& 1361y4 N 7 ÉDOUARD-LAÉTET FDKE DISCOURS PRONONCÉ AU CONGRÈS DE BRUXELLES PAR M. LE D' HAMY » Messieurs, Ceux d’entre vous qui assistaient à l’ouverture de la seconde session de notre Congrès, à Paris, en 1867, n’ont pas oublié sans doute avec quelle douloureuse émotion l'assemblée ac- cueillit l'annonce de la maladie qui devait éloigner d’elle son savant président. L'homme illustre que les suffrages de la réu- nion de Neufchätel avaient appelé au fauteuil et qui, comme on l’a dit alors, expiaït loin de ses collègues l’excès de son ardeur au travail, était presque un chef d'école, c'était l’homme de Sansan et d’Aurignac, l’un des rénovateurs de la paléontolo- gie des vertébrés, le créateur de la paléontologie humaine. C'était en outre, le guide de tous les travailleurs, qw’il accueil- lait toujours, quelque obscurs qu’ils pussent être, avec indul- gence et bonté. Dans cette nombreuse assistance, ou Édouard Lartet comptait autant d’amis et presque autant d’élèves, qu’il y avait d'hommes de science, le délabrement d’une santé aussi précieuse, inspirait des appréhensions unanimes. Le retour du maître vint calmer en partie ces inquiétudes ; il présida plu- sieurs séances avec la plus grande distinction, et l’on put es- pérer, le jour de la séparation, que Lartet serait, pendant de longues années encore, le modérateur et l’arbitre de nos dis- cussions. Hélas ! les apparences étaient trompeuses, ce mieux qu'il accusait dens sa situation ne devait pas persister, et les craintes que manifestaient ses amis, ne se sont que trop vite réalisées. Lartet a succombé le 28 janvier 1871, aux suites de la maladie dont nous avions constaté les atteintes trois ans auparavant. Édouard-Amand-Isidore-Hippolyte Lartet était né le 45 er CAE avril 4801 (95 floréal an IX), à Saint-Guiraud, près de Castel- nau-Barbarens, dans le département du Gers, de Jean-Hospice Lartet et de Marie-Anne Sicres. Il était le plus jeune des cinq fils issus de ce mariage. Son enfance s'écoula au bord de J’Arratz, dans la vieille propriété d'En-Poucouron, berceau de sa famille depuis plus de trois siècles ; puis comme ses autres frères, il fut envoyé au collége où il fit des études liité- raires aussi complètes que le comportait l’enseignement secon- daire du premier empire. Il a laissé au lycée d’Auch d'excellents souvenirs ; il fut même un des trois élèves qui remportèrent les médailles d'honneur données à cet établissement par Na- poléon I*%. Ces fortes études classiques dont il devait tirer plus tard un si heureux parti, l’avaient mis en état de subir avec distinction les épreuves universitaires, en même temps que, comme deux de ses frères, il abordaït le droit à la faculté de Toulouse. Édouard Lartet n'avait pas pour les sciences juridiques de prédilection bien particulière : il laissait ses frères suivre leur goût pour le barreau et la magistrature, s’attachant de préfé- rence aux lectures historiques et archéologiques. Le père de famille cependant, qui voulait que dans la profession d’avocat à laquelle il destinait le lauréat du collége d’Auch, celui-ci sût unir la pratique à la théorie, l’envoya après sa licence faire son stage à Paris, en compagnie d’un frère plus âgé; il le fit même entrer un peu plus tard à titre bénévole dans une étude d'avoué. Ce n’était pas tout à fait peine perdue; exact, comme il l’a toujours été dans sa longue carrière, à remplir tous les devoirs que lui imposait sa position, Édouard Lartet accom- plissait sans doute, avec régularité, les fonctions qui lui étaient dévolues. Mais son séjour dans la capitale profitait surtout à ses travaux favoris; scuvent, par échappées, il allait chercher dans les grands établissements du quartier Latin, qu’il habi- tait du reste, le haut enseignement à l’aide duquel il complé- tait peu à peu son éducation première, puis il lisait et lisait encore, et comme son budget d'étudiant était assez modeste, il vendait les livres lus pour s’en procurer d’autres. Aussi, quand il revint dans le Gers, Édouard Lartet, certai- nement rompu à la pratique des affaires, était bien plus en- core préparé aux recherches spéciales qui devait illustrer son nom. Il exerça sa profession jusqu’en 1834, tout en collection- nant des médailles et recueillant des haches polies et des fossiles. Après la mort de son père, il s’adonna exclusi- Dpt ment à ses chères éludes : c’est à cette date que remonte les premiers écrits de notre illustre et regretté maître. Pendant les dix longues années qu’il avait en partie consa- crées à la pratique, Édouard Lartet s’élait bien fréquemment accordé la satisfaction d'’obliger ses compatriotes d'Ornezan, de Simorre ou des autres communes voisines. Serviable et désintéressé, comme nous l’avons encore connu vers la fin de sa vie, il leur donnait volontiers des consultations juridiques, d'autant plus goûtées de ces villageois qu’elles ne coûtaient rien à leur bourse. Et ces clients improvisés, afin de recon- naître les bons offices de l'avocat qui savait à si peu de frais arranger leurs affaires et régler leurs différents, lui remettaient avec empressement les objets plus ou moins précieux qu'ils tro ivaient dans le cours de leurs travaux rustiques. C’étaient des hacbes de pierre ou des médailles antiques, ou bien encore des os et des coquilles, que leur imagination attribuaïit au diable contrefaisant dans les entrailles de la terre l’œuvre du créateur. Un jour, un paysan apporta à Lartet une grande dent fossile trouvée sur les coteaux qui bordent la vallée du Gers. D’autres collectionneurs (et c’est le plus grand rombre) se seraient contentés de placer la chose curieuse dans quelque vitrine plus ou moins exposée aux yeux des visiteurs. Lartet, qui s’é- tait intéressé aux choses de la science pendant son séjour à Paris, Lartiet, auquel de longues et fécondes lectures avaient ouvert les horizons les plus variés, en développant ses ten- dances encyclopédiques, Lartet voulut tirer de cette mysté- rieuse dent tout ce qu’elle pouvait apprendre à son esprit inves- tigateur. L’homme de loi numismate interrogea péniblement celte médaille demi-fruste, et bientôt il sut lui faire dire tout ce qu’elle savait d’un passé lointain et inconnu. Le masto- donte était déterminé, et Lartet avait trouvé du même coup sa véritable vocation. Aidé de quelques bons Eties il acquit rapidement les con- naissances géologiques ne IN aux recherches paléonto- logiques devenues sa principale occupation. Il étudia avec soja les terrains tertiaires du Gers, et le Bulletin de la Société géo- logique de France enregistra, sous forme de lettre à Étienne Geoffroy Saint-Hilaire , à la date du 7 avril 1834, une série de découvertes paléontologiques du plus haut intérét, exposées avec celle réserve prudente et cette modestie pleine de di- gnité dont, devenu maitre à son tour, Édouard Lartet ne s’est jamais départi. — À — Les recherches faites à Simorre et dans quelques localités voisines, avaient amené la découverte de vingt espèces de mammifères fossiles, dont les trois quarts étaient nouvelles pour la science et dont une sur quatre appartenait même à quelque genre inconnu. Le gisement de Sansan, trouvé à la fin de cette même année par un pâtre des environs, fut à son tour examiné, et le camp de las Hossos, fouillé pendant près de deux ans, enrichit successivement la faune tertiaire d’un nombre de mammitères bien plus considérable. C’étaient de grands car- nassiers, tels que cet animal voisin du genre canis, exhumé en 1835, des pachydermes comme le rhinocéros à quatre doigts, aujourd’hui nommé acerotherium, rencontré la même année dans le même gisement, puis des insectivores, des ron- geurs, des édentés, des ruminants, etc., etc. Dans une lettre à M. Michelin, insérée au procès-verbal de la séance du 16 mai 1836 de la Société géologique, Lartet énumérait déjà cinq espèces de mastodontes, deux dinothe- rium, six rhinocéros, un paléothère, un grand carnivore, etc. Il est vrai que, suivant en cela l’exemple d’un grand nombre de ses contemporains, Lartet multipliait facilement les es- pèces, et que plus tard, avec cette admirable bonne foi quil apporlait à tous ses actes, il revint sur plusieurs de ses dia- snoses du début, et supprima quelques lignes de sa nomen-: clature. Mais ainsi qu’il l’observait à son distingué correspon- dant, M. Michelin, il était bien neuf dans cette branche de connaissances, en 1836; aussi, ceux qu'il mettait modeste- ment en garde contre ce qu'il appelait ses appréciations hasar- dées, s’étonnaient à bon droiït de voir un débutant, privé de ces matériaux de comparaison toujours indispensables au pa- léontologiste, surmonter, avec autant d’aisance, des difficultés aussi grandes, et atteindre, malgré son isolement, un tel degré de précision. Lartet eut bientôt l’occasion de déployer cette sagacité anatomique dans des conditions particulière- ment délicates. Jusqu’alors, ses découvertes avaient porté sur des groupes d'animaux dont ses prédécesseurs, et Cuvier surtout, avaient au moins ébauché l’histoire paléontologique. Lartet n’avait eu qu’à les suivre d’aussi près que possible dans leur nomencla- ture et dans leurs descriptions, et Geoffroy Saint-Hilaire l'avait hauiement félicité devant l’Académie, à propos du macrothe- rium, genre nouveau qui, « comme condilion d'essence » et « comme cuphonie, » lui paraissait rappeler arec avantage le Ana nom analogue donné par Cuvier à un autre édenté fossile de même famille, le megatherium (1837). Dans le même esprit, Lartet avait créé le genre dicrocère, pour les cerfs à bois four- chu, dont il connaissait trois espèces; le genre amphicyon, pour son grand carnassier voisin de certains chiens, etc. Les nouvelles fouilles que Larlet exécuta à Sansan, celle fois avec: le concours de l’État, le mirent en contradiction avec Cuvier sur un des points auxquels l'illustre maître paraissait avoir attaché la plus grande importance, et il lui fallut toute sa science et toute sa pénétration pour tirer de la découverte qu’il fit à Sansan, en décembre 1836, la démonstration de l’existence des singes fossiles que l’on avait niée, comme on niait celle de l’homme. Dès ses premières découvertes, Lartet avait offert aux pro- fesseurs administrateurs du Muséum d'histoire naturelle de Paris d’assurer à cet établissement la possession des pièces importantes qui lui tomberaient entre les mains. Cette propo- sition avait été accueillie avec faveur, et M. Guizot, ministre de l'instruction publique, puis M. de Salvandy, qui lui succéda dans ce poste élevé, aidèrent à continuer ces utiles travaux. L'Académie des sciences joignit ses encouragements à ceux du ministère Les fouilles, largement exécutées, grâce à tous ces concours efficaces, donnèrent des résultats de plus en plus satisfaisants. Une prodigieuse quantité d’ossements fos- siles fut mise au jcur, appartenant, en majeure partie aux ani- maux indiqués ci-dessus, et parmi ces débris tertiaires il se trouva une mächoire inférieure avec sa dentition complète, dont la formule était celle de l’homme et des singes de l’an- cien continent. Lartet étudia cette pièce avec le plus grand soin, et en traça une rapide description qu’il communiqua à l’Académie des sciences, le 16 janvier 1837, et dont le développement , présenté à ce même corps savant le 17 avril suivant, fut inséré, sur les conclusions d’un rapport de Blain- ville, dans le Æecueil des savants étrangers. Ce singe fossile, considéré d’abord comme formant un sous- genre voisin des gibbons, désigné sous le nom de protopithe- cus est généralement rangé aujourd’hui dans le genre gibbon lui-même, et il a reçu de Duvernoy le nom de hylobates antiquus. Une découverte, qui portait au système accepté de presque ious une grave atteinte, en démontrant qu’il ne reposait que sur des arguments négatifs, et qui, combinée avec celles qui Vavaient précédée, était de nature à modifier profondément “es les idées que l’on s'était faites des temps paléontologiques, em y introduisant la notion de variations des milieux, était néces- sairement appelée à avoir un grand retentissement. Les com- municalions de Lartet à l’Institut, et les rapports auxquels elles donnèrent lieu, furent analysés et commentés dans presque tous les recueils scientifiques, et le nom du paléonto- logue d'Ornezan, répété d'académie en académie, fut bientôt répandu d’une extrémité à l’autre du monde savant. Dans le mémoire qu'il avait consacré à discuter les décou- vertes de Lartet sur les singes fossiles, Blainville s'était abste- nu, à dessein, semble-t-il, de toucher aux problèmes généraux que soulevaient les faits inattendus révélés par les dernières fouilles de Sansan. Il avait retracé un rapide historique où se révélait son érudition habituelle, discuté en passant les obser- vations relatives au singe actuel des rochers de Gibraltar, puis eommenté les diagnoses de Lartet, qu’il n’acceptait pas tou- jours (et souvent il avait tort), mais dont il faisait valoir le très- haut intérêt. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, non moins bienveillant que Blainville pour Lartet, qu'il honora depuis d’une bien pré- cieuse amitié, mais plus entreprenant que son confrère et moins désireux de ménager certaines susceptibilités, attaqua la question générale avec cette hardiesse qui lui était familière. Le titre de son mémoire est très-explicite; il est ainsi formulé : Sur la singularité et la haute portée en philosophie naturelle de l'existence d'une espèce de-singe trouvée à l’état fossile dans le Midi de la France. Geoffroy savait avec quelle élévation d'idées te quelle profondeur de vues Lartet étudiait les débris des mam- mifères fossiles; n’indiquer le fait signalé par lui « qu’au titre d’une singularité et de l’intérêt d’une découverte inattendue » Jui semblait n’en prendre qu’un sentiment iout à fait insuffi- sant, et il insista sur deux poinis, sur ce qu'il appelait la « miraculeuse antiquité » des fossiles, et sur l’influence des milieux sur les animaux. Ainsi considérée, la science paléon- tologique n’aboutissait pas seulement à inventer des noms et à tracer des descriptions, et la découverte de Lartet, très-re- marquable sans doute au point de vue du progrès de la géo- graphie zoologique, était appelée, ce sont les propres expres- sions de Geoffroy, « à commencer une ère nouvelle du savoir humanitaire; » appelée «à fonder les études et à rechercher les caractères différentiels des divers milieux ambiants, les spécia- lités, du moins par approximation, de ces champs de l’univers vpn où, d’époques en époques, s’exercent et s’accomplissent les mulations des choses. » L'apparition du singe fossile venait, selon Geoffroy, et c'est aujourd’hui l'opinion de tous les sa- vants spéciaux, venait, dis-je, « révéler les limites des temps anté-diluviens, nous rendre en quelque sorte perceptibles ces âges de transition durant lesquels une nouvelle atmo sphère se trouve en mesure de livrer à l’animalité les con ditions de res- piration pulmonaire, qui sont plus spécialement dévolues aux êtres des temps actuels les plus élevés dans l'échelle. » Geoffroy s'était arrêté là. « L'heure des recherches philoso- phiques n’est pas encore sonnée, » s’écriait-il en terminant son mémoire. L'homme, ce dernier terme de la zoologie, qu’il n'avait pas vouiu nommer, mais dont, en insistant sur la très- haute ancienzeté de l’âge de transition qu'il faisait toucher du doigt, il vieillissait par là même la date d’apparition, cet homme, Lartet en venait parler quelques séances plus tard; il déclarait que son existence paléontologique n'avait rien d’in- vraisemblable à ses yeux. Mais il s’efforçait, avec Geoffroy- Saint-Hilaire, de tenir compte des conditions ambiantes aux- quelles cet homme pouvait avoir été soumis; et au milieu de ces phrases discrètes et réservées dans lesquelles il envelop- pait sa pensée, il n’est pas malaisé de deviner que Lartet accep- tait comme possible la découverte d’un homme fossile tertiaire, offrant une organisation qui obligerait peut-être à en faire une espèce. Et, s’efforçantde pénétrer plus avant dans les obscurités de la philosophie naturelle : « Que sait-on, s’écriait-il; que sait- on, si des observations ultérieures ne viendront pas tôt ou tard nous apprendre que cette nature ancienne, encore si neu con- nue, n’était ni moins complète, ni moins avancée dans l'échelle que celle où nous vivons? » — L'étude incessante de ce vaste charnier de Sansan, qui ressuscitait à ses yeux tout un monde disparu, l’avait amené à croire à l’extrême ancienneté des principaux types animaux, et c’est en combinant cette hypo- thèse, à laquelle il est toujours demeuré fortement attaché, avec celle qu’il tirait de l’analyse des milieux ambiants, qu'il s’est trouvé amené à priori à reculer jusque dans un passé extrémement éloigné l’apparition du genre humain. Vingt-trois ans devaient s’écouler avant que Lartet s’occupät activement de cette dernière question, dont il ne s’est pourtant jamais désintéressé. En 1845, il parlait encore de l’homme fos- sile à propos de Sansan, et il faisait remarquer que dans une faune où dominent encore des espèces animales qui lui étaient 2 hostiles, l’espèce humaine devait être très-gènée dans son dé- veloppement. «Ge n’est, disait-il encore, qu'après ia dispari- tion successive de tant d’ennemis redoutables, que l’homme aura pu acquérir une prépondérance décisive sur le reste de cette création qu'il a ensuite modifiée, soit par l’extermination des espèces nuisibles, soit par la propagalion de celles réduites à la domesticilé. » Cette disparition successive des ennemis de la primitive hu- manilé nous amène au seuil de la période quaternaire. Lartet a suivi, avec une attention continue, toutes les diseussions re- latives à l’existence de l’homme pendant celte période, et ce n’est que lorsqu'il a cru tenir en main des preuves décisives de sa contemporanéité avee des animaux aujourd'hui disparus qu'il est entré à son tour dans la lice. Cependant il continuait à fouiller Sansan, y trouvait, plu- sieurs fois encore, des débris de son protopitèque, et accumu- lait dans sa collection et dans eelles de l’État, les espèces nou- velles des différents ordres précédemment énumérés. Les comptes rendus de l’Académie des seiences attestent son zèle à poursuivre ses recherches et les beaux résultats qu’elles pro- duisent. C’est vers cette date qu'il faut placer la découverte des trois Chærotherium, du Paleotherium hyppoïde, du Megan- terœum , etc. Tout cet ensemble de faits paléontologiques est résumé à la fin d’une remarquable notice géologique sur le département du Gers, imprimée à Auch, dans l’Annuaire de 1839, notice dans laquelle se trouvent consignées des idées très-remarquables sur le creusement des vallées et sur le di- luvium sous-pyrénéen (1). Puis, le silence-se fait pendant quel- ques années autour de l’infatigable paléontologiste. C'est que sa vie s’est profondément modifiée; son intérieur n’est plus celui de l'avocat célibataire que nous avons vu ramasser et étu- dier les fossiles et les roches du Gers. Il a épousé la digne femme qui a fait le bonheur de son foyer domestique; il a eu un fils, celui que vous connaissez tous; un fils, qui porie avec honneur l’héritage de son nom, et qui suit courageusement sa trace dans les voies ardues de la science, et tout en continuant (1) Ces idées ont été reproduites plus tard sous d’autres noms, sans que leur auteur ait cru devoir invoquer sa priorité. Ou en pourrait dire autant d'un mémoire resté inédit sur Lannemezan, qui pourrait bien avoir servi de point de départ aux études qui ont abouti à la formation du camp de £e nom. er ets ses travaux, il a dû consacrer la meilleure partie de son temps à la gestion des intérêts matériels de sa nouvelle famille. Il s’est transporté à Seissan , il a bâti, il a planté et cultivé; il élève son enfant; puis, comme il est géologue, le département ré- clame son concours pour certaines questions spéciales de canalisation, de sondages et de coupes. Et jusqu'en 1845, Édouard Lartet se tait sur les nouvelles découvertes qu’il fait de temps en temps dans les fouilles qu'il a continuées à ses ris- ques et périls. Il dégage avec patience ces milliers d’ossements confusément enfouis dans une roche souvent assez dure pour résister à son marteau; puis il classe avec soin ces précieux éléments d'étude, et peu à peu il reconstitue, plus ou moins complétement, les squelettes de tous ces animaux disparus. Lorsque Constant Prévost, dars le cours d’une tournée géolo- gique, visita en passant la collection que Lartet s'était faite à Sansan, une centaine de mammifères et de reptiles, dont quatre-vingt-onze découverts dans le seul gisement de Sansan, avaient été reconstitués avec plus ou moins de succès. Et pourtant, la vingtième partie seulement de l’ossuaire avait été fouillée, Constant Prévost conçut alors l’idée d’assurer au Muséum, non-seulement la collection, mais encore le terrain des fouilles, mine si féconde et si précieuse pour l’avance- ment des études paléontolosiques. Plusieurs sociétés indus- trielles avaient fait des tentatives pour s'emparer de l’exploita- tation dans un but commercial. Des savants étrangers faisaient des offres séduisantes dans l'intérêt de leurs musées. Lartet, qui voulait enrichir son pays de ces admirables débris d’un monde disparu, se prêta aux demandes qui lui étaient faites, et lorsque la proposition de Constant Prévost, agréée par le ministère, vint aux Chambres sous forme de projet de loi, M. Lestiboudois n’eut pas de peine à faire ressortir le désin- téressement du paléontologiste, qui ne demandait, pour cette collection unique au monde et pour tant d’années de patients travaux, que la représentation des dépenses matérielles qu’elle lui avait coûtées. Le terrain de Sansan et la maisonnette qui le couronne furent, en outre, acquis à très-hon compte par l'État de leurs propriétaires, et appartiennent maintenant au Mu- séum, qui, à plusieurs reprises, en a fait exploiter les couches fossilifères, dont on a toujours extrait de précieux échantillons. Laurillard, entre autres explorateurs, fut envoyé à Sansan. On peut voir, dans le rapport qu'il a adressé aux professeurs du Muséum à son retour de ce voyage, avec quelle cordialité 10 Édouard Lartet accueillait ses confrères en paléontologie, axec quel empressement il leur ouvrait ses trésors. Lauriilard, pen- dant son séjour à Sansan, s’est lié avec Lartet d’une amitié so- lide et durable que des études communes à Paris, n’ont fait qu'accroître. Je ne saurais oublier parmi ces liaisons scientifiques de la première heure, celles que forma Lartet à Auch. puis à Tou- louse, lorsqu'il vint dans cette dernière ville suivre de plus près l'éducation de son fils. MM. Dupuy et Canéto, Leymerie, Joly, Lavocat, Noulet, tous ces distingués naturalistes dont l’Aquitaine s’enorgueillit à juste titre, furent pour lui des amis dévoués dont les noms revenaient fréquemment sur ses lèvres et sous sa plume. M. Noulet surtout, le littérateur élégant et le savant laborieux, dont les travaux sur l’ancienneté de l’homme sont en haute estime dans cette assemblée, se lia d'une étroite affection avec Lartet, affection que l'éloignement n’a jamais di- minuée dans la suite. Qui n’eût pas accueilli d’ailleurs, les bras ouverts, nous di- sait récemment un de ses vieux amis, ce travailleur modeste et infatigable, cet homme doux et bon, généreux et dévoué,-qui partageait sa vie entre l’affection des siens et le culte désinté- ressé de la science? Deux ans plus tart, Lartet, plus que jamais attaché à ses études, et désireux d'élargir le champ de ses travaux, se déci- dait enfin à quitter sa chère province, théâtre de ses premiers succès, et venait à Paris continuer, dans les collections large- ment ouvertes à son ardente investigation, les recherches pa- tientes qu'il suivait depuis dix-sept années. Il se proposait par- ticulièrement de mener à bonne fin la grande publication sur Sansan qu'il avait toujours projetée, et dont on avait imprimé à Auch une sorte de prodrome, en 1851. Le vieux Geoffroy l’accueillit comme un père; Constant Prévost, Duvernoy, Valenciennes, Laurillard, Rousseau, Gra- tiolet, MM. Desnoyers, Milne-Edwards, Collomb, Hébert, lu firent une réception cordiale, et peu à peu se constitua autour de lui ce cercle d'amis et d'élèves dévoués, qui, plus tard, fré- quentaient assidûment le modeste laboratoire de la rue Guy- de-la-Brosse, où se sont inspirés tant de travaux variés. Qu'il me soit permis d'évoquer le souvenir de ces séances du mer= credi, où quiconque avait un renseignement à demander, une pièce à faire déterminer, était toujours si bien reçu; de ces réunions où tant de problèmes d’un saisissant intérêt étaient Re VE abordés par le maitre avec élévation, tant de solutions discutées avec Soin, tant de travaux jugés avec impartialité. Toutes les grandes questions à l’ordre du jour étaient mises sur le tapis dans ces entretiens familiers, transformisme et progressibiltté, ancienneté de l’homme, âge relatif des terrains et des fos- siles, elc., etc., et il y avait toujours un immense profit à tirer, pour un auditeur attentif, des observations délicates, des remarques pleines d’à-propos que provoquait ces discus- sions auxquelles prenaient souvent une part active les natura- . listes les plus autorisés de la France et de l'étranger. Falconer, l’ami intime de Lartet, MM. Busk, Prestwich, Lyell, Gastaldi et tant d’autres, sont venus à ces rendez-vous hebdomadaires, étudier des pièces et discuter des points de doctrine avec notre regretté maître. Dès son arrivée à Paris, Lartet s’était trouvé mêlé à toutes les questions de quelque importance qui surgissent en paléonto- logie. Il avait étudié et monté avec Duvernoy le squelette de son mastodonte de Simorre (1853). Il décrivait, deux ans plus tard, avec M, Hébert, le fragment d'oiseau fossile de Meudon, connu sous le nom de Gastornis Parisiensis. En 1856, il détermina, avec M. Albert Gaudry, les nombreux ossements recueillis à Pikermi par ce paléontologue distingué, dans le cours de sa fructueuse mission en Grèce. Une découverte de premier ordre de M. Fontan, dans l’argile miocène de Saint-Gaudens, ramena devant l’Académie des sciences la question des singes fossiles, et Lartet établit les relations du nouvel anthropo- morphe dont il fait le genre Dryopithèque, avec les genres ac- tuels de la même famille et le genre éteint qu’il avait précé- demment étudié. En 1857, il caractérisa les restes d’un oiseau miocène, grand voilier pélagien, pour lequel il créa le genre nouveau Pelagornis. Vous le voyez, Messieurs, Lartet travaille avec une sage len- teur; son esprit sérieux et exact, son cœur droit, épris avant tout de l’amour du vrai, ne savent pas s’accommoder de ces procédés rapides d’investigation superficielle, qui font bon marché du passé, et traitent le présent avec une coupable lé- gèreté. Il ne se décide à se séparer d’un de ses écrits que lors- qu'il croit avoir, aussi complètement que possible, épuisé la Matière ; lorsqu'il a dépouillé, en véritable érudit, les œuvres des savants spéciaux; lorsqu'il a multiplié les comparaisons et les rapprochements, Aussi, quelle perfection n’y rencontre-t-on pas habituellement jusque dans les moindres détails? a ol os PA Relisons, par exemple, ce mémoire sur le dryopithèque de Fontan, qui, avec deux courtes notes sur Pikermi, forme dans la vie de Lartet tout l’actif de l’année 1856. Et pour apprécier à sa juste valeur ce travail auquel tenait beaucoup notre re- gretté maître, reportons-nous à l’époque éloignée déjà où Lartet s’'appliquait à élucider cet intéressant problème. ya seize ans, Messieurs, l’étude des anthropomorphes, qui occupe aujourd’hui tant d’esprits curieux, était toute récente pour la moitié des genres qui forment cette famille. Avec quelle sù- reté pourtant, décrivant minutieusement la morphologie des dents, leur disposition réciproque, leur grosseur, leur mode d'évolution, il reconnaissait dès lors, au milieu des eontra- dictions des auteurs, aidé d’un fort petit nombre d’éléments de comparaison, ce qu'aujourd'hui nous savons être l’exacte vérité. Le mémoire sur les migrations anciennes des mammifères de l’époque actuelle a été publié en 1858, et cet admirable travail n’a cependant presque pas vieilli. La théorie qui y est exprimée est la seule qui satisfasse aux exigences de la mé- téorologie comparée, et qui, avec les explications ajoutées par son auteur, en 1867, rende un compte satisfaisant de la présence dans les mêmes dépôts d’animaux aussi compléte- ment différents les uns des autres que ceux que Lartet distin- guait en groupe septentrional et groupe méridional. C’est la seule théorie, permettez-moi de l’affirmer ici une fais encore, qui puisse expliquer la présence sur notre sol, à l’époque quaternaire, des types humains si bien caractérisés que des fouilles plus récentes nous ont mis entre les mains. En étudiant ces animaux quaternaires, dont l’examen dé- taillé lui était nécessaire pour son grand mémoire sur Sansan, qu'il n’avait pas perdu de vue, Lartet devait être forcément amené à s’occuper de nouveau de l’homme, à l’ancienneté relative duquel ii avait toujours crüû. Suivant Bcucher de Perthes, dont vous connaissez dans tous leurs détails les pénibles labeurs et les luttes persévérantes, ces éléphants, ces rhinocéros, ces aurochs, ces cerfs, dont les débris caractérisent les terrains quaterpaires, avaient été con- temporains de l’homme. Ce premier-né de l’humanité, ce sau- vage grossier, mais relativement intelligent, avait laissé dans les alluvions de la vallée de la Somme les preuves de sa haute antiquité. Dans ces bancs diluviens, en effet, Boucher de Per- thes avait trouvé, en place, de nombreux silex taillés suivant des formes définies et intentionnelles ; mais cette découverte, NT CNE tout appuyée qu'elle fût par les vérifications successives d’un certain nombre de géologues et de paléontologues éminents de France et d'Angleterre, laissait encore quelque prise au doute. On objectait, par exemple, aux conclusions de Boucher de Perthes et de ses défenseurs, que le mélange actuel d’ob- jets auxquels on ne refusait pas le caractère de fabrication hu- maine, avec les restes de mammifères disparus ne prouvait pas la stricte contemporanéité de l’homme et de ces animaux. Lartet, qui suivait avec intérêt l’évolution de cette palpitante question de l’homme fossile, s'était dit depuis longtemps que celte objection, la seule réellement fondée de toutes celles qu'on avait élevées contre Boucher de Perthes, devait tomber d'elle-même si l’on parvenait à constater des traces non équi- yoques d’nne action humaine quelconque sur les os mêmes des animaux enfouis avec les silex travaillés dans les alluvions qua- ternaires. Il existait bien dans la science quelques affirmations de cet ordre. M. Joly, par exemple, dans ses notes à Buckland; M. Pomel, dans ses nouvelles considérations sur la paléonto- logie de j’Auvergne, avaient fait allusion à ce mode de dé- monstration. Mais 1ls s'étaient bornés à de vagues indications auxquelles Lartet substitua une démonstration précise. Vous avez pu voir, Messieurs, dans les collections äu Muséum de Paris, les os de rhinocéros, d’aurochs, de megaceros, enlaillés à l’état frais par l'instrument tranchant de l’homme primitif, et à l’aide desquels Lartet a définitivement démontré la coexis- tence de l’homme et de ces mammifères aujourd’hui disparus. De ce jour-là, Messieurs, date véritablement la paléontolo- gie humaine, et de ce jour aussi Lartet, fondateur de la nou- elle science , lui voue la meilleure partie de son temps et de ses forces, associant, dans une combinaison heureuse, aux re- cherches de son âge mûr les études de sa jeunesse, et de l’u- nion de deux sciences demeurées jusqu’alors à peu près étran- gères l’une à l’autre tirant cette branche des connaissances humaines qu’on a si heureusement nommée à son début l’ar- chéo-géologie. Le premier résultat de ses recherches dans cet ordre Aides amène la découverte d’une hache taillée dans le diluvium gris de la vallée de la Seine. Puis il fouille Aurignac; Aurignac, l’un des anneaux de cette merveilleuse chaîne qui rel'e au- jourd’hui, presque sans interruption, dans un passé immen. , Vhistoire à la géologie; Aurignac, qui, tout incomplet qu’il est, ouvre cependant les yeux à tous les hommes de science 44 —— que n’aveugle point l’esprit de parti; Aurignac, qui conquieri à la doctrine de l’ancienneté du groupe humain des adhésions d’autant plus précieuses qu’elles vont se transformer en acti- vités fécondes. N'oublions pas, en effet, messieurs, que c’est la notice sur cette grotte qui a porté la conviction dans l'esprit du plus grand nombre des naturalistes, et que ce sont ces fouilles de Lartet qui ont inspiré celles de Lourdes, de Bruni- quel, de Lherm, et tant d’autres non moins fruclueuses qu'il serait trop long d’énumérer ici. Et d’ailleurs, messieurs, ne serait-il pas superflu de re- tracer ici tout ce mouvement scientifique dont Lartet fut le principal initiateur, et qui se propageant d’année en année et de pays en pays, gagne aujourd’hui les contrées les moins accessibles, il y a dix ans, à ce genre d’études délicates et dif- ficiles. Le Moustier, Aurignac, les Eyzies, la Madelaine, Lau- gerie, toutes ces étapes de l’humanité primitive que franchis- sait le vieux maître, d’un pas prudent et assuré, ne les avez- vous pas parcourues après lui? Et, à son exemple, n’avez-vous pas fait revivre en cent endroits divers, ces civilisations rudi- mentaires qu'avec son ami Christy, il avait exhumé du sol de l'antique Aquitaine ? Les monographies consacrées par Lartet à ses recherches sur les cavernes, sont les premières pages de ce grand livre de l’histoire primitive que tous nous avons lu et que nous re- lisons souvent, et sur lequel les plus favorisés des observateurs d'aujourd'hui viennent à leur tour inscrire quelque lignes. Nous y avons appris à distinguer des périodes dans l’évolution de l’humanité primitive. La chronologie paléontologique, que le maître y expose, avec les modifications de détail qu’elle a subies depuis, est encore ce que nous avons de moins impar- fait dans ce genre; son chapitre sur les races primitives de l’Europe, a ouvert des voies nouvelles à l’anthropologie pro- prement dite, et tout ce qu'il a écrit à diverses reprises de la géographie et de la météorologie de l’Occident de l’Europe pendant la période quaternaire, s’est admirablement confirmé par la suite. Et si des généralités nous descendons aux détails, nous nous rappelons avec plaisir ces descriptions nettes et élé- : gantes, qui peignent si clairement les objets, et ces rappro- chements ingénieux, qui en font aussitôt saisir la destination. Avec Mercati et Jussieu, Nilsson et Steinhauer, Boucher de Perthes et Morlot, Tylor et Lubbock, Lartet donne, en effet, à € D pee à l’ethnographie une extension nouvelle. Il vivifie les antiques stations contemporaines des mammouths et des rennes, par la comparaison avec celles des peuplades sauvages anciennes etacluelles, étudiées dans les historiens et les voyageurs. Aux mains des peuplades du Nord, il retrouve les armes et les ou- tils en pierre et en os de ses cavernes et de ses abris, leur des- sins et leurs sculptures lui rappellent ces contours nettement tracés et ces statuettes au sentiment artistique qu’il a décou- vertes à la Madelaine ou à Laugerie-Basse. Lartet consigne ses observations dans une série de notes et de mémoires qui paraissent aux Comptes rendus, dans la Revue archéologique, ou dans les Annales des Sciences naturelles. Puis il commence la publication du grand ouvrage Reliquiæ aquitaniæ, véritable monument qu'il élève, avec Christy, à la paléontologie de l’homme, mais dont il ne verra pas, plus que son collaborateur, se compléter le couronnement. Trois cha- pitres de ce magnifique recueil sont dûs à sa plume magis- trale, et le troisième surtout, consacré à l’ethnographie de l’aiguille et à l’histoire des origines de la couture, le dernier article que Lartet nous ait laissé, ne fait que plus vivement sentir l’immensité du vide qui s’est opéré dans nos rangs. Les paléontologistes, savent bien de leur côté toute l’éten- due de la perte qu'ils ont faite, et de toutes parts les voix les plus autorisées s'élèvent en Europe pour s’associer à notre deuil et pour proclamer l’importance de l’œuvre de Lartet. Occupé, mais non pas absorbé par ses travaux sur l’homme quaternaire, il avait constamment accru dans ses dernières années le nombre de ses publications sur les animaux fossfles. À sa note sur les éléphants des environs de Rome, il avait joint, en 4859, son monumental mémoire sur la dentition des proboscidiens fossiles et sur la distribution géographique et stratigraphique de leurs débris en Europe. Il avait décrit l'o- vibos moschatus dans la faune quaternaire française et rendu sa véritable signification au prétendu agouti des cavernes de Liège. On lui devait encore un travail important sur deux siré- niens fossiles des terrains tertiaires du bassin de la Garonne, des monographies du Rhinoceros Merckii, d’un ours nouveau du groupe des ursidés maritimes et d’un léopard quaternaire, un mémoire sur le érechomys Bonduellr et sur deux autres ron- geurs fossiles de l’éocène parisien. Enfin il publait celle de ses dernières œuvres qui était ap- pelée au plus grand retentissement, Je veux parler du mémoire — 16 — sur quelques cas de progression organique vérifiables dans la succes- sion des temps géologiques, que Lartet a présenté en juin 1868 à l’Institut et à la Société d'anthropologie de Paris, qu’il prési- dait alors. Lartet , nous l’avons dit, était né philosophe, et ses larges études avaient développé ses tendances premières à la généra- lisation. Aussi, presque en toute occasion, s’efforçait-il de s’é- lever de l’étude sincère des faits à la conception des lois dont ils sont la manifestation. Geoffroy rendait volontiers hommage à la portée d’esprit de son ami, et à la hauteur de ses vues z00- logiques. Ce trop court mémoire sur la progression, rempli de faits d’un très-haut intérêt sur le cerveau, les dents, etc., des espèces tertiaires et actuelles, substituait aux inductions un peu vagues et hypothétiques des différentes écoles, des données précises visant à démontrer une tendance de la nature animée vers un perfectionnement qui ne transformerait pas les types génériques. Le maître, sûr de lui-même, développait enfin, en terminant sa carrière, les idées de son âge mür. Un certain nombre d’autres mémoires du même genre étaient en vole d'exécution, tandis que se coordonnaient d’autres matériaux ceux de la grande monographie de Sansan, en particulier. Mais Lartet, appelé en mars 4669 à remplir la chaire de pa- léontologie du Muséum, abandonna provisoirement toutes ces études pour se préparer aux durs labeurs d’un professorat qui l’effrayait et dont il avait tout d’abord repoussé la laborieuse charge. Ce surcroît de travail aggrava l’état d’une santé déjà précaire. Les névralgies atroces dont il souffrait depuis long- temps à certains intervalles devinrent de plus en plus fréquen- tes, et bientôt il lui fallut se résigner, par ordre du médecin, au repos le plus absolu. — C'est dans le Gers qu'il a vécu ses derniers jours, au milieu des émotions douloureuses qu: ve- naient coup sur coup ébranler nos esprits et briser nos cœurs. Pour tous les hommes qui, de près ou de loin, s'intéressent aux progrès de la science, la mort de Lartet a été un véritable deuil. Cette mort a été bien douloureuse pour ceux-là surtout qui jouissaient de son intimité. Une seule chose leur apporte quelque consolation, c’est de voir le souvenir du maître et de ami qu'ils ont perdu, accueilli de tous ceux qui furent ses confrères par des marques d’estime profonde et de respec- tueuse sympathie. 1000 — PARIS, ÉDOUARD BLOT ET FILS AINÉ, IMPRIMEURS, RUE BLEUE, W: AUNA RAR TTO TRUE pue JE de A h > 0 a PAPA, d ÿ 0086: