ELOGI 1)E L'AGRItliLTLiKI '\\i >N(iX(. r iir.wwr L'INSTITUT CANADIEN, A QOÉBEC OOTOBI^E 1891 PAR L'HON. CHS. LANGELIER Député de Montmorency et Secrétaire de la Procivce de Québec ®f QUEBEC : Imprimerie Belleau & Cie 1891 E DE L'IGRICULT^KE PRONONCE DEVANT L'INSTITUT CAXADIEX, A QUÉBEC OOTOBÎ^E 1891 PAR L'HO:s^ CHS. LA^S^GELIER Député de Montmorency et Secrétaire de la Province de Québec fO(. QUEBEC : Imprimerie Belleau & Cie. 1891 Digitized by the Internet Archive in 2009 witin funding from Ontario Council of University Libraries littp://www.archive.org/details/elogedelagricultOOIang ELOBE DE L'AGRICULTURE Prononcé devant V Institut Canadien, à Québec, octobre 1891, par VHon. Chs. Langelier, député de Montmorency et Secrétaire de la Province de Québec. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs. Que va-t-il nous dire, que peut-il nous dire à propos d'agriculture ? ont dû se demander bon nombre d'entre vous, en apprenant que j'étais appelé à traiter un pareil sujet ce soir. Tout n'a-t-il pas été dit sur l'agriculture et sur l'agriculteur depuis que le monde est mond'"- ? Et encore tout récemment, n'avons-nous pas entendu la voix élo- quente du Premier Ministre de la Province faire à ce sujet une admirable et trop courte allocution, lors de la solennité du mérite agricole ? Il n'y a plus place en pareille matière que pour des banalités ou pour ces sen- tencieux aphorismes qu'on débite- avec le cou démesuré- ment roidi et en se rengorgeant au degré de l'importance qu'on croit donner à ce qu'on débite. Kt puis, pour parler convenablement d'agriculture, faut-il être au moins un peu du métier, avoir des notions tellement pratiques qu'on évite de verser dans les généralités et de dire des choses qui n'ont ni objet ni résultat. Eh ! certes, oui Messieurs, le sujet que j'ai la prétention d'aborder pour tâcher d'en tirer la matière d'un simple entretien n'a rien de nouveau, je le confesse, et l'on aurait pu sans doute m'assigner quelque chose de plus piquant ou de plus émouvant. Mais à cela, hélas ! l'on aurait perdu tout son temps. Il y a longtemps qu'il n'v a plus rien de nouveau. L'humanité comme la terre quVUe — 4 — habite et qui tourne régulièrement dans son orbite céleste, tourne avec elle dans un même et éternel cercle d'idées anciennes comme elle, mais néanmoins incessamment renouvellées, incessamment revêtues d'une nouvelle forme, suivant les évolutions et les phases différentes par lesquelles elle passe, absolument comme la terre elle- même qui subit sans cesse et à chaque instant, depuis son apparition dans ^^space, des transformations qui, à la longue, changent complètement sa physionomie. A ce point de vue. Messieurs, tout est nouveau, mais je ne me lancerai point dans cette ordre d'idées qui nous mènerait bien au delà des bornes de votre complaisante attention. J'admets que mon sujet est vieux, archi-vieux, qu'il a été battu et rebattu, sassé et resassé. Eh bien ! et après, pense-t-on qu'il soit épuisé pour cela ? Quoi ! Grand Dieu ! L'humanité, depuis ce que l'en connaît d'elle, n'a jamais eu que deux mobiles à tous ses actes, deux seules passions qui les aient enfantés : l'amour et la haine. C'est sur ce fonds en apparence si maigre et si restreint que roulent l'histoire de tous les peuples et les drames innom- brables qui l'accompagnent, tontes grandes, belles et épouvantables actions, tous les ouvrages psychologiques, à quelque ordre qu'ils appartiennent, les plus grands poèmes, les plus éclatants faits, de même que les plus humbles événements de chaque jour, et cependant ce fonds est à peine entamé, et les moralistes et les historiens, et les poètes de tous les âges à venir n'en auront jamais d'autre pour champ d'étude jusque dans les plus intimes replis de notre nature, et ils n'arriveront jamais a en attein- dre la limite. Le jour où l'on ne trouvera plus rien à dire sur toutes les grandes questions qui intéressent l'humanité, l'humanité cessera, elle n'aura plus aucune raison d'être, elle aura atteint sou terme. Et maintenant, pour revenir exclusivement au sujet qui nous occupe, y a-t-il au monde une science, ou si l'on veut, une profession, un métier qui soit plus ancien que celui de l'agriculture ? Non, certes ; eh bien ! il n'en est pas un qui soit encore plus dans l'enfance, dans notre pays, du moins, sur lequel on ait dit plus de choses qui n'ont servi à rien et qui soit encore aujourd'hui telllement nouveau que les plus simples notions en soient encore inconnues et qui oblig'e au concours de toutes les forces de la société et des gouver- nements, pour que l'on parvienne aux plus infimes résul- tats. Y a-t-il à cela quelque chose d'étonnant ? Non en vérité. Quoi ! C'est d'hier à peine que les hommes ont commencé à étudier leur globe dans ses transformations et dans ses évolutions, c'est tous les jours que sous nos yeux la géographie qui n'est que la connaissance de la surface de la terre, apporte des découvertes et des révolutions continuelles, c'est de nos jours que les savants spéciaux, des explorateurs de toutes les nations découvrent sans cesse de nouvelles étendues, apprennent à connaître davan- tage les lois de Tordre universel, et l'on voudrait que la masse des hommes possédât déjà, à l'heure qu'il est, tous les secrets de la manière de traiter la terre, quand nous connaissons encore à peine quelle en est la forme, la figure et les fonctions précises ! Ah ! certes, ce n'est pas l'ancienneté de mon sujet qui m'eût détourné de venir vous entretenir ce soir, mais c"est bien plutôt sou effrayante nouveauté ! c'est l'abîme d'in- connu dans lequel il me semble me plonger en le con- templant seulement, et si j'ai quelque faveur à vous de- mander, ce n'est pas votre indulgence pour ma témérité, mais bien un regard sur la profondeur de notre ignorance, comme un moment de réflexion sur le travail sans relâche et sans limites que notre génération et toutes celles à venir auront à accomplir avant d'en arriver à être certaines, même des choses fondamentales. Est-ce à dire que cette persp:^ctive doive nous effrayer ? Non, loin de là. Ce n'est pas avec terreur que nous devons envisager notre mission sur la terre, mais avec espérance. Notre tâche, comme l'espérance, est infinie. Nous n'en verrous jamais le terme, mais nous puisons sans cesse de nouvelles forces à chaque pas accompli et nous acquérons une vertu de plus à chaque conquête faite sur la nature, grâce à la volonté et à la persévérance. Dieu nous a livré la terre, et tout ce qui l'habite, et tout ce qui — 6 — la compose, pour être notre propriété, un champ éternel où s'exerce notre intelligr-nce, et la connaissance de cette terre est l'un de nos devoirs essentiels. Nous devons au Créateur de ne pas l'habiter comme des êtres dépourvus de raison, mais de lui en faire d'autant mieux hommage que nous la comprenons et que nous l'utilisons davantage. Jadis, à une époque bien reculée, l'homme habitait les cavernes, il a même habité des lacs ; plus tard il est devenu nomade, eh ! grands dieux ! il y a encore quantités de tribus nomades qui parcourent les immenses steppes de l'Asie et les forêts d'Afrique, sans compter les tribus déchues, de notre propre continent ; mais à côté des tribus nomades se formaient petit à petit les peuples pasteurs, nos véritables ancêtres, ceux du moins auxquels nous pouvons remonter ; les peuples pasteurs origine et fonde- ment de toutes les sociétés civilisées qui ont passé sur la terre les unes à la suite des autres, premier essai d'agriculture, constitution de la propriété, établissement de la famille. Mais je m'aperçois, Messieurs, que je m'écarte de la démonstration que j'ai entrepris de faire ce soir. Revenons vite à ce qui fait particulièrement l'objet de mon entretien, c'est-à-dire à la démonstration triomphante de l'excellence de l'agriculture, des services immenses qu'elle rend à la société. Disons d'abord que l'agriculture est la plus ancienne et la plus noble des professions ; " l'agriculture, a dit J. J. Rousseau, est le premier métier de l'homme, c'est le plus honnête, le plus utile et par conséquent le plus noble qu'il puisse exercer. " Elle est la plus ancienne, parce qu'elle est née du jour même où les hommes ont senti le besoin de vivre réunis et en paix au lieu de vivre isolément et en hostilité continuelle, du jour même où eut lieu la première ébauche de civilisation. Dans l'Inde, dit le doc- teur Link, le cultivateur sort immédiatement de la main de Brackma, et le taureau sacré lui est prêté pour le seconder dans ses travaux. En Egypte, c'est Isis qui donne aux hommes les premières leçons d'agriculture ; Diane va porter cet art en Grèce, et Cérès l'enseigne en Italie et en Sicile. Enfin la tradition arabe veut que le blé ait été apporté à l'homme par l'ange Mikaïl. L'oriû'iue de l'agriculture remonte à la plus haute antiquité on en retrouve les traces dans tous les débris, dans tous les monuments des civilisations les plus recu- lées. Elle est la plus noble parce que dans son exercice plus que dans tout autre, l'homme acquiert cette indépen- dance virile, cette force de tempérammeut, cette confiance en soi qui sont la base morale des sociétés. En contact continuel avec la nature, passant les trois quarts de sa vie sous le ciel ouvert, écoutant tout le jour le merveil- leux concert de tous les êtres créés dans lequel il n'y a rien d'appris et où cependant il n'y a pas une fausse note, conversant lui-même à son insu avec les voix innombra- bles de l'espace dont pas une ne dit un mensonge, ayant constamment sous les yeux tout ce que l'homme peut contempler de plus grand, la création, poussé toujours du côté où le portent les bous instincts, n ayant pas d'autres exemples que des bons à suivre lorsqu'il n'est pas troublé par les passions étrangères des hommes des villes ni d'antre spectacle à contempler que celui de la paix et du bonheur domestiques, le plus grand des biens qu'il puisse désirer, fortifié tous les jours par une vie rude et de salutaires fatigues, le cultivateur oflTre le type le plus parfait de l'homme dans sa noblesse native et dans la liberté réelle de tous ses actes. Laissez-moi, vous dire avec le grand poëte Lamartine, moi fils de cultivateur : " Fils des champs, j'aimai de bonne heure " Ces laboureurs vêtus de deuil, " Dont on voit la pauvre demeure " Entre l'église et le cercueil. " Le jardin qui rit à leur porte •• Dans son buisson de noisetiers, •• Leur seuil couvert de feuille morte '■ Où le pauvre a fait des sentiers ; — 8 — " La voix de leur cloche sonore " Qui dit aux valus enfants du bruit : " Que le Seigneur est dans l'aurore ! " Que le Seigneur est dans la nuit ! " Cette odeur de myrte et de roses " Qui s'exhale autour de leurs pas, " Et leur voix qui parle de choses " Que l'œil de l'homme ne voit pas. Et puis, permettez encore que je vous cite cette des- cription de la vie du cultivateur, ce petit croquis si gra- cieux emprunté aux Greorgiques de Yirgiles. On se rap- pelle involontairement en lisant ce tableau si frais, les charmantes descriptions que Legendre a fait de la vie à la campagne : " Quelques-uns, dans les longues soirées d'hiver, veil- lent à la lueur de la lampe, et aiguisent en forme d'épées des torchts nouvelles. Pendant ce temps-là, la mère de famille charme par ses chansons les heures trop lentes du travail, fait courir la navette légère entre les fils de la toile ; ou bien elle cuit dans l'airain les doux fruits de la vigne, dont elle ôte, avec une branche d'arbre, l'écume bouillante. " (1) Non seulement l'agriculture est la plus noble et la plus ancienne des industries humaines, mais je pré- tends aussi qu'elle est celle qui rend à la société les services les plus considérables, que sans elle enfin, nous ne pourrions pas exister, car elle est née des besoins même de l'homme dès qu'il fut banni du paradis terrestre. Oui, Messieurs, l'agriculture a créé les nations ; la charrue a (1) " Et quidam seros liiberni, nd luminis ignés " Pervigilat, ferroque faces aspirât acuto : " Interea, longum cantu solata laboreiu, " Arguto conjux percurrit pectine telas ; " Aut dulcis niusti Volcano decoquit humorem, " Et foliis undam trepidi despumat aheni. — 9 — fait le premier propriétaire. Cet art de couvrir les champs de récoltes, de modifier la nature, pour la rendre plus utile à l'homme, a devancé tous les autres. Et cependant, dit le marquis de Montlaur, dans un admirable rapport, cette science si haute, si féconde en résultats, a été nég'li- gée pendant des siècles et abandonnée avec une sorte de mépris. Ceux qui portent l'épée passent avant ceux qui tiennent la bêche, l'endant tout le moyen-âa'e, sauf à quelques rares moments, sous Charlemagne et Saint-Louis, par exemple, la condition du laboureur est triste et pré- caire. Toutes les charges pèsent sur lui. La lutte est sans trêve sur tous les points du pays : comment l'agri- culture aurait-elle pu pros^^érer ? La paix seule lui per- met de vivre et de grandiv. Au seizième siècle, époque de transformation sociale elle reprend faveur. Olivier de Serres écrit son livre si curieux et si bon à consulter, même aujourd'hui ; Sully et son illustre maître, le cœur navré par les misères qui affligent les campagnes déclarent que cet art si nécessaire est digne de tous les respects, et que les Etats ne restent forts qu'en s'appuyant sur lui. Ce retour aux idées saines rt vraiment gouvernementales, ajoute le même écrivain dure peu ; les désordres politicjues arrêtent ce salutaire élan Au temps de la Fronde, les champs foulés aux pieds par des bandes armées restent en friche. Quand le calme est revenu, quand l'ordre a suc- cédé à toute cette agitation mauvaise, les splendeurs de Versailles éblouissent tous les yeux et cachent la véritable situation du royaume. La détresse est profonde et l'on court à l'abîmi.'. Cependant le dix-huitième siècle vient de s'ouvrir ; toutes les intelligences sont en travail ; on S'' préoccupe avant toitt de réformes sociales; l'économie poli- tique est créée. On comprend que l'agriculture a un rôle important à jouer dans cette réorganisation de la société que l'on rêve, et à laquelle on met lam«iin avec tant d'ardeur et d'inexpérience. Des comices sont instituées et l'état des campagnes est la première des qtiestions qu'on disctite. Il y a de grands maux ; chacun cherche avec bonne foi le remède. Depuis, l'agriculture a fait son chemin. Elle s'est développée énergiquement en tous sens en Europe surtoitt. Elle a conquis enfin la place c[ui aurait toujours dû être la sienne. On s'est senti honoré de lui appartenir, et un — 10 — maréchal de France, qui est une des grandes fignires con- temporaines, a pu prendre aux applaudissements de tous, cette simple et noble devise : Ense et aratro. Pourquoi, -Messieurs, a-t-on toujours fait un si grand cas ae l'agriculture ? Ah ! c'est que l'on a com- pris que c'est dans son sein que l'humanité puise la source même de sa vie. Tandis que toutes les autres industries se bornent à transformer des matières premières dont elles n'utilisent même qu'une partie, l'agriculture multiplie ces matières premières, elle les décuple et les centuple. Le soleil est son grand auxiliaire dans cette œuvre de création. C'est une des principales branches de l'activité humaine ; c'est la plus ancienne. " L'agri- " culture, dit Fénélon, qui est le fondement de la vie " humaine, est la source de tous les vrais biens." Son importance a toujours été jugée si grande que toutes les traditions anciennes s'accordent à lui donner une origine divine. N'est-ce pas en effet, dit M. deTracy, dans ses remarquables lettres sur l'agriculture, le sol cultivé qui donne toutes les denrées nécessaires à la nourriture des po- pulations ? n'est-ce pas du sol aussi que proviennent la plupart des matières dont on se sert pour fabriquer les vête- ments, pour orner et meubler les habitations " Ce qui est le caractère propre de l'agriculture, ce qui la distingue de toutes les autres industries, c'est que seule elle créé la matière vivante, que seule elle peut se suffire à elle- même. Aussi, on veut bien admettre généralement que l'agriculture, considérée uniquement comme l'en- semble des procédés au moyen desquels on obtient de la terre tous les objets d'une indispensable nécessité pour la noui'riture, le vêtement et mérite, à ce titre, d'occuper la première place parmi toutes les industries ; mais en l'envisageant d'un point de vue aussi étroit il n'est pas possible de s'en faire une idée un peu exacte et complète, et de reconnaître que sa prééminence est fondée sur bien d'autres motifs et sur des considérations de l'ordre le plus élevé. Ainsi, non seulement ajoute le même auteur, l'agricul- ture est, dans les temps les plus difficiles, comme au sein — 11 — de la prospérité générale, la source la pins féconde et la moins variable de la richesse financière de l'Etat ; non seu- lement les capitaux qu'elle a depuis si longtemps fixés dans le sol, et qu'elle ne cesse d'y déposer chaque année, égalent et surpassent peut-être la somme des capitaux de toutes les autres industries réunies ; mais quand on étudie avec quelque attention les divers etïets de son action et de son influence, on reconnaît qu en obtenant de la terre tant de produits variés, elle modifie la nature et la composition du sol lui-même, et, par suite, les phénomènes physiques dont l'ensemble constitue le climat particulier de chaque contrée ; enfin on voit que l'agriculture, par la diversité de ses travaux, de ses procédés et des habitudes locales qui en résultent, par la nature et la variété des produits alimentaires et autres, qu'elle met à la portée de chacun, détermine d'une manière absolue sous le rapport physique, moral, et même intellectuel, les conditions d'existence de l'immense population qui, plus ou moins directement, concourt à ses travaux. La richesse publique est intimement liée au dévelop- pement et à la prospérité de l'agriculture ; pour bien le comprendre, il suffit de remarquer que cette industrie étant exercée par une immense population, répandue sur un vaste territoire, les moindres perfectionnements dans ses procédés doivent avoir sur la production générale une très grande influence, et amener des résultats très impor- tants. Et prtis que d'autres services l'agriculture ne rend- elle pas encore à la société ? Par une harmonie vraiment providentielle, les intérêts de la production sont d'accord avec ceux de l'humanité, et la culture en se perfection- nant tend sans cesse à diminuer les influences nuisibles et souvent délétères émanées de certains sols. Ainsi, par exemple, le séjour des eaux à la surface de la terre ou dans ses couches peu profond^^s est nuisible à la végéta- tion à tel point, que le premier soin d'un cultivateur intelligent doit être de faire disparaître ces causes d'infé- condité en procurant à ces eaux leur écoulement par tous les moyens possibles. D'un autre côté la stagnatiou de ces eaux n'est pas moins funeste à la santé des hommes, puisqu'elle est dans bien des cas, la cause principale des fièvres et de bien d'autres maladies. T/B cultivateur, on ne saurait trop le proclamer, est le fondement et la colonne de tout ordre social, et sans lui les plus belles choses de ce monde n'auraient pas de len- demain, car c'est lui qui donne à manger au reste des hommes. Quand Sully a voulu relever la France des désastres que la guerre avait causés, c'est à l'agriculture qu'il s'est adressé. Voici ce qu'il disait dans le préambule de l'édit. de 1599 : " Le plus grand et légitime gain et revenu des peu- ples procède principalement du labour et culture de la terre, qui leur rend, selon qu'il plait à Dieu, à usure, le fn-.it de leur travail, en produisant grande quantité de blés, vins, graines, légumes et pâturages. De quoi non- seulement ils A'ivent à 'eur aise, mais en peuvent entre- tenir le trafic et commerce avec nos voisins et pays loin- tains, et tirer d'eux or, argent et tout ce qu'ils ont en plus grande abondance que nous. Ce que nous considérant, nous avons estimé nécessaire de donner moyen à nos sujets de pouvoir augmenter ce trésor. Joignez que sous ce labour, infinis pauvres gens, détruits par le malheur des guerres, dont la plupart sont contraints de mendier, peuvent travailler et gagner leur vie, et peu à peu se remettre et relever de misère. " Sachant bien qu'en plusieurs de nos provinces et pays, le long des mers de l'un et de l'autre côté, de grosses et petites rivières et autres endroits de notre royaume, il y a grande quantité de palus et marais inondés et entre- pris d'eau .lesquels palus et marais étant desséchés serviront partie en labour, et partieen prairie et pâturao-es." On a souvent comparé l'agriculture à une large mamelle où vient s'allaiter l'humanité entière. Olivier de Serres disait : " Pâturage et labourage sont les deux mamelles de l'Etat." Je ne veux pas insister sur cette — 13 — image autrement que pour en signaler !'< xtrême justesse et pour rappeler que de toutes les grandes sources qui alimentent l'activité et le déTeloppement des sociétés, la principale, et, comme je le' disais tout à Theure, la plus ancienne et la plus noble est assurément l'agriculture. Après tout, sans l'agriculture que serait le commerce, par exemple ? N'est-ce pas du sol que sont tirées toutes ces richesses qui transformées pour difFérenis objets l'ali- mentent et le font Yi\'^re. N'est-ce pas là la véritable richesse, la seule qui soit indispensable ? " Quelle folie, " dit Aristote dans sa Politique, d'appeler richesse une " abondance au sein de laquelle ou meurt de faim ? " C'est bien la fable de Midas dont les dieux avaient " exaucé le souhait avare et qui périssait d'inanition parce " que tout ce qu'il touchait se convertissait en or." Cette comparaison est frappante ; en effet, à quoi nous servirait- il d'avoir des monceaux d'or, si la terre nous fermait son sein et refusait de nous fournir le pain qui nous conserve l'existence ? Que deviendraient ces grandes armées qui s'en vont conquérir des empires, si l'agriculture ne leur fournissait point la nourriture qui maintient leur force et augmente leur courage ? Ah ! Napoléon Bonaparte l'avait bien compris, puisqu'il disait : " L'agriculture est le " premier élément de la prospérité d'un peuple." Comment se fait-il alors, dira-t-on, que tant de gens désertent les champs, où ils trouvent la liberté, l'indépen- dance et la santé pour aller s'étioler dans les étroites et malsaines demeures des villes, et dans des établissements où la mort et la production vont de pair? Oh ! Messieurs, on ne saurait répondre à cela que par des banalités pué- riles, par des arguments à la Prud'homme. Il n'en est pas moins vrai qu'un des grands fléaux de notre temps soit le dépeuplement des campagnes au profit des villes. Les champs à l'air pur et libre sont désertés pour l'atelier, pour la machine et pour le souterrain. Nous sommes dans le siècle de fer par excellence, où l'humanité cherche à se créer des conditions et une existence nouvelle en forgeant, et en élaborant sans cesse dans l'universel creuset, toutes les matières premières. Nous cherchons un avenir nou- — 14 — veau, et il nous faut passer par l'âge de fer avant d'arriver à l'âge d'or. C'est la condition fatale, inexorable. Elle nous a été imposée dès le premier jour, par une pomme. Et dire que ce fruit fatal continue encore d'être tant recherché et que les Canadiens se vantent de l'avoir comme le meilleur et le plus productif de tous ceux de leurs vergers ! Nous passons par l'âge de fer ; il n'y a que nos muscles qui ne le soient plus ; mais l'homme finira bien par trouver remède à cela au moyen de l'électricité Messieurs, je voudrais bien ne pas abuser de votre attention ni dépasser le temps qu'il m'est donné de m'en- tretenir avec vous, mais je voisJes sujets de causerie naître en foule autour de moi à mesure que j'envisage le sujet général que j'ai été appelé à faire valoir. Qui de vous, n'a pas assisté au moins une fois en sa vie dans les champs, au lever du jour ? Voyez. Le soleil à peine a projeté ses premiers rayons audessus de l'horizon ; les oiseaux vien- nent de s'éveiller et remplissent l'air de frais gazouille- ments, la brise matinale, pure et fraîche, court dans les feuillages et sur les têtes des long épis, on entend des échos lointains, sonores et doux, les animaux domestiques, compagnons et serviteurs du roi de la nature, étirent leurs membres reposés et se lèvent lentement mais, regardez bien. Quel est cet être qui seul debout, droit et front tourné vers les cieux, interroge de tous côtés la vaste étendue et promène sur elle son regard souverain qui en scrute les secrets et demande ce que le temps lui réserve ? Cet être, c'est le cultivateur, le premier, le plus libre et le plus puissant des hommes ; oui, le plus puissant, car toute puissance humaine vient de l'homme libre ; de l'homme libre qui tient dans ses mains les destinées de son pays, et qui possède le vote ce qui veut dire le pou- voir. Saluez, Messieurs, celui qui fait les gouvernements, et surtout les gouvernements colonisateurs. Hélas ! cet homme si puissant et si superbe dans son indé] en- dance a été si longtemps et si systématiquement dédaigné que je me sens tout timide en parlant de lui dans les termes où je le fais ; mais j'espère que cette timidité ne — 15 — dépassera pas les bornes de mon travail, et que je saurai faire énergiquement, dans la sphère qui m'est réservée, tout ce qui m'est possible pour reconnaître dans le culti- vateur le premier des citoyens et le traiter comme tel. Messieurs, il m'est tombé dernièrement sous la main un tout petit article que je n'ai pu lire sans une profonde émotion ; je l'ai pris dans un journal de la Louisiane et comme il trouve admirablement sa place ici, je vous demande la permission do vous le lire ; le voici : "Savez-vous, dit l'auteur, pourquoi les Acadiens furent les meilleurs entre les colons de la Louisiane, pour ne pas dire les meilleurs de tous, et pourquoi nous ne devons pas, quand nous écrivons leur histoire, nous étonner de leur simplicité native, de leur honnêteté insurpassable, de leur foi, de leur piété, de leur courage, de leur énergie de pionniers, comme aussi de leurs œuvres aux temps où l'esclavage des noirs n'avait pas encore marqué ce pays pour une épreuve qui dure encore ! " Ce n'est pas seulement parce qu'ils étaient de bonne race, ni parce que leur séjour ot leur héroïque existence en Acadie les avaient rendus forts et bons, mais encore parce qu'ils étaient avant tout, par l'origine, par la con- dition et par les mœurs, ce qu'on appelle des paymns, c'est-à-dire des hommes du pays, du sol et de la terre. " Ils ne venaient point des villes Ils n'en avaient ni la langue ni les mœurs. Ils n'en connaissaient pas les métiers et les vices. Leur outil était la houe. S'approprier un morceau de terre, le défricher, le cultiver, l'ense- mencer, l'embellir, y planter des arbres, y bâtir une maison, y élever la famille dans le travail, dans l'hon- neur, dans le respect à l'autorité paternelle, près de l'église du baptême, du mariage et du cimetière bénit — église moins rude et moins sévère que celle du puritain, mais plus humaine et plus vivante, plus fleurie et plus joyeuse aux jours de fête, où le prêtre était un ami, un père, un brave homme aimant tout le monde et aimé de tous, sans — 16 — être grand théologien— tel était leur rêve, ei telle fut leur ambition. " Car ils étaient paysans là-bas. Et ils aimaient la terre qu'il faut aimer, qui seule est généreuse, qui seule convient à la famille, dont l'amour ne trompe point, ne trahit pas et ne souille jamais, — la terre qui a toutes les vertus du travail, du soin, de l'ordre, do l'économie, de la probité, de l'hospitalité, de la vérité et de la cro^-^auce, — la terre qui est et doit être une religion intime, profonde, constante, héroïque et sacrée sans laquelle ou en dehors de laquelle il ne peut pas y avoir de religion véritable et respectable, de l'homme à Dieu, du travailleur au créateur. La terre prouve Dieu autant que le ciel, sinon plus. En tous cas, c'est là que l'homme est le contre-maître de Dieu. " Voilà pourquoi le paysan, l'homme du pays, avec son amovtr pour la terre, son amour de Graulois encore plus que de Français, son amour si constant et si dévoué qui a fait de la France un admirable jardin où vit l'esprit d'une admirable nation, est le premier homme devant Dieu. Les Acadiens furent des paysans. Oui, Messieurs, c'est le sol qui renferme toutes les vertus solides, les vertus héréditaires, qui conservent et qui maintiennent les peuples et les races, et comme je ne saurais ajouter une parole plus convaincante et plus éloquente, aux admirables paroles que je viens de citer, je nie contente en terminant cette trop imparfaite confé-. rence, de jeter avec vous un cri qui résume bien toute notre pensée en songeant aux grandes choses accomplies, par l'agriculture et disons avec le poëte : "J'admire tes bienfg-its divine agriculture."