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ELOGE

HISTORIQUE

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E S V,

ROI DE FRANCE.

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ELOGE HISTORIQUE

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Charles V,

; OI DE F RAN CE

Par M. DE VlLLETTE.

On neuf être Héros sans ravager la Terre.

/ ottaire

A PARIS. Chez^URANGE ^rrwrwieur-uMrraire, ad Calnnet jCîtteraù'tJ? c^Lont <l- Votre-SDamt vrùâ ta iSbmpc '

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M. D CC. LXVII.

dvec Approbation et Permi. '.ur/i

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LE T T R E

A M. DE VOLTAIRE

O N S I E U R,

Je ri ai jamais prétendu que cet Ouvrage parût au grand pur ; auffi ri a- 1- il pas été préfenté a l'Académie : il ejl le fruit des occupations dont je me fuis fait un régime nécejfaire à ma Janté ; le fyflême médical auquel vous m'avez vu ajfujetti pendant mon féjour a Ferney ne lui cfl pas plus ejfentiel. Je vis toujours de pri- vations j & je fuis devenu prefque frugi- vore. Quel rôle puis-je faire oh l'on foupe, ton joue , l'on veille } le parti qui

vj LETTRE

rejle efl de rentrer ehe^foi; mais > otium fine litteris mors eft & viventis fepul- tura. Alors je me fias mis à vous contre- faire ; enfoncé dans la folitude de mon cabinet >f ai écrit ; f avouerai ? avec quel- que pudeur > que la patrie n'était pas de- bout devant moi ? & que la juftice n'é- tait point afïife à mes côtés , mais 9 en revanche , le jantôme de l'ennui appuyé fur mon balcon me difait d'une voix me" naçante : travaille > ou fois accablé du poids de ma chaîne. Voilà * Monsieur > ce qui m'a engagé dans une auffî péril- leufe carrière ; & puis > des amis j peut- être prévenus ? un Libraire que faime j ont furmonté mes répugnances j & mont

A M. D E V O L T A I R E. vij

de terminé à courir les rifjues de l'impref

fion.

Je mets fous votre protection ce premier ejjai de mes Jorces. C'ejl vous j jofe le dire > qui rriave\ donné le courage de tra- vailler mes penfées ; vous ave\ développé les facultés de mon entendement j j'ajou- terai celles de mon cœur* que vous ave\ échauffé y attendri par vos préceptes j en- core plus par ces exemples de piété géné- reufe & active , dont j'ai été plus d'une

fois le témoin. Je ne me rappelle pas fans émotion ces traits de votre bienfaifance. L! infortuné Syrven m'ejl encore préfent ; vous l'écoute^ avec une attention compa- tiffante j répandant des larmes > effuyant

viij LETTRE A M. DE VOLTAIRE.

celles de ce refpeciable vieillard j lui don- nant votre argent & les Je cours de votre plume. Je ne vois plus le dieu de l'élo- quence* celui des vers ; cefl l'ami de l'hu- manité qui la foutunt 9 qui la confole ; cefl le modèle de ces douces vertus qui

feraient de la terre un féjour délicieux s'il avoit plus d imitateurs.

Si quelqu'un efl ajje%^ heureux pour vous approcher d'aujji près que moi j il ne pourra fe défendre des fentimens de refpecl & d'enthoujzafme avec lej quels je

fuis j

MONSIEUR,

Votre très-humble 5t obéiflant {erviteur ,

VlLLETTE.

ÉLOGE

HISTORIQUE

DE CHARLES V, ROI DE FRANCE.

]Li E peuple avide du merveilleux , n eft frappé que de ces révolutions terribles qui étonnent & changent la face de l'Univers : cependant THiftoire des grands événemens eft prefque toujours l'hiftoire des malheurs

2 ELOGE HISTORIQUE

publics. La Majeflé tranquille des mers, eft-elle donc moins digne de notre admiration que l'horrible fixe- ment des tempêtes: & ce difque immenfe de lumière dont les retours périodiques raniment £c confolent la Nature, n'eft-il pas un fpectacle plus ravilîànt que ces météores enflammés, qui femblent n'éclairer le monde, que pour mieux marquer les lieux qu'ils vont bientôt frapper de défolation & d'effroi ?

Détournons nos regards de ces Héros fànguinai- res , qui ont affligé l'humanité , pour contempler ces hommes bienfaifans , qui par leurs talens & leur fa- geife, ont éclairé ou fervi la Patrie. Au milieu d'eux , je vois s'élever Charles V, Roi de France ., à qui la Nation vient aujourd'hui rendre hommage dans le fanctuaire des Lettres & de la Philofophie. J'ofè mêler mon foible organe aux voix éloquentes qui fe difpu- tent l'honneur de célébrer fes vertus. C'eft moins

DE CHARLES V. 3

une aveugle témérité de ma part, qu'une jufte con- fiance dans le mérite éclatant du prince dont j'en- treprends l'éloge. J'ai penfé qu'un fujet fi noble 5c fi riche par lui même , pouvoit pafler des refTour- ces de l'art. Je me propofe de développer la grande ame de Charles , & d'offrir aux rois un modèle , en peignant le citoyen fur le trône, Se le reflaura- teur de fbn pays.

Athènes & Rome lui euiïent élevé des fiâmes : n'envions point à ces républiques ces monumens de leur admiration èvde leur reconnoiffance. Dans la ca- pitale d'un grand royaume , digne d'être celle de l'Univers, des hommes choifis, juges non moins dé- licats , que les Grecs & les Romains fur le prix de la gloire, ont trouvé de plus heureux moyens de ga- rantir la durée des noms fameux; ils ont perfectionné l'art d'immortalifer, en fubftituant les dons du génie

Aij

4 ELOGE

au marbre & à l'airain ; & le laurier académique aux yeux de l'ami des arts & du citoyen fenfible , efl une double couronne qui honore également le héros ôc l'orateur.

PREMIERE PARTIE.

11 A E prince , que les droits de fa naiffance portent fur un trône paifible , peut aifément devenir un grand homme : les circonftances ont déjà fait la moitié de fa gloire. Que les premières deftinées de Charles font différentes ! De la vie privée de dauphin, il paffe à travers des écueils fans nombre , pour arriver à l'empire^ & fes premiers regards en s'afTéyant fur le trône , ne découvrent au loin & près de lui , que des malheurs. Une adminiftration faible avait avili

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l'autorité fuprême: des efprits ambitieux répandaient le trouble dans les provinces ; les gueires étrangères, les difcordes civiles défolaient le royaume. L,es pré- cipices étoient creufés de toutes parts : il fallait y tomber ou les combler ; il fallait choifir entre l'hon- neur & la honte ; Charles fe montre, &: feul il ofe foutenir, pour ainfi dire, des ruines immenses.

Un prince jeune , emporté par un élan de valeur inconfidérée, en voulant braver les périls , eût peut- être hâté fa chute , ou l'eût rendue plus terrible. Charles fçut attendre les circonftances , les prépa- rer , les faifir. Il n'eflaya pas d'arracher à la fortune des fuccès qui ne devaient être que les fruits du tems. Il fentit que l'Etat affoibli , demandait à être réparé par dégrés ; qu'il lui fallait des fecours , dont la len- teur afTurât la folidité ; & que s'il les précipitait , il allait tout perdre.

Ce peuple fier, nourri dans le lein des fa&ions , l'Anglais avait a peine luipendu les troubles qui l'a-

DE CHARLES V. 7

gitaient, que las du repos, avide- de combats & de fàng , il était venu porter fes armes dans cette con- trée de la France, d'où fbriirent fès derniers conqué- rans. Notre faibleiïe & nos pertes enflaient l'orgueil. d'Edouard. Déjà plufieurs de nos villes maritimes' avaient reconnu fes Loix. La plupart de ces-belles Provinces, maintenant réunies fous un chef, étaient fbumiies alors à des maîtres particuliers, toujours prêts ° 1 à faire des alliances dangéreufes avec les ennemis du monarque, dont ils étaient les fondataires. Edouard achetait leurs fecours ; le duc de Bretagne le re- cevait dans fes ports ; le roi de Navarre lui ouvrait de fon côté de nouvelles barrières , pour entrer dans le cœur du royaume.

Philippe de Valois avait employé la force & la politique pour prévenir ces malheurs. Jean II , ré- fiflait encore ; mais fon imprudence le perdit. Battu aux environs de Poitiers , forcé de rendre (es armes , il donna au peuple Anglais le fpectacle d'un roi de

8 ELOGE HISTORIQUE

France prifonnier à Londres ; l'amour de la liberté , ce fentiment fi naturel à l'homme , & qui doit être plus vif fans doute dans un fbuverain , le fit plier fous la loi d'un vainqueur fuperbe.

Charles dans cet âge le héros s'apperçoit, mais ne fe montre pas , Charles alors dauphin prit les ren- nés du gouvernement. L'Etat ne vit en lui qu'un prince jeune, d'une complexion faible, & qui n'avait que l'ombre du pouvoir. Dépourvu des forces nécefTaires pour fe faire refpe&er , contredit à chaque inftant , forcé de garder auprès de lui des hommes avides qui , fous prétexte de lui fervir de confeil 3 ne prenaient fon aveu que pour la forme, Sefouvent le contraignaient de le donner; il fut réduit à la malheureufe extrémité de voir ruiner le royaume par des grands infidèles, qui enhardis de la longue abfence du maître , dominaient au milieu de l'anarchie, & travaillaient à établir leur fortune fur les débris de l'empire. C'eft. dans ce tems 4e crife & de bouleverfement que le germe du grand

roi

DE CHARLES V, 5

roi fe développait dans Charles ; il étudiait en fdence l'art de régner. Les fautes qu'il vit faire lui fervirent de leçons : obligé de céder aux circonftances ; dé- pouillé des droits de la royauté , defcendu prefque à une condition privée, il fe trouva plus près des hom- mes qu'il apprit à connaître , comme il apprit d'eux à fe connaître lui-même.

Le roi de Navarre, connu par le titre affreux dont la poiïérité l'a flétri, Charles -le -Mauvais vint fo- menter les divifions & déployer l'étendard de la ré- volte. Sous des dehors impofans , il renfermait une ame atroce. D'autant plus dangereux qu'il avait l'art de plaire & de féduire , il était naturellement fier, libéral, éloquent & pofledait toutes les qualités brillantes qui font des vertus dans un héros , mais qu'il avait corrompues en les faifant fervir à fes cri- mes. Epoux de la fille du roi , il tenta de réunir fur le gendre la lieutenance du royaume , & le pouvoir qui n'était qu'au dauphin. Il trouva facilement

B

to ELOGE HISTORIQUE

dans la capitale de ces efprits inquiets à qui pèle le repos , & qui femblent ne tenir leur être que des troubles.

Il exiftait alors un homme que fes attentats ont ren- du fameux, & dont l'hifloire rappelle fans ceiTe le nom à côté de celui de Charles, comme la nature préTente l'or à côté de fes plus viles productions. Cet homme était Marcel , prévôt des marchands. Le premier pas en fortant du cercle de fes devoirs efl toujours incertain &: timide : Marcel s'élança dans la carrière des for- faits j il fe livra tout d'un coup & fans effort aux ex- cès les plus monftrueux & les plus faciïléges. Il s'é- tait déclaré chef des rebelles. Son audace lui avait mérité les fufFr âges de la multitude toujours prête à baifer la main qui l'écrafe lorfqu'on peut lui perfuader que c'elt. pour la défendre. Marcel qui favait qu'une autorité ufurpée de fans bornes ne peut long-tems hab- iliter il elle n'efl foutenue par la force & que l'impu- nité réfide fouvent dans la puiflance , fongea bientôt

DECHARLESV. n

à s'affocier le roi de Navarre, dans lequel il crut voir un protecteur d'autant plus fur que ce prince étoit lui- même chargé de l'exécration publique. Charles-le- Mauvais ne balança pas. Audacieux dans le crime ,' & dévoré d'ambition , il fe faifait déjà roi de France au fond de fbn cœur. La vie du monarque & de fon fils eut pour jamais anéantir Tes efpérances crimi~ nelles ; mais une mort prompte & cachée pouvait le fervir , & il fe perfuada aifément qu'une couronne ne pouvait échapper à Ces mains accoutumées à manier le fer, ôv à préparer le poifon.

Plein de ces affreux projets il fe rend à Paris. Il y fignale fon arrivée par un trait qui peint fon caractère. Les prifons font ouvertes par fes ordres, & la liberté rendue à une foule de fcélérats, en fait autant d'exécu- teurs de fes volontés barbares : le parti de Marcel le reconnaît pour fon appui. A l'inltant la puifTance du dauphin ell anéantie ; (es jours mêmes font menacés. On aceufe Charles-le-Mauvais de l'avoir empoifonné;

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xi ELOGE HISTORIQUE

le cri public s'élève contre lui ; vainement chercha-t-il à fe juflifier ; la poftérité ne l'a point abious. Il eut la douleur & la honte de commettre un crime fans fuc- cès : la promptitude avec laquelle le dauphin fut re- couru arrêta l'effet du breuvage ; mais les fburces de la vie en furent altérées ; il garda une langueur qui continua pendant le refle de {bs jours de en accéléra la fin.

Cependant la tyrannie victorieuie élevait fa tête fuperbe. Chaque inftant appéfantiffait fur le dauphin le joug de la fervitude. Envain travaillait-il à fbrtir de l'état d'aviliflement le tenaient [qs ennemis. On le vit un jour fe rendre aux halles le peuple était affemblé , le haranguer & l'mftruire de hs intentions. Trille & fubiime îpe&acle ! Rois de la terre , arbitres du monde-, venez & voyez l'héritier d'un des plus beaux trônes de l'univers , réduit à demander a Ion peuple la liberté de le rendre heureux..

La multitude toujours touchée des marques de

DE CHARLES V. *j

bonté que lui donnent fes maîtres voulait favorifer le dauphin : il crut d'abord que le calme le plus pro- fond allait fuccéder au plus grand trouble , & le repos femblait naître du tumulte: mais, comme ces vents fédi- tieux, qui, fur la fin d'un orage, ont moins de peine à foulever les flots encore émus par la tempête. Mar- cel & Tes émifTaires ne tardèrent pas à rendre au peu- pie les premières fureurs.

L'audace des rebelles augmente : le prévôt qui con- naît le peuple & qui fait qu'on n'arrache (es applau- difïèmens qu'autant qu'on le fubjugue & qu'on l'ef- fraie, l'exécrable prévôt médite de nouveaux atten- tats. Etonné de la démarche du dauphin : ne le ju-> géant pas capable d'avoir pris feul ce parti , il crut qu'il avait été confeillé , ôc réfolut de prévenir des tentatives dont il pourrait mal fe défendre dans la fuite.- Ses foupçons s'arrêtent fur le feigneur de Con- flans, maréchal de Champagne, & fur celui de Nor- mandie Robert de Clermont. Ces héros courtifàns",

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les feuls qui ofaflènt marquer leur attachement pour leur maître, gémiiïaient avec lui des maux de l'Etat, & ne fe bornaient pas toujours à des vœux ftériles. Marcel n'héfite pas à fe défaire de ces citoyens géné- reux. Sa farouche infblence va jufqu'à les attaquer auprès du dauphin même. Il entre dans l'apparte- ment où ils étaient avec le prince, à qui il dit froide- ment de ne pas s'étonner. Il appelle à lui une troupe de fcélérats & donne fes ordres. Le maréchal de Cham- pagne eft percé de coups -y Robert de Clermont fe ré- fugie dans un cabinet : il l'y fait fuivre; on l'arrache de cette retraite : il va tomber aux pieds du dauphin qui fe trouve couvert de fon fang. Il reliait encore une viclàme à la fureur de Marcel , & quelle vidime \ grand Dieu , maître immortel de la vie des rois , fouffrirez- vous qu'un fer aiïliiïin tranche des jours aufîi précieux! Ange tutélaire de la France, veillez fur elle ; veillez fur un jeune prince qui doit faire un jour le bonheur d'un peuple ingrat & infenié qui rou-

DE CHARLES V. 15

trage! Charles à la merci des bourreaux, incertain de fon fort, attend à chaque initant qu'ils portent fur lui leurs mains parricides : mais le meurtre des deux infortunés maréchaux paraît à Marcel un exploit aiïèz éclattant , 6c la barbarie cède à la majeflé du trône.

Charles le vit obligé de paraître approuver la con- duite du prévôt, & de ne pleurer qu'en fecret la perte de deux ferviteurs fidèles ; contrainte aufll cruelle , peut-être , que la mort même , & la plus déplorable pour un prince fenfible !

Le féjour du dauphin à Paris, pouvait lui devenir funefte. Il crut devoir quitter une ville , ou triom- phaient fes ennemis , ou {es amis, s'il en a voit encore, n'ofàient fe montrer. Il prévoyait d'ailleurs qu'il pour- rait trouver dans les provinces des fecours qui le met- traient en état de faire la loi. L'audacieux Marcel efr, étonné de fa fuite : il ne voit pour lui dans l'avenir que des fupplices dont fes remords lui préferttent l'i- mage effrayante : mais bientôt fa fureur l'aveugle 3 £>c

ï6 ELOGE HISTORIQUE

il croit détourner la foudre en travaillant à la grofïir, Charles parcourt la France, fe fait connaître aux peuples , s'en fait aimer. L'intérêt qu'infpirent fes mal- heurs plus que l'éclat du rang fuprême , lui gagne tous les cœurs. La tendreffe naturelle de la nation pour fbn prince réveille. Tous à l'envi offrent leurs fèr- vices à la main qui daigne effuyer leurs larmes.

Les Anglais du fein des villes qui leur étaient fou- mifes, fe répandaient dans les campagnes qu'ils rava- geaient : les troupes étrangères appellées pour fervir l'état, ne recevant point cje paye fe livraient aux plus affreux brigandages. Les villes les mieux fortifiées n'étaient pas à l'abri de leurs incurfions. La plupart des villages détruits ou deferts, offraient une retraite encore moins fûre à leurs malheureux habitans. Ces infortunés s'étaient fait une efpèce d'art de la guerre , art informe qui confiftoit principalement à creufer des fofTés profonds autour de leurs demeures. Tous étaient {ans ceffe fur leur garde. L'un d'eux en fentinelle au

haut

DE CHARLES V. 17

haut d'un clocher, portait fès regards inquiets fur la campagne. A l'approche de l'ennemi il fbnnait l'allar- me ; chacun courait s'armer ■> l'époux quittait fa fa- mille; le fils s'arrachait du fein de fa mère pour aller combattre. Ils foutenaient l'attaque , ils tâchaient de repoufTerla force, fatisfaits également de vaincre ou de mourir fur des brèches qu'ils n'avaient pu défen- dre. Tels ces animaux fidèles 6c courageux que l'art a aiïujettis aux befoins de l'homme ; lorfqu'ils font frappés par l'odorat, des émanations, fubites d'un en- nemi dévorant , qui s'approche fans fe laifler décou- vrir, ils s'agitent, s'inquiètent pour le troupeau qui leur eff. confié , tournent fans cefTe autour de l'encein- te, avertirent du danger , s'animent au combat, 5c s'expo{ènt,victimes volontaires, pour fauver les richef- (es de leurs maîtres.

Aux fureurs des hommes, s'étaient joints deux fléaux du ciel, la famine & la mortalité. Des campagnes au- trefois fertiles & riantes, n'étaient plus que de vafl.es

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18 ELOGE HISTORIQUES

folitudes couvertes de ronces : la terre demandait en- vain des femences ; le laboureur dans une inaction douloureufe , pleure fur fa charue brifée , qu'il n'o- fait entreprendre de rétablir.

Quel tableau ! quel fpe&acle pour un prince tel que Charles ! malheureux lui-même , il fut encore plus touché de la mifere de fbn peuple ; s'il eût toujours été environné de courtifans Ôc de fïateurs, il n'eût jamais apperçu l'infortune publique. Non , non , ce n'eft. pas au fein de la gloire & du bonheur qu'on ao- prend à s'attendrir ; les peines d'autrui ne trouvent au- cune fenfibilité dans les cœurs qui ne les ont pas éprou- vées : la cabane du pauvre efl loin de la majeué des cours, & le cri de l'indigence diffipe dans les airs, & ne parvient point à l'oreille des rois.

Charles , plus attendri qu'effrayé de tant de maux, fe livre tout entier au foin d'en arrêter les progrès fu- neftes. Bientôt les états des différentes provinces lui offrent & lui fourniffent des reffources 3 il ramaffe des

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lëcours d'hommes & d'argent , & revient à Pariai en état de balancer le pouvoir des rebelles. Le farouche Marcel lui ferme les portes ; le dauphin eit obligé de combattre , comme la vague indocile qui lutte fans fîiccès contre fès bords , la fureur des féditieux fe brife contre la puiffance de Charles. Mais quel triomphe pour le vainqueur ! il arrofe de fes larmes un laurier teint du fang de fes fujets. Peuple aveugle arrête 5c prend pitié de toi-même ; fournis par fes armes , laifTer- toi enchaîner par ks bienfaits, & rend lui la gloire de vaincre , en le faifant jouir du plaifir de par- donner. Le Prévôt des marchands défefperé cherche à mettre le comble à fa perfidie. Il allait livrer la ca- pitale au roi de Navarre, quand le ciel, las de tant de crimes , fufcita contre lui un citoyen fidèle , dont le nom a mérité d'être confervé dans l'hiftoire. Jean Maillard découvre fon miférable projet, ôcle prévient en lui arrachant la vie.

La mort d'un ennemi aufîi vil que dangereux affura

Cij

20 ELOGE HISTORIQUE

la fortune de Charles. Il entre dans Paris avec la fé- curité du héros. On voyait encore dans les yeux quelques étincelles du feu de la rébellion, & le trouble de Tamefe peignait dans tous les traits. Le dau- phin qui le remarque avec douleur, cherche à calmer les efprits agités. Un fujet téméraire l'approche, & dit à haute voix que s'il en avait été cru, jamais il ne ferait entré, & qu il f aurait empêcher qiCon ne fît rien pour lui. Ce cri de fédition allait coûter la vie au coupable ; mille bras étaient levés. Charles les arrête , ôc répond tranquillement à cet audacieux : on ne vous en croira pas beau Jire. Quelle ame eft aiTez grande pour oublier ainfi qu'on l'offerne. eft l'homme , eft le prince qui commande à fes re£« fentimens ! La vengeance paraît fi douce, quand elle eft armée de tout l'appareil de la puifTance , & la foudre échappe fi aifément à la main qui peut la lan- cer ! Tyrans foupçonneux & cruels , apprenez à ré- gner fur les cœurs. Charles , maître du fort des

DE CHARLES V. 21

rébelles , peut tonner fur les coupables : il effc jufte , s'il punit : il aime mieux être humain ; il fait grâce ; il triomphe & pardonne.

Après ces premiers témoignages de fa bonté géné- reufè,le dauphin entre dans tous les détails dugouver- ment, pour en rétablir les reflorts.Le royaume était en proie à la voracité despartifans. Ileûtfallu prendre pour le bien public des moyens extrêmes, ni les diffi- cultés de l'entrepriie, ni les dangers de l'exécution n'é- taient au-deffus de fa vigilance. Mais tout lui manque. Sa puiffance n'efl que momentanée, ôcla loi y met des bornes qu'il refpecte & qu'il n'a jamais ofé franchir. Il eft, l'héritier de la couronne ; mais il ne la porte pas encore. Il fe contente d'éloigner de l'adminiflration , ceux que l'intrigue y a placés , & donne à la vertu défintéreffée, ce qu'il ôte à la cupidité.

La France vit alors , pour la première fois, un mi- niftre fils du monarque, effayer l'autorité Suprême, & apprendre à régner. Elle ofa tout attendre d'un

22 ELOGE HISTORIQUE

prince qui fe montrait déjà fi digne de commander à des hommes. Le moment le père devait abondon- ner le fceptre arriva. Jean II mourut à Londres, Charles fe fit aufîi-tôt facrer à Reims; le jour de fbn couronnement fut pour lui un jour de triomphe. Puguelclin gagne une bataille, & raffure les Fran- çais qui, fous le régne précédent , avaient fui devant Jes ennemis.

Nous touchons aux beaux momens de la vie de Charles. L'autorité dont il va jouir, n'eflplus un dépôt dont il doit rendre compte. Son cœur & le Ciel feront déformais ks fèuls Juges. Il pourra livrer à fon génie 3 & employer la prudence, quifut en lui le premier don de la Nature. Hâtons-nous de montrer reflaurateur de la patrie,

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SECONDE PARTIE.

JL* E'DaupIiin en parcourant la France n'avait vu que des orages. Déjà les cœurs s'ouvraient à l'efpt> rance, comme fur la fin d'un trille & long hyver , la terre ouvre fon fèin reiTerré par les frimats aux premiers rayons d'un beau jour & fe difpofe à recevoir la chaleur & la vie.. Maître du royaume , pouvant donner un libre eftbr à fon ame, Charles va s'occuper du bonheur public, & réparer la honte 2C les dilgraces d'un père malheureux & faible.

24 ELOGE HISTORIQUE

Les milices françaifes } malgré cette ardeur belli- queufe qui fit dans tous les tems le caractère diftinc- tif de la nation, n'avaient pu tenir contre les efforts triomphans d'Edouard, parce que la valeur toute feule ne fait pas les fuccès. Soldat, chef, politique habile, ce prince des mêmes fers , pour ainfi dire , qu'il avait donnés au roi Jean, avait enchaîné la victoire à fon char : plufieurs provinces conquifes par fès armes ou cédées par le traité de Bretigny , femblaient devoir être pour toujours le prix de les heureux exploits.

Charles fonge d'abord à réunir à fon domaine tout ce que les malheurs de la guerre en avaient démem- bré. Sa prudence lui en fait prévoir les moyens : ion génie embrafïe le préfent & s'élance dans l'avenir. Il combine toutes fes démarches , les voit dans leurs principes, les fuit dans leurs effets, & prépare à foutenir avec courage ce qu'il a réiblu avec fa- geflè.

A peine a-t-il régné un an que deux traités le met- tent

DE CHARLES V. 25

tent à l'abri des hoftilites étrangères. La trêve avec l'Angleterre efl prolongée ; c'était donner des entra- ves au roi de Navarre qui n'ofait agir qu'à la faveur des troubles excités par une puiffance capable de cou- vrir Tes intrigues ténébreufes. Il le force à lui deman- der la paix ; la Bretagne relie tranquille.

Le calme intérieur n'excite pas moins la vigilance du monarque. Les troupes auxiliaires devenues inu- tiles venoient d'être licenciées ; ces compagnies n'ayant plus à fervir des intérêts divers s'étoient réu- nies fous le même drapeau ; affez nombreufes pour réfifter à la force 3 accoutumées aux pillages, elles fignalaient leurs fureurs dans le royaume. Charles s'expofera-t-il au hazard dangereux de les combattre ? Les troupes qu'il aurait employées euflent été de nou- velles levées , toujours trop faibles contre des bri- gands aguerris. LaiiTera-t-il au tems & aux maladies le foin de leur deflruclion? mais, comme une hidre re- riaiiran.te, ce monftre compofé de tant de corps diffé-

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rens peut fe furvivre fans cefle ; Ces forces s'accroîtront de fes pertes , fa chute même peut écrafer la France* Payera-t-il leur valeur oifive en les retenant à fa folde ? Les impôts qu'il faudrait continuer ou créer pour les entretenir , accableraient le peuple d'un furcroît into- lérable de mifere. La paix ceiferait d'être utile ; ou plutôt la guerre ferait moins funefle. Le monarque cherche à les occuper hors de fes états : fa fagefTe lui en fait faifir les premiers prétextes.

L'Efpagne gémi/fait fous la tyrannie de Dom Pe~ dre. Henri de Tranftamare, cher à fa nation, ayoit un parti puifTantj mais il fallait à ce prince des troupes, & un général. Charles qui venait de traiter avec lui, entreprend de le placer fur le trône par les mains qui dévaluent la France. Il lui defline les compagnies, & Duguefclin qui vaut une armée. Cet illuftre breton eft chargé de les déterminer à paiîèr , fous fes ordres , en Elpagne : une fomme que Charles leur dilhïbue féconde l'éloquence militaire du héros : elles le déci-

DE CHARLES V. i7

dent à quitter le royaume. C'eit à l'hiilorien à fuivre la chaîne des événemens ; difbns feulement que Du- guelclin donna une couronne à Henri, ôc affermit celle de Ion roi.

Comme on voit un champ dégagé des couches dé- nies d'un limon impur qu'y avaient dépofé des eaux étrangères, offrir bientôt à l'œil enchanté & furpris des fleurs & des moiflbns : la France délivrée des com- pagnies reprit bientôt fon ancien luflre. Le laboureur tranquille ôt fur de fa récolte ne craignit plus de confier des femences à la terre. Peu d'années fuffi- rent pour réparer le royaume. Le Français oublia fès malheurs , & Charles rendit à la nation fa pre- mière activité.

Le monarque donnait par degrés à l'état ce poids qui réfifte, ôc ces forces qui peuvent agir fans ébranler la maffe. Les fubfides continuèrent, mais leur percep- tion réglée s en fauvant une partie des détails qui les rendent onéreux, annonçait la fageflè du roi.

Dij

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Le crédit public tk. particulier faifoient circuler l'a- bondance ; la vue fublime du monarque en fe portant fur le commerce, quelque faible qu'il fut encore, avait remarqué fes heureufes influences. Il fallait des fiécles pour amener les nobles & courageufès entreprifes de ces voyageurs marchans qui ont étendu le monde fous leurs pas. Charles s'occupe à faire valoir les produc- tions de fon pays , les richeffes du fol 6c XaEtiyïtè na- tionale. Il encourage ces hommes obfcurs & utiles dont les fueurs arrofent la terre pour la fertilifer; donne des privilèges aux négocians y reveille l'émula- tion j l'entretient ; étend lès bienfaits fur toutes les cla£- £es d'artifans ; 3c les anime à perfectionner leurs pro- fefîions. C'efl: par ces détails du génie qu'il prépare le triomphe de notre induflrie , qu'il attire l'or des na- tions qu'une pente invincible entraîne dans les ca- naux ouverts par le luxe ; le luxe , ce créateur des ta- lens ck des arts, cette ame d'un grand empire. Il efl chez un peuple puhTant Ôc riche ce qu'eu1 le feu élé-

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mentaire répandu dans toute la nature ; il y porte la vie & l'action dont il eit le principe ; lui feul re'pare plutôt & plus fùrement nos pertes que la plus fage éco- nomie ; il n'étend fur le peuple que des rayons de bienfaifance. Lui feul a poli la rudelTe gothique de nos mœurs ; nous a plies à cette obéiffance fi nécef faire à la fubordination générale , par conféquent à notre bonheur. Peut-être même eft-ce à lui que nous devons en partie la deftru&ion de ces maladies horri- bles trop connues dans les annales de la nation? En refluant des capitales dans les campagnes , il y arrive avec cette jufle modification qui fans énerver le corps lui procure la fanté. Qu'on ne dife pas qu'il amollit la nobleflè françaife : nos dernières guerres prouvent qu'elle ne craint , ni la fatigue , ni les dangers. Que peut en effet le luxe contre cette force morale , cet en- thoufiafme d'honneur qui elt. l'amede la partie brillante de la nation? Le fiéclede Charles eut fes Duguelclin, le nôtre à fes Condé : noms fi cliers à la France ôc à la

victoire.

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Charles qui voyait une rupture inévitable avec Edouard 6c qui craignait de charger l'état du malheu- reux fardeau des fubfides , amafiak pendant la paix l'or qui paie la valeur £c acheté les fuccès ; ies yeux fans celle ouverts fur l'Angleterre épiaient tous les mouvemens de fon ennemi ; Ton ame généreufe s'é- chauffait de la noble ambition de relever l'éclat de fa couronne. Les provinces de la domination Anglaife murmuraient contre leur maître : celles qui avoienc été cédées par le traité de Bretigmy gémiffaient fous lin joug étranger, tous les vœux demandaient une révolution. La Guienne ofa la première faire enten- dre fa voix.

Edouard dans un calme trompeur , fatigué de fa gloire, ou dédaigneux de fès conquêtes, s'abandonnait au repos. Il ne vit point , ou méprifa la foudre qui fe, formait lentement fur fa tête.

Les feigneurs de la Guienne arrivent à Paris : c'é- toit pour Charles un moment heureux que celui

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ils imploroient le fecours de fbn bras ; ennemi de cette diflîmulation dont la politique a fait fi injuflement la vertu des fouverains; toujours jufle au fond de fon cœur, il ne craignît point de leur ouvrir fbn cœur. Il plaignît d'Edouard, en roi qui avait à fbutenir la majefté du trône, Se les droits de fès vafTeaux à dé-, fendre.

Tout annonçait la guerre à la France; la fortune; les conjonctures , les démarches prudentes & fages du monarque ne promettaient que des triomphes. Henri de CafHlle , ceint du bandeau des rois, reconnoiiïait par un nouveau traité qu'il le devait à la main de Charles , & s'engageait par reconnaiiïance à le fé- conder avec une flotte confidérable. Le prince de Galles était dans un état de langueur qui lui avait fait perdre toute fon activité. Cependant c'était le bras le plus puiiïant qu'Edouard put armer pour fa querelle.

L'éloge des fouverains de l'Europe eft prefque tou- jours l'apologie des guerres qu'ils ont entreprifes ou

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foutenues, car la politique qui travaille à affermir leur trône, ne peut conferver ce malheureux équilibre de puilTance que par des chocs meurtriers. Je n'aurai point à excuier Charles de fes conquêtes. Son ambi- tion fut jufle 3 & jamais prince ne mérita mieux fes fuccès. Je n'aurai pas non plus à le montrer à la tête des troupes ; alTez d'autres héros ont trempé leurs mains dans le fang, & repofé fur des champs de car- nage & de mort. Ceft la gloire de Charles d'avoir triomphé fans combattre. Ceft, de fon palais , c'eft au milieu de fa cour que Charles trace le vol de la vic- toire & qu'il. le fixe. Il ne commande pas lui-même j mais il fçait choifir fes généraux. Il dirige les mouvez mens de les armées , & veille en même-tems fur fes peuples. Il arrête les brigandages , réprime les défor- dres tumultueux des marches, fi deftructifs pour les villes 8c les campagnes j il n'expofe pas le foldat qui défend la patrie à ces actions décifives , d'abord incer- taines, toujours funeftes dans les revers j & fon coeur:

paternel,

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paternel dicte un code de difcipline militaire, pour af- furer au citoyen paifible un pain qu'il trempe fouvent de Tes larmes en faifant des vœux pour l'Etat. Il re- garde la guerre comme un gouffre immenfe vont fe perdre fans retour le lang & les richefTes de la nation j comme un monflre dévorant à qui ii faut fouflraire le plus de fès malheureufes victimes. Il n'ordonne pas de livrer des batailles , mais de fatiguer l'ennemi , de le fùivre, de le harceler , de le détruire par degré , & ii montre ainfi à la terre que la fagelTe qui commande eft au-deffus de la valeur qui exécute.

Edouard prépare une armée dans Londres, & déjà, nos troupes font dans Abbeville. Le Ponthieu leur eft ouvert de toutes parts. Chaque rencontre eft un combat, chaque combat une victoire ; pour elles dans le Languedoc le duc d'Anjou a les mêmes ennemis & les mêmes avantages. Une partie du Rouergue 6c du Querci retourne à la France.

Fiennes après foixante ans de travaux , venait do

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remettre l'épée de Connétable. Il avait nommé au roi Duguefclin , comme le plus digne de la porter. Ce choix était déjà celui de Charles : le vrai mérite n'échappe pas aux regards d'un grand homme. Du- guefclin qui jouiiïait auprès de Henri des hon- neurs que mérite celui qui donne un trône, efl rappelle. Il vole à la voix de fon roi , prêt à l'aider de fon bras 8t de fes confcils. Le héros modefle re- fufa d'abord l'épée -, mais docile aux ordes de fon maître, il l'accepte, en l'aifurant de fon zèle & de fa fidélité , & le fuppliant de ne jamais ajouter foi aux délateurs, fans l'avoir entendu. Charles le lui promit. Heureux le fujet qui peut tenir ce langage à fon roi \ Plus heureux encore le monarque qui ne s'ofîènfe point de cette défiance d'un cœur qui lui en: dévoué ! Mais tandis que Charles réunit à fa couronne le duché de Guienne ôc les fiefs poffédés par Edouard uC le prince de Galles. Quel eft ce héros qui va cher- cher l'Anglais caché dans le Maine & l'Anjou ? De

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quel air intrépide il marche aux combats ! C'efl la noble affurance de la victoire. O ma patrie ! C'eft Duguefclin ! c'efl ton vengeur. Je le reconnais au feu de fès regards , à la force de fon bras. Avec quelle ardeur il fe précipite fur les ennemis ! Comme il les fuit par-tout, ils fe répandent ! Il fe multiplie pour ainfi dire fur leurs pas. Solda-: & capitaine, il déploie tour à tour tout ce que peuvent la valeur & l'expé- rience. Tantôt il cherche à les furprendre, tantôt il les attaque à force ouverte : qu'ils occupent des pof- tes avantageux, qu'ils foient reflferrés dans leur camp ; il les joint , les combat , les met en fuite , & va ai- feoir les trophées de fes batailles fur les murs de plu- fieurs villes & de plufieurs forterefTes. Grand homme ! digne à jamais de l'admiration de ton pays ? Tu met ritais alors cet éloge du plus beau génie de la France , 6c de l'écrivain le plus célèbre , dont les fiécles ayent à fe vanter , lorfqu'il a comparé à cette première cam- pagne celle qui couvrit Turenns d'une gloire immor*

telle. E ij

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Les revers publics , la' douleur domeftique , tous les malheurs fondaient fur Edouard. Il perdait ks con- quêtes ; la reine venait d'expirer, & fon fils forcé de repaflèf en Angleterre, allait finir, au milieu de Lon- dres, une vie languiiTante, que l'image importune des défaflres qui l'avaient pourfuivi, devait rendre encore plus douloureufe. Edouard forme un projet que l'or- gueil Anglais peutfeul concevoir & faire excufer.

Opiniâtre & dangereux ennemi de mon roi ! Tu dis dans ton cœur fïiperbe ; je couvrirai la mer de mes flotes nombreuiès; j'armerai la main du dernier de mes fujets; j'irai porter à la France les coups les plus ter- ribles. Cette ville ingrate & fe'ditieufe , la Rochelle va tomber la première fous le poids de mes vengean- ces. Oeil à travers la flamme & le fang, que je me frayerai une route à la capitale. Je déchirai fon fein, j'armerai contre Charles le roi de Navarre. Le duc de Bretagne fécondera mes efforts; je ferai de Henri de Caflille un de ks ennemis. Roi téméraire ! l'Eipa-

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gne , fidelle à fes traités , va détruire cette flotte for midable. Tes vaifTeaux font pris, brûlés ou coulés à fond. Tes vains fecours ne retarderonr pas la prifè de Thouars : tu t'arracheras au repos , pour te mettre à la ttte d'une nouvelle armée ; mais tu feras obligé de te renfermer dans tes ports ; les vents contraires t'écarteront de nos côtes , & t'enchaîneront longtems au rivage ; contraint de céder aux élémens , plus encore à la fagefle de Charles, tu t'écrieras dans les convulfions du défefpoir : jamais roi n'a moins armé, & jamais roi ne nia donné tant à' occupation.

France compte déformais fur les plus flgnalés avan- tages ! Ton rival de fortune & de gloire , Edouard n'efl plus, vois tes foldats marcher fous l'étendard de la victoire , parcourir le Languedoc &. la Guienne en conquérans, & porter les derniers feux de la guerre, dans les dernières retraites des Anglois. Cent trente places prifes ou rendues font de nouveaux fruits de leur valeur. Déjà parle de fe rendre le commandant de

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Caflelrandon. Caflelrandon , barrière puifTante des ennemis, tu ne pourras te défendre des coups d'un héros 3 mais hélas î Pourquoi faut -il que tu fois le terme fatal de fes exploits ! Pourquoi la cruelle des- tinée vient-elle l'arrêter devant tes murs, <k l'arracher à fon triomphe ! Qu'il me foit permis de dérober quel- ques momens à l'éloge de Charles, pour nous en- tretenir de Duguefclin , ami de fon roi , défenfeur de la patrie j il a droit au laurier des couronnes du mo- narque.

Cet homme , à qui une longue fuite de comman- demens & de victoires avait acquis la plus haute ré-, putation, partageait avec fes foldats les fatigues & les hafards de la guerre : les travaux du fiége avaient forcé le commandant à faire une capitulation condi- tionelle. Le terme fixé arrive, & Duguefclin atteint d'une maladie mortelle , touchait à (es derniers mo- mens. Cliîîbn , compagnon d'armes du connétable, va fommer le gouverneur : je n'ai rien promis qu'à, votre

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général, répond-t-il , qu'il vienne. CliflTon retourne au camp, ex déjà Duguefclin a ceffé de vivre. Le com- mandant apprend qu'il n'eft plus . . . O refpeét, ! O empire irréfiftible ce facré de la vertu ! Ce brave guer- rier à la tête de fa troupe , marche vers la tente du héros , & dépofe en pleurant, aux pieds de fen cer- cueil , les clefs de (a place. O Duguefclin ! il n'a rien manqué à ta gloire, les hommages & les regrets des ennemis, les larmes de ton roi, la douleur 6c le deuil de la Fiance ont honoré ton courage. Charles a payé tes fervices du prix le plus flatteur pour un fujet. Tes cendres font renfermées dans le tombeau de nos rois : tes mânes repofent avec leurs mânes auguftes, & le marbre qui les couvre oiTre ton nom parmi ceux de ces maîtres du monde.

La perte d'un feul homme parut balancer les pros- pérités de la France; mais Charles lui confeiva cet éclat de fupériorité , qu'il avait donné à Ces armes f 2c quelque nuages ne troublèrent pas la férénité des

beaux jours qu'il lui avait rendus.

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Pour achever ce tableau des guerres du monarque,' je ne craindrai pas de le montrer ; s'égarant dans les routes d'une fauffe politique , & faif ant de vains ef- forts pour aflervir la Bretagne. Il efl fi difficile de mettre des bornes à (es triomphes, quand la fortune fèmble n'en pas fixer à nos efpérances ; & la voix du flatteur qui , fans cefle retentit à l'oreille des rois , porte dans les cœurs une illufion fi douce , dont le plus fage a tant de peine à fe défendre ! Charles efl féduit par un miniflre indigne de fa confiance $ mais quel prince pourrait feul foutenir le poids de l'autorité, fans en être accablé ? Heureux fes peuples fi, dans le choix des modérateurs de fa puif. fànce, l'intérêt de la nation l'emporte fur l'intérêt de fa vanité ; fi l'homme du roi efl en même tems l'hora- de l'état ; & le miniflre avide de la vérité, épris de l'amour du bien public, a le courage de fervir fa pa- trie fbuvent malgré elle j s'il fait des traités , pour for- cer les ennemis à la. paix, plus jaloux de paraître oi^

fif

*

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ïif au milieu du calme , que de fe rendre nécefTaire au milieu des troubles de la guerre ; s'il attaque des préjuges gothiques , fubftitue à d'antiques réglemeng des réglemens , plus utiles & plus propres à la conf- titution préfente. Enfin fi ce miniftre s'élève par la force de fon ame autant au -défais des vaines cla- meurs & des murmures féditieux, de quelques hommes toujours inquiets ou mécontens , qu'il eft au-deffus d'eux par la première place de l'état, & le rang ho- norable qu'il tient dans le cœur de ion roi.

Charles s'abandonne légèrement à l'injufte ambi- tion d'ajouter une province àfes conquêtes; mais il con^ naît bientôt qu'il s'eft trompé , & l'homme n'éclipfe pas longtems le héros,

Préfentons maintenant le plus grand fpe&acle, le plus intérefTant pour l'humanité celui d'un- fouverain, qui: travaille à la félicité de vingt millions d'hommes , qui aïïure à fon empire le calme , l'abondance r à fes fuo-' cefièurs, l'héritage brillant d'une couronne,

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Charles, père & monarque, partage les foins avec une tendrefïè égale entre les enfans & fes peu- ples. Il le fait en même-tems le légiflateur du royau- me & des rois. Il règle les dotes des filles de France & les appanages des Princes de fon fang , en fixant par un fameux edit la majorité de nos rois à quatorze ans, il obferve que les fujets font plus fournis aux volontés d'un maître qu'au pouvoir pafTager d'un ré- gent. Inflruit par Ces propres difgraces des malheurs fbuvent attachés à une adminiilration précaire, il arrête ainii l'ambition toujours plus avide & plus audacieu- £è dans les crifès d'une minorité ; il foutient par fa loi îa faiblelTe d'un monarque enfant , &■ fe place éter-» nellement à côté de lui fur le trône.

Sa piété éclairée & jamais iuperftitieuie , ( c'efl fans doute Ion plus bel éloge ) rendit dans tous les teins à la religion & aux minières des autels , le re£ pect qui leur efl dûj l'hommage de fbn cœur au Dieu de Ces pères fut toujours pure.

DE CHARLES V. 4$

L'églilè , fous fon règne , fut divifée par un long fchifme. Les fucceffeurs de Pierre , les vicaires d'un Dieu de paix , tonnaient à l'envi fur le monde chré- tien. Charles au milieu des foudres facrées que fa lançaient des pontifes ambitieux, fit entendre la voix des docteurs de la France. Avant que de s'engager dans la querelle du facerdoce , il confulta les prélats & les théologiens de fon royaume.

Quelques héréfies s'étaient répandues dans le Dau- phinéj des inquifiteurs cruels verfaient à grands flots le fang des malheureufes victimes de l'erreur. Char- les perfuadé que le créateur de cet univers en efl en même-tems le père ; & que l'être éternel ne feroit pas le Dieu grand , le Dieu bon , s'il n'étoit infini dans fa clémence 3 Charles éteignit les bûchers, &. arrêta le zèle fanguinaire de ces pieux homicides.

La licence, fille impure de la guerre, la débauche qui abrutit & dégrade l'homme, qui le conduit lente- ment avant le teins au ton ! eau chargé d tés

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& de misères tous les vices monflrueux qui naiflent de l'oifiveté &de l'ignorance, fe cachèrent devant la fé- vérité des mœurs du prince , & la décence publique honora fbn fiècle.

Paris, aujourd'hui la ville de l'Univers, lui doit fès premiers embelliiïemens ; la bibliothèque du roi fès premières richeiTes; il ra(Tembla jufqu'à neuf cens volumes 3 collection immenfè pour le tems ; il ranima les fciences &. les arts , accueillit & protégea les fa- vans. Céfar, Tite-Live, Suétone^ Valere, Maxime,' Jofeph , qu'il fit traduire , furent étonnés de parlée une Langue étrangère.

Les rois , fes prédéceffeurs , peu délicats fur le choix des fujets, avaient avili les marques de diflin&ion deflinées à la nobleiïè guerrière : Charles fut rendre à la chevalerie fbn ancien éclat , & le courage feul eut droit à les récompenfes honorables.

h,QS monnoyes altérées furent réduites à leur jufte Valeur, Ôc la bonne foi du prince alTura la fortune

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des particuliers. Il fie longtems la guerre , mais le cri de la douleur publique ne fe mêla point au chant de fes victoires.

O ma patrie ! ta gloire 5c tes profpérités tenaient a la vie de Charles. La mort , ce terme commun à tout ce qui exifle, vint l'enlever trop tôt à fes fujets. Ce moment funefle fut pour eux une calamité. Cha- que citoyen le pleura comme des enfans chéris pieu* rent un père de famille.

Mortels, demi Dieux fur la terre, princes, rois, conquerans 3 vous qui voyez le monde à vos pieds , environnez de vos flatteurs, éblouis de l'éclat de votre puifTance, vous ne jettez peut-être pas afTez vos re- gards dans l'avenir ! ayez aujourd'hui le courage d'arracher le bandeau qui vous aveugle , & diflipez les prefliges de l'adulation & du menfbnge. Envain , vous cachez-vous fous les titres impofans & fuperbes de grands ÔC d'invincibles; l'illufion efl: peu durable, £ç la louange pafTagere. Ingénieux à vous apprécier

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à votre mort, nous nous hâtons de vous dépouiller de tous les noms faflueux que votre orgueil avait ufur- pés. Contemplez ce héros qui n'efl: plus, & qu'il de- vienne à jamais votre modèle. La gloire dont il jouit efî indépendante de la fortune. Il fut honoré pendant fa vie par le fufTrage unanime de (es voifins & de fes ilijets, du furnom de Sage, & la poftérité la plus reculée applaudira toujours avec de nouveaux trans- ports d'admiration à ce titre augufte , que la main de la renommée à gravé autour de fon diadème.

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