LP F 5012 !f\\7 f ESQUISSE SUR LE NORD-OUEST DE L'AMERIQUE PAR Mgr. TACHE, Evêque de St. Boniface, 1868. & MONTREAL: CHARLES FAYETTE, Libraire- Editeur Rue St. Paul, No. 250. 1869 m i^- ig&rr- y£Ë£ The EDITH and LORNE PIERCE COLLECTION of CANADI ANA Slueen's University at Kingston ^ Q£ <&* CPurckased pi% ilie Xovm 'Pkra (ylkdùm^ ai Qumi's Utiiversïùj OKtnt Gù3t Cfaims^Urct^Tm^^ ESQUISSE SUR LE NORD-OUEST DE L'AMERIQUE PAR Mgr. TACHE, Evêque de St. Boniface, 1868. MONTREAL TYPOGRAPHIE DU NOUVEAU MONDE 23, RUE ST. VINCENT. 1869 Itf ESQUISSE NORD-OUEST DE L'AMERIQUE En écrivant Vingt années de missions nous avions compris combien ce tra- vail était incomplet, et que, pour être intéressant, il lui manquait, entre au- tres choses, des explications sur la na- ture et l'histoire du pays qui a été le théâtre des travaux apostoliques que nous avons décrits. Nous avions môme promis des notes explicatives à ce su- jet. Plusieurs longs voyages et autres occupations nous ont empêché de réa- liser ce projet auquel nous voulons pourtant travailler aujourd'hui. La ^ division ecclésiastique du pays que nous allons décrire ne nous permet tant plus de le désigner par un seul nom, sa division politique offrant la mômedifficulté,nousadoptons son nom commercial, c'est-à-dire le nom sous lequel cette partie de l'Amérique bri- tannique est connue dans la vaste or- ganisation commerciale de l'honorable compagnie de la Baie d'Hudson. Le départementdu ~Novci{Northern départ- ment) comprend tout ce qui va faire l'objet de cette étude. Cette immense étendue de pays est bornée au sud par les Etats-Unis, ou 49e parallèle ; à l'ouest par la chaine des montagnes Rocheuses, au nord par la mer Glaciale ; à l'est : lo par les détroits et golfes qui joignent la baie de Baffin à la baie d'Hudson ; 2o par la baie d'Hudson elle-même (mais non la baie James); 3o par une ligne qui relie le cap Henriette au 49o degré de latitude, en suivant la hau- teur des terres qui sépare les eaux qui coulent vers la baie d'Hudson pro- prement dite, de celles qui se déchar- gent dans la baie James et le lac Supérieur; ou, pour plus de clarté, disons que la limite orientale est le 90e degré de longitude occidentale, méridien de Greenvvich. La partie con- tinentale de ce vaste département ren- ferme donc les terres comprises entre le 49e et le 70e degré de latitude. Au sud elles s'étendent du 90e au 115e degré de longitude, et au nord du 90e au 140e degré. La largeur de ce pays, de l'ouest à l'est, est, en chiffres ronds, de 1,200 milles anglais, et sa longueur,du sud au nord, est de 1,500 miles donnant l'immense superficie del 800 000 mil- les carrés, sans compter les îles arcti- ques anciennement et nouvellement découvertes. Si l'on compare cette immensité de terrain à l'exiguité de celui qu'occu- pent quelques-unes des plus puissan tes nations du monde, on est frappé du contraste, et l'on se demande tout naturellement si ces vastes solitudes doivent toujours rester dans l'état où la Providence les a tenues jusqu'à ce jour. Isolé dans ces déserts sans bornes, on se prend souvent à écou- ter si le bruit et l'agitation du monde d'outre-mer, si l'agitation plus fébri- le, si l'ambition plus hardie de la grande république voisine, si la cré- ation de la Puissance du Canada ne produiront pas ici un écho puissant. Nos belles et grandes rivières, nos lacs immenses ne porteront-ils ja- mais que le léger canot d'écorce du sauvage ou la berge aux lourdes ra- mes du commerçant de fourrures ? Les ressources agricoles de ce pays, ses richesses minérales, les trésors que renferment ses forets ou ses eaux quels qu'ils soient, sont-ils destinés à n'être jamais connus ou appréciés à leur juste valeur ? N'y a-t-il rien ici qui puisse attirer l'attention des hom- mes ? Y a-t-il assez pour encourager ceux qui rêvent en sa faveur un ave- nir prospère et brillant? Les rigueurs du climat sont-elles capables de décon- certer toute entreprise ? La nature du sol dédommagerait-elle des efforts faits pour la culture, ou boirait-elle inutilement les sueurs de ceux qui viendraient la sillonner? Enfer- mé dans les limites que nous venons de tracer, le département du Nord est-il tout à fait inaccessible ? Faut-il, pour y arriver, la hardiesse des aven- turiers qui veulent s'enrichir à tout prix, toute l'abnégation de ceux qui ont soif du salut des âmes, ou l'insa- tiable curiosité des touristes ? Les montagnes de glace qui le bordent au nord forment, sans doute, une barrière comme infranchissable ; les montagnes Rocheuses, à l'ouest, of frent d'immenses difficultés pour y pénétrer ; d'un autre côté, les hau- teurs des terres, à l'est, ne sont pas un obstacle sérieux, et le 49e paral- lèle ne fait pas même onduler les vastes plaines du sud ; de sorte que, en définitive, il n'est point impossible de parvenir jusqu'ici; la chose est même comparativement facile, et j'in- vite mes amis à une excursion qui ne manquera certainement pas d'un cer- tain charme. Je voudrais pouvoir satisfaire la légitime curiosité des hommes sé- rieux qui pensent à ce pays ; je vou- drais surtout fournir quelques infor- mations à ceux qui s'intéressent à nous. Pour tout dire il faudrait des volumes, et je ne puis offrir que quel- ques renseignements, donner quel ques vues d'ensemble sur un pays dont on a dit des choses si contradic- toires. Ceux qui, naguère encore, ne voyaient en Canada que « quelques ar- pents de neige, » n'ont dû voir ici que quelques lieues de glace où ne peu- vent vivre que des êtres à sang froid ou des hibernants. Les optimistes, au contraire, ont l'air de croire que tout se passe ici comme dans le meil- leur des mondes; que si nous avons beaucoup de glace, c'est d'autant mieux que, chez eux, la glace est un article de luxe, et autres consolations de ce genre. Je ne puis sans doute me flatter de donner toutes les infor- mations désirables ; puisse au moins cette petite esquisse aider à faire con- naître ma patrie adoptive ! Quelque fai- bles que soient ces lumières, elles me laisseront la satisfaction d'avoir sacri- fié au bon plaisir de quelques amis et au désir de leur être utile, la répu- gnance que j'éprouve à écrire sur un sujet si en dehors de mes occupations et de mes devoirs ordinaires. Nous diviserons ce travail en deux parties. Dans la première, nous don- nerons un aperçu de la condition du département du Nord ; et, dans la se- conde, nous jetterons un coup d'œil rapide sur son histoire. PREMIÈRE PARTIE. Pour atteindre le but que nous nous proposons dans cette première partie, c'est-à-dire pour indiquer lacon- dition que la nature et la société ont faite à ce pays, nous la diviserons en sept chapitres. — Dans le premier cha- pitre, nous examinerons le pays au point de vue économique, en disant ce que le sol et le climat promettent d'utilité, et nous rattacherons à ce chapitre les produits de la terre ré- servant pour le chapitre second les études hydrographiques qui décrivent les voies naturelles de communica- tion avec leurplus ou moins de-facilité. Le chapitre troisième examinera la condition politique. Le quatrième aura trait à son organisation commerciale. Dans le cinquième nous mentionne- rons la division ecclésiastique du ter- ritoire. Le chapitre sixième énumé- rera les différentes nations qui l'ha- bitent. Enfin le chapitre septième donnera la nomenclature de ce que le règne animal offre de plus remar- quable. Des cartes de géographie sur une petite échelle seront jointes aux quatre premiers chapitres pour-en fa- ciliter l'intelligence. CHAPITRE I. UTILITÉ DU DÉPARTEMENT DU NORD. Au point de vue de l'utilité et, par conséquent, de son avenir, le départe- ment du Nord se divise en deux par- ties bien distinctes que nous nomme- rons partie septentrionale et partie mé- ridionale. Cette division peut s'indiquer par une ligne diagonale tirée de l'ex- trémité sud-est du pays jusqu'au mont Traffîc. situé à peu près à l'intersec- tion du 64e degré de latitude nord par le 128e degré de longitude occidentale. On comprend assez que la nature n'a pas tracé à travers ce pays une ligne géométriquement droite pour le divi- ser ainsi ; cependant il est étonnant de voir la presque complète exactitude avec laquelle cette ligne partage en deux cette contrée, au point de vue qui nous occupe. § 1. — Partie septentrionale. Trois rangées de montagnes sem- blent avoir déterminé la conformation géométrique du vaste continent que nous habitons. La grande chaîne des montagnes Rocheuses, qui, malgré ses ondulations, ne s'affaisse jamais, suit la plus, longue ligne que l'on puisse tracer sur l'Amérique septentrionale et s'étend depuis la mer arctique, où elle baigne ses premiers anneaux, jusqu'à l'Amérique méridionale, po- sant dans ses ramifications la borne qui établit le parallélisme de la côte occidentale de notre continent. Une seconde chaîne, celle des Alleg- hanys, sur une moins grande étendue, établit de son côté la direction de la côte orientale. Cette chaîne commence au golfe Saint-Laurent et se prolonge .à travers les Etats-Unis jusque dans l'Etat de l'Alabama, laissant à la fu- reur des ilôts de l'Atlantique la possi- bilité de creuser à son extrémité le golfe du Mexique, au fond duquel les montagnes Rocheuses lui mettront un frein et dans lequel le Mississipi ap- portera le tribut des eaux, qui arrosent une grande partie de la vaste plaine, située entre ces deux puissants rem- parts. Une troisième chaîne de montagnes détermine la forme singulière que le continent revêt à son extrémité sep- tentrionale. Cette chaîne doit complé- terl'encaissement de l'embouchure des fleuves géants du nord et de l'est, et de plus borner aussi au nord et à l'est plusieurs des plus grands lacs de l'A- mérique. Cette chaîne de montagnes est celle des Laurentides, qui forme la rive septentrionale du grand fleuve canadien depuis son embouchure jus- qu'au cap Tourmente, près de Québec, qui, sûre d'avoir contenu le grand fleuve, s'en éloigne à ce point pour faire place aux magnifiques terres qui le bordent au delà. Plus loin, après avoir traversé la rivière des Outaouais, elle se dirige vers le sud comme pour contempler de nouveau le fleuve, près du lac Ontario. De là, les Laurenti- des vont au lac Huron qu'elles bor- dent à l'est ; après elles gagnent le lac Supérieur, d'où elles se dirigent vers l'océan glacial arctique par la route nord-ouest, décrivant dans cette der- nière portion de leur course une par- tie du contour des grands lacs Win- nipig, Athabaskaw, des Esclaves, d'Ours, qu'elles laissent à leur occi- dent. Comme on le voit, la courbe que décrit cette chaîne de montagnes a une grande analogie avec le parallé- lisme de la côte nord du continent, y compris même le grand et singulier empiétement de la baie d'Hudson. D'après ce que nous venons de dire, il appert que la chaîne des Laurenti- deÀtraverse tout le département du NWd. Elle n'y conserve pas néanmoins l'élévation qui la distingue sur les bords du Saint-Laurent ; c'est pourtant la môme rangée et la même confor- mation. Ce réseau de collines (ici ce en sont que des collines) a une di- rection générale du sud-est au nord- ouest, et c'est ce qui explique comment la nature a presque tracé elle même la ligne droite dont nous avons parlé, comme marque de séparation entre la partie septentrionale et la partie méri- dionale. Les Laurentides ne suivent pourtant pas exactement cette ligne droite. Voici, au reste, leur course : de l'extrémité sud-est du département elles se dirigent vers l'est, envahissant le lac des Bois et les deux rives de la rivière Winnipig jusqu'au lac du même nom qu'elles longent ensuite à l'est et au nord. De là, elles courent à l'ouest-nord-ouest, passant au lac Cas- tor, s'y saisissent de la rivière à la Pente et, plus loin, de toute la rivière Churchill ; laissant cette dernière au lac Primeau, elles font là une courbe par une inclinaison un peu plus mar- quée au nord. Ces collines atteignent ensuite le grand lacAthabaska qu'elles environnent presque complètement, et auquel elles donnent son nom an- glais lake of the Hills (lac des Collines). Les Laurentides continuent ensuite dans la même direction pour tracer à l'est et au nord le contour du grand lac des Esclaves, et plus loin celui du grand lac d'Ours. La diagonale que nous avons indi- quée suit cette direction générale ex- cepté à ses deux extrémités, puisque, en laissant le grand lac aes Esclaves, elle va en droite ligne jusqu'au mont Traffic, et qu'au sud notre ligne droite empiète sur les rochers Laurentins, qu'elle assigne à la partie méridionale. Nous dégageons ainsi de la partie sep- tentrionale l'angle formé par les lignes que nous venons de tracer, et cela parce que les avantages qu'il possède le lient naturellement à la partie mé- ridionale. D'un autre côté, nous enlevons à cette dernière une section que les Laurentides lui laisseraient, mais que la rigueur du climat rejeté naturellement au point de vue écd(lo- mique. En définitive, nous mainte- nons comme borne de la partie sep- tentrionale une ligne imaginaire tra- cée, comme nous l'avons dit, depuis l'extrémité sud-est du département jusqu'au mont Traffic. Cette portion du pays est toute inculte, couverte en grande partie de roches primitives du système laurentin. Elle comprend, de plus, les terres arides {barren countnf, les terrains siluriens des environs de la baie d'Hudson et des bords de la rivière Mackenzie, ainsi que les cou- ches de lignite de cette dernière ; elle ne pourra jamais être qu'une terre de chasse et de pêche. Le climat y est partout extrêmement rigoureux, la culture impossible, les pâturages nuls, les bois de qualités inférieures et d'une crue misérable. 11 y a sans doute des exceptions sur quelques points, mais elles sont rares, et je crois qu'il n'y a point de témérité à affirmer que ce pays restera ce qu'il est, et ne sera jamais habité que par les sauva- ges ou par les hardis et aventureux chercheurs de pelleteries. Il est sans doute possible que de grandes riches- ses minérales gisent au milieu de cette nature désolée ; mais que faire, surtout dans les endroits où des glaces de huit mois et plus donnent à cette terre une densité presque aussi grande que celle des lourdes masses graniti- ques qui la recouvrent en grande par- tie? Certains lacs abondent en pois- sons. Des animaux aux plus riches fourrures s'y promènent en grand nombre, étalant au milieu de la déso- lation qui les environne le luxe soyeux de leurs vêtements. Les deux ports de mer connus dans le pays (un seul est fréquenté)se trouvent dans cette partie septentrionale ; on dira plus tard que ce dernier avantage est bien limité par la difficulté de la navigation. Si la partie méridionale se peuplait, si les communications devenaient plus faciles, si maintes choses qui n'exis- tent pas allaient surgir avec le temps, peut-être qu'alors la désolation qui règne sur ces terres perdrait de ses ri- gueurs. Pour mon compte, avec les données que je possède, les change- ments que, comme tout autre, je rêve quelquefois pour ce pays me semblent impossibles dans la partie septentrio- nale. Je ne puis y voir autre chose que ce qui y existe : le sauvage chassant, péchant, souffrant de la faim ; le trai- teur de pelleteries ramassant les riches fourrures ; le pauvre missionnaire tra- vaillant au salut des âmes abandon- nées ; et, si l'on veut, pour la facilité du commerce, quelques factoreries approvisionnées à grands frais par des importations. Cette première division enlève donc de suite à un avenir bril- lant, ou même à un changement pro- bable, environ les deux tiers du dépar- tement du Nord. Il faut reporter vers la partie méridionale toute l'attention de ceux qui ne veulent pas s'occuper de la poursuite ou de la traite des fourrures en pays sauvages. § 2.— Partie méridionale. En comprenant dans cette division toute la partie du pays qui n'est pas renfermée dans la précédente, je n'ai pu oublier qu'il y a ici aussi plusieurs points et n?ême des espaces considé- rables peu favorables aux habiles combinaisons des économistes. J'ai pourtant tout réuni dans une même division, parce qu'une portion offre des avantages réels pour l'agricul- ture; on y connaît des richesses minérales, de grandes voies de com- munications sont là ; ce qui fait défaut sur un point peut quelquefois se retrouver ailleurs : il faut traverser les endroits les moins avantageux pour atteindre ceux qui le sont davantage : en sorte que le tout forme un ensemble, du moins sous certains rapports. Cependant, pour plus d'in- telligence, nous subdiviserons la partie méridionale du département du Nord en trois sections différentes, que nous désignerons sous les noms de le désert, la prairie, la forêt. 1 o Le désert . Ce mot n'étonnera pas ceux qui ont fait quelques études sur la partie occidentale de l'Amérique du Nord ; tout le monde connait le grand désert américain ; tous ne savent peut être pas qu'il se pro- longe jusque sur les possessions britanniques, qu'il y pénètre au point d'intersection du 100e degré de longi- tude avec le 49e degré de latitude, suivant ensuite une ligne plus ou moins sinueuse dans la direction gé- nérale du nord-ouest, et qui ayant pé- nétré un peu plus au nord, se replie vers le Nord-Ouest au point d'inter- section du 113e degré de longitude avec le 52e de latitude, formant ainsi une superficie d'au moins 60,000 mil- les carrés. Il y a là un désert, un désert immense. Ce désert n'est sans doute pas partout une plaine de sable mouvant et tout à fait desséchée ; il est néanmoins parfaitement impossi- ble de songer à y former des établis- sements considérables. Presque par- tout un sol aride ne voit croître que le foin de prairie {systeria dyctaloides.) Une petite lisière de sol d'alluvion marque les cours d'eau, qui sont dessé- chés presque toute l'année. Le foin de prairie offre le meilleur pâturage. Non-seulement le bison en fait ses délices, mais les chevaux et autres bêtes de trait en sont très- friands. Cette herbe, haute à peine de 6 pouces, dont les plants sont espacés de façon à laisser voir partout le sol sablonneux ou le gravier où elle croît, conserve sa saveur et sa force nutriti- ve même au milieu des rigueurs de l'hiver, au point que quelques jours en ces singuliers pâturages suffisent pour remettre en bon état des chevaux épuisés par le travail. En dehors de cet avantage et du gibier qui s'y trouve je ne connais rien dans cette immense plaine qui puisse attirer l'attention des économistes. L'œil fatigué cherche en vain un rivage à cet océan de petit foin. Le voyageur altéré soupire en vain après un ruisseau ou une source, où il puisse étancher sa soif. Le ciel, aussi sec que la terre, refuse presque constamment ses rosées et ses pluies bienfaisantes. Cette séche- resse d'atmosphère aide l'aridité du sol ; certains endroits, dont la forma- tion géologique semblerait favorable à la végétation, ne produisent pas plus que les points naturellement stériles. A travers ce désert, on voyage des jours, des semaines, sans apercevoir le moindre arbuste. Le seul combustible au service du voyageur et du chasseur est le fumier du bison, que nos métis appellent bois de prairie. Puis ce désert a ses hivers, ses hivers rigoureux, aux vents violents, à une température souvent au-dessous de 30 degrés cen- tigrades. Des hommes bien distingués des Etats-Unis n'ont pas craint de froisser le sentiment national en établissant le peu d'avantages réels d'une grande partie de l'ouest. Voici ce qu'en dit le professeur Joseph Henry: «Toute l'étendue jusqu'à l'ouest, entre le 98e méridien et les montagnes Ro- cheuses, désignée sous le nom de grandes plaines américaines, est un désert aride sous lequel l'œil peut errer jusqu'à l'horizon sans rien voir qui en épuise la monotonie... Et peut- être étonnerons-nous le lecteur si nous dirigeons son attention sur le fait que cette ligne qui gagne vers le sud, depuis le lac Winnipig jusqu'au golfe du Mexique, divisera toute la surface des Etats-Unis en deux par- ties à peu près égales. Quand elle sera bien appréciée, cette assertion servira à dissiper quelques-uns des rêves qui sont regardés comme des réalités, relativement à la destinée de la partie ouest du continent de l'Amé- rique septentrionale, mais la vérité finit par avoir le pas sur les louables sentiments du patriotisme.» Cette opinion si franchement expri- mée est corroborée par celle du major Emory, de la commission des fron- tières des Etats-Unis : « La géographie hypothétique est poussée assez loin dans les Etats-Unis. Nulle part, dans les autres pays, elle n'a été portée à un tel point ou n'a été suivie de con- séquences plus désastreuses. Ce systè- me pernicieux a été commencé sous les auspices éminents du baron Hum- boldt qui, parce qu'il avait fait quel- ques excursions au Mexique, essaya de décrire tout le continent de l'Amé- rique du Nord. Il a été suivi par des individus qui voulaient atteindre des buts personnels. De cette manière, il est arrivé que, sans autres preuves que celles fournies par des hommes voyageant à dos de mulet au grand galop à travers le continent, l'opinion du pays a été tenue en suspens au sujet de la route qui convenait pour un chemin de fer et que même il a été créé une préférence dans l'esprit public, en faveur d'une route que les explorations ont démontré être la plus impraticable de toutes les routes entre les 49e et le 32e parallèles de latitude. Sur la même espèce d'informations mal fondées, des cartes de tout le continent ont été gravées et produites dans le plus beau, style de l'art, et envoyées pour recevoir l'approbation du congrès et, les applaudissements des sociétés géographiques ici et à l'é- tranger ; tandis que ceux qui ont ré- ellement contribué à la saine géo- graphie,ont vu leurs ouvrages pillés et défigurés, et se sont vu eux-mêmes négligés et oubliés... Quoi qu'on en dise, ces plaines à l'ouest du 100e méridien sont tout à fait incapables de supporter une population agricole tant que vous ne gagnez pas suffisam- ment Je sud pour rencontrer les pluies des tropiques. » Voilà pour le désert américain dans les Etats-Unis. C'est le même désert qui ne craint pas de franchir le 49e parallèle pour s'étendre sur les posses- sions britanniques jusqu'au delà du 52e parallèle, en suivant toutefois la diagonale que nous avons indiquée en en traçant les limites. Le grand coteau du Missouri, qui se prolonge dans notre désert, y conserve son ca- ractère géologique. Outre son éléva- tion, il se fait remarquer par les cou- ches tertiaires, tandis que le reste du désert appartient plutôt au groupe crétacique. Des dunes très-élevées et des roches appartenant à différents âges sont partout pour attester les commotions violentes qu'ont subies ces terrains. Ce désert enlève donc à l'agriculture au moins un dixième de la partie méridionale, c'est déjà une ombre dans le brillant tableau qui se déroule souvent à l'imagina- tion de ceux qui tournent leurs re- gards vers l'extrême ouest (far West) 9 et qui, voyant coucher le soleil der- rière les Montagnes Rocheuses, croient facilement que les terres qu'il dore des feux de sou crépuscule de- vront toutes un jour se couvrir de moissons abondantes. 2e Les prairies (plains). Sortons du désert pour entrer dans une région plus agréable, celle des prairies. Ces prairies, dont nous allons nous occu per, ont sans doute en quelques par- ties, un peu le caractère de leur aride voisin, sans en avoir la stérilité ; ail- leurs, elles ressemblent à la foret sans en avoir la profondeur ; leur ensem- ble forme un pays à part, digne du plus grand intérêt, sans néanmoins peut-être avoir tous les avantages qu'on leur suppose. Nos prairies s'appuient au midi sur le 49e degré de latitude et le désert dont nous ve nons de parler ; au nord, elles ont pour limites les régions des forets ; dans les autres directions, elles sont bornées aussi par la forêt, sur la- quelle elles empiètent chaque année et dont pour le moment elles se distin- guent par une ligne courbe qui, on- dulant capricieusement au nord de la Siskatchewan, vient la traverser près de l'embouchure du bras sud, pour de là aller en droite ligne se perdre au pied de la montagne Dauphin [Riding mountain), traverser l'extrémité des lacs Maniloba et Winnipig, et s'arrê- ter sur la hauteur des terres qui for- mait autrefois les rives du lac qui a été remplacé parla vallée de la rivière Rouge. Il est bien difficile de donner même approximativement la superficie ex- acte de ces prairies. Je les estimerai d'une étendue à peu près égale à celle du désert, c'est à-dire 60,000 milles carrés. Cette immense étendue des prairies dit assez que leur caractère géologique doit varier. La prairie qui touche au désert renferme comme son voisin des terrains secondaires, tandis qu'à ses extrémités elle possède des roches de transition, par exemple, les stratifications calcaires de la Ri- vière Rouge et les terrains houilliers des différentes branches de la Siskat- chewan. L'âge silurien l'avoisine et se confond quelquefois avec le système dévonien. D'immenses dépôts de sul- fate de sourie se trouvent près des couches calcaires et ailleurs. Les val- lées des rivières, les dessèchements dans la forêt multiplient partout les terrains modernes. D'épaisses couches alluviales sont là, et, quand elles ont un certain âge, elles se couvrent de couches végétales quelquefois aussi très profondes. Le pauvre colon qui a travaillé au défrichement de nosépaissesforêts du Ganada,qui n'a pu ensemencer sa terre qu'après avoir fait une guerre terrible aux géants qui la couvrent, qu'après l'avoir creusée profondément pour en extraire les innombrables et énormes racines, celui-là conçoit tout naturelle- ment une certaine répulsion pour les terrains bien boisés ; il a dépensé trop d'efforts et trop épuisé ses ressources pour croire à la supériorité de ces sortes de terrains. Il lui semble que le pays ouvert, où il n'y a pour ainsi dire qu'à mettre la charrue dans le sol, est un pays fortuné. A ce point de vue, les prairies ont un avantage incontestable, mais comme rien n'est parfait ici-bas, cet avantage a sa déso- lante compensation dans l'excessive rareté du bois de service et du bois de chauffage. Le temps loin d'apporter remède à ce malheur ne fait que l'aug- menter : le feu qui détruit les forêts elles-mêmes dépouille les prairies du peu d'avantages qu'elles possèdent à cet égard, souvent la prairie ne fait que remplacer la forêt. J'ai traversé des parties bien boisées où quelques années après j'ai souffert du froid, ne trouvant pas de quoi alimenter le plus petit foyer. Ces incendies sont d'autant plus fréquents que le nombre des voyageurs est plus grand ; il devient d'autant plus difficile de les prévenir, qu'ils trouvent dans leurs alésastres précédents un aliment plus considé- rable et plus facile. Au chasseur de bison, la prairie est un pays à nul autre pareil, c'est là qu'est son empire d'hiver comme d'été ; c'est là qu'il éprouve un bonheur 10 véritable à lancer son rapide coursier à la poursuite d'une proie naguère encore si abondante et si facile. C'est là que, sans obstacle pour ainsi dire et sans travail, il trace des routes, franchit des espaces et jouit d'un spec- tacle souvent grandiose, quoique un peu monotone. Vue à la saison des fleurs, elle est vraiment belle, la prairie, puisque, sur son fond de verdure, elle est toute émaillée de couleurs diverses. C'est un riche tapis dont les nuances variées semblent disposées par des mains d'ar- tistes ; c'est une mer qui, au moindre souffle, ondule ces flots odoriférants. Cette prairie, quelquefois si unie qu'elle semble un horizon artificiel, s'accidente tout à coup pour former la prairie ondulée (rolling prairies). Sa beauté alors augmente ; mille petits tertres s'élèvent d'ici, de là, et don- nent, dans leur variété presque régu- lière, l'idée des ondulations de l'Océan au milieu d'une grande tempête. Il semble que la main puissante du Dominateur des mers, pour se rire de la fureur des flots, les a saisis dans leur soulèvement et par un ordre ab- solu, les a transformés en une terre solide. Sur plusieurs points des blocs erratiques, vus dans le lointain au sommet des dunes ou des tertres, semblent l'écume pétrifiée de ces on- des moutonnantes. Ailleurs la prai- rie est plantée de massifs, parsemée de lacs aux contours aussi agréables que variés ; là sont des bassins que l'on dirait être des réservoirs destinés à faire jouer les grandes eaux, et dont les falaises portent l'empreinte visible des différents niveaux que l'Artiste suprême a assignés à ces étangs desséchés. A part la beauté âpre et sauvage des grandes monta- gnes, à part la vue d'une grande nappe d'eau, baignant une belle rade le tout en dehors de ce que l'art à ajouté à la beauté naturelle, il est difficile d'imaginer quelque chose de plus beau, du moins de "plus joli, de plus gracieux que certains points des prairies accidentées. On se croirait facilement dans un parc immense dont le riche propriétaire aurait mis à contribution le talent le plus expé- rimenté. Au milieu de ces touffes, de ces bosquets, de la riche verdu- re, de fleurs variées, de lacs sans nombre, on se demande où est le maître à qui appartiennent ces trou- peaux nombreux qui paissent tran- quilles dans le lointain ? Qui a ap- privoisé cette gazelle si légère, si gra- cieuse, qui semble venir saluer nos voyageurs, que la crainte écarte, que la curiosité ramène ? Ces bandes de loups qui se jouent autour de vous, qui aboient, hurlentet sifflent tour a tour, sont-elles la meute impatiente qui attend le signal pour s'élancer à la poursuite du gibier ? Puis, à l'au- tomne, quelle variété, quelle quantité d'oiseaux aquatiques couvrent tous ces lacs ! Des canards s'y jouent par milliers ; le cygne, cet habitué de toutes les belles pièces d'eau artifi- cielles, est là, flottant avec une ma- jestueuse négligence et roucoulant son chant mystérieux. Oh ! oui, elle est belle, la prairie ! et puisqu'il ne nous manque ici que des habitants et des habitations, il est certains points que j'indiquerais volontiers aux ama- teurs. Je ne m'étonne pas de l'impression produite sur les touristes pendant les délices véritables d'une excursion au milieu de ces plaines', à la belle sai- son. Des hommes, dont le témoigna- ge doit faire autorité, ont peut-être quelquefois subi cette délicieuse in- fluence, et accordé aux prairies une préférence à laquelle elles n'ont pas droit sous tous les rapports. Voici venir la fin d'août. Déjà le froid nous menace ; de fortes gelées pré- viennent la maturité des céréales et les exposent à une ruine complète. D'autres fois cet inconvénient aura été le résultat d'une trop grande sé- cheresse. Nous sommes sur les li- mites du désert ; ses vents brûlants se ruent sur la prairie, qu'aucun point élevé ne protège ; le vent glacial, ve- nu des terres arctiques sans beau- coup plus d'obstacles, combat son vio- lent rival, et la prairie, théâtre de cette 11 lutte, voit de nombreux ouragans, des chûtes de grêle bien pernicieuses aux moissons ; des grêlons énormes sont tombés dans ces prairies ; sur des espaces considérables, non-seule- ment le foin est détruit, mais le sol est comme hersé. Puis souvent, trop souvent, le désert lance contre la prairie ses myriades de sauterelles, dont les escadrons serrés sont des phalanges dévorantes, qui ne craignent pas d'affamer le pauvre colon. Nous sommes en hiver, qui commence avec le mois de novembre et se prolonge plus ou moins en avril, et, grand Dieu! quel hiver !... Il faut avoir voyagé au milieu de ces vastes plai- nes, il faut avoir bivouaqué pendant des semaines entières au milieu de ces océans de neige pour comprendre combien le bois y est rare, combien pourtant il est nécessaire. Ces mas- sifs, ces bosquets, cette lisière aux bords des rivières et de quelques cou- lées bornent sans doute l'espace, di- versifient la scène, brisent l'horison, réjouissent la vue du touriste qui n'a besoin que d'agréments et qui se con- tente d'une touffe de verdure, parce qu'elle plait à ses regards et le protè- ge, pendant sa sieste, contre les ar- deurs d'un soleil brûlant, mais com- me toute cette beauté se flétrit, com- me elle meurt avec les feuilles qui l'entretiennent ! J'ai voyagé dans les prairies du dé- partement du Nord ; je les ai traver- sées à plusieurs reprises, et j'en suis encore à me poser la question : Que ferait une population nombreuse au milieu de ces plaines ? J'excepte les prairies du haut de la branche nord de la Siskatchewan, où le voisinage des montagnes Rocheuses assure une partie du bois nécessaire aux établis- sements qu'on y formerait. J'excepte encore la vallée de la Rivière Rouge et le bas de l'Assiniboine, parce que là les prairies touchent encore à la forêt. Je ne vois pas, dans le reste des plaines, les éléments nécessaires à des établissements prospères. J'ai lu des rapports magnifiques sur ces pays ; on en faisait ressortir tous les avantages; on indiquait particulière- ment la quantité de bois. Le livre en main j'ai vu le pays décrit, et je me suis demandé : Qui donc rêve, ou de l'auteur ou du lecteur ? Les seuls bois de quelque impor- tance dans les praries, comme bois de service, sont les différentes espèces de peuplier, mais surtout- le tremble et quelques bouleaux ; dans le haut de la Siskatchewan, à quelques points bien rares sur son parcours, on trouve de plus des épinettes blanches et quelques mélèzes. En dehors de la vallée de la rivière Rouge et du bas de l'Assini- boine, il n'y a point de bois dur ; il n'en existe point à l'ouest du 101e degré de longitude occidentale, où les- quelques individus de ces espèces que l'on rencontre encore, isolés et chétifs auprès de cette limite,ne peuvent point offrir une ressource. Je dis donc que depuis le 101e degré jusqu'aux monta- gnes Rocheuses, distance d'environ 900 milles, il n'y a pas de quoi faire une route solide. Le bouleau est sans doute un joli bois d'ébénisterie ; mais il résiste très-peu aux intempé- ries des saisons et ne peut être em- ployé dans les' ouvrages qui exigent de la solidité; d'ailleurs, cette espèce est bien peu commune dans les prairies. Un exploration s'est faite à travers ces plaines dans le but d'y établir un té- légraphe électri que." On a beaucoup accusé ceux qui avaient eu cette pen- sée et qui ne lui ont pas donné cours. On aurait été plus indulgent si on avait connu le rapport de l'ingénieur consciencieux qui avait fait ces explo- rations. La difficulté, ou plutôt l'im- possibilité morale de se procurer des poteaux de télégraphe a fait renoncer au projet. En présence de ces faits, je serais tenté de regarder comme trop étroites les limites que j'ai assignées au désert puisqu'en définitive, au point de vue économique, il absorbe près de la moi- tié de la superficie des prairies, c'est-à- dire tout le centre, n'en laissant à l'oc- cupation possible que les extrémités. Il est vrai de dire, en général, que le sol des prairies est très fertile, quoique le centre n'aitcertainementpas le degré de fertilité qu'on a reconnu aux extré- mités. Nous l'avons déjà dit, le climat est partout rigoureux. Cependant les ri- gueurs de nos hivers n'empêchent pas les chaleurs excessives de nos étés ; nous avons l'extrême froid et l'extrême chaud. N'ayant jamais eu l'avantage de posséder des instruments sur l'exac- titude desquels je puisse compter, je n'ose point donner ici les tableaux mé- téorologiques,que j'ai en ma possession. Le thermomètre commun à esprit de vin, que je possède, a été consulté tous les jours depuis dix ans ; son échelle centigrade a, pendant ce laps de temps, marqué trois fois 40 degrés au-dessous de zéro, comme aussi il s'est élevé trois fois jusqu'à 40 degrés de chaleur, voire même, un jour jusqu'à 43 de- grés. Pendant des mois entiers d'hiver nous avons une moyenne de 30 degrés au-dessous de zéro, le matin ; comme des mois d'été nous ont donné aussi, en moyenne, 30 degrés à l'ombre, en plein midi. Je me contenterai de ces quelques chiffres ; il en faudrait trop pour donner une idée exacte de notre température ou de son adaptabilité à la culture. Des idées exactes à cet égard ne peuvent se baser que sur une série d'observations de plusieurs années, à tous les jours et à différen- tes heures du jour et de la nuit. Au point de vue de la culture, on ne peut avoir que de fausses idées de notre climat si on se contente d'étudier la température moyenne de chaque mois, puisque cette température moyenne n'exclut pas les abaisse- ments soudains et très-violents, qui, pour être passagers, n'en ont pas moins une très-pernicieuse influence sur les produits du sol, quoique cette influence ne se trouve pas exprimée par les chiffres indiquant la tempéra- ture moyenne. Toute la région des prairies est sujette à ces variations subites, qui souvent causent des désas- tres immenses. Nous avons vu toutes nos récoltes souffrir beaucoup d'une forte gelée, dans la nuit du 9 au 10 août, et cela quoiqu'il fit, pendant ces deux jours, une chaleur intense. La fonte des neiges est très prompte dans les prairies, parce qu'il y en a peu et que le pays est ouvert ; en sorte que l'on peut très-souvent ense- mencer les terres dans la dernière quinzaine d'avril. Cet avantage est malheureusement souvent détruit par les gelées du mois de mai. Notre thermomètre nous a déjà indiqué 15 degrés de froid dans une nuit du 14 au 15 mai, tandis que le même ther momètre, dans le même mois de la même année, avait déjà marqué jus- qu'à 25 degrés de chaleur. Ces chan- gements violents et subits enlèvent en réalité au climat des prairies la supériorité aue semblerait lui promet- tre la moyenne de sa température. Ces chiffres de la température moyenne des différents mois, pendant une année où ces observations très- limitées ont déterminé le tracé de lignes isothernes auxquelles une plus grande expérience prouve que l'on ne peut pas se fier. Ces lignes pèchent par la base puisque, je le répète, une seule nuit surfit pour détruire toute analogie avec les pays indiqués par ces mêmes lignes. Aujourd'hui, 8 avril, notre thermo- mètre marque encore 22 degrés au- dessous de "zéro, tandis que les der- niers jours de mars semblaient nous promettre un printemps très-prompt. Voici la distribution ordinaire des saisons et leur caractère le plus sail- lant : Printemps. — Du 15 avril au 31 mai. Vent froid et désagréable, fortes gelées pendant la nuit. Eté. — Juin, juillet, août. Chaud,peu de pluie, vent violent, nuits froides dans la dernière partie d'août. Automne. — Septembre, octobre. Cal- me, serein, saison très-agréable, nuits généralement très-froides, chaleur souvent intense pendant le jour, excep- té la dernière semaine d'octobre. Notre automne n'a pas de pluie ou n'en a que très-peu, ce qui explique les dé- sastreux incendies de cette époque de l'année dans les prairies. Hiver. — Novembre, décembre, jan 13 vier, février, mars et la première moitié d'avril. Peu de neige, froid piquant, vif, constant et très-sec jus- qu'au mois de mars. Atmosphère généralement très-pure, comme dans le reste de l'année. J'ai lu quelque part que le climat sous lequel nous vivons n'est pas très- rigoureux, môme en hiver, et cette assertion faite par quelqu'un qui avait vu le pays en été s'appuyait sur ce que les sauvages et métis couchent en plein air, sans autre abri qu'une cou- verture et une peau de Buffalo. Tout en comprenant fort bien la valeur de cette assertion pour ceux qui n'ont pas l'expérience de la chose, tout le monde, ici sait qu'elle n'a aucun poids. Je ne suis point sau vage, pourtant que de nuits d'hiver j'ai passées à la belle étoile, sans même une peau quelconque ! S'en- suit-il que la température était douce? Non, puisque le mercure restait sou- vent gelé pendant des semaines en- tières. On ne sait pas ce que l'on peut endurer, à moins d'être à l'épreuve. Si l'on nous dit que les chevaux passent l'hiver dehors, je répondrai tout simplement qu'ils font la même chose à Athabaskaw et jusqu'à la rivière Mackenzie, où pour- tant l'intensité du froid est très grande. Ce fait, si singulier pour ceux qui n'ont pas habité ce pays, au lieu de prouver la douceur du climat, prouve au contraire la continuité du froid. Non-seulement la neige ne fond point en hiver, mais elle ne s'amollit même pas, en sorte qu'elle ne gèle pas et ne forme pas ce que l'on connaît si bien en Canada sous le nom de croiî te ; elle tombe aussi en moins grande quantité qu'en Canada. Le cheval peut en piochant dégager facile- ment le foin qu'elle recouvre et s'en nourrir, ce qui serait impossible si la neige se durcissait. La preuve de cette assertion nous est fournie par certains hivers moins rigoureux que les autres. Si, par exception, il pleut pendant l'hiver, s'il y a du dégel, si, en un mot, l'hiver est plus doux, il devient funeste aux chevaux qui hi- vernent dehors. Cet hiver- ci nous en offre un exemple frappant. Nos che- vaux ici, à la rivière Rouge, où l'hiver est très rigoureux, hivernent de- hors ; dans le territoire de Dacota, où il a plu en décembre, les chevaux qui sont dehors meurent en grand nom- bre. Le cheval, pour être un animal, des climats plus tempérés, n'en résiste, pas moins aux rigueurs de la plus basse température. L'étonné- ment de voir hiverner des chevaux en plein air n'est pas autre que celui qu'éprouvent les Européens lorsqu'ils voient nos chevaux du Canada rester dehors des heures en- tières après de longues courses, et n'en pas ressentir le moindre incon- vénient. Le fait que les chevaux peuvent demeurer sans étable ne prouve donc pas la douceur du climat, mais tout simplement l'abondance et la supériorité des immenses pâtu- rages, laissés à leur disposition. Là, en effet, se trouve le mérite incortes- table des régions des prairies. S'il leur manque beaucoup de choses pour abriter les hommes et fournir à plusieurs industries, elles ont de quoi nourrir un nombre infini de bestiaux, non-seulement à cause de leur éten- due, mais aussi par la nature même et la richesse de leurs produits, qui valent les meilleurs prés de trèfle. On sait que dans les pays froids l'herbe acquiert une force nutritive, que ses sucs n'ont point le temps de dévelop- per sous des climats plus doux. C'est à tel point que nos animaux de boucherie s'engraissent dans les prairies naturelles sans aucun se-' cours, et quand l'animal est dans les conditions de santé, il atteint assez rapidement un état qui le rend digne des meilleurs marchés. Le souvenir de ce qui s'est passé ici l'été dernier devrait me faire ajouter ici que les pâturages ont et auront peut-être tou- jours l'inconvénient d'être exposés aux insectes qui, réunis en nuages épais, tourmentent les bestiaux. Som- me toute, pourtant, ces prairies tant qu'elles ne seront point labourées se- 14 ront d'une ressource immense et in- comparable pour l'éducation du bétail. Je regrette beaucoup de ne pouvoir leur assigner une prépondérance égale pour l'ensemble des autres conditions nécessaires, ce me semble, à des éta- blissements considérables et prospères. Au risque de paraître rétrogade au delà des limites du possible, j'ose dire, en définitive, que les prairies, telles que je les ai circonscrites, ou ce que l'on est convenu d'appeler la région fer- tile [fertile belt) du département du Nord, n'ont pas plus de la moitié de leur superficie propre à la colonisa- tion, et que cette moitié n'a pas tous les avantages qu'on lui a assignés. Qu'on ne m'en veuille pas de dé- ranger la symétrie de cette ceinture fertile que l'on a aussi nommée VArc- en-ciel de l'Ouest. Nous retrouverons dans la forêt plus de terres arables que nous n'en avons perdues dans la prairie. 2o La forêt. — Nous désignons ainsi toute la portion du département du Nord dont nous n'avons pas encore parlé et qui offre une superficie d'en- viron 480,000 milles carrés. Située entre la partie septentrionale et la ré- gion des prairies, la forêt revêt quel- quefois un peu du caractère de l'une ou de l'autre. Gomme nous l'avons dit plus haut, les prairies l'envahis- sent ; servies par l'élément destruc- teur, elles se sont rendues tout près des bords des lacs la Biche et Froid, au nord de la rivière au Castor. Plus à l'ouest, il leur a plu d'aller saluer le haut du fleuve Arthabaskaw.' La ri- vière à la Paix, voire même celle du Liard, a ses prairies. Cependant, comme toutes ces petites divisions et distinctions nécessaires dans le détail ne le sont pas autant dans une étude d'ensemble, nous maintiendrons le titre que nous avons adopté en nommant la forêt tout ce qui est con- tenu entre les limites que nous avons tracées pour distinguer la partie sep- tentrionale de la partie méridionale, et la ligne que nous avons indiquée comme borne des prairies. Dans la forêt, telle que nous la bor- nons, on trouve à peu près tous les caractères géologiques des autres di- visions. Les roches cristallines qui la bordent presque dans toute son éten- due y pénètrent à l'extrémité sud-est. A l'ouest du lac Winnipig commence le système silurien, qui avoisine les roches primitives presque sans inter- ruption, jusqu'aux Montagnes Rocheu- ses. Puis viennent les autres formations qui se partagent ce vaste domaine. Si le mot forêt entraîne avec lui, pour le colon qui la défriche pénible- ment, l'idée de travail, de souffrance, souvent de misère, ce mot sonne tout autrement à l'oreille du bûcheron intrépide qui va demander à ces énor- mes produits du sol leur contingent de richesses, leurs indispensables res- sources pour faciliter la colonisation, la navigation, les arts, les métiers ; pour donner au riche le luxe de ses ameublements, de ses équipages; au pauvre les ustensiles nécessaires à son travail ; à tous une partie plus ou moins considérable de leur habita- tion. Le Canadien qui a visité les chantiers ou les ports de son pays, qui examine les richesses si utiles, amon- celées sur ces différents marchés de bois, ne peut se dispenser d'éprouver un sentiment de complaisance à la pensée que ce sont ses immenses forêts qui ont donné ces produits si riches, si variés, si volumineux. La collection des bois du Canada, à l'exposition universelle de 1857, a ex- cité l'étonnement et l'admiration de tous ceux qui lui ont donné quelque attention. Pourquoi faut-il que ce sentiment de complaisance et d'admi- ration ne soit pas aussi vif chez ceux qui étudient les forêts du département du Nord ? Voici, au reste, la liste des ligneux les plus importants qui sont les produits des forêts du département du Nord. J'ai emprunté au Catalogue des végétaux ligneux du Canada, par l'abbé Ovide Brune t, ainsi qu'à celui de sir John Richardson, la classifica- tion de ces plantes telle qu'elle est in- diquée ci-dessous. Nos forêts peuvent renfermer quelques autres bois, mais nous ne connaissons que ceux dont nous parlons ici : 15 CONIFER^E. Pin rouge Red pine Pinus resinosa. Pin blanc While pine Pinus slrobus. Cyprès Grey pine Pinus banksiana. Sapin Balsam fir Abies balsamea. Epinette blanche While spruce Abies vel picea alba. Epinettenoire Black spruce Abies vel pinus mgra. Epinette grise Grey spruce • , Abies vel pinus grisea. Epinette rouge. Tamarack Larix Americana vel micro- Cèdre blanc Whilepedar carpa. Cèdre rouge Red cedar Thuja occidentalis. Genévrier commun Common Juniper Juniperus Virginiana. Juniperus communis. CUPILIFERiE. Chêne rouge Bedoak Quercus rubra. Chêne de brin Posl oak Quercus obtusiloba. Noisetier Whitehazel nul Corylus Americana.; Noisetier coudrier Beaked hasel nul Corylus rostrata. Bois dur Ironwood Ostrya Virginica. SAL1CACE/E. Parmi les nombreuses espèces de saules on remarque surtout : la salix ros- trata et la salix longifolia. Tremble Aspen Populus tremuloides. Liard Balsam poplar Populus balsamifera. Liard Collonivood Populus grandidentata. BETULACEiE. Bouleau blanc Canoë birch Betula papyracea. Bouleau nain Alpine birch Betula nana. Bouleau de savane Low birch Betula pemila vel glandulosa. Aune vert Green aider Alnus viridis. Aune commun Common alder Alnus incana. VLMA.CEM. Orme blanc While ehn Ulmus Americana. Orme gras Slippery elm Ulmus fulva. OLÉACE^E. Frêne blanc While ash Fraxinus Americana. Frêne gras Black ash Fraxinus sambucifolia. ACERINE.E. Erable Sugar maple Acer saccharinum. Plaine Red maple Acer rubrum. Plaine bâtarde Dwarf maple Acerspicatum vel montanum Bois noir Slriped maple Acer Pensylvanicum. Erable à gignière Ash leaved maple Negundo Fraxinifolium. TILIACE.E. Tilleul Bas wood Tilea americana. CORNEE. Osier Red osier .- Cornus stolonifera vel alba. vitace^:. Vigne sauvage Winler grape Vitiscordifolia. Vigne vierge Wood bine Ampélopsis quinquefolia. ROSACEE. Rosier. Il y a plusieurs rosiers sauvages : rosa Woodsii, rosa Carolina, rosa Manda, rosa majalis. Prunier sauvage Wild plum Prunus Americana. Petit merisier Wild rcdcherry Prunus Pensylvanica. Cerisier à grappes Choke cherry Prunus Virginiana. 16 Cerises des sables Dtvarf cherry Cerisier noir Black cherry Bois à sept écorces Nïtoe bark Thé canadien Common meadow sweet Framboisier Wild red raspberry Framboisier noir Black raspberry , Catheriaettes Dwarf raspberry Framboisier à Heurs blanches. While flowering raspberry. Chicouté Bakc apple Ronce du Nord Bramble Pommetier rouge Scarlet fruiled thorn Pommetierjaune Bear Ihorn.. Seneillier Cockspur .,. Gueule noire Choke berry Cormier, masquabina Petites poires Canadian mounlain ash. Shad-bush Prunus pumila. Prunus serotina. Spirsea opulifolia. Spira3a salicifolia. Rubus strigosus. Rubus occidentalis. Rubus triflorus. Rubus nutkanus. Rubus chama3morus. Rubus arcticus et rubus acau- lis. Cratsegus coccinea Bourgeau. Cratsegus tomentosa (Bour.) Cratsegus crus galli. Pyrus arbutifolia. Pyrus Americana. Amelanchier Canadensis. Cette famille nous fournit de plus la délicieuse fraise des champs. GROSSULACEiŒ. Groseillier sauvage Wild gooseberry Ribes cynosbata. — — Sharp thorned gooseberry Ribes oxyacathoides. — — Smoolh gooseberry Ribes hirtellum. — — Swamp gooseberry Ribes lacustre. Gadellier sauvage Bed curranl Ribes rubrum. — — Felid curranl Ribes prostratum. Gadellier noir Wild black curranl Ribes floridum. Gadellier sauvage Common gooseberry Ribes Hudsonianum. CAPRIFOLIACE^. Graine d'hiver Snow berry Symphoricarpus racemosus. Graine de loup Wolfe berry Symphoricarpus occidentalis. Chêvre-feuille Small honey:sdckle Lonicera pariflora. — Fly honey-suckle Lonicera ciliata. — Mounlain honey-suckle Lonicera cerulea. — Busli honey-suckle Diervilla trifida. Sureau blanc Black fruiled elder Sambucus Canadensis. Sureau rouge Bed fruiled elder Sambucus racemosa vel pu- bens. Bourdaine Ship berry Maple leaved arroiv vjood. Bois d'original Bigh cramberry Pembina Cramberry Vibernum lentaga. Vibernum aceritblium. Vibernum opulus. Vibernum edule. ERICACE.E. Thé de Gauthier Tea berry Sac à commis Bear berry Herbe à caribou Alpine bear berry. Thé du Labrador. Thé velouté Petit thé sauvage Bluet nain Bluet du Canada- Mûre Labrador tea. Snow berry Gaulteria procumbens. Arctostaphylos uva ursi. Arctostaphylos Alpina. Ledum palustre. Ledum latifolium. Chiogenes hispidula. Dwarf blueberry Vaccinium Pensylv anicum. Canada blueberry Bog bilberry — , Dwarf bilberry Pomme de terre... Cow berry Atoca deMaskeg Small cramberry Atoca Common American cramberry Vaccinium macrocarpon. Vaccinium Canadense. Vaccinium uliginosum. Vaccinium myrtilloides. Vaccinium cœspitosum. Vaccinium vitisidea. Vaccinium oxycocus. 17 Au premier coup d'œiLla nomencla- ture qui précède "semble assigner à nos forêts une richesse qu'elles sont loin posséder dans toute leur étendue, et cela parceque plusieurs espèces de bois n'ont dans ce pays qu'une aire très-limitée. Des familles entières par- tagent cette exclusion, comme nous allons l'indiquer dans les remarques suivantes. L'érable proprement dite et le bois dur touchent à peine l'extré- mité sud-est du département du Nord. Trois espèces de plaines y pénètrent un peu ; mais, [surprises de l'isolement où les laisse l'éiable, elles ne vont pas plus loin que le lac des Bois. Le pin rouge et le pin blanc s'arrêtent au lac Winnipig. Les deux espèces de cèdres, de chênes, d'ormes, de frênes, de vi- gnes, de tilleul, le prunier, tout en étant partout dans le pays d'une qua- lité bien inférieure aux mêmes espè- ces qui se trouvent en Canada, sont de plus limitées à un espace très-peu étendu, puisqu'ils n'existent pas au delà du lOOo méridien et que les quel- ques individus qu'on y rencontre en- core isolés n'ont absolument aucune valeur. L'érable du pays (negundo fra- xinisolhtm) dont le sucre ressemble assez à celui de l'érable proprement dite, a sa limite occidentale au 107o méridien et sa limite septentrionale au 55o parallèle. Ces restrictions faites, il ne reste plus parmi les arbres de haute futaie, du moins à l'ouest du 100e degré de longitude, que des peupliers, différen- tes espèces d'épine ttes, le cyprès, le sapin et le bouleau. L'épinette blan- che est notre plus beau et plus utile bois, l'épinette rouge, le seul bois de durée, et le bouleau le seul d'ébénis- terie. Le seul cyprès n'atteint que ra- rement des proportions qui en per- mettent l'usage dans les constructions considérables. Le sapin est encore plus petit. Les arbustes se trou- vent partout suivant la nature des ter- rains. Ce qui précède prouve assez que nos forêts non-seulement sont privées de l'importance de celles du Canada, mais qu'elles n'ont pas dans leur plus grande partie les espèces de bois né- cessaires aux choses les plus utiles de la vie, et que, sous ce rapport, elles laissent beaucoup à désirer, même aux moins exigeants. La rivière la Pluie, le lac des Bois, la rivière Winnipig, les îles du lac de ce nom, les terres entre le lac des Bois et la rivière Rouge sont les seules parties bien boi- sées quant aux espèces, et seront d'une ressource immense pour la colonie d'Assiniboia, où on sent déjà le be- soin de ce secours éloigné ; la belle lisière qui bordait autrefois la rivière Rouge et l'Assiniboine a déjà subi une atteinte désastreuse. Sur plusieurs points de ce que nous appelons la forêt et à des distances quelquefois très-considérables, les es- pèces les plus utiles qui occupaient autrefois le sol ont été complètement détruites. Au centre de ces forêts, le feu a fait un dommage incalculable et irréparable. C'est un spectacle hide ux que l'aspect de ces bois victimes d'un premier incendie. Les grands troncs à demi calcinés sont là debout sans branches, sans sève, sans vie, atten- dant tristement qu'un second incendie ou un vent violent les étende sur le sol dépouillé. Ils y gisent ensuite en- tassés dans une horrible confusion, jusqu'à ce que l'élément destructeur les attaquant une troisième fois les détruise complètement. Leurs cendres quoi qu'ils aient été, servent ordinaire- ment à nourrir une pépinière de trem- bles qui presque invariablement suc- cède à la forêt primitive, excepté pour- tant sur les coteaux de sable où le pin cyprès repousse sa racine pivotante. Après avoir donné la liste de nos bois les plus importants, nous vou- drions compléter ce genre d'informa- tion en donnant toute la flore du nord- oeust. Comme il nous est impossible d'accomplir ce désir, nous y suppléons en donnant l'analyse de la collection des plantes faite par M. Bourgeau, bo- taniste, attaché à l'expédition du capi- taine Palliser, pendant les années 1857, 1858, 1859. 2 18 ANALYSE DE LA COLLECTION DES PLANTES, FAITE PAR M. BOURGEAU, (EXPÉDITION DE PALLISER). Cette analyse est rénumération des Gênera et Species et l'étendue des familles. FAMILLES. Ranunculaceœ. . . . Minispermancete . Berberidese Sarraceneœ Nymphaceœ Papaveraceae Fumariacese Cruciferse Capparideee Cistinese Violaceœ Polygalaceee Drosceraceae Linear Caryophylleœ Paronychieœ Malvacese Filiaceœ Hypericinese Acerineœ Oxalideœ Geraniaceœ Balsamineœ Rhamneae Anacardiaceœ .... Leguminosœ Rosaceîe Halorageœ Onagrariaî Grossulariere Crassulacese Araliacese Cornerc Rubiacese Valerianaceœ Lobeliacese Ericaeeœ Primulaceœ Gentianacese * Asclepiadeœ Hydrophyllea? .. . Solanese I abiatéé . .. .. Scrophulainese. . . Plantagineœ Polygonaceœ Chenopodeœ § "H < » R "A W pa W Ph Eh O ce M 11 32 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 2 14 31 7 2 2 1 1 1 8 1 3 1 1 __ 1 2 6 17 3 1 1 1 1 1 1 1 1 2 3 1 1 _ 1 4 1 2 2 2 1 2 13 50 7 16 48 7 3 4 3 13 2 1 7 1 2 1 3 1 4 2 fi __ 1 1 1 1 — 7 9 — 7 10 — 2 6 — 2 fi — 1 1 — 2 5 2 9 9 — 7 •24 2 1 2 — 4 14 — 8 17 1 Dans l'Amérique Britanni- que septentrio- nale. V^> f**J « < m tf m © ce * * 18 72 fc. 1 1 C. 3 5 a. 1 1 d. 3 4 6. 3 3 6. 4 9 6. 25 104 d. 2 2 b. 3 5 b. 1 18 d. 1 7 a. 2 9 a. 1 3 d. 12 66 d. 2 2 c. 3 5 a. 2 2 b. 1 8 d. 2 8 b. 1 5 a. 2 6 a. 1 2 b. 2 6 b. 1 6 d. 26 98 c. 24 124 a. 4 10 c. 6 28 b. 1 16 b. 2 3 b. 3 7 d. 1 7 c. 5 15 b. 2 6 d, 1 6 c. 10 40 b. 8 23 b. 8 34 b. 1 11 b. 2 5 c. 5 8 b. 21 40 b. 20 74 a. 1 5 a. fi 34 b. 8 20 FAMILLES. Elagnese Euphorbiacse . . . Salicacese Cannabinacete.. Retulaceœ Typhacese .Naiades Hydrocharidese , Irideœ , Melanthaceœ ... Conimelynacese Gramineœ Zycopodiaceœ. . . Loaseœ Cactaeeœ Cucurbitaceœ . . . Saxiïïageae , Umbellifereœ . . . Loranthaceee . . . Caprifoliacese . . . Composite» — Campanulaceœ . vaccine» Pyronaceœ Oleaceœ Apocynese Polemoniacese . Convolvulaceœ . Boraginacese Verbenaceœ Lentibularieae . . , Nyctaginese Amarrinthaceœ . iSamalaceœ Aristolochiœ.... Cupulifereae Salicineae Lrtieaceae Conifereœ Aroideœ Alismaeeœ Orehideœ Liliaceœ Juncaceœ Cyperaceœ , Filices 33 W « < !» g « W © H •J. § M 2 3 1 1 — 1 28 1 1 2 4 2 n 2 4 _ 1 1 — 2 2 4 4 1 1 1 — 33 62 1 4 1 1 _ 1 4 4 1 1 — 4 15 — 10 14 1 1 1 — 6 13 _ 40 112 8 1 2 _ 2 0 — 2 fi — 1 1 — 1 2 — 3 S 1 1 8 17 2 1 1 2 2 — 2 2 — 1 1 — 1 2 — 1 1 3 4 1 1 3 — 3 8 — 5 13 47 3 3 — 3 5 — 8 13 — 11 20 — 2 13 8 5 68 4 13 17 Dans l'Amérique Britanni- que septentrio- nale. NOTA. — Les plantes marqués (a) s'étendent jusque dans la province arctique, (£) dans la zone circum-arctique, (c) dans le district central ou zone boisée, (d) les familles qui appartiennent au district du Canada ou de la côte Pacifi- que, ou au district aride du Centre. Les colonnes marquées d'un astérisque sont empruntées aux tables données dans " Arctic searching expédition, " by Sir John Richardson, 1851, vol. II, p. 322. 19 Sommaire de la collection précédente par M Bourgeau. 819 species. 349 gênera. 92 familles. De ces familles : a. 19 s'étendent dans la province arc- tique ; b. 40 s'étendent dans la zone subarc- tique ; c. 14 s'étendent dans le district central de la zone boisée ; cl. 29 sont restreintes dans leur étendue au district central aride, ou aux districts boisés, oriental et occiden- tal. Des mômes familles, ont été énu- mérées par Richardson dans l'Amé- rique septentrionale britannique et russe : 471 gênera. 2155 species. 118 familles. 509 gênera. 1 725 dicotylédones. 554 monocotylédones. 2 279 species. La région que nous désignons sous le nom de la forêt renferme une foule de lacs. Les uns sont immenses, comme le lac Winnipig, d'autres en grand nombre, ont une étendue de douze à vingt lieues, puis une foule incalculable d'autres lacs de toutes les dimensions. C'est à tel point dans certains districts, que les sauvages qui sillonnent leurs terres, le font presque toujours en petits canots qu'ils portent d'un lac à l'autre. J'en ai traversé jusqu'à vingt en un même jour en hiver, et pendant six jours de marche, je ne crois pas avoir franchi 1C milles sur la terre ferme ; pourtant je ne suivais pas la route des canots. Cette observation nous conduit à dire qu'une très-grande partie de la foret est de l'eau, ce qui entraîne une dé- duction énorme à faire sur la partie habitable. Joignant aux lacs propre- ment dits, les marécages et les ter- rains annuellement exposés aux inon- dations, on double presque cette sur- face impropre à l'habitation. Il est vrai que le défrichement produira un assainissement naturel ; on en voit la preuve par la partie des prairies conquises sur la forêt ; là il y a des affaissements, d'anciennes fondrières qui n'ont aucune humidité. Dans les parties mêmes tout à fait desséchées de ces nouvelles prairies, on voit un grand nombre de chaussées de cas- tors, preuve certaine de l'existence de lacs ou d'étangs à l'époque où ces terrains étaient boisés. Les grands et les moyens lacs sont généralement poissonneux, les petits sont privés de cette ressource. Leur multiplicité a, en outre, un immense inconvénient, celui d'influencer défavorablement sur la température. Tous ces lacs se gèlent profondément en hiver ; le so- leil de mai et une partie de celui de juin dépensent à les dépouiller de leur épais manteau de glace, une chaleur que le sol voisin utiliserait abondamment, et cela sans compensa- tion contre les gelées précoces qui, même au milieu de l'été, sont plus fréquentes et plus intenses auprès de ces petits lacs et surtout des maréca- ges. Le voisinage des grands lacs a un effet tout contraire, les récoltes y sont bien plus sûres, même aux lati- tudes élevées. Ils gardent les pro- duits de la terre contre la destruction du froid. Cela, au reste, se comprend facilement. Quand la masse de leurs eaux est réchauffée elle ne subit pas dans une nuit les changements aux- quels l'air atmosphérique est exposé ; les vapeurs chaudes qui s'exhalent de ces lacs neutralisent les courants d'air froid qui viennent d'ailleurs. A l'île à la Crosse, à Arthabaskaw même en défrichant les bords des lacs on est certain de la récolte du froment et des légumes, tandis que l'éloigne- ment du rivage rend ces récoltes très précaires. Dans les endroits bas et marécageux, il gèle tous les mois de l'année, par conséquent, la culture est impossible. Ceci établi, je considère que les bords des moyens lacs, là où le sol est naturellement productif et élevé, sont beaucoup plus avantageux à la colonisation que les prairies elles- mêmes. 20 Aussi si j'avais à circonscrire une ceinture fertile, au lieu de faire un arc-cn ciel ou à terre, je prolongerais les extrémités de la prairie et je' re- tendrais dans la foret le long des grands cours d'eau, car cette région de la forêt est traversée par quelques belles rivières qui verront probable- ment plus tard des établissements se disputer leurs rives. La rivière la Pluie est une de celles-là, malgré les marécages qui rétrécissent la surface de sa première grève. Presque toutes les rivières qui descendent des mon- tagnes Rocheuses offrent de grands avantages. Protégées» d'un côté, par ce puissant rempart, elles n'ont point, de l'autre, à craindre les influences délétères que les vents du nord tirent du fait que la baie d'Hudson s'avance si avant dans les terres plus à l'est. Elles ne redoutent point non plus les inconvénients que nous avons signa- lés comme conséquence des vents du Midi, se précipitant avec une violence indomptée à travers le désert, qui va pour ainsi dire à leur rencontre, jus- qu'au golfe du Mexique. Si ce n'était l'éloignement du reste du monde, la difficulté des communications, les pla- teaux qui bordent ces belles rivières seraient déjà occupés, mais comment jeter une population à des pareilles distances? La petite colonie de la ri- vière Rouge a souffert assez longtemps et souffre encore assez de son éloi- gnement pour qu'il nous soit possible d'apprécier les difficultés de ces sortes d'établissements et la responsabilité encourue par ceux qui en précipitent trop la fondation. CHAPITRE IL RENSEIGNEMENTS HYDROGRAPHIQUES. On comprend facilement la nécessi- té d'étudier les différents cours d'eau qui sillonnent ce pays, afin de juger de la plus ou moins grande facilité des communications et, par suite, de l'ex Tploitation des richesses qu'il renferme. Pour plus de clarté, nous indiquerons •séparément les trois grands bassins que renferme le département du Nord, qui sont : le bassin arctique, le bassin Wmnipig et le bassin intermédiaire. § 1. — Bassin arctique, Ce bassin renferme plusieurs fleu- ves importants les uns comme voies de communication, les autres par les souvenirs historiques qui s'y ratta- chent. Le fleuve MacKenzie est la grande artère qui traverse le bassin arctique ou le territoire du nord-ouest, dans toute sa longueur, depuis le mont Hooker jusqu'à l'océan Glacial. Ce fleuve géant reçoit le tribut de toutes les eaux du territoire qui sont à gau- che. Il ne perd à sa droite que celles qui se déchargent directement dans la mer. Nous plaçons la source de ce fleuve au pied des monts Hooker et Brown, tête de la rivière Athabaskaw, tout près des sources de la rivière Co- lombie, parce que, en ligne droite du moins, c'est le point le plus éloigné de l'embouchure. Ce fleuve magnifi- que, outre une multitude de petits tributaires, reçoit les eaux du petit lac des Esclaves, du lac la Biche, de la rivière de l'Eau claire, du grand lac Athabaskaw, de la rivière à la Paix, traverse la partie sud-ouest du grand lac des Esclaves, accepte plus loin le tribu t de la rivière au Liard, de la riviè- re du grand lac d'Ours. Ce fleuve porte plusieurs noms dans ses différentes sections. Il se nomme rivière Athasbaskaw depuis sa source jusqu'à la petite rivière qui vient du lac la Biche. Il emprunte ensuite le nom de cette dernière jus- qu'au confluent de la rivière de l'Eau claire, plus connue sous le nom de petite rivière Rabaska. 11 devient en- suite rivière Athabaskaw jusqu'au lac du môme nom ou des Collines ; puis, c'est la rivière de Roche, dont le pro- longement s'appelle rivière aux Escla- ves, jusqu'à ce qu'elle se soit perdue dans ce grand lac, à la sortie duquel son nom de rivière Mackenzie lui est donné jusqu'à son embouchure. Ce •21 fleuve est déjà navigable, sinon de- puis sa source, du moins depuis le fort Jasper jusqu'à son embouchure, dis- tance d'environ 2,000 milles. Dans tout cet immense parcours la naviga- tion, avec les embarcations en usage dans le pays, n'est interrompue que dans deux endroits par le groupe des rapides de la rivière à la Biche et par celui de la rivière aux Esclaves. Ces derniers rapides, situés à plus de 1,200 milles de la mer Glaciale, sont le pre- mier obstacle que des vaisseaux ren- contreraient en remontant le fleuve. Des vaisseaux d'un moindre tirant navigueraient assez facilement depuis le haut de ces rapides jusqu'au pied de ceux de la rivière à la Biche, mais pas à toutes les saisons de l'année, les battures de sables formant, à l'eau basse, des obstacles nombreux. Depuis les derniers rapides jusqu'au fort Jasper, le courant est extrêmement fort,l'eau ordinairement peu profonde; en sorte que la navigation est très- difficile et n'est même possible que pour des bateaux de très-faible tirant et d'une grande force motrice. La largeur de ce fleuve, qui n'est d'abord que d'environ un quart de mille, aug- mente graduellement, quoique irré- gulièrement. En certains endroits il a jusqu'à 2 milles de largeur, et, som- me toute, est un des plus beaux fleuves du inonde, tant pour sa longueur que pour le volume de ses eaux. Depuis sa source jusqu'au lac Atha- baskaw, ses eaux sont troubles, forte- ment chargées d'argile et de sable, ce qui forme des battures mouvantes bien difficiles à connaître et à éviter. Le peu de limpidité de l'eau augmente la difficulté de cet inconvénient. Dans le cours du mois de juillet ce fleuve, comme tous ceux qui descendent des montagnes Rocheuses, voit une crue subite de ses eaux due à la fonte des neiges sur les graudes montagnes. Dans le haut surtout, il devient un torrent impétueux, et aioft la naviga- tion est bien difficile, souvent même dangereuse. • Gela arrive souvent quand des chaleurs intenses se succè- dent pendant plusieurs jours dans la région des neiges. La durée de ce phénomène est ordinairement en rai- son inverse de son intensité. Le delta de l'Athabaskaw, en arri- vant au lac du même nom, est d'au- tant plus singulier qu'il est aussi sou- mis a l'action d'un grand cours d'eau, la rivière à la Paix, qui a son embou- chure tout près de là. Ces deux puis- santes rivières, outre des sables et des argiles, traînent encore des arrachés considérables. Ces débris se sont amoncelés dans la partie sud-ouest du lac pour former la langue de terre qui sépare les deux grandes sources de la Mackenzie. Ce travail n'est pas encore complété. Les rivières d'Embarras, d'Epinettes, le lac Mamawi, les Qua- tre-Fourches et une multitude de ca- naux sillonnent cette langue de terre et sont encore à attendre la fin de ce travail. Les courants de plusieurs des branches de ce delta changent de di- rection suivant la hauteur des eaux de l'Athabaskaw et de la rivière à la Paix. Quelques-uns coupent la langue de terre sur un plan rectangle avec celui des fleuves. A l'eau haute, une partie des terres de ce delta est inon- dée ; les points élevés, recouverts de foin, forment des îlots ordinairement oblongs qui apparaissent comme les filets d'un rets immense, dont les pe- tits lacs qui les séparent seraient les mailles énormes. De là le nom à'Athabaskaw ou Aya- baskaw (Filet de foin), que nos voya- geurs ont souvent rendu par le mot Rabaska. Le grand lac des Esclaves, par un concours de circonstances sem- blable à celui que nous venons d'in- diquer, voit graduellement sa rive méridionale s'agrandir par des dépôts qu'il reçoit des rivières qui s'y dé- chargent, et que les vents du nord, qui sont les plus violents et les plus fréquents, refoulent vers la rive sud qui est la plus basse et à laquelle ils adhèrent plus facilement. Le haut du fleuve Arthabaskaw traverse des pays fertiles et bien boisés. Après une descente violente du pied des grands monts, il reçoit le tribut du petit lac des Esclaves, ma- 22 gnifiqne bassin, espèce de vivier immense qui a vingt-cinq lieues de long et une dizaine de largeur, dont les rives s'élèvent en amphithéâtre et sont d'une grande beauté. Ce tribu- taire de la gauche a, un peu plus loin, à droite, son pendant dans le beau lac la Biche, moins grand que le pré- cédent, mais tout aussi recomman- dable et environné d'un pays d'une grande fertilité et très-propre à la colonisation. Du lac la Biche, il y a une route, par terre, jusqu'à la Rivière Rouge, par conséquent jusqu'aux Etats-Unis. Déjà des transports s'ef- fectuent par cette voie, et le lac la Biche pourrait devenir l'entrepôt du commerce qui se fera sur tout le fleuve Athabaskaw-Mackenzie. Le tributaire le plus important que l'on rencontre ensuite est la rivière de l'Eau claire, ou petite rivière d'Athabaskaw. ' Ce délicieux petit cours d'eau, qui a sa source à l'est du portage à la Loche, a jusqu'à ce jour, malgré la difficulté de sa navigation, joui du privilège d'être à peu près la seule voie de communication vers Athabaskaw-Mackenzie. En descen- dant des hauteurs du portage à la Loche, on s'embarque sur cette petite rivière qui, pour retenir le voyageur au milieu des beautés saisissantes qu'elle offre à ses regards, jette sur son chemin des obstacles à la naviga- tion qui nécessitent les portages delà Terre blanche, des Pins, de la Grosse- Roche, de la Bonne et des Cascades. Cette rivière n'est pas navigable pour d'autres embarcations que celles en usage dans le pays, et encore ce genre de navigation n'est pas facile. En descendant le grand fleuve, on entre dans l'extrémité sud-ouest du lac des Collines qui s'étend à l'est. Le lac Athabaskaw est une belle nappe d'eau, profonde, claire, mesurant plus de 200 milles de longueur, à une élévation d'environ 600 pieds au-des- sus de la nier. Il ne paye le tribut de ses eaux au fleuve géant du nord qu'après avoir reçu lui-même celui d'une partie des eaux du lac Wal- leston. Ce dernier, comme le lac des Iles, d'où sort la rivière de l'Eau claire, ne se détermine à prendre la route -du nord qu'après avoir fourni son contingent au fleuve Churchill dont il alimente les tributaires. Nous l'avons dit déjà, un peu plus bas que le lac Athabaskaw, la rivière à la Paix joint ses eaux à celles du grand fleuve. Plusieurs regardent cette dernière rivière comme la source du fleuve Mackenzie. Il importe moins de discuter cette opinion que de faire connaître la rivière elle-même. La rivière à la Paix est, sans contredit, une des plus belles du pays, peut-être même du monde. Sa navigation, du moins pour les embarcations actuel- lement en usage, ne rencontre de difficulté que dans une chute assez petite et quelques rapides. Ces obsta- cles ne résisteraient pas à des travaux d'un ordre secondaire, et alors la rivière serait navigable dans tout son cours, même pour des embarcations considérables, et cela à peu près tout l'été. Cette rivière, qui arrose une vallée aussi belle que riche, a ses sources dans les montagnes Rocheu- ses, tout près de celles de la célèbre rivière Fraser, et forme avec cette dernière, comme l' Athabaskaw avec la rivière Colombie, une ceinture hydraulique qui relie, presque sans interruption, la mer Glaciale à l'o- céan Pacifique, et forme une voie de communication qui, sans doute, n'est pas sans difficultés, quoique ces diffi- cultés soient bien moindres qu'on ne le supposerait naturellement à l'idée de passer les montagnes Rocheuses par eau. Cette route découverte parle cheva- lier Mackenzie en 1793, a été suivie par les traiteurs de pelleteries. Elle trouve des avocats qui prétendent que c'est la voie naturelle pour pénétrer sur le territoire du nord-ouest. La vallée qu'arrose la rivière à la Paix ne peut manquer de se peupler, et alors bien des curieux et des intéressés ad- mireront ce beau cours d'eau que la pauvre nation des castors, qui habite ses rives, voit peut-être aujourd'hui avec assez d'indifférence. 23 Entrons de la rivière à la Paix dans la rivière des Esclaves ; nous la des- cendrons avec rapidité jusqu'à sa première cascade, que nous éviterons en faisant le portage de la Cassette. C'est le commencement du second groupe des grands rapides du fleuve Mackenzie. Le premier, dans la ri- vière à la Biche, était formé par les couches calcaires qui la traversent ; celui-ci doit son existence aux promon- toires non fossilifères qui viennent ici saluer le grand fleuve ou essayer sa puissance en jetant sur son passage des obstacles qui ne sauraient résister à la violence de son cours, et le fleu- ve furieux bondit à travers ces obsta- cles, se dédommageant des efforts qu'ils lui coûtent par le magnifique coup d'œil qu'offrent ses chutes et ses rapides. Le voyage ur a le loisir de contempler ce spectacle, puisque, ou- tre le portage de la Cassette, il lui faut encore faire ceux des Embarras, du Brûlé, de la Montagne, enfin le porta- ge Noyé. En jetant un dernier regard sur cette âpre nature, encourageons- nous à continuer notre route, tout en regrettant de ne pas trouver ici quel- que beau vaisseau qui sans obstacle nous conduirait à la chasse à la baleine sur la mer Glaciale. A défaut de ce secours, montons sur la berge qui nous attend; à 15 milles nous salue- rons en passant la petite rivière au Sel, et, si nous n'avons pas encore contracté l'habitude de manger tout doux, nous nous approvisionnerons sur ces bancs cristallisés qui apparais sent comme des bancs de neige. Plus loin, après avoir passé un autre delta, nos regards se perdront sur une autre mer d'eau douce, c'est le grand lac des Esclaves. L'île de Pierre, masse de granit, [nous dira qu'à l'est et au nord ce grand lac, comme tous ses frères géants, est solidement entouré de roches primitives, tandis qu'au sud .et à l'ouest il est ceint de calcaires. Ce lac est un des plus grands de l'univers, sa profondeur égale celle du lac Su- périeur, ses eaux sont magnifiques et nourrissent une quantité prodigieuse de poissons. Malheureusement la navigation n'y est certaine que depuis le commencement de juillet jusqu'au milieu d'octobre. Après avoir traver- sé le lac des Esclaves, le grand fleuve prend définitivement le nom de celui qui en a fait la découverte. Avant de descendre cette dernièrepartie, mettons pied à terre, nous devons être plus ci- vils que nous ne l'avons été jusqu'à ce moment, puisque nous n'avons en- core salué personne. Il y a ici des missionnaires, un évoque, des prêtres; des sœurs de chanté sont sur cette rive, c'est l'établissement de la Provi- dence, résidence du vicaire apostoli- que de la rivière Mackenzie. Reprenons notre course pour nous arrêter à l'embouchure d'une autre grande rivière, celle dite rivière au Liard ou rivière aux Montagnes. Ceux qui veulent savoir comment une grande rivière descend des hauteurs escarpées, comment nos voyageurs sont assez hardis pour s'aventurer sur des eaux mugissantes, qui coulent avec un horrible fracas au milieu des hautes murailles qui les bordent, ceux-là n'ont qu'à monter la rivière au Liard. D'abord ils n'auront pas trop de difficulté, mais à mesure qu'ils appro- cheront de la cime des montagnes je leur promets des émotions. Ils iront saluer les sources des rivières Peily et Lewis, qui, avec celle du Liard for- ment un autre cordon hydraulique, presque non interrompu, entre la mer de l'Ouest et celle du Nord. En des- cendant la rivière du Liard il faut se cramponner fortement au bateau qui vous entraîne, car en certains endroits le courant esL tellement violent que celui qui gouverne se lie à l'embarca- tion pour n'être pas arraché de son poste par la secousse que la force de l'eau imprime au gouvernail qu'il tient en main. Revenus au fort Simpson, où la rivière du Liard se décharge dans le fleuve de Mackenzie, continuons à descendre ce dernier pour admirer les beautés sauvages qu'il va nous per- mettre de contempler. C'est la chaîne des montagnes Rocheuses que le fleu- 24 ve va saluer à son tour. Cette puis- sante muraille repousse le rapide visi- teur qui pour l'éviter dévie quelque- fois de sa course. Plus loin, il semble que l'eau l'a emporté sur le roc et que le fleuve impatient, au lieu de décrire des sinuosités nombreuses, s'est élancé à travers ces masses énormes qui encaissent son lit de chaque côté. De nombreux affluents descendent des montagnes emportant dans leur chute rapide le tribut des lacs que ces der nières renferment dans leurs flancs. Après que l'on a examiné les cou- ches de charbon, le bassin de lignite que traverse le grand fleuve, voilà qu'une colline coupée verticalement à plus de 200 mètres nous invite à contempler la grande rivière qui coule à ses pieds, c'est la rivière du grand lac d'Ours. Nous pouvons la remonter pour aller visiter le lac immense qui lui donne son nom. Mais souvenons- nous qu'il est couvert de glace pendant onze mois de l'année : nous ne pour- rons donc pas nous y arrêter long- temps, quel que soit le degré d'intérêt qu'il puisse inspirer, tant par sa gran- deur que parles souvenirs historiques qu'ont attachés à son nom les expédi- tions arctiques qui en ont fait leurs quartiers d'hiver. Une autre raison encore nous fait aimer ce lac, puisque les rigueurs exceptionnelles du climat qui y règne n'ont pas découragé l'apô- tre qui a porté le flambeau de la foi. Nous saluerons ce missionnaire à Good-Hope, la dernière de nos stations. Passons ce qu'on appelle le rapide qui, à l'eau basse, pourrait quelquefois faire mentir l'assertion que nous avons faite, que le fleuve est naviga ble pour de gros vaisseaux jusqu'à la mer Glaciale, où il débouche à travers un delta de terres alluviales. Le bassin arctique renferme plusieurs autres rivières qui, quoique sans utilité pratique, ne manquent pas d'intérêt, et qu'ont rendues célèbres les noms et les aventures des illustres voyageurs qui ont exploré ces plages inhospitalières. La rivière de Cuivre est lapremièrequi ait attiré l'attention; sa recherche a été l'objet du premier voyage fait par terre dans les régions arctiques, c'est celui de Samuel Hearn en 1771 ; puis la rivière du Poisson ou de Back qui, comme la précédente, a été le théâtre de bien des scènes émouvantes, qui a vu la dernière expédition par terre, celle de MM. Anderson et Stuart en 1855. C'est à l'embouchure de cette rivière qu'on a fait les découvertes qui ont mis un terme à l'incertitude causée par l'igno- rance du sort du capitaine Franklin et de ses généreux compagnons de voyage. Nous parlerons de ces riviè- res en parlant de l'histoire du pays. § 2. — BASSIN DU WINNIPIG. La description de ce bassin entraî- nera tout naturellement celle des grands cours d'eau qui se déchargent dans le lac de ce nom, et qui vont en- suite s'engloutir dans la baie d'Hud- son. Nous ajouterons quelques mots sur les principales rivières qui tom- bent aussi dans la même baie à l'est du fleuve Nelson et que nous ratta cherons au bassin du Winnipig pour ne pas trop multiplier les divisions. Le lac Winnipig est assis au centre d'un plateau immense : c'est vers lui que convergent les grandes rivières qui égoutent ce plateau; elles vien- nent de l'est, du sud, de l'ouest, et après avoir mêlé leurs eaux vont tou- tes par une issue commune se perdre dans le graad lac salé-, la baie d'Hud- son. Le lac Winnipig, qui couvrait au- trefois une surface triple ou quadru- ple de celle qu'il occupe aujourd'hui, offre pourtant encore une étendue considérable ; on lui assigne une su- perficie de 8,500 milles; sa plus grande longueur est de 280 milles, tandis que sa largeur varie du 6 à 60 milles. Des observations diverses établissent sa hauteur au-dessus du niveau de la mer à 600 ou 630 pieds. Sa profon- deur n'excède pas 1 2 brasses. Ses eaux, pour battre le granit qui l'encaisse à l'est et les sables ou calcaires qui le 25 bordent à l'ouest, n'en sont pas plus limpides,c'est le Winnipig de la nature comme celui du sauvage. Ce mot dans les langues algonquines veut dire eau sale, et si cette eau n'est pas bour- beuse, elle n'a pas non plus la limpi- dité qu'ont ordinairement les lacs de quekfue étendue. Outre les canots et les berges ordi- naires, le lac Winnipig a vu d'autres embarcations. Les archéologues aime- ront plus tard à savoir que les pre- miers vaisseaux couverts qui ont na- vigué sur ces eaux ont été construits à Norway House dans l'hiver de 1831 à 1832. Ils avaient noms George et Alexander. Ces deux petites goélettes, du port d'une trentaine de tonneaux, ne filèrent leurs nœuds que pendant dix ans. En 1842, Isabella et Mary, montées chacune, comme les précé- dentes, par quatre ou cinq hommes, remplacèrent leurs devanciers dont elles tuèrent le souvenir sans jeter beaucoup plus d'éclat. En 1848 Mary fut dévorée par un incendie, et en 1855 Isabella se brisa au rivage. Le lac Winnipig, veuf de sa petite flot- tille pendant neuf étés, a, au printemps de 1866, joyeusement accepté la légère Polly qui le tyrannise depuis. Pour étudier le Winnipig comme moyen de communication, nous exa- minerons ses affluents : lo à l'est ; 2o au sud ; 3o à l'ouest ; 4o au nord où se trouve la seule décharge du lac. lo Affluents de Test. — Plusieurs riviè- res coulent naturellement dans ce grand lac, de toutes les directions. Du côté du levant, nous n'en mentionne- rons que deux : la rivière aux Tourtes (Barren's river), qui a son embouchure à peu près au milieu du lac Winnipig et qui n'a d'importance que parce qu'elle porte les petites embarcations nécessaires au commerce des deux postes de traite établis sur ses rives ; puis la belle et grande rivière Winni- pig qui, prenant ses sources dans les hauteurs qui séparent le Canada du territoire du nord-ouest, excite natu- rellement le plus vif intérêt comme voie de communication. Ce cours d'eau a été l'objet d'études spéciales, surtout pendant les étés 1857 et 1858. Nous empruntons aux rapports offi- ciels publiés alors les chiffres suivants : Une des sources de la rivière Winni- pig se trouve au portage de la Savane, forme ensuite le lac des Mille-Lacs, puis la rivière à la Seine. Le tout, jusqu'à la petite chute, distance d'en- viron 65 milles, est navigable pour de petits bateaux à vapeur; de là au lac la Pluie, distance de 67 milles, la na- vigation est impossible pour autre chose que des canots ; les transports devront s'y effectuer par terre. Depuis l'origine du lac la Pluie, jusqu'à l'extrémité du lac des Bois, y compris la rivière à la Pluie qui relie ces deux belles nappes d'eau, la dis- tance est de 208 milles, et la naviga- tion à la vapeur ne trouverait d'obs- tacle que dans la chute du fort Francis. Cette magnifique cascade, qui a une élévation d'une vingtaine de pieds, nécessiterait des écluses; en définitive, le cours d'eau dont nous nous occupons, depuis sa source jusqu'à l'extrémité du lac des Bois, présente des obstacles réputés insur- montables pendant une distance col- lective de 72 milles, tandis qu'il offre à la navigation une longueur de 263 milles. Il ne faudrait pas croire que môme cette dernière partie, du moins dans le haut, soit sans difficultés. Je pense Çue, dans la pratique, on subi- rait bien des mécomptes ; mais aussi, quelles sont les iivières qui, dans un si long parcours, ne présentent point d'obstacles ? Dans l'hypothèse de l'adoption de cette route comme voie importante de communication, les travaux exécutés amèneraient le résultat indiqué par les explorateurs. Il est à regretter que la rivière Win- nipig cesse d'être navigable à l'en- droit même où elle prend son nom, c'est à-dire depuis le portage du Rat, où elle reçoit les eaux du lac des Bois, jusqu'au Fort Alexandre où elle les verse dans le lac Winnipig. Cette partie de la rivière, sur une distance d'environ 160 milles, est enrichie de tant de rapides, de chutes, de cas- cades, qu'il est impossible de songer 26 à l'utiliser pour d'autres embarcations que celles actuellement en usage. Les canots d'écorce se jouent facilement dans les rapides, et se portent avec une facilité presque égale par-dessus les rochers qui les encaissent. Les berges employées, outre les canots, sont des bateaux découverts qui ont une trentaine de pieds de quille avec une capacité de quatre ou cinq tonnes et qui sont mises en mouvement, en temps calme, par six ou huit lourdes rames. Ces rames ne sont pas ma- nœuvrées avec autant de facilité que la légère pagaie ; la berge ne vole pas sur les eaux comme le canot d'écorce; cependant, au moyen de la longue rame qui lui sert de gouvernail, nos habiles voyageurs la dirigent facile- ment au milieu des rapides ordi- naires, et une quinzaine d'hommes la traînent même dans les portages les plus escarpés. Ces embarcations sont les seules dont on puisse faire usage dans la rivière Winnipig ; il faudrait des travaux gigantesques pour en améliorer la navigation. La rivière Winnipig compte vingt-six portages. En un endroit elle prend le nom de rivière Blanche, parce que les Rapides sont si continus, que l'eau est partout écumante. Les affluents les plus remarquables de la rivière Winnipig sont : au nord, la petite rivière aux Anglais, (rui dé charge le lac Seul et qui est la route des canots pour se rendre, par la rivière Albany,au comptoir du même nom sur la baie d'Hudson ; et au sud, la série des lacs qui formaient autre- fois la route des canots par le grand Portage et la rivière aux Tourtes. Le lac Vermillon y envoie aussi ses eaux. Pour obvier à l'impossibilité d'uti- liser la rivière Winnipig comme voie de communication, on a imaginé d'ouvrir une route par terre, depuis le lac Plat (extrémité ouest du lac des Bois et terminus de la navigation jusqu'à la rivière Rouge.) La distance de ce point au fort Garry est de 91 milles. La nature du sol, dans ce parcours, n'exigerait pas des travaux considérables pour un chemin de charrettes, à l'exception des bords du lac Plat. 2o Tributaire méridional. — Le seul tributaire du lac Winnipig, au sud, est la rivière Rouge, dont quelques unes des sources touchent à plusieurs de celles du Mississipi. La rivière Rouge, sur les bords de laquelle est établie la colonie du même nom, est, sous quelques rapports, une bien jolie rivière. Son eau pourtant est loin d'être limpide; elle coule sur un lit d'argile qui la charge souvent au point de la rendre bourbeuse. Plusieurs sources saumâtres donnent à ses eaux une saveur désagréable : leur couleur forme un contraste sin- gulier avec le nom qu'elle porte. On dit que ce nom doit son origine à un combat sanglant que se sont livré les sauvages sur les grèves du lac Rou- ge ; de là le nom de ce lac qui, étant un des principaux tributaires de la rivière dont nous parlons, lui a com- muniqué la même appellation. Cette rivière, qui aujourd'hui porte son nom depuis ses sources les plus éloi- gnées jusqu'à son embouchure au iac Winnipig, était divisée autrefois en trois sections différentes. La section supérieure, depuis les sources jusqu'à la grande Fourche, confluent de la rivière du lac Rouge, se nommait ri vière des Sioux, tandis que la rivière Rouge d'alors ne comprenait que la section qui s'étend depuis le lac Rou- ge j usqu'au confluent de l'Assiniboine, la Fourche. L'Assiniboine, de son côté, conservait son nom après sa jonction avec la rivière Rouge, jus- qu'au lac Winnipig. La plus grande longueur de la rivière Rouge est d'en- viron 400 milles par une ligne qui suivrait sa direction générale. Les sinuosités de son cours lui donnent en réalité une longueur presque double de cette ligne droite. Le département du Nord ne possède à peu près qu'un quart de cette rivière, c'est-à-dire de- puis le confluent de la rivière Pembi- na jusqu'à l'embouchure, distance d'environ 100 milles par terre. Les si- nuosités sont moins nombreuses et moins considérables dans cette partie ; ■27 la largeur moyenne est de 150 à 200 mètres. Il est bien difficile d'indiquer sa profondeur qui varie de 2 à 30 pieds suivant les saisons. La rivière Rouge a subi l'expérience de la navigation à vapeur. Un eng'in sillonne ses eaux depuis 1859. Cette expérience de huit années nous per- met de formuler, sur les facilités de cette navigation, une opinion plus ex- acte que celle donnée par les observa- tions ou études nécessairement super- ficielles, qui se font dans un pays peu habité. Le premier bateau à vapeur qui ait voyagé sur la rivière Rouge, est UAn- so?i Northup, que ses propriétaires y conduisirent à grands frais de la ri- vière Saint-Pierre, profitant, pour cet effet, des eaux débordées du printemps. Le bateau arriva, à l'improviste, au centre de la colonie, au commence- ment de juin. Personne ne l'atten- dait ; son arrivée prit les proportions d'un événement,et à la surprise publi- que, le canon gronda et les cloches carillonnèrent en signe d'allégresse. Le sifflement de la vapeur, se pro- menant sur les eaux de notre rivière, disait aux échos du dé- sert qu'une ère nouvelle allait luire pour ce pays. Chaque révolution de l'engin semblait diminuer d'autant la distance qui nous sépare du monde civilisé. Les troupeaux d'animaux domestiques, peu habitués à ce bruit, prenaient la fuite, se croyant, je sup- pose, poursuivis par une bête plus grosse qu'eux-mêmes, et les gens de beaucoup comme de peu d'esprit ac- couraient en foule pour voir le nou- veau venu, qui n'était pourtant pas un chef-d'œuvre du genre. Les enfants, pour exprimer leur étonnement, di- saient qu'il avaient vu passer une grosse berge ayant un moulin à son arrière. L'arrivée de YAnson Northup inau- gura, de fait, une ère nouvelle pour le commerce de la colonie de la riviè- re Rouge. L'honorable compagnie de la baie d'Hudson se détermina à ten- ter cette voie pour une partie de ses opérations. Elle se procura une licence pour traiter parmi les sauvages des Etats-Unis, fit l'acquisition de terres considérables auprès de l'em- bouchure de la rivière au Bœuf, éloi- gnée de 200 milles du fort Garry. On commença à cet endroit, que l'on considéraitcomme le point auquel le bateau à vapeur pourrait atteindre ordinairement, un établissement au- quel on donna le nom de Georgetown, en l'honneur de sir George Simpson, alors gouverneur de Rupert's Land,et qui avait favorisé généreusement l'en- treprise nouvelle. Les MM. Burbank et Cie, de Saint-Paul, établirent une ligne de diligences entre Georgetown et Saint-Cioud, pour la rallier à celle qu'ils avaient déjà entre Saint Cloud et Saint-Paul ; en un mot, on fit tout ce que l'on put pour nous lancer en pleine civilisation, cette civilisation du moins, que traîne la vapeur et, à, son défaut, les chevaux bien enhar- nachés. Au printemps de 1860, tout répondit à l'attente générale. L'eau était haute, le vapeur commença ses courses et les continua pendant tout l'été. A l'au- tomne, l'eau basse suscita des difficul- tés ; il fallut se traîner difficilement entre les pierres des rapides des Ou- tardes, que l'on commença à considé- rer comme une difficulté sérieuse, du moins à cette saison. En 1861, la ri- vière Rouge déborda dans tout son cours ; la vapeur n'a pas peur de l'eau ; c'est, bien au contraire, un des élé- ments de sa force, en sorte que notre petit bateau put courir en toute facilité entre le fort Garry et Georgetown, et cela jusqu'à la fin d'octobre. C'est grâce à lui et aux diligences de M. Burbank que, cette année, nous pûmes aller de Saint-Boniface à Mon tréal en douze jours. Le succès de cette année encouragea tout naturellement les propriétaires du vêtit vapeur, qui perdit, lui, à son triomphe : on le trouva trop petit, trop laid, pas assez fashionable pour la magnifique rivière R.ouge ; bref, on décréta sa déchéance. Le splendide International* avec sa prétentieuse devise : Germinaveruut speciosa deserti. 28 sortit des chantiers de Georgetown, laissant à sa place les 20,000 piastres quil avait coûté, et entreprit an prin- temps de 1862 de montrer la gloire de sa construction. Les circonstances le favorisèrent à un certain point de vue. L'engouement créé par la découverte des mines d'or de Caribou avait mis la fièvre jaune au cœur d'un grand nombre, qui croyaient la calmer plus facilement en prenant la route de terre pour arriver à ia rivière Fraser. Cent cinquante mineurs partaient de Geor geîown par le premier voyage de Y In- ternational Le succès ne répondit pas à l'attente, il fallut six jours pour des- cendre au fort Garry. Quoi qu'il en soit, V International continua ses voya- ges presque tout l'été. Vers l'automne les basses eaux ne lui permirent pas de monter le rapide aux Outardes, il fut même obligé de prendre ses quar- tiers d'hiver un peu trop tôt au gré des intéressés. Là commence la série des échecs qui, pendant quatre ans, ont marqué la navigation à vapeur sur la rivière Rouge. En 1863, le steamboat, conduit jusqu'au port Abercombie, n'en put plus bouger, non pas uniquement à cause des Sioux, que l'on redoutait avec raison, à la suite des massacres qu'ils avaient commis l'automne précédent, mais bien aussi parce que l'eau était trop basse pour le tenir à flot, quoiqu'il ne lui en fallût que 4 pieds pour ses évo- lutions. En 1864, on ne compte qu'un voyage au printemps, et encore le retour s'effectua difficilement. En 1865, même résultat, un seul voyage possible au moment de la débâcle*. En 1866, Y International ne démarra pas du gros chêne auquel on l'attache à Georgetown. Au départ de la glace, un voyage eût pourtant été possible, mais l'insuccès des années précéden- tes avait rendu si peu confiant que l'on ne prit pas même la peine de pré- parer du fret pour cette époque. En 1867, l'eau a été plus haute ; le bateau, qui ne fit que deux voyages, aurait pu facilement monter et descendre la rivière Rouge jusqu'à la fin d'août. Le fret manquant encore à George- town, on le fit voyager dans le bas de la rivière entre les deux forts Garry. Voilà le résultat des expériences d°e huit années ; c'est-à-dire, en définitive, la moitié du temps le vapeur n'a pu fournir ses voyages, et l'autre moitié a été marquée par l'insuccès le plus complet. Ce résultat a un peu trompé les brillantes espérances, les riches calculs. Aujourd'hui l'idée d'un steam- boat sur la rivière Rouge ne soutient pas l'enthousiasme qu'elle avait créé tout d'abord. Les riches et les négo- ciants, instruits par l'expérience et le mécompte, redoutent l'incertitude du résultat. Les pauvres vont jusqu'à se prononcer positivement contre la va- peur et cela pour les trois raisons sui- vantes : lo la rivière Rouge est très- poissonneuse et nourrit par là un grand nombre de nécessiteux ; on sait assez que les bateaux à vapeur ne sont pas très-experts dans l'art de la piscicul- ture ; 2o le bois est très rare sur les bords de la rivière Rouge ; il y est pourtant bien nécessaire et les canots a feu font la guerre aux combustibles de la rive, tout comme aux comestibles qui se jouent dans l'onde ; 3o des trans- ports par terre, des Etats-Unis ici, sont une source abondante de gain pour les propriétaires de la colonie, qui utili- sent ainsi leurs chevaux et leurs bœufs de travail, tandis que la circulation du steamboat les prive de cet avantage, et tout l'argent dépensé par les gens du pays pour le roulage de Saint-Cloud à Georgetown reste entre les mains des Américains. Quoi qu'il en soit de ces raisons ou de ces inconvénients, il n'est point douteux que la rivière Rouge continuera d'être sillonnée par des vapeurs. Si, au lieu de construire un vaisseau sur les proportions de V International, on avait construit un tout petit bateau, on aurait certaine- ment obtenu un résultat plus satisfai- sant. La rivière Rouge a, sur le territoire des Etats-Unis, entre autres affluents, la rivière de la Queue-de-Loutre et la rivière du lac Rouge, qui, sortant toutes deux de lacs situés au milieu de belles et épaisses forêts, peuvent 29 être très-utiles pour la descente des bois. La Cheyenne et la Pembina sont aussi d'importants tributaires. La dernière semble être mise en senti- nelle pour garder la frontière améri- caine, où elle décrit une courbe, après avoir laissé les possessions bri- tanniques sur lesquelles elle a ses sources. Dans le département du Nord, outrequelques affluents d'aucune utili- téja rivière Rouge reçoit les eaux des rivières aux Roseaux, aux Rats et Sale qui, sans offrir tous les avanta- ges que possèdent les tributaires ci- dessus mentionnés, nous ont néan- moins déjà rendu de grands services, et nous en rendront de plus grands encore, quoique leurs lits soient pres- que desséchés la plus grande partie de l'été. Les rives de la rivière Rouge sont des falaises argileuses générale- ment très-élevées. Cependant elles sont inondées ;ces inondations souvent élèvent le lit de la rivière jusqu'à 30 pieds au-dessus de son niveau ordi- naire. Le plus important tributaire de la rivière Rouge est, sans contredit, la rivière Assiniboine, qui était consi- dérée autrefois comme la rivière prin- cipale et conservait son nom jusqu'au lac Winnipig. L' Assiniboine n'est point navigable, quoiqu'elle ait un cours de plusieurs centaines de milles. Au printemps, mais au printemps seulement, on peut la descendre, et, de fait, on la descend en canot ou en bateaux tout à fait plats, qui ne la re- montent jamais. Je ne sache pas qu'elle soit habituellement propre à un autre genre de navigation. Son cours est excessivement tortueux, le bas coule sur un lit argileux à travers une vallée fertile, le haut tra- verse une plaine souvent sablonneuse et aride. Au printemps, les ruisseaux qui descendent de la montagne Dau- phin peuvent confier à l'Assiniboine, où ils se jettent, les bois que nous lui demanderons, après avoir épuisé ceux qui la bordent et qui nous ont déjà été d'une si grande utilité. La rivière Rapide traverse de belles terres, qui plus tard seront certaine- ment habitées. Le grand affluent de l'Assiniboine, à l'Ouest, est la rivière Qu'Appelle, petit ruisseau au fond d'une vallée délicieuse et dont l'élargissement forme huit lacs où abonde la meilleu- re qualité de poisson blanc. Avec plus de bois, la vallée du lac Qu'Appelle serait une place de premier choix pour la colonisation. Quelqu'un a parlé de construire une chaussée à travers la branche sud de la Siskatchewan, pour rejeter dans la vallée de la Qu'appelle la masse d'eau qui l'emplissait autrefois, et par là fournir à l'Assiniboine le moyen de devenir navigable. Sans m'arrêter à combattre une idée, dont la réalisa- tion me semble tout à fait impossible, je me permettrai d'exprimer mon étonnement à l'annonce d'un projet conçu, en partie du moins, en faveur de la colonie de la rivière Rouge, et dont la première conséquence serait de noyer, et, par conséquent, de dé- truire cette même colonie. Les inon- dations sont précisément le plus grand obstacle que la colonie ait trouvé à son développement, et l'on parle d'un plan, qui, entre autres inconvénients, lui amènerait une masse d'eau pres- que égale à celle qu'elle reçoit natu- rellement et qu'elle ne peut°contenir. Evidemment la rivière Qu'Appelle, au lieu d'être autrefois un tout petit ruisseau comme aujourd'hui, était une belle et magnifique rivière, ou un lac immense remplissant toute la vallée qui a près de 2 milles de lar- geur ; mais c'était à l'époque où toute la plaine, au milieu de laquelle coule la rivière Rouge et le bas de l'Assini- boine, était le fond d'un lac. Cette plai- ne redeviendrait encore un lac, si une partie considérable des eaux de la branche sud de la Siskatchewaa étaient dirigées vers l'Assiniboine. Au sud, la rivière Assiniboine re- çoit les eaux de la rivière à la Souris, qui a ses sources tout près du Missou- ri. Des fragments de lignite, trouvés sur les bords de cette rivière, avaient fait croire à l'existence de couches 30 carbonifères. Des recherches plus exactes n'ont point justifié cette atten- te. C'est en suivant la rivière à la Souris, une partie de son cours, que les explorateurs de la rivière Rouge ont aussi découvert le haut du Mis- souri, et c'est de là qu'ils ont poussé leur reconnaissance jusqu'aux monta- gnes Rocheuses, avant qu'aucun homme civilisé n'en eût salué le ver- sant occidental, du moins à cette lati- tude. Par elle-même et par la rivière Qu'Appelle, l'Assiniboine va chercher les eaux de toute la plaine jusqu'aux bords pour ainsi dire de la branche sud de la Siskatchewan, tandis que la rivière à la Souris et la Cheyenne re- çoivent celles qui descendent du grand coteau du Missouri. La rivière Rouge, outre toutes ces eaux, recueille à l'Est celles qui ne tombent pas dans le Mis- sissipi. Il n'est donc point étonnant que les neiges fondues, qui ne trou- vent point obstacle dans ces immenses plaines, d'où elles se précipitent vers le lac Winnipig, le fassent en assez grande abondance pour n'être pas contenues dans le chenal qui doit les conduire, et cela est d'autant plus na- turel que le lac, étant encore à l'épo- que de la fonte des neiges tout couvert d'une glace épaisse, ne se prête pas facilement à l'absorption de cette grande quantité d'eau. Nos inonda- tions ont un caractère bien différent de celui qu'elles revêtent dans les pays montagneux. Ici nous ne sommes point envahis par un torrent qui se précipite avec fracas et rapidité dans notre plaine, presque horizontale ; la crue des eaux, rapide à son début, est très-lente ensuite pendant plusieurs jours, puis elle devient comme insen- sible, c'est ensuite la stagnation com- plète pendant quelques jours ; enfin la décroissance se fait graduellement dans les mêmes proportions. 3o Tributaires de l'ouest. — La côte occidentale du lac Winnipig ouvre ses couches calcaires pour laisser pas- ser deux tributaires dignes du plus vif intérêt, et qui absorberont notre attention de ce côté, à l'exclusion du grand nombre de petites rivières qui se déchargent aussi dans le grand lac. Ces deux tributaires sont la ri- vière Dauphin, dite Petite Siskatche- wan, et la grande rivière Siskatche- wan, justement célèbre. La rivière Dauphin perd à n'avoir pas plus de profondeur; son eau est si belle, si rapide ! Elle décharge, outre les lacs Manitoba et Winnîpi- gous, tous- ceux que nous croyons avoir été confondus autrefois avec ces derniers, dans un seul et même bassin. La rivière Dauphin, qui n'a que quelques milles de longueur, sort du lac Saint-Martin, qui en a 30 et qui reçoit les eaux du Manitoba par la rivière et le lac de la Falle-à-la- Perdrix. Le mot Manitoba est la cor- ruption du mot Manitovoapaw, qui si- gnifie détroit du Manitou, ou détroit extraordinaire, surnaturel. L'agita- tion de l'eau y est attribuée, par les sauvages, à la présence de quelque esprit. Le lac qui porte ce nom a une superficie d'environ 1 900 milles, une longueur de 120, par une lar- geur irrégulière qui n'excède nulle part 20 milles. La petite rivière Blanche White-mud- river, se décharge dans ce lac à son extrémité méridio- nale. Nous mentionnons ce petit cours d'eau, de peu d'importance par lui-même, parce qu'il traverse une petite vallée très propre à la colonisa- tion et sur les bords de laquelle, com- me sur les rives du Manitoba, il y a déjà quelques établissements. La rivière à la Poule-d'Eau, qui est restée le trait d'union entre les lacs Manitoba et Winnipigous, décuple deux ou trois fois dans son parcours la distance qui sépare ces deux lacs. Cette rivière est rapide, peu profonde, et a une foule de branches à travers un pays bas et marécageux. Le lac Winnipigous (petit Winni- pig) a une superficie à peu près égale à celle de son noble voisin. Sa lon- gueur et sa largeur sont aussi à peu près les mêmes. Un phénomène as- sez singulier dans ces deux lacs, où les couches de calcaire abondent, c'est la présence de blocs isolés de granit 31 s'amoncelant en battures qui se pro- longent bien loin au large et rendent la navigation dangereuse. C'est sur une des battures du lac Winnipigous que le zélé M. Darveau perdit la vie, après y avoir brisé son canot. En certains endroits, ces battures de cail loux courent dans des directions pa rallèles à la côte, se couvrent de terre et même d'arbres, forment une pre- mière grève ou crête qui n'a souvent que quelques pieds de largeur, lais- sant en arrière des petits lacs ou ma- rais quelquefois d'une grande éten- due et qui offrent de sérieux embar- ras à ceux qui, mettant pied à terre, n'aiment pas à marcher dans Peau. Le joli lac Dauphin, long d'environ 20 milles et large de 12, porte ses eaux au Manitoba ; plus au nord, la rivière Plate paye le tribut du lac et de la rivière du Cygne ; enfin, tout à fait à l'extrémité septentrionale, la rivière à la Biche, l'une des premiè- res découvertes dans le pays, fournit aussi son contingent. Tout naturel- lement les rives de cette dernière comme celles de la Rivière du Cygne, étant plus élevées, sont des terres propres à la culture et qui semblent d'une grande fertilité. Joignant à ces lacs et rivières déjà mentionnés une multitude d'autres qui couvrent tout le pays, on accepte plus volon- tiers que, à une époque même assez rapprochée, le tout ne formait, avec le grand Winnipig, qu'un seul et mê- me bassin ou mer intérieure. Le lac Saint-Martin n'a que 25 pieds au- dessus du Winnipig, le lac Manitoba n'en a que 40, le Winnipigous 60, et le lac Dauphin, le plus élevé de tout ce groupe, n'en a que 70. Ce dernier se trouve à peu près au. niveau des terres, au centre de la colonie de la rivière Rouge, en sorte que le nivel- lement de ce groupe de lacs entraîne l'inondation des terres que nous habi- tons. Les lacs Manitoba et Winnipigous sont de magnifiques nappes d'eau, na- vigables pour des vaisseaux tirant une dizaine de pieds; malheureusement le chenal qui les relie, comme celui qui les unit au grand lac Winnipig, n'a pas assez de profondeur pour porter des embarcations considérables. Cette dernière circonstance est d'au- tant plus regrettable, que sans elle ces lacs seraient la voie la plus commode pour pénétrer dans l'Ouest,où la vallée de la Siskatchewan n'a que 4 à 5 milles de largeur. Le percement de cette langue de terre n'offrirait au- cune difficulté sérieuse ; les deux lacs que ce canal unirait ont à peu près la même élévation, et on éviterait par là tous les obstacles qu'offrent à la navi- gation les 20 milles qui séparent le lac Bourbon du lac Winnipig. L'embouchure de la rivière Dauphin ou petite Siskatchewan, second tribu- taire en importance de la rive occiden- tale, est située au milieu du lac vis-à- vis l'embouchure de • la rivière aux Tourtes (Barreiïs river), second tribu- taire aussi en importance de la rive orientale. Cette espèce de symétrie se produit encore à l'embouchure des tributaires les plus considérables. Le seul affluent du midi semble aussi se rencontrer avec la seule décharge qui est tout à fait au nord. La rivière Winnipig, premier tributaire oriental, a son embouchure à l'extrémité sud- est du lac; tout comme la rivière Siskatchewan, le grand courant occi- dental se repose dans le lac à son ex- trémité nord-ouest. C'est de ce dernier que nous devons nous occuper mainte- nant. La rivière Siskatchewan a une importance tout exceptionnelle, qu'el- le emprunte à l'immensité et aussi à la richesse de la plaine qu'elle arrose. Son nom est une abréviation du mot Cris, Kisiskatchewan (Rapide courant). Elle a ses sources principales dans les montagnes Rocheuses, ce qui, grâce à ses sinuosités, lui donne un cours de plus de 1200 milles. Ce grand fleuve se partage en plusieurs branches qui se promènent capricieusement à tra- vers la vaste plaine qu'elles sillonnent en différents sens et souvent dans des directions tout à fait opposées. La branche principale delà rivière Siskatchewan "est celle du nord nom- 32 mée tout simplement la Siskatchewan, connue parmi nos voyageurs cana- diens sous le nom de rivière du Pas. Nous l'avons dit plus haut, elle a sa source dans les montagnes Rocheuses, dans un petit lac près du mont Forbes, vers 51o50. Au commencement de sa course, elle ser- pente au milieu des crêtes des monta- gnes dans une direction générale du nord-est, jusqu'à la pointe aux Pins ; de là elle court au nord nord -est jusqu'au pied de la colline de la Grosse-Corne. Après avoir reçu les eaux de la coulée du même nom, elle se hâte vers le fort de la Monta- gne à l'est. De ce fort à Edmonton, sa course générale est nord-est ; elle la continue dans cette direction au point de dépasser le 24o parallèle, pour le suivre assez longtemps, revenir en- suite vers le sud saluer le fort Pitt, formant entre ce dernier fort et le pré- cédent un arc immense, dont la direc- tion générale est presque régulière. Du fort Pitt le grand fleuve continue à descendre au sud-est, jusqu'au cou- de, d'où il remonte subitement vers le nord-est, d'abord jusqu'à Carlton, en- suite jusqu'au fort Gumberland. De ce dernier point, l'ensemble de la direc- tion est vers le sud-est, quoique les fortes courbes que décrit la rivière la fassent tantôt remonter vers le nord et tantôt descendre vers le midi. Depuis sa source jusqu'au fort de la Montagne, distance d'environ 150 mil- les, la rivière Siskatchewan est tout à fait impropre à la navigation ; déjà pourtant sa largeur est d'environ 130 mètres. Des lits de charbon commencent à s'y faire remarquer, sans continuité pourtant. C'est partout une forêt assez épaisse ; tout près du fort il y a une petite chute, puis des rapides ; c'est aussi tout près de là que la ri- vière à l'Eau claire se joint au cours principal. Du fort de la Montagne à Edmonton, distance aussi d'environ 150 milles, la navigation est possible pour des berges. Cet avantage n'est pas sans difficultés, tant à cause de la rapidité du courant, que parce qu'à certaines saisons l'eau est très-basse. C'est à tel point que l'on a préféré laisser les embarcations et ouvrir un chemin à travers un pays en partie boisé. A peu près à mi distance en- tre les deux forts, la Siskatchewan reçoit la rivière Brazeau, nommée aussi la Fourche-Nord, ce qui la fait quelquefois confondre avec la bran- che principale. Plus bas, c'est la ri- vière à la Terre blanche qui sort d'un joli lac, que l'on a voulu rendre cé- lèbre, en assurant que des mines d'or d'une grande richesse se trouvaient dans le lit de la rivière et sur les bords du lac. Au fort Edmonton, le fleuve me- sure 200 mètres de largeur, et la val- lée dans laquelle il coule a une pro- fondeur de 190 pieds. A quelques lieues plus bas qu'Edmonton, on aper- çoit l'embouchure de la petite rivière Eturgeon qui coule du lac Saint- Anne, traverse le lac Saint-Albert et reçoit les eaux des autres lacs de ce même groupe. D'Edmonton à Carlton, distance par eau d'environ 500 milles, la Sis- katchewan est navigable, pour des ba- teaux à vapeur, pendant six ou huit semaines. Certaines années, elle le serait pendant une plus longue pé- riode, mais l'incertitude et le peu de régularité de cette navigation, excep- té depuis le milieu de juin jusqu'au commencement d'août, ne permet- tent pas de lui assigner un plus long espace de temps, pendant lequel on puisse compter sur un résultat certain. A l'eau basse, les petits rapides et les battures n'ont pas plus de 36 pouces d'eau, et avec la meilleure volonté du monde de faire chorus à ceux qui disent bien haut les avantages de la Siskatchewan, il nous est imposible de regarder ces 36 pouces d'eau, ser- pentant à travers des battures irrégu- lières et mouvantes, comme suffi- sant à une navigation de quelque im- portance. A Carlton, la rivière a 480 mètres de largeur. Entre ce fort et l'embou- chure de la branche sud, distance de 50 à 60 milles, se trouve un obstacle 3! sérieux à la navigation. C'est le ra- pide la Goile, dont la continuité me- sure une vingtaine de milles. De plus avant d'arriver, il faut passer plu- sieurs endroits encore moins pro- fonds qu'au-dessus de Carlton. Le courant,dans les rapides de la Colle mesure jusqu'à 8 milles à l'heure, ce qui constitue une difficulté réelle. En bien des endroits, le lit de la ri- vière est intercepté dans toute sa lar- geur par des blocs de pierre, qui ren- draient la descente dangeureuse, mê- me à l'eau moyenne et qui la rendent impossible à l'eau basse, à moins de travaux très-considérables. Cette des- cente n'est sûre qu'à l'eau très-haute et alors il serait impossible à des ba teaux à vapeur de la remonter à cause de la rapidité du courant. Depuis la Fourche, confluent de la branche sud, jusqu'au fort de la Cor- ne, la navigation ne trouverait de dif- ficultés que dans la rapidité du cou- rant, qui varie de 3 à 4 milles à l'heure. Du fort de la Corne au fort Cum- berland, distance d'environ 175 milles la navigation est très-incertaine ; le courant est très-violent, les battures et rapides y sont nombreux ; à l'eau basse, plusieurs endroits ne mesurent pas plus de 2 pieds «de profondeur, et cette eau basse existe môme au prin- temps, quand en hiver il y a eu" peu de neige. La crue des eaux du mois de juin donne sans doute à la rivière une profondeur suffisante pour porter des steamboats ordinaires, mais* alors le courant est assez fort pour ne pou- voir être vaincu par un engin ordi- naire. Une autre difficulté dans cette sec- tion de la rivière, c'est la rapidité avec laquelle l'eau baisse à la suite de cette crue de l'été, 4 ou 5 pouces à l'heure, il ne faudrait pas bien des heures pour rédnire le niveau au point d'ar- rêter un bateau dans sa course ; et si par malheur cet accident arrivait, il entrainerait la ruine complète du vaisseau, qui ne pouvant pas être tiré de ce mauvais pas, aurait* peut-être à y attendre la débâcle du* printemps suivant. La violence du courant, dans cette partie, imprime à la glace une force à laquelle le vaisseau ne résisterait pas. Cette crainte, assez singulière en apparence, est le résul- tat d'études et d'observations minu- tieuses faites par un ingénieur sérieux, dont le rapport nous a fourni quel- ques-unes des données que nous pos- sédons sur la Siskatchewan. Au fort Gumberland, au pied du lac Bourbon (Cedar lake), distance d'environ 200 milles, la rivière est très-propre à la navigation; le courant y est fort, mais jamais au point de créerade grandes difficultés. Ou ne peut songer à une navigation de quelque importance e.nfere le lac Bourbon et le lac ^¥innlpig, distance d'une ving- taine de milles. Plusieurs rapides, entre autres ceux de la Demi-Charge, du Rorh^r rouge, surtout celui dit Grand Rapide, forment des obstacles insurmontables à la navigation o: naire. La nature du terrain offre de s difficultés sérieuses, aux travaux né- cessaires pour vaincre ces obstacles, en sorte qu'il paraît certain qu'il fan drait attendre longtemps encore,a vaut de voir le bas de la Siskatchewan se prêter à une navigation facile et cons- tante. L'embouchure de la rivière forme un port sûr et commode pour plusieurs vaisseaux. Quoi qu'il en soit des difficultés que nous avons cru devoir énumérer, telles que nous les connaissons, il ne faut pas perdre de vue les avantages. Depuis le pied du lac Bourbon jusqu'à Edmonton, distance d'environ 1,000 milles, pendant six semaines, et cela les années les moins favorables, la navigation à la vapeur ne rencontre- rait même actuellement qu'un obsta- cle insurmontable, les rapides à la Colle, ou, si l'on veut, depuis l'em- bouchure de la branche sud jusqu'à Carlton. On a parlé d'atténuer cette grave difficulté, en remontant la bran- che sud environ 60 milles, jusqu'au chemin de traverse qui vient de la rivière Rouge, d'effectuer là le trans- port par terre jusqu'à Carlton, pour ensuite continuer par eau jusqu'à 3 34 Edmonton. Ce projet donnerait deux sections de rivière, d'environ 500 milles chacune, un portage d'environ 22 milles pour les unir entre elles, et un autre d'environ 20 milles pour joindre les terminus de cette naviga- tion avec le lac Winnipig. Nous avons déjà exprimé notre opinion sur la disette des bois sur les bords de ia Siskatchewan. Le rapport de l'ingénieur, dont nous avons parlé plus haut, corrobore parfaitement notre opinion que nous avions formée au reste sur les lieux mêmes. Du lac Bourbon (Cedar lake) jusqu'auprès du fort Cumberland, il n'y a pas même assez de bois de chauffage pour appro- visionner un petit steamboat, et ce dans un pays inhabité. De Garlton au fort Pitt, 250 milles, pénurie presque égale. Du fort Pitt à Edmonton, com- me de l'embouchure de la branche sud au chemin de traverse, on trouve t un peu de tremble et d'épinette blan- che pour quelques années seulement. Nous le répétons, qu'y ferait une po- pulation nombreuse ? La Siskatchewan coule en partie sur un lit d'argile ; sa première grève est aussi presque partout une falaise argileuse, en sorte qu'il n'est pas étonnant de voir ses eaux se charger fortement de matières insolubles et n'avoir jamais de limpidité. Ces argiles et ces sables, entraînés par la rapidité de l'eau, se déposent en battures que le courant promène et change capricieusement, au point de défier l'expérience des pilotes les plus habiles. La couleur de l'eau dérobe complètement à la vue ces barrières, quelquefois formées de la veille, ce qui crée un autre genre de difficultés pour la navigation. Le premier grand tributaire de la Siskatchewan, que l'on rencontre en la descendant, est la rivière à la Ba- taille. Celle-ci a ses sources dans un groupe de lacs situés au Sud de la Siskatchewan, vers le 53e parallèle, vis-à-vis le groupe de lacs Sainte- Anne, et peu à près également éloi- gnés du fleuve. La rivière à la Ba- taille descend au sud jusqu'au 52e parallèle, vis-à-vis le point où la Sis- katchewan atteint le 54e. Elle re- monte ensuite jusqu'au 53e, pour redescendre un peu vers le sud et offrir ensuite à la grande rivière le tribut des eaux qu'elle roule assez difficilement depuis 300 milles. La rivière à la Bataille, qui coule dans une vallée profonde et étroite, tra- verse de belles terres.Son nom lui vient de nombreux combats qui se livrent entre les sauvages Gris, Pieds-Noirs et autres qui habitent ces terres et qui se poursuivent d'une haîne invé- térée. Les accidents de terrains of- frent des facilités pour les guerres d'ambuscade que se font ces lâches et impitoyables tirailleurs. Le bras sud de la Siskatchewan est à la branche nord ce que le Missouri est au Mississipi, c'est-à-dire un vassal plus puissant et moins célèbre que son seigneur. La branche sud, que nos voyageurs appellent ordinaire- ment la Fourche des Gros-Ventres, a trois sources principales qui toutes coulent des montagnes Rocheuses. La plus méridionale conserve son nom de rivière des Gros-Ventres, qui est celui de la nation sauvage qui fré- quentait ses bords lorsqu'elle a été ainsi désignée. La seconde branche, au midi, est la rivière aux Arcs, qui se joint à la précédente vers le 112e degré de longitude, et enfin la magni- fique rivière à la Biche qui emporte à travers les pays d'une rare beauté les eaux du beau lac du Bœuf, et se joint à la branche sud de la Siskat- chewan à peu près au point d'inter- section du 51e parallèle par 109 o 30' de longitude. Ces trois grands cours d'eau ainsi réunis, forment une puis- sante rivière large de 3 à 400 mètres, profonde en certains endroits, et par- tout très-rapide. Comme la plaine qu'elle traverse est sablonneuse jus- qu'à une certaine distance de son embouchure, l'eau en est naturelle- ment plus limpide que celle de la branche nord. Tout le pays que traversent les trois ramifications du bras sud est exclusivement occupé par des tribus 35 nomades. 11 n'y a pas même un seul établissement de traite dans cette immense étendue de terre. La crainte des sauvages d'abord, l'habitude en- suite, l'espoir d'avoir autrement le peu de fourrures qui s'y trouvent ont empêché qu'on ne s'y établît. En 1822, l'honorable compagnie de la baie d'Hudson, unie l'année précé- dente à celle du Nord-Ouest, cons- truisit un fort à la jonction de la rivière à la Biche avec la branche sud. Ce poste fut nommé Cheslerfield- House. Des officiers des deux com- pagnies, qui au courage joignaient l'habitude des relations avec les sau- vages de cette partie du pays, avec lesquels ils avaient traité dans leurs établissements de la branche nord, furent envoyés à ce poste dangereux avec une centaine d'hommes. On ne s'y maintint que quelques années, pendant lesquelles plusieurs hommes furent tués, ce qui détermina à renoncer à une tentative dont les périls ne trouvaient pas une grande compensation dans les avantages de la traite, la position nécessitant des frais qui absorbaient tous les profits. Les sauvages se sont bien adoucis depuis. Quelques uns sont devenus •chrétiens ; les mêmes dangers n'exis- tent plus, et l'un de nos généreux missionnaires a déjà choisi, près le lac -du Bceuf, un endroit où il donne ren- dez-vous aux terribles Pieds-Noirs qu'il y instruit et où il lui tarde de commencer un établissement stable, pour travailler plus efficacement à la conversion de ces redoutables enfants de la prairie. Je regrette de ne pouvoir indiquer quelle facilité le bras sud peut offrir à la navigation. Il me manque à cet égard des données que je puisse con- sidérer moi-même comme certaines. Les expéditions diverses qui ont tra- versé ce pays, fournissent sans doute des renseignements nombreux et pré- cieux ; cependant je ne sache pas que Ton ait fait sur ces rivières, des ob- servationsréitérées à plusieurs époques de l'année et à des années différentes, sans lesquelles il est impossible de juger, d'une manière certaine, des conditions nécessaires à une naviga- tion régulière. On a bien parlé d'une navigation à vapeur, non interrom- pue, sur tous les bras sud de laSiskat- chewan et sur la rivière de l'Arcjus- qu'aux montagnes Rocheuses ; mais, comme je sais que l'on traverse ces rivières à gué facilement en plusieurs endroits, j'en conclus que la naviga- tion devrait, au moins quelquefois, rencontrer des obstacles. Cependant, quand on a navigué sur le Mississipi, surtout depuis le lac Pépin jusqu'à Saint-Paul, on comprend qu'il ne faut pas une grande quantité d'eau pour obtenir un résultat considérable. Les travaux d'amélioration, dans ces sor- tes de rivières, sont rendus comme impossibles par les sables mouvants dont nous parlons, qui descendent des montagnes et traversent une plaine presque complètement déboisée,voient le phénomène delà crue et de la chu- te de leurs eaux, se précipiter avec une rapidité beaucoup plus considéra- bles que celles des rivières qui ont leurs sources dans des pays plats, ou qui coulent dans des terres couvertes de bois. Cette dernière circonstance en créant une difficulté par la violen- ce des eaux à l'époque de leur crue, limite la navigation, .puisqu'en quel- ques jours ces eaux débordées ren- trent dans leur lit le plu3 bas. Au nord, la rivière Sickatchewan reçoit par le lac Cumberland un tri- butaire qui jusqu'à ce jour a joué un grand rôle dans le pays. C'est la ri- vière à la Pente. Nous désignons sous ce nom la série des lacs et rivières qui reçoivent les eaux au sud du portage du fort de Traite Ce por- tage, que les Anglais nomment Frog Portage (portage à la Grenouille), a 365 mètres de longueur et passe des eaux dont nous parlons à celles de la rivière Churchill ou rivière aux An- glais. Le portage du fort de Traite est bas, et quand l'eau est haute dans la rivière Churchill, elle donne de son trop-plein à la place du portage un ra- pide que l'on peut quelquefois des- cendre en canot. C'est en sautant ce rapide que s'est noyé un officier de la compagnie du Nord-Ouest. L'eau que laisse le portage du fort de Traite, entre bientôt dans le lac des Bois, puis dans le lac Chétek ou Péli- can et le lac Mi-Rond. La rivière à la Pente proprement dite la conduit au lac Castor, limite méridionale du sys- tème Laurentin à cette longitude. Cette eau se traîne ensuite, quelque- fois assez difficilement, sur les inter- minables couches calcaires de la ri- vière Maligne dans les fosses de la- quelle se jouent les esturgeons et qui lui ont valu le nom de Sturgeon-river. Le lac Cumberland conduit ensuite cette eau à la Siskatchewan. Cette série de lacs et de rivières est très-difficile à traverser ; nié aie à l'eau haute on y rencontre treize portages et un grand nombre de rapides. A l'eau basse, c'est bien la rivière Maligne que nos voyageurs redoutent avec raison, et où j'ai souffert bien des fois, en les voyant s'y échiner d'une façon péni- ble. 11 est donc inutile de songer à utili- ser la rivière à la Pente pour un autre genre de navigation, que cette navigation primitive, à laquelle elle sert actuellement. La rivière à la Carotte et la petite rivière du Pas, qui a l'honneur de donner son nom au géant de l'Ouest et à l'établissement situé à son em- bouchure, sont aussi des affluents de la Siskatchewan qu'elles longent sur sa rive méridionale. Un peu plus bas que le Pas, la rive septentrionale s'ouvre pour recevoir les eaux du lac d'Orignal. Le haut de la rivière sur- tout, a un grand nombre d'autres affluents que nous n'avons point nom mes pour éviter des longueurs. Quel- ques-uns de ces petits tributaires ont pourtant l'avantage, les uns, de sor- tir de lacs très poissonneux, et d'autres de pouvoir être utilisés facilement comme pouvoirs d'eau. Les terrains houilliers que traver- sent les différentes branches de la Siskatchewan sont une grande source de richesses et favoriseront la coloni sation de cette vallée, où la nature a multiplié des sites d'une beauté qui défie ce qu'il y a de plus remarquable au monde en ce genre. Je comprends la prédilection exclusive que les enfants de la Siskatchewan nourrissent pour leur pays natal. Après avoir traversé le désert, après s'être éloigné à une si grande distance des pays civilisés, que l'on croit parfois avoir le monopole du beau, on s'étonne de trouver à l'extrê- me ouest tant et de si magnifiques terres. A côté des grandes et sauvages beautés qu'offre l'aspect des monta- gnes Rocheuses, l'Auteur de la créa- tion s'est plu à étaler le luxe si at- trayant des plaines de la Siskatche- wan. 4o Nord du lac Winnipig. — Le lac Wmnipig n'a pas d'affluent au nord ; c'est vers ce point, au contraire, et vers ce point seulement, qu'il porte l'immense quantité d'eau qu'il reçoit des tributaires grands et petits qui se pressent sur tout son contours. Le lac Winnipig se décharge par un dé- troit ou rivière large,profonde. rapide, mais très-courte, qui conduit ses eaux dans le petit lac Pelé (Play-green Lùke). Ce dernier, comme épouvante du la position que lui fait cette agression, divise les eaux qu'il reçoit en deux branches et les rue contre les rochers arides qui le bordent au nord,sùr que, par cette double attaque, il réussira à donner le change et à se f river un passage à travers cette épaisse mu- raille. Le premier effort est couronné de succès, ces liquides bataillons ont l'habitude de pareilles luttes; car, il ne faut pas l'oublier, la rivière aux Tourtes, la rivière Winnipig, la ri- vière Rouge, la petite et grande ri vie re Siskatchewan et mille autres vas- seaux qui ont envoyé leur contigent, luttent les uns au milieu des rochers depuis leur formation, les autres ont essayé leur force au moins à travers les calcaires. En s'unissant dans le Winnipig, ils n'ont pu que gagner en intrépidité. Aussi il ne faut pas s'étonner de la vigueur qu'ils dé- ploient en se séparant à l'extrémité du Play-grecn Lake. Après la victoire remportée sur ce premier obstacle comman, ils se rallient en un seul corps dans le lac Travers, comme pour attendre l'effet produit par le premier choc. Il leur semble entendre le mu- gissement d'un monde de lacs tenus en captivité dans les hauteurs qu'ils viennent d'ébranler. Ce bruit les en- courage, ils sonnent de nouveau la charge en se précipitant avec fracas à travers les rapides qu'ils creusent sur leur passsage, se reposent quelques instants dans un autre lac où les ren- forts apportés par la rivière aux Foins et envoyés par le lac aux Roseaux et autres, les déterminent à laisser le 55e parallèle pour, par la route du nord ouest, arriver au point d'inter- section du 56e degré avec le 90e mé- ridien, décrivant dans ce parcours d'un côté la Katchevan, de l'autre la la première section du fleuve Nelson. Ces deux branches se confondent de nouveau en arrivant au lac Fendu. C'est là que la rivière du Bois-Brûlé leur prête son concouis, rendu plus puissant par la multitude des lacs qu'elle décharge. Cette masse d'eau reposée dans le lac Fendu qui la dirige vers l'est, forme de là à la baie d'Hud- son le magnifique et impétueux fleuve Nelson, qui s'enrichit de la jolie ri- vière de la Pierre-à-Chaux, qui a reçu elle aussi les eaux de plusieurs lacs. Le fleuve Nelson est un des plus puissants que je connaisse, puisque lui seul égoute tout le bassin du Winnipig, cette plaine immense que l'on ne borne qu'en courant des hau- teurs du Saint Laurent à celles du Mississipi et du Missouri, pour reve- nir par les Montagnes Rocheuses, d'abord aux hauteurs du bassin arc- tique, puis à celles du bassin inter- médiaire. Le fleuve Nelson offre des spectacles magnifiques par la variété et le nombre de ses chutes et rapides. On le comprend facilement, puisque son volume d'eau traverse la chaîne des Laurentides qui, à la vérité, ont perdu de leur élévation, mais qui né- anmoins en conservent assez pour diversifier à l'infini l'aspect d'un des plus grands fleuves du monde, les tra- versant audacieusement. La navigation du fleuve Nelson est comme impossible, il a pourtant sou- vent été monté et descendu. On a tenté bien des établissements sur les lacs qui s'y déchargent et qui forment nécessairement un très-bon pays de chasse et de pêche. Mais, en somme, les difficultés de la navigation sont telles,qu'aujourd'hui l'honorable com- pagnie de la baie d'Hudson n'a sur tout le parcours de ce fleuve et des affluents qu'un seul poste de traite, qui se trouve dans le district de Nor- way-House,et où l'on descend les mar- chandises que l'on a montées d'York avec tant de difficultés par la rivière Hayes, imposant à ces infortunés co- lis et aux voyageurs plus malheureux qui les portent une route qui triple la distance qu'ils auraient à parcou- rir, si la rivière Nelson pouvait être remontée avec moins de difficultés. Au point de vue économique, le ma- jestueux fleuve, est donc sans utilité actuelle, c'est pourquoi nous n'en di- rons pas davantage et le laisserons mugir dans sa course impétueuse. Tout effrayé des dangers auxquels sont exposés ceux qui descendent le fleuve Nelson, revenons par une au- tre voie au petit Play-green Lake d'où il sort- Nous dirons d'abord un mot de l'étroite langue de terre qui sépare ce petit lac du Winnipig, dont naturellement il ne semble que le prolongement. Cette langue de terre est ce que l'on appelle la Pointe-aux- Mousses, et, en effet, d'épaisses cou- ches de mousse et de débris végétaux couvrent une grande partie de cette pointe. Ces dépôts ont en certains endroits plusieuis mètres de profon- deur, ils ont été probablement amon- celés par les courants qui régnent à l'extrémité du lac Winnipig et les vents de nord qui combattent ces mêmes courants. Outre les eaux du Winnipig, le lac Pelé reçoit encore un tributaire, c'est la rivière aux Brochets, qui donne son nom au dé- pôt à peu de distance de son embou- chure et que les Anglais nomment toujours Norway-House. Ces deux noms, donnés au même établissement 38 fout croire quelquefois que la route vers le nord, ou la baie d'Hudson, est par la rivière aux Brochets, tan- dis qu'au contraire cette rivière vient plutôt du sud-est où elle a sa source dans le lac du même nom. Ne trou- vant point ici le chemin qu'avec tout le monde nous. voulons suivre pour aller à la factorerie d'York, entrons dans la rivière de la Mer qui n'est autre que le commencement du fleuve Nelson. Allons-y avec précaution pour n'être pas entraînés dans la dan gereuse voie que nous voulons éviter, voyons s'il n'y a point quelque autre issue. Voici la rivière Noire. Cette rivière Noire n'est qu'un filet d'eau dans lequel les voyageursglissent leurs embarcations, les traînant par-dessus les trois chaussées de castors, sans lesquelles il serait impossible au ba- teau de tenir cette route. Une loi reconnaissante a protégé pendant plusieurs années les ingé- nieux architectes de ces écluses qui, sûrs à la fin de cette protection, ve- naient sans crainte saluer les voya- geurs. La noire ingratitude et l'insou- ciante imprévoyance de ces mêmes voyageurs ont violé la loi protectrice et détruit les paisibles familles de ces travailleurs ; mais depuis, les hommes doivent faire le métier de castors dont ils s'acquittent assez mal, dans les ré- parations de ces chaussées. La sour- ce de la rivière Noire est précisément au pied de la hauteur des terres for- mée parla chaîne des Laurentides, que le grand fleuve Nelson n'a pas craint d'attaquer tout près de là et qu'il a vaincues glorieusement. De la hau- teur des terres (Portage de la Roche peinturée) on descend à York en sui- vant d'abord une petite rivière sans nom, puis le lac du Milieu, la rivière au Cocteau, le lac du Genou, la riviè- re aux Brochets, le lac Logan, la ri- vière du Roc [Hill-river), la rivière d'Acier, et enfin la rivière d'York [Hayes-river). Cette série de lacs et de rivières est un cours d'eau non in- terrompu, mais la navigation en est excessivement difficile, puisqu'on y compte jusqu'à trente-quatre portages. sur une distance qui n'excède pas beaucoup 300 milles. Que l'on juge de la position de la colonie de la ri- vière Rouge et de tout le département du Nord, lorsque cette voie était la seule suivie et que tout ce qui péné- trait dans le pays ou en sortait de- vait subir l'épreuve d'être transbordé trente-quatre fois dans ce court espa- ce, tandis que les épaules des voya- geurs étaient les seuls véhicules en usage dans ces portages, dont quel- ques-uns sont assez longs. Pour re- monter ce cours d'eau en barge, il faut de vingt à trente jours, et cela pour des voyageurs dont la force et l'agilité acceptent un travail à nul autre comparable. On va encore à la factorerie d'York et on en revient par la même voie, quoique la plus grande partie du commerce du pays se fasse actuellement par Saint Paul Minnesota. C'est à l'embouchure de la rivière Hayes que se trouve le port d'York, dit aussi port Nelson. Ce port ne peut offrir de protection qu'à deux navires et n'a que cinq brasses de profondeur ; ce n'est, en réalité, qu'une cavité abritée au sud par la terre ferme, au nord par labatture de sable ou pointe aiguë qui sépare l'em- bouchure de la rivière Hayes du fleu- ve Nelson et que ces deux grands cours d'eau y ont 'déposée en la pressant de droite et de gauche. Le petit port est parfaitement abrité à la mer basse, car alors la batture est toute décou- verte et donne aisément l'idée d'une jetée artificielle. La mer haute la recouvre sans lui ôter toute sa force protectrice. L'accès de ce port n'est possible que pendant les mois d'août et de septembre, et n'est fréquenté que par les vaisseaux de l'honorable compagnie de la baie d'Hudson, qui annuellement y en envoie un ou deux. Le mouillage se faità plusieurs milles de la factorerie, d'où Ton va chercher les marchandises des vaisseaux en rade, au mo\en d'une petite goélette qui est une habituée du port, et qui fait de plus le service entre la facto- rerie et le fort de Churchill. La rivière Severn, qui sert de voie 39 de communication pour arriver aux deux postes qui sont sur ses bords, est une assez belle rivière. Sa naviga- tion est difficile; elle se décharge dans la baie d'Hudson à l'est du port Nelson. Par cette rivière et les lacs qui s'y déchargent, on arrive à la hau- teur des terres d'où sort la rivière aux Tourtes, dont nous avons parlé plus haut. Les canots d'écorce suivent quelquefois cette route pour passer du lac Winnipig à la baie d'Hudson. § 3. — BASSIN INTERMÉDIAIRE. Nous désignons sous ce nom les terres comprises entre les hauteurs qui envoient leurs eaux vers l'océan Arctique et celles qui les repoussent vers le bassin du Winnipig. Ce bas- sin intermédiaire, comme celui du Winnipig, se décharge tout entier dans la baie d'Hudson. Ce bassin n'a qu'une large artère à laquelle se relient toutes les veines, dans les- quelles circule la vie hydraulique de ce pays ; à l'exception pourtant de quelques rivières sans importance qui se déchargent directement dans la baie d'Hudson. La grande artère dont nous parlons est la rivière aux Anglais, dite aussi rivière Churchill, appelé par les Gris Missinipi (grande Eau) et par les Ghippewa Janes-Dez nedhè (rivière Grande). Gomme nous l'avons fait observer en pariant de la rivière McKenzie, la rivière Chur- chill a deux de ses sources com- munes avec deux de celles qui alimentent autant de tributaires du fleuve du nord. Ces sources sont : le lac des îles qui, tout en alimentant la petite rivière de l'Eau claire, ne re- fuse pas son concours à la rivière Churchill, dans laquelle il se rend par le lac de Roches et le lac des Œufs. La seconde source commune est le lac Wallaston. Ce dernier coule en partie vers le lac d'Athabas- kaw, tandis qu'une autre partie de ses eaux se rend dans le lac Caribou, qui va fidèlement les verser à la ri- vière aux Anglais. Ce phénomène, après s'être produit deux fois pour unir le fleuve Mackenzie avec le fleu- ve Churchill, se réitère pour assigner une origine commune au fleuve Churchill et à la rivière Siskat chewan, puisque le petit lac Long donne un partie de son eau à la ri- vière aux Castors et une autre partie à la rivière Blanche, affluent de la Siskatchewan. En définitive ce bas- sin intermédiaire a des sources com- munes avec les deux grands bassins que nous avons déjà décrits. L'embouchure de la rivière Churc- hill forme le port du même nom sur les bords de la baie d'Hudson. Ce port, au- trefois célèbre, est vaste, sûr et com- mode. Il reçoit encore aujourd'hui la petite goélette qui fait le service en- tre le fort de Churchill et la factore- rie d'York. C'est aussi ce port qui abrite les vaisseaux de la compagnie venus d'Angleterre, que quelque ac- cident force à hiverner dans ces pa- rages. Les sinuosités de la rivière Churchill lui assurent un cours aussi long qu'à la Siskatchewan. Son vo- lume d'eau est au moins aussi consi- dérable, mais les conditions de la navigation y sont bien différentes. Depuis le lac Primeau jusqu'à son embouchure, la rivière coule presque constamment au milieu de rochers, à* travers lesquels elle semble s'être creusé un lit, où elle se trouve bien mal à l'aise, ce qui la fait bondir en soubresauts violents et irréguliers. Les rochers, irrités de son audace, se reculent et lui ouvrent des gouffres béants où elle se précipite avec vio- lence. Entre ces cascades nombreu- ses, la rivière est calme et forme un enchaînement de lacs souvent fort beaux. Après cette vue d'ensemble énumérons plutôt les différentes par- ties du fleuve, celles du moins qui sont utilisées comme moyens de com- munication. Remontons à la source la plus éloignée, c'est-à-dire à la tête de la rivière aux Castors, que nous avons nommée tout à l'heure. Ce cours d'eau, que les canots de la compagnie du nord-ouest remontaient autrefois pour se rendre au petit lac des Esclaves par le lac Labiche, n'est se- 40 paré de ce dernier que par un portage d'une couple de milles. De cette pre- mière source au lac de l'île à la Grosse, à. l'eau haute du moins, la ri- vière aux Castors est navigable pour des canots d'écorce. Je l'ai descendue ainsi sans rencontrer la moindre diffi- culté, voguant à plein aviron pen- dant toute une semaine. Si l'eau pouvait se maintenir à cette hauteur, cette rivière serait d'autant plus avan- tageuse qu'elle traverse uiî pays en grande partie propre à la colonisation. Malheureusement l'eau qui obéit à l'ordre du Tout-Puissant ne tient pas compte des désirs des faibles mortels, et la rivière aux Castors, plus haut du moins que le lac Vert, c'est-à-dire pen- dant plus des deux tiers de son cours est souvent bien peu propre à la navi- gation, môme des canots d'écorce. Si je me souviens l'avoir descendue avec facilité, je ne puis oublier la difficulté et la fatigue que j'ai éprouvées en la remontant. La plaine au milieu de laquelle coule la rivière aux Castors est toute couverte de lacs magnifiques où le poisson abonde. Les ramifications qu'elle forme à ses sources relient un grand nombre de ces petits lacs. Par- mi ses affluents, on remarque ensuite la rivière du Nord, par où l'on passe quelquefois pour atteindre le lac des Brochets, et par lui Pembina qui con- duit à l'Athabaska. Le magnifique lac Froid, qui reçoit les eaux du lac des Outardes, commence la série des lacs de la Truite, du Détroit et de la Poule d'eau, qui avec la rivière qui porte ce dernier nom, forment une route pa- rallèle à la rivière aux Castors et qui est souvent suivie pour passer de l'île à la Crosse au lac la Biche. La rive sud qui, après le coude qui lui fait changer de direction, devient la rive Est, est aussi enrichie de lacs fort remarquables, parmi lesquels on distingue le lac d'Original, le lac Vert, le lac Assiniboine, de plus, ceux dits des Traînes, du Dore, de la Plonge et un grand nombre d'autres de moin dre importance, dont nous épargnons la nomenclature aux lecteurs. La rivière aux Castors se décharge dans le lac de l'île à la Crosse, un des principaux anneaux de la chaîne de lacs, connue sous le nom de Rivière Churchill. Remontons à d'autres sour- ces de cette dernière ; nous l'avons dit plus haut, une des sources de cette rivière lui est commune avec la petite rivière d'Athabaskaw ou de l'Eau claire, c'est le lac des Iles, alimenté par des rivières qui viennent des ter- res des Montagnais. Ce lac, après avoir donné une partie de ses eaux à la rivière Athabaskaw, confie le reste au lac des Roches, qui les remet au lac des OEufs,où elles attendent celles au-devant desquelles nous voulons aller. Le lac de la Loche est ordinaire- ment considéré comme la tête de la rivière Churchill. Ce lac se décharge dans la rivière du même nom, où les voyageurs doivent faire au moins trois portages En laissant le lac de la Loche,on entre dans celui du Bœuf, long de 40 milles et qu'enrichit la rivière du même nom. Le détroit aussi du Bœuf relie ce lac à celui des OEufs aussi nommé iac Clair, que nous avons déjà indiqué deux fois, qu'il faut laisser au nord pour, par la ri- vière Creuse, descendre au sud est, vers le lac de l'île à la Crosse, où nous retrouverons les eaux de la ri- vière aux Castors. Le lac de l'île à la Crosse, long d'en- viron 60 milles, réunit les eaux de toutes les sources de la rivière aux Anglais et les confie ensuite à la ri- vière la Puise, qui, après leur avoir fait sauter cinq grands rapides et leur avoir adjoint la rivière Caribou, qui vient du lac des Cris, remet le tout au lac Primeau. Le rapide Croche, ceux du Milieu et du Genou ballottent violemment cette onde, qui a besoin de se reposer dans le lac du Genou, d'où elle sort pour former la rivière aux Foins et y recevoir le tribut de la rivière d'Epi- nettes. Ces deux courants cheminent ainsi ensemble tranquillement,comme pour relier connaissance puisque leurs eaux viennent en partie du même point. Un nouvel élargissement du 41 fleuve disperse cette réunion parle lac des Sables. Bon gvê, mal gré, il faut ensuite sauter le rapide du Serpent, traverser le lac du même nom et celui de la Souris. Les gros et difficiles rapides des Epingles, du Bouleau et du Canot- tourné, lancent l'eau qu'ils reçoivent dans le lac de l'Huile d'Ours, d'où elles passent dans celui de la Truite par la cascade du Harrier. La rivière à la Truite, qui vient du nord, se jette dans le lac auquel elle donne son nom. Les beaux rapides de la Truite, des Equors et de la Grosse-Roche sont le trait d'union avec le lac du Diable, à la suite duquel quatre rapides, aux difficultés exceptionnelles, ont reçu cette triste appellation qui, malheu- reusement dans la bouche de nos anciens voyageurs, s'attachait trop souvent à tout ce qui les contrariait, tant il est vrai que l'oubli de Dieu entraîne nécessairement l'esclavage du démon. Echappé à l'empire de Satan, la rivière Churchill se repose un instant dans un tout petit lac; puis entre dans celui de la Loutre, en descendant majestueusement le si beau rapide du même nom. Les deux montagnes et les cascades qui les suivent, conduisent à l'embou- chure de la rivière Rapide, affluent du sud qui, par le lac du Lièvre, décharge le grand lac Laronge et quelques autres qui s'y rattachent. La vue des deux montagnes nous a préparés au spectacle grandiose qu'of fre à nos regards la cataracte formée par la rivière Rapide et qui se préci- pite d'une élévation d'une centaine de pieds. Ces eaux bouillonnantes se calment un peu en tombant dans la rivière Churchill ; après ce repos ins tantané,elles reprennent leur agitation avec la série des rapides et des casca- des qui les conduisent au fort de Traite, à l'extrémité duquel se trouve le portage du même nom, dont nous avons déjà fait connaissance. La partie de la rivière Churchill que nous venons de décrire, distance de 300 à 400 milles n'est navigable que pour nos embarcations actuelles. Il ne peut être question de l'utiliser autrement. Ces rapides que nous avons énumérés offrent des difficultés sérieu- ses ; plusieurs sont très-dangereux et nécessitent une vingtaine de por- tages. De l'extrémité sud du lac de l'île à la Crosse jusqu'à l'embouchure de la rivière à la Loche, distance d'environ 120 milles, il n'y a pas d'obstacle à la navigation ; seulement il faudra long- temps encore avant que le pays change au point d'y faire remplacer les canots et les berges par d'autres vaisseaux. Un peu plus bas que le portage du fort de Traite, on aperçoit l'embou- chure d'une autre rivière Caribou ; c'est celle du grand lac du même nom Deer's-Lake. Cette nappe d'eau est une des plus vastes de l'Amérique ; elle ne mesure pas moins de 150 à 200 milles. Tout, entouré de roche cris- talline, ce lac a une grande profon- deur et ses eaux sont d'une limpidité remarquable. Le lac Caribou reçoit les eaux du lac des Brochets qui lui- même en est redevable au lac Wal- laston, celui-là même qui, comme nous l'avons dit plus haut, alimente aussi le tributaire oriental du grand lac Athabaskaw. Depuis le confluent de la rivière Caribou, je n'entreprendrai pas de décrire la rivière j usqu'à la baie d'Hud- son, où elle se décharge. Je n'ai jamais vu cette partie du fleuve, je n'ai jamais rencontré qui que ce soit qui l'ait visitée. Cette partie était pour- tant fréquentée autrefois, car c'est par là, comme par le fleuve Nelson, que l'honorable compagnie de la baie d'Hudson pénétrait dans l'intérieur de ses domaines. L'excessive difficulté de monter ces deux fleuves et même de les descendre, a fait renoncer à l'un et à l'autre, et le bas de la rivière Churchill ne voit plus les bateaux de la compagnie. La violence des rapides de tout ce grand cours d'eau s'explique par le fait que, lui aussi, traverse la chaîne des Laurentides. Le haut de la rivière aux Anglais, qui est en dehors de 42 cette chaîne, n'a pas l'impétuosité qu'on lui trouve ensuite. Outre le grand fleuve, le bassin intermédiaire a encore d'autres riviè- res, qui se déchargent aussi dans la baie d'Hudson, telles que la rivière aux Phoques (Seal-river) et quelques autres, dont nous ne connaissons que les noms, et sur lesquelles il nous est impossible de fournir le moindre ren- seignement. Tout le bassin intermédiaire est, par excellence, la région des lacs ; ils y sont multipliés avec profusion. CHAPITRE III. CONDITION POLITIQUE. La division politique du départe- ment du Nord en forme trois portions bien distinctes connues sous les noms de terre du Nord-Ouest, terre de Rupert et colonie de la Rivière-Rouge. Etudions la condition de chacune de ces par- ties. § 1. — Territoire du Nord-Ouest. Cette première division politique renferme toutes les terres arrosées par les eaux qui se jettent dans la mer Glaciale, ce que nous avons déjà nommé bassin arctique, et comprend l'espace enclavé dans l'angle formé par les montagnes Rocheuses et la hauteur des terres qui serpentent de- puis le mont Hooker jusqu'à l'extré- mité septentrionale de la péninsule de Melville. La première reconnaissance que je sache avoir été faite du territoire du Nord - Ouest est celle de Samuel Hearne,qui, en 1769, partit de Churc- hill et explora l'intérieur jusqu'à la rivière du Cuivre. Le reste a presque tout été découvert par des employés de la compagnie du Nord-Ouest. Cette compagnie se forma, en Canada, en 1783, dans le but de monopoliser ou de consolider les intérêts de ceux qui, depuis la conquête de la N.-France par l'Angleterre, continuaient le trafic des pelleteries dans les pays sauvages. Le nom qu'a pris cette compagnie n'in- dique pas, ce me semble, un droit de possession du territoire que je désigne sous le même vocable. Cette associa- tion ne s'est ainsi nommée que parce qu'en partant du Canada elle se diri- geait vers le nord-ouest du continent, ou pour donner cours à la pensée qui dès le début avait animé les voyageurs prenant la même direction : cette pen- sée était celle de trouver un passage au nord ou à l'ouest pour pénétrer jus- qu'à l'Océan Pacifique. La position géographique, dans l'Amérique an- glaise, de la partie dont je parle, lui a valu tout naturellement le nom qu'elle porte. Quoi qu'il en soit du nom, la com- pagnie du Nord-Ouest n'existe plus ; en s'unissant à celle de la baie d'Hud- son, il n'a pas été question de titre spécial à la propriété de ce territoire, non plus qu'à quelque droit ou privi- lège à cet égard. En 1821, époque à laquelle les deux compagnies rivales, et ruinées par la rivalité, consolidèrent leurs intérêts, le gouvernement anglais leur donna, sous le titre de compagnie de la baie d'Hudson, une licence ou privilège exclusif, à l'effet de faire seules la traite des pelleteries parmi les sau- vages à l'ouest de la terre de Rupert. Cette licence était accordée pour 21 ans. Avant l'expiration de ce terme, 1838, elle fut renouvelée pour vingt et une autres années,c'est-à-dire pour jusqu'en 1859. Ce monopole n'a pas été continué de droit depuis cette époque, en sorte qu'aujourd'hui l'ho- norable compagnie de la baie d'Hud- son, qui occupe encore le territoire du Nord-Ouest,n'y a aucun privilège, elle ne prétend à aucun. Les oppo- sitions sont libres; les unes y pénè- trent par le lac la Biche au Sud- Ouest; d'autres viennent de l'ouest par la rivière à la Paix, après avoir franchi les montagnes Rocheuses. Ces oppositions n'ont pas encore été bien préjudiciables au commerce de la compagnie. L'éloignement de ces pays, la difficulté d'y pénétrer, celle 43 de s'y maintenir, les frais énormes du transport, tout cela ne peut que déconcerter des ambitions ordinaires et ruiner des entreprises privées. D'ailleurs la prépondérance que l'ho- norable compagnie de la baie d'Hud- son a acquise sur les sauvages de ce territoire, la facilité que lui offrent ses différents établissements qui se relient et se soutiennent mutuelle- ment, tout cela rend la concurrence difficile, si difficile que, l'année der- nière, tous les concurrents s'étaient retirés et qu'en définitive la compa- gnie est seule. L'existence politique de cette portion du domaine de l'An- gleterre en Amérique est fort singu- lière ; le gouvernement de la métro- pole ne s'en occupe nullement; aucune colonie n'y a ou ne peut y avoir d'ac- tion ; personne n'y possède de droits ou de privilèges, et ce pays est là sans loi, sans gouvernement, sans adminis- tration, sans juridiction civile ou ju- diciaire. Qui va changer la position politique de ce pays ? Sera-ce l'Angle- terre ? sera-ce le Canada ? Les Etats- Unis vont-ils se mettre en tête de l'ac- quérir, par la raison toute simple que c'est la route la plus difficile pour attein- dre leur Amérique russe ? Voilà autant de questions que l'on se fait naturel- lement et dont la réponse est enfermée dans les replis mystérieux de l'avenir. Pour ma part, comme il y a des diffi- cultés énormes à coloniser les quel- ques points arables de ce vaste terri- toire, j'avouerai tout naïvement que j'aimerais autant, et peut-être mieux, le \oir rester ce qu'il est que de le voir changer, si les changements doivent être ce qu'il me semble impossible qu'ils ne soient pas. § 2. La terre de Rupert. — Ce nom est celui que porte le territoire de l'ho- norable compagnie de la baie d'Hud- son,c'est-à-dire toutes lesterres arrosées par les eaux qui se jettent dans la baie d'Hudson,ycompris son prolongement, la baie James. En parlant du départe- ment du Nord, nous employons le mot terre de Rupert pour désigner seu- lement une partie du grand tout au- quel il appartient, pour indiquer tou- tes nos terres portant le tribut de leurs cours d'eau dans la grande baie. La condition politique de cette por- tion du département du Nord est bien différente de la précédente. Ce pays est soumis à une compagnie qui a des titres incontestables, au moins à une partie de ce vaste domaine et, selon l'opinion de savants jurisconsultes, des titres certains à la possession du tout. Nous n'entreprendrons pas de discuter les raisons pour ou contre cette possession, nous nous contente rons, après avoir indiqué l'objection qui nous paraît la plus plausible, d'in- diquer aussi les titres et privilèges de cette compagnie. • L'objection la plus forte contre les droits de l'honorable compagnie de la baie d'Hudson est la possession anté- rieure de son territoire par la France. La charte octroyée par Louis XIH en 1626 donne à la compagnie de la Nou- velle-France le territoire de la Baie d'Hudson, quarante-quatre ans avant que celle octroyée par Charles II d'An- gleterre ne le cède à son cousin le prince Rupert et à ses compagnons d'aventures. On affirme que par le traité de Ryswick, en 1696, toute la baie d'Hudson a été reconnue comme appartenant à la France Le traité d'Utrecht, en 1713, cède à l' Angleterre les côtes de la baie d'Hudson, et ce n'est qu'alors que l'Angleterre acquit un titre certain dans ces parages ; de plus, dans ce traité, on ne négligea pas de stipuler les clauses qui assu- rent la protection de la compagnie de la Nouvelle-France, déjà mise en pos- session de|ce pays,en vertu de la charte de Louis Xlll Quoique les limites des possessions françaises et anglaises ne soient pas bien définies depuis l'é- poque du traité d'Utrecht jusqu'en 1763, néanmoins les Anglais, même les moins favorables aux prétentions des Français, reconnaissent que la ri- vière Rouge et la Siskatchewan fai- saient partie de la Nouvelle-France, et que c'est cette partie qui, avec le reste des possessions françaises du Ca- nada, a été cédée à l'Angleterre par le traité de Paris. Or par ce traité d e 44 Pans les Canadiens français reçurent la garantie de leurs droits et privilè- ges et la promesse « de n'être pas sou- mis à d'autres impôts que ceux établis sous la domination française. « Donc la compagnie de la baie d'Hudson n'a aucun droit ni privilège sur la vallée de la rivière Rouge, non plus que sur celle de Siskatchewan, et ses titres restent douteux pour une partie des pays situés au nord de ces deux val- lées. Voilà l'objection, je n'en discuterai ni le mérite ni la portée ; je ne fais que la constater et, à l'exemple de tant d'autres qui la connaissaient aussi bien et mieux que moi, qui de plus étaient juges compétents dans ce con- flit d'opinions et de prétentions, et qui pourtant n'ont pas fait la moindre tentative pour priver l'honorable com- pagnie de la baie d'Hudson de ses droits et privilèges, je me tairai sur ce doute. Ce puissant transeat, si tant est qu'on ait cru en avoir besoin, lais- se de fait la compagnie de la baie d'Hudson maîtresse du pays, dans les limites assignées par sa charte. Cette charte, nous l'avons dit plus haut, fut donnée, en 1670 par Charles II d'Angleterre, à son cousin le prince Rupert, sous le patronage duquel s'é- tait formée une association de mar- chands et d'aventuriers qui, eux aussi, espéraient trouver un passage au nord- ouest pour les mers occidentales. Cette association aux ternies de la charte, est désigée sous le titre de : « Le gouverneur et la compagnie des aventuriers d'Angleterre irai tant dans la baie d'Hudson, » est celle connue sous le nom de « l'honorable compa- gnie de la haie d'Hudson.» En vertu de cette charte, la possession entière et complète du territoire qu'elle dési- gne est cédée à cette compagnie. La chasse, la pêche,la traite des fourrures sont aussi son privilège exclusif ; elle a de plus sur ceux qui habitent ce pays une juridiction absolue ; en un mot, cette compagnie est déclarée maîtresse de tout le pays et de tout ce qui s'y rattache. Telle est la posi tion politique de la terre de Rupert. Telle est, du moins, celle que lui fait sa charte à laquelle dans la pratique le gouvernement impérial a "accordé jusqu'à ce jour lavaleur d'un titre réel. Je ne sache pas que la compagnie ait jamais fait valoir ses droits^exclu- sifs de pêche ou de chasse ; mais elle a insisté jusqu'en 1848 pour conserver son monopole commercial. Cette prétention a été abandonnée depuis, et en définitive, depuis cette époque, il y a ici une liberté absolue de commerce ; la prépondérance de la compagnie dans la terre de Rupert, comme dans le territoire du Nord- Ouest, n'est attribuable qu'aux res- sources de son organisation et non pas à ses droits et privilèges. Tout le monde est libre d'aller, de venir, de chasser, de traiter. A part les difficul- tés matérielles que l'on rencontre en voyageant, il n'y a pas sous le soleil un pays où l'on jouisse de plus de li- berté, et cela malgré l'impression ré- pandue au loin que la compagnie tient le pays dans un demi-état d'es- clavage. La compagnie conserve pour- tant encore ses titres et exerce sa ju- ridiction civile. Cette position doit être prise en considération quand on examine la condition politique à faire à ce pays, quand on parle des chan- gements à y introduire. Ces change- ments s'élaborent, quels seront-ils ? Les Etats-Unis, qui croient avoir droit à tout ce qui leur convient, regardent comme naturel de venir prendre pos- session de ce pays. La nouvelle con- fédération des possessions britanniques ne nous perd pas de vue. Que va faire l'Angleterre ? Quel parti va prendre la compagnie ? Quelques années de plus auront résoluje suppose, ce problème que je ne me charge pas d'examiner. § 3.— COLONIE DE LA RIVIÈRE ROUGE. Nous venons de parler des deux grandes divisions politiques du dépar- tement du Nord. Il nous reste à en mentionner une troisième, celle au milieu de laquelle nous traçons ces lignes. Un noble Ecossais auquel sa position dans l'honorable compagnie 45 de la baie d'Hudson assurait une grande influence conçut le projet de fonder une petite colonie au milieu de la terre de Rupert. Il obtint à cet effet la cession d'une certaine éten- due de terres sur les bords de la ri- vière Rouge et de l'Assiniboine, et commença là l'établissement qui porte encore son nom : Selkirk Seulement. Cet oasis du désert, où devaient ve- nir se reposer le voyageur et le traiteur au déclin de leur vie, est plus connu sous le nom de Rivière Bouge (Red- River Settlement) ou à'Assimboia. Cet établissement, commencé en 1812, rencontra bien des difficultés qui plusieurs fois l'exposèrent à une ruine complète. Il résista néanmoins à toutes ces atteintes de destruction, mais son fondateur ne devait pas en voirie développement. La compagnie de la baie d'Hndson racheta des héri- tiers de lord Selkirk les terres qu'elle avait vendues à Sa Seigneurie, et au- jourd'hui c'est la compagnie qui gou- verne cette petite colonie. Les limites de l'Assiniboia sont bien circonscrites, puisqu'elle n'embrasse qu'un rayon d'une soixantaine de milles, autour d'un poinl situe au < onfluent des deux rivières Ronge et Assiu-boine. Cette colonie a donc l'avantage d'être tra- cée à rond de compas. Nous sommes enfermes dans un cercle ; ce serait une erreur injuste de nous croire dans un cercle vicieux. Quoique sous l'autorité de l'honorable compagnie de la baie d'Huuson, la colonie de la Rivière-Rouge a son caractère politi- que à part. Le temps lui a élaboré une cjnsi.icul:on qui, pour n'être en théorie que ce qu'elle était au jour du monopole de la compagnie, est néan- moins aujourd'hui bien différente dans la pratique. L'établissement est admi- nistré par un gouverneur qui n'est pas toujours le gouverneur de la terre de Rupert, qui n'a pas même toujours été un membre de la compagnie. L'hono- rable j uge F. Johnson a été gouverneur ici ; le colonel Goldwell, gouverneur avant cedernier, non-seulement n'était pas membre de la compagnie, mais avait été choisi par la couronne. Le gouverneur d'Assiniboia a, pour l'assister dans son administration, un conseil composé d'un nombre indéfi- ni de membres. Ces membres sont aussi à la nomination de l'honorable compagnie de la baie d'Hudson ; mais la justice veut que nous disions que la compagnie, sans introduire clans le pays le principe électif, a depuis dou- ze ans, au moins à ma connaissance personnelle, basé le choix des con- seillers sur le sentiment public bien plus que sur ses propres intérêts, ses intérêts commerciaux du moins, elle a nommé comme conseillers plusieurs de ceux qui font à son com- merce la plus chaude opposition. I! est vrai que, dans deux circonstances, elle a refusé de nommer des citoyens qui avaient présenté à cet effet, en leur faveur, des pétitions revêtues d'un bon nombre de signatures; mais il faut se souvenir, et j^en ai la preu- ve officielle, que ces messieurs, anti- cipant un refus qu'ils n'auraient pas éprouvé sans cela, ont publiquement accablé la compagnie et le conseil de la colonie de tant d'injures si gratuites que leur nomination devenait une im- possibilité, tant pour l'honneur de la compagnie elle-même que pour l'hon- neur du conseil, dont plusieurs mem- bres auraient donné leur démission si on leur avait imposé des collègues ainsi disposés. Au demeurant., le conseil administratif, qui est en même temps législatif, n'est pas choisi par la voie des suffrages. Il se compose d'élé- ments divers, pris dans les différents ordres de ]a société, dans différentes parties de la colonie, et parmi ceux dont on a le droit d'espérer une som- me raisonnable d'intelligence. Si le choix de ces conseillers n'est pas le meilleur possible aux yeux de tout le monde, il est, je crois, aussi bon qu'on pourrait l'espérer, quand même son élection serait remise entre d'au- tres mains que celles de la compagnie. Membre de ce conseil nous-même, une conviction consciencieuse nous force à dire que les affaires publi- ques y sont traitées avec toute la loyauté possible. Le gouverneur n'y 46 exerce pas d'autre influence que celle du droit et de la raison contre balan- cée nécessairement par les intérêts des membres, dont un seul appartient à l'honorable compagnie. La justice est administrée par un juge en chef, avec le titre de recorder, aidé de ju- ges de paix. Les conseillers le sont de droit ; ce tribunal forme notre cour suprême et a ses sessions trimes- trielles. Il y a de plus une fois par mois, dans le district central, et une fois tous les deux mois, dans tous les autres districts, des cours dites petites cours, pour s'enquérir des causes ci- viles d'une importance secondaire. Ces cours sont présidées par un juge de paix aidé de plusieurs magistrats ; ces derniers sont à la nomination du conseil colonial. Le gouverneur et le recorder, les deux seuls employés dont le salaire ait quelque importance, sont payés par la compagnie. Le traitement des autres fonctionnaires est assez modi- que pour qu'on puisse le puiser dans le trésor de la colonie. Ce trésor n'est pas le coffre-fort de la compagnie, tant s'en faut Notre revenu public a ses sources dans les droits d'entrée en percevant 4 pour 100 sur les prix d'achat ; plusieurs articles, entre au- tres les instruments d'agriculture, ne sont pas soumis à ce droit. Les li- cences et amendes sont les autres sources de ces revenus. La compagnie 'est soumise à ces lois comme les au- tres. Les comptes publics de la co- lonie d'Assiniboia ont un avantage que bien des gouvernements, même électifs, pourraient leur envier, ils se ferment toujours par un excédant de recettes. Les conseillers, n'étant pas élus par le peuple, n'ont pas le coura- ge de le taxer et encore moins de s'en faire payer largement. Une population d'à peu près 10,000 âmes, parlant le français, l'anglais, le celtique, le saulteux, le cris, etc., compose ce petit peuple. Séquestré du reste du monde depuis si longtemps, il voit les communica- tions devenir plus faciles et le flot de la civilisation avec ses avantages, et peut-être, hélas ! son écume, menacer de repousser le flot de son extrême liberté, cette liberté, trop indolente peut-être souvent, mais bien sûr plus honnête et plus loyale que ses détrac- teurs ne le soupçonnent et ne le disent. Telle est, en peu de mots, et pour ne pas trop fatiguer par de longs dé- tails, la position politique de la colonie de la Rivière-Rouge. Enfant de la terre de Rupert, elle suivra sans doute le sort de sa mère, et sera entraînée par les combinaisons qui régleront le sort de cette dernière. Cependant cette enfant, sans être tout à fait émanci- pée, a acquis certains droits ; elle pos- sède ou occupe ses terres (qu'elle n'a pas toujours payées), elle les a arro- sées de ses sueurs. Il est vrai que ses sueurs n'ont pas toujours été abon- dantes, mais c'est l'enfant du désert. Elle a donc des droits à l'indulgence. Elle ose se flatter que l'étranger ne recevra pas ici une préférence injuste ; que dans les grandes et savantes combi- naisons qui sont préparées par la mère patrie et son frère aîné, le Ganada,on ne perdra pas tout à fait de vue l'his- toire de son passé. Dans la colonie elle-même il règne une certaine agitation et inquiétude au sujet de son avenir. Les uns, en très-petit nombre, qui espèrent gagner par un changement quelconque, le demandent à grands cris ; d'autres, considérant plus les systèmes que leur application, voudraient pouvoir tenter un changement, ne se doutant pas qu'on ne revient plus à l'état primitif d'où ils veulent s'écarter ; le plus grand nombre, la majorité redoute ce changement. Plusieurs ont bien raison, le pays pourra gagner à ces modifications, il acquerra sans doute bien des avantages qui lui manquent, mais la population actuelle perdra cer- tainement. Gomme nous aimons plus le peuple que la terre qu'il occupe, que nous préférons le bonheur du premier à la splendeur de l'autre, nous en sommes à répéter ce que nous avons déjà dit : que nous redoutons beaucoup pour notre population quel- ques-uns des changements qu'on lui 47 promet. On croira d'autant plus faci- lement à la sincérité de cette convic- tion, que personnellement nous au- rions bien des raisons de désirer ces changements. CHAPITRE IV. • ORGANISATION ET DIVISION COMMERCIALES. Le pays que nous habitons ' étant soumis à une compagnie marchande, tout ce qui tient à son organisation mercantile acquiert de l'importance ; c'est pourquoi nous voulons parler un peu de ce qui se rattache à cette cons- titution et indiquer les divisions qu'elle a formées pour son fonction- nement. § 1. — ORGANISATION COMMERCIALE. Le gouverneur et la compagnie des aventuriers d'Angleterre traitant à la baie d'Hudson se constituèrent en société dès le moment de l'obtention de la charte qui leur fut octroyée par Charles II en 1670. Des droits et des privilèges ne suffisent pas pour orga- niser des opérations commerciales ; aussi cette compagnie dut fournir des fonds, dont la mise en action constitua le capital de la compagnie. Ce capital d'abord peu considérable, fut ensuite augmenté au point qu'en 1863 il s'éle- vait à la somme de 500,000 livres ster- ling (12,500,000 francs) et les actions étaient réparties irrégulièrement entre près de trois cents membres. Tous ces actionnaires confiaient leurs intérêts à un comité de régie, ayant à sa tête un gouverneur et un député gouver- neur. Le comité formé à Londres y dirigeait les opérations de la compa- gnie, effectuant la vente des pelleteries et tout ce qui avait trait à la prospé- rité de l'association. En 1863, la compagnie de la baie d'Hudson, ainsi constituée et dirigée, entra dans une phase nouvelle. La société dite internationale financière acheta toutes les parts, propriétés, droits et privilèges de l'honorable compagnie de la baie d'Hudson, ainsi que les fonds de réserve que le comi- té avait habilement ménagés pour faire face à des éventualités impré- vues. Le capital de la compagnie, comme nous l'avons dit plus haut, s'élevait à un demi-million de livres sterling divisé en parts de 100 livres chacune. On estima les reste des propriétés, les droits et les privilèges à 1 million, soit en tout un capital nominal de 1,500,000 livres sterling (27,500,000) francs. Les actionnaires furent invités et consentirent à vendre leurs parts à 300 pour 100 au prorata de leur mise en action,et la société in- ternationale paya 1 million et demi aux actionnaires de l'honorable com- pagnie de la baie d'Hudson. Cette transaction fit passer tout l'avoir de l'honorable compagnie de la baie d'Hudson entre les mains de la dite société internationale financière, qui ne resta pas longtemps en possession du vaste domaine qu'elle venait d'ac- quérir; elle le remit bientôt sur le marché en en élevant la valeur à un capital nominal qu'elle évalua à 2 millions de livres sterling (50,000,000 de francs) et qu'elle offrit en vente par parts de 20 livres. Ces parts fu rent achetées par un grand nombre d'actionnaires, puisqu'au mois de novembre 1865 on comptais déjà qua- torze cent vingt acquéreurs. Ces nou- veaux associés reconstituèrent l'hono- rable compagnie de la baie d'Hudson, élurent un gouverneur,un député gou- verneur, un comité qui devaient con- tinuer de diriger les opérations com- merciales de l'ancienne compagnie ainsi modifiée. La nouvelle compagnie ajoutait à son programme le projet d'établir une ligne télégraphique à travers toutes^ses possessions,et autres grandes améliorations, à l'exécution desquelles elles ne voyait pas tout d'a- bord toutes les difficultés qui existent véritablement. Ces différentes transactions nous mettent en face de trois opérations commerciales diverses : 1° la vente faite par les premiers actionnaires de la compagnie de la baie d'Hudson, 48 vento qui leur donne, pour leurs droits et privilèges, un profit net de 200 pour 100, à raison de la première mi- se en action ; 2° la spéculation opérée par la société internationale finan- cière, qui gagne un demi-million de livres sterling, si toutefois, ce que nous ignorons, elle a pu vendre tou- tes les parts représentant le capital de 2 millions : 3° l'acquisition laite par les nouveaux actionnaires de la com- pagnie de la baie d'Hudson qui, héri- tiers des propriétés, droits et privilèges des anciens, sont pourtant dans une position financière bien différente, puisqu'il leur a fallu débourser 2 mil- lions de livres sterling, tandis que leurs prédécesseurs, les premiers ac- tionnaires du moins, ayant les mô- mes droits aux mêmes profits, n'a- vaient jamais déboursé que 500 000 livres. Il faudrait donc aux action- naires actuels des profits nets quatre fois plus considérables qu'autrefois pour payer des dividendes égaux. Quoi qu'il en soit des changements opérés au sein de l'honorable compa- gnie de ia baie d'Hudson en Angle- terre, son organisation reste ia même dans la terre de Rupert. Son gouver- nement général et son comité, tout en conservant la haute main et ia di- rection, ne prennent pas plus part aujourd'hui qu'autrefois à ia partie la plus difficile de ses opérations, c'est-à-dire à la traite des pelleté ries dans les pays sauvages. Cette dernière charge a toujours été et est encore confiée à des employés formant non une association distincte, mais une organisation différente, tou- te une hiérarchie commerciale et ac- tive, soumise au comité de régie, n'a- yant aucune part au capital ni aux propriétés, aucun droit aux privilè- ges ; recevant seulement la récompen- se de ses travaux, les uns par un sa- laire ou une somme fixe, prise sur les profits bruts, les autres par une quo- te-part aux profits nets. Voici les ti- tres des membres de cette hiérarchie : lo Le gouverneur de Ruperts' land appointements fixes et variés ; 2o Les facteurs en chef (chief fac" tors), bourgeois, de deux parts; 3o Les traiteurs en chef (chief tra- ders), bourgeois, d'une part ; 4o Les commis (clerks), avec un sa- laire variant de 75 à 100 livres ; 5o Les apprentis commis (apprentice clerks), salaire variant de 25 à 27 li- vres ; 6o Les maitres de poste (post mas ters), salaires de 40 à 75 livres ; 7o Les interprètes, salaire de 30 à 45 livres sterling , SoTout un monde de voyageurs ; guides, gouvernails, pilotes, devant de berges ou de canots, milieux ou rameurs, avec des gages qui varient de 16 à 40 livres sterling. Les salaires fixes, depuis celui du gouverneur de Ruperts' land jusqu'à celui du dernier des employés, comp- tent comme dépenses de ia compagnie et sont pris sur les profits bruts. L'intérêt des sommes en circulation est aussi prélevé sur les profits bruts et se paye aux actionnaires. Ces in- térêts sont calcules à 5 pour 100. Les dividendes payes aux actionnai- res, ainsi que ia quote-part des fac- teurs ei) chef et celle de» traiteurs eu chef, étant le résultat des profils» nets, varient nécessairement comme ces derniers. Ces profits après toutes les dépen- ses payées, sont divisés en dix por- tions égales ; six sont pour les action- naires au prorata de leur mise en action, les quatre autres dixièmes sont subdivisés en quatre-vingt-ein j parts. Ces parts sont en moyenne d'environ 30C livres sterling <7,o00 francs.) Un facteur en chef reçoit deux ne ce^ parts tant qu il est en activité de servi- ce et pendant l'année qui suit son con- gé. Un traiteur en chef n'a qu'une de ces parts pendant le même laps de temps. Pendant les six années qui suivent cette première année de retraite, les chefs facteurs, comme les chef traiteurs, reçoivent annuelle- ment, respectivement, la moitié de ce à quoi ont droit les mêmes officiers en activité de service. Le gouverneur de Ruperts'land diri- 49 ge les affaires des départements qui lui sont confiés. Pour l'aider dans son administration, il réunit annuellement un conseil qui se compose des chefs facteurs et des chefs traiteurs. C'est là que s'élaborent les règlements que l'on croit utiles au succès de la traite des pelleteries. C'est au nom de ce conseil que l'on assigne à chaque offi- cier subalterne le poste qu'il doit oc- cuper, comme le salaire qu'il doit recevoir; c'est aussi ce conseil qui recommande au gouverneur et au comité de régie les commis qui doi- vent être promus au grade de trai- teurs en chef, et les traiteurs en chef que l'on veut classer parmi les facteurs en chef. Les différents départements se divi- sent en districts ; chaque district a à sa tête un facteur ou traiteur en chef, sous les ordres duquel se trouvent tous les autres employés. Les dis- tricts renferment plusieurs postes ou forts, confiés à des officiers de diffé- rents ordres. Chaque poste a ses comptes à part qui indiquent les profits ou pertes de ce poste vis-à-vis du district, tout comme si ses affaires se traitaient entre des étrangers. Les districts ont aussi leurs comptes qu'ils règlent avec la factorerie, le dépôt ou les districts qui leur fournissent hommes, mar- chandises, provisions, etc., etc., et auxquels en retour ils remettent leurs pelleteries. Tous ces comptes sont tenus avec une minutie de détails étonnante. En les examinant, on dirait, plutôt des compagnies rivales que les membres d'une même asso- ciation travaillant dans un intérêt commun. Cette sage organisation, cette adroite comptabilité ont l'heu- reux effet de créer une vive émula- tion et un grand esprit d'économie. Chaque officier doit présenter les comptes du poste qui lui est confié ; ces comptes sont examinés, scrutés, contrôlés, changés, modifiés par ceux auxquels est dévolue cette charge. Le chiffre des dépenses de l'année, mis en regard du chiffre de la valeur des pelleteries ou autres objets four- nis, donne une idée exacte, sinon du travail, du moins du succès de celui qui a la charge de ce poste ; et comme l'avancement de ce dernier dépend beaucoup de ce succès, tous les em- ployés sont intéressés à augmenter le profit général, auquel pourtant en réalité le plus grand nombre n'a aucune part. Ce sont ces adroites combinaisons et la stricte parcimonie qui règne partout, qui ont assuré le succès de cette compagnie, dont le commerce s'étend depuis l'Océan Atlantique jusqu'au Pacifique. Ses ramifications embrassent toute l'Amérique britan- nique, à l'exception des provinces maritimes et de la partie du Canada située au sud du Saint-Laurent. Cette compagnie, par la sagesse de son organisation, l'habileté et l'énergie d'un grand nombre de ses membres, s'est maintenue, s'est développée, a soutenu des luttes quelquefois redou- tables, et donne en général à ses membres des dividendes bien capables de les rémunérer. On doit dire à sa louange que sa conduite a été telle que sur toute l'étendue de son im- mense organisation les sauvages, même les plus cruels, ont appris d'elle à aimer et à respecter l'homme civi- lisé, et que ce dernier peut partout voyager avec la plus grande sécurité. Il n'est pas besoin de dire que des abus particuliers se sont produits sur plusieurs points. Le monopole les a multipliés, les rivalités ont fourni des prétextes. Le commerce de Veau de feu, qui se trouve aujourd'hui limité à quelque district seulement, est peut-être le seul reproche que l'on puisse actuellement faire raisonnable- ment à la compagnie comme corps, puisque c'est le seul que je sache être approuvé par ceux qui la dirigent. § 2. —Division commerciale. — La com- pagnie, au point de vue de ses opéra- tions commerciales, a divisé en qua- tre départements le pays où elle se trouve: lo le département de Mont- réal, qui comprend les établissements que la compagnie possède en Canada- est ; 2o le département du Sud, qui 4 50 renferme les autres établissements du Canada et ceux de la terre de Rupert, à l'est du 90e degré (quatre-vingt dix- ième degré de longitude occidentale); 3o le département occidental, à l'ouest des montagnes Rocheuses ; 4o enfin le département du Nord qui nous occupe, et dont nous avons déjà tracé les limites. Le département du Nord renferme dix districts, qui sont : les districts de Mackenzie, d'Athabaskaw, de la rivière aux Anglais, de la rivière Siskatchewan, de Cumberland, de la rivière du Gygne,de la rivière Rouge, du lac la Pluie, de la rivière aux Brochets [Norway house], et enfin le district d'York. lo District de la rivière Mackenzie. — Ce district, le plus important par le nombre et la qualité des fourrures, comprend,outre les environs du grand lac des Esclaves, toutes les terres ar- rosées par le fleuve Mackenzie pro- prement dit et ses affluents, ainsi que par les autres fleuves qui se déchar- gent dans la mer Arctique. Presque tout ce district est et doit rester pays de chasse. A l'exception de quelques points isolés sur le fleuve Mackenzie et sur la rivière du Liard, la culture est impossible. Le froid est partout d'une intensité extrême, malgré les consolantes assurances données par l'inspection des lignes isothermes que la science multiplie sur certaines car- tes de géographie, et qui sûrement n'ont pas été tracées par ceux qui ont habité longtemps le pays. Le district de la rivière Mackenzie possède des gisements carbonifères, des puits de poix minérale et bitumineuse. D'im- menses stratifications calcaires avoi- sinent les roches primitives. Le chef- lieu de ce district est le fort Simpson, situé à Glo' 51% 25, de latitude par 121o 51, 15, de longitude, au confluent de la rivière au Liard avec le fleuve Mackenzie. C'est dans ce fort que réside le bourgeois en chaige du dis- trict ; c'est aussi là que se réunissent les commis des différents postes vers la fin d'août pour recevoir les ordres de leur chef et les marchandises né- cessaires à la traite des pelleteries. On pénètre dans le district de la rivière Mackenzie en descendant le fleuve du môme nom. L'embouchure de ce fleuve, qui donne le tribut de ses ondes à la mer Glaciale, forme un immense port de mer. On connaît les difficultés de la navigation par le détroit de Behring, difficultés qui jusqu'à ce jour n'ont pas même per- mis de tenter la voie de mer pour ar- river au district Mackenzie. La route par dessus les montagnes Rocheuses, quoique praticable, offre les plus sé- rieuses difficultés, qui constituent une impossibilité réelle, quoique non ab- solue. Par delà ces montagnes Ro- cheuses, le district de la rivière Mac- kenzie possède un poste que nous en avons comme exclu, en assignant la chaîne des grands monts pour la li- mite occidentale du département du Nord. Ce poste est celui situé sur les bords du fleuve Youcan. En traçant les limites du départe ment du Nord, nous n'avons pas fait attention à ce poste, parce que nous le croyons sur le ci-devant territoire russe, aujourd'hui propriété desEtats- Unis. 2o District d'Athabaskaw. — Ce district, qui a voisine le précédent et le borne au sud-est, renferme le reste du terri- toire du Nord-Ouest, à l'exception pourtant des terres arrosées par le haut du fleuve Athabaskaw et ses affluents, depuis sa source jusqu'aux rapides de la rivière à la Biche. Ce district est aussi en plus grande partie un pays inculte. La vallée de la rivière à la Paix fait une belle excep- tion à cette triste aridité. Sur les deux rives de cette rivière il y a des terres magnifiques; des prairies d'une grande fertilité y sont parsemées d'é- paisses touffes de beau bois de con- struction. Quelques points sur la ri- vière Athabaskaw offrent aussi des avantages réels pour la colonisation. La nature est magnifique dans ce dis- trict, la vallée de la petite rivière de l'Eau claire a des beautés saisissantes et exceptionnelles. Les rives du grand fleuve reportent, par leur aspect, vos 51 pensées sur les plus beaux fleuves du monde, et l'on se surprend facilement à regretter les rigueurs du climat, qui seront toujours un très grand ob- stacle à l'habitation même des parties arables de ce vaste territoire, qui ren- ferme d'abondantes richesses minéra- les : le souffre, le sel, le fer, le bitume, la plombagine abondent dans tout ce district. Je crois qu'il y existe aussi des puits de pétrole. La grande rivière Athabaskaw coule à travers d'immenses carrières de calcaire, interrompues ça et là par des falaises d'argile schisteuse qui s'entr'ouvrent à tout moment pour laisser entrevoir les richesses miné raies qu'elles renferment. La rivière à la Paix possède des carrières de plâtre, des dépôts carbonifères suppo- sés être d'une grande valeur. Ses flots rapides descendent des montagnes Ro- cheusesdes masses de sablequi recèlent delà poudre d'or. Toutes ces richesses, jointes à celles des fourrures, donnent au district d' Athabaskaw une bien grande importance. Jusqu'à ce jour les importations nécessaires au commerce du district, ainsi que l'exportation de ses fourru- res, se sont faites en bateaux, et par la rivière qui lui a donné son nom, et la rivière de l'Eau claire, qui coule au pied des hauteurs du portage à la Loche. Depuis deux années, on est allé par terre jusqu'au lac la Biche, pour descendre ensuite la rivière qui en sort. Cette route nous semble bien préférable à la précédente. On pénè- tre aussi dans le distric d' Athabaskaw par l'ouest, puisque la rivière à la Paix se rapproche beaucoup de la rivière Fraser ; et quoiqu'il faille, par cette voie, passer les montagnes Ro- cheuses, la navigation est moins sou- vent interrompue que par les rivières qui viennent de l'est. Le chef-lieu du district d' Athabas- kaw est le fort Ghippeweyan situé à peu près à 58° 40' nord, par 104° 35' 15" ouest. Ce fort, bâti sur les hau- teurs qui bordent au nord le lac d'Athabaskaw ou des Collines, com- mande une vue magnifique. A l'est, c'est l'immensité de la mer, au sud. l'agréable variété d'ilôts nombreux^ qui se dessinent sur le fond toujours verdoyant d'une épaisse foret d'épi- nettes. Le nord déroule les plis sinueux de sa solide ceinture de granit, et le soleil couchant éclaire les petits lacs, les différents cours d'eau, les battures de sable, les prairies qui terminent ce grand lac. La scène est aussi variée qu'imposante pendant la belle saison. Pourquoi faut-il qu'un hiver de plus de sept mois en confonde tous les points dans une glaçante monotonie ? 3o District de la rivière aux Anglais. — Ce troisième district comprend pres- que toutes les terres arrosées par le fleuve de ce nom, qui se nomme aussi rivière Churchill. Il faut pourtant excepter le bas du fleuve, qui appar- tient au district d'York, et le haut de la rivière aux Castors, qui en est la branche la plus occidentale qui, en cette partie, arrose des terres qui ap- partiennent au district de la Siskat- chewan. Ce district ne renferme au- cune des richesses minérales que nous avons indiquées dans le précé- dent. Une portion de sa surface est complètement aride ou composée de roches primitives. Je n'y connais rien se rattachant à l'âge de transition. Les terrains houilliers et siluriens du district voisin ne se remarquent pas dans celui-ci. Le haut de la rivière aux Castors ou les bords des lacs qui s'y déchargent offrent des points arables. Le reste semble le fond d'un lac im- mense où le travail d'assainissement n'est pas encore complété. Sur d'au- tres points, des dunes élevées repor- tent à un autre âge. Nulle part les lacs ne sont aussi nombreux. De bel- les forêts couvraient autrefois une partie de ce district ; les incendies les ont presque toutes détruites. Les bords de quelques rivières et lacs en conservent encore quelques débris. Les eaux de presque tous les lacs abondent en poisson, ce qui rend la vie sinon plus agréable, du moins plus facile qu'ailleurs et permet aux indigènes de se livrer constamment à la chasse des pelleteries, qui y sont 52 riches et abondantes. Les terres ari- des (barren ground) ou landes stériles qui forment la partie septentrionale de ce district, comme des deux précé- dents, sont la patrie des petits cari- bous, qui y vivent en troupes innom- brables. Le chef heu du district de la rivière aux Anglais est le fort de l'île à la Grosse, situé sur les bords du lac de même nom, par 55° 25' nord, et 107° 55' ouest. La rivière aux Anglais, qui traverse tout ce district, se déchar- geant dans la baie d'Hudson, au port même de Churchill, autrefois si im- portant, il semble que la voie la plus naturelle pour y pénétrer serait de remonter ce grand fleuve. Néan- moins, nous l'avons dit dans le cha- pitre précédent, les difficultés et les dangers de cette navigation empê- chent de suivre cette route, et on pé- nètre dans le district par la Siskatche- wan et son tributaire dit rivière à la Pente. Un chemin de charrette ouvert il y a deux ans, entre la rivière Sis- katchewan et le lac Vert, semble offrir un accès plus facile à la partie supérieure du district dont nous nous occupons, et dont l'importance est res- treinte exclusivement à la traite des pelleteries. 4° District de la rivière Siskatchewan. — Cette vaste et importante division comprend l'immense étendue de terre arrosée par les deux branches de la Siskatchewan jusqu'à leur confluent, ainsi que par les tributaires de ces deux grands cours d'eau : de plus, le pays baigné par le haut de l'Athabas- kaw et de ses affluents. Cette dernière partie, empruntée au territoire du nord-ouest, est très-belle et très-avan- tageuse, quoique d'ordinaire on ne la renferme pas dans ce qu'on est con- venu d'appeler a la ceinture fertile » (fertile belt). Le district de la rivière Siskatchewan possède une partie du désert, une partie de la prairie et ce qu'il y a de" plus fertile en ce que nous avons appelé « la forêt ». Ce dis- trict peut avoir une valeur considéra- ble au point de vue de la colonisation, non pas sans doute dans toute son étendue et sous tous les rapports, comme nous l'avons déjà dit, quoiqu'il renferme des terres magnifiques. Déjà, et de tout temps, depuis la dé- couverte du pays; cette partie du dé- partement du Nord offre de nombreux avantages. Ce district, du moins dans ce qui n'est point la forêt, ne possède pas les riches fourrures de ses voisins du nord. Il leur est pourtant toujours venu en aide en leur fournissant les provisions nécessaires pour les trans- ports. Les plaines de la Siskatchewan ont, jusqu'à ces années dernières, tou- jours été la patrie des bisons, qui s'y pressaient en bandes innombrables à toutes les époques de l'année. La viande de ces animaux a toujours fourni les provisions nécessaires pen- dant les voyages. Les parties les plus délicates de l'animal sont desséchées au feu où au soleil, après avoir été réduites en tranches très-minces, et portent le nom de viande sèche, tandis que le reste, plus fortement desséché et pulvérisé, se nomme viande pilée. Cette viande pilée, mêlée avec le suif fondu de l'animal, dans les propor tions de 2 à 4, forme une espèce de pâte, dont la croûte est remplacée par la peau crue de l'animal. On roule ainsi la viande dans cette peau pour la préserver et la conserver souvent pendant plusieurs années. On livre ainsi cette singulière nourriture au commerce ou au bon vouloir des affa- més, sous le nom de pemïkan, mot sauvage qui signifie mélange dans lequel la graisse entre pour une large part. Cette ressource, sans être tout à fait épuisée, est néanmoins singuliè- rement diminuée ; . et tout porte à croire que bientôt elle va disparaître complètement. . La Siskatchewan, comme presque toutes les rivières qui descendent des montagnes Rocheuses, roule sur son lit d'argile des sables mêlés de poudre d'or. Jusqu'à présent, ces mines n'ont pas eu un rendement bien encoura- geant. On ne les trouve que dans le lit de la rivière, qui est glacée pendant six mois de l'année, débordée souvent pendant trois autres mois, en sorte 53 que, en définitive, la saison de la ré- colte d'or est bien limitée. Les pro- duits de cette recherche ont été jus- qu'à présent si peu abondants, que les mineurs venus successivement pen- dant plusieurs années se sont décou- ragés/ Cette richesse est pourtant une ressource incontestable. En ne faisant de la recherche de l'or qu'une occu- pation secondaire, l'habitant de la Siskatchewan ajouterait par là aux autres avantages de sa patrie adoptive. Les mines de charbon que renferme le district de la Siskatchewan lui as- surent une importance incontestable. L'immense dépôt houiller se montre à découvert aux falaises du grand fleuve. Ce charbon, sans être de première qualité, est néanmoins mis en usage par les forgerons du district, et si les couches qui sont à la surface peuvent ainsi être utilisées, il n'est pas douteux que celles de l'intérieur leur soient préférables. Les gelées précoces qui détruisent souvent les moissons, l'absence des espèces de bois nécessaires à la fabri- cation des ustensiles sont les seules rai- sons qui nous empêchent de partager l'enthousiasme qu'a fait naître, dans plusieurs, la vue de ces magnifiques terres. Je n'y connais pas non plus des carrières assez importantes pour fournir aux exigences d'établissements considérables. On aperçoit pourtant sur les rives des couches de grès. Dans différents endroits des blocs er- ratiques se trouvent en grand nombre et sont peut-être l'indice d'accumula- tions des roches auxquelles ils appar- tiennent, et dans ce cas pourraient fournir les matériaux nécessaires à des constructions même importantes. La Siskatchewan, comme toutes les rivières qui traversent les terrains si légers et si peu consistants des prai- ries, coule dans un lit très-profond. Ses côtes, élevées à plusieurs centai- nes de pieds, sont partout sillonnées par des coulées ou ravins souvent étroits et très-profonds, où l'on peut ménager des pouvoirs d'eau du moins à certaines saisons de l'année. Le chef-lieu du district de la Siskatche- wan est le fort Edmonton, situé par 53o 30 nord et 113 degrés de longitu- de. On pénètre dans tout ce district par les grands cours d'eau qui le tra- versent. On peut, de plus, voyager partout à cheval et presque partout en voiture, à la seule exception de la par- tie la plus boisée du territoire du Nord-Ouest. 5o District du Cumberland. -Le bas de la Siskatchewan, depuis le conflu- ent de ses deux branches principales jusqu'à son embouchure, ainsi que ses tributaires dans cette partie, arrose les terres qui forment le district de Cumberland. C'est le poste principal de ce district qui lui donne son nom; il est situé sur la rive sud du lac Cumberland, appelé aussi lac de rite aux Pins, par la latitude de 53o 57, longitude 102o 20. La partie ouest du district sur la Siskatchewan, depuis ses limites jusqu'au fort Cumberland, distance d'environ 200 milles, est très- propre à la colonisation ; le reste est couvert de roches ou sujet aux inon- dations. On trouve en cette dernière partie une forte ceinture de roches primitives, qui en occupe toute la par- tie septentrionale. Des stratifications calcaires de formation silurienne avoisinent ces roches primitives, con- tinuant le phénomène géologique qui, ayant pris naissance au sud, disparait dans tout le district de la rivière aux Anglais pour se reproduire dans ceux d'Athabaskaw et de la rivière Mac- kenzie. La rivière Siskatchewan forme un delta considérable avant de tomber dans le lac Bourbon (Cedar lake). Jusqu'à ce lac, ses eaux sont fortement chargées d'argile ou de sa- ble. En traversant le lac Bourbon, le fleuve se débarrasse de ce bagage désa- gréable ; ses eaux devenues par là limpides se précipitent en flots impé- tueux à travers les roches calcaires qui bordent ses rives et arrivent ainsi toutes bouillonnantes dans le Winni- pig, où s'arrête sa course. Ce grand fleuve n'entraîne donc pas seulement de la poussière d'or, mais bien aussi une grande quantité d'argile et de sa- ble qu'il dépose dans son cours. 54 Ce sont ces dépôts qui, avant son embouchure, ont successivement for- mé les terres qui avoisinent les lacs Cumberland, Bourbon, l'Orignal, qui, avec les lacs Winnipig, Winnipigous, Manitoba, Dauphin, St.-Martin et une multitude qui les environnent coin posaient à une époque, peut être assez récente, la vaste mer intérieure dont tous ces lacs n'étaient que les points les plus piofonds. Les dépôts calcai- res, étant les points les plus élevés, formèrent d'abord des îles au milieu de cette immense nappe d'eau. Une couche de terre d'alluvion les recou vrit ensuite, puis les tira de leur iso- lement, en les reliant à la terre ferme par les dépôts dont nous venons de parler et dont l'assainissement n'est pas encore complété, au point qu'il y a là de vastes étendues de terre inha- bitables. 11 nous est arrivé de remon- ter la Siskatchewan depuis le lac Bourbon jusqu'au fort Cumberland et de ne pouvoir, pour ainsi dire, pas mettre pied à terre dans tout cet es- pace, parce que tout était inondé, à l'exception de quelques points culmi- nants assis sur desstrades de calcaire, et qui servent à montrer très-distinc- tement la formation dont nous venons de parler. Le district de Cumberland n'a pas l'importance de ceux que nous avons déjà mentionnés. Il fournit quelques belles fourrures. Les in nombrables étangs qu'il renferme for- ment un pays de choix pour les rats musqués qui y abondent. Une partie seulement du district est bien boisée, le reste n'a que des avantages bien se- condaires à cet égard. 60 District de la rivière du Cygne. — Au sud du district de Cumberland est situé celui de la rivière du Cygne, qui s'étend jusqu'aux frontières des Etats-Unis, comprenant ainsi les lacs Winnipigous, Manitoba, les terres ar- rosées par les rivières qui se déchar- gent dans ces deux grands lacs ou qui en sortent, ainsi que celles sillonnées par la rivière Assiniboine, jusqu'à environ 20 lieues de son embouchure. Comme son voisin de l'ouest, le dis- trict de la rivière du Cygne a une partie du désert, de la prairie et de la foret. Il est pourtant bien loin d'avoir l'importance de celui de la rivière Siskatchewan. Ici non-seulement le désert est aride, mais la prairie elle- même participe à cette aridité. C'est le centre de la prairie dont nous avons parlé plus haut et qui ne vaut pas ce que valent les extrémités. La forêt a son importance, et sur la limite ori- entale on commence à trouver les ligneux d'une utilité plus grande que ceux à l'ouest. Les montagnes Dau- phin, Canard, Tonnerre, Porc-Epic, du Pas, sont bien boisées. Ces diffé- rents monticules, qui se relient à la montagne Pembina, formaient évi- demment autrefois la rive occidentale du lac immense que nous avons men- tionné en parlant du district précédent, et demeure aujourd'hui la démar- cation bien distincte entre les terrains de transition qui sont à leur orient et les terrains secondaires qui forment leur plateau occidental. Le district de la rivière du Cygne perd énormé- ment de terre utile au milieu de ces dépôts d'alluvion, qui n'ont point acquis assez d'élévation pour n'être point submergés. Aussi, entre les monticules indiqués plus haut et les lacs Winnipigous et Manitoba, ainsi qu'entre ces derniers bassins et le grand Winnipig, on peut presque dire: la terre c'est de Veau. Il ne fait pas bon y voyager, surtout à l'automne, quand cette eau se refroidit. 11 me souvien- dra longtemps d'un certain voyage que j'ai fait à la fin d'octobre ; pen- dant plusieurs jours il m'a fallu mar- cher dans l'eau glacée jusqu'à mi- jambe ; plus d'une fois j'ai même trempé ma ceinture. Sur les points les plus élevés cette terre d'alluvion est naturellement très-fertile. Entre la rivière Assiniboine et la montagne Dauphin et autres, il y a de belles terres, des terres d'autant plus avanta- geuses que les rivières qui coulent de ces hauteurs peuvent au printemps descendre des bois en abondance. A l'ouest et au sud de la rivière Assini- boine je ne connais, dans le district de la rivière du Cygne, aucun point pro- 55 pre à des établissements de quelque importance. Les formations dévoniennes du cô- té occidental des lacs Manitoba et Winnipigous renferment une grande quantité de sources fortement satu- rées de sel. Les gens du pays en tl rent parti, en isolant ce sel par le procédé dispendieux de l'ébullition de la saumure ; par l'évaporation on obtiendrait le môme résultat à meil- leur marché. Ce sel est celui dont on fait généralement usage dans la rivière Rouge. Il s'y vend de 4 à 6 sous la livre ; il ne vaut pas le sel marin, non plus que celui d'Athabas- kaw. ' A l'exception des montagnes et de la partie du district tout à fait au nord, on y voyage partout à cheval et en voiture sur bien des points ; on le ferait également en carosse, tant les prairies offrent de facilités pour les routes. Le chef lieu du district de la riviè- re du Cygne est le fort Pelly, bâti sur le bord de la rivière Assiniboine, à un endroit appelé le Coude par 51° 43o nord et 102° 15 ouest. 7° District de la rivière Rouge. — A l'est du district de la rivière du Cygne et au sud des lacs Monitoba et Winnipig se trouve le district de la rivière Rouge, qui est le nom com- mercial de la colonie d'Assiniboia, et qui s'étend une vingtaine de lieues sur les bords de la rivière Assiniboi- ne, depuis son embouchure et sur les bords 'de la rivière Rouge, depuis Pembina jusqu'au lac Winnipig. Au point de vue de la traite des fourrures, ce district a son importan- ce, non pas sans doute dans ce qu'il produit lui-même, mais bien dans le fait qu'il est le seul centre important d'affaires dans le pays. Outre le com- merce de l'honorable compagnie de la baie d'Hudson, il y a ici celui fait par tous ses opposants, et, nous l'a- vons déjà dit, ce commerce est par- faitement libre. Toutes ces opposi- tions partent de la colonie pour se ré- pandre dans les différentes parties des districts avoisinants, en sorte qu'une grande partie des fourrures du dé- partement du Nord est importée dans le district de la rivière R.ouge, pour y être vendue au plus haut enché- risseur et d.3 là être expédiée à l'é- tranger. En dehors de la traite des pelleteries, qui est plus considérable dans ce district que dans les autres, le commerce de marchandises a aussi une grande importance et est une source de profits considérables, car tout est à un prix exorbitant. Mal- heur a ceux qui n'ont pas le moyen ou la volonté d'importer directement de l'étranger. Tout se vend de 100 à 300 pour 100 sur le prix d'achat en Angleterre. Ce calcul si exagéré a jusqu'à un certain point sa raison d'être dans les frais énormes de trans- port, surtout pour les objets lourds ; néanmoins, on ne peut que regretter un pareil état de choses, qui affecte surtout la portion pauvre de la popu- lation, puisque tous ceux qui ont des moyens pécuniaires peuvent importer directement. Le fort Garry, situé au confluent de la rivière Assiniboine et de la ri vière Rouge par 49° 52' nord et 96° 53' ouest, a une élévation de 700 pieds au-dessus du niveau de la mer ; c'est le poste principal de ce district en même temps qu'il est le siège du gou- vernement de la colonie d'Assiniboia. Le district de la rivière Rouge, qui n'est pas encore tout colonisé, est in- contestablement la portion du dépar- tement du Nord la plus propre à cet objet. Le terrain y est partout un riche sol d'alluvion et une plaine de la plus complète uniformité. En par- lant des deux districts précédents, nous avons mentionné le lac immen- se qui occupait toute la partie orien- tale et qui s'est depuis desséché en certains points. Avant ce travail de dessèchement, tout le district de la rivière Rouge n'était qu'une partie de ce lac, et des inondations assez fréquentes viennent au secours de notre imagination pour nous reporter vers cette époque, et nous démontrer la certitude du fait que nous avançons. 56 La vallée de l'Assiniboine, qui est sur la côte occidentale de cette mer intérieure, est maintenant à peu près à l'abri de ces inondations. Cet im- mense inconvénient reste le partage des bords de la rivière Rouge, qui, étant au centre même de la plaine et la partie la plus profonde, reçoit toutes les eaux d'un immense plateau. La rivière Rouge, comme la Siskat- chewan, n'a que des eaux bourbeuses. Elle dépose à son embouchure les masses d'argile qu'elle tient en disso- lution, formant ainsi son delta. Ces dépôts, qui annuellement empiètent sur le lac Winnipig, augmentent la vallée et font au sud du grand lac le travail opéré à l'ouest par la rivière de Siskatchewan. Ici aussi la terre n'est pas encore desséchée, il y a des marécages de plusieurs milles d'éten- due qui s'assainissent graduellement, se couvrent d'abord de roseaux, puis de foin, forment enfin de belles prai- ries, et nous font assister, pour ainsi dire, à la formation de la plaine que nous habitons. 80 District du lac la Pluie — Le huit- ième district comprend les terres ar rosées par la rivière Winnipig, ses sources et ses affluents. Ce pays est en général peu propre à la colonisa- tion, si ce n'est les bords de la rivière la Pluie, quelques îles du lac des Bois et des points isolés sur la rivière Winnipig. De belles forêts, où se trouvent plusieurs des espèces de bois les plus utiles, comme nous l'avons dit ailleurs, donnent à cette section du pays un grand avantage. C'est de fait dans tout le département du Nord à peu près le seul endroit où il y ait du beau bois. Comme partout, le poisson abonde dans tous les lacs et les rivières. Le gibier est plus rare qu'ailleurs ; les fourrures s'y trouvent comme dans tout le pays de foret. Il y a dans ce district un produit que je ne sache pas exister ailleurs dans le reste du pays, c'est le riz sauvage [zizania aquatica] connu par nos voyageurs sous le nom de folle avoine. Cette précieuse graminée croît dans les lacs et rivières qui n'ont ni courant ni profondeur et offre une ressource précieuse. Les sauvages cueillent le grain en passant en canot au milieu des plants qu'ils frappent à coups de bâton pour le faire tomber dans leurs embarcations. Ils la chauf- fent ensuite pour en dégager la pel- licule qui le recouvre et le préparent en soupe. Ce riz fait un excellent potage, et plusieurs personnes le pré- fèrent au riz ordinaire. Le district du lac la Pluie, qui lie la colonie de la rivière Rouge à l'extrémité occi- dentale du Canada, se trouve être comme la porte par laquelle les sujets britanniques doivent naturellement pénétrer dans cette partie des do- maines de notre gracieuse souve- raine. Des voies de communication y ont été l'objet d'études spéciales faites par les ordres du gouverne- ment canadien. Les rapports officiels faits à la suite de ces explorations peuvent contribuer puissamment à éclairer l'opinion publique ; nous nous permettrons de dire que les difficultés nous semblent plus grandes et les avantages moindres que ne les ont jugées les auteurs de ces rapports. La rivière Winnipig, comme celle de Churchill, comme toutes celles qui courent à travers des rochers, offre des beautés toutes particulières ; nous l'avons dit, des cascades, des chutes, des rapides en interrompent partout la navigation. Comme compensation, ces difficultés multiplient les scènes grandioses et pittoresques qu'elles déroulent aux regards étonnés du voyageur. Comme volontiers on s'ar- rête sur les bords de ces cascades pour voir l'eau mugissante s'y précipiter en flots écumants et courir vers une chute nouvelle pour échelonner ainsi les nappes superposées les unes aux autres ! Puis ces eaux tourbillonnent, se replient sur elles-mêmes, comme pour venir examiner l'obstacle qu'elles n'ont pu franchir qu'avec tant de dif- ficulté. Au pied de toutes ces chutes, l'eau, dans sa violente agitation, forme des remous dans les courants, qui se croisent dans toutes les direc tions. A la suite de ces grandes agi- 57 tations, l'onde redevenue calme < se repose pour former un lac tranquille où les rochers qui le bordent vien- nent se mirer avec complaisance pour étaler le luxe et la variété de leurs formes. Le fort Francis, situé à l'extrémité du lac la Pluie, a été longtemps le chef-iieu du district. Il a depuis cédé ce privilège au fort Alexandre, situé à l'embouchure de la rivière Winni- pig, à quelques lieues seulement de l'embouchure de la rivière Rouge. 9o. District de Norway-house (rivière aux Brochets). — Ce district s'étend à l'est et au nord du lac Winnipig jus- qu'aux crêtes des rochers qui en sont la solide ceinture. Les rudes et âpres beautés de la rivière Winnipig nous ont préparé à la sauvage nature où nous entrons. Assis exclusivement sur un lit de roche primitive, ce district ne voit guère autre chose que des lacs et des rochers arides. On y trouve pourtant quelques beaux bois, mais seulement sur des points isolés et de peu d'importance. Le climat est par- tout d'une rigueur extrême ; le voisi- nage de la baie d'Hudson y cause un grand abaissement de température. Aussi toute cette partie du pays est d'une pauvreté remarquable. Le pois- son et les animaux à fourrures y sont pourtant en grand nombre ; mais, à part cela, il n'y a rien qui puisse y attirer. Le touriste qui y arrive en été y trouve son compte pendant quelques jours. Assis sur ces masses arides, il contemple avec une certaine admira- tion cette extension du grand système laurentin, cette forte ceinture dont Dieu a environné tous les grands lacs de l'Amérique du Nord. Il voit aussi avec plaisir cette multitude de petits lacs enrichis de milliers d'ilôts dont la couleur est aussi variée que la forme, et sur lesquels voltigent et se reposent des bandes innombrables d'oiseaux aquatiques. Voilà qui est agréable sans doute ; mais quand on en vient au po- sitif de la vie calme et monotone du résident, que ce pays est désolé ! — L'espace entre les rochers ne forme pas toujours un beau lac; le plus sou- vent, au contraire, ce n'est qu'un ma- rais fangeux qu'il est comme impossi- ble de franchir. Bien des endroits du district sont gelés neuf mois de l'an- née. J'ai trouvé de la glace en terre, à un pied de profondeur, au mois de juillet. Que l'on juge par là de l'avan- tage que l'on peut retirer de cette terre de désolation. Norway-house, situé près de l'em bouchure de la petite rivière aux Brochets, est le chef-lieu du district. Ce fort est bâti vers le 54o parallèle par 98o 10' longitude occidentale. Jusqu'à ces dernières années, c'est-à- dire avant qu'une partie du commer- ce du pays se fît par les Etats-Unis, tout passait par Norway-house. Toutes les brigades des différents districts s'y rendaient. C'était de plus le dépôt où hivernaient les marchandises pour les districts les plus éloignés. Ce poste a maintenant perdu un peu de son im portance ; il en conserve cependant assez pour continuer d'être un des plus grands entrepôts de commerce de la compagnie de la baie d'Hudson. lOo District oV York. — La hauteur des terres d'où les eaux coulent directe- ment par la baie d'Hudson forme les limites du district d'York. Les grands fleuves Nelson et Churchill n'ont point leurs sources dans ces dernières hauteurs des terres qu'ils franchissent pourtant pour entrer, eux aussi, dans ce district C'est un pays de désola- tion. Une grande partie de la surface, ici aussi, est couverte d'arides masses granitiques, Des couches de formation silurienne recouvrent le flanc de cet immense ossuaire. Les dépôts alluviens qui bordent la baie d'Hudson n'en font pas un jar din de délices, le climat y est affreux, il y gèle tous les mois de l'année ; le voisinage des glaces arctiques y fait descendre la température beaucoup plus bas que ne semblerait l'indiquer la latitude, puisque ce district s'étend jusqu'au 53e parallèle. La factorerie d'York, le chef-lieu, est située à l'embouchure non du fleuve Nelson, 58 mais bien de la rivière Hayes, quoi- que la baie dans laquelle se déchar- gent ces deux rivières scit connue sous le nom de port Nelson. La posi- tion géographique de ce fort est au point d'intersection du 57e parallèle et de 92o 25' de longitude. Le fort de Ghurchil, autrefois le point le plus renommé de la baie d'Hudson, où on avait exécuté des travaux stratégiques d'une grande force pour l'époque, et d'autant plus dispendieux que les matériaux avaient tous été importés d'Angleterre, n'est plus maintenant qu'un poste bien se- condaire. L'immense difficulté de s'y procurer du bois de chauffage rend ce poste comme inhabitable. Une ligne presque droite de Chur- chill à l'embouchure du fleuve Mac- kenzie traverse les terres stériles (barren ground), le pays le plus infor- tuné du monde, patrie des Esqui- maux, qui ne se tiennent guère que sur le littoral. Cette ligne diagonale, d'environ 1 200 milles de longueur, laisse au nord-est de son tracé une immense étendue de pays où il n'y a aucun établissement de traite, où il n'y a guère de végétation possible, et qui n'est connue que par les rap- ports des hardis eyplorateurs qui ont tant souffert en la parcourant. Le département d'York doit son importance aux ports de mer qui s'y trouvent, car jusqu'à il y a vingt ans toutes les exportations et importa- tions se faisaient par cette voie. Le commerce de la compagnie du Nord- Ouest et autres venus du Canada pas- saient par le lac Supérieur, tandis que la baie d'Hudson a toujours été la voie suivie par la compagnie rivale jusqu'au moment où la route des Etat-Unis est venue nous offrir ses fa- cilités. Après ce coup d'œil sur l'organisa- tion et la division commerciales du département du Nord, nous désire- rions pouvoir fournir des chiffres qui en montreraient l'importance à ce point de vue. Malheuresement ces données nous font défaut. Les exportations, on le comprend assez, consistent presque exclusive- ment en fourrures. Nous pouvons donner ici le nombre de celles ache- tées par l'honorable compagnie de la haie d'Hudson pendant l'exercice de 1865. Ce tableau ne présente sans doute pas le grand total de toutes les four- rures du département; en doublant les chiffres pour le district de la ri- vière Rouge, on n'en serait peut-être pas très éloigné, car ce n'est guère que dans ce district que des fourrures passent définitivement dans d'autres mains que celle de la compagnie ; et sans pourtant être certain du fait, nous croyons que même dans ce district elle acquiert à peu près la moitié de celles qui y sont impor- tées. 59 CO £ tO ^ M H- O «3 CO S jn c ss § ce Ci CD 1 Noirs » (Black). CD O *>. O O -J x go CD M M M to «-] o « Bruns (Brown). ce 6 S -S-'jJ g b3 Cn es O S Gris (Grey). 55 I < w h S S m a w > S < a ce l | fi o s o a o IH u g tr 1 O p. Q G" o î ET y: «1 a Ct) in 55 o P S" o S 8 % Blaireaux (Bladgers). Blancs (White). CD VU 1 ^l o 3 £ in X 65 eo i 00 CD oo i Castors (Beavers). ^4 : S " OC £> OO O te ^ 3 a a Robes de Buffles (Buffalo Robes). ce en ; s 00 ce - a r 5 5 r Hermines (Ermines.) | Bleus (Blue. 3 g Argentés (Silver.) H» tO K> ft & 3 Croisés (Cross). g S . 8 «O b0 es 8 &§ 00 E o en co en Routes (Red). Blancs (White). Chiens de Prai- rie (Kitt). Fishers (Pékans).' Loups-cerviers (Lynxes). 2 8 CO es CD i- i— en -1 fcO Martres (Martens). 2 ^ § S Visons (Minks). to oo *- g 3 ïi § o o CD £3 | Bœuf» musqués (Mnsk-Ox). -a o es en *■ o Loutres (Otters). Chats sauvages (Racons). Cn o *. Putois (Shunks). Rats musqués (Musquash). Weenusks. (Marmottes). rf» os co ^ o i— en to a*. -J co es o -3 en Loups (Wolves). Hermine 1 " Vison 1 « Martre 1 " Pékan 1 " Loutre 1 " Putois 1 " III. Fam, Carnivores. f. ^ - Chiens 4 espèces. Loups 6 " Renards 6 " Chien de Prairie 1 " y Chat 1 espèce. Lynx 1 • " Panthère 1 " 3e Tribu : Amphibies. Phoque 1 espèce. Morse 1 " I. — On voit d'après ce tableau que la famille des Chéiropteras n'a ici qu'une tribu, que cette tribu n'a que deux sujets, la chauve-souris : Ves- pertilio Pruinosus (Heary Bat), et celle Vespertilio Subulatus, (Say's Bat). La chauve-souris aimable ici com- me ailleurs, dort pendant tout l'hiver, elle en fait autant en été durant le jour, enveloppée dans ses ailes, sus- pendue par les pieds, la tête en bas, bien certaine qu'elle ne prendra pas une inflammation de cerveau, com- mence à la nuit son vol agité sans courir, ici du moins, le risque de donner la chair de poule aux coura geux enfants du Nord, ni d'exciter la dissipation que mes souvenirs d'éco- lier me jettent à la mémoire lorsque au nom de chauve-souris se joint la pensée de ce que produisait leur en- trée dans le dortoir du collège. II. — La famille des Insectivores fournit trois espèces de Musaraignes celles dites Sorex Palustris. (Ameri- can Marsh Shrew), Sorex Forsteri, et Sorex Parvus. Ces musaraignes sont les plus petits de nos quadrupèdes, et leurs existences si frêles et si délica- 7 98 tes résistent à l'intensité du froid qui ne les empêche pas de multiplier leurs évolutions. Je ne connais ici qu'une espèce de taupe, celle dite Musaraigne Taupe, ou Scalope du Canada, Scalops Cana- densis (Shew Moles). ' Nous ne leur faisons point la guerre, elles ne nous nuisent pas dans l'état de notre socié- té. I1L— La famille des Carnivores offre tout naturellement, plus d'intérêt et le sujet d'une étude plus spéciale. Elle a ici trois tribus, celles des Plan- tigrades, des Digitigrades et des Am- phibies. 10 La tribu des Plantigrades com- prend les sujets suivants : Ours Blanc Ursus Maritimus The Po- [lar or Sea Bear. Ours Gris Ursus Ferox TheGris- [by Sea Bear. O. Noir et canelle.... Ursus Americanus The [American Black Bear. Ours Brun Arcios... Americanus The [Barren Ground Bear. Blaireau . . . Mêles Labradoria.. . , . The American [Badger. Raccoon....Procyon Lotor The Baccon. Garcajou...Gulo Luscus The Wolve- [rine. L'Ours Blanc semble la sentinelle avancée des régions polaires, préposée à la garde des glaciers immenses sur lesquels il promène son existence quand il sort de sa léthargie. Cette espèce d'ours est plus allongée que les autres, son cou est plus long, d'un blanc jaunâLre,l'extrémité de son mu- seau et la langue sont noires, les lè- vres et l'intérieur de la gueule, pres- que de la môme couleur. 11 mesure quelquefois neuf pieds de long, quatre pieds et demi de hau- teur. Sa force est prodigieuse, sa fé- rocité non moins grande, aussi, il est redouté et avec raison. Il s'aventure quelquefois sur les banquises jusqu'à de grandes distances en mer, se nour- rit surtout de poisson, ce qui expli- que la saveur désagréable de sa chair. Si l'ours blanc semble la sentinelle du Nord, la borne méridionale de no- tre Département a aussi trouvé un puissant gardien dans la famille des Plantigrades, c'est l'ours gris. Cette espèce est la plus grande du genre, quelques individus atteignent même des proportions énormes. J'ai vu des griffes d'ours gris qui mesuraient sept pouces de longueur : que l'on juge par là de l'agrément qu'il y a à tomber en- tres les bras d'un pareil être, qui vous labourre les flancs ou vous étreint à proportion. L'ours gris est redouté même des chasseurs, qui ne l'atta- quent qu'avec un redoublement de précautions, et s'unissent pour cette chasse à moins d'être armés d'une façon toute particulière. Cette espèce se trouve surtout dans les prairies, ou à la lisière des bois qui les bordent. Son pelage est très varié, des poils nlancs se dessinent sur un fond roux ou noir. On ferait un livre des tours de for- ce déployés par ces terribles hiber- nants, on pourrais y joindre plusieurs pages comme preuves du sang-froid et du courage des chasseurs, voire même de quelques femmes qui, saisies par des ours de cette espèce, ne se sont point déconsertées et sont parve- nues à s'en dégager sans même donner ensuite le moindre signe d'émotion. J'ai vu plusieurs sauvages privés de l'usage de quelque membre ou mar- qués par de profondes cicatrices,suites des luttes de ce genre. L'ours noir se trouve partout dans le pays, je le crois différent de l'ours d'Europe, mais il n'est point ici une méchante bête. Les enfants même lui font la chasse, et ce que le chas- seur redoute le plus dans son excur- sion, c'est de manquer l'occasion de voir de près. ces animaux qui invaria- blement, s'enfuient au moindre bruit et qui n'attaquent jamais même bles- sés à moins que la fuite ne leur soit impossible. Les ours chocolat ou mieux couleur canelle ne sont qu'une variété de l'espèce des noirs dont ils sont souvent les petits. La fourrure des uns et des autres mais surtout celle des chocolats est magnifique, le poil en est long, fourni et soyeux, tout 99 le monde sait que la chair des ours est excellente surtout quand ils se nourrissent de fruits. La quatrième espèce d'ours est celle qui habite les landes stériles et se rend jusque sur les rivages de l'océan Arc- tique, vivant pendant son temps d'ac tivité de substances animales et végé- telles. Cet animal moins grand et moins féroce que l'ours gris qui habite les plaines du sud, est pourtant aussi re- douté des sauvages, de ceux môme qui ne craignent pas le moins du monde l'ours noir. Je voyagais avec deux sauvages, «Mangeurs de Caribou» ces deux jeunes gens étaient constam- ment dominés par la crainte puérile que leur inspire la pensée d'ennemis imaginaires comme nous l'avons dit au chapitre précédent. Aussi tous les soirs il fallait,coûte que coûte, camper sur une île et ne camper que là. L'obs- curité, le vent, la pluie ne pouvaient pas les décider à passer la nuit sur la terre ferme. Tous les soirs il fallait pousser notre embarcation jusqu'à ce qu'on atteignit une île quelque petite ou incommode qu'elle fût. A bout d'arguments inutiles je ne pus réussir à dissiper leurs appréhensions. Je riais beaucoup de leur lâcheté ajou- tant que, pour mon compte, au milieu de ces épaisses forêts, je ne voyais pas d'autres ennemis que les ours. Grande fut ma surprise lorsque mes deux hommes partirent d'un violent éclat de rire assurant qu'eux ne désiraient rien tant que de voir un ours, afin de le tuer et de faire diversion à la mo- notonie et à la maigreur de notre pi- tance journalière ; puis, ajoutaient mes sauvages, ce serait autre chose si nous étions sur nos terres, (landes stériles), là les ours sont terribles. » Nos prairies possèdent un autre Plantigrade qui comme l'ours, passe l'hiver dans un antre, sans môme perdre beaucoup de son embonpoint. Le Blaireau est un petit animal de deux à deux pieds et demi de long. Timide il fuit au premier bruit ou à l'aspect de l'homme, tout comme il as- souvit sa cruauté sur les petits animaux dont il^ se nourrit avec une grande voracité. Des substances végétales entrent aussi pour quelque chose dans son alimentation. La fourrure du blaireau trop blafarde pour être élé- gante, est cependant bien solide. Ce petit quadrupède a une force prodi- gieuse dans les pattes de devant, puis- que une fois qu'il a la partie antérieure du corps dans un trou, il devient im- possible de l'en arracher, quoique tout l'arrière- train offre à l'opération des facilités exceptionnelles dont les chasseurs savent tirer parti. A l'extrémité méridionale du Dé- partement on trouve quelques Rac- coons qui ne semblent pas pouvoir y pénétrer quoiqu'ils se trouvent en grand nombre plus au sud. Cet animal a l'air du renard joint aux allures de l'ours. Il se nourrit de racines, de plantes, de grains verts, de fruits, d'insectes et d'oiseaux. Il aime surtout le sang et la cervelle de sa victime. A l'eau basse il se fait pêcheur. Sa four- rure, plus élégante que celle du blai- reau , n'est pas non plus très-recherchée. La famille des Plantigrades se ter- mine ici dans la personne du carcajou, le fléau de nos forêts et la désolation des chasseurs de pelleteries. Cette bête comme pour faire l'équi- libre à l'engourdissement de ceux de sa famille, est douée d'une activité fébrile et tout à fait extraordinaire surtout en hiver. Il n'est pourtant point prompt à la course, sa marche n'est même facile que sur un sentier bien battu. De la grosseur d'un .chien de moyenne taille, il accomplit des œuvres de destruction qui exigent une force et une habileté qui souvent semblent fabuleuses. Il dérobe et cache dans la neige ou ailleurs, des objets de différentes espèces, non-seulement des aliments mais même des ustensi- les, et jusqu'aux lourdes scies de long en usage dans le pays. J'ai vu un jour un de ces tours d'adresse d'un carca- jou qui m'a bien surpris : Mes compa- gnons de voyage venant à ma rencon- tre, avaient laissé en dépôt un fusil à deux coups et un sac de provisions qui devait servir à notre retour. Connais- 100 sant le danger que couraient ces objets, ils les avaient ce semble mis en sûreté. Le fusil avait été encaissé avec efforts entre deux tronc d'arbres très rapprochés ; une longue perche placée en travers sur deux arbres éloignés, reçut une corde à laquelle était suspendue le sac de provisions. A notre retour notre surprise fut excitée par la manière dont le carca- jou s'était joué de nous : non-seule- ment il avait grimpé dans l'arbre, mais il avait môme marché sur cette perche faible et flexible qui semblait incapable de le porter et avait été couper la corde qui tenait à cette per- che le sac de nos provisions qu'il avait dévorées, gaspillées ou enfouies, puis le fusil avait disparu. Après de longues recherches, nous trouvâmes d'abord le fourreau du fusil fait en cuir,qui avait été enlevé de sur l'arme qu'il protégait et caché soigneu- sement, puis, dans une autre direction, à une plus grande distance, le fusil lui-même placé sous un tronc d'arbre ; des feuilles avaient été jetées pardes- sus le fusil et remuées jusqu'à une certaine distance comme pour cacher les traces de l'habile voleur. Néces- sairement nous aurions cru à l'œuvre d'un homme si la solitude profonde de la forêt ne nous avait pas forcés à reconnaître le fait du carcajou dont la piste était partout visible dans le voi- sinage. Si l'habileté du carcajou lui assure quelquefois le succès, voici un fait qui prouve que sa malice est sou- vent punie. Un sauvage avait laissé sa loge sans personne pour garder les objets qui s'y trouvaient. Un carcajou pénètre bientôt dans l'habitation dé- serte, sort tous les objets un à un, et va les cacher à droite et à gauche, même à une grande distance. Il ne restait plus qu'un sac de poudre. Le carcajou s'en saisit, le cache dans les cendres du foyer, quelques charbons non éteints brûlent bientôt le sac et provoquent une explosion dont le coquin est le premier victime, puis qu'elle l'étend mort sur la place, je tant de droite et de gauche la cervelle du receleur. 2o La tribu des Digitigrades se par- tage ici en trois divisions distinctes qui sont : les Martres, les chiens et les chats. La division des Martres comp- te sept sujets qui excitent la convoitise des amateurs de fourrures, et four- nissent à cette branche de commerce une de ses plus précieuses ressources. Ce sont d'après notre tableau: La Belette Mustale (Putorius.) Vulgaris [The common Weasele. L'Hermine Mustela (Putorius) Ermina [The Ermine or Stoat. Le Vison Mustela (Putorius) Vison [The Vison Measel. La Martre-.Mustela. Martes...The Pine Marten. Le Pékan... " Ganadensis..The Pékan or [Fisher, La Loutre " ...The Canada [Otter. Le Putois ...Mephitis Americana Hudsonica [Hudson's Bay Skunk. La Belette et l'Hermine ne se dis- tinguent guère parmi nos chasseurs, toutes deux d'un pelage roux en été, deviennent parfaitement blanches en hiver. Le privilège antique accordé à cette fine fourrure d'entrer dans les costumes des hauts dignitaires de l'E- glise et de l'Etat, excite tout naturelle- ment un sentiment de surprise à la pensée qu'ici on n'en fait pas assez de cas pour lui faire la chasse. « Ces menues pelleteries » sont si menues qu'elles n'attirent pas l'attention de ceux qui s'occupent de fourrures plus considérables et par là même plus productives. A la suite de ces deux nains de la division qui nous occupe, vient se ranger le Vison ou Foutreau, si recherché, si à la mode, si cher aujourd'hui, malgré l'odeur infecte qu'il prodigue à ceux qui le chassent. Le foutreau vit au bord des rivières où il se plonge souvent même en hiver, et où on le tue facilement soit avec des fusils soit avec des pièges à ressort. Vient ensuite la martre qui se plaît, elle, dans les terrains secs et arides, dont la fourrure toujours riche et précieuse résiste à l'antagonisme que la mode a donné à la dépouille du 101 vison. Puis le pékan, la grosse mar- tre du nord, plus riche même que la précédente mais moins nombreuse ; qui, comme elle, se nourrit de sang et de carnage. Le pékan habite des lieux humides où pendant l'été i! fait la chasse aux grenouilles. Quoique la martre fasse ses délices de la chair des perdrix, sa propre chair n'a pas pour cela une saveur agréable. Les sauvages qui, certes, ne sont pas d'ha- biles gastronomes, ne mangent la chair de la martre que quand ils souf- frent de la faim. Les trois animaux dont nous venons de parler, voient se grouper auprès d'eux la loutre dont la dépouille, pour être moins soyeuse que les pré- cédentes, n'en est ni moins riche ni moins précieuse et l'emporte de beau- coup en solidité et en durée. Quelques loutres sont toutes noires et d'une grande beauté. Même en hiver la loutre recherche l'eau des rapides qui résiste à l'intensité du froid; c'est un spectacle curieux de l'y voir prendre ses ébats, par la température la plus rigoureuse, s'y plonger et replonger pour saisir une proie, puis voyager à de grandes distances pour chercher un autre endroit où la glace n'a pas fermé toute issue à la rivière. Dans ces pérégrinations les loutres font dé grandes trainées dans la neige sans laisser à ce sillon aucune em- preinte particulière. La première fois que l'on voit de ces tranchées, il est difficile de se figurer qu'elles sont dues à la marche d'un quadrupède de trois ou quatre pieds de longueur qui ram- pe pour ainsi dire sur de grands espaces puis fait un bond pour ramper encore avec une vitesse étonnante. Le dernier individu de la division des Martres est le Putois, le Ghicak des sauvages Gris, (de la Chicakok ou Chicago, Terre des Putois.) Cet animal fort joli quant à la couleur est d'ailleurs fort peu agréable. Excessi- vement lent à la course, on le tue facilement à coups de bâton. Sa seule défense est l'éjection d'un fluide dé- goûtant qu'il tient en réserve pour le moment de l'attaque et qu'il répand plus ou moins sur son passage, trahis- sant ainsi sa présence. L'odeur infecte qu'exhale ce fluide n'est peut être pas tout ce qu'on en a dit. J'ai souvent vu tuer des putois et je n'ai jamais été témoin des désastreuses consé- quences que l'on énumère à ce sujet. La peau qui généralement conserve cette odeur, est considérée quelque part dans le pays, comme un spécifi- que très puissant; j'en ai vu garder à cet effet dans les maisons. Pour dire le vrai, je trouvais le remède pire que le mal. La chair du putois, quand l'animal est écorché avec soin, est loin d'être désagréable, j'en ai mangé avec plaisir, et en man- gerai encore, chaque fois' que l'occa- sion s'en présentera. En hiver le putois se retire dans des demeures souteraines dont il ne sort qu'à de rares intervalles. Gomme la martre il se nourrit de tous les petits habitants de la forêt. La deuxième division de la tribu des Digitigrades renferme les sujets sui- vants : Chien Domestique Ganis Familiaris....The [Domestic Dog. Chien Esquimaux Var. Borealis...The Es- quimaux Dog. Chien Montagnais Lagopus Tne Hare [Indian Dog. Chien Loup ou Sauvage.. ..Canadensis The [North American Dog. Loup à moule Canis Latrans... The Prairie [Wolf. Loup Blanc Canis Lupus, occidentalis [albus The American White Wolf. Loup Gris Var. Lupus occidentalis Gri- [seus The Amer. Grey Wolf. Loup Bigarré Var. Lupus occidentalis stic- [teus The Amer. Pied Wolf. Loup Brun... Var. occidentalis ? Par la for- me du pied dans lequel le doigt de derrière est articulé sur le môme plan que le doigt de devant. 2° Par l'ab- sence d'une espèce de dent fortement définie qui donne aux Rapacces seuls la faculté de déchirer la nourriture avant de l'avaler. 3° Dans la présence dans les deux groupes caractéristiques de cet ordre, d'une petite coche qui se trouve dans au moins, une des deux mandibules, pour permettre à l'oiseau de saisir mais non de déchirer sa nourriture, qu'il avale presque tou- jours en son entier. Le deuxième ordre ainsi défini renferme deux fa- milles, les Dentirostres et les Com- rostres. I — La famille des Dentirostres pos- sède ici quatre tribus qui renferment quatorze genres et trente trois espèces comme on le voit ci après. Pie grièche Lanius Borealis Greater [Northern Shrike. Pie grièche du Canada... Lanius Excubitorides American Great Shrike. Gobe mouches Tyrannus Intrepidus..King Bird. «