- lités des objets extérieurs y peuvent imprimer diverset idées, par l’entremise des sens; comment la faim, la soif, et les autres passions intérieures, y peuvent aussi envoyer les leurs; ce qui doit y être pris pour le sens commun, où ces idées sont reçues, pour la mémoire qui les conserve; et pour la fantaisie, qui les peut diverse- ment changer, et en composer de nouvelles, et par même moyen, distribuant les esprits animaux dans les muscles, faire mouvoir les membres de ce corps, en autant de diverses façons, et autant à propos des ob- jets qui se présentent à ses sens, et des passions inté- rieures qui sont en lui, que les nôtres se puissent mouvoir sans que la volonté les conduise. Ce qui ne semblera nullement étrange, à ceux qui sachant com- bien de divers automates, où machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire. sans y employer DISCOURS DE LA MÉTHODE. 105 que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties, qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée, et a en soi des mouvements plus admirables, qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. Et je m'étais ici particu:ièrement arrêté à faire voir, que s’il y avait de telles machines, qui eussent les or- ganes et la figure extérieure d’un singe, ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux ? : au lieu que s’il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps, et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très cer- tains, pour reconnaitre qu’elles ne seraient pointpour cela de vrais hommes. Dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles, ni d’autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées. Car on peut bien concevoir, qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même qu’elle en profère quelques- unes à propos des actions corporelles qui causeront quelques changements en ses organes : comme si on 1. Les nhénomènes de la vie se que ne le supposait et que ne réduisent peut-être, en définitive, pouvait le supposer Descartes. à des phénomènes mécaniques ; 2. Tout cola est absolument mais infiniment plus compliqués | imaginaire. 110 DISCOURS DE LA MÉTHODE. la touche en quelque endroit, qu’elle demande ce qu'on lui veut dire ; si en un autre, qu'elle crie qu’on lui fait mal, et choses semblables: mais non pas qu'elle les arrange diversement, pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. Et le se- cond est, que bien qu’elles fissent plusieurs choses aussi bien, ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu’elles n’agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes : car au lieu que la raison est un in- strument universel, qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particu- lière disposition pour chaque action particulière ; d'où vient qu’il est moralement impossible, qu'il y en ait assez de divers en une machine, pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie, de même façon que notre raison nous fait agir. Or par ces deux mêmes moyens on peut aussi connaître la différence, qui est entre les hommes et les bêtes. Car c’est une chose bien remarquable, qu’il n’y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les in- sensés, qu'ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses paroles, et d’en composer un discours par le- quel ils fassent entendre leurs pensées; el qu’au con- traire il n’y a point d'autre animal, tant parfait et tant heureusement né qu’il puisse être, qui fasse le sem- blable. Ce qui n’arrive pas de ce qu’ils ont faute d’or- ganes, car on voit que les pies et les perroquets peu DISCOURS DE LA METHODE 111 veat proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c’est-à-dire, en té- moignant qu'ils pensent ce qu'ils disent: au lieu que les hommes, qui, étant nés sourds et muets, sont pri- vés des organes qui servent aux autres pour parler ; autant ou plus que les bêtes, ont coutume d'inventer l’eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d'apprendre leur langue. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du tout : car on voit qu'il n’en faut que fort peu pour savoir parler, et d'autant qu’on remarque de l'inégalité entre les ani- maux d'une même espèce, aussi bien qu'entre les hommes, et que les uns sont plus aisés à dresser que les autres, il n’est pas croyable qu’un singe ou un per- roquet, qui serait des plus parfaits de son espèce, n’é- galät en cela un enfant des plus stupides, ou du moins un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n’était d’une nature du tout différente de la nôtre. Eton ne doit pas confondre les paroles, avec les mouvements naturels, qui témoignent les passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les ani- maux: ni penser, comme quelques Anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n’entendions pas leur lan- gage: car s’il était vrai, puisqu'elles ont plusieurs or- ganes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous, qu’à leurs sem- blables. C’est aussi une chose fort remarquable, que bien qu’il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus 112 DISCOURS DE LA MÉTHODE. d'industrie que nous en quelques-unes de leurs ac- tions, on voit toutefois que les mêmes n’en témoignent point du tout en beaucoup d’autres : de façon que ce qu'ils font mieux que nous, ne prouve pas qu’ils ont de l’esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu'aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose, mais plutôt qu’ils n’en ont point, et que c’est la Nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes ainsi qu'on voit qu'une horloge, qui n’est composée que de roues et de ressorts, peut compter les heures, et mesurer le temps, plus justement que nous avec tou e nire prudence !. J'avais décrit après cela l’âme raisonnable, et fait voir qu’elle ne peut aucunement être tirée de la puis- sance de la matière, ainsi que les autres choses dont j'avais parlé, mais q ‘elle doit expressément être créée ; et comment il ne suffit pas, qu’elle soit logée dans le corps humain ainsi qu'un pilote en son navire, sinon peut-être pour mouvoir ses membres, mais qu'il est besoin qu’elle soit jointe, et unie plus étroitement avec lui, pour avoir outre cela des sentiments, et des appé- tits semblables aux nôtres, et ainsi composer un vrai homme. Au reste je me suis ici un peu étendu sur le sujet de l’âme, à cause qu’il est des plus importants: car après l'erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n’y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin 1. C'est là l'hypothèse connue machines ; hypothèse insoutenable dans l’histoire de la philosophie | et absolument abandonnée aujour- sous le nom d’hypothèse des bétes- | d’hui sS V v DISCOURS DE LA METHOLE. 113 de la vertu, que d'imaginer que l’âäme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent nous n'avons rien à craindre, ni à espérer, après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis {: au lieu que lorsqu'on sait combien elles diffèrent, on com- prend beaucoup mieux les raisons, qui prouvent que la nôtre est d’une nature entièrement indépendante du corps, etpar conséquent qu’elle n’est pointsujette à mou- rir avec lui : puis d'autant qu’on ne voit point d’autres causes qui la détruisent, on est porté naturellement à juger de là qu'elle est immortelle ?. SIXIEME PARTIE CHOSES REQUISES POUR ALLER PLUS AVANT EN LA RECHERCHE DE LA NATURE Or il y a maintenant trois ans® que j'étais par- venu à la fin du traité qui contient toutes ces choses, et que je commençais à le revoir afin de le mettre en- tre les mains d’un imprimeur, lorsque j’appris que des personnes à qui je défère, et dent l’autorité ne peut 1. Descartes se flatte d’avoir 2. On voit que Descartes ne se supprimé toutes les difficultés du matérialisme. Mais il ne prend pas garde à ceci : quand on admet que de simples machines peuvent faire se que font les animaux, on n’est pas fort loin d'admettre que des machines un peu plus parfaites peu- vent faire ce que font les hommes. flatte pas d’avoir démontré l’im- mortalité de l'âme. Il ne croit même pas qu'elle puisse être dé- montrée par des raisons purement métaphysiques. Il a raison : l’im- mortalité de l’âäme se démontre par des raisons morales. 3. C'est-à-dire en 1634. 8 114 9ISCOURS DE LA MÉTHODE. euère moins sur mes actions, que ma propre raison sur mes pensées, avaient désapprouvé une opinion de Phy- sique! publiée un peu auparavant par quelque autre, de laquelle je ne veux pas dire que je fusse, mais bien que je n’y avais rien remarqué, avant leur censure, que je pusse imaginer être préjudiciable ni à la reli- gion ni à l’État, ni par conséquent qui m’eût empêché de l'écrire, si la raison me l’eût persuadée? ; et que cela me fit craindre qu’il ne s’en trouvât tout de même quelqu’une entre les miennes, en laquelle je me fusse mépris, nonobstant le grand soin que j'ai toujours eu, de n’en point recevoir de nouvelles en ma créance, dont je n’eusse des démonstrations très certaines ;et de ñ’en point écrire, qui pussent tourner au désavantage de personne. Ce qui a été suffisant pour m’obliger à changer la résolution que j'avais eue de les publier. Car encore que les raisons, pour iesquelles je l'avais prise auparavant, fussent très fortes, mon inclination, qui m'a toujours fait haïr le métier de faire des livres, m'en fit incontinent trouver assez d’autres pour m’en excuser. Et ces raisons de part et d’autre sont telles, que non seulement j'ai ici quelque intérêt de les dire, mais peut-être aussi que le public en a de les savoir. Je n’ai jamais fait beaucoup d’état des choses qui ve- naieni de mon esprit, et pendant que je n’ai recueilli d’autres fruits de la méthode dont je me sers, sinon que je me sais satisfait touchant quelques difficultés 4. Le mœ°r-2ment de la terre 2. Allusion à la condamnation da autour du sotiel Galilée par l’inquisition, en 1633. haben de Dam dl ait sat — À DISCOURS DE LA MÉTHODE. 15 qui appartiennent aux sciences spéculatives, ou bien que j'ai tâché de régler mes mœurs par les raisons qu’elle m’enseignait, je n’ai point cru être obligé d’en rien écrire. Car pour ce qui touche les mœurs, cha- cun abonde si fort en son sens, qu’il se pourrait trou ver autant de réformateurs que de têtes, s’il était per- mis à d’autres qu'à ceux que Dieu a établis pour souverains sur ses peuples, ou bien auxquels il a donné assez de grâce et de zèle pour être prophètes, d’entre- preudre d’y rien changer; et bien que mes spécula- tions me plussent fort, j’ai cru que les autres en avaient aussi, qui leur plaisaient peut-être davantage. Mais sitôt que jai eu acquis quelques notions générales tonchant la Physique, et que commençant à les éprouver en di- verses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent, J'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher srandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu’au lieu de cette Philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver ane pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers méliers ëe nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et 116 DISCOURS DE LA MÉTHODE. ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature‘. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour ‘invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre, et de toutes les commodités quis’y trouvent: mais principa- lement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien, et le fondement de tous les autres biens de cette vie: car même l’esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes lu corps, que s’il est possible de trouver quelque moyen, qui rende communément les hommes plus sages, et plus habiles qu'ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la Médecine qu’on doit le cher- cher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient peu de choses dont l’utilité soit si remar- quable : mais sans que j'aie aucun dessein de la mé- priser, je m'assure qu’il n’y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n’avoue que tout ce qu’on y sait n’est presque rien, à comparaison de ce qui reste à y savoir ; et qu’on se pourrait exempter d’une infinité de maladies, tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieil- lesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes, et de tous les remèdes dont la Nature nous a pourvus. Or ayant dessein d'employer toute ma vie à la recherche d’une science si nécessaire, et ayant 1. Descartes marque ainsi le plication à l’industrie des sciences vrai caractère de la philosophie mo- | de la nature. derne. I est impossible de prédire 2. On voit que Descartes se en ur plus magnifique langage les | laisse emporter jusqu’à des chi- merveilles que devait produire l’ar- | mères bien peu iustifiables. NP TE PP PT TE DISCOURS DE LA MÉTHODE. AA rencontré un chemin qui me semble tel qu’on doit in- failliblement la trouver en le suivant, si ce n’est qu’on en soit empêché, ou par la brièveté de la vie, ou par le défaut des expériences, je jugeais qu’il n’y avail point de meilleur remède contre ces deux empêchements, que de communiquer fidèlement au public tout le peu ‘que j'aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tà- cher de passer plus outre, en contribuant, chacun se- lon son inclination et son pouvoir, aux expériences qu’il faudrait faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu’ils apprendraient, afin que les derniers commençant où les précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plu- sieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin, que chacun en particulier ne saurait faire. Même je remarquais touchant les expériences, qu’elles sont d’autant plus nécessaires, qu’on est plus avancé en connaissance. Car pour le commencement, il vaut mieux ne se servir que de celles qui se pré- sentent d’elles-mêmes à nos sens, et que nous ne saurions ignorer pourvu que nous y fassions tant soit peu de réflexion, que d’en chercher de plus rares et étudiées : dont la raison est que ces plus rares trom- pent souvent, lorsqu'on ne sait pas encore les causes des plus communes ; et que les circonstances dont elles dépendent sont quasi toujours si particulières, et si petites, qu’il est très malaisé de les remarquer ‘. Mais 1. Nous avons dit aue la philo- que notre auteur fait une très . sophie de Descartes est une philo- grande part à l'expérience. Ce’a sera snphie à priori. On voit pourtant développé plus loir. 118 DISCOURS DE LA MÉTHODE. l’orûre que j'ai tenu en ceci a été tel : premièrement j'ai tâché de trouver en général les principes ou pre- mières causes de tout ce qui est ou qui peut être dans le monde, sans rien considérer pour cet effet que Dieu seul qui l’a créé, ni les tirer d’ailleurs que de cer- taines semences de vérités qui sont naturellement en nos âmes. Après cela jai examiné quels étaient les premiers et les plus ordinaires effets qu’on pouvait déduire de ces causes; et il me semble que par là j'ai trouvé des cieux, des astres, une terre, et même sur la terre de l’eau, de l'air, du feu, des minéraux, et quelques autres telles choses, qui sont les plus com- munes de toutes, et les plus simples, et par conséquent les plus aisées à connaître. Puis lorsque j'ai voulu descendre à celles qui étaient plus particulières, il s’en est tant présenté à moi de diverses, que je nai pas cru qu'il fût possible à l'esprit humain de distin- guer les formes où espèces de corps qui sont sur la terre, d’une infinité d’autres qui pourraient y être, si c'eût été le vouloir de Dieu de les y mettre; ni par conséquent de les rapporter à notre usage, si ce n’esl qu’on vienne au devant des causes par les effets, et qu'on se serve de plusieurs expériences particu- lières {. Ensuite de quoi repassant mon esprit sur tous les objets qui s'étaient jamais présentés à mes sens, j'ose bien dire que je n’y ai remarqué aucune « 1 Ainsi l'on doit dans l'étude sibies. Mais il arrive bientôt un ae la nature, partir de principes à moment où on est de toute néces- priorr pour déduire de ces prin- | sité obligé de faire appel à l'expé- cipes toutes les conséquences pos- rience mn dd te dar at té bons Dhs V1 DISCOURS DE LA METHODE. 119 chose que Je ne puisse assez commodément expliquer par les principes que j'avais trouvés : mais il faut aussi que j'avoue, que la puissance de la Nature est si ample et si vasie, et que ces principes sont si simples et si généraux, que je ne remarque quasi plus aucun effet particulier, que d’abord je ne connaisse qu’il peut en être déduit en plusieurs diverses façons ; et que ma plus grande difficulté est d'ordinaire de trouver en la- quelle de ces façons il en dépend, car à cela je ne sais point d’autre expédient que de chercher derechef quel- ques expériences, qui soienttelles, que leur événement ne soit pas le même si c’est en l’une de ces façons qu’on doit l'expliquer, que si c’est en l’autre‘. Au reste j'en suis maintenant là, que je vois, ce me semble, assez bien de quel biaïs on se doit prendre à faire la plupart de celles qui peuvent servir à cet effet: mais je vois aussi qu’elles sont telles et en si grand nombre, que ni mes mains, ni monrevenu, bien que j'en eusse mille fois plus que je n’en ai, ne sauraient suffire pour toutes: en sorte que selon que j'aurai désormais la commodité d’en faire plus ou moins, j'avancerai aussi plus ou moins en la connaissance de la Nature. Ce que je me promettais de faire connaître par le traité que j'avais écrit, et d'y montrer si clairement l'utilité que le public en peut recevoir, que j'obligerais tous ceux qui désirent en général le bien des hommes, c'est-à- dire, tous ceux qui sont en effet vertueux, et non poir: par faux semblant, ni seulement par opinion, tant à 4 Indication très nette et très thèses en physique, et en générs, exacte du rôle que jouent les hyno- dans les sciences de la nature. 120 DISCOURS DE LA MÉTHODE. me communiquer celles qu’ils ont déjà faîtes, qu’à m'aider en la recherche de celles qui restent à faire. Mais j'ai eu depuis ce temps-là d’autres raisons qui m'ont fait changer d’opinion, et penser que je devais véritablement continuer d’écrire toutes les choses que je jugerais de quelque importance, à mesure que j'en découvrirais la vérilé, et y apporter le inême soin que si je les voulais faire imprimer : tant afin d’avoir d’au- tant plus d'occasion de les bien examiner; comme sans doute on regarde toujours de plus près à ce qu’on croit devoir être vu par plusieurs, qu’à ce qu’on ne fait que pour soi-même, et souvent les choses, qui m'ont semblé vraies lorsque j'ai commencé à les concevoir, m'ont paru fausses lorsque je les ai voulu mettre sur le pa- pier; qu’afin de ne perdre aucune occasion de profiter au public si j’en suis capable, et que si mes écrits valent quelque chose, ceux qui les auront après ma mort en puissent user ainsi qu’il sera le plus à propos. Mais que je ne devais aucunement consentir qu'ils fussent publiés pendant ma vie, afin que ni les opposi- tions et contr” verses auxquelles ils seraient peut-être sujets, ni méme la réputation telle quelle qu’ils me pourraient acquérir, ne me donnassent aucune occa- sion de perdre le temps que j'ai dessein d'employer à m'instruire. Car bien qu'il soil vrai que chaque homme est obligé de procurer autant qu’il est en lui le bien des autres, et que c'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne; toutefois il est vrai aussi que nos soins se doivent étendre plus loin que le temps présent, et qu’il est bon d’omettre les choses qui ap- y DISCOURS DE LA METHODE. 121 porteraent peut-être quelque profit à ceux qui vivent. lorsque c’est à dessein d'en faire d’autres qui en ap- portent davantage à nos neveux. Comme en effet je veux bien qu’on sache, que le peu que j'ai appris jus- ques ici n’est presque rien, à comparaison de ce que j'ignore, et que je ne désespère pas de pouvoir ap- prendre: car c’est quasi le même de ceux qui décou- vrent peu à peu la vérité dans les sciences, que de ceux qui commençant à devenir riches ont moins de peine à faire de grandes acquisitions, qu’ils n’ont eu auparavant, étant plus pauvres, à en faire de beau- coup moindres. Ou bien on peut les comparer aux chefs d'armée, dont les forces ont coutume de croître à proportion de leurs victoires, et qui ont besoin de plus de conduite pour se maintenir après la perte d’une bataille, qu’ils n’ont après l’avoir gagnée à prendre des villes et des provinces. Car c’est véritable- ment donner des batailles, que de tàcher à vaincre toutes les difficultés et les erreurs, qui nous empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité ; et c’est en perdre une, que de recevoir quelque fausse opimon touchant une matière un peu générale et importante: il faut après beaucoup plus d'adresse pour se remettre au même état qu’on était auparavant, qu'il ne faut à faire de grands progrès, lorsqu'on a déjà des principes qui sont assurés. Pour moi si j'ai ci-devant trouvé quelques vérités dans les sciences (et j’espère que les choses qui sont contenues en ce volume feront juger que j'en ai trouvé quelques-unes) je puis dire que ce »e sont que des suites et des dépendances de cinq ou 122 DISCOURS DE LA MÉTHODE six principales difficultés que j'a1 surmontées, et que je compte pour autant de batailles où j’ai eu l’heur de mon côté : même Je ne crainrai pas de dire que je pense n’avoir plus besoin d’en gagner que deux ou treis autres semblables, pour venir entièrement à bout de mes desseins; et que mon âge n’est point si avancé, que selon le cours ordinaire de la Nature, je ne puisse encore avoir assez de loisir pour cet effet. Mais je crois être d'autant plus obligé à ménager le temps qui me reste, que j'ai plus d'espérance de le pouvoir bien employer ; et j'aurais sans doute plusieurs occasions «e le perdre, si je publiais les fondements de ma Phy- sique. Car encore qu'ils soient presque tous si évi- dents qu'il ne faut que les entendre pour les croire, et qu'il n'y en ait aucun dont je ne pense pouvoir donner des démonstrations ; toutefois à cause qu'il est impossible qu’ils soient accordants avec toutes les diverses opinions des autres hommes, je prévois que je serais souvent diverti par les oppositions qu’ils fe- raient naître. On peut dire que ces oppositions seraient utiles, tant afin de me faire connaître mes fautes, qu’afin que si j'avais quelque chose de bon, les autres en eussent par ce moyen plus d'intelligence, et, comme plusieurs peu- vent plus voir qu’un homme seul, que commençant dès maintenant à s’en servir, ils m’aidassent aussi de leurs inventions. Mais encore que je me reconnaisse extrêmément sujet à faillir, et que je ne me fie quasi jamais aux premières pensées qui me viennent, toute- fois l’expérience que j’ai des objections qu’on me peut eh CE DISCOURS DE LA MÉTHODE. 123 faire m'empêche d’en espérer aucun profit : car j'ai déjà souvent éprouvé les jugements, tant de ceux que j'ai tenus pour mes amis, que de quelques autres à qui je pensais être indifférent, et même aussi de quel- ques-uns dont je savais que la malignité et l’envie tâcheraient assez à découvrir ce que l’affection cache- rail à mes amis; mais il est rarement arrivé qu'on m’ait objecté quelque chose que je n’eusse point du tout prévu, si ce n’est qu’elle fût fort éloignée de mon sujet: en sorte que je n’ai quasi jamais rencontré aucun Censeur de mes opinions, qui ne me semblât ou moins rigoureux, ou moins équitable que moi-même. Et je n'ai jamais remarqué non plus, que par le moyen des disputes qui se pratiquent dans les Écoles, on ait décou- vert aucune vérité qu’on ignorât auparavant. Car pen- dant que chacun tâche de vaincre, on s’exerce bien bien plus à faire valoir la vraisemblance, qu'à peser les raisons de part et d’autre : et ceux qui ontété long- temps bons avocats, ne sont pas pour cela par après meilleurs juges. Pour l’utilité que les autres recevraient de la com- municalion de mes pensées, elle ne pourrait aussi être fort grande, d’aulant que je ne les ai point en- core conduites si loin, qu’il ne soit besoin d’y ajouter beaucoup de choses, avant que de les appliquer à l'usage. Et je pense pouvoir dire sans vanité, que s’il ya quelqu'un qui en soit capable, ce doit être plutôt moi qu'aucun autre : non pas qu’il ne puisse ÿ avoir au monde plusieurs esprits incomparablement meilleurs que le mien, mais pour ce qu’on ne saurai! 124 DISCOURS DE LA MÉTHODE. si bien concevoir une chose, et la rendre sienne, lors- qu'on l’apprend de quelque autre, que lorsqu'on l’invente soi-même. Ge qui est si véritable en cette malière, que bien que j'aie souvent expliqué quel- ques-unes de mes opinions à des personnes de très bon esprit, et qui pendant que je leur parlais semblaient les entendre fort distinctement, toutefois lorsqu'ils les ont redites, j'ai remarqué qu'ils les ont changées presque toujours en telle sorte que je ne les pouvais plus avouer pour miennes. A l’occasion de quoi je suis bien aise de prier ici nos neveux, de pe croire jamais que les choses qu'on leur dira vien- nent de moi, lorsque je ne les aurai point moi-même divulguées: et je ne m'étonne aucunement des extra- vagances qu’on attribue à tous ces anciens Philo- sophes dont nous n’avons point les écrits, ni ne juge pas pour cela que leurs pensées aient été fort dérai- sonnables, vu qu'ils étaient des meilleurs esprits de leur temps; mais seulement qu'on nous les à mal rapportées. Comme on voit aussi que presque jamais il n’est arrivé qu'aucun de leurs sertateurs les ail surpassés ; et je m’assure que les plus passionnés de ceux qui suivent maintenant Aristote, se croiraient heureux, s'ils avaient autant de connaissance de la Nature qu’il en a eu, encore même que ce fût à condition qu'ils n’en auraient jamais davantage. Ils sont comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend après qu’il est parvenu jusques à leur faîte: car il me semble aussi que ceux-là re- NOR " DISCOURS DE LA MÉTHODE. 19 ên descendent, c’est-à-dire, se rendent en quelque façon moins savants que s'ils s’abstenaient d'étudier, les- queis non contents de savoir (out ce qui est intelli- giblement expliqué dans leur Auteur, veulent outre cela y trouver la solution de plusieurs difficultés dont ilne dit rien, et auxquelles il n’a peut-être ja- mais pensé. Toutefois leur façon de philosopher est fort commode, pour ceux qui n’ont que des esprits fort médiocres : car l’obscurité des distinctions, et des principes dont ils se servent, est cause qu’ils Leuvent parler de toutes choses aussi hardiment que s’ils les savaient, et soutenir tout ce qu’ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu’on ait moyen de les convaincre: en quoi ils me semblent pa- reils à un aveugle, qui pour se battre sans désavan- tage contre un qui voit, l'aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure : et je puis dire que ceux-ci ont intérêt que je m’abstienne de publier les principes de la Philosophie dont je me sers, car élant très simples et très évidents, comme ils sont, je ferais quasi le même en les publiant, que si j’ouvrais quelques fenêtres, et faisais entrer du jour dans cette cave où ils sont descendus pour se battre. Mais même les meilleurs esprits n’ont pas occasion de souhaiter de les connaître : car s’ils veulent savoir parler de toutes choses, et acquérir la réputation d’être doctes, ils y parviendront plus aisément en se contentant de la vraisemblance, qui peut être trou- vée sans grande peine en toutes sortes de matières, qu'en cherchant la vérité, qui ne se découvre que 126 DISCOURS DE LA MÉTHODE. peu à peu en quelques-unes, et qui lorsqu'il est ques- tion de parler des autres oblige à confesser fran- chement qu'on les ignore. Que s'ils préfèrent la connaissance de quelque peu de vérité à la vanité de paraître n’ignorer rien, comme sans doute elle est bien préférable, et qu’ils veuillent suivre un des- sein semblable au mien, ils n’ont pas besoin pour cela que je leur dise rien davantage que ce que j'ai déjà dit en ce discours. Car s'ils sont capables de passer plus outre que je n’ai fait, ils le seront aussi à plus forte raison, de trouver d’eux-mêmes tout ce que je pense avoir trouvé : d'autant que n’ayant ja- mais rien examiné que par ordre, il est certain que ce qui me reste encore à découvrir est de soi plus difficile et plus caché, que ce que j'ai pu ei-devant rencontrer, et ils auraient bien moins de plaisir à l'apprendre de moi que d'eux-mêmes; outre que l'habitude qu'ils acquerront, en cherchant première- ment des choses faciles, el passant peu à peu par degrés à d’autres plus difficiles, leur servira plus que toutes mes instructions ne sauraient faire. Comme pour moi je me persuade, que si on m’eût enseigné dès ma jeunesse toutes les vérités dont j'ai cherché depuis les démonstrations, et que je n’eusse eu au- cune peine à les apprendre, je n’en aurais peut-être jamais su aucunes autres, et du moins que jamais je n'aurais acquis l'habitude et la facilité que je pense avoir, d’en trouver toujours de nouvelles, à mesure que je m’applique à les chercher. Et en un mot sil ÿ a au monde quelque ouvrage, qui ne puisse êlre si TE - "UR DISCOURS DE LA MÉTHODE 127 biea achevé par aucun autre, que par le même qui l’a commencé, c'est celui auquel je travaille. Il est vrai que pour ce qui est des expériences qui peuvent y servir, un homime seul ne saurait suffire à les faire toutes : mais il n’y saurait aussi employer utilement d’autres mains que les siennes, sinon celles des artisans, ou telles gens qu’il pourrait payer, et à qui l'espérance du gain, qui est un moyen très eff cace, ferait faire exactement toutes les choses qu'il leur prescrirait. Car pour les volontaires, qui par curiosité ou désir d’apprendre s'offriraient peut-être de lui aider, ontre qu'ils ont pour l'ordinaire plus de promesses que d'effet, et qu’ils ne font que de belles propositions dont aucune jamais ne réussit, ils vou- draient infailliblement être payés par l'explication de queiques difficultés, ou du moins par des complimems et des entretiens inutiles qui ne lui sauraient coûter si peu de son temps qu’il n'y perdit. Et pour les expériences que les autres ont déjà faites, quand bien même ils les lui voudraient communiquer, ce que ceux qui les nomment des secrets ne feraient jamais, elles sont pour la plupart composées de tant de cir- constances, ou d'ingrédients superflus, qu'il lui serait très mal aisé d’en déchiffrer la vérité: outre qu'il les trouverait presque toutes si mal expliquées, ou même si fausses, à cause que ceux qui les ont faites se sont efforcés de les faire paraître conformes à leurs prin- cipes, que s’il y en avait quelques-unes qui lui ser- vissent, elles ne pourraient derechef valoir le temps qu’il lui faudrait employer à les choisir. De façon que 128 DISCOURS DE LA MÉTHODE. s'il y avait au monde quelqu'un qu'on sût assuré ment être capable de trouver les plus grandes choses et les plus utiles au public qui puissent être, et que pour celte cause les autres hommes s’efforçassent par tous moyens de l’aider à venir à bout de ses desseins: Je ne vois pas qu’ils pussent autre chose, pour lui, sinon fournir aux frais des expériences dont il aurait besoin, et du reste empêcher que son loisir ne lui fût Ôté par l'importunité de personne. Mais outre que je ne présume pas tant de moi-même, que de vouloir rien promettre d’extraordinaire, ni ne me repais point de pensées si vaines, que de m’imaginer que le public se doive beaucoup intéresser en mes desseins : je n’ai pas aussi l’àme si basse, que je voulusse accep- ter de qui que ce fût aucune faveur, qu’on pût croire que je n'aurais pas méritée. Toutes ces considérations jointes ensemble furent cause il y a trois ans que je ne voulus point divul- guer le traité que j'avais entre les mains, et même que je pris résolution de n’en faire voir aucun autre pendant ma vie, qui fût si général, ni duquel on püût entendre les fondements de ma Physique‘. Maisily a eu depuis derechef deux autres raisons, qui m'ont obligé à mettre ici quelques essais particuliers; et à rendre au public quelque compte de mes actions et de mes desseins. La première est, que si j'y manquais, plusieurs, qui ont su l'intention que j'avais eue ci- devant de faire imprimer quelques écrits, pourraient 1. Descartes n’a pas tenu cette exposée dans son livre des Prin- éscluüion. Toute sa physique est cipes (1644). DISCOURS DE LA MÉTHODE. 129 s'imaginer que les causes pour lesquelles je m'en abstiens seraient plus à mon désavantage qu'elles ne sont. Car bien que je n’aime pas la gloire par excès, ou même, si je l’ose dire, que je la haïsse, en tant que je la juge contraire au repos lequel j'estime sur toutes choses! : toutefois aussi je n’ai jamais tâché de cacher mes actions comme des crimes, ni n’ai usé de beau- coup de précautions pour être inconnu ; tant à cause que j’eusse cru me faire tort, qu’à cause que cela m'aurait donné quelque espèce d'inquiétude, qui eùt derechef été contraire au parfait repos d’esprit que je cherche. Et pour ce que m'étant toujours ainsi tenu indifférent entre le soin d’être connu ou ne lêtre pas, je n'ai pu empêcher que je n’acquisse quelque sorte de réputation, j'ai pensé que je devais faire mon mieux pour m'exempter au moins de l'avoir mauvaise. L'autre raison qui m’a obligé à écrire ceci est que, voyant tous les jours de plus en plus le re- tardement que souffre le dessein que j'ai de m'in- struire, à cause d'une infinité d’expériences dont j'ai besoin, et qu'il est impossible que je fasse sans l'aide d'autrui, bien que je ne me flatte pas tant que d’espé- rer que le public prenne grande part en mes intérêts, toutefois je ne veux pas ainsi me défaillir Lant à moi- mème, que de donner sujel à ceux qui me survivronl de me reprocher quelque jour, que j'eusse pu leur laisser plusieurs choses beaucoup meilleures que je n'aurai fait, si je n’eusse point trop négligé de leur 1. La devise de Descartes était : Bene virit bene qui latuit 130 DISCOURS DE LA MÉTHODE taire entendre en quoi ils pouvaient contribuer à mes desseins. Et j'ai pensé qu’il m'était aisé de choisir quelques matières, qui sans être sujettes à beaucoup de contro- verses, n1 m’obliger à déclarer davantage de mes prin- cipes que je ne désire, ne laisseraient pas de faire voir assez clairement ce que je puis, ou ne puis pas, dans les sciences. En quoi je ne saurais dire si j'ai réussi, et je ne veux point prévenir les jugements de personne, en parlant moi-même de mes écrits: mais je serai bien aise qu’on les examine, et afin qu’on en ait d’autant plus d'occasion, je supplie tous ceux qui auront quelques objections à y faire de prendre la peine de les envoyer à mon libraire, par lequel en étant averti, je tàcherai d'y joindre ma réponse en même temps, et par ce moyen les lecteurs, voyant en- semble l’un et l’autre, jugeront d’autant plus aisément de la vérité : car je ne promets pas d’y faire jamais de longues réponses, mais seulement d’avouer mes fautes fort franchement, si je les connais; ou bien si je ne les puis apercevoir, de dire simplement ce que je croirai êlre requis, pour la défense des choses que j'ai écrites, sans y ajouter l'explication d’aucune nou- velle matière, afin de ne me pas engager sas fin de l’une en l’autre. Que si quelques-unes de celles dont j'ai parlé au commencement de la Dioptrique etdes Météores, cho- quetit d'abord, à cause que je les nomme des supposi- tions, et que je ne semble pas avoir envie de les prou- ver,qu’on ait ia patience de lire le tout avec attention. DISCOURS DE LA MÉTHODE. 131 et J'espère qu'on s’en trouvera satisfait : car il me semble que les raisons s’y entre-suivent en telle sorte, que comme les dernières sont démontrées par les premières qui sont leurs causes, ces premières le sont réciproquement par les dernières qui sont leurs ef- fetst. Et on ne doit pas imaginer que je commette en ceci la faute que les Logiciens nomment un cercle : car l’expérience rendant la plupart de ces effets très certains, les causes dont je les déduis ne servent pas tant à les prouver qu’à les expliquer; mais tout au contraire ce sont celles qui sont prouvées par eux. Et je ne les ai nommées des suppositions, qu’afin qu’on sache que je pense les pouvoir déduire de ces pre- mières vérités que j'ai ci-dessus expliquées; mais que j'ai voulu expressément ne le pas faire, pour empé- cher que certains esprits, quis’imaginent qu’ils savent en un jour tout ce qu'un autre a pensé en vingt années, sitôt qu’il leur en a seulement dit deux ou trois mots, et qui sont d'autant plus sujets à faillir, et moins capables de la vérité, qu'ils sont plus pénétrants et plus vifs, ne puissent de là prendre occasion de bâtir quelque Phi- losophie extravagante sur ce qu’ils croiront être mes principes, et qu’on m’en attribue la faute. Car pour les opinions qui sont toutes miennes, je ne les ex- cuse point comme nouvelles, d'autant que si on en considère bien les raisons, je m’assure qu’on les trou- vera si simples, et si conformes au sens commun, 4. Et qui sont confirmées par thode scientifique déjà indiquée i'expérience. — C'est la vraie mé- | plus haut. 132 DISCOURS DE LA MÉTHODE. qu’elles semtleront moins extraordinaires et moins étranges, qu'aucunes autres qu'on puisse avoir sur mêmes sujets. Et je ne me vante point aussi d’être le premier lnventeur d'aucunes, mais bien que je ne les ai jamais reçues, ni pour ce qu'elles avaient été dites par d’autres, ni pour ce qu'elles ne l’avaient point été, mais seulement pour ce que la raison me les a per- suadées. Que si les artisans ne peuvent sitôt exécuter l’inven- tion qui est expliquée en la Dioptrique, je ne crois pas qu'on puisse dire pour cela qu'elle soit mauvaise: car d’autant qu’il faut de l'adresse et de l'habitude pour faire, et pour ajwster les machines que j'ai dé- critcs, sans qu’il y manque aucune circonstance, je ne m'étonnerais pas moins s'ils rencontraient du pre- mier coup, que si quelqu'un pouvait apprendre en un jour à jouer du luth excellemment, par cela seul qu'on lui aurait donné de la tablature‘ qui serait bonne. Et si j'écris en Français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en Latin, quiest celle de mes Pré- cepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure juge- ront mieux de mes opinions, que ceux qui ne croient qu'aux livres anciens : et pour ceux qui joignent le bon sens avec l'étude, lesquels seuls je souhaite pour mes juges, ils ne seront point, je m'assure, si partiaux pour ie Latin, qu’ils refusent d'entendre 1. Tableau qui représente un in- bouchés ou ouverts pour trou- strument à vent et à trous et qui ver les notes. Dictionnaire de iadique quels trous doivent être M Littré. 6 hilton tt that DISCOURS DE LA MÉTHODE 123 mes raisons pour ce que je les explique en langue vulgaire. Au reste, Je ne veux point parler ici en particulier des progrès que j'ai l’espérance de faire à l’avenir dans les sciences, ni m’engager envers le public d'aucune promesse, que je ne sois pas assuré d’accomplir : mais je dirai seulement que j'ai résolu de n’employer le temps qui me reste à vivre à autre chose, qu’à lâcher d'acquérir quelque connaissance de la Nature, qui soit telle, qu’on en puisse tirer des règles pour la Médecine, plus assurées que celles qu’on a eues jusques à présent ; et que mon inclination m’éloigne si fort de toute sorte d’autres desseins, principalement de ceux qui ne sau- raient être utiles aux uns qu’en nuisant aux autres, que, si quelques occasions me contraignaient de m'y employer, je ne crois point que je fusse capable d’; réussir, De quoi je fais ici une déclaration, que je sais bien ne pouvoir servir à me rendre considérable dans le monde : mais aussi n’ai-jè aucunement envie de l’être : et je me tiendrai toujours plus obligé à ceux par la faveur desquels je jouirai sans empêchement de mon loisir, que je ne serais à ceux qui m’offriraient les plus honorables emplois de la terre. FIN. 713-10.— Coulommiers. Imp. Pauz BRODARD., — 7-10. Pa A (V EE si ad ae Ron er PAU et Abe UOTE 1 hu Le noter À EN E R AUR TR Ne Latb. iles UE PCR NU NUS ur LL EVEE AE L AC Me QE pe de MARTEL 5e: PR EREURS RER OR FRE ef PACE E SEC IAE FORT EN Ne SÉPARER EN TRE ET CES ur nome eh LE sal "e Fu CRT PTE MATE a Re EN el ; D TER CR GRR P AE PRE ORAN SRE ReRRes RE LUE dng8ioh 1e terne el “aies | Ra a ce RUE. 1 NACRE RNT. À PESTE lé nno): DATÉE lee RUE ma MERE ut if AM RE NRABEME PORN OU Le cut sis Ve RIVE ARR RENE sa Ras DS “ Ma F2 ta Fa 126 Mary: AVEC LL a ë D. ë bi DATE + Nacre: PE aies Eat de s? +" M 4 Ent Te sl D'un | ME Cr 1] LIBRAIRIE HACHETTE ET Ci*, À PARIS G. LANSON Professeur à la Faculté des lettres de Paris HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE depuis les origines jusqu’à nos jours 11° ÉDITION REVUE, CORRIGÉE ET COMPLÉTÉE 1 fort volume in-16 de 1200 pages, broché, 4fr.— Cartonné, 4 fr. 50 Cette nouvelle Histoire de la Littérature française, sans diminuer la place due aux seizième, dix-septième et dix- huitième siècles, contient une étude approfondie des œuvres littéraires du moyen âge et présente, pour la pre- mière fois, un tableau complet du dix-neuvième siècle. On y suivra le développement de la littérature française depuis les origines jusqu’à la présente actualité. Les principaux tempéraments d’écrivains sont définis en leur individualité en même temps que l’enchaîinement des œuvres est marqué dans l’évolution continue des genres : des tableaux chronologiques rendentsensibles tousles acci- dents de cette évolution. Ce livre sera d’un bon secours pour les élèves des lycées et les étudiants des Facultés qui ont des examens à préparer; mais il est destiné aussi à faire de l’étude de la Littérature française un instru- ment de culture intellectuelle et morale. L'auteur a voulu donner le goût de lire et non les moyens de ne pas lire les chefs-d’œuvre de notre littérature. Une biblio- graphie succincte et substantielle, faisant connaître les principales éditions et les principaux ouvrages à consul- ter pour chaque auteur, aidera le lecteur à pousser ses lectures et son étude aussiloin quesa curiosité l’y portera. LIBRAIRIE HACHETTE ET C®, A PARIS AUTRES OUVRAGES DE M. G. LANSON Principes de composition et de style : Conseils aux jeunes filles sur l’art d'écrire. 3° édition. 1 vol. in-16; cartonnage toile. = RU CODE ADD Conseils sur l’art d’écrire. 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À SOEUR ITU = COURS "ÉLÉM E N AIRE Grammaire française. Théorie ri »xercices, à l'usage des classes de 8° et de 7°. Un volume ; DEÉ-AUTE 20 Corrigé des Exercices, avec supplément d'exercices et corrigés. Un volume . . ER UENTT OHEN O0 Exercices complémentaires ‘Un volnme. | | AIT Corrigé des Exercices DORRENPREIreS. avec supplément d'exercices et corriges Un volume, . . CD ati ee SANORÉTS Le COURS MOYEN Grammaire française à l'usage de la classe de 6* et de la classe CITE VO ENS RE A Ce cn er» eo jo de 1 fr. 20 Exercices a l'usage des élèves. Uo volume. Rte, de LE: Us Corrigé des Exercices. avec supplement d'exercices et corrigés. Un volume DORE SCALE sde ent e foie fr 075 COURS SUPÉRIEUR Grammaire française a l'usage de la classe de 4* et des classes Supereures Un pvolame Lee. 002.3 ra er Mr 28 ES: -50 Exercices a l'usage des élèves. Un volume, , . . Prauistr Le Corriges des Exercices et Exercires complémentaires aver corrigés. PIE TOME PRE ET EE AC Ac MOU2r 2» COURS DE GRAMMAIRE FRANÇAISE rédigé conformément aux programmes de l'Enseignement secondaire (Division B) de l'Enseignement secondaire des Jeunes Filles et de l'Enseignement primaire supérieur 5 volumes In-{6, cartonnage toile Grammaire française abrégée. Théorie et exercices. Un vo- UNE Ne SAT SE) dut, Marne EPS . ES QATIE 80 Corriges des Ezercices et Exercices complémentaires avec corrigés. Livre du maître Un volume. . EN SOS Grammaire française complète. Théorie, exerrie es, étymologie et prosodiæ Uu voiume ONE PTT 2e Exercices 3 l'usage des élèves Dn volume. : AS TEN 80 Uorrigés des Exercices et Krercices complementaires avec corrigés. dE N MARITS Un 0e 0 1-00 EM ocre Sr », LIBRAIRIE HACHETTE ET C°, À PARIS DICTIONNAIRE COMPLET DE La LANGUE FRANÇAISE PAR E. LITTRÉ de ! 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STŒFFLER Professeur d'allemand au Collège CHAPTAL MENSUEL Abonnement : Un An, 3 fr. 50 — Le numéro, 35 cent. The English Journal ‘A PERIODICAL FOR FRENCH YOUTH JOURNAL ANGLAIS POUR LES JEUNES FRANÇAIS ? Publié sous la Direction de M. MEADMORE — — Professeur agrégé au lycée Condorcet _ ——— 4 Ce journal parait le second et Le quatrième samedi de chanue mois, à l'exception d'Août et de Septembre. ABONNEMENT : 6 FRANCS PAR AN AUERBACH. Récits villageois de la Forët-Noire (B. Lévy).. 2.50 BENENIX. Le procès (Lange). % 60 L'Entétement (Langel......... ».60 Scenes choisies du Théatre de J'amille (Feuillié)............ 1 59 CHAMISSO. Pierre Scklemihil (Ko ee, me rec se | CHOIX DE FABLES ET DE CONTES ET MORCEAUX CHOI- SIS DE SCHMIDT, KRUMMA- CHER, LIEBESKIND, LICHT- WER, HEBEL, HERDER ET CAMPE (Scherdlin).......... 1.50 CONTES POPULAIRES tirés de GRIMM, MUSÆUS, ANDER- SEN et desFercilles de palmier, par HERDER et LIEBESKIND Corine peetee 2.50 GŒTHE, /phigénie en Tauride CCR LE AT ne 0 1.50 Campagne de Franre(B. Lévy). 1.50 Faust, ire part. (Massoul) ..... 2 » LelTassr BL Eve 1.8v Morceaux choisis (B. Lévy)... 3 » Extraits en prose (LEVY)...... 1.50 GŒTHE ET SCHILLER. Poesies lyriques (Lichtenberger})..... 2.50 HAUGUFF. Lichtenstein, 1, Il Muller). HEBEL. Contes choisis (Feuillié). x -50 HOFFMANN. Le tonneiter de Nuremberg (Bauer) ......... 2 }» KELLER (G.). A%cider machen Lrute\SChUrT). ane 1.2 HEINHOLD : Petit Dictionnaire fran- gais-ailemand et allemand-franc 2 : 25e édit. 1 vol. petit in-16, cartonnag tone sn ds 3: fr. 5c ) LIBRAIRIE HACHETTE & Ci, 3 Classiques Allemands , CRE » NOUVELLE COLLECTION À L'USAGE DES ÉLEVES.FORMAT PETIT IN- 16 CARTONNE CONTES {Mäthis)............ 1.50 DICTIONNAIRES PARIS KLEIST (DE\ Michael Kokl- _ Aaas (Kach)....:,....… Ir» KLASSISCHE UND MODERNE j MARCHEN (Desfeuilles)...... 1 50 KOTZEBUE, La petile Ville allemande. (Baïlly).......... 1 BOILEAU: OEuvres poétiques (Brunetièr OU) — Noesiesel Extraits desteun es en pe Z = BOSSUET : De laconnaissance de Dieu (de D = — — Srrmons choisis (Rébellinu). . . — Oroisons funébres (Rébelliau) BUFFON : Morceaux choisi (Nollet). ELEE . — Hliscourx «nr le”slyle (Nollet). . . . .. .. CHANSON DE ROLAND : Extraits (G. Paris) CHATEAUBRIAND : Eatraits {Brunetière), CHEFS-D'Œ!'""7f DOET. DU XVIe SIECLE (EL CHOIX DE LET’RES LÜ XVIIe SIÈCLE (Lan CHOIX DE LETTRES DU XVIIe SIÈCLE (Le CHRESTOMATHIE DU MOYEN AGE(G.ParisetE CORNEILLE : Théâtre chousi (Petit de.Julley Chaque pièce séparément Scines :'. vetes (Peli de Jullevi.ie). , . : DESCARTES - Principes de la philos.Arep. (Ch DIDEROT : Æxtlranus {Texle). . EXTRAITS DES CHRONIQUEURS (G. Paris! et Jeanroy). EXTRAITS DES HISTORIENS DU MIMMECEEUS pe EXTRAITS DES MORALISTES (Thamin), , FENELON : J'ables (Ad. Régnier) PRES re — Leime à l'Académie (Calien).. . . «, . et be! SFR — ‘elemaque (A. Chassang). .. .,.....4 ...... FLORIAN : Fables (Géruzkz).. : JOINVILLE : Histoire de suint Louis (Natalis ‘de Wailly). LA BRUYÈRE ; Caractères (Servois et Rebelliau), , . . . LA FONTAINE : Fables (Géruzez et Thirion) LAMARTINE : Morccsux choisis LECTURES MORALES (Thamin et Lapie) MOLIÈRE : J'hédtre choisi (E. PHDPTE . Chaque piece séparément. . — Srenes choisies (E. Thirion) MONTAIGNE : Prinepauzscliapitreset extraits (Jeanroy), MONTESQUIEU : Grand.et decud, des Romaïns(Jullian). — L:c'raits de l'e-prit des lois etdes euvres div.(Jullian). PASCAL : l’ensées et Opuseules el era — l'rovinciales, T, IV, XHI (Brunelière). . PROSATEURS DU XVIe SIÈCLE (Huguet). RACINE : lhedtre chorsi (Lanson) Cinque piéce séparémnrent RECITS DU MOYEN AGE (G. Paris) ROUSSEAU : Extraits en prose (Brunel) — Lite à d'Alembert sur les spectacles (Bruael). SCENES, RÉCITS ET PORTRAITS DES XVIIe ET xüitte SIÈCLES (Brunel) SEVIGNÉ : Letires choisies (Ad. Régnier). THEATRE CLASSIQUE (Ad. Régnier). . VOLTAIRE : Éatruûsenpr ose{Bruuël). — Choix de lettres (Brunel) — Siecle ie Louis XIV (Bourgeois). — Charles XII(A. Waûdington)}, 3-1910. 05 006 D RANGE BAY Il POS ITEM C RLERSES;: Le + + C9 RO me C9 KO ne RO me Me LOIRE LS me 1O NOW + y IULSRUE EU ot 588. ESS, Lx 23, ct Os; — | (i il il