m

Ë

^.r-JîK'

,/: ^^ K

%^-«s

"' ■^>#-

r*"Pt

ésoBSB^Jssieia

ex: libris

PAUL-EMILE DUMONT

ESQUISSE D'UNE HISTOIRE

DE LA

PHILOSOPHIE INDIENNE

PAR

Paul Masson-Oursel

AGRÉGÉ DE L' UNIVERSITÉ CHARGÉ DE SUPPLÉANCE A LA FACULTÉ DES LETTRES

ET A l'École des hautes études religieuses

^-

Librairie Orientaliste PAUL GEUTHNER 13, rue Jacob, Paris VI^ 1923

THÈSE PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES

DE l'université DE PA.RIS

B

\3\

S^5%

l'ia? .

A MES MAITRES

MM. Sylvain Lévi et

A. FOUCHER

Hommage de reconnaissante affection.

PREFACE

Prétendre écrire, au sens exact du terme, une histoire de la philosophie indienne, attesterait, quant à présent, une ambition téméraire. Non seulement des domaines entiers de la civilisation de l'Inde, qui produisirent d'im- menses littératures, se trouvent, aujourd'hui encore, soit inexplorés, soit insuffisamment défrichés par la critique du philologue ou de l'historien, mais on peut à bon droit se demander s'il sera jamais possible de fixer assez de jalons chronologiques pour qu'en cette matière le récit mérite le nom d'histoire : il y aurait quelque optimisme à supposer qu'une documentation extra-indologique, ardue à acquérir, par exemple tibétaine, chinoise, persane, autre encore, suppléera tôt ou tard à l'indigence des renseignements datés que fournissent les matériaux hindous. Peut-être, toutefois, l'état actuel de nos connaissances permet-il une vue d'ensemble sur l'évolution de la pensée indienne, un aperçu qui situerait à leur place, et dans leur signification approximative, des faits qui, pour être d'ordre intellectuel ou spirituel, ne comportent pas moins une étude positive. Notre prétention n'ira pas au delà : nous nous garderons soit de masquer l'ampleur de notre ignorance, soifc de dis- simuler le caractère conjectural d'un grand nombre de nos interprétations.

Ni par sa documentation, ni par ses conclusions, le présent travail ne saurait apparaître comme un ouvrage original d'indianisme. Nous espérons cependant qu'il ne sera pas indifférent aux spécialistes d'assister à une tenta-

6 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

tive d'exposer dans son entier, quoique de façon très som- maire, un sujet qui ne fut jamais traité que partiellement; l'essai, si provisoire soit-il, de déterminer, sans forcer les données de fait, ce que nous appellerions volontiers, avec Cournot, «l'enchaînement fondamental» des idées sur les- quelles a vécu l'Inde spéculative, doit autoriser certains jugements qui, bien qu'inspirés par la synthèse plus que par l'analyse, peuvent offrir une relative objectivité. La nature de notre tâche nous contraindra souvent à ne faire que chercher des solutions moyennes entre des hypothèses opposées, ou même à résumer simplement l'opinion d' autrui; mais elle suscitera quelquefois devant nous des problèmes rarement formulés en termes précis, voire insoupçonnés; elle nous imposera, en mainte occasion, un point de vue propre sur des questions déjà débattues. Au surplus, cet ouvrage doit être lisible, par delà le cercle des indianistes, pour quiconque s'intéresse à l'histoire des diverses civili- sations et, en particulier, à l'histoire de la philosophie. Tel est le motif qui nous a persuadé de composer cette Esquisse en partie double: le texte devant être intelligible aux pro- fanes, il nous a paru nécessaire de rejeter dans des annota- tions les références critiques et maints détails qui eussent surchargé l'exposé ou intercepté les grandes perspectives du sujet. Notre but essentiel serait. atteint, si certains des plus précieux résultats de Findologie devenant ainsi accessibles à chacun, cette pensée indienne qui se développa en parfait synchronisme avec la pensée européenne obtenait enfin, à l'égal de la réflexion grecque et de tout ce qui en est issu, droit de cité parmi cet ensemble de connaissances et d'as^ pirations qui importent grandement à l'humanisme, et que nous appelons philosophie.

I1NTRODUCTION

L'objet et la méthode de l'histoire de la philosophie ne sauraient être tout à fait les mêmes en ce qui concerne l'Inde qu'en ce qui touche l'Europe. Donner au lecteur con- science de cette différence de conditions, c'est l'initier à ce minimum d'information indologique sans la possession duquel la pensée de l'Inde risquerait de demeurer lettre morte.

Bien qu'il ait paru dans le monde indien mainte doctrine aussi exempte de toute connexion avec une religion que peut l'être la science moderne, ou encore le positivisme, opinions philosophiques et croyances religieuses se séparent plus malaisément dans l'Inde qu'en Europe. Non pas que la complète liberté de pensée ait été plus exceptionnelle là-bas que chez nous : il nous sera loisible, au contraire, de constater que l'évolution y a consisté en une série de vicissitudes qui firent alterner religions et philosophies, un dogme antérieur se muant en doctrine réfiexive, un système abstrait donnant naissance à une église par suite de la discipline qu'il impose, par exemple, à ses adeptes, ou prescrivant, comme propé- deutique à la conquête du vrai, l'exercice de cultes effectifs. Mais le problème capital, nous dirions presque le problème unique auquel s'attaque la pensée libre est là-bas le même qu'aborde la pensée religieuse: celui du salut, ou, plus exac- tement, de la délivrance. On chercherait donc en vain à com- prendre la portée d'un effort pourtant tout philosophique, autrement qu'en fonction des croyances antérieures ou am- biantes. Dans ces conditions, quoique notre dessein nous

8 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

dispense d'une étude spéciale des multiples religions qu'a pratiquées l'Inde, nous ne saurions éluder l'obligation d'examiner, au moins quant à la portée spéculative de leurs mythes ou de leurs dogmes, les principaux de ces cultes.

En raison même de ses attaches étroites avec la vie religieuse, la philosophie indienne se présente sous un aspect différent de la philosophie européenne. L'autorité d'une tradition y passe pour garantie de la vérité; de sorte que la pensée se manifeste moins comme une réflexion indivi- duelle, dont son auteur s'attribuerait le mérite, que comme la réflexion de diverses lignées de sages, dont chacun prise, non sa modeste contribution personnelle, mais, au contraire, la doctrine commune à tous les zélateurs de la secte. Les doctrines revêtent de la sorte un caractère impersonnel sur lequel ne saurait faire illusion le nom de l'auteur, le plus souvent mythique, à qui elles sont attribuées. Tantôt le maître sous l'invocation duquel se trouvent placées ces doctrines, appartient à un âge très reculé, antérieur aux époques historiques ; tantôt il est conçu comme un héros supérieur à l'humanité; l'attribution offre ainsi le même degré d'authenticité que l'imputation à Orphée des textes «orphiques»: le nom du vieux sage ou du demi-dieu ne désigne que la tradition d'une communauté ou d'une école. Alors même que l'auteur est un personnage historique sa figure s'entoure de légende à proportion de la vénération qu'elle inspire: les détails biographiques dont l'écho nous parvient, reflètent la notion que se firent du maître des disciples souvent lointains, plutôt que des circonstances de fait. Il ne saurait donc y avoir lieu que très rarement d'expli- quer la genèse d'un sj^stème par la psychologie d'un penseur.

La philosophie de l'Inde étant collective plutôt qu'in- dividuelle, les attitudes spéculatives persistent aussi long- temps qu'elles comptent des adeptes, ainsi qu'il arrive dans

INTRODUCTION

le cas des religions. Les systèmes ne se succèdent donc pas les uns aux autres: au contraire, ils tendent à se par- achever chacun quant à soi, voire même à se compléter par des participations à des doctrines rivales. Leur émulation semble perpétuelle: elle suscite de leur part soit une rigueur croissante, soit un éclectisme grandissant; mais elle les main- tient tous plutôt qu'elle n'exclut et n'élimine certains d'entre eux. Parmi ce chaos de facteurs disparates, qui compose la société indienne, rien ne meurt, et jamais non plus, semble- t-il, rien ne commence: les plus archaïques croyances con- servent des adhérents, et la plus ancienne mention connue d'une opinion paraît supposer un long développement pré- cédent. La détermination de repères chronologiques n'en est que plus épineuse; et, lors même qu'elle se justifie en fait, on ne saurait trop se tenir en garde contre la tentation de faire commencer aux alentours d'une date une attitude spirituelle qui peut remonter à un passé beaucoup plus haut. Rien ne serait donc plus faux que de concevoir la philosophie indienne à l'image de l'européenne, comme une série de systèmes qui se succèdent parce qu'ils se supplantent: la prédilection pour une vérité de caractère traditionnel, l'aversion pour toute empreinte d'individualité, la répu- gnance à l'égard du changement, s'opposent point par point à notre méfiance de l'autorité, à notre foi en la puissance d'intuitions individuelles, à notre obsession de l'évolution qui nous fait postuler par principe, en tout ordre, une modi- fication constante des faits ou une graduelle transformxation des idées.

Ce contraste entre deux mentalités, qui frappe tout Oriental venant dans l'Occident, ainsi que tout Occidental parcourant l'Asie, doit être admis comme fait, mais il y aurait danger à s'en autoriser pour préconiser l'exclusive légitimité méthodologique soit de l'une, soit de l'autre

10 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

attitude. Soutenir, comme la plupart des Hindous restés étrangers à la science européenne, que les divers aspects de la pensée indienne ont pour âge véritable, pour signification authentique l'âge, le sens que la tradition leur attribue, c'est, par préjugé, faire bon marché de l'histoire, mais c'est quelquefois l'indice d'une compréhension profonde, et même d'un sens historique plus adéquat que la superstition de la chronologie en un domaine qui défie, qui déçoit toute chro- nologie. Par contre, quand nos savants rompus à l'usage de la critique soit historique, soit philologique, estiment qu'il est de bonne méthode de suspecter une autorité, mais de faire fonds sur un fait sans chercher à en induire plus qu'il ne renferme, et quand la succession des phénomènes bien avérés les persuade d'une évolution parallèle des opinions ou des idées, ils font preuve d'une aversion systématique, non exempte de partialité, à l'égard des traditions indigènes; mais ils obtiennent ainsi, de temps à autre, des précisions rudes, brutales, qui peuvent être décisives, et tels de leurs aperçus équivalent à des découvertes qui transfigurent à nos yeux tout un aspect du donné. La véritable positivité consistera donc à conserver notre attachement aux méthodes éprouvées dont s'enorgueillit l'Occident, mais en prêtant, au nom même du respect des faits, la plus vigilante attention aux interprétations que l'Orient tient pour classiques.

C'en est assez déjà pour faire saisir combien doivent différer, dans l'un et dans l'autre cas, les procédés de l'histoire de la philosophie. Nous venons de remarquer que cette der- nière confine, dans l'ordre de l'indianisme, à l'histoire des religions, et d'en tirer certaines conséquences méthodolo- giques. Il nous faut maintenant prendre conscience de l'im- portance du facteur « langues ». Habitués que nous sommes à limiter l'histoire de la philosophie à celle de la pensée méditerranéenne, qui s'exprime, pour une large part, en des

INTRODUCTION 11

idiomes proches parents du nôtre, et auxquels nous initie l'instruction que nous recevons, nous méconnaissons volon- tiers la connexion qui relie l'histoire de la pensée à l'histoire des langues. Pourtant nous ne gagnons rien à oublier que, même en notre ambiance familière, le sens du vocabulaire philosophique garde pour l'esprit des réminiscences de loin- taines étymologies: nous nous contenterons de l'exemple, qu'en fournit ce mot même d'esprit, dont l'acception n'a pas rompu toute attache avec l'idée du souffle, sa signifi- cation latine primitive. Mais lorsqu'il s'agit de pénétrer la pensée d'une civilisation à laquelle nos études classiques ne nous ouvrent aucun accès, il va de soi qu'une initiation lin- guistique est la condition sine qua non de tout effort pour comprendre. Ce n'est pas à dire simplement que les doctrines se trouvant exposées dans certains textes, les originaux doivent pouvoir être lus, soit dans cet idiome dont le védique est la forme archaïque, dont le sanscrit est le type classique, le pâli et les pracrits des formations dérivées, soit dans des langues telles que le tibétain et le chinois, qui conservèrent en traductions des documents dont la rédaction indienne primitive a souvent disparu au cours des siècles. Ce dont il importe de se convaincre, c'est que la plus sûre intro- duction à l'intelligence des idées est d'une part la critique des textes, de l'autre l'étude des mots techniques: double recherche d'ordre philologique.

Personne ne conteste plus aujourd'hui qu'une saine in- terprétation du Platonisme ou du Spinozisme suppose la mise en œuvre d'un appareil critique, tendant à l'établisse- ment exact des textes et à la restitution de leur histoire. A fortiori l'emploi d'une semblable méthode s'impose-t-il en ce qui concerne les matériaux littéraires d'une civilisation qui, insoucieuse des contingences temporelles, nous ren- seigne à peine sur la chronologie de son passé: la critique

12 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

interne des documents demeure d'ordinaire notre unique source d'information dans la détermination des époques, comme elle est la seule façon objective d'atteindre le sens d'une doctrine. Sans doute les pensées de l'Asie comme celles de l'Europe doivent se montrer perméables à la raison: celui-là seul les pénétrera dans leur intime essence, qui saura les revivre après s'être mis, par une sympathie qui tient de la divination, à leur exact unisson. Cependant, si notre jugement sur la nature soit humaine, soit extérieure, ne coïncide guère avec celui que portaient, sur les mêmes sujets, non seulement un contemporain de Périclès ou de Marc-Aurèle, mais un piétiste allemand du xvi® siècle, ou un empiriste anglais du xix®, de quelle incompréhension risquons-nous de faire preuve en essayant de nous assimiler des théories nées en une civilisation foncièrement étrangère à la nôtre! A cet égard, l'étude des termes techniques, élucidés par la notation des divers sens qu'ils ont connotés à travers les littératures simultanées ou successives, fournit l'indispensable transition de l'initiation philologique à l'ini- tiation philosophique. Nous nous garderons de méconnaître que la pensée transcende la portée stricte des mots; mais le coef- ficient d'inefïabilité inhérent à l'intime spiritualité d'un système résulte pour une large part de ce que les idées sont toutes chargées d'histoire: or l'unique moyen de suivre dans son histoire une idée consiste à repérer les variations du sens des mots qui l'ont tantôt transmise, tantôt trahie, mais en tout cas traduite.

L'intelligence de l'histoire de la philosophie indienne re- quiert ainsi, non seulement des connaissances spéciales, mais un apprentissage linguistique et de la dextérité critique. Ces conditions, d'ailleurs, diffèrent moins en nature qu'en degré, de celles que suppose l'histoire de notre philosophie: cette dernière, en effet, serait plus scientifiquement connue.

INTRODUCTION 13

si quiconque s'y adonne s'astreignait à une discipline aussi rigoureuse, aussi positive que celle qu'exige la compré- hension des doctrines orientales. Reconnaissons qu'en ce qui concerne celles-ci l'aveu d'ignorance par lequel doit débuter toute étude, coûte beaucoup moins à notre amour propre: nulle part, mais ici moins qu'ailleurs, la compétence ne s'improvise. Nous ajouterons que, si l'on s'égare en jugeant de l'Orient par l'Occident, une connaissance sérieuse de la pensée occidentale ne paraît pas inutile pour discerner le sens profond, et comme l'originalité même, des questions que se posa l'Orient. Schopenhauer a fourvoyé, mais il a guidé aussi plus d'un indianiste; et quelques-uns des meilleurs connaisseurs des doctrines indiennes, un Auguste Barth ou un Paul Deussen, se trouvèrent bien d'avoir possédé dès l'abord une culture philosophique à l'européenne. Car la philosophie est partout la philosophie, quoique pro- blèmes et solutions différent selon les milieux. Ce sera peut-être, du moins nous le souhaiterions, chose prouvée par ce livre.

Dans les m.ots sanscrits, u se prononce ou ; e est toujours é long ; ai et au représentent les diphtongues aï, aou ; r est une voyelle spéciale, qui se prononce de façon intermédiaire entre ri et re. Parmi les consonnes c se prononce tch ; j, dj ; s, ch, com.me l'anglais sh ; g est toujours dur ; t, d, n, diffèrent de t, d, n par une articulation en arrière, au sommet du palais ; ii et rn sont des nasalisations, la première très accentuée, la se- conde vague; n se prononce à l'espagnole, comme le gn français.

PREMIÈRE PARTIE LA PENSÉE VÉDIQUE

CHAPITRE I

LES ORIGINES DRAVIDIENNE ET ARYENNE LA COMMUNAUTÉ INDO- IRANIENNE

L'histoire intellectuelle de l'Inde a été fonction de la situation géographique du pays. Si disparates que soient les différentes parties du continent indien, elles présentent toutes ce caractère, de se trouver isolées du reste du monde par les plus hautes montagnes du globe, sauf dans la région du Nord-Ouest, où, par les plateaux de l'Afghanistan, s'ouvre un accès. Le pays auquel l' Indus a donné son nom comprend les deux vallées de l' Indus et du Gange, et, subsidiaire ment, le plateau triangulaire du Dekkan auquel on ne parvient, à moins d'y aborder par mer, qu'après avoir traversé l'un des deux bassins fluviaux. L'Inde peut ainsi se schématiser comme un enclos muni d'une porte largement ouvertie. L'histoire de ce pays ne renferme rien de plus important que les irruptions successives, par cette ouverture, de popula- tions fort diverses, chassées de leur habitat d'origine, soit par une dessiccation graduelle de l'Asie centrale, soit par des chocs entre peuples; une fois entrées, elles s'amalgament tant bien que mal à leurs prédécesseurs déjà installés. La lente infiltration, ou l'invasion impétueuse visent à la posses-

16 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

sion des bassins fluviaux, se concentrent richesse et popu- lation; elles perdent de leur force propulsive, et surtout de leur efficacité assimilatrice en atteignant la massive pres- qu'ile: ainsi s'explique le maintien d'une extrême diversité intérieure. Toutefois, si le plus ardent foyer de la civilisation issue de ces fusions successives, se localise dans les deux vallées principales, qui, d'ailleurs, communiquent avec facilité, l'emplacement des événements les plus considé- rables se situe d'ordinaire dans ce Nord- Ouest par pé- nètre toute nouveauté. C'est que survint Alexandre, bientôt suivi de toute la culture grecque; c'est que se firent passage les Scj^hes (Çakas), les Parthes (Pahlavas), puis, au premier siècle de notre ère, une peuplade Yue-tchi, les Kusânas; c'est que se transforma la dogmatique bouddhique, levain de la pensée indienne; c'est par qu'Arabes, Turcs, Mongols poussèrent au Moyen âge leurs armées conquérantes; mais c'est par là, de même, qu'avant les débuts de l'histoire, s'étaient introduits ces Aryas qui devaient donner à la civilisation de la contrée sa décisive empreinte (^).

Les peuples mêmes que les Aryas trouvèrent occupant le pays, et qu'on désigne sous le nom générique de Dravi- diens (^), paraissent avoir, les premiers, opéré semblable migration; du moins la survivance, dans le Béloutchistan, de l'idiome Brâhûî, apparenté aux langues dravidiennes du Sud de l'Inde, le donne à penser. Quoi qu'il en soit, l'ex- trême ancienneté de l'établissement des Dravidiens, et la masse qu'ils formaient lors de l'invasion aryenne, autorisent l'historien à les considérer comme relativement aborigènes. C'est par l'examen de leurs mœurs que devrait commencer l'analyse des divers facteurs de la civilisation indienne. Malheureusement, ce peuple, dont la culture était très in- férieure à celle des Aryas, ne nous a laissé aucun témoignage

LA PENSÉE VÉDIQUE 17

de son passé lointain; il fut absorbé ou opprimé par les conquérants aryens, intéressés à étouffer son autonomie. L'absorption, qui s'achève de bonne heure dans l'Inde septentrionale, n'alla pas partout jusqu'à l'assimilation: les éléments assujettis furent incorporés au système social des envahisseurs à titre d'esclaves, leurs dieux intégrés au système religieux des nouveaux maîtres comme démons de bas étage; mais hommes et croyances persistèrent. Dans le Dekkan central et méridional l'originalité dravidienne fut sauvegardée; il y subsista jusqu'à nos jours des sociétés qui ne furent jamais arj^anisées. La civilisation pré-aryenne de l'Inde ne comporte guère d'autre source d'information que l'induction par laquelle nous concluons de l'état actuel de ces peuples à celui des premiers habitants du pays.

La religion dravidienne est encore, et devait être, aux âges préhistoriques, toute locale, l'horizon mental ne s'é- tendant pas au delà de la tribu ou du village. On y vénère, ainsi qu'en plus d'une société agricole, des divinités féminines, soit protectrices de la collectivité, soit redoutées pour les maladies ou les maléfices dont elles peuvent affecter les hommes et les bestiaux. Ces divinités sont des morts hu- mains, doués depuis leur trépas de puissances nocives, sus- ceptibles de devenir bienfaisantes à qui sait se les rendre propices; il s'en crée sans cesse de nouvelles, auxquelles il arrive de faire oublier les anciennes, mais que l'on imagine sur le type des plus archaïques. Cette forme de religion, attachée au sol, se maintint comme superstition populaire dans les contrées le flot de l'immigration la submergea, et elle demeura prédominante partout elle put échapper à l'engloutissement. Sa persistance obscure et latente, à travers l'évolution ultérieure, ne doit jamais être méconnue, quoique le facteur dravidien qui se devine au travers des

18 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

éléments qui le recouvrent, ne puisse, le plus souvent, se symboliser dans nos analyses que par un X impondérable.

Les Arj'-as, dont les mœurs sédentaires contrastent avec la vie nomade si fréquente chez les peuples d'Asie, paraissent originaires de la vallée du Danube, qui fut, de temps immé- >norial, propice à la culture. La migration vers l'Est de ceux d'entre eux qui passèrent en Asie, semble s'être effectuée par le Bosphore et par les vallées du Tigre et de l'Euphrate. Ces inductions, tirées d'observations linguistiques, se trouvent à quelque degré corroborées par les fouilles de Boghaz-keui, qui attestent, au xiv^ siècle avant notre ère, la croj^ance, en Asie-Mineure, à des divinités bien connues sous leur forme indienne (^). Le gros des émigrants euro- péens se serait fixé pour une part dans la contrée qui garde leur nom, l'Eran ou Iran, pour une autre part au delà de l'Afghanistan, dans le pays des Cinq-Rivières, le Penjab. Ainsi se serait fondée, sur les bords de l' Indus, la première puissance « indienne ». Le même peuple, ainsi scindé en deux tronçons, semble donc un rameau de la souche dont d'autres branches ont couvert l'Europe: Celtes, Germains, Slaves, Italiotes, Hellènes. La tâche ne nous incombe point de rechercher si les populations ainsi apparentées procèdent d'une race unique et homogène: il nous suffit d'y recon- naître des populations distinctes tant des Sémites que des Turco-Mongols.

Quoique la distribution des langues soit loin de coïn- cider avec la répartition des races, il demeure approxima- tivement vrai que les peuples de souche aryenne furent les propagateurs des idiomes «indo-européens». La reconnais- sance de la parenté entre les plus anciennes langues de l'Iran et de l'Inde, d'une part, et le slave, l'arménien, le grec, le latin, le germanique et le celte d'autre part, doit être tenue, dans l'ordre des sciences morales, pour la plus décisive dé-

LA PENSÉE VÉDIQUE 19

couverte des temps modernes (*). Elle atteste, sinon une hy- pothétique consanguinité, une mentalité commune. Des ra- cines identiques ou fort voisines ont fait jaillir d'analogues frondaisons linguistiques de la Sogdiane à l'Irlande, et de ribérie aux confins chinois; de sorte que, si la théorie philo- sophique des formes et concepts à priori comporte une re- lative vérité de fait, c'est dans la mesure un ensemble de prénotions paraît imposé à l'esprit, dans une imjDortante fraction de l'humanité, par une même structure des langues. Les affinités incontestables dont témoigne la philologie com- parée, commandent ainsi de plus subtiles, mais de non moins certaines affinités, dont l'écho retentit, par exemple, dans la théorie comparée des religions, comme dans l'examen comparatif du folklore. Toutefois, déterminer les catégories de la pensée indo-européenne est une tâche qui supposerait, non seulement une enquête sur les diverses civilisations, inégalement développées, dans "lesquelles s'exprima cette pensée, mais une investigation comparative des fonctions mentales dans les autres lignées humaines. Philologues et mythographes l'ont amorcée plutôt qu'entreprise, procé- dant avec quelque rigueur à l'intérieur des civilisations indo-européennes, mais sans méthode précise dans la con- frontation avec les autres civilisations, confrontation qui, cependant, fournirait seule l'indication certaine des traits propres à l'esprit indo-européen. II demeurera donc long- temps encore téméraire de prétendre faire application à l'indologie des résultats d'un examen des civilisations indo- européennes.

Parmi cette collection de peuples il en est un, disions- nous, auquel les Hindous se trouvent plus étroitement appa- rentés : les ancêtres aryens des Persans, Ici l'identité d'origine, loin de se perdre dans la nuit des temps, précède de peu la période historique, le plus ancien document indien,

20 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

les Védas, et le plus ancien document iranien, VAvesta, présentant d'indubitables preuves d'une source linguistique et religieuse commune (^). Entre ces textes les correspon- dances, les parallélismes abondent, et autorisent la resti- tution du stade primitif des deux civilisations.

Les Indo-iraniens étaient un peuple de cultivateurs et d'éleveurs; ils n'ont pris que tard contact avec la mer, dont ils ne paraissent pas avoir eu très anciennement con- naissance. Leur société se composait de familles (gotra =gens) de type patriarcal, groupées en tribus sous l'autorité de rois (râja = rex). Les mariages devaient avoir lieu à l'intérieur du clan, mais hors de la famille. La religion consistait sur- tout en un culte domestique, visant à propitier les ancêtres, dont, en revanche, on assurait la permanence, en utilisant, pour cette fin, le concours des forces naturelles divinisées. Le sacrifice consistait à faire dans le feu des oblations de grain et de lait; à offrir aux dieux, présents sur une jonchée de gazon, un breuvage fermenté, le haoma ou soma, d'origine végétale; à immoler des animaux. Le feu, véhicule de l'of- frande, était l'objet d'une particulière vénération; d'où le prestige des représentations de lumière, d'ardeur, de com- bustion. Les sacrificateurs étaient des techniciens du feu, appelés en Bactriane x\thravans, dans le Penjab Atharvans, à la fois prêtres et « mages », c'est-à-dire magiciens. Un récitant, zaotar ou hotar, prononçait ici et d'analogues litanies, d'un effet immédiat et souverain sur la nature en- tière. Maintes similitudes se manifestent dans les faits et gestes des trente-trois dieux reconnus de part et d'autre: ainsi un même dieu solaire, Mithra ou Mitra; un même tueur de dragon, Verethraghna ou Vrtrahan, ce dernier désigné aussi dans l'Inde du nom d'Indra; un même roi des enfers, le premier des morts: Yima, fils de Vivanhvant, ou Yaraa, fils de Vivasvant.

LA PENSÉE VÉDIQUE 21

Cette communauté de religion, qui s'induit avec cer- titude, cédait déjà la place à des divergences quand fut rédigé VAvesfa. Ce texte, en effet, bien qu'il reflète les an- tiques idées des deux peuples, témoigne d'une évolution propre à l'Iran, la réforme zoroastrienne, et à cet égard s'éloigne plus que les Védas de l'origine commune {^). Il substitue au panthéon primitif, qui subsiste dans les Védas, un monothéisme. Quoique la divinité, ahura, au profit de laquelle s'accomplit cette unification, Ahura Mazda, corres- ponde sous bien des aspects à l'indien Varuna, ce dernier est loin de monopoliser, dans les Védas le titre corrélatif d'asura- D'où cette nouvelle différence, qui a dès longtemps frappé les orientalistes: la notion de dieu, en védique <lev/t, est ravalée dans la sphère des concepts avestiques à l'acception de démon, daeva: tout être surnaturel ne peut, en face de la majesté du maître universel, qu'apparaître génie subal- terne. Cette transformation spéculative s'accompagne d'une rénovation morale qui se traduit par la suppression des sacri- fices sanglants, et. qui ne trouvera son pendant, du côté hindou, qu'à une époque ultérieure. Toutefois, si l'Iran, à cet égard, devance l'Inde, le rudiment de philosophie qui sert de substrat au culte comme aux mythes se trouve, de part et d'autre, homogène.

La notion de l'ordre du monde, établi par Ahura Mazda, ici par Varuna, se justifie de même façon. C'est un ordre qu'il s'agit moins d'instituer que de maintenir. L'ac- tion du dieu suprême n'est pas créatrice, mais conservatrice; car on s'interroge non sur l'origine, mais sur la disposition des choses. Le monde, en effet, ne pouvait apparaître que comme existant par lui-même, indépendamment des dieux, dans une religion qui tenait ceux-ci pour intérieurs à l'u- nivers, et un peuple de pasteurs concevait volontiers l'in- tervention de l'intelligence dans le cours des événements

22 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

comme la préservation d'un troupeau contre les causes de destruction, comme son acheminement au but désiré. Cet ordre, postulé par un culte qui s'étendait, en 1400 avant notre ère, de l' Indus à l' Asie-Mineure, les Indo-Iraniens le dési- gnaient par ce mot d'arta, dont les deux dérivés, Vashi avestique et le ria védique, sont les premiers termes philo- sophiques des deux civilisations sœurs C).

CHAPITRE II LA RELIGION VÉDIQUE

La plus ancienne forme de la spéculation indienne est religieuse: un recueil de prières constitue le bagage de con- naissances que les âges ultérieurs ont tenu pour la science suprême, le véda. L'interprétation de cette primitive notion de science dépend ainsi de la conception que l'on se fait de l'origine de ce texte.

Le mot de Véda se prend en plusieurs sens. Dans l'ac- ception large, il désigne toute une culture, fondée sur la religion védique, mais impliquant diverses disciplines con- nexes, y compris une certaine philosophie considérée comme parachevant les doctrines incluses dans les textes sacrés: le Védânta. Envisagé de ce biais, il renferme la tradition (smrti), comme la révélation (çruti). Dans son acception stricte, le Véda se compose de quatre recueils, substance

LA RELIGION VÉDIQUE 23

même de la révélation: les Hymnes {Rc), les Chants (Sâman), les Formules sacrificielles ( Yajiis), les Incantations magiques des Atharvans (Atharva). Mais cette classification, qui juxtapose des matériaux disparates, procède déjà d'une scolastique. La liste se réduit souvent à trois termes, le quatrième Véda s'étant adjoint ultérieurement aux autres. Parmi ceux-ci, les chants sont des hymnes adaptés à la récitation en musique: ils représentent une modification ad- ventice du premier recueil. Quant aux formules sacrifi- cielles, leur rédaction en prose, accompagnée ou non de commentaire (Yajus Blanc ou Noir), les différencie des Hymnes comme une œuvre très postérieure. Quelle que soit la valeur documentaire des autres collections, peuvent abonder des éléments fort anciens, il n'existe ainsi qu'un texte védique fondamental, le Rgvéda (^).

Ce texte n'est un livre qu'à nos yeux d'Occidentaux. L'Inde le possède par transmission orale et conservation mnémotechnique; elle le comprend à la lumière d'inter- prétations traditionnelles, d'époques fort diverses. Son in- telligence pose une infinité de questions pour la solution des- quelles les multiples interprétations tentées à travers l'his- toire n'apportent pas moins d'incertitude que les ténèbres de la préhistoire, plonge, par ses origines, le Rgvéda. Nul ne saurait apprécier dans quelle mesure ces interpré- tations divergent du sens primitif, ce dernier demeurant affecté d'une opaque obscurité; mais rien n'est plus assuré, malgré la valeur d'une tradition quasi-continue, que la réa- lité de ces divergences. La civilisation indienne tout en- tière doit être tenue pour un perpétuel et mouvant com- mentaire de ce document, dont la portée lui est coextensive; mais un tel commentaire ne mérite créance que sous d'ex- presses réserves. D'ailleurs le texte même, et non pas sa seule signification, implique nous n'oserions dire une

24 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

histoire, mais une série complexe de transformations. Ce n'est point une œuvre, mais une littérature, qui demanda, pour s'élaborer, un laps de temps indéterminé, mais qui exigea aussi, ne fût-ce que pour être rassemblée en corpus, l'application de maintes générations. Les hommes qui réu- nirent les éléments de cette collection (samhitâ) paraissent, en effet, avoir eu d'autres intentions que ceux à qui l'on doit les éléments eux-mêmes. Ceux-là furent les techniciens d'un culte, mais on ne peut porter d'une façon générale, sur ceux- ci, la même appréciation. Il semble être dans la destinée des œuvres dont se nourrit l'esprit religieux des diverses races humaines, d'avoir de la sorte comporté un usage auquel ne les vouait point leur acception originelle. La difficulté de l'interprétation védique se peut donc préciser en ces termes: il faut saisir à travers les données historiques les indications qu'elles peuvent fournir sur des conceptions antérieures à l'histoire.

Le façon dont l'Inde se représente les sources de sa culture n'est point dépourvue de signification. L'autorité accordée à un texte se proportionne d'ordinaire au mystère de ses origines; or, au prestige sans égal des Hymnes on compterait les sectes qui se sont soustraites: pour la ma- jorité des Hindous, aux différents âges, il n'est pas d'aussi auguste canon de toute vérité. Une telle vénération atteste l'implicite reconnaissance d'une antiquité qui se perd dans la nuit des temps. Certes, la scolastique indigène prétend retenir les noms des dépositaires de cette vérité à travers les siècles; mais au principe des dynasties familiales, d'ail- leurs légendaires, qui passent pour avoir conservé le pré- cieux dépôt de la révélation, elle admet l'existence de vision- naires (rsis) qui n'ont pu connaître le Véda qu'en le « con- templant» dans son immuable éternité. La distinction en- tre ceux qui ont transmis et ceux qui ont « vu », l'antithèse

LA RELIGION VÉDIQUE 25

entre la conservation par des hommes et le principe non humain de la vérité, témoignent de la disposition, montrée par mainte civilisation, à tenir pour révélé ce qui remonte trop loin dans le passé pour demeurer entièrement perméable à l'intelligence.

Un examen critique du Rgvéda confirmerait ces sen- timents confus de l'âme indienne. Les hymnes ne sont pas ce que les âges postérieurs ont voulu qu'ils fussent: à côté d'indubitables formules liturgiques abondent les éloges de divinités, l'inspiration ne s'asservit pas à des fins ritua- listiques; le recueil contient des morceaux poétiques dont l'utilisation par le culte ne semble guère moins arbitraire que l'érection par la scolastique chinoise des primitives chansons d'amour du Che-k'mg en code moral et politique. Il renferme des récits profanes, tels les âkhyânas, source des futures épopées. Sans tenir le Rgvéda, comme certaine école de jadis, pour la naïve expression de la poésie aryenne, il convient d'y reconnaître une inspiration surtout religieuse, certes, mais antérieure aux dogmes d'une orthodoxie et au culte codifié par un sacerdoce, ou plutôt nous recon- naîtrons qu'à côté de textes déjà brahmaniques, il recèle à profusion des morceaux que l'ultérieur brahmanisme inter- prétera par arbitraire en fonction de ses idées propres. Il y a donc lieu de supposer que la composition des hymnes embrasse une diversité d'époques. En fait, les sections II à VII paraissent constituer, avec la. seconde moitié de la section I, le noyau primitif, qui s'enveloppa ensuite de la section VIII et du début de la première. La neuvième, qui concerne le culte du dieu Soma, s'adjoignit à cet ensemble. Enfin, la dixième section acheva l'œuvre, en inaugurant une inspiration qui, par son caractère déjà philosophique, se révèle encore plus récente.

Dans ces conditions, les diverses exégèses tour à tour proposées possèdent toutes quelque valeur. La tradition

26 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

indigène et, à sa suite, la récente école d'indianistes qui, avec une louable prudence, conseille d'aborder la préhistoire à la lumière des informations que fournit l'histoire, détiennent toutes deux la clef d'innombrables secrets en interprétant le Védisme par le Brahmanisme qui, sans aucun doute, en procède. Mais cette clef n'est point un passe-partout; l'in- duction historique, scrupuleuse d'intention, risque de prendre pour des voies nouvelles de réelles impasses, et d'ériger en méthode l'anachronisme. Le parti pris inverse, d'étudier en eux-mêmes les textes védiques, abstraction faite des commen- taires ultérieurs, ne perd donc rien de son intérêt: il complète ou corrige les résultats obtenus par l'autre procédé. Moins sûr, mais, à l'occasion, riche en enseignements, l'emploi de l'ethnographie jette un certain jour sur des faits que cette science compare aux données fournies par des peuples pri- mitifs. Ne refuser le concours d'aucune de ces méthodes, ce n'est point du syncrétisme, mais la seule façon positive d'aborder une recherche qui n'appartient qu'en partie à l'ordre historique.

De semblables considérations doivent sufHre à nous mettre en garde contre les appréciations simplistes de la pensée védique. Rien de plus incertain dans le domaine entier de l'indianisme, pourtant ne manquent pas les sables mouvants; et toutefois c'est d'une part le premier moment de la culture indienne, d'autre part un facteur constant de la pensée propre à cette civilisation: à ce double égard il importerait que la connaissance que nous en pre- nons ne fût point trop inexacte.

La notion centrale est l'idée de sacrifice, dont nous avons signalé une forme rudimentaire au stade antérieur de la communauté indo-iranienne, et donc nous aurons à men- tionner l'aspect ultérieur, complexe et savant, dans la systé- matisation brahmanique (^). Le sacrifice védique tient le

LA RELIGION VÉDIQUE 27

milieu entre l'une et l'autre de ces formes, dont l'ancienne persiste, et dont la nouvelle se fait jour. Il a lieu d'ordinaire en plein air; il consiste à déposer sur l'autel (vedi) le lait, le beurre, le grain, les gâteaux destinés aux dieux, qui ont pour siège une jonchée d'herbe. Il est accompli, en principe du moins, par la personne qui en attend un résultat; mais une transformation graduelle substitue au chef de famille des prêtres de plus en plus spécialisés dans une fonction définie, en raison d'une complication croissante du culte. Ainsi, l'immolation d'animaux accompagne la présenta- tion de certaines oblations; elle s'opère selon des rites minu- tieux. L'offrande du soma peut comporter la récitation d'hymnes, entre lesquels le choix dépend des circonstances. L'udgâtar, le «chanteur», remplira cet office, tandis que le « sacrifiant », hotar, auquel incombent les oblations dans le feu, ainsi que les immolations d'animaux, prononcera l'éloge des dieux destinataires de l'offrande. Un simple assistant, l'adhvaryu, finit par assumer la matérialité de l'acte sacrificiel. Cette répartition aboutit à impartir les psaumes du Sâmaveda au premier de ces prêtres, les hymnes du Rgvéda au second, les prescriptions techniques du Yajurveda, les vers se mêlent de prose, au troisième. Enfin un surintendant du sacrifice, également versé dans tous les Védas, devient nécessaire pour diriger ce concert cultuel sans à-coup, sans méprise, sans oublis: c'est, au sens strict, le brahmane, terme dont l'acception s'étendra jusqu'à désigner l'essence même du sacerdoce, quand ce dernier deviendra l'apanage d'une caste.

Le quatrième Véda, de rédaction plus récente, ne joue ainsi aucun rôle dans l'agencement du sacrifice. Il se con- fine dans l'ordre magique, et n'exerce de juridiction que sur les plus humbles opérations religieuses, comme fournissant des recettes pour conjurer les puissances malignes, esquiver

28 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

les mauvais sorts, éviter les maladies, réussir dans les entre- prises. Il atteste la persistance de conceptions, surtout de pratiques fort anciennes, dont beaucoup ne revêtent qu'à peine un caractère indo-iranien. Toutefois, en supposant que la religion proprement dite, c'est-à-dire l'exercice du sacrifice, a coupé toute attache avec la magie primitive, sous ce prétexte que le brahmane n'est point un « mage », comme l'héritier iranien des xA.tharvans ou Athravans, on se tromperait lourdement. Le sacrifice opère par lui-même, car il établit une communion entre hommes et dieux à l'occasion d'une commensalité. Il ne déclenche au profit du sacrifiant, ou de celui qui fait les frais du culte, le concours des puis- sances surhumaines, que parce qu'il place l'homme dans un état de surhumanité, l'on se fait écouter des dieux. Il ne se réduit donc pas à une prière, ni à une hj^pocrite flatterie, tenue pour propitiatrice. Il implique, certes, un marché, l'on ne donne que pour recevoir, mais il rend ce marché réalisable en y préparant l'intéressé, en y conviant aussi les dieux par des objurgations impossibles à éluder. Plus fort que la nature, il est donc plus fort même que les dieux qu'il fait agir à sa guise; et l'on inférerait, semble-t-il, sans témérité un stade archaïque il agissait par lui-même grâce à l'immédiate efficacité de ses injonctions, sans la collaboration d'aucune puissance surnaturelle, avec la sûreté directe, instantanée, de l'opération magique.

Le rôle des dieux apparaît ainsi dérivé, en tout cas se- condaire. Le Rgvéda montre le culte en acte, faisant surgir pour chaque force naturelle, à laquelle commande le sacrifice, l'idée mythique d'une divinité qui, primitivement, ne fait qu'un avec cette force et peu à peu s'en abstrait, par anthro- pomorphisme. Dyaus, le ciel-père; Prthivï, la terre-mère, Vâj'^u, le vent; Parjanya, la pluie; Apas, les eaux, diffèrent à peine des phénomènes qu'ils dénomment. Leurs allures

LA RELIGION VÉDIQUE 29

de violence individualisent déjà davantage les Maruts, dieux des tempêtes; et des grâces poétiques entourent de charmes féminins la figure de l'Aurore, Usas. Le soleil, Sûrya, d'un prestige sans égal dans l' arrière-fond des repré- sentations indo-iraniennes, se spécifie sous maintes formes de son activité : comme Vivasvant, l'éclatant ; comme Savitar, le vivifiant; comme Pûsan, le nourricier; comme Mitra, l'ami des jiommes; comme Visnu, qui parcourt l'es- pace. Les lampadaires du ciel nocturne, la lune, les étoiles, prennent l'allui-e de divinités; les Açvins ou cavaliers, iden- tiques aux Dioscures, symbolisent l'étoile du matin et celle du soir. Jusqu'ici l'élément naturaliste semble constituer le fond de la divinité; mais dans d'autres cas il est moins manifeste ou se mêle d'autres éléments. Rudra, dont le nom signifie « le rouge )> ou « celui qui fait pleurer », se présente comme un archer terrible sous son aspect humain qui dis- simule d'ambiguës origines naturalistes: destructivité de l'ouragan, nocivité des miasmes. Varuna, longtemps con- sidéré par les philologues comme le ciel qui enveloppe le monde (oupavôc), apparaît en couple avec Mitra, comme la lune en face du soleil; et le Brahmanisme l'a identifié aux eaux de l'Océan. L'indétermination de ses attributions physiques dut contribuer à le doter d'une haute et com- plexe signification morale: il correspond au dieu en lequel Zoroastre a fait fusionner tous les caractères de la divinité, Ahura Mazda. Indra, le plus exalté entre les personnages surnaturels, est, en dépit ou plutôt en raison de sa multi- plicité d'aspects, une réalisation de cette notion abstraite: la force; activité solaire ou puissance qui fait éclater l'orage, il chasse les ténèbres, mais par une lutte, de sorte qu'on peut se demander si le démon Vrtra, pourfendu par sa foudre, symbolise l'obscurité des nuées que perce Indra pour libérer les pluies bienfaisantes, ces « vaches « célestes, ou s'il ne figure pas aussi bien, dans le langage du mythe, ces hommes

30 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

noirs, les Dasyus, sur lesquels les envahisseurs indo-iraniens conquirent le sol indien. Aucun personnage de ce panthéon n'apparait aussi anthropomorphe que ce soudard batailleur, Zeus aux gestes d'Héraklès, secourable mais souvent égaré par l'ivresse, conçu sans doute à l'image d'anciens chefs de tribus.

Certains dieux témoignent d'une évidente origine ri- tualistique; mais un effort tacite, inconscient d'adaptation semble les avoir harinonisés aux figures naturalistes. Le cas le plus manifeste est celui de Sonia, le breuvage sacré, dont les dieux, Indra surtout, se gorgent, et par l'offrande duquel le fidèle se concilie leurs faveurs. Ce breuvage prend l'allure d'un être divin, celui auquel s'adressent les hymnes du IX^ recueil de la Rksamhitâ; et on l'assimile à la lune. Brahman, la formule rituelle, cpioique plus auguste que les dieux qui lui obéissent, se mue aussi en un être divin parti- culier; mais ce dernier, par une sorte de logique immanente à l'histoire des concepts, s'érigera, au cours de l'évolution C|ui du Védisme aboutit au Brahmanisme, en un principe supérieur aux dieux (^°). Mais l'exemple le plus décisif se rencontre dans la notion d'Agni. Aucun dieu n'est aussi essentiel au Védisme cpie cette personnification du feu sacri- ficiel, prestigieux par son éclat et sa chaleur, véhicule de maintes oblations et à cet égard, intermédiaire entre le sacrifiant et les destinataires de l'offrande. Il préside au foyer domestique; mais c'est lui encore Cjui resplendit dans la lumière solaire, qui fulgure dans l'éclair. Il établit de la sorte comme une homogénéité entre le petit milieu familial et le milieu cosmique, de même que le sacrifice s'étend de l'orant à l'ensemble de l'univers.

Les silhouettes les plus caractéristiques de l'Olympe védique paraissent ainsi des projections, dans l'ordre du mythe, des puissances naturelles que régit le sacrifice, ou

LA RELIGION VEDIQUE 31

même de simples instruinents du culte. Mais il ne faut pas méconnaître l'existence d'autres sortes d'êtres surnaturels. Les uns ressortissent à ce folklore anonyme qui déborde de toutes parts le cercle des conceptions indo-européennes: tels les humbles génies qui animent la nature, propices ou malins; les démons à quelque degré identifiés aux abori- gènes désormais asservis; l'hostilité de ces êtres inférieurs à l'égard tant de l'action des grands dieux que de l'action du sacrifice équivaut à l'aveu de leur origine non védique: c'est affaire à l'Atharvavéda, par ses incantations, de tenir en respect les Raksas, les Piçâcas qu'ignore la sereine tech- nique de la religion proprement dite. D'un autre ordre, mais d'un ordre voisin, sont les morts, qui, tant que les rites funé- raires n'ont pas assuré la persistance indéfinie des âmes, mènent comme prêtas, « trépassés », l'existence de revenants dangereux, mais qui, ensuite, élevés à la dignité de Pères, Pitaras, revêtent une noble immortalité au séjour de Yama, le premier et par suite le roi des défunts. Il existe enfin une catégorie de dieux qui avec le Brahmanisme prendra toujours plus d'importance: les divinités abstraites. Ce sont en général les plus récentes, mais il s'en trouve d'ar- chaïques. Telle Aditi, qui subsume à la fois, comme un terme générique, ce dieu solaire, Mitra, et Varuna, le ciel qui voit tout; ce sont ses fils, les Adityas; à rapprocher son nom et sa fonction, l'on est tenté de voir en elle une puissance éclairée puisque lumineuse, libératrice puisque «exempte de liens». Mais Brahmanaspati, le maître de la formule rituelle; Pra- jâpati, le maître des créatures; Viçvakarman, l'agent uni- versel, qui pour la plupart apparaissent dans la section du Rgvéda, perdent en précision concrète ce qu'ils gagnent en extension abstraite, si on les compare aux authentiques divinités invoquées dans les hymnes; il convient d'y re- connaître des dénominations à tendance monothéiste, étran- gères au principe même du Védisme.

32 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Quoique l'examen de ce panthéon atteste ainsi des origines disparates: un facteur non aryen, pour une part imputable aux races autochtones; un fonds indo-iranien, l'inspiration propre aux familles de rsis qui composèrent les hymnes; l'intervention tardive des dynasties sacerdo- tales qui spéculèrent sur le culte ou le dogme, l'induction paraît plausible, que la pratique et l'idée du sacrifice de- meurent les instigatrices de toute cette évolution théolo- gique au cours d'au moins dix siècles. A la plus ancienne notion du sacrifice, celle qui le conçoit comme une action directe du rite sur l'univers, correspond une mythologie des éléments de la nature, que le langage et l'imagination humanisent en des personnalités maîtresses de l'univers. Les dieux une fois créés, le sacrifice n'apparaît plus comme opérant par lui-même, mais comme cherchant à gagner au profit de l'homme la faveur de ces êtres qui, tenant à la fois de la nature et de nous, sont jugés surnaturels: il con- siste à présenter une offrande pour obtenir en retour des avantages certains. Mais l'anthropomorphisme s'accroît: la fantaisie, même poétique, ne saurait inventer jusqu'à transfigurer les phénomènes naturels, mais elle peut broder à l'infini sur le canevas des idées ou images dont les attaches physiques, très ténues, tombent dans l'oubli. Alors se con- struisent les grandes personnalités divines: sur la notion d'un rite, celle d'Agni; sur ce type social, le lâja guerrier, celle d'Indra; sur l'idée d'une puissance lumineuse univer- selle, celle d'un justicier omniscient et omnipotent, Varuna. Le caractère moral transfigure l'élément mythique : Agni se fait protecteur de la famille; la force d'Indra sait se rendre secourable; la clairvoyance de Varuna s'applique à sauve- garder l'ordre du monde ("). Le sacrifice se présente non plus comme un marché, mais comme un moyen de pro- pitiation, et, le dieu devenant un idéal, comme un effort vers la pureté d'intention. L'hymne qui flatte tend à se convertir

LES PREMIÈRES NOTIONS METAPHYSIQUES 33

en la prière qui, dans la confiance, contemple et adore: en cette « élévation » qui équivaut à un hommage au principe d'unité cosmique, s'exprimera le culte du Brahman, du Purusa, l'Homme universel ou l'Esprit; le passage se sera opéré du rite (karman) à la connaissance (jnâna). Cette transformation à travers le temps n'aura fait qu'expliciter le concept de Véda, postérieur, en effet, aux hymnes dont il intitule la collection: la science védique (vidyâ) est une technique rituelle qui, peu à peu, se transpose en pure métaphysique.

CHAPITRE Iir LES PREMIÈRES NOTIONS MÉTAPHYSIQUES

Les Védas fournissent le formulaire d'un culte, mais, si l'on excepte les sections en prose du Yajus, ne spéculent point sur ce culte. A fortiori n'attestent-ils point, sauf en de rares et furtives occurrences, une réflexion indépendante de la religion. Toutefois l'exercice même du culte implique des convictions qui déjà équivalent à la possession d'une philosophie; et mainte remarque mêlée à l'éloge d'un dieu, mainte énigme entrevue témoignent de l'éveil d'une pensée autonome. Cette dernière se manifeste surtout dans les textes les plus récents: dans l'Atharva et dans le X^ livre du Rgvéda.

3

34 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Le ritualisnie primitif impliquait des postulats plura- listes. Il supposait au moins la distinction du sacrificateur, du sacrifié, de l'être pour qui ou de la fin pour laquelle était exécuté le sacrifice. La diversité des buts, celle aussi des moyens avaient suscité nombre de dieux. Ce pluralisme se renforçait par l'influence des facteurs concourant avec le rite à constituer la religion védique. Ainsi les démons, les morts ne cessèrent pas de former des catégories irréductibles à celle des divinités. Religion proprement dite et magie, loin de s'assimiler, se scindèrent plutôt, à mesure que la religion fit plus grande la place du mythe: ce dernier accorde aux représentations Imaginatives, ainsi qu'à la réflexion, un rôle qu'exclut la réussite mécanique, immédiate, de l'acte magique. Ces racines très profondes du pluralisme, l'Inde ne les extirpera jamais, malgré de constants efforts vers un monisme philosophique.

De semblables efforts se manifestent dès les textes védiques. Le recours au sacrifice en toute circonstance de la vie religieuse, la conviction de son omnipotence insti- tuaient ce que Barth appela un <( panthéisme ritualistique «. En outre l'évolution de la théologie mythologique achemi- nait vers une fusion de tous les dieux en un seul être. L'ob- séquiosité de Forant décernait tour à tour le titre, les attri- buts d'un maître suprême à chacun des êtres surnaturels dont elle sollicitait l'intercession. Avec une abstraction croissante, leurs distinctions s'émoussaient ; ils devenaient remplaçables par l'une quelconque de ces entités: le Brah- man, Purusa, ou encore Vâc, la parole, le verbe. Des élu- cubrations comme l'Agent universel, Viçvakarman, ou le Panthéon, Viçve devâh faisaient concevoir unique l'essence divine, que l'ancienne religion avait tenue pour indéfiniment multiple. « L'unicité de l'être, les prêtres la désignent sous des noms divers» (ekarti sad viprâ bahudhâ vadanti, Ath. I

LES PREMIÈRES NOTIONS MÉTAPHYSIQUES 35

164,46); mais, «unique est l'auguste génialité des dieux» (mahad devânâm asuratvam ekam, III, 55).

Ce monisme ne dépassait pas le niveau d'une intuition très vague tant qu'il n'eut point, pour se corroborer, sus- cité une explication cohérente des choses. Il fallut de longs siècles pour réduire le prestige des dieux d'antan, qui d'ail- leurs ne perdirent jamais certains au moins de leurs titres à la vénération. Les tendances unitaires s'accordaient mal avec l'antique notion de l'ordre régnant dans le monde. Celui qu'établit Indra, c'est la domination d'une force pré- pondérante sur des puissances vaincues, qu'il s'agisse du serpent Ahi, de démons comme Vrtra ou des primitifs ha- bitants de l'Inde, subjugués désormais par les royautés a-ryennes. Celui qu'institue Varuna, le rta, c'est le maintien à leur place, dans leur rôle, des puissances cosmiques, en particulier des astres. Voilà deux notions dualistes, car combattre pour instaurer un régime de domination et veiller à la sauvegarde d'une harmonie, c'est toujours intervenir dans une réalité préexistante; mais les éléments d'une doctrine nouvelle, on les puisa, une fois encore, dans le cercle des spéculations ritualistiques.

Cette doctrine se fait jour au X^ livre du Rgvéda. La protection par Mitra et Varuna de la légalité universelle est désormais attribuée à un mode particulier de leur divine activité : à leur dharman, forme spéciale de l'efficience qu'ils possèdent en tant qu'êtres surnaturels (asurasya mâyâ). Ce dharman apparaît comme l'établissement d'un ordre, en opposition à l'ordre établi, rta. Or cette façon de tout régler consiste, selon la décisive affirmation d'un texte plus ancien, à sacrifier: «c'est par le sacrifice que les dieux ont sacrifié le sacrifice: voilà les plus primordiaux des dhar- mans » (I, 164, 50). En d'autres termes les lois fondamentales de l'univers, ce sont les lois du sacrifice. La régularité des

36 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

révolutions astrales, que X, 164, II appelle la roue du rta (cakraui rtasya), modèle des lois physiques, ne fait que tra- duire la régularité de la trame de l'univers, « tissé » par le sacrifice qu'accomplissent soit les Pères, soit le Purusa, soit les dieux immolateurs du Purusa (X, 130). Lorsque le pan- théisme de ritualistique deviendra intellectualiste, le dhar- man, acte sacrificiel, se muera en dhanna, règle suprême de vérité. Mais cette évolution sort des limites du Védisme, quoique ce dernier la prépare.

La philosophie du Rgvéda, même sous la phase ultime, ne se dégage pas complètement du mythe; mais elle en instaure une forme nouvelle, le mythe abstrait et cosmo- gonique. Les problèmes que rencontre cette sorte de pensée se présentent, dans l'ensemble, inverses de ceux qui se posaient auparavant. Il ne s'agit plus d'expliquer, à partir d'un pluralisme radical, ce degré d'harmonie que renferme le monde, mais au contraire de fonder la diversité sur l'unité primordiale. L'être, ou mieux, l'existant, sat, se sufïit-il à lui-même (svadhayâ) ? Suppose-t-il un non-être anté- rieur (asat) ? Ou l'un et l'autre, comme deux contraires, procèdent-ils d'une hy|3ostase préalable (X, 126, 1 à 3) ? Les solutions entrevues n'ont rien de systématique. Le texte le plus célèbre (ibid.) montre surgissant des ténèbres primi- tives (tamas) palpite une inconsciente vie, la première puissance créatrice, la chaleur qui fait de l'œuf cosmique éclore le monde. D'où un développement (adhisamavartata) au cours duquel de l'amour ou du désir (kâma), germe initial, jaillit l'esprit (manas). Cette chaleur (tapas) qui couve le principe évolutif, on la conçoit ailleurs comme origine de l'ordre et de la vérité (rta, satyam, X, 190), qui dans ce cas ne se rattachent pas à une pensée. D'autres textes tra- hissent les attaches que garde la spéculation naissante avec les rites antiques. Ainsi l'esprit (purusa, non plus ma-

LES PREMIÈRES NOTIONS MÉTAPHYSIQUES 37

nas), dans lequel X, 90 trouve le principe universel, c'est l'Homme primordial, en tant que victime sacrifiée par les dieux, sacrifiée aussi en vertu d'un étrange paradoxe par les hommes parfaits des premiers âges et par ceux qui « virent » le Véda (sâdhyas, rsis). De ses divers morceaux, cette victime constitue les parties du monde. En d'autres occurrences (I, 164; X, 125) on assure que l'univers naît de la Parole, Vâc ; par il faut comprendre la voix humaine, certes, mais aussi le tonnerre du ciel, mieux encore l'in- cantation du chantre, enfin le verbe de tous les verbes, Féternelle sonorité des hymnes védiques.

Les questions morales, abordées en un sens non moins archaïque, s'isolent à peine des énigmes spéculatives. Le bien et le vrai, non encore dissociés, se réduisent à F « exac- titude»: ils impliquent la conformité au rite approprié en un cas donné. D'où l'élément d'objectivité (sat) inclus dans le mot satyam qui désignera plus tard la vérité, mais, quant à présent, connote la correction de l'acte. Un optimisme latent s'étale dans la conception de la vie que reflètent les hymnes: aux avantages temporels, santé, aisance, posté- rité, se limite l'ambition de l'Indien des premiers âges: il n'imagine pas d'autre bien que la possession de ces avantages, assurée par l'observance du culte; le mal consiste soit en un maléfice qu'on n'a pas su écarter, pestilence ou mali- gnité, soit en une méprise dans l'usage des rites: c'est un miasme ou une erreur. Les dieux supérieurs s'instituent gardiens de l'ordre moral comme de l'ordre physique, mais leur vigilance cherche moins à punir des transgressions à leurs commandements, qu'à faire observer la rectitude cul- tuelle: ce qui ne doit pas nous surprendre, puisque les êtres surnaturels dépendent du culte plus encore que le culte ne dépend d'eux. De façon analogue se doivent interpréter les sanctions réservées par les dieux à nos actes, droits (rju)

Se HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIEXNB

OU tortueux (vrjina): elles s'appliquent par la force même des choses, et ils ne font, eux, qu'y présider. L'asservissement découle de la faute même, non de l'arbitraire d'une puissance extérieure à l'individu et à son acte; il a pour conséquence, non pour cause, que le coupable est ligoté par la chaîne de Yama, susceptible de le retenir en un séjour infernal, ou par les lacets de Varuna, l'Enveloppéur qui garrotte les fourbes (Ath. IV, 16), mais qui est fils de la déesse liberté; que définit l'exemption de tout lien, Aditi. Dès cette époque l'Inde se persuade que le mal, c'est l'enchaînement, les liens (bandha) d'un esclavage. Par contre le souverain bien dont on rêve s'exprime en ce vœu : « puissions-nous être sans péché aux yeux d' Aditi», ou, ce qui revient au même, « sans péché pour la liberté » (anâgâso aditayâ, I, 25, 14) (^^) !

DEUXIÈME PARTIE

LA PHILOSOPHIE BRAHMANIQUE PKÉBOUDDHIQUE

CHAPITRE I SYSTEMATISATION DE LA PENSÉE VEDIQUE

Le Brahmanisme s'est défini à ses propres yeux comme une systématisation de la pensée védique. De tous les pro- blèmes que pose la civilisation indienne, c'est sans doute celui pour l'investigation duquel la tradition brahmanique, coextensive à cette civilisation entière, fournit le plus de renseignements, mais c'est aussi l'un de ceux peut se montrer opportune l'impartialité européenne, qui n'apporte en la matière aucun préjugé religieux.

Nous ne saurions douter qu'au cours de la première moitié du millénaire qui précéda l'ère chrétienne, l'évolution interne du védisme se précipita, et que, néanmoins, à pro- portion même de cette transformation, se constitua une orthodoxie, déjà un rudiment de scolastique fondées sur l'antique religion. Le Véda en va être la base, mais il en est lui-même, en tant que collection close et complète, le pre- mier, l'essentiel résultat. Aucune finalité initiale ne pré- destinait sans doute les chants religieux, les poèmes pro- fanes, les récits légendaires dont le Rgvéda fut composé, à se trouver ainsi réunis. L'utilisation liturgique des hymnes

40 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

prouve que le recueil, sinon les morceaux recueillis, a pour auteurs des prêtres. Dans l'Atharva, l'empreinte d'une in- tervention post- védique apparaît encore mieux: il renferme des prescriptions d'origine sacerdotale, et témoigne, dans ses plus primitives incantations, de placages attestant un effort de brahmanisation. Quant au Sâman et au Yajus, ils sont, par destination même, accommodés à un culte. Le Yajus noir mêlant aux formules que l'on chante ou récite pendant les sacrifices (mantra), des instructions (vidhi), des explications (arthavâda) en prose, inaugure une litté- rature fondée sur le Véda, mais distincte de ce dernier, comme un commentaire se distingue d'un texte : les Brâh- manas. Littérature d'importance capitale, dans laquelle s'effectua la transition du passé védiqvie à cette orthodoxie « brahmanique », dont le caractère s'impose, de façon plus ou moins absorbante, aux divers facteurs comme aux mul- tiples phases de la culture indienne. Des interprétations d'un caractère ésotérique s'y adjoindront, portant soit sur le rite, expliqué allégoriquement dans les Aranyakas, soit sur la philosophie, dont les problèmes se spécifieront dans les Upanisads: autant de textes qui partagent avec les quatre Védas le caractère de connaissances révélées (çruti). N'envisageons pour l'instant que la base de cette littéra- ture: les Brâhmanas (").

L'élaboration en une sorte de canon des Védas et de leurs commentaires plus ou moins directs est l'œuvre d'une caste. A mesure que le culte védique se compliquait et se répartissait en diverses attributions sacerdotales, les fonc- tions du prêtre se monopolisaient au profit d'un groupement héréditaire et fermé. Les premiers documents attestant que cette évolution est accomplie n'apparaissent que dans les parties récentes du Rg et de l'Atharva. L'évolution en question ne représente d'ailleurs qu'un cas particulier d'un

SYSTÉMATISATION DE LA PENSÉE VÉDIQUE 41

fait général dans la civilisation indienne en formation: à mesure qu'ils étendaient leur établissement parmi des popu- lations aborigènes d'autre couleur (varna), les Indo-Iraniens éprouvaient davantage le désir de sauvegarder l'originalité de leur race; ils n'en appliquèrent que plus jalousement leur antique usage d'endogamie à l'intérieur de la «curie» (jâti) et d'exogamie hors de la «gens» (gotra). Parmi les vicissitudes de cette période belliqueuse, l'affiliation à un groupement qui assignait à ses membres des devoirs, mais aussi des droits définis, fournissait une efficace protection aux individus, pour qui la déchéance de la caste, par démérite, était le châtiment suprême. Sur l'origine de cette distri- bution de la société indienne en quatre castes fondamen- tales: brahmanes ou prêtres; ksatriyas ou guerriers; vaiçyas ou gens du commun, artisans et agriculteurs ; çudras ou esclaves ('*), nous ne possédons aucune donnée précise, car cette répartition plonge dans l'obscurité de la pré- histoire; mais le fait que les Aryas ne S3 reconnaissaient qu'en les trois premières castes, seules composées de gens nobles ou libres, participant seuls à la religion védique, dont l'initiation équivaut à une seconde naissance (dvija), semble attester un besoin de se distinguer de la masse au- tochtone, vouée au servage ou même extérieure à l'organi- sation sociale. Au sein de cette aristocratie, celle qui vivait de l'autel et celle qui vivait de l'épée ont se différencier très tôt, quoique la codification d'une semblable répartition n'ait eu lieu que plus tard. L'existence légendaire de familles de rsis, dépositaires des hymnes sacrés, puis la simultanéité comme la succession de dynasties sacerdotales conservatrices de traditions en partie distinctes, annonçaient la formation d'une caste religieuse, non pas apte seule à l'exercice du culte, car tout Ârya resta tenu d'accomplir lui-même cer- tains rites, mais seule admise à connaître la technique opé- ratoire et spéculative fondée sur les Védas. Aussi les hommes

42 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

auxquels doit convenir le nom générique de brahmanes se trouvèrent-ils investis de l'enseignement : par eux était donnée aux autres castes d'Aryas l'éducation sacrée (brali- macarya); ils se trouvèrent ainsi possesseurs en fait, et s'érigèrent détenteurs en droit, de toute culture.

Il ne semblera donc pas étonnant que la loi religieuse, dharma, dont les brahmanes assuraient le monopole, ait revêtu un caractère sacerdotal. Sa prescription fonda- mentale est la prééminence du brahmane, clef de voûte non seulement de l'ordre social, mais du monde entier, puis- qu'il accapare un pouvoir auquel obéissent et la nature et les dieux. Tromper, tuer l'un de ces « dieux » humains, voilà les plus grands crimes. Les honorer, rétribuer leurs offices par de généreux émoluments (dîksâ), voilà les œuvres pies. Le secrst de leur autorité consiste en ce qu'ils ont concentré à leur profit le principal de la vie religieuse, jadis impartie au chef de clan, au père de famille; le culte a fait le prêtre, mais à son tour le prêtre a transformé le culte en se l'appropriant. Les hymnes valent non en tant qu'effu- sions laudatives d'une divinité, jaillies d'un cœur dévot, mais en tant qu'éléments d'une liturgie savante. Maintes expressions, images, formes de pensée ne sont plus comprises : le sens originel se perd, au profit d'interprétations symbo- liques, voire d'explications étymologiques fondées sur de subtils ou de puérils jeux de mots. Moins on comprend, plus on dogmatise; les tours de passe-passe grammaticaux l'on trouve la solution d'une difficulté rituelle, s'érigent avec pompe et solennité en principes d'application univer- selle. Aux énigmes mythologiques dont fourmille le Véda se surajoute une théorie qui se flatte de tout expliquer, mais dont les explications, en raison même de leur ab- straite technicité, ne rejoignent que par accident l'ordre d'idées auquel doit appartenir la signification primitive.

BYSTÉMATISATION DE LA PENSEE VKDK^UE 43

Le système construit de la sorte conserve des notions védiques leur aspect rituel, qu'il tend à renforcer et à coor- donner. Il fait assez bon marché de la mythologie natura- liste; s'il lui arrive d'inventer de nouveaux mythes, c'est par désir de justifier les détails du culte. L'antique panthéon perd de son prestige au profit des personnifications ab- straites de basse époque; la piété s'adresse moins à Indra qu'à des concepts ritualistiques, tels que le résidu de l'of- frande, ucchista (Ath. XI, 7), ou le poteau sacrificiel, skambha, considéré comme l'axe et le support du monde (X, 7 et 8). Sans aucun doute, en effet, une notion théorique constitue pour un système une meilleure clef de voûte qu'une figure mythologique aux attributs concrets. Parmi ces élé- ments ou facteurs du culte, convertis en « êtres de raison », aucun ne s'entoure d'autant de vénération que la Formule Rituelle. Les mots mêmes possèdent la plus suggestive précision: en tant qu'auteur des Brâhmanas, le brahmane, brahmân, érigea en principe suprême le brâhman (au neutre). Ce principe se substitue aux démiurges védiques : tantôt on nous représente Prajâpati créant par le moyen du Brahman, tantôt on nous montre dans Prajâpati un agent secondaire, une hypostase dérivée du Brahman; et ces deux notions, quoique distinctes, n'attestent aucune contradiction, car la première comme la seconde subordonne l'action créatrice à la formule rituelle. Cette dernière, en effet, grâce à la force magique de l'incantation, réalise ce qu'elle prononce, en un univers qui passe pour n'être d'outre en outre que liturgie. Elle est la première forme de la notion d'absolu dans la civilisation de l'Inde. Les brahmanes trouvent en elle « l'essence brahmanique », une entité en soi et par soi, qui fonde l'existence en fait et la prépondérance de leur caste. Il y aurait témérité à soutenir que, dans ce cas, nous possé- dons l'exemple d'un état social déterminé entraînant par

44 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

voie de conséquence l'admission d'un dogme précis; nous nous contenterons de noter que l'érection du Brahman en premier principe métaphysique accompagne l'institution de la prééminence de la caste brahmanique.

La vie pratique ne dut pas moins que la réflexion spé- culative se transformer sous l'influence sacerdotale. Le devoir propre à chacun, svadharma, selon la caste à la- quelle il appartient, est une tâche rigoureusement exigible, sous peine de cette exclusion qui fait des parias, rebut de la société. Le bien n'est pas le même pour un prêtre, pour un noble, pour un négociant, pour un serf; le comble de l'impiété réside dans la confusion de ces morales distinctes, comme le pire des maux réside dans la confusion des castes. Cette intransigeance repose sur l'autorité prise par la caste dirigeante, soucieuse de maintenir son éminente spécificité. En effet, le principe de l'irréductibilité de ces diverses mo- rales ne limite en rien la conviction que la vie sacerdotale l'emporte sur toute autre vie. Ici, encore, le brahmanisme théorise : il postule que l'agent moral non seulement ne vaut, mais n'existe que par les rites qu'il accomplit. L'en- semble de ces actes pies, les samskâras, expression que l'on peut rendre par sacrements est constitutif de la per- sonnalité humaine, qui s'en trouve confectionnée (sarnskrta). L'activité ne possède ainsi pas d'autres règles que le confor- misme religieux, et aucune sorte de ce dernier n'égale en dignité l'obéissance aux prescriptions brahmaniques.

Tout homme libre doit donc recevoir l'enseignement d'un précepteur appartenant à la caste privilégiée: enseigne- ment qui dure quarante huit ans pour l'étudiant de cette caste. L'existence de père de famille ne devient légitime qu'après l'initiation religieuse, que l'on obtient après s'être fait serviteur autant que disciple d'un maître (guru). Désor- mais, de même que la science parfaite est la connaissance

INTERVENTION DE FACTEURS NON BRAHMANIQUES 45

du Brahman (brahmavidyâ), la vie parfaite implique une conduite proprement brahmanique (brahmacarya). L'une et l'autre s'écartent de l'idéal védique, dont cependant les brahmanes se proclament les interprètes.

CHAPITRE II

INTERVENTION DE FACTEURS NON BRAHMANIQUES SOPHISTES, MATÉRIALISTES, YOGINS

La tradition védique, dont les héritiers directs ne réus- sissaient plus à maintenir l'authenticité, fut l'objet, aux abords du vi^ siècle avant J.- C, d'attaques passionnées de la part d'esprits soit hostiles, soit simplement étrangers à la discipline des brahmanes. Ces « indépendants » se peuvent classer sous trois rubriques: les sophistes, les maté- rialistes, les yogins.

lo Les sophistes. Une certaine dose d'irréligion paraît aussi ancienne que l'antique religion. Le Rgvéda renferme chose inconcevable s'il était, par destination, un manuel liturgique mainte raillerie à l'adresse des dieux. Ainsi, sa verve satirique s'égaie de l'ivresse d'Indra, grisé de soma. Lorsqu'il substitue à la théologie mytho- logique des premiers âges un commencement de réflexion philosophique, il se demande avec anxiété si les arcanes du non-être et de l'être comportent une intelligibilité, voire suprahumaine, et il n'aboutit qu'à poser un point d'inter-

46 HISTOIRE DE LA PHILOSOrHIE IXDIE^TXE

rogation (X, 129, 7). Ces deux traits, la veine sarcastique et la prédilection du doute, appartiennent à la physionomie des sophistes indiens comme à celle des sophistes grecs.

La sophistique n'est point une attitude exclusivement hellénique, mais un fait d'une certaine généralité (**). On l'a constaté, ce fait, dans la Chine mi-confucéenne, mi- taoïste des cinq derniers siècles antérieurs à notre ère. On le retrouve, diffus à travers un plus grand nombre de siècles, dans la civilisation indienne. En toute occurrence, il ré- sulte de conditions analogues : de l'hétérogénéité du milieu social, de l'instabilité politique, des contacts répétés avec des peuples étrangers, de cette démoralisation qu'en- traîne l'oubli graduel d'une religion jadis régnante. Or des circonstances de ce genre se perpétuèrent longtemps dans le milieu indien: l'extrême fragmentation sociale, diversifiée à l'infini, l'absence presque normale d'un pouvoir central étendu et fort ; de continuelles invasions : celle des Indo- Iraniens, celle des Yue-tchi et des Çakas, celle des Grecs, celle des Parthes; un certain discrédit du Védisme : voilà les conditions qui justifient l'apparition d'esprits alertes et frondeurs, libres de tout dogme, colporteurs de dialectique, vendeurs de conseils, dévoués au plus offrant, d'accord seulement pour dauber la naïveté des croyants. Un rôle considérable sera dévolu aux nombreuses générations de ces mécréants, ardents à dissoudre la civilisation antérieure et à répandre des notions nouvelles; ils n'auront dit leur dernier mot que lorsqu' auront été fondées de fortes disciplines intellectuelles et morales, qu'ils auront, pour leur part, con- tribué à instituer : tel le Bouddhisme, tel encore le Brah- manisme ultérieur, entré en possession d'une exégèse, d'une dialectique, d'une philosophie.

Deux sources principales nous renseignent sur cette sorte d'esprits: la plus vieille littérature bouddhique, qui

INTERVENTION DE FACTEURS NON BRAHMANIQUES 47

leur est plutôt favorable, et le MahâbKàrata, dont l'ins- piration brahinanique se montre sévère à leur égard; les jugements portés ici et se complètent et peuvent être tenus pour vrais dans la mesure ils s'accordent. Or, ils attestent l'existence de dialecticiens errants, négateurs de f autorité du Véda (Vedanindaka), se targuant de posséder l'omniscience (panditamâninas), parce que leur talent de rhéteurs les rendait également aptes à soutenir le pour et le contre.

La persuasion de l'universelle relativité paraît avoir rendu ces sophistes aussi sceptiques sur la possibilité d'ob- tenir une connaissance rationnelle du vrai, qu'hostiles à l'idée d'une révélation. Les boutades, les diatribes qu'ils décochaient contre le dharma en tant que loi religieuse, ne déconsidéraient pas moins la prétention de déterminer un dharma, ordre du monde et règle de moralité. Leur véhément immoralisme sonne comme un écho des sarcasmes déjà nietzschéens de Calliclès; dans l'Inde comme en Hellade la seule réponse décisive à ces effrontés « libertins » sera raffirmation qu'il existe des lois «non écrites», mais inhé- rentes au fond de l'être comme au cœur des hommes.

Les matérialistes. Les premiers adversaires de la religion védique n'ont pas tous suspendu leur jugement ou prononcé avec une sereine indifférence des avis divers sur les problèmes métaphysiques; il s'en trouva qui crurent asseoir l'irréligion sur des bases solides en instituant une doctrine matérialiste. Leur ironie à l'égard de la révélation veut être aussi acérée que celle des sophistes, mais le dog- matisme l'alourdit. Ces gens qui n'admettent d'autre critère de vérité (pramâna) que la perception (pratyaksa), mais qui, à la différence des dialecticiens, la tiennent pour véridique, croient trouver dans la substantialité massive de la matière des données plus fermes que dans l'agilité de l'esprit.

48 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Ce dernier, à leurs yeux, n'est qu'un épiphénomène sans portée (nirârthika). En niant son existence à part du corps, comme ils nient l'origine surnaturelle et la valeur religieuse du Véda, ils méritent le nom de nâstikas, néga- teurs. Mais leur négation s'arrête devant les données sen- sibles; à la façon du vulgaire (loka) ils tiennent pour bien fondé le monde sensible (loka); d'où leur épithète de Lokâ- yatas. Ils ne possèdent pas encore l'arsenal d'arguments dont ils feront usage plus tard pour défendi'e leurs thèses; mais, dès cette époque, ils ne doutent point que seuls les corps existent, et qu'ils se résolvent en une pluralité d'élé- ment immuables. Toute loi n'est à leurs yeux qu'une bali- verne; ils n'obéissent pas à d'autre règle que le plaisir (kâma) et se parent de leur sobriquet, les goinfres, Cârvâ- kas (").

Cependant ne nous pressons pas trop de reconnaître dans ce type d'hommes une sorte de pendant de l'épicurien gréco-romain ou des sectateurs de Yang-Chou; ils décon- certeraient de semblabl3s assimilations par des caractères spécifiquement indiens. iVinsi ces jouisseurs ne sont pas simplement des pessimistes comme certains adeptes de l'épicurisme; ils vient en ascètes, couronnés non de fleurs mais de crânes; couverts non de parfums mais de cendres. Non pas qu'ils croient à la valeur de la pénitence, car ils la raillent et la méprisent; mais ils veulent rester libres d'attaches avec le monde, ne fût-ce que pour être plus à même d'en Jouir. Sans retenue ni réserve ils se livrent, un certain jour de l'année, à une débauche collective. Ce mo- nachisme latent, ce goût d? l'ascétisme vont nous apparaître un signe des temps.

30 Les Yogins. La même époque atteste encore l'exis- tence d'autres rivaux du Brahmanisme: ceux-ci se montre- ront assez étrangers au Védisme pour l'ignorer, sans même

INTERVENTION DE FACTEURS NON BRAHMANIQUES 49

daigner le combattre; non moins individualistes que les sophistes, ils ne composent pas, comme les matérialistes, une secte; ils posséderont en commun avec eux, mais exa- cerbée à son paroxysme, la passion pour la vie ascétique.

L'existence de l'anachorète, retiré dans la solitude des forêts, et celle du mendiant errant, non moins détaché de la vie commune, ont toujours exercé un souverain prestige sur les âmes indiennes. Pour mener ces sortes d'existences, peu importe la caste dont on est originaire; l'affiliation à un groupement social n'est même pas nécessaire. Les austé- rités vécues ainsi en marge de toute société, à l'écart de l'ambition comme de l'hypocrisie, ne présentent aucune affinité avec la religion védique, non plus qu'avec le confor- misme brahmanique, mais par leur sincérité, leur désin- téressement, elles forcent le respect de tous; ceux même qui vivent de l'autel ne peuvent refuser de reconnaître l'éminente vocation religieuse de ces âmes étrangères à leur culte. En d'autres termes un second type de religion surgit, exempt en principe de dogme et de liturgie, mais possédé par la conviction que le mépris de l'intérêt personnel, à la satisfaction duquel les prêtres utilisent le sacrifice, et que le détachement intégral ont plus de prix que quoi que ce soit.

L'ascétisme de ces anachorètes leur tient lieu de spé- culation comme de morale: nous sommes loin du t3mps oii le Yoga deviendra un système métaphysique. Il ne con- siste encore qu'en un repliement de l'individu sur lui-même» abstraction graduelle du monde extérieur, assoupissement des sens, concentration dans le for intérieur. L'être se trouve alors, selon une expression qui explique le fond de cette discipline, yukta, c'est-à-dire concentré, en pleine posses- sion de tous les éléments de sa vie, de même qu'une roue se trouve bien « jointe » quand les rais s'insèrent avec pré- cision dans le moyeu. Cette emprise volontaire, cette étreinte 4

50 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

tenace des fonctions vitales, régies de façon décisive parce qu'elles sont saisies et maîtrisées à leur principe même, les Yogins des premiers âges la concevaient comme une discipline des souffles C'). Une physiologie pneumatique comparable à celle des « esprits animaux v , voilà le postulat fondamental; une ascèse très particulière, qui se réalise par des exercices de gymnastique respiratoire, pour acquérir la direction de nos propres fonctions ou facultés, telle est la conséquence.

Une semblable pratique ne suppose que comme ses con- ditions préliminaires la continence, les privations, l'endu- rance à la souffrance. Vu du dehors, le Yogin semble figé dans l'inertie d'un stylite, la plus puissante volonté s'obstine à suspendre toute manifestation de l'activité, arrêtée souvent dans des postures ardues à maintenir. Mais l'insensibilité extérieure que vulgarisèrent les fakirs musul- mans ne vaut que par la concentration interne ; celle-ci n'exige pas, elle appelle toutefois la contention spirituelle qui procure au Yogin, dans la possession de soi, des pouvoirs surhumains. Les uns appartiennent à l'ordre de la foi : la lévitation, l'ubiquité, la théurgie. D'autres, d'apparence moins merveilleuse, ont plus de portée philosophique: telles la conquête d'une félicité soustraite à toute vicissitude, la coïncidence avec un principe de vie que l'on peut t-enir pour identique à celui de la vie universelle.

Ainsi se justifient les ambitions, les enthousiasmes de ces héros de l'ascèse, dont le renoncement, le désabusement ne font que receler en secret un grandiose optimisme: la certitude d'arriver à la possession de sa propie existence et de tout l'être.

CHAPITRE m

LA SYNTHÈSE BRAHMANIQUE L4NS LES PLUS ANCIENNES UPANISADS

Recueillie dans son orgueilleuse prééminence, la caste sacerdotale ne pouvait cependant procéder à sa tâche essen- tielle — la systématisation du Védisme tel qu'elle le compre- nait — en s' abstrayant tout à fait du milieu elle se trouvait plongée. Bon gré, mal gré, elle dut subir des influences non brahmaniques. L'irréligion travaillait contre elle, mais la servait à certains égards, en discréditant les mythes antiques, auxquels sa propre fidélité était fort suspecte. La discipline du Yoga préconisait un idéal de vie non seulement distinct du sien, mais sous maint rapport opposé; elle suggérait une conception pneumatique de la nature humaine sans corrélation avec les notions brahmaniques. C'est en partie sous l'action de ces facteurs adverses ou étrangers que le système brah- manique s'épanouit dans les Aranynkas et les Upanlsads «anciennes (^®).

Le terme comme le concept d'âranyaka équivalent à un symptôme. Les textes désignés de ce nom passent pour servir d'instruction spirituelle aux brahmanes retirés « en forêt » (aranya) ; mais on n'aperçoit guère par quelle nécessité des prêtres auxquels incombe un culte complexe, gagne-pain de ses servants et exercé pour l'obtention de fins mondaines, feraient retraite loin des habitations humaines. On ne com- prend pas davantage pourquoi les spéculations sur les rites qui s'y rencontrent devraient ainsi être communiquées loin

52 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

des autels sont préparées les ressources de la liturgie. Combien n'est-il pas vraisemblable que ces « méditations d'ermitage» attestent une accommodation des brahmanes à cette existence d'anachorètes, prônée par tant de sectes rivales ! Examinés de loin, dans le recul de la solitude, à l'écart des traditions sacerdotales, c'est-à-dire, en somme, considérés par des yeux qu'une manière de voir nouvelle libère à quelque degré de V « équation » professionnelle im- posée par la prêtrise, les rites peuvent apparaître doués d'une signification allégorique ; mais on a si bien le sentiment du caractère insolite, même paradoxal, de cette exégèse, que l'on ne la révèle qu'en secret, dans l'isolement et le mystère. Au surplus la valeur accordée par ces textes aux austérités (tapas) semble tout à fait indépendante de leurs théories relatives au sacrifice.

Dans les Upanisads, l'ésotérisme s'accentue encore. Quelle que soit l'origine littérale du terme qui les désigne enseignement recueilli avec vénération, d'un maître auprès duquel on siège (upa— sad); ou bien gnose contemplative, adoration (upa sthâ) ce terme connote une révélation sacrée. Le rite n'y intervient que comme prétexte ou allu- sion: la spéculation se donne libre cours. Des pensées dans une certaine mesure personnelles, malgré le caractère à peine historique des noms cités, commencent à transparaître: un Yâjnavalkya, un Çândilya, un Naciketas, un Çvetaketu furent les premiers métaphysiciens. Mais ces patriarches du Brahmanisme montrent, à la difïérence des auteurs des Brâhmanas, le plus grand respect pour le Yoga. L'analyse des thèmes essentiels des plus authentiques Upanisads, dont les deux premières, la BrhadârtDiyaka et la Chaxdogyu, re- montent environ au vi^ siècle, montrera, parmi l'ampleur de la synthèse nouvelle, l'importance des influences étrangères d'ores et déjà imposées au Brahmanisme.

LA SYNTHÈSE BRAHMANIQUE 53

10 Métaphysique. Le Brahman, en lequel les Brâh- luanas reconnaissaient l'Etre suprême, demeure dans les Upânisads le premier principe. Mais la thèse fondamentale de ces derniers textes consiste à présenter comme identique au Brahman une nouvelle conception de l'absolu, l'Atman.

On désigne sous ce nom le soi-même de chacun; mais le pronom personnel réfléchi en vient à signifier le for inté- rieur, disons: l'âme. D'autre part, quoique âtman n'ait pas pour acception primitive le sens de souffle, ce mot s'ap- parente à d'autres termes indo-européens qui ont cette valeur; dans la mesure il pouvait connoter le souffle vital, il se trouvait prédestiné à signifier « anima » ou « spi- ritus»; le fait est, qu'il impliquait une fort ancienne affinité a.vec l'idée de vent (vâta). L' âtman d'une réalité, quelle qu'elle soit, désigne sa plus essentielle substance. Dans ces con- ditions ce terme qui peut s'appliquer tant au fond de nous- mêmes qu'au fond des choses, ce concept qui enveloppait à la fois l'immanence en tout être et la transcendance à l'égard de chaque être, étai^é^t voués à traduire la notion d'absolu {'^). '

Mais pourquoi, dira-t-on, ce nouveau vocable usité comme synonyme de Brahman ? Une semblable question pose le problème de l'interprétation des Upânisads. Les Brâhmanas tenaient pour établi que la substance même du monde est la Parole rituelle, le Brahman. Venant à leur suite, les Upânisads, pour faire comprendre que l'homme renferme en lui-même le principe de toutes choses, affirment que le fond de son être, son âtman, ne fait qu'un avec la Parole rituelle, réalité même des choses. Identifier l'Atman au Brahman, c'est ainsi une façon de déclarer que F âtman est l'absolu, ou, si l'on préfère, que tout est âme. La décou- verte métaphysique des Upânisads consiste en ce que l'homme s'y reconnaît homogène au premier principe; cela supposait

54 HISTOIRE DE LA PtULOSOFHIE INDIENNE

que ce dernier fût, au préalable, doué de spiritualité. Dès lors, par contagion mutuelle, les deux concepts s'assimilent l'un à l'autre: le soi prend une valeur d'universalité, la Parole rituelle une valeur d'intériorité, l'absolu se découvre non seulement dans la puissance de l'incantation, mais dans l'esprit universel : du ritualisme magique on s'est élevé à la mysticité. Les Upanisads soulignent l'importance de cette révolution intellectuelle en répétant ce résumé de leur enseignement: le Brahman, c'est toi-même, « voilà ce que tu es» (tat tvam asi); c'est-à-dire: ton Atman est le Brahman, car le Brahman est un Atman.

Ce caractère spirituel attribué à l'absolu n'en donne qu'une approximation et ne l'afïecte d'aucune relativité. Le Brahman- xA.tman renferme «éminemment» les perfec- tions incluses en notre nature, en particulier l'esprit. Mais en soi il est autre et plus que l'esprit, comme il est autre et plus que toute détermination. Le seul nom qui lui con- vienne, en vérité, c'est « ni ceci, ni cela »; « non, il n'est point cela, ni cela non plus » (neti, neti). Supérieur à toute oppo- sition, il réside en son immuable éternité. Mais justement parce qu'il ne se confond avec aucune réalité particulière, il peut à certains égards demeurer en toutes, et, comme tel, fondar leur existence. Ce que l'on recherche dans les êtres, c'est lui; ce qui anime tout, c'est lui. La vie qui palpite en nous, la pensée qui s'éveille en nous, c'est lui. Il se trouve recelé en nous-mêmes comme le couteau dans son étui, comme le scorpion dans son nid. En moi il se fait petit comme le pouce, petit comme l'image hiimaine qui se reflète dans la pupille, petit comme un grain de riz; mais c'est le même qui, plus grand que le temps, que l'air, que le ciel, déborde tous les mondes. En aucun pays, aucun philosophe n'a exprimé en de plus saisissantes formules que celles des Upanisads, la transcendance et l'immanence de

LA SYÎSTTHÈSE BRAHMANIQUE 55

l'absolu à l'égard du relatif; l'abstraction métaphysique s'isolant volontiers de tout caractère tenant à l'ambiance indienne, un Schopenhauer a pu saluer dans ces documents, si lointains par l'exotisme et le recul des temps, maints adages de la « perennis philosophia », plus vigoureusement frappés, bien souvent, que chez un Plotin ou un Spinoza.

Loin de nous d'ailleurs la pensée que le jugement porté par le philosophe allemand sur le sens de ces textes résiste à une information plus critique et moins incomplète que la sienne: nous ne souscririons pas à cette assertion, que la doctrine ici exposée coïncide avec celles de Platon et de Kant C'^). Les Upanisads renferment non pas une, mais plusieurs métaphysiques. Rien de plus aisé que de les inter- préter au sens d'un monisme idéaliste; s'il n'existe que le Brahman-Âtman, il n'y a qu'irréalité en nous et dans le monde, pour autant que nous et le monde différons de lui. Dès lors la nature est une illusion, une fantasmagorie, mâyâ. Mais cette opinion que défendront certains docteurs du Védânta et dont le germe se rencontre dans la Çveta- çvatara Up., ne s'impose nullement dès l'abord, et elle trouva toujours des contradicteurs. Un pluralisme réaliste, tel que celui qui se traduira dans le Sâmkhya, ne se réclame pas moins des Upanisads, et peut invoquer le témoignage des plus anciennes. Une sorte de monadisme peut résulter de la conviction que tout esprit, voire tout être, est comme moi-même fondé en l'Âtman. L'ambiguité de cette i)re- mière philosophie fut la condition de sa prodigieuse fécon- dité.

20 Psychologie et Cosmologie. Dès cette époque, la pensée indienne comprend qu'une théorie de l'être, celle que nous venons d'exposer, ne saurait suffire. En totalité ou en partie illusoire, le relatif, le phénomène, demande à être justifié comme tel. Ajoutons qu'il doit l'être en tant que

56 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

sujet et en tant qu'objet; car depuis la conception védique établissant par le sacrifice une sorte de continuité du micro- cosme au macrocosme, l'un et l'autre point de vue demeurent solidaires.

La notion que les Upanisads se font de l'âme indivi- duelle est loin de présenter la sereine assurance de leur théorie sur l'absolu. Descendants des Indo-Iraniens adora- teurs du feu et de la lumière, les techniciens d'un sacrifice dont le véhicule ordinaire était le feu, se plaisaient à pro- clamer le caractère igné, ou tout au moins lumineux, de l'esprit: d'innombrables expressions ou métaphores l'at- testent dans le vocabulaire védique, et, quoique beaucoup se soient perdues, un certain nombre d'entre elles persis- tèrent dans la pensée ultérieure. Mais les Brâhmanas déjà, et surtout les Upanisads désignent aussi le principe spiri- tuel comme un air vital qui préside aux diverses fonctions: prâna, l'expiration; apâna, l'inspiration; v^^âna, le maintien de la vie pendant les interruptions momentanées de la res- piration; samâna, la digestion; udâna, le délaissement du corps par l'âme. L'élément lumière (tejas) et l'élément souffle (prâna) s'associent non sans incohérence, malgré d'ingénieux efforts pour les accorder, par exemple en inter- prétant les souffles comme des feux. Le disparate ne pa- raîtra surprenant que si on néglige de reconnaître dans l'hy- pothèse ignée l'influence védique, et dans l'hypothèse pneu- matique l'influence du Yoga.

Sur cette base physiologique: une théorie des «esprits animaux» avec le cœur pour organe central, repose la psy- chologie proprement dite. Non pas que l'Inde se représente le corps et l'âme à la façon de deux substances juxtaposées, quoique antithétiques; elle admet au contraire une simple hiérarchie de fonctions, les unes toutes matérielles, d'autres purement spirituelles, celles-ci réunies à celles-là par des inter-

LA SYNTHÈSE BEAHMANIQUE 5T

médiaires. Ainsi le cœur, siège de la vie, est par surcroît siège des fonctions intellectuelles inférieures. Il se trouve en rapport avec deux groupes de cinq organes (indriyâni) ; les uns de sensation: audition, vision, olfaction, goût, tact ; les autres d'action: parole, préhension, génération, éva- cuation, marche. La corrélation des impressions sensibles et des réactions motrices est assurée par l'unicité du principe qui préside à celles-ci comme à celles-là: le manas. C'est lui qui coordonne les qualités sensibles: il les interprète en y mêlant des données qui lui sont propres et qui consti- tuent, à strictement parler, l'objectivité (dharma) : ce autour de quoi se groupent les données des sens en une unité multiple qui est, sous un certain aspect, la perception, et sous l'autre aspect l'objet en tant que phénomène perçu. Cette fonction rappelle ainsi la xo^v-r] aia^iriaf.- d'Aristote, avec cette réserve que, loin de scinder les sens et l'intel- lect, ou les impute indistinctement au manas; elle rappelle à d'autres égards la synthèse Kantienne de l'aperception, en ce sens que l'organisation des impressions reçues, et même la possibilité d'en recevoir, dépendent d'une opération psychologique. Rien de plus caractéristique de l'attitude indienne, que le doublement de ces attributions perceptives par des attributions motrices. On ne saisirait qu'une face de la question si l'on se bornait à comprendre cette corré- lation à la façon européenne, comme une réaction régie par une impression; il est au moins aussi conforme à l'esprit indigène, de tenir les fonctions perceptives pour façonnées par les actes antérieurs et, par conséquent, pour solidaires des organes d'action. Ajoutons que si le manas apporte des données qui lui sont propres dans l'élaboration de l'objet perçu, il n'en introduit pas moins dans l'activité qu'il ma- nifeste; il n'opère par les organes d'action que parce que sous un certain aspect il est volonté. D'où l'acception com- plexe du terme de samkalpa, qui connote les opérations

58 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE IXDIEXNE

du manas: il désigne aussi bien, s'il était permis d'user d'expressions européennes, d'ailleurs inadéquates, un ordre des volitions qu'un ordre des représentations.

Le manas transmet les résultats de son activité à une fonction qui les intégre à une conscience: «l'agent du moi» (ahamkâra). Dès lors ces résultats sont attribués à ce «je pense» qui constitue, au jugement aussi de notre psychologie, la forme générale de nos faits de conscience. Mais le moi transmet à son tour son contenu à une fonction supérieure, la «grande» (mahat), ou encore le jugement, la décision, buddhi. Trop souvent ce mot est, au prix d'un faux sens, traduit par «raison»; maintes méprises en peuvent résulter, soit que l'on entende par un voûç renfermant un monde d'idéaux, soit que l'on se représente une « Vernunft » législatrice, imposant ses normes à un « Verstand ». Buddhi connote la « pensée » tout court, qui apprécie, opère et se détermine en considérant tant le moi que les données perçues. Aucune connaissance supérieure ne se manifeste dans l'ordre de l'esprit empirique.

L'esprit empirique ainsi conçu ne ressemble que de fort loin à la pure spiritualité du Brahman-Atman. Le coefficient de relativité qui affecte l'âme individuelle con- siste en ce qu'elle se sert, pour entrer en action, de « l'organe interne » que constituent le manas, l'akarnkâra et la buddhi. Cet organe interne qui joue à l'occasion non seulement des perceptions actuelles, mais aussi des perceptions antérieures, se souvient du passé, anticipe l'avenir. Il exprime la persis- tance des impressions et des actes passés dans l'existence actuelle, faite ainsi de samskâras; car la vieille notion ritua- listique des actes pies constitutifs de l'agent moral, trouve dans cette psychologie un sens nouveau: elle désigne les éléments de notre individualité psychophysiologique. Mais cet organe interne avec ses facteurs composants, loin d'é-

LA SYNTHÈSE BRAHMANIQUE 59

quivaloir à l'esprit, n'est qu'un linga, un caractère adventice enveloppant de conditions contingentes (upâdhi) notre véritable essence,

A cette dialectic[ue de l'illusion psychologique corres- pond point par point une dialectique de la cosmologie. Les organes internes mettent l'âme empirique en rapport avec les éléments grossiers: terre, eau, feu, air, étlier; l'organe interne, avec les éléments subtils, c'est-à-dire simples, dont sont formés les autres. Ceux-ci comme ceux-là sont des aspects de l'objectivité, des dharmas: terme qui forme ainsi, dans l'ordre de l'objet, un pendant exact du terme de samskâra dans l'ordre du sujet. Les deux ordres se déve- loppent en un parallélisme que les auteurs des Upanisads se plaisent à préciser dans le menu détail, esquissant des schémas savants et puérils, la physiologie, la psychologie, la cosmologie, la mythologie, sous l'égide de la liturgie, s'afïirnient équivalentes. L'intelligibilité du relatif par clas- sification est caractéristique de cette phase.

Morale. - Les théories de l'être et de l'apparence ne sauraient demeurer extérieures l'une à l'autre ; car l'individu humain, à la fois phénomène et réalité, est amené, en réflé- chissant sur sa nature, à donner une valeur différente aux deux aspects de son être et à se comporter de façon fort diverse selon qu'il agit en fonction de l'un ou de l'autre.

L'action ne posait, dans l'ordre du Védisme, aucun pro- blème métaphysique. Toute activité rituellement correcte était bonne, et le culte ne demandait qu'à servir les intérêts terrestres, les seuls qui fussent imaginés et désirés. Mais il en va tout autrement désormais: il s'est trouvé des mécréants pour discréditer le culte, et d'autre part des tempéra- ments trop religieux pour restreindre leur ferveur dans les limites de la ponctualité rituelle. Une fièvre de renonce-

60 HISTOIRE DE LA l'HILOSOPlIIE INDIENNE

ment a secoué les âmes. Les biens de ce monde ne semblent plus qu'illusions; s'en déprendre, c'est s'initier aux valeurs véritables. Une défaveur affecte l'action, qui distrait l'es- prit de sa propre essence, et le contamine de corporéité. On reconnaît l'influence de la doctrine yoga de la concen- tration. En outre, au lieu de souhaiter que la piété d'un fils assure la persistance de son père défunt par des offrandes substantielles, voire succulentes, les hommes redoutent maintenant que, dans l'au delà d'après la mort, une seconde mort (punarmrtj^u) fasse perdre aux trépassés leur existence de mânes et les ramène en cette vie abhorrée. Une obsession, une hantise tenaillent les âmes: non la crainte de mourir, mais l'appréhension de continuer à exister ; ce que l'on craint de la mort, c'est la possibilité qu'elle ouvre d'une autre vie. Nous devrions dire: la né- cessité, car la métempsy chose, empruntée peut-être à l'ani- misme du milieu non aryen, apparaît à présent sous forme d'une exigence morale et métaphysique inéluctable, la loi de transmigration, x(nyimr(i{''^).

L'idée de transmigration, qui aiguillera la spéculation indienne, dans sa totalité, en un sens différent de toute autre civilisation humaine, résulte ainsi, dans les Upanisads, du bouleversement de l'ancienne eschatologie sous l'influence d'une théorie nouvelle de l'action (karman). Quand l'Aryen védique souhaitait de vivre sa vie «entière» (sarvam âj^us), il pensait que son existence pouvait se prolonger par delà le trépas pendant une durée indéfinie, dans le royaume des Pères, à la condition que les offi'andes funéraires assurassent l'alimentation de son âme; il appréhendait donc, non le trépas, simple crise de notre existence, mais une cessation d'existence dans l'au-delà. Les auteurs des Brâhmanas compliquèrent le problème en distinguant plusieurs des- tinées des défunts. Les âmes demeurées fidèles à leur essence

LA SYNTHÈSE BRAHMANIQUE 61

lumineuse s'acheminent vers le séjour des dieux (devayâna), le ciel (svarga), auquel par nature elles sont vouées. Les âmes ténébreuses des Pères (Pitrs, pitaras) et des êtres in- férieurs continuent, sans que leur persistance fasse question, à durer quelque temps au moins dans l'au-delà, mais courent le risque de s'y dissoudre en une seconde mort, éventuel anéantissement. Des rites spéciaux parent à ce danger. La nouveauté qu'ai)portent les Brâhmanas et la Chândogya Up. consiste en ce qu'on entend dorénavant par karman non plus l'acte rituel aussi bienfaisant que sacré, mais une activité génératrice d'existence, malfaisante puisque l'exis- tence est jugée mauvaise. Le bien suprême d'autrefois devient l'expression même d'un péché métaphysique. Si certaines âmes vont au séjour des dieux ou encore au Brah- man, c'est qu'elles ont réussi à s'abstenir de l'action ; les autres sont assujetties à parcourir les régions de l'univers en une pérégrination circulaire, dont le caractère, favo- rable ou non, dépend des actes accomplis avant la mort. Les Upanisads postérieures affirment avec netteté que l'accès au Brahman s'acquiert par la connaissance de l'ab- solu, non autrement; que si les actes mauvais entraînent des destinées funestes, les bons provoquent eux aussi des rétributions, et par suite n'asservissent par moins l'homme à des renaissances. Toute vie exprime une rémunération : le seul moyen d'échapper aux vies ultérieures comme à la vie actuelle consiste à cesser d'agir.

On ne saurait exagérer l'importance d'une semblable transformation morale. La religion traditionnelle, bien qu'elle doive se maintenir indéfiniment, se trouve en prin- cipe disqualifiée: les actes pies les plus méritoires, la libé- ralité même envers les brahmanes, rivent l'âme à des exis- tences toujours nouvelles: ils ne valent pas mieux, méta- physiquement, qu'une conduite coupable. Seul importe

62 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

l'effort pour dépasser le bien comme le mal, en se dérobant à la loi de l'acte, pour s'évader de la vie comme de la mort. Rien de moins védique, rien même de moins brahmanique ; le principal de tout l'enseignement des brahmanes comme de la quasi-totalité des entreprises pratiques et spécula- tives de l'Inde, procédera désormais de cette unique volonté, tenace et obsédante: trouver une issue permettant d'é- chapper à la servitude de la transmigration.

Au problème moral, qui est donc un problème de dé- livrance, deux solutions au moins sont déjà signalées. La première s'inspire du Yoga: il s'agit, par rétraction sur soi-même, de trouver refuge dans cet « âkâça (éther) rempli d'air, équiA'-alent au Brahman», qui réside en notre cœur comme en un sanctuaire (Brh. V, 1; Chând. viii I, 1). La con- centration offre certes de pénibles difficultés; mais le patient héroïsme de l'ascète y exalte sa farouche obstination : il s'ingénie à découvrir le secret de vivre sans agir, par la renonciation à la vie selon la nature, par une perpétuelle violence faite aux conditions normales de la vie. Il ne craint pas, au besoin, de tordre à rebours de leur destination naïvement pragmatique ses facultés intellectuelles: ainsi la buddhi, de suprême organisatrice d'une expérience illu- soire, se peut convertir en une fonction qui nous « éveille » à la vérité, si nous la soustrayons au service de l'appétit ou de l'intérêt (kâma, artha). Il suffit de comprendre que l'ordre de l'expérience commune n'est qu'un songe, tandis qu'un processus tel que le sommeil sans rêves, qui nous ré- sorbe en notre intime essence, est l'éveil véritable.

La seconde solution, moins étrangère au Brahmanisme primitif, qui tenait le principe spirituel comme doué d'une lumière propre (tejas), consiste à placer toute sa confiance, tout son espoir de salut dans la connaissance (jnâna). Elle seule dissipe l'illusion en la perçant à jour; elle seule af-

LA SYNTHÈSE BRAHMANIQUE 63

franchit de façon décisive, car elle supprime l'erreur qui asserr vissait. Voilà pourquoi il suffit de connaître le Brahman pour échapper à la mort; on esquive par surcroît toutes les dé- ficiences de la vie. Désormais une tendance prédominante à l'intellectualisme emporte la spéculation indienne, dont le ressort interne, sans cesser d'être religieux, devient philo- sophique.

L'ampleur des problèmes nouveaux ne représente qu'un aspect de l'originalité du Brahmanisme à l'égard du Védisme. Entre celui-ci et celui-là, quoique l'un se donne pour seul héritier légitime de l'autre, s'ou\Te un abîme. La durée d'une longue évolution des idées védiques ne paraissant pas suffire à expliquer une transformation qui équivaut à un renversement des valeurs, l'intervention de facteurs peut- être non aryens, sûrement non védiques, nous a paru hautement significative. Si les Védas ont vu le jour sur les confins de l'Hin- doustan, quelque part entre l'Iran avestique et le Penjab, le pays furent composés les Brâhmanas s'éloigne des ori- gines indo-iraniennes et se situe sans doute dans la région de la Yamunâ et du Haut-Gange, devait exister une civilisa- tion inconnue de nous, mais antérieure à la conquête aryenne. De l'un de ces groupes de textes à l'autre, la langue s'est profondément modifiée; mais le sanscrit, désormais constitué, est déjà ce qu'il semble avoir toujours été, une langue savante, distincte des idiomes parlés, qui d'ailleurs s'apparentent à lui comme ils procèdent aussi du védique. Nous n'apercevrions qu'une façon de combler la lacune qui sépare ces deux littératures : ce serait de refuser au Védisme le rôle de phase indépendante, antérieure au Brahmanisme. Ce dernier, considéré déjà en lui-même, est le système d'une caste, plutôt que la croyance d'une race: il participe à l'artificialité de la langue il s'exprime. Le Védisme, dont le sens nous apparaît, bon gré mal

64 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

gré, glosé par le Brahmanisme, peut sembler, à certains égards, une abstraction greffée sur une autre; pour réagir contre l'exégèse simpliste qui voyait dans le Rgvéda l'ef- fusion d'une naïveté primitive, plus d'un historien a été tenté de dénoncer dans les hymnes l'œuvre factice d'une liturgie déjà brahmanique: il n'y aurait jamais eu, dans cette hypothèse, de « période védique », à proprement parler. Si obscure que soit la reconstitution de ces premiers âges, il nous paraît que la base indo-iranienne du védisme ne saurait se réduire à l'invention d'un corps sacerdotal, et qu'à l'origine d'une entreprise technique et adventice, dut exister un fonds de religion vécue par de grandes masses humaines. Mais ce ne sera pas la seule circonstance nous devrons constater que les documents littéraires ne nous ren- seignent que sur une portion du milieu dont ils émanent, et remarquer que les systèmes de l'orthodoxie traditionnelle ne reflètent qu'une partie du génie spéculatif de l'Inde. En ne méconnaissant jamais la part, très malaisément déter- minable, certes, des autres inspirations, nous risquerons moins de nous méprendre dans la suite de cette histoire et nous tiendrons le Brahmanisme, dès ses origines comme à travers sa destinée, pour le facteur le plus évident, mais non pas, peut-être, le plus opérant, de la civilisation indienne.

TROISIEME PARTIE

LA PENSEE JAINA ET LA PENSEE BOUDDHIQUE PRIMITIVES

Les doctrines sophistiques et matérialistes qui se firent jour au VI® siècle avant notre ère n'eurent pas pour seule con- séquence une réaction des interprètes de la tradition vé- dique, réaction qui s'exprima dans la formation des dogmes spéculatifs du plus ancien brahmanisme. La véhémence de leur athéisme, la virulence de leur immoralisme impli- quaient outre la négation de l'autorité des Védas, le refus d'admettre une loi morale quelconque. Si tout se produit soit par l'effet d'une nécessité aveugle, soit par hasard, soit par « la nature des choses » (svabhâva), vertu et vice s'équi- valent, et la vie religieuse n'est que vaine duperie. Ces conséquences pratiques d'une complète indépendance de pensée paraissent avoir soulevé la réprobation des éléments même non brahmaniques de la société indienne, en parti- culier de la caste nobiliaire qui, sans vivre du culte védique comme la caste des brahmanes, devait cependant à l'en- seignement donné par ces derniers une formation intellec- tuelle supérieure à celle de tous les autres éléments de la même société.

De fait, c'est à l'intérieur de la caste ksatriya que vont apparaître les fondateurs et du jainisme et du bouddhisme. L'un et l'autre, quoique exempts d'attachement au culte brahmanique, croiront avec ferveur à la nécessité, à la

5

66 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

vérité d'une loi morale et religieuse; ils consacreront leur activité non à construire des systèmes théoriques, mais à justifier un certain mode de vie et à fonder des communautés organisées sur ce type.

Ce primat de la pratique, en contraste avec le dogma- tisme brahmanique, atteste une crise morale dont les ré- percussions seront décisives pour l'avenir de la civilisation indienne. L'idée védique de loi, dharman, qui ne suffit plus même aux brahmanes et qui fait l'objet des sarcasmes des nâstikas, va subir une transformation pour se muer en la règle de deux religions nouvelles, dharma. Les initiateurs de ces deux religions auront beau subir le prestige de la sophistique beaucoup plus fortement que celui du védisme; ils ne transigeront pas lorsqu'il s'agira d'adopter avec toutes ses conséquences une conception nouvelle de l'activité humaine, en fonction de laquelle précisément se trouve bouleversée la notion de loi. La part du matérialisme cârvâka dans l'élaboration du système jaina pourra être considérable ; le Bouddha et ses adeptes des premiers siècles pourront se comporter comme d'authentiques sophistes : les deux sectes n'impliqueront pas moins cette commune persuasion, que le sort de l'homme dépend de ses œuvres, que l'existence est ainsi régie par la pratique, et que le moyen d'échapper aux conditions asservissantes de l'existence consiste à s'abstenir de tout acte.

Nous avons constaté, au chapitre précédent, que cette appréciation pessimiste de la vie humaine et que la croyance à une indéfinie transmigration s'étaient imposées au brah- manisme, malgé leur caractère extra- védique. Elle obsèdent les initiateurs tant du jainisme que du bouddhisme et leur assignent le problème essentiel auquel ils s'efforceront de trouver une solution, en toute liberté d'esprit, puisqu'ils

LE JAINISME 67

n'auront, pour y parvenir, à tenir compte d'aucun dogme antérieur. Leur anxiété de résoudre ce problème pratique est telle, qu'à leurs yeux les attitudes spéculatives si diverses prises par leurs contemporains, en cette époque de désarroi moral et d'anarchie intellectuelle, ne les inté- ressent que par les théories de l'acte C[u'elles impliquent.

Bouddhistes négateurs de l'existence de l'âme indivi- duelle et Jainas partisans d'une semblable existence s'accor- dent à classer les systèmes rivaux des leurs en deux catégories, selon qu'ils sont adversaires ou adeptes de l'autonomie morale de la personne humaine, akri3'^avâdins ou kriya- vâdins (^^). Bien que la première épithète convienne aux Boud- dhistes et la seconde aux Jainas, les uns et les autres ne con- çoivent pas d'autre but à l'effort religieux que l'affranchis- sement à l'égard de la transmisgration.

Les religions nouvelles, en effet, ne supposent point d'autre croyance que celle-là. Prêchées par des hommes le plus souvent étrangers à la caste des brahmanes, elles ne tiennent aucun compte du groupe social auquel appar- tiennent par leur naissance les individus et recrutent leurs fidèles aussi bien en dehors qu'au sein de la société brah- manique : indice certain qu'au vi^ siècle la moitié même occidentale de la vallée du Gange, d'où part le double apos- tolat, était loin de se trouver entièrement brahmanisée. C'est par abus de langage qu'on les dénomme hérésies : l'orthodoxie brahmanique les réprouvera, mais ne les tiendra pas pour des dissidences; elle y reconnaîtra, ce qu'elles furent en fait, des disciplines étrangères à son propre système. La prédication qui les propage s'effectue non dans le sans- crit savant des Brâhmanas et des Upanisads, mais en des idiomes populaires, attestés par la forme pâlie du canon boud- dhique et l'ardhamâgadhi du canon jaina; la rédaction sans-

68 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

crite de leurs textes sacrés n'interviendra que plus tard, lorsqu'il s'agira non plus de conquérir les âmes, mais d'en- gager des controverses avec la pensée brahmanique.

L'analogie des conditions dans lesquelles apparaissent les deux sectes vouées à des destinées parallèles se mani- feste dans les moindres détails. Le père du Jina portait le même nom que le futur Bouddha, Siddhârtha. Les termes d'honneur par lesquels on exaltera, chez l'un et chez l'autre, la gloire d'avoir conquis l'illumination, coïncident : Buddha, illuminé ; Jina, victorieux ; Mahâvîra, grand héros ; Tirt- hamkara (^^), inventeur d'un gué pour franchir la trans- migration: voilà des épithètes qui leur conviennent in- distinctement, quoique telle ou telle ait été plus usitée dans une secte que dans l'autre et ait pris la valeur d'un nom propre. Le Bouddha était un Jina et le Jina un Bouddha. Les mêmes villes, Vaiçâlî et Râjagrha, capitales du Videha et du îMagadha, furent le théâtre des premières conversions; les souverains de ces États, un Cetaka, un Çrenika furent les premiers patrons ou adversaires des deux sectes, et le développement si rapide de l'une comme de l'autre a se trouver promu par les conquêtes de cet Ajataçatru qui réunit sous le même sceptre le Magadha et le Videha, pré- parant l'avènement de l'empire maurya et facilitant de la sorte, par l'unification qui résulte d'un même pouvoir poli- tique, la diffusion des religions nouvelles.

L'identité de l'ambiance dans laquelle se constituèrent le jainisme et le bouddhisme a marqué l'une et l'autre dis- cipline de caractères similaires que le temps ne devait point effacer. Y a-t-il un motif suffisant de supposer, comme l'ont admis d'éminents indianistes, soit que les deux sectes n'ont fait primitivement qu'une avant de se scinder de très bonne heure, soit que l'une n'est qu'un pâle doublet de

LE JAINISME 69

l'autre? Un examen, même sommaire, de leurs premiers développements doit permettre de répondre à cette ques- tion.

CHAPITRE I LE JAINISME

Les textes Jainas s'accordent avec les documents bouddhiques pour préciser que le «grand Héros» révéré des Jainas était contemporain du Bouddlia, mais plus âgé que ce dernier; ils déclarent en outre que ce Mahâvira est de parents affiliés à une secte, celle des Nirgranthas, dont ils se montrèrent les zélateurs jusqu'au point de se laisser mourir d'inanition par ferveur ascétique. Non seule- ment donc la pensée du fondateur de la secte jaina doit être antérieure à celle du Bouddha, mais il convient de tenir les Nirgranthas pour des Jainas avant la lettre; à ce double égard, le jainisme doit apparaître plus ancien que la religion rivale.

Les Nirgranthas, « sans attache », avaient pour ini- tiateur un certain Pârçva dont la tradition fixe la mort 250 ans avant le Mahâvira, et qui, par suite, devait vivre au début du vni^ siècle (^*). Ses adeptes, ardents à affir- mer l'autonomie morale de l'âme humaine (kriyavâda), pratiquaient une ascèse sévère, qui se réalisait par la stricte

70 HISTOIRK DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

observance de ces quatre «vœux»: ne pas tuer (ahimsâ), dire la vérité (sûarta), s'abstenir de voler (asteya), obser- ver la chasteté (brahmâcarya). Seule une vie régie par ces austères principes pouvait, à leurs yeux, rendre l'homme libre, car on ne doit s'en remettre de notre salut ni à notre propre nature (svabhâvavâdins), ni à l'arbitraire du destin (niyativâdins), mais nous nous affranchissons de toute servitude par le « détachement. » La preuve ultime de cette maîtrise de soi, qui ne cherche point, comme le tapas brahmanique, à nous conférer la pureté convenable pour des sacrificateurs, ni, comme la discipline des yogins, à nous doter de pouvoirs surnatu- rels, c'est l'aptitude à quitter la vie par décision volon- taire. Le simplisme de cette doctrine archaïque fait son originalité parmi toutes les attitudes spirituelles que con- naîtra l'Inde ; il atteste en toute candeur combien dès une époque très ancienne est déjà forte la persuasion que la voie du salut s'ouvre en sens inverse de la direction nor- male de la vie.

Le fondateur de la secte jaina est la première en date des personnalités que rencontre l'historien de la philosophie indienne. Sa figure, qui s'est moins revêtue de légende que celle du Bouddha, n'apparaît pas plus floue que celle de personnages postérieurs d'un ou deux millénaires. Vardha- mâna, fils d'un noble nommé Jnâtr, naquit près de Vai- çâli, au nord de Patna, vers 600 (^'^). Ascète mendiant dès l'âge de trente ans, il aurait erré douze ans dans le Bengale, chez les peuples à demi sauvages traduisons: non brah- manisés du Lâdha; puis, il aurait dépouillé toute erreur et revêtu la pureté de la transcendance (kevala). Le point de départ décisif de cette sublimation aurait consisté à pratiquer, outre les quatre vœux des Nirgranthas, un cin- quième: l'abstention de toute possession personnelle (apari-

LE JAINI8ME 71

graha). Avec l'autorité de la vérité conquise, méritant dé- sormais l'épithète de Jina, victorieux, il aurait évangélisé le Kosala, le pays de Videha et de Magadha. De son vivant même, des schismes auraient éclaté parmi ses adeptes: tel celui de Jamâli son gendre; puis Gosâla, fils du disciple Makkhali, aurait fondé la secte des Ajîvikas (^®), attribuant à la transmigration la rigueur d'une loi naturelle, mais lui ôtant tout caractère moral: «c'est sans raison ni cause» qu'il y a souillure ou purification, car les dissidents s'ac- cordent avec les fatalistes pour soutenir, au grand scan- dale des Jainas, l'inexistence de tout agent, l'inefficacité de toute action. Ce qui se produit n'arrive, selon eux, que par déterminisme, par coïncidence, par nature (niyati- samgati-bhâvaparinatâ). Vardhamâna serait mort, au dire de ses partisans, en 528 ou 527; au dire des Boud- dhistes, peu de temps avant le nirvana de leur maître, qui eut lieu vers 480.

La croissance de la collectivité paraît avoir été rapide (^^). Candragupta, fondateur de la dynastie Maurya, le plus ancien des rares souverains hindous qui réunirent sous leur sceptre les éléments d'un vaste empire, aurait été l'un de ses membres; à la suite d'une famine, il aurait, d'après une légende, abdiqué pour se faire moine dans le Mysore et pratiquer le suicide par inanition (298). Des sculptures pro- venant du f siècle avant J.-C, attestent la présence de la religion nouvelle à Mathurâ, dans le N.-O. ; peu après elle gagne à l'E. l'Orissa, et au ii^ siècle de notre ère elle exerce une influence sur la littérature tamoule. Le canon que se constitua la secte ne fut écrit qu'après le milieu du v^ siècle de notre ère, soit un millénaire environ après la mort du Jina; il n'offre donc sur l'enseignement de ce dernier que des renseignements sujets à caution. Sa fixation pure- ment orale daterait d'un concile tenu à Pâtaliputra

72 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

(Patna), sous la présidence de Sthûlabhadra, vers 300 avant J.-C. Ce concile, qui d'ailleurs se serait réuni pendant qu'une importante fraction de la communauté aurait émigrer dans le Mysore, sous la direction de Bhadrabâhu, pour cause de disette, et où, par suite, ne s'exprima que l'opi- nion d'une partie de la secte, sanctionna, semble-t-il, le ca- ractère canonique de onze sections (angas) ou recueils, et constata la disparition de la douzième ou dernière, qui passait pour renfermer les dires mêmes du maître. Les onze sections subsistent encore, mais l'une des deux églises jainas, celle des Digambaras, les tient pour apocryphes. L'événement capital des premiers âges est ce schisme, amorcé à l'occasion du susdit concile, mais devenu irré- vocable en 82 de notre ère, à propos d'une question de discipline: les Digambaras se créèrent un canon spécial, perdu au ii® siècle ; la secte rivale, celle des Çvetâmbaras, conserva l'ancien, non sans le remanier en vue de sa propre justification. Ce canon prit définitivement sa forme ac- tuelle au concile de Valabhî, présidé par Devarddhiganin, et réuni, semble-t-il, sous la protection du roi Dhruvasena, au plus tard en 526 (^^). L'examen critique de ces textes s'inaugure par quelques travaux récents, mais presque toute la tâche reste à faire, et nous ne possédons encore de données précises que sur un petit nombre de traités jainas, la plu- part extra-canoniques, plus ou moins postérieurs au début de notre ère. Notre exposé de la doctrine jaina primitive se fondera principalement sur l'œuvre d'Umâsvâti, le Taft- vârthTidhigama Sûtra, qui fut rédigé au v^ siècle (^).

Le problème essentiel consiste dans l'interprétation qu'il faut donner à cette conviction, désormais indiscutée dans le milieu indien: la croyance en la transmigration. Des

LE JAINISME 75

Nirgranthas, les Jainas tiennent la persuasion^ que l'homme, par son action, décide de sa destinée. Aux x^jivikas ils re- fusent d'accorder que le karman soit une servitude iné- luctable dont nous ne pourrions nous affranchir une fois que nous l'avons assumée: notre liberté ne doit pas se ré- duire à forger nous-mêmes notre chaîne, elle doit nous per- mettre encore d'en rompre les anneaux quand ils ont été rivés. En vertu d'une comparaison qui paraît sous mille formes dans les expressions que se donne la pensée indienne, le karman arrive à son terme, <( mûrit » de lui-même au bout d'un temps déterminé; mais la possibilité de déli- vrance dépend d'une faculté que nous devons posséder de hâter cette maturation, et de liquider une fois pour toutes le stock de notre passé.

Ce karman, la secte se le représente comme maté- riel (^°). Elle y voit pour ainsi dire un corps étranger qui, en conséquence de nos actes, s'introduit en nous et nous entrave. En termes modernes, mais comparativement adéquats, c'est l'encrassement de la machine à proportion de son usage; ou encore l'accumulation des cristaux d'acide urique dans nos articulations, d'où résultent les souffrances de l'arthrite; c'est toujours l'impuissance, résultant d'une accumulation de résidus, laissés par un fonctionnement antérieur. A huit modalités de karman correspondent huit formes de servitude (bandha) : la limitation nécessaire de la durée de notre vie (âyus), la détermination de notre individualité (nâma), les préjugés sociaux (gotra^-^ idola tribus), la dépendance à l'égard du plaisir ou de la douleur sensibles (vedaniya); d'autre part l'obscurcissement de notre intelligence (jnânâvaraniya) comme de la connais- sance immédiate (darçanâvaraniya), les obstacles au pro- grès spirituel (antarâya), enfin l'égarement (mohanîya). Voilà autant de liens (bandha) qui nous ligotent, rédui-

i4 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE IXDIEXNE

sant à néant notre spontanéité; ils nous enserrent en un «corps karmiqiie» (kârmanaçarîra), gangue dont l'opa- cité prive notre âme, cependant lumineuse par nature, du bénéfice de sa propre clarté.

A l'appui de cette interprétation de la vie selon les phénomènes, on construit une métaphysique atomiste (''), mais très différente des théories européennes auxquelles ce mot fait penser. Ici règne un réalisme absolu, qui fait con- cevoir toutes choses sous l'aspect de substanes (dravya). L'âkâça, milieu universel, composé d'emplacements (pra- deça) se situeront les atomes, est substance. La possi- bilité du déplacement ou du repos à l'intérieur de ce milieu (dharma, adharma) sont des substances simples (ekadra- vyâni). Les éléments capables d'agitation ou de stabilité sont des corpuscules au delà desquels l'analyse ne saurait remonter (paramânu), tous semblables, doués de quatre qualités: tangibilité, goût, odeur, couleur, chacun occupant un pradeça. Ils se groupent en des composés, skandhas. Leur ensemble constitue cet agrégat (kâya) : la matière (pudgala). Tout complexe mérite l'épithète de grossier (sthûla, bâdara), tout élément le nom de subtil (sûksma). L'une des singularités de cet atomisme se reconnaît à l'uni- verselle pénétrabilité qu'il implique. Dans le même univers s'emboîtent, coextensifs, l'âkâça, le dharma, l' adharma, les pudgalas, si substantielles que soient ces diverses réalités. A vrai dire, le pradeça représente moins le plus petit récep- tacle, comme élément du plus grand, l'akâça, que l'indi- cation d'un progrès vers le lieu le plus exigu; .de même que l'âkâça dans son ensemble est moins le total des pradeças qu'un progrès sans limite (asamkhyeya, incalculable - ananta, infini) vers la toute grandeur; ce qui explique la possibilité, dans le pradeça, de placer d'autres pradeças, comme d'ajouter sans cesse à toute grandeur imaginée.

LE JAINISME

75

L'Inde, même atomiste, n'attribue pas, comme la Grèce de Démocrite, une valeur d'intelligibilité à la configuration qui délimite, à l'insécabilité qui détermine une portion d'étendue. La spatialité du pradeça, diç, postule une direction plutôt qu'une quantité d'espace circonscrite, sorte de contenant élémentaire; pour prendre chez nous, Européens, des points de comparaison d'ailleurs lointains, l'attitude jaina ressemble plus à l'hypothèse continuiste du calcul infinitésimal qu'à l'esprit géométrique des Hellènes et de Descartes.

Reconnaissons aussitôt que la plus ancienne doctrine jaina ne ratiocine que dans la mesure le problème moral et religieux requiert l'éveil de la pensée abstraite. Un seul résultat lui importe: ce prétendu fait qu'à l'occasion de nos actes notre âme accumule autour d'elle de la matière qui s'insinue même dans son for intérieur « comme une pilule pénètre dans le corps » et y cause les troubles les plus divers. Dès que la nature du mal apparaît, apparaît aussi la voie du salut. C'est parce que l'âme s'abandonne à des passions, qu'elle s'approprie des éléments matériels de nature karmique (sakasâyatvâj jivah karmano yogyân pudgalân âdatte. Tattv., VIII, 2). Si elle se déprenait de tout intérêt pour la donnée sensible, elle arrêterait cette constante, cette sournoise intrusion des facteurs nocifs. Sous un certain aspect, toute la doctrine n'est qu'un commentaire du vieil ascétisme nirgrantha poussé jusqu'au suicide par inanition: pour cette même raison que notre corps vit en s'alimentant, l'existence empirique s'entretient par l'assimilation de données extérieures, mais plus nous dépendons de conditions étrangères à notre vraie nature, plus nous renforçons notre esclavage; par contre nous nous libérons si nous parvenons à n'être que nous-mêmes et à nous suffire. En renonçant aux passions, nous ne rejetons que notre misère: à travers le suicide se gagne la véritable vie.

76 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Toute la doctrine implique donc un dualisme. Aux substances inanimées (ajiva, âkâça, dharma, adharma, pudgalas), s'opposent les âmes (jîva), principes de vie (prâna) et de conscience (cetanâ). Loin d'être en elles-mêmes inertes, elles possèdent en propre une certaine dose d'ac- tivité (virya) qui leur est essentielle. Le mal dérive de ce qu'elles exercent le plus souvent cette activité avec la con- nivence de ces «opérations coopérantes» (sahakârikârana): le corps, la parole et le manas; or la mise en œu\Te de ces fonctions suppose l'incorporation à notre substance d'éléments matériels: ainsi s'intègre à notre nature la matière karmique, et c'en est fait de notre autonomie. Dès lors notre âme désapprend l'usage de sa propre spontanéité; elle perd la notion de cette décisive et salvatrice vérité, qu'une certaine sorte d'action, à la différence de toutes les autres, ne nous asservit point, mais, au contraire, exprime dans sa pureté notre essence originelle: ce virya susceptible de s'exercer indépendamment de toute condition extérieure.

Une semblable intuition du salut justifie le sévère as- cétisme que pratiquaient les Nirgranthas et que le Mahâvira a rendu plus austère encore. Les Çvetâmbaras s'autorisent à porter un vêtement blanc, mais les Digambaras, pour ne rien posséder, veulent n'être vêtus que d'espace. Le complet détachement peut seul, en effet, couper court à toute in- gérence ultérieure, en nous - mêmes, de cet « aliliux » (âsrava) de matière karmique par lequel, en toute autre attitude, nous ne saurions manquer d'être submergés. L'austérité jaina se rencontre ici avec celle des Stoï- ciens: de même que ces derniers, en un monde règne la fatalité, réalisent la liberté spirituelle grâce à l'admission de cette faculté de ay^xaraOeciç qui nous permet d'ac- cepter ou de répudier une sollicitation d'ordre sensible, de même les Jainas nous déclarent capables d'arrêter net

LE JAINISME 77

l'invasion de l'afflux karmique (samvara âsravanirodha). Mais voici l'aspect spécifiquement indien de la doctrine: il ne suffit pas d'éviter l'aggravation de notre misère; il faut parvenir à nous dégager de cette misère acquise, condition même de notre existence empirique. La tâche consiste à décrasser la machine, à éliminer les corps étrangers qui en- combrent nos articulations. Pour cela, de même que dans une serre bien chauffée l'horticulteur « force » une plante et la contraint d'évoluer en un rythme précipité vers sa flo- raison, les Jainas qui, comme tous les Hindous, voient dans l'ascèse l'ardeur d'un feu (tapas), cherchent dans une dis- cipline spéciale à hâter la maturation (vipâka) du karman accumulé. La rigueur des privations expulse ainsi tous les facteurs de notre servitude : cette nirjarâ est l'acte décisif qui non seulement n'augmente plus la provision de notre karman, mais fait disparaître bien avant l'échéance normale tout résidu de karman antérieurement acquis. Pareille- ment, il peut advenir que la digestion, cette « cuisson », surmonte, au prix d'une crise dont dépend la survie de l'or- ganisme, le danger que crée l'absorption d'un poison. Mais ici le résultat est radical et définitif : c'est un « nettoiement » qui nous restitue dans notre pureté native (kevala), par l'ob- tention à jamais de la délivrance (moksa). Sûrs de ne plus renaître, dès cette vie et avant même qu'elle s'arrête, nous sommes affranchis.

Ce corps de doctrines semble composer le plus ancien système philosophique. Plus d'un darçana nous apparaîtra conçu en fonction de ce darçana manifestement plus primitif. Le réalisme naïf, pour ne pas dire grossier, qui s'étale dans la métaphysique jaina, témoigne d'une pensée qui, du moins lorsqu'elle a commencé à s'exprimer, ignorait tout effort idéaliste. En revanche le système présente une ex- ceptionnelle valeur documentaire pour qui désire s'informer

78 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

des origines de la réflexion indienne. Plus d'un concept d'usage courant dans la pensée ultérieure ne possède son acception précise et originelle que dans le jainisme (^*). Nous avons reconnu ici une forme archaïque de ces idées de karman et de délivrance, qui défraieront, sous des as- pects variés à l'infini, le contenu entier de la philosophie de l'Inde.

Le jainisme apportait de la sorte et des solutions neuves aux problèmes que se posaient les consciences, et des mœurs bien différentes de celles que connaissait le brahmanisme. La rigueur avec laquelle cette secte proscrit le meurtre d'un être vivant quelconque, les précautions d'une puérile mi- nutie prises pour éviter cette souillure laissent à supposer que ce commandement, l'ahimsâ, essentiel à l'apostolat de Pârçva et du Jina, mettait l'Eglise nouvelle en opposition avec ce milieu brahmanique, dont le culte, après avoir peut- être prescrit des sacrifices humains, enjoignait des sacrifices d'animaux. Sans doute faut-il retrouver ici un écho de la réforme de Zoroastre: supposition d'autant plus vraisem- blable que le dualisme, le souci de mettre le principe spi- rituel, en lui-même lumineux, à l'abri de toute contamination extérieure, et jusqu'au goût, chez les Çvetâmbaras, des vêtements blancs, rappellent des convictions transmises aux Parsis (^^) par la religion avestique.

Nous avons signalé d'autre part des caractères de l'as- cétisme jaina, qui le distinguent de celui des Yogins. La distinction capitale réside dans la nature non plus indi- viduelle, mais collective du nouveau monachisme. Les religieux ne mènent pas l'existence indépendante de l'ana- chorète; ils ne se retirent du monde que pour s'agréger à une société spéciale, celle de leurs congénères, soumise à des

LE BOUDDHISME 79-

prescriptions communes à tous. Des ordres se créent, des couvents s'édifient. En marge de la société qui s'organise en castes, sous l'hégémonie des brahmanes, il y a place désor- mais non plus seulement pour la vie errante et anarchique du solitaire qui a rompu toute attache, mais pour une so- ciété dont la raison d'être consiste à faciliter chez ses membres, tous venus à elle spontanément, les voies du salut. Aucune considération de caste n'intervient dans l'acceptation d'un moine: la décision d'observer les vœux suffit. Une femme peut, autant qu'un homme, prétendre à la délivrance ; elle trouve des monastères qui accueillent les personnes de son sexe. A l'enseignement d'une certaine Yâkinî, l'un des grands saints, Haribhadra (ix^ siècle) devra sa conversion. La secte ne se contenta jamais, d'ailleurs, de prôner par l'exemple l'idéal de perfection. Elle sut définir une vie laïque relativement conforme à la règle jaina, quoique moins austère que la vie de couvent. Toutes ces nouveautés, nous allons les retrouver, presque identiques, dans le Boud- dhisme.

CHAPITRE II

LE BOUDDHISME

A. Ses sources

Celui qui devait devenir le Bouddha, Gautama, sur- nommé Siddhârtha, naquit à Kapilavastu, sur les confins du Népal, dans une famille noble du clan des Çâkyas, vers 560 avant notre ère. L'intuition de la vérité qui le consacra

§0 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

«Illuminé)), Bouddha, lui survint à Bodh-Gayâ (province actuelle de Bihar), aux abords de 525. Il mourut à quatre- vingts ans, dans la quarante-quatrième année de sa pré- dication, en 480 environ, près de Kuçinagara, parmi ses dis- ciples {^^). Cette simple existence s'entoura vite de merveil- leux: le sage aurait été fils d'un roi, Çuddhodana; sa mère, qui aurait porté le nom bien métaphysique de Mâyâ, l'illu- sion, aurait mis au monde l'enfant dans de prodigieuses cir- constances. Devenu jeune homme, le prince aurait été pris de dégoût pour la gloire et les plaisirs; il aurait fui le palais paternel afin de se faire mendiant. La légende, et à sa suite Fart, ont illustré dans ses moindres détails cette biographie, que nous présentent de si diverse façon les récits fragmen- taires du canon, l'épopée héroïco-philosophique du Lalita- vistara et le poétique Buddhacarita d'Açvaghosa. Il y a plus: une interprétation entièrement mythologique, tenant le Bouddha pour un mythe solaire, intermédiaire entre ceux du Véda et ceux des religions postérieures, n'est certes pas plus fausse que les scènes traditionnelles con- sacrées par l'iconographie. On commettrait une téméraire partialité en choisissant parmi ces trois types de biographie: celle d'un personnage aux dates déterminées ou détermi- nables; celle d'une figure légendaire dont les gestes relèvent de la tradition; celle d'un symbole naturaliste. Se borner au premier point de vue, sous prétexte de positivité, serait une façon très sûre de pécher contre la positivité, car on méconnaîtrait des aspects essentiels de la notion du Bouddha, dont le plus «raisonnable» n'est pas le plus «historique)). Ainsi, l'on ne saurait douter que le sage des Çâkyas, Çâkya- muni, ait possédé certains attributs en commun avec le dieu Visnu, ni que le Tathâgata, «arrivé)) à l'intuition absolue sans la faveur d'aucune divinité, soit devenu lui- même une sorte de dieu suprême. Humanité, surnaturel, histoire, légende concernent telle ou telle des faces mul-

LS BOUDDHISME 81

tiples de ce personnage qui, sans demeurer tout à fait ex- térieur à l'ordre des phénomènes, est autant une idée qu'un homme.

En d'autres termes, la conception du Bouddha n'ap- paraît pas moins fonction du Bouddhisme, que celui-ci a pu être la création du Bouddha. Mais ce dernier point de vue ne se justifie que par une restitution hypothétique des événements, tandis que le premier résulte de l'histoire même. A prétendre expliquer par une biographie et par une doctrine individuelle le Bouddhisme même primitif, on s'enfermerait eii un cercle vicievix, car nous n'attei- gnons le fondateur qu'au travers des productions ultérieures de la secte. Au lieu donc de chercher à comprendre le Boud- dhisme d'après l'œuvre d'une personnalité, il faut puiser notre information aux sources les plus anciennes, en extraire une notion objective de la société bouddhique et induire par ce biais le contenu de la pensée initiatrice.

Les traités bouddliiques les plus anciens ont été réunis en canon, œuvre bigarrée d'au moins sept ou huit siècles ('^). La constitution de ce corpus pose des problèmes analogues à ceux que soulève la formation d'un « Véda » au sein de la caste brahmanique. Il ne s'agit pas, cette fois, d'utiliser de très vieux textes pour des fins liturgiques, mais, parmi beaucoup de traditions relatives à ce qu'avait prescrit le maître, de recueillir les plus édifiantes pour l'instruction des fidèles. Ici encore c'est la diversité, non l'uniformité, qu'il faut placer à l'origine: de même que des dynasties de brahmanes colligèrent des recueils distincts (samliitas) d'hymnes et de formules, maintes collectivités entreprirent, chacune pour son usage, de dresser une somme des docu- ments auxquels on reconnaissait une autorité. Ainsi se forma, au foyer même du Bouddhisme, dans la vallée moyenne du Oange, une pluralité de canons, que reflète la diversité

6

82 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

de ceux que conservent les traditions pâlie, sanscrite, tibé- taine, chinoise, d'autres encore; en effet sous la multipli- cité des idiomes en lesquels furent ultérieurement traduits les documents indiens, des originaux parfois identiques, mais souvent distincts se restituent à l'examen linguistique. Si prévalent qu'apparaisse à telle école d'indianistes le prestige du corpus pâli, rien ne justifie la supposition que l'un d'entre ces corpus soit plus authentique que les autres, en ce qui concerne du moins le vieux fonds bouddhique, car il put advenir qu'un canon d'élaboration tardive, le chinois, par exemple, fît place à beaucoup d' œuvres posté- rieures à l'ère chrétienne (^").

La multiplicité foncière des rédactions, même indiennes, du canon primitif ne doit pas solliciter l'intérêt des seuls philologues. Elle rend évident ce fait, que le Bouddhisme procède des Bouddhistes autant que du Bouddha. Elle atteste, au sein de la communauté, une multitude de sectes qui se muèrent en autant d'écoles philosophiques, car toute tradition indépendante éprouva quelque jour le désir de justifier en raison sa propre autonomie. Toutefois, cette pluralité illustre à sa façon la riche unité de la vie boud- dhique, bien que le succès de la discipline nouvelle ait résulté en partie de ce qu'elle se fondait sur des règles anté- rieures, et que sa parenté avec le Jainisme ait témoigné d'une morale douée d'une certaine généralité. Au surplus, si divers qu'apparaissent les canons, ils présentent des analogies de plan, tant par leur distribution en trois « cor- beilles» (pitakas) que par leur classement à l'intérieur de chacune d'elles. Par contre il ne faut pas méconnaître le simplisme de la conception que se firent les Bouddhistes de leur propre histoire: avec le préjugé de l'unicité du canon s'évanouit toute plausibilité de la tradition selon laquelle les textes sacrés auraient été fixés en trois conciles successifs, tenus au cours des deux premiers siècles. Fiction, ce synode

LE BOUDDHISME 83

qu'auraient composé les Anciens (Sthaviras), au lendemain de la mort du Maître, et au cours duquel, à Râjagrha, les disciples Ananda et Upâli auraient récité l'un la totalité des Discours imputés au Bouddha, les Sûh^as, l'autre les traités disciplinaires, Vinayas, renfermant les règles de la communauté. Invention de l'imagination monastique, cette réunion à Vaiçâli, un siècle après, destinée à réviser le canon, ainsi qu'à résoudre dix apories pratiques qui auraient donné lieu à la scission des Mahâsamghikas (^^). Evénement peut- être historique, mais magnifié par la tradition, ce concile de Pâtaliputra, un siècle encore plus tard (253 ?), l'em- pereur x^çoka aurait convié les Bouddhistes, désormais en possession de leur troisième «corbeille», VAbhidhnrma ou réflexions sur la loi. Les premiers faits avérés ne remontent pas au delà du premier siècle avant notre ère: c'est d'une part une assemblée singhalaise qui rédige les textes palis, en 89; de l'autre, à l'extrémité de l'Inde, une assemblée cachemirienne qui fixe le canon sanscrit d'une certaine école, celle des Sarvâstivâdins.

Le fonds primitif de cette littérature comprend deux éléments: des règles disciplinaires et un stock de légendes. La fraction agissante de la société bouddhique est la com- munauté des moines et des nonnes. Obéir à la discipline d'un ordre, pratiquer non une ascèse indépendante et indi- viduelle comme celle des Yogins, mais une ascèse indentique pour tous les membres de la collectivité, c'est, aux abords du v^ siècle, un idéal nouveau, mais déjà répandu, puisque nous le constatons chez les Cârvâkas et les Jainas comme dans le Bouddhisme. A l'intérieur de ces sectes, le mode de vie importe au moins autant que les opinions: c'est à des divergences relatives à la pratique, plus qu'à des dis- cussions doctrinales, qu'on impute la formation des schis- mes. La variété des récits concernant la vie du Maître

34 HISTOIRJî DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

n'apparaît que pour justifier, selon la multiplicité des églises ou des chapelles, la distinction des ordres. Mais toutes ces règles ont pour substrat commun les thèmes moraux s'exprime, à part de la spécificité des sectes, un même idéal impersonnel de moralité, celui que traduisent, dans le Boud- dliisme, le Dhammapada et le Sutto-N'rpntu. Pareillement les récits qui confirment par des biographies édifiantes la valeur des prescriptions disciplinaires, s'alimentent à cette source inépuisable, les contes populaires, tout prêts à se muer en jâtakas ou récits relatifs aux vies antérieures du Bouddha ; les faibles, patrimoine commun aux diverses civilisations asiatiques. Tel dogme à la fois bouddhique et jaina, celui par exemple des Pratyekabuddhas, procède ainsi de légendes sans doute bien antérieures à la distinc- tion de ces deux traditions. C'est par ses origines anonymes et collectives que le Bouddhisme apparaît dès le début comme une religion, sur laquelle on s'est mépris en rédui- sant son principe à une pure et simple philosophie (^'').

Cette réserve faite, il n'en est pas moins vrai que le système bouddhique, même le plus ancien, présente un aspect intellectualiste plus accentué que tout autre corps de doctrine du même temps. L'ascétisme n'y joue qa'un rôle subalterne, beaucoup moins décisif que dans le Jai- nisme; on proclame que le Bouddha reconnut la vanité des mortifications, après s'y être adonné autant que qui- conque; ïuais ce qui l'a fait Bouddha, c'est un acte d'in- telligence. La conduite implique ainsi une doctrine, dont on attribue le mérite au Maître. Si donc, au point de vue de la reconstitution historique des premiers âges, les textes de discipline (vinaya) offrent la principale valeur, c'est la portée spéculative de la doctrine qui doit prévaloir dans l'interprétation de la foi bouddhique. Aussi étroitement connexes que les trois «corbeilles)), apparaissent les trois

LE BOUDDHISME 85

«joyaux» (triratna), instruments du salut: la communauté, Samgha; la loi, Dharma; le Bouddha. Toutefois, alors même que la figure du Maître incarnerait l'idéal de la secte plutôt que son prototype, cette figure jouerait dans le système un rôle central, celui de la pensée directrice.

B. Sa plus ancienne doctrine

La pensée du Bouddha est obsédée par un seul et unique problème : celui que pose la douleur humaine. Selon la légende, le futur Bouddha, prince jeune, élégant, élevé dans le luxe loin des misères du monde, sortit un jour de ses immenses parcs : or il aperçut aussitôt un mendiant couvert d'ulcères, et se lamentant ; puis un vieillard rendu impotent par l'âge; et encore un convoi funèbre. Maladie, vieillesse, mort: sous ces trois formes, la douleur assaille tous les êtres. Les plaisirs sont transitoires et nous ramè- nent inévitablement à la souffrance. De plus, en vertu de la loi de l'acte, qui s'impose à tout être, dieux ou homm.es, chaque activité trouvera, dans les autres existences nous acheminera la transmigration, sa rétribution méritée, peine ou récompense ; il en sera de m.ême de la vie future à l'égard de l'existence suivante, à l'infini. Nous voilà con- dammés à toujours agir, à toujours souffrir. Cette croyance à la transmigration, le Bouddha se l'est appropriée avec une singulière énergie, pour rechercher, en un tenace effort de réflexion, par quel moyen nous pouvons espérer de nous évader d^^ la douleur.

Le fond des choses s'exprime en quatre vérités « saintes » (ârya satyâni): Ce monde est douleur; la douleur provient d'une origine qu'il faut découvrir; cette découverte indique

86 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE IXDIENNlfi

le moyen de supprimer douleur; ou s'achemine à la sup- pression de la douleur par divers sentiers qu'il importe de connaître. Le problème religieux ou métaphysique se calque de la sorte sur celui qu'affronte le médecin : il s'agit de porter un diagnostic et de saisir, à travers la nature de la maladie, quel doit être le remède efficace. La com- préhension de l'une et de l'autre s'obtient à la faveur d'une argumentation, qui est le premier raisonnement systéma- tique construit par la spéculation indienne. Cette argumen- tation découvre et précise de quelle façon, ou plus exacte- ment, selon quelles conditions (nidâna) se produisent, par enchaînement, les phénomènes ; elle fournit une théorie de la « production conditionnée » des phénomènes (pratïtya samutpâda) (*^).

La douleur (duhkha), la vieillesse (jarâ), la mort (marana) : voilà le point de départ. Pourquoi la mort ? parce que nous sommes nés; ce qui naît doit mourir. Pourquoi la naissance (jâti) ? parce que nous existons, et que naître et mourir sont deux manières d'exister, la mort nous ramenant à la vie, comme la vie à la mort. Pourquoi l'existence (bhava) ? parce que nous éprouvons de l'attachement (upâdâna) pour ce qui entretient, alimente notre existence ; en particulier de l'attachement pour les agrégats (skandha) ou facteurs phy- siques, intellectuels, moraux, dont dépend notre vie. Pour- quoi l'attachement, la tendance à s'approprier quelque chose d'extérieur? parce que, malgré nos maux, nous avons « soif » (trsnâ) de vivre. Pourquoi la soif, ce désir ? parce que, doués de sensation (vedanâ), nous recherchons les sensations agréables. Pourquoi la sensation ? parce qu'il y a contact (sparça) entre nos organes et les objets. Pourquoi le contact ? parce que nous possédons six sens y compris le manas ou intellect et qu'à ces organes sensoriels corres- pondent six (( domaines » (sadâyatana), six sortes de réalités

LE BOUDDHISME 87

objectives. Pourquoi ces domaines? parce que toute chose individuelle, étant composée d'un élément conceptuel et d'un élément corporel, est à la fois « nom et forme » (nâmarû- pa). D'où viennent les noms et formes ? du fait qu'existe la connaissance (vijnâna), c'est-à-dire à la fois l'opération de connaître et un principe spirituel capable de connaître. D'où vient la connaissance ? de ce que diverses prédispositions cons- tituent notre nature, en fonction de nos actes passés (sams- kâras): notre manière d'être actuelle dépend en effet, de par la loi de transmigration, de notre conduite antérieure (esse se- quitur operari) ; il faut voir une explication de la totalité de notre être par cette persistance du passé dans le présent que nous admettons, nous autres, en parlant d'hérédité, de mémoire, de facultés innées. D'où viennent ces prédis- positions ? Nous touchons ici au fond de la doctrine : elles viennent de l'ignorance (avidyâ). Si nous possédions la science véritable, nous ne tomberions pas dans les préjugés qu'impliquent nos prédispositions. Cette ignorance ne doit pas se concevoir uniquement comme absence de connais- sance vraie; elle a une quasi-réalité ontologique: c'est l'être en tant qu'illusoire; le non-être, si l'on veut, mais en tant que décevant, et faisant croire à tort en sa réalité. Cette non-connaissance, cette erreur ou illusion, voilà le principe ultime au delà duquel on ne saurait remonter. Il n'y a pas lieu de demander d'où vient l'ignorance: elle se suffit à elle-même. Tenant ce premier anneau de la chaîne, le maître se complaît à réfléchir alternativement sur cet ar- gument régressif et sur l'inverse construction progressive des douze conditions à partir de l'ignorance jusqu'à la dou- leur, la vieillesse et la mort. Ces deux processus se con- firment l'un l'autre; par leur décisive compréhension, le sage des Çâkyas devient ainsi l'illuminé, Bouddha.

La liste des nidânas se présente dans les textes avec de nombreuses variantes. Mais ce qui est certain et d'im-

88 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

portance capitale, c'est d'abord que cette théorie des con- ditions productrices des phénomènes rattache, en inter- calant des intermédiaires, la douleur à l'ignorance comme la conséquence au principe; et c'est ensuite que cette doc- trine spéculative enveloppe une foi en notre liberté, une in- vitation à nous affranchir, car il dépend de nous non pas d'arrêter le fonctionnement de l'engrenage fatal une fois que nous y sommes pris, mais de ne point nous y engager. Lu de 12 à 1, en progression, le pratîtya samutpâda fournit une théorie de l'existence empirique, expliquant que la souffrance est l'inéluctable conséquence de l'ignorance; en d'autres termes, une doctrine de l'être phénoménal, ou de la servitude. Si nous transmigrons d'existence en existence, à jamais, la raison en est que la douleur suppose l'ignorance et que l'ignorance engendre la douleur. Nous tournons dans ce fatal cercle vicieux, constitutif de notre vie et de ce que nous prenons pour réel, comme l'écureuil à qui sa course folle, ac- complie dans sa cage tournante, ne donnera jamais la clef des champs. Mais lu de 1 à 12, en régression, l'argument nous montre avec assez de clarté les conditions de notre misère pour nous indiquer le moyen d'y échapper: pourvu que nous refusions de participer à l'ignorance, puis de consentir à chacune des causes d'égarement qui s'ensuivent, pourvu que nous détruisions (nirodha) tour à tour ces mailles de notre servitude, nous acquérons, par la connaissance du salut, le salut même. Ces deux processus qui se recouvrent point par point, se compensent aussi: car le Bouddhisme équivaudrait à un pessimisme absolu, s'il s'en tenait à l'ordre 12-1 de la formule, tandis qu'en ouvrant la voie de la déli- vrance il mérite d'apparaître comme un intégral optimisme. L'ineffable joie dont se repaît le bienheureux après l'ac- quisition de la bodhi (illumination) ne se justifie que si une issue a été découverte dans le labyrinthe de la transmigra- tion: pour la rechercher, il a fallu suspendre la course folle

LE BOUDDHISME 89

et aveugle ce que symbolisent les attitudes impassibles de l'iconographie; remonter par la pensée à travers les étapes parcourues ce que symbolise l'attitude méditative, jusqu'à l'obtention d'un terme logiquement premier se repose l'esprit, point d'appui se suspend la chaîne en- tière; d'où la béatitude définitive empreinte sur le visage. Si la plastique avait voulu figurer, sous forme humaine, le pratitya samutpâda tel qu'il se comprend dans l'ordre 12-1, elle eût, comme la plastique chrétienne, façonné un Dieu torturé. Mais la littérature bouddhique s'est plu à semer avec profusion, sans pessimisme, avec au contraire l'enivrement de la vérité conquise, jetée à tous les échos par une intense propagande, la formule 1-12, expression même de l'erreur, mais de l'erreur transpercée, par même évanouie, dé- sormais inofîensive et même salvatrice. Quoi de plus con- forme à l'essence de toute philosophie, que d'offrir une théorie du monde qui ait pour contre-partie une doctrine de morale et de sainteté ?

Grâce à cette théorie des douze conditions, nous tenons les deux premières vérités, la nature et l'origine de la dou- leur. Par même nous disposons du moyen de supprimer la souffrance: il suffit d'extirper les facteurs qui la sus- citent. Plus de naissance, plus d'attachement, plus de désir; dès lors s'évanouiront la sensation comme le sensible et aussi l'individualité; il n'y aura plus de connaissance, plus de manières d'être, plus d'ignorance. Une fois avertis des conséquences de l'ignorance, nous sommes libérés de l'igno- rance: saisir cette théorie des causes, c'est s'affranchir de la causalité, pénétrer l'ignorance revient à découvrir ce qui de la vérité nous est accessible. Ainsi le Bouddha n'at- tend son salut de l'intercession d'aucune divinité: il ne l'obtient que de son propre effort pour comprendre: l'er- reur cessant d'être erreur dès qu'elle est connue, la con- naissance à elle seule nous gagne la délivrance.

i»0 HISTOIRE DK LA PHILOSOPHIE IN-DIENNE

Il y a lieu cependant de prescrire à la conduite de la vie l'observance de certaines vertus, parce qu'elles favorisent r acquisition de la connaissance: si rigoureux qu'il soit, l'in- tollectualisuie bouddhique n'exclut pas, il appelle une disci- pline morale. Voilà ce que désigne la quatrième et dernière vérité sainte: le chemin qui conduit à la suppression de la douleur. Puisque le salut réclame que l'on coupe court aux conditions de l'erreur, la morale se présentera comme un en- semble de préceptes négatifs, autant de restrictions enjointes aux diverses formes du désir égoïste: ne tuer aucun vivant; ne pas voler; ne pas convoiter la femme d' autrui; ne pas mentir; ne pas s'enivrer. Telles sont les principales règles, ob- ligations exigibles de tous les hommes. Il faut se soustraire à l'impureté pour se dégager de l'erreur. Les seules vertus posi- tives sont celles qui confèrent la science: la méditation et la sagesse. Or, pour qu'elles soient réalisables, pour que la vie se puisse consacrer à la connaissance, il ne suffit point de pratiquer., en une existence solitaire, le renoncement et l'austérité, il est désirable que les zélateurs de la doctrine, à proportion de leur mépris pour les prétendues nécessités de cette vie fallacieuse qui est celle du monde, se soumettent à une organisation commune qui pourvoie à leurs plus élé- mentaires besoins corporels en même temps qu'à leur ins- truction spirituelle. Une communauté de moines mendiants: voilà l'existence qui convient à ceux qui rejettent autant que possible tout compromis entre l'erreur et la vérité, pour se consacrer au vrai. Il y aura donc des laïques auxquels suffira un demi-renoncement, qui se réduira en fait à une conduite honnête et droite, et des moines qui porteront au maximum désintéressement et pureté, en vue d'ailleurs de ce seul but: se procurer la connaissance. Le laïque s'hono- rera en subvenant aux nécessités du moine, le moine se parera de mérites surérogatoires en répandant la vraie doctrine et en exerçant, par des moyens souvent puérils

LE BOUDDHISME 91

mais touchants, une fictive bienveillance non seulement à l'égard des hommes, mais à l'égard de tout ce qui souffre, la nature entière.

Cotte théorie se proclame elle-même une doctrine de la «voie moyenne» (madhyamâ pratipad), juste milieu entre deux extrêmes (Samy.Nik., Il 20, 23, 61, 76). Elle prêche une attitude équidistante entre la vie commune, complai- sante aux passions, et l'ascétisme qui s'acharne en vain à torturer le corps. Dans l'ordre spéculatif, elle s'abstient de toute affirmation sur la nature «en soi» de l'être, rejetant aussi bien le dogmatisme nihiliste des mécréants (nâstikas) que le dogmatisme ontologique des brahmanes (astikas). Ni oui, ni non, les questions métaphysiques ne sauraient com- porter d'autre réponse.

L'agnosticisme ainsi défini repose sur un relativisme. Chacun des dix termes intercalés entre le point de départ et le point d'arrivée est régi par un terme voisin et commande l'autre terme contigu; le nidâna, conditionnant et condi- tionné à la fois, atteste une forme de relativité extérieure à l'idée de cause productrice (hetu) et à celle de condition permanente (pratyaya). La teneur générala de l'argumen- tation se présente ainsi: « ceci étant donné, cela est donné »; formule qui se laisse généralement interpréter en régression vers les conditions antérieures oa en progression vers les conséquences ultérieures. «Si ceci est, cela est; si ceci surgit, cela surgit; si ceci n'est pas, cela n'est pas; si ceci est détruit, cela est détruit» (imasmim sati idam hoti; imass' uppâdâ idam uppajjati; imasmim asati idam na hoti; imassa nirodha idam nirujjhati. Mahâvagga). L'objet propre de la loi (dharma) est de signaler cette foncière relativité des phénomènes (dharmas) ; « les formes d'existence pro- duites par une cause, le Tathâgata [l'Arrivé, épithète du

92 HISTOIRE DE LA PtILLOSOPHIE INDIENNE

Bouddha parvenu à sortir de la transmigration] énonce leur cause; et leur destruction aussi le grand çramana (re- ligieux) la proclame (ye dhammâ hetuppabhavâ tesâm hetum Tathâgato âha tesân ca nirodho evamvadi mahâ- samano, ibid.).

Un tel point de vue, malgré le parti pris d'agnosticisme, entraîne sinon toute une ontologie, du moins toute une métaphysique. D'abord un phénoménisme radical. Le monde, tant objectif que subjectif, n'est d'outre en outre que samsara, génération mutuelle des douze nidânas. En particulier notre individualité n'offre ni consistance ni perma- nence: notre corps ne consiste qu'en devenir, notre personna- lité ne se compose que de l'agrégat de cinq sortes de phénomènes, fragiles et fugaces, chancelants « étais » (skandha) de notre individu. Cette masse qui nous constitue, ces «épaules » qui nou>s soutiennent comme, dans certaine mythologie, celles d'Atlas supportent le ciel autant d'aspects de la notion de skandha ce sont les éléments matériels (riîpa, la forme), les sensations (vedanâ),les perceptions (samjîiâ), la discrimination (vijnâna), les tendances (samskâra). Aucun de ces facteurs n'a d'unité ni de permanence; chacun est multiple et di- vers. Les représentations grecques du Trav-ca çtX, de l'insaisis- sable Protée, peuvent illustrer, par métaphore, une semblable conception. A fortiori la résultante de ces facteurs, le moi, ne possède aucune consistance; nulle erreur ne serait pire que de lui supposer une existence en soi (satkâyadrsti). Pour protester contre le substantiaUsme brahmanique, les Boud- dhistes édifient, outre une physique phénoméhiste, une « psy- chologie sans âme» qui, en opposition aux Upanisads, pro- clame l'inexistence de l'âtman: anâtmatâ (pâli anattâ).

Par une singulière méprise, plus d'un indianiste s'é- tonna de trouver côte à côte, dans les anciens textes

LE BOUDDHISME 93

bouddhiques, l'affirmation de la rétribution des actes et celle de la non substantialité du moi; on a semblé croire que la transmigration impliquait des âmes douées de permanence, alors qu'au contraire sarnsâra et anâtmatâ n'étaient que deux corollaires de l'universelle relativité. Les Bouddhistes nient non le moi ou l'esprit, mais le caractère absolu du moi ou de l'esprit; et la transmi- gration leur apparaît un devenir en fonction de conditions qui, pour revêtir dans une large mesure un aspect moral, n'en demeurent pas moins relatives. Rien de plus cohérent que l'admission d'un moi phénomène (pudgala), simple loi de succession entre phénomènes connexes, et l'admission d'un univers phénomène fait de vicissitudes toujoui-s changeantes mais en mutuel enchaînement. Ici et là, quoique soit exorcisé le fantôme de la substance autant qu'il pourra l'être chez un David Hume, la régularité, la rationalité de la transformation compensent l'absence de fixité; le relativisme trouve dans une causalité dont le pratitya samutpâda fournit la formule, non pas sa contre- partie ou son correctif, mais sa justification.

Le phénoménisme inhérent à l'embryon de physique et à l'ébauche de psychologie qu'implique l'enseignement du Bouddha impose non seulement une métaphysique du donné, mais une métaphysique de ce qui doit être, de la délivrance. Si notre existence empirique, complète servitude morale, ne consiste qu'en relativité soumise à des condi- tions, l'évasion hors de cette relativité doit apparaître à quelque degré comme l'atteinte d'un absolu. Il en va bien de la sorte malgré le ferme propos de ne pas théoriser sur ce qu'on trouve par delà les phénomènes, en transcendant le moi et le samsara. Ce qui s'obtient alors, et qui n'est ni un objet ni un état de nous-même, c'est ce que désigne le mot de nirvana {^^). Pour éviter tout dogmatisme le Bien-

94 HISTOIRE DE LA niILOSOrHIE INDIENNE

heureux assure que ce n'est ni l'être, ni le néant; qu'en tout cas ces deux interprétations ontologiques ne noas im- portent en rien.

Il préfère déclarer que c'est «l'extinction» du désir, alors qu'au contraire une intense nostalgie soulevait l'âme brahmanique vers le Brahman dans lequel elle aspirait à s'absorber. IMais cette solution ne peut satisfaire, car si le principe de tout mal est l'ignorance, comment n'en pas con- clure que le salut dépend de la possession du vrai ? Le sage des Çâkyas résiste pourtant à la tentation de trop affirmer: ce peut être assez pour nous libérer, de nous affranchir de l'erreur, sans qu'il soit besoin d'ambitionner l'obtention d'un inconditionné. Certes les mots alors nous trahissent: l'il- lusion du moi une fois dissipée, ambition, obtention n'offrent plus de sens ; des caractères négatifs offrent non seule- ment la plus sage, mais la moins fausse description du nirvana. Et pourtant, par constraste avec la misère, la déception de cette existence, il semble difficile de ne pas supposer dans la situation du délivré un comble de béati- tude, une perfection de connaissance. De fait, le sage qui atteint la bodhi conquiert dès ici-bas, si l'on peut dire, cette manière d'être absolue, cette complète autonomie que les Jainas appelaient kaivalyam, et qui témoigne de l'état de « délivré- vivant », jîvanmukta. Le nirvana qui, en principe, ne doit pas être un état psychologique, fût-ce une exception- nelle extase, paraît néanmoins susceptible de se laisser éprouver dès cette existence même, quand sont consumés les feux du désir, écartés les voiles de l'illusion, torréfiés et comme stérilisés les germes (bija) des futures renaissances: alors la vie du saint se termine dans la certitude qu'aucune autre ne peut la suivre, comme achève de s'éteindre une lampe dont l'huile ne sera pas renouvelée, comme cesse peu à peu de tourner la roue que le potier n'actionne plus. Pré-

LE BOUDDHISME 95

cisons cependant que cette doctrine du nirvana sur terre, prélude du nirvana de l'au-delà, pour ancienne qu'elle soit, ne saurait s'appliquer à la biographie du Maître, qui n'entra, nous assure-t-on, dans cette quasi-éternité qu'au moment de sa mort, bien qu'il eût obtenu quarante-quatre ans au- paravant i'omniscience. La nécessité de laisser une place aux années d'apostolat s'opposait à l'identification, pour- tant suggérée par la doctrine, de l'état du Bouddha (Bud- dhatâ) et du nirvana.

La principale originalité spéculative du Bouddhisme pri- mitif réside en ce mélange de rationalisme et d'agnosticisme. Il admet, sur la seule autorité de la raison, la théorie des quatre vérités et de la production inconditionnée des phé- nomènes, mais supposant que la raison a de la sorte épuisé sa tâche, il tient toute autre recherche pour oiseuse et inu- tile au salut. On jugera par dans quelle mesure cette doctrine est religieuse, dans quelle mesure philosophique. La méfiance à l'égard de la réflexion désintéressée, appli- quée à d'autres sujets que la recherche directe du souve- rain bien, atteste une attitude fréquente chez les grands ini- tiateurs religieux. Mais la conviction que la clef de la déli- vrance ne se trouve que dans la connaissance des conditions phénoménales, et l'idée d'en faire la démonstration en intercalant une dizaine d'intermédiaires entre les cer- titudes extrêmes, la souffrance et l'ignorance : voilà des témoignages de rationalisme dont l'évolution ultérieure de la pensée indienne montrera toute l'importance. Pour avoir participé de l'ascète et du philosophe, du yogin et du sophiste, à une époque ces types s'opposaient en- core, le Bouddha effectua une œuvre à la fois religieuse par son but et philosophique par sa méthode. Il ne suffit pas de dire qu'il servit la cause de la pensée libre par sa réflexion indépendante des dogmes antérieurs, par

96 HISTOIRE DE LA PlULOSOPITIE INDIENNE

sa persuasion que le salut dépend de la connaissance, par son ébauche de méthode démonstrative. Il l'a servie avec plus d'efficacité encore, peut-être, par son partiel agnosti- cisme, car la pensée ne connaît pas de plus vif stimulant que la limite même qu'on prétend lui assigner. L'agnosticisme du Bouddha ouvrit sa voie à la réflexion indienne, comme celui de Socrate a provoqué l'essor métaphysique de la Grèce, celui du primitif Christianisme suscité la dogmatique chré- tienne, celui de Confucius la philosophie chinoise, celui de Muhammed la spéculation de l'Islam. Bien plus, il l'a lui- même inaugurée en posant, tantôt pour refuser de les ré- soudre, tantôt pour les résoudre en une ambiguïté grosse de problèmes nouveaux, les questions que l'avenir expli- citera.

L'éclosion presque simultanée du Jainisme et du Boud- dhisme ne saurait passer pour un hasard de l'histoire. Le parallélisme de leur évolution ultérieure protesterait contre une semble interprétation, car il témoignera de principes communs aux deux sectes. Communauté si manifeste, qu'on a pu, sans fondement historique assuré, mais sans absurdité spéculative, tenter de ramener l'une à l'autre les deux traditions. La Bouddha Gautama, selon certains Jainas, ne ferait qu'avec cet Indrabhûti Gotama, que des textes mentionnent comme disciple infidèle du Mahâvira (*^). D'autre part des indianistes tels que Colebrooke, Wilson, Lassen, Weber et encore A. Barth ont tenu le Jainisme pour une secte bouddhique dissidente (*'). La première

LE BOUDDHISME 97

hypothèse tire de trop grosses conséquences d'une simili- tude partielle de nom; la seconde heurte la tradition, qui présente le Jina comme légèrement antérieur au Bouddha. Mais les deux religions naissent d'une même obsession d'é- chapper à la transmigration, croyance encore contestée par beaucoup d'esprits, mais éprouvée ici et en une véritable hantise. Toutes deux prétendent conquérir le salut par un effort pour s'abstraire de la nature, effort surtout ascétique dans le Jainisme, mais effort qui, pour être plus intellectuel que pratique dans le Bouddhisme, n'en suppose pas moins une condamnation radicale de la vie selon les phénomènes. Toutes deux vénèrent non des êtres par nature transcen- dants, mais des hommes qui montrèrent la voie de l'affran- chissement et pour ainsi dire devinrent, en dépit de la nature, transcendants. Le délivré porte ici et mêmes noms, car les Jainas eux-mêmes l'appellent Bouddha, Tathâgata, et les Bouddhistes eux-mêmes le nomment Jina, Tîrtharnkara ; le mot de nirvana s'imposa vite aux sectateurs du Mahâvîra fcomme à ceux du Çâkyamuni. Les deux disciplines furent prêchées dans les mêmes contrées, à la même époque, donc dans les mêmes idiomes, par des apôtres également étrangers à la caste et au système brahmaniques, ce qui donne à penser que le Brahmanisme, en ces régions, était loin d'occuper alors une situation prépondérante: il s'en fallait de beaucoup que la moitié orientale de la vallée du Gange lui fût, au VI® siècle, possession assurée. Les doctrines que les Brah- manes vont taxer d'hérésie ne paraissent de la sorte ni cons- tituées par des esprits qui se seraient soustraits à leur orthodoxie, ni répandues parmi des populations déjà brah- manisées. C'est un type nouveau de culture qui se répand dans un milieu soit aborigène, soit aryen. Ni l'une ni l'autre des deux religions n'a besoin, au cours de sa propagande, d'entrer en lutte contre les dogmes védico-brahmaniques

98 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

dont plus tard seulement elles institueront une critique; il leur suffit, pour véhiculer quelques très simples notions nou- velles: la condamnation des désirs, le goût du renoncement, la pitié universelle, d'utiliser le bagage anonyme du folk- lore et des fables, propriété commune des Dravidiens comme des Indo-Européens, susceptible de se muer, selon l'inspi- ration du conteur, en apologues édifiants bouddhiques ou jainas (**).

Autant nous tenons à signaler comme nouveau ce type de culture, autant nous craindrions de ne pas marquer assez nettement ses attaches avec les idées indiennes précédentes. A aucun moment, moins encore avant le vi^ siècle qu'après, les idées brahmaniques n'ont accaparé tout l'esprit indien; le caractère extra-brahmanique des deux religions ne doit donc pas faire méconnaître ce qu'elles impliquent d'un fonds antérieur, ce que même elles possèdent en commun avec le Brahmanisme. Quoiqu'il n'y joue qu'un rôle subalterne, le panthéon védique n'est point ignoré des canons hérétiques. L'absorption de l'âme individuelle dans le Brahman-Atman, selon les Upanisads, s'oppose au nirvana bouddhique en ce qu'elle implique la fusion en une âme supérieure, en un prin- cipe de vie intégrale, alors qu'au contraire le nirvana s'ac- quiert en exorcisant l'apparence, de l'âme, en renonçant à la vie. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de fuir le phénomène, d'échapper au relatif et les seuls caractères qui conviennent à l'absolu brahmanique sont des négations, de même que le nirvana se reconnaît à la suppres- sion des apparences. Aussi la Bhagavad-Gîtâ pourra-t-elle parler d'un « nirvana brahmanique », ou « extinction dans le Brahman « (brahmanirvâna, V. 24). D'autre part le kai- valyam jaina, dans lequel l'âme s'isole en sa pure authen- ticité, exempte de compromission et de souillure avec ce qui diffère de sa substance, cet état coïncide avec le salut.

LE BOUDDHISME 99

tel que le comprend la brahmanique philosophie du Sâm- khya. Le Çâkyamuni passe pour avoir eu pour maîtres des adeptes du Yoga {*^) ; et c'est à leur instigation qu'il mena d'abord une vie d'austérités. La parenté de l'ascèse jaina avec celle des yogins ne fait pas de doute, non plus que la ressemblance entre l'intellectualisme du Sâmkhya et celui des Bouddhistes, qui cherchent également la délivrance dans la pure connaissance. Les Upanisads anciennes, presque contemporaines de la fondation du Bouddhisme, renferment des raisonnements d'un agencement moins lucide, d'une connexion moins rigoureuse, mais tendant au même but que le pratitya samutpâda (^^). Bien que l'idée soit nou- velle, de concevoir l'affranchissement comme une route à parcourir (mârga), qui par suite ne doit être indiquée que par quelqu'un qui déjà l'a frayée, c'est-à-dire par un homme éminemment sage, la conception de la loi (dharma) pro- clamée par un tel personnage, et non plus fondée par les dieux de toute éternité, apparaît une transposition dans les faits religieux, de la vieille notion politique du souverain, promoteur et gardien de la justice (dharma). Le Tathâgata, le Jina accomplissent une fonction royale en instituant l'ordre de la vérité comme le monarque établit celui de la légalité, voire même de la vertu. La légende nous en instruit, lorsqu'elle dépeint le Bouddha mettant en mouvement, tel un roi, la « roue de la loi » (dharmacakrapravartana) (*') et lorsqu'elle le fait naître de souche royale. Pour un analyste de la civilisation indienne, les dieux justiciers, Mitra et Varuna furent les prototypes des râjas et les souverains humains, les prototj^pes des Bouddhas. Du Véda aux Nikâyas passe, à peine modifiée, une même conception de la loi, dont le stade intermédiaire se trouve conservé dans les traités de science politique.

QUATRIEME PARTIE

LA PENSÉE SECTAIRE PRIMITIVE ET LA NOUVELLE SYNTHÈSE BRAHMANIQUE

CHAPITRE I RELIGIONS POPULAIRES

A. Dieux nouveaux. Les deux siècles qui précédèrent, ainsi que les deux siècles qui suivirent le début de l'ère chrétienne ont vu se constituer une littérature brahmanique très touffue, très diverse, mais qui témoigne de croyances plus nouvelles encore que les postulats des doctrines héré- tiques. Les documents qui renferment à cet égard la plus riche documentation sont les épopées du MiihTihharala et du Ranmyana, sur la signification desquelles nous aurons à nous expliquer, mais que nous ne prenons, quant à présent, que comme sources d'information sur ces croyances.

En opposition à la pensée brahmanique, système doc- trinal d'une caste, la pensée des Jainas et des Bouddhistes, qui en fait ne tient aucun compte d'une classification des hommes fondée sur la naissance, nous apparut préparée, propagée par l'activité de sages étrangers au sacerdoce, mais membres de la caste nobiliaire, la seule qui, en dehors des brahmanes, possédât instruction et loisir.

RELIGIONS POPULAIRES 101

C'est maintenant, si l'on peut dire, la religion du tiers- état qui pour la première fois va transparaître dans ces textes littéraires; et nous entendons par non seulement les croyances des deux castes inférieures de la société brahma- nique, mais celles de la masse amorphe des sans-caste, se mêlent, également méprisés des castes dirigeantes, les « dé- classés », les étrangers, les esclaves de couleur, les parias, les survivants asservis des aborigènes. Dans ce chaos social, con- sidérable par le nombre, pénètrent des influences brahma- niques, mais leur efficacité se montre faible sur des êtres ignorants des doctrines de l'élite, non admis au même culte, surtout possédés eux-mêmes par des croyances extérieures à celles des classes dirigeantes. Si repliés sur eux-mêmes que veuillent vivre les brahmanes, ils ne peuvent plus tenir pour négligeable cette quantité humaine sans cesse grossis- sante: toute tentative de leur part pour garder leur pré- pondérance aura pour rançon quelque altération de leur authentique doctrine par des concessions aux opinions comme aux superstitions de la foule (^^}.

Les épopées attestent l'existence de cultes dont nous ne trouvons dans aucun texte antérieur nulle mention, mais qui ne semblent point récents vers le début de notre ère. Leur origine populaire fait l'objet d'affirmations précises auxquelles on n'a guère prêté l'attention qu'elles méritent, parce qu'on les considérait à la lumière d'interprétations brahmaniques ultérieures, désormais prééminentes, et sans les comparer aux religions autochtones. Les données les plus caractéristiques concernent le culte de Krsna et de Râma, deux divinités exemptes de cet aspect naturiste que comportent les membres du panthéon védique, et non moins étrangères à cette vénération de la sainteté humaine qui tient lieu de religion dans les deux principales hérésies.

102 HISTOIRE DE LA riIILOSOPHIE INDIENNE

Les adeptes de ces cultes n'appartiennent à aucune caste particulière et se recrutent parmi les deux sexes; tandis que la révélation orthodoxe ne s'octroie qu'aux hommes, dans l'avenir les épopées seront enseignables aux femmes, selon le consentement explicite des brahmanes. Ce genre de communauté religieuse qui peut revêtir mille formes dis- tinctes, mais qui s'oppose à l'exclusivisme sacerdotal, c'est « la secte ». L'organisation sectaire qui, à toute époque, étend son emprise sur la majorité des âmes indiennes, fut, dès les origines, rivale de la systématisation brahmanique, plus stricte, plus exclusive; les compromis d'ordinaire incon- scients entre ces deux idéaux remplissent l'histoire de l'Inde religieuse. A bien des égards les partisans du Jina ou du Bouddha composent déjà deux sectes malgré l'allure aris- tocratique de l'ascétisme qui prévaut chez les premiers et de l'intellectualisme qui règne sur la doctrine des seconds. Dans la plupart des sectes la façon de vivre, le détail des opi- nions importent moins que le commun accomplissement de rites déterminés, sans connexion avec ceux que décrivent les Brâhmanas (*^).

11 n'est point question, pour les sectes proprement dites Bouddhisme et Jainisme exceptés d'échapper à la transmigration; il s'agit d'écarter des puissances malignes, de conjurer des sorts, de préserver hommes et troupeaux des maladies. De telles pratiques font songer non à la théo- sophie des brahmanes, mais à ces humbles cultes dravidiens que nous constatons aujourd'hui encore en Kanara, en pays tamoul ou telugu; elles impliquent non la recherche de l'illumination suprême en l'absolu, mais la propitiation d'une divinité de tribu, homme ou femme ayant jadis appar- tenu au groupe, lui ayant procuré des biens ou des maux. On s'assure la faveur de cet être devenu surnaturel en lui sacrifiant des animaux, sans nul souci de ce respect de la

RELIGIONS POPULAIRES 103

vie qu'impose très vite au brahmanisme la propagande bouddhique ou jaina {^^).

A la lumière d'un rapprochement avec ces cultes gros- siers, maints traits des légendes relatives à Krsna, dont les épopées se font l'écho, s'éclairent d'un jour nouveau. Ce dieu « noir », élevé parmi des bergers, gardien de bœufs (gopâla), toujours prêt au rapt ou à la razzia, chevaleresque et félon comme un chef de brigands, ne ressemble pas plus, par les traits anciens et concrets de sa personnalité, au Brahman-Atman des Upanisads qu'au Christ judéo-grec auquel on l'a com- paré avec témérité. Par contre il s'apparente aux dieux des Dravidiens de race noire, rudes bouviers au culte sangui- naire. Ses origines humaines se trahissent jusque dans le Mahâbhârata par l'abondance des épisodes peu édifiants dont il est le héros: les récits de ses orgies, de ses traîtrises y côtoient des textes l'on célèbre sa perfection et son omni- potence. Son aspect primitif se manifeste, tout barbare, en quelques vers du Harivamça (3.808, sqq.), pourtant posté- rieur au Mahâbhârata: « Nous sommes, dit le bouvier divin, des pâtres errant dans les bois; nos divinités à nous ce sont les vaches, les montagnes, les forêts». Et cette profession de foi, il la proclame pour justifier son refus de s'associer à l'adoration du dieu védique Indra. trouver aveu plus ingénu de l'origine populaire, extra-brahmanique, du Krs- naïsme ? (^^).

Les traits essentiels de la physionomie de Râma se pré- sentent sous un relief moins saillant, mais la légende rappor- tée par le Harivamça ne s'écarte guère de la vraisemblance en déclarant ce demi-dieu frère de Krsna. Lui aussi a mérité

d'être érigé en tueur de démons par les aventures brutales ou scabreuses qui signalèrent sa carrière de « héros ». Le portrait idéalisé qu'en donne le Râmâyana est ici hors de

104 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

cause, car il atteste une élaboration tardive des idées sec- taires, plus artistique et plus savante à la fois que celle dont fait preuve le Mahâbhârata.

Les épopées, même dans leurs parties les plus anciennes, ne nous fournissent d'ailleurs que des aperçus furtifs sur les cultes populaires à l'état fruste et natif. Elles nous dépeignent par contre avec complaisance soit une forme raffinée de ces religions aux origines si humbles, soit une accommodation des croyances des castes brahmanique ou ksatriya aux dévotions de la foule. C'est de l'une ou de l'autre, sans doute de l'une et de l'autre façon qu'il convient de juger l'aspect le plus fréquent du Krsnaïsme dans le Mahâ- bhârata. Krsna s'y révèle prince belliqueux, digne d'in- carner le type idéal des ksatriyas; ses conseils au vieux roi Yudhisthira attestent son peu de goût pour la vie ascé- tique, comme ses exhortations au probe et scrupuleux Ai'juna glorifient dans la guerre le mode le plus parfait de l'activité. Son rattachement à la famille des Pândavas, saluée par la légende épique comme une dynastie nationale, tient à cœur aux bardes du Mahâbhârata: on le déclare fils de Vasudeva, le Brillant, divinité céleste, et Vasudeva est frère de Kuntî, l'épouse de Pându. Or le Vasudévide, Vasudeva est une divinité que vénérait le Nord-Ouest de l'Inde, au ii^ siècle avant notre ère (^^). Voilà déjà le bou- vier transformé, comme naguère le sage des Çâkyas, en prince accompli, le voilà même assimilé à un <( dieu des dieux », roi de la terre et du monde. Afin de mieux annexer à l'Inde traditionnelle cette nouvelle recrue de son Olympe, on le proclame issu de l'antique souche royale des Bhâratas. Comment reconnaître plus nettement une provenance étran- gère et une divinisation de fraîche date ?

Le dessin évident de s'assimiler le culte de Krsna ne

siB manifeste pas seulement par des tentatives d'inspiration

RELIGIONS POPULAIRES 105

ksatriya; l'intervention des brahmanes, tendant au même but, se trahit dans l'effort pour identifier ce dieu reconnu depuis peu, à d'anciennes divinités védiques. Ainsi le Vâsu- deva ne ferait qu'un avec un certain aspect du Brahman ou du Purusa, dénommé Nârâyana, l'âme suprême en tant que réceptable des dieux et des hommes (nara), ou en tant qu'issue, comme l'œuf cosmique, des eaux primordiales (nârâh) (^^). Ce Nârâyana, invité par Nârada, dans le Çân- tiparvan (Mbh. XII), à s'expliquer sur l'origine de l'être, se reconnaît consubstantiel au Vâsudeva, à Krsna, même à

Râma. Mais ce n'est qu'une abstraction falote, en com- paraison de deux grands dieux que les brahmanes créèrent pour ainsi dire de toutes pièces, avec un minimum de données védico-brahmaniques antérieures, pour pouvoir accueillir sous une forme qui leur fût acceptable une nouvelle divinité populaire qui risquait de leur faire échec. Ces deux êtres, au concept desquels se trouvèrent ainsi collaborer l'artifi- cialisme de la caste savante et la spontanéité indigène, conservèrent jusqu'à nos jours leur empire sur les âmes. Ils se nomment Çiva et Visnu.

Çiva, sous son aspect originaire, mérite d'être le dieu des farouches tribus pastorales auxquelles appartient Krsna : les forêts, les montagnes sont ses résidences favorites; avec les bandes qu'il commande, ses ganas, il régit les innom- brables esprits de la nature; il patronne les humbles, qu'ils soient artisans ou voleurs de grands chemins. Il a pour doublet une déesse aux noms multiples, Parvati, la Mon- tagnarde; Durgâ, l'Inaccessible; Kâlî, la Noire; noms iden- tiques à ceux que portent, aujourd'hui encore, des divinités dravidiennes. De fait, son prestige ne se conserva nulle part aussi vivace, aussi prédominant que dans l'Inde mé- ridionale, où se maintiennent des sociétés d'aborigènes. Mais on confond avec Çiva, dès l'époque des épopées, un ancien

10(5 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

dieu védique, Rudra, qui préside aux tempêtes, mais qui, comme les génies autochtones, sème ou guérit les épidémies. La dualité d'attributions tant malfaisantes que salutaires appartient en propre à Rudra comme à Çiva: leur puissance, en soi nocive, devient favorable à qui sait s'en concilier l'appui ; d'où les titres sous lesquels on les invoque pour s'assurer leurs bonnes grâces: Paçupa, protecteur du bétail; Çambhu, bienveillant ; Çankara, bienfaisant; Çiva, propice. Sous son aspect le plus abstrait, ce dieu qui dispense la mort et la vie est Kâla, le Temps, destructeur et créateur universel. Mais loin de s'évanouir en un pâle concept, sa figure affecte un sauvage réalisme: ses attributs sont le phallus qui en- gendre, le trident qui anéantit; et le dieu, comme telle secte d'ascètes, entourne son visage couvert de cendres par une guirlande composée de têtes de mort (^*).

Les épithètes de Mahâdeva, grand dieu; d'ïçvara, Seigneur, également chères à la dévotion populaire, prête à révérer le surnaturel dans son uniforme totalité, sans cher- cher, comme la religion védico-brahmanique, à la spécifier sous la diversité des forces constitutives de la nature, ces mêmes épithètes conviennent, quoiqu'en un sens différent, à Visnu autant qu'à Çiva. L'omnipotence de Çiva résulte de ce qu'il est le principe de tout devenir; celle de Visnu, de ce qu'il pénètre tout. Le Visnu védique personnifie le soleil, en tant que cet astre, qui parcourt les espaces, infuse lu^ mière et chaleur aux trois divisions du monde: ciel, atmos- phère, terre; d'où la légende de ses trois pas, qui le rendent coextensif à l'univers. Mais, quoique son influence s'étende ainsi bien au delà du ciel, ce dernier est son séjour suprême, (paramam padam, Rgvéda, 1, 22, 20), celui aussi qui marque le terme de l'ascension des âmes (Katha Up. III, 9); et c'est à la lettre qu'on le dit le plus élevé des dieux (Ait. Br. I, 1). En effet, ses manifestations sont des «descentes»

RELIGIONS POPULAIRES 107

(avatâras) (^^). Afin que ce mythe de la splendeur solaire rejoigne les croyances du peuple, les brahmanes se remé- morent la bienveillance (sumati, VII, 100, 2) que le Rgvéda prête à l'astre du jour, en faveur des hommes.

Si disparates que semblent la sombre, la hirsute figure de Ci va et la radieuse gloire d'un lampadaire céleste, ces deux divinités se contaminèrent de Krsnaïsme; elles ne

s'érigèrent en puissances universelles que pour se reconnaître équivalentes à une forme religieuse qui leur était en prin- cipe étrangère. Par même elles se rapprochèrent: le Mahâbhirata, qui proclame l'existence de Visnu en Krsna, est suivi du Harivamça, qui égale l'un à l'autre Hari ou Visnu et Hara ou Çiva (Hariharâtmakastava, adh. 184) {^'^).

B. Notion nouvelle de la religion. L'apparition dans la littérature brahmanique de dieux nouveaux atteste la formation d'une conception insolite de la religion, qu'il fut à la caste dominante impossible de toujours dédaigner ou méconnaître. Les plus anciens témoignages s'en ren- contrent dans le culte de Bhagavat, le Bienheureux ou le Seigneur, titre donné à l' Être suprême dans un Krsnaïsme déjà très dégagé de sa grossièreté native. On les retrouve dans la secte çivaïte des Pâçupatas et dans la secte visnuite du Pâncarâtra, dont la symétrie ou le parallélisme semblent prouver de communes origines (^^). Des systèmes philoso- phiques distincts en procéderont, mais appuyés sur des pos- tulats analogues.

Les cultes nouveaux, du moins sous leur aspect popu- laire, antérieur à l'assimilation brahmanique, s'adressaient, comme la vénération des Jainas et des Bouddhistes, à des humains. Les modestes génies locaux que cherchent à propitier les aborigèn'3s n'ont, pour la plupart, trépassé que de fraîche date; et l'autorité d'un Krsna sur les bergers nomades participe à quelque degré du prestige d'un chef

108 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

sur les compagnons qu'il a menés aux prairies ou guidés au pillage. Ce caractère de « demi-dieu » fut reconnu par les Grecs analogue à celui de leurs héros, tel Héraklès. Mais un singulier contraste opposait cette vénération d'hommes à peine magnifiés, aux rites qui s'adressaient aux divinités soit naturalistes du Véda, soit abstaites des Brâhmanas: le divin apparaissait désormais tout proche du fidèle, puisqu'il émergeait pour ainsi dire de la condition humaine. L'adepte d'une doctrine connaît par des récits en voie de devenir légendaires, mais encore plausibles, la vie de son maître spirituel, et celui-ci n'a rien oublié des besoins de ses anciens parents ou amis. Cette intime familiarité de deux con- sciences, dont l'une soutient l'autre sans l'écraser de sa su- périorité, fait éclore des sentiments qu'aurait refoulés plutôt que suggérés l'antithèse entre un Brahman seul réel et des êtres phénoménaux à vrai dire inexistants.

Le divin n'étant plus une force naturelle, que le rite canalise et tourne à notre profit, ni une entité que construit l'intelligence, mais une source de vie, l'ancien type de foi, çraddhâ, croyance en la véracité d'un rsi révélateur du rite ou d'un guru dispensateur d'un enseignement, cède la place à de la confiance en le guide que l'on révère.

Il ne s'agit plus d'écouter seulement quelqu'un qui sait, en une obéissance à l'autorité qui impliquait une sou- mission devant la science; le culte populaire n'a que faire de la spéculation pure. Il s'agit de s'en remettre aveuglé- ment à la direction d'un maître, lequel n'est maître qu'au sens de Seigneur. On renonce à sa propre personnalité non parce qu'elle serait fragile en face des puissances cosmiques, non parce qu'elle serait illusoire en opposition au vrai, mais parce qu'on en fait don au souverain des âmes. L'opulence, la libéralité, la sagesse du bon pasteur subviennent aux misères, aux indigences dont se reconnaît affecté le « bétail »

RELIGIONS POPULAIRES 109

(paçu) humain; aussi le salut, qui ne s'acquiert ni par l'ascèse ni par la réflexion, s'obtient d'une grâce susceptible de nous être accordée en retour de notre abandon.

x\ucun abîme ontologique résultant de la croyance en la transmigration n'oppose, dans cette conception, le re- latif à l'absolu. L'âme n'a qu'à demander à son maître de se faire son sauveur pour avoir part elle-même à la vie divine: toutes les limitations de notre individualité se trouvent aussitôt compensées par les perfections de la souve- raine personnalité. Les nouvelles religions se représentent chacune leur dieu comme unique, Mahâdeva, en même temps que comme personnel, Iça, Içvara, le Seigneur ; aucune incompatibilité n'apparaît entre l'absolu et le carac- tère personnel, en dépit du postulat inverse admis par la pensée brahmanique; et la raison en est, semble-t-il, que cette théologie nouvelle, non seulement monothéiste, mais théiste, n'offre que la contre-partie dogmatique du piétisme s'absorbe la vie religieuse. Une dévotion dans laquelle le rite s'efface devant l'adoration suggère une on- tologie qui n'accorde une valeur qu'à la conscience divine. Seule importe la communication directe d'âme à âme, con- descendance bienveillante du supérieur, confiance aimante de l'inférieur, qui, au prix d'un maigre sacrifice, le renoncement à soi, s'unit, ravi, à l'amour même. Ce sentiment que par- tagent de façon complémentaire le dieu et l'homme, et qui chez l'un est pure générosité, chez l'autre une foi faite de quiétude et d'ardeur, un terme spécial le désignera dé- sormais : la bhakti (^*). La plus ancienne « Introduction à la vie dévote» que l'Inde ait composée est Isi Bhogavad-Git^ « Chant du Bienheureux » ou de « l'Adorable ». Ce texte, plus que célèbre, souvent mal compris, fait partie du Mahâ- bhârata (VI 25-42) ; mais il ne faut s'étonner ni d'y trouver des tentatives évidentes d'assimilation brahmanique, ni d'y

110 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

rencontrer une profession de foi sectaire, celle de l'église des Bhâgavatas; il faut plutôt signaler le paradoxe de ce singulier évangile, son piétisme fi déiste et quiétiste associé à de véhémentes exhortations belliqueuses, et reconnaître qu'en effet dans le cadre de la société brahmanique, c'étaient les mœurs de la caste guerrière qui s'éloignaient le moins de la rudesse des pâtres adorateurs de Krsna. Le fruste bandit pouvait devenir l'idéal de la noblesse d'épée ainsi que de la royauté: élevé de la sorte au niveau d'une caste de civi- lisation déjà raffinée, initiée à la réflexion abstraite, il voyait se transformer en grâces mystiques les traits licencieux ou sauvages de sa physionomie première. Ses caprices, sa vio- lence, c'est l'Esprit qui souffle il veut, sans connaître d'obstacles; ses erotiques aventures d'adolescent folâtrant avec des bergères, de reitre ravisseur, c'est le mythe que symbolise un Cantique des cantiques, adressé à l'époux des âmes. La Bhagavadgîtâ est un tel cantique, mais des vitupérations nietzschéennes exaltant la destruction côtoient des effusions dignes de 1' « Imitation ». C'est le dieu qui prêche la violence, c'est l'homme qui éprouve des scrupules. La conciliation de tant de barbarie avec tant de quié- tisme apparaîtra superficielle et précaire ; on y reconnaîtra de l'éclectisme brahmanique: à chaque caste son devoir (svadhar- ma), enseigne Krsna ; la tâche suprême d'un noble, tel que cet Arjuna auquel il s'adresse, c'est la guerre. Une telle assertion laisse à entendre que le dieu enseignerait une autre morale à un homme d'autre caste. A dire vrai, cet enseignement tout sectaire ne fait point acception de caste, et le for intérieur de la divinité dans le sein de laquelle toute violence guerrière trouve non son pardon mais sa justification, ne serait pas moins le but ultime de toute condition humaine autre que celle du noble. Un acte quelconque, pourvu qu'on l'accom- plisse sans souci de l'intérêt personnel, mais par amour pour le principe suprême, est agréé de Dieu et nous unit à lui. En

RELIGIONS POPULAIRES 111

cette fusion se résument toute spéculation, tout effort moral, et le vieux concept de yoga, qui connotait naguère la jonction des souffles vitaux en une ascèse indépendante, désigne désormais pour les Bhâgavatas l'absorption en Dieu.

Les religions populaires qui, sous leur forme intellec- tualisée, culminaient en monothéisme et en piétisme, diffé- raient de tout autre type antérieur de religion. Elles igno- raient l'autorité védique, les rites et dogmes des brahmanes sans même posséder en commun avec eux, comme les héré- sies, la croyance en la transmigration. Du Bouddhisme, du Jainisme, elles n'adoptaient ni le rationalisme, ni le mépris de la vie '(mondaine»; le désintéressement d'un dévot de Krsna n'implique aucun renoncement à des valeurs illusoires, mais une simple nostalgie, une vocation pour le divin.

Aucune instruction particulière, aucun dressage ascé- tique ne préparent à la recherche de cet idéal d'amour, accessible à quiconque. Le chemin de la dévotion, bhak- timârga, s'écarte et du chemin de la connaissance, jânna- mârga, et du chemin des œuvres, karmamârga, car l'action qu'il préconise c'est non le conformisme ritualiste, mais la vie commune, pourvu qu'elle s'accompagne de fidéisme. Et cependant l'influence des grandes hérésies se trahit non pas, peut-être, dans l'objet de la vénération, car révérer un dieu humain, tel Krsna, n'équivaut point à révérer un homme quasi-divin, le Jina ou le Bouddha; mais dans ce besoin de renoncement qui rappelle les préceptes n'autorisant d'autre action que celle qui ne portera pas de fruit, parce qu'elle est exempte de désir. De semblables religions heur- taient ainsi, à tous égards, les traditions brahmaniques. Leur hostilité au monachisme pouvait seule agréer aux brahmanes : elle permit à ces derniers de faire place dans leur système social aux cultes nouveaux, à la condition que ce fussent les cultes de castes inférieures. Mais cette

112 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

consécration précaire et dédaigneuse ne marqua pas encore l'apogée des religions populaires: elles se brahmanisèrent à ce point que le document qui en est pour nous le plus ancien témoignage, la Gîtâ, devint un texte sacré non pas de çruti mais de smrti, pour les brahmanes eux-mêmes. C'est la réaction de la caste sacerdotale à l'égard des divers facteurs nouveaux dressés en face d'elle, qu'il nous faut maintenant préciser.

CHAPITRE II LA RÉACTION BRAHMANIQUE

A. Les sources. L'événement qui domine ainsi les deux derniers siècles antérieurs à notre ère, c'est l'importance crois-> santé que prennent dans la civilisation indienne des idées des croyances extra-brahmaniques. D'autre part la caste des brahmanes gardait, sauf à l'intérieur des communautés bouddhiques ou jainas, le monopole de l'enseignement, le monopole même de la littérature, c'est-à-dire l'aptitude à rédiger, puis à conserver par tradition orale ou écrite, la substance des croyances ou des règles sur lesquelles vivait la société. Rien de plus significatif à cet égard que les épo- pées. Leur trame se compose de récits, âkhyânas, sans doute fort anciens, dont l'inspiration, moralisante ou héroïque, jaillit des couches populaires. L'Inde, à juste titre, se re- connaît comme le pays des Bhâratas, la lignée issue de ce légendaire Bharata dont le souvenir forme presque le seul

LA RÉACTION BRAHMANIQUE 113

lien entre les multiples peuples constituant l'indianité; car sans doute cette mythique tradition plonge plus à fond dans les arcanes de la mentalité indienne que le système ar- tificiel d'une caste particulière. Mais qui donc a fixé le texte du Mahâbhârata, puis celui du Kâmayana, en cette langue savante, le sanscrit, sinon des brahmanes ou des scribes dressés à leur école ? De ces innombrables dis- parates des épopées des développements étrangers à la pensée brahmanique se coupent d'interpolations, s'affublent de revêtements qui portent la marque d'une rédaction sace- dotale; de ce caractère scolastique du Mâhabhârata, véritable « somme » s'intègrent des éléments à peine conciliés, souvent inconciliables, pêle-mêle entassés entre les mailles d'un récit très élastique, comme si l'Inde, menacée par telle ou telle invasion, avait voulu sauver dans cette compilation ses plus chers souvenirs et l'expression in- cohérente de ses diverses convictions (^').

Le même esprit se retrouve, avec moins de spontanéité, avec un penchant croissant à l'abstraction, avec aussi le dessein de prendre les poèmes épiques pour modèles, dans les Purânas {^'^). Le titre seul de ce gem-e littéraire, «an- ciennetés », atteste le désir de composer « sur des pensers nouveaux des vers antiques. » Le vieux fonds des récits populaires s'y mêle toujours davantage de réflexion cos- mologique sur les créations et destructions alternatives du monde, de généalogies des dieux, des rsis, des races humaines. Cette soudure entre la légende et l'abstraction, désormais consacrée, détournait à jamais le génie indien d'un goût positif pour l'exactitude historique: trop vif était le désir d'unifier au moins par la commune rédaction sanscrite et à quelque degré par un conscient syncrétisme la diversité des sources d'inspiration. L'artificialité des Purânas ne compromet donc point, elle mettrait plutôt en évidence 8

114 HISTOIRE DE LA l'HlLOSOrHIE INDIENNE

l'intérêt documentaire des facteurs épars qui s'y trouvent conservés.

La réaction des brahmanes à l'égard des idées exté- rieures au brahmanisme ne se réduisit pas à une certaine assimilation de facteurs hétérogènes, sous la pression du milieu. Elle se précisa par des œuvres dont les unes se révèlent de pure essence brahmanique, des rituels appa- rentés aux Brâhmanas ; et les autres, quoique remplies d'idées de même ordre que celles qui se montrent dans les épopées, attestent un ferme propos, chez la caste domi- nante, de sauvegarder l'intégrité de son prestige en assu- mant elle-même l'organisation sociale.

Des extraits de Brâhmanas relatifs à la technique du sacrifice deviennent le centre de systématisations nouvelles, les sûtras (^^). A l'intérieur de chaque samhitâ, les Brâhmanas font ainsi souche d'un ou de plusieurs sûtras, différenciés selon la diversité des traditions ou des écoles ; la plus féconde, celle des Taittiriyas, donne, par exemple, le jour à cinq productions de cette sorte: les sûtras de Baudhâyana, de Bhâradvâja, d'Apastamba, d'Hiranyakeçin, de Vaikhânasa. Un autre principe de variété se surajoute, qui subdivise en deux catégories les sûtras. Certains hymnes du Rg ou apho- rismes de l'Atharvaveda s'emploient au cours de cérémonies familiales, à l'occasion des naissances, des mariages, des funérailles, du culte ancestral ; voilà le fond des sûtras relatifs à la vie domestique, Grhyasûtras ; ils reposent sur la tradition humaine, smrti. Un autre culte -beaucoup plus complexe, exigeant l'intervention d'un ou de plusieurs prêtres, s'exerce en d'importantes solennités dont les rois ou les riches supportent les frais, au grand bénéfice du sacer- doce ; la technique s'en trouve dans les traités qui partici- pent de la révélation, çruti: les Çrautasûtras.

LA REACTION BRAHMANIQUE 115

Une réflexion ultérieure greffa sur cette littérature ritua- liste des textes que l'on peut appeler juridiques, bien que le mot de dharma, nous le savons déjà, implique un sens autre- ment vast« que celui de loi civile, même que celui de loi religieuse. Pour reprendre notre exemple, les sectateurs de Bau- dhâyana, d'Apastamba et d'Hiranyakeçin possédèrent des Dharmasiitras particuliers, sans compter même des Çulvasû- tras destinés à préciser les technicités matérielles du culte. Dans certaines écoles à ces dharmasiitras en prose s'adjoi- gnirent ensuite des œuvres de poésie didactique fondées sur la simple tradition, et nommées pour ce motif smrtis, les Dharmaçâstras. Le mieux connu de ces deux textes, apparenté à l'école de la Maitrâyanî samhitâ, est ce que nous appelons « les lois de Manou » (^^), œuvre éminemment caractéristique de l'esprit brahmanique, et, pourtant, par son contenu, son âge, et sans doute le milieu elle fut rédigée, toute voisine du Mahâbhârata et des premiers Purâ- nas.

B. Les doctrines. Manou, sous l'invocation de qui se présente le recueil, est un prototype légendaire de l'humanité: la mythologie védique saluait en lui le fils du Soleil, Aditya; le Brahmanisme ultérieur, un de ces démiurges subordonnés au Brahman, coopérateurs de l'œuvre cosmique. Il légifère pour l'humanité entière : à tout homme sans acception de distinction sociale il prescrit « le respect de la vie d' autrui, la véracité, l'abstention du vol, la pureté, la maîtrise de soi (X, 63). Il se rencontre par là, mot pour mot, avec Jainas et Bouddhistes. Mais il ne se borne pas à ce dharma impersonnel; il exalte comme le Krsna de la Gitâ, le svadharma, la loi propre de chacun selon le groupe auquel il appartient de naissance (jâti). Le mal social, le péché métaphysique par excellence réside dans la confusion des castes. Conservatisme surtout théorique, car malgré le prestige qui lui donnait.

116 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

inégalement selon le milieu et les époques, force de loi, cette distribution des hommes en groupements incommunicables exprime plutôt un idéal qu'une réalité ; jamais les faits ne permirent, parmi le chaos ethnique, ce refus implacable de pénétration mutuelle. La vérité c'est que les mélanges furent honnis, avec la dernière énergie, par la caste dirigeante, avant tout soucieuse de maintenir son empire par la définitive consécration de ses privilèges. En dépit, à proportion même des concessions que devait faire l'esprit brahmanique à des croyances nouvelles, il s'évertuait à fonder dans l'ab- strait sa complète, son éternelle souveraineté. En accord avec l'affirmation que le Brahman est l'unique réalité, le prêtre consacré à son culte se déclare « une grande divinité » (IX, 317), une divinité même pour les dieux (XI, 85), qui ne peuvent se passer de ses offices. Manquer de respect à un brahmane est l'impiété suprême.

L'exclusivisme de caste se fait, en théorie, d'autant plus outrancier que deviennent plus nombreuses et plus étendues les concessions des brahmanes aux conceptions étrangères à la leur. Naguère, le rite procurait l'existence aux vivants, la sauvegarde aux familles, la permanence aux morts, la pérennité aux dieux. Mais à mesure que les idées védiques, base de ce rite, sont mains comprises, se précise une tendance à l'interprétation symbolique. A côté de l'efficacité inhérente au culte même, apparaît plus efficace encore la direction de l'intention vers une intime consécration au divin (diksâ). Désormais le sacrifice ne présente toute sa valeur que renforcé par cet autre sacrifice: une vie pure, et par cet autre ; la science ésotérique. Mais le symbolisme ne suffit point à tout concilier ; pour faire une place à des manières de vivre incompatibles, jugées religieusement nécessaires, les brahmanes s'assignent à eux-mêmes l'obligation d'adopter tour à tour différents types d'existence : novice

LA RÉACTION BRAHMANIQUE 117

brahmanique (brahmacârin), on acquiert la science védique et la pratique de la chasteté sous la direction d'un brahmane ; 20chef de famille (grhastha), on se conforme à la loi du mariage, on élève des enfants; 3^ on fait retraite «en forêt)) (vana- prastha), avec ou sans l'épouse, avec ou sans l'accomplis- sement des rites; enfin on renonce à tout (sannyâsin) dans le dénuement et la vie errante du mendiant. A la faveur de cette théorie des âçramas, ou stages successifs de la vie humaine chez l'élite sociale, s'accommodaient des idéaux aussi disparates que ceux du laïque, du prêtre, et du solitaire ; la ponctualité rituelle n'excluait plus ni l'ascèse du yogin, ni la libre réflexion ; les brahmanes faisaient place de la sorte et à la vie du monde, et à l'austérité, enfin à la spéculation d'où qu'elle vînt: de la pensée ksatriya, des croyances sectaires, même des hérésies. Cet éclectisme mérite aussi bien d'appa- raître l'expédient d'une caste payant de compromis le maintien de sa prépondérance, et l'organisation d'une so- ciété toujours plus complexe par une élite aussi rigide dans le respect de^ ses traditions que souple dans sa faculté d'adaptation à des circonstances nouvelles.

Les dogmes brahmaniques se modifient d'une façon parallèle en ce qu'on est convenu d'appeler l'hindouisme (^^). Le Brahman, forme neutre, cède la place à Brahmâ forme masculine un dieu personnel, si bien calqué sur les personnalités de Visnu et de Çiva, qu'on l'assimile à ces derniers. D'où l'admission, vers le v^ siècle, des trois formes divines (trimûrti) jugées équivalentes : Brahmâ créateur, Visnu conservateur, Çiva destructeur; doctrine qui, bien qu'elle altérât en un sens théiste la notion brahmanique de l'absolu, ne parvint jamais à lui donner dans l'opinion des fidèles étrangers à la caste dirigeante un crédit comparable à celui dont jouissaient les grandes divinités populaires. Un autre artifice d'éclectisme, non moins significatif de la men-

118 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

talité nouvelle, consiste à prêter aux essences divines la faculté de s'incarner tour à tour dans des personnalités distinctes afin de jouer ici-bas un rôle défini. Ces divers épisodes d'une existence divine rappellent les existences antérieures du Bouddha, telles que les jâtakas en fournis- sent le récit: avec cette différence toutefois qu'ici la succession des formes ne s'explique point par la loi de l'acte ni la trans- migration, mais par la bienveillance d'un principe permanent qui « condescend « à se manifester successivement de façon diverse dans des milieux différents, pour remettre dans le droit chemin l'humanité égarée. Ces manifestations, «des- centes» (avatâras) d'une même essence ontologique dans des périodes du monde distinctes, ont l'avantage d'accorder dans l'abstrait des mythes, des croyances en fait sans com- mune mesure comme sans parenté.

CINQUIEME PARTIE

LA. PENSEE BOUDDHIQUE MAHÂYÂNISTE

CHAPITRE I CARACTERES GÉNÉRAUX

Parallèlement à l'organisation par laquelle le Brahma- nisme fondait à la fois ses dogmes et sa prééminence sociale, l'hérésie bouddhique poursuivait, elle aussi, un travail de systématisation doctrinale et de réglementation religieuse. Le second aspect de cette entreprise, l'évolution de la disci- pline monastique, peut être passé sous silence : mais l'aspect spéculatif présente une importance décisive non seulement parce que la réflexion bouddhique offre une valeur philoso- phique de premier ordre, mais parce que cette réflexion joua dans l'ensemble de la pensée indienne un rôle capital.

Les transformations du Bouddhisme résultèrent de la rivalité d'une foule de sectes. Les traditions multiples, la «poussée» diverse de l'enseignement primitif dans les ter- rains variés il fut semé, sont, selon toute vraissemblance, des faits très anciens, que la communauté elle-même a mécon- nus en supposant que la diversité était apparue dans l'église par suite de scissions. Mais les divergences les plus anciennes concernaient les observances disciplinaires: les fidèles ne se passionnèrent pour des questions théoriques, déclarées oiseu- ses par l'agnosticisme du maître, qu'à mesure qu'on s'éloigna

120 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

des âges primitifs. Le Bouddhisme devint de plus en plus philosophique au cours des huit premiers siècles, mais il se réduisait d'abord, au moins dans la vie de la communauté, à des prescriptions pratiques. La tradition en eut le sentiment très net, en professant que les réflexions sur la loi l'abhi- dharma ne se firent jour que postérieurement à l'institution de la loi. Il faut ajouter que, par un changement de valeur du mot, analogue à celui qui fixa le sens du terme grec « métaphy- sique», cette réflexion sur la loi ne prit qu'avec le temps caractère d'une philosophie abstraite, extérieure à l'exercice du monachisme (^). Nous n'en voulons pour preuve que le contenu de la loi bouddhique tel qu'il apparaît dans les édits d'Açoka, sous le règne duquel (274-237) précisément la tradition situe l'introduction de l'Abhidharma dans le canon, lors du concile de Pâtaliputra. Les inscriptions que le monarque « aimé des dieux », Piyadasi, fit dresser à travers son empire pour promouvoir le règne de la loi bouddhique, ne concernent que la religion sociale et la morale pratique ; elles exaltent la tolérance, le respect de la vie, mais ne men- tionnent ni les vérités saintes, ni la chaîne causale, ni la voie de la délivrance, pas même le nirvana, pas même l'uni- verselle misère (^^). Pourtant Açoka devait se faire moine. Sans doute un empereur s'adressant à ses peuples ne saurait s'exprimer en métaphysicien: il n'en est pas moins remar- quable que l'illustre patron du Bouddhisme antique ait été non un contemplatif, mais un souverain.

A mesure que se développe la littérature d'abhidharma la distinction des sectes s'opère de plus en plus autour d'opi- nions dogmatiques (^®). Le nom même des écoles en fait foi; mais le goût de la tradition pousse les partisans d'idées récentes à garder en même temps les désignations anciennes. Ainsi, Sthaviras (les vieux, les fidèles à la tradition) et Maha- samghikas (les majoritaires, les dissidents): voilà de vieilles

CARACTÈRES GÉNÉRAUX 121

appellations, imputées au début du concile de Vaiçali. Sau- trântikas (partisans du corpus des Sûtras) et Vaibhâsikas (adeptes des livres appelés Vibhâsâs) ; deux termes plus nouveaux, qui se réfèrent non à des conflits entre groupes, mais à des rivalités de textes. Sarvâstivâdins (Réalistes inté- gi'aux) et Vibhajjavâdins (Discriminateurs) : expressions plus tardives encore, qui connotent des attitudes spéculatives. Or ces désignations d'origines disparates en partie se dis- tinguent, en partie coïncident. Ainsi un Sarvâstivadin est un VaibhSsika et se rattache à la souche Sthavira: mais un Vibhajjavâdin, si l'on en croit du moins le MaKabodhivamsa, est aussi Sthavira. Bien que l'on s'efforce de maintenir le chiffre de dix-huit sectes, la classification varie selon les sources et selon les temps: il est en outre peu plausible que les mêmes étiquettes aient offert le même sens deux siècles avant et six siècles après l'ère chrétienne. Toutefois, une opposition doctrinale se dessine, puis se souligne et s'affirme entre ces deux groupes : les Vaibhâsikas, qui renferment les Sarvâstivâdins et les Sammitîyas; les Sautrântikas, qui comprennent les Mahâsamghikas et les Sthaviras. Cette antithèse durera autant que le Bouddhisme indien: elle présente un sens spéculatif.

A l'origine se devine une opposition analogue à celle qui partageait les esprits à l'époque du Bouddha et du Maha- vïra : kriyavâdins partisans de l'autonomie et de l'efficacité de l'esprit; akriyavâdins négateurs de cette autonomie et de cette efficacité. L'enseignement du maître ayant laissé sans solution les questions métaphysiques, il restait loisible aux Bouddhistes d'attribuer à l'âme empirique une certaine réalité, ou de dissoudre sa prétendue substance en une suc- cession continue (samtâna) de causes et d'effets purement phénoménaux. C'est la double attitude des pudgalavâdins qui croient à un moi permanent, quoique non absolu comme

122 HISTOIRE DE LA PHII^SOPHIE INDIENNE

l'âtman brahmanique, et des skandhavâdins, qui diluent l'esprit en une poussière ou un flux de facteurs transitoires, mais régis par causalité ; les skandhas. Remarquons que la valeur prise désormais par ce mot est manifesteinent pos- térieure à son acception jaina ; il désignait dans le Jainisme des agrégats d'atomes: il conserve ce sens à l'intérieur du Bouddhisme, dans la mesure certains Bouddhistes res- teront atomistes, mais il prend une signification nouvelle aux yeux de ceux qui nient toute substantialité ; il ne connote plus qu'un amas de phénomènes inconsistants. En tout cas les pudgalavâdins n'étaient pas assez réalistes pour que l'évanouissement du moi dans le nirvana devînt inconce- vable, ni les skandhavâdins assez phénoménistes pour que fût inimaginable le transfert d'existence à existence, à travers le samsara, d'un support quasi-permanent de la personnalité, le vijnâna; les uns et les autres pouvaient donc se dire Boud- dhistes. De fait, la division en Vaibhâsikas et Sautrântikas coïncide, en gros, avec la distinction de ces deux thèses. Les premiers sort, à quelque degré du moins, réalistes, puisqu'ils comptent parmi eux ces « réalistes intégraux », les Sarvâsti- vâdins, et aussi ces réalistes partiels, les Sammitiyas, parti- sans d'une certaine permanence du moi. Les seconds sont phénoménistes, car ils résolvent l'âme en skandhas et tous composés en existences momentanées (ksanika), sans cesse dé- faites et refaites par la causalité de l'apparence. Les uns ont une théorie réaliste de la connaissance, professant que les objets sont perçus directement ; les autres admettent au contraire que nous nous contentons d'inférer l'existence des choses extérieures^

Telle était sans doute la portée des débats entre Boud- dhistes au premier siècle de notre ère, lorsque les Turuskas ou Scythes envahirent le Nord-Ouest de l'Inde, et que leur maître, Kaniska, se convertit au Bouddhisme ("). On peut

CARACTÈRES GENERAUX 123

apprécier, par comparaison avec le dharma d'Açoka, com- bien la foi s'était chargée de réflexion abstraite. Le chef de la nouvelle dynastie, suivant l'exemple de son illustre devan- cier, réunit à Jâlandhara un concile, dont les présidents, Pârçva et Vasumitra, firent rédiger en sanscrit un commen- taire sur chacune des «corbeilles», le Sûtropadeça, la Vinaya- vibhâsâ, VAbhidharmavlbhâsTi.

A l'époque de Kaniska, et, dans une certaine mesure, à son action propre est attribuée l'introduction dans la religion d'un esprit insolite. L'origine étrangère du monarque et de ses compagnons les envahisseurs, la fondation de son empire dans la contrée de l'Inde la plus soumise aux influences occidentales: voilà des facteurs nouveaux. Un Bouddhisme particulier va se constituer, qui s'opposera au précédent, tout en y prenant sa base. Il se déclarera la véritable voie, la grande route du salut ; Mahâyâna, le grand véhicule (^*) : par contraste il taxera de petit véhicule, Hinayâna, les doctrines antérieures. Quoique la récente inspiration soit appelée à susciter des œuvres qui lui seront propres, et qui s'inséreront sinon dans le canon pâli, du inoins dans les canons sanscrit et, ultérieurement, tibétain ou chinois, les Mahâyânistes ne répudient aucune des Ecritures d'avant le premier siècle: ils prétendent seulement pénétrer au travers de la lettre à l'esprit véritable des textes. Ils ne se regardent donc pas comme schismatiques et ne sont pas pris pour tels par les partisans de l'interprétation tradi- tionnelle. Nulle démarcation rigoureuse ne scinde en groupes adverses les livres qui font, ici ou là, autorité ; telle école, celle de la Satyasiddhi, occupe une position intermédiaire, de sorte qu'il faudrait faire violence à la réalité pour préciser commence, finit chacun des véhicules. Aucune animosité ne se manifeste de part et d'autre; mais les uns se flattent de mieux approfondir, les autres se vantent de demeurer

124 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

fidèles à l'enseignement du Maître. Au iv^ siècle, Asanga s'affligeait de voir son frère Vasubandhu consacrer sa puis- sance de travail et ses talents dialectiques à la défense du dogme hïnayâniste: quand Asanga réussit à le convertir, Vasubandhu déploya sur le tard un zèle de néophyte à fonder la vérité supérieure du Grand Véhicule. A cette rivalité intellectuelle se borna l'antagonisme des deux doctrines, dont aucune n'exclut l'autre, sur la terre indienne tout au moins, car ce fut le Petit Véhicule qui s'exporta de Ceylan vers la Birmanie et le Siam, et le Grand qui se propagea du Gandhâra, du Cachemire, du Népal vers le Turkestan, b Tibet, la Chine, le Cambodge, la Corée, le Japon.

Quoique peu homogène, la pensée mahâyâniste présente des caractères généraux qui la distinguent du Bouddhisme antérieur. Dès ses expressions les plus anciennes qui peuvent remonter jusqu'au i^"" siècle avant notre ère, elle se spécifie par une conception particulière et du salut humain et de la personnalité du Bouddha.

La doctrine bouddhique avait sans doute été pour son initiateur une conquête de l'illumination, mais elle se pré- sentait pour les disciples comme une imitation de l'exemple donné par le maître. Pure philosophie chez le Bienheureux, elle se réalisait en vie morale et religieuse chez ses adeptes. Le Tathâgata avait pensé pour toute la race humaine, qui n'avait qu'à recueillir et pratiquer sa loi. Ce faisant, les hommes pou- vaient prétendre à passer, eux aussi, par le gué signalé comme permettant de franchir la transmigration. Or la nouvelle doctrine infuse au fidèle un immense orgueil: elle lui sug- gère qu'il peut et doit se sauver lui-même non par des œuvres pies, mais par la science comme s'est affranchi le Bouddha ; chacun est en puissance un Tathâgata. Désormais on tient pour inférieur l'idéal de sainteté jusqu'alors préconisé. Devenir arhat, c'est-à-dire « méritant, vénérable », et trouver

CARACTÈRES GÉNÉRAUX 125

avec modestie, dans l'observance de la loi, l'issue hors du sam- sara, voilà une ambition qui semble médiocre, voire égoïste, car elle se limite à un intérêt encore individuel: fuir pour son compte la mesquine individualité. Par contre on rêve de devenir soi-même celui qui comprit que la loi est aussi vaine que le phénomène; on veut se hausser au point de vue d'où l'individualité cherchs non la suppression de sa chétive misère, de sa piètre illusion, mais l'évanouissement de toute vie, l'extinction de toute illusion: après avoir coïncidé avec la totalité des phénomènes, on veut posséder la connaissance intégrale et par réaliser l'universel salut. On se persuade que le seul moyen de s'affranchir, c'est d'affranchir le monde.

Le véritable Bouddha, dès lors, est autant celui que nous pouvons être que celui qui naquit à Kapilavastu: il pourrait exister, en droit du moins, à une infinité d'exem- plaires. Le maître dont le canon a recueilli les enseignements ne fut Sauveur de l'humanité entière que parce qu'il fut, non pas simplement l'ascète Siddhârtha, mais un Bouddha, mais le Bouddha. Déjk^dsiïisVAnguttaraNikâya (II, 38),ils'ex- prime ainsi: «Je ne suis pas un homme; sache, ô brahmane, que je suis un Bouddha ! » Malgré la résistance des vieux boud- dhistes, les Mahâsamghikas à maints égards ancêtres des Mahâyânistes, proclamaient que le Bouddha est surna- turel (lokottara), transcendant au monde. Le Suvarna- prabhasa-sûtra se demande avec angoisse pourquoi le Çâkya- muni mourut à quatre-vingts ans: en réalité l'âge du Bouddha ne peut pas plus être compté que ce qu'il faudrait de grains de moutarde entassés pour égaler le mont Su meru : « Le Bouddha n'est iamais entré dans le ParinirvSna; le bon dharma ne périra jamais. » Pourtant, dira-t-on, le Çâkyamuni a vécu une vie d'homme, il a prononcé des paroles saintes mais humaines? Erreur: quand le Bouddha paraissait dormir, il ne dormait pas; quand il paraissait méditer, il ne

120 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

méditait pas, car il n'y avait pas pour lui de problèmes, mais une sympathie intégrale avec la vérité ; quand il parlait, le sens véritable de son langage n'était pas celui des paroles entendues. Son corps n'était pas physique, il ne se composait pas d'éléments, d'os, de sang, mais d'une nature toute spiri- tuelle. Etrange destinée du Bouddhisme ! Tant que son initiateur resta conçu comme un homme, ce fut une religion ; quand on se le représenta comme un dieu, ce devint une métaphysique.

Cette double transformation de la notion de salut et de la personnalité du Bouddha, s'effectua par deux concep- tions inverses et complémentaires, l'une qui jeta un pont entre la nature humaine et l'absolu, l'autre qui justifia la possibilité pour l'absolu de fonder le relatif.

Les Mahâyânistes estiment que le Petit Véhicule convient au commun des mortels, à ceux qu'ils appellent Çrâvakas, parce qu'ayant des oreilles ils «entendent» la loi et que, par suite, s'ils ont de la bonne volonté ils s'y soumettent. La loi qu'ils comprennent ce sont les quatre « vérités saintes ». Les mieux doués, les dociles, les tenaces arrivent à l'intelli- gence des causes de la misère: leur loi ce sont les douze conditions ; ceux-là, participant à l'intuition qu'eut le maître sous l'arbre de la bodhi, s'affranchissent par même de leur individualité, ils sont Bouddhas quant-à-soi, Pratyekabud- dhas, notion dont s'avisèrent non seulement les Hina- yânistes, mais les Jainas. Il appartient au Grand Véhicule de dépasser cet idéal au moyen de six vertus parfaites (pâramitâs) : la perfection de l'aumône (dâna), de la moralité (çila), de la patience (ksânti), de l'énergie (virya), de la méditation ( dhyâna ) , de la sagesse ( prajfiâ ) . La dernière, qui suppose les cinq autres, confère à qui s'en rend digne non seulement le sens de sa propre misère

CARACTÈRES GÉNÉRAUX 12T

et la direction de son salut personnel, mais Fomniscience, l'omnipotence et la charité universelle : elle fait de l'homme non seulement un être capable d'illumination, mais un être d'illumination, bodhisattva. En termes européens elle iden- tifie la créature à l'absolue vérité. Un tel être n'a plus qu'à attendre l'extinction de son karman antérieur les Hinayâ- nistes auraient dit : pour accéder au nirvana ; les Mahâyâ- nistes disent: pour devenir Bouddha. La doctrine nouvelle est la loi des bodhisattvas ou aspirants bouddhas.

Pour un motif similaire, mais inverse, on éprouve le désir d'expliquer comment, pourquoi existent à côté du Bouddha absolu des phénomènes relatifs. On imagina une quasi-théologie qui n'est que le retournement et la présenta- tion sous forme d'hypostases des principales étapes de cette dialectique ascendante. L'arrière -fond de toute existence, à la fois principe et totalité des phénomènes, dharmakâya; supérieur à toute forme, mais doué d'intelligence, de pitié, de volonté; base de la loi (dharmadhâtu) et matrice des bouddhas ( Tathâgatagarbha), voilà l'approximation la moins inadéquate de l'absolu dans une doctrine qui, pour rester bouddhique, ne peut donner à l'inconditionné que ce nom : 1' « agrégat des phénomènes». Telle est la vérité comme la comprennent les bouddhas eux-mêmes, tant le canon primitif avait raison de poser comme équivalents le Bouddha et son dharraa. Si nous sortons du «'domaine » des bouddhas pour passer dans celui des budhisattvas, cette vérité suprême doit s'accommoder à la nature de ces êtres, pures intelligences mais incomplètement délivrés, pour cette raison même qu'ils demeurent pures intel-^ ligences. La vérité leur apparaît donc douée de formes sen- sibles, pourvue de caractères déterminables (signes et mar- ques: laksana, anulaksana): elle est pour eux « agrégat de participation» sambhogakâya, l'ensemble des façons dont la réalité se laisse « jouir » par les esprits auxquels elle se^

128 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

communique. Au-dessous de ce stade se situe le domaine des Çrâvakas : à ceux-là le vrai ne devient participable que sous les voiles de l'illusion, comme « amas de prestiges », nirmâ- nakâya. En tant que « souverain des créatures », Visnu incorporé en Krsna déclarait déjà dans la Gitâ (IV, 5-6) qu'incréé et impérissable, il «naît en vertu de sa mâyâ», pouvoir fantasmagorique. L'aspect hînayâniste de la loi, l'apparence humaine du Çâkyamuni, la réalité relative de ces phénomènes, conditions et résultats de l'ignorance : autant de fallacieuses apparences dans la langue desquelles il faut bien que s'exprime la vérité suprême pour s'adapter à la con- dition de l'homme empirique. Telle est la substance de l'ab- struse théorie du trikâya ou des « trois corps du Bouddha », constituée dès le i^"" siècle de notre ère (^^).

Le Bouddhisme nouveau s'oppose ainsi à l'ancien, comme une puissante inspiration métaphysique à un agnos- ticisme positiviste. Désormais, l'effort moral et religieux n'a chance de réussir ni pour le simple ascète, fruste et igno- rant, ni pour le pur intuitionniste capable d'une brusque illumination : il n'aboutit au succès qu'au terme d'une longue, d'une patiente conquête qui assure à l'esprit la possession des divers stades de l'être, des «terres» qui sans doute le séparent du but, mais aussi qui l'y ache- minent. L'intelligence ne se réalise qu'en un voyage, sur le parcours d'une route semée d'embûches, aux étapes tou- jours plus ardues. La vieille idée du «sentier», mârga, s'est chargée d'un riche contenu psychique, hypostasié en une multitude de domaines ontologiques f la notion se fait jour, d'un viatique susceptible d'ouvrir à l'homme, toute large, cette route et de le porter, toujours plus entreprenant, magnifié, au but ultime. Les adeptes de la doctrine eurent donc le très juste sentiment qu'elle ouvrait « la carrière par excel- lence », Mahâyâna, vers les fins suprêmes ; humble paraissait

PRAJNA PARAMITA, AÇVAGHOSA, NAGARJUNA 129

par contraste le salut égoïste, mesquinement utilitaire, prôné par les anciens, la « médiocre carrière », Hînayâna.

CHAPITRE II

PRAJNÂ' PÂRAMITÂ, AÇVAGHOSA, NÂGÂRJUNA

(i*' et II* siècles ap. J.-C.)

D'une attitude à l'autre, toutefois, la continuité est manifeste. Le Bouddhisme primitif indiquait un chemin moyen (madhyama pratipad), intermédiaire entre le vain rigorisme et l'absence de discipline; intermédiaire aussi entre les thèses contraires portant sur l'absolu, entre le oui et le non. Or les initiateurs de la pensée nouvelle se proclameront Mâdhyamikas, partisans du milieu. Les pre- miers bouddhistes avaient été spéculativement de purs sophistes, assez épris de dialectique pour se montrer inlas- sables rabâcheurs et disputeurs, mais pas assez confiants dans la valeur propre de la pensée pour en attendre une connaissance de l'être. Or les Mâdhyamikas érigeront en système cette méthode d'argumentation. Ne s' arrêtant plus au bon sens terre à terre qui retenait le premier Bouddhisme dans une quasi -positi vite, ils deviendront non des scepti- ques, mais des négateurs, assez négateurs pour nier la néga- tion autant que l'affirmation.

9

130 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Ce point de vue apparaît dans une littérature dont la rédaction doit être imputée au i*' siècle avant notre ère, les textes de Prajnâpâramitâ ou de Suprême Sapience. Des œuvres d'étendue inégale portent ce nom, depuis celle de 8.000 çlokas (stances) jusqu'à celle de 125.000 C°). Des deux hypothèses contraires : un délayage, ou une conden- sation du document primitif, aucune ne semble s'imposer; selon des plans différents plusieurs ouvrages d'inspiration similaire ont être rédigés dans des milieux soumis aux mêmes influences. Sous forme d'enseignement donné par le Bouddha au disciple Subhûti, la thèse qui s'y répète à satiété c'est que l'omniscience consiste à reconnaître l'universel néant. Déjà, dans le « sûtra de l'inexistence des caractéristiques» (Mahâvagga 1, 6, 38), le bouddhisme antérieur avait dénoncé l'inconsistance de toute forme d'être, le relativisme intégral entraînant un intégral phénoménisme. Maintenant toute détermination est proclamée une non-détermination (alak- sana). Cette doctrine, par même, sort des cadres de l'intellec- tuâlité: elle ne se présente avec rigueur que sans argumen- tation aucune, car pour argumenter des distinctions seraient nécessaires et l'originalité de la doctrine est de refuser d'en faire; d'où la sempiternelle répétition du même thème . un signe n'est pas un signe, une idée n'est pas une idée. La Vajracchedikâ, le « couperet de diamant )), ouvrage qui exerça sur l'Extrême-Orient une immense action, ne con- naît pas d'argument plus tranchant que ces coups de hachoir répétés jusqu'à la pulvérisation des phénomènes : «Une idée vraie n'est pas une idée vraie (14) «; pas d'idées du soi, d'un être, d'un phénomène (dharma), ni de non-soi, de non-être, de non-phénomène ; il n'existe ni idée (samjnâ), ni non-idée (6). C'est donc par des signes (alaksana) comme signes que le Bouddha doit être connu» (5). La Prajnâ-pâramitâ en 8.000 çlokas exprimait dans l'abstrait la même conception

PRAJNA PÂrAMITÂ, AÇVAGHOSA, NAGARJUNA 1'^^

en soutenant que tout est vide, sans solidarité (çûnya, ani- mitta, apranilîita). Cette dernière assertion se rattache, sauf élimination de la connexion causale, à la vieille doctrine selon laquelle les phénomènes sont momentanés; il s'ensuit que leur existence est « détachée », « isolée », mais par même « vacuité ». Que devient dès lors le Bouddha ? Comme il y a au moins quelque chose que l'on ne nie point, l'état d'illu- mination, la Prajnii elle-même, les Tathâgatas existent de l'existence de la Prajîîâ, leur « mère ». La connaissance les constitue; mais comme ils sont «libres de toute idée» (Vajr. 14) c'est une connaissance de vacuité.

Au premier siècle de notre ère le Mahâyâna trouve pour protagoniste un génie hors pair, que le pèlerin chinois Hiuen- tsang classera parmi les « soleils du monde ». Musicien et initiateur de la poésie sanscrite, Açvaghosa fut l'un des plus grands maîtres de la pensée indienne. Selon sa Biogra- phie — traduite en chinois par Kumârajîva entre 401 et 409, il fut contemporain de Kaniska: il aurait même été envoyé en tribut à la cour du chef des Yue-tchi avant que ce dernier devînt le puissant monarque hindou que l'on sait. Brahmane de naissance, il aurait été converti par Pûrna (auteur du Dhâtukâyapâda, un des classiques de l'Abhidharma des Sârvastivâdins), le disciple d'un certain Pârçva qui avait présidé un concile réuni au Cachemire et enseignait à Patna. Sans doute les ouvrages qu'on lui attribue ne sont-ils pas tous de lui, mais ceux dont rien ne fait douter qu'il soit l'auteur suffiraient à con- sacrer la gloire de plusieurs personnalités. Dans la Vajrasûei (Aiguille de diamant) il polémise contre la doctrine brahma- nique des castes; dans le Buddhacarita il présente, sous forme de poème philosophique, une biographie du Bouddha; dans le Saundœmnandakavya il chante, après les amours terrestres, la conversion d'un frère du Bouddha: ce person-

132 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDlEïTNK

nage finit par comprendre que le ciel même ne mérite point d'être désiré. Dans le Sûtrâlamkâra il orne d'un style fleuri (alamkâra) , à l'usage des gens du monde, les thèses essentielles du Grand Véhicule. Dans le Mahayâna- çraddhotpâda il justifie 1' « éveil de la foi mahâyâniste » ("). L'ouvrage ainsi intitulé, dont une traduction chinoise nous conserva la substance, offre, dans l'ensemble de la philo- sophie indienne, l'aspect d'un carrefour se croisent des directions multiples. En contraste avec les fastidieuses répétitions de la Prajnâpâramitâ, sur le thème de la vacuité universelle, nous trouvons ici un système aux articulations complexes, dont la pensée ultérieure dé- veloppera tour à tour des aspects différents. Il y a un fond de l'être, ni vide, ni non- vide : la quiddité (tathatâ) Ç^). N'étant ni sujet ni objet, ni être ni non-être, ni un ni multiple, c'est l'absolu, le lieu des phénomènes (dharma- dhâtu), la matrice des Tathâgatas (Tathâgatagarbha). Mais ce principe se peut affirmer comme conscience ; en se déter- minant, ce qu'il gagne en individualité il le perd en foncière inconditionnalité. Devenant pour ainsi dire l'âme du monde, il est le stock des déterminations intellectuelles, la cons- cience réceptacle (âlayavijnâaa). A un degré plus relatif, opposant un moi et un non-moi, il donne lieu à la conscience de l'esprit empirique (manovijriâna), et dans la mesure même il s'affecte d'ignorance (avidyâ) il devient conscience d'action (karmavijnâna). Dès lors le monde des phénomènes existe, et la servitude, et la transmigration. Le salut con- siste à supprimer ces diverses contaminations de relativité le Vedânta dira : ces upâdhis pour restituer, authentique et pure, la quiddité. Remarquons bien que le salut s'obtient non par une destruction du réel, mais par un approfondisse- ment de la structure ontologique des phénomènes. Aussi les mérites servent-ils à préparer la délivrance ; il faut cultiver les racines de vertu (kuçalamûla), car au terme de leur

PRAJNA PARAMITA, AÇVAGHOSA, NAGAR-JUXA ^ ^^

maturation le nirvana se trouve dans un retour au point de départ de l'évolution naturelle. Les Bouddhas, consubs- tantiels à cette évolution cosmique, se présentent selon divers degrés de relativité sous trois « corps » (kâya) que nous avons énumérés : foncièrement homogènes à l'absolu comme au relatif, ils étendent leur amour (maitri), leur pitié (karunâ) aux diverses créatures et, en raison de l'unité de l'être, leurs vœux sont assez efficaces pour sauver l'huma- nité. Ainsi apparaît dans le Bouddhisme l'idée du salut par la foi, idée répandue par les religions sectaires et déjà con- sacrée par le Brahmanisme éclectique du Mahâbhârata: le piétisme de la Sukhâvati en procédera. L'inspiration des Upanisads, naturelle chez un brahmane de naissance et d'éducation, se reconnaît dans la notion de la Tathatâ, en laquelle se fonde, à ses degrés divers, le vijîiâna, comme sur le Brahman absolu se greffait naguère l'âtman relatif; doc- trines équivalentes, sauf l'indispensable effacement de toute substantialité chez un théoricien bouddhique. Dans la même mesure, on s'écarte du nihilisme et de la Pâramitâ; car ici on ne se contente pas d'exclure le oui et le non; en un sens très dogmatique, on postule une essence ineffable, supé- rieure sans doute à l'être comme au non-être, mais d'autant plus réelle, nullement admise au sens relatif et provisoire comme dans le Lankâvatâra. En tant que la Tathatâ est plus foncière que l'être, elle peut passer pour vacuité ; à cet égard Açvaghosa fait partie de la lignée nihiliste et annonce les grands Mâdhyamikas des ii^ et ni* siècles. Mais en tant qu'elle est plus foncière que le non-être, en tant qu'elle fonde une conscience universelle (âlaya vijnana), elle fait présager l'idéalisme des Yogâcâras.

Ce fut une singularité de la doctrine d' Açvaghosa, qu'elle ne donna point naissance à une école : trop person- nelle, sans doute, s'y trouvait la synthèse opérée entre des

184 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

tendances indépendantes. Le système qui accapare l'atten- tion aux deux siècles suivants, c'est la pensée Mâdhyamika, qui procède directement des doctrines de Prajnâpâramitâ. L'initiateur en est un ancien brahmane, Râhulabhadra, dont l'œuvre maîtresse est d'avoir embrasé cet autre «Soleil», Nâgârjuna. Né, semble-t-il, à Vidarbha, dans l'Inde méri- dionale, ce dernier occupe assez de place dans le milieu indien pour que maintes contrées aient revendiqué l'honneur de l'avoir vu naître, et pour qu'on lui ait prêté six cents ans de vie. En fait, son activité se situe dans le dernier quart du II*' siècle; elle consiste à fixer, en cette forme classique et définitive que sous le nom de Sûtra le Brahmanisme de l'épo- que commençait à donner aux diverses traditions intellec- tuelles, la doctrine « moyenne », c'est-à-dire en toute ma- tière négative du oui et du non, qu'avait inaugurée la Prajnâ- pâramitâ ; son auteur lui-même y adjoignit un commen- taire, V Akutobhayâ, et présenta la même doctrine dans de nombreux opuscules ("). C'est une critique serrée des divers concepts bouddhiques, en vue d'établir que chacun d'eux non seulement ne suppose aucun fondement substantiel dans la réalité, mais se résout en néant. Ainsi le passé n'est pas, l'avenir n'est pas, le présent n'est qu'une limite : donc l'existence est «vide ». La cause, pour être cause, doit produire son effet, mais, en même temps exister comme origine de l'effet : or si elle se mue en effet, elle n'était rien comme cause et si elle subsiste après la causation ce n'est point à elle que l'effet est imputable; cause et effet sont donc dénués de réalité. Tout concept enveloppe ainsi une relation s'il s'agit d'une essence, elle-même et ce en quoi elle s'effectue ; s'il s'agit d'une action, l'acte et l'agent mais les deux termes ne peuvent exister au sens absolu, ni ensemble, ni séparément : donc ils n'existent point. L'esprit ne trouve nulle part se prendre : l'autonomie (svabhâva) d'un concept n'est qu'apparente. Cette attitude n'a rien de com-

-- - - - - 1QX

PRAJNA PARAMITA, AÇVAGHOSA, NAGARJUNA ^''^

mun avec le scepticisme grec : Nâgârjuna ne doute pas, il dogmatise négativement; Burnouf put le qualifier de pyrrhonien, en ce qu'il confond l'intelligence pour faire place à la foi. Mais à quelle foi ! L'existence n'étant que vacuité (çûnyatâ) il n'y a ni servitude, ni délivrance; samsara et nirvana, en un paradoxe suprême, s'équivalent. Faute de degrés dans l'être, ou, si l'on préfère, dans l'illusion, le Bouddha se réduit au Dharmakâya, agrégat sans consis- tance de la loi ou des phénomènes. Rien de plus insolite que de semblables thèses; pourtant rien de plus conforme à l'authentique tradition, que la voie moyenne et la dialec- tique sophistique. Le génie de Nâgârjuna, surtout polémique, accomplit néanmoins une œuvre positive, en fondant le Nouveau Véhicule sur l'Ancien, et en scrutant avec une extrême rigueur le contenu des notions philosophiques. C«tte tâche se poursuivit et s'acheva chez son disciple, moins éristique, plus constructif, lui aussi d'origine méridionale, Aryadeva, l'auteur du Bodhisattva-yogâcâra-catuhçataka (1" quart du ii^ siècle) ('*).

CHAPITRE III ASANGA ET VASUBANDHU (iv« siècle)

Le nom de l'ouvrage d' Aryadeva coïncide avec celui d'une école qui va peu à peu se détacher de celle des Mâdhya- mikas et l'éclipser. Les Yogâcaras, selon l'historien tibétain Târanâtha, avaient déjà cinq cents maîtres fameux, âcâryas, au temps de Râhulabhadra, vers le milieu du ii® siècle ; et compte tenu d'une vraisemblable exagération, nous ne sau- rions nous en étonner, car leur doctrine repose sur tout un

136 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

aspect de la pensée d'Açvaghosa. Cependant le principal protagoniste de la secte, Asanga, n'apparaît que deux siècles plus tard. L'intervalle fut occupé par la rédaction de livres qui composèrent une sorte de canon mahâyâniste. Cette littérature compilée sur l'ancien canon, quoique imprégnée de l'esprit nouveau, porte le nom de Vaipulya-sûtras : ce sont des « développements » sur la structure du monde phénoménal, sur l'essence métaphysique du Bouddha opposée à son appa- rition en le Çâkyamuni, voire en d'autres Tathâgatas du passé ou de l'avenir. Les révélations, les théophanies ana- logues à celles de la Gitâ, le goût du merveilleux tel qu'il s'étale dans les Purânas, voilà le principal contenu de ces textes. Les plus vénérés de ces livres, les neuf Dharma (paryaya)s, conservés remarquons cette indication géographique dans l'extrême Nord, au Népal, com- prennent, à côté de productions nihilistes, la Prajnâpâranitâ en 8.000 stances et le Lankœvatâra; une biographie du Bouddha, le Lalitavistâra des interprétations docétistes du rôle joué par le Tathâgata : le Lotus de la Bonne Loi, Saddarmapundanka et le Suvarnaprabhâsasûtra; une exal- tation du bodhisattva Manjuçrî, le Gayidhavyûha ou Avatam- saka-sutra; des descriptions de terres bienheureuses que conquiert la méditation, analogues à celles du Sukhâvatï- samâdhirâja ; nous pouvons laisser à part le mysticisme moins spéculatif du Tathâgataguhyaka C^). La notion du dharma, tel qu'il s'était élaboré à travers ces efforts disparates, se trouve résumée dans un manuel de dogmatique, le Dharma- samgraha, qui annonce la scolastique bouddhique des V®, VI® et VII® siècles, comme le Mïïnava Dharmaçâstra servit, dans le Brahmanisme, de trait d'union entre les doctrines épiques et la scolastique hindouiste ultérieure. En opposition à la thèse alaksana des Mâdhyamikas, les Yogâcâras seront partisans du Dharmalaksana, en d'autres termes admettront la spécificité des concepts ou des phénomènes.

ASANGA ET VASUBANDHU 137

Les premières productions de l'école se présentent sous l'invocation d'un personnage qui atteste l'importance prise par la notion de bodhisattva : Maitreya, le Bouddha de l'avenir. C'est lui que le Tathâgata gratifie de ses ensei- gnements dans le Lotus de la Bonne Loi: c'est autour de cette figure semi-divine que les bouddhistes disposeront un cycle de légendes relatives aux espoirs futurs de l'huma- nité. A ce personnage sont attribués divers traités, dont l'auteur paraît être Asanga, qui se disait d'ailleurs en com- munication spirituelle avec lui, et prétendait tenir de ce patron céleste la faveur d'avoir pu se dégager du Sarvâstivâda hînayâniste pour adhérer au Grand Véhicule. Il importe de retenir qu' Asanga naquit au Gandhâra, qu'il appartient non seulement à un milieu septentrional, mais aux confins de régions hellénisées, soumises à l'influence iranienne; que son activité se place dans la seconde moitié du iv^ siècle. Cinq ouvrages d' Asanga sont imputés à Maitreya: 1^ le MahTiyânasûtrâlamkâra, dont le titre même atteste la vo- lonté de s'inspirer d'Açvaghosa; le Madhyântavibhanga, « discernement de la voie moyenne et des thèses extrêmes»; S^ le Dharmadharmatâvibhahga, « discernement entre les phénomènes et leur principe » (en termes d'Açvaghosa : entre l'âlayavijnâna et la tathatâ)' 4^ VUttaratantra, «enchaî- nement de la doctrine suprême», exposé du Mahâyâna; 5^V Abhisamayâlamkâî'a, résumé des doctrines mâdhyamikas* Ce sont, avec le Saptadaçabhûmi («les dix-sept terres»), les œuvres principales de l'illustre docteur ('^). L'essentielle originalité de la pensée inaugurée par Asanga réside en une combinaison du Grand Véhicule avec les pro- cédés du Yoga. Il semble que ce soit vers l'époque même d' Asanga que la philosophie de ce nom ait précisé en sûtras définitifs ses thèses fondamentales; mais ces thèses, et sur- tout les pratiques dont elles dérivent, remontent sans nul

lo.S HISTOIRK DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

doute à un passé lointain, sinon en pleine préhistoire de la culture indienne. Techniciens d'une concentration desti- née à transcender la pensée empirique, les Yogins donnaient l'exemple d'un approfondissement introspectif ; la même méthode pouvait s'appliquer à la recherche du nirvana qui, par définition, outrepasse, lui aussi, les conditions de l'exis- tence normale. Le Petit Véhicule déjà, précisant la voie du salut, inclinait à poser le problème religieux en termes d'intro- version. Le Majjhima rdkâyn (4) déterminait quatre degrés de concentration ou dhyâna (pâli jhâna) : un effort pour s'abstraire des sens et réfléchir par discursion et analyse (savitakka, savicâra) ; 2^ une unification de l'esprit sans discussion ni analyse (avitakka, avicâra); 3^ une indifférence accompagnée de contentement (upekkhâ, sukha); 4^ une indifférence impassible supérieure à toute émotivité ("). Cette méthode du dhyâna n'est dans le Yoga qu'un moyen d'acquérir le sarnprajnâta samâdhi, un « agencement spiri- tuel qui comporte la sapience». Dans le Hinâyâna le samâ- dhi cède ordinairement la place à la prajnâ tout court (pâli pannâ) ; car, ainsi que l'examen du Yoga nous le fera com- prendre, l'acception propre du terme de samâdhi s'adapte mal au Petit Véhicule; d'ailleurs ce dernier tient volontiers dhyâna et prajnâ pour solidaires, corrélatifs, plutôt que pour moyen et but (Dhammapada, 372). Par contre, dans la mesure même le Mahâyâna resserre et renforce les liens qui unis- sent Bouddhisme et Yoga, il redonne sa pleine valeur au concept de samâdhi: comme aboutissement des dhyânas ("). Désormais ces derniers, en nombre variable selon les auteurs envisagés comme des domaines spirituels, devien- nent des contemplations, des vues plus ou moins appro- fondies sur la structure de l'être; ainsi, à chaque stade, corres- pondront des cieux différents dans le monde des formes (rûpaloka). Mais le samâdhi sera l'extase, la contemplation de l'immatériel. Les Yogâcâras, en concevant le progrès

ASANGA ET VASUBANDHIT 139

religieux et intellectuel comme un acheminement vers l'absolu à travers de multiples étapes à franchir tour à tour, ne faisaient donc que transposer en ontologie la dialectique d'ascèse et d'intériorité croissante vécue par les Yogins: l'école porte à juste titre son nom de « conduite selon le Yoga ».

Dès lors passait au premier plan l'évolution intérieure du bodhisattva, symbolisée par un voyage aux poignants, aux périlleux épisodes, parmi des terres mystiques dont la géographie peu à peu se fixait; la métaphysique se cristalli- sait autour de l'épopée d'une conscience. Les Yogâcâras recueillirent donc avec prédilection et cultivèrent les germes d'idéalisme que renfermait la doctrine d'Açvaghosa : sans croire plus que les Mâdhyamikas à l'objectivité des phéno- mènes extérieurs, ils crurent plus qu'eux à la réalité de l'esprit. De même qu'en un tout autre sens d'ailleurs Aristote avait replacé dans les consciences douées de raison les idées que Platon extériorisait à toute pensée, Asanga tient les phénomènes (dharmas) pour les opérations de la conscience (vijnâna); sans faire, comme les brahmanes, de l'esprit une substance (âtman), il en fait le lieu, la conditon des essences; tout Yogâcâra sera vijnânavâdin, partisan de la réalité au moins relative de l'esprit, et professera le vijnâptimâtra, l'existence unique et exclusiv^e de la pensée en acte. Une telle doctrine mérite le nom d'idéalisme, en tant qu'elle définit l'être en fonction des opérations spirituelles. Mais cet idéalisme comportera une multitude de degrés, depuis l'aspect immédiat et extérieur de l'esprit, illusoire dans la mesure où, sous la loi du moi, il apparaît personnel, jusqu'à cette conscience intégrale et originelle, l'âlaya vijnâna, qui est tout près de coïncider, sous l'effet de la bodhi, avec l'absolu sans différenciation. Reconnaissons ici une thèse d'Açvaghosa, mais notons que l'âlaya vijnâna devient, chez les vijrîânavâdins, singulièrement plus proche de l'incon-

140 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

ditionné. Cette bodhi, rillumination, adéquate vérité, essence des Bouddhas, joue en quelque sorte le rôle que remplit ailleurs le voûç ttoitjtixo'c ; elle actualise à travers les défi- cientes puissances l'unité de l'éternel. Les puissances, nous pourrions presque les appeler, par analogie avec la pensée judéo-stoïcienne, les SuvaVetç ce sont les dharmas; ils ont des façons particulières de se présenter aux différents plans (dhâtu) de spiritualité qui se découvrent par approfon- dissement progressif : ils ne sont d'abord que simples données d'expérience sensible, mais à l'autre extrémité, dans le plan «sans écoulement» (anâsrava), ils se fondent dans la quiddité qui leur est commune (dharmatathatâ), approxi- mation de la quiddité ultime toute distinction s'évanouit. Ceci encore se peut comprendre par comparaison avec la graduelle fusion des Xdyot (77rs{;[j.airixoi à mesure que l'on s'élève de la nature à l'âme du monde, de l'âme au voûç, du voûç à l'un.

Peut-être ces similitudes ne sont-elles pas fortuites, ou plutôt ne tiennent-elles pas simplement à la logique commune aux divers mysticismes. Une influence alexandrine ou gnos- tique ne paraît pas sans vraisemblance, sur une doctrine abondent les distinctions de plans, les variétés d'hypostases, les myriades d'éons, les Bouddhas prennent la figure de dieux sauveurs, et la prophétie même, vyâkarana, dit son mot. Le pays natal d'Asanga touche à des contrées qui furent, pendant plusieurs siècles, royaumes grecs, et la Perse n'est pas si loin s'implanta la gnose syrienne. Vers 350 s'était ouverte en Susiane l'école syro-persane de Gundes- hapur, héritière de l'école d'Alexandrie. Nous ne devons pas méconnaître non plus que la région même vit le joui- l'idéalisme Yogâcâra fut celle la plastique indienne s'assi- mila des formules hellénistiques, et justement pour pré- ciser la forme humaine du Bouddha auparavant marquée

ASANGA ET VASUBANDHTT 141

par de simples symboles une école de statuaires s'inspire du type d'Apollon (''). Toutefois l'influence occidentale, fût-elle avérée, ne saurait être que très limitée, car le système yogâcâra s'explique, dans ses traits essentiels, par ses anté- cédents indigènes. Professant l'idéalité des dharmas, il rejoint la vacuité des Mâdhyamikas et il communie avec tout le Mahâyâna, en soutenant l'identité du samsara et du nirvana. Son idéalisme repose sur une interprétation particulière de la pensée d'Açvaghosa. Son dynamisme abstrait, sa mer- veilleuse aptitude à prolonger des constatations successives en perspectives toujours plus profondes, jusqu'à ce que la vision se consume dans l'éblouissement, ce n'est qu'une transposition géniale du Yoga, dont l'ascèse aboutissait, par une gymnastique respiratoire doublée d'une contrainte spi- rituelle, à cette identité vide : le néant de pensée.

Asanga imposa son interprétation du Mahâyâna d'abord à son frère Vasubandhu, puis à une longue postérité intellec- tuelle. Nous avons déjà mentionné la conversion du cadet par l'aîné, conversion d'autant plus importante que Vasu- bandhu avait déployé un zèle exceptionnel nous verrons en quel sens pour défendre le Petit Véhicule contre le Grand. Toujours est-il que sur le tard Vasubandhu composa des apologies de l'idéalisme sans y déployer un talent créateur comparable à celui d' Asanga, mais en s'efîorçant de fonder la doctrine sur des arguments dialectiques et de la défendre contre les opinions adverses, dont mieux que personne il con- naissait la force, et maintenant la faiblesse. Le Pancaskan- dhaprakarana établit la conformité de l'idéalisme avec le dogme des cinq skandhas; la VyTikhyâyiikti, son accord avec l'enseignement religieux; le Karmasiddhiprakarana, son harmonie avec la théorie de l'acte. Des traités en trente ou vingt stances {Trimçaka et Vimçakakârikâprakarana) fournissent une démonstration méthodique du vijnânavâda:

142 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

plus de treize siècles à l'avance nous y lisons comme une ébauche des Dialogues d'Hylas et de Philonous, sauf que dans l'Inde l'idéalisme succédait au phénoménisme absolu, comme si Berkeley venait après Hume (^). Des lances sont rompues pour imposer à tout adversaire, bouddhiste ou non, la conviction qu'aucune donnée de fait, qu'aucune opération spirituelle ne requiert une existence des choses hors de l'esprit. Ce support des idées, que Berkeley, après Aristote, trouve dans la pensée absolue, Vasubandhu le reconnaît en la pensée des Tathâgatas, qui ne sont que connaissance et dont le monde n'est que la « carrière », ou les divers «domaines», selon l'aspect plus ou moins relatif qu'ils revêtent par leurs trois « corps ».

CHAPITRE IV

LA RIVALITÉ DES DEUX VÉHICULES

(iv' siècle)

Avant de poursuivre l'histoire de l'idéalisme bouddhique, dont l'apogée est atteint, mais qui suscitera du v* au vu* siècle une école de logiciens émérites, il importe de situer à leur place les efforts du Petit Véhicule pour défendre son point de vue contre le Grand.

En 399, quand le premier pèlerin chinois, Fa-hien, visite l'Inde, il trouve encore le Hinayâna morcelé en écoles

LA RIVALITÉ DES DEUX VÉHICULES 143

multiples, selon des traditions distinctes ou des diversités locales. Ce dernier cas se rencontre dans l'école singhalaise de langue pâlie, école dont la gloire culmine en Buddhaghosa. Cet auteur, dont les commentaires s'associèrent au canon pâli dans la vénération des fidèles méridionaux, date de la première moitié du v^ siècle: en Magadha, d'une famille brahmanique, il aurait travaillé à Ceylan, dans le monastère d'Anurâdhapura, puis aurait regagné le continent (*^). Si importante qu'ait été son œuvre religieuse pour clarifier les dogmes et compiler récits ou traditions, elle n'offre pour la critique de la pensée qu'un intérêt limité. Les questions pratiques ont à ses yeux le pas sur les problèmes théoriques; pour lui le Vinaya, non le Dharma, est la base de la foi (pré- face à la Samantapasâdikâ) : il poursuit de ses attaques les doctrines spéculatives sur la nature, pakativâda, notamment le Sâmkhya, à la prakrti duquel il oppose l'avijjâ (avidyâ, ignorance) bouddhique, comme ayant une portée plus con- crète et plus humaine. La valeur historique de son œuvre consiste dans l'écho qu'elle répercute d'anciennes x4tthakathâs (commentaires) insulaires. Le résumé de la doctrine bouddhi- que donné dans le Visuddhimagga (chemin de la pureté) distribue l'ensemble de la dogmatique sous ces trois chefs; cila (morale), samâdhi (méditation), pannâ (sapience), mais ne témoigne que d'une médiocre originalité philosophique. Il en faut dire autant des écrits de Dhammapala (Paramattha- dipani, commentaire sur le Petavatthu, le Vimânavatthu, les Thera- et Therigâthâs) qui peu après entreprit avec moins d'ampleur une tâche analogue sur la côte sud du Dekkan, dans le voisinage de Ceylan. L'école insulaire n'a jamais complètement suspendu son activité, même après avoir essaimé en Birmanie, elle trouva, au iii^ siècle, dans le moine Anuruddha, un compilateur dont le nom mérite d'être retenu parce qu'il composa un traité de pychologie et de morale bouddhiques, V Ahhidhammatthasamgaha («*).

144 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Les sectes de l'Inde centrale ou septentrionale firent preuve d'une curiosité spéculative bien plus grande: la preuve en subsiste dans la richesse des éléments qu'en a con- servés le Tripitaka chinois. Tels VEkottaro. Agama des Mahâ- samghikas, traduit en 384-385 et leur Vinaya en 416: le Vinaya et V Abhiniskramana des Dharmaguptas, traduits l'un en 405, l'autre vers le même temps : le Vinaya des Mahîçâ- sakas en 424. Des dates analogues pourraient être données pour la version en chinois de la littérature des Sarvâstivâdins, secte la plus agissante. Ces traditions diverses, qui fondaient naguère leur distinction sur l'admission de textes différents ou la valeur principale accordée à certaines parties du canon (ainsi les Sautrântikas, accordant le maximum de créance aux siitras), justifie de plus en plus leur rivalité par l'adop- tion de thèses indépendantes.

Les Vibhajjavâdins, discriminalistes, se distinguent des Sarvâstivâdins en ce qu'au lieu d'admettre que «tout existe » ils ne tiennent pour réels que le présent et le passé dont le «fruit» n'a pas encore « mûri»; le reste du passé et l'avenir ne sont point. Mais il y eut, paraît-il, quatre manières de com- prendre le « réalisme intégral » : celles de Dhamatrâta, de Ghosaka, de Vasumitra, de Buddhadeva. Ces docteurs, d'autres encore tels que Kâtyâyaniputra, auteur du Jnâna- prasthanaçastra et Mahâmaudgalyâyana, auteur de V Ahhi- dharyym-skandhaipada comme du Prajnaptipâdaçâstra dotèrent la secte d'un abhidharma spécial, sur lequel, au temps de Kaniska, fut préparé un commentaire, la Vibhâsa. D'où une école nouvelle, qui se fonde sur ce dernier texte, les Vaibhâsikas; ils se recrutent surtout au. Cachemire (''). Leur doctrine a été glosée par un traité considérable qu'écrivit Vasubandhu avant sa conversion au Mahâyâna : VAbhidhar- makoça. L'école qui, au iv^ siècle, s'oppose aux Vaibhâsikas, est celle des Sautrântikas, fondée par Kumâralabdha (ii^s.). Ils sympathisent avec leur coreligionnaires singhalais par

LA RIVALITÉ DES DEUX VÉHICULES 145

leur attachement à la vieille orthodoxie; mais ils innovent par leur phénoménisme plus systématique, par leur théorie de l'inférence des objets extérieurs, en contraste avec la doctrine réaliste de la perception, qu'admettent les Vaibhâ- sikas.

Ces émules ont d'ailleurs une importante doctrine commune : à l'encontre de l'idéalisme comme du nihilisme mahâyâniste, oii ils dénoncent une liquéfaction de l'ortho- doxie dogmatique, ils cherchent à fonder en réalité la loi ainsi que le phénomène. A cet effet ils s'inspirent des philo- sophies réalistes qui viennent de préciser leurs thèses en des sûtras {Vo.içesika s., ii* s., NyTiya s., fin ii^ ou début m* s.). Les Vaibhâsikas et même les phénoménistes Sautrântikas admirent une physique atomiste; cependant, pour ces der- niers tout au moins, l'inconséquence était flagrante, de sou- tenir que l'être se résout en noms passagers, en formes transitoires, bref en relations, et de postuler des atomes substantiels. Il faut pourtant prendre en considération que telle expression du plus vieux bouddhisme, le terme de skandha par exemple, connotant l'idée d'agrégat, invitait à supposer des simples, susceptibles de combinaisons. Nous en trouverions volontiers la justification historique dans le fait que le vocabulaire du bouddhisme lui est en grande partie commun avec le Jainisme légèrement antérieur, et dans l'observation que les Jainas dès l'origine avaient cru aux atomes. Pour éviter de trop fortes contradictions, le Hînayâna nia que ces derniers fussent éternels, sans parties, indivi- sibles. Introduisant en eux de la relativité, il y reconnut des synthèses momentanées de forces subtiles. L'esprit conçoit bien des rudiments substantiels {dravyaparamânu), fonde- ment de cette solidité, de cette fluidité, de cette chaleur, de ce mouvement que nous prenons pour de la terre, de l'eau, du feu, de l'air; mais ils ne se laissent jamais saisir isolément. Au

10

146 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

surplus l'atomisme relatif professé dans l'ordre des formes matérielles trouve son pendant intellectuel dans l'admission de concepts relativement stables, « essences » ou « natures simples » dont se composent l'entendement comme la réalité. Aucun terme ne traduit mieux que ces deux expressions cartésiennes l'usage nouveau dans lequel s'emploie de la sorte le mot dharma. Les Sarvâstivâdins dressèrent une classification de ces essences qui s'imposa, moyennant de légères variantes, aux diverses sectes du Petit Véhicule et qui correspond, sous forme statique, à l'échelonnement dynamique des phases intelligibles, constitutives de l'être ou de la pensée, tel que le concevaient les Yogâcâras. Le tableau ci- joint résumera la science soit physique, soit psycho- logique du Hinayâna, selon le chapitre II de V Abhidharma-

koça.

5 indriya.s (organes): yeux, oreilles, nez,

langue, corps (tact). 5 visayas (objets des sens): formes (et 5 skandhas (agrégats): ] couleurs), sons, odeurs, goûts, contacts.

I Rïïpa (forme)., j / par méditation sur

\ le représentable

l avijnapti I (vijnaptisamâdhi

(irreprésentable): l sambhûta).

I bien et mal ' ( kuçalâkuçala).

II vijSâna (conscience).

III vedanâ (sensation).

IV samjnâ (perception). V samskâra (manière d'être et d'agir).

12 âyatanas (bases, conditions de la conscience): 5 organes senso- riels + .5 objets sensibles -f manas (org. mental) + dharma (objet propre du manas).

18 dhâtus (supports, facteurs): 12 âyatanas + 6 modalités de con- science (conscience des diverses sensations' et du manas).

/ pratisarakhyâ-nirodha (cessation _ , ,, I consciente de l'existence).

3 asaçiskrta dharmas .^^.^ ^ (cessation inconsciente

(dharmas non composes) ^^^ Pexistence).

\ âkâça (éther).

LA RIVALITÉ DES DEUX VÉHICULES 147

72 samskrta dharmas (dharmas composés)

11 de rûpa: 5 indriyas + 5 visayas + 1 avijnapti.

1 de citta ou manas: s'exerce par les 5 vijnâna

(connaissances sensibles) + la connaissance propre

au manas (sensorium commune, manovijnâna).

46 caitta dharmas (dharmas mentaux): correspondent

aux skandhas III, IV et V (en partie) (i). 14 citta-viprayukta-samskâras (opérations distinctes de l'intellect (non mentales): acquisition et non-acqui- sition, participation, inconscience, obtention de l'inconscience, obtention de la suppression, vie, naissance, durée, décrépitude, non-éternité, noms, sentences, lettres [prâpti, aprâpti, sabhâgatâ, asamjnika, asï^mjni-samâpatti, nirodha-samâpatti, jïvita, jâti, sthiti, jarâ, anityatâ, nâma-kâya, pada-kâya, vyan- jana-kâya]. (i) 10 mahâbhûmika dharmas (dharmas de grand domaine): vedanâ, samjnâ, cetanâ (intention), sparça (toucher), chanda (désir), mati (intelligence), smrti (mémoire), manaskâra (attention), adhimoksa (détermination), samâdhi (recueillement). 10 kuçala-mahâbhûmika dharmas (dharmas de grand domaine du bien): çraddhâ (foi), apramâda (application), praçrabdhi (apaise- ment), hrî (pudeur), upeksâ (impassibilité), apatrapâ (timidité), alobha (absence de convoitise), advesa (absence de colère), ahimsâ (absence de nuisance à autrui), viryâ (énergie). 6 kleça-mahâbhïïmika-dharraas (dharmas de grand domaine des passions): moha (égarement), pramâda (négligence), kausidya (paresse), açrâddhya (incrédulité), styâna (inaction), auddhatya (turbulence). 2 akuçala-mahâbhûmika-dharmas (dharmas de grand domaine du mal): ahrîkatâ (impudence), anapatrapâ (effronterie). 10 upakleça—bhûmika-dharmas (dharmas du domaine des passions secondaires): krodha (colère), mraksa (hypocrisie), mâtsarya (égoïsme), irsyâ (jalousie), pradâça (vexation), vihimsâ (nuisance), upanâha (inimitié), mâyâ (tromperie), çâthya (déshonnêteté), mada (vanité). 8 aniyata-bhîïmika- dharmas (dharmas du domaine incertain): vitarka (réflexion), vicâra (investigation), kaukrtya (repentir), middha (somnolence), râga (avidité), pratigha (emportement), mâna (orgueil), vicikitsâ (doute).

Ce tableau témoigne d'un éclectisme tardif: les répé- titions, les chevauchements qui s'y manifestent attestent l'adaptation réciproque de classements disparates. Il saute aux yeux que la signification abstraite de dharma quand

148 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

on parle des 75 essences, opérations ou événements, suppose une énorme extension du \aeux sens technique : les fonctions du manas. L'élément primitif est la théorie des skandhas. Les phases caractéristiques de cette conception du monde toujours plus complexe seraient aisément restituées à travers les suttas palis, la Dhommasangarii^ le Dharmasamgraha, enfin V Ahhidharmakoça. Une synthèse parallèle, rejoignant l'escha- tologie populaire, aboutit à une cosmologie plus ou moins exotérique, mais qui fait j)artie du bagage commun à toute pensée indienne. Les êtres s'y répartissent selon leur nature: plans (dhatu) immatériel (ârûpya), matériel (rûpin), concupiscible (kâma); selon leurs destinées (gati) : sorts des dieux, des hommes, des fantômes, des animaux, de?; damnés; selon les variétés de leur méditation (dhyâna, jhâna). Les hiérarchies de vivants ou d'esprits, les compar- timents superposés de cieux ou d'enfers mettent à la portée du vulgaire, par systématisation à la fois des jâtakas et des biographies spirituelles de bodhisattvas, les subtiles topo- graphies mystiques d'Asanga (**).

Les sectes du Petit Véhicule, émiettées à l'infini, ne nous sont accessibles qu'à travers le dépouillement des canons tibétain et chinois. Le défrichement qui nous les fera connaître débute à peine. Elles se peuvent sérier en fonction soit du canon pâli, demeuré à l'unisson des doc- trines anciennes, soit des œuvres mahâyânistes. Ainsi les Sthaviras concordent avec les Theras singhalais, mais les Mahâsamghikas ont frayé la voie au Grand Véhicule. Plus d'une école prône la vacuité, comme les IMâdhyamikas, et les Sautrântikas enseignent le Trikaya comme Açvaghosa. Le Satyasiddhiçâstra, de Harivarman,présente au début du III® siècle, dans l'Inde centrale, une sorte de moyen terme entre les deux Véhicules, soutenant la théorie de la double vérité : le Mahâyâna peut être admis au point de vue de la

LES DERNIERS MADHYAMIKAS ET YOGACARAS 149

vérité absolue (paramârthasatya), sans faire tort à la vérité relative (vyavahârasatya) du Hînayâna. Cette interpré- tation fut aussitôt adoptée par le Grand Véhicule, tout prêt à se persuader qu'il possédait le sens profond de la foi boud- dhique.

CHAPITRE V

LES DERNIERS MADHYAMIKAS ET YOGÂCÂRAS LA LOGIQUE DE DIGNÂGA ET DE DHARMAKÏRTI

La doctrine Mâdhyamika, que nous avons quittée au début du iii^ siècle, reprend son évolution au v^, dans le sud. Une partie de la secte, sous l'influence de Buddhapâlita, commentateur du Madhyamakaçâstra, revient aux procédés critiques et préconise l'usage de la réduction à l'absurde (prasanga) : d'où l'école des Prâsangikas, qu'illustrera, au VII ^ siècle, Candrakîrti, glossateur du môme texte comme du Catuhçataka, et auteur du Mâdhy amaUâvatâra. En guise de protestation, l'autre groupe des Mâdhyamikas se proclame Svâtantrika, partisan d'un raisonnement «autonome»; cette attitude apparaît chez Bhavya, nommé encore Bhâvaviveka (ti^ s.), qui dans son Prajnaprad^pa s'attaque à l'argumen- tation de Buddhapâlita; puis chez Çântiraksita (seconde moitié du viii^ s.), auteur de la Madhyamakâlamkârakâ- rikâ. Sur les uns et les autres, à partir du vii^ siècle, s'accen- tue l'attraction des Yogâcâras: le Bodhicaryâvatâra du prâ- sangika Çântideva (fin vu®) démontre la vacuité non par

150 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

une série de négations, mais par une discipine à laquelle se doit astreindre le futur Bouddha. La succession des étapes nécessaires s'inspire de la psychologie yogâcâra, et ici la «pensée de la bodhi» (bodhicitta), dans laquelle s'enferme et que creuse, et que réalise le postulant, n'apparaît que comme la transposition en termes mâdhyamikas de cet esprit (vijnâna), seule réalité pour les Vijnânavâdins. Sans cette notion qui prête à la totalité du phénomène une même conscience pour souffrir, doublée d'une même pitié pour la douleur universelle, on ne s'expliquerait ni l'ardente cha- rité, ni la confiante dévotion qui assurent la valeur religieuse de ce manuel mystique (^^).

Malgré ce réveil de la pensée mâdhyauiika au bruit de la lutte entre Bhavya et Buddhapâlita, ce sont les Yogâ- câras qui font preuve, entre le v^ et le viii^ siècle, de la plus grande puissance spéculative. Ils régnent dans l'uni- versité de Nâlandâ, dont le prestige s'étend à l'Asie entière et ils se recrutent désormais dans toute l'Inde; car si Dignâga est un méridional, originaire de Kânci, Buddhadâsa est de l'Ouest, Sthiramati de l'Est, Samghadâsa du Cachemire. Ce second essor de l'idéalisme se manifeste dans la seconde moitié du v^ siècle, avec Dignâga, Sthiramati, Ravigupta et Gunamati: au vii^ d'abord avec Candragomin, savant et artiste universel, le Vinci de l'Inde, à la fois technicien du dessin, de la métrique, et médecin, grammairien; puis Dhar- mapâla, expert à utiliser contre le Hînayâna et dans l'intérêt de l'idéalisme la thèse mâdhyamika dont il se fait le commen- tateur; enfin Dharmakîrti, le plus illustre défenseur de la pensée bouddhique en possession de toutes ses ressources, contre les doctrinaires brahmaniques. Dialecticien scolastique, Dharmakîrti met en système les principes de Dignâga, qui avait jeté les bases d'une logique inédite : il en fait une épistémologie et une théorie de raisonnement qui plus ou

LES DERNIERS MADHYAMIKAS ET YOGACARAS 151

moins s'imposeront à l'ensemble de la spéculation indienne et jouiront en Extrême-Orient d'une souveraineté non moins incontestée que celle de la logique aristotélicienne en Europe(**),

Les préoccupations logiques sont un caractère géné- ral de la réflexion bouddhique postérieure au iv® siècle; on conçoit que la diversité des traditions spéculatives, dont chacune doit s'instituer et se maintenir par des arguments, ait forcé les hommes de foi, devenus philosophes, à se faire logiciens. De la sophistique hïnayâniste, les Mâdhyamikas avaient hérité l'aptitude à l'analyse conceptuelle, la dexté- rité à isoler les relations qui donnent un sens à un mot, et qui font supposer par les esprits dogmatiques une nature propre (svadharma), des caractères spécifiques (svalaksana) à chaque notion; les Prâsangikas témoignent de leur affilia- tion à cette lignée, en maniant la réduction à l'absurde comme arme contre les Svâtantrikas. Mais cette logique mâdhya- mika, si experte à dissoudre les idées en relations par de tranchantes dichotomies, conservait, exaltait la portée négative de l'ancienne sophistique : elle demeurait impuissante à élaborer une logique constructive. Telle est au contraire la vocation de l'idéalisme Yogâcâra, habile à saisir parmi des perspectives de spiritualité qui s'emboîtent et se transfor- ment par approfondissement, comment à la faveur d'un déve- loppement continu le multiple et l'un se concilient. Nous ne soutiendrons pas, comme le meilleur connaisseur de la logique bouddhique, Stcherbatsky, que ce fut la première logique indienne; car nous ne doutons guère que Dignâga soit après la rédaction des siïtras du Vaiçesika et du Nyâya, peut-être même après la formation de la théorie Jaina du raisonnement. Mais nous n'avons garde de méconnaître que la logique brahmanique se développa en corrélation avec la pensée bouddhique, et que cette dernière, après avoir fait fermenter comme un levain la spéculation indienne, a pour

152 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

une large part imposé son empreinte sur le syncrétisme tardif du Nyâya-Vaiçesika.

Les œuvres de Dignâga, conservées en tibétain, sont le Pramânascunuccaya et son commentaire, le A^?/ a?/ a-pravepa; le Hetucakrahamaru; V Alambanapanksâ. et son commen- taire; enfin le Pranmnaçâstrapraveça. Le premier et le dernier fournissent une théorie des pramânas; le second une classi- fication des sophismes; le troisième l'examen des raisonne- ments concluants. Dharmakîrti écrivit le Nyâyabindu ; un Sautrântika du ix^ siècle, Dharmottara, en écrivit un com- mentaire (tikâ), qui fut à son tour glosé par l'auteur d'une tippanl.

L'épistémologie des Vijnânavâdins ne se sépare guère de celle des brahmanes; nous la situerons dans son milieu quand nous examinerons l'histoire des darçanas orthodoxes. Leur logique s'isole moins malaisément, quoiqu'elle ne doive elle-même s'apprécier qu'en corrélation avec celle duNyâya. Par exemple nous pouvons tenir pour calqués sur les argu- mentations de ce système, moyennant suppression de «l'ap- plication» et de la «conclusion», les raisonnements déjà mis en forme par l' Upay a -kauçaly a-hrday açTistra (1, 1) de Nâgâr- Juna et le YogâcâryahhûmiçTistra (XV) d'Asanga; à fortiori ce raisonnement à deux membres, la proposition et la raison, qu'aurait admis Vasubandhu selon le témoignage de Kouei-ki, confirmé par le Nyây a-vârtika (I, 137). Par contre l'esprit idéaliste se reconnaît dès l'abord chez Dignâga et Dharma- kîrti, qui distinguent deux tjrpes de raisonnement : l'un que l'on fait pour soi, simple énoncé de la chose induite, motivée en raison : « Ici il y a du feu, car il y a de la fumée »; l'autre qui tend à convaincre autrui : « Partout il y a de la fumée, il y a du feu ; or il y a ici de la fumée ; donc il y a ici du feu». La démonstration se détache de ce piétinement pariui les données d'expérience qui assure le Naiyâyika de

LES DERNIERS MADHYAMIKAS ET YOGACARAS 153

ce qu'il veut établir : ainsi disparaît «l'exemple», « comme dans le cas du feu de la cuisine ». L'idéalisme consiste, en l'occurence, à chercher dans des conditions d'intelligibilité plus que dans des circonstances de fait, le nerf de la con- nexion logique. Cette relation, qui dans le Nyâya n'était nous le constaterons qu'un rapport de signe à chose signifiée, ne se comprend vraiment que s'il existe une solidarité intime et nécessaire, une liaison naturelle {svabHâva'pratibandha) entre la raison probante, sâdhana (signe ou cause, linga, hetu) et l'inférence prouvée, sâdhya (chose signifiée ou effet). La simple concomitance (sâhacarya) admise par les systèmes réalistes, Jainisme et Nyaya-Vaiçesika, s'approfondit en identité ds nature (tadâtmya), ou en causalité prise au sens analytique, l'effet se tirant de sa cause comme la consé- quence du principe. Hormis ces deux cas on ne conçoit point de relation nécessaire, mais de simples consécutions accidentelles. C'est donc pour un motif analogue à ceux de Kant, que Dignâga s'avise de la possibilité de jugements synthétiques à priori : « Il n'y a aucune chose réelle indis- solublement liée qui puisse être raison logique, car il est dit : la raison d'après laquelle un fait est la cause d'un autre fait, qui en est la conséquence logique, ne dépend point de l'être ou du non-être extérieurs; elle repose sur la condition d'inhérence ou de substance, instituée par notre pensée» {Nyâyaimrtikatâtparyattk'â, 127, 2, 4). (3ette remarquable assertion fut comprise dans toute sa portée : car le naiyâyika Uddyotakara, défenseur d'un point de vue comparable à l'empirisme de J. Stuart Mill, refusera d'admettre cette idée de connexion nécessaire.

L'exacte intelligence de la logique bouddhique suppose que l'on ne méconnaisse ni les affinités, ni les divergences qu'elle présente en comparaison de la nôtre. La tentation peut être grande de retrouver dans l'inférence « pour soi »

154 JÏISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

l'induction, passage du fait à la loi; dans l'inférence «pour autrui» la déduction, instrument de démonstration; dans l'objet, le petit terme; dans le sâdhya, le grand; dans le hetu, le moyen. Mais alors on se paie de mots. On travestit le raisonnement indien en l'affublant à la grecque de la façon suivante : « Tout ce qui est fumant est igné; or cette montagne est fumante, donc elle est ignée». Car le syllo- gisme d'Aristote supposait des termes d'extensions diffé- rentes, se subsu niant les uns dans les autres : mortel > homme > Socrate; tandis qu'on ne peut ici, sans absurdité, affirmer : choses ignées > choses fumantes > montagne. La fumée n'est pas plus déterminée que le feu, ni la montagne plus déterminée que la fumée. Fumée n'est espèce ni rela- tivement au gem-e feu, ni relativement à l'individu : cette montagne. Il y a simplement une chose, substrat de deux qualités, dont l'une en est prouvée, l'autre instrument de preuve. La première est le sâdhya, conséquence logique; la seonde le hetu, raison probante, ou linga, le signe. Nous ne nions pas que l'Inde soit venue à concevoir ces rapports sous forme d'implications : « avoir du feu » équivaut à un contenant (vyâpaka), car il y a du feu sans fumée (ex. : le soleil), et « avoir de la fumée» peut passer pour un contenu (vyâpya), car pas de fumée sans feu. Mais cette notion de la vyâpti n'apparaît qu'à l'époque syncrétique. L'anumâna, nom de l'inférence, désigne une connaissance «par connexion », qui saisit deux attributs d'une substance comme solidaires, mais qui néanmoins les appréhende en simultanéité, l'un aperçu pour ainsi dire au travers de l'autre. Il s'agit moins d'un raisonnement fait de jugements, que d'une représenta- tion complexe. N'oublions pas que les bouddhistes ne con- çoivent point d'autres opérations mentales que des synthèses, inhérentes aussi bien à la perception qu'à d'autres formes de pensée. Stcherbatsky a fait très justement remarquer qu'exprimé à l'indienne le syllogisme d'Aristote cessait

LES DERNIERS MADHYAMIKAS BT YOGACÂRAS 155

de former un raisonnement, pour devenir ce jugement de perception: «voilà un homme mortel, Socrate»; et Jacobi, avec non moins d'à propos, rappelle qu'une telle façon de penser concorde avec la structure du sanscrit, si porté à présenter en un mot composé ce que nous dirions, nous autres, en une ou plusieurs phrases. Surtout ne perdons pas de vue que toutes les logiques d'Asie, même teintées d'idéa- lisme, portent sur des choses, substances ou phénomènes, non sur des concepts, au sens européen, c'est-à-dire socratique et platonicien de ce mot ('-^).

* *

Les derniers siècles du Bouddhisme dans l'Inde conti- nentale — Népal et Cachemire mis à part nous sont mal connus, les renseignements tibétains ou chinois faisant défaut. Ceylan et la Birmanie n'ont jamais cessé d'alimenter leur foi aux sources pâlies. Mais le centre et le nord virent, dès le VIII® siècle, l'inspiration des sectes se tarir et le dogmatisme se confiner aux Etats hîmalâyens. Sans doute la vacuité, dernier mot du Mahâyâna, ne renfermait-elle point la force d'expansion qui embrase les prosélytismes, la religion qui proclamait le néant de sa propre loi se vouait par même au néant. Certes elle dura au Népal, au Cachemire, parce qu'elle y fut moins battue en brèche par le Brahmanisme. Certes elle se maintint en Chine, au Japon, parce qu'elle y jouissait du prestige d'une doctrine étrangère, et qu'elle y bénéficiait de la complicité taïoste. Mais dans l'Inde conti- nentale elle n'avait jamais rallié les suffrages que d'une faible partie de la population, dont la masse était « hindouiste » et l'élite « brahmanique ». Quand les hagiographes bouddhistes exultent de faire remarquer que les plus grands docteurs sont nés dans le brahmanisme, ils font sans doute l'apologie d'une foi qui convertit de fortes consciences et forma des

156 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

esprits parmi les mieux trempés: mais ils avouent par même combien restreint était le nombre des coreligionnaires. Açoka, Kaniska n'avaient pas craint de soutenir de leur pouvoir temporel un dharma somme toute assez conforme à celui que tout monarque hindou est tenu de promouvoir; mais on se représente mal les princes, d'ailleurs politiquement faibles, des vi* et vu** siècles, étayant de leur autorité la prédication du vide. Ainsi le Mahâyâna, transposant la foi, seule agissante, en abstractions philosophiques, compromit la prospérité religieuse du Bouddhisme, Afin de se sauver en tant que religion, ce dernier accueillit les mythes populaires, travestit les dieux les plus hétéroclites en bouddhas, ainsi Indra en Vajrapâni, Brahmâ Svayambhu (in et per se) en âdibuddha, substrat originel, «Urgrund» de l'Univers; il multiplia sans fin bouddhas et bodhisattvas de contem- plation (dhyânib.), hypostases théologiques de la concen- tration spirituelle ; il sacrifia la connaissance à la dévotion, le désintéressement à la superstition. Mais ce Tantrisme bouddhiste rejoignait le Tantrisme hindouiste, au plus grand péril de la foi, car elle y perdait son autonomie et ne pouvait absorber ces troubles éléments que le brahmnaisme, pour n'en être pas étouffé, avait su consacrer. Les brahmanes, formés à la philosophie par l'exemple du Mahâyâna, dressés à l'argumentation polémique par d'incessantes joutes dialec- tiques avec les divers Véhicules, finirent par vaincre l'hérésie. Nous constaterons d'ailleurs que les dogmes bouddhiques, pour une large part, se survécurent dans le Brahmanisme même. Il n'y eut donc pas besoin de persécutions en règle pour déraciner le bouddhisme du Magadha ou du Gandhâra. Si la violence hâta la disparition des monastères et des littératures, ce fut celle de l'invasion arabe, puis turco-mongole. Le Mahâyâna n'agit plus désormais que s'implan- tèrent ses livres : en Chine et au Japon. C'est que conti- nueront de vivre, mais en des esprits étrangers à la menta-

LES DERNIERS MADHYAMIKAS ET YOGACARAS 157

lité indienne, certaines des sectes soit du Petit Véhicule, celles de l'Abhidharmakoça, du Vinaya, de la Satyasiddhi; soit du Grand, celles du Dharmalaksana (Yogâcâras), des trois castras (Mâdhyamikas), de l'Avatarnsaka, du Saddhar- mapundarîka (Tendai et Nichiren), de la Sukhâvatï (Jôdo et Shinshu), des mantras et du dhyâna. Le dépouillement des littératures chinoise et japonaise afférentes à ces sectes d'un nouveau genre fournirait, pour qui saurait isoler les facteurs extrême-orientaux, une excellente voie d'accès à l'intelligence de la pensée bouddhique, et dès à présent la science sino-nipponne apporte une contribution de premier ordre à l'indianisme (®').

SIXIEME PARTIE

LA PENSEE DES DARCANAS ORTHOD(3XES

CHAPITRE I

LES SÛTRAS DES SIX SYSTÈMES ET LEURS PREMIERS COMMENTAIRES

(entre 100 et 500)

La principale difficulté de l'histoire de la philosophie indienne réside dans la nécessité de situer chaque doctrine à la fois comme phase de la tradition à laquelle elle appar- tient et comme contemporaine d'un moment particulier des autres traditions qui évoluèrent de façon synchronique dans le même milieu. Les systèmes, loin de se remplacer les uns les autres, évoluent depuis une antiquité plus ou moins reculée, chacun pour ainsi dire en vase clos, par l'effet d'une réflexion assidue, orientée toujours dans la inême direction. Mais il n'est pas douteux non plus que les cloisons entre ces diverses traditions ne furent jamais étanches, et que des corrélations, des influences s'établirent, par l'obligation' même ces diverses filiations se trouvèrent, de polémiser chacune contre toutes les autres. La métaphore sur laquelle repose la Mona- dologie s'appliquerait ici avec justesse : chaque système est une «vue », darçana, sur l'ensemble de l'intellectualité indienne, aperçue sous un biais particulier ; et ces « vues », toutes

LES SUTRAS DES SIX SYSTEMES 159

indépendantes, néanmoins se correspondent par la réalité qu'elles expriment, la même pour toutes, et à chaque moment de leur histoire. Un récit rigoureusement chronologique, fût-il possible, ne donnerait donc pas une notion exacte de ce que fut, aux diverses époques, la pensée de l'Inde. D'autre part l'historien ne saurait se satisfaire d'une collection de monographies, consacrées aux divers darçanas; car malgré la force des multiples traditions, toujours les hommes d'un même temps, à quelque profession de foi qu'ils appartinssent, eurent des opinions communes, et il n'importe pas moins de comprendre chaque doctrine par ses contemporaines que par ses devancières. Entre ces deux nécessités malaisées à concilier, nous tenterons un compromis, afin de restituer sommairement le sens de chaque système en lui-même, sans perdre de vue, aux principales époques, le parallélisme des transformations.

Nous avons déjà éprouvé cette difficulté en retraçant à grands traits les phases du Bouddhisme. Dès le temps se forma cette religion, la pensée indienne avait la notion d'un idéalisme; Cârvâka, Sâmkhya, Yoga désignaient déjà des attitudes spéculatives distinctes. Et cependant, si nous nous limitons ici à un exemple, il faut attendre le xv^ siècle pour voir se rédiger les sûtras du système Sâmkhya. Ce darçana avait donc au bas mot vingt siècles d'existence quand son texte définitif se fixa. Chaque système a ainsi, plus ou moins longue, sa préhistoire, c'est-à-dire un temps pendant lequel il a déjà vécu, mais antérieur à la rédaction « ne varietur » de ses thèses fondamentales ; pour cette période de formation, au moins aussi importante que la phase scolastique ultérieure, des commentaires s'adjoignent au texte, nous sommes trop souvent réduits à des rensei- gnements indirects, à des inductions. Or le motif pour lequel nous avons traité d'abord du Bouddhisme n'est point qu'il

160 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

soit, absolument parlant, plus ancien que le Sâmkhya ou le Yoga, car cette supposition serait fausse, mais que l'un au moins de ses canons, le pâli, précède en majeure partie la composition des sûtras de tous les darçanas.

Le terme de sûtra prend, en effet, dans l'ordre des systèmes philosophiques, une valeur précise. Il ne désigne pas un simple ouvrage didactique, çâstra, ou une « élaboration », prakarana. Chaque système ne peut posséder qu'un texte ainsi nommé. Ici se manifeste une tendance ana- logue à celle qui se constate dans la vie religieuse : une secte a ses « Ecritures », son (c Li\Te », son « Evangile » une fois pour toutes; si d'autres « Ecritures » survenaient, une religion distincte se trouverait fondée. La pensée philosophique indienne, quoique à maints égards très libre, implique ainsi, dans son obéissance à une tradition, un élément d'autorité. Mais rien d'humain n'est d'emblée définitif. Une rédaction « ne varietur » suppose, sans aucun doute, une longue for- mation. Ainsi l'on comprend que chaque darçana n'entre dans l'histoire positive, autrement dit que ses productions ne puissent être datées avec quelque sûreté, qu'à partir d'une époque assez basse. Il faut concilier de la sorte les appré- ciations opposées que portent Hindous et savants occiden- taux sur l'ancienneté des darçanas : la tradition indigène n'a certes pas tort de faire remonter très haut, par exemple bien avant l'ère chrétienne, les débuts de la réflexion qui les élabora; historiens et philologues ont d'excellentes raisons pour n'admettre comme avérés que les faits ou textes sus- ceptibles d'être datés, par conséquent pour passer au crible d'une sévère critique les renseignements toujours suspects, mais toujours documentaires, que fournit sur son passé la tradition de chaque école.

La chronologie capitale, en ces matières, c'est celle des sûtras des différents darçanas admis par la caste brahmanique

LES SUTRAS DES SIX SYSTÈMES lot

comme orthodoxes, c'est-à-dire compatibles avec l'ensei- gnement des Védas. Cette question, longtemps débattue, s'éclaircit depuis que la critique occidentale s'est mise à peu près d'accord sur quelques points de repère essentiels, telles les dates approximatives d'Açoka, de Kaniska, de Vasubandhu; depuis aussi qu'a commencé le dépouillement des principaux commentaires des sûtras et des littératures bouddhique, jaina, autres encore, à évolution parallèle (^'). Une stricte analyse de ces matériaux permettra d'obtenir de quasi-certitudes. Si loin que nous soyons d'un pareil résul- tat, nous ne flottons plus, comme naguère, dans une com- plète indécision. Le progrès a été préparé, en l'occurrence, par l'ingéniosité déployée pour la justification de deux thèses contraires, celle de Jacobi en faveur de l'antériorité des philosophies brahmaniques relativement au Mahâyâna, celle de Stcherbatsky, partisan de la postériorité de tous les siitras relativement au vijîiânavâda d'Asanga et de Vasubandhu. Peu à peu les divergences s'atténuèrent quand on s'aperçut que le Bouddhisme visé par tels siitras n'était point l'idéa- lisme du ye siècle, mais les Prajnâpâramitâs ou la doctrine mâdhyamika des i^"" et ne siècles. Pour des raisons multiples, que nous ne saurions exposer ici, mais qui se fondent soit sur des relations de fait, soit sur la critique interne des systèmes, nous estimons que les dates, approximatives bien entendu, que nous allons proposer, bien que différentes de celles que suggèrent d'illustres indianistes, paraissent, en fonction de travaux récents, les plus plausibles :

11^"" commentaire : Bhàsya de Praçastapcâda, 450 - 500.

1 1^"" commentaire : Vrtti

150 - 200 MîmâmsE » . Jaimini . . . ' ^"^ ^^'. ^^^^^? ' 3' ^«"^-

j mentaire: Bhasya de

( Çabara, 400-450.

11

162 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Il^r commentaire : Bhâsya de Vâtsyâyana, 400- 450.

oF.n Arx,-\ ir j- ^ td-j - \^^^ commentaire: aucun

300-40U Vedanta » » Badarayanai ,, . , r^wr.

•' ( antérieur a OOO,

An^ Ann. 17 T^ , ~- T i 1^' commentaire: aucun

400-450 Yoga » » Pataniali . . ■, ., . , -r^n

° ** ( antérieur a oOO.

1 400 ? Sâmkhya »

Répétons que l'on commettrait de graves méprises en restituant la philosophie de l'Inde selon une chronologie de ce genre, même fondée sur des certitudes historiques. Par exemple, bien que les Yogasûtras paraissent imputables au v^ siècle, on ne saurait douter que les Yogâcâras du iv^ siècle aient connu une doctrine yoga très évoluée, puisque leur nom s'y réfère: au surplus le Mahâbhârata, aux abords de notre ère, fourmille d'allusions à cette doctrine ; même le fondateur du Bouddhisme eut pour maître un yogin. Et encore : en dépit de la date exceptionnellement tardive des Sâmkhya Siîtras, le système Sâmkhya est fort ancien, puis- qu'il procède, par delà les épopées, des antiques Upanisads; d'ailleurs, en ce qui le concerne, les stances ou Uârikas d'Içva- rakrsna ont joué le rôle de véritables siîtras, peut-être aux abords de 200 ap. J.-C.

Pour obvier au danger d'une excessive confiance dans les données chronologiques, nous pourrions examiner les darçanas selon une ordonnance consacrée, qui les groupe par couples. Ainsi Yoga et Sâmkhya présentent certaines affinités, au moins tels que les épopées les présentent. Vaiçe- sika et Nyâya, voués à l'épistémologie et à la logique, étaient prédestinés à s'associer : de fait ils fusionnèrent. Vedânta et Mîmâmsâ revendiquent de communes origines védiques, et le Vedânta prend volontiers le nom de seconde Mîmâmsâ (Uttara M.), par opposition à la Mimânisâ tout court, ou Première (Piirvâ). Mais alors, bien que l'on respectât cer-

LES SUTBAS DES SIX SYSTEMES 163

taines traditions, on ferait trop bon marché de l'histoire. Le Vaiçesika est antérieur au Nyâya, la Mimâmsâ antérieure au Védânta. Les plus anciens systèmes, sans conteste possible, sont cette exégèse des Védas, la Mimâmsâ, essentiellement brahmanique; les doctrines réalistes, d'inspiration indépen- dante, par exemple ksa,triya, en tout cas sans caractère brahmanique bien accusé : le Vaiçesika et le Sâmkhya; une pratique très primitive, le Yoga, qui en fait ne se relie à la pensée d'aucune caste particulière. Voilà, sans que nous ayons le droit d'établir entre eux une gradation, les facteurs qui dominent du plus haut et du plus loin la totalité de l'intelligence indienne.

I. La Mïmamsa. Jaimini et Çabara.

La discipline dénommée Pûrva ou Karma-Mimâmsâ, Investigation Première, concernant les actes, se rattache à l'exercice du culte védique; elle consiste en une réflexion sur la technique rituelle, dont les principes remplissent les Brâhmanas; elle n'a donc pu naître que dans la caste dépo- sitaire des Védas. Comme tous les systèmes contemporains ou ultérieurs, elle vise à déterminer le dharma, c'est-à-dire le devoir religieux, mais pris en un sens étroitement brahma- nique : l'obligation par excellence est le sacrifice. Or le sens originaire de ce culte se perdait dans la nuit des temps, et toutes sortes de difficultés pratiques surgissaient tant dans l'application de rites disparates, que dans l'intelligence des formules. D'où la nécessité de règles pour une interprétation cohérente des Védas. La science occidentale se désintéressant de l'usage sacerdotal de cette exégèse, a fait peu d'efforts pour la pénétrer dans sa signification propre; aussi est-ce, entre les darçanas, le moins accessible à des Européens C°).

164 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE IXDIENNE

Il appartiendrait pourtant à l'historien de préciser tout ce dont la philosophie indienne est redevable à de semblables spécu- lations. Dans l'Inde comme ailleurs, c'est principalement autour de l'interprétation des textes sacrés qu'apparurent les premiers essais de science. Les plus anciens traités d'arithmétique ou de géométrie furent composés pour per- mettre la préparation conforme aux rites des lieux ou des autels destinés aux sacrifices. La réflexion grammaticale fut solidaire de l'exégèse; et le vocabulaire comme les raison- nements d'un Kâtyâyana se montrent tout à fait homogènes à ceux des sûtras de Jaimini, ce qui prouve soit dit en passant que le fond de ces textes existait dès le iv^ siècle avant notre ère (^^). Quoique les obligations envisagées dans la Mimâmsâ offrent un caractère religieux, non civil, c'est sur le patron des sacrilèges que l'on se représenta d'abord les crimes et la jurisprudence ne fournit qu'un équivalent laïque de l'interprétation dogmatique : ici et l'essentiel est de comprendre et d'appliquer la loi, le dharma. Enfin quoique les plus anciens mîmâmsistes n'eussent guère souci de philo- sopher, leur recherche impliquait des postulats spéculatifs et donnait l'exemple d'une méthode qui influèrent sur le cours de la pensée.

Les sûtras qui portent le nom de Jaimini personnage légendaire auquel était attribuée toute une littérature paraissent les plus anciens des sûtras orthodoxes : ils doi- vent dater du ii^ siècle. Leur Bhâsya, par Çabara[svâmin], semble appartenir au v^ siècle, mais il renferme (I, 1, 5) un fragment de commentaire, vrtti, dont l'auteur, demeuré incon- nu, et désigné comme vrttikâra, doit avoir vécu au siècle précé- dent. Les sûtras admettent que le Véda renferme toute la vérité; mieux encore: qu'il tient de lui-même sa certitude et par conséquent ne requiert aucune théologie, aucune métaphysique pour fonder son intrinsèque validité. Cette

LES SUTRAS DBS SIX SYSTÈMES 165

conviction fournit la base du système; elle lui inspire ses thèses caractéristiques. D'abord sa conception du dharma : ce dernier demande moins à être connu qu'à être exécuté; nous avons affaire ici à une doctrine de karman, non de jfiâna; les Védas n'enseignent pas, mais prescrivent; il s'agit de se conformer à leur injonctions (vidhi), après avoir élucidé, par le moyen d'une casuistique, l'exact contenu des actions prescrites. Ensuite sa notion de Vapûrva: les Mîmâmsistes appellent ainsi un facteur qui n'existait pas avant l'accom- plissement d'une injonction créé par cet accomplissement et susceptible d'entraîner des conséquences favorables ou non à l'agent. Cette force invisible, adrsta. mais réelle, indes- tructible, atteste une archaïque conception du karman, presque aussi matérialiste que celle des Jainas, différant de cette dernière comme du karman bouddhique par le fait qu'une telle force, dans le système envisagé, ne se consume point par maturation, ni ne se compense par un effort ascé- tique. Aucune ascèse ne trouve place parmi les rites védiques ; rien ne saurait dispenser de la ponctualité rituelle, ni prévaloir sur son fidèle accomplissement. De cette inéluctabilité, le terme d'adrsta conserve, dans d'autres systèmes, la signi- fication de « destin ». La loi qui régit toute existence, résul- tant de l'acte, se suffit à elle-même coniine la vérité védique. Enfin selon ce réalisme littéraliste, les Védas durent de toute éternité en eux-mêmes, c'est-à-dire en tant que sons, exis- tence concevable pour un texte que les hommes se trans- mettent par voie orale. Ces sons dont le Brahmanisme a hypos- tasié le nom générique en réalité absolue, la Parole rituelle ou Brahman, ce n'est pas assez de dire qu'ils existent en tant que proférés par le sacrifiateur, homme ou Dieu: ils subsistent en tant que sons, puisque comme tels ils régissent, ils constituent la nature entière. Il n'y a place dans cet ordre d'idées pour aucun créateur : les divinités, s'il en existe, comme l'admet le Véda, ne sont pas moins que

166 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

l'homme tributaires de cette seule réalité absolue, les syllabes védiques. Aux âges classiques ce dogmatisme ritualiste et magique se justifie par une théorie très singulière du rapport entre les sons et leur sens : rapport non conventionnel, mais objectif et intrinsèque. De fait, étymologiquement, l'objet (artha), c'est la signification d'un mot. La Mîmâmsâ offre ainsi l'exemple d'une doctrine d'immanence intégrale : immanence de la pensée dans l'être, de l'être dans l'acte, de l'acte dans le Verbe éternel. Les attaches du système avec la plus ancienne tradition védico-brahmanique sont assez étroites pour exclure ce qui fait le fond de tout autre darçana : cette notion qu'à côté du dharma littéral il y aurait un dharma selon l'esprit, qui consisterait en connaissance; cette notion que l'acte est servitude et se doit transcender en délivrance. En l'occurrence le salut n'est pas conçu comme antithétique à la transmigration : il se réduit à rœu\T:-e pie, qui procure le ciel. L'être n'ayant aucune relativité de phénomène, il ne saurait être question de s'en évader, pas plus que de s'affran- chir du rite. Exemple unique d'une doctrine de transmi- gration sans idée de délivrance.

La connaissance ne peut être ici que servante de la pratique religieuse. Mais de même que l'être se suffit à lui même, la connaissance est tenue pour valable par soi {svatah- prâmânya). «Dans la connaissance perceptive, dit le vrbti- kâra, c'est l'objet qu'on atteint, non la connaissance » (artha- visayâ na buddhivisayâ). Comment ne pas trouver une attaque directe contre les Bouddhistes ? Pour confirmer la véracité de la connaissance aucun critère extérieur n'est requis, ni tiré de l'être, comme supposent les réalistes, ni emprunté de la pensée, comme l'admettent certains vijnâna- vâdins. Seule la mémoire {smrti) dépend d'une connaissance autre, celle qui fut jadis immédiate. Le souvenir mis à part, la connaissance, toute pourvue de sa certitude, résulte de

LES SUTRAS DES SIX SYSTÈMES 167

quatre contacts : des sens avec l'objet et ses qualités; des sens avec le manas (sensorium commune); du manas avec l'âme. La perception (pratyaksa) appréhende ainsi les subs- tances (dravya), les qualités (guna), les genres (jâti). Trois substances sont éternelles : les atomes, le temps, l'espace ; le manas, instrument par lequel l'âme éprouve les états psychologiques, est un atome, ce qui explique le champ si restreint de la conscience à chaque moment. Sur ces bases qu'admet le Bhasya de Çabara, les Mimâmsistes postérieurs au siècle édifieront une physique et une épistémologie, éloignant le système de son caractère exégétique initial.

Ce caractère essentiel avait du moins inspiré dès les premiers textes de l'école une dialectique originale. En théo- rie, une discussion de casuitique rituelle se déroule dans l'ordre suivant : l^la proposition à établir, visaya ; l'expres- sion d'un doute, qui naît dans l'esprit touchant le bien-fondé de la proposition, samcaya: la thèse adverse, objection portant à faux, pûrvapaksa; 4^ la riposte ou réfutation, utta- rapaksa; l'établissement du visaya, fondé en raison, samgati. Ce type d'argumentation, base de la logique brah- manique, montrait le vrai s'établissant à travers les oppo- sitions doctrinales : il contrastait avec le raisonnement tout négatif des Bouddhistes du ii^ siècle, mais il concordait, à la systématisation près, avec les rudiments de dialectique inclus dans ces autres entreprises, non moins brahmaniques, les traités de grammaire {vyâkarana), depuis Pânini (iv^ siè- cle avant Jésus-Christ) jusqu'à Patanjali (ii^ siècle avant Jésus-Christ), et les discussions d'étymologie {nirukta). En effet interprétation du langage et interprétation des rites ne sont qu'aspects à peine distincts de l'exégèse religieuse.

168 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

II. Le Vaiçesika. Kanada et Praçastapada.

Si nous faisons abstraction de la méthodologie exégétique et de la casuistique rituelle, réduisant ainsi la Mïmâmsâ à ses postulats métaphysiques, nous aboutissons à une con- ception toute proche de celle qui fut érigée en système, vers le même temps, sous le nom de Vaiçesika ('^). Ce terme, qui désigne l'acquisition de l'intelligibilité par le moyen de distinctions, de spécifications, atteste dans l'ordre spécu- latif une attitude analogue aux discussions d' « espèces » que soulève l'interprétation littérale des injonctions védiques. Plus élaborée, mais en son fond presque identique va être ici la conception du monde : ce sera un atomisme, qui se dou- blera d'une théorie de la connaissance.

La substructure réaliste n'apparente pas moins le Vaiçesika au Jainisme (^^). Les atomes ne sont pas, comme pensent les Jainas, tous homogènes; ils diffèrent selon les éléments. Mais toute réalité matérielle consiste en simples et en complexes. Deux grandeurs minimas {paramanu), atome» primaires, s'additionnent en atome binaire {dvymiuka); trois binaires en atome trinaire {tryanuka). Le principe des changements n'est point, à la lettre, dharma et adharma, mais c'est, en un sens au fond analogue, le déterminisme résultant des actions antérieures, l'adrsta, cette invisible

destinée que les Mimâmsistes appelaient apûrva. Lâkâça, force qui situe les formes dans l'espace, n'est pas, comme dans le Jainisme, un agrégat (kâya) de pradeças, car diç^ l'espace ou mieux l'ensemble des directions spatiales, est un principe autonome (dravya); mais dans les deux systèmes cet âkâça exerce une fonction dynamique, avant de se limiter, dans le Vaiçesika d'après Praçastapada, au rôle du cinquième élément, substrat du son. Dès les siitras le Vaiçesika s'oppose

LES SUTRAS DES SIX SYSTEMES 169

donc à la Mimâmsâ, en répudiant la substantialité du son, dont il nie aussi l'éternité (II, 2, 21-37). Il admet un autre facteur autonome (dravya), qui amène à l'existence et qui meut les êtres, kâla, le temps, de même que diç fonde la position relative des simultanés. Ainsi l'espace et le t^mps, pas plus que «l'éther», ne se réduisent à milieux vides; ils jouent le rôle de facteurs dynamiques, opérant de la con- tinuité, introduisant des relations entre ces absolus discrets, étrangers les uns aux autres, les atomes. Parmi ces réalités matérielles les âmes (âtman) subsistent, ainsi que dans la théorie jaina ; mais les Vaiçesikas comme les Mîmmâsistes croient qu'elles ne peuvent agir et connaître que par la coopération d'un organe atomique, le manas.

Infiniment grand, coextensif à toutes choses (vibhu), un âtman ne perçoit les objets que par l'intermédiaire de cet acolyte infiniment petit, aussi mobile que subtil: ainsi s'explique la quasi-impossibilité de concevoir plusieurs notions à la fois. Eternels tous deux, ils s'accompagnent dans les transmigrations, car c'est son manas qui dote chaque âtman de son individualité. Le but suprême est encore le fruit du dliarma, mais l'œuvre pie, loin de suffire, se doit accompagner de connaissance, grâce à laquelle l'âtman s'éprouve distinct du corps et des choses. L'homme est délivré, quand il cesse de s'asservir en ignorant, mais quand, tel un yogin (IX, 1, 11-15) il est yukta par repliement sur soi et conjonction du manas avec l'âtman. La connaissance qui sauve, c'est de savoir discerner d'une part les va,riétés de l'être : d'où une théorie des catégories; d'autre part les sources authentiques de connaissance et les méthodes valides : d'où une théorie des critères.

Dans un système objectiviste les catégories ne reposent pas, comme chez Kant, sur les divers types du jugement, ni, comme chez Aristote, sur les modalités de l'affirmation.

170 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Elles présentent un classement des principales rubriques entre lesquelles se distribuent les choses. Leur nom, carac- téristique du Vaiçesika, est padârtha, « sens des mots » (chinois kiu yi), mais on sous-entend qu'aux mots corres- pondent des réalités, de sorte que classer les mots, c'est classer les êtres. Ces rubriques sont au nombre de six. Les trois premières : substance {dravya), qualité (guna), action (karman) (^*), qui appartiennent à la plupart des darçanas, concernent des objets (artha); parmi les trois dernières, propres au système, la communauté {sâmânya), la singu- larité (vices a) visent des relations qu'appréhende l'intel- ligence (buddhyapeksa), tandis que la coïncidence intrin- sèque ou inhérence (samav'àya) implique une relation réelle. Sâmânya ne désigne point, comme on l'a cru, généralité au sens de genre (jati), mais l'analogie, l'équivalence entre deux substances, qualités ou actions. Viçesa, qui donne son nom au système, connote les propriétés typiques; ce n'est point l'individuel ni le particulier, mais le propre. Ces deux catégories existent dans les choses, mais notre pensée les précise. Quant à samavâya, c'est la connexion, non acci- dentelle comme le simple contact (samyoga), mais intime, comme dans les rapports entre les qualités et leur substance, entre un tout et ses parties, entre un genre et ses individus ; autant de cas se manifeste une connexion telle que l'un des termes appartient par essence à l'autre et coïncide avec au moins une partie ou un aspect de son contenu. Ceci encore est une relation de fait, mais que dégage l'abstraction.

Non moins significative de l'attitude vaiçesika est la doc- trine des pramânas, par oii l'on entend d'ordinaire soit les critères, soit les sources de la connaissance. L'une et l'autre de ces versions laissent échapper l'acception stricte, qui est mesure, au sens de jjis-pov xal xavu'v, le type parfait qui fixe la norme en un cas donné. Ce sens s'est conservé dans les traités

LES SUTRAS DES SIX SYSTÈMES 171

d'esthétique, le mot désigne le correction dans les pro- portions, dans l'anatomie et dans la perspective, c'est-à-dire la conformité à des règles prescrites à l'artiste par ses tra- ditions (^^). La portée philosophique, toute parallèle, est : connaissance correcte, et ne devient que par dérivation d'un côté connaissance tout court, de l'autre correction tout court, preuve de validité. C'est moins une faculté de connaître que le mode congru de chaque sorte de connaissance. Et de même que l'idéal esthétique, loin de s'extraire de l'expé- rience, se décrète relativement à priori, la connaissance-type atteste plutôt un idéal qu'une réalité. Les théories indiennes de la connaissance détermineront des connaissances-types plutôt qu'elles n'apporteront une psychologie ou une critique de l'esprit.

Par une réflexion portant à la fois sur les Védas et sur la nature, le Vaiçesika inaugure cette sorte de philosophie. Rigoureusement empiriste, il n'admet que deux connaissances valables : la perception (pratyaksa) et l'inférence (anumâna). N'en déplaise aux Mîmâmsistes, le Véda ne possède aucune autorité absolue (VI, 1, 1): la vérité qu'il recèle n'est déter- minable par l'esprit qu'en un à priori tout relatif (buddhi- pûrva) résultant de l'expérience accumulée à travers la suite des générations humaines. Ainsi çabda, le son, ne sau- rait passer pour un pramâna. La perception est toute con- naissance sensible, quoique la sensation visuelle en fournisse le type auquel on se réfère le plus souvent, ainsi qu'y invite l'étymologie du mot pratyaksa. Elle procure à l'esprit la notion des substances, avec leurs attributs et leurs actions, saisies sur le vif au moment elles s'exécutent. Toutefois cet empirisme ne méconnaît point le rôle que peut, en cette circonstance, jouer l'esprit : à la perception sans intervention de jugement {nlrvikalpaka-p.) il oppose celle qui suscite son ntervention (mvikalpaka-p.) distinction qui correspond

172 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

à celle que nous faisons entre « sensation » et « perception )>. La seconde opération implique la pensée {buddhy-npeksa) ; mais elle ne compromet pas plus le ferme propos de tout devoir à l'expérience, que l'a priori relatif déjà signalé. De même l'inférence ne se présente point comme une antici- pation du donné, à laquelle l'esprit s'autoriserait comme possédant virtuellement l'infuse vérité. Les Vaiçesika-Sûtras ne l'appellent même pas anumâna, mais seulement laingikam (IX, 2, 1), interprétation d'un caractère pris pour signe (linga) et conclusion du signe à la chose signifiée. Quand Praçastapâda reconnaît en outre la validité de l'appréhension des visionnaires (ârsa-siddha-darçana), il ne fait qu'incor- porer à l'empirisme l'expérience mystique. L'inférence de signe à chose signifiée se diversifie chez Kanâda selon que l'on conclut de la cause à l'effet ou inversement, du contigu au con- tigu, d'un extrême à l'autre, de la partie au tout ou inverse- ment. L'intérêt de la théorie consiste ainsi en une classification des diverses sortes de relations, toutes objectives: celles de causalité, de conjonction, d'opposition, de coïncidence intrin- sèque. Sous l'influence de l'idéalisme bouddhique, en par- ticulier de Dignâga, Praçastapâda s'abstraira de ces divers t3rpes de relations empiriquement constatées pour ne s'atta- cher qu'à l'idée qui d'après lui les résume de conco- mitance (sâhacarya). Sous l'influence tant du Nyâya que des bouddhistes, il dépasse le point de vue de la connaissance- type pour aborder le problème de la démonstration. A cet égard il distingue l'inférence pour soi, dans laquelle on n'expli- cite pas les diverses prémisses, et l'inférence que l'on met en forme pour autrui, afin de le convaincre, sor.te d' anumâna qui ressemble davantage au syllogisme. Enfin il précise la valeur du moyen terme, comme intermédiaire entre le signe et la chose signifiée : son système pose donc et résout des problèmes strictement logiques dont Kanâda n'avait tout au plus que le pressentiment.

LES SUTRAS DES SIX SYSTEMES 173

IIL Le Samkhya d'Içvarakrsna

A la différence de l'exégèse brahmanique et du positi- visme vaiçesika, le Sârrikhya apparaît comme un essor de pure spéculation; de fait c'est l'un des darçanas qui se mettent le mieux en parallèle avec les métaphysiques européennes f**). Cependant nous ne le comprendrons tel qu'il le faut saisir, qu'en le rattachant de façon étroite à ce réalisme pri- mitif dont Jainas, Mimâmsistes et Vaiçesikas, sans compter les Cârvâkas, fournissent des expressions non pas passagères, mais permanentes. En considération de l'anomalie signalée, nous tiendrons les kârikâs (vers didactiques) d'Içvarakrsna pour le plus ancien texte exclusivement sâmkhya qui nons soit accessible. La date de ce texte demeure incertaine; mais il fut l'objet d'une version chinoise par Paramârtha qui en 546 l'introduisit en Chine, et une tradition de ce pays situe au temps de Vasubandhu, c'est-à-dire vers 350, un cer- tain Vindhyavâsa, autre nom, semble-t-il, d'içvaralo'sna. Ce premier document ne doit d'ailleurs point se séparer de toute une documentation diffuse qui abonde, sur le Sâmkhya, dans les épopées comme dans les purânas.

L'indianiste qui s'appliqua avec le plus d'assiduité à la pensée sâmkhya, Garbe, fut toujours tenté de soutenir que ce système s'est maintenu presque sans transformation à tra- vers l'histoire; pareille conviction advint à Deussen quant au Védânta. Un progrès dans l'examen des documents prouve au contraire que ces doctrines, malgré leur quasi- pérennité, en dépit de la foroe de tradition qui retient d'innover les esprits hindous, n'ont cessé d'évoluer au cours des temps. Les sources du Sâmkhya se trouvent dans les Upa- nisads, abondent les essais d'énumérer d'où le terme de Sâmkhya, théorie de l'énumération les différents principes constitutifs de la nature, dans l'ordre de leur subor-

174 fflSTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

dination. Des raisonnements de ce genre se révèlent, par leur époque comme par leur contexture, tout proches de cette chaîne des douze nidânas qui fut la base théorique du Boud- dhisme. Celui qui se rencontre dans la Katha (III, 10-11) apparaît comme un prototype du futur Sâmkhya : « I3 manas est inférieur à la buddhi, la buddhi inférieure au grand âtman, le grand âtman inférieur à l'avyaktam (iné- volué), l'avyaktam inférieur au Purusa (Esprit) ». Cette prééminence du Purusa, contrebalancée dans le plus vieux brahmanisme par la tendance à hypostasier en absolu le Brahman, pouvait cependant revendiquer de fort anciens titres à la créance : l'un des derniers hymnes du Rgvéda n'avait-il pas tenu le Purusa, l'homme cosmique, pour la première victime, et à vrai dire pour l'unique, l'éternel sacrifice ? C'est la réflexion ultérieure à celle des Brahmanas,

c'est l'époque des Upanisads qui volontiers oublie cette antique notion et la remplace par celle d' âtman. Une autre théorie essentielle du Sâmkhya, la distinction de trois fac- teurs constitutifs de l'existence physique, gunas, se trouve annoncée dès la CKândogya Up. (VI, 4), qui de toutes choses admet trois formes; précisée dans la Maitri (III, 5; V, 2), cette doctrine prend dans la Çvetâçvatara un aspect carac- téristique : les gunas y sont rattachés non plus, comme dans le texte précédent, à la nature, mais au principe divin (deva) (I, 3) et aussitôt après (4) une allusion directe est faite au Sâmkhya, doctrine des cinquante modalités d'exis- tence (bhâva). Enfin la Maitri (VI, 10) fait présager le dogme capital du Sâmkhya en opposant au Purusa la nature, déjà dénommée pradhâna et prakrti, sa « nourriture » et sa jouissance»; la pensée ici se spécifie à ce point de la doctrine courante des Upanisads, que l' âtman, sous forme d'âme- élément, bhûtâtman, ne figure qu'à titre de production de la matière et de nourriture pour le Purusa.

LES SUTRAS DES SIX SYSTÈMES 175

Comment s'étonner dès lors que le Bouddha ait, selon le Buddhacarita, reçu l'enseignement d'un Sâmkhya, Arâda (^') ? Episode sans doute légendaire, car il prête à ce dernier des doctrines plus récentes et il atteste l'intention de mon- trer que la religion du Bouddha l'emporte sur la philosophie brahmanique. Episode significatif pourtant, car il se peut interpréter en aveu que le Bouddhisme se reconnaît une dette envers le Sâmkhya. De fait, à la condition que l'on fasse abstraction de l'Esprit absolu, la physique d'Içvara- krsna et celle des Bouddhistes produisent de même toutes

_

choses par combinaison d'éléments corrélatifs; et dans les deux disciplines le salut exigera que l'on se reconnaisse étranger à la nature, soit en isolant la pure spiritualité, soit en dissociant la trame du relatif pour obtenir le nirvâaa. Selon toute vraisemblance le Sâmkhya se cherchait quand s'élaborait la foi nouvelle, mais il ne s'était pas encore trouvé, faute d'avoir déjà précisé la relation qui devait s'établir entre les deux principes fondamentaux du système, peut-être d'inspiration différente et à coup sûr disparates : l'opposition métaphysique entre l'Esprit et la matière, l'explication physi- que de la matière par des composants, somme toute analogues aux atomes qualitatifs des Jainas, des Mimâmsistes et des Vaiçesikas.

La phase «épique» du Sâmkhya représente non pas, comme l'a cru Jacobi, une première déformation de la doc- trine classique, mais un stade encore préliminaire (^*). Qu'une philosophie de ce nom existe déjà bien individualisée, nous n'en saurions douter; trop nombreuses, trop explicites sont les allusions qui s'y réfèrent à travers le Mahâbharata, surtout aux livres V, VI, XII et XIV. Mais certes le Sâm- khya d'alors se voit interpréter dans l'épopée de façon ten- dancieuse, soit pour qu'il s'adapte aux dogmes brahmaniques, soit pour qu'il s'accommode aux religions sectaires : telle est

ITt) HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENXE

la part de vérité de l'avis de Jacobi. Par malheur nous ne disposons d'aucun document impartial pour préciser l'authen- tique Sârnkhya du premier siècle avant ou du premier siècle après notre ère. Lorsque Krsna révèle, dans la Gitâ, le secret de sa théophanie, et se déclare l'auteur intentionnel de son propre déguisement sous les apparences de la nature, parle- t-il en divinité des religions populaires ou selon l'orthodoxie Sârnkhya ? Ce « mystère » rappelle les assertions de la Çve- tâçvatara (IV, 10), qui assimile prakrti à mâyâ et admet que le divin dispose à sa guise des gunas. Mais il n'y a pas de quoi établir qu'avant de devenir dualiste le Sâmkhya fut moniste; et si l'on postule que son aspect moniste lui est donné par l'inspiration sectaire, on confine à l'opinion du savant exégète. Les thèses plus simplistes d'un Garbe, d'un Dahlmann, d'un Deussen fouillent plus profondément ce problème, relatif à l'un des carrefours essentiels de l'his- toire de la pensée indienne; plus averti et plus prudent, Oldenberg recherche de la documentation et s'abstient d'h5rpothèses. En suivant non son argumentation, mais son exemple, nous remarquerons que l'épopée manifeste par trop d'indices ses intentions conciliatrices, pour que nous atten- dions d'elle ces renseignements tout à ait objectifs; les infor- mations dont elle abonde sont précieuses, mais suspectes. Nous n'en voulons pour preuve que son insistance à soutenir, au mépris sans doute de la vérité littérale, l'équivalence du Sâmkhya et du Yoga. Sauf dans l'hypothèse invraisem- blable d'une harmonie préétablie, une doctrine spéculative ne saurait coïncider avec une simple pratique (VI, 27, 3 : jiîânayogena sârnkhyânârn karmayogena yoginâm); une fois au moins perce l'aveu que ces deux disciples luttaient pour la prépondérance (XII, 301, 1); un parti pris d'éclectisme peut donc seul faire proclamer leur identité. Or nous constaterons, en examinant l'histoire du Yoga, et que ce système apparaît, lui aussi, dans l'épopée affublé de singuliers revêtements,

LEvS SUTRAS DES SIX SYSTËiVIES 177

et qu'au lieu que Sâmkhya et Yoga s'accordent dans le théisme, leur seul point de contact originel doit être leur athéisme (^^). Par contre l'adaptation réciproque des deux systèmes ne devient qu'à l'époque médiévale un fait avéré. Nous croyons donc qu'une élémentaire circonspection pres- crit de ne demander au Mahâbhârata, relativement à la forme authentique du Sâmkhya, que des renseignements fragmentaires, non une interprétation générale, car l'inter- prétation d'ensemble y est faussée par l'incontestable in- fluence des cultes sectaires, et selon toute vraisemblance par la contagion de notions mahâyânistes et védântiques. La parenté du Sâmkhya épique et du Sâmkhya des Purânas, surtout des Confessions visnuites, par exemple des Pânoa- râtrins que fait connaître VAhirbudhnyasamhitâ ; l'usage dans la Gïtâ d'un terme comme celui de brahmanirvâna et l'analogie entre la fantasmagorie de Krsna et la mâyâ védan- tique ou le nirmânakâya d'Açvaghosa : autant de données irrécusables.

Sans doute est-ce parmi ces influences multiples que s'élabora le Sâmkhya classique, celui ses Kârikâs. Les protagonistes de la doctrine, vénérés par des adeptes comme ont pu l'être les mystiques devanciers du Tathâgata ou du Jina, ne prennent pas plus de précision historique à nos yeux que les sages légendaires auxquels on impute les divers sûtras. L'initiateur, Kapila, le rouge, se confond presque avec le démiurge Hiranyagarbha, l'œuf d'or. Les second et troisième patriarches, Asuri et Pancaçikha, sont repré- sentés par le Mahâbhârata connue des théoriciens du Brahman plutôt que du Purusa et de la prakrti; et ceci ne s'accorde guère avec une tradition chinoise qui fait du troisième l'an- teur du Sastitantra, par il faut, semble-t-il, entendre moins un ouvrage en 60.000 çlokas, qu'un système énu- mérant 60 principes, variante du Sâmkhya. L'ouvrage, s'il

12

178 HISTOIRE DE LA. PHILOSOPHIE INDIEXNE

exista, serait plutôt d'un certain Vârsaganya. En tout cas, le Mahâbhârata mis à part, nous ne trouvons de document de quelque étendue sur notre darçana, entre l'époque des Upanisads et la rédaction des kârikâs, que dans la samhitâ de Caraka qui, médecin de l'empereur Kaniska, relève du i*^ siècle {^^). L'aspect matérialiste du Sâmkhya qu'il nous présente tient peut-être à 1' «équation personnelle» d'un physiologiste; mais il n'atteste que mieux la parenté, au moins sous un certain biais, de cette philosophie avec celle des matérialistes ambiants ou antérieurs. Ici purusa, syno- nyme de cetanâ, ne figure que comme un élément, juxtaposé à l'âkâça et aux quatre autres; ou bien il manque à l'énuméra- tion des vingt-quatre principes, que nous allons citer tout à l'heure. Le rôle du manas dans la connaissance empirique concorde avec celui qu'il joue dans le Vaiçesika.

Si maintenant nous prenons pour point de départ du Sâmkhya classique les kârikâs, nous y trouvons des carac- tères dont la doctrine ne se départira point, et qui jusqu'alors n'avaient pas été définitivement admis : l'opposition radi- cale entre purusa et prakrti, réels l'un et l'autre, c'est-à-dire un dualisme; une pluralité sans fin de purusas, tandis qu'au contraire la matière ne s'individualise que d'une façon toute relative en des corps particuliers, c'est-à-dire un spiritualisme pluraliste ; une théorie à la fois physique et psychologique de la nature, particulièrement des trois gunas, qui ne concerne en rien l'esprit pur: c'est-à-dire une théorie matérialiste du monde empirique; une doctrine du salut très originale, aussi différente du piétisme sectaire que du matérialisme métaphysique.

Le dualisme de la théorie classique contraste avec le monisme du Sâmkhya épique, dans lequel la nature n'était qu'une fantasmagorie de l'absolu. Selon l'antique opposition de l'objet et du sujet (ksetra, le champ; ksetrajna, le connais-

LES SUTRAS DBS SIX SYSTEMES 179

seur du champ), en face de la nature il y a un principe sus- ceptible d'en jouir (bhoktar), parce qu'il est pure connaissance. L'objet n'est pas seulement « nourriture», matière de « jouis- sance»; il est activité, tandis que le contemplateur est sans action comme sans passion. Pour l'Inde entière, permanence et activité s'excluent: seule donc la nature est agent (kartar). D'où la comparaison de l'Esprit avec un potentat aux yeux duquel évolue, dans la seule intention de se donner en spec- tacle, une danseuse; quand le monarque a fini d'apprécier ses grâces, elle se retire, satisfaite à cette pensée : «il m'a vue». Tel sera désormais, le rôle de la nature. Mais le mot de prakrti demeure significatif de notions archaïques: d'abord il est féminin, tandis que le purusa est le Mâle; en outre il veut dire à la lettre: la fabriquée, indice que la nature fut d'abord tenue pour l'œuvre ou la manifestation de l'Esprit. Le terme quasi-synonyme de pradhânam, neutre et abstrait, désigne l'objet absolu sans ces traits pittoresques, pleins d'ensei- gnement pour l'histoire des idées.

Dans les textes épiques l'attention se concentre sur un seul Purusa, Visnu ; les autres ne méritent le même nom que par participation à lui. Il n'en va plus de même dans la doc- trine définitive. N'en concluons pas ce paradoxe, que l'indi- vidualité ait une valeur absolue; au contraire les différents esprits ne méritent d'exister à l'infini, qu'en tant qu'ils témoignent de la pure spiritualité, non pas certes comme per- sonnalités contingentes, toute spécificité relevant de la matière. La multiplicité des purusas procède de la même mentalité qui multiplia sans fin bouddhas et bodhisattvas. De moindre importance est le pluralisme matérialiste, qui se fonde sur des m.élanges indéfiniment variables des trois constituants universels.

Ces trois constituants, les gunas, représentent le con- tenu de la notion de nature (^"'). Comms les dharmas boud-

180 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

dhiques, ils offrant une double face, physique et psychique. Le mot guna, qui ne connote pas, dans ce darçana, des qua- lités par opposition à des substances, fait allusion à la partie comme composante d'un tout : ils constituent la prakrti à la façon dont trois fils, s'entrecroisant, font une corde. Le saltva est clair, léger ; par sa subtilité, sa luminosité, il se révèle de nature intellectuelle. Le rajas est agitation, tant comme mouvement que comme passion; le pessimisme latent du système y trouve foncièrement de la douleur. Le tamas est fixité, rigidité; aussi obscurité; il s'oppose au sattva comme les ténèbres à la lumière, comme l'ignorance à la lucidité. Le rajas joue ainsi le rôle d'un intermédiaire, comme l'énergie (pravrtti) tient le milieu entre l'immutabilité du pur éclat (prakâça) et l'obstruction (niyama) de la lourde opacité. Toute chose naturelle se compose de ces trois fac- teurs, dont les différentes combinaisons expliquent subs- tances et attributs. Le point de départ de l'existence ma- térielle est donc l'équilibre parfait des gunas; cet état, que le Sœmkhya-pravacayia-bhâsya (I, 61) appellera, au sens strict, prakrti, et qui communément porte le nom de mûla- prakrti, la nature originelle, exclut donc la réalisation en fait d'une chose quelconque. Voilà l' inévolué, avyaktani. Dès que se rompt cette compensation réciproque des trois facteurs, le monde physique et mental s'édifie. L'évolué vyaktam comprend la diversité façonnée (vilo-ti, nature naturée) et la diversité façonnante (vikâra). Le «grand», mahat rappelons-nous le mahâtman upanisadique, appa- raît, qui suscite Vahamkara (le faiseur du moi), agent d'indi- vidualité; ce dernier produit à son tour les tanniâtra, élé- ments subtils (sîîksma), c'est-à-dire non mixtes : son contact, forme, goût, odeur. Voilà les sept vikrtis, dont le dévelop- pement, inauguré par une prépondérance de sattva, dans la confection du mahat ou buddhi, nature pourvue de pro- priétés quasi-intellectuelles, accorde une place croissante

LES SUTRAS DES SIX SYSTEMES 181

aux autres gunas. Dans une autre série évolutive, celle des seize vikâras, le tamas l'emporte dès le début : ainsi se forment les cinq organes intellectuels (buddhindriya ou jnânendriya) : ouïe, toucher, vue, goût, odorat; les cinq organes actifs (karmendriya) : voix, pieds, mains, organes d'évacuation et de génération; le manas; enfin cinq élé- ments grossiers résultant du mélange des tanmâtra : éther (âkâça), vent, feu, eau, terre. 1 (mûlaprakrti) -f 7 + 16=24 et, si l'on ajoute le purusa, extérieur à cette évolution, 25; cette énumération est tout le Sâmkhya.

Quelques explications sur l'aspect psychologique de la matière ne seront pas inutiles. Ici comme dans le pratltya samutpâda et dans maintes formules des Upanisads, psycho- logie et physique s'entrelacent : de toute évidence l'Inde n'a jamais opposé comme réalités antithétiques ces deux faces de la nature. En revanche, ce qui dans la présente doctrine fait l'objet de l'opposition la plus décidée, c'est l'antagonisme conte l'Esprit absolu et les fonctions psycho- logiques de la nature, buddhi, ahanikâra, prédomine le sattva fait de clarté intellectuelle, mais qui n'ont quoi que ce soit de spirituel. Ce violent paradoxe, c'est la singularité du système : en aucune doctrine, d'Asie ou d'Europe, ne o' opposèrent aussi délibérément la contemplation, tenue pour la spiritualité même, et l'intelligence perceptive ou discursive, par destination plongée dans le donné ph;v'sique. Une approximation de cette attitude doctrinale ne se r3n- contrerait que chez les théoriciens de 1' « extase », qui sup- posent, comme seul accès à la contemplation, un dépouille- ment complet des conditions de l'intelligence ; encore con- çoivent-ils un progrès quasi-continu de l'inférieur au supé- rieur, tandis qu'ici les deux ordres ont pour caractère une complète extériorité réciproque. Le moins inadéquat paral- lèle se trouverait dans l'aristotélisme, qui explique le dyna-

182 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

inisnie naturel par l'attrait d'un voj; tout à fait trans- cendant ; on dirait alors par métaphore que la prakrti telle la danseuse aspire à charmer le souverain contemplateur, et qu'elle iiniste, autant que faire se peut, par des opérations discursives, la spiritualité pure. Toutefois, quoique « non touché », l'absolu d'Aristote « touche » le monde; or en aucun sens le Sâmkhya ne veut admettre semblable hypothèse. Et dans la théorie grecque la raison n'est que le lieu des formes qui, affectées de relativité, c'est-à-dire de matière, cons- tituent les êtres; tandis que le purusa ne renferme rien de commun avec la matière. Ainsi, quoique la nature agisse pour l'Esprit, ce finalisme latent, seul trait d'union entre deux ordres irréductibles, n'atténue en aucune façon la rigoureuse antithèse dualiste.

L'ontologie du système s'accommode d'une interprétation psychologique à l'unisson des autres doctrines indiennes. Tous les darçanas professent que l'on ne perçoit, et même ne connaît, qu'au moyen d'organes; effectivement le con- templateur absolu, livré à lui-même, ne perçoit ni ne con- naît; la vacuité de sa conscience toute formelle ressemble à ce ni être ni non-être, le nirvana; ou à ce sur-être et sur-non-être, l'Âtman-Brahman; ou encore à la Tathatâ mahâyâniste. Pour que cette conscience transcendante, exempte de toute indivi- dualité, s'appréhende elle-même, il faut qu'elle aperçoive, réfléchie dans l'intellect, son image que d'ailleurs déforment les agitations de la nature. A l'inverse la nature agit, mais s'ignore, l'Esprit seul pouvant prendre conscience d'elle. En un sens analogue, chaque système admettait que les organes, quoique nécessaires à la connaissance, ne sauraient y parti- ciper : l'œil ne se voit pas, etc. Bref la connaissance ne naît qu'en fonction de ces deux pôles, le sujet et l'objet. Il s'en- suit que les opérations auxquelles contribue particulière- ment le sattva, ne sont à aucun degré des fonctions de l'es-

LES SUTRAS DES SIX SYSTEMES 183

prit, mais que néanmoins tout se passe comme si la nature s'y transcendait elle-même et se haussait par leur moyen à un semblant de spiritualité. Malgré l'hiatus infranchissable qui sépare le purusa de la buddhi, la compréhension du sys- tème n'offrirait aucun intérêt si l'intelligence ne préparait au salut; il faut que la buddhi soit capable non seulement, comme le répète l'épopée, d'énoncer ces jugements (vyava- sâya, XII, 205, 10 ; 248, 8; 252, 11 ; 275, 17) qui président à la vie courante, mais d'amorcer la connaissance des 24 prin- cipes, qui aboutit à cette salvatrice vérité : l'extériorité de l'esprit à l'égard de la nature. Le purusa, qui en droit ne saurait être que libre, puisque, telle une fleur de lotus, rien d'étranger ne le souille, en fait s'affranchit lorsqu'il découvre son éternel quant à soi. L'absolu, c'est l'isolement (kaivalyam).

La pensée sâmkhya joue à tous égards un rôle mixte dans l'ensemble de l'indianité. Elle plonge dans le plus loin- tain passé, dont elle hérite la conception de l'intelligibilité par classification de principes distincts; son grandiose spiri- tualisme annonce les audaces du Grand Véhicule. Amputée du purusa, elle coïncide, ou presque, avec le positivisme soit bouddhique, soit vaiçesika; amputée de son réalisme maté- rialiste, elle équivaut à la doctrine védântique. Sa notion du salut comme restitution de l'autonomie de l'esprit, en face d'une matière rivale et maligne, c'est la vieille conception des Jainas. Dès l'époque du Mahabharata elle s'accommode de la piété sectaire: elle se perpétuera, sous cette forme, à travers le Visnuisme des Bhâgavatas, des Pâncarâtrins et le Çivaïsme des Pâçupatas. Sans s'identifier au Yoga, la doc»- trine qui définit l'Esprit comme détaché s'accordait en secret avec une pratique assidue de détachement. Par ce qui reste en elle des antiques cosmogonies, par ce qu'elle détient de com- munauté avec les purânas, abondent les exemples de principes s'emboîtant les uns dans les autres, elle préconise un

184 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

type d'intelligibilité par évolution, qui dépasse les postulats statiques des autres darçanas. Les phases alternatives de création et de dissolution du monde équivalent à des pro- cessions et conversions successives, sorte de marée onto- logique oscillant de l'implicite à l'explicite et inversement; ce n'est pas la moindre originalité du système, d'avoir pro- fessé une sorte d'évolution cosmique des catégories.

IV. Le Yoga. Pantanjali

Nous avons déjà signalé le Yoga comme l'un des fac- teurs du Brahmanisme, puis comme ayant exercé une influence constante sur le Bouddhisme, tout à fait pré- pondérante sur l'école Yogâcâra. Il n'est guère dans l'Inde de doctrine philosophique ou religieuse qui ne se soit, au moins occasionnellement, associée à quelque aspec du Yoga. Mais on ne désigne pas simplement de ce nom une ascèse psycho-physiologique, susceptible de s'adapter à maintes théories spéculatives, par exemple au Sâmkhya, comme en fait foi la littérature épique ou purânique; les exercices de Yoga suscitèrent un système distinct, un dar- çana dont les sûtras sont attribués à un certain Patanjali et le Bhâsya à Vj'^âsa. Le premier de ces textes ne saurait remonter au delà de la fin du iv* siècle, car il critique (III, 14-15; IV, 14-21) la doctrine de Vasubandhu devenu idéaliste; on le situerait avec vraisemblance entre 400 et 450. C''est dire que Patanjali son auteur ne saurait être le grammairien de ce nom, qui vivait au ii^ siècle avant notre ère. Le Bhâsya, que l'on a placé sous l'invocation de Vyâsa, est une œuvre de rédaction plus récente que la période envisagée : son tra- ducteur, Woods, le place entre 650 et 850, et Garbe l'attribue au VII* siècle. Ainsi, à ne considérer même que les sûtras, le

LES SUTEAS DES SIX SYSTEMES 185

darçana du Yoga est d'une époque notablement postérieure à la fixation de la pensée des darçanas jusqu'ici examinés C"^).

L'analyse de la doctrine sous sa plus ancienne forme systématique, chez Patanjali, confirme ces indications chro- nologiques. Quoique la discipline Yoga soit aussi ancienne que l'Inde, les spéculations que renferment les sûtras, en majeure partie empruntées au Sâmkhya, ne se comprennent qu'en fonction de la kârikâ. Même admission de trois pra- mânas : perception, inférence, autorité (âptavâkyam). Même conception des gunas, principes de la nature matérielle comme de la vie psychique. Même idée du pu rusa extérieur à la prakrti et trouvant son affranchissement dans la remarque de cette extériorité, alors qu'au contraire il trouve la servi- tude en sa pseudo-collaboration avec la nature. Signalons aussitôt les principales différences : un bien moindre rôle de la buddhi, une importance capitale de citta, la pensée empirique ; aucune allusion à l'aharnkâra, 1' « égoïsme » portant ici le nom d'asmitâ; aucune attention accordée aux sens et à leurs objets, donc aucune théorie des tanmâtra, des indriyas, des éléments; seulement les expressions de subtil (sûksma) et de grossier (sthûla) ; an emploi unique du terme de vyakta (IV, 13), mais aucun usage du concept d'avyaktam. L'énumération des principes cosmiques et leur emboîtement n'apparaissent pas dans notre texte. La plupart de ces difié- rences tiennent au manque d'intérêt que porte le système à la cosmologie, contre-partie de son application à l'ascèse psychologique. La mention de paramânu, en antithèse de parama-m.ahattva (I, 40) n'éveille sans doute que l'idée de Finfiniment petit opposé à l'infiniment grand, sans signifier une adhésion à l'atomisme. Somme toute les divergences, s'il en existe, entre Yogins et Sâmkhyas, sont minimes en ce qui concerne soit la métaphysique, soit la physique.

La réfutation de l'idéalisme bouddhique atteste mieux encore une rédaction tardive. Il semble que la secte ait éprouvé

180 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

le désir de préciser ses propres convictions en répudiant celles des Bouddhistes qui prétendaient, quoiqu'ils rejetassent l'autorité des Védas, quoiqu'ils niassent la réalité du monde extérieur, demeurer des Yogins. Sur le premier point, peut- être les Yogins orthodoxes n'eussent-ils guère protesté; car jamais une suture bien étroite ne s'établit entre l'héritage védique et les pratiques du Yoga : nous avons constaté que le plus brahmanique des darçanas, la Mîniâmsâ, semble à l'antipode même de l'ascétisme. Mais sur le second point la secte s'insurgea ; elle partageait la foi réaliste en l'objec- tivité du monde qui animait Jainas, Vaiçesikas, Mîmâmsakas, Sârnkhyas ; comment aurait-elle pu prescrire le détachement, si, la nature n'existant pas, l'attachement à ses prestiges n'eût point été une réalité ? Toute l'énergie déployée pour « isoler » l'esprit suppose l'existence de trop certains obstacles à cet isolement. L'ambition de se doter de pouvoirs exceptionnels sur la nature prouve que l'on croit à l'objectif et qu'on lui attribue un prix. Les négateurs de l'objectivité, nirâlam- banavâdins, un Asaiiga, un Vasubandhu, quoiqu'ils se flattent de mener une vie de Yogin, yogâcârya, sont de faux frères. D'où l'argumentation de IV, 14-21 (et peut-être de III, 14-15), la doctrine qui admet non des choses, mais seulement des idées (vijnaptimâtra), se trouve dénoncée comme erronée. Il faut bien, dit-on, que l'objet existe, puis- qu'il provoque chez des sujets distincts différentes impres- sions (IV, 15); puisqu'on ne saurait admettre qu'il disparaît quand on ne le perçoit pas (16); puisque le citta ne peut agir sans être affecté (17); puisqu'enfin, si des idées tenaient lieu d'objets, il faudrait des idées d'idées, à l'infini, pour expliquer la perception (21).

A un troisième point de vue les sûtras apparaissent d'assez basse époque. L'influence du Yoga épique est mani- feste. Selon toute vraisemblance elle explique l'introduction

LES SUTRAS DES SIX SYSTÈMES 187

dans la doctrine d'une dévotion théiste, car le Yoga primitif s'efforçait à la délivrance sans le secours d'aucune divinité; les contes fourmillent même d'exemples des dieux jalou- sent la puissance sans égale qu'acquiert l'ascète par la tension de sa volonté. Désormais un Seigneur, Içvara, se trouve incorporé à l'ordre objectif que reconnaissent les Yogins, mais c'est une âme particulière, pui'usaviçesa (I, 24) dont la vénération et l'appui sont salutaires, ce n'est point, ni spécia- lement, ni exclusivement, le Purusa qu'il s'agit d'à isoler ». Celui-ci c'est le nôtre, qui, certes, une fois « isolé », vaudra celui d'un Dieu. Le culte n'importe donc que comme propé- deutique ou adjuvant; tant s'en faut qu'il se confonde, comme dans la GitTi, avec la connaissance. Yoga, dorénavant, comme aux lointaines origines, signifie non «union à l'absolu», fusion en Dieu, mais contention d'un esprit qui, pour s'être recueilli, se possède. Les traces d'une protestation contre l'influence sectaire n'apparaissent donc pas moins nettes que cette influence même, dans un théisme certes nouveau et définitivement admis, mais restreint et subordonné.

Ayant ainsi tenté de replacer dans leur milieu les Yoga Sûtras, nous nous sommes préparés à rechercher le sens de leur contenu. C'est une discipline intérieure qui vise à obte- nir, par une contrainte exercée sur notre individualité empi- rique, la même sorte d'absolu que le Sâmkhya définissait comme appartenant à l'esprit et précisait par voie toute spéculative. Dans cette mesure se justifie l'assertion trop générale et abstraite du Mahâbhârata, qui répète sous tant de formes diverses l'accord quasi-éternel entre cette réflexion, le Sâmkhya, et cette pratique, le Yoga.

Le point de départ consiste à s'abstraire du sensible et pour ainsi dire à rétracter ses sens, comme la tortue ramène sous sa carapace les organes qui la mettent en relation avec l'extérieur. Cette condition préalable une fois obtenue, c'est

188 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

sur l'organe pensant, le citta, que va se porter l'effort pour détourner de la vie les fonctions vitales. Ce citta se trouve, spontanément, agité d'incohérente façon par des jugements, vrais ou faux (pramâna, viparyaj^a), des fantaisies (vikalpa), des rêves (nidrâ), des souvenirs (smrti). Ces éléments troubles résultent de l'influence persistante de nos actes antérieurs (samskâras) : cette fatalité, qui est la loi de l'acte, ne com- porte que calamité (kleça). Pour contrecarrer ces effets de la nature, il faut certes connaître que ce sont de simples effets de la nature ; ici coïncide la doctrine avec celle du Sâmkhya. Mais ce savoir ne s'acquiert qu'au prix d'un changement radical dans la façon de vivre. Toutes ces modalités (vrtti) de la pensée empirique, il les faut élaguer (citta^T-ttinirodha). Après cette purification encore préliminaire il faut s'exercer à la concentration, d'abord en absorbant l'attention sur un objet, quel qu'il soit : ainsi se suspendent inémoire et ima- gination; ainsi la pensée empirique se confond avec son objet. Si elle fonctionne encore, c'est mécaniquement et dans d'étroites limites. Cette méditation est le dhyTma, dont nous avons noté l'usage fait par les Bouddhistes des deux Véhicules. Elle aboutit à cet apogé3 du recueillement, samadhi, s'acquiert l'inconscience (asamprajnâta s., I, 18), après que la sapience (prajnâ) ait été obtenue, chemin faisant. Le terme n'est pas la science, mais la réalisation de l'absolu dans le kaivalyam ; toutefois la flamme de la connaissance (jnânadipti II, 28) a joué ce rôle décisif, de brûler les semences (bija) des actes encore éloignés de la maturité, application de la vieille notion]^ brahmanique de l'ascétisme imaginé comme un feu, tapas. Le yogin, par le processus même qui dégagea de toute compromission l'intégrité de son esprit, a gagné du même coup, d'ailleurs pour la dépasser aussitôt, en même temps que l'omniscience, l'omnipotence. Les dis- tances de temps, d'espace, n'existent plus pour lui; il peut

LES StTTRAS DES SIX SYSTEMES 189

revêtir des formes diverses; l'ubiquité, la lévitation et autres capacités miraculeuses attestent sa maîtrise de la nature entière. Il n'a pu s'installer dans sa propre autonomie sans devenir libre vis-à-vis de l'univers.

C^tte prestigieuse vocation de l'ascèse concilie non pas, cette fois, dans la fragilité d'un système théorique, mais en une expérience vécue, de très primitives pratiques avec les plus vastes ambitions de spiritualité. Sous les apparences du renoncement elle cache l'immense orgueil de posséder la nature sans en être possédé, puis de se réaliser soi-même en un splendide isolement. La même discipline, exercée par des saints de médiocre envergure, aboutit à la simple catalepsie, arrêt de la vie dans une attitude figée, monoïdéisme anéan- tissant la pensée ; exercée par de puissants esprits, suggère à un Asanga ses amples synthèses. Parmi les recettes du Yogin, la gymnastique des souffles (prânâyama) (^"^), non moins connue de la Chine taoiste que de l'Inde, voisine avec l'extase métaphysique, et les postures corporelles n'inter- viennent pas moins que les règles morales. De vieilles sug- gestions magiques affleurent dans la prétention de conquérir du même coup le macrocosme et le microcosme, les puis- sances naturelles n'étant, comme l'avaient proclamé les Upanisads, que le prolongement des forces vitales. Comme pratique et comme méthode, le Yoga pouvait s'imposer à l'Inde entière, à quelque époque et en quelque milieu que ce fût. Les Yoga sûtras ne font que codifier, dans le langage d'un certain temps et d'une certaine école, des principes aussi vivants lors de la composition des Brâhmanas qu'à l'époque tantrique, et qui ne séduisirent pas moins Jainas ou Bouddhistes qu'orthodoxes brahmaniques.

190 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

V. Le Nyaya. Gautama et Vatsyayana

Le Nyâj^a (^"'') s'adapta au Vaiçesika comme le Yoga ail Sâmkhya; en ce sens que visant des résultats pratiques, à obtenir par une méthode spéciale : la technique du raison- nement, — il s'appropria la physique du darçana antécédent. Cette accommodation se manifeste dès le début, car les Nyâya sûtras exposent des thèses vaiçesikas ; et partisans comme adversaires de la doctrine confondirent volontiers les thèses des deux darçanas. Toutefois, si de telles métaphores sont licites en l'occurrence, il y eut longtemps parasitisme plutôt que symbiose : les Naij^âyikas utilisèrent les thèses des Vaiçesikas beaucoup plus que ces derniers n'utilisèrent celles des premiers. La fusion n'est complète qu'au xi^ siècle, à partir de la Saptapadârthi de Çivâditya. Quoiqu'il connaisse la doctrine de Kanâda, Gautama, dans son livre III, jette les bases d'une théorie physique ; celle-ci ressemblant à celle-là, ne fût-ce que par l'atomisme et par l'explication de la for- mation du inonde, on doit supposer qu'il a voulu parfaire le système de son devancier. Sur les sophismes il propose une théorie autre, et plus complexe. En ce qui concerne l'épis- téinologie, qui accapare l'intérêt dans les NyTîya sûtras, plus encore que dans les Vaiçesika sûtras, chaque darçana témoigne de préoccupations distinctes.

La date approximative des Nyaya sûtras se localise entre le ii^ siècle, époque des Vaiçesika sûtras, et 260, époque de Harivarman qui, comme d'ailleurs Aryadeva, connaît le système de Gautama. Les NyTîya, sûtras renfermant une critique non seulement des çûnyavâdins, mais des vijnâna- vâdins (liv. TV), il convient de les situer vers le milieu du iii^ siècle, en un temps quelque devancier d'Asanga et de Vasubandhu avait déjà interprété en un sens idéaliste le

LES SUTRAS DES SIX SYSTEMES 191

nirâlambanavâda de Nâgârjuna (^°^). Quant au commen- taire de Vatsyâyana, il appartient, semble-t-il, à la première moitié du v^ siècle; en tout cas il précède Dignâga.

Les sûtras du Nyâ3^a, qui suivent un plan mieux ordonné que ceux du Vaiçesika, indiquent dès le début le sens dialec- tique de leur tâche par une énumération non plus de principes naturels, mais de phases du raisonnement. Ils en comptent seize : pramâna, le moyen de preuve; prameya, l'objet de preuve; samçaya, le doute; prayojana, l'intention; drstânta, l'exemple; siddhânta, la thèse; avayava, les prémisses; tarka, la réfutation par l'absurde; nirnaya, la détermination; vida, la discussion; jalpa, la dispute; vitandâ, la chicane; hetvâbhâsa, le sophisme; chala, le fait de jouer sur les mots; jâti, l'objection futile, sans consistance; nigrahasthâna, le point faible. Ainsi se manifestent des préoccupations analo- gues aux observations du nirukta, des Jaimini sûtras ou des vârtika de Kâtyâyana sur les mérites ou fautes de l'argu- mentation. Ici comme dans la Mimâmsâ, le bien suprême dépend de la sownission aux règles formelles, non certes l'obtention du ciel, mais, comme dans le Sâmkhya ou le Yoga, la libération de l'esprit (apavarga) ; car disparaissent tour à tour la fausse connaissance (mithyâjnâna), les vices (dosa), la tentation d'entreprendre des actes (pravrtti), la nais- sance (janma), la douleur. Comment ne pas reconnaître un raccourci de l'argument bouddhique des douze conditions, qui achemine de l'ignorance à la douleur ? et dans une doc- trine du salut par délivrance de la transmigration, l'appli- cation de la méthode mimâmsiste qui cherchait en une saine interprétation du Véda le secret du mérite religieux conçu de façon utilitaire ?

Les pramânas du Nyâya sont, outre la perception et l'inférence, l'analogie (upamâna) connaissance d'une chose par ressemblance à une autre déjà connue et le

192 HISTOIRK DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

témoignage (çabda), en particulier l'autorité de la révé- lation. Ce dernier critère concorde avec l'âptavacana (parole autorisée) du Sâmkhya. L'anumâna conclut soit de la cause à l'effet (pûrvavat), soit inversement (çesavat), soit de carac- tères communs (sâmânyato drstam sorte de pressenti- ment de la méthode de concordance chez Stuart Mill.

Les conditions de la perception correcte - « une con- naissance déterminée, non contredite, non associée à des mots, et résultant du contact des sens avec des objets » posent des questions de psychologie. En face des choses, tenues pour aussi réelles que dans le Vaiçesika, se dresse le sujet, pourvu d'un corps, de sens, d'un « sens commun » (nianas), d'un intellect (buddhi), d'une âme (âtman). Le ma- nas, ici encore, est atomique, et s'interpose entre le sujet et l'objet. Pour que la perception ait lieu, il faut donc qu'il transmette à la buddhi ce que lui firent parvenir les sens et enfin que la buddhi en informe l' âtman. Dans cette con- ception voisinent le manas du Vaiçesika et la buddhi du Sâmkhya ; mais l' âtman, loin de résider en une transcen- dance comme celle qu'admet ce dernier système en faveur du Purusa, est répandu dans le corps entier: il ne peut cepen- dant rien connaître que par ses organes, buddhi et manas. Quoique l' âtman possède des qualités, à la différence du Purusa du Sâmkhya, il ne possède la connaissance en acte que moyennant la coopération du manas : ceci est commun aux deux darçanas, que l'âme non empirique (âtman ou purusa), pour passera l'acte, a besoin du concours de l'esprit empirique (manas), et qu'à cette condition se produit, au sens propre, la connaissance (buddhi). Par contre, ici comme là, le salut requiert une séparation définitive de ces deux facteurs, tandis que le Vaiçesika préconisait une intégration ultime du manas à l'âtman. Divergences futiles, à notre ^vis d'Européens; distinctions capitales pour la pensée

LES SUTEAS DES SIX SYSTÈMES 193

indigène toujours soucieuse d'épier les conditions possibles de la délivrance, si variables à travers la diversité des sys- tèmes; et preuve que des doctrines en apparence positivistes tendent, comme les métaphysiques, à une fin transcendante.

La question de la validité de l'inférence amena les Naiyâyikas à ébaucher une logique formelle. Ils héritent, à cet égard, non seulement des observations faites par les grammairiens ou les exégètes religieux, mais de la spécu- lation upanisadique sur l'âtman, investigation que le Mahâ- bhârata dénomme ânviksiki; de la dialectique selon la cau- salité, hetuçâstra, promue surtout par les bouddhistes; de la contre -épreuve raisonnante, tarka, l'un des artifices du Yoga {^^). Par la convergence de ces influences, le terme de nyâya, d'abord synonyme de mïmâmsa, recherche exégè- tique, prend la valeur abstraite de « logique ». Le mot conno- tera dès lors une théorie du raisonnement, qui s'isole volon- tiers de la théorie mixte, tant vaiçesika que naiyâyika, des pramânas, quoique l'étude nouvelle soit, en fait, la technique de l'anumâna. Le fait est que les Jainas conçurent un raison- nement à dix membres, les Naiyâyikas, peut-être par sim- plification du précédent, un argument à cinq propositions. Laissons de côté, pour l'instant, l'argument jaina, mais citons le type de raisonnement des Naiyâyikas :

Il y a du feu sur la montagne (pratijnâ, assertion) ;

Parce qu'il y a sur la montagne de la fumée (hetu, raison) ;

Tout ce qui renferme de la fumée renferme du feu: par exemple le foyer (udâharanam, exemple);

Or il en est de même ici (dans le cas de la montagne) upanaya, application au cas particulier);

Donc il en est ainsi (nigamanam, résultat). 13

1^)4 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Telle est la forme d'argumentation qui précéda immé- diatement l'effort logique des Vijnânavâdins, et auquel s'op- pose, comme une tendance idéaliste à une tendance empiriste, la dialectique de Dignâga. Ainsi s'ouvre une rivalité d'inspi- rations logiques dont l'histoire ultérieure nous apprendra le dénouement.

La polémique contre les bouddhistes entreprise daiLS les Nyâya sûtros concerne non la logique, mais l'épistémologie. Au livre II, c'est une défense de la notion de pramâna contre des objections mâdhyamikas: réplique mal venue d'ailleurs, car Nâgârjuna, en dépit des Naiyâyikas qui soutiennent que la négation implique une affirmation, avait soin de tenir pour inconsistantes la négation comme l'affirmation. Au livre IV, c'est une réfutation du relativisme : Gautania (IV, 1, 48) s'attaque à l'opinion de Nâgârjuna (Madhyamika siït. VII, 20), qu'il n'3^ a d'existence proprement dite, comme d'ailleurs de non-existence, ni avant, ni après, ni même pendant la production. Aucun compromis n'était concevablj entre l'idéalisme des uns et le réalisme des autres : leur oppo- sition dura autant que le Buddhisme ; elle marque l'un des épisodes essentiels de la spéculation indienne. Sans prendre pour but exprès, comme les Mimânisistes, la défense de la tradition brahmanique, les Naiyâyikas s'en considèrent comme des soutiens : il leur arrive ainsi de défendre l'autorité des Védas contre les Cârvâkas (II, 1, 56-7); aussi leur hos- tilité à la pensée bouddhique se montre-t-elle irréductible.

Vâtsyâyana, dans son Bhxisya, fait appel aux catégories vaiçesikas, amorçant de la sorte les s^aicrétismes ultérieurs. Mais il apporte peu d'innovations ; parfois mêm'e il rétrograde en confondant anumâna et upamâna. Sa définition du pra- rnâna, « ce par quoi le sujet connaît l'objet», ne se signale que par de l'indécision. Quand il rappelle l'existence d'un rai- sonnement à dix membres, sans doute se réfère-t-il à celui

LES SUTBAS DES SIX SYSTEMES 195

des Jainas. Il avoue avoir éprouvé de la peine à suivie l'effort logique du texte qu'il commente.

VI. Le Védanta. Badarayana

La Miniâmsâ Seconde (Uttara), qui se donne pour un achèvement du védisme (vedânta), non parce qu'elle en apporterait la clef exégétique, mais en ce qu'elle fournirait son interprétation métaphysique, partage avec la Mîmâmsâ Première (Pûrva) l'ambition d'exprimer dans sa pureté l'inspiration de l'authentique Brahmanisme. Plus qu'aucun autre darçana orthodoxe, elle revendiquera la pérennité du \Tai, dont elle croit trouver le gage dans une prétendue conformité avec la spéculation des Upanisads; en fait elle deviendra et demeurera jusqu'à nos jours la doctrine de l'élite intellectuelle qui sait atteindre au travers de la lettre jusqu'à la pensée profonde sous-jacente aux rites comme aux symboles. Qu'une telle doctrine atteste à la fois une réaction contre beaucoup d'éléments du milieu indien, et l'adaptation d'idées fort anciennes à des facteurs plus récents, c'est ce dont l'histoire nous indiquera mainte preuve; mais il faudra renoncer au préjugé, cher à Deussen, d'un Védânta, éternel, identique à travers toute l'évolution de l'Inde.

LesjBra/wirt Sûtras, encore appelés Védânla-Sûtra^, dont l'auteur serait Bâdarâyana, ont être composés vers le début du v^ siècle (^°^). Leur critique du Bouddhisme, plus élaborée que celle d'aucun autre sûtra, témoigne d'une rédaction assez tardive. Cette réfutation (II, 2, 18-32) vise d'abord le Sarvâstivâdins (18-27) ; elle réfute la relativité des causes (19 : le pratitya samutpâda; 20 : l'instantanéité de la production); puis les nihilistes ou les idéalistes, selon qu'on suit les suggestions de la vrtti ou

19G HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

celles du bhâsya (28-32). (^®*). Elle objecte à ceux qui ne postulent aucun support des phénomènes (mirâlambana- vâda) que nous percevons des objets, et que cette percep- tion diffère du simple rêve (28) ; que sans l'existence d'objets perçus la conscience ne serait point (30) ; que la morne ntanéité rendrait impossible la conscience (31). La concision, l'ambiguïté des Brahma Sidraa ne laisse pas voir avec netteté la thèse que ces textes adoptent à rencontre des Bouddhistes. La difficulté s'accroît si l'on remarque, avant même la critique des hérétiques, une acerbe réfutation des réalistes brahmaniques, plus préci- sément des Vaiçesikas, adversaires de la théorie bouddhique ; leur atomisme est condamné comme incompatible avec leurs autres principes : avec la notion d'un démiurge, ou d'un destin (adrsta) (II, 1, 12; 2, 11; 12); les atomes ne peuvent venir en contact (13); ni être actifs, ni non-actifs (14), etc.

De cette double critique résulte que les Védânta Sûtras réprouvent un certain idéalisme comme un certain réalisme. Ils puisent dans les Upanisads la conviction que tout n'existe que dans la mesure il est le Brahman. L'identité de notre âme individuelle avec l'âtman absolu, lui-même identique au Brahman, voilà le thème non pas unique, mais dominant de ces vieux textes. Selon que les êtres passent, parce qu'ils participent au Brahman, pour réels, ou pour irréels en tant qu'êtres distincts, deux opinions plutôt corrélatives qu'oppo- sées, mais dont tantôt l'une, tantôt l'autre prédomine, les Upanisads comportent un réalisme ou un irréalisme. En ce sens Bâdarâyana peut s'opposer à la fois aux Bouddhistes parce que, niant toute substance, ils nient la substance unique et totale, l'Âtman-Brahman; et aux Vaiçesikas parce qu'affirmant l'être, ils le fragmentent en éléments incapables de coopération. Bref, il y a de l'être, mais un seul être. Com-

LES SUTRAS DES SIX SYSTÈMES 197

îîient donc juger le phénomène empirique, indéfinie multipli- cité ? Comme réel en tant que fondé en l'absolu; comme faux (vitatha) (II, 11), inexistant (asat) si on le prend en lui-même. De tout être il faut reconnaître qu'il est l'Etre (tat tvam asi) ; mais l'Etre ne réside pas moins par delà l'être individualisé ou phénomène. L'obscurité comme la fécondité des sûtras tiennent à ce qu'ils affirment et l'immanence et la trans- cendance de l'absolu; toute la secte pourra s'y reconnaître, soit qu'elle verse dans l'illusionnisme, soit qu'elle trouve dans le panthéisme, solidement garantie, l'objectivité des diverses forines d'être.

Une telle doctrine repose sur la connaissance (jnâna). Perception, inférence, témoignage de la révélation (çabda) : ces trois pramânas avoués par le système ne valent qu'inter- prétés à la lumière de la science totale. Le salut consiste exclusivement à connaître le Brahman en tout et tout en le Brahman. Aucun darçana ne s'oppose plus nettement à la croyance en l'efficacité du rite, pourtant préconisée par l'ancienne Mîmâmsâ, ou à la foi en la valeur d'une certaine sorte de vie, par exemple l'ascétisme. Cette omnipotence de la gnose, le Védânta la postule au même titre que le Mahâ- yâna; rien ne ressemble autant à la science du Brahman que la prajnâpâramitâ; car l'absolu brahmanique, ni affirmation, ni négation, mais simplement Cela (tat), rejoint cette quid- dité (tathatâ) qu'Açvaghosa trouvait au principe de l'exis- tence. Les Védântins n'ont honni le Bouddhisme, toute raison confessionnelle mise à part, que parce qu'ils s'en éprouvaient très proches. Eux aussi professaient que l'être empirique ne diffère de l'absolu que par l'ignorance, avidyâ, lont il est pétri. Leur doctrine se réduisait donc à la pure vacuité des Mâdhyamikas, s'ils n'eussent admis la légiti- mité d'une pensée relativement exotérique, à côté de la vérité absolue, dont le Brahman est l'a et l'o.

198 HISTOIRE DK LA rHIlA)«orHIE IXDIENXE

L'avidyâ de Bâdarâyana implique non seulement l'ab- sence de connaissance, mais une sorte de réalité cosmique. Ici reparaît la vieille notion de la fanstamagorie de Mitra ou de Varuna, identique à celle de Krsna, ou encore à celle du Nirmânakâya. L'illusion, itiâyâ, possède une réalité, puis- qu'elle est oeuvre divine. A traduire en termes abstraits ces expressions mythiques, on pourra dire que l'être se laisse affecter de déterminations relatives; il devient conditionné par l'effet de ces conditions (upâdhi). S'il existe empiriquo- ment, non pas selon l'absolu, d'innombrables âmes indi- viduelles, jîva, ce n'est pas qu'il y ait, comme croient les Sâmkhyas, pluralité réelle d'esprits. Si, par suite de nos actes, le karman accumulé constitue à l'entour de nos âmes un corps grossier (sthûla çarîra), fait d'éléments qui composent le corps subtil (sûksma), les différentes gaines (koça) qui fondent la hiérarchie des fonctions physiologiques et psycho- logiques n'ont ni plus ni moins de réalité que le monde maté- riel, sorte de corps dont se revêt l'Atman absolu. A travers l'ambiguïté de ses formules le Védânta apparaît ainsi le plus simple des darçanas, puisqu'il lui suffit de vénérer en le Brahman l'unique réalité absolue pour posséder l'omni- science.

CHAPITRE II

L'RRE DES GRANDS COMMENTATEURS

(500-1000)

La période que nous venons de décrire présentait une individualité assez nette. Elle marquait une vigoureuse réaction entre le Bouddhisme, réaction qui s'opérait dans les sens les plus différents. Ainsi la Première Mîmâmsâ se

l'ère des grands commentateurs 199

craniponnait à la mentalité du primitif Brahmanisme, alors que la Seconde, tout en fondant l'ésotérisme orthodoxe, acceptait beaucoup de postulats bouddhiques. Dans cette émulation qui animait les divers facteurs de l'indianité, les initiatives partaient souvent de l'hérésie, qui jouait à maints égards le rôle d'un ferment. Désormais les diverses filiations de pensée portant l'estampille de la caste sacerdotale, tou- jours maîtresse de la culture intellectuelle, possèdent, après une élaboration, qui dut être longue, des textes arrêtés à jamais, qu'il y aura lieu d'approfondir ou d'étayer par des arguments dialectiques, ou de protéger par une armature polémique, mais non de modifier. Fière d'avoir précisé ces systèmes en une forme définitive, susceptible par sa conden- sation d'alimenter sans fin la discussion et l'enseignement, l'Inde brahmanique ne conçoit plus qu'elle ait aucun pro- grès spéculatif à promouvoir : . elle va limiter son ambition au confornisme ritualiste et au traditionalisme philoso- phique. La phase créatrice est close, la scolastique commence.

Les premiers com entaires, bhâsyas de Praçasta- pâda et de Vâtsyâyana, vrtti et bhâsya mimâmsistes, ne se signalent guère par l'originalité de la pensée. Ou plutôt leur pénétration s'exerçant à déterminer le sens des sûtras, presque toujours obscur à force de concentration, ils déployè- rent une réflexion dont nous mesurons mal l'originalité, faute de pouvoir comparer ses résultats à d'autres interpré- tations, également concevables. Si les sîïtras avaient fixé des directions à l'enseignement, ce furent les premiers commen- taires qui fixèrent le contenu dogmatique des sûtras. Trouvant dans leurs œuvres une base, nous apprécions davantage l'indé- pendance relative, la contribution personnelle des grands commentateurs qui naquirent aux cinq siècles suivants. Si nous nous permettons une comparaison tirée de notre sco- lastique médiévale, nous dirons que la portée des « sûtras >♦

2f)0 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

d'Aristote, d'abord circonscrite par les «bbâsyas» d'un Sim- plicius, d'un Philopon, d'un Alexandre d'Aphrodisias, donna lieu aux puissantes constructions d'Averroès, de Maïmonide ou de saint Thomas.

Durant cette nouvelle période l'initiative se répartit entre Bouddhistes et docteurs brahmaniques, l'hérésie n'en détient plus le monopole. Toutefois elle possède encore les systèmes qui font date, autour desquels se distribuent les penseurs de second plan. L'époque des sûtras subissait l'ascendant de Nâgârjuna et de Vasubandhu; celle nous entrons va se laisser dominer par Dignâga (2^ moitié du v^ siècle) et Dhar- makirti (fin du vu®). Tant que soufflera l'esprit bouddhique, il recèlera le secret des rénovations et ce secret se perdra avec lui. Pour reprendre notre comparaison, référons-nous à Tappauvrissement qui aurait frappé notre scolastique, une fois réduites au silence, par suppression ou par assimilation, les pensées juive et musulmane, dans l'hypothèse auraient fait défaut les éléments qui suscitèrent la « Renaissance ».

Un caractère tout extérieur paraît significatif de cette première scolastique indienne. Le temps n'est pas encore venu, du syncrétisme proprement dit. Pourtant on s'ache- mine à grands pas vers l'unification des systèmes. L'adap- tation aux tendances les plus hostiles, mais qui s'imposent, c'est-à-dire à la libre pensée bouddhique, exige de la spécu- lation brahmanique un effort, une souplesse qui faciliteront l'atténuation des divergences traditionnelles à l'intérieur de cette spéculation. Un penchant à l'unification des systèmes orthodoxes résulte de leur commune opposition à l'hétéro- doxie. C'est pour une large part un préjugé européen qui nous fait douter qu'un même penseur, Gaudapâda, ait pu, quoique védintin, commenter en toute objectivité la Sâm- khya kârikâ. Sans contestation possible le même Vâcaspa- timiçra composa un lucide commentaire du Sâmkhya (S.

l'ère des grands commentateurs 201

tattva-kaMmudt), un ouvrage naiyâyika de première impor- tance {NyTiya-vTirfika-tâtparyaf'ikâ) et cet usuel commen- taire du Védânta çankarien, la Bhamatl. De tels exemples pourraient être multipliés (^^).

Il n'en serait que plus nécessaire, mais il n'en est aussi que plus difficile de suivre désormais, dans le détail comme dans l'ensemble, les progrès de la pensée indienne. Une telle tâche, redoutable pour un pandit, excède les ressources dont dispose l'analyste européen. Peu ou point de traduc- tions en des langues d'occident; une littérature considé- rable en partie seulement éditée dans les collections indi- gènes; presque aucune critique historique ou philosophique appliquée aux textes. En ce domaine rien ne se fera de solide que par l'adaptation des méthodes scientifiques à l'intelligence des traditions autochtones, nous ne saurions marquer que des points de repère approximatifs.

I. Mïmâmsa. Prabkakara et Kumarila.

Un indice des temps nouveaux est la transformation de la Mimâmsâ en système philosophique, par l'activité de deux brahmanes qui appartiennent l'un au vii^ siècle, l'autre au VIII® siècle : Prabhâkara et Kumarila. En dépit de la tradition qui fait de Prabhâkara le disciple de Kumarila, il appert d'une inspection, même sommaire, du style et du contenu de leurs œuvres, que la doctrine de Kumarila pré- sente un caractère de maturité qui doit la faire reconnaître comme ultérieure; au surplus Kumarila s'attaque, en plu- sieurs circonstances, à Prabhâkara, qui doit donc être son devancier (^^°).

202 HISTOIRE DE LA PlULOSOPHIE INDIENNE

Prabhâkara diffère peu de Çabara {Sarvasiddh. Sarng. I, 19). Il professe, comme tout Mîmâmsiste, l'exactitude des connaissances en tant que telles; toutefois il admet six pra- mânas: perception, inférence, analogie, révélation, présomp- tion (arthâpatti). Cette dernière, déjà prônée par le vrttikâra, consiste en une supposition impliquée par une perception actuelle. Par exemple, s'il fait jour, quoique je ne voie pas le soleil, je sais qu'il s'est levé. En physique, en psychologie les emprunts de Prabhâkara au Vaiçesika et au Nyâya sont nombreux. Ainsi aux quatre padârthas: substance, qualité, action, généralité (jâti) il ajoute l'inhérence, la puissance (çakti), la ressemblance (sârûpya).

Kumârila, a.u lieu de se rapprocher des réalistes vaiçe- sikas, tend vers les védântins. Ainsi, au lieu de juger, comme son prédécesseur, que l'âme est le substrat de la conscience, il la déclare pure conscience. Il estime que l'inexistence (cibhâva) est un pramâna, qu'elle représente comme non- être antécédent ou suivant, négation absolue ou réciproque. On reconnaît un vestige du raisonnement mâdhyamika élaboré par la pensée védântique; mais il faut surtout y voir un exemple du grossier réalisme mimâmsaka : le non- être même doit avoir sa réalité (vastutâ) (Çlokavârt., abhâva, 7). Prabhâkara, subissant l'influence de la doctrine bouddhi- que selon laquelle toute perception est une synthèse, avait distingué celle qui s'opère sans intervention du jugement (nirvikalpaka) de celle qui s'accompagne de jugements (savi- kalpaka); il prêtait à la première l'aptitude à saisir les carac- tères tant individuels que spécifiques de l'objet. Kumârila y voit l'appréhension ingénue, totale, de l'objet. L'orga- nisation brahmanique visant à fonder en un corps intangible de vérité les notions sur lesquelles reposait le sacrifice védi- que, n'eut pas de défenseur plus décidé que ce réformateur dont l'activité tendait à la lutte contre le Bouddhisme. Il

l'ère des grands commentateurs 203

reproche à Prabhâkara d'avoir fait un pramâna de la ressem- blance, transposition idéaliste, donc bouddhique, de la notion réaliste de généralité (sâîr.ânya) (Çlokav., akrtivâda, 65-6).

Les particularités propres à chacun de ces docteurs ne doivent pas faire méconnaître leurs ressemblances, surtout les nouveautés qu'ils apportent. La principale, par laquelle, malaré leurs intentions conservatrices, ils bouleversent l'économie du S3^stème, c'est l'introduction de l'idée de délivrance. La Mimâm^â demeurait jusqu'à eux le seul dar- çana fidèle à la vieille mentalité védique, antérieure à l'idée de transmigration : elle ne concevait pas d'autre but reli- gieux que l'acquisition du fruit des bonnes œuvres. Prabhâ- kara et Kumârila lui enlèvent cette singularité, l'accommodent à l'ensemble de la mentalité indienne en professant que dharma et adharma doivent disparaître pour que devienne possible la libération finale. L'un et l'autre s'efforcent cepen- dant de ne pas s'engager trop loin clans cette voie, la doc- trine eût cessé d'être une théorie de l'acte. Ainsi tous deux repoussent l'idée de formations et de destructions alternantes du monde, sorte d'application de la transmigration à la nature même prise dans son ensemble. Sur ce point ils trou- vent des alliés en les Naiyâyikas et les Vaiçesikas, dont les rapproche encore un souci de logique formelle. Ils acceptent le type de raisonnement admis par les Naiyâyikas, mais le réduisent à trois propositions : l'assertion (pratijnâ), la raison (hetu), la loi et le cas concret saisis ensemble (udâ- harana), application à la logique de la théorie prabhâkarienne de la perception. Ainsi : «Sur la montagne il y a du feu; parce que sur la montagne il y a de la fumée; partout il y a de la fumée il y a du feu, par exemple dans la cuisine». Kumârila en particulier, peut-être sous l'ijifluence de Dignàga, prétend que l'inférence nous fournit le petit terme en tant qu'associé au grand (montagne + feu).

204 HISTOIRE DE LA PHILOSOrfflE INDIEN^TE

La Mîmâmsâ, de moins en moins hétérogène aux autres darçanas, gardera cependant une doctrine bien à elle, transpo- sition dans la scolastique pan-indienne d'un point de vue cher à l'antique exégèse. Nous voulons parler de la théorie du son (Çabda). Le Véda reste à ses yeux une sonorité éternelle, et l'école, pour sauvegarder cette doctrine essentielle, rompra des lances même avec ses demi-alliés, Naiyâyikas et Vaiçe- sikas. Par exemple, aux critiques de Kanâda qiii font du son un attribut de l'éther, Kumârila répond que si l'on en fait une qualité de l'âkâça, on peut aussi bien en faire une qualité de l'espace (diç), et il contribue à effacer la distinction entre ces deux concepts (Çlokav., çabdanityatva, 152-5). Pour maintenir le point de vue orthodoxe, il refusera aux Yogins le droit d'associer au son le ^phota, entité imaginés par les gram- mairiens pour justifier l'association à des syllabes et lettres multiples d'un sens unique et permanent (^'^).

Mandana Miçra, disciple de Kumârila, est l'auteur d'un traité sur les injonctions {vidhivivekn), que commentera Vâcaspati miçra {Nyâyakanikâ) vers 850, ainsi qu3 d'un résumé du Bhâsya, la MxnmmsTirmkramam.

II. Vaiçesika et Nyaya. Uddyotakara, Vâcaspatimisra, Udayana.

Les faits mémorables de la période 500-1 000 sont : en ce qui concerne' le Vaiçesika, la rédaction de la, Daçapadârthï, ])ar Maticandra, vers 600; et, à la fin du x^ siècle, l'activité d'Udayana {Kvrcmâvati, comm. sur Praçastapâda : Laksa- nâvaïi, compendium de termes vaiçesikas) et de Çrïdhara {Nyâyakandafi, autre com. de Praçastapâda;) en ce qui

l'ère des grands commentateurs 205

concerne le Nyâya, l'œuvre d'Uddyotakara {Nyâya-vârtika, milieu du vii^ siècle), qui suscite celle de Vâcaspatimiçra {N. V. lâtpanjaûkn, 841); encyclopédie de Jayanta {N. man- jarî, vers 900); enfin deux traités d'Udayana {N. v. tâtparya- tikâ-pariçuddhi, et Kummanjali, fin x^ siècle ('^^).

A travers ces œuvres apparaît le retentissement sur l'épistémologie et la logique brahmanique, de l'épistémologie et de la logique de Dignâga (450-500) et de Dharmakirti (675-701).

Le traité de Maticandra allonge la liste des padârthas, portant les catégories de 6 (substance, qualité, action; uni- versalité, particularité, inhérence) à 10, par addition de. la puissance et de la non-puissance (çakti, açakti), de la commu- nauté, de la non-existence (abhâva). L'admission de cette dernière a pu donner à Kumârila l'idée de lui faire place dans son système. La principale nouveauté consiste à scinder sâmânya d'une part en l'être pur et simple (sat, chin. : yeou), qui devient le 4; c'est l'opposé d' abhâva; d'autre part en sâmânya-viçesa (ch. tong-yi; Mu-fen), 9. Çakti est une notion à la fois du Bouddhisme et du Yoga, destinée à s'in- tégrer au Nyâya; elle naît de l'opposition des deux théories de la causalité connues sous les noms de satkâryavâda et d'asatkâryavâda. Sâmkhyas et Védântins supposent que l'effet préexiste (sut-kârya) dans la cause, car les seules causes, à leurs yeux, sont pour les premiers la prakrti, chargée en puissance de toutes choses susceptibles de formation; pour les seconds le Brahman, qui fait tout de et par soi. Mais Naiyâyikas et Vaiçesikas s'accordent avec les Bouddhistes, au nom de principes, il est vrai non relativistes, mais réalistes, pour rejeter cette conception. Afin d'exorciser cette

«puissance», Udayana trouvera nécessaire de modifier la doctrine vaiçesika selon laquelle une substance est cause de ses qualités, au sens de cause matérielle ou «inhérente»

{samavâyi-koranam) : il admettra qu'un phénomène n'est

2(KÎ HISTOIRE DE T^\ PHILOSOPHIE INDIEN^STE

produit qu'une fois achevé; ainsi la substance n'a ses qua- lités qu'une fois le dernier fil entrelacé (Kiranâvali, 50).

Les germes de théisme semés par Praçastapâda por- tèrent fruits chez Çrïdhara et Udayana. Le Kusumanjali de ce dernier resta le bréviaire de cette théologie. Par suite de l'affaiblissement de l'ancienne notion du karman, affaiblis- sement constaté jusque dans la Karma-Mimâmsâ, on estime désormais que l'invisible destin, adrsta, puisque inintelligent, suppose une direction clairvoyante. Pour faire pièce aux Mï- mâmsistes, on admet que la connaissance n'a pas en soi son critère, que le Véda requiert un créateur. Peu importe que Dieu ne tombe pas sous la perception : l'annmâna et le çabda témoignent de son existence, et aucun pramâna ne saurait prouver son inexistence. Enfin, et ceci enveloppe une condamnation virtuelle de l'atomisme, la combinaison des éléments ne saurait s'expliquer sans une intervention non seulement démiurgique, mais créatrice, car tout effet intel- ligent suppose une cause intelligente. Ces idées font si bien irruption dans la philosophie sous la poussée des cultes popu- laires, que les mêmes auteurs doivent, après avoir appuyé d'arguments leur théologie, s'opposer aux conclusions par trop exotériques dont la dévotion ambiante voudrait sur- charger la philosophie, par exemple à l'idée, peut-être soli- daire de certaine doctrine bouddhique, qu'un corps serait nécessaire à l'absolu pour qu'il pût créer.

Uddyotakara introduit le Vaiçesika dans le système naiyâyika, qui se montre, d'une façon générale, plus avide de doctrines vaiçesikas que le Vaiçesika n'était porté à s'assi- miler le Nyâya. Il désigne Kanâda par l'épithète de rsi suprê- me, paramarsi. Dignâga ayant attaqué Vâts37âyana, Uddyo- takara prit avec une extrême vivacité la défense de la logique naiyâyika, et ses arguments provoquèrent plus tard une ri- poste de Dharmakirti : cette émulation entre Bouddhistes et Brahmanes correspond à l'âge d'or de la logique indienne.

l'ère des grands commentateurs 207

L'intérêt de l'entrée en lice d'Uddyotakara consiste en ce qu'il refuse la notion idéaliste de connexion indissoluble comme nerf du raisonnement démonstratif (N. vârt. 52-9). Avec un sens très sûr des exigences et des limites de l'empi- risme, le Naiyâyika n'accepte que la concomitance régulière, au sens que Stuart Mill donne à ce terme. Il conteste aux Bouddhistes le droit de fonder l'inférence sur la connexion indissoluble, arguant que chez eux tout se lie à tout de cette manière. Cette allégation est moins pertinente que la pré- cédente; car, de ce que toute opération psychologique est, aux yeux des Bouddhistes, une synthèse, il ne s'ensuit point que toute synthèse soit nécessaire. Avec plus de justesse, l'empi- riste observe que la concomitance du feu et de la fumée ne va pas sans exceptions (N. vârt. 53). Quoiqu'il manie avec dextérité l'ironie, Uddyotakara ne se prive d'aucun argu- ment, si populaire soit-il, pour appuyer la thèse du réalisme: à cet égard il ressemble à Kumârila, auquel il prépare la voie en amorçant la distinction que fera le mîmâmsiste, de deux espèces de perception, avec ou sans concours de la pensée. Ajoutons qu'il participe au même point de vue populaire par sa profession de foi théiste, dont il est redevable à son affi- liation aux Pâçupatas.

Vâcaspatimiçra, dont nous avons déjà signalé la sou- plesse d'esprit, composa non seulement un commentaire sur le traité d'Uddyotakara, mais un Nyâyasûcinibandha et un Nyâyamtroddhnro, deux index au sûtra de Gotama. Très informé des doctrines de Dharmakîrti, cet auteur nous en facilite l'intelligence par la précision et la lucidité ds ses inter- prétations. C'est lui qui nous apprend qu' Uddyotakara vise Dignâga; qui en une autre circonstance nous transmet le passage mémorable ou Dharmakîrti énonce un principe véri- tablement kantien (N. v. t. 127): l'impossibilité de concevoir des relations indissolubles autrement que par des synthèses.

208 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

à priori; c'est lui qui nous montre, chez les Vijnânavâdins, l'être conçu sous forme de jugement (sad ityap' vidhiiûpam, Tâtp. 338, 1). Cette claire et pénétrante intelligence, aiguisée par la meule des systèmes les plus différents, contraste avec la naïveté subtile, et lourde pourtant, de maints autres com- mentateurs.

III. Samkhya et Yoga. Gaudapada, Vyasa,

Vâcaspatimiçra.

Au cours de la période envisagée l'histoire du Sâmkhya n'est marquée que par des commentaires ("^) sur la Sâm- khya-kâriklJ dûs l'un à Gaudapâda {début du viii^ siècle), le Bhâsya; l'autre à Vâcaspatimiçra, la S. fattvo-kaumud' (850).

Le commentaire de Gaudapâda, qui passait naguère pour l'original de la version chinoise par Paramârtha (499-569) du commentaire de la «S. kârikâ, n'apparaît, depuis un travail de Takakusu, qu'un décalquB lucide, mais simplifié, du texte de Paramârtha.

La S. tattva-kau'tnudï fut à travers l'histoire le prin- cipal commentaire Sâmkhya. Vâcaspatimiçra y fait preuve de sereine objectivité; sans attaquer ni défendre la doctrine (sur kâr. 51), il montre à quelles difficultés ou objections répondent les stances. Il précise ainsi, à propos de la kâr. II, l'attitude réaliste en face des Yogâcâras; à propos de 33, la théorie du temps en opposition à celle des Vaiçesikas; à propos de 56, il discute les théories des Védântins, des boud- dhistes, des Yoginssur la cause première. L'activité vitale bii paraît résulter non du manas seul, mais aussi de l'ahamkâra et de la buddhi.

l'ère des grands commentateurs 209

Au même temps appartiennent les deux principaux com- mentaires du Yoga : le Bhâsya, attribué à Vyâsa (yii^ ou viii^ siècle) et sa glose, le Tattvavaiçâradï, par Vâcaspa- timiçra ("*). Quoique ce dernier montre ici la même impar- tialité que dans ses autres œuvres, son vocabulaire suffit souvent à témoigner d'une évolution des idées. Ainsi, quoi- qu'il ne tende pas expressément à compléter le Yoga par la métaphysique sâmkhya, son emploi du mot vyakti au lieu du terme vrtti atteste une assimilation latente du citta des Vogins à la prakrti dynamiquement changeante des Sâm- khyas. L'Européen qui chercherait trop obstinément, à travers de semblables œuvres, des traces d'évolution dog- matique, risquerait souvent de faire fausse route; contre un tel préjugé nous devons nous tenir en méfiance, surtout lors- qu'il s'agit d'efforts qui procèdent non de partisans con- vaincus d'un système, mais d'esprits qui s'appliquèrent, en guise de gyinnastique intellectuelle, à en scruter l'économie interne.

IV. Védanta. Gaudapada et Çankara.

Les VIII® et ix® siècles marquent l'apogée du Védânta. Gaudapada en offre une expression sous forme d'une suite de la Mândûkya Upanisad, la Mândûkya Kârikâ. A la fin du même siècle et au début du suivant s'exerce l'activité du philosophe qui joua peut-être le plus grard rôle dans l'ensemble de la spéculation indienne, Çankara. La doctrine de ce contemporain de Charlemagne a passé non seulement aux yeux d'un Deussen, mais au jugement d'une partie con- sidérable de l'intellectualité indigène, pour avoir éclipsé de son rayonnement toute doctrine antérieure ou ultérieure.

14

210 inSTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Elle se présente sous forme de commentaire {Bhâsy a) a,ux Brahmn mtras. Du ix^ siècle relèvent d'autres exposés brillants de la pensée védântique : la Pancapâdikâ de Pad- mapâda, la Bhômatl de l'universel Vâcaspatimiçra. Signalons enfin, au début du x^ siècle, un autre Bhâsya des sûtras à BKâskara (^^^).

Gaudapâda se relie de façon étroite à la pensée Mâdhya- mika. De même que pour Nâgârjuna le dharma consista à comprendre que tout est vacuité, pour ce nouveau Védântin une profonde compréhension du Véda fait apercevoir en tout simple mirage. « Apparence, la disparition et la naissance ; mécréants et incroyants, pures apparences ; il n'y a ni escla- vage ni affranchissement : voilà la suprême, l'unique sa- pience». L'illusion vient de l'acte : de même que le mou- vement imprimé à un tison dessine des lignes droites ou brisées, « un mouvement fait que la pensée apparaît comme sujet percevant, comme objet perçu, etc. » (4, alâtaçânti) : suggestive métaphore qui fait saisir ce qu'ont de commun le relativisme bouddhique et l'évotionisme naturaliste du Sâmkhya. Mais voici la distinction qui oppose aux Bouddhistes Gaudapâda : son absolu, d'ailleurs non moins indéterminé que le vide, c'est l'âtman. « Il s'objective de lui-même, par sa propre mâyâ, et lui-même se perçoit sous forme d'objets ». Doctrine qui n'exclut pas un certain réalisme, car la réalité ne peut être que bien fondée, étant fondée en Dieu.

/ C'est ce rudiment de réalisme inhérent au Védânta pri-

mitif, qui va disparaître dans la conception çankarienne. Adversaire acharné de l'esprit bouddhique, Çankara trouve le moyen d'approcher des Mâdhyamikas plus encore que Gaudapâda, car pour lui la réalité n'est pas même la fantas- magorie d'un faiseur de prestiges ceci encore aurait une réalité mais l'illusion de l'ignorance (avidyâ). Mâyâ ne désigne plus un pouvoir, comme dans la vieille notion héritée

l'ère dEvS grands commentateurs 211

des temps védiques, puis exploitée par les religions sectaires ; ce mot connote l'erreur qui n'existe qu'autant que la vérité se trouve méconnue, mais s'évanouit devant la vérité acquise ("^). Théorie peu nouvelle, puisque, quatorze siècles aupa- ravant, le Bouddha avait proclamé que la pseudo-réalité n'est qu'ignorance. Çankara méritait donc qu'on dénonçât son «bouddhisme déguisé )) (pracchanna bauddha). Pourtant il n'était pas indigne d'apparaître comme le protagoniste suprême de l'esprit brahmanique, puisqu'il professait que l'unique réalité est le Brahman-âtman des Upanisads et des Brâh- manas, substance des Védas comme de la vie universelle, patrimoine révélé de la caste sacerdotale. Au ix^ siècle comme aux siècles postérieurs, le triomphe de Çankara {Çankaravijaya) est un symbole autant qu'un fait: selon la tradition indigène, il atteste que l'hérésie a été confon- due, qu'elle a disparu comme l'ignorance même; au juge- ment de l'histoire, il établit avec évidence que le Brah- manisme n'a vaincu le Bouddhisme qu'en se l'assimilant.

La théorie de la double vérité marque un autre emprunt au Grand Véhicule. C'est elle qui permet à Çankara d'accep- ter, lorsqu'il se place au point de vue exotérique, la tradition mîmâmsiste et l'objectivité des phénomènes; comme, lors- qu'il considère la vérité absolue, d' affirmer que seul existe le Brahman, « sans second » (advaita), c'est-à-dire à l'exclusion de toute autre existence ("'). Pour le vulgaire, c'est la théorie de l'acte qui renferme le vrai : l'accomplissement ponctuel des rites assure des destinées heureuses, sous la garantie d'un Dieu personnel, créateur et justicier. Mais celui qui sait passer de la lettre à l'esprit comprend que la transmigration ne se surmonte que par la science et que le seul moyen de se délivrer consiste à faire cette découverte : « Je suis le Brahman». Le théisme peut revendiquer une vérité appropriée à l'esprit de la foule; mais il n'y a d' adéquatement vrai qu'un monisme absolu.

212 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Physique, psychologie n'ont donc plus, comme chez Bâdarâyana, la portée d'un p a rimânavâchi , d'une théorie des transformations réelles, mais simplement la valeur d'un vivârtavâda, théorie des fallacieuses modifications phénomé- nales. Toute multiciplicité, tout devenir ne sont qu'inexis- tence. Le donné n'est pas moins faux dans cette doctrine qui admet une réalité absolue, que dans le Bouddhisme qui se refuse à semblable admission. Les catégories ne classent que des aspects de l'illusion. Les pramânas n'ont qu'une valeur relative, puisque même la révélation se doit prendre symboliquement. Comme il n'existe qu'une substance, il n'existe qu'une cause : à peine doit-on l'appeler cause, puis- que ses effets ne méritent pas le nom d'effets. Non seulement les causes secondes ne sauraient passer pour des causes, mais aucun événem.ent n'est imputable à la cause tout court : ainsi, à parler non par mythes, mais avec rigueur, ces com- mencements ou ces arrêts du mouvement que supposent les systèmes pour expliquer la formation et la destruction alter- natives du monde, ne sauraient procéder de l'absolu, et par suite ne sauraient se produire. Les atomes et l'invisible destin qui les meut, pure illusion (II, 11 2,-17); non moins illusoire, cet esprit empirique auquel le consentement presque général des darçanas prête la dimension atomique. Le vieux réalisme des prânas, souffles \àtaux, s'efface, puisque le vivant, ou l'âme individuelle, jiva, ne possède, en tant que distinct, aucune réalité. Toute fonction psychologique ne présentant qu'une valeur phénoménale, égale à zéro, aucune faculté naturelle, même disciplinée, ne saurait aider à la conquête de l'absolu. Aussi cette conquête ne se peut-elle effectuer par étapes, comme le supposait l'idéalisme bouddhique : il faut, mais il suffit, que le voile tombe pour que le vrai, non pas soit vu, mais resplendisse dans son unicité. L'esprit, du moins en tant qu'absolu, n'est point instrument de connais-

l'ère des grands commentateurs 213

sance, mais connaissance même : au même titre qu'on parle de la splendeur du vrai, il faut reconnaître la vérité de la splendeur.

Malgré son simplisme qui marque, en un sens, le retour aux thèses peu élaborées des Upanisads, en un autre sens des attitudes conciliatrices envers les cultes populaires et même hérétiques, la doctrine de Çankara jouit d'un prestige sans égal. On eut tort naguère de croire que la pensée de l'Inde se rédui- sait à l'énoncé d'un tel système, mais sa prépondérance spéculative est un fait. Inapte à découvrir des thèses nou- velles, trop traditionaliste pour renoncer aux thèses an- ciennes, la réflexion ultérieure ou bien s'alimentera au Védânta de Çankara, ou bien fera rétrograder la doctrine à telles de ses formes antérieures, en l'accommodant selon des proportions diverses aux religions sectaires. Mais avant que nous pour- suivions cette histoire du Védânta, nous devons marquer par quelles vicissitudes passèrent, parallèlement à l'évolu- tion du Bouddhisme et du Brahmanisme, les darçanas hété- rodoxes.

SEPTIÈME PARTIE LA PENSÉE DES DARCANAS HÉTÉRODOXES

Nous entendrons par darçanas hétérodoxes d'une part le înatérialisme pur, doctrine des Cârvâkas; d'autre part la secte des Jainas, dont la doctrine est comme intermédiaire entre cette dernière et celle des Bouddhistes.

I. Les Garvakas.

Nous avons indiqué, à propos de la plus haute antiquité, la place qu'occupent les matérialistes, non seulement comme critiques de la religion védique, mais comme doctrinaires qui imposèrent, dans une large mesure, leurs vues aux Jainas, aux Sarvâstivâdins, aux Sâmkhyas, aux Vaiçesikas. Ces divers systèmes reconnaissent au matérialisme une vérité partielle : quoique en des sens différents, ils accordent une autonomie à l'esprit comme distinct de la matière, ils admet- tent pour les faits de la nature des explications homogènes à celles des Cârvâkas. On ne saurait donc exagérer l'impor- tance historique du matérialisme, comme prototype du réalisme, avant que fût imaginée la possibilité d'un réalisme intellectualiste tel que celui des dharmas chez les Bouddhistes. Or les tendances matérialistes n'ont pas seulement agi de façon diffuse, elles ont suscité un système propre, dont

DARÇANAS HETERODOXES 215

révolution demeure presque entièrement ignorée, mais dont il existe, à défaut de sûtras et de bhâsyas, des exposés cohé- rents ("^).

L'origine de cette pensée est imputée soit au démiurge védique Brhaspati, soit à un auteur de ce nom : suprême ironie pour une inspiration qui ne cessa d'exercer sa verve sar- castique au détriment de l'autorité desVédas. Bârhaspatyas équivaut donc aux termes de Lokâyatas ou de Cârvâkas, dont nous avons rendu compte (Sup. Il, 2, 2). U ArthaçTistra de Kautilya, que la tradition fait remonter à 300 avant notre ère, considère comme des variétés d'âwvîksikl, outre le Sâmkhva et le Yoga, le système lokâyata. L'un au moins des Tîrthikas des VII® ou vi® siècles avant notre ère, Ajita Keça-kambali, énonce déjà un explicite matérialisme. « L'être humain est fait de quatre éléments (caturmahâbhiïtika). A sa mort le terrestre revient à la terre, le fluide à l'eau, la chaleur au feu, le soufïle à l'air et ses facultés (indriyâni) à l'âkâça» (Sîîtrakrtânga, II, 1, 15). Le Mahâbhârata, en maints pas- sages, mentionne les insensés (abuddhâh) qui tiennent l'âme pour périssable (III, 209, 27) parce qu'ils ne la distinguent pas du corps (26 et XII, 218, 16); un certain Bharadvâja expose à l'orthodoxe Bhrgu uns théorie de la vie résultant du consensus des organes (XII, 186 et 187), et cette thèse alimente bien des discussions entre Bouddhistes du Petit Véhicule, dont l'écho se retrouve dans le Milinda Praçna. Plus tard, tout darçana engage, chacun à sa façon, une polémique contre les matérialistes, ne fût-ce que pour pro- tester contre leur mépris de la révélation. Enfin les tardifs exposés systématiques de la pensée indienne, le Sadçadar- nasamiiccaya de Haribhadra (x^ siècle) et le Sarvadarça- nasamgraha de Mâdhava (1380) fournissent des analyses du système. Son irréligion, son sensualisme, sa négation du mérite ou du démérite, de l'âme et de l'autre vie : autant de

216 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

thèmes inépuisables, mais qui ne nous intéressent désormais que par l'argumentation qu'ils suggérèrent contre les autres darçanas. Cela seul a varié aux différentes époques.

La théorie matérialiste de la connaissance ne se signale pas par un simple succès de scandale; elle fait valoir des argu- ments d'une réelle originalité. Les orthodoxes eurent aisé- ment gain de cause en reprochant aux Cârvâkas de démon- trer par raisonnement que le raisonnement ne procure pas la vérité, ou que la perception seule fournit des connaissances valides (ex : Sâmkhya sûtras). Mais les Cârvâkas dénoncent avec sagacité la difficulté pour eux l'impossibilité de préciser une connexion logique universelle et nécessaire (vyâpti) : négation symétrique de l'affirmation inverse chez Dignâga. Un tel nexus, par exemple celui qui existerait entre le feu et la fumée, échappe à la perception; il ne se dérobe pas moins à l'inférence, car une connaissance universelle irait à l'infini sans jamais se réaliser; le témoignage (çabda) ne le procure pas davantage, puisqu'il suppose un raisonnement, ni la comparaison (upamâna), puisque nous ne pouvons prouver que la correspondance des noms et des choses vaut sans exceptions. Nul doute qu'une telle argumentation soit contemporaine des discussions suscitées par l'application à la logique de l'idéalisme bouddhique.

La négation de tout pramâna autre que le pratyaksa, qu'il faut ici traduire non perception, mais sensation brute, entraîne diverses conséquences. Si quelque chose existait en dehors de ce qu'atteignent les sens, « il faudrait admettre comme possible qu'un lièvre eût des cornes^ et une mère stérile, un fils». L'objet inféré se trouve par non moins illusoire que le suprasensible tel que les Yogins S3 flattent d'en obtenir ou que le révélé, tel que la pseudo- vérité reli- gieuse. Une anecdote joue à cet égard le rôle d'une démons- tration. Certain époux matérialiste d'une femme idéaliste

DARÇANAS HÉTÉRODOXES 217

prouve à sa moitié que l'inférence est trompeuse, en donnant à croire à ses voisins qu'un loup laissa des traces sur la route poussiéreuse : il avait, par le moyen du pouce, de l'index et du médius habilement croisés, imité les pas de l'animal (Sad. VI, Muséon IX, 283-4). Raisonnement de médiocre valeur, car une induction erronée ne prouve pas l'invalidité de toute inférence; mais raisonnement plsin d'enseignement, car au jugement des Lokâyatas, comme pour les artificia- listes de notre xviii^ siècle, croire à la vérité, à une religion, c'est se laisser duper par d'aussi grossières machinations, mises en œuvre par les charlatans du «truc du dharma» (dhârmikacchadma dhûrtâh). De cette expression caracté- ristique dérive sans doute le nom d'une des écoles entre lesquelles se seraient répartis, assez tardivement, les Cârvâkas : Dhiïrtas, les artificieux, et Suçiksitas, les bien stylés.

L'opposition de ces deux groupes se dessine à propos de la façon dont existent les phénomènes psychologiques. Les pre- miers se contentaient de nier l'autonomie del'âme ou del'esprit, simple résultante de mouvements matériels; les seconds pro- fessaient que l'âme possède une certaine existence jusqu'à ce que la décomposition du corps la dissolve. Dans un cas, elle n'est rien qu'illusion, dans l'autre elle est épiphéno mène doué d'une réalité relative. En chaque hypothèse, faute de survie, aucune transmigration ne peut être envisagée : à cet égard les opinions cârvâkas semblent insolites dans le milieu indien. Cependant les secondes étaient très proches des pudgalavâdins hïnayânistes, négateurs de l'âtman substance, mais partisans d'un esprit empirique formé par l'agglomération de skandhas; les premiers tout voisins des Sâmkhyas qui, si l'on fait abstac- tion des purusas absolus, expliquent la pensée par des fonc- tions naturelles, inhérentes à la matière. Sous ce biais un Cârvâka est l'antithèse exacte d'un Védântin, puisque l'un considère l'absolu comme matériel et l'esprit comme illusoire,

218 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

et que l'autre tient pour illusoire tout sauf l'âtman. A la faveur de ces oppositions si tranchées le matérialisme se perpétua non seulement par le zèle de ses adeptes, mais comme attitude spéculative en fonction de laquelle chaque autre système précisait volontiers son point de vue. On s'en convaincra en prenant connaissance, par exemple, des arguments par les- quels les Nyâya sûtras défendent l'autorité du Véda contre les matérialistes (II, 1, 56-67), ou de ceux par lesquels les Sômkhya sûtras (111,20-22; V, 129) ouïe Sânikliya-pravacana bhôsya (216-218) maintiennent contre les Cârvâkas le bien- fondé d'un Esprit absolu.

II. Le Jainisme médiéval.

Le Jainisme, dont la pensée nous parut symptomatique des premières ébauches de la pliilosophie indienne, se per- pétua jusqu'à nos jours parmi des fidèles en nombre fort restreint, mais très attachés à leur enseignement primitif. Pour cette secte plus encore que pour toute autre l'histoire dogmatique, comme les vicissitudes religieuses de la commu- nauté, nous demeurent ignorées, non cjue ces documents fassent défaut, mais parce que leur défrichement est à peine ébauché ("^).

Nous savons que le canon desÇvetâmbaras, seul conservé, s'élabora avant l'ère chrétienne, parallèlement au canon hinayâniste, mais qu'il subit des remaniements du iii^ au v^ siècle. Hâtons-nous d'ajouter que ces modifications ne prirent pas l'ampleur de celles qui transformèrent le Boud- dhisme primitif en Grand Véhicule. Quoique le Jainisme se soit construit une philosophie, dont nous avons trouvé les principes dans l'ouvrage d'Umâsvâti, jamais il ne perdit

DARÇANAS HÉTÉRODOXES 219

le goût de son ascétisme originel pour se muer en pure gnose : aucune spéculation abstraite ne se spécifia comme dans le Bouddhisme l'abhidharma, et jamais ne se constitua un Ma- hâyâna jaina.

Par contre l'esprit de secte s'est développé à ce point à l'in- térieur des deux traditions çvetâmbara et digambara, qu'elles tendent chacune à posséder en propre non seulement leurs textes religieux, mais même leur littérature quasi-profane. Rien ne montre mieux que cet exemple, combien garda toujours, dans l'Inde, un caractère religieux la littérature qui nous semble, à nous, exclusivement « mondaine », récits, épopées, poésie. Fables ou légendes ne passent point pour d'arbitraires ouvrages d'imagination : elles revêtent un caractère ou bien moral, et cela les intègre à un système religieux, ou bien vague- ment historique, et on les rattache dès lors à des traditions vénérées. Chaque secte indienne veut refléter à sa façon, en raccourci, l'indianité entière. Ainsi b Trisastiçalâkapuni- sacarita {vie des 63 meilleurs hommes), d'Hemacandra, et bien plus encore leBâlabhûrata d' Amaracandra (xiii^ siècle), imiteront le MohTibhârata; le Paimiacan^a, de Vimala Siïri et, huit siècles plus tard, le Râmacarita d'Hemacandra se calquent sur le RTîmâyana. Les KatfiTinakas transposent les jâtakas bouddhistes ; le Yaçastilaka dn digambara Soma- deva (959) prend pour modèle la Kâdambarî deBâna; lePârcuâ- bhyudaya de Jinasena (^^") démarque le Meghadûla de Kâli- dâsa; Merutunga (finxiv^ siècle) fait à son tour un Meghadûta. Des purânas spéciaux s'élaborent dans les deux commu- nautés. Tenons-nous en à la production philosophique.

A. Çvetâmbaras. L'école des Çvetâmbaras, dont le centre initial est le Gujerat, se trouve au v^ siècle favorisée par la possession d'un canon très riche et sa réflexion trouve une base dans les sîïtras du Tattvârth'âdigama, qui suscitent plusieurs commentaires. L'auteur de ce traité vivait à Pâta-

220 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

lipiitra, qui fut ainsi, avec Valabhî, un foyer de Jainisme au temps des Guptas. A ce milieu appartient Siddhasena Divâ- kara, auteur d'un hymne en l'honneur de Pârçva, le Kalyôna- mandirastotra, et du premier ouvrage de logique jaina, le Nyâyâvntâra Au ix^ siècle, sous l'influence des logiciens bouddhiques et brahmaniques, se constitue définitivement cette logique jaina, grâce à Mallavâdin et surtout à Hari- bhadi-a, auteur de V Anekântaja ij apatakâ, mais auteur aussi de maints ouvrages brillants ou solides, tels la Samarâiccakahâ en prâcrit, roman religieux; le Dharmahindu, traité de morale ; le Lokatattuanirnaya, un système du monde; le Saddarçana- samuccaya, compendium des six systèmes (Bouddhisme, Nyâya, Sâmkhya, Vaiçesika, Mimâmsâ, Cârvâka) (^^^). Plusieurs de ces œuvres étaient assez originales pour créer un « genre », ainsi la dernière servira, au xv^ siècle, de modèle à Mâdhava, comme la Samarâiccakahâ fut le prototype d'une BhavisatMkahâ de Dhanavâla. Le même Haribhadra pré- para, en outre, par deux ouvrages importants, l'avènement d'un Yoga jaina, au quel l'avenir destinait des développemsnts {Yogabindu, Yogadrstisamuccaya). D'origine brahmanique,. ce docteur au savoir très vaste était pour la secte une recrue d'importance; mais venu à la foi Jaina pour des raisons spéculatives, il introduit dans l'école une sérénité intellec- tuelle qui contraste avec la conviction des Jainas antérieurs. A cet égard il appartient à la même famille d'esprits qu'un Vâcaspatimiçra, son contemporain, dont il partage l'aptitude à pénétrer de façon très objective des systèmes différents. Cette tendance sinon à l'éclectisme, du moins à ne pas s'enf 3r- mer exclusievment dans un système, mais à en approfondir plusieurs, se manifeste encore par la tendance qu'éprouvent les Jainas de ce temps, à transposer en sanscrit leur canon et à rédiger désormais en cette langu3 savante, mais commune à tous, leurs commentaires : à ce prix la secte pouvait béné- ficier de toute la culture indienne et d'autre part faire valoir,

DARÇANAS HÉTÉRODOXES 221

elle aussi, son point de vue propre parmi tous les darçanas en concurrence. Une partie de l'œuvre de Haribhadra s'y consacre, comme du travail de son contemporain Çïlanka, commentateur de V Acârâhga et du Sûtrah'tanga. Enfin un disciple ds Haribhadra, Siddharsi, présente en 906 la morale et la métaphysique sous forme de récit allégorique comparable à certains ouvi'ages de notre Moyen Age, 1' Vpa- 'rnitibhavaprapanco, Katha.

Le siècle ne donna naissance qu'à des talents de second ordre ; Dhanapâla et son frère qui le convertit, Çobhana, introduisent le maniérisme celui-ci dans la métrique, celui-là dans le style; Abhayadeva, au xi^ siècle, n'est guère qu'un commentateur. Mais au xii^ apparaît un des plus grands noms du Jainisme, Hemacandra (1089-1173). Ce moine qui capta au bénéfice de ses coreligionnaires les faveurs d'un souverain du Gujerat, fut un pplygraphe de grande fécon- dité. Outre un Bâmacarita déjà mentionné, il composa des hagiographies légendaires du Jina {Mahâvïracaritra, Triças- tiçalâkâpurusacarita, X), des vieux maîtres appartenant soit à la secte, soit au bagage commun de l'hindouisme Cakra- vartins, Vâsudevas, Balade vas, Visnudvisas: même une sorte d'histoire des premiers Jainas {Pariçistapai'van = Sthavi- ravalicarita, append. de l'ouv. précédent). Son hymne au Jina, Yïtaragastuti, renferme un exposé du système assez pénétrant pour avoir suscité, un siècle plus tard, un commentaire du logicien Mallisena, la Sy'âdvâdamanjan (1292). Son Yogaçâstra parachève le Yoga Jaina, qu'avait fondé naguère le seul docteur digne, dans la secte, d'être mis en parallèle avec Hemacandra, Haribhadra. Prabhâ- ■candra publia, vers 1250, une biographie d'Hemacandra.

Les communautés du Sud connurent la persécution de souverains çivaïtes, vers le milieu du vii^ siècle; celles du Nord furent ravagées par l'invasion musulmane. Au xv^

222 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

siècle Gunaratna, Jinakirti ne furent que des commen- tateurs.

B. Digambaras. La secte adverse ne saurait s'honorer d'illustrations comparables à Haribhadra et Hemacandra; dans son hostilité contre le canon çvetâmbara perce l'ani- mosité d'une école moins intellectuelle envers une école plus spéculative. Dès leur plus lointaine origine, les Digambaras mettaient leur confiance dans la valeur intrinsèque de l'ascèse plus énergique ment, plus exclusivement que les Çvetâmbaras; leur isolement tout relatif d'ailleurs dans les contrées méridionales les séparait davantage des centres intellectuels de l'Inde. Ils se vantaient d'avoir eu des livres, mais reconnais- saient les avoir perdus et ne cherchaient guère à les remplacer; peut-être leur fidélité à des traditions primitives invérifiables puisque disparues, servait-elle de couvert à quelque indif- férence dogmatique. Aux vi^ et vn^ siècles la secte, qui vit surtout au Mysore et dans le sud du pays marathe, jouit de la protection des rois Calukya.

Du v au x^ siècle sont composés différents ouvrages qui alimenteront la réflexion ultérieure. Kundakunda, dès avant

le VII® siècle, enseigne, en prâcrit dans le Pavayanasâra la dogmatique, en sanscrit dans le Niyamasâra la discipline de la secte; il professe une physique fondée sur cinq prin- cipes {Pancâstikây a). Samantabhadra, au début du vii^ siècle, commente le Tattvârthâdhigamasïltra {Gandhahas- timahâbhâ sy a) et dans l'introduction à cette glose {Aptaml- mâmsâ (^^^), expose déjà la doctrine du syâdvâda que devaient développer, dans leurs œuvres logiques, Haribhadra et Malli- sena. Prabhâcandra qui, comme naguère les parents du Jina, pratiqua le suicide par inanition, composa des écrits logiques témoignant de la connaissance de Dharmakîrti {Ny^yaku- mudacandrodaya, Pramey akamalamârtanda).

DARÇANAS HÉTÉRODOXES 223

Au x^ siècle, la littérature digambara (^^^) paraît pour une grande part en langage du pays de Kanara. Amrta- candra, qui commente divers ouvrages de Kundakunda, condense les siîtras d'Umâsvâti dans le Tattvârthasâra et enseigne les moyens de réaliser la pure spiritualité dans son Purusârthasiddhyupâya. Nemicandra composa un Dravya- samgraha et un Trilokasâra qui rssteront classiques. Sakala- kirti au xv^ siècle, Çubhacandra au xvi^ siècle donnèrent encore, conformément à la tradition jaina, des biographies de personnages révérés par la secte, des hymnes laudatifs. Ainsi se poursuit jusqu'aux temps modernes une vie reli- gieuse qui ne semble pas menacée d'extinction, puisque de nos jours encore le Jainisme a ses âcâryas et des sâdhus tel ce Vijayadharmasiiri qui, par son désintéressement, sa charité, sa science, a gagné le nirvana le 5 septembre 1922 (^^^).

* *

Comparée à celle du Bouddhisme, la fortune historique du Jainisme est médiocre. Peut-être la secte doit-elle à cette médiocrité sa persistance; elle lui doit surtout une adhésion exceptionnellement stricte à des idées, à des mœurs archaï- ques. A peine signalerait-on quelques modifications du dogme, à l'intérieur de cette tradition qui s'étend d'Umâsvâti à nos jours. Sous l'influence concordante de l'âdibuddha des Boud- dhistes et de l'Atman védântique, une sorte d'arrière-fond théologiquG ou ontologique faillit s'introduire dans la doc- trine, entre les vue et x^ siècles. Mais la tradition y répugnait: la secte ne vénéra jamais aucune divinité, du moins à l'égal des Tîrthamkaras ; elle demeura donc plus fidèle à se principes que le Bouddhisme. Le Jaina qui emploie le plus de termes védântiques, Çriyogindra, n'a précisément écrit son Para- mâtma-prakâça que pour réfuter le théisme. La soudure établis entre le Jainisme et le Yoga par Haribhadra et Hema-

224 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

candra doit sa solidité à une communauté de postulats, sur- tout à une commune confiance en la valeur de l'ascétisme. Pourtant cette soudure reste accidentelle : il est certes remar- quable qu'elle ait été préconisée par les deux hommes supé- rieurs du Jainisme médiéval, mais il est caractéristique aussi que ni l'un ni l'autre n'ait réussi à l'introduire dans la doctrine courante.

Le seul biais peut-être sous lequel le Jainisme ait pro- gressé à partir du v^ siècle, est son esprit logique. Jamais l'éristique n'a sévi dans le Jainisme comme dans le Bouddhis- me; quand le digambara Amitagati, en 1014, fait, dans la Dharmapariksâ, une apologie de sa foi contre brahmanes et mahayânistes, il recourt moins à des arguments qu'à des paraboles ou légendes : il dénonce par exemple ce scandale théologique, l'immortalité des dieux, ou ce scandale social, l'ins- titution des castes. Est-ce avec des armes de ce genre qu'au xii^ siècle le logicien Devabhadra réduisit à quia le digam- bara Kumudracandra dans un tournoi oratoire sur la ques- tion du salut des femmes ? Toujours est- il qu'en aucun temps les Jainas ne furent, comme les Bouddhistes des sept ou huit premiers siècles, des sophistes. Ils possédaient une foi trop simphste, une doctrine trop peu relativiste pour être voués à la dialectique. S'ils construisirent une logique, c'est contraints par la nécessité de revêtir la même armature qu'assumaient tous les systèmes, de même que s'ils adoptèrent la langue sanscrite, ce fut pour se faire comprendre des doc- teurs brahmaniques. D'ailleurs la logique par eux conçue est fort singulière.

Une théorie du raisonnement à dix membres paraît fort ancienne, car on la rencontre dans le Daçavaikalikaniryukti, attribué à Bhadrabâhu (vers 300 av. J.-C), ainsi conçue :

1. Le respect de la vie est la vertu suprême (pratijnâ, assertion) ;

DARÇANAS HETERODOXES 225

2. Le respect de la vie est la vertu suprême selon les écritures jainas (pratijnâ-vibhakti, spécification de l'asser- tion) ;

3. Parce que ceux qui respectent la vie sont aimés des dieux et qu'il est méritoire de les honorer (hetu, raison) ;

4. Ceux qui agissent ainsi sont les seuls qui puissent vivre la plus haute vertu (hetu-vibhakti, spécification de la raison) ;

5. Mais même en portant atteinte à la vie d' autrui on peut prospérer; et même en méprisant les Ecritures jainas on peut acquérir du mérite : tel est le cas des brahmanes (vipaksa, contre-partie, objection) ;

6. Non : ceux qui méprisent les Ecritures jainas ne sau- raient être aimés des dieux et mériter d'être honorés (vipaks- pratisedha, rejet de l'objection) ;

7. Les arhats reçoivent de la nourriture des maîtres de maison, car ils ne cuisent pas leurs aliments, de peur de tuer des insectes (drstânta, exemple);

8. Cependant peut-être les péchés des maîtres de maison atteignent- ils les arhats, pour qui sont cuits les ali- ments ? (âçankâ, scrupule);

9. Non : car les arhats arrivent inopinément dans les maisons (où ils inendient) : la cuisson des aliments n'a pas été faite à leur intention (âçankâ-pratisedha) ;

10. Le respect de la vie est donc la vertu suprême (nai- gamana, conclusion, résultat).

Il serait aventureux de chercher un rapport entre cette forme de raisonnement et la logique ultérieure de Jainas tels que Siddhasena Divâkara (Nyâyâvatâra, 533), Haribhadra (ix^ siècle, Anekâyitajayapatakâ), Candraprabha (xi^ siècle, Prameyaratnakoça), Devasûri (xii® siècle, Pramânayiaya-

15

22G HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

t<(ttvnloh-âlfi.mknr(i)y JVIallisena (fin xv^ siècle, SyûdnTïda- mnnjrirl) (^^^). Pourtant cette multiplicité d'aspects sous Issquels apparaît le sujet semble un pressentiment de la doctrine commune à ces logiciens médiévaux, en vertu de laquelle les choses comportent différents points de vue {)inyn) et non pas un seul {artekânto). En conséquence deux affir- mations contraires peuvent se trouver vraies d'un même objet, selon la face que l'on considère. A vrai dire sept inter- prétations se laissent concevoir : autant d'hypothèses, de peut-être {>^y7id) qui étreignent le donné. Voici ce raisonne- ment septénaire :

1'* hyp. : la chose est (syâd asti). Ex. : une rose existe.

hyp. : la chose n'est pas. Une rose n'est pas, si ce qui existe est une cloche (syân nâsti).

3^ hyp. : la chose est et n'est pas. Une rose est en ceci et n'est pas en cela (syâd asti nâsti).

4^ hyp. : d'un certain point de vue il est impossible de décrire la chose. Par exemple du point de vue de l'exégèse védique on ne saurait décrire une rose (syâdavaktavya).

5^ hyp. : la chose est, et on ne peut la décrire. Ceci combine 1 et 4 (syâd asti ca avaktavya).

6^ hyp. : la chose n'est pas et on ne peut la décrire. Ceci combine 2 et 4 (syâd nâsti ca avaktavya).

7*^ hjrp. : la chose est et n'est pas, et on ne peut la dé- crire. Ceci combine 1, 2 et 4 (syâd asti ca nâsti ca avaktavya).

Cette sorte de questionnaire posé à l'objet procède d'une conception foncièrement réaliste, qui attribue à la chose même, non à des biais inhérents à nos attitudes subjectives, les mo- dalités du connu. Dans ce dogmatisme objectiviste, les rela-

DARÇANAS HÉTÉRODOXES 227

tions ont une réalité, mais au lieu d'exprimer des synthèses à priori, comme dans l'idéalisme bouddhique, ou une adap- tation de l'esprit aux choses, comme dans l'épistémologie brahmanique, elles existent en fait dans les choses mêmes. Cette logique si particulière rejoint donc, quoique nouvelle, l'antique et naïf réalisme jaina.

HUITIEME PARTIE

LA PENSEE HlNDOUfSTE

(xi® - xix*" siècles)

Nous avons montré, dans notre quatrième partie, quelles transformations subit le Brahmanisme défini à l'origine par l'héritage de la tradition védique lorsqu'il dut s'adap- ter aux cultes populaires. Pour éliminer, plus encore pour absorber le Bouddhisme il dut ne se priver d'aucun concours, et resserrer son union avec les religions sectaires, qui d'ail- leurs ne s'étaient guère moins imposées aux Bouddhistes saptentrionaux qu'aux brahmanes. Une fois l'hérésie extir- pée, l'esprit brahmanique, par le fait même de sa victoire, perdit de sa vigueur et ne se laissa que davantage envahir par l'esprit de secte. C^ syncrétisme est communément dési- gné sons le nom d'hindouisme (^^^). La réalité ainsi dénommée est bien antérieure à la période relativement moderne qu'il nous reste à parcourir, car le Mnh^bhârata nous apparut la première production de ce nouvel esprit. Mais l'axe du monde indien se trouve dévié quand les compromis entre une caste à privilèges et des religions populaires s'étant à tous égards multipliés, les facteurs brahmaniques ne gardent guère qu'une prééminence nominale. Ce qui prédomine désormais n'est point, comme jadis, une forme intellectuelle ou sociale aisé- ment définissable, mais au contraire une bigarrure, multipli- cité infinie de groupes, d'églises, de chapelles, et variété infinie de recettes pour obtenir le salut. Désorienté en face de ce chaos, l'esprit européen voudrait le réduire à quelques types

LA PENSÉE HINDOmsTE 229

d'un classement facile. L'Inde certes lui en foiu'nit les élé- ments, par exemple en discernant Vaisnavas, Çaivas, Çâktas, etc. ; mais elle déconcerte aussitôt notre besoin de clarté, en montrant que ces distinctions admirent en fait d'innom- brables adaptations réciproques. A peine ces rubriques désignent-elles des données différentes : dans cette exubé- rance de formes capricieuses, abracadabrantes, aucune défi- nition n'est vraie que si aussitôt on la nie.

Un caractère cependant s'impose à toute cette confusion : caractère religieux. Les philosophies, certes, ne vont pas disparaître, mais elles sont débordées par la marée montante d'aspirations auxquelles ne saurait donner satisfaction la sereine connaissance : une révolte d'égalitarisme, qui reven- dique l'absolu pour tous, immédiatement et au prix le plus bas, sans qu'il faille l'acheter par de la spéculation désinté- ressée, longuement poursuivie par une élite intellectuelle; un appétit déchainé pour le divin, qui doit satisfaire tous les besoins humains, vils ou nobles ; une impérieuse prétention de posséder la nature entière par l'infaillible usage de rites, non plus compliqués et dispendieux comme ceux du culte védique, mais à la portée de quiconque et à l'efficacité directe. Les éléments conceptuels de la religion cèdent le pas aux facteurs magiques : dès lors les plus idéalisés retombent au rang des plus grossiers; de la pensée naguère théorétique à l'utilitarisme brutal de la religion mise au service de fins concrètes, une osmose s'établit, qui a pour résultat, aux époques les moins primitives, un retour à de la superstition, à du fétichisme. Longtemps comprimé ou refoulé dans les bas-fonds, l'élément dravidien prend sa revanche; les géné- rations issues du mélange des castes, loin de cacher leur honte, étalent sans pudeur les compromissions dont elles naquirent. Jamais réalisée, l'unification de l'Inde se prépare non plus par le haut, dans la prééminence d'une caste sacer-

230 HISTOlRli DE I,A PlULOSOPHIE INDIENNE

dotale, mais par le bas, dans une communion de pratiques et d'idées qui s'imposent à tous.

Cette trouble mixture est assez complexe pour n'avoir même pas d'homogénéité dans la confusion. Elle admet une foule de degrés: le monothéisme austère des Çaivas régnant dans le Sud; le piétisme dévot des Vaisnavas, conforme à l'émotive sensibilité des peuples du Bengale; l'extravagante fantaisie des légendes, la bizarrerie des cultes çâktas; la vénération du divin sous des formes hétéroclites: comme lumière solaire dans Sûrya; comme puissance vitale dans le phallus, linga, ou dans l'organe féminin, yoni. Mais qu'elle se porte à des réalités ou à des symboles, l'imagination reli- gieuse se met au service moins de l'intelligence soucieuse de comprendre, que de la pratique rituelle féconde en résultats ijnmédiats : elle vise à placer le fidèle dans cette relation particulière avec son dieu, qui est l'adoration (pûjâ, upâsana). Dans r ancien brahmanisme tout était sacrifice : désormais tout vaut pour l'adoration, sous son aspect soit extérieur, la liturgie, soit intérieur, la prière et même la pensée. La vie ne se conçoit que comme une perpétuelle ardeur pour la divinité d'élection (istadevatâ) : consommer de la nourri- ture, réaliser l'accouplement c'est adorer, car les actes accom- plis dans une certaine intention, disait la Gitâ, ont la valeur de rites C^''). L'aspect le plus nouveau de ce culte se trouve dans le rôle qu'y jou3 la forme féminine de la divinité; paral- lèlement, dans l'allure, ou du moins T apparence erotique de certaines cérémonies. Ceci donna lieu à bien des méprises de la part des occidentaux, qui trop souvent préjugèrent de l'obscénité n'existait qu'un symbolisme ; autant inter- préter par des penchants à l'ivrognerie les offrandes de liqueurs fermentées ! Si les dieux se doublent désormais de déesses; si en face des théismes de Visnu et de Çiva se dresse le culte de l'ogresse Durgâ, de la toute-puissante et hideuse Kâli,

LA PENSÉE HINDOUISTE 2'M

si proches des idoles dravidiennes, c'est moins sous l'effet d'un débordement de sensualité que par suite d'une concep- tion récente de l'essence divine. Le sens commun, réaliste, répugne à concevoir un absolu transcendant, extérieur à la nature, contemplateur abstrait (ksetrajna) d'un monde inexistant. Bien plutôt il le considère comme à la lettre jouissant (bhoktar) de la nature et la fécondant. L'univers ne s'isole pas plus de Dieu que les divines puissances ne se séparent de son essence : il est moins l'effet de sa création que sa force même, çakti. Un culte qui reposait non sur de la gnose, mais sur de l'efficacité rituelle devait se représenter le réel non comme vérité abstraite, mais comme énergie absolue.

De semblables idées, quoique insolites, plongeaient de profondes racines dans le milieu indien. L'exaltation de la conscience individuelle par familiarité avec une conscience supérieure, base de toute dévotion, eut pour prototype l'anti- que assiduité de l'étudiant brahmanique auprès de son pré- cepteur, le guru. Après ces maîtres qui étaient des dieux, les brahmanes, vint le règne des dieux qui furent des seigneurs (îça, içvara). L'adoration, upâsana, hérite de la docilité res- pectueuse avec laquelle l'initié recevait l'enseignement éso- térique, l'upanisad. La prétention de commander au monde par le rite dure depuis la préhistoire, qu'elle mette son recours dans le marmottement d'une formule comme celles des Athar- vans, mantra, dans une mimique des doigts, mudrâ ; ou dans le tracé d'un schéma graphique, yantra. L'efïicacité ma- gique des poses corporelles, â?ana, conviction des yogins, explique beaucoup de manœuvres mystiques, si bien que l'on peut se demander si le rite de maithuna ne représentait pas une rssimple application à la sexualité des principes du Yoga, et si le tantrisme ne serait pas un Yoga pratiqué à deux ou à plusieurs, par un couple ou par une secte.

2.32 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Le but vers lequel convergent religion et philosophie se peut définir non plus, comme naguère, l'obtentior de l'absolu, ce qui supposait un idéal tout achevé, auquel tendrait l'efFort humain mais la réalisation de l'absolu. Voilà pourquoi la connaissance ne satisfait plus aux conditions du problème : il ne s'agit plus de reconnaître l'inconditionné, pour se m.ettre en mesure de le poursuivre; il faut l'effectuer par la vertu du rite, non, comme aux temps reculés du pur Brahmanisme, au prix d'une stricte ponctualité sacrificielle, mais moyennant un effort exercé sur nous-même et par nous-mêmo sur le monde. Le zèle du Tântrika s'apparente donc à celui des Yogins, puisqu'il tend à une réalisation, mdhana. Mais celui des Çaivas ou des Vaisnavas ne s'y apparente pas moins, puisque, selon le programme de la Gltû, il veut aboutir à faire que l'homme soit yukta, joint à l'absolu, dans la mesure il est yukta, joint en lui-même, dans la discipline et la con- centration de ses propres énergies. Sur la solution dévote ou piétiste le Mahâhhârata et d'autre part le Bodhicaryâvatâra nous ont donné des clartés. Mais la solution nouvelle, celle des Tântrikas ou des Çâktas, doit être signalée C^).

De même que dorénavant la réalité du monde, fondée en l'absolu, ne fait guère de doute, le corps apparaît moins comme une entrave au salut. Les fonctions qui président à l'entretien, à la propagation de la vie, étant naturelles, n'ont rien de cou- pable. A quelle distance sommes-nous de la mentalité boud- dhique! Le sâdhana unit Purusa et Prakrti, le masculin et le féminin, car il ne voit aucune antinomie entre l'esprit et la nature, car il accepte tout de cette dernière, car il y trouve l'instrument nécessaire pour la réalisation de l'esprit. H prend au Yoga sa méthode, mais il l'applique à satisfaire la jouissance, au lieu de la fustrer. A l'inverse, la jouissance effectue le Yoga, pacifiant l'âme et l'unissant à l'absolu parce qu'elle l'unifie en soi-même. Nous venons de signaler

LA PENSÉE HINDOUISTE 233

que cette inspiration est à l'antipode du Bouddhisme; elle rappelle pourtant cette découverte du Mahâyâna, que sam- sara et nirvana n3 font qu'un; car ici s'identifient le Yoga qui libère et le bhoga qui enchaîne (^^^). Cette intuition fonda- mentale apparaît sous deux formes. Dans les théologies des Vaisnavas ou des Caivas, c'est la même crâce divine qui crée l'asservissement de la créature et s'incarne ensuite en un avatar pour la sauver: le même pouvoir trompe et éclaiie. Dans les rites psycho-physiologiques des Çâktas le corps est un moyen autant qu'un obstacle pour le salut. Cette con- ception, e térieure aux systèmes classiques de philosophie, mais fort importante pour l'histoire des idées, mérite une mention spéciale.

Elle consiste non à tenir en suspicion, comme dans la plu- part des systèmes, la vie spontanée, mais à utiliser les forces vitales pour réaliser la spiritualité. Le paradoxe de cette opération réside en ce qu'elle doit être non un acte, uiais une renonciation à l'acte, quoiqu'elle exige la plus rare tension de la volonté; ou encore en ce qu'elle implique le délaissement du corps, bien qu'elle s'accomplisse dans l'organisme et par la mise en œuvre de ses énergies. Le principe spirituel, tenu pour inhérent au corps, est une çakti, la kundalinî. Selon la métaphore consacrée, elle demeure, dans l'existence normale, enroulée sur elle-même, à la façon d'un serpent, au niveau de notre centre nerveux (cakra) inférieur. Mais l'exercice de l'ascèse la stimule : alors elle se détend et se dresse, pour se hausser aux stades supérieurs. Après l'âdhâra, inférieur aux organes génitaux, les centres superposés sont le svâdhisthâna, immédiatement au-dessus; puis le manipura, au niveau du nombril; l'anahata, au niveau du cœur; le viçuddha, au milieu du cou; l'âjnâ, entre les sourcils. Cette physiologie situe ainsi une hiérarchie de centres le long u canal médul- laire, où peut monter tel le mercure dans un baromètre,

234 HISTOIRE DE LA PHILOSOrinE INDIENNE

la force, serpentine. Une semblable ascension ne s'opère qu'an prix d'un effort ardu et tenace, qui fait violence à la nature, car chaque centre, figurativenient chaque « lotus » doit être « percé » pour être dépassé. Quand chacun des six a été gravi, la kundalini, maîtresse du corps qu'elle anime, règne dans le « lotus aux mille pétales « (sahasrâra) que recèle le cerveau et peut, en franchissant certaine fente crânienne, trouver issue vers l'époux des âmes, Çiva. Si originale que paraisse cetta physiologie de la délivrance, elle se rattache à plus d'une théorie des Upanisads {Hamsa, 3; Yoguçikha), et elle transpose en une gradation de centres nerveux la hiérarchie des essences ou des ^( terres » que les Yogâcâras énu nieraient entre le point de départ et le terme de l'aspiration religieuse C^). Rlle définit le Yoga tantrique et montre quel progrès a fait la tendance à des explications d'immanence, puisque c'est l'énergie même de la vie qui réus- sit à transcender les conditions normales de la vie. Ce cas extrême illustre la portée de la conception du sâdhana ou réalisation de l'absolu, moins vigoureusement soulignée, nmis présente encore dans les autres formes de Thindouisme.

La dernière phase des darçanas.

I^s darçanas orthodoxes, étant cultivés par la réflexion brahmanique, s'efforcèrent de maintenir leurs traditions pour se garder de la contamination sectaire. Mais sous l'influence de l'ambiance ils subirent des modifications, très inégales selon les S3'stèmes. A cet égard encore l'hindouisme comporte mille degrés. Il est à son maximum dans les pratiques du Tantrisme, à son minimum dans le )Sâmkhya et le Nyâya- Vaiçesika classiques. Les pratiques religieuses mises à part.

LA TENSÉE HINDOUISTË 235

et pour nous on tenir à son aspect philosophique, c'est dans la spéculation des Vaisnavas et des Çaivas qu'il possède sa forme typique, et c'est à proportion de leur affiliation aux dogmes de ces religions que les penseurs brahmaniques des temps modernes transformèrent leurs traditions anciennes. Pour juger la phase ultérieure des darçanas il faut donc nous référer à la doctrine propre des sectes, de même que pour comprendre, par exemple, en quoi la psnsée de l'Europe mo- derne diffère de ses sources antiques, il importe de les con- fronter avec les dogmes chrétiens, juifs ou musulmans.

Nous connaissons déjà le traité classique des Vaisnavas : la Bhagavadgitû, qui devait être, dès avant son insertion dans le Mn/âfbhârdht, moyennant des remaniements, un texte con- sacré de la secte des Bhagavatas (^^^). Le BKâguvnla purâna, production ultérieure de la même é<^ole (x^ siècle), s'éclaire par rapprochement avec d'autres Purânas (Visnu, Padma, Brahmavaivarta) et Upanisads visnuites. Un autre courant de pensée vaisnava dérive des Pcmcarcitra ^umhiiu^, collec- tions de la secte des Pâiicarâtrins. Cette tradition ne mêle pas au culte de Vâsudeva l'adoration du gopâla Krsna; son système philosophique, tel qu'il s'exprime dans VAhirbudhvya SamhitTi (iv*' siècle ?) diffère de la pensée épique. Il développe la notion de manifestation divine, vyûha, en celle d'une série d' hypostases procédant de la puissance de Visnu, la çakti Laksmî. Ces principes : Samkarsana, Pradyuhma et Aniruddha paraissaient naguère dans le Mahâbhârata (^U, 335-352) comme des équivalents mythiques de la prakrti, du manas et de l'ahamkâra des Sâmkhyas. La cor- rélation avec le Sâmkhya se fait maintenant plus indirecte. Six gunas ou attributs qui sont, remarquons-le, étrangers à la nature, aprâkrta, appartiennent à l'absolu; ce sont de véritables 5uvà[i.etc comme celles des Judéo- alexandrins : Science (jfiâna). Souveraineté (aiçvarya). Puissance (çakti),

236 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Force (bala), Virilité (virya), Splendeur (tejas); ils président à la création. Rien de plus étranger au Sâmkhya que cette chaîne d'émanations par laquelle <- procède ^) Vâsudeva. Le purusa suprême (kûtastha) n'apparaît que corrélatif d'une inâyâ çakti, œuvre comme lui de Pradyumna, loin que tous deux représentent deux principes également absolus. Par ses révélations, son symbolisme mythologique, ses descentes de Manus, véritable pendant de la chute d'Adam; par sa théorie de l'œuf cosmique, ses éons et même ses anges, la doctrine de VAhirbudhnyd rappelle plutôt la gnose syrienne que les kârikâs d'îçvaral^rsna. Elle prétend fonder tout ensem- ble, grâce à l'idée d'émanation, l'existence propre de la créa- ture et son origine divine, c'est-à-dire fournir toute possi- bilité de justification théorique à l'attitude dominante des Vaisnavas, cette foi faite de confiance et d'amour, la bhakti.

Parallèlement aux samhitâs des Pâiïcarâtrins s'était développé le système des Pâçupatas, forme première du Çivaïsme. Déjà la Çvetâçvatara llpanisad identifiait le Brahman à Civa; VAtharvaciras voit dans Rudra-Paçupati l'origine et la fin de tout être, les Upanisads AtharvacikHâ, Nllorudra et Kaividya semblent homogènes à maints passages çivaïtes du MnhTibhârata. Le Vâyu jnirâna (XI à XV) pré- sente un Yoga accommodé aux principes pâçupatas, et fournit la plus ancienne documentation sur la secte pâcupata des Laku- liças, du Gujerat. En une certaine opposition à ces Pâçu- patas, assez proches des Pâîicarâtrins pour croire à des incarnations de Çiva comparables à celles de Visnu, des Çai- vas rédigèrent, peut-être aux abords du ix^ siècle, des Ecri- tures, Âgamas, destinées à fonder la religion du Maheçvara, le «grand Seigneur» ("^). Des partisans de ces textes, originaires du Nord, essaimèrent d'importantes colonies vers le pays tamoul, dans la langue duquel ils rédigèrent de nom- breux livres; d'autres fondèrent au Cachemire un second

LA PENSÉE HINDOUISTE 237

foyer de Çivaïsme. L'apparition assez tardive des Agamas concorde avec leur caractère çâkta, qui les relie an Tantrisme.

Cette forme d'hindouisme, qu'aucun texte n'a popu- larisée comme la Gîtâ répandit la doctrine visnuite, présente un dualisme plus accentué que la religion rivale. Extérieures à Çiva existent les âmes, bétail (paçu) du divin berger {paçu- pati) : mais aussi la matière, désignée par l'énergique appella- tion de mala, souillure, ordure. Ce dernier principe, oppres- seiu" des âmes, se manifeste dans les atomes (ânavamala), qui nous entravent; dans les actes (karmamala), qui nous asservissent; dans la fantasmagorie divine (mâyâmala), jeu ou « danse » de Çiva, qui, par son prestige, nous fait croii^e à un monde sensible. Pluralisme et monisme se concilient eu ce que c'est le même principe, le Maheçvara, qui trompe et sauve l'humanité. On retrouve un écho du Trikâya mahâ- yâniste; il faut surtout y reconnaître la persistance en Çiva du Rudra védique, à la fois destructeur et créateur, funeste et propice (çiva). Le Seigneur permet que les âmes soient enserrées dans ces gangues, la souillure qui l'obscurcit; l'acte; la mâyâ, en laquelle se résout la créature à chaque dissolution du monde, et de laquelle elle procède à chaque nouvelle création; enfin un quatrième principe qui recouvre, enve- loppe, dissimule (paça), la rodhaçakti, puissance par laquelle le Seigneur cache l'âme à elle-même. Aussi la délivi'ance suppose-t-elle que l'absolu dépouille tous ces voiles, se mani- feste en une théophanie et par révèle l'âme à elle-même : idée tout autre que celle qui inspire aux Vaisnavas leurs «descentes» de l'absolu dans le monde. De vient que Çankara, adepte du culte çivaïte, construit son Védânta en opposition aux théologies visnuites autant qu'aux doc- trines bouddhiques : les koças qui dans son sj^stème étrei- gnent l'âme individuelle ne sont qu'un doublet des pâças admis par les Pâçupatas. N'empêche que la plupart des

238 HI8TOJRK DE LA PHTr.OSOPHlE INDIENNE

docteurs sectaires ultérieurs, soit visnuites, soit çivaïtes, feront front contre sa doctrine, avec la conviction que son panthéisme ne saurait se concilier avec ce degré de réalisme qu'impose la bhakti. Presque tous les commentateurs des Bvdhtna sûfras lui reprocheront son <( acosmisme », contre lequel proteste l'essentiel dualisme religieux, présence face à face de l'âme et de Dieu, (,'ette réprobation d'une philo- sophie au nom de l'instinct religieux, mais d'une philosophie devenue d'emblée prépondérante par u.n instinct religieux égalment \if chez les doux sectes, telle est la clef de l'évolution spéculative indienne postérieure au ix^ siècle. Une fois le Bouddhisme mis hors de cause, ce fut pour ainsi dire l'unique problème. Tl atteste l'inextricable association, mais aussi la répugnance mutuelle du piétisme sectaire et de la méta- physique issue des Upanisads.

L'évolution philosophique du Visnuisme coïncide avec celle de la pensée Védânta. Ti'évolution du Çivaïsme s'en isole mieux, quoique le (yachemirien Vasugupta ait écrit, vers 850, ses Çivo sûtnis pour substituer au dualism.e des Agamas une interprétation moniste (advaita) toute proche de celle de Çankara. Les exposés dogmatiques en tamoul abondent, depuis le Tiru-vâcakam du poète Mânikka Vâcakar (xi^ siècle) jusqu'aux traités théologiques d'Umâpati (début xiv^ siècle), en passant par le Çivapuimihodhtt du çûdra Mej^kanda De va (xiii^ s.) Au xiv® siècle appartient le commen- taire çivaïte des Brahma siitrns, le Çaivabhasya deÇrikanthn, que glosa vers le début du xvii^ siècle la Çivârkamankfipika d'Appaya Dîksita. La secte des Lingâj'ats, que le xii^ siècle vit naître aux confins du pays marathe et qui a en la langue du Kanara la plupart de ses écritures, se développa en contact avec les Jainas (*''•'). Déjà l'authentique Çivaïsme présentait des affinités avec le Jainisme, puisqu'il concevait la souillure comme une perte de lucidité résultant d'une

LA PENSÉE HINDOUISTE 239

gangue matérielle, et la libération comme la restitution de l'âme dans sa pureté originelle. La nouvelle communauté calque sur celle des Jainas une organisation monastique exceptionnelle dans le monde sectaire. Son piétisme qui subit l'influence de Râmânuja offre fort peu de ressemblance avec le sexuatisme tantrique, bien que l'on trouve dans le linga (phallus) l'expression de la puissance créatrice.

Nous allons constater une profonde action exercée par ces pliilosophies religieuses sur les darçanas orthodoxes. En bref, ce sera ime invasion générale du théisme. Deux systèmes, le Sâmkhya et la Mimârnsâ, résistaient; ils fimrent par subir cette contamination.

I. Le Sâmkhya. Les dernières productions importantes de l'école sâmkhya sont : le Tottvusamûsa, les i>âmkhya sûtras et leur commentaire par Vijnânabhiksu (^■^■*). Ije TaUvasamâm et les sûtras paraissent d'époques fort voi- sines, voire d'un même auteur; celui-là est un résumé de ceux-ci. Les sûtras datent d'avant le xvi^ siècle, au début duquel ils furent commentés par Aniruddha; mais d'après 1380, car Mâdhava ne les mentionne pas, non plus que le Tattvasamôsa, dans son « compendiuiu de tous les systèmes ». Le Tattvasamâsa introduit dans la doctrine une classi- fication nouvelle des fonctions psycho-physiologiques : moda- lités de l'intellect (abhibuddhis), principes d'action (kar- mayonis), souffles vitaux (prânas), diversités d'action (karmâ- tmans). Ce penchant à réaliser, à personnifier des abstractions est un trait de basse époque. Les sûtras se signalent par l'adoption de termes védântiques : Brahman, jîva, upâdhi. Leur tentative, de préciser les conditions de la connaissance, mérite d'être retenue : l'organe interne possède une image de l'objet qui se reflète dans le purusa: par réciprocité ce dernier se reflète dans l'organe interne, et de ce double pro- cessus qui ne compromet en rien 1' « isolement » de l'Esprit, naît la conscience, par la quasi-collaboration d'un purusa

240 HISTOIRE DE LA PinLOSOPHIE INDIENNE

impassible et d'une nature active, mais inconsciente. Les sûtras, qui critiquent avec beaucoup d'application les divers darçanas, différencient le Sâmkhya des doctrines théistes : la transmigration exclut la création par un Dieu, outre que ce Dieu, s'il existait, serait responsable de la misère qui règne dans le monde. Cependant ils déploient de l'ingéniosité pour montrer qu'un Brahman à demi -personnel n'est pas abso- lument incompatible avec les postulats du système; chaque formation et dissolution du inonde résulte sans doute de la loi de l'acte, mais les partisans du Brahman ne pensent pas autrement. Ainsi les Védas n'ont point été créés, car ils inontrent trop de sagesse pour qu'un esprit non libéré en soit l'auteur, et d'autre part un esprit libéré ne saurait fonder leur existence, puisqu'il serait, à force de perfection, incapable d'agir. Il faut donc admettre que l'impersonnelle loi de l'acte joue exactement le rôle attribué à un créateur : à chaque reformation de l'univers, les Védas jaillissent « du Brahman (Vljnânabhiksu, sur sût.50), sans l'intervention d'aucune pro- vidence. — Vijnânabhiksu (vers 1550) est un personnage représentatif du syncrétisme. Il admet que les six systèmes orthodoxes ont raison chacun à sa manière; mais, en inter- prétant le Sâmkhya dans son S.pravacana-bhâsya, son prin- cipal souci est de l'accorder avec le Védânta. A ses yeux, comme pour le vieil auteur de la Çvetâçvatara Upanisad (IV, 10), surtout comme pour le Védântin Sadânanda (fin du xv^ siècle), prakrti et mâyâ s'équivalent. Le rapprochement se trouve facilité du fait que Vijnânabhiksu considère le Védânta comme devant comporter la réalité du monde ma- tériel, et que d'autre part il tient tous les purusas pour homo- gènes, à la façon des âtmans dans l'unique Brahman. Enfin il ne craint pas d'introduire le théisme dans le s,ystème. Cet éclectisme, annoncé par celui de l'épopée, marque la fin de l'école Sâmkhya, fin constatée déjà par le Bhâgavata-purâna {1, 3, 10) et confirmée par Vijnânabhiksu.

LA PENSÉE HINDOUISTE 241

II. Mîniâmsâ. L'école mîmâmsiste perd de son im- portance à mesure que deviennent plus envahissants les cultes non védiques; cependant ces derniers ont en commun avec elle la persuasion que le salut s'obtient par les œuvres plus que par la connaissance. Pârthasârathi Miçra (début du xiv^ siècle) compose, en s'inspirant de Kumârila, un commen- taire sur les sûtras qui deviendra classique, la Çâ.stradlpikâ; un Tantrarotna qui explique les neufs derniers adhyâyas du sûtra; deux ouvrages destinés à gloser Kumârila, le Nyâya- ratnâkara sur ]eMlmnmsâçlokavârtika, la Ny~iy(i-ratria-mâlâ sur le Tanfravârtika: Cette mâiâ sera commentée par Râmâ- nuja {IS'ôyakaratna). Les principales œuvres ultérieures sont le Jaiminlyany'âya)iml~wistara, de Mâdhava (xiv^ siècle), lucide exposé des sûtras: le VidhirasTiyana, d'Appaya Diksita (xvi^ siècle), dirigé contre Kumârila; la Bhâttadlpikâ et le MimniiisTikaustiibhii , de Khandadeva (xvii^ siècle) ; sans parler de nombreux exposés populaires très lus dans les temps modernes, la plupart très voisins du Nyâya-Vaiçesika (^^^). Malgré les principes athées du système, il s'est trouvé un certain Venkatanâtha ou Vedânta Deçika (fin xiv^ siècle), pâncarâtrin des Çri-Vaisnavas, pour prôner une mîmâmsâ théiste (seçvara-mïmâmsâ) et se prétendre en cela d'accord avec Kumârila. Au début du xvii^ siècle, Apadeva (Af. nyâya prakâça) et Laugâksï Bhâskara {Arthamnjgraka) déforment la tradition selon l'esprit, il est vrai, de la Gït~, enjusti- fiant le sacrifice par l'idée d'être agréable à Dieu.

III. Nyâya-Vaiçesika. Nous avons déjà constaté l'intrusion du théisme dans le Nyâya et le Vaiçesika à partir des docteurs du x^ siècle, Udayana et Çridhara. La fusion des deux darçanas s'accomplit dès le xi^ siècle, comme en témoigne le SaptaparJTtrfha-nirûpcUKi, de Çivâditya. Cet ouvrage, comme son nom l'indique, est conçu sur le plan des vieux traités vaiçesikas, mais à propos de la connaissance

16

242 HISTOIRE DE LA PHILOSOrillE INDIEXNE

l'auteur expose la logique naiyâyika; de même que la N. Mavjari et la N. kciUJw de Jayanta Bhatta (x^ siècle), il est connu de Gangeça, l'illustre Naiyâyika de la fin du xii^ siècle. La TfittviiclntZmvim de ce dernier marque l'achèvement de la logique brahmanique, comportant quatre pramânas et à propos de l'anumâna une doctrine sur l'inférence de l'exis- tence de Dieu. L'exposé, indépendant des sûtras, atteste un effort de systématisation original; il suscita la formation d'une école dite de Navadvipa (Nuddea) dans le Bengale oriental. Son principal docteur, Vâsudeva Sârvabhauma, auteur d'une T(ittv<icint7in}(inlvyûkhyti (fin du xv^ siècle) eut pour disciples, outre le logicien Raghunâtha {Tuliva- didliiti, sur l'ouvrage de Gangeça), le fameux réformateur vaisnava, Caitanya.

La tradition syncrétiste du Nyâya-Vaiçesika produisit des œuvres dont n'ont pas cessé de se nourrir la spéculation et surtout l'enseignement: la Ta rJmbhâsâ de Keçava Migra (xni^ siècle), œuvre dont le plan est naiyâyika, mais se charge de données vaiçesikas; la Tarkakaumudl de Laugâksï Bhâskara, le Tarkâmrta de Jagadîça, le Tarkui^nyugrahu d'Annam Bhatta, trois auteurs de la première moitié du xvn^ siècle, La théorie de la connaissance et la technique logique incluses dans ces ouvrages devinrent un patrimoine commun à toutes les écoles modernes. Le meilleur interprète européen de ce syncrétisme, L. Suali, n'a fait que suivre l'exemple de la culture indigène en présentant le contenu de semblables œuvres comme une initiation préjudicielle à la philosophie de l'Inde. Rien de plus faux si l'on y contracte l'habitude de juger de toute la spéculation indienne d'après un éclectisme tardif ; rien de plus juste si l'on ne cherche que l'aboutissement de ce qui, dans le Brainnanismc, res- semble le plus à notre rationalisme et à notre positi- visme ("**).

LA PENSÉE HINDOUISTE 243

IV. Yoga. Les Yoga mtrns suscitèrent peu de com- mentaires importants au cours de la longue période envi- sagée. Le Bnjnnmrtandd, attribué à Bhoja, roi de Dhârâ (xi^ siècle), fournit un sommaire sans pénétration: et on ne saurait juger plus favorablement la Manipvdbhn de Ramâ- nanda Sarasvatï (vers 1600). Le YogasTirdsarngrdhd, de Vijnânabbiksu, n'est pas l'œuvre d'un Yogin. Toutefois, si la lignée des disciples de Patanjali se montrait peu féconde, le prestige des anciennes pratiques de yoga ne cessait pas de s'exercer sur les sectes les plus différentes. Nous avons remarqué un Yoga bouddhique, la doctrine des Yogâcâras: un Yoga jaina. celui d'Haribhadra et d'Hemacandra; un Yoga hindouiste, le Tantrisme des Çâktas. Les Vaisnavas cultivèrent le Yoga entendu à la façon de la G'ilU, comme l'union avec Dieu; les Çaivas honorèrent en leur Maheçvara le type même de l'ascète. Le rayonnement du Yoga s'étend donc aussi loin que le milieu indien, dans le temps comme dans l'espace.

Vers le xii*^ siècle apparaît une école nouvelle : le Hathayoga. Sa première mention est le titre d'un ouvrage imputé à Goraksanâtha, nom qui désigne peut-être moins un personnage qu'une secte de Yogins çivaïtes dont les com- munautés se répandirent au Népal et dans le N.-O. La doc- trine de cette secte a été popularisée par des œuvres telles que la Ghcninda et la Çivd ^dnihitxjs (^^'). Elle préconise l'équivalent de samâdhi par une ascèse toute physique, par un usage des postures (âsana), par une gymnastique respira- toire (prânâyâma) qui ramènent le Yoga à ses plus lointaines origines. L'aspect intellectualiste donné à ces exercices archaï- ques par Patanjali se distingue désormais du Hathayoga sous le nom de Râjayoga, distinction qui a sa source dans la Yogdtdttvd-Updnisad.

V. Védânta. En raison de la solidarité qu'il a con- tractée avec les religions sectaires, le Védânta prend, au cours

244 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

des temps modernes, la prépondérance. Les autres darçanas ou périclitent, ou deviennent l'occupation de spécialistes, soit spéculatifs, comme les logiciens naiyâyikas, soit disciplinaires com e les Yogins; la recherche théorique, dep is que s'est tu le Bouddhisme, est l'apanage des brahmanes Védântins, brahmanes qui n'ont sauvé leurs privilèges intellectuels et sociaux qu'au prix de l'identification de l'Atman avec Visnu et Çiva. Nous avons déjà mentionné plusieurs commentaires des Brnhma sïitras dont l'origine était çivaïte, et parmi eux le plus fameux, celui de Çankara. Il nous reste à retracer l'histoire du Védânta visnuite, qui re ferme les noms les plus glorieux des dix derniers siècles.

Le point de départ de cette philosophie religieuse se trouve en pays tamoul, du vu® au x^ siècle, avaient vécu plusieurs générations de mystiques, à la fois poètes et chan- teurs, qui se procuraient l'extase en improvisant des effusions d'adoration pour les divinités dont ils contemplaient l'image. Douze reçurent le titre d'Âlvârs. Leurs chants furent adoptés pour les offices et la dévotion populaire s'accrut ; ce fut l'œuvre de Nâthamuni, vers la fin du xi^ siècle ; il composa de la sorte un recuil de 4000 hymnes, Nâlâyira Prabandhani, et le foyer de ce culte fut désormais le temple de Çrirangam à Trichinopoli. Le petit-fils de Nâthamuni, Yâmuna fonda en cette secte une tradition philosophique dérivée par lui-même de la G'itâ (GHârthasamgraha) et corroborée par les traités visnuites {Âgamaprâmânya) ; sa portée est une hostilité déclarée à l'enseignement de Çankara, et une ardente revendication de la réalité de l'âme humaine (Siddhilrayn). Ce monisme modiûé {viçis(ndv<iita) V3i trouver son plus puissant interprète en Râmânuja (1050 ?-1137) (^^*).

Lui-mê e était élève d'un çankarien de Conjiveram, Yâdava Prakâça, mais il participait à la réaction contre le pur monisme, réaction si générale qu'un Védântin môme non sectaire et adversaire décidé des Pâîicarâtrins, Bhâskara,

LA PENSÉE HINDOUISTE 245

Opposait à l'advaita un système à la fois de « distinction et de non distinction» (bhedâbheda), so tenant que l'âme est à la fois Dieu et autre que Dieu [Bhâskarabhâsya, vers 900). Râmânuja, désigné, très jeune encore, comme successeur de Yâmuna, prit pour base outre les Upanisads et Bâda- râyana, la Glfxi, et les PÔMcarâtra Samhitâs. Ses œuvres authentiques sont : le Vedûntasanigraha; un Vedântas^'ra; surtout un connnentaire sur les sûtras, le Çrîbhâsya ; un autre sur la GîtTl, GifTibhâsya. Il s'attaque aux illusionnistes (mâyâvâdins), c'est-à-dire à Çankara et autres « Bouddhistes déguisés»; et à deux écoles qui expliquent par des upâdhis (adjonctions déterminantes) l'existence des choses maté- rielles, soit que le Brahman s'en trouve affecté (Bhâskara), soit qu'il s'en tro ve à la fois affecté et non aiïecté (Yâdava- prakâça). Il affirme que ni les choses matérielles, ni les âmes ne sont essentiellement (svâbbâvika) le Brahman, mais qu'elles constituent le corps dont le Brahman est l'âme ou le «surveillant interne» (ant?a\vâmin). Ainsi peuvent-elles lui être extérieures, sans subsister à part. Une semblable interprétation concorde mieux que celle de Çankara avec les Upanisads et les Sûtras Pourtant le système de Râmânuja présente un caractère insolite, comme conciliation du Védânta avec les cultes populaires Avant la création du monde, le corps de l'âtman universel n'existe que sous forme subtile, comme prakrti ; il évolue de l'œuf cosmique par les sttides successifs qu'admettait le Sârnkhya, sous l'action d'Içvara qui peut être envisagé soit comme suprême (Para, Nârâyana) soit comme vjmha en Vâsudeva, Samkarsana Pradyumna et Aniruddha; soit comme vibhavaen dix avatar as, etc. L'absoLi est cause à la fois matérielle et efficiente ; lésâmes individuelles en participent, sauf qu'elles n'ont pas sur les choses ce pouvoir d'agir et de contrôler que lui seul possède, et que, d'autre part, au lieu de détenir comme lui l'omniprésence, elles ont la dimension atomique. Leur ignorance les associe à la ma-

24() HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

tière; leur kicidité les ramène au premier principe, grâce à la dévotion, conscience immédiate de soi en Dieu. Karman n'importe pas moins que jiiâaa; à cet égard encore le Védânta de Râtnânuja demeure, selon la tradition primitive, une Mimâmsâ qui précise un ritualisme intellectuel, autant qu'il devient une méthode de Bhakti.

Contemporains de Râiiiânuja, mais plus jeune, Nim- bârka (+ 1162) était un brahmane du pays telugu, mais qui vécut et propagea ses disciples à Mathurâ. Ses œuvres sont le Vrtiântn-jnirijTita-saurabJia, commentaire des Brnhnta sûtras, et la Daçadokl : le VnlTîntakaiistubha de Çrinivâsa (xiii'^ siècle) procède de son enseignement ("^). Nimbârka trouve l'absolu en Krsna et sa çakti, Râdhâ, l'une de ses gopîs favorites selon le Bliâgnvaia purâna. Encore moins moniste que Râmânuja, il adhère au bhedâbheda ; à ses yeux le pluralisme est aussi vrai que le monisme (dvai- tâdvaita). L'âme individuelle et le Seigneur sont pure con- naissance, douée de moi; leur distinction vient de ce que la première est de dimension atomique, et dépendante, même une fois délivrée, car Dieu ne cesse i^oint d'être son « gou- verneur» (niyantr). La relation du fini à l'infini apparaît ainsi comme chez Schleier mâcher un sentiment de dépendance. La bhakti ne s'acquiert qu'au prix d'une « sou- mission » sans réserve, lyrapaW (^*"). Etre prapanna, c'est se trouver «arrivé à», « pour\^i de» l'appui que gagne notre nature en son divin maître; on y parvient par la décision unique prise une fois pour toutes, de s'en remettre à Bhaga- vant : cette pensée ininterrompue, continue comme la splen- deur d'un rayon ou la fluidité de l'huile, persiste jusqu'à total épuisement du karman. Nous reconnaissons et le « vœu » brahmanique (vrata), origine de la vocation reli- gieuse, et le sanivara jaina, par lequel s'achève l'effet des actes antérieurs; une attente, donc un état dans le temps.

LA PENSÉE HINDOÛISTE 247

mais le temps ne compte plus, puisque l'abandon définitif est consommé. Alors seulement Dieu nous gratifie de sa grâce, qui nous octroie bhakti. Ce dernier concept, vidé de son élément de foi, ne retient que son aspect amour. Il y a une réalisation (sâksâtkâra) de l'absolu, transposition piétiste du sâdhana tantrique.

Ce piétisme aboutit, chez des sectes méridionales du XIII® siècle, à un quiétisme complet, prapatti l'emporte sur bhakti. Les Tenkalai (^^^) conçoivent le salut comme opéré exclusivement par Dieu : d'où la bhakti « à la façon du chat)) (mârjârî), car la chatte sauve ses pstits d'un danger en les emportant inertes; nous avons besoin que Dieu opère en nous, même pour nous vouer à lui. Les Vadakalai du Nord réagirent contre cette notion fataliste de la grâce en soutenant qu'il faut s'aider pour que Dieu nous aide, à la façon du jeune singe (markata), que la guenon n'arrache au péril que s'il s'accroche à elle. Maintes doctrines euro- péennes relatives aux conditions de la grâce entreraient en parallèle avec les thèses de cette théologie.

La tradition des grands commentateurs védântiques se se poursuit au xiii® siècle par Madhva ou Anandatîrtha et au début du xvi® siècle par Vallabha (^*^). Le premier est originaire du Kanara méridional, le second du pays telugu, mais vécut à Mathurâ, ainsi que Nimbârka ; il s'apparentait à la secte méridionale de Visnusvâmin. Le premier écrivit un mtra-bhâsya et des commentaires dualistes sur dix Upanisads ; le second un anuhhâsya et un précis de sa pro- pre doctrine, sous ce titre : T(itfrndjpanibnyi<Uia. Tous deux poursuivirent le même prêche de la bhakti, la même croisade contre la mâyâ çankarienne : mais Madhva au nom d'un dualisme (dvaita), Vallabha au nom d'un pur monisme (çuddhâdvaita). Les deux thèses les plus outrancières sur- gissent ainsi au terme d'une longue évolution dogmatique ;

248 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Madhva extériorise radicalement au créateur les âmes indi- viduelles et dérive les choses d'une prakrti éternellement distincte de Dieu, qui est cause efficiente, mais non maté- rielle; la délivrance même n'identifie pas l'âme au Seigneur, Hari. Vallabha intériorise radicalement à l'absolu âmes et choses, qui lui sont inhérentes sans médiation d'aucune mâyâ: ainsi le jîva, de dimension atomique, est un fragment de la Divinité; c'est par son intelligence (caitanya) qu'il se rend coextensif au corps; intelligence dont la privation définit la corporéité. Cette doctrine de création par fulgu- ration de l'essence divine rejoint presque cette thèse de Leibnitz, que la matière n'est que ((mens momentanea», sans le degré de durée consciente qui permet la connaissance. Le monde ne peut être illusoire, étant l'absolu : sarvam khalu idam brahmâ. Le salut se détermine par la connais- sance, se réalise par la discipline et la piété, s'achève en amour pour Hari.

Toutes les attitudes concevables quant au rapport entre le fidèle et son Dieu, entre le fini et l'infini, ont ainsi suscité tant des dogmes que des modalités d'ascèse. Chacune de ces philosophies s' adaptant aux religions populaires dont l'ins- piration les anime, suscita de multiples sectes présentant tiouvent un caractère local. Ainsi, en pays marathe, le culte d'un dieu de Pandharpur, Vithobâ ou Vitthal, trouva pour doctrinaires Jnâneçvara (xiii^ siècle), Nâmadeva (xiv^ ou xv^ siècle), Tukârâm (xvii^ siècle), fervents adeptes de la bhakti (^*^). Dans l'école tamoule de Çrirangam, à la suite de Yâmuna, vers 1300, l'influence de Râmânuja revit en Pillai Lokâcârya, dont VArfhapancakd précise la substance du Visnuisme. Au Bengale Viçvambhara Miçra (1485-1533,) plus connu sous les noms de Caitanya et de Gauranga, puise dans le Bhâgavnfa Purâna ainsi que dans les influences combinées de Madhva et de Nimbârka, une brûlante dévotion

LA PENSÉE HINDOtriSTE 249

en Krsna et Râdhâ (^^^). Lui aussi accorde à l'enivrement du chant, même de la danse le privilège de susciter une fer- veur qui non seulement transporte le fidèle au delà de son individualité, mais gagne la foule par contagion (nagarkïrtana). Il remplace le rituel brahmanique par des cérémonies n'intervient aucune acception de caste; les monastères de la secte se peuplent pour une part d'anciens bouddhistes. Une action au moins égale à la sienne fut exercée par mi- nauda (xv^ siècle), propagateur à Bénarès du culte de Râma qui florissait dans le Sud. Nourri de VAgastyn Sutiksna Sam- vTida et de VAdhyâtrna Râmâyana (vers 1300) qui s'y réfère, deux textes ramaïtes d'inspiration moniste, il éprouve toute- fois un grand penchant pour le théisme ; la même disposition se retrouve chez ses adeptes, Kabir (1440-1518), son disciple immédiat; Tulsi Dâs (1532-1623); Nâbhâji, auteur de la BhaktamTda, recueil de biographies bhâktas, rédigées en hindi occidental (fin xvi^ siècle). Tulsi Dâs, par son •( Lac des gestes de Râma» (1584) et son enseignement tant à Ayo- dhyâ qu'à Bénarès, fit plus que quiconque pour répandre la foi théiste (^*^). A leur suite, réformateurs ou poètes de l'Inde contemporaine tel un Rabindranath Tagore ont réagi contre Çankara par attrait du théisme, mais n'ont pu rompre avec les éléments de panthéisme qui datent de si loin dans la tradition indienne. Cette ambiguïté doctrinale, résultant d'un long passé, a sauvegardé l'originalité d'une pensée que les influences occidentales, à l'époque moderne, auraient dirigée vers le seul théisme.

Etouffé sous cette exubérance de religiosité, le Védânta purement spéculatif ne fut cultivé que par l'élite intellec- tuelle de l'Inde moderne, mais il ne se développa point. Les esprits qui distinguaient philosophie et religion se trouvaient poussés vers l'interprétation çankarienne, non pas comme plus fidèle aux Upanisads, mais comme moins engagée que

250 HISTOIRK DE LA PIULOSOPHIE INDIENNE

toute autre dans le théisme populaire. L'esprit brahmanique ayant toujours, en son fond, éprouvé de l'antipathie pour la théologie personnaliste, malgré toutes les concessions qu'il ne cessait de lui faire, érigea en ésotérisme suprême les thèses de Çafikara. D'où ce paradoxe, que presque toute la spécu- lation postérieure au x^ siècle honnit ce docteur, et que néan- moins son prestige règne sans contrepoids sur la mentalité brahmanique. L'orthodoxie çankarienne représente un clas- sicisme de caste, comparable au culte de Confucius chez les lettrés chinois à partir de la dynastie Soung ; ici les brahmanes furent çankariens afin de protester contre le sectarisme pourtant consacré, de même que on fut confucéen pour se défendre contre les superstitions populaires du Taoïsme ou les dogmes étrangers des Bouddhistes, pourtant recon- nus licites. Mais le Védânta çankarien, à proportion même de son abstraction qui le sauvait de toute théologie, se vidait de tout contenu et s'interdisait un développement quelconque; n'admettant que l'absolu ineffable, en face duquel il n'y avait qu'illusion, il comportait aussi peu de progrès que le nihilisme mâdhyamika : celui-ci avait coupé court à la pensée bouddhique, celui-là fut le dernier mot de la pensée brahmanique (^").

Conclusion. L'influence occidentale: Islam, Europe chrétienne.

L'invasion à main armée fut un accident fréquent, l'infil- tration étrangère un fait constant de l'histoire indienne. L'influence iranienne ou persane s'exerça, sous des formes diverses, à tous les âges, ainsi qu'à toute époque les côtes furent visitées par des Occidentaux. Le cataclysme qui secoua l'Asie lors de la soudaine croisade de l'Islam atteignit le

LA PENSÉE HINDOUISTE 251

Penjab dès 1001, date du premier raid entrepris par Mahmiïd de Ghaznî; entre 1175 et 1340 s'effectue la conquête de la plus grande partie du monde indien. Irruption bien différente des invasions antérieures : iVrabes, Turcs, Mongols rasent les couvents, détruisent les temples, dispersent les sectes, brûlent les livres; au lieu de venir se civiliser dans le milieu liindou, ils y campent pour le rançonner, ils y guerroient au nom d'un fanatisme religieux. L'historien politique peut reconnaître que certains potentats musulmans, surtout les empereurs mongols, montrèrent du libéralisme, respectant les franchises locales, développant l'organisation écono- mique, faisant régner la paix et les avantages d'une admi- nistration centralisée; encore faut-il avouer que les principes de ces sages monarques étaient ceux que les théoriciens indi- gènes avaient ou appliqués, ou prônés. Mais en ce qui concerne la civilisation intellectuelle, Arabes et Turcs n'ont guère apporté que des dévastations, au cours desquelles le Boud- dhisme succomba, le Jainisme subit violences ou dispersions, auxquelles l'Hindouisme ne résista que grâce à l'énormité sociale et géographique de la masse indienne, désormais asservie, mais non transformée (^*^).

Le Qorân introduit par les envahisseurs ne régna que superficiellement sur les éléments convertis de force. Le milieu polythéiste et idolâtre repoussait la sèche légalité, le farouche monothéisme de l'Islam. Le zèle iconoclaste des Musulmans, leur aversion pour le système des castes, creu- saient un abîme entre les deux mentalités. Pourtant l'exten- sion du théisme hindou à partir du x^ siècle restreignait cette opposition; au surplus la plus directe, la plus forte influence musulmane venait de Perse, l'Islam avait déjà s'adapter à la culture aryenne. Aucun tj^pe humain ne res- semblait plus au yogin que le sîifî, dont l'ascétisme tendait au dépouillement du moi et à l'amour divin; mais en accueil-

252 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

lant l'influence du sûfisma, l'Inde ne faisait que récupérer l'un de ses idéaux, car la culture persane doit cette attitude psj'chologique autant à la contagion des mœurs indiennes qu'à l'action du Néoplatonisme. Les nombreux récits persans relatifs à un roi qui se serait fait mendiant, la conviction que le salut s'atteint au terme d'un tarîqa, équivalent du mârga indien, aboutissant au fana = nirvana (le « grand fana » = le pari- nirvâna); voilà des traits se manifeste la Chumaniyya, autre- ment dit le Bouddhisme. Non seulement donc l'hindouisme était moins éloigné que le brahmanisme des convictions de r Islam, mais tout un aspect de l'Islam se trouvait déjà hin- douisé.

Inversement, les conquérants, peu nombreux, non seulement durent tolérer les cultes qu'ils jugeaient païens, mais s'adaptèrent à leur nouvelle ambiance. Il suffit souvent de muer en saints musulmans les dieux hindous. Par réciprocité ]Muhammed peut passer pour un avatâra de Visnu, comme il fut, en d'autres milieux, identifié au Logos (^^*). Un témoi- gnage irrécusable de cette adaptation des ]\Iusulmans à l'Inde est l'exemple d'Akbar (^*^), prince de la dynastie de Tamerlan; ce monarque, le plus puissant qu'ait connu le pays, ne se contenta pas d'accueillir Parsis, Hindous, Jainas, pour se mettre en mesure de fonder un rationalisme éclec- tique, sorte de religion naturelle qui devait être aussi religion impériale; il abjura l'Islam (1582). Moins exceptionnels, et partant plus symptomatiques encore, sont les syncrétismes qui naquirent du contact des deux civilisations. Kabîr (1440-1518), à qui Musulmans et Hindous voueront une égale vénération, se dit l'enfant de Râma et d'Allah (LXIX) (^^°). Disciple de Râmânanda, il trouve dans les doctrines de la distinction et de la non-distinction juxtaposées (bhedâbheda) la justification de son ivresse pour l'absolu, non moins imma- nent que transcendant. « Hindous et Musulmans atteigni-

LA PENSÉE HINDOUISTE 253

rent la limite toutes marques distinctives s'effacent» (II). « La vérité ne peut se trouver ni dans les livres, ni dans les Védas )) (XVII); « le Purana et le Qorân ne sont que des mots; Kabir laisse parler l'expérience» (XLII), une expérience mystique en laquelle l'âme s'harmonisant au «jeu» (lîlâ) divin, s'exalte en l'amour. Nanak, de Lahore (1469-1539), sous la double influence de Kabir et de Goraksa, fonde la puis- sante secte des Sikhs (^^^), qui deviendra capable de soutenir des guerres; il dépasse la foi hindoue comme la foi musul- mane, non pas comme théoricien abstrait, mais en homme d'action mêlé à de tragiques événements. Echappé au massa- cre des habitants de Saiyidpur quand Babr envahit le Penjab (1526), il devient esclave, mais les échos de son prêche reten- tissent si loin qu'il passe pour s'être fait entendre tant à Ceylan qu'en Arabie. Fidèle à sa profession de foi: «il n'y a ni Hindous, ni Musulmans », il refuse, en face de l'empereur, d'adhérer à l'Islam. Panthéisme et théisme se rejoignent dans sa fervente mysticité, qui fait de la mâyâ une grâce divine. L'antique formule des Upanisads prend un accent tout nouveau, présentée non comme orgueilleuse affirmation, mais comme humble prière : « Si telle est ta volonté, ô Seigneur, tu es mien et je suis tien» (^''^).

Nous voici plus près du Christianisme (^^^) que sous aucun autre aspect de la religiosité indienne. Les analystes n'ont pas manqué, qui épièrent dans les épopées, dans les purânas, dans les dogmes bouddhiques les traces d'influences chrétiennes. Des figures aussi différentes que celles du Çâkya- muni, prince désabusé, fanatique du renoncement, et celle de ce bouvier pillard et voluptueux, Krsna, ont pu présenter quelques affinités avec celle de Jésus de Nazareth, car tous trois, réels ou légendaires, furent des Sauveurs. L'homme prédestiné à guider la race entière vers un port de salut, ainsi que l'homme cosmique intermédiaire entre l'absolu en soi

204 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

et le pur relatif, voilà des notions autour desquelles, en maintes civilisations, s'élaborèrent des cycles de légendes, sans qu'il paraisse possible de déterminer des emprunts directs. L'histoire de Barlaam et de Josaphat fournit un exemple de ces traditions diffuses, intégrées à diverses litté- ratures. Peut-être ne précisera-t-on jamais l'élément positif que renferme la tradition selon laquelle l'apôtre Thomas aurait évangélisé le royaume de Gondopharès, et mérité la palme du martyre à Mailâpur. ^lais que des chrétiens, surtout Nestoriens, aient de bonne heure gagné l'Inde soit par terre, soit par mer, nous n'en saurions douter. Grierson a déployé autant de science cpie d'ingéniosité à établir qu'il 3^ eut des colonies chrétiennes dans le sud de l'Inde, afin d'imputer à ces étrangers l'importation de ce piétisme, la bhakti. C'est accorder à une influence lointaine et faible d'énormes effets : nous avons reconnu dans la bhakti une tendance aussi an- cienne que les cultes de Vâsudeva ou de Nârâvana. L'Inde demeurera trop à l'écart des traditions sémitiques pour subir une action notable de la part du christianisme. Malgré l'ins- tallation des Européens, catholiques ou protestants, les conversions furent, somme toute, peu nouibreuses, l'élite refusant d'abandonner ses propres idéaux et les peuples de civilisation inférieure se laissant peu gagner par la propa- gande missionnaire. Les religions européennes ont surtout renforcé chez les intellectuels la persuasion qu'il y avait lieu de dépasser la littéralité des dogmes en un éclectisme analogue à celui dont rêvait Akbar, et que dans la mesure s'imposent traditions et symboles, celles et ceux de l'Inde sont pour l'Inde les plus convenables.

L'Europe apparaît là-bas non seulement comme le pays d'origine des missionnaires, mais comme celui d'où viennent les exploitants de la richesse publique. Elle est donc considérée avec une méfiante appréhension, quoique

LA PENSEE HTNDOULSTE ZÎ30

le pays doive sa relative unification à l'empire britannique. Notre science témoigne de son efficacité aux yeux des Hindous et plus d'un parmi eux ferait en Occident figure de savant très estimable. Mais cette science ne cadre guère avec l'ensemble de la mentalité indienne qui reproche très vive- ment aux occidentaux, Européens ou Américains, de surtout l'utiliser pour fonder la prospérité matérielle et d'oublier le primat des vérités morales ou religieuses. Aussi l'Inde, qui sympathise peu avec le christianisme, mais qui le respec- terait en tant que religion, se scandalise-t-elle de notre ido- lâtrie pour la force et pour l'argent, peu conciliable, juge-t-elle, avec la foi chrétienne. En mainte circonstance les réforma- teurs modernes, les érudits de la jeune Inde, le prestigieux génie de Tagore firent avec sévérité le procès de l'Occident et, par contraste, ont exalté l'attachement à la culture indigène ainsi que la vocation pour la spiritualité (^®^). Cette anthitèse suscitera-t-elle, comme au Japon, une transformation sinon des idéaux, du moins des méthodes, et réveillera-t-elle une immense civilisation de son sommeil scolastique ? Ce problème de l'avenir et déjà du présent clôt à l'époque actuelle l'histoire de la pensée indienne.

*

Une appréciation de cette philosophie ne saurait être donnée qu'en fonction des deux autres filiations spéculatives parfaitement synchroniques : la pensée européenne et la pensée chinoise *. Ainsi verrait-on apparaître les postulats propres à la réflexion dont nous venons de retracer les principales phases. Nous ne signalerons, en guise de conclusion, que le trait domi-

* La méthode qui paraît couvenir pour une semblable mise eu parallèle et quelques échantillons des résultats auxquels elle pourrait con- duire, ont été examinés; par nous dans notre PM/osopIde comparée, Paris, Aîcan 1923.

256 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

liant, celui que la prépondérance intellectuelle de la caste brah- manique imposa aux éléments les plus disparates d'une cul- ture infiniment complexe. C'est l'idée, tout à fait essentielle, que l'effort spéculatif, moral, religieux, nous doit donner, par la suppression des conditions de fait, une sortie hors de la transmigration, autant dire un accès à l'absolu. Du Yi^ siècle avant J.-C. jusqu'à nos jours, cette obsession hanta la totalité des esprits, pourvu qu'on mette à part quelques matérialistes systématiques, négateurs du samsara. La loi par excellence (dharma) fut de dépasser la loi littérale (dhar- ma) pour fonder, par-delà l'ordre de l'acte (karman), la recherche de la délivrance (moksa). Les expédients imaginés ont extrêmement varié, mais se réduisirent à transcender les conditions normales de l'existence. Toujours la théorie du salut fut l'inverse de la théorie de la création. Ainsi devenait possible cette conviction, qui se fait jour dans les différents systèmes philosophiques ou religieux, qu'erreur et vérité se ramènent à deux modalités du même principe, et que la même efficace asservit et libère.

Cette supposition fondamentale explique pourquoi l'Inde a si souvent fait bon marché du donné, des phénomènes. Son mépris de l'histoire vient de là, comme le fait qu'elle n'a pas constitué la science, malgré une force de pensée tradi- tionnelle, collective, sans égale dans l'histoire du monde jusqu'à l'avènement de la science européenne; malgré aussi une réelle aptitude à la positivité. Elle a possédé des géo- mètres, des algébristes, des médecins, des chimistes, mais qui cherchèrent dans l'empirisme des recettes plutôt que dans la nature des lois. La conviction manquait, que le fait comme tel mérite d'être connu. Nous en trouvons une contre- épreuve très nette dans la singularité de l'esthétique indigène. Nous préjugerions volontiers que le domaine au moins de l'imagination, des sentiments, de l'art doit être celui des

LA PENSÉE HINDOUISTE 257

phénomènes. Or, le réel, nous voulons dire le sensible tel qu'il nous est donné, intéresse si peu l'Inde que ses esthéticiens prô- nent non le culte de la nature, mais une imagination factice, des sentiments artificiels, qui ne rejoignent pour ainsi dire qu'à regret les éléments de l'expérience spontanée. L'abstrac- tion fut la passion des artistes comme des penseurs réflexifs. En toute occurrence le génie hindou n'a pu se contenter de la vie simple et naïve: les fins transcendantes l'ont à ce point détourné des fins immanentes qu'au moment où, dans le Tantrisme, triomphe une conception immanentiste de l'intel- ligibilité, l'esprit s'assigne pour but, non de se laisser vivre, mais de se créer une vie digne de lui, une existence omni- sciente, omnipotente, qu'il maîtrisera parce qu'il en sera l'auteur (sâdhana). Trop poignante fut l'angoisse d'une irrémédiable servitude, pour que la suprême aspiration ne fût pas d'obtenir dans l'autonomie l'absolu. Or la nature n'était conçue que comme esclavage: ses lois n'apparaissaient que comme des chaînes. Par contraste l'inconditionné ne fut que l'affranchissement. Intellectualisme et pragmatisme, science et morale se présentent donc avec des valeurs diffé- rentes en Europe et dans l'Inde: prendre conscience de ces foncières divergences n'est pas simplement le moyen de pénétrer le sens de la pensée asiatique comme de la nôtre, c'est la condition même de la position critique de tout pro- blème philosophique.

17

NOTES

Abréviations

A B A W Abhandlungender Kôn. Bayer. Akad. d. Wissenschaften, Miincheri

A G W G Abhandlungen der Kôn. Ges. d. Wissenschaften zu Gôttingen.

A K M Abhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes éd. Z D M G.

al allemand .

an. anglais.

B B Bibliotheca buddhica, St-Pétersbourg.

B E F E 0 Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, Hanoï.

B G Bhagavad-Gïtâ.

B I Bibhotheca Indica, Calcutta.

B S Brahma siïtras.

B S S Bombay sanskrit séries.

B V S Bhandarkar, Vaisnavism, Çaivism. Strasb. 1913 (Gr. III, 6).

CHI Cambridge History of India. vol. I, Ancient India, éd.

Rapson, 1922.

DAGP Deussen, Allg. Gesch. der Philosophie l^r Band, Leip., Brock- haus, 1894 (Veda) et 1899 (Upanisads).

D V Deussen, das System des Vedânta, Leip. ibid., 3^ Aufl. 1920.

DU Deussen, Sechzig Upanisads des Veda, ibid. 1921, (3^ Aufl.)

D M Deussen, Vier philosophische Texte des Mahahhâratam^ ibid.

D G Dasgupta, a hist. of Indian Philosophy^ vol. I, Camb. 1922.

éd. édition.

ERE Encyclopedia of religion and ethics (Hastings).

F R Farquhar, an Outline of the religions literature of India,

Oxford 1920.

G B J Guérinot, Bibliographie jaina, Paris (Guimet).

GhV Ghate, le Védanta, étude sur les Brahmasûtras et leurs cinq

commentaires. Thèse Paris. Tours 1918. G G A Gôttingische Gelehrte Anzeigen.

Gr Grundriss der indo-arischen Philologie und Altertumskunde.

Strasbourg, Triibner.

G S Garbe, Sâmkhya Philosojphie 2^ éd. Leipz. 1917.

KM

KS

M

MS

N

NGWG

NS

OB

260 fflSTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

G S A I Giornale délia società asiatica italiana. H O S Harvard Oriental séries, Cambridge (Mass.)-

Ind. A Indian Antiquary. J A Journal Asiatique, Paris.

J A 0 S Journal of the American Oriental Society, New- York. J A S B Journal of the Asiatic society of Bengal, Calcutta. J B R A S Journal of the Bombay branch of the RAS. J R A S Journal of the Royal Aijiatic Society, London. K L A Keith (A, Berriedale), Indian logic andatomism, Oxford, Claren- don, 1921. Keith, the Karma -IVIïmâmsâ, Oxford, Univ., 1921.

Keith, the Sâmkhya system, Oxf., Univ., 1921.

Mâhabhârata.

Mîmâmsâ sûtras.

Nanjio (Bunyiu) a catalogue of the chmese Tnpitaka^ Oxford,

1883. Nachrichten d. Gesel. der Wiss. zu Gôttingen.

Kyâj'a siîtras.

Oldenberg (H.), Le Bouddha ■,tTSLÔ. fr. Foucher (A.), 3^ éd. f. sur

3e al. Paris, Alcan, 1921. O L U Oldenberg, die Lehre der Upanishaden und die Anfànge des

Buddhismus, Gôttingen, Vandenhœck, 1915. 0 V Oldenberg, die Religion des Veda, Berhn, Hertz 1894; trad. fr.

Henry, 1903. 0 W B Oldenberg, die Weltanschauung der Br'âhmana. Texte, Got-

ting., Vandenhœck, 1919. 0 H I Oxford History of India, by Vincent A. Smith, Oxford. Cla-

rendon, 1919. P T S Pâli Text society, London 1882.

R H R Revue de l'Histoire des religions, Paris, Leroux. S A B Sitzungsberichte der kôn. preuss. Akad. d. Wiss. zu Berhn.

S B E Sacred books of the East, Oxford.

S B H Sacred books of the Hindus-Allahabad, Pânini office. S I Suah (L.) Introduzione allô studio délia flosofia indiana.

Pavia, Mattei, 1913. S S Sâmlchya sûtra.

Sa Se Sanskrit séries.

St Stcherbatsky (Th.) L' Epistémologie et la logique chez les Boud-

dhistes ultérieurs (original russe St-Pétesbourg trad. fr. par Mme I. de Manziarly et P. Masson-Oursel sous presse dans les annales Guiniet Paris ; t. al. commencée dans Zeitschrift fiii- Buddhismus, mai - juh 1821).

NOTES 261

t traduction.

T Tripitaka chinois, Tokyo 1881-1885.

U Upanisad (B A U, Brhadâranyaka U; C U, CKândogya U ; MU, Maitri U ; "

V P B L. de la Vallée Poussin. Bouddhisme. Paris, Beauchesne 1909.

V P E M L. de la Vallée Poussin. Bouddhisme^ Etudes et matériaux

Adikarmapradipa., Bodhicaryâvatâratîkâ. Lond. Luzac, 1898. VPN L. de la Vallée Poussin, The way ta nirvana. Cambridge, 1917.

V S Vaiçesika siïtras.

W Winternitz (M.), Geschichte der indischen Litteratur, Leipzig,

Amelang. I, Brahmanisme, 1909; II, 1, Bouddhisme, 1913; 2 Jainisme, 1920.

W Z K M Wiener Zeitschrift fiir die Kunde des Morgenlandes.

V S Yoga sûtras.

Z D M G Zeitschrift der deutschen Morgenlând. Gesellschaft, Leipzig.

Note fréliminaire.

Documentation générale sur l'indianisme.

P. Masson-Oursel, Bibliographie sommaire de V indianisme, Isis, Bruxelles, Weissenbruch, 8 (vol. III, 2) autumn 1920, 171-218. Histoire de l'Inde. C. H. I. (limité jusqu'ici à l'antiquité) ; OHI (manuel scolaire indispensable comme traitant du sujet entier). R. Grousset, Histoire de VAsie, 2^ édition, Paris, Grès 1923 ou 1924. Histoire de la philosophie indienne. Les ouvrages d'ensemble font défaut. P. Oltramare, Histoire des idées théosophiques dans l'Inde, Paris, Guimet I (II à paraître en 1923). (Très recommandable, mais jusqu'ici incomplet.) F. Belloni-Filippi, Imaggiori sistemi filosofici indiani. Milano, Sandron. I. daUe origini al Buddhismo. (Lucide, mais très sommaire et incomplet). D G (Exposé approfondi des principaux systèmes, mais ne fournit point une histoire ; aucune documentation critique ; le tome II n'a pas encore paru). Deux ouvrages peuvent, d'après leur titres, paraître fournir une ini- tiation à l'histoire de la philosophie indienne. S I est une excellente étude du Nyâya-Vaiçesika, mais non un examen, même préjudiciel, de l'ensemble du sujet. Quant à l'ouvrage de R. Guenon, Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, Paris, M. Rivière, 1921, malgré un sens très vif des choses indiennes, il témoigne de partialité contre le Bouddhisme, ainsi que contre les méthodes européennes d'histoire et de critique. Philos, of

262 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Ancient India, de R. Garbe, est un opuscule fait de trois articles (Chicago, 1899). Une Indische Philos., par 0. Strauss, a été annoncée en 1922 par la maison Reinhardt, de Munich ; nous n'avons pu en prendre connais- sance.

St est un remarquable examen de la pensée indienne sous le biais de l'épistémologie, avec le Bouddhisme pour centre.

Deux articles indiquent de façon sommaire mais précise les caractères

de la théorie indienne de la connaissance: Freytag, Vher die Er-

kenntnisth. der Inder, Viertelj. f. wiss. Philos, u. Soziologie XXIX,

2, 181.

Suali, Essai sur la th. de la conn. dans la phil. ind., Isis, loc. cit., 219-254.

Une Indian Philosophical Review existe depuis 1917, rédigée par Wid- gery (Baroda) et Ranade (Poona) ; mais elle a cessé de paraître en 1922. Sous la même direction, depuis 1920, Indian J ournal of Sociology .

Histoire des rehgions indiennes. Le précis le plus recommandable : Les religions de VInde, par A. Barth. Encyl. des Se. rei., 1879; puis à part, notamment dans t. an. the religions of /., (t. J. Wood, Lond. 1882, Triibner) et réédité dans les Œuvres de Barth (tome I, 1-25) Paris, Leroux, 1914.

F. R. est un instrument de travail indispensable en raison de son abon- dante bibliographie de première et seconde main; c'est le premier effort pour retracer, dans sa complexité comme dans son évolution, l'histoire reH- gieuse de l'Inde. Les indications sur l'Hindouisme sont surtout précieuses. On ne fait que situer les systèmes.

'L' Indische Theosophie de J. S. Speyer est un bon exposé sommaire.

(1) Âryas. C H I, ch. III ; Carnoy, les Indo- Européens, Bruxelles,

1921 ; O. ScHRADER, Aryan religion ERE, II, 15 ; Havell, Aryan rule in\., Lond, 1918.

(2) Dravidiens C H I, ch. II E R E, V, 1-28. Whitehead, the village

Gods of South /., Oxf., 1916 ; Elmore, Dravidian gods in modem Hinduism, N. Y. 1915, (Nebraska Un.).

(3) J R A S 1909 721 (Jacobi), 1095 (Oldenberg), 1 100 (Keith) ; 1910,

456 (J.), 464 (K); Sten Konow, The aryan gods of the Mitani people, Publ. of the Indian Institute, Kristiania, 1921.

(4) L'Indo-Européen. Brugmann, vergl. Grammatik d. indo-germ. Spra-

chen, 1886-1900 ; A. Meillet, Intr. à Vét. comp. des lang. indo-europ., Paris 1912 ; indications sommaires dans Car- noy; et Marouzeatj, La Linguistique, Paris, Geuthner, 1921.

(5)Avesta. J. Darmesteter, le Zend-Avesta, Paris 1892.-93; Geldner, the sacred books of the Parsis, Stuttg. 1885-96; Reichelt, Av. Reader, Strasbourg, Trubner 1911 ; W. Jackson, die Iran. Religion, Gr. V, 1896-1904 ; Charpentier, Kleine Beitràge zur indoiran. Mythol. Upsala, 1911.

(6) Zoroastre. Chr. Bartholomae, Zarathustra' s Verspredigten iiber- setzt. Strasb. Triibner, 1905 ; Geldner, Ency. Brit.

NOTES 263

XXIV, 820 ; ~ Oldenberg, Deutsche Rund. XIV, 1898 ; W. Jackson, Zoroaster, N. Y. Columbia, éd., 1919.

(7) Oldenberg , Aus Indien und Iran, Berl. Hertz, 1899, 185 ;

OWB.

(8) Bibl. védique. Généralités : W, I; O V ; Macdonell and Keith, Vedic Index, hond. 1912 (relig. exclue); Macdonell, Vedic My-

ihology, Gr, 1897 ; Hillebrandt, Ved. Myihol., Breslaul891- 1902; Keith, Ind. Myth., Boston 1917;— Pischel u. Geldner, Ved.Studien,^iuitg. 1889-1901. Rgvéda: t. an. GrifEith, Bénarès 1895-6 ; t. al. Grassmann, Leipz. 1876-7 ; Ludwig, Prag, 1876-88 ; t. fragm. : S B E, XXXII, XL VI; du Uv. : Regnaud, Paris 1900. Bloomfield, Relative chronology of ihe Vedic. hyrnns, J A 0 S XXI; Vedic concordance H O S, X, 1906; Bergaigne, Eel. védique, Paris 1878-1883. Sâmaveda: t. al. Benfey, Leip. 1848; t. an. Griffith, Bénarès 1893 ; Caland, die Jaiminïya Samhitâ, Breslau 1907 Yajurveda ; White Y., t. an. Griffith, Bénarès 1899 ; Keith, Taittirîya Samhità. HOS, XVIII; XIX.

Atharvaveda : t. an. Whitney and Lanman, HOS, VII et VIII ; Griffith, Bénarès 1897 ; frag. Bloomfield S B E, XLII ; t. f. Henry, Liv. VII-XIII, Par. 1891-6 ; Weber, Ind. Stu- dien, Liv. I-V, XIV, t. al.; SAB 1895-6, Hv. XVIII; Florenz, diss. Gôtting. 1887, Liv, VI ; Grill, 100 Lieder des A., Stuttg. 1888 (al). Henry, Magie dans VI. antique, Par. 1904. Scherman, Philos. Hymnen, Strasb. 1887.

Exposé sommaire : L. de la Vallée Poussin, Védisme, Par., Bloud. 1909.

(9) Sacrifice. Caland et Henry, VAgnistoma ; Hillebrandt, Ritual- Litteratur, Gr. III, 2, 1897 ; OV ; S. Lévi, la doct. du Sacr. dans les Bvahmanas, Par. 1898.

(10) Brahman. OWB ; OLU ; GS 139. La dérivation de la racine brah,

resplendir (Henry, Atharvav., liv. X-XII, p. VIII) n'a plus guère de partisans. La dérivation de rac. brh, être fort, prendre force, croître est admise et par les philosophes et par la tradition (RâmSnuja cité par Sukhtankar Z DMG). ERE II, 798.

(11) Mythologie védique, op. cit. : Hillebrandt, Macdonell, Keith, Bergai-

gne (no 8) ; Muir, Original sansk. texts, Lond. 1884, V.

(12) Pensée védique. DAGP ; Bloomfield, Bel. Of the Veda, N. Y.,

1908 ; OV ; OWB.

(13) Littérature brahmanique en tant que rattachée aux Védas :

264

<

OQ

GO

<

I— f

<

<

<

pq

'g

s- <

XJl

O Q

ce

ce

®

c3 ■+3

c3 C rs >>

G

les

ce

M-

ce

< w

ce

ce ce

ce cl ce ice

les

C* 11 «'•

;3 ce

M

ce © ce

-(-3

P3-

ce bc

P5-

ce >^

to o

Ice

O

lee

ce

a

-*^ Icé

ï3 Cî-

ce lee

Ice

H

>

ce

.1

02

ce o

E-i

I— I

C

a

et

C3

ce

^-5

as

c8

ils M

>

ce H

ee

ce

es

Ice

>^

^

C

CS

•fH

b

ce

h3

>

g

eS

_c3

ce

c

ic?

X!

es >>

'3

o

3

> ce

c ce -*^

os

a

ce

ce

a

Ice

ce

1^

>^

lie

cS

C3

S

m

w

5S

es

ed

s

ce

^

^

^

(-1

es

>^

ce

S

ce

Ice

-«^

C-

•S

.&

Ice

ce >

et

^

'S

r^

o

^H

les

es

•1— i

i5

les

"S >

1

l'î?

ce

c3

1 1-4

Ice

les

o

5 E-

C

c 42

les

C- es

oi-s;

.oB

Ice

09

ce ce

les

,1

ce

S-l

e3-

S^

-fi

«1

•—S

-*i>

ce

ce

H

•F-t

ce

03

1 fH

ce

ce

ce >>

1 -H

C3*

•1—5

^

le

les

>

^

^

ce

■S*

1 «-I

•1— 1

^

>

^

-*-'

Pl^

X!

c

1— (

cS

H

'S

ce

les

Ice

s

w

g

W

en

es

CD

^

09

c6

<*-»•

ce

b

cS

,g

05

r-*

Tt

cS

iS >>

À es

OQ

(H

lee

_'^

>s

ce

^

C/2,

►c

>

-*J

-4-3

1—*

'^

«■

p— «

ce

Cl^

Ice

les

__^

o

w

.fcl

o

-2

^

-^

S

œ

S

•1—»

.*

ÎH

NOTES 265

Brâhmanas. Analyses : DU. trad. : Aitareya : t. an. Haug, Bombay 1863 ; Ait. et, Kausïtaki, t. an. Keith, HOS XXV, 1920 ; Çatapatha, t. an. Eggelïng SBE XII, XXVI, XLI, XLIII, XLIV. Autres FR 363.

(14) Castes. CHI 234 ; Jolly, Redit u. Sitte, Gr. II, 8 ; OLU; OHI;

34-42 ; Shridar V. Ketkar, history of caste in I; Ithaca 1909 ; Shama Shastri, Evolution of caste. Madras 1916; E. Senart, les Castes dans ri., Par. 1886 ; et Oldenberg Z DMG, LI, 267; Bougie, Castes, Par. ; Notions de jâti et varna, Barth, Œuv. II, 222-4; 416-8 ; IV, 302, 321.

(15) Sophistique indienne. Dahlmann, das M. als Epos u. Rechtsbuch ;

P. Masson-Oursel, R. Met. et mor. XXIII, 343 et Philos, com- parée, IP p., ch. 1 et 2.

(16) Cârvâkas. Dahlmann, loc. cit.; ERE, VIII, 138; 493. n. 118.

(17) Yoga. B G passim ; cf. index de notre t., sous presse, Paris, Geuthner;

P. Masson-Oursel, RHR 1913 ; Ewing, Hindu conceptions of the functions of breath, JAOS XXII, 249 ; - OLU.

(18) Upanisads. Leur relation aux Aranyakas : n. 13. Liste de 123 U :

FR 364 ; t. an. Max MuUer, SBE, XV ; S. G. Vasu SBH, I ; III; XIV ; Hume, Oxf. 1921 ; îçâ, Avalon, Lond. 1918 ; t. al. DU ; t. f . de BAU, Hérold, Par. 1894 ; de 9U par Mar- cault d'ap. Mead. Par. 1905 (Art Indépendant) ; —t. it. de KU, BeUoni-Filippi, Pisa 1905. Leur philos. DU; DAGP; OLU ; HiUebrandt, Âus Brâhmanas u. U. Jena 1921 ; Hume, op. cit. ; Brofïerio, Fil. délie U., Milano, 1911 ; Regnaud, Matériaux pour servir à Vh. de la ph. de VL, Par. 1876. Jacob (n. 131).

(19) Âtman OLU ; OWB. L'assimilation à Atem, dans la l^e éd. de GS

108, 293, disparaît dans 2^ ; t. ch.: T'oung pao, XIII, 412. Le sens primitif est corps, personne ; le sens constant = soi-même (self, sich selbst). ERE II, 195-7, 801.

(20) Sur la déformation du sens des U par le préjugé de Schopenhauer

et de Deussen, que leur portée coïncide avec celle du Platonisme et du Kantisme : Sukhtankar, WZKM (XXII, 134).

(21) SamsSra, Boyer, JA 1901, 451 ; VPN, 24 ; OLU, Wiedertod ;

" GS, 232 ; ERE, W, Death. L'Inde a conçu successivement : la vie comme s'achevant après avoir obtenu sa plénitude (sar- vam âyus); la vie comme durant après la mort autant que les offrandes funéraies alimentent le défunt ; le karman comme sacrifice conjurant le remords (punarmrtyu) ; 4P le karman comme exigence de rétribution imposant une renaissance après chaque mort, idée morale qui rejoignit, une fois le Bouddhisme constitué, la conception des destinées telle que l'expriment BAU

266 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

VL 2 et Ch U, V, 3-10. Le S. n'apparaît qu'avec les U (FR 28 et 30). L. von Schroeder trouve l'origine des idées de Pji;hagore: Pythag. u. die Inder^ Leip. 1884.

(22) Diversité des attitudes spéculatives aux Vll^ et Vl^ siècles avant

J.-C. et classement des doctrines en kriyavâda et ak. : le remarquable ilber den Stand d. ind. Phil. zur Zeit Mahâvîras u. Buddhas, par O. Schrader (Diss. Strasb.), Leip. 1902.

(23) Tîrthika, Tirthamkara. Schrader ; Bimala Charan Law, Inf,. of

the 5 hereticalteachers (Tïrthikas) on Jaijiisma. Buddhism JASB, XV, 1919, 123 ; Ui, Vaiçesika Phil. according to the Daçapa- dârtfiaçâstra, Lond., RAS, 1917, 18-26. Le mot Tîrthamk. fit fortune dans le Jainisme (Jaini cité n^ 29).

(24) Nirgranthas et Pârçva. GBJ, XI-XIII ; 25, 364; —Bhagavati XV.

Compar. entre Nir. et Jainas : Uttaradhyayanasut. XXIII éd. Charpentier, Upsala, 1921-2; t. an. Jacobi SBE, XLV, 121-3. La biographie, tardive, de P., est étudiée par Bloomfield, Life a. Stories of P., Baltimore 1919.

(25) Vardhamâna = le Jina = le Mahâvîra. Dates : Jacobi SBE XLV,

p. XIII, W II, 2, 289 ; Charpentier Ind. A, XLIII, 118, 125 ; dans CHI, 155. Biogr. : Kalpasûtra de Bhadrabahu, éd. AKM, XII, 1 et Mânik. Chand. Jaini, Life of Mah., Allah. 1908. Jacobi SBE XXII, p. X-XXVIL

(26) Âjîvikas et Gosâla. Hoernle ERE, Aj. ; B. C. Law cité 23, p. 123.

Gos. : Bhagavati, XV et app. à t. de Uvasagadasao Hoernle BI 1885. cf. n. 31.

(27) Extension du Jainisme : FR 119, 162 ; CHI, 164-8.

(28) Concile de Valabhi, 467 ou 526 : Charpentier, Utt. 15-6 ; 513 selon

Jacobi et FR 163 ; 467 selon W II, 2, 294. 527 est fourni par tradition çvetâmbara ; 467 par Hemacandra, Pariçistaparvan, Descript. du canon des Çvet. : II, 2, 291-316 ; énumér. FR 399 cf. GBJ.

(29) TatlvaHhâdhigama: éd. Mody BI 1905 ou Bombay 1903^5 ; éd^ et

com. Sardarthasiddhi, Kolhâpur 1903 ; com. Tattvartharaja- vârtika, Sanât. Jaina Grantha Mâlâ, Bénarès 1903 ; t. al. Jacobi ZDMG, LX, 287-512.

Exposés doctrinaux. Nahar and Ghosh, Epitome of Jainism,

Cale; Jhaveri, First principles of J. phil., Lond. 1910 ; A.

Warren, Jainism, Madras 1912 ; Mrs Sinclair Stevenson,

Heart of Jainism, Oxf. 1915; J. Jaini, Outlines of J ., Camb.

1916 [recueil de textes] ; Guérinot, la relig. des Djainas, Par.

Geuthner, sous presse. Cf, Jacobi ERE, J. ; Trans. Congr.

of. Rel., Oxf. 1908.

(30) Karman. Jacobi ERE, IV, 484 ; Helmuth von Glasenapp, die Lehre

vom Karman in der Ph. der J ., nach den Karmagranthas darge- stellt, Leip. 1915.

NOTES 267

(31) Atomisme j. : Jacobi ERE, II, 199 ; Charpentier, Leçya theory of

the J. and the Ajivikas, Gôteborg 1910.

(32) Le vocabulaire j. offre souvent un stade archaïque du sens des mots.

Le dharma, principe de mouvement, immédiate apphcation à la physique de l'idée morale de loi, fraye la voie à la notion bouddhique de dh. = phénomènes. Le pudgala au sens de matière fait présager lep. bouddhique: l'esprit en tant que résultant de facteurs naturels, comme dans le Sâmkhya la pensée empirique.

(33) Parsis. Dosabhai Framji Karaka, Hist. of the Par sis, Lond, 1884 ;

Haug, Essay son the P.; 3" éd. Lond. 1884 ; West, Pahla- vi teaets transi. SBE, V, XVIII, XXIV, XXXVII, XLVII ; Menant, les P., Par. 1898 et ERE, IX, 640 ; Dhalla ERE, V, 664; Gray, ibid. 872 et VIII, 749.

(34) Biographie du Bouddha. Eléments primitifs, dans le canon paU :

Digha Nik. XIV; Majjh. Nik. XXVI, XXXVI, LXXXV, G. Le canon sanscrit renferme biog. plus récentes : Lalitavistara [éd. Lefmann, Halle, 1892, 1908 ; éd. tibét. Foucaux ; éd. chin. Fang-houang-t'ai-yen-king, de 683] et Mahâvastu [éd. Senart, Par. 1882-97. cf. Windisch, abh. d. ph. hist. Kl. d. Kôn. sâchs. Ges. d. W. XXVII, n^ XIV, Leip. 1909]. En outre, Buddhacarita d'Açvaghosa, ouv, du 1^^ s. ap. J.-C. [éd. Cowell, Oxf. 1893 ; t. an. S B È ,49 ; t. it. Formichi, Bari, 1912. Sur la version chin. : Else Wohlgemut, Diss. Leip. 1916 ; S. Lévi J A 1892, 201]. Le canon chin. renferme une biog. dans chacun des cinq Vinayas : ceux des Mahîçâsakas, des Miïlasarvâstivâdins, des Stha viras, des Dharmaguptas, des Mahâsâmghikas. Wieger, Les vies chin. duB. ; S. Beal, The romantic legend of Çâkya B., Lond., 1875 (t. abrégée de V Abhiniskramanasût. = Fouo-pen- hing-tsi-king). Compar. de ces sources: Ebbe Tuneld, Rech. sur valeur des trad. houd. pâlie et non-palie. Deux chap. de la biog. du B., Lund. 1915.

Bigaudet. Vie ou légende de Gaudama, le B. des Birmans, t. Gauvin, Par. 1878.

Biog. modernes. Outre ouvrages généraux cités infra: Hardy, der Buddhismus 7iach dlteren pali-Werken dargestellt, Miinster 1890; ^., Leip., 1905; Pischel, Z/e6e?i u- Lehre des B., Leip. 1906 [succinct, mais précis]; Beckh, Buddhismus, Berl,, Gôschen 1919. Surtout 0. B. [capital ; repose sur textes pahs]. Alexandra David, Le modernisme bouddhiste et la doctrine du B., Par., Alcan 1911 [seconde main.]

Légende du B. : E, Senart, Essai sur la lég. du B. ; Par. 1882 [capital];

S. Beal, loc. cit ; E. Windisch, Mâra u. B., Abh. d. ph.

h. Kl. d. K. Sâchs. g. d.'W., XV, IV, Leip., 1895.

Ouvrages généraux sur le Bouddhisme. Eug. Burnouf, Intr. a Vhist.

du Bouddhisme indien, r. 1844 ; réimp. 1876 [œuvre d'ini-

268 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

tiateur génial, demeure précieuse];— Wassiliefï, der Bvddhis.^ seine Dogmen, Gesch. u. Litt., t. du russe en al. Schiefner, S.- Péters. 1860 [fragmentaire, mais important pour les écoles septent.]; Koppen, die Bel. des B., Berl. 1857-59; rééd. 1906 ; H. Kern, der Buddhis. u. seine Gesch. in. Indien, t. al. Jacobi, Leip. 1882-4; t.f. Huet.Guimet 1901 [ouv. d'ensemble capital; résumé dans le suivant]: Manual of indian Bhddhism, Strasb. 1896, Gr. III, 8.— W. II, I (index dans 2) [bibliog. et descript. des textes]. V P. B [remarquable introd. à la pensée b.].

Sources. Canon pâli : P T S. C. Sanscrit : B B. C. tibétain : ibid., P. Cordier, Catal. du fonds tib. de la Bïb. Nat., 2epart., index du Bstan-Hgyur, Par. 1909 ; L. Feer, Analyse du Kandjour et du Tandjou/, hyon, Pitrat 1881 (Guimet).— C. chinois : N; D. Ross, Alphabeticaï List of titles, heing an Index toB. N' s catal., Ca.\c. 1910 ; T ;— Anesaki, the 4 Bud. Agamas in chinese, Trans. As. Soc. of Jap. XXXV, 3, 1908. Sources d'Asie centrale, fragmentaires, mais import, pour l'hist. du canon : Pischel, Bruchstiicke des Sanskritkanons der Buddhisten aus Idyukutsari, S A B 1904, 807, 1138 ; die Turfan-Rezensionen des Dhamma- pada, ibid. 1908, 968 (cf. W. II, I, 185 n. 1) Dutreuil de Rhins, c.r. Ac. Inscr. 14 mai 1895, 15 avril 1898, S. d'Oidenburg sur ms. Petrovski du Dham., S.-Pét. 1907 ; A. Stein, Ancient Khotan, Oxf . 1907 ; Ruins of désert Kathay, Lond. 1912. Cf. ' Finot et Huber J A. 1913, 465 ; de la Vallée-Poussin J R A S 1913, 843 ; S. Lévi 109. Après Stein, Griinwedel, von Lecoq, Pelliot ont découvert des textes en langues diverses. Leh- nann, Maitreya-samiti, die Nordarische Schilderung, éd. t. al. Strasb., Triibner 1919 ; Nebenstûcke, A K M, XV, 2, Leip. 1920 ; Pelliot, fragm. du Suvarnaprabkâsa en iranien oriental, Mém.' Soc. Ling. Paris, XVIII, 1913-4, 89; Grottes de Touen Houang, Par. Geuthner, 1914; Gauthiot et Pelliot, sut. des causes et des effets en sogdien, ch. et f., ibid ; v. Le Coq, Chotscho, Berl., Reimer 1913.

L'historien tibétain Târanâtha (1608) a puisé à des sources anciennes et fournit une importante documentation. Schiefner, T. s Gesch. des Bud. in hidien (t. al.) S.-Péters. 1869. (35) L'état de nos connaissances ne nous permet de préciser aucune date relative à la confection des parties du canon. C'est au cours des réunions, obhgatoires dans la communauté, que pour le maintien de la disciphne se fixèrent des traditions sur la casuistique, le dogme, la vie du maître. «Toutes les quinzaines, les rehgieux errants ou sédentaires devaient se réunir par pa- roisse, écouter la récitation des Règles fondamentales (Pr âtimoksa) et confesser les infractions commises » (S. Lévi, Saintes Ecri. du B., Par. Leroux-Guimet 1909-21). Pischel tient de même le prâtim. pour noyau primitif du canon (op. cit. 97). Des compilations

NOTES 269

récentes se firent de morceaux anciens. Ainsi, quoique la subs- tance du Vinaya remonte aux tout premiers siècles, sa rédact. sansc. ne fut codifiée qu'au iii^ ou au IV® siècle de notre ère (S. Lévi, T'oung pao, 1907). A fortiori les canons tib. et ch. renfer- ment-ils à foison des œuvres de basse époque, p. ex. des vi® et VII® siècles. Les édits d'Açoka (n. 65) semblent indiquer que dès le milieu du III® siècle av. J.-C. se trouvaient ébauchés les qua- tre Nikâyas {Dîgka, Majjhima, Samyuita, Ahguttara) et le Sutta Nipâta. Les vers des Jâtakas, le Dhammapadâ; le Niddesa, les Itivuttakas, la PafAsambhidâ; 'les Çîlas, le Pâtimok- kha ; le Sutta Vibkanga; lesThera et Therïgâthâs, les Udûnas ne paraissent guère moins anciens. (Rliys Davids, C H I, 197.)

(36) Pendant la seconde moitié du Xix® siècle, le problème des sources

bouddhiques s'est débattu entre partisans de l'authenticité du canon pâli et partisans de l'authenticité du c. sanscrit. Les pre- miers, dont le protagoniste fut Oldenberg, admirent la relative intégrité du c. p. conservé à Ceylan ; le fonds s., relativement pauvre, composé sm'tout par le Lalitavistara et le Mahavastu, leur paraît fragmentaire, dérivé, mêlé d'éléments adventices. Les seconds, qui comme Burnouf puisent aux matériaux rapportés du Népal par Hodgson, s'appuient sur des documents septen- trionaux ; intéressés par la multiplicité des sectes attestée par les plus anciens témoignages, ils refusent de tenir poui' seul jirimitif le c. p., quoique si complet ; IVlinayefE est leur princi- pale autorité.. Le xx® siècle a renouvelé la question par de minutieuses critiques de textes, et élargi le débat. Le c. s. s'est immensément accru par la découverte en tib. et en ch. de docu- ments traduits naguère d'originaux s. aujourd'hui perdus, mais que restituent les philologues en possession de méthodes tou- jours plus sûres. En outre la collection chinoise ne nous a pas conservé un unique c, mais des fragments de plusieurs : ainsi cinq Vinayas. Enfin les découvertes d'Asie Cent, confirment qu'il exista une plm-aUté de c. aussi développés que le p.. Rien donc ne corrobore l'ancien préjugé d'après lequel un de ces c, par exemple le p., serait plus ancien que les autres. De fortes pré- somptions permettent d'induire l'existence d'une ou de plusieurs versions dont auraient résulté les textes tant p. que s. et autres encore, sans doute en des idiomes plus anciens ; de fait le Boud- dha s'exprimait non en p., non en s., maLs en magadliî, langue du pays de Magadha. (Sur la question : le s. fut-il une langue parlée? W. I, 1, 436, n. 3). Cf, Oldenberg, Btiddhistische Stvd. Z D M G, C II, 1898 ; Minayeff, Rech. sur le Boud. 1887, t. f. 1894 (an. Guimet IV) ; VP. E M ; S. Lévi, Samtes Ecrit., op. cit.; U7ie langue précanonique du Boud. J A, 1912, II, 511; Tuneld, op. cit.

(37) Conciles. Même bibhog. Les derniers chap. du Cullavagga con-

cernent le 1®'" conc, mais le Mahciparinirvâ7iasûtra, un des plus

270 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

anciens textes, ne le mentionne pas. L'attribution au président du eone. de Pâtaliputra, Moggaliputra, du Kathâvatthu, dernier livre du T. sous sa forme actuelle, ne prouve pas que le canon était achevé sous Açoka, mais donne à penser qu'alors s'élabo- rait l'abhidharma, dont la notion est postérieure à la conception des sûtras et du vinaya.

(38) Récits, sentences incorporés au canon : W II, I, 60-134. Légendes

communes au Boud. et au Jain. : Charpentier, Stud. zur ind. Erzâhlungslit. I Paccekabuddkageschickten, Upsala 1908; Swpar- nasage,\\)\A. 1920. Jâtakas : éd. Fausboll, Lond. 18877-97 ; Rhys Davids, Bud. Birth stories, Lond. 1880. Fables brahmaniques et autres : J. Hertel, Pancatantra, Leip. 1914 ; Tantrakhya- yika, die àlteste Fassung des Pane. ibid. 1909 ; F. Lacôte, Essai sur Gunâdhya et la Brhatkathâ, Par. 1908; Buddhasvamin, Brhatkatha, Çlokasamgraha I-IX et X-XVII, Par. 1908, 1920.— Sentences morales : Bôhthngk, Ind. Sprilche, S.-FéteTsh. 1870-3.

(39) Pratîtyasamutpadâ. Oltramare, Formule houddh. des 12 causes,

Genève, Georg 1909 (Jubilé univ.) ; L. de la Vallée Poussin, Théor. des 12 c, Gand 1913 (Rec. trav. F. de Phil.);— P. Masson- Oursel, Essai d'interpr. de la th. boud. des 12 conditions, R H R 1915, 30.

(40) NirvSna. V P B 89-97, 103-1277; VPN;— Edkins, the Nir. of

the Northern Buddhists; Eklund, Nir., 1896; Valentino, Merc. de Fr., 1919 ; OLU ; Heiler, Bud. Versenkung, Miinchen 1922. Le nirv., conçu primitivement comme simple suppression de la douleur par abolition de l'ignorance, corres- pond à l'état de jîvanmukta, délivré vivant, admis par le Brah- manisme. Cessant d'agir, on n'amasse plus de karman, et Teffet du karman amoncelé jusqu'alors s'épuise, comme la roue du potier qui tourne encore plusieurs fois avant de s'arrêter, bien que l'on ne l'actiomie plus. Le parinirvâna est la cessation définitive de la vie, quand le déhvré-vivant trépasse : la disso- lution de son corps, au lieu de préparer une nouvelle naissance, le libère à jamais. C'est l'équivalent du passage du temps à l'éternité (Pischel, 74). Quand le Bouddhisme se départira de l'agnosticisme, le nirv. se définira relativement non plus à la douleur, à l'ignorance, à l'acte, mais à l'être et au non-être, p. ex. chez les Mâdhyamikas ; à la conscience ou non- conscience chez les Vijnânavâdins ; à un paradis transcendant ou à la. vie terrestre chez les partisans de la Sukhâvatî, etc.

(41) V P B, 89 «veut» que l'enseignement du Bouddha ait été vérita-

blement un «chemin du miUeu» et que devant chacune des antinomies métaphysiques l'interprétation authentique soit le ni oui ni non. Ainsi l'on est hérétique en soutenant que l'âme ne fait qu'un, ou fait deux, avec le corps ; que la sensation ne fait qu'un ou deux avec le sentant ; que l'agent moral ne fait

NOTES 271

qu'un ou deux, avec la personne qui sera rétribuée pour les actes accomplis. Telle est, certes, l'attitude du B. dans Samy. 11, 20, 23, 61, 76 ; attitude prise pour donner à la communauté un exemple de réserve spéculative. Mais l'auteur du pratityasa- mutpâda devait avoir son siège fait dans les débats philoso- phiques essentiels : ayant découvert que l'individualité repose sur l'ignorance, il savait que le moi n'existe pas comme sub- stance, mais comme phénomène relatif. Des deux antithèses souvent renvoyées dos à dos comme oiseuses existence ou non-existence du moi il condamnait la première et approu- vait la seconde. Tout au plus pom-rait-on dire que le B. se contente de faire la théorie du moi phénoménal, dont il justifie la misère et auquel il montre le salut par une doctrine de relati- vité, mais qu'il exclut la considération de l'existence ou de la non-existence d'un moi absolu. L'ambiguïté s'explique par la difîérence entre une prédication exotérique et une réflexion ésotérique. Sur le chemin du milieu, Vaidya cité n. 74.

(42) Prinsep, Stevenson, E. Thomas, cf. G B J.

(43) Barth, Œuv. l, 131-8 et bulletins jusqu'en 1902 (II, 373) ; aussi

IV, 121.

(44) N. 38. Remarquer l'origine sociale similaire du Bouddha et du Mahâ-

vira, tous deux ksatriyas. Le M. était par sa mère parent de Bimbisâra, qui régnait à Rajagrha, capitale du Magadha, et était contemporain du B.

(45) Majjk-Nik., I, 80 ; Lalita. V., 319 ; Buddhacarita X-XII. Les deux

Yogins, maîtres du B., sont Alâra ( = Arâda) Kâlâma et Uddaka (Udraka) Râmaputta. E. Senart, Bouddhisme et Fogra, RHR, nov. 1900. n. 97.

(46) P. ex. B A U et Ch U : devayâna et pitryâna, acheminements vers

le Brahman (n. 21) ; classements par gradation, comme Ch U, VII =DU171.

(47) Dharmacakrapravartana. La roue, emblème solaire : Senart, Lég. du

B., La roue de la vie ; aspect cyclique du samsara et du pratîtya- samutpâda qui en donne la clef : n. 21 et 39 ; Przyluski J A, XVI, 1920, 313. La roue de la loi, emblème de la roj^auté. Ces différentes conceptions se rejoignent dans la dotion de ces sages et souverains spirituels, les Cakravartins (Senart). P. Masson- Oursel, Dharma, J A, XIX, 1922, 269.

(48) En 184 les Çungas occupent le trône des descendants d'Açoka et

favorisent la tradition indoue à l'encontre du Bouddhisme. FR 78,83 ; CHI, XXI.

(49) Sectes. Leur caract. populaire : Barth, Œuv. I, 142.

(50) Grossières rehgions dravidiennes : n. 2.

(51) Krsna. Rsi védique; Macdonell-Keith, Vedic Index, I, 184. Etu-

diant brahmanique : Ch U, III, 17, 6 (ibid. 184). Vâsudeva- Krsna, dieu des Sâtvatas, auquel fait allusion Mégasthène (fin

272 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

ive siècle avant J.-C.) : BVS9; dans M., notamment B G, 14-35. Gopâla-K, 35. Max MûUer, Râmakrsna.

Râdhâ, amante de K., ne figure pas dans le Harivamça, Bhâg. Purâna, Visnu P., mais dans Padma P. et Brahmavai- varta P. Cànkara fera de K. une incarnation du Brahman {Gïtâbhâs., Introd.). Pânini IV, 1, 99 : un gotra nom.mé Kârsnâyana ; on imputa à cette collectivité Vâsudeva (BVS 12). Identifié à Visnu : M. Çântiparvan 43 ; dans l'Anugitâ, à la fois homme et dieu. Muir, Sansk. Texts IV, 205. Le gopâla n'appa- raît pas avant le début de notre ère. cf. Hariv. 5876-8 ; Vûtju P. ch. 98, 100-2 ; Bhâg. P. II, 7 : destructeur de démons. Sur la prononciation Kusto = Krsto dans le Bengale : BVC, 38 ; sur le rapprochement tenté avec Jésus, Garbe, Ind. u. dasCkris- tent, Tûbing. 1914, 191-227 et 254.

Râma. BVS ; FR ; M. Mùller. Selon BVS 46 les textes du Râmâyana qui tiennent R. pour incarnation de Visnu sont «spurious or interpolated ». Raghuvamça X : naiss. de R. Il ne fut adoré qu'à partir du XI^ siècle ; vers 1300 Ekanâtha trans- pose en hypostases métaphysiques les éléments de la légende de R. {Adhyâtma Eâmâyana, t. an. L. B. Nâth, SBH 1913. Sur la littér. qui en procède, FR 381).

(52) Vâsudeva révéré vers 140 ou 130 av. J.-C. (inscr. de Besnagar) :

BVS, 3 ; OHI, 124 ; Rapson, Ancient India, Camb. 1914, 156-7 ; Pinini IV, 3, 18 : BVS, 3.

(53) Nârâyana BVS 4-6. Vieux concept brahmanique de Purusa-Nâr.

(Çatap. Br. XII, III, 4, 1 ; XIII, IV, 1,1), coextensif à la nature (et Taitt. Âr. X, 1, 6). M : Çântip..

(54) Çiva. Son prototype, Rudra védique : Charpentier WZKM, XXIII,

151 . Arbman, R., Upsala 1922 ; Çvetâç., Kena, Atharvaçiras U. Çiva, le favorable, épithète de R., puis dieu sectaire: volon- tiers appelé Çankara, le bienfaisant ; dans M (Vanap., Dronap., Sauptikap., Anuçâsanap.). BVS. Umâ son épouse (Kena U; Dm-gâ dans M. Bhîsmap.).

(55) Visnu. Védique : de ses trois pas il dépasse l'atteinte des hommes et

" " dos oiseaux (Rgv. 1, 155, 5) ; son siège suprême (paramam padam) est le ciel, I, 22, 20. Son assimilation à Vâsudeva, BVS. Senart, lég. du B. Avatâras : BVS.

(56) Harivamça : t. f. Langlois, Par. 1834 ; an. Dutt, Cale. 1897. Son

identification de Visnu avec Çiva : W. I, 1, 386. Leurs noms de Ilari et Hara : BVS.

(57) Pâçupatas : BVS ; Schomerus, Çaiva-siddhTmta, Leip. 1912 ;

FR. Dès le Rgv. I, 114, 9, Rudra appelé Paçupa, protecteur^ du bétail. Pâncarâtrins : BVS ; O. Schrader, Intr. to the Pànca- râtra and the Ahirhudhniya Samhita, Adyar 1916. Purusa-Nâ-

NOTES 273

râyana (n. 53), selon Çat. Br., XIII, VI, I, 1, a conquis l'empire universel en sacrifiant pendant cinq jours (pânca-râtra sattra).

(58) Bhakti. BVS. Les textes les plus anciens sont ceux du M. en partie, de

BG. L'idée de Ch. appartient surtout aux Vaisnavas, mais aussi aux Ç'aivas : Murdoch, Çiva bhakti ; elle prendra dans la suite une immense importance : n. 140.

(59) Nous devons cette interprétation à l'enseignement de M. S. Lévi.

(60) Purânas. W, I, 1, 440-83 ; dans les sectes FR. Pargiter JRAS 1912,

254 ; Fleet, ibid. 1046 j^ Keith, ibid. 1914, 740, 1021. ERE X, 447. Principaux : Bhagavata, t. f . Burnouf , Par. 1840 ; an. Dutt Cale. ; et Krsnâcârya, Mad. 1916 ; Agni, t. an. Dutt, 1903 ; Matsya, t. an. SBH, 1916; Visnu, t. an. Wilson, Lond. 1864; notices : Wilson, Select Works, ibid, 1861. P. çivaites : Skanda, Çiva, Lihga,. Bhavisya.

(61) Siïtras. n. 13. Le sens propre est fil, ce qui compose la trame d'un

système, W I, 229-32; CHI, 227.

(62) ][Ianavadharmaçâstra: t. an. BiihlerSBE XXV. cf. Jolly, cité n. 14

et Dahlmann cité n. 15.

(63) Hindouisme. Barth, Œuv. 1, 140-252; Monier Williams, Brâhmanism

a. Hindouism; Farquhar, Crown of H., Oxf. 1913; Sir Ch. Eliot, Hind. a. Buddhism, Lond. 1921 ; Helmuth von Glasenapp, der Hinduismus , Miinchen 1922.

(64) Abhidharma. W II, 1, 134; ERE, I, 19 ; Max Walleser, d. philos.

Grundlage des ait. Buddhismvs, Heidelb. 1904 clôt formation de l'ab. au lil^ siècle av. J.-C). n. 83, Takakusu.

(65) Açoka. E. Senart, R. Deux Mondes l^r mars 1889 ; Inscript, de

Piyadasi; V. Smith, OHI ; A., 2e éd. Oxf. 1909; CHI, 502-11.

(66) Sectes bouddhiques : VPEM, 52-60 ; Minayefï cité n. 36.

(67) Kaniska. Sten Konow SAB1916, Indoskythische Beitràge. Discussions

sur la date : bibhog. W II, 1, 202 ; 2, 375.

(68) Mahâyâna. W. II, 1, 230-77 ; VPB ; VPEM ; Suzuki, Mahayâ-

naçraddhotpâda, Chicago 1900, t. an. ; S. Lévi, Mahâyâna- sûtralamkâra d'Asahga, t. f. Par. Champion 1911 ; Suzuki, Outli- nes of Mah. Buddhism, Lond. 1907 ; Mac Govern, an Intr. to Mah. Buddh., Lond. 1922.

(69) Trikâya. L. de la Vallée Poussin, JRAS 1906; P. Masson-Oursel

JA mai 1913. [Errata : p. 17, n. : le texte deNâgârjuna (XXII, 16) renferme en outre rûpakâya et même un pravacanak. ; Nâg. est du 11^ siècle, non du III^. P. 21 : à syandana et pravrtti ajouter prapanca, d'apr. texte cité de Nâg., P. 38: Asaiiga est du iv^ siè- cle. Il semble que chez les Mâdhyamikas riïpakâya soit le corps d'illusion, tandis que chez les Yogâcâras s'intercale un sam- bhogak. qui est rûpak. Le pravacanak. dont parle Nâg., ensem- ble des enseignements, correspond en partie à sambh., eu partie à

18

274 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

nirmânak, car ce sont les bodhisattvas et les çrâvakas qui ont besoin d'enseignement. Les riïpas du sambh. peuvent être des signes salutaires, et non pas des apparences surtout décevantes comme les rûpas du nirm. Une influence néoplatonicienne est impossible, puisque la théorie s'esquisse largement dès l'œuvre d'Açvaghosa, Mahuyanaçraddhot-pada, au i^^" siècle ; à moins que l'on conteste la date et l'auteur de ce livre: n. 71]. ERE, IV, Death, par A. Lloyd (Japon) ; sur le docétisme boud- dhique, Anesaki, ERE IV, 835.

(70) Littérature de prajnâ pâramitâ : W II, 1, 247 ; M. Walleser, Praj.

Par., Gôtting. 1914 (t. al. de Vastasahasrikâ et de la Vajracche- dikû) ; M. Muller, Vajrac, Oxf, 1881 (t. an.) ; Schmidt, Mém. Ac. Se. S.-Pét. Vie sér. IV, 1840 (t. al).

(71) Açvaghosa. Sa date dépend de Kaniska, son contemporain (n. G7).

W. il, 1, 201 ; Anesaki ERE II, 159 ; JRAS 1914. 747. Buddhacarita : Cowell, SBE, XLIX, t. an; Formicki, Aç, poeta del Buddh., Bari, 1912, t. it.; sur le B., S. Lévi JA, 1892, XIX, 201 ; Liiders, NGWG 1896. SaundaranandakZvya JASB 1904, 47. Çâriputraprakara7ia, Liiders SAB 1911, 3S8. Vajrasûâ, Weber, abh. d. preuss. Ak. W, 1859, 205 ; S. Lévi JA 1908. Sûtrcdamkara , t. f. Huber, Par. 1908; Mahayam çrad- dhotpada;^. an. Suzuki, Awakening of the Faith, Chicago, 1900 ; T. Richard Aw. of F., Shanghaï, Kelly, 1918 (t. an. faite en 1894; ' ne supplante pas la précédente) (éd. chin.). W. II, 1,211 et 243, douteque ce texte soit d'Aç., parce qu'au dire deTakakusu un ca- talogue ch. ne le lui attribue pas, et parce que les doctrines y exposées seraient celles d'Asanga (vijnânavâda) et dn Lahkâva- târa (tathatâ). Ce doute nous paraît insuffisamment fondé. De même que ces textes de Prajnâpâram. préparent la doctrine de Nagârjuna et des Mâdhj^amikas, Aç. peut avoir été un précur- seur d'Asanga et des Vijnânavâdins, comme l'admet la tra- dition.

(72) Tathatâ. n. 71. Oltramare (Muséon 25 mai 1915, 22 ; RHR 1910, 171)

considère la tath. comme un arrière-fond métaphysique situé au delà du lokottara. Ce dernier serait non le transcendant auquel cas tath, serait éminemment lokottara, mais un ultramonde, extérieur à ce monde. Nous n'apercevons aucune raison de prêter ce sens au mot. Nous reconnaissons d'ailleurs que le phénomène (samvrti, l'enveloppe) comporte des degrés chez les Yogâcâras, non chez les Mâdhyamikas.

(73) Nagârjuna. Anesaki ERE, IV, 838 ; L. de la Vallée Poussin, ERE,

VIII, 235 ; W. II, 1, 250 ; surtout Vaidya cité n. 74 Kâr. et Akutohhaya: t. al. Walleser, Mittlere Lehre des Nag., Heidel. 1911. Suhrllekha, t. an. Wenzel, Journ. PTS (1886).

(74) Aryadeva. Vaidya, Etudes sur A. et son Catuhçataka, ch. VIII-XII,

thèse Par., Geuthner 1923 (bibUog., biog., étude sur les Mâdh.,

NOTES 275

restitution du texte sanscrit d'ap. le tib. ; t. f.); - Hastavâla, t. an. F. W. Thomas et Ui, JRAS 1918, 267.

(75) Vaipulya sûtras et 9 Dharmaparyayas, W, II, 1, 230 ; FR 275, 396.

(76) Maitreya et Asanga. Stcherbatsky, Litt. yotjâmra d'après Bu-ston

Muséon 1905, 144 ; St ; _Anesaki ERE, II, 62 ; S. Lévi' cité n. 68 ; Bodhisattvahhumi (extrait de Yogâcârab/mmiçâstra: L. de la V. Poussin ERE II, 745-50 ; Muséon VI 38 VII, 213 ; VPEM.

(77) Heiler, die B^iddJi. Versenkung, Miinchen 1922, 29 et 44 : met en lumière

l'existence dans le Boud. pâli de deux théories du dhvâna : celle que nous venons d'indiquer et une autre, calquée sur la distinc- tion de cinq modalités du phénomène «sans forme», ariïpa.

(78) La valeur des termes dhySna, samâdhi apparaît par leur étymologie :

dh. implique rac. dhi, méditer ; s. rac. dhà, placer, arranger (de même upâdhi). La subordination de dh. à s. résulte de M XII, 196, 20 (dhyâna samâdhim utpâdya). Cf Hopkins JAOS 1901 ' Anesaki et Takakusu, ERE, IV, 702. Selon les auteims c'est le sambhogakàya ou le dharmak. [n. 69] qui est atteint par s. (samâ- dhik.). Le Sukhavaûvyuha (SBE, XLIX, 5) fait naître les pira- mitas de s. La sapience s 'obtenant à la hmite de la restriction de la pensée, elle équivaut as., qui est l'arrêt de cette dernière (sti- tih cetasah). Cf. Asafiga, t. f. S. Lévi [cité n. 68] 188. Une école de Bouddhistes chin. et jap. (zen) cultivera pour lui-même le dh. L'origine yoga du terme de s. est attestée par l'usage que font de ce terme les VS IX, I, 11-15 et NS IV, 2, 38-50.

(79) A. Foucher, Uart gréco -bouddhique du Gaîidhâra, Par, 1905, 1918 ;

Etudes sur V iconographie houd. de VI., Par. 1900, 1905 ; the hegù nnings of huddhist art. Par. et Lond. 1918 ; RHR 1894, 319.

(80) Vasubandhu. Péri, date de V., BEFEO, XI, juill. 1911 (capital

pour la chronol. philos.). V. idéahste, après sa conversion [avant : n. 83]: Vimçakakârikûprakarana, Muséon 1912, 53 (t. t. de la Vallée Poussin) ; t. f. du même texte, d'apr. le chin., P. Masson- Oursel, à paraître dans JA. Biogr : t. f. de Paramirtha, par Takakusu, Toung pao V, 1904. Stcherbatsky, the seul theory of the Buddhists ; Bul. Ac. Se. Russie, 1919.

(81) Buddliaghosa. ERE II, 885; Bimala Chandra Law, a note on

B's commentaries JASB, XV, 1919, 3 ; Waileser cité n. 64 ; Visuddhimagga : Warren, Journ. PTS, 1891-3 ; Budd %n transi. HOS, 1896 ; t. an. HOS ; Atthasalini, t. an. PTS 1921.

(82) t. an. Shwe Zan Aung, Lond. 1910.

(83) L. de la Vallée Poussin, Vasubandhu et Yaçomitra, Lond., Kegan,

1914-8, p. VIL = ch. III de V Abhidharmnkoça (t. f.) s'ex- prime la doct. de V. avant sa conversion au Mahâyâna (n. 80). S. Lévi,_ERE, I, 20. Takakusu, on the abhidharma lit. of the Sarvastivâdins, Journ. PTS 1905.

276 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

(84) Cosmologie bouddhique : Kirfel, Kosmog. der Inder, Bonn, 1920 ;

Cosmog. a. cosmol. ERE, 129-138, 155-160. Atomisme des Boud. : Handt, atomis. Grundlage der Vaiçesika Phil., Tiibing, diss., 1900, 5-17. Contre cet auteur, qui impute aux Boud. l'in- vention de l'atomisme, Jacobi, ERE II 199 et Stcherb. cité n. 80, 953.

(85) Vaidj'a, cit. n. 74 ; Candrakirti : Prasannaj>âdâ 'EKE,y III, 235;

Mâdhyamakavatara ERE II, 745 ; VIII 332 ; t. f . VP. Muséon, VIII ; Çântideva : Ciksâsamuccaya , t. an. Bendall a. Rouse, Lond. 1922 ; ERE, 405 ; Bodhicaryâvatâra , t. an. partielle, Bar- nett, Path oj Light, Lond. 1909 ; t. f. V. P. Paris 1907 ; Finot, Marche à la lumière, Par. 1920.

(86) St., Jacobi, Ind. Logik, NGWG, 1901 ; Vidyâbhûsana, Hist.

oj ihe mediaeval school of ind. logic, Cale. 1909 ; Injl. of Aristotle... JRAS 1918.

(87) P. Masson-Oursel, Philosophie comparée, Paris, Alcan 1923, II® part.,

ch. 2 ; Etudes de logique comp., R. Philos., mai et juil. 1917, fév. 1918.

(88) Contributions de l'érudition japonaise à notre connaissance du

Bouddhisme. Bukkyo dai-jii (grand diction, du B.), Tokyo, Fusambo 191_4, tome 1 (BEFEO, XV, 4, 49) ; Yamada Kôdô, Zenshu jiten (Dict. de la secte du dhyâna), Tok., Koyu- . kwan, 1915 (ibid. 50) ; Ogiwara Unrai, Bon-Kan taiyaku Bukkhyô jiten (Dict. boud. sanscrit-chin.), Tok. Heigo Shuppan sha, 1915 (ibid. 51) ; Oda Tokunô, Bukkyo dai- jiten (grand Dict. lu B.), Tok,. Okura shote, 1917 (ibid. XVII, n^ 6, 20). Le premier de ces dict. est un instrument de travail précieux. Revues scientifiques jap. : Trans. of the As. Soc. ofJ., Tokyo; Reports of the assoc. Concordia, 1913... Tok. Œuvres som- maires, déjà anciennes: R. Fujishima, le Bouddhisme jap. Par., Maisonneuve 1889 et B. Nanjio, a short hist. of the 12 jap. bud. sects ; Tok. 1887 (se complètent) ; S. Sugiura, Hindu logic as preserved iîi China and Japan. Philad. 1900. Sectes d'Amida et de la Sukhâvatî : Haas, Amida B. unsere Zuflucht, Gott. 1910 ; Principal teachings of the true sect of Pure Land, Kyoto, Otan- niha Honguanji 1915.

Tantrisme bouddhique : VPEM. AHce Getty, the gods of Northern Bud. Oxf. 1914 ; Griinwedel, Mythol. des Bud. im Tibet u. der Mongolei, Leip. 1900, t. f. Goldschmidt, Par. et Leip. ; Buddhist. Kunst in Ind., 2^ éd. 1900.

(89) Jacobi, the dates of the philos, siîtras, JRAS, 1911 ; zur Frilhgesch.

d. ind. Phil., SAB 1911. St. Noter l'aveu inséré dans l'art, cité n. 80 : « the chronological argument which Jacobi and myself hâve drawn from the fact that Buddhist ideahsm is alluded to in the Nyâya Siîtras must te corrected, since ideaUstic views émerge in the run of Buddhist philosophy more than once».

NOTES 277

Dates d'Açoka, de Kaiiiska de Vasubandhu : n. 65, 67, 80. cf. excellentes discussions ehronolog. dans Ui (cité n. 23), Vaidya (n. 74), KLA, KM, KS.

(90) KM ; DG 367-405 ; GS 153 ; ERE, VIII, 648 ; MS et bhâsya,

éd., t. an. Jhâ SBH, X ; the aphorisms of the Mîm. phil., sansk. a. engl., Allah. 1851 (que 32 premiers siît.).

(91) Paranjpe, le vartika de Katyâyana, Thèse Par. 1922 ; Nirukta de

Yâska, éd. Roth, 1852 ; Panini : Bôhthngk, P's Grammatik 1887 ; Mîm. et loi juridique : KM, ch. VI.

(92) Max Muller ZDMG VI, 1852, 219 ; ERE, II, 199 ; DG 274-361 ;

St.; Suah cité n. prélim. et SI; Chatterji, Hindu Realism, Allah. 1912 ; Faddegon, Vaiç. System, Amsterdam 1918;

Ui, cité n. 23 ; KLA. VS : éd, tan. Gough, Béenarès 1873 ; Siiiha SBH, VI ; éd. t. al. Roer, ZDMG, XXI, 309 ; XXII, 383 (1687-8). Praçastap : Padartha-dharma-samg. éd. t. an. Jhâ, Bénarès. Dans le style des Pancarâtrins vaiçe- sika rr connaissance des objets des sens (Schrader cité n. 57, 24).

(93) Ui, 28-9, etc. ; Jacobi cité n. 84.

(94) 9 substances : terre, eau, feu (tejas), vent, âkâça, temps (kâla),

espace (diç), âtman, manas. 17 quaUtés (guna) : couleur (rûpa), goût, odeur, toucher, nombre (samkhyâ), extension (parimânam, mensurabilité), individuaUté (prthaktvam), conjonction (sam- yoga), disjonction, priorité, postériorité, connaissance (bud- dhayah), plaisir, douleur, désir, aversion, effort. 5 actions : monter, descendi-e, contraction, expansion, mouvement.

(95) Kâmasutra de Vâtsyâyana (iiie s.) cité dans Percy Brown, Ind. Pain-

ting, Oxf. 21-2 ; ce texte éd. et t. al. par R. Schmidt sous pseu- donyme de Wilhelm Friedi-ich, Leip. 1897 ; Surtout Laufer, Citralaksana, Leip. 1913.

(96) KS ; G S ; Garbe, Samkhya und Yoga, Gr, 1896 ; Dahlmann,

die S. Phil. nach dem M. Berl. 1902 ; O. Strauss, zur Gesch. des S., WZKM. XXVII Sastitantra : Schrader ZDMG 1914, 101, et cité n. 57, 109. Kârika : t. an. Davies, Lond. 1881 Sinha, SBH, 11. Un excellent connaisseur de la pensée yoga, Tuxen (Yoga, Copenh. 1911), a soutenu que le Yoga hJiâsya serait le plus ancien document systématique sur le Sâmkhya. Mais ce texte doit être postérieur à la Kârika, car les YS qu'il commente doivent eux-mêmes lui être postérieurs. Selon Woods précisé par Garbe, ce bhâsya ne saurait être antérieur au vii^ siècle.

(97) C'est le yogin signalé n. 45. Sur sa doctrine, Strauss, WZKM, XXVII,

257 ; KS, 22. Jacobi. Ursprung des Buddh. aus dem Sâmk.- Yoga, NGWG, 1896, 43... ; GGA 1897, 265...

(98) Jacobi, cité n. 97 ; Dahlmann ; DM.

278 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

(99) La tradition la plus répandue oppose au Y. théiste un S. athée (anîç-

vara) ; mais Vijnânabhiksu, par une illusion de perspective que lui suggèrent ses convictions, prétend que la doctrine était dès l'abord théiste {Vij'nânTimrtahha^ya).

(100) Caraka {Çarïra, I) : DG 918. On trouve de commodes él. et. t. de la

Kôrikâ dans Samkyatattvakaumudi, Garbe ABAW, XIX, 1892; et Takakusu BEFEO, IV (t. f.). Sur les patriarches : Hume, U (n. 18), 406 : ÇVatâç, V, 2 interprété d'ap. III, 4 et IV, 12 ; KS 39 ; GS 64-70. Auteur du Sastii. : Takakusu, 57 , Sast. : KS. 41, 59-64.

(101) Gunas. DG. E. Senart trouve lans cette théorie «un prolonge-

ment de la vieille image védique des trois mondes» (BG, Par., 1922, 33. t. f).

(102) Garbe, cité n. 96 ; n. 17. YS : éd., t. an. Woods HOS, XVII,

1914 ; Râma Prasad SBH, IV, 1912. Bh'isya : Woods ; n. 96 ; Jacobi cité n. 89, p. 29 ; GS. 44. Dasgupta, Y. philos, in relation to other ind. Systems of thottght; Study of Patanjali. Woods, JA, mai 1918 (connaissance).

(103) 8 angas (membres, sections) du Y. : yama, observances (ne

pas tuer, ni mentir, ni voler, ni forniquer, ni posséder). niyama observances moindres (pureté, contentement, ascèse, étude, dévotion au Seigneur [Içvarapranidhâna]. âsana, postures. 40 prânâyama, réglem. de la respiration. pratyâhâra, rétrac- tion des sens. dhâranâ, fixation de la pensée. dhj- âna, médi- tation. 8° samâdhi, concentration extatique.

(104) Nyâva : mêmes ouv. que n. 92. NS t. an., avec bhâsya et vârt., Jhâ,

Allah. 1915 (Keith, JRAS 1916, 613) ; t. an. Vidyâbhûsana SBH, VIII.

(105) KL A 23 conteste qu'il s'agisse ici des Yogâcâras, mais il ne propose

pas une date différente de la nôtre. Le vijnânavâda auquel il est fait allusion pourrait être celui d'Açvaghosa (I^rs. cf. n. 71). Sur Kâtyâyana, n. 91, ouv, cité 57-61.

(106) Ny. bhâsya, 3. Ânviksikî : Gautama Dharmasût. XI ; Manu VU,

43 ; Bâmâyana II, 100, 36 ; Dahlmann, 31. als Epos u. jRechs- buch, passim ; KLA, 12. Vâtsyâyana (ibid.) dit que le Ny. étend à l'examen de toutes choses la recherche, anvîksikî, que les U. formaient à la connais, de l'âtman. Anv. : investigation de la pensée laïque, en tant que distincte de la pensée religieuse. Nyâya : Ny. bhâs. I, 1, 1 et Bodas, Hist. survey of ind. logic, J. Bombay branch of RAS, XIX. Vâcaspatimiçra (Ny. vârt. tâtp. I, 1, 1, 1) oppose au fait de scruter un objet par la percep- tion ou étude de l'écriture (ânv.), l'opération qui le scrute par preuve logique (pramânairarthapariksanam). Transcript. chin.: Ui 55. Tarka : KU, II, 9 ; MU, VI, 18. Cf. Brahmajalasutta, takkï r= vimâmsîr^casuiste. Tarka ne figure pas comme anga

NOTES 279

dans les YS, mais dans Amrtabindu U, il remplace dhyâna : la pensée discursive prépare le monoidéisme ; c'est ainsi que les Mâdhyamikas utilisent le prasafiga pour préparer la notion de vacuité. De fait, le sens ultérieur de tarka est négatif : réfutation par l'absurde. Hetuçâstra : Manu, II, U ; art. cités n. 39.

(107) DV. BS : t. an. Thibaut SBE, XXXIV, XXXVIII. La clirono-

logie des plus anciens textes védantiques est malaisée à déter- miner. Que Bâdarâyana cite Jaimini (BS, III, 2, 40 ; IV, 1, 17), rien de plus naturel, puisqu'il préconise la Mim. seconde. Mais quand les MS (I, 1, 5, etc.) ont l'air de se référer aux BS, ils ne s'y réfèrent pas plus qu'un texte fameux de la BG (XIII, 4) : ils visent simplement la théorie du Brahman, dont personne ne nie l'antiquité. En outre des interpolations sont vraisemblables : les rédacteurs des BS ou les Védantins ultérieurs ont pu vou- loir marquer l'harmonie des deux Mîm. Les BS., situés par Jacobi entre les me et iv^ siècles, n'ont été fixés qu'après 350, puisqu'ils réfutent, au dire même de Çankara, le vijîîânavâda tel qu'il se rencontre dans Vasubandhu. Mais représentent-ils le premier texte du Védânta upanisadique 1 Max Valleser {dcis_ altère Vedânta, Heidel. 1910, 28) croit trouver dans la Gaudaqjadi ou Mândûkya Karikâ une forme primitive du Védânta, suite natu- relle de la Mând. U, et il date vers 500 la rédaction de cette kârikâ. Les svitras, postérieurs (jiinger), se placeraient entre 500 et 800, époque de Çankara. Nous ne voyons pas sur quel argument sérieux on se fonde pour intercaler Bâdarâyana entre la Gauda-padl et Çankara, rejetant au Vl^ siècle ou plus tard encore les BS. La tradition tient ces S pour le texte originaire du Védânta. Nous admettrons qu'ils se fixèrent dans la seconde moitié du iv^ ou au v^ siècle., et que la M and. K. dut être rédigée vers le début du viil^ siècle ; car son auteur Gaudapâda, fut, dit-on, le maître du maître (Govindanâtha) de Çankara (760-820J. L'influence, qui s'y manifeste, de la section prâsaiigika des Mâ- dhyamikas, prouve seulement que ce texte est postériem* aux protagonistes de cette secte : Buddhapâlita (v^), Candi-akîrti (fin vie). Par désir d'hypercritique Walleser place trop bas les BS, peut-être trop haut la Gaudapâda, et conteste sans preuves l'identité de son auteur avec le commentateur de la Sâmkhya Kârikâ.

(108) Faddegon, cité n. 92, 556-8. Thibaut y trouve une critique des

Vijnânavâdins, Jacobi une critique des Mâdhyamikas. St estime que les S. 28-31 concernent l'idéaUsme, et 32 les nihilistes.

(109) Jacobi, GGA, 1919, 3 et von Glasenapp, Hind. 314-5. Liste des

œuvres de Vâcasp. : Woods cité n. 102, XXI ; sa place chrono- log. :SI56-S.

(110) Jhâ, Prâbhâkara school of Pûrva Mïmâtnsâ, Allah., 1911 (Indian

Thought, 1910-11) (d'après la Brhatl) cf. Keith JRAS 1916.

280 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Mïm. Çhkavart. et Tantravârt. de Kumârila, t. an. BI par Jhâ. DG suit la trad. indigène en faisant de Kumârila le maître de Prabh. (369, 371). En sens inverse, KM et JRAS 1916, 370.

(111) Sphota. Jacobi, JAOS, 1911, 28 ; Garbe, S. u. Y. cité n. 96, 50 ;

KM 36 ; KS 61 ; Vijnânabhiksu, app. à Y ogasarasamg . ' (Bomb. Theos. Fund. 1894, 91-6 ; àpplic. à l'esthétique : Hari-

chand cité n. 156, p. 91.

(112) Nyayavârt., t. an. dans Jhâ cité n. 104. Cf JRAS 1914, 603 et 1091.

Daçapadârthi citée n. 23. Kusumanj. : t. an. Cowell, BI 1864 ; Chatterji cité n. 92, IX. Stcherbatsky attribue Çrîdhara à la fin du xe siècle, Udayana au Xii^ ou xiii^; nous adoptons les dates de KLA. Sur le rôle logique d'Udd., KLA, 104-112 ; St.

(113) Bhasya de Gaudapâda, t. an. Wilson, Lond. 1837 ; cf. GS, 85-8 ;_KS

69-70 : doutes sur l'identité de l'auteur et de celui de la MTwd- Kâr. ; Takakusu BEFEO, IV.

(114) Y. hhasya et Tattvavaiçâradi, t. àn.Woods, op. cit. n. 102 et R.Prasad,

ibid.

(115) Iland. Kâr. : n.l07. Bliàsya de Çankara : Thibaut SBE cité n. 107 ;

t. al. Deussen, Leip. 1887. Examen du syst. : DV ; résumé dans L. de la Vallée Poussin, Brahmanisme, Par., Bloud. 1910, 93-126. Buch, tke phil. oj Çankara, Baroda. Pancapadikâ,^ com. sur Cahk. : t. an. Venîs. Bénarès. Aiyar et Tattvabhusana, Sri . ^ankaracarya, his. life a. times. Çaiikaravijaya « le triomphe deÇ. ))(BI 1868), d'Ânandagiri, qui prétend relater les polémiques du maître contre 48 sectes, est un roman fantaisiste.

(116) Prabhu Dutt, M^ya, Lond. 1911. Sukhtankar (WZKM, XXII,

1908, 130), pour montrer que la mâyâ çankariemie est étrangère au védisme primitif, cite des extraits du Sutrakrtahga jaina, anté- rieur, semble-t-il, aux BS. Or le Védânta y apparaît simplement comme fondant tout être sur l'âtman. Le même auteur constate l'absence de l'idée de m. dans les U et en trouve l'origine dans la doctrine mâdhyamika. L'origine est bien védique (mâyâ de Mitra et de Varuna), mais l'emploi théologique n'apparaît que dans BG. Cf, OLU, OWB.

(117) Advaita. Cette forme du Védânta eut des précédents avant Çankara :

U ; Gandhahastimahabhâsya lu Jaina Samantabhadra, vers 600 (FR 216). GhV.

(118) Cf. n. 16. Bibhogr. : FR. 371 ; -- Suali, Matériaux pour servir à

Vhist. du matérial. ind., Muséon 1908, IX, 277 (t. f. du Saddar- çanasamg. [éd. Suali, BI] sur les mater.) ; Pizzagalii, Nâstika, Cârvâka e Lokaya.tika Pisa 1907 ; G. Tucci, Storia del mate- rialismo ind. sous presse en 1923 (d'ap. soiu-ces ind., tib., ch.). Jayanta {Nyayamanjarl vers 900) et Gunaratna {Tarkarahasya- (fipikâ) citent deux sûtras de Brhaspati. Dahhnann {Sarnkhya Phil. 190) soutient que Lokâyata signifia d'abord théoricien de

NOTES 281

la nature, et ne prit que tard, p. ex. chez Çafikara et Kumârila, le sens de matérialiste. Sur dimrta, Harting, Baudhayana- Grhyapariçista sûtra, Amersfoort XXI.

(119) Buhler, ilb. die ind. Sekte der Jainas, Wien 1887. La critique

européenne n'a de jainologues que Jacobi et un petit nombre de ses élèves, Guérinot (GBJ), SuaU, von Glasenapp. La pre- mière date historique du Jainisme est 82 ou 80 de notre ère, époque de la scission définitive entre Çvetâmbaras et Digam- baras. Rappelons que l'origine de cette séparation remonte au temps de Bhadi-abâhu : ce dernier, pendant une disette qui sévissait en Magadha, am-ait conduit une partie de la communauté en Kanara. Quand ces émigrés revim-ent ceux qui étaient restés avaient précisé leur foi au concile de Pâtahputra : les com- pagnons deBhadrabâhu (1357) n'y reconnurent pas leurs propres convictions : ce sont les ancêtres des Dig., qui ne se donneront des livres qu'à l'instigation de Puspadanta (121 ap. J.-C).

(120) Deux personnages portent le nom de Jinasena, l'un en 783, l'autre en

837 : FR 217. Bibliog. jaina ; outre GBJ, FR 399-405 ; W. II, 2.

(121) Haribhadi-a. W. II, 2, 353 ; Pullé GSAI, I, 47 ; VIII, 159 ;

IX, 1 ; XII, 225. Ses conim. : Leumann ZDMG, XL VI, 581. Saddarç. : Pullé, éd. t. f. dern. chap. SuaH, Muséon IX, 277. '—' DharmaUndu: t. it. SuaU GSAI, XXI, 1908 (Legge jainica). Samarâicchakoha ERE, VII, 467. Hemacandra: Biihler, iiher dm Leben des jaina Mouches K, Wien 1889 ; Jacobi VI, 591. Yogaçâstra : t. al. Windisch ZDMG, XXVIII. Yogaçâstravrtti, Belloni-Filippi GSAT, 1908-9. Praviânacinémani ERE, VI, 591. Pançistap. : Jacobi, Cale. 1891; t. al. des fables: Hertel, Ausgew. Erzdhl. aus H^s Paris.

(122) Âptam. : com. par Akalanka(^stopaiI).Samantabhacba et Ak. furent

combattus par Kumârila,* mais Vidyânanda, autre com. de rÂptam., et Prabhâcandra prirent la défense de Sam. (W. II, 2, 352). Distinguer ce Prabhâc. d'un Ç'vetâmbara du même nom, postérieur àHemacandra et auteur du Prahhavak acaritr a (W. II, 2, 332). Persécution des Jainas : OHI, 124.

(123) FR 219. Le TaUvârthasûra d'Amrtacandra suscita, au xv^ siècle,

une T. d'ipikâ par Sakalakirti.' Conception du monde chez les Jainas : Jaini (cité n. 23) 36 : table des karma, correspondant, avec des modifications, à la classif . hînayâniste des variétés de dharma, 119-125 cosmologie. Kirfel (cité n. 84). Athéisme : Jacobi ERE II, 186.

(124) Sunavala, Vijaya Dharma Suri, Camb. 1922.

(125) Prameyaratnakoça, éd. Suah, Cale. 1913... Devasûri : Vidhya-

bhûsana (cité n. 86) 142 ; SI, 76.

282 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

(126) n. G3 et VPEM. Connexion de l'Hindouisme avec le Brah-

manisme : Harting cité n. 118.

(127) Pûjâ : Harting, ib. XVI et Avalon cité n. 128 passim. Mantra,

ib. Devatâs : Çiva, Visnu, Siïrya (soleil), ganeça, Devî (grande Déesse) : quintuple adoration, pancopâsanâ. 5 principes (tattva): le vin, la viande, la présentation du grain avec un geste de la main, l'union sexuelle (madya, mâmsa, matsya, mudrâ, mai- thuna) : correspondent à cinq rites.

(128) Tantras. Ce sont les âgamas (livres fondamentaux) des çâktas (ado-

ratem-s de l'absolu sous forme de sa çakti). Hopkins, Bel. of J. 489-94. Surtout les nombreuses publ. d'A. Avalon : Serpent poiver, 1919 ; Shakti and Shâkta, 1920 ; éditions : 8 vol. de Tantrik Texts 1913...; t. an. Principles of Tantra, 1914-6; Mahanirvâna /, 1913 ; Ânandalaharï 1917 ; Mahimnastava 1917; Hymns to the Goddess 1913 (tous : Lond., Luzac). En outre, sous le nom véritable de l'auteur, dont Avalon n'est qu"un pseudonyme : sir John Woodrofïe : the world as power, Reality ; Power as life, 2 vol. Madras, Ganesh 1922. Les Princ. of T. et le T. of the great Liberation (Mahânirv.) four- nissent une riche documentation. Littér. çâkta : FR 388 ; çSkta bouddhique VPEM et FR 398.

(129) Pr. of T. (n. 128) II, CXLVII-IX.

(130) Serpent power (n» 128). P. Masson-Oursel, Physiol. mystique, J. de

Psychol. 15 av. 1922 ou RHR.

(131) BG. cf. Senart cité n. 101 et P. Masson-Oursel cité n. 17. Aussi

Garbe BG Leip. 1905 (t. al.) et ERE II 535 ; Deussen, der Gesang

des Heiligen, Leip, 1911 et DM (t. al.) ; Telang SBE, t. an.^ Sur

une t. grecque de la BG, par Demetrios Galanos, début Xl^ siècle :

Actes 16e cong. or., Athènes 1912, 95. J âcoh, C 07icordance to

the principal U. and BG., Bomb. 1891. Mahânarayana U =

DU 241. Aussi purânas (n. 60).

BibUog. très riche : FR 373-83.

Gûvindâcârya JRAS, 1911, 935. lyengar Outl. of Ind. Phil,

Bénarès 1909.

Schrader (n. 57) attribue 14 samhitâs de Pâîïcarâtrins aux

9 premiers s. de notre ère. FR 183.

(132) Çaiva. Lakuh'ças : FR 146. Bibhog. çivaïte 193, .383-7. Analyse des

doctrines : Schomerus, Çaiva -Siddhanta, Leip. 1912 ; BVS.

(133) Lihgâyats : FR 259-64 ; BVS 131-140.

(134) Il y a heu de mentionner l'analyse que donne du Sâmkhya al Berunî

en 1030 (GS 91-4). Frm' d'Anuruddha, t. an.' Garbe BI 1892 ; t. an. Siùha SBH, XI ; VijnSnabh. : KS 101-2 ; GS 101-4 ; S. pravac. bhas, t. al. Garbe AKM 1889.

NOTES 283

(135) FR 367 et KM. jSarvadarçanasamjraha de Mâdliava (13S0) eh. XII,

t. an. Cowell. Arthasamg. éd., t. an. Thibaut. Bénarès 1882. Mïm. nyâyaprak., t. an. Jhâ, Bénarès.

(136) SI ; KLA ; Chalo-avarti, sur école de Nuddea JASB sept. 1915.

Bibliog. FR 370 ; Tarkalcaumudï des Laugâksi Bhâskara, t. al. Hultzsch ZDMG, LXI.

(137) Bibl. FR 369. Y. Sârasamg.; t. an. Jhâ, Bomb. 1894. Markus,

Y. Phil. nach dem Eâjamârtanda 1886. Hathay. jyrndiy., t. an. Svâtmârâma, Bomb. Theos. Publ. 1893. Selon Shrinivâs lyân- gâr, préfacier, Râja Y. = Sâmkhya, Hatha3^ = Yoga (VII) ; le premier aurait poui" fondateur Visnu, le second Çiva ; t. al. Svâtmârâma et H. Walter, 1893. Gheranda sam., t. an. Sri Chandra Vasu, ib. 1895. Goraksanâthîs :" FR 253, 348, 384.

(138) Âlvârs FR 188. Védânta sectaire BVS ; GhV. Râmânuja : Thibaut,

t. an. SBE, XXXIV; Sukhtankar WZKM, XXII (1908) 121, 287. Keith ERE, X, 572. Biog. tamoule par Jiya, t. an. Govin- dâcârya, Mad. 1906. Çrïbhâs. : t. an. Thibaut ib,; Rangâcârya, Mad. 1889. Gïtâbhâs. : t. an. Govindâcârj'a, Mad. 1898. La tradition qui fait naître R. en 1016 ou 1017 a le tort de le faire vivre 120 ans.

Sukhtankar (127) et Faddegon (Oostersch Genootschap in Nederland, 21 av. 1922) approuvent Thibaut d'avoir tenu le com. de R. sm* les BSpom- plus fidèle au Védânta primitif que celui de Çankara. Aussi R. Otto, Siddhanta des R., Jena, 1917 ; Visnu-Nârayana, ib. 1917.

(139) Nimbârka. GhV ; Otto, V-N ; BVS, 63. Otto, Dl^ika des

Kivasa, Tiibing. 1916.

(140) Prapatti. GhV, X XVI ; Otto V-N 99, 109-112, 125 ; DN 62 ;

Grierson ERE, II, 539.

(141) Otto V-N 122 ; Frazer ERE, V, 24 ; BVS 56.

(142) Madhva. Padmanabhachar, Life a. TeacA. o/. M., Coimbatore 1909;

lyar Çrl M., Madras ; BVS 57 ; Grierson ERE, VIII, 232 ; GhV, XXXVII... Sutrahhâsya, t. an. Rau, Mad. 1904. FR 375. Vallabha. BVS 76; Groose, Mathurâ, Allah. 1883, 287, 295; GhV XXXIX... FR 377..

Secte de Visnusvâmï (XIIP s.), dévot de Râdliâ, comm. de BG et des BS ': FR 234, 375 ; BVS, 77.

(143) Jvxineçvarï, sur BG, 1290: monisme imprégné de Yoga, sous l'infl.

de Goraksanâtha. Mac Nicol, Psalms of Marâtha Saints, Oxf. Nâmadeva : hymnes ou abhangs, t. an. BVS 90,; Mac Nicol ; Macaulifife, SikJi relig. VI, 40.

Tukârâm : Abhangs, t. an. Fraser et Marathe, Madras 1909. BVS 94 ; Mac Nicol.

284 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

(144) Caitanya. BVS 82. FR 376. Pillai Lokâcârya : t. an. Govindâcârya

JRAS 1910, 565. Tattvatraya, t. an. Pârthasârathi Yogi ; du même, t. an. Çrïvacanabh/ûsana. Râmânanda : JRAS, Jan. 1920; Grierson, modem Vernacular Ut. of Hindustan, Cale. 1889, 7 ; ERE, X, 569; t. an. Maeauliffe VI, 105 ; Agastya suûksna samvada, Schrader, Intr. Pane. 6. Adhyatma Eâmâyana, t, an. SBH 1913. Tulsi; Dis : JRAS 1903, 447 ; SBE XXXIV, p. CXXVII ; Carpenter, Theol. of T. D., Mad. 1918 ; BVS 75 ; i?â- macaritmânas, Grierson JRAS 1912-4 ; Groose, Eûmûymia of T. D., Cownpore 1887, 1891, Allah. 1897. FR 381.

(145) Sur toutes ces sectes plus religieuses que philosophiques, Barnett,

Grierson, bibl. de FR; exposé de BVS. Ouvrage sur le théisme : Carpenter, Theism in médiéval Ind., Lond. 1921.

(146) Parmi les derniers traités, non sectaires, de Védânta, citons le Ved.

Sâra de Sadânanda (t. an. Jacob, Manual of Hindu pantheism, Lond. 1891 ; éd. et t. al. Deussen AGP, I, III, 615) et le ViJTm- nûmrta de Vijîîânabhiksu, Védantin théiste. DG signale avec pénétration les éléments d'une logique originale, opposée à celle du réalisme naiyâyika, dans le Védânta, que 1" illusionnisme çankarien inclinait à des vues relativistes analogues à celles du Mahâyâna. Il vise ainsi la dialectique de Çrîharsa (2® moit. Xii^ siècle) et de son commentateur, Citsukha. Sans aucun doute, dans une doctrine seul l'absolu existe, toutes distinc- tions s'effacent ou se confondent : alors, dit Hegel, u toutes vaches sont grises ». Cf. Proceed. of the Aristot. Soc. XXII, 1922, 139 ; DG 462-5. Sur Çrîharsa et son Khandana Khanda khadya, Keith JRAS 1916, 377 : t. an. Jhâ,' Allah. 1913; une tîkâ sur ce texte, par Çankara Miçra 1472 (KLA, 35), Citsukha est auteur d'une Tattvadïpikâ.

(147) Conquête islamique : OHI. Aiyangar, South. Ind. a. lier Muham.

invaders, Oxf. 1921. Arnold, the freaching of Islam, 2^ éd. Lond. 1913.

(148) T. Bloch, ZDMG, LXXII, 654. Sufisme: Nicholson, hist. enquiry

concern. the orig. a. devel. of Suf. JRAS 1906, 303 ; Goldziher, t. f . Arin, Le dogme et la loi de l Islam, Par., Geuthner 1920 ; T. J. de Boer, Gesch. d. Phil. im Islam, Stuttg. 1901. M. Iqbal, De- velop. of metaphysics in Persia ; R. A. NichoLson, Studies in islamic Mysticism ; aS'^ . in is. poetry, Gamb. 1921 ; the mystics of Isl. Lond. 1914. Arnold, Survivais of Hinduism concerning the Muhammadans of /., 3^ Cong. HR, I, 314.

(149) Akbar règne de 1556 à 1605. Garbe, A., Tiibing. 1908; V. A. Smith,

A., Oxf. 1917.

(150) Kabir. Westcott, K. ; BVS, 70 ; ERE, VII 632 ; E. Under-

hill et R. Tagore, one hundred poems of K., Lond. 1913 ; t. f . Mirabaud-Thorens, Paris 1922.

NOTES

285

(151) NSnak.Field, the relig.of the Sikhs, Lond. 1914; J. D. Cunmngham,

a hist. of the Sikhs, new a. revised éd. Garrett, Oxf. 1918 ; Malcolm, Sketch of the Sikhs; Macaulifie, the Sikh rel. (t. an. des hymnes de N.) Oxf. 1909. Le recueil d'hymnes est le Granth (Sahib), le « Livre noble » ou Adi g. « Livre fondamental ».

(152) MacaulifEe I, 317.

(153) Christianisme. R. Seydel, das Evang. vonJesu in seiner Verhalt zu

Buddhasage, Leip. 1882 ; die B. Légende u. das Leben Jesu, 1884 ; Barth, Bull. 1885 {œuv. l, 391). E. Kuhn, Barlaam und Joa- saph ABAW 1893; T>. Nutt, Barlaam and Josa'phat, english lives of the B., Lond. 1896 et Barth IV, 237 ; - Goldziher (n 148) 132. S. Thomas : OHI, 126 ; Grierson, Modem Hinduism and the Nestorians JRAS, ap. 1907; the East and the West, ap. 1906 ; Garbe, /. u. das Christentum, Tiib. 1914, 128-58. Rapports entre le Chr. et l'I. : Garbe, ib. ; Bertholet, Biiddh. u. Chr., Tûb. 1909 ; Reden u. Aufsàtze, Leip. 1913.

Rapports entre le Judaïsme et l'I. : Barth, III, 29 (Jehovah et Agni). La Tribune Juive du 17 sept. 1920 mentionne la présence à Korkine de Juifs devenus noirs, étabhs dans le pays mille ans av. J.-C, et de Juifs blancs émigrés en 68 de notre ère. On comptait en 1911, dans l'I. continentale contre 220 millions d'Hindous, 66 de Musulmans et 9 1/2 de primitifs, 3. 600.000 chrétiens et 19.000 Israélites. (154) R. Tagore, le génie du Japon (Bul. de la Soc. « Autour du monde.., déc. 1921, 9-24). [Tag. y parle librement, s'exprimant sur l'Eu- rope devant des Orientaux.] cf. der GeistJapans, Leip., Neue Geist, 1918. Sur la pensée de Tag. : Radhakrishnan, the phil. of r' T Lond. 1918 ; Jevons, sir R. T. poet and philosopher, Proc. Aristot. Soc. 1918-19, 30; Engelhardt, R. T. als Mensch, Dichter u. Denker, Berl. 1922 ; Vaillat, R. T., Par. 1922.

Mouvements religieux de l'I. contemporaine, Brahma SamSj Ârya S. Dev S., Clemen, die nichtchristl. Kulturreligionen, in ihrem gegenwart. Zustand 2er Teil. Leip. Teubner 1921, 1-34 ; Sivanath Sastri, Hist. of the Brahmo Samaj. Cale. 1911-2 ; L^ipat Rai, the Arya Samaj., Lond. 1915. Une associa- tion de Bénarès., Sri Bharat Dharma Mahamandal, cherche a réconciher toutes les rehgions en un hindouisme rationaliste {the worlds's eternal religion, Lucknow, 1920).

(155) Bibhog. sommaire de la Science indienne.

Aperçu d'ensemble : B. Kumar Sarkar, Hindu achievements m indian science. [PartiaUté signalée par Karpinski, Hindu Science, Amer. Math. Monthly, XXVI, 298, 1919]. - Seal, the positive science of the ancient Hindus, Lond., Longmans, 1915.

Mathématiques. Bibl. jusqu'à 1911 : JASB VII, 10. Deux remarquables art. de G. R. Kaye : Ind. Math: Isis, 6, 19K)

286 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE IXDIEXXE

326-56 ; Infl. grecque dans le développement des math. hind. Scientia, Jan. 1919. Cet auteur distingue trois périodes : celle des Çulvasûtras brahmaniques (ll^ s. av. J.-C), qui régissent la pensée math, jusque vers 200 ap. J.-C. Ce sont des textes religieux opérant non des démonstrations, mais la cons- truction de carrés, de rectangles pour les besoins du culte. Thi- baut JASB XLIV, Cale. 1875 ; jBaudhâyana Ç. s., éd., t. an. Thibaut, Pandit IX ; Âpastamha Ç. s., éd. t. al. Biirk ZDMG, LV, LVI. période astronomique, 400-000. Une solution de continuité entre la 1'® et la incline Tauteur à voir dans la une influence grecque, car l'action exercée sur les math. hind. par l'astronomie gi\ est certaine. L'œuvre capitale est le sid- dhânta Paullça, éd. par Varâha Mihira, vers 550 ; loriginal, de Paul l'Alexandrin, date d'environ 380 ; mais il y eut quatre autres siddhântas ou sj^stèmes : le Româka (romain), le Vâsistiha, le Saura, le Paitâmaha. Le Pauliça fournit une table de sinus et deux règles trigométriques ; l'infl. de Ptolémée s'y manifeste.

Ici se place l'œuvre d" Aryabhata, en 476 : il donne une valeur très exacte de x et une règle pom- la solution des équations indéterminées simples. Ce dernier sujet est amplement traité par Brahmagupta, c^ui n'a pas pris son point de départ dans Arj^abhata, mais dans l'astronomie grecque, période math, hindoue, 600-1200. BrahmagujDta (né 598), Mahâvïra ' (ix^ siècle 0, Çridliara (né 991) nous acheminent à Bhâskara (né 1114). Le Gnnitasâra, traité de calcul {Tricatihi) de Çrîdhara j^araît utiUsé par Bhâskara dans sa Lilâvati (cf. Râmânujâchârya et Kaye, Bibl. Math. XIII, n^ 3, 29 JuU 1913, Leip., 203). Dans son V'ijaganita le même auteur systé- matise l'algèbre de Brahmagujjta. Sur les notations numé- riques, lettres, chiffres : Kaye ib. {Ind. Mat.) 342-5. Du même: the Bakhshâli manuscript, JASB, VIII, 9, 1912, 349.

Astronomie. Ibid. ; Kaye, ancient hindu spherical aatr.^

JASB, XV, 1919, 153-89 [Aryabhafiya, 498; PaTicasiddhanfika , 550, Brâhmasphutasiddhânta, 628 ; Sûrya Siddhânta. 1000 ; the astronomical observatories of JaiSingh. Une soudure s'étabht entre les spéculations astronomiques et les cultes solaii-es appa- rentés au védisme ; l'influence même de l'astr. grecque parvenait à ri. à travers le milieu iranien qui accordait à ces cultes une

grande importance. Kirfel, cité n. 84. Kern, Aryabhatïya, 1874, et Barth, Œuv. III, 146.

Physique. Rudiments chez les matériahstes et les diverses écoles d'atomisme : Jainas, Bouddhistes du Petit Véhicule, Vaiçesikas. Mais sur ce point les Hindous modernes se sont fait souvent illusion, jDaraissant croire que ces doctrines coïncidaient avec les hj-pothèses de la science em-opéenne. Ainsi le paramânu des Vaiçesikas est plutôt l'extrême petitesse qui tend au point

NOTES 287

géométrique, qu'un corpuscule insécable ; l'âkâça est une force plutôt qu'un éther se propageraient des vibrations ; diç et kâla sont aussi des forces qui situent dans la simultanéité ou dans la succession, non des cadres vides, comme notre espace et notre temps mathématiques. La physique indienne demeure quali- tative, même quand elle paraît mécaniste. Cf. Chatterjea (n. 92); guide beaucoup moins sûr : Kishori Lai Sirkar, Intr. to the hindu syst. of physics, beig an expos, of Kanâdsiïtras (^ VS), Cale. 191 L Consulter Hindu Mechanics, H. acoustics, app. (349-65) par Seal à The positive Background of hindu socioloyy, Book I, de B. K. Sarkar SBH, XVI, 1914.

Chimie. Cette science a été souvent cultivée pour des fins alchimiques. Praphulla Chandra Ray, Hist. of Hindii Chemistry, 2 vol., 2^ éd. Cale. 1903 [ouv. capital, auquel s'intéressa M. Ber- thelot : J. des Savants, av. 1898, 227]. Mise au point sommaire par le même: Isis, II 6, 1919, 322.

Biologie, médecine. De Seal et Sarkar (op. cit.): Botanique et zoologie de l'I. ancienne. Sur l'hist. de la botanique en Asie Centrale, ouv. de valeur : B. Laufer, Sino-Iranica (Field Muséum of Nat. Hist. 201, anthrop. Ser. XV, no 3, Chicago 1919). Ouv. jaina du XI^ siècle : Jivaviyara deÇântisûri, Guérinot, t. f. JA, 1902, 231. Mme Liacre de St-Firmin, Médec. et légendes bouddhiques, Par. 1916. J. JoUy, Medizin (Gr. III, 10 capital); zur Quellenkunde d. ind. Med. (Vâgbhata) ZDMG, LIV, 260 ; P. Cordier, traités médicaux sanscrits antérieurs au Xllie siècle- ; et Muséon 1903 ; Udoy Chand Dutt, Materia medica of theHindus;—'KRas, ilb. d. Urspr. d. ind. Med. (Suçruta), ZDMG, XXX, 642 ; Roth, Caraka ZDMG, XXVI, 441 et Liétard, Bul. Ac. Méd. Par., 5 mai 1896, 11 mai 1897 ; Bhisa- gratna, t. an. de Suçruta, Cale. 1907- 1916 ; Mukhopadhyaj^a, the surgical instruments ot the Hindus, Cale. Un. r.)i3-4 ; VaUauri, la Méd. ind., Scientia XVIII, 308, 1915 ; un testo mediaevale ind. di med. (Siddhayoga, par Vrinda-Madhava), Riv. di St. critica s. se. med. e natur. VII, 6-10, 1916; i fon- damenti generali délia med. ind., Archivio di st. délia se, II, 70, Roma 1921.

Sociologie. B. K. Sarkar, Pos. Back. ; Book II, 1921 ; Property, law, social order, Int. J. of Ethics, XXX, n^ 3; th. de la constitution, résumée par P. Masson-Oursel, R. Synth. Hist. XXXI, V, 1920 ; surtout Political institutions a. théories of the Hindus, Leip., Markert, 1922. Radhakumud Mookerji, Local goverment in ancient /., 2^ éd., Oxf. 1920 ; a hist. of ind. shipping and inaritime activity, Lond., Longmans, 1912 ; Fundamental unity of I., ibid. 1914 (ouv. remarquables). Narendra Nath Law ; Studies in ancient hindu polity, ib. 1914 (sur VArthaçàsira de Kautilya, et la diplomatie,

288 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

un travail de Nag, 1923 thèse Paris.) Problèmes contem- porains : W. Paton, Social ideals in L, Lond. 1920 ; Tyler Den- nett, the démocratie movemeiit in Asia, N. Y. 1921 ; Lajpat Rai, Young India ; the political future of I., N. Y. 1921. (156) Cette esthétique dans une large mesure inspiratrice des œuvres classiques, des peintures d'Ajantâ comme des drames de Kâh- dâsa, vise à susciter des états d'esprit (bhâva) ou sentiments autres que les émotions naturelles, produits par le sortilège de l'art (nirmânaksama, Harichand cité infra, 66) chez un esprit assez cultivé, assez raffiné pour les former en soi, ou encore capable de goût, rasa. L'art est donc une opération artificielle, suggérant des états factices, susceptibles d'être appréciés moyen- nant une culture savante. Cette esthétique n'est pas moins sco- lastique que la pensée philosophique ou religieuse. Elle ne prend pas pour modèle la nature ; ses règles sont relativement à priori. prescrites à l'œuvre artistique comme les préceptes moraux ou religieux sont imposés à l'action humaine, à la façon de canons ayant par autorité ou tradition force de loi. Ainsi la plas- tique a ses formes conventionnelles, délibérément distinctes des formes naturelles: tel type humain comporte telles mensura- tions, tel autre des mesures différentes. Le kâvya, la poésie, a de même ses conditions nécessaires. Les traités d'esthétique pres- crivent les types que doit reproduire l'iconographie, tout comme les Çulva sûtras légifèrent siu- la façon de construire des qua- drilatères : une même réglementation religieuse, cultuelle et rituelle, règne nous autres Européens, cherchons de la science ou de l'art. Les ouvrages les plus caractéristiques, en ce qui concerne la plastique, sont : B. Laufer, das Citralaksana, Leip. 1913 (t. al. du tibét. : mensurations exigibles pour diffé- rents types humains : proportions relatives des parties du corps en tant que recréé par l'artiste pour des fins rehgieuses ouv. d'inspiration jaina) ; Rao T. A. Gopinâtha, Talamana or Ico- no'metry, Mem. arch. sur Ind. 3, Cale. 1920 ; Eléments of hindu iconography, 2 vol.. Madras, Law Printing house, 1914-6 (extraits des Çilpaçâstras sur ces textes brahmaniques : Keith, t. an. de l'Aitareya et du Kausîtaki Br., HOS, XXV, 32 ; 279-82 ; 542 ; Havell, Aryan Rule in I. 127). Ces ouvrages montrent l'ori- gine rituahste de l'esthétique. Du même ordre, mais exposés populaires : A. Tagore, Art et anatomie hindous ; VAlpona, décorations rituelles; S. Gupta, les mains dans les fresques d'Ajanta,, Par. Bossard, 1921. - Consulter W. Cohn, 'Ind. Plastlk, Berl., Cassirer 1921 ; Prasanna Kumar Acharya, a treatise on archi- tecture and kindred suhjects (Manasâra, ouv. antér. au V siècle), Leiden, 1918 ; Hawell, a handbook of ind. art, Lond. ]\Iurray 1920 ; Coomaraswamy, Visvakarma, Lond., Luzac 1914 (sculpture) ; the arts a. crafts of I. and Ceylon, Lond. 1913 ; La danse de Çiva, t. f. M. Rolland, Par., Rieder 1922.

NOTES 289

Ouvrages analogues sur la technique littéraire : Regnaud, Rhétorique sanscrite. Par. 1884 ; Sylvain Lévi, le Théâtre ind.', Par. 1890 ; Daçarupa (de Dlianamanjaya), t. an. Haas, Co- lurabia Un. [technique dramatique]; Jacobi, Ânandavar- dhana's Dhvanyâloka, ZDMG, LVI, 394 ; Viçvanâtha Kavirâja, Shaitya-darpana, the mirror of composition, t. an Ballantyue et Mitra, Cale, 1875; Max Lindenau, Beitr. zur altind. Rasalehre, mitbesond. Berucksicht. des Natyaçastra des Bharata Muni, Diss. Leip., 1913 ; Appayadiksita's Kuvalayanandakarikâs, ein ind. Kompendium der Eedefyuren, t. al. R. Schmidt, Berl. 1907 ; du m&mQ Beitr. z. ind. Erotik, Leip. 1902, et n. 95 ; Hari Chand, Kalid^sa et Fart poétique de l'Inde, alankara çâstra. Thèse Paris 1917 [sur Kàl., A. Hillebrandt, K., Breslau 1921]. Une influence grecque sur le théâtre indien est certaine ( Windisch , Abh^5 orient: Kongi-. 1881 ; S. Lévi, op. cit.) ; l'auteur du Na- tyaçastra a peut-être connu la règle aristotélicienne de l'unité de temps, de lieu et d'action (Lindenau, V). L'influence exercée par les modèles grecs sur la plastique du Gandhâra est un fait (n. 79). Mais ces emprunts, qu'il faut rapprocher de l'emprunt des doctrines astronomiques, restent hmités, et il y aurait autant d'inconvénients à exagérer leur portée que nous avons trouvé de danger à interpréter la logique indienne comme un reflet de celle d'Aristote.

Musique : J. Grosset, Contrib. à l'ét. de la mus. ind., Par. 1888 ; Barth IV, 64 ; Popîey, Music of /., Cale. 1921.

19

INDEX

I. Français

absolu 43, 53, 93-4, 109, 118, 126-8, 139, 178, 182, 187-8, 210, 229, 233, 234, 237, 245,

248, 257

V. kevala, kaivalyam ; brah- man ; âtman ^ nirvana ; tathatâ ; sâdhana

acte, action 59-62, 66.

voir karmau

adoration 230, 244, 251

agnosticisme 91, 95-6,^ 119, 128.

âme 142, 198, 215, 217, 245

V. âtman, jîva, manas, buddhi, ahamkâra; esprit.

animaux 148 art 256-7, 288-9

ascétisme 48-9, 69, 70, 84, 90, 141, 185, 189 197, 224, 243. V. tapas athéisme 45-8, 65, 177 atome. V. anu, paramânu

atomisme 74, 122, 145, 167-8, 175, 185, 192, 196, 206, 212, 237

bouddhisme 65-9, 79-99, 111, 119-

57, 172, 186, 189, 195-7, 208, 211, 220, 233, 245.

brahmanes 27, 41-3, 63-4, 67, 112.

brahmanisme 26, 29, 30-1, 39, 51- 64, 67, 97, 101-1, 109-10, 112-7, 119, 155, 189, 195, 199, 211,

228-57

Canon jaina 71

- bouddhique 81-4, 136.

castes 41, 44, 65, 67, 79, 100-1, 110, 112, 115-7, 163, 224, 229

catégories 169-70, 184, 194, 212 causante 134, 195, 205, 212 chinois (lang.) 82 (canon), çivaïsme 183, 221, 229.... christianisme 96, 253-5 concilesjainas 71.

hoaddhifiues 82-3, 120, 123, 131

condition.

V. nidâna, pratyaya, pratîtya-

samut[iâda. confucéisme 46 connaissance 168, 239 connexion logique 153-4, 172,207,

216 conscience 239.

corps. V. çarira, kâya. cosmogonie 183- cosmologie 55, 89, 185 création 184,

292

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

damnts 148.

délivrance 7, 61, 67, 77, 88, 90,

93, 166, 237, 256-7.

V.moksa, jîvanmukta, nirvana démiurge 196, 206 démons 31, 34 démonstration 172, 207 destin 71, 165, 212 dévotion 109 -U, 133, 232, 238,

244-8 251 dieux, divinités 17, 20, 28, 32,

34-5, 37, 42, 61, 90, 100-9, 116,

148, 165, 206, 210, 224, 230-1,

244-7, 251

V. deva, devatâ docétisme 125, 136 douleur

V. pessimisme ; duhkha. 85,

88, 191 dualisme

V. pluralisme. 76, 178, 182,

237-8, 245-6

éléments 28, 59 215 empirisme 152-3, 171-2 épicurisme 42. épopées.

V. Mahâbhârata, Râmâyana 25, 100-5, 112, 173 eschatologie 61 espace. V. diç, âkaçâ. 167 esprit

V. purusa, manas^ âme. 47-8 esthétique 171, 256-7, 288-9, 280 être, non-être 36, 133-4, 196-7,

205 étymologie 42 évolution 184, 238 exégèse.

V. Mîmârnsâ. 25, 46 extase 181, 189

famille 20, 79-80, 114, 117

V. gotra. femmes 79, 102, 224, 230-1

folklore 19, 98.

fructification (phala, fruit de l'acte).

V. maturation

gnose 142, 219, 231 grâce 233, 247-8 grammaire 42

hérésies 67, 97, 156, 199 hindouisme 117, 155, 228-57 histoire 5, 11, 256

de la philos, ind. 5-13 ; passim

idéalisme 77, 139, 141, 142, 145,

151-3, 172, 185, 194, 216 idée 155 (concepts généraux); 186

(vijnapsî); illumination

V. bodhi immanence 53-4, 166, 197, 248,

257 inférence 153-4, 172, 185, 193,

217 irréligion 45-8, 215

jainisme 65-79, 82-4, 96, 111, 126, 145, 165, 168, 173, 175, 186, 189, 19.3, 214, 218-27, 238

juridique (littér.) 115

langues 16, 18

linguistique 10

liturgie 42-3, 45

logique 150-5,. 194, 206 (boud- dhique) ; 151, 172, 193, 203, 206, 242 (brahmanique) ; 151, 193, 224-7 O'aina).

loi.

V. dharma. 65, 125, 145, 154.

lotus 136-7 (pundarîka), 183 (sym- bole), 234 (cakra).

INDEX

293

mages 20, 28

magie 28, 34, 229

mal, 37-8, 75, 116

matérialisme 47-8, 65-6, 178, 214-8

maturation. V. Vipâka. 73

métaphysique 33, 53, 59, 77, HC),

91-2, 96, 120, 128, 139, 173,

178, 185, 193, 195, 238 monastique (vie) 78, 90, 111, 119,

239 monisme 34-5, 211, 237-8, 244-6 monothéisme 111 morale 59, 62, 66, 89, 90, 120.

V. çila mort 60-3, 86. V. Marana, punar-

mrtju. morts 20, 31 moyenne (vie). V. madhyamâ,

Mâdhyamika. musulmanes (invasions) 221, 250-1. mythes 29, 36, 43, 80

nature. V. pradhâna, prakrti. 182,

188 nécessité 71. V. destin néoplatonisme 252, 274

Optimisme 37, 88-9- orthodoxie 67, 156, 160-1

pâli (lang., canon) 67, 82- panthéiâme 34, 36, 54, 248-9, 253 péché 38, 61 perception. V. pratyaksa pères. V. pitaras. persécutions 156, 221 pessimisme 3, 59, 60, 6Q, 85, 88-9 phénoménisme 92-3, 121-3, 14.5,

196 physiologie 56, 233-4 physique 168-9,175, 181, 185,211 pluralisme 34, 179, 237, 244-6 politiques (théories) 99 positivisme 173, 19.3, 242, 256 pragmatisme 257. priori (à) 153, 171-2, 208 psychologie 55, 93, 181-2, 192,

211, 217

races 18.

raison 58, 95, 153-4

rationalisme 95, 242

réalisme 77, 121-3, 144-5, 152-3,

194, 196, 202, 207, 210, 214,

227, 238 relativité 47, 91, 93, 109, 126-7,

133-5, 175, 194-5 religion 7 aryenne 20; dravi-

dienne 17, 102; védique 22-.34,

46-59; brahmanique 49, 59, 61;

jaina 65 ; boudhique 65, 126 ;

'hindouiste 101-12, 213, 228-57 rémunération 61 rêve 62, 196 rites 30, 34-5, 40, 43-4, 102, 108,

114,116, 195, 197, 199, 229-30 roue. V. cakra. 36, 99 royauté 20, 99, 114, 120

Sacrifice 26, 36, 114, 116, 230 salut. V. délivrance, 76, 88, 97 sanscrit 11, 6.3, 67, 82 science 255-6, 285-8 scolastique 23, 39, 46, 199, 200 sectes boudhiques 82, 119-22, 148, 157.

jainas 72

hindouistes 109, 117,

228-31, 234-5 serpent 233-4. société (organisation de la) 115

V. Sectes, castes, sommeil 62 sophisœes 190, 193 sophistique 45-7, 65-6, 95, 151,

224 souffles vitaux 50 substance 93, 177; substantialisme.

V. dravya; âtman, anâtmatâ. siïfisme 251-2 suicide 71, 75, 222 syllogisme 154 symboles 116, 195, 230 synthèse 154, 207

294

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

tantrisnie lôll, 228-34, 237, 257. taoïsme 46, 155, 189. temps 134, 167. V. Kâla. théisme 117, 187, 206, 223, 240-1,

243, 246-9, 253, 278, 284. tibétain 82. transcendance 53-4, 138, 182,

193, 197, 248, 257, 274. transmigration 60-2, 66-7, 85,

87-8, 102, 166, 217, 256.

Vaches 29,

vacuité. V. çûnya.

védisme 22-38, 59, 63-4.

vie 49, 50, 60-1, 75, 125, 197.

visnuisme 177, 183, 229...

volonté 57, 62.

vœux 70, 90, 133.

II. Sanscrit

(OCCASIONNELLEMENT, PALI ET CHINOIS)

(les MOTS A MAJUSCULE SONT DES NOMS d' OUVRAGES)

Abhangs 283. abhâva 202, 205. abhibuddhi 239. abhidharma 83, 120, 131. Abhidharmakoça 144, 146, 148,

157. Abhidhammatthasamgaha 143. Abhidharmavibhâsâ 123. Abhiniskramana 144. Abhisamayâlamkâra 137. âcankâ 225. Acârânga 221. âdhâra 233. adhvarvu 27. âdibuddha 156, 223. Adhvâtma Ràmâyana 249. adrsta 165, 168, 19(3, 206. advaita 211, 238, 244-5. Agama 236, 238, 282. Agamaprâmânya 244. Agastya Sutiksnasamvâda 249. ahamkira 58, 180-1, 185, 208,

235.

ahirnsS 70, 78, 90, 147. Ahirbudhnyasamhitâ 177, 235-6. âjnâ 233.

âkica 59, 62, 74, 76, 146, 168, 178, 181, 204, 215, 287.

âkhyâna 25, 112. Akutobhayâ 134. âlambana 186, 196. Alambanapariksâ 152. alamkâra 132

âlaya-vijîiâna 132-3, 137, 139. anahata 233. ananta 74. anâsrava 140. anâtmatâ 93. ânavamala 237. .

Anekânta jaya patakâ 220, 225-6. Anguttara nikâya 125. animitta 131. antaryâmin 245. a nu 74.

anumâna 154, 171, 185, 193-4, 206, 216.

INDEX

295

ànvïksiki 193, 215, 278. âpas 28. apavarga 191. apranihita 131. âptavâkyam 185, 192. apûrva 165. Aranyaka 51-2. arhat 124. ardhamagadhi 67. arta 22. artha 62, 170. Arthaçâstra 215, 287 Arthapancaka 248. arthâpatti 202. Arthasamgraha 241. arthavâda 40. âsana 231, 243. asmitâ 185. âsrava 76. astika. V. nâstika. asura 35.

Atharvaçikha 236. Atharvaçii-as 236. Atharvaveda 23, 27, 33, 40, 114. itman 53-4, 93, 141, 169, 174, 182, 192, 196, 210, 217, 223,

244, 265. Atthakathâ 143. Avatamsaka 136, 157.

avatâra 107-8, 119, 233, 237,

245, 252. avayava 191. Avesta 20-1.

avidyâ 87, 89, 132, 198, 211, 245 avyaktam 174, 180, 185 âyatana 85, 146. âyus 60, 73.

badara 74.

bala 236.

Bâlabhârata 219

bandha 38, 73.

BhagavadgitS 98, 110-3, 116, 128,

136, 176-7, 187, 230, 232, 235,

243, 245. Bhâgavatapurâna 235.

Bhaktamâlâ 249

bhakti 109, 236, 238, 246-7.

BhSmati 201, 210.

Bhâskarabliâsya 245.

bhisya 196, 199, 208-10.

Bhâbtadipikâ, 241.

bhava 86.

bhâva 174.

bhedâbheda 245-6.

bhoktar 231.

bhûmi 128, 137, 147, 234.

bhûtâtman 174.

bija 94, 188.

bodhi 80, 87, 126, 139-40, 150.

Bodhicaryâvatâra, 149, 232.

bodhisattva 127, 136-7, 139, 148,

179. Bodliisattva-yogâcâra-catuhçataka.

V. catuhçataka. brahmacârin 117. brahmacarya 45, 70. brahman 33-4, 43, 53-4, 62, 94, 98, 105, 108, 116, 117, 165, 182,

196-7, 211, 236, 239, 245, 248. Brâhmanas 40, 4.3, 53, 61, 63, 97,

108, 114, 189. brahmanirvâna 177. Brahmasûtras 162, 195, 238, 244, brahmavidyâ 45. brahuî 16.

Brhadâranyaka Up. 52, 62. Buddhacarita 80, 131, 175. buddhi 58, 62, 174, 180-1, 183,

192, 208. buddbyapeksâ 170, 172.

Caîtanya 248. cakra\36, 99, 233-4. Catuhçataka 135, 149. cetanâ 76, 178. chala 191.

Chândogya Up. 52, 61-2, 174. Che-king 25.

citta 147, 150, 185-6, 188. çabda 171, 192, 197, 204, 206, 216.

296

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Çaivabhâsya 238.

çakti 202, 205, 231, 233-6.

çarira 74, 198.

çâstradipika 241.

Castras (3) 157.

çila 126.

Çivajnânabodl'a 23*.

Çivârkamanidipikâ 238.

Çivasamhitâ 243.

Çivasûtras 238.

Clokavàrtika 202-3.

çraddhâ_ 108

Crauta sut ra s 115

çrâvaka 126, 128.

çruti 22, 40, 116.

çûdra 41.

Culvasûtras 115.

Çûnva 131, 134-6, 148-9, 155, 190,

197. CS'etâcvatara Up. 55, 174, 176, ' 236,' 240.

Daçapadârthi 204.

Daçavaikalikanirvukti 224.

dâna 126.

darcana 7.3, 77, 158...

deva 21, 174.

devatâ 230.

devayâna 61.

Dhammapada 84.

Dhammasanganî 148.

dharma 35-6 (dharman), 42, 44, 47, 57, 59, 74, 76 85, 92, 99, 110, 115, 125, 127, 130, 136, 139-42, 145-7, 151, 164-5, 179, 214, 217, 256.

Dharmabindu 220.

Dharmadharmatâvibhanga 137,

dharmadhâtu 127, 139.

dharmakâya 129, 135.

Dharmalaksana 157.

Dharmaparîksâ 224

Dharmasamgraha 148.

dhâtu 140," 146, 148.

Dhâtukâvapâda 131.

dhûrta 217.

dhyâna 128, 140, 148, 157, 185,

275, dhyânibuddha, dhvânibodhisattva

156. diç, 75, 204, 287. diksâ 115. dosa 191.

dravya 74, 167-8, 170. Dravyasamgraha 223. drstànta 1*91, 225. duhkha 86, 191. dvaitâdvaita 246. dvija 41.

Ekottarâgaiiia 144.

Gandhahastimaliâbhâ.sya 222

Gandhavyûha 136.

gati 148.

Gheranda samhitâ 243.

Gîtâ.

V. Bhagavadg. Gitâbhâsya 245. Gùârthasamgraha 244. gotra 20, 41 73. grhastha 117. Grhyasûtras 114

guna 167, 170, 174, 179-81, 235, guru 44, 231.

haoma 20.

Harivamca 243.

Hathayoga 243.

hetu 91, 153-,4 193, 203, 225, 279.

Hetucakrahamaru 152.

hetvâbhâsa 191.

hinayâna 123, 128-9 142-9.

hotar 20, 27. ,

ïça 109, 231

ïçvara 106, 108-9, 231, 235-6,

241, 278 indriya 57, 181, 185, 215 istadevatâ 230

INDEX

297

Jaiminîyanyâyaraâlâvàstara 241 janma 191 jarâ 86

Jâtakas 84, 118, 148 jâti, 41, 86, 116, 167, 170,191,202 ihâna v. dhyâna lina 68, 78, 97 jiva 75-6, 198, 212, 239 jîvanmukta 94

jnina 33, 62, 73, 111, 165, 176, 188, 197, 235, 246

Kâdambarî 219 kaivalyam v. kevala 236 kila 287

Kalyânamandirastotra 220 kâma 36, 48, 62, 85, 148 kiriki 173, 177, 185, 208 karman 33, 59, 61, 67, 73- 7^ 111,

127, 132, 165, 170, 176, 246,

256, 266 Karmasiddhiprakarana 141 karmayoni 239 kartar 179 karunâ 133 Katha Up. 174 Kathânaka 219 kâya 74, 133, 168. V. trikSya KiranSvalî 204, 206 kevaia 70, 77, 94, 183, 187-8, 239 kleça 147 koça 198, 237 kriyavâdin, ak. 67, 69, 121 ksana, ksanika 122 ksânti 128"

ksatriya 41, 65, 100, 105, 110 ksetra, k. jna 178, 231 kuçala (mûla) 132, 146-7 kundalinî 233 kusumanjali 205 - 6 kûtastha 236

laingikam 172 laksana 127, 130, 151 Laksanâvalî 204 Lalitavistara 80, 136 Lanka vatâra 133, 136

H15 237, 253

liùga 153-4, 172, 230, 239 loka 48, 138 Lokatattvanirnaya 220 lokottara 274

Mâdhyaiuakâvatâra 149 Mâdhyamakâlainkârakârikâ 149 madhyamâ pratipad 91, 129 Mâdhyamaka sûtra ou castra 134 Madhyântavibhanga 137 MahSbhirata 47, 100, 103-4, 113,

115, 133, 175, 177, 183, 187,

193, 215, 219, 228, 232, 235 Mabâbodhivamsa 121 Mahat 58, 180 Mahâvagga 130 Mahâvïracaritra 221 mahàyâna 119-57, 183, 211, 219 M. sutrâlamkâra 137 maithuna 231 Maitrâyani-Samhitâ 115 maitri 133 Maitri Up. 174 Majjhima Nikâya 138 mala 237 manas 36, 57, 76, 146- 7, 167, 169,

174, 178, 192, 235 Mânava-dharmaçâstra 115 Mândûkya Up. et kâr. 209 Maniprabhâ 243 manipura 233 mano-vijnâna 132 mantra 40, 157, 231 marana 86 mirga 99, 111, 128 miyi 35, 80, 128, 147, 176-7, 198,

210, 236-7, 240, 245, 247-8,

280 Meghadûta 219

Milinda-praçna ( = liaîïha) 215 Mîmâmsâ (système) 161-9, 171,

173,* 175, 186, 191, 193-5, 198,

201-4, 206, 220, 239, 241, 246 Mimâmsâkaustubha 241 Mimâmsânukramani 204

298

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Mimâmsâ Nyâyaprakâça 241

Mîmâmsâ sûtras 161

mithvâjnâna 191

muha 7o

raoksa 77, 256

mudrâ 231

mûlaprakrti 180

naigamana v. nigamanam

Nâlâyira Prabandliaiii 244

nâma 73

rûpa 87

nâstika 48, 91

naya 226

Nâyakaratna 241

nidina 86, 88, 91-2, 174, 191

nigamanam 193, 225

nigrahasthâna 191

Nîlarudra 236

nirjarâ 77

nirmâna; n, kâya 128, 177, 198,

237' nirnaya 191 nirodha 77, 88, 92 nirukta 167, 191 nirvSna 71, 94-5, 98, 120, 122,

127, 133, 135, 141, 175, 177,

182, 223, 233, 252, 270 niyama 180 Niyamasâra 222 niyantr 246 niyati 70 - 1 NyâySvatSra 220, 225 Kyâya (Système) 172, 190-4, 204-8,

220, 234, 241-3 Nyâyabindu 152 Nyâyakandali 204 Nyâyakanikâ 204 Kyâyamanjari 205, 242 Nyâyapraveça 152 Kyâyasûeinibandha 207 Kyâya sûtras 151, 162, 190-1, 218 Kyâyavârtika 152, 205; tâtparya-

tiivâ 153, 201, 205

paçu 107 (Paçupa); 107, 109, 236-7 padârtha 170, 194, 202, 205

Paiimacariya 219

Paneapâdikâ 210

Paîicaskandhaprakarana 141

Pancastikâya 222

parainânu 74, 145, 168, 185, 286

paramârthasatya 149

Paramatthadipanî 143

Paramâtmaprakâça 223

para mita 126

Pârçvâbhyudaya 219

Pariçistaparvan 221

parimâna 212

parinirvâna v. nirvana 125

Pavayanasâra 222

Petavatthu 143

piçâca 31

pitaka 82, 123

pitaras 31, 61

pradeça 74-5

pradliâna 174

prajîîi 126, 130-1, 138, 143 (pâli

panîîa), 188 Prajîîâpâramitâ 130 - 2, 134, 136,

161, 197_ Prajnâpradipa 149 Prajrïaptipâdaçâstra 144 prakâça 180 prakarana 160 prakrti 174, 178-83, 205, 209, 232,

235, 240, 245 pramSna 47, 170, 185, 191-3, 197,

202, 206, 212, 216, 242 Pramânaçâstrapraveça 152 Pram ânanay atattvâlokâl amkâra

226 Pramânasamuccaya 152 prameya 191

Prameyakamalamârtanda 222 PramevaratDakoça 225 prâna 50, 56, 76, 189, 212 prânâyâma 50, 189, 243 prapatti 246 praBafiga 149-51 pratibandha 153 pratijîîi 193, 203, 224-5 pratisedha 225

INDEX

299

pratityasamutpâda. 86-9, 99, 120,

181, 191, 195 pratyaksa 47, 167, 171, 185 -G,

203, 206-7, 216 pratyaya 91

pratyekabuddha 84, 126 pavrtti 180, 191 prayojana 191 prêta 31 pudgala 75-6, 93, 121-2 (pudgala-

vadins, 217 pûjâ 2;-0 punarmrtyu 60 PurSna' 113-4, 136, 173, 177, 183,

235 purusa 33-4, 36, 105, 174, 178-83,

192, 232, 236, 239 Purusârthasiddhyupâya 223 pûrvapaksa 167

râja 20, 99 Râjamârtanda 243 rajas 180 Râjayoga 243 Râmacarita 219, 221 Rcâmiyana 100, 103, 113, 219 ratna 85

Rgvéda 23-33, 36, 39, 42, 45, 106- ' 7, 114, 174 rju o7

rodhacakti 237 rsi 24^ 37, 41 rta 22 35-6 rûpa'"92, 138, _146, 148 V. nâmarupa

Saddarcanasamuccaya 215 sid'hana 153, 232-4, 247, 257 Saddharinapundarïka 136, 157 sâdhya 37, 153-4 sâhacarya 153, 172, 207 sahasrâra 234 sâksâtkâra 247

samâdhi 138, 143, 188, 243, 275 sâmânya 170, 203, 205 Samarâiccakahâ 220

samavâya 170

samavâyikaranam 205

Sâmavéda 23, 40

sambhogakâya 127

samçaya 167, 191

samgati 71, 167

samgha 85

samhitâ 24, 81, 114. 178, 235.

samjnâ 92, 130, 146

samkalpa 57

samkhyâ 181

Sâmkhya (système) 55, 99, 159,

173-85, 187, 200, 205, 208-9,

214-5, 217, 220, 234-5, 239-40,

245 Sâmkhyapravacanabhâsya 180. 218,

240

Sâmkhya sûtras 159, 218, 239 Sâmkhyatattvakaamudî 201, 208, samsara 60-2, 87-8, 92-3, 122, 124-5 i35, 141, 217, 233, 256, 265

samskâra 44, 58-9, 87, 146 samskrta 146-7

V. sanscrit, samtâna 121 samvara 77, 246 samyoga 170 samiyâsin 118 Saptadaçabhûmi 137 Saptapadârthanirûpaiia 241 Saptapadârthi 190 sârûpya 202-3 Sarvadarçanasanigraha 215 Sastitantra 177 sat 36-7

satkâryavâda 205 satkâvadrsti 92

1/ ...

satyam 36, 85 (satyâni), 126, 149,

211 (double vérité) Satyasiddhi 123, 148 Saundarânandakâvya 131 siddhânta 191 Siddhitraya 244 skambha 43

skandha 74, 86, 92, 122, 146, 217 srarti 22, 115

300

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

6oma 20, 25, 27, 30

sparça 86

sphota 204

ethûla 74, 185, 198

biKj'iksita 217

sukha 138

Sukhâvatî 133, 136 (S. samâd-

hirâja), 157 sûksmk 74, 180, 185, 198 sûtra 83, 114-15, 134, 144-5, 158,

195, 199 Sûtrakrtanj^a 215, 221 Sûtrâlanikâra 132 Sûtropadeça 123 Sutta-Nipâta 84

Suvarnaprabhâsa-sûtra 125, 136 svabhâva 65, 70, 134, 151, 153 svabhâvika 245 svâdhisthâna 233 svalaksana 151 svarga 61 svatantra 149-51 svâdvâda 222, 226 Syâdvâdamanjari 221, 226

tadâtmya 153

tamas 36, 180

tanmâtra 180-1, 185

Tantraratna 241

tapas 52, 70, 77.

tarka 191, 193, 278

Tarkabhâsâ 242

Tarkakaumudi 242

Tarkimrta 242

Tarkasaragraha 242

tat 197

tathSgata 80, 92, 97, 124, 142

t. garbha 127, 132

tathati 132-3, 137, 140, 182, 197

tattva 180, 183, 201.

Tattvacintâmani 242.

Tattvadidhiti 242.

Tattva dîpanibandha 247.

Tattvârthâdhiganiasûtra 72, 218-9,

222-3. Tattvârthasâra 223.

Tattvasamâsa 239. Tattvavaicâradi 209. tejas 56, &2, 236. Theragâthâ, Therig. 143 tirthamkara 68, 97, 124, 233. Tricastica lâkâpurusa carita 22 1 . trikava' 126-8, 133, 142, 148,

237 Trilokasâra 223. Trimçakakârikâprakarana 141, trimûrti 117 Tripitaka 144. trsnâ 86.

Ucchista 43.

udâharanam 193, 203.

udgatar 27.

upâdâna 86.

upidhi 59,132, 198, 239, 245, 275.

upamina 191, 194, J16.

Upamitibhavaprapancakathâ 221.

upanaya 193.

Upanisad 40, 51-62, 67, 98, 162, 174," 189, 195-6, 209, 213, 231, 234-6, 238, 243, 247, 253, 265.

upâsana 230-1.

Upayakauçalyahrdayaçâstra 1 52.

upekkhâ (se. upeksâ) 138

uttarapaksa 167.

Uttaratantra 137.

Vâc 34.

vâda 191. _

Vaicesikasutras 151, 161, 172. (sVstème) 168-73, 175, 178, 186, 190-2, 196, 202-3, 204-8, 214 220, 234, 241-3.

vaiçya 41.

Vajracchedikâ L30.

Vajrasûci 131.

Vaipulya Sûtra s 136.

vanaprastha 117.

varna 41.

vastutâ 202.

vâta 53.

Vâyupurâna 236.

INDEX

301

Véda 20, 22-48, 65, 163, 165, 171, 194, 204, 211, 240.

vedanâ 73, 86, 92, 146.

Védinta (système) 22, 25, 132, 162-3, 173, 177, 183, 195-8, 202, 205, 208-13, 217, 237-9, 240, 243-50.

Vedântasamgraha 245.

Vedântasâra 245.

vedi 27.

vibhakti 225.

vibhava 245.

vibhu 169.

vicâra 138; 147.

viçesa 170.

viçistâdvaita 244.

vicuddha 233.

vidhi 40, 165, 208.

Vidhirâsayana 241.

Vidhiviveka 204.

vidvâ 33.

vijnâna 87, 92, 122, 132-3, 139, 141

(V. vEda), 146-7, 150, 161, 194, 208 vijnaptimâtra 139, 186. vikalpa 171, 202. vikâra 180. vikrti 180. Vimânavatthu 143. Vimcakakârikâprakarana 141. Vina^a 83-4, 143-4. Vinayavibhâsâ 123. vipâka 73, 77, 133, 144, 188. vipaksa 225. vîrya 76, 136, 236. visaya 167. Visuddhimagga 143. vitakka 138 (se. vitarka), 147.

vitânda 191.

Vitarâgastuti 221.

vivarta 212.

vrata 246.

vrtti 164, 188, 195, 199, 209.

vyâkarana 140, 167.

Vyâkhyâyukti 141.

vyakta*^ 180, 185.

vyakti, 209.

vyâpaka 154 (et vyâpya).

vyâpti 154.

vyavahârasatya 149.

vyavasâya 183.

vyûha 245.

Yacastilaka 219.

Ya.furvéda 23, 27, 33, 40.

yâna.

V. devayâna, maliâyâna, liî- nayâna.

yantra 231.

Yoga (système), yogin 48-52, 56, 62,78, 93, 95, 99, 117, 137-8, 141, 159, 176, 183, 184-9, 193, 204, 208-9, 215, 223, 223, 231- 3, 243, 251.

Yogabindu 220.

Yogaçâstra 221.

Yogaçikha 234.

Yogadrstisamuccaya 220.

Yogasârasamgraha, 243.

Yogasûtras 162, 184, 186-7, 243.

Yogatattva Upanisad 243.

yoni 230, 239.

yukta 49, 169, 232.

Zaotar 2.

III. Noms propres

(géographie, histoire, mythologie)

Abhayadeva 221. Açoka 83, 120, 156, 161. Acvaghosa 80, 131-3, 136-9, 143, 'l48, 177, 187.

Açvins 29. Aditi 31, 38.

Âdityas 31, 115.

Afghanistan 13.

302

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Agni 30, 32.

Ahura Mazda 21, 20.

Ajâtaçatrii 68.

Ajita Keça-kambalî 215.

Aiîvikas 71, 73. Àkbar 252. Alexandre 16. Alexandrie 141. AllSh 252.

Alvârs 244. Amaracandra 219. Amitagati 280. Amrtacandra 223.

Ananda 83.

Anandagiri 280.

Anandatirtha 247. Aniruddha 235, 239, 245. Anna m Bhatta 242. Anurâdhapura 143. Anuruddha 143.

Apastamba 114.

Apollon 143.

Appaya Diksita 238, 241.

Arabes 16.

Arâda 17o

Aristote 139, 142, 151, 154, 169,

_ 182, 200, 276, 289.

Aryadeva 135, 190.

Âryas 16-22, 41.

Asahga 124, 136-41, 148, 152, 161, 186, 189, 190.

Asuri 177.

Atharvans 20, 28.

Avalon (sir John WoodrofFe) 282.

Averroès 200.

Babr 253.

Bactriane 20.

Bâdarâyana 162, 195-8, 245.

Baladera 221.

Bâna 219.

Barlaam 2.54.

Barth 1.3, 96, 262.

Baudhâvana 114.

Belloni-Filippi 261.

Béloutchistan 16. Bengale 130, 242. Berkelev 142. Bhadrabâhu 72, 224. Bhâgavatas 109-10, 183. Bhandarkar 259. Bharadvâja 114. Bhiratas 104, 112. Bhâskara 244-5. Bhâvaviveka 149. Bhavya 149. Bhoja 243. Birmanie 155. Bodh-Gayâ 80.

Bouddha (le) 68, 70, 79-81, 84-5,

87, 95-7, 124-5, 136, 156 Brahmâ 117, 156 Brhaspati 215 Buddhadâsa 150 Buddhadeva 144 Buddhaghosa 143 BuddhapSlita 149 Burnouf 135

Cachemire 83, 124, 131, 144, 150,

155, 236, 238 Caitanva 242, 248 Cakravartin Calukya 222 Candragomin 150 Candragupta 71 Candrakû-ti 149 Candraprabha 225 Caraka 178 Cârvâkas 47-8, 65-6, 83, 159,

17.3, 194, 214-8, 220 Cetaka 68

Ceylan 8.3, 124, 143, 155 Chine 46 (sophistes), 124, 155.

157, 189, 255 Colebrooke 96 Confucius 96 Conjiveram 244 Cournot 6

Çabara 161, 16.3, 202 Ça i va s v. Çivaïsme

INDEX

303

Çakas v. Scythes

ÇSktas 229-30, 232-3

Çikya 79

Çâkyamuni (le) 79, 80, 136

Cankara := Çiva 107

Çankara 209 - 13, 237, 244 - 5, 247,

249-50, 280 Çândilya 52 Çântideva 149 Çântiraksita 149 Çilanka 221

Civa 105-7, 117, 230, 236-7 Çivâditya 190, 241 Çobhana 221 Confuciua 250 Crenika 68

Çridhara 204, 206, 241, 280 Crikantha 238 Çrirangam 244, 248 Çrïyogîndra 223 Çubhacandra 223 Çuddhodana 80 Cvetaketu 52 Çvetimbaras 72, 76, 78, 218 - 21

Dahlmann 176, 280 ' Das Gupta 259, 261, 278 Dasvus 30 Deçika 241 Dekkan 15, 17, 143 Démocrite 75

Deussen 13, 173, 176, 195, 209, 259 Devabhadra 224 Devarddhiganin 72 Devasûri 225 Dhanapâla 221 Dhanavila 220 Dharmaguptas 144 Dharmakirti 150-3, 200, 205-7, 222 Dharmapâla 150 Dharmatrâta 144 Dharmottara 152 Dhruvasena 72

Digambaras 72, 76, 219, 222-4 Digniga 150-3, 172, 191, 194, 200, 206-7

Dravidiens 16-7, 102-3, 229, 231 Durgi 105, 230 Dyaus 28

Europe 254-7

Faxldegon 277, 279, 283 Fa-hien 143

Farquhar 259 . . . (notam. 262) Foucher (A.) 275

GandhSra 124, 137, 148, 156, 289

Gangeça 242

Gange 15, 63, 67, 81

Garbe 173, 176, 184, 259, 262

Gaudapcâda 200, 208-10, 279-80

Gauranga 248

Gautama 79, 96

Ghate 259

Ghosaka 144

Glasenapp (Helmuth von) 281

Gondopliarès 254

Go sala 71

Gotama 162, 190^ 194, 207

Gotama (Indrabliuti) 96

Grèce; grecque (influence). 46-7 (sophistes), 96 (agnostic), 153-5 (logique), 286 (science), 289 (art).

Grierson 254-284

Grousset 261

Guenon 261

Guérinot 259, 281

Gujerat 219, 221, 236

Gunamati 150

Gunaratna 222

Gundeshapur 140

Guptas 220

Harasa 234

Hai-a 107

Hari 107, 248

Haribhadra 79, 215, 220-1, 223,

225 Harivarnian 148, 190 Hemacandra 219, 221 Héraklès 30, 108

304

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Kiranvaffarbha 177 Hiranvakecin 114 Hiuen-tsang 131 Hume 93, 142

ïçvarakrsna 162, 173, 175, 236 Inde (géographie) 15 Indo-Européen (langage) 18 (race?) Indra 29, 30, 32, 35, 45, 156 Indus 15, 18 Iran 18, 63

Lslâm 16, 96, 250-3 V. mu- sulmanes (invasions)

Jacobi 155, 161, 175-6, 276-7,

280-1, 289 Jagadîça 242 Jaimini 163 Jâlandhara 123 Japon 124, 155, 157, 255 Jayanta 205, 242 Jésus 253 Jinakirti 222 Jinasena 219, 281 Jîiâneçvara 248 Josaphat 254

Kabir 252

K51a 106

Kili 105, 230

Kâlidâsa 219

KanSda 161, 168, 172, 190, 204

Kanara 102, 223, 248, 247, 281

Kaniska 122-3, 131, 144, 156,

161, 178 Kant 55, 57, 153, 169, 207 Kapila 177 Kapilavastu 79, 125 Kâtyâyana 164, 191 Kâtyâyaniputra 144 Kautilva 215, 287 Kaye 286 Keçava Miçra 242 Keith 260 .. . Khandadeva 241 Kouei-ki 152

Krsna 101, 103-5, 107, 110-1, 115, 128, 176-7, 198, 235, 246, 249, 253

Kuçinagara 80

Kumâralabdha 144

Kumârila 201-5, 241

Kumudracandra 224

Kundakunda 222-3

Kusanas 16

Lassen 96

Laugâksî Bhâskara 241 - 2

Leibnitz 248

Lévi (S.) 268, 273-5, 289

Lingâyats 238

Lokâyatas 47 - 8, 215

Midhava 215, 220, 239, 241

Madhva 247

Mâdhyamikas 129 - 35, 149 - 51,

194, 202, 210, 250 Magadha m, 71, 143, 156 ]\]ahâmaudgalyâyana 144 Mahâsamghikas 83, 120-1, 144,

148 Mahivn-a (le) 68-71, 76, 96-7 Mahmud de Ghazni 251 Maitreya 137 Mallavadin 220 Mallisena 222, 226 IMandana Miçra 204 Mânikka Vâcakar 238 Maîïjuçrî 136 Manu 115, 236 Marathes 222 Maruts 29 Masson-Oursel 255, 260 - 1, 265,

271, 273, 275, 276, 282, 287 MathurS 71, 246 Maticandra 205 Mauryas 71 , Merutunga 219 Meykanda De va 238 Mineure (Asie) 22 Mitra 20, 29, 31, 99, 198 Mongoh 16 Muhammed 96, 252 Mvsore 222

INDEX

305

Nâbhâji 249

Naciketas 52

îs^igSrjuna 134-5, 152, 194, 200,

210 Nâlandâ 150 JSâinadeva 248 îsânak 253

Nârâyana 106, 245, 254 Nâthamuni 244 Navadvipa (Nuddea) 242 Nemicandra 223- Isé^al 79, 124, 136, 155. Nestoriens 254. Nichiren 157. îsimbârka 246. îs^irgranthas 69, 70, 73, 75-6.

Oklenberg 176, 260... Oltramare 361, 274. Orient, Occident 9, 13, 23. Otto, 283.

Pâçupatas 107, 183.

Padmapâda 210.

Pahkivas = Parthes 16, 46.

Paîîcaçikha 177.

PSncaritra 107, 177, 183, 235-6.

Pandkarpur 248.

Pândavas 104.

Para 245.

Paramcârtha 173, 208.

Pirçva 69, 78, 220.

Pârçva (bouddhiste) 123, 131.

Parjanya 28.

Pârthasârathi Miçra 241.

Parvati 105.

Pâtalîputra (Patna) 70-1, 83, 219.

Patanjali (Yoga) 162,^ 184, 243.

(gramm.) 167. Penjab 18, 251. Perse 19, 140, 251. Pillai Lokâcârya 248. Piyadasi.

V, Açoka. Pizzagalli 280. Platon 11, 155.

20

Plotin 55.

PrabhScandra 221-2, 281.

Prabhâkara 201-3.

Pracastapâda 161, 168-72, 199,

2Ô4. Pradyunma 235. Prajâpati 31, 43. Prâsangikas 149-51. Prthivî 28. Pûrna 131. Pusân 29.

Qorâa 251-3.

Ridhi 246, 249, 272. Raghunâtha. Râhulabhadra 134-5. Râjagrha 68, 83. Raksas 31.

RSma 101, 249, 252, 272. Râmânanda 249, 252. Râmânanda Sarasvatï 243. Rimânuja 239, 244-6, 248. Rapson 259, 261 Ravigupta 150. Rudra 29, 106, 236-7.

Sadânanda 240. Sakalakirti 223. Samantabhadra 222, 280. Samghadâsa 150. Samkarsana 235, 245. Sammitîyas 121-2. Saivâstivâdins 83, 121, 131, 137,

144, 146, 195, 214. Sautrintikas 121-2, 144-5, 148. Savitar 29. Schleiermacher 246.^ Schopenhauer 13, 55. Sehrader 272, 282, 284. Scythes.

V. Çakas, Turuskas, 16, 46,

122. Seal 287.

Senart 267, 271, 273, 278, 282 Shinshu 157.

306

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE INDIENNE

Siddharsi 221

Siddhirtha 08, 79, 125

Siddhasena Divâkara 220, 225

Sikhs 253

Socrate 96, 154-5

Somadeva 219

Soung 250

Speyer 262

Spinoza 11, 55

Stcherbatsky 151, 154, IGl, 260,

262, 276, 280 Sthaviras 83, 120-1, 148 Sthiramati 150 Sthûlabhadra 72 Stuart Mill (J.) 153, 192 Suali 242, 260-2, 277, 280 Sukhtankar 280, 283 Sûrya 29, 230 Susiane 140 Svâtantrikas 149-51 Svayambhû 156 Syrie 140

Tagore (R.) 249, 255 Taittirîyas 114 Takakusu 208 Târanâtha 135 Tendai 157 Theras = Sthaviras Thomas (apôtre) 254 Tibet 124, 135 Tirthika 215 Trichinopoli 244 Tucci 280 TukSrâm 248 Tulsi Dâs 249 Turcs 16. Turuskas 122 Tuxen 277

Udayana 205, 280 Uddyotakara 153, 205-7, 280 Umâpati 238 Umâsvâti 72, 218, 223 Upâli 83 Usas 29

Vâcaspatimicra 200, 204-5, 207-9,

210, 220.' Vaibhâsikas 121-2, 145 Vaiçâli" 68, 83 Vaidya 274 Vaikhânasa 114 Vaisnavas V. Visnuisme Vajrapâni 156 Valabhi 72, 219 Vallabha 247-8

Vallée-Poussin (L. de la) 261 .. . Vardhamâna 70-1 Vàrsaganya 178 Varuna 21, 29, 31-2, 35, 38, 99,

198 Vasubandhu 126, 141 - 2, 144, 152,

161, 173, 186, 190, 200 Vâsudeva 104, 221, 235, 245, 254 Vâsudeva Sarvabhauma 242 Vasugupta 238 Vasumitra 144 VStsyâyana 194, 199, 206 Venkatanâtlia 241 Vibhajjavâdins 121, 144 Viçvakarman 31, 34 Viçvambbara Miçra 248 Vicve Devâh 34 Videha 68, 71 _ Vijavadharmasûri 223 Vi'jîîanabhiksu 239-40, 243 Vimalasiîri 219 Vindliyavâsa 173 Visnu 29, 80, 105-7, 117,179, 230. Visnudvisa 221 Visnusvâmin 247 Vitliobâ 248 Vitthal 248 Vivasvant 29 Vrtra 29, 35 Vrthrahan 20 Vyâsa 184, 209 '

Walloser 274, 279 Weber 9(5 Wilson 96

Woods 184, 277

8, 280

INDEX

307

Yâdava Prakâca 244-5 Yajnavalkya 52 Yama 20, 21, 38 Yâmuna 244, 248 Yang-chou 48 Yima 20

Yogâccâras 133, 135-42, 146, 151-3,

162, 184, 186, 208, 234, 243 Yue-tchi 16, 46, 131

Zeus 30

Zoroastre 21, 29, 78

308

a

et

1

rt

1

V

b>

a

ki

>^

>

<u

a

s

3

'2

"«3

3

_CJ

3

s

o

B

1^'

t/J

CJ

3

es

(M

3

, ?

A

rt

<a

ICÏ

o

'3

S

O

"es ni

O

O)

4-^

CQ

'.^

CS

l/j

a>

i

oo

1

co

1

c o

CJ

O

o

CQ

g

^

o

co co

O

^

ÎO

-^

CO

O

o

o o w

s

«a

les

o c

••-1

ea

SI,

e8

02

'2

a

1

>*

a>

?3

3

rt

«S

?5

1^

P

^

co

x:

rt

o

2

C3_

> es

3 -3

^

I— 1

•o

3

3

•3

O M

1— H

v9

^

e

o

1-H

O CQ

1

O

O

1—1

â

C Irt >>

o-

^-

C

O

o

o

o

S

«O

->**

<->

'O'

»o

(M

CM

!M

1

a u a>

CQ

î<8

-ï: «j ta

^ "^ *

s s ■=>

o o o

lO o co

I I I

o o o

So o

Cl i-t

ce

a

Ci

.6" "^ ""' "03

s '/3

«3

C3

es

a

3

-3 C

O

-3

> C

a o

a.

X es W >-

C- O

.-I o

|C0

es ■S

-3

"C*

>~1

S

fe

-r

en

3

-*

co

0

3

eu

0>

<u

<^J

fl)

(D

0

co

-3

-^

rt

0

<J

-t-

<j

OJ

pu

r^

(U

3 3

!5

-a>

10

Cl

^

M

w

u>

0

N^

•n

rt

-o,

rt

a

b

c

0

X

3

0

<u

rt

3

>

m

-<

-3

-<

«a

CJ-

<u

0

-3

T)

a

-1

t/j

01

■5

1

fcfi

a.

c 3

rt

rt'

rt

a

3 -i>

C 0

S

C

fco

ce

c.

03

H

3

rt

61)

-*

co

Irt

eti

en

rt

C-

"— '

(N

Cl

U.

;>

0

0

u: i<

ia

1

0

^*

^

(M

<M

lO

co

iO

c

(M

0

00

t^

« -4) -

rt

pa

<a

a

■et

o

8 ^ s

t-i rt •3 >.

3 c

a e>-

a o

co oj ,—1

■3

«3

3

O

X3

rt

3 C-

rt >

•3 3 «3

Irt

"3

O O

a

■<

IS

6.= r i-^ -— _ c. en s -

co « ce ce

a o

"m eo

ii

o

en

«

O

»-l O

co C^l Cl Cl Cl

■l ^

'S

<-î o c- o X d

w ,

«o o o o

Cl d

rt

t^ "- a

tje-rt S

.- JE'CQ

P rt

rt "a

"> a

■3 <u §

« IS a

^ la e^.

rt -2 O

3 ^ CO

•0, ^, 1—1

x-o o o

lO »o '^

ce

o

en

(1 rt

e -3 a o es

■3

a

M

I

S.

o d

ai

ta

S g

•S -2 «s

ces

o

CXD

ici s

a «

O O

O 5 C^ a

3-2-

T-H-S _ -^ ^

309

■« >-? ^ 9 = .£Po

QO O

58

yi a

co OJ _

t- =B

•*> ri

C9

»o

^ cd

(?" (U sa

C^ -3 ^

> OO

O

o eo "-S

O «« 3 2

o SP5 5

CB 3

•« X

les C8

o a

, 3 -a I-

_ J= es Sf^ OI« J3 les

io a: .a s

o ja

' F'

OI« '^ 3

O

ts

lO

cq

T3

1

«

P-.

O

t-

Ol-î!

<M

e

.•^

<u

lî?

<i

w

a

J-J

^

_ «

ri -îS

o Si

ri O I I ^1

■<*i^*i«n5rig

1 •§ is -s,» Irt -c O = <=• S. '^o S -

■S ''O es

c^ ' -5.

oo 3

»ni lO «s .

«

ri Ig

M a =• ri o- ^

ri ri ri J5 t-

>- ^ ce Ja >- I -aj

O 05

15!

Iri

S ri 3 >

3 ««S

s Ml'"! =^

ri Om ri

S

t4

a> X o -et o

o

M

ri

c ri

ri Q

•O

ri SB

o

O I --o

3 tri

Si .

o ? '^

I

p. ri ce S

o,ë

lO Vrt

co

1^

O IC ^

I te

o <

I a

' *j «

o Irt >-.

O ' lO -

>^ ^^- 8 u:

o "

o " lo-S « S Q « o.

O ri

^ .^ ii 1 ri a

Iri

£ Iri

o

o v^

<M|S

I es

lO ^

ce

ri

c o i co

^1

I 43

S « £

: i 's* «

■^ ri

^ ^

- -3 >-

0 «

01 -U C5

co

a^ ,'.

o

O)

_ - c

iH) en OT O x: co

3 Cl, ri

t

1

rn

c ^

rt

aj

ri s w

>■

-3

-^ 3. 3J

M w

m

5c-" S lO « ri ^

-H

3

S 3

lO -3 -3 Œ

no

m

S

^

Tt<

308

2 i

Ô « ^ I^ =

•—1— ® fc"

O en .u

00 g

kl

1

>->

4)

3

«a

_J

C

,^

Ta

»^

"^

s

ci

o

, ■."

VI

u

3

ja

z^

«

rt

ir3

es

CJ

rj

ja

•f)

^

3

rt

r>

-n

a

v

^•->

5S

t^

o

G

Tn

«

lO

O

r-1

«

1

S

ai

co

O

co

«O

■^

co

3

o

O

r "\

-o

3 O

pa

s o m

o I

O «O

s o

c

et O

3 C

ca

o

a o

o

>>

"S s

> 3

r- n! ::

"o o

o o

le

i

«1.

* t"

IS

,-^

i^

: t:

rt

S"

: î-

1:=

-*

;>

>.

•-*

?3

o o

I— (

^Hi

1

" * 1 '

o

S: -r

r— 1

ï: jl;

■pH

o

^ ' (M

O

o

(M

C

ire" "^

S

Xi

(=1

trr

a

-<.

e

a

Ï5,

■^

«s

t^

"Si

a

ii

"W

kl

o>

i»j

fx;-

U

1—1

o

O

<->

o

o

O

»rs

'■£>

I I I

o o o

o o o

o o c^

CI »-i

ci

on

13

ci

> ci

C

a o

w •— '

^ "if

"fi

cil Jz

X ci W >-

C O

1-H O

C3

ç3

--^

|C3

>^

(CI

■■ CO (D OJ

.'S -f-

M

c. O)

>- T3

ti ci

-= -<

O)

c

fcX)

rt

S

-cS '3

«3

« r3

•C ^ -2

'^ ~

« -^ ..

-3

'3

ai

3 O

3

Il

3 es

3

-O) (m

(1

3

3 es

P. O

(U .ii

"S

Qui

O >•

C

O

Cl

ca "S

CD I

ca

es O

es

■= I ■— «

3 es es Cil

C

C O

a>

3

te

-O

c; Q es

•< c^ cq

î* -^ ce <i ca cq

es

es

a SE.

tj c es

O es

pa

a>

es O

T- aj

o tJ3

-" s

iH es

c C

O ci

es '^

S o

co

V ,-1

~ 3

S o ^

C en

■^ ^^

ii7 5.

'D

HS

C

, ^

3

-^

C- rr.-

•^

>-

es

>

II

a>

es

^

>

^— *

<1>

3

T-l

O

-1

^,

J2

CO

. ,"r

es

les

î-l

Ui

p-

O

es

fec

es

a

^

tx;

es

o

és

ca

5J

r^-m

es

"-I

O

^

^ -^

C^

C

•^<i

es

o

'^

C

'^

O)

a

i^

C

'3

-3

le 5

S

a»,

.5*

15:

a

1

C

le

1

t/j

a

-O.J

O

es

"^

o

(~>

3

CO

X

ca

^w

T— <

M

1

S

«O Cl Cl ca

o

co «a co co

OOOt-iOiO OO lOiO-^

cooacacaci caca ,--iT-tT-i

il

2:

309

en

S g

<^- ic 00"

o

00

e '/j 5;

a «

o -S*

oie

o'o

l'I

o «

o-

Oi-

«^ s

'^ es

'•• O) rt c^ -a -a en

"*o

5 'O

l-O

V. S

-i) _

" ^ B

•2 -= ^

I- s >

«'^ c

> 00

iO

^■§

et s o

en «S ^_

«-1 O

C-T)

c> «« a

o .ÏP5 =

' "2 >. «

■a X

le: as

s. -s

o a

O

o 1 _ =

lO

c^iS 2-Z7

CCI

, =< T3 IK

^ «a a/i

Ol^ ^ici

o

ic ce ja z;

o

> es

__

e

**o

3

1^

C3

>

.'^^

o 1 I

■^ .fl *J es

-ri ;^ ^

' -0 1:^1-

O = =■ a.

es

:f COI^-C e2 ' ^.

O T3

o>^

•Oire ^ 3

o as» !>5

es I ^ es

. lili'l

es sa es J3 J' t-

>■ j3 a; ^ > I -«5

O

ir^

1

es

It

les

5

a

es

3

>

Ui

ICI

ce

'-î

a)

ce

3 S

M «< a 2

o J3 ,5 i?

I j3 es -^

es

"> -

O^ es

a

Ci

M (U t-i O

13 O

o

«3

es

C es

es

a

es

O

o

I «o

Os-

C les

vu

5-

Si

o g "^

w

.m

{-^

ce

es les

o o <;

(M

i2 «

O l:s >.

O ?»-

I

O

Oi es

o

O eS-

O « O.

es

.!«

es

tr,-

a

es

t-,

rt

L<i

CJ

00

O

L^

00

les s les

S

o

o s>:

I ai ^ i,

" -3 ^ ,5

S C ?^ * = •— es

- .2 .i: 5 ï >.

-s e* rt ■. -^ ^

SS o .«^ 3

<u .'.

a, <U es

o

«3

r/3

£-

«3

-t<

'

es

W

1

o ÛJ

C

3

r-)

0)

3

O

ï— 3

fM

-^

O

»o

M 1/)

co

co

SCS «3

es 2 r/3 ^ Cl. 1" C/3 - M

1 W

es 0)

kO es es - -f .2 ^ >.-^ -3 .^ 3= 50 -y. =

10

c

fTI

ra

&-

s

•w

«î

n

tn

^

O

co

11

-a!

-5^ C

O o o »o

00 00

•a

a

CT( iS

a

-s:

o-

7 -S

(M

00

O 2 -^ o o -o ■- 2S tî'

A^ '^- ' =5 <5"e: 0-0

00

V3

o es t2 r— I c: ^^

I53

ci T— I T3 I O

a> ._.

"1-

■^ OC 2 <a 00 00 a "

o >— I S

«3 C3

>0 ï5 es

O S g

0

1

0

S

0

^

Q ^

^

eB

<-— ^

>

1

."2

0

e

Lt!

les

ÇOO»

1

o =

005

00 E

ra I les

00-^ I -:= ra

«2 T3 C

ra •« '^

O O) '^ es ,— ( to <: =0

1 -S "tr 5-

' ra o c:

»0 Û ^^ ~ 05

2 !■=

"il. -?

ra

•a

T3

s

C

o

82 GOra

c3

a

(>*

00 _.

^^

1050 - 11 nuja

1199-12 Madhv

"S ira

o es

e3

c/:

c5

>

X3

O ra 1 _

n

ra

22 >•

00 ^

' .-

SB

OlE^ ŒS t- 2 ^

!M i s is «^^ i:

i::iQ = ^J

ra

rt u

ra

ra

8 2

0 «5

1

0

k.T' ."^

n

«£>

"2.1

1 '2

re

c^

00

1

0— -

''O ~

i-*

•0

-^

0

lo

OJ

co

(X)

L- Li

00

00

<u

-/-)

i-t

*^t

-^

- --. £

1;:!

■c

■>*

-r

53

_^

= rt

r^

«>

CO.

X>

^.^

-~

s

" .

£—-=-,

V5

'

GO

?5

Ci

.Zl

(M f .2

*^

"-^ V

0

<M

—M

-—

CO =^-' H

-

t--4

CD

^

<£>

co

Q^ a 1?

!>• ^ 1? CO 5^ ra 3

CV «^ "O O "î: Ch i-(

Oi T-(

0

ji^

cS

(=

f.O

C5

1— t

1

â

■si

i

as -0

T— t 01

sa u5

(M (M

^=3 F3 s: (M î^ 5 "boi-l

311

o ce

^3

i^§

to

C3

'^

es

lO rt

rH

._«

=3

.S:

S

,:d

a

a

>— <

CD

'— >

O

nn

S'

co

-^

^

ce

Cl

es

, . I es

si

SB-i

co _-- «2 >^

i^ '*" t£H

■— J5 ~" Q

1 ^ 1 C3

SIS ; ^ .ti

t-; rt 22 ^

^ >- ^ Û

o rt a:. çO CLJa

"■^ i; S S. ^

=" "^ - ^ s "> -c:

^

»0 ls5 ^

>• .S

O

ira

<=■ ^ -ci

S -2 ;^ g ï^ cq

£ s s

oa =.•-«

n? ^ !?, -^ '=

1- .^ ~ co .2"

X

5 2

s;»

H « es

■I— I §

ois a>

^ -c es o =

^g? 5

y -

oo ^ co

00 00

1-H co

1— I ':r 1— I c3 ' -= ' c

-* ^ co «

^

oo ., co i-O

d,^ o o

o Q o |3 CD s-

(M J2 '#< U; co ■f5

co s ^ M lit) -=5 uO E-i ^■^ iO

O -g r-, - ii - -3

V = ' - â ^ ®

00 « tH aj .s ^ "^ lO s co a> C~ oj

ft*i . ?o -r-. ;:^ PO

Cl- .2

C3

•s Oi

'^":?2

. CD

C3 I

O

CD

^ CO '^ cj ^^

' 1— I CO S o t^

co lo àO 2 s '3

t— I— i r-< C3 C: 60

f^ V

310

o o

<u

s

SI

S

4>

f eB

■->

"-• ^

■<

<^

o

K*

f*^

>o

00

00

CB

xo " O 2

u. s

-5 '^

o

(M t.

,— ( rt

o 2 ^ o

o -a ■- CO J2'

00

QOg:

CO O •- CO Ci ^ 00

o « >•=

-s 1-1 a

00 00 s =

o 1— I s

'O» I—

CD o- S

toc- ca

o

1

o

2

o

r7

Q ^

■r-)

ce

c~>

>

1

•tt

o

s

m Irt

«OU*

1 «

' '-5 i2

00 "•

Si~

I

n

O =

00

00 s

C3

I ^ es -a c3

a

5

s

^

o

es

<1>

-T^

o

ICI

-aj

w

«

3

c

1^ .aj

os

X

><

o ce

GO«

00 -a

O i.O

e3

ce

en

O

>

32 ,

I 3

r— es

" .— c

n

2

^■^ ^ ^5 T^ '

C> « I es

es

«> "J" «» ss

= 1= s g-

s T «>

s o s= o

o '2 g. ë- ;

es

c8

'■^■^

T ''5 S G.

es

O

o

O rt

c

es

art TS : 00

o- ço oo

I

o

CO

oo

7D

:£> es

'A-

(l

os

' i .^

Oi:= S

03 = -S

(M « .2 «3

s -^

■-S t- ■-5 T3

O

c-r

O

-^

1 ?3

«^

1

su

^ ^

.1

H--

t

"rt

<i)

O

5'.

as

^

1

B

ë

<=>

s

d

W3

Oi

ps

X3

o

C l-i

1-H c3

so

(M

Ï>J

=

toi— 1

O

r-l

1—*

" "

1—1

T— 1

;" = : b

:^2 l:

311

^^ o 2

■^ es es

«s .a

M S

«S -a ':^

= cS « Cl -^

^ =■ .5 , Lo =:

O 1:^ 73

rt

ts S iS 5" o P.S2

, re I « Q g ^•

ç— es 22 « 1—1 ^T3

s: >■ s; o "^

-s 1

1400 Sam-

khya lira (?)

>5""

^

=c

«>

;2 -=3

1=

O M

oo

> .S

o 1 i2 }=« riS I irt ira I S. =0

HS.t;^ "fB*- -3 <=, ^ -o «. Ira ^

^ «^ Sï=;«

i ^ '-^ i; S ^ ^^ -i •= ^ ^ -^ 15 _ ? S> 5 :a s

S

g «

-0 rt

J3

^M

1^:»

e3

lO-S

^-S

co-^

T-H s

'- o ■-•:^. > % ^ -S V s V i_ V r: V J V = ' - c =^ :2 ï^ s ' ^ ^ = S ,jï

c>i a ra Cl " "^ ^ ^ 10 1^ 10 vC) co ;:; '--c ^ (X> -o o -■-. l- r-. r-( ^ _

312

(M

(M

02

13

I es a

00 •-— fe

22 Q

CO I

Oj e

V ^

(M 3

S CO

1 a> o -a

•H •- rt

■yv ^ -es

'7. y-

es o

Cl t-

GO sa

^ o-

I I

O) s

(^ oj ^'-^ -~; =^ >^

1 .-^

n o

es ^,

-- T— I es

X ers E- ■fc 00

I ■< |et

^ 3 00

es

CO

00

ry.

« I-

> ce

I les

les 'fi

£5

CO Z

OOq

TABLE DES MATIERES

Pages

Préface 5

Introduction 7

Première Partie. La censée védique lo

Chapitre L Les origines dravidieiine et aryenne ; la commu- nauté indo-iranienne 15

» II. La religion védique 22

» III. Les premières notions métaphysiques 33

Deuxième Partie. La jihilosophie hrahmanique jjréhouddhique 39

Chapitre I. Systématisation de la pensée védique 39

» II. Intervention de facteurs non brahmaniques: So- phistes, Matérialistes, Yogins 45

» III. La synthèse brahmanique dans les plus anciennes

Upanisads 51

Troisième Partie. La pensée jaina et la pensée bouddhique

pn.mitives 65

Chapitre I. Le Jainisme 69

» IL Le Bouddhisme '<^9

A. Ses sources, 79. B. Sa plus ancienne doctrine 85

Quatrième Partie. La pensée sectaire primitive et la nouvelle

synthèse hrahmanique 100

Chapitre I. Religions populaires 100

A. Dieux nouveaux, 100. B. Notion nouvelle

de la religion 107

» IL La réaction brahmanique 112

A. Les sources, 112. B. Les doctrines 115

Cinquième Partie. La pensée bouddhique maliâyaniste 119

Chapitre I. Caractères généraux 119

» IL Prajîïâ Pâramitâ, Açvaghosa, Nâgârjuna (i®"" et

ne siècles ap. J.-C.) . . . .' 129

» III. Asanga et Vasubandhu (iv^ siècle) 135

» IV. La rivalité des deux Véhicules (ive- siècle) 142

» V. Les derniers Mcâdhyamikas et Yogâcâras; la logique

de Dignâga et de Dharmakirti . , 149

314 TABLE DES MATIÈRES

Pages

Sixième Partie. La pensée des darcanas orthodoxes 1Ô8

Chapitre 1. Les sûtra? des six systèmes et leurs premiers com- mentaires (100-500) 158

1. La Mîmâmsâ. Jaimini et Çabara 163

2. Le Vaiçesika. Kanâda et Praçastapâda 168

3. Le Sâmkhya d'ïçvarakrsna 173

4. Le Yoga. Patanjali 184

5. Le îsyâya. Gautama et Vâtsyâyana 190

6. Le Védânta. Bâdarâyana 195

» IL L'ère des grands commentateurs (500-1000) .... 198

1. Mîmâmsâ. Prabhâkara et Kumârila 201

2. Vaiçesika et Nyâya. Uddyotakara, Vâcaspa-

timiçra, Udayana 204

3. Sâmkhya et Yoga. Gaudapâda, Vyâsa;

Vâcaspatimiçra 208

4. Védânta. Gaulapâda et Çankara 209

Septième Partie. La pensée des darcanas hétorodoxes 214

1. Les Cârvakâs 214

2. Le Jainisme médiéval 218

Huitième Partie. La pensée hindouiste (xi^-xix^ siècle) .... 229

La dernière phase des darcanas 234

1. Sâmkhya, 239. 2. Mîmâmsâ, 241. Nyâya-Vaiçe-

sika, 241. 4. Yoga, 243. Védânta 243

Conclusion. Uinfiuence occidentale: Lslâm, Europe chrétienne 250

Notes 259

Index 291

Tableau chronologique 308

Table des matières 313

Vu:

le 15 mai 1923

LE DOYEN DE LA FACTJLTÉ

DES LETTRES DE l'TTNIVERSITÉ

DE PARIS

Ferd. BRUNOT

Vf et

permis d'imprimer:

le recteur DE l'académie

DE PARIS

P. APPELL

-'««ta-jc'âB.

B

131

M38

1923

Masson-Oursel, Paul

Esquisse d'une histoire de la philosophie indienne

PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET

UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY