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ESPRIT

DES SAINTS

LES PLUS ILLUSTRES

ESPRIT

DES SAINTS

LES PLUS ILLUSTRES

PARMI LES AUTEURS ASCETIQUES ET MORALISTES NON COMPRIS AU NOMBRE DES PÈRES ET DES DOCTEURS DE L'ÉGLISE

AVEC DES NOTICES BIOGRAPHIQUES ET LITTÉRAIRES

TRÉSOR DE SPIRITUALITÉ

RECUEILLI

Par M. l'Abbé GRIMES

Ancien prédicateur, Chanoine honoraire d'Evreux ,

OUVRAGE APPROUVÉ

Par son Éminence le Cardinal Donnet. Archevêque de Bordeaux

Par son Éminence le Cardinal Guibert, Archevêque de Paris

Et par plusieurs de Nosseigneurs les Évêques de France

Revue avec le plus

TROISIEME EDITION

soie et augmentée de l'Esprit de saint Philippe de Néri et de saint André Aveliin

Quœsivi verba utilia.

J'ai cherché des paroles utiles

(Eccl.. xn-IOL

TOME V

TOURS C ATT 1ER, LIBRAIRE-EDITEUR

1883

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HOIV rEÔÈËMÊ'R UBM|j^wèoî?

EXPLICATIONS PRÉLIMINAIRES

ET

NOTES APOLOGÉTIQUES

Sur les mois Exlase j Ravissement , Vision , Apparition , Révélation ,

Tirées en grande partie du savant ouvrage de Benoît 11V, sur la Canonisation des Saints, tom. 3, chap. i9 et suir.

L'extase est l'état de l'âme, quand Dieu l'occupe tellement d'un objet, qu'elle ne voit, n'entend et ne sent plus rien de ce qui se trouve autour d'elle.

Le ravissement diffère de l'extase en ce que dans le ravisse- ment l'opération divine est encore plus forte que dans l'extase. Quelquefois aussi , dans le ravissement , le corps s'élève de terre et demeure ainsi élevé pendant quelque temps. Le Sei- gneur, par l'extase, donne une idée de la contemplation à la- quelle l'âme sera élevée dans le ciel; et par le ravissement , il donne une idée de l'agilité dont les corps seront doués dans le séjour de la gloire.

La vision est la vue que Dieu donne à l'âme d'un objet. Les auteurs mystiques confondent souvent Yapparition avec la vision, et quelquefois ils mettent entre elles de la diffé- rence en disant que dans l'apparition on voit, sans savoir quel objet on voit. Ils distinguent trois espèces de vision et d'apparition : la corporelle, qui se fait par les yeux; l'imagi- naire, qui ne se fait que dans l'imagination, et V intellec- tuelle, qui n'a lieu que dans l'entendement , parce qu'elle se fait sans figure.

La révélation est la connaissance que Dieu donne à L'âme d'une ebose qui lui était inconnue. Elle diffère de la vision et de l'apparition en ce qu'elle fait connaître ce que signifie t. v. 1

2 EXPLICATIONS PRELIMINAIRES

l'objet qu'on a vu. Ainsi saint Pierre , après avoir eu la vision d'un grand linge rempli d'animaux qui descendait du ciel, eut besoin d'une révélation pour savoir ce que ce linge signi- fiait (Act. 10, y. 10 et suiv..).

Les visions , les apparitions et les révélations ont ordinai- rement lieu dans les extases et les ravissements. On le voit dans l'exemple que nous venons de citer, car l'Écriture dit, en parlant de saint Pierre , cecidit super eum mentis excessus et vidit, &c. (Ibid.)

Si l'ignorance et l'irréligion cherchent à jeter du ridicule sur les extases, les ravissements , les visions, les apparitions et les révélations , c'est parce que , comme dit saint Paul , l'homme charnel ne peut concevoir ce qui est de l'esprit de Dieu. En effet, tout homme de bon sens ne saurait douter que ces divers états ne puissent exister , car si les objets de la terre, quand ils nous occupent fortement , nous empêchent quelquefois d'entendre , de voir et de sentir ce qui se passe autour de nous , est-il étonnant que les objets du ciel produi- sent en nous le même effet? Ces objets d'ailleurs enivrant l'âme d'un torrent de délices et donnant une paix qui , selon l'Apôtre , surpasse tout sentiment , ne doivent-ils pas pro- duire cet effet d'une manière et plus prompte et plus énergi- que? S'il peut donc y avoir des extases naturelles, pourquoi ne pourrait-il pas y en avoir de surnaturelles ? Quant aux ravissements, dès qu'on suppose l'opération divine, qu'of- frent-ils d'impossible ? Enfin , à l'égard des visions , des ap- paritions et des révélations , pourquoi le Seigneur , qui est la sagesse et la bonté même , ne pourrait-il pas découvrir ses secrets à l'homme , et employer des moyens pour se faire entendre de lui?

L'Écriture sainte nous offre plusieurs exemples d'extase dans les Prophètes , de ravissements dans saint Paul , de visions et d'apparitions dans saint Pierre et dans Corneille, de révélations dans toute l'Apocalypse. Si l'on ose dire que Dieu n'a plus rien opéré de semblable depuis les premiers temps de l'Église, il faut donc s'inscrire en faux contre toutes les preuves que l'histoire ecclésiastique nous donne des opé- rations extraordinaires qu'il a faites dans les âmes ; il faudra donc rejeter les visions et les révélations de sainte Perpétue ,

ET NOTES APOLOGÉTIUUES. ',)

de sainte Thérèse et de tant d'autres qui ont soutenu l'exa- men de la plus sévère critique (1) ?

On sait qu'une certaine disposition de corps et d'autres cau- ses naturelles produisent des effets extraordinaires; on sait aussi que l'ange de ténèbres se change quelquefois en ange de lumière ; mais n'a-t-on pas des marques certaines pour connaître le doigt de Dieu ?

Quand une personne craint ces états et s'en défie; quand elle tâche de s'y soustraire ou au inoins de les diminuer; quand elle se dérobe aux regards des autres , de peur qu'on ne l'y surprenne , ou qu'elle éprouve delà confusion si on l'y surprend ; quand elle y entre au milieu d'une oraison, ou à la suite d'une communion qu'elle a faite avec ferveur; quand elle s'y comporte selon les règles de la plus parfaite modes- tie et que son extérieur offre un spectacle édifiant tous ceux qui la voient ; quand elle en sort avec la paix dans l'âme et la sérénité sur le front; quand ensuite elle s'affermit dans l'humilité, la mortification et la fidélité à ses devoirs; quand elle ne perd pas le souvenir de ce qui s'est passé en elle ( quoique , selon sainte Thérèse , on n'en ait quelquefois qu'un souvenir confus) ; quand son corps acquiert de la vi- gueur après l'opération , quoiqu'elle ait eu de la fatigue pen- dant l'opération même; quand enfin cette personne soumet tout ce qu'elle a éprouvé aux lumières de ses guides, et qu'elle est disposée à le désavouer, s'ils le jugent à propos, alors peut-on méconnaître le doigt de Dieu qui produit ces états ? Peut-on croire alors que le démon y influe , à moins qu'on ne suppose qu'il veuille détruire lui-même son empire?...

Mais peut-être se croira-on autorisé à rejeter de tels écrits par cela seul que c'est une femme à qui ces révélations ont été faites (car il en est qui tenant pour suspect ce sexe pieux et vénérable , repoussent comme futile , imaginaire , erroné , tout ce qui vient de lui) ? A cela nous pourrions répondre par des faits ; mais d'abord posons cette vérité , que la femme l'emporte le plus souvent sur l'homme en courage, en cons- tance , en héroïsme dans la pratique de la vertu , dans l'exer-

(1) Touchant tes stigmates, voyez aussi Benoit XIV, livre «le la Canonisation des Saints. ( Livre IV, pag. 2 et suiv.)

4 EXPLICATIONS PRÉLIMINAIRES

cice de la miséricorde , dans la défense de sa chasteté , dans le support du martyre , clans tout ce qui décèle une grande âme. Or, sans entrer dans le détail des moyens par lesquels on discerne évidemment les vraies révélations de celles qui sont fausses , et que l'Eglise sait employer avec tant de soin et de prudence avant de les approuver : si nous avions à pren- dre la défense du sexe pieux qu'on dédaigne , pense-t-on que nous serions en peine de lui faire un bouclier , la parole de Dieu , l'Évangile à la main ? Est-ce que Dieu n'a pas mani- festé plusieurs fois ses grands desseins envers la femme ? Est- ce qu'il ne l'a pas choisie le plus souvent pour gouverner ou pour instruire , pour vaincre ou pour sauver les peuples ? Est- ce que Débora n'a pas été établie juge sur Israël? ( Jud. 4-4.) Est-ce qu'Abéla n'a pas été choisie pour être la médiatrice entre ce peuple et ses ennemis, et pour délivrer par sa sagesse la ville de sa ruine ? (2 Reg. 20-16.) Est-ce .que le roi Josias n'envoya pas auprès de la prophétesse Olda pour savoir de sa bouche la volonté du Seigneur? (4 Reg. 22-14.) Est-ce que la sœur de Moïse n'était point prophétesse ( Exod. 15-20), et sainte Elisabeth , au rapport de l'Evangile selon saint Luc, ne prophétisa-t-elle pas ? (Luc. 1-41.) J'omets tant d'autres femmes illustres , telles que les Judith, les Esther, les Hildegarde, les Catherine de Sienne, les Brigite. Mais puis-je oublier la plus digne de toutes les créatures , celle qui marche la première après Dieu , Marie ! la mère de Jésus-Christ et la nôtre !

Que si, enfin, le sexe pieux doit être dédaigné par cela seul qu'il est pieux et fidèle , ce n'est pas le sexe qu'il faut accu- ser , c'est le Créateur lui-même. Cependant Dieu ne l'a point méprisé , car il lui a fait souvent miséricorde et l'a privilé- gié , témoin la Samaritaine , la Cananéenne , et Madeleine , qui fut , dit saint Grégoire , l'Apôtre même des Apôtres, en leur annonçant la résurrection de Jésus-Christ.

Qui ne voit que ce n'est point tel ou tel sexe qui prend rang devant Dieu , mais que c'est la pureté du cœur , l'hu- milité, la docilité, la fidélité , le sentiment , l'amour détaché de toute affection terrestre qui attirent les faveurs divines ?

Or, si nous voulions énumérer des faits , raconter tant de belles actions , relever le mérite et l'héroïsme de la femme

ET NOTES APOLOGETIQUES. D

sous la nouvelle loi , aurions-nous le temps de tout rappor- ter ! mais non , qu'on ne pense point que nous ayons le des- sein de célébrer les louanges de la femme , nous ne faisons que repousser la calomnie , et tout en omettant les triomphes de tant de vierges magnanimes , nous disons seulement avec franchise que ce sexe est généralement plus fervent et plus avancé dans l'amour divin et la contemplation que l'homme : car quelle pureté , quelle perspicacité, quelle sérénité, quelle limpidité de conscience ! A Dieu ne plaise que nous ne ren- dions aux hommes dociles , pieux , vertueux , adonnés à la méditation, la louange qui leur est due; mais avancerions- nous une erreur si nous disions que, même de nos jours, plusieurs vierges ou femmes pieuses , qui ont vieilli dans les combats du Seigneur, lutté contre le démon et le monde, éprouvent de plus suaves consolations divines , sont admises à de plus intimes communications , sont plus versées dans les voies spirituelles, entrent mieux dans les desseins de Dieu, savent mieux dénouer des difficultés , répondre à des cas embarrassants que plusieurs qui se livrent à l'étude de la science? Non, et on est forcé de le reconnaître. Qu'on les consulte, et on sera convaincu qu'elles ne sont si savantes dans les voies de Dieu que parce que l'Esprit-Saint les éclaire, et leur confie ce qu'il ne confie ni aux sages , ni aux puissants , ni aux savants du monde. Que ce peu de mots suf- fisent pour la modeste apologie des femmes inspirées.

Ecoutons un moment Bossuet -dans sa préface sur les états d'oraison (1) :

« Le monde , dit-il , ne goûte guère ces choses , et souvent » il en fait le sujet de ses railleries. On y traite ordinairement » les contemplatifs de cerveaux faibles et blessés ; les ravisse- î> ments , les extases et les saintes délicatesses de l'amour » divin, de songes et de creuses visions. L'homme animal , » comme dit saint Paul (1 Cor. 11-li) , qui ne veut ni ne » peut entendre les merveilles de Dieu , s'en scandalise. Ces j> admirables opérations du Saint-Esprit dans les cames, ces » bienheureuses communications et cette douce familiarité » de la sagesse éternelle , qui fait ses délices de converser

(1) Tom. X , pag. 10, édition de Besançon, 1836.

6 EXrUCAT. PRÉLIM. ET NOTES APOLOGÉTIQUES.

» avec les hommes , sont un secret inconnu , dont chacun « veut raisonner à sa fantaisie. Parmi tant de différentes pen- » sées qui se forment sur ce sujet dans tous les esprits , y> comment empècherai-je la profanation du mystère de la y> piété , que le monde ne veut pas goûter? Dieu le sait , et il » sait encore l'usage que je dois faire des contradictions ou » secrètes ou déclarées qu'on trouve sur son chemin , dans » une matière tout le monde se croit maître et l'on ne » voit que trop que les esprits prévenus se passionnent d'une » étrange sorte pour leurs sentiments. "Mais qu'importent ces » oppositions à qui cherche la vérité ? Dieu connaît ceux a » qui il veut parler, il sait les trouver , et sait, malgré tous » les ohstacles , faire dans leurs cœurs les impressions qu'il » a résolues. »

Nous entrons dans la pensée de ce grand prélat, de ce sa- vant maître en spiritualité qui a su relever tant d'erreurs sans y tomher lui-même. Devrons-nous ensevelir dans l'oubli les merveilles de Dieu , ou éteindre dans les ténèbres du silence la lumière qu'il a suscitée pour la consolation de ses Saints? Serait-il raisonnable, à cause de quelques contradictions de la part des incrédules, de priver les âmes justes de ce puissant secours que le Seigneur leur a préparé ? Nous ne le croyons point. Et quoique nous ne donnions que très-peu devisions et de révélations dans notre ouvrage, qui nous ferait un reproche de manifester quelques-uns des secrets de Dieu envers les âmes?

Voici du reste, pour être bien fixé, commentBenoît XIV s'ex- prime sur les révélations en général approuvées par les con- ciles.

« L'approbation de semblables révélations n'emporte autre » chose, sinon qu'après un mûr examen il est permis de les » publier pour l'utilité des fidèles... Quoiqu'elles ne méritent 7> pas la même créance que les vérités de la religion , on t> peut cependant les croire d'une foi humaine , conformé- » ment aux règles de la prudence , selon lesquelles elles sont » probables et appuyées sur des motifs suffisants pour qu'on j> les croie pieusement. Benoît XIV, de Canonis. sanct. L. » 2, ch. 32,n.ll. »

ESPRIT

DE

SAINTE SYNCLÉTIQUE,

PREMIÈRE FONDATRICE DES ORDRES DE FEMMES.

NOTICE.

330.

Une brillante auréole de gloire qui ne le cède qu'aux rayons de la couronne des martyrs , environne le front de cette illustre vierge , première fondatrice des ordres de fdles et de veuves. Dieu l'avait choisie pour être à celles de son sexe , ce que l'immortel saint Antoine avait été pour les hommes ; elle naquit comme lui en Egypte et dans la même province , comme si le Seigneur s'était plu à faire paraître

8 NOTICE

ensemble ces deux grandes lumières du désert qu'il destinait à éclairer les deux sexes , et à enfanter à la vie religieuse une innombrable postérité. Synclétique naquit donc à Alexandrie, de parents originaires de Macédoine et non moins distingués par leur naissance et leurs richesses que par leurs vertus et leur attachement à la foi de Jésus-Christ. Elle annonça , dès son bas âge , par des dispositions précoces , un grand amour pour la vertu et pour les exercices religieux : sa rare beauté son immense fortune , des alliances honorables qui faisaient rechercher sa main, ne purent la détourner du désir de se consacrer au Seigneur. Saint Athanase qui a écrit sa vie (1) , nous dit que ses austérités étaient si rigoureuses , si éton- nantes , et sa perfection si sublime , si éminente , qu'en vou- lant fixer ses mérites , il arrive la même chose qu'à ceux qui veulent regarder fixement le soleil; on est ébloui par la splendeur de ses rayons.

Après la mort de ses parents , sainte Synclétique ayant perdu son unique frère et pourvu aux besoins d'une sœur infirme qu'elle avait, distribua ses grands biens aux pau- vres et se retira , pour mieux vaquer à la contemplation des choses célestes , dans un sépulcre : nouveau trait de confor- mité avec le père des religieux, saint Antoine , qui lui aussi , ayant remis dans la main des pauvres tous ses biens , quitta le siècle , et choisit pour demeure un sépulcre , image natu-

(1* Quoique plusieurs critiques aient essayé (relever des doutes sur l'auteur de la vie de sainte Synclétique , i! est indubitablement prouvé qu'elle est due à la plume de saint Athanase, comme celle de saint Antoine. Baronius regret- tait, de son temps , qu'un eût perdu ce monument sacré de la vie religieuse ; mais depuis on l'a trouvé dans la bibliothèque de l'Escurial du roi d'Espagne; les Bollandistes et Rosweide la donnent en latin.

SUR SAINTE SYNCLÉÏIQUE. 9

relie de la mort volontaire à la vie de ce monde, pour se for- mer à la vie selon Dieu.

Nous expliquerons plus bas (aux notes) comment se fit cette première fondation des ordres de femmes. Ici , nous dirons seulement que sainte Synclétique était douée d'une grande pénétration d'esprit , de beaucoup de sagesse , d'une grande facilité à s'exprimer et d'une rare éloquence mêlée de zèle, d'onction, de force et de lumière pour persuader les vé- rités les plus salutaires ; c'est à ce beau talent et à l'exem- ple de ses vertus qu'on doit attribuer l'entraînement qu'elle opéra parmi celles de son sexe.

Cependant le génie du mal , attentif à paralyser les efforts des serviteurs de Dieu , et jaloux de leur succès et du bien qu'ils opèrent , exerça sur cette généreuse vierge toute sa rage et sa malice; il l'accabla de tentations, de tribulations, d'infirmités ; l'illustre Job , ce monument des souffrances hu- maines, n'en est pas un exemple plus mémorable : une fièvre violente et continuelle minait nuit et jour ce corps frêle et délicat , exténué de veilles, déjeunes et de macérations ; un abcès se forma en même temps à ses poumons , un cancer qui exhalait une odeur insoutenable , rongeait profondément ses gencives , sa bouche, et lui ôtait jusqu'à l'usage de la pa- role. Plus de trois ans durèrent ces souffrances atroces et dégoûtantes , jusque-là que son corps ne se soutenait plus évidemment que par une vertu divine; mais, plus sa de- meure terrestre s'affaiblissait, plus sa vie intérieure, céleste, se fortifiait , et parvenue enfin au terme des combats les plus glorieux etàl'heure de son triomphe, elle déposa sa dépouille mortelle dans le tombeau , pour s'envoler dans les embrasse-

10 NOTICE SUR SAINTE SYNCLÉTIQUE.

ments du Bien-aimé , le i janvier de l'an 330 , à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.

Si l'année de sa mort ne peut être fixée d'une manière bien précise , nous savons toujours qu'elle florissait dans le IVe siècle , et qu'elle n'a pas été de beaucoup plus jeune que saint Athanase , qui mourut en 373.

ESPRIT

DE

SAINTE SYNCLÊTIQUE,

« Mes très-chères Filles , leur disait-elle , nous n'igno- rons pas ce que nous devons faire pour arriver au salut : mais nous négligeons de le pratiquer , et c'est bien notre faute si nous avons le malheur de nous perdre. Nous devons poser pour premier fondement de notre édifice spirituel ce que Dieu nous a ordonné par un effet de sa grâce et de sa miséricorde , et vous savez ce qui est écrit : Vous aimerez le Seigneur de tout votre cœur et votre prochain comme vous- même ( Exode 26 ). C'est le commencement de la loi et la plénitude de la grâce ; Dieu l'a renfermé en peu de paroles , mais elles ont un sens si étendu qu'on peut dire qu'il est immense ; et tout ce qui sert à l'utilité de nos âmes, coule de ce grand principe. C'est ce que saint Paul nous apprend lors- qu'il dit que la fin de la loi est la charité ( 1 Tim. 1 ). Aussi tout ce que les hommes inspirés du Saint-Esprit nous di- sent d'utile , procède de la charité et se termine à la charité ! Voilà donc comment cette double charité est notre salut.

Ajoutez à ceci , que cette charité nous éclaire sur ce qu'il y a de plus parfait , et nous y fait aspirer avec une sainte ar- deur. Mais , pour le développer davantage , vous savez ce qui

12 ESPRIT

est marqué dans l'Évangile de la parabole du semeur cl des terres qui rapportent les unes cent, les autres soixante, ou trente pour un. Notre profession toute sainte rapporte le cent pour un. Les Vierges qui vivent dans le monde , d'ailleurs avec beaucoup de vertus , sont comme la terre qui rapporte soixante pour un , et les femmes qui vivent dans la pureté conjugale sont semblables à la terre qui rapporte trente pour un. »

La Sainte , après avoir distingué ces trois différents états , montrait qu'il ne fallait pas descendre du plus haut à un au- tre moins parfait , mais qu'il fallait faire tout le contraire , parce qu'en déclinant de la perfection qu'on s'était proposée , on avait sujet de craindre de perdre le salut. <r A la vérité , dit-elle , c'est une chose très-louable de passer du trentième au soixantième ; mais il y a un grand danger a passer de ce- lui-ci à l'autre , parce qu'une fois qu'on descend au sujet de la vertu , on ne s'arrête pas aisément au milieu , mais on est entraîné plus bas et on mesure malheureusement toute la profondeur du précipice... Quand il en est ainsi , lorsqu'il nous a fait descendre d'un état plus parfait à un moins par- fait , c'est une preuve que le démon nous a déjà terrassés : aussi celles qui le font sont regardées comme on regarde dans la milice un soldat qui déserte , et sont condamnées de même. On n'excuserait pas un soldat qui entrerait dans un corps moindre que celui qu'il quitte. Bien loin de lui pardon- ner , on le traiterait comme un fugitif. Allons donc , par progrès du moins parfait au plus parfait , c'est le grand Apôtre qui nous l'apprend par ces paroles : Oubliez ce qui est derrière vous, et efforcez-vous défaire davantage. Mais ne pensez pas que celles qui , par le progrès qu'elles ont fait dans la perfection , sont comparables aux terres qui rappor- tent cent pour un; ne pensez pas, dis-je, qu'elles soient dis- pensées de travailler encore. Jésus-Christ a dit : Quand vous avez fait toutes ces choses , dites-vous à vous-mêmes : nous ne sommes que des serviteurs inutiles. »

DE SAINTE SYNCLÉTIQUE. 13

Elle entre ensuite dans le détail des devoirs particuliers aux vierges, et ce qu'elle dit coule toujours de ces principes. Elle leur recommande plus expressément la pureté du cœur et la pureté des sens , comme convenant à la sainteté de leur état , parce qu'elles sont principalement consacrées à l'Époux céleste.

« L'excellence de notre profession , disait-elle, nous oblige à une pureté parfaite. Il n'en est pas de nous comme des femmes du siècle, qui, se contentant d'être fidèles à leur mari , donnent d'ailleurs à leurs sens une grande liberté , tantôt par des regards indécents, et tantôt par des ris immo- dérés... Quant à nous, il ne nous suffit pas d'éviter ces dé- fauts , nous devons exceller dans les vertus contraires ; gar- dons nos yeux par une chaste retenue , selon cette parole du Sage : Que vos yeux ne voient rien que d'honnête. Soyons cir- conspectes dans nos paroles; car comment ferions-nous ser- vir à des paroles dissolues une langue qui ne doit servir qu'à chanter les louanges de Dieu ?

Mais nous ne pourrons bien pratiquer ces choses , qu'au- tant que nous sortirons rarement, car les ennemis de notre âme, ainsi que de subtils voleurs, y entrent bientôt, et même malgré nous, par les sens , lorsque nous y pensons le moins. Voyez , en effet , si une maison devant laquelle on aurait fait une grande fumée n'en serait pas bientôt remplie, si les por- tes et les fenêtres étaient ouvertes. Le plus sûr pour nous est donc de ne paraître au dehors que le moins que nous pour- rons, parce que nous risquons de rencontrer sur nos pas des objets dangereux , ou d'entendre des paroles qui ne peuvent que troubler notre esprit par des images odieuses.

Cependant tout n'est pas fait , continuait-elle , en nous renfermant dans notre maison ou dans notre monastère. Quoi- que séparées du monde , nous avons encore besoin de veiller sur nous-mêmes ; car, plus nous aurons réduit nos sens aux règles de la tempérance , plus aussi nous avons à nous ga- rantir des pièges que le démon nous tend dans notre imagi-

14 ESPRIT

nation. Dieu le permet ainsi pour nous faire mériter par les victoires que nous remportons sur lui; de même qu'on oppose à un athlète qui s'est distingué dans la carrière, de plus forts antagonistes que ceux qu'il a déjà combattus. On a surmonté le vice en ne se livrant point aux actions mauvaises , et de ce premier degré on passe à un second qui est la garde des sens ; il ne faut pas s'y arrêter , il faut monter plus haut et combattre contre les pensées ; car le démon qui nous attaquait dans les autres degrés , s'est encore retranché dans celui-ci , et vient troubler notre solitude par les pensées qu'il nous suggère depuis que nous lui avons été les autres moyens de nous tenter en fermant la porte des sens. Il faut donc ici le combattre, selon ces paroles du Sage : Si un ennemi spirituel et qui est puissant vient à vous, ne lai cédez pas pour cela la place ( Eccle. 10-4 ). »

La Sainte ajoutait ici un avis des plus importants et qui mérite qu'on y fasse une attention particulière. Ce n'est pas assez d'avoir recommandé la fuite du monde, la garde des sens, la vigilance sur les pensées et les mouvements du cœur, elle les prémunit encore contre une espèce de tentation d'au- tant plus dangereuse , qu'elle paraît colorée des prétextes de la piété.

« Il y a eu , dit-elle , des solitaires qui , après avoir triom- phé du démon en repoussant les tentations de toutes les espè- ces , en ont été vaincus en s'exposant aux occasions , sous pré- texte de piété : ils ont fui le péché qui se présentait de front , pour ainsi dire, et ils y sont tombés ensuite en s'engageant à des discours spirituels trop fréquents avec des personnes pieuses, l'ennemi les prenant dans ses filets comme on prend les oiseaux avec un grain de blé qu'on a mis dans un piège. Ayons donc la prudence du serpent et la simplicité de la co- lombe (Matth. 10-16); la prudence du serpent, en évitant lus pièges que le démon nous tend , et la simplicité de la co- lombe , par la pureté de nos affections dans toutes nos dé- marches; et connaissant les ruses de nos ennemis , soyons

DE SAINTE SYNCLÉTIQUE. 15

continuellement en garde contre leurs artifices. Si vous me demandez quelles sont les armes qu'il faut employer dans ce saint combat, je vous réponds que ce sont les exercices la- borieux de la vie spirituelle , et l'oraison faite avec ferveur et pureté de cœur : servez-vous encore d'un préservatif plus par- ticulier qui est que quand le démon vous représente dans l'esprit des objets mondains , vous pouvez vous les représen- ter vous-mêmes tout autrement qu'il ne vous les veut faire considérer ; par exemple , un beau visage, comme s'il n'avait ni des yeux ni de bouche , ce qui le rendrait difforme et hor- rible à voir ; un beau corps , comme s'il était couvert d'ulcè- res , ou enfin comme il sera après la mort couvert de pourri- ture et de vers. »

Après qu'elle eut développé ces vérités édifiantes , une des vierges qui l'écoutaient lui ayant demandé si la pauvreté vo- lontaire ou le renoncement aux biens du monde était une œu- vre parfaite , elle lui répondit :

« Oui , sans doute , c'en est une , pourvu qu'on ait assez de force d'esprit pour y persévérer ; car celles qui ont la géné- rosité de le faire souffrent à la vérité quelque peine dans le corps, mais leur esprit goûte une douce tranquillité. Il en est d'elles comme de ces habits de drap qu'on blanchit à force de les fouler , ils en paraissent plus beaux ; ainsi ces cames cou- rageuses se fortifient davantage par la pauvreté volontaire. Il en est tout autrement de celles qui n'ont pas la même force d'esprit : comme les étoffes usées ne peuvent être foulées sans qu'elles se déchirent et qu'elles sortent souvent du fou- lon par pièces et par lambeaux, ainsi ces âmes faibles ne peuvent soutenir la peine qui accompagne la pauvreté volon- taire, et elles abandonnent facilement leur résolution.

Il faut se préparer à la pratique de la pauvreté évangéli- que, si l'on veut s'y soutenir constamment; et on s'y prépare en effet par les exercices de la mortification et de la péni- tence , parle jeûne, par la dureté de la couche et par d'au- tres pratiques laborieuses. Si on s'y prend autrement et qu'on

1 G ESPRIT

commence par renoncer tout à coup aux biens qu'on a, on risque de se repentir de les avoir quittés , tandis que celles qui s'y sont disposées par les autres vertus , s'y soutiennent merveilleusement.

Et comment ne s'y soutiendraient-elles pas ? Ce sont les richesses qui facilitent les moyens de vivre dans les délices ! Lors donc qu'en embrassant les exercices de la pénitence on a renoncé à toutes les délices , les richesses ne nous tentent plus et on n'a plus de regret de les avoir abandonnées. Voilà pourquoi Notre-Seigneur parlant à ce jeune homme riche de l'Évangile , ne lui proposa pas d'abord de renoncer à ses ri- chesses; il lui demanda premièrement s'il avait observé fidè- lement ce qui était prescrit par la loi. Il usa envers lui comme un maître d'école en use avec ses élèves , qui leur demande s'ils connaissent les lettres , ensuite s'ils savent assembler les syllabes , et enfin s'ils savent lire ; après cela , venons , leur dit-il , à ce qu'il y a de plus parfait. Allez , dit le Sauveur à ce jeune homme , vendez ce que vous avez, donnez-le aux ■pauvres , venez et suivez-moi (.Malth. 19-21 ).

La pauvreté volontaire est donc bonne à celles qui ont déjà pris l'habitude des vertus, et s' étant dépouillées de tout pour n'avoir que Dieu seul , elles chantent avec un cœur dégagé ce divin cantique de David : Xos yeux sont tournés vers vous, Seigneur, avec une ferme confiance : Vous donnez à ceux qui vous aiment la nourriture dont ils ont besoin (Ps. 144-15).

Mais quels avantages ces âmes ne retirent-elles pas de leur dépouillement ? Autant elles sont dégagées des biens de ce monde, autant aussi portent-elles leurs affections vers les biens du ciel. Elles sont établies sur le solide fondement d'une foi vive et d'une entière confiance aux soins de la Providence , et c'est à elles principalement que s'adressent ces paroles du Sauveur du monde : Ne soyez point en sollicitude pour le len- demain , et ce qu'il ajoute encore : Les oiseaux du ciel ne sèment point et ne moissonnent point, et votre Père céleste a soin de les nourrir ( Matth. G-20 ). »

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Parlant ensuite de la paix dont jouissent les pauvres vo- lontaires , des avantages qu'ils remportent sur les démons et de ceux qu'ils ont au-dessus des ambitieux du monde : « Ces âmes généreuses , dit-elle , ne redoutent guère cet ennemi ; elles le surmontent d'autant plus aisément qu'il lui reste moins de moyens de troubler leur tranquillité ; car c'est or- dinairement par les désirs ou la possession des biens qu'il trouble celle des gens du monde. En effet , que leur enlève- ra-t-il ? leurs terres ? elles n'en ont point ; leurs grains ? elles n'en recueillent point ; leurs proches? elles les ont quit- tés ! N'est-ce donc pas un sujet de désespoir pour leur ennemi , et un grand trésor pour elles, que cette pauvreté volontaire ? »

Après avoir rapporté les maux que causent aux gens du monde, d'après saint Paul , les désirs insatiables des riches- ses , elle ajoute :

« Ah ! que nous serions heureuses si nous nous donnions autant de peine pour acquérir les richesses spirituelles qui sont les seules solides et véritables , que ces gens-là en prennent pour de frivoles biens ! ils s'exposent sur la mer à la violence des vents ; ils essuient de rudes tempêtes , ils font de funestes naufrages , ils risquent d'être pris par les pirates, et sur la terre ils tombent entre les mains des voleurs ; enfin , ils souffrent tout , et s'ils réussissent à acquérir les biens qu'ils cherchent avec tant de travail , ils feignent d'être pau- vres , de peur d'exciter la jalousie des autres ; nous cepen- dant , qui pouvons faire un gain bien plus sûr et plus pré- cieux, nous n'avons pas le courage de supporter la moindre peine et de courir comme eux le moindre risque ; ce qui est pire encore , c'est que si nous acquérons quelque vertu , nous en concevons des sentiments de vanité et nous voulons passer pour bonnes; jusque-là que nous ajoutons à la vérité en exagé- rant le bien que nous faisons pour en être applaudies , perdant ainsi le mérite du bien que nous avons fait et nous le laissant ravir par le démon de la vanité. »

t. v. 2

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Elle prend occasion , de là, de recommander de nouveau à ses filles spirituelles , la vigilance , l'humilité , la résistance aux mouvements de colère , au souvenir des injures et à tout ce qui blesse la délicatesse de notre amour-propre.

« Voyez , dit-elle , comme les gens du monde , après avoir fait de grands gains , s'efforcent de s'enrichir davantage , ne comptant pour rien ce qu'ils ont déjà ; ils ne songent qu'à acquérir ce qui leur manque ; et nous , au contraire , n'ayant rien de ce que nous devrions avoir , non-seulement nous ne travaillons pas à l'acquérir, mais encore, malgré notre pau- vreté spirituelle, nous voulons passer pour riches; si nous faisons quelque progrès dans la vertu , efforçons-nous plutôt de le cacher ; ou si nous avons la faiblesse de parler de ce que nous avons fait de bien , disons du moins en même temps ce que nous avons fait de mal ; que si la honte nous en empêche, à combien plus forte raison devons-nous taire ce que nous ne saurions déclarer sans déplaire à Dieu. Les personnes vrai- ment spirituelles sont bien éloignées d'en agir ainsi ; au contraire , elles sont toujours prêtes à faire l'humble aveu de leurs fautes; elles les exagèrent plutôt que de les diminuer , méprisant l'estime des créatures, et ne parlant jamais du bien qu'elles font , pour mettre leur àme en assurance ; car , comme un trésor est bientôt enlevé lorsqu'il est découvert , ainsi la vertu s'affaiblit à mesure qu'on la publie ; l'àme se relâche et perd sa vigueur, comme la cire se fond lorsqu'on la met auprès du feu , et pour ne pas sortir de cette dernière comparaison , n'est-il pas vrai que la chaleur fait fondre la cire et que le froid la durcit? De même les louanges affaiblis- sent l'àme , et l'humiliation , au contraire , aide à la rendre plus parfaite.

Au reste, il y a deux sortes de tristesse , l'une bonne et l'autre préjudiciable; celle-là nous fait gémir sur nos fautes ou sur les maladies spirituelles de notre prochain , et nous porte à demeurer fermes dans nos bonnes résolutions et à aspirer à la plus haute perfection ; l'autre , au contraire ,

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nous est inspirée par le malin esprit , elle est fondée sur des chimères ; quelques-uns lui donnent le nom de paresse et de langueur spirituelle , parce qu'elle abat le cœur , et on la combat par la prière et le chant des Hymnes et des Canti- ques. »

Elle établit ensuite une comparaison entre les soins qu'ont les âmes religieuses et ceux des personnes du monde, et elle ajoute : « Les ambitieux sont accablés de tristesse , lorsqu'ils ne sont pas élevés comme ils le désirent ; les envieux se con- sument de dépit; ceux qui perdent leurs biens s'irritent de leurs pertes ; ceux qui deviennent riches extravaguent de leur opulence , et le soin de conserver ce qu'ils ont , leur fait per- dre le sommeil. »

Ne croyons pas non plus que les femmes aient de moin- dres soins à soutenir que nous; elles en ont de plus grands et de plus pénibles ; elles mettent leurs enfants au monde avec douleur et souvent avec danger de leur vie ; elles les nourris- sent avec peine; s'ils sont malades , elles participent à leurs maladies par le chagrin qu'elles en ont. Eh ! que ne leur en coûte-t-il pas de peines pour leur donner une éducation? Le mauvais naturel qu'ils ont quelquefois , leur cause les plus mortelles inquiétudes , et il y a des parents qui sont morts par les chagrins que leurs enfants leur ont causés. Ne vous laissez donc pas séduire par l'ennemi du salut, qui pourrait vous représenter ces femmes du monde comme menant une vie pleine de délices et sans aucun souci ; c'est tout le con- traire , et j'ai voulu entrer dans ce détail pour vous prémunir contre les artifices du malin esprit.

Vous pouvez comprendre l'excellence de notre état par la différence qui se trouve entre les animaux , dont les uns mar- chent sur la terre , les autres nagent dans les eaux , et d'au- tres volent dans les airs. Ainsi , parmi les hommes il y en a qui tiennent un milieu , comme les animaux terrestres , d'au- tres s'élèvent en baut comme les oiseaux, et d'autres sont plongés dans les eaux du crime', comme les poissons. Quant à

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nous , soyons comme les aigles qui s'élèvent jusqu'à la plus haute région de l'air ; foulons aux pieds le lion et le dragon ; subjuguons celui qui nous avait autrefois réduits en servitude. Élevons-nous de cette façon à la plus haute perfection , et pour cela consacrons-nous sans réserve à notre Sauveur. Mais n'oubliez pas ce que je vous ai dit , que plus vous voudrez tendre à la perfection , plus aussi vous devez compter que le démon s'efforcera de vous en empêcher par ses pièges. Armez- vous contre lui de toutes vos forces. Veillez au dedans et au dehors de vous. Notre âme est dans celte vie comme un vais- seau sur mer. Il est battu au dehors par les vagues durant la tempête ; mais quelquefois aussi dans un grand calme , l'eau s'insinue dans la sentine et peut la submerger. Quand les ma- telots se trouvent agités par l'orage, ils appellent du secours, et souvent on les empêche de périr. Mais l'eau qui entre in- sensiblement dans le vaisseau peut fort bien les perdre sans qu'ils s'en aperçoivent , surtout si , au lieu de veiller , ils se laissent aller au sommeil.

Tout ceci nous apprend combien il importe que nous veil- lions sur nos pensées , car l'ennemi voulant perdre notre âme , nous ne saurions être trop vigilantes. Voyez ce que font ceux qui veulent ruiner une maison : ou ils en sapent les fondements , ou ils commencent par en découvrir les toits , ou ils entrent par les fenêtres , se saisissent du père de famille , le lient fortement , et sont par maîtres de tout le reste. Nos œuvres sont les fondements de notre âme , la foi en est comme le toit, et les sens en sont les fenêtres. Le dé- mon nous attaque par tous ces endroits , nous devons donc avoir plusieurs yeux pour veiller partout si nous voulons nous sauver. Gardons-nous d'une présomptueuse sécurité , puis- que l'Ecriture nous dit : Que celui qui est debout prenne garde de tomber ( 1 Cor. 10-12 ).

Considérez , ainsi que je viens de vous le dire , que nous sommes ici comme sur la mer. David appelle ainsi cette vie ; or , dans la mer il y a des écueils en certains endroits , dans

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il1 au très il y a des monstres , et enfin , il y en a elle est calme. Il est vrai que nous voguons dans une mer tranquille , en comparaison des gens du monde -, qui naviguent dans une mer dangereuse. Le soleil de justice nous éclaire dans notre route , et ils font la leur comme au hasard , dans la nuit de leur ignorance ; mais je vous ai déjà fait remarquer que sou- vent les gens du monde, exposés à la tempête ou plongés dans les ténèbres , se sauvent en appelant du secours ; et il peut se faire aisément, qu'abandonnant le gouvernail de la justice par notre négligence , nous périssions malheureu- sement. »

Après ce long discours sur la vigilance chrétienne , notre Sainte prémunissait ses filles contre la présomption , qui a perdu et qui perd chaque jour tant d'âmes.

« Ce que je viens de vous faire remarquer , leur dit-elle , est afin que nous ne nous élevions pas en nous-mêmes ; car , tandis que celles qui sont tombées conçoivent un vif regret de leurs fautes et parviennent par au salut , celles qui n'ont point fait de chute doivent craindre doublement , soit de re- tourner en arrière par la négligence et la tiédeur , soit d'être supplantées dans leur course par leur ennemi , en présumant trop d'elles-mêmes. Cet ennemi artificieux vient tantôt der- rière nous , et nous attire à lui lorsque nous nous laissons aller à la paresse spirituelle et que nous marchons avec tié- deur ; et tantôt , s'il voit que nous soyons ferventes et dili- gentes , il nous tend des pièges par la vanité et nous renverse au milieu de notre course.

Cette amorce de la présomption et de la propre estime est l'appât le plus dangereux qu'il emploie pour nous sé- duire. C'est par l'orgueil qu'il a été lui-même précipité du haut des cieux ; c'est aussi par l'orgueil qu'il s'efforce de renverser les âmes fortes. De même que les combattants , après avoir décoché leurs flèches , fondent ensuite sur l'en- nemi l'épée à la main pour achever de renverser ceux qui ont résisté aux premiers traits , ainsi le démon , ayant épuisé

■H ESPRIT

inutilement les siens on les attaquant en différentes manières, emploie contre nous , par un dernier effort , l'arme la plus forte qui lui resle, le glaive de l'orgueil et de la présomp- tion.

Oh ! combien ce funeste glaive a fait périr d'àmes qu'il n'avait pu vaincre par d'autres armes ! Au commencement il les avait attaquées par la gourmandise , la volupté et les autres plaisirs des sens , et il n'avait rien gagné sur elles ! ensuite il les avait tentées par l'avarice et l'amour des riches- ses , et elles avaient généreusement résisté ; enfin , après tant de défaites , cet inventeur de toutes les malices s'est avisé , pour en triompher, d'un dernier moyen plus pernicieux que les autres ; il leur a inspiré des pensées d'estime d'elles- mêmes et de préférence sur les autres , et par ce fatal poison il a réussi à les pervertir entièrement... »

Notre Sainte propose ici les remèdes contre ce mal si dangereux.

« Méditons sans cesse , dit-elle , cet oracle du Prophète royal : Je suis un vermisseau et non un homme ; je ne suis que terre et que cendre (Ps. 21-7 ). Et si celle qui est tentée d'or- gueil vit seule dans une entière solitude , il faut qu'elle entre dans un monastère; ou si l'on reconnaît que la vanité vienne des trop grandes austérités qu'elle a faites , qu'on l'oblige à manger deux fois le jour. Il faut aussi qu'on la reprenne, qu'on l'applique aux plus bas ministères , qu'on lui propose l'exemple des plus grands Saints. Il convient, enfin, que les autres redoublent leur ferveur, afin que les voyant si parfai- tes, elle apprenne à s'humilier et à n'avoir qu'une basse idée d'elle-même.

Cependant je ne dois pas vous laisser ignorer , ajoute-t- elle , que l'attachemeut à la propre volonté précède ordinai- rement celte enflure que cause au cœur sa propre estime , et c'est par l'obéissance qu'on la guérit. Mais comme il faut hu- milier celbs qui pèchent par orgueil , il faut agir tout autre- ment avec celles qui manquent par découragement ; car le

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démon qui emploie toute sorte de moyens pour nous séduire, ôte à celles qui ont fait du progrès dans le bien , le souvenir de leurs péchés , afin de les perdre par vanité. Quant à celles qui ne font que d'entrer en religion et de s'exercer dans la pratique des vertus, il leur reproche tous leurs péchés passés, afin de les jeter dans le désespoir, leur faisant entendre qu'ils sont trop énormes pour que Dieu les leur pardonne et qu'elles ne sauraient espérer d'èfre sauvées. Bien loin d'humilier donc ces âmes ainsi abattues, il faut les encourager par l'exemple de ceux qui n'ont pas laissé de se sanctifier après de grands crimes , comme Rahab dans la loi ancienne , saint Paul dans la nouvelle , saint Matthieu qui avait été publicain , et le bon larron coupable de meurtres et de brigandages. Il faut de plus, pour leur donner du courage , relever à propos le bien qu'el- les commencent à pratiquer, et leur inspirer par une sainte émulation...

Il paraît , par tout ce que je viens de vous dire , que l'or- gueil tient le premier rang entre les péchés , et que l'humilité qui lui est opposée ne tient pas un moindre rang parmi les vertus ; mais il n'est pas aisé de l'acquérir, et on n'y parvien- dra jamais , si l'on ne bannit de son cœur toute vaine estime de soi-même , ce qui n'est pas une petite perfection. En effet, elle est si grande que le démon qui feint quelquefois d'imiter les autres vertus ne peut pas imiter celle-là, car il ne saurait même la comprendre.

L'humilité doit donc nous servir comme d'un rempart im- pénétrable pour défendre toutes les œuvres et les vertus que nous pratiquons : elle doit les couvrir et les serrer étroite- ment, de peur que la vanité ne les détruise ; enfin, il n'est pas moins impossible de se sanctifier sans l'humilité , que de condujre sûrement un vaisseau sans gouvernail.

Mais combien Jésus-Christ ne nous l'a-t-il pas recomman- dée ? il s'en est revêtu en descendant du ciel ! et que nous a-t-il dit? Apprenez de moi à cire doux et humble de cœur (Matth. 11-29). Considérez quel est celui qui a dit ceci : il

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veut que l'humilité soit le principe et la fin de nos œuvres ; il veut que ce soit l'humilité du cœur et non une humilité en paroles ; il veut que quand même nous aurions observé tous les commandements, bien loin de nous en estimer davantage, nous nous regardions , par une sincère humilité , comme des serviteurs inutiles.

On reconnaît qu'on pratique véritablement cette vertu , lorsqu'on souffre patiemment les reproches , les injures et tout ce qui offense l'amour-propre ; ces épreuves sont comme les nerfs de l'humilité. Jésus-Christ les a souffertes lui- même , puisqu'on l'a appelé un Samaritain , qu'on a dit qu'il était possédé du démon , qu'on lui a donné des soufflets et qu'on lui a fait toutes sortes d'outrages.

Nous devons donc , à son exemple , souffrir avec une hum- ble patience les humiliations , et ne pas nous humilier en apparence, comme font quelques-unes qui ne feignent de s'hu- milier que pour être louées davantage , et qui se hérissent comme des aspics , lorsqu'on les offense en public. »

Après ces instructions édifiantes, comme celles qui les écou- taient en étaient transportées de joie , notre Sainte fut priée de s'étendre encore sur quelques points de morale , ce qu'elle ne put refuser de faire et qu'elle a traité par les avis suivants :

« Lorsqu'on s'engage à servir Dieu , on doit s'attendre à des combats et à des peines ; mais ces peines sont suivies d'une consolation qu'on ne peut exprimer; comme ceux qui veulent allumer du feu sont d'abord incommodés de la fumée, que leurs yeux en pleurent , et ont ensuite le plaisir de le voir briller et d'en être échauffés; ainsi , nous allumons dans nous un feu divin avec nos larmes et nos travaux ; c'est ce feu que Jésus-Christ a dit qu'il était venu apporter dans le monde , le feu de la charité ; mais il arrive à plusieurs qu'ayant souffert pendant quelque temps l'incommodité de cette fumée , ils se lassent de souffler ce feu sacré , et se pri- vent, par leur négligence et leur impatience , de l'avantage qu'elles en auraient retiré en l'allumant.

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Certes , la charité est un trésor d'un si grand prix , que l'Apôtre a dit d'elle , que quand nous distribuerions tous nos biens aux pauvres et que nous aurions livré notre corps aux flammes , sans cette vertu nous ne sommes qu'un airain son- nant et une cymbale qui retentit. Mais comme elle est le plus grand de tous les biens , n'avons-nous pas sujet de dire que la colère qui lui est si opposée , est un très-grand mal , puis- qu'elle remplit l'àme de ténèbres et la rend si féroce , qu'elle n'écoute plus la raison ? Jésus-Christ nous a prémunis contre tous les vices ; il nous a donné la tempérance pour nous for- tifier contre l'impureté ; il nous a recommandé l'humilité pour nous garantir de l'orgueil , et il nous a donné contre la colère , l'arme salutaire delà charité.

Remarquez pourtant qu'elle n'est pas toujours condamna- ble , puisqu'il est permis de s'irriter contre les démons; mais il n'est pas permis de s'irriter contre les hommes , quand même ils seraient de grands pécheurs , et si notre zèle s'en- flamme contre eux avec véhémence , il convient mieux d'at- tendre qu'il soit apaisé pour les corriger lorsque la charité nous y oblige ; ainsi il faut la gouverner comme un cocher mène ses chevaux , avec prudence et modération.

Ce qu'il y a de pire dans la colère, c'est de conserver le ressentiment et le souvenir des injures ; un emporte- ment subit trouble tout à coup la raison et s'apaise en peu de temps , comme on voit évanouir la fumée ; mais le sou- venir des injures étant gravé dans l'esprit , rend l'âme cruelle comme une bête féroce. Les chiens les plus furieux s'adoucissent quand on leur donne quelque chose , les au- tres bêtes s'apprivoisent avec les hommes ; mais le ressen- timent des injures n'écoute ni la raison , ni aucune remon- trance; le temps même, qui est le médecin de tous les maux, n'y saurait remédier ; c'est le comble de la méchanceté par laquelle on désobéit formellement à Jésus-Christ qui nous a dit : Allez vous réconcilier avec votre frère, après quoi vous viendrez offrir votre présent . et l'Apôtre saint Paul

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dit aussi : Prenez garde que le soleil ne se couche jamais sur cotre colère (Eph. 4-26 ).

Le ressentiment est toujours suivi de grands maux , tels que sont la jalousie, le chagrin, la médisance; et ne les regardons pas comme peu de chose ; ils paraissent de faibles traits de l'ennemi en comparaison des autres armes qu'il em- ploie contre nous, en nous tentant sur certains crimes : mais, plus ceux-ci paraissent noirs , plus aussi étant effrayés après les avoir commis , nous recourons à la pénitence comme à un baume salutaire ; au lieu que faisant moins de cas de ceux- , comme moins odieux en apparence, nous les négligeons, et ils ne laissent pas de faire de profondes blessures , que notre négligence rend enfin invétérées et mortelles.

On ne peut exprimer combien la médisance est un mal dangereux, quoiqu'on la regarde quelquefois comme un amu- sement et un moyen d'égayer la conversation ; fermons nos oreilles à de pareils entretiens; ne souffrons pas que cet or- gane dont nous pouvons user en bien , soit employé à censu- rer les défauts des autres; conservons notre àme pure et exempte des vices qui la défigureront indubitablement en écoutant ces discours dangereux ; car ce n'est que pour les avoir entendus que nous haïssons les personnes avec qui nous vivons et que nous les regardons avec des yeux pleins de malignité que nous avons contractée pour avoir ouï ces dis- cours , comme ceux qui ont la jaunisse ne voient rien qui ne leur paraisse jaune.

Veillons sur notre langue et sur nos oreilles pour ne rien dire et ne rien écouter par passion , suivant les règles que nous donne là-dessus le Saint-Esprit : N'écoutez point ce qu'on dit de mal à propos. Je ne pouvais souffrir celui qui médisait en secret de son prochain. Ma langue ne parlera point des actions des hommes. Ne croyons pas aisément ce qu'on nous rapporte des autres ; excusons même ceux qui le rapportent , et soyons comme le Prophète qui dit qu'il était lui-même , semblable à un sourd qui n'entend rien . et à un muet qui ur parle point.

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Ne nous réjouissons non plus jamais du malheur du pro- chain , quand même il serait encore plus méchant. Ne haïs- sons personne, non pas même nos ennemis ; car Jésus-Christ nous recommande d'aimer non-seulement ceux qui nous ai- ment, puisque les publicains et les pécheurs en font autant, mais encore ceux qui nous haïssent. Nous avons besoin de cette recommandation ; car ce qui est bon et honnête nous l'aimons parce qu'il nous attire lui-même ; mais pour ce qui est mauvais , il a fallu l'instruction d'un Dieu pour l'arracher de notre cœur, et cela ne se fait pas sans travail : aussi le royaume du ciel n'est pas pour les lâches , mais pour ceux qui se font violence. »

Notre Sainte parle ensuite de l'aumône faite en esprit par les personnes qui, ayant embrassé la pauvreté volontaire, sont par leur dépouillement hors d'état de la faire autrement que par la compassion envers les pauvres et en priant pour eux.

« Comme les vices, dit-elle , ont un enchaînement et une liaison entre eux , les vertus sont aussi liées entre elles. L'en- vie , la fourberie , le parjure, le ressentiment, sont les funes- tes productions de l'avarice; au contraire, la mansuétude, l'égalité d'esprit , la patience et la pauvreté volontaire qui est une œuvre parfaite , sont les fdles de la charité. Mais vous me direz peut-être: comment pouvons-nous faire l'aumône après nous être dépouillées de tous nos biens , puisque l'au- mône suppose qu'on s'en est réservé du moins une partie ? Je réponds que l'aumône ne nous est pas tant recommandée pour l'amour des pauvres que pour l'amour de la charité. Lors donc qu'en renonçant à tout il ne nous reste plus rien à donner, étant parvenues à cette charité à laquelle l'aumône nous dispose , on n'exige point que nous la fassions.

Je ne prétends pas diminuer le mérite de l'aumône , mais vous montrer le mérite de la pauvreté volontaire. Vous avez fait un bien en vous dépouillant en faveur des pauvres , il faut aspirer plus haut et vous élever à la parfaite charité. Dieu a mis dans le monde deux sortes de gens de bien : aux uns, il

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a permis do se marier pour perpétuer les familles , et il a appelé les autres à une vie angélique en leur inspirant l'a- mour de la chasteté. Il a donné la loi à ceux-là, et il nous a par sa grâce montré dans son exemple les conseils que nous devons suivre.

Sa croix est notre étendard , c'est par elle que nous rem- portons la gloire du triomphe sur nos ennemis. Et, en effet , notre profession n'est autre chose qu'un renoncement à cette vie et une méditation continuelle de la mort. Comme donc les morts n'agissent plus selon le corps , nous ne devons plus agir par nous-mêmes , mais agir selon l'esprit; montrons par la pratique des vertus que nous ne vivons que selon l'esprit ; fai- sons l'aumône en esprit par notre compassion envers les pau- vres. Et puisqu'il est écrit que celui qui conçoit un mauvais désir s'est rendu coupable dans sa conscience, Dieu aura également pour agréable la bonne volonté que nous avons de soulager les pauvres par l'aumône, quoique en nous dé- pouillant de tout, nous nous soyons mises dans l'impuissance de le faire.

■j Ce que je viens de vous dire doit vous faire comprendre qu'il y aurait du danger à vouloir instruire les autres sur cet état de perfection , si on était encore engagé soi-même dans la dissipation des choses extérieures; car, quelle connais- sance pourrait-on en donner? Représentez-vous un homme qui voudrait recevoir , dans une maison prête à crouler , ceux qui le viennent voir ; ne les eusevelirait-il pas sous les rui- nes ? Tels sont ceux qui se chargent de la conduite des autres sans s'être établis dans une solide vertu ; ils sont plus pro- pres à leur nuire par leur mauvais exemple , qu'à leur faire du bien par leurs exhortations. Semblables à ces tableaux dont les couleurs, quoique vives, sont pourtant si faibles qu'elles passent en peu de temps ; ainsi , leurs discours de piété ne font que des impressions que leur exemple efface bientôt ; mais les paroles de ceux qui pratiquent eux-mêmes ce qu'ils enseignent , ne passent pas facilement , le bon exemple

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étant une leçon vivante qui se grave profondément dans les cœurs.

Ne nous contentons pas d'avoir un soin superficiel de no- tre àme ; allons jusqu'à la racine de ses moindres défauts et ornons-la de vertus. Nous avons coupé nos cheveux ; net- toyons notre tète de tout ce qui pourrait y rester. Chez les gens du monde , certains défauts ne paraissent pas beau- coup , ils sont en quelque sorte cachés sous de plus considé- rables ; mais dans une vierge , dans un solitaire , on décou- vre jusqu'au moindre insecte , s'il en reste quelqu'un , le moindre petit défaut paraît. Purifions sans cesse notre àme et parfumons-la par le jeûne et par l'oraison. »

Telles sont les principales exhortations de sainte Syncléti- que; mais nous avons encore à recueillir quelques-unes de ses maximes , dont les plus importantes sont celles-ci :

« Soyons fidèles à garder les saintes règles qu'on nous a prescrites , et faisons comme les marchands qui comptent tous les jours leurs gains et leurs pertes et qui se réjouis- sent du bien qu'ils ont fait et s'affligent de ce qu'ils ont perdu. Il nous convient mieux qu'à eux de veiller sur notre négoce spirituel , puisque c'est pour acquérir les véritables trésors que nous travaillons; mais , comme les marchands ne se lais- sent pas décourager pour quelques pertes qu'ils ont faites , quoique d'ailleurs ils en soient fâchés , de même nous ne de- vons pas nous livrer au découragement pour nos fautes , ni abandonner le soin de notre àme , comme si nous n'y pou- vions plus réussir.

Quoi que nous puissions acquérir en ce monde , regar- dons-le comme rien en comparaison des richesses du ciel. Nous sommes dans cette vie , à l'égard de l'éternité bienheureuse, comme sont les enfants dans le sein de leur mère. Avant que nous fussions nées , nous étions renfermées dans le sein de nos mères comme dans un cachot ténébreux ; notre nourri- ture était bien différente de celle d'aujourd'hui ; nous n'y pouvions rien faire de ce que nous faisons à présent. Comme

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donc dans cet état nous ne jouissions pas de la clarté du jour ni des avantages delà vie présente, nous sommes également dans celte misérable vie privées des avantages du royaume du ciel. Ainsi nous avons éprouvé les aliments de la terre , soupirons après ceux du ciel. Nous avons été éclairées par le soleil matériel , désirons le soleil de justice. Regardons la céleste Jérusalem comme notre mère et notre patrie. Appe- lons Dieu notre père. Vivons de telle sorte sur la terre, que nous méritions de vivre éternellement dans le ciel.

On peut dire de nous que nous naissons trois fois. La première fois , c'est quand nous sortons du sein de notre mère. La seconde , quand nous passons de la terre au ciel. La troisième, lorsque nous nous appliquons aux travaux de la pénitence et à la pratique des bonnes œuvres , et c'est notre état présent. Comme donc les enfants croissent dans le sein de leur mère , et qu'après y avoir été nourris ils passent de cette étroite prison par la naissance , au grand théâtre de ce monde, et qu'au contraire ceux qui meurent avant que de paraître au jour , passent des ténèbres aux ténèbres ; de même les justes en sortant de ce monde passent de cette vie au grand jour de l'éternité bienheureuse, et les pécheurs au con- traire passent des ténèbres du péché aux ténèbres de l'enfer.

Etant dévouées à l'Époux céleste, ayons un soin tout particulier d'embellir notre âme. Instruisons-nous par la con- duite des filles du monde , qui n'oublient rien dans les noces temporelles pour se rendre agréables à leurs époux. Combien y sommes-nous bien plus obligées ayant pour époux le Roi du Ciel? Elles se couvrent des riches habits de la terre; elles s'ornent de fleurs. Revêtons-nous d'un vêtement sacré , et ornons-nous des fleurs des vertus. Au lieu de pierres précieu- ses , couronnons-nous du triple diadème de la foi , de l'espé- rance et de la charité. Que l'humilité nous tienne lieu de collier de perles, la tempérance de ceinture, la pauvreté volontaire de riche voile, et la prière et le chant des psaumes de mets délicieux. L'engagement que nous avons pris avec

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notre divin époux s'accomplit, en nous souciant peu de notre corps et en tournant notre principale attention sur notre âme.

Quand on puise de l'eau par le moyen d'une poulie ou sou- pape, on n'élève pas en même temps les deux seaux remplis d'eau; mais, à mesure qu'on en fait monter un plein, on fait descendre celui qui est vide. Il en est à peu près de même de nous. Une vierge qui travaille avec fidélité à remplir ses sacrés engagements , remplit son âme de vertus et l'élève par à Dieu , et en même temps elle abaisse le corps par la mor- tification et les exercices laborieux de la discipline religieuse.

G0 La volupté affecte le corps et la cupidité est dans l'es- prit ; réprimez celle-ci, et bientôt l'autre s'amortira. Mais si vous écoutez la cupidité , la volupté vous dominera , et vous vous trouverez engagée comme dans un cercle , d'où vous aurez de la peine à sortir.

Tous les états ne sont pas propres à tous , chacun doit consulter sa vocation. Les uns sont appelés à la vie des mo- nastères , les autres à vivre seuls , de même qu'il y a des plantes qui viennent mieux dans une terre humide et d'au- tres dans un terrain sec. Plusieurs se sauvent au milieu des villes , étant par leurs désirs en esprit dans le désert , et d'autres se perdent dans le désert , parce qu'ils y ont les affections de ceux qui habitent les villes. Ainsi il arrive qu'on peut être solitaire en son àme au milieu du monde, et qu'on ait l'esprit rempli du tumulte du monde , quoiqu'on soit seul dans le désert.

Ne vous laissez pas abattre par la lâcheté et la tiédeur quand vous êtes malade. Portez votre mal dans un esprit de pénitence et pour l'expiation de vos péchés; pensez alors que vous avez mérité d'être jugée et punie plus rigoureusement dans les supplices éternels. Réjouissez-vous de ce que Dieu daigne vous visiter par la maladie. Dites avec le Prophète : Le Seigneur m'a corrigé par ces châtiments , mais il ne m'a pas abandonné à la mort du péché.

La pratique donc qu'il y a à faire dans la maladie est de

32 ESPRIT

souffrir avec patience, et d'en rendre grâces au Seigneur. Si vous perdez la vue , ne vous attristez pas , elle est l'organo de la curiosité ; mais vous avez les yeux de l'âme par lesquels vous pouvez contempler Dieu. Si vous perdez l'ouïe , remer- ciez-en aussi Dieu ; ce n'est qu'un instrument matériel qui sert souvent à des choses vaines. Si vous êtes percluse des mains , n'avez-vous pas les mains intérieures de l'âme avec lesquelles vous combattez l'ennemi du salut? Enfin, si tout le corps est accablé de mal , faites en sorte qu'en vous la santé de l'homme intérieur croisse et se fortifie.

10° Sachons discerner dans nos austérités ce qui vient de l'esprit de Dieu et ce qui vient du démon. Jésus-Christ a dit que nous devons être, comme les changeurs, habiles à discer- ner la bonne monnaie de la fausse. Il nous a voulu faire en- tendre parla , qu'il fallait discerner les esprits. Quelquefois la monnaie n'est fausse que parce qu'elle n'est pas frappée au coin du prince , bien que la matière en soit bonne. Le jeûne , la continence , l'aumône sont comme des monnaies ; mais les païens qui les pratiquent les frappent au coin de leurs tyrans, et les hérétiques par ostentation.

11° Dans le monde on jette dans une prison ceux qui sont coupables de crimes; et dans le monastère nous nous enfer- mons volontairement pour expier nos fautes et éviter par la prison et les peines de la vie future.

12° Nous avons commencé le bien, ne l'abandonnons pas , quelque obstacle que le démon nous oppose. Soyons comme les marins qui étant sortis du port avec un vent favorable, si la tempête se lève, travaillent sans se troubler ni s'étonner du péril, bien loin de se laisser aller au gré des vents , et con- tinuent leur route le mieux qu'ils peuvent ; ainsi lorsque le démon souffle le vent de la tentation , ne perdons pas cou- rage; suivons notre route en déployant notre grande voile, qui est l'étendard de la croix. »

NOTES SUR L'ORIG. DES MONASTÈRES DE FILLES. 33

AOTES SUR L'ORIGIXE DES MONASTÈRES DE FILLES ,

Sur la première fondatrice , leurs premiers habillements, etc.

De grandes difficultés se sont élevées touchant la véritable fondation des monastères de tilles et de veuves ; et le nom de celle à laquelle l'honneur de la première fondation doit être accordé, a été contesté par plusieurs. Cependant, tout bien comparé, discuté, dépouillé, le plus grand nombre, après saint Athanase t, qui a écrit la vie de sainte Syu- clétique ), Nicéphore, Caliste, Hernian, Baronius , Tillemont, Cotellier, Dupin, Bivarius , Arnaud-d'Andilly , Hélyot, Henrion , etc., etc. , re- connaissent sainte Syuclétique pour mère et première fondatrice des religieuses , comme saint Antoine , dont elle était contemporaine, l'est des moines ou religieux. Or , voici ce que nous devons ajouter : c'est que les monastères de tilles ne se sont pas formés tout à fait de la même manière que ceux des hommes. Il y avait dans la primitive Eglise , dès le 11e siècle , comme toutes les histoires ecclésiastiques en font foi , et lesménologes des Grecs surtout, des vierges qui vivaient en particulier ou en communauté , et qui servaient les prêtres par motif de piété et de charité ; on les nommait Agapètes. Il y avait également des Diaconesses ou des femmes qui aidaient les ecclésiastiques dans leurs fonctions , principalement quand le baptême s'administrait encore par immersion. Mais ce n'étaient point là, proprement dit , des religieuses : pour le devenir, dit M. Henrion ( t. 1er, p. 25 ), les femmes et les jeunes tilles n'auraient pu , sans livrer leur réputation à la satire, se retirer dans les déserts ou dans les bois. Elles se contentaient donc de mener une vie solitaire dans leurs propres demeures, et de se dérober par cette sorte de clôture volontaire au tourbillon du monde. Ce ne fui que sous sainte Syuclétique que furent formés de vrais monastères de tilles , et voici comment cela se lit.

Sainte Syuclétique, comme nous l'avons déjà dit dans la Notice, ayant perdu son père et sa mère , et hérité d'une grande fortune , la distribua aux pauvres , et ne trouvant du goût que dans les exercices spirituels , elle prit avec elle une sœur qu'elle avait et qui était aveu- gle , pour se retirer dans un sépulcre, et y apprendre à mourir tout en vivant encore. , elle pratiqua de grandes austérités , joignant aux. mortifications du corps celles du cœur et de l'esprit.

Cependant Dieu ne permit point qu'un si grand trésor restât long- temps caché. Plusieurs veuves et filles voulurent se mettre sous sa conduite , et lui demandèrent des instructions. L'humilité profonde de Syuclétique la porta à refuser obstinément; elle ne pouvait se persua- der qu'elle était choisie pour instruire et diriger les autres. Néanmoins, la volonté de Dieu s'étanl manifestée , elle obéit. Elle leur adressa des instructions très-solides; celles qu'on vient de lire étaient de ce nom- ci

T. V. >>

:!i NOTES SIR LOIUG. DES MONASTÈRES DE FILLES.

bre, et tâcha de les former à la perfection dont Dieu lui avait appris les secrets merveilleux. Alors le nombre des vierges pieuses et des veuves augmentant de jour en jour , elles se réunirent en communauté et sui- virent l'exemple que saint Antoine et saint Pacôme leur avaient donné en réunissant les moines. C'est vers 315 ou 318 qu'eut lieu cette fondation.

Nous n'avons rien de bien précis sur les règles qu'elles adoptaient. Saint Athanase et quelques autres , nous apprennent seulement que l'habit de sainte Synclctique et de ses religieuses était un habit de pau- vreté ; mais nous savons que peu de temps après sainte Synclétique , les religieuses portaient une robe noire , de noir naturel à la laine , ou bien rougeâtre foncé, avec de larges et longues manches qui couvraient leurs bras jusquesaux doigts ; les robes ne devaient point avoir de fran- ges ni le scapnlaire non plus. Elles portaient sur leur robe un manteau avec capuce et un large collet descendant jusqu'aux genoux, et fermé de toute part qu'on appelait épendite ; leurs cheveux étaient coupés et leur tête était entourée d'un bandeau de laine noire. Quand elles ren- contraient quelque homme, elles se cachaient le visage et ne levaient jamais les yeux que vers Dieu.

Quant aux autres saintes Anachorètes , leurs habillements changèrent selon que la pénitence et l'austérité qu'elles voulurent pratiquer le leur inspirait.

La sœur de saint Antoine établit, peu de temps après sainte Syn- clétique , un semblable monastère , sous le règne de Constantin le Grand. Puis vinrent les sainte Macrine , sœur de saint Basile, sainte Marceline ( 397 ), sainte Paule ( 347-40 i), sainte Scolastique , sœur de saint Benoit ( 543 ) , toutes héroïnes célèbres dans les fastes monasti- ques (1). A la suite de la grande impulsion donnée aux ordres religieux par saint Athanase , par saint Basile , saint Ambroise et saint Jérôme , il y eut des religieuses caloyères, dont les unes vivaient renfermées dans des monastères et les autres séparément , chacune dans une cel- lule. Leur robe était noire et leur manteau aussi. Elles avaient la tète rasée. Elles ne gardaient pourtant pas une clôture très-régulière.

D'autres religieuses et religieux , établis par un nommé Alexandre , portèrent le nom d'Accémètes ( veillantes ou qui ne dorment point), ( ve siècle ) ou de Studites , du nom de Studius , qui fonda à Constanti- nople un monastère de ce genre.

Le nom d'Acœmètes leur fut donné à cause de la psalmodie perpé- tuelle nuit et jour en usage chez les Occidentaux , et encore en usage chez nous, car les Maisons religieuses l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement fait partie de la règle, et il y a nuit et jour quel- ques personnes de la communauté occupées à ce pieux exercice , peu- vent être regardées comme des demeures (ïAcœmètes. ( Voy. Herman, Hélyot , Délie , Henrion. )

(I) Si elles ne figurent point dans noire ouvrage, c'est qu'elles n'ont laissé aucun écrit.

ESPRIT

DE

SAINTE RADEGONDE,

REIi\E DE FRANCE ,

FONDATRICE DE L'ORDRE DES SŒURS DE SA1XTE-CR01X , k POITIERS.

NOTICE.

587.

Née vers 520, au sein de la cour de Thuringé, au milieu des plus tristes luttes et des plus désastreuses révolutions , Radegonde eut pour père Berthaire , le plus jeune des fils de Basin , roi des Thuringiens ; jeune encore, elle fut emmenée prisonnière , après avoir survécu au massacre de sa famille : Herminfroy, son oncle, l'adopta en quelque sorte pour sa fille et l'éleva à sa cour , ainsi que son frère , avec son propre

30 NOTICE

fils Amalafroy ; ceci expliquera les sentiments de Radegonde, consignés dans les fragments que nous devons citer. Cette jeune princesse , d'une grande beauté , était encore douée des plus belles qualités de l'esprit et du cœur, elle était échue en partage au roi Clotaire , lors des désastres de la Thuringe et au moment du partage du butin : on croit voir violem- ment arrachée du sol de sa patrie, cette jeune et précieuse plante, pour se faner au souffle brûlant de l'exil; ou plutôt on dirait après Vénance Fortunat, une vierge d'Israël entraî- née vers les rives de Babylone et prenant le chemin du lieu du bannissement. Cependant, dit M. Augustin Thierry (1), « Radegonde fut gardée avec soin dans l'une des maisons royales de Neustrie , au domaine d'Athies , sur la Somme ; , par une louable fantaisie du roi son maître et de son époux futur , elle reçut non la simple éducation des filles de race germanique qui n'apprenaient guère qu'à filer et à sui- vre la chasse au galop , mais l'éducation raffinée des riches Gauloises : à tous les travaux élégants d'une femme civilisée , on lui fit joindre l'étude des lettres romaines, la lecture des poètes profanes et des écrivains ecclésiastiques. Soit que son intelligence fût naturellement ouverte à toutes les impressions délicates , soit que la ruine de son pays et de sa famille et les scènes de la vie barbare dont elle avait été témoin l'eussent frappée de tristesse et de dégoût , elle se prit à aimer les livres comme s'ils lui eussent ouvert un monde meilleur que celui qui l'entourait ; elle lisait assidûment l'Écriture et les Pères de l'Église : Clotaire qui avec sa rude nature et ses penchants indomptés avait toujours nourri le désir de se donner dans Radegonde une femme polie et lettrée , ne né-

(1) Récits Mérovingiens, tom. II, pag. 246.

SUR SAINTE RADEGONDE. 37

gligea rien pour compléter son éducation ; elle parlait le latin avec facilité et élégance , selon l'usage presque général à la cour sous le règne de Clovis; de plus elle écrivait avec une élégance toute poétique.

Cependant ses idées et ses goûts commençaient à se porter vers la religion catholique ; elle se fit instruire de ses dogmes et fut baptisée des mains de saint Médard, évêque de Noyon , ou , comme le veulent plusieurs , par saint Rémi , qui proba- blement vivait encore. Radegonde avait ouvert son àme avec avidité aux consolations de la foi, et sa vie commença dès lors à être une image vivante de Jésus-Christ ; dans sa retraite elle se familiarisa avec les plus hautes vertus ; mais, hélas î elle en fut bientôt tirée pour monter sur le trône de France en qualité d'épouse de Clotaire.

Elle avait dix-huit ans , et quoique dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté , la magnificence , le luxe, les men- songes et les voluptés de la cour ne purent la séduire ; elle y vécut au milieu de l'ivresse des fêtes comme s'il elle eût en- core été dans sa retraite ; son union ne put durer que peu de temps, le Seigneur l'attirait à lui et elle abhorrait la cour et ses flatteries ; son mariage était sans fruit , les courtisans et les conseillers du roi, ennemis d'un genre de vie qui était la censure de leurs vices , remarquant sa stérilité , l'indisposè- rent contre elle-, ils rendirent la reine l'objet de leurs raille- ries et de quelques murmures de la part de son époux. Alors Dieu , qui ménageait à sa fidèle servante le moyen de s'arra- cher à un séjour si dangereux, brisa tous les liens et la rendit ' à la retraite ; il disposa le cœur du prince à céder à la demande de son épouse , et Radegonde une fois assurée du consente- ment de son mari , quitta la cour , reçut le voile des mains de

38 NOTICE SUR SAINTE RADEGONDE.

saint Médard , fonda l'ordre des religieuses de Sainte-Croix , à Poitiers , et y coula sa vie au milieu des délices de la prière et de la contemplation. Cette maison devint bientôt célèbre, et on y comptait jusqu'à deux cents religieuses , parmi les- quelles il y avait des filles de sénateurs et des princesses du sang royal. Sainte Radegonde enrichit l'église de son monas- tère d'un grand nombre de reliques. Justin , empereur de Constantinople , auquel elle avait témoigné le désir d'avoir une relique de la vraie Croix , lui en envoya une parcelle enchâssée dans l'or et ornée de pierres précieuses. Il y joignit des reliques de plusieurs Saints , et un livre des évangiles du plus riche travail. Ce fut à l'occasion de la translation de ces reliques dans le monastère de Sainte-Croix , faite par l'ar- chevêque de Tours , que Vénance Fortunat composa l'hymne Vexilla régis prodeunt.

Enfin , après avoir vécu plusieurs années dans la pratique des plus éminentes vertus , sainte Radegonde mourut sainte- ment , dans les bras de ses filles chéries, le mercredi 13 août 587, sous le règne du pape Pelage IL Plusieurs miracles se sont opérés sur son tombeau. ( Voyez Y Histoire de sainte Radegonde , par M. Edouard de Fleury, Poitiers; ou Godes- card, 13 août, t. 5, édit. in-8°.)

ESPRIT

DE

SAINTE RADEG0N1JE ,

TIRÉ DES SEULS FRAGMENTS CONSERVÉS JUSQU'A CE JOUR.

Sainte Radegonde , avons-nous dit , avait un frère chéri ; ce prince, amené captif avec elle, fut massacré (1) à la fleur de sa vie , sans que rien pût justifier un acte si révoltant de violence et de cruauté. Ce coup fut terrible pour la jeune reine ; elle pleura amèrement ce frère bien-aimé et se mon- tra inconsolable. Ecoutons-la elle-même , déplorant ce mal- heur dans des vers qu'elle adresse à Amalafroy , son pa- rent.

«Pourquoi reculer devant les souvenirs, cher parent? Pour- quoi craindre d'aborder le sujet de mes pleurs et condamner au silence la blessure profonde du meurtre de mon frère ? Pourquoi ne dirais-je point comment dans son innocence il a succombé sous les trames perfides et péri victime de la trahison? Malheur à moi qui renouvelle mes sanglots apai- sés, et qui ouvre la plaie de mes malheurs en retraçant son histoire ! Brûlant du désir de le voir, l'amour qu'il avait pour moi l'empêchait de satisfaire celui qui l'attirait vers toi;

(1) Par ordre de Clotaire, dit-on , quoique l'époux de Radegonds , sa sœur.

-iO ESPRIT

pour ménager ma douleur , il a assuré sa perte ; pour avoir craint de me blesser , il est cause de toutes mes larmes. A peine un léger duvet couvrait son visage, il succombe, et, absente , sa sœur n'a point vu sa douloureuse agonie ; non- seulement il m'est enlevé , mais je n'ai pu fermer ses pau- pières , et, enchaînée à son corps, lui faire entendre mes der- niers adieux. Je n'ai pu de mes larmes brûlantes réchauffer sa poitrine glacée et recevoir le dernier baiser de sa bouche expirante Ingrate ! c'est moi, ô mon frère , qui suis cou- pable de la mort!... J'ai causé la mort , et je ne t'ai pas même élevé un tombeau ! Arrachée une fois à ma patrie , deux fois emmenée captive , le meurtre de mon frère m'a fait voir encore des ennemis. Mon père , manière, mon oncle , mes parents !... Cette nouvelle douleur rouvre pour moi tous ces tombeaux. Aucun jour ne saurait être sans larmes après la mort de ce frère qui a emporté avec lui toutes mes joies. » Ainsi s'exprimait Radegonde longtemps après le malheur qui faisait l'objet de ses larmes.

Voici encore comment elle nous trace le tableau pathétique des tourments qu'elle endurait dans son àme , et que Fortu- nat nous a conservé. Personne ne se méprendra sur les ex- pressions de tendresse qu'elle prodigue à son parent , car elles jaillissaient de l'âme la plus pure.

« Chacun , s'écrie-t-elle , en s'adressant à son cousin Ama- lafroy, chacun a eu son sujet de larmes , et moi j'ai pleuré sur tous , non-seulement sur ceux qui sont morts , mais aussi sur ceux qui ont survécu. Mes yeux se ferment, mes plaintes se taisent, mais la douleur ne se tait pas dans mon âme. J'écoute si le vent ne m'apporte pas quelque nouvelle heu- reuse ; mais aucune ombre de mes proches ne vient s'offrir à moi. Le destin funeste arrache de mes bras celui dont la pré- sence réjouissait mon âme. Est-ce que , dans l'absence , un souvenir de moine vient pas solliciter ton cœur? L'excès du malheur a-t-il éteint en toi cette affection si douce ? Cher Amalafroy , souviens-toi quelle était pour toi Radegonde dans

DE SAINTE RADEGONDE. 41

ses premières années ! Combien tu m'as aimée dans mon en- fance ! Fils plein de douceur du frère de mon père , tu me remplaçais ce père que je n'avais plus; tu me tenais lieu d'une mère , d'un frère , d'une sœur. Soulevée , hélas ! par tes mains attentives , suspendue à tes doux baisers, petite enfant, j'étais réjouie par tes caresses. L'heure qui me séparait de toi était un siècle ; aujourd'hui, les siècles s'écoulent sans que je puisse entendre ta voix. Si ton père, ou ta mère, ou quelque royale occupation le retenaient loin de moi , tu te hâtais et j'accusais ta lenteur : je souffrais dans mon cœur si nous n'étions sous le même toit , je tremblais en te voyant sortir. Aujourd'hui l'Orient te possède et l'Occident me re- tient : moi sur les bords de l'Océan , toi sur les rivages de la mer Rouge. Un monde entier sépare ceux qui ne se quittaient jamais. Pourquoi ne veux-tu pas que je reçoive quelque signe de ton souvenir? Il me rendrait en quelque sorte celui que la distance sépare de moi. Je saurais par quels exploits tu ressuscites tes aïeux, par quelle gloire tu honores tes pro- ches , et si ton visage rappelle le teint rose et la beauté de ton père. Crois-moi , cher parent , si j'avais quelques mots de toi , tu ne me manquerais pas tout entier. Une page envoyée de si loin me rendrait une portion de mon frère. Chacun sem- ble avoir un gage de consolation ; seule je ne suis pas conso- lée dans mes larmes. Infortunée ! et plus je donne à l'amitié , moins il m'est rendu. Si d'autres par simple pitié recher- chent même des esclaves , pourquoi serais-je oubliée , moi qui suis attachée par les liens du sang ? Jour et nuit ma pensée est attachée sur vous : au souffle des nuits je demande tu es , je le demande aux nuages voyageurs : et si la terre et l'air me refusent , quelque oiseau de bonheur ne viendra- t-il pas au moins me porter tes paroles ? Ah ! sans les bar- rières sacrées qui me retiennent , tu me verrais surgir impré- vue sous le ciel qui te possède : rapide , je fendrais les tem- pêtes qui soulèvent les ondes , et je me réjouirais du souffle des orages qui me pousserait sur les mers. Rendue forte par

Ai ESPRIT

mon courage , je serais suspendue sur les Ilots, et les terreurs du nautonier seraient sans poids sur la parente qui te ché- rit : si la fureur des vagues entr'ouvrait le navire, je vogue- rais vers toi sur une planche fragile , et si ma main ne pou- vait atteindre aucun débris , je gagnerais pour te rejoindre la rive à la nage. Quand je t'aurais vu , j'aurais nié tous les dan- gers du voyage; et si je succombais, tu m'élèverais une tombe modeste sur le sable ; tes yeux touchés verraient mon cadavre; tu serais du moins ému par mes funérailles , et toi qui refuses une parole, tu m'accorderais des larmes. » (Fort. de excidio Thuringiœ Carmen.)

Sainte Radegonde, comme ces seuls fragments peuvent l'avoir déjà révélé , était douée d'un grand talent littéraire , de beaucoup d'esprit et d'un cœur très-sensible. Elle entrete- nait ses chères filles , les religieuses de Sainte-Croix de Poi- tiers, dont elle était la fondatrice , avec une ravissante dou- ceur. Pourquoi n'ont-elles pas été gravées sur des feuilles d'or ces belles paroles?

« Je vous ai choisies pour mes filles , leur disait-elle ; vous êtes la lumière de mes yeux , vous êtes ma vie , mon repos et toute ma félicité. Vous êtes la vigne nouvellement plantée ; travaillons ensemble dans ce monde à nous assurer la vie éternelle ; servons le Seigneur dans une foi entière et dans un amour sans partage, avec une sainte frayeur; cherchons-le dans la simplicité du cœur , afin que nous puissions dire avec confiance : Donnez , Seigneur , ce que vous avez promis, car nous avons fait ce que vous avez commandé. »

Puis elle ajoutait dans une autre circonstance :

« Hàtez-vous de recueillir le froment du Seigneur , car je vous le dis en vérité, vous n'aurez pas toujours le temps de vous hâter : hàtez-vous , parce que vous regretterez ce temps. Oh! certainement, vous le regretterez, et vous le redeman- derez en vain avec amertume. »

Il était d'usage qu'une religieuse lui fît la lecture pendant la nuit , et comme une fois elle semblait céder au sommeil , la

DE SAINTE RADEGONDE. 43

religieuse , importunée elle-même par l'impérieux besoin de repos , s'arrêta ; mais la princesse rouvrant les yeux la reprit aussitôt en lui disant : « Pourquoi vous arrêtez-vous? conti- nuez ; mon âme écoute. »

« Si vous ne comprenez pas ce qu'on vous lit , disait-elle aux sœurs , alors attachez vos regards sur le miroir de votre âme. »

Le testament de sainte Radegonde étant un reste précieux d'antiquité , nous sommes heureux de l'emprunter au beau travail qu'a fait M. Edouard de Fleury , dont les savantes re- cherches doivent nous rassurer sur l'authenticité et la fidèle traduction de ce que nous allons rapporter.

Ce testament n'est, au reste , qu'une sorte de lettre envoyée en général à tous les évoques du royaume , mais qu'on a tou- jours appelée son testament.

TESTAMENT DE SAINTE RADEGOADE.

Aux Sainls Evèques et Seigneurs , très-dignes du Siège Apostolique , el ses Pères en Jésus-Christ , Radegonde pécheresse.

« Pour qu'une sage entreprise marche rapidement à son terme, il faut que les pasteurs subalternes expliquent aux Pères universels la situation du bercail qui leur est confié , afin qu'en le recommandant à leur sollicitude , ils en obtien- nent cette participation qui assure la prudence à la charité, le soutien à l'autorité et le suffrage à la prière. Détachée depuis longtemps des chaînes du siècle , par le secours et l'inspira- tion de la divine Providence , on m'a vue passer volontaire- ment , guidée par le Sauveur , sous la discipline de la vie re- ligieuse ; et depuis , songeant avec amour à l'avancement des autres, et à rendre, avec la permission du Seigneur, l'accom- plissement de mes vœux profitables pour elles , avec l'autori- sation et par la munificence de mon très-excellent seigneur

44 ESPRIT

le roi Clotaire , j'ai fondé à. Poitiers un monastère de vierges , et je l'ai doté de tout ce qu'avaient mis à ma disposition les largesses royales. J'ai établi sur le troupeau que j'ai réuni avec l'assistance de Jésus-Christ la règle sous laquelle a vécu sainte Césarie que la sollicitude du bienheureux évêque Cé- saire a extraite et coordonnée des constitutions des saints Pères. Avec l'assentiment de l'évèque de cette ville et de ses frères dans l'épiscopat , et en consultant aussi l'élite de notre communauté , j'ai institué pour abbesse ma sœur et dame Agnès , que depuis sa tendre enfance j'ai élevée et chérie comme ma fdle , et après Dieu je me suis soumise à elle pour me conformer, selon la règle , à son obéissance. Enfin , mes sœurs comme moi , nous avons, suivant l'exemple des Apô- tres , résigné entre ses mains par chartes écrites les biens terrestres que nous pouvions posséder , ne nous réservant à part, effrayées d'Ananie et de Saphire , rien qui nous ap- partienne en propre.

Mais parce que les heures et les jours de la vie sont incer- tains , et qu'au déclin du monde un grand nombre aiment mieux prendre pour loi leur propre caprice que la volonté de Dieu , animée par le zèle du Seigneur , héritière après ma mort de votre protection apostolique, fille dévouée, et tandis que je vis encore , je vous adresse , au nom de Jésus-Christ, cet exposé de ma requête. Ne pouvant me prosterner à vos pieds en personne , je le fais d'esprit et d'intention par cette lettre, et je vous supplie , au nom du Père , du Fils et du Saint-Esprit , et par le jour du redoutable jugement (quand vous paraîtrez, si l'oppresseur vous obsède , que le roi juste vous couronne), je vous supplie si , ce qui j'espère n'arri- vera pas , si quelque personnage , soit l'évèque même de cette ville , soit le gouverneur ou tout autre, essayait par quelque malveillante intention ou par quelque querelle judi- ciaire , de jeter le trouble dans la communauté, de violer la règle , ou de donner une abbesse autre que ma sœur Agnès , consacrée par la bénédiction du bienheureux Germain . en

DE SAINTE RADEGONDE. -45

présence des évoques ses frères ou de s'attribuer quelques droits sur le monastère ; si , touchant les dons qui m'ont été faits par mon très-excellent seigneur le roi Clotaire et pour lesquels j'ai obtenu des très-excellents seigneurs rois Cari- bert , Gonlran , Chilpéric et Sigebert une confirmation par serment et par écrit, comme touchant les dons faits par d'au- tres personnes pour le soulagement de leur âme (1) ou que les sœurs ont apportés de leurs propres douaires ; si , tou- chant ces possessions du monastère , quelque prince ou puis- sant , ou même quelqu'une des sœurs osait endommager la propriété , que le coupable encoure votre indignation et celle de vos successeurs : sur mon instante prière , qu'il soit at- teint par la justice du ciel, et comme spoliateur et comme ravisseur du bien des pauvres , exclu de la grâce de Dieu ; en sorte que , par votre vigilance , le monastère puisse être dé- fendu contre tout dommage dans ses intérêts et contre tout changement dans sa règle intérieure.

Je demande encore , lorsque Dieu aura retiré de ce monde ma sœur et dame Agnès, que l'on choisisse toujours , dans le sein même la communauté , une abbesse qui soit agréable à Dieu et à ses sœurs, qui fasse observer la règle, et ne re- tranche rien de la condition d'une vie de sanctification , ne prescrivant jamais ce qui ne serait que l'expression d'une vo- lonté particulière. Que si , ce qu'à Dieu ne plaise , contraire- ment à la volonté du ciel et à l'autorité des rois , quelqu'un osait porter atteinte aux conditions qui vous sont recom- mandées ici avec instance , soit en ne respectant pas la per- sonne ou les propriétés , soit en suscitant des embarras et des obstacles , qu'il encoure le jugement de Dieu, de la sainte Croix, de la bienheureuse Marie , et qu'il ait pour adversaires et persécuteurs les saints confesseurs Hilaire et Martin, sous la protection desquels , après Dieu , j'ai placé mes sœurs : vous aussi , bienheureux Pontife, que j'appelle, ainsi que vos suc-

(ij On trouve ici la doctrine de l'expiation, au purgatoire (VI' siècle).

10 ESPRIT

cesseurs , au patronage d'une cause qui est celle du ciel , si ( puisse-t-il ne pas en être ainsi ! ) quelqu'un se rencontrait qui ourdit quelques tentatives contre ces prescriptions , afin de confondre et de repousser l'ennemi du ciel , ne balancez pas à accourir vers le roi dont alors dépendra la province , ou à Poitiers même ! Intervenez comme exécuteurs et défen- seurs de la justice , afin qu'un roi catholique ne laisse en au- cune façon s'accomplir sous son règne une pareille iniquité , et qu'il ne permette pas de renverser ce qui a été établi par la volonté d'en haut, parla mienne et par celle des rois eux- mêmes. En même temps , je conjure les rois que le Tout- puissant , après mon décès , aura préposés au gouvernement des peuples, au nom du Monarque dont le règne n'aura point de fin, au gré duquel s'affermissent les trônes , et qui donne aux souverains la vie même et la puissance , de prendre sous leur protection et de favoriser le gouvernement du monastère que j'ai fondé, doté et constitué dans la règle avec l'autorisa- tion des rois leur père et aïeul ; je les supplie de veiller à ce que rien ne soit troublé ou détourné de ce qui appartient à la maison et de n'y permettre aucun changement ou dom- mage ; mais que , pour l'amour de Dieu , prenant en considé- ration la prière que je leur fais devant le Rédempteur des nations , eux-mêmes , de concert avec les évêques nos sei- gneurs , s'entendent pour le défendre et le protéger , afin qu'en l'honneur du Dieu dont ils soutiennent les servantes , ils soient associés à l'héritage éternel avec le défenseur des pauvres et l'Epoux des vierges.

Il est encore une chose , ô saints Pontifes , très-excellents Rois , et vous tous , peuple chrétien , dont je vous conjure au nom de la foi catholique dans laquelle vous avez été baptisés, et selon laquelle vous gouvernez les églises , c'est lorsque Dieu m'aura retirée de ce monde, que vous fassiez ensevelir mon corps dans la basilique que nous avons commencé de bâtir en l'honneur de sainte Marie, la divine Mère , déjcà grand nombre de mes sœurs sommeillent dans leur repos ,

DE SAINTE ri.YDECONDE. -47

sans avoir égard à ce que cette église soit achevée ou non. Que si quelqu'un a l'intention ou essaie de faire autrement, au nom des mérites de la croix de Jésus-Christ et de la bien- heureuse Marie , que la vengeance du ciel retombe sur lui , et intervenez pour que je puisse obtenir dans la basilique une étroite place pour être ensevelie au milieu de mes sœurs.

Je vous supplie enfin, avec larmes , que cette requête que j'ai signée de ma main , soit conservée dans les trésors de l'Eglise universelle , afin que si quelque nécessité se présen- tait de la part et du fait des méchants, qui forçât l'abbesse ou la communauté de recourir a vous, elles soient en droit d'im- plorer et d'obtenir le secours de voire paternelle sollicitude, et que celles à qui Dieu aura réservé votre appui ne se plai- gnent pas d'être délaissées. Rappelez-vous sans cesse devant les yeux celui qui, du haut de la croix , remit la Vierge sa mère au bienheureux apôtre Jean , et comme le bien-aimé disciple remplit avec fidélité l'ordre du Sauveur , ainsi dai- gnez accomplir les recommandations que moi , humble et indigne, j'adresse à vous, messeigneurs Evèques et Pères dans l'Eglise , afin que nous puissions , lorsque vous aurez pieusement gardé ma recommandation , suivant l'exemple de l'Apôtre , mériter d'avoir part ensemble à la récompense. Amen. »

Ce morceau nous a été conservé par saint Grégoire de Tours.

DU TOMBEAU DE SAINTE RADEGOXDE , A POITIEHS.

Ce tombeau , d'après Dom Fronteau , annonce les VIe et vne siècles, par sa forme , et comme il est un des plus anciens du Poitou , il l'exa- mina" en détail. 11 est derrière l'autel souterrain. Trois piliers, larges de vingt-deux pouces , le soutiennent. Sur ces piliers est une grande table de pierre épaisse d'un pied , entourée, dans la moitié de cette épaisseur, de feuillages sans autres ligures. Sur cette table est posé et incrusté le tombeau de sainte Radegonde; il est long de six pieds six

48 ESPRIT DE SAINTE RADEGONDE.

pouces , large à la tète de deux pieds six pouces , et aux pieds de un pied neuf pouces. Il est de marbre noir, fait comme les plus grands tombeaux des comtes de Thouars. Le dessus de ce tombeau est fait en dos-d'âne... et est attaché au-dessous par des crampons de fer. Il a été brisé par les Huguenots. L'endroit est ce tombeau est le plus anti- que de l'église , il est dans le goût de l'architecture romane. Ce souter- rain est fort bas en comparaison du pavé de la nef et du chœur. On n'y voit le jour que par une ouverture ronde qui est en haut, brûle nuit et jour une lampe. Au-dessus de l'entrée du souterrain , est un tableau qui contient un vœu d'Anne d'Autriche. On a grande dévotion au tombeau de sainte Radegonde ; on y fait fréquemment des neuvaines, et on y accourt de pays très-éloignés.

M. Hawke, qui a dessiné ce monument , en trouve le goût extrême- ment sévère , et le fait remonter à l'époque la plus reculée.

Voici le vœu d'Anne d'Autriche qui est au front de la voûte du caveau.

D. 0. M.

Anna Auslriaca Galliœ et Navarrœ regina memor redditse y> salutis filio Karissimo, Ludovico XIV, régi chrislianissimo » (quein apud Gerosiacum navale , anno 1658 febrientem , » Radegundis patrocinio mœrens addixerat ) lampadem ar- j> genteam diu noctuque inextinguibilem lumulo tantse libe- » ratiïcis appendit , duasque in hac regiâ ecclesià missas de » proprio D. Radegundis in aeternum solemni ritu singulis » diebus xxix junii et xn julii celebrandas dote prœslilà , » constituit, suoque nomine regium (qui tune erit) in senatu » pictaviensi protopatronum hisce volivis mysteriis adesse » jussit , cseteraque peragi voluit , quse aulographo diei xm » septembres , anno 1658 continentur. »

Cette pièce est conservée dans Dom Frontcau , tom. 19.

La noble et antique Maison fondée par sainte Radegonde , disparut un moment dans l'orage universel qui engloutit tout ce qui, en France, tirait sa grandeur du respect des ppuples , de l'antiquité et de la no- blesse de son origine ; elle est cependant encore pleine de vie et d'a- venir. On y suivait la règle de saint Césaire ; l'habillement ressemblait à celui des Bénédictines. ( Voyez les notes après sainte Gertrude. )

ESPRIT

DE

SAINTE HILDEGARDE,

ABBESSE Al IOST SAIXT-Rl'PERÏ, E\ ALLEMAGNE.

NOTICE

1 179.

Hildegarde , d'une famille illustre, au comté de Spanheim, dans le bas Palatinat du Rhin, naquit en l'an 1008. Quoique au milieu des soins et des plaisirs du monde, et favorisés d'une grande fortune , ses parents , loin d'être ingrats envers Dieu , élevèrent dans sa connaissance et son amour leur fille bién-aimée ; rien ne fut négligé pour seconder les vertus pré- coces qui s'annonçaient en elle ; dès l'âge de huit ans , ils la placèrent dans un monastère de religieuses du Mont-Saiut- Disibode; c'est qu'elle fut formée avec soin sous la con-

T. Y. i

50 NOTICE

(laite de Jutte sa tante, sœur du comte de Spanheim. A peine put-elle distinguer la vanité des choses d'ici-bas et remarquer la fureur et la folie des hommes qui les poursuivent , qu'elle s'excita vivement au mépris de tout ce qui est créé. Pleine de reconnaissance envers le Seigneur qui l'appelait à lui> elle se consacra de bonne heure et sans réserve à son service : cette fidélité à correspondre aux vues de Dieu sur elle , fut récompensée par des lumières extraordinaires et des visions sublimes qui la rendirent l'oracle de son siècle. Saint Ber- nard étant à Trêves en 11-47 , reconnut en elle l'esprit pro- phétique , et approuva certains écrits qu'elle avait faits ; le pape Eugène III en fit de même au concile de Trêves , auquel il présida , en 1148.

Sainte Hildegarde était consultée par les plus grands per- sonnages de son temps : papes , empereurs , évêques , prin- ces , abbés , supérieurs de monastères , tous recouraient à sa science surnaturelle. Il existe encore un grand nombre de lettres qu'elle a reçues et auxquelles elle a répondu ; seule- ment , comme elles traitent de sujets particuliers à ceux qui les lui adressaient , quelque belles qu'elles soient , nous n'a- vons pu les rapporter toutes : nous nous sommes borné à ce qui nous a semblé plus utile et plus agréable à nos lecteurs : ainsi nous avons fait choix entre les réponses à diverses de- mandes qu'on lui avait adressées., de celles touchant la sainte Trinité et la divine Eucharistie, et des trente-huit questions et solutions sur certains points difficiles de l'Ecriture sainte ; cependant elle a de plus composé une explication de la règle de Saint-Benoît et du symbole de saint Athanase , avec quelques discours et révélations, qu'on croit n'être pas au- thentiques ; on pourra reconnaître dans les trente-huit solu-

SUR SAINTE H1LDEGARDE. 51

tions l'élévation de son esprit et l'étendue des connaissances que le Seigneur lui donnait. Au milieu de tant de faveurs du ciel et d'hommages de la terre , rien ne saurait exprimer la profondeur de son humilité , sa patience et son amour pour la mortification ; elle s'efforçait d'être inconnue , oubliée , méprisée, et ne se regardait que comme le rebut du monde : telle est la vraie sainteté ; telle est aussi la preuve la plus cer- taine que de telles faveurs ne peuvent venir que de Dieu.

Après la mort de Jutte , elle fut élue abbesse ; elle gou- verna cette communauté si nombreuse avec la plus rare sagesse et la plus ardente charité. En 1148 environ , elle se retira au Mont-Saint-Rupert , près de Ringhem , elle fonda ensuite le monastère d'Eibengen au diocèse de Mayence, et déposa le fardeau de son corps , le 17 septembre 1179 , à la quatre-vingt-deuxième année de son âge, tandis que son àme s'envolait par le plus doux soupir dans le sein de la gloire.

Le monastère du Mont-Saint-Rupert , ou Saint-Robert , du nom du comte qui y avait fini ses jours , fut brûlé par les Suédois en 1032. Les religieuses furent alors forcées de se retirer au prieuré d'Eibengen ou de Ringhem , situé sur le Rhin , et. d'y transporter les restes précieux de leur sainte abbesse. C'est qu'ils sont conservés jusqu'à ce jour et entourés d'une grande vénération.

Sainte Hildegarde n'a jamais été canonisée solennellement, mais elle est honorée publiquement en plusieurs lieux ; elle a opéré un grand nombre de miracles , et son nom est inscrit au Martyrologe romain.

N'oublions pas de dire que ses lettres sont principalement utiles pour la connaissance de la discipline et de l'histoire

52 NOTICE SUR SAINTE HILDEGARDE.

ecclésiastique de ce temps-là; on en voit dans Martenne, dans Fronteau et dans la Bibliothèque des Pères ( Lyon. ) Mathieu de Westminster ( 1-29-2) attribue à sainte Hildegarde le Spé- culum futurorum temporum, mais ce n'est qu'une compila- tion faite d'après ses écrits par un nommé Gebenus , prieur d'Ebernach , qui vivait au treizième siècle.

Le P. Thierri , abbé de Saint-Tron , écrivit la vie de sainte Hildegarde trente ans après sa mort. Voyez Cave, Hist. lit., tom. 2 , Martenne et Slilting.

ESPRIT

DE

SAINTE HILDEGARDE ,

TIRÉ DE SES LETTRES ET DE SES SOLUTIONS SPIRITUELLES.

DE LA TRÈS-SAINTE TR1MTÉ ,

D'après une révélation qu'elle eut.

Elle répond à Ebernard, évoque, qui l'avait interrogée sur ce sujet.

Maintenant , ô mon Père , toute pauvre et ignorante que je suis , je vais vous exposer ce que j'ai vu et entendu dans une vision véritable , et que j'ai considéré à la lumière de Dieu même. Je vais , clis-je , vous l'exposer selon que vous l'exigez de moi , non d'après mes propres expressions , mais d'après celles de la vraie lumière qui m'a éclairée , qui n'a jamais de défaut , et que je vais vous transmettre de cette manière-ci : L'éternité est dans le Père ; c'est-à-dire qu'à l'éternité du Père on ne peut rien ajouter , rien retrancher , parce que l'éternité demeure semblable à une roue qui ne commence ni ne finit. Ainsi donc l'éternité est dans le Père avant toute créature , parce que toujours et toujours il a été l'éternité. Et qu'est-ce que l'éternité? L'éternité! c'est Dieu. Or , l'éternité n'est éternité que dans la perfection de la vie. C'est pourquoi Dieu est dans l'éternité. Car la vie ne procède

54 ESPRIT

pas de la mortalité ; mais la vie est dans la vie. Il n'y a point d'arbre , en effet , qui fleurisse sans verdure , ni de pierre qui n'ait été formée par de l'humidité, ni de créature sans la vie. Or, l'éternité elle-même n'est pas vivante sans fleurir. De même que la parole du Père a enfanté toute créature pour sa fin , de même aussi dans sa puissante fécondité intérieure , il n'est pas demeuré sans produire. De vient qu'il est ap- pelé Dieu le Père, parce que tout est de lui. Et l'éternité demeure toujours clans le Père, parce qu'il a été Père avant le commencement de toutes choses et éternel avant la créa- tion de ces éclatants ouvrages qu'il a formés et qui ne sont venus que 'de la prescience de son éternité. Quant à ce qui demeure toujours dans Dieu le Père , il n'en est pas comme de ce qui est une cause productrice dans l'homme, qui tantôt est douteuse , tantôt passée , tantôt future , quelquefois nou- velle, quelquefois ancienne; ce qui est dans le Père est stable, immuable.

Le Père est clarté ; cette clarté a une splendeur , et cette splendeur a une chaleur , un feu , et ce n'est qu'une seule chose. Quiconque n'a pas la foi en cela , ne voit pas Dieu , ne le connaît pas, parce qu'il veut retrancher, séparer de lui ce qui lui est étroitement uni , car Dieu ne peut être divisé. Les ouvrages même que Dieu a formés , n'ont pas l'entière pro- priété des noms qu'ils portent , quand l'homme les a distin- gués. La clarté est la paternité de laquelle naissent toutes choses et qui les enveloppe toutes en elle-même , parce qu'elles ne sont que par sa puissance. C'est cette même puis- sance qui a fait l'homme et qui a mis en lui le souffle de la vie. Cependant, l'homme a dans cette même puissance, une puissance efficace qui lui est propre. La chair vient de la chair, le bien de ce qui est bien. Il est accompagné de louanges , et par le bon exemple il se propage chez les autres hommes. Cela est spirituel et charnel dans l'homme, parce qu'un effet provient d'un autre effet. L'homme aime beaucoup les œuvres utiles qu'il fait , parce qu'il sait très-bien qu'elles viennent

DE SAINTE HILDEGARDE. 55

actuellement de lui. De même , Dieu veut que sa puissance se manifeste sur toutes ses œuvres en général , parce qu'elles sont son ouvrage. L'éclat de la lumière donne des yeux, et cette lumière qui donne la vue, a été produite elle-même, lors- que Dieu a dit : Que la lumière soit faite : Fiat lux (Genès. 1). Alors toutes les choses créées apparurent dans l'œil vivant du corps ; et le feu qui est Dieu même comprend ces deux dé- nominations, parce qu'il n'était pas possible que le feu ou la lumière parut sans éclater ; car la lumière et la flamme sont cachées dans le même feu , sans cela il ne serait pas un feu. Dans le Fils est l'égalité avec le Père. Comment cela ? Toutes les créatures étaient renfermées , avant le temps , dans le sein du Père qui les rangeait par ordre en lui-même, et son Fils est venu ensuite les produire comme son ouvrage. Comment cela s'est-il fait? Tel qu'un homme qui porte en lui-même la connaissance d'un ouvrage important qu'il veut faire , et qui ensuite le produit par sa parole , de telle sorte qu'il est jugé digne d'une grande renommée : ainsi a fait Dieu lui-même. Le Père le portait avec ordre dans son sein , mais le Fils , le Verbe, l'a ensuite produit ; car le Père a tout en lui , il ordonne tout , et le Fils l'a montré au dehors par la création. Et cette lumière de la lumière qui était avant le temps , dans l'éternité , au commencement , comme parle l'Evangéliste , c'est le Fils , la splendeur du Père , et par lequel toutes les créatures ont été faites. Et le Fils s'est re- vêtu de l'humanité qu'il avait tirée lui-même du sein du limon de la terre et qui n'avait pas eu auparavant l'apparence d'un corps. Ainsi, Dieu a vu devant lui tous ces ouvrages, comme dans une seule lumière , et quand il dit : Fiat , que cela soit, chaque chose, selon son espèce, fut revêtue de son genre d'existence. Alors Dieu se pencha vers son ouvrage , de telle sorte que l'égalité du Fils avec le Père est demeurée cependant entière , quoique s'unissant à l'homme , parce qu'il a revêtu la nature humaine , étant Dieu , comme les au- tres œuvres de Dieu revêtirent des corps ; car Dieu avait

56 ESPRIT

prévu tout ce qu'il a fait ; d'où il résulte qu'il a daigné s'in- cliner vers l'homme, malgré la bassesse de l'humanité, parce que la Divinité est si parfaite, qu'elle n'aurait rien pardonné «à l'homme , cela étant opposé à l'ordre et au bien , s'il n'a- vait pas revêtu sa nature, parce que tout a été fait par lui et rien n'a été fait sans lui de tout ce qui est fait ( Joann. 1 ). Et toutes les choses visibles , palpables et propres au goût , ont été créées par lui , et il avait prévu qu'elles seraient toutes nécessaires à l'homme , savoir : les unes pour le porter à l'amour, les autres à la crainte, celles-ci à la discipline et quelques-unes à la prudence , et rien de ce qui est fait n'a été fait sans lui. Mais ce rien semble tenir de l'orgueil ! Car on entend par l'opinion qui fait qu'on ne se regarde que soi- même et qu'on ne se confie en personne qu'en soi-même ; qu'on veut aussi ce que Dieu ne veut pas ; qu'on ne calcule que pour ce qui nous concerne. Or , cet orgueil est un vice téné- breux, parce qu'il méprise la lumière de la vérité et com- mence ce qu'il ne peut achever, et il n'est rien en réalité ; car ce n'est pas Dieu qui l'a créé ni fait connaître : il a commencé dans le premier ange, parce qu'il ne considéra que sa splen- deur, et ne regarda point d'où elle lui venait; mais il dit en lui-même : Je veux être mon maître et je n'en veux point d'autre. C'est ainsi que sa gloire s'est évanouie et qu'il l'a perdue pour toujours , et qu'il est devenu le prince des ténè- bres et de l'enfer. Alors Dieu donna la gloire à son autre créature; mais l'orgueil aussi se glissa dans son sein : ce- pendant , l'homme ne perdit pas l'amour de Dieu ; c'est pour- quoi le démon est tout ténèbres , parce qu'il n'a pas voulu de la lumière de Dieu ; mais Adam a voulu être de la lumière de Dieu, seulement il voulait être semblable à lui et comme en société avec lui. De vient qu'il est plus parfait que le démon, parce qu'il a conservé une partie de la lumière de Dieu, quoi- qu'il soit rempli de misères.

Mais revenons : dans le Saint-Esprit sont réunies l'éternité et l'égalité ; le Saint-Esprit est un feu , un feu qui ne peut

DE SAINTE HILDEGARDE.

s'élèindre; quelquefois il apparaît par sa flamme , quelque- fois il ne paraît pas, mais jamais il n'est étouffé; c'est le Saint-Esprit qui forme et resserre l'éternité et l'égalité des trois personnes , de manière qu'elles ne font qu'un Dieu, parce que si un faisceau n'était pas serré , il ne serait plus un faisceau , mais il se disperserait; de même aussi qu'un fon- deur réunit avec le feu en une seule pièce deux diverses piè- ces d'airain , et qu'une épée qu'on agite en deux sens, lance des éclats des deux côtés , de même le Saint-Esprit montre l'éternité , enflamme et fait briller l'égalité , ce qui fait que ce n'est qu'une divinité ; l'Esprit-Saint étant un feu et une vie, il est dans l'éternité et l'égalité , puisque Dieu est la vie ; le soleil est blanc et sa lumière brille , et il paraît du feu en lui , il éclaire tout l'univers , et il n'a cependant que l'apparence d'un rond ou d'une roue. Mais toute cause qui n'est pas puis- sante en elle-même est morte , comme le bois coupé de l'arbre est sec et mort , parce qu'il n'a pas de sève , de ver- dure; l'Esprit-Saint est force et vie, et l'éternité ne serait pas éternité sans le Saint-Esprit, et l'égalité ne serait pas non plus égalité sans lui , et le Saint-Esprit est dans les deux , le Père et le Fils , et un en divinité ; ils ne sont qu'un Dieu. Le raisonnement réunit aussi trois facultés : le son , la parole , le souffle; le Fils est dans le Père , comme la parole dans le son de la voix, et le Saint-Esprit est dans l'un et dans l'autre, comme le souffle dans le son et la parole ; et ces trois person- nes , comme nous l'avons dit , ne sont qu'un seul et même Dieu; dans le Père est l'éternité, parce que nul n'était avant lui, et que l'éternité n'a pas eu de commencement comme ses œuvres qui en ont eu ; dans le Fils est l'égalité , puisque le Fils n'est jamais sorti du Père , et que le Père n'a jamais été sans Fils ; mais dans le Saint-Esprit est l'union de l'un et de l'autre , parce que le Fils a toujours été dans le Père et le Père avec le Fils , et que le Saint-Esprit est en tous les deux la flamme et la vie , qui n'en fait qu'un , et il est écrit que le Saint-Esprit a rempli la terre entière ( Sap. 1 ); c'est-à-dire

58 ESPRIT

que toutes les créatures qui se voient et celles qui ne se voient pas , ont leur vie et leur souffle , que l'homme ne connaît pas, car de la verdure viennent les fleurs, et des fleurs naissent les fruits ; les nuées elles-mêmes ont leur course , la lune et les étoiles brillent par le feu , &c, &c , car toutes les créatu- res ont des propriétés qui se voient , et d'autres qui ne se voient pas. Ce qui se voit est faible , et ce qui ne se voit pas est fort et vivace ; c'est ce que s'efforce de trouver l'intelli- gence humaine, parce qu'elle ne le voit pas, et ce sont les puissantes opérations du Saint-Esprit (Sap. 1 ).

Et ce qui contient toutes choses, comme dit l'Écriture, qu'est-ce ? C'est l'homme qui contient tout en lui : comment cela? en dominant , en usant, en commandant; Dieu lui a donné tout cela comme pour le représenter ; il a la science de la parole, c'est-à-dire le raisonnement qui se communique par la voix : la voix ou la parole c'est le corps , le raisonne- ment c'est l'âme , la chaleur c'est l'air et le feu , et ce n'est qu'une seule chose , un même homme. C'est pourquoi , comme le raisonnement dicte et crée ce que la parole fait en- tendre , il fait tout ce qu'il veut , et il a en quelque sorte le pouvoir de créer , puisque ce qu'il commande se fait ; donc aucun des ouvrages de Dieu n'est vide ni inutile. Or, si quel- qu'un avait un vase plein d'argent , il en ressentirait une grande joie , et s'il n'y avait rien dedans , au contraire , il le tiendrait pour peu de chose ; le vide est dans les œuvres mauvaises , et l'on fuit , en les faisant , la lumière du Saint- Esprit ; mais lorsque l'homme vient à supputer ces œuvres mauvaises , il connaît qu'elles ne sont d'aucune valeur , et revenant cependant en lui-même, il ressemble alors au fils prodigue , qui , après une longue misère , se ressouvenant de l'abondance de la maison paternelle , s'écrie : Mon Père, , j'ai péché contre le ciel cl en votre présence ( Luc 15) : contre le ciel , parce que je suis céleste par le raisonnement ou l'âme ; devant vous , parce que je sais que vous êtes Dieu et en tout lieu ; alors il renonce au démon et il choisit de nou-

DE SAINTE HILDEGARDE. 59

veau le service du Seigneur , et tous les vices suggérés par le démon sont reconnus mauvais , et toutes les harmonies céles- tes se révèlent admirablement , et ce qui paraissait vil , pa- raît digne de recherche et d'affection , et ce sont encore les œuvres du Saint-Esprit. »

De sa Leltre à Adam , abbé d'Ebre.

« C'est la charité qui a créé l'homme, et c'est l'humilité qui l'a racheté.

L'Espérance est comme l'œil de la charité, l'amour céleste est comme son cœur, et l'abstinence comme leur liaison.

La Foi est comme l'œil de l'humilité , l'obéissance en est comme le cœur , et la fuite du mal en est comme le lien.

La charité était dans l'éternité , elle produisit au com- mencement la sainteté sans mélange de mal , et comme tous les hommes sont venus d'Adam et d'Eve, toutes les vertus viennent aussi de la charité et de l'humilité. »

De sa Réponse à l'abbé de Sainl-Marlin de Cologne.

Elle dit : « Le maître qui veut bien former ses disciples , doit passer comme au crible, avec une douceur maternelle, les paroles de sa doctrine , afin que les disciples réjouis ou- vrent leur bouche et la goûtent et la savourent avec plaisir ; car le moulin broie le grain et il le divise en plusieurs parties imperceptibles, c'est ainsi qu'ont fait les premiers ouvriers dans l'Eglise, ils ont pris les préceptes du Seigneur dans la loi ancienne et dans la nouvelle : l'ancienne présentait au monde Jésus-Christ comme devant naître d'aprèsles prophéties, mais ensuite Jésus-Christ lui-même est venu qui a répandu en prê- chant sa parole sur toute la terre ; la loi ancienne est le moulin qui dans la personne de Jésus-Christ a présenté le grain delà vérité, et la pure farine qui est séparée de tout son grossier , c'est la virginité qui est dans l'église de Dieu, le fondement de

60 ESPRIT

toute vie spirituelle, et cette vertu enfante ensuite l'obéissance, ce qui fait que les fidèles obéissants sont, comme le baiser de la bouebe du Christ. Que le maître ait donc en particulière affection les disciples obéissants, et qu'il ne les reprenne pas avec les paroles offensantes de la colère, car ils sont le bai- ser de Dieu et ils doivent être nourris du pain de la pure farine.

Celui qui dit dans son cœur qu'il n'y a point de Dieu , nie non-seulement le ciel et la terre , et tout ce qui y vit , puisque tout cela est en Dieu , de Dieu et avec Dieu , mais encore il se nie lui-même. Or, n'est-ce pas la plus grande folie que l'homme qui se voit, se connaît et se sent, soit dans le doute s'il existe ? Mais existe-t-il un seul petit grain de poussière sans Dieu ?

Dans le jour, regardez le soleil avec des yeux de foi , pour devenir fidèle au service de Dieu ; et dans la nuit considérez la lune , pour éviter les vices qui veulent vous corrompre. »

De sa Réponse à une Abbcsse.

« Le premier séducteur emploie sept sortes de plaies pour ruiner les âmes ; la première , c'est la vaine gloire qui ras- semble en elle ce qu'elle n'a ni semé, ni moissonné , et qui s'attribue ce que Dieu lui a donné.

La seconde , c'est la connaissance qu'a l'homme de pouvoir pécher ou de son libre arbitre qui le porte à se faire comme un trésor de jouissances charnelles et à les embrasser avec goût et plaisir sans se rien refuser.

La troisième prépare sa ruine avec de grandes douleurs , par les mœurs dissolues , de telle sorte que l'homme vit comme si Dieu était mort , et comme espérant que Dieu ne sait pas ses crimes.

Mais la quatrième , c'est la tromperie , par laquelle l'homme s'excuse et se défend des péchés dont nous venons de par- ler ; ce qui fait qu'ils ne lui paraissent pas si dangereux et

DE SAINTE HILDEGARDE. 01

qu'il devient ainsi odieux à tous les hommes parce qu'il ne se confie àaucun.

La cinquième , c'est l'orgueil qui dit que l'homme , à cause de la faiblesse naturelle de sa chair , ne peut pas s'abstenir de ces péchés, et qu'il serait par conséquent déraisonnable de vouloir qu'il en rejetât les désirs , et celte loi l'orgueil la porte dans sa témérité, pour ne point avoir de crainte de la justice de Dieu.

La sixième plaie est que l'homme ne cherche et ne demande qu'à la créature ce qui lui est nécessaire , et voit tout en elle , de sorte que le Créateur n'est compté pour rien ; il ferme l'œil sur lui, il ne lui demande rien , comme s'il était impuis- sant à venir à son secours.

Enfin , la septième plaie , c'est la servitude de l'idolâtrie qui fait adorer le démon et mépriser Dieu , et cette septième plaie a comme une milice qui lui est soumise pour vaincre l'homme de mille manières, et celte milice est plus nom- breuse que les rameaux des arbres... De je conclus, ô ma fille , fille de Dieu , qu'il faut vous environner de la puis- sante armure des sept dons du Saint-Esprit , avec lesquels vous puissiez soumettre ces sept vices , afin de ne pas tomber couverte de leurs blessures , mais de sortir du combat, comme un soldat intrépide , chargé des lauriers de la victoire , pour vivre éternellement. »

Dans la lettre suivante , sainte Hildegarde répond à un prêtre qui lui avait écrit touchant le corps et le sang de Jésus-Christ , et qui lui demandait comment elle voyait , dans sa lumière surnaturelle , les prêtres soit dignes soit indigues, qui approchaient de l'autel.

Hildegarde parle ainsi du corps et du sang de Jésus- Christ :

« Voici ce que j'ai vu et les paroles que j'ai entendues , tou- chant le sacrement du corps et du sang du Seigneur , dans une vision véritable , mes yeux étaient ouverts : Dieu a

0:2 esprit

demeuré ce qu'il a toujours été ; il a pris , selon sa volonté , la nature qu'il n'avait pas auparavant : c'est-cà-dire que la divinité a toujours été ce qu'elle était avant le temps , comme une roue qui n'est point partagée. Mais l'incarnation du Fils qui était prévue et arrêtée avant le temps , et cachée dans le cœur de Dieu le Père , n'était pas encore en chair et en sang. Aussitôt que le temps arrêté dans les conseils de Dieu fut venu , le Fils se revêtit de la chair humaine , et par sa vertu toute-puissante s'en montra environné, selon qu'il est écrit dans le Psaume 92me : Le Seigneur s'est revêtu de sa force toute-puissante , et il s'est montré tout armé. El l'Ange vint annoncer à l'auguste Vierge cette assomption de la nature humaine dans son sein, parce qu'il trouva en elle une profonde humilité , et que Dieu avait décidé que puisqu'elle se nommait une servante indigne , l'Ange devait lui annoncer que l'Esprit-Saint descendrait en elle , et qu'elle serait cou- verte de l'ombre toute fécondante du Très-haut. Car le Saint- Esprit la visita d'une manière si excellente qu'elle surpasse toute intelligence humaine; ce qui veut dire qu'il se commu- niqua à elle d'une manière telle que jamais autre femme ne l'a reçu pour concevoir, et la puissance de Dieu la couvrit de son ombre , parce que dans son ardent amour pour l'homme, il la favorisa de telle sorte, que par cette ombre très-douce , il enlevait entièrement toutes les ardeurs ter- restres, semblable ta l'homme qui cherche la fraîcheur de l'ombre à cause de la chaleur du soleil. Ainsi la même puis- sance du Très-haut agissant par sa vertu d'échauffer, opère sur l'autel , à la parole du prêtre, ce qu'il opéra dans le sein de Marie , changeant l'oblation du pain et du vin en son corps et en son sang. De sorte que la naissance, la passion, la sépulture , la résurrection et l'ascension du fils du Père Eternel, apparaissent dans le même sacrement, comme le rond d'une pièce de monnaie présente son maître. Et cela se fait ainsi , afin que les blessures des hommes qui sont tous pécheurs, parce qu'ils sont enveloppés dans la prévarication

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d'Adam , soient guéries , purifiées et consacrées par les bles- sures et le sang du Christ, et que par ils deviennent ses membres , et cela doit être ainsi jusqu'au dernier des jours. Mais j'ai vu encore ceci; c'est que quand même le prêtre manquerait de la dignité et sainteté requises , à cause de la corruption de ses péchés et des plaies qu'ils lui ont faites, Dieu opère toujours par ses mains les effets miraculeux sur son oblation , et tous ceux qui reçoivent de lui , avec piété , le divin sacrement , sont illuminés comme par le rayon du so- leil. Si au contraire le ministre sacré est juste aux yeux de Dieu par sa foi et par ses œuvres, son âme éclate en lumière au-des- sus des rayons resplendissants de l'astre des cieux. Mais tous ceux qui , par leurs suggestions insidieuses de l'antique ser- pent , commettent quelque dissimulation ou suivent quelque erreur sur cette très-sainte oblation , sont semblables aux anges de ténèbres et de perdition , qui, voulant être sembla- bles à Dieu , refusèrent de lui rendre l'honneur qui est au Dieu unique; car ces hommes aussi veulent , eux , par l'effet de leur propre volonté , faire de même dans ce sacrement. C'est pourquoi ils périssent comme eux, à moins que, par la confession de leurs péchés , leur repentir et leurs larmes , ils n'aient recours à Dieu et poussent cette plainte : Pardon ! pardon ! miséricorde , Seigneur , parce que nous avons pé- ché ! Alors Dieu le Père les reçoit en grâce parce qu'ils ont percé son Fils par ignorance; les Saducéens qui errent en toutes choses , en niant ce sacrement et la résurrection à la vie, errent ici d'une manière plus funeste encore et plus ridi- cule ; ainsi que se tromperait étrangement celui qui dirait que l'homme est une chair sans esprit, ou un esprit sans chair, ce qui ne peut être en aucune manière. C'est pourquoi cette erreur est pire que toutes les autres; car, comment Dieu ne peut-il pas produire d'une seule parole une chélive créature, lorsque l'homme qui embrasse, lui, toutes les créatures , peut les définir et les nommer par une seule pa- role. — L'hiver est sec , mais l'été est couvert de fleurs. Ce-

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pendant c'est l'hiver qui conserve à l'été sa faculté d'être verdoyant , en attendant qu'il pousse ensuite ses fleurs et ses fruits en abondance : or , il en est de même du corps et de l'âme. Le corps dépérit et tombe , mais l'âme , en quelque lieu qu'elle soit , est conservée dans une. vie immuable , éter- nelle. » (On voit par cet article l'antique foi en la présence réelle de Jésus-Christ dans la divine Eucharistie. )

Dans sa lettre aux supérieurs ecclésiastiques de Mayence , elle parle encore ainsi sur ce sujet :

« Pendant qu'ils étaient à dîner , Jésus prit du pain, le bé- nit , le rompit et le donna à ses Disciples, leur disant : Pre- nez et mangez , ceci est mon corps. Il bénit le pain de cette bénédiction qui sortait du sein de son Père comme lui-même en était sorti; et en disant, dans l'Évangile, qu'il rompit le pain, il signifiait que son corps qui devait être rompu et brisé par la plantation des clous dans sa chair, et tourmenté cruel- lement sur la croix; devait être ensuite changé. Car , comme le grain de froment broyé par le moulin , détrempé par l'eau et présenté au feu du four devient du pain , de même son corps broyé par beaucoup d'afflictions , est , par les tortures de la croix , et par la résurrection , rendu ferme pour l'im- mortalité et changé pour les fidèles en un pain de vie. Ce- pendant , comme il n'a pas été conçu dans le sein de la Vierge par un père charnel, mais par le Saint-Esprit , son corps n'a pas pu ni n'a pas être réduit en cendres et répandu, mais servir d'aliment de salut pour soutenir l'âme et le corps de tout homme , comme le pain ordinaire soutient le cœur de l'homme. Or, Marie était cette terre bénie, sur laquelle la divinité a jeté ce fromeut de sainteté , c'est-à-dire Dieu le Fils , du corps duquel tout fidèle doit se nourrir et vivre , de même que les hommes vivent dans leur repas du pain formé des grains de froment ; mais le corps qu'il a donné ainsi à ses dis* iples était impassible , sa puissance divine le voulant ainsi pour leur salut , et parce que les joies du salut éternel sont exemptes du sentiment de toute douleur ; et cela lui a

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été possible, parce que, en tant qu'homme, il est dans une na- ture étrangère, et qu'en tant que Dieu, il a béni ce même pain. Ainsi en rompant le pain il a voulu leur faire connaître qu'il désirait que le même corps passible qu'il avait donné pour la rédemption du genre humain , pût être livré à la mort; mais que cette mort personne ne pouvait la lui donner , si lui ne le voulait pas. Et prenant le calice, il rendit grâces à Dieu de ce que par l'effusion de son sang il allait guérir les hommes des peines du péché. Et il leur donna le sang du nouveau Testa- ment, parce qu'il accomplissait le salut , qui n'avait pu être trouvé de celte manière dans l'ancien. Quant à ce qu'il dit qu'il ne pourrait plus boire de la liqueur de celte vigne , jus- qu'à ce qu'il en bût de nouveau dans le royaume de son Père, il faut l'entendre de la même manière que s'il disait : jusqu'à ce qu'il reçût avec joie leurs âmes et les autres âmes saintes ra- chetées par son sang, dans le royaume de sonPère. Jésus-Christ donna à ses disciples , avant sa passion , son corps passible , pour leur servir de nourriture de vie , et pour sanctifier leur âme et leur corps. Mais par l'effusion de son sang répandu sur la croix, il a renouvelé et réjoui l'âme , comme le vin réjouit lui-même le cœur de l'homme. Le Christ , le Sauveur a donc été par sa toute-puissance impassible dans la nature divine , et mu ensuite par des sentiments de miséricorde envers l'homme, il a voulu être passible, car si comme impassible il n'avait pu mourir , l'homme n'aurait pas été racheté ; et ainsi , sans porter aucun fruit de réconciliation pour l'homme, le Dieu homme serait demeuré seul sans accomplir son œu- vre, comme il est dit : Que si le grain de froment jeté dut.; la terre ne meurt pas, il demeure seul sans fructifier; que. s'il meurt, au contraire, il porte beaucoup de fruit (Jean 12-24). L'homme donc ayant été voué à la mort par un juste jugement de Dieu , n'a pas être racheté par puis- sance, mais par justice. C'est pourquoi le Fils de Dieu a été livré à la mort , afin que , par la satisfaction de l'innocent , la justice fût rendue au coupable. »

T. v. 5

GO ESPRIT

Voici les trente-huit solutions qu'elle a données à autant de questions que lui adressa un moine nommé Wibert , au nom des religieux du monastère qu'il occupait.

C'est à cause des lumières surnaturelles que possédait no- tre Sainte et que tous admiraient en elle , que ces questions lui ont été proposées. Elles ne pourront qu'intéresser nos lecteurs en leur faisant découvrir le sceau visible de l'inspi- ration divine.

Question première.

Comment doit-on entendre ce passage de l'Ecriture : Celui qui vit dans l'éternité a créé en même temps toutes choses , tandis qu'il est écrit aussi , que Dieu a produit ses œuvres en six jours ? ( Eccl. 18 , Gen. 1.)

Solution.

Le Dieu tout-puissant, qui est la vie sans commencement et sans fin , et qui a possédé de toute éternité toutes choses dans sa science infinie, a créé en même temps la matière de tous les corps célestes et terrestres , savoir , le ciel , qui était une matière brillante , et la terre qui était une matière trou- ble et obscure. Mais la matière luisante rayonnait comme une lumière épaisse venant d'une clarté qui est l'éternité , et elle luisait aussi sur la matière obscure, de sorte qu'elle lui était unie : et ces deux malières furent créées ensemble et appa- rurent comme un seul cercle.

Or, au premier fiât, à la première parole, du sein de la matière luisante s'élancèrent les anges avec leur habitation. Et parce que Dieu qui créa le monde, est Dieu et homme , il créa les anges pour contempler la face de son Père , et l'homme, dont il devait revêtir la nature, il le forma à son image et à sa ressemblance. Ainsi, au commandement du

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Dieu tout-puissant, lorsqu'il dit, fiât , que cela soit, du sein de la matière obscure apparurent toutes les créatures , chacune selon son espèce. Or, six jours sont six ouvrages, parce que le commencement et le complément de chaque œuvre est appelé un jour (1). Après la création , même de la matière première , il n'y eut aucun intervalle, mais en même temps , comme en un clin d'œil , l'esprit de Dieu planait sur les eaux, et il n'y eut non plus après aucun intervalle , mais Dieu dit en même temps : Que la lumière brille , fiât lux , et la lumière brilla.

Question II.

Que veulent/dire ces paroles de la Genèse : Dieu divisa les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient sur le firmament ? ( Gen. 1.) Est-ce qu'on doit croire qu'il y ait des eaux matérielles sur le firmament ?

Solution.

Dieu sépara les eaux qui étaient au-dessus du firmament de celles qui étaient au-dessous, afin que, comme les eaux inférieures sont nécessaires aux constitutions terrestres , de même les eaux supérieures fussent utiles aux constitutions célestes; dans les eaux supérieures, en effet, il n'est rien qui croisse ou diminue comme dans les eaux inférieures de ce monde, dans lesquelles tout ce qui vit, croît ou diminue de la manière que l'homme croit et décroît aussi. Mais ces eaux supérieures se conservent dans le premier état Dieu les a formées, et elles coulent dans le cercle qui leur est fixé, et elles sont matérielles , non cependant comme les inférieu- res , parce qu'elles sont beaucoup plus subtiles et tout à fait

(l) On voit par que les dissertations qui ont été faites pour prouver que les six jours de la création sont six époques ou périodes, ne sont point tout- à-fait marquées du sceau de la nouveauté. (Voyez Annales de phU. chrét., tom. II , pag. 27D; tom. IV, pag. 347.)

08 ESPRIT

invisibles à nos yeux et que c'est par leur humidité et la cha- leur du feu qui y règne , qu'elles se conservent solides au- dessus du firmament, comme le corps subsiste par l'âme qui empêche sa dissolution. Quant aux eaux inférieures , celles qui sont les plus grossières sous le firmament, elles sont le miroir des luminaires du ciel , savoir : du soleil , de la lune et des étoiles ; elles contiennent un nombre infini d'animaux de toutes les espèces qui naissent et vivent dans leur sein ; c'est pourquoi la destination des eaux supérieures et des infé- rieures sont en tout point dissemblables.

Question III.

Avant que le premier homme péchât, voyait-il Dieu des yeux du corps? Ou nous-mêmes devons-nous le voir de nos yeux corporels lorsque , selon que le dit le grand Apôtre , nous aurons reçu , dans la résur- rection future , des corps spirituels ? (1 Cor. 15. )

Solution.

Lors de la résurrection , quand l'homme aura reçu un corps spirituel, et quand ce corps aura été inséparablement uni à l'âme, il contemplera sans fin , avec les Anges , la face res- plendissante du Dieu trois fois saint-, car Adam , quoique sorti des mains de Dieu , avec tant de sagesse et de perfection qu'il a surpassé tous les hommes en sagesse et en science , n'a jamais vu cependant Dieu dans sa divinité , tel qu'il est, mais il a vu seulement des yeux extérieurs une certaine lu- mière jaillissante de son visage , par laquelle il a connu que c'était véritablement Dieu. Et c'est parce qu'avant le péché, il a pu voir cette clarté divine , ses yeux étant alors tout spi- rituels à cause de son innocence, qu'après le péché il n'a pu le faire , parce qu'il a perdu dans le paradis cette vision su- blime de suite après sa désobéissance , alors que ses yeux , par la prévarication contre le précepte de Dieu qu'il avait connu auparavant , s'ouvrirent aux désirs charnels.

DE SAINTE HILDEGARDE. 69

Question IV.

De quel genre de langage Dieu se servit-il en parlant au premier homme, et sous quelle forme lui apparut-il lorsqu'il lui donna son comman- dement ? et sous quelle apparence extérieure était-il aussi quand il se promenait dans le paradis terrestre? (Gen. 2.)

Solution.

Le Seigneur tout-puissant , en parlant à Adam', employa des termes angéliques que celui-ci connut et comprit par- faitement. Car , en vertu de la sagesse très-étendue qu'il avait reçue de Dieu et par l'esprit de prophétie qu'il avait , il posséda alors dans sa science toutes les langues et tous les idiomes que les hommes devaient inventer dans la suite; de même qu'il connut pleinement les naturels de toutes les créatures. Le Seigneur lui apparut alors avec une ineffable splendeur, mais qui n'avait aucune forme de créature , et après le péché , quand il lui apparut de nouveau se prome- nant dans le paradis , il était comme dans la flamme du feu.

Question V.

Que voulait dire Dieu par ces paroles : Voilà qu'Adam est devenu comme un de nous, sachant le bien et le mal? (Gen. 3.)

Solution.

Le voici : il voulait dire : Adam , par la science du bien et du mal , a obtenu quelque chose qui lui est commun avec nous ; mais ayant la science du bien il a abandonné le bien, et connaissant le mal , il l'a choisi lorsqu'il a préféré goûter du fruit défendu ; et ensuite Adam s'est éloigné de nous , parce qu'il a méprisé, par le conseil du serpent , le bien qu'il avait connu auparavant par expérience , et il a commis , par son consentement au goût de la délectation, le mal qu'il n'avait

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pas expérimenté. Et il fut dit encore : « Prenez garde qu'il ne vienne à manger du fruit de l'arbre de vie et qu'il ne vive éternellement. » Et cela Dieu le dit , parce qu'il était poussé par les sentiments d'une grande miséricorde envers son ou- vrage , c'est-a-dire l'homme , qui avait péché , et de peur que déchu de la sorte de ses titres à la gloire , il ne vécût miséra- blement pendant toute l'éternité, et de cette manière il voulait l'attirer miséricordieusement à lui , comme un père tendre qui retient un fils qui veut s'éloigner de sa présence. Car Dieu aimait beaucoup l'homme dont il avait prévu que son Verbe prendrait la nature; puisqu'il avait aussi formé toutes les créatures pour le servir , et qu'il envoyait son Fils à sa place pour le rétablir dans cette gloire d'où il s'était précipité comme un cadavre dans la mort.

Question VI.

Quels sont les yeux qui furent ouverts à nos premiers parents , puis- qu'avant le péché ils voyaient de tous les deux '? Et d'où vient qu'il est dit : La femme vit le fruit de l'arbre , etc.? (Gen. 3.)

Solution.

Nos premiers parents, avant le péché originel cause que l'âme par son innocence dominait sur le corps) , avaient des yeux spirituels ; mais ayant été privés , après le péché , de cette vue spirituelle de leurs yeux , et étant devenus mortels par l'effet du péché , les yeux charnels s'ouvrirent , de telle sorte que par la science du mal , voyant et connaissant les œuvres du péché , ils le commettaient à la suggestion du dé- mon , en agissant selon les désirs de la chair; de même aussi, ils mirent tellement en oubli toute la gloire dont ils jouis- saient auparavant , qu'ils s'en rappelaient à peine ; tel qu'un homme qui , regardant une chose de bien loin , peut à peine distinguer ce que c'est, et telle qu'une ombre qui paraît au miroir et qui passe aussitôt.

DE SAINTE niLDEGÀRDE. 71

Question VII.

Qu'est-ce que c'est que le Seigneur dit à Noé et à ses fils par ces paroles : Je demanderai compte de vos âmes et de voire vie à tous les animaux et à la main de l'homme? Et peu après: Quiconque aura versé le sang humain , le paiera de son propre sang ? (Gen. 9.)

Solution.

Dieu , après le dernier jour , à la résurrection générale , redemandera aux mains des hommes et à celle des animaux le sang et la vie , c'est-à-dire la dépouille de Noé et de tous ses enfants et de tout le genre humain , parce qu'il ne veut pas que l'âme soit revêtue d'un autre corps et d'un autre sang que de celui qu'elle a animé et qui lui a servi de vêtement et de demeure ; car , dans sa prescience toute-puissante , il avait disposé qu'en formant l'homme du limon de la terre , et l'ani- mant par un souffle de sa bouche , qui est appelé l'âme , il rappellerait l'homme ainsi formé de chair et de sang pour le ressusciter. Il exigera également de la main de l'homme le sang qu'il aura répandu , afin que celui qui, en opprimant son prochain, aura fait sortir son âme de son corps , pousse ensuite sans cesse des gémissements vers celui qui l'avait créée, et fasse pénitence par la mortification de sa chair et de son sang, parce qu'il a forcé , par les blessures et la mort , cette âme que Dieu a créée, à quitter le corps avant son ordre. Que si quelqu'un a répandu le sang humain, tenant cela pour une chose légère, et sans en faire pénitence, Dieu arrêtera sur lui le jugement de sa vengeance ou par le fer en le faisant périr, ou par la pauvreté, ou par la perte de ses richesses; et si ce n'est pas sur celui qui est coupable de ce sang , ce sera sur ses enfants et ses petits-enfants.

72 ESPRIT

Question VIII.

Quels corps avaient les anges qui apparurent à Abraham et qui mangèrent du pain, du veau , du beurre et du lait qu'il leur servit? (Gen. 18.)

Solution.

Les trois anges qui apparurent à Abraham lorsqu'il était assis devant la porte de sa demeure, se présentèrent à ce patriarche sous la forme humaine, parce que sans celte forme l'homme n'aurait pu nullement les voir. Car l'homme sujet au changement ne peut voir un esprit qui est immuable, et cela il se l'est attiré par la prévarication d'Adam qui , privé dans le paradis de ses yeux spirituels , a légué en héritage à tout le genre humain cette pénale cécité. Tout homme a son om- bre ; ce qui signifie qu'il doit être renouvelé dans une vie immuable. Et comme l'ombre de l'homme représente son image , de même les anges qui de leur nature sont invisibles, à cause des corps aériens qu'ils prennent, apparaissent sous une forme humaine à ceux vers lesquels ils sont envoyés, et ils règlent leurs manières et leur langage pendant ce peu de temps , non selon les habitudes et le langage angélique , mais selon ceux des hommes auxquels ils parlent. Et ils man- gent aussi comme les hommes ; mais leur nourriture s'éva- nouit telle que la rosée qui tombe sur le gazon , et que la chaleur du soleil dissout et consume en un instant. Mais les esprits malins , au contraire , prennent , pour séduire les hommes, quelque apparence de nature que ce soit, ne regar- dant l'espèce de cette créature qu'autant qu'elle ressemble au vice par lequel ils peuvent vaincre les hommes qu'ils atta- quent , de la même manière que le tentateur prit la nature du serpent pour séduire la femme.

DE SAINTE HILDEGARDE.

Question IX.

Pourquoi Abraham et Jacob ordonnèrent-ils , l'un à son serviteur, l'au- tre à son fils , de jurer eu plaçant leurs mains sur leurs cuisses ? (Gen. 24, 47.)

Solution.

Abraham, qui par l'ordre du Seigneur abandonna sa patrie et sa famille , par la blessure de sa chair , ou la circoncision (qui fut le témoignage de sa foi et la marque de l'alliance faite avec Dieu) , s'avança comme un glorieux porte-enseigne sur le champ de bataille pour combattre contre les vices ; car lui, par la grâce du Saint-Esprit, portait la bannière de la sainteté , et par la foi qui accompagnait ses œuvres , il reçut le privilège d'une grande justice. Or, par le jurement sur sa cuisse il a figuré d'avance la sainte humanité du Christ qui , par le conseil éternel du Dieu tout-puissant, devait des- cendre de sa race en tant qu'homme et détruire l'empire de l'ancien serpent , en venant opérer la délivrance de l'homme.

Question X.

Pourquoi les saints Patriarches voulurent-ils, avec un si grand désir, être ensevelis dans la caverne double qu'Abraham acheta aux fils de Heth? (Gen. 23.)

Solution.

Par la caverne double qu'acheta Abraham pour lui servir de lieu de sépulture , sont figurées la loi ancienne et la loi nouvelle , parce que comme l'âme est cachée dans le corps , ainsi la loi nouvelle était cachée dans l'ancienne , et dans ces deux lois a été ensevelie la mort , qui était entrée dans le monde par la femme. Les saints Patriarches désiraient être ensevelis dans la même caverne, parce que, atteints de l'es-

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prit de prophétie , ils connurent le sacrement de la loi nou- velle dans l'ancienne , comme aussi dans la verge d'Aaron qui fleurit , était renfermé le mystère du Fils de Dieu pour la rédemption du monde, parce qu'ils connurent le Créateur dans la créature , comme encore dans le sacrifice des agneaux et des béliers était signifié le Christ qui devait souffrir et être immolé...

Question XI.

Fut-ce un feu véritable que celui qui apparut à Moïse dans le buisson sans le brûler , ou celui qui brilla sur le Mont Sinaï , ou celui qui descendit en forme de langues sur les apôtres le jour de la Pentecôte , ou celui qui parut sur la tête de saint Martin pendant qu'il célébrait les saints mystères? (Exode 3, 19. Act. 2.)

Solution.

Il est à croire que le feu que vit Moïse du milieu du buisson enflammé , sans le brûler , c'est le Saint-Esprit, et les étin- celles qui en jaillissaient , les dons des différentes vertus. Toutefois , les diverses apparitions de ce feu ne proviennent nullement de l'éclat des éléments supérieurs , mais bien de ce feu qui est vie et qui ne consume pas en les brûlant les objets qu'il touche et auxquels il s'unit , mais qui les affermit davantage en les vivifiant.

Question XII.

Que signifie ce qui est dit touchant l'arclie , dans le livre des Rois : L'ar- che n'est autre chose sinon la table du testament [ou de l'alliance). ( 3 Rcg. 8 , 2 Par. 5 , Hébr. 8.) Tandis que dans l'épître aux Hébreux on lit ainsi : Après te voile (du Temple) rient un autre tabernacle qui se nomme le Saint des Saints. Il y a un encensoir d'or et l'Arche de l'alliance , revêtue d'or de toute part , qui renferme l'urne d'or con- tenant la manne , la verge d'Aaron qui avait fleuri et les tables de l'alliance. (Nura. 17.)

Solution. Celui qui a dit, que dans l'arche qu'Israël avait en si grande

DE SAINTE IIILDEGARDE. 75

vénération, il n'y avait autre chose que les tables de l'alliance, ne pensait pas qu'il y eût autre chose , ou ne cherchait pas même à savoir s'il y avait plus que ce qu'il croyait ; mais saint Paul, qui, à cause de la profonde science de son esprit et de la grâce de Dieu qui lui révélait de si hautes connais- sances , en savait plus que les autres , nous a pleinement instruits de ce qui était renfermé de plus dans le secret de l'arche.

Question XIII.

Est-ce qu'il faut croire qu'il soit vrai que Samuel ait été évoqué de son tombeau par l'invocation d'une pythonisse? ( 1 Reg. 28.)

Solution.

SaùV, qui , à cause de ses péchés, fut réprouvé de Dieu et abandonné de lui, voulant connaître par le moyen delà py- thonisse l'issue d'une bataille qu'il allait livrer, lui ordonna d'évoquer Samuel du milieu des morts pour lui indiquer ce qu'il désirait savoir. Mais cela ne put se faire aucunement , parce qu'il est impossible qu'un homme saint et juste profé- rât un mensonge après sa mort, puisque personne, soit fidèle, soit infidèle, une fois qu'il est sorti de lavie, ne peut avancer l'imposture. D'ailleurs, Saiil et Samuel ne pouvaientavoir une habitation commune , parce que Samuel étant juste , était ami de Dieu , et Saiil , au contraire , en était l'ennemi , ayant été rebelle à ses volontés. Le démon lui-même ne peut trom- per par l'évocation dei'àme d'aucun homme ; il ne trompe que par -des fantômes, et les formes de quelque espèce de créa- ture. Saiil perdit, en effet , son royaume avec sa vie , parce que Dieu s'était retiré de lui , de même qu'Adam, à cause de son péché, en perdant la gloire et la félicité du paradis terres- tre , devint fils de la mort. C'est pour cela donc que Saiil n'obtint pas ce qu'il demandait au Seigneur.

76 ESPRIT

Question XIV.

Que veut dire saint Paul quand il s'exprime ainsi : Si je parlais la langue des anges et des hommes ? ( 1 Cor. 18.) Quelles sont les langues des anges ?

Solution.

Les anges qui sont des esprits ne se servent de paroles et de raisonnements qu'à cause de la nature des hommes ; car , quant à eux , leur langage c'est la louange de Dieu. Mais l'homme qui ne connaît tout ce qui doit s'entendre que par le son qui le fait entendre , marque la joie de son cœur par le son de la voix qu'il élève avec le souffle de l'âme.

Question XV.

Quelle est la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur que saint Paul souhaitait que les Ephésiens comprissent avec tous les Saints ? (Epb. 3.)

Solution.

Par la longueur dont il parle , il faut entendre l'essence divine qui est sans commencement et sans fin , et qui ne peut être comprise par la créature qui a commencé , à quelque élévation et à quelque pénétration de science qu'elle se porte.

Par la largeur , il veut dire la puissance infinie de Dieu qui n'a reçu son origine de personne, et qui en opérant ne s'aug- mente pas, ni en s'arrêtant ne diminue pas.

Par la hauteur, il veut parler de la splendeur et de la gloire de la divinité qui n'a jamais connu de temps elle ait com- mencé à briller, et dont l'éblouissante lumière ne doit jamais passer.

Par la profondeur enfin , il faut entendre que Dieu , par ces trois forces précédentes, triomphe toujours des puissances

DE SAINTE IIILDEGARDE. 77

de l'abîme , quelle que soit la profondeur de leur malice pour lui résister, et que les Saints de tous les temps qui l'ont aimé, qui ont persévéré, et qui se sont conduits par des vues de foi , en ont triomphé et en triomphent encore com- me lui.

Question XVI.

Que doit-on entendre par ce qu'a dit le grand Apôtre : C'est en lui que nous virons , que nous nous mouvons et que nous avons l'être ? (Act.17.)

Solution.

Nous nous mouvons en lui par les éléments dont nous usons , de telle sorte que nous leur demandons tout ce qui est nécessaire à notre usage , à nos besoins : nous vivons en lui , parce que c'est de lui que nous avons reçu la lumière et que nous avons été vivifiés par le souffle de sa propre vie , et c'est par que nous le reconnaissons et pour notre Dieu et pour notre pasteur.

Nous sommes aussi en lui , parce que notre âme ne ces- sera jamais d'exister, quels que soient ses mérites , et que c'est par elle que , malgré nos corps , nous voulons et nous nous mouvons comme le vent , avec les éléments et dans les éléments.

Question XVII.

Que veut dire encore le grand Apôtre par ces mots : De jour et de nuit j'ai été dans les profondeurs de la mer ? ( 2 Cor. 11.)

Solution.

Paul , rappelant les fatigues de son ministère , a proféré ces paroles dans un moment d'affliction , voulant montrer parla qu'il a été_, par la permission du Seigneur, dans les angoisses et les tribulations , comme s'il eût été dans les pé-

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rils des tempêtes ou au milieu des flots bouleversés de la mer qui ne cesse alors de couvrir de ses vagues. Dieu a voulu aussi qu'il fût tourmenté par les ténébreuses suggestions du démon , et que ces tentations fussent tempérées par la souf- france d'un grand nombre d'infirmités corporelles , lesquelles épreuves, enfin , étant fortifié par sa grâce , il a supportées néanmoins avec fidélité et patience.

Question XY11I.

Que signifient ces paroles : Je suis le plus petit des apôtres , tandis qu'il a travaillé plus qu'aucun d'eux? (1 Cor. 15.)

Solution.

Paul s'est appelé le dernier , le plus petit d'entre les apô- tres , parce qu'il n'était pas au commencement , comme les autres apôtres , avec Jésus-Cbrist, qui est apparu sans pé- ché sous la forme humaine , et qu'il a été poussé à l'aposto- lat par la puissance du Fils de Dieu , dans une vision spiri- tuelle, alors que son âme n'était ni pleinement au dedans de son corps , ni pleinement hors de son corps , et qu'il lui a fait connaître et embrasser une croyance qu'il ne désirait nullement apprendre ni savoir.

Question XIX.

Comment faut-il entendre ce qu'il dit ici : Quelque péché que l'homme ait commis , il l'a commis hors de son corps ; mais quant à celui qui tombe en fornication , il pèche au dedans de son corps. (1 Cor. 6.)

Solution.

Tout péché que l'homme commet contre un autre avec connaissance et volonté , en suivant les suggestions du dé- mon , est l'ouvrage de l'artifice de ce même démon qui sème la discorde parmi les hommes en les portant à la colère et à

DE SAINTE HILDEGARDE. 79

la haine, et c'est pour cela qu'il est hors de son corps ; mais, quant à l'homme qui , dans l'ardeur des passions de sa chair, nourrissant des désirs incestueux et brûlant jusque dans ses veines et sa moelle , s'excite lui-même et blesse sa sain- teté par la fornication, celui-là pèche dans son corps.

Question XX.

Depuis le jour de la résurrection jusqu'à celui de l'ascension , faut-il croire qu'était Jésus-Christ Notre-Seigneur , lorsqu'il n'était pas au milieu de ses disciples ?

Solution.

Dieu qui par son humanité , habitant visiblement au milieu de nous , a rempli toute la terre de ses miracles , après sa résurrection et durant les quarante jours avant son ascen- sion , employa la môme humanité qu'il a prise dans le sein de la Vierge Marie , à purifier tous les éléments qui avaient contracté une souillure par la prévarication du premier homme. Et les âmes des Saints et des prédestinés , qu'il avait retirées de la captivité de l'enfer et qu'il emmenait en triomphe ac- compagné de ses anges et sous l'étendard glorieux de sa puissance , demeuraient avec lui dans l'air il avait tout sanctifié.

Question XXI.

Que doit-on entendre par ces paroles de l'évangile : Et les Anges s'ap- prochèrent de lui et ils le servaient. ( Matin. 4.) En quoi le servaient- ils ? ou quel service lui rendaient-ils ?

Solution.

Lorsque le démon se vit tellement séparé du Christ qu'il ne pouvait l'atteindre par aucun effort de sa malice , alors il le quitta et il le fuyait , tel qu'un homme fuit un ennemi du-

80 ESPRIT

quel il craint de recevoir la mort : et alors les Anges , dans les louanges qu'ils publiaient en l'honneur de la divinité , à cause que l'humanité qui avait été vaincue dans le paradis par le péché de nos premiers parents, avait été par le Christ victorieuse de toutes les embûches du démon , offraient leur ministère à celui-là qu'ils savaient être et Dieu et homme tout ensemble.

Question XXII.

Puisque les nouvelles âmes , tirées récemment du néant , sont regardées comme unies par la providence du Créateur , dans le sein de leurs mères , aux petits corps des enfants , comment se fait-il qu'elles con- tractent la tache du péché originel , et en vertu de quelle justice sont- elles punies ?

Solution.

Comme un vase d'argile qui a été rempli de poison com- munique le danger du venin à tout ce qu'on y met dedans , de même toute chair humaine est souillée et infectée par la chair du premier homme , à moins qu'elle ne soit purifiée dans le baptême et la pénitence par la chair très-pure du Fils de Dieu qu'il a prise dans le sein de la Vierge Marie. En effet, l'âme , par la manière dont Dieu l'a formée dans le sein de la mère et qui la rend propre à recevoir le souffle de la vie , peut , par la ruse du serpent qui a séduit le premier homme , éprouver la souillure du péché pour lequel elle est punie; mais, selon les décrets éternels de Dieu , elle en est lavée, en vertu des mérites de son Fils , par la foi et par le saint bap- tême. Cependant, celui qui, ayant la foi et étant régénéré parle baptême, aura suivi avec toute son ardeur les désirs de la chair et n'aura pas fait pénitence pour les expier , celui-là , dis-je , demeurera dans la perdition avec ceux qui n'ont pas été rachetés par le Christ.

DE SAINTE HILDEGARDE. 81

Question XXIII.

Lorsque le Seigneur dit dans l'Evangile , en parlant de lui-même : Moi je suis sorti et je viens de mon Père (Jean 18); et du Saint-Esprit : L'esprit qui procède du Père (Jean 15) , quelle est la différence qu'il y a entre la procession du Fils et la procession du Saint-Esprit , pour que celui-là soit appelé le Fils et qu'il ne doive ni ne puisse être ap- pelé avec fondement le Saiut-Esprit ? Entre la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit , quelle est la distinction , puisque l'un et l'autre viennent du Père ?

Solution.

Mon Père est la puissance , et moi qui suis sa parole par- lante ; j'ai procédé de lui , lorsqu'il a créé par moi toutes les choses qui existent. Et le Saint-Esprit a procédé du même , c'est-à-dire de mon Père , lorsque je suis descendu dans le sein de la Vierge, dont la chair n'a jamais été blessée par la séduction du serpent , et dans laquelle j'ai revêtu l'hu- manité formée en elle par l'opération du Saint-Esprit ; car l'Esprit-Saint est un feu , le feu vivifiant ou la vraie vie et la flamme véritable , et la vie toujours égale depuis l'éternité ; et c'est par lui que se meuvent invisiblement toutes les créa- tures qui ont été faites par le Fils de Dieu. Il est sorti du sein du Père en se communiquant à la Yierge qui est une créa- ture , et il a tellement échauffé son sein par son feu sacré , que cette Yierge a enfanté, sans l'opération d'un père selon la chair, le Yerbe de Dieu , qui avait tout créé. Or, comme on voit la forme corporelle de l'homme et que son âme ne peut être vue des yeux charnels, et que cependant l'homme est un composé de deux natures , de même le Fils de Dieu , qui a été formé du Saint-Esprit dans le sein de la Yierge et qui s'est fait homme , a été visible à tous les yeux par son huma- nité, mais invisible quant à sa divinité , et il était cependant un seul Dieu dans deux natures , savoir, la nature humaine et la nature divine.

t. v. G

82 ESPRIT

Question XXIV.

Qu'a voulu dire saint Paul par ces paroles : Qu'il a été ravi jusqu'au troisième ciel ( I Cor. 13); et qu'il ne sait pas si c'est avec son corps ou hors de son corps que cela est arrivé; et lorsqu'il est parvenu jus- qu'au ciel , si son aine était sortie de son corps, ou bien si elle y était demeurée et si elle l'animait ?

Solution.

Paul , pendant une extase, s'éleva , par l'effort de son âme, le Christ l'appelait, semblable à un homme qui dort et qui parcourt durant le sommeil divers lieux, de sorte que l'âme échauffe , pendant ce temps-là , le sang de son corps , pour qu'il ne sèche pas de froid ; et de même que le soleil qui est fixe dans les hauteurs des cieux , par la force de ses rayons , brille et échauffe toutes choses loin de lui ; il a pé- nétré, en les considérant, les merveilles du firmament tel que Dieu l'a fait , et il est parvenu même jusqu'au troisième ciel, c'est-à-dire jusqu'à cette clarté qui brille de la splendeur même ( qui est la divinité) et dans laquelle reposent les âmes bienheureuses; et il reçut dans cette contemplation une telle force divine de science , qu'il ne put nullement douter, dès ce jour , de ce qu'il avait vu ; mais il n'a pas vu le lieu la divinité habite dans toute sa splendeur, et les Anges, qui sont comme des rayons éclatants du soleil , et d'autres anges encore qui apparaissent comme l'éclat de la flamme , con- templent et adorent l'immuable essence divine qui est sans commencement et sans fin ; il ne l'a pas vu , dis-je , parce que , de même que l'aigle ne peut soutenir l'éclat du feu su- périeur, de même lui ne pouvait soutenir celui de l'Eternel ; mais il a été environné de la gloire de ces Anges qui remplis- sent leur ministère auprès des hommes, et il est venu jusqu'au paradis il a connu parfaitement toutes les secrètes mer- veilles que son âme a vues , et il les a tellement perçues par

DE SAINTE HILDEGARDE. 83

ses sensations corporelles , qu'il a su d'une science claire et certaine ce qui importe le plus à l'homme , qui n'est que cendre; c'est pour cela qu'il a été plus sage et plus savant que tous les Prophètes, dont les oracles n'étant vus qu'en ombre, étaient semblables au miel des abeilles , qui s'appli- que à divers usages ; car tout ce que son àme vit , son corps le sentit, d'où il est arrivé qu'il demeura dans le doute s'il l'avait vu dans son corps ou hors de son corps ; et c'est pour- quoi toutes ses paroles si profondes et si élevées sont per- çantes comme un glaive affilé : mais Dieu , lorsque son âme redevint calme , paisible dans son corps , le retenait beau- coup à cause de son naturel impétueux, de peur qu'il n'ensei- gnât, de son propre mouvement, ce qui n'appartenait pas même à la hauteur de la science d'un Saint.

Question XXV.

Qu'est-ce que la grâce de Dieu et le libre arbitre ont de'commun ''. Qu'est-ce qu'ils ont de particulier ?

Solution.

Le libre arbitre est dans l'âme (qui est elle-même un souf- fle de Dieu et que Dieu a fait à son image , et par laquelle l'homme sent qu'il a un Dieu en lui , soit qu'il soit fidèle ou infidèle , dans quelque condition ou opinion qu'il soit, et qui avec la connaissance du mal le choisit et s'y porte volontaire- ment) , il est , dis-je , comme Adam qui connut le précepte du Seigneur et qui se porta au mal en suivant le conseil du serpent : la grâce de Dieu et le libre arbitre ont cela de commun que l'homme , avec la connaissance du bien et du mal, peut choisir l'un ou l'autre, soit le bien , soit le mal , pour le faire; et il y a ceci de propre , que lorsque , par la vertu du libre arbitre , l'homme a choisi le mal , selon le goût et le désir de la chair , ce qu'il n'est jamais forcé â suivre ou à abondonner, il le fait par l'instigation du dé-

84 ESPRIT

mon , et que lorsqu'il suit ou évite une chose selon la volonté de l'àme , c'est par la grâce du Saint-Esprit qu'il le fait.

Question XXVI.-

Comment doit-on entendre ces paroles : Vous avez réglé toutes choses avec poids , avec mesure , avec nombre'? (Sap. 11-21.)

Solution.

Dieu a réglé avec une si exacte mesure tous les organes de nos corps, qu'aucun d'eux ne surpasse en poids ou en lar- geur ce qui est nécessaire aux esprits qui habitent en eux ; et de même que le soleil , la lune , le feu , l'air , l'eau , la terre , sont réglés dans le firmament avec un poids égal , un même nombre , une même mesure , de même l'homme , qui résume en lui toute créature, est réglé avec une sage mesure, parce que tous ses membres sont tellement remplis par l'àme, que tant qu'elle habite en eux , l'homme ne peut ni s'altérer ni périr ; mais l'orgueil qui plane sur tout ce que Dieu a fait et qui méprise le Seigneur , et qui ne veut ni le connaître ni l'adorer , l'orgueil qui en s'exilant du milieu des créatures tombe et meurt, n'a aucune sage mesure , puisqu'il ose atta- quer et disperser tout ce que Dieu , dans sa providence et sa sagesse , a disposé et réglé.

Question XXVII.

Quelle est cette harmonie des éléments dont il est dit : Les éléments changent d'ordre entre eux , sans perdre néanmoins cette harmonie qui leur est propre , comme dans un instrument de musique , l'air se diversifie par le changement des tons? (Sap. 19. ) Est-ce à cela que se rapporte ce que dit le Seigneur : Qui est-ce qui fera cesser toute l'harmonie du ciel ? ( Job 38-37.)

Solution. Dans la route brûlante de l'air supérieur , par laquelle se

DE SAINTE HILDEGARDE. 85

meut le firmament , il existe une voix des éléments agréable et glorieuse, et semblable ta une belle symphonie; car , de même que la voix de l'homme est si douce et fait le charme de sa vie , de même chaque élément , selon l'ordre établi de Dieu , a sa voix , et quand ils les réunissent, ils forment une harmonie comme le son des diverses cordes d'une lyre réson- nant ensemble ; mais le concert des cieux n'a rien de com- mun avec l'harmonie des éléments qui doivent passer avec l'homme , de môme que le soleil qui est placé dans le firma- ment , éclaire ce monde , mais non la hauteur des cieux.

Question XXVIII.

Comment faut-il entendre ce qui est dit dans la Genèse : Une fontaine jaillissait du sein de la terre , qui en arrosait toute la surface ? ( Gen. 22. )

Solution.

Par l'ordre de Dieu , une source coulait dans le jardin des délices , qui l'arrosait avec tous ses fruits, sans aucune diffé- rence d'espèce ( tels que le Créateur les avait faits), parce que cette terre de volupté ne connaissait pas , ainsi que la nôtre , les vicissitudes des saisons, d'été et d'hiver, ce qui la fait res- sembler au caractère inconstant de l'homme. En effet, comme la clarté de la lune est obscurcie par la splendeur du soleil ; de même dans la splendeur de la clarté immuable de cette terre , le soleil , la lune , les étoiles étaient obscurcis , parce qu'il n'y avait rien de mortel et qu'elle ne recevait même rien de mortel ; car si quelque chose de périssable y était venu , elle- l'aurait étouffé parla mort, de même qu'on est étouffé par l'eau. Or la terre dans laquelle l'ardeur du soleil est si grande qu'elle consume par sa chaleur les gouttes de pluie , comme un feu très-grand et très-fort absorbe les gouttes d'eau qui sont répandues sur lui, est arrosée par l'eau qui coule de la fontaine qui s'élevait du milieu du paradis, et qui

86, ESPRIT

signifie l'ascension constante des vertus qui sont allumées par le feu du Saint-Esprit.

Question XXIX.

Puisqu'on croit qu'Enoch et Elie ont été transportés, avec leurs corps, dans le ciel , faut-il croire aussi que dans ce lieu d'ineffable volupté ils ont eu besoin de nourriture corporelle et de vêtements ? (Gen. 5-24, Eccl. 44-16. )

Solution.

Dieu avait ordonné dans sa providence , touchant Enoch et Elie, qu'ils n'auraient hesoin dans le ciel ni de nourriture, ni de boisson , ni de vêtement , et il en est de môme de qui- conque est enlevé par un miracle de Dieu ; tant qu'il y reste , il n'a pas besoin des choses nécessaires aux mortels.

Question XXX.

Qu'est-ce que ce qui est dit de Jonatbas : Lorsqu'il eut mangé du miel , ses yeux furent éclairés aussitôt ? ( 1 Reg. 14.)

Solution.

Jonathas , parce qu'il était doux dans ses mœurs , et qu'il affirmait volontiers dans ses jugements, sans colère et sans haine, ce qui était vrai et juste , était semblable à une terre grasse et fertile , qui est facilement remuée par la charrue , et qui, quoique sans culture, porte néanmoins des herbes utiles. Car , quiconque a de telles mœurs , a aussi des hu- meurs saines et excellentes, que produisent dans son cerveau, dans ses veines et dans ses moelles , les aliments dont il se nourrit , parce que ni la colère ni la tristesse ne sont engen- drées en lui par la mélancolie et la vicissitude des diverses inclinations, et que le don do Dieu est en lui , et qu'il les fait germer et verdir, comme la rosée les plantes sur lesquelles

DE SAINTE HILDEGARDE. 87

elle tombe. Mais celui qui par la mélancolie est triste et ma- lade , celui-là est semblable a une terre dure que la charrue peut à peine tourner , parce qu'il a dans ses habitudes , de la colère , de la tristesse et de la répugnance pour tout ce qui est juste , et qu'il ne peut , à moins qu'il ne résiste fortement par la nature de son esprit , commander à son caractère. Mais celui qui a les mœurs douces , comme il est dit plus haut , celui-là est bénévole dans toutes ses actions , et sa chair et son sang croissent avec la nourriture , et il en est fortifié, ainsi que Jonathas dont les yeux étaient auparavant très-faibles et obscurcis , à cause de la défaillance de son corps, et qui reçut une vue perçante lorsqu'il fut fortifié par le goût du miel qui du haut des airs descendit vers lui , et qui avait plus de force que le miel ordinaire.

Question XXXI.

Puisque les mauvaises pensées proviennent le plus souvent du cœur de l'homme , par quel moyen peut-on distinguer celles qui viennent de notre corruption , de celles qui sont occasionnées par les suggestions des mauvais anges ? ( Matth. 5 , Ps. 77. )

Solution.

Les pensées qui sont tellement inhérentes au cœur des hom- mes depuis le péché originel, qu'ils sont portés par elles aux plaisirs défendus et dans leur chair et dans leur sang et dans leurs veines , celles-là sont humaines; les pensées légères par lesquelles les hommes désirent et cherchent dans leur cœur de savoir et d'avoir ce qui est impossible parce que cela ne se peut faire, celles-là sont vaines , parce qu'elles volent inu- tilement de tout côté ainsi que l'air, et c'est de ces pensées qu'il est écrit : Le Seigneur connaît lu vanité de leurs pen- sées (Ps. 93). Mais les mauvaises qui sortent du cœur et de la bouche de l'homme et que le démon y avait fait entrer, celles-là sont la nourriture du démon , parce qu'il s'en sert

88 ESPRIT

pour engloutir les âmes (comme l'homme engloutit les ali- ments dans l'estomac) , lorsque les trompant par elles , il les porte à l'infidélité envers Dieu et à la violation de ses com- mandements, et qu'ainsi il les lui enlève, quoique plusieurs , par leurs saintes œuvres et par la pureté de leur foi , demeu- rant attachés à Dieu , combattent fortement contre lui et rem- portent la victoire à l'aide de la grâce.

Question XXXII.

Est-ce que les choses corporelles sont aperçues par les yeux spirituels; et , au contraire , les spirituelles connues par les yeux corporels ? (2 Cor. A.)

Solution.

Les yeux spirituels sont, la science de l'âme raisonnable, et tels qu'ils sont ils ne peuvent nullement voir les choses corporelles , comme aussi l'aveugle ne voit pas des yeux ex- térieurs , mais il connaît et comprend par l'ouïe ce qui est vu par les autres. Les yeux corporels n'ont pas non plus la possibilité de considérer parfaitement les choses spirituelles. Mais , comme on voit la forme de l'homme dans le miroir cependant il n'est pas , ainsi on connaît et on voit par la foi et par l'ouïe les choses qui sont spirituelles. Car aucun esprit ne peut apparaître à l'homme dans sa propre nature, puisqu'il est le souffle vivant de Dieu même, et que celui-ci , l'homme , en vivant , ne fait que fortifier son enveloppe , c'est-à-dire son corps, et qu'il ne cesse de travailler avec lui. et que même lorsqu'il l'aura quitté , il doit être avec lui , soit dans les splendeurs de la béatitude , soit dans les ténèbres de l'enfer.

DE SAINTE IIILDEGARDE. 89

Question XXXIII.

Le feu de l'enfer est-il corporel ou spirituel? S'il est corporel , comme plusieurs fidèles le croient , faut-il penser qu'il soit de la matière quatrième des éléments ?

Solution.

Nullement , parce que ce feu n'est pas composé des autres éléments , ni n'existe pas par lui-même , et qu'il est invisible. Les peines corporelles et les spirituelles ne sont pas égales , de même que le corps diffère de l'âme , et que l'âme n'est pas semblable au corps , parce que le corps , par les peines corporelles , se sècbe et meurt, et que dans le feu de l'enfer , l'esprit et l'âme sont tourmentés et cependant ils ne meurent pas dans ces tourments. Le feu du purgatoire , dans lequel vivent et sont punies les âmes qui doivent être sauvées , n'est pas non plus allumé du même feu que l'enfer , mais il s'élève par le jugement de Dieu , selon la nature des péchés des hommes , et il en est qui l'ayant vu en extase , ont été gran- dement étonnés de ses propriétés.

Question XXXIV.

Les saints dans le ciel et les réprouvés dans l'enfer savent-ils ce qui se passe sur la terre?

Solution.

Les Saints qui régnent dans la céleste patrie connaissent tout ce qui se fait sur la terre , parce que , soit par un juge- ment particulier de Dieu , soit par les louanges des anges , tout ce qui se fait sur la terre se présente manifestement devant Dieu. Les impies également, même ceux qui ne met- taient point de relâche dans leurs péchés, qui ne les expiaient point par la pénitence , connaissent ce qui se fait de mal ,

90 ESPRIT

et se rient amèrement de la folie de ceux qui les imitent , et ils connaissent ce qui se fait de bon , par les applaudisse- ments qu'ils sont forcés d'accorder aux Bienheureux qui ne suivent pas leurs exemples.

Question XXXV.

Les diverses paraboles qui sont rapportées dans l'Evangile comme est celle du voyageur qui tomba entre les mains des voleurs , du roi qui fît des noces à son fils , des dix Vierges et autres, sont-elles arrivées véritablement comme il est dit , ou bien sont-elles seulement propo- sées pour enseigner autre chose sous le voile de la similitude ? (Luc. 10,Matth. 22 et 25. )

Solution.

Le Christ a proposé les paraboles aux hommes , à cause des vices spirituels par lesquels ils sont souvent trompés , et aussi à cause des vertus par lesquelles ils luttent contre eux victorieusement, afin de leur faire connaître, par ces similitu- des , qu'il les punirait pour le mal et qu'il les récompenserait pour le bien.

QuestiouXXXVI.

Puisque, selon l'âme, Abraham et Lazare sont dans le lieu du rafraî- chissement elle riche dans l'enfer, qu'est-ce qu'on doit croire du sein d'Abraham, du doigt de Lazare et de la langue du mauvais ri- che? (Luc. 16. )

Solution.

Le sein d'Abraham signifie l'obéissance qu'il témoigna à Dieu par l'immolation de son fils et la circoncision de sa chair, parce que l'obéissance conserve et entretient toutes les bonnes œuvres , comme le sein contient et conserve tout ce qu'on y renferme. Et le doigt de Lazare veut dire le mys- tère de l'obéissance (qui est la matière des commandements

DE SAINTE IIILDEGARDE. 01

de Dieu), parce qu'elle enseigne tout ce qui est bien, de même que l'homme indique du doigt ce qu'il veut montrer. Enfin , la langue du riche signifie la volonté privée, qui ex- prime par elle l'abondance des désirs charnels ; car , de même que par le goût de la langue on distingue tous les ali- ments tels qu'ils sont , de même aussi par elle la volonté des hommes se révèle et se fait connaître telle qu'elle est.

Question XXXVII.

Quel mérite particulier signifie ce qui se trouve dans le livre de saint Grégoire , évoque de Tours , touchant saint Martin , dont il dit qu'il est apparu souvent sous la forme du feu ?

Solution.

Le Dieu tout-puissant qui est tout amour et toute force avait répandu dans l'àme de saint Martin une grande effusion du feu du Saint-Esprit, et c'est à cause des mérites de son humilité, de sa piété, de sa miséricorde et des sentiments de contrition sincère dont il était animé pour le Dieu vivant , qu'il est apparu souvent en feu.

Question XXXVIII.

Dans quel corps saint Nicolas est-il apparu aux nautonniers tant éveil- lés qu'endormis, tant à Constantin qu'à son pr.'fet, lorsqu'il est certain qu'il n'apparut pas dans son propre corps? Comment aussi saint Pierre , saint Paul et d'autres Saints , dont les corps étaient ensevelis dans la terre , se sont-ils montrés visibles , soit à des gens endormis , soit à des gens éveillés ?

Solution.

Si cette vision spirituelle n'apparaissait pas aux hommes , ils ne comprendraient point ce qu'elle est, et ils ne voudraient point y croire , parce qu'eux-mêmes ont deux natures , celle

9:2 ESPnn de sainte hildegarde.

du corps et celle de l'esprit. L'image de Dieu , c'est-à-dire l'homme, dont une partie est changeante et l'autre immua- ble , ne pourrait donc jamais voir un esprit immuable s'il ne paraissait point sous une forme changeante , comme une corne est sonnante, non par elle-même , mais par le son que l'on y produit. Et Dieu, dans l'apparition de ces Saints, mon- trait autant sa bonne disposition envers eux qu'envers ceux auxquels il les faisait apparaître , les leur donnant à considé- rer comme on considère les prodiges du firmament.

NOTES SIR LES RELIQUES DE SAINTE HILDEGARDE,

Nos recherches sur les reliques et le tombeau de sainte Hildegarde ont été à peu près infructueuses ; tout ce que nous avons pu découvrir, c'est qu'on lui avait élevé , dans le monastère de Saint-Rupert , un ri- che mausolée orné de divers marbres , et que ce monastère ayant été pillé et brûlé , en 1632 , par les révolutionnaires suédois , les religieu- ses Bénédictines qui l'occupaient se retirèrent et emportèrent avec elles les reliques de leur sainte abbesse au prieuré de Binghen ou d'Ebingen, au diocèse de Mayence, dont sainte Hildegarde était la fondatrice. C'est donc qu'elle a reçu depuis les honneurs que le grand nombre de ses miracles lui ont fait rendre. Son nom est célèbre dans les fastes de l'église d'Allemagne. Sa canonisation deux fois reprise n'a pas été ter- minée , mais son culte est permis et le décret de béatification a été rendu. Son nom est inséré dans le martyrologe romain.

Elle mourut dans l'ordre de Saint-Benoît.

Pour les notes sur les Bénédictines , voyez sainte Gertrude.

ESPRIT

DE

SAINTE CLAIRE D'ASSISE,

PREMIÈRE RELIGIEUSE

DU SECOND ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS ,

PLUS TARD APPELÉ DES CLARISSE».

NOTICE.

1253.

Claire d'Assise , vierge admirable , issue d'une famille llustre , eut pour père le chevalier Sciffi , et pour mère Orto- lana , femme d'un grand mérite. Dès sa plus tendre enfance elle fit paraître, comme une aurore naissante, les doux rayons de sa lumière et de sa sainteté. Son cœur docile et tendre recevait avec une étonnante facilité les premières semences

94 NOTICE

de la vertu ; et le Saint-Esprit les y imprima si avant, que chacun la regarda bientôt comme un vase de grâce et de per- fection. Elle avait une si grande inclination à secourir les pauvres , qu'elle se dérobait sa propre nourriture pour la leur donner en secret. Tant de précoces vertus , on le devine bien , n'étaient point pour le monde ; Dieu voulait les mûrir à l'ombre de l'autel , dans le saint asile du cloître. On con- naît la courageuse résolution de Claire pour embrasser la vie religieuse, comment elle abandonna la maison paternelle et résista à toutes les sollicitations de sa famille pour suivre l'attrait divin. Ce fut le lendemain du dimanche des Ra- meaux , selon que saint François d'Assise le lui avait pro- posé, dans l'église de laPorlioncule, que se fit sa solennelle abjuration des vanités du monde et sa perpétuelle consécra- tion à Jésus-Christ. Le bruit de la retraite de Claire s'étant répandu, tout le monde condamna sa conduite; ses parents et ses amis employèrent tous les moyens les plus propres à triompher de sa résolution. Mais Claire leur prouva que son sexe est capable de la plus haute abnégation , quand la grâce de Dieu est descendue dans le cœur d'une femme.

De la Portioncule saint François la transféra dans le cou- vent de Saint-Ange-de-Panso , au voisinage d'Assise , et qui était de l'ordre de Saint-Benoît. Sa sœur Agnès vint l'y joindre et voulut partager son genre de vie. Saint François lui donna aussi l'habit, quoiqu'elle n'eût que quatorze ans. Il mit ces deux sœurs dans une petite maison contigué' à l'église de Saint-Damien , et établit Claire supérieure de ce monas- tère naissant. Voilà quel fut le berceau et comme le chef-lieu d'un ordre si fameux. Sa maison fut en peu de temps com- posée de seize personnes , parmi lesquelles elle compta Orto- lana sa mère , et trois de l'illustre maison des Ubaldini de

SUR SAIXTE CLAIRE I>' ASSISE. 95

Florence. Dès ce moment nous ne pouvons plus suivre les progrès de cet Ordre ; car bientôt toute cette armée de fem- mes pieuses , avec des reines et des princesses à sa tète , sous le nom de pauvres Clarisses , alla dresser ses tentes dans toute l'Europe (1).

Saint François comme sainte Claire voulurent que cet Ordre fût fondé sur la pauvreté la plus absolue ; aussi verra- t-on jusqu'à quel point sainte Claire Fa recommandée dans son testament , un des plus précieux débris de ce qu'a laissé cette illustre mère des Clarisses de tant de suaves instructions qu'elle leur donnait. On le lira avec plaisir, sans doute; car il est imprégné de cette aimable simplicité qui semble être le partage des Saints (2).

Claire sentant ses forces épuisées par une course de plus de quarante années dans le stade de la pauvreté la plus rigou- reuse , soupirait après le moment elle serait introduite dans les tabernacles éternels. Elle savait que l'époux était à la porte pour y conduire son âme bien-aimée ; elle le de- manda donc en viatique, et peu de temps après, comme per- due dans ses divins embrassements, son âme s'échappa du temple de son corps pour aller rayonner dans le temple de la gloire. Elle avait atteint l'âge de soixante ans. On était à l'an 1253 , le 11 août.

(1) Voyez l'Histoire de saintFrançois d'Assise, par M. Emile Chavin, page 61; M. de Hontalembert, Histoire de suinte Elisabeth de Hongrie; M. Henrion, Histoire des Ordres religieux.

(2) Voy. Wadding, t. 3. Giusseppe di Madrid, Vila di saut Chiarœ. Les copies de Prague, d'Ausbuorg et de Florence diffèrent un peu de celles Wadding, de Surius et des Dollandisles. Nous n'entrons dans aucune discussion à ce sujet; qu'il suffise de dire que nous avons suivi celle qui est entourée de plus de preu- ves il', milieu licite.

96 NOTICE SUR SAINTE CLAIRE D* ASSISE.

Elle fut visitée avant sa mort par Innocent IV qui habitait alors Pérouse , et par plusieurs cardinaux. Ils assistèrent tous, et le Pape lui-même, à ses brillantes funérailles.

Le R. P. Prudent de Faucogney , religieux capucin , en a donné une belle vie en français , imprimée à Marseille en 1828.

ESPRIT

DE

SAINTE CLAIRE D'ASSISE,

TIRÉ DE SES INSTRUCTIONS ET DE SON TESTAMENT.

Instruction ou Conférence de sainte Claire sur les avantages de la vie religieuse.

Notre Sainte répond à certaines questions qu'une jeune fille nommée Angèle lui avait adressées touchant le bonheur des gens du monde.

« Ne vous y trompez pas , ma Fille, lui dit-elle; ceux qui parlent si souvent du bonheur et qui en affectent les dehors avec tant d'éclat, ne sont point ceux qui le goûtent davantage. Les efforts qu'ils font pour le montrer, font voir précisément qu'il leur manque , et peut-être leur en coûte-t-il plus pour paraître heureux et contents , qu'il ne leur en coûterait pour le devenir véritablement. Le vrai bonheur n'est donc point ce vain bruit qui peut éblouir une àme légère, qui se hâte de prononcer sur ce qui frappe ses sens. Il est plus concentré , ou plutôt il est tout intérieur. Il naît de la conscience ; c'est le fruit de la vertu ; c'est elle qui le soutient, c'est elle qui le rend si supérieur à toutes les folles joies du siècle. Le bon- heur des gens du monde est souvent troublé par la moindre infirmité , par le moindre revers , par la plus légère contra- diction. L'àme fidèle , au contraire , trouve dans les épreuves que le Seigneur lui ménage de nouveaux motifs de consola- t. v. 7

08 ESPRIT

tion. Elle y reconnaît la main d'un père qui la détache insen- siblement des créatures; elle se souvient que son Dieu la voit , qu'il connaît tous les mouvements de son cœur, et ce souvenir la remplit de joie. Elle sent que dans peu elle va s'unir au souverain bien , et elle bénit tous les événements qui peuvent accélérer l'heureux moment de la possession éternelle de celui pour qui elle a vécu , de celui qu'elle aime.

•>■) Le bonheur des gens du monde consiste dans la variété des objets qui se succèdent tour à tour , qui les étourdissent par leur rapidité , et qui les empêchent d'être seuls avec eux- mêmes. S'ils ont le temps de réfléchir un instant sur leur état, ils sentent alors tout le poids de la vie. Ils ne voient plus autour d'eux qu'un vide affreux qui les effraie; tout les fatigue et les ennuie. Ils ne voient plus rien au dehors qui puisse les distraire et les dédommager de ce qu'ils souffrent au dedans. L'àme fidèle , au contraire , n'est jamais plus contente que lorsqu'elle se retrouve avec elle-même. Sa conscience et son Dieu , voilà les deux témoins qu'elle ambitionne et qui la rassurent ; elle espère et elle sent que ce n'est point eu vain.

» Une autre différence qui doit encore nous faire compren- dre tout l'avantage du bonheur de l'àme religieuse et fidèle , sur la félicité passagère qu'on éprouve quelquefois dans le siècle , c'est que le mondain n'insulte à nos pratiques de piété , à nos mortifications, que lorsque, plein de santé , il s'égare dans l'ivresse des passions , et se livre aveuglément aux illusions des sens.Tombe-t-il dans quelque maladie, se trouve-t-il dans une position fâcheuse qui lui laisse aperce- voir son erreur , ce n"est plus à ses compagnons de dé- bauche qu'il s'adresse pour le secourir et le consoler ; il les abandonne comme il s'en voit lui-même abandonné ; il vient à nous avec confiance ; c'est notre charité et nos soins qu'il implore avec larmes. Se voit-il enfin sur le point de mourir, c'est alors qu'il se reproche bien amèrement , et souvent bien

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inutilement ses folies et ses crimes; il avoue que, dans aucune circonstance de sa vie , il n'a été véritablement heureux ; il voudrait avoir vécu comme nous , comme les plus fervents solitaires ; il voudrait pouvoir recommencer une nouvelle carrière ; mais le temps est fini pour lui , et , tremblant et confus , il va s'ensevelir dans les abîmes de l'éternité. »

... «Ne croyez donc point, mes Sœurs, ajouta-t-elle , que cette pompe extérieure , que ces riches habits dont se chargent les enfants de la terre , soient encore le signe du bonheur. Tous ces vains ornements ne montrent souvent que les livrées d'un esclave qui cherche à plaire à ses maîtres , qui consulte plutôt les caprices des autres que son propre goût, qui sacrifie son aisance particulière aux fantaisies d'une foule de personnes que souvent il ne connaît pas. Nos habits, tout simples qu'ils sont , suffisent cependant à nos besoins. Us n'exigent de nous aucune précaution gênante qui nous déroberait un temps précieux que nous devons à notre Dieu et à nous-mêmes. Ils nous rappellent sans cesse que nous sommes voyageurs et étrangers sur la terre; ils nous entre- tiennent dans des sentiments d'humilité, et nous font sentir la nécessité de pratiquer la vertu. Les vêtements des mon- dains , au contraire, ne sont souvent que des ornements qui les gênent plutôt qu'ils ne les couvrent ; ils entraînent des dépenses excessives , ils demandent des soins multipliés et rebutants qui fatiguent à la longue , et font souvent négliger des choses essentielles ; ces riches habits les nourrissent en- core dans leur vanité , leur orgueil , leur petitesse ; ils leur font perdre de vue que la terre n'est pour eux qu'un lieu d'exil , et qu'ils vont bientôt paraître aux yeux du souverain Juge qui doit rendre à chacun selon ses œuvres.

Mais , ajouta-t-eile , que peut-on penser du mérite de ces personnes , qui font consister leur bonheur dans la magnifi- cence des habits? Il faut qu'on soit bien peu de chose par soi- même quand on est obligé de recourir à une si faible ressource pour se faire valoir , pour s'attirer quelque consi-

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dération , pour jouir du bonheur , et quel bonheur que celui de se gêner beaucoup , souvent pour exciter l'envie , la jalou- sie, ou quelquefois peut-être l'indignation et la pitié des personnes que l'on fréquente , et que plusieurs liens nous attachent.

Ne croyez pas non plus , mes Sœurs , que la variété et la délicatesse de la nourriture puisse jamais être pour une âme raisonnable une source de félicité. Le pauvre qui n'apaise sa faim que par des aliments simples qui ne lui manquent jamais , jouit d'une santé plus parfaite , et connaît mieux la gaieté et le repos de l'esprit , que le riche qui fait consister son plaisir dans l'abondance d'une nourriture recherchée. Quelle preuve plus sensible pourrai-je vous apporter de tout ce que je vous dis , que votre exemple et celui de toutes nos sœurs ? D'ailleurs, une âme solide et vraiment pénétrée de la grandeur de ses destinées , est bien éloignée de mettre son bonheur à satisfaire ainsi sa sensualité. Elle ne regarde , au contraire , les soins qu'elle est obligée de donner à son corps , que comme une servitude qui l'empêche de se livrer tout entière à de plus nobles fonctions ; ce sont des liens incommodes qui la retiennent encore à la terre , et sa prin- cipale consolation est de savoir qu'ils seront bientôt rompus , et que dans quelques moments , elle sera plus intimement unie à Dieu. »

Avis à une Religieuse qui , quoique très-fidèle à tous ses devoirs , se plaignait du joug de la confession.

Sainte Claire , après quelques autres raisonnements , lui disait : « Mais une autre cause de vos inquiétudes , ma Fille , c'est peut-être parce que vous ne vous ouvrez pas assez entièrement à votre directeur ; vous ne tirez le voile qu'à demi; vous retenez pour vous une partie du fardeau qui vous accable , et c'est votre propre secret qui vous pèse et vous tourmente. Faites donc, une bonne fois , une ouverture

DE SAINTE CLA1KE D' ASSISE. 101

entière de toute votre àme ; montrez votre intérieur tel qu'il est, développez tous les mouvements de votre cœur , débar- rassez-vous enfin de tout ce qui peut vous peser encore , chargez-en votre directeur , il vous servira de rempart contre vous-même , sa force soutiendra votre faiblesse , vous verrez toutes vos difficultés s'aplanir ; ce qui vous a paru jusqu'ici dur et rebutant , vous paraîtra dans la suite doux , consolant et facile ; vous serez même étonnée de la confiance et de la force que vous puiserez dans le Sacrement institué pour effa- cer nos souillures. »

Avis à une autre personne qui avait une crainte excessive des jugements de Dieu.

« Vous tremblez , ma Sœur, lui dit-elle? Et pourquoi vous effrayez-vous? Voyez donc la figure de celui qui est descendu du ciel en terre pour nous sauver : que ce livre est éloquent! Voyez ces bras étendus pour vous embrasser, ce côté ouvert pour vous recevoir; et vous trembleriez encore à la vue de ce Dieu bienfaisant qui vous appelle? Mais si , depuis vingt-trois ans que vous le servez dans la religion , vous eussiez autant montré de courage et de constance dans le service de ce Fré- déric qui désole nos provinces , ou de quelqu'autre barbare , croyez-vous que ces tyrans oublieraient vos travaux , qu'ils s'indigneraient de votre zèle et de votre empressement à exé- cuter leurs volontés , qu'ils mettraient enfin leur bonheur et leur gloire à vous poursuivre et à vous tourmenter à jamais?.. Ma chère Sœur , quelle idée vous êtes-vous donc formée du Dieu qui vous a créée et qui est mort pour sauver votre àme ? Oseriez-vous bien le croire moins bon, moins compatissant et moins généreux que ces hommes de ténèbres dont vous ne vous rappelez le souvenir qu'avec une espèce d'horreur ?... » On devine sans effort que des paroles si calmes , si bien fon- dées, produisirent tout l'effet qu'on en pouvait espérer.

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Paroles de sainte Claire au Dieu des armées, au moment où, par le cou- rage le plus héroïque, elle se porte au-devant du redoutable Frédé- ric II, ligué avec les Sarrasins, ravageant l'Italie à la tète d'une armée de cent mille hommes, et venant investir Assise et attaquer le couvent de sainte Claire.

» Seigneur, lui dit-elle , Seigneur, n'auriez-vous donc rassemblé tant d'innocentes victimes dans le fond de votre sanctuaire que pour qu'elles devinssent plus facilement la proie de l'impie, qui ne consulte que la brutalité de son ca- ractère et la fougue de ses sens? Ne nous auriez-vous soute- nues jusqu'à ce jour, ne nous auriez-vous comblées de tant de bienfaits , que pour que nous fussions foulées aux pieds, que nous périssions de la manière la plus affreuse et la plus hu- miliante pour des vierges consacrées à votre service ? Non , Seigneur, j'espère en vous, vous ne permettrez pas que des âmes qui ne vivent que pour vous , périssent sous le glaive de ceux qui blasphèment votre saint nom. » Elle dit , et faisant porter devant elle le vase sacré était renfermé le Dieu de l'Eucharistie , elle alla arrêter l'impétuosité de l'orgueilleux vainqueur (1).

Différence des visites qu'on rend à Dieu dans son temple et de celles que se rendent les mondains.

« Mes Sœurs , leur disait-elle, les mondains se visitent par bienséance ; ils se voient sans s'aimer , et quelquefois même sans se connaître ; et nous , nous avons la consolation de vi- siter le Dieu qui nous a créées , qui nous a appelées à son service , qui nous aime tendrement et constamment. Qu'elle

(1) Quelques ailleurs croient que sainte Claire prit entre ses mains le ciboire étaient renfermées des hosties consacrées , et c'est ainsi que la plupart des peintres nous la représentent; mais nous ne voyons rien dans les anciens mo- numents qui puisse autoriser celte conjecture. INous lisons seulement dans Su- rins, n° \-i , les mots suivants : Quce impavide corde, se infirmait.1; ad oslium duci jubet et ante hostesponi, prœcedente eum capsâ argenteâ, intrà ebur in- clusâ , m quâ Sancta Sanctorum devotissimè servabantur, sacratissimum, sciliect, Corpus Christi.

DE SAINTE CLAIRE d' ASSISE. 103

est grande cette différence qui se trouve entre les visites qu'on se rend dans le monde et celles qu'on fait à Dieu aux pieds de ses autels! Dans les sociétés profanes on s'observe, on se cri- tique , on se déchire ; la contrainte y est souvent enveloppée sous les dehors de l'aisance et de la liberié..On y rit sans joie comme sans sujet, et souvent on en sort avec une tristesse profonde, d'autant plus accablante, qu'il faut la dissimuler encore. Devant notre Dieu, au contraire, rien ne nous inquiète et ne nous gêne. Nous savons que nous parlons au meilleur des amis , au plus tendre des pères, et cette pensée nous sou- lage et nous console ; nous lui ouvrons notre cœur sans con- trainte , nous lui exposons nos besoins sans défiance , nous lui racontons notre misère sans embarras et sans confusion ; et dans le temps que nous lui parlons , nous savons qu'il est près de nous , qu'il entend nos plaintes, qu'il s'attendrit sur nos malheurs. Nous ne le quittons jamais sans en retirer quelque avantage ; au sortir de ces entretiens nous nous trouvons plus courageuses et plus fortes ; il nous semble qu'il nous accompagne et qu'il guide lui-même tous nos pas ; il répand une douce joie dans le fond de notre àme ; il nous parait alors tel qu'il est en effet, c'est-à-dire, le meilleur et le plus grand de tous les êtres. »

TESTAMENT DE SA1XTE CLAIRE.

« -J- Au nom du Seigneur. Amen.

Entre tous les bienfaits que nous avons reçus et que nous recevons sans cesse de notre généreux Père et Sauveur , le Dieu des miséricordes , il en est un pour lequel nous devons lui- rendre de plus solennelles et plus vives actions de grâces , je veux dire, pour le bienfait de notre vocation. En effet, elle est grande et glorieuse cette vocation sublime , et plus elle est grande et parfaite , plus aussi nous sommes redevables à Dieu et nous devons la faire tourner à sa gloire.

C'est pourquoi l'apôtre saint Paul nous dit : Connaissez la

lÙi ESPRIT

grandeur de votre vocation ( 1 Cor. 1-26). C'est le Fils de Dieu même qui s'est fait notre voie , et notre bienheureux père François, son vrai amateur et imitateur , nous l'a ensei- gnée et par ses paroles et par ses exemples.

Nous devons donc , mes bien-aimées Sœurs , considérer attentivement les immenses faveurs dont le Seigneur nous a comblées , mais en particulier celle qu'il nous a accordée et qu'il a daigné signaler envers nous par son saint et heureux serviteur François , non-seulement depuis notre conversion , mais encore pendant que nous étions au milieu de la vanité du siècle. Car , tandis que lui-même n'avait encore ni frères ni compagnons, et que peu après sa conversion , visité par la consolation de l'Esprit-Saint et poussé à renoncer à toutes les possessions du siècle, il bâtissait l'église de Saint-Damien, il prophétisa de nous par une irradiation céleste, en disant ( ce que le Seigneur a accompli :) ((.Venez et prêtez-moi votre aide dans la fondation du monastère de Saint-Damien , car ici un jour habiteront des femmes dont la vie sainte et illustre fera glorifier notre Père des deux dans toute l'étendue de sa sainte Eglise universelle. » En cela donc nous pouvons admirer l'abondante charité de Dieu envers nous , qui, dans son infi- nie miséricorde et sa bénignité, a daigné parler par la bouche de son serviteur , touchant notre vocation et élection. Et ce n'est pas de nous seulement que saint François a prophétisé, mais de toutes celles qui doivent venir après nous et qui sont renfermées dans la vocation et l'oracle du Seigneur. Oh , avec quelle sollicitude donc et avec quels efforts d'esprit , de cœur et de corps ne devons-nous pas garder les saintes or- donnances de notre Dieu et de notre Père , afin qu'avec le secours de la miséricorde divine nous puissions lui ren- dre un jour un talent multiplié par une sainte usure ! car le Seigneur ne nous a pas seulement établies pour être, au- près des gens du monde , les modèles, les exemplaires et les miroirs des vertus , mais encore envers les sœurs que le. Sei- gneur a appelées au même état de religion , afin qu'elles-mê-

DE SAIXTE CLÀIHE D' ASSISE. 105

mes, à leur tour, soient au milieu du monde des exemplaires et des miroirs de perfection.

Puisque donc le Seigneur a daigné nous appeler et nous destiner à une si haute vocation que celle d'être nous-mêmes les modèles et les miroirs dans lesquels doivent se regarder et sur lesquels doivent se former celles qui doivent être elles- mêmes les modèles des autres , nous sommes tenues et obli- gées à beaucoup bénir et louer le Seigneur et à nous beau- coup fortifier aussi pour opérer touie sorte de bien en son honneur. C'est pourquoi si nous vivons selon cette règle excellente , nous laisserons un bel exemple de conduite aux autres , et nous acquerrons par un court et faible travail la couronne d'une félicité éternelle.

Après donc que le Père très-haut dans les cieux eut , par l'effet de sa miséricorde et par sa grâce , éclairé et touché mon cœur pour que je fisse pénitence à l'exemple et selon la doctrine de notre père François, et après que je lui eus pro- mis obéissance avec quelques-unes de mes sœurs que le Seigneur m'avait données après ma conversion , afin de me- ner une vie sainte et louable , notre père François , considé- rant que nous étions faibles et fragiles selon la chair, ne nous traita qu'avec sagesse ; cependant nous n'avons point refusé d'adopter et d'aimer les privations, la pauvreté , le travail , la tribulalion, l'obscurité, et de mépriser entièrement le monde. Bien plus , nous avons regardé comme un sujet de délices pour nous , d'imiter l'exemple des Saints et de ses frères , et lui , a bien voulu , après l'avoir examiné devant le Seigneur et s'en réjouissant en sa présence , porté par beaucoup de charité et de compassion envers nous, se charger d'avoir tou- jours , soit par lui-même, soit par ses frères, une tendre solli- citude et un soin pieux pour notre salut. Et ainsi, c'est par la volonté du ciel et celle de notre bienheureux père Fran- çois que nous sommes allées nous fixer à l'église de Saint- Damien , le Seigneur nous a multipliées en si peu de temps , par sa miséricorde , vérifiant ainsi ce que son servi-

106 ESPRIT

teur avait prédit. Car nous nous étions établies, quoique peu de temps , en un autre lieu , et ensuite il nous écrivit la règle que nous devions suivre , et il la fonda principalement sur la vie de pauvreté perpétuelle , et il ne se borna pas à nous exhorter pendant sa vie par beaucoup de discours et d'exem- ples à l'amour et à l'observance de celte.très-sainte pauvreté, mais il nous laissa encore plusieurs écrits à ce sujet , afin qu'après sa mort nous ne nous détournassions nullement de cette bienheureuse vertu de laquelle le Fils de Dieu lui-même, durant toute sa vie dans ce monde , n'a jamais voulu s'écar- ter. Et certes, lui-même notre père François, qui l'avait choi- sie pour sa propre épouse et celle de ses frères pendant toute la vie, cette sainte pauvreté, il ne s'en est jamais écarté, soit en paroles soit en actions.

Considérant donc tout cela, moi, Claire, servante quoique indigne du Christ et de mes pauvres sœurs du monastère de Saint-Damien , et pauvre petit rejeton de notre saint père et de nos autres sœurs, considérant, dis-je , notre haute pro- fession et l'ordre exprès de notre Père ; considérant aussi que nous devons craindre , après notre mort , dans les au- tres la fragilité que nous avons ressentie en nous-mêmes, et surtout après la perte de notre bienheureux Père qui était notre colonne et notre unique consolation après Dieu ; nous nous obligeons tout de nouveau et très-expressément et volon- tairement envers notre sainte reine, la pauvreté, pour qu'a- près notre mort , ni les sœurs présentes, ni les sœurs ave- nir, ne présument jamais de pouvoir s'en écarter. Et comme je me suis toujours étudiée et efforcée moi-même de pratiquer cette pauvreté que j'avais promise à notre père François et de la faire également observer par les autres , et bien plus , que pour en assurer la ponctuelle fidélité, nous avons eu re- cours , par précaution, à notre souverain Pontife Innocent , sous le règne duquel nous avons commencé , plaçant sous sa puissante autorité et sous celle de ses successeurs , la pro- fession de notre sainte pauvreté , nous l'avons supplié hum-

DE SAINTE CLAIRE D' ASSISE. 407

blement de vouloir bien la faire corroborer et conserver par quelques privilèges , afin qu'en aucun temps aucune de nos sœurs n'ose s'en éloigner.

C'est pourquoi , me jetant profondément à deux genoux et inclinant les deux hommes (l'intérieur et l'extérieur), je recommande à la sainte Eglise romaine , au Souverain Pon- tife, et principalement à Son Excellence monseigneur le Car- dinal qui a été député comme protecteur auprès des Frères Mineurs et de vous; je leur recommande, dis-je , toutes mes sœurs présentes et futures, afin qu'on leur fasse toujours ob- server par amour pour ce divin Sauveur Jésus qui, pauvre dans une crèche , pauvre au milieu du monde , pauvre et nu sur la croix, a été le modèle parfait de la pauvreté, et pour l'amour de la pauvreté de la très-sainte Vierge sa mère et de notre père François, cette pauvreté sainte que nous avons promise, et qu'elles se réchauffent toujours, se raniment et se conservent dans cette céleste vertu ; et comme le Seigueur nous a donné notre père François pour notre fondateur, instituteur, direc- teur et soutien de l'ordre au service de Dieu , et qu'il a été toujours vigilant et empressé pour faire croître sa fondation , pour la rendre sainte et permanente, je recommande ainsi mes sœurs actuelles et à venir au successeur de notre bienheureux père François et à tout son Ordre , pour qu'ils nous soient en aide, afin de mieux servir Dieu de plus en plus et de bien ob- server principalement mieux la très-sainte pauvreté.

Que s'il arrivait quelque jour que les susdites sœurs quit- tassent ce lieu pour se transporter ailleurs, elles soient tenues après ma mort d'observer la pauvreté en quelque lieu qu'elles soient ; qu'elles prennent bien garde toutefois , tant celle qui présidéra d'office , que les autres sœurs , qu'on n'achète ni n'accepte point de terre autour de ce lieu , à moins que l'ex- trême nécessité ne l'exige pour cultiver quelques légumes ; que si cependant il était convenable , pour la clôture du mo- nastère ou son éloignement des autres habitations , d'avoir un peu plus de terre au delà de la barrière du jardin , qu'il

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ne soit point permis d'en acheter davantage que ce qui est indispensablement nécessaire , et môme il sera défendu de la labourer , ni de l'ensemencer, car elle doit demeurer vierge et inculte ; c'est pourquoi j'exhorte et j'avertis humblement en Notre-Seigneur Jésus-Christ toutes mes sœurs , présentes et futures , à s'appliquer sans cesse à imiter et à suivre la voie de simplicité, d'humilité et de pauvreté, comme aussi d'a- voir une vie très-réglée et très-sainte , selon que nous en avons été averties dès le commencement de notre institution par notre bienheureux père François. Et puisse le Père des miséricordes et de toute grâce , accorder aux mérites de notre bienheureux fondateur , non aux nôtres , que , soit celles qui sont près , soit celles qui sont loin , toutes nos sœurs soient en odeur de bonne réputation et de sainteté.

Je vous invite aussi à vous aimer tendrement d'une charité toute fraternelle , et de prouver au dehors par les effets l'amour que vous aurez à l'intérieur , afin 'que . provoquées par vos exemples , les autres sœurs croissent toujours de plus en plus en l'amour de Dieu et la mutuelle charité.

Je prie également celle qui sera placée à la tête des sœurs, de s'efforcer à être la supérieure des autres, plus par ses vertus et ses saintes mœurs , que par sa dignité ; afin que ses sœurs ne soient pas seulement portées à lui obéir par devoir , mais plutôt par affection ; qu'elle soit de plus vigilante et discrète touchant ses sœurs , comme l'est une bonne mère envers ses filles, et qu'elle tâche de pourvoir principalement aux besoins de chacune d'elles en tout ce qui nous vient du Seigneur.

Qu'elle soit bonne, bienveillante et assez accessible", pour que chaque sœur puisse aller en toute sécurité lui manifester ses besoins et recourir à elle , à toute heure , avec confiance, selon qu'il lui paraîtra avantageux tant pour elle que pour ses sœurs.

Quant aux autres sœurs inférieures et qui doivent lui être soumises , qu'elles se souviennent qu'elles ont renoncé à leur volonté propre pour l'amour du Seigneur; c'est pour cela que je veux qu'elles obéissent en tout à leur mère , comme elles

DE SAINTE CLAIRE D'ASSISE. 109

l'ont promis à Dieu de leur libre choix et de leur volonté spon- tanée , afin que leur mère voyant leur charité, leur humilité et l'union qui règne entre elles, porte plus légèrement le fardeau que sa charge lui impose , et que ce qui est ordinairement pénible et amer , lui soit , à cause de votre sainte conduite , changé en douceur et consolation. Or , je dois vous dire que la voie qui conduit et par laquelle on entre à la vie est étroite, et le sentier et la porte le sont aussi, et il y en a fort peu qui y marchent et qui y entrent , et s'il y en a quelques-uns qui y cheminent pendant un certain temps , il y en a un très-petit nombre qui y marche avec persévérance. Heureux donc ceux à qui il est donné d'y marcher sans s'arrêter et d'y persévérer jusqu'à la fin ! Prenons donc un grand soin , qu'après y être entrées ety avoir marché, par un effet de notre négligence, par nos fautes ou nos ignorances , nous ne nous en détournions pendant quelque temps , et que nous ne fassions injure , par notre lâcheté, à un aussi grand Dieu que celui que nous ser- vons , et aussi à la sainte Vierge sa mère, à notre bienheu- reux père François et à l'Eglise , soit triomphante , soit mili- tante , car il est écrit : Maudits sont ceux qui se détournent de vos saints commandements ( Ps. 118-24 ).

C'est pou?* cela que je fléchis le genou devant le père de Notre- Seigneur Jésus-Christ et que je supplie par bs mérites et les suffrages de la glorieuse Vierge sa sainte Mère -, de notre bienheureux père François et de tous les Saints , le même Seigneur qui nous a donné un beau commencement, de vouloir nous donner encore l'accroissement et surtout pour toujours la persévérance finale. Amen.

Et afin que cet écrit soit mieux observé , je vous le laisse , mes très-chères et bien-aimées Sœurs, à vous qui êtes présen- tes et à vous qui devez venir, comme une preuve de la béné- diction du Seigneur, de celle de notre bienheureux père Fran- çois et de la bénédiction dernière de votre mère et servante

Claire. »

( Et étendant la main , elle les bénit. )

i 10 NOTE? SUR L'ORDRE DES CLÀMSSES.

NOTES SIR LE SECOND ORDRE DE SA1M-FRANÇ0IS D'ASSISE

OU DES CLARISSES.

Saint François , comme fondateur , a droit , avons-nous dit , à une triple couronne. C'est lui qui établit avec les Frères Mineurs les Cla- risses et le Tiers Ordre qui compta dans la suite tant d'illustres et saints personnages (1).

Ce fui en 121-2 que naquit l'ordre de Sainte-Claire : Saint-Damien fut le premier monastère de cet ordre et comme le chef-lieu de toutes les autres maisons.

Saint François leur traça une règle particulière en 1224. Elle était, empreinte de la haute sagesse de ce saint fondateur. Aussi la réputa- tion de leur sainteté pénétra bientôt si loin, que la tille de Primislaw , roi de Bohème, nommée Agnès , fonda , dès 1234, un couvent de Cla- risses à Prague.

Saint Bonaventure mitigea , plus lard , quelques observances trop dures pour certaines personnes ; et comme sa règle fut approuvée par Urbain IV , elles portèrent le nom , en certain lieux, d'Urbanistes. Ainsi, celles qui furent fondées à Longcbamps, près de Paris, par sainte Isabelle , sœur de saint Louis , portaient le nom d'Urbanistes.

Sainte Colette Boilet introduisit aussi une réforme plus austère dans plusieurs couvents de Clarisses , vers l'an 1 i20 ; et les religieuses de cette réforme furent distinguées par le nom de Pauvres Clarisses.

En 1485, les religieuses de YAve-Maria , de Paris , embrassèrent la reforme de sainte Colette. Il y eut aussi plus tard une fusion entre les Clarisses et les Cpnceptionnistes ou sœurs de l'Immaculée l'.onception , fondées à Tolède eu 1481, par la vénérable Béatrix de Sylva. (Voyez Henrion , t. 2 , llist. des Ord. relig. )

Les Clarisses étaient vêtues d'un habit de couleur noirâtre avec un scapulaire de même et un manteau couleur roussâlre , pour le temps des offices ; un cordon avec cinq nœuds , un voile blanc sur la tète avec un noir par-dessus , des sandales et un chapelet à la ceinture.

C'est dans l'église de Saint-George (pie le corps de sainte Claire fut enseveli avec une grande pompe. Plusieurs miracles s'opérèrent sur son tombeau : dos possédés du démon, des aveugles , des muets fu- rent guéris; des enfants morts furent ressuscites , toutes sortes d'in- lirmilés soulagées , etc. ( Vide Maiiana, lib. 2, cap. 2 ; etWadding, Annules Minorant , t 3 , pag. 307 et suiv. )

Le voile de sainte Claire est conservé en entier au couvent de Flo- rence , et Dieu s'en sert encore pour opérer plusieurs miracles , particu- lièrement en laveur des enfants tombés en léthargie.

(I) Voyez l'introduction h la vie de sainte Elisabeth de Hongrie, par le comte do Mon- talembert. Voyez aussi saint François d'Assise, par M. Emile Chavin. L'Histoire séraphique , Wadding , etc.

ESPRIT

DE

SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO

RELIGIEUSE LU TIERS ORDRE DE-SAINT FRANÇOIS.

NOTICE.

1300.

Ce fut dans la petite ville de Foligno , au duché de Spo- letta , en Umbrie , à peu de distance de la ville d'Assise , pa- trie de saint François, que naquit, en 1:218, de parents nobles et religieux , l'illustre sainte dont nous allons ébau- cher l'histoire. Quoique l'objet des tendres soins de sa famille , la jeune Angèle ne reçut qu'une éducation impar- faite, et qui se ressentait de l'ignorance des temps elle vivait. Elle entra de bonne heure dans l'état de mariage et fut mère de plusieurs enfants. Sa vie , d'après ce qu'elle-même nous en raconte, fut assez orageuse , et ses passions l'avaient entrai-

112 NOTICE

née clans des désordres qu'elle n'avait jamais eu le courage d'avouer au tribunal de Dieu. Cependant, touchée de la grâce, elle se convertit entièrement , et son retour à la vertu fut si sincère et si agréable au Seigneur , qu'elle devint l'objet de ses faveurs les plus signalées.

Dieu , qui la réservait pour de grandes choses , la fit passer par de grandes tribulations. Il voulut montrer en elle quelle est l'économie de sa sagesse pour épurer les âmes et les ad- mettre ensuite aux plus ineffables communications. Comme pour lui ôter tout obstacle , il lui enleva en peu de temps tous les objets les plus chers à son cœur, époux , père , mère et enfants. Dans cet état de désolation , poussée par le mou- vement sensible de la grâce , elle rompit le seul lien qui l'at- tachât à la terre , je veux dire ses richesses , ses biens; elle les vendit , et pour s'en dépouiller complètement , elle en fit la distribution aux pauvres et entra , dénuée de tout , dans le tiers ordre de Saint-François dont elle fut une des princi- pales gloires. Elle ouvrit, par son exemple, cette sainte car- rière à un grand nombre de personnes de son sexe et du sexe différent qu'elle appelait pour cela ses fils et ses filles. On dit que c'est sur le tombeau môme de saint François d'Assise qu'elle voulut prononcer ses vœux , et qu'elle prit ses nou- veaux engagements avec son Dieu.

La vie de sainte Àngèle est la plus propre à faire discerner les merveilleuses opérations de la grâce de Dieu dans les âmes , et à donner la mesure de la prudence et des lumières dont il faut être doué pour les bien diriger dans de sembla- bles positions.

Son ouvrage est un des plus remarquables qui soient sortis des mains d'une femme , surtout à l'époque elle vivait ,

SUR SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 113

et n'ayant reçu aucune culture d'esprit; elle traite les ques- tions les plus ardues de la théologie ascétique avec cette élévation de sentiment et cette profondeur de science jusque- réservées aux docteurs de l'Eglise. Quelque étonnante que paraisse en certains endroits sa doctrine , elle a mérité les suffrages des cardinaux chargés de l'examiner , et a obtenu l'approbation de plusieurs souverains Pontifes. Elle a même acquis tant de droits à l'admiration générale , que le pieux cardinal Bona et le pape Benoit XIY citent, dans leurs écrits, divers passages de l'ouvrage de cette Sainte. Plusieurs pro- fesseurs de théologie regardent son livre comme faisant auto- rité , et reconnaissent les lumières extraordinaires dont il plut au Seigneur de la favoriser (1).

Sainte Àngèle n'écrivit son ouvrage que par l'ordre exprès de son confesseur et en vertu de l'obéissance , car les motifs les plus puissants n'avaient pu l'y déterminer. C'est au R. P. Arnald, de l'ordre des Frères Mineurs, que nous devons celte édifiante production. Sainte Angèle lui dictait tout ce que Dieu avait fait en elle, et , tant étaient sublimes les im- pressions célestes dans son âme, elle se plaignait toujours de l'insuffisance de son secrétaire à rendre toute la beauté et l'énergie de ce qu'elle avait vu ou entendu.

Mais les infirmités nombreuses auxquelles ses austérités l'avaient assujettie lui ayant fait sentir l'approche de son heure dernière , elle s'y prépara et la vit venir avec ce calme et cette sérénité qui est le propre des âmes justes, et le jour de l'octave des Saints Innocents , la veille des nones de jan- vier 1309 , après avoir levé ses mains et ses yeux au ciel , elle s'envola joyeuse vers les demeures éternelles , pour se

(li Préface ilu traducteur , pag. I et 2.

T. Y. 8

1 14 NOTICE SUR SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO.

perdre dans l'abîme de la lumière divine et recevoir la palme de l'immortalité. C'était sous le pontificat de Clément V.

L'ouvrage de sainte Angèle fut dicté et écrit en latin, tel qu'on le parlait alors dans ces contrées de l'Italie. Il fut revu par tout ce que l'ordre séraphique comptait d'hommes émi- nents à cette époque. Cet écrit devint bientôt si célèbre qu'il se répandit partout. Sitôt connu en France , M. Guilhaume Chaudière , imprimeur à Paris , en publia une traduction en 70 chapitres ; nous avons donné la préférence à l'édition de Paris, de 1825, par M. l'abbé P*** , qui porte toutes les preuves désirables d'authenticité.

ESPRIT

DE

SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO,

TIRÉ DE SA D0CTR1HE ET DE SES REVELATIONS.

Comme sainte Angèle elle-même explique la nature et la fin de ses écrits, il serait superflu de donner ici une explication préliminaire ; nous la laissons parler :

CHAPITRE 1er.

« Lorsque je me fus déterminée , dit-elle , à me convertir, je fis de suite les premières démarches. J'entrai donc dans la carrière de la pénitence; mais pour la parcourir , mon âme éprouva diverses situations. Elles furent autant de degrés ou de pas spirituels qu'il me fallut faire avant de connaître le véritable état de ma conscience aux yeux de Dieu.

Ces degrés ou situations sont au nombre de dix-huit. Je vais les décrire successivement et dans l'ordre que je les ai observés. Chacun fera la matière d'un article.

Article premier.

Je commençai d'abord à considérer mes défauts : après un examen plus sérieux que les précédents , je vis mes péchés de plus près et dans un grand détail. La connaissance que j'eus alors de leur nombre et de leur gravité me glaça de

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frayeur ; je craignis extrêmement d'être condamnée aux pei- nes de l'enfer, et cette crainte me fit répandre des larmes amer es.

Art. 2.

La vue de mes péchés me rendit si confuse , et la honte que j'en eus fut si forte , que je n'osai les déclarer tous en confes- sion. Cette fausse honte fut cause que j'approchai souvent de la sainte table avec une conscience criminelle. Accablée de reproches intérieurs , déchirée par les remords de cet état sacrilège , mon âme était affreusement troublée , je ne goû- tais de repos ni nuit ni jour. Pour mettre fin à ce supplice insupportable, je pus m'adresser à un confesseur que j'obtins par l'intercession de saint François. ( Elle raconte cela. ) Je déposai à ses pieds le poids qui m'accablait, je m'accusai complètement , et il me donna l'absolution de mes péchés. Cependant , je n'eus pas dans cette confession des sentiments bien vifs d'amour de Dieu; je ressentis seulement, une dou- leur amère et une grande confusion de mes iniquités.

Art. 3.

Je m'appliquai ensuite de mon mieux à faire ponctuelle- ment ce qui m'avait été imposé pour réparer mes fautes et satisfaire à la justice de Dieu; j'étais habituellement touchée de componction, mais sans aucun sentiment de consolation.

Art. 4.

Cet état de douleur durait encore, lorsque je commençai à considérer la miséricorde divine et l'importance de la grâce que j'avais reçue dans celte confession qui m'avait comme arrachée du gouffre de l'enfer que je savais avoir mérité. Ce rayon de lumière excita dans mon cœur un sentiment de

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tendre reconnaissance qui donna à ma contrition un caractère plus onctueux. Je gémissais ; mais, attendrie, des larmes plus abondantes coulèrent de mes yeux et me portèrent à exercer sur moi des rigueurs que je ne dirai pas en ce moment.

Art. 5.

Dans cette situation de mon âme, je ne voyais en moi que défauts ; je me les reprochais et me condamnais moi-même , parce que je reconnaissais que je méritais des supplices éter- nels : cette pensée me faisait pousser des cris et des hurle- ments lamentables.

Je dois faire observer ici , qu'avant de passer d'un degré à un autre , il s'écoulait un temps plus ou moins long ; mais , dans tous les intervalles , j'étais constamment plongée dans la tristesse, dans la douleur et dans les larmes ; je n'avais d'au- tre consolation que celle qu'on trouve à pleurer.

Art. 0.

Pendant que je marchais dans cette voie d'amertume, je reçus une grâce de lumière qui me fit voir plus clairement et plus parfaitement le nombre et l'énormité de mes fautes. Je vis alors pour la première fois qu'en offensant mon Dieu j'a- vais par outragé toutes ses créatures qu'il avait faites pour mon usage. Toutes ces offenses se retraçaient en détail à ma mémoire. Je m'en confessai de nouveau à Dieu ; j'en compre- nais mieux la malice : atterrée de surprise et d'horreur, je m'adressai à la bienheureuse Marie et à tous les Saints pour qu'ils s'intéressassent en ma faveur et m'obtinssent la miséri- corde.

Je m'adressai ensuite à toutes les créatures , sachant que je les avais offensées en péchant contre Dieu ; je les suppliai toutes de ne pas me dénoncer et de ne pas m' accuser en s'élevant contre moi devant son tribunal redoutable.

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Il me semblait que les Saints et même les créatures inani- mées étaient sensibles à mes peines , qu'elles avaient comme pitié de moi ; et dès ce moment il me fut donné un vif senti- ment d'amour qui m'enflamma et me porta à adresser à mon Dieu de plus ardentes et ferventes prières que je n'avais fait jusqu'alors.

Art. 7.

Je reçus une grâce spéciale qui me portait à jeter les yeux sur la croix : je regardai d'esprit et de corps Jésus-Christ mort pour nous après avoir été crucifié ; mais cette considé- ration était encore insipide, quoique, en contemplant la croix , j'éprouvasse une vive douleur.

Art. 8.

Tant que je demeurai dans cette huitième situation , la vue de la croix me pénétrait d'une claire persuasion que Jésus- Christ y avait expiré pour nos péchés : alors le souvenir de mes fautes fut accompagné d'une très-grande douleur , parce que je vis plus clairement que j'avais contribué à son doulou- reux supplice; mais je ne comprenais pas encore toute la grandeur du bienfait que renferme la passion de Notre-Sei- gneur; que c'était à ce grand mystère que j'étais redevable de mon retour vers Dieu et de la bonté qui m'avait reçue à pénitence ; que Jésus-Christ , en mourant pour moi , m'avait mérité toutes ces insignes faveurs. Je ne compris pas alors toutes ces vérités aussi bien que je les compris dans la suite. Néanmoins, dans cette occasion, le peu de connaissance que j'eus du mystère de la croix fut suivi d'une ardeur si grande d'amour et de componction, qu'étant prosternée au pied d'une croix, je pris la résolution de me départir entièrement de ce que je possédais , et je m'offris tout entière à celui qui s'était dépouillé même de la vie pour l'amour de moi.

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Ce fut dans cette même circonstance que je lui fis , quoi- que avec quelque crainte, le vœu de chasteté. Je m'engageai à veiller sur moi de manière à ne jamais l'offenser par aucun sens de mon corps , reprochant en détail à tous mes membres d'avoir autrefois servi à la violation de ses préceptes. Je le priai de m' aider de sa grâce pour que je pusse observer fidè- lement tout ce que je venais de promettre ; parce que , d'une part, je craignais de m'engager trop imprudemment, tandis que d'une autre j'étais si fortement pressée de promettre, qu'il me semblait impossible de me refuser d'en faire le vœu.

Art. 9.

Après avoir émis mon vœu de chasteté , je me sentis ani- mée du désir de chercher le véritable chemin de la croix , non de cette croix matérielle et visible qu'on trouve partout, mais de cette croix mystérieuse je pusse , comme devraient faire tous les pécheurs, trouver un refuge assuré contre les enne- mis du salut et les rigueurs de la justice divine ; ce désir fut accompagné d'une autre grâce qui m' éclaira , m'instruisit, et me montra le chemin que je souhaitais de trouver : ce fut de la manière que je vais raconter : Il me fut dit intérieurement, que si je voulais avoir mon désir satisfait, je devais me dé- pouiller entièrement pour être plus dégagée et plus agile dans ma course.

Pour cela , je devais commencer à pardonner de bon cœur à tous ceux dont j'avais à me plaindre; après quoi, je devais me détacher de tout ce qui est terrestre comme de tous les hommes , des femmes, des amis, des parents , de toutes mes propriétés et de moi-même , afin que mon cœur ainsi délié de toute affection aux choses créées, pût être donné à Jésus-Christ de qui j'avais reçu tous ces biens, et que je pusse marcher après lui dans une voie toute semée d'épines et de tribulations.

Dès ce moment , je cessai d'user de mes robes et vêtements les plus précieux, ainsi que des ornements ou ajustements

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plus somptueux dont je parais ma tête ; je m'abstins des mets les plus délicats que l'on servait à ma table : ce chan- gement de toilette me faisait rougir quelquefois , et je le trou- vais pénible, surtout vivant encore avec mon mari , qui en prit souvent occasion, ainsi que plusieurs autres personnes , de m'en railler et de m'en faire confusion ; cependant, grâces à Dieu , je supportais tout cela avec assez de patience. Pour ne pas sans doute exposer plus longtemps ma faiblesse à la tentation de se relâcher, Dieu voulut m'enlever d'abord ma mère , qui était pour moi un grand obstacle aux progrès que j'avais résolu de faire dans les voies de Dieu ; peu de temps après , survint la mort de mon mari et celle de tous mes en- fants. Tant de pertes, faites presque en même temps, m'af- fligèrent bien un peu ; mais comme j'avais résolu de marcher dans la voie de la croix , et comme j'avais prié mon Dieu de rompre lui-même les liens qui s'opposaient à ses desseins sur moi , toutes ces morts furent une preuve que le Seigneur m'avait exaucée et devinrent par ce motif un grand sujet de consolation : j'espérai, après cela, que puisque le Seigneur m'avait fait cette grâce , je ne trouverais plus d'obstacle qui empêchât mon cœur et ma volonté d'être à lui , ni qui s'op- posât à ce qu'il fût à moi.

Art. 10.

Je demandai à mon Sauveur qu'il me fit voir comment je devais faire pour être plus agréable à ses yeux : sa bonté le porta à se rendre plusieurs fois visible, soit pendant la nuit, soit pendant le jour. Durant ces diverses apparitions je le voyais toujours sur la croix , il m'engageait à regarder ses plaies , et alors il me faisait comprendre qu'il les avait toutes souffertes pour l'amour de moi ; il me les montrait l'une après l'autre, et me disait avec un air admirablement affable : Que peux-tu [aire pour moi qui ait quelque proportion avec ce que j'ai souffert ?

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Art. 11.

La connaissance plus distincte que j'avais de mes fautes passées, m'émut plus fortement et me détermina à pratiquer de plus grandes austérités que je ne dois pas décrire ici : j'en méditais encore d'autres , mais je me sentais arrêtée par la raison que ma pénitence ne serait pas ce qu'elle devait être , tant que je tiendrais par un lien quelconque aux choses du siècle. Je délibérai donc , et après mure réflexion je formai le dessein de tout quitter afin d'arriver plus sûrement à cette voie de crucifiement parfait, ainsi que j'en avais précédemment reçu l'inspiration. Cette résolution fut pour moi une grâce ad- mirable qui me fut donnée de la manière que je vais l'exposer. Je fus combattue pendant longtemps par des réflexions et des motifs opposés ; d'un côté , j'avais un grand désir de devenir pauvre, et très-souvent j'étais agitée par la crainte de mourir avant d'être parvenue à une complète pauvreté ; d'un autre côté , j'étais retenue par la considération qu'étant en- core jeune , si je me défaisais de tous mes biens , je courrais le danger d'être obligée de mendier pour vivre , et j'aurais eu une grande honte de me trouver dans cette nécessité.

Il me venait même dans l'esprit que dans cette situation je me verrais réduite , je préférerais peut-être mourir de faim , de froid , de nudité ; et que si je faisais part de mon dessein à qui que ce fût, tous ceux à qui je le confierais me détourneraient de le suivre.

Dans cette perplexité , le Seigneur vint à mon secours ; il fit jaillir dans mon âme indécise un rayon de lumière, qui imprima à ma volonté une force de détermination impertur- bable que je ne crains pas de voir jamais s'affaiblir ; je me sentis tellement résolue, que quand même j'eusse été assurée de mourir de faim , de froid ou de confusion , rien ne m'au- rait empêchée de me dépouiller de tout ce que je possédais encore ; pour cela il me suffisait de penser que ce genre de

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mort serait selon le bon plaisir de Dieu , et quand même j'aurais été convaincue que ma mort serait la suite de mon dépouillement, je l'aurais subie sans peine, parce que je savais qu'elle serait conforme à sa divine volonté ; aussi dès ce moment je fus irrévocablement déterminée à exécuter mon premier dessein.

Art. 12.

Je m'adressai ensuite à la Sainte Vierge , mère de Dieu , et à saint Jean FEvangéliste , afin qu'en considération de la douleur que l'un et l'autre éprouvèrent , lorsqu'ils furent té- moins de la mort de Jésus-Christ , ils m'obtinssent la grâce de ne pas perdre de vue le grand mystère de la Passion.

Art. 13.

Je persistai quelque temps dans cette demande avec un grand désir de la voir accomplie, lorsque je vis en songe le sacré cœur de Jésus-Christ ; j'entendis en même temps une voix qui me disait : Dans ce cœur il n'y a rien de faux , tout ce qu'il renferme est vérité; je compris que cette vision m'était donnée pour me reprocher la témérité que j'avais précédem- ment commise en me moquant de ce qu'un prédicateur avait dit en chaire sur le mystère du sacré cœur de Jésus.

Art. 14.

Pour exaucer plus complètement ma prière , Jésus-Christ se manifesta à moi , pendant que j'étais parfaitement éveillée ; et cette vision fut plus claire que les précédentes. Il se fit con- naître plus intimement à mon esprit, puis il m'appela par mon nom et m'invita à m'approcher de sa personne, et à por- ter ma bouche sur le côté qui avait été ouvert par un coup de lance. Je m'approchai en effet ; il me parut que je suçais son sang comme s'il sortait réellement par cette plaie , et je com-

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pris que c'était par la vertu de ce sang que mon âme était lavée de ses souillures ; dès cet instant , je commençai à sentir les douceurs de la consolation , quoique j'éprouvasse en même temps un sentiment de tristesse inséparable de la considéra- tion douloureuse que je ne perdais pas de vue. Je priai alors mon Sauveur de m' accorder la grâce de répandre tout mon sang pour lui, comme il avait répandu tout le sien pour moi ; dans ce moment , j'aurais souhaité que tous mes membres fussent déchirés et qu'une mort humiliante et plus atroce que celle de Jésus-Christ en eût été la suite.

Je désirais de trouver quelqu'un qui voulût me tuer à l'ins- tant même , pourvu qu'il l'eût fait pour l'amour de Jésus , c'est-à-dire en témoignage de ma foi.

Mais je sentais en même temps que j'étais indigne d'une mort aussi glorieuse que celle qui n'est réservée qu'aux mar- tyrs. Néanmoins , je croyais pouvoir soupirer après une fin tellement misérable et cruelle , que pour tant d'essor que je donnasse à mon esprit , je n'en pouvais imaginer aucune qui pût satisfaire complètement le désir que j'éprouvais ; car je la voulais douloureuse et sanglante , mais tout à fait différente de celle des martyrs.

Art. 15.

Pour obtenir ce que je désirais si ardemment, j'insistai dans ma demande , en m'adressant sans relâche à la bienheu- reuse Marie et au Disciple bien-aimé. Je leur rappelai la dou- leur qu'ils durent éprouver comme témoins de la passion et des souffrances de Jésus-Christ , et les suppliai de me faire accorder la faveur de sentir sans interruption les souffrances de Notre-Seigneur, ou du moins de partager la leur. En effet, dans cette circonstance saint Jean me communiqua cette souffrance à un degré si violent , que je n'en ai jamais enduré de semblable ; et je puis dire à cette occasion , que la douleur qu'éprouva ce digne Apôtre en voyant ce que Jésus-Christ et

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sa sainte Mère souffrirent sur le calvaire , surpasse de beau- coup tout ce qu'ont pu souffrir les martyrs; aussi, depuis l'épreuve que j'en fis , je ne crains pas d'assurer que saint Jean fut plus que martyr.

Ce fut à la suite de cette grande souffrance que je pris la parfaite résolution de me dépouiller de toutes mes propriétés, malgré toutes les tentations violentes de ne pas le faire qui me furent suscitées par le démon, et malgré les avis contraires que je recevais, soit des religieux Franciscains , soit de toutes les autres personnes auxquelles je devais recourir pour me conduire selon leurs avis. L'impulsion qui me portait à tout abandonner était si forte et si puissante qu'il m'eût été impos- sible d'y résister; il s'agissait alors de vendre tous mes biens et d'en distribuer le produit aux pauvres ; et si cette vente ne pouvait s'effectuer dans le moment , je devais du moins m'en exproprier moi-même complètement. Il ne m'était pas permis de me réserver la moindre chose , sans offenser gravement celui qui exigeait de moi un entier sacrifice. Cependant , l'a- mertume que je ressentais par le souvenir de mes péchés m'empêchait de savoir si mes dispositions et ma conduite étaient ou non agréables h Dieu ; dans cette incertitude , je m'écriais néanmoins avec un certain calme : Seigneur, je me crois réprouvée de vous pour l'éternité; quoi qu'il en soit, je ferai toujours pénitence, je me départirai de tout ce que je possède, et je vous servirai pendant tout le reste de ma vie.

Dans cette situation , mon âme , accablée d'amertume par la douleur que j'avais de mes péchés , privée de tout sen- timent qui pût adoucir mes peines , je passai de cet état dans un autre de la manière que je vais raconter.

Art. 1G.

Consternée et presque abattue , j'allai h l'église ; je priai le Seigneur qu'il eût pitié de moi : je récitai l'Oraison domi-

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nicale. A peine eus-je prononcé ces mots : Notre Père , que Dieu me parut graver dans mon cœur tous les mots dont se compose cette divine prière. Je vis si clairement toute la ma- gnificence de la bonté de cet excellent père, et toute la bas- sesse de son indigne fille , que je ne saurais l'exprimer. Cha- que mot m'était ensuite développé et expliqué avec tant d'onction, que j'insistai longtemps pour passer de l'un à l'autre ; je les prononçai avec une componction si affectueuse, que , quoique je pleurasse beaucoup à cause de mes péchés et de mes ingratitudes , j'y trouvais en même temps une grande consolation. Ce fut dans cette circonstance que je commençai à goûter cette douceur divine que le Seigneur ré- pand dans les âmes, parce que dans cette prière dominicale , j'eus une plus grande connaissance de la bonté de Dieu , que je n'en avais conçu de toutes les autres manières. Dans le temps même je suis , je sens que plus je la récite , et plus cette connaissance s'étend et s'augmente.

Cependant, comme dans le cours de cette prière , mes péchés me sont aussi rappelés , je commençai pour lors à en concevoir une si grande confusion , que je n'osais regarder ni le ciel , ni le crucifix , ni toute autre chose. Je m'adressai à la sainte Vierge pour la supplier de m'en obtenir la rémis- sion. La douleur déchirante que j'en éprouvais depuis quel- que temps durait encore.

0 pécheurs ! plus l'âme a de l'ardeur pour marcher dans la voie de la pénitence , plus elle trouve des obstacles qui deviennent comme des entraves qui l'empêchent d'avancer. Ces entraves lui sont suscitées par trois ennemis acharnés à sa perte , le démon, le monde et la chair.

Je dois vous prévenir que pour faire les pas que j'ai décrits, il m'a fallu un certain temps ; que pour arriver de l'un à l'autre , j'ai mis des intervalles plus ou moins grands ; qu'il m'a fallu attendre la grâce nécessaire pour changer ces diver- ses situations , et que , sans cette grâce , il m'eût été impos- sible d'en changer de moi-même.

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Art. 17.

Après tout ce que je viens de dire, il me fut accordé , par l'entremise de la sainte Vierge , une foi d'un autre genre que celle que j'avais eue jusque-là. Celle-ci me paraissait morte en la comparant à celle que je recevais dans ce moment. Les larmes que j'avais précédemment répandues me semblaient arrachées de force et comme malgré moi; celles que je ré- pandis ensuite , en considérant la passion et les souffrances de Notre-Seigneur et celles de sa sainte Mère , eurent bien plus d'efficacité. Dès ce moment, tout ce que je faisais pour lui, quelque grand et héroïque qu'il fût, me sembla petit et méprisable. Je ressentis un plus grand attrait pour la péni- tence; à cette occasion , je concentrai mon cœur et toutes ses affections dans la passion de Jésus-Christ , et je conçus l'es- poir que par elle je serais délivrée de mes péchés. Pour lors , je reçus quelques consolations ; pendant les nuits , j'a- vais des songes agréables et encourageants. Les consolations de la nuit s'étendirent au temps je veillais. J'éprouvai des douleurs dans l'âme qui se communiquaient ensuite au corps.

Mais comme les faveurs divines que je recevais presque continuellement, soit la nuit, soit le jour, étaient mêlées d'incertitude sur mon état , ma peine ne se dissipait pas en- tièrement : mon repos n'était pas parfait, et je désirais que Dieu me donnât quelque autre chose.

Art. 18.

Ma demande ne tarda pas à être satisfaite. Je commençai à éprouver quelque sentiment de la présence de Dieu ; j'y trou- vai tant de satisfaction , que je ne me souvenais pas même de prendre la nourriture ; j'aurais voulu être dispensée de man- ger , pour avoir plus de temps d'être en oraison. J'étais même portée à me priver de tous mes repas, pour jouir plus am-

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plement du plaisir que je ressentais à m'entretenir avec mon Dieu , ou du moins de les réduire ou de les abréger beau- coup; mais je fus bientôt avisée que c'était une illusion dé- placée.

L'ardeur de l'amour que je sentais pour Dieu dans ces moments , était si grande, que je ne me trouvais point fati- guée pour tant de temps que je demeurasse à genoux , ni des rigueurs ou des austérités que je pratiquais.

Après cela , le feu de la charité qui m'embrasait , vint à un point que tout mon corps en était violemment affecté. Je grinçais des dents par suite des mouvements convulsifs que je ne pouvais empêcher ni contenir. Us étaient au point que , quand même on m'eût menacée avec une hache levée sur moi, pour me trancher la tète , si je ne restais sans mouvement , je me serais laissée décapiter, tant j'étais peu maîtresse de les empêcher.

Cet accident singulier eut lieu pour la première fois à l'épo- que où je venais de vendre mon jardin , pour en donner la valeur aux pauvres. C'était la meilleure et la plus précieuse pièce de mon bien. Je m'étais précédemment permis de railler quelqu'un qui était sujet à ces grincements ; dans la suite, il m'eût été impossible d'y trouver un sujet de dérision. Car , toutes les fois que j'entendais parler de Dieu , que ce fût , en quelque compagnie que je me trouvasse , on ne manquait pas de s'apercevoir de mes mouvements , et le bruit que fai- saient mes dents était facilement entendu ; on m'en faisait des reproches , en me disant combien c'était déplacé ; je ne pou- vais répondre autre chose sinon que j'étais faible ; je ne pou- vais m'excuser auprès de ceux qui, s'en apercevant, crovaient que ces grincements étaient affectés ; Dieu sait qu'ils ne dé- pendaient pas de moi , et je n'en retirais qu'une grande con- fusion.

Lorsque je voyais quelque tableau ou quelque image de la Passion de Jésus-Christ, la vue de cet objet faisait sur moi tant d'impression que je ne pouvais me soutenir sur mes

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jambes ; la fièvre me saisissait , je pâlissais et je tombais malade. C'est pour cela que ma compagne avait l'attention de faire cacher ou enlever les tableaux , images ou représenta- tions de ces objets sacrés , dont la vue produisait sur moi des effets aussi extraordinaires.

Pendant tout le temps que durèrent ces accidents , je reçus plusieurs connaissances ; j'éprouvai des consolations et des sentiments divers , accompagnés de différentes visions dont j'aurai occasion de parler dans la suite, »

CHAPITRE II,

Des diverses tentations que sainte Angèle éprouva et de ce qu'elle eut à souffrir dans le corps et dans l'âme à leur occasion.

(Ce chapitre, un des plus importants à cause des détails qu'il contient , mérite la plus grande attention de la part de ceux qui se trouvent dans quelques-unes des situations spiri- tuelles qui y sont décrites et de la part de ceux qui les diri- gent. )

Article premier.

« Afin que la sublimité des nombreuses révélations que j'avais reçues , ne fût pas pour moi une occasion d'orgueil , et que la complaisance que j'aurais pu y trouver ne m'enflât pas le cœur , Dieu trouva à propos d'accorder à un certain nom- bre de mes ennemis le pouvoir de me tourmenter de plu- sieurs manières ; ils se coalisèrent pour torturer mon corps et mon âme. Les souffrances dont ils affligèrent mon corps sont si multipliées et si variées , qu'il me serait impossible d'en dire le nombre.

En effet , je n'ai aucun membre qui n'ait été maltraité cruellement; je ne passe pas de jour sans éprouver quelque souffrance. Aussi je suis habituellement faible et languissante;

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il faut que je sois toujours couchée. Je n'ai aucune partie de mon corps qui ne soit meurtrie, conluse et tuméfiée par suite des coups dont les démons m'ont frappée; et je suis si accablée de douleurs , qu'à peine ai-je la force de me remuer. Cepen- dant je sens un malaise insupportable de demeurer étendue sur un grabat : tout cela est cause que je ne puis prendre la nourriture dont j'aurais besoin pour me restaurer.

Art. '2.

Mais toutes ces douleurs corporelles ne sont presque rien en comparaison des tourments dont les démons affligent mon âme. Pour en donner une faible idée , représentez-vous une personne suspendue par le moyen d'un lacet au cou , dont on aurait bandé les yeux , lié les mains par derrière, et à qui on aurait ôté tout ce qu'elle pourrait atteindre avec ses pieds ; dans cette situation , ne pouvant voir ni appeler personne à son secours, elle ne saurait trouver aucun appui pour adou- cir tant soit peu ses angoisses , et souffrirait longtemps des douleurs horribles avant de pouvoir mourir. De môme , ma pauvre âme, dans l'état affreux les démons l'ont réduite , n'a ni lumière pour voir à qui s'adresser , ni voix pour invo- quer quelqu'un qui veuille ou qui puisse lui donner le moin- dre soulagement. Dans elle-même elle ne trouve aucun objet qui puisse servir de motif de soumission et de patience ; sa foi , son espérance sont anéanties ; elle a vu disparaître toutes les vertus qui l'aidaient à supporter ses précédentes tribula- tions ; et quand cette âme voit toutes ses vertus s'évanouir sans qu'elle puisse y apporter aucun empêchement , celte vue la transporte d'indignation et de colère contre elle-même ; cette colère est si impétueuse , qu'à grand'peine elle peut se contenir pour ne pas meurtrir et déchirer son corps. Il arrive même quelquefois que cette colère va jusqu'à la fureur; alors tous mes efforts sont vains , et je ne puis m'empêcher de frapper rudement , tantôt sur la tête, tantôt sur les autres t. v. 9

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membres ; dans cet état de désolation , je me répands en cris et en hurlements épouvantables que je pousse vers Dieu.

Aht. 3.

Dans ces occasions , j'éprouve encore une autre espèce de tourment : c'est de voir que mes anciens vices ou mauvais penchants , dont je me croyais exempte pour toujours, re- viennent et reprennent en moi une nouvelle vie. A la vérité , cette nouvelle vie n'est pas assez longue pour entraîner entiè- rement ma raison ; mais elle l'est assez pour me causer une très-grande peine. Il y a plus , c'est qu'à ces passions que je croyais déjà mortes et que je sens ressusciter, viennent s'en joindre d'autres que je n'avais jamais ressenties auparavant. Je sens que ces passions vivent en moi , qu'elles s'y soutien- nent et s'enflamment en me tourmentant progressivement. » ( Ici sainte Angèle raconte comment elle est à la merci d'une troupe de démons qui s'acharnent à exciter en elle toute es- pèce d'horreurs ; ils emploient tout ce que leur nature angé- lique leur donne de puissance pour réveiller en elle toute sorte de passions impures. Nous ne croyons pas devoir les rappor- ter. ) Elle ajoute :

« Quand je suis dans cet état de ténèbres, j'y souffre tant, que , pour en sortir , je consentirais volontiers à être brûlée toute vive : j'appelle la mort , je crie à Dieu pour qu'il me fasse mourir , n'importe de quelle manière.

Et je lui dis dans le fort de mon accablement : Seigneur, puisque vous avez décrété ma réprobation, hâtez-vous de me la faire subir. Pourquoi différer plus longtemps ? Ordon- nez de suite, et précipitez-moi sans délai au fond de l'enfer.

C'est après cette imprécation que je m'aperçois que tout ce désordre est l'œuvre des démons. Je vois que tout ce que j"éprouve n'est nullement le produit de ma volonté. Les vices qui me désolent ne sont ni provoqués ni approuvés par elle, mais je souffre horriblement dans tout mon corps , et ces

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douleurs sont si aiguës et si pénétrantes , que pour peu qu'elles durassent il ne pourrait vivre.

Malgré tout cela, l'àme voit qu'elle ne donne aucun con- sentement à rien de ce qui la sollicite. Quoique toute faculté de résistance lui soit ôtée quant au sentiment, il n'en est pas moins vrai devant Dieu, qu'elle ne succombe à rien qui l'of- fense. A la vérité , elle croit que tout ce qu'elle éprouve peut lui être imputé; comme elle ne sent aucune opposition aux penchants qui l'entraînent , elle se persuade qu'elle les suit , qu'elle s'y abandonne , et comme elle voit en même temps qu'ils la portent à ce que la loi de Dieu lui défend, elle se croit criminelle, et cette croyance, quoique sans fondement, l'abîme , la désole , et cause son plus grand tourment.

Art. 4.

Il semble impossible de pouvoir rien ajouter à cet ensem- ble de tribulations et de souffrances ; mais non , il est une passion vicieuse, dont je n'avais de ma vie éprouvé la plus légère atteinte , et Dieu permet que j'en sois assaillie. Oui , c'est par une permission expresse de sa volonté que cette passion l'emporte par sa hideuse laideur sur toutes les autres. Mais je dois dire , que quand je suis en butte à ses sollicita- tions , Dieu a l'attention de m'armer , pour me défendre , d'une vigueur et d'une force de vertu qui m'en fait triompher. Je suis si convaincue que c'est Dieu même qui m'assiste et m'encourage , que , quand même je n'aurais pour croire en lui , ni les Prophètes , ni la loi écrite , ni son Église , ma foi n'en serait ni moins parfaite , ni moins sûre , par cela seul que j'éprouve de grâce auxiliatrice de sa présence.

Mais, ajoute-t-elle, l'ennemi dont je parle est si horrible et le vice auquel il me provoque si abominable , que j'aurais honte de m'expliquer davantage sur ce sujet.... J'ai vécu dans cet état pendant deux ans...

1 32 ESPRIT

Art. 5.

Ce n'est pas tout ; j'ai à soutenir une autre espèce de com- bat qui aggrave toutes mes autres souffrances. Je lutte à la fois et contre un orgueil insensé et contre une fausse humi- lité. Cette dernière me montre , à mes propres yeux , déchue de toute sorte de bien , dépouillée de toute grâce et de toute vertu. Je vois la multitude de mes péchés et de mes défauts ijui m'empêchent même de recourir à Dieu ; je ne puis me figurer qu'il ait le moindre dessein de miséricorde sur moi , au contraire, je me regarde comme un vrai repaire de dé- mons , leur instrument aveugle dont ils se servent comme d'un jouet. Je me regarde comme fille du démon, ne trou- vant dans moi ni droiture , ni bonne foi ; pleine d'erreur et de mensonge , la place que je crois mériter d'occuper est la dernière au fond de l'enfer. Oh ! que cette humilité est bien éloignée de celle que je me faisais jadis tant de plaisir de consulter et de suivre. Sans doute , elle ne me dissimulait point mon indignité et ma misère , mais elle ne me la mon- trait que pour m'en relever et me porter à une plus grande connaissance de l'infinie bonté de mon Dieu ; mais celle qui m'obsède aujourd'hui , n'aboutit qu'à me pousser vers toute espèce de mal. Si elle me fait entrer en moi-même, c'est pour me montrer que je suis assiégée de tous côtés par une armée de démons. Elle ne me laisse entrevoir ni faculté, ni grâce ; ne voyant que des défauts dans l'àme et dans le corps , j'en suis si frappée , si offusquée , que la pensée de Dieu ne trouve plus de place dans mon esprit , il ne m'est pas permis d'en avoir le plus léger souvenir : je me regarde comme irré- vocablement réprouvée , et cette perspective ne me donne aucune inquiétude ; tout mon chagrin est de voir que je me suis attiré ma condamnation en offensant un Dieu auquel , pour tous les biens et pour tous les maux de ce monde , je voudrais n'avoir jamais déplu.

DE SAINTE ANGÈLE DE F0L1GN0. 133

C'est pourquoi , en considérant mon état , je me débats avec tous les membres de mon corps , contre mes passions et contre mes péchés , comme si en combattant ainsi, j'espérais de les vaincre et de les effacer ; je suis toute hors d'haleine, je cherche vainement un passage pour m'échapper de cette épouvantable situation ; j'ai beau faire , je ne trouve pas la moindre issue, ne pouvant me procurer, par tant d'efforts , le moindre soulagement ; ne voyant d'aucune part , ni se- cours , ni ressource, je retombe sur moi-même , et je n'ai de force que pour mesurer la profondeur de l'abîme dans lequel je me vois descendue ; dans cet abaissement déplorable , il me semble que je trouverais quelque satisfaction si je pouvais manifester publiquement mes iniquités , mes faussetés et tous les péchés qui en ont été la suite ; mais je ne vois aucun moyen d'effectuer cette manifestation.

Si la chose était possible, je me déterminerais , ce semble , à courir toute nue dans les villes et les campagnes , en disant à ceux qui se trouveraient sur mes pas : Je suis cette femme vile et méprisable , pleine de vices et de dissimulation , qui n'a semé partout que des forfaits et des scandales ; car il faut que vous le sachiez , le bien que je faisais en apparence , n'avait pour but que les louanges humaines. (Ensuite elle s'accuse de divers actes d'hypocrisie et de dissimulation.) «Je paraissais , dit-elle , au dehors une fille de recueillement et de prière , je n'étais qu'une orgueilleuse, une trompeuse digne de tout le courroux du ciel ; je me parais de tout ce qui peut faire croire que le Seigneur était avec moi et qu'il me com- blait de ses faveurs spirituelles , et je n'avais de rapport ou de conversation qu'avec l'ange de ténèbres ; toute ma vie je me suis étudiée à passer pour une sainte : la vérité est que , par mes dissimulations et sous le masque impie dont je me suis couverte, j'ai été pour beaucoup de monde une occasion de chute et de la perle de plusieurs âmes ainsi que de la mienne. »

134 ESPRIT

Art. 6.

Dans cet article , sainte Angèlc se livre encore à toutes les déclarations les plus humiliantes ; elle s'adresse à ses enfants spirituels, pour qu'ils n'aient plus de confiance en elle; elle les prie de demander à Dieu qu'il la brise comme étant une idole mal à propos revêtue des livrées de la vertu et de la sainteté , puis elle s'écrie : « Si vous ne l'obtenez pas de sa justice , quoique je n'ose prononcer son nom , j'aurai la har- diesse de m'adresser à lui pour lui dire que s'il ne juge pas à propos de me dévoiler lui-même et de proclamer mon insup- portable hypocrisie, qu'il ordonne à la terre d'ouvrir sous mes pieds ses abîmes , qu'elle m'y engloutisse vivante , afin que mon châtiment soit une leçon salutaire pour celles qui seraient tentées de suivre mes exemples. Que tous les hommes et les femmes , témoins de ma fin désastreuse, disent de con- cert : Ah ! comme elle était faussement parée de l'or de la vertu ! comme elle était dissimulée et masquée hypocrite- ment, soit au dedans soit au dehors ! » Elle continue ces sor- tes d'imprécations contre elle-même qu'une profonde humi- lité pouvait seule imaginer , et termine ainsi cet article : « Voilà ce que j'ai été forcée de dire , poussée par cette hu- milité qui m'accable et me met dans cet état d'abaissement et de désolation dans lequel je suis précipitée, quoique ce que j'en ai dit , n'exprime pas , à beaucoup près , ce que je vou- drais en dire. »

Art. 7.

« Mais, hélas ! à peine suis-je sortie du combat que vient de me livrer l'humilité la plus désespérante , que celui delà superbe ou de l'orgueil commence ; je sens que mon carac- tère habituel se bouleverse ; je deviens colère , emportée , triste et d'une humeur câpre pour tout ce qui m'environne; par un renversement qui m'étonne , les biens même que j'ai

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 135

reçus de Dieu sont pour moi un sujet de dépit et d'amertume : si je les rappelle dans mon esprit, ce n'est ni pour adoucir mon humeur , ni pour en modérer les saillies ; j'en prends occasion de me répandre en injures et en emportements.

Je suis courroucée de voir qu'il n'y eut jamais en moi de véritable vertu ni aucune qualité franchement bonne. Ne pouvant me rendre raison des motifs que Dieu peut avoir pour permettre qu'il en ait été ainsi, je me sens toute bouffie d'orgueil , de colère , de tristesse et d'amertume. Cette espèce de tentation me donne un malaise bien pénible, parce que tout ce que je croyais avoir de bon en moi m'est entièrement caché , et que toute perception de vertu et d'honnêteté m'est complètement dérobée.

Tant que cette situation existe , je me sens si inaccessible à toute consolation , que quand même tous les docteurs de la terre et tous les Saints du ciel se réuniraient pour me cal- mer et me consoler , ils n'auraient aucun empire sur mon esprit ; je ne pourrais avoir la moindre confiance à rien de ce qu'ils pourraient me dire ; je n'en pourrais pas croire à Dieu lui-même, à moins qu'il n'eût la bonté de changer cette situation de mon âme. Au contraire , tout ce que les hommes, les Anges , Dieu lui-même, me diraient dans cet état, n'abou- tirait qu'à aggraver mes peines et augmenter mes tourments. Aussi , pour les faire cesser, je consentirais promptement à souffrir à la fois toutes les douleurs , toutes les infirmités et tous les maux que peuvent avoir endurés tous les hommes ensemble; il me semblerait encore que tout cet assemblage de peines serait plus léger et moins pénible que celles que j'en- dure. De est venu que j'ai assuré plusieurs fois que si le choix m'était accordé , je préférerais le martyre le plus cruel et le plus douloureux qu'on puisse imaginer, m'estimant heu- reuse de me délivrer ainsi de celui que je trouve si terrible et si insupportable.

J'ai demeuré un peu plus de deux ans dans l'état que je viens de raconter.

i30 ESPRIT

Actuellement que cette grande tempête est calmée , je re- connais qu'elle a singulièrement contribué à purifier et per- fectionner mon âme. En résultat , je suis redevable à la fausse humilité et aux tentations de l'orgueil , de m'avoir in- troduite dans le sentier étroit de l'humilité véritable , sans laquelle il est impossible de se sauver. Cette vertu s'accroît à mesure que l'âme se purifie par la tribulation ; je dois donc convenir que dans l'intervalle de celles que m'ont fait éprou- ver d'un côté l'humilité fausse et de l'autre l'orgueil diaboli- que, la purification de mon âme s'est opérée merveilleuse- ment par cette double action qui est un véritable martyre spirituel.

En effet , la connaissance plus intime et plus détaillée , quoique fortement exagérée , que le démon donne à l'âme de ses défauts , de ses vices et des péchés qui en ont été la suite , en les lui montrant de plus près , lui en inspire une plus grande aversion ; la volonté s'en éloigne et s'en départ absolument , et c'est ainsi que l'orgueil et les démons sont expulsés.

C'est pourquoi , plus l'âme est affligée , humiliée et dé- pouillée par la tribulation , plus elle se trouve dégagée et nettoyée de tout ce qui s'opposait à son avancement et à son élévation aux yeux de Dieu ; car il est arrêté dans les desseins éternels , que l'âme n'a d'autre moyen ni d'autre manière d'obtenir la véritable gloire qui lui est destinée , qu'en pro- portion qu'elle sera abaissée et que son humilité aura poussé de plus profondes racines. »

CHAPITRE III,

Des dix visions consolantes que sainte Angèle reçut de Dieu.

« Béni soit Dieu , le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous console dans toutes nos tribulations ! Car sa bonté a daigné compatir à toutes mes afflictions pour les soulager.

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGXO. 137

Après l'époque que j'ai décrite dans le dix-huitième article du chapitre premier, et après cette vive lumière que je reçus en récitant l'Oraison dominicale, ainsi que je l'ai rapporté en son lieu , Dieu m'accorda une grande grâce qui répandit dans mon âme un baume suave de très-douce consolation. Voici comment cela se passa :

Je fus inspirée et en même temps attirée intérieurement à considérer l'union de la nature divine avec la nature humaine dans la personne du Fils de Dieu. Cette considération fut accompagnée et suivie d'un sentiment si délicieux et si agréa- ble , que je n'en ai jamais éprouvé de semblable; ce que je vis et ce que je sentis était si délectable et si ravissant , que je passai tout le jour debout à le contempler; j'étais seule dans ma cellule dont la porte était fermée sur moi ; mon cœur était si plein de joie que je me sentis tomber en défaillance. Au bruit que je fis peut-être en me laissant aller sur le car- reau , ma compagne arriva ; me trouvant étendue par terre sans mouvement et sans parole , elle crut que j'allais mourir, elle fit tout ce que la charité lui suggéra pour me rappeler à la vie ; mais tout ce qu'elle faisait m'était à charge, il me pa- raissait plus agréable de demeurer dans cet état.

Un autre jour, étant encore en ce même état de jouissance, et lorsque je m'occupais de me défaire de toutes mes pro- priétés dont il me restait encore quelque chose à vendre et à donner aux pauvres , j'étais en oraison , c'était dans un mo- ment où le sentiment de la présence de Dieu semblait être ralenti; j'en étais attristée et j'adressai à Notre-Seigneur ces paroles : « Ce que je fais , ô mon Dieu , je ne l'ai entrepris que pour vous plaire; sans doute que vous ne serez pleine- ment satisfait, que lorsque je serai complètement dépouillée de tout. Yoici ce qu'il me répondit : Que désirez-vous ? Je ne veux, lui dis-je, ni or, ni argent, et quand vous me donne- riez tout l'univers , je ne serais pas satisfaite ; c'est vous , ô mon Dieu , que je veux posséder.

A cela , Dieu ajouta : Faites toutes vos diligences, et hâtez-

138 ESPRIT

vous , parce que aussitôt que vous aurez terminé ce que vous avez déjà avancé , la sainte Trinité viendra dans vous. Il ajouta d'autres promesses magnifiques , qui dissipèrent toutes mes peines ; après cela il se retira, mais en me lais- sant remplie d'une divine allégresse; je ne l'étais pas moins de la douce confiance qu'il accomplirait tout ce qu'il venait de me promettre. »

Elle rapporte ensuite comment en allant et en retournant d'Assise, et après plusieurs prières à saint François, le Saint- Esprit lui apparut et conversa avec elle ; entre autre choses, il lui disait ces mots : a Ma fille ! objet de ma douceur; ma fille . mon temple et ma demeure; ma fille , mes plus chères délices , aimez-moi , parce que vous m'êtes chère et que je vous aime beaucoup plus que je n'en suis aimé. »

« Il se plaignait ensuite avec moi , continue-t-elle, de ce que dans ce temps-là, il y avait si peu de Saints et de Saintes , de ce que la foi était bien petite , et il ajoutait : J'ai un amour si grand pour les âmes qui m'aiment avec sincérité , que s'il y en avait une seule qui m'aimât parfaitement , je lui ferais des grâces plus grandes encore que celles que j'ai faites à tant de Saints dont l'histoire raconte les faveurs extraordi- naires que dans le temps ils reçurent de moi.

Or , il n'y a personne qui puisse s'excuser de manquer d'amour pour moi , puisqu'il n'y en a aucune qui ne puisse aimer Dieu ; il ne demande autre chose sinon que l'âme cher- che aie connaître et à l'aimer, parce que Dieu aime sincère- ment et très-véritablement et qu'il s'appelle Vautour de l'âme. ( Ces paroles sont pleines d'un grand sens. )

Pour me prouver que Dieu est vraiment l'amour de l'âme, il me donna une raison bien démonstrative ; il la lira de l'in- carnation de Jésus-Christ et de la mort qu'il a subie pour nous. Le contraste de l'immensité de Dieu avec les dimen- sions si étroites du corps humain, la gloire inhérente à sa per- sonne avec les humiliations de la croix , me frappèrent vive- ment ; je fus encore plus affectée lorsqu'il en prit occasion

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 139

de me développer les diverses circonstances de sa Passion , disant à ce sujet : Voyez s'il y a en moi autre chose qu'a- mour ! Mon âme comprit alors cette ineffable vérité : Dieu n'est qu'amour.

Il renouvela cette fois les plaintes qu'il m'avait déjà faites sur le petit nombre d'âmes dignes de recevoir sa grâce. Il me réitéra ses précédentes promesses en disant : Je ferai en vous de grandes choses , en présence de plusieurs témoins : c'est par que l'on me reconnaîtra et que je serai béni et glorifié , et mon nom sera loué et renommé dans plusieurs contrées de la terre.

Toute étonnée d'entendre de pareilles paroles , je rentrai en moi je remarquai tant de défauts et de péchés ; à cette vue , je me trouvais indigne d'aussi sublimes faveurs ; con- fuse , humiliée , je craignais de me faire illusion , et pour la dissiper et m'en assurer , mon âme dit à celui qui me par- lait ainsi : Si vous étiez le Saint-Esprit , vous n'auriez garde de me parler ainsi , parce que je suis tout autre qu'il me faudrait être pour m'appliquer les paroles que je viens d'en- tendre ; je suis si faible et si fragile que je pourrais bien succomber à la vaine gloire que votre discours peut m'ins- pirer.

Il eut la bonté de me répondre : Voyez et essayez si vous pouvez concevoir , de ce que je viens de vous dire , le plus léger sentiment qui gonfle votre orgueil : essayez, et voyez s'il vous est possible de penser à autre chose qu'à ce que je vous dis. J'essayai en effet et je fis quelque effort pour exciter en moi la vaine gloire afin de m'assurer si c'était ou non l'es- prit de vérité qui venait de me parler ; je fis plus , pour faire cesser cet entretien , je tâchai de me distraire et de me ré- pandre au dehors. » Elle poursuit encore le cours de cette vision et de cet entretien qu'il serait trop long de rapporter.

« A peine se fut-il dérobé à ma vue , que je tombai sur mon séant : je poussai des cris et des gémissements ; trem- blante de tous mes membres et grinçant bruyamment les

i 40 ESPRIT

dents sans pouvoir me contenir , je ne proférais que ces mots : 0 amour ! je ne vous avais pas connu, et au moment oit, je commence à vous connaître , vous vous retirez de moi! Je n'avais pas la faculté de dire autre chose , et comme je pro- nonçais ces mots en frémissant et en criant , et comme d'ail- leurs ma voix était toute embarrassée par les convulsions de la poitrine et de la bouche , je ne pouvais ni articuler ni faire entendre ce que je disais.... Après cette crise, je me remis en chemin pour m'en retourner à Foligno. Je marchai avec un grand calme d'esprit , m'entretenant avec mes compagnes des choses de Dieu ; ma grande peine était de ne pas en par- ler. Mais , crainte de quelque nouvel accident , je faisais effort pour garder un parfait silence , à cause des gens qui faisaient route avec moi.

Dans cet intervalle j'entendis la voix de Jésus-Christ me disant : Voici le signe auquel vous reconnaîtrez que c'est moi qui vous parle et qui vous ai parlé. Je vous donne la croix et l'amour de Dieu en vous : ce signe ne vous quittera jamais.

Aussitôt j'éprouvai un sentiment profond de la croix ; il remplissait mon âme au point de refluer singulièrement sur le corps par les sensations qu'en ressentaient tous mes orga- nes ; ces sensations se rabattaient sur l'âme qui paraissait se fondre en amour de Dieu.

Dans cet état , je criais à Dieu : Seigneur , ayez pitié de moi , ne permettez pas que je vive plus longtemps dans ce monde.

Après cette prière , je fus comme embaumée par la fra- grance et le parfum de mille odeurs les plus suaves. Il n'y a pas de terme dans notre langue qui puisse exprimer ce que l'odorat de l'âme et du corps éprouva par les sensations agréables excitées par ces odeurs.

Je dirai seulement que j'ai entendu souvent la voix dont je viens de rapporter quelques paroles ; que ces mômes acci- dents , accompagnés toujours des mêmes jouissances , ont

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 14-1

été depuis plus ou moins fréquents ; mais je dois ajouter qu'ils n'ont été ni si prolongés , ni si profondément sentis que ce- lui que j'eus dans les circonstances que je viens de décrire.

Après mon retour de la ville d'Assise et pendant les huit jours de cette faiblesse extrême qui me réduisait habituelle- ment à demeurer couchée, il arriva que ma compagne, douée d'une pureté admirable , entendit une voix qui lui dit : Le Saint-Esprit est en ce moment dans la cellule. Elle vint de suite me trouver , et me sollicita pour que je lui disse ce qui se passait en moi , parce qu'elle avait reçu l'ordre de venir s'en informer. Je lui répondis : Je me rends à l'ordre qui vous a été donné, et, en conséquence , je lui racontai confideinment une partie de mes secrets. »

Seconde vision consolante.

a J'étais un jour en oraison , lorsque étant tout à coup ravie en esprit, j'entendis des paroles extrêmement douces et agréables ; je voulus regarder du côté d'où venait la voix , et je vis Dieu qui me parlait.

Si vous me demandez ce que je vis pour lors, je ne pourrai dire autre chose , sinon que j'ai vu Dieu lui-même. En le con- sidérant, j'ai contemplé quelque chose de grand , de brillant par sa clarté , dont je me sentais toute remplie : je n'en sais pas dire davantage , parce que je ne connais rien à quoi je puisse le comparer pour s'en former une idée. Il n'avait rien de corporel , c'était Dieu tel qu'il est dans le ciel , c'est-à- dire une beauté qu'on ne peut définir , une beauté qui les renferme toutes : tous les Saints étaient au-devant de cette incomparable majesté , à laquelle ils adressaient des louanges continuelles. J'estime que cette vision ne fut pas de longue durée; mais j'entendis Dieu qui me disait : Ma fille très-ai- mante, ma douceur et ma joie, tous les Saints vous portent un amour spécial , ma Mère fait de même ; viendra le temps vous leur serez associée. Quoique cette déclaration fût

i 42 ESPRIT

bien glorieuse pour moi , je n'eu fus pourtant pas très-affec- tée; tous mes sentiments étaient pour Dieu, de telle sorte que je ne faisais guère d'attention , ni aux Anges, ni aux Saints ; je ne m'occupais que de la magnifique beauté de Dieu et de sa majesté que je voyais être la source de tout bien et le cen- tre de tout ce qui est beau.

J'étais si pénétrée , si affectée de ce grand objet, que ni les Saints , ni les Anges, ni aucune créature ne saurait me distraire ni détourner mes regards. Durant cette vision, Dieu me disait en me le montrant : L'amour que j'ai pour vous est immense ; mais je ne vous en fais voir qu'une petite partie , je tiens caché le reste. Alors mon âme enhardie se permettait celte représentation : Pourquoi autant d'amour pour une si vile créature , et quel plaisir pouvez-vous trouver d'être dans moi qui ai passé toute ma vie à vous offenser et à vous dé- plaire ? Mon amour , répondit-il , est si grand que j'oublie toutes vos fautes ; et quoiqu'elles soient toutes devant mes yeux , elles ne sauraient empêcher que je mette en vous mes complaisances , et que je vous regarde comme mon trésor. Je sentis si vivement la vérité de ces paroles , que je n'en eus plus le moindre doute. La conviction j'étais que Dieu me regardait en m' aimant, et que je voyais moi-même cet amour dans les yeux de Dieu , me remplit d'une si grande joie , et je me sentis si agréablement délectée que je défierais les Saints du paradis de l'exprimer.

Je dois ajouter que lorsque Dieu me dit qu'il me cachait une partie de son amour , parce que , s'il me le montrait dans son entier, je ne pourrais y tenir, je lui avais fait observer que puisqu'il était tout-puissant, il pourrait me rendre assez forte pour porter tout son amour ; il m'avait répondu : Si je faisais dans ce moment ce que vous voudriez, vous auriez tout ce que vous pourriez désirer sur la terre , et vous n'as- pireriez pas plus haut; vous n'auriez plus ni faim ni soif du bonheur que je vous destine ; je ne veux donc pas remplir votre désir pendant votre vie mortelle , je veux au contraire

DE SAINTE AN'GÈLE DE FOLIGNO. 143

que votre désir s'enflamme davantage , et vous fasse languir de me voir enfin dans tout l'éclat de ma gloire. j>

Ne pouvant nous engager à citer toutes les visions, nous nous bornons aux plus importantes.

Septième \ ision consolante.

« Dans une autre circonstance , je me sentis transportée en une région beaucoup plus élevée qu'à l'ordinaire. je vis Dieu de plus près et d'une manière plus parfaite qu'aupara- vant ; et quoique je le considérasse dans une clarté ravis- sante , je n'aperçus cependant pas cette vertu divine dont le Seigneur prend lui-même la dénomination; ce qui m'étonne, c'est que pendant cette vision , je fus moi-même comme dé- pouillée de charité , j'étais non amour ( expression de l'auteur dans le texte latin).

Mais bientôt après , cette brillante lumière se couvrit d'une espèce de nuage qui me fit voir cet objet si beau et si émi- nemment bon , qu'il n'est pas possible d'en voir ni d'en ima- giner de meilleur : grâces à cette obscurité qui en relevait la beauté, ma foi acquit la certitude de l'évidence, mon espé- rance devint imperturbable, et ma sécurité devint si ferme et si constante , qu'il ne me resta plus de vestige, ni de doute , ni de crainte ; je me sentais si assurée que ce que je voyais à travers ce nuage était mon Dieu , qu'il m'était impossible de me former la moindre suspicion d'être trompée dans ma croyance. C'est ainsi et de cette manière que Dieu se mani- feste fréquemment à mon âme; il m'est impossible d'expri- mer , encore moins de comprendre , ce que je sens à la vue de ce souverain bien ainsi voilé. » La suite de cette vision n'est que l'extension de ce qui précède.

Les autres trois visions renferment d'autres manières mer- veilleuses dont Dieu s'est servi pour se manifester à elle, ainsi que la Trinité tout entière et Jésus-Christ dans l'auguste sacrement de l'Eucharistie.

144 ESPRIT

Viennent ensuite les sept principales visions qui lui furent accordées pendant qu'elle méditait sur la Passion de Notre- Seigneur Jésus-Christ; mais elles ne rapportent pas autre chose que ce que le récit des Evangélistes nous apprend : elle s'étend seulement sur ce qu'elle éprouvait à la pensée ou à la vue de si horribles tourments; sur ce que Jésus-Christ lui disait intérieurement, touchant l'expiation des péchés, de toutes nos facultés par les siennes et sur une marque d'a- mour que Jésus-Christ lui donna, lorsqu'un jour elle le regardait des yeux du corps attaché à la croix , elle le vit , embrassant son àme , avec un de ses bras , qu'il détachait du gibet.

Des sepl visions consolantes qu'eut sainte Angèle , touchant le Saint Sacrement de l'Eucharistie.

Nous ne croyons point nécessaire de rapporter les premiè- res visions , parce qu'à notre avis ce qu'elles contiennent in- téresserait peu nos lecteurs ; mais voici en entier la sixième et la septième.

Sixième vision.

« Une autre fois je vis dans l'hostie consacrée Notre-Sei- gneur sous la figure d'un enfant, mais cet enfant était déjà d'une assez grande taille : il avait un air d'autorité et de ma- jesté , comme s'il était déjà roi ; il avait dans sa main quel- que chose que je ne pus bien discerner , cela ressemblait à un sceptre; je vis tout cela des yeux du corps ; tous ceux qui étaient présents étaient prosternés , j'étais la seule qui ne me prosternai pas ; je n'étais occupée dans ce moment qu'à con- sidérer l'air de noblesse , de grandeur et de beauté que j'avais tant de plaisir de trouver dans cet enfant; j'aurais voulu le contempler encore longtemps , et je fus mortifiée que le prê- tre le remit si tôt sur l'autel.

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 145

Cette vision me remplit de joie et de l'assurance que ce que je voyais était réel ; l'impression que j'en ressentis ne s'effacera jamais de ma mémoire: j'en fus si absorbée que je ne fis pas même attention de lui demander son assistance et sa protection; j'étais si émerveillée de sa beauté que je ne sus rien dire. »

Septième visiou.

« Une autre fois j'eus aussi , pendant la messe , un sembla- ble ravissement ; j'en profilai pour dire à Dieu : Seigneur , vous êtes certainement dans le saint Sacrement de l'autel; mais dites-moi sont vos amis fidèles? Alors il ouvrit les yeux de mon intelligence en me disant : Partout je suis, mes amis y sont aussi avec moi ; je compris réellement cette vérité-là ; je me vis moi-même partout Dieu était , non que je sois dans l'intérieur ou au dedans de Dieu , mais cette manière d'être avec lui est toute hors de Dieu , car Dieu est le seul qui soit partout et qui renferme tout.

Jésus-Christ s'est souvent montré à mon âme dans le divin Sacrement , mais dans des formes différentes ; quelquefois je l'ai vu sous une forme resplendissante de lumière et de clarté qui rejaillissait d'une partie spéciale de son corps, et celte splendeur était si brillante , que celle du soleil à midi du jour le plus serein ne peut lui être comparée , et partout il se montre , je puis assurer qu'il surpasse par son éclat tout celui du soleil , et ma peine à ce sujet est de ne pouvoir le faire entendre comme je le voudrais. D'autres fois, j'ai vu dans la sainte hostie deux yeux très-brillants et très-gros , et ces yeux occupaient tellement toute la figure, qu'on n'y aperce- vait que les deux yeux et la bouche : sous quelque forme qu'il m'apparaisse , je suis toujours comblée de joie et de délices, et quoique chacune produise une satisfaction si différente d'une autre qu'elles ne peuvent être comparées entre elles , il reste que les sentiments qu'elles me procurent ne s'efface- t. v. 10

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ront jamais, comme jamais on ne trouvera ni termes, ni figu- res qui puissent les faire comprendre. »

Des deux visions pendant lestiucllcs la sainte Vierge Marie apparut à sainte Augèle.

« Un autre jour, me reposant après mon dîner , mon esprit n'étant nullement occupé d'oraison , je me trouvai tout à coup transportée intérieurement , et je vis la bienheureuse vierge Marie dans sa gloire.

Cette reine du ciel était environnée d'une splendeur et d'une majesté éclatante , analogue au rang qu'elle y occupe. Elle priait le Tout-puissant en faveur du genre humain , et le zèle ardent qu'elle exprimait pour le bonheur de tous les hommes était si touchant , si éloquent d'amour et d'affection, que j'en éprouvai une satisfaction inexprimable. En ce mo- ment Jésus-Christ se montra dans toute la gloire qui est l'apa- nage de son humanité sainte : il était aussi près de sa divine Mère ; quoiqu'en le voyant je me rappelasse que cette même chair dont il était revêtu avait été dans le temps méprisée, déchirée, ensanglantée et crucifiée, je n'en ressentais pas cependant la moindre peine; au contraire, j'en ressentis une très-vive joie. Transportée de plaisir et d'allégresse, je per- dis la parole et je me crus mourante , &c, &c. »

Dans la seconde vision qui arriva le jour de la Purification, elle rapporte, qu'assistant à l'office, à Foligno , au moment elle entendit ces paroles : C'est l'heure à laquelle la Vierge Marie alla dans le Temple arec son Fils, elle vit Notre-Dame entrant dans l'église avec Jésus entre ses bras, laquelle lui adressa ces paroles : 0 la bien aimante ! recréez mon fils que vous aimez sincèrement : et elle le lui mit de ses bras dans les siens.

Le chapitre vu contient quatre autres visions touchant les enfants spirituels qu'elle devait former-, mais elles n'entrent nullement dans le plan de cet ouvrage. Passons aux inslruc-

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tions quelle reçut de Dieu au milieu de ses diverses tribula- tions.

Dieu lui révéla que c'est parle chemin des tribulations que que les élus arriveront jusqu'à lui. Que ceux qu'il traite d'une manière plus spécialement distinguée , s'appliquent à con- naître cet aimable Sauveur , se forment à la pauvreté volon- taire, courent au-devant des humiliations, soupirent après les souffrances. C'est à ceux-là que Dieu envoie plus de con- tradictions et de tribulations. « Mais Dieu, dit-elle, je l'af- firme avec assurance , ne manque jamais d'adoucir par les opérations divines les rigueurs des persécutions dont il afflige ici-bas ses élus. » Elle ajoute qu'elle en a fait elle-même sou- vent l'expérience; elle en cite quelques exemples tirés de ses diverses maladies, et en donne des preuves par les assurances que Jésus-Christ a daigné lui donner.

Inslruclious et lumières concernant l'état des âmes dans les voies du salut.

« J'étais, dit-elle, un jour en oraison dans ma cellule; voici les instructions que j'y reçus; il me fut dit : Ceux que le Seigneur daigne , par une grâce spéciale , instruire et éclai- rer pour leur faire connaître la voie par laquelle il veut les attirer à lui , et qui , sourds à sa voix , ou détournant leur esprit des vérités qu'il leur montre intérieurement, suivent une autre route, et par mènent une conduite différente de celle que leur conscience leur dicte, attirent de grandes ma- lédictions du Tout-puissant. Cette doctrine m'a été souvent répétée ; et comme j'étais consternée à cette pensée , il me fut proposé un exemple en forme de parabole. C'est l'exemple d'un père qui élève un fils , qui fait pour lui les plus grands sacrifices et qui s'en voit ensuite méprisé , maltraité , &c.

Dans un entretien postérieur , continue-t-elle , je reçus une autre instruction dans laquelle il me fut dit, et c'était Dieu qui parlait : Il est une classe d'hommes qui ne me connais- sent qu'à cause des biens temporels que je leur ai départis :

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la connaissance qu'ils ont de moi est bien imparfaite. Il en est d'autres qui à cette connaissance ajoutent celle qu'ils ont ac- quise par le sentiment de ma bonté infinie dont ils ont éprouvé les effets intérieurement : ceux-ci me connaissent beaucoup mieux que les premiers.

Dans un troisième entretien , j'entendis la voix de Dieu qui disait hautement : Oh qu'ils sont grands ! qu'ils sont grands! non les simples lecteurs de mes saintes Ecritures , mais ceux qui en font la règle et le fondement de leur conduite ! A cette occasion il me redisait que toute l'Ecriture sainte a été accomplie dans la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Une autre fois , étant en prière et demandant à Dieu qu'il m'instruisit et me dît ce qu'il voulait que je fisse pour lui plaire , étant toute prête à lui obéir , après avoir vu et en- tendu ce qu'il me serait impossible d'exprimer , je vis un abîme immense. Dans cet abîme , Dieu me montra ce qu'il est, quels sont ceux qui vivent en lui et ceux qui sont privés de cette vie , et ma vision finit par ces paroles : En vérité , je vous le dis, il n'y a de voie droite que celle que j'ai moi- même tracée par mes exemples : là, il riy a aucune illusion à redouter. Cet oracle, ajoute-t-elle, m'a été répété plu- sieurs fois ; je l'ai entendu très-clairement et très-distincte- ment. »

Doctrine et instructions Je sainte Angèle concernant les moyens de connaître avec certitude la venue de Dieu dans l'Ame.

<i II faut, avant tout, savoir que souvent Dieu vient dans une àme sans qu'elle l'ait appelé ni par désirs ni par prières; quand il y vient ainsi, il y répand une chaleur, un amour, une suavité extraordinaires. La joie et la délectation que l'âme éprouve , l'autorise bien à croire que c'est Dieu lui- même qui produit ces sentiments, mais elle n'en est pas plei- nement assurée : d'autres fois, quoique l'âme ne voie pas Dieu dans elle , la grâce qu'il y opère est si sensible et si agréable,

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qu'elle estime que ce qu'elle sent ne peut venir que de sa présence ; néanmoins , elle n'en a pas une entière certitude. Un autre moyen qui lui persuade que Dieu est venu , c'est lorsqu'elle entend une voix qui lui adresse des paroles très- agréables parla douceur de celui qui les prononce; cepen- dant il reste encore un peu de doute.

Mais la preuve indubitable de la certitude de la venue de Dieu dans l'âme , c'est lorsqu'elle a de sa présence un senti- ment plus vif que de coutume ; c'est lorsque l'amour de Dieu et la faveur qui l'accompagne redoublent et augmentent au point qu'elle n'est plus occupée ni d'elle-même ni de son corps.

Toutefois, une des marques les plus convaincantes de la ré- sidence du Tout-puissant dans une âme, c'est lorsqu'il donne à la volonté bumaine une conformité parfaite avec la volonté de Dieu.

Outre cela , le Très-haut a quelquefois la bonté de se ren- dre visible , non sous une forme corporelle et palpable , mais sous une autre figure spirituelle; dans ce cas, l'âme voit Dieu plus évidemment et plus clairement que l'homme mor- tel ne voit des yeux du corps son semblable. Cette manière de voir lui donne un sentiment de jouissance et de plaisir inénarrable. Cette vue l'absorbe tout entière; elle ne peut ni voir , ni regarder , ni affectionner d'autre objet que cette im- mense plénitude qui s'est offerte à ses regards et dont elle se sent entièrement remplie. Il est bien encore plusieurs autres moyens de s'assurer que Dieu est certainement dans l'âme; je me bornerai à en assigner deux principaux :

Le premier est une onction qui se répand d'abord dans l'âme et qui la change si subitement et si entièrement, que rien au monde ne pourrait ni l'affecter , ni la toucher, ni l'affliger. Cette onction agit aussi sur le corps; elle rend ses membres et tous ses sens si dociles et si obéissants , qu'ils sont en tout à l'unisson de la volonté. Tant que cette onction dure , l'âme voit avec évidence que Dieu est dans elle et qu'il

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la possède complètement. Elle l'entend , elle l'écoute et n'a pas le moindre doute de la réalité de sa présence.

La seconde marque consiste en de sortes d'embrassements délicieux que Dieu accorde à l'àme ; douceurs ineffables , amour ardent , qui l'enflamment , la transportent de ferveur et de joie ; et de cette flamme sort une lumière qui lui fait voir cette immense bonté de Jésus-Christ : éclairée par elle, elle en comprend encore plus qu'elle n'en éprouve.

D'autres fois Dieu apporte dans l'àme un torrent de joie si parfaite , qu'elle ne saurait en contenir de plus grande; si elle durait, ce serait un vrai paradis. Cette allégresse se re- foule sur tout le corps ; toute injure , tout mauvais traitement qu'on pourrait éprouver alors serait regardé comme rien. L'effet que cet état de l'àme produit sur le corps ne peut être déguisé ni dissimulé. »

Comment l'âme reçoit la visite du Seigneur qui veut y résider spirituellement.

« Les moyens que je viens d'indiquer sont tous propres à faire connaître que Dieu est réellement dans l'àme; mais nous n'avons pas encore parlé de la manière dont cette âme reçoit cet hôte magnifique. Tout ce que nous avons dit n'est rien auprès de ce qu'il faudrait dire concernant ce qui se passe lorsque l'on sent et qu'on est assuré que Dieu est venu pour y établir sa demeure. Alors l'âme a une si grande et si intime connaissance de la bonté infinie de Dieu , que lors- qu'elle revient à elle-même , comme je l'ai éprouvé , elle ne peut rien dire qui soit en proportion de ce qu'elle a connu et senti. »

Elle assure qu'il est impossible de parler dignement de tels effets, que c'est pour cela que rien n'a été écrit jusqu'à ce jour qui soit même une légère ébauche du vaste sujet que présente à l'âme l'infinie bonté du Seigneur; puis elle ajoute :

a Aussi , lorsque l'âme exerce cette précieuse hospitalité

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envers cet hôte qui la rassure , la console et l'éclairé , elle fait jaillir sur son corps l'éclat, la noblesse et la joie dont elle est remplie. Le corps participe à la joie de l'esprit , quoi- qu'il un moindre degré. Alors la raison reprend tout son em- pire ; elle parle à l'âme et celle-ci au corps et à ses sens , et elle leur tient en quelque sorte ce langage : Je viens d'éprou- ver combien sont délicieux les biens que je t'ai procurés

Aussitôt le corps se soumet à l'âme et les sens s'empressent d'obéir à la raison , parce qu'ils participent au bonheur de l'esprit. »

De plusieurs sortes d'illusions auxquelles sont exposées les personnes même les plus spirituelles.

« Les personnes pieuses sont en général exposées à tomber dans quelques erreurs ou illusions spirituelles. L'une des plus communes et des plus dangereuses est celle qui provient d'un amour qui n'est pas purement pour Dieu , et dans lequel se trouve un alliage plus ou moins considérable de l'ainour- propre ou de sa propre volonté. Voici à quels symptômes on doit le reconnaître : L'amour de soi-même , dont j'entends parler ici , est naturellement mêlé d'amour mondain. L'opi- nion flatteuse de ceux qui nous regardent , les éloges que ces observateurs donnent à notre piété extérieure, animent et enflamment alors notre dévotion. La ferveur sensible s'accroît par les louanges que cette dévotion attire , les larmes coulent avec plus d'abondance , et on s'estime pour cela plus avancé en vertu. Mais les sentiments , les affections , ainsi que les frémissements corporels qui en sont la suite , sont aussi im- purs devant Dieu que la source d'où ils dérivent. Rien de tout cela ne vient du fond du cœur, ils sont tous du ressort des sens. La preuve en est, qu'aussitôt que les impressions ces- sent , elles ne laissent aucune trace dans l'âme qui les oublie aisément , ou bien , comme cela arrive souvent , elles ne lais- sent dans le cœur qu'une certaine amertume.

i 52 EsriuT

Il y a un autre genre de déception, à laquelle sont expo- sées les personnes spirituelles ; c'est celui-ci : Une àme se croit privilégiée de Dieu , elle sent dans elle les dons de la grâce , et s'adonne à toutes les bonnes œuvres que cette grâce lui inspire ; mais elle aime à en parler, à en entretenir ses amis. Or , comme elle présume beaucoup de ses disposi- tions , elle passe la mesure de la discrétion , et le Seigneur la laisse dans l'illusion , afin que quand viendra le temps de la découvrir , elle apprenne à mieux connaître et son Dieu et elle-même.

Une autre espèce d'illusion , est lorsqu'une personne dé- vote , aimant Dieu purement du fond du cœur , remplissant tous ses devoirs, a résolu de ne plus chercher les suffrages des créatures pour se dévouer uniquement à Jésus-Christ , mais par une vanité secrète , s'attribue à elle-même ce qui ne vient que de Dieu ; et ne voit pas assez ses imperfections et ses besoins véritables ; c'est alors que Dieu permet qu'elle tombe dans quelque faute, pour lui faire connaître sa misère et l'infinie bonté de Dieu.

Mais le plus sûr moyen ( ajoute-t-elle dans le chapitre suivant) de soustraire l'âme à toute espèce d'illusion, est lu pauvreté d'esprit. C'est ainsi que Dieu lui-même me l'a déclaré dans une instruction par laquelle il me l'a recom- mandée, comme étant le meilleur guide et le maître le plus infaillible de la vérité : cette vérité est traitée de folie par les impies et les mondains ; mais les vrais sages la regardent tout autrement , car celui qui a la vraie pauvreté d'esprit , ne peut tomber dans l'erreur.

Or , le principal fruit de la vertu de pauvreté , lorsqu'elle est bien enracinée dans une âme , est que toutes les actions qu'elle fait produire sont aussi exemptes de vaine gloire que de tout respect humain. »

En parlant du ravissement de l'âme au-dessus des sens , ou de l'extase, elle dit que l'âme, dans cet état, nage sur une mer de vérités augustes et d'illustrations merveilleuses qui

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lui font comprendre les mystères que Jésus-Christ a révélés dans l'Évangile : les passages les plus obscurs de l'Écriture sainte , les motifs secrets de la conduite de Dieu, &c, sont mis en évidence par ces clartés qui inondent l'intelligence humaine... Une faveur aussi sublime dépend uniquement de la suprême volonté de Dieu ; pour la départir , il ne s'est assujetti à aucune règle ni à aucune mesure ; il s'empare de l'âme lorsqu'elle s'y attend le moins , et l'élève ainsi jusqu'à lui. »

Sainte Angèle exhorte ensuite a l'étude de la connaissance de Dieu et de soi-même. Elle dit que cette connaissance est le moyen de supporter en repos l'exil de cette vie pendant la- quelle l'âme est comme dans une prison.

Elle ajoute que toute vision , toute révélation , toute con- templation ne sert de rien sans cette connaissance de Dieu et de soi-même ; elle en inculque mille fois la nécessité , en fait distinguer les qualités , et parle ainsi de ses effets :

« Cette connaissance porte l'âme à l'aimer , à cause des amabilités attrayantes qu'elle y découvre à mesure qu'elle le considère et l'approfondit ; en l'aimant , l'âme désire ardem- ment de s'y attacher et de le posséder, et une fois qu'elle en est venue à ce point , ce Dieu d'amour et de bonté s'approche d'elle, s'y unit , y réside, et lui fait sentir par sa présence des douceurs qu'il lui réserve dans la possession qu'il lui prépare de toute sa félicité.

Dans cet état, le cœur s'enflamme à proportion que la connaissance s'étend , l'âme s'élève et se transporte vers l'ob- jet de son amour ; elle s'y attache , s'y colle en quelque sorte par des embrassements ineffables , et ce Dieu d'amour , qui par sa lumière , excite et redouble ses transports, la pénètre, la remplit , l'inonde de délicieuses affections qui font du Dieu qni aime l'âme dont il se voit aimé , un seul cœur, une même âme , un seul objet qui jouit ici-bas , par anticipation , du bonheur céleste...

Tels sont , dit-elle , les grands biens que nous fait la con-

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naissance de Dieu. Quiconque veut marcher dans la voie qui conduit à lui , doit commencer par le connaître , ensuite vient l'amour qui transforme le cœur aimant en l'objet aimé ; c'est ainsi que l'âme connaît son Dieu en vérité , et c'est ainsi qu'elle aime le Dieu qu'elle aie bonheur de connaître. »

Elle désigne pour moyen d'acquérir celte connaissance , après la lumière et la grâce de Dieu , et pour obtenir d'abord l'une et l'autre , la prière fervente , assidue , continuelle , non-seulement Y orale , mais celle du cœur , qui met toutes les facultés de l'âme en action, en les excitant par un désir pur et véhément d'être exaucée.

Elle conseille ensuite la méditation de la croix , ou plutôt du crucifié.

Elle dit que la prière soutenue éclaire l'âme, l'élève et la transforme ; et que l'âme ainsi éclairée , voit manifestement le chemin que Jésus-Christ a tracé en y marchant le premier. Or, ce chemin mène droit à la connaissance de Dieu , et Jésus- Christ crucifié nous apprend aussi à nous bien connaître nous-mêmes; de sorte que dans la croix est la merveilleuse explication de Dieu et de l'homme. , on voit comment Dieu est legrand tout, l'immense, le souverainement parfait, et l'homme rien, et dans celte connaissance réside la vérita- ble et solide perfection.

Elle insiste après cela sur l'étude du livre de vie, qui est Jésus-Christ pauvre , humilié , souffrant et mourant , et s'é- tend fort au long sur les diverses périodes de sa vie , qui ont rapport à ces divers états , et c'est l'on voit notre Sainte s'élever avec une grande précision de doctrine à la hauteur du langage des Pères de l'Église, et se montrer toujours ad- mirablement d'accord avec la divine Écriture.

« Ce n'est , en effet, que sous les yeux des vrais enfants de Dieu , de ceux qui puisent la manière de lire dans ce livre de vie par la prière persévérante et la lecture assidue que le Père ouvre les pages de ce livre précieux , savoir , la vie el la mort de ce Dieu-homme Noire-Seigneur Jésus-Christ. Que ceux

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donc qui veulent acquérir la véritable science , lisent attenti- vement ce qui y est écrit , ils y trouveront tout ce qui peut être utile , non-seulement à eux-mêmes , mais encore aux autres. 0 mon Fils ! que ce livre soit pour vous votre lecture habituelle ! vous désirez de savoir ; eh bien ! lisez , non pré- cipitamment, mais avec réflexion; non avec l'impatience d'en voir la fin , mais avec la matufîté#et le temps convenables ; cette lecture vous enseignera non la science qui enfle , mais tout ce qui est nécessaire à votre avancement spirituel et à celui de toutes les personnes qui recourront à vous pour leur salut dans quelque état et condition qu'elles soient : si vous suivez l'avis que je vous donne , vous éprouverez qu'il jaillit de ce livre un feu divin qui échauffera et embrasera votre âme d'une chaleur consolante qui vous fera trouver de la joie dans vos tribulations ; que dis-je ? vous verrez que les tribu- lations sont une faveur dont vous vous jugerez indigne : il y a bien plus, c'est que s'il vous arrive quelque louange , quelque éloge, à l'occasion de quelque bonne action qui vous les aura justement attirés , vous n'en serez ni glorieux ni flatté , parce que cette lecture vous aura convaincu que si vous avez quel- que chose qui mérite d'être loué , elle ne vient pas de votre propre fonds , et que par conséquent vous ne pouvez vous en prévaloir. Or , c'est la inarque la plus sûre pour connaître si on est en grâce avec Dieu , puisque sans cette grâce on ne saurait être indifférent , encore moins insensible aux attraits de la vaine gloire.

Je conclus donc , de tout ce que je viens de dire , qu'il faut absolument se dévouer et travailler sans relâche , jusqu'à ce que nous soyons parvenus à cette connaissance indispensable de Dieu et de nous-mêmes , laquelle ne peut s'acquérir que par une prière fervente et soutenue , d'une méditation conti- nuelle sur ce beau livre de vie qui offre à ses lecteurs les œuvres , les souffrances et la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Elle dit ensuite que nous devons savoir ce qu'a fait et ce

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qu'a dit Jésus-Christ pendant le temps de sa vie sur la terre, puisque sa conduite doit régler la nôtre et celle de tous ceux qui veulent être sauvés.

« Or , cette vie n'offre qu'une pénitence très-austère , et voici l'apanage que Dieu le Père laissa à son Fils : Il l'en- voya dans ce monde avec un dénuement absolu ou une pau- vreté complète; pour essuyer des humiliations de tout genre et tout ce que le mépris le plus soutenu peut inspirer de traitements flétrissants ; pour endurer des souffrances continuelles dans le corps et dans l'âme portées à un degré effrayant. Tel fut le partage du Fils de Dieu durant toute sa vie , afin de nous porter, par son exemple , à ne pas en dési- rer , en aimer , en posséder d'autre jusqu'à la mort , si tel était le bon plaisir de Dieu.

C'est par cette voie que Jésus-Christ comme homme voulut marcher pour aller au ciel ; c'est par cette même voie et c'est la seule par laquelle notre âme puisse arriver jusqu'à Dieu. »

Quatre degrés de la pauvreté de Jésus-Christ.

« Dénuement complet de toutes les possessions terres- tres. Il ne posséda pas la plus petite chose.

Pauvreté plus étendue encore , car il fut privé des dou- ceurs que peuvent procurer les parents , les amis , &c. Il se refusa tout. Il voulut naître d'une mère très-pauvre , être élevé dans la maison d'un artisan , &c.

Il se départit même de l'opinion d'après laquelle on le croyait rempli de sainteté , de vertu et d'innocence , et il pré- féra passer pour un pécheur, être accusé par ses enne- mis,, &c, &c.

Il se dépouilla de toute marque extérieure de préémi- nence et de domination qui lui appartenaient à tant de ti- tres.— Ainsi , le Fils de Dieu, Notre-Seigneur , fut pauvre d'esprit , de volonté, de fait, et cela à un degré infiniment admirable, à cause de l'amour tendre et passionné qu'il avait

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pour nous. Mais quel est aujourd'hui l'homme , quelle est la femme qui puisse se flatter d'avoir la pauvreté telle que l'avait Jésus-Christ? hélas! cette pauvreté est générale- ment dédaignée et rejetée de tout le monde !... »

Notre Sainte passe ensuite à l'humilité de Jésus-Christ , aux humiliations dont il fut abreuvé , et à sa patience au milieu des plus grandes souffrances. C'est par cette étude qu'elle veut que le vrai disciple de Jésus-Christ se forme à la perfection. « Oui, je le repète encore, dit-elle, en termi- nant , elles sont innombrables et infinies , les vérités que l'on découvre et que l'on sent en étudiant avec soin et lisant assi- dûment dans le véritable livre de vie qui est Jésus-Christ No- tre-Seigneur , auquel toute gloire , tout honneur et toute louange doivent être rendus , <xc. »

Comment elle traite de la prière.

a Puisque nous ne pouvons lire comme il faut, ni compren- dre ce qui est écrit dans ce livre de vie qui est Jésus-Christ fait homme et mort pour nous ; puisque nous ne pouvons obtenir cette grande faveur sans une prière fervente et conti- nuelle , il est par conséquent à propos que je vous entretienne de la prière.

Je dirai donc que la véritable prière est celle avec laquelle et par laquelle on trouve Dieu. Elle a lieu de trois manières dont la réunion est nécessaire , sans quoi Dieu ne s'y trouve- rait pas. Car la prière est tout ensemble corporelle , mentale ou spirituelle , et élevée surnaturellement. La corporelle est celle qu'on fait en prononçant des paroles qu'accompagnent des inclinations , génuflexions ou prostrations extérieures.

Je commence toujours par cette prière corporelle , parce que je me rappelle qu'ayant voulu essayer de faire oraison mentale sans ce préliminaire, je me laissais aller facilement à l'indolence et au sommeil , et par je perdais le fruit de la prière que j'avais eu d'abord l'intention de faire. C'est pour-

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quoi , pour éviter une semblable surprise , je commence tous mes exercices spirituels par la prière du corps qu'on appelle orale ; c'est par ces moyens que je prélude à l'oraison men- tale.

La prière spirituelle ou mentale laisse la langue en repos. L'esprit n'est occupé que de Dieu ; toute autre pensée étran- gère à laquelle l'esprit serait appliqué, ferait évanouir cette oraison qui ne mérite le nom de mentale que parce que l'âme est tellement occupée de Dieu ou de ce qui y a de rapport , qu'elle en est entièrement remplie ; c'est de cette manière de prier que l'âme s'élève jusqu'à cette autre oraison qu'on appelle surnaturelle.

Cette dernière consiste en ce que l'âme , remplie de cet objet qui l'a occupée et comme absorbée , se sent transportée vers des considérations sublimes qu'elle n'avait pas eues pré- cédemment. Dans cet état, elle voit des choses au-dessus de la portée commune et acquiert des connaissances qui surpas- sent l'intelligence. Tout ce qu'elle voit et tout ce qu'elle sent est au-dessus de la nature. Il lui serait aussi impossible de l'expliquer que de le faire comprendre.

C'est par ces trois degrés d'oraison qu'on parvient à se connaître soi-même et à connaître Dieu. Cette connaissance engendre l'amour, comme l'amour engendre le désir dépossé- der l'objet aimé. Or, la plus grande inarque qu'on a cet amour, c'est lorsque celui qui aime se transforme , non en partie , mais en totalité , en celui qui est l'objet de son amour. »

Elle insiste sur la nécessité de ces trois sortes de prières ; car , sans les deux premières , on ne peut obtenir la surna- turelle ; elle prescrit la fidélité aux heures et aux temps portés par les règlements.

Elle ajoute : « Le Seigneur veut aussi que notre cœur soit tout en lier à la prière , car si le cœur est en partie occupé de tout autre objet, pour cela seul il perdra tout le fruit de l'oraison. » C'est à cette division du cœur qu'elle attribue les distractions et les tentations qui y surviennent.

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a. Priez donc et priez assidûment ( continue-t-elle ) ; plus vous prierez, plus votre àme sera éclairée ; plus cette lumière augmentera , plus elle connaîtra la grandeur , la beauté de ce tout infini qui fait notre bonheur ; plus elle aura vu de ma- gnificence dans cet excellent objet, plus elle s'y attachera par amour , et cet amour augmentant , si j'ose m'exprimer ainsi , les dimensions de l'âme , cette âme acquerra plus de capacité et d'intelligence pour connaître et comprendre da- vantage ce Dieu parfaitement aimé. C'est ainsi que vous par- viendrez à cette plénitude de lumière et de clarté qui vous montrera des choses bien au-dessus de ce que vous auriez pu connaître ou imaginer jusque-là. »

Elle met ensuite sous les yeux Jésus-Christ, le grand mo- dèle de la prière, rappelle les motifs d'une prière continuelle, exhorte à la faire avec une grande pureté d'esprit, et joint à la prière la vigilance.

« C'est surtout durant les tentations que vous devez persé- vérer dans la prière ; souvent les démons ne suscitent leurs tentations que pour nous détourner de ce saint exercice ; ne vous en étonnez pas et ne vous occupez qu'à prier , c'est le vrai moyen de dissiper toutes les suggestions de ces esprits de ténèbres ; car c'est par l'oraison que vous découvrirez leurs artifices , e'est par elle que vous triompherez et que vous serez en union avec Dieu.

Car l'oraison n'est que la vue manifeste de Dieu et de soi- même, c'est dans cette vue que se trouve la véritable humi- lité , parce que, plus l'âme voit de plus près son Dieu , plus elle voit son propre néant ; plus elle se voit à la lueur de cette lumière , plus elle s'anéantit et plus elle est vérita- blement éclairée.

Je dis maintenant, ajoute-t-elle , que si vous vous sentez jamais animé par cette chaleur douce et entraînante de la grâce qui vous porte à vous recueillir ou à converser avec Dieu , ou à faire quelqu'une de ces œuvres que vous savez lui être agréables , suivez ce mouvement, livrez-vous à cette impul-

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sion et faites avec joie ce que la ferveur de la dévotion vous inspire ; mais si pour vous punir de vos fautes , comme cela arrive communément , ou pour vous purifier de vos imperfec- tions , ou pour tout autre motif dont Dieu seul se réserve la connaissance ; si , dis-je , cette première chaleur s'éteint , et si, au lieu de ferveur et de sentiment agréable, vous n'éprou- vez que dégoût ou insensibilité ; si au lieu d'attrait pour le bien , vous vous sentez tenté de mal faire ; si à la place des douceurs et des suavités précédentes, vous vous sentez abîmé, désolé par des tribulations intérieures , ah ! pour lors gardez- vous de rien omettre de vos exercices ordinaires ; si la dou- ceur de la vertu vous est soustraite , ne retranchez rien de ce qui en exprime la pratique ; au contraire, faites de plus grands efforts pour vous surveiller plus soigneusement , pour prier plus assidûment que jamais et pour remplir avec une plus scrupuleuse exactitude vos devoirs ordinaires ; à force de prières , d'instance et de fidélité , vous engagerez le Seigneur à vous rendre sa première faveur, et après avoir fait tout ce qui était en votre pouvoir , vous éprouverez que, de son côté, notre bon Seigneur a fait tout le reste. Car la prière violente , faite avec des efforts soutenus, est la plus agréable à ses yeux. Soyez donc fidèle aux recommandations que je viens de vous adresser sur cet important sujet ; dès que vous vous sen- tirez plus plein de Dieu que de coutume, ne vous laissez pas occuper d'autre chose ; prenez garde de ne vous appliquer à rien , sans vous être détaché auparavant de tout vous-même. Soyez surtout en garde contre les ferveurs qui n'ont leur foyer que dans votre propre esprit, c'est-à-dire , soyez en garde contre cet esprit , si sujet à se confondre avec une fausse ferveur. Pour vous le faire discerner , voyez avant tout quel est son principe, suivez sa marche et ses progrès, tâchez d'en bien découvrir le but, et ne suivez ses impulsions qu'au- tant que vous les trouverez conformes aux règles que je vons ai détaillées et qui sont extraites de ce livre de vie , qui com- bat et condamne toutes les erreurs. »

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De la vertu d'humililé.

« Sans l'humilité, dit-elle , l'oraison ne servirait de rien. Regardez le divin modèle de toutes les vertus, Notre-Seigneur Jésus-Christ : c'est en lui que vous trouverez la forme de toute perfection. Repassez sa vie , écoutez ses leçons; non- seulement dans ses discours mais dans ses œuvres tout n'est qu'humilité ; il en fait le fondement et la base de toutes les vertus.

C'est donc en pénétrant vos âmes de cette vertu , en l'en- racinant profondément dans vos cœurs de manière à vous unir par ce trait de ressemblance avec ce divin modèle, que vous trouverez le repos parfait... L'humilité a surtout cet avantage d'être une lumière merveilleuse qui nous fait voir notre bassesse et notre néant , en nous montrant en même temps la grandeur immense et l'infinie bonté de Dieu ; plus notre intelligence s'étend pour reconnaître et admirer les grandeurs et les perfections divines , plus elle avance dans la connaissance qu'elle acquiert de sa propre nudité. Or, plus elle reconnaît qu'elle n'a rien , qu'elle ne peut rien , et que tout ce qu'elle possède de bon ou de puissant lui vient de cette bonté inépuisable , plus elle s'empresse de se porter vers cette infinie munificence , et c'est alors qu'elle commence à éprouver les nouveaux dons de la grâce que le Seigneur répand dans elle en considération et en récompense de son humilité.

Or, parmi les dons que l'âme en reçoit , le plus précieux est la charité ou l'amour de Dieu et du prochain.... Mais ce que je dis de la charité , comme tirant sa source de l'hu- milité , doit aussi s'appliquer à l'espérance , à la foi et aux autres vertus qui puisent tout leur éclat et leur valeur dans l'humilité... Quant à la foi, l'âme sentant les bornes étroites de son intelligence , pour laquelle les vertus divines sont des mystères inaccessibles , adopte sans hésiter tout ce que la t. y. 1 1

1 62 ESPRIT

foi nous enseigne ; par la même lumière, l'âme qui voit son incapacité pour le bien et son impuissance pour la moindre des œuvres, se retire vers son Dieu dont elle connaît la bonté toute-puissante , et fixe sur lui toutes ses espérances... Enfin, c'est aux bumbles de converser avec les anges et de jouir imperturbablement de ce calme et de cette paix intérieure que rien au monde ne saurait troubler. »

Elle ajoute : « Que le propre de l'humilité est de rendre celui qui la possède affable, prévenant et bienfaisant; c'est pour cela que le monde recherche avec tant d'empressement et qu'il témoigne tant d'égard et de prédilection à ces beaux caractères que l'humilité rend si aimables. »

De la vertu de cliarilé.

« La charité , dit-elle , ou l'amour de Dieu , est la reine des vertus ; sans elle , l'oraison est vaine et rejetée de Dieu comme le sont toutes les autres vertus. Pour preuve de cette assertion , lisez l'Evangile , &c.

Il est nécessaire cependant , continue-t-elle , que vous le sachiez; si l'amour renferme tout esprit de bien et démérite, il peut être aussi l'occasion de tout genre de mal et de dis- corde. Aussi , je ne connais rien dans le monde , ni homme, ni démon, qui exige autant de précaution que l'amour , parce que cette affection est de nature à pénétrer l'âme , à l'envahir tout entière et à s'emparer de toutes les facultés , et si l'on n'a le soin de s'armer de toutes sortes de précautions, l'âme se trouve aisément entraînée dans mille écarts et, dans des désordres déplorables. »

Elle ajoute qu'elle ne parle pas de l'amour profane et cri- minel : d'un coup d'œil on en découvre la perversité ; mais elle parle de cet amour spirituel qu'il y a entre l'âme et son Dieu , entre l'âme et le prochain. Elle découvre alors , pour expliquer sa pensée, tous les vices de l'amour.

« Dans plusieurs , ce n'est qu'un amour d'eux-mêmes ou

DE SAINTE AXGÈLE DE FOLIGNO. 163

du monde et de ses convoitises. Ils n'aiment Dieu que parce qu'ils espèrent de sa toute-puissance l'exemption des infirmi- tés et des peines de celte vie. D'autres aiment , à la vérité , des personnes spirituelles et qui ont mérité la réputation de sainteté , mais ce n'est pas pour leurs vertus et leurs excel- lentes qualités , ce n'est que parce que leur société est pour eux un moyen de se faire recommander, de s'approprier les fruits qu'ils espèrent tirer de leur recommandation , &c. »

Elle dévoile ensuite les artifices du faux amour, s'élève contre l'amour spirituel entre personnes de piété de différent sexe, en montre les dangers, et s'écrie :

« C'est donc à cause de l'amour mauvais que vous devez vous précautionner même contre l'amour véritable qui peut se trouver entre deux personnes de profession religieuse , parce que celui-ci peut devenir mauvais. L'amour même de Dieu , dit-elle , peut aussi dégénérer s'il n'est réglé par la discrétion et défendu avec les armes qui lui sont propres. Or, ces armes contre de tels abus nous sont fournies par Dieu lui-même lorsque l'âme de l'homme est transformée en Dieu. Cette transformation peut avoir lieu (c'est toujours sainte Angèle qui parle ) , elle peut avoir lieu de trois manières : lorsque l'âme est entièrement transformée en la volonté de Dieu ; lorsque l'âme est avec Dieu ; quand l'âme est dans Dieu ou Dieu dans elle.

La première manière a lieu lorsqu'on fait tous ses efforts pour imiter parfaitement la conduite du Fils de Dieu fait homme et mort pour nous. Ces efforts sont la meilleure preuve de la volonté de Dieu à laquelle se conforme celle de la créa- ture.

La deuxième consiste en ce que, outre la précédente , il s'établit une union si intime entre Dieu et l'âme , que celle- ci ressent dans elle des émotions et des sentiments agréables qu'elle peut raconter et décrire.

Dans la troisième , l'âme est tellement transformée en Dieu et Dieu tellement uni à elle , qu'il lui communique sur sa

1 6 i ESPRIT

nature et ses attributs divins des connaissances sublimes et supérieures à tout ce qu'elle en avait eu jusque-là. Ce sont ces moyens , mais surtout le troisième , qui fournissent en abondance des ressources aussi efficaces qu'infaillibles pour se bien conduire dans cet amour. »

Elle développe les effets de cette transformation. Toute- fois , elle ajoute : « Mais la marque la plus persuasive qu'on est réellement dans l'amour de ce grand Être, c'est l'appli- cation à l'imiter et à le copier en quelque sorte dans toutes ses opérations ; c'est cette attention continuelle d'avoir tou- jours les yeux sur la conduite du Fils unique de ce grand Être auquel on désire ressembler , en conformant ses senti- ments et ses actions aux actions et aux sentiments de ce divin modèle.

Un symptôme encore très-sûr de l'existence de cet amour dans une âme, dit-elle, c'est l'activité avec laquelle l'àme accepte la croix que Dieu lui présente, c'est-à-dire une pé- nitence qui doit être aussi longue que la vie, aussi rude, aussi pénible et aussi rigoureuse qu'il sera possible. »

De la voie qui conduit à l'amour de Dieu , el des qualités et conditions de ceux qui l'aiment.

Elle fait consister cette voie , d'abord dans une prière fer- vente et soutenue ; ensuite dans la considération fixe du livre de vie, qui est Jésus-Christ fait homme et mort pour nous ; enfin , dans la connaissance de Dieu en vérité, c'est-à-dire de la manière qui a été expliquée plus haut.

« Or , dit-elle , les qualités essentielles et inhérentes à qui aime Dieu et les marques auxquelles on doit les discerner sont celles-ci :

La première est la transformation de la volonté de l'âme aimante en la volonté de l'objet aimé. Et cet objet , c'est Jésus-Christ.

La deuxième qualité est la parfaite transformation des ver-

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLICXO. 165

tus que l'âme peut avoir en celles de Jésus-Christ. On les réduit à trois principales ; l'une est son amour qui lui a fait aimer toutes les créatures selon le rang et l'ordre qui con- viennent à chacune ; l'autre est son humilité et sa douceur; l'autre , qu'il se plaît h communiquer à ses disciples , est la persévérance qui les met à l'abri de tout changement.

La troisième qualité qui distingue l'àme douée de l'amour divin est sa parfaite transformation en Dieu. Lorsqu'elle est arrivée à ce degré , elle est exempte de toute tentation, parce qu'elle n'est plus à elle , mais toute à Dieu.

Voici maintenant quelles sont les marques auxquelles nous pouvons juger si nous sommes remplis de l'amour de Dieu.

La première est une conformité parfaite de notre volonté à la sienne.

La deuxième est le renoncement à toute amitié qui se- rait contraire ou incompatible avec l'amour que nous lui devons.

La troisième exclut toute réserve et toute affection secrète entre l'àme et son Dieu.

La quatrième consiste dans le zèle avec lequel on s'appli- que à ressembler plus complètement à celui qu'on aime. En sorte que si l'objet aimé est pauvre, humilié , souffrant, on s'étudie à être souffrant, méprisé, pauvre comme lui. »

Elle conclut en disant que, de son côté , la plus grande marque d'amour que Dieu nous donne , le gage le plus ras- surant de son hérédité , sont les tribulations. C'est la preuve la moins équivoque qu'il nous compte au nombre de ses amis.

De quelques dons de Dieu el des moyens de connaître si une âme esl véritablement transformée en Dieu.

« Voici les dons inestimables du Seigneur : celui qui les aura reçus pourra dire qu'il est parfaitement rempli , qu'il est véritablement transformé en Notre-Seieneur Jésus-Christ.

166 ESPRIT

Le premier de ces dons est l'amour de la pauvreté , par lequel l'âme se dépouille de l'amour de tout objet créé et n'a d'affection ou de désir que de posséder Jésus-Christ.

Le second est le désir des humiliations et des opprobres. L'àme qui suit l'impulsion de ce désir veut sincèrement être rejelée et vilipendée par toutes les créatures qui la con- naissent.

Le troisième est la soif des souffrances et des afflictions. Elle voudrait ressentir toutes les douleurs du corps et de l'esprit que Jésus-Christ, ainsi que sa divine Mère , ont en- durés. ( Ces trois dons sont les plus essentiels. )

Le quatrième consiste à se reconnaître indigne d'obtenir des dons de cette excellence, et incapable de se les procurer comme venant de son propre fonds , et à croire enfin qu'on ne les possède qu'à un degré bien inférieur à ce qu'ils de- vraient être.

Le cinquième est de s'occuper continuellement de la ma- nière dont ces trois désirs étaient dans l'àme de Jésus-Christ, et de solliciter par une prière soutenue la faveur d'en rem- plir son cœur, afin de lui ressembler sur ce point . dans sa conduite.

Le sixième est d'éviter avec le plus grand soin et de fuir comme une peste les personnes dont les mœurs ou la doc- trine ne seraient pas conformes à la doctrine que je viens d'établir.

Le septième est de s'abstenir déjuger son prochain , selon la recommandation de l'Evangile.

Croyez que tous ceux qui ont mérité les dons dont je viens de parler pendant cette vie de combats et de guerres, auront Dieu tout entier dans le séjour de sa gloire, parce que dans l'état ces faveurs placent l'àme , elle devient toute Dieu , qui se transforme en elle , comme elle s'est transfor- mée en lui. Le repos des consolations spirituelles ne lui est pas nécessaire , à moins que la bonté du Seigneur ne trouve à propos d'user de ce ménagement pour sa faiblesse. Son

DE SAINTE AN'GÈLE DE F0LIGN0. 167

grand intérêt , dans cetle vallée de misères, est de marcher constamment à côté de celui en qui elle est transformée par la pauvreté , l'humilité et les souffrances de toute es- pèce. »

Du Sacrement de l'autel.

« Il est bien juste de parler de ce Sacrement d'amour qui, par la nature de la grâce qu'il renferme , est appelé avec tant de raison , Eucharistie. Le caractère spécial qui le dis- tingue des autres , c'est de donner la dévotion et la ferveur dans la prière , l'humilité et surtout cet amour parfait qui nous intéresse si particulièrement.

Je ne doute nullement qu'une àme quelconque , pour froide qu'on la suppose , si elle voulait considérer avec un peu d'attention ce qui se passe dans ce Sacrement , et réfléchir quelques moments sur la manière dont Jésus-Christ nous y exprime son amour, je ne doute nullement que cette àme ne se sentît embrasée de cette vertu , ou du moins émue comme si elle en était remplie.

Je crois donc que ceux qui veulent se préparer à célébrer ou à recevoir ce Sacrement adorable, doivent mûrement réflé- chir sur la grandeur et l'efficacité de ce mystère ; ils ne doi- vent pas se borner à des considérations rapides et superfi- cielles où l'esprit seul cherche avec curiosité des notions spéculatives ; mais les réflexions sur lesquelles l'àme doit fortement insister doivent pouvoir animer et fixer le cœur sur la dignité , la sublimité et l'excellence de ce Sacrement; et quoiqu'il soit impossible de comprendre les merveilles qui s'y opèrent , on peut cependant le considérer sous des rap- ports aussi utiles qu'intéressants : je les réduis à sept , qui sont comme la matière d'autant de considérations. Je vais les exposer toutes l'une après l'autre.

Le prodige qui s'y opère est tout à fait nouveau , sur- prenant par sa singularité et confond notre raison. En effet ,

168 ESPRIT

quoique ce mystère eût été annoncé dans les siècles précé- dents , et qu'il ait été figuré très-expressément , il n'en est pas moins vrai qu'il est nouveau , quant à son exécution et à son existence dans celui qui le reçoit; nous savons et nous croyons que le pain et le vin que le prêtre consacre , par l'autorité qu'il a reçue de Jésus-Christ , deviennent véritable- ment le corps et le sang de l'Homme-Dieu ; de manière que d'après l'ordre donné et établi par Jésus-Christ, la substance du pain et du vin est changée en la substance de Jésus- Christ même, et que, par la vertu des paroles que le ministre prononce de la part de Jésus-Christ , il se fait une réelle et vraie transsubstantiation qui fait que Jésus-Christ est réelle- ment existant à la place du pain et du vin ; ce qu'il y a de plus admirable, c'est que le changement de substance s'ef- fectue sans qu'il y ait aucun changement dans les qualités sensibles de ces deux substances, lesquelles conservent après leur destruction les mêmes apparences qu'elles avaient avant d'être détruites : c'est donc , de la part de la sagesse toute- puissante de Dieu, une œuvre dont il n'y a jamais eu d'exem- ple , par conséquent un prodige d'un genre tout nouveau : mais ce prodige est encore bien plus extraordinaire , si on considère les effets d'un ordre supérieur que le corps et le sang de Jésus-Christ produisent dans les âmes de ses élus. Que l'on ne s'étonne donc point de cette transsubstantia- tion qui se fait dans l'Eucharistie ; la puissance divine explique suffisamment celte opération qui déconcerte notre raison ! Que l'on ne dise pas non plus avec tant de légèreté et de suffisance : Comment se fait-il que le même Jésus- Christ soit à la fois sur tant d'autels, dans des endroits aussi éloignés les uns des autres , qu'il soit en même temps de la même manière au delà comme en deçà des mers ? Du sein même de ce Sacrement , Jésus-Christ nous répond : C'est moi que votre esprit ne peut comprendre, c'est moi qui fais ce miracle sans vous et pour vous , parce que rien n'est im- possible à mon amour ; je vous ai donné exprès une intelli-

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 169

gence bornée afin que vous ne conceviez pas encore toute la grandeur de mon opération ; si je l'eusse voulu , vous la concevriez clairement ; mais j'ai préféré que vous eussiez à mes yeux le mérite de la foi qui vous fait croire sur ma pa- role : votre foi fait ma gloire. Or , je ne l'aurais pas et vous seriez privé du mérite qu'il y a de me la prouver, si vous compreniez dans ce moment ce qu'elle exige de vous. Croyez, quoique vous ne le conceviez pas ; un jour viendra que vous le verrez clairement; en attendant, croyez sur ma parole et sans la moindre hésitation.

L'Eucharistie est singulièrement aimable et excite for- tement à l'amour de celui qu'elle contient....

Ce Sacrement porte dans l'âme un sentiment qui l'at- tendrit et lui inspire une grande commisération pour la si- tuation douloureuse se trouvait Jésus-Christ lors de cette institution...

Ce mystère est si élevé , si vénérable et si sublime , qu'il excite le respect et l'humilité la plus profonde.

Il est d'une profondeur et d'une élévation toute spiri- tuelle qui porte l'àme à la considération des choses du ciel... En établissant ce Sacrement , la sainte Trinité a tout disposé de manière à s'attirer ce qu'elle aime et à se l'attacher en le détachant de tout objet créé ; son dessein fut d'unir nos âmes, objet de sa prédilection, à ce Dieu incréé, en lui communiquant pour celte fin une vie toute divine , qui donne la mort à tout péché.

Ce Sacrement nous est particulièrement utile et avanta- geux , à cause des biens qu'il renferme et des grâces innom- brables qu'il peut nous conférer; il obtient la rémission des peines dues au péché et la force contre les tentations ; il contient et abat la fougue des passions , augmente l'attrait pour la vertu et accumule de nouveaux mérites : d'où il suit que nous avons le plus grand intérêt à le recevoir fréquem- ment et avec révérence.

Enfin , le Sacrement de l'autel attend de notre part toute

i 70 ESPRIT

louange et toute espèce d'actions de grâces. En effet , tout ce qu*il y a de bon , de beau, de saint , réside dans ce mys- tère ; le souverain bien incréé étant Dieu lui-même , se trouve dans l'Eucharistie : toute vertu, toute bonne qualité créées se trouvent aussi dans la sainte humanité du Sauveur. A combien de titres ne devons-nous pas lui rendre hon- neur, gloire et louange ! »

Elle dit ensuite que la célébration de ce mystère est le su- jet de l'allégresse des Anges et des Saints dans le ciel et celle des élus sur la terre , puis elle ajoute :

« Quiconque se propose d'approcher de cet incomparable mystère , doit donc considérer avec une sérieuse attention celui vers lequel il va marcher , la manière dont il y va , et le motif qui anime son dessein , parce qu'il va vers le souverain bien et qui est la source unique de toute espèce de bien ; il est le seul bon, et sans lui rien ne peut avoir la qualité de bon ; c'est lui seul qui remplit tout de la bonté qu'il possède et qui rend les Bienheureux comblés d'honneurs.... Il faut donc approcher de ce céleste banquet avec un grand respect mêlé d'une certaine crainte , mais surtout avec un grand amour ; l'âme doit être non-seulement purifiée , mais ornée , parce qu'elle doit s'approcher de celui qui est la beauté et la gloire, la sainteté par essence et la véritable félicité , la majesté et la noblesse, et qu'il est en outre le véritable amour dont les jouis- sances sont éternelles ; on doit le recevoir afin qu'il nous re- çoive ; il faut être pur pour en être purifié , vivant pour en être vivifié , juste pour être justifié , uni avec lui pour être incorporé avec ce Dieu en même temps qu'homme , pour ne faire qu'un avec lui durant toute l'éternité. » Cependant il est facile de conclure de son explication sur le sentiment de saint Augustin (p. 554) , qu'elle conseillait la communion fréquente.

DE SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO. 111

Des sept dons principaux ou bienfaits spirituels que Dieu a accordés aux hommes.

a Le premier , c'est de nous avoir tirés du néant.

Le second , de nous avoir créés pour nous destiner à la jouissance de sa gloire.

Le troisième , de nous avoir donné son Fils pour nous faire retrouver la véritable vie.

Le quatrième , de nous avoir faits sensibles et raisonna- bles.

Le cinquième , de nous avoir accordé l'intelligence pour avoir une véritable notion de son être et des véritables attri- buts qui forment son essence.

Le sixième , de nous avoir donné la sagesse , pour nous faire savourer cette ebarité brûlante qu'il a eue pour nous.

Le septième , le plus grand , le plus sublime et le plus parfait de tous les dons , c'est l'amour. 0 don , au-dessus de tout don ! puisque Dieu même est ce don , car il est amour ! »

Du testament de sainte Angèle ou de ses dernières instructions el de sa mort.

Après une courte allocution , dans laquelle elle déclare à ses fils et à ses filles que ce qu'elle va leur dire n'est pas de son fonds, mais vient de Dieu même, elle s'écrie :

« 0 mon Dieu ! je vous les recommande de nouveau ; j'im- plore votre immense ebarité pour que vous les préserviez de tout mal , et que vous les conserviez dans l'amour de la pau- vreté., de l'humilité , de la patience et de la transformation parfaite en vous; qu'ils imitent vos exemples et qu'ils par- viennent à cette perfection dont votre propre vie fut le mo- dèle. 0 mes Enfants ebéris , recevez les exhortations que vous adresse votre Mère au moment la mort va vous séparer d'elle. Ma plus vive recommandation est que vous vous appli- quiez de plus en plus à devenir petits à vos propres yeux et

1 72 ESPRIT

véritablement humbles. Ajoutez-y la mansuétude , non-seu- lement à l'extérieur , mais encore qu'elle vienne du fond de votre cœur, afin que vous deveniez les vrais disciples de ce- lui qui a dit : Apprenez de moi à être doux et humbles de cœur. Ne vous occupez jamais d'avoir sur les autres ni auto- rité ni prééminence. Etudiez-vous à être au-dessous de vos semblables , pour que Dieu vous élève et vous exalte à cause de vos mérites , et vous fasse parvenir par sa grâce au som- met de la perfection. Soyez humbles de manière à ne vous estimer vous-mêmes que comme un pur néant. Toutes ces distinctions que l'orgueil recherche sont déjeà marquées du sceau de la malédiction : telles sont les places éminentes , les emplois honorables : fuyez-les , parce qu'elles sont accompa- gnées de plus grands dangers , et qu'on s'y fait de funestes illusions , quoique celles-ci soient moindres que celles qui se trouvent à l'occasion des hommages qu'on rend aux person- nes spirituelles , comme l'éprouvent souvent ceux qui se pi- quent de parler savamment de Dieu , d'entendre les sens dif- ficiles de l'Ecriture , de faire un grand étalage de science et d'avoir l'esprit occupé d'objets élevés , ou de haute mysticité. Les erreurs et les chutes de ces derniers sont plus fréquen- tes et plus dangereuses que les illusions causées par les com- plaisances dans les distinctions, dans l'ordre des choses purement temporelles. Pour les éviter, méprisez-vous vous- mêmes. Parmi les vérités qui nous sont inconnues, et même parmi celles que nous connaissons , je ne crois pas qu'il y en ait de plus importante , dont la connaissance soit plus pré- cieuse , que celle qui nous montre notre néant et nous con- centre dans notre étroite petitesse.

0 mes Enfants ! ne prenez pas moins de soin d'avoir la vraie charité , sans laquelle il ne peut y avoir de vrai mérite. Remarquez bien ces paroles de notre Dieu : Tout ce que j'ai est ù vous f Quel est celui qui aura droit de dire qu'il a en propriété tout ce qui appartient à Dieu? Pas d'autre que celui qui possède la charité. D'après cet oracle, ô mes Filles , mes

DE SAINTE AN'GÈLE DE FOLIGNO. 173

Pères , mes Frères ! appliquez-vous à vous témoigner les uns aux autres cette mutuelle dilection, qui vous met en posses- sion de tous les trésors de la divinité ; je vous exhorte donc à avoir cette précieuse charité , non-seulement entre vous seuls , mais encore envers tous les hommes de quelque nation qu'ils soient; car je vous confierai, que j'ai reçu de plus grandes faveurs de mon Dieu , lorsqu'en sa présence je me suis affligée des péchés des autres , que lorsque je n'étais occupée qu'à déplorer les miens. Je sais que certains trouvent ridicule d'entendre dire qu'on peut être plus contrit , plus affecté des péchés que commettent nos semblables que de nos propres fautes ; cela leur paraît déraisonnable et contre nature. Mais , n'importe , la charité qui fait agir, comme je viens dédire, n'est pas de ce monde. Laissez donc dire et faire le monde ; pour vous , mes chers Enfants, efforcez-vous d'obtenir cette divine charité. Gardez-vous de juger qui que ce soit , et si vous voyez jamais quelqu'un commettre un pé- ché mortel , ayez sans doute de la peine du mal que vous voyez faire , mais je prétends que vous ne devez pas juger ceux qui pèchent , c'est-à-dire, prendre occasion de ce qui se fait sous vos yeux pour mépriser et détester les coupables , parce que vous ignorez les desseins de Dieu sur eux. Je ne fais point d'autre testament ; je borne toutes mes dispositions à cette exhortation : ayez les uns pour les autres la vraie cha- rité; soyez véritablement humbles, voilà tout l'héritage que je vous laisse; c'est celui de Jésus-Christ lui-même, qui, vous le savez , nous a légué la pauvreté , les mépris et les souffrances. Ceux qui recueilleront celte succession seront mes enfants légitimes , car ils sont les fils de Dieu même ; nul doute pour eux qu'ils ne possèdent à la fin la vie éter- nelle. »

Après ce discours , la mère Angèle leva ses mains et les posa sur la tête de chacun des assistants en disant : a Soyez tous bénis , mes chers Enfants , par le Seigneur et par moi , vous et tous ceux qui sont absents, ainsi que le Seigneur

174 Esrr.iT de sainte angèle de foligno.

m'a enjoint de le faire. Je souhaite que Notre-Seigneur Jésus- Christ vous donne la sienne , avec celte même main qui fut jadis clouée sur la croix. »

C'était vers la fête de la Nativité que sainte Angèle se trou- vait au fort de sa longue maladie : étant couchée dans son lit , elle dit à haute voix : Le Verbe s'est fait chair. Elle pro- nonça encore quelques autres paroles comme celles-ci : Toute intelligence créée est incapable de le comprendre , les anges même ne sauraient le concevoir. Et ces autres : Mon âme a été lavée et purifiée dans le sang de Jésus-Christ. Ce sang était aussi chaud et aussi vermeil qu'il le fut au moment il coulait de ses veines.

La veille de sa mort , elle disait fréquemment : Mon Père ! je vous recommande mon âme et mon esprit I

Enfin, le jour de l'octave des Saints Innocents , à. la der- nière heure du jour, paraissant dormir d'un sommeil tran- quille , elle rendit sans effort le dernier soupir et alla se ré- veiller dans le séjour de la gloire.

NOTES

sur l'origine et les filiations

DU TIERS ORDRE RE SAINT- FRANÇOIS D'ASSISE.

Les notes qui ont suivi l'article de saint François d'Assise étant très-étendues, nous avons cru devoir placer ici ce qui concerne le tiers ordre , comme nous avons placé ce qui regarde le second ordre après sainte Claire.

Le tiers ordre de Saint-François ou des Pénitents est né, propre- ment dit , des exhortations de cet illustre et séraphique prédicateur ; ayant annoncé partout la nécessité de la pénitence avec grande force ,

TIERS ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS D' ASSISE. 175

plusieurs personnes de l'un et de l'autre sexe accoururent de toute part se jeter à ses pieds , le priant de leur donner les moyens les plus sûrs pour éviter la colère de Dieu et acquérir la vie éternelle ; les maris voulaient abandonner leurs femmes , les femmes leurs maris ; mais ce saint Patriarche sachant bien qu'on ne doit point séparer ce que Dieu a uni , leur persuada de demeurer dans leurs maisons , et d'y vivre dans la crainte de Dieu et la pratique des vertus chrétiennes , leur promettant de leur prescrire une forme de vie qu'ils pourraient suivre sans quitter leur état. Telle est la véritable origine du tiers ordre ou des pénitents de Saint-François. Ce tempérament que le saint Patriar- che apporta pour modérer leur zèle , attira une multitude infinie sous les bannières de la pénitence ; les premiers établissements se firent en Toscane ; le nombre des femmes ne fut pas moindre que celui des hommes , et en peu de temps l'Italie , la France , l'Espagne , le Portu- gal et l'Allemagne , furent couverts de religieux et religieuses du tiers ordre.

Un nommé Lucius , et Bonne sa femme , de Giany , village près de Pozzi-Bonzi , furent les premiers qui demandèrent l'habit de Tierciai- res ; le saint fondateur le leur donna ; il le fit consister en une tuni- que de couleur de cendre avec une corde à plusieurs nœuds , et leur prescrivit quelques règlements faciles. De là, sont venus les Pénitents gris, les Pénitents noirs , les Pénitents blancs et autres ordres, comme ceux de Lombardie , deDalmatie , d'Istrie , les Begghards , etc., quoi- que plusieurs aient pris pour patrons saint Jean-Baptiste et saint Jé- rôme. On trouve la substance des règlements des Tierciaires dans Hélyot , t. VII , p. 217, et la règle entière dans les œuvres de saint François d'Assise , par le père Jean de la Haye.

Saint François ayant donné cette règle à ses nouveaux disciples de la pénitence , cet ordre qui les rendait participants de toutes les grâces, induits et privilèges accordés aux Frères Mineurs , fit tant de progrès en peu de temps , que les empereurs, les rois, les reines, les princes, les princesses se firent gloire de l'embrasser , entre autres , l'empereur Charles IV , saint Louis , roi de France , la reine Blanche de Castille , Marguerite de Provence , Isabelle de France , Bêla , roi de Hongrie , sainte Elisabeth , duchesse de Thuringe , etc.; des ducs, des marquis , des comtes, etc., etc.; rien n'était plus florissant. Cependant, cet ordre fut plusieurs fois persécuté , notamment par Pierre de Vignes , chan- celier de Frédéric II , et par d'autres sous le pontificat de Grégoire IX, de Clément V et de Jean XXII. Nous ne pouvons pousser plus loin ces détails , on les trouvera dans Hélyot, t. VII , p. 223.

170 TIERS ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS D' ASSISE.

Quoique rétablissement du tiers ordre n'eût été fait d'abord qu'en faveur des personnes de l'un et de l'autre sexe, qui ne pouvant quitter les engagements du monde voulaient cependant embrasser la vie de la pénitence, il se forma plus tard des communautés l'on s'engageait par des vœux solennels ; mais il serait difficile d'assigner l'époque fixe de cette fondation , les uns l'attribuent à sainte Elisabeth de Hongrie , les autres à la Bienheureuse Augeline de Corbare, vers l'an 1397, quel- ques autres enfin l'attribuent au pape Nicolas IV , qui confirma leur règle. Nous savons toujours qu'il y eut les Tierciaires , appelées Sœurs Grises , les congrégations dites de la Faille , de la Celle , ou Sœurs Grises réformées de Mons ; celles de Y Etroite observance , les Récollec- tines , etc. ; les habillements variaient du gris au blanc et au noirâtre , les voiles étaient courts ou flottants , mais toutes portaient le cordon à nœuds de saint François , et quelques-unes seulement une croix sur la poitrine ou une croix avec lance, éponge et couronne d'épines. (Voyez sur le tiers ordre , Hélyot , Wadding , Hermant , Y Histoire Sérapluque , et notre tome II , p. 226.)

ESPRIT

DE

SAINTE GERTRTJDE,

AB8ESSE DE L'ORDRE DE SAINT BENOIT.

NOTICE

1334.

Gertrude naquit à Isleb ou Eisleben , au comté de Mans- feld , dans la haute Saxe , de la famille des comtes de Hocku- born , parents de Frédéric II. A l'âge de cinq ans , elle fut si heureusement prévenue de la grâce de Dieu, qu'elle se trouva en état de se donner entièrement à Jésus-Christ et de le choisir pour son époux spirituel.

Le monastère de l'ordre de Saint-Benoît , de la ville de Rodersdorf , fut le lieu qu'elle préféra pour lui vouer sa vir- ginité. Sa vie angélique fit bientôt connaître les vues parti- t. v. 12

178 NOTICE

culières que Dieu avait sur elle. Elle s'appliqua aux lettres divines et humaines (1) , et elle y fil un si grand progrès , qu'elle mérita l'estime et l'admiration des savants. Cepen- dant c'était aux choses divines qu'elle s'appliquait avant tout. Elle parvint à un haut degré de contemplation, et dans ce saint exercice , Dieu daigna éclairer souvent son esprit par quantité de visions et de révélations.

Mais , quoiqu'elle fût ornée de tant d'excellents dons de la nature et de la grâce , quoiqu'elle eût un commerce si étroit et si familier avec Dieu , quoiqu'elle prédît quelquefois les choses à venir et fit des miracles éclatants , elle avait une si basse opinion d'elle-même, et était si pénétrée des senti- ments de l'humilité la plus profonde , qu'elle croyait qu'un des plus grands et des plus merveilleux effets de la honte toute-puissante de Dieu, c'était que la terre ne se lassât pas de soutenir une aussi indigne et aussi misérable pécheresse qu'elle pensait être. En 129-i, à l'âge de trente ans , elle lut élue ahbesse du monastère elle avait reçu l'habit, et en- suite de celui nommé Elphe ou Heldefs , elle exerça cette fonction avec une rare prudence et une éminente sainteté pendant environ quarante ans.

L'Epoux céleste s'étant fait du cœur très-pur de Gertrude un séjour de délices , y grava avec le burin ardent de l'amour le caractère de sa passion et les marques de ses blessures. Après quoi il n'y avait pas lieu de s'étonner qu'elle ne parlât que de Jésus-Christ qu'elle portait dans son cœur. Et ce divin amant se plaisait tellement à y habiter, qu'il fit entendre à

(1) Elle avait appris le latin dès l'âge de cinq ans, ce que faisaient alors la plupart des personnes de sun sexe qui se consacraient à Dieu dans la retraite: elle écrivait dans cette langue avec une grande facililé.

SUR SAINTE GERTRUDE. 17'j

dos âmes saintes que pour le trouver aisément on ne pouvait mieux faire que de le chercher dans le sacrement de l'autel et dans le cœur de sa fille Gerlrude. Il rendit encore témoignage à la sainteté de son épouse en assurant par l'oracle de sa di- vine bouche qu'il n'y avait alors aucune âme sur la terre qui eût plus d'union avec lui et plus de part à ses bonnes grâces que Gertrude.

Est-il besoin après cela de parler de sa pureté , de son obéissance , de sa mortification , de ses autres éminentes vertus ?

Mais nous n'omettrons point de dire qu'elle avait une dévo- tion toute particulière à la très-sainte Vierge, et que souvent elle était favorisée de sa vision ainsi que de celle de plusieurs Saints. Elle participait à la sainte Eucharistie et méditait sur la Passion du Sauveur avec de si vifs et si tendres sentiments d'amour et de reconnaissance qu'elle en versait des ruisseaux de larmes. Elle avait une grande affection pour les âmes du Purgatoire et ne passait point de jour sans les secourir par des prières ou par d'autres bonnes œuvres. Enfin , elle bridait de zèle pour l'avancement du règne de Dieu et du salut du pro- chain , et ce feu sacré ne s'éteignit jamais en elle.

Sainte Gertrude a tracé le portrait de son âme dans le livre de ses Révélations. Ce n'est autre chose que le récit de ses communications avec Dieu. Elle est regardée, après sainte Thérèse, comme le guide le plus habile de la contemplation.

Enfin, tombée dans une langueur qui était plutôt un effet de son amour ardent pour Dieu que de la violence de sa ma- ladie, Jésus-Christ lui apparut accompagné de sa sainte Mère et d'une troupe sacrée de vierges , et reçut dans son sein son

180 NOTICE SUR SAINTE GERTRUDE.

finie bienheureuse, l'an 1334. Plusieurs miracles attestèrent combien sa mort était agréable au Seigneur. On trouve un office en son honneur dans le Bréviaire romain. Elle eut pour sœur sainte Mecthikle , qui mourut quelque temps avant elle.

ESPRIT

DE

SAINTE GERTRUDE ,

TIRÉ DE SES INSINUATIONS PIEUSES ET DE SES RÉVÉLATIONS.

Que l'adversité est un signe d'élection divine.

Dans une révélation de Jésus-Christ à notre Sainte , il lui fut dit, que, comme l'anneau est le signe de l'alliance des époux entre eux, de même l'adversité, tant corporelle que spirituelle , est le signe le plus authentique de l'élection di- vine et comme l'alliance de l'âme avec Dieu. De sorte que ce- lui qui est travaillé par l'affliction peut dire en toute vérité et confiance cette parole : Mon Sauveur Jésus-Christ m'a donné son anneau pour gage de son amour. Et si parmi les tribula- tions il n'est pas privé du don de rendre gloire à Dieu par reconnaissance , et de lui témoigner ses actions de grâces , il peut encore ajouter avec grande joie cette autre parole : Et il m'a orné de sa couronne comme sa propre épouse. Car la gra- titude dans l'adversité est la plus riche couronne de gloire , une couronne incomparablement plus précieuse que l'or et la topaze. (Vitœet Rev. lib. 3, p. 153.)

1 82 ESPRIT

Les consolations humaines diminuent les consolations divines.

Que les traverses ou la privation de satisfaction sensible à l'heure de la souffrance soient un sujet d'augmentation de gloire , on n'en peut nullement douter après l'évident témoi- gnage qu'elle en reçut , quoique elle-même n'ait pu le bien comprendre. Voici donc ce qui lui arriva : Un jour , c'était vers la fête de la Pentecôte , elle était tourmentée d'une dou- leur de côté si violente , que les assistants auraient plus faci- lement cru qu'elle allait succomber ce jour-là même que de la voir revenir à la santé si on n'avait su , qu'ayant été au- trefois atteinte de cette manière, elle en avait été guérie. Or, en cette circonstance , le très-doux , très-amoureux et seul véritable consolateur de l'âme, Jésus-Christ , lui rendait ser- vice à son tour; de telle sorte que s'il arrivait que par la né- gligence de quelqu'un de ceux qui la servaient elle fût seule et sans secours , lui-même , ce très-doux Seigneur l'assistait aussitôt , et par l'ineffable suavité de sa présence , tempérait l'amertume de sa douleur. Lorsqu'au contraire ses amis fidè- les redoublaient de soins empressés autour d'elle , alors le Seigneur se retirait et la douleur augmentait. Or , c'est par qu'il lui donnait à comprendre que plus on est abandonné des hommes et privé de leurs secours , plus on est favorable- ment regardé et secouru par la divine miséricorde (Jbid., page 155.)

Combien sont précieux les fruits qu'on relire de l'assistance au saint sacrifice de la Messe.

Un autre jour, lorsque s'unissant au prêtre au moment de l'élévation de la sainte hostie , elle offrait elle-même cette hostie sans tache à Dieu le Père pour digne réparation de tous ses péchés , elle sentit que Jésus-Christ avait daigné présenter son âme à son Père , et elle s'efforçait aussitôt, à la vue de

DE SAINTE GERTRUDE-. 183

tant de bonté, de payer à Dieu un juste tribut d'actions de grâces. Alors elle reçut de Jésus-Christ même l'intelligence de celte vérité : que chaque fois que quelqu'un assiste avec dévotion au saint sacrifice de la Messe , et qu'il porte avec soin son attention sur le Dieu qui s'offre dans ce sacrement pour le salut commun de tous les hommes , celui-là est véritablement regardé avec faveur de la part de Dieu le Père , à cause de sa complaisance pour l'hostie trois fois sainte qui lui est offerte. Tel serait , par exemple , celui qui en sortant des ténèbres marcherait au milieu des rayons du soleil et se trouverait tout à coup irradié de splendeurs. Et alors elle adressa au Seigneur cette question dans les termes que voici : « Est-ce vrai, Seigneur, qu'aussilùt que quelqu'un tombe dans le péché, il perd aussi en même temps ce bonheur, comme celui qui du milieu des rayons du soleil revient dans les té- nèbres, perd l'agréable clarté de la lumière? Non , répon- dit le Seigneur; quoique celui qui pèche obscurcisse en quel- que sorte pour son âme la lumière des faveurs divines, cependant ma bonté lui conserve toujours quelque reste de celte félicité pour l'éternelle vie, laquelle félicité l'homme augmente et accumule autant de fois qu'il assiste avec dévo- tion à la Messe et aux autres sacrements. » (Page 198. )

Combicu Jésus-Chrisl esl reçu indignement par ceux qui s'abandonnent au vice de la langue.

Un autre jour, après avoir reçu la sainte communion et tandis qu'elle roulait dans son esprit avec quelle attention on doit observer sa langue , qui est entre les autres membres du corps celui qui est destiné à recevoir le précieux mystère du Christ, elle fut instruite d'en -haut par cette comparaison.

« Si quelqu'un qui ne veille pas sur sa bouche touchant les paroles vaines, fausses, honteuses, médisantes ou autres semblables , approche sans repentir et sans pénitence de la communion sainte , celui-là reçoit Jésus-Christ (autant qu'il

18-i ESPRIT

est en lui ) de la même manière que celui qui accablerait d'une grêle de pierres l'hôte qui vient chez lui , au moment de franchir le seuil de sa maison , ou bien qui lui briserait la tête avec un marteau de fer. Que celui qui lit cette comparai- son , ajoute-t-elle , considère avec un profond sentiment de compassion , le l'apport qu'il y a entre une si grande cruauté de notre part et une si grande bonté de la part du Seigneur; qu'il regarde si celui qui vient pour le salut de l'homme avec tant de douceur , mérite d'être poursuivi par ceux qu'il vient sauver , avec une si dure barbarie , et on peut en dire de même de tous les autres genres de péchés. » (Ibid. )

Des ornements spirituels dont doit èlrc parée lame qui se prépare à communier dignement.

Un autre jour elle devait communier , tandis qu'elle se regardait comme moins bien préparée qu'à l'ordinaire et que le moment de la communion approchait, elle parlait à son âme en ces termes : « Voilà que l'époux déjà t'appelle , et comment oseras-tu aller au-devant de lui , n'étant nullement parée des ornements des mérites , qui feraient que tu en se- rais digne ? » Mais alors repassant encore davantage son in- dignité , se défiant entièrement d'elle-même, et plaçant toute son espérance en l'infinie charité de Dieu , elle se dit : « A quoi bon retarder , puisque quand même tu aurais mille ans à t' appliquer , tu ne pourrais néanmoins te préparer digne- ment , n'ayant absolument rien de toi-même qui puisse suffire à une préparation si magnifique et si difficile ; mais j'avancerai au contraire au-devant de lui avec humilité et confiance, et lorsqu'il m'aura vue de loin , mon doux Sauveur , touché de son propre amour, sera assez puissant pour envoyer vers moi ce dont j'ai besoin pour me présenter dignement et en parfaite préparation ; » et s' avançant, en effet, avec cette disposition, elle tint les yeux de son cœur fixés sur sa difformité et sa lai- deur

DE SAINTE GERTRUDE. 185

Et lorsqu'elle eut un peu approché , le Seigneur lui appa- rut , la regardant avec un air de miséricorde , que dis-je , d'affection, et il lui envoya au-devant pour la préparer digne- ment à paraître devant lui , cette innocence qu'elle demandait, et dont il la couvrit comme d'une tunique moelleuse et écla- tante de toute blancheur , et ensuite il lui donna son humilité, cette humilité par laquelle il daigne s'associer à nous si indi- gnes , pour qu'elle s'en couvrît comme d'une robe violette ; et son espérance ensuite, cette espérance par laquelle lui- même désire et brûle de recevoir les embrassements de l'àme, pour s'en revêtir comme d'un ornement vert.

Puis son amour, cet amour dont il est pénétré envers l'âme , et qu'il lui donna comme un manteau de couleur d'or pour l'embellir.

De plus, sa joie, celle qu'il goûte lui-même dans le sein de l'àme fidèle et qu'il lui fit imposer comme une couronne garnie de pierreries et de perles précieuses.

Enfin sa confiance, laquelle il daigne lui-même inspirer, se faisant l'appui du vil limon de la fragilité humaine et plaçant ses délices à vivre parmi les enfants des hommes, afin qu'elle en fît sa chaussure et qu'ainsi ornée de toute part , elle se présentât dignement devant lui.

Avec quel ardent amour le Seigneur se donne lui-même dans le Sacrement de l'Eucharistie.

Après avoir reçu la communion , et tandis qu'elle était re- cueillie au plus profond d'elle-même, le Seigneur se présenta devant elle sous la forme d'un pélican qui se perçait le cœur avec son bec , comme on a coutume de représenter cet oiseau, ce qui lui donnant de l'admiration , elle disait à Dieu : « Sei- gneur, que voulez-vous donc tâcher de me persuader par cette vision? » Le Seigneur lui répondit : « J'ai dessein de te faire considérer qu'en l'offrant un don si auguste , je suis pressé par de si grands sentiments d'amour , que s'il n'était

1 80 ESPRIT

pas inconvenant do parler de la sorte , j'oserais avancer qu'a- près avoir fail ce présent aux hommes , je préférerais demeu- rer mort dans le tombeau que de voir l'àme aimante s'abste- nir de ce fruit de ma libéralité ; c'est , enfin , pour te faire envisager combien est excellente la manière dont ton àme est vivifiée pour la vie étemelle en prenant cet aliment divin , puisqu'elle l'est à la manière du petit du pélican qui re- çoit la vie du sang qui découle du cœur de son père. » (Pag. 230.)

fiue le pécheur vraiment repentant est proniplement pardonné.

Tandis qu'on chantait, un jour , ces paroles : Sanctifica- mini, filii Israël; sanctifiez-vous , enfants d'Israël , elle ap- prit que celui qui se repent promptement de tous ses péchés, tant d'action que d'omission, et retourne avec un cœur sin- cère à l'obéissance des commandements de Dieu , est aussi promptement et si parfaitement purifié aux yeux de Dieu , et reconnu guéri, que le fut le lépreux de l'Evangile, à cette parole du Seigneur : Sois purifié , je le veux. (Page 235. )

Comment chacun doit porter la croix après Jésus-Christ.

Comme on chantait, pendant la fête d'un martyr, ces paro- les : Qui mit ventre post me ; quiconque veut venir après moi, &c, Gertrude aperçut le Seigneur qui passait par un cer- tain chemin, agréable, il est vrai, par la beauté de la verdure et des fleurs dont il était couvert, mais fort étroit et fort difficile , à cause des nombreuses épines qui l'environnaient , et elle vit aussi l'image de la croix qui précédait et qui séparait commo- dément le chemin en serrant de tout côté les épines et le ren- dant plus large et plus facile; et s'étant tournée, elle vit derrière le Seigneur invitant avec un visage plein de douceur et de sérénité ceux qui venaient après lui à le suivre et leur disant Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-

DE SAINTE GERTRURE. 187

même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive, &c; et dans

ces paroles elle comprit que la tentation est à chacun sa croix.

Que la miséricorde de Dieu châtie les élus et que la charité l'emporte sur les négligences.

Tandis qu'on chantait le Salve regina, et que par ces mots : miséricordes oculos, tournez vers nous vos yeux si doux et si favorahles , elle désirait que Dieu lui accordât la santé du corps, le Seigneur lui dit , comme en souriant : « Ne sais-tu pas que je te regarde d'un œil très-miséricordieux , toutes les fois que tu es châtiée corporellement ou troublée spiri- tuellement ? »

Une autre fois , lorsqu'on , chantait pour la naissance de plusieurs martyrs, ces paroles : 0 sang glorieux! gloriosum sanguincm , il lui fut donné de comprendre', que , comme le sang , qui en lui-même donne de l'horreur , est cependant loué dans l'Écriture lorsqu'il est versé pour Jésus-Christ ; de même la négligence qui provient de l'obéissance ou de la charité fraternelle , attire tellement les complaisances de Dieu , qu'elle peut être dignement appelée glorieuse (-37).

Du mérite de l'obéissance et de l'adversité.

De même aussi , à l'occasion d'un répons l'on chantait ces mots : Yocavit angdus Domini Abraham , Y ange du Sei- gneur appela Abraham , elle fut instruite de cette vérité , qu'ainsi qu'Abraham , au moment, il étendait son bras pour frapper son fils et obéir à l'ordre de Dieu , mérita d'être appelé par l'ange ; ainsi , l'âme élue qui , dans l'accomplis- sement d'un devoir difficile soumet , à cause de l'ordre de Dieu , son esprit et sa volonté entière, mérite aussitôt d'être consolée par la suavité de la grâce qui lui sourit à l'instant même , et par le témoignage de sa propre conscience ; et

188 ESPRIT

cette consolation ne lui est donnée que parce que l'infinie libéralité de Dieu anticipe sur l'éternelle récompense qu'il doit accorder plus tard à chacun selon la difficulté de son obéissance.

Et lorsque, une autre fois , roulant dans son esprit les ad- versités du temps passé , elle demandait au Seigneur pour- quoi il avait permis qu'elle fût si persécutée par certaines personnes , le Seigneur lui fit cette réponse : « Lorsque la main paternelle veut corriger un fils, la verge ne peut pas lui résister ; de même je voudrais que mes élus n'imputassent jamais aux hommes par lesquels ils sont éprouvés, ce qu'ils leur font souffrir , mais qu'ils regardassent toujours mon affection paternelle , qui ne permettrait jamais que le moin- dre souffle de vent s'élevât contre eux , si je ne consi- dérais leur salut éternel qu'ils recevront en rémunération ; c'est pourquoi ils auraient , au contraire , compassion de leurs adversaires qui quelquefois , dans les épreuves qui servent à purifier les autres , se souillent et se perdent eux- mêmes. » ( P. 24:2. )

Combien l'oblalion de nos œuvres faile à Dieu par sou Fils, lui esl agréable.

Dans un autre moment , tandis que , à cause de la diffi- culté qu'elle éprouvait pour une œuvre , Gerlrude disait à Dieu le Père : « Seigneur , je vous l'offre par votre Fils uni- que, par la vertu du Saint-Esprit et pour tourner à votre louange éternelle , » elle sentit, par l'effet d'une illustration soudaine dans son intelligence, toute la vertu de cette parole, qui est , que tout ce qui est offert à Dieu le Père à celte intention , acquiert un degré de dignité qui surpasse infini- ment toute valeur humaine; et comme, par exemple, on trouve vert tout ce qu'on regarde avec un objet qui est vert, et rouge ce qui est vu avec un objet rouge, de même tout ce qui est offert à Dieu le Père par son Fils unique , lui est en tout point très-doux et très-agréable. ( P. 243. )

DE SAINTE GERTRUDE. 189

Utilité de la prière , qnoiqac son effet n'apparaisse pas sensiblement.

Pendant qu'étant en oraison elle s'informait auprès du Seigneur de l'utilité de ses prières pour ses amis , puisque priant si souvent pour eus , elle voyait qu'ils n'en ressen- taient aucun profit , le Seigneur daigna l'instruire par cette similitude : « Lorsqu'un enfant est adopté par un empereur , et qu'il est enrichi de l'immense héritage de ses domaines , qui est-ce parmi ceux qui voient cet enfant , qui s'aperçoive, à sa taille et à sa forme , de l'effet de cette donation , lors- que les témoins cependant savent fort hien quel il est, et com- hien il sera grand un jour par de si abondantes richesses ? Ne soyez donc pas étonnée de ne point remarquer des yeux du corps le fruit de vos prières , dont je dispose dans ma sagesse éternelle, pour un plus grand profit : et plus souvent on prie pour quelqu'un , plus on le rend heureux , puisque aucune prière de l'àme fidèle ne demeurera sans effet, quoi- que les hommes n'envoient pas la manière. » ( P. 2ii. )

L'adversité ôte l'occasion du péché.

Un certain jour de fête, se trouvant empêchée de chantera cause d'un violent mal de tête , Gertrude demanda au Sei- gneur quel était son dessein en permettant que cela lui arri- vât souvent , surtout aux jours de fête ? et elle reçut cette ré- ponse : « De peur qu'enorgueillie et dissipée par le plaisir de l'harmonie, vous ne soyez moins propre à recevoir la grâce; » et ayant ajouté : « Mais votre grâce pourrait bien prévenir en moi cette faute et l'empêcher, » le Seigneur répondit de nou- veau : « C'est un grand avantage pour l'homme que l'occa- sion du péché lui soit enlevée par l'accablement de quelque douleur ou contrariété , parce qu'il en retire un double mé- rite , celui de lu patience et celui de l'humilité. » ( P. 215. )

1 00 ESPRIT

Efficacité de la bouiie voloulé.

Animée d'une affection très-ardente, un autre jour, elle di- sait au Seigneur : « Oh ! que ne puis-je , Seigneur , brûler d'un feu tellement vif , que mon âme se fonde et devienne comme une substance très-liquide, afin de pouvoir ainsi la répandre tout entière plus subtilement devant vous ! » Le Seigneur lui répondit : « La volonté t'est un feu tel que tu le désires; » et par elle comprit que l'homme par sa seule volonté peut obtenir un plein effet de tous ses désirs , lors- qu'il les forme pour la gloire de Dieu. (P. 246. )

(Ju'oii ne pt-ul être sauvé sans l'amour de Dieu.

Ayant entendu, pendant une prédication, ces paroles: « Aucun homme ne sera sauvé sans l'amour de Dieu , sans en avoir eu du moins assez pour se repentir et s'abstenir du péché, s elle pensait dans son cœur, que plusieurs sortaient de cette vie , qui paraissaient plutôt se repentir par la crainte de l'enfer , que par le mouvement de l'amour de Dieu ; le Sei- gneur lui répondit ainsi : « Lorsque je vois à l'agonie ceux qui se sont souvenus quelquefois de moi avec douceur et plaisir, ou qui ont fait quelque œuvre méritoire, à l'approche même de la mort, je leur apparais avec un visage si plein de bonté et de miséricorde , et qui me rend si aimable , qu'aussitôt ils se repentent par amour, jusqu'à la moelle la plus intime du cœur , de m' avoir offensé ; et ainsi par une telle pénitence , ils obtiennent le salut; je voudrais donc que, pour cette grâce miséricordieuse, mes élus de la terre me rendissent gloire et louange, et qu'en me rendant grâce de mes bienfaits en général , on y comprit celui-ci. » ( P. 2 i-7. )

DE SAINTE GERTRUDE, J 9 I

La délectation sensible dissipe el empêche la déleclaliou divine.

Réfléchissant , un jour , par quelle conduite de la Provi- dence , il se faisait que les uns abondassent dans le service de Dieu d'une si grande plénitude de délices et de ferveur , tandis que d'autres demeurent dans l'amertume et les séche- resses, Dieu lui fit connaître que le cœur de l'homme a été créé pour contenir les plaisirs ou le bonheur, comme un vase pour contenir de l'eau ; mais si le vase contenant de l'eau la laissait couler par de petits trous , le vase à la fin pourrait se trouver vide jusque-là qu'il demeurerait entièrement sec; de même si le cœur de l'homme qui contient la jouissance, la répand par les sens du corps , par exemple , en voyant , en entendant , ou même par les autres sens corporels en agissant selon qu'il est permis , à la fin il peut tellement perdre , que le cœur demeure vide et incapable de goûter les plaisirs qui se trouvent en Dieu , et chacun peut en faire l'ex- périence en soi-même; car , lorsqu'il lui sera permis de re- garder ou de dire une parole , dans laquelle il n'y a qu'un petit ou même aucun profit , s'il le fait aussitôt , c'est qu'il ne le compte pour rien , parce que cela coule comme de l'eau ; mais s'il se propose de s'en priver à cause de Dieu, cela croit tellement dans son cœur qu'à peine y a-t-il quelque chose qui le surpasse. De vient que quand l'homme s'ap- plique à se vaincre en de telles choses , il s'habitue à se réjouir en Dieu, et plus il éprouve de difficulté à faire ainsi, plus il apprend à retirer du fruit, de ce plaisir en Dieu. (Page. -20-2.)

Combien la patience est précieuse.

Sainte Gerlrude demandant à Dieu à quoi il lui serait agréable qu'elle s'appliquât en ce moment-là , le Seigneur lui répondit : « Je veux que tu apprennes à avoir la pa-

192 ESPRIT

tience ; » car, en effet , elle était pour lors grandement trou- blée pour quelque chose. Et ayant répondu de son côté : « Comment est-ce , Seigneur, et par quel moyen pourrais-je apprendre à l'avoir?» Alors le Seigneur l'attirant à lui et la prenant comme un tendre maître prend dans ses bras un tout jeune écolier qu'il aime , il lui proposa , sous le carac- tère mystique de trois lettres différentes , trois motifs qui devaient l'encourager à obtenir la patience, et il lui dit : « Considère , premièrement , avec quelle familiarité est dis- tingué des autres , par un roi , celui qui plus qu'aucun lui ressemble en tout point; et de pense combien s'accroît mon affection pour toi , lorsque à cause de moi, et pour me ressembler, tu souffres quelque injure avec patience. » En second lieu , il lui dit : « Considère de même combien celui qui est intime avec le roi et qui lui ressemble en tout , reçoit de respect et d'honneur de toute sa famille , et par com- prends quelle grande gloire t'est préparée dans le ciel , à cause de la patience. » En troisième lieu, enfin, il lui dit : « Considère combien vive est la consolation qu'apporte à un ami la tendre compassion du plus fidèle de ses amis , et tu pourras juger par avec quelle suave bonté je te consolerai dans le ciel , même pour les moindres pensées qui t'affligent pendant la vie. » ( Page 255. )

De l'utilité île la fréquente communion.

Une autre fois , devant communier , elle dit au Seigneur : « 0 Seigneur ! qu'allez-vous me donner ? » Le Seigneur lui répondit : « Moi-même tout entier , avec toute mon essence divine, comme la Vierge , ma mère, me reçut dans son sein ! » Et alors elle ajouta : « Qu'aurai-je de plus que ceux qui vous reçurent hier avec moi et qui s'abstiennent aujourd'hui , puisque vous vous donnez toujours tout entier! » À quoi te Seigneur répondit : « Si , parmi les hommes du siècle , celui qui aurait reçu deux fois la dignité du consulat , doit l'em-

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porter en honneur sur celui qui n'en aurait été revêtu qu'une fois,, comment celui-là ne l'emporterait-il pas en gloire dans la vie éternelle qui m'aura reçu plusieurs fois sur la terre ? » Alors , gémissant en elle-même , elle disait : « Oh ! par quelle grande gloire les prêtres du Seigneur l'emporteront donc sur moi , eux qui par état communient chaque jour ? » Et le Sei- gneur lui dit : « II est vrai , ceux-là brilleront d'une grande gloire qui en approchent dignement; mais néanmoins il faut juger bien différemment de l'affection et de l'amour de celui qui en approche , que de la gloire extérieure qui appa- raît dans ce mystère. Ainsi donc , autre est la récompense accordée à ceux qui en approchent par désir et avec amour ; autre celle qui est réservée à ceux qui le prennent avec crainte et révérence , et autre aussi est celle que reçoivent ceux qui se préparent à la recevoir par l'application de toutes leurs pratiques et exercices, tandis qu'aucune de ces récom- penses n'est destinée à celui qui ne célèbre que par habi- tude. » (Page 26-i. )

Comment on peut ?c laver des souillures qu'on a contractées.

Un jour, elle demandait à Dieu de lui enseigner à effacer de son àme les souillures qu'elle contractait chaque jour, le Seigneur lui répondit : « Ne permettez jamais qu'elles durent longtemps en vous ; mais aussitôt que vous connaîtrez que vous êtes souillée , hàtez-vous de dire avec un cœur dévot et fervent , ce verset : Miserere met , Deus ; Seigneur , ayez pi- tié de moi ! Ou bien ces paroles : 0 Jésus-Christ! mon uni- que salut , faites que par votre mort très-salutaire toutes mes offenses me soient par données. »

Ensuite , s'étant approchée et ayant reçu le très-saint corps de Jésus-Christ , elle connut que. son àme était écla- tante comme le cristal de la plus blanche splendeur, et la di- vinité de Jésus-Christ qu'elle portait en elle comme un or pur miraculeusement incrusté , qui brillait à travers ce cristal, ce t. v. 13

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qui excitait en elle des impressions si délicieuses , si admira- bles et si fort au-dessus de tout ce qu'on peut en dire et dans lesquelles la vénérable Trinité et tous les Saints goûtaient des délices si exquises qu'elle comprit que c'est ce dont il est écrit : Que toute perte spirituelle peut être réparée par la digne réception du corps de Jésus-Christ , car cette douce opération de la divinité en elle lui paraissait si excellente , que toute la cour céleste sembla lui attester qu'elle trouvait son bonheur à admirer l'âme dans laquelle ces choses divi- nes se passaient. ( Page 266. )

De l'efficacité du regard divin cl de l'utilité de la communion spirituelle.

Elle était dans l'habitude , cette fervente épouse de Jésus- Christ , d'entretenir en elle une ardeur et un désir fréquent de recevoir le corps du Christ dans la divine Eucharistie : or, tandis que, une fois, elle s'était préparée avec plus de dé- votion encore que les jours précédents à recevoir la commu- nion , et que pendant la nuit du dimanche elle se sentit un tel abandon de ses forces , qu'il lui semblait impossible de communier, elle consulta le Seigneur, selon sa coutume, pour savoir ce qui lui était plus agréable de faire. A quoi le Sei- gneur répondit ainsi avec une rare bonté : « Comme un époux rassasié par divers festins , se plaît davantage à se reposer paisiblement avec son épouse qu'à s'asseoir à table avec elle ; ainsi, moi je me plais davantage cette fois en ce que par dis- crétion vous vous priviez de la communion que si vous appro- chiez pour la recevoir. » A quoi elle ajouta : « Et comment se fait-il , mon très-aimable Seigneur , que vous daigniez m'as- surer que vous êtes rassasié en ce moment ? » Le Seigneur répondit : « J'avoue que par toutes vos privations de parler, par la vigilance sur tous vos sens , non moins que par tous les désirs , prières et volontés par lesquelles vous avez eu l'intention de vous préparer à recevoir dignement mon très- saint corps et mon sang , je suis parfaitement content de

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vous et rassasie comme par les mets les plus délicieux de di- vers festins. »

Mais , pendant que dans un état de faiblesse extrême elle se traînait à la messe , soupirant après la communion spiri- tuelle , il arriva qu'un prêtre revenait de la campagne de porter à un malade le corps de Jésus-Christ en viatique ( ce qu'elle comprit par le son de la cloche); elle fut si enflam- mée d'un véhément désir , qu'elle dit au Seigneur : « Oh ! que bien volontiers je vous recevrais en ce moment du moins spirituellement! Ola vie de mon âme , si j'avais eu le temps de me préparer de quelque manière Et à cela le Seigneur répondit : « Le regard de ma divine bonté te préparera très- dignement. » Et au moment même le Seigneur paraissait diriger ses regards comme les rayons du soleil , sur son âme, disant : Firmabo super te oculos meos ; j'arrêterai fixement mes yeux sur toi. Et par ces paroles elle distingua le triple effet que le regard divin opère dans l'âme et qui est semblable à celui du rayon du soleil, comme aussi la triple manière par laquelle l'âme doit se préparer pour l'obtenir. (Page 268.)

Sur Futilité du souvenir de la Passion de Jésus-Christ.

Occupée de sa propre indignité , tandis qu'une fois , pri- vée presque de toutes les forces qu'elle tirait de ses mérites , elle se reposait dans la route elle se hâtait d'avancer pour aller spirituellement vers le Seigneur , celui-ci se penchant vers elle par un effet de sa bienveillante charité , lui dit : « Par droit et devoir de mariage , il convient que partout la reine se repose étant indisposée , le roi s'empresse d'aller la visiter. i> Par ces paroles , elle comprit que le Seigneur , par son immense bonté, croit devoir tenir autant à l'âme qui s'occupe fréquemment, avec dévotion et selon ses moyens, du souvenir de la passion, que le roi doit tenir à la reine par droit de mariage, car elle reconnut qu'elle n'avait mérité cette très-aimable visite du Seigneur , que parce que le ven-

1 % ESPRIT

dredi elle s'appliquait à honorer la passion de Jésus-Christ , et elle jugea aussi de , que quiconque se ralentirait dans sa piété, serait néanmoins regardé du Seigneur avec plus d'indulgence et de bonté , s'il n'omettait pas de célébrer le souvenir de sa passion. ( Page 270. )

Commeul le Fils de Dieu apaise Dieu son Père.

Une fois , pendant qu'elle s'efforçait de choisir , entre les diverses connaissances ou faveurs que Dieu , dans sa géné- reuse bonté, avait daigné lui communiquer, celle qu'il serait le plus utile aux hommes de leur manifester, pour leur avan- cement dans la perfection , le Seigneur, se mêlant alors à ses pensées et à ses désirs , lui fit cette réponse : « Il est très- utile de faire connaître aux hommes qu'il leur serait toujours fort avantageux de se souvenir de ceci , savoir , que moi , Fils de la Vierge Marie , je me tiens sans cesse devant mon Père pour le salut du genre humain, et que toutes les fois qu'ils viennent, par un effet de la fragilité humaine, à pé- cher par le cœur, moi j'offre en réparation à mon Père , mon cœur immaculé pour eux. Lorsqu'ils pèchent par actions , moi je lui présente mes mains percées , et ainsi du reste , en tous les points ils pèchent; de sorte que mon innocence apaise Dieu mon Père , afin que s'ils se repentent , ils ob- tiennent toujours un facile pardon. C'est pourquoi je voudrais que les âmes choisies me rendissent grâces toutes les fois qu'elles ont obtenu le pardon de leurs péchés , de ce que je leur ai rendu ce pardon si facile à obtenir. » (P. 271. )

Courte prière Irès-agréable à Jésus-Christ et enseignée par lui-même.

Elle demandait à Jésus-Christ de vouloir bien lui enseigner une courte prière qu'il agréât avec la même bonté , de la part de tous ceux qui la prononceraient avec dévotion. Alors, divi- nement inspirée , elle comprit que Dieu accepterait comme

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très-agréable cette prière quoique facilement faite, de la part de tous ceux qui la diraient avec dévotion et pureté d'in- tention , pendant cinq fois , en l'honneur des cinq plaies , savoir : Jésus, Sauveur monde, exaucez-nous , vous à qui lien n'est impossible, si ce n'est seulement de n'avoir pas compassion des malheureux. Et ensuite : 0 Christ , qui avez racheté le monde par la croix, écoutez-nous ; et de plus : 0 Jésus, époux plus doux que le miel, avec toutes les délices de votre divinité, je vous salue et vous embrasse avec l'affection la plus universelle, et je vous baise sur la blessure de votre amour. Et encore : Le Seigneur . qui est ma force et le sujet de ma louange , est devenu lui-même mon salut. Et qui , en- fin , en l'honneur des cinq plaies du Seigneur et en baisant dévotement ces mêmes plaies couleur de rose , ajouterait telles collectes et oraisons qu'il voudrait, et s'il le recommandait par le très-doux cœur de Jésus-Christ , l'organe de la très- sainte Trinité ; celui-là , dis-je , qui prononcerait cette prière est assuré que Dieu l'écoutera favorablement. (Page 291.)

Des deux pulsations du cœur de Jésus.

Lorsqu'un jour Gertrude voyait les autres accourir pour entendre un sermon, d'un air plaintif elle dit intérieurement au Seigneur : « Vous savez, mon Bien-aimé, que si je n'étais retenue par l'infirmité corporelle, j'irais maintenant de bien bon cœur , et avec joie , entendre la prédication. » Et le Sei- gneur lui répondit : « Veux-tu , ma très-chère épouse , que je te prêche moi-même? Mais très-volontiers, Seigneur, ajouta-t-elle ! » Alors le Seigneur la pencha sur son cœur, de telle manière que son âme était appliquée sur son cœur divin. Et lorsque son âme s'y futdélicieusemnt reposée un peu de temps , elle sentit dans le cœur de son maître deux admi- rables et très-suaves pulsations. Et le Seigneur lui dit : « Cha- cune de ces deux pulsations opère le salut de Fhomme de trois manières. La première pulsation produit le salut des pé-

1 08 ESPRIT

cheurs; la seconde celui des justes. En effet, par la première pulsation , je m'adresse d'abord sans relâche à mon Père , pour le fléchir en faveur des pécheurs et l'incliner à la misé- ricorde; ensuite je m'adresse à tous les Saints , excusant de- vant eux les pécheurs avec une fraternelle charité et les excitant à prier eux-mêmes pour ces pauvres coupables. En- fin , en troisième lieu , je m'adresse au pécheur lui-même , le rappelant miséricordieusement au repentir et à la péni- tence , et attendant avec un désir ineffable sa conversion.

Par la seconde pulsation j'entretiens d'abord mon Père pour qu'il me félicite de ce que j'ai si bien employé le prix de mon sang pour la rédemption des justes , dans les cœurs desquels je me plais à trouver maintenant tant de diverses délices. En second lieu , je m'adresse à toute la milice céleste pour qu'elle me loue de la sainte conduite des justes et afin qu'elle me rende grâce des bienfaits que je leur ai déjà accor- dés et que je leur accorderai à l'avenir. Enfin , je parle aux justes eux-mêmes , leur donnant plusieurs marques de mon amour et les avertissant fidèlement de s'appliquer à faire des progrès de jour en jour et d'heure en heure. Et comme le battement du cœur humain n'est empêché ni par la vue, ni par rouie, ni par aucun travail des mains, mais qu'avec tout cela il peut avoir son mouvement sans relâche ; de même, ni le gouvernement , ni l'administration du ciel et de la terre , ni celui de l'universalité des créatures ne peut ja- mais ni ne pourra jusqu'à la fin des siècles, pas même un seul instant , ralentir , tempérer, ou en aucune manière ar- rêter ces deux battements dans mon cœur divin. » (Pag. 294. )

De la parfaite résignation de tout soi-même en la \olonle' divine.

Gertrude , retenue par une maladie qui après la sueur de la fièvre , tantôt la soulageait et tantôt la privait de toutes ses forces, se trouvant une nuit toute mouillée de sueur , com- mença à penser en elle-même avec anxiété , si cette sueur

DE SAINTE GERTRUDE. 190

était un présage que son état deviendrait pire ou bien meil- leur , et le Seigneur Jésus lui apparut tout agréable et beau comme une fleur, portant la santé dans sa main droite et dans la gauche la maladie, et il les lui présenta toutes deux pour qu'elle choisît ce qu'elle préférerait ; mais elle, les re- poussant l'une et l'autre et s'avançant dans la ferveur de son esprit entre les deux mains du Sauveur , elle s'approchait de son très-doux cœur, dans lequel elle savait qu'était renfer- mée l'abondance de tous les biens, lui demandant quelle était sa très-adorable volonté; alors le Seigneur la recevant avec bonté et l'embrassant doucement , il la pencha lui-même sur son cœur pour l'y faire reposer ; mais elle, détournant aussi- tôt son visage de dessus le Seigneur , et inclinant par der- rière sa tête sur la poitrine de son Maître , lui dit : « Voilà, Seigneur, que je détourne maintenant ma face de dessus vous, désirant de tout mon cœur que vous ne regardiez aucune- ment ma volonté , mais que vou6 suiviez en tout , envers moi, les décrets immuables de la vôtre. »

Par ceci , on peut remarquer que l'âme fidèle doit aban- donner et elle-même tout entière et tous ses plus chers inté- rêts à la disposition divine , avec une si pleine confiance qu'elle se plaise même à ignorer ce que le Seigneur fait à son égard, afin d'être assurée par que le bon plaisir de la vo- lonté divine est parfait en elle , et avec un entier désintéres- sement de sa part.

Alors le Seigneur fit couler de l'une et l'autre partie de son cœur si doux, dans le sein de Gertrude, comme par deux filets qui jaillissent d'une coupe pleine, deux ruisseaux d'eau vive pour l'inonder, en lui disant : « Du moment que renonçant entièrement à ta propre volonté , tu as ainsi dé- tourné ton visage de moi , moi au contraire , épanchant toute la douceur et les délices de mon cœur divin, je le dirige vers toi; » à quoi elle répliqua : « Mais puisque vous, ô mon très-doux ami , m'avez déjà donné tant de fois votre divin cœur de tant de différentes manières, je voudrais savoir

"200 ESPRIT

maintenant quel est le fruit que j'en dois retirer, puisque de nouveau vous daignez me le donner avec tant de libéralité ? » Et il lui fut répondu : « Est-ce que la foi catholique n'ensei- gne pas que lorsque quelqu'un communie une fois , je me donne à lui pour son salut tout moi-même avec tous les biens qui sont renfermés dans les trésors de ma divinité et de mon humanité? et que cependant , plus l'homme me reçoit sou- vent, plus il multiplie et augmente le trésor de sa béatitude et le porte jusqu'à son comble ? » (Page 299).

Que l'àme fidèle doit s'abandonner à la volonté divine , soit pour la vie ) soit pour la mort.

Une autre fois , tandis qu'elle donnait au Seigneur plusieurs marques de son amour , entre autres choses elle lui demanda d'où venait que , quoique malade depuis si longtemps , elle n'avait cependant jamais désiré savoir, en aucune façon , si sa maladie devait être terminée ou par la mort ou par la gué- rison , mais que plutôt la vie et la mort lui étaient choses in- différentes , le Seigneur lui répondit : « Lorsqu'un époux conduit son épouse dans un parterre de roses pour y cueillir des fleurs et lui faire un bouquet, l'épouse tient tant de plai- sir à la douce conversation de son époux, qu'elle ne demande jamais quelle est la rose qu'il veut cueillir : mais lorsqu'elle est parvenue au rosier , alors , quelle que soit la rose que son époux détache et qu'il présente à son épouse , afin qu'elle la joigne au bouquet , l'épouse, sans aucune observation , l'y joint avec une joyeuse promptitude. Semblablement l'àme fidèle dont ma volonté est tout le souverain plaisir et qui y trouve sa joie comme en un parterre agréable, reçoit certai- nement avec la même satisfaction , si c'est mon bon plaisir, soit que je lui rende la santé , soit que je lui ôte la vie pré- sente , parce que, remplie de fidélité pour moi , elle se confie à ma paternité. »

DE SAINTE GERTRUDE. 201

Du renouvellement des sept sacrements dans lame.

Un jour qu'elle examinait sa conscience et qu'elle trouvait quelque chose dont elle se serait confessée avec plaisir , si elle n'eût manqué de confesseur, elle eut recours , selon sa coutume, à son unique consolateur, le Seigneur Jésus-Christ, et lui exposa avec quelque inquiétude l'empêchement qu'elle éprouvait; et le Seigneur lui répondit en disant : «Pourquoi te troubles-tu , ma bien-aimée , puisque toutes les fois que tu désires cela de moi, moi-môme, souverain prêtre et vrai pontife , je serai à ta disposition , et chaque fois je renouvel- lerai en ton âme les sept sacrements la fois ?

Moi-même , en effet , je te baptiserai dans mon précieux sang ; je te confirmerai par la vertu même de ma victoire ; je {"épouserai par la fidélité même de mon amour; je te consa- crerai par la perfection de ma très-sainte vie ; dans l'excès de ma miséricorde je te délierai et l'absoudrai de tes péchés ; dans la surabondance de mon amour je te nourrirai de moi- même , et en jouissant de toi , je serai rassasié , et enfin dans la suavité de mon esprit, je pénétrerai tout ton intérieur d'une onclion si efficace , que par tous tes sens et tes pores décou- lera sans interruption une abondance de piété , par laquelle tu deviendras de jour en jour plus parfaite et plus sainte pour la vie éternelle. » (Page 309.)

De l'avantage, de la tentation.

Priant un jour pour une personne qui était tentée , elle re- çut cette réponse : « C'est moi qui lui ai envoyé cette tenta- tion , et je permets qu'elle l'ait, afin que reconnaissant son défaut et s'en affligeant, elle s'efforce de le détruire , et ne le pouvant pas , elle soit humiliée , et que les autres défauts qu'elle a et qu'elle ne connaît pas, soient en partie corrigés mes yeux , comme il arrive ordinairement aux hommes , qui

202 ESPRIT

en considérant une tache qu'ils ont à leurs mains , lavent les mains tout entières et ainsi ils les purifient des autres taches qu'ils n'auraient pas enlevées, si par celle qui était évidente ils n'y avaient été portés. »

De la manière d'exercer le zèle.

Comme elle priait un jour pour une personne qui était fort affligée par la crainte d"ètre coupable devant Dieu de quelque offense , parce qu'elle éprouvait de la peine à souffrir les né- gligences de certains dont l'exemple pouvait diminuer le fruit de la religion et énerver la discipline, elle fut instruite en ces termes par son excellent maître : « Si quelqu'un désire que son zèle soit un sacrifice agréable à mes yeux et profita- ble au salut de son âme , il faut qu'il observe avec le plus grand soin ces trois règles : que lorsque l'humanité ou le besoin l'exigent , elle montre à la personne dont il poursuit les négligences un visage serein , et si le cas le demande , des paroles et des œuvres charitables ; qu'il prenne garde de ne raconter à personne ces négligences , lorsqu'il n'attend aucun amendement de la part de celui qui est coupable , ni aucune précaution de la part de ceux qui écoutent cette cor- rection ; que si sa conscience lui dicte qu'il doit corriger quelque chose en autrui, qu'aucune considération humaine ne l'arrête de le faire , mais qu'il cherche avec pureté d'in- tention pour la gloire de Dieu et le salut des âmes les occa- sions où il pourra charitablement et avec fruit corriger ces sortes de défauts; et alors assurément il sera récompensé selon les efforts de son zèle et non d'après le profit qu'on en aura retiré, parce que s'il n'en résulte aucun amendement , ce ne sera pas à sa faute ni à sa condamnation , mais à celle de ceux qui n'auront pas voulu écouter ses avis ou qui s'y se- ront opposés. » (Page 362. )

DE SAINTE GERTRUDE. "203

D'une vision et révélation merveilleuse touchant le saint sacrifice de la Messe.

D'après cette vision qu'il serait trop long de rapporter en entier , sainte Gertrude a remarqué qu'une sublime harmonie existe entre le sacrifice de l'agneau immolé sur l'autel de la terre et le môme sacrifice offert, d'après saint Jean dans l'Apo- calypse , sur l'autel éternel. Parmi tant de belles choses qui nous ont frappé , nous avons cru devoir noter celles-ci :

Disons d'abord qu'admise à cette vision sublime, elle crut voir Jésus-Christ lui-même , pontife éternel , célébrant sur l'autel des cieux , et toute la cour céleste et la Trinité elle- même y prenant part. Or, par exemple, au moment le prêtre entonne le Gloria in excelsis Deo , elle crut voir Jésus- Christ lui-même se levant sur son trône royal et se tournant vers son Père entonner lui-même avec une voix étonnamment mélodieuse ce chant de gloire ; et par ce mot gloria elle con- nut combien Jésus-Christ relevait magnifiquement l'immense et incompréhensible puissance de Dieu le Père. Par cet autre in excelsis, comment pénétrant dans son propre sein il glo- rifiait la hauteur et la profondeur de sa sagesse , et par celui de Deo , elle vit qu'il révélait la douceur inestimable et indici- ble de l'amour du Saint-Esprit ; et toute la cour céleste pour- suivant l'hymne de gloire, chantait avec de grands transports : Et in terra par hominibus bonœ voluntatis : et alors le Fils de Dieu s'assit de nouveau dans son trône ; et deux ambassa- deurs de l'ordre des Trônes portaient un trône admirablement décoré qu'ils déposèrent devant le Seigneur et qu'ils soute- naient avec respect.

A l'évangile, elle vit se lever un jeune homme de la plus floris- sante beauté, qui avait reposé sa tête sur la poitrine du Seigneur ( c'est-à-dire saint Jean l'évangéliste) , et il était revêtu d'orne- ments blancs couverts de toute part d'aigles d'or, et puis les autres évangélistes s'avançant , venaient remercier Dieu des bienfaits accordés à la terre par la publication de l'Evangile.

204 ESPRIT

A l'offertoire, elle crut voir le cœur de Jésus-Christ se produisant hors de sa poitrine semblable h un autel resplen- dissant de feux , et les anges , députés de Dieu pour la con- duite des hommes , prenant leur vol, vinrent déposer sur cet autel du cœur de Jésus, avec de grands transports de joie, les bonnes œuvres et les oraisons faites par ceux qui leur sont confiés. Ensuite tous les Saints s'approchant offraient, les uns après les autres , sur ce même autel , à la gloire éter- nelle de Dieu et au salut des âmes, tous leurs mérites. Vint ensuite un magnifique prince de la céleste armée, portant un calice d'or qu'il offrit également sur l'autel d'or du cœur de Jésus. Dans ce calice étaient renfermées toutes les tribula- tions , les adversités et les souffrances de l'âme juste.

Aux mots de la préface Sursùm corda, elle vit tous les Saints invités par ces mots s'avançant et élevant leurs cœurs comme des tuyaux d'or pour les appliquer à l'autel d'or du cœur divin, afin de recevoir de la surabondance de ce calice que le Seigneur avait béni , quelques précieuses gouttes d'augmentation de mérite , de bonheur et de gloire.

Au moment l'on prononce dans la préface ces mots : Que les divers chœurs des esprits angéliques , les trônes , les dominations , les chérubins , les séraphins louent la majesté de Dieu, Per guem majestatem tuum laudant angeli, &c, elle les voyait s'avancer avec ordre devant le trône de l'Agneau pour lui rendre leurs hommages au milieu des encensements et des concerts les plus harmonieux.

Mais, quand il fallut prononcer ces mots : Saint , saint, saint , le Dieu des armées! ce ne fut pas un ange , ce fut celle qui seule peut louer Dieu dignement , ce fut la rose éclatante d'une beauté céleste , la Vierge bénie par-dessus toutes les créatures , ce fut Marie qui entonna ces mots , exaltant avec une infinie reconnaissance dans ces trois paroles toute la puissance , la sagesse , l'amour de la très-haute et indivisible Trinité , invitant en même temps la cour céleste à la féliciter de ce qu'elle a été faite si grande , qu'elle a été la fidèle et

DE SAINTE GERTRUDE. 205

expressive image de Dieu , la plus puissante après le Père , la plus sage après le Fils , la plus aimante après le Saint- Esprit.

Au moment l'on sonne la cloche pour annoncer l'éléva- tion de la sainte hostie , elle crut voir Jésus-Christ se levant sur son trône royal, offrir à son Père son cœur très-pur et l'immoler lui-même pour l'église d'une manière si ineffable qu'aucune créature , pour digne qu'elle soit , ne peut nulle- ment aspirer aie comprendre.

A la communion, il lui sembla voir Dieu embrassant l'âme qui s'unit à lui de la manière la plus tendre , et dans cet em- brassement faisant couler admirablement en elle avec une ineffable bonté, la vertu de sa divinité et la prenant et la re- tirant tour à tour , comme le souffle qu'on prend et qu'on reprend encore par la respiration , la transforma en lui- même et n'en fit qu'une même chose avec lui. De sorte que dans cette union l'âme goûte un bonheur tel , qu'il est impos- sible que l'homme pendant la vie en puisse ressentir de plus grand.

Aurions-nous besoin de faire remarquer l'élévation de telles pensées qui viennent évidemment du ciel?

XOTES SIR LES RELIGIEUSES BE\ED1CT1\ES.

Il n'est point aisé , dit Hélyot , t. 5 , p. 17 , de Oxer au juste l'épo- que de l'origine des religieuses Bénédictines : les historiens les plus exacts ne sont nullement d'accord ; les uns en font remonter le commen- cement au temps mémo de saint Benoit, les autres beaucoup de temps après. En suivant saint Grégoire le Grand, auteur de la vie de ce saint pa- triarche, on serait fondé à croire qu'il y avait de son temps des monastères de religieuses sur lesquelles il avait une entière autorité. Cependant il est difficile de savoir si ces religieuses vivaient dans des monastères ou dans des maisons particulières ; les historiens même de l'ordre de Saint- Benoit ont été fort partagés sur ce sujet. Les uns veulent qu'il eût fondé, dans un bourg, uon loin du Mont-Cassin, un monastère sainte Scholasti-

306 NOTES SUR LES RELIGIEUSES BÉNÉDICTINES.

que, sa sœur, aurait fait profession delà vie religieuse, et qu'elle aurait même gouverné cette communauté; d'autres, et à leur tète Mabillon , toujours exact , n'osent point l'assurer. On ne peut donc rien dire de bien certain touchant la véritable origine de ces religieuses ; il y aurait même sujet de croire , dit Hélyot , que ce ne serait qu'après la mort de saint Benoit que quelques monastères de filles auraient voulu suivre sa règle. Cependant on ne peut nier que sainte Scliolastique n'ait été re- ligieuse ; Mabillon le reconnaît, et saint Grégoire l'a appelée Sanctimo- nialis. Quoi qu'il en soit , le plus ancien monastère de filles que nous ayons en France qui ait suivi la règle de saint Benoît est celui de Sainte- Croix de Poitiers , que sainte Badégonde , épouse de Clotaire , roi de France, fit bâtir, l'an 544; mais il est certain que la règle de saint Cé- saire y fut d'abord observée. Sainte Clotilde , veuve de Clovis Ier , fit bâ- tir celui de Chelles , près de Paris. Sainte Bathilde , épouse de Clovis II, y fit venir plus tard des religieuses de Jouarre.

Quant au costume , il y eut des monastères l'on adopta l'habille- ment blanc avec guimpe , scapulaire , espèce de surplis à grandes man- ches de toile fine bien empesée et voile noir. D'autres prirent l'habille- ment noir avec des surplis de toile noire. Présentement , le véritable habillement des religieuses Bénédictines est noir, robe, scapulaire, tunique , voile et manteau de chœur. Cet ordre a subi quelques réfor- mes , et comme il a eu tant de filiations , ce serait trop long d'en par- courir les diverses observances et congrégations.

Nous citerons seulement les Bénédictines de Bourbourg, en Flandre et en Italie ; les Bénédictines de Montmartre , en France; celles de No- tre-Dame de Saint-Paul , à Beauvais ; celles du Val-de-Gràce , à Paris ; celles de Notre-Dame de la Paix , à Douai ; celles de l'adoration perpé- tuelle du très-saint Sacrement, dont une maison existe encore à Tou- louse. Pour les autres, voyez Mabillon, t. Il, p. 150 et 315, des Annales des Bénédictins. Le même auteur parle des reliques de sainte Gerlrude qui auraient été transportées au Mont-Sainte-Marie. On garde- rait aussi son manteau en Ncustrie , mais on ne sait rien de très-positif surtout cela comme sur son tombeau. Le Lipsanographia ou catalogue des reliques qui se gardent dans le palais électoral de Brunswick- Lunebourg , fait mention d'une belle châsse qui renferme les restes sacrés de sainte Gertrude. ( Voyez Antoine Yepés , Bulteau , Mabillon et Hélyot. )

ESPRIT

DE

SAINTE BRIGÏTE,

PRINCESSE DE SLÈDE ,

ET FONDATRICE DE L'ORDRE DIT DU SAUVEUR.

NOTICE.

1373.

Brigue ou Birgitte , si célèbre par ses révélations , était fille de Birger, prince du sang royal de Suède et législateur d'Upland (1). Sigride sa mère descendait des rois Goths. L'un et l'autre vivaient avec une grande piété dans la prati-

(1) Dans la cathédrale d'Upsal, capitale de la province d'Upland, on voit le tombeau du père de sainte Brigite, parmi ceux des anciens rois et des anciens archevêques.

-208 NOTICE

que exacte du christianisme et avaient une tendre dévotion

à la Passion de Jésus-Christ.

A l'âge de dixans , Brigite fut singulièrement touchée d'un sermon qu'elle entendit sur la Passion , et la nuit suivante , elle crut voir Jésus-Christ attaché à la croix couvert de plaies et de sang, lui adressant ces paroles : « Regardez-moi, ma fille! » Ah! qui vous a traité de la sorte, s'écria-t-elle aussitôt ? « Ce sont , répondit la même voix, ceux qui me mé- prisent et qui sont insensibles à mon amour pour eux. » De- puis ce jour, elle ne cessa point de s'appliquer à la médi- tation de la Passion du Sauveur, et Dieu la favorisa de plu- sieurs visions et prophéties.

Quoique bien désireuse de consacrer à Dieu sa virginité , elle fut destinée , dès l'âge de seize ans , à Ulphon , prince de Néricie en Suède, lequel n'avait que dix-huit ans. Peu de temps après leur union , ils entrèrent dans le tiers ordre de Saint-François et leur maison devint une espèce de mo- nastère. Ils reçurent du ciel huit enfants ; le dernier fut Catherine , honorée comme sainte le 22 mars.

La vie de ces deux époux se passa tout entière en aumô- nes , en visites aux malades , ou en pieux pèlerinages. Ulphon avait quitté la cour, il occupait le premier rang : en reve- nant de Compostelle et rentrant dans sa patrie, il tomba ma- lade à Arras, et mourut, peu de temps après , de la mort des justes, dans le couvent d'Alvastre , de l'ordre de Citeaux.

Brigite devenue libre renonça au rang de princesse pour se consacrer entièrement à la pénitence ; elle partagea ses biens à ses enfants, ne connut plus le monde , prit un habit grossier , se ceignit d'une corde , porta le eilice et vécut dans les plus grandes austérités.

SUR SAINTE BRIGITE. 200

Bientôt après elle fit bâtir le monastère de Wastein , au diocèse de Lincopen , en Suède (sous la régie de saint Au- gustin ; nous en parlerons aux notes ).

Plus tard , Brigite fit un voyage à Rome , l'on admira l'éclat de ses vertus et la grandeur de sa mortification ; elle y fonda une maison d'étudiants et de pèlerins Suédois, qui est située au Campo de Flore, près du palais Farnèse : elle avait chaque jour douze pauvres à sa table qu'elle servait de ses propres mains. Le jeudi elle leur lavait les pieds et ra- commodait elle-même leurs habits.

Pendant les trente dernières années de sa vie, elle se con- fessait tous les jours et participait à la divine Eucharistie plusieurs fois la semaine , tant était grande son application à se perfectionner.

Tout est mémorable dans cette belle vie. Mais ce qu'il y a de plus fameux , ce sont ses révélations qui formeraient à elles seules plusieurs volumes ; elles furent écrites d'abord par elle-même dans sa langue maternelle , et ensuite traduites en latin , à ce qu'il paraît , par Pierre, moine de Cîteaux et par le docteur Mathias , chanoine de Lincopen, qui mourut évêque de Worms. L'un et l'autre avaient été les directeurs de sa conscience.

Ce livre, examiné par le célèbre Jean de Turre-Cremata, qui fut depuis cardinal, fut approuvé par le concile de Bàle. Mais on y a joint diverses parties que la saine critique ne permet pas de lui attribuer : ce qui est bien d'elle, ce sont les sept premiers livres. Sainte Brigite , du reste , soumettait toujours avec grande simplicité et humilité toutes ses révé- lations au jugement de l'Eglise.

Le pèlerinage qu'elle fit à la Terre-Sainte , ne fit que re- T. v. 14

210 NOTICE SUR SAINTE BRIGITE.

doubler son amour pour Jésus crucifié ; de retour à Rome, elle fut attaquée de diverses maladies qu'elle supporta avec une patience héroïque ; enfin , délivrée des angoisses de la vie , pleine des désirs du ciel , elle alla régner avec les Bien- heureux, dans la gloire qui l'attendait, le 23 juillet 1373, à l'âge de soixante-onze ans : son corps fut déposé dans l'église de Saint-Laurent , in Panis-perna , qui appartenait aux Cla- risses. Boniface IX la canonisa le 7 octobre 1391 , et , quatre ans après , le pape Martin V confirma sa canonisation.

ESPRIT

DE

SAINTE BRIGITE,

TIRÉ DE SES RÉVÉLATIONS CÉLESTES ET DIVINES.

DU 4e LIVRE.

D'une vision touchant une âme qui devait être jugée. Des accusations du démon. De la défense que prend la sainte Vierge. De l'ex- plication de celte vision.

c Une certaine personne , veillant en oraison , voyait en esprit un palais d'une grandeur inexprimable, dans lequel était une innombrable multitude d'hommes couverts de vêtements blancs et éclatants, et chacun d'eux semblait avoir un siège propre. En ce palais il y avait principalement un siège signalé, comme un soleil , pour juge , et la splendeur qui sortait et brillait du soleil était incompréhensible en longueur, largeur et profondeur.

Une Vierge aussi était debout auprès du siège , ayant sa tête entourée d'une couronne. Tous servaient celui qui était assis au. siège, le louant par des hymnes et des cantiques.

Après on voyait un Ethiopien (1) terrible à voir, qui en ses gestes marquait être plein d'envie et allumé d'une grande co- lère , qui s'écriait, disant : 0 Juge , procédez au jugement de cette àme ; écoutez et voyez ses œuvres , car il lui reste peu à

(1) Figure qui représente la noirceur du génie du mal , du démon.

2 1 2 ESPRIT

vivre. Permettez-moi aussi de punir le corps avec l'âme jus- qu'à ce que la séparation en soit faite. Ce qu'ayant été dit , il me semblait qu'un ange était devant le siège comme un sol- dat armé , pudique et sage en ses paroles et modeste en ses actions , qui disait : 0 Juge , voici les bonnes œuvres qu'il a faites jusqu'à cette heure.

Et soudain on entendit une voix sortant du soleil du siège, disant : Il y a plus de vices que de vertus ; il n'est pas juste et convenable que le vice soit conjoint à la souveraine vertu.

L'Ethiopien répondit : Il est donc juste que cette âme soit conjointe à moi; car comme elle a quelque vice en elle, de même en moi il y a toute sorte de méchanceté.

Le soldat répondit : La miséricorde de Dieu suit toute sorte de personnes jusques à la mort , voire jusques au der- nier période de la vie , et ensuite le jugement se fait : en l'homme, duquel il est maintenant question, l'âme et le corps sont encore conjoints ensemble, et la discrétion et la raison est encore entièrement à lui.

L'Ethiopien répondit : L'Écriture , qui ne peut mentir , dit : Vous aimerez Dieu sur toutes choses , et votre prochain comme vous-même. Voyez donc que toutes les œuvres de celui- ci sont faites par l'esprit de crainte et non par l'amour, comme il devait ; et tous les péchés dont il s'est confessé , vous trou- verez qu'il ne s'en est confessé qu'avec une petite contrition. C'est pourquoi il mérite l'enfer, car il a démérité le paradis. Et partant ses péchés sont ici manifestés devant la justice divine, car il n'a jamais obtenu de la divine charité la con- trition des péchés qu'il a commis.

Le soldat répondit : Il a certainement espéré d'obtenir la contrition avant de mourir.

L'Ethiopien répliqua: Vous avez, dit-il, amassé tout ce qu'il a fait de bien , vous connaissez si toutes ses paroles pieuses profitent à son salut ; toutes ces choses, quelles qu'elles soient , ne sauraient entrer en comparaison avec la

DE SAINTE BIUGITE. 213

grâce qui est appelée contrition , qui sort de la charité avec la foi et l'espérance laquelle il n'a pas. Partant , tout cela ne saurait effacer ses péchés , car la justice est en Dieu de toute éternité , qui veut qu'aucun n'entre au ciel , qui n'aura eu la parfaite contrition. Il est donc impossible que Dieu juge contre l'ordre et la disposition qu'il en a prévu de toute éternité : donc il faut que cette âme soit adjugée à l'enfer et la joindre avec moi aux peines éternelles. Ces choses étant dites et représentées , le soldat ne sut que dire à ces paroles.

Après ceci , on vit un nombre innombrable de démons , semblables à des étincelles courantes d'un grand feu excité , et qui criaient tout d'une voix , disant à celui qui était assis au trône comme un soleil : Nous savons que vous êtes un Dieu en trois personnes, que vous êtes sans commencement ni fin. ( Suit la profession des démons qui croient tout, malgré eux. ) Puis , il est dit : Nous disons bien davantage : si ce que vous aimez par dessus tout qui est la sainte Vierge qui vous a enfanté , qui n'a jamais péché , si elle eût offensé Dieu mortellement et qu'elle fût morte sans contrition divine, vous aimez tellement la justice, qu'elle n'eût jamais obtenu le ciel ; mais elle serait avec nous dans l'enfer. Pourquoi donc , ô Juge , ne nous adjugez-vous pas celle âme, afin que nous la punissions selon ses œuvres?

Après on entendit un son comme celui d'une trompette, et tous ceux qui l'entendirent se lurent , et soudain une voix leur disait : Silence ! écoutez , ô vous , anges , âmes et dé- mons , écoutez ce que la Mère de Dieu dit. Et à l'instant la Mère de Dieu , paraissant devant le siège du Juge et ayant sous son manteau comme quelques choses grandes et cachées, dit : O ennemis , vous poursuivez la miséricorde et aimez la justice sans amour : bien qu'en ses bonnes œuvres il y appa- raisse du défaut pour lesquelles l'âme doive obtenir le ciel , voyez néanmoins ce que j'ai sous mon manteau. La sainte Vierge ayant ouvert les deux côtés de son manteau, d'un côté apparut comme une petite église on voyait quelques reli-

'1 1 4 ESPRIT

gieux ; en l'autre côté apparurent des femmes et des hom- mes amis de Dieu , religieux et autres qui criaient d'une voix touchante, disant : Miséricorde! ô Dieu miséricordieux! Et puis on fit un grand silence, et la sainte Vierge parlait , di- sant : L'Écriture rapporte , que celui qui a la foi parfaite peut transférer des montagnes. Qu'est-ce donc que ces voix des justes qui ont eu l'amour doivent et peuvent faire ? Qu'est- ce que les amis de Dieu feront pour celte âme qui les a priés d'implorer Dieu pour elle , afin qu'elle put éviter l'enfer et ohlenir le ciel ; qui n'a jamais cherché autre récompense de ses bonnes œuvres que le ciel ? Eh quoi ! toutes les larmes et les prières de tous ces Saints ne pourraient-elles pas lui obtenir avant sa mort la vraie contrition avec l'amour ? D'ail- leurs , j'ajouterai mes prières aux oraisons de tous les Saints qui sont au ciel et que cette âme avait en singulière recom- mandation et honneur spécial. Et derechef la sainte Vierge dit : O démons ! je vous commande en la puissance du juge d'être attentifs à ce que vous voyez maintenant en la justice.

Alors tous répondirent comme d'une bouche : Nous voyons, dirent-ils , qu'au monde il y a un peu d'eau et force air ; on apaise la colère de Dieu , et même par votre oraison on ob- tient la miséricorde avec l'amour.

Et de suite on entendit une voix solennelle , sortant du soleil du siège, disant : Pour les prières de mes amis, celui- obtiendra avant de mourir la contrition divine , de sorte qu'il ne descendra pas dans l'enfer , mais il sera purifié avec ceux qui, ayant commis de grands péchés, endurent une grande peine dans le purgatoire , et cette âme étant purifiée , elle aura la récompense au ciel avec ceux qui ont eu, en terre, la foi et l'espérance avec quelque petite charité. Ces choses étant dites, les démons s'enfuirent.

Explication de la vision :

Le palais est le ciel ; la multitude assise et portant des vê- tements blancs sont les anges et les saints ; le soleil signifie Jésus-Christ en sa divinité ; la femme , la sainte Vierge qui

DE SAINTE BRIG1TE. 215

a enfanté Jésus-Christ ; l'Ethiopien , le démon qui accuse l'àine ; le soldat , l'Ange gardien qui l'excuse ; la fournaise , l'enfer qui brûle , etc. »

Cette vision sert à donner une haute idée de la protection de la très-sainte Yierge , de la puissance de l'intercession des Saints et du ministère de l'Ange gardien.

Prière que fait sainte Brigite a Dieu son e'poux.

« Béni soyez-vous , ô mon Créateur et mon Rédempteur ; ne vous indignez pas si je vous parle comme celui qui , étant malade , parle à son médecin, comme l'affligé parle à son consolateur, et comme le pauvre à celui qui est riche et dans l'abondance ; car celui qui est malade et blessé dit: O méde- cin , ne m'abandonnez pas , car vous êtes mon frère ! ô très- bon consolateur , ne me délaissez pas, car je suis affligé ; mais donnez repos à mon cœur et consolation à mes sens ! Et le pauvre parle en ces termes : O vous qui êtes riche, et qui n'avez besoin de rien , regardez sur moi, car je me meurs de faim ; voyez que je suis tout nu, et donnez-moi des vêtements, desquels je puisse m'échauffer. De même je vous en dis , ô Seigneur très-bon et très-puissant; je considère les plaies de mes péchés, desquelles je suis blessée dès mon enfance, et je me lamente d'avoir inutilement employé mon temps; mes forces ne suffisent pas aux travaux de la pénitence, car elles ont été épuisées en vanités. Partant , vous qui êtes la fontaine de toute bonté et miséricorde , je vous supplie d'avoir misé- ricorde de moi ; touchez mon cœur de la main de votre di- lection , car vous êtes un très-bon médecin , et consolez mon âme puisque vous êtes un bon consolateur. »

La mère de Dieu lui parle du cœur très-doux de son Fils.

« La Mère de Dieu parle, disant : Le cœur de mon Fils est très-suave comme le miel , et très-pur comme la plus pure

21G ESPRIT

fontaine , car toutes les bontés et les beautés éparses en cet univers procèdent de lui comme de sa source , et lui est très- doux. En vérité , qu'est-ce qui est plus doux pour un homme bien sensé que de considérer en nous l'amour de Dieu en la création , rédemption , travaux et doctrine , en sa grâce et sa patience invincible? Car sa charité ne coule pas et ne passe pas comme l'eau , mais elle se répand au loin et se perpétue , d'autant que son amour qui vient de l'éternité, demeure avec l'homme jusqu'au dernier période de sa vie. Que si le pécheur était aux portes de sa totale ruine et perdition , et qu'il criât de avec volonté de s'amender , il en serait sans doute af- franchi ; d'ailleurs , pour parvenir au cœur de Dieu , il y a deux voies : la première , c'est l'humilité d'une vraie contri- tion , et celle-ci induit et introduit Fhomme dans le cœur de Dieu et dans ses colloques spirituels ; la deuxième voie est la considération de la Passion de mon Fils qui chasse l'endur- cissement du cœur de l'homme et le fait courir joyeusement au cœur de Dieu. »

Noire-Seigneur la prémunit coulre l'orgueil.

« Le Fils de l'Éternel dit ceci à son épouse sainte Brigite : Ne vous troublez pas de la superbe de ces gens-là, car elle pas- sera soudain ; il y a une certaine espèce de mouche qui est ap- pelée papillon; il a les ailes larges et le corps fort petit , il a plusieurs couleurs, il vole fort haut à raison de sa légèreté et subtilité; mais montant en l'air, à cause de sa petite force, il tombe soudain sur des rochers ou sur des bois. Cette espèce de mouche signifie les orgueilleux qui ont les ailes larges et un petit corps , d'autant que leur esprit s'enfle de superbe comme une peau enflée de vent ; ils croient aussi avoir toutes choses en considération de leur propre mérite et se préfèrent aux autres , croyant qu'ils sont plus dignes qu'eux ; en sorte que s'ils pouvaient , ils étendraient leur nom par tout l'uni- vers ; mais leur vie étant courte , rapide et comme un point ,

DE SAINTE BRIGITE. 217

lorsqu'ils y pensent le moins ils tombent. Ils ont plusieurs couleurs comme le papillon , car ils s'enorgueillissent de la beauté de leurs membres, de leurs biens , de leur sang , de leur race , et changent tous les jours d'état selon les inven- tions de leur orgueil ; mais quand ils meurent , ils ne sont que cendre et poussière ; et quand les superbes sont montés au plus haut point de leur orgueil , voilà qu'en un moment ils tombent et avec un grand péril dans les abîmes de la mort. C'est pourquoi , ô ma Fille , donnez-vous garde de l'orgueil , parce qu'il ôte les hommes de la présence de Dieu , et que ma grâce n'entre point en l'âme , lorsque l'orgueil la pos- sède. »

Combien la simplicité est agréable à Dieu.

Un certain homme ne savait pas à grand'peine le Pater woster ; il demanda un conseil pour son âme à sainte Brigite, à laquelle le Seigneur dit : « Plus me plaît la simplicité de ce pauvre homme simple que la prudence des superbes, d'au- tant que leur superbe les éloigne de Dieu , et en celui-ci l'hu- milité introduit Dieu dans son cœur : partant dites-lui qu'il continue comme il a fait, et il aura la récompense avec ceux desquels j'ai dit : Venez , vous qui avez souffert et gémi sous le poids du travail , et je vous soulagerai , et je vous rassasie- rai d'un pain éternel; car si je lui dis comme je dis à Judas , quand il me demandait conseil trompeusement : Gardez les commandements et vendez ce que vous avez, il ne pourra le souffrir, d'autant que la vieillesse fuit la réforme, et la pau- vreté n'a rien à vendre. Néanmoins les commandements de Dieu sont nécessaires à ceux qui tendent à la vie éternelle , car sans eux l'homme ne peut être sauvé, s'il peut en être ins- truit ; mais quant à la docte folie de cet homme et à sa bonne volonté , elles me plaisent en quelque sorte comme les deux deniers de la veuve que j'ai préférés aux présents des rois ; car en sa folie il y a toute la sagesse , et il m'aime de tout

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son cœur; mais d'où vient cet amour sinon de mon esprit? Et ceci semble aux sages du monde folie de n'aimer pas les richesses et de ne savoir parler de grandes choses ; c'est pour cela que je l'appelle docte folie , puisqu'il puise de moi la sa- gesse qui consiste à aimer Dieu. Ne vous semble-t-il pas sage quiconque ne sait que cette parole , aimer ? Oui , sans doute, car par cette dilection il garde tous les commandements de Moïse; par elle il donne à Dieu tout ce qu'il faut lui donner; par elle il garde tous les conseils ; par elle il garde tout le droit et toutes les lois ; par elle il aime son prochain , ne dé- sirant point le bien d' autrui et ne trompant personne ; par elle il se souvient incessamment de la mort et du jugement dont je le dois juger. Ainsi donc , celui qui veut venir à moi ne se doit pas inquiéter de l'ignorance de la loi , pourvu qu'il veuille se servir de sa conscience, qui dit : qui est-ce qui veut souffrir ce qu'il voudrait faire à autrui ? Car , à quoi bon l'homme feuillette-t-il tant et tant de livres ? Est-ce pour me servir? N'est-ce pas plutôt pour sa curiosité, ostentation et pour être appelé docte ? Véritablement chacun fait en sa cons- cience , et chacun est jugé par elle. C'est pourquoi , ma fille, celui qui dit d'une foi parfaite et d'une bonne volonté ces trois paroles : Jésus , ayez miséricorde de moi, me plaît plus que celui qui dira cent versets sans attention. »

RÉVÉLATION DE LA MÈRE DE DIEU A SAINTE BRIG1TE,

Touchant les divers mystères de sa vie.

Touchant sa conception.

La Mère de Dieu dit : « Quand mon père et ma mère s'uni- rent par le lien du mariage , l'obéissance eut plus de pouvoir que la volonté, et plus opéra la charité divine que la volupté charnelle; et l'heure en laquelle je fus conçue se peut bien

DE SAINTE BRIGITE. 210

appeler dorée et précieuse , d'autant que les autres mariés s'unissent par volupté sensuelle, et mes parents par obéis- sance et par commandement divin : ma conception a donc été à bon droit dorée; car alors le principe de salut prit en quelque manière son commencement, et les ténèbres s'allaient rendre à la lumière, car Dieu a voulu faire en son œuvre une chose rare et signalée qui a été cachée aux enfants du siècle , comme il fit jadis de la verge florissante. Mais sachez que ma conception n'a pas été connue de tous; car Dieu a voulu que comme devant la loi écrite la loi naturelle précédât, et l'élec- tion libre du bien et du mal, et qu'après la loi écrite vînt la loi de grâce, qui retiendrait le frein à tous les mouvements effré- nés ; de même il a plu à Dieu que ses amis aient douté pieu- sement de ma conception , afin qu'un chacun montrât son zèle jusqu'à ce que la vérité parût au temps que la Sagesse éternelle avait ordonné.

Sur sa nativité.

La sainte Vierge Marie parle : « Quand ma mère m'a en- gendrée , je suis née à la façon commune ; car aucun ne doit naître par autre manière , excepté Jésus-Christ qui, étant le Créateur de tout le monde , a voulu naître admirablement d'une manière toute ineffable. Mais quand je fus née , les dé- mons le surent et pensaient en eux-mêmes : voici qu'une vierge sans tache est née, qu'est-ce que nous ferons ? car il ar- rivera en elle quelque chose de grand. Si nous lui appliquons tous les filets des finesses de notre malice , elle les rompra comme des étoupes : si nous regardons son intérieur , nous la trouverons grandement munie , et nous ne pourrons trou- ver en elle souillure aucune on puisse mettre la pointe du péché. C'est pourquoi il est à craindre que sa pureté nous donnera de la peine, sa grâce dissipera toute notre force , sa constance nous foulera aux pieds.

2:20 esprit

Or les amis de Dieu , qui attendaient depuis longtemps , disaient , Dieu le leur inspirant :

Pourquoi nous affligerons-nous davantage ? Il faut plutôt nous réjouir , car la lumière qui illuminera nos ténèbres est née, nos désirs sont accomplis.

Les Anges se réjouissaient aussi-bien , quoique leur joie fût toujours en la vision divine , disant :

Quelque chose désirable est en la terre et une merveille d'amour s'est opérée par laquelle la paix du ciel et de la terre sera affermie et nos ruines seront rétablies.

De vrai , ma Fille, je vous dis que ma naissance fut le com- mencement des joies; car alors a paru cette verge dont s'est éclose la fleur que les rois et les prophètes désiraient voir. Après que j'ai été plus âgée et que j'ai pu comprendre mon Créateur, j'ai été intimement touchée d'un amour indicible et désirais Dieu de tout mon cœur : j'ai été aussi conservée d'une grâce admirable , en sorte qu'en mes jeunes et tendres années je ne consentais jamais au péché , d'autant que l'amour de Dieu , le soin de mes parents , la solitude et l'honnête édu- cation me conservaient les faveurs du ciel, et la ferveur de connaître Dieu éminemment persévérait en moi.

Or , maintenant, je me plains que les femmes qui sont en- gendrées et qui engendrent avec horreur, naissent avec im- mondice , se plaisent en cette corruption et ne considèrent pas la pureté de ma naissance; mais elles sont semblables aux animaux, car elles vivent sans raison et ne vivent véritable- ment que selon la chair. C'est pourquoi leur volupté passera, l'esprit de pureté se retirera , les joies éternelles s'enfuiront d'elles , et l'esprit d'impureté qu'elles suivent les enivrera et fera leur tourment. »

Sur sa Visitation.

La Mère de Dieu dit à sainte Brigite : « Quand l'Ange m'an- nonçait que le Fils de Dieu naîtrait de moi , soudain que j'eus

DE SAINTE BRIGITE. 221

consenti , je ressentis en moi quelque chose d'admirable et de non accoutumé; et partant , admirant cela, tout à coup je montai vers sainte Elisabeth ma cousine, qui était enceinte , afin de la consoler et conférer avec elle de ce que l'Ange m'a- vait dit. Mais elle m'étant venue au-devant auprès d'une fon- taine , et nous étant baisées et embrassées , son enfant se ré- jouit dans son sein d'une manière admirable, et je fus alors touchée en mon cœur d'un nouveau ressentiment de joie, de sorte que ma langue proférait des paroles de Dieu incompré- hensibles, et à grand'peine mon âme les comprenait-elle, tant elle était dans l'ivresse de la joie.

Or, Elisabeth admirant la ferveur de l'esprit qui parlait en moi , et moi-même admirant semblablement en elle la grâce de Dieu , nous demeurâmes quelques jours ensemble le bé- nissant de concert.

Après cela, une pensée commença à solliciter mon esprit , pour savoir avec quelle dévotion et comment je me devais con- duire après avoir reçu une si grande grâce. Qu'est-ce que je devais répondre â ceux qui me demanderaient comment j'avais conçu ou qui était le père de l'enfant qui devait naître , ou ce que je dirais à Joseph si l'ennemi le tentait et entrait en soup- çon de moi. Pendant que ces pensées roulaient en mon esprit, un ange non dissemblable à celui qui m'avait apparu aupara- vant , me dit : Notre Dieu qui est éternel , est avec vous et en vous; ne -craignez donc pas , car lui vous donnera la grâce de parler ; il dirigera vos pas et vos lieux, il parfaira son œuvre avec vous puissamment et sagement. Or, Joseph à qui vous êtes recommandée, quand il entendra que vous êtes enceinte, il admirera et se répulera indigne de cohabiter avec vous.

Et étant en anxiété , ne sachant ce qu'il fallait faire , l'Ange lui dit , en dormant : Ne vous retirez pas de la Vierge qui vous est recommandée; car, comme vous l'avez ouï d'elle, ainsi est-il. Elle a conçu de l'esprit de Dieu et enfantera un fils qui sera le Sauveur du monde. Servez-la donc fidèlement et soyez témoin et gardien de sa pudicité.

Î~H ESPRIT

Depuis ce jour-là Joseph me servit comme sa maîtresse, et moi je m'humiliais aux plus petites de ses œuvres. Après j'étais en continuelle oraison , étant rarement vue , et voyant rarement, et sortant plus rarement encore , si ce n'était aux fêtes principales. J'étais fort attentive aux vigiles et leçons que nos prêtres disaient, ayant quelque temps destiné aux œuvres manuelles : je fus discrète au jeûne , selon que ma nature le pouvait supporter pour le service de Dieu. Tout ce qui nous était de superflu , nous le donnions aux pauvres , contents de ce que nous avions; mais Joseph me servit si fidè- lement, qu'on n'entendit jamais de sa bouche aucune parole de cajolerie : jamais murmure , jamais courroux , car il était très-patient en sa pauvreté , soigneux en son travail , doux à ceux qu'il reprenait quand il était nécessaire, obéissant à mon service , prompt défenseur de ma virginité , très-fidèle té- moin des merveilles de Dieu : il était aussi tellement mort au monde et à la chair, qu'il ne désirait que les choses célestes : il était si croyant aux promesses de Dieu , qu'il disait inces- samment : Plût à Dieu que je vive et que je voie les volontés de Dieu accomplies! Car rarement allait-il aux assemblées des hommes et à leurs conseils, tant son désir était d'obéir aux volontés divines. C'est pourquoi sa gloire est grande mainte- nant. »

De la manière de l'enfantement de la très-sainte \ ierge (1).

« Lorsque moi Brigite étais en Bethléem , je vis une Yierge enceinte , revêtue d'un blanc manteau et d'une subtile et fine tunique, et avec elle un honnête vieillard. La Vierge était prête à enfanter, et étant entré dans une caverne, le vieillard ayant lié le bœuf et l'âne qui s'y trouvaient, à la crèche, porta une lumière à la sainte Yierge et la plaça en la mu-

(1) ]Sous avons cru devoir placer ici cel article , quoiqu'il soit plus loin dans les œuvres de sainte Brigite. L'ordre et l'intérêt des lecteurs nous ont semblé l'exiger.

DE SAINTE BRIGITE. 223

raille , et il s'écarta un peu de la sainte Vierge pendant qu'elle enfanterait.

Cette Vierge donc déchaussa ses souliers , et laissa son blanc manteau , et ôta le voile de sa tête et le mit auprès d'elle, et ses cheveux beaux à merveille comme des fleurs éparpillées sur sa tunique flottaient sur ses épaules. Elle tira alors de son sein deux linges de fin lin , et deux autres de laine très-blanche et très-pure , pour envelopper l'enfant ; et elle en portait encore deux autres petits de lin pour le couvrir et lui lier la tète, et elle les mit auprès d'elle pour en user à temps et à saison. Or, toutes choses étant ainsi prêtes , la sainte Vierge ayant fléchi le genou , se mit avec une grande révérence en oraison et tenait le corps contre la crèche et la face levée vers le ciel , vers l'Orient ; et ayant tenu les yeux fixés au ciel elle était en extase , suspendue en une haute et sublime contemplation , enivrée des torrents de la divine dou- ceur ; et étant de telle sorte en oraison, je vis le petit enfant se mouvoir dans son sein et naître en un moment : duquel il sortait un si grand et ineffable éclat de lumière, que le so- leil ne lui était en rien comparable , ni l'éclat de la lumière que le bon vieillard avait mise à la muraille ; car la splendeur divine de cet enfant avait anéanti sa clarté , et la manière de l'enfantement fut si subtile , si prompte , que je ne pus con- naître et discerner comment et en quelle manière il se faisait. Je vis incontinent ce glorieux enfant gisant en terre, nu, et pur, et dont la chair était très-belle. J'entendis aussi les chants mélodieux des anges. Or la Vierge sentant qu'elle avait enfanté , ayant abaissé sa tête , joignit ses mains , adora l'en- fant avec une grande révérence et lui dit : 0 mon Dieu et mon Seigneur . soyez le très-bien venu ! Et alors l'enfant pleurant et comme tremblotant de froid , et de la dureté du pavé il gisait, s'émouvait un peu, étendait ses bras, cherchant quelque soulagement et la faveur de sa mère. Et la mère le prit alors entre ses mains et le serra en son sein et réchauffait sur sa poitrine avec des joies indicibles et d'une

224 ESPRIT

tendre et maternelle compassion. Et ensuite elle l'enveloppa de lin et de laine , et avec des langes et des liens elle serra le petit corps avec un bandeau qui était en quatre lieux à la partie du drap de linge , et après elle lui lia la tête. Ces cho- ses étant accomplies, le vieillard entra, et se prosternant à deux genoux, adorant l'enfant, il pleurait de joie; la sainte Vierge ne changea pas de couleur en cet enfantement ; elle ne fut point malade , ni aussi les forces corporelles ne lui diminuèrent point comme il arrive chez les autres femmes. Il n'y parut autre chose sinon que ses flancs se retirèrent à la première consistance en laquelle ils étaient avant qu'elle con- çût. Après elle se leva ayant son cher enfant entre les bras , et saint Joseph et elle le mirent en la crèche et l'adorèrent de nouveau à genoux avec des joies inexprimables. »

Sur sa purification.

La sainte Vierge Marie dit à l'épouse (sainte Brigite) : « Ma fille , sachez que je n'avais point de purification à faire comme les autres femmes , car mon fils qui est de moi m'avait purifiée , et je n'avais contracté pas la plus petite tache , lorsque j'ai engendré mon fils qui est la pureté même ; mais néanmoins , afin que la loi fût accomplie et les prophé- ties , j'ai voulu vivre en la loi, selon la loi; de même je ne vi- vais pas selon les parents du siècle , mais je conversais hum- blement avec les humbles , ne voulant avoir en moi rien de particulier, tant j'aimais tout ce qui touchait à l'humilité.

Un jour (comme cejourd'hui ) ma douleur prit accrois- sement; car, bien que je susse par inspiration divine que mon fils souffrirait , néanmoins lorsque Siméon me dit qu'il me serait un glaive de douleur et qu'il serait le signe auquel on contredirait, cette douleur perça mon âme avec plus d'amertume : douleur certes qui ne se retira jamais de mon cœur, jusqu'à ce qu'en corps et enàmeje montai au ciel , bien qu'elle fût tempérée par les consolations du Saint-

DE SAINTE BRIGITE. 225

Esprit. Je veux que vous sachiez qu'en ce jour-là ma douleur fut en sept manières.

La première en ma connaissance, car autant de fois que je le regardais , que je l'emmaillottais , que je voyais ses mains et ses pieds , tout autant de fois mon esprit était comme plongé en une nouvelle douleur, car je pensais com- ment on le crucifierait.

La deuxième douleur fut en mon ouïe, car autant de fois que j'entendais les opprobres qu'on vomissait contre mon Fils , les mensonges qu'on proférait , les embûches qu'on lui tendait, mon esprit était comme emporté par la douleur; de sorte qu'à grand'peine il pouvait y tenir ; mais la force divine me donnait la manière et le courage d'être ce que je devais pour qu'on ne vît en moi rien d'imparfait.

La troisième fut en ma vue, car quand je vis qu'on fouet- tait mon Fils, qu'on le clouait et le pendait à une croix, je tombai comme demi-morte; mais , prenant courage je de- meurai auprès , debout, et souffrant cela si patiemment que mes ennemis et autres ne trouvaient en moi que douleur.

La quatrième fut en l'attouchement, car moi avec les au- tres , descendîmes mon Fils de la croix ; je l'enveloppai et le mis dans le sépulcre , et de la sorte ma douleur augmentait tant , qu'à peine mes mains et mes pieds avaient de la force pour me soutenir. Oh ! que librement j'eusse voulu alors être ensevelie avec mon Fils !

La cinquième , je souffrais beaucoup à cause du désir véhé- ment que j'avais d'aller au ciel , après que mon Fils y fut monté , car la longue demeure que je fis sur la terre après son départ augmentait grandement ma douleur.

La sixième, je souffrais de la tribulalion des Apôtres et des amis de Dieu, la douleur desquels était ma douleur, étant toujours craignante et souffrante , par l'appréhension qu'ils ne succombassent aux tribulations et tentations; dolente d'autant plus que les paroles de mon Fils étaient contrariées partout. Or , bien que la grâce de Di^u persévérât toujours en

T. V. 15

226 EsrniT

moi et que ma volonté fût en tout selon la sienne , néanmoins ma douleur était continuelle, mêlée avec la consolation, jus- qu'à ce que je fus au ciel en corps et en âme auprès de mon Fils. Partant, ô ma Fille, que cette douleur ne se retire jamais de votre cœur, car s'il n'y avait pas de tribulations, peu de gens seraient sauvés. »

Douleurs de sa fuite eu Egypte, la septième de relies doul il vient d'être parlé.

La sainte Vierge Marie parle à l'épouse de son Fils en di- sant : « Je vous ai entretenue de mes douleurs , mais la dou- leur que j'eus lorsqu'il fallut fuir avec mon Fils en Egypte , ne fut point des moindres, ni quand j'entendis qu'on tuait les enfants innocents , et qu'Hérode poursuivait mon Fils, et, bien que je susse ce qui était écrit de lui , néanmoins mon cœur , à cause de la grandeur de l'amour que j'avais pour mon Fils, était rempli de douleur et d'amertume. Or, main- tenant vous pourriez me demander ce que fit mon Fils pen- dant tout ce temps-là avant de souffrir, je réponds comme l'Evangile : II était soumis ù ses parents , et il se conduisit comme les autres enfants jusqu'à ce qu'il fut arrivé à un plus grand âge ; il fit cependant des merveilles dans sa jeu- nesse , montrant comment les créatures servaient leur Créa- teur, comment les idoles se turent et comment plusieurs tombèrent en Egypte à sa venue ; comment les Mages prédi- rent que mon Fils serait le signal de grandes choses futu- res, comment aussi le ministère des anges apparut , com- ment il n'apparut jamais en son corps ni en ses cheveux au- cune souillure ; mais il n'est pas besoin que vous sachiez toutes ces choses , puisqu'en l'Evangile , il y a assez de preu- ves do sa divinité et de son humanité pour édifier et vous et lis autres.

Or , quand il eut atteint un plus grand âge , il était con- tinuellement en prière , et obéissant il monta avec nous aux fêtes ordonnées en Jérusalem et en autres lieux ; sa présence

DE SAINTE BRIGITE. '2 "2 7

et sa parole étaient admirables et si agréables que plusieurs qui étaient affligés disaient : Allons voir le Fils de Marie , afin que nous soyons consolés. Et croissant en âge et en sagesse , dont il était plein dès le commencement , il travail- lait de ses mains en tout ce qui ne blessait pas la bienséance ; il nous parlait et nous disait en particulier des paroles de consolation , et des discours de Dieu , de sorte que nous étions remplis continuellement de joies indicibles. Mais quand les craintes de la pauvreté nous assiégeaient , il ne nous faisait poiut de l'or ni de l'argent, mais il nous exhortait à la patience , et il nous défendit et protégea des envieux. Quant aux nécessités , les gens de bien et notre propre travail nous y aidaient; de sorte que nous étions seulement secourus pour la seule nécessité sans superfiuité aucune , car nous ne cherchions qu'à servir Dieu uniquement.

Après cela, il conférait familièrement en la maison avec ceux qui le venaient voir pour les difficultés de la loi et signi- fication des figures, et disputait publiquement quelquefois avec les sages , de sorte qu'ils l'admiraient et disaient : Yoici que le fils de Joseph enseigne les maîtres! quelque grand esprit parle en lui! Un jour j'étais plongée en la consi- dération de sa passion dont j'étais saisie de tristesse , il me dit : Ne croyez-vous pas , ma Mère , que je suis en mon Père et mon Père en moi ? Quoi ! avez-vous été souillée en mon entrée ou sortie de votre sein , ni avez-vous été triste ? pour- quoi donc vous affligez-vous ? car la volonté de mon Père veut que je souffre, voire ma volonté est telle avec celle de mon Père ; ce que j'ai de mon Père ne peut pas souffrir, mais bien la chair que j'ai reçue de vous, afin que la chair d'au- trui soit rachetée et que l'esprit soit sauvé.

Il était également si obéissant que lorsque Joseph lui di- sait quelquefois sans y penser Faites ceci ou cela , il le fai- sait aussitôt , et de la sorte il cachait si bien la puissance de sa divinité , qu'il n'y avait que moi et Joseph qui le connus- sions, d'autant que nous l'avons vu souvent entouré d'une

228 ESPRIT

lumière admirable et avons entendu les voix et les concerts des anges qui chantaient sur lui ; nous avons vu aussi les esprits immondes qui n'auraient pu être chassés par les exorcistes approuvés en notre loi , sortir à la vue de mon Fils.

Que ces choses soient continuellement en votre mémoire , et remerciez Dieu qu'il ait voulu manifester son enfance par vous. »

Sur sa vie après l'ascension de son Fils.

La mère de Dieu parle, disant : « Maintenant je vous mon- trerai la vérité de mon Assomption. D'abord , j'ai vécu long- temps après l'Ascension de mon Fils , et Dieu l'a voulu afin que les âmes fussent converties à Dieu , ayant vu ma patience invincible et le règlement de mes mœurs , et puis, afin que ses apôtres et ses élus fussent affermis ; et de fait aussi la naturelle disposition de mon corps le requérait, afin qu'en vi- vant durement, ma couronne fût augmentée ; car tout le temps que j'ai vécu après l'Ascension démon Fils, j'ai visité les lieux il a souffert et il a manifesté ses merveilles ; aussi sa Passion était-elle empreinte dans mon cœur ; mes sens aussi étaient mortifiés et retirés de ce qui est du monde , d'au- tant que je restais incessamment enflammée de nouveaux désirs et réciproquement exercée par des douleurs ; mais néanmoins ma douleur était tempérée et ma joie aussi , et je n'omettais rien de ce qui touchait au service de Dieu ; je conversais également de telle sorte avec les hommes que je prenais bien peu de part à ce qui leur plaît ordinairement. Que si mon Assomption n'a pas été connue de plusieurs et prêchée de la part de Dieu, qui est mon Fils , il l'a voulu ainsi afin que la foi de son Ascension fut enracinée dans le cœur des hommes, car les hommes étaient endurcis en la créance de son Ascension , et combien plus ne l'aurait pas été mon Assomption , si elle eût été prêchée dès le commen- cement.

DE SAINTE BRIGITE. 229

Sur l'Annonciation que l'Ange fil à Marie de sa mort et de ce qui arriva après.

La Mère de Dieu parle, disant : « Un jour, après que quel- ques années se furent écoulées depuis l'Ascension de mon Fils , je m'affligeais beaucoup à raison du désir que j'avais d'arriver dans le ciel pourvoir mon Fils, je vis un Ange re- luisant de lumière , comme je l'avais auparavant vu, quime dit : Votre Fils qui est Dieu et Notre Seigneur , m'envoie pour vous annoncer que le temps est venu vous devez aller corporellement à lui pour recevoir la couronne qui qui vous est préparée. Je lui répondis : Connaissez-vous le jour et l'heure que je m'en dois aller de ce monde en l'au- tre ? et l'Ange répondit : Les amis de votre Fils enseveliront votre corps (1). Ces choses étant dites , l'Ange disparut ; et moi je me préparai à l'issue de ma vie , en visitant selon ma coutume les lieux mon Fils avait souffert; et un jour mon esprit étant suspendu en l'admiration de la divine cha- rité , alors mon âme fut remplie en cette contemplation de tant de délices, qu'à grand'peine je la pouvais soutenir, et en cette contemplation et joie ineffable , mon âme fut séparée de mon corps! Mais , hélas ! que de choses magnifiques mon âme vit alors et de quel honneur le Père , le Fils et le Saint- Esprit l'accueillirent, et de quelle multitude d'anges elle fut enlevée ! Vous ne le pouvez comprendre , et moi je ne puis l'exprimer sans que votre âme soit aussi séparée de votre corps, bien que je vous en aie montré quelque chose en cette oraison que mon Fils vous a inspirée.

Or , ceux qui étaient alors avec moi dans la maison quand je rendis l'esprit, connurent fort bien par la lumière non ac- coutumée , quelles choses divines s'opéraient en ce moment

(1) Cette réponse de l'Ange prouve la sagesse de Dieu, car il est écrit dans l'Evangile , que les anges ne savent ni le jour, ni l'heure de notre mort; que Dieu s'est réservé ce secret à lui seul : or, il devait en être ainsi , même envers Marie!...

230 ESPRIT

en moi : après cela, les amis de mon Fils, envoyés divine- ment , ensevelirent mon corps en la vallée de Josaphat , et avec lui, il y avait une infinité d'anges comme des atomes du soleil , mais les malins esprits n'osèrent s'en approcher : mon corps demeura quelques jours en terre , et après il fut ravi et emporté au ciel avec une grande multitude d'anges.

Ce temps n'est pas sans grand mystère , d'autant qu'à la septième heure sera la résurrection des morts , et à la hui- tième la béatitude des âmes et des corps sera accomplie.

La première heure fut du commencement du monde jus- qu'à ce temps la loi était donnée par Moïse ; la seconde fut de Moïse jusqu'à l'incarnation de mon Fils ; la troisième fut quand mon Fils institua le baptême et adoucit la rigueur de la loi ; la quatrième quand il prêchait par parole et confir- mait son dire par ses exemples ; la cinquième quand mon Fils voulut souffrir et mourir, et quand il ressuscita et prouva sa résurrection par plusieurs miracles ; la sixième quand il monta au ciel et envoya son Saint-Esprit ; la septième quand il viendra en jugement et que tous sortiront pour aller être jugés ; la huitième quand tout ce qui a été promis et prophé- tisé sera arrivé , et alors la béatitude sera parfaite , alors on verra Dieu en sa gloire et les Saints reluiront comme des so- leils , et il n'y airra plus de douleur. »

De la passion de Noire-Seigneur que sainte Brigite vit à Jérusalem.

« Lorsque j'étais au mont du Calvaire , dit sainte Brigite , pleurant amèrement, je vis Notre-Seigneur, tout nu, flagellé, conduit par les juifs pour être crucifié et soigneusement gardé par eux. Je vis un trou en la montagne et les bourreaux pré- parés pour exercer leur cruauté sur Jésus-Christ ; et se tour- nant vers moi , il me dit : Considérez qu'en ce trou de la pierre le pied de ma croix fut planté. Et soudain je vis en quelle manière les Juifs avaient placé la croix et l'avaient affermie avec de grands coins de bois, afin qu'elle ne branlât

DE SAINTE BRIG1TE. 231

point ; et. puis on mit des degrés et des tables , afin que les bourreaux étant montés , ils pussent me crucifier avec mo- querie et dérision. Et moi , j'ai monté fort franchement , lui dit Notre-Seigneur, comme un agneau sans tache , doux et plein de mansuétude, conduit à la boucherie; et étant monté, j'étendis mes bras, non par contrainte mais volon- tairement, et ayant ouvert ma main droite , je la posai sur la croix , laquelle les bourreaux cruels et barbares crucifièrent soudain , la perçant avec un gros clou à la partie les os étaient plus solides , et tirant et étendant la main gauche ils la crucifièrent de même. Après , ayant tiré le corps outre mesure et ayant joint les pieds , il les crucifièrent avec deux clous , et ils étendirent avec tant de véhémence le corps et les membres , que quasi les nerfs , les veines , et les muscles se rompaient. Ce qu'ayant fait , ils remirent la couronne d'épi- nes sur ma tête , laquelle ils m'avaient ôtée pour me cruci- fier, les épines poignantes de laquelle percèrent si bas, que les yeux furent soudain remplis de sang, et tout le visage , les oreilles et la barbe ; et de suite après , les bourreaux reti- rèrent les tables attachées à la croix et la croix demeura seule et Jésus-Christ en elle. Et alors étant remplie de dou- leur , je regardais la cruauté des Juifs; je vis aussi Marie , la Mère de Dieu , plongée dans les douleurs , abîmée en ses pleurs et consolée par saint Jean et par les autres sœurs qui étaient non loin de la croix à droite. La douleur de la Mère transperça tellement mon cœur , qu'il me semblait qu'un glaive le traversait d'une amertume incomparable : et enfin , la Mère se levant comme anéantie de douleur, elle regarda son Fils , soutenue des deux sœurs , étant toute ravie dans les excès de sa douleur, vivante et animée de la douleur même du glaive , et le Fils la regardant avec les autres de ses amis tout éplorés , d'une voix attendrie il les recommanda à sa Mère.

Alors ses yeux très-aimables et très-beaux apparaissaient à demi-morts , sa bouche était sanglante et ouverte , son

232 ESPRIT

visage pâle, sa face avalée et anéantie, tout son corps était livide , meurtri et languissant , à cause du sang qui coulait de toute part. Il s'efforçait quelquefois de s'étendre sur la croix, à cause de l'excès de la douleur qu'il ressentait; d'au- tant que la douleur de tous ses membres remontait sur le cœur et le vexait cruellement du martyre le plus affreux , et sa mort était prolongée par un tourment des plus inouïs et des souffrances sans égales. Enfin, les Juifs qui étaient com- mencèrent à crier contre la Mère , se moquant d'elle; les uns disaient : Marie , ton Fils est mort maintenant. D'autres lui disaient des paroles de raillerie , et un de la troupe vint avec une grande furie , donna un coup de lance au côté droit avec telle violence, que quasi la lance passait par l'autre côté. Lorsqu'on arracha la lance du corps , il sortit un grand ruisseau de sang qui teignit toute la lance. La Mère de Dieu voyant cela , elle trembla avec un grand gémissement.

Or, ces choses étant accomplies, les troupes se retirant , quelques-uns des amis déposèrent le corps de Jésus-Christ delà croix , que sa Mère reçut entre ses bras , lequel ils mi- rent sur son genou. Je lui nettoyai toutes ses plaies et son sang , et fermai ses yeux les baisant, et l'enveloppai avec un drap pur et net, et de la sorte ils le conduisirent au sépulcre avec un grand pleur et une grande douleur. »

Moyens ponr chasser le démon de nos cœurs.

Trois moyens sont employés efficacement, d'après sainte Brigite, pour chasser le démon de nos cœurs :

Une pure et entière confession de nos péchés;

Une profonde humilité et le désir de se corriger des pé- chés qu'on a commis , et de faire de bonnes œuvres.

Faire une humble prière à Dieu pour demander son es- prit et se repentir du passé, avec une grande charité , car le véritable amour de Dieu chasse le démon.

DE SAINTE TÏÏUGITE. 233

Commandements , défenses el conseils de Jésus-Ckrisi à son épouse.

« Je vous défends de faire trois choses ; je vous permets d'en faire trois autres , et je vous conseille d'en pratiquer trois autres.

Je vous commande de faire trois choses : la première de ne désirer autre que Dieu ; la deuxième de repousser tout or- gueil et toute arrogance; la troisième de fuir perpétuellement la luxure charnelle.

Je vous défends de faire trois choses : la première d'aimer les paroles vaines et inutiles ; la seconde de chercher les su- perfiuités de viandes ou autres choses ; la troisième d'aimer la légèreté du monde, ses divertissements et ses joies.

Je vous permets de faire trois choses : l'une de prendre un sommeil modéré pour avoir une bonne complexion ; l'autre de veiller tempérament pour l'exercice du corps ; la dernière de manger de la viande avec modération pour sustenter le corps.

Je vous conseille trois choses : la première, le travail , le jeûne et les bonnes œuvres, auxquelles le royaume des cieux est promis ; la deuxième que vous disposiez bien de tout ce qui tourne à l'honneur et à la gloire de Dieu ; la troisième je vous conseille de considérer toujours trois choses en votre cœur : la première ce que j'ai fait pour vous , souffrant et mourant pour votre âme , celte pensée excite l'amour ; la deuxième , considérez la justice et mon horrible jugement , car cela excite à la crainte. La troisième , enfin , que je vous commande , que je vous recommande , que je vous conseille , que je vous permets , est que vous obéissiez a tout ce à quoi vous êtes tenue. Je vous commande cela en ma qualité de votre Dieu. »

234 ESPRIT

DIVERS EXTRAITS D'AUTRES RÉVÉLATIONS (1).

Au livre premier, chapitre Ier, Jésus-Christ , en parlant de son Incarnation , lui dit : « De même que les rayons du soleil pénètrent le cristal sans le briser, de même je me suis fait homme dans le sein d'une Vierge sans hlesser sa virginité ; la grandeur de ma divinité n'en a point souffert ; car , quoi- que je fusse étroitement uni à l'humanité J'étais toujours avec mon Père et le Saint-Esprit , gouvernant toutes choses , et remplissant l'univers par mon immensité. Comme la splen- deur est inséparable du soleil , ainsi ma divinité ne s'est ja- mais séparée de mon humanité, même après ma mort... Je suis immolé chaque jour sur l'autel afin que les hommes m'en aiment davantage, et qu'ils trouvent dans cette immolation non sanglante un souvenir perpétuel de tous les bienfaits dont je les ai comblés. » ( Page 2. )

Au chapitre V, touchant l'immaculée Conception de Marie et l'amour que nous lui devons, il est dit (c'est Marie qui parlait à sainte Brigite) : « Dès que j'ai été conçue dans le sein de ma mère , mon Fils a aussitôt uni à mon corps une came qu'il a créée , et l'un et l'autre ont été sanctifiés en même temps. Des anges furent envoyés du ciel pour me gar- der jour et nuit. Il est impossible d'exprimer la joie intérieure qu'éprouva ma mère lorsque mon âme et mon corps furent ainsi sanctifiés. Après ma mort Dieu éleva mon âme et ensuite mon corps au plus haut degré de gloire dont une créature puisse jouir.

Je vais vous apprendre aussi combien il lui plaît de faire honorer mon nom. Lorsque les Anges l'entendent prononcer, ils s'en réjouissent et remercient Dieu des grâces qu'il a ac-

(1) Nous nous sommes servis pour ces extraits du livre intitulé : Les Révéla- tions de sainte Brigite, traduites par un ancien vicaire général {2' édition). Lyon , 1830.

DE SAINTE BRIGITE. 235

cordées par mon intercession , et en particulier de celle qu'il leur fait de voir l'humanité de mon Fils glorifiée dans sa di- vinité. Le seul nom de Marie soulage les âmes qui souffrent dans le purgatoire , comme un malade étendu sur son lit de douleur est soulagé lorsqu'il entend les paroles de consola- tion qui louchent agréablement son cœur. Dès que le bon Ange entend ce nom , il assiste d'une manière plus spéciale le juste qui le prononce, de la garde duquel il est chargé.

Les esprits de ténèbres redoutent le nom de Marie ; dès qu'ils l'entendent prononcer avec dévotion , ils abandonnent l'âme qui était en leur puissance ; mais , de même qu'un oi- seau de proie qui tient sa victime dans ses griffes et la dé- vore , s'en dessaisit lorsqu'il entend quelque bruit qui l'ef- fraie , et revient aussitôt que le bruit a cessé ainsi , quoique le nom de Marie fasse sur-le-champ lâcher prise au démon , il se jette bientôt après sur sa proie avec la rapidité d'une flè- che, si l'âme qui l'a invoqué ne change pas de volonté.

Il n'y a point d'homme, quelque froid que soit son cœur à l'égard de Dieu , qui , s'il invoque le nom de Marie avec la ferme résolution de ne plus retomber dans le péché , ne soit aussitôt délivré pour jamais de la servitude du démon , à moins qu'il ne reprenne dans la suite la volonté de pécher mortellement. Cependant Dieu permet quelquefois que le dé- mon trouble son âme par la tentation , afin de lui donner une plus ample matière de mérite et de récompense ; mais il ne peut plus être son maître. (Page 57 etsuiv. )

Marie obtenant tout du Dieu de miséricorde , lorsqu'elle l'implore pour les pécheurs , est appelée elle-même la source de toute miséricorde , comme le soleil est appelé le principe de toute chaleur ; et cette source féconde répand de tous côtés ses eaux bienfaisantes sur les malheureux. » (P. 108.)

La sainte Yierge invite sainte Brigite à compatir à ses dou- leurs. ■ Après avoir décrit l'énormité du fardeau qui avait pesé sur elle lors de la passion de son Fils , elle ajoute : « Maintenant je regarde si , dans cette multitude de chrc-

230 ESPRIT

tiens qui sont sur la terre , il s'en trouve qui s'occupent de mes douleurs et y compatissent, et je n'en vois que fort peu. Pour vous, ma fille, n'imitez pas celte insouciance et cet oubli ; pensez souvent à moi et à toutes les tribulations dont mon cœur a été navré sur la terre , et marchez généreuse- ment , autant qu'il vous est possible , sur mes traces. Com- patissez à mes douleurs et gémissez sur le petit nombre des âmes fidèles à Dieu. » ( Page 157. )

Le vrai sage selon Dieu.

« Le vrai sage , lui fut-il dit, est celui qui apprend tous les jours à bien mourir; qui considère souvent l'état il se trouvera à l'beure de la mort et le jugement qui la suivra ,où tout ce qu'il a fait dans sa vie lui sera représenté , aucune faute ne restera impunie. Le vrai sage renonce aux vanités du monde, se contente des eboses nécessaires à la vie, s'abs- tient de toute superfiuité , et s'applique , autant qu'il lui est possible , à donner à Dieu des preuves de son amour pour lui. La vraie sagesse est donc dans les œuvres , et non dans les grands talents que le monde admire ; car les sages selon le inonde, lesquels suivent ses maximes , sont des in- sensés , qui comptent pour rien la volonté de Dieu , et ne sa- vent pas maîtriser leurs passions : aveugles d'autant plus coupables qu'ils savent bien que tout ce qui les captive ici- bas est de bien courte durée , et que les joies du ciel, dont ils font si peu de cas , dureront pendant toute l'éternité. » ( Page 100 et suiv. )

llililé des mauvaises pensées pour purifier les âmes fidèles cl augmenter leurs mérites.

« Les bonnes pensées (dit le Seigneur à son épouse) res- semblent à une huile de senteur qui parfume l'Ame , ou à un vin généreux qui fortifie le corps; les mauvaises pensées sont

DE SAINTS BRIGITE. 237

amères à l'âme fidèle comme la graine de sénevé l'est au goût ; mais parce qu'il est quelquefois nécessaire de faire usage de certains médicaments , qui , sans nourrir le corps, en font évacuer les humeurs , de même les mauvaises pensées sont utiles pour laver l'àme de ses impuretés ; sans ces mau- vaises pensées l'homme serait comme un ange et il s'attri- buerait tout le bien qui est en lui : afin qu'il comprît que tout ce qu'il y a de faiblesse en lui vient de lui , et que la force qui lui est donnée vient de moi , il a fallu qu'il fût tenté; c'est un effet de ma grande miséricorde envers lui; car , en résistant à ses mauvaises pensées , il se procure deux grands avantages ; il expie ses péchés passés et il conserve les vertus qu'il a acquises. » (Page 174.)

Louanges de sainte BrigUe à la sainte Vierge.

« 0 douce Marie! beauté nouvelle ! beauté d'un éclat ra- vissant ! venez à mon secours : effacez tout ce qu'il y a en moi de" difforme, et allumez en moi le feu de la divine charité. Votre beauté purifie ma mémoire, afin que la parole de Dieu y entre avec douceur, qu'elle s'y grave avec plaisir, et que ma langue l'annonce ensuite avec amour. Votre beauté charme mon cœur ; il se sent déchargé du lourd fardeau de la tié- deur, au souvenir de votre charité et de votre humilité. Elle est pour mes yeux une source de larmes lorsque je considère votre pauvreté et votre patience ; elle répand dans mon âme une onction toute divine , au souvenir de votre tendre piété. Vous êtes, ô ma Souveraine , une beauté incomparable, une beauté à jamais désirable , parce que vous avez été donnée aux faibles pour les fortifier, aux affligés pour les consoler, à tous les hommes pour leur aplanir par votre médiation les voies du salut. Les justes de l'ancienne loi qui attendaient l'heureuse époque de votre naissance , et ceux de la nouvelle qui s'en réjouissent , ont bien raison de s'écrier : Venez, beauté resplendissante , et délivrez-nous de l'opprobre

238 espiut

nous sommes ensevelis ! Venez, beauté souveraine, et rompez les liens qui nous retiennent dans l'esclavage! Venez, beauté pleine de grâces , et purifiez-nous de nos souillures ! Que soit donc bénie et vénérée à jamais l'incomparable beauté de cette auguste Vierge, que les Patriarches ont désiré de con- templer, dont tous les Prophètes ont célébré les grandeurs , et qui remplit d'une sainte allégresse les cœurs de tous les élus.

La Mère de Dieu lui répondit : Béni soit le Seigneur , qui est toute ma beauté , de ce qu'il vous a ainsi donné grâce pour me louer. C'est pourquoi je vous dis que la beauté la plus ancienne , la beauté éternelle qui surpasse infiniment toute beauté créée, et qui m'a faite tout ce que je suis , vous fera ressentir les effets de sa protection ; que cette beauté ancienne et toujours nouvelle, qui renouvelle toutes choses , qui a dai- gné habiter dans mon sein , vous enseignera des vérités qui vous raviront d'admiration; que celte beauté si désirable, qui répand partout la consolation et la joie , embrasera votre âme du feu de son amour; lorsque vous la contemplerez, les plus grandes beautés de ce monde ne vous paraîtront plus que de l'ordure. » ( Page 218etsuiv. )

Dieu récompense les efforts cl non les succès des miuislres de l'Evangile.

La Mère de Dieu dit h l'épouse : « Un homme prend a gage un ouvrier et lui dit : Allez prendre sur le rivage quelques charges de sable , et à chaque fois que vous en aurez trans- porté une, voyez s'il ne s'y trouve pas quelques grains d'or. Si cet ouvrier n'avait pu y en trouver un seul grain pendant toute sa journée , il ne recevrait pas moins son salaire que s'il en avait recueilli une grande quantité ; il en est de même de ceux que le seul désir de plaire à Dieu, porte à travailler à la sanctification des âmes par la prédication de l'Evangile et par d'autres bonnes œuvres : leur récompense ne sera pas moins grande, s'ils ne peuvent en convertir aucune que s'ils

esprit de sainte brigue. 239

en convertissaient un grand nombre. Voyez ce guerrier qui . ayant reçu de son roi l'ordre d'aller combattre l'ennemi , brûle d'un grand désir de se distinguer par sa valeur dans le com- bat ; il en revient blessé, sans amener avec lui aucun prison- nier, la bataille ayant été perdue. Le prince connaissant le courage qu'il y a déployé , ne récompensera pas moins ses services que s'il avait remporté la victoire. Dieu traite ainsi ses amis ; il leur prépare des couronnes pour chaque parole qu'ils ont dite , pour chaque bonne œuvre qu'ils ont faite en vue de lui plaire et dans le dessein de lui gagner des âmes, ainsi que pour chacune des croix qu'ils auront portées à cette occasion , soit qu'ils aient converti plusieurs pécheurs, soit qu'ils n'en aient converti aucun. » (Pages 228 et 229. )

NOTES SUR SAINTE ERIGITE, Et sur les religieux et religieuses de son ordre.

D'après le plus graud nombre des auteurs qui ont écrit la vie de sainte Brigite et les dissertations qu'on lit dans les Actes des Saints , dans Surius et autres , c'est au couvent des Clarisses de Rome qu'elle mourut , et son corps fut enseveli dans l'église de Saint-Laurent , in panis perna. Le concours de peuple fut si grand qu'un tenta vainement pendant deux jours de l'inhumer; ce ne fut que le 26 juillet que son corps fut déposé dans une châsse de bois scellée et renfermée dans un sépulcre de marbre. Birger son tils, Catherine sa lille , et Pierre son confesseur, Latin des Ursins , et un grand nombre de personnages de la prélalure et de la haute noblesse Romaine lui rendirent les honneurs funèbres et scellèrent sa tombe. Plus tard, son corps, signalé par plu- sieurs miracles , fut accordé aux prières de ses enfants et des prélats de Suède; on l'emporta dans une châsse tiès-riche et remplie d'aroma- tes précieux. Les grands seigneurs de la Germanie voulurent l'accom- pagner ainsi que son fds , sa fille et ses confesseurs , de Rome en Suède. 11 est impossible de raconter dignement dans une note l'empressement du royaume et les honneurs qui furent rendus à cette illustre princesse. Enfin , après le quatrième jour de l'octave de saint Pierre et saint

240 NOTES SUR SAINTE BRIGITE.

Paul, elle fut déposée dans le monastère de Walstein. Boniface IX ac- corda , en 1374, sept ans et autant de quarantaines d'indulgence à tous ceux qui visiteraient son sépulcre.

Ordre île sainte Brigite.

Peu de temps après la mort de son mari, vers l'an 1341, sainte Brigite

fonda un ordre religieux qui prit le nom de Saint-Sauveur , parce qu'on prétend que le divin Rédempteur lui-môme en avait dicté à la sainte les constitutions et règlements. Plus tard on appela ces religieux Brigi- tains du nom de leur fondatrice. C'est à Walstein , diocèse de l'Incopen (Suède), qu'elle jeta les fondements de son ordre ; treize chapitres composaient les constitutions.

L'ordre s'étendait aux deux sexes et les religieux n'étaient pro- prement dit que pour le service et la direction de la maison des reli- gieuses.

11 y a aussi des religieuses de Saintc-Brigite dites de la Récollection, mais elles ont été établies, non par noire sainte princesse, mais par une espagnole nommée Marine Escobar, fille de Jacques Escobar de Castel- Rodrigo. Elle ne lit que transporter en Espagne l'ordre de Sainte-Bri- gite et y joindre quelques pratiques particulières.

Le nombre des sujets dans le monastère des femmes devait être de soixante , et celui des religieux de treize prêtres , de quatre diacres et de huit convers. Treize prêtres représentant les treize apôtres dont saint Paul était le treizième. Quatre diacres représentant les quatre plus grands docteurs de l'Eglise , saint Àmbroise , saint Augustin , saint Grégoire et saint Jérôme. Et les huit convers réunis ensemble for- maient les treize apôtres et les soixante et douze disciples de Jésus- Christ.

Les religieuses ne pouvaient être reçues avant l'âge de dix-huit ans, et les religieux avant vingt-cinq. Les religieux et les religieuses réci- taient l'office en même temps ; les uns avaient le chœur dans le bas et les autres dans le haut. Quant à la nourriture , il leur était permis de manger de la viande quatre fois la semaine : les dimanche , lundi , mardi et jeudi , au repas de midi seulement ; le soir ils ne pouvaient user de laitage, ni d'oeufs , ni de poisson; outre les jeûnes prescrits par l'Eglise, ils en observaient un grand nombre d'autres , ainsi depuis la Toussaint jusqu'il la Noël , depuis l'Ascension jusqu'à la Pentecôte, depuis l'Exaltation de la croix jusqu'à la Saint-Michel, tous les ven- dredis et samedis de l'année, les veilles des fêtes des Apôtres , etc.

Voici quels étaient les costumes des uns et des autres : pour les religieuses , chemise de bure blanche , tunique de bure grise , coule de même et manteau noir , attaché avec un nœud de bois. Ce manteau était , en hiver, fourré de peaux d'agneau. Pour coiffure elles avaient une guimpe qui leur couvrait la tète et entourait les joues , par dessus était attaché un voile de gaze noire et sur le voile au haut de la tête

NOTES SUR SAINTE B1UGITE. 241

elles avaient une couronne de toile Manche sur laquelle étaient cinq petites pièces rouges comme autant de gouttes de sang ; les religieux étaient aussi habillés de bure grise, d'une coule, d'un manteau avec le capuchon , et sur le manteau , au côté gauche , ils portaient une croix de drap rouge en mémoire de la Passion ( nous en avens vu à Home ) , et enfin au milieu de la croix un morceau de drap blanc en forme d'hostie , à cause du saint sacrifice qu'ils offraient tous les jours ; les diacres portaient un cercle blanc représentant la sagesse des docteurs, et sur ce cercle quatre pièces rouges en forme de langues de feu ; les corners portaient au contraire une croix blanche symbole de l'innocence , et cinq petites pièces rouges emblème des cinq plaies. Tel était le costume de chacun. Urbain V, Urbain VI, Jean XXII , Martin V et Grégoire XV, approuvèrent successivement cet ordre.

Sainte Brigite ne porta jamais l'habit de ses religieuses; cependant on assure qu'elle fut enterrée avec lui.

Plusieurs grands personnages morts en odeur de sainteté ont honoré cet ordre, mais il a eu aussi la douleur déporter clans son sein un des plus grands ennemis de l'Eglise, Jean jEcoIampade , religieux et prêtre du couvent de Saint-Sauveur d'Ausbourg , qui apostasia et alla prêcher ses erreurs à Bàle : on sait qu'un prompt châtiment de Dieu vint l'emporter au milieu de ses prédications furibondes. On le trouva mort dans son lit le 1er décembre 1551. ( Voyez Hélyot, Hermant, Reynnat-Alex. , et M. Vernon , ann. 3 , p. 3. )

Chevaliers de l'ordre militaire de Sainte-Biigile

Quant à l'ordre militaire de Sainte-Brigite , plusieurs historiens en ont contesté jusqu'à l'existence. Il parait que ce n'est que les chevaliers de Malte qui modifièrent leur costume et quelques cérémonies ; et ce qui fit croire que sainte Brigite les avait établis, c'est un article qu'on lit dans ses révélations, dans lequel le Sauveur se serait plaint à la sainte que les chevaliers qu'il aimait tant, parce qu'ils s'engageaient à donner leur propre vie pour la sienne et pour son église, s'étaient éloi- gnés de lui , méprisaient ses paroles et faisaient peu de cas de ce qu'il avait souffert dans sa passion , après quoi la sainte princesse aurait ins- titué cet ordre.

Schoonebeeck et Hermant ont soutenu que sainte Brigite l'a fondé en 1306 , et que le pape Urbain V l'approuva sous la règle de saint Augustin. Mais leur témoignage ne suffit pas aux yeux de plusieurs autres qui disent qu'en 13150 , sainte Brigite ne peut l'avoir établi puis- qu'elle avait quitté le royaume de Suède dès 1345, pour se retirer à Rome elle demeura depuis ce temps-là , et autres preuves qu'ils apportent.

Enfin, voici toujours , sur les chevaliers de ce nom , quelques notions intéressantes. Lorsqu'ils allaient à la guerre , ils portaient dans leur étendard la croix de l'ordre d'un côté et de l'autre trois couronnes d'or T. V. 16

242 NOTES SUR SAINTE BR1GITE.

qui sont les anciennes armes des Golhs. Quand on les recevait , un che- valier présentait le candidat à l'évèque officiant; après la messe on lisait une formule, et celui-ci lui prenait les mains, et les ayant serrées dans le missel l'on venait de lire l'Evangile , lui demandait s'il voulait recevoir l'ordre de la chevalerie au nom du Seigneur et faire profession de cet ordre conformément à la règle qu'il venait de lui expliquer. Le nouveau chevalier ayant répondu qu'oui , on lui donnait un grand coup sur le cou , et l'évèque lui disait : Souvenez-vous en l'honneur du Dieu tout-puissant que je vous fais chevalier et vous reçois en notre société ; et souvenez-vous aussi que Jésus-Christ a reçu un souf- flet, qu'on s'est moqué de lui devant le pontife Anne, qu'il a été revêtu d'une robe, qu'il a souffert des railleries devant leroiHérode , et qu'il a été exposé tout nu et attaché à une croix ; je vous prie d'avoir tou- jours dans la pensée les opprobres de celui dont je vous conseille de porter toujours la croix. Après la messe on sortait de l'église au son des trompettes , des timbales et des fanfares. Le nouveau chevalier échangeait un coup de lance avec un autre et niellait l'épée à la main comme pour commencer à faire les fonctions de l'ordre dont il venait d'être honoré.

Ces chevaliers portaient des éperons d'or, des cottes de mailles jus- qu'au genou et jusqu'au coude; une espèce de dalmatique avec une croix rouge au milieu couvrait la cuirasse dont était revêtue la poitrine et descendait un peu sur les jambes; le bras droit portait une large et longue épée et le bras gauche un bouclier aussi partagé par une croix. Le casque laissait flotter cinq à six panaches. (Voyez Hisl. des ordres religieux et milit. , t. i ).

Sur le feo Sainte-Brigilc.

Voici quelle en est l'origine. Les religieuses possédant son corps à Kilder, inventèrent, pour honorer plus particulièrement la mémoire de cette illustre vierge, un feu sacré et perpétuel. II fut depuis appelé feu sainte Brigite , et le monastère , la Maison du Feu. Il n'y a point d'autre réalité dans cette histoire. Les religieuses préposées à l'en- tretien de ce feu portaient une robe blanche , un manteau et un voile noirs.

ESPRIT

DE

SAINTE CATHERINE

DE SIENNE, RELIGIEUSE DU TIERS ORDRE DE SAINT -DOMINIQUE.

NOTICE.

1380.

La séraphique vierge Catherine de Sienne, dont nous omet- tronsia genèse , ayant à raconter de plus importantes choses, ne fut pas seulement une illustre Sainte du tiers ordre , niais une grande femme du xive siècle. Sa courte vie , car elle mourut à trente-trois ans, se remplit des plus mémorables actions; la sainteté était pour elle une seconde vue qui lui permettait de lire dans les consciences et d'aller au fond de

*Jil NOTICE

toutes les âmes. Catherine, dit un de nos écrivains moder- nes (1), savait toujours ce qu'il fallait dire aux hommes ; elle exerçait sur eux un grand empire ; sa parole était vive , per- suasive ; l'illustre fdle du teinturier Bénincasa n'a jamais su écrire , dit-on (2) : nous avons cependant 387 lettres dictées par elle dans le style le plus élégant et le plus pur ( en ita- lien ) (3) ; elle a laissé en outre six dialogues ou traités, dont nous en avons retrouvé quatre qui sont sur la discrétion , sur V oraison , sur /(/ providence et sur l 'obéissance. Entrons maintenant dans les glorieux détails qui jettent tant de lustre sur sa vie. A combien de misères l'Eglise se trouva livrée en ce temps-là! Dieu avait suscité celte admirable fdle comme un instrument de salut. Quand les guerres civiles (des Guelfes et des Gibelins) grondaient contre Grégoire XI , Catherine sut garder pour la cause du Pape les villes de Sienne , d'Arezzo et de Lucques. Dans un voyage à Avignon , elle parvint à décider le souverain Pontife à reprendre le chemin de Rome. Durant le schisme qui suivit la mort de Grégoire XI (-i) , quels inexprimables efforts de la part de Catherine pour ré- tablir l'harmonie dans la société religieuse ! avec quelle pieuse audace elle écrivait aux cardinaux , aux rois et aux papes ! Dans cette courageuse lutte elle se montre souvent à

(1> Poujonlat, Rome et Toscane (Pages2ll, 212).

(2) M. Poujoulat parle ainsi, mais d'autres disent au contraire que son édu- cation fut Irés-soignèc {Biogr. univ. ) : on regarde son style comme un modèle de langue italienne , qui ne le cède pas même à celui de Pétrarque.

{?>) La bibliothèque de Sienne possède le manuscrit des Lettres de sainte Ca- therine de Sienne , qui ne savait point écrire (Valéry) et qui est de son secrétaire. Elle semble y donner, par la correction et la pureté du style, un démenti à la remarque de BulTou sur ceux qui , écrivant comme ils parlent , quoique parlant très-bien , écrivent mal.

(4) On avait élu Urbain VI , plus tard on élut Clément VII , eu déclarant nulle l'élection d'Urbain VI.

SUR SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 245

nous avec le zèle et le puissant enthousiasme de saint Ber- nard Au mois de juin 1373 , Pérouse , Bologne, Viterbe ,

Ancône et autres villes bien fortifiées , avaient été attirées au parti ennemi du Pape. Grégoire XI écrivit d'Avignon aux Flo- rentins ; mais , sourds ses exhortations , il fut forcé de lan- cer un interdit ; il envoya ensuite le cardinal Robert de Ge- nève avec une puissante armée. Dans cet état de choses , Ca- therine fut choisie pour être la médiatrice ; de tout côté on la revêtit de pleins pouvoirs ; le Pape remit entre ses mains ses destinées en lui recommandant seulement l'honneur de l'Eglise (Godesc, t. 3 , p. 258.) 0 triomphe de la sainteté ! une sim- ple fille, une pauvre religieuse devient l'arbitre des peuples , des papes et des rois ! c'est elle qui négocie , qui voyage , qui apaise , qui désarme , qui arrête le schisme et ses fu- reurs, la guerre et ses désastres! Que de fois elle se vit en danger de perdre la vie!.... Que de fois les épées nues furent tirées contre elle....

Après de si hauts faits qui suffiraient pour illustrer la vie des premiers politiques du monde , Catherine rentra dans la solitude. Elle reprit les exercices de la vie la plus sainte et la plus mortifiée. La croix de Jésus-Christ était le grand objet de son amour. Pour récompenser cette tendresse si exces- sive , son divin Epoux l'admit à la faveur de porter ses stig- mates. Dans une vision le Seigneur lui présenta une cou- ronne d'or et une d'épines , elle choisit celle d'épines , re- poussa celle d'or et s'écria: «Seigneur, je veux toujours vivre de manière que je retrace en moi votre Passion et que je trouve mon repos et mes délices dans les peines et les souf- frances. » Ces mots sont la peinture fidèle de sa vie : mais après tant de peines, de travaux et de démarches pour faire reconnaître Urbain VI et casser l'élection de Clément VII ,

2-40 NOTICE SUR SAINTE CATHERINE DE SIENNE.

accablée d'infirmités , elle mourut à Rome , le 29 avril 1380, non pas tant d'épuisement que d'amour pour Jésus-Christ.

Pie II la canonisa en 1461 ; Urbain VIII transféra sa fête au 30 avril.

Outre les lettres d'affaires qui portent l'empreinte d'un génie supérieur et le tact le dispute à l'onction et à la vivacité du style , nous en avons d'autres règne une science éminente dans les voies de Dieu sur les âmes. Ses dialogues ou traités sont encore pleins de mérite et d'érudition céleste. Nous avons suivi pour les lettres la traduction donnée à Paris , en 164-4; quoique ancienne , elle se rapproche davantage du style de la Sainte en son temps , que les nouvelles qui sont empreintes parfois de néologismes et d'un genre qui était inconnu au siècle elle vivait. Sous ce rapport , elle semble mériter la préférence. Quant aux traités, nous avons traduit de l'italien.

ESPRIT

DE

SAINTE CATHERINE DE SIENNE,

TIRÉ DE SES LETTRES ET DE SES DIALOGUES (1).

A Noire Saint Père le Pape Grégoire XL

Au nom de Jésus crucifié et de la douce Mûrie.

Mon très-saint et très-révérend Père , en mon doux Jésus-Christ ,

Je Catherine , votre indigne et misérable Fille , servante et esclave des serviteurs de Jésus-Christ; je vous écris en la vue de son précieux sang , et dans un grand désir de vous voir bon pasteur.

Considérant que le loup emporte vos petites ouailles et qu'il ne se trouve personne qui y donne du remède , j'ai re- cours à vous , notre Père et notre souverain Pasteur, vous

(1) Un grand nombre de ses lettres aux papes, cardinaux, prélats, évêques, rois et reines, avant été écrites dans les mêmes circonstances, et pour les mê- mes affaires de l'Eglise, ne pourraient de nos jours intéresser vivement nos lec- teurs; voilà pourquoi nous nous sommes attaché à faire un choix aussi utile qu'agréable et édifiant. Nous en avons jusqu'à quatorze écrites à Grégoire XI , dix à Urbain VI et un grand nombre à divers mis. C'esl toujours sur la paix de l'Eglise.

248 ESPtUT

priant, de la part de Jésus-Christ crucifié , que vous appre- niez de lui , par quel véhément feu d'amour il s'est donné à l'ignominieuse mort de la très-sainte croix, afin de retirer la brebis désolée de la nature humaine, de la puissance du démon , lequel s'en usurpait la possession au sujet de la ré- volte que l'homme avait formée contre Dieu. A cet effet, l'infinie bonté de Dieu est descendue du ciel , et voyant le malheur , la damnation et la ruine de celle pauvre brebis , il a reconnu qu'il ne la pourrait point retirer de colère et par force ; d'où vient qu'encore qu'il en eût été offensé , et que pour le châtiment de cette rébellion que l'homme avait com- mise en désobéissant à Dieu,, il méritât une peine infinie; cette souveraine et éternelle sagesse n'a pas voulu toutefois s'y comporter de la sorte , mais elle a choisi un moyen bien agréable , et le plus doux et gracieux qui se saurait trouver ; elle a vu qu'il était impossible de gagner le cœur de l'homme autrement que par l'amour, comme ayant été fait par amour, ce qui est la cause pour laquelle il se porte si fort à aimer. Il n'a, dis-je , été fait par d'autre principe que d'amour , pre- mièrement quant â l'âme , et puis encore pour ce qui regarde le corps. D'autant que Dieu l'a créé à son image et ressem- blance par un très-pur motif de son amour , et sa mère por- tée aussi d'un semblable motif lui a fait part de sa substance, concevant et enfantant un Fils par un principe d'amour. Dieu donc voyant que l'homme était si disposé à aimer, lui a jeté subitement l'hameçon de l'amour , lui donnant son Verbe et Fils unique qu'il a revêtu de notre humanité , afin de négo- cier la paix entre lui et l'homme. Mais la justice requérant que son injure fût vengée , la divine miséricorde est venue accom- pagnée d'une ineffable charité ; et pour satisfaire à la justice et à la même miséricorde , Dieu condamna son Fils â la mort, après l'avoir couvert de notre humanité , c'est-à-dire de la chair d'Adam , qui avait commis le crime. De sorte que, par sa mort , la colère du Père fut apaisée par la justice qu'il exerça sur la personne de son Fils, et la justice ainsi satisfaite,

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 219

il contenta d'ailleurs la miséricorde , retirant la nature hu- maine de la tyrannie du démon. Et cet aimable Verbe, posé entre les bras de la très-sainte croix , semble s'y être joué, faisant comme une joute de la mort avec la vie, et de la vie contre la mort : de. sorte que par sa mort il a détruit la nôtre ; et pour nous donner la vie , il y a consommé celle de son divin corps. Ainsi donc, il nous a attirés par l'amour, et par sa même bonté il a vaincu notre malice si efficacement que tous les cœurs se devraient rendre à cet agréable attrait. Car s'il n'est pas possible de faire pa- raître un plus ardent amour, comme il l'a dit lui-même, que de donner la vie pour son ami, et si l'amour commande qu'on donne la vie en faveur de l'ami , que dirons-nous de ce très-ardent amour qui expose sa vie pour son ennemi même; vu que par le péché nous étions devenus les ennemis de Dieu.

0 doux et très-aimable Verbe , vous avez retrouvé la bre- biette par l'amour , et par la mort vous lui avez donné la vie, et l'avez reconduite au bercail en lui rendant la grâce qu'elle avait perdue. 0 très-saint et mon très-doux Père, je ne vois point ici d'autre moyen ni de meilleur remède pour recouvrer vos pauvres ouailles , lesquelles comme rebelles se sont reti- rées de la bergerie de la sainte Eglise, ne vous obéissant pas et se révoltant contre vous, qui en êtes le père. C'est pour- quoi je vous conjure de la part de Jésus crucifié , et je dé- sire que vous me fassiez cette miséricorde, savoir, que par votre bonté vous triomphiez de leur malice. Nous som- mes à vous, saint Père ; je connais et je sais que tous en général. reconnaissent avoir mal fait,, et quoique leur faute ne puisse point recevoir d'excuse , cela ne m'ébranle pas toutefois, parce qu'ils ne croient point avoir pu faire autre- ment, à cause des injustices et extorsions qu'ils souffraient de la part des mauvais pasteurs et gouverneurs : de sorte que , ressentant l'infection de la vie de plusieurs des magis- trats, lesquels, comme vous savez, sont des démons incar-

250 ESPRIT

nés , ils sont tombés en une si pernicieuse crainte , qu'ils ont fait comme Pilate, lequel pour ne point perdre le gouverne- ment , condamna Jésus-Christ : ceux-ci ont fait de même, qui, crainte de perdre l'état, vous ont persécuté. Je vous demande donc, mon Père, miséricorde en leur faveur; n'ayez pas d'égard à l'ignorance et insolence de vos enfants, mais plutôt que votre Sainteté les réconcilie par l'amorce de l'amour et de votre douceur, leur donnant quelque douce correction et favorable réponse. Rendez-nous la paix, misérables enfants, qui avons offensé : Je vous dis , mon cher Père sur la terre , de la part de Jésus-Christ notre Père dans le ciel , que vous compor- tant de la sorte , je veux dire sans querelle et sans bruit , ils viendront tous tête baissée dans votre giron , touchés de re- pentir pour leur faute commise. Et vous vous réjouirez et nous-mêmes tressaillerons d' allégresse , de ce que vous aurez reconduit l'ouaille égarée dans le bercail de la sainte Eglise. C'est alors , mon aimable Père , que vous accomplirez votre saint désir et la volonté de Dieu , qui est de méditer le saint voyage , auquel je vous invite de sa part pour le faire au plus tôt , sans user de plus longue remise de leur part : ils s'y dis- poseront aussi d'une grande affection , comme ils sont prêts d'exposer leur vie pour l'amour de Jésus-Christ. Hélas ! mon Dieu , doux amour ! élevez , mon Père , l'étendard de la très- sainte croix, et vous verrez que les loups deviendront des agneaux. La paix , la paix , la paix , et que la guerre ne nous éloigne pas davantage cette agréable saison; que s'il vous plaît de prendre la vengeance , et de faire la justice , exercez- la sur moi chétive, misérable, et faites-moi souffrir toute la peine , et tous les tourments qu'il vous plaît que j'endure jus- ques à la mort; je crois que l'infection de mes péchés a attiré plusieurs de ces défauts , de ces inconvénients et de ces dis- cordes; prenez donc toute la vengeance que vous jugerez à propos, sur moi votre misérable fille. Hélas! mon Père, je me meurs de regret,, sans néanmoins , pouvoir perdre la vie; venez, venez , et ne résistez pas plus au bon plaisir de Dieu ;

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 251

il vous appelle , et les ouailles affamées attendent que vous veniez tenir et occuper la place de votre prédécesseur et capi- taine , l'Apôtre saint Pierre , étant raisonnable , comme le vicaire de Jésus-Christ , que vous reposiez en votre propre lieu : venez donc , venez , et ne tardez point davantage. Pre- nez courage , et ne craignez pas quoi que ce soit qui puisse arriver , parce que Dieu sera avec vous. Je requiers humble- ment votre bénédiction , et pour moi et pour tous mes enfants, vous suppliant de pardonner à ma témérité. Je ne dis plus rien; persévérez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. (Lettre Ire , p. 1. ) (1)

An Pape Urbain VI.

Elle se console en ses déplaisirs , lui faisant voir cruelle doit être la cause de notre vraie douleur.

Au nom de Jésus-Christ crucifié cl de lu douce Mûrie.

Mon saint et excellent Père en mon doux Jésus- Christ.

Moi , Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ , je vous écris en son précieux sang , par le désir de voir toute l'amertume et le soin qui afflige votre esprit éloi- gnés de vous : afin que la cause de votre peine étant chas- sée , il ne demeure en vous que ce doux travail , lequel en- graisse et fortifie l'àme , parce qu'il procède du feu de la divine charité , c'est-à-dire , qu'il est causé par la considéra- tion de nos péchés , et de l'injure qui est faite à Dieu par toute la chrétienté, dans le corps mystique de la sainte Eglise , et pour la perte des âmes des infidèles , lesquels ont été rachetés par le sang de Jésus-Christ, aussi-bien que

(1) Dans une édition italienne publiée à Parme en 1842, cctlc 1" lettre se trouve la 4' du recueil , mais la traduction de Paris de 1644 méritant notre con- fiance , nous avons cru devoir la laisser à la place qu'elle y occupe.

253 ESPRIT

nous; duquel sang, mon très-saint Père, vous tenez les clefs; et néanmoins on voit ces pauvres âmes entre les mains des démons. C'est cette espèce de douleur que nourrit l'àme en l'honneur de Dieu , et qui la fait repaître sur la table de la très-sainte croix, du propre aliment des âmes, et qui la fortifie parce qu'elle est toute affaiblie par l'amour-propre , lequel est de sa part une autre amertume, qui afflige et des- sèche la même âme , la privant de la charité , en telle sorte qu'elle est insupportable à elle-même : mais l'àme qui res- sent en soi cet agréable tourment , chasse l'amertume , parce qu'elle ne se cherche pas pour elle-même , mais elle-même pour Dieu , et la créature pour Dieu , et non point pour son propre intérêt et plaisir. Elle cherche Dieu par la vue de son infinie bonté, qui le rend l'unique objet digne d'amour, et lequel nous devons aimer par devoir. Et d'où est-ce que l'àme reçoit une perfection si aimable , si ce n'est par la lumière et parce que la vérité de Jésus crucifié se propose pour objet à l'œil de l'entendement lorsqu'il goûte par l'affection les mer- veilles de sa doctrine , et par ce sujet elle s'arme de cette dilec- tion , suivant et cherchant le seul amour de Dieu et le salut des âmes, comme l'a fait celle vérité, qui, pour l'honneur de son Père , et pour notre salut, a couru après la très-igno- minieuse mort de la croix , par une vraie humilité et patience, jusques à un tel point, que sa voix ne fut jamais entendue pour se plaindre , et en souffrant beaucoup , il rendit la vie à cet enfant mort de la nature humaine. Il me semble , très- saint Père , que cette vérité éternelle veut faire de vous un autre soi-même, puisqu'aussi bien vous êtes son vicaire , et le Christ sur la terre : et il veut que , par les afflictions et les souffrances , vous réformiez sa bien-aimée épouse , et la vôtre , laquelle depuis un si long temps a été toute défigurée ; non pas qu'elle puisse recevoir aucune altération en soi, ni encore moins être privée du feu de la divine charité : mais en ceux qui se repaissent et qui paissent encore dans son sein, lesquels l'ont fait paraître pâle et comme malade à cause de

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 253

leurs défauts , en lui suçant le plus pur sang de sa vie par la passion qu'ils ont de leur propre intérêt. Désormais le temps est venu , auquel il veut que par votre moyen comme par son organe, en soufflant les travaux et les persécutions , elle soit guérie de ses infirmités , et qu'elle vienne à renaître comme un petit enfant innocent , après avoir retranché tout ce qui était du vieil homme, et la renouvelant d'ailleurs par le nouveau. Aimons-nous donc en cette agréable amertume, après laquelle vient le secours d'une indicible douceur : soyez un arbre d'amour greffé sur l'arbre de vie, qui est le doux Jésus-Christ ; les fleurs de cet arbre seront les pensées de vertu qui naîtront dans votre affection , et le fruit qui en proviendra sera la faim de l'honneur de Dieu et du salut de vos ouailles. Ce fruit semble amer en son commencement, lorsqu'il est goûté par la bouche du saint désir ; mais si l'âme a une fois résolu de vouloir souffrir jusques à la mort, pour l'amour de Jésus crucifié , et pour le mérite de la vertu , il perd son amertume et devient extrêmement doux. Comme j'ai vu quel- quefois que l'orange, qui semble amère et forte, si on retire ce qui est contenu au dedans , et la fait amollir dans l'eau , toute l'amertume en est tirée et se remplit après d'un baume qui fortifie et se couvre d'une couleur d'or par le dehors, de sorte que l'eau et le feu ont purifié cette amertume qui fai- sait que l'homme ne pouvait pas la souffrir à la bouche. Ainsi, très-saint Père , l'âme qui conçoit de l'affection pour la vertu, au commencement la trouve difficile parce qu'elle est encore dans l'imperfection; mais pourvu qu'elle y veuille appliquer le remède, qui est le sang de Jésus crucifié, lequel donne l'eau de. la grâce, elle attirera toute l'amertume de la sen- sualité ; je veux dire l'amertume qui cause des douleurs , ainsi que nous avons dit, et parce que le sang n'est pas sans chaleur puisque aussi bien il a été répandu par le feu de l'amour : je puis dire , et c'est la vérité , que ce feu et cette eau ôtent l'amer et changent son naturel qui procède de Fainour-propre et le remplissent d'un baume de force avec

254 ESPRIT

une persévérance infaillible et avec la -patience broyée dans le miel d'une profonde humilité ; ce qui est la connaissance de soi-même, parce que l'àme se connaît mieux, comme aussi la bonté de son Créateur au temps de l'affliction. Ce fruit en- tier et renfermé fait paraître à la fin au dehors ce qu'il cachait sous l'écorce. C'est ici l'or de la pureté enrichie du lustre d'une embrasée charité , laquelle éclate au dehors , se faisant connaître par l'utilité que le prochain en reçoit , moyen- nant une sincère patience souffrant généreusement et avec douceur du cœur , goûtant seulement cette douce amertume que nous devons ressentir pour les offenses commises contre Dieu et pour la perte des âmes. C'est de cette façon , très- saint Père, que nous produirons un fruit doux étant privé de cette fâcheuse amertume , et ce fruit nous donnera le moyen de chasser le déplaisir que nous souffrons à présent dans le cœur et dans l'esprit , pour les accidents qui sont survenus par l'artifice des mauvais , passionnés de l'amour de soi- même, lesquels vous affligent comme aussi vos enfants, par les offenses qu'ils commettent contre Dieu. J'espère en la bonté de notre doux Créateur, que le sujet de cette peine sera ôlé, éclairant ceux qui en sont la cause, ou jetant leur malice en confusion , tandis que votre Sainteté et nous aussi, ferons mûrir les fruits de la vertu par le souvenir du sang de Jésus crucifié , et par une vraie humilité , ainsi qu'il a été dit, connaissant que nous ne sommes pas de nous-mêmes, mais que l'être et toute la grâce , qui vient après la création , dé- pend de lui. Ainsi s'accomplira en vous la volonté de Dieu , et le désir de mon âme. Rassurez-vous , mon très-aimable Père , pas une vraie humilité sans aucune appréhension , parce que vous pourrez toute chose par Jésus crucifié, en qui repose ou réside toute notre espérance. Je n'en dirai pas davantage-, pardonnnez-moi la hardiesse que je prends; je vous demande avec humilité votre bénédiction. Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour! (Lettre XVI, p. 30. )

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 20D

Au même pape Urbain VI. Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Elle fait voir que les persécutions des méchants ne nuisent pas aux vertueux.

Très-saint et très-doux Père en Jésus-Christ ,

Je , Catherine , servante et esclave des serviteurs Jésus- Christ, vous écris en son précieux sang, par un désir de vous voir revêtu de la double robe d'une très-ardente charité, afin que les traits qui vous sont lancés par ces mauvaises personnes qui ne sont affectionnées qu'à leurs intérêts , ne puissent vous nuire. Certes , il n'y a point de coup , pour si terrible qu'il soit , qui puisse offenser l'àme couverte de ce riche vêtement ; Dieu est îa force éternelle qui ne peut être offensée par aucun de nos forfaits , d'autant qu'il ne saurait non plus recevoir la moindre blessure. De vient que notre mal n'a pas de quoi lui préjudiciel1 non plus que nos biens apporter du profit. Mous sommes seuls qui souffrons l'intérêt du mal que nous commettons , et le bien profitera à ceux qui le feront par la grâce divine. Que si Dieu est une force éter- nelle et invincible, et si l'àme qui demeure en la charité de- meure en Dieu et Dieu réside aussi en elle , puisque Dieu est charité ; donc l'àme qui est revêtue de cet habit, parce qu'elle est en Dieu , ne trouve aucune espèce de crainte ni d'afflic- tion qui la puisse vaincre ; mais plutôt elle se fortifie dans les tribulations , sans que les coups des méchants et des impies qui n'aiment qu'eux-mêmes , puissent lui nuire ni amoindrir ses affections , ni les forces de sa sainte épouse qui est l'église, parce qu'elle ne peut recevoir aucune altération comme étant fondée sur îa pierre vive qui est Jésus-Christ. Qui est-ce donc qui pourra être endommagé par ces coups? Ceux-là même, mon très-saint et très-doux Père . qui les jettent et qui lèvent contre vous leurs flèches envenimées. Elles ne touchent en

250 ESPRIT

vous que votre bouté et non autre chose , sans vous causer de l'amertume ni de la perte , si ce n'est pour le scandale et le schisme qu'ils ont lancé dans le corps mystique de la sainte Eglise. Ouvrez votre cœur à la douce dilection sans rien craindre , mais confirmez-vous et fortifiez-vous par l'union avec votre chef qui est le doux Jésus , lequel a toujours voulu dès le commencement du monde , et l'ordonnera ainsi jusqu'à la fin , qu'il ne se fasse rien de grand sans beaucoup souffrir. Jetez-vous donc sans aucune crainte à travers ces épines , étant revêtu de ce fort habit de la charité. Hélas! hélas ! ne laissez pas d'aller vite pour toutes ces fatigues , et n'entrez point en appréhension en façon quelconque pour votre vie présente. Hélas ! que mon âme est infortunée ! J'ai appris que ces démons incarnés ont élu non pas un Christ en la terre , mais qu'ils y ont fait naître un Antéchrist contre vous ., le vrai Christ en terre. Dès ce moment il faut donc , très-saint Père , il faut entrer sans rien craindre dans ce combat ; mettez-vous à couvert dans le côté de Jésus-Christ crucifié vous trouve- rez une agréable retraite; baignez-vous dans son très-doux sang. Nous sommes tous disposés à rendre obéissance à votre Sainteté cl de souffrir jusqu'à la mort , vous promettant de vous aider par les armes de la sainte oraison et de publier la vérité partout sera le bon plaisir de Dieu et de votre Sain- teté. Pourvoyez à avoir de bons et vertueux pasteurs ; ne pla- cez pas votre confiance dans les hommes , mais en Dieu seul ; ne laissez pas pour cela d'ordonner une bonne garde autour de votre personne, et faites de votre côté tout ce qui vous sera possible. Je ne serai pourtant pas en repos jusqu'à ce que je me sois présentée à votre Sainteté , et que je lui aie dit de vive voix ce que je lui écris , parce que mon dessein est de donner le sang et la vie , voire même de distiller les moelles de mes os pour l'Eglise, bien que je ne sois pas digne de celte grâce. Pardonnez, mon Père, pardonnez, s'il vous plaît, à ma présomption, je nen dirai pas davantage. Demeurez en la douce dilection de Dieu : doux Jésus, Jésus amour! (Lettre XXII-51 .)

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 257

A Monseigneur Pierre, cardinal de Luna.

Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Des effets de la vérité , et de quelle sorte le cœur de l'homme opère généreusement , éclairé de sa lumière.

Mon très-révérend et très-cher Fère en mon doux Jésus-Christ,

Je, Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ , vous écris en son précieux sang par un désir de vous voir amoureux de la vérité , laquelle est toujours libre , n'y ayant personne qui puisse rien entreprendre contre la vérité. Mais il semble que l'homme ne saurait l'avoir en toute sa perfection , s'il ne la connaît ; d'autant que ne la connaissant pas, il ne peut l'aimer, et ne l'aimant pas en soi , il ne s'ef- force pas de l'acquérir. A ce sujet donc le flambeau de la très-sainte foi est nécessaire; lequel est la prunelle de l'œil de l'entendement, et cet œil éclairé par la lumière de la foi , l'âme vient alors en la connaissance de la douce vérité de Dieu qui est toute pour notre sanctification.

La vérité corrige avec hardiesse , parce qu'elle est accom- pagnée d'une sainte justice, laquelle est un diamant qui doit briller en toutes les créatures qui usent de la raison , mais surtout dans un prélat. La vérité garde le silence quand il en est besoin , et se taisant , elle crie par la voix de la patience : d'autant qu'elle n'est pas ignorante , mais elle sait discerner et reconnaître il y va plus de gloire de Dieu et de salut pour les hommes. 0 mon très-cher Père, aimez cette vérité, afin que vous soyez une colonne au corps mystique de la sainte Eglise qui est le lieu cette vérité doit être adminis- trée , puisque la vérité réside en elle et qu'elle en est la gar- dienne.

( Elle parle ensuite du schisme élevé à Sienne , et s'écrie : ) t. v. 17

258 ESPHIT

Hélas! hélas! je meurs de ne pouvoir mourir et de voir que ceux qui devraient mourir pour la vérité soient privés de cette même vérité. Je veux donc, mon très-cher Père, que vous ayez de la passion pour la vérité, suivant le bon commencement que vous avez donné à vos actions , quand vous avez vu que l'épouse de Jésus-Christ avait besoin d'un bon et saint pasteur , et qu'à ce sujet vous vous êtes exposé sans crainte à toutes choses , sans jamais rien appréhender. Afin donc que ceci puisse réussir selon notre dessein, je vous prie d'être toujours à l'oreille de Sa Sainteté ou de lui dire incessamment qu'il lui plaise de réformer son épouse par cette même vérité ; mais dites-lui d'un grand courage qu'il la rétablisse par de saints et bons pasteurs , qui le soient en effet et en vérité, et non-seulement par le son des paroles. Je veux donc, pour l'amour de Jésus-Christ crucifié, que vous le suppliiez que ce soit son bon plaisir de vous donner la force d'arracher les vices avec espérance et douceur, et de planter les vertus autant qu'il vous sera passible, et qu'il lui plaise de mettre la paix dans l'Italie. Si vous êtes ainsi passionné pour la vérité , au moyen de la précieuse perle de la justice détrempée dans la miséricorde , n'imposant point à vos sujets une plus pesante charge qu'ils ne la peuvent porter , vous ne vous soucierez de quoi que ce soit , vous ne tournerez pas seulement la tète pour regarder la moindre chose, mais vous persévérerez constamment jusqu'à la mort. C'est tout ce que j'ai à vous dire ; rendez-vous un digne époux de la vérité , maintenez-vous en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre III , page 58. )

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 2Û9

Au\ anciens de la cité de Lncques.

Au nom de Jésus-Christ crucifié et de lu douce Marie De la force de l'Eglise unie à son chef qui est Jésus-Christ.

Mes très-clicrs el bien-airaés Frères en Jésus-Christ,

Catherine , etc. Je vous écris en son précieux sang par le désir de vous voir remplis de la grâce divine et de la lumière du Saint-Esprit sans laquelle nous ne pouvons nous conduire. Vous savez bien , mes Irès-chers Frères , que nous sommes en chemin comme des .pèlerins et voyageurs en cette vie de ténèbres, et que de nous-mêmes nous sommes des aveugles : comment donc un aveugle qui n'a point de guide pourra-t-il tenir un chemin mauvais et difficile sans tomber ? Il a donc besoin de guide et de lumière qui le conduise. ( Après avoir dit que c'est Jésus-Christ qui est notre lumière et notre guide et que son vicaire le représente ici-bas ; que son église est dépositaire de sa vérité et de son sang , elle ajoute : ) Sachez que celte épouse est si bien affermie par le feu de la charité tant en soi-même qu'en tous ceux qui s'appuient sur elle comme ses vrais et légitimes enfants , qu'ils choisi- raient mille fois la mort plutôt que de s'en séparer ou de vivre sans elle; elle est même si bien unie à son divin époux , qu'il n'y a point de puissance sous le ciel qui la puisse séparer d'avec lui , ni empêcher qu'elle ne soit à jamais cette véné- rable, très-douce et bien-aimée épouse; que si vous me dites qu'ellesemble aller en décadence et qu'elle ne peut être sou- tenue que par le pouvoir de ses enfants, je vous déclare qu'encore que cela paraisse ainsi à l'extérieur , si vous con- sidérez bien toutefois l'intérieur , vous y trouverez des forces dont son ennemi est dépouillé : vous savez bien que le titre de fort appartient à Dieu, et que toute force et toute vertu pro- cèdent de lui qui en est la source : cette force n'est point ôlée

260 ESPRIT

à l'épouse , ni ce ferme secours et puissant appui qu'il lui prête, tandis que ses ennemis , comme des membres pour- ris , sont retranchés de leur chef et demeurent affaiblis , et qu'il leur arrive comme à une partie qui est coupée d'un corps , laquelle perd aussitôt la vigueur et la vie ; que si vous avez encore quelque doute , parce que vous voyez les mem- bres que j'appelle faibles et pourris s'avançant et semblant prospérer , ayez patience , les affaires ne doivent pas aller toujours de celte sorte , les chances tourneront bientôt , puis- que le Saint-Esprit a dit en la sainte Ecriture, « qu'en vain l'homme veille et travaille pour garder la ville, si Dieu même ne la défend. » Aussi leur ruine est-elle infaillible... Je vous supplie donc , pour l'amour de Jésus-Christ crucifié , mes chers Frères, que vous demeuriez toujours fermes et cons- tants en ce que vous avez commencé. Ne vous étonnez point de tous les assauts de l'enfer ni des hommes pires que les démons, qui vous menacent de vous enlever vos états ; con- solez-vous seulement de la grâce que Dieu vous fait de ne point vous séparer de votre chef et de celui en qui réside la véritable force , et n'allez point faire alliance avec ces mem- bres débiles et pourris qui s'en sont éloignés. Gardez-vous bien d'entrer dans cette ligue, et choisissez plutôt toute sorte d'extrémités que de tomber en ce désastre... Vous savez bien qu'entre plusieurs enfants qui seront en une famille , si tous sont désobéissants et rebelles à leur père, à la réserve d'un seul , celui-là emportera l'héritage ; je dis ceci , en cas que si vous n'aviez point de compagnons de votre vertu , vous ne laissassiez pas de tenir bon : mais parla grâce de Dieu vous n'êtes pas seuls , car vous avez les habitants de Pise , vos voisins, qui ne manqueront jamais à leur devoir... Je n'en dis pas davantage; demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre XX , p. 549. )

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 20 1

Au roi de France, Charles Y.

Au nom de Jésus crucifié et de lu douce Mûrie.

Elle prie le roi de mettre la paix dans son royaume, alin de pouvoir secourir i' église.

Mon très-cher Père en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris en son précieux sang , pour le désir de voir en vous une vraie et très-parfaite lumière , afin que vous puis- siez connaître la vérité et discerner ce qui est nécessaire pour votre salut. Nous irons dans les ténèbres sans cette lumière et ne pourrons pas juger de ce qui peut nuire ni profiter au corps ni à L'âme , d'où procède la corruption du goût qui nous fait agréer les choses mauvaises et déplaire celles qui peuvent être profitables. Nous trouvons du goût au péché et à ce qui nous y conduit ; et d'ailleurs , la vertu nous semble pleine d'amertume et de difficile conquête. Mais l'àme qui est éclairée d'une vraie lumière sait bien reconnaître la vérité : elle s'affectionne à la vertu et à Dieu par-dessus toutes choses , comme à la fontaine de toutes les vertus : elle déteste le péché et la propre sensualité qui est la cause de tous les vices. Mais, par quel malheur sommes-nous privés de celte vraie et agréable lumière ? Par l'amour-propre ou l'amour que nous avons de nous-mêmes , lequel est comme un brouil- lard qui offusque l'œil de l'entendement et obscurcit la lu- mière de la très-sainte foi ; ainsi, l'homme se laisse conduire comme un aveugle, suivant les mouvements de sa faiblesse et de sa passion , dépouillé de la conduite qu'il pouvait attendre de la raison , et comme un animal il est gagné par ses appé- tits. C'est un grand désastre à l'homme sur lequel Dieu a im- primé les traits de son image , de voir que de son gré il de- vienne pire qu'un animal sans raison : il ne veut connaître ni

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reconnaître les grâces et les faveurs de son Dieu , mais il sem- ble se les approprier à soi-même. Toutes sortes de maux prennent leur source de Pamour-propre : les iniquités et toutes les impiétés en tirent leur origine : il porte l'homme à commettre des injustices contre Dieu et contre soi-même : le prochain s'en ressent et la sainte mère l'Eglise en est offensée. Le péché qui en est commis contre Dieu , consiste en ce qu'il ne rend ni l'honneur ni la gloire dus à son nom , ainsi que l'homme y est obligé : il ne déteste pas le vice ainsi qu'il de- vrait , et il ne traite pas son prochain avec bienveillance et charité : s'il est supérieur, il n'administre pas la justice selon la loi , mais selon les intérêts de la créature ou selon le mou- vement de ses plaisirs : il persécute l'Eglise sans cesse au lieu de lui rendre obéissance. L'amour-propre est la cause de tous ces malheurs , parce qu'étant privé de lumière, il ne donne pas le moyen de connaître la vérité. Ceci est très-évi- dent , en ielle sorte qu'il ne se passe jour que nous n'en las- sions l'expérience. Je ne voudrais pas , mon cher Père , que ce brouillard vous fit perdre la lumière, mais je désire plutôt qu'il y ait un flambeau en vous qui vous fasse connaître la vé- rité. Il me semble, à ce que j'ai appris , que vous commencez à vous laisser conduire par le conseil des personnes qui ai- ment le trouble , et vous n'ignorez pas que si un aveugle en conduit un autre , ils tomberont tous deux dans la fosse. C'est le malheur qui vous arrivera si vous n'y apportez d'autre remède que celui que je vois. Voilà pourquoi je suis grande- ment étonnée qu'un prince très-chrétien , lequel fait profes- sion de craindre Dieu ., se laisse conduire comme un enfant, sans vouloir considérer en quelle désolation il se jette , et les autres aussi , ternissant la lumière de la très-sainte foi , par le conseil et le support de ceux qui sont des ministres d'enfer, des arbres morts et déracinés , dont les défauts et les impiétés sont manifestes par le poison qu'ils sèment , di- sant que le pape Urbain VI n'est pas le vrai et légitime suc- cesseur de saint Pierre. Prenez garde que ceux qui vous font

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entendre ces choses , parlent contre leur propre conscience et méritent d'être punis , de quelque façon qu'ils se veuillent excuser et par les mêmes principes qu'ils allèguent pour leur justification. Si nous disons que vraiment ils ont fait élection de sa personne , mais que ça été par la crainte qu'ils avaient de la fureur du peuple , ils parlent contre la vérité , parce qu'ils l'élurent par une élection vraie et aussi canonique comme aucun autre de ses prédécesseurs ait pu jamais avoir été élu. Il est bien vrai qu'ils usèrent de diligence à faire la nomination , par crainte qu'ils avaient du peuple ; mais ils ne furent pas contraints de nommer monseigneur Barthélémy , archevêque de Bary , qui est à présent le pape Urbain YI. Je l'avoue , et c'est la vérité , que monseigneur Pierre de Luna a vraiment été élu et nommé par crainte ; mais l'élection du pape Urbain a été juste et canonique. C'est ainsi qu'ils me le dirent , et à vous aussi et à tous les princes de l'Europe , dé- clarant par leurs actions ce qu'ils disaient aussi de bouche , parce qu'ils lui rendirent les adorations accoutumées comme au Christ en la 'terre , assistant à son couronnement avec toutes les solennités requises et confirmant de nouveau celte élection , en lui demandant des grâces et des abolitions , comme au souverain chef de l'Eglise , dont ils se servirent avec toute sorte de soumission et parfaite union de volonté. Que s'il est vrai, comme ils le disent à présent, qu'ils l'avaient élu par crainte du peuple, et qu'ensuite Urbain YI n'est pas le vrai pape, ne seraient-ils pas dignes d'une confusion éternelle , de voir que les colonnes de la sainte Eglise éta- blies pour l'honneur de la sainte foi , eussent voulu acquérir pour eux , et nous donner à nous la mort éternelle par crainte de la temporelle , en nous faisant reconnaître pour chef de la chrétienté celui qui ne l'était pas? El n'eussenl- ils pas été de vrais voleurs de se servir de grâces qu'ils oclroyaient, s'ils savaient bien qu'il n'eût pas le pouvoir de les donner? Et des idolâtres adorant pour le Christ en la terre celui qui n'était pas le vrai pape , si ce qu'ils disent à

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présont était véritable , aussi bien comme il est faux, puisque vraiment Urbain VI est le légitime successeur de saint Pierre? Aussi , comme des fous et insensés , aveuglés du propre amour d'eux-mêmes , ils ne changèrent jamais d'avis et ont parlé toujours en sa faveur, tandis que Sa Sainteté a souffert leurs désordres et la liberté de leurs discours. Mais dès lors qu'il a commencé à les reprendre et à les corriger , il leur a été désagréable , et se sont révoltés contre lui , c'est-à-dire contre la sainte foi , faisant pis que des chrétiens renégats. 0 misérables! qui ne connaissent pas leur malheur non plus que ceux qui sont de leur parti ! Que s'ils le pouvaient pré- voir , ils auraient recours à Dieu et avoueraient leurs crimes sans demeurer obstinés comme des damnés; aussi semblent- ils être de vrais démons , puisqu'ils en exercent le ministère. Satan ne s'étudie à autre chose qu'à retirer les âmes du ser- vice de Jésus crucifié, de les divertir du chemin delà vérité et de les appeler au mensonge et à lui qui en est l'auteur et le père , et de leur donner pour salaire le même mensonge qui est tout ce qu'il possède lui-même. C'est ainsi que ces ministres d'enfer, renversant la vérité qu'ils publiaient eux-mêmes, et proposant le mensonge, ils ont mis tout le monde en confusion , nous faisant part du mal qu'ils ont en eux. Si nous voulons être éclaircis sur cette vérité , il ne faut que considérer leur conduite et celle de ceux qui sont de leur parti, vous ne verrez qu'infamie et abomination , en quoi vraiment ils s'accordent , puisque Satan n'est pas contraire à soi-même. Pardonnez-moi , mon très-cher Père , c'est ainsi que je vous appelle, en tant que je vous verrai amou- reux de la vérité et ennemi du mensonge , si je parle de cette sorte , parce que leur perte que je vois toute manifeste, et la crainte de leur damnation éternelle m'y obligent.

Donc, mon très-cher Père, pensez à ceci ; mettez la main à la conscience ; souvenez-vous qu'il vous faut mourir sans savoir l'heure de ce départ : mettez-vous en la présence de cet œil divin qui voit tout, et ne vous laissez pas gouverner

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par la passion ni par l'amour naturel que vous pouvez avoir pour la France , parce que, quand il s'agit de la gloire de Dieu, il ne faut pas mettre de différence entre un Français et un Italien , puisque nous avons été conçus également dans ses idées éternelles , créés à son image et ressemblance , et ra- chetés par le précieux sang de son Fils unique. Je suis très- assurée que si vous êtes éclairé de la vraie lumière , vous ne manquerez pas de le faire, sans différer plus longtemps, parce que le temps n'attend personne , et vous convierez les autres à ce qu'ils aient à revenir à la sainte et vraie obéis- sance , ce que vous ne ferez pas autrement. Voilà pourquoi je vous ai dit que je désirais de voir en vous une vraie et très- parfaite lumière, afin qu'à sa faveur vous connaissiez , vous aimiez et reteniez le sentier de la vérité. Et pour lors mon âme s'estimera heureuse voyant le salut de la vôtre en assu- rance et que vous serez sorti d'une erreur si pernicieuse.

Je n'en dirai pas davantage; demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu : pardonnez-moi si je vous ai été importune par trop de discours; l'affection que j'ai pour votre salut m'obligerait à vous voir et à vous dire plutôt ces choses de vive voix que par écrit. Je prie Dieu qu'il vous remplisse de sa très-douce grâce. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre II , page 492. )

Au roi de Hongrie.

Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Après avoir traité de l'excellence de la charité, elle l'exhorte à la paix et au secours du Pape.

Mon très-cher Père, &c.

Catherine, &e. Je vous écris en son précieux sang (de Jésus-Christ) , pour le désir de vous voir établi en une vraie et très-parfaite charité , laquelle ne cherche pas ses intérêts ,

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mais seulement l'honneur et la gloire de Dieu et le salut des âmes, et elle ne cherche pas son prochain pour soi-même, mais seulement pour Dieu. C'est une Mère qui nourrit les vertus, comme ses enfants au milieu de son sein, parce que le reste des vertus n'a point de vie sans la charité ; ce n'est pas que l'homme ne puisse faire un acte de vertu encore qu'il n'ait pas la charité , mais cette vertu ne tient pas son rang dans l'âme, si elle n'est faite par un motif de charité. Voilà pourquoi le glorieux Apôtre et grand héraut saint Paul disait autrefois : «. Quand hien même je donnerais tout mon hien aux pauvres et que j'exposerais mon corps pour être brûlé, et que j'aurais une langue angélique et la connaissance des choses à venir par la prophétie , si néanmoins j'étais privé de la charité , tout cela ne me servirait de rien. »

La charité chérit tout ce que Dieu aime : elle a de l'aver- sion pour tout ce que Dieu n'aime pas; aussi pour cette rai- son celui qui en est pourvu se dépouille du vieil homme, c'est-à-dire du péché qui déplaît à Dieu , de telle sorte qu'il l'a voulu châtier sur la propre personne de son Fils, et il prend l'habit du nouvel Adam qui est le doux Jésus-Christ ; il s'unit intimement à lui suivant sa doctrine ; et en quelque état qu'il se trouve, il ne s'éloigne jamais de ses commande- ments. L'âme qui est en la charité fait profession de suivre les vestiges de Jésus-Christ -, elle méprise le monde avec tou- tes ses délices , ne les estimant que pour le prix qu'elles valent, comme ce qui est sans assurance ni durée. C'est pour- quoi elle les retient et les possède comme des choses em- pruntées et non pas ainsi que ses propres biens, jugeant bien et reconnaissant qu'elles lui peuvent être ravies ainsi que le même monde, au moyen de la mort.

C'est cette charité qui rend l'âme complaisante et amou- reuse de ses propres ennemis , je veux dire les ennemis que le monde appelle tels, parce que les vrais ennemis de l'homme ne sont autres que le même monde , le démon et la chair fragile et notre humanité, pas un desquels ne laisse jamais

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l'esprit en repos. Le monde par ses plaisirs convie l'homme à ses vanités et aux libertés de la vie et à des passe-temps déréglés; le démon jette mille sortes de pensées dans les âmes sur les diverses occasions qui se rencontrent pour nous provoquer à la colère ou à quelque trait d'impatience , afin de nous priver de la charité qui donne la vie de la grâce. Enfin la propre sensualité nous sollicite par de fortes révol- tes et mouvements de quelque vice que ce soit; ce sont nos trois ennemis. Il est vrai que si la raison le veut, ils sont affaiblis par la force du sang de Jésus crucifié , par lequel l'âme qui est en une parfaite charité s'élève avec une très- grande haine contre ses ennemis, faisant la guerre au vice et acquérant une solide paix avec la vertu. »

Elle rapporte ensuite !toutes les conditions de la charité à deux chefs; savoir : « En une sainte patience qui lui fait recevoir les injures grandes et petites de quelque côté qu'elles lui arrivent et les souffrir avec une grande quiétude d'esprit , voilà la première. La deuxième consiste à servir le prochain autant qu'il se peut faire : par la première , il supporte les injures avec patience, et par la deuxième et dernière , il lui donne ; mais que lui donne-t-il ? L'affection de la même cha- rité , aimant son prochain comme soi-même et lui faisant part de ses grâces et dons spirituels ou temporels avec soin et affection. Il trouve le goût de son âme disposé â recevoir la viande sacrée de la parole de Dieu et se met en devoir de l'observer jusqu'à la mort. Il y a beaucoup d'autres preuves de cette vertu en l'âme ; je me contente toutefois de celles-ci afin de ne m'étendre pas trop en paroles. » Elle l'exhorte en- suite à venir au secours de l'Eglise.

« Il semble que notre doux Sauveur vous a fait à présent le protecteur de notre foi et son défenseur contre les infidèles ; de même que vous devez être celui par qui la justice sera maintenue contre les hérétiques et mauvais chrétiens qui dénient la vérité , en quoi il ne faut pas user de remise, mais il faut que vous répondiez â Dieu qui vous appelle; mettez en

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arrière toute sorte d'affaires , le doux et amoureux Jésus qui a donné sa vie avec tant d'amour veut que vous teniez seule- ment pour ennemis ceux qui sont les ennemis de la sainte Eglise et de la vérité de notre sainte foi , et que vous fassiez la paix avec tous les autres... Souffrirez-vous que la foi de l'Eglise soit mise en désolation par un Antéchrist et par une femme? Je vous déclare que si vous et les autres princes chrétiens qui avez moyen d'y apporter remède y procédez avec nonchalance, Dieu vous fera tomher en confusion et vous serez châtiés de votre tiédeur et lâcheté; je ne veux pas que nous en attendions la correction parce qu'elle est pleine de terreur et bien plus sévère que ne l'est la répréhension qui est faite par les hommes ; mais je vous supplie de venir sans différer davantage ; prenez l'affaire en main puisque Dieu vous le commande et mettez cette charge sur vos épau- les... Ouvrez les yeux de votre connaissance , hélas! sur ces pauvres morts; imitez les glorieuses actions des martyrs qui vous sont présentés... Tout le monde qui est aujourd'hui en un général renversement s'en va à toute bride dans le grand chemin de l'enfer sans qu'il se trouve personne qui s'oppose à un désordre si général , parce qu'il ne se trouve que des esprits attachés â l'intérêt particulier de leurs pas- sions, et qui, ne cherchant que les richesses et les pompes du inonde , n'apportent que de la pauvreté et de la misère sans avoir soin des âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ crucifié !... Travaillez promptement à cette affaire , parce que je ne vous le dis pas sans raison , votre venue ne peut être que grandement heureuse et peut-être que la vérité qui est mise en dispute pourrait être éclaircie sans une plus grande violence, et que cette misérable reine serait tirée de son obsti- nation , soit par crainte ou par amour... Je prie Dieu qu'il ré- pande en vous sa lumière et sa grâce; prenez la nacelle de la sainte Eglise, et aidez à la conduire au port du repos et du salut : je n'en dirai pas davantage ; demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu... Doux Jésus, Jésus amour! Don-

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nez courage à la reine de la part de Jésus crucifié et de la mienne. Recommandez-moi à elle. (Lettre IV, page 500. )

Au duc d'Anjou.

Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Elle exhorte ce prince à la guerre sainte ; elle lui parle aussi d'un acci- dent arrivé peu de jours auparavant , en un festin plusieurs furent accablés sous les ruines d'une muraille.

Mon très-cher Seigneur et Frère , en mon doux Jésus ,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ , je vous écris en son précieux sang , par le désir de voir votre cœur attaché et cloué sur la croix , si parfaitement, que la sainte affection que vous avez conçue , d'arborer au plutôt le drapeau de la très-sainte croix , puisse prendre accroissement en vous. Je suis très-assurée que si vous jetez les yeux sur cet agneau égorgé et consommé sur la croix par amour afin de vous retirer de la mort, et vous rendre la vie delà grâce, vous sentirez une force et un nouveau désir en vous pour le faire promptement , et retrancher de votre cœur et de votre came toute sorte d'affection déréglée pour les vani- tés du monde, qui sont des plaisirs qui passent comme le vent, laissent toujours la mort dans l'âme de celui qui les possède et le conduisent enfin à la perdition et la mort éter- nelle, s'il ne pense à sa correction ; de sorte que par sa seule faute il est privé de la vision de Dieu , et se rend digne de la société des esprits malheureux, étant bien juste que celui qui offense Dieu , qui est un bien infini , soit sujet à des pei- nes qui ne finiront jamais. Je parle de celui qui passe sa vie dans les délices et dans une splendeur déréglée , travaillant uniquement à la recherche des honneurs , à la bonne chère et aux ornements somptueux; comme ceux qui dépensent en

270 ESPRIT

ces excès tout ce qu'ils ont en ce inonde , laissant mourir de faim les pauvres pendant qu'ils foisonnent en toute sorte de luxe et de dépense. Ils aiment la politesse du service, la table délicate, les habits pompeux, et ils n'ont point de soin de leur pauvre âme qui se meurt de faim , parce qu'ils lui ravissent la viande de la vertu et de la pénitence et de la sainte parole de Dieu qui proprement lui appartient ; je veux dire du Verbe incarné , qui est son Fils unique, duquel nous devons suivre les exemples par la sincérité de nos affections , aimant ce qu'il chérit, et travaillant pour trouver ce qu'il désire , aimer les vertus et mépriser les vices : chercher la gloire de Dieu et le bien des âmes et de notre prochain; puis- que c'est à ce propos qu'il a été dit par ce même Sauveur que le pain n'était pas la seule nourriture propre à l'homme ; mais tout ce qui procède de la bouche de Dieu. Je veux donc, mon cher et doux Seigneur et mon frère en Jésus-Christ, que vous suiviez cette parole, avec une vraie et belle vertu, sans vous laisser abuser au monde , ou à la force de votre jeunesse ; parce que si nous marchons après le monde , cette parole que le béni Jésus-Christ dit aux juifs , nous pourrait être reprochée, quand il disait : « Ceux-ci sont semblables à des sépulcres qui sont beaux et blanchis au dehors ; mais au dedans ils ne contiennent que de la corruption et de la puan- teur. i> 0 que cette douce et souveraine vérité parlait bien avec raison ! Car , il est vrai qu'il y a un grand nombre de personnes qui à voir leur extérieur semblent être quelque chose de bon à cause de la richesse et des beaux babils dont ils sont revêtus ; mais ils ont le cœur rempli de choses mortes et odieuses qui produisent la mort, avec la honte et la pourri- ture du corps et de l'âme. Mais j'espère en la bonté de Dieu , (jue vous mettrez ordre à l'avenir de corriger votre vie ; en telle sorte , que vous serez hors de ce reproche , et que vous recevrez la croix avec un grand transport d'amour , afin que la mort soit ruinée par son moyen , et que le péché qui l'a causée, soit banni de nos âmes. C'est l'effet que la croix fera

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en vous ; et lorsque ce bel étendard sera élevé , toutes les offenses commises contre Dieu seront pareillement abolies, et Dieu vous dira : Viens , mon fils bien-aimé , qui as travaillé pour mon service ; je te veux consoler et te conduire aux no- ces de la vie éternelle , tu trouveras un rassasiement sans dégoût, une faim sans peine , et un plaisir sans interruption ; ce qui ne se passe pas comme dans les festins et les banquets du monde , s'il y a du gain pour les uns , il y a de la dé- pense pour les autres ; et encore que l'homme y soit rassasié, il ne laisse pas pourtant d'avoir de la nécessité ; et ils passent souvent de la joie à la tristesse , ainsi que vous le vîtes bier en l'accident qui vous arriva après avoir fait cette belle as- semblée de vos amis en un banquet , lequel finit par un grand déplaisir : ce que Dieu permit pour l'amour qu'il porte à votre âme, voulant faire connaître , et à vous et à ceux qui étaient en la compagnie, la vanité de tous nos desseins, faisant voir encore en particulier, que tout ce qui se pratiquait en ces assemblées , et les conseils que l'on y prenait , ne lui étaient pas agréables. Hélas ! je crains bien que notre folie ne vienne jusques à un tel point, que la justice divine en tire vengeance sans nous donner loisir d'en considérer la qualité ; et par- tant , je vous dis de la part de Jésus crucifié , que l'accident de la journée d'hier ne vous échappe jamais de la mémoire , afin que toutes vos actions soient conduites par ordre , avec vertu et crainte de Dieu. Ayez bon courage, parce que j'es- père que sa bonté vous donnera le moyen de le faire ainsi ; et ne vous affligez pas de cet accident qui est arrivé ; mais pre- nez-le comme une instruction et un châtiment propre à vous guérir par la connaissance que vous aurez de vous-même. Qu'il vous serve d'une bride pour arrêter le dérèglement de votre vanité , comme on met le caveçon à un jeune poulain , afin de l'empêcher de courir au delà des lanières. Sus donc, mon cher Fils, en mon doux Jésus-Christ, jetez-vous aux bras de la très-sainte croix , répondez à Dieu qui vous appelle par le moyen de celte même croix , et par vous accomplirez

272 ESPRIT

sa volonté et mes désirs : demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu , et pardonnez à ma témérité. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre VI , 509. )

A Monseigneur Pierre de Ganibacurli , à Pise.

Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Des malbeurs que le péché apporte à nos âmes.

Mon vénérable Père en mon doux Jésus-Christ.

Catherine, <xc, je vous écris afin de vous recommander au précieux sang de Jésus-Christ , par le désir de voir votre affection et vos souhaits dépouillés et épurés des pernicieux plaisirs et des voluptés déréglées de ce monde, lesquelles ser- vent d'occasion pour éloigner les âmes de Dieu, étant néces- saire que l'âme qui est unie avec Jésus crucifié , bonté souve- raine et éternelle, soit sevrée et retirée du siècle. La raison est que celui qui est engagé dans le siècle par affection est aussi retranché de Jésus-Christ , ainsi que celte même vérité le dit évidemment : « Personne ne saurait servir deux maîtres qui sont contraires l'un ta l'autre. » Oh ! que cela est bien dan- gereux , mon très-cher Père , parce qu'il est très-assuré que l'homme qui est attaché dans l'habitude du péché est sembla- ble à celui qui a les pieds et les mains liés , de telle façon qu'il ne peut pas se remuer; c'est ainsi que les mains de l'âme sont liées sans qu'elle puisse rien faire qui plaise à Jésus- Christ. Et les pieds de son affection ne se peuvent point mou- voir pour faire une bonne œuvre qui soit digne de grâce. Hélas ! hélas! que le péché est dangereux pour l'âme ! quelle espèce de biens ne ravit-il pas à la créature? Et quelle abon- dance de maux ne lui fait-il pas mériter? Il la rend digne de mort et lui ravit la vie; il lui ôte la lumière et la jette dans les ténèbres. Il lui ôte le commandement et la rend esclave et sujette , parce que celui qui est engagé dans le péché est es-

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clave du môme péché , et perdant l'empire sur soi-même il s'est laissé posséder à la colère et aux autres défauts et mou- vements qui troublent notre vie. Quel avantage serait-ce donc pour nous, o mon cher Père, si nous avions la domination sur toute la terre et n'avions pas l'empire sur nous et sur l'in- clination qui nous porte au vice et au péché , lorsqu'il nous prive de la lumière de la raison et ne nous laisse pas voir le misérable état de la damnation ni l'assurance et la tranquil- lité de l'àme qui est unie à son doux Jésus ! Elle a perdu la vie de la grâce, s' étant retranchée de la vraie vie; et comme le sarment qui devient sec lorsqu'il est coupé de la souche , ainsi la créature qui est retranchée de la vraie vigne se sèche, se pourrit comme destinée au feu qui ne finira jamais. Hélas ! que c'est ici un grand aveuglement de ce que n'y ayant ni démon ni créature au monde qui puisse engager l'homme dans le péché, il soit si malheureux que de s'y précipiter lui- même. Réveillons-nous donc du sommeil de la négligence, et coupons un lien si dangereux et si dommageable. Il le faut ainsi faire , parce que ni le péché ni le monde n'ont aucune conformité avec Jésus-Christ; le monde cherche les plaisirs , les voluptés et les grandeurs , et le béni Jésus-Christ a fait choix des misères, des aiïlictions et des mépris, enfin d'une mort ignominieuse sur la croix , ayant voulu être serviteur et obéissant , sujet à la loi de la volonté de son Père duquel il a toujours cherché la gloire avec notre salut. Sus donc, sui- vons ses pas , et tenons-nous attachés à lui par un si doux et agréable lien duquel je vous supplie et je le désire ainsi , que nous en soyons liés...

Ne vous fiez pas à la vie présente , parce que le temps est court et que la mort arrive sans que nous y prenions garde. Tournez les yeux sur la sainte et divine justice en l'exercice de votre charge...

Rendez-vous soigneux de votre salut autant qu'il vous sera possible avec charité et amour. Faites que toutes vos actions soient unies à Jésus-Christ , qui est le lien dans lequel mon T.v. 18

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âme vous désire , je n'en dirai pas davantage. Je prie Jésus- Christ qu'il vous récompense de sa grâce; je me recommande à ces dames avec toute sorte d'affection , à ce qu'elles prient Dieu pour moi , afin que je sois humble et obéissante , ainsi soit-il. Loué soit Jésus-Christ crucifié ! ( Lettre X, 518. )

A dom Christophe , religieux de la Chartreuse au monastère de Saint- Martin de Naples.

Au nom de Jésus-Christ crucifié et de la douce Marie.

Elle traite de la connaissance de soi-même et des grâces que Dieu a conférées à la créature raisonnable ; elle donne enfin plusieurs avis touchant les artifices de l'ennemi du salut.

Mon très-cher Père en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ, je vous écris en son précieux sang par le désir de voir en vous la lumière et le feu du Saint-Esprit, de qui la lumière chasse toutes les ténèbres , et le feu consume toute l'impa- tience de l'amour-propre qui pourrait être en l'âme , soit corporellement ou spirituellement... C'est pourquoi j'ai .un extrême désir de voir ce feu et cette lumière en vous , parce que je connais par votre lettre que vous souffrez des inquiétu- des et des troubles , tant en votre corps qu'en votre âme ; de vient que cette lumière vous est grandement nécessaire. Vous avez besoin de cette lumière, mon très-cher Père, parce que , tout ainsi que notre bonheur éternel consiste en la claire vision de Dieu dans le paradis, de même nous recevons en nous la lumière de la grâce du Saint-Esprit , par la vue et la connaissance de nous-mêmes et de la divine bonté. Cette lumière fortifie l'âme et lui donne courage pour lui faire en- durer d'un grand désir et avec patience toute sorte d'afflictions et de traverses qui s'opposent à ses desseins , soit de la part de l'homme ou du démon , ou même de la propre sensualité.

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sans lui donner envie de choisir le temps et la façon de vivre à sa fantaisie ; mais elle s'accommode à toutes les occasions avec respect et soumission , comme celle qui est revêtue de la douce et éternelle volonté de Dieu. Car en même temps que l'homme tourne l'œil de sa pensée pour se connaître et voir la volonté de Dieu en soi et ce que Dieu demande, il trouve qu'il ne veut autre chose que sa sanctification : que s'il avait une autre volonté , jamais il n'eût donné son Verbe et Fils unique , et ce même Fils n'eût pas donné sa vie par un si grand feu d'amour qu'il a fait pour un tel sujet : ce qui fait reconnaître à l'âme que tout ce qui lui arrive touchant les ac- cidents de la vie et les infirmités corporelles ou spirituelles , n'est que pour son profil, et que le tout dépend du bon plaisir de Dieu qui le permet ainsi pour notre bien : voire même , l'homme reconnaît qu'une feuille d'arbre ne tombe pas en terre sans l'ordre exprès de sa providence. Dieu veut nous exposer à la tentation pour éprouver notre vertu et pour nous accroître les grâces : non pas afin que nous soyons vaincus , mais plutôt pour nous rendre victorieux : non que nous le puissions faire de nos propres forces , mais par le moyen du secours qu'il lui plaît de nous donner, disant avec le doux apôtre saint Paul : Je peux toutes choses par Jésus crucifié -, lequel est en moi qui ms fortifie. Lorsque nous ferons de cette sorte , le démon sera mis en déroute , et le moyen de le dé- truire consiste à se dépouiller de sa propre volonté , afin de se revêtir de celle de Dieu ; reconnaissant que tout ce qui dépend de sa providence, est permis pour notre justification , n'ayant rien que la propre volonté qui donne de la peine à l'âme ; et parce que l'ennemi se prend garde qu'il ne lui est pas possible d'abuser les serviteurs de Dieu en des choses dont la malice est tout à fait évidente ; afin de leur faire avoir une conscience trop libre , il commence à les surprendre par l'apparence de la vertu , avec désordre et confusion d'esprit. S'il rencontre une âme faible, il lui tient ce discours : « Si tu jouissais d'une bonne santé, tu ferais bien davantage. » Et à une autre qui est

Ï'C) ESPRIT

assaillie par de fortes tentations de ce malin esprit qui lui trou- blent le repos par la variété des pensées , il lui fait couler cette suggestion : « Si tu n'étais pas sollicitée par ces inquié- tudes , tu serais plus agréable à Dieu , tu aurais un esprit paisible , et ton office et tes autres emplois seraient reçus avec plus de faveur devant le trône de sa divine bonté. » Ce que le démon fait avec dessein de lui persuader que les trou- bles qui sont excités en son àme , l'empêchent de faire ou de dire quelque chose qui soit agréable à Dieu. D'où je tire cette conséquence , que l'ennemi profite beaucoup plus sur les serviteurs de Dieu , au moyen de leurs adversités , que par aucun autre moyen , puisque ne les pouvant pas vaincre par le vice et à guerre ouverte, il s'efforce de les séduire sous l'apparence de la vertu. Soyez donc assuré , mon très-cher Père , que Dieu permet les afflictions pour ce seul dessein d'éprouver en nous la vertu de la patience , de la force et de la persévérance qui sont toutes des vertus cachées dans la connaissance de nous-mêmes , parce que je reconnais dans le combat , que de moi-même je ne suis rien ; car si j'étais quelque chose , je me délivrerais assurément de ce qui m'im- portune ; mais je ne puis ni me défaire des troubles qui sont livrés à mon âme , ni moins encore fortifier la faiblesse de mon corps. Il est bien vrai que nous pouvons empêcher la volonté de consentir; en quoi nous éprouvons la bonté de Dieu , qui par un amour ineffable nous a donné cette puis- sance libre et ensuite capable de vice et de vertu : si bien , que comme maîtresse et souveraine , elle ne peut être forcée ni par le démon , ni par qui que ce soit à pas un seul péché. De vient que l'âme bien avisée voyant ceci, se réjouit au temps de la bataille , considérant comment Dieu permet tout cela pour la faire croître en sa grâce et éprouver sa vertu , laquelle n'est jamais mieux éprouvée que par son contraire. Elle ne peut savoir au vrai ce qu'elle est , non plus que la femme qui a conçu un enfant , ne saurait pas dire ce qu'ello porte jusqu'au temps de son accouchement , si ce n'est par

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quelques conjectures : de même façon , si l'âme n'enfante les effets de la vertu par l'épreuve des afflictions et des peines , de quelque principe qu'elles procèdent , soit de la part du dé- mon , ou de la sensualité , ou du monde , elle ne peut pas juger de leur qualité , ni si vraiment elle les possède; parce que bien souvent l'âme qui n'est pas encore éprouvée se ré- sout à souffrir toutes choses pour Dieu : et lorsque Dieu voit que ce désir est conçu dans notre volonté , il la met soudain â l'épreuve , afin de reconnaître son amour , s'il est fidèle ou mercenaire : que s'il se trouve de la fidélité dans une âme , elle ne s'émeut non plus par les afflictions que par les occa- sions de joie et de plaisir; mais , reconnaissant que tout cela est permis de Dieu, elle se console et se réjouit de tout ce qui lui arrive , ne faisant pour lors qu'une seule et môme vo- lonté avec celle de Dieu : que si elle est esclave , et qu'au temps du travail elle veuille fuir la peine, elle reconnaît son imperfection et cherche les moyens pour s'en amender. 11 est donc bien vrai que Dieu permet les divers accidents qui nous arrivent pour accroître la grâce et vérifier la qualité de la vertu , puisque c'est le principal moyen pour nous faire ren- trer dans la connaissance de nous-mêmes, d'où procède l'hu- milité , et reconnaître la bonté infinie de Dieu, laquelle pro- tège la volonté et l'empêche de consentir à ces occasions de mal faire et aux illusions de son ennemi. Telle est donc la volonté de Dieu , qui permet les tentations pour cette seule occasion. Mais quel est le dessein du démon en cette même affaire? Il n'est point autre que pour faire tomber l'àme dans l'ennui et la tristesse , et lui donner une confusion de pensées avec mille scrupules de conscience. Ce vieil ennemi ne nous attaque pas pour nous porter d'abord À des péchés manifestes , encore qu'il excite de grands mouvements en notre partie inférieure , auxquels il prévoit que nous ne con- sentirons jamais, parce qu'il sait bien la résolution de l'àme, qui épouserait plutôt la mort que de consentir au péché ; mais il suscite cette confusion afin de venir à son deuxième

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dessein qui est de la jeter dans le désordre et de lai faire croire qu'il y a du mal , néanmoins elle ne devrait pas avoir de scrupule , et c'est pour lors qu'il lui met ces fantai- sies dans Tesprit : « Toutes tes actions et tes prières devraient être accompagnées de pureté d'esprit et de pensée , et toute- fois tu les fais avec tant d'imperfection. » L'esprit malin lui propose ces doutes afin que la prière lui étant h dédain , elle discontinue les actions de vertu et de religion qu'elle avait accoutumé de pratiquer ; car foute son intention ne vise ail- leurs qu'à lui faire poser les armes , lesquelles sont propres à notre défense : que s'il manque à sa première attaque et qu'il espère d'en venir à bout en une deuxième , voici quelles doi- vent être nos armes : l'oraison fervente accompagnée de sain- tes pensées soumises au bon plaisir de Dieu , dans lequel l'âme ne se cherche pas pour soi-même ni pour son intérêt , mais ne travaille à son bien ni à celui du prochain , que pour la gloire de Dieu , en tant qu'il est une bonté éternelle digne d'être aimée et servie d'un chacun , si bien qu'elle continue à l'aimer et le servir en tout état et en toute saison qu'elle se retrouve. C'est pour lors qu'elle demeure ferme et assurée comme un rocher, et embrasée d'un saint et véhément désir ; elle s'élève au-dessus de soi-même, et s'attachant à la vérité, avec une religieuse aversion qu'elle a pour soi , elle se recon- naît digne des peines et des troubles qu'elle souffre, et indigne du fruit de la consolation qui suit ordinairement les combats et les victoires : elle se plaît à tenir compagnie à Jésus cruci- fié, désirant d'être rassasiée d'opprobres, de peines et de con- fusion , pourvu qu'elle puisse être conforme au même Jésus- Christ. L'àme comprend en cet état que l'amour est le seul bien qui la peut unir avec son Créateur, et que Jésus-Christ a fait élection par un mouvement d'amour de cette manière de vie , comme de la plus parfaite et de la meilleure qui puisse être : c'est pourquoi il a prêché qu'elle était la vie de la vérité et de la lumière , quand il a dit : Je suis ht voie , la délité et ht rie : relui qui marche par cette voie-, ne saurait

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faillir , mais il est toujours en la clarté. Aussi les serviteurs de Dieu , qui ont euvie de le suivre , quand ils pourraient échapper de l'enfer et obtenir le ciel et sortir du monde sans peines , ils ne le voudraient pas , plutôt ils veulent endurer les peines et passer celte vie à travers mille afflictions , afin de se rendre plus semblables à leur bien-aimé Jésus-Christ : de vient qu'ils se réjouissent au milieu des maladies , parce qu'ils tirent vengeance par ce moyen de leur corps et de cette injuste loi qui combat contre l'esprit : que s'ils se trouvent au combat , ou dans la confusion des pensées , ou tentés de blasphème , de désespoir et d'infidélité , ou de quelque autre affliction qui leur peut être causée par l'ennemi , ils s'en ré- jouissent par une vraie humilité , et se reconnaissant indi- gnes de la paix , ils ne refusent pas la peine, mais seulement ils travaillent pour conserver en assurance le rocher de leur volonté , afin qu'elle ne succombe pas en ce sentiment. Mais si enfin ils ressentent que par la grâce de Dieu , leur volonté est assez ferme, non-seulement pour ne point consentir, mais qu'elle n'est point touchée d'autre peine que de la seule crainte d'offenser la bonté de Dieu , je ne veux pas que vous vous souciiez d'une telle peine , parce qu'il me semble que c'est le démon qui vous suscite toutes ces imporlunités , et partant tous les accidents de notre vie se réduisent à ceux-ci. C'est pourquoi vous devez en faire votre profit de la façon que j'ai dit , les recevant par une humble connaissance de vous- même et de la bonté de Dieu, lequel vous conserve votre volonté : par ce moyen , ces importunités serviront à engrais- ser nos âmes , et non pour les porter au désespoir, et tireront après elles la vertu de l'humilité par la connaissance de soi- même , et celle de la charité par la connaissance qui nous sera acquise de la bonté céleste , qui sont les deux aigles les plus proches pour emporter l'àme en la vie éternelle ; parce que la seule crainte d'offenser qui ne serait pas accompagnée de l'espérance de la miséricorde , ne serait pas utile à l'àme : c'est pourquoi l'ennemi ne demande pas mieux que de nous

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réduire à cette confusion et dans cette tristesse , laquelle dessèche l'àme et lui fait tomber des mains les armes qu'elle a reçues du Saint-Esprit, qui sont celles de sa volonté, lorsqu'elle est conforme à la volonté de Dieu , afin qu'elle commence â suivre sa propre inclination sous couleur de mieux vivre , tâchant à se défaire des faiblesses d'esprit et des autres soucis qui la troublent , disant en soi-même : « Si j'étais quitte de ces peines , je servirais mieux et plus libre- ment mon Créateur. » Cela est une tromperie manifeste et un très-grand abus qui procède d'une crainte déréglée que le démon excite en son âme, ce qu'il fait pour lui faire agréer sa propre volonté : et alors il lui survient de si grandes impa- tiences , qu'elle a peine de se souffrir soi-même , avec une confusion d'esprit et une complaisance pour soi , qui lui fait choisir les moyens de son salut selon sa fantaisie plutôt que par une soumission au bon plaisir de Dieu. Je vous supplie donc de ne laisser plus emporter votre volonté â ces troubles et à ces déplaisirs , mais plutôt soyez toujours dans une allé- gresse spirituelle , un doux embrasement de l'amour et de la lumière du Saint-Esprit, avec un cœur généreux et nullement craintif; revêtez-vous de la douce et éternelle volonté de Dieu, lequel a permis et permet toutes les peines et les traverses du corps et de l'âme que vous souffrez ; ce qu'il a fait et qu'il fait encore pour votre sanctification , par l'affection qu'il a de votre bien , et non point par quelque haine. Employons donc ces armes et la soumission que nous devons à son éternelle volonté , pour triompher de ce démon ; chassons ces pensées par d'autres pensées, je veux dire que , par des pensées que Dieu nous inspire , nous chassions celles que le démon nous suggère. Je n'ai pas le courage de penser à Dieu, ni de réciter mon office ou de faire aucune action de vertu , tant à cause de ma faiblesse que par les contestations qui sont excitées dans mon âme : je vous réponds qu'il ne faut pas pourtant laisser de bien faire , mais qu'il faut exercer la patience au milieu de la faiblesse , d'autant que c'est pour lors qu'elle est utile , et

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vaincre les pensées de l'ennemi par la méditation de notre devoir et des saintes pensées de Dieu , sans nous embarrasser l'esprit tant à combattre contre l'ennemi que pour lui résis- ter , ce qui nous empècberait encore davantage. Faites plutôt attention que tous ces mouvements sont en vous sans vous- même , puisque vous les pouvez chasser; car ils ne sont point en vous , si ce n'est en tant que la volonté leur donne son consentement ; et tandis qu'elle sera retenue , ils heurtent seulement à la porte et ne sont pas encore entrés dans la maison. L'àme doit donc penser à soi et ne pas ramasser le trait de son ennemi pour l'en frapper , parce qu'il ne peut pas en être offensé , c'est-à-dire qu'elle ne doit pas contester contre lui , mais elle doit prendre le dard de la volonté divine et de la haine et l'aversion de soi-même, et s'en servir comme d'autant d'armes pour le frapper et. lui dire : « Si c'était le bon plaisir de mon Dieu de me tenir en cette peine tout le temps de ma vie , je suis toute disposée à le souffrir, pour la gloire et la louange de son nom ; » et de dire aux tentations : « Vous , soyez les très-bien-venues , et je vous reçois comme mes meilleures amies , parce que vous m'éveillez du sommeil de la nonchalance et me conduisez à la vertu. » Réjouissez- vous donc et triomphez d'aise, persévérant jusques à la mort, et plutôt perdre mille fois la vie que vous retirer du lieu Dieu vous a établi : embrassez la croix avec une patience par- faite , vous jetant entre les bras de Dieu et vous mettant parmi ses peines , et ouvrez toujours l'œil pour considérer cet agneau ensanglanté et consommé pour vous , avec volonté de persister en l'état sa providence nous a appelés, ou auquel il pourrait vous appeler à l'avenir. C'est ainsi que nous devons vivre , puisque nous sommes assurés que Dieu nous appelle à soi et qu'il fait élection de nous de la façon qu'il prévoit que nous pourrons lui être le plus agréables. Faisant ainsi , vous acquerrez toujours de nouvelles lumières et vous trouverez des délices dans les travaux , pour l'amour de Jésus-Christ : vous recevrez à contre-cœur les consolations du monde , et

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vous commencerez votre paradis en cette vallée de larmes , parce que c'est l'un des principaux avantages de l'âme fidèle, en la vie présente , d'être conforme à la volonté du Père éternel. C'est ainsi qu'elle commence à goûter la divine dou- ceur qu'elle ne ressentira jamais dans le ciel , si elle n'en est premièrement revêtue en celte vie , tandis que nous sommes encore pèlerins et voyageurs sur la terre... Je ne vous en di- rai pas davantage. Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre III , 150. )

A dora Nicolas de France , religieux de la chartreuse de Beauregard.

Elle traite de la force et du courage que la charité donne à nos âmes pour résister aux tentations, et du profit que nous en pouvons retirer.

Mon très-cher Fils en mon doux Jésus-Christ.

Catherine , etc. Je vous écris en son précieux sang , avec désir de vous voir comme un vaillant guerrier en ce champ de bataille , en telle sorte que jamais vous ne tourniez la tête en arrière , pour quelque occasion que ce soit ; mais qu'ainsi qu'un gentilhomme de courage vous soyez résolu , sans aucune crainte servile, à soutenir les coups qui ne pour- ront pas vous nuire lorsque vous serez armé ; il vous faut donc revêtir des armes de la force unie à une très-ardente charité , parce que nous devons nous disposer à souffrir de bon cœur toute sorte de peines pour l'amour de l'éternel et souverain bien ; ces armes sont si délicieuses et si fortes , que ni le démon avec toutes ses tentations , ni le monde avec tous ses mépris et moqueries , ne peuvent pas les affaiblir ou altérer la consolation que l'âme reçoit par la douceur de cette éternelle charité. Au contraire , l'âme qui est ainsi douce- ment armée offense elle-même ses ennemis ; parce que les démons rencontrant une âme revêtue des armes de celte trempe, lorsqu'ils la viennent attaquer, ils voient qu'elle les reçoit avec allégresse , pour l'aversion qu'elle a conçue de

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soi-même et pour le désir qu'elle a de se conformer à la croix de Jésus-Christ , et de souffrir les peines et les fatigues pour son amour ; et ces ennemis reconnaissent déjà qu'elle les méprise par la dilection qu'elle a pour son Créateur, parce que sa volonté n'est point du tout émue par leurs illusions , si bien que cette résolution qu'ils trouvent dans l'âme leur donne de la peine , et les met en déroute , pendant que l'âme demeure comblée de la grâce de son Dieu , toute absorbée dans l'amour et résolue à combattre pour la gloire de Jésus crucifié. Ainsi vous voyez , mon cher Fils , que vous les pour- suivrez : mais je dis bien davantage , que vous vaincrez le monde avec tous ses appas et toutes les créatures qui vou- draient importuner votre repos en quelque façon que ce soit, et souffrant leurs assauts par un vrai amour de la charité , et par une vraie et sainte patience ; cette même patience et charité fera que vous jetterez des charbons ardents d'amour sur leur tête , parce que la colère s'apaisera par le moyen de l'amour , et la persécution se calmera par la douceur; ces armes donc nous sont extrêmement nécessaires , étant impossible de résister autrement à la bataille. Nous ne pou- vons pas fuir, tandis que nous sommes enveloppés de ce corps mortel , et il n'y a personne qui ne soit attaqué en di- verses façons, selon que c'est le bon plaisir de Dieu de le permettre. Si l'âme n'est pas armée , elle reçoit le coup du plaisir et du consentement aux choses qui lui sont proposées par le démon , et ainsi elle demeure morte par le péché mor- tel, au lieu que rien ne saurait l'offenser, si elle est armée de la façon que nous avons dit. Si vous me répondez que vous ne sauriez avoir ces armes , et que vous voudriez bien savoir de quelle façon elles pourront être mises entre vos mains , je vous déclare qu'il n'y a point de créature raisonnable qui ne puisse les avoir à sa disposition , avec le secours de la divine grâce; parce que l'action du péché, aussi bien que le trait de la vertu , dépend d'une même volonté , laquelle par son consentement donne la qualité et l'être ou au péché ou à la

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vertu, parce que sans la volonté le péché ne serait pas un crime, ni la vertu une action de mérite, puisque l'àme ne serait pas criminelle , et la coulpe de son crime ne lui serait pas imputée sans le consentement , comme aussi l'action de la vertu serait sans récompense , si la volonté ne l'exécute par un mouvement d'amour et de chanté ; voire la volonté de l'homme est si forte , qu'il n'y a rien dans le inonde qui puisse apporter de la contrainte à sa liberté , de quoi saint Paul nous donne des assurances « lorsqu'il défie la faim et la soif, les persécutions ou la terreur de la mort , les choses présentes, aussi bien que celles qui sont avenir , et les anges bons et mauvais , de le pouvoir retirer de la charité de son Dieu. » Le grand Apôtre fait voir par ces paroles quelle est la force de la volonté que Dieu a donnée à l'homme par son infinie miséricorde , en telle sorte qu'il n'y a personne qui puisse se plaindre de son impuissance , ni trouver excuse de son péché. Notre cœur peut bien être assailli d'une grande quantité de pensées fâcheuses et importunes , et il n'y a personne qui les puisse prévenir : mais leur première venue n'est pas criminelle, puisque le péché commence seu- lement lorsque nous les recevons avec le consentement de la volonté , à laquelle il appartient de les agréer ou de leur con- tredire ; puis donc que Dieu a mis un trésor de telle qualité dans nos âmes , qui les rend invincibles , si elles veulent, il ne faut pas esquiver les coups , mais plutôt il se faut plaire au combat tandis que nous sommes en celte vie : et certes si nous pouvions considérer quels sont les fruits de ce combat , il ne se trouverait pas un homme qui ne l'attendit avec affec- tion. Personne ne peut prétendre à la victoire sans combat , et celui qui n'a point de victoire est chargé de honte et de confusion. Mais savez-vous bien les avantages que vous tirez de ces assauts ? L'homme trouve sujet, durant le mauvais es- pace de cet orage, d'exercer sa diligence ou d'être plus soi- gneux , et d'employer son temps et de ne pas demeurer oisif, surtout de retourner à la prière , et d'implorer la protection

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de son Créateur, auquel il reconnaît que consiste sa force et toute sa valeur , et de plus il voit sa faiblesse et l'infirmité de sa partie inférieure : ces considérations lui font concevoir une sainte haine contre l'amour-propre qu'il a pour soi ; et alors il commence à se mépriser soi-même par des senti- ments d'une vraie humilité ; il se reconnaît digne des peines et indigne du repos qui les doit suivre ; il commence à res- sentir en soi les effets de la bonté divine , reconnaissant que la force qu'il a de ne pas consentir, dépend absolument de sa miséricorde ; et pour lors il conçoit un grand amour envers celte même bonté , avec de saints remercîments qu'il lui rend, parce que c'est par son secours qu'il se voit conservé dans la pureté de sa conscience : les grandes vertus s'acquièrent par le moyen des grands combats et c'est la charité qui leur donne la vie , laquelle de sa part ne peut être conservée sans l'humilité, et comme nous avons déjà commencé de dire, l'âme a plus d'occasions de se connaître au temps de la bataille , parce qu'elle se reconnaît faible , ce qui l'oblige à l'humilia- tion et à voir les merveilles que la bonté de Dieu fait paraître en sa protection, et ce qui excite l'amour et la charité dans son cœur envers cette infinie majesté. Il est donc bien rai- sonnable de se plaire aux combats et parmi les divers acci- dents de ce monde, sans jamais tomber en la confusion, parce que bien souvent l'ennemi ne pouvant pas nous abuser par l'hameçon de la volupté , il nous veut surprendre par l'appât de la confusion , nous faisant croire que nous sommes aban- donnés de Dieu , et que l'oraison et tous les exercices spiri- tuels lui sont désagréables , disant dans l'intérieur : « Tu fais ces choses lesquelles ne te servent de rien; tu devrais faire tes dévotions avec un cœur paisible et un esprit posé et non pas accompagné d'une si grande variété d'impures et déshon- nêtes pensées : il vaut mieux donc laisser tout ce que tu fais ; » ce sont des propositions de l'ennemi , afin de nous faire mé- priser tous les saints exercices et l'humilité de l'oraison qui sont les armes les plus propres à notre défense, ou pour parler

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avec plus de propriété, un lien qui unit et fortifie la volonté, qui augmente et entretient la force avec une très-ardente cha- rité, et qui sert à l'âme pour résister aux assauts , ainsi que nous avons dit. C'est pourquoi le démon emploie tous ces artifices pour nous les faire interrompre, parce que ces moyens nous étant échappés , il pourrait bien peu à peu obtenir de nous tout ce qu'il lui plairait; puis donc que ces vérités sont toutes évidentes , ne nous laissons pas ensevelir dans la con- fusion par aucun accident et n'oublions pas nos exercices , et quand bien même nous serions tombés actuellement dans le péché , il ne faudrait pas pour cela nous laisser vaincre à ce désordre , parce que nous devons nous persuader, comme il est vrai , que Dieu reçoit le pécheur à miséricorde tout aus- sitôt qu'il se reconnaît et se repent de son vice ; mais plutôt nous devons toujours être assurés avec une vive foi accom- pagnée d'une ferme espérance , que Dieu n'imposera pas de charge sur nos épaules , qui ne soit proportionnée à nos for- ces, et qu'ensuite l'esprit malin ne nous suscite point de trouble que par sa permission ; nous devons aussi être très- assurés que Dieu sait bien qu'il peut et qu'il veut aussi nous délivrer de l'oppression quand il verra qu'il en sera temps pour notre salut , puisqu'il permet toutes ces choses pour notre plus grande perfection. Ainsi vous souffrirez doucement et en repos toutes les tromperies et les ruses de l'ennemi par le moyen de cette foi et de celte vraie confiance; vous vous exercerez aussi à l'humilité , et , baissant la tète afin de passer par la porte étroite et suivant les instructions de Jésus crucifié , vous acquerrez le don de la force et delà cha- rité , desquelles nous avons dit qu'elles sont des armes pour nous défendre : mais avec quoi acquiert-on ces armes ? par la lumière de la très-sainte foi, ainsi qu'il a été dit. De sorte que la foi , avec l'espérance et la charité , sans laquelle ce ne serait pas une foi vive , vous donneront la lumière pour vous faire avouer que toute notre force dépend du doux Jésus- Christ et que notre faiblesse vient de la part de l'ennemi.

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Disposons-nous donc au combat , mon très-cher Fils , nous mettant devant les yeux le sang de l'humble Agneau immaculé qui nous rendra plus forts et nous encouragera à la bataille , faute de quoi nous ne saurions espérer d'avoir entrée dans notre cité de la vie éternelle avec l'honneur de la victoire....

Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre IV, page 156. )

A dom Pierre de Milan , de l'ordre des Chartreux. Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

Elle traite de trois sortes d'artifices dont se sert l'ennemi pour nous séduire.

Mon très-cher Fils en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris en son précieux sang , par le désir de vous voir donner gloire et louange à Dieu en tout temps. Mais je ne puis pas m'imaginer en quelle sorte nous pourrons rendre cette louange que nous devons à sa Majesté , sans le secours d'une grâce et lumière particulière , laquelle nous fera voir la différence qu'il y a entre les choses dignes de blâme et celles qui méritent d'être louées , parce que sans celte lu- mière , l'homme serait abusé dans les ténèbres ; le blanc lui semblerait être du noir, et le noir du blanc. Cette clarté donc est bien nécessaire, et il est expédient de s'établir avec la raison sur le siège de notre conscience , afin de dissiper par cette lumière le brouillard de l'amour-propre de nous- mêmes , je veux dire de cet amour sensuel que l'homme porte toujours pour ce qui le touche , lequel est un venin qui em- poisonne l'àme , et qui déprave le goût de ses plus saints et religieux désirs ; de sorte qu'elle prend les choses amères pour des douces, et les douces pour de vraies amertumes ; il

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aveugle l'àme el ne lui laisse pas connaître la vérité , et en- suite il l'empêche de l'aimer faute de la connaître. De vient que de telles personnes ne rendent pas la gloire à Dieu , et ne bénissent pas son saint nom , et vivent toujours avec ennui et dans un mauvais sentiment contre sa justice et au préju- dice de leur prochain : ils font des jugements selon la fai- blesse de leur esprit , plutôt que par la vérité. C'est ainsi qu'un serviteur du monde juge de ce qu'il a, estimant que les charges el les qualités soient ses délices , bien qu'elles soient tout le contraire , ce qui provient de l'affection déré- glée qui est en l'homme pour les posséder , laquelle le jette dans la misère , et le prive de la grâce de Dieu ; ainsi les afflictions et persécutions de la vie lui semblent très-amères , encore qu'elles soient remplies d'une douceur extrême, puis- qu'elles donnent matière de mérite et sujet de contentement; elles ramènent l'esprit à Dieu , et nous acquièrent la connais- sance de nous-mêmes et de l'incertitude et peu d'assurance du monde. Ces personnes toutefois sont en telle sorte aveu- glées, qu'elles fuient la vertu pour se délivrer de la peine; et afin de trouver leur plaisir , elles se privent des véritables délices , et se plongent en des inquiétudes d'esprit jusques à recevoir delà peine de se souffrir soi-même , et se rendre les martyrs du prince de ce monde. De cette manière ils vont toujours de mal en pis , comme aussi les mêmes serviteurs de Dieu, qui ne sont pas encore entièrement dépouillés de cette tendresse de l'amour-propre , reliennentle sentiment de la chaleur , sans néanmoins reconnaître le soleil qui les cou- vre. Ceux-ci trouvent quelque difficulté à se retrancher des plaisirs sensibles , soit spirituels ou temporels ; lorsque la sensualité se couvrant du manteau de l'esprit , ils se repré- sentent principalement trois choses devant les yeux. La première est au temps de la tentation et de la privation des consolations divines. Alors le démon se cachant sous ce voile, comme aussi la tendresse pour soi-même , les jetant en des craintes horribles , jusqu'à leur faire croire qu'ils tombent

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en des péchés par la seule appréhension qu'ils ont de com- mettre le crime; ce qu'il fait afin de leur donner un dégoût de la vie spirituelle , et pour lors il leur suggère ces pensées : « Tu n'étais pas travaillé de cette sorte avant que tu fusses en l'état que tu as choisi ; c'est une condition que lu as voulu prendre afin d'être meilleur , et tu es devenu pire. Tu es tra- vaillé de mille troubles durant tes exercices que tu devrais faire en paix , et avec un cœur libre , et non pas embarrassé d'une si grande confusion de pensées ; il vaudrait bien mieux les abandonner. »

Ce méchant propose ces choses à dessein de priver l'âme de l'exercice de l'oraison , laquelle est la source de la vertu en celui qui en est illuminé. Elle est un ornement de grand prix , et l'âme qui en est revêtue ne se ralentit en rien du ser- vice de Dieu ; mais elle exerce sa vie avec plus de courage , se réputant indigne de la paix et du repos intérieur dont jouissent les autres serviteurs de Dieu , et seulement digne de la peine et de l'affliction : ce qui l'oblige à se faire gloire au milieu des souffrances , et à rendre louange à Dieu en tout temps. Néanmoins ce même ornement , qui est très-bon et utile en soi , est-peu favorable à celui qui est amateur de soi- même, ou plutôt il lui est dangereux , parce qu'il embarrasse l'âme , laquelle se voyant privée des consolations qu'elle dé- sire , il lui semble que Dieu même lui soit ravi , si bien que se laissant gagner à la tideur et â la négligence, elle se lie les pieds de son affection , et retranche la force de ses prières , et lorsque les ennemis approchent , le bras de l'oraison est abattu en terre et ne s'élève point en haut pour demander avec humilité le secours de son Dieu , qui ne le refuse jamais à celui qui le cherche, ou bien de rechercher sa volonté éternelle , laquelle ne permet rien que pour noire sanctifica- tion; les ennemis entrent dans la cité de l'âme, et se sai- sissant des faubourgs, qui sont toutes ses facultés, ils se rendent les maîtres â la fin du donjon de la volonté. Il en ar- rive de même â ces personnes qu'au peuple de Dieu , lequel t. y. 4 9

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triomphait de ses ennemis durant la prière de Moïse, et per- dait la victoire lorsqu'il baissait les mains. Quel est ce peuple de Dieu qui se trouve dans nos cames? Ce sont les vraies et solides vertus , lesquelles triomphent des vices , tandis que la raison , qui est notre Moïse , demeure sur la montagne de L'inestimable charité de Dieu, et qu'il hausse les bras par l'oraison avec la connaissance de soi-même. Mais qu'est-ce que pourrait faire un esprit amoureux de soi-même , et rendu tiède par cette affection , afin d'apporter quelques remèdes à sa nonchalance ? Il lui faut soutenir les bras comme ceux de Moïse , par le moyen de deux appuis ; d'un côté , il le faut appuyer d'une certaine haine et de la sainte crainte de Dieu, et de l'autre , de l'amour avec la vraie humilité, laquelle est sa nourrice. Et se soutenant ainsi sur ces deux accoudoirs , qu'il hausse le visage de l'àme par la lumière d'une très- sainte foi, alors le peuple de Dieu , c'est-à-dire l'affection que nous avons à la vertu , mettra en déroute le capital ennemi de l'amour-propre et tout ce qui est de sa suite , les imper- fections seront déracinées de l'àme , et le démon ne pourra plus se rendre maître de nos intentions , qui lui servent pour jeter le manteau de la confusion sur les yeux de nos âmes afin de les abuser.

Le deuxième artifice de l'ennemi est de mettre l'esprit en confusion , et de ravir à l'àme la charité envers le prochain , et lui ôler le moyen de l'assister , ce qui est toutefois un de- voir auquel toutes les créatures raisonnables sont obligées; et afin de lui faire trouver de la peine et de l'ennui en ce qui devrait paraître agréable, il lui met devant les yeux l'appa- rence de la douceur qui se trouve dans le repos , et le de- voir de la prière qu'il doit rendre à sa propre satisfaction , qui semble être toute la consolation de son esprit, de même que l'àme donne le plaisir et la vie au corps. Celte proposi- tion est de si beau lustre et si agréable , que les ignorants qui ont peu de connaissance de ces artifices , se perdent en cette rencontre , et font encore pis , lorsque n'ayant pas la

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connaissance de ce qu'ils doivent faire, ils ne veulent pas croire ceux qui sont mieux expérimentes, ne cherchant pas qui le leur montre ; et lorsque la vérité leur est manifestée avec tant d'évidence qu'ils ne peuvent pas s'y opposer avec raison , ils ne prennent pas le soin de suivre les ordres qui leur en sont prescrits afin de s'cclaircir; mais comme aveu- glés de leur propre plaisir, ils se ravalent dans leur tiédeur, estimant impossible d'arriver jamais à ce qu'ils prétendent. Ceux-ci ne donnent pas la gloire à Dieu avec perfection , mais avec de grands défauts ; ils ne donnent pas grand' chose, et reçoivent fort peu ; et d'où est-ce que ceci procède? De ce que le goût de l'àme n'est pas encore bien purifié , et qu'ils ne se sont proposé autre chose que le rayon de la consola- tion et non pas la roue du soleil , je veux dire , la souveraine volonté de Dieu , sa vérité éternelle , et son éternelle doc- trine , qui est le soleil de justice qui éclaire toutes les âmes qui veulent avoir part à sa lumière ; d'où vient que nous voyons la lumière par sa lumière , laquelle consomme par sa chaleur toute la glace et tiédeur de nos cœurs , pourvu que l'homme, usant de sa franchise , ouvre la fenêtre de la vo- lonté,, afin que le soleil puisse entrer dans la maison de l'àme, avec la justice qui rende l'honneur à Dieu , et la gloire et la louange au Verbe du Père éternel qui est son Fils. Il lui rend alors la gloire et la louange quand il suit ses enseignements, et qu'il se méprise et se confond soi-même , rougissant de la propre passion de ses sentiments soit spirituels ou tempo- rels, de quelque façon qu'elle se puisse rendre rebelle à la loi qui l'oblige de rendre le dernier devoir à son prochain , auquel il doit l'amour et la bienveillance , ce qu'il fait voir au temps de la nécessité en le secourant avec charité, et sup- portant ses défauts , non-seulement par la douceur des dis- cours , mais encore par la qualité de ses bonnes actions, et s' abandonnant soi-même , non pas au péché 3 mais par affec- tion , et embrassant la peine pour la gloire de Dieu , qui est manifestée au salut de son prochain. C'est ainsi que se gou-

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verne celui qui a jeté l'œil de l'entendement dans la clarté de cet agréable et glorieux soleil , parce que la clarté céleste lui a fait voir qu'il n'y avait point d'autre moyen pour faire con- naître sa charité envers Dieu , et il connaît , outre cela , qu'il ne peut pas aimer Dieu , si l'amour du prochain ne règne dans son âme. Mais l'homme qui ne cherche que sa propre satisfaction , et qui est couvert de cette fausse apparence de vertu , dit en ces rencontres : J'aimerais mieux mourir que de me voir éloigné de la charité, et toutefois je ne me trouve pas bien de ces devoirs d'obligation , lesquels n'apportent que du divertissement à mon esprit; et lorsque je suis obligé de l'ai- mer, cela me donne de l'importunité et de l'ennui , si bien que j'ai peine à le souffrir et à me supporter moi-même : c'est pourquoi je trouve plus à propos de chercher ma paix , lors- que je serai louché d'affection pour lui. Un tel homme fait paraître qu'il est aveuglé lorsqu'il tient ces discours , et qu'il ne sait pas mettre de la différence entre les choses qui se présentent à lui; car comment pourrai-je dire que j'aime mon prochain, si je m'éloigne de lui lorsque je le verrai dans la nécessité , et si je fais semblant de ne le pas voir pour ma propre consolation ? Vraiment cclui-làse trompe, et en quelle sorte pourrais-je dire sans mentir, que le service que je ren- drai à mon prochain en tout temps et en tout lieu me puisse donner de l'ennui et troubler mon repos , s'il n'y a rien dans le monde , ni aucune perte de consolation , lorsque Dieu les retire pour mettre l'âme dans l'humilité ou autre semblable accident qui me puisse affliger et me donner le déplaisir du péché , puisque c'est le seul péché qui me donne de l'amer- tume ? Si l'âme tombe dans le crime , elle n'en doit accuser que soi-même : son défaut consiste en sa propre volonté, la- quelle commet l'offense. L'homme ne laisse pas de se porter soi-même; il a beau fuir les lieux et les créatures lorsqu'elles ont besoin de son service , il ne peut pas se quitter ; la fuite serait bien à propos et bien utile , mais l'homme se traîne dans soi, et étant ainsi revêtu , il trouve partout ses propres

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sentiments ; et lorsque le temps de sa nécessité s'approche , et qu'il veut agir contre sa volonté , il en sent la contradic- tion avec tant de violence qu'il ne peut pas contenir le venin de son impatience qui veut se faire sentir , si bien qu'il faut alors notre propre sentiment et celui de notre mauvaise vo- lonté.

La troisième invention de l'ennemi s'attaque aux lois de l'obéissance , remettant devant les yeux de l'homme les inté- rêts de sa passion : le démon ne manque pas de moyens pour nous décevoir surcecbef; mais particulièrement il se sert d'un jugement présomptueux , persuadant à un religieux qu'il est plein de prudence , et d'autre côté lui faisant voir l'impru- dence de son supérieur, parce que s'il n'avait pas bonne opinion de soi et de son adresse , il ne serait pas si témé- raire de blâmer la vertu de son prélat. De vient que celui qui s'aime soi-même , prendra la hardiesse de juger de l'in- tention de celui qui commande, sans avoir égard à la volonté de Dieu , et portant toujours la sœur de l'amour-propre , qui est la désobéissance, il tient à part soi ce langage : « Celui- ci me commande sans discrétion , je ne saurais souffrir cette importunité ; car lorsque je m'apprêtais à être seul dans ma chambre et en mon repos , il m'en retire , sans considération du temps et du lieu, &c. » Quel est le désordre qui arrive de ceci ? Il arrive l'un des deux , ou il se rend désobéissant , et refuse de faire ce qui lui est enjoint, ou s'il le fait, c'est avec impatience et murmure. De il tombe dans l'infidélité avec un grand dérèglement d'esprit ; il se précipite jusques à l'ir- révérence , et perd la sainte crainte qu'il doit avoir des juge- ments de Dieu , et du respect à son supérieur. La volonté le prive ensuite de la paix et de la tranquillité intérieure ; tout ceci lui arrive, parce qu'il s'aime soi-même et qu'attaché à ses propres sentiments il se mêle de juger, à sa volonté , les intentions des plus grands que soi , et de la disposition des grâces de Dieu. (Lettre V. page 159. )

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Au Père Raimond de Capoue , père spirituel de Saiule Catherine , lorsqu'il était à Avignon.

Au nom de Jésus-Chrisl et de la douce Marie.

Touchant le bien que nous pouvons retirer des tentations.

Mon révérend Père en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- sus-Christ. Je vous écris en son précieux sang , par le désir de vous voir et les autres enfants revêtus de l'habit des noces qui est ce vêtement précieux de l'innocence qui couvre notre nudité ; c'est une armure qui ne peut pas être percée des traits de la mort , ni des coups de l'ennemi d'enfer , mais elle est fortifiée plutôt qu'affaiblie par tous les assauts et impor- tunités , soit du démon ou du monde , ou de la chair même , lorsqu'elle voudrait se révolter contre l'esprit : je dis que tous ces coups , non-seulement ne seront pas dommageables, mais qu'ils seront au contraire des pierres précieuses et des perles semées sur l'habit de la très-ardente charité. Quant à l'àme qui ne voudrait pas se résoudre à souffrir les afflictions et les ennuis de quelque côté qu'il plaise à Dieu de permet- tre qu'ils nous assaillent, elle fait bien voir que sa vertu n'est pas à l'épreuve , puisque la vertu ne paraît que par son con- traire ; par quelle façon pourrons-nous justifier la vertu de la pureté ? et en quelle manière la pouvons-nous acquérir? Sans doute par son contraire, c'est-à-dire par les importunités de la sensualité , parce que celui qui se plaît aux actions impu- diques n'est pas travaillé parles pensées contraires à la con- tinence : mais lorsque la volonté est éloignée du consentement et purifiée de toute tache par la sincérité du désir qu'il a de plaire à son Créateur, le monde , l'enfer et la partie inférieure ne laissent jamais en repos. Ainsi toutes les choses contraires sont chassées par ce qui leur est opposé : vous voyez que

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l'humilité s'acquiert par les pensées de l'ambition , parce que quand l'homme se voit travaillé par la présomption , soudain il s'humilie; que s'il n'eût pas ressenti cette traverse, il n'eût pas eu le moyen de se bien connaître pour avoir des pensées d'humiliation ; mais en se voyant il conçoit une telle haine , qu'il se réjouit de toute la peine qu'il souffre; il fait comme un généreux champion , lequel n'évite pas les coups; mais plutôt il s'estime indigne de la grâce qui se présente , et de souffrir des afflictions pour Jésus crucifié. Tout ceci lui arrive par le moyen de la haine qu'il a contre soi-même et pour l'affection qu'il porte à la vertu. Vous voyez donc bien qu'il n'est pas à propos de tourner le dos , ni de s'affliger durant la tribulation; puisque les ténèbres produisent la lumière. 0 doux Dieu d'amour , que la doctrine que vous nous donnez est pleine de douceur , nous faisant voir que la vertu est ac- quise par son contraire , la patience par l'impatience : parce que l'âme qui voit le vice de l'impatience exerce la patience en souffrant l'injure reçue, et se rendant impatiente envers l'impatience , elle a plus de ressentiment pour la douleur qu'elle souffre du déplaisir qui lui est fait, que de toute autre chose ; et par ce moyen elle parvient à la perfection sans y prendre garde, et se trouve au comble de la vertu par le moyen des tempêtes, sans lesquelles il n'aurait jamais abordé au port de la perfection. Ainsi vous voyez que l'âme ne peut aspirer à une vertu sans plusieurs désirs , travaux et tenta- tions qu'elle doit soutenir pour l'amour de Jésus crucifié. Nous avons donc bien sujet de nous réjouir, au jour de la bataille, des ennuis et des ténèbres , puisqu'elles nous pro- duisent tant de bonheur et de consolation. Je ne veux pas , mon Fils , qui m'avez été donné par la douce mère Marie , que vousvous jetiez dans l'ennui, ou que vous vous laissiez embar- rasser dans la confusion ^ par aucun trouble que vous puis- siez souffrir en votre âme ; mais je désire que vous conserviez la bonne , sainte , pure et fidèle volonté , laquelle je sais que Dieu vous a donnée par sa miséricorde; je sais bien que vous

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aimeriez mieux mille fois la mort , que de l'avoir offensé par un péché mortel : et je prétends de vous faire acquérir la connaissance de vous-même par le moyen de ces ténèbres ; et que sans souffrir que votre bonne volonté tombe en confu- sion , vous reconnaissiez l'infinie bonté et charité ineffable de Dieu; que vous vous arrêtiez en cette connaissance, laquelle engraisse l'àme , lorsque vous penserez que c'est son amour qui vous conserve en celte bonne volonté, sans courir après ses appétits , par le moyen du consentement que vous pour- riez donner aux suggestions du démon. C'est ainsi que par amour il a permis que vous et moi avec plusieurs autres qui font profession de le servir , aient souffert les illusions et les importunités du démon et des autres créatures , voire de notre propre sensualité , afin que ces déplaisirs nous retirent de la nonchalance , et que nous ayons soin d'exciter une très-ar- dente charité dans nos âmes , accompagnée d'une vraie hu- milité , laquelle est produite par la connaissance de ce que nous sommes , comme la charité s'acquiert par la pensée de l'immense bonté de Dieu , l*àme s'enivre et se consomme dans ces feux par amour. Réjouissez-vous, mon Père, et prenez courage , sans être touché d'aucune appréhension pour tout ce qui vous saurait arriver; mais soyez assuré que la voie de la perfection s'approche de vous ; et répondez à l'ennemi , lui disant, que ce que la vertu n'a pu faire en vous par vous-même, a été exécuté par l'infinie bonté et miséri- corde de Dieu , si bien que rien ne vous sera impossible , par le secours de Jésus crucifié ; faites que toutes vos actions procèdent du principe d'une foi vive, sans vous étonner si vous voyez arriver quelques actions qui sembleraient éloi- gnées de vos premiers desseins : prenez toujours courage, parce que la première et douce vérité a promis d'accomplir en nous nos communs désirs. Consommez-vous en esprit avec l'agneau qui a été égorgé et consommé ; reposez-vous sur la croix avec Jésus crucifié ; prenez votre consolation à être cru- cifié et à souffrir à son imitation ; rassasiez-vous d'oppro-

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brcs pour l'amour du même Jésus crucifié, et que votre cœur soit collé avec toutes vos affections sur l'arbre de la très- sainte croix, avec Jésus crucifié; faites voire demeure dans ses plaies , et pardonnez-moi , moi qui suis la cause et l'ins- trument de tous vos travaux : que si j'étais un instrument de vertu, vous et les autres en sentiriez les effets ; ce que je ne vous dis pas afin de vous en faire de la peine, parce que j'aurais part à tous vos déplaisirs ; mais afin que vous et les autres enfants ayez compassion de mes misères. J'espère et tiens pour tout assuré que la grâce du Saint-Esprit mettra fin à tout ce qui est éloigné de la volonté de Dieu ; considérez que moi , chétive et misérable , suis en vie , agissant en mon corps, et que néanmoins je me trouve bien souvent hors de moi par le transport de mes désirs. Hélas ! ô bon et doux Jésus , je me meurs , et si je ne puis mourir, mon cœur se fend , et je ne puis enfanter les désirs que j'ai du rétablisse- ment de la sainte Eglise , pour la gloire de Dieu et le repos de tout le monde, et de vous voir revêtu de pureté , brûlé et consumé de sa très-ardente charité ; dites au Christ en la terre qu'il ne me fasse plus attendre, et lorsque je verrai cela, je chanterai avec le bon vieillard Siméon : Maintenant , Sei- gneur, vous laissez aller votre serviteur en paix. C'est assez pour le présent ; si je suivais ma volonté , je recommencerais bientôt ; faites que je vous voie tous liés et cloués au doux Jésus-Christ , en telle sorte qu'il n'y ait démon , ni pas une autre créature qui vous en puisse jamais éloigner, ni vous séparer d'un si doux et agréable lien : aimez-vous , aimez- vous , dis-je , les uns les autres , demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. (Lettre XIX, page 313.)

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Au porc Thomas de la Fontaine , à Sienne. Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

Touchant les maux qui arrivent de notre propre volonté , et du dépouil- lement de nous-mêmes.

Très-cher Père en mon doux Jésus-Christ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ. Je vous écris en son précieux sang , par le désir de vous voir entièrement dépouillé de vous-même , afin que vous vous trouviez tout à fait revêtu de Jésus crucifié , et pensez , mon doux Père, que si nous ne l'aimons parfaitement , la faute sera de notre côté ; c'est pourquoi nous devons travailler pour arracher de nous notre propre volonté, pour la faire mourir et la noyer, puisqu'elle est cause que nous sommes privés d'un si riche ornement, lequel éclaire l'âme , l'embrase et. la for- tifie ; il l'éclairé par les vérités éternelles , qui lui font voir que tout ce qui arrive en cette vie est ordonné pour notre sanc- tification ; et afin de lui donner la perfection de la vertu , elle l'embrase d'un grand désir de faire de belles actions pour la gloire de Dieu, et à donner jusqu'à la vie pour son hon- neur; enfin , il la fortifie n'y ayant point de lumière ni de feu sans force , et il n'appartient qu'à l'amour et au feu de porter de pesants fardeaux, et d'exécuter de hardies entreprises. La guerre et la paix, l'orage et le calme, la main droite lui est en même considération que la gauche et l'adversité comme la prospérité , parce qu'il fait reconnaître à l'âme que l'une et l'autre prend sa source d'un même principe, et qu'elles vien- nent pour une même fin. Oh ! que cette âme vogue paisible- ment sur la mer de ce monde , laquelle si elle est parfaite- ment dépouillée de la robe dont elle était revêtue , ne peut vouloir ni désirer que la gloire du nom de Dieu , de qui elle cherche l'honneur dans le salut des âmes ; elle se plaît et se

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nourrit de ces désirs , lesquels elle choisit pour son entretien sur la table de la croix , c'est-à-dire au milieu des travaux , des mépris et de la misère , autant qu'il plaît à Dieu de lui en envoyer ; et toute sa consolation est de souffrir ces peines sans offense de sa part ; cet état est si relevé , qu'il n'est pas possible d'y parvenir avec la pesanteur de notre vieil habit. C'est pourquoi je vous ai déclaré que je désirerais vous voir entièrement dépouillé de vous-même, et c'est ainsi que je vous supplie de faire votre possible pour l'amour de Jésus crucifié , ce sera assez pour le présent. Nous reçûmes votre lettre le troisième de juin. Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! ( Lettre XXIII , page 319.)

Au même, étant daus la même ville.

Au nom de Jésus crucifie et de la douce Marie.

Elle traite des douceurs de la sainte communion , et le convie a faire ensemble la sainte Pâque.

Mon très-cher et bien-aimé Fils en Jésus-Cbrist,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Dieu. Je vous bénis et fortifie au précieux sang de Jésus-Christ; j'ai désiré avec un grand désir de faire la Pàque avec vous , avant que je meure, et la Pàque que je désire que nous fassions , c'est de nous voir en la table de l'Agneau immaculé , qui est lui-même la table , la viande et l'économe ; sur cette table sont les fruits des vraies et solides vertus ; toute autre table est sans fruit , mais celle-ci est avec un fruit parfait , parce qu'il donne la vie. C'est ici une table toute couverte de veines d'où découle le sang ; et outre les autres merveilles il y a un canal qui jette le sang et l'eau mêlé avec le feu, et le secret du cœur est découvert à l'œil qui se repose sur ce canal : ce sang est un excellent vin , qui enivre l'âme sans la rassasier

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jamais ; et plus elle boit , plus elle en voudrait boire , parce que le sang- et la chair sont unis à un Dieu infini. 0 mon très- doux Fils en Jésus-Christ , courons avec affection vers celte table, afin d'accomplir tous mes souhaits en votre perfection, et que je fasse la Pàque de la façon que j'ai dit ; faites comme celui qui se laisse gagner à l'appétit du vin duquel il boit, jusqu'à se méconnaître ; son estomac s'échauffe en telle sorte, qu'il est contraint de le tirer dehors. Vraiment, mon Fils, nous trouvons ce vin sur cette table , dans le côté ouvert du Fils de Dieu ; c'est ce sang qui échauffe et bannit toute sorte de froideur ; qui éclaire et fortifie la voix de celui qui en boit : il réjouit l'âme et le cœur , parce qu'il est répandu avec le feu de la divine charité ; ce vin a un effet de si grande chaleur qu'il jette l'homme hors de soi, lequel vient à un tel point qu'il ne peut pas se voir pour soi-même : mais il ne se consi- dère que pour Dieu , et Dieu pour Dieu, et son prochain aussi pour la gloire de Dieu ; puis, quand il en a bu à suffisance , il en répand sur la tête de ses frères , par l'imitation de celui qui ne cessa jamais d'en verser , non point pour son intérêt , mais pour notre profit. Nous donc, qui sommes appelés à cette table , prenons l'instruction de la viande qui nous est pré- sentée, et faisons aussi de même, non pour notre intérêt, mais pour la gloire de Dieu et le salut de nos frères , puisque c'est le sujet pour lequel vous êtes envoyé. Prenez donc courage , parce que ce feu vous donnera la voix et vous guérira l'im- flammation de gosier qui vous travaille ; je vous verrai bien volontiers si je puis. Priez Jésus-Christ qu'il me fasse appro- cher. (Lettre XXVII , page 324. )

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Au père Barthélémy , lorsqu'il ela.il bachelier à Pise.

Elle lui parle de la charité, et lui déclare que la méditation de la croix est l'unique moyen de la posséder.

Au nom de Jésus-Christ cl de la douce Marie.

Mon très-aimé et très-cher Frère et Père pour le respect du très-saint Sacrement.

Nous , Alexis et Catherine, mais Catherine, servante inu- tile de Jésus-Christ , nous recommandons à vous , avec les souhaits que nous faisons , afin de vous voir transformé et uni au hon plaisir de Dieu. 0 brasier ardent qui brûlez toujours ! vous êtes un feu, et c'est ainsi qu'il me semble avoir été dit par la bouche de la Vérité : « Je suis un feu et vous êtes les étincelles ou flammèches. » Il veut faire connaître que le feu aspire toujours au lieu de son élément, et partant qu'il monte toujours en haut. 0 dilection infinie de charité ! que vraiment vous avez parlé avec raison , et qu'à bon droit nous sommes semblables aux flammèches qui se ressentent de la chaleur du feu : et comme ces flammèches ou étincelles dépendent du feu, ainsi nous recevons l'être de notre premier principe; c'est pourquoi il se compare au feu , et dit que nous ressem- blons aux étincelles. Que l'âme donc ne se laisse pas empor- ter à la présomption , mais qu'elle se rende semblable à ces flammèches, lesquelles s'élèvent premièrement en haut et puis descendant en bas , parce que le premier mouvement de nos désirs doit aspirer à la connaissance de Dieu et de ce qui regarde son honneur ; et après nous devons descendre à nous et reconnaître nos misères et notre peu d'affection; et ainsi, tout étourdis et hors de nous, nous nous serons hu- miliés et nous nous trouverons dans l'abîme de sa charité. 0 douce mère de charité ! vraiment il n'y a pas d'esprit si en- durci et si peu raisonnable qui ne dût être dissous par le

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feu que vous portez : ouvrez, ouvrez notre àme pour aimer notre prochain par une sainte dilection et par de saints dé- sirs , lesquels nous ne pourrons jamais avoir si l'œil de notre entendement ne se tourne comme un aigle vers le bois de la vie. 0 très-doux Jésus! qu'avez-vous dit pour nous rendre affectionnés à votre honneur et au salut des âmes , et géné- reux à souffrir les afflictions avec patience? Voici ce que vous dites : « Regarde-moi qui suis un agneau égorgé sur la croix pour ton amour , et tout couvert de sang de la tète jusques aux pieds , sans que ma bouche se soit jamais ouverte pour me plaindre : je ne regarde pas à ton ignorance et à ton in- gratitude , et cela n'empêche pas que je ne m'emporte comme sans raison pour opérer ton salut. » Sus , mes très-chers et bien-aimés Frères , sortons , sortons de cette négligence et courons avec soin par le chemin de la vérité ; mais apportons- y de la diligence, étant morts en nous-mêmes , sans être re- tardés par la méconnaissance des créatures. Semez, semez la parole de Dieu et regardez la valeur des talents qu'on vous a commis : Dieu ne vous a pas compté seulement un talent, mais il vous en a donné dix , tant pour vous que pour votre prochain , c'est à savoir, les dix commandements de la loi dont l'observation donne la vie à l'âme. Ayez donc soin de les faire valoir, et souvenez-vous de ce qui. s'est passé en cette sainte retraite dans la cellule de votre àme et de votre corps. Dites la même chose, s'il vous plaît, à Père Thomas et à ses autres confrères. Je vous prie d'être diligents , parce que le temps est court et le chemin est long. ( Lettre XXIX- 327. )

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A Barthélémy et à Jacques . ermites , demeurant au Campo-Sanlo ) à Pise.

.-1» nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Elle les exhorte à souffrir pour la gloire de Dieu et le bien de l'église.

Mes trùs-chors e( bien-aimés Enfants en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Chrisl : je vous écris en son précieux sang, avec affection de vous voir répandre le vôtre et ouvrir votre corps pour le doux nom de Jésus. Oh ! que notre àme sera heureuse , si nous pouvons recevoir celte miséricorde de verser pour sa gloire ce qu'il a donné par un si grand feu d'amour et de charité ! 0 ardent brasier qui brûlez sans consumer , et qui ne consu- mez que ce qui se trouve en l'âme hors de la volonté de Dieu ! C'est dans cette vraie chaleur que fut consommé l'Agneau immaculé sur le bois de la très-sainte croix. 0 cœurs endurcis et ingrats! de quelle sorte pouvez-vous vous empêcher de n'être pas dissous par une ardeur si extrême? Vraiment , je ne m'étonne pas si les Saints , qui n'étaient pas aveuglés de l'amour-propre d'eux-mêmes , étaient tout à fait occupés en la connaissance de la bonté de Dieu et au feu de sa très-ar- dente charité, lorsque le souvenir de ce sang les faisait courir à la perte de leur vie. Pour moi , je suis toute transportée d'élonnement quand je considère le feu démesuré de saint Laurent qui , étendu sur le gril tout ardent , s'arraisonnait avec le tyran. 0 bienheureux martyr ! n'avez-vous pas assez de votre feu? Il me répondrait volontiers que non; parce que le feu qu'il ressent dans le cœur , amoindrit la force de celui qui le consume au dehors. Il ne faut donc pas , ô mes chers Enfants en Jésus-Christ , que vos affections et vos désirs finis- sent jamais jusqu'à la fin de votre vie : éveillez-vous, je vous prie , et ne dormez plus ; à quoi je ne vois point de plus

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prompt remède , que d'exciter en vous une continuelle haine de laquelle naît une sainte affection pour la justice , laquelle vient à un tel point , que nous voudrions que les animaux mêmes en fissent raison. Lorsque l'âme est arrivée au point d'être purifiée en cet agréable feu , et qu'elle se trouve noyée en cet abîme d'amour, toutes ses facultés s'emploient au ser- vice de Dieu : la mémoire conserve le souvenir des bienfaits que l'entendement lui fait voir , et la volonté se dispose pour embrasser de toute son affection ce qu'elle aime. C'est pour lors qu'elle s'écrie, en disant : 0 Dieu débonnaire, qu'est-ce que vous aimez le plus ? Et Dieu lui répond : Regarde en toi et tu trouveras ce que j'aime. Alors vous ouvrirez les yeux, mes très-chers Enfants , et vous verrez que les effets de l'a- mour de Dieu sont répandus indifféremment sur toutes les créatures raisonnables ; et tout aussitôt l'âme s'exerce toute transportée à servir les hommes qui sont ses frères , pour lesquels elle serait bien aise de cesser de vivre en ce monde , afin de leur rendre la vie de la grâce. Elle se rend semblable â l'aigle qui est toujours fixe et arrêté à considérer la splen- deur du soleil : il se lève en haut d'où il jette les yeux sur la terre qui lui fournit la proie dont il se nourrit en la plus haute région de l'air. C'est ainsi que fait la créature raisonnable , laquelle hausse les yeux vers le soleil du divin amour , et après se tourne vers la terre de l'humanité sacrée du Verbe incarné , le Fils de Dieu : de sorte que considérant ce Verbe avec l'humanité tirée des entrailles de Marie , elle reconnaît sur cette table cette divine viande de laquelle elle se nourrit : elle ne s'arrête pas seulement à l'humanité de Jésus-Christ , mais passant outre avec le morceau en la bouche, elle s'élève au-dessus de soi-même , ou elle entre dans l'âme du Fils de Dieu , toute consumée et embrasée d'amour , qu'elle recon- naît être un feu qui est sorti de la puissance du Père, lequel nous a donné la sagesse de son Fils , par l'ardeur et la force du feu du Saint-Esprit : et cela par une si grande force et union , que ni les clous ni la croix n'eussent jamais retenu ce

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divin Verbe , s'il ne l'eût été par le lien de l'amour, lequel a fait une telle union , que ni la mort , ni quoi que ce soit n'ont jamais pu séparer la divinité d'avec la nature humaine. C'est l'aliment que je vous donne pour l'entretien de votre âme ; et si vous me demandez quelles seront les ailes qui vous aideront à voler , je vous réponds que c'est avec les ailes de la haine du péché et les transports de l'âme et par l'affection que nous aurons pour les peines et les afflictions de ce inonde > afin de nous rendre semblables à Jésus crucifié : c'est lui seul que je désire que vous sachiez, en qui réside toute votre gloire, votre repos et votre consolation. Nourrissez-vous et entrete- nez-vous de ce sang , et je prie Dieu qu'il regarde l'ardeur de vos désirs. C'est assez pour le présent : demeurez en la sainte et douce dileclion de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! (Let- tre II , 383. )

Au Prieur el aux Confrères de la Compagnie de la discipline de la sainte Vierge Marie , de l'Uôlel-Dieu de Sienne.

Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

De la vigne que Dieu a plantée en l'homme et de ses facultés surnaturelles.

Mes très-chers Pères et Frères en Jésus-Christ ,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ. Je vous écris en son précieux sang , par un désir de vous voir semblables aux prudents vignerons , travaillant à la vigne de votre âme ; afin que vous rapportiez beaucoup de fruit au temps de la vendange. Vous n'ignorez pas que la Yérité éternelle nous a créés comme une vigne selon les traits de son image il veut habiter par sa grâce , pourvu que le vigneron se plaise d'y employer son industrie avec affection et fidélité. Que si elle n'est bien cultivée , elle foisonnera d'épi- nes et de chardons , et Dieu ne voudra plus y faire sa rési- T. v. 20

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dence. Voyons un peu quels sont les laboureurs' que ce maî- tre divin lui a donnés. Il y a premièrement établi le libre ar- bitre , qui a toute la conduite de cette vigne : il y a mis une porte de la volonté , laquelle personne ne peut ouvrir ou fermer, si ce n'est en tant qu'il plaît au vigneron ; et de plus, il a ajouté la lumière de l'entendement, afin que nous puis- sions mettre différence entre les amis et les ennemis qui voudraient passer par celte porte , est posée la sentinelle de la conscience , laquelle est comme un chien qui veille tou- jours et qui fait bonne garde , afin qu'il aboie lorsqu'il verra aborder quelqu'un. Cette lumière de Fentendement fait voir et discerner la qualité des fruits en les séparant de la terre , afin que le grain et le fruit demeurent nets pour être mis en dépôt dans le magasin de la mémoire , laquelle conserve le souvenir des bienfaits de son Dieu. Le cœur , comme un pré- cieux vaisseau , est placé au milieu de celte vigne ; il est plein de sang, afin d'en arroser les plantes, pour empêcher qu'elles ne se sèchent : c'est ainsi que je vois ce beau parc avoir été planté. Mais je m'aperçois que toute cette belle économie a été dépravée par l'amour-propre , et que le laboureur a été em- poisonné , jusqu'à tel point, que ce lieu de bénédiction a été changé en un lieu désert et sauvage ; de sorte que , ou les fruits qu'elle produit donnent la mort , ou ils sont aigres et de mauvais goût ; parce que ceux qui la devraient ensemencer, engagés dans les intérêts, ont permis aux démons de passer par la porte de la volonté , avec la semence de plusieurs et diverses pensées , lesquelles ils ont semées dans le libre arbi- tre, d'où il n'y a eu que des fruits de mort , c'est-à-dire, des péchés mortels. Oh ! que cette misérable vigne est en piteux état , voyant qu'au lieu d'être un parterre de plaisirs et de délices, elle est changée en une forêt couverte de ronces et de chardons de l'ambition et de l'avarice , et des épines de la colère et de l'impatience , et toute remplie d'herbes vénéneu- ses, jusqu'à être faite comme une retraite d'animaux : lorsque nous nous plaisons à l'impureté , pour lors nous pouvons

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dire qu'il n'est pas fermé', puisque les ennemis en trouvent la porte ouverte , et que les esprits d'enfer y entrent , comme dans un lieu qui leur est propre. La fontaine qui y était pour l'arroser est tarie, c'est-à-dire la source de la grâce , laquelle nous avons tirée du saint baptême , en vertu du sang de Jé- sus-Christ ; parce que ce sang était comme une source d'eau vive, qui arrosait la vigne, lorsque le cœur en était plein par de saintes affections d'amour. La lumière de l'entendement se trouve enveloppée de ténèbres , parce qu'il est privé de la claire lumière de la sainte foi : aussi n'a-t-il de sentiment que pour l'amour sensuel , de quoi la lumière est toute pleine , de telle sorte qu'elle ne peut avoir d'autre souvenir que des misères , des. appétits déréglés. De plus , la vérité éternelle a planté au bord de cette vigne un nouveau parc , qui est celui de notre prochain , lequel est uni si étroitement avec le nôtre , que nous ne saurions faire du bien à l'un sans profiter à l'autre : voire il y a un commandement exprès "de cultiver sa vigne comme la nôtre, lorsqu'il nous a été dit : « Aime Dieu sur toutes choses, et ton prochain comme toi- même. » Oh î que ce receveur est cruel d'avoir si mal ménagé sa vigne, sans en recueillir aucun fruit, si ce n'est peut-être de quelques petits traits de vertu , lesquels sont si âpres , qu'il n'y a personne qui en puisse goûter : j'entends les bon- nes actions faites hors de la charité. Oh ! que celte âme est misérable à l'heure de la mort, qui est le temps de la récolte , laquelle se trouve sans fruits. La preuve de ce qu'elle voit lui fait connaître sa misère; et pour lors elle voudrait bien avoir le temps de la pouvoir cultiver ; mais le temps lui manque : il semblait que l'homme ignorant fût assuré de pouvoir tenir le temps ta sa disposition ; mais il n'en est pas ainsi. Pensons donc à nous, mes chers Frères , durant ce temps qui nous est donné par miséricorde. Que la raison et le libre arbitre se mettent en campagne et commencent à renverser la terre de cet amour déréglé et pernicieux : je veux dire . que l'affec- tion , laquelle est entièrement terrestre , et qui ne prétend

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qu'aux choses passagères de ce monde , lesquelles s'écoulent toutes comme du vent, s'élève à la recherche des hiens céles- tes, qui sont fermes et arrêtés , et incapables encore d'aucun changement. Ouvrons la porte de notre volonté pour recevoir la semence de la doctrine surnaturelle, qui produira les fruits des vertus relevées et propres pour la tirer de la terre par le moyen de la lumière de la foi et de la franchise , que Dieu établira en nous : aussi ces vertus n'ont pas été semées en nous par aucun intérêt temporel , ou plaisir de la vie pré- sente ; mais par le mépris de nous-mêmes , logeant en notre mémoire le fruit du souvenir des bienfaits de Dieu, que nous avons absolument de sa bonté , et non par aucun mérite parti- culier de nos vices. Mais quel arbre y faut-il planter ? celui de la très-parfaite charité , dont la cime va jusques au ciel , et dans l'abîme infini de l'essence divine : ses rameaux sont ré- pandus par tout le verger , ainsi maintiennent-ils les fruits différents en fraîcheur ; parce que comme toutes les vertus procèdent de la charité , aussi ont-elles toutes la vie en elle- même. Et de quoi l'arrose-t-on ce jardin ? Ce n'est pas avec de l'eau, mais bien par ce précieux sang, lequel a été répandu par un si grand feu d'amour , et qui s'arrête dans le vaisseau du cœur : non-seulement ce sang sert pour arroser les plantes de cette vigne , mais encore il donne à boire à la conscience , comme le gardien placé à la porte , afin qu'étant fortifiée , elle puisse faire bonne sentinelle , pour l'assurance de la vo- lonté , et qu'il n'y ait personne qui passe sans qu'elle en donne avis à la raison , l'éveillant par son cri; et que la rai- son par le secours de l'entendement puisse reconnaître si ce sont des amis ou des ennemis. Que si ce sont des amis en- voyés du ciel et par la bonté du Saint-Esprit , comme sont les bonnes inspirations , il faut qu'elles les reçoivent par la franchise de la volonté , ouvrant la porte avec les clefs de l'amour , et qu'elles soient mises en exécution. Que si ce sont des ennemis , comme les mauvaises pensées et les actions contraires au devoir, qu'elle les chasse avec le bâton de la

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haine , et un juste reproche , ou qu'elle ne les laisse entrer que pour les anéantir, fermant la porte de la volonté, afin qu'elle ne leur prête point de consentement. Lorsque Dieu verra que ce bon laboureur du libre arbitre , lequel il a posé dans son verger , aura bien travaillé , tant en soi , qu'en la vigne de son prochain , le secourant en tout ce qui a été possible par affection et mouvement de charité , il reposera dans cette àme par le moyen de la grâce. Ce n'est pas que son contentement soit augmenté par notre bien ; puisqu'il n'a pas besoin de nous : mais sa grâce repose en nous ; et c'est de cette grâce que nous recevons la vie , et qu'il nous revêt , couvrant notre nudité ; elle nous donne la lumière, et rassasie l'affection de l'âme, et la satisfait entièrement; quoique ce rassasiement n'empêche pas que l'âme ne demeure toujours en son appétit : aussi pour ce sujet il la conduit au pied de la croix , et lui met dans la bouche de ses désirs le lait des con- solations divines ; il prend avec cela la myrrhe de l'amertume de la même croix , et la douleur de ses péchés , et lui donne enfin l'encens et le parfum de ses prières,, lesquelles sont offertes incessamment et avec ardeur d'amour pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Oh ! que cette âme est heureuse ! Vraiment nous pouvons dire qu'elle goûte la vie éternelle : mais nous ignorons qui nous sommes , nous nous soucions fort peu de cette félicité ; car si nous avions l'esprit affectionné à notre profit , nous aimerions mieux mourir mille fois , que d'être privés d'un si grand bien. Déchargeons-nous donc de cette ignorance , et cherchons la perfection avec vérité : la cherchant de la sorte, nous la trouverons Dieu l'a établie , autrement nous ne la trouverons jamais. Nous avons dit en quelle sorte notre àme est une vigne , et de quelle façon Dieu l'a enrichie , et comme c'est son plaisir qu'elle soit cultivée. Il faut voir à présent en quel lieu cette vigne a été plantée. Je dis sur ceci que Dieu nous a tous posés dans le verger de la sainte Église , il a mis le vigneron , qui est le vicaire de Jésus-Christ en la terre , lequel a la charge d'administrer ce

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sang , et par le couteau de la pénitence , il retranche les vices de l'àme , ce qui se fait au sacrement de confession : il tient les âmes attachées à son sein par le lien de la sainte obéis- sance , sans laquelle la vigne de nos âmes serait en désola- tion , et la grêle en ruinerait la vendange , si elle s'éloignait de cette même conduite. Il faut donc chercher et cultiver la vigne de notre àme dans le verger de la sainte Église , si nous voulons être capables de bien. Il est temps à présent , mes très-chers Pères et Frères , de faire voir si nous serons unis en vérité, et je le reconnaîtrai si en ce temps de nécessité vous vous efforcez de suivre les intentions du pape Urbain VIe, contribuant à ses peines , tant spirituelles que temporelles , c'est-à-dire spirituellement par la prière et l'oraison, et tem- porellement par le service de votre personne , le servant du mieux qu'il vous sera possible. Les grands seigneurs tâchent de le secourir, en quoi ils font leur devoir, et nous qui y sommes obligés, voudrions-nous manquer à la raison encore que lui de son côté laissât de nous favoriser ? Avons-nous si peu d'affection à la foi , que nous ne voulions pas en être les protecteurs , et employer, s'il en est besoin pour sa défense , la vie temporelle ? Sommes-nous si méconnaissants des bien- faits que nous avons reçus de Dieu et de lui ? El ne savons- nous pas bien que l'ingratitude fait sécher la source de la bonté ? Je n'ai pas envie que nous soyons atteints de ce crime : mais je veux que nous ayons un bon sentiment de reconnaissance , afin que la dévotion soit par ce moyen en- tretenue dans nos âmes. Je vous prie donc, pour l'amour de Jésus crucifié , que vous vouliez travailler , et que vous soyez prompts à subvenir à ce besoin. Pour moi, je sais avec assu- rance que si vous êtes de bons ouvriers en la vigne , vous tra- vaillerez avec grand soin pour l'amour de la vérité dans les vergers de la sainte Église; mais si vous êtes de chélifs ouvriers en la vigne de vos âmes , vous n'aurez pas soin aussi de travailler pour l'Église, ainsi que jusqu'à présent vous avez fait. Je ne dis rien davantage , demeurez en la sainte et

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douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour! ( Let- tre VIII , 391.)

A monseigneur Roslain de Canigiau . Florentin. Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie. De la contrition et dispositions à la sainte communion.

Mon très-cher Frère en Jésus-Christ ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ. Je vous écris en son précieux sang pour le désir de vous voir dépouillé de tout amour-propre de vous-même, afin que vous ne perdiez pas la lumière et la connaissance que vous avez de l'amour inestimable de Dieu , et parce que la lumière est ce qui le fait connaître, et que le propre amour est ce qui nous le ravit, à ce sujet je désire passionnément de le voir au plus loin de vous. Oh! combien ce propre amour de nous-mêmes est grandement pernicieux pour notre salut! c'est lui qui prive l'âme de la grâce, puisqu'il lui ravit la charité de Dieu et du prochain , qui le faisait subsister en la grâce ; il la prive de la lumière, ainsi que nous disons , parce qu'il offusque l'œil de sa connaissance , et la lumière éteinte, nous marchons dans les ténèbres sans reconnaître ce dont nous avons le plus de besoin. Mais qu'est-il nécessaire de connaître? la très-grande bonté de Dieu et son ineffable cha- rité en notre endroit, avec la pernicieuse loi qui combat toujours contre l'esprit et l'extrémité de notre misère ; par cette connaissance l'âme commence de s'acquitter de son de- voir envers Dieu , c'est à savoir de la gloire et de la louange de son nom , l'aimant sur toutes choses, et le prochain comme soi-même par une faim et désir des vertus ; et pour soi elle se rend la haine et l'aversion , détestant en soi-même le vice et la propre sensualité , qui est la source de tous les malheurs. Par celte même connaissance de soi-même : l'âme acquiert

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toutes les vertus, et la grâce demeure au dedans de soi , avec cette lumière , ainsi qu'il a été dit : mais est-ce que l'âme trouvera les richesses d'une vraie contrition de ses fautes, avec l'abondance des miséricordes divines? ce sera en celte maison de la connaissance de soi-même : voyons donc si nous l'y trouvons ou non , et disons-en quelque chose. Aussi bien ai-je reconnu par votre lettre , que vous désiriez avoir con- trition de vos péchés, et que, faute de la pouvoir obtenir, vous laissiez l'usage de la sainte communion , et de nous ver- rons si pour ce sujet il est à propos de s'en abstenir. Vous savez que Dieu est souverainement bon et qu'il nous a aimés avant que nous fussions jamais ; qu'il est la sagesse éternelle, et que son pouvoir et sa vertu sont inestimables, et par nous concluons qu'il peut, qu'il sait et qu'il veut nous oc- troyer ce qui nous est nécessaire, et nous voyons bien, pour preuve de ceci , qu'il nous donne plus que nous ne saurions jamais demander, ayant prévenu toutes nos prières. L'avons- nous jamais prié qu'il fît des hommes et des créatures rai- sonnables à son image et ressemblance plutôt que des bêtes? Jamais cela n'était venu en notre pensée. Lui avons-nous aussi demandé qu'il nous rachetât par le sang du "Verbe son Fils unique, ou qu'il se donnât à nous en viande, Dieu et homme tout ensemble , la chair , le sang , le corps et l'âme unie à la divinité? Outre ces grâces qui sont si grandes et qui nous font paraître un tel brasier d'amour qu'il faut avoir un cœur de bronze et de rocher pour ne se fendre point lors- qu'elles sont considérées , les dons et les faveurs que nous recevons de lui , chaque jour , se trouvent infinies , encore que nous ne les demandions pas ; que s'il nous octroie tant de biens avant que nous les ayons demandés , combien plus fortement accomplira-t-il nos désirs et nos supplications , pourvu qu'elles soient justes et raisonnables? Mais encore, qui est celui qui nous donne le mouvement de les demander? C'est lui seul : donc , s'il nous donne l'inspiration de les de- mander , c'est un signe qu'il les veut accorder. Toutefois

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vous me direz : J'avoue que ce que vous me proposez est vrai ; d'où vient donc que bien souvent je demande la contrition et d'autres choses , lesquelles ne me sont pas accordées ? Je vous réponds, que ceci peut procéder du défaut de celui qui demande , lequel fait sa prière avec quelque manquement ; peut-être qu'il prie seulement de bouche et non pas avec affection , et c'est de ceux-là que parle notre Sauveur, quand il dit , que de telles âmes crieront : « Seigneur, Seigneur , » mais qu'il ne les connaîtra pas ; ce n'est pas qu'il ne les con- naisse bien, mais parce que leurs défauts seront cause qu'elles ne sentiront pas les effets de sa miséricorde ; ou bien elles de- mandent ce qui serait contraire à leur salut quand elles l'auraient, et Dieu accomplit la demande en la refusant, parce qu'il ne leur donne pas ce qui leur serait dommageable. De sorte que nous avons toujours ce que nous demandons au compte que Dieu en fait : mais son jugement en est secret et caché , encore qu'à l'extérieur il semble contraire à notre sentiment : aussi voit-il que s'il nous octroyait la grâce aussi- tôt que nous la demandons , nous ferions comme les animaux immondes, lesquels quittent le miel qui est un aliment gran- dement doux et délicieux, dont ils ne se soucient pas, afin de se rouler dans la boue. Dieu voit bien que souvent nous en faisons de même , et que recevant ses grâces et ses bien- faits , selon la part qu'il nous donne, nous ne craignons pas après de nous attacher aux misères de cette vie; c'est l'une des raisons pour lesquelles Dieu diffère quelquefois à nous octroyer nos demandes , afin d'exciter en nous des désirs et des affections qui lui soient agréables , et il se plaît à voir les mouvements de ses créatures. Il peut arriver aussi qu'il nous fera une grâce par effet , mais non pas avec cette dou- ceur sensible que nous voudrions avoir en la recevant ; ce qu'il fait par une grande raison de providence , parce qu'il connaît que si l'homme ressentait sensiblement l'effet de sa demande , ou l'ardeur de ses affections en serait amoindrie , ou il tomberait en présomption , et pour cela il retire la dou-

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ceur sensible de la grâce , sans retirer néanmoins la grâce elle-même : il y en a d'autres qui reçoivent la grâce et en ressentent la douceur , selon qu'il plaît à la bonté de celui qui est notre médecin et qui donne ou refuse selon qu'il le juge â propos et convenable à notre maladie. Ainsi vous voyez qu'en toute façon, l'affection de celui qui prie est toujours accomplie selon la qualité de ce qu'il demande. Voyons à pré- sent ce que nous devons demander et avec quelle prudence. Il me semble que cette douce et première vérité nous ensei- gne assez bien ce que nous devons demander, lorsque repre- nant en l'Evangile un homme trop actif et trop soucieux d'acquérir des biens et d'augmenter sa maison , il dit : « Ne vous mettez pas en peine pour le lendemain, c'est assez de donner ses soins au jour présent; » ces paroles nous ensei- gnent de penser â la brièveté du temps , et après il ajoute : « Demandez seulement le royaume des cieux , parce que vo- tre Père céleste sait bien ce qui vous est nécessaire touchant ces choses inférieures. » Quel est ce royaume , et en quelle sorte le demandons-nous? C'est le royaume de la vie éter- nelle , et ensemble celui de notre âme, lequel, si nous ne le possédons absolument, jamais nous n'aurons l'entrée dans le royaume des cieux. En quelle sorte le demandons-nous ? Non- seulement de bouche , car, ainsi que nous avons dit, Dieu ne connaît pas ceux qui ne le demandent que de la seule voix; mais il le faut demander avec l'affection de vraies et solides vertus; c'est la vertu qui demande ce royaume , et à qui il est donné , et c'est elle-même qui rend l'homme avisé , et le fait travailler avec prudence et bon conseil â la gloire de Dieu, et pour le salut de son âme et du prochain , dont il souffre prudemment les défauts et les imperfections. Par celte même prudence il range les affections de la charité , aimant Dieu sur toutes choses et son prochain comme soi-même, avec un tel ordre, qu'il offre sa propre vie pour son salut et ses biens pour lui sauver la vie corporelle ; c'est l'ordre qu'une pru- dente charité établit en sa conduite, et si elle était impru-

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dente , elle serait tout le contraire , ainsi que plusieurs qui sont conduits par une charité insensée, lorsque pour servir à leur prochain , non pour le bien de l'âme , mais seulement du corps , ils exposent leurs propres âmes à des sacrilèges et des parjures, et à de faux témoignages, et de la sorte ils per- dent la charité faute de l'assaisonner des lois de la prudence. Voilà en quelle sorte nous devons demander avec prudence le royaume des cieux ; voyons à présent l'ordre qu'il nous faut garder en la sainte communion , et avec quelle préparation on en doit approcher; en quoi il ne faut pas procéder avec une sotte humilité , ainsi que nous voyons faire à quelques séculiers et personnes du monde, mais plutôt je dis que nous devons pratiquer ce divin Sacrement, ainsi qu'il nous est commandé et parce qu'il est l'aliment de nos âmes , sans le- quel nous ne pouvons pas vivre en la grâce ; et partant il n'y a point de lien si fort , qu'on ne puisse et ne doive rompre , afin d'approcher de ce doux Sacrement , et l'homme doit faire de sa part ce qu'il peut et c'est assez : comment le devons- nous recevoir? par la lumière de la très-sainte foi, et par la bouche d'un saint désir. Cette lumière de la foi nous fera voir un Dieu et un homme réellement sous les sacrées espè- ces, et pour lors l'affection qui suit de cette lumière s'em- brase pour le recevoir d'un amour affectif, assisté d'une sainte pensée de ses défauts et péchés commis , et de naît la contrition. L'âme considère la grande étendue de l'inesti- mable charité de Dieu , qui s'est donné à nous en viande par un si grand amour, et encore qu'il lui semble n'avoir pas un si parfait ressentiment de ses péchés qu'elle voudrait , ni une disposition proportionnée à une action si haute et si impor- tante, il ne faut pas pour cela s'empêcher de la recevoir, parce que la seule volonté suffit en ces occasions avec les pré- parations que nous y avons apportées. Ainsi, je dis qu'il le faut recevoir de la même façon qu'en la loi ancienne l'agneau pascal était mangé : il devait être rôti et non bouilli; il le fallait manger entièrement et non point en partie , avec une

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ceinture sur les reins et tout droit avec un bâton en la main , après avoir inarqué les seuils des portes des maisons du sang de l'agneau. C'est, dis-je , ainsi qu'il faut prendre ce Sacre- ment; il le faut manger rôti et non bouilli, parce que ce qui est bouilli est mêlé d'eau et de terre, qui peut signifier l'affec- tion que nous avons aux choses temporelles avec l'eau de notre amour-propre : voilà pourquoi il doit être rôti , afin qu'il n'y ait aucun mélange ; et il est reçu rôti , quand nous le recevons par le feu de la divine et douce charité. Nous de- vons être ceints par le ceinturon de la continence, parce que ce serait un trop grand scandale d'approcher d'une telle pu- reté et inestimable netteté avec un cœur et un corps infectés de quelque impureté. Il nous faut être debout , parce que notre cœur et notre esprit doivent être élevés à Dieu par la foi ; le bâton à la main nous fait voir le bois de la très-sainte croix , sur lequel nous devons être appuyés et qui nous défend de nos ennemis, qui sont le monde , le démon et la chair; il le faut manger entièrement et non point en partie, parce que la foi nous doit faire considérer non-seulement l'huma- nité en ce Sacrement , mais tout ensemble le corps et l'âme de Jésus crucifié , unis avec la divinité , tout Dieu et tout homme ; il faut prendre le sang de cet agneau et s'en mar- quer : je veux dire , qu'il le faut confesser en la présence de toutes les créatures de l'univers et ne le dénier jamais , non pas même pour la crainte de la mort. C'est ainsi qu'il faut recevoir amoureusement cet agneau rôti par le feu de charité sur le bois de la croix : ainsi nous serons trouvés marqués du signe de Thau, en sorte que l'ange extermina- teur n'osera pas nous toucher. J'ai dit qu'il ne fallait pas faire comme plusieurs séculiers , qui sont grandement imprudents, lesquels manquent d'obéir aux lois que la sainte Eglise leur a imposées , disant qu'ils ne sont pas dignes de participer à cet adorable Sacrement; et ainsi ils vivent un long temps dans le péché mortel , privés de cette viande de leurs âmes. 0 humilité insensée ! Et qui ne sait que tu n'en es pas digne?

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Qu'est-ce que tu attends pour t'en rendre digne? tu n'en seras pas plus digne à la fin qu'au commencement de ta vie ., parce que toutes nos préparations ne peuvent pas nous faire mériter un si grand bienfait. Dieu seul est digne de soi-même, et peut nous en rendre dignes par sa propre dignité , laquelle n'est pas capable de diminution. Qu'est-ce donc que nous devons faire? Il faut nous disposer de notre côté, et obéir à la loi qui nous est faite de recevoir ce Sacrement; car si nous faisons autrement et si nous laissons la communion faute d'être dignes de nous en approcher , nous tomberons dans le péché en pensant l'éviter ; d'où je conclus , que je ne veux pas que vous vous laissiez gouverner par une si grande im- prudence -, mais que vous vous disposiez comme un fidèle chrétien à recevoir cette sainte communion , de la façon que nous avons dit; ce que vous ferez d'autant plus parfaitement , que vous demeurerez en la connaissance de vous-même et non point autrement, parce que cette connaissance vous ren- dra soigneux et vigilant en toutes choses ; votre saint désir ne se trouvera pas diminué par aucun accident de peine ou de travail ou par la méconnaissance de ceux à qui vous aurez rendu service , mais vous continuerez généreusement jusqu'à la mort ; c'est ainsi que je vous prie de faire pour l'amour de Jésus crucifié; je ne vous dis rien de plus. Demeurez en la sainte et douce dilcclion de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! (Lettre II, page 571.)

A maître André Yanni. Au nom de Jésus-Christ et de la douce Mario. De l'importance de l'humilité pour conserver les vertus.

Mon très-cher Fils en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus-Christ crucifié ; je vous écris en son précieux sang par le désir de

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vous voir constant et persévérant en la vertu , non point comme la feuille qui se meut à tout vent , mais ainsi qu'un arbre planté en la vallée de la vraie humilité , afin que le vent de l'ambition ne puisse point endommager la plante de votre âme, laquelle, à dire le vrai, est un arbre d'amour; parce qu'ayant été créée de Dieu par amour et n'étant qu'amour, elle ne peut point vivre aussi sons amour, soit d'un amour saint ou du propre amour sensuel de soi-même : celui-ci est si pernicieux à l'àme, qu'il lui cause la mort, et la privant de la vie de la grâce , il la porte sur les hauteurs de l'ambition elle est battue par les vents contraires en diverses façons , de tous lesquels elle se sent offensée, parce qu'ils abattent ses fruits et rompent ses branches; et si elle n'y donne ordre, peu à peu elle est déracinée et portée par terre : à quoi sur- viennent parfois les vents subtils des tentations , et d'une in- finité de sales pensées dans le cœur, lesquelles secouent cet arbre en telle sorte qu'elles le dépouillent de toutes ses feuil- les, telles que sont les dévotes pensées et les douces paroles détrempées en la charité envers son prochain, qui sont comme les feuilles verdoyantes propres à conserver le fruit. Cet ac- cident est accompagné de la médisance suscitée par les per- sécuteurs et ennemis visibles , lorsqu'après avoir conçu une mauvaise volonté , ils la produisent par des injures , par des soupçons et calomnies, soit par actions ou de paroles. Ce vent ici renverse bien souvent l'arbre de la patience et rompt les rameaux des autres vertus jusqu'à renverser l'arbre par terre, si on n'y remédie promptement par la ferveur de l'amour de Dieu et la dilection du prochain. Tout ceci lui arrive , ai- je dit , pour s'être élevé trop haut et posé en un lieu il est battu des vents; mais s'il eût été planté en bas , au milieu de deux montagnes , cela ne lui arriverait jamais ; parce que ces vents battraient les montagnes qui sont fortes , et non pas l'arbre qu'ils ne feraient seulement qu'effleurer. Quel moyen donc pourrait-on trouver afin de transplanter cet arbre et l'établir dans des vallées et sur la terre de l'humilité? Le

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voici , je vais vous le dire : nous obtiendrons ce bonheur par la connaissance de nous-mêmes et le déplaisir que nous au- rons de la propre sensualité , étant impossible que nous ayons autrement une vraie et solide humilité. Mais , par le moyen de cette connaissance et de cette aversion , nous serons posés comme entre deux montagnes qui sont la vertu de la force et de la patience , lesquelles verront les orages des vents et les soutiendront , pour grands et violents qu'ils puissent être : voire, plus ils sont contraires, et plus aussi elles se renfor- cent, l'âme s'excitant à la vertu de la patience parmi les ad- versités. C'est pour lors que les vertus sont conservées et que les fruits se mûrissent par la bonne édification que nous donnons au prochain , soit par actions ou par des paroles entretenues par les douces fleurs des bonnes pensées , d'un équitable jugement que fait l'âme , tant pour soi-même qu'à l'égard de son prochain, touchant la volonté de Dieu qui ne veut que notre bien , sans se soucier de l'opinion des hom- mes : elle mortifie sa propre suffisance , et abolissant les mouvements de sa propre volonté, elle emploie son industrie pour entretenir l'arbre de la charité dans le coeur du prochain par un ardent désir du salut des âmes, et se plaisant à cette nourriture pour l'honneur de Dieu. Oh ! que l'arbre de notre âme est glorieux quand il est ainsi planté avec tant de bon- heur ! Il est tout à fait conforme à l'humilité de l'Agneau immaculé , lequel nous a donné la vie , semblable à un soleil de grâce et de miséricorde , quoique avec toutes nos justices nous n'eussions pas eu moyen de nous l'acquérir; mais de- puis que la majesté d'un Dieu s'est abaissée jusques à l'homme , nous donnant ce doux et amoureux Verbe , et que ce même Verbe , Fils de Dieu , s'est humilié jusqu' à la mort ignominieuse de la croix, toutes nos vertus sont dignes de récompense par le mérite de son humiliation et par la force de son précieux sang répandu par un si grand feu d'amour : de sorte , comme vous voyez, que c'est l'unique moyen pour donner accroissement et conserver les vertus : voilà pourquoi

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je vous prie , mon très-cher Fils en mon doux Jésus-Christ , d'apprendre de ce doux Agneau immaculé à vous tenir tou- jours bas par une vraie et douce humilité , afin que la vertu se conserve et s'accroisse toujours en vous , en quelque état que vous soyez , puisque toutes les actions d'un homme vrai- ment humble lui sont utiles pour la vie éternelle, comme étant faites en la grâce; d'où vient que les actions même tempo- relles sont vivantes en cet homme , parce qu'il les opère avec un œil dirigé vers Dieu , et les œuvres spirituelles rendent une odeur de vertu devant Dieu et les hommes. S'il est appelé aux charges publiques de commandement ou de magistrature , il s'efforce à rendre la justice avec égalité à toute sorte de per- sonnes, le vrai humble ne pouvant, commettre d'injustice ni faire de déplaisir à son prochain qu'il aime , au contraire , comme soi-même. C'est ainsi que je vous prie , mon cher Fils , qu'à présent vous conserviez la justice en l'état vous êtes, en faveur du plus petit comme du plus grand , et au pau- vre comme au riche , rendant votre devoir également à un chacun selon la sainte justice assaisonnée de miséricorde. Je suis bien assurée que vous le ferez comme je le désire , et je vous prie avec toute sorte d'instances qu'en ce saint temps de l'Àvent vous ne manquiez pas au jour de la fête de vous ren- dre auprès de la crèche vous trouverez le doux et humble Agneau avec sa bien-aimée mère Marie : vous la verrez rendant ses devoirs à son Fils bien-aimé , comme une étran- gère et avec si peu de commodité , qu'à peine elle trouve des drapelets pour l'envelopper , encore qu'elle eût toutes les ri- chesses du monde en ce Fils de Dieu : le feu pour échauffer cet Agneau innocent lui manque, mais les animaux le tiennent chaud par la douceur de leur haleine. C'est ici que l'ambition des hommes, les délices, les états et les richesses du monde doivent être humiliés , et chargés de confusion , voyant un Dieu abaissé de cette sorte. Visitez donc ce digne lieu durant le temps sacré de l'Avent , afin que vous puissiez renaître à la grâce ; et pour vous disposer à recevoir plus heureusement ce

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ce beau petit Enfant , faites une bonne confession et vous pré- parez , s'il est possible , à la sainte communion. C'est assez pour le présent : demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! (Lettre XXXYII , p. GG1.)

A Thomas d'AIvicn. Du mystère de notre Rédemption.

Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

Mon très-cher Frère en mon doux Jésus-Christ.

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus-Christ. Je vous écris en son précieux sang pour le désir de vous voir un serviteur fidèle à notre Créateur , car cette servitude fait régner l'homme éternellement , toutefois c'est une vie qui n'est donnée qu'à l'âme fidèle , c'est-à-dire qu'elle est don- née par la lumière de la très-sainte foi , qui s'acquiert par l'œil de l'entendement, lorsque l'âme considère l'incom- préhensible charité de Dieu , en ce que lui ayant donné l'être par un si grand amour, nous en découvrons encore un plus ardent brasier au Verbe, son Fils unique , parce que nous nous trouvons en son sang créés de nouveau en la grâce que l'homme avait perdue par son crime. De façon que Dieu nous a créés à son image et ressemblance par amour, et par amour il a donné son Fils , afin qu'il le rétablisse , le recréant à la grâce parle mérite de son sang. Dieu a voulu nous faire con- naître , par le moyen de son Fils, que sa vérité et très-douce volonté ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctifi- cation : vérité qui consiste en ce que Dieu avait créé l'hom- me à dessein de lui faire part et de lui donner la jouissance de son éternelle vision l'âme reçoit sa béatitude ; mais parce que le crime commis par Adam empêchait celte cha- rité de s'accomplir en l'homme, Dieu voulant satisfaire à celte vérité , s'est contraint soi-même par son amour et nous a t. v. 21

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donné pour cet effet ce qu'il avait de plus cher , c'est-à-dire son Fils unique , lui imposant par obéissance de rétablir l'homme et de le faire renaître de la mort à la vie. Dieu veut que le fils d'Adam renaisse au moyen du sang , ainsi qu'il a été dit, duquel toutefois personne ne saurait recueillir de fruit qu'au moyen de la lumière de la foi. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit à Nicodème« que personne ne pouvait entrer en la vie éternelle , s'il ne renaissait une autre fois. » Par ces paroles, Notre-Seigneur a voulu faire connaître que le Père éternel lui avait donné charge expresse de concevoir l'homme par amour, et de l'enfanter ensuite sur l'arbre de la très-sainte croix par l'obéissance et par la haine et l'hor- reur de l'offense du même homme. Il semble que ce doux Verbe se soit comporté à la façon de l'aigle , lequel jette sa vue sur la roue du soleil , et s' élevant toujours en haut , il aperçoit la proie qu'il veut emporter ; la voyant, il s'y jette , descendant jusques en terre; et après il s'envole encore afin de s'en repaître. Ainsi le doux Jésus-Christ, cet aigle royal, re- garda sur le soleil de l'éternelle volonté du Père , il aper- çut l'offense et la rébellion de la créature contre lui ; de sorte qu'en la terre de la créature qu'il a trouvée dans la grandeur du Père , il a reconnu la proie qu'il lui fallait prendre , la- quelle n'est point autre que cette misérable terre qui a offensé et qui s*est révoltée contre Dieu par la désobéissance. Il la prit donc par son obéissance, afin d'accomplir en l'homme la volonté du Père , de lui rendre la grâce et le retirer de la servitude du démon, laquelle l'obligeait à une mort éternelle, pour le réduire enfin à servir son seul Créateur. Ayant donc vu et pris cette viande que le Père lui avait donnée pour man- ger , il vit qu'elle ne se pouvait point manger en bas contre terre ; c'est pourquoi , afin de reconduire le misérable homme à sa première obéissance , il s'éleva avec sa proie au plus hau t de la très-sainte croix il la mangea d'un désir avide et ineffable , c'est-à-dire qu'il punit sur soi-même nos offenses , souffrant en son corps et satisfaisant en sa volonté par la dé-

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plaisance et l'horreur du péché : et par la force de la nature divine qui était en lui , il offrit un sacrifice de son sang à son Père , qui lui fut très-agréable. De façon que vous voyez ce doux et amoureux Agneau élevé en haut tout chargé de pei- nes , d'opprobres , de moqueries , d'injures et de mépris, affligé de la soif et rassasié d'opprobres , tant qu'il y meurt de soif afin de nous sauver ; et c'est ainsi qu'il a mangé cette proie. Aussi est-ce ce qu'il avait dit : « Si une fois je suis élevé de la terre, j'attirerai à moi toutes choses. » Comment cela? Parce que l'homme , considérant ce qui s'est fait par le sang de Jésus-Christ , se sent attiré à l'aimer, pourvu qu'il suive la raison et qu'elle ne soit point offusquée par le propre amour de la sensualité. Donc le cœur de l'homme étant ainsi attiré à l'amour de son bienfaiteur , il n'y a plus rien qui ré- siste, le cœur, l'âme et l'affection avec toutes leurs opérations spirituelles et corporelles , tout cela est gagné , parce que les puissances de l'âme qui est cette maison spirituelle , sont toutes attirées par cet amour : la mémoire est attirée par la puissance du Père éternel et se voit obligée d'avoir devant les yeux le souvenir de ses bienfaits , et d'en retenir l'idée par un sentiment d'amour, pour n'être pas ingrate et méconnais- sante. L'entendement s'attache à la sagesse de cet Agneau immaculé, pour considérer en lui le brasier de son infinie charité il reconnaît la justice de tous les jugements de Dieu, et que tout ce qu'il permet , il le fait par amour , et non point par aversion de quelque chose que ce soit, de pros- périté ou d'adversité, et pourtant il tient et reçoit toutes choses par amour , voyant que si la sagesse de Dieu , c'est-à-dire son Fils, eût eu d'autre dessein , il n'aurait pas donné sa vie : c'est pourquoi l'âme éclairée de cette vraie lumière ne s'afflige de quoi que ce soit qu'elle souffre ; voire si la sensualité se voulait plaindre pour son intérêt , elle lui imposerait silence par la lumière de la raison , et tant s'en faut qu'elle se plai- gne, qu'elle est bien aise de souffrir et d'aimer les afflictions, afin de pouvoir satisfaire à la peine qui est due à ses péchés ,

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et pour se conformer aux peines de Jésus crucifié. Que si elle jouit du bonheur du inonde , des états et des commande- ments , elle retient tout cela , non point par une affection déréglée , mais par un amour ordonné et zélé de la vraie et sainte justice , et sans aucune crainte servile , parce qu'elle a jeté l'œil de sa connaissance sur la sagesse du Fils de Dieu , en qui elle aperçoit une si abondante justice , que pour ne point laisser l'offense impunie, il la châtie sur soi-même en sa propre humanité qu'il a prise en notre faveur. D'où vient qu'alors le cœur et l'affection s'embrasent en l'amour de ce que l'entendement a reconnu en Dieu, et de la sorte l'âme ac- quiert et goûte la clémence et la grâce du Saint-Esprit. L'af- fection ainsi remplie de l'amour et du désir de Dieu , elle s'étend charitablement pour aimer le prochain d'un amour vraiment fraternel , et non point par un amour d'intérêt ; parce que si l'intérêt se trouve mêlé à l'amour du prochain , il est toujours déréglé et ne garde pas les lois de la justice ; mais la grâce du Saint-Esprit ayant épousé son affection , il s'est rendu juste et fidèle à son Créateur. Par ce moyen , il élève toutes ses alfections en Dieu, auquel il se rend agréable, aussi bien dans l'affliction qu'au milieu des prospérités, dans les richesses et dans la pauvreté, en l'état du mariage ou dans le célibat, en toute façon il plaît à Dieu , puisqu'il opère toujours selon le mouvement de l'amour qui l'a uni à lui. C'est aussi en cette façon que la première et douce vérité fait paraître qu'elle ne fait pas acception des personnes , ni des temps ou des lieux , mais seulement des saints et vrais désirs. J'ai dit que l'homme était attiré spirituellement et temporel- lement : ce qui est vrai , puisque l'homme a rangé et élevé en haut les trois facultés spirituelles de son âme par une affection d'amour, et qu'il les a assemblées au nom de Dieu , c'est-à-dire qu'il a accordé la mémoire afin qu'elle retînt en soi le souvenir des grâces et des bienfaits de Dieu , ainsi qu'il a été dit ; l'entendement pour connaître sa volonté dans la sagesse du Fils, et la volonté enfin pour l'aimer en la douce

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clémence du Saint-Esprit ; et c'est pour lors que vraiment Dieu se repose dans l'âme. C'est peut-être ce que notre Sauveur nous voulait apprendre, quand il dit : « S'il s'en trouve deux ou trois assemblés en mon nom , je me trouverai au milieu d'eux. » Ce que nous pouvons entendre de cette mystérieuse assemblée des trois puissances de l'âme , aussi bien que de l'assemblée des serviteurs de Dieu ; mais prenez garde qu'il en met deux ou trois ou plusieurs. Nous avons dit quelles étaient les trois , et pour les deux , nous les pouvons rappor- ter en premier lieu à l'amour et au saint, désir de Dieu; parce que c'est le propre de l'amour d'assembler , et si l'homme n'était point touché d'amour, il ne disposerait pas sa mémoire à recevoir et retenir, ni l'entendement ne serait pas ému pour voir et reconnaître , et la volonté n'entretiendrait pas en soi le divin amour : puis, quand une fois ce trésor est rassemblé, une sainte crainte la conserve, sans permettre à l'ennemi , qui est le péché mortel , d'y entrer dedans ; car , bien que cette sainte loi de Dieu , qui fut donnée par Moïse , ait été fondée sur la crainte , nous supposons toutefois qu'elle a eu l'amour pour son premier mouvement, Dieu nous l'ayant donnée par amour , afin d'empêcher l'homme de mal faire et de le retirer du péché. Après cela, le doux et amoureux Verbe est venu avec une loi d'amour , non pas afin de rom- pre la loi qui avait été donnée , mais pour l'accomplir, parce que la crainte ne donnait pas la vie : puis , unissant la loi de la crainte avec celle de l'amour , il l'a élevée à un tel degré de perfection , qu'elle accomplit parfaitement les mêmes choses imparfaites. Il nous faut donc maintenant l'une et l'aufre de ces lois , puisqu'elles sont si parfaitement unies ensemble qu'à moins de vouloir être séparé de Dieu , on ne peut pas obéir à l'une sans se soumettre à l'autre, puisqu'elles sont unies quant à ce qui regarde l'observation des dix com- mandements qui parlent également , et qu'il est impossible de conserver la vie de la grâce dans une âme qui ne les vou- drait pas observer. Voilà pourquoi le Fils de Dieu a dit : « que

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s'il s'en trouve deux. » Il ne dit pas s'il s'en trouve un ; car un seul ne fait pas assemblée; et puisque, pour en unir trois il en faut avoir deux , il est nécessaire que l'âme "en ait pre- mièrement deux : et du moment qu'elle en a deux , je veux dire l'amour et la crainte , les trois facultés de l'âme se trou- vent disposées et ne font toutes qu'une même came qui acquiert par ce moyen un si riche ornement , qu'elle contient en soi toutes les perfections de deux et de trois et de plusieurs : et quant à ce qu'il dit : « Deux ou trois ou plusieurs assemblés en mon nom », cette pluralité nous fait voir la suite des saintes et bonnes actions de la créature raisonnable; car, bien que tout ce qu'elle fait puisse prendre la teinture du monde , comme serait de posséder de grands biens ou de hautes charges , ou de vivre dans une famille avec une femme et des enfants , et que tout cela semble une action temporelle, néan- moins , lorsque l'âme a une fois posé son établissement en Dieu et fait résolution de lui adresser tous ses desseins , tout cela se réfère très-bien à Dieu. Et c'est alors qu'elle con- naît fort bien sa vérité et que Dieu ne lui a rien donné qui la puisse détourner de son salut; mais, au contraire , que ce sont des occasions qui servent d'exercice à sa vertu et qui lui donnent plus de connaissance de sa propre misère et de la di- vine bonté. (Lettre X , 4-GG8. )

Au Seigneur Antoine de Ciole.

Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

Combien il importe à nos âmes d'aimer Dieu.

Mon très-cher Fils en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , &c. , je vous écris en son précieux sang, par un désir de vous voir uni par un saint désir à notre doux Sau- veur ; parce qu'autrement nous ne saurions pas mépriser le monde , ni arriver à une très-parfaite pureté , ni conserver

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l'âme et le corps en état de continence. La raison en est que l'âme qui ne s'approche pas de Dieu, et qui n'a pas soin de s'unir à lui par une affection d'amour, se voit presque forcée de s'at- tacher aux créatures éloignées de Dieu, et aux grandeurs, vo- luptés et complaisances du monde ; puisque l'âme ne pouvant vivre sans aimer, porte toujours ses affections ou à Dieu , ou au monde, après quoi elle s'unit et se transforme en ce qui lui agrée davantage ; ce qu'elle fait avec tant de transport , que toujours elle attire à soi quelque chose de ce qu'elle aime. Si elle aime le monde, il ne lui donne que des peines et des tra- verses , lesquelles il a tirées du péché , d'où naissent les char- dons et les épines d'une infinité d'amertumes. La chair n'a que de la puanteur , et le venin du péché et la corruption : de façon que l'âme s'accommodant avec la volonté charnelle , et la passion de la sensualité , elle reçoit le venin qui l'empoi- sonne, jusqu'à un tel point , qu'il lui donne la mort , lui ra- vissant la vie de la grâce , et la précipitant dans le péché mortel. C'est tout ce qu'elle peut espérer et recevoir d'un tel amour, d'où l'âme demeure toute interdite et pleine de soins et d'inquiétudes ; Dieu ayant ainsi permis que l'affection déré- glée soit le tourment de soi-même ; mais au contraire, l'affec- tion qui est réglée selon le bon plaisir de Dieu , et transfor- mée en lui par amour, communique à l'âme le même bonheur et repos qu'il possède en soi-même. Dieu est une douceur éter- nelle et souveraine, voilà pourquoi ceux qui le servent ressen- tent de grandes suavités au milieu même des afflictions et amer- tumes de ce monde; parce que Dieu habitant dans une âme par sa grâce , elle est si parfaitement rassasiée et satisfaite en soi- même , qu'il n'y a rien autre chose qui la puisse contenter , parce que Dieu est plus grand qu'elle, et elle plus grande que tout le reste des créatures. De vient que tout ce que Dieu a mis au monde , n'y est que pour le service de l'homme , et l'homme est créé pour lui, afin qu'il l'aimât de tout son cœur, et de toute son affection, et qu'il le servît en vérité. Aussi les choses du monde n'ont pas de quoi satisfaire l'hom-

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me , comme inférieures à lui , et il ne trouve sa paix et son repos qu'en Dieu , quoique par une affection de charité , il ouvre le cœur pour embrasser et mettre en soi tout le monde. De vient le désir qui se produit en lui de servir son pro- chain , afin de donner par ce moyen quelque preuve de l'amour qu'il porte ta son Créateur. Outre cela , nous pouvons dire que Dieu étant une souveraine et éternelle pureté , l'àme et le corps de celui qui l'aime, participent à cette même pu- reté , et aimerait beaucoup mieux mourir que d'apporter la moindre altération à la pureté de son corps et de son âme ; ce n'est pas qu'il puisse entièrement maîtriser la variété des pensées qui se forment dans l'imagination , mais toutes ces pensées ne souillent pas l'àme sans le consentement de la vo- lonté , qui seule fait le péché ; elles servent plutôt d'ornement à sa gloire lorsque faisant résistance, elle tire de ces épines l'odeur d'une parfaite pureté, par le moyen de la connais- sance de nous-mêmes , que nous acquérons en voyant notre faiblesse. Ce qui l'oblige encore de recourir par amour à Jésus crucifié, par d'humbles et continuelles prières , connaissant qu'il ne lui reste point d'autre moyen pour échapper de ces dangers. Et déjà nous avons dit que plus elle s'approche de lui , plus elle participe à sa pureté , d'où il suit que tous ces combats ne lui arrachent point cette très-pure rose. C'est le remède que je vous propose contre ce misérable et infâme péché de la sensualité , et contre tous les autres , qui est de s'approcher de Dieu , et nous rendre semblables à lui par des désirs effectifs, et que nous n'attendions pas le temps, mon très-cher Fils , parce qu'étant extrêmement court , il ne nous veut pas attendre. Vraiment , c'est un grand cas que le temps étant si court, l'homme s'endorme néanmoins en cet aveugle- ment, et qu'il y veuille demeurer; quoiqu'il soit nécessaire d'employer ici le secours de la foi , qui nous fasse connaître d'une part notre petitesse , avec la grandeur de nos péchés , et d'ailleurs l'amour ineffable du Dieu vivant; c'est de quoi il nous a donné les preuves en la venue de son Fils , et le Fils a

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fait voir cette même vérité , versant le sang qu'il a répandu par un si grand feu d'amour , qu'il a couru comme transporté à la très-ignominiense mort de la croix. Comment donc serait- il possible que l'àme se voyant aimée d'une si grande ardeur ne fût pas elle-même toute transportée d'amour ? Elle ne peut pas s'en empêcher. Donc , ô mon Fils bien-aimé, ne vous éloi- gnez jamais de cette connaissance ; mais plutôt défaites-vous entièrement du brouillard de l'amour de vous-même, et jetez les yeux par une foi vive sur cet Agneau qui vous appelle ; que si vous lui répondez , sans doute vous arriverez à cette union ; et lui étant uni , vous aurez plus de force pour con- server votre pureté. A quoi sert encore un autre moyen , le- quel consiste à considérer jusqu'à quelle dignité a été élevée la nature humaine par l'union avec celle de Dieu : d'où l'àme peut prendre un sujet de se vaincre elle-même , et de se confondre d'être réduite à une telle misère ; se voyant d'ail- leurs élevée par-dessus toutes les hiérarchies des anges ; il est nécessaire que le vice soit banni de vous, lorsque votre àme s'élèvera en de si hautes pensées. Il vous faut donc châ- tier votre corps , le mortifiant par des veilles et d'humbles et continuelles oraisons , afin de l'attacher à l'arbre de la très- sainte croix , et d'éviter la société des personnes sensuelles le plus qu'il vous sera possible; et ne douiez pas, faisant ainsi, que Dieu ne vous assiste de ses grâces , pourvu que vous tâ- chiez de vous débarrasser et non pas de vous embarrasser. Dépêchez promptement vos affaires, courez au joug de la sainte obéissance , vous ferez mourir voire volonté et mortifierez votre corps, et vous y goûterez les douceurs de la vie éternelle. Xe résistez pas au Saint-Esprit qui vous appelle. Je n'en dirai pas davantage. Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour ! ( Lettre LI, page G87. )

330 ESPRIT »

A quelques seigneurs Florentins , eufanls adoplifs de dom Jean.

Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

Elle traite de l'union qui se trouve en l'homme , entre les trois facultés spirituelles de nos âmes.

Mes bien-aimés Enfants en mon doux Jésus-Christ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ. Je vous écris en son précieux sang , par un désir de vous voir unis ensemble du doux lien de la charité , si parfai- tement que quoi que ce soit ne vous en puisse séparer. La charité est ce doux lien qui a uni la nature divine avec la na- ture humaine, et à laquelle a été uni cet amour, qui a donné l'être à l'homme , Dieu le tirant de soi-même, pour le créer à son image et ressemblance. Et parce que l'âme est un effet de pur amour , aussi le même amour accorde fort bien , et lie par ensemble ces trois puissances par un même sujet. Nous voyons que la volonté est unie à l'entendement , lequel elle sollicite à voir et connaître ce qu'elle veut aimer ; et si la vo- lonté est raisonnable , l'entendement lui propose l'amour infini du Père éternel , qui aussi a été lui-même ému par un sentiment de charité à donner son Verbe et son Fils unique; comme aussi l'obéissance et l'humilité de son Fils, qui a souffert avec une extrême douceur les peines , les injures , les affronts, les mépris et les calomnies qu'il a endurés, par un très-grand amour. La volonté suit l'objet qui lui est montré par l'entendement avec un ardent amour ; et d'une main puissante , elle met en réserve le trésor qu'elle a tiré de cet amour dans la mémoire , afin qu'elle se rende reconnais- sante et se déclare obligée à son Créateur des grâces qu'elle en a reçues , surtout considérant la qualité de ses bienfaits et la bassesse de sa propre condition. Oh ! combien est hor- rible la mort du péché qui nous ravit la vie ! Cette pensée fait

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résoudre l'homme à aimer la vertu et à embrasser l'humilité , qui lui fait ressentir en soi-même les effets de la charité de Dieu : comme au contraire le péché , dont il sent en soi les mouvements et le principe , lui apprend à souffrir avec pa- tience , ce qui le rend fort et constant en la souffrance des adversités et des misères du monde, aussi bien que les assauts de l'ennemi d'enfer. Outre cela , il apprend de la charité à aimer toutes choses pour Dieu et rien pour soi-même , re- cherchant les voies plus propres pour s'enrichir de vertus solides et pour les pratiquer. Et parce qu'il s'aperçoit qu'il y a du danger en la fréquentation des mauvais et aux plaisirs trop exquis de la vie , aussi les évite-t-il de tout son cœur, et fait-il tout son possible pour trouver le contraire; il embrasse les mortifications corporelles , comme sont les jeûnes et les veilles, les oraisons et les disciplines, jusqu'à tirer vengeance de cette mauvaise volonté en la faisant mourir ; car vraiment c'est bien lui ôler la vie de la soumettre à la loi de l'esprit , lui faisant embrasser les commandements de Dieu , et les conseils que Jésus-Christ Fils unique de Dieu nous a laissés, et par la pratique de ses commandements et conseils , il le revêt de son éternelle et très-douce volonté , et voyage cou- rageusement et également par cette mer orageuse, suivant les pas de Jésus crucifié. Voilà donc l'agréable lien par lequel je désire de vous unir. 0 doux et agréable lien ! C'est vous qui avez uni un Dieu à l'homme , et l'àme aussi qui est unie avec son Sauveur, travaille à son imitation , tirant vengeance de soi-même , pour la gloire de Dieu , chassant les ennemis de la partie inférieure , qui sont les vices et la désobéissance qu'elle a rendue à son Créateur en lui étant rebelle , mettant en leur place les amis de son repos et de son avancement , telles que sont les vertus réelles et véritables faites en la charité : et entre les autres qualités qui rendent l'âme digne d'honneur , c'est l'obéissance , et quand elle s'y est une fois soumise , et que par son moyen elle a éteint sa volonté, elle passe plus avant en la perfection , et quitte entièrement le

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monde, pour faire paraître le respect qu'elle porte a la volonté de son Dieu ; et c'est sans doute , mes Enfants , que c'est un chemin bien assuré : et encore que nous voyions des religieux qui observent mal les règles , ce n'est pas à dire qu'il y ait du défaut en la religion , puisqu'elle a été fondée par l'inspi- ration du Saint-Esprit. Que si vous sentez que Dieu vous appelle à l'obéissance, ne résistez pas à la vocation ; et s'il vous venait en la pensée que plusieurs maisons religieuses sont tombées en désordre , je vous avouerais qu'il est vrai qu'il y a quelques ordres religieux d'où sont sortis quelques mauvais enfants ; mais cela ne doit pas vous empêcher , car si Dieu vous y appelle , c'est une action à faire en l'honneur et à la gloire de Dieu d'y entrer , puisque vous seriez de bons sujets pour avancer sa cause. Unissez-vous ensemble , mes chers Enfants , supportant vos défauts les uns les autres par charité, afin que vous soyez unis au doux Jésus-Christ. Faites régner l'amour entre vous ; parce que vous n'ignorez pas que c'est la marque laissée à ses disciples par le maître de la charité , qui leur dit , outre cela , qu'il n'y avait point d'autre marque dont ils pussent être reconnus pour ses enfants , si ce n'est à l'amour et à la charité. J'ai été grandement consolée d'apprendre l'union et l'amour qui régnent parmi vous : allez toujours croissant , je vous en prie , afin que je puisse dire , comme saint Paul , que vous êtes ma joie et V ornement de ma vie. C'est assez pour le présent : baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié , et vivez en charité , demeurant en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour ! (Lettre LYII, 608. )

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À François Pépin et à sa femme Agnès.

Des moyens propres pour abolir en nous les mouvements de notre volonté.

Mes bien-aimés Enfants en mon doux Jésus-Christ,

Catherine, &c. Je vous écris en son précieux sang, par le désir de vous voir dépouillés de vous-mêmes, et revêtus de Jésus crucifié , que vous soyez morts à toute la propre volonté et vaine complaisance des hommes , et que la seule douce vérité vive en vous ; parce que je ne vois pas d'autre moyen pour que vous puissiez persévérer en la vertu ; et n'y persévérant pas, vous ne recevrez jamais la couronne de gloire , ce qui vous ravira tout le fruit de vos travaux. Je veux donc , mes très-chers Enfants , que vous fassiez votre possible pour éteindre et faire mourir en vous cette perni- cieuse volonté sensuelle, laquelle excite sans cesse des trou- bles et des révoltes contre Dieu ; et le moyen de l'abolir en- tièrement est celui-ci : de tenir le compte de toutes vos pensées , paroles et actions , et de n'en laisser point passer une seule éloignée du service de Dieu , sans vous en faire le reproche. Il faut que l'homme fasse deux parties de soi-même, qui sont la sensualité et la raison, et que celle-ci tirant dehors le glaive à deux tranchants de la haine du vice et de l'amour de la vertu , elle tienne la sensualité comme l'esclave : ce sera un vrai remède pour arracher la racine des vices, et de tous les mouvements qui portent l'âme à quelque désordre ; il ne faut pas aussi acquiescer aux appétits de celle servante ; mais il la faut fouler aux pieds avec une sainte affection par un saint amour pour la vertu , il la faut éveiller par prières et oraisons quand elle voudra croupir dans le sommeil , et la mortifier parle jeûne et l'abstinence quand elle aura envie de manger par excès ; si elle se révolte, ayez en main la règle de la dis- cipline ; et quand elle voudra demeurer oisive , faites-la tra-

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vailler ; si elle se laisse embarrasser par la propre faiblesse qui est en l'homme ou par la malice du démon en des pensées sales et honteuses , faites-lui-en des reproches en la blâmant, et donnez-lui des terreurs par le souvenir de la mort ; enfin , chassez les idées d'incontinence par des considérations de pureté : c'est ainsi qu'il faut vous faire violence à vous-mêmes en tout ce qui se rencontre; néanmoins , il faut toujours ap- porter de la discrétion , à cause des nécessités de la vie , à laquelle vous ne devez pas refuser ce qui est juste et raison- nable , afin que le corps puisse faire ses fonctions , servir l'âme et se mieux exercer pour la gloire de Dieu ; en cette sorte vous emporterez la victoire de tous les vices , par la violence que vous ferez à cette loi tyrannique de la partie inférieure : toutefois, ne croyez pas arriver à cette perfection, tandis que vous serez revêtus de vous-mêmes et les esclaves de votre volonté , ce qui m'a fait souhaiter de vous voir dé- pouillés de vous-mêmes et revêtus de Jésus crucifié , et ainsi je vous prie avec toutes mes affections de vous efforcer à le faire , afin que vous soyez un sujet de ma gloire. Faites que je vous voie comme deux miroirs de vertu en la présence de Dieu, et sortez de cette nonchalance que je reconnais en vous, afin que vous ne me donniez plus de sujet de plainte mais d'allégresse ; j'espère en la bonté infinie de Dieu , que je re- cevrai encore de la consolation par votre moyen. C'est assez , demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour ! ( Lettre LXII , p. 709. )

A madame Monlagne , grande servante de Dieu, au comté de Narni.

De l'amour sensuel touchant les choses spirituelles.

Ma très-chère et bien-aimée Mère en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , &c. Je vous écris en son précieux sang par un désir de vous voir embrasée du feu divin de la charité , afin

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que vous puissiez reconnaître comment ceux qui sont brûlés de ce céleste amour ne se cherchent pas eux-mêmes , mais n'aiment que Dieu pour lui , en tant qu'il est une bonté sou- veraine, digne d'amour et d'éternelle adoration ; ce même feu dissipe l'amour des choses du monde , parce qu'il fait voir en quelle sorte les biens de la vie présente sont des instruments de mort et capables de donner la mort à l'âme qui les possède avec dérèglement d'affection : voilà pourquoi elle s'en éloigne et en retire sa pensée , afin qu'étant obligée par nécessité d'attacher sa volonté à quelque objet , elle tourne son affec- tion à la vertu ; mais après avoir consumé toute l'inclination que l'on pourrait avoir envers les biens temporels, souvent il demeure encore dans l'âme une certaine affection sensible pour les choses spirituelles , ou un amour spirituel pour les créatures et bien souvent envers le Créateur , parce que l'un est toujours accompagné de l'autre , puisque nous aimons Dieu de la même espèce d'amour dont nous aimons les créa- tures raisonnables ; mais nous pourrons reconnaître qu'il est sensuel , lorsque nous aimerons notre consolation , et qu'à faute de le ressentir en notre intérieur , nous cesserons de travailler pour le salut du prochain ; ou bien quand nous ne sentirons pas la môme satisfaction pour la paix de notre âme, que nous avions accoutumé de ressentir en cela, ou aux autres actions spirituelles que nous faisons par devoir ou par dévo- tion , ou bien lorsqu' aimant une créature d'un amour spiri- tuel , on ressent quelque méfiance de n'en être point aimé de la même façon qu'on aime, ou quelque sentiment de jalousie, si elle faisait paraître plus d'affection à un autre qu'à nous. Dieu eu ce cas en sent du trouble ou quelque amoindrisse- ment d'affection, sans apparence d'humilité , c'est une preuve de l'amour que l'âme a pour soi-même, et tout cela témoigne que cet amour spirituel n'est pas pur et entier envers la créature; mais quant à l'amour du Créateur, nous pouvons juger de sa pureté, s'il arrive que nous soutenions des assauts ou que les consolations ordinaires ne nous soient pas données

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avec tant d'abondance comme nous avions accoutumé et que l'âme se laisse gagner à la mélancolie ; et du moment qu'elle discontinue ses exercices de l'oraison ou autre action de vertu , c'est un signe sans doute que son amour envers Dieu est entièrement mercenaire et qu'elle n'aime Dieu que pour sa consolation.

Je dis donc que le feu d'une pure charité brûle et consume tous ces manquements et qu'il rend son amour parfait; l'âme ne refuse point alors le travail et se plaît au pied de la croix en la compagnie de l'humble Agneau immaculé ; c'est un feu qui fait de grands changements dans nos âmes , parce qu'il les raffine et les purifie, en telle sorte que le corps n'y a point de part ; elle a des yeux pour voir sans voir , elle n'entend rien de tout ce qu'on lui dit , elle parle sans ouvrir la bou- che , elle va sans changer de place , elle touche sans toucher, à cause que les sentiments corporels semblent être soumis à la charité et que leur vertu semble éteinte , laquelle est toute en Dieu qui a attiré à soi tout ce mouvement d'affection. De vient qu'elle n'opère plus au corps elle réside , mais seulement en Dieu avec qui elle est unie plus parfaitement qu'avec, le corps même qui la fait vivre; et ensuite de celle attraction , Dieu gouverne les puissances et les facultés de l'âme , remplissant la mémoire du souvenir de ses bienfaits , l'entendement de la connaissance de son amour , ce qui attire la volonté à l'amour de son souverain bien : c'est pour lors que l'âme sent un bel ordre en soi et qu'elle goûte le lait des douceurs divines au milieu des persécutions du monde et des tentations de Satan , parmi lesquelles nous disons avec le glorieux saint Paul , « que nous nous glorifions en Jésus- Christ. » Telles sont les règles de l'âme , qui n'établit pas sa perfection aux consolations spirituelles , ni aux révélations , ni encore à mortifier l'extérieur de son corps par des macé- rations et des austérités , mais bien â mortifier sa propre vo- lonté , puisque c'est en cela que consiste sa perfection ; aussi la jcttc-t-elle dans la fournaise de la divine charité elle

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la brûle et la consume entièrement ; ce sont les fruits de la charité divine; mais voyons en quelle sorte nous pourrions l'acquérir. Nous avons déjà satisfait à ceci en écrivant à quel- ques autres personnes , et avons fait voir que cette charité s'acquiert par l'exercice de la foi , qui est la prunelle de l'œil de l'entendement , parce que celte lumière fait voir quel doit être l'objet de notre amour et quel objet de notre haine : nous aimons à mesure que nous connaissons; nous aimons, dis-je , ce que nous voyons en être digne selon la divine bonté , et nous avons de l'aversion pour notre propre misère et pour ce qui nous y entretient , c'est-à-dire pour le péché ; c'est la foi qui nous donne ces connaissances et conséquem- ment qui augmente cet amour , comme aussi l'amour aug- mente la foi, parce que l'une de ces vertus accompagne l'autre et la tient par la main : la source de l'un et de l'autre est en nous , puisque Dieu nous a fait ce que nous sommes par un mouvement d'amour qu'il eut pour nous, et c'est par ce même amour qu'il nous a redonné la vie spirituelle de la grâce par le mérite de la croix ; nous sommes comme des vaisseaux qui avons reçu l'abondance du sang sur nous , et qui nous a lavés. Entrons donc en connaissance de nous-mê- mes et cherchons en nous les preuves de cette divine charité , afin de l'aimer comme il nous aime , ainsi qu'il nous l'a fait connaître , puisque c'est la charité qui conserve la grâce en nos âmes et qui donne le prix à toutes les vertus. Je prie la bonté du Saint-Esprit d'opérer ceci dans nos âmes par sa grâce , afin que sa bonté soit glorifiée en nous , passant notre vie dans la méditation des fautes que nous avons commises , et lui offrant le sacrifice de nos prières pour le bien de la sainte Église et le salut de tous les hommes. Noyez-vous dans ce sang de l'Agneau; je ne dis plus rien, demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Je me recommande à vous en toute humilité. Doux Jésus , Jésus amour! (Lettre XY1, p. 768. )

t. v. 22

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A madame Agnès de Toscenella , servante de Dieu adonnée à de grandes morlificalioDS.

Au nom de Jésus-Christ et de la douce Marie.

Du fondement de la perfection.

Ma très-chère Sœur en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ, je vous écris en son précieux sang , par le désir de vous voir faire un vrai et solide fondement sur lequel on puisse bâtir un tel édifice , qu'il n'y ait ni vent ni orage qui le puisse abattre ou ébranler. Ne vous étonnez pas si je parle de cette sorte ; car, avoir ce que je dis , il semble que nous commençons seulement à jeter les premières pierres de ce fondement , parce que l'âme doit commencer chaque jour d'y travailler. Mais voyons en quelle façon et en quel lieu il s'y faut employer : je ne puis pas dissimuler que la médita- tion de nous-mêmes ne soit le lieu le plus propre et le seul ce bâtiment puisse être fondé , si , instruits par la foi , nous arrachons avec les mains d'une sainte aversion toute l'inclination que nous avons au mal et aux voluptés du siècle, qui est une terre qui ensevelit l'âme fidèle , et si nous rem- plissons ce creux de bonnes et solides vertus par le moyen de nos désirs et de l'affection que nous exciterons en nous- mêmes de bien vivre et de pratiquer la vertu. Nous bâtirons sur ce fondement un grand désir de la gloire de Dieu et du salut des âmes , prenant la doctrine de ce doux Agneau pour patron de cet édifice, en laquelle il nous enseigne de l'aimer. Voilà pourquoi l'âme chrétienne emploie tout son temps à exterminer sa propre volonté , afin de n'aimer que le bon plaisir de Dieu. Mais je vous dirai en ceci ce que j'ai écrit à quelques autres serviteurs et servantes de Dieu , que notre volonté peut être éteinte en nous quelquefois â demi , lors-

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que nous avons perdu tout le plaisir des choses temporelles ; mais il arrive aussi qu'elle règne encore en nous, touchant les douceurs spirituelles : ce que nous ne devons pas prati- quer en cette sorte , et plutôt il faut entièrement chercher la gloire de Dieu et l'anéantissement de nous-mêmes en tout ce qni nous regarde ; parce que Dieu est notre médecin et nous sommes les malades qui devons suivre ses ordres de point en point. Il faut bien dire que l'âme qui veut se gouverner à sa mode est bien ignorante; il semble qu'elle veuille savoir plus que Dieu, encore qu'elle ne s'aperçoive pas de son erreur; mais cela est ainsi , parce qu'elle est abusée d'une si fausse opinion , qu'il lui semble être plus agréable à Dieu , vivant à sa mode , que selon l'ordre qu'il a établi , d'où bien souvent elle tombe en de grands manquements : ce qui procède de l'affection qu'elle a conçue pour ses propres consolations, et pour y avoir établi tout son fondement : il s'en trouve quel- ques-uns qui se nourrissent de visions et de révélations , ils trouvent de grandes douceurs tandis qu'ils les reçoivent ; mais quand elles viennent à manquer , ils ont peine à se contenir en leur devoir. Ce fondement n'est pas bon, parce qu'ils croient que ces révélations seront de Dieu, et il pourra arriver qu'elles seront' de Satan , lequel a cette finesse de prendre les âmes par l'hameçon qu'il trouve le plus propre pour les abuser. Il peut arriver néanmoins que Dieu nous fera part de ses consolations spirituelles; non pas afin que nous nous arrêtions à ces douceurs sensibles , mais afin de nous attirer soi et à son amour , comme à la cause et à la source de ces douceurs , plutôt qu'aux douceurs mêmes. En une au- tre saison il nous en privera et permettra que nous souffrions de grands combats ou nous laissera en des sécheresses spi- rituelles qui nous jettent en de grandes inquiétudes jusqu'à un tel point, qu'il semble à l'âme qu'elle a entièrement perdu son Dieu , lorsqu'elle a perdu ce qui lui agréait; mais la pro- vidence divine permet tout ceci , afin de la retirer de son im- perfection et de l'appeler à une plus grande pureté de vie , ou

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afin de lui ùter la complaisance qu'elle prenait aux consola- tions , et l'instruire aux bons désirs qu'elle doit exciter en soi et qui doivent servir de fondement «à sa perfection. J'ai dit ailleurs que plusieurs aussi peuvent être abusés par les mor- tifications extérieures , lesquels mettent plus de peine à faire mourir le corps que la propre volonté , au lieu qu'il faut faire entièrement mourir la volonté , et se contenter de quel- que mortification raisonnable pour la partie extérieure. Ce fondement n'est pas très-propre pour un grand édifice , ou plutôt i\ est dangereux et pernicieux à l'âme. Voilà pour- quoi il ne faut pas en faire un fondement, mais on s'en doit servir comme d'un appui et d'un secours , logeant toute no- tre espérance en la charité et aux vertus intérieures de l'âme, lesquelles ne se perdent jamais, et dont l'exercice ne peut pas être empêché parla diversité des occasions nipar lechan- gement des lieux. Nous devons employer la pénitence comme un instrument, afin d'obtenir les vertus, mais non pas en qua- lité.d'objet et de fin de notre vie ; et ceux qui ne suivent pas ce conseil sont sujets à souffrir beaucoup de peine et à recueil- lir peu de fruit : ils sont prompts à se plaindre et à murmu- murer, jusqu'à blâmer les personnes qui veulent prendre un autre chemin, parce que tous les autres chemins leur déplai- sent et ne les croient pas propres à leur salut. Ils voudraient prescrire des lois au Saint-Esprit , qui nous appelle à soi par diverses voies , les uns par la pénitence et mortification plus grande ou inoindre selon les forces et le pouvoir d'un chacun , et les autres par des désirs et des transports d'affec- tion et d'amour. Ce sont ceux-ci qui profitent le plus , qui courent éclairés et sans peine , et desquels la volonté est en- tièrement éteinte, ne se mêlant point de faire jugement de leur prochain , mais qui se réjouissent de voir la diversité des moyens que Dieu donne à ses serviteurs , voyant bien qu'il y a divers appartements dans la maison de notre Père , et qu'il y a bien de quoi récompenser ceux qui le servent. 0 ma chère Sœur , ne croyez pas que je dise ceci comme vou-

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lant blâmer la mortification ni les austérités corporelles , tant s'en faut, que plutôt je vous en recommande l'usage , pourvu qu'elles soient pratiquées comme par voie ou moyen de la façon que nous avons écrit ; parce que nous devons poser pour base et fondement la connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu en nous, purement et simplement. Vi- vons au pied de la croix , nous trouverons les lois d'une très-parfaite charité , exposant notre personne et nos affec- tions à la contradiction et aux tourments : ce sera ainsi que nous suivrons la doctrine de Jésus crucifié, cherchant tous les moyens que nous pourrons avoir de lui plaire ; et voyant que cela ne peut pas être tant que la volonté propre vivra en nous, tout notre soin s'emploiera pour la faire mourir,, comme n'ayant autre chose en recommandation que de nous revêtir des vertus. Que si Dieu envoie quelque consolation spirituelle par soi-même ou par l'entremise des créatures, l'esprit s'humilie et la reçoit avec action de grâces , en se re- connaissant indigne de cette faveur : l'âme reçoit aussi avec patience les troubles et les tentations , reconnaissant que toutes ces choses sont disposées par sa bonté , afin de la con- duire à la perfection qu'elle désire pour la gloire de son nom. Lorsque les actions de pénitence et de mortification sont in- terdites pour quelque raison que ce soit, pour cela l'esprit n'en perd pas la quiétude, parce qu'aussi bien il n'avait pas établi son fondement sur cela, mais en la seule affection de la cha- rité; ce qui ne se trouve pas en ceux qui ont posé leur établis- sement en ces actions extérieures et qui, voulant conserver leur volonté tout entière , souffrent des peines extrêmes lorsqu'ils les perdent, ou qu'il les faut laisser, ou que par faiblesse de complexion ils ne peuvent pas les continuer -, ils tombent en des impatiences et des tourments d'esprit qui les conduisent à l'imperfection et à plusieurs manquements au lieu d'arriver à la perfection. Etablissons donc notre fondement en quel- que chose qui soit solide, ma chère Sœur, telle qu'est la con- naissance de nous-mêmes et le désir des vertus que nous ne

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pouvons pas perdre ; parce qu'il est impossible autrement que nous offrions avec profit à Dieu nos plaintes et nos soupirs en faveur des hommes et de la sainte Eglise , laquelle nous voyons à présent travaillée par une si grande variété de fâ- cheux accidents. C'est ce que je vous prie , pour l'amour de Jésus crucifié, de vouloir faire et de ne procéder pas avec indiscrétion , faute d'avoir l'instruction nécessaire , mais de vous efforcer d'éteindre votre propre volonté , afin qu'elle ne cherche autre chose que Dieu , de la façon qu'il lui plaira se donner à vous, selon son bon plaisir et non pas à votre fan- taisie : de quoi je ne vous dis rien de plus. Quant au con- seil que vous me demandez touchant le voyage du saint sé- pulcre, il me semble que le temps présent ne le permet pas , et je crois que la volonté de Dieu exige plutôt que vous de- meuriez en ce pays et que sans cesse vous le priiez du plus profond du cœur, avec regret et sentiment de douleur pour les offenses qui se commettent tous les jours contre sa Ma- jesté , particulièrement par les hérésies qui se sont élevées contre la vérité de la foi et contre le pape Urbain YI qui est le vrai et légitime vicaire de Jésus-Christ, ainsi que je le maintiens et le déclare devant Dieu et tout le monde. Abîmez- vous dans le sang répandu pour vous avec tant d'amour , et pardonnez-moi si j'ai pris la hardiesse de parler avec tant de présomption. Priez Dieu pour le Christ en la terre et pour moi , afin qu'il me fasse la grâce que je perde la vie pour son service et pour la vérité. Demeurez en la sainte et douce di- lection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour! (Lettre XVII, page 770. )

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A Anne Bénincaze sa nièce j à Florence.

Au nom de Jésus crucifié et de la douce Mûrie.

Quelles sont les Vierges sages reçues de Dieu.

Ma bien-aimée Fille en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine , servante, &c. Je vous écris en son précieux sang , par le désir de vous voir une vraie épouse de Jésus cru- cifié et éloignée de tout ce qui peut vous faire perdre un si doux et si agréable époux. Toutefois , vous ne devez pas pré- tendre à cette faveur, si vous n'êtes du nombre de ces vier- ges sages consacrées à Jésus-Christ cjui avaient leurs lampes allumées et pleines de bonne huile; et partant, pour être une digne épouse , il vous faut avoir la lampe , l'huile et la lu- mière. Mais savez-vous en quelle sorte ceci doit être entendu , ma Fille ? Par la lampe, il faut entendre notre creur , lequel est , en effet, formé en façon d'une lampe large par le haut et étroite par le bas; telle est la figure de notre cœur , afin de faire connaître que nous le devons toujours tenir ouvert du côté du ciel pour en recevoir les saintes pensées et y en- voyer nos prières accompagnées de la méditation de sa sainte Passion et du sang qu'il a répandu pour nous qui est un bienfait que nous ne devons jamais oublier, afin d'en rendre une juste reconnaissance , voyant comme Dieu a fait une si grande estime du salut des hommes qu'il a voulu donner son Fils à la mort pour lui obtenir la rémission de ses péchés. J'ai dit que la lampe est étroite par le bas et en cela aussi sem- blable à notre cœur qui doit être difficile à recevoir les choses basses de ce monde, sans les aimer avec passion, n'en désirer plus qu'il ne plaira à Dieu de nous en donner , mais être tou- jours en action de grâces, voyant en quelle sorte il pourvoit à tout sans que jamais rien ne nous manque du nécessaire; c'est par ce moyen que notre cœur sera une vraie lampe.

3U ESl'ftIT

Mais souvenez-vous , ma Fille , que cette lampe doit être pleine d'huile ; cette huile nous fait connaître cette petite vertu de l'humilité, parce que l'épouse de Jésus-Christ doit être humble, débonnaire et patiente , puisque ces deux ver- tus se font compagnie l'une à l'autre.

Nous n'obtiendrons toutefois cette humilité , que par la connaissance de nous-mêmes et de notre faiblesse , voyant en quelle sorte nous ne pouvons rien , ni faire aucun bien ni aucun acte de vertu , non plus que de sortir du mal par aucun trait de résolution; parce que si cela était en notre pouvoir, et s'il nous était possible d'éviter une tentation ou d'échapper à une maladie ou à un travail , jamais nous ne voudrions y être engagés. Ce qui nous fait bien voir que, quant à nous , il n'y a que misère , qu'infirmité , désolation, ce qui nous doit être une belle leçon d'humilité : néanmoins , puisque ce ne serait pas assez de s'arrêter à cette seule connaissance , laquelle jetterait l'âme dans le chagrin et peut-être dans le désespoir , voyant sa faiblesse, à quoi Satan serait bien aise de nous solliciter , il faut après considérer les merveilles de la bonté divine en nous , touchant la création et la rédemp- tion et les autres effets de sa bonté et de sa providence. Et de peur que cette connaissance ne nous donnât quelques mouvements de présomption, il faut mêler l'une avec l'autre, penser d'un côté à la bonté de Dieu , et d'ailleurs à notre mi- sère. Par ce moyen nous nous exercerons en toute sorte de vertus, de l'humilité, de la patience, et de la douceur qui est l'huile excellente pour remplir la lampe de nos âmes.

Mais avec cela il faut allumer cette lampe et faire en sorte qu'elle éclaire , ce qui arrivera si nous la faisons briller par une sainte foi éclairée de bonnes œuvres , autrement c'est une foi morte. Voilà pourquoi il faut toujours s'avancer en la vertu ; et , délaissant nos actions et nos jeux d'enfance et nos vanités , n'être pas comme jeunes et mondaines , mais vivre ainsi que les épouses fidèles consacrées à Jésus-Christ.

Je veux bien que vous sachiez toutes, que ce doux

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époux Jésus-Christ est grandement jaloux de ses épouses et qu'il se fâchera contre vous , s'il s'aperçoit que vous aimiez quelqu'un avec lui; et si vous ne vous amendez de vos dé- fauts , la chamhre le divin Epoux fait la noce avec ses épouses ne vous sera pas ouverte, mais nous serons mises dehors comme des adultères ; de même façon que ces cinq vierges que l'Ecriture appelle folles , lesquelles faisant gloire de leur virginité seulement, perdirent la pureté de l'àme , par le mauvais usage des cinq sens corporels, et cela par faute d'avoir l'huile de l'humilité sans laquelle leurs lampes furent vides. Voilà pourquoi il leur fut dit : Allez acheter de l'huile. En ce lieu, il faut entendre , par l'huile, les louanges et les vanités du monde , comme une marchandise que les hommes vendent , et il faut entendre cette correction, comme s'il leur eût été dit : Vous n'avez pas prétendu acquérir la vie éternelle , ni vous rendre agréables à Dieu par votre vir- ginité ; mais tout votre dessein n'a été qu'à la vanité des louanges et à la honne opinion des hommes. C'est tout ce que vous avez voulu acheter. Aussi n'aurez-vous jamais d'entrée en ce lieu-ci. Voilà pourquoi , ma Fille , évitez la louange et le bruit des hommes, et ne recherchez point de gloire pour aucune action que vous puissiez faire , parce que la porte de la vie éternelle ne vous sera pas ouverte : c'est ce qui m'a obligé à vous dire que je voudrais vous voir une vraie épouse de Jésus crucifié , et c'est à ceci que je vous prie et recom- mande de travailler. Je n'en dirai pas davantage : demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus , Jésus amour. (Lettre XXV , page 780. )

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A Madame Laodémie , épouse de Charles Slrozzi > à Florence.

Au nom de Jésus-Christ crucifié et de la douce Marie.

De la consolation qui se trouve au service de Dieu.

Ma bien-aimée Sœur en mon doux Jésus-Christ ,

Catherine, servante et esclave des serviteurs de Jésus- Christ. Je vous écris en son précieux sang pour un désir de vous voir une vraie servante de Jésus crucifié, à qui servir c'est régner; afin qu'étant servante d'un si bon maître, vous soyez retirée de la tyrannie du péché , et qu'étant hors des ténèbres , vous entriez en la lumière et acquériez la paix et la tranquillité de votre âme ; vous nourrissant de la viande de cet Agneau divin , qui fut consumé sur le bois de la croix par le feu de l'amour de son Père et de notre salut , qui donne assurance à l'homme et le délivre de toute crainte servile. Vous voyez bien que c'est une grande douceur de servir Dieu et que nous devons nous donner à lui d'une sincère affection. Mais prenez garde que le Seigneur ne veut pas être servi à demi et ne veut point de compagnie , parce que le parfait service de Dieu est incompatible avec le service du monde ; puisque le monde donne des affections déréglées et débauche toutes les fonctions de l'âme , qui à la fin se voit chargée de honte et de confusion , perdant sa dignité , et engageant sa franchise entre les mains de Satan et de ses suppôts , nous sommes faits les esclaves du péché et réduits au néant , éloi- gnés de celui à qui il appartient d'être souverainement. C'est donc notre devoir de renoncer au monde et de suivre le ser- vice de Dieu. Mais d'où vient celte contrariété qui se trouve entre Dieu et le monde? parce que les lois de Jésus-Christ enseignent à le servir avec une pauvreté d'affection : et en cas que Dieu envoie les richesses à ses serviteurs , s'ils les pos- sèdent en effet, ils doivent s'en éloigner d'esprit, et c'est leur

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devoir de se détacher intérieurement de tous les biens delà terre.

Le monde recherche l'ambition , et Dieu aime l'humilité ; aussi nous voyons que cette vertu lui est si agréable qu'il s'est humilié lui-même jusqu'à nous. Il nous convie à la mo- dération parmi toutes les affaires du monde , avec foi et espé- rance en son nom , et à pardonner pour l'amour de lui les offenses qui nous peuvent être faites. Le monde publie des lois toutes contraires , car il veut se venger et conserver la haine et l'aigreur dans le cœur contre son prochain. Notre foi et notre espérance doivent être posées en Dieu qui est une es- sence immuable et non pas aux créatures. Nous devons gar- der une éternelle fidélité à Jésus-Christ crucifié pour nous et non pas suivre les appétits de la sensualité , afin d'avoir une foi vive qui conçoive et enfante les fruits des vertus et des bonnes et saintes pensées. Dieu enfin aime la justice , et le monde ne travaille qu'à l'injustice. Faisons donc une sainte justice de nous-mêmes lorsque la partie sensuelle voudra se révolter contre son Créateur. Que l'homme s'excite à des mou- vements d'amour et que la conscience accuse cet appétit dé- réglé aux pieds de son Seigneur qui est le libre arbitre , maî- tre des affections de l'âme. Qu'il le tienne captif et lui coupe la gorge avec le tranchant de l'amour divin; c'est ainsi que nous devons vivre , ma chère Sœur, si nous voulons être des servantes fidèles , parce qu'étant en ce service nous serons maîtres et seigneurs. Mais , après avoir vu la misère de ceux qui servent ce monde, et la cause de la différence qui se trouve entre Dieu et le monde, et en quelle sorte Dieu aime la vertu, exerçons-nous donc au saint désir de fuir le péché , parce quel'àme offense dès lors qu'elle n'aime pas ce qui est agréa- ble à Dieu. Dépouillons notre cœur de toute sorte de vanités et de tant d'excès et de violence d'amour que nous avons pour les choses qui nous appartiennent. Aimez vos enfants et tout ce qui est dans la famille comme vous aimeriez ce qui vous est donné en prêt, puisque nous n'avons que l'usage de tous les

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biens du monde qui ne sont entre nos mains qu'en tant qu'il plaît à Dieu de nous en laisser la disposition. C'est une affec- tion bien déraisonnable de vouloir posséder ce qui n'est pas à nous, comme s'il nous appartenait. La grâce de Dieu est à nous, et comme telle nous devons la posséder. Nous pouvons bien croire qu'il en est ainsi puisqu'il n'y a rien qui puisse la ravir, et il faut dire que celui-là est bien ignorant qui se prive pour son plaisir d'un si précieux trésor. Tenez-la donc bien cber, puisqu'elle est de telle valeur, et afin de la pouvoir con- server avec, plus d'assurance , mettez-vous à l'abri dans les plaies de Jésus crucifié et arrosez-vous de son précieux sang. Je n'en dirai pas davantage. Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour!

A Néri de Landoccio , à Pise. Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie.

Du moyen de s'embraser en l'amour de Dieu.

Mon très-doux et bien-aimé Fils en Jésus-Christ,

Catherine, &c. Je vous écris en son précieux sang par un désir de vous voir transformé par le feu d'une très-ardente cbarité , en telle sorte que vous soyez un vaisseau de dilec- tion propre à publier la parole de Dieu avec la grandeur des mystères qu'elle contient en la présence de notre aimable Christ en terre , et que vous puissiez si bien opérer pour lui , que vous fassiez quelque fruit embrasant les cœurs et les remplissant de courage.

Pour faire heureusement ce que je désire, je veux, mon cher Fils , que vous ayez devant les yeux Jésus crucifié, parce qu'il est cette source l'àme s'enivre et d'où elle attire de saints et amoureux désirs , lesquels vous devez répandre en faveur de toute l'Eglise et pour la gloire de Dieu et le salut de tout le monde. Si vous faites ce que je vous conseille, vos

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paroles seront semblables à des flèches embrasées, qui, étant tirées du feu et lancées contre quelque objet, embrasent tout ce qu'elles rencontrent. Croyez bien , mon Fils , que si votre âme entre dans la fournaise du feu de l'amour divin, il faudra, par nécessité , que vous donniez de ce que vous aurez res- senti , et que le feu dont vous serez embrasé , échauffe tous ceux qui s'approcheront de vous. Vous y apprendrez l'amour de la vertu et la haine contre votre sensualité, et l'affection pour les âmes et pour la gloire du Père éternel , parce que c'est tout ce qui se trouve dans cet objet divin du Fils de Dieu. Vous verrez ceci bien clairement si vous considérez toutes les actions de sa vie. Vous verrez qu'il mourut par le désir qu'il eut du salut des âmes après que ce même désir eut tiré le sang de son corps sacré par une sueur miracu- leuse au jardin des Oliviers. Et comment se pourra-t-il trou- ver un cœur assez endurci qui ne se ressente de cette chaleur et qui ne se fende parmi les excès d'un si divin amour ! En le considérant de celte sorte , il faut nécessairement qu'il s'embrase comme du lin jeté dans le feu. C'est ainsi que l'âme qui considère l'affection de son Créateur est convertie en lui et obligée à l'aimer de môme façon qu'elle se voit aimée. C'est que nous consumerons toute l'humeur vicieuse de l'ainour-propre et que nous serons transformés par le feu du Saint-Esprit. Mais pour connaître l'effet de cet amour en nous, il faut prendre garde si nous aimons ce que Dieu aime., parce que cela est infaillible, que si nous aimons Dieu, nous aimerons ce qu'il aime et aurons de l'aversion pour ce qui lui déplaît. Voilà pourquoi mon âme désire de voir cette union en vous et que vous soyez uni et transformé en Dieu par le feu de la divine charité autant qu'il vous sera possible, mon cher Fils , afin que la volonté de Dieu soit accomplie en vous et la mienne aussi, qui suis votre chétive et misérable mère (1).

(I) Elle s'appelle mère, parce qu'elle était supérieure du liers-orJre , et que celui à qui elle écrit en était membre.

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Demeurez en la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jé- sus , Jésus amour ! ( Lettre XLYIII. )

A Jean Trente cl à sa femme , à Lticques. Elle les exhorte à l'imitation de Jésus-Christ.

Mon très-cher Frère et Fils Jean en Jésus-Christ ,

Catherine, &c. Je vous donne la bénédiction et vous exhorte à prendre courage au sang précieux du Fils de Dieu ; j'ai un extrême désir de vous voir, mon Fils bien-aimé, et toute votre famille et particulièrement votre épouse, de vous voir, dis-je, tellement unis et attachés à la vertu , que ni les démons ni pas une autre créature ne vous en puissent séparer.

0 mes enfants et mon Fils bien-aimé , ne trouvez pas diffi- cile ni malaisé de faire quelque chose pour l'amour de Jésus- Christ. Oh! que ce serait une grande ignorance, misère et faiblesse de courage , de voir Jésus-Christ, qui est une sou- veraine grandeur, humilié à notre bassesse et ne penser pas à s'humilier ! Ne voyez-vous pas le pauvre petit Jésus-Christ couché dans une petite crèche , entre deux pauvres animaux , qui méprise toute sorte de pompe et de gloire mondaine ! ce qui oblige saint Bernard de dire pour recommander l'humi- lité et la pauvreté de Jésus-Christ et pour confondre notre ambition : « Aie honte , ô homme ambitieux qui cherches les honneurs et les pompes du monde : tu avais peut-être ima- giné que ton roi devait être pompeusement logé et avoir une belle troupe de courtisans sa suite ! » Ce n'est pas ce que demande la souveraine Vérité , mais il choisit à sa naissance une si extrême pauvreté qu'il avait peine de trouver de petits haillons pour être revêtu , et parce que le temps était froid à sa naissance , le souffle de deux animaux servait à le réchauf- fer , et sur la fin de sa vie il fut en telle nécessité, qu'étant sur l'arbre de la croix , il n'avait pas un lieu pour reposer sa tête, ainsi qu'il disait de soi-même : Les oiseaux ont leurs

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nids et les renards leurs tanières , et le Fils de l'Homme n'a pas reposer sa tête. 0 misérables que nous sommes ! Sera- t-il bien dit que nos cœurs soient si fort enveloppés dans la terre qu'ils ne puissent pas être émus à compassion et qu'ils ne rompent tous les artifices de Satan et ne méprisent tout ce que les hommes pourraient jamais dire ? Mettez-vous donc en état, mon Frère et ma Sœur, pour marcher généreuse- ment après les vestiges de notre doux Sauveur, qui vous dira cette douce parole : Approchez-vous, mes enfants bien-aiinés, qui avez laissé, pour l'amour de moi, les appétits désordonnés de la terre : je vais vous combler des biens du ciel , je vous donnerai cent pour un et la possession de la vie éternelle. Et quand est-ce que la première Vérité vous donne cent pour un ? C'est quand il répand dans vos âmes lès douceurs de sa très- ardente charité ; c'est ce que nous devons estimer cm?, par lequel nous espérons la vie éternelle. Je vous prie donc amou- reusement, que vous alliez toujours croissant et de ne rien relâcher de votre bon propos et des saints désirs que Dieu a inspirés à votre âme ; c'est ainsi que je désire que vous fas- siez; je n'en dirai pas davantage. Je prie Dieu qu'il vous donne son éternelle bénédiction , et moi qui suis sa servante inutile je me recommande à vous et à Jeanne de Pazzi et à toutes les autres , suppliant sa bonté, que nous puissions tou- tes mourir embrasées d'amour. Doux Jésus , Jésus amour ! (Lettre dernière.)

EXTRAITS DE SES DIVERS TRAITÉS

ou Dialogues entre elle et Dieu.

Comment l'àme peut s'unir avec Dieu.

Celui qui se trouve pénétré d'un très-grand désir pour l'honneur de Dieu et le salut de son âme doit avant tout s'exer-

352 ESPRIT

cer pendant un certain temps à l'habitude de la vertu et à la connaissance de soi-même pour mieux connaître la bonté de Dieu en soi; parce que la connaissance amène l'amour et l'amour porte à suivre la vérité ; mais dans aucun cas l'âme qui veut goûter la vérité et en être éclairée ne le peut autre- ment que par le moyen de la prière humble et continuelle , fondée sur la connaissance de soi-même et de Dieu ; car l'orai- son , en s'y adonnant en la manière que je viens de le dire, unit l'âme à Dieu , suit les vestiges et les exemples du Christ crucifié, et ainsi, par désir , par affection, par union d'a- mour, Dieu en fait un autre lui-même, c'est ce que Jésus- Christ a dit par ces paroles : Si quelqu'un m'aime et garde ma parole, je me manifesterai à lui et il sera une même chose avec moi et moi avec lui (Jean, 1-4-23); et dans plusieurs autres endroits nous trouvons aussi de semblables paroles par lesquelles nous pouvons voir qu'il est très-vrai que l'âme par l'union d'amour devient un autre lui-même. ( Tr. de la Discr., ch. 1. )

Que les œuvres finies en elles-mêmes ne peuvent suffire sans la vraie charité pour satisfaire ou être récompensé.

D'abord je veux que vous sachiez, ma Fille, lui disait le Seigneur , que toutes les peines que supporte ou que peut supporter l'âme dans cette vie , ne peuvent suffire à punir la moindre faute, parce que les offenses qu'on me fait, deve- nant infinies, demandent une satisfaction infinie; c'est pour- quoi je veux que vous sachiez que toutes les peines qui sont envoyées pendant la vie ne sont pas destinées à être une pu- nition , mais une correction , et pour châtier seulement mes enfants quand ils m'offensent; mais ce qui est vrai , c'est que l'âme satisfait par le désir et par la vraie contrition et détes- tation du péché ; la vraie contrition satisfait pour la faute et pour la peine , non par une pénitence finie qu'elle pratique , mais par un désir infini : parce que Dieu qui est infini , veut

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un amour et une douleur infinis : il veut une douleur infinie de deux manières , l'une de la propre offense qu'elle a com- mise contre son Créateur ; l'autre de l'offense qu'elle lui voit faire par son prochain; mais pour tout cela il faut avoir un désir infini uni à moi par un désir d'amour pour moi , et être affligé quand on m'offense ou qu'on me voit offensé : que s'il en est ainsi, toutes les peines, soit spirituelles, soit corpo- relles , de quelque part qu'elles lui viennent, acquièrent un mérite infini et satisfont pour la faute qui aurait mérité une punition infinie , bien que l'acte ait été fini et fait dans un temps fini aussi : mais puisque la vertu a été pratiquée ou la peine soutenue par désir, par contrition de cœur et déplaisir infini de la faute , alors elle a du prix à mes yeux ; c'est ce que prouve saint Paul , lorsqu'il dit : Quand je parlerais le langage des anges , quand je posséderais la science des choses futures, quand je donnerais tout mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien ( 1 Cor. 13-1 ). Par le glorieux Apôtre démontre que l'opération finie n'est pas suffisante, sans l'assaisonnement de l'ardeur de la charité pour punir ou pour récompenser (Tr. de la Discr., ch. III, p. 4).

Combien est agréable à Dieu le désir de souffrir quelque chose pour lui.

Rien ne m'est plus agréable (lui disait le Seigneur) que le désir de vouloir souffrir toutes les peines et les fatigues de la vie jusqu'à la mort, par amour pour moi et pour le salut de l'âme; plus quelqu'un supporte de peines pour moi , plus il prouve qu'il m'aime; plus il m'aime, plus il connaît ma vérité; plus il la connaît , plus il ressent de peines et de dou- leurs intolérables des offenses qui me sont faites. Vous me demandez d'avoir souffrir et à punir sur vous seule tous les péchés des autres , et en me faisant cette demande vous ne vous apercevez pas que vous me demandez l'amour , la lu- mière et la connaissance de ma vérité, puisque je vous ai t. y. 23

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déjà dit que plus l'amour est grand, plus la douleur et la peine augmentent , car qui croît en amour, croît en douleur. Or, je vous déclare que ce que vous demandez vous sera donné; je ne refuse jamais la vérité à qui me la demande ; mais pen- sez que l'union d'amour avec la charité divine est si grande , qu'est grande aussi l'union de l'àme avec la patience parfaite. De sorte que ce que l'un souffre, l'autre le souffre en même temps. Par conséquent, en choisissant de m' aimer, l'àme doit choisir aussi de supporter par rapport à moi toutes les peines, quelles qu'elles soient et de quelque cause qu'elles provien- nent : la patience ne se prouve que dans les peines, et la pa- tience est unie avec la charité , comme je l'ai déjà dit. Il faut donc que vous supportiez courageusement toutes les peines , autrement vous ne serez pas et vous ne prouverez pas que vous êtes les épouses de ma vérité , ni mes fidèles enfants , ni que vous recherchez mon honneur et le salut des âmes. (Chap. V, p. 2.)

Similitude pour prouver comment la charité , l'humilité et la discrétion sont unies ensemble et comment l'àme doit se conformer à cette similitude.

Voici comment sont unies ces trois vertus : représentez- vous que vous avez un grand cercle placé sur la terre , et qu'au milieu de ce cercle s'élève un arbre avec un rejeton à côté qui est uni à lui : l'arbre se nourrit de la terre que con- tient l'espace de ce cercle ; et , s'il était hors de la terre , l'arbre mourrait et ne porterait aucun fruit jusqu'à ce qu'il fût replanté dans la terre. Or , sachez que l'àme qui est faite par amour , ne peut vivre d'autre chose que d'amour ; si bien que si l'àme ne vit point de l'amour divin et de la parfaite charité , elle ne peut produire aucun fruit de vie , mais seule- ment des fruits de mort. Il faut que la racine de cet arbre , c'est-à-dire les affections de l'âme , retirent leur nutrition et leurs forces du cercle de la vraie connaissance de soi-même, laquelle connaissance de soi est unie avec celle de moi-même

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(c'est Dieu qui parle à son épouse), de moi qui n'ai ni prin- cipe ni fin , comme le cercle lui-même qui étant rond , soit qu'on tourne au dedans , soit qu'on tourne au dehors , n'offre ni commencement ni fin. Cette connaissance de soi et de moi se trouve sur la terre de la vraie humilité , laquelle est aussi grande que le cercle est grand lui-même. Alors l'arbre de la charité se nourrit de la véritable humilité et pousse à son côté, comme je l'ai dit, le rejeton de la vraie discrétion; et la moelle de l'arbre ou de la charité qui est dans l'àme, c'est la patience , laquelle est une preuve convaincante que je suis dans cette âme et que l'àme est unie à moi. Cet arbre si dou- cement planté jette les fleurs odorantes des vertus, avec de nombreux et divers agréments , et ces fleurs produisent des fruits très-utiles au prochain, selon que chacun qui veut en recueillir , a le soin de recourir à mes serviteurs pour rendre gloire et louange à mon nom , puisque j'ai tout créé pour l'avantage de l'homme ; et de cette manière il arrive à son terme, c'est-à-dire à moi son Dieu, qui suis la vie durable et qui ne puis lui être enlevé s'il ne le veut pas : et tous les fruits qui naissent de cet arbre sont préparés avec la discré- tion , parce qu'ils sont unis ensemble, selon que je l'ai dit. (Ch.X,p.-23.)

Sur le pont mjslique qui a réuni la lerre avec le ciel.

Le chemin qui conduisait au ciel fut rompu par le péché d'Adam ; mais Dieu , par le moyen de Jésus-Christ son Fils qui a uni en lui la nature divine avec la nature humaine , a voulu faire comme un pont par lequel réunissant le chemin coupé il a rétabli les communications entre lui et l'homme. Or , Jésus-Christ a jeté ce pont de la terre au ciel par son ascension : la route qui passe sur ce pont et qui doit con- duire au ciel , c'est la voie de la vérité ou la doctrine évangé- lique. Les apôtres, les martyrs , les confesseurs et les évan- gélistes ont été établis comme des flambeaux sur des eau-

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délabres pour éclairer cette route de vérité. Jésus-Christ a doue pu dire avec raison : Je suis la voie, la vérité el la rie , puisque c'est par lui , par ce pont mystérieux , que la voie de vérité conduit à la bailleur du ciel , à la vraie vie. Mais Dieu qui nous a créés sans nous , ne veut point nous sauver sans nous; il veut que nous employions notre volonté libre ou no- tre libre arbitre à cette œuvre importante, et que nous nous appliquions pendant la durée de la vie à l'acquisition des vertus (49).

Elal des réprouvés dans l'autre vie. Ils ne peuvent désirer aucun bien.

Telle est la haine des réprouvés pour le bien , qu'ils n'en peuvent désirer aucun. Le blasphème continuel est seul en leur pouvoir. Et savez-vous pourquoi ils ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien? C'est qu'une fois la vie de l'homme finie, son libre arbitre est enchaîné , et il lui est impossible de vou- loir et d'acquérir du mérite, comme nous le pouvons durant le temps présent. S'ils sont morts en état de haine et dans la disgrâce de Dieu parle péché mortel, ils ont, par un effet de la justice divine, l'âme toujours liée par celte haine, et elle sera toujours obstinée à cause de l'affection au mal qu'ils ont emportée avec eux en mourant , et leur âme n'aura d'autre occupation que celle de rouler sans cesse en elle-même les crimes qui l'ont souillée , et elle redoublera et perpétuera à jamais ses tourments par le remords , principalement à la vue de certaines fautes qui sont cause de sa réprobation. »

Elle fait consister ensuite les autres tourments dans la vue de la gloire des bienheureux, dans le ver rongeur de la conscience , dans la vue de la pureté de l'humanité de Jésus- Christ unie à la divinité , et l'immondicilé et la puanteur de leur sensualité , dans la vue des largesses de la miséricorde divine et de l'abus qu'ils en ont fait , tandis que les bienheu- reux qui ont autrement agi, régnent dans la gloire. Elle met ensuite l'avare en face de son avarice, l'impudique en face

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de ses excès et de ses débordements , le cruel en face de ses attentats , &c, &c. Et plusieurs ne sont dans cet étal affreux que parce qu'ils ont refusé d'aller demander miséricorde, d'entrer par Jésus-Christ qui est la porte du ciel , et qu'ils ont préféré suivre la doctrine du démon. (89-91.)

De la gloire des bienheureux.

« Au contraire , l'àme juste qui quitte la vie avec des sen- timents de charité et qui est comme liée par l'amour, si elle ne peut plus croître en vertu parce que le temps du mérite est passé , peut toujours aimer de cet amour qu'elle avait en ve- nant à moi ( c'est Dieu qui parle à son épouse) , et avec la mesure duquel j'ai mesuré ses mérites. Elle me désire tou- jours , m'aime toujours , mais son désir n'est plus un désir comme autrefois. Maintenant sa faim est rassasiée et tout en étant rassasiée , elle ne se lasse pas de désirer et elle est loin d'avoir du dégoût , et elle n'éprouve point de tourment par cette faim. Car dans cet état de faim amoureuse elle jouit de mon éternelle vision , elle participe à tous les biens que je renferme en moi , et chacun les possède selon la mesure de l'amour qu'il avait quand il est venu à moi , et avec lequel je l'ai mesuré. Or, c'est parce qu'ils oniété trouvés persévérants dans mon amour et dans celui du prochain , et unis entre eux par la charité commune et particulière , qui n'est qu'une seule et vraie charité , qu'ils se réjouissent et tressaillent de bonheur en participant aux biens les uns des autres , avec ces doux sentiments de charité , qui , outre le bien universel , les réunit tous ensemble dans une même jouissance. »

Notre Sainte continue à prouver le bonheur des bienheu- reux par leur participation au bonheur des Anges et' des Saints , toujours à cause du lien de charité qui les unit. Puis elle passe à la conformité parfaite de la volonté des élus avec la volonté de Dieu , dont elle parle ainsi :

« Us sont si conformes à ma volonté qu'ils ne peuvent vou-

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loir autre chose que ce que je veux , car leur libre arbitre est tellement lie par mon amour , qu'il ne se porte qu'à ce qui m'est agréable , et leur volonté est si bien unie à la mienne , que si un fils voit son père ou sa mère en enfer , ou bien si un père et une mère y voient leur fils , ils ne s'en occupent nullement. Bien plus , ils sont contents de les voir punis comme étant mes ennemis , d'où l'on peut comprendre qu'il n'est aucun point sur lequel ils soient en désaccord avec moi, mais que tous leurs désirs se portent à goûter ce qui me pa- raît bon. Aussi les bienheureux désirent-ils ardemment, pour mon honneur, devoir l'homme encore voyageur et pèlerin sur la terre , s'acheminer avec prudence vers la mort. Par le même intérêt de ma gloire , ils désirent votre salut et m'a- dressent à cet effet leurs ferventes prières. »

Notre Sainte dit ensuite , que les bienheureux désirent une autre chose , qui est de retrouver le corps qu'ils avaient sur la terre , non que cette absence les afflige , ni que le bonheur de leur âme ne soit parfait, mais pour voir leur corps glorifié avec et selon l'humanité de Jésus-Christ. (Chap.XLI, 84 et suiv. )

De l'Oraison.

L'Oraison parfaite ne s'acquiert point par beaucoup de paroles, mais par beaucoup de sentiments et de désirs, en s'élevant à la connaissance de Dieu et de soi-même , et en unissant l'une avec l'autre, comme il faut joindre aussi l'orai- son vocale à la mentale , et la vie active à la contemplative... (Tr. del'Orais. Chap. 2.)

De la naissance des larmes.

D'abord elle compte cinq sortes de larmes. « Les premières sont celles de ceux qui pleurent par crainte, au moment d'un malheur. Les secondes celles de ceux qui veulent sortir du

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péché et qui pleurent pour éviter la justice de Dieu. Les troi- sièmes celles de ceux qui, s'étant arrachés au péché, commen- cent à goûter la douceur du service de Dieu , et qui pleu- rent avec des sentiments de douceur. Les quatrièmes sont celles de ceux qui , parvenus à une grande perfection d'amour pour le prochain , l'aiment en vue de moi sans aucune consi- dération d'eux-mêmes. Enfin les cinquièmes qui sont unies aux quatrièmes , sont les larmes de douceur qui sont répan- dues avec une grande et une ineffable suavité. ( Ibid. , chap. XXIV , 194. )

Mais je veux que vous sachiez (lui disait le Seigneur) que toute larme vient du cœur , car il n'y a aucun membre dans le corps qui tienne tant à satisfaire le cœur , que l'œil. Si le cœur éprouve de la douleur , l'œil le manifeste aussitôt; et si la douleur est vive et sensible , l'œil jette des larmes de cœur, qui quelquefois amènent la mort parce qu'elles viennent du cœur; parce que c'est l'amour désordonné, étranger au mien, qui les produit , et parce qu'étant désordonné , il est une offense contre moi , et qu'alors ces larmes viennent d'une douleur mortelle. Il est vrai , au reste , que la gravité de la faute et la grandeur du repentir sont plus ou moins sensibles, selon la mesure de l'amour désordonné qu'on a. Et alors ce sont ou des larmes de mort , ou des larmes d'espoir, ou des larmes de vie. De vous pourrez commencer à comprendre quelles sont les larmes qui donnent la vie. »

Notre Sainte passe ici à l'explication des cinq degrés de larmes , comme formant une gradation spirituelle. On va de la crainte à l'espérance, de l'espérance à l'amour, de l'amour commencé imparfait à l'amour plus vif, plus parfait; on arrive aux délices , aux larmes de tendresse , d'extase et à tout ce que Dieu opère dans ceux dont les larmes viennent véritablement du cœur ; car , plus le cœur aime , plus il souffre ; et plus le cœur souffre , plus l'œil souffre , à moins qu'il ne plaise à Dieu de nous soustraire les larmes et qu'il ne les amasse et ne les concentre dans le cœur pour achever de

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le briser de douleur et amener sa guérison. ( Ibid., ch. XXV, 193 et suiv. )

Des marques auxquelles on connaît qu'une visite ou vision mentale vient de Dieu ou du démon.

« Tu m'as demandé , lui disait le Seigneur , à quels signes on peut reconnaître qu'une vision vient de moi ou du démon; eh bien 1 les voici : je te dis que c'est de moi qu'elle vient lorsque la joie qui demeure dans l'âme après ma visite ou la vision , est suivie de la faim ou d'un désir ardent des vertus, spécialement assaisonné par la vraie humilité et brûlé par le feu de la divine charité ; mais lorsque désirant les visions , y trouvant sa consolation , en éprouvant de la joie , on s'en élève , on se retire de l'oraison , on perd le goût de la vertu au lieu de la désirer, et que cette joie n'est point assaisonnée d'humilité ni brûlée par le feu de ma divine charité , alors cette vision vient du démon, non pas de moi.» (Ibid., chap. XLII, p. 246.)

Sur l'excellence de l'état se trouve lame qui reçoit le sacrement de l'Eucharistie en état de grâce.

«Regarde, ma Fille chérie, lui disait le Seigneur, dans quel état d'excellence se trouve l'âme qui reçoit en état de grâce ce pain de vie , cette nourriture des Anges : en recevant ce sa- crement , l'homme demeure en moi , et moi je demeure en lui ; car, comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, de même l'âme est en moi qui suis la mer pacifique, et moi je suis en elle. Or, dans cette âme demeure la grâce , parce qu'ayant reçu ce pain de vie en état de grâce , après que les espèces du pain sont détruites , la grâce y habite. Moi , je lui laisse l'impression de ma grâce, comme fait un cachet qu'on pose sur une cire chaude ; lorsqu'on lève le ca- chet, l'impression y demeure : de même la vertu de ce sacre-

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ment demeure dans l'âme imprimée par la chaleur de ma divine charité et de la clémence du Saint-Esprit ; mais , en même temps il y demeure encore la lumière de la sagesse de mon Fils unique qui éclaire l'œil de l'intelligence par cette même sagesse , afin qu'il voie la doctrine de la vérité , et cette sagesse s'y fixe fortement , en participant à ma propre force et à ma puissance, rendant l'homme fort contre ses passions, contre le démon et le monde , de sorte qu'on voit dans cette âme l'impression du sceau divin aussitôt qu'il est enlevé , et que les espèces étant consumées , le vrai Soleil revient à sa roue céleste. Admirez donc un tel sacrement, et voyez com- bien vous êtes tenu de m'aimer et de m'en témoigner de la reconnaissance. » ( IbUL, ch. XLVIII , p. 26i. )

Du Irailé de la providence.

Ne pouvant donner ce traité tout entier, et le croyant ce- pendant très-remarquable , nous allons en faire connaître le plan et les chapitres principaux, en ayant soin de citer les passages les plus intéressants.

Son dessein embrasse la providence générale et particu- lière, passée, présente et future : l'homme créé, l'homme tombé , l'homme relevé et régénéré , l'homme en état de péché mortel , l'homme à l'état parfait , l'homme dans la gloire future.

Dans le chapitre premier , elle traite de la providence en général , c'est-à-dire comment Dieu a daigné privilégier l'homme en le créant à son image et à sa ressemblance ; comment il a pourvu à ses besoins par l'incarnation de son Fils , pour rouvrir la porte du paradis que le péché d'Adam avait fermée ; enfin , comment il a satisfait aux besoins de son âme en se donnant continuellement en nourriture dans l'auguste sacrement de l'autel.

Dans le deuxième chapitre , elle développe tout ce qui se rattache à l'espérance rendue à l'homme par la promesse du

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Rédempteur, à tout ce qu'elle a apporté d'adoucissement aux justes avant la venue de Jésus-Christ , et à la fécondité qui eu est résultée pour vivre d'une vie sainte et parfaite.

Dans le troisième , elle fait admirer la providence de Dieu dans la sage économie de la révélation , dans les manifesta- tions successives , dans sa manière de proportionner la lu- mière à la faiblesse des yeux encore charnels de l'homme , c'est-à-dire dans la doctrine de l'ancien Testament et des Prophètes , dans l'envoi de Jésus-Christ et sa prédication , dans la mission des Apôtres , dans l'héroïsme des Martyrs et dans cette nuée d'hommes saints et de docteurs qui ont ho- noré l'Eglise des premiers siècles. Enfin , elle fait admirer comment rien n'arrive à la créature sans qu'auparavant Dieu ne l'ail prévu.

Dans le chapitre quatrième , elle démontre que tout ce que Dieu permet , il ne le permet uniquement que pour notre avantage et pour notre salut , et que ceux-là sont déplorable- ment aveuglés et égarés , qui jugent différemment.

Dans le chapitre cinquième , elle s'applique à faire distin- guer les vues sages et élevées de la divine Providence dans la manière particulière dont elle traite certaines âmes , toujours dans les rapports avec leur salut éternel et dans les accidents ou événements qu'elle ménage pour les instruire ou les cor- riger.

Ne nous lassons point de suivre un plan si grandiose et si savant.

Dans le sixième chapitre , elle consacre ses recherches à des comparaisons tirées de l'ancien Testament, pour prouver les divers moyens dont Dieu se sert pour éprouver sa créa- ture , pour la favoriser , la faire vaincre , se l'attacher ou la punir , et prouve par l'infidélité de l'ancien peuple celle nous vivons généralement envers la providence de Dieu.

Dans le septième , elle explique comment la divine Provi- dence en agit envers nous , lorsqu'elle nous envoie des tribu- lations et des adversités , et faisant ressortir la misérable

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condition de ceux qui, se confiant en eux-mêmes, repoussent la Providence céleste , elle relève l'excellence de la confiance parfaite en la bonté de Dieu.

Le huitième chapitre nous fait comprendre l'infinie provi- dence de Dieu envers l'âme , en lui préparant le sacrement eucharistique pour rassasier sa faim spirituelle , après quoi elle cite l'exemple d'une âme envers laquelle Dieu prouva sa providence toute spéciale ( et cette âme c'était elle ) en la communiant de sa rnain divine , parce qu'elle en avait un brûlant désir , et qu'elle ne pouvait l'être par les ministres sacrés.

On voit ensuite dans le chapitre neuvième , la providence particulière de Dieu envers ceux qui se trouvent en état de péché mortel , et voici quelques-unes des belles choses que notre Sainte y rapporte : « Ou l'âme , dit-elle , est en état de péché mortel , ou elle est en état de grâce imparfaite , ou en état de grâce parfaite : or , dans chacun de ces états , je donne ( dit le Seigneur ) , et distribue les largesses de ma providence ; mais je le fais en diverses manières et avec une grande sagesse , selon que je vois qu'ils en ont besoin et que c'est à propos. Envers les hommes du monde que je vois gi- sants dans la mort du péché mortel , j'y pourvois en les por- tant à détester leurs péchés par le remords de la conscience et les fatigues que je fais sentir à leur cœur par des voies nouvelles et différentes , et ces voies sont si nombreuses que votre bouche ne pourrait suffire à les raconter : d'où il résulte très-souvent que par cette importunité et ces piqûres de la conscience , la vérité entre dans l'âme et la retire du sein du péché mortel , et plusieurs fois du milieu des épines intérieu- res je tire des roses agréables , en faisant naître dans le cœur mon amour et l'obéissance à ma volonté , et j'ai mes lieux et mes moments que nul ne peut comprendre , et je sais me servir de la poignante douleur du cœui% et de la connaissance de ses défauts, et de ce dégoût de la vie que l'on ne peut s'ex- pliquer à soi-même , pour tourner le pécheur vers moi avec

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grande componction et remords de conscience , et lui faire jeter contre terre son frénétique amour ; car cet amour peut être justement appelé frénétique, puisque croyant donner son attachement à quelque chose , lorsqu'on vient à l'examiner , on voit qu'on ne s'était attaché à rien : c'était bien , il est vrai , quelque chose que cette créature qu'on aimait d'un si misérable amour , mais ce qu'on en retire n'est rien , car le péché n'est rien de réel : or , de ce rien du péché qui est une épine qui pique l'âme , moi j'en tire , comme je vous l'ai dit , une rose , pour procurer son salut. Mais qui me pousse à en agir ainsi ? Ce n'est pas que cette âme me cherche , ce n'est pas qu'elle me demande le secours de ma providence , elle ne se plaît que dans le péché , les délices , les richesses et les habitudes du monde ; mais c'est mon amour seul qui m'y pousse , parce que je vous aimais avant même que vous fus- siez né et sans être aimé de vous , moi je vous aimais ineffa- blement ( d'une manière inexprimable): si quelque chose, après mon amour, me porte aies protéger de la sorte, ce sont les prières de mes serviteurs , qui , suivant les inspira- tions du Saint-Esprit , connaissant ma clémence , remplis de charité envers leur prochain, cherchent leur salut avec un inconcevable désir , apaisent ma colère irritée , lient et re- tiennent la main de ma justice pour empêcher que je frappe le pécheur qui le mérite , et me forcent, par leurs larmes et leurs humbles supplications, à lui pardonner. Mais qui est-ce qui les porte à pousser ces cris de miséricorde vers moi? C'est ma providence , par laquelle je viens au secours de ce mort spirituel , parce que je ne veux point la mort du pé- cheur , mais plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive. » Dieu l'invite ensuite à aimer de plus en plus sa providence ; il lui fait connaître les excès dans lesquels tombent les hommes impies et voluptueux , relève encore le mérite des justes qui , quoique méprisés, persécutés , baffoués par les méchants, ne cessent de prier pour eux , jusqu'à ce que la porte de la mi- séricorde s'ouvre , et fait admirer en cela même le sublime

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dessein de sa providence , qui , en procurant la conversion et le salut de ces misérables pécheurs, augmente la vertu des justes et accroît dans leur cœur le feu de la divine charité. » (32 et suiv. )

Dans le dixième chapitre , Dieu l'entretient de sa provi- dence envers ceux qui sont encore dans l'état d'un amour imparfait. « Savez-vous , ma chère Fille, lui dit-il, la conduite que je tiens pour retirer l'âme imparfaite de son imperfec- tion ? Il est des fois que je la visite par l'inquiétude de beau- coup de pensées diverses et de sécheresses d'esprit , et il semble alors qu'elle soit entièrement abandonnée de moi , n'ayant aucun goût sensible : le monde aussi n'est pas ce qu'elle voudrait , ni moi non plus, parce qu'elle n'a de moi aucun sentiment, quoiqu'elle sente que sa volonté est de ne pas m'offenser. Or, cette porte de la volonté qui est libre , je ne permets point à l'ennemi de l'ouvrir , mais je donne la permission au démon et aux autres adversaires de l'homme , de frapper contre l'autre porte ; mais celle-ci étant la princi- pale , celle qui défend et garde la citadelle de l'âme , je ne le permets pas ; et en effet, c'est le libre arbitre qui garde l'âme et qui en est comme la porte , et c'est à lui de répondre oui ou non , selon qu'il lui plaît. Il y a plusieurs portes «à la cité de l'âme , mais il y en a trois principales : l'une d'elles c'est la volonté qui demeure toujours ce qu'elle est et ce qu'elle veut être , sans qu'on puisse la forcer , et celle-là garde les autres , qui sont la mémoire , l'entendement et le consente- ment; d'où il suit que si la volonté consent, l'ennemi ou l'amour-propre entre , et à sa suite tous les autres ennemis entrent aussi : alors l'entendement est soudain envahi par les ténèbres qui sont ennemies de la lumière, et la mémoire laisse entrer la haine et le ressentiment par le souvenir des injures, et cette haine est l'ennemie de la charité du prochain ; en même temps les joies et les plaisirs du monde qui sont de diverses sortes comme sont divers les péchés eux-mêmes et toujours opposés à la vertu , se répandent dans l'âme. Du

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moment que ces portes sont ouvertes , voilà qu'aussitôt tous les battants , tous les panneaux des sens corporels , qui sont autant de ressorts qui répondent à l'âme, s'ouvrent aussi pour laisser entrer le mal; d'où vous voyez que l'appétit déréglé de l'homme qui en ouvre les portes, correspond à tous les autres organes , et par ce moyen tout est bientôt gâté et corrompu : c'est-à-dire que l'œil et ses autres facultés ne présentent autre chose que mort , parce qu'il est porté à considérer des choses mortes avec un regard désordonné qui lui est défendu , et qu'il les voit avec vanité de cœur , légèreté d'esprit et d'une manière déshonnète qui donne aux autres et à soi-même oc- casion de mort et de ruine spirituelle.

0 misérables que vous êtes ! cet œil que je vous avais donné pour regarder le ciel et toutes les autres choses créées , et la beauté de ma créature, et la sublimité de mes mystères, vous ne l'employez qu'à regarder la boue et la misère et la mort pour vous l'attirer ! » Notre Sainte fait ici une longue di- gression , puis elle prouve quel malheur c'est d'ouvrir la porte de la volonté au mal , de donner la licence à ses enne- mis , de laisser obscurcir la lumière de son entendement, de souiller sa mémoire , d'enlever les rênes du consentement , puis elle dit , ou plutôt Dieu lui dit : « Et pourquoi mainte- nant placé-je cette âme dans une si grande peine et affliction; pourquoi la laissé-je environnée de tant d'ennemis ? Ce n'est pas , certes, pour qu'elle soit prise et qu'on lui enlève les ri- chesses de la grâce , mais je le fais pour signaler ma provi- dence, afin qu'elle se confie non en elle-même, mais en moi ; afin qu'elle secoue sa négligence et qu'elle se réfugie dans son trouble et son appréhension auprès de moi qui suis son défenseur : je suis un père tendre et je procure le salut de mes enflints par tous les moyens possibles, &c. » (30 et suiv.)

Le chapitre onzième nous montre la providence dont le Sei- gneur daigne user envers ceux qui sont dans l'état de charité parfaite. En voici les principales vérités : « Maintenant je vais vous faire connaître , lui dit le Seigneur , de quelle ma-

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 307

nière je pourvois à la conservation et à la perfection des justes pour les faire croître continuellement en sainteté. Comme nul dans ce monde n'est si parfait qu'il ne puisse croître en une nouvelle perfection , j'emploie les moyens suivants entre plu- sieurs autres , conformément à ce qu'a dit ma vérité quand elle s'est exprimée ainsi : » Je suis la vraie vigne , mon père est le vigneron , et vous autres vous êtes les branches. Qui- conque demeure attaché à celui qui est la vraie vigne, à. cause qu'elle vient du père et qui en suit la doctrine , porte du fruit. t> ( Jean 15-1 ) ; et afin que votre fruit croisse et soit parfait , je fais que vous le portiez au milieu de beaucoup de tribulations , d'outrages , d'injures , de sarcasmes , de mé- pris et de privations ; par la faim et la soif , les paroles et les œuvres , selon qu'il plaît à ma bonté de l'accorder à un cha- cun et selon qu'il les trouve propres à le supporter , car la tribulation est une marque évidente qui prouve la perfection ou l'imperfection d'une âme. Par les injures et les peines dont je permets que mes serviteurs soient affligés , je pré- tends éprouver leur patience et accroître le feu de la ebarilé par la compassion et le support qu'elle doit avoir de celui qui lui fait l'injure, et afin qu'elle s'afflige davantage de l'offense qu'on commet contre moi , et du tort qu'on se fait , que de l'injure qui lui est faite à elle. C'est, en effet , ce que font ceux qui sont arrivés à une grande perfection et qui s'en servent comme d'un moyen pour y croître davantage , et moi je ne le permets que dans cette vue , de sorte donc que je ne les afflige et ne les éprouve qu'afin de leur faire porter une plus grande quantité de fruits et plus savoureux au milieu des tribulations , et pour que leur patience répande partout ma bonne odeur.

Oh ! qu'ils sont suaves et délicieux les fruits dont je parle! Et quelle utilité en retirent les âmes qui supportent ces états sans péché ! Si on les connaissait ces avantages , il n'y aurait personne qui ne les recherchât et ne voulût avec grande joie et empressement supporter de tels maux !

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D'autres fois , je permets qu'elles tombent dans quelque illusion pour les affermir et les conserver clans l'humilité, et les empêcher de suivre leur propre sens et leur volonté...

Tantôt j'envoie à mes grands serviteurs un aiguillon comme à saint Paul dont je fis un vase d'élection. Car, après de si hau- tes révélations il aurait pu tomber, et je voulus lui laisser l'ai- guillon de la chair pour qu'il se trouvât toujours lui-même. C'est ainsi qu'en agit encore ma providence envers les plus parfaits pour les faire mériter , pour qu'ils se connaissent et qu'ils s'humilient, ou tantôt je me manifeste moi-même à eux et je fais que, me connaissant, ils entrent dans une profonde amertume à la vue des iniquités et des misères de ce monde, de la damnation des âmes , soit en général , soit en particu- lier , selon que ma bonté le juge à propos pour faire croître l'amour par cette peine, et afin que , stimulés par l'ardeur de ce désir, ils crient vers moi avec une ferme espérance, et qu'éclairés par la lumière de la foi ils se portent à invoquer mon secours et à pourvoira leurs nécessités. Ainsi ma double providence consulte les intérêts du monde et celui de mes serviteurs; je pourvois au retour des uns , à la perfection et au bonheur des autres. Et faisant enfin qu'ils vivent dans la tribulation , je fais aussi qu'ils ne cherchent en tout que mon amour et la gloire de mon nom ! »

Voilà comment cette admirable servante de Dieu nous fait connaître quelques-uns des secrets merveillenx de la divine providence envers la créature raisonnable.

Puis viennent la providence envers l'Eglise , la providence envers les pauvres et la providence envers tous dans l'autre vie. se voit le prodige de science , de philosophie et les divines inspirations que recelait cette àme privilégiée. Cédons encore au plaisir de citer deux morceaux, un du cha- pitre treizième , l'autre de son action de grâces à la fin du traité.

« Elargis ton cœur, lui dit le Seigneur , et ouvre l'œil de ton intelligence à la lumière de la foi , afin de voir avec quel

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amour et quelle providence j'ai créé et conduit l'homme pour le faire jouir de mon souverain bien éternel , et comment j'ai pourvu à tout , comme je l'ai déjà dit , soit pour l'àme , soit pour le corps, envers les imparfaits et les parfaits , les bons et les méchants, spirituellement et temporellement, dans le ciel et sur la terre , en la vie mortelle et en celle qui sera immortelle. Pendant que vous êtes voyageurs ici-bas , je vous ai unis par le lien de la charité ; de telle sorte que , soit que l'homme veuille , soit qu'il ne veuille pas , il est toujours lié, et s'il veut se délier par une affection qui ne soit pas la charité du prochain , il est néanmoins lié par la nécessité d'aimer quelque chose. »

Le Seigneur ajoute ensuite qu'il a si bien distribué les ser- vices , que les hommes ont besoin les uns des autres ; il en a fait de même dans les divers membres du corps, afin de faire trouver dans ces services mutuels la nécessité de la charité , laquelle doit unir à jamais les cœurs dans le ciel. Il rappelle encore comment il dédommagera le pauvre par des richesses éternelles , comment il regardera pour fait à. lui-même ce qu'on aura fait au dernier de ses frères, &c. ; comment l'ange communiquera avec l'àme bienheureuse , et Pâme bienheu- reuse avec l'ange ; enfin, comment il a tout disposé pour être réuni et lié à lui qui est le centre et l'océan de la charité.

« Mais qui l'a ainsi réglé, poursuit-il ? Ma sagesse, de con- cert avec mon admirable et douce providence ; et si vous vous rendez en esprit en purgatoire , vous y trouverez encore ma douce et inestimable providence avec laquelle je traite les pau- vres âmes qui par ignorance ont laissé passer le temps de la vie, et qui, étant séparées du corps, ne peuvent plus mériter par elles-mêmes. Or, j'y ai pourvu par votre moyen, afin qu'étant encore dans cette vie mortelle et ayant le temps , soit par vos aumônes, soit par vos prières, soit par le sacrifice de la messe, par tout ce que vous faites en état de grâce , vous puissiez les délivrer, abrégeant le temps de l'expiation ; et tout cela, vous le voyez, c'est ma douce et perpétuelle providence qui l'a fait. » t. v. 2i-

3"0 ESPRIT

Après avoir prouvé dans les chapitres suivants le danger de l'avarice et de l'excessif attachement aux biens temporels, après avoir prouvé la dignité et l'excellence des pauvres , et comment l'œil de la providence veille sur eux , elle termine son traité par celte louange ou prière d'action de grâces :

« 0 Père éternel ! ô foyer, ô abîme de charité ! 0 clémence éternelle , ô espérance et refuge des pécheurs ! O largesse inestimable! ô bien éternel et infini ! ô divine folie d'amour ! Aviez-vous donc besoin de votre créature ? Oui ; il me sem- ble par tout ce que je vois, par tous les moyens que vous avez pris , que vous ne pouviez pas vivre en quelque sorte sans elle, attendu que vous êtes la vie, de laquelle toute chose tire la vie et que rien ne vit sans vous. Mais pourquoi donc ètes-vous ainsi devenu fou de l'homme ? pourquoi êtes- vous devenu si passionné pour votre ouvrage? Vous n'avez placé vos délices et tout votre contentement qu'en lui , et vous avez été comme ivre de son salut ! Votre créature vous fuit, et vous allez la chercher ; elle s'éloigne , et vous vous appro- chez : pouviez-vous venir plus près qu'en vous revêtant de son

humanité! Et que dirai-je encore? Je ferai comme un

bègue , je dirai a, a , a, parce que je ne puis faire autrement, ni dire autre chose ; car une langue ne peut exprimer l'amour d'une âme qui vous désire d'un désir infini. »

Mais , afin de ne pas tromper à l'avenir l'attente de son Sauveur , elle le prie de l'instruire encore sur l'obéissance, qui est le plus grand moyen de perfection.

Du Irailé de l'obéissance.

Dans le premier chapitre Dieu lui dit : « Personne ne peut entrer au ciel sans l'obéissance ; parce que la porte du ciel qui fut fermée par la désobéissance d'Adam , n'a été rouverte qu'avec la clef de l'obéissance. Et moi , poussé par mon infi- nie bonté vers l'homme que j'aime tant et que je voyais ne pas revenir à moi qui suis sa fin dernière , je pris les clefs de

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l'obéissance et je les plaçai dans les mains de mon doux et aimable Verbe , ma vérité , et lui fut sur la terre pour ouvrir ensuite le ciel ; et sans cette clef dont se servit ma vérité , nul ne peut passer par la porte du ciel. Yoilà pourquoi il a dit dans l'Evangile : Nul ne peut aller à mon Père sinon par moi (Jean 1-4-^ ). » ( Page "G. )

Elle explique ensuite combien fut grande l'obéissance de Jésus-Christ aux volontés de son Père^ au milieu des tour- ments , et que c'est principalement à cause de son obéissance que Jésus-Christ a dit : Je suis la voie , la vérité et la vie. Car l'obéissance est en effet la voie la plus droite, la plus courte et la plus sûre pour aller aux cieux. (Page 78. )

Dans le chapitre VI elle traite de l'excellence de ceux qui obéissent et de la misère de ceux qui n'obéissent pas , sur- tout en l'état de la religion , c'est-à-dire dans les maisons religieuses ; puis elle dit dans le chapitre VIIe que c'est par cette vertu qu'on reçoit cent pour un ici-bas et la vie éter- nelle dans l'avenir. Dans le VIIIe elle traite de la perversité , de la misère , des fatigues et des fruits malheureux qui pro- viennent de la désobéissance ; cela se rapporte surtout aux vœux de religion. Voici ce qu'elle dit en terminant l'énumé- ralion de tout ce que la désobéissance fait commettre aux reli- gieux : « Qui a occasionné tous ces maux , porté tous ces fruits de mort ? C'est la désobéissance. Celui qui en est atteint ne veille plus par l'oraison, et non-seulement par l'oraison men- tale , mais encore souvent par l'office qu'il abandonne et qu'il est obligé de dire. Il n'a point de charité fraternelle , parce qu'il n'aime personne que lui-même ; et il n'a point pour lui- même un amour raisonnable , mais un amour brutal. Les fruits enfin que produit la désobéissance sont en si grand nombre que votre langue ne pourrait suffire à les raconter. 0 désobéissance qui dépouilles l'âme de toute vertu et la revêts de tous les vices ! 0 désobéissance qui prives l'âme de la lu- mière de l'obéissance, lu enlèves la paix et ne répands que la guerre! Tu êtes la vie et donnes la mort ! Tu retires de la ma-

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celle de l'obéissance et tu plonges dans la mer de toutes les amertumes. Tu couvres de misères, tu fais mourir de faim, en retirant le pain quotidien du mérite de l'obéissance; tu sous- trais à l'âme toutes ses délices, ses joies , son bien, et la pré- cipites dans un abîme de maux ! Dès celte vie tu commences à faire porter les arrhes des supplices éternels , et si elle ne se corrige point cette âme égarée , si elle ne s'attache pas à la nacelle de l'ordre, toi, ô désobéissance, tu la conduiras â l'éternelle damnation et au partage des démons que l'orgueil et la révolte firent tomber du ciel , et rouler dans les profon- deurs de l'abîme. Vous aussi, si vous êtes rebelles, et si vous jetez loin de vous la clef de l'obéissance qui ouvre au ciel , avec la clef de la désobéissance qui a ouvert la porte de l'enfer , vous y serez précipités pour toujours. » ( P. 107. )

Dans le chapitre IXe , elle attribue à la désobéissance tou- tes les imperfections et la tiédeur dans laquelle vivent plu- sieurs âmes religieuses , et trouve un remède à cette tiédeur dans la promptitude de l'obéissance en tous temps , en tout lieu, et envers tous.

Excellence de Tobéissaucc et biens qu'elle produit lorsqu'on la pratique véritablement.

« 0 délicieuse obéissance ! ô obéissance charmante! obéis- sance suave ! obéissance illuminative ! car c'est vous qui avez dissipé les ténèbres de l'amour-propre! obéissance qui vivifiez l'âme qui vous a choisie en lui donnant la vie de la grâce et l'affranchissez de la mort de la volonté propre qui ne produit que guerre et ruine. Vous êtes si généreuse, que toute créature raisonnable veut vous être soumise ; vous êtes si douce et si compatissante , que vous faites porter avec fa- cilité et douceur les plus grands fardeaux qu'on puisse im- poser, parce que vous êtes accompagnée de la force et de la vraie patience et couronnée de la couronne de la persévé- rance. Vous ne venez pas à nous avec l'imporlunité d'un su-

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périeur, ni avec des poids accablants dont on charge sans discrétion , mais c'est avec les lumières de la foi que vous pres- crivez toutes choses. Vous êtes si étroitement unie avec l'hu- milité qu'aucune créature ne peut vous arracher des mains du saint désir de l'âme qui vous possède. Mais que dirai-je encore de cette très-excellente vertu ? Je dirai que c'est un bien sans aucun mal; que c'est une nacelle à laquelle aucun vent con- traire ne peut nuire ; qu'elle fait naviguer l'âme sur les bras de l'ordre et de ses supérieurs et non sur les siens , car le véritable obéissant n'a point à me rendre compte de lui (c'est Dieu qui parle ) , mais c'est au supérieur à le faire pour lui à sa place.

Rendez-vous donc amoureuse de cette vertu , ô ma très- chère Fille : voulez-vous me témoigner votre gratitude pour les bienfaits reçus ? soyez obéissante ; car c'est l'obéissance qui prouve si vous êtes reconnaissante , si votre sensibilité procède de la charité , si elle n'est pas ignorante , mais si au contraire elle provient de la connaissance que vous avez de moi. C'est pourquoi le Verbe , qui connaissait tout le prix de cette vertu , la choisit et la pratiqua jusqu'à la mort de la croix » (Page 112.)

Dans le XIIe chapitre , après avoir établi le mérite de l'obéissance , et avoir dit que tout ici-bas obéit , la terre , l'eau , les animaux , tant cette vertu est fortement imprimée partout et agréable à Dieu , elle dit que c'est celle à laquelle Dieu a accordé plus de puissance et de miracles, et elle cite quelques exemples , entre autres celui d'un religieux qui par obéissance arrosait un bâton sec qu'on lui avait fait planter et qui le vit fleurir et porter du fruit , et celui de saint Maur , soutenu sur les eaux par son obéissance. Elle dit , ou plutôt c'est Dieu qui lui parle ainsi : « En toutes choses, si tu ou- vres l'œil de ton intelligence , tu trouveras que je t'ai montré l'excellence de cette vertu. Tout doit céder à l'obéissance; si tu étais élevée en un tel état de contemplation et d'union d'es- prit avec moi , que ton corps fût suspendu en l'air, si l'obéis-

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sance t'ordonnait de descendre, In devrais le faire aussitôt ; je dis ceci généralement parlant , car on ne doit se retirer de l'oraison que par nécessité , charité ou obéissance. Et si je vous dis cela, ce n'est qu'afin que vous voyiez combien doit être prompte l'obéissance de mes serviteurs , et combien elle m'est agréable. Au reste tout ce que fait l'homme obéissant est méritoire. S'il mange , c'est l'obéissance qui mange; s'il dort, c'est l'obéissance qui dort; s'il va , s'il s'arrête, s'il jeûne , s'il veille, tout cela c'est l'obéissance qui le fait. S'il sert le prochain , il sert l'obéissance ; s'il est au chœur , au réfectoire ou dans la cellule, qui le dirige , qui le fait rester? c'est l'obéissance avec la lumière de la foi dans laquelle il se jette mort à toute volonté propre.... Et que mange et que boit cette épouse de l'obéissance? elle mange la connaissance de moi-même et d'elle-même ; connaissant son néant et ses défauts , et me connaissant moi , quis suis celui qui suis , en qui elle goûte et mange ma vérité , la vérité qu'il a connue par le Verbe incarné. Et que boit-elle? du sang : le sang par lequel le Verbe à démontré et scellé ma vérité et l'amour inef- fable que j'ai pour les âmes et par lequel sang il a prouvé son obéissance envers moi qui suis son père. »

Son traité se termine par une longue prière d'action de grâces dont nous donnons une partie : « Grâces , grâces vous soient rendues , dit-elle, à vous , Père éternel , qui n'avez pas méprisé l'ouvrage de vos mains et qui n'avez pas dé- tourné votre visage de moi ni rejeté mes désirs ; lumière que vous êtes,, vous n'avez pas considéré que je ne suis que ténèbres; vie, vous n'avez pas regardé que je ne suis que mort; médecin , vous avez pris sur vous mes infirmités; pu- reté éternelle , vous ne vous êtes pas éloigné de moi qui suis pleine de la boue de bien des misères ; vous qui êtes infini , vous venez à moi qui suis finie ; vous qui êtes sagesse , vous me cherchez moi qui ne suis que folie. Pour tant de défauts et de maux qui sont en moi , votre sagesse , votre bonté, votre clémence, votre sainteté infinie, n'ont point conçu de mépris :

DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE. 375

qu'est-ce donc qui peut vous avoir porté à tant d'indulgence? Ce n'est point mon mérite , c'est votre seule charité. Oh ! que cette même charité vous porte encore à illuminer l'œil de mon intelligence par la lumière de la foi , afin que je con- naisse et que je suive la vérité que vous m'avez manifestée. Faites que ma mémoire soit capable de retenir le souvenir de vos bienfaits ; que ma volonté brûle du feu de votre charité, et que ce feu fasse germer et fructifier votre sang dans mon corps , afin qu'avec ce sang donné par amour pour mon sang et avec la clef de l'obéissance , je puisse ouvrir la porte du ciel.

0 Trinité éternelle! ô éternelle déité ! vous êtes une mer sans fond plus on entre, plus on vous trouve, et plus on vous trouve , plus on vous cherche. Vous êtes insatiable , et pouvant rassasier l'âme qui s'abîme en vous , vous ne la rassasiez pas , car il lui reste toujours une faim de vous , ô Trinité éternelle! désirant de voir votre lumière dans votre lumière. Et tel que le cerf altéré soupire après une fontaine d'eau vive , telle mon âme désire s'échapper de cette prison ténébreuse du corps pour vous contempler en vérité. Oh ! jusques à quand encore scra-l-elle cachée à mes veux votre face divine , ô éternelle Trinité, ô feu , ô abîme de chanté ! Dissipez , dès ce moment , le nuage de mou corps ; la con- naissance que vous m'avez donnée de vous par votre vérité , me force à désirer de laisser le fardeau de mon corps et de donner ma vie pour la gloire et la louange de votre nom.... O abîme! ô déité éternelle! ô mer profonde! et que pouvez- vous me donner de plus que de vous donner vous-même à moi ? »

376 TIERS ORDRE DE SAINT-DOMINIQUE.

NOTES SUR LE TIERS ORDRE DE SAINT-DOMINIQUE Et sur les reliques de sainte Catherine de sienne.

L'année de l'établissement du tiers ordre de Saint-Dominique ou de la Pénitence n'est pas très-certaine. Les uns veulent qu'il ait été insti- tué avant celui de Saint-François , et par conséquent avant la mort de saint Dominique ; les autres, au contraire, après la mort du saint fon- dateur. Plusieurs discussions se sont élevées à ce sujet ; mais le célèbre général des Frères Prêcheurs , Raymond de Gapoue , qui n'est pas suspect et qui a fait de grandes recherches , embrasse l'opinion que ce n'est qu'après la mort de saint Dominique , et lorsque les chevaliers de la sainte milice posant leurs armes , s'appelèrent l'Ordre de la Pé- nitence, que le tiers ordre parut.

La règle que le Père Munio de Zamorra écrivit pour les Frères et Sœurs du tiers ordre, ne fut approuvée par Innocent Vil, qu'en 1405. Il y avait dans cet ordre, des filles qui faisaient des vœux solen- nels et étaient véritablement religieuses. Leur habillement était sem- blable à celui du second ordre , sauf le long voile blanc. C'est dans le tiers ordre que vécut sainte Catherine de Sienne qui en fut même , dit-on, la réformatrice. Parmi les illustrations de cet ordre, on doit compter sainte Rose de Lima, Ingride de Suède , Marguerite de Hon- grie , Sybille de Pavie , Marguerite de Château , Colombe de Riéti , Ozanne de Mantoue, Marguerite de Savoie , Luce-la-Chaste , etc., etc.

(Voyez Hernando de Castillo , Juan Lopez , Thomas Maluend , An- nal pred., Gio Michel Pio , Délia nobil. prog. de S. Dominic. Hélyot , t. 3, p. 2i6 , et notre 2e volume , pag. 193. )

Sur les reliques et le monument de sainte Catherine de Sienne.

La tête de sainte Catherine de Sienne repose dans l'église du monas- tère des Dominicains de Sienne. Elle est renfermée dans une châsse d'un travail remarquable et déposée sur l'autel de la chapelle qui porte son nom ; deux clefs ferment ce coffret sacré qui renferme un si riche trésor : l'une est conservée par les religieux du couvent, l'autre par le sénat. Une barrière de fer doré protège cette enceinte. Un buste d'ar- gent laisse voir aux pieux visiteurs cette tète vénérée , mais qu'on ne montre qu'à certains temps.

A l'époque de la translation de ces reliques , le sénat en corps et précédé par l'agréable son des fanfares et des divers instruments de musique , se rendit au-devant de la tète de l'illustre Sainte et Faccom-

RELIQUES ET MONUMENT DE SAINTE CATHERINE. 377

pagna dans l'église dos Dominicains , une octave fut célébrée , etc. Mais n'oublions point de dire qu'à cette translation se trouvait la véné- rable mère de sainte Catherine , la bonne et respectable Lapa , mère de vingt-cinq enfants et âgée de quatre-vingt-dix ans. Elle entendit plusieurs fois la chaire chrétienne retentir des louanges de sa sainte fille.

C'est dans l'église de Sainte-Marie-sur-Minerve ou des Dominicains , à Rome , et dans la chapelle dite du Rosaire , sous l'autel consacré par Renoit XIII , qu'on voit et qu'on vénère le corps de sainte Catherine de Sienne (1). Les peintures de la voûte avec les quinze mystères sont de Marcellus Venusti ; le couronnement d'épines seulement est du Vénitien { Carolo Vcne&iano ) ; les peintures latérales qui représentent diverses actions de la vie de la Sainte , furent faites par Gio de Vecchi ; la Vierge qui est sur l'autel est de R. Giovanni , surnommé Vàsari, pittore an- gelico. Le groupe de marbre avec la Mère de Dieu , Jésus et Jean-Rap- tiste , qui s'élève derrière l'autel , sont de Francesco Siciliano ; et de l'autre côté la fameuse statue en pied de Notre-Seigneur tenant la croix, est de Michel-Ange Buonaroli.

A Sienne , la maison de sainte Catherine , rue de l'Oie , et la bouti- que du teinturier la Fullonica , de son père , dans la même rue , sont devenues, par décret du Conseil de la République de la commune , de pieux oratoires magnifiquement ornés. Les peintures représentent les divers traits de l'histoire merveilleuse de la Sainte. On y distingue dans la maison , YObsédée délivrée par sainte Catherine , peinture grandiose et paolesque de Sorri ; le Christ prenant le cœur de la Sainte ; les deux couronnes qui lui sont offertes , de François Yanni; la voûte est un des ouvrages les plus vantés de Nasini , et l'image miraculeuse de Jésus- Christ crucifié qui stygmatise la sainte , est l'ouvrage de Giunta de Pise.

A l'oratoire de l'ancienne Fullonica , sont les stygmates de la sainte du Sodome ; deux loges gracieuses de Cozarelli ; l'idéale , la riche visite de sainte Catherine à sainte Agnès de Montepulciano morte , de Pacchiarotto , et la Sainte poursuivie par le peuple florentin , de Ven- tura Salimbeni.

Dans l'église de Saint-Dominique , on voit encore de très-beaux tableaux de la Sainte. Elle y est représentée récitant l'office avec Jésus- Christ , puis son portrait, son évanouissement, sa mort; ces sujets sont de Casolani Ganiberelli , de Giotto , de François Vanni et le So- dome , de ce dernier est l'évanouissement de la Sainte , secourue par deux sœurs , œuvre attendrissante , raphaëlesque et chef-d'œuvre de ce peintre. (V.)

Enfin , dans l'église de la Maison dite il Refugio , sont élevées les jeunes filles nobles , il y a un Spo&ali&io de sainte Catherine , par François Vanni , œuvre très-remarquable.

(1) On verra par l'inscription ci-dessous qu'il repose maintenant sous le maître-autel de ladite Eglise.

378 RELIQUES ET MONUMENT DE SAINTE CATHERINE.

Disons encore que Rome et Sienne ne sont pas les seules villes qui possèdent des reliques de cette illustre Sainte : on on conserve chez les Dominicains de Cologne , à Saint-Jacques, à Paris , à Venise , à Poissy et à saint Barthélémy de Salerne. Le pape Grégoire Xll qui avait reçu en présent une dent de la Sainte , la porta toute sa vie , à son cou , en- châssée dans un reliquaire d'or.

(Voyez Touron, Ilisl. des hom. illust. de saint Dominique, tome 2 , page 5G3 ; Acta Sanctorum, t. 5 aprilis et seq. ; Roma antiqua et moderna , et Valéry , Voy. art. scient, et litt. )

Inscription placée au bas du maître-autel

sous leqoel reposent les reliques de sainte Catherine de Sienne , dans l'église de la lîincne, à Rome.

Anno Domini MDCCCLV, Sedente Pio IX Pont, raaximo, Ord. Prsed. administrante Vincentio Jandel , Vie. gen. Rom. Prov. régente P. M. Michaele Milella, Conv. Minerv. gubernante P. M. Hieronimo Gigli , Templo magnificentius instaurato , Corpus S. Catharinœ Virg. Senen. , Quod antea sub ara SS. Rosarii jacueral, Solemni supplicalione per urbem delatum , Deinde per triduum fidelium venerationi Diebus VI , VII et VIII augusti , Cunctis plaudentibus expositum , Tandem die IX ejusdem mensis et anni transfertur, et sub hac ara maxima in aevum reconditur. Ora, pia Virgo , et intercède pro nobis ad Deum.

y

ESPRIT

DE

SAINTE LIDWINE,

OU CONDUITE DE DIEU SUR CETTE ILLUSTRE VIERGE (1).

1433.

Lidwine naquit en Hollande , dans la ville de Scheida ou Schiedam , de parents pauvres , mais recommandables par leur piété ; ce fut le dimanche des Rameaux de l'an 1308 que cet enfant de bénédiction fut donné à sa famille ; elle entra dans la vie au moment l'on chantait à la Messe la Passion de Notre - Seigneur Jésus-Christ , circonstance admirable dont on reconnaîtra plus loin le mystère; elle reçut aux fonts sacrés le nom de Lidwie ou Lidwine, qui dans la langue ger- manique signifie grande patience, nom prophétique, comme il sera donné de le voir par les tribulations de sa vie entière... Ouvrons donc sa carrière , et entrons avec elle dans l'écono- mie de Dieu qui lui envoya tant de douleurs.

(1) Sainte Lidwine n'ayant point écrit, mais sa vie étant une des plus merveil- leuses et des plus propres à faire admirer les voies par lesquelles Dieu conduit les âmes privilégiées, nous avons cru devoir en donner l'abrégé, en ayant soin de citer les paroles remarquables de cette sainte. Nous omettons la Notice, puis- que c'est sa vie même qui forme cet article; nous avons puisé dans la vie écrite par le révérend père Jean Bruchman , religieux de l'ordre des Mineurs de l'Ob- servance , et d'après la traduction faite sur les Actes des Saints.

380 ESPRIT

Dès sa naissance, elle fut en proie à cette maladie cruelle qu'on appelle le charbon ; chaque fois qu'elle pleurait ou criait à la façon des enfants , elle en jetait plusieurs par la bouche avec des déchirements affreux.

Dès l'âge de sept ans , elle faisait dans sa maison le travail d'une servante , travail qu'elle alliait ta une pratique conti- nuelle de dévotion à Marie , en récitant souvent des prières en son honneur, surtout l'angélique salutation.

A peine à sa douzième année , on vit percer en elle un esprit d'observation fort rare , une prudence et une sagesse déjà parvenues à leur maturité. Elle connut les dangers du monde et les évita soigneusement.

Au milieu de la séduction qui l'environnait , elle ne cessait de dire à Dieu : « Seigneur mon Dieu , préservez mon cœur , ce cœur qui est à vous , de tout amour corrompu, et ne per- mettez pas que je le donne jamais à aucune créature; gar- dez-le, je vous en conjure, et entourez-le sans cesse de vos grâces préservatives comme d'un rempart. »

Elle repoussa toute proposition d'établissement, et disait à son père qui la pressait souvent : « Mon père , j'aime trop ma virginité pour la sacrifier à un époux mortel ; c'est au Roi du ciel que je veux être unie , et déjà il a reçu mes promesses ; si vous m'aimez en père, ne me parlez plus de ces hommes pour lesquels je ne me sens que de l'éloignement et du dégoût... »

Elle ajoutait : « Si on veut me contraindre , j'obtiendrai de Jésus quelque difformité si repoussante, que personne ne voudra plus de moi. »

Elle était toujours attentive à se dérober aux regards des hommes, demeurait dans la solitude et priait sans relâche pour la conservation de sa virginité.

Sa ferveur dégagée de toute pensée de la terre, devint vraiment céleste, son amour semblait jeter des flammes de tout côté ; cependant Dieu ne voulut l'admettre à ses ineffa- bles communications , qu'après l'avoir purifiée au creuset des souffrances cl des humiliations.

DE SAINTE L1DWINE. 381

Lidwine tomba malade d'une chute sur la glace , lorsqu'à peine elle se relevait d'une longue maladie qui avait entière- ment ruiné sa santé ; elle se rompit une côte : malgré leur pauvreté, ses parents lui firent prodiguer par les hommes de l'art les plus renommés du pays, tous les soins nécessaires à saguérison; mais tous leurs sacrifices demeurèrent sans le moindre succès , la maladie votait de trop haut , comme s'ex- prima le célèbre médecin Hollandais , Souder-Dank ; et Hip- pocrate et Galien n'auraient pas été moins impuissants que leurs disciples. Lidwine abandonnée des médecins mit en Dieu seul toute son espérance ; cet abandon à la volonté de Dieu lui valut un surcroît de patience ; ses douleurs devinrent cruelles.

Elle tomba dans un état d'infirmité vraiment lamentable; elle était réduite à marcher sur les genoux et sur les mains, ou à ramper comme un serpent d'un lieu à un autre. Telle était cette jeune vierge naguère si belle, si fraîche, si aimable, comme une fleur aux plus beaux jours du printemps.

Cependant ses infirmités croissaient sans cesse , son esto- mac débilité devenait incapable de supporter même le plus léger aliment ; consumée par une soif dévorante , elle était bientôt forcée par le vomissement à rejeter les tristes breuva- ges qui ne faisaient qu'irriter sa soif au lieu de l'apaiser ; le soleil fuyait loin de ses yeux, et la nuit et le jour elle arrosait sa couche de ses larmes. Dieu ne la soutenait pas encore par ses goûts divins.

Trois ans s'étaient déjà écoulés depuis qu'elle gémissait dans un si douloureux état , lorsque Dieu commença à éprou- ver par un miracle combien elle lui était chère; elle sauva la vie à un homme que poursuivait avec fureur, le glaive à la main, après une querelle, un ennemi acharné.

Oserons-nous le dire? et les âmes délicates n'en seront- elles pas effrayées ! mais nous le devons à la consolation des âmes souffrantes et à la manifestation des secrets de Dieu sur ses élus ; un apostème qu'elle avait s'élant ouvert plusieurs

382 ESPRIT

fois , la gangrène s'y établit, corrompit les parties voisines et pénétra jusqu'aux intestins ; la putréfaction fit naître des vers ; ils se multiplièrent d'une manière effroyable et se nourris- saient de sa substance; bientôt après il se forma dans son épaule droite une plaie dont les chairs se pourrirent en peu de temps; à cela se joignit un nouveau mal qu'on appelle le feu sacré ; elle sentait ensuite des élancements si violents dans le crâne , que la chair de son front se fendit de haut en bas ; sa langue s'enfla de telle sorte qu'elle ne pouvait plus parler ; un de ses yeux s'éteignit entièrement, et l'autre, devenu d'une faiblesse extrême, ne pouvait supporter la lumière. Enfin, pour abréger un détail si effrayant, elle vomissait continuelle- ment le sang, et lorsqu'un jour on lui demandait d'où lui pou- vait venir cette quantité de sang , puisqu'elle ne prenait au- cune nourriture: «Dites-moi, répondit-elle, vous qui êtes plus savants que moi , d'où peut venir , au printemps , celte abondante liqueur à la vigne qui paraît si sèche et morte pen- dant la saison de l'hiver ? »

Sa poitrine se couvrit de pustules , ses poumons tombèrent en dissolution et elle les rendit , d'après l'attestation de té- moins oculaires et instruits, par petits morceaux. A tous ces maux se joignit un chancre qui à lui seul fut un vrai mar- tyre. Grand Dieu! pouviez-vous entasser plus de maux sur cette faible vierge !...

Cependant , deux nouvelles pustules s'étant formées l'une sous le bras , l'autre dans la région du cœur, et lui en ayant révélé les dangers , toute contente, elle dit au Seigneur :

« Deux pustules, c'est bien; mais trois seraient encore mieux , en honneur de la Trinité sainte , pourvu toutefois que cela soit conforme à votre bon plaisir. »

Le Seigneur l'exauça ; un troisième bouton de peste se dé- clara sur la joue ; et enfin une paralysie affecta ses pieds et ses jambes pendant plusieurs années. La voilà donc crucifiée, macérée , percée , dévorée de tout son corps ; cependant elle souffrit ce long martyre sans que sa patience se démentît un

DE SAINTE LIDWINE. 383

seul moment, si ce n'est dans le principe , alors que Dieu , pour la perfectionner , la laissait avancer par les degrés même des imperfections humaines...

Le calvaire devint l'école de Lidwine , et c'est de Jésus cru- cifié qu'elle apprit l'alphabet des Saints : pour ne pas perdre de vue ce divin Maître des souffrances, elle divisa le jour en sept parts , et la passion de Jésus-Christ en autant de parties correspondantes , et elle était si fidèle à donner le temps prescrit à chaque considération , qu'on aurait dit qu'elle avait une horloge dans l'esprit. Elle ne tarda pas à ressentir les heureux effets de ce saint exercice et h en recueillir des fruits admirables de patience et d'union intime à Jésus-Christ.

Au milieu des douleurs les plus atroces qui lui occasion- naient des grincements de dents , si on lui demandait quel- quefois si elle voudrait en être guérie : « Non, non, répon- dait-elle; et, s'il ne fallait qu'un Are. Maria pour opérer ce miracle , je ne le dirais pas ; j'aime bien mieux ressembler à mon Jésus que ne lui ressembler pas , être affligée par la vo- lonté de Dieu , que consolée par ma volonté propre. »

Le bois que l'on donne au feu ne fait qu'augmenter son ar- deur , et les maux de Lidwine ne faisaient que perfectionner sa patience. Docile à la main de Dieu qui la façonnait , elle ne se plaignait pas davantage que l'argile sous la main du potier, que l'or dans la fournaise , et que le fer sous le mar- teau du forgeron ; cependant, il est vrai de dire qu'il la trai- tait d'une manière à peu près semblable. Nous n'insistons plus sur mille autres mots et sur mille circonstances qui ne servaient qu'à les aggraver. Il faudrait écrire toute sa vie; tachons de recueillir le plus de paroles que nous pourrons.

Le concours des étrangers auprès de Lidwine devenait tous les jours plus considérable : tout le monde voulait la voir, les uns pour s'édifier, les autres pour la juger , d'autres pour recourir à son intercession. Lorsque des curieux ma- nifestaient leur étonnement sur le genre de ses maladies ou sur sa patience , elle leur disait :

384 ESPRIT

ce Qu'admirez-vous donc,, mes Frères? Comment je puis vivre sans manger! Mais le pain n'est pas l'unique nourriture de l'homme. Comment je puis être hydropique ne buvant ni ne mangeant ? Mais Dieu n'a pas besoin de matière pour faire ce qu'il veut! Comment je puis sans mourir supporter tant de souffrances? Mais celui qui me les donne est l'auteur de la vie et il veut que je vive : le mal ne me tuera que lorsqu'il plaira à ce bon Maître de m'appeler à lui. Ma situation vous touche et vous effraie? Vous méjugez bien malheureuse d'être acca- blée de tant de maux ? Ah ! c'est que vous voyez seulement la croix que je porte et non l'onction intérieure qui me console. Les consolations en moi sont proportionnées aux épreuves ; et je les trouve si délicieuses , que je ne les changerais pas pour tous vos plaisirs. »

( Le moment est venu de consigner ici un fait : c'est que tout ce qui est dit des maux inouïs de Lidwine , est constaté par un procès-verbal fait et signé par les magistrats de la ville de Scheida, revêtu du sceau public et publié en présence d'une foule de témoins oculaires ; on peut le lire dans sa vie par Bruchman. )

Revenons. Les années se succédaient sans apporter au- cun soulagement à la triste position de Lidwine, dont les maux croissaient , loin de diminuer. Mais celui qui fit pleu- voir constamment la manne en faveur de son peuple dans le désert , ne laissa pas son épouse sans consolation dans sa voie douloureuse. Etant interrogée un jour par deux religieux sur les jouissances intérieures qu'elle éprouvait , elle ré- pondit :

« J'avouerai , en vous priant de pardonner cet aveu à ma folie , que je goûte parfois des consolations fort peu méritées. Sans ces miettes qui tombent de la table du Maître , la pauvre Cananée ne pourrait subsister longtemps dans un corps si misérable; mais il lui conviendrait peu de vous apprendre de quelle nature sont ces consolations et quelle en est la fré- quence et la durée. »

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Elle ne communiquait ces secrets qu'à ses amis les plus discrets , et encore ne disait-elle que ce qu'exigeait la gloire divine ou la charité.

Il paraît que son cœur était habituellement inondé de fa- veurs célestes; cependant Dieu les lui retirait quelquefois, et c'était la plus grande peine qui pût lui arriver. Lorsqu'elle avait souffert tout un jour de ce triste abandon , elle se tour- nait vers son bon Ange , comme s'il eût été présent à ses yeux , et lui disait :

« 0 mon Frère , interrompez votre silence, ne tardez pas davantage à me donner des nouvelles de mon Bien-aimé ; ne refusez pas à mon amour toutes les indications que mon cœur désire : est-il maintenant cet époux chéri? que fait-il? à quoi s'occupe-t-il? croyez-vous qu'il m'aime encore? parle- t-il de moi quelquefois? occupé-je toujours une place dans son souvenir ? ne vous a-t-il pas dit qu'il m'appellerait bien- tôt dans son royaume? Oh! jusqu'à quand me laissera-t-il dans ce lieu d'exil ? que deviendrai-je si mon bannissement dure longtemps encore? Je ne sais comment je pourrai vivre avec un cœur blessé d'un trait de son amour, et que le feu de sa divine charité consume au point que je me sens mou- rir. 0 Ange , mon Frère ! parlez donc de ma peine au Bien- aimé de mon âme : dites donc à mon époux que je languis d'amour. Je vais parler comme une insensée , comme une impatiente; mais qu'y faire? La violence de mon amour est telle, que je ne sais plus ce que je dis. Comment se fait-il qu'il m'afflige au lieu d'avoir pitié de ma langueur et de ma défaillance , lui qui m'a tant recommandé la commisération pour les malheureux?... Oh! si je pouvais attirer à moi ce Bien-aimé comme il est le maître de m'attirer à lui , il n'y aurait plus pour moi ni repos ni sommeil jusqu'à ce que mon âme, brûlée par la soif de le posséder , fût satisfaite. Je l'at- tirerais dans mes bras , je le ferais passer au fond de mon cœur, ou plutôt j'entrerais dans le sien et je m'y submerge- rais tout entière.

t. v. 25

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Courez en toute hâte, et dites à mon Bien-aimé quel est le feu qui me brûle , quelle est l'ardeur qui me dévore. Saluez pour moi mon époux dans l'endroit le plus caché de son cœur; dites-lui que jusqu'à la mort je lui serai fidèle, et que le cœur de son épouse est un jardin fermé il n'entrera jamais d'autre amour que le sien ; j'en excepte pourtant celui de sa sainte Mère , mais je sais qu'il l'approuve , et fort heu- reusement, car je ne saurais me dispenser de l'aimer. Oh! saluez-la cette auguste Reine du ciel »

Son bon ange répondit à ses lamentations de l'amour et l'encouragea. D'autres anges vinrent aussi la visiter : elle en eut depuis des visions presque habituelles ; mais elle les per- dait quelquefois lorsqu'elle avait reçu des visites nombreuses ou trop prolongées , tant il est vrai qu'il est difficile de con- verser avec les créatures sans commettre au moins quelques imperfections. Aussi, après de telles rencontres, avait- elle soin de se laver dans les eaux de la pénitence, pour n'être pas trop longtemps privée du délicieux commerce de ces bien- heureux esprits. Voici la prière qu'elle avait coutume d'adres- ser à son ange gardien.

« Ange de Dieu et bien-aimé Frère, plein de confiance en vos bontés, je vous supplie humblement et instamment d'in- tercéder pour moi auprès de mon époux , afin qu'il me par- donne toutes mes fautes , qu'il m'affermisse dans la pratique de tout bien , qu'il m'aide par sa grâce à corriger mes dé- fauts et me conduise au ciel pour y jouir de son aimable pré- sence , pour y goûter son amour enivrant , pour y posséder une vie éternelle. »

Elle exhortait toutes les personnes qui l'approchaient à avoir pour leurs anges gardiens une vénération profonde et un amour reconnaissant, parce que nuit et jour ils ne ces- sent de veiller à notre défense. « Quoique supérieurs à nous , ajoutait-elle , en nature , en intelligence et en libre exercice de leurs facultés , ces célestes esprits ne dédaignent pas de servir les hommes en beaucoup de choses. Ils sont surtout

DE SAINTE LIDWINE. 387

fort dévoués à ceux qui ont été rachetés par le sang de Jésus- Christ , et leur familiarité avec eux est vraiment admirable. Marchez donc prudemment en leur présence et n'oubliez ja- mais de leur rendre les devoirs auxquels vous obligent leur noblesse et leurs bienfaits. »

Abondamment arrosé des eaux de la tribulalion , le cœur de Lidwine était devenu comme un jardin fertile , riche en fleurs de toute espèce dont nous pouvons ramasser les se- mences précieuses pour les jeter dans nos propres cœurs. Voici donc en peu de mots la méthode qu'elle suivit dans l'importante affaire de son perfectionnement spirituel.

Elle posa pour fondement de son édifice , la crainte du Seigneur. Elle établit ensuite la bonne volonté sur la crainte; sur la bonne volonté, la défiance d'elle-même ; sur cette dé- fiance, l'humilité ; sur l'humilité la patience ; sur la patience le règlement de la langue qu'on appelle discrétion ; sur la discrétion , l'obéissance ; sur l'obéissance, la sainte pauvreté; sur la pauvreté la sobriété; sur la sobriété la pureté du corps et de l'âme. Or , il suffit de considérer cet arrangement avec quelque attention pour reconnaître sa sagesse et son esprit de discernement.

Il serait inutile de réclamer dans l'énumération ci-dessus l'amour de Dieu , dont on a vu déjà les transports, et l'amour du prochain qu'elle porta au degré le plus héroïque. Qui aurait cru que dans cet état de profonde misère, attachée par tant d'infirmités dans le lit de sa douleur , elle trouvât et des ressources et des moyens de soulager le pauvre? Or, c'est ce qu'elle a fait d'une manière vraiment miraculeuse. Tant qu'il lui restait quelque chose, il fallait qu'elle en fît le sacri- fice , et lorsque l'argent lui manquait , elle savait encore leur donner des larmes, des encouragements et des consolations. Elle disait souvent : a Ces pauvres de Jésus-Christ seront un jour des rois dans le royaume des cieux ; c'est manquer à leur dignité que de retarder le service qu'on doit leur ren- dre. » Il serait impossible d'énumérer tous les bienfaits ,

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toutes les largesses , toutes les aumônes qu'elle faisait dis- tribuer , mais non moins impossible de dire d'où lui venaient tant de ressources , à moins de recourir au miracle , à l'in- tervention la plus évidente de celui qui est riche envers ceux qui l'invoquent. Dieu en effet multipliait et remplaçait l'ar- gent dans sa bourse et les provisions dans sa maison. Plus sa charité débordait en quelque sorte, plus Dieu faisait refluer les biens dans son sein. Qu'on nous dispense de rapporter à l'appui de cette vérité, les faits les plus incontestables dont son histoire est remplie.

Ayant étudié avec une avidité incomparable,, le livre de vie, Jésus crucifié , elle y avait puisé un grand amour pour le salut des pauvres pécheurs. Elle avait en outre reçu les dons les plus excellents pour conduire les âmes et les consoler dans leurs afflictions. Elle donnait à toute sorte de personnes les conseils les plus salutaires,, Elle recommandait beaucoup le travail, regardant l'oisiveté comme la source de tous les pé- chés , le sentier de tous les vices.

Aux âmes affligées elle disait avec une douceur ravissante : « Lorsque les flots de la tristesse submergent votre cœur, au lieu de vous désespérer , cherchez promptement la miséri- corde de Dieu , comme l'enfant affligé cherche le sein de sa mère; racontez-lui vos douleurs, et reposez-vous en toute confiance sur sa bonté ; vous vous sentirez aussitôt consolées jusqu'à perdre le souvenir de ce qui vous affligeait. Du reste, il convient que vous supportiez vos peines non-seulement avec patience, mais avec joie et action de grâces, soit qu'elles vous arrivent par son ordre ou par sa permission. Je dis plus encore, il faut que vous baisiez avec amour la verge dont ce bon père se sert pour vous frapper ; car pourquoi vous frappe- t-il , sinon parce qu'il vous aime, parce qu'il veut vous puri- fier et vous perfectionner pour vous récompenser un jour plus abondamment. Dieu a coutume d'éprouver ses élus comme l'or dans la fournaise, afin de ne laisser en eux aucun alliage humain. C'est donc une marque d'élection que de

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passer par les épreuves : il l'avait bien compris le Roi pro- phète, lorsqu'il disait au Seigneur: Votre verge et votre bâ- ton , au lieu de m'affliger, font 'mes plus douces consola- tions. »

Dieu la favorisa ensuite des connaissances les plus étendues pour exercer la correction fraternelle. Elle faisait connaître l'état des âmes pécheresses que la justice de Dieu punissait. Elle évoquait les morts , et leur faisait donner de terribles leçons aux vivants....

Disons quelque chose maintenant de son amour extrême pour la croix, des privilèges que Jésus-Christ lui accorda et de sa faim dévorante pour la divine Eucharistie.

Sa plus grande consolation était d'aller sur le Calvaire pour y chercher son Bien-aimé. Or, plus elle le contemplait, plus elle devenait sensible ; la vue de ses blessures était comme un glaive qui transperçait son cœur et lui faisait ou- blier , à force de compassion , ses propres douleurs. Le Cal- vaire était pour elle comme un jardin de plaisance elle se promenait nuit et jour, l'arrosant de ses larmes, de ses sueurs et même de son sang. Elle trouvait des roses dans les plaies de Jésus , des épis de nard sur les épines de sa cou- ronne , des lis et des violettes dans toutes les blessures de son corps , du cinnamome et du baume dans le sang et les crachats qui couvraient son visage. Aussi Jésus-Christ la transporta plusieurs fois en esprit et même en corps, d'après elle-même, sur le théâtre de ses souffrances. Elle vit et vi- sita tous les lieux marqués par les traces du sang de Jésus- Christ. Inutile cependant de répéter qu'elle ne put de sa vie sortir du lit sur lequel elle était comme crucifiée.

Cet attrait pour la passion de Jésus-Christ ne pouvait man- quer de rejaillir sur le sacrement établi pour en perpétuer la mémoire et les effets. Aussi en éprouvait-elle une faim si dé- vorante que l'intervalle d'un jour entre ses communions lui semblait une année. Il arriva cependant que le curé du lieu qu'elle habitait voulut la priver de ce divin aliment. Après

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le lui avoir humblement mais vainement demandé , elle lui dit : « 0 mon Père bien-aimé, si je tenais la clef du taberna- cle comme vous la tenez, et vous voyais pressé par la faim qui me dévore , je ne vous refuserais pas le pain de vie comme vous me le refusez. 0 Père de mon àme, ajouta-t-elle , ayez pitié de votre pauvre fille qui n'a d'autre consolation en ce monde que l'amour de Jésus , d'autre ressource pour entre- tenir sa vie que la chair de Jésus ! »

Voici ce qu'elle insinuait aux simples, touchant la commu- nion spirituelle : « Lorsque vous assistez à la sainte Messe, pensez d'abord que le ciel est ouvert et que les anges en des- cendent en foule pour adorer l'Agneau qui va s'immoler sur l'autel. Méditez ensuite la passion de ce doux Sauveur avec la dévotion la plus intime possible. Si vous devez y commu- nier, il sera bon de vous exercer à l'amour intérieur de celui qui va devenir votre aliment , à le goûter d'une manière sa- voureuse , et surtout à suivre les mouvements de son esprit qui portent l'àme à imiter sa sainteté. Ce n'est pas un hôte ordinaire que vous recevez dans la maison de votre cœur , c'est le Roi des rois , c'est le Fils unique de la Vierge-Mère , qui réformera le corps de votre humanité sur le modèle de son corps glorieux. C'est une nourriture qui rassasie pleine- ment l'àme pénitente qui le mange ; c'est une nourriture for- tifiante pour l'àme qui veut avancer , mais que le travail de la vertu fatigue. C'est une nourriture souverainement délec- table aux Israélites selon l'esprit , qui, sortis de l'Egypte, marchent vers la terre de promission. C'est une nourriture qui engraisse, non les corps bien nourris , mais les cœurs dévots ; non la chair affamée , mais les âmes que la maigreur afflige ; non les corps paresseux , comme parle l'Apôtre , mais les esprits appliqués aux œuvres de la piété. »

Sa patience au milieu des privations et des souffrances fut cependant mal interprétée ; on l'attribuait aux artifices du démon, et ce funeste jugement fut cause un jour qu'on osa lui administrer une hostie non consacrée ; mais elle fut aver-

DE SAINTE LIDWINE. . 391

lie du ciel touchant cette horrible et sacrilège tromperie ; elle reçut cependant ce pain matériel , mais son estomac ne put le supporter, elle le vomit aussitôt , et , malgré les artifi- ces de l'esprit de mensonge , l'insigne fourberie fut décou- verte. Elle fut longtemps éprouvée , privée et soupçonnée de la sorte , mais Jésus-Christ par ses fréquentes apparitions avait soin de l'en dédommager ; il la favorisa en même temps de l'impression des sacrées blessures de son amour appe- lées stigmates. Cependant, ô perfection de son humilité ! à la vue de ces blessures , si apparentes qu'elle ne pouvait les cacher aux yeux des hommes , elle fut saisie de crainte, et dit à son bienfaiteur : <c O mon Jésus, qu'avez-vous fait là? les hommes le sauront, et je vais être accablée de visites , et leurs applaudissements me donneront de l'orgueil. Oh ! je vous conjure , rendez ces marques de votre amour invisibles , ou bien ôtez-les tout à fait ; votre grâce me suffit. » Au même instant une nouvelle peau se forma sur ses plaies et les fit disparaître ; la douleur seule lui en resta toute sa vie , con- formément à son désir.

Quant à l'apparition de Jésus-Christ dans une belle hostie suspendue en l'air , au-dessus de la tête de Lidwine et se plaçant sur une nappe blanche étendue sur son lit , son père , plusieurs voisins qui accoururent , en furent les témoins oculaires : cette vénérable hostie était plus grande que celle qu'on donne aux fidèles , mais plus petite que celles que les prêtres consacrent; elle était bordée de rayons lumineux; au milieu on voyait un enfant crucifié dont les blessures parais- saient sanglantes ; l'ouverture du côté était cachée sous une goutte de sang delà grosseur d'un demi-pois : tous la voyaient posée sur un linge blanc ; mais Lidwine la voyait suspendue en l'air à une petite distance de la nappe. Pour les autres différentes visions de cet objet unique de son amour , elles furent clairement manifestées par la variété des rapports que firent les témoins de ce qu'ils avaient vu.

Peu de temps après , ayant convaincu son pasteur jusque-

392 ESPRIT

si incrédule touchant In vérité divine de ce qui se passait en elle, il lui fut donné de communier tous les jours ; dès lors il lui sembla n'être plus à plaindre , tant étaient vives et pénétrantes les consolations qu'ellerecevail ; mais cène fut que le moindre avantage qu'elle retira de ce pieux usage : Jésus la combla de nouveaux privilèges , il lui accorda le don de miracle , il fit reparaître ses stigmates et voulut la glorifier aux yeux de tous....

Toutefois notre illustre vierge, parvenue à ce haut degré de sa vie spirituelle , sembla compter pour rien tout ce qu'elle avait fait jusque-là pour son Dieu : « C'est maintenant , se disait-elle à elle-même, qu'il faut commencer à devenir la servante du Seigneur ; c'est maintenant qu'il faut travailler à sa gloire, et avoir pitié des pauvres âmes qui sont encore loin de lui. » Dès lors le feu de la charité prit en elle de nouvelles forces, une nouvelle ardeur, et poussa des flam- mes plus vives ; elle s'intéressa plus assidûment aux âmes du purgatoire , et elle semblait verser pour elles des larmes de sang.

L'auguste Mère de Jésus-Christ , voyant la perfection de cette vierge si amoureuse des souffrances de son Fils , vou- lut elle aussi lui accorder quelque faveur; elle lui apparut , et après bien des détails qui seraient ici trop longs, lui donna un voile , qu'elle-même plaça sur sa tête , lui ordonna de le porter pendant sept heures et ensuite de le remettre à son confesseur pour en couvrir de sa part l'image de Marie dans l'église de Scheida. Le confesseur put s'en convaincre, car un voile n'est pas une illusion ; il le tenait dans ses mains et le trouvait palpable ; sa couleur était d'un blanc céleste ma- gnifique , son tissu d'une finesse imperceptible , et l'odeur qu'il exhalait , embaumait toute la maison d'une suavité in- connue.

La Bienheureuse , dans ses ravissements presque conti- nuels , était élevée si haut au-dessus des sens, qu'elle deve- nait étrangère à ce qui se passait dans sa chair mortelle ; la

DE SAINTE LIDW1NE. 393

grâce lui communiquait l'agilité et la subtilité des esprits glorieux, et elle parcourait presque continuellement cette ré- gion sublime qui est pleine de délices et des richesses du Seigneur , la raison est sans obscurité , la mémoire sans oubli et l'entendement si bien éclairé qu'il connaît sans er- reur et discerne toutes choses ; elle n'avait jamais rien appris et elle savait tout; personne ne l'avait initiée à la science de la loi de Dieu, et elle en connaissait tous les secrets. Or, c'est par la méditation persévérante de la passion du Sauveur et les lumières du Saint-Esprit qu'elle avait acquis cette science supérieure à celle qu'on acquiert dans les livres des hommes. Voici un fait qui ne pourra qu'intéresser nos lec- teurs :

Un professeur en théologie , de l'ordre de Saint-Domini- que, ayant entendu parler diversement de cette sainte fille , fut curieux de la connaître et vint de Maestricht à Scheida , pour avoir avec elle une longue conférence. Après avoir parlé de beaucoup de choses, voulant éprouver sa pénétra- tion , il lui dit : « Je désirerais savoir , ma Sœur, de quelle manière les trois Personnes de la sainte Trinité ont opéré dans le sein de la glorieuse Marie l'incarnation du Verbe; di- tes-moi , je vous prie , ce que vous savez à ce sujet. »

Lidwine craignait trop la vaine gloire pour oser aborder une question si haute; elle s'excusa donc; mais son excuse ayant été mal reçue et le professeur l'ayant adjurée , parle jugement terrible de Dieu , de le lui dire sans dissimulation, effrayée de cette adjuration et du danger que courait son hu- milité, fondant en larmes, elle lui dit, toute confuse : « Mon Père , pour déclarer ma pensée sur la question que vous ve- nez de me faire , permettez-moi de recourir à une comparai- son : j'imagine un corps solaire d'où sortent trois rayons dis- tincts, qui ensuite se réunissent de manière à n'en plus for- mer qu'un seul , je me représente ces rayons fort larges au sortir du corps solaire , mais diminuant à mesure qu'ils s'éloignent , de manière à ne former qu'une pointe aiguë et

394 KSPRIT

indivise comme la pointe d'une lance à leur extrémité ; je vois enfin cette pointe unique formée des trois rayons péné- trer dans l'intérieur d'une maison. Déjà , mon Père, vous voyez ma pensée dans cette similitude , cependant je me permettrai de la développer : j'entends par ce corps solaire la divinité; parles trois rayons distincts qui en sortent, les trois personnes qui émanent de la divinité ; par leur sortie tendant au même but , l'opération commune à ces trois personnes adorables dans l'incarnation du Verbe; par la réunion de ces trois rayons en une seule pointe , l'u- nité d'opération à laquelle pourtant les trois personnes contribuent; par l'extrémité de la pointe, la personne du Verbe qui termine l'incarnation , quoiqu'elle soit l'ouvrage des trois personnes ensemble; cette pointe qui pénètre dans l'intérieur d'une petite demeure signifie l'entrée du Verbe dans le sein de Marie il prit une petite portion du plus pur sang de cette auguste Vierge qu'il s'unit ineffablement sans partager sa personnalité , de manière qu'il y eut en lui , après cette opération , deux natures et une seule personne, la personne du Fils de Dieu. »

Il serait difficile de rendre l'étonnement que causa cette ré- ponse au saint religieux. Chacun peut en juger par celui qu'il a éprouvé lui-même en lisant ces sublimes paroles : c'est ainsi que l'esprit de Dieu enseigne les âmes qu'il a choisies et qui sont dociles à ses inspirations.

Mais l'esprit de prophétie de la servante de Dieu était éga- lement admirable; elle prédisait les choses futures, pénétrait les secrets des cœurs, voyait comme présentes les choses les plus éloignées. Des faits sans nombre attestent encore cette vertu.

Enfin ,1e temps était venu Dieu , après avoir tant éprouvé cette victime de l'amour, par le martyre du corps , voulut aussi l'éprouver par le martyre du cœur. Elle perdit d'abord un frère qu'elle aimait tendrement, ensuite elle perdit son vé- nérable père, Pierre, et sa pieuse mère Pétronille. Ces perles

DE SAINTE LIDWINE. 395

si douloureuses la jetèrent dans une affliction profonde, mais Dieu s'en servit pour la perfectionner : il la punit-de cet excès de sensibilité , en se retirant d'elle et en lui enlevant les dé- lices , les faveurs et les consolations ordinaires. Qui peut dire combien fut pénible pour son cœur si aimant la privation des goûts de son unique Bien-aimé! Elle dura cinq mois , après quoi Dieu lui rendit la consolation de sa présence.

Alors , entièrement dépouillée par la mort de tous les ob- jets de sa tendresse , purifiée plusieurs fois dans le creuset delà tribulation, ne trouvant que de l'amertume dans les consolations que lui offraient les créatures , elle ne cessait de pousser ses soupirs vers Dieu et d'attendre tout de son souve- rain bien! Qui n'admirera cette conduite de Dieu sur les âmes qui lui sont chères , et en particulier sur notre Bien- heureuse. Elle se rend coupable d'une petite infidélité aux lois de son amour , et il la punit en lui dérobant sa présence ! 0 douce colère de Dieu , qui en châtiant ramène et rassasie plus que jamais du souverain bien !

Achevons de contempler l'économie de Dieu dans la for- mation des mérites de ses élus.

Pour consommersapatier.ee, Dieu fit fondre sur elle, avant sa mort, tous les maux qui lui manquaient, et quel torrent de maux n'avait-elle pas endurés ! Elle fut attaquée d'épilepsie, et chaque nuit elle en éprouvait trois violentes attaques : à l'épilepsie se joignit la démence, mais celle-ci ne dura que le temps de faire voir que Dieu ne lui voulait épargner aucun des plus grands malheurs : à la démence succéda une atta- que d'apoplexie : des douleurs dans la région du cerveau se déclarèrent ensuite : ses maux de dents recommencèrent : ses yeux devinrent plus douloureux que de coutume : un chancre s'établit sur sa poitrine et en dévora toutes les chairs ; enfin , le charbon, qu'elle avait prédit devoir la tuer, fit invasion dans la région inférieure. Elle perdit la parole jusqu'à trois fois. Que dirons-nous encore? N'est-il pas temps de s'arrêter , dans l'impuissance de tout reproduire ? Oh !

396 ESPRIT

que celui qui peut comprendre ce martyre le comprenne , et qu'il nous dise tout ce qu'il y a de merveilleux et dans la vierge qui le souffre et dans le Dieu qui est assez puissant pour l'en retirer et la glorifier!

En effet , comme le Seigneur voulait qu'on sût que les maux de Lidwine n'avaient rien de naturel , il rétablit à la fin de sa vie son corps dans sa parfaite intégrité. Toutes les parties intérieures et extérieures qu'elle avait perdues du- rant le cours de tant d'infirmités , lui furent rendues et réta- blies , non-seulement dans leur force première, mais avec un embellissement et un éclat extraordinaires. Raconter com- ment cela se fit , ce serait interroger Dieu lui-même : pour- quoi son bras tout-puissant serait-il ici raccourci? pourquoi n'aurail-il pas pu envers Lidwine ce qu'il a pu envers tant d'autres ? Sa science ne surpasse-t-elle pas celle des phy- siciens , des médecins , des plus savants de la terre ? Qui est-ce enfin qui peut résister à l'évidence d'un fait attesté par une nation tout entière ?

Longtemps avant de quitter la terre, notre Bienheureuse avait prévu et prédit sa mort.

« Je vois, disait-elle à son confesseur , un arbre chargé de boutons de roses ; mais il faut que cet arbre croisse et que ces boutons s'épanouissent avant que je sorte de ma capti- vité. »

Et lui ayant demandé plus tard en était cet arbre avec ses boutons de fleurs , elle répondit :

« L'arbre est arrivé à sa plus grande hauteur , et toutes les roses sont ouvertes ; aussi je vois que je ne tarderai pas à mourir. »

Quelqu'un lui ayant demandé ensuite si Dieu opérerait quelque miracle à sa mort :

« Je sais , dit-elle, que quelques âmes simples s'attendent à me voir finir d'une manière merveilleuse ; mais elles se trompent : il ne se fera à cette heure aucun miracle frappant. Quant à ce qui doit arriver après mon trépas , Dieu le

DE SAINTE LIDYVINE. 397

sait ; mais je n'ai pas envie de le rechercher et de le dire. Je suis sa créature ; il est bien le maître de se servir de moi comme d'un instrument pour faire ce qui lui plaira. Je prie instamment mes amis tant présents qu'absents de ne point relever mon corps avant que trente ans soient écoulés de- puis sa sépulture. Que plaira-t-il à Dieu de faire après cette époque ? c'est un secret qu'il garde pour lui seul. »

La sainte vie de Lidwine arrivait donc à son couchant , et déjà se faisaient dans le ciel les préparatifs de ses noces virgi- nales. En conséquence, ayant réuni autour d'elle toutes les personnes qui la servaient, elle leur dit :

« Je vous prie toutes et vous conjure de me pardonner de tout votre cœur les peines que j'ai pu vous faire par mes pa- roles et par mes actions. Ne me refusez pas cette grâce que je sollicite pour l'amour de Dieu, à la charité duquel je vous recommande pour le présent et pour l'avenir de toute la fer- veur de mon âme. »

Est-il besoin de dire l'attendrissement que produisirent sur ces femmes les paroles d'une si grande Sainte ?

Lorsque le jour de Pâques commença à luire, sa joie fut si grande et ses consolations si douces , que ne pouvant plus y tenir , elle pria Dieu avec instance de briser ses liens et de l'appeler à lui. Son Bien-aimé, sensible à sa prière, vint la voir lorsqu'elle était seule , et daigna lui donner de sa propre main le sacrement de l'Extrême-onction , comme elle l'a ré- vélé après sa mort à quelques personnes qui lui étaient chères. Elle sentit parfaitement les impressions de la main divine de Jésus; les anges l'assistaient, ainsi que la Vierge Marie. Quand cette administration fut finie , Jésus et sa Mère lui mirent le cierge en main et placèrent le crucifix sous ses yeux pour y rester jusqu'au départ de son âme , mais visible à elle seule.

Lidwine , transportée de joie , prit alors la parole et dit à son Seigneur du ton le plus humble et le plus respectueux : « 0 mon doux Maître ! puisque vous avez daigné descendre

398 ESPRIT

jusqu'à la plus petite de vos servantes , puisque vous n'avez pas eu horreur d'oindre mon corps de vos très-saintes mains, mettez le comble à vos bontés en m'accordant une dernière grâce , c'est de me faire souffrir jusqu'à ma dernière heure autant que le méritent mes péchés , afin que mon âme , déli- vrée de sa prison , puisse être admise sans autre purification à contempler votre face adorable. »

Jésus lui répondit : « Je reçois votre prière , ma Fille, et je l'exauce ; sous deux jours vous chanterez l'alleluia avec vos Sœurs les vierges dans le paradis. »

Le mardi de Pâques , sentant que sa mort approchait et voyant sa chambre pleine de monde , elle demanda à être seule , sauf un petit neveu pour l'envoyer en cas de besoin , voulant dérober jusqu'au prodige de son dernier soupir. Comme on ignorait que ce fût le jour de sa mort, et imaginant qu'elle désirait être seulement dans le silence, on la quitta, espérant bien de la revoir le lendemain. Mais dès ce moment elle entra dans l'agonie la plus pénible, et rendit sa belle âme à Dieu , le 11 avril 1433, la semaine de Pâques , selon qu'elle l'avait désiré.

Lorsque l'enfant qui l'assistait, épouvanté par les convul- sions de la mort, eut couru pour l'annoncer à son confesseur, la maison se remplit et retentit aussitôt de lamentations. On visita ses mains qu'elle ne pouvait joindre pendant sa vie et qui l'étaient après sa mort, comme elle l'avait prophétisé; on remarqua aussi qu'elle avait, pliée sur la tête du lit, une rude ceinture qu'elle portait , qu'elle ne pouvait détacher , et qui avait été enlevée sans être dénouée. On la conserve précieuse- ment comme une relique très-chère : elle exhale un parfum délicieux , et il s'opère de fréquents miracles sur ceux qui la touchent.

Son confesseur , Jean Walter , ayant vu , pendant la nuit qui suivit son décès , sa belle âme sous la forme d'une co- lombe magnifique , et étant divinement averti du bel état de son corps , qui pendant la vie avait été si horriblement mu-

DE SAINTE LLDWINE. 399

tilé , ordonna qu'on l'examinât. Quel fut l'étonnement des assislanis, lorsqu'on vit une beauté ravissante , des attraits divins sur un corps les difformités hideuses effrayaient auparavant. La couleur du corps était uniforme et si agréable, qu'on ne pouvait se rassasier de la voir; quant au parfum qui émanait de son corps, il était d'une suavité si délicieuse et si fortifiante , que les vierges chargées de la garde du précieux dépôt, n'éprouvèrent, pendant deux jours et trois nuits , ni le besoin du sommeil ni celui de la nourriture.

Au premier bruit de sa mort, un peuple immense accourut pour la contempler ; pendant trois jours , la foule ne diminua pas , et ce fut le 14 avril 14-33 qu'elle reçut les honneurs de la sépulture. Les sacrés restes de la Bienheureuse , rachetés des hérétiques , furent levés de la terre et transportés à. Bruxelles en 1615 , et leur culte fut autorisé par l'archevêque de Mati- nes , Mathias Hovio , en 1771.

NOTES SUR LE TOMBEAU DE SAINTE LIDWINE.

Sainte Lidwine, morte à Sciedham, comme nous l'avons dit, fut d'abord ensevelie au côté oriental du cimetière de l'église paroissiale Saint-Jean-Baptisle , qui prit son nom dès 1434. Le premier tombeau qu'on lui érigea fut très-simple. Une pierre tombale de deux coudées de hauteur , recouverte par une pierre rouge en forme de couvercle pyramidal, portant l'effigie de la Sainte , fut tout le monument funèbre; l'intérieur de la bière avait été étoffé et orné de croix rouges. Ce tom- beau ayant été illustré par plusieurs miracles , les administrateurs de la fabrique de cette église firent construire sur le tombeau même , à côté de la paroisse et seulement séparée par deux colonnes à l'intérieur, une chapelle et un autel de marbre en son honneur. On fit de la maison de son père uu monastère de Sœurs Grises ou du tiers ordre de Saint- François. Les Calvinistes démolirent , plus tard, la chapelle , et con-

400 NOTES SUR LE TOMBEAU DE SAINTE LIDWINE.

vertirent le monastère en un hôpital pour les orphelins. Lors de la ca- nonisation , son corps fut trouvé intact en grande partie, et tel qu'on le conserve à Bruxelles. 1 ans cette chapelle , à côté de l'autel , sainte Lidwine était représentée en peinture , recevant d'un ange un rameau d'olivier, et de l'autre main tenant un crucifix. Dans un arceau était un tableau protégé par une glace , qui représentait diverses époques de la vie de la Sainte, et plusieurs miracles opérés par son interces- sion. Sur les murs latéraux de l'église , on avait peint son lit entouré de malades demandant la guérison. On conserva pendant longtemps ses reliques dans une grande châsse, assez richement travaillée, garnie de satin vert à l'intérieur et de maroquin doré au dehors. Mais , plus tard, une solennelle translation eut lieu (c'était en 1650 ) , par ordre du sé- rénissinie archiduc Léopold , gouverneur des provinces Belges , repré- sentant le roi catholique. Elle fut faite avec toute La pompe imaginable. Le saint corps fut déposé à Saiute-Gudule, dans une chapelle dont voici la description. Un autel très-élégant et des marbres les plus ri- ches; sur l'autel , un tableau remarquable représentant la Cène; une statue en marbre blanc de la sainte Vierge Mère de Dieu ; au-dessous une châsse d'ébène garnie d'argent contenait les reliques , et deux an- ges étaient placés l'un à droite , l'autre à gauche. La statue du côté droit était celle de sainte Lidwine , tenant en main une croix avec son crucifix doré ; du côté gauche était un ange , offrant avec respect à la Sainte un rameau d'olivier.

La sérénissime Isabelle-Claire-Eugénie , infante d'Espagne , fit met- tre une partie des reliques de sainte Lidwine dans une châsse d'argent qui se conservait dans l'église des Ccirmélitesses ( c'est le propre nom , d'après Chastelain , Mart. univ. ) , dont elle était la fondatrice.

Plusieurs auteurs ont écrit la vie de cette Sainte ; nous nommerons parmi les plus célèbres , Thomas à Kempis , Jean Gerlac , Jean Gautier son confesseur , et le Père Bruchman qui l'avait connue personnelle- ment. On peut voir aussi le Père Papebrock , Bollandiste, t. X, 14 avril, Alban Butler , tom. m , enfin les PP. Guil et Thiersant , jésuites , Paris , 1637 , in-12.

ESPRIT

DE

SAINTE FRANÇOISE

ROMAINE ,

VEUVE ET FONDATRICE

DES COLLATINES OU OBLATES DE LA TOUR DES MIROIRS.

NOTICE.

1440.

Entre toutes les dames romaines les plus illustres et les saintes les plus célèbres qui florissaient au xv° siècle, Fran- çoise de Rome occupe, de l'aveu de tous, le premier rang, par ses vertus , ses miracles , ses visions et ses fondations. Elle naquit dans Rome même, sous le pontificat d'Urbain VI , en 1384. Son père Paul de Ruxo et sa mère Jacqueline Rofre- deschi lui inspirèrent , dès son enfance , le goût de la piété ; t. v. . 26

4-02 NOTICE

mais elle ne tarda point à surpasser toutes leurs prévisions , car elle était si vertueuse qu'elle ne pouvait même souffrir les innocentes caresses qu'on prodigue aux enfants , de peur de blesser, par cette complaisance, la vertu de pureté. Les premiers désirs qu'elle sentit éclore dans son cœur, la portè- rent à se consacrer spécialement au service de Dieu : toute- fois , après bien des luttes et bien des larmes, elle entra dans l'état du mariage, uniquement pour condescendre à l'autorité de son père , auquel elle portait une obéissance absolue. L'époux que le ciel lui donna , fut Laurent Pontiani ou Ton- zani , jeune seigneur romain , aussi distingué par sa nais- sance et sa fortune que par ses vertus. Pendant cette heu- reuse union , Dieu fit plusieurs prodiges en faveur de Fran- çoise , soit en l'arrachant des bras de la mort par un miracle évident , soit par ses enfants Evangéliste ( c'était le nom du fils ) et Agnès ( c'était celui de sa fille ) , qui étaient des en- fants extraordinaires en sainteté , et qui lui apparurent sou- vent , après que Dieu les lui eut ravis ; soit enfin par un ange que Dieu lui donna pour la corriger et qu'elle voyait souvent des yeux du corps , d'après ce que disent ses biographes.

Cependant, Laurent son époux, se regardant indigne d'être uni à une épouse si sainte , renonça à ses droits sur elle et consentit à vivre étrangers l'un à l'autre ; alors redoublèrent les exercices de piété de Françoise , si bien qu'il serait im- possible de raconter tout ce qu'il y eut d'éminent dans sa charité, sa patience, sa douceur , sa modestie, ses austé- rités et son obéissance.

Alors , d'après une révélation céleste , elle institua la congrégation des Oblates, dont le nom tire l'origine du mot oblalio , s'offrir , parce qu'au lieu des formules ordinaires , je me consacre . je- fais profession profiteur . elles disaient : je

SUR SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 403

m'offre. Cette oblation , comme on le verra aux Notes , n'était pas un vœu solennel , et l'obligation de rester dans l'ordre n'était pas perpétuelle , puisqu'elles pouvaient en sortir pour se marier. On fait remonter cette institution à l'année 1433. Eugène IV , alors pape , rendit un bref en leur faveur.

Sainte Françoise Romaine était d'une trop haute sainteté pour ne point exciter la rage de l'ennemi du salut des âmes : après lui avoir livré les assauts les plus terribles , il lui fit éprouver les plus grands obstacles et essuyer les traverses les plus cruelles pour ses fondations ; à ces sortes d'angoisses , il ajouta celles de lui faire voir son mari banni de la ville, et son fils aîné gardé en otage pendant que Ladislas , roi de Naples , envahissait Rome , et que le schisme qui déchira l'Église , sous Jean XXIII , sévissait avec fureur ; mais cette âme si forte et si élevée ne fut point abattue, et sut recueillir de tant d'épreuves une moisson abondante de grâces et de mérites : aussi Dieu , qui sait le nombre de nos jours et qui les fixe au gré de sa sage providence , voulant récompenser les travaux de sa servante et la placer dans un degré d'honneur et de gloire proportionné à la grandeur de ses abaissements, donna le signal à son âme bienheureuse , et l'appela à la possession de la couronne qui lui était préparée , l'an 1440, le 9 mars, à l'âge de cinquante-six ans. Quoique honorée d'un culte pu- blic après sa mort , à cause des miracles qu'elle opérait , elle ne fut canonisée qu'en 1G08.

Les visions de sainte Françoise Romaine sont au nombre de soixante-dix-huit , mais la majeure partie regardant , en propre , sa fondation des Oblalcs, nous avons nous borner à celles qui renferment quelque utile enseignement, soit pour la perfection, soit pour la connaissance des faveurs et

404 NOTICE SUR SAINTE FRANÇOISE ROMAINE.

des communications que Dieu veut bien accorder aux âmes contemplatives.

Nous avons rapporté presque dans son entier le traité de l'Enfer, parce qu'il est fort remarquable et qu'il donne la mesure des lumières que Dieu accordait à sa servante. Les descriptions qui pourraient sembler purement imaginaires aux esprits prévenus , nous les avons supprimées , quoique aux yeux des âmes fidèles leur conformité avec l'Ecriture sainte , et beaucoup d'autres révélations , les leur dussent présenter sous un tout autre aspect. Elles ont été , ainsi que ces visions, écrites par Jean Mattiotti, confesseur de la Sainte, sous sa dictée , et soumises au jugement de l'Eglise : on doit pourtant leur appliquer, comme aux autres visions et révé- lations , la doctrine si sage de Benoît XIY, que nous avons déjà citée à la fin des Explications préliminaires , page 6 , et l'observation de Godescard , t. 2 , p. 273. Tout ce que nous donnons est rapporté dans son bistoire, par le R. P. Cipari , de la Compagnie de Jésus , traduit du latin , des Actes des Saints. Yoyez les Bollandistes , Cipari , et le Choix des lectures ascétiques , Clermont Ferrand , 2 volumes, approuvé par l'évoque de Clermont. C'est la traduction que nous avons suivie.

ESPRIT

DE

SAINTE FRANÇOISE ROMAINE ,

TIRÉ DE SES VISIONS ET RÉVÉLATIONS.

De la vision XIII.

Un jour, que Françoise entendait la Messe pour se préparer à communier, elle fut ravie en extase. Lorsque le moment de la communion fut arrivé , quoique son ravissement durât en- core , elle entra dans la chapelle , fléchit les genoux , ouvrit la bouche , et reçut le corps de son Dieu avec une admirable dévotion. Alors son visage devint tout enflammé, et ce feu lui resta jusqu'à la fin de son extase. Revenue à elle-même , et interrogée comme de coutume , elle répondit : « J'ai été con- duite clans une salle très-belle et très-spacieuse , qui était pleine de trésors infinis. se trouvait la forme humaine de notre Sauveur , décorée de ses très-saintes plaies , d'où sor- taient des splendeurs admirables , et une si grande clarté que mon esprit ne pouvait voir ses membres divins. Mais cette lumière communiquait à tous les esprits présents une joie et un contentement inénarrables. Je vis aussi la Reine céleste sur un trône magnifique , mais plus bas que celui de son Fils. Sa tête était ornée de trois couronnes ; la première était celle de sa virginité, la seconde celle de son humilité, la troisième

-400 ESPRIT

celle de sa gloire ; mais c'était celle-ci qui prêtait aux deux autres leur plus bel éclat. Cette grande Reine se tenait debout, les yeux fixés sur son Fils -, et l'amour qu'elle attirait par ses regards dans son cœur , rejaillissait sur son corps qu'il cou- vrait d'une gloire éblouissante. Or, tous les esprits angéliques et humains, témoins de cette gloire de leur Reine, paraissaient triompher de joie.

Cependant je regardais avec admiration ces trésors innom- brables dont j'étais entourée, et j'éprouvais une vive curiosité de savoir quel en était le propriétaire. Mais je n'eus pas be- soin de le demander, car une voix me prévint et me dit : « Dieu est le trésor et la gloire des âmes, et les âmes bienheureuses sont les trésors de Dieu. Quant à moi qui vous parle, je suis l'amour perpétuel, qui retire le cœur de mes amis de toutes les jouissances terrestres , et leur apprends à s'élever de ce qu'il y a de plus bas à ce qu'il y a de plus haut par la médi- tation. Je leur donne des consolations ; après quoi je les amène à se transformer en moi , par la considération d'eux- mêmes. Je les établis dans une profonde charité ; et lorsque leur cœur est bien épris de l'amour des biens célestes , je les enflamme afin de les disposer à s'unir avec ma divine volonté. Alors ils la contemplent sans cesse, ils désirent ardemment l'embrasser; puis, absorbés clans l'union, et comme endor- mis , ils aimeraient mieux perdre la vie que la vision dont ils jouissent. » Ces paroles sortaient du trône de la divine Majesté; lorsqu'elles cessèrent, la Reine du ciel ajouta : «Ame, qui désirez être semblable à nous , ne voyez-vous pas que dans le lieu vous êtes il n'y a aucune personne mortelle. Lorsqu'on possède un bien , on ne l'apprécie pas à sa valeur. Ce n'est qu'après l'avoir perdu qu'on s'en occupe de manière à le bien connaître ; retirez-vous donc , et conservez dans votre mé- moire le souvenir de ce que vous avez vu. Il arrive d'ordinaire qu'une âme, après avoir perdu la vision , cherche les moyens de la retrouver, et si elle ne peut l'obtenir , en conçoit une affliction trop vive. C'est un excès qu'il faut éviter. »

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 407

Après ce discours, je suppliai humblement mon Sauveur et sa Mère de ne pas me retirer celte vision béatifique ; mais il m'a été répondu : a Ame ignorante et ingrate, qui ne voulez pas être obéissante et vous retirer, pourquoi ne vous conten- tez-vous pas des choses qui vous sont permises , au lieu de nous contredire avec une hardiesse qui ne vous convient pas ? » Françoise eut cette vision le dernier jour de septem- bre de la susdite année.

Vision XIV.

Le premier jour de novembre , la servante de Dieu , après avoir reçu le corps de Jésus-Christ , eut une extase immobile qui dura environ une heure ; ensuite celte extase devint mo- bile, et après un assez long espace de temps, elle revint à son état naturel et répondit aux interrogations ordinaires : qu'elle avait été introduite dans une grande lumière , que de cette lumière elle était passée dans un ciel étoile, puis dans un ciel cristallin, et enfin dans le ciel empirée. Le confesseur lui ayant demandé quelle distance il y avait d'un ciel à l'autre , Françoise , avant de répondre à cette question, dit que le ciel des astres , dont la voûte nous paraît azurée, est fort lumineux, que le cristallin l'est encore davantage, mais que ces lumières ne sont rien en comparaison de celles qui éclairent l'empirée; elle ajouta que le ciel des astres est orné d'étoiles si nom- breuses et d'une telle grandeur , que l'esprit humain ne sau- rait s'en faire une idée ; que le cristallin est plus vaste que lui ; mais que la grandeur de l'empirée surpasse tout ce qu'on en peut croire. Enfin , répondant à la question du Père , elle lui dit : Que le ciel cristallin paraît plus élevé au-dessus de l'étoile, que celui-ci ne paraît l'être au-dessus de nos têtes ; mais que la distance de l'empirée au cristallin est beaucoup plus grande que celle qui sépare celui-ci de l'é- toile. Ayant été interrogée sur les étoiles , elle répondit qu'il y en a de plus grandes que la terre ; qu'elles n'ont pas toutes

408 ESPRIT

la même clarté , et que , quoiqu'elles nous semblent fort rap- prochées , il y a pourtant entre elles une assez grande dis- tance. Venant ensuite à ce qu'elle avait vu dans l'empirée , elle dit : « J'ai vu le trône sublime de la Majesté divine, et sur ce trône notre Sauveur glorifié dans son humanité ; il tenait ses bras croisés sur sa poitrine , et de ses plaies sortait une splendeur qu'il est impossible d'exprimer ; cependant la clarté de ces divines plaies n'était pas égale ; celle des mains était plus vive que celle des pieds , et celle du sacré cœur in- comparablement plus resplendissante. Les divers rayons qui jaillissaient de toutes ces blessures , se répandant sur toute la cour céleste, communiquaient à tous les esprits, tant angé- liques qu'humains, une gloire admirable, accompagnée d'une vive joie et d'une incroyable jubilation ; sur un autre trône était la Mère de Dieu , décorée d'une triple couronne , et trois rayons, sortant des plaies de Jésus, la couvraient d'un vêtement extraordinairement lumineux ; quant aux esprits , ils recevaient les émanations de la gloire du Sauveur , pro- portionnellement à leurs mérites ; j'ai remarqué la même dif- férence entre les justes de la terre , qui reçoivent aussi com- munication de la gloire du Sauveur. J'ai encore fait une autre observation , c'est que la lumière des justes , quoique sortant de la même source, ne leur arrive pourtant pas par le même canal ; les uns la reçoivent des pieds de Jésus , les autres de ses mains , d'autres enfin de son coeur adorable. Or les raisons de ces différences m'ont été manifestées : les créatures illuminées par les rayons qui sortent des pieds de Jésus , sont celles qui l'aiment d'un amour ordinaire ; celles qui sont éclairées par les rayons de ses mains , sont celles qui l'ai- ment d'un amour fervent ; celles que le sacré cœur inonde d'un torrent de lumières, ce sont celles que la grâce élève jusqu'au pur amour. J'ai remarqué encore que parmi ces jus- tes, les uns reçoivent leur gloire d'une seule plaie , les autres de deux, d'autres de trois, d'autres de quatre, j'en ai vu même qui recevaient la lumière des cinq plaies à la fois , mais

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. -409

elles sont en petit nombre , j'en ai compté environ quarante : j'ai vu tomber aussi quelques petits rayons sur les pécbeurs ; je me suis même aperçue que ce Sauveur miséricordieux en envoyait encore aux obstinés, quoique ces malbeureux ne fassent aucun cas de la grâce : cependant ce Dieu patient , parce qu'il est éternel, ne la leur retire pas; il attend pen- dant un certain temps , pour voir si ces endurcis ne se laisse- ront pas gagner par ses avances; et quand enfin il les voit fixes dans leur opiniâtreté , il se borne à diminuer l'écoule- ment de sa grâce , leur accordant toujours les moyens de salut rigoureusement nécessaires; il fait plus encore, il abrège la vie de ces hommes endurcis , afin qu'ils ne pèchent pas davantage ; tandis qu'au contraire , il la prolonge à ceux qui l'emploient à devenir plus saints. » Le Père lui ayant de- mandé dans quel endroit précis était placé son esprit pendant qu'il voyait toutes ces choses, elle parut embarrassée, mais forcée par l'obéissance , elle répondit en rougissant , que son esprit était dans la plaie du sacré côté. « Dans ce divin cœur, ajouta-t-elle, était comme une mer d'une douceur très-suave, je trouvais une joie indicible et le souverain bien; je ne pou- vais voir le fond de cette mer, en sorte qu'elle était comme un abîme : plus j'y entrais , et plus j'en apercevais la profondeur; plus je goûtais de ces eaux, et plus ma soif devenait insatia- ble. Après avoir joui quelque temps de cette vision et de ce goût béatifique , j'ai entendu une voix qui disait : Je suis l'amour fidèle qui établit l'âme dans la vérité , après quoi elle n'a plus que du dégoût pour le monde, ce qui la fait mépri- ser des mondains; mais elle aime ce mépris , elle aime la so- litude , elle aime les tribulations et les douleurs. Or , quand ces sentiments lui sont devenus habituels et qu'elle y trouve ses délices , je la fais monter plus haut , je l'introduis dans le ciel empirée elle contemple mes plaies , dont la splendeur la fait brûler d'amour : lorsqu'elle est bien enflammée, je la transforme, et alors elle entre dans mon cœur, et se remet tout entière à ma volonté ; en entrant dans mon cœur, elle y

-HO ESPRIT

trouve un abîme de charité et de douceurs incomparables , elle s'y plonge et y demeure submergée ; plus elle y demeure et plus elle admire les choses qui lui sont découvertes. Une âme qui goûte les eaux de cette source, s'y ennoblit à l'heure même ; or toute àme peut y boire , parce qu'elle n'a ni gar- dien , ni dispensateur. Plus enflammée encore qu'auparavant par ce doux langage, je me suis recommandée à Dieu en disant : 0 amour tranquille et très-doux ! qui attirez les âmes dans votre royaume, puisque vous avez daigné m'y introduire, ne m'obligez pas , je vous en conjure , à en sortir. 0 amour compatissant et vrai ! qui faites monter les âmes dans le lieu de votre gloire , si lorsqu'elles sont une fois altérées de votre présence, vous les obligez à s'en retourner, que voulez-vous qu'elles deviennent ? Elles ont connu par expérience la dou- ceur de votre amour; elles comprennent bien que vous êtes l'amour même : les obliger ensuite à se séparer de vous, c'est les faire mourir. Vous m'avez mise dans votre cœur , et la joie que j'y ai goûtée me fait dire : 0 amour délicieux et vrai- ment incomparable! puisque vous voulez que je vous quitte , je vous demande la mort comme un bienfait, car, loin de vous, je ne saurais supporter la vie. »

Vision XVII.

Le 20 du mois de janvier, la Bienheureuse eut une autre vision dont elle rendit compte en ces termes :

« Il a plu à Dieu de me montrer sa divinité , ainsi que la peut voir une àme enflammée , dans une chair mortelle. Alors j'ai vu comme un grand cercle qui n'avait d'autre soutien que lui seul et rendait une lumière si vive , que je ne pouvais le regarder en face. Au-desso^us de ce cercle resplendissant était le vide ou le néant, comme serait l'espace immense qui nous sépare des étoiles , si l'air en était ôlé. Il y avait dans ce cer- cle l'apparence d'une couronne lumineuse et très-blanche , qui me faisait l'effet d'un miroir dans lequel je voyais la divi-

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 414

nité. J'y lisais aussi les paroles suivantes : Principe sans prin- cipe et fin sans fin. En effet , Dieu, avant de créer le inonde, le possédait dans son entendement ; mais il voulut le produire pour manifester son incompréhensible sagesse.

J'ai vu ensuite comment se fit la création des anges : ils furent tous créés à la fois , et la puissance de Dieu les laissa tomber , si je puis parler de la sorte , comme des flocons de neige que les nuées versent sur les montagnes pendant la saison de l'hiver. Après leur création ils furent classés en hiérarchie par leurs dignités respectives : je voyais ceux qui devaient persévérer dans la grâce et aussi ceux qui devaient tomber et perdre leur gloire à jamais , et l'on m'a dit que ces derniers formaient la troisième partie de cette immense mul- titude. J'ai vu comment la Reine céleste, la Mère du Verbe incarné fut conçue sans souillure du péché. Puis , regardant de nouveau dans le miroir de la colonne, j'y ai lu les mots suivants : « Je suis l'amour noble et fécond qui donne la liberté à l'âme : je la remplis de mon amour, je lui commu- nique un vrai entendement, une parfaite mémoire, en sorte qu'elle connaisse tout ce que j'ai fait pour elle avant qu'elle existât. C'est moi qui l'ai créée, qui l'ai faite raisonnable et lui ai donné mon nom , sans qu'elle eût rien fait pour l'obte- nir. Or, je ne lui ai pas donné la raison pour qu'elle vive comme les brutes , mais pour qu'elle succède aux trônes et à la gloire des anges tombés. »

Je lus encore dans le miroir ces autres paroles : « J'ai créé l'homme pour la vie éternelle-, mais lui , plus soumis au dé- mon qu'à moi , a voulu monter dans son orgueil , suivre ses propres idées , et savoir plus de choses qu'il ne lui convenait d'en apprendre : de sa chute et ses malheurs. »

De la Vision XXI.

Au retour d'une nouvelle extase , elle en parla ainsi : « J'ai vu une lumière fort éclatante qui planait sur des ténèbres

412 ESPRIT

épaisses : dans cette lumière était un tabernacle tout resplen- dissant, et sur ce tabernacle notre Sauveur dans sa très-sainte humanité dont les sacrées plaies lançaient des rayons qui couvraient les Saints d'une gloire admirable. Or , il y en avait un grand nombre autour de lui. La Reine des cieux y était aussi , la tète ornée de ses trois couronnes , d'où sortait une splendeur très-vive. Je vis ensuite d'autres âmes encore unies à leurs corps , qui entraient dans ce feu et en sortaient. Or , ce feu était le symbole du divin amour. Je fus curieuse de sa- voir quelles étaient ces âmes que je voyais passer à travers cette flamme. Il me fut répondu qu'elles appartenaient à des hommes vivants qui persévéraient dans le saint amour, et qu'elles venaient le renouveler dans cette fournaise. Je con- templais toute joyeuse ce beau spectacle , lorsque Made- leine , cette fervente amie de Jésus , accompagnée de sainte Agnès, vinrent me dire d'approcher de plus près de ce beau feu , et me firent monter sur un lieu élevé d'où je pouvais tout voir fort à mon aise. Or je vis une grande troupe de saintes vierges qui toutes portaient sur la tète des couronnes d'une rare beauté : elles se prirent par la main , et conduites par Madeleine elles entraient dans ce feu et en sortaient en chan- tant : « Si quelqu'un désire entrer dans le cœur de Jésus, voici les dispositions que ce bon Maître lui demandj : il doit ,

Se dépouiller de toutes choses tant intérieures qu'exté- rieures ;

Se mépriser soi-même et se juger digne du inépris uni- versel ;

Agir en toute simplicité , n'affectant rien qui ne soit conforme à ses sentiments, ne cherchant point à paraître meilleur qu'il ne l'est aux yeux de Dieu même ;

Ne jamais revenir sur ses sacrifices , ne jamais repren- dre aucune des choses qui ont été la matière de son offrande au Seigneur ;

Il faut qu'il vienne avec l'intention de se renoncer lui-

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 413

même et de connaître sa misère au point de ne plus oser lever les yeux pour regarder son Dieu ;

Il faut qu'il se haïsse jusqu'à demander vengeance au Seigneur, jusqu'à provoquer sa justice pour l'engager à pu- nir ses offenses ;

Il doit rendre au Très-haut les dons qu'il en a reçus , lui remettant sa mémoire , son entendement , sa volonté , sans aucune réserve : sa mémoire , ne voulant plus avoir de sou- venir que de lui seul; son entendement, pour n'avoir plus d'autres lumières que celles qui lui viendront de ce "bon Maî- tre; sa volonté , pour n'avoir plus ni répugnances ni désirs, abandonnant sa conduite à la Providence, avec une entière confiance ;

Il faut que les louanges soient pour lui un vrai supplice , bien loin d'acquiescer jamais aux compliments qu'on lui fera ;

Si quelquefois il lui arrive de laisser pénétrer dans son cœur quelque joie mondaine , il faut qu'ensuite il en conçoive un vrai chagrin et une sincère douleur ;

10° Si quelque personne lui témoigne de l'aversion , il faut que ce soit pour lui comme un bain d'eau de rose , dans le- quel elle se plonge avec une vraie et sainte humilité;

11° Lui dit-on des injures , il faut que ces paroles réson- nent à ses oreilles comme des sons agréables ; qu'il s'en ré- jouisse sincèrement et qu'il prie Dieu pour ses agresseurs ;

12° Essuie-t-il de mauvais traitements , il faut qu'il reçoive les coups comme des caresses , et qu'il rende grâces à Dieu comme d'un bienfait ;

13° Ce n'est pas même assez : il doit remercier ceux qui lui rendent ce service ;

14° Il doit être à ses yeux un homme incapable de tout , un être si petit, qu'à peine doit-on l'apercevoir, comme un grain de millet jeté au fond d'une rivière profonde.

Lorsque l'obéissance trouve une âme ainsi établie dans l'humilité , elle la réforme sans peine ; ensuite la foi la renou-

il 4 ESPRIT

velle et l'affermit dans le bien ; puis l'espérance la retire de son néant , l'ennoblit et la décore. Une telle àme est tonte retirée en Dieu et cachée dans sa majesté : toutes les choses qu'elle voit la réjouissent et la consolent : la charité veut à son tour l'échauffer et la remplir d'amour; alors elle ne craint plus rien, parce que l'amour veille à sa défense. La prudence vient aussi l'entourer comme d'un rempart , pour empêcher que l'ennemi pénètre en elle et la dépouille. Cette àme, enfin, débarrassée de ses sollicitudes, ne pense plus qu'à Dieu , son aimable et puissant protecteur, et se repose sur lui de tous ses intérêts. Malheureusement il ne s'est trouvé dans le monde qu'une seule âme ainsi préparée , ainsi embra- sée du divin amour , ainsi morte aux sollicitudes de la terre , et ornée de toutes ces vertus dans un degré suprême : ce fut la divine Marie. Aussi vivait-elle joyeuse et contente , se con- formant en tout accident à la volonté de Dieu dont elle n'eût pas voulu sortir, même pour un instant : de son élévation au-dessus des chœurs des anges, au-dessus de toute créature. » Après ce discours , la servante de Dieu , ayant passé de l'extase immobile à l'extase mobile , se mit à chanter en harmonie avec les vierges dont nous avous parlé plus haut , répétant leurs paroles , imitant leurs actions et leurs gestes. Etant ensuite rentrée dans l'extase immobile , elle entendit Marie-Madeleine qui chantait les louanges de la Mère de Dieu. « Louanges à vous , disait-elle, ô Reine du ciel, que je vois ornée de toutes les vertus ! Louanges à vous que Gabriel put proclamer avec vérité pleine de grâces ! Par votre humi- lité et votre compassion vous avez réparé les ruines de notre nature. C'est cet Homme-Dieu que vous portâtes dans votre sein virginal et revêtîtes de votre chair , qui nous a délivrés des liens de la mort et retirés du noir abîme. Louange éter- nelle soit à vous , ô Reine des anges , rachetée , ornée , cou- ronnée par votre Fils ! Vous êtes notre lumière et notre joie dans celte vie bienheureuse. » A Marie-Madeleine succéda sainte Catherine, autre épouse royale de Jésus, et dans son

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 415

chant elle disait : « Réjouissons-nous tous du bien que nous avons, car nous possédons le royaume céleste; chantons les louanges de Jésus et aimons-le toujours. » Françoise eut cette vision, le 13 février de l'année 1432.

De la Vision XL11I.

Le premier jour de novembre , étant toujours malade , elle eut une extase qui dura depuis le matin jusqu'à midi. Son Père spirituel étant venu lui rendre visite , la trouva assise sur son lit , les yeux fixés sur ses bras, comme le ferait une mère qui tiendrait son enfant, le visage rayonnant de joie, et chantant à voix basse , mais d'une manière fort douce. C'était Jésus qu'elle tenait sur ses genoux , sous la forme d'un petit agneau : il ne tarda pas à la quitter après l'arrivée du Père , ce qui lui causa une assez vive douleur , mais elle recouvra promptement sa tranquillité ; sans sortir de son extase, ayant appelé son confesseur , elle lui dit :

«. J'ai vu la Reine céleste, accompagnée de plusieurs esprits glorieux ; Madeleine , cette fervente amie de Jésus , était avec elle. Or, voici , mon Père , ce qu'elle m'a chargé de vous dire, de la part de l'auguste Marie : Toute personne qui veut em- brasser le genre de vie des Oblales et être admise dans leur congrégation , doit réunir les conditions suivantes :

Qu'elle soit libre de corps et d'esprit;

Qu'elle soit bien affermie dans la foi et dans la sainte humilité;

Qu'elle se dépouille de tout à l'intérieur et à l'extérieur, pour faire à Jésus-Christ un sacrifice sans réserve;

Qu'elle apporte un cœur pur et des mains innocentes ;

Qu'elle s'acquitte de tout ce dont la charge l'obéissance avec une grande douceur ;

Qu'elle soit bien résolue à garder une chasteté parfaite ;

Qu'elle ait une grande confiance en la bonté de son Créateur ;

-tl 6 ESPRIT

Qu'elle sache bien qu'elle rencontrera des épreuves, mais qui , du reste , seront fort adoucies par les consolations du divin amour ;

Qu'elle ait un courage mêlé d'une humeur pacifique , ou si elle est autrement , qu'elle sache la dompter. Avec ces qua- lités elle trouvera le repos dans l'obéissance...

Lorsqu'une âme est vraiment généreuse envers Dieu , elle commence par mourir , afin de mener une vie nouvelle; elle se remet comme un instrument entre les mains de Dieu , se laisse conduire selon son bon plaisir, et livre tellement son cœur , qu'il ne tarde pas à brûler de la divine flamme. Cette âme est une flèche lancée avec force qui va droit au but vers lequel elle est décochée. Sortie de la main de l'obéissance, elle va vite , parce qu'elle va de bon cœur ; elle va droit son che- min , à cause de la vitesse que sa ferveur lui donne. La force de son mouvement est si grande, que les vices fuient loin de sa route , et s'ils s'y rencontrent , ils sont détruits. Toujours vigilante sur son intérieur , elle le dirige constamment dans la voie droite qui est Jésus-Christ , afin d'arriver à Dieu qui est son terme. Dieu est la vraie charité ; c'est pourquoi l'àme qui procède avec cette ferveur , devient promptement capable de s'unir à ce bien suprême et inépuisable. Si elle persévère dans celle union, tous les jours elle se sent plus forte et va toujours en s'affermissant davantage dans le zèle de la gloire de Dieu et dans son amour. »

Après ces paroles, Françoise revint à son sens naturel. Alors son confesseur l'ayant interrogée sur sa vision , elle lui raconta ce que je vais dire :

« J'ai vu dans une grande lumière un autel magnifiquement orné : sur cet autel était un agneau qui portait les slygmates des cinq plaies adorables , d'où sortait une vive clarté ; il tenait sous ses pieds de devant un livre marqué de sept sceaux , et la matière de ces sceaux n'était rien moins que le sang précieux qui a sauvé le monde : les trois du milieu étaient encore intacts , les quatre autres avaient été brisés. Je

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 417

vis aussi au pied de l'autel un grand nombre de riches chan- deliers arrangés dans un très-bel ordre. Au premier rang, et j'appelle ainsi le plus éloigné , il y en avait sept qui signi- fiaient les vertus principales; au second rang, il y en avait douze qui signifiaient les douze articles du Symbole ; au troi- sième rang , il y en avait sept qui signifiaient les sept dons du Saint-Esprit ; au quatrième rang, il y en avait sept autres par lesquels étaient représentés les sept sacrements de l'Église.

Le glorieux Jean-Baptiste est venu me prendre et m'a con- duite près de l'autel en me disant : Ame , c'est de la part du très-saint Agneau que je vous amène ici. Approchez, et consi- dérez bien cette fête solennelle ( la Toussaint ) ; regardez sur- tout cet Agneau qui vous a transformée et enflammée de son amour. Sa divinité doit être désormais votre miroir : elle vous a liée par la'charité , unissez-vous à elle par l'amour.

J'ai vu ensuite les principaux ordres des Saints qui s'avan- çaient sous leurs étendards.... » &c.

Elle achève de décrire sa vision ; elle parcourt les divers rangs de la hiérarchie céleste. Cette vision, qui avait com- mencé avant minuit , dura treize heures , partie dans l'extase immobile, partie dans l'extase mobile. Françoise avoua qu'elle voyait plus clairement et avec plus de satisfaction les choses dans la première que dans la seconde , sans doute à cause du repos et de la profonde paix dont elle jouissait.

De la Vision LXVI1I.

Le '22 du même mois, Françoise, après sa communion , eut une extase d'abord immobile : or , elle voyait les trésors de Dieu ouverts, parce qu'il en voulait faire une dispensation. La Reine céleste était présente avec saint Paul , saint Benoît et sainte Madeleine (Ces trois Saints lui avaient été donnés, on l'a vu, pour protecteurs de son ordre ). Lorsque Françoise eut un peu contemplé cette vision , Marie Madeleine lui dit : « Ame , qui avez été conduite et transformée dans la grâce t. v. 27

418 ESPRIT

du grand abîme, établissez-vous fortement en Notre-Seigneur Jésus-Christ; faites-vous faire une clef et une serrure solide , pour enfermer l'amour divin dans votre cœur , en sorte qu'il ne puisse plus vous échapper. Or , c'est en vous jetant dans cet abîme d'ardeur que vous vous procurerez cette forte ser- rure ; car l'amour est un lien fort comme le fer. Ame , ne sortez plus de la plénitude du souverain bien , puisque Dieu a daigné vous amener à la source et vous rendre capable de le recevoir. Réjouissez-vous , et comprenez , le mieux qu'il vous sera possible , ce bien qui vous remplit de ses trésors; ils sont d'un ordre fort élevé , et c'est pour cela que je vous in- vite à les bien comprendre. Cela exige que vous montiez ; mais pour monter il faut descendre : descendez donc, ô àme, non dans les imperfections par faiblesse, mais en vous-même par une profonde humilité , et que ce soit l'amour qui vous engage à descendre. Plus vous descendrez bas, et plus vous remonterez haut. Vous le savez déjà par expérience , puisque vous voilà élevée jusqu'à la lumière se fait voir la divinité. Étant ainsi prise par l'amour , faites en sorte de vous em- braser dans cette ardeur et de demeurer toujours unie avec elle. »

Saint Paul prit ici la parole , et dit de la part de la Mère de Dieu : « Voici ce que dit le Reine céleste , à vous toutes qui êtes ses oblates. Soyez fermes dans le projet que vous avez conçu et que rien ne vous décourage. Vous avez à votre dis- position le sang précieux du Ridempteur. Si vous vous sub- mergez dans ce sang victorieux , vous y trouverez la force dont vous avez besoin. Soyez généreuses , aimez à méditer les choses célestes, humiliez-vous en toute rencontre ; l'humilité vous fera jouir d'une véritable tranquillité. Notre grande Reine veut que vous sachiez que les démons sont en mouve- ment pour s'opposer à votre entreprise ; ce sont des ennemis que leur expérience et leur malice rendent fort redoutables. C'est pourquoi il est nécessaire que votre conduite soit pru- demment réglée. Or, voici les conseils que vous donne cette

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 419

puissante protectrice : marchez par la voie droite que Jésus- Christ vous a tracée ; ne perciez jamais de vue la sainte crainte de Dieu et la charité ; soyez prudentes et bien avisées dans tout ce que vous faites ; dépouillez-vous de votre volonté ; ne gardez rien en propre ; ne considérez dans toutes les choses qui arrivent que l'honneur de Dieu; prenez garde de donner aux autres aucun mauvais exemple ; que l'honnêteté accom- pagne toutes vos actions ; soyez constamment aussi sages que modestes ; magnanimes dans le service de Dieu , sans crainte qu'on vous taxe d'orgueil ; on vous en accusera , vous pouvez en être sûres, et le démon ne manquera pas d'appuyer cette accusation pour vous rendre timides dans le bien ; mais quoi qu'on en puisse dire , continuez à agir avec cette magnani- mité. Avant de commencer vos actions , recourez toujours à la prière ; allumez de plus en plus votre zèle pour la gloire de Dieu ; c'est le moyen de vous désabuser des chimères de la vanité , et de vous prémunir contre les retours de la complai- sance en soi-même , si odieuse à ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur. Quelque chose qui arrive, demeurez paisibles dans les épreuves et les souffrances , confiez-vous en Dieu , embrassez sa croix, cachez-vous dans ses plaies , submergez- vous dans son sang. Si vous faites cela , vous vivrez en paix , vous donnerez à toutes vos actions beaucoup de mérite , et vous arriverez au plus haut point de perfection. »

De la Vision LUI.

0 âme , qui que vous soyez , voici ce que l'Apôtre saint Paul vous dit de la part du Verbe : Si vous voulez obtenir du zèle et du courage , allez au Verbe divin. Lorsqu'une âme prend place à son banquet , il se donne à elle avec plénitude , renouvelle sa ferveur et lui fait spirituellement sentir qu'elle est faite à son image. C'est par l'intelligence que Dieu lui donne en soufflant sur elle , qu'elle est faite à sa ressem- blance. Or , quand elle a du zèle, elle éclaire son intelligence

42Ô ESPRIT

en méditant les choses de Dieu. En les méditant, elle en comprend la vérité ; et quand sa foi est bien éclairée , elle conforme sa croyance à l'enseignement divin. Alors la charité donne le fruit de l'amour à l'intelligence , et l'àme se trouve tellement embrasée par la chaleur de l'amour , qu'elle se transforme en Dieu. 0 âme ! ne vous laissez donc pas aller au sommeil ; mais affermissez-vous dans la foi et dans l'amour substantiel , si vous voulez goûter d'une consolation déli- cieuse ; considérez la divine Sagesse , voyez l'ordre qu'elle a mis dans les créatures , et comment elle les a admirablement disposées , conformément à son bon plaisir : si vous voulez avoir de la générosité dans le service de Dieu , contemplez son amour pour nous , et tout ce que cet amour lui a fait entreprendre pour notre bien , sans aucun intérêt propre.

De la Vision LV.

L'humilité qui se fait bien petite , et se maintient dans cette infériorité parvient à la connaissance de la vérité et s'y per- fectionne ; elle veut toujours vivre seule afin de conserver sa rare beauté ; elle veille avec grand soin à se tenir nette et pure , et c'est cette pureté qui la défend et la protège. L'hu- milité se suffit à elle-même ; elle craint et fuit les regards et les attentions des créatures , bien loin de les rechercher. 0 âme , que ce chemin de l'humilité est beau ; aucun intérêt ne la touche si ce n'est la gloire de son Dieu auquel elle s'est donnée tout entière et sans réserve ! Tout occupée de lui plaire , elle se repose sur lui et s'abandonne à sa providence avec une entière sécurité ; elle en vient jusqu'à se haïr et se venger d'elle-même , parce qu'elle ne voit que sa bassesse et ses péchés , et ne perd jamais de vue cette profonde misère, sachant bien que sans cette connaissance précieuse, sa chute serait assurée. Sourde aux excuses de sa sensualité quand elle vient à faillir, elle en est toute honteuse, si honteuse qu'elle n'ose plus regarder le ciel , de peur de rencontrer les

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DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 421

yeux du Dieu si bon qu'elle a eu le malheur d'offenser. Lors- que l'àme se laisse guider par la lumière de l'intelligence et voit la vérité , elle revient sans cesse à son bien qui est Dieu seul , se remet en lui , vit dans la vérité , et se fait très-pe- tite et très-pauvre. Or , sa remise en Dieu se fait par la foi qui est une très-belle vertu ; la vraie confiance vient ensuite avec l'espérance et le désir de l'amour. Or , le désir est si ardent, que l'àme s'y trouve comme abîmée, et elle demeure toute joyeuse dans cette charité, avec une profondeur d'amour qui la rend très-certaine. Ainsi préparée , elle monte et va se placer dans les secrets divins , elle trouve un repos , une sérénité , en un mot, une paix profonde , parfaite. Enfin, la charité transforme en Dieu dont elle adopte la manière de vivre et d'agir , parce qu'elle l'aime d'un amour véritable

La vérité se découvre à l'âme lorsqu'elle se dépouille d'elle- même, et renonce à ses appétits sensitifs. La vérité se trouve dans la mémoire de la conscience , quand elle est éclairée par la vraie lumière de l'intelligence : or , pour que l'enten- dement discerne la vraie lumière , qui se donne à lui avec abondance , il faut que l'àme soit animée du désir de corres- pondre à la vérité ; mais aussi lorsque cette volonté est forte, courageuse, elle reçoit la grâce d'une lumière parfaite. Une fois éclairée de la vraie lumière , elle doit chercher la vérité dans sa mémoire , elle est sûre de la rencontrer. Quand une fois elle a trouvé la vérité , elle la saisit par la foi et l'amour ; elle la fixe en elle par l'humilité et la prudence ; dès lors elle se porte avec courage et avec force à tout ce qui est du bon plaisir de Dieu , tandis qu'elle n'a que de la haine et du mépris pour tout ce qui tend à énerver son courage, ou affaiblir sa bonne volonté.

0 âme noble ! en qui le Père céleste a mis sa forme et son image, regardez bien le miroir divin ; et n'en détournez plus vos regards , de peur d'en perdre la mémoire ; renfermez- vous dans votre intérieur , vous appliquant à pratiquer la véritable obéissance. Marchez dans la voie que Jésus-Christ

422 ESPRIT

vous a tracée ; il vous protégera par sa puissance , et vous fortifiera par sa sagesse, tandis que sa clémence vous rendra stable dans la vérité. Ne craignez ni les ennemis ni les dan- gers ; oubliez-vous vous-même ; ne pensez qu'à lui plaire , et sous sa protection vous vivrez en sécurité. Si vous aimez Dieu dans la vérité , vous ne redouterez point les injures et les adversités; bien plus, vous les recevrez toute joyeuse , les regardant comme une bonne fortune. Or , votre joie ce sera Dieu , et la sainte pauvreté. La pauvreté vit en assurance , parce qu'elle vit seule , et n'attend rien que de Dieu , dans lequel elle est toute plongée. 0 âme ! rendez-vous belle aux yeux du doux Jésus qui vous a réformée et s'est donné à vous sans réserve. Aidez-le à vous enflammer de son amour; car il ne veut rien faire en vous sans vous. Soyez zélée et coura- geuse pour son service , afin de ne pas perdre votre souverain bien. »

De la Vision LUI.

Pendant son extase, saint Benoît lui dit de la part du Tout- puissant , après divers moyens d'avoir l'obéissance , ces au- tres paroles : « Dieu est singulièrement content , lorsqu'une âme opère avec courage , avance avec ordre à la manière de Dieu , d'où il arrive qu'en marchant doucement, elle parvient néanmoins promptement à son but. Dieu aime aussi à voir que cette âme se dépouille de toute crainte , ne s'occupe point d'elle-même et se conforme en tout à sa sainte volonté ; alors, parce qu'elle est fidèle, il pourvoit à tous ses besoins , qui lui sont parfaitement connus , et se charge d'être lui-même son guide : avec un tel conducteur , cette pauvre voyageuse n'a plus à craindre de s'égarer : tout ce qui lui reste à faire c'est de le suivre , c'est de se dépouiller de tout afin de marcher plus légèrement, c'est surtout de ne rien porter dans son propre vouloir ; et alors il n'y aura plus ni choses ni person- nes qui la retardent dans sa course; il est nécessaire encore

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 423

qu'elle inarche avec prudence , qu'elle s'écarte de tout ce qui pourrait lui nuire , et qu'elle croisse toujours davantage en amour. Moyennant cela, qu'elle soit sans crainte sur le dan- ger de l'inconstance ; dès lors qu'elle fait ce qu'elle peut, elle aura pour compagnes la charité et la vérité.

Qu'elle soit discrète dans le bien , ennemie de tout défaut , en garde contre le péché à cause de l'honneur de Dieu ; qu'elle renonce pleinement à sa volonté et donne à son Créa- teur une affection toute filiale, car un bon fils a toujours pour son père un profond respect et évite avec grand soin tout ce qui pourrait lui déplaire ; il est attentif aux moindres signes de sa volonté , toujours prêt à exécuter ses ordres , toujours disposé à le satisfaire en tout ce qu'il peut désirer ; il mour- rait s'il le fallait pour le servir. »

De la Vision L\V.

La réponse que Françoise avait faite à son Père spirituel , touchant son état pendant les visions , ne l'ayant point salis- fait (il ne pouvait comprendre comment ne sentant pas la violence qu'on lui faisait en lui tordant les mains ou en les frictionnant fortement , elle pouvait néanmoins parler et répondre à l'obéissance ) , Dieu voulut faire cesser son étonnement et satisfaire sa curiosité : un jour donc , qu'après avoir communié , sa servante fut élevée dans l'extase , elle se mit à dire de la part de l'Apôtre saint Paul : « La vérité su- prême vient d'opérer un changement dans ce corps humain ; il a perdu le mouvement et ne peut plus s'aider ; tous ses sens lui ont été ùlés par la volonté divine ; l'ardeur de l'es- prit qui voudrait comprendre ce qu'il voit est si grande que le sens humain ne saurait supporter un tel travail , une si forte application. En conséquence , il demeure accablé et comme anéanti : en outre , il oppose de telles difficultés à la compréhension des choses divines , que l'esprit sans cette absorption ne pourrait y parvenir. Celte interruption des sens

•12-4 ESPIUT

s'appelle aliénation ; mais au fait , aucune expression ne peut, donner une idée juste de l'élévation de l'esprit au-dessus du corps qui se fait dans l'extase ; dira-t-on que ces âmes sont dans un état de sommeil ? Ce serait à tort ; car elles sont bien éveillées et fort attentives à regarder ce qu'on leur montre. Pourquoi donc ces personnes ne parlent-elles pas dans cette compréhension intellectuelle qui les enflamme d'une si vive ardeur ? Parce que cet état les lie de telle sorte au dedans d'elles-mêmes qu'elles ne peuvent agir au dehors , elles ne peuvent donc parler que par l'opération de la volonté divine ; les sensations sont également impossibles , parce qu'alors tous les sens corporels sont repliés du coté de l'esprit et si fortement liés , qu'ils souffrent une espèce de torture. Cette élévation de l'âme donne au corps une grande légèreté ; quant au sens de la vue , la divine Sagesse lui conserve une expres- sion semblable à celle des yeux d'une personne éveillée, dont le regard est fixe , et elle en agit ainsi pour empêcher qu'on ne croie ces personnes endormies et qu'on ne méprise leurs paroles comme des rêves... »

Du traite de l'eufer.

Du lieu de l'enfer , de son prince , de l'entrée des âmes dans ce lieu d'horreur et des peines qui leur sont communes.

Un jour que la servante de Dieu était très-souffrante , elle s'enferma dans sa cellule pour se livrer en toute liberté à l'exercice de la contemplation elle trouvait sa consolation et toutes ses délices; il était environ quatre heures après midi ; elle fut aussitôt ravie en extase, et l'archange Raphaël, qu'elle ne vit pas alors , vint la prendre et la conduisit à la vision de l'enfer. Arrivée à la porte de ce royaume effroyable , elle lut ces paroles , écrites en caractères de feu : Ce lieu est l'enfer, il n'y a ni repos, ni consolation, ni espérance. Cette porte étant ouverte, elle regarda, et vit un abîme si profond et

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 425

si épouvantable que depuis elle n'en pouvait parler sans que son sang se glaçât d'effroi : de cet abîme sortaient des cris affreux et des exhalaisons insupportables ; alors elle fut saisie d'une horreur extrême, mais elle entendit la voix de son con- ducteur invisible qui lui disait d'avoir bon courage parce qu'il ne lui arriverait aucun mal. Un peu rassurée par cette voix amie , elle observa plus attentivement cette porte, et vit que , déjà fort large à son entrée , elle allait en s'élargissant tou- jours davantage dans son épaisseur; mais dans cet affreux corridor régnaient des ténèbres inimaginables ; cependant il se fit pour elle une lumière , et elle vit que l'enfer était com- posé de trois régions : l'une supérieure , l'autre inférieure et l'autre intermédiaire. Dans la région supérieure , tout annon- çait de graves tourments ; dans celle du milieu , l'appareil des tortures était encore plus effrayant , mais dans la plus basse région, la souffrance était incompréhensible. Ces trois régions étaient séparées par de longs espaces les ténèbres étaient épaisses et les instruments de tortures en nombre pro- digieux et extraordinairement variés

Elle vit ensuite le dragon infernal qui offrait l'aspect le plus hideux

A cette vision en succéda une autre : la servante de Dieu aperçut de tous côtés des âmes que les esprits qui les avaient tentées amenaient dans cette affreuse demeure ; elles por- taient leurs péchés écrits sur leurs fronts en caractères si intelligibles que la Sainte comprenait pour quels crimes cha- cune d'elles était damnée ; ces lettres du reste n'étaient que pour elle seule , car ces âmes malheureuses ne connaissaient réciproquement leurs péchés que par la pensée : les démons qui les conduisaient les accablaient de plaisanteries , de re- proches amers et de mauvais traitements , qu'il serait diffi- cile de raconter, tant la rage de ces monstres était inven- tive

La servante de Dieu ayant désiré savoir quelle différence il y avait entre les habitants des trois provinces de ce royau-

426 ESPRIT

me effroyable , il lui fut dit : que dans la région inférieure étaient placés les plus grands criminels; dans celle du mi- lieu les criminels médiocres, et dans la région supérieure les moins coupables des réprouvés ; les âmes que vous voyez dans ce lieu le plus haut, ajouta la voix qui l'instruisait, sont celles des juifs, qui, à leur opiniâtreté près, vécurent exempts de grands crimes ; celles des chrétiens qui négligèrent la confession durant la vie et en furent privés à la ifiort , &c. Tout ce que la Bienheureuse voyait et entendait la remplis- sait d'épouvante ; mais son guide avait grand soin de la ras- surer et de la fortifier.

Elle décrit ici chaque genre de supplice réservé, aux im- pudiques, 2° aux usuriers, aux blasphémateurs , aux traîtres , aux homicides, aux apostats , aux inces- tueux , aux magiciens , aux excommuniés ; puis vien- nent les peines des sept péchés capitaux , ce que souffrent les orgueilleux, les colères, les avares, les envieux, les pares- seux, les gourmands et les luxurieux ; enfin, les supplices qu'endurent , les voleurs, les enfants dénaturés, les violateurs du vœu de chasteté , i" 1 s parjures , les détrac- teurs, 6° les vierges folles, les veuves vicieuses , les femmes idolâtres de leur beauté. Plusieurs regretteront peut- être de ne point trouver ici ces détails , mais beaucoup d'au- tres nous approuveront et comprendront les sages motifs de notre silence à ce sujet. D'ailleurs , on peut les voir dans les auteurs que nous avons cités.

Dn nombre des démons , de leurs noms et de leurs emplois. ( Ce chapitre étant très-long , nous n'en ferons aussi que des extraits, j

Dans la vision 27mc , la création des anges et leur clas- sification furent manifestées à notre Sainte , Dieu lui fit dis- cerner ceux qui devaient pécher de ceux qui demeureraient fidèles ; elle fut ensuite témoin de leur révolte et de la chute

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 427

horrible qu'elle leur mérita. Or , elle ne fut pourtant pas aussi profonde pour les uns que pour les autres ; un tiers de ces infortunés demeura dans les airs , un autre tiers s'ar- rêta sur la terre , et le dernier tiers tomba jusque dans l'enfer. Cette différence dans les châtiments correspondit à celles que Dieu remarqua dans les circonstances de leur faute commune

Lucifer, qui voulut être l'égal de Dieu dans le ciel , est le monarque des enfers, mais monarque enchaîné et plus mal- heureux que tous les autres; il a sous lui trois princes aux- quels tous les démons divisés en trois corps sont assujettis par la volonté de Dieu...

Lucifer était , dans le ciel , le plus noble des anges qui se révoltèrent , et son orgueil en fit le plus méchant des démons

Le premier des trois princes qui commandent sous ses ordres se nomme Asmodêe ; c'était dans le ciel un Chérubin, et il est aujourd'hui l'esprit impur qui préside à tous les pé- chés déshonnêtes.

Le deuxième prince s'appelle Mammon ; c'était autrefois un Trône, et maintenant il préside aux divers péchés que fait commettre l'amour de l'argent.

Le troisième prince porte le nom de Béelzébuth. Il appar- tenait dans l'origine au chœur des Dominations, et maintenant il est établi sur tous les crimes qu'enfante l'idolâtrie et pré- side aux ténèbres infernales. Ces trois chefs ne sortent jamais de leurs prisons souterraines ; seulement, lorsque la justice de Dieu doit exercer quelque vengeance éclatante , ils dépu- tent des légions de démons subordonnés.

Tous ces esprits infortunés sont classés dans l'abîme , selon leur ordre hiérarchique. Les Chérubins d'abord , les Séraphins et les Trônes , puis les Dominations, les Princi- pautés et les Puissances ; enfin les Vertus, les Archanges et les Anges. Ces trois ordres habitent les trois lieux de l'enfer, le supérieur, l'inférieur, l'intermédiaire.

428 ESPRIT

Quant à leur nombre , il est innombrable.

On retrouve ces mêmes hiérarchies parmi les démons qui demeurent dans l'air et sur la terre ; mais ils n'ont point de chef, et vivent dans l'indépendance et une sorte d'égalité. Ce sont les démons aériens qui , la plupart du temps , déchaî- nent les vents , excitent les tempêtes , produisent les orages , les grêles et les inondations. Leur intention en cela est de faire du mal aux hommes , surtout en diminuant leur con- fiance en la divine Providence et les faisant murmurer contre la volonté de Dieu.

Tous les démons qui vivent sur la terre se concertent et s'aident mutuellement à perdre les âmes : les uns affaiblis- sent leur foi , les autres les poussent à l'orgueil , ceux-ci à l'impureté , &c. , &c. Le seul moyen d'échapper à ce complot infernal, serait de se relever promptement de la première chute , et c'est précisément ce que ces pauvres âmes ne font pas.

Rien n'arrête plus les efforts du démon et ne leur cause de plus grands supplices que de prononcer le saint nom de Jésus.

Lorsque les âmes vivent dans l'habitude du péché mortel , les démons entrent en elles et les dominent en plusieurs fa- çons qui varient selon la quantité et la qualité de leurs cri- mes ; mais, quand elles reçoivent l'absolution avec un cœur contrit , ils perdent leur domination , délogent au plus vite et se remettent auprès d'elles pour les tenter de nouveau ; mais leurs attaques sont moins vives, parce que la confession a diminué leurs forces.

Les Limbes.

Lorsque la servante de Dieu fut transportée à l'entrée de l'enfer , elle vit tout près un ange debout à une autre porte : c'était la porte des limbes , de celte prison toutes les âmes justes de la terre attendirent si longtemps la venue du libé-

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 4.29

rateur. Ce lieu , quoique contigù à l'enfer, n'a] aucune com- munication avec lui. Il n'y a dans ce lieu ni feu, ni glace , ni serpents, ni démons , ni odeur empestée : on n'y entend ni hurlements , ni blasphèmes ; on n'y souffre aucune autre peine que la privation de la lumière ; car il y fait toujours nuit. C'est que se trouve la demeure éternelle des enfants morts sans baptême : sa distribution est la même que celle de l'enfer. Il y a une partie supérieure , une inférieure , une in- termédiaire. La partie supérieure est habitée par les enfants nés ou conçus de parents chrétiens ; dans la partie intermé- diaire sont renfermés les enfants des juifs morts avant d'avoir péché; dans la partie inférieure se trouvent ceux qui sont nés ou conçus par l'effet d'un crime contraire au vœu solen- nel de chasteté ou d'affinité spirituelle : règne une nuit plus profonde que dans les deux parties^plus élevées.

Du Purgatoire.

Après les visions susdites , la servante de Dieu fut con- duite à celle du purgatoire , dont la distribution est la même que celle de l'enfer. En approchant de ce triste lieu , elle lut ces paroles écrites sur la porte : « C'est ici le purgatoire, lieu d'espérance, les âmes attendent l'accomplissement de leurs désirs. » L'ange Raphaël lui fit voir les trois parties de cette demeure , et voici ce qu'elle vit : Dans la partie la plus basse brûle un feu qui donne de la lumière , dissemblable en cela à celui de l'enfer qui est noir et sans aucune clarté. Ce feu est très-ardent et d'une couleur rouge. C'est que sont punies les âmes redevables à la justice de Dieu de la peine temporelle qu'elles méritent par de grands péchés , et le feu les tourmente plus ou moins rigoureusement , selon la qua- lité et la quantité de leurs dettes. L'ange lui dit que sept années de souffrances dans cette partie inférieure correspon- dent à celle temporelle méritée par un seul péché mortel. A la gauche de ces âmes , mais hors du purgatoire , Frau-

430 ESPRIT

çoise vit les démons qui les tentaient pendant la vie , et elie observa que les pauvres cames souffraient beaucoup de leur vision et des reproches qu'ils ne cessaient de leur faire en- tendre. Du reste, le pouvoir des démons sur ces âmes se borne à ces deux choses : à les affliger par leurs reproches et par leur horrible aspect.

Les âmes placées dans le feu du purgatoire inférieur ac- quiescent humblement à la justice divine ; néanmoins , la rigueur des peines qu'elles endurent leur arrache des gémis- sements que personne en celte vie ne saurait comprendre. Elles acquiescent à la volonté de leur Juge , parce qu'elles comprennent parfaitement l'équité des tourments qu'elles en- durent : or , cet acquiescement est cause que Dieu prête l'oreille à leurs plaintes , qu'il en est touché et leur donne quelques consolations. Il ne les arrache pas pour cela aux flammes qui les brûlent , mais il leur fait trouver dans leur soumission même une sorte de rafraîchissement ainsi que dans la pensée qu'elles arriveront bientôt à la gloire éter- nelle.

C'est l'Ange gardien qui recueille les suffrages offerts pour les âmes sur la terre , et les présente à la justice de Dieu qui les lui rend , afin qu'il les applique à ces pauvres âmes , comme un remède qui adoucit leurs maux. Il présente éga- ment à Dieu toutes les bonnes œuvres qu'elles ont faites pen- dant la vie. Lorsqu'une âme a fait des legs pieux avant son trépas, Dieu, dans sa bonté , les accepte sur-le-champ et les récompense , quand même ils ne recevraient pas leur exécution par la faute de ceux qui en étaient chargés. Cepen- dant , si elle a renvoyé ces bonnes œuvres après sa mort, par affection pour ses richesses , Dieu ne la récompense qu'à l'expiration du temps déterminé par elle pour leur accom- plissement.

Le purgatoire inférieur se divise en trois prisons séparées, le feu n'a pas une égale ardeur ; il est plus brûlant dans la première que dans la seconde , et dans la seconde que dans

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 431

la troisième. Or, la première est destinée aux religieux et aux prêtres , eussent-ils commis de moindres péchés que les sé- culiers , parce qu'ils ont eu plus de lumières , et n'ont pas honoré leur dignité comme ils le devaient. Françoise vit dans ce cachot un prêtre fort pieux, mais qui avait trop contenté son appétit par l'usage des aliments.

La seconde prison est la demeure des religieux et des clercs qui ne furent pas honorés du sacerdoce. Dans la troi- sième sont renfermées les âmes séculières qui commirent de grands péchés et ne les expièrent pas pendant la vie. Les tourments ne sont pourtant pas égaux dans chacune de ces prisons ; ils sont plus ou moins cruels , selon la mesure de leurs dettes et la qualité des personnes. Les supérieurs y souf- frent davantage que les inférieurs ; selon qu'une âme est plus ou moins coupable, les supplices sont plus ou moins cruels et leur durée est plus ou moins longue.

Après avoir considéré le purgatoire inférieur , Françoise fut conduite à la vision du purgatoire intermédiaire. Or, il se partage , comme l'autre , en trois parties , dont la première est un lac d'eau glacée , la seconde un lac de poix fondue , mêlée d'huile bouillante , et la troisième un lac de métaux liquéfiés. C'est dans ce purgatoire que sont logées les âmes qui ne commirent pas de péchés assez graves pour mériter d'être placées dans le purgatoire inférieur. Ce sont donc les péchés véniels qui conduisent à ce purgatoire intermédiaire.

La servante de Dieu reçut plusieurs lumières dans cette vision , sur l'application des suffrages que les vivants offrent pour lés morts , qui méritent bien d'être communiquées. Elle connut :

Que les messes, indulgences accordées et bonnes œu- vres offertes pour certaines âmes par leurs parents et amis ne leur sont pas intégralement appliquées; elles en reçoi- vent bien la meilleure part , mais le reste est réparti entre toutes les âmes du purgatoire ;

Elle connut que ces offrandes , faites par erreur à des

43:2 esprit

âmes qui sont en paradis , profitent d'abord à ceux qui les

font , et ensuite aux âmes du purgatoire ;

Elle connut que ces mêmes secours , accordés par les vivants à des âmes qu'ils croient en voie de salut et qui sont réprouvées , entrent intégralement dans les trésors de leurs auteurs, parce que ni les damnés ne peuvent en profiter , ni Dieu ne permet qu'elles soient appliquées aux âmes du pur- gatoire. Il est à remarquer que la Sainte , au sortir d'une de ces visions qui avait duré environ deux heures , crut y avoir employé un temps fort considérable. Il résulte donc de , que le temps qui semble passer vite sur la terre , paraît bien long dans l'éternité.

De la gloire des saints dans le ciel.

Lorsque les âmes bienheureuses font leur entrée dans le ciel , elles sont conduites aux places qui leur ont été assi- gnées selon leurs mérites : si , pour s'y rendre , il leur faut traverser quelques chœurs angéliques, les esprits qui les composent leur font un accueil extrêmement joyeux. Mais rien n'égale la réception qui leur est faite dans les chœurs elles doivent prendre place. Ce ne sont de la part des anges auxquels on les associe, que démonstrations de joie et d'amitié pour elles , que cantiques de louanges et bénédic- tions pour rendre grâces à Dieu de leur bonheur, et cette réjouissance dure beaucoup plus longtemps dans ces chœurs que dans les autres.

Toutes les fois que Françoise , interrogée par son confes- seur, parlait de cette joie angélique , de leur nombre , de leurs chants, de leurs transports, elle était hors d'elle-même, son visage alors était tout en feu et son cœur se fondaitt comme la cire aux rayons du soleil....

Chaque fois , disait la servante de Dieu , que je suis élevée à la vision béatifique, j'éprouve plusieurs élonnements : je m'étonne , de mon défaut de pénétration dans la compré-

DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE. 433

hension divine, causée par l'union démon àme avec mon corps mortel , et cette incapacité m'humilie beaucoup et me donne un grand mépris de moi-même ; je m'étonne , en se- cond lieu , je demeure toute stupéfaite, chaque fois que je considère dans le miroir divin la subtilité pénélrative des Sé- raphins , quant à la compréhension du grand abîme.

Je m'étonne, en troisième lieu, mais bien davantage en- core , en considérant la profondeur de la divinité créatrice et gubernatrice de ces subtiles intelligences.

Voici , disait-elle encore , quelques remarques que j'ai faites relativement aux esprits glorieux : Dans l'ordre des séraphins, les uns pénètrent plus avant que les autres dans la compréhension divine ; il y a entre eux une gradation d'in- telligence qui existe également dans tous les autres chœurs : ce que je dis des anges , je le dis également des esprits hu- mains qui leur sont associés ; tous les esprits d'un même chœur ne sont pas également proches de la divinité. Or, plus une intelligence voit de près cet abîme , et mieux elle y pé- nètre.

Tous les esprits humains placés dans la gloire , ne la possèdent pas au même degré ; quelques-uns , pendant qu'ils vivaient dans leur chair mortelle , reçurent une intelligence plus subtile, et suivant leurs opérations intellectuelles , selon leur capacité , ils pénétrèrent plus avant dans l'abîme de la divinité, en regardant dans le miroir divin, dont la vision constitue la béatitude : ils ont donc apporté dans le ciel un esprit plus capable et plus pénétrant. Or, plus une âme a de capacité et de subtilité dans l'entendement, et plus elle est rassasiée dans la vision béatifique ; il est vrai que dans le ciel toutes les âmes sont pleinement rassasiées; mais chacune l'est selon la mesure de sa capacité et de la subtilité avec laquelle elle pénètre dans la compréhension de la volonté divine : lorsque les Apôtres reçurent le Saint-Esprit, tous n'obtinrent pas la même mesure de grâces ; ceux qui avaient plus de ca- pacité et de subtilité dans l'entendement , la reçurent dans t. v. 28

434 ESPRIT DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE.

un plus haut degré. Or, ce qui dispose à une plus grande grâce , dispose également à une plus grande gloire.

Françoise voyait tout cela , pendant ses extases , dans le miroir divin. Du reste , elle a souvent déclaré qu'elle soumet- tait toutes ses paroles au jugement de l'Eglise catholique , dans le sein de laquelle elle désirait vivre et mourir. Louange à Dieu! Amen.

NOTES SUR LES OBLATES

Et sur le tombeau de sainte Françoise Romaine.

Quoique les Oblates de sainte Françoise , dit Hélyot , ne soient point Religieuses et qu'elles ne soient point liées par des vœux solennels, leur étant libre de sortir de la congrégation pour se marier , nous les mettons néanmoins au rang des congrégations Bénédictines , parce qu'elles suivent la règle de saint Benoît et qu'elles étaient d'abord sous la juridiction et direction des moines du Mont-Olivet. C'est en 1433 qu'il faut placer la fondation de cette communauté. On choisit le jour de l'Annonciation de la très-sainte Vierge pour l'inaugurer : de vient que l'église est appelée Annonciade ou Marie-la-Neuve. Leur première maison fut appelée la Torre de Specchi , la Tour des Miroirs, d'où leur vint le nom d' Oblates de la Tour des Miroirs. C'est , au pied du Capi- tole, au quartier Campitelli, qu'elles se Axèrent premièrement; mais la maison étant devenue insuffisante , elles changèrent. Ce fut sous le gé- néral Dom Jérôme de Mirabello de Naples , et cinq mois après la mort de sainte Françoise, que l'Ordre fut séparé de la juridiction du Mont- Olivet.

Eugène IV, par une bulle du mois de juillet 1433, approuva cette congrégation. On n'y reçoit que des femmes veuves et des vierges : elles doivent être nobles et se consacrer à l'éducation des jeunes filles des seigneurs , et à quelques œuvres de charité , envers les prisonniers sur- tout. Leur habit est blanc , d'après une révélation que sainte Françoise eut de la sainte Vierge.

NOTES SUR LES OBLATES. 435

Cette congrégation , quoique florissante à Rome et en Italie , ne s'est pas répandue au delà. Dans la maison de Rome il y a ordinairement cinquante filles de chœur, de la première noblesse, qu'on nomme Illustrissimes , et lorsqu'elles sont princesses , on leur donne le nom û'Excellentissimes. Elles font une année de probation : la supérieure, s'appelle Présidente et est perpétuelle. Il y a trente converses. Chaque religieuse peut jouir de ses rentes pour pouvoir faire plus de charités.

L'église de Sainte-Marie-la-Neuve ou Annonciude qui leur est affec- tée , est très-ornée de marbres , de stucs et de dorures. La sacristie est une des plus riches de Rome. On y possède , entre autres choses de grand prix , un soleil en diamant , d'une richesse incomparable , et qui est le fruit des présents de plusieurs princesses.

Tombeau de sainte Françoise Romaine.

C'est dans cette église même que repose le corps de sainte Françoise. On le déposa dans le sanctuaire , au pied du maître-autel , et on l'en- vironna d'une forte grille de fer , comme défense et ornement à la fois ; lorsque le procès de canonisation fut terminé et toutes les formalités touchant les reliques remplies , on transporta , avec cette pompe que Rome seule peut offrir, ce corps vénéré , resplendissant de gloire , dans le lieu qu'on appelle ordinairement Confession. Cette nouvelle Confes- sion ou mausolée plus magnifique que le premier , fut élevée en forme de baldaquin, composé des plus riches marbres de diverses couleurs habilement sculptés; le pavé présente des ornements en mosaïque ou placages d'un travail remarquable ; quatre colonnes très-précieuses soutiennent et environnent ce superbe monument ; c'est sur cette con- fession qu'Innocent X de glorieuse mémoire, pour seconder la piété des fidèles , plaça une partie des reliques de cette illustre dame Ro- maine , dans une châsse d'airain , revêtue d'or , travaillée avec un grand art et une grande magnificence : on voit sur le devant un superbe bas-relief en or , représentant sainte Françoise sortant vivante et comme triomphante du sein du tombeau. (Saint Jean de Capistran et saint Bonaventure ont été les panégyristes de sainte Françoise. )

436 TOMBEAU DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE.

Voici l'épitaphe qu'on lit sur le mausolée :

Ici repose

le vénérable corps

de la Bienheureuse Françoise de Rome , appelée

en son vivant

de Ponliani ,

que le Seigneur appela à lui par une heureuse mort

l'an 1440, le 9 mars.

Tandis que Dieu prouve ici-bas sa vie angélique

par un grand nombre de miracles,

son âme bienheureuse

goûte les joies éternelles dans les cieux.

f

(Voyez Bollandus, t. 2, 10 mars; Giulio Orsini, Vita délia B. Fran- cesca; Baillet; Philippe Bonanni, Catal. ord. Rel. p. 2. )

ESPRIT

DE

SAINTE CATHERINE

DE BOLOGNE, ABBESSE DES CLABISSES

NOTICE.

1463.

Catherine de Vigri , ou de Bologne , parce qu'elle naquit et mourut dans la cité de ce nom , était issue d'une des pre- mières familles du pays. Son père, Jean de Vigri , était origi- naire d'une noble maison de Ferrare , et sa mère , Bienvenue Mamolini, comptait parmi ses ancêtres les plus anciennes et les plus hautes illustrations de Bologne. A l'âge de douze ans, la jeune Catherine fut attachée en qualité de dame d'honneur à la princesse Marguerite d'Est , fille de Nicolas d'Est, marquis

438 NOTICE

de Ferrare. L'amour de la vertu s'annonçait en elle par les si- gnes les plus visibles : ni les honneurs ni les caresses du inonde ne purent l'éblouir. Elle ne soupirait qu'après le jour , recouvrant sa liberté , elle pourrait s'offrir , hostie vivante , à celui qui seul avait captivé son âme et dont elle se faisait un orgueil de devenir l'amante et l'épouse. Jésus-Christ exauça ses vœux et sourit à ses espérances. Deux ans après son entrée chez Marguerite d'Est, elle put rompre naturelle- ment les liens qui l'attachaient à elle , à l'occasion du ma- riage qu'elle contracta. Catherine , heureuse de sa liberté , s'en servit aussitôt pour entrer dans une société de femmes du tiers ordre de Saint-François d'Assise. Peu de temps après , cette société ayant été érigée en un monastère de Re- ligieuses sous le nom du Corps de Christ et sous la règle de Sainte-Claire, Catherine s'y engagea et se consacra à Jésus- Christ par des vœux solennels. Peu de temps après , ses ver- tus éminentes la firent élever à la qualité de première prieure et d'abbesse. Par l'habileté de son administration elle rendit célèbre le monastère de Bologne; mais elle ne devint pas moins célèbre elle-même , quelque soigneuse qu'elle fût de se cacher et de s'effacer aux yeux des hommes. Les nombreu- ses faveurs dont Dieu la combla rendirent son nom glorieux et dans son ordre et dans toute l'Italie. On ne peut rien comparer à son ardent amour pour Dieu , à son zèle pour le salut des pécheurs, ta son amour pour l'oraison et à sa fermeté dans les longues et innombrables épreuves qu'elle eut à sou- tenir. Elle possédait en outre à un très-haut degré le don de la parole et le talent de ramener à Dieu les âmes les plus endurcies.

Entre les divers ouvrages qu'elle a laissés et qui ne con- sistent que dans X Antique Rosaire, fait en vers latins hexa-

SUR SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. 430

mètres finissant tous par la syllabe is , selon l'ancien usage des temps barbares, et en quelques poésies italiennes ou hymnes médiocres , nous devons remarquer son beau Traité des sept armes nécessaires à ceux qui ont à combattre les ennemis spirituels. C'est son premier titre à l'admiration et à la reconnaissance des âmes religieuses. Les savants eux- mêmes en ont fait de grands éloges , et nous nous félicitons de pouvoir l'offrir ici à nos lecteurs , l'ayant traduit pour la première fois. Le style en est noble , pur, facile et onctueux. Nous avons aussi trouvé deux Echelles mystiques, quelques conseils pour la perfection, et son Testament. Quant aux visions qu'on lui attribue , n'ayant point été approuvées ni écrites par elle-même , nous avons tout lieu de craindre que ce ne soit une fourrure qu'une main étrangère y a glissée, et nous n'avons garde d'oublier la prudence qu'il faut apporter en de telles matières , et que le savant pape Benoît. XIV a recom- mandée dans son livre de Canoniz. Sanctor. , t. 3 , ch. 51 , p. 715. (Yoy.Godescard, t. 2, p. 273.)

Arrivée au terme de sa carrière , couronnée de vertus , im- patiente de jouir des embrassements du Bien-aimé , tandis qu'elle tenait les yeux levés vers le ciel et que sa bouche et son cœur proféraient de saintes prières , son âme se détacha comme par un doux soupir et s'envola radieuse vers les de- meures éternelles , le 9 mars 1463 , à l'âge de cinquante ans.

Un prodige précurseur de beaucoup d'autres éclata aussi- tôt après sa mort. Son corps parut resplendissant de gloire et admirable de beauté. Tandis que la chair des autres cada- vres est livide , la sienne parut semblable à celle d'une jeune personne de quinze ans par la vivacité de sa fraîcheur et son air gracieux. On ne pouvait croire être en présence d'un

440 NOTICE SUR SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE.

mort , mais d'une personne qui goûte le plus doux sommeil ; et ce prodige était d'autant plus frappant que pendant sa vie elle était pâle , maigre et défaite à cause de ses continuelles souffrances et de ses grandes austérités. Mais le Seigneur vou- lait faire connaître clairement de quelle gloire ce saint corps allait être environné dans le ciel ; il ne tarda pas , en effet , de le prouver par les miracles sans nombre qu'il opéra par la vertu de cette illustre Sainte. Il nous serait impossible de les raconter ici, car ils remplissent plus de vingt pages in-4° dans sa vie en italien; il nous serait impossible également de re- tracer les honneurs rendus à ce saint corps par le sénat de Bologne, par le peuple et par le clergé, les panégyriques pro- noncés en son honneur , les fêtes et les transports de joie qui suivirent sa canonisation, et la pompe continuelle qui entoure à Bologne ce saint corps , dont la vue saisissante remplit de respect tous les cœurs qui ont foi dans l'immortalité de l'àme et la résurrection des corps.

Quoique son nom fût inséré au Martyrologe romain dès l'an 1592, et le procès de canonisation fait sous Clément XI et terminé en 1712 , la bulle de canonisation ne fut cependant publiée qu'en 1724, par Benoît XIII.

ESPRIT

DE

SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE,

TIRÉ DU TRAITÉ DES SEPT ARMES SPIRITUELLES ET DE SES AUTRES ÉCRITS.

Jésus, Marie.

Au nom du Père éternel et de son Fils unique Jésus-Christ, splendeur de sa paternelle gloire et pour l'amour duquel je bride et suis ivre de joie de me proclamer la très-heureuse servante et l'épouse de ce Dieu bien-aimé , je viens inviter chaque amante fidèle du Seigneur à honorer avec de grands transports d'allégresse et des chants d'amour celui qui l'a créée et retirée de l'état si dangereux de la vie du siècle pour la placer dans ce très-noble asile de la vie religieuse , afin que purifiée de toute souillure du péché , revêtue des ornements de la sainteté et de l'éclat des vertus , parée de la beauté de l'àme revenue à l'état d'innocence première , elle soit digne de passer de ce pèlerinage au lit glorieux de son chaste et virginal époux Jésus-Christ, des mains duquel elle recevra la récompense d'une triomphante exaltation , selon qu'il l'a pro- mis à tous ceux qui par amour pour lui auront abandonné les vains plaisirs de ce monde corrompu, se seront assujettis à l'empire de la raison, et renonçant à leur propre goût et

à VI ESPilIT

volonté seront entrés dans le port assuré de la vie religieuse en s'offrantà marcher dans la voie de l'obéissance après s'être expropriés entièrement de la moindre volonté ; mais comme tout cela ne se peut pratiquer sans se faire violence à soi-même, je vais écrire pour donner quelques instructions propres à fortifier les personnes qui sont engagées dans cette très- noble bataille de la sainte obéissance. On est en effet quel- quefois grandement combattu et molesté par sa volonté pro- pre et toute sa manière de voir et d'obéir, ce qui fait qu'on est vivement affligé en pensant qu'on perd par tout le mé- rite de l'obéissance : or, certes, ce n'est point véritable, car aucune vertu ne devient parfaite , sinon par les contradictions et les épreuves ; quant à ce qui est vrai , je le montrerai plus loin , lorsque je parlerai de l'excellente et très-aimable vertu d'obéissance , qui est si dignement appelée la vertu royale , illustre et souveraine par ses propriétés.

Or donc , quiconque désire arriver sans danger et heu- reusement de ce lieu de pèlerinage à la véritable patrie , doit commencer par cette belle , noble et délicate vertu , qui peut se trouver et se posséder , et qui est , lorsqu'on l'a , comme un bouclier impénétrable , avec lequel on obtient une pleine victoire sur l'ennemi de l'âme et qui vous conduit comme par la main au port du salut et à l'éternelle rétribution , selon que Jésus-Christ l'a dit : Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres, mais il jouit de la lumière de vie. Mais puisque nous y sommes déjà engagés et que nous nous voyons au milieu de ce combat spirituel , il convient que nous pas- sions par la voie de beaucoup d'angoisses , de tentations , de luttes opiniâtres, parce que dès le principe, on doit em- ployer quelques armes puissantes pour repousser l'ennemi et résister avec avantage aux ruses qu'il emploie dans ce genre de combat. Cependant il est nécessaire que. quiconque veut s'en- gager dans celte bataille , choisisse les armes les plus per- çantes, par cette raison qu'il a contre lui des ennemis très- vigilants et très-rusés. Or donc , courage , courage et grande

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ardeur en saisissant avec confiance ces armes saintes à la louange de Jésus-Christ.

Toute personne qui veut prendre sur elle la croix du Sau- veur , mort le premier sur le champ de bataille pour nous donner la vie , aurait-elle le cœur le plus tendre et le plus délicat, doit saisir premièrement les armes nécessaires à ce genre de combat , et surtout celles que nous exposerons en- suite avec ordre.

La première, c'est la diligence; la seconde, la défiance de soi-même ; la troisième, la confiance en Dieu; la qua- trième , le souvenir de la Passion ; la cinquième , la pensée de sa propre mort; la sixième, la méditation de la gloire de Dieu ; la septième et dernière, V autorité de la sainte Ecri- ture ; de tout cela Jésus-Christ nous en a donné l'exemple dans le combat du désert.

Donc , l'âme qui est épousée par l'inappréciable anneau de de la bonne volonté , ou de l'amour divin , si elle veut servir Dieu en esprit de vérité , doit premièrement purifier sa cons- cience par une véritable et entière confession , et prendre la ferme résolution de ne vouloir plus pécher mortellement, mais de recevoir plutôt que de le commettre , mille morts s'il était possible. Car, toute personne qui est en état de péché mortel n'est pas le membre de Jésus-Christ , mais du démon , et elle est privée des biens spirituels de la sainte Eglise notre mère , comme aussi elle ne peut rien faire qui soit méritoire delà vie éternelle; par conséquent, à vouloir dès ce jour servir Dieu avec fidélité, il est nécessaire de se proposer fer- mement de ne plus pécher mortellement , comme je viens de le dire plus haut : mais remarquez , que s'il arrive que vous soyez en état de péché mortel , il ne faut point pour cela déses- pérer de la bonté divine et cesser de faire tout le bien que vous pouvez , afin qu'en le pratiquant vous puissiez sortir du péché. Et dans cette espérance faites toujours le bien , quel que soit l'état vous vous trouvez. Et en outre de cela , il convient que celui qui se dispose à devenir le fidèle serviteur

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île Jésus-Christ , se prépare également à marcher par la voie de la croix. C'est pourquoi tous ceux , quels qu'ils soient , qui servent Dieu , doivent commencer à lutter contre les en- nemis de Dieu , et s'attendre à recevoir de leur part des coups divers et fâcheux. Or , contre de tels adversaires il est indis- pensable d'avoir d'excellentes armes et de combattre vigou- reusement , surtout avec celles qui suivent.

DE LA PREMIÈRE ARME,

Ou de la diligence.

La première arme, ai-je dit, c'est la diligence, ou l'ap- plication et le soin de bien faire. C'est pour cela que la sainte Ecriture maudit tous ceux qui sont tièdes et négligents dans les voies de Dieu. L'office de l'Esprit-Saint est de nous com- muniquer de bonnes inspirations, mais notre devoir à nous , c'est de les accepter et mettre en pratique , faisant une conti- nuelle violence à notre sensualité qui s'oppose toujours et demande le contraire de ce que veut le Saint-Esprit; et c'est à cause de ces dispositions qu'il est nécessaire de lui résister avec une vraie diligence, et de ne point laisser écouler le temps qui nous est accordé , sans retirer quelque fruit de nos bonnes œuvres ; selon ce qui est écrit : Que quiconque veut s'élever à la perfection ne doit jamais oublier d'examiner ses pensées, ses paroles , ses bonnes et saintes actions , de s'exer- cer à plaire à Dieu et de le faire cependant avec discrétion , afin que lorsque notre adversaire , comme un ennemi traître et rusé, s'efforcera de nous assaillir par derrière , nous soyons prêts à la défense. En disant par derrière, j'entends, lorsque, sous l'apparence du bien , il veut nous perdre et nous donner la mort ; c'est pourquoi il y a du péril dans le trop comme dans le trop peu. Et c'est pour cela que je vous ai dit , avec discrétion , attendu que par cette condescendance , on rend parfaites toutes les autres vertus, comme l'a dit le glorieux doc-

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teur des anciens Pères du désert, saint Antoine de Vienne (1). C'est donc avec une vraie discrétion qu'il faut se livrer à tou- tes les vertus , soit spirituelles , soit morales ou temporelles, car lorsque notre ennemi voit qu'il ne peut empêcher le ser- viteur de Jésus-Christ de faire le bien , il cherche à le trom- per par trop de bien. Soyons donc appliqués à pratiquer toutes les vertus avec un sage milieu, et par conséquent ser- vons-nous de l'arme salutaire d'une vraie et diligente discré- tion pour qu'elle tourne à l'avantage de notre salut et à la louange de Jésus-Christ.

DELASECOXDEARÎIE,

Ou de la défiance de soi-même.

La seconde arme est la défiance propre , qui consiste à croire fermement et sans aucun doute , qu'on ne peut jamais de soi-même ou par ses seules forces , opérer la moindre chose qui soit bonne et méritoire , selon que Jésus-Christ lui-même l'a dit : Sans moi vous ne pouvez rien faire (Jean 15-5). Mais on peut bien moins encore lorsqu'il s'agit de résister par ses propres forces à la fureur de l'ennemi in- fernal et de triompher de ses artifices et de sa malice. Aussi nul ne s'est confié en sa propre sagesse , et nul ne s'y confie encore qui n'apprenne ou n'ait appris avec toute évidence que par un juste jugement de Dieu on tombe dans une grande ruine ,. attendu que cet ennemi est plus malicieux étant d'ac- cord avec nous-mêmes , que livré à sa seule malice. C'est pourquoi j'ai dit que la seconde arme pour combattre cet ennemi , est de ne point se fier à soi-même ; et bienheureuse est l'âme qui jouit de cette très-noble vertu ; car, plus l'âme religieuse est avancée dans l'état de la perfection , ou plus

(1) Elle désigne saint Antoine par le nom de Vienne, parce que son corps re- posait dans cette ville. (Voyez t. 1", page 4.)

446 ESPRIT

elle est élevée en dignité ou supériorité , plus elle a besoin de cette défiance. C'est pourquoi , écoutez l'exemple d'un ancien religieux très-versé dans la piété ; il dit : « Que lorsqu'il était supérieur et qu'il lui arrivait de faire quelque chose apparte- nant à sa charge et touchant le gouvernement du monastère , s'il le faisait selon sa propre sagesse et son jugement , Dieu permettait que le plus souvent il lui en revînt quelque chagrin ou quelque tribulation ; et qu'au contraire , lorsqu'il n'agis- sait que d'après son conseil et selon qu'il paraissait bon à la majeure partie de ses subordonnés , il en ressentait toujours du bien-être et se sentait tout consolé. » Or , comme elle ose souvent beaucoup celle qui doit être soumise et qui ne l'est pas, et surtout celle qui, en entrant nouvellement en religion , veut vivre à sa tête , par une ferveur insensée , au lieu de se laisser guider par son conseil ou par la volonté de sa supé- rieure : 0 maîtresse , lui dirai-je , afin que la vertu de la sainte humilité reluise en vous , prenez la vertu de défiance de vous- même , et exercez-vous-y à la gloire de Jésus-Christ.

DE LA TROISIÈME ARME,

Ou de la confiance en Dieu.

La troisième arme est de placer sa confiance en Dieu , parce que , aidé de son amour et du secours empressé du Saint-Esprit , on s'engage courageusement dans le combat contre le démon , le monde , et sa propre chair qui ne nous est donnée que pour obéir à l'esprit et pour assujettir nos ennemis et les tenir sous les pieds de notre affection. Il faut donc se confier en Dieu avec cette espérance qu'il daignera nous fournir abondamment sa grâce , par le moyen de la- quelle nous obtiendrons une pleine victoire sur tous nos ad- versaires, sachant qu'il n'abandonne jamais ceux qui espè- rent en lui. Toutes les fois donc que la servante et épouse du Christ se trouvera sans le vouloir, par la permission de

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. 44 i

Dieu, dans une si grande et pénible tempête , qu'elle se voit obligée de crier de tout son cœur vers le ciel , en disant : Mon Dieu, ne m'abandonnez pas t et que pendant un certain temps , elle croit en èlre abandonnée , alors , par un divin et profond mystère, elle est élevée par le Seigneur son Dieu au sommet de la perfection. De cela nous avons un exemple dans la personne même de son Fils unique, qui, lorsqu'il était dans la tribulation la plus excessive et au moment de la mort la plus cruelle , poussa ce cri plaintif : Mon Père, pourquoi m'avez-wms délaissé (Matth. 27-46). Et néanmoins on comprend avec vérité comment à cette heure le Christ , le Fils de Dieu triomphait par une haute et sublime perfection et par l'accomplissement de l'obéissance à son Père éternel avec lequel il était parfaitement uni, bien qu'en tant qu'homme passible et mortel , il s'écriât : Dio mio, perche mi as tu aban- donnato ? Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? Mais cela fut ainsi parce que la divinité était inséparablement unie à l'humanité , et que la partie humaine et sensible de la nature se voyant déchirée, se. plaignait ; et l'autre, au con- traire , la justice de Dieu demandait que par cette pénible obéissance le Christ effaçât la grandeur et l'étendue de la désobéissance de notre premier père. Or, revenant à notre premier propos, je dis que la servante de Jésus-Christ ne doit point craindre d'être abandonnée , bien qu'il arrive quel- quefois qu'il semble en être ainsi , sachant que le Père éter- nel notre Dieu ne laisse encourir à ses enfants les mêmes dangers que son Fils propre , qu'afm qu'alors se trouvant dans une très-grande détresse et tribulation , ils prennent une nouvelle confiance dans le secours divin , n'oubliant pas la promesse qu'il nous a faite en nous disant par la boucbe du Prophète : Je suis avec lui dans la tribulation, je l'en re- tirerai et le glorifierai (Ps. 90-15).

Qui est-ce donc qui ne voudra être troublé et désolé, afin d'avoir un si doux et si fidèle compagnon que celui qui s'offre à être avec les siens au temps de leur adversité ? Oh que

448 ESPRIT

pour cette raison nous devrions préférer l'occasion d'être désolés à celle d'être consolés. Sur cela donc concevons une ferme espérance , afin que la troisième arme de la confiance en Dieu, devenant l'objet de notre exercice, nous nous en servions à la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

DE LA QUATRIÈME ARME ,

Ou du souvenir de la passiou.

La quatrième arme est le souvenir du glorieux pèlerinage de Jésus-Christ, l'Agneau immaculé, dans ce monde, et prin- cipalement celui de sa mort et passion , ayant sans cesse de- vant les yeux de l'intelligence la présence de sa très-chaste et virginale humanité; et cela est un remède excellent pour remporter la victoire dans toute sorte de combats , et sans cette arme qui les surpasse toutes en puissance, nous ne pour- rons jamais vaincre nos ennemis; car, sans elle toutes les autres ne sont qu'un secours impuissant. 0 Passion très- glorieuse ! vous êtes notre remède dans toutes nos blessures ! 0 mère très-fidèle qui conduisez vos enfants au Père céleste ! 0 véritable et suave refuge dans toutes les adversités ! 0 nourrice sacrée qui soutenez et qui guidez les esprits des petits, vers les sommets de la perfection! 0 miroir éclatant qui éclairez ceux qui se regardent en vous et qui leur faites connaître leurs difformités ! 0 bouclier impénétrable qui dé- fendez très-habilement ceux qui se cachent derrière vous ! 0 manne savoureuse , pleine de toute sorte de douceurs , c'est vous qui préservez ceux qui vous aiment de tout venin mortel ! 0 échelle très-haute qui faites monter à l'infini ceux qui s'élèvent sur vous par leur vol ! 0 vrai et agréable hos- pice pour l'âme étrangère et voyageuse ! 0 fontaine intarissa- ble qui rafraîchissez ceux qui ont soif, parce qu'ils brûlent d'amour! 0 mer très-abondante pour quiconque rame et na- vigue sur vous avec la droite barque de la vérité ! 0 très-

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douce olive qui étendez vos rameaux dans tout l'univers ! 0 délicate épouse de l'âme qui demeure toujours amoureuse de vous et qui ne regarde point autre chose! Et, par consé- quent, mes chères et très-affectionnées Sœurs, exercez-vous-y infatigablement et mirez-vous à sa radieuse splendeur , afin que par son moyen vous puissiez conserver la beauté de votre âme. Et véritablement c'est la passion de Jésus-Christ qui est cette maîtresse très-sage qui vous conduira , mes bien- aimées Novices , à la beauté de toutes les vertus , et par elle vous parviendrez au signe (1) distinctif de la victoire , à la louange de Jésus-Christ. »

DE LA CINQUIÈME ARME,

Ou du souveuir de sa propre mort.

« La cinquième arme est le souvenir de sa propre mort ; car nous devons mourir , et le temps de la vie s'appelle un temps de miséricorde, pendant lequel Dieu attend de jour en jour, afin que nous amendions notre vie du bien au mieux; et si nous ne le faisons ainsi , il nous forcera à rendre compte non-seulement du mal que nous avions fait , mais aussi du bien que nous aurons omis de faire par notre négligence : c'est pourquoi écoutez-bien ce que nous dit le glorieux apô- tre saint Paul : Faisons le bien pendant que nous avons le temps (Gai. 6-10). Or, pour vous aider beaucoup en cela, ressouvenez-vous particulièrement de la mort , et soyez con- tinuellement prêts à la recevoir, parce que nous ne savons ni le jour, ni l'heure à laquelle le Juge sévère mandera vers nous, pour nous faire rendre compte du talent de la bonne volonté qu'il nous a accordé , afin que par nous nous en servions pour le louer , pour sauver notre âme et tenir nos

(1) Palio en italien signifie une pièce d'étofle qu'on donne pour prix à celui qui gagne à la course, connue on dirait des décorations chez nous. T. V. 29

4-50 ESPRIT

promesses : mais que les novices soient prudentes surtout , comme je l'ai dit plus haut, pour ne point trop se fier à elles- mêmes , au lieu de suivre la règle qui leur est imposée par leurs supérieures ou maîtresses ! mais plutôt qu'elles mettent toute leur application à marcher par cette voie selon les mo- dèles qu'on leur propose touchant la conduite tant de l'àme que du corps ; je dis cela afin que jamais l'ennemi de notre salut ne persuade à l'esprit de celles qui sont encore peu ins- truites dans l'art du combat spirituel , qu'elles vont mourir de suite et qu'elles auront trop peu de mérites à emporter avec elles , si elles ne font point d'autre pénitence •, et par ce moyen , le malin esprit s'étudie et s'applique à faire violer la règle de la vraie obéissance , laquelle est sans aucun doute plus méritoire que ne le sont toutes les pénitences qu'on puisse faire. Ainsi donc il est nécessaire d'user avec une bonne prudence de cette arme du souvenir de sa propre mort, afin qu'on puisse s'en servir pour le salut de son âme et à la gloire de Jésus-Christ. »

DE LA SIXIÈME ARME,

Ou du souvenir de la gloire donl on jouit devant Dieu.

« La sixième arme est le souvenir des biens du paradis , lesquels sont promis à ceux qui auront légitimement com- battu , après avoir abandonné tous les vains plaisirs de cette vie; c'est pourquoi le sacré docteur saint Augustin a dit qu'il est impossible de jouir des biens présents et des biens futurs; donc vous devez être contentes, mes bien-aimécs Sœurs , de n'avoir aucun plaisir , ni aucune affection de ce monde ; et ne vous récriez point de la fatigue que cause l'abandon de sa propre volonté , vous rappelant ce que disait notre patriar- che saint François, qui est que le don le plus grand et le plus excellent qu'on puisse recevoir de Dieu en ce monde et que le serviteur de Jésus-Christ doit le plus désirer , c'est de se

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vaincre soi-même en abjurant et jetant loin de soi sa propre volonté. Il disait encore : « Et ce bien que j'attends est si grand, que toute peine pour l'acquérir m'est chère et agréa- ble; » montrant par là, combien au souvenir du bonheur éternel il se glorifiait de souffrir toute sorte de maux , et c'est pour confirmer cette joie que vous devez avoir touchant les biens qui vous sont promis , mes très-chères Sœurs , que je pose cet exemple : Lorsque j'entrai dans ce monastère , il y entra aussi, peu de jours après moi, une jeune personne , en l'esprit de laquelle naquit bientôt de l'ennui de bien faire et du repentir d'avoir abandonné la vie du monde ; il arriva qu'étant dans ce dessein, elle alla se confesser à un très-res- pectable ministre de Jésus-Christ auquel elle communiqua sa volonté de rentrer dans le siècle, et lui , tout étonné , lui ré- pondit en ces termes : Ma fille , gardez-vous de faire ainsi , car écoutez ce que je vais vous dire : je pense que vous êtes celle pour laquelle j'ai eu cette nuit passée une vision qui m'a fort étonné , ne sachant ce que cela voulait dire ou signi- fier , et elle me dit : Je vous prie de vouloir bien me dire ce que cela signifie; et je lui dis : J'étais conduit à une très-belle fête étaient d'innombrables jeunes filles , toutes resplen- dissantes d'une si grande beauté , qu'elle surpassait celle du soleil ; elles étaient revêtues d'une gloire merveilleuse ; elles avaient la tête ornée de guirlandes de fleurs d'une rare élé- gance , et ainsi parées , elles allaient à la rencontre d'une autre jeune fille qui semblait vouloir les admettre en sa com- pagnie , et cette rencontre et cette réception se firent avec de vifs transports de joie, de grands honneurs de fête et de gloire ; mais lorsque celle-ci fut tout près , voilà qu'une d'elles parut se repentir, d'être venue et s'en retourna en arrière , et alors cette noble. compagnie , en la voyant agir de la sorte, me sembla en demeurer toute triste, et , en ce moment, la vision disparut ; alors rentrant en moi-même je réfléchissais sur ce que pouvait signifier cette vision , mais à cette heure je comprends évidemment que Dieu me l'a manifestée en vous

452 ESPRIT

envoyant à moi : c'est pour cela que je vous prie , 6 ma Fille, de ne point suivre votre mauvais dessein et votre tentation , mais de demeurer ferme dans votre vocation, et de persévérer à vivre dans ce saint asile jusqu'à la fin ; car en faisant ainsi vous pourrez , au terme de votre carrière , arriver à cette très- joyeuse fête eteompagnie que j'ai vue, et vous reposer pendant toute l'éternité avec les vierges glorieuses qui vous attendent dans le ciel. En entendant cela, plutôt par honte que par tout autre motif, elle résolut de rester avec nous ; mais , après quelque temps, voyant qu'elle ne se conduisait pas religieuse- ment , elle fut rendue à sa famille et à la vanité du monde, et finit sa vie en peu de jours , et de la sorte fut vérifiée la vision qu'avait eue le serviteur de Dieu ; car en perdant la couronne de sa virginité elle mérita d'être privée de se ré- jouir avec cette cour virginale , telle que le ministre du Christ l'avait vue.

Pour ces motifs , mes très-chères Sœurs , soyez constantes et fortes ; persévérez dans la résolution de bien faire pour l'amour de votre Seigneur et Dieu , espérant fermement dans les hiens du paradis, afin qu'au terme de votre carrière vous puissiez y parvenir, disant ensemble avec notre séraphique saint François : Me exportant justi donec rétribuas mihi. Les justes m'appellent, en attendant que vous me donniez la ré- compense (Ps. 141-8), à la gloire de Jésus-Christ. Ainsi soit-il. »

DE LA SEPTIÈME ARME,

Ou de l'aulorité des saintes Ecritures.

« La septième arme avec laquelle nous pouvons vaincre nos ennemis , est le souvenir de la sainte Ecriture , laquelle nous devons porter toujours sur notre cœur, et dont nous de- vons prendre conseil comme d'une mère très-fidèle , pour toutes les choses que nous aurons à faire , ainsi que nous le

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lisons de la très-prudente et sacrée vierge sainte Cécile, dont on rapporte : « qu'elle portait toujours caché dans sa poi- trine l'Evangile de Jésus-Christ ; » et c'est aussi avec celte arme que notre Sauveur Jésus-Christ a vaincu et confondu le démon dans le désert , lui disant : Il est écrit que l'homme ne vit pas seulement de pain , mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Par conséquent, mes très-chères Sœurs, ne laissez point s'en retourner vides les leçons de la sainte Ecriture , qui se lisent dans le chœur pendant l'office ou pen- dant le repas : pensez également que les épîtres et évangiles que vous entendez chaque jour à la messe sont autant de nou- velles lettres que vous envoie votre céleste Epoux , et placez- les avec grande joie et fervent amour sur votre poitrine, et re- passez-les en vous-mêmes le plus souvent que vous pourrez , surtout lorsque vous êtes dans vos cellules , afin que vous puissiez plus facilement, plus sûrement, plus délicieusement et plus chastement embrasser celui qui vous les mande ; et en faisant ainsi , vous vous trouverez incessamment conso- lées , voyant que vous recevez aussi souvent des nouvelles de celui que vous aimez grandement et souverainement. Oh , qu'il est doux et suave cet entretien de Jésus avec l'âme de celle qui est véritablement embrasée de son amour. Or, n'est-ce pas une parole sortie de la propre bouche si douce et si aimable de Jésus-Christ , que la doctrine évangélique ? Certes oui ! Donc avec quelle attention ne devez-vous pas l'en- tendre et la goûter ? C'est par que je termine lesdites ar- mes spirituelles. »

Exercice ou manière de se servir prudemmeut de ces armes spiriluelles.

« Mais , je vous prie d'une chose, mes très-chères Sœurs , c'est que vous n'en usiez que prudemment et que vous ne vous trouviez jamais sans ces armes , afin de pouvoir mieux obtenir le triomphe de la victoire contre vos adversaires , et prenez bien garde de n'être pas trompées par les apparences

iôi ESPRIT

du bien ; car il arrive quelquefois que le démon vous appa- raît sous l'extérieur du Christ ou de la Vierge Marie , ou sous toute autre figure d'ange ou de saint, et, par conséquent, dans toutes les occasions il pourra vous apparaître , pre- nez les armes de la sainte Ecriture qui vous apprend de quelle manière se conduisit la mère de Jésus-Christ lorsque l'ange Gabriel lui apparaissant , elle lui dit : Quelle est cette saluta- tion? El faites-en de même vous aussi dans toutes sortes d'apparitions et d'occasions semblables ; veuillez être assu- rées auparavant d'une manière certaine si c'est bien ou si c'est du malin esprit avant que de l'écouter. En outre , il n'est pas moins nécessaire de faire bonne garde touchant les pen- sées de notre esprit , parce que quelquefois le démon nous en inspire quelques-unes de bonnes et de saintes pour nous sur- prendre'par cette apparence de vertu , après quoi , pour prouver que cela est ainsi , il tente et attaque fortement par quelque vice qui soit opposé à cette vertu , et notre ennemi ne fait cela qu'afin de pouvoir conduire la personne tentée dans la fosse du désespoir. »

Elle cite , à l'appui de ce qu'elle avance , l'exemple d'une religieuse à laquelle le démon apparut une fois sous la figure de Jésus-Christ crucifié, une autre fois sous celle de la très- sainle Vierge , lui disant : » Si tu renonces à l'amour vicieux, moi je te donnerai l'amour vertueux. » Et cela dit , il dispa- rut. La religieuse crut que c'était la sainte Vierge : elle se mit donc en prière , et lui demandait instamment l'amour de son Fils ; mais ensuite elle se mit à penser en elle-même ce que signifiait ce que la sainte Vierge lui avait dit; et par mille pensées qu'elle roulait dans son esprit , le démon vou- lait la troubler , la bouleverser , la porter à désobéir aux or- dres de sa supérieure, &c, &c. Et elle était dans une grande amertume et tribulation dans ses oraisons : or, c'est ce que voulait son ennemi , car une autre fois le démon lui apparut, c'était un matin qu'elle était entrée dans l'église pour prier ; et se montrant tout à coup à elle sous l'image de Jésus-Christ

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. ioo

crucifié , il resta ainsi les bras étendus vers elle , avec un air tout amical , tout tendre , tout bienveillant , et lui parla en ces ternies , comme s'il eût voulu lui faire des reproches : « Voleuse , tu me l'as dérobée ; rends-moi cette âme que tu m'as prise. » Et, croyant tout bonnement que c'était Jésus- Cbrist , elle lui dit avec grand respect, grande crainte , et prosternée à terre : Mon Seigneur , que veut dire ce que vous me dites ? Car je n'ai chose aucune , étant très-pauvre et anéantie en votre présence. Dans ce monde je suis la der- nière de toutes , ainsi je n'ai absolument rien. Et à cela il lui répondit , en disant : Je veux le savoir si tu es aussi pau- vre que tu le dis , et si tu n'as rien. Après que je t'ai faite à ma ressemblance , te donnant la mémoire , l'intelligence et la volonté , et ayant faire ici le vœu d'obéissance, tu me l'as fait , et maintenant tu me le retires , et par tu te mon- tres voleuse envers moi. » Et elle, croyant qu'il voulait par- ler de quelque pensée d'infidélité qu'elle avait eue dans le cœur contre son abbesse , répondit : « Seigneur mon Dieu , comment dois-je donc faire, car je n'ai pas mon cœur libre et je ne puis retenir les pensées qui me sont venues ? » Et il repartit : « Fais comme je te dirai : prends le parti de ta vo- lonté , de ta mémoire et de ton intelligence , et fais qu'elles ne suivent en rien la volonté de ta supérieure. » Et elle lui dit : « Comment dois-je faire cela , puisque je ne puis empê- cher mon intelligence de discerner, ni ma mémoire de rap- peler ? Et lui reprit : « Mets ta volonté à la place de la sienne et fais par conséquent que la sienne soit la tienne, et n'exerce ni ton intelligence ni ta mémoire en rien qui soit au-dessus delà sienne. » Et elle disait toujours qu'elle ne pouvait le faire , parce qu'elle sentait qu'elle n'avait pas son cœur libre. Et lui ayant dit encore plusieurs autres choses pour la forti- tifier dans la désobéissance , il disparut. Et elle , croyant toujours que c'était Jésus-Christ , demeura l'esprit tout trou- blé , et se livrant à mille pensées , elle sentait son cœur agité ; et lorsque la supérieure lui commandait quelque chose, raille

456 ESPRIT

idées lui venaient aussitôt , &c, (kc. , et rien ne pouvait allé- ger le poids de sa tristesse , et tout lui devenait amer, &c. Or, telles sont les ruses du démon... »

Notre Sainte prend occasion de cette histoire, qui est très- longue, pour démontrer à ses religieuses la nécessité de la prudence , du discernement , de la sagesse et du bon emploi des armes spirituelles dans le combat que leur livre l'ennemi de leur salut. Elle recommande surtout l'obéissance qu'elle présente comme la plus importante d'après l'exemple même de Jésus-Christ ; la persévérance qui obtient toujours la vic- toire ; l'amour de la croix et des tribulations , parce que Jésus-Christ les a embrassées depuis le moment de sa nais- sance jusqu'à l'heure de la mort , et parce que les épreuves sont plus utiles que les consolations , les amertumes que les douceurs ; enfin elle les exhorte à vaincre la tentation d'in- constance , de changement de maison, et à se livrer avec joie et amour aux chants des psaumes et aux veilles sacrées.

Déclaration d'aulheulicilé de ce traite'.

Caterina Poverella Bolognense , cioè in Bologna aequistate , nota e al- levata , ed in Ferrura da Christo sposata, io da me stessa sopranominata caijnola , per divinâ inspira-Jone scrisse di mia mono propria questo li- briccinolo nel monastero del Corpo di Christo in Ferrara nella cella dove abitave , laquai' era coperta di Stuore , al tempo délia nostra reverendis- sima madré , ed abadessa suor Taddea Sorella di Messer Mario délit PU , circa gli anni del Signore 1438. Ed in vila mia non li manifestato a persona che si sia. A lande di Christo Gesù. Amen.

LES DEUX ÉCHELLES MYSTIQUES.

Notre Sainte avait coutume de dire , dans ses instructions aux novices , qu'il y avait deux échelles très-sûres par les- quelles les bonnes religieuses pouvaient infailliblement mon- ter de leur monastère à la gloire du paradis. La première s'appelait Echelle des vertus , et elle avait , d'après elle , dix

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échelons ou degrés. La seconde s'appelait l'Echelle de Vhurrii- lilé . semblable à l'échelle mystérieuse que vit Jacob durant son sommeil, et par laquelle les âmes religieuses et craignant Dieu s'élèvent, comme des anges , à la céleste Jérusalem ; celle-ci , conformément à la doctrine des saints docteurs , a douze degrés qui , d'après le glorieux saint Benoît , peuvent être appelés les douze degrés de l'humilité , et notre Sainte les a proposés dans l'ordre qu'on va les lire.

Première Echelle. Echelle des vertus.

Le premier échelon est appelé clôture, ou séparation de corps et d'esprit de toute chose du monde et du siècle , comme parents et amis ; et elle regardait cette vertu comme très-nécessaire à une épouse de Jésus-Christ , parce qu'il est très-difficile qu'en ayant l'amour des choses du monde on ait l'amour du Seigneur, lequel étant très-noble et très-pur, dé- daigne d'entrer dans un cœur qui est ouvert aux choses viles et méprisables.

Le second échelon s'appelle audience ou promptitude et désir ardent d'entendre la parole de Dieu , non-seulement par la prédication ou les instructions spirituelles, mais encore par les inspirations que le Seigneur a coutume d'envover à ses serviteurs pendant l'office , la messe , l'oraison ou tout autre exercice de piété qui se font en religion , conformément aux ordres de la supérieure. En ce moment surtout, parce que le Seigneur qui , selon que le dit l'Ecriture , se tient et frappe continuellement à la porte du cœur humain , pour se faire entendre à ses serviteurs , avec un doux son qu'il fait à l'oreille , refuse de parler à l'àme quand il voit son oreille uniquement attentive à d'autres voix, à d'autres chants, et peu disposées à sentir et à goûter ses instructions. Or, c'est d'un grand profit pour l'àme d'écouter attentivement la voix

458 ESPRIT

du Seigneur, selon que le dit de lui-même le Prophète: J'écoulerai tout ce que le Seigneur mon Dieu daignera dire à mon cœur : Audinm quid loqimtur in me Deus meus.

Le troisième s'appelle retenue : cette vertu, qui sied bien à toutes sortes de personnes et à toutes les conditions , est requise principalement dans une vierge consacrée à Dieu , comme ornement de la vie et gardienne des vertus reli- gieuses.

Le quatrième s'appelle taciturnité ou silence , vertu op- posée à ce vice dont un apôtre du Seigneur a dit : « Qu'il rend vaine la religion de celui qui s'en laisse dominer. »

Le cinquième s'appelle gracieuseté, c'est-à-dire bonté , honnêteté , courtoisie envers toutes sortes de personnes , bien qu'indignes quelquefois et ne le méritant pas , parce que cette vertu nous rend semblables à notre très-bon , très- généreux et très-doux Jésus, qui faisait part de tous ses biens et répandait ses faveurs , encore qu'on fût pécheur , créature indigne de la grâce de Dieu , &c.

Le sixième échelon est la diligence ou la vigilance : celle- ci , disait-elle , doit être notre compagne particulière et as- sidue dans toutes choses , soit qu'elles concernent les exerci- ces de Dieu , soit qu'elles regardent les exercices ou œuvres prescrites par les supérieurs ; parce que toute maison reli- gieuse doit être une image du paradis , et qu'au paradis tout se fait exactement et avec vigilance.

Le septième degré est la pureté de l'esprit , qui consiste particulièrement à penser toujours bien des autres et à inter- préter toujours en bonne part les actions , quelles qu'elles soient, du prochain, et à ne jamais dénaturer leurs pensées ni se permettre de censurer leur conduite.

Le huitième est Y obéissance non-seulement envers les supé- rieurs, mais envers toute autre personne, assurés que comme c'est très-dangereux pour nous d'aimer que tout seconde notre propre volonté , et de ne pas aimer la volonté des au- tres; de même, c'est la plus facile manière de ne passe

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE, 450

tromper, de suivre volontiers les conseils des autres , sur- tout des plus savants.

Le neuvième degré est Y humilité } vertu qui devrait être d'autant plus estimée de tout chrétien et des religieux sur- tout , qu'elle a été plus particulièrement pratiquée par Notre- Seigneur Jésus-Christ qui s'est humilié jusqu'à la mort de la croix, et qu'elle est plus odieuse et abhorrée du démon.

Le dixième degré , c'est l'amour de Dieu et du prochain , lequel est la fin et la perfection de la vie d'un religieux.

Seconde Echelle , appelée échelle de l'humilité.

Cette échelle est composée d'échelons qui consistent :

A faire paraître toujours une vraie humiliation , accom- pagnée d'une affection sincère de cœur et d'esprit, et d'un extérieur ou de manières bienveillantes et cordiales.

A parler en peu de mots et avec discrétion , et non-seu- lement d'un ton qui ne soit pas trop haut, mais au contraire un peu bas.

A n'être point facile ni prompt à rire; que s'il arrive de rire par accident , que ce soit avec modestie et pour peu de temps.

À garder le silence jusqu'à ce qu'on soit interrogé.

A observer avec exactitude tout ce que la règle prescrit , et à ne jamais s'écarter de ce qu'elle prescrit.

A se croire et à s'avouer la plus misérable de toutes les personnes qui sont en ce monde.

A confesser et à reconnaître qu'on est inutile , et inha- bile à la moindre chose.

A fréquenter souvent le sacrement de pénitence et à y déplorer et y détester tous nos péchés et nos défauts, quoi- qu'ils soient petits.

A embrasser promptement l'obéissance qu'on nous im-

460 ESPRIT

pose , bien qu'elle consiste dans des choses âpres et difficiles à mettre en exécution , et à les faire sans murmure intérieur ou extérieur.

10. A se mettre toujours au-dessous de ceux qui sont plus que nous , avec parfaite soumission.

14. A se réjouir et se complaire à ne faire jamais sa propre volonté.

12. A craindre Dieu d'une crainte filiale , se rappelant aussitôt tout ce qu'il a daigné faire pour nous et ce qu'il nous a commandé , et finalement à persévérer dans ladite crainte et amour jusqu'au dernier moment de notre vie , pour la seule gloire de Dieu.

Sages conseils pour parvenir à une haute perfection.

Un jour, qu'une de ses compagnes pressée par une louable émulation , la voyant si embrasée d'amour de Dieu, lui di- sait : « Si je pouvais faire comme vous , je serais très-heu- reuse. » Notre Sainte lui répondit : « Ma chère Sœur , si vous prétendez avoir ce qu'ont les autres, il faut aussi y mettre un peu du vôtre. » Et en quoi consiste , répliqua l'autre, ce que je dois mettre du mien ? » La Sainte répondit : « En acquérant les choses suivantes :

La première, c'est le mépris des choses de la terre ; c'est- à-dire qu'il faut vous exercer à n'avoir que du mépris et de l'horreur pour tous les plaisirs , les délices et autres choses du monde , oubliant l'affection de vos parents et de vos amis , parce que qui veut tout , doit laisser tout et se donner par- faitement à Jésus-Christ qui ne permet pas qu'on mêle son amour avec celui d'autre chose , mais qui veut être aimé sans compagnon.

La seconde est la souffrance de quelque peine que ce soit sans le moindre murmure ; c'est-à-dire que vous devez sup- porter avec grande ferveur et patience toutes les injures et les mortifications , vous appliquant à aimer les mépris , les

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. -461

abaissements, et à placer toute votre étude à marcher par la voie de la croix.

La troisième, c'est l'extirpation des vices; c'est-à-dire que vous devez employer tous vos efforts à déraciner et à arracher de votre âme vos vices , vos mauvaises habitudes , et toutes les manières et les airs du monde et de la sensualité.

La quatrième est la mortification du corps et de l'esprit; c'est-à-dire que vous devez mettre un frein à votre volonté propre , et mortifier toutes les délicatesses du corps , en ne suivant en rien ses affections mal réglées ; mais soumettre fortement la chair à l'esprit et obéir fidèlement à la cons- cience qui ne nous flatte pas , comme ont coutume de le faire nos adulateurs hypocrites , mais qui nous suggère sincère- ment la vérité , et qui nous enseigne ce qui est meilleur. Car , lorsqu'on écoute et qu'on suit ce qu'elle vous dicte , on se trouve toujours dans une paix tranquille et à l'abri de toute erreur, on marche à grands pas dans le chemin de la vérité.

La cinquième chose, c'est la compassion envers le prochain ; c'est-à-dire qu'il faut s'étudier à compatir premièrement à l'aveuglement de tous les pécheurs , lesquels sont privés du don de bonne volonté , et prier sans cesse pour leur salut ; ensuite , à compatir à ceux qui sont malades de corps et les visiter , les servir volontiers , parce que le Seigneur, au jour du jugement, vous dira: J:ai été malade, et vous m'avez visité. ( Matth. 25-36. )

Et lorsque votre àme aura acquis ces cinq choses , il sera encore nécessaire de donner tous ses soins à acquérir ces cinq autres , c'est-à-dire :

La première, qui est l'occupation spirituelle du corps et de l'âme , ou bien de tenir l'esprit sans cesse occupé de choses bonnes , de pieuses méditations , et , autant qu'il vous sera possible , ne jamais rester oisif, parce que vous savez ce que dit la sainte Écriture : que l'oisiveté engendre beaucoup de péchés.

-10-2 ESPRIT

La seconde , qui est la sérénité de l'âme et du visage , lâ- chant de conserver non-seulement son cœur dans une douce joie et un air agréable , mais en prouvant encore à l'extérieur cette sérénité et cette paix , par des manières religieuses et modestes ; ce qui arrivera naturellement , comme je l'ai déjà dit plus haut , si la personne ne contredit pas sa conscience , et s'efforce de conserver la paix et. avec Dieu et avec l'homme.

La troisième , qui est la confiance en Dieu , espérant en sa divine providence et attendant toujours du très-amoureux donateur de tous les biens tout ce qui nous est propre et nécessaire au salut , soit grâces , soit autres faveurs , pourvu que nous , de notre côté , nous ne nous en rendions point in- dignes.

La quatrième , qui est l'humilité de cœur , et celle-ci doit être de telle sorte qu'on ne se regarde pas seulement à l'inté- rieur comme un néant, une très-vile créature, mais voulant encore le paraître au dehors , en se montrant en toutes occa- sions plutôt ignorant que savant et sage , ne se préférant ja- mais à qui que ce soit , ni en paroles , ni en œuvres , mais donnant plutôt à connaître et à avouer que tous les autres sont supérieurs à nous et plus dignes que nous.

La cinquième , qui est la crainte de Dieu , et celle-ci ne doit point naître de l'appréhension de l'enfer ou des justes châtiments du Juge universel , mais seulement du désir de suivre sa volonté ; car , étant le souverain bien , il mérite d'être servi avec soin , et qu'on fasse tous ses efforts pour ne point l'affliger en la moindre chose que ce soit.

Et lorsque votre âme aura franchi ces degrés , il faudra qu'elle s'efforce encore de monter sur autres cinq degrés , après quoi elle sera dès ce monde admise à la participation de la béatitude dont jouissent ici-bas les vrais serviteurs du Seigneur. Or , voici ces cinq derniers degrés :

Le premier degré est la connaissance de la voie de la per- fection, laquelle consiste â connaître particulièrement Jésus- Christ comme étant l'éternelle vérité , et à l'imiter en tonl ce

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. 4G3

qu'il a enseigné et pratiqué pendant sa très-pure et sainte vie.

Le second est la liquéfaction ; c'est-à-dire que l'on doit tellement devenir amoureux de Dieu , que par l'effet de cet amour on se sente comme fondre et liquéfier.

Le troisième degré est l'union ; c'est-à-dire que l'àme doit être si unie à Dieu , soit par ses œuvres , soit par ses vertus , qu'elle puisse dire véritablement avec l'Apôtre : Je brûle d'être séparée de ce monde et d'être unie à mon doux Jésus- Christ. (Philip. 1-23.)

Le quatrième degré est la joie , qui consiste à se réjouir seulement en Dieu , à n'avoir son esprit attaché qu'à Dieu , à prendre en aversion tout ce qui n'est pas Dieu , de telle sorte qu'on puisse dire avec l'Ecclésiaste : Celui qui m'a créée repose dans le tabernacle de mon âme. ( Eccl. 2i-l-2. )

Le cinquième et dernier degré est la louange perpétuelle , c'est-à-dire un désir continuel de louer et de glorifier Dieu duquel procèdent tous les biens. »

Senlioieuls sur l'efficacité de l'oraison.

On l'entendait répéter souvent ces belles paroles : « Lorsque vous verrez une personne religieuse qui ne s'a- donne pas à l'oraison , ne faites pas grand fondement sur elle et n'ayez pas grande confiance en ses œuvres , parce que , bien qu'elle porte au dehors l'habit d'une personne consacrée au culte du Seigneur , manquant de l'esprit d'oraison , elle ne pourra persister longtemps dans ce genre de vie. Qui ne fréquente pas l'oraison et qui ne la goûte pas , n'a pas en soi ces liens qui tiennent noué , attaché et étreint avec Dieu ; aussi ce ne sera pas chose étonnante que le monde et le dé- mon la trouvant ainsi seule , l'amènent à se lier avec eux : il est clair que , qui n'a pas l'amour de Dieu dans son cœur , est dans l'état le plus périlleux et le plus misérable qu'il puisse y avoir ; mais qui me donnera, au contraire , de coin -

-464 ESPRIT

prendre combien est heureuse l'âme en laquelle se trouve l'amour de Dieu , et qui prend plaisir à traiter avec lui dans l'oraison. Je voudrais savoir si elle trouve de l'ennui à penser aux charmes de cette divine majesté ; si elle trouve long et mal employé le temps qu'elle consacre à converser familière- ment et à s'entretenir ainsi avec lui; s'il lui vient du dégoût et de la fatiyue , à cause de la longueur des louanges qu'on rend à Dieu ?

Or , puisque celui qui ne goûte pas l'oraison n'a pas l'a- mour de Dieu , voyez si l'état d'une telle personne n'est pas digne d'être plaint et pleuré de la part de quiconque a la vraie connaissance de la chose. Aussi voyons-nous, parmi les hommes, que l'amitié se forme et se conserve par de longues et fréquentes conversations entre eux , par l'échange de bons offices et des présents qu'ils se font mutuellement les uns aux autres , et qu'au contraire , si leur tendre amitié cesse, si la bienveillance disparaît, il arrive que restant longtemps à se voir, ou pour toute autre raison, les amis cessant d'avoir commerce de relations ensemble , toute liaison et familiarité s'évanouit. Or, si cela arrive dans les amitiés humaines, il est bien plus facile encore que cela survienne dans l'amitié avec Dieu, ne pouvant le voir que des yeux de la foi , tandis que pour tout le reste nous n'avons que trop continuellement sous les yeux une infinité d'objets terrestres qui nous invitent insidieusement à les aimer, sans que Dieu cependant, qui en lui-même est très-digne d'être aimé , révéré , estimé , voyant que nous ne faisons aucun cas de son amitié, s'indigne un tant soit peu et nous laisse et nous abandonne comme des per- sonnes ingrates et indignes de la moindre faveur : d'un autre côté , je vois manifestement , par expérience , qu'il est impos- sible qu'une âme qui par devoir s'applique à ce saint exercice de l'oraison et persévère à s'y adonner avec soin et diligence, persiste longtemps dans une mauvaise vie , parce qu'il n'est pas possible que cette âme se place souvent devant les yeux le Dieu qui est le plus parfait exemplaire de toutes les vertus,

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. 455

et qu'à la brillante clarté de l'oraison , elle ne voie pas sa difformité et la dégoûtante laideur de ses fautes , et qu'elle ne se prenne en haine et en horreur elle-même, et qu'elle ne forme la résolution de faire des efforts pour réchauffer son cœur d'amour pour Dieu , ce qui s'obtient facilement par le moyen de la grâce que Dieu lui-même donne à quiconque veut revenir à lui avec une bonne et sincère volonté. Tous ces avantages sont connus du démon , l'ennemi mortel de notre âme : voilà d'où naît la haine acharnée qu'il porte à l'oraison , voilà ce qui le pousse à nous susciter tant de diver- ses distractions et à causer tout le dégoût et la peine qu'on éprouve à en sortir ; voilà ce qui le fait nous poursuivre obs- tinément et de toutes les manières, parce qu'il ne voudrait pas , ce malin esprit , que le chrétien fit ses délices de l'orai- son , et qu'il voudrait réussir à embrouiller son esprit, sa- chant bien qu'il perd toutes les âmes qu'il parvient à détour- ner de cette voie après les avoir longtemps retenues sous sa tyrannique servitude : il tolérera donc plus facilement , que vous jeûniez beaucoup , que vous visitiez les églises et les hôpitaux, que vous fassiez des aumônes et vous exerciez à toute autre pratique de piété et de religion , parce que avec toutes ces pratiques il est bien des vices , des défauts volon- taires et invétérés qui peuvent subsister dans Pâme ; mais avec l'oraison il ne se peut ; car , comme les ténèbres dispa- raissent à la venue des rayons du soleil, de même en la présence de l'oraison bien faite prennent la fuite les mau- vaises habitudes et les vices de l'âme. Que si l'on voit ce- pendant quelque âme adonnée à l'oraison , avoir malgré cela toujours des vices et des défauts , dites qu'elle ne fait pas bien cet exercise , et si vous l'examinez avec soin , vous dé- couvrirez aussitôt qu'elle est toute abusée et illusionnée. »

On voit aisément par ces belles lignes la grande estime que notre Sainte faisait de l'oraison.

t. v. 30

460 ESPRIT

TESTAMENT DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE (1).

(Environnée de toutes ses religieuses, un crucifix avec une chandelle bénite et de l'eau sainte sur son lit , pour admirer ainsi son époux bien- aimé jusqu'à la fin de sa vie , et lui donner une dernière preuve de la pureté et de la vivacité de son amour , elle adressa ces paroles qu'on recueillit comme son testament) :

« Je sens que je me meurs et que je ne serai plus bientôt pré- sente en personne au milieu de vous ; mais demeurez assurées que je vous aiderai davantage je serai que je suis maintenant , pourvu que vous marchiez dans la voie des com- mandements du Seigneur et de ses saints conseils; que vous suiviez aussi la route que sa divine Majesté m'a fait la grâce de pouvoir vous montrer et que je vous ai montrée en effet, et que vous conserviez la paix et la concorde entre vous , vous aimant toutes et ne désirant n'être aimées d'aucune , vous servant avec soin et ne cherchant point à être servies ; c'est là, comme je vous l'ai eu dit autrefois, l'héritage qui fut laissé aux apôtres et successivement à tous les chrétiens, lorsque notre Sauveur fut prêt à partir de ce monde pour aller à son Père éternel ; vous êtes , presque toutes déjà dans l'âge mùr et par conséquent je n'ai pas besoin de m'étendre avec vous sur d'autres matières ; je vous recommande seule- ment les novices , afin qu'elles prennent modèle sur vous , ainsi que celles qui viendront plus tard; car il convient que vous autres les plus anciennes leur donniez l'exemple de la perfection religieuse et de l'observance exacte des saintes rè- gles , afin que la même régularité règne toujours telle que

(1) On sait qu'anciennement on appelait les dernières paroles des mourants des testaments; aussi est-ce pour nous conformer à cet usage et nous montrer fidèles aux éditions de ce temps-là, que nous avons conservé ce aom en plu- sieurs endroits.

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. 407

nous l'avons reçue nous-mêmes de celles qui nous ont pré- cédées. Je vous prie d'avoir un grand respect pour la mère assistante qui a été tendre , bonne , fidèle en tout temps et occasions au delà de mes désirs ; je vous recommande aussi, du fond du cœur, ma pauvre mère selon la chair, qui est souvent malade ; je vous renouvelle que vous vous gardiez comme du feu et de la peste, de chercher ou de solliciter soit au dedans , soit au dehors pour que quelqu'une d'ici sorte du manastère ou pour que celles des autres monastères entrent dans celui-ci , et s'il s'en trouve jamais quelqu'une qui fasse peu de cas de cette mienne recommandation dernière , je prie le Seigneur de la châtier et de lui imposer la peine qu'elle mérite. Ayez toujours devant les yeux la crainte du Seigneur qui vous aidera beaucoup pour toutes choses ; soyez toujours promptes à souffrir tout ce qu'il faudra plutôt que de faire quoi que ce soit de contraire à la volonté de Dieu , à votre honneur et à la réputation du monastère , qui par la miséri- corde de Dieu l'a conservée si bonne jusqu'à ce jour. Je vous prie de veiller avec soin à ce qu'il ne la perde pas , car j'en demanderai toujours vengeance devant le Juge éternel : mais si vous faites ce que je vous recommande, vous serez toujours mes filles bien-aimées et je vous promets bien que jamais , en quelque temps ou dans quelque occasion que vous vous trouviez , je ne vous ferai point défaut. Yoilà le testament que je vous laisse. »

Elle demanda pardon à toutes les Sœurs , des peines, des scandales , des dégoûts , des chagrins qu'elle pouvait leur avoir causés , et ayant dit cela son agonie commença , sa figure devint resplendissante de lumière , la paix et la séré- nité se peignirent sur tous ses traits ; elle leva ses beaux yeux vers le ciel , et dans un amoureux regard passa , comme par un doux et léger soupir , dans le sein du Bien- aimé.

468 NOTES SUR LES D.ELIQUES

NOTES SIR LES RELIQUES DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE ,

Et sur les honneurs qu'on leur rend.

Le corps de sainte Catherine de Bologne, qui est encore entier après plus de trois siècles et demi , se garde à Bologne, dans l'église du mo- nastère des Clarisses ; il est assis dans une espèce de tabernacle vitré , grillé et entouré d'une grande magnificence ; on la voit parée d'une robe grise très-précieuse qui lui fut donnée par saint Charles Borromée qui avait pour cette Sainte une particulière vénération. Ses mains , ses pieds, et son visage dont la chair est encore vive et maniable, appa- raissent aux yeux de tous. Elle est seulement un peu livide aux endroits les plus exposés. On la voit assise sur un fauteuil ayant une auréole en tète, à la main droite une croix d'argent avec le crucifix qu'elle re- garde, et à la gauche un livre qu'on dit être celui des sept armes spiri- tuelles qu'elle a composé , et qui est couvert d'une étoffe garnie de pier- reries. Le monument qu'on lui a érigé est un de ceux de toute l'Italie qui attire un plus nombreux concours d'étrangers , de pèlerins , de sa- vants et d'artistes. Il s'y opère un grand nombre de guérisons.

On voit plusieurs inscriptions dans cette église. L'une qui est devant la fenêtre ou la niche qui contient sainte Catherine, est du cardinal Capranica , et atteste la translation qui fut faite en 1 163. D'autres rap- pellent l'époque de sa canonisation. Mais celles qui attirent le plus les regards des fidèles, sont celles du vœu d'Isabelle de Naples et du sé- nat de Bologne que nous allons faire connaître.

11 faut dire d'abord, qu'Isabelle, épouse de Ferdinand d'Aragon, roi de ISaples , donna et plaça de sa propre main sur la tète de la Sainte , une couronne ducale , de grand éclat, de grand prix, et que l'inscrip- tion est pour perpétuer le souvenir de cette reconnaissance de la pro- tection qu'elle avait reçue de sainte Catherine.

Isabella neapolis Regina , Proprio diademale Catharinam coronal , Cujus patrocinio Pacem regni Cum Gallis firmatam Agnoverat.

Voici celle que le sénat de Bologne fit graver sur une large plaque de marbre , en lettres d'or :

DE SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE. 460

Catharinam de Bononia Ordinis sanctse Clarœ ,

Seraphicam virginem , Hujus asceterii fundatricem , Heroicis virtutibus illustrera , Plurimis prodigiis insignem Et de mortui corporis incorrupti

Perenni miraculo Per tria jam decurrentia ssecula Ubique terrarum clarissimam ,

SS. D. N. D. Clemens,XI. P. M. Omni sacrorum rituum pompa Sanctorum numéro adscripsit.

XXII mai, M. DCC. XII. Festo die adorandœ Trinitatis Cujus ineffabile mysteriura ,

Ipsa adhuc vivens

Et vidit et intellexit. Hujus itaque sanctap. protectricis ,

Solemnem apotbeosim Illustrissimus et excelsus Bononiœ senatus ,

In hoc eodem templo Per octiduum celebrandam decreverunt.

Nous avons remarqué entre autres belles choses, dans son office qui est plein de suavité et de poésie , cette Antienne qu'on nous per- mettra de rapporter.

Rosa rubea charitatis , lilium candens virginitatis, Balsa- mura flagrans paupertatis , de Francisa prodiit horlulo : Tu ergo nobis miseris , quondamque cornes itineris , succurre nunc suffragiis in cœlesti collegio.

FIN DU TOME CINQUIEME.

TABLE

DES ARTICLES CONTENUS DANS LE CINQUIÈME VOLUME.

3e SERIE.

Pagos.

i. Sainte Synclétique 7

n. Sainte Radegonde 55

m. Sainte Hildegarde 49

iv. Sainte Claire d'Assise 95

v. Sainte Angèle de Foligno dll

vi. Sainte Gertrude 177

vu. Sainte Brigite 207

vm. Sainte Catherine de Sienne 245

ix. Sainte Lidwine 579

x. Sainte Françoise Romaine 40 1

xi. Sainte Catherine de Bologne 457

FIN DE LA PREMIERE TABLE.

TABLE SYNOPTIQUE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE CINQUIÈME VOLUME,

3e SÉRIE.

Pages. Explications préliminaires et notes apologétiques sur les mots ex- tase , ravissement , vision , apparition , révélation 1

Sentiment de Bossuet dans ses états d'oraison 5

Doctrine de Benoit XIV, sur les révélations 6

ESPRIT DE SAINTE SYNCLÉTIQUE.

Notice 7

Entretien à ses religieuses 11

Précepte de la charité Ibid.

Qu'il ne faut point descendre d'un état plus parfait à un état plus

imparfait 12

Sur la pureté du cœur et des sens 13

Séparation du monde et vigilance Ibid.

Danger de s'exposer aux occasions sous prétexte de piété 14

Sur la prudence du serpent et la simplicité de la colombe Ibid.

Opposition qu'on doit faire aux représentations dont se sert le

démon 15

Excellence du renoncement aux biens de ce monde Ibid.

Comment on doit se préparer à la pauvreté évangélique Ibid.

Avantages qu'on retire du dépouillement volontaire 16

De la paix des pauvres évangéliques et des avantages qu'ils rempor- tent sur les démons 1"

Sur le peu de peine qu'on prend pour acquérir les ricbesses spiri- tuelles et sur l'ardeur qu'on a pour l'acquisition des richesses

temporelles Ibid.

Sur l'humilité, le souvenir des injures et la tristesse 18

Deux sortes de tristesse, l'une bonne, l'autre préjudiciable Ibid.

472 TABLE SYNOPTIQUE.

Pages. Comparaison entre 4es soins qu'ont les âmes religieuses et ceux

qu'ont les gens du inonde 19

Excellence de la vie religieuse Ibid.

Sur la nécessité de la vigilance continuelle 20

La vie est une mer toujours agitée et pleine de monstres Ibid.

Contre la présomption , cause ordinaire de la ruine des âmes 21

Remèdes contre la présomption 22

Comment il faut s'humilier et souffrir les mortifications 23

Que les combats et les peines sont inséparables du service de Dieu. 24

Quel trésor précieux est la charité , et queT mal est la colère 25

Que le ressentiment est toujours suivi de grands maux 26

Combien la médisance est dangereuse Ibid.

Vigilance sur la langue et les oreilles Ibid.

Ne point se réjouir du malheur du prochain 27

Sur l'enchaînement et la liaison qu'ont les vertus entre elles Ibid.

Sur l'aumône faite en esprit Ibid.

La croix est l'étendard de l'âme religieuse 28

Danger d'instruire les autres quand on est engagé soi-même dans

la dissipation des choses extérieures Ibid.

Qu'il ne faut point se borner à un soin superficiel de son âme. ... 29

Mûrîmes détachées.

Fidélité aux saintes règles Ibid.

Aucun bien de ce monde n'est comparable aux richesses du ciel. .Ibid.

Trois naissances qu'on peut remarquer dans l'âme religieuse 30

Du soin d'embellir son âme pour plaire à l'époux céleste Ibid.

Comparaison ingénieuse pour signifier comment on doit avancer

dans la vertu 31

Cercle nous enferment la volupté et la cupidité Ibid.

Tous les états ne sont pas propres à tous Ibid.

Qu'il faut supporter les maladies avec patience Ibid.

Savoir discerner dans les austérités ce qui vient de Dieu et ce qui

vient du démon 32

Persévérance dans le bien Ibid.

Notes sur l'origine des monastères de filles et de veuves. Sur

leur première fondatrice , etc 33

SAINTE RADEGONDE.

Notice 35

Regrets sur la mort de son frère adressés à son cousin Amalafroy. 39

TABLE SYNOPTIQUE. 473

Pages.

Tableau pathétique des tourments de son âme •• . . 40

Paroles à ses filles spirituelles 42

Son testament adressé aux Evèques et Seigneurs 43

Tombeau de sainte Radegonde à Poitiers 47

Vœu d'Anne d'Autriche 48

SAINTE HILDEGARDE.

Notice 49

Admirable révélation sur la très-sainte Trinité 53

Ingénieuse explication de la foi , de l'espérance et de la charité. . 59

Qualités que doit avoir un bon et habile maître Ibid.

Sept sortes de plaies que fait aux âmes le démon pour leur donner

la mort 60

Sur le corps et le sang de Jésus-Christ dans la divine Eucharistie. 61

Autre fragment sur l'Eucharistie 64

Trente-huit queslioos et solutions mjstiques sur l'Ecriture.

lre Question et solution 66

2e Question et solution 67

3e Question et solution 68

4e Question et solution 69

5e Question et solution Ibid.

6e Question et solution 70

7e Question et solution 71

8e Question et solution 72

9e Question et solution 73

10e Question et solution Ibid.

11e Question et solution 74

12e Question et solution Ibid.

13e Question et solution 75

14e Question et solution. , 76

15e Question et solution Ibid.

16e Question et solution 77

17e Question et solution Ibid.

18e Question et solution 78

19e Question et solution Ibid.

20e Question et solution 79

21e Question et solution Ibid.

22e Question et solution 80

474 TABLE SYNOPTIQUE.

Pages. 23e Question et solution 81

2ic Question et solution 82

25e Question et solution 83

26e Question et solution 84

27e Question et solution ibid.

28e Question et solution 85

29e Question et solution 86

30e Question et solution ibid.

31e Question et solution 87

32° Question et solution 88

33e Question et solution 89

34e Question et solution ibid.

35e Question et solution 90

36e Question et solution ibid,

37e Question et solution 91

38e Question et solution ibid.

Notes sur les reliques de Sainte-Hildegarde 92

SAINTE CLAIRE D'ASSISE.

Notice 93

Instruction ou Conférence de sainte Claire sur les avantages de la

vie religieuse 97

Son testament, seul de ses écrits , très-rare 103

Notes sur le second ordre de Saint-François d'Assise ou des Cla- risses 110

SAINTE ANGÈLE DE FOLIGNO.

Notice 111

Les dix-huit degrés ou situations par lesquelles Dieu fit passer son

âme lors de sa conversion , expliqués par elle 115

1er Article Ibid.

2' Article 116

Article Ibid.

¥ Article Ibid.

5e Article 117

Article Ibid.

7c Article 118

8c Article Ibid.

Article H!'

TABLE SYNOPTIQUE. 475

Pages.

10e Article 120

11« Article 121

12e Article 122

13e Article Ibid.

14e Article Ibid.

15e Article 123

16e Article 124

17e Article - 126

18e Article Ibid.

Diverses tentations et explications très-importantes pour la direc- tion des âmes 128

Des dix visions consolantes qu'eut sainte Angèle ; première vision. 136

Seconde vision consolante 141

Septième vision consolante 143

Des sept visions consolantes qu'eut sainte Angèle touchant l'Eucha- ristie ; sixième vision 144

Septième vision 145

Deux visions la Sainte Vierge lui apparut 146

Instructions et lumières concernant l'état des âmes dans les voies

du salut 147

Instructions sur les moyens de connaître la venue de Dieu dans

l'âme 1 48

Comment l'âme reçoit la visite de Dieu qui veut y résider spirituel- lement 150

De plusieurs illusions auxquelles sont exposées les personnes môme

les plus spirituelles 151

Du ravissement de l'âme > 152

Sur la connaissance de soi-même 153

Sur l'étude du livre de vie qui est Jésus-Christ 154

Quatre degrés de la pauvreté de Jésus-Christ 156

De la prière 157

De la vertu d'humilité 161

De la vertu de charité 162

De la voie qui conduit à l'amour de Dieu et des qualités de ceux

qui aiment véritablement 164

De quelques dons de Dieu et des moyens de connaître si une âme

est véritablement transformée en Dieu 165

De l'auguste sacrement de l'autel 167

Des sept bienfaits principaux que Dieu a accordés a l'homme 171

Testament de sainte Angèle Ibid.

Notes sur l'origine et les filiations du tiers-ordre de Saint-François d'Assise. 171

4-70 TABLE SYNOPTIQUE.

Pages.

SAINTE GERTRUDE. Notice 177

De ses insinuations pieuses.

Que l'adversité est un signe d'élection divine 181

Que les consolations humaines diminuent les consolations divines. 182 Combien sont précieux les fruits que l'on retire de l'assistance au

saint sacrifice de la Messe Ibid.

Combien Jésus-Christ est reçu indignement par ceux qui s'aban- donnent au vice de la langue 183

Des ornements spirituels dont doit être parée l'âme qui se prépare

à communier dignement 184

Avec quel ardent amour le Seigneur se donne lui-même dans le

sacrement de l'Eucharistie 185

Comment le pécheur vraiment repentant est promptement par- donné 186

Comment chacun doit porter sa croix après Jésus-Christ Ibid.

La miséricorde de Dieu châtie les élus , la charité l'emporte sur les

négligences 187

Du mérite de l'obéissance et de l'adversité Ibid.

Combien l'oblation de nos œuvres faite à Dieu par son Fils , lui est

agréable 1 88

Utilité de la prière, quoique son effet ne paraisse pas sensiblement. 189

L'adversité ôte l'occasion du péché Ibid.

Efficacité de la bonne volonté 190

Qu'on ne peut être sauvé sans l'amour de Dieu Ibid.

La délectation sensible dissipe et empêche la délectation divine. . 191

Combien la patience est précieuse Ibid.

De l'utilité de la fréquente communion 192

Manière de se purifier des souillures qu'on a contractées et de

l'Eucharistie 193

De l'efficacité du regard divin et de l'utilité de la communion spi- rituelle 194

Sur l'utilité du souvenir de la passion de Jésus-Christ 195

Comment Jésus-Christ apaise Dieu son Père 196

Courte prière très-agréable à Jésus-Christ et enseignée par lui- même à sainte Gertrude Ibid.

Des deux pulsations du cœur de Jésus 197

De la parfaite résignation de tout soi même à la volonté de Dieu. . 198

TABLE SYNOPTIQUE. 4-77

Pages. Que l'âme fidèle doit s'abandonnera la volonté divine, soit pour la

vie , soit pour la mort 200

Du renouvellement des sept sacrements dans l'âme 201

De l'avantage de la tentation Ibid.

De la manière d'exercer le zèle 202

D'une vision et révélation merveilleuse touchant le saint sacrifice

de la Messe 203

Notes sur les religieuses Bénédictines 205

SAINTE BRIG1TE. Notice 207

De ses Révélations.

D'une vision touchant une âme qui devait être jugée. Des accu- sations du démon- De la protection de la sainte Vierge auprès

de Dieu 211

Prière de sainte Brigite à Dieu son époux 215

La mère de Dieu lui parle du cœur très-doux de son fils Ibid.

Notre-Seigneur la prémunit contre l'orgueil , 216

Combieu la simplicité est agréable à Dieu 217

Révélations de la mère de Dieu à sainte Brigite touchant les mys- tères de sa vie 218

Touchant sa conception ,. Ibid.

Sur sa nativité 219

Sur sa Visitation 220

Sur son enfantement 222

Sur sa purification 224

Sur la douleur de sa fuite en Egypte 226

Sur sa vie après l'ascension de son Fils 228

Sur l'annonciation que l'ange fit à Marie de sa mort et de ce qui

arriva après 229

De la passion de Notre-Seigneur que sainte Brigite vit étant à Jé- rusalem 230

Moyens pour chasser les démons de nos cœurs 232

Commandements, défenses et conseils de Jésus-Christ à son

épouse 233

Divers extraits d'autres révélations 234

Utilité des mauvaises pensées pour purifier les âmes fidèles et aug- menter leurs mérites 236

Louanges de sainte Brigite à la sainte Vierge 237

•178 TABLE SYNOPTIQUE.

Pages.

Dieu récompense les efforts et non les succès des ministres de l'Evangile 238

Notes sur sainte Brigite , sur les religieux et religieuses de son ordre , sur les chevaliers de l'ordre militaire de Sainte-Brigite, et enfin sur le feu sainte-Brigite 239

SAINTE CATHERINE DE SIENNE. Notice * ... 243

De ses Lettres.

Lettre au pape Grégoire XI , sur l'exemple de Jésus-Christ récon- ciliant l'homme avec Dieu 217

Lettre au pape Urbain VI. Elle le console en ses déplaisirs , lui faisant voir quelle doit être la cause «Je notre vraie douleur. . . . 251

Au même pape Urbain VI. Elle lui fait voir que les persécutions des méchants ne nuisent pas aux vertueux 255

A monseigneur Pierre , cardinal de Lima. Des efforts de la vérité et de quelle sorte le cœur de l'homme opère généreusement, éclairé de sa lumière 257

Aux anciens de la cité de Lucques. Sur la force de l'Eglise unie à son chef qui est Jésus-Christ 259

Au roi de France Charles V. Elle le prie de mettre la paix dans son royaume , afin de pouvoir secourir l'église 2G1

Au roi de Hongrie. Après avoir traité de l'excellence de la charité, elle l'exhorte à la paix et au secours du pape 265

Au duc d'Anjou. Elle l'exhorte à la guerre sainte et lui parle d'un accident arrivé à un festin 269

A Monseigneur de Gambacurti , à Pise. Des malheurs que le péché apporte à nos âmes 272

A dom Christophe , religieux de la Chartreuse au monastère de Saint-Martin , à Naples. Elle traite de la connaissance de soi- mème et des grâces que Dieu a conférées à la créature raison- nable 274

A dom Nicolas de France , religieux de la chartreuse de Beaure- gard. Sur la force et le courage que la charité donne à nos âmes pour résister aux tentations, et du profit que nous en pouvons retirer 282

A dom Pierre de Milan, de l'ordre des Chartreux. Elle traite de trois sortes d'artifices dont se sert l'ennemi pour nous séduire 287

Au père Raymond de Capoue. Touchant le bien que nous pouvons retirer des tentations 294

TABLE SYNOPTIQUE. 479

Pages.

Au père Thomas île la Fontaine à Sienne. Touchant les maux qui arrivent de notre propre volonté, et du dépouillement de nous- mêmes 298

Au même , sur les douceurs de la sainte communion 299

Au père Barthélémy , bachelier à Pise. Sur la charité et la médita- tion de la croix 301

A Barthélémy et à Jacques , au Campo-Sancto à Pise. Elle les exhorte à souffrir pour la gloire de Dieu et le bien de l'église 303

Au prieur et aux confrères de la compagnie de la discipline de la Sainte-Vierge, de l'Hôtel-Dieu de Sienne. De la vigne que Dieu a plantée dans l'homme 305

A Monseigneur Bostain de Canigian , Florentin. De la contrition et des dispositions à la sainte communion 311

A maître André Vanni. Sur l'importance de l'humilité pour conser- ver les vertus 31 7

A Thomas d'Alvien. Sur le mystère de notre rédemption.. 321

Au seigneur Antoine de Ciole. Combien il importe à nos âmes d'ai- mer Dieu 320

A quelques seigneurs Florentins. Elle traite de l'union qui se trouve dans l'homme entre les trois facultés spirituelles de nos âmes. . 330

A François Pépin et à sa femme Agnès. Sur les moyens propres à abolir en nous les mouvements de notre volonté. 333

A Madame Montagne, au comté de Narni. De l'amour sensuel tou- chant les choses spirituelles 334

A Madame Agnès de Toscenella. Du fondement de la perfection.. . 338

A Anne Benincaze sa nièce, à Florence. Quelles sont les Vierges sages reçues de Dieu 343

A Madame Laudémie , épouse de Charles Strozzi, à Florence. De la consolation qui se trouve au service de Dieu 346

A Néri de Landoccio , à Pise. Du moyen de s'embraser en l'amour de Dieu ". 348

A Jean Trente et à sa femme. Elle les exhorte à l'imitation de Jésus-Christ 350

Extraits de ses divers traile's ou dialogaes.

Comment l'âme peut s'unir à Dieu 351

Que les œuvres unies en elles-mêmes ne peuvent suffire sans la vraie charité pour satisfaire ou être récompensé 352

Combien est agréable à Dieu le désir de souffrir quelque chose pour lui 353

Similitude pour prouver comment la charité , l'humilité et la dis- crétion sont unies ensemble, et comment l'âme doit se conformer à cette similitude 354

480 TABLE SYNOPTIQUE.

Papes.

Sur le pont mystique qui a réuni la terre avec le ciel 355

Etat des réprouvés dans l'autre vie. Ils ne peuvent désirer aucun

bien 356

De la gloire des bienheureux 357

De l'oraison 358

De la naissance des larmes Ibid.

Des marques auxquelles on connaît qu'une visite ou vision mentale

vient de Dieu ou du démon 360

Sur l'excellence de l'état se trouve l'âme qui reçoit le sacrement

de l'Eucharistie en état de grâce Ibid.

Du traité de la Proridence.

Dessein général 361

Détails de divers chapitres Ibid.

Providence de Dieu envers ceux qui sont en état de péché mortel. 363 Providence envers ceux qui sont encore dans l'état d'un amour

imparfait 365

Providence envers ceux qui sont en état de charité parfaite 366

Providence présente et future 368

Louanges à la providence 370

Du traité do l'obéissance.

Personne ne peut entrer au ciel sans l'obéissance Ibid.

Excellence de l'obéissance et biens qu'elle produit quand on la pra- tique véritablement 372

Tout doit céder à l'obéissance 373

Action de grâces et conclusion du traité 374

Notes sur le tiers ordre de Saint-Dominique 376

Sur les reliques et le monument de sainte Catherine de Sienne. . .Ibid.

SAINTE LIDWINE.

Détails admirables de sa vie 379

Son état dès sa naissance et son enfance 380

Divers accidents de sa vie 381

Sa joie dans les souffrances 382

Le Calvaire est son école 383

Elle est inondée de faveurs célestes 384

Ses entretiens avec son bon ange 385

Méthode qu'elle suivait pour son perfectionnement spirituel 3X7

TABLE SYNOPTIQUE. 481

Pages.

Ses exhortations aux âmes affligées 388

Le Calvaire était pour elle un jardin de plaisance 389

Elle reçoit l'impression des stigmates. Ses paroles en cette occasion. 391

Elle voit Jésus-Christ dans une belle hostie Ibid.

Réponse admirable à un professeur de théologie sur la manière dont la sainte Trinité opéra l'incarnation du Verbe dans le sein

de la glorieuse Vierge Marie 393

Elle prédit sa mort 396

Ses dernières paroles. Sa mort 397

Notes sur son tombeau 399

SAINTE FRANÇOISE ROMAINE.

Notice 401

De la vision XIII 405

De la vision XIV 407

De la vision XVII <• 410

De la vision XXI 4H

De la vision XLIII 415

De la vision XLVIII 417

De la vision LUI 419

De la vision LV 420

De la vision LXII 422

De la vision LXV 423

Dq traité de l'enfer.

Du lieu de l'enfer , de son prince , de l'entrée des âmes dans ce lieu

d'horreur et des peines qui leur sont communes 424

Du nombre des démons , de leurs noms et de leurs emplois 426

Des limbes 428

Du purgatoire 429

De la gloire des saints dans le ciel 432

Notes sur les oblates et sur le tombeau de sainte Françoise 434

SAINTE CATHERINE DE BOLOGNE.

Notice. 437

Traité des sept armes spirituelles 441

Première arme. La diligence 444

Deuxième arme. La défiance de soi-même 445

T. V. 31

482 TABLE SYNOPTIQUE.

Pages. Troisième arme. La confiance en Dieu 446

Quatrième arme. Le souvenir de la passion de Jésus-Christ 448

Cinquième arme. Le souvenir de la pensée de sa propre mort 449

Sixième arme. Le souvenir de la gloire dont on jouit devant Dieu. 450

Septième arme. L'autorité de l'Ecriture Sainte 452

Exercice ou manière de se servir prudemment de ces armes spiri- tuelles 453

Déclaration d'authenticité de ce traité 456

Des deux échelles mystiques Ibid.

Première échelle. Des vertus 457

Deuxième échelle. De l'humilité 459

Sages conseils pour parvenir à une haute perfection 460

Sentiments sur l'efficacité de l'oraison 463

Testament de Sainte Catherine de Bologne 466

Notes et inscriptions 468

FIN DE LA TABLE SYNOPTIQUE.

TABLE PARTICULIERE

POUR LES MAISONS RELIGIEUSES.

Pages. Explications préliminaires et notes apologétiques sur les mots

extase , ravissement , vision , révélation 1 et suiv.

Instructions de sainte Synclétique à ses religieuses 11

Trois états de la vie religieuse. Qu'il ne faut pas descendre

du plus élevé au moins parfait 12

Devoirs particuliers aux vierges 13

Nécessité pour elles de la retraite pour conserver la pureté. Ibid.

Vigilance sur soi-même Ibid.

Fuite des occasions 14

De la pauvreté évangélique 15

Deux sortes de tristesses , l'une bonne, l'autre préjudiciable. 18

Contre la présomption 21

Remèdes à ce mal si dangereux 22

Avis spirituels 24 et suiv.

Maximes spirituelles 29

Notes sur l'origine des monastères de filles et de femmes. . . 53

Testament de sainte Radegonde 43

Tombeau de sainte Radegonde à Poitiers 47

De la très-sainte Trinité, par sainte Hildegarde, d'après une

révélation qu'elle eut 53

Belles paroles sur la foi , l'espérance , la cbarité et l'humilité. 59

Avis à un maître pour bien former ses disciples .Ibid.

Que le premier séducteur emploie sept sortes de plaies pour

ruiner les âmes 60

Ce qu'elle avait vu et entendu dans une révélation touchant le

corps et le sang de Jésus-Christ, et les prêtres soit dignes

soit indignes qui approchent de l'autel 61 à 64

Trente-huit solutions sur divers textes des livres saints. 66 à 92 Conférence de sainte Claire d'Assise sur les avantages de la

vie religieuse 97

484 TABLE PARTICULIÈRE

Pages.

Avis à une religieuse qui se plaignait du joug de la confession. 100 Avis à une autre personne qui avait une crainte excessive des

jugements de Dieu 101

Paroles de sainte Claire au moment elle se porta au-devant

de Frédéric II, qui s'avançait pour attaquer son couvent.. 102 Différence des visites qu'on rend à Dieu dans son temple et

de celles que se rendent les mondains Ibid.

Testament de sainte Claire d'Assise 103

Notes sur le second ordre de saint François d'Assise 110

Dix-huit degrés ou situations de sainte Angèle de Foligno

décrits par elle-même 115 à 128

Diverses tentations qu'éprouva sainte Angèle 128 à 136

Dix visions consolantes que sainte Angèle reçut de Dieu. 13G et suiv.

Sept visions consolantes qu'eut sainte Angèle touchant le saint sacrement de l'Eucharistie 144

Deux visions dans lesquelles la très-sainte Vierge apparut à sainte Angèle 146

Instructions et lumières concernant l'état des âmes dans les voies du salut 147

Doctrine et instructions de sainte Angèle concernant les

moyens de connaître avec certitude la venue de Dieu dans

l'àme 148

Comment l'àme reçoit la visite du Seigneur 150

De plusieurs sortes d'illusions auxquelles sont exposées les

personnes mêmes les plus spirituelles 151

Quatre degrés de la pauvreté de Jésus-Christ 156

Sur la prière 157

La prière corporelle, la prière spirituelle ou mentale, et la

prière surnaturelle Ibid.

Sur la vertu d'humilité 161

Sur la vertu de charité 1 62

De la voie qui conduit à l'amour de Dieu et des qualités et

conditions de ceux qui l'aiment 164

De sept dons que Dieu fait à l'àme 165

Du sacrement de l'autel. Ce qu'on doit faire pour se préparer

à le céléhrer ou à le recevoir 167

Belles considérations sur ce sujet Ibid.

Des sept dons principaux ou bienfaits spirituels que Dieu a

accordés aux hommes 171

POUR LES MAISONS RELIGIEUSES. -485

Pages.

Dernières instructions ou testament de sainte Angèle 171

Notes sur l'origine et les filiations du tiers ordre de saint

François d'Assise 174

Révélations et insinuations pieuses de sainte Gertrude. 181 à 204 (Ces révélations devant être lues parce qu'elles sont très-uti- les , nous y renvoyons les âmes religieuses qu'une simple indication ne satisferait pas.)

Notes sur les religieuses bénédictines 205

Révélations célestes et divines de sainte Brigite 211

Vision touchant une âme qui devait être jugée. Accusation du démon. Défense que prend la sainte Vierge. Ex- plication de la vision 211 et suiv.

Prière de sainte Brigite à Dieu son époux 215

La mère de Dieu lui parle du cœur très-doux de son fils. . .Ibid.

Notre-Seigneur la prémunit contre l'orgueil 210

Combien la simplicité est agréable à Dieu 217

Révélation de la mère de Dieu à sainte Brigite touchant les

divers mystères de sa vie 218

Touchant sa conception Ibid.

Sur sa nativité 219

Sur sa Visitation 220

Sur son enfantement 222

Sur sa purification 224

Sur les douleurs de sa fuite en Egypte ». 226

Sur sa vie après l'ascension de son fils 228

Sur l'annonciation que l'ange fit à Marie de sa mort et de ce

qui arriva après 229

De la passion de Notre-Seigneur que sainte Brigite vit à Jé- rusalem . 250

Moyens pour chasser le démon de nos cœurs 252

Commandements , défenses et conseils de Jésus-Christ à son

épouse 255

Divers extraits d'autres révélations 254

Du mystère de l'incarnation de Jésus-Christ Ibid.

Sur l'immaculée conception de Marie Ibid.

Combien Dieu se plaît à faire honorer le nom de Marie. Ibid. et 255

Du vrai sage selon Dieu » 256

Utilité des mauvaises pensées pour purifier les âmes fidèles et augmenter leurs mérites devant Dieu Ibid.

48G TABLE PARTICULIÈRE

Pages.

Louanges de sainte Brigite à la sainte Vierge 237

Que Dieu récompense les efforts et non les succès des minis- tres de l'Evangile 238

Notes sur sainte Brigite et sur son ordre 239

Lettres de sainte Catherine de Sienne 247 à 350

Extraits de ses divers traités ou dialogues entre elle et Dieu. 551

Comment l'âme peut s'unir à Dieu Ibid.

Des œuvres finies en elles-mêmes 352

Comhien est agréable à Dieu le désir de souffrir quelque

chose pour lui 353

Similitude pour établir comment la charité , l'humilité et la

discrétion sont unies ensemble 354

Sur le pont mystique qui a réuni la terre avec le ciel 555

Etat des réprouvés dans l'autre vie 356

De la gloire des bienheureux 557

De l'oraison 558

De la naissance des larmes Ibid.

Cinq degrés de larmes 559

Des marques auxquelles on connaît qu'une vision mentale

vient de Dieu ou du démon 560

Excellence de l'état se trouve l'âme qui reçoit le sacre- ment de l'eucharistie en état de grâce Ibid.

De son traité de la providence 561 à 570

Du traité de l'obéissance. Excellence, biens, mérite de

l'obéissance , etc 572 à 575

Notes sur les reliques de sainte Calheriue de Sienne 576

Conduite de Dieu sur sainte Lidwine 579 à 592

Admirable réponse de celte sainte à un religieux qui lui de- mandait de quelle manière les trois personnes de la sainte Trinité ont opéré dans le sein de la glorieuse Vierge Marie

l'incarnation du Verbe 595

Notes sur son tombeau 599

Visions et révélations de sainte Françoise Domaine. . . 405 à 424 Du traité de l'enfer par cette Sainte: du lieu de l'enfer, de son prince , de l'entrée des âmes dans ce lieu d'horreur et

de peines qui leur sont communes 424

Du nombre des démons, de leurs noms et de leurs emplois. 426

Des limbes 428

Du purgatoire 429

POUR LES MAISONS RELIGIEUSES. 4-87

Pages.

De la gloire des Saints dans le ciel 452

Notes sur les oblates 454

Traité des sept armes spirituelles nécessaires aux combats

spirituels 441

lre arme. La diligence 444

2e arme. De la défiance de soi-même 445

5e arme. De la confiance en Dieu 446

4e arme. Du souvenir de la passion 448

5e arme. Du souvenir de sa propre mort 449

6e arme. Du souvenir de la gloire dont on jouit devant Dieu. 450

7e arme. De l'autorité des saintes écritures 452

Manière de se servir prudemment de ces armes spirituelles. 453 Les deux échelles mystiques, par sainte Catherine de Bologne.

lre échelle. Des vertus 457

2e échelle. De l'humilité 459

Sages conseils pour parvenir à une haute perfection 460

Sentiments sur l'efficacité de l'oraison 465

Testament de sainte Catherine de Bologne 466

Notes sur ses reliques 468

FIN DE LA DERNIERE TABLE.

BX 4655 . v.5 SMC

E85 1883

Esprit des saints : 1 plus illustres parmi AZE-2169 (mcih)

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