ESSAI SUR LES RAPPORTS

;EGLISE CHRETIENNE

AVKC

L'ÉTAT ROMAIN

PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

Digitized by the Internet Archive

in 2011 with funding from

Univers ity of Toronto

http://www.archive.org/details/essaisurlesrappoOOdoul

ESS/lî SUR LES RAPPORTS

DE

L'ÉGLISE CHRÉTIENNE

Avrc

L'ÉTAT ROMAIN

PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

SUIVI D'UN MÉMOIRE

RELATIF A LA DATE DU MARTYRE DE SAINTE FÉLICITÉ ET SES SEPT FILS

ET D'UN APPENDICE ÉPIGRAPHIOUE

THESE

PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS

PAR HENRY DOULCET

ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE DES C.VRMES , LICENCIE EN DROIT

Ea qu?p facilius est sentire qiiam dicere et argiimentis, et exemplis, et leclio- num aiictoritatibus adornare. MiNUCius Félix, Oclavius, c. xxxviii.

PARIS TYPOGRAPHIE DE E. PLON et C"

RUE GARANCIÈRE, 8

1882

m

8

\^'

I Z9

.1 LA

MÉMOIRE

DE MA GRAND'MÈRE CHARLOTTE-FÉLICITÉ LALANNE DOULGET

A MA lAJÈRE

AYANT-PROrOS

« Qu'avaient à craindre les rois de la terre de l'Enfant Jésus? Ignoraient- ils qu'il était un roi dont le royaume n'est pas de ce monde? Cependant Hérode le craint, le hait dès sa naissance : cette haine est héréditaire dans sa maison , et on y regarde Jésus comme l'ennemi de la famille royale. Ainsi s'est perpétuée de prince en prince la haine de l'Église naissante. Ainsi s'est élevée contre l'Église une double persécution : la première, sanglante, comme celle d'Hérode; la seconde, plus sourde, comme celle d'Archélaûs, mais qui la tient néanmoins ôan^ l'oppression et la crainte : et cette persécution, durant trois cents ans^ ne s'est jamais ralentie. » Afin de mieux saisir les éléments de ce pro- blème historique, que Bossuet expose avec autant de précision que d'éloquence (1), je me suis déterminé à l'envisager dans

(I) Elévatiuiis sur les mystères, di\-ncuviùm'^ scauuae, sixième élévat'on.

-zs\

toute sou cteudue et à examiner l'ensemble des relations de l'Église chrétienne avec l'État lomain pendant les trois pre- miers siècles.

Je dis l'Étal romain, pax Romana, selon rijeurcuse expression des anciens; et en etret, l'unité du monde romain était accom- [)lie au commencement de l'ère chrétienne. Qu'on se représente le spectacle qu'offrait à cette époque la capitale de l'empire. Le citoyen qui dès son enfance avait respiré l'air de TAventin et avait été nourri des fruits de la Sabine, s'indignait de ne pouvoir faire un pas sur la voie Sacrée sans élre coudoyé par les Grecs et les Syriens. Aucune distinction n'est maintenue; Rome adore les divinités monstrueuses de l'Egypte qu'elle avait vaincues à Actium; rOronte se déverse dans le Tibre (! ). Au milieu d'une pareille confusion, il y avait moins de singularité à propager le culte de Jésus-Christ crucifié par un gouverneiii- romain (2) qu'à s'abstenir de solliciter pour lui une place au Panthéon à côté de tous les autres dieux. Cette abstention était cependant un des traits caractéristiques de l'attitude des premiers fidèles, lellequ'ils

(1) JuvÉNAL, Sat. 111, V. 59 ei suiv. :

Non possum ferre, Quiriles,

Graecam Urbetn : quamvis quota porlio fœcis Acbœao? Jampridem Syrus in Tiberim drfluxit Oronles.

Usque adeo nihil est quod noslra infanlia cœluni Hausil Avcntinum, bacca nulriia Sabina.

(2) TACiTt:, Ann., 1. XV, c. lxiv : Auclornominisejus Christus, Tiberio imperi- lante, per procura'orcm Ponlium Pilalum supplicio aiïeclus erat. Reprcssaque in prœsens exiliabilis superslilio rursus crumpcbal, non modo per Juda^am, origineni ejus mali, sedperUibcm ctiam, quo cunctaundiquealrocia aul pudendaconfluunt relebranlurque.

II!

la décrivaient eux-mêmes : « Les chrétiens, disent-ils, liabileni les villes des Grecs ou des barbares (1), selon qu'il est échu à cha- cun d'eux; ils se conforment aux habitudes du pays pour le vête- ment, la nourriture et le reste de la vie, et néanmoins, de l'aveu de tous, leurs manières présentent je ne sais quoi de remarquable et d'extraordinaire. Us habitent les patries qui leur sont propres, mais comme des gens de passage; ils ont le droit complet de citoyens et sont absolument traités en étrangers. Toute terro étrangère leur est patrie , et toute patrie leur est comme étrangère. Ils se marient à l'exemple de tout le monde et donnent le jour à des enfants, mais ils n'exposent jamais leurs nouveau-nés. ils prennent part à des repas communs, mais sans se livrer au désor- dre. Ils mènent dans la chair une vie non charnelle; ils séjour- nent sur la terre, et leur conversation est dans le ciel. Ils obéissent aux lois établies et les dépassent parleur morale. Ils aiment tous les hommes et sont attaqués par tous. On ne les connaît pas, et on

les condamne Les Juifs leur manifestent une hostilité nationale,

et les Grecs les persécutent; leurs ennemis oublient de dire le motif de leur haine. » Conformément à cette peinture, nous les verrons ignorés d'abord , mais, à cause de la noble originalité de leur conduite, viclimes désignées par lajalousie des Juifs au caprice vindicatif d'un despote, puis mis hors la loi, et sitôt que l'occasion s'offrait , punis du dernier supplice ; enfin devenus assez nombreux

(I) Barbares, peuples autres que les Grec^. En. ad Diugn , c. v, i-M : Kaxo'.xoOvTî; ok to),eiç 'E),).rjVÎoa; te xai PxpSdtpoy;, w; é'xa(jTo; £y.),r,p(oQ/), y.a\ mlç zjy_(ùp'ioiz ïOsciv axoAO'jQoOvTî; sv te ccrOriTt xa^ otatr/j y.où tm lomiù péa), ^TJiJ.'xnvr,v y.y.\

ô[j.o).oyo'jaiv(i); 7:2pd(Oo?ov svoîr/.vjvTXi Tr,v y.'xxâ.atu.'jv/ Tr,; Itjtcov T.olixzrxz TrEcOovcat

Toîç topiTijivotç vôfi-ot;, xa\ xoî; tot'otç pîoi; viy.toirt touç v6[j.oyç iiizo 'lo-joaîcov w;

à).),6çu).oi TtoXsjjLoOvToti xa\ vcîtô 'EaaV|VMv oiwxovTa'. y.o(\ Tr,y alxi'av ttiÇ s-/Opa:; c'ctteÎv o\ (j.tToOvT;; o'jy. e'/o'jt'.v.

IV

pour se faire accepter par l'autorité, ou pour exciter ses craintes et s'attirer une içuerre générale et acharnée.

Je n'avais pas à m'arrêtera l'antique énumération de dix per- sécutions portant chacune le nom d'un empereur, quoiqu'elle ait été reçue de bonne heure chez les historiens ecclésiastiques. Déjà saint Augustin, se plaçant au point de vue général, en contestait, non sans raison, la justesse. « Pourquoi donc, s'écrie-t-il (1), commencer par Néron, puisqu'avant lui le développement de l'Église avait rencontré des obstacles terribles dans le détail desquels il serait trop long d'entrer? Que si l'on ne tient compte que des persécutions suscitées par les princes, Hérode, qui était un prince, après l'Ascension du Seigneur, fut également l'auteur d'une très-sérieuse persécution. Et que dire de Julien que l'on oublie de joindre à ses dix prédécesseurs? N'a-t-il pas, lui aussi, persécuté l'Église, alors cpi'il interdisait aux chrétiens de donner

et de recevoir l'enseignement libéral? » Il poursuit de la sorte

et montre que la liste des persécuteurs n'était pas encore close de son temps. Rejetant, à son exemple, cette division factice, j'ai préféré la simple exposition des faits dans leur suite chronolo- gique.

(1) Civ. Dei, I. XVllI, c. lu : Cur ergo eis a Ncrono videlur ordiendum, quum ad Ncronis tempora inter atrccissimas perseculioncs, de quibus nimis longiim cîl cuncla diccrc, Ecclesia crescendo pcrvenerit? Quod si a rcgibus fadas pcrsecutio- nes in numéro existimanl esse debere, rex fuit Ilerodes qui cliani post ascensiim Domini gravissimam fecit. Dciiide quid rcspondent eliom de Julinro quem non numorant in decem"? An ipse non est Ecclesiam pcrseculus, qui clirislianos libé- rales lilteras docere ac discere veluit? Les auteurs ne sont n-.ême pas d'accord entre eux. Sur-p. Sévkiie attribue le quatrième rang t^ la pcrsécuti' n dlladrien, et met celle de Maximin hors rang [Chron., 1. II, c. xxxii), tandis que I'aiil OnosE (Hist , 1. VII, c. xix) compto celle do Maximin la sixième, et omet celle d'Iladrion.

Von Wicterslicim, dans son Histoire de la migralion des 'peu- ples (1), remarque que la situation des chrétiens vis-à-vis de l'État romain a passé par trois phases correspondant à peu près aux trois siècles : « 1" Celle d'une existence ignorée officiellement jusqu'en 96; 2' celle de la répression légale, différente de la persé- cution haineuse et systématique, jusqu'en %\ \ ; 3' celle de l'alterna- tive entre la faveur croissante et la persécution systématique, jus- qu'à l'adoption du christianisme comme religion d'État. » Pour ma part, j'ai distinguéunepériode intermédiaire entre la deuxième et la troisième; en effet, après l'état de non-légalité absolue (9G-1 80), l'Église traversa un temps de transition la tolérance atteignit son maximum (180-235). A partir de cette dernière époque, j'ai pu abréger mon récit : bien que trois quarts de siècle dussent s'écouler encore avant l'édit de Milan (313), l'issue finale n'était dès lors plus douteuse. L'assurance d'Origène à ce moment même est très-frappante. A Celse qui avait dit : Les barbares vien- dront, et ils détruiront païens et chrétiens, il répondait : «Qu'arri- verait-il si les barbares se convertissaient (2)? Tous les cultes païens seraient détruits; le culte chrétien subsisterait seul; or, c'est lui seul qui triomphera un jour, car sa doctrine gagne de

(1) Geschichte der Vôlkencanderung (Lei[zig, 1859-l8G'i); le dix-reiivième cha- pitre du IIl« vol. (1862) est iiitilulé : Vas Christe7Uhu7n und der Romische Staat.

(2) Les barbares, celle k is, ceux qui sont aux frontières de l'empire. C. Cels.,

1. VIII, c. LXVIII : Ar,)/jvoT( v.yX o\ pâpoapot, xôj >,ôy(,) xoO OsoO TrpoaîAOôvTî;, vo[j.t[J.(oTaTcn k'ffOVTX'. xa't r|[A3p(ijxaT0'., -/a\ Ttàcra \iïy 6pr,o-/.£ta y.aTa).'jOr|'7Exa'., [iciv/] r, -/pKTXiavwv Y.poLTr^lJV. fJTt; v.'x: (AÔvy; TtOTs -/paTriTSt, xoO ),ôyo'j àît ir/îîova; vz[).o\).ivo'j •l-jyxç. C. LXX : Kx\ r,jj.£t; Se, ox£ [XiV ETî'.xpfiTSi ô 0$()ç xùi TCEipdtî^ovxi oo'j; zivjnly.v xrjv xoO omov-Siv r^\t.ÔLZ, 5to)-/Ô!J.ï0a oxs ô' 6 Qzhc, po'j),£xat xciO0'r|[j.5ç [vi] ti'j.'ï'/zvi , xa\ èv [;.t<70'jvx'. "OiJ-â; XfT) y.'ji7[;.fi) TTapxcôEwç £Îpr|V/iv aYO|j.£v, y.a\ OappoO[JLîv h\\ tm eÎuÔvti Gap(T£Îx£, eyio v£vixr,y.a xbv

VI

plus en plus les âmes. » Kt il ajoutai! : « Lorsque Dieu permet que nous soyons persécutés, nous le sommes, et lorsqu'il ne le permet plus, au milieu du monde qui continue à nous haïr, nous gardons une sérénité merveilleuse, croyant à cette parole : « Ayez confiance, car j'ai vaincu le monde. » La foi, voilà donc le secret de la victoire du christianisme. Cependant les persécu- teurs étaient plus que jamais décidés à en finir avec la religion nouvelle : il suffit, pour le prouver, de nommer un Dèce, un Valérien, un Galère! Aussi, malgré la réalité des trêves dans celte dernière crise, trop prolongée pour être constamment vio- lente, le sang chrétien a-t-il abondamment coulé.

Pendant la troisième période, au contraire, l'Église s'épanouit presque librement. Ce contraste paraît étrange quand les souve- rains s'appellent Commode, Caracalla ou Héliogabale; mais ces empereurs portaient de préférence leurs coups sur leur propre entourage. En même temps le nombre des fidèles s'était accru, et de nouvelles mesures devenaient nécessaires pour les atteindre avec efficacité. Or, c'était précisément l'instant les juriscon- sultes romains, soit par un progrès naturel du droit, soit sous la pression d'une nécessité sociale, inclinaient, sans se l'avouer, vers la liberté d'association en consacrant d'importants privi- lèges en faveur des collèges funéraires. Comment les chrétiens n'auraient-ils pas profité de ces facilités accordées surtout aux classes moyennes et inférieures, teniiiores? Leurs croyances, assurément, restaient frappées d'interdit, et ils devaient toujours être prêts à faire pour elles le sacrifice de leur vie; mais l'opinion publique ne pouvait guères'émouvoir du spectacle de « ccsmorfs rntrrrnni Iriin^ vinrts )•> . 11 osl donc vraisomblablo, sinon certiiin,

VII

que l'assimilation fut lacitement admise. De à faire paiticiper la société des fidèles au bienfait de l'existence légale, il n'y avait qu'un pas, que franchit en fait le bon vouloir personnel de plu- sieurs princes, entre autres , d'Alexandre Sévère.

A ce double titre, on se trouvait loin de la fin du premier siècle, où, d'une part, la législation était très-rigoureuse contre (ouïe espèce de sociétés, et où, d'autre part, le gouvernement avait à peine une notion claire de ce qu'était un chrétien. En effet, le caractère dominant de cette époque primitive (je laisse momentanément de côté celle qui suivit), c'est qu'aux yeux de l'autorité il n'y a pas de distinction entre les Juifs et les chré- tiens. Ces derniers forment une secte que dédaignent les gouver- neurs romains (comme Gallion à Corinthe, Festus à Césarée, et même à Rome le conseil de l'empereur), plutôt qu'ils ne la con- damnent. Ce ne sont pas assurément les accusateurs qui font défaut, mais tous les fonctionnaires n'ont point la coupable fai- blesse d'un Pilate. Cependant la vérité perce peu à peu, et le gros du peuple appelle les chrétiens par le nom distinctif qu'ils avaient reçu pour la première fois à Antioche, à la suite de l'augmentation de leur nombre(l). C'en est assez pour que Néron imagine de faire de l'Église naissante le bouc émissaire de ses infamies; plus tard Domitien, cette moitié de \éron, comme l'a qualifié Tertullien {portio iSc rouis de crudclitate), complétera son œuvre par de méfiantes et cruelles investigations. On peut re- marquer qu'il était honorable pour l'Église d'avoir été persécutée à l'origine par de pareils tyrans. Celte dernière considération, et

{\) Actes des Apôtres, C. XI, V. 26: 'EyÉvôto èï ol-I-zoI;... o-.oâÇai o-/>,ov cV.avbv,

Mil

il n'y a pas lieu de s'en étonner, devait peser sur l'esprit de Lac- tance, le premier écrivain (jiii put embrasser d'un coup dœil les persécutions. D'après lui (l), leur auteur responsable est Néron, effrayé des progrès du christianisme; peu après, Domi- tien veut marcher sur ses traces, mais la réaction se [)roduit avec tant d'énergie, que le règne de Nerva inaugure une paix de plus de cent cinquante années, pendant lesquelles fleurit la religion; c'est Dèce qui renouvelle la tradition sanglante, per- pétuée depuis lui, de prince en prince, jusqu'à la paix de Constantin. On s'aperçoit qu'il manque bien des traits à ce tableau; il ne faut pas oublier seulement que Lactance n'a en vue qu'un objet, mettre en relief le châtiment exemplaire dont furent atteints certains empereurs, ennemis des chrétiens; il se taira donc sur ceux dont la fin ne rentre pas dans son cadre, et qui ont néanmoins fait acte de rigueur contre l'Église. De son erreur, plus ou moins volontaire (2), relativement à l'apprécia- tion de la seconde période, laquelle a dii particulièrement attirer mon attention.

Souvent appelée Tàge d'or de l'empire romain, elle porte aussi le nom de siècle des Antonins : temps heureux, a-t-on

(1) il écrivait à Nicomédie, à !a lio de l'année 313, De mort. pers.,c ii,iiieliv :

(Nero) primus omnium pcrrcculus Dci sorvos Posl hune inierjeclis aliquot

annis, aller non miner tyrannus orlus est (Domilianu?) Rescissiâ igilur aclis

(yranni, non laiUma in sialuin piisliniim Ecclcsia rcslilula est, sed eliam mullo clariuà ae fluridius etiiiuit, scculis^iue Icinporibus quibus multi ac boni principei

Romani imperii clavum regimenque tcnueruut, nullos inimicorum impetus passa

Sed enim poslea longa pax rupla est. ExsUlil enim |)osl annos plurimos Docius, c'.c.

(2) Son conUniporain, lirsiiitL;, cloil mieux inl'ornié, pui-(pi'il avait en main les pièces dont il nous a laissé do nombreux el préci'^ux ix'ra Is dans son Hisloirc ccch'siaslique.

IX

dit, puisqu'il n'a pas eu d'histoire. Oui, mais les monuments, encore debout dans Rome , témoignent du passé avec une éloquence qui s'impose. Ces honnêtes souverains, qui se succé- dèrent de Trajan à Marc-Aurèle, avaient leurs palais au sommet du Palatin ; autour et au-dessous , les demeures de leurs fami- liers , les temples de leurs dieux; plus bas, le Cotisée, oi^i ils convoquaient le peuple tout entier, pour lui donner, à la fois comme un divertissement et comme une leçon, le spectacle du mépris de l'humanité. « Ici, observe M. Taine (1), s'achève le monde antique : c'est le règne incontesté, impuni, irrémédiable de la force. » L'homme qui célébrait son triomphe cent vingt- trois jours durant, en faisant combattre dix mille gladiateurs dans le cirque (2), dicta le rescrit qui devint l'arrêt de mort de tant de martyrs, je veux parler de la lettre de Trajan à Pline. Un gouverneur de province, indécis sur la conduite à tenir à l'égard des chrétiens , consulte l'empereur , qui lève tous ses doutes en posant le principe que tous ceux qui seront amenés à son tribunal , à moins qu'ils ne renoncent à leur foi , devront subir la peine capitale (3). On comprend que M. Renan ait pu

(1) Voyage en Italie, t. I, ch, ii.

(2) Dion Cassius, Épît., 1. LXYIII,C. XV ; Kai novot^â'/oi iJ.vptoi riywvtaavxo.

(3) Lacordaire a écrit quelque part : « Dès que l'homme exerce un pouvoir absolu et n'a contre les erreurs de son intelligence ou de sa volonté aucune barrière sérieuse, il est impossible qu'il ne tombe pas un jour ou l'autre dans quelque acte de démence. Alexandre assassine ses plus chers amis ; Hadrien fait un dieu d'An- tinous; Trajan persécute les chrétiens et écrit à Pline à leur sujet une lettre qui est un monument de délire impérial; Théodose fait massacrer tout un peuple à Thes- salonique; Louis XIV révoque l'édit de Nantes et chasse de son royaume, par des supplices barbares, des hérétiques qui y vivaient paisibles sous la foi d'un traité séculaire. Je ne nomme que les meilleurs princes, et même les plus grands, tant le pouvoir absolu a de prise contre la raison ! » Compte rendu de l'ouvrage du

b

dire (1) ; » Le régime Irès-légal des Trajau, des Antonins, fut ainsi plus oppressif pour le christianisme que la férocité et la méchan- ceté des tyrans La persécution à l'état permanent, telle est

donc l'ère qui s'ouvre pour le christianisme avec le deuxième siècle. » Du reste, les rares documents ecclésiastiques de cette époque sont unanimes à reproduire le souvenir de la persécution. M. Gaston Boissier a, dans une page émue, fort bien montré (2) comment a les ouvrages qui conservent ce souvenir ne sont pas de ceux qui sont composés pour la postérité et qui, n'étant vus que par elle, peuvent mentir impunément. Ils étaient destinés à des contemporains, quelquefois même ils s'adressaient à des en- nemis. Il n'est pas possible qu'on ait osé y raconter des violences imaginaires et des supplices de fantaisie. » Et puis, ici a été appliqué le contrôle que réclamait Pascal : « Histoire de la Chine. Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger. » (Pe/isees.) C'est donc avec respect, disons mieux, avec amour, qu'il convient de recueillir ces histoires; j'ajoute que la tache a tenté les plus savants, et leurs soins sont récompensés chaque jour par la restitution de quelque nouveau fragment d'écrits ré- putés perdus, des Pères apostoliques, des apologistes ou des hérésiologues.

Sans remonter aux célèbres publications du cardinal Pitra, de

prince Albert de Broglie, l'Kylise et Vempire romain au qualriéme siècle, dans le Correspondant du 2j sept. iSSG, p. 906.

(1) Journal des Savants, 1876, p. 724. Les cahiers de novembre et décembre contiennent deux articles dans lesquels sont résumés les scpl volumes de l'auteur au point de vue de la thèse traitée ici, et l'on retrouvera les idées générales que j'énonce, bien qu'il y ait désaccord sur maintes questions particulières.

(2) Revue des Deux Mondes, n" du 15 avril 1876, p. 816.

XI

M. Miller, de ïischendorf et de Cureton, en 1875, c'était l'épî- tre intégrale de saint Clément de Rome qu'un métropolitain grec, Philotheos Bryennios, découvrait à Gonstantinople. L'année suivante, une traduction syriaque de la même épître, également complète, était acquise par l'Université de Cambridge. En 1878, les Pères Mékhilaristes de Venise tiraient d'un couvent de l'Arménie une partie de l'apologie d'Aristide, qui prendra place au Corpus apologetarum d'Otto (léna, 187^2 et suiv.). Depuis, Usener trouvait à la Bibliothèque nationale de Paris les actes originaux des martyrs Scillitains (programme de l'Université de Bonn pour le deuxième semestre de 1881); M. l'abbé Duchesne éditait pour la première fois, d'après un manuscrit de cette bibliothèque, le texte grec de la Vila Polycarpi; en même temps, les compatriotes de saint Polycarpe, les saints Carpus et Papylus avaient leurs actes publiés par M. Aube dans la Revue archéo- logique de décembre 1881. Enfin, Funk vient de donner une nouvelle édition des Opéra Patrum aposiolicorum (Tûbingen, 1878-1881), en bénéficiant des recherches critiques de Zahn, Harnack, Gebhardt et Hilgenfeld. Je me suis appliqué à traduire moi-même les citations que j'ai multipliées à l'appui de ma démonstration, car la lecture des œuvres de la littérature chrétienne primitive a formé le fond du présent travail.;

Le commentaire indispensable de cette lecture m'était fourni par les résultats récents et déjà admirablement féconds de l'ar- chéologie chrétienne , que M. de Rossi personnifie avec éclat sur le sol qui l'a vue naître, et que son collègue de l'Institut, M. liC Blant, a tant contribué à propager en France. Les décou- vertes archéologiques ne sont-elles pas en effet d'une ressource

b.

XII

précieuse et d'un emploi légitime pour rintelligence d'une épo- que où l'histoire profane elle-même est moins constituée par des textes que par des monuments? En outre, les renseigne- ments qu'elles apportent, étant, pour ainsi dire, involontaires, ont l'avantage incontestable de rimpartialilé. Que réclamer de plus, lorsqu'une méthode sûre, une critique sagace, une compa- raison exercée, ont servi à en fixer la valeur (1)? C'est un devoir pour moi d'associer à M. de Rossi, dans l'expression de ma gratitude, M. l'abbé Duchesne, disciple, puis maître à son tour (2). Son enseignement profondément scientifique, non moins en garde contre les tendances systématiques des historiens allemands qu'au courant de leurs érudites productions, a été mon principal guide (3). Le secours de ces deux savants n'aura pas laissé, je l'espère, de me rendre profitables plusieurs séjours dans la Ville éternelle.

Écrivant ces lignes à Rome, je mentionnerai, à titre de sou- venir, l'impression qu'éveillent par leur aspect bizarre les hautes

{i) Les ouvrages fondamentaux de M. deRossi soûl le Bullettino di archcologia crisliana à partir de 4863, recueil j'ai constamment puisé, et la Roma sotter- ranea, t. I, 1864; t. II, 1867 ; t. III, 1877, Sa méthode a été parfaitement mise en relief par les Nouvelles Études sur les catacombes romaines de M. Desbassayns de RiciiEMONT (Paris, 1870). On peut voir comment M. Beulô a apprécié ce livre dans la Kevuearchéologique, 1870, t. I, p. 355; c'est un de ceux qui font le mieux sentir le progrès réalisé dans celte branche de la science.

(2) Professeur d'histoire ecclésiastique à l'Institut catholique de Paris, ancien membre de l'École française d'archéologie à Rome. Je ne veux pas omettre celte occasion de rendre grâces à M. Geffroy, l'éminent directeur de l'École, de son aimable accueil.

(3) Un élève de l'école des hautes éludes, professeur lui-même, M. l'abbé Beurlier, m'a été un conseiller aussi utile qu'obligeant M. Samuel Berger, secrétaire de la Faculté de théologie protestante de Paris, m'a ouvert avec une libéralité peu commune la bibliothèque confiée à ses soins.

XIll

colonnes (colonnaccé) à demi enterrées sous les rues du quartier des Monts, et l'immense mur en bloc de pépérin contemporain de notre ère, dont l'alignement irrégulier atteste le respect de l'empereur Auguste pour la propriété privée (1). Ce sont les im- posants débris du forum de Mars et du temple consacré aux mânes vengeresses de César. M. de Rossi a signalé l'appellation de « boucherie des martyrs » {in macello martyrum) conservée à une église voisine, grâce à la ténacité de la mémoire popu- laire (2). L'endroit apparaît en effet aux actes de la passion de sainte Félicité, dont l'authenticité a été mise en question par l'auteur de VHisloire des persécutions de l'Église jusqu'à la fin des Antonins (Paris, 1875) (3). Je me suis proposé dans un cha- pitre spécial de contrôler la date de ces actes, et d'établir que le martyre de l'illustre veuve romaine et de ses sept fils appar- tient décidément au deuxième siècle. 11 m'a semblé intéressant de réunir également à la fin de ce travail les épitaphes des papes des cinq premiers siècles qui ont pu être retrouvées, un recueil analogue ayant été entrepris par l'historien allemand Gregorovius pour leurs successeurs (4).

En résumé, la transition ne s'est point opérée pacifiquement

(1) V. dans V Exploration de la Galatie, par M. Perrot, l'inscription d'Ancyre : Privato solo comparato Martis ulloris templum forumque Augustum exslruxi. Cf. SoÉTONE, Oct. vit.^c. Lvi : Forum angustius fecit, non ausus eitorquere possesso- ribus proximas domos. Les trois colonnes qui subsistent ont 17'", 50 de hauteur.

(2) Bullettino, 1877, p. 54. C'est l'église S. M. degli Angeli aile colonnaccé, à l'angle de la via Alessandrinaet delà via di Croce bianca.

(3) P. 345. Si je l'ai souvent contredit, que M. Aubé veuille bien ne l'attribuer à aucun sentiment personnel, dont nul plus que moi ne sentirait l'inconvenance; je répéterai seulement pour mon excuse : AmicusPlato, magis arnica veritas.

(4) Voir l'Appendice.

XIV

des temps anciens aux temps nouveaux inaugurés par le chris- tianisme. Depuis le moment les apôtres commencèrent à répandre la bonne nouvelle, jusqu'à la reconnaissance du libre exercice de la religion au quatrième siècle, la prédication de l'Évangile rencontra une vive opposition de la part du gouverne- ment le plus fort que nous présente l'histoire. L'Église ne fut pas plus tôt connue de l'État, qu'il lui refusa le droit d'exister. Réduite à grandir en dehors de la scène apparente de la société, elle continua du moins à affirmer sa vitalité par le martyre. C'est ainsi qu'elle conquit enfin, au prix de souffrances extrêmes, sa place au soleil, et ce jour-là elle vit reculer devant elle la puis- sance qui avait voulu l'anéantir : ce qui prouve que la lutte, imprudemment engagée par l'État romain, était impossible à soutenir (1). L'empire se retira à Byzance, et la papauté resta seule à Rome.

Telle est la conclusion de cet essai, qui, exempt des préten- tions d'un livre, se devait borner aux exigences d'une thèse. Je remercie mon père à qui je dois d'avoir pu entreprendre, et toutes les personnes dont la sympalhie m'a aidé à mener à bonne fin ce labeur de quatre années.

Rome, 7 mars 1882.

Henry Doulcet.

(<) Tertullien en 211, ad Scapul, c. iv : Monendo pi, O;o[j.a/£îv. 01 iih,

discours (I'Euskbe pour la dédicace de la basilique do Tyr au lendema n de la paix, en 314. Jlisl. ecclcs., 1. X, c. iv, 31.

SOURCES PRIINCIPALES

CONSULTÉES POUR CET ESSAI

Adon, Martyrologe (édition Giorgi); Rome, 1745.

Allard, Rome souterraine (2« édition); Paris, 1877. Rapports de l'Église et de l'Empire romain au troisième siècle, dans les n^^ 3 et 4 des Lettres chré- tiennes; Lille, 1881.

Annales de la j)ropagation de la foi; Lyon, 1879-1882.

Aristide, Œuvres (édition Dindorf); Leipzig, 1849.

Aristide (S.), Sermones duo; Venise, 1878.

Armellini, Scoperla dclia cripta di S. Emerenziana , e di una memoria rela- tiva alla cattedra di San Pietro; Rome, 1877.

AUBÉ, Saint Justin, philosophe et martyr (thèse); Paris, i 861. Histoire des persécutions de l'Église jusqu'à la fin des Antonins; Paris, 1875. La Polé- mique païenne à la fin du deuxième siècle; Paris, 1878. Les Chrétiens dans l'Empire romain, de la fin des Antonins au milieu du troisième siècle; Paris, 1881. Étude sur un nouveau texte des actes des martyrs Scilli- lains; Paris, 1881. Un texte inédit d'actes de martyrs du troisième siècle, Rerue archéologique de décembre 1881.

Augustin (S.), De civitate Dei, Breviculus coUationis , Patrologie latine de Migne, t. XLI et XLIH.

Baudouin, Commentarii ad edicta veterum principum Romanoruni de chris- tianis, per Joannem Oporinuni; Bàle, 1557. Octavius (1" édition au nom de Minucius Félix); Heidelberg, 1560.

Berge (de la), Essai sur le règne de Trajan; Paris, 1877.

BoissiER, la Religion romaine d'Auguste aux Antonins; Paris, 1874. De l'authenticité de la lettre de Pline au sujet des chrétiens, Revue archéolo- gique, février 1876. C. r. du 1" vol. de M Aube, Revue des Deux Mondes, 15 avril 1876. C. r. du vol. de M. Aube, Revue des Deux Mondes, 1" jan- vier 1879. Promenades archéologiques; Paris, 1880.

BoLLANDiSTES, Acta sanctoruiîi (édition d'Anvers).

BoRGHESi, Œuvres complètes; Paris, 1862 et suiv.

BossuET, Discours sur l'histoire universelle (11» partie).

Bouche-Leclercq, les Pontifes de l'ancienne Rome (thèse); Paris, 1871.

XVI

Broglie (de), l'Église cl l'Empire romain au quatrième siècle; Paris, ISôG-lSôO,

Ceuleneer (de), Marcia, la favorite de Commode, Revue des questions histo- riques, 1" juillet 187G. Essai sur la vie et le règne de Septinie Sévère; Bruxelles, 1880.

Chronique pascale, édition de Bonn.

Clément d'Alexandrie, Œuvres, Patrologie grecque de Migne, t. VIII et IX.

Corpus Inscriptionum grœcarum de Berlin.

Corpus Inscriptionum latinarum de Berlin.

Cyprien (S.), Patrologie latine, t. III et IV.

Delaun.vy, Écrits historiques de Philon d'Alexandrie; Paris, 18G7. La Situa- tion légale des chrétiens en 112, dans les C. R. de l'Acad. des inscr., 28 fé- vrier 1870.

Desbassayns de Richemont, les Nouvelles Études sur les catacombes romaines; Paris, 1870.

Descemet, Inscriptions doliaires latines; Paris, 1880.

Desjardins (Ern.), Polyeucte, Moniteur universel , 31 janvier 18G1. Le Recen- sement de Quirinius, Revue des questions historiques, i^'^ ianyicr 18G7. Tra- jan d'après l'épigraphie, Revue des Deux Mondes, 1«' décembre 187î. Les Graffiti de la septième cohorte des vigiles, Mém. de PAcad. des inscript., t. XXVIII, II" partie.

Digeste (Pandectœ Justinianeœ), édition Polhier.

Dion Cassius, Histoire romaine, édition Tcubner.

DucHESNE, Étude sur le Liber pontificalis (thèse) ; Paris, 1877. Les Nouveaux Textes de saint Clément, Revue du Monde catholique, 10juinl877. Les Évan- giles de M. Renan, Revue du Monde catholique, 10 août 1877. La Pàque au concile de Nicée, Revue des questions historiques, l*""" juillet 1880. Vita Polycarpi (l"^" édition du texte grec); Paris, 1881.

DuRUY, Histoire romaine, vol. IV, V et VI; Paris, 187î, 187G et 1880. Les Assemblées provinciales au siècle d'Auguste, C. R. de l'Acad. des sciences morales, 1881.

EcKHEL, Doctrina numorum veteruni; Vienne, 1792-1798. EusÈBE, Histoire ecclésiastique, édition Tcubner.

Friedlaender, Sittcngeschichte Roms (1« édition); Leipzig, 1871-187Î.

Fronton, Œuvres (édition Kaber); Leipzig, 18G7.

Fouard, Vie de Jésus-Christ; Paris, 1880.

FuNK, Opéra Patrum apostolicorum; Tubingen, 1878-1881.

Fustel de Coulanges, la Cité antique; Paris, 18Gî.

Garrucci, Storia doH' arte cristiana; Prato, 1873-1881.

GiiRRns, Uebcr die Licinlanische Christenverfolgung; léna, 1875. Ueber die Christenverfolgung des Maximinus, dans UilgenfcUl's Zeitschrifi fiir uissen- schajlliche Théologie ; Leipzig, 187G. Kaiser Alexandcr Scverus und das Christcnthum; ibid., 1877. Trajan und die christliche Tradition. Das

XVII

Christenthum und der romische Staat zur Zeit des Vespasianus; ibid., 1878. Der Bekenncr Achatius unter Decius; ibid., 1879. Christenverfolgung zur Zeitder Kaiser Numerianus und Carinus; ibid., 1880. Die Toleranz- cdicte des Gallienus, dans les Jahrbiïchcr fiïr protcstanti%che Théologie; Leipzig, 1877. Das Christenthum und der romische Staat zur Zeit des Scpti- mius Severus; ibid., 1878. Die Màrtyrer der Aurelianischcn Christenver- folgung; ibid., 1880. Article : Christenverfolgungen, dans la Realencyclo- pàdie du D'' Kraus; Fribourg en Brisgau, 1880.

Grégoire le Grand (S.), Patrologie haine, t. LXXV et LXXVII.

Gregorovius, les Tombeaux des papes romains (trad. Sabatier); Paris, 1859. ~ Le Tombe dei Papi (trad. Ambrosi); Rome, 1879. Die Grabdenkmàler der Piipste (2^ édition allemande); Leipzig, 1881.

Harnack, Die Zeit des Ignatius; Leipzig, 1878.

Henzen, Inscriptions Orelli-Henzen; Zurich, 1828-1840.— Mémoire relatif aux

columbaria, Annales de l'Institut archcoL; Rome, ISoG.— Sur une inscription

de collège trouvée dans le Tibre, Bulletin de l'Institut archéol.; Rome, 1879. HiLGENFELD (Rudolfj, Verhaltiùss des romischen Staates zum Christenthume

in den beiden ersten Jahrhunderten, H'dgenfeld's Zeitschriftfïu- wissenschaft-

liche Théologie; Leipzig, 1881.

IRÉNÉE (S.), Œuvres, Patrologie grecque, t. VU.

Jordan, Topographie der Stadt Rom im Alterthuni; Berlin, 1871-1878. JosÈPHE (Flavius), Œuvres, édition Didot; Paris, 18î5-18î7.

Keim, Bedenken gegen die Echtheit des Hadrian'schen Christenrescripts, dans Baur's Theologische Jahibikher; Tùbiagen, 1856. Celsus' wahres Worl; Zurich, 1873. KoEHNE (de), Description du musée Kotschoubey; Saint-Pétersbourg, 1857, Kraus, Die romischen Katacomben (2<' édition); Fribourg en Brisgau, 1879.

Lacordaire, g. R. de l'Église et l'Empire romain au quatrième siècle, Corres- pondant, 25 septembre 1850 et 25 juin 1859.

Lactance, Œuvres, Patrologie latine, t. VI et VII.

Le Blant, Manuel d'épigraphic chrétienne; Paris., 1869. —Les Bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs, C. R. de FAcad. des inscr., 1866. Le Détachement de la patrie chez les anciens, ibid., 1872. Le Martyre de sainte Félicité, ibid., 1875. Recherches sur les bourreaux du Christ, Mém. de l'Acad. des inscr., t. XXVI, II'' partie. La Préparation au martyre dans les premiers siècles de l'Église, ibid., t. XXVIII, partie. - Les Actes des martyrs non compris dans les Acta sincera de Ruinart, ibid.. t. XXX, II« partie.

LÉGER, La Conversion des Slaves au christianisme (thèse); Paris, 1866.

LÉON le Grand (S.), Patrologie latine, t. LIV.

Malalas, Chronique, édition de Bonu.

XVIII

Mamachi, Origines et antiquitates christianae, l. I""; Rome, 1719.

Marim, Atti degli arvali; Rome, 1795.

Marqlardt, Roniischc Slaalsverwallung; Leipzig, 1873.

Martic.w. Dictionnaire d'archéologie chrétienne (2= édition); Paris, 1877.

Miller, Philosophumena; Oxford, 1851.

MoMBRiTius, Vitae sanctoruni; Milan, 1475-1480.

MoMMSEN, De collegiis et sodaliciis Romanoruni; Kicl, 18î3. Ueber den

Chronographen \om Jahrc 3ôî; Leipzig, 18J0. Étude sur Pline le Jeune

(trad. Morel); Paris, 1873.

OrigÈiNE, Contre Celse, Patrologle grecque, t. XL

OrOSE, Histoire, Pafioloyie latine, t. XXXI.

Otto, Corpus apologetarum christianorum sœculi secundi :

Saint Justin, Œuvres (3« édition), vol. I, II, 1876-1877, léna. Œuvres douteuses, vol. 111, 1879. Œuvres supposées, vol. IV, V, 1880-1881.

Tatien, vol. VI, 1851.

Athénagore, vol. VII, 1857.

Théophile, vol. VIII, 18G1.

Fragments des autres apologistes, vol. IX, 1872. OvERBECK, Studien zur Gcschichte der alten Kirche : Ueber die Gezctze dcr

romischen Kaiser von Trajan bis ]\Iarc-Aurcl gogen die Christen und ihre

Behandlung bei den Kirchenschriftstcllern; Schloss-Chemnitz, 1875.

Perreyve, Entretiens sur l'Église catholique; Paris, 1865. PiTRA, Spicilegium Solesmense, t. I-IV; Paris, 1852-1858. Pline le Jeune, Œuvres.

Reixach, Manuel de philologie; Paris, 1880.

Renan, C, R. de l'Histoire des persécutions de M. Aube , dans le Journal des savants, novembre et décembre 1870.

Renier (Léon), Mélanges d'épigraphic; Paris, 1854. Inscriptions d'Algérie; Paris, 1855-1858.

Rossi (J. B. de), Inscriptiones christiauœ urbis Rom.T; Rome, 1861. Bulletino di qrcheologia cristianu; Rome, 1863-1852. Roma sotterranea, t. I"; Rome, 186i; t. II, Rome, 1867; t. III, Rome, 1877. I Collcgii fune- raticii famigliari e privati c le loro denominazioni: Rome, 1877.— L'elogio funèbre di Turia, Studi e documcnli di storia e diritto, fasc. I; Rome, 1880.

Rllnart, Acta niartyrum, édition de Ratisbonne, 1857.

Schurer, Die Geineindeverfassung der Juden in Rom in der Kaiserzeit;

Leipzig, 1879. ScRiPTOUES historié Augusta", édition Teubncr. Smedt (de), Introductio gencralis ad historiam ecclesiasticam critice trac

tandam; Gand, 1876. Stevenson, H cimitero di Zotico al dccimo miglio délia via Labicana; Mo*

dène, 1876. Scopcrla dclla basilica di S. Sinforosa c dci suoi settc figli

XIX

al nono miglio délia via Tiburtina; Rome, 1878. La basilica di S. Sia- forosa nel medio evo, Studi e documeiiti di storia e diritto, fasc. I; Rome, 1880.

Suétone, Vies des Césars.

SULPICE-SÉVÈRE, Chronique, Patrolojie latine, t. XX.

Tacite, Œuvres.

Tertullien, Œuvres, Patrologie Inline, t. I et II.

TouRRET, Situation légale du christianisme pendant les trois premiers siècles, Revue catholique des institutions et du droit, juin et juillet 1878.

UsENER, Acta martyrum Scillitanorum grjece édita, dans le Programme de l'Université de Bonn pour le deuxième semestre de 1881.

Variot, les Lettres de Pline le Jeune, Revue des Questions historiques, le"" juil- let 1878.

VlLLEMAlN, Origines de l'Église d'Afrique, Correspondant di\x 25 décembre 1858. La Philosophie stoïque et le christianisme.

Voltaire, Essai sur les mœurs.

Waddington, Fastes des provinces asiatiques; Paris, 1872, Vie du rhéteur iElius Aristide, Mém. de l'Acad. des inscr. , t. XXVI, 1"' partie.

Wallon, De la croyance due à l'Évangile (2^^ édition); Paris, 1806.

WiESELER, Die Christcnverfolgungen dcr Casaren bis zum dritten Jahrhundert historich und chronologisch untersucht; Giitcrsloh, 1878.

WiETERSHEiM (von), Gcscliichle der Volkerwanderung; Leipzig, 1859-1 80î.

Wright, Ancicnt Syriac documents relative to thc earliest establishment of christianity in Edessa; Londres, 180i.

Zaiin, Ignatius von Antiochicn; Gotha, 1873.

ESSAI SUR LES RAPPORTS

DE

L'ÉGLISE CHRÉTIENNE

AVEC

L'ÉTAT ROMAIN

PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

PREMIERE PARTIE

RAPPORTS DES JUIFS ET DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN JUSQU'EN 96

Le christianisme n'a pas eu Rome pour berceau : il est sorti des entrailles du judaïsme. De cette origine est re'sulte'e aux yeux des Romains la confusion des chre'tiens avec les Juifs dans les premiers temps de l'Église. Nous avons donc d'abord à déterminer le moment cette confusion cesse. Tel est l'objet de notre première partie, nous suivrons pas à pas le développement exte'rieur du christianisme.

C'est en qualité' de Juif que, dès sa naissance à Bethle'hem, le divin Fondateur de l'Église eut affaire à l'État romain dans la personne de C. Sentius Saturninus, charge' d'ope'rer le recensement de la Pales- tine (1). Saint Luc, dans son Évangile (2), place cette opération sous

(1) Teutullien, Adv. Marc, 1. IV, C. xix : Sed et census constat actos sub Augusto tune in Judaea par Sentium Saturninum. Cf. c. vu : De censu denique Augusti queni testem fidelissimum Dominicae nativitatis Roniana archiva ciistodiiint.

(2) C. II, V. 2 ; AuTY) ■/] âTvoypaç"^ TTpwr/) èyEvsTo, yiYcjj.ovcOovto: tv;: lupîa; Kuprivîou.

1

le jjoiivernement de P. Sulpicius Quirinius, qui fut le'gat proprëtcur de Syrie dés Tan 5 avant notre ère. Le même personnage gouverna une seconde fois cette province de Tan C à l'an 10 après Je'sus-Christ (1 ) , et à son entre'e en charge, il établit un chevalier romain à la tête de Tadininistration de la Jude'e avec le titre de procurateur cum jure (jladii. il est facile dès lors d'entendre la pensée du Samaritain saint Justin, lorsqu'il dit à propos de Bethléhem, dans sa première Apologie à l'empereur Antonin (2) : « C'est une bourgade du pays des Juifs, éloignée de trente-cinq stades de Jérusalem, dans laquelle est Jésus-Christ, comme vous pouvez l'apprendre par les registres du cens confectionnés sous Quirinius, votre premier procurateur en Judée. «

Le prompt accomplissement d'une formalité requise par le pouvoir romain avait donc marqué le premier pas de Jésus-Christ. La doctrine qu'il prêcha plus tard à ses disciples ne devait pas démentir ce pré- sage. Mais telle n étaitpointl'attitude delà nationjuive toutentière. Les pharisiens surtout se signalaient par leurs tendances anti-romaines, et, chose curieuse, c'est précisément au sujet de la formalité dont nous venons de parler que Josèphe nous les a dépeints : « Il y avait, dit-il (3), une portion des Juifs qui se vantaient de leur exactitude à observer la loi de leurs pères, qui feignaient de jouir de la faveur di- vine, et ils avaient pour eux le monde des femmes; ce sont les pharisiens, gens très-capables de résister aux rois, pleins de circonspection, d'ail- leurs cédant ouvertement au désir de lutter et de nuire. Alors que tout

(1) Ttcrtim Suriam [opiinuii], dit une inscription trouvée à Tivoli et aujourd'hui au musée du l.atéran.

(2) I. Apoh, c. XXXIV : Kw[i.v] 51 Tt; èaiiv èv xrj yûn^o. 'louSatwv, àiiéyo'jija. crTaôiouç TpiâxovTa Ttevie 'lepo(ro),ij[J.wv, èv ■^ èYEVvriOYi 'IritroO; X^kitô; w; xal ixaQsïv ôOvaaOe Èx Twv àiroypaçwv xwv yevoiiEVtov èni Kuf>Yivîou, to"j 0[A£ii(>oy èv 'louSaîa TipwTOy yEvofAc'vou ÈTTiTpânou, p. 104 de réd. Otto (léna, 1876). Un peu plus loin, c. xlvi, il ajoute qu'il parle moins de cent cinquante ans après l'événement.

(3) Josèphe, Ant. Jud., 1. XVII, c. il, 4 : Kal ï)v yàp |j.rjptov xi 'louSaïxwv àvOpw;twv ÈTi' è?axpi6wi7£i (JLÉyaçpovoOvTOÙ Ttarpi'ou vô(jLoy, xaîpeiv (aCiToTç) ôeïov itpodTîOtouixÉvwv, oî; U7:r,-/.T0 r, yuvxixwvÎTi;. <I>apt(Taïoi xa),oOvTat, pairO.EÙcri Sjv(X|A£vrn jiâÀiaTaàvTtTrpàaffeiv, TipopTiOEiç, xàx TO\i Tipo'jTtTou etç 7ro>.EiA£Ïv TE xal pXâTTTEiv è7ryip[i.£vot. IlavTè; yoûv ToO 'lo'JoaïxoO p£6ai(.')'7avTo; ôi' ô'pxwv f, ij.yiv EÙvo-^Tai Kawapt xal xoïç pairOio); 7ipây|J.a<ii, o'ioE cl àvopEç o'jx ('.')|A0(7av, ôvte; CiTcÈp é^axia/'^ioi. Ce fait est distinct de l'insurrec- tion de Judas le Caulanitc, ibid, 1. XVIII, c. i.

3

le peuple juif prêta serment de fidélité à Tempereur et au gouverne- ment du roi, ces hommes, au nombre de plus de six mille, refusèrent de jurer. « Et l'historien rapporte qu'à cette occasion ils répandaient le bruit de l'avènement d'un roi prédit à l'avance, devant régner sur l'univers, et qu'Hérode inquiet fit périr tous ceux de sa maison qui avaient cru à leur parole (1). 11 est difficile de ne pas rapprocher ces différents faits des recherches que les mages provoquèrent dans les hvres des prophètes au sujet du Messie, ainsi que du massacre des Innocents qui s'ensuivit (2).

Cependant Hérode était mort en avril, quatre ans avant notre ère; son fils Archélaiis, confirmé, malgré les Juifs, par Auguste en Judée, y fut remplacé, dix ans après, comme nous l'avons vu, par un procu- rateur romain. Hérode Antipas, son frère, sut l'ester plus longtemps tétrarque de Galilée. Ce fut lui qui ordonna la décollation de saint Jean-Baptiste (3), populaire parmi les Juifs, quoique ennemi de l'astuce des pharisiens, et digne sous tous les rapports d'être appelé le précur- seur du Christ. Cet Hérode le tétrarque, joua un rôle dans la Passion à Jérusalem, et fut plus tard, l'an 30 après Jésus-Christ, exilé par Ca- ligula à Lyon avec sa femme Hérodiade : tous deux allèrent mourir en Espagne (4). C'est aussi afin de plaire aux pharisiens qui avaient lapidé le diacre Etienne après la destitution de Pilate en l'an 36, qu'Hé- rode Agrippa I", arrivant de Rome Claude venait de lui conférer le titre de roi, s'empressa de faire périr par le glaive saint Jacques le Ma- jeur, frère de saint Jean et fils de Zébédée (5). Il ne survécut que deux

(1) Est-ce à cette date que doit se placer la plaisanterie d'Aiif^uste jouant sur les mots ylôv et uv que raconte le prœfecius cubicuU de Thcodose II, Macrobe, Saturn., 1. U, c. IV? La certitude n'est jjuère possible avec un prince aussi peu ménager que l'Iduméen du sang de sa famille. M. de Saulcy, Hist. d'Hèrode (Paris, 1867), p. 371 , n'a pas dit quelles raisons il avait de considérer l'auteur des Saturnalia comme chré- tien.

(2) Saint Matthieu, c. ii.

(3) JOSÈPHE, Ént. Jud., 1. XVni, c V, 2.

(4) JosÈPHE, Ant.Jud.A.XVm, c VII, 2, et B.Jud.,\.n,c.i\,&. L'abbé Fouaud, fïerfe Jésus-Christ {Vâvh, 1880), t. I, p. 432, propose une autre conciliation des deux textes en plaçant le lieu d'exil à Lugduimm Com-cnamm (aujourd'hui Saint-Bertrand de Com- ininges), qui, en effet, est près de la frontière d'Espagne.

(5) Actes des Apôtres, c. xii, y. 3 : 'Jôwv ott àpEaTOV ègii xoÎ; 'louSatoi;*. . Cf. Anl. Jud., 1. XIX, C. VII, 3 : 'Hû6(i.evoç Tw /apîÇtcOat xat xàJ [Bioùv èv £Ùç-/i!J.!qf ^(aipwv.

1.

4

ans à sa victime. Les donne'es assez détaillées de Josèphe, qui concor- dent du reste avec le récit des Actes (1), permettent de fixer sa mort à Césarée après le troisième anniversaire de F avènement de Claude, janvier 44. Le jus ^/«</« échappa alors aux Juifs par le rétablissement des procurateurs, et la persécution, d'abord forcée de suivre les voies légales, comme le remarque justement M. Wallon (2), s'en affranchit à la faveur d'un interrè[;ne dans l'administration romaine, dont le grand prêtre Anan, sadducéen farouche nommé par Hérode Agrippa H (3), profita pour faire mourir eu 02, avec quelques autres, saint Jacques le Mineur, évêque de Jérusalem et parent de Jésus-Christ. Josèphe et Hégésippe (4) rapportent qu'il fut lapidé, mais Ilégésippe ajoute qu'il avait été précipité du haut du Temple; ils s'accordent également sur son titre de Juste^ et sur le mécontentement que sa mort causa chez une partie du peuple (5). Les mécontents reçurent satisfaction lors de l'arrivée du procurateur Albinus, qui destitua le grand prêtre.

En effet, à l'origine, les gouverneurs de province ne devaient pas être mal disposés vis-à-vis des gens qui leur étaient dénon- cés sous l'aiipellation de chrétiens. En 112, le légat propréteur de la province de Bithynie, Pline le Jeune, hésitait encore sur la con-

(1) Ant. Jud., 1. XIX', C. VIII, 2. et Actes, c. xii, v. 21-23.

(2) De la croyance due à l'Évangile (Paris, 1866), p. 109.

(3) Ant. Jud., 1. XX, r. ix, 1.

(4) HÉGÉSIPPE, dans VHist. cccUs. d'Eusèb-, l. i\, c. xxiii. Cet auteur du second siè- cle, originaire de Palestine, donne certains détails représentant saint Jacques comme un Nazaréen et provenant dune tradition conservée par la secte des Nazaréens dont il faisait partie lui-même. On appelle ainsi la continuation de l'H^lisc de Jérusalem, qui, restant orthodoxe, mais se recrutant exclusivement parmi les Juifs, et continuant à observer les préceptes de la loi après la destruction du temple, se retira en Batanée. Les singularités et l'isolement de cette communauté au milieu de la civilisation gréco-romaine introduite par la conquête de Cornélius Palma en 105 dans lArabie nabatéenne ont contribué à la faire confondre avec Us héré- tiques ébionites. Cf. saixt Jlstin, /^ial. citm Tnjph., c. xlvii, p. 156 de l'éd. Otto (lena, 1877) : de même Ouichne, ContmCch., \. V, c. lvi.

(5) Nous savons d'ailleurs que plusieurs, parmi les prêtres juifs, s'étaient con- vertis à la foi chrétienne; seulement, en se convertissant, ils n'avaient pas dépouillé leurs préjugés nationaux contre les hellénisants. Actes, c. vi, v. 7 : llo'/j; te ôx).oî ■twv lepÉwv ÛTTYjxouov T/| TiîiîTci. V. 1 .' èyÉvETO Y^YY^'^t'-^Ç 'f'^v â),).y,vio":wv Trpôç xoùç éêpatov;. L'attachement des chrétiens de Jérusalem aux usages mosaïques s'ex- plique assez par ce fait que les lois cérémonielles avaient aussi chez eux le carac- tère de lois civiles.

6

duite à tenir à leur e'gard. Mais en 53, époque vers laquelle saint Paul comparut à Corinthe devant le frère de Se'uèque, Gallion, proconsul d'Achaïe, ce dernier refusa d'entendre les plaintes des Juifs, ses accu- sateurs, en se fondant sur ce qu'il n'avait commis ni délit, ni quasi- délit (1). Pilate à Jérusalem n'avait pas fait d'autre constatation au sujet de Jésus-Christ (2), et s'il agit en contradiction avec ses paroles, c'est qu'il eut peur de la foule et craignit de se compromettre auprès de l'empereur. H ne devait pas nécessairement être indifférent ou hostile, comme il a été dit récemment (3) ; il lui était permis de se montrer bienveillant, ainsi que le fit Festus envers le même saint Paul à Césarée (4).

Si les Romains subissaient partout plus ou moins l'influence des Juifs (5), ceux-ci ne leur étaient pas tellement sympathiques qu'ils se crussent obligés d'épouser leurs querelles intestines. Ce peuple sa- vait au besoin invoquer les édits (G) qu'à différentes reprises il avait fait

(1) Aclcs, c. XVIII. V. 14, 15 : El [lèv ouv r,v à5ixr|U.â ti ?i paSioupyvitxa Trov/ipàv... xpiTT,!; yàp èyà) toOxwv Po'J),oij.at etvat,

(2) Ses ennemis le présentaient à Filate comme voulant se faire roi des Juifs : « Ce mot seul, dit M. Dl'kuy, Hist. rom., t. V, p. 95, constituant ù ses yeux un crime qui relève de la loi de majesté, il ratifie la condamnation. » Mais Home n'excluait pas tous les rois des pays conquis, et cette accusation pouvait ne pas paraître suffi- sante à un magistrat romain; aussi Pilate précise-t-il davantage : èiToîr.aa;; ... 'lîyà) oOosjji'av alxiav ejptrr/.w èv aOTÔi. Saint Jean, C. xviii, V. 33-38. M. Duruy re- connaît lui-même que l'affaire ne regardait point d'abord les Romains.

(3) M. AuBÉ, Histoire des persécutions de l'Eglise jusqu'à la fui des Anionins, p. 41.

(4) Hist. desperséc., p. 57. Quoiqu'il en soit, il dut rester des traces de sa sentence au greffe du prétoire. Est-ce à un témoignage de cette provenance que saint Justin (A' Apol., c. XXXV et xlviii) et Teutl-llien Apologei., c. v)font allusion, ou bien au document légendaire qui le suppose et qui se trouve dans la collection de Tischen- dorf? Consulter à ce sujet VHist. des Évangiles apocryphes, de l'abbé J. V.yriot (Paris, 1878).

(5) A Rome, le sabbat était observé par le populaire. Horace, sat. IX, liv. I, en fait un trait du caractère de son Fâcheux. Sénèole, D; supcrstitione (cité par saint Augustin, Cif. Dei, 1. VI, C. XI), s'en plaint amèrement : Ouum intérim usque eo sceleratis- simap gentis consuetudo convaluit ut per oinnes jam terras recepta sit, victi victo- ribus leges dederunt. Stracon constate aussi d'une manière générale cette domi- nation de la ra e juive : Avi-Yi ô' eU Tvàirav tiôÀ'.v r|Çvi -af£/,r,)û'jct, xal tôuov oùk sdii paôîio; sûpîïv xr;; oî/.ouu.Jvri;, 6; oO TiapaôÉoîXTat tojto yOXov, \i.rfi' è-'.xpaTsTTxi du' aOioO, apud .IoSiÈpht., Ant. Jud., 1. XIV, C. vii, 2.

(6i Ils réclamèrent par exemple auprès de P. Pétronius, légat de Syrie, contre les habitants de Dora en Phénicie, qui avaient introduit dans la synagogue une statue de Claude.

_ G

renouveler par les empereurs, sans être pour cela à l'abri de leurs capiices. Ainsi Claude, dont Josèphe nous a conserve' l'ëdit (1) rendu l'an 42 en faveur des Juifs d'Alexandrie, puis étendu à ceux de tout l'empire, n'en chassa pas moins les Juifs de Rome en 49.

Si nous considérons la teneur du décret impérial, nous y trouvons deux choses : une simple tolérance, une condition apportée à cette tolérance. « 11 est juste, disait-il, que les Juifs dans le monde entier soumis à nos ordres, gardent librement leurs usages nationaux-, je les avertis aussi par la même occasion de ne pas abuser de ma condescen- dance et de ne pas mépriser les croyances des autres peuples, mais de s'en tenir à leurs propres lois. » Et il fondait sa décision sur l'exem- ple d'Auguste qui, en effet, avait permis à Rome l'établissement de synagogues. Philon (2) nous fait assister aux débuts de la commu- nauté juive dans le Transtevère : « La plupart des prisonniers de guerre amenés en Italie (après les guéries de Pompée), ayant été affranchis, étaient devenus citoyens romains; ils avaient reçu de leurs maîtres la liberté, sans qu'on les forçât de renoncer à aucun des usages de leur pays. L'empereur savait qu'ils avaient des proseuqucs ils se réunis- saient, surtout les saints jours de sabbat, et faisaient publiquement profession de la religion de leurs pères; il savait qu'ils recueillaient des prémices et envoyaient des sommes d'argent à Jérusalem , par des députés qui les offraient pour les sacrifices. Cependant il ne les chassa pas de Rome, il ne les déjiouilla pas du droit de citoyens; il voulut que leurs institutions fussent maintenues aussi bien dans ce pays qu'eu Judée; il ne fit aucune innovation contre nos proseuques, il n'empêcha pas les assemblées s'enseignent nos lois, il ne s'opposa pas à ce qu'on recueillît les prémices... Aussi tous les peuples de l'empire, même ceux qui nous étaient naturellement hostiles, se gardaient de toucher à la moindre de nos lois. »

(1) Ant. Jud., 1. XIX, C. V, 2-3 : Ka/û; o5v ëxeiv xai 'louSatou; toùç èv TtavTt ûç' f||xà; x6iT|j.(j) Ttârpia eOr; àv£7iixu)).0Ta)î ipu).â<7<retv, 0Î5 xxi aùxoT; f,or, vOv Tiapay- Yé).).w (Aou Ta'JTT) T^ 9i),av9pioTr!a eTtiet/.eo'CEpov -/(;T;(70ai, xai (xr, xà; tcôv àX/wv èOvwv 5î'.'jtox'.[JLOvîac è;o-j5£vi!j£tv, xoù; '.oîou; ôè vô[ji&-j; 5y>,i'7(7£iv.

(2) Légation à C«ïii? fir.idnclion Delaunay), p. .323. Sur roryaiiisation intérieure des .luifs à Itoiiie, coiisuiier I intprcssaiil uiéinoire de ScutUER, Die Gtmciitdcverfussung der Judeii in Jlom in der Kiiisiinit (Leipzi}}, 1879), 41 p. in-4».

7

Ces Juifs, qui portaient le nom de libertini (1), avaient, nous le sa- vons par saint Luc, une synagogue à Je'rusalem. Dès l'origine, ils montrèrent avec ceux de Cyrène, d'Alexandrie et d'Asie Mineure (2), une hostilité' particulière aux chre'tiens de Je'rusalem. La même hosti- lité accueillit les fidèles qui introduisirent le christianisme à Rome. C'est ce que nous conclurons le'gitimement en rapprochant un texte de Sue'tone d'un passage des Actes, qui fait mention de l'expulsion des Juifs par Claude (3), et nomme en particulier Aquila et sa femme Priscille que saint Paul rencontra à Corinthe. Dion Cassius assure, il est vrai, qu'à cause du nombre des Juifs, l'empereur se borna à inter- dire leurs re'uuions (4). Nous pouvons admettre qu'un certain nombre seulement d'entre eux dut s'éloigner. Le témoignage de Suétone confirme d'ailleurs le dire des Actes et indique le motif de cette expul- sion : " Claude, dit-il (5), chassa de Rome les Juifs, parmi lesquels Chrestus excitait de fi'équents tumultes. » Dans ce Chiestus il est facile de reconnaître le nom défiguré des chrétiens. Les troubles causés par la prédication de l'Evangile dans la capitale de l'Empire avaient amené Claude à sortir de sa bienveillance habituelle.

S'il y avait déjà des chrétiens à Rome., moins de vingt ans après la mort de Jésus-Christ, quel messager leur avait apporté la bonne nou- velle? Il est bien question de voyageurs romains juifs et prosélytes parmi les auditeurs de saint Pierre, le jour de la Pentecôte (6); mais ont-ils suffi à fonder une communauté chrétienne? Les contempo- rains eux-mêmes ne le pensaient pas : car « comment croire qui l'on

(1) Annal., 1. IF, c. Lxxxv : Factumqiie patrura consultura ut quatuor raiUia liber- tini gcneris ea superstitione infecta, quis idonea aetas, in insulani Sardiniani vehe- rentur.

(2) Actes, c. VI, V. 9.

(3) Ibid., C. xviii, V. 2 : Aià ô'.'X-.zxy.yvjM K)aOotov y_wpîΣ(76ai TiivTa; toù; 'lo-joatoui; èx tri; 'Pto[ir|Ç. La Priscille des Actes cat sans doute la même que le chrétien Priscus de M. Aube, Hist. des persécutions, p. 82.

(4) Hist., liv. LX, c. VI : Toùç 'lo-jôaîov; 7t>,£ovxTavTai; aùOiç w;t£ ■/a).c7iàJ; àv av£'j Tapa/.rj; ûitô toû Ô'/}^o\) crçùv Trj; Tr6).£to; £ip/0?)vat, oùx i\-i\\:».az [J.èv, xt») Se ôv) TraTpitij ^Im /j>oj[j.£vo'u; è)i£),£V)(7£ (irj cuva'Jpo''î(£(î9ai.

(5) Claud. lit., C. xxv : Judœos, irapulsore Chresto assidue tuinultuantes, Roma expulit.

(6) Actes, C. II, V. 10 . '£Ttiûri[AoOvT£; 'Pw[ji,xïoi 'louôatot xal 7tpo<7/;),yiot.

n'a pas entendu? et comment entendre sans un prédicateur? et qui donc peut prêcher s'il n'est apôtre (1)? «

L'apôtre n'est pas saint Paul; il n'arriva à Rome qu'en 61, et nous savons dans quelles circonstances. Son e'pître aux Romains, écrite de Corinthe en janvier ou février 58, constate que leur Éfî-lise e'tait, dès cette époque (2), pleine de foi, de perfection dans l'accomplissement des préceptes évangcliques, de soumission vis-à-visde l'autorité religieuse. Saint Paul ajoute qu'il ne veut pas bâtir sur le fondement d'autrui (3), mais il ne nomme point celui qui a posé ce fondement. Était-ce saint Pierre? La tradition universelle, très-ancienne (et qui ne se rattache à aucune légende), des vingt-cituj années de sen pontificat (4), le ferait venir à Rome peu après l'avénenient de Claude, 24 juin 41 , s'il est vrai qu'il dut la palme du martyre à Néron, qui mourut le 9 juin 08. Les Actes, racontant sa mise en prison par lïérode Agrippa lors de l'arrivée de ce dernier à Jérusalem, disent seulement que, quand il fut miracu- leusement délivré, il s'en alla dans un autre lieu (5); or, ce que nous savons d'ailleurs des dispositions tiès-favorables aux Juifs que Claude manifesta au début de son règne, nous permet d'adopter la fin de l'an- née 42 comme date probable de sa venue en Italie. Après avoir profité de l'édit de tolérance, il dut être atteint par l'ordonnance d'expulsion, et prendre, comme Aquila et Priscille en 49, le chemin de l'Orient.

Celte dispersion des Juifs nous ramène naturellement à Jérusalem, les Actes montrent les apôtres réunis en l'an 50 pour trancher une question dont la solution s'imposait à ce moment. 11 s'agissait de savoir dans quelle mesure la religion nouvelle devait se dégager des obser- vances judaïques (G). Les Juifs, en effet, avaient vu de mauvais œil les

(1) Ep. aux Bomains, c. x, V. 14 et 15 : llo); ôà àxoûcroyff'. xwpU xripÛTcyovTo; ; Triôç •/.r,p'j^o'jc<iv, èàv |j.ri i7xo(7Ta),w(7i ;

(2) Ibid., C. I, V. 8 : 'H 7:î<m; 0(awv y.aTayyE/ÀETai sv q).u) tô» xÔit(jlo). C. XV, v. 19 : oîôa ôà ÔTt £p./ô[j.Evo; Tipôç Oixâç êv 7r/7)[/WiJ.aTi eO).oyiaç toO EOaYyeXtou toû XptaToû ÈÀÊ'J'JOiJ.at. C. XVI, y. 19: r, yàp OiJ.tôv vTraxo-À) et; Trivra; à^îxsTo.

(3) Ibid.. C. XV, V. 20 : "Iva [xr] in' à/,)ÔTf.i'>v Oc|i£/,tov oîxoûo[j.w.

('«) Cf. Die iiliestcn riimischen Bischo/slislen^ à la suite de l'ouvrage d'IIarnack, Die Zeil des Iijnulius (Leipzig, 1878).

(5) Actes, c. XII, V. 18 ; Kai £|£)6wv ÈTiopeùOr) el; ETepov tottov.

(6) Ihid., c. XV.

9

chrétiens (le JëriisalenuV abord, et ceux de Rome ensuite, se montrer de plus en plus infidèles aux usages de leurs pères. La de'cision, qui fut prise sur l'avis de saint Pierre, de'lia en principe la doctrine nouvelle de ces usages, mais, accordant la liberté' dans la pratique à la con- science de chacun, elle ne trancha pas bien des difficultés qui, en re'alite', ne manquèrentpas de surg'.r. Nous avons le texte de la décision : saint Paul allait i)lus loin que la lettre, quand il pei mettait de manger de la chair immolée aux idoles à la seule condition de ne point causer de scandale (1). Saint Pierre restait en deçà ([cXesprit, lorsqu'à Antioche il se l'etira d'avec les gentils par crainte des réflexions de quelques chrétiens circoncis (2). Tous deux faisaient ainsi usage de la liberté, mais les Juifs regardaient surtout la première partie de la décision : la coniiiiunauté chrétienne s'était aifiauchie de la loi; elle était désor- mais une ennemie qu'il fallait poursuivre à outrance.

C'est contre saint Paul que furent dirigés les premiers coups, et, chose curieuse, contre saint Paul usant delà liberté potir accomplir une observance légale. 11 revenait en effet de Corinthe pour un vœu de nazaréat, lorsque les Juifs l'attaquèrent dans le temple. Il ne leur échappa que par les vigoureux efforts du tribun Lysias, chef du détachement romain à la tour Antonia. U fut envoyé au procurateur Félix, résidant à Césarée, qui le retint deux ans prisonnier, espérant en tirer de l'ai-gent. Le successeur de ce dernier. Porcins Festus, arriva dans l'été de l'année 60, et, dès son arrivée, les Juifs l'importunèrent pour qu'il prononçât la condamnation à mort de l'apôtre; alors celui- ci, citoyen i-omain, en appela à César. Cependant Festus ne com- prenait rien à l'accusation portée contre saint Paul et ne savait quel rappoit joindre à l'appel (3), 11 écouta avec une curiosité étonnée sa défense débitée pour la forme en présence du dernier roi de la dy-

(1) /" Ép. aux Corinthiens, c viii, V. 7-11, et C. X, V. 23-29.

(2) Ep. aux Galaics, C. U, V. 12 : 'XiziG-zti'iz zai àfwpt^îv la-jTÔ-/, ço6o'J[X£vo? t'/u: èx ireptTOM.y,ç- Écoutons Tertullien, dont 1 indulgence est peu suspecte. De prœscr. c. xxiii : Ceteium si reprehensus est Petrus quod, quuni convixisjct etlinici;, postea se a convictu eorum separal)at personarum lespcctu, utique conversationii fuit vitium, non prœdicationis.

(3) Actes, c. XXV, V. 18 : O0Ô£fj.îav ahiav ÈTisiepo'/ un ûtïîvôouv èyà). Y. 26 : 7r£f.l oî» à(Tya),t'(; Ti Ypâ'J/at xw y.upîw oùx iyjM.

10

nastio iiliimcenne, Iléiodo Agrippa II (1), et de la célèbre Bc'renicc, et (lut en somme mettre une note favorable, qui fit acquitter le pre'venu, lorsque, deux ans après son arrive'e à Rome, Cl-63, vint le tour de son jugement.

L'empereur en eut-il connaissance? Savait-il ce que c'e'tait que les chre'liens? La se'paration, clairement faite aux yeux des Juifs, existait- elle déjà pour l'Etat romain? Cette question est capitale, parce que si les chre'tiens formaient purement une secte judaïque, ils avaient une situation le'gale, nous l'avons vu plus haut; si, au contraire, ils e'taient les adeptes d'une religion nouvelle, leurs rapports avec l'autorité devenaient tout diffe'rents, et quelle que fut l'attitude du gouverne- ment à leur e'gard, une chose est ne'anmoins hors de doute, ils n'e'laient plus garantis par l'immunité' juive. De fait, la solution paraît aussi complexe que controverse'e, et nous nous trouvons en face des opinions les plus diverses, quant à l'e'poque de la distinction et à ses conse'quences.

Si nous prenons les e'crivains allemands, par exemple, il est difficile de rencontrer deux systèmes plus oppose's que celui du D"" Over- beck (2) dans sa dissertation « sur les e'dits des empereurs romains contre les chre'tiens depuis Trajan jusqu'à Marc-Aurèle « , et celui du D' Wieseler (3) dans son « examen chronologique et historique des

(1) Il avait ol)tenu en 52 de la libéralité de Claude les tétrarcliies de Lysanias et de Philippe, comprenant la Traclionite, l'Auranito, l'AUilène et la Batanéc; ces pays furent réunis à sa mort, en l'an 100, à la province romaine de Syrie.

(2) Siutlicn zur Ginchiclilv (1er «//t« AV/r/uiSchloss-Cheninitz, 1875,1, p. 93-157. Overbcclc, professeur à Bûle, ne cite pas l'étude approfondie de François Baudouin, Commcn- tarii ail cdicta vclcrum priiicipum Itomaiwium de christianis, " BasileJV per Joaiilicm Opori- num ^, petit in-S", 132 p., sans date : l'année 1557 est indiquée, p. xiu de la préface, à la réimpression complète de ses œuvres, par Heineccius, Juriiprudeniia Romana et Auica, t. I (Leyde, 1778). Baudouin, ù Arras en 1520. étudia le droit à Louvain et l'enseigna successivement à Bouryes, Strasbourjï, Ileidclbcrg et Paris, il mourut dans cette ville au collège d'Artois en 1583, et fut enterré in perisiyUo Mathurinorum, couvent voisin de l'iiotel de Cluny.

(3j liic Chrislenrcrfolrjuiujcn der Ciisaren bis zum drilten .lahrhundcri, hislorisch und chroiiolo- giscli unieisuclu Giitersloli, 1878;, x-140 p. te serait inutile de nommer les autres au- teurs allemands dont les systèmes sont résumés par les deux précédenis; mais il p;irdi[ juste d'indiquer dès à présent une série d'articles de Fr. (ioRREs qui se succè- dent sans ordre dans HilgcnJ'tld's Xeiischrift J'iir wisscnschdfilichc TUcvloijiv (Leipzig;', 1876 et suiv.i, et qui traitent des diverses persécutions. Cf. le S Chrisiciii-ei/olgungen du

11

persëciilions des chrétiens parles Ce'sars jusqu'au troisième siècle « . Ce deruier système se re'sume dans les trois points suivants : 1" déjà lors du jugement de saint Paul, la communauté chrétienne, connue du gouvernement impérial, tombait sous le coup de la loi des associations et de la loi de majesté ; un édit de Domitien en aurait ordonné contre elle l'application ; depuis Trajan et sous les Antonins sa situation légale se serait améliorée,

Overbeck, au contraire, voit les chrétiens confondus avec les Juifs aux yeux des Romains, même après la prise de Jérusalem par Titus ; à son avis, les persécutions de Néron et de Domitien ont un caractère purement accidentel et local ; la persécution légale ne commence qu'avec Trajan. M. Aube est du même sentiment dans la conclusion de son Histoire des persécutions, page 393 ; cependant, il adopte suc- cessivement les deux opinions dans le corps de l'ouvrage. 11 n'admet pas, page 180, que les accusations de lèse-majesté, de sacrilège, de magie, d'association illicite, etc., fussent applicables aux chrétiens. 'i S'il en était ainsi, dit-il, on ne comprend guère qu'un seul chrétien ait survécu dans l'empire. •>' Mais il admet, page 340, que (^ les textes de la loi de majesté [lex Julia niajestatis), de la loi de venejtciis, de la loi contre les conjurations, de la loi contre les auteurs des tumultes populaires et de tant d'autres encore dans la forêt touffue de la légis- lation pénale des Romains, pouvaient être directement ou indirectement tournés contre les chrétiens ". M. Gaston Boissier, qui fait ressortir cette contradiction, penche pour la dernière thèse, qui est celle de M. Edmond Le Blant (1), et de plus, il donne raison aux écrivains ecclésiastiques qui affirment que Néron et Domitien publièrent contre le christianisme des édits de proscription (2) ; ce qui implique une

même dans la Rcal-encijclopiidlc du docteur Kr.vus (Fribourg en Brisgau, 1880). Enfin, dans le recueil cité ci-dessus, 1881, p. 291-331, il a paru un article de Rudolf HiLGENFELD, iutitulé l'erhulliiiss des rômischen Slaates zum Cltrisicnihuiiie in den heiden erslcn Jahrhundcrlcn,

(1) Voir le travail de M. G. Tolrret sur la Siluation ligah du christumisme pendant les trois premiers siècles, dans la lievui' calhoUque des inslilulions et du droit, juin et juillet 1878.

(2) Les Premières Persécutions de l'Eglise, dans le du 15 avril 187G de la Ilevue des Deux Mondes. Au contraire, M. Ferdinand Delaunay nie l'existence de ces lois dans sa communication à l'Académie des inscriptions et belles lettres, séance du 28 février 1879, sur la silualion lèijale des chrétiens en 112.

12

distinction absolue d'avec le judaïsme. Il oppose à bon droit ceux qui veulent la date de 68 pour l'Apocalypse, il est question de martyrs en Orient, à ceux qui ne veulent pas que la perse'cution de Néron se soit étendue en dehors de Rome : deux propositions également chères à iM. Aube, qui, sur la dernière en particulier, a prétendu perfec- tionner l'opinion de M. de Rossi lui-même (1). Quant au savant archéologue romain, en rendant compte du Mémoire de son collègue, M. Le Blanl, sur les bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs (2), il s'est vu forcé de n'en accepter les conclusions que sous bénéfice d'inventaire (3), toutes ses découvert s aboutissant à un résultat quelque peu différent. C'est sur les données de l'archéologie mises par lui en si vive lumière qu'il s'appuie naturellement. Tous ceux qui connaissent la longue carrière fournie dans la science par M. de Rossi comprendront que non-seulement son témoignage vaut la peine d'être discuté, mais encore qu'il ne saurait être infirmé par de simples points d'interrogation. L'étude des antiquités chrétiennes (4) lui a donc permis de constater une période de confiance et de sécurité assez longue pour n'admettre d'autre explication qu'une confusion persis- tante aux yeux du gouvernement, et par suite, la participation dans une certaine mesure aux privilèges de la synagogue (5). Les protes- tations des Juifs ne réussissaient pas encore à en exclure complètement les cln-étiens. Ce motif, joint peut-être à d'autres considérations, contribua à l'acquittement de saint Paul. Son appel, nous l'avons vu,

(1) De la légalité du christianisme dans l'empire romain pendant le premier siècle, dans les Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 1866, p. 187, et à la fin tie l'Histoire des persécutions.

(2) Comptes rendus de l'Aral, des imcript., mémo année, p. 358.

(3) Bullettino di archcologia crisliuna, 1867, p 28.

(4) Voici, énumérés par M. de Riclicmont, dans les Xomelles Etudes, les principaux élénienls d'appréciation dont M. de Hossi s'est servi pour fixer la clironolojîie des calaconilies : « Les dispositions de la maçonnerie, les marques et les noms daiil les briques portent l'estampille, la nature et la teinte des enduits, le mode d'exécution et le style artistique des peintures, le choix et l'interprétation des sujets, l'emploi des stucs ou des mosaïques, l'usage des toml)eaHx de marltre, déterre cuite ou de loculi taillés dans le tuf, l'épijjrapliie dans toutes ses jjranclies, la lanyue, le style, les symboles, la nomenclature, la paléo{;r.ipliie des inscriptions ; enfin l'auteur ajoute, les formes architectoniques des galeries souterraines ". [Loc. ci/., p. 112.)

(5) Bullettino, 1865, p. 90 et SUIV.

13

le conduisait devant le conseil du prince (1), qui se composait de séna- teurs pris parmi les amis de l'empereur et des deux consuls eu chaige. A ce conseil appartenait certainement Se'nèque, l'ancien pre'cepteur de Ne'ron, le frère de celui qui avait refuse' de juger l'apôtre à Corinthe.

C'e'tait du reste au ce'lèbre collèg'ue de Senèque, Burrhus, préfet du prétoire, que saint Paul dès son arrivée avait été remis par le centurion qui l'accompagnait depuis la Palestine (2) ; ce que lui-même confirme dans son épitre aux Philippiens, lorsqu'il dit que ses chaînes étaient devenues une manifestation pour le Christ dans le prétoire entier et aux yeux de tous (3).

La confiance avec laquelle il annonce à ses correspondants sa visite prochaine, l'interruption soudaine du livre des Actes qu'un départ seul explique d'une manière satisfaisante, enfin les conditions mêmes de l'affaire, tout fait présumer une solution favorable à laquelle ne dut pas rester étrangère la bienveillance de Sénèque (4). Mieux qu'un autre, il pouvait distinguer Paul d'un Juif ordinaire. Depuis

(1) Sur cette institution, v. Dion Cassius, Hist., liv. LUI, c. xxi, pour Augfuste; liv. LVn, c. A II, pour Tibère; liv. LX, c. iv, pour Claude; cf. Suétone, Tiber. vit., c. LV.

(2) .Ides, c. XXVIII, v. 16 du texte grec : "Gts r;),eo[iîv eîç 'Pwjj.yiv, ô ÉxaTÔv- Tap-/o; TTapîOwxs to-j; SeafAioy; tw (jTpaTOTtîoâp/Y;.

(3) Ep. aux Philippiens, c- I, V. 13 : "Ciq-z toÙî G3(7[jio-J; iiou çavEpo-jç £v XotT-rw ysvî'ffOai Iv o/w Tw ■:TfiaiTop''w •/.cti toïî ).oitcoî; Tràai.

(4) Une preuve de ces bons rapports, dont Frieolender, Siitcngcschlchtc lioms (Leipzig, 18711, t. m, p. ô35, reconnaît la possibilité, résulte de l'inscription sui- vante d'un descendant de la Gens Annan ou d'un de ses affranchis, trouvée au cominenceinent de 18G7 dans les fouilles d'Ustie, et reproduite par M. de llossi dans son Bulkuino, même année, p. 13 :

DM-

MANNEO-

PAVLO-PETRO-

M-ANNEVSP.AVLVS-

FILIOCARISSI.MO-

I,e prwnomen de Marcus, qui était celui du frère de Sénèque, joint aux cognomma relrus, et Paulus deux fois répété, ne saurait être un jeu du hasard, surtout quand on se rappelle l'habitude des anciens de prendre les noms et prénoms des per- sonnes avec qui ils avaient des relations d'affection. Ce fait doit être rapproché de la littérature apocryphe qui circulait au temps de saint .Jérôme et de saint Augus- tin. Du reste, une seule chose importe à notre sujet : le conseiller de l'empereur (nous ne nous inquiétons pas du philosophe) a connu l'apôtre de l'Évangile.

14

longtemps, en effet, ile'tait au courant des doctrines et des usages des Hébreux. Pendant sa jeunesse à Alexandrie, il avait failli être con- fondu avec eux (1). Plus tard, dans un passage de ses traités per- dus (2j, il reprenait, entre autres superstitions sociales, les rites mosaïques et surtout le sabbat dont il établissait Tin utilité sur ce que, revenant tous les sept jours, il faisait perdre la septième partie de la vie à cbômer, et que bien des choses pressantes pour le temps souffraient de cette inaction.

Mais Sénèque faisait exception à la jdupart des honuiies de son temps. Quand nous voyons les absurdités racontées par Tacite sur les Juifs, au début du cinquième livre de ses Histoires^ on peut s'imaginer facilement combien l'opinion publique devait à plus forte raison être peu au courant de ce qui concernait les fidèles. Suétone n'avait que des renseignements défavorables sur leur compte, loi'squ'il écrivait au commencement du deuxième siècle, et Pline à la même époque s'éloignait du Forum romain, emportant une appréciation analogue du nom chrétien , et de la réputation qui y était attachée. Ce qu'il nous apprend de plus, il Ta entendu depuis en interrogeant les chrétiens de Bithynie. Quant à Tacite, l'infor- mation précise qu'il a recueillie sur l'origine du christianisme semble extraite de quelque rappoi-t administratif concei-nant la Judée et dé- posé aux archives de l'empire : elle porte que l'auteur du nom chré- tien avait été condamné à mort sous Tibère par le procurateur Ponce- Pilate (3). Ces simples détails, combien peu de beaux esprits ou de lettrés les connaissaient en l'an C4, ainsi que le remarque avec raison M. Aube (4j ! Cependant, ce sera pendant bien longtemps, aux yeux des païens, le plus clair de l'histoire du christianisme, et si l'on consi-

(1) Ad Lucilium, ép. 108.

(2) De sufcrslilionc, ap. Civ. Dci, liv. VI, C. Xl ; Hic ir.lcr alios cirilis iheologiœ sit- pcrslilioiies rcprclirndil eliam sacratnenta Judœnrum cl maxime sabbala, inutililer eos fticcrr <i£n'- mans, quod pcr illos singulos seplem i/ilerpositos dics septimam fere parlcni œlatis suw perdant vacando, et mulla in Icmpore urgentia non agendo lœddntur. I>'exemple de rAn;;leterre, la nation du monde aujourd'hui la plus coninierçanle, nous prouve le contraire.

(3) Ami., liv. XV, c. xLiv : Auclor noniinis ejus Clirislns, Tiberio imperilanle, per procuratorein l'onliuni Pilaluiii supiilicio aflecliis erat.

(4} Hist. des peiscc, p. 97.

15 -

dère Timportance de la chose juge'e en droit romain, on ne pourra s'empêcher d'être frappé de l'influence qu'une pareille mention a du exercer sur la situation légale de la secte nouvelle (1), Un des der- niers actes de l'Etat persécuteur a précisément consisté à refaire calomnieusement l'histoire du procès de Jésus-Christ par Pilate, afin d'exciter les populations contre l'Eglise chrétienne (2).

Néron ne demanda pas tant d'informations lorsque l'opinion l'accusa du grand incendie de Rome en C4. Il avait pu être le seul de son pa- lais à ne pas voir saint Paul, car, bien que celui-ci eut converti des gens de la maison de César (3), ce n'était pas une raison pour que César le connut ; il arrive le plus souvent aux princes d'ignorer ce qui se passe auprès d'eux. Le vulgaire, plus avancé que les lettrés, était parvenu à distinguer nettement les Juifs des chrétiens; il n'avait pas tardé à frapper d'une note infamante ces gens d'une détestable réputation, comme parle Tacite, et qu'il connaissait par leur vrai nom; aussi est-ce dans ses rapports avec le bas peuple que Néron apprit à les distinguer à son tour. Il les considérait comme des mau- dits avant de les traiter comme des coupables, et il n'eut pas de peine à les sacrifier, lorsqu'il lui fallut des victimes.

Mais comment, aune date si reculée, etparmiles deux millions d'ha- bitants de la ville de Rome, mit-on la main sur un grand nombre de chrétiens (4)?

Les recherches de la police n'auraient pas été si fructueuses, si elles n'eussent été secondées par la vieille haine des Juifs. Grâce à l'impé- ratrice Poppée (5), ils avaient l'oreille de l'empereur, et longtemps après que l'incendie fut éteint, ils purent encore, sous le prétexte de christianisme, satisfaire leurs rancunes.

(1) Tertullien, m Mat., Uv. I, c. iv : Sed dicitis sectam nomine piiniri sui auc- toris... in solum nomen impingitis, quasi in iUo detinentes sectam et auctorem quos omnino non nostis.

(2) EusÈBE, Hist. eccL, Uv. IX, c. v.

(3) Ep. aux Philippieiis, c. iv, V. 22 : 'AdTiâ^ovTai û[J.a; TravTe; oi àytot, [AotXKjTa ot £x Tï)? KaÎTapoç oixîaç.

(4) ânn., I. XV, C. uv : igitur primo correpli, qui fatebantur, deinde indicio eorum, mullitudo ingens. Les dénonciations dont parle Tacite proviennent pUitôt des Juifs, qu'on était exposé à confondre avec les chrétiens.

(5) JosÈPHE, Ant, Jtcd., 1. XX, c. viii, 11 : ©coasêv^ç yàp fjv. M. Aube signale son

10

a Prenons les nobles exemples de notre temps, dit le plus ancien document qui subsiste relativement à la persécution de Néron (1), c'est par la jalousie et par Tenvie que ces hommes très-g^rands et très-justes, les colonnes (de l'Ej^lise), ont été persécutés et ont eu à lutter jusqu'à la mort. Considérons les généreux apôtres": Pierre, à qui une injuste jalousie a imposé non pas une ou deux, mais beaucoup d'épreuves, et qui, après avoir ainsi rendu témoignage, s'en est allé à la place qu'il avait méritée dans la gloire. C'est par suite de la jalousie et de la con- tradiction que Paul a remporté la palme de la patience; sept empri- sonnements, les expulsions, la lapidation, son apostolat en Orient comme en Occident, ont valu à sa foi une renommée illustre ; ayant prêché la justice au monde entier, pénétré jusqu'à l'extrémité de l'Oc- cident, rendu témoignage devant les magistrats, et étant ainsi sorti du monde, il s'en est allé dans le lieu saint, idéal accompli du courage patient. A ces hommes d'une conduite si vertueuse furent adjoints un grand nombre d'élus qui endurèrent, à cause de la jalousie, des supplices et des tourments nombreux, et laissèrent un magnifique exemple parmi nous. A cause de la jalousie, on vit des femmes subir le traitement de Danaïdes et de Dircés, soumises à d'atroces et d'abomi- nables outrages, et, après avoir parcouru d'un pas assuré le stade de la foi, obtenir, si frêles que fussent leurs corps, une glorieuse récompense. La jalousie a aliéné des épouses à leurs maris et a démenti la parole de notre père Adam : Voici la chair de ma chair et l'os de mes os. La jalou- sie et la contradiction ont renversé de grandes villes et détruit de grands peuples. Nous vous écrivons ces choses, frères bien-aimés, non-seulement pour vous faire réfléchir, mais aussi pour réveiller nos propres souvenirs, car nous nous trouvons dans la même arène, et le même combat nous est proposé. »

influence probable clans cette affaire. Hist. des pcrséc, p. 101 et p. 421 en note. M. huruy, Hist. rom., t. IV, p. 52, est dii même avis. VVieseler, loc. cit., p. 11, fait remar- quer de plus, d'après Tacite, qu'elle formait avec le préfet du prétoire le cabinet secret de l'empereur : Poppa-a et Tigellino coram, quod erat sa;vienti principi intimum consiliorum. Ann., 1. XV, c. lxi.

(1) L'éplire de saint Cléme.nt df. Homf. aux Corinthiens, qui fut écrite, ainsi que nous le verrons, en l'année 96.

17

Quelle était cette jalousie dont saint Clément de Rome parlait aux Corinthiens (1) ? Evidemment c'était celle des Juifs; eux seuls, comme on le voit par les Actes et les Épitres, ont ainsi maltraité saint Paul (2). Voltaire les soupçonne même d'avoir fourni à l'accusation d'incendie la direction qu'elle prit en effet, et il ajoute (3) : a II était aussi injuste d'imputer cet accident aux chrétiens qu'à l'empereur; ni lui, ni les chrétiens, ni les Juifs n'avaient intérêt à brûler Rome; mais il fallait apaiser le peuple qui se soulevait contre des étrangers égale- ment haïs des Romains et des Juifs. On abandonna quelques infortu- nés à la vengeance publique. Il semble qu'on n'aurait pas compter parmi les persécutions faites à leur foi cette violence passagère. Elle n'avait rien de commun avec leur religion qu'on ne connaissait pas et que les Romains confondaient avec le judaïsme, protégé par les lois autant que méprisé. «

Ce jugement, qui repose sur un fond de vérité, se ressent de la légè- reté de l'auteur, et trahit une préoccupation insolite chez lui, celle de prendre la défense du bourreau contre les victimes; mais Tacite est ici d'accord avec saint Clément pour le rectifier. « Les exécutions, dit-il, étaient accompagnées de divertissements (4) : on couvrait les uns de peaux de bêtes afin de les faire dévorer par des chiens, d'autres étaient mis en croix, d'autres enfin étaient rendus inflammables, et, à la fin du jour, devaient brûler pour éclairer la nuit. Néron avait ouvert ses jardins pour cette représentation, et il donnait des jeux dans le cir- que (voisin) (5), où, vêtu en cocher, il se mêlait à la foule ou se tenait

(1) /'<: El)., c. V cl VI : Aâ6a)|Jcv Ty;ç yzveài Y)!j.ôJvTà yevvat'a Û7ro5£{y(i.ara. Atà ^f,).o'/ xai fOôvov oi jj.ÉYfjTot xal ôixaiôxaToi aT'J)ot iZKÙi-fjyr^n:*.-'! xai ïw; OaviToy rfi^riGcnv, xt),. Edi(. Funk, p. 66.

(2) Cf. /Ich's, c. i\', V. 25, 30; xiii, 50; xiv, 5, 18; //" Ep. aux Corinlhuns, c. xi, V. 24-26.

(3) Essai sur les mœurs, c. viti, De l' Italie ei de l'Église ; cité par Ovf.ubiîCK, p. 98.

(i) L'histoire de Dircé et celle des Danaïdes devaient être fifïiirées. Tvc, /ot-.oV.; Et pereiintihus addita hulibria, lit ferariiin terjjis contecti laniatu cauiiin inlc- rireiit, aiit crucil)iis affixi, aiil flaniiiiandi, atqiie, iibi defecissct dies, in «suin noc- turni himinis urerentur. Ilortos snos ei spectaculo Nero obUilerat et circense hidicruin edel;at, liabitu anriiïcT perinixtiis plei)i, vel curricnlo insistens.

(5) Les jardins et le cirqne se trouvaient sur les pentes de la colline du Vatican ; ce sont aujourd'hui les jardins dont l'usage a été laissé au Pape, et la colonnade de Saint-Pierre.

sur sou char. Si bien que ces cninincls, qui méritaient les derniers chà- timeuts, ne laissaient pas d'exciter la pitié', comme si c'e'tait moins en vue du bien général que par la fantaisie sanguinaire d'un seul qu'on les exterminait. " Voilà pour la part personnelle de l'empereur; mais Voltaire a raison de ne pas lui attribuer toute la responsabilité, car de même que la jalousie des jdiarisiens de Jérusalem avait trouvé un com- plice dans le faible Pilate, de même la jalousie de la synagogue de Rome trouva un complice dans le cruel Néron, et les Juifs ont, selon l'énergique expression de Bossuet (1), immolé saint Pierre et saint Paul par le glaive et les mains des gentils.

Cependant les disciples français et allemands de l'école de Baur voudraient que ce fut saint Pierre, ou son parti, qui eût immolé saint Paul. En effet, d'après eux, la communauté chrétienne fondée à Rome resta à l'origine attachée aux pratiques judaïques, et lorsque l'apôtre saint Paul y vint plus tard prêcher l'affranchissement de la loi, il y trouva des ennemis aussi acharnés qu'à Jérusalem. Partout le roman clé- mentin montre Simon le Magicien poursuivi par saint Pierre, ces criti- ques veulent substituer le nom de saint Paul(2j. Du reste, ils ont soin de couronner leur système par une réconciliation posthume des deux apôtres. Mais, en 58, saint Paul, écrivant aux Romains, s'adressait à des chrétiens qui, sans l'avoir jamais vu, étaient en parfaite communion d'idées avec lui. En 02, il se plaint que quelques-uns profitent de sa captivité pour prêcher l'Evangile par esprit de contestation, mais pour- quoi ferait-il allusion à saint Pierre plutôt qu'à des prédicateurs sans mission (3), comme ceux qui avaient troublé naguère l'Eglise d'An- tioche? D'ailleurs, le témoignage de saint Clément, ainsi que le fait

il) Discours sur riiisioiie unii-erscllc, cleuxiùiiie partie, S viii.

(il Ils prcHent à rÉfjlise de Home des tendances judéo-clirétiennes sur la foi d'un seul passaye de VEpiire aux l'hitippiens, c. I, V. 16 : 01 (jÈv i% èpiOsta; tôv XpiuTov xaTayYÉX/oyjiv où-/ ôtyvw;, cilô[j.£voi 6),î(j>tv cTtiçc'peiv xotç 6£(7|j.oï; [xom.

(3) Saint Paul, dans son Kp. aux Calâtes, c. n, v. 12, les nomme ^ xivà; àTco 'laxwoou », mais ils n'avaient pas été envoyés par lÉylise de Jérusalem. Actes, c. XV, V. 24 : ïivÈ; è; r,|j.(j)v îU'Oovte; £Tif.a:av b[>i: ).ÔYOt;. . . ol; ôieuTci) iixsôa. Quant à la prétendue dissension entre saint Jacques et saint Paul, YEpttrc du pre- mier, c. ii,v. 17, relève seulement une fausse interpr.naiion d'un passage de VKpitre du second aux livmains, c. m. V. 28, il esl parlé des ouvres mosaïques et non désœuvrés charitables. Cf. Kp. uus Gulatcs, c. \, v. G : IIIcti? 6i" iyàTtï-iî èveoyûuti.ivr,.

19

remarquer M. l'abbe' Duchesne (1), est de'cisif, puisqu'il nous montre saint Paul comme saint Pierre victimes de la mêmejalousie.

Furent-ils enveloppe's tous deux dans le massacre qui suivit immé- diatement l'incendie? M. Aube' se croit force' de l'admettre (2;, à cause du texte que nous avons cite'. C'est tirer une conclusion trop rigoureuse d'un simple rapprochement dans une e'nurae'ration de'monstrative. Le même texte, au contraii'e, nous oblige à retarder le martyre de saint Paul, car il affirme expressément le voyage en Espagne (3), dont l'apô- tre formait déjà le projet dans l'Epître aux Romains (4), et qui ne peut se placer qu'à la fin de sa première captivité. Nous avons vu aussi qu'il se proposait de retourner en Macédoine dès qu'il serait libéré, et tout donne à penser qu'il était absent de Rome en 64. Lorsqu'il revint, peut-être deux ans après, il suffisait qu'il y eût encore des Juifs dans le Transtevère pour qu'il y trouvât des accusateurs.

Quant à saint Pierre, une ancienne tradition, remontant au moins à la fin du deuxième siècle, puisqu'elle est mentionnée par Origène (5), le représente s' éloignant de la ville pendant la persécution, et ramené, par la vision de Jésus portant sa croix, à la mort qui lui était réservée. Ce qu'il y a d'incontestable, c'est sa présence dans la capitale de l'empire, jtuisque son martyre était de ceux dont, à peine trente ans plus tard, l'Eglise de Rome se glorifiait, tandis que jamais aucune autre église, même rivale, n'a seulement songé à le revendiquer. Ainsi il est fait, sans indication de lieu, allusion à son genre de supplice dans l'Evan- gile de saint Jean (6) rédigé àEphèse, centre delà tradition asiatique. La tradition syrienne, par la bouche de saint Ignace, évêque d'An- tioche, de la ville où, comme le remarque M. Aube, saint Pieri-e appa- raît pour la dernière fois dans l'histoire, place cet apôtre à côté de

(1) Bévue du monde catholique, 10 juin 1877.

(2) Hist. dcsperséc., p 127.

(3) /" Ep. de sailli Clément, c. V : 'Ettî TÉpfjia tïjç; ôu(J£w; è),6wv.

(4) Ep. aux Romains, c. xv, V. 28 : 'A7:£),£Û<T0(J.at ôt' Op-ôiv sîç ttjv 'IdTraviav.

(5) Comm. sur l'Ev. de saint Jean, t. XX, C. xii. Il s'appuie sur les « ITpà^Et; nau)ou« , écrit hérétique très-ancien, qu'Eusèl)e cite(iï. e., 1. m, c, xxv) comme étant apocryphe, quoique lu dans certaines églises.

(6) Sai.xt Jean, c. xxi, v. 19. La 1" EpUre de saint Pierre est datée de Babylone ce que V Apocalypse nous apprend à traduire par Rome.

2.

20

saint l'aul à Rome (Ij. Saint Denys, ëvéquede Corinthe, dans sa lettre au pape Soter, vers 170, ne les sépare pas davantage (2). Enfin saint Ire'ne'e, e'vêque de Lyon, en 180, insiste sur ce qu'ils sont tous deux les fondateurs du sie'ge même de l'orthodoxie (3).

Depuis, le consentement universel n'a pas e'të interromj)u, et tou- jours, comme au temi)s de Caïus (^), les tombeaux de saint Pierre et saint Paul sont restés la barrière [ad Umina apostolorum) contre la- quelle viennent se heurter toutes les hérésies, grâce à la fidélité de l'Église romaine à conserver la mémoire du magnifique exem})le laissé chez elle par la prédication et le martyre de ses apôtres (5).

Nul doute que les événements qui suivirent le désastre du 11) juil- let 64 n'aient eu un grand retentissement dans tout l'Empire; mais u'eurent-ils pas aussi des conséquences jdus durables? Voyons si leur contre-coup ne devait pas continuer à faire des victimes. INI. Aube admet qu'ils furent d'un exemple fâcheux à l'égard des provinces, sans toutefois créer un précédent de droit: «En fait, dit-il, dans l'Asie proconsulaire (6), le sang des chrétiens fut largement répandu >; , mais il se refuse à imaginer des décrets spéciaux émanés du pouvoir central. Cependant, d'après le même auteur, Néron avait comme décrété la culpabilité des chrétiens de la capitale, et l'incendie de Rome lui fut un prétexte de sévir administrativement(7).

(1) Ep. rie saint lijnace aux Romains, c. IV, 3 : Oùy^ w; IlÉTpoî xal naù),oç SiatâiJdO- |jiai OfAîv, èxtïvoi ànouTo/oi, èyw xaxâxpiTo;. Ed. Funk, p. 218.

(2) H. e. dEusÈBE, I. II, c. xxv, 8 : 'Oixoto); Ssjxal £1; Trjv ^'Ita/i'av Ô[xoit£ ôiôàïavxe; è[j.aj;n)pr|i7av xarà tôv aÙTOv xaisôv.

(3) Saint Irkmîe. /idv. hœr., I. III, c. 111 : Maxiina-, et aiitiqiiissim<T, et oiniiil)us coî^nilae, a }îloriosissiniis duobiis apostolis Peiro et Paiilo hoiiKT fiindala' et consli- lula- Erclesia' cain qiiam liabet al) apostolis traditionein. et aiiiiiiiitiatani homiiiibus fidem pcr successioiics episcoporiiiii pervenieiiteiii iisque ad nos iiuiicaiites, coiifun- diiiius omiics eos qui, etc.

(4) H. e., loc. cit. Sa lettre au inontaiiisie Proelus est de la fiu du deuxième siècle : 'Eàv yàp {)z).r,nriC àTiÊ/.Oeïv £7:1 tov liaTtxavèv, 7^ inl ttiv o&ov rriv 'iiaTÎa'^ £'jpri<îci; xpÔTraia tùv Tav-/iv !ûpûcra[jL£vwv xr)-/ £zx).r,(T£av. (V^oir l'appendice sur le cimetière du Vatican et la chaire de Saint-Pierre.)

(ù) J" Ej). saint C'icm., c. vi : To'Jxoiç xoï; àv5pac7iv ÔTitoç 7To),iT£\j(Ta(x£voi; ffuvYiOpoîdOrj 7to).ù 7r).jj6oç... OTtoÔEiYtia xâ^iTTOv Èyévovio èv r|(AÏv. E;d. Funk, p. 68.

(6) Le nom d'un martyr de Pergame est resté dans Y Apocalypse , c. 11, v. 13 : 'AvxÎTra; ô (j.âpTu; |j.oy ô Tiicxo; ô; airExxâvOr, Ttap' Op.ïv. Cf. Teut., Scorp., c. xii.

(7) Hist. despcrséc, p. 110, 120 et 104. Cette contradiction a été aussi relevée par

21

L'opinion d'Overbeck est plus catëg^orique. Selon lui, l'entreprise de Néron contre les chrétiens a été entièrement localisée dans son origine et dans ses limites, et ne décide absolument rien par elle-même quant à la situation qui sera faite désormais au christianisme dans l'Empire (1).

11 s'autorise de Tertullien pour restreindre à Rome la persécution; mais dans le passage qu'il cite, les martyrs de cette ville sont simple- ment opposés à ceux de Jérusalem (2), et là, comme dans un autre passage, Tertullien tient surtout à invoquer la foi des historiens profanes qui avaient mentionné les événements dont la capitale avait été le théâtre. S'il ne fallait pas s'interdire de demander au fougueux Africain une trop grande précision, celui-ci semblerait, au contraire, croire à une proscription aussi générale que le comportait l'application des lois existantes. Tel est aussi, comme nous l'avons dit, le système de Wiese- 1er (3), qui estime que déjà, à cette époque, les chrétiens formaient aux yeux de l'État une société distincte. 11 s'appuie sur le t^xte de Sué- tone, lequel rapporte la répression de leur " secte nouvelle et malfai- sante (4) ' ; toutefois, les termes dont se sert l'historien latin n'auto- risent pas à la classer, comme voudrait l'auteur allemand, parmi les associations non reconnues, mais la font plutôt rentrer dans le nombre des religions étrangères, qui depuis longtemps pullulaient à Rome, et qui, en effet, avaient été l'objet de lois très-sévères (5).

Fr. GÔRRES, p. 273-276 de son article, Antiijas von Pcrgavium, dans Hl/f/en/ehis Znl- schri/t, 1878; lui, pour la lof^ique du système, supprime ce marlyr.

(1) Loc. cil., p. 97: Ist durchaus local veranlassl yewesen und local heschninli {jeblieben, und entsclieidet iiber die stellung, wclclie das Chrislenllnim im Reiclie einnehinen sollle, an sich selbst durchaus nicht. -

(2) Scoiy.yC. XV : Et si fidem commentarii voluerit ha^relicus, instrumenta im- perii loquentur ut lapides Jérusalem, cl Apologet., c. v : Consulile commentarios veslros : illic reperietis, etc.

(3) Die Chrisienverfolgungen, p. 8: Dass cs beim Eintritt der Neronisclien Verfol- {jung nocli keine speciell auf die Christen bezusjiichen gesetzlichen Bestimmungen •gab. Im Allgemeinen fielen die christen indess unter das (Jesetz iiber die lollegia. »

(4j Xer. rit., c. xvi : AfHicti suppliciis christiani, genus hominum superstitionis novae ac maleficae. C'est ce que, cent ans après, on disait des chrétiens de Lyon : ?£vr|V Ttva /.ai xxtvr)v r,(j.îv Etaây'J'-"^'- 0[>viT/.£tav, H. e., 1. V, C. CLXiii; et Galère, dans redit de 313, qui mettait fin à la persécution, répétait encore la même chose : [,\c- TANCE, De mort, persic., c. xxxiv.

(5) Voici les vieux textes conservés dans Cicéuon, De kg., 1 H, c. viii : Separaliin

22

Tour se rendre compte de la rigpueiir avec laquelle on appliquait ces lois, à l'époque nous sommes, nous ne pouvons, ce semble, mieux faire que d'examiner un procès intente' peu de temps auparavant, et qui portait prëcise'ment sur ce chef d'accusation.

jNous savons par Tacited) qu'une femme de ranfj se'natorial, Pom- ponia Gra^cina, mariée au vainqueur de la Grande-Bretagne, T. Aulus Plautius, fut dénoncée comme professant un culte étranger et remise, suivant l'antique usage, au jugement de son mari assisté de ses pro- ches. Sa réputation, sa vie étaient enjeu; mais elle fut acquittée. Ceci se passait en l'année 58. Cette Pomponia vécut, au dire du même his- torien, dans une perpétuelle mélancolie jusqu'en 84. Pendant quarante ans, depuis la mort de Julie, fille de Drusus, elle n'avait point quitté son air de tristesse et ses vêtements de deuil (2). De telles manières, jointes à des pratiques religieuses, ont été souvent considérées, jusque dans ces derniers temps,'comme un indice de christianisme (3). Mais cet indice, ]M. Aube demande « pour qu'il prenne cité dans l'histoire et ait la valeur d'un fait (4)", autre chose que les quelques lignes de Tacite. Ses vœux sont remplis par la découverte au cimetière de Cal- liste de l'inscription chrétienne d'un nOMn^NIOG rPHKElN0G(5).

nemohabessit deos, neve novos sive advenas nisi publiée adscitos privatim eolunto. Cf. TiTE-LivE, 1. XXV, c. I : Neii quis in publieo saerove loeo novo aut externo ritu saerifiearet. Ce qui aurait Tair de ne pas interdire le culte privé des divinités étrangères.

(1) Ann., 1. xin, c. XXXII : Et Pomponia Gra^cina, insignis feinina, Plautio qui ovans se Britanniis retulit nupta, ac superstitionis externae rea, inariti judicio per- missa. Isque prisco instituto, propinquis coram, de capite famaqiie conjugis cogno- vit et insontem iiuntiavit.

(2) "Avant d'entrer dans notre mission, nous di\mes revêtir l'habit de deuil des nobles Coréens... parce que, en Corée, un noble en deuil ne doit être vu de per- sonne. » Lettre du 30 sept. 1878, dans le numéro de nov. 1879 des Annales de la pro- pagation de la foi.

(3) V. après la dissertation de De swctis, sur le Sépulcre de Plautius (Ravenne, 1784), la réponse à FiufdL/ENDER, De Pomponia Grœcina superstitionis exlernœ rt-alKÔnigS- berjj, 18C8), par Wandingeb, Pomponia Grœcina Munich, 1873) M. Di UIIY, qui (t. IV, p. 50 de son Hisi. rom) admet qu'elle était probablement aussi chrétienne ou juive -, écrit en note à la p. 476, t. V : " Je ne puis partager les idées de M. de Rossi sur l'importance de la communauté chrétienne de Rome dès le temps de Né- ron, et sur ses progrès dans la noblesse romaine. On ne saurait dire que Pomponia Grapcina fiU chrétienne.

(4) Hisl. des perséc, p. 18(.

(5) liomasolt., t. Il, pi. XLix, n" 27

~ 23

Le voisinage d'autres e'pitaphrs, tant païennes que chre'tiennes , de Pomponii Bassi, et de Cœcilii, et d'Attici, qui e'taient allie's aux Pom- ponii, donne de la force à l'hypothèse, antérieurement proposée sous toutes re'serves(l) par M. de Rossi, d'après laquelle le surnom de Lucine, attache' à la proprie'taire du terrain le cimetière fut creuse' sur la voie Appienne, aurait e'te' reçu au baptême (cpwTi(7t/.a (2) , illumina- tion) par Pomponia Grœcina. Sectatrice d'Isis et de Se'rapis, Pomponia n'eût guère inspire' les soupçons. La de'nonciation dont elle fut l'objet, et qui ne semble pas, à en croire Tacite, provenir de la famille, non plus que du mari (3), ainsi que le fait s'est pre'sente' cent ans après, du temps de saint Justin, a pu être l'œuvre de quelque affranchi juif irrité de sa conversion. Aussi croyons-nous devoir rapprocher le texte cité plus haut, saint Clément (4), parlant des fâcheux effets de la jalousie des Juifs, signale le trouble qu'elle avait causé dans certaines familles, en aliénant, dit-il, des épouses à leurs maris. Quoi qu'il en soit, Pom- ponia Grœcina sortit indemne de son procès. Pourquoi fut-elle ac- quittée? Comme la suite nous montre bien qu'elle ne changea pas de vie, il paraît que Plautius ne trouva pas la conduite de sa femme cou- pable; telle n'eût pas été sa sentence, si les anciennes lois contre les cultes étrangers avaient conservé toute leur vigueur, et rien n'indique que Néron les ait jamais fait revivre.

Mais, à défaut de textes spéciaux, comme dans cette circonstance le gouvernement romain avait à son service cette arme de tous les gouvernements, la raison d'Etat, que Tacite nomme utilitaa puhlica, Wieseler croit trouver dans les paroles de l'historien un nouvel argu- ment en sa faveur, lorsque celui-ci impute aux chrétiens, non des actes définis par une loi, mais des crimes compromettant l'ordre public.

1} Roma sott,, t. I, p. 319. Cf. t. lU, p. 467.

(2) Clément d'Alexandrie, Po?d., 1. I, c. vi, § 26. Cf. Svint Jlstin, l" Apol., c. lxiii, p. 168 de réd. Otto : ô çtuti^ôfj.îvo; Ào-JeTott.

(3) //« Apol., c. II, éd. Otto, p. 198. Dans ce cas comme dans l'autre, la dénonciation ne fut pas suivie d'effet, mais pour un motif différent. La femme accusée de chris- tianisme en 160 par son mari demanda, avant d'être jup,ée, à exercer les reprises dotales auxquelles elle avait droit, comme séparée de corps et de bien : to ),£y6[ievov TTap' ûiJ.Tv psTtoùôtov ôoOffa ê}(fop((76Yi .

(4) I'^ Ep., c. VI : Zri).oi; âuYi».0Tpîw(T£v yaïAîTà; àvôpôiv. Ed. Funk, E. 70.

- 21

entre autres le flag^rant délit de haine du genre humain (1). Ce dernier grief ne leur est cependant pas particulier, et après saint Paul, Tacite l'avait déjà dénoncé ailleurs, comme caractéristique des Juifs (2j. Aussi n'y a-t-il qu'une preuve de la confusion des tendances juives et chrétiennes dans l'idée de la jdupart des contemporains. Seulement, comme pour l'instant on faisait moins des procès de tendances que des exécutions sommaires, les Juifs avaient une garantie individuelle qu eux seuls pouvaient invoquer, leur nom même reconnu par l'auto- rité, et nulle part on ne voit qu'ils aient été impliquée dans les sup- plices des chrétiens. Les chrétiens, eux, n'avaient aucune qualification légale, ni bonne ni mauvaise, a l'origine. Lorsqu'ils lurent poursuivis, la procédure, d'après Tacite, se borna à obtenir un aveu ; après tout, on ne leur demanda ni s'ils avaient brûlé Rome, ni s'ils haïssaient le genre humain, mais simplement s'ils étaient chrétiens. Fatehanlur, voilà leur crime fondé sur le caprice cruel du prince et les calomnies perfides des Juifs. Ces calomnies et ce caprice cessèrent-ils avec l'oc- casion qui leur avait servi de prétexte? Ainsi se pose en résumé la ques- tion. D'abord, il serait inouï qu'il n'en fut pas resté quelque chose. Ensuite, Suétone ne rattache nullement la persécution des chrétiens à l'incendie de Rome; il en parle, au contraire, parmi les institutions du règne de Néron, et Ruinart a raison d'insister sur ce point (3). D'un autre côté, Sulpice Sévère, qui, à la fin du quatrième siècle, se servait d'un exemplaiie complet de Tacite, après le passage relatif aux sup- plices où il le copie (4), ajoute : Hoc initio in christianos sœvirl cœp- tum. Post etiam datis legibus relifjio vctahatur : palamque edictis propoaitis, christUnuim esse non licehat. Tum Pauhis ac Petrus ca-

(1) Jy/»., 1. XV, c. M.iv : Taiiquj'iii non nlilil:ile pul)lica aljsnnurentiir... liaud perinde in criinine incendii qnain odio liuniani ijeneris convicti siint.

(2j Hisi., I. V, c. V : Apud ipsos fides ()l)stinata, misericordia in promptu, sed adversus omnes alios hostile odiuni. /'* Ef. nm Tlusmlonicivns, c. ii, v. 15 : Kai

(3) Prœfalio grneralis in Acta mnrhjrum, ^ lU, 26 (éd. de Ratisbonne, 1859). C'est du reste l'expression même dont se sert Tr:nTt;Li,iEN, .idnai., \. \, c. vu : Et tamen per- mansit, erasis oninil)us, hoc solnm institntiim Neroniannm.

(4) « Ca'terum illnd non pii-jeljit faleri me .. nsnm esse historicis elhnicis, afque ex his, qu.T ad snpplementum cof^nitionis deerani iisnrpasse », di(-il au dél)uf dn

livre \" de sa Chronique.

25

pitis damna ti; quorum uni cervix gladio dcsecta, Petrus in crucem suhlatus est[\).

Il est difficile de comprendre ce texte, avec Overbeck, comme se'pa- rant la perse'cution de Ne'ron de celles de ses successeurs. Le sens obvie est que les exe'cutions, ordonne'es d'abord arbitrairement par l'Empereur, s'effectuèrent ensuite d'après un ordre constant, et qu'à cette seconde pe'riode appartient la mort de saint Pierre et de saint Paul. Nous ne pre'tendons pas que les apôtres fussent nomme's dans Tacite; mais nous voulons faire remarquer que si Sulpice Se'vère parle d'une mesure plus géne'rale, rien ne nous prouve qu'il n'a pas em- prunté ce renseignement à l'historien profane (2), car depuis le milieu del'anne'e 67 jusqu'au 9 juin 08 les manuscrits des Annales nous font de'fant. Etant admis que le mot d'e'dit est impropre en cette occasion, encore faut-il savoir jusqu'où pouvaient s'étendre les mesures admi- nistratives, et si la police impériale n'avait aucune ramifications en dehors de la circonscription urbaine (3). Oi' du préfet du prétoire dépendaient des agents secrets dans tout l'empire (4); c'était un in- strument tout indiqué contre les chrétiens. 11 fut naturellement mis en action surtout ceux-ci étaient plus nombreux, en Asie, par exemple. A quelle marque devait-on reconnaître ces coupables signalés aux recherches? Il n'y en avait qu'une, le nom même qu'ils se don- naient. Paul Orose, malgré son exagération notoire, ne semble pas

(1) Chiou., I. n, C. XXIX.

(2) Est-ce Tacite que Tertiillien avait lu? Scoip., c. xv : Vitas Caesaruin lej^imus , orienteui fidem Koma^primus Nero cruentavit. Tune Petrus ah altero cin;;itur. Tuuc Paulus, etc.

(3) On n'ignore pas que la juridiction criminelle en Italie appartenait au préfet de la ville jusqu'au centième mille de Home {f)i</., liv. I, lit. XII, frag. i, § 4i, et au delà au préfet du prétoire.

(4) Epictète, qui vécut à Rome s .us Néron et sous Domitien, témoigne, Diss., 1. IV, c. xm, 5, que des soldais habillés en l)ouri',eois (sv a^^rjuan iouotixw) servaient d'agents provocateurs. Les milites frumeiUarii sont connus. M. Dksjardins, Mém. de l'Acad. des inscr., t. XXVIII, If part., p. 278, ne met pas en doute que ces peregrini, devenus a\n&\ fiuincntarii, après un séjour plus ou moins long à Rome, fussent en- voyés ensuite dans les provinces avec un service de police >. Philostr.vte, lie d'Apollonius, 1. IV, C xLiii, dit du préfet du prétoire de Néron, Tigeilinus : IlEpiriOpîi Tcàcriv ôî^Qa).[J.ot; ôuôaoi; r, àp;^/] p>é7:£t. Cf. I)io\ C\s.sii;s, 1. LU, c. xxxvii ; mais l'empereur Caracalla fit relever de lui seul : xoù; çTpaTiwTa; wTazouorToOvTa; xat SiouTEÛovxai;. Ibid., 1. LXXVII, c. xvii.

2G

s'ëloignei' de la vëritë lorsqu'il fait porter la persécution sur le nom chrétien (1). Et c'est ce qu'exprime naïvement lîermas quand, dësi- {j^nant dans une de ses visions les martyrs, il demande (2) : « Qu'ont- ils eu à supporter? Écoute, lui est-il rëpondu : le fouet, la prison, les tribulations les plus grandes, la croix, les bêtes féroces, voilà ce qu'ils ont souffert à cause du nom; voilà pourquoi la droite leur appartient dans la gloire, à eux et à quiconque souffrira à cause du nom; la gauche est pour les autres, «

Les disciples, du reste, en avaient été prévenus par leur Maître (3) : « Alors vous serez livrés à la tribulation, et ils vous tueront, et tous les peuples vous haïront à cause de mon nom. » Ce nom s'est retrouvé sur une muraille à Pompëi, il n'était assurément pas pris en bonne part (4) ; malheureusement le reste {\\\grnf/ito n'a pu être déchiffré d'une manière certaine (5). On a fait un crime à M. de Rossi de voir, par conjecture, dans cette première mention des chrétiens par une main païenne, un écho de la persécution de Néron (G). Cependant l'Italie, qui n'avait pas de gouverneur, n'était pas soumise à un autre régime que celui de Rome, et l'on sait que l'Empereur fréquentait en parti- culier les bords du golfe deNaples. D'ailleurs, la présence constatée à Pompëi d'une synagogue influente (7) est très-apte à expliquer cette hostilité. M. Aube est d'avis, il est vrai, que les .hiifs n'ont eu le

(1) Hht., 1. VU, c. vu : (Nero) primus Roin?e christ ianos suppliciis et niortil)iis affecit, ac per omnes provincias pari perseciilione exrruciari imperavit; ipstimqiie nonien exslirpare conatus beatissimos Christi apostolos, Petriiin criice, l'aiiliim gladio occidit.

(2) Past., lis. IIi, c. II ; Tt, çr|[x(, ÛTtriveyxav ; axoue, çriat'v [xaaTi'yaç, çy),ay.i?, 0).ii|/£t; |j.eYâ).aç, ffraufoûî, Or^pia eïvexev toO ôvôfjiaTo;' ô'.à toûto exei'vwv ecttIv SëEià \>.içy\ toO âY'XTI^XTo; xxl îî Èàv ;raOr) Sià ro ôvojj.a' twv ôe ).oitc(3v àp'.ijTEpà [iépr, Èaxîv. Éd. Funk, p. 35i.

(3) Saint Matthieu, c. xxiv, v. 9 : Tôte TtapaSwTOJTiv ôiiâ; eiç 6>.!i}/tv xai àiro- XTEvoOTtv -jijiàç x-^l eireirOs |iiiToû[j.Evot Ottô irâvTwv twv èOvwv ôtà ôvofix |xou.

[\) M. DE liossi, liull.. l8Gi, p 93, dit qu'à lui personnellement il ne reste aucun doute à cet éfîard, mais il ne prétend empêcher qui que ce soit de douter, ainsi qu'à tort le donne à entendre M. Aube, Hist. desperséc, p. il8, en note.

(5) Corp. inscr. lat., v. iv, n. G79.

(G) Hu/l.. 186Î. p. 72, et ISGrj, p. 93. Cf. le mémoire de M. Aiiu': sur la Ugnlitc duchns- linnisme nu premier siècle, présenté à l'Académie des inscriptions en I86G, et reproduit dans Vf/i.st. desperséc., p. 407-439.

(7j Kull., 1864, p. 70, est cité leprinceps liberttnoriim appuyant une candidature à

édilité.

27

pouvoir, ni peut-être même le dessein d'attirer le me'pris et Texe'cra- tion publique sur les chre'tiens (1). Mais saint Justin affirme le con- traire quand il leur reproche d'avoir envoyé' de Je'rusalem des mes- sagers par tonte la terre, charge's de répéter que la secte chrétienne était ennemie des dieux, et d'avoir mis en circulation les accusations que reproduisaient contre ses membres tous ceux qui ne la connais- saient pas ; il les rend ainsi responsables, non-seulement de leur propre injustice, mais encore de celle des autres hommes, et leur applique cette parole tirée d'Isaïe : C'est par vous que mon nom est blasphémé chez les gentils i2). A son tour Tertullien, s' adressant aux gentils de son temps, leur cite un exemple tout récent de ces calomnies dont la race des Juifs, dit-il, est la pépinière (3).

Pour résumer en quelques mots l'impression que nous laisse la per- sécution de Aéron, nous répéterons que les Juifs ont désigné eux- mêmes à l'Empereur les victimes sur lesquelles il devait exercer sa cruauté, sans que le monde officiel eut encore appris à reconnaître dans les chrétiens autre chose qu'une secte juive mal vue de leurs coreligionnaires. Les dernières luttes du peuple d'Israël et les relations qui naquirent de entre les vainqueurs et les vaincus laissèrent appa- raître plus nettement la distinction, qui ne fut complète que sous Domitien. Mais, outre la prise de Jérusalem par Titus, nous avons à noter deux circonstances importantes pour le christianisme, le chan- gement de dynastie dans la personne de Vespasien, et la conversion à la foi nouvelle de plusieurs membres de sa famille. Prenons ces trois faits dans leur ordre chronologique.

L'année C9 avait vu la mort des trois augustes Galba, Othon, Vitellius, et dans la prise du Capitole qui précéda la fin de ce dernier, 18-20 décembre, périt aussi le préfet de Rome, T. Flavius Sabinus, qui se trouvait avoir déjà occupé la même charge, lors du grand incendie de G4. Tacite nous le dépeint comme un homme doux, ennemi

(1) Mémoire cité, p. 411.

(2) Dial. c. Tryh., c. xvir, éd. Otto, p. 62 : Kat otxaîw; Poà 'Haa-'a;' A-.' ùaà; ôvofjiâ (J.OU (iÀa(7;r,[j.îÏTat èv toi; sÔvîti.

(3) Ad nat., 1. I, c. XIV : Et credidif vulgus .ludaeo : quod enim aliiid genus semi- narium est infamiae nostrae?

28

des exécutions et des meurtres; à la fin de sa sa vie, dit-il, quelques- uns le crurent sans courage, le plus grand nombre, modère' et ménager du sang des citoyens (1). Un tel homme ne paraissait pas fait pour s'acharnera la persécution, si d'ailleurs elle n'avait e'te' interrompue par les troubles politiques. Il est remarquable que nous allons ren- contrer des chre'tiens parmi ses descendants, tandis que le chef de la seconde branche flavienne, son propre frère Vespasien, va monter sur le trône.

Tacite (2), Sue'tone (3), le juif Josèphe, qui justifie son nom de Flavius {4}, s'entendent pour montrer dans cet e've'nementlare'alisation de la croyance répandue alors en Orient que des hommes partis de la Judée devaient conquérir le monde. En ce temps de compétition politique, les aspirants au pouvoir étaient heureux de faire tourner à leur profit les bruits populaires. Ainsi ne faut-il pas s'étonner que Vespasien, encore simple général, ait rendu hommage à un culte local en allant sacrifier sur l'autel du mont Carmel (5) au moment il était chargé de châtier les Juifs révoltés. 11 quitta bientôt l'armée pour prendre possession du pouvoir, et ses flatteurs crurent donner raison à l'oracle. En partant, il laissait à son fils le commandeuient de cette guerre, qui favorisa indirectement l'Église chrétienne par l'anéantisse- ment de la nationalité juive.

Ce fut dans l'automne de 70 que Titus s'empara de Jérusalem.

(1) Hist., 1. III, c. Lxv et Lxxv . Miteni virum abhorrentem a san{;uine et caedi- bus. In fine vitae alii segnein, inulti inoderatuni et civiiim sanguinis parcum cre- didere.

{2) Hift., I. V, C. XIII : Pluribus persuasio inerat, antiquis sacerdoliim lilteris con- tineri eoipso lenipore fore ut valesceret Oriens, profeclique .liida-a reruiii poliren- tur : qua- ainliages Vespasianiiiii ac Tiluin pra'dixeral .

(3) l'espas. vit., c. IV : rercrel)iierat Oriente toto velus et constans opinio, esse in fatis ut eo Icinpore Juda'a profecli rerum potirentur. Id de iinperalorc lioinano, quantum pnslea evenlu paruit, pra-diclum.

{■i) licll. Jud., I. VI, c. V, 4 : 'Ilv XpriijjjLÔ; àpL^i'ôo^o; ôjjloîo); bi toï; kooti r|ûpr||j.£vo; Ypa!J.(j.a7iv ôj; xaià tôv xaipôv èxetvov kno tyj; x*^P«î '^'î aOtôiv apEet Tfj; oixo-jp-Évr,;. 'Eôvou S' apa Ty;v OÙEaTraffiav&O J.ôyiov rjeiioviav àTioOEiyOivTo; £7tt 'loyÇaia; avTO- xpâtof-o;.

(5) Tac, Hist., \. n, c. Lxxvm : Est Judapam inler Syriamque r.arnu'Iiis, ita vocant montem, deumquc : nec simulacrum dco, aut tcmpluin, sic Iradidere ma- jores, ara taiilum el revcrentia. Cf. Slkt., l'espas. vit., c. v ; Apud .luda'am carmeli dei oraculum consulenlem.

29

M. Léon Renier (1) nous a présente', d'après Josèphe et les inscriptions, les officiers qui assistèrent au conseil de guerre tenu devant celte ville au moment de livrer le dernier assaut. Sulpice Sévère (2), reproduisant un passage de Tacite que l'on dirait composé sur les notes d'Antoninus Julianus (3), aide de camp de Titus, attribue à ce dernier l'avis de la destruction du temple pour frapper plus au cœur les sectes juive et chrétienne. A ses yeux, en effet, celle-ci était un rejeton de celle-là, et le coup poi'té à la racine serait mortel au tronc. La distinction légalement définie des deux religions n'existait donc pas encore; cependant leur antipathie était connue sans qu'on crût devoir en tenir compte. De même qu'elles avaient paru associées dans la haine du genre humain, de même Titus prétendait les confondre dans la révolte, et par suite dans le châtiment. Il se trompait pour les chrétiens, à la foi desquels il rendit sans s'en douter un éclatant témoignage, et qui d'ailleurs ne se trouvaient plus à Jérusalem (4). Les troubles et les schismes qui déchiraient cette ville, prédits par J\otre-Seigneur(5), avaient été pour eux le signal de la retraite dès 68. C'est un fait curieux que l'émigration de l'Eglise de saint.Iacques, ou plutôt de saint Siméon, son successeur, à Pelia au delà du Jourdain (G). Déjà son

(1) Mvm. de V Acculèmie des inscriptions et belles-lettres, t. XXVI, première partie, p. 294.

(2) Chron., 1. II, c. XXX (le texte de Tacite n'existe plus au V^ livre des Histoires) : Fertur Titus adhibito consiiio prius délibérasse... at contra alii et Titus ipseever- tendum templum in prijnis censebant, quo plenius Judaeorum et christianoruni re- ligio tolleretur; quippe bas religiones, licet contrarias sibi, iisdem auctoribus pro- fectas : christianos ex ,luda?is exstitisse : radice sublata, stirpein facile periturani.

(3) Mi.NuciLS Félix, Octmius, c. xxxii : Scripta eoruni rele{;e, vel si Romanis magis gaudes, ut Irauseamos veteres, Flavii .loscplii, vel Autonini .Iuliani, de Juda'is re- quire : jam scies nequitia sua banc eos meruisse fortunam.

(4) ¥.vs.,Hist. eccl.,Uv. III, c.v, 3. C'est ce qu'oublieM.Diniv, écrivantdansson t. IV, p. 49, en note : » Même à Jérusalem, la communauté chrétienne était assez faible et obscure pour que .losèphe ne la cite pas dans lénumération des partis religieux existant dans la ville. Juste de Tibériade, qui avait aussi écrit une histoire du siège, ne paraît pas non plus l'avoir mentionnée. »

(5) Saint Matthieu, c. xxiv, V. 16-25 ; Tôts ol èv tv) 'louSata çeuyï'Twtjav èn\ ôpr). Jérusalem était citée à titre de leçon par saint Clément aux Corinthiens divi- sés, l'^Ep., c. VI : Zr/),oç xat epi; tto/.ei; |j.£Yà),a; xateaipE^'Ev -/.ai eàvr, (leyiXa è^epptÇioaev. Éd. Funk, p. 70.

(6j Dissertatio historico-theologica de Christianoruni migrutione in oppidum Pellam imminente Hierosolijmorum excidio, thèse soutenue à léna le 21 juin 1694, sous la présidence de J. Guill. Baïer, par J. J. Feuerlein, réimpr. en 1712, petit in-i", 30 p.

80

(levcloppciiieiit à l'oiiibre du temple lui avait imprimé un caractère |)arliciilier (1) et l'avait singularise'e pour ainsi dire entre les autres Eg-lises; ses membres, continuant à se recruter parmi les Juifs de nais- sance et d'observance, joignaient à une certaine fierté' d'origine l'esprit exclusif de leur race, même vis-à-vis des fidèles, dont ils furent souvent distingues par l'appellation de .Nazare'ens (2j. Tandis que saint Sime'on, suivi de quelques-uns, rentrait dans Jérusalem dévastée, les autres se transportèrent à Kochaba, au royaume d'Agrippa II, et l'éloignement ne fit qu'accroître ces tendances. Toutefois leur orthodoxie est attestée par le voyage qu'entreprit de chez eux, pour venir à Rome vers 150, Hégésippe, partout si curieux de la vérité apostolique.

Au troisième siècle, Jules Africain signale encore dans leur scindes ^ecjTrodûvoi OU parents du Seigneur, descendants de ces petits-fils de Jude, que Donatien fit venir à Rome (3) lorsqu'il se préoccupa de rechercher tous ceux qui étaient issus de la race de David. A la vue de leur pauvreté et de leurs mains durcies par le travail, et sur la réponse que le royaume de Jésus-Christ n'était pas de ce monde, les soupçons du nouvel Hérode s'évanouirent, il se moqua d'eux et les renvoya en Palestine sans leur faire de mal. Une fantaisie du même genre amena vers la même époque (4j devant lui saint Jean, qu'a- vaient pu désigner ses relations personnelles avec le Sauveur. 11 est d'ailleurs incontestable que ce dernier survivant des apôtres jouis- sait d'une grande influence dans les différentes Eglises de la pro-

(1) Voir plus haut, pajje 4, note 4.

(2) Un (le leurs livres, le TisUiment des XII ■patriarches ou JîU de Jacob, représenlc la mission de saint Paul chez les {ïentils comme la compensation du territoire qui manquait à la tribu de Benjamin.

(3) IIkcésippe les nomme Zocher et Jacques dans un frafjment (ed loan cramer, m Anecdotit Grœcis, vol. \\, Oxford), 1839, p. 88). Cf. la citation de ses commentaires, Hisl. eccL, liv. III, c. xix et .\x.

(4) Tertullien, De prascr., c. xxvi, place après ceux de saint Pierre et de saint Paul le martyre de saint .lean à Home : Ubi aposlolus .loannes, posteaquam in oleum igneumdemersus nihil passus est, in insulam relegatur. Svint .If.rome, .Wp. /o»/nifl«., c. XIV, veut que par lu, ce fait soit rapporte au rèf^ne de Néron: mais ailleurs, lui-même nomme Iiomilien. Ceux qui adoptent la première opinion attribuent l'exil de Patnios aux maî(islrats municipaux d'Kplièse: Oiu(;i;m; rependant l'attribue à un empereur romain, sans spécifier lequel (Com. in Mai., i. \II,§ 2;. (juani à saint .Ievn, Apoc, c. I, V. 9, il dit seulement : 'EyevôixriV èv ty] vriaw tt) xa"/.oyp.ivT] Ilâtjxw ôià Tov Xôyov ToO t)£OÙ xal Sià Trjv [xapTyç-i'av 'Ir,(jû-j XpiatoO.

31

vince d'Asie. L'épreuve de la chaudière bouillaDte, que la tradition lui fait subir, re'pond assez à un passage d'une lettre de Se'nèque, le philosophe proposait ce genre de supplice pour quelque esclave (I). Saint Jean, eu ayant triomphé, ne rentra à Ephèse qu'après avoir été soumis à la relégation dans une île (2j, peine équivalente à notre bannissement.

Titus, les délices du genre humain, ne s'était pas montré si doux vis-à-vis des Juifs révoltés ; il faut lire dans Josèphe, qui n'est pas suspect de partialité en faveur de ses compatriotes, l'évaluation des victimes de la guerre et du siège, ainsi que le récit des massacres qui accompagnèrent la prise de la ville, et dans lesquels furent enveloppés un grand nombre d'étrangers au pays venus pour célébrer la pâque. Toutefois la situation légale de leurs coreligionnaires restés au dehors n'était pas changée, et Titus, par exemple, refusa d'accéder au désir des habitants d'Antioche (3j qui voulaient expulser les Juifs de leur ville, conduite diamétralement opposée à celle que devait tenir Maximin, après la dernière persécution de Dioctétien, au sujet d'une requête analogue contre les chrétiens (4). Une seule mesure fut prise par Vespasien, qui s'étendit à tout l'empire, et qui consista à faire acheter aux Juifs la continuation de la reconnaissance de leur culte fondée sur les édits de ses prédécesseurs. Ils durent payer annuellement au

(Il Ep. 86 ad Lucil. : Non hai)c (balnei lemperaturaiu) qiiae nuper inventa est si- milis iiicendio. aileo qiiidein ut convictuni iii aliqiio scelere serviim viviiin lavari oporteat. Autémidore parle d'une femme brûlée dans la chaudière publique destinée à cet usage, Oneirocrit., liv. V, c. xxv.

(2) D., liv. XLVHF, tit. XH. fr. xiv, § 1 : Magna dift'erenlia est inter deporlatio- nem et relegationem; nam deportatio civitatem et bona adimit, relegatio neutrum tollit, nisi specialitcr bona pulHiceiitur. Fr.vi, § 1 : Deportandi autem in insulani jusprsesidijjusprovincia' non est dalum, licet praefecto urbi detur. Fr vu, § 1 : In insulam relegare pra'sides provincial p issunt. Mais cela ne veut pas dire que les municipalités, même des civituies lilnrœ, comme Éphèse, eussent le droit den faire autant. Lors du tumulte suscité par l'orfèvre Demetrius contre saint Paul, qu'in- dique le secrétaire de la cité? Jict., c. xix, v. 38 : 'Ayopaîoi à'yovTai xal àvOjTiaxoî eî-jiv. C'est aussi la compétence du proconsul, qu'établit en un cas analogue le res- crit d'Hadrien au gouverneur de la province d'Asie.

(3) Bell. Jud., liv. VII, c. v, 2 ; SuveyYiç o y;v aJTwv Ttapà Tiirra; «(i.a xà; £03ï];xtai oir^ij'.c. cxêx/Etv xf), Tzh'nMc, roù; 'louoai'o'j;. Ils n'avaient donc pas le droit de le faire par eux-mêmes; or, c'est précisément à cette époque que Pline l'Ancien écrit, Hi$i. nat., liv. V, § 79 : " Antiochia libéra. »

(4) ElsÈbe, Hist. eccL, I. IX, c. ii.

32

Capitole la contribution du didrachrae dont ils étaient redevables au temple de Je'rusalcm (1). L'empereur romain, qui e'iait en quête d'im- pôts nouveaux, comptait trouver une mine abondante. L'impôt du didrachme, en effet, n'était pas payé seulement par les .hiifs de nais- sance; les prosélytes concouraient aussi à cette offrande (2), et ils étaient nombreux. On les divisait en deux sortes (3) : les prosélytes de justice, qui ne différaient des Juifs purs que par la naissance et par l'incapacité de remplir certaines charges, et les prosélytes de la porte, qui n étaien^ pas astreints à la circoncision, ni aux autres rites mosaï- ques, mais seulement à ce minimum de préceptes, presque abso- lument le même que celui qu'exigeait le concile de Jérusalem d< s gen- tils convertis au christianisme. Les Juifs, nous l'avons montré ample- ment, étaient loin de prendre les chrétiens pour des prosélytes, mais le nouvel impôt devait faire envisager les choses sous un tout autre aspect au gouvernement impérial. Sans doute, à l'origine, tout ce qui n'était pas juif de naissance put chercher à échapper à la contribution et y réussir pendant quelque temps. Mais avec Domitien il n'en fut plus de la sorte. Suétone (4) cite comme exemple de la tyrannie de cet em- pereur la rigueui' avec laquelle fut poursuivie sous son règne la ren- trée de la taxe du didrachme par le fisc, qui s'en prenait, dit-il, tant à ceux qui, sans s'être fait inscrire, suivaient la mode juive, qu'à ceux qui, dissimulant leur origine, n'acquittaient pas la contribution levée sur leur nation. Dans la première catégorie, il y avait évidemment un certain nombre de prosélytes : n'y trouvait-on pas aussi les chrétiens?

(1; Bell. Jud., liv. VU, C. VI, G : <I>ô&ov Se toï; ottou o>î tiot' oSijiv 'loyôat'oi; iniè(x\t ùvo Spaxf-àç ExaiTOv xe^eûdaç àvà ;râv ëtoî el; KaTiexwXiov 9cpEiv, waTtep Tipôtepov £t; TÔv èv 'JepoffoXûjj/n; vswv <jyveT£),oyv. Cf. Dion, Epist., liv. LXVI, c. vu Kal vOv 'louôat'wv mç'jLyy.w a'jxoïç t£).oûvtwv, dit Okigkne, Kp. ad Africnn., c. xtv, rappe- lant combien à ce prix le fjouverneinent des Romains leur laissait d'autonomie à Alexandrie de son temps. Voir aussi .\ppii;\, -fj/r., c. l.

(2) .losKPnr, .î«'. Jud., liv. \VIII,c. m. 5, raconte l'histoire d'une illustre prosélyte de lionie nommée Fiilvic, qui envoyait de la pourpre et de l'or ;iu temple de Jéru- salem, ( t dont les offrandes détournées furent l'occasion de l'expulsion des Juifs sous Tibère.

(3) M\M.iCiil, Origines et mitifjiiitfitcs chrisliunœ. t. I, p. 7.1 (Rome. 1719).

(4) Domit. rit., C. xîi : Pra'tcr ca'Ieros Jiidaiciis fiscus acerljissime actus est : ad qucm deferebanlur, qui vcl improfessi Jndaicam viverent vitam, vel dissiinulala oriyine imposita genli tribula non pependissenl.

33

Assurément ils ne devaient pas l'impôt; vu la proportion rapidement pre'poude'rante parmi eux des gentils convertis (1), ds avaient cesser de très-bonne heure de payer le didrachmeau temple (2). Une collecte au profit des pauvres de TEglise de Je'rusalem, telle que nous voyons saint Paul la faire avec soin (3) à Antioche, à Corinthe, dans la Ga- latie et dans la Mace'doine, en tint lieu. D'ailleurs les Juifs e'taient pour exclure leurs ennemis du be'néfice de la reconnaissance le'gale, qui à leurs yeux compensait largement un impôt odieux. Aussi bieo la de'claration n'e'tait guère satisfaisante pour la conscience chre'- tienne. Mais en même temps que les chre'tiens ne faisaient pas de dé- claration {tmprofessi), ils rentraient dans la catégorie de ceux qui, au jugement des païens, suivaient la mode juive. De des diffi- cultés multiples de perception. Comment fallait -il traiter ces hommes réunissant d'une part, toutes les apparences du judaïsme, et de l'autre, se proclamant étrangers à la synagogue (4)? Le gou- vernement, qui devait se refuser d'abord à admettre la distinction, fut obligé de se rendre à l'évidence, et pour la première fois, la ques- tion de la légalité du christianisme se posa juridiquement devant lui. C'est ainsi qu'on peut comprendre l'assertion émise par Voltaire (5) : " Aucun des Césars n'inquiéta les chrétiens jusqu'à Domitien. Dion Cassius, ajoute-t-il, dit qu'il y eut sous cet empereur quelques personnes condamnées comme athées et comme imitant les

(1) Saint Justin, / Apol., c. lui : nXeîovài; ts xai xkrflen-téçiovc toù; èÇ èQvûv tûv aTrà 'iouSaîwv xat Ia[Jiap£tov yptaTiavoû;. Éd. Otto, p. 142.

(2) Jésus-Christ Tavait payé pour lui et ses apôtres, tout en les eu déclarant affran- chis. Saint Matthieu, c. xvii, v. 24 et suiv. : llpoayj/Ôov ol ôîôpaxna >a[j,gàvovx£ç Tw IlÉTpw y.at eTttov, 'O ôtôàaxaXoç û|j.àjv teXeT 6iopa-/[jia ;... "Iva [li] (7xav6a),tc7a)iJ.sv aùxoû;,... ôôi; aùxoî; âvx' £(j.oû xal aoO.

(3) Epît. aux Galiites, c. il, V. 10 : Môvov Se xwv ttxw/wv ïva |J.vr|[;.ov£Ûa)[X£V o xai £ff;toûôa<ja aOxo xoOxo Tioivic^at. Cf. Actes, c xi, V. 30; 1 Epit. aux Corinth., c xvi,V. 1; // Epit., c VIII, V. 1 et 4.

(4) M. DuRUY, t. IV, p. 236, en note : « Cependant un crime nouveau était inscrit au code, celui de judaïser, ce qui conduira à en établir bientôt un autre, celui de christianiser, et dans quinze ans cela sera fait. »

(5) Essai sur les mœurs, c. VIII, De l'Italie et de l'Église. Cf. BAUDOUIN, Commcn- larii ad edicia, etc., p. 25 : Nero aliud quoddain criinen confinxerat abs reliyione alienuin. Domitianus agit apertius, christianos eniin non alio nomine quam quod christiani siut in jus capitisque judiciura vocat.

3

34

mœurs des Juifs. 11 parait que cette vexatiou, sur laquelle ou a d'ail- leurs si peu de lumières, ue fut ni lougfuc, ni {je'nérale. On ne saitjtre- cise'mcnt ni pourquoi il y eut quelques chrétiens bannis, ni pourquoi ils furent rappele's. «

Le texte auquel il fait allusion est justement celui qui nous fait conuaitre le troisième point dont nous avons sig^nale' T importance, l'introduction du chrislianisme dans la famille impériale : " En 95, Domitien fit pe'rir un grand nombre de personnes parmi lesquelles Flavius Clemens, consul de celte aunée, quoiqu'il fût son cousin, et de plus son allié par sa femme, Flavie Domitille. Tous deux furent accusés d'athéisme, et pour le même motif beaucoup d'autres , qu'a- vaient séduits aussi les mœurs juives, furent punis les uns de la mort, les autres de la confiscation. Domitille fut seulement reléguée dans l'ile de Pandatarie (1). ^^ C'était la propre nièce de Domitien (2), comme nous l'apprend une inscription elle est appelée petite-fille de Vespasien (3) :

{Flavia Doniitilla) FILIA FLAVIAE DOMITILLAE {dici? Vespasi) ANI NEPTIS FECIT

L'historien païen (4) qu'Eusèbe cite sans le nommer dans son His- toire ecclésiastique, 1. 111, c. xvni, mais dont il donne le nom dans sa chronique, confirme les rigueurs de la persécution : Scrihit Bruttius plurimos christianorum sub Domitiano fecisse martyrium (5)^ inter quos et Flaviam Domitillam, Flavii démentis consuUs ex sorore neptem, in insidam Pontiam relegatam quia se christianam esse tes- tata sit. Saint Jérôme, dont nous avons reproduit la traduction latine,

(Ij Efll., I. LXVIl, C. VIII : 'E7rvî/6y, ôà àiAçioiv i'yxyofAa à'Jcô'niTo; 0?' r^z, xai a).).oi Tôjv 'Irjuôai'trtv f,8r] £5oxé),),ovT£; 7io),),ol xaieSixàffOyiirav xat ot (lèv àuéôavov, ol ôè Tôiv yoOv oiiaiwv è'jTepïiOyjTav r, ôè Ao(AiTt/.).a uTieptopîaôiri \i.wv^ eî; llavôaTÉfiSiav.

(2) PuiLOSTKATE, VU. AiwUon , I. VIll, C. xvv : AoaETiavo; ët'j/£ K).intA£vTa àne- Tovtb;, avôpa ùnàtov (Ij ttiv àôî^çifjv xrjv éayxoù èôù)X£i. U faut lire : tviv àG£),yiôriv.

(3) Corp. inscr. lat., vol. VI, n" 948. Cf. le Bull. 1865, p. 21, de M. de Uossi.

(4) MULLER, t. IV, p. 352 des Fragmcnla historicorum Grœcorum dc l'édit. Didot, a re- fusé de l'insérer sous prétexte qu'il était chrétien.

(5) Cf. Chion. paie, édit. lîonn, p. 468 : 'i'jTOf/£r ô BpoOrTio; no).lo\);y_^ia-c\.'xyo\Ji xarà tô' ËTo; Ao|j.£TiaMoO iJ.£|j.apvjpr|X£vat. Saint Jérôme, Chrun. ann. .\brah. 2112; Epitl. XXI JI, ad Ëmlochium.

parle ailleurs de cette même île qui, de son temps, était visitée pour ce souvenir : Delà ta est Paula citm filia Eustochio ad insulam Pon- tiam quam clarissimœ quondam feminarum sub Domitiano principe pro confessione nominis christiani, Flaviœ Domitillœ , nobilitavit exsilium. Cette île et l'île Paudatarie, pour être voisines, n'en sont pas moins différentes (1) : toutes deux servaient de lieu de bannissement. Y a-t-il donc eu deux Fia vie Domitille? M. Aube (2) n'admet que cellb de Dion Cassius et préfère mettre une erreur au compte de son abré- viateur, le moine Xiphilin. Mommsen (3), sacrifiant à la fois celle de Dion et celle d'Eusèbe, en avait imag^iné une troisième. M. de Rossi (4) a maintenu contre les deux opinions la tradition ecclésiastique formelle des Flavie Domitille distinctes.

Nous aurons occasion de revenir sur la question.

Ce que l'on ne peut nier, c'est que le christianisme avait pénétré dans la famille impériale, et, chose plus étrange, Domitien lui-même allait le faire monter sur le trône par l'adoption, que rapporte Sué- tone (5), des deux fils de Flavius Clemens et de sa nièce, élèves de Quintilien (C). Ils disparurent sans doute avec leur père dans la tour- mente qui marqua la fin du règne, et à laquelle Tacite félicite Agricola de n'avoir pas assisté, tôt consularium cœdes, tôt nohilissiniaruin fe- minarum eœsilia et fiigas (7). Assurément l'historien a en vue de nobles victimes, telles que Fannia, Arria, Gratilla, Herennius Se- necion, Helvidius Priscus, mais il serait puéril de croire qu'il oublie les propres parents de l'empereur.

(1) Strabon, I. V, c. iir, 6 : Aôo vi^aoi Ttî/àyiai, llavoaxapta |xai HovTÎa, (xixpal [xÉv, olxoij(A£vai ôè xa).à)ç, tto/ù au' à)).r;/.tov OKi-/o-oa'XK, Trj; r)7T.'!pou ôè TiEVTi^JcovTa iTti Totç ôiaxofftoi; (crraSîotç) , 13 lieues environ de Terracine sur la côte.

(2) Hist. des posée., p. 178 et 429.

(3) Corpus, loc. cit. Dans la deuxième partie du vol. VI, qui doit paraître bien- tôt, Mommsen renonce à son système.

(4) BuUeltino, 1875, p. 69-77.

(5) Domii. vit., c. XV : Flavium Clementem patruelem suum, contemptissimse inertiae, cujus filios etiam tum parvulos successores palam destinaverat, et abolito priore nomiue, alterum Vespasianum appellari jusserat, alterum Domitianum, repente ex tenuissima suspicione tantum non in ipso consulatu inleremit.

(6) Inst. orat., liv. IV, C. i : Ouum vero raihi Domitianus Augustus sororis suae ne- potum delegaverat curam.

(7) Vit, AgricoL, c. XLV.

3.

36

u il y a en, selon M. Aube (1), sous Doniitien, une perse'cution très-violente : c'est la philosophie qui l'a souifeite. « On pourrait re'poudre avec M. Duruy (2j : « Comme sous JNéron, et par les mêmes causes, la pense'e lihre fut re'pute'e séditieuse ; le prince chassa de Rome les philosophes; il aurait voulu, dit Tacite, en chasser toute vertu et toute science. Doniitien u e'tait pas fou à ce point , et son de'cret d'exil n'était, vu la dureté des temps, qu'une mesure analofjuc à nos lois sur la presse." On ne nie point que Civica Cerealis, Salvi- dienus Orfitus, Acilius Glabrion (3) aient pu être condamnés quasi moUtores novarum rerum (Suétone serait disposée en penser autant de Flavius Clemens) (4), mais cela n'empêche pas l'empereur d'avoir frappé le judaïsme irrégulier il le trouvait, et il le trouvait pré- cisément chez les chrétiens (5). Une allusion curieuse à leur fausse situa- tion perce à travers le langage d'un contemporain. Epictète, expulsé avec les autres philosophes, s'était retiré à INicopolis (6); dans un entretien familier prenante partie l'un de ses disciples, il disait (7) : a Pourquoi jouer au Juif, puisque tu es Grec? Ne sais-tu point dans quelles circonstances on passe pour Juif, Syrien ou Egyptien?

(1) Hisl. des perscc, p. 182.

(2) Hisl. rom., t. IV, p. 229. MOMMSEN, Elude sur la vie de Pline le Jeune, p. 59 de la trad. Ch. Morel, qui a été revue par lauteur (Paris, 1873), dit de même : C'était une mesure de police succédant aux poursuites judiciaires. Toute celte persécution frappait l'opposition politique, qu'elle se manifestât dans la littérature ou dans l'enseignement. »

(3) Ce consulaire, d'après Dion Cassius, fut aussi l'objet d'une accusation d'athéisme, Baudouin, loc. cil., a raison de juger d'un souverain si soupçonneux : « Quanquam non solum religionis odio, sed et rerum novarum metu commotus fuisse. "

(4) Klopstock, Dcr Messias, chant x, V. 310, a de beaux vers pour le justifier de " l'oisiveté indigne de Rome " qui lui était imputée.

(5) M. Ars. Dahmkstetir, dans la Revue des éludes juives, \m\\ei-st^\.. 1880, signale un curieux passage d'un ancien récit relatif à saint Jean {AcUi .Ijjosiulorum apocnjpha, éd. Tischendorf, Lcipzi.ç, 1851, p. 267), les .luifs, afin de détourner les coups de Do- niitien, dénoncent eux-mêmes les chrétiens en ces termes : "Ecttiv /laivôv xai ?£vov eOvo;, (xiQT£ toï; étépoi; ëOvEaiv ÛTraxoOov, (xr/te Taî; 'louSaîwv 6fir,(ïxeîat; cruvEyooxoOv, à7r£ptT[j.ïiTov, aTiivOptoTTOv, àvofxov, oXout; otV.ouc, àvaTpsTCfjV, avOpwuov Wsov xaTayy£>),ovT£;.

(6; Aulu-Gi:lle, A'oci. allie., 1. XV, c. xi : Qua tempestate Epicietus quoque philo- sophus, propter id senatusconsultum, Nicopolin Homa decessit.

(7) Biss., 1. II, c. IX, 20 : Tt ÛTTOxpîvr) 'louôatou; wv "EXV/jv ; Oùy^ ôpà; tïw; ïxacrro; ).£YeTat 'louSaïoç ; tiwç lûpoç ; Ttw; AlyÛTTTio; ; xal Stav xivà è7îa[jiçoT£p(ÇovTa £i'ôw(X£v, eltô6a[j:£v XÉ^eiv, OOx £C7Tiv 'louSatoî, à)X ÛTioxpîvETat ' ôtkv 6' àva)à6irj TrâOoç toû fΣêa|jL;i£vou xaî y)p-/i|ji£vo'j, tôte xai Efftt Toi ôvxt, xat xa).£ÏTai 'louSaïo;.

37

Quand nous voyons quelqu'un embarrasse, nous avons coutume de nous écrier : Il fait le Juif, mais il ne l'est pas. Celui-là en porte le nom, et l'est re'ellement qui a l'esprit du baptise' et du ne'ophyte. » Cette distinction en effet avait alors la plus grande importance.

Mais, reprend M. Aube' (1) : 'i L'adhe'sion au christianisme fut taxe'e d'impie'te' , c'est-à-dire de crime de lèse-majeste'. » Ici il confond le crime de lèse-majeste', terrible instrument entre les mains des de'la- teurs, avec le crime d'athe'isme qui fut le pre'texte de la perse'cution. Dion Cassius distingue les deux choses : d'une part l'aasoa'x, dont il marque la suppression par Vespasien et Titus, et le re'tablissement par Domitien, d'autre part l'EyxXriua àOsoTYi-oç, invente' par cet empereur. Lorsque l'historien met au nombre des premiers actes de Nerva la suppression des crimes d'impie'te' et de vie judaïque, il se'pare plus clairement encore l'accusation politique de l'accusation religieuse, out' àdEëciaç, ouT 'louoaixoîi piou (2). Ccllc-ci Constituait un grief à part ; on possède une monnaie du vieil empereur avec l'exergue : Fisci Judaïci calumnia suhlata (3).

A partir de ce moment, les Juifs cessèrent de voir soupçonner la le'galite' de leur existence, tandis que celle du christianisme devenait ille'gale. De'sormais , il sera de moins en moins exact de conside'rer la religion nouvelle comme croissant à l'ombre d'une religion déjà bien connue et parfaitement licite (4), et l'Etat romain saura distinguer et

(1) Hist. desperséc, p. 424. Wieseler, p. 4 et 12, confond aussi athéisme et lèse- majesté, n faut en dire autant de l'arlicle sur Vespasien et Titus {Hilgvnfeld's Zeit- schrift. 1878, p. 492 et S.), de Gorres, qui du reste ne s'est jamais nettement expliqué au sujet de Domitien. Cf. Rudolf IIilgenfeld, même Zeitschrift, 1881, p. 310 : Die wirklichen .luden wurden nie von den Ileiden als àOsoi » bezeichnet ; dieser Vorwurf geht nur auf die Christen. ' Cela est vrai; aussi voulait-on signifier surtout que ceux-ci n'étaient ni .luifs, ni païens.

(2j Épit., 1. LWl, C. IX et XIX ; 1. LXVUI, C. i.

(3) EcKQEL, Doctr. num. vet., t. VI, p. 405. L'impôt du didrachme n'était pas aboli, comme le veut M. Albé, p. 196, puisqu'il existait encore du temps d'Orifjène, mais seulement les vexations qui en avaient signalé la perception pendant le règne pré- cédent. f:f Suétone, Doniit. vit, c.lxmi. IM. Duriy, t. IV, p. 712 (édit. iliustr), donne le revers de la médaille en question. S'il avait reproduit également la face, il au- rait vu qu'elle est de Nerva et non de Domitien, et il n'aurait pas écrit que la légende « rappelle les efforts du fisc déjouant les supercheries, calumnia y\\, ima;',i- nées par les .Juifs et les .ludaïsanls pour échapper à l'impôt '.

(4j Tert., Apol., c. XXI : Sub umbraculo insignissim^p religionis certe licitan.

38

punir le nom chrétien (1), sons Auguste, révèle' au monde sous Tibère, proscrit sous Néron, avant d'être jugé sous Domitien.

(1) Tert.. Ad. liai., c. VII : Principe Aufïiisto nomen hoc ortumest, Tiberio disci- plina ejus inuxit.sub Nerone dainnalio invaluit. Pline à Trajan, Kp. XCVII : Cogni- tionibusde chrislianis interfui niinquam. - Cette i{;norancc de Pline, dit C. de l\ Berge, dans son Kssai sur le règne de Trajan, p. 208, a fait penser à M. Aube qu'il n'y avait pas eu de persécution sous Domitien, mais la conclusion ne me parait pas ri- goureuse. Les exécutions ont pu élre faites par les niumriri capitales sans que la haute société s'occupât de ces criminels obscurs. » On sait qu'à cette époque le cé- lèbre avocat fuyait plutôt le barreau; comment d'ailleurs son attention ertt-elle été attirée par ces sortes de procès d'où la plaidoirie était absente?

DEUXIEME PARTIE

RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN DE 96 A 180

Domitien périt assassiné le 18 septembre 96, et Nerva lui succéda. Par une réaction naturelle , les exilés du règne précédent furent ramenés à Rome (1), et la masse des chrétiens obtint momentanément l'oubli sous le gouvernement débile de cet empereur. Tous sans doute ne profitèrent pas de ce répit (2). Le début de l'Épître de saint Clément aux Corinthiens est l'écho d'un état encore troublé et porte avec lui sa date. 11 fait allusion en effet aux derniers temps de Domitien, quand il dit (3) : « A cause des malheurs imprévus, et des accidents qui nous sont survenus coup sur coup , nous retournons bien tard à notre gré, nos chers frères, aux affaires qui nous préoccupent chez vous. " Et plus loin, il ajoute, après avoir rappelé la persécution de Néron, que

(1) PhiLOSTUATE, lie d'Apollonius, \. VUI, C. V, § 4 : Wi-ripeiç al vf)(70i çnyàSov, yj S' T^ireipoi; rji[j.u>yric, . DlO\ Cassius, Epit., I. LXVHI, C. i : toùç çsùyovTa; xaiViyaye. Cf. Lactance, De morte perscc, c. m ; Resrissis igilur actis tyranni. On ne sait pour- quoi Tf.rtullien, Apologet., c. v, et Uégésippe, ap. Hist. eccles., l. UI, C. xx, font fini la persécution par Domitien lui-même, ce qui est peu vraisemblable.

(2) Pline, dans son Panégyrique à Trajan, c. xlvi, dit en parlant des mimes ex- pulsés par Domitien ; » Nam et restitui oportebat quos suslulerat malus princeps, et tolli restitutos. » A quoi Bvldomn remarque, loc. ci/., p. 26 : « Sic et de chris- tianis tum Romani judicasse videntur.

(.3) /. Ep. , c. I : Aià ■zàç aîçviSi'ou; xal £7ra).).yi).ou; yEvofjieva; r,(j.ïv a\)\j.'fopàc. xal TteptuTwaeti:, àôeXçoî, Ppàoiov vo|j.ii^o!J.ev é7tiaTpoqpr)v TteTioirjcOai uepl twv ÉTtiÇrjToujxévtov ■KCLÇi' û|jLÏv 7ipay[xàTwv, àyaTryixoi', éd. Funk, p. 60. Cf. SuÉtone, Domil. vit., c. xi ; Erat autem non solum ma ;nae sed eliam callidae inopinataeque saevitiae. Voici, pour la date de l'épître, un témoin qui se trouvait à Corintbe au milieu du deuxième siècle : Kai qti ye xarà rèv 8yiXoÛ[j.£vov x^ç Kopiv6i'wv xexfvyjTo oTàfretoç à^iô^pewç (làpTUÇ ô 'Hyi^ffiTTiToç. Hist. eccles,, 1. HI, c. xvi.

40-

pour l'instant il se trouve dans une situation analogue (1). Pour un groupe de chre'tiens du moins, les circonstances elles-mêmes fournis- sentie commentaire de l'exception dont ils furent l'objet. Nous voulons parler de ceux de la gens Flavia.

Les pre'toriens exigèrent dans une e'meute la mort des meurtriers de Domitien qu'ils regrettaient. Or, on n'ignore pas que parmi les conjurés e'tait un affranchi de la femme de Flavius Clemens, nommé Steplianus (2). Quelque chose de l'antipathie que celui-ci avait suscitée devait rejaillir sur la famille. C'est aux événements qui affligèrent maîtres et serviteurs, que se rapjiorte la légende manichéenne, dé- signée sous l'appellation d'actes des saints JNérée et Achillée. iNous savions l'exil de Flavie Domitille, la nièce du consul, dans l'ile Pontia. Le récit en question nous apprend qu'elle y avait été accompagnée par deux serviteurs, à la garde desquels elle se trouvait confiée depuis la mort de sa mère Plautilla, mais que ceux-ci, ayant été convaincus de chi'istianisnie, furent ramenés sur le continent et décapités. 11 ajoute qu'après leur supplice, Nérée et Achillée furent enterrés in prœdio Domitillœ in crypta arenaria^ in via Ardeatina, a muro Urhis milliario uno semis, juxta sepulcruni in qiio sepulta fuerat Petronilla apostoli Pelrifilia (3).

Voici maintenant ce que nous apprennent les monuments. D'un côté, en 38G, on voyait encore à Pontia (4) les chambres qu'avait occupées Flavie Domitille pendant son exil, 95-99 (environ). De

(1) / Ej)., c. VII : 'Ev yàp tw avràî è(7(iàv dxàaaaTt, xxi ô aùxôç viuïv àywv èTrîxEixat. Ed. Funk, p. 70.

(2) Philostrate, 1. VIII, c. xxv. Au désir que cet affranclii pouvait avoir de ven- ger ses patrons, Suétont:, Domii. vit., c. xviii, ajoute un motif personnel : Stepha- nus DoiiiilinaR procurator, et tune interreplarum pecuniaruni reus, consiliuui ope- rainque obtulit. S'il n'eiU point été païen, Tei\tillien ne l'aurait pas nommé pour prouver resprit de soumission des chrétiens : Unde qui armali paiatium irrum- punt omnibus Stephanis atque Partheniis audaciores? de Romanis (ni fallori, id est de non christianis. Apologet., c. xxxv.

(.3) Acta snnciorum, t. \\\ de mai, p. 11 (éd. d'.Anvers). Suivant ces actes, Nérée et Achillée avaient été baptisés par saint Pierre, l'année même de son martyre; pareil lien spirituel unissait ce dernier à un autre membre delà famille, la célèbre Petro- nilla, qui devait conserver le nom de fille de l'apôtre.

(i) .Saint If.home dit en rapportant le voyage de sainte Paule, A'/>. 27 ml Eustnchium Vidensque cellulas in quibus longum illa martyrium duxeraf.

41

l'autre, depuis 1874, grâce à la ge'ne'rosite' de feu Mgr de Me'rode et aux travaux de M. de Rossi, nous pouvons, tout autant que les pèlerins du quatrième au huitième siècle (1), visiter à un mille et demi des murs de Rome sur la voie Arde'atine, dans la crypta arenaria jadis transforme'e en basilique souterraine, l'emplacement du tombeau des saints Ne're'e et Achille'e, indique' par une inscription du pape Damase, c'est-à-dire antérieure à 384, et, comme le font remarquer les actes, voisin de celui qu'occupa le sarcophage de sainte Pe'tro- nille avant sa translation au Vatican , en avril 757.

Qu'à cet endroit nous soyons in prœdio Domitillœ , plusieurs concessions de terrain (2) nous 1 apprennent :

FLAVIAEDOMITIL/te

{divi) VESPASl ANI-N EPT IS EIVS-BENEFIC10H0CSEPHVLCRV?« MEIS-LIBERTIS-LIBERTABVSPOjî/2

EX INDVLGENTIA

FLAVIAE DOMITILL

IN FRPXXXV

IN AGRPXXXX

Ces inscriptions, rapproche'es de celle que nous avons cite'e plus haut (3), et qui, quoiqu'on n'eu ait pas directement la preuve, doit avoir la même provenance, se rapportent bien à Flavie Domitille, l'e'pouse de Flavius Clemens, dont l'intervention s'explique par sa qualité de proprie'taire. En effet, parmi les fragments qui jonchaient le sol de la basilique, l'un d'eux conservait gravées des lettres de

(1) L'ancien index des cimetières subur))ains donne la dénomination, « cœmete- rium Domilillae, Nerei et Achillei ad S. Petroniîlam via Ardeatina ». C'est dans cette basilique hors les murs que saint Grégoire le Grand improvisa une homélie, que nous avons, en Thonneur des SS. Nérée et Achiilée le jour de leur fête, Moral, in Eoang., 1. II, hom. 28 : « Isti sancti ad quorum tuuibam consistinius. ■• L'huile de la lampe qui brûlait devant cette tombe fut recueillie à la même époque par rabl)é Jean pour la reine des Lombards, ïhéodelinde, ainsi qu'il le nota lui-même sur le papyrus de Monza, reproduit dans RiiNART^éd. de Ratisbonne), p. 635.

(2) Inscr., Orelli-IIenzen, n°* 5423 et 5422, trouvées vers le domaine actuel de Tor- Marancia, l'une en 1772, l'autre en 1817. Cf. Bull. 1865, p. 23.

(3) Page 34.

12

type antique; la terminaison du pluriel indiquait une sépulture de famille, une ancre e'tait le symbole chrétien primitif si connu. M. de Rossi , ayant calculé la longueur de la lacune, proposa comme sup- plément très-probable, SepulcMM FlaviOR\y\.

Cette lecture a été justifiée depuis par la découverte au même endroit de nouveaux exemples de ce gentiliciuni ; et, entre autres, d'une tombe du deuxième siècle dont le marbre porte inscrit en belles lettres grecques :

a>A i:abeino2 kai

TITIANH AAEA^OI

Ce nom est le même que celui du préfet de Rome en 64 et en 69, Flavius Sabinus, l'ancêtre de toute la branche chrétienne de sa famille; nous avons vu déjà, d'après Tacite, combien ses tendances étaient éloignées de celles de ISéron, qui répugnaient aux gens honnêtes jusque dans les rangs inférieurs de la garde impériale. C'est en effet que nous devons chercher Nérée et Achillée, depuis qu'un fragment notable de leur marbre tumulaire autorise la restitution complète de l'éloge damasien connu jusqu'alors seulement par les manuscrits (1) :

Militifp nomen dederaut sœvum Q. gerebant Officium pnriter, spécialités jussK TYRr///n/, Prœceptis puisante metii *er^^RE VkKnti. Mira fides rerum, subito ;;o.s-.vMfRE FVROREwi. Conversi fiigiuut, ducis iiiipia castrk RELINQVVNT Projiciunt ch/pcos, Jahras, telAQ. CRVEMA Coiifessi gaudent C/iristi portrirE TRIVMFOS Crédite per Damasum possit quid GLORIA CHRISTI.

(1) Bull., 1874, p. 20 et suiv., pi. i. V. Bull,, 1875, p. 8, pi. IV, les débris des deux

43

On a, il est vrai, discuté la question de savoir si les soldats romains pouvaient être employe's aux exe'cutions (1), mais elle ne fait pas de doute quant à cette e'poque ne'faste, dont parle Juve'nal (2), la cohorte tout entière des pre'toriens servait d'instrument à la volonté' despotique de Ne'ron. Car on reconnaîtra en lui le tyran dont parle l'inscription , et le préfet du prétoire [diicis impia castra) dans Tigel- linus, qui était le digne ministre de ses cruautés : c'est seulement à la fin de l'année Q^ que parut son émule Nymphidius (3).

C'est aussi à ce moment que Flavius Sabinus cessa sa première pré- fecture urbaine. Aucun témoignage formel ne nous autorise à ad- mettre ici sa conversion au christianisme (4); mais ce n'est pas une raison pour rejeter celle de sa fille Plautilla, dont Nérée et Achil- lée, sans doute afin de tromper les poursuites dirigées contre eux, étaient devenus alors les serviteurs. D'un autre côté, en 1854, en 1855 et depuis encore, des monuments païens des Bruttii ayant été trouvés mêlés aux monuments chrétiens des Flavii, on en a conclu à bon droit que leurs tombeaux étaient situés à proximité l'un de l'autre. Or, c'est sur la foi d'un Bruttius païen qu'Eu- sèbe a rapporté l'exil à Pontia d'une Domitille qui s'était déclarée chrétienne : le voisinage des propriétés n'explique-t-il pas que son attention se soit portée plutôt sur cette condamnation que sur une autre? Par contre, s'il ne mentionne pas l'exil à Pandatarie de la femme de Flavius Clemens, qui s'appelait aussi Domitille, c'est

colonnes sur lesqueUes était sculpté leur supplice, conforme d'ailleurs à ce qu'en disaient les Actes : Capite caesi sunt. Cf. ibid., p. 40, pi. v.

(1) Voir le mémoire de M. Le Blant intitulé : Recherches sur les bourreaux du Christ, qui ne l'admet pas, et celui de M. îValdet (lui faisant suite dans le t. XXVI, 2" partie, des Mémoires de l'Académie des Inscriptions) est soutenue l'opinion contraire pour la période de l'empire.

(2) Sat. X, V. 15-18 :

Temporibus diris igitur, jussuque Neronis Longinum et magnos Senecae praedivitis hortos Clausit, et egregias Lateranorum obsidet aedes Tota cohors.

(3) Tac, An., 1, XV, c. Lxxii : Consularia insignia Nymphidio, de quo, quia nunc primum oblatus est, pauca repetam.

(4) iD., Hist., 1. m, c. Lxxv : In fine vitae alii segnem, multi raoderatum et civium sanguinis parcum credidere.

44

qu'ellp lui parut, comme à la plupart Hes contemporains, impli- que'e dans la disgrâce de son mari, et celte disgrâce pouvait avoir une appai'ence politique autant que religieuse : ex tenuissimn suspi- cione, se contente d'e'crire Suëtone. Les actes apocryphes ne nous ont pas trompés sur l'identité de >>érée et d'Achillée; ce serait agir arbi- trairement que de les récuser sans motif sur celle de Plautilla et de la seconde Domitille. Il convient également de signaler l'accord de ces sources, plus ou moins troubles, avec les monuments, accord qui sug- gère à M. de Rossi quelques réflexions très-justes sur le suhstratum historique dont elles dénotent la présence : a Cela est si vrai, dit-il (1), qu'au sixième et au septième siècle des recherches, des fouilles et des études archéologiques eussent été nécessaires pour qui aurait voulu emprunter aux monuments la matière des légendes et procurer à celles-ci la créance et la vraisemblance chronologique, comme aussi pour éviter de placer au temps de Dioclétien les martyrs tués par Néron et réciproquement, ou de confondre les conditions de la sépul- ture chrétienne qui furent différentes dans les différentes persécu- tions. « Ce dernier point importe évidemment à l'étude des rapports du christianisme avec l'autorité publique, et nous devons chercher sous quel aspect la question funéraire se révèle au moment nous nous trouvons, c'est-à-dire à la fin du premier siècle.

Sans nous engager dans les innombrables réseaux de la Rome sou- terraine (2), prenons, par exemple, le groupe des tombeaux dont nous venons de parler et qui a formé le noyau du cœmeterium Domitillœ. Cette dénomination nous fournit déjà un principe assez commun, c'est que les cimetièi^es étaient désignés ])nmitivement par leur nom local, ou par celui des anciens fondateurs (3), avant de porterie vocable des principaux martyrs qui y étaient enterrés. Us ont commencé en effet

(1) Bull., 1869, p. 15.

(2i Voir Pintéressant ouvraîje de M. l'aiil Allard (Paris, 1877, 2'' éd.) qui, sous ce titre, a résumé les trois volumes de la Itomc. soiierranea italienne: comparer le ré- sumé anfilais du D' Nouthcote, qui était le premier en date (Londres, 18G9 et 1879, éd.), et le résumé allemand du n' Knvrs (Fribourf; en Brisjïau, 1S79, 2' éd.).

i'3) Il est remarquable que les noms de femmes reviennent souvent : CommodillŒ sur la voie dOstie, Priscillœ sur la voie Salaria, Cijn'acœ sur la voie Tiburtine, etc. M. Le Blànt a constaté aussi leur zèle à donner la sépulture aux martyrs.

45

par être domaine particulier {prœdium); puis, affecte's par les proprié- taires convertis ou déjà chrétiens à la sépulture de leurs coreligion- naires [ad reJigionem jJertinentes meam, dit une inscription) (1), ils ont fini par passer entre les mains de la communauté ecclésiastique {ecclesia fratrum) (2). Mais l'Eglise ne les a pas possédés ainsi dès l'origine, ce n'est que })lns tard que la propriété collective a succédé à la propriété individuelle. Une personne d'abord ou une famille étaient seules en nom, et rien ne distinguait extérieurement des sépultures païennes les sépultures chrétiennes qui, en temps de persécution même, étaient respectées. D'ailleurs la religion des tombeaux, l'un des carac- tères les plus frappants de l'antiquité, avait son expression formelle dans la loi romaine (3). Aussi, à côté du titre reconstitué Sepul- crum Flaviorum, a-t-on retrouvé une formule païenne destinée à pro- téger la sépulture, locvs sacer sacrilège cave malv(/«), inscrite sur deux faces d'un cippe qui peut-être en gardait l'entrée. Cette entrée même n'était nullement dissimulée. Nous avons une preuve de la sécurité qui entourait alors les tombes chrétiennes dans la façade architecturale et le vaste vestibule, naguère remis au jour avec le concours de M. le comte de Richemont (4), et par lesquels le cimetière de Domitille s'ouvrait sur la voie Ardéatine. Le caractère classique des

(1) Bull., 1865, p. 54; eUe provient du cimetière de Saint Nicomède, in horto Jnsti (auj. villa Palrizij sur la voie Nornentane. En 1853 fut découverte précisément au ci- metière de Domitille l'inscription suivante, Borna soit., t. I, p. 109 :

M ANTOM VS RESTITV s FECIT YPO GEV SIBI ET SVIS FIDENTI BVS I\ DOMINO

(2) M. r.éon Renier, mscr. d'Algérie, n" 4035. Voir notre troisième partie.

(3) Maucien, D. liv. I", fraff vi, 4 ; Relijjiosum locum unusqiiisque sua volun- late facit, dum niortuum infert in locum suuni. Toutefois il n'était pas permis d'en- terrer, sauf de rares faveurs, dans l'enceinte de Rome : « Hominem mortuum, in- quit lex in \II tahulis, in urbe ne sepelito, neve urito. Et même au dehors, le domaine pul)iic était à l'abri de cette sorte de prescription : Statuit enim colle- gium (pontiticum) locum publicum non potuisse privata religioue obligari. CicÉ- RON, De leg ., c. xxin.

(4) Bull., 1865, p. 23 et 96. M. de Rossi avait déjà insisté dans le t. I de la Roma sot- terranea sur ce fait, capital pour la chronolojïie des catacombes, que plus les tom- beaux sont anciens, plus la structure est parfaite et la décoration soignée, ce qui

16

constructious et le style délicat des stucs peiuts qui en revêtaient les voûtes les font remonter à la fin du premier siècle; du" reste les empreintes de briques, dont les dates permettent de suivre le dévelop- pement successif de rhy[)ogëe, s'arrêtent à Marc-Aurèle. Dans la partie plus ancienne, c'est-à-dire voisine de la porte, étaient repré- sentées, sans aucunes précautions, des scènes bibliques, et au-dessus de l'ouverture extérieure, se voit encore la place d'une large inscrip- tion qui indiquait aux yeux de tous le nom du propriétaire (1). Tout témoigne donc de l'état de légalité de celle sépulture, et même d'un état de tranquillité lors de sa prcmièie origine. Après que Domilien eut sévi contre les membres chrétiens de sa famille, les fidèles ne con- nurent plus assez de paix pour élever un pareil monument : depuis lors il fut juste de leur appliquer ces épilhèles, que Minucius Félix met sur les lèvres du païen Caecdius(2), d'habitants de terriers et d'oi- seaux de nuit.

Nous n'avons pas de renseignements précis sur la fin de saint Clé- ment. Saint Jérôme, qui avait quitté l'Italie en 385, écrivait dans son De viris illustribus, ch. xv : Nominis ejiis memoriam usque hodie Romœ exstructa Ecclesia custodit. C'est la basilique inféiieure décou- verte en 1858; comme elle est située dans l'intérieur de Rome, une loi connue (3) nous interdit de songer ici à son tombeau. Deux cham- bres, restes d'une habitation particulière, ornées de stucs très-anciens, etdécouvertessouslesolde la basilique inférieure, ont fait penser qu'il

ne s'explif|iierail pas si tous les premiers rhréliens avaieiil été, selon les expressions favorites des écrivains modernes, un gibier de police, la lie de la cité.

(1) V. Bull. 1881, pi. iir-vi, une inscription analogue qui vient d'être retrouvée à sa place dans un hypogée particulier du cimetière de Doniitille, et portant cette seule mention : AMl'I.l.MI. Les peintures qui ornent l'hypngée sont contemporaines de celles de l'entrée du cimetière et n'offrent même que des motifs décoratifs d'ar- chitecture et de paysages étrangers au symbolisme chrétien. Or un des plus anciens convertis an christianisme fut cet Amplialus, que saluait en 58 saint Paul parmi les fidèles de l'Église de Rome, lip , c. xvi, v. 8 : 'AoTtitrocrOs 'A[jnt).iaTov tov o.^a.-nt\ifn (i.oy èv Kupito.

(2,0cTAVits,c. VIII : I.alebrosa et lucifugax natio. Celse(Ouic..c Cds., 1. IV, c. xxiii) les comparait à des vers tenant conciliabule au coin d'un l)Ourl)ier : ly.oô).Y;5iv èv Poiêôpou yiovîa iyt.yùrin\.'xC,'j\irn.

(3) V. la page précédente, note 3. .1. Capitolin fait étendre par Antonin la prohi biliouaux autres villes ; Inlra urbes sepeiiri morluos vetuit. lit. Am., c. xii.

47

s'agissait plutôt d'un eudi'oit il avait demeure. Se rattachait-il par un lieu de parenté à Flavius Clemens (1), ainsi que le veulent les actes des saints Nére'e et Achillée? Du moins on pourrait admettre entre f ux des rapports de client ou d'affranchi : ce qui conviendrait aux difficultés de sa situation après la mort du consul de l'an 95, et aux débuts du règne de Nerva. Que saint Clément ait quitté Rome alors soit librement, soit forcément, cela est vraisemblable et mo- tive l'absence d'indication romaine de sa sépulture. La tradition, représentée par ses actes légendaires, qui le fait travailler dans les mines de la Chersonèse Taurique, puis précipiter dans la mer, était connue de Grégoire de Tours (2). On en rencontre des traces dans le Missale Gothicum, manuscrit du Vatican que JNI. Léopold Delisle date du septième siècle, et deux listes des sépultures des papes que M. l'abbé Duchesne a démontré avoir été extraites du Liher pontificalis au commencement du sixième siècle, mentionnent également le Pont-Euxin (3). Nous savons de plus qu'en 867, saint Cyrille, apôtre des Slaves, vint avec son frère saint Méthode à Rome, apportant des reliques découvertes par lui en Crimée, qu'il disait être celles de saint Clément et qui furent déposées dans l'église portant déjà ce nom, lui-même fut enterré peu après (4j. 11 est certain d'un autre côté que le nom de saint Clément n'a pas tardé à être entouré d'une considération exti-aordinaire en Orient. Comment, seul des premiers successeurs de saint Pierre, sans

{\) Le roman des Rccogniiiones donne sa généalo.'ïie avec des noms des Antonins, tout en le rangeant dans la famille des Césars, ce qui est encore différent des Flaviens.

(2) V. ces Actes dans le loinc II des Opéra Patmm aposlolicum (Tiiliingen, 1881), éd. Funk. p. 40 et s. Cf. Grec. Tlr., />f glor. mart., c. xxxv, xxxvi. Déjà Rufin dans saint Jérôme. Apol. ado Ru/., 1 II, et le pape Zozime, en 407, dans une lettre aux évéques d'Afrique que reproduit Baronius à cette année, lui donnaient le titre de martyr. M. de llossi , réunissant les fragments épars dans les deux basili- ques superposées d'une inscription pliilocalienne (fin du iv« s.), l'a reconstituée, sur des exemples connus, de la manière suivante : - Salvo SlRicio eplSCopo ECCLesiœ stinclœ G\.... PRAESBYTEK sancto MARTYRi Clemenli AOC VOLVIT dedicatum. . Bull. 1870, p. 148.

(3j Thèse sur le Liber ponUJicalis, soutenue en 1877, p. 164. l.'un des Ms. i Vatican, n" 3764 porte: in pontu, in mari; l'autre iBibl nat., n" 3140.) a la variante plus grammaticale, mais moins fidèle ; ' in porlu, inmari. -

(4) Bull., 1863, p. 9; 1864, p. I et suiv. Voir aussi la thèse de M. LÉgku, soutenue eu 1866, sur la Conversion des Slaves au christianisme, p. 103.

48

avoir siégé très-longtemps (1), a-t-il pu ainsi frapper au loin les ima- ginations? 11 s'était adresse' aux Corinthiens sur un ton d'incontestable supériorité (2) :

't Vous nous remplirez de satisfaction et de joie, leur dit-il à la fin de rÉpitre, si, vous montrant soumis à ce que nous vous écrivons au nom du Saint Esprit, vous arrêtez le débordement injuste de votre jalousie, selon l'exhortation à la pacification et à l'entente que nous vous avons faite dans la présente lettre. INous avons aussi délégué des hommes sûrs et graves, ayant vieilli parmi nous sans reproche, qui seront témoins entre vous et nous. JNous en avons agi ainsi, pour vous montrer que notre unique et constante préoccupation est que vous ne tardiez point à rentrer en paix. ^ Et un peu plus haut : « Si quelques-uns n'obéissent pas à Jésus-Christ qui leur parle par notre bouche, nous les avertissons qu'ils s'exposent à tomber, et qu'ils encourent un péril sérieux. »

Cette lettre, on la lisait encore dans l'Église de Coriiithe en 170, comme l'écrit l'évêque Denys au pape Soter, et déjà saint Ignace d'Antioche, dans son Epître aux Romains, y avait fait allusion (3). Les deux évêques et saint Clément lui-même témoignent assurément de l'autorité de son siège. Mais il y a plus : comment rendre compte, en dehors de son prestige personnel, de la diffusion si rapide des romans clémentins éclos en Syrie au commencement du troisièuie siècle? C'est également sous son nom que circula, vers la fin de ce siècle et dans le même centre, la plus grande partie des canons dits

(1) Toutes les listes épiscopales lui attribuent un pontificat de neuf années; voir le tableau dans Hvu.nack, l>ie Zeitdes Jgnatius, p. 73.

(2) / Ep., C. Lxiii : Xapàv yàp xat àyaÀXi'aatv f,!J:tv Tiaf/ÉçÊXt, èàv Û7ty)xoot ye.'/OiiZMOi Toïç uç' r,|AÛ)V Yey(;a[j.[j.£voiç ôtà toO âyiou nv£Û[i.aTo;... iné\L<\i'x\i.s.y xaî à'vSpaç ttkttov;

xai ffwçpovaç oÏtive; xai \i.ipi\J^eç ecfovxai [ASTa^O ù[j.(jjv xat T;(jlwv. Ed. Funk, p. 142

(cf. p. 134K Ces personnages, qu'il nomme ensuite claudius Hphcbus elValerius Viton, seraient, d'aprfs une conjecture du D' Liylilfoot, les gens de la maison de César, mentionnes à côté de saint Clément par s.vi.nt l'xvi, t!p. aux Philippicm, c. iv, V. 3 et 22

(3) Hisl. eccl., 1. IV. C. XXIII, 11. Ep. aux liom., c. m : OùôiTioxe è6aaxâvaT£ oùÔéva" a).>,ov; èo'.Sà^aTE ; el il ajoute : 'Eyw ôè 6£).o), tva xàxEÏva péêaia ^ a |J.aOriT£\JovT£; evté),- )£i70£. Éd. Funk, p. 214. Ce qui équivaut ù la formule de notre acte de foi actuel : Je crois /crmimcnl tout ce que l'Egluc romaine m'ordonne de croire.

49

apostoliques, quand déjà à Alexandrie il avait reçu le titre d'apôtre (I). De la sorte s'e'tait re'alise'e la parole du Romain Hermas (2) : 't Clément enverra le livre aux villes du dehors, car ce soin lui est confie'. " Par cette mention, il plaçait son livre sons un patronage illustre, etl'on sait en effet quelle faveur l'ouvrage d'Hermas rencontra chez les Églises orientales, dès son apparition (3). Eu re'sume' : maigre' la jdace con- sidérable que saint Clément, pontife de Rome, occupe dans la tradition, il ne reste à Rome ni document sur sa mort (4), ni monument de sa sépulture; l'explication de ce fait nous est fournie par la légende, qui nous semble renfermer un élément traditionnel, le souvenir de son exil dans la Chersonèse Taurique, sans que nous en puissions déter- miner les circonstances précises.

JNous remarquerons finalement que dans les parages l'exile la tradition, c'est-à-dire en Crimée, on a découvert, avec les traces de la présence de Juifs hellénisants (5), des preuves d'un développement précoce du christianisme (6).

En même temps que ces chrétientés éloignées s'organisaient, le pays environnant Ephèse avait vu, par les soins de saint Jean, se mul- tiplier les Eglises (7); aussi avons-nous lieu d'être moins surpris que Pline, qui, arrivant comme légat propréteur dans une province située entre ces deux régions, constatait avec étonnement que les villes et

(1) ClÉm. d'Alexandrie, Sirom., I. IV, c. xvii, init. : '0 aTiôcrTo/o; K)r,!xri:.

(2) Past. Vis. II, C. IV, 3 : ll£[n}/îi ouv KV^avi; et; Ta; £?w ir6).£iç, iv.d'iM yàp £tcit:- TpaTTTat. Éd. Funk, p. 350.

(3) Une homélie nous est aussi parvenue avec Tintituié de deuxième épttre de saint Clément, qui est précisément contemporaine du Tvre du Pasteur.

(4) Les chroniques s'accordent pour la placer immédiatement après celle de saint Jean qui arriva vers l'an 100 d'après saint Irénée et Jules Africain. Cf. Malalas l \I, éd. de Bonn, p. 261. M. Renan, Journal des Stuanis, janv. 1877, p. 13, dit de saint Clément : > Son autorité passa pour la plus grande de toutes en Italie, en Grèce, en Macédoine, durant les dix dernières années du premier siècle.

(5) FRIEDL.CNDEU, Siltcngeschichle lioms, t. III, p. 508 (Leipzig, 1871).

(6) Bull., 1864, p. 5. DE KdEHNE , Description du Musée A'oitchoubey (Saint-Péters- bourg, 1857) : t. Il, p. 348, 360, 416, monnaies portant la croix des la fin du troisième sièile; t. I, p. 448, basilique du quatrième siècle, découverte à .Sébastopol; p. 172, il résulte d'une pierre tumulaire que Trajan avait dans cette ville une garnison qui fut retirée par Hadrien.

(7) Clément d'Alexandrie, Quis die. salv., § 42 : 'ATnjet napaxa/.oùjJ.£voç xai inl ii),Yi(Tiô-/(i)pa Tûv eOvôiv, onou (làv èmay-ônovi xaTao'Triffwv, ouou Se xXrjpo) eva xiva xXripwffwv Tôiv ÛTtô xoO Ttviû[AaTo; (7ïip.aivo(xévwv.

4

ô(i

les campagnes de la Bithynie et du Pont étaient remplies de chré- tiens, ïrajan en tiouvera autant en Syrie lorsqu'il viendra à Au- tioche , et de même plus tard Hadrien, visitant la Palestine et l'Egypte, à Alexandrie et à Jérusalem. Au milieu des ruines de cette dernière ville, à côté des campements de la legio X' Fretensis, s'éle- vaient encore sur la niontagne de Sion (1) quelques pauvres ma- sures échappées à la destruction : dans le cénacle de l'une d'elles, les apôtres s'étaient réfugiés après l'Ascension, et se réunissait maintenant la petite communauté chrétienne (2) , qui obéissait au vénérable évêque Siméon et devait donner d'autant moins d'om- brage aux soldats romains que, par son retour, elle avait répudié les tendances juives de la branche nazaréenne demeurée au royaume d'Agrippa H. Cependant sous l'administration d'Alticus, légat con- sulaire de Palestine, 105-107 (3), saint Siméon fut dénoncé tant comme chrétien que comme descendant de la race de David par des sectaires juifs dont parle Hégésippe (4), très-capables de continuer contre ce vieUlard de cent vingt ans la tradition impitoyable de leurs frères eu Israël.

Eusèbe lui donne comme successeurs jusqu'en 189, d'abord treize évêques de la circoncision , puis quinze de la gentilité , plaçant le pre- mier de ceux-ci après la dernière révolte des Juifs (5), en 136, ce qui raccourcit singulièrement la moyenne de leur longévité. Aussi les

(1) Ce coin des remparts avait été épargné par Titus pour donner ù la postérité une idée de la résistance qu'ils avaient oppos'e. B. Jud., 1. VU, c. i.

(2) S.viNT Épiphane, De mensnn's et ponderibtis, c. Xiv : Kai iy\z toO W£oO £/.x),r,iTta; [jLixpâ; oùcr/;;* ev6a 07ro<JT(i£(]^avT£; jj.a6riTai, ote 6 Iio-ir,p àv£/T,çOif) ■mh xoO 'EXaiwvo;, àv£êr,uav eIç ÛTtepwov. 'Ey.£Ï vàp wv.ooo[xriTO, toutecttiv èv Tto [A£p£i ïtwv, y^Ti; àTtô tt); Èpriiiw<T£wç 7tap£)et;6ri, xai [x£fïl oixr-ffEwv it£pi aÙTrjv tr.v Siwv. C XV : (01 naOr,Tai twv [iaQ/iTÙv Twv à7io(jXo),wv) r,(7av yàp ÛTC0TT[i£4'avT£; àuo lié),).?;; xiô; it6).ew? eU 'l£poij(7a).ri(A ■/.al ô'.oâazovTE;.

(3J W.vuDiXGTON, Faslet des piorhices asiatiqws (Paris, 1872), § 126.

(4) Hist. eccL, 1. III, c. xxxii, 3 : 'Attô toOtwv ôr]).aôr; tûv aipETixwv v.n.Ttr{oç(i\)<si. Tive; Su|i.£wvo; îoO K)(.)7ià, ùk ôvto; k-nb Aaêto xai ypiffTiavoO, xal oûtw [j.apTvp£Ï £tû)v ôjv éxaxôv EcxoTiv, STti Tpaïavoù Kadraso; xat Onatixc/O 'AttixoO.

(5) I.a défaite de Bar ochebas fut suivie de linierdiclion aux Juifs de l'entrée de Jérusalem (saint Jlstin, I Apol., c. 47, éd. Otto, p. 131; AnisTo\ de Pella, vol. IX, Corp. Apol.,^. 356-3591, et de la circoncision ^ainsi doit être rectifié Spahtien, lit Hadr.,v, xiv). Cette dernière défense fut en partie levée par Anlonin : I)., liv. XLVIII, lit. VIII. fr. 11 : circumcidere Juda-is filios suos lantum rescripl(t divi Pii permit-

51

appelle-t-il Ppa-xu^iou;, mais il avoue en même temps qu'il n'a trouvé aucun renseignement chronologique sur leur compte (1). On a bien vu deux listes e'piscopales distinctes, l'une appartenant à l'Eglise des Nazare'ens, l'autre à l'Eglise de Je'rusalem, qui seule avait vu d'un œil indiffe'rent fonder la ville païenne d'^lilia Capitolina. Sulpice- Se'vère, ne marquant l'installation d'une garnison en cet endroit que sous Hadrien, fait élire alors le premier évéque incirconcis Marc, et prête au fait une signification favorable au christianisme (2). Overbeck acce|)te la date tardive de cette coïncidence, qui n'est due cependant qu'à la conjecture d'Eusèbe, et renchérissant encore sur l'historien Sulpice-Sévère, voit dès ce moment poindre clairement à l'horizon la future alliance de l'Église avec l'État romain (3).

1. LE RESCRIT DE TRAJAN.

L'État, à défaut du public lettré, avait fini i)ar se rendre compte que l'Église chrétienne ne partageait point les aspirations de la synagogue juive; mais, loin de lui en savoir gré, il commença par la mettre hors la loi, comme nous Talions voir, tandis qu'il laissait à la nation israélite, vaincue, il est vrai, et dispersée, tous ses privilèges, l^a vérité exige donc que nous fassions précéder le traité de paix par une guerre sans merci, sinon sans trêve, dût-il plaire à quelques-uns de ne considérer les persécutions de Néron et de Domitien que comme des escarmou- ches. Le premier instrument authentique de l'état des hostilités est

titur; in non ejusdem religionis qui hoc fecerit, castrautis pœua irrogatur. Cf. Orig. c. Cels., liv. II, c. xin : 'AxpwTYiptàÇovTEç Tiapà toùç xaOeffTÛTaç v6[J.ou; xaî ta 'lou- Sai'otç ffuyxïxwpYifiÉva [xôvoii;.

(1) Hisi. eccl., 1. I.V, C. V, et 1. V, C. XII.

(2) Chron., \. II, 31 ; Nimiriim id Domino ordinante disposituin, ut legis servitus a libertate fidei atque ecclesia? toUeretiir.

(3) Studien, p. 103 : - So dass inan sclion an diesem Punkte den spateren Bund der Kirche und des rômischen Staates deutiicli keinien seheu kann. »

4.

52

le resciit de Trajan en lëpoiise au rapport que Pline lui adressa, pro- bablement d'Amisus, en 112, dans sa tourne'e administrative du Pont (1). Ainsi l'ont pensé, après le perspicace jurisconsulte Bau- douin (2), M. Aube (3) et Overbeck lui-même (4j. Seul peut-être dans ces derniers temps, Wieseler se refuse à admettre que la si- tuation du christianisme dans F État ait e'te', suivant son expression (5), rendue objectivement plus de'favorable par Trajan , autrement dit en français, que de ce prince date une loi expresse qui ordonne de frap- [ler de la peine capitale les chrétiens fidèles à leur foi.

En effet, dans ce texte il pose trois régules dont nous n'avons ni à défendre, ni à contester la logique (C) : il est interdit aux mafjislrals de prendre l'initiative des poursuites; le simple foit de professer le christianisme est punissable; les apostats doivent être absous. Voilà la jurisprudence fixée pour tout le second siècle, sans doute malgré l'empereur, qui a soin de protester qu'il ne veut pas définir d'une manière trop précise la question ni en apporter une solution générale. Sa répugnance d'ailleurs à user de décisions par rescrit nous est connue (7j, et cependant, chose étrange, c'est à partir

(1) MOMMSEN, Etude sur Pline le Jeune, p. 30.

(2) Commentarii, p. 27: Atque lioc quideni pritiiiiin rescripto lex Romana de Chris- tianis, certaque constitutio aliqua édita fuisse videtur.

(3) Saint Justin, philosophe et martijr, thèse soutenue eu 1861, p. XLVi; cf. Hist. des perséc, p. 225.

(4) Sludien, p. 115.

(5) p. 2 : '^ Dass die Christeu seit und durch Trajan lui Staate objecliv ungunsliger gestellt wurden. »

(6) /)p. Pline, iiv. X, Ep. cxxviii : Conquirendi non sunt : si deferantur et arjjuan- lurpuniendi sunt,ita lainen ut qui negaverit se christianum esse idque reipsa niani- festum fecerit id est, supplicando diis nosirisi, quamvis suspectas in pra-tcri- tum fuerit, veniani ex i)œnitentia impeiret. .Si Ion doutait de l'autlienticité de la correspondance, nous renverrions non-seulement à la thèse approfondie de M. l'abbé Variot sur le sujet (v. Bévue des questions historiques, l»"^ juillet 1878), mais encore à la note de VHisi. des perséc. au bas de la page 218, M. Aube se rend au sentiment de M. G. Boissier, juge délicat en cette matière; cf. Bévue archéologi- que. 1876, t. I, p. 114.

(7) Loc, cit. : Neque eniui in universum aliquid, quod quasi certam formam habeat, constitui potesl. Cf. J. Capuolin, Macrin. lit., c. xiit ; Fuit in jure non incallidus, adeout statuisset omnia rcscripla vet<:rum principum tollere,ut jure, non rescriptis

agerelur quum Trajanus niinquam libcllis responderit ne ad alias causas facta

pra-ferrentur qna' ad gratiam composita vidercnlur. Momesquieu, Espnt des lois, I. XXIX, c. XVII, intitulé : Mauvaise Manière de donnir des lois.

53

de lui que le courant de l'opinion juridique, l'emportant sur sa vo- lonté , créa cette nouvelle source du droit. Il ne voulait pas que l'on invoquât à titre de pre'ce'dent ce qui avait été' statué, dans un cas donné, par faveur : le cas des chrétiens n'était guère favorable, néanmoins ils durent préférer à l'arbitraire de l'autorité centrale, ou provinciale, des formes certaines. Encore la première règle qui exigeait plus qu'une délation anonyme (1) fut-elle constamment vio- lée, soit par l'animosité personnelle des gouverneurs, soit par la haine populaire, malgré les réclamations des apologistes chrétiens. Ceux-ci, dans leurs plaidoyers, n'avaient garde d'incriminer les inten- tions de Trajan et cherchaient au contraire à se prévaloir de son carac- tère équitable contre sa loi même; ce n'était du reste que justice de faire peser sur ses prédécesseurs la responsabilité de la persécution. Que dira en 172 l'évêque Méliton de Sardes à l'empereur Marc-Aurèle (2)? « Seuls de tous tes prédécesseurs, Néron et Domitien, trompés par des gens envieux, ont voulu qu'on accusât la croyance chrétienne, et depuis eux jusqu'à nos présents calomniateurs a couru une injustifiable prescrip- tion de dénonciations fondées sur le mensonge. C'est afin de redresser une telle erreur que tes pieux ancêtres se sont opposés par plus d'un rescrit à toute innovation contre nous. " Tertullien, vers 200, s'ex- prime de même au sujet des précédents introduits dans la légis- lation par la cruauté de ces deux princes, précédents que, d'après lui, Trajan n'annula qu'en partie en prohibant la poursuite d'of- fice (3). Une telle explication des choses était vraie, mais incom- plète. Si Trajan i)artageait moins que son légat certains préjugés du temps contre le christianisme (4), son rescrit ne présente pas seu-

(1) Loc cit. : sine auctore vero propositi libelli in nullo crimine locum habere debent : nam et pessimi exempli nec nostri sa^culi est.

(2) Corp. Apol., éd. Olto, vol. IX, p. 412 : Môvot màvTwv àvaTTEidOÉvxei; \)Tzq tivujv Paaxivwv âvôptioTcwv tôv xaO' /i[j.à; bi 6iaoo)y) xaTairtviffat )xiyov y)9£>>yia'av Nspwv xat Ao- fiETiavoç, ày' wv xai Tyj; «ruxoyavTÎaç à),6Yw (jvivrjQîiqt TTEpt toCi; TOtoÛTOu; puyjvat ffuiAoéêyixe '|/cùôoç' à/.Xà Tr]v èxstvwv ayvo'.av oi trot eùaeêst; 7iax£f)£; èTnQvwpôwffavTo, tio).- ),âxi; 7To),),oïç £7rt7r),Yi^avTeç èyYP'^?'»'?' '^'^^^ Tit^i loùrM^ vEwieptija'. èTÔ)[AYi'7av.

(3) Apol., V. V : Ouales erf^o leges ist?p quas Trajanns ex parte frnstratns est

vetando inquiri Christianos.

(4) Pline, liv. X, Ep. cxxvii : An flafïitia cohaerentia nomini pnniantur.

51

lement un côté prohibitif : la partie impérative laisse entrevoir une préoccupation religieuse autant que politique, 11 savait avoir af- faire à une doctrine oppose'e au culte national; aussi n'he'site-t-il pas à récompenser de riiiimuuité ra|)ostasie, c'est-à-dire le retour à ce culte, id est sujrpUcando dits nostris : et sa propre divinité n'était pas hors de cause, puisqu'il approuvait la conduite de Pline qui faisait brûler de l'encens devant ses statues. Mais on pourrait estimer qu'il tenait surtout à l'observation de son ordonnance sur les associations ou hétéries(l) non reconnues, qu'il avait sévèrement pro- scrites. Cette ordonnance, que Pline avait promulguée dans sa pro- vince par son édit d'entrée en charge, n'atteignait -elle pas indirec- tement les chrétiens à cause de leurs assemblées que l'autorité ne pouvait plus confondre avec celles des Juifs?

Quoique les apôtres arrivant dans une ville commençassent jadis par prêcher à la synagogue, rien n'indique qu'ils l'eussent prise pour mo- dèle dans l'organisation des communautés primitives (2). Saint Clé- ment, amené à traiter de la hiérarchie chrétienne (3), la compare bien à la hiérarchie mosaïque, mais telle qu'elle existait à Jérusalem seu- lement, et, au moment il écrivait, elle venait avec le temple de disparaître sans retour : aussi avait-il pris précédemment l'image de la hiérarchie militaire, image plus familière à la généralité (4). Ce n'était

(1) Gaïus, D. liv. XLVII, tit. XXII, fr. 4 : Sodales sunt qui ejusdem coUegii sunt, quam Grspci Étaipiav vocant. Pline, loc cit. : Post edictuin meum quo secundiiin mandata tua hetaerias esse vetueram.

(2) A Jérusalem, les premiers chrétiens priaient ensemble dans le temple. Actes, C. V, V. 12 : Kal ri^av 6|j.o6'j[Aaôov àTravte; bi ir, crxoà io),oiJ.wvo;, twv ôè ),ot7;(J5v oùoel; £To),(xa xo),/.à<j6at aÙTOÏ;.

(3) I Ep., c. XL-XLii : Kaxà "/wfa; ouv y.al Ttô/ei; xr,f.yiTaovT£; xaOîiTTavov rà; àTixp/.à; a'JTôJv, ôoxiiiaTavTei xw 7tv£'j|JiaTi, cl; ÈTitaxÔTioy; xai ôiaxivoviç xùv |i£),>,ôvTwv TriffTeOetv, Éd. Funk, p. 112. A l'origine, chaque Église constituée avait son évêque, lequel était, suivant les besoins, assisté de prêtres : tous étaient désignés parfois sous le nom collectif de TifE^êOTepoi, comme on comprend maintenant le curé et ses vicaires en parlant du clergé d'une paroisse. La division d'Alexandrie en Ttapoixiat et de Rome en lituU fut un fait tardif et isolé avant de devenir la règle générale.

(1) Ibid.j c. XXXVII : KaTavorjTw^j.ev xoy; aTpxTEuouEv&y; to?; Y)Yov)[ji£voti; ri|xwv, xx).. Éd. runk, p. 106. La manière dont saint Clément s'exprime sur l'armée romaine est un argument entre bien d'autres contre son prétendu judaïsme. Plus tard, Origcne emploiera à ))ropos des chrétiens, mais dans un sens particulier, l'expression : ioiov oxpaxÔTitSov sùocêîia;. 6'. Celi., I. Vlll, c. LXXlli.

pas cependant la forme exte'rieure d'une arme'e que devait revêtir au premier abord la communauté' des fidèles; un rapprochement tout naturel se pre'sentait à l'esprit, nous voulons parler des associations connues sous le nom de colle'ges (1).

L'Etat romain, maigre' sa centralisation politique, s'accommodait parfaitement pour les inte'rêts locaux de la de'centralisation adminis- trative. De même, au point de vue social, un système ennemi par principe des individiialite's pre'ponde'rantes comportait dans une large proportion l'usage du droit d'association, combiné toutefois avec une certaine dose de surveillance. Ce que nous apprenons tous les jours, par les monuments, de la vie publique des Romains ne fait que confir- mer de plus en plus ces ide'es. Les coUe'ges e'taient innombrables dans l'empire, et avaient les buts les plus divers. La majorité' se recrutait parmi la classe populaire qui formait des associations de me'tiers, de commerce, de secours mutuel, ou même de religion; mais il ne fallait pas que l'objet invoqué ne fût qu'un prétexte: ne suh pi-œtextu hujus- modi collegium illicitum coeat (2).

Le collège était licite lorsqu'il était autorisé; il devenait illicite, lorsque l'autorisation demandée avait été refusée; 2" lorsque le but pour lequel l'autorisation avait été accordée, était dénaturé. Une grande partie des collèges n'étaient pas autorisés, on en peut juger par le petit nombre dont l'autorisation est mentionnée sur les inscriptions (3). Quelle était alors leur situation? ils possédaient des

(1) On ne peut s'empêcher de citer à côté du ■^ collegium quod est in domu Sergiae Paullinae-, Inscr. Orelli, n" 2414, ce passage de saint Paul dans \'Ep. mix Romains, c. xvi, V. 5, il salue Aquila et Priscille, xai xr]/ xax' oUov aÙTwv èxyJïiTiav - . Voir dans Hilgcn/eld's ZeUschrift (1876, p. 464, et 1877, p. 89) deux savants articles du prof. [Iei.nrici, il silforre de démontrer que les Églises fondées par saint Paul, et celle de Corinthe en particulier, furent organisées sur le type des collèges. Cf pour les synagogues elles-mêmes Schlreu , Die Gemeindeverfastung dcr Judin in Rom, p. 10.

(2) D., liv. XLVII, lit. XXII, fr. 1. Le collège n'est pas une simple réunion, mais une association permanente; on comprend que pour la discipline une interdiction catégorique frappât les militaires : Neve milites colleg'a in castris halieant, et même livre, lit. XI, fr. 2 : Sub praetextu religionis, vel sub specie solvendi voti, cœtus illicitos nec a veteranis tentari oporlet. Cf. pour toute la matière Mommsen, I)e coUegiis et sodaliciis Romanorum (K.iel, 1843).

(3) Une des formules les plus complètes est celle du - coHegium symphoniaco-

56

droits restreints (1), ils n'étaient pas nécessairement dissous, seule- ment ils se voyaient expose's à l'être s'ils s'attiraient les soupçons de l'État (2). Comme l'autorisation était spéciale, la suppression devait être spéciale. Ainsi l'immense développement des collèges et la force des choses avaient arraché comme une sorte de concession générale (3) à la répugnance des empereurs; ce qui ne les empêchait pas d'avoir l'œil sur eux, car leur grand souci était qu'ils ne dégénérassent pas en sociétés secrètes. Déjà César avait soumis ceux de Rome à une épuration (4), Auguste renouvela cette mesure (5),Trajan est le premier qui l'étendit aux provinces. Cependant la question de l'assimilation de celles-ci à la capitale, en ce qui concernait les assemblées religieuses des Juifs, avait été tranchée à Dé!os peu après la bataille d'Actium. Le vain- queur, s'appuyant sur la décision de son oncle, les autorisa d'une

rum... quil)us senalus c{oire) c(onvocari) c(o{i;i) permisit e lege Julia ex auctoritate divi Aufjusti . Inscr. Orelli-Henzen , n" 6097. Deux iriS' riplions de Lyon (de BoissiEC, p. 160 et 206) portent : « Corpora omnia Luffduni licite coeunlia s '• y en avait donc d autres - non licite eoeuntia •.

(1) Un texte du jurisconsulte Pail au titre De rébus duhiis est formel sur ce point, D. liv. XXXIV. tit. V, fr. 20 : Nulla dubitatio est quod, si corpori cui li et coirc legatum sit, deb( atur; cui auiem non Ucei si legetur, non valebit, nisi singulis legetur; hi enim, non quasi collegium, sed quasi certi honiines, adinittentur ad legatum. L'association non reconnue n'était pas personne civile, elle subsistait néanmoins sans privilège. Cf. au Code une loi postérieure : C, liv. VF, tit. XXIV, 1. 8 : Col- legium si niillo speciali privilegio sul)nixum sit, ha'redilatem capere non posse, dubium non est. D., liv. XL, tit. III, fr. ), et liv. L, tit. VI, fr. 5, § 12.

(2) I)., liv. XLVII, tit. XXII, fr. 3 : Collegia si qua luerunt illicita m.mdatis et constitutionibuset senatus-consullis dissolvunturiTiTE-LivE, 1. XXXIX, c. wiii, nous a conservé le texte du sénalus consulte interdisant les réunions du culte de Bac- chus en 186 avant Jésus-Christ). Un peu plus loin, M.^rcien émet une opinion rigou- reuse relativement à l'association non autorisée, sans oser en déduire les consé- quences, loc. cit.,% 1 : In summa autem, nisi ex senatusconsulti auctoritate vel Caesaris collegium, vel quodcumque taie corpus, coierit, contra senatusconsuUum et mandata et constitutiones collegium célébrât.

(3) Gau.s, d., liv. III, tit. IV, fr. f, semble dire le contraire : Neque societas, neque collegium, neque liujusmodi corpus, passim omnibus haberi conceditur. Mais la suite du texte et l'intitulé même Qund eujuscumquc unireisitatis nomine agitur indiquent qu'il a surtout en vue la personnalité civile : Paucis admodum in causis conressa sunt liujus modi corpora..., et il cite, à litre d^xcmples, le fermage des impôts, l'exploitation des mines d'or ou d'argent et des salines.

(4j Slétone, Cas. vit., c. xLii : Cuncta collegia prêter antiquitus constituta distraxit.

(5) II)., Oci. vit., c. XXXII : Et plurim* factiones, titulo ollegii novi, ad nullius

non farinoris socielatem coibant collegia pra'ler anliqua et légitima dis-

solvit.

57

manière générale, touto ttoieiv aùxwv [jiviS'Iv 'Piout] x£xo))vu[x£viov (1) : un pareil décret ne fut rendu en taveur des chre'tiens que par Constantin, car l'e'dit de Gallien en 259 n'était point encore une reconnaissance le'gale. Aussi a-t-on dit avec raison que sous les empereurs, le ju- daïsme, à l'inverse du christianisme, a eu des rëvolte's, mais non pas des martyrs. La correspondance avec Trajan ne fait nulle mention des Juifs, et nous savons que le nombre en était grand en Bithynie dès le temps de Cice'ron ; mais en même temps Pline envoyait au supplice les chre'tiens qui n'e'taient pas moins nombreux; à l'en croire (2), il y en avait de tout âge, de tout rang, dans les deux sexes. Tels apparaissaient les progrès de la secte nouvelle, dont la destine'e e'tait de se heurter aux fantaisies de certains princes, non moins qu'à l'esprit d'ordre des autres.

K C'est alors, observe M. Villemain, que, maigre' cette surveillance inquiète et continue, la plus grande, la plus intime, la plus irre'sistible des associations se propageait avec une incroyable rapidité', d'un bout de l'empire à l'autre. C'est alors que les préjugés de race, les bar- rières des conditions libres ou serviles tombaient de toutes parts, et que, dans le sein de la grande hétérie chrétienne, il se formait inces- samment des assemblées, des Eglises, unies entre elles d'un même lien, obéissant à la même foi, et s' écrivant l'une à l'autre : L'Église

de Dieu qui est à Rome à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe Et

c'est ainsi sans doute que, tardive en apparence et longtemps cachée,

(1) JosÈphe, Jlnl. jnd., 1. XIV, C. X, 8 ; Kai yàp Faio? KaÎTap ô r|U.£T£po; TTpaTriYo; y.at uTtaTo; xw^ywv Otiaou; (jyvâYEcOai xarà TtoViv, povou; toûtouc oùx ÈxoV/uaev oOte XÇTi^s.a.xa. (7'jv£i09Ep£iv, oûtE cîûvôetTtva TTOiEÏv ôfxotw; Sa xàyw toÙ; a).),&\j; ôtàaou; xw).Oa)v, ToÙToy; |j.ôvciu; èTri-tpÉTTaj xarà Tiâipia I'Oy) xat vôfj.ijxa (juvâveaBaî xai ÏTTaaOat, Celte reconnaissance ne comportait pas d'abord le droit de recevoir des legs, comme le prouve un rescrit d Antonin au Code, liv. I, tit. IX, 1. 1 : Ouod Cornelia Salvia universitati Judseorum qui in Aniiochiensiumcivitate constituti sunt legavit, peti non potest. Cf. le commencement du texte, cité plus haut, du jurisconsulte Paul : Quum Senatus temporibus divi Marci permiserit coUegiis legare, nuUa dubitatio est, etc.

(2) toc. cit. : Multi enim omnisaptatis.omnis ordinis, utriusquesexus etiam vocan- tur in periculum, et vocabuntur : neque enim civitates tantum, sed vicos etiam at- que agros superstitionis istius contagio pervagata est. Origène avait donc bien le droit de dire vers 235 : "Oti ijlèv ouv Guyxpto-et toO é^yj; 7t).Tî6-ju; ôXîyoi rjcrav àp^ôfAEvoi */pi(TTiavoî, SrjXoV xaÎTOi Trivtiri •^o'av ô)îyot. C. Ceh., I. III, c. x.

58

une Église d'Afrique parut à la fin du second siècle, forte de tant d'e'vêques, disse'mine'e sur tant de points, invincible dans sa re'sistance, et de'fendant la cause commune pour l'Italie même, comme pour l'Afrique. « Nous ignorons e'galement les origines de cette Eglise de Bithynie à laquelle déjà saint Pierre e'crivait (1), et comme pour les Eglises de Gaule, ce sont les martyrs qui nous en re'vèlent les pre- miers l'existence. jNous ne connaissons pas non plus le motif précis de la persécution que Pline suscita contre elle ; ses membres seulement auraient perdu leur temps, si alors ils lui eussent tenu ce langage (2) : ti Vous dites que nos re'unioiis ne sont pas re'gulières, et vous nous faites un crime de notre nombre ; vous auriez bien plutôt recon- naître notre société' religieuse qui reste étrangère à tout ce que vous redoutez des associations illicites. » 11 s'était enquis des assemblées chrétiennes, et la description qu'il en fait est remarquable; lui-même avait constaté par la torture qu'il ne s'y commettait rien de mal, et il ne croyait pas trouver une application directe de son édit contre les hétéries(3), puisqu'il en référait à l'empereur. Tout au moins, s'il avait cet objet en vue et se jugeait insuffisamment armé, eiit-il du lui demander un sénatus-consulte ou un décret spécial de dissolution du collège des chrétiens.

On a pensé que le refus des chrétiens d'abjurer, cette obstination inflexible que Pline déclare avoir voulu punir (4), constituant une

(1) I Ep., c. I, V. 1 : IlÉTpoç àTv6(7To)oc 'Irisoû XpiiTToO £x),exToïç 7rapeui8T)[ioiî ôtaduo- pâ; nôvTou, ra).aTÎaç, Ka7r:ra5ox£a:, 'Affia; xat BiÔuvi'a;... C. v, V. 12:5ià -O.ouavoù û(itv ToO TrtiTT'jù àoEÀçoO, w; ),oYÎî!o(xai, Si' oÀi'ywv Ëypavl/a. Cf. Pline, loc. cit.: (Christian!) fuisse quidein, sed desiisse quidam ante/^/M'cv nmws, non nemo anle vigiuti quoque.

(2) Dicitis enim quoni;iin incoiidite roiivenimus et compluresconcurrimus in ei cle- siam.. proinde nec paulo leiiius iiiter lirilas factioiies sectam istain deputari opor- tebat aqua niiiii laie coininittitur, quale de iilicitis factionibiis tiinerisolet. Ti:i\t., Apol., c. xxxvm, cl De j'agn in persec, C. iii. AiUeurs, Adnai., 1. 1, c. xx, il demande en plaisanlanl s'il n'y a point au fond de celle question une jalousie de métier : Aut numquid ipso vos coilcîjio offtiulimus? Solet a-qualilas a-mulalionis maleriam sub- ministrare : sic fifjulus fijjnlo. faber Faliro invidcl.

(3j II est bon, du reste, de remarquer que les chrétiens u'avaienl pas cessé les réunions religieuses du dimanche malin, mais les a;;iipe.s du soir, repas en commun qui figuraient parmi les privilèges des associations reconnues ; quod ipsum de- siisse ■■■ , dit Pline

(4) Loc. cit. Neque enim dubitabam, quaiccumque esset quod faterentur, pervi- caciam cerle,el inilexibilem obstinalionem debere puniri. Voir aux Comptes rendus

59

sorte de délit d'audience, pouvait servir à caracte'riser leur crime ; mais il a e'te' re'plique' avec beaucoup de justesse qu'il e'tait difficile d'admettre que Pline eût cre'e' un de'lit, que le délit ou le crime était antérieur à la proce'dure, qu'il existait dans le fait du christianisme des accuse's. Le corps du délit, Pline l'a défini lui-même : Nomen ipsunij sijlagitiis careat , anjlagitia cohœrentia nomini i)iiniantur ; or, l'alternative est clairement résolue (1) par le rescrit de Trajan qui ne parle pas d'infamies commises en particulier ou en commun. Pour lui comme pour son légat, la question dépasse le cercle de l'association et atteint l'individu; soit qu'il fréquente ou non les assemblées, sa qualité de chrétien est illégale, c'est le nom seul qu'il faut punir. Dion Cassius nous a fourni sous Claude un exemple de suspension du droit de réunion à Rome pour les Juifs, cependant légalement recon- nus et autorisés à conserver leurs usages nationaux (2). Le Sénat, lors de l'affaire des Bacchanales, après avoir interdit les réunions des initiés dans toute l'Italie, se détermina, plus par superstition que pav tolérance, à permettre, moyennant certaines formalités, le culte privé : il réserva ainsi, comme dit M. Aube (3), le droit de la conscience.

En fut-il jamais de même pour le christianisme? Aujourd'hui, nous ne savons quelle fausse pudeur en face de la vérité nue empêche de répondre négativement; on plaide les circonstances atténuantes en faveur de l'honnêteté relative des empereurs ; on parle beaucoup de leur philanthropie, et l'on ne considère point quelle était leur dureté vis-à-vis des chrétiens. « Oui, vous êtes vraiment durs, lorsque vous prononcez qu'il ne nous est pas permis d'exister «, s'écriait Tertul-

de l'Académie des inscrqjtions, 1879, p. 30, la communication intéressante de M. Fer- dinand Del\un\y.

(1) Elle avait été prévue et résolue également par s\i\t Pierre, J Ep., c. iv, v. 15 et 16 : Mf, yâp ii; •j\).û)^ Traij/sTco (b; cpoveù;, r^ xÀÉTirtr];, y\ xaxoTtotô:,, ^ (I); à).).OTpio£7iîff- xoTto;' el ôè w; -/(itaTiavô;, [ir, ata -/u /É<76w, ôoEaÇî'To) ôà tôv (-)eôv èv tw (lépst toûtw.

(2) Hist., I. LX, C. VI : Toû; te "lo-joaiovi; .. oOx èlr^'/OLac jj.£v, tiô ùï or) TraTpio» pîw -/pa)[x='voy; èxélevit [i.r, auvaÔpoi^eoQai. M. Del.vlnay ne rend pas toute la pensée en traduisant : » Mais il ne permit pas les réunions que leur loi commande. ' Philon d'Alexandrie Varis, 1867), p. 198, en note.

iS) Hist.despLTséc.p. l91.TiTE-LivE, I. XXXIX,c.xvni : Ne quaBacchanalia Roma'neve in Italia essent : si quis taie sacrum sokmne et necessar.um duceret, necsiiie reli- gione et piaculo se id omiitere posse, apud prœtorem urbanumprofiteretur, etc.

60

lien (1), embrassant dans cette parole toute l'histoire du second siècle. On insiste encore sur l'adoucissement du droit romain, et l'on ne tient pas compte de cette consultation contre notre culte qu'L'lpien avait re'dige'e, au te'moifjnag^e de Lactance (2), 'i arsenal de vieilles ferrailles •' qu'il lëffuait aux futurs préfets du prétoire, et que mal- heureusement le musée de Justinien ne nous a pas conservé. Quant aux sentiments personnels du jurisconsulte, nous ne saurions les méconnaître; il est resté de lui un |)assage il désigne les chré- tiens par le nom d'imposteurs (3). Aussi à quoi bon une procédure à leur égard? il ne pouvait y en avoir, ou plutôt il fallait plier la procédure commune aux contradictions de l'arbitraire. La torture, qui partout ailleurs avait pour but d'arracher un aveu, devait ici amener sur les lèvres une négation (4). En tout autre cas, le crime une fois constaté, la tâche du juge était achevée; dans cette espèce, elle commençait (5). Enfin la sentence de condamnation ou d'abso- lution se trouvait entre les mains du coupable, puisqu'il cessait de l'être à son gré. Et l'on voudra inscrire ensuite les chrétiens sous la rubrique complaisante d'accusés politiques : on oublie de citer un reus majestatis à qui il ait suffi de détester sa conspiration pour être acquitté. Si l'orateur africain (6) base quelque part sur les accusa- tions de sacrilège et de lèse-majesté le résumé de la cause, il montre ailleurs combien l'application était loin de répondre à la définition

(1) Apol., c. IV : .lampridem quam dure defînitis dicendo, Non licet esse nos.

(2) Imi. dir., 1. V, c. XI. Quin eliam sceleratissimi homicidae contra pios, jura impia condiderunt, nain Doinilius, de officio proconsuUs lihro seplimo, rescripta prin- cipuin nefarJa coHegit, ut doreret quibus pœnis affici oporteret eos qui se cuUores Dei coiifilerentur.

(3) I)., liv. L, lit. XIII, fr. 1, § 3 : Non lamen si incantavit, si imprecatus est, si (ut vuigari verbo inipostorum utarjexorcizavit.

(4) Tekt. Ad nul., I. I, c. II : Nain nocentes quidein perductos, si adinissuin negent, tormenlis urgetis ad confessionein, christianos vero sponle confessos tornienlis compriinitis ad negationem. Mi\. Ff.lix, Ociav., c. xxvu : Quasi ratio, non insti- galio da-monis judicaret urgendi magis, non ut diffiterentur se christianos, sed ut de incestis, stupris. de iinpiatis sarris, de infantibus iinmoiatis falcreiitur.

(5) Lactance, loc cit. : Vidi ego in Bithynia pra-sidein gaudio iniral)ililer elatum, tanquain barbarorum {jenfem aliquain sul)egisset; quod unus qui per bienniuin inajina virtule resliterat postremo cedere visus esset.

(6) Apot,, c. X : Sacrilegi et majestatis rei convcniinur : suinma ha'C causa, inio iota est.

61

légale (1). Une seule chose est admissible, c'est que les magistrats romains aient emprunte' à cette cate'gorie de crimes leur mode d'in- struction comme e'tant le plus large, et leur pénalité comme étant la plus variée (2) : ce qui les y autorisait, c'était la véritable mise hors la loi dont le nom chrétien était l'objet, et que déguise à peine le titre de crimen exlraor dinar ium suggéré par la législation elle-même à Baudouin, non sans quelque vraisemblance (3). On ne peut nier que nous nous trouvions ici en face de la persécution religieuse.

Doit-on renoncer à se procurer une notion exacte des sentiments qui animaient l'État romain contre l'Église chrétienne? INous ne le croyons pas. A toutes les périodes de son histoire, l'Église en quelque pays se présente à l'observateur dans une situation analogue à celle que lui créait le paganisme antique. Souvent il a été objecté qu'une telle situation ne saurait être comprise à la lumière de nos idées mo- dernes, taudis qu'on jugeait inutile de signaler la coïncidence de la propagation de ces idées dans le monde avec la prédication du chris- tianisme. Mais on n'ignore pas qu'il y a des parties de notre globe le christianisme est apporté en ce moment comme il l'était à la Grèce ou à Rome. Là, précisément, malgré une civilisation incon- testable, les idées qu'on appelle modernes n'existent pas. L'homme païen est vivant sous notre regard; si nous l'interrogeons, il nous dira ce qu'il pense de la religion chrétienne, et sa réponse, comme il est naturel, nous paraîtra identique avec celle d'unRomain du second siècle. « Depuis les derniers jours de janvier 1878, nous sommes sous le régime de la persécution, dit une lettre de Corée datée du 12 avril

de cette même année Ce n'est point encore une persécution gêné

raie. Les arrestations sont faites, dirait-on, par accident, sans ordre du

(1) n., liv. XLVUI, tit. XHl, fr. ix, § 1 : Sunt autem sacrilegi qui publica sacra compilaverunt. Teut- M Scap., c. ii : Nos quos sacrilegos existimatis nec in furto unquam deprehendistis, neduin sacrileîjio. Omnes autem qui templa despoliant, et per deos jurant, et eosdeui colunt, christiani non sunt.

(2) D., tit. cit., fr. iv et vi; tit. XVHI, fr. x, § 1 ; tit. XI\', fr. xiii : Hodie iicet ei qui extra ordinem de criniine cognoscit quani vult sententiam ferre, vel graviorem vel leviorem : ita tainen ut in utroque modo rationem non excédât.

(3) Commeniaiii, p. 33 : ' Krant capitales quaedam quaestiones cognitionis extraor- dinariae, ut et crimen extraordinarium abs jureconsuUis appellatur. Ejus generis videtur Roraa* fuisse crimen religionis cliristian*. •'

62

gouvernement central. « En particulier, l'e'vêque français, de'couvert, est jeté en prison, puis au bout de cinq mois reconduit à la fron- tière (1). Le {jouvernement japonais, qui était intervenu, reçoit alors le rescrit suivant du roi de Corée : " Depuis les premières origines de notre royaume, nous observions les bienséances et la justice, nous empêchions et écartions toute aulre doctrine. Aussi, s'il se trouvait quelqu'un qui s'éloignât de la voie droite et se montrât rebelle, sans considérer s'il était de notre propre royaume ou d'un royaume étran- ger, faisant notre possible pour le retrancher, nous ne faisions grâce à personne dès qu'd était pris. Il en était ainsi lorsque inopinément l'hiver dernier un étranger fut arrêté à la capitale. Interrogé, il dit qu'il était Français. Etant assis dans un endroit secret et jyrenant un livre, il enseignait aua: gens chantes à être audacieux. A cause de cela il aurait dû, suivant les lois du royaume, être mis à mort. Seu- lement, comme nous avions aussi arrêté plusieurs hommes de notre royaume, nous nous disposions à exécuter cette œuvre, et différant

d'un jour à l'autre, nous les retenions en prison » ]\e pourrait-on

pas se croire transporté 1706 ans en arrière, et de l'extrémité orien- tale à l'extrémité occidentale de l'Asie?

Pline, qui lui aussi se préoccupe de mettre à part les citoyens romains (2), ne se montre pas plus vague et plus précis à la fois : plus vague sur les chefs d'accusation qu'il relève contre les chrétiens et sur la procédure qu'il emploie à leur égard, j)lus précis sur la condam- nation qu'il leur inflige. Le rescrit cité vaut bien celui de Trajan ; il contient même un sous-entendu qui achève la ressemblance : en Chine, comme jadis à Rome, il y a toujours moyen d'avoir la vie sauve, ce n'est que volontairement qu'on est martyr. Mais si l'apostasie

(\) Annales tlf /a propagation (le lafoi, n"' de mars 1871) à mars 1880. Cf. la lellre du i"' mai 1879 dans ce dernier: « l,e même jonr, une vin;;taine de voleurs et une dizaine de eliréliens ont été élran;;lés seerélement en prison, et leurs cadavres jetés hors des portes de la ville. Les chrétiens de la capitale, avertis de ce dénoilment trafique et inattendu, se sont hâtés d'aller recueillir les corps de leurs frères, et ils leur ont donné une sépulture honorable sur la montaj;iie déjà reposent les restes précieux des martyrs de 18CG.

(2) Lac. cit. : Fuerunt alii similis ameutia>, quos quia cives Homani eranl, anno- tavi in Urbem remit tendos.

63

a lies exemples, ils lie sont pas plus fréquents qu'autrefois, et il est juste de re'pe'ter à l'honneur de ces chre'tiens ce qui a e'të dit de leurs pre'deVesseurs dans la foi : et Obe'issaut aux lois tant que leur conscience pouvait y obéir, ils attendaient le jour on leur deman- dait de briller un grain d'encens devant l'image de rem[)ereur : alors, sans haine, sans violence, que l'empereur lût bon ou mauvais, ils refusaient, et la dignité humaine était sauvée (1). » Et qu'on ne pré- tende pas que nous leur prétons après coup un rôle dont ils étaient les acteurs involontaires. Déjà vers 176, l'un d'eux (2) protestait contre cette injuste allégation : «Si nous repoussons, dit-il, les reliefs des sacrifices et les coupes qui ont servi aux libations, nous ne con- cédons rien pour cela à la crainte, mais nous affirmons la véritable liberté. Oui, c'est vraiment dans le sang des martyrs chrétiens qu'a germé pour le monde moderne la liberté de conscience. C'est à leur exemple que l'on arrête tout pouvoir civil, toute action de la force au seuil de son âme.

jNous ne parlons pas assurément du principe de l'égalité des cultes introduit de nos jours, à la faveur de l'émancipation politique, dans un petit nombre de pays. Il ne pouvait en être question à Rome, Cicéron, plaidant pour Flaccus contre les Juifs, formulait ai)isi la théorie religieuse de la République : A chaque État sa religion, l'Etat romain a la sienne (3). « Les Romains ne connaissaient que la religion de l'Etat; toutes les formes du sentiment religieux autres que celle-là leur paraissaient du superflu isiiperstilio), une superfétation qui trou- blait l'ordre établi (4). " Sous l'Empire, tandis que d'Auguste à Dio- clétien se poursuivait lentement, mais sûrement, l'œuvre si merveil- leuse de l'unification administrative, que devinrent les différentes superstitions étrangères, ainsi qu'on les appelait alors (5)? On leur permit de vivre en les emprisonnant dans un culte officiel rendu au

(1) J. J. Ayipknh, l'h'mpiie romain à Home {Varia, 18(j7j, l. I, p. lôO.

(2) Miv. Félix, Ociav., c. xxxvii : Ouod vero sacrificionim reliqiiias et pocula delibata conlemnimus, nou confessio tiiiioris est, sed vera* libcrtalis asserlio.

(3) Pro Flacco, c. xxviii : Sua cuiqiie civitati reliyio est. nostra iiobis.

(4) M. A. BouchÉ-LeCLERCQ, les Pontifes de l'ancienne Rome, thèse soutenue en 1871, p. 310.

(5) Il y en avait d'anciennes et de nouvelles, d'innocentes et de malfaisantes : le

64

gouvernement personnifie' par les empereurs, et Ton peut dire, en ce sens, que le Panthe'on cV Agrippa servit de vestibule au temple de Rome et d'Auguste (1).

Dès le commencement, le petit troupeau des fidèles (2) s'obstina à rester dehors; c'est pour cette raison, et non pour une autie, que pen- dant trois siècles le nom de chrétien fut synonyme d'athe'e. « C'est cette obstination à s'isoler ainsi du reste du monde, à garder leur foi pure de tout mélange e'tranger, pense avec raison M. Boissier (3), qui peut seule expliquer le reproche singulier et si injuste qu'on leur faisait de détester le genre humain, et la violence des persécutions dont ils furent victimes pendant tiois siècles de la part d'un peuple qui avait accueilli avec tant de bienveillance toutes les autres religions. « Il ne faut cependant pas se faire illusion sur la générosité politique des Romains. ^ Si une chose doit être louée chez eux, observait un écri- vain grec du deuxième siècle (4), c'est que leur amour-propre national ne les a pas empêchés de trouver leur bien partout autour d'eux et de se l'approprier. Aux uns ils avaient emprunté leurs armes, qui aujour- d'hui sont appelées romaines à cause de l'excellent usage qu'eux- mêmes en ont fait; à d'autres ils ont emprunté leurs exercices militaires, à d'autres encore les sièges de leurs magistrats et la robe bordée de pourpre. Us ont été jusqu'à prendre les dieux des uns ou des autres pour leur rendre un culte comme à leurs dieux propres. «

Ce syncrétisme peu désintéressé mérite-t-il le beau nom de tolé-

chrisliaiiisme était traité par l'opinion de «superstilio nova ac malefîca " (Suet ), ou prava et immndica - (Pi.i\.), ou exiliabilis > (Tac.)-

(1) M. Di ivLY, dans son travail sur les asseml)lées provinciales au siècle d'Aujjusle, C. r. de l'Acad. des sciences morales, 1881, p. 238 et suiv., dit : ' Tes idées ne sont pas les nôtres, mais elle? étaient celles des anciens, et l'IiiNloire serait souverainenienl injuste si, tout en trouvant ce culte sacriléye. elle reprociiait ù un contemporain d'Auguste de n'avoir point pensé comme un contemporain de Voltaire. Soit, seu- lement ce ne serait que justice h l'Iiisiorien de nommer ici les hommes qui, il y a dix-huit siècles, nous ont appris à penser comme eux ; nous voulons parler des disciples de Jésus Christ.

(2) Saint Llc, c. xii : M/) çoêjù, [Aixpôv iïùi'[J.vtov, ôti eùoôxriaev o TratTiÇi ûjaûv ôoOva ûjxïv Tr;v paoOeiav.

(3) La Religion romaine d'Auguste aux Aiiioniiis (Paris, 1874), t. I, p. 450.

(4) AiilUEN, Tactique, c. xxxiir, 4 : 01 -/.ai Oeo-j; aÙToù;, à'),).ou; Tiap' a).)wv /aêovTE.,

w; ov/.£toyi; ffeêouTiv. Cf. Octar., c. VI : Sic dum universarum genliura sacra susci- piunt, etiam régna nieruerunt.

Ga- rance? Ici nous nous séparons de l'auteur qui, par ailleurs, a su comprendre avec tant de pe'ne'tration le vieil esprit the'ocratique des Quirites, et nous ne nous demanderons pas, surtout à propos du plus sage des Antonins, si 'i ce ne serait pas au nom de cette tole'rance qu'il en vint à violer la tole'rance elle-même en perse'cutant les chre'- tiens " (1). (i Le Dieu des chre'tieiis, dit JM. Villemain (2), le Dieu imma- te'riel et pur e'tait par lui-même la négation et la ruine de tout autre dieu. Mais ce motif qui, vaguement senti, excitait la colère de la foule, pouvait-il irriter JMarc-Aurèle ? » Si tel eût e'te' son sentiment, Marc-Aurèle devrait être mis sur la même ligne que le célèbre Philippe II, car que Ton impose une seule religion ou qu'on les impose toutes, l'intolérance consiste, suivant la juste remarque d'un apologiste (3j, à exiger par la contrainte ce qui n'est compatible qu'avec la persuasion. D'ailleurs, la distance n'est pas si grande de Sa Majesté Catholique à l'empereur philosophe : les martyrs de Lyon, par exemple, n'ont rien laissé à envier aux auto-da-fé de l'inquisition espagnole (4), et les choses répondent aux mots, puisque le conqui- rendi non sitnt de Trajan fut, comme nous le montrerons, pratique- ment abrogé. C'est ce que constate Eusèbe, après avoir cité seulement d'après TertuUien le rescrit impérial , dont il ne saisit pas pour cela

(1) Les Pontifes de l'ancienne Rome, p. 372. M. Ern. DeSJArdiNS a écrit dans le Moniteur de rEmpire, 31 janvier 1861, p. 137 : " Les persécutions ont été souvent mal appréciées; leur histoire, pour avoir été mal comprise, nourrit une étrange illusion. Il faut s'en délivrer, et voir que l'esprit d'intolérance n'était pas d'abord du côté des païens, qui ouvraient le Panthéon à tous les dieux, mais du côté des chrétiens, qui ue voulaient point de partage, méprisaient l'Olympe et pensaient changer la face du monde en appelant les esclaves à la liberté, et tous, les hommes devenus libres à l'égalité. -

(2) De la philosophie slolquc et du christianiswe.

(3) Teut., Ad Scap., c. II : Tainen humani juris et naturalis potestatis est unicuique quod putaverit colère, necalii obest aut prodcst alterius religio. Sed nec relifjioiiis est cogère religionem qua> sponte suscipi debeat, non vi, quum et hostiae ab animo libenti expostulentur

(4) ^ Même dégagées des exagérations de la légende, les persécutions de l'Église restent une des pages les plus sombres de l'histoire. Certes, d'après nos idées, ajoute M. Re.\.\n, Trajan et Marc-Aurèle eussent mieux fait d'être tout à fait libé- raux... Le système libéral est le plus srtr dissolvant des associations puissantes. Voilà ce que de nombreuses expériences nous ont appris. Mais Trajan et Marc-Au- rèle ne pouvaient le savoir. » Jouviud des Samius, dée. 1876, p. 731.

5

66

aussi bien que nous la portée (t) : «i Le danger de la perse'culion qui se'vissait si fort, dit-il, fut alors conjure' ; il n'en resta pas moins de mauvais prétextes à ceux qui voulaient nous nuire, les populations en certains endroits, et en d'autres les gouverneurs des provinces, ma- chinant contre nous, si bien qu'à défaut d'une proscription déclarée, des persécutions locales s'alluuièrent suivant les pays, et de nom- breux fidèles souffrirent diversement le martyre. i'

11. LES APOLOGISTES.

A côté de l'étude juridique que nous venons d'essayer sur les pro- cédés du gouvernement vis-à-vis des chrétiens, il sera bon de résumer les protestations que ces mêmes chrétiens adressèrent successivement à Hadrien, à Antonin, à Marc-Aurèle, semblables à un écho qui se prolonge jusqu'à la fin du siècle. En effet, la défense comme l'accusa- tion nous servira à délimiter le terrain au procès. Nous noterons à leur date les rescrits des empereurs. Ceux qui portaient la parole de- vant eux étaient des Grecs et des philosophes ; ils étaient fondés à espérer le succès, à une époque la i)hilosophie grecque se trouvait sur le trône. Du moins, ces princes étaient-ils capables d'entendre le langage élevé et courageux qui leur était adressé.

Hadrien avait fait ses preuves comme lettré, et possédait avec la même perfection le grec et le latin. Successeur de I.icinius Sura dans la faveur et la confiance de Trajan, ce fut lui qui dut écrire, si l'on admet l'opinion très-plausible de C. de la Berge (2) , les lettres adres- sées à Pline, dont on a loué Ximperatoria brevitas : devenu lui-même

(1) Hisl. ecclcs., J. III, c. xxxm, 2 : ITpô; à tov Tpaïavov ôôy(j.a TotovSe T£0£ixe'vai,T6 •/piiitavôiv çù)/jv (j.-/; èy.î^riTEÏcOxc jxèv, È|j.7I£(jôv ôè xoXâ^effOai ' ow yevonjvûy, xt),.

(2) Élude sur Trajan, p. 290.

67

empereur, il ne laissa pas à un autre le soin de composer ses réponses (1). il se trouvait à Antioche, loi-squ'il fut proclame' en Cilicie par les soins de Plotine le 11 août 117. Il gagna alors la capitale, mais eu partit dès 119 pour visiter le nord et l'ouest de son empire. Traversant Rome vers le milieu de 121, il repartit pour l'Orient, il séjourna quatre ans etdemi. Ce n'est pas en Grèce qu'il aborda, mais dans la pro- vince d'Asie, qu'il visita curieusement, ainsi que toutes ses îles, après avoir commencé sans doute parla ville d'Éplièse, suivant l'usage (2). Partout du reste, sur le passage du voyageur impérial, les vieilles cités relevaient leurs monuments et célébraient des jeux (3). Ce pays avait été jadis évangélisé trois ans (54-57) par saint Paul, et plus tard, plusieurs de ses lettres avaient circulé parmi les Eglises d'Eplièse, de Colosse et de Laodicée. Ensuite était venu de Jérusalem à Ephèse saint Jean, qui y mourut très-vieux; la vénération qui entourait son tombeau vers 195 (4) donne une idée de l'impression profonde qu'il laissa après lui. A la même époque, on montrait encore à Hiérapolis de Phrygie le tombeau du diacre Philippe et de ses quatre filles pro- phétesses (5), dont Papias, leur contemporain, disciple de saint Jean et évêque de cette ville, a rapporté les miracles, en particulier la

(1) Julien, Cœsares, c. xx.yiii : At'SoTai (xeTà toùtov tw Tpatavw xoO )iY£iv £|ou(TÎa" ô ÔÉ, xaÎTrep 8vivx(/.£voi; ),£y£iv (ûttô pa9u[AÎa; ÈTiiTpÉTtEiv yàp eIûOsi •7ioX),à Ttji -oypa ypà?£iv uTTÈp a-jToO), ç6£yy6[1£voç [Aà).)ov r, liyiù^.— Spart., Vit. Hadr., c. m : Quuin ora- tiouem iniperatoris in seiiatu agrestius pronuntians risus esset, usque ad sunimam peritiam et facundiam latinis operam dedil; et defuncto quidem Sura Traj;!iii ei fa- miliaritas crevit causa praecipue orationuiii qiias pro imperatore dictaverat. Cf. c. XX : Nain ipse et orationes dictavit et ad omnia respondit.

(2) Ihid., c. xiii : Post haec per Asiam et insulas ad Achaiam iiavijjavil. Cf. 1»., liv. I, tit. XVI, fr. IV, § 5 : Proconsul! necessitatcm impositam per mare Asiam applicare xal TôJv (j(,r|Tpo7i:6>,£wv 'Eçesov primam atlini',ere. L'abljé Greppo, Mémoire sur les voya- ges de l'empereur Hadrien (Paris, 18i2), p. 1C7, signale de beaux médaillons d'argent frap- pé à son arrivée.

(3) Loc.cit., c. XIX : In omnibus pa'ue urbibus etaliquid a-dificavit et ludosedidit. Dion Cassius, Ep., 1. LXIX, c. x : 'Ettoiei 8s xaî Ôs'atpa y-aî àywvxç, uspwopsyôjjievo; ta; 7r6),£ii; av£y ty)ç PaffO.ix^; (Aéviot irapaaxEu^;* oùSè yàp ë?w tt;; 'Pwjjlvi; é'/p/juaTO 7roT£

(4) Hisi. eccl., 1. V, C xxiv, 3 : lettre de l'évéque d'Éphèse, Polycrate, au pape saint Victor.

(5) Ihid., 1. ni, c. XXXI, 4, le prêtre C.4IUS de Rome, dans son dialogue intitulé Proclus, dit : M£Tà toOtov 5e TtpoçvÎTiOE; TÉtrcrapEç al <ï>iXt7niou y£y£'vr|VTat Èv 'l£pa7vô),£t TT] xaxà Triv 'Affîav ô xàçoç a'jTc5v Èaxiv £X£t xal 6 toO uaxpô; aÙTwv. Cf, /Ictes, c. xxi, V. 8.

5.

68

résurrection d'un mort. Non loin de là, à Magnésie sur le Méandre, un autre disciple des apôtres, twv à7rojTo)o)v (xxou'îT-/i(;, Qnadratus, et lui aussi prédicateur de l'Evangile, avait dépassé le règne de Trajan. L'auteur anonyme d'un écrit contre l'hérésie desmontanistes (de la fin du deuxième siècle) le nomme parmi les chrétiens célèbres doués de l'esprit prophétique, aprèsles filles de Philippe et à la suite d'Ammia, originaire de Philadelphie (1). Il vit Hadrien et lui remit un placet en faveur de la secte nouvelle, qui se voyait alors plus spécialement inquiétée par la malveillance locale: c'est la premièie afiologie (2). Elle ne nous a pas été conservée, mais Eusèbe, qui l'a eue entre les mains, cite un passage (3) Quadratus parle des miracles du Sau- veur, des guérisons opérées, des morts ressuscites et encore vivants à son époque, c'est-à-dire vers 123. Dans le cours de son voyage, l'em- pereur, qui, après avoir peut-être prêté l'oreille un instant, avait passé outre avec un sourire pareil à celui qui accueillit saint Paul à l'Aréo- page (4), reçut précisément du proconsul de la province d'Asie, Q. Licinius Silvanus Granianus (5), sur la fin de sa charge, une lettre exposant les troubles qui se produisaient au sujet des chrétiens et demandant si le cri populaire constituait une accusation. Ce fut sou successeur, C. Minicius Fundanus, 124-125 (6), qui reçut la réponse. Elle était en latin, mais nous n'avons plus que la traduction grecque qu'eu fit Eusèbe, xaxà ouva(j(.iv (7), sur l'exemplaire authentique repro-

{\)Hist. ceci., l.V,c. xvii, 3 : Ouïs 'Ayaêov.oÛTe'IojSav, oùte 2î),av, oûxs xàç «iJO-iTiTrou ôuyaTÉpotç, ouTî Tr)v èv <I>i),a5E).3£(a 'A[X[jiiav, oOre Koôpàxov. Une inscription du Louvre (n" 66 du catalogue de Froehner) conserve le souvenir du passage d'Hadrien à Magnésie, Mâyvr|T£; o\ tt^o; tw Ma'.âvSjxo..., fiwfiîôjv ÈçaipîTwv t'j/ovte; Onô Oeoû TpaïavoO 'ASpiavoù. Cf. le Corp. insc. Greec. de Berlin, n" 2910, elle est attribuée à Magnésie en Carie.

(2) Ibid., 1. IV, C. III ': To-jtw Koopàxoç Xôyov Ttpoaçwvria'x; àvxotowciv, aTioXoyîav o-yvToi^aî ûitàp tÎ); xaO' TQ[J.àç ÔEOffEoEca; oxt or\ uovïjpotxtvEç àvopEç touç T||X£T£poy<; EvoyAslv

ETTEtpWVTO.

(3; Corput apologet., éd. Otlo, V. IX, p. 339.

(4) Actes, c. XXVII, V. 32 : 'AxoûaavxEç 5k àvâcrxaaiv vExpwv, o't (xèv £-/)vEy3(^ov ot Se Eiiiov, cxxou(jô|j.£0(i croy Trâ/.tv 7t£p\ xoûxou.

(5) Tels sont ses noms d'après les inscriptions; cf. WAnDi\GTo.\, Fastes, % 128. Eu- sèbe écrit, au lieu de Af/twioç, ilEpÉvvtoç. ,

(6) BORGHiiSi, ORwres complètes, t. VIII, p. 464, et Waudington, Fastes, § 129. Le grec porte : MtvoOxio;. Minucius se confondait souvent avec Minicius.

(7) Hisi. eccl., 1. IV, c. VIII, 8.— ÛTTO, vol. I, p. 190 (3* éd.), donne le texte latin de

69

duit par saint Justin à la fin île sa première Apologie. Hadrien veut que les provinciaux affirment devant le tribunal du gouverneur leurs pre'tentions contre les chre'tiens, de manière qu'ils aient à en re'- pondre et qu'ils ne se contentent pas de recourir à des requêtes tumultuaires et à des clameurs (1). Il ajoute qu'il eût e'té préférable que quelqu'un eût présenté une accusation en règle (2) dont on aurait pu connaître. Puis il trace la marche à suivre pour l'avenir (3) : l'ac- cusateur qui apportera la preuve d'une contravention aux lois devra obtenir une sentence conforme à l'étendue de la contravention; mais celui qui sous ce prétexte se ferait l'auteur d'une dénonciation calom- nieuse, serait pour ce méfait jugé et puni.

Overbeck, après le théologien Keim (4), a nié l'authenticité de ce rescrit (5). Hadrien, dit-il, n'a pas pu abroger la loi de Trajan, puis- que nous la voyons appliquée au delà même du règne de Commode jusque sous Septime Sévère; il ne l'a pas voulu, puisqu'il était per- sonnellement hostile aux chrétiens et a permis que plusieurs martyrs souffrissent de son temps. M. Aube insiste sur deux autres considéra- tions (6): le silence de l'orateur africain dans son Apologétique : (i Comment admettre, si la pièce était authentique, ou seulement car la critique de Tertullien n'est pas sévère si elle était composée à la fin du deuxième siècle, que Tertullien ne l'ait pas connue, ou que.

Rufin comme l'original, sur la foi de Kimmel, De Rufino Eusebu ïnterpreie (Gerae, 1838), p. 175. Overbeck et M. Aube l'admettent également sans discussion. IVlais que l'on compare la version latine d'Eusèbe, très-exacte, qui se trouve dans Mamachi, Ori- gines christ., t. I, p. 431, en note, et l'on sentira la différence des deux textes.

(1) Ceci rappelle le tumulte de l'année 57, à propos de saint Paul, à Ephèse, dans ramphilhéâtre, et le renvoi des mécontents aux sessions du proconsul. /îc/m, c. xix.

(2) Veulogium remis au proconsul Pudens, à Carthage. Tkrt., AdScap., c. iv.

(3) Ei' Tiç O'jv xaTrjyopsî xolk ôecxvuat Tt Tiapà Toùç vôfAouç TtpaTxovTaç, outwç ôtôpi^s itaTa Tïiv 8yva[itv xoO ôtjjLapnQf/.aTOç- [jià tov 'HpaxXIa, eî' xn; auxoçavxtaç ^dtpiv Toùxo Ttpoxeîvot, Sta>,d(jj.6avs -juàp xriç Setvôx'oxoi;, xa\ çpovxiÇe ottwç av èxStxYJastaç.

(4) Bedenhen gegen die Echtheit des Hadrian schen Christenrescripts, dans les Theologische Jahrbiicher de Baur (Tiibingen, 1856), p. 387 et's.

(5) Siudien, p. 134-148 : " Es bildet jetzt nur ein Glied in einer Kette von lilusio- nen der alten christlichen Apologeten, und ist darin nicht einmal das auffallendste Glied. .

(6) Hist. des perséc, p. 271 ; les objections portant sur le style tombent, s'il est de Rufin. C'est ce que répond Funk, qui défend l'authenticité du rescrit, Theologische Quartalschrifi (Tiibingen, 1879), p. 111 et s.

70

la connaissant, il no s'on soit pas servi et nVn ait pas même fait men- tion? " La place de la lettre dans \ Apologie de saint Justin, « dont elle lie fait pas partie intégrante, elle vient à la fin, comme un appendice qui ne s'y rattache que d'une manière artificielle et gauche, et pourrait être supprime'e sans que rien parût manquer « . Pour ce dernier point, en effet, c'est une affaire de goût, et M. Aube' lui-même avait trouvé ailleurs (1) ^ que c'était d'une habile politique, et qu'il e'tait bien permis à l'avocat du christianisme d'employer ce dernier moyeu de défense après avoir épuisé tous les autres " . Quant au pre- mier point, M. Aube se charge également de démontrer (2) que le document en question était à tout le moins composé une trentaine d'années avant la fin du deuxième siècle, puisque, vrai ou faux, il est mentionné par Méliton, évéque de Sardes, dans son Apologie à JMarc- Aurèle, vers 172; sans compter que ce témoignage est plutôt une ga- rantie d'authenticité, en ce qu'il représente la tradition locale. (Sardes est une ville de la province d'Asie.) 11 n'y aurait que le silence du pays intéressé au rescrit, qui pourrait valoir contre celui-ci (3); car il règle une difficulté jusque-là plus particulièrement propre à cette province, et ce n'est certes pas la dernière fois que nous y entendrons les cris de l'amphithéâtre demander la mort des chrétiens. Tertullien peut donc bien n'avoir pas connu le rescrit, et son authenticité reste intacte. Wieseler (4) remarque très-justement qu'Hadrien n'accorde pas aux chrétiens une reconnaissance légale : l'empereur se contente de s'en référer aux lois existantes, et loin d'abroger la loi de Tiajan, comme le veut Overbeck, ill' applique, en décidant que les réclamations de la foule sont une dénonciation anonyme. Et comment aurait-il agi d'une façon différente, si c'était lui qui avait tenu la plume |)our la

(1) Saint Justin, philosophe et martyr, p. LI.

(2) Saint Justin, p. 61 ; cf. Hist. desperséc, p. 302. Corp. apol., vol. IX, p. 413 : 'O \iïw TtaTiTtoç ffO'j 'Aopiavoç 7to/,).oî; (xàv v.où a).).oiç, xa\ 4>0'jv5avâ) àvOuitâtto, r|you|i£vw ôè Tf|Ç 'Aaiy.Q ypâ:f.(i)v cpaivETat.

(3) « Les traviiiix de M. Waddinglon sur les légats impériaux de la province d'Asie, en fixant la date des proconsuiats de Granianus et de Minicius Fundanus, et en don- nant les lignes essentielles de leur carrière politique, ont ajoute à l'opinion tradi- tionnelle sur ce point beaucoup de solidité- " M. Rk.vav, Journal des Savants, déc. 1876, p. 729.

(4) " Das Kdict gewa'hrt den Cliristen keine geselziiche Rcligionsfreilieit. - P. 18.

71

rédaction du décret de son prédécesseur? 11 ne le cite point, il est vrai, mais il se sert d'une expression plus vague, qui ne l'exclut pas. Cela étonne M. Aube : « Rien d'équivoque, dit-il, comme la partie positive de la lettre « ; et il cherche à préciser les cas il y aura (Tuy.ocpavTi'a, mais il en oublie un, toujours possible, le seul probablement qu'Hadrien ait eu en vue : un chrétien est accusé d'être chrétien, et cependant il sacrifie aux dieux voilà la calomnie (1), l'accusateur devra être puni. Cette disposition n'est que le corollaire de l'immunité accordée par Trajan à l'apostasie. Rigoureusement appliquée, elle eût pu diminuer le nombre des accusations, si la plupart des fidèles de ce temps ne s'étaient montrés tels que Pline les a vus (2), aussi l)ien que Marc-Aurèle, obstinés dans leur foi.

Hadrien cependant avait d'eux une opinion moins favorable. Voici ce qu'il écrivait, en 131, au sortir d'Alexandrie à son beau-frère Ser- vien (3) : « Cette Egypte que tu avais coutume de me vanter, je la sais maintenant par cœur, avec sa légèreté, sa mobilité, son empoi- tement facile à toutes les impressions du moment. Là, les adoi'ateurs de Sérapis sont aussi chrétiens, et ceux qui s'intitulent évêques du Christ n'en sont pas moins dévots à Sérapis. Là, tout Juif chef de synagogue, tout Samaritain, tout prêtre des chrétiens est en même temps astrologue, devin ou charlatan. Le patriarche lui-même venant en Egypte se voit obligé par ceux-ci d'adorer Sérapis, par ceux-là

le Christ Bref, ils n'ont qu'un dieu, l'argent : c'est à lui que

chrétiens, Juifs (4), et les autres, de quelque race qu'ils soient, rendent leurs hommages. « Nouvel exemple d'une Eglise sur les ori-

(1) Par analogie, un exemple pris clans Spautien, Vit. Ser., c. m : Reus factus, sed a praefectis prsetorio quibiis aiuliendiis ftierat... absohitiis est, calumnintnrc in criicem acto.

(2) Quorum nihil cogi posse dicuntur qui sunt rêvera christiani. Com., 1. XI, c. m : Kaxà 4"^'^' itapaTalw, o\ ^(ptaTtavot.

(3) Vopisc , lit. Saturniiii, c. viii, dit qu'il tire cette lettre des livres de Plilégon, l'affranchi, et même, selon Spartien, le prête-nom littéraire d'Hadrien.

(4) Unus illis deus nummus est : Ininc christiani, hune JudtTi, hune omnes vene- rantur et gentes. Loc. cit., éd. Peter. D'autres éditeurs récents des Scrij}ioreshis- loriœ Augnstœ, Jordan et Eyssenhardt, ont bien imprimé cette étrange note, p. 208, t. II (Berlin, 1874) : « Ilic et alibi fraudem prodit homo christianus Iladrianum ementitus. »

72

gines de laquelle nous somiius ppu renseifjne's (1), et qui se révèle à nous pleine de vie avant le milieu du deuxième siècle. La descrip- tion peu flatteuse qu'en fait l'empereur re'pond fort bien à la tour- nure sceptique de son esprit, et à l'impression que Tetat religieux d'Alexandrie pouvait produire sur un profane. Cette population ser- vile et turbulente, que gouvernait un chevalier romain avec les fonc- tions de vice-roi, devint dès le principe le foyer de toutes les agita- tions he're'tiques , et pre'cise'ment à l'e'poque d'Hadrien, elle était en proie aux sectes varie'es et bizarres du gnosticisme (2). Mais ce n'était pas sous cet aspect qu'il avait d'abord connu la religion chrétienne, lorsque celle-ci lui fut exposée par Aristide à Athènes pendant son séjour de l'hiver 125-12G.

A cette date, Hadrien, qui venait de se faire initier aux mystères d'Eleusis, présidait dans la capitale de l'Attique des concours de toute sorte (3). Le jihilosophe chrétien, lui adressant la parole, emjirunta certaines notions du Timée et s'en servit pour arriver à la conception d'un Dieu unique; cette conception, par l'énumération des différentes races, il la montra commune à tous les peuples, et revendiqua alors pour la religion nouvelle, dont il glorifia le divin Fondateur, le droit à l'existence. Il dénonça enfin à l'équité de l'empereur la mise à mort de saint Denys l'Aréopagite , premier évêque d'Athènes, converti par saint Paul en 52 (4). Telle est l'idée imparfaite que nous pouvons

(1) La situation d'Alexandrie dans le bassin de la Méditerranée, son importance, ses rapports fri'quents avec la Jndée, donnent lieu de faire remonter à la fin des temps apostoliques la f >ndation de son Église La tradition qui l'attribue à saint Marc, disciple de saint Pierre, et qui est consignée dans la Chronique d'Euscbe, se trouve corroborée par l'existence, au sud-ouest de la ville, d'un cwmeteiium. S. Marci ciangclis/œ in loco qui dicitur Bucoliii, dont M. Wes"her a retrouvé quelque hypogée. Cf. Bull. 1865, p. .07 et S. L'Epitre, dite de saint Barnabe, qui allégorise l'Ancien Tes- tament, est un écho des controverses avec les Juifs, et a drt émaner de cette Kglise vers l'année 97.

(2) Saint .Ikuômf, De vir. ill., c. xxi : Moratus autem est Basilides, a quo gnoslici, in Alexandria temporibus Hadriani; qua tempestate et Cochebas, dux Judaïcan fac- tionis, christianos variis suppliciis enecavit.

(.3; Dion Cassils, Ep., I. I.XIX, c. xi : 'Aç'.xÔ|j.îvo: s; tv 'E/.Xioa ÈitwTîTcVTe Ta |jL'j'7T-/-,p'.a. Spautif.n, lit. Hadr., c. xiii : Et Eleusinia sacra exemplo Merculis Philip- pique susccpit, inulta in Athenienses contulit et pro a;;onolhcia resedit.

(4j Hist.rccles.A. IV, C \xiii, .3 Corp. Apol., vol. IX. p. .3f f, mention dupelit Mar- tyrologe romain du 8 octobre : Athenis Dionysii Areopagita?, sub lladriano diversis

73

nous faire de son apolo{jie, qui ne nous est parvenue qu'à Telat de frag^ment. Elle e'tait encore Irès-re'pandue au quatrième siècle; Eusèbe nous le rapporte (1), et saint Je'rôme te'moigne de sa haute valeur litte'- raire (2). Ce que Ton en possède aujourd'hui a e'te' retrouve' en 1878 dans un manuscrit arnie'nien ; nous avons eu occasion de discuter ailleurs la question d'authenticité', depuis reprise en Allemagne et re'solue affirmativement (3). Nous avons expose' e'galement alors quelles raisons pouvaient faire attribuer à Aristide l'Epitre à Diognète (4).

La situation violente au milieu de laquelle vivaient les fidèles ne devait pas changer de sitôt; c'est pourquoi les protestations continuè- rent à se produire. La démarche d'Aristide, et aussi son e'crit, furent imite's par saint Justin au commencement de l'anne'e 139. Nous ap- prendrons par la suscription même delà nouvelle apologie, les qualite's de son auteur. « A l'empereur Titus JE\iu& Hadrianus Antoninus Plus, Ce'sar-Auguste, et à son fils Verissimus, philosophe, etàLucius, pliilosophe (5), ne' de (Ve'rus) Ce'sar, adopte' par Pius, ami de l'instruc- tion, ainsi qu'au Sacré Sénat et à l'universalité du peuple romain, pour les hommes de tonte race injustement haïs et persécutés : moi l'un d'eux, Justin, fils de Priscus, petit-fils de Bacchius, citoyen de Flavia Neapolis, ville de la Syrie Palestine, j'ai rédigé cette adresse

tormentis passi, ut Aristides testis est in opère qiiod de christiana religione coni- posuit.

(1) Hist cccles., c. III, 3 ; Sto^sxat ys et; SîOpo uapà TÙ.zla-zoï^ -/«'i r) xoûxou ypaçri.

(2) De vir. ill., c. XX : Quod iisque hodie perseverans apud philologos iiigenii ejiis indicium est. Ep. 83 (ad Magnum) : Apologclicnm pro christianis obtiilit, contex- tum philosophoruin sententiis, quem iniitatus postea Juslinns et ipse philosophus.

{S) Sancii hisiidis philosopki Aiheiiieiisis scnnorws duo (Venetiis, in nionasterio s. r.a- zari, 1878). De ârislidis philosophi Alheniensis, etc., dispuUwit L. RiuniLER (Posen 1881, 17 p. in-i").

(4) Revue des questions historiques, 1" octo))re 1880 : TApologie d'Aristide et rÉpître h Diognète. Cf. Bulletin critique, 1" janvier 1882, p. 310 et s. Cette Épître est une réponse à la demande d'éclaircissements formulée par Diognète, probablement l'un des maîtres du jeune Marc-Aurèle. D'après le manuscrit unique, elle était attribuée à saint Justin, faussement de l'avis de tous, mais le plus grand nombre des critiques l'ont reconnue pour être de son époque. Telle est aussi la conclusion de l'élude récente du D' .(. Dhaeseke, Der Brie/ an Diognctos (Leipzig, 1881), p. 130.

(5) Cette qualification équivaut à étudiant en philosophie, et ne peut s'appliquer qu'à l'extrême jeunesse de Lucius Verus; pius lard elle n'eût été qu'une ironie. W était en 130, et Capitolin, lit. Ver., en, dit : Post septimum annum in familiani Aureliam traductus Marci moribus et auctoritate forinatus est.

74

et cette requête. " La famille de Justin, quoique habitant la Saniarie, était g^recque d'origine et païenne. Si d'abord il entendit parler de la doctrine chrétienne, ce dut être par les guostiques de son pays, dis- ciples de Simon le Magicien et de Ménandre(l). 11 se voua à la philo Sophie et passa successivement par les e'coles stoïcienne, péri|)ate'ti- cienne, pythagoricienne et platonicienne; il trouvait renseignement des deux premières à Tarse ou à Antioche, celui des autres à Alexan- drie. Mais après la re'volte des Juifs sous Barcochebas (133-135), dont il parle comme y ayant assisté de près, il se rendit à Ephèse, et c est alors que, par sa conversion au christianisme en 136 (2), il dé- clare être devenu vraiment philosophe.

A la mort d'Hadrien, il crut le moment favorable pour prendre la défense de ses frères. Sa profession de foi était fière, son attitude n'était pas exempte de danger : le premier venu pouvait l'amener devant le juge et le faire condamner, car la jurisprudence consacrée depuis Trajan continuait à être appliquée, et c'est contre elle qu'il élevait la voix. Un simple nom déclaré ou renié ne donnait lieu qu'à des débats sommaires et préjudiciels (3). 11 demandait que l'instance fût engagée sur le fond, c'est-à-dire sur les crimes des chrétiens (4), et il répondait par avance de leur innocence en les lavant de ces abo- minables imputations que l'opinion mettait à leur compte : ils étaient,

(i; lApol., c. XXVI, éd. Otto, p 80. Saint Justin oppose à ces deux imposteurs dé- funts Marcion de Sinope qui était vivant de son temps : "O; xat vOv ïti îti'i oioâcry-wv, soit qu'il ftU alors à Rome, soit qu'il l'eût rencontré en Asie Marcion commença par enseigner. En effet, l'évéqne de Smyrne, saint Polycarpc, voyant celui-ci vers 154 à Rome, il avait repris l'école de Cerdon, lui dit : 'Kt^'.yivojct/.w tôv zpw-ÔToxov ToO XxTa/â. Saint IrÉnÉe, .idr. hœr., 1. HI, C. m, i.

(2) Le futur empereur Antoiiin était à cette date proconsul d'Asie, Waddingto.n, Fastes, § 135.

(3) Ann. (Iv la j)ropag. de h foi, n»de jaiiv. 1881, lettre de Mandcliourie du4 août 1880: J. B. Ouang, âgé de trente-deux ans, a été admirable par sa constance et sa foi

devant les bourreaux : Je n'ai pas beaucoup parlé devant ic mandarin, dil-il;

je n'avais, du reste, qu'à répondre oui ou non. Quand il voulait me forcer à exécuter quelque chose qui me conduisait à l'apostasie, j'ai toujours dit : Xon; ainsi devez- vous faire, quoi qu'il arrive. -

(4) \oir I .Ipol., c. IV tout entier, p. 12, et c. vu, p. 24 : "OOev Tcdtvxwv xwv xotTay- Ye)v).0|j£vwv ûjjLtv xàç Tipâ^ei? xpivecrUai à%iO\i\itv, i'va ô ÈaeyxOe'k; tiç aoixoç xoXâÇrjtat, à).),à |ir) (iç xpiG-cioL^ôz èàv et xt; àvéXeYxxo; çâvrixai, ànoXyrjxai -/piaxtavô; oOôèv aoixtôv.

75

disait-on, les corrupteurs de la morale publique. Cependant, pour arriver à discuter ces charges, il fallait permettre aux accuse's d'exis- ter, ce qui leur e'tait refuse'. En vain un jurisconsulte moderne a-t il pu appliquer à une situation analogue cette distinction subtile que « la loi reconnaît son existence de fait pour produire son néant juri- dique ». il s'agissait au deuxième siècle d'un ane'antissement bien autrement effectif, celui qui résulte de la mise hors la loi. Aussi saint Justin, citant à la fin de sa supplique le rescrit d'Hadrien, a-t-il raison de n'en user que comme d'un apparent te'moignage de bien- veillance, et de faire appel uniquement aux sentiments de justice de son successeur, La bienveillance platonique d'Antonin ne fit sans doute pas défaut, mais sa justice fut toute négative. Soit à Rome, soit eu Orient, il parut entre 152 et 156 (1), il eut à se prononcer sur la question en répondant aux assemblées provinciales, qui jouis- saient alors d'une assez grande initiative. C'est Méliton de Sardes qui, dans son Apologie adressée à Marc-Aurèle en 172, lui rappelle (2) que, tandis qu'il partageait l'administration de l'empire avec son père adoptif, celui-ci écrivait aux Larissiens, aux Thessaloniciens, aux Athéniens et à tous les Grecs de ne pas introduire de nouveautés de procédure vis-à-vis des chrétiens, c'est-à-dire qu'il permettait de continuer à les poursuivre dans les formes jusque-là usitées.

Ces formes, ou plutôt, cette absence de formes est alors signalée comme générale dans l'empire par la seconde Apologie de saint Jus-

(1) V. Mémoires de l'Académie des mscnpltous, t. XXVI, T" partie, M. Waddi.ngton, Vie du rhéteur Mlius Aristide, discute successivement (p. 259-263) le téuioij'piaye de son auteur et celui de Malalas (éd. de Bonn, p. 280i. Antonin aurait apaisé une révolte eu Eyypte, conclu la paix eu Syrie avec Vologèse IV, roi des Partlies, visité l'Asie récemment bouleversée par des tremblements de terre; nous ajouterons : et jugé les différends de plusieurs princes orientaux, entre autres de Rhœnietalces et d'Eu- pator au sujet du royaume du Bospliore. Cf. Cap., Vit. Ant., c.ix; deKoehne, Descrip- tion du inusée k'olsc/wubeij, t. II, p. 163.

(2) Corp. Apol., vol. IX, p. 413 : 'O uaTr,p ao\), xa't (toO itâvTa auvototxoùvxoç aO- xô), xaî; TiÔAEcri iiep'i xoO jx-r)0£v vewxepti^etv 7tEp"i rijAiôv ëypa^}/cv, èv otç •/.où Ttpb; Aapt(7craco'jç xa\ Tipbç 0£(T(7a).ovixîi? xai 'A8r,vaiouç xai Ttpôç lïdtvxaç "EVA/^va;. On a d'ANTO.MN dans le Digeste deux rescrits, l'un au : xotvbv x&v 9£(7aa>,cov, liv. XLVIII, tit. VI, fr. V, § 1 ; l'autre au : xotvov xwv Wpaxwv, liv. XLXIX, tit. I, fr. i ; mais ceux dont parle Méliton n'ont pas été conservés; c'est peut-être pour cette raison qu'OvEUBECK ne fait aucune difficulté d'en admettre l'authenticité, Studien, p. 146.

76

tin (1), qui fut le prëliido do son martyre. Ecrite après la mort du préfet de Rome, Q. Lollius Urbicus, et un peu avant celle d'Antonin, c est-à-dire dans les premiers mois de ICI, elle est adressée plus spé- cialement au Sénat, que devaient présider les consuls de l'année, Marc-Aurèle et Lucius Verus (2). L'état de choses est plus que jamais présenté comme le résultat d'un malentendu; il paraissait dur qu'une classe d'hommes fût seule exclue de la félicité universelle que dispen- sait au monde le plus pieux des païens. Aussi que veut avant tout saint Justin? Éclairer l'opinion. Que réclame-t-il? La rectification publique d'opinions calomnieuses, quelque chose comme l'insertion au Journal officiel de l'Empire (3) d'un paragraphe intitulé : la Vérité sur les chrétiens. Cette réhabilitation, elle existe précisément sous forme d'un rescrit d'Antonin : xto xoivco tîîç 'Actaç (4), contenant l'éloge de leur constance dans leur religion, interdisant de les inquiéter à raison de leur foi et déclarant passibles de peines leurs accusateurs. Rufin va même plus loin ; dans sa traduction latine, il fait dire à l'em- pereur que les chrétiens ont raison de traiter d'athées leurs adversaires, et que ceux-ci ont tort de rejeter uniquement sur les premiers la res- ponsabilité des malheurs communs (5). Les apologistes ne parlaient pas autrement, et ils se seraient tus, si pareille justice leur avait été rendue.

(1) // Apol., c. 1, p. 194 de l'éd. Otto : Kat yfiïz xa\ irptiriv èv ty) tôXei Û(awv Y£vô[j.Eva 1'k\ Oypêîxoy, w 'Pwixaîot, xa\ itavxaxoO ô[xoio); Ûtto xwv tiyouhevwv àl'jjtùz

TtpOtXXÔjlEVa-

(2) Avec Ueberweg nous lisons, ihid., c. ii, p. 202 : Ttplirovxa EOa-sgsî AOxoy.pâxopi, oyO£ <I>0,o<7Ô?w, oZôï KaÎTapoc iraio\, oOos xr, 'hpà Zyyy.),r|X(.). Cf. Capit., lit. Ver., C. III : Nec aliud ei honorificenlia' ad noinen adjiincluin est, quam quod Augusti filius appellaliis est.En effet, comment ei\t-on omis l.iicius, qui avait en 161 trente et un ans? Il est vrai que M. Aini':, Hist. des persèc. p. 335. le rajeunit de douze ans; ce qui le ferait adopter par Hadrien quatre ans avant sa naissance. Voir ihid., p. 316, en note.

(3) Les Acia diurna jmpidi 7?omanrrccevaient SOUS les empereurs dos insertions offi- cielles et officieuses. Cf. V. LrCLT-nc, Des journaux chez les Ihinnins, p. 217 (Paris, 1838).

(4) On trouve ce rescrit à la suite de la 1/ Apol., édit. 01 to, p. 211; Kcsèbe. Hist. eccles., 1. IV, c. xiii, en cite un texte un peu différent portant le nom de Marc- Aurèle. L'intitulé corrijjé par Monimsen donnerait l'année 158. Il n'y a pas lieu ensuite de s'étonner que Xipiiilin, suppléant au livre L\\ de Dion Cassiis, qui était perdu, ait cru devoir dire d'Antonin : Ka\ xri xoO 'AopiavoO xiixr,, v èxeîvo; ëxi(ia •/P'.(jXiavo'j:, TtpoaxtOciç.

(5) Baldouin-, p. 84 : « Porro Rufinus interprcs latinus, deinde assuit quod oraece nusquam est. Ce n'est pas la première fois que Rufin justifie le proverbe italien

Or nous les voyons sous Marc-Aurèle continuer à plaider une cause qu'ils n'avaient pas encore gagne'e. Nous avons donc affaire à une pièce apocryphe (1) ; niAntonin, ni son successeur n'eurent la force de triom- pher, l'un des préjug'e's de sa pie'te', l'autre de l'orgueil de sa philosophie. C'e'tait le moment le rhe'teur à la mode, .lilius Aristide, raillait l'humihté pre'somptueuse de ces gens apparentés par leurs manières aux impies de la Palestine (2), qui se croient meilleurs que n'importe qui et cependant ne sont bons à rien, qui excellent à troubler et à diviser une maison, à exciter ses habitants les uns contre les autres, et à pre'tendre tout diriger; qui n'ont jamais rien dit, ni trouvé, ni fait d'utile; qui ne donnent pas de fêtes générales, n'honorent pas les dieux, ne prennent pas part aux affaires de la cité, ni aux charges de l'assistance pubhque, mais descendent dans des souterrains pour débiter leurs merveilles, et s'arrogent avec tout cela le plus beau des titres, celui de philosophe. En effet, la tradition de saint Justin était continuée par son contemporain ^liltiade, surnommé le sophiste des ÉgHses, et par son disciple, l'ancien rhéteur Tatien (3j. De son côté, ^lélitou, philosophe chrétien en même temps qu'évêque de

Traduttore, traditore. Déjà à propos du rescrit d'Hadrien, en résumant les § 6 à 8 d'Eusèhe, Hisi. eccles., 1. IV, c. m, il s'écarte du sens et prête à la confusion qui a fait prendre sa version pour l'original.

(1) l\ faut en dire autant de la lettre de Marc-Aurèle au Sénat, après sa victoire sur lesMarcomans, qui sertdependant aurescrit foc. c/^., p. 246. Les indications admi- nistratives exactes que fournissent ces deux pièces ("cf. Borghesi, OEwrcs complètes, t. ni, p. 126, et t. VIII, p. i1\; Waddington, Fastes, % 142) ne permettent pas d'en avancer l'origine au delà de la fin du deuxième siècle. D'ailleurs Tertullien fait allusion à la seconde dans son discours apologétique de l'an 199.

(2) Arist. oral. 46, éd. Dindorf (Leipzig, 1849), t. II, p. 402 : A-jo -oîç Ècryâ-coi? y.%\ TOÎç ÈvavTtWTairoiç evo-/ot xaxoî; ovxe; TxusivÔTrjTt xa\ a'JÔaoeca, xotç £v iy\ IlaXa'.aTÎvï)

ô'j(7Ccoé(7i 7rapa7TXr,(Ttot to'j; xpoTtouç (ruy^aTaupàlat (xév ti t&v ôeovtwv «Ttâvxwv

à-/pr|iTTÔTaTOt, oiop-jÇa'. o' olxîav xat xapâ|at xa\ JyyxpoOffat touç evôov Ttpbç aXhr^.o-JZ, xa"i 9?i<7ai lîâvir' aO-rouç ôtotxricrsiv Tidcvctov osivôxaTO'.,... y.xiyZ-'rnzz 5a £i; xouç -/r,pa!X0U5 Ixcî Oau(j.a(TTà (Toçtïovxat,... eïxa xb xâ).).KJXov xwv ovoixâxwv ayxoî; XcÔeîvxat,

(3) Or. adv. Grœc, c. xxxv : Taxtxvb; 'jT.\çt xo-j; "EXXr.va;, -jT^kp auîipov xtov ç'./.chto- ço'jvxwv xa'.voxojjLSï fiapêâpwv ôÔY(J.axa. Hisl. eccles., 1. V, c, xxviii, 4 : Ka\ ào£).cpwv Ô£ xivwv £(7x\ ■^ç6.]i.^a.'Z0L... /.Éyo) Ô£ 'loucrxcvo'j xa\ M'.Axtdtooy xxi TaxiavoO. Tert., Adv. Val., c. V : Ut Justinus philosophus et martyr, ut Miltiades ecclesiarum sophista. Cf. Hist. eccles., 1. V, C. xvii. 5 : "Ex-, -/.-jC: M;>,x'.dcor,; 7:pb; xo-j; xoTiA'.y.ov; apyo-^xx; ÛTîkp r,: [;.£xr,£'. 9'.>.or70y;a: T.iwjir,--j.'. iTioAoycav. Ces gouvernants du monde doivent être Marc-Aurèie et Lucius Verus, lequel mourut en janvier 169.

78

Sardes, ne manque pas de faire remarquer à Tillustre stoïcien cou- ronne' que la re'volte d'un compe'titeur avait amené en Orient en 172, combien il est difficile de conduire à la vëiité un homme longtem[>s retenu dans les liens de l'erreur (1). 11 espérait de lui une décision plus philanthropique et plus philosophique que les précédentes à l'égard de ses coreligionnaires, et refusait jusqu'à plus ample informé de lui attribuer les décrets nouveaux eu vertu des(iuels étaient per- sécutés ces hommes i)ieux en Asie, et dont avaient jtris i)rétexte les dénonciateurs sans pudeur et les amateurs du bien d'autrui pour se livrer ouvertement au brigandage contre des innocents. L'heure de la justice n'avait pas encore sonné.

Nous ne possédons plus rien de l'apologie de Claudius Apollinaire, evêque d'Hiérapolis en Phrygie, et nous n'eo savons qu'une chose, c'est qu'elle fut présentée à Marc-Aurèle vers la même époque que celle de Méliton (2). Déjà ce dernier avait mentionné le fils du prince comme destiné à lui succéder (3), et il attachait d'autant plus de prix à ce que le christianisme, qu'il rappelait être et avoir grandi avec l'Empire, s'approchât enfin des degrés du trône. C'était pressentir Constantin, mais pour la seconde fois dans l'espace d'un siècle de telles espérances devaient être déçues. 11 y avait néanmoins une diffé- rence : ce que la cruauté soupçonneuse de Domitien n'avait pas laissé s'accomplir, la folie de Commode faillit le réaliser. Ce prince n'exerça pas une grande influence du vivant de son père, qui cependant lui

(1) Tel est le début du texte syriaque publié dans le t. IH du SpicHcgium Solcsmensc du cardinal I'itra, reproduit à la fin du Corp. Apol. dOTTo, v. ix, p. 423, et qui n'est autre probablement que le traité : Ihf)\ àXr/jsix;. Les trois citations faites par Kusèbe, élroitemenl liées entre elles, et qui ne se retrouvent pas dans le syria- que, appartiennent à l'apoloyie proprenieut dite, MÉLrroN expose ainsi la situa- tion, loc cit., p. 410 : Tci yàp o'joETtwTtoTE Y-""^f--''<^"^) "^^^ ottoxîTai xb tôjv ôîOCTâotùv yévo;, xaivoîç £),ayvô(Aîvov oÔY[jLa(7t xatà ttiV 'Açtav ol yàp «vatosî; cjy.OydtvTxt xx\ twv a).).o- iptwv IpaTTa^; TTiV £■/. Twv otaTayixcitwv ïyo-nzç açop|xr|V, çavîpto; "i.r^n-v'jvjrs'. , vjxTwp xxt (jieO' T||jipav otapTîâ^oMTcç to'jç p/riOÈv àôtxoOvxai;. Il est curieux d'entendre Tertullien juger Méliton : Hujus elegans et declamatorium ingeniuin. Cf. Saint Jér., De vir. m., c. XXIV.

(2) Hist. eccles., 1. IV, C. XXVI : Oi v.<x\ xm or,)Mbhxi xatà xouç -/pôvov; 'Pti)[j.a£a)v (îxdc- ).£î AÔyo'jç 'jTtÈp TTjç TîtffTcWç tôîtoç IxâxEpoç aTco/.oytaç 7tpo(is;pwvri(7av.

(3) Corp. Apol., V. IX, p. 412 : Tb 'PtojAatwv t/jEtiO/) xptxTo;, oy au oi(iôo-/oc eùxxaloç ylyovâç xe xa\ ïar^ u.£xà xoO uaiSbç, ç\j).dc<7(jwv xtj; pa(7i).£t:(ç xr,v trjvxpoçov xa\ av»vapÇa|j.évriv AOyoOffxio çiXoaoçtav. Et ce passage du texte syriaque, p. 432 : Ha^c

79

avait attribué, dés 175, la puissaDce tribimitienne et se l'était associé en qualité d'Auguste, à l'âgée de seize ans, 177. La léjjation d'Athé- nagore, philosophe chrétien d'Athènes, en faveur de ses frères dans la foi, appartient à cette année (1); sa requête, en effet, est adressée : « aux empereurs Marcus Aurelius Antoninus et Lucius Aurelius Commodus, Arméniaques, Sarmatiques, et qui plus est philosophes " . Mais comme les autres apologies officielles, nous pouvons le constater ici, car c'est la dernière (2), elle resta sans effet, à moins qu'on ne prenne pour une réponse la notification impériale adressée au légat de la Lyonnaise I" qui venait de consulter le pouvoir central, en juin 177. Les deux documents concordent admirablement. Athénagore (3) con- state que l'autorité permet, faute d'une législation suffisante, de pour- suivre, chasser et persécuter des innocents auxquels on fait la guerre uniquement sous prétexte de leur nom. Marc-Aurèle, de son côté, se contente de rééditer le rescrit de Trajan (4) à l'usage des fidèles de Lyon et de Vienne, sans même tenir aucun compte dans l'espèce de celui d'Hadrien. C'est à quelque procédé de ce genre qu'avait sans doute fait allusion Méliton, lorsqu'il parlait de décrets nouveaux dans la province d'Asie.

Il est certain qu'à ce moment, de l'Orient à l'Occident, la foule païenne déchaîne librement sa fureur contre les chrétiens. Les bruits les plus odieux circulent à leur propos, et trouvent partout la même créance. Seraient-ils propagés par le gouvernement ou du moins sous

quum didiceris, Antonine Csesar, et filii quoque tui tecuiii, trades iis haereditaleni aeternam qiise non périt.

(1) Cf. Leg. pro Christ., c. XVIII : 'O; yàp \)\}.Vi TiaTp\ xa\ utm Tiâv-ca xî/£tpwtai, à'vwOev

(2) EusÈBE, Hisi. ccclcs., 1. IV, C. XXX, parlant des ouvrages de Bardesane, cite :

'O Ttpoç 'AvTWvîvov txavwTaxoi; ayxoO uspt £t[xap[j.Év/]; oiâAoyoç, oaa te a),Xa cpao-tv a'jxov Ttpo^âffôt ToO TOT£ okoy[j.qO ffuYYpâ'{/ai. Seulement il s'agit de la persécution suscitée à Edesse, lors de l'occupation de cette ville située hors de l'empire romain, par An- tonin Caracalla.

(3) Lcg. pro Christ., c. i : 'HjjleÎ; ot )^£yô;jLSvot -/ptrrxiavot, oxi \p^ TcpovEvoYiffÔE xa'i v|[iwv, (Tuy/wpstxE (A-^oÈv àor/oOvT'xç... èXa'JVEdOat, xa\ cpÉpEffOat xa\ otwxEcrOat, £tc"c (j.ôv(|) ovô[iaTt Trpo;Tto)vS|j.o'jvxwv ■r\\).Vi xor/ ixoXXwv. C. Il : os (A£-/pti; ovôjj.axo; -t] xaxr)- yopta,... ûjxcov rfit\ spyov... àitoaxEuâuat -/ijaûv vojjlw xvjv £ix'/)pEtav.

(4) Hisl. ccclcs., 1. V, C. I, 47 : 'Eniazzily.vzoç yàp xoO Kacaapoç xouç [aev àixoxyixixa- viffOrivat, £1 Ô£ Tiveç àpvoîvxo, xoyxouç à'Ko'k\)br]v ai.

80

son patronage? Un écrit à peu près contemporain, YOdavius de Marcus Minucius Félix (1), jette quelque lumière sur ce point. Ce membre du barreau romain reproduit les conversations de deux de ses amis , jdaidoiries en règle pour et contre la religion incriminée, ils visent en particulier (2j la harangue d'un orateur natif de Cirta (aujourd'hui Constantine en Alge'rie), Cornélius Fronton, le profes- seur de rhe'torique de Marc-Aurèle (3).

L'élève avait comblé de dignités son ancien maître, qui parcourut tous les degrés des honneurs publics et vint siéger au Sénat, auquel il ne dut pas ménager les productions de son éloquence. C'est là, à notre avis, ce serait, selon M. Boissier (4), devant un tribunal, et selon jM. Aube dans un livre, qu'il prit à parli, et crut devoir écraser la secte infâme, dont le nom était synonyme d'athéisme, d'anthropo- phagie et d'inceste (5). Un empereur avait bien ordonné de traiter les

(1) M. AuBÉ, qui adopte la date de 176 à 180, dans la PoUmiquc païenne à la fin du ilctucième siècle (Paris, 1878i, p. 79, néglige de citer une indication se rapportant bien au règne de Marc-Aurèle. Minucius Félix parle au c. ii des vacances des tribunaux pour la vendange; cf. D., liv. II, til. XII, frag. t : Ne quis messiuni vindeniiaruinque tempore adversarium cogat ad judicium venire, oratione divi Marci expriinitur. Ce texte est relevé par Baudouin dans la préface de la 1" édition de VOctavius au vrai nom de l'auteur, qu'il donna à Ileidelberg en 1560. Il y dépeint sous des traits si aimables l'alliance de la science juridique avec celle de l'histoire ecclésiastique, que, même à qui ne possède ni l'une ni l'autre, il les fait désirer.

(2) Ociav., c. IX : Passim omnes loquuntnr : id etiam cirtensis nosiri testatur ora- tio. C. XXXI : Sic de isto et tuus Fronto non ut affirmator teslimonium facit, sed con- viciuin ut orator aspersit. De ces deux passages il résulte que Ca-cilius Natalis, Finterlocuteur païen, était lui-même de Cirta, et en effet on a retrouvé dans cette ville des inscriptions posées par lui pour commémorer ses honneurs municipaux. I/une est de l'année 210, d'autres du règne de Caracalla. Cela ne l'empêcherait pas, à notre avis, d'avoir pu se trouver à Rome sous Marc-Aurèle dans sa jeunesse. M dr Rossi est d'opinion que VOciavius ne fut écrit qu'au troisième siècle, Studi e docu- menii di sioria c din'iio [[\ome, 1880), p. 13. Du moins la scène relatée doit être de beaucoup antérieure, sans quoi l'allusion à Fronton, mort avant Marc-Aurèle, eût été trop lointaine.

(3) Ce n'est pas sans raison que saint Jérôme rapi)elle le fait, ù propos de l'apo- logie de Mélilon, De t^ir. ill., c. xxiv : » Librum imperatori Marco Antonino Vcro. qui Frontonis oratoris discipulus fuit, pro Christiano dogmate dédit- » Il parait que Fronton lui enseignait aussi la politique, puisqu'il lui recommandait une monar- chie parlementaire et bourgeoise. Com., 1. I, c. xi.

(ij Compte rendu de l'ouv. cit. de M. Aube, par .M. Gaston Boissiiii, dans la lUme des Deux Mondes, i" janv. 1879.

(5) Voir le discours du païen CjEcilii s dans VOcianus. cf. ATiiÉXACoivr, Leg. pro Christ., c. III : 'l'pix £7iiçr,ij.i;^ov<7iv riij.îv lYx)-r,|xaTa àOîôxy,Ta, 0y£(7T£'.a oîlTîva.. OlomoojtO'j;

81

chrétiens d'incpiidiaires. Sans partir d'aussi haut, ces imputations, non pa"s assurément inventées, mais complaisamment répétées par un per- sonnage en vue, eurent un [jrand retentissement, et en attendant que la verve de Tertullien en eût fait une bonne fois justice, elles conti- nuèrent à défrayer la polémique païenne (1), et surtout à multiplier les exécutions. Notons ici que ces accusations diverses, qui étaient le cri populaire et dont plus d'un lettré se faisait l'écho, se résumaient toujours dans un mot, le nom chrétien. Nous venons de voir ce nom défendu par les apologistes, nous allons le voir maintenant dans les procès mêmes faits aux chrétiens, objet des questions posées par le juge, et titre d'honneur revendiqué hautement par les accusés. Les documents que nous avons à étudier sur ce point sont les passions des martyrs. Mais avant d'en tirer des conclusions semblables aux précédentes, il sera nécessaire de ne pas accueillir sans discussion, à cause de leur origine très- variée, les textes sur lesquels nous appuierons nos raisonnements.

111. LES MARTYRS.

Notre but n'est pas de réfuter la thèse de Dodwell De paucitate martijrum, mais de montrer comment il y a eu des martyrs, sans cher- cher à évaluer combien. A priori, d'ailleurs, il est clair qu'il faut se résigner à les ignorer en majeure partie, depuis cette multitudo in- gens i^), dont parle Tacite sous Néron, jusqu'aux héros bien autre-

[xc^Etç. Ces mêmes expressions se retrouvent dans la lettre aux Églises d'Asie et de Phrygie. Hisi. ccclcs., 1. V, c. i, 14. [,es mystères chrétiens mal compris, la croyance à la présence réelle dans rKucharislie par exemple, l'habitude des fidèles de s'en- tr'appeler frères, oui pu être l'origine de ces idées.

(1) Celse n'altril)ue plus les scandidcs qu'aux sectes gnostiques; en effet, les Car- pocratiens jetèrent beaucoup de discrédit sur les chrétiens de la graudejÉglise TCov ành iJ.eytxXr|(; 'EyLyCkriaMç. comme parlait ce païen en 178, Oric, <:■. Ccfs., 1. V, c lix; cf. iùid., c. LXI : Ov; àito toO TC/r/Jo'j; div {.pvccjcv ô KD.to;.

(2) La proportion devait être certainement très-forte pour l'Église naissante de

6

ment nombreux de la persécution de Diocle'tien. En effet, les marty- rologes et les actes des martyrs nous ont e'té transmis dans un état déplorable; mais souvent aujourd'hui on se préoccupe moins de dé- blayer ces ruines que de les faire entièrement disparaître. Le terrain se trouve alors libre, soit pour édifier un système préconçu (1), soit pour laisser régner un certain vague qui cache la réalité. Il y a des auteurs, par exemple, qui ont un culte spécial pour les martyrs incon- nus; ils les honorent sur la colline du Vatican, comme dans le huis clos des demeures privées (2); mais veut-on spécifier le nom de quel- ques-unes des victimes, ils préfèrent douter s'il y a eu des persécu- teurs, assez semblables eu cela aux Athéniens qui avaient élevé un autel au Dieu inconnu, et qui, lorsque l'Apôtre leur dit : Ce Dieu, je vous l'annonce, s'écrièrent qu'ils l'entendraient une autre fois. La tendance vraiment scientifique n'est pas purement négative, elle cherche le positif, et sait discerner au milieu de documents de valeur fort inégale les renseignements utiles qu'ils renferment.

M. Le Blant, le savant épigraphiste de la Gaule chrétienne, vient de formuler ainsi les règles d'une sage critique : « Une confrontation soutenue avec les enseignements fournis par le droit civil et criminel,

Rome. Mais bientôt le développement du christianisme dépassa de Ijeaucoup la moyenne de rigueur de la persécution. C'est en présence de cet accroissement, qui paraissait à la fin du deuxième siècle extraordinaire aux chrétiens mêmes, qu'Oui- gène signale c dise, 1. m, c. viii-x, et leur grand nombre dès l'origine : "Oxi (lèv oùv (7'JY7.ptij£t ToO É^r,? TÙ/rf^o'jç, o).!'yoL fiTav a.y/'j\i.vioi -/pKjxtavo'i, orj),ov xxtTOi ou îïâvxri •/■(Tav o),tYO(,— et le petit nombre /r/rt///"des martyrs jusqu'à son époque: 'YKoiivrjcrcwç yàp "/dtpiv (?va IvopwvTEç oXiyotç àyoviÇoiifvotç "juèp eOffïoEÎaç ooy.i[xwTîpot y'''*^''"*' ""-^^ ÛavcÎTo-j y.ocTaçpoviôo'iv) oXiyoi xaxà xatpouç xai c^pôopa £'japtO[xr,Tot 'jTiïçi ttiç -/piaTjavwv OeoiTcêîtaç TsOvrjxa^i, xwA'jovto; ©eoO to iràv £y.7ioy.c|J.ï;0r|Vai a'jxôjv k'Ovo;.

(1) C'est le procédé favori de Fr. Gurres dans ses éludes sur les persécutions. Voir la première en date : i'cbcr die Liciidanische ChrislcnverfoUjung, ein Bcilraj mr A'cnntniss der Maitijreracte (léna, 1875).

(2) V. Hist. despertéc., p. 128; lu Polémique païenne, p. 396, et Les chrétiens dans l'empire romain, p. 233. Cf. M. Rex-v.n, Journal des savants, 1876, p. 697 : « Dans les premières éludes que .M. Aube publia sur les persécutions, il penchait un peu trop du côlé des solutions négatives... En lisant les premiers essais de M. Aube, on eiU pu élre tenté de croire que les persécutions furent en réalité peu de chose, que le nombre des martyrs ne fui pas considcral)lc, et que tout le système do l'hisloirc ecclésiastique sur ce |)oint n'est qu'une construclion artificielle. Peu à peu la lumière s'est faite dans cet esprit jusle et sincère. » Nous reconnaissons bien volontiers que le dernier volume de M. Aube renferme des jugements historiques plus équitables et plus vrais que les précédents.

83

avec le texte des meilleurs actes, avec les points solidement e'tablis par le te'moignag^e des anciens, telle est à mes yeux la voie ouverte pour établir le degré de créance due aux récits hagiographiques. » C'est aussi celle qu'il a suivie pour son travail si intéressant sur les textes non compris dans les Acta sincera de Ruinart (1). Avant d'exa- miner l'origine des actes des martyrs en général (2), il avait fait une première étude sur les actes grecs de sainte Thècle, la célèbre vierge d'Iconium en Phrygie, convertie par saint Paul et placée par la tra- dition en tête des témoins du Christ appartenant à son sexe. Nous y relèverons à la suite un seul détail, qui est topique pour notre sujet (3); au moment l'Apôtre est censé traduit devant le tribunal, ces paroles

sont soufflées à son accusateur : Xi^^z aùxov ypiTxiavbv xai àTCo}v£ÎTat (7UVT0-

]jMq. —Si deferantur et arguantur_, jmniendi sunt, avait écrit Trajan; ainsi, des apocryphes mêmes résulte la vérité de la situation. Devrons- nous donc nous étonner de ce qu'ailleurs ^\. Le Blant nous apprend (4) : « Alors que le juge, au début de l'interrogatoire, demande au fidèle quel est son nom, quelle est sa famille, sa condition, sa patrie, au pre- mier comme au dernier âge des persécutions, en Occident comme en Orient, un grand nombre de martyrs répondent par un seul mot : Je suis chrétien (5). Cette déclaration uniforme à laquelle rien ne se réfère dans les exhortations connues, qui peut l'avoir ainsi inspiré en des lieux, en des temps si divers, si ce n'est une série d'instructions, per- dues pour nous, mais répandues autrefois dans toutes les églises par

1) Mém. de l'Académie, des inscriptions, i. XXX, 2" partie, p. 4 tlu tirajje à p;irt.

(2) Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 1879, p. 210, sur les sources des Acta mariyrum. Les procès - verbaux étaient écrits à Taudience par les maius des notaires païens, puis déposés dans les archives [.es clirétiens faisaient en sorte d'obtenir des copies qu'ils reproduisaient religieusement ou développaient dans des mesures diverses. H est regrtltable qu'ils n'aient pas profilé davantage des facili- tés qu'accorda Constantin pour consulter les documents originaux, en Afrique par exemple, à l'occasion du schisme des Donatistes.

(3) Annuaire de l'Association pour l'encouragement des éludes grecques[ Paris, 1877j, p. 260- 272. Cf. Mémoire cité, p. 41.

(4) Mém. de l'Académie des inscriptions, t. XWHI, Impartie, p. 72 : la préparation au martyre dans les premiers siècles de l'Église.

(5) On lit dans la passion de saint Carpus, pour prendre la dernière publiée. Revue archéologique, 1881, t. H, p. 354 :'0 os àvOjTïaxoç TipoxafJÎCTaç k'cpri -rîç xaXr, ; '0 Sk (xaxâ- ptoç £?Y] xb TipcoTOv y.a'i ï^aipiTOv ovo[xa ypiCTTiavo;, z\ xb Èv w 7.6(7|J.(p 'Qr^iiiç,, Kapuoç.

6.

84

des écrits comme par la parole? « 11 n'y avait d'autres instructions que celles qui pre'paraient les cate'chumènes au baptême. Du jour ils e'taient devenus chre'tiens par l'onction du Christ (1), signum Christi, ils savaient qu'ils encouraient la peine de la mort. La foi e'tait pra- tique dans cestem|)S. Les empereurs se chargeaient de la rendre telle, non pas qu'ils envoyassent tous les fidèles au martyre, mais tous de- vaient être prêts à aller jusque-là. Ce sont les empereurs qui ont en- seigné le mot d'ordre : Je suis chrétien, en faisant du nom chrétien un ci'ime. Ce qu'il met lui-même si clairement en évidence, M. Le Blant ne l'apercevait pas lorsqu'il voulait de'terminer les crimes punis dans le nom chrétien (2), et les lois qu'il a invoquées n'ont pu servir de base, du moins à la persécution dont nous sommes uniformément témoins pendant tout le deuxième siècle.

11 faut avouer que la perspective d'être appelé d'un moment à l'autre à témoigner de sa croyance était propre à tremper les âmes. Nous voyons l'ancienne homélie, connue sous le nom de II" épître de saint Clément, mêler aux exhortations communes de morale ce précepte d'une utihté immédiate : N'ayons pas peur de sortir de ce monde (3). Après avoir cité la parole de Jésus-Christ à ses apôtres : Vous serez comme des agneaux au milieu des loups, l'auteur trouve tout naturel d'ajouter au texte sacré cette question de saint Pierre : Et quand les loups auront dévoré les agneaux? La réponse avait été donnée d'avance ; mais elle a rencontré une formule célèbre dans la lettre de l'évêque d'Antioche (4) : « Je suis le froment

(1) ThÉOPHILK, âd Autolyc, 1. I, c. xii : ToiyapoOv ri|A£Îç to-jtou etvEXEv ototXojfX-'Ja /pii7T'.avo\, oTi 7piô|j.£0a D.atov ©eoO.

(2) Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 18CG, p. 358-373 : " Quelque nou- velle qu'ait été l'accusation de christi;inisme, je n'aperçois donc point que la so- ciété païenne ait clicrclier des armes d'exception. »

(3) U Ep., c. V, éd. Funk, p. 150. On a sifjnalé avec raison dans ce document le plus antique spécimen de la prédicalion clirélienne, telle qu'elle est décrite dans SAINT .Il STiN, 1 Apol., c. Lxvii, p. ISi dc l'cd. OllO : Ka\ •:>, xoO 'ID.to'j Iz^o^i^tr, r^\).i^-x Tiâvxwv Y.oL'zà. Ttô).En; Tj ixjÇ/OMc; (aîvÔvxoiv kn\ aùxô (TuvÉAe'jii; ytyvexai, y.ai aTioiAvr^- |xov£'j(j.axaxwv «TtoTxô/.wv r|xàTvyypd(|j.|AaTaxô)V7tpoq5rjXâ)v àvayiyvdJTxexai, jxs'/ptç Èy/wpeî. Eîxa uocjT'jijj.lvo'j xoO avxytyvdjTxovTo;, ô TipoEcrxio: o'.i /.ôyo'j xv/ v->-jOî^éav xa'i ■rtpôx),r,Tiv XTji; xwv xx>.à)V xo'jxiov [H[Lrf<jZiti(; Troietxat.

(-i) Ep. de saint Ignace aux Komains, C. IV, éd. Funk, p. 216 : i^ixo; z\]}.'. 8coO xai oi" oSôvxwv Or,pitov à/,r,Oo[xat, l'va xaûapbç ôépxoç eûpeôw xoO XpKjxoO.

85

de Dieu, moiilii par les dents des bêtes féroces, afin d'être tronve' le pain Manc du Christ. » Assnre'ment, M. Aube' est mal venu à traiter ce langag-e "d'exaltation de cabinet (1) « , et s'il donne debonnes raisons contre l'authenticité des actes attribue's aux compagnons de saint Ignace, c'est gratuitement qu'il nie celle de ses lettres, déjà citées par saint Irénée et Origène. L'évêque de Lyon savait que le vaillant chrétien pour avoir affirmé sa foi avait été condamné aux bêtes (2), mais il n'a mentionné ni l'auteur, ni le lieu de la sentence. Le docteur Alexandrin parle formellement de son exécution à Rome (3). Ignace lui-même, dans sa lettre aux Romains, se présente à eux comme déjà jugé; il les supplie de ne pas lui témoigner une bienveillance intempestive en demandant sa grâce (4) : « Je ne vous commande pas, ajoute-t-il, comme Pierre et Paul ; ils étaient apôtres, je suis condamné; ils étaient libres, je suis pour le moment esclave [servus pœifœ] (5). Mais lorsque j'aurai souffert, je deviendrai l'affranchi de Jésus-Christ, et en lui je ressusciterai libre. A présent, j'apprends à me renoncer dans les liens. Depuis la Syrie jusqu'à Rome, c'est pour moi un com- bat sur terre et sur mer, de jour et de nuit, enchaîné que je suis à dix léopards, je veux dire le piquet de soldats (6). «

C'était ainsi que saint Paul avait accompli la traversée de Césarée à Rome ; seulement, lui, en avait appelé au tribunal de l'empereur,

(1) Hist. des perséc, p. 247.

(2) Saint IrknÉe, Adv. hœr., I. V, C. xxviii, 3 : 'Q? elirf xt; twv rnjLExIpwv 5tà t/jv Ttpbç ©EÔv [jLapTupcav xaxaxpiOs'K; upoç Or)pta.

(3) OrigÈne, VI hom. in Luc. : KaXwç èv (xià xtov [xdtprjpôç xtvoç stuixoXwv yéypaitxat xov '1''{vixt:iov î^éyo), xov |ji£xà xov (xa/apiov Iléxpov xrjç 'Avxtoystaç osûxspov ETitaxoTiov, xbv £v 5io)y[X(î) ev 'Pcojayi Oripiotç \j.'xyriaâ[i.vioy.

(4) />. liv. XLIX, tit. I, fr. 6 : Non tantiim ei qui ad supplicium ducitur provo- care permittitur... verum quisquis alius provocare voliierit..- quid ergo si résistât qui damnatus est, atlversus provocationem nec velit admitti ejus appellationem, perire feslinans? Adhuc putem differendum supplicium.

(5) D. liv. XLVni, tit. XIX, fr. 29 : Qui ultimo supplicio damnaiitur, statim et civitatem et libertatein perdunt; itaque praeoccupat liic casus raortem, et non- nunquam longuin tempus occupât, quod accidit in personis eorum qui ad bestias daninantur.

(6) Loc. cit., p. 218 : 'Exîtvoi àuôirxoXot, èyw xax!iy.p'.xoç Èx-îvot ÈleuOcpot, syw ok [aÉ'/P' vOv ^oùXoç... 'Atio Supîaç p-é'/pt 'P(i)(j.y)<; ^■qpin[iy.yCo, ôcà yviç xa'i %akâG(yriQ, vuxxb; v.oà Tljj,Épaç, Ô£Ô£[ji£Voç Si-AOL X£07tâp5oiç, 0 £(7X1 axpaxttùxixov xày[/.a y.où EVEpyexoyjjLSVOt XBiçovç yivovxai. Cf. Ep. aux Tralliens, c. m, p. 204.

86

tandis que saint Ignace redoutait au contraire qu'on fît en son nom cet appel. Or, le recours n'était encore possible que sil avait comparu devant le lëgat propréteur, et non devant l'empereur, comme le veu- lent les actes qui sont postérieurs à Eusèbe. Du moins, la tradition gé- nérale de la fin du troisième siècle rattache son martyre au règne de Trajan, et une tradition particulière, dont la chronique de Jean >la- lalas d'Antioche, mieux informée pour cette époque, nous a transmis récho(l), le place au temps de la guerre des Parthes, après le terrible tremblement de terre de décembre 115. Dès le printemps suivant, Trajan, qui avait passé l'hiver dans la capitale de la Syrie, rentra encampagne,marchasur Babylone etCtésiphon, soumit le roi d'Edesse et confia la province de JMésopotamie au célèbre prince maure, Lusius Quietus, honoré déjà du consulat Tannée précédente (2). A son départ, il avait laissé en qualité de légat de Syrie Hadrien, qui, croissant tou- jours dans la faveur de l'impératrice Plotine, devait bientôt lui-même, grâce à une adoption feinte, porter avec la couronne le nom de Trajan. iVI. Harnack fait valoir, entre autres, cette considération pour re- tarder Tépiscopat du martyr jusqu'au nouveau règne, 117-138(3). Nous croyons juste d'en tenir compte , mais sans attendre Trajan Hadrien empereur, il nous suffit que l'année 116 à Antioche ait vu Hadrien gouverneur, et Ignace condamné aux bêtes. La lettre aux Romains(4), datée du 24 août (qui eu 116 était un dimanche), ra- mène bien la condamnation vers l'entrée en charge du légat impé-

(1) L. XI, éd. de Bonn, p. 276. Sa principale source est,daprès Gutschmid, lachro- nographie de Domninus écrite vers 528, et composée elle-même à l'aide : 1" des IlapOi/.â dArrien, dont l'exac litude est bien connue; 2" d'une histoire d'.\ntioclic ; ."î" de notices locales dans une proportion notable.

(2) Un souvenir confus de ces faits se retrouve dans les Actes syriaques de saint Barsamya {Document» relative tn ihe earlicsl establishmenl of Cliristianily in Edessa, Lon- dres, 1864. Acia ss. martyium Edesscnoium Sarbelii , Barsimœi , éd. Mœsinfjer, fasc. I, Innspruck, l874j, qui parlent de l'an 15 de l'empereur Trajan César et d'une lettre d'Alusis proconsul. G^rres considère cette dernière comme une édition remaniée de 11 correspondance de l'iine. ainsi que la lettre apocryphe de Tiberianus, {jouver- neur de la Palestine T"; cf. Irajanund die christliche Tradition, dans Hilgen/eld's Xeil- schrift, 1878, p. 35.

(i) Die Zeit des lynatius, p. 71.

(4) lip. cit., c. X, p, 22 : Tpâçw û(ilv xaOTa oltzo SjAijpvY);.... Ttepi twv itposXOôvTwv OLTzh -ypiaç eî; Tw(xr,v... ïypoL'\iOL viaîv TXJTa TÎj Tiph èvvéa xaXavôwv SsTtTîiiSpîtov.

«/

rial, vu le temps ne'cessaire pour se rendre par terre d'Antioclie à Smyrne. Quant à la sentence même, elle n'a rien que de conforme aux gfoûts contemporains (1); les provinces e'taient appele'es à fournir les amphithe'âtres de Rome, et cette habitude dut être re'fre'née à la fin du deuxième siècle, sans doute parce qu elle exigeait un de'placement trop fre'quent de troupes de'tache'es.

IM. Aube' a de'clare'que le chemin indique' dans les lettres « n'est pas un chemin raisonnable (2) « . On peut s'en rapporter cependant aux gens du pays; ils sauront mieux que d'autres expliquer pourquoi, au qua- trième et au cinquième siècle notamment, à l'âge par excellence des conciles et de la navigation eccle'siastique, les e'vêques de Syrie (3) ir'adoptaient guère la voie de mer lorsqu'ils allaient, suit à Constanti- nople, soit à Rome; le voyage de saint Paul offre un exemple de ses inconve'nients. Du reste, l'itine'raire militaire qui reliait l'Orient à l'Italie passait précise'ment par le nord de la Grèce(4), et s'ilre'sulte des lettres que ce fut celui-là qu'on suivit, nous y voyons plutôt une pre'somption nouvelle en faveur de leur authenticité'.

Saint Ignace, prisonnier pour le nom chi'e'tien (5), traversa donc à pied l'Asie Mineure; les chre'tiens qui n' e'taient pas sur son chemin en- voyaient des de'putations le saluer, et s'efforçaient, souvent en vain, d'adoucir ses gardes par des pre'sents. Il passa par Philadelphie, il

(1) DiO\ CassiuS, Ep. 1. LWin, C. XV : Ka\ Ôlaç h xpi-r'i xa't ^ixoTi -/a't Éx:<TOvr|uipo(t; lizolr^nfi, hi at; Oï;pta te v.-A |3oTà '/p'-i t^o-j y.a\ [j-ûpix ETcpâyr, y.ai (jLOvo(j.â-/o' IJ-Opiot viywv!(7avTo. \\ S'agit du triomphe de Trajan sur les Daces en 106. Cf. D., liv. XLVIH, tit. XIX, fr. 31 : Ad bestias damnatos favore popiili prii^ses dimiltere non del;et : sed si ejiis roboris vel artificii sint, ut digne populo Romane exlii!)eri possint, prin- cipein consulere débet. Kx provincia autem in provinciam transduci sine permissu principis non licere divu) Severus et Antoninus rescripserunt.

(2) Hist. des perséc, p. 329, en note. Voir au contraire Z.vhx, Ignatius von Antiochien (Gotha, 1873), p. 250-289.

(3) On se rappelle le concile d'Éplièse en 431, le patriarclie Jean, qui, parti d'Antioche au commencement de mai, avait demandé un mois pour venir, n'arriva que le 26 juin, et les conséquences de ce retard.

(4) T. L. F. Tafel, /•'e via militari Romanorum Egnatia qua Illyricum, Macetlonia et Thracia jungehantur, rf/'sstTtet/o/tfs rfu« (Tubingen, 1837 et 1841). Cf. Sr\bo\, l.VI, c. Iii, 7: "Eit TOtç «Tto Tr|Ç 'EXXotoo; ■/a\ "zr^c, 'Aorta;, otaipo'jacv eOO-JTtXoix [xâ),),6v eativ hCi to BpsvxÉiTtov (Brindisi), xa't ôsOpo Ttâvxeç xaxacpouaiv, olç sîç ttiV 'Pco[j.r|V TrpôxsiTai ôôoç.

(5) Ep. aux Ephés., c. i, p. 174 : 'Axo'jffavxeç yàp &e5£[JlIvov oltio S-jpta; ÛTiàp xoO y.otvoO ovôjAaxoç... loEÎv ÈcjTioySâffaxE. Rom., c. ix, p. 222 : Kai yàp a! |xy) ixpocrrixoy'jac [j.ot TÎj ôoSi, xï) xaxàaâpxot, xaxà TtoXtv (xe -npor^jov.

88

rencontra dos hérétiques vonns d'Rplièso; quant aux fidôlos de celte ville, avec ceuxde Magnésie et deTralles, ilsrallèrent trouvera Smyrne, d'où il adressa une missive à chaque Eglise; de également, il en ex- pédia une aux Romains par Éphèse et la mer. Continuant ensuite sur Alexandria Troas, il s'embarqua pour Neapolis, après avoir éciit aux Philadelphiens et pris congé par lettre des fidèles de Smyrne et de leur évêque(l). On lui adjoignit en route deux confesseurs, Zozime et Rufus, et on le fit entrer à Philippes (2) dans la grand'route qui, par la Macédoine et l'Illyrie, conduisait à Dyrrachium en face des côtes d'Italie. Le maityre de ses compagnons est inscrit au 18 décembre, celui de l'illustre évêque(3) au 20, jour de la fête romaine des Sigil- latia ; quelques débris de son corps échappés à la dent des bêtes furent rapportés à Antioche : saint Jérôme les y voyait honorer au cimetière, hors la poi'te du faubourg Daphné(4). Son anniversaire était solennellement célébré par son Église, et nous possédons une homélie que pour l'occasion prononça saint Jean Chrysostome : témoi- gnage dont il faut en somme tenir compte, puisque c'est un successeur qui parle à des concitoyens.

Il est c'irieux de trouver, pour ainsi dire, une contrefaçon de l'his- toire de saint Ignace dans le récit qu'a fait de la mort de Pérégrinus Lucien de Samosate : certains détails ont être pris par lui dans nos

(1) Ép. à Polijcarpc, c. VIH, p. 252 : 'E7tE\ o-jv TidcTa'.; xatç sx/XoTtat; oùx -r^vjvrfir,^! Ypâ-î/at oià To t^y.lz.'iT,ç tiIevi |j.s knh Tpioâoo; zlç NsaTioXiv, to 6sXr,[j.a Tzpoazitjati.

(2) Ep. de saint Polijcarpe aux Philipp., C. I, p. 266 : IIpoTil|Aj/a'7:v, w; '-.iitooC/.v/ "j(J.Îv, to-j; Èv£t),-/;u.(i.£vo-jç Totç âyioTtpiiiitTiv Ô£(7(aoîi;. C ix, p. 276 : 'rito(j.ovT|V v' xai eiosts xax' 3çOa/.[/.o\jç oO (J.ÔVOV £v xoi; |j.axapîot; 'lyvxTuo y.y.\ i^ioirîjj.o) xa\ To-jcpt;). a/.),a xai £v a).),ot; rot? il Û|jl&v.

(3) Une recension différente des acies de saint Ijïnace, qui n'est pas du reste plus ancienne que la première, a été tirée d'un nis. du Vatican par Dresscl en 1857. D'a- près eux. il aurait été non-seulement exécuté, mais ausj.i jugé à Uome. On y relève seulement un détail curieux, Pair, upost., vol. Il, p. 242 : Ol xaxà Tr,v 'Pw|ArjV àoEAyo'i... AaoovTcÇ auToO (7Ôj|j.a àTilOïvTO Èv xÔTtto à'vOa v' È^ôv «yxoi; aOpoi^oiAÉvoy; a'tvEîv TÔv Heôv. Le commentaire de ce passage nous sera donné plus loin par M. de Rossi.

(4) De vir. ill , C \vi : Ueliquisp cori)oris Anliodiia' jacent extra portam Daplini- ticam in ca-mcterio. Cf. />., liv. Xl-VIIf, tit. WIV, fr. 3 : Corpora animadverso- runi quihusiibet pelentibus ad sepullur.ini danda sunt. - Fr. 1 : Eorum quoque corpora, qui exurendi damnantur, pcti possunt . scilicct ut ossa et cineres collecta sepultura; tradi possint,

89

lotliY's mêmrsfl). 11 nous roprësento son hcivs(2) initie à la doctrine des chre'tienset jeté' pour ce motif en prison, il resta tant qu'il plut au gouverneur de Syrie, ce qui indique qu'il avait e'te' arrête' à An- tioche. Son arrestation e'tait conside'rée comme une calamité pour la secte dont il avait e'te' l'un des chefs. Or, il y eut plusieurs de'puta- tions de la communauté' chrétienne e'tablie dans des villes d'Asie qui vinrent le visiter, l'encourager et lui apporter, en gagnant les gar- diens, quelque soulagement. Après d'autres aventures et sa mort vo- lontaire qu'il décrit, l'écrivain païen ajoute (3) : « On rapporte qu'il adressa à presque toutes les villes célèbres des lettres contenant ses dernières dispositions, des conseils et des précei»tes, et qu'il choisit dans ce but parmi ses compagnons des porteurs, qu'il appelait mrssa- gers mortuaires et courriers des enfers. « Saint Ignace avait dit, en effet, à l'évêque de Smyrne, que nepouvantécrire à toutes les Eglises, il le priait d'écrire à sa place et de choisir parmi les frères quelque porteur actif, qu'il conviendrait d'appeler le courrier de Dieu. Saint Polycarpe se conforma à la volonté du martyr en réunissant ses lettres, tant celles reçues directement que celles qu'il put recueillir, et en les faisant circuler selon les demandes qui lui furent adressées (4) . Nous possédons encore le billet d'envoi par lequel il répondit aux

(1) Les citations suivantes sont relevées par Funk dans ses ProUgomines aux Lettres de saint Ignace, p. l; il suffira de les comparer aux précédentes.

(2) Lucien, Pcregr , c. xi-xii : "Otetcîp v.y.\ Tr^v Oxjaa(7Tr|V uocpiav twv ypinxiy.vGi'j ll,i-

[jLotQs TÔv [j-lyav yoGv ènsîvov ett tjioo-jGi ihv avOpwuov tov sv tÎ) IlotXatdxtvYi àvac-xo-

lomnfibn'x. oxt xottvrjv Ta-jT"r,v TE)>£Triv elariyayEv Èç xov piov tÔte oti xx\ cru>.XY)cp0î\i; z%\ ToÛTM £V£7t£(j£V elç TO S£(j[/.orr|piov. C. xin : Kàx xwv èv 'Aaca Trrj),£o}v ecttiv wv rjxôv TtvEç Ttov •/ptTTiavwv CTXsXXôvTwv oLizo ToO xotvoO,' poY)Ôr|(70vx£ç xa't ?uvayop£'jffovx£ç xa'l •7ïapa[ji"jOr|ffô(j.£vot tôv avopa. C. IV : Tôv Èv Svpîa OEOIvTa.

(3) Lucien, Peregr., c. XLi : $a(7\ ôè Ttâo-atç a^sobv xaî; evôôÇoiç nôXEo-tv ÈirtcrxoXà; 6to<Tii(j.'^at aOxov, 5ia6r|xaç Ttvàç xa\ itapaivIffEiç X5:\ vôfioyç xat xwaç £1t\ xoyxw TrpE^êE'jxà? xwv Éxaipwv E-/£'poxôvr)iT£ vîxpayyÉXouç xa'c vEpxEpoôpôfiouç Tipoo-ayopE-jTaç. Ej). à Po- lycarpe, c. vu. p. 252 : DpÉTisi... ■X£tpoxovr,(7ac xtva, bv àyaT:-/]xôv )>tav e/exe xa\ aoxvov, ôuviri<7£xo(( 6Eoopô(jLoç y.a/EtçOat. FuNK fait remarquer le chanj^ement de 6Eoopô[;.o(; en vEpx£poopô[j.Qç si naturel à la tournure d'esprit de Lucien. Ailleurs saint Ignace s'est servi de l'expression HzoïtpzGovjvriÇ.

(4) Ep. de saint Pobjc. aux philipp., C XIII, p. 280 : Tàç ETtiaxoXàç 'lyvaxtou xàç Tr£(ji?9Eiax; Tiixîv \m' auxoO xa\ aA),aç, oaaç EÎ'y(0|j.Ev uap' •■iiaÎv, È7ilp!/a[x.£v \)\y.'i xaQw; ÈvEXEtXaaQE. Cette collection, asiatique d'origine, ne comprit d'abord que six lettres de saint Ignace les manuscrits fournissent la preuve que la lettre aux Romains n'y fut jointe que plus tard.

90

Philippiens, vers la fin de 116 ou le commencement de 117, car il considérait déjà l'ëvêque d'Antioche comme arrivé au lieu du repos ai)rès avoir combattu le bon combat, mais il n'en avait pas eu la nou- velle, et il les priait de s'enquérir des détails de sa fin. En attendant, il les confirmait dans l'imitation de Jésus-Christ et leur répétait le mot toujours de circonstance : « Si notre tour vient de souffrir pour sou nom, sachons lui rendre gloire (1). n

Cependant la paix régnait dans la province d'Asie, que parcourait saint Ignace en allant sulnr sa condamnation. Au moment de s'embar- quer pour l'Europe, il eut la consolation d'apprendre que l'orage qui s'était abattu sur son Église, et qui apparemment avait enveloppé plu- sieurs brebis avec le pasteur (2), s'était tout à coup dissipé : la con- grégation retrouvait ses membres ; un instant dispersée, elle pouvait désormais se reconstituer (3).

Que se passait-il donc en Syrie? C'était le contre-coup des événe- ments de l'automne 116 qui se faisait sentir. Profitant des circon- stances critiques qu'avait à traverser l'armée romaine dans la guerre contre les Parthes, les Juifs, qui depuis longtemps rongeaient impa- tiemment leur frein, s'étaient révoltés à la fois en Mésopotamie, en Cyrénaïque eten^Égypte. On peut avoir une idée de l'épouvante dont leurs sanglantes menaces frappèrent ce dernier pays, grâce à la dé- couverte laite par M. JMiller d'un fragment intéressant de la fin du vingt-quatrième et dernier livre, 'Apâêioç, d'Appien, jusqu'ici entière- ment perdu (4). Cet historien, qui exerçait alors les premières fonc- tions munici}iales à Alexandrie, nous raconte lui-même sa fuite pré- cipitée dans la baïque d'un Arabe, et le danger qu'il courut en

{\)Ep. cit., C.VIII, p. 274 : M'.|j.r,Ta\ o-jv yévtoiJLEOa tt,; 'jiiojjiovr,; aOroO, y.a\ sàv ■Ki(jyM\i.f<i

(2) Malalas, loc. supr. cil., parle du martyre de cinq femmes : il n'est pas possible de le contrôler sur ce point.

(3) Ep. de saint Igii. aux Stiiyrn., c. XI, p. 242 : i^-jy/otprivat a-jToî; OTt etpriVîjo-jijiv xx\ àTti/.aêov TO iotov (xéyeOoi; y.ai àTrsxaTsaxotO/) aù-rolç îotov ato(AXTe'.ov. Cf. lip. aux Phila- delph., C. X, p. 232 : X'jy/aprivat aùxoîç eut xo aùxô yavoiAÉvotç.

(4) Itivue archéologique, 1869, t. I, p. 101 : «tî-jyovxi \loi tioxè xo'j; 'louoatov; àvi xov •n6).£liov xbv Iv AlyÛTtxo) y£vÔ[j.E'''^^ ''«"' '^"^■"^' ^''^ '^i« Ilexpata; 'Apaêca; £tc\ Troxajibv evOa [AS Txâço; 7tîpt(J.évov ^ij.£).>.£ otot<7£cv è; IIr|),ciû<7cov.

91

s'éf^farant dans les diverses branches du Nil. Le savant e'diteiir(l) fait remarquer avec raison que re'tat ainsi de'crit du fleuve correspond au printemps ou à Tautomne, c'est-à-dire avant ou après les inondations: la seconde période convient mieux à la date de la re'pression, qui fut imme'diate et terrible. Turbo, pour l'Afrique et l'île de Chypre; Quie- tus, pour l'Asie, parurent les sauveurs de l'Empire. En pareille con- joncture, l'attitude des chre'tiens était connue, et, soit pour les récom- penser, soit pour les ménager, on les laissa tranquilles.

Ce parti convenait au caractère d'Hadrien, qui ne croyait jamais payer trop cher les avantag'es de la paix. Le règne de ce prince fut une époque de jouissance et de prospérité matérielles. Dès le début, il acheta la sécurité des frontières par l'abandon des provinces mena- cées; à l'intérieur, l'ordre ne fut troublé que par une dernière révolte des Juifs en Palestine, 133-136, dont nous avons déjà parlé (2), et qu'il chargea ses lieutenants S. Julius Severus et Q. Lollius Urbicus de réprimer. Son goût pour les voyages d'un côté, son indifférence sceptique de l'autre, favorisèrent indirectement le développement du christianisme dans tout l'empire , et Eusèbe constate, en même temps que ce développement (3), l'adoucissement général des mœurs. Nous ne voulons point méconnaître les causes complexes qui avaient porté la civilisation d'alors à un si haut degré de raffinement, mais il n'en est pas moins certain que le monde païen se trouvait, sans en avoir con- science, impi'égné des principes de l'Evangile, et cela au moment la philosophie stoïcienne, ayant dit son dernier mot, allait finir impuis- sante sur un trône.

(1) Revue arckéol., 1869, 1. 1, p. 108. GR/ETZ, Geschichtc derJuden. place aussi, d'accord avec Eu&èht, Hist. eccl. 1. IV, c. ii, l'insurrection pendantl'autonine 116 et Thiver 117.

(2) V. page 50 , note 5. A de sanglants massacres succéda l'épisode iinal du siéfje de Béther : les Juifs n'eurent plus désormais de patrie. Ils avaient profité d'un instant d'indépendance pour satisfaire leur haine contre les clirétiens, comme eu témoi- gne SAIM Jlstin, I Apol., c. XXXI, p. 94 de i'éd. Otto : Ka\ yàp èv xwvOv y£Y£v/;ij.£v<i) 'lo'jôaVxâ) 7io)i(jL(o Bxp-/w"/Éêo(ç, ô TTiç 'lo'jôaiwv àTroffxâcfEwç àp^oyéT/jç, -/piaxiDcvouç [J.CIVOVÇ £c; Ti(j.wpiaç oîtvâ;, si jAr, àpvoivTO 'I/;(joOv xôv Xpto-cov xa'i [ri>,a(7yr|[i.oîEV; ÈxiXîusv

(3) Prœpai-. evang., 1. IV, C XVII, à propos des sacrifices humains : "Oti oï) [AÉ'/pt toO 'AôpiavoO yç^oyuiv ôtapieîvat xaOfa... oûto? oï) |j.â),to'xa r,-/ ô -/pôvo; xa6' ov -î^ (jwr/"|pioç elç uâvTaç àvfipojTiouç ■r,y.\i.oi.<jZ ô'.oasxa) ia. Cf. le païen Pausamas, 1. I, c. v, 5 : Ka't /.xt'

92

Ccponrlant, Iladrini c'tail dobaurlie; ost-co à cotte raison on à nn iond naturel de fe'roeite habilement dissininle' ( 1 ) (jn'il faut attnl)ner les actes de cruauté' (jui souillèrent le commencement et la fin de sou règne? Peu après son ari-i\ ëe à Rome, il avait fait met- tre à mort quatre persoiinajjes consulaires qui lui portaient omhrafje. Lorsqu'il eut longuement })arcouru les pi'ovinces les plus lointaines et qu'il revint malade, blasé et avide de repos, il s'abandonna de nou- veau à ses instincts soupçonneux et violents. Ses coups tombèrent sur ceux qui l'entouraient et sur les membi-es de sa propre famille. C'est ainsi que, sous de futiles pre'textes, il fît pe'rir son beau-frèie Servien et le petit-fils de celui-ci, Fuscus, en l'an 13C. Rien détonnant qu'il ait alors ravivé la persécution contre les chrétiens de la capitale. Un livre sorti de l'Église romaine, très-probablement vers cette épo- que, le Pasteur d'Hermas, peint naïvement la terreur que devait inspirer aux fidèles la rupture d'une trêve de plusieurs années (2). Ileimas fait tous ses efforts pour combattre en lui-même et dans les autres la S^u/ja, sorte de doute découragé, dont l'apparition laisse entrevoir plus d'une défection chez les contemporains (3). On s'accorde néanmoins à placer vers ce moment le martyre du pape saint Téles- phore, auquel saint Irénée a rendu un éclatant témoignage (4), témoi- gnage d'autant plus précieux que nous ne savons d'ailleurs absolu- ment rien sur ce pontife. Nous possédons, en revanche, un récit très-détaillé, et par suite confus et corrompu (sixième siècle), relatif à un groupe de martyrs de cette époque : réduits à ces renseignements insuffisants, on aurait pu être tenté de ne pas les nommer dans cet

è[jL£ rfi-ti pauOiw; 'AoptavoO Tr;ç ts e; xb Osîov ■zi\i.r\ç, £Tt\ iiXîÎ'jTov jXOovtoç xa\ twv àp-/o(i£vwv èç eOoottjxoviav Ta [j-ÉyiiTa ly.âaToii; 'K:iç%rsyo]s.vihyi.

(1) Spart., lit. Hadr., c. xiv : In voUiptatibiis nimiiis. C. xx : Marins Maximns dicit eum natura crudelem fuisse et idcirro niulla pie fecisse, qnoil timeret ne sibi idem quod Domiliano ac idit eveniret.

(2) M. PiF.xvN, Journal dis savants, déc. 187(), p. 730 : A Home, le livre du faux llermas nous apparaît comme sortant d'un bain de saufj. - Kn retirant une cer- taine ^pithèle qui est de style chez l'auteur, et en renversant l'imajjc, nous sommes d'accord.

(3) P\ST., vis. Il, cm, 4 : 'l'jpeî; Ma|tjX(i) tooû, OXt'J/tç ep/sxai èâv (rot çavr). 7ïdc),'.v à'pvr.Tai. Kd. Funk, p. 318. Cf. la vis. /f tout entière, qui est fort curieuse, p. 378.

(4) /idt\ hœr., 1. III, c. m, 3 : TeXeiçôpo; xat ÈvoôÇw; £|AapTÛpri(Tîv.

93

exposé historique, mais le silence u est plus permis depuis que les monuments sont venus témoigner eu leur faveur. PSous voulons parler des tombes d'Alexandre (1), de Théodule et d'Eventius, décou- vertes en 1855, au septième mille de la voie Nomentane, et de celle de Quirinus, signalée en 1863, dans le cimetière de Prétextât.

Arrêtons-nous un instant à ce dernier endroit. Un ancien itinéraire de la première moitié du septième siècle enseignait aux pèlerins quel- les reliques ils avaient à y visiter : Ibi invenies sanctum Urhanum episcopiim et confessorem, et in aller o loco Felissimum et Agapitum martyres et diaconos Sixtij, et in tertio loco Cirinuni martyrem, et in quarto Janiiarium martyremÇI). M. de Rossi a retrouvé différentes inscriptions qui lui ont permis de distinguer trois des lieux de sépul- ture; ^restait une crypte, de la construction la plus soignée, qui con- servait, avec des fragments d'inscription damasienne, malheureuse- ment très-incomplets (3), les débris d'un sarcophage antique en marbre blanc, sur lequel était représenté le défunt orné de la /«?/?« patricienne. Or, le récit en question donne à Quirinus la qualité de tribun (on sait qu'il y avait des tribuns de raog sénatorial), et il se termine parla mention suivante : Corpus auteni ejus christiani sepelierunt in via Appia in cœmeterio Prœtextati[A). L'attribution de la crypte à la sé- pulture du ti'ibun paraît rationnelle ; aussi refusons-nous de souscrire à cette sentence que : « nulle inscription n'atteste, nul indice ne peut per- mettre d'étabhr, ni que les restes de Quirinus y aient reposé, ni que ce personnage soit mort martyr, ni qu'Hadrien ait ordonné sou sup-

(1) H y a lieu de croire avec M. Tabbé Ducues.ne, £<«</« sur le Liber pontificalis, p. 150, que ce saint Alexandre, quoique honoré d'une vaste basilique sur son toml)eau, n'est pas le prédécesseur de saint Télespbore; mais à cause de l'illustration du martyr, l'endroit fut desservi par une série d'évêques de la campagne romaine : on a remis au jour un certain ujmbre de leurs épitaphes, Bull., 1864, p. ôl.

(2) llin. Salisb. ap. Rom. soit., t. I, p. 180.

(3) C'était un éloge métrique assez long que M. de Rossi, même en y joignant un autre fragment venu en sa possession vingt ans auparavant, n'a pu encore recon- stituer : les lettres YR {mv.rtyr ouC'yrinus, Kjpivo: sont, entre autres, reconnaissa- h\es. Bull., 1872, p. 32, 75, 78.

(4J Act. Sanct., t. III de mars (éd. d'Anvers), p. 813. Quelle que soit la valeur de ce texte, il est certain qu'il faut lire Hadrianus et Sabina à la place de Aurelia- nus et Severina.

91

plice(l). » Pourquoi ensuite M. Aube' est-il dispose' à admettre que le même empereur a fait mettre à mort Getulius, avec son frère le tribun Amantius, et Cerealis converti par eux? Nous nous garderons de le con- tredire sur ce point, d'autant plus qu'ici encore nous avons des mo- numents, qu'a indique's le jeune arche'ologue romain, charjje'deTe'tude des cimetières chre'liens appartenant à la région suburbicaire, M. Stevenson (2).

Les condamnations de fonctionnaires (3) et d'officiers que nous ve- nons d'e'nume'rer sont parfaitement d'accord avec les circonstances de temps et de lieu, telles qu'elles re'sultent de l'histoire d'Hadrien. Sjjartien dit formellement que ce prince re'prima la violence de sa cruauté' jusqu'au moment où, dans sa villa de Tivoli, la maladie le conduisit aux portes du tombeau, et qu'alors il fit pe'rir beaucoup de monde, soit ouvertement, soit par des voies de'tourne'es (4). Tel est le souvenir attache' à son séjour dans la somptueuse re'sidence que sa fantaisie originale s'e'tait cre'e'e.

Lorsque aujourd'hui on en va visiter les restes, on aperçoit, avant

(1) Hist. desperséc, p. 29!, L'auteiir au même endroit prête {gratuitement une er- reur à M. de Rossi, en disant : ".lanuarius, Agatojms et Felicissimus, martyrisés, selon lui, avec sainte Félicité l'an 162. ' l/illustre savant a raconté plus d'une fois la scène émouvante du pape saint Sixte II frappé sur sa chaire pontificale, en 258, par les soldats de Valérien, dans le cimelière de Prétextât, avec ses deux diacres qui y demenrèrent enterrés.

(2) Il existe deux recensions de leurs actes : lune Getulius porte son véritable nom, l'autre il est confondu avec le martyr Zoticus, très-postérieur en date. Celte confusion s'explique par le fait que Getulius et son frère Amantius furent en- terrés auprès de Gabies (auj. Torri) dans la Sabine, et Zoticus avec un autre Aman- tius auprès de l'antique Gabies du Latiuin; de plus, un nommé Primilivus, qu'on est fondé à croire parent de Getulius, et arrêté avec lui dans la première de ces deux villes, fut exécuté et enterré non loin de la seconde sur la voie de Préneste. D'où l'importante disfinclion réalisée par le travail de M. Knrico Sttvexson : // cimiicro di Xotico al decimo miglio ddla via Lahicana, Modène, 1876. Une trace de la confusion sul)siste à Home dans des peintures du neuvième siècle, à l'éj^lise Sainl-Sé!)astien sur le Palatin, qui, destinées ù lionorer le {i;roupc Zoticus, représentaient le martyre du groupe Getulius : CKHKALIS est changé en IHENEUS.

(3) Cerealis, /icta sanct., t. II de juin (éd. d'Anvers), p. 26i, porte le titre de vica- rius, qui désigna quelques années plus lard le vice-préfet de lîome. Bouchesi, OEuv., t. VIII, p. 62, remarque, à propos du mot diwcetls trouvé sur une inscription du règne d'IIadrien, qu'Ai iiiLirs Victoii pourrait n'avoir pas eu ton d'écrire dans son Epitonie : ^ Officia sane publica cl palatina, ucc non niiliti;c, in eam formam statuit, qua' pan; is per Gonstanlinum iminulalis liodie persévérai.

(4) Vit. Hudr., c. xxni : Omueni quidem vim crudelilatis ingenitœ usque eo rc-

95

d'arriver, sur le bord de la route, au neuvième mille de Rome, d'au- tres ruines qui imposent un instructif rapprochement. On reconnaît les de'bris d'une double basilique (1), aux absides adosse'es l'une à l'autre et communiquant entre elles. La plus petite basilique, ou celle dont l'abside a trois niches, contenait une confession sous laquelle repo- saient les corps des martyrs. L'examen de la construction prouve qu'elle e'tait destine'e à recouvrir des tombeaux primitivement à ciel ouvert etdemeure's l'objet d'une grande ve'ne'ration : c'e'taient ceux des sept frères, fils de Getulius, et celui de Symphorose (2), leur mère. Celle-ci avait pour frère un des membres principaux du se'nat muni- cipal de Tivoli, et se trouvait par suite plus facilement exposé à être accusé de christianisme. Ce fat à l'occasion d'un sacrifice solennel païen qu'eut lieu la dénonciation (3). On ne sait pas précisément le rôle (les prêtres d'Hercule dans cette affaire : prirent-ils l'initiative, ou furent-ils seulement appelés à intervenir au procès, peu importe. M. Aube vante « leur esprit tolérant et leur incrédulité notoire (4) « ; ils étaient cependant pour quelque chose dans ces supercheries l'on

pressit, donec in villa Tiburtina profluvio sanguinis pœoe ad exitum venit. Tune libère servianum... mori coegit, multis aliis iuterfectis vel aperte vel per insi- dias.

(1) V. la description détaillée faite par l'auteur de la découverte, M. Stevenson, Scoperta délia hasilica di Santa Sinforosa e dei suoi seile figli al nono miglio délia via Ti- burtina (Rome, 1878). Cf. dans Us Sludie documenti di storia e diritto (Uorne, 1880), fasc. I, l'histoire de cette basilique au moyen âge, par le même.

(21 L'orthographe véritable doit être Sijmphemsa, d'après une inscription qui a quel- que rapport, ayant été tirée en 1737 de l'emplacement même de la basilique : MaFFEI, Mus. leroncnse, p. CLiii, 1, CORXELIAE S'i'MPlIEIlVSAE CONTVBERNALI... ET CLAVDIAE PRIMITIVAE FILIAE. W ne faut pas s'étonner de la forme grecque du nom S'jijçÉpojTa. Strabox, qui mentionne l"Hpax>.£lov de Tibur à côté du temple de la Fortune de Préneste, témoigne [au sujet de ces deux villes, 1. V, c. m, 11 : <ï>aat ô' 'EAAr.vtoaç àiJ.ç;OT£paç. Les Actes ÙQ Getulius, loc. cit., disent qu'il avait converti au- tant de Grecs que d'indigènes de cette contrée de l'Italie : Tarn ex Gra^cia quam ex Italiae regione.

(3) .^nn. de la propag. de la foi. num. de mars 1879, lettre de Corée déjà citée : « Le 13 mai dernier est morte la femme du roi précédent... A l'ouverture du deuil, il y a eu, à un jour fixé, lamentation publique accompagnée de sacrifices dans chaque ville, chaque village, chaque hameau de tout le royaume... Habiter avec des païens un même village et ne point prendre part aux lamentations publiques, c'est faire un acte de mauvais citoyen, de rebelle et de chrétien; y prendre part, c'est s'asso- cier à un acte public de superstition..

[i] Hist. des perséc., p. 290.

96

persuadait à Hadrien malade qu'il gue'rissait les aveugles (1). Bref, la veuve de Getulius ayant rappelé à l'empereur la mort de son mari 2wur le nom du CAm/ (2), et ayant, malgre'.les mauvais traitements, persisté dans son refus de sacrifiei-, fut ])récipitée danslefleuve (l'Ânio) qui passe à Tivoli. Son frère Eugène retira son corps, et, disent les actes, in subiirhana ejusdem civitatis sepelivit. C'est un des jours suivants que ses enfants : Crescent, Julien, ISemesius, Primitivus, Justin, Stractée et Eugène furent conduits à leur tour au temple d'Hercule, leur obstination à rester fidèles à la foi de leurs parents fut punie de divers su])plices. Us furent jetés dans une fosse commune, mais à un moment de répit, correspondant sans doute au dé|>art d'Hadrien pour Baies, il mourut le 10 juillet 138, les chrétiens leur donnèrent une sépulture honorable auprès de leur mère.

Que faut-il penser des actes mêmes qui nous rapportent ces faits? Les dernières opinions, lesquelles se sont du reste produites en dehors de la considération des monuments, ont varié suivant les systèmes. Overbeck, qui admet l'authenticité des actes (3), tient surtout à prouver que rien n'a été changé par le successeur de Trajan à sa politique vis-à-vis des chrétiens. M. Aube, au contraire, rejette cette authen- ticité, préoccupé qu'il estd' atténuer la persécution (4). Entre les deux, se place Gôrres, qui voit en sainte Symphorose et ses sept fils des personnages historiques, et reconnaît que leurs actes étaient déjà mentionnés dans la compilation hiéronymienne (cinquième siècle) (5) ;

1) Spart., Vit. Hadr., c. xxv : Quamvis Marius Maximus haec per simulationem facta commemoret.

2,1 Rlinaut, Acta mariijrum, p. 71 (éd. de Ratisbonne) : Quum ego desiderein cuin viro ineo Getulio, quera pro Christi nomine inlerfecisti, requiescere.

3j Studien, p. 139.

(4j M. Uluuy trouve plus commode de la nier, t. IV, p, 400 ; - Sous Hadrien, nul, par ordre du prince, ne souffrit pour ses croyances dans sa personne et dans ses biens. »

(5) Le Talmud de Babylone, Gittin 67 b (c'est à M. Bouché-l,cclerrq que nous sommes redevables de celle indication), place sur les lèvres de W. .leliudab le récit de la comparution d'une mère anonyme avec sept fils anonymes devant Hadrien. Nous ne voudrions pas cherclier une allusion au martyre de sainte Symjjhorose. Par son caractère vajjue et sa tournure biblique, ce récit semble plutôt se rapporter à l'histoire des Macchabées. Mais la substitution d'iladri n au roi Antioclius, le plus cruel ennemi d'Israël, prouve au moins que l'empereur romain avait un renom

97

mais il est d'avis que les actes que nous possédions sont poste'rieurs en date pour une double raison : l"à cause d'une certaine formule qui les termine ; 2" à cause de la diffe'i'ence des noms des fils dans les deux documents (1). A cette dernière objection, M. Stevenson avait répondu en prouvant que la diversité' re'sulte d'une transposition dans le texte si confus du martyrologe et en justifiant pleinement le texte des actes (2). Quant à la première, Hilgenfeld n'a pas eu de peine à opposer à Gbrres une formule analo{jue appartenant à la passion de saint Polycarpe qui, de l'aveu de tous, est du milieu du deuxième siècle (3). Il leste donc que les actes meutionne's dans le martyrologe lui sont certainement ante'rieurs, et que leur te'moignage est digne de foi, soit qu'on ait al'faiie à un remaniement d'un texte plus ancien, soit qu'on y recueille l'e'cho d'une tradition sûre et imme'diate. Une preuve que cette tradition est contemporaine de l'e've'nement, c'est l'appellation païenne de l'e'poque qu'elle a conserve'e pour le lieu du martyre : Ad septem hiotlianatos (êiatoOavàTou;), alors que cette autre : Ad septem fratres, ne tarda pas à lui succe'der et demeura pendant des siècles.

Ces jeunes enfants n'avaient pas e'te', selon l'image du livre du Pas- teur (4), " semblables à des plantes qui dès qu'elles voient le soleil se dessèchent : ainsi certains hommes, lorsqu'ils entendent le bruit de la perse'cution , ne prennent conseil que de leur lâcheté', sacrifient aux idoles et rougissent du nom de leur Maître ". D'après Hermas, le devoir actuel du chre'tien consistait à porter allègrement (5) ce nom et à ne pas apostasier; pour lui, c'est la seule chose en question, nous

de cruauté l)ien établi, et qu'il ne le doit pas seulement à son biographe, Marius Maximus, comme on l'a prétendu.

(1) Hilgenfcld's Zeitschrift, 1878, p. 48.

(2) Op. cit., p. 84 et S. L'auteur devançait la pul)lication désormais prochaine, par MM. de Rossi et Duchesne, d'une édition critique du martyrologe hiéronymienqui en augmentera singulièrement la valeur.

(3) Hilgenfeld's Zeitschrift, 1879, p. 97.

(4) Sim. IX, c. XXI, 3 : "QaTcsp yàp aùxcov ac poxâvai flXtov looûffc^'. È^y)pâvOr,(TO(v, ouxw ■xa\ ot Gt'|>u"/oi, oxav 8Mij/iv axoûawat, otà ttiV oscXtav a'jxtov £!owXo)-c.TpoOcn y.a'i. ovo[j.» £TïaKT-/uvovTat xoO x'jpiou aijTÙ)v. Ed. Funk, p. 540.

[il) Sim. Vni, C. X, 3 : OuôIuote àirb xoO OsoO àTrlaxï-.a-av y.a'i ''}V\\.-j. f|ôf(or ÈgcJo-TtzTOîv. p. 49G. Cf. notre première partie, p. 26.

7

98

l'avons déjà vu, et il ne se lasse pas de le re'pe'ter. Le temps n'était plus l'on pouvait rester dans la foi sans faire les œuvres de la foi (1 ) , comme ces convertis qui , s'e'taut enrichis et ayant conquis une position conside're'e dans le monde, perdaient par orgueil le souci de la vérité' et quittaient le commerce des justes pour vivre avec les païens. 11 ne fallait plus de compromis , tels que se les i)ermettaient ces gens d'une foi mal assise, qui allaient demander aux devins la bonne aven- ture et corrompaient leur jugement au pied des chaiies des faux prophè- tes (2). Cette dernière allusion montre que l'Eglise de Rome commen- çait à être travaillée, à l'égal de l'Eglise d'Alexandiie, par les sectes gnostiques; les relations des deux villes étaient si fréquentes qu'il n'y a pas lieu de s'en étonner, et nous avons été édifiés sur les chrétiens d'Egypte par la cui'ieuse lettre d'Hadrien. L'état des esprits dépeint dans le Pasteur paraît donc bien conforme à ce qu'il devait être à la fin du règne de ce prince. La même date nous est suggérée par quelques détails relevés au corps de l'ouvrage. La naïveté de l'auteur est connue; son exposition théologique s'en ressent, surtout parce qu'il l'accompagne perpétuellement de comparaisons plus ou moins heureu- ses, où il se meut si peu à l'aise, que quelques commentateurs y ont voulu voir des visions véritables. Daus l'une d'elles, il s'agit d'une vi- gne, dont le propriétaire, ayant à s'absenter, remet la culture à un indi- vidu honoré de sa confiance. C'était un esclave; à son retour, satisfait de la gestion de cet homme, il parle à son fils et à ses amis de l'adopter comme héritier, et lui envoie des mets de sa table que celui-ci partage avec les auti'es esclaves. Les esclaves reconnaissants font des vœux pour que leur compagnon continue à s'élever dans l'estime du maître. Ce dernier apprend le fait, et le rapporte à son filselà ses conseillers, qui approuvent de plus en plus son choix (3), Sans entrer dans l'applica-

(1) Sim. vin, C. IX, 1 : OuToî eIcti 7:t(rTo\ (jièv YeyovÔTe;, TÙ.o'jTr^tjoi.vztz xa\ Yev6(j.evoi £voo|ct Ttapà TOÎç c0v£C7tv... £Vi(i£tvav Tïj utiTTîi. |j.r, £pya:;ôp.£vo'. Ta È'pya ttiç ittaxeo);. (P. 494.)

(2) Maiid. XI, C. I : Kai ô xaOr|(jL£vOi; £7t\ Tr,'/ xaOcOpxv 'ji£yooT:poçr|Tr;ç ettiv àitoXXûwv TV' o'.ivoixv Twv ooO/.wv ToO Oeoû... o'jToi O'jv o't w)^'jyrj\ w; etci [iâvTiv £py(ovTO(t xai £7i£p(i)TÔji7tv a'jTÔv, T( «pa cCTTai aùxotç. (P. 422.)

(3) Sim. V, c. Il, 2-11 : Et/é Tt; àypov xat 5o-j).o\jç hoXXouç xai [xÉpoç ti toû oypoO

99

tion de laSimilitiidecinquième, nous nous contenterons d'observer que si certains termes proviennent des paraboles de TÉvangile, le sens principal est diffe'rent et se trouve tout entier dans l'adoption propo- sée. Or, à défaut de textes connus auxquels la comparaison ait pu être emprunte'e, Hermas ne l'aurait-il pas puise'e dans les circonstances qu'il avait sous les yeux? Le choix d'un successeur adoptif devint une question brûlante, lorsque Hadrien se vit se'rieusement atteint. L. Ceionius Commodus adopte' sous le nom d'^-Elius Cœsar, en 136, mou- rut le 1" janvier 138. L'empereur ne pouvait souffrir ceux que l'opinion publique ou une position e'ieve'e semblait de'signer; il décida alors la perte de son beau-frère Servien, qu'il honorait cependant, et à qui il avait d'abord songe'; or, parmi les griefs qui lui furent impu- te's se trouvait (1) celui d'avoir envoyé des mets de sa table aux escla- ves du prince. D'un autre côté, Dion Ca^sius rapj)orte (2) qu'Hadrien convoqua ses })rincipauxamis et conseillers pour leur annoncer que son choix s'était porté sur Antonin : suit dans le texte l'éloge que l'empe- reur fit de lui en cette occasion. Voilà des traits caractéristiques qui donneraient, jusqu'à un certain degré, à la Similitude d'Hermas une couleur locale. On en peut dire autant d'un autre point, capital pour qui a lu le Pasteur. En effet, l'image qui revient le plus souvent dans ce livre, c'est une tour, figure mystique de l'Eglise : Hermas en décrit la construction très au long en deux endroits ; il entre dans des dé- tails si naturels, qu'il est difficile qu'il n'ait pas assisté à la scène même. Elle se passe (3) sur un terrain submergé, comme serait la rive basse

eç'jT;'j(7£v a[j.iî£/.ÔL)va... OS ok (yjvoo-j/.ot xjtoO \y.oôvTB^ xk tii'7\iy.Tx zy'ipr,'jy.v y.at rîpEavTO £'j-/ST6ai -jTtîp aO-ro-j, t'va "/âpiv (Xîc^ova c'jpr, Tiapà xm czg-kÔ-zi] Sti O'jtw; £-/pr|<javxo a-jTO'.ç-" 2'jyxx).£(TâjX£vo; 7tâ).w xoy; çîXo'ji; 6 ôsijTOt/;: ota\ xciv -jiôv aOxoO à7tr,YY£t>.£v a'JTOî; ■ïT,v TvpîE'.v «OtoO, r,-i £'npaÏ£v znX xoXç c0£<7|j.xtiv a-jxoO oh r/.aêîv o\ ôè k'xi (xà>.).ov ffvvc'jôôy./jTXV Y£vfi76xi Tov ooO/.o'/ <T'JYxAr,povô[i.ov Tw ■j'.ôi xjxoO. fP. 450 et S.)

(1) Spart, lit. Hadr., c. xxiii : Servianum quasi affectatorem imperii, quod servis régis cœnam misisset, quod, etc.

(2) Épîl., l. LXIX, C. XX : S"jv£xa>c(7E xouç Ttpwxoyç xa\ à^toXÔYoyç xwv jîo'jàc'jxwv ot'xaoô, xa\ xaxax£Î[X£vo; zl-Kfi aOxoT; xâo£ ÈfAot, w avop£; ç;Xo'., xx)v. C'est d'Hadrien que date la véritaljle autorité du conseil du prince.

(3) lis. III, c. U, 4-9 : Su, ioov, ov/ opà? xaxivavxt coy Ti-jpyov |jL£Yav oIxoôoiao-j|ji£vov £7t\ yoâxtov... "E6).£irov ôk Ixlpouç Xftoyç ptirxo[X£voyç [xaxpàv àito xoO irjpYoy... IxÉpoyç ok TctTtxovxaç Iyy^ç yôâxwv xa\ (i.r| oyva[J.£voy; xy),t(76r|vai £Î; xo yowp, ■/.'X'.z.i'^ ^Si).vnwi xuXiffÔîivat xat IXOeiv ecç xb uôwp. (P. 354.)

7.

100

d'un fleuve; on voit apporter des blocs tout tailles qui seront simple- ment pose's les uns sur les autres; d'autres pierres demandant à être travaillées jonchent les abords ; celles qui sont rejete'es comme impro- pres roulent jusqu'à Teau, l'on dirait qu'elles veulent entrer. Un premier soubassement en pierre formant un vaste carré, muni d'une ouverture (1), et surmonté de quatre assises, s'élevait au-dessus du niveau de la plaine environnante, et, à travers l'ouverture, on fit pénétrerles matériaux dans l'intérieur, par l'on continua l'édification de la tour. Un moment les travaux furent interrompus, et le maitre vint pour les examiner ; il vérifiait chaque pierre et ordonna d'en changer un certain nombre, puis il s'en alla avec son cortège. Une foule d'ouvriers furent occupés à bâtir, des femmes de la campagne portaient les pierres. Enfin lorsque tout fut terminé, la tour paiaissait d'une seule pièce et avait l'aspect d'un monolithe. Ilermas parvient assurément à rencontrer une application pour chacun de ces faits en particulier, mais les applications ne seraient pas moins originales parce que les feits lui auraient été fournis par la réalité. Si donc on songe qu'à l'époque du retour d'IIadrien à Rome, en 135, celui-ci s'était ima- giné de prouver son talent d'architecte, qu'au nombre de ses construc- tions il faut compter son mausolée, tour gigantesque qui subsiste encore aujourd'hui (2); que cette tour est précisément située sur le bord du Tibre, à l'extrémité du pont Jilius qui fut aussi son œuvre; que d'ailleurs Hcrmas (c'est lui-même qui nous l'apprend) avait occa- sion de longer le Tibre, soit pour se rendre à son champ, soit autre- ment, on trouvera naturel qu'un spectateur simple et un peu borné fût

(1) Sim. IX, c. II à c. IX. : '11 olxoootir) ôà toO n-jpyou ÈyéveTo èui tïiv Tiérpav ty-jv fieyâXrjv xai eTïocvo) TTiç ti-jXyjç. (P. 504.) Ka\ èyévc-co àvo-/Ti ttjç oÎxoôo[jlt)ç. i^P. 508.) Ka-cevôei Ô£ à àvï|p èxEîvoç TYiv oîxoôo|jir|V àxpiêwç, wdte auxôv xaÔ' é'va XtOov «{/'l^oiçâv. (P. 510.)

'EooxoOaav oi |j.ot a't yjvaîxî; au-uai aypiai elvat MovôXiôo? yâp (loi èôôxci eîvat.

(P. 516.)

(2) On pourrait objecter sa forme ronde, cf. lis. III, c. ii, 5 : 'Ev TïTpaywvw ôà ô)xoooiJ.c'.To ô Txjpyo;. (P. 356.) Or le mausolée se compo.se d'une subslruction qua- dran{;ulaire de 104 mètres de côté, haute de 9 à 10 mètres, laquelle .supporte une construction cylindrique en travertin, de 73 mètres de diamttre, jadis entière- ment revêtue de murbre ; la hauteur totale est d'environ 50 mètres. Du reste, pour une comparaison, la forme précise importe moins (|uc l'idée; par exemple, les deux descriptions de la tour dans le livre même du Pasicuv sont loin d'être identiques.

101

frappé de la masse de l'e'difice, de la {j^randeur de l'entreprise, et s'en inspirât pour y trouver un symbole mate'riel du dé\elo|)pement de la religion chre'tienne.

Cesconside'rations trouventleur place à côte' d'unte'moignage d'ori- gine italienne ou africaine, le fragment découvert par Muratori dont la date est voisine de 180, qui s'exprimait ainsi qu'il suit au sujet de notre auteur (1 ) : « Le Pasteur a e'te' écrit de notre temps, il y a peu, dans la ville de Rome, par Hermas, sous le pontificat de son frère Pie, e'vêque de l'Eglise de Rome. " Te'moiguage exactement re- produit par les documents romains, tels que le poëme contre Mar- ciou (2), et la chronique d'Hippolyte dans le catalogue Libe'rien (3). Pour les raisons que nous venons d'exposer, nous fixerons seule- ment avec Harnack la composition du livre aux deux ou trois années qui précédèrent ce pontificat (139-154). Le pape qui avait succédé au martyr saint Télesphore était saint Hygin (136-139), lequel, d'après nous, est personnifié dans la Vision deuxième par l'évêque Clément, « chargé d'envoyer le livre aux villes du dehors " . Nous voyons également dans saint Hygin l'auteur de l'homélie, appelée à tort déjà du temps d'Eusèbe (4) seconde épître de saint Clément, et dont le genre a tant de rapport avec celui du Pasteur. Énonçons enfin une conjecture relative à Hermas : le succès de l'ouvrage du vertueux laïque n'a-t-il pas pu contribuer à faire élire son frère Pie, qui, par une circonstance remarquable, portait le même nom que l'em-

(1) cit. dans les Prolégomènes de Téd. Funk, p. ex: Pastorem vero nuperrime tem- poril)us nostris in urbe Roma Herina conscripsit sedente cathedra urbis Romœ ec- clesiae Pio episcopo fratre ejus.

(2) Liv. ni, V. 284 :

Constabat pietate vigens Ecclesia Romae Composita a Petro, cujus successor et ipse Jamqiie loco nono cathedram suscepit Ilyginus. Post hune deinde Pius, Hermas oui {jermine frater Angelicus pastor, quia tradila verba iocutus.

(3) Siib hujiis episcopatu frater ejus Ermes librum scripsit, in quo mandatur contineturque quod ei praecepit angélus, quum venit ad illum in habitu pastoris.

(4) Hisi. eccles.. 1. m, c. xxxviii, 4 : AeuTspa xtç elvat ^ÉysTat toO KXr|(X£vxo<; £7ttaT0>r,- ou [J.Y)v £8' ÔJJ.OCWÇ T^ TtpoTÉpa xo(\ xaiixTiv YvwptjjLOv ÈTUdTotjjieOa, oxc [x-^ôe Toùç àp^atou; «ÙtÎ) x£/;pr|(Aévo"j; t'(T(ji£v.

102

Itoreiir, on face duquel il devait exercer la souveraineté spirituelle? A l'époque d'Antoiiiii le Pieux, les gnostiques levaient hardiment la tète dans la capitale de l'empire. C'est à Rome, en effet, que l'hérésie vint elle-même faire condamner ses doctrines, et que Valentin origi- naire d'Egypte, et Cerdon de Syrie, après avoir été quelque temi)s to- lérés dans l'Eglise, durent s'écarter de la communion des fidèles (1), C'est à Rome, que saint .lustin, tout en présentant dès le début du nou- veau règne sa première apologie en faveur de ses coreligionnaires (2), avait ouvert contre les sectes dissidentes la première école théologi- que, qui créa à côté des évêques, juges de la foi, l'enseignement des docteurs : double catégoiie toujours soigneusement distinguée j)ar Hermas. C'est à Rome qu'il égésij)pe arriva de la Palestine, vérifiant l'orthodoxie des différentes Églises d'après la succession des i)as- teurs : à Corinthe, il rencontra Primus; à Rome, Anicet (3). C'est encore à Rome et sous le même saint Anicet que saint Polycarpe(4), évêque de Smyrne plus qu'octogénaire, vint provoquer la solution d'une question non ])lus seulement de dogme, mais de discipline, qui ne fut tranchée définitivement qu'un peu plus tard par le pape saint Victor (5). Son voyage est de l'année 154, et correspond apparem-

(1) Saint IrÉnÉe, Adv. hœr., 1. ni, C. IV, 3 : 0"ja)-£VTtvoç iikv yàp r^^vi eîç Ta)|xr,v

fK\ 'Yytvoy. KépSiov oï.... xa\ aùxoç ItCi. 'Yytvoy sic Trjv £xx).Y5(7(av ÈXÔwv xa\

£|o[ioXoyoû[i£voç, ouTcoç c,\z-zi\zat, Ttoxà jasv Xa6poStôa(7xa),â)v, Ttorè ôÎTtâXcv £|o[i.oâoyo"j[j.£voî •KQ-ù, £>.£Y'XC)[j.£voç zo of? £Ô£ôa'7X£ xaxiô; ,xa\ àcptffxajxevo; tÎ); tûv ào£).cpû)v avvootx;.

(2) Il y propose, c. xxvii, p. 84 de Téd. Otto, à leinpereur un Syllabus de toutes les hérésies contempor.ines qu'il avait r. dijjé : '^■j'nï-)-\i.yL xaTi tz^iw tûjv y£y£vr|ijL£v(i)v xtp£<7£wv. Sous le même titre parut au troisième siècle le livre des Pkilosophumena, quiémaue de l'école de saint Ju>tin et qui, d'après l'iiahitudc c^immune des anciens, a puiser largement danN ce premier traité, comme il puise dans saint Irénée.

(3) Hist. celles., 1. IV, c. XXII, 2 : Ka"i £7t£[X£vïv r\ £xx"/,r,(7ia r, KopivOcwv £v t(o op6(o Xoyw |i,£-/pt IIpc[AOu £7ti(7xoii£ijovTOç £v Kopîv6w, oî; ff'jvéïAiEa Ji/iwv t\z 'P(i|jLr(V... r£vô[i£voç ôè £v 'Pw|jLr, 6ia6o/r,v £7roir,a'â[j.r,v [J-É/piç 'Avixr,xoy.

(4) Sai.NT IkÉ.NKE, Adv. har., 1. III, c. m, 4 : "O; xat £tî\ 'Avt/r|TO'j £Tttor,|j.r,(73(; Tr, 'P(<j|j.r, Cf. Hisi. ccchs., I. V, c. XXIV, 14. C'est lui qui, en 116, recevait l'évéque d'Antioche conduit au martyre.

(5 j Voir t<ci-ue dis qucstiotis kisluriqucs, f juillet 1880: lu l'àqtic au concilr de .Vicée,

M. l'.ihl é Ducliesne montre qu'il ne s'agissait plus à cette époque de l'opposition de ro!)servani'e dominicale à celle du 14 nisaii, mais de la supputation de la l'àque par rapport à 1 équinoxe, difliculté propre ù la Syrie et non à l'Asie Mineure. Du reste, déjà, vers 230, les Philosophumena, I. VIII, C. v, rangent les quartodécimans parmi les hérétiques.

- 103 -

ment à l'entrée en charge de son collègue dans Te'piscopat; à son retour, il fit peut-être la traverse'e avec le proconsul d'Asie qui de- vait le condamner à mort l'anne'e suivante. Ici nous adoptons les conclusions de M. Waddington sur la date du gouvernement de T. Statius Quadratus(l), maigre' le travail re'cent de Wieseler pour de'fendre l'ancienne chronologie (2), et nous allons analyser sommai- rement au point de vue qui nous occupe, la lettre célèbre « de l'Eglise de Smyrne à l'Eglise de Philomelium et à toutes les portions de l'Église catholique résidant en divers lieux ^î, texte bien fait pour désarmer la critique et ne laisser place qu'à l'admiration.

La présence de l'empereur en Orient (3) expliquerait au besoin la renaissance de la persécution; elle ranimait le zèle religieux de ces populations dont l'hostilité croissait avec le nombre des chrétiens. Combien de fois l'effervescence païenne ne viola-t-elle pas les con- ditions mêmes posées dans les rescrits de Trajan et d'Hadrien! Arres- tations par la foule, exécutions tumultuaires devenaient chose com- mune en pays grec, et le chef de l'État se contentait de recommander aux cités de se conformer autant que }>ossible aux précédents (4). Mais les magistrats se voyaient la main forcée et allaient plus loin qu'ils ne voulaient; nous en trouvons un exemple chez le rhéteur Quadratiis. 11 avait condamné à différents supplices plusieurs chrétiens de la ville de Philadelphie : Germanicus eu particulier, livré aux bêtes, avait excité la fureur des spectateurs par son courage. Toutefois un Phry- gien nommé Quintus, qui venait d'arriver de ses montagnes et avait persuadé à un ou deux autres de se joindre volontairement aux mar- tyrs, céda aux in^ances du proconsul qui cherchait à le faire aposta- sier (5). Il devait êtie le douzième à verser son sang, une victime

(1) Fastes , § 144, et le mémoire cité à notre page 75, note 1.

(2) Die Christenverfolgungen, p. 34-101.

(3) Aristid. orat., éd. Dind., t. I, p. 453 : 'E-!^zrJj[Lzz:'i ok co; rbv Èv zr, 'E.-jç,'.y. tots a-jTOxpâxopa, et p. 424 : 'AvtwvÎvo; ô ot'jxoy-pâTwp à -izpza&j-zzço:.

f4) Taîç ■!îô).£(7t Tispl ToO [ArjoÈv vîWTîpt^îiv U£p\ TijjLwv sypxl/îv. V. la référence à la page 75, note 2.

(5) Mari. Polyc, c. IT : 0-jto; r,y à TrapaotaTCtjiîvo; IxjtÔv xxî Tiva; T;po(7£>,0£lv Ixôv-a; toOtov o àv6-jT;aTo; TTo/Xà £x),t7îapr|<7aç etteicev o(i.6ffai xa\ ETtiOOcrat. Ed. Funk, p. 286.

104

manquait à la foule. Elle réclama, aux cris de : » A mort les athe'es! qu'on cherche Polycarpe (1)! « Le ve'uérable evêque avait consenti à sëloifjner un peu de la ville, des agents furent lance's à sa pour- suite; le vendredi soir, sa retraite ayant e'te' découverte, il demanda aux. policiers une heure afin de teiminer ses prières : après quoi on le fit monter sur un àne, et pendant la route, l'officier de paix Hërode qui s' e'tait charge' de l'amener, et son ])ère iNicétas (2), arrivant avec une voiture, le conduisirent jusqu'à ramphithéâtie, il fit son entrée le samedi.

Jeté' violemment à bas du ve'hicule, Polycarpe fut conduit devant le proconsul au milieu d'un inuneuse tumulte. Quadratus lui demanda de maudire le Christ. Le saint vieillard refusa de l>las|)hémer Celui qu'il servait, dit-il, depuis ([iiatre-vingt-six ans et qui ne lui avait jamais fait de mal (3). Pline le Jeune, lui aussi, avait soumis à pa- reille exigence les pre'venus de christianisme, sachant bien que leur atta- chement au nom du Christ constituait tout leur crime. «Je suis chré- tien», répéta le martyr. Le proconsul jugea la douceur impuissante comme les menaces et fit publier par son héraut la sentence : Polycarpe s'est avoué chrétien. Dans l'amphithéâtre même, il était inutile d'ajouter quelle était la peine (4). La foule <lemanda un lion. Cependant le fonctionnaire qui donnait les jeux, Philippe de Tralles, déclara que le tour des bêtes féroces était passé. 11 n'y eut alors qu'une voix : a Que Polycarpe soit brûlé vif. » Les Juifs qui se signalaient par leur achar- nement, et qui étaient en grand nombre à cause du repos du samedi,

(1) Aîpe Toùç àOcO'jç Çr,T£ÎiTOw IIoA'jxapTioç. (P. 28G.)

(2) Ka'i \)■K■'r^■•n■x. a'jxw ô eîp/ivapyoc 'HpwSriÇ xa\ ô TraTTip xjtoO Nr/./|Tr,ç. (C. viii, p. 290.) M. AuBÉ en fait son fils, Hist. dis perscc. , p. 323 ; il pense aussi que les douze cliréliens s'étaient livrés en.semble : or, d'après les .^cies, c. ii, p. 284 : Ma/âpia [i.h o-jv y.o(\ YEvvaîa jjiapxjpia Ttdtvta -ci -/.axi xo OlÀTjiAa xoO OîoO yîyovôxa, quelques-uns seuls sont exceptés; enfin ils ne périssent que onze, puisque Ouintus avait apostasie, et l'olycarpe fut le douzième selon la meilleure leçon, c. mx, p. 302 : XJv xoî; àirô «l'O.'XOEA'^tocç otoofxaxo: Èv |j.-jpvïi iJ-apx'jpriTaç.

(3j 'OyôoriXovxa xa\ £? £xr) oo-jXs'jw auxto xa\ O'joIv [jlï r,otxr|iTEV xa\ tiô)? ôûvaaai pî-aTcpriiAriTat xôv {ioLCiùI'x p-o-j xbv (TtÔT'xvxâ p.£. (C. IX, p. 292 ) Pli\e, Ep. xcvir : Ouum pra-vente me deo^ appcllarcnl. et imajifini tua-, qiiam prv)pter liocjn<seram ciim si- niulacris niiminum afferi, Ihurc ac vino supplicarent, pra'ierea maledicereni Clirislo (quorum nihilco;;i posse dieu ntur qui siint rêvera chrislianii.diinitl endos esse pu ta vi.

(4) rio/.jxacTto; ojaoXôyrjTEv Ixjxôv -/piTXiavov eîvai. (C. xil, p. 291.)

105

ne crurent pas violer le sabbat en apportant des ateliers et des bains voisins du bois de toute sorte pour le bùoher, et quand le martyr achevé d'un coup d'épe'e eut rendu le dernier soupir, ce furent encore eux qui suggérèrent à Nice'tas d'aller trouvei' le proconsul pour lui faire refuser la faveur gëue'ralement accorde'e d'enlever le corps. On le laissa consumer par les flammes, et les chre'tiens ne recueillirent que des os calcine's. Ceci se passait le 23 février 155, vers deux heures de l'après-midi (1). Les habitants de Smyrne s'étaient écriés au mo- ment de la condamnation : " C'est le docteur de toute la province, le père des chrétiens, l'ennemi de nos dieux, qui enseigne à tant de monde à ne pas leur sacrifier et à ne pas les adorer (2). n Grâce à cette grande notoriété, qui s'étendait, on le voit, jusque parmi les païens, nous possédons des détails sur la fin de saint Polycarpe; mais l'auteur de la lettre ne daigne pas nous donner les noms de ses com- pagnons dans la confession de la foi. On peut estimer par combien peu il serait légitime d'inférer du silence des textes ou des monuments l'absence de martyrs au milieu du second siècle. Leur histoire était chose banale, tant que la législation de Trajan demeura en vigueur. Il l^llait qu'une circonstance nous fournît l'occasion d'en être instruits. Tel est le cas de ces chrétiens mis à mort cinq ans plus tard, en 160, par le préfet de la ville, à Rome, sous les yeux du gouvernement cen- tral. Saint Justin, étant présent dans la cajiitale, prend la plume pour dénoncer au Sénat des faits qui datent d'hier et d' avant-hier (3). Une femme, séparée de corps d'avec son mari, est accusée par lui d'être chrétienne; elle lui rappelle qu'il reste à liquider la séparation de biens, et elle obtient à cet effet un suisis de l'empereur. Le maii se venge sur celui qui a converti sa femme; il recommande à un centu-

(1) MapTupeî ô ij.a-/.dcptoç no),'jxap'!toi: (irjvbç 2av6t-/.o0 ôs'jTépa iTtaiAÉvou, Trp'o luTà ■xaXavoiôv MapTt'wv, iTaêêâxw (xeyâXto, wpa oyoÔT]. (C. xxi, p. 304.)

(2) O'jtô; £(7Tiv TTiÇ 'Acrtaç ô 0'.oâ(Txa).oç, 6 TtaxYip tùv •/pKTXtaviov, ô tôjv r||j.îxlp(jùv 6swv xaÔatpÉTr,;, à TtoXXoyç O'.oâaxojv [xr, Oûeiv [i.r,oï upoaxuvetv. (C. xii, p; 296.)

(3) JI ApoL, c. I, éd. Otlo, p. 194 : Kx\ •/6à; -/«'t Tzpû>T,v èv xr, uô).£t Oficov ysvôjxsva eii\ O'jpoixoy, w 'PtojjLxloc, xat itavra^/oO ôjjloÎcoç ûiro tûv riyo-jjjLÉvwv aXôytoç TtpxTTÔfxeva. Cette requête, du commencement de 161, ne fut pas adressée directement à Tem- pereur Antonin, lequel devait être à la campayne, il mourut le 7 mars : Spi- ritum reddidit apud Lorium. (Capit. lit. Ant., c. xii.)

106

rion de ses amis le coupable, nomme' Ptole'me'e, qui après une longue de'tention est traduit devant le préfet, et sur le simi)le aveu de sa qualité' de chre'tien, envoyé' au supplice; un certain Lucius se re'crie à la vue de cette proce'dure sommaire; le préfet lui demande s'il est chrétien, et le fait emmènera son tour, un autre passant de même (1). Il n'y a donc aucun doute, les chrétiens sont hors la loi, car dans ces circonstances il n'est invoqué contre eux aucune disposition légale (2), et si l'on vient nous dire qu'on leur appliquait la loi des Douze Tables, nous voudrions savoir en vertu de quel pi'ivilége ils étaient appelés, seuls entre tous, à bénéficier d'un texte qui du temps de Cicéron passait déjà pour suranné (3). JNIarc-Aurèle a-t-il modifié en quoi que ce soit cet état de choses? Saint Justin pourra répondre, lui qui prévoyait ce que sa protestation devait lui coûter (4). 11 l'avait terminée i)ar un appel, empreint de découragement, à la pieté et à la philosophie du gouvernement (5). Mais c'est précisément accusé par un philosophe qu'il allait périr, condamné par un philosophe , sous un empereur philosophe.

M. Aube a discuté et établi dans sa thèse sur saint Justin, d'ai)rès les travaux de Borghesi et de M.^' Cavedoni, la chronologie des préfets de Rome de cette époque (G). Q. Lollius Urbicus resta en charge de 155 environ jusqu'en 160; il était mort lorsque parut la

(1) // Apol., c. II, p. 200 : Te),£'jxxîov 6k, ote lui Oû'potxov v/6r, 6 àvOpioTtoç, ojiottoç «•JTO toOto (Jiôvov £?r,Tâ<TOri, £! eî'r) y^çn<S'z\.'xvô(i. . . xa'i xoO OOpoixoy xe/.eyffxvxoç aOxbv aita}(6r|Vat Ao'jy.'.ôç xtç, xa'i a'jxô; wv ■/pio'xiavciç, ôptov xr,v à/.ôywç o-jxto y£vo[j.îvr,v xptffiv, itpbç xbv Oupêixov è'çr) Tîç yj aîxta; ...TtdÎAiv xa\ ocjxôv aTiayOrivai ÈxiÀE'jaEv... xat à>,Xo; Ô£ xpixoç È7t£).6wv xo/a<T6r|Vat upo<TEXt|j.r|Or,.

(2) Blxheler, dans le 2"= fasc du liheinischfs Muséum pour 1880, n'a pas fait atten- tion qu'il affaiblit sans droit la thèse de saint Justin, qui est la nôtre, en propo- sant de supprimer aùxô xoOxo (lôvov devant le premier t\ /pKTxiavôç kaxK. Par contre, il a raison de signaler comme des répétitions dans le texte ov U-jpgixo; ÈxoAacraxo et Et; 6£(7[xà £|j.ga).ôvxa xôv nxo).E|xxtov quelques ligne» plus haut

(3) Cic, De kg., \. H, C. xxiii : Discebaiiius enim pucri XII, ut carmen necessarium, quas jam nemo discit.

(4) II Apol., cm, p. 202 : Ivàyw o-jv Tîpoffooxô) ûtio xtvo; -,m'i wvo(Aai7[xÉvtov £7r'.6ou).£'jf)r|Vai xa\ %\i)m £[A7rayr|Vat.

(5j II Apol., c. XV, p. 242 : Ka\ 7txj(jô|j.£0a Xontciv, odov Èqp" r||i.îv f,v TtpaÇavxE?, xa\ 7tpo(7EiiE-j|d([ji£voi xî^ç a).r,6£co(; xaxaÇtwOr.vat xo-jç Ttivxr) Ttâvxaç àvOpwiro'j;. Ei'r) 0"jv xa'i •j|j.âi; a|t(i); vjGZoziya; xat çiAOTOcptotç ocxaia vTièp Éauxôjv xpîvat.

(6^ Saitit Justin philosophe et martyr, p. 68 et S. Cf. Bohghesi, (Xurres, t. VIII, p. ^45.

107

dernière Apologie (1). Il fut remplace' par P. Salvius Julianiis (2), le célèbre jurisconsulte, rédacteur de \ Édit jjerpétuel, auquel succéda, le 1" janvier 163, Q. Junius Rusticus, pour la deuxième fois consul Fannce précédente, et jadis précepteur deMarc-Aurèle. Il paraît assez naturel que Rusticus ait tenu son ancien élève au courant des affaires, d'autant plus que celui-ci ne quitta pas Rome tant que L. Verus, son frère adoptif et depuis le 7 mars 161 son associé à l'empire, fut retenu en Orient par la guerre contre les Parthes (3). Ce ne fut donc pas à son insu que saint Justin, dont l'école, selon le témoignage de Tatien, avait été dénoncée par un rival, Crescent le cynique (4), que saint Justin, disons-nous, comparut devant le préfet de la ville avec six chrétiens arrêtés chez lui.

i\ous avons leurs noms : Chariton, Charité, sans doute sœur du précédent; le Cappadocien Evelpistus, esclave de César ; Hiérax, origi- naire d'Iconium et probablement aussi esclave; Péon et Liberianus. Dans leur interrogatoire authentique que nous possédons (5), Rusticus fait allusion à la réputation d'éloquence de saint Justin, preuve qu'il avait entendu parler de ses Apologies (6) ; il s'enquiert avec insistance de leur lieu de réunion et parait peu satisfait de la réponse de saint Justin, qui déclara qu'on se réunissait l'on pouvait; que, quant à

(1) Capit. lit. Ant., c. viii : Successorera vivent! bono judici nuUi dédit nisi Or- fito prœfecto Urbi, sed peieiiti.

(2) Pour le martyre de sainte Félicité qui se place à cette date, voir le mémoire annexé à ce travail.

(3) Capit. l it. Ant. lyhil., c. viii : Ad Parthicum vero bellum senatu consentiente Verus fraler est niissus : ipse Romam remansit, quod res urh.iaa; imperatoris pra^- sentiam postiilarent. Ihid., c. m : Junium Rusticum... cum que omnia commu- nicavit puLlira privataque consilia.

(4) Or. adv. Grœc, c. xix : Kpt(Txr,; yoOv. OavdcTOU ô xaxaçpovetv (7ij(Aêo'j)>£uajv, o'jxcoç aÙTOç EÔcôiEi TÔv OâvaTov, xa\ 'Iou(ttîvov xaOâTiep iityocXu y.axô) xtî) OavâTto TieptoxXsîv irpayjj.axe'ja'atJÔat.

(5J II est resretta!)le que la traduciion que M. Aube eu a donnée, Hist. desjnrsi'c, p. 346, n'ait pas été faite sur lorij^inal grec. La terminaison Charit/^a e^t une inven- tion du cardinal Sirlet, le premier traducteur latin, pour répondre au féminin XapiTtô. Les formes différentes prœses et prœ/ecius n'existent pas dans le texte qui reproduit invariablement le tit e correct suxp/o;. V. la éd. d'Otto, p. 266 et s., Corp. Apol., vol. ni, in fine.

(6) C. V, p. 276 : "Axous, ô ).£yô[jL£voç Xôyto;, xai vo|j.t^wv àX/)6ivo"jç ecofvai ),ôyou; èàv (jiaffxcywQe'n; àuox£ça)-ta6?iç .. ce qui n'est pas la même chose que : si a capite per fotum corpus flagellis caesus fueris. Rli.xart, Acia mariyrum, p. 107 de l'éd. de Ratisbonne.

108

lui, ses auditeurs Tallaient trouver dans son domicile privé aux thermes de Timothëe sur le Viminal, et encore qu'il venait seulement d'arriver pour la seconde fois à Rome (1).

Etait-ce curiosité' de la part du préfet, ou cherchait-il à se rensei- gner afin de procéder à de nouvelles arrestations ? En tout cas, il ne fait aucun crime à raccusë de ces réunions, il se repent presque de lui avoir posé la question et s'écrie : « Du reste, es-tu, oui ou non, chré- tien?— Oui, je suis chrétien « , répond aussitôt saint Justin (2). C'était son crime. Rusticus avait commencé par lui dire : «Obéis aux dieux et soumets-toi aux empereurs (3). " Il lui adresse en dernier lieu une sommation générale ainsi qu'à ses comjiagnons : ^ Approchez tous en- semble, dit-il, et sacrifiez aux dieux. « Sur leur refus unanime, il prononce la sentence suivante : « Que ceux qui n'ont pas voulu sacri- fier aux dieux et obtempérer à l'édit de l'empereur soient fouettés et emmenés pour subir la peine capitale, conformément aux lois (4). »

L'édit mentionné est incontestablement le resciit de Trajan (cette fois empereur est au singulier) : ce sont ses dispositions qui ont été rigoureusement observées (5) ; pour ce qui est des lois qui arrivent à

(1) C. III, p. 270 : 'Eyw luavio |xlvw (xivbç Mapxtvoy paraît une fïlose) toO TtjxoOtvou Pa/.avîîo'j... STTcorijjLriTa xf, 'Pwjxotfwv itô),£i toOxo oîÛTîpov.

(2) Ibid., p. 272 : OOy.oOv ).o[7rov -/piaTtavo; û ; 'Io-jttÎvo; zlr^vi va\. -/piTTiavôç £Î[xi. La compétence du préfet de Rome, en matière d'associations non reconnues, fut proclamée à nouveau par Septime Sr\ère, D., liv. I, tit. XH, fr. i, § H : Divus Severus rescripsit eos etiam, qui iilicitum collegium coisse diciinlur, apud pr.Tfec- tum Urbi accusandos. Celte mesure coïncidait avec une extension de la liberté d'as- sociation.

(3) C. II, p. 268 : HpiÔTOv t.z'kjHt^ii. toÎç OcOî?, y.a'i yTiâxo-jdov xoî; paaiAsOTiv. Les deux empereurs sont Marc-Aurèle et Lucius Verus, et il n'est pas question ici de d'édits. Le latin est donc doublement inexact : esto obediens imperatoris edictis. Rlinart, p. 105.

(4) C. V, p. 278 : Ot ]pr\ PouXrjOÉvTî; OOaai xoîç Osoî;, y.a\ ellai t'o toO aùfOxpocTopo; TtpocTiyiiaTt (A0((7Ttyo)6ÉvTî; à7ra/;0r|TW<7xv, y.cçaXtxriV aitoy.TtvvjvT£; i5cy.Y;v xxxà ty|V twv vô(A(.)v àxo).o'jOtav.

(5) Pli\. I. X, ep. xcviii. Si deferantur et ar^juantur, puniendi sunt; ita tamen ut qui negaverit se christianum esse, idque re ipsa uianifestum fccerit, id est sup- plicando diis nostris, qunmvis in pr?Pteritum suspectus fuerit, vciiiam ex pœni- tentia impetret. MiciirLr.T est loin de saisir l.i portée du rcscrit, lorsqu'il le

résume ainsi (Fragments inédits, Priiii' historique, juill -Sept. 1876i : « KxéculCZ leS

lois de l'Empire : ne cherchez pas les chrétiens; seulement si vous les trouvez, ju- gez-les selon les lois. » Kt il ajoute : Ce mot est bien dans le caractère des Ro- mains, n y avait en effet des lois contre des associations secrètes, et c'est comme

109

la fin, on ne leur a emprunte' que la pe'nalite', qui en effet ne se trou- vait pas de'termine'e dans l'instruction impériale. Le choix en était laissé à l'arbitraire du }uge, exclusivement toutefois parmi les peines capitales, et le magistrat stoïcien ne se montre pas plus cruel que ses contemporains (1). C'est à Marc-Aurèle qu'il appartenait de réformer la législation sur ce point, comme il le fit sur un assez grand nombre d'autres; mais il ne voulut pas connaître les chrétiens (2). Sa fai- blesse, en même temps qu'un secret orgueil qui n'était pas incompa- tible avec les opinions de l'école, l'empêchèrent de dominer les pré- jugés de son temps. Après toui, on ne peut pas absolument lui repro- cher de n'avoir point été un Constantin, mais on ne peut non plus le rayer de la liste des persécuteurs. 11 l'était par tradition, sinon par instinct; aussi bien le fut-on autour de lui.

jNIéliton de Sardes nous apprend incidemment (3) que L. Sei'gius Paullus, proconsul d'Asie vers ICo, à l'exemple sans doute d'Urbicus et de Rusticus dont il devait occuper la place en 170, fit périr l'évêque

associations secrètes que, dans ri^norance de la chose, les Romains devaient consi- dérer les assemblées chrétiennes. " S'il eu était ainsi, la procédure aurait di"! être différente.

(1) M. Renan traite les actes de saint .Justin, Journal des Sainints, déc. 1876, p. 731, de « composition bien postérieure à la Uïort du saint martyr, et l'on prête à l'il- lustre .lunius Rusticus un rôle que l'on est tout à fait autorisé à regarder comme calomnieux ". Nous nous demaniions si ce ne sont pas plutôt les actes qui se trou- vent ici calomniés. Cette fois, nous sommes de l'avis de M. Albé et d'OvctiBECK, Siu~ dien, p. 118 : « .lustins eigner Process, welcher uns in Acten iiberliefert ist, die zu den glauljwiirdigsten Dorumenten dieser Gattung gehôren.

(2) C'est à eux qu'il semble faire allusion lorsqu'il dit que se guider par la raison utilitaire est le fait : Ka\ twv Osoù; [ir} vofxt^ôvTwv, xai twv xr|V Ttaxpwa ÈyxaTxXïiuôvxwv, xa\ Tcôv Ttoto'jvTwv, £7icicàv xXet'atoai Taç ôypaç. Comm., 1. UI, c xvi- Ainsi il aurait ajouté foi aux calomnies populaires.

(3) Hist. eccles., 1. IV, C. XXVI, 3, début de son livre sur la Pâque : 'LVt SspoycXcou naûXou àvOuudtTou vf\c, 'Adtaç, w Sayaptç xaipw l]j.%çiv'jçf\(yzv. Cf. ibid., 1. V, C. xxiv, 5, la lettre de l'évêque de Smyrne, Polycrate : oel )iy£iv i^âyaptv I'k'ktv.otzo-i xa\ [xipxupx, 'oç hi Aaoôixeix xsxoiiJioTat; Le même proconsul, ou un autre, mit à mort l'évêque cité iiiimediatement avant par Polycrate: Ka\ OpaTsa; ÈTrîcrxoTroç xa\ [xapTUç am) Eijjj.£v£iaç, hi Sfxûpvrj x£xot|j.YiTO(t. La l'ita Polycarpi récemment publiée par M l'abbé Duchesne (Paris, 1881), p. 27, nous apprend l'emplacement de son tom- beau : Ecç !îl[j.Opvav sic xb irpb Trjç 'Ecpsataxriç paTO.sia; xoifAriTTipiov... k'vOa vOv (j-upiiv^ àv£ê>,â(Txr|0-£v [>.exy. Tr(V omôflzavi toO crw[i.c<TOç Wpaaio'j xoO |j.c(px-jpo;. Voici l'annotation du docte éditeur, p. 39 : Tenipore Polycratis SmyrucC sepulturam h;il)e])at, ubi étiam passas esse videtur. Translationis auteni causa facile conjicitur; saculo quarto Eumenienses fidèles exuviis pra-sulis sanctissimi carere noluerunl atque eas postli- minii jure repetierunt a Smyrnaeis.

110

de Laodirëe, Sag^ai-is ; peu iiii[)orlent les circonstances qui sont i{jno- rées, il ai»pliquait le rescrit de ïiajan.

On n'a aucune raison de croire que personne se soit fait une arme contre les chre'tiens des précautions e'dicte'es par >larc-Auréle (1) en vue d'un autre danger social, à savoir les progrès toujours croissants de la sorcellerie dans la leligion, voire même dans la philosophie païenne, que M. Boissier décrit ainsi à la fin des Anlonins (2) : c. Elle se réduit à n'être le plus souvent qu'une casuistique pédante ou une déclamation de rhétorique. En même tem|>s elle encourage toutes les superstitions, elle prend la défense des oracles et des devins, elle pratique la magie ; elle tend à devenir une théurgie complitiuée et ridicule. Elle s'unit si étroitement à tous les cultes i)opulaires que ce nom de [)hilosoi»he, qu'au dix-huitième siècle on donnait chez nous aux incrédules, est bien près de ne désigner alors qu'un illuminé. « Lucien nous a conservé les aventures d'un proconsul d'Asie, P. Mum- mius Sisenna Rutiliauus, dupé par rini})osteur Alexandre d'Abouo- tique (3), qui disait d'ailleurs n'avoir d'autres ennemis que les épicu- riens et les chrétiens. Si les mesures prises furent impuissantes, en serons-nous étonnés, lorsque nous voyons l'empereur en personne recourii' au magicien égyptien Arnuphis (4) lors de sou expédition contre les Quades en 174? Nous voulons parler de cette pluie qui sauva l'armée romaine exténuée, et que païens et chrétiens ont re- vendiquée comme obtenue i)ar leurs prières (5).

(1) I).. liv. XLVin, lit. XXIX, fr. 30 : Si qiiis aliquid fecerit, quo levés hominiim animi superstione numinis tcrrerentiir, divus Marciis Inijusmodi homines in insu- lain relegari rebcripsil. Cf. Pauli senteni., liv. V. lit. xxi, § 2 : Oui novas et usu vel ralinnc incojjnitas religiones intlucuiit ex qiiibus animi hominnni nioveantur hones- tiores deportanlur, humiliores oapite puninntur. M. Dlrly, l. VI, p. 185 : - Ce rescrit ne désignait pas nominalement les chrétiens, mais ils étaient à coup sûr compris parmi ceux qu'il devait frapper. ^

(2) La Religion romaine, t. II, p. 124.

(3) V. son histoire racontée tout au long par M. Aube, la Polémique païenne à la fin du deuxième tiède, p. 117-125.

(4) Dion Cassius, Ep., 1. LXXI, c. vin : l\a\ yiç> xot Xôyoç ïyzi "Apvoyçîv T-.va [iiyov AiY^ititov ffuvôvxa tÔ) M(ipy.(f) a/.Aoyç Tivaç ôa(i|j.ovaç y.a\ tov 'EpiirjV xôv «Épiov oxt (Xû(/,i(Txa (j.aYY«v£(aiç xiitv £7riy.a>.£i70«<T0at "/a\ 0(' aOxwv xov ojjLopov ÈTriaTrâcraTOxi. Xiphi- lin prêche pour son saint lorstpi'il cherche à nier le fait, ibid., c. ix : OOôi yàp n^ywv auvo-j'Ttot'.î v.y.\ yor|Xîîat; o Mâpy.oç 70(ip£tv t(jTÔpr,Tai.

(5) Capit. lit Ant. phil., c. XXIV : Fulmen de cœlo prccibus suis contra hosliuin

- 111

Le fait, devenu l'objet de taut d'explications diverses, est cependant fort simple; une chose est constante, l'acte religieux des combattants dans une situation tle'sespe'rëe. Tous furent appelés par Marc-Aurèle à y prendre part ; déjà à Rome, au moment du premier départ contre les JMarcomaus, il avait agi de même, ajoutant les rites étrangers aux rites romains, si grande était la peur (1). Que parmi les soldats il y eût des chrétiens, rien d'extraordinaire, surtout dans une légion stationnée en un pays où, cinquante ans auparavant, Pline en avait trouvé un si grand nombre (2j. On ne peut douter que la legio XII fulminaia n'ait été appelée à fournir son appoint à la défense du Da- nube (3) ; le danger pressait, et Pertinax fut mandé de Syrie en cette occasion. Lorsque le détachement (4) regagna ses quartiers de Mélitène, chrétiens et païens racontèrent l'événement chacun à leur façon; Apollinaire, évéque d'Hiérapolis, nous a transmis la version chrétienne, apparemment dans son Apologie, Eusèbe l'a trou- vée (5). Les soldats chrétiens auraient mis genou en terre, selon la manière de prier des fidèles, et l'efficacité de leur démarche

machinamentum extorsit suis pliivia irapetrata, quum siti laborarent. La scène est représentée sur la colonne Antouine à Rome.

(1) CvpiT. lit. Ant. phil.. c. xni : Tautus autem terror helli Marcomannici fuit ut undique sacerdotes Antoninus acciverit, pere^i'inos ritus impleverit, Romam onini génère lustraverit.

(2) Lucien également fait parler ainsi Alexandre, c. xxv : Afywv àOlo)v 1\>.tiz- •!Ù.y\ah-JLi y.-A ■/p'.o'T'.ctvwv xôv IIÔ'/tov.

(3) Capit. Vil. Pert., c. u : Cassiano motu composite e Syria ad Danuvii tutelam profectus est.

(4) Les chrétiens pouvaient y être en majorité, ou du moins en grand nombre ; naturellement il nest pas question d'une légion entière, comme la légion thébaine. L'envoi de troupes détachées était fréquent; au siège de Jérusaiem, les léjjions d'Egypte détachèrent 2,000 hommes. B. Jud., 1. V, c. i, 6. En 154, l'empereur se trou- vant en Orient envoya chercher du renfort. Inscr. Regn. Ncap., n" 49.37: -L. Xeratius Proculus... legatus legionis XVI Flaviae Fidelis, item missusab imp. Antonino Aug. Pio ad deducendas vexillationes in Syriam ob bellum Parthicum. - Il craignait la guerre, qui n'échita qu'à l'avènement de Marc-.Vurèle. Alors nous avons un exem- ple tout à fait probant : Pub .Iulius Geminus Marcianus, qui était à Vienne en 161, conduit en Cappadoce des troupes provenant du Danube et du Rhin. V. les Mélanges d'épigraphie, de M. Remer i Paris, 1854), p. 114 et s.

{b) Hist eccles., I. V, C. V, 3 : Toî; oi -(z T|ixETÉpoiç, â-ô iAr,f)£'!a; çD.O'.c. Ôltùm y.x't àxa- •mrfiz\ xpôiTti) Tif a/Okv TïapaoÉooTat. To'jtwv o Sv zvt\ xa\ 'ATioXcvoépioi; k^. exsivo-j sr|(Ta; TTiV 0'. vy/r\z t'o uxpioolov irîirof/jx-jîav XsyEwva oîxcîav ysYovÔTt itpoç toO PacriXéw; ei).r,ç£vxi 7ipo(7r,yopîav, xîpa'Jvo6ô).ov t?, 'Pwaxcwv £Tîtx).r;QeI(Tav owvî).

112

aurait prête à une transformation du nom de leui le'{}ion eu celui de fulminante. Ici ne voit-on pas que le grec, accentue différemment, favorise la confusion du latin, y.Bçtoiu^oëôloç,, fulmina tnx xspauvdêo^oç, fulmina la / Quelqu'un sur le moment, peut-être l'empereur lui-même, aura fait le jeu de mot, qu'ensuite l'histoire a consacré.

Quoi qu'il en soit, les barbares furent repoussés, et les chrétiens n'en continuèrent pas moins à être persécutés. Il est donc inutile de faire observei* la fausseté du document qui se trouve attaché aux ma- nuscrits des Apologies de saint Justin ( 1 ), et qui, sous forme d'une lettre de Marc-Aurèle au sénat, comme le rescrit sujiposé d'Ant(uiin, interdit les accusations de christianisme et prononce la peine de mort contre les accusateurs. Cette lettre, qu'on le remarque, n'est pas mentionnée par Apollinaire. Eusèbe en parle seulement par ouï-diieet sur l'autorité de Tertullien. Eu effet, l'orateur afi'icain la connaissait déjà avant la fin du deuxième siècle (2) ; ce qui nous semble un indice de son origine exclusivement occidentale. Cette opinion se confirme ])ar le fait qu'elle omet précisément la légion de Mélitène parmi les détachements de troupes qu'elle énumère (3). D'un autie côté, les renseignements qu'elle donne sur la présence et les fonctions de T. Claudius Pompeianus (4), gendre de l'empereur, sur le séjour de celui-ci à Carnuntum, sur la charge de T. Vitrasius PoUion qui était bien alors i)réfet du |)rétoii-e (5), montrent qu'ils ont été puisés à une source authentique. Aussi placerions-nous volontiers le lieu de la falsification à Rome (le grec trahit la même provenance); nous ajou- terons : sous le règne de Pertinax, 1" janvier-28 mars 193 (6).

1) Corp. Apol., éd. Otto, vol. I, p. 246.

(2) Apolofjet., c. V : Si litlera* Marci Aurelii {îravissimi impcraloris requirantur, quiljus iHani (;eriiiaDicam sitim, christianorum forle iiiiiiluiii precationibus impe- trato imbri, disciissam teslatur.

(3) Loc. cit., p 248 Kai çrTpaTc-jiiâTwv Xeystôvo; Ttptjxx;, OExâTr,;, ysfAivaç, çp£VT/)Ttac (fretensis) (ilyiJLa xaTYiptOiAr,|j.évov.

{i)lbid : noiJL7rr,iavoç ô r||j.ÉT£po; ■rto)i|j.o(p-/0(;. Cf. Spart, lit. Ant. Car., c. m: Quein et consuleni bis fecerat (Marcus) et omnibus l)ellis prapposuerat qu;v gravissima tune fuerunt.

(5j Ibid., in fine: <tpovTt(7£t ô i:pxiç.îy.TOi; BcTpâfTio; lIo>,>,co}v î'i; Ta; Ti£pt|£nap7i3(; itEiJiçOr,- vai Cf. Waddingto.v, Pattes, § 142.

(6) V. page 77, note 1. Oveubeck, Studien, p. 133, tendrait à attribuer le rescril

113

Pertinax, nous le savons, était accouru sur la frontière menace'e, il assistait à la bataille : un te'moignage non moins précis qu'inat- tendu, la chronique d'Eusèbe, à Tannée 172, le mentionne au nombre des généraux de Marc-Aurèle (1), et des spectateurs de l'événement miraculeux, et ce témoignage est indépendant de la lettre il ne figure pas à côté de son protecteur et collègue Pompeianus (2) . L'absence de son nom s'explique, si la lettre fut mise en circulation après qu'il était devenu empereur. Mais dans ce cas, ne s'exposait-on pas à voir le document convaincu de fausseté lorsqu'il lui tomberait sous les yeux? A cela il est facile de répondre par l'intérêt même de la supposition de la pièce. Il y avait treize ans que Marc-Aurèle était mort et que Commode bouleversait l'empire. Pertinax montant sur le trône représentait précisément une réaction contre ce gouvernement dans le sens des traditions de ÎNIarc-Aurèle (3). Or, les chrétiens qui, depuis la mort de celui-ci, jouissaient d'une tranquillité relative et bénéficiaient jusqu'à un certain point, comme nous le verrons, de la législation qu'établissait la lettre, avaient grand avantage à placer l'origine de cette législation du vivant de ce prince. Il n'en était déjà plus ainsi pendant le règne si court de Didius Julianus, qui fut élu par les prétoriens pour tirer vengeance des meurtriers de Commode (4). A partir du 2 juin 193, un ordre de choses régulier ayant recommencé

d'Antonin au règne de Marc-Aurèle, et la lettre de celui-ci au règne de l'un de ses successeurs. Nous pensons qu'une origine et une date communes conviennent aux deux.

(1) 'AvTWvtvo; aÙTOxpdtTwp irjxvw; xoiç 7to),£[j.totî ettIxeito a-JTÔç Tcapwv xa\ touç 7to).e[j,d(px5«; àTtoCTTÉXXwv xat IIeptcvîcxi xa\ xoîç auv aCtw 8c'{/£i mcîîO[X£voi; oiJ-êpoç tv ToO ©£oO ÈyÉvETO xai toT? àvxtTaTffOfxlvocç rEpjxavoî; xa\ Saptiâxai; axriUTo; ï-Kznz't •rto).).ouç aùxMv ot£cp6£tpîv. cit. au vol. IX du Corp. Apol.,Y>. 491.

(2) Capit. lit. Pert., c. Il : Per Claudium Pompeianum, generum Marci, quasi ad- jutor ejus futurus vexillis regendis adscitus est. Cf. Dion Cassils, qui a connu l'un et l'autre, Ep., 1. lxxui, c m.

(3) HerODIAN. 1. II, c. IV : Ka\ x?,; Mâpxoy àp/r,; ^t,),» xat [>.t.[ir^rszi xou; [ièv itpEffê'j- xÉpou? •j7:o|xr,!xvr,'Txw/ £vç;paiv£. Capit. l'it. Perl., c. v : Petenti signum prima die tribuno dédit » militemus^, exprobrans utique segnitiera temporum superiorum... sane jain postero kalendarum die cum statuas Commodi dejicerentur gerauerunt milites, siinul quia iterum signum idem dederat imperator.

(4) Spart, lit. Did., c. ii : Sed posteaquam in castra ventum est quum... .lulia- num e muro ingentia pollicenteni nulliis admitteret,... scripsit in tal)ulis, se Com- modi memoriam restiturum, atque ila est admissus et imperator appellatus.

8

114

avec l'Africain Seplime Sévère, Tertullieii pouvait, six ou sept ans plus tard, invoquer de bonne foi le texte apocryphe en faveur du chris- tianisme.

Qu'on le remarque d'ailleurs, les circonstances n'y e'taient pas dénaturées, le beau rôle seulement était attribué aux soldats chré- tiens. Mais n'avaient-ils aucune raison d'être fiers? Si peu nom- breux qu'on les admette, ne s'étaient-ils pas agenouillés en face de l'armée païenne tout entière pour prier leur Dieu (1) ? Cela n'impli- quait-il pas de la part de l'empereur une reconnaissance tacite et au moins momentanée de leur culte ? Telle est la conséquence que tirait l'auteur de la lettie, et il en plaçait l'expression sur les lèvres de Marc-Aurèle sous forme d'une résolution à accomplir (2). En réalité, le prince n'eut pas ce sentiment ; il était alors occupé à rédiger ses Pensées et songeait moins aux auti'es qu'à lui même. Comme écrivait Avidus Cassius, sou rival, tandis qu'il philosophait, les fonctionnaires étaient maîtres absolus des provinces (3). C'est alors que iMéliton lui demandait avec une certaine ironie s'il était bien sur que les instruc- tions officielles publiées en son nom émanassent authentiquement de lui (4). Cependant, eussent-elles été lancées à son insu, il ne les eût pas désavouées, car elles étaient favorables à la persécution, et les faits prouvent que sa politique ne vai'ia jamais sur ce point. Le l'enseigne- ment fourni par l'évêque de Sardes })our la province d'iVsie est con- firmé, pour la Grèce, par Athénagore, qui écrivait sous Marc-Aurèle et Commode; pour l'Orient, par Théophile d'Antioche, dont le troi- sième livre suivit de près la mort de Marc-Aurèle (5). Il doit êtregéné-

(1) Hist. eccles.y I. V, C. v, 1 : 'Ev ttj Ttpôç 7toX£|xîo"jç uapaTctU' yôvy OÉvtx; £7i\ yîiv xaTa To olx£Îûv r,[jitv xwv eÙ^wv edoç Itc\ xàç Ttpoç ©eov îxecrtaç tpaTtscrOat.

(2) Loc. cit., p. 252 : A'jxÔôev ouv àplâiXEVot G-jy/wp-r,(jw[jiîv xotç xotouxotç eîvat -/piTxiavoî;. Tertullie\ lui-même interprétait d'une manière hésitante ces pa- roles, Apologet., C. V : Qui sicut non palam ejusniodi pœnam dimovit, ita alio modo dispersit, adjecta etiam accusatoribus damnatione et quidem tetriore.

(3j VuLCAT. Gallican. / //. Cass., c. xiv : Marcus Antoninus philosopiiatur et qua-- rit de elemenlis et de animis et de honesto et justo, nec sentit pro republica... ego vcro Jstis pra'sidibus provinciarum, etc.

(4) Corp. Apol., V. IX, p. 411 : El xai Tiapà croO [xr, siV, r^ [Wj\r\ a-jx/j xxi xatvbv xoOxo ôtâxaYiAa, o (x/jok xaxà fiapSdipwv Tiplîtsi 7ioXî(j.twv, 7to),'j (xiXXov ôcOnîOdt croy, [at) Ttîpuoîîv riiAÔc; £v xoia-jxr, or,|j.wo£t XErj/auta.

(5) Leg. pro chritl., c. I : A£Ô(X£Oa y(i.wv xai Ttepi ti(j.wv xi <TX£'{/a(j6ai otîwî itaydwjxeOa

115 -

ralisë, sur le témoignage du païen Celse (1), lequel de'clare, en se mo- quant des chre'tiens, que s'il y en a encore quelques-uns qui se cachent, on va les rechercher pour les condamner à mort. Et Minucius Félix faisait re'pe'ter la même chose à Caecilius (2) : " Voici maintenant que les derniers châtiments vous attendent : les supplices, les croix que vous adorez et auxquelles on vous attache, le feu même annoncé par vous comme si redoutable. ^ Nous possédons enfin, pour un coin de ce sombre tableau, une légende explicative qui permet déjuger de la fidélité de tout le reste (3) . Ce coin si heureusement éclairé est notre terre des Gaules, et le rayon de lumière, un trait de filiale reconnaissance de ses Eglises vis-à-vis de la descendance spirituelle de saint Jean à qui elles étaient redevables de l'Evangile (4).

Le récit, simple et éloquent, commence ainsi : « Les serviteurs du Christ résidant à Vienne et à Lyon en Gaule à leurs frères d'Asie et de Phrygie dans la même foi et la même espérance en la rédemp- tion, paix, salut et honneur au nom de Dieu le père et de Jésus- Christ Notre-Seigneur (5). " Puis vient la description de la tem- pête qui fondit sur les fidèles de Lyon pendant l'été 177. Ils furent d'abord exclus des maisons, des bains, de la place publique : on ne voulait plus qu'ils parussent nulle part. La populace ameutée (6) pous-

TiOTô ÛTib Twv (Tuxocpâvxwv (7cpaTTÔ[A£voi. AdAulolyc, 1. ni, C. xxx : "Ext [ayiv xa\ toùç (7£êo[i.£voui; auTÔv (©sbv) soitoÇav, xa\ xb xa6' Y)(i£po(v otwxoufftv.

(1) Or. c. Cels.,\. VHI, c. LXix : 'Vjxwv ôà xav TtXavàxat xtç ï-ii XavOavwv, àXXà Çr)X£îxai Tipbç Oavâxou ôix-r^v.

(2) Octav., c. XII : Ecce vobis minae, supplicia, tormenta. Etiam non adoranda?, sed subeundae cruces; ignés etiam quos et pra^dicitis et timetis.

[2>)Hist.eccl.,\.\, préambule, Eusèbe parle d'après l'importante collection mar- tyrologique qu'il avait réunie, et dont on ne saurait trop regretter la perte. Le texte suivant, c. i à iv, en est extrait.

(4) Leurs rapports restaient si étroits, que l'hérésie de Montan,qui prit naissance en Mysie sous le proconsulat de Gralus (172-173) (Waddington, /^a«to, § 15i), comptait déjà des adhérents à Lyon trois ans après. Cf. Hisi. eccles., c. m, 4, et c. xvi, 7. Le premier intermédiaire entre l'Asie et la Gaule avait été Rom; v. la lettre des mar- tyrs au Pape, ihid., c.iv, 2: Xatp£iv £v t)£(ô az h ■K%avi z\)-ifj\).z^)oL xa\ ^£'1, nâxcp 'E),£uf)£pE. Celui-ci servait de diacre à saint Anicet, lorsque saint Polycarpe vint à Rome.

(5) £v BiÉvvYi xa\ AouySoûvo) vf\z raXXiaç TtapotxoOvxEç SoOXoiXpiaxoù xoîç xaxà xyjv 'A(TÎav xa\ ^puytav xr|V aOxYjv x?,; aTtoXuxpeoaEwç yi[Atv Titdxtv xa't èXirtSa £-/ou(7iv àoeXçoîç eîpY|vo xa\ "/o'P'Ç '"■'^ ^Ô%ol cmo 0£oCi naxpbç xa't XpKTxoO 'lï^aoù xoû xupwu Y)[j,à)v.

-(6) Ka\ Ttpwxov [xàv aub xoO rî^/\r)\) -izi^i^qi^û atùçt-rfiw ÈTt(cp£pô|A£va yEvvat'wç ûuéjxevov- È7tt6oi^<7£ti; xa\ TiVoyà; xa\ (jijp(Aouç xai oiapixayàç xal XîOwv poXàî xai (TuyxX£(a£tç

116

sait des cris contre eux, lesfi-appait et leur lançait des pierres ; par les soins combinés de l'autorité militaire et de l'autorité municipale, ils furent mis en prison en attendant l'arrivée du légat propréteur. Lors- qu'on les amena devant son tribunal, un jeune homme de naissance illustre, dévoué aux bonnes œuvres, Vettius Epagatlius, ayant élevé la voix pour prendre leur défense, fut arrêté (1), et le légat, constatant simplement qu'il était chrétien, le joignit aux autres sur-le-champ. Le premier jour, dix apostasies remplirent de tristesse les chrétiens non encore arrêtés qui s'exposaient à toutes les insultes afin d'en- courager les confesseurs par leur i)résence. On continua les arresta- tions dans les deux Eglises de Lyon et de Vienne : le légat avait ordonné de rechercher tous les chrétiens (2). Quelques esclaves païens subirent la question au sujet de leurs maîtres, et donnèrent raison aux bruits infâmes qui avaient cours parmi le vulgaire. Dès lors les païens les plus modérés firent éclatei- leur indignation, et la i)arole de l'Evangile se vérifia : « Un temps viendra l'on croira glorifiei' Dieu en vous mettant à mort (3). " Les martyrs furent soumis aux plus atroces traitements ; on n'épargna même pas les apostats, dont quel- ques-uns confessèrent la foi, entie autres une femme nommée Biblias. Plusieurs des victimes, épuisées par les supplices, succombèrent dans la prison ; de ce nombre fut le vénérable évêque de Lyon, Po- thin (4). Lors de sa comparution devant le magistrat, ce dernier lui ayant demandé qui était le Dieu des chrétiens, le vieillard nonagénaire dit : " Tu le sauras, si tu t'en montres digne. « Cette réponse lui valut d'être accablé de coups de pied et de coups de poing, et

(1) Tù)v 7tîp\ p"'i[i.a xaTaooriTâvxcov aOxoO (xa\ Y^tp V^ eTitiriiioç), y.3t\ toO r|i'E|j.rjvo; \j.r, avaT/Ofj.évo'j ttiî O'jtwç ûti' aù-roO of/otîx; TipOTaOciTr,; a^twaewç, à/Xà (xôvov toOto TTjOojJiÉvov, îl xa\ a-jTÔç eîV, -/pto-xtavôç, xoO /,a[j.TkpOTâTr, çwvr, ô[j.o).oyr|(TavToç, àvs).r,çOr, y.xi auTO; ti: x'ov xAr.pov zon |j.apT'jpo)v , 7:apiy./,r,T0; •/piTTixvfov •/prifjLotTtTaç.

(2) H faut noter qu'il n'avait aucune autorité sur Vienne, qui faisait partie de la province proconsulaire de la Narbonnaise.

(3) To'jTwv çr,|j.iTO£v'co)v Tiâvxî; airEOr,p(wO/i'jav £i; CjiJ.âç, (utte xa\ £Î' xivî; ixpôxcpov Si' oIxeiOTVjxa £[X£xptasOv, xÔte [Lzyâltùç £-/aA£7iaivov xa\ ôtETipc'ovxo xaO" r,}j.ôjv £7;),ï;po0vxo

xb ilTZO XOO X-JptO'J riJlCJV £ÎpYJ|A£VOV, xx)>.

(4) 'O Ô£ [iaxâpioç IIoOeivôç, ô xr|V oiaxovcav xyjç ÈTtKTXoixïjç èv AouySoûveo 7t£itKTX£U|xévoç, ÛTtkp £V£vr|XOvxa ^x/) xr,? rj/.ixtaç yeyovù);... àvExaÇôixevo; (jtzo xoO Yiyïjxôvoç 'xî; eÎt) 7pi<7xtavibv ô ©ebç, ^9?) « Èàv r,; aÇioç, yvoSrrr, »• evxeOOev 5f, à?£t5wç ÈaûpExo... xai iiôyi; EUTT^wv ÈppîçYi Et; xr,v ElpxxT,v xai jAExà ô"jo r,[AÉpo(? k%b\i\jley.

- 117 -

assailli de projectiles de tout g'enre, si bien qu'il ne surve'cut que deux jours. Un diacre oripnaire de Vienne, Sanctus, fut torture' à deux reprises différentes : il ne re'pe'tait qu'une chose : " Je suis chre'- tien î' . On le condamna aux bétes, ainsi que le ge'ne'reux ne'o- phyte Maturus, l'esclave Blandine et Attale de Pergame, l'un des plus connus du peuple païen : en leur honneur fut donnée une repre'sentation spe'ciale. Lorsque vint le tour de Blandine, aucun animal n'approcha du poteau, faible et délicate elle était attachée les bras en croix : elle fut reconduite dans sa prison; quant à Attale (1), il arriva à l'amphithéâtre, dont il fit le tour au milieu des trépignements de la foule, précédé d'un écriteau portant ces mots : Hic est Attalus christianus ; mais le léguât, apprenant qu'il était citoyen romain, sus- pendit l'exécution. Il en référa à l'empereur, tant pour lui que pour le reste des prisonniers. Ceux-ci profitèrent du délai pour réconcilier les apostats.

Le rescrit de Marc-Aurèle arriva à Lyon avant le 1" août, date de l'assemblée des pro\inces des Gaules auprès de l'autel de Rome et d'Auguste; c'est la transcription du rescrit de Trajan (2). Le légat ordonna que les chrétiens citoyens romains eussent la tête tranchée, et que les autres fussent exposés aux bêtes. On interrogea à part ceux qui avaient renié la foi, afin de les absoudre ; le médecin Alexandre, d'origine phrygienne, mais depuis longtemps fixé en Gaule, les encourageait à réparer leur faute. 11 excita ainsi la fureur des assistants qui le dénoncèrent, et le légat le condamna à paraître dans l'amphithéâtre en même temps qu' Attale, ayant fait sur ce point un econcession contraire à la loi, afin de plaire à la multitude (3). Attale fut brûlé sur une chaise de fer rougi; faisant allusion aux festins de

(1) Ka\ 7r£pia-/0£\i; x-jx/.w toO àfjLçiOîotTpou, 7tcva-/o;a-jTÔv irpoiyovroç, Èv w eysypaitTO 'Pa)(jiaVo'T\ « otjtÔ; £(TTtv "AxTaXo; o •/ptTXtavoç »• xa\ toù ôr||j.o"j «rcpoopa TçptYtovTOç ziz a-jTw, (xa6à)v ô r,y£[ià)v oti 'Pwfjixîoç Èffxtv, £X£X£'J0'£V a'JTÔv àvaXYiçOrjvat (AcTa xai twv

/OtTtCÔV XCÔV £V tf, £ipXTf, OVTWV, TTEpI WV l7l£(7T£t),£ Tfî) Kat<7apt, Xx"t TtEptlfAEVE TTIV a7tÔ9a(7tV ■CT,V aX cX£(VO'J.

(2) 'ETiiffTEÎXavTo; yàp toO Kaiiapo; to'j; \Ùm àTroTUti-TraviTOriva'., Et tive; àpvoîvTO, TOÛTO'jç aTro),uOr,vai, xvji; ÈvOciÔE 7îxvr,yjp£w: (ïT'i a-JTr, 7ïo)/jâv6pw7:o; £X Tiâvxwv xwv eOvwv (rjvEp70}z,£vtov Etç a"JTr|v) àp70jj.£v/;ç.

(3) Ka\ yàp xa't tov "ATTa).ov xm o"-/),»;) -/api^ôfXEvoç o •r)y£[j.tov eÇéowxe TiâA'.v upoç ôr^pta.

118

Thyeste que Ton reprochait à ses frères, il disait avec ve'rite' aux spec- tateurs : « C'est vous qui mangez delà chair humaine. ^ Blandine avait ëtë réservée pour le dernier jour, avec un enfant de quinze ans, Pon- ticus, qui mourut regardant les païens en fece (1). Blandine, comme une noble mère, observe l'auteui- du récit, ayant exhorté tous ses en- fants et les ayant envoyés victorieux devant elle au souverain Maître, se hâtait, joyeuse de les rejoindre. Enveloppée dans un filet, les cornes du taureau moins inhumain que la foule l'achevèrent. Un outrage final fut infligé aux martyrs : les corps de ceux qui étaient morts en prison furent donnés à dévorer aux chiens; les autres dépouilles, exposées pendant six jours et gardées par des soldats, furent brûlées et jetées dans le Rhône. Le magistrat avait fait preuve d'autant d'acharnement que le peuple, violant par trois fois les instructions im- périales, en ordonnant spontanément les recherches, en ne relâchant pas les apostats (2), en méconnaissant la dignité d'un citoyen romain; il est vrai que ce citoyen était chrétien, et nous devons à cette circon- stance d'ignorer le nom du nouveau Verres (3).

11 est peu probable qu'au moment les chrétiens étaient dans les provinces l'objet de telles rigueurs, ils fussent exempts de sévices dans la cajùtale de l'empire. Aous lisons dans les actes de sainte Cé- cile : Urbis prœfectus sanctos Deifortiter laniabat et inhumata cor- pora eorumjubebat derelinqui (4j. Ces mots nous dépeignent la situa-

(1) 'O [aÈv y^P Ilovtiy.ôç \)i{(j T?,; ào£>,çr)(; •napwpjj.ïijAÉvoç, xat Ta è'Ovr, fiAÉitsiv... irâaav xôXaatv yevvatwi; Û7io[jictva? anÉowxe to TiveOixa. 'H rA (jLaxoipta B),av5tva TiâvTwv io-/6.ve\, xaOaTtsp [xrjXrjp £yy£vr,ç 7tapop[Ar|(7acra téxvx xai vixr,9Ôpoy; 7:pOTî£|X']/a(Ta Tipô; TÔv padt/la... £(jii£'JO£ Tipô; aÙTO'jç •/atpo-jo'a.

(2) 'E7i£i or,(xo(ï:a IxéXîuffîv ô Tiy£[xwv àvaîr,T£t(jOai navra; T,[Aâ;. 0\ yàp xa-cà Tr,v 7îpajT/;v (jû>,Ar,'{/tv è'Eapvot y£vcip.£vot auv£x).£tovTO xa\ aOxo'i, xa'i (aeteî-/ov twv Ô£ivù)v oOok yàp £v (o xatpw toûto) ocpcXô; xt a'JTOt: -^ EÇâpvïjaiç EytvETO.

(3) La lettre des fidèles contenait à la fiu le catalogue des martyrs par catégories : ceux qui avaient été décapités, ceux qui avaient été jetés aux bêtes, ceux qui étaient morts en prison et ceux qui y ( taient encore renfermés. Sans compter ces derniers, et outre les dix nommés dans le corps de la lettre, cette li>te donne en- core trente-huit noms qui se retrouvent dans GrkgoikedeTouhs, t'Jeijlor.mari.,c. xLix, et dans Ai>o.\, au 2 juin. On peut les contrôler par la compilation liiéronymicnne (cinquii me sieclej qui avait emprunté directement la liste à la collection dEusi'iiK, Hist. ecclis., I. V, c. IV, 3 : '( )t(i) yàp çtAOv, xa\ TaOra pâoto-> Tt),r,p£crTaTa oiayvw'/at (j.£Tà ■/Elpa? avaXaSôvTt xb (iûyypa[j.ixa o xai aijTO tt; x'ov [xapTupiwv (jUvaYwyï) TCpb; r|(j.â>v, yoOv £çr;v, xaT£t/.£xxai.

(4) MoMBRiTius, r»7«.Ça«c^or«w (Milan, 1475-1480), t. I, p. 186.

119

lion. Marc-Aurèle était parti pour sa dernière expeMition contre les Marcomans au commencement d'août 178, avec son fils Commode, depuis un an revêtu du titie d'Aug^uste. Minucius Fe'lix était alors témoin, à Rome, des traitements que Ton inflig^eait aux saints de Dieu, et lui-même entendait tourner en dérision la sépulture chré- tienne. La lettre des fidèles de Lyon dit formellement (1) que la pensée des païens était d'ébranler chez les martyrs la croyance à la résur- rection des corps : à la même époque, Athénagore mettait les païens en contradiction avec eux-mêmes, les priant de concilier leur accu- sation d'anthropophafjie avec l'existence de cette croyance (2), et il composait un traité spécial sur la résurrection.

Cependant les actes déjà cités nous apprennent que Valérien et Ti- burce, l'époux et le beau-frère de l'illustre Cécile, tous deux convertis par elle, usaient de leur influence et de leur fortune pour éluder l'in- terdiction inique du prélat de la ville (3). Ils recueillaient les corps des martyrs et leur donnaient place dans d'antiques sépultures de famille le long' de la voie Appienne. Non loin du monument bien connu de Caecilia Metella commençait à se former ainsi le cimetière chrétien dit de Calliste, dont l'archéologie moderne, reconstituant les terrains dis- tincts et parfaitement délimités [areœ), a pu suivre l'extension suc- cessive (4).

Les généreux chrétiens furent dénoncés au préfet, qui les fit compa- raître, et qui, rappelant leur noble extraction (ils étaient fils d'un vii- clarissimus), voulut leur persuader de sacrifier au nom des empereurs [invictissimi principes). Comme ils n'y consentaient pas, l'assesseur

(1) Loc. cil. Kai tocCit' eupaxT-v toç 5uva[j.Evoi ^nv-r^TX'. rbv ©eôv xa\ acpeXIaOai auxwv x"^v Tia)aYY£v£iTiaVj tva, EXsyov èxsîvot, \}:rfiï IX-nloy. aywni^i avaTxdcTewç. Cf. Octar., c. xi : Exsecrantiir rogoset damnant ignium sepuUuras. C. xxxiv : Corpus omne sive arescit in pulverem, sive in hunioreni solvilur, vel in cinereni comprimitur, vel in nidorem tenuatur, subducitur nol)is; sed Deo elementoruin custodia reservatnr. Nec, ut creditis, ullum damnum sepulturae timemus, sed veterem et meliorem con- suetudinem humandi frequentamus.

(2) Leg. pro christ., c. xxxvi, il annonce SOU traité plutôt qu'il n'y renvoie : "Iv^ [AT] Èlocywvtoyç xoî; Ttpoxsifxévoiç tmiGÔiyei^ oo>;ô)jj.£v )vÔyo'jç.

(3) Tiburtiiis vero et Valerianus ad hoc vacabant quotidie ut pretiosas marty- rum facerent sepulturas.

(4) Les travaux techniques de M. Michel de Rossi se trouvent publiés dans la

Borna sotteri-anea de SOn frère.

120

du préfet lui fit romarqucr quo tmit délai était inutile et aurait l'inconvénient de permettre aux accusés de soustraire leurs biens à la confiscation : lorsque ensuite la peine serait appliquée, il ne trouverait plus rien (1). Alors la sentence fut piononcée, et un endroit à quatre milles de Rome désigné pour le lieu de l'exécution. Cet endroit est connu ; c'est lepagus Triojdus, célèbre par une villa que le riche so- phiste maître de Marc-Aurèle, Hérode Atticus, venait précisément d'y faire construire. Valérien et Tiburce, emmenés i)ar le greffier militaire de service, nommé Maxime, l'efusèrent encore une l^)is de brûler de l'encens devant la statue de Jupiter, et s'agenouillèrent d'eux-mêmes pour qu'on leur tranchât la tète (2). Maxime, touché de leur fermeté, se déclara aussi chrétien et subitle martyre à coups de fouets plombés. Cécile ne les sépara pas dans la sépulture qu'elle leur donna (3) auprès du cimetière voisin de Prétextât; leurs tombes n'étaient i)as souterraines, mais à fleur de sol, et lurent réunies dans une cella memoriœ. Le Liber j)oniificcilis décrit ainsi les travaux exécutés à cet endroit [)ar le pape Adrien 1" en 772 : Ecclesiam heati Tiburtii et Valeriani atque Maximi, seu hasilicam sancti Zenonis, una cum cœmeterio sanctorum Ui'bani pontificis, Felicissimi et Agapiti atque Jaimarii et Cyrini [Quirini) martyrum foris portam Apjriam uno coliœrentes solOj quœ ex priscis marcuerant temporibus a novo res- tauravit. L'évêque Urbain, mentionné ici, est celui par qui furent bap-

(1) Nam si nioras feceris et de die proiraxeris, omnes facuUates suas erogabunt, et punitis eis, tu iiihil invenies. Oc yàp àvx'.osî; ffuxoçâvxat, xa\ xwv àXÀotptwv £f/3t(jTa\ TT,v £•/. Twv ooyiAâ-ciJV £//jvte; a:fOpiJ.T|V, çotvEpôi; ^riCTTî-jouTi vjxTwp xai [xeO" rifjLÉpav ôtxpuâ- î;ovte; toÙç iJ.r,0£v àor/.ojvTxç. MÉliton, Curp. Apol., v. IX, p. 410. Cf. la lettre déjù citée d'AviDius Cassius : ,\n ego procoiisules, an ego pra-sides piiteni. qui ob hoc sibi a senatu et ab Aiiloiiiuo provincias datas credunt, ut luxuriciitur. ut divites fiant? Audisti prafectum pra'lorii nostri philosophi ante triduuin qu.ini fieret inendicum et pauperem, sed subito divitem factum.

(2) Tune gloriosi martyres teiUi a Maximo corniculario pra'fecli ducebaïUur ad paguni. Locus igitur qui vocal)atur pagus quarto milliario ab Trbe situs erat... Ré- cusantes ponuni genua, feriuntur gladio. Le Triopium appartenait ù Appia Annia Kegilla, femme dllérode Atlicus. Sur ce dernier, voir la thèse de M. Vid.\l-L\bl\ghe, soutenue en I87(.

(3i M. DE Rossi a trouvé au cimetière de Prétextât l'épitaphe d'un Septimius Prae- textatus Ca;cilianus, nom qui indiquerait un lien de parenté avec les Ctcilii. RulL, 1872, p. 48.

121

lises Valërien et Tiburce, mais il avait fini par être confondu avec le pape du même nom, dont le jjontificat dura de 222 à 230, tandis que le pape contemporain de la fin de Marc-Aurèle se nommait Eleu- thère, 175 189. Le premier Urbain e'tait-il un e'vêque e'tranger éloigne' de son sie'ge par la perse'cution ? On a pensé qu'il avait une juridic- tion spe'ciale sur le imgus Triopius, les actes disent qu'il se cachait dans le cimetière (1). Quoi qu'il en soit, sainte Ce'cile fut arrête'e à son tour : on la voit dans l'interrogatoire (2) traite'e d'abord avec quelque e'gard; de son côté, ses réponses dénotent une fière assurance digne de sa race, libre et sénatoriale par droit de naissance. Le préfet la taxa de hauteur; elle répliqua (3) : <■'■ Autre chose est d'être hau- taine, autre chose est d'être ferme; je n'ai pas parlé avec hauteur, mais avec fermeté. " 11 lui cita le rescrit de Trajan, exactement dans la forme que Marc-Aurèle venait d'adopter à l'égard des chrétiens de Lyon (4), et faisant allusion au rescrit d'Hadrien, il ajouta : ^ Les accusateurs sont qui certifient que tu es chrétienne; si tu renonces à ta foi, ils payeront immédiatement les conséquences de leur accusa- tion ". Sainte Cécile n'en continua pas moins à professer son mépris des idoles. Alors le préfet s'écria : " J'ai supporté jusqu'ici les injures qui m'étaient personnelles en philosophe, je ne puis tolérer celles qui s'adressent aux dieux », parole bien placée sur les lèvres d'un fonc- tionnaire de l'empereur stoïcien (5). Et il donna ordre, sans doute par ménagement, peut-être afin d'éviter le bruit, qu'elle fût reconduite

(1) Invenit sanctiim Urbanum episcopum, qui jani bis confessor factiis inter se- pulcra martyriim latitabat.

(2j Cujus conditionis es? Ingenua, nobilis, clarissima. Cette partie, la plus an- cienne des actes, était très-altérée dans le texte donné par Bosio, Hisi. pas. s. Cœcil. (Rome, 1600), et reproduit par Laderchi, âcia, etc. (Kome, 1722).

(3) Aliud est esse superbuin, aliud est esse constantem, ego constanter locuta sum, non super".; e.

(4) Ignoras quia domini nostri invictissiaii principes jusserunt ut qui se non ne- gaverint esse christianos puniantur, qui vero negaverint dimittantur... Accusatores prœsto sunt qui te christianam esse testantur; si negaveris, compe.idiosum dabis accusantibus fineui. V. supr., p. 69 : Ei' xtç auxocpavTtaç -/âpiv -coOxo TipoTst'vot, ôia- >vd([j.êav£ ÛTcep xr^q, oeivottitoç xa^ çpévtt^E OTtwç Sv èxStx^asta;.

(5) Meas injurias philosophando contempsi, sed deoruin ferre non possum. Quel était ce préfet piiilosophe ? Les actes l'appellent Almachius. M. de Rossi, qui lit Amachius, pense que ce n'est qu'un surnom.

122

chez olle et e'toiiffe'e dans son caldariuw. La tentative n'ayant pas réussi, le bourreau envoyé pour la décapiter frappa trois coups mal assurés qui ne l'achevèrent pas encore (1). Elle profita du temps qu'elle survécut pour régler la transformation de sa maison en éfjlise, sous le nom d'un ami (2), et le rédacteur des actes ajoute que cette église existait au moment il écrivait.

Nous répétons la remarque , moins à propos de la basilique que tout le monde peut voir au Transtevère, qu'à propos de la date les actes furent lédigés. Au début du récit, il y est clairement parlé du triomphe de la foi, qui suivit Constantin : l'écrivain piend la plume pour rajeunir les titres de gloire que les martyrs ont légués aux générations ulté- rieures. Cette composition se place vers le commencement du cin- quième siècle et sert d'encadrement à un fond plus ancien (3). Le pas- sage relatif à la sépulture de sainte Cécile est intéressant; il est ainsi conçu : Tune sanctus Urbanus corpus ejus auferens cum dmconibus nocte sepeliiil eam inter collegas suos episcopos ubi sunt omnes confessores et martyres collocati. Or, dans la crypte des papes au cimetière de Calliste-, on a retrouvé plusieurs épitaphes, dont celle du pape Urbain qui faisait partie d'un tombeau construit à plat. INlais il n'avait été précédé à cet endroit que par un seul pontife, tandis qu'après lui les tombes, se multipliant dans un emplacement restreint, durent être encastrées de chaque côté de la muraille. Ceci nous prouve que jusqu'au milieu du troisième siècle, l'état des lieux, tel qu'il nous est présenté par les actes, ne se vérifiait pas encore ; il est donc per- mis de rejeter à une époque assez postérieure la confusion de l'évêque Urbain (4) avec le pape de ce nom, lequel en réalité fut enterré près

(1) Misit qui eam ibidem in ipsis bnlneis decollarel : qiiam spiculator tertio per- cussit, et capiif ejus ampulare non potuit.

(2) Clarissiinus vir erat uouiiiie (Jordiaiiiis Ilic sul) umbralione nominis sui do- mum sanctff' Caeciliae suo noniini diravil, ut in orcuUo ex illa die... ecclesia firret. D(ununi autem autem ejus in a-ternum sanctac Ecclesia- nomini tradidit, in qua Domini beneficentia> exubérant ad memoriam beata* Ca'cilia' usque in hodiernum diem.

(3) Romn snit., t. U, préf., p. xxw et s, C'est à ce volume de M. de Uossi que nous empruntons la plus {grande partie de ce qui suit.

(4) Celui-ci, nous le savons par ses actes et par les itinéraires des pèlerins cités plus haut (v. p. 93), fut enterré au cimetière de Prétextât, non loin de là; les

123

(le sainte Cécile, mais cinquante ans après elle. L'hypojj^e'e appartenait à \a.gens Cœcilia; un de ses membres chrétiens, dans l'intervalle, en fit don aux pontifes romains, qui y établirent leur sépulture, et dépla- cèrent même plus tard à cet effet le sarcophage de la sainte en le mettant dans une crypte continue et plus largue. C'est qu'en 821 il fut découvert par le pape Pascal I", qui le transféra à la basilique du Transtevère, avec les corps de Valérien, Tiburce et Maxime ; dans ses recherches, il avait pris les actes pour guide, et ceux-ci reçurent alors une éclatante confirmation. Un diplôme manuscrit du Vatican nous a conservé le procès-verbal de la reconnaissance qu'effectua le pape, omnia nostris manihus per tractantes, dit-il; mais de plus, une seconde reconnaissance eut lieu, il n'y a pas trois cents ans, et nous avons le récit de témoins oculaires tels que l'archéologue Bosio et l'historien Baronius. JNous sommes donc sur un terrain aussi solide que les savants de nos jours, lorsqu'ils exhument les pharaons qui vivaient tant de siècles avant l'ère chrétienne. Le 28 octobre 1599, le corps de la célèbre martyie fut trouvé intact comme au jour de sa mort, 16 septembre 178 ; il était renfermé dans un coffre de cyprès; la pose était celle qu'une sculpture célèbre a immortaUsée (1). Les débris de sa robe de soie et d'or étaient encore reconnaissables (2) ; les actes rapportent que, jeune fille, elle était déjà vêtue delà sorte, ce qui est une marque de sa haute naissance : du reste, ce luxe commença précisément à s'introduire sous Marc-Aurèle, puisque de pareils vête- ments ayant appartenu à Faustine et à Commode furent vendus parmi

restes d'un temple païen du pafjus Triopius portent depuis longtemps le nom de saint Urbain alla Caffarella.

(1) Le 22 novembre est l'anniversaire de la dédicace de la basilique_du Transte- vère. C'est le cardinal Sfondrate, titulaire de cette église, qui procéda à l'ouver- ture du tombeau. Le sculpteur Madeino mit au-dessus de la statue, aujourd'hui devant l'autel, l'inscriplion suivante : " En tihi sanctissiin?p virginis Ca^cilise imagi- nem quam ipse integram in sepul' hro jacentem vidi, eamdem tibi prorsus eodem corporis situ hoc marmore expressi. »

(2) Baron. Ann. ecclcs., ad. ann. 821, § xii-xix : « At quid acciderit his diebus, quuni tomum hune .Annalium prelo prope diem subjirieudum recognosceremus in Tusculano, etc.. Ita invenimus, nempe ad pedesejus, quœ fuerantmadida sanguine vêla; et serica fila auro obducta, quse visebantur, jam vetustate solutae vestis illius auro textae, cujus idem Paschalis meminit, indices erant. •< Ainsi témoigne celui qui a pu « corpus quantumlibet exsiccatum inspicere».

124

des objets précieux (1). A ses pieds e'taient les linges imbibés de sangf, que, d'après les actes, les chrétiens avaient employés pour essuyer la plaie de la tête à demi détachée {bibulis Untenminibus extergebant) ; un petit fragment du crâne, coupé par la hache du licteur, y adhérait encore. " La dépouille de Cécile n'avait évidemment pas été remuée depuis le deuxième siècle (2). •>■>

Si l'auteur du cinquième siècle avait écrit d'imagination , il se serait vu convaincu d'imposture par un contrôle si rigoureux. Il en sort au contraire victorieux ; c'est apparemment qu'il s'était servi des docu- ments les plus autorisés. Son ignorance historique fournit même une nouvelle preuve de sa bonne foi. Ainsi le martyrologe qu'Adon com- posa vers 858 en résumant les actes qu'il avait sous les yeux (3), termine la notice consacrée à sainte Cécile, il avait été question d'Alexandre Sévère, par les mots suivants : Passa est autem beata virgo Marci Aurelii et Commodi imperatorum temporibus. Ces mots devaient exister dans quelque texte primitif; ils disparurent géné- ralement depuis qu'ils furent en contradiction flagrante avec le syn- chronisme adopté ultérieurement entre l'Urbain des Actes et l'empe- reur Alexandre. Or, à l'époque de ce dernier, l'empire ne se trouvait pas ])artagé entre plusieurs, comme le veut l'interrogatoire, et d'ail- leurs la période qui s'étend de Septime Sévère à Maximin fut jdutôt une trêve à la persécution. Les princes d'alors en effet n'éprouvaient pas le besoin de poursuivre l'Eglise. PS'ous avons constaté qu'il n'en fut pas de même des Antonins. Ainsi que l'a très-bien dit M. l'abbé

(1) Capitol, lit. AnC. phil., c. xvii : In foro divi Trajani auctionem ornameiitoruiii imperialiiim fecit, vendiditr|ue... vesteni iixoriam sericam et aiiratain. Id.. lit. Peri., c. vii! : Auctio sane reruiii Commodi in his insiynior fuit : vestis sublegmine se- rico, aureis fiiis, insigni opère. Cf. les Actes : Subtus cilicio induta, desuper auratis veslibus tef^ebatur.

(2) M. DE HiCHEMONT, Xouveltes Eludes Sur les catacombes romaines, p. 264. L'auteuP, dont le chapitre relatif à cette discussion est fort intéressant, sif^nale, après le P. Ton- fjiorfîi, une peinture sur albAtre. du musée Kircher, qui reproduit sainte Cécile dans la pose elle a été découverte et fournil un élément de comparaison pour la description des vêtements. Malheureusement nous n'avons pu en jufjer nous-méme, le musée étant fermé au public depuis tantôt trois ans » per ragioni amministra- tive ».

(3) Adonis Martyrologium, éd. Giorgi (Rome, 1715), préface : - collecli uudecumque passionum codices. - V. p. 588, ibid., la notice du 22 novembre.

125

Duchesne (1), " il De faut pas prendre au se'rieux la thèse de Ter- tullien et de Lactance, qui ne veulent trouver d'ennemis des chrétiens que dans les mauvais emjiereurs. C'est le contraire qui est vrai. Les meilleurs empereurs se figuraient qu'ils sauvaient l'empire en arrêtant la propagande chre'tienne; sous des fous comme Commode et Hëlio- gabale, sous des étrangers comme 7\lexandre Sévère et Philippe, le christianisme put respirer. Mais la loi qui ordonne de punir du der- nier supplice les chrétiens fidèles à leur foi est une loi de Trajan, et les efforts des apologistes ne réussirent pas à en entraver l'exécution. "

On avait cru l'Afrique exempte de la persécution de Marc Au- rèle : l'opinion générale mettait sous Septime Sévère le proconsulat de Vigellius Saturuinus, qui, au témoignage de Tertullien (2), avait le premier tiré le glaive contre les chrétiens de ce pays. C'est donc à cette époque qu'était censé appartenir ce Namphamo, connu avec ses compatriotes de Madaure, Miggine, Lucita et Sanaé, comme les prémices des martyrs sur la terre punique (3). Leur mort, ariivée le 4 juillet, avait été suivie de près, le 17 du même mois, par l'exé- cution d'un autre groupe dont on possédait des actes authentiques,

(1) Revue du Monde catholique, 10 août 1877, p. 332. Depuis que le livre de Keihi, Celsus irahres IVori (Zurich, 1873), a fait son chemin outre-Rhin, il s'est produit un revirement d'opinion, et aujourd'hui plus d'un écrivain allemand n'hésite pas à mettre IMarc-.\urèle au nombre des plus farouches persécuteurs. " {Der) dem Chris- tenlhume schroffer alsirgend ciner seiiier l'orgiiiiger cntgegentral. Er verschiirfte nàmlich das bis dahin rechlskraflig geicesene Edict Trajan's ûher die Chrislen ■> , dit Rudolf IIilgenfeLD, dans son article sur les rapports de l'État romain avec le christianisme pendant les deux premiers siècles, Zeitschrift fiir wissenschnfdickt Théologie, 1881, p. 325. Cf. ,1. Draeseke, dans les Juhrhûcher fiir proteslanlische Théologie de la même année : « .\nders im Jahre 177. Da zuckc zuniichst vom Orient her cin gewalliger gegen die Chrislen unternommcner ler- tilgungsversuch, ein furchtlxner l'erliiufer der letUen uiiter Kaiser Deciiis und Dioclelianus irieder aufgenonitnenen und dann erslerbei'den kampfe, durch das ganze Iteich ; die kalastrophc zu Lug- dunum ist wohl nur die von der Tradition am ousfiihrlichsten ûberliefertc. Nicht mehr bleibt man bei den im Grossen und Ganzen immer erfolglos gewesenen Einzelanklagen nach Trajanischem Muster stehen, man schreitet zu allgemeiner Aufsuchung und Verhaftung der Christen fort. >■

(2) âd. Scap., c. m : Vigellius Saturninus, qui primus hic gladium in nos egit, lumina amisit.

(3) Le grammairien païen Maxime de Madaure écrivait à saint Augustin, Ep. 16 : Quis enim ferai, quis ferai .. cunctis prœferri diis iminortalibus archimartyrem Nara- phaniouem '.'

126

mais (laus un ëtat «lefectueux; en particulier, la date consulaire ne pouvait être détermine'e. Cependant la ve'ritable lecture, M. Léon Renier (1) l'avait pressentie. La publication toute récente par M. Use- ner (dans le programme de l'Université de Bonn pour le 2" semestre de 1881) du texte fjrec inédit de la Passio Scillitanorum , vient de lui donner entièrement raison. Toutes ces condamnations, avec le proconsulat de Saturninus (2), se trouvent reportées à l'année 180. Marc-Aurèle était mort, il est vrai, depuis le 17 mars; mais le chan- gement de régime résultant de l'avènement de Commode n'avait pu encore avoir son effet dans les provinces.

En conséquence nous donnons, à sa place légitime, une traduction littérale du précieux document que nous a conservé dans son inté- grité native (3) le ms. 1470 du fonds grec de la Bibliothèque natio- nale :

« Pra?sens étant consul pour la seconde fois avec Condianus (180), le 16 des calendes d'août, c'est-à-dire le 17 juillet, furent amenés pour comparaître dans le secretarium, à Carthage, S|)eratus Nar- thallus, Cittinus, Donata, Secunda et Vestia. Le proconsul Satur- ninus dit : " Vous pouvez obtenir le pardon de notre empereur, si « vous venez à résipiscence. » Le bienheureux Speratus repondit : « Nous n'avons commis aucune mauvaise action, ni proféré aucune " mauvaise parole, mais nous rendons grâces d'être maltraités pour « le service de notre Dieu et notre Roi. » Le proconsul Saturninus dit : « Mais nous avons aussi un culte, et ce culte est simple : nous « jurons par le génie naturel de l'empereur notre maître, et nous Il prions pour sa conservation ; il faut que vous en fassiez autant. »

(1) cf. la dernière lettre écrite par RonciiEsi, au t. VUI de ses OEucres, p. 6U.

(2) " Qiiem constat consuleni ordinarium a CXCV fuisse », dit l'auleur bien mé- ritant de la découverte, loc. cit., p. i. il est certain, au contraire, que ce Saturninus, ayant ol)tenir le consulat douze ou treize ans avant son procousulal, et devenu aveufjle peu après, 180, ne peut être le même que le consul ordinaire de 198 (non de 195), qui rétait d'ailleurs pour la première fois.

(3) A l'hypothèse d'un original latin proposée par M. rabl)é Dicuksnk, Bulletin cri- tique, 1881, p. 280, nous préférons l'opinion de M. Ai ni';, dans son Etude sur un nouveau texte des actc.i des martyrs Scillitnins (l'aris, 1881), l'on trouvera, du reste, réunis tous les éléments de ( omparaison que nous possédons, y compris un texte latin décou- vert par M. Auhé lui-même.

- 127

Le bienheureux Speratus dit : (i Si tu me prêtes une attention calme, « je te raconterai le mystère de la véritable simplicité. » Le pro- consul Saturninus dit : " Tu vas commencer à dire du mal de notre « religion, et je ne puis t' écouter; mais plutôt jurez par le génie de K notre maitre. " Le bienheureux Speratus dit : " Je ne connais pas tt l'empire du siècle présent; je loue et j'honore mon Dieu qu'aucun « homme ne peut voir, car on y est impuissant avec les yeux du ti corps. Je n'ai pas dérobé; lorsque j'achète quoi que ce soit, je " paye l'impôt, et cela parce que je reconnais ISotre-Seigneur comme Il le Roi des rois et le Maître de toutes les nations. ^ Le proconsul Saturninus dit aux autres : '^ Apostasiez la susdite croyance. ■» Le bienheureux Speratus dit : « Une croyance dangereuse est celle qui « se permet l'assassinat ou le faux témoignage. « Le proconsul Sa- turninus dit : " Gardez-vous de tremper ou paraître tremper dans n une pareille folie et aberration. « Alors le bienheureux Cittinus, prenant la parole, repartit : « ISous craignons le Seigneur notre Dieu « qui habite dans les cieux, et n'avons point d'autre crainte. '' La bienheureuse Donata dit : ■■ Nous rendons l'honneur à César comme « César, mais la crainte à notre Dieu. " La bienheureuse Vestia dit : « Pour moi, je suis chrétienne «, et la bienheureuse Secunda reprit : « Je le suis aussi, et je me dispose à persévérer. » Alors le proconsul Saturninus s' adressant au bienheureux Speratus : « Tu demeures « également chrétien? » Le bienheureux Speratus dit : >' Je suis tt chrétien. •' Tous les autres bienheureux dirent de même. Le pro- consul Saturninus ajouta : « Vous ne demandez aucun délai pour ft réfléchir? » Le bienheureux Speratus répliqua : « Dans une alter- <■<. native aussi tranchée, il n'y a pas lieu à délibération et à réflexion. » Le proconsul Saturninus dit : ^ Quels sont ces écrits qui se trouvent « parmi vos affaires ? » Le bienheureux Speratus dit : " Nos livres tt sacrés, et de plus les épîtres du saint homme Paul. « Le proconsul Saturninus dit : * Je vous donne un terme de trente jours pour voir « si peut-être vous deviendrez raisonnables. ^5 Le bienheureux Spe- ratus répondit à cela : « Je suis chrétien sans retour ", et tous les autres ensemble répétèrent la même chose. Alors le proconsul Satur-

128

niniis prononça contre eux la seDtrnce ainsi conçue : u Speratus, " IVarthallus et Cittinus, Donata, Vestia et Secunda, ainsi que les « absents qui ont tous déclare' vivre à la façon des chre'tiens : attendu « que, un terme leur ayant e'te' accorde' pour revenir à la tradition ro- (i maine, ils se sont obstine's à ne pas vouloir chan{jer d'avis, sont « condamne's à être de'capite's. ^ Alors l'athlète du Christ, Speratus, transporte de joie, adressades remercîments à notre Dieu qui les avait appele's à mourir pour lui. Et le bienheureux IXarthallus s'e'cria, plein de contentement : " Aujourd'hui, nous sommes vraiment des martyrs « agre'ables à Dieu dans le ciel. « A ce moment, le proconsul Satur- ninus fit proclamer par le héiaut les noms des bienheureux martyrs : Speratus, rS'arthallus, Cittinus, Veterius, Fe'lix, Aquilinus et L<Ttan- tius (1), .lanuaria, Generosa, Vestia, Donata et Secunda. Alors tous ces bienheureux, rendant gloire à Dieu, disaient d'une seule voix : « Nous « te be'nissons. Seigneur trois fois saint, et nous t'exaltons, de ce que « tu as achevé' d'une manière propice le combat de notre confession " et de ce que ton règne s'e'tend aux siècles des siècles. Amen. " Et tandis qu'ils disaient : <■<■ Amen t, ils pe'rirent par le glaive, le 17 juillet.

« Les bienheureux e'taient originaires de Scilli, en Numidie, et ils reposent près de Carlhage, la me'tropole. Leur martyre s'effectua sous le consulat de Prœsens et de Condianus et le proconsulat de Satur- ninus, et pour nous, sous le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui convient toute gloire, tout honneur, toute adoration avec l'Esprit très-saint et vivifiant, à présent et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. «

(1) Le manuscrit porte : Kî),î(7tïvov, probablement pour Ka'./.ataTÎ'/ov, xal Aaixivrtov.

TROISIEME PARTIE

RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN DE ISO A 235

L'exemple particulier que nous venons d'avoir sous les yeux appar- tient encore, d'après la distinction e'tablie vers la fin de la partie pre'- ce'dente, à la pe'riode des bons empereurs. Marc-Auréle mort, les chre'tiens respirèrent un peu sous le de'testable gouvernement de Commode, 17 mars 180-31 de'cemhre 192 (1). Avec son règne com- mence l'e'poque de transition, qui doit nous conduire jusqu'à la pro- scription du christianisme par e'dits successifs , ou comme Ton dirait aujourd'hui, par un motu proprio de chaque souverain. Cette e'poque peut être triplement caracte'rise'e de la manière suivante :

1" Au fond, la situation officielle n'est pas change'e ; le rescritde Trajan ne sera abroge' en fait, sinon en droit, que sous Alexandre Sévère.

2" Des relations officieuses sont cre'e'es, tant par le bon plaisir du gouvernement que par la bonne volonté de l'Église à se mettre en rapport avec lui.

Une tendance se fait jour : l'Etat, lorsqu'il voudra cesser les rela- tions, ne pouvant plus reprendre absolument la situation officielle ancienne, emploiera de préférence des mesures spéciales, adaptées aux

(1) Chron. pasc, éd. de Bonn, p. 489 : Ooto; ô Kci[aij.ooo; ztz\ r/-,; xJtoO v.pxvf^'jziai

9

130

temps et aux lieux, mais susceptibles de se géne'raliser plus taid dans l'empire entier.

C'est ce que nous allons vérifier en continuant à exposer la suite des faits.

Parmi les peines, dites capitales endroit romain (1), et que le rescrit de Trajan donnait aux magistrats la faculté' d'appliquer aux chi'étiens, se trouvait la condamnation aux travaux force's [ad tnetalla), qui re'- duisait le condamne' à la condition d'esclave et qui, conside're'e comme une commutation de peine du supplice delà croix, e'tait ordinairement re'servëe aux gens de condition infe'rieure. Nous ne l'avions rencon- trée jusqu'à présent que dans les actes légendaires de saint Clément, qui la font remont< r à Trajan lui-même. Cependant Pline ne semble pas a\oir envoyé les fidèles de Bithynie aux cari'ières de Ciimée ; mais il est prouvé que cette peine était déjà en usage par une lettre de l'évêque Denys de Corinthe aux Romains, dont voici un extrait (2) : « Dès le commencement votre coutume a été de faire du bien de toutes les façons à vos frères, envoyant des secours à beaucoup d'Eglises dans les différentes villes, allégeant la misère des indigents, venant en aide aux frères qui sont dans les mines par les subsides que vous leur avez toujours adressés, fidèles en cela à la tradition de vos ancêtres, tradi- tion que non-seulement le bienheureux Soter votre évêque a conser- vée, mais qu'il a développée. « Le pontificat de Soter se place entre 1C6 et 175. Comme à partir de ce moment la charité du Pape eut occasion d'étendre son action, on peut en conclure que ces sortes de condamnations se multipliaient, ce qui concorde avec ce que nous savons du règne de Marc-Aurèle. Sans doute il faut voir moins un désir de se départir de la rigueur primitive (3) qu'une conséquence du nombre croissant des chrétiens, dont certains fonctionnaires pratiques

(1) D., liv. XLVni, tit. XIX, frag. 28 : Capilaliura pœnarum isti ffradus sunt. sum- mum supplicium..., deiiide proxinia morli pci'na, metalli cocrcitio. Cf. rarticle de M. iiE Rossi sur les cliréliens condamnés aux mines, Bull., 1868, p. 17 et s.

(2) Hisl. ceci., liv. IV, c. xxiii : 'E$ àp-/?,? yàp û(iîv s'Oo^ £(jt"i toOto, Trâvrotî [xàv àoeX- 9oy; TioixîXwc e'JSf/yîxîîv... èv ii£T(i)v),otç 5s àoE),çoî(; ûitdtpxovKTiv £'7ti-/opriyo"jvTaç ot' wv ■5ic[ATi£Tî àpyriOîv £:fooéoJv, TtaTpoTtapâooTOv k'Oo; 'I'to|j.aî(i)v 'I'to(Aaioî oixçu/.âxTOvTs;, o oy jAcivov otaT£Tr|pr,x£v ô jAaxâptoç 'Jixwv Èntdxono; Storrip, à).).à xa\ £Tcrj'j5r,x£v.

(3) Cf. YEp. 78, parmi telles de sai.nt Cypiviln, les condamnés aux mines de Nu-

131

aimaient mieux pour l'État utiliser le travail que sacrifier la vie. Ce nombre était tel qu'un proconsul d'Asie persécuteur, Arrius Antoni- Dus (1), vit un jour son tribunal assiégé par les chrétiens de sa pro- vince venus pour se livrer en masse ; il en fit emprisonner quelques- uns, et dit aux autres : « Insensés ! si vous voulez mourir, n'y a-t-il pas assez de cordes et de précipices (2) ? »

De fait, la persécution ne cessa pas absolument dès les premières années de Commode, et un étrange moyen fut adopté pour l'arrêter. Il s'agit d'une innovation dans la procédure ancienne qui nous est révélée par l'affaire d'Apollonius : Eusèbe avait eu les pièces entre les mains et les avait insérées dans sa collection martyrologique ; mais il ne nous en reste qu'un court résumé dans XHistoire ecclésiastique. Perennis étant préfet du prétoire (183-186), un sénateur chrétien, nommé Apollonius, distingué dans la science et dans la philosophie, fut traduit par quelque vil accusateur devant son tribunal, pour cause de christianisme (3). Nous connaissons peu de détails sur Perennis, mais sa conduite en cette occasion mérite toute notre attention. Il com- mença par faire mettre à mort l'auteur de la dénonciation (4), comme si elle était fausse; puis, ne pouvant décider Apollonius à abjurer, il renvoya la cause devant le Sénat. C'était à un moment le sang coulait à flots : sous les prétextes les plus futiles, les personnages les plus illustres étaient condamnés à périr (5) ; des femmes de fa-

niidie décrivent ainsi leurs souffrances : » Fustibus vulnerata membra curasti, compedibus pedes ligatos resolvisti, semitonsi capitis capillaturam ad^quasti, tene- bras carceris illuminasii, montes in planum deduxisti, naribus etiam fragrantes flores apposuisti et tetrum odorem exclusisti. = Qu'on se rappeUe les Polonais en Sibérie !

(1) Waddington, Fastes, § 157, donne l'année 184-185.

(2) Tert., Ad. Scap., c. v : "'Q ôsD.o'., el 0£).ît£ àuoOvr|C7X£tv, xpr,[jivovî [îpô-/oyî e-/.£t£.

(3) Hisl. éd., liv. V, c. xxi, 21 : 'En't yoOv Tr,ç TwfiaîfDV to)vS(oç 'Aito>,).(Ôv[ov, à'vopa Twv tÔtî TttaTwv £7t\ itaiOct'x xKi çO.oaoçca (3£oOY)|jivov, 1-k\ ôtxaTTTiptov a-^ti (oac[j-wv), êva Tiva twv £i; TaOxa linirfizluù^i a-jTw otaxovwv £it\ xaT/jyopia xàvopô; £y£tpxç. Saint Jéhôme, De vir. ill., c. xlii, donne à Apollonius le titre de sénateur, que justifie la suite du récit, et il dit expressément que le dénonciateur était un esclave, ce qui résulte bien du genre de supplice qui lui fut infligé.

(4) AÙTtxa xaxâyvuTai ta (jxéXy), n£p£vvwu SixaffTOÙ xotauTriv xa-c' aù-coO '];-/i?ov àuEvfyxavTOç.

(5) Lampr., lit. Corn., c. iv ; cf. c. v : Multique alii senatores sine judicio inte- rerapti, feminae quoque divites.

9.

132

milles riches, des sénateurs avaient été' exëciite's sans jug^ement. D'où venaient ces scrupules en faveur d'Apollonius? Ils ne sauraient être attribue's à l'empereur, qu'absorbaient entièrement sa passion pour les jeux du cirque et ses furieuses débauches. Quant à Peren- nis, au lieu de contrarier les goûts de son maître, il avait pris en main le pouvoir, qu'il exerçait avec vigueur. S'il faut s'en raj)porter à Dion Cassius, alors sénateur, qui représente l'opinion des gens res- pectables de la capitale, il montra même une certaine honnêteté qui le fit regretter (1). A croire au contraire la tradition dont Lampi-ide s'est fait l'écho, le préfet du prétoire, en s'arrogcant toute l'autorité, aurait fait périr qui bon lui semblait, confisqué les biens d'un grand nombre et bouleversé toutes les lois (2). Ces deux opinions ne sont pas en désaccord autant qu'elles le paraissent; en effet, le régime de l'ar- bitraire prête toujours aux jugements les plus opposés. Telle aussi apparaît la conduite de Perennis vis-à-vis d'Apollonius : c'est à la demande du préfet que le sénateur chrétien, chose inouïe (3), prononça devant ses collègues sa défense, éloquente apologie de la l'eligion, qu'Eusèbe possédait encore; mais le Sénat passa outre, et, après les précédents de près d'un siècle, ne crut pas pouvoir se dis- penser de le condamner à la peine capitale (4).

Ainsi le dénonciateur avait été puni malgré la véracité de sa dé- nonciation, et le dénoncé, s'étant reconnu chrétien, avait souffert le martyre. C'est à l'application simultanée des rescrits de Trajan et

(1) Kpit., I. LXXII, C. X : '0 jiev oîiv o-jtw; Èacpayo, rjxtiTTa or, toO-co itaOstv xa'i ot' âauTov xai otà Tr|V TrâTxv xwv 'Pw[j.ato)v àpxô'' ôq/îiXwv... loia [xsv yàp oOoèv TtwTtoxE o-jte Ttpô; ôô^av oy'fE Ttpô; w.oOtov TîspieêciXEXo , à),Aà xa\ àowpôxaTa xai awçpovfTTaTa otriyayï , toO ôà Ko[j.|j.cioo'j xa\ TrjÇ àp/r;? tjxvj uâaxv ka^iù.V'X'i STiotîîxo.

{2)Loc.cii. : Tune lainen Perennis cuncta sihiniet vindicavit, quos voluit intere- mit, spoliavit plurimos, omnia jura subvcrlit.

(3) Ilo/Xà )-tiiapù)i; îxeTeûuavTOç toO otxaaToO xa\ Xôyov aùxôv It:\ Tr]ç o-jyxXriToy 3o'j).ïiç alxYiiTavxoç, Xoytwxâxrjv uTiÈp èixapxûpsi 7tî(TX£«oç Ira Tiâvxwv 'no(paff-/wv àiroXo- ytav... Ilâffâv te xtjv itpà; xyjv (T'jyz),r|XOv aTtoXoyîav oxw otayvwvat çO.ov, ex xr|i; xû>v àp-/atwv [xotpxupfuv (7vva-/0£t'(Tr;; r,iiîv àvaypscpîic Ei'cTExat. Il résulte du texte fort confus de Hufin que, lui aussi, a eu récrit entre les mains : Hujus Apollonii marlyris de- fensionem fidei apud Graecos passionis ejus historiam copnovi salis eleganter concionasse.

(4) lv£ça).txr| xoAd((7ci waàv àitrj ooyjj.dtxoç ayyx),r|XO"j Xc).E'.oOxo<i, iir^o aXXo); àçEîffOai xouç ôcTta? Et; SixaaxTipiov iiaptivxa; xa^t (Ar,02([j.â); xr,; irpoOÉdîojç |X£xa6a)>).o|j.évO'j; àpxx^'>y Tap' a-jxoî; vôfjiou xExpaxr^xôxoî.

- 133

(VHadrien, en une occasion l'un excluait l'autre, qu'aboutissait la bienveillance de Perennis; elle avait du moins ce re'sultat de de'cou- rager les accusations de christianisme. Peut-être n'avait-il voulu d'abord que sauver Apollonius ; mais de même que la lettre à Pline qui prétendait statuer uniquement sur un cas particulier, e'tait devenue le code de la matière (1), de même la de'cision qui nous occupe fit loi quelque temps à Rome, comme étant de date récente et ayant e'te' ap- plique'e dans des circonstances solennelles. Cette jurisprudence nou- velle ressort bien, par exemple, de la page d'histoire qui nous a e' restitue'e depuis peu, grâce à M. Miller, par la publication des Philo- sophumena (2). On sait que ce livre, e'crit par un ennemi personnel du pape Calliste, est un violent pamphlet; toutefois, comme il s'adresse à des contemporains, les de'lails mate'riels n'ont pu être invente's et doivent être tenus pour vrais : c'est ce qu'a parfaitement de'montré M. de Rossi dans une se'rie d'ai'ticles trop peu connus, sans doute parce qu'ils sont devenus introuvables.

Calliste, esclave chiétien d'un affranchi chre'tien de Marc-Aurèle et de Commode nomme' Carpophore (3), place' par son maître à la tête d'une banque, avait englouti dans la banqueroute les de'pôts des fidèles et des veuves (4). Son premier mouvement fut de s'enfuir ; mais au moment il allait s'embarquer pour Ostie, Carpophore remit la main sur lui et le condamna à tourner de'sormais la meule. Au bout de quel-

(1) V. notre deuxième partie, § i.

(2) Origems Philosophumena, sive omnium hœresium refulalio : nunc primum edidit Emmanuel Miller (Oxford, 1851). L'attribution d'auteur, qui ne reposait que sur des manuscrits du premier livre isolé, a été discutée en dernier lieu, à la suite de tant d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, par M. l'abbé Ducbesne à son cours. Après avoir rejeté saint llippolyte, dont l'ouvrage sur les hérésies, d'après ce qui nous en reste, diffère des Philosophumena, il a conclu que l'auteur devait avoir occupé un certain rang dans l'Église romaine et avoir appartenu à l'école philoso- phique de saint Justin.

(3) Les citations des Philosophumena sont empruntées à l'édition de l'abbé Cruice (Paris, 1860), p. 436 : O'.yixr,!; sT-jy/avs Kapiroçôpo-j x'.vôç àvopô; TiiaToO ovto; sx tti? Kawapoç olxiotç. V. une inscription de Carpophore, Bull., 1866, p. 3 : M. Aurelius Augg. lib. Carpophorus fecit sibi et Aureliae Epictesi conjugi suse, etc.

(4) Espèce d'ordre de charité dans l'Église primitive. "Oç /aowvTpânsÇav £7rc-/£tpr,ff£v ev TÎ) lByo\t.Éyy\ ntcrxcvr, Tro'jTrXixY), w oùx oXcyai Tïapa6r|Xai tw XP^^V £ii:nïT£ij6r|(Tav ûtto ^Y;pà)v xa\ ao£>.yà)v ■Kpo(j-/-r][i.y.'zi xoO Kotpnocpôpo'j à ÈÇxçavt'aaç Trâvxa r|7:ôp£t. Éd. Cruice, p. 436.

134

que temps les fidèles demandèrent et obtinrent sa grâce. Rendu à lui- même, il alla faire esclandre chez les Juifs réunis à la synagogue, parmi lesquels vraisemblablement il avait des créanciers plus ou moins usuriers, voire même les auteurs de son infortune. Ces Juifs, après l'avoir maltraite', le traînèrent devant le préfet de la ville, Fuscianus, et l'accusèrent, non pas directement d'être chrétien, mais d'avoir trou- blé leur assemblée protégée par la loi romaine en faisant profession de christianisme (1). Celait une manière habile de ne pas encourir la peine qui frappait les dénonciateurs, tout en insinuant que Calliste s'était déclaré chrétien. Là-dessus Carpophore survint, voulant sauver son esclave et assurant que celui-ci, depuis son désastre financier, cher- chait un prétexte pour en finir avec la vie. Les Juifs, furieux, n'en crièrent que plus fort. Bref Fuscianus, connu pour sa sévérité (2), sans attendre une accusation en règle, substitua l'affaire capitale à celle de simple police et condamna Calliste, pour sa foi, à la flagellation et aux durs travaux des mines de Sardaigne. ïertullieu rappoite la conduite opposée du proconsul Pudens (3), lequel, rencontrant la preuve de me- naces intéressées dans l'acte d'accusation d'un chrétien, déchira cet acte, puis prononça qu'en l'absence d'accusateur le rescrit du prince

(1) Ot xaTacjtaatacrOévTE; ûir' auToO, evuêptaavTe; a-jxôv xai nAriyà; £[x.çopr|<javTî;, ëffvipov Itzi tùv 'ï>û"j(jxtavc)v £7iap-/ov ovxa Tr^i tiôXeu);. 'AnexptvavTO Ta&e 'Piojiaîot c'jv£yoipr,(7av r|[xîv Toyç TtaxpMO'jç vô|j.o'jç ôr,[j.0(7ia avxytvtijffxîiv o'jto; £Tt£i(7£A0wv ÈxcÔA'jE, xaxaaTao-iâi^wv r^\t.ù>y, çdcaxojv £tvai ■/picTtavô?. Ed. Cruice, p. 438. On peut croire que Calliste s'était exprimé ainsi : «^ Vous m'avez ruiné parce que j'étais chrétien. »

(2) 'O xiv/jÔe'ii; 'jti a'jTwv, lAaffTiyojffaç aOtav, £Owx£v £lç [X£TaA>.ov i^xpoovia?. Ed. Cruice, p. 439.— Capit. l'ii. Periin., c. iv : In qua praefeclura (urbis) post Kuscianum boniinem severum, l'ertinax mitissimus et iiumanissiuius fuit. Ce chan^jement eut lieu au printemps 189: la condamnation de Calliste se place un ou deux ans avant. Les détails d'une affaire que raconte Tektllmen, /Id. »ai., liv. I, c. xvi, feraient penser qu'il se trouvait à Rome sous Fuscianus. M. Aubé, Revue historique, nov.-déc. 1879, p. 274, en note, trouve plus probable qu'il recueillit à Carthage l'anecdote ayant dix ou douze ans de date. Cf. pour le séjour de Tertullien à Rome, Apologet., c. x\v et XXXV.

(3) Il fut proconsul entre 205 et 211. Le 2749 des Inscriptions d'Algérie, de M. Léon Remer, que M. Aube, loc.cit., p. 270, lui rapporte, doit se lire : Quintus Servilius l'u- dens, de la tribu Horatia, fils de Quintus .Servilius Pudens, le consul de 166 cl le beau-frère de l'empereur Lucius Verus. Cette dernière qualilé résulte d'une in- scription réremmenl trouvée en Tunisie par M. Cagnat, lequel toutefois a attribué l'inscription précédente au consul, et non au proconsul- Acad. des Inscr., séance du 8 juillet 1881.

135

lui interdisait de continuer Tinformation (1). Plusieurs faits analogues montrent qu'à la fin du deuxième siècle certains magistrats commen- çaient à user dans le sens de la douceur du pouvoir discrétionnaire que leur conférait la mise hors la loi des chrétiens, tandis que d'autres en profitaient pour accentuer la rigueur et raffiner les supplices.

Pendant ce temps, la maison impériale recrutait ses fonctionnaires parmi les membres de la rehgion nouvelle. Outre Carpophore(2), nous voyons encore à cette époque le procurateur Prosénès (3) qui fut promu précisément par la confiance de Commode au degré le plus élevé de sou emploi. C'était assurément un appui dont les chrétiens devaient chercher autant que possible à se prévaloir. Une autre cause à laquelle il convient d'attribuer une action modératrice à leur égard, est l'influence de Marcia, depuis l'année 183 favorite du prince. Ou s'est préoccupé de savoir si elle-même était chrétienne (4). M. Aube a récemment lu une communication à l'Académie des inscriptions sur ce sujet, et il a conclu affirmativement (5). Mais l'abréviateur de Dion Cassius, Xiphilin, dit seulement qu'elle se servit de sa toute-puis-

(1) Êd Scap., c. IV : Pudens etiaiii missum ad se christianum, in eulogio concus- sione ejus inteUecta, dimisit scisso eodem eulogio, sine accusatore negans se audi- turum hominein, secundum mandatum. V. pour le sens du mot concussio, id , De fuga, c. XII : Miles me vel delator vel inimicus concutit, nihil Ca'sari exigens, inio contra faciens, quum christianum humanis legibus rtum mercede dimiltit. Cf. D., liv. XLVU, tit. XUI, De concussione. Ann. de la propag. de la Foi, numéro de mars 1880, lettre de Corée du 27 mai précédent : « La persécution vient de re- commencer. Si l'on en croit les bruits qui circulent, l'auteur de tout le mal serait un païen qui aurait été malheureusement mis au courant de nos affaires et en au- rait profité pour extorquer de rarg€nt. Déçu dans son attente, il serait allé tout raconter au maître du palais. »

(2) Calliste, qu'on a quelques raisons de croire dans unebriqueterie de la gens Domitia au Transtevère, av; il di\ suivre le sort de la briqueterie (v. les Inscriptions doliaircs laii/ics de M. Descemet, Paris, 1880); celle-ci échut comme héritage mater- nel à Marc-Aurèle, dont Carpophore fut de son côte l'affranchi.

(3) M. DE Piossi, Inscr. Christ., t. I, p. 9, donne ses titres inscrits sur le sarcophage que lui avaient consacré ses affranchis'paiens, ainsi que la mention ajoutée au re- tour d'une mission par un affranchi, son coreligionnaire, absent lors de la mort arrivée en 217.

(4) Les différentes opinions sont exposées dans la Bévue des questions historiqties (l^' juillet 1876), sous ce titre : Marcia, la farorite de Commode, par M. DE Ceuleneer, qui conclue négativement. L'auteur lui attriljue une inscription d'Anagni d'après laquelle son nom d'esclave serait Demetrias; ses noms d'affranchie, Marcia Aurélia Ceionia.

(5) Comptes rendus de 1878, p. 201,

136

sance auprès de Commode pour rendre plus d'un service aux clu'ê- tieiis, dont elle prenait les intérêts (1). Les Philosophiiniena sont venus nous expliquer de quelle nature étaient ces services, et cela même à propos de Calliste. Nous l'avions laissé travaillant dans les mines ; heureusement pour lui, il n'y resta pas longtemps. Vers le commencement du pontificat du pape saint Victor 189-198, Marcia, désireuse de faire une bonne œuvre (c'est l'expression dont se sert notre auteur) comme preuve de ses dispositions religieuses (2), demanda la liste des fidèles condamnés en Sardaigne, dont elle fit signer la grâce à l'empereur. Elle confia au vieil eunuque Hyacinthe, qui l'avait élevée, le soin de transmettre la décision au gouverneur de l'ile, chargé de l'administration des mines. Celui-ci fit mettre les pri- sonniers en liberté ; mais Calliste ne se trouvait pas porté sur la liste, soit i)ar oubli, soit avec intention, ainsi que l'affirme l'auteur des Philosophiimeua^ qui pourrait avoir été pour quelque chose dans cette affaire (3). Calliste réclama, et Hyacinthe, ayant pris sur lui de faire ajouter son nom, le ramena comme les autres à Rome.

C'est en somme à une fantaisie de clémence inspirée par IMarcia, et non à un système réfléchi, que nous avons affaire ici. A la mort de Commode qui survint peu après, les chrétiens de Rome se retrou- vaient, au point de vue légal, dans une situation aussi défavorable qu'avant son avènement. Si notre conjecture est juste (4), ils pré- tendirent alors jdacer sous la })rotection du nom de Marc-Aurèle l'avantage résultant pour eux de treize années d'une quasi-tolérance. Pertinax, du reste, ne s'étaitmontréhostile, ni pendant son proconsulat d'Afrique 188-189(5), ni pendant sa préfecture urbaine qui l'avait

(1) h'yit., 1. LXXH, C. iv : 'IcTTOpetTai a-JT/j izollâ te -jnsp tujv 7pt<TTto(vù)v UTtouôâaat xa\ 7:o>.),à auToùç EOepyeTrjxévai, âxz xa'i Tiotpà tm Koia|j.ôo(;) nâv o'jvx(j.Évrî.

(2j MsTa -/pôvov kspwv Uti ovtwv ixaprjpwv, 0£?,r,(Ta(7a yj Mapxîa È'pyov xi àyaOôv Ipyâ.tjCi'T'yjn o-jTa cfùMeoç iiaUayYi Ko[j.[xô5ou, TrpoffxaXEaaiAÉvr, tôv (jLaxâpiov Ouî'xTopa, ovTa ÈTtÎT/OTrov -zr^ç 'Ev.y.li](jloLZ xoc:' Ixsîvo xxipoO, £7t/;pwTa Ttveç slev èv iiapSovia [liçiTjÇit;. P-d. Cruice, p. 439.

(3) 'O TiâvTwv àva^oùç ta C)v6|xaTa, toO KaXXî(TTOu oùx ^6wx£v eiowi; tetoX- IJ.ï)li.iva Ttap' aùxoO " Tu-/oOiTa oîiv tyjç àÇiwdew? y] Mapxîa itapà xoO Ko|A(a6ôou, Scôwffi xr|V à7to).'j'7i|i.r;v Itziij-zo').-^^ TaxtvOw xcv\ (nrâoovxi TtpeTouxlpfo, xx),. Éd. Cruice, p. 440.

(4) V. notre deuxième partie, § m, p. 113.

(5) M. AtBÉ, Kevue historique, iiov. -déc. 1879, p. 25i : On peut croire qu'il

137

suivi. Quant à Marcia qui était entrée dans le complot du préfet du prétoire Lsetus contre Commode, il prit sa défense tant qu'il fut sur le trône (1), mais elle ne tarda pas à être livrée aux prétoriens avec ses complices par Didius Julianus. Il n est point à croire qu'elle mou- rut baptisée ; la qualification de c&iXo'Qco; que lui donne l'écrivain chrétien contemporain en la distinguant des fidèles, tzkjtoî, ne peut même guère s'entendre du catéchuménat proprement dit. L'évêque Deuys d'Alexandrie, en 268, appelle l'empereur païen Gallien ^iXoôÉwTepoç, en reconnaissance de ce qu'il avait accordé une paix mo- mentanée à l'Église (2). De même Flavius Josèphe traitait l'impéra- trice Poppée de Oiocior^ç, parce qu'elle plaidait la cause des Juifs auprès de Néron (3).

Septime Sévère (2 juin 193-4 février 211), « ce rapide destructeur de trois concurrents à l'empire " , comme l'appelle M. Villemain, savait qu'il ne trouverait pas de chrétiens parmi les partisans de ses adver- saires, et, pour cette raison, il devait leur être favorable. Il les connais- sait par ailleurs, ayant donné dès 186 pour père nourricier à son fils Caracalla un affranchi imi)érial (4), Evhodus Sabinianus (5), dont la femme était chrétienne. Lui-même, dans une maladie, avait eu

trouva humain et politique de ne pas tirer l'épée contre une secte qui, quoi que valussent au fond ses croyances et ses pratiques, et quoique le vulgaire en pensât, était en somme paisible et docile aux lois, et qu'il savait peut-être fortement et effi- cacement protégée auprès de Commode. >

(1) C\piT., l it. l'ertin.. c. \, réponse de ce prince au consul Falco : - Juvenis es, consul, nec parendi scis nécessitâtes; paruerunt inviti Commodo, sed ubi habue- runt facultatem, quitl semper voluerint, ostenderunt. »

(2) Hist., eccles., 1. VU, C xxiii, 4.

(3) ânt. Jud., \. XX, C. VIII, 11. Eusèbe décerne le même titre à Julia Mainmée, mère d'Alexandre Sévère, Hist. eccles., 1. VI, c xxi, 3.

(4) Inscription d'Anagni déjà citée à propos de Marcia: Evhodi M. Aurel. Sabiniano Augg. lib., etc. Cf. Dio\ CaS.sils, Epit., liv. LXVI, c. vi : Ihp'i KatTxpôtoy àvopô?, ainsi l'appelait Septime Sévère dans un discours au Sénat, en 203, ce qui s'entend bien d'un affranchi de ses prédécesseurs.

(5) cf. Teut., Ad Scap., c. IV" : Ipse etiam Severus, pater Antonini, christianorum memor fuit; nam et Proculum christianum qui Torpacion cognominabatur, Evhodi procuratorem, qui eum per oleum aliquando curaverat, requisivit et in palatio suo habuit usque ad mortein ejus : quem et Antoninus optime noverat, lacté christiano educatus, La maladie de Sévère se place vers 194. Cf. Sp.\rt., Vit. Pesa. Nig., c. IV : In vita sua Severus dicit, se priusquain filii sui id aHatis haberent ut imperare possent, aegrotantem id in aniino habuisse ut, si quid forte sibi accidisset, Niger Pescennius, etc.

138 -

recours à un esclave chre'tien «le cet affranchi, Proculus, surnomme' Torpacion, qui l'avait g^uéri et que, par reconnaissance, il voulut fjanler dans le palais jusqu'à sa mort. C'était sans doute aussi un frère de lait que Caracalla, âge' de sept ans, sut un jour avoir été battu à cause de sa religion (1) : raison pour laquelle il garda rancune à son père et au père de son camarade de jeux, comme s'ils avaient été les auteurs des coups. Involontairement ici, on se souvient de la caricature gravée à la pointe sur les murs du pœdagogium du Palatin : un homme à tête d^àne crucifié, recevant le baiser d'adoration d'un individu, au-dessous duquel on lit 'AXcqotVevo; c£€£T£ (te pour xai) 6£ov, et Alexamène, ainsi tourné en dérision, se contentant un peu plus loin pour toute réponse d'affirmer sa foi en signant Wilâ^twc, fidelis (2). D'autre part, l'Apolo- gétique de Tertullien, si on le remarque, est adressée au Sénat, 100 (3). L'orateur africain ne réclame rien de Septime Sévère, qui alors était reparti pour l'Orient, mais qui, peu avant, en 107, revenant de vaincre Clodius Albinus à Lyon, et ayant fait mettre à mort une foule des premiers personnages de Rome (Spartien (4) en nomme quarante-

(1) Spart., lit. Carac, c. i : Septennis puer quum collusorem suum piieruiii ob Judaïcain reliyionem gravius verberatum audisset, nequepatrem suum neque pa- trem pueri velut auctores verberum diu respexit. M. de Rossi, Bull., |8C5, p. 94, voit uu enf,int juif; nous admettrions plutôt une confusion de langafjechez Técri- vain, car la distinction léyale alors était solidement établie en faveur des Juifs. D. liv. L, lit. H, frag. 3, § 3 : Eis qui .ludaïcam superstilionem sequantur divi Severus et Antoninus honores adipisci permiserunt . sed et nécessitâtes eis impo- suerunt quae superstionem eorum non la-derent. A ce texte d'LLPiEN, ajouter celui de MoDESTiN, D., liv. XXVIl, lit. I, frag. 15, ,^ 6.

(2) Les graffiti owi éié retrouvés, l'un en 1856, l'autre en 1870. Dom Gléranger les reproduit dans son Histoire de sainte Cécile (éd. iUustr., Paris, 1874), p. 338, et les croit de la fin du règne de Marc Aurèle. M. Aube, qui ne mentionne que le premier, la Polémique piiienne, p. 99, est du même avis. Ces auteurs s'appuient sur l'allégation contenue dans VOciarlus de Minucils Félix, c. ix, et renouvelée de Tvcrri , Jfisi., I. v, c. III, contre les .Juifs. Il nous semble qu'il faut se rapprocher davantage pour la date du texte plus précis de Ti un lliin, qui parle d'une caricature pr.iprement dite. Ad nat., 1, I, c. xiv, et Apologet., i,. xvi : Nova jam Dei nostri in ista civitate proxime editio publicata est, ex quo quidem in frustrandis bestiis mercenarius noxius pic- turam proposuit cum ejusmodi inscriptione DEVS CIIHISTIANORV.M OXOKOITHi:. Is erat auribus asiuinis, altero pede nngulatus, librum gestans et togatus.

(3) Hisl. ecel., liv. V, C. v, 5 : 'O TepT-jA/tavo; tÎ) 'Po)[j.aVxrj (7'jyy.),T|T(.) iipoiÇ'ti)vr,<7ai; ÛTiàp TT,; TitTT£o)ç àiro),oytav. Il avait même adressé cet appel, sous une première forme, directement à la population païenne, .hl naiioues.

(4) Spart., lit.Sev., c. xii : Interfectis innumeris Albini partium viris, inter quos muiti principes civitatis, multae feminae illustres fuerunt.

139

deux), protég^ea au contraire les chrétiens de grande naissance, et leur rendit publiquement hommage malgré l'hostilité du peuple (1). Ses sentiments étaient connus, car à la prise de Byzance en 195, le persé- cuteur Cœcilius Capella, qui gouvernait pour Pescennius i^iger, s'écria, dit-on : <■<■ Chrétiens, réjouissez-vous (2). »

Cependant leur joie ne dut pas être de longue durée, si nous en croyons Spai'tien, qui rapporte un édit de l'empereur rendu pendant son voyage en 202, et interdisant sous peine de mort les conversions au judaïsme et au christianisme; mais le même auteur indique que cette législation (3) s'appliquait aux habitants de la Palestine. 11 faut seule- ment admettre qu'elle fut étendue à l'Egypte, les deux religions comptaient de si nombreux adhérents, et même elle semble avoir été faite surtout en vue de ce pays, dont on connaît le régime excep- tionnel. C'est que nous rencontrons la première de ces demi-mesures révélant une forme nouvelle, que, devant la force des choses, affec- tera de prendre de plus en plus la persécution.

A Alexandrie, selon l'habitude, la situation des chrétiens empira rapidement, ainsi que l'attestent les lignes suivantes contemporaines des événements : « Chaque jour, dit Clément dans ses Stromates (4), ouvre sous nos yeux de nouvelles sources de martyrs; on les brûle, on les torture, on leur tranche la tête. » 11 n'y a pas lieu de s'en étonner, puisque cela se passait sous l'administration de Lœtus, l'un de ceux qui devaient conseiller le plus instamment à Caracalla l'assassinat de son frère. Parmi ses victimes, il faut compter Léonide, le père d'Origène, qui fut décapité et dont les biens furent confisqués (5). Son

(1) TEnT.,«rf Scaj)., c, IV : Sed et clarissimas feminas et clarissimos viros Seve- rus sciens hujus sectae esse, non modo non laesit, verum et teslimonio exornavit, et populo furenti in nos palam restitit.

(2) Ibid., c. m : Caecilius Capella in illo exitu Byzantine : Clirisliani, gaudele, exclamavit.

(3) Spabt., lit. Sev., c. xvii : In itinere Palaestinis plurinia jura fundavil, Judœos fieri sub gravi pœna vetuit, idem etiam de christianis sanxit.

(4) Strom., I. H, C. xx, § 125 : 'H|iîv açÔovot jjLapxûptov Tir/ya^ IxaTTOÇ r,[X£paç Èv ôçQa/.fxoîi; VifjLwv 6£wpoy(ji£vat TtcfpoTiT-wfAEVwv, avaaxtvôuXeuoiJLévwv, xàç x£cpa).ài; aTtoxe-

[JLVO[JL£V(iL)V.

(5) Hist.eccl., 1. VI, C. ! et suiv. : 'EvoT; xai AEwvtorjç ô Xeyôiievoç 'Qptyévouç, ua-crip tyiv y£<pa>vr,v airoTiXYiOe'iç... xr^ç yE [Ar|V xoO Tiaxpoç Trepiouirîaç toÎç (5a<7iXixotç xafitecoi; àvaX-^- cpO£iff-/)ç... ôéxaxov (xèv yàp luer/e Seêripo; xti; patrtXeîa; exoç, TiyEîxo Se 'AXe^avcpsiaç xa\

140

fils, âgé de dix-sept ans, que sa mère pouvait à peine retenir, e'crivait à l'illustre martyr : « Prends {jarde de chanjjer d'avis à cause de nous. V Aon content de manifester ainsi sa foi, en iléj)it de la prohi- bition officielle, il rouvrit l'e'cole catëclie'tique que Cle'ment d'Alexandrie venait de quitter (1), et son jeune âge, non plus que les circonstances, ne rebutèrent pas les auditeurs païens qu'attirait vers lui la soif de la ve'rite'. Pamii ses élèves qui payèrent leur courag^e de leur vie, Eusèbe nomme Plutarque, He'radide, Héron, les deux Screnus, et une jeune fille appelée lierais. Mais déjà, Subatianus Aquila avait succédé à Laetus comme gouverneur ; c'est lui qui fit péiir dans les flammes après d'affreux tourments la vierge Potamienne, avec sa mère Marcelle, et le soldat Basilide que ce spectacle avait converti (2). Quant à Septime Sévère, il n'avait pas tardé à rentrer à Rome pour célébrer le dixième anniversaire de son avènement, et il est à croire qu'il ne fut jias témoin de toutes les conséquences de son édit. L'édit lui-même resta-t-il long- temps en vigueur? Il est permis d'en douter, car nous avons le titre d'un écrit adressé par l'évéque d'Antioche, Sérapion (mort vers 205), à un certain Domninus qui ])ar suite de la persécution était passé de la religion chrétienne à la religion juive (3), ce qui indique que les Juifs prosélytes furent peu molestés, et qu'après un court malentendu, on rectifia la décision impériale, et l'on se contenta d'en revenir aux anciens errements contre les chrétiens.

Les précédents laissaient une si grande latitude aux gouverneurs des provinces (4), que leur véritable ligne de conduite à cet égard

TTfi XotTTÎiç AlyÛTtTou AaîTo;.. Spai\t., lit. Carac, c. m : Ipse enim inler suasores Getae mortis primus fuerat.

(Ij clément se retira auprès d'Alexandre, évêque de Cappadoce transféré sur le siège de Jérusalem, et qui avait été son élève. ///«/. eccles., 1. VI, c. xi,,6, et xiv, 9. Celui-ci le chargea tandis qu'il se trouvait en prison, sans doute pour avoir baptisé quelque néophyte, de porter une lettre à Asclépiade, élu évéque d'Antioche à la place de Sérapion vers 205.

(2; Hitl. eccl., I. IV, c. V : Baat/.ciorjÇ Tr|V 7iîp(6ô/;TOv lIoTa[j.taîvav aTtayaywv nep'i /•,;... (jLETà 0£tvà; xat çpixTa; elueiv paaâvoyç a[j.a t?) ix/jTp'i MapxéX/ri oià Ttupô; lù.tW)-

(3J Hisl. ceci., 1. VI, c. -VU : Ta Ttpô; Ao[j.vîvov èxuETtxtoxôxa Ttvi Tiapà t'ov toO otwy- (xoO xatpôv à-KO Tr,? elç XpiUTov TiiaTEd); Èti'i ttiV 'IovoxVxtjV EOeAoOpriUZEtav.

(4) Cf. ad Scap., c. m, l'on voit le gouverneur de Cappadoce commencer à persécuter, parce que sa femme s'était convertie au christianisme.

141

avait fini par rentrer dans le cadre gëne'ral trace' par le guide - manuel d'Ulpien De officio proconsulis (Ij, à savoir, la poursuite d'office de toutes les mauvaises gens. Les juges ne se demandaient plus si, par les mots : conquirendi non sunt, le rescrit de Trajan n avait pas excepte' les chrétiens de ce nombre. Nous avons vu aussi quelle interprétation large lui avait donnée le légat de la Lyonnaise, sous >Iarc-Aurèle; son successeur voulut apparemment faire du zèle à l'occasion des Decennalia de Sévère; car à cette date, 203, doit être enregistrée la condamnation du successeur de saint Pothin, saint Iré- née. Nous ne possédons malheureusement aucun détail sur sa mort (2), et déjà le pape saint Grégoire le Grand (3), après de minutieuses recherches, n'avait pu retrouver ses actes non plus que ses écrits. Quant aux écrits de l'illustre métropolitain de la Gaule (4), plus heu- reux que saint Grégoire, nous possédons, outre les fragments de ses lettres conservés dans Eusèbe, une antique version latine très-fidèle de son grand traité contre les gnostiques, qui était intitulé ïlpo; rà; aiç£<j£t?, mais nous n'avons que les titres de ses autres ouvrages. Haute avait été sa considéiation dans l'Église entière, et non moins profonde l'affection que lui avaient vouée les fidèles de Lyon , comme le prouvent les termes avec lesquels ils le recommandaient au pape saint Éleuthère, dès 177 (5). Aussi sa mort ne fut-elle pas isolée; la tradition, représentée par l'inscription de la vieille mosaïque placée

(1) D., liv. I, tit. XVni, fr. 13 : Congruit bono et gravi praesidi curare., ut malis hominiljus proviiicia careat, eosque conquirat : nam et sacrilegos, latrones, pla- giarios fures conquirere del)et.

(2) Quœst. etrespons. ad orthodoxos c. cxv : XaOwç ÇYi-yiv u [j.a-/ip'.o; E'.pr,vato;, o [xaprj(; xa\ £U!(jxo7ioç Ao'jyoo'jvo'j. Èv x'o TTîp'i ToO ïlin/u. lôyiù. Cf. saint Jei\ome, Comm. in Isai, c. LXIV.

(3) L. XI, Ëp. 56, ad Miherium Lugdunensem episcopum : Gesta vcro vel scripta bcati Irenaei jani diu est quod sollicite quaesivimus, sed hactenus ex eis inveniri aliquid non valuit.

(4) Ka\ Twv xaTa FxAAiav ok irapoty.twv a; E'.pr|VaTo; Èusay.ÔTtEi. Ainsi s'exprime Eu- sÈBE, Hist., eccl., 1. V, c. xxiii, 3, énuniérant les lettres collectives qui furent adres- sées au nom des différentes provinces ecclésiastiques au sujet de la pàque sous le pape saint Victor, 189-198.

(5) Hist. eccl., 1. V, c. IV, 2 : Kat irapaxa>.oO[jLcV è'y.îiv ai xj-rôv Èv Ttapa6l(7£i Cl^'^" Tr)v ovxa vfn StaOï^xr,; XptffToO si yip f^o£'.(Xîv toitov t'.v\ O'.xa'.oo-jvr.v TtEpntoteîdOai, (n^ 7tp£<j6'jTcpov IxxXViUca; ouîp £<7t\v £7t' auTÔ) cv TipwTOi; av uapsOéjxôOa.

142

au-dessus de sou tombeau (t), parle de milliers de martyrs,* millia dena novemque. Assure'ment Lyou u'eu était pas à son premier soulè- vement populaire; mais quoiqu'il soit difficile de préciser, vu l'absence de documents, le caractère de cette persécution, à en juger par les renseifjnements que Tertullien nous fournit sur la persécution d'Afri- que, nous sommes en droit de nier qu'elle se fondât sur autre chose que la longue jurisprudence inaugurée par le rescrit de Trajan, et renouvelée à Lyou même par Marc-Aurèle. C'est ainsi que Gôrres, que son système conduit à priori à voir dans le règne de Septime Sévère uue époque de paix pour l'Église (2), est forcé de reconnaître que jamais paix ne subit autant de violations partielles.

Ouintus Septiniius Florens, })lus connu sous le nom de Tertullien, légiste (3), rhéteur et philosophe païen, depuis sa conversion défenseur ardent et éloquent du christianisme, prêtre et finalement chef de secte, est une figure curieuse de l'époque nous sommes parvenus. 11 semble personnifier un instant en lui la cause de l'Église en face de l'État; sa hardiesse est si grande qu'on s'étonne qu'elle ait pu être tolérée, et alors que certainement la qualité de chrétien dénoncée au juge suffisait pour envoyer au martyre, on se demande pourquoi, à la différence de saint Justin, il n'a rencontré aucun accusateur. Les pièces à conviction ne faisaient pas défaut; comment eùt-il renié ses nombreux écrits? Il n'y a qu'une explication à ce fait : les choses ne se seraient pas passées ainsi, en d'autres temps que ceux de la dynastie africaine. En effet, Tertullien était Africain et fils d'un centurion pro- consulaire, comme nous l'apprend la chronique d'Eusèbe. Cette charge subalterne de son père à Xofficium du gouverneur de la province ne

(1) Saint GrÉgoiue de Toijks, De glor. mort., liv. I, c. l, dit qu'il reposait de son temps in crypta S. Jonnnis, se trouvaient également les seuls corps de martyrs qui purent être recueillis à I.yon sous Marc-Aurèle, ceux des saints Épipode et Alexandre, mis à mort après les autres, en 178.

(2) J)ns Christenthum uiid der riimischc Slaal zur XciC des Kaisers Septimius Sercnts, dans les Jahrhiichcr fiir protestaniische y'/ifo/o(/;c (Leipzij}, 1878), p. 281 : Keiue FriedensUra der vorconstantinischen Kirche ist durch vcrhâltnissmûssig so bedeukiiche verein7,clte Bedriickunjïen der Anhanger .lesu so getrùbt worden, wie die in Rede stehende Zeit der Huhe. ■■

(3) Hisi. ceci., 1. Il, c. II, 4 : Toù; 'P(i)|j.ata)v vôiiouç rjy.pi6u)xwç àvrjp. Ce renseigne- ment est suffisamment confirmé par ses ouvrages.

- 143

s'accorde guère en apparence avec le renseignement, fourni par le même auteur dans \ Histoire ecclésiastique, il est dit qu'aux autres illustrations de TertuUieu, il convient de joindre celle du rang auquel il avait droit à Rome (1) ; et d'ailleurs il ne faut pas oublier qu'il portait les tria nomina, mais le tout se concilie à l'aide d'un exemple contem- porain. Parlant du mariage de Julia Domna, dont la famille, d'après Dion Cassius (2), était ple'béienne, M. Renier a pu dire que ^ celle elle allait entrer e'tait, par les honneurs qui avaient été' conférés à quelques-uns de ses membres, une des premières de l'empire (3) " . Ce qui n'empêche pas que Lucius Scptimius Severus était de très-humble extraction. Son père Geta, bourgeois de Leptis Magna (aujourd'hui Lebdah, dans la régence de Tripoli), ne s'éleva pas au-dessus de la condition équestre; aussi le fils dut-il, lorsqu'il vint à Rome en vue de poursuivre ses études, demander à Marc-Aurèle la faveur du lati- clave (4). C'est sans doute à Carlhage, qu'il avait appris les littératures grecque et latine dans lesquelles il était très-versé; pendant son enfance, remarque son biographe, il n'aimait à jouer qu'au magistrat avec ses compagnons. Qui sait si TertuUien, qui n'était pas éloigné de son âge (5), ne se trouvait point au nombre de ceux-ci, bien mieux, n'était point son parent plus ou moins éloigné, comme l'indiquerait leur gentilicium commun Septimius? La jeunesse du futur apologiste présente avec celle du futur empereur de grands rapports (6). Lui

(1) Hist. ceci., loc. cit. : Ta te aW.a ïvooloç, xa\ twv (idcXiaTa £Tr\ 'Pw[1yî? Xa|jnrptbv. Chron., trad. de s.vixT Jérôme, ann. Abrah. 2223 : TertuUianus Afer centurionis pro- consularis filius-

(2) Ep. 1. LXXVHI, c. XXIV : Kat ri [jlÈv oy'xw xi ex SriixoTixoO yévoui; eit'i [i-sya otp- Oeîffa.

(3) Mélanges d'èpigraphie, p. 140.

(4) Spart., l'itSev.,c. i : Cui civitas Lepti, pater Geta, majores équités Romani... postea studiorum causa Romam venit, latum clavum a divo Marco petit et accepit. cf. c. II, riiistoire de son compatriote que, devenu fonctionnaire, il fit l)attre de verges parce que : ut antiquum contubernalem ipse plei)eius amplexus esset; et c. XV, Vhistoire de sa sœur et de son neveu qu'il renvoya dans sa patrie.

(5) Septinie Sévère était le 11 avril 14G; la naissance de TertuUien se place peu après 150. Spakt., loc cit. : In prima pueritia, priusquam latinis graecisque lit- teris iinbueretur, quibus eruditissimus fuit, nullum aliuin inter pueros ludum, nisi ad judices exercuit, cum ipse prselatis fascibus ac securibus ordine puerorum cir- cumslante sederet ac judicaret.

(C) Spart., c. ii : .luventanî pleuam furorum, noununquam et criminum habuit.

144

aussi possédait les deux langues (1), lui aussi alla à Rome, il est probable qu'il se convertit, et il finit, selon saint Je'rôme, par avoir des de'mêle's avec les clercs de l'Église romaine. Tertullien paraît aussi connaître mieux qu'un autre l'inte'rieur de la famille impe'riale (2). Enfin, nous pouvons ge'ne'raliser avec M. Aube' une remanpie que nous avions déjà faite à propos de son appel au Se'nat : « Dans au- cun de ses traite's, depuis la courte Lettre aux martyrsjusqu'àl'Épître à Scapula, qui forment les deux limites extrêmes des e'crits apologe'- tiques et polémiques se rapportant à la lutte que nous e'tudions, on ne trouve un seul te'moignage qui incrimine directement Se'vère (3). « Nous venons d'indiquer, à notre avis, la raison de son impunité'.

Tous les chrétiens d'Afrique n'avaient pas les mêmes motifs de se croire en sûreté'. Aux victoires de Septime Sévère avaient succédé l'association de ses fils à l'empire (198) et les réjouissances publiques qui en étaient la conséquence, moment toujours critique pour les fidèles. C'est à cette occasion que furent composés les traités De co- rona militisj De idololatria. De sjjectaculis ; le premier en particulier a trait à une circonstance qui signala la distribution du donativum (4) : un soldat chrétien, par bravade sans doute, se présenta pour le rece- voir, la couronne de laurier à la main et non sur la tête, et ayant dé- claré qu'il ne pouvait faire comme les autres à cause de sa religion, il se vit arrêter. Sa conduite fut diversement jugée. D'aucuns, dit Tertul-

adulterii causam dixit. Tert., De rcmn-ect. cam., c. li\ : Ego me scio neque alla carne adulteria commisisse, neque nunc alia carne ad conlinentiam eniti; et alih. : Peccalor omnium notarum quum sim.

(1) Tekt., De virg. vcl. : Proprium jam negotium passus meae opinionis, latine quoque oslendam. cf. De baptismo, c. xv : Sed de isto plenius jam nobis in Graeco digestum est.

(2) Voir les passages cités plus haut de YEpUre à Scapula. M., De pallio, c. Ii : Ne Pœnicum inler Romanos aut erubescat, aut doleat. cf. Spaut., lit. Ser., c. i : " Quum rogatus ad cœnam imperatoriam pallialus venisset, qui togalus venire de- buerat... L'écrit, cité plus haut, plein d'une verve exubérante, parait bien être de la première jeunesse de Tertullien aussitôt après sa conversion.

(3) La Persécution des Kfflises d'A/iique. article de la Berue historique, nov. -déc. 1879, qui forme le cbap. IV du volume intitulé .les Chrétiens dans l'empire romain, de la fin des Antonins aumilieu du troisième siècle (Paris, 1881).

(4j De Cor., c. i : Proxime factum est. Liberalitas prai'stantissimorum imperato- rum expungebatur in casiris, milites laureati adibant. etc.. Mussitant dcnique tam bonam et longam pacem periclitari.

145

lien, qui prend son parti, le blâmaient de compromettre une bonne et longfue paix. En effet, depuis le proconsulat de Vigellius Saturninus en 180, rÉg'lise d'Afrique ne paraît pas avoir eu de martyrs. Mais dès 190- 192, les chre'tiens de'nonce's n'e'chappaientquegrâceà la bienveillance desjuges (1 ) . A Cartilage comme à Rome, les passions s'e'taient re'veille'es chez le vulgaire, l'opinion était excite'e, des caricatures circulaient, la persécution allait redevenir à l'ordre du joui- (2). Tertullien rédige alors ses deux livres Adnationes, et pour l'autorité officielle, %on Apo- logétique (199-200) . Ces protestations si vives sont datées, car elles con- tiennent des allusions très-précises à la défaite des prétendants Niger et Albinus et à la répression sanglante qui suivit (3). Elles n'arrêtè- rent rien, ainsi que de coutume, et peu après, dans son exhortation aux henedicti martyres designati, l'infatigable écrivain se contente d'opposer le sort des gens qui ont péri pour une cause humaine à l'honneur de ceux qui servent de témoins à Dieu (4). Ces martyrs désignés, qui étaient-ils? On ne prononce pas leurs noms; il est marqué seulement qu'il y avait parmi eux des hommes et des femmes, qu'ils attendaient dans la prison leur jugement, et que cette prison se trouvait à Carthage, puisque le magistrat absent était le proconsul (5). D'ailleurs ils recevaient la visite du clergé de la ville, et l'exhortation leur fut remise, jointe à des aliments qu'on était autorisé à leur appor- ter. Nous connaissons plusieurs personnages qui souffrirent vers cette époque et auxquels toutes ces conditions conviennent : les célèbres

(1) Ad.Scap., c. IV : Cincius Severus qui Thysdri ipse dédit remediuni quomodo responderent Christian! ut dimitti possent. Vespronius Candidus qui christianum, quasi tumultuosum civibus suis satisfacere, dimisit.

(2) Ad. nat., 1. I, c. IX : Unus atque alius vanissimus ait, idcirco vobis irascuntur (dii), quoniani de noslra eradicatione negligitis.

(3) Ibid., c. XVII : Adhuc Syriae cadaveruni odoribus spirant; adhue Gallia? Rho- dano suo non lavant. Apologct., c.xxxv : Sedetqui nunc scelestarum parliuin socii aut plausores quotidie revelantur, post vindeuiiam parricidarum racematio su- perstes.

(4) Admart., c. v : Ad boc quidem vel praesentia nobis tempora documenta sunt quantae qualesque personae inopinatos natalibus et dignitatibus et corporibus et aetatibus suis exilus referunt, honiinis causa : aut ab ipso, si contra eum fecerint, aut ab adversariis ejus si pro eo steterint.

(5) Ibid.. c. IV : Ut vos quoque, benedictae, sexui vestro respondeatis. €. ii : (Mundus) judicia denique non proconsulis, sed Dei sustinet : quo vos, ))enedicti, de carcere in custodiarium si forte translatos existimetis.

10

146

saintes originaires de Tuburbiiim (aujourd'hui Tëbourba, à peu de dis- tance de Carthage) et leurs compagnons, dont nous possédons des actes authentiques, recueillis par un contemporain. La partie les confesseurs de la foi racontent leurs visions n'était pas seulement connue de saint Augustin, mais elle se trouve citée par Tertullien lui-même (1). Nous allons donc brièvement analyser ce récit.

Déjà Jociindus, Satiirninus et Artaxius avaient été brûlés vifs, Quintiis avait succombé en prison, sans compter un certain nombre d'autres martyrs. Un nouveau groupe de cinq fut arrêté, tous fort jeunes et simples catéchumènes : c'étaient Revocatus et Félicité, esclaves, Saturninus, Secundulus, puis une femme de vingt-deux ans, Vivia Perpétua, spécialement désignée comme de noble naissance. Un sixième, non présent lors de l'arrestation, se livra exprès pour les rejoindre (2). Si nous ne nous trompons, ce Saturus est le mari de Perpétue, dont on cherche eu vain la mention dans les actes, tandis que tous les autres membres de sa famille y sont énumérés, à savoir : le père, qui seul était païen (3) ; la mère, qui gardait le petit enfant encore à la mamelle, puis le second des frères, lui aussi catéchumène; l'autre, nommé Dinocrate, était mort à l'âge de sept ans d'un cancer à la ligure. Sur le point d'être détenue, Perpétue eut à subir un pre- mier assaut de son père qui repartit chez lui sans succès; mais il s'écoula plusieurs jours avant que les martyrs fussent enfermés dans la prison proprement dite, et c'est pendant cet intervalle qu'ils reçurent le baptême. Les diacres Tertius et Pomponius, chargés de les visiter au cachot, obtinrent pour eux à prix d'argent un séjour quoti- dien de quelques heures dans un local attenant : Perpétue allaitait

(1) De anima, c. Lv . Perpétua fortissima martyr, sub die passionis in revelatione paradisi, solos illic cominarlyrcs vidit.

(2j RuiwfvT, Acia mariyrum (éd. de Uatisbonnet, p. 138 : Inter quos et Vivia Per- pétua, lionesle nata, liberaliter institula, matronalilcr nupta. P. 139 : Ascen- dit aulcm Saturus prior, qui postea se propter nos ullro tradiderat, cl (une quum apprehcnsi suinus pra-sens non fiierat; el pervenit in caput srabT, et convertit se ad me, et dixit mihi : Perpétua, sustinco te. ~ M. Ad. m-. (;i:i;Li;Nni;R, Essai sur la vie et le r'eijiic de Sepiimr Sérèie (lîrnxcilcs, 1880), p. 230, ne dit pas pour quelle raison il fait de Saturus le frère de rerpctue.

(3) Ibid. : Et ejjo dolebam canos patris mei, quod solus de passione niea yavisu- rus non essel de toto génère mec.

- 147

son fils, elle finit même par le prendre avec elle. Au bout de quelque temps, le bruit s'e'tant re'pandu de l'approche du ju(jement, sou père accourut du pays une seconde fois, et renouvela par des supplications inutiles ses angoisses filiales. Enfin le jour solennel, qui s'e'tait fait attendre, arriva.

Les prisonniers e'taient à leur repas, quand on les emmena pour comparaître, non pas devant le proconsul Minucius Timianus, qui venait de mourir, mais devant son remplaçant extraordinaire, le pro- curateur Hilarianus (1). Celui-ci nroce'da à l'interrogatoire, et lorsque ce fut le tour de Perpe'tue, son père alla droit à elle avec son enfant dans les bras et tenta nn nouvel effort pour l'ébranler. Le procurateur joignit d'abord ses instances, puis il fit repousser le père parmi les assistants, et un licteur frappa ce vieillard aux cheveux blancs d'un coup de baguette qui retentit douloureusement au cœur de la jeune femme. Depuis ce moment son enfant ne lui fut pas rendu : « Heu- reusement, ajoute-t-elle, il ne demanda plus le sein, et je n'eus point de fièvre de lait. » La sentence condamnait les chre'tiens à figurer dans l'arène au jour anniversaire de la proclamation de Geta, le plus jeune fils de l'empereur, comme Ce'sar (2). En attendant ce jour, ils furent traités avec humanité parle gardien Pudens. Perpétue revit une dernière fois son père désespéré. Quant à l'esclave Félicité, en- ceinte du huitième mois, elle accoucha dans la prison d'une fille, qu'une chrétienne adopta. Secundulus mourut avant le combat, mais ayant mérité les honneurs du martyre. La scène de l'amphithéâtre est décrite par les actes dans le plus grand détail. Les hommes furent mis aux prises avec un ours et un léopard; aux femmes on avait réservé une vache sauvage. Nul ne périt sur-le-champ. La foule exigea qu'on achevât les martyrs devant elle, tenant, suivant l'énergique expres- sion d'un témoin (3), à rendre ses regards complices du fer homicide.

(1) RuiNART, p. 140 : Et Hilarianus procurator, qui tune loco proconsulis Minuci Timiani defuncii jus gladii acceperat.

(2) Ibid. : Munere enim castrensi eramus pugnaturi : natale tune Geta? Cœsaris. Son anniversaire de uaissanee était le 27 mai. Cf. Spaut., l'ii. Gct., c. ni.

(3) Ibid., p. 145 : Et quuni populus illos in médium postularet, ut gladio péné- trante in eorum corpore oculos suos comités homicidii adjungeret.

10.

148

Saturus en cet instant suprême demanda au soldat Pudens l'anneau qu'il avait au doigt, et le lui rendit trempé de son sang. Il expii-a le premier sous le coup de grâce, car c'était à lui de frayer la route à Perpe'tue (1). Cette dernière laissa échapper un cri perçant quand elle sentit la pointe de l'épe'e pe'ne'trer entre ses côtes, et elle dirigea elle- même la main peu assure'e du gladiateur novice sur sa gorge. Ceci se passait à Carthage le 7 mars 202 (2) .

Était-ce en vertu du rescrit de Trajan ou de l'e'dit de Septime Se'vère? Incontestablement du premier. Nous avons déjà noté que le second était spécial à la Palestine et à l'Egypte, et nous n'en trouvons pas trace dans les provinces africaines; Tertullien même n'y fait jamais allusion dans ses écrits. Si pour nos martyrs la qualité de catéchu- mènes a été mentionnée, ce n'est pas en elle que réside le principal éclat de leur confession. Ainsi l'entendait l'auteur de la biographie de saint Cyprien, le diacre Pontius, qui, une cinquantaine d'années plus tard, parle de leurs actes en ces termes : Quum majores nostri pleheî et catechiimenis martijrium consecutis tantum honoris pro martyrii ipsius veneratione dederint, ut de possioîiibus eoruni multa, aut prope dixerim, pêne cuncta conscri'pserint , ut ad nostram quoque notïtiam qui nondum nati fuimus pervenirent . Les mots dont il se sert, prope dixerimpene cuncta, ont un titre spécial à notre attention ; ils indiquent clairement que de son temps il manquait quelque chose au récit pour être complet. En effet, alors comme à présent, l'interrogatoire, cette partie si importante aux yeux des chrétiens, était omis. Interrogati ceteri, dit Pei'pétue, confessi sunt : ventum est et ad me. Or il est remarquable que M. Aube a rencontré à la Ribliothèque nationale un texte différent, qui précisément le contient; cette rédaction est, du reste, postérieure à saint Cyprien, puisqu'elle introduit maladroitement les noms des empereurs Valérien et Gallienus. Pour tous les détails de la

(1) Rdinart, p. 146 : Prior reddidit spiriium, nam et Perpetuam sustinebat.

(2) Les PP. de Saiiit-F.ouis espèrent avoir retrouvé l'emplacement de la liasilique qui fut élevée sur le tombeau des saintes Perpétue et Félicité, et dont parle Vicroii DK ViTi: au liv. I de son Histoire de la persécution vnndalr. Lettre de Mjjr Lavigerie à l'Acad. des inscr., sur l'uliUlé d'une jiiission arclièologiquc pcrmaiiciilc à Carthage (Alger, 1881), p. 51 et S.

149

captivité et de Texe'cution, elle ne fait que re'sumer les actes antérieurs eu les altérant souvent, et n a par suite aucune autorité propre. On n'en saurait penser autant du document encadré au milieu, c'est-à-dire des questions et des réponses échangées entre le magistrat et les pré- venus de christianisme. Répétons après M. Aube : « Si l'on pouvait parler de notes prises à l'audience ou de pièces de greffe, ce serait le cas (1). " Nous inclinerions plutôt vers la seconde hypothèse, parce qu'elle explique comment le nom du proconsul défunt Minucius, attaché au dossier de son année de gouvernement, a été ultérieurement transcrit sans qu'on prît garde qu'il avait fallu le remplacer avant l'expiration de cette année. Il serait également loisible d'admettre qu'il présida effectivement la comparution préliminaire. Minucius proconsul dixit ad eos : Invictissimi principes... jusserunt ut sacrijicetis. Satijrus respondit : Hoc non sumusfacturi, christiani enimsumus. Proconsul jussit eos recludi in carcerem; siquidem hora erat prope ter lia. Et après le long délai dont les deux rédactions font foi, le procurateur Hilarianus, faisant fonction de proconsul par intérim, aurait dirigé l'interrogatoire définitif. Post hœc vero procedens... proconsul et sedens pro tribunali eos exhiberi j^rœcepit dixitque ad eos : Sacri- jicate diis, sic enim jusserunt perpetui principes, jusqu'à Proconsul ad Perpetuani dixit : Quid dicis. Perpétua, sacrijicas? Perpétua : Christiana, inquit, sum, et nominis mei sequor auctoritatem ut sim perpétua. Proconsul dixit : Parentes hahes? Perpétua respondit : Haheo. Ce passage se relie directement à celui de l'autre texte : et apparuit pater illico cum filio nieo, etc. Dans ces limites, les actes primitifs sont redevables à la découverte de M. Aube d'un précieux complément.

Le successeur régulier de Minucius fut Apuleius Rufinus. Le mar-

(1) Les Chrétiens dans V empire rojnam (Paris, 1881), p. 224 en note.— Le nouveau texte latin, publié dans \es Comptes rendusde l'Acad.des insc, 1880, p. 321, a été reproduit couiine appendice au volume cité. Aux sept manuscrits de M. Aul)é, nous pouvons en ajouter un plus ancien. Ce sont 28 pap^es du onzième siècle, contenues dans le 13,090 (résidu du fonds saint Germain). Le texte est semblable, il contient la phrase dexira vero lœvaque, mais il S'arrête au milieu de l'interrogatoire de sainte Vtr- 'çélMQ, audiente (sic) vero parentes ejus cum esscnl de nobili. Le feuillet suivant manque.

150

tyrologe d'Adon au 18 juillet |)lare le martyre de sainte Guddene à Cartilage sous son administration (1). On ignore le nom des autres victimes. Ce qu'on sait, c'est que la teiieur était grande et que beau- coup de chre'tiens prenaient la fuite. Deux ouvrages contemporains l'attestent, \e Scorpiace et le Defiiga inpersecutione. Dans ce pamphlet, Tertullien cite un Rutilius, « sanctissimus martyr «, qui, après s'être esquivé plusieurs fois, subit courageusement la peine du feu (2). Lu si cruel supplice était ajjpliqué lors de la mort de Septime-Sevère, 4 février 21 1 , avec une recrudescence de fureur dans la province pro- consulaiie que gouvernait Scapula; car les exécutions s'étaient ralenties sous Caius Julius As})er (205-20C), et l'apologiste toujouis sur la brèche, dans son éloquente épître au gouverneur, lui (tppose l'exemple de son devancier (3). La persécution, également rallumée dans les provinces voisines de JNumidie et de Mauritanie (4), s'éteignit enfin sous Cara- calla.

Un trait particulier de cette persécution nous a été conservé par Tertullien (5j, et nous amène à considérer l'état de la question funéraire à la fin du deuxième siècle. La foule païenne de Carthage , parmi les menaces qu'elle proférait, poussait ce cri : Plus de cimetières pour les chrétiens, Areœ non sint. Il est curieux de rapprocher de ce mot une inscription découverte à Cherchell en Algérie [Cœsarea Maurita- niœ) (6) :

(1) Adonis martyrologium (éd. Giorgi), au 18 juillet, p. 340; cf. Ruinaut, p. 246.

(2) De fuga, c. V. Saint Cyprien, De lapsis. c. ii, rappelle un fait correspond.int de la même époque : Sic hic Casto et jïmilio aliquaiido ignovit : sic in prima con- fjressione deviclos viclores in secundo praMio reddidit, ut forliores igniljus fièrent qui ignibus ante cessisscnt.

(3) Ad Scap., c. IV : Ut Asper qui iiiodice vexalum lioniinem et slalim dejeciuin nec sacrificium compulit facere, ante professus iiiler advocatos et adsessorcs dolere se incidisse in hanc causam.

(4) Ibid. : Pro Deo vivo creainur. (Scapula avait aussi condamné aux bétes Mavilus d'Adrumèle. )..... Et nunc a pra-side legionis et a préside Mauritaniae vexalur hoc nomen, sed gladio tenus, sicut et a primordio mandatum est. Le prœ/ccius de la legio Ilh Augusta était gouverneur de Numidie. Cf. Marquaudt , Sitiatmcrwaliung , p. 309.

(5) Ad Scap., c m : Sicut et sub Uiiariano praeside, quum de areis sepulturarura nostrarum acrlamassent : aiea' non sint. V. pour la fin du premier siècle notre deuxième partie, p. 4 4 et suiv.

(G) M. Léon Renier, lusc. d'.Ugérie, 4025; cf. n" 402G.

151

AREAM AT (ad) SEPVLCRA CVLTOR VERBI CONTVLIT

ET CELLAM STRVXIT SVIS CVNCTIS SVMPTIBVS

ECLESIAE SANCTAE HANC RELIQVIT MEMORIAM

SALVETE FRATRES PVRO CORDE ET SIMPLICI

EVELPIUS VOS SATOS SANCTO SPIRITV

ECLESIA FRATRVVM HVNC RESTITVIT TITVLVM

Un fidèle nommé Evelpius, prenant le titre de ciiltor Verhi, avait affecte' un terrain à des sépultures et construit à ses frais un e'difice de re'union , le'g'uant le tout à Tassemble'e des frères : celle-ci faisait réta- blir le marbre raffectation avait été inscrite et qui avait i)éri, sans doute dans une persécution. En consacrant une partie te sa fortune à des fondations funéraires, Evelpius n'agissait pas autrement que la plu- part des Romains, chez qui elles étaient l'objet d'une très-grande préoccupation, soit pour eux-mêmes et les leurs, soit pour eux seuls. Veut-on un exemple de dispositions personnelles : on les trouvera tout au long dans le testament de ce citoyen de Langres, dont le texte a été conservé dans un manuscrit de la bibliothèque de Bâle (1) ; il s'y réserve un vaste terrain s'élevait une cella memoriœ (édifice avec son mobilier destiné à des réunions anniversaires) à laquelle on pou- vait accéder en voiture, et qu'entourait un verger (pomaria). Les termes techniques par lesquels on désignait ces différents emplace- ments sont fixés d'après les inscriptions, entre autres, d'après le plan détaillé et fort curieux d'une sépulture païenne de la voie Lavicane (2), qui se composait, ov\ive\e monumentum, d'une area mo?iumenti com- prenant plusieurs bâtinir'nts, exedrœ, custodia, et enfin ^areœ adjectœ quœ cedunt monumentOj toutes ces dépendances étant mesurées géo- métriquement le long des routes publiques. Mais le plus souvent les sépultures étaient communes à un grand nombre de personnes : les défunts invitaient leurs proches, leurs affraucliis, leurs amis à reposer

(1) Ce texte a été reproduit par 1\I. de Rossi, Bull., 1863, p. 95.

(2) Fabretti, Inscr. domest., p. 223. Le plan est conservé au Musée d'Urbino. Cf. dans les Studi e Documeuti di Storia e Dirillo (Rome, 1880), p. 26, un article de M. de Rossi qui attribue la sépulture à Turia, femme de Q. Lucretius Vespilius, consul en 19 avant Jésus-Christ.

152

auprès d'eux; pour assurer Texe^ution de leur dernière volonté sur ce point, ils l'imposaient aux he'iitiers, ou ils leur soustrayaient cette portion de l'héritage.

Un autre moyen, que re'vèlent encore les inscriptions, était la for- mation d'associations privées sous une appellation commune, qui per- mettait de s'étendre au delà de Idi familia ordinaire. M. de Rossi a réuni les exemples connus, qui se multiplient tous les jours (1). L'inscription la plus topique est celle Aurelius Vitalion restreint à lui, aux siens et à ceux auxquels il a donné des concessions de son vi\ant, la propriété Syncratioru?)}^ ajoutant : Et hoc peto eco {ego) Syncratius a bobis (vobis) universis sodalis [es) lit sine bile refrige- retis. L'inscription Pelagiorum, malgré l'apparence, ne dit pas autre chose par ses restrictions : Ne qids a nomine nostro alienare aii-

deat ciiicumque ex familia nostra / seulement l'association

avait pris pour appellation patronymique le nom de son fondateur, ainsi que le prouve la comparaison d'une autre inscription trouvée au cinquième mille de la voie Latine :

D M

SEPVLCRVM CVM SOLO

ET OLLARIIS AKNII PHYLLE

TIS ET COLLEGII PHYLLETI

ANORVM IN FRONTE, etc.

Certaines familles chrétiennes formaient de pareilles associations; le musée de Floi'ence possède une lampe provenant du mont Cœlius à Rome et portant cette légende : Dominus Icgem dat Valerio Sevcro Eulropi vivas, alors qu'on a deux pierres sépulcrales de Valerii chrétiens avec la mention Eutropiorum (2). Mais il était naturel que la charité insjiiiée par la religion nouvelle, dont les membres compo-

(1) Dans une dissertation faite à Toccasion du soixantième anniversaire des débuts scientifiques de M. Moninisen : I collajH funcialicii fumitjliaii r. privati c le loto denomi- naziuni (Konie, 1877).

(2) Dans le t. MI de la lioma soie , p. 38, M. de Kossi a nu ciiapilre relatif ù l'inscrip- tion Eutycliiorum.

153

saient notoirement une seule famille, groupât les fidèles dans des sépultures communes. Psous connaissons déjà à Rome des cimetières fondés à cet effet. La chronique de l'Église de Milan rapporte que le cimetière primitif de cette Église était la fondation d'un converti nommé Philippe. Sur Xhortus Philijjjn légué par lui, ses deux en- fants construisirent deux orationis œdes qui conservaient encore le nom de basiliques de Porcins et de Fausta du temps de saint Ambroise. Lorsque l'empereur Valentinien voulut s'en emparer pour les livrer aux Ariens, l'illustre évêque défendit énergiquement l'hé- ritage qui lui venait de ses plus anciens prédécesseurs : Ahsit ut tradam hœreditatem latrum, hoc est... omnium rétro fidelium epi- scoporum. C'est qu'il découvrit, en 386, les restes des célèbres mar- tyrs saint Gervais et saint Protais, dont on ne sait pas exactement l'époque (1); leur inscription, que quelques vieillards se souvenaient d'avoir vue nunc senes repetunt se aliquando horuni martyrum nomina audisse, titulumque legisse, avait été brisée comme celle d'Evelpius, dans la persécution de Dioclétien.

Il y a lieu de chercher à s'expliquer la nature de cette propriété des évêques, laquelle remonte bien avant dans le temps des persécu- tions. On peut en juger d'abord par les édits qui ont mis fin à ces dernières, et qui , en somme, ne font que rétablir des droits préexis- tants. Les textes sont formels. Qu'on prenne l'édit publié fort à contre- cœur par Maximin Daïa après sa défaite par Licinius en 313; que dit-il (2)? « Si quelques bâtiments ou terrains se trouvant faire partie autrefois de la propriété des chrétiens sont tombés par ordre de nos ancêtres (Dioclétien et Maximien) dans le domaine du fisc, ou ont été pris par quelque ville, ou bien aliénés à titre onéreux ou gratuit, nous ordonnons qu'ils fassent tous retour à l'ancienne propriété. »

(1) Saint Ambroise les transféra dans la basilique qui porte son nom, et ils ont été remis au jour. Cf. Bull., 1864, p. 25 et suiv., pour tout ce qui précède.

(2) Hist. eccles., 1. IX, C. X, 11 : Ei' xtvs; o'ixtxt xa\ "/wpîa a toO oixatou twv ■/i^ç,i(j-:t.(X^G)'^ itpb TO'jxou erjy/avïv ovxa, ex tri; y.s.lfjae.tùz twv yovéwv tùv Tjixexlptov el; xo oïxatov [iSTiTTîffS ToO 9i<7xo'j, T, ÛTtô Ttvo; xaTEV/içOr, Trô),£a)ç, eîVî oiaTipactç xo-jx-tov Ysyévrjxxt, etxî eî; yâçnaiLoi. ôeooxat xivt, xaOxa Ttâvxa elç xo àpx'^'O'' oixatov xùv x?^'^'^^'^'^^"* àvax/r,OTivat

£X£),EÛ(Ta[J.£V.

154

L'édit promulgué au commencement de la même année à Milan (1) par Constantin et Licinius n'est pas plus clair, pour être un peu plus explicite : tous les immeubles sont rendus au corps des chrétiens, même ceux qui ne servaient pas de lieux de réunion; une juridic- tion est indiquée à laquelle doivent s'adresser les détenteurs des biens pour obtenir quelque indemnité. Mais il y a mieux; dès 259, ces biens avaient déjà été l'objet d'une restitution de la part du gouvernement; n'était-ce pas la preuve qu'auparavant ils étaient possédés par les chrétiens? C'est le fils de Valérien qui, arrêtant la persécution édictée par son père, écrit au pa|)e saint Denys (2), successeur de saint Sixte II, martyr dans le cimetière de Prétextât, afin de l'avertir qu'il a donné l'ordre dans tout l'empire que l'on évacuât les lieux du culte qui avaient été occupés, « et vous pouvez vous servir, ajoute-t-il, de cet exem- plaire de mon rescrit pour empêcher que qui que ce soit ne vous apporte du trouble «. Un second rescrit adressé à d'autres évêques permet- tait de reprendre les emplacements dits « des cimetières » , -rwv xaXou-

On ne peut nier que les empereurs ne fussent bien au courant de l'administration de l'Ég-lise; aussi ne faut-il pas s'étonnei- de voir, lors de la guerre contre Zéuobie en Orient (272-73), Aurélien, appelé à intervenir dans l'affaire de Paul de Samosate, qu'un concile venait de déposer de son siège à Antioche, et qui refusait de quitter la de- meure épiscopale (3), s'en référer à la communion des évêques occi-

(1) Comme Elsèbe, Hist. ceci., 1. x, c. v, Lactance reproduit cet édit tel qu'il a élé affiché le 13 juin à Nicoinédie, mais il donne le texie latin, De morie perscc,

C.'XLVIII.

(2) Hisl. ccclcs., 1. VII, C. XIII : AÙTOxpâxoip Kaîaoïp IIojtiXio? Atxtvvto; ra/.Atrjvfji;, eù- ffcryriç, eurj-/r|?, (TcêaTxoç Atovjc-to) xa\ Iltvva xa'i Ar^ii/^xpio) xat toîç aoitioÎ; ETtiaxôitot; TV £'jEpy£<T(av Tr,ç èjAr,; oojpsâ; otà Tiavrâ; toO xÔ(T|XOU ÈxSiSaaOrjvat TipocrÉxala, OTtw; oltzo TOTtwv Ttbv Opr,TX£'jat|xwv àTio/wp/iCTtodc xai oià. toOto xat ■jjj.eÎ; ir^z àvTiypotçr,; -cr,; È[t.riç TO) vjTzio 7pr,(jOat oûva-JÔc, wtte (jL/iolva -jjxiv Iw/j.zVi. Le Liber pantificalis dit précisément que le Pape, à la date du 28 juillet 259, parochias conslituit.

(3) Hisl. cccles., 1. VII, c xxx, 19 : 'AV/.à yàp iJ.r,oaiJ.w; èxirtrivat toO IlajXoy toO ttji; £xxAr,iTtaç cic'xou Ôé/ovxoç paaiXEuç £VT£y/0£tç AOpr,).iavf); atçrttÔTOiTa ii£p\ xoO TtpaxTÉou oi£cAr,ç£, To-jTOiç v£'.ij.at TrpoTTâtTwv Tov oïxov ol; 5v o'i xatà i\-t 'IxaXîav xx\ Tr,v 'Pwiiatwv noAtv ETtiTxoTToi ToO 5ôy(j.o(To? £Ttt<TT£t),ai£v. \.c Papc dut donc écrire; nous n'avons plus sa lettre qu'on lut à une séance du concile d'Ephèse, le 21 juin 331. Concil. Labb., t. III, p. 511 : <l>r,"Aixo; toO âyiwTotTou £7ti<jxôiioy 'l'a)|j.r)!; xai ttâprjpo; £x xr,; upô; Mci$i|xov xôv

155

dentaux et de celui de la ville de Rome (alors saint Félix l") à l'effet de réintégrer l'Eglise dans la propriété. Ce même Aurélien citait les assemblées des chrétiens en plein Sénat (1), et avant lui, Alexandre Sévère proposait, comme modèle de nomination des fonctionnaires, les ordinations ecclésiastiques précédées des publications de bans, usage qui jusqu'à ce jour n'a pas cessé d'être observé par les catho- liques (2).

11 ne faut pas s'étonner non plus que l'Église romaine, par exem- ple, quand elle se vit à la tête de biens importants, commençât à rechercher des administrateurs habiles. C'est ce qui fait que, malgré les insinuations de l'auteur des Philosophumena, nous devons voir dans Calliste un banquier plutôt malheureux que maladroit ou mal- honnête; car, lorsque celui-ci revint de Sardaigne, le pape Victor l'envoya provisoirement à Antiuni gérer quelque intérêt, moyennant quoi il lui servait une pension mensuelle, et dès 198, le successeur de Victor, Zéphyrin, le rappela à Rome pour en faire son archidiacre, fonction qu'il conserva pendant dix-neuf ans, et dont il s'acquitta si bien qu'en 217 il fut élu pape lui-même. Or son administration va précisément nous mettre sur la voie de ce que nous cherchons, c'est-à- dire de l'origine de la propriété collective de l'Eglise. Son biographe et son contemporain se sert à son égard d'une expression particulière; il rapporte qu'en sa qualité de coadjuteur de Zéphyrin, il fut <■'• pré- posé au cimetière (3) « . Pourquoi le cimetière, et non pas un cime- tière quelconque? 11 s'agit évidemment de celui dit de Calliste. Mais

ÈTiîaxoTiov xa\ tov xXripov 'AXe^avôpeîaç ETttffiroXïiç. A ce Maxime, et au prédécesseur de saint Félix, saint Denys, avait été adressée la décision du concile d'Antioche.

(1) Vopisc. lit. Aur , c. XX : Miror vos, patres sancti, tanidiu de aperiendis Sibyllinis dubitasse libris, proinde quasi in christianorum ecclesia, non in templo deorum omnium tractaretis. Quant aux oracles sibyllins, saint Justin dit que leur lecture était interdite sous peine de mort, ce qui n'empêchait pas les chrétiens de les lire. / .^pol., c. xliv, p. 126 de l'éd. Otto : 'Açô,';^; ^.\^i yàp oO [j.civqv èvTjy/avofxîv a-jTaîç, à"A>.à y.a\ 'j\>X'i. w; cip-âTE, eîç Ima-Avln'i qiépojjiEv. Apparemment, la sibylle offi- cielle du Capitole était jalouse de la sibylle d'Alexandrie.

(2) LvMPR. lit. Alex. Sev., c. XLV : .Dicebatqiie grave esse quum id christiani et Juda?i facerent in praedicandis sacerdotibus qui ordinandi suiit, non fieri in pro- vinciarum rectoribus quibus et fortunse hominum committerentur et capita.

(3) Philos., 1. IX, C. II : ZtyjpXvoz T-jvapâjxsvov aOtôv Gyor/ upoç tTiV xa-râTTaTiv xoO x)-r,po-j... si; To xot(irjvripiov xaTéaroTEv. Éd. Cruice, p. 441. Cf. Bull., 1866, p. 10 et s.

156

tandis que les autres cimetières existant à cette e'poque s'appelaient du nom de leurs fondateurs, comme ceuxdePriscille.de iMaxime, au nord de Rome; de Domilille, de Prétextât, au sud, quel titre avait Calliste pour attacher son nom à l'immense nécropole de la voie Âppienne qu'il n'avait pas fonde'e, et il n'eut pas son tombeau? D'un autre côte', c'est là, chose importante, que depuis Zëphyrin jusqu'à la paix de Constantin, les papes, à fort peu d'exceptions pi-ès et toutes motivées, furent enterrés, ayant transporté à cet endroit leur lieu de sépulture, qui se trouvait auparavant dans les cryptes du Vatican. Quelle raison donc avaient-ils eu pour abandonner ainsi le tombeau de saint Pierre?

A ces différentes questions une seule réponse convient. Le cimetière était enterrée sainte Cécile devint le premier domaine possédé en titre par le corps des chrétiens, et cette propriété ostensible, c'est Calliste qui l'organisa, en même temps qu'il dut en être le représen- tant officiel. En un mot, l'Égalise, pendant deux siècles proscrite et cachée, dès le commencement du troisième, tenta de se présenter aux yeux du gouvernement sous la forme d'une société funéraire. Comme telle, l'Etat ne pouvait se refuser à lui reconnaître certains droits, alors même qu'il contestait individuellement le droit d'exister à chacun de ses membres. On sait ce qu'étaient ces sociétés, sortes d'associations de secours mutuels pour les pauvres gens. Elles avaient le privilège de n'être pas tenues pour des collèges illicites (1). Leur idée primitive avait été réalisée par les co/mw6«/7'« des esclaves (2) : on n'a retrouvé ceux-ci jusqu'à présent qu'à Rome; tous ceux que l'on connaît ont été construits sous les premiers Césars et ont cessé d'être en usage sous les Antonins. Ce qui distingue les groupes de ce genre, c'est qu'ils ne s'ajtpellaient pas encore des collèges, et que ceux qui les composaient se contentaient de prendre le nom de socii sans y rien

(1) D. liv. XLVn, lit. XXII, fr. 1 : Sed permit ti tu r tenuioril)US stipem menstruam

conferre, dura tamen semel in niense coeaul sed religionis causa coire non

prohibentur. Fr. 3 : Serves quoque licet in collegium tenuiorum recipi volen- tibus doininis.

(2) On peut voir le mémoire de IIenzen sur ce sujet, dans les Annales de l'Institut archéologique de Rome, 1856.

157

ajouter. Par contre, les colle'ges funéraires proprement dits paraissent plus re'cents; on n'en trouve pas de traces certaines dans les inscrip- tions avant IServa; leurs membres prennent le nom d'un dieu dont ils se disent les adorateurs. 11 s'ope'ra donc vers la fin du premier siècle un changement dans l'organisation des socie'te's en question; '^ mais, re- marque M. Boissier, qui a traite' en de'tail de ces matières (1), il n'est pas aisé de dire quelle en était la nature et l'étendue ii . Henzen, à l'occasion de la dernière inscription de collège funéraire décou- verte (2) , a exprimé l'opinion qu'un sénatus-consulte antérieur à Ha- drien avait autoriser ces associations d'une manière générale pour la ville de Rome. Ce fut Septime-Sévère qui étendit la mesure à l'Italie et aux provinces (3), et elles prirent à partir de la fin du deuxième siècle le plus grand développement dans tout l'empire. Voilà bien le moment Calliste était préposé au cimetière, et les païens d'Afrique s'éciiaient : Plus de cimetière pour les chrétiens !

Le règlement des collèges funéraires est donné in extenso par une inscription trouvée à Lanuviumen 1816. Les associés s'intitulent cm^ tores Dianœ et Antinoi. On lit dans le kcqnit ex senatus consuUo po- puli Romani qui autorisait leurs réunions, les mots suivants (4) : Qui stijjem menstruam conferre volent in funera, in it {ici) collegiiun cocant. . . semel in mense coeant conferendi causa unde defuncti sepe- liantur. Ces contributions étaient aussi destinées à subvenir aux frais des festins et des saciifices qui avaient lieu à certains anniversaires, natalitia. Or voici comment Tertullien décrit les assemblées chrétiennes en 199 (5) : Modicam unusquisque stlpem menstrua die, vel quum velit, et si modo velit, et si modo possit, apponit. Nam nemo corn-

(1) La Religion romaine cC Auguste aux Antonins, t. II, p. 307 et Suiv.

(2) Bulletin de l'Institut archéologique de Borne, 1879, p. 70 : Inscription retirée de Tibre: ^ CoHegium negotianlium cellariim vinariarum ", sous la protection: " Liberi patris et Merciiri », avec la date 102.

(3) D., loc. supr. cit. : Quod non tantum in Urhe, sed et in Italia, et in provin- ciis locum habere divus qnoque Severus rescripsit. M. de Hossi remarque que ce rescrit est antérieur à ra.-sociation de CaracaUa à rempire en 198.

(4) Inscr., Orelli-Henzrv, 6086. Cette inscription est de l'année 133. L'associa- tion, qui se conformait aux dispositions du sénatus-consulte, était autorisée ipsojare. V. iMomrasen, De collegiis, p. 80.

(5) Apologet., c. xxxix.

158

pelUtur, sed sjjonte confert. Hœc quasi deposita pîetatis sunt. Mani inde non ejndis, nec potaculis^ nec iugratiis voratrinis dispensniur, sed egenis alendis humandisque, etc. Nous pouvons ajouter à cela le rapprochement naturel de la de'uominalion chre'tienne, cidto)' Veibi, que nous avous rencontre'e (l)avec la dénomination païenne cite'e plus haut. Que l'on considère maintenant qu'au nombre des priviléfjes garantis étaient des biens communs, une caisse commune (2), la facilité de célelirer des cérémonies à certains jours, par suite de tenir des réunions religieuses, la reconnaissance d'un chef commun à titre d'administrateur, et l'on se demandera : De quoi donc se compose l'EgUse, sinon de tous ces éléments? Assurément, disait en 1843 Mommsen, frappé de cette ressemblance (3), c'est absolument le fonc- tionnement licite d'un collège funéraire-, comment ïertullien nel'a-t-il pas compris? Aujourd'hui que la lumière a été faite pai" les travaux de M. de Rossi, il faut dire : Comment n'a-t-on pas compris plus tôt Tertullien (4)?

Cet ensemble de considérations peut être fortifié par un nouvel argument. Parmi la collection de documents chronographiques qui porte le nom ^ Almanach Philocalien, outre la chronique de saint Hip- polyte reconnue par Mommsen dans le catalogue Libérien des papes (5), se trouve une autre liste des pontifes romains, intitulée Depositio episcoporum, qui s'étend de 254 à 354 et donne la date de leur mort. Or, à côté, on a une liste des préfets de Rome pendant la même

(1) Voir page 151.

(2) D'après Gaius, D., liv. III, tit. IV, frag. 1, § 1 : Quibus autem permissum est corpus liabere collegii, societalis, sive cujiisque alterius eorum nomiiie : proprium est ad cxeinplum reipul)Iica3 habere rcs communes, anam communem, et actorcui sive syiidicum per quem tanquam in republica, quod communiter agi fierique oporteat, agatur fiât.

(3) De collcgiis, p. 91 : « Non enim nego per se \iSiv omnia licile fieri potuisse et sa'pe facta a coliegiatis. Sed collegia his nominibus omnibus licite instilui ipse Tertullianus non sensit; recipi ejusraodi pias causas a collegio funeraticio, quam causain animadverlas aTertulliano pa'ne primo loco CoUocari, nuUa lex vetal)at.

(4) M. BoissiEK, Promenades archéologiques (Paris, 1880), p. 167, mettant en relief l'avantage qui résultait de cette assimilation pour les chrétiens, énonce ainsi son opinion : - La façon dont s'exprime Tertullien, les termes qu'il emploie quand il parle des ass(tciations chrétiennes, et plus encore la raison et le bon sens, nous engagent à croire qu ils ne s'en sont pas volontairement prives.

(1) L'ebcr den Chronographen vom Jahrc 3^i (Leipzig, 18ù0j.

159

période mentionnant exactement la date de leur entrée en charge. Tout trahit leur provenance commune, et voici comment M. de Rossi l'explique (1), 11 remarque que, pour be'néficier de la législation des collèges funéraires, l'Eglise avait remettre à la préfecture urbaine le nom d'un administrateur responsable; l'administrateur indiqué était l'évéque, et l'on renouvelait la déclaration à chaque décès. Pour constituer la liste, on n'eut qu'à rechercher dans les archives de la préfecture; seulement alors, ces archives n'existaient plus qu'à partir de l'année 254, comme on le voit pour la liste même des préfets. Bref, pour en revenir au point d'où nous étions partis, v. sans pou- voir déterminer avec une précision absolue la mesure dans laquelle Zéphyrin et en général les Eglises chrétiennes purent profiter du privilège confirmé et étendu par Septime Sévère, nous avons le droit de tenir pour assuré que l'on adopta alors ou que l'on tenta quelque démarche afin de se mettre d'accord, s'il était possible, avec la législa- tin précitée. Et c'est cette résolution qui fit attribuer un caractère solennel et officiel au cimetière de la voie Appieune (2). »

Calliste, archidiacre d'abord, puis pape (217-222), donna-t-il son nom à la préfecture de Rome en qualité cYactor ou syndicus du corps des chrétiens (3)? Pour nier qu'il l'ait fait,il faudrait admettre qu'il fut nominativement dispensé de remplir cette formalité. Car, à défaut de l'initiative que n'auraient songé à prendre ni l'empereur Caracalla, que nous savons plutôt favorable, et qui d'ailleurs préférait tourner sa

(1) lioma soit., t. II, p. VI-IX.

(2) Roma sou., t. II, p. 371.

(3) On pourrait aussi se demander si les chrétiens de Rome étaient regardés comme formant une seule ou plusieurs communautés. Schurer, Die Gcmeindever/as- sung dur Judeii in Rom, p. 15, a Considéré la question pour les Juifs, et a constaté d'après les inscriptions que leur situation dans la capitale de l'empire n'était pas la même qu'à Alexandrie, ils constituaient un groupe compact et autonome : « In Rom konnte niclit daran gedachtwerdeu dernach ïauseuden zselilendenJudenschafleine so straffe Organisation zu gestatten. Hier mussten sie sicli mit der bescheidener Stellung eiuzelner religiœser Genossenschaften {collegia) begniigen.» Le contraire est arrivé pour les clirétiens. C'est à Alexandrie qu'apparut la première division d'une église particulière en paroisses urbaine-, tandis qu'ù Rome l'unité administrative continua à prévaloir par la création de sept régions diaconales : les liiuli, ou lieux de culte, déjà au nombre de vingt-cinq avant la fin du troisième siècle, n'eurent que plus tard une existence indépendante.

IGO

cruauté contre son frère Geta, son préfet du prétoire Papinien, et le reste de son entourage; ni Macrin, dont le rèfjne si court, 8 avril 218-8 juin 219, se passa en grande partie en Orient; ni Hélioga- bale, lequel à la folie de la débauche joignait une espèce de folie religieuse et prétendait exercer le sacerdoce du culte chrétien aussi bien que celui de tous les autres (1), il y avait alors à Rome une pléiade des jurisconsultes les plus illustres, qui donnaient au droit de l'empire sa forme définitive, et qui, héritiers des vieux préjugés romains contre le christianisme, étaient tout disjiosés à immoler rÉglise à rÉtat. Ulpien, par exemple (2), rappelait que Septime Sévère avait dit de traduire précisément devant le préfet de la ville ceux que l'on soupçonnait de former un collège illicite. Marcien, de son côté, rédigeait cette formule à laquelle il était impossible d'échap- per, du moins en théorie (3) : « En somme, tout collège ou corps quelconque, qui se réunit sans l'autorisation du Sénat ou du prince, est contraire aux sénatus-consultes, rescrits et constitutions. « Et les chrétiens connaissaient ces textes. Tertullien, devenu chef de secte, les oppose ironiquement aux catholiques (4), laissant en même tempsen- trevoir(ce qu'à son point de vue exagéré et hérétique il se permet de trouver mauvais) que l'Église avait cherché à user des circonstances pour ne pas heurter de front la jurisprudence. Il voudrait insinuer que moyennant une redevance certains chrétiens étaient inscrits sur les registres de la police en fort peu honorable compagnie (5). Qu'importe,

(1) Lamp., l'ii. Heliog., c. m : Dicebat practerea JudcTorum et Samarifanorum relij;iones et chrislianam devotionem illuc transferendam, ut omnium culturarum secretum lleliogabali sacerdotium teneret.

(2) I)., liv. I, t. XII, fr. 1, § 14 : Divus Severus rescripsit eos etiam qui iUicitum collegium coisse dicuntur apud pracfectum Urbi arcusandos. Cf. idrm, D., liv. XLVIF, tit. XXII, fr. 2 : Quisquis illicituin colle{;ium usurpaverit ea pœna tenetur, qua teneiitur qui hominibus armatis loca publica vel tenipla occupasse judicali sunt.

(3) D., ibid., fr. 3 : In summa aulem, nisi ex senatusconsuiti aucloritate, vel Capsaris, collefïium vel quodcuniquc taie corpus coierit, contra senatusconsultum et mandata et constitntiones, coilcfïium ce!el)rat.

(4) /Idv. psych. sire de jejuii., c. xiii : Forte in senatusronsulla cl in principum man- data coilionibus opposita delinquiinus.

(5) De fng. m prrsrc, C. XIII : Nescio dolcndiim an erHl)csccndum sil, quuin in matricibus benefîciariorum et curiosorum iiilcr hibeniarios et Innios et fures bal- neorum et aleones et lenouei; christiaui quoque vecligaies conliiieiitur.

161

si cela devait les mettre en règle avec un pouvoir qui ne voulait pas les reconnaître : bien entendu, l'intégrité' de la foi e'tant sauvegarde'e ! On pouvait s'en rapporter sur ce point à l'Église, qui savait se pre'- server avec un soin jaloux de tout contact compromettant avec les païens. Jusque dans le langage, la différence e'tait maintenue; les chre'tiens ne disaient pas d'un lieu qu'il e'tait sacer ou religiosus, mais sanctus, et ils ne se servaient pas du mot profane collegium (1), qu'ils avaient remplace' par la belle de'nomination ecdesia fratruni (2). Peut-être même avons-nous la raison pour laquelle leur assimi- lation aux socie'tés fune'raires a échappe' à l'observation, tant que les monuments ne sont pas venus en témoigner expressément.

Nous avons vu quel avantage l'Église en retira pour ses biens, quand il s'agit de traverser les dernières persécutions, et qu'on voulut l'exclure du bénéfice attribué à tous par la léryislation. C'était beaucoup de participer comme association au droit commun. Il est vrai que ce n'était pas tout, et la paix accordée aux individus restait toujours précaire. Un auteur oriental anonyme, à propos de prophéties montanistes qui avaient prédit des catastrophes, et dont il veut démontrer l'imposture, s'exprime ainsi (3) : « Plus de treize ans se sont écoulés jusqu'à ce jour depuis la mort de iMaximilla, et il n'y a pas eu de guerre partielle, ni générale, dans l'empire, et les chrétiens spécialement ont joui d'une trêve prolongée par la miséricorde de Dieu. " Il écrivait évidemment sous Alexandre Sévère, 11 mars 222

(1) Nous en avons la preuve chez Commodiex, Instruct. adv. gent. deos, c. lxxiv : «Incusatus eris qui ol) ista coUegia qua>ris,sub Vejove cupis videre",et dans YEp.m de SAINT Cyprien, il parle du scandale donné par un chrétien d'Espagne qui avait fait à ses fils un enterrement païen in collegio. Voir par contraste Ann. delà propagation de la foi, n" de janv. 1882, p. 8 : « Au Japon, les conversions continuent, le gouvernement n'est pins hostile, parfois même il se montre favorable. Toutefois les lois contre le christianisme ne sont pas abolies, et un tribunal japonais vient, sur la dénonciation d'un bonze, d'en faire l'application à un père de fauiille qui n'avait pas voulu laisser ensevelir selon les rites bouddhistes sa fille morte chré- tienne. Le père a été puni de l'amende, le cadavre de la défunte a été déterré et porté à la pagode. -

(2) Cf. Saint Cyprien, Ep. 76 : Née quisquam conturbetur quod collectam f rater- nitatem non videat. ^

(3) Hist. eccles., 1. V, c. xvi, 19 : YHvm yàp yj Tp'.crxxtôsy.x ïvt\ zl- xx'jxr,-i Tr,v Tifilpav, t\ ou T£TE).î-JTr,xîv T, yjvr,, -/at o-jttî [j.sp'.-/ô; (j'j-zt y.aOo/.'.y.o; xôcrato yéyovî 7tô>.£;j.o;, à>.).à xat xpK^T'avoî; (iâXXov £lpr,vY) ôitxjtovoç k% èXéoy 0£oO.

Il

162

19 mars 235 , et avant la eauipag'iie que cet empereur fit contre les Peises en 231. Alexandre Sévère avait appiis de sa mère, Julia JMamme'e, à estimer les chrétiens. Celle-ci, soit curiosité', soit affaire de mode, avait, lorsqu'elle séjournait à Autioche vers la fin du règne de Caracalla, mandé de Palestine il se trouvait, afin de le voir et rentendie,Orig'ènedéjà célèbre à cette époque (1). Le docteur Alexan- diiu y fait allusion dans son ouvi afje contre Celse. « A présent, dit-il (2), le grand nombre de ceux qui se convertissent décide des gens riches et des fonctionnaires, des femmes délicates et de nais^^ance illustre, à nous recevoir. » Cependant un peu plus loin, répondant à cette ob- jection du Discours véritable, que c'était la crainte de leurs adver- saires qui donnait de la cohésion aux chrétiens, il ajoute (3) : " 11 y a longtemps, grâce à Dieu, que cette crainte n'a plus de raison d'être ; mais il paraît probable que la sécurité des fidèles va cesser, car de nouveau ceux qui nous calomnient à tout prix prétendent que le ferment des divisions actuelles réside dans l'accroissement des chrétiens, du lui-même à ce que le gouvernement ne nous combat })lus comme autrefois. 55 Et eu effet, peu de temps après, il adressait à ses amis Ambroise , diacre d'Alexandrie, et Protoctète, prêtre de Césarée, une longue exhortation au martyre à l'occasion de la réac- tion qui se produisit (4).

(1) Hist. eccles., 1. VI, C. XXI, 3 : ToO ajTOxpdtTOpoç (J."Otv)P Map-fiaîa TO'jvo[jLa, yuvyj ^to(jioi<jiâ.vt\ z\ xaî Tiç a).).Yi yeyovjîa xa\ e'jXaSr,: tov TpÔTrov,... ztC 'Av-to'/Eî'a; OTiXa oiaTptoO'jTa |J.Exà eTTpaTtwrtxri; 6opy:pop:a? a-jxôv avaxaXeixai.

(2) C. Cels., 1. in, C. IX : NOv [xàv o-jv Ta^a, oxs otà xb TtXriOo; xwv irpoa£p-/o(j.£vwv Tw ).ÔYa> xa\ 7t),oûcriot xaî t'.veç twv èv àï'.wixxTt xa\ yvvaia àêpà xa\ eyycvr) OLTZOOV/oy^OLt xoùç àuô xoO ).6yoy. Il avait été auparavant mandé d'Alexandrie par le gouver- neur d'Arabie, Hist. eccles., 1. VI, c. xix, 15.

(3) lOid., c. XV : Ka\ elxôi; TtaûffETOat xo to; Ttpô; xbv ptov xoOxov xoîç îtto'XîûoytTiv èyy£vô(i£vov àSÉEç, £7tàv TtdtXiv ot 7tavx\ xpÔTtw Sia6â)>Xovx£ç xbv Xôyov xr,v aîxiav xt|î tià

XOITOOXO vOv CxdtCïEWi; £V TÙr^^H libV 7rta'X£UûVXt«)V VO[Xt(TO)<jlV EÏvai, £V XtO (JLTI TtpOO'Tto).£[l£Î(70ai

a'jxoù; uTib xwv f,you[jivtûv ô[j.otwç xoîç TrdtXat y^^i^toiç,.

{4j Hisi. eccles., 1. VI, C. xxviiii. NOUS n'avons pas cru devoir nous attacher à la clironologie d'Kusèbe, il>id., c. xxxvi, 2, qui place la réfutation du Discours véritable sous le rcffne de riiilippc l'Arabe (2îi-2î9) : il n'y esl pas fait incnlion du chris- lianisiMC de ce prince ni de sa femme sévéra, auxquels Orij^cne écrivit des lettres; on n'y irouve pas non plus trace de la persécution de Maximin, qui, si elle fut courte, lrap|)a cependant ses amis. Il est plus vraisemblable que le livre de Celse fut en- voyé par Ambroise d'Athènes à Alexandrie, que d'Alexandrie à Césarée, Orijjène

163

Ulpien était déjà mort en 228 ; mais l'impression produite par la consultation juridique du préfet du prétoire contre le christianisme (1) survivait aux louanges que l'empereur avait prodiguées publique- ment aux maximes de cette religion (2). Alexandre Sévère avait eu occasion de traiter officiellement avec le corps des chrétiens au sujet de la possession d'un terrain, autrefois public, qu'ils avaient occupé et que des cabaretiers leur disputaient. On pense qu'il s'agit de l'emplacement actuel de l'église Sainte-Marie au Transtevère , et que c'est dans une émeute relative à cette affaire que périt saint Cal- liste, le 14 octobre 222, couronnant ainsi par le martyre une vie aussi pleine qu'agitée. En tout cas, la décision fut favorable aux fidèles, nou- velle raison de croire qu'ils avaient fait le nécessaire pour qu'on pût leur donner gain de cause (3j. Sous Alexandre apparurent les pre- mières églises dans l'intérieur des villes ; bien plus, il voulait en con- struire une lui-même à Rome, mais il fut détourné de ce projet par les prêtres païens, qui redoutaient de voir se vider leurs temples. Du moins ils ne l'empêchèrent pas de mettre dans son oratoire privé, au mi- lieu de ses saints, si l'on peut s'exprimer de la sorte, l'image du Christ avec celle d'Abraham (4). Enfin, son biographe caractérise en deux mots très-exacts sa politique à l'égard des deux religions mo-

se fixa depuis 231. Enfin, l'auteur, qui fut ordonné prêtre en 228, parle encore comme un laïque.

(1) V. notre deuxième partie, pas'je 60. Rappelons que M. Le Blvnt sest efforcé d'en opérer la reconstitution, ConqHcs rendus de l'Acad. des inscr., 18C6, p. 358 et s.

(2) LvMPR., Vil. Alex. Seu.. c. Li : Clamaljatque sa?pius quod a quibusdam sive.lu- daeis si>e christianis audieratet tenebal, idque perpra>conem,quumaliqueui emeu- daret, dici jucebat : quod tibi fieri non vi.s, alteri ne feceris.

(3) L.vMPU., Vil. Alex. Sev., c. xLix : Ouum christiani quemdam locum qui publi- cus fuerat occupassent, contra popinarii dicerent si)>i eum deberi, rescripsit me- liu.i esse ut qucmadmodumcumque illic deus colatur quani popinariis dedatur. C'est ce que ne comprend pas Goi\i\es, Kaiser Alexandcr Severus und dus Christculhum, dans Hilgexfeld's Zciischrift, 1877, p. 71 : « Die officielle staatliche .\nerkennung der cliristlichen Vcrsammlunysorte als corporatives Eigentlium lia-ngt auf'sEngste mit der Anerivcnnung des christenlhums als religio licita zusiimmen : dièse erfolgte aber erst durch den Kaiser Gallienus. » Sur ce dernier point il se méprend égale- ment, Juhrb. fur prol. Theol., 1877, p. 607 et S. : Die Toleranzcdicle des Kaisers Gallienus.

(4) Ihid., c. xLiii ; Omnes christianos futuros si id priiiium fecisset, et templa reliqua deserenda. Cf. c. xxix : In larario suo in quo... et animas sanctiores. .. et quantum scriptor suorum temporum dicit, Christum, Abraham et Orpheum et bujuscemodi ceteros habebat. ac majorum effigies.

11.

164

Hotheistes : il conserva aux .liiifs reconnus leur privile'ges, il permit aux chre'tiens d'exister (1). Quel chemin ceux-ci avaient donc par- couru depuis le moment T instinct malfaisant de ISe'ron retint leur nom confie' aux échos des rues de sa capitale, et Domitien passa de la distiuciion fiscale (2) à la mise hors la loi !

Pour re'sumerla situation de l'Eglise vis-à-vis de l'Etat en dernière analyse, nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter les paroles de M. de Rossi, qui a eu le talent de l'exposer avec une clarté' irrésistible dans ses volumes de la Borne souterraine, après avoir eu la gloire d'en découvrir toute la portée. « Je formulerai seulement, disait-il d'abord (3), ma pensée ainsi : que ks associations funéraires et de secours mutuels furent l'apparence sous laquelle, avant même Alexandre Sévère, les fidèles possédèrent dans beaucoup de villes de l'empire leurs cimetières, et que, sous Alexandre Sévère et ses succes- seurs amis des chrétiens, ce titre apparent fut légalement reconnu, et servit de prétexte à une plus grande tolérance, qui s'étendit même aux lieux de réunion et aux édifices consacrés au nouveau culte. » Puis, reprenant dix ans plus tard la question sous une forme plus mûrie et avec une précision plus grande, il s'exprime ainsi (4) : « Cette tolérance, et quelquefois reconnaissance expresse du corps des chré- tiens, était, si l'on peut dire, un modus vivendi pratique, qui con- sistait à fermer les yeux sur la qualité religieuse du collège, et qui, suspendant l'effet de la législation dirigée contre la religion même, laquelle fi'ai»pait les chrétiens légalement dénoncés aux tribunaux sui- vant le rescrit connu de Trajan, laissait en paix et allait par instants jusqu'à protéger l'Église. »

(1) Lampr., lit. Alex. Set., c XXII : Juda'is privilégia reservavit, christianos esse passus est.

(2) Une politique moins cruelle et plus inlelli^ente était suj^gérée parTEUTULLiEN, De/ug. in pciscc, c. xii : Tanla quotidie .Trario aujjendo prospiciuntur remédia cen- suum, vcctifjalium, collalionuin, slipcndiorum, ncc unquain usque adhuc ex ebris- tianis taie aliquid prospectuni est sub aliquam rcdemplionem capitis et seclae redi- {jendis ; quuin taiitae multitudiiiis, nemini ijjnota', fructus ingens meti possit. C'est du reste ce qu'on avait fait pour les Juifs.

(3) liomasott., t. I, p. 105.

(4) Ibid., t. 1I[, p. 511.

QUATRIÈME PARTIE

RÉSUMÉ

DKS RAPPORTS 1»E L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN

DE 235 A 313 CONCLUSION

L'assassinat d'Alexandre Se'vère e'tait une de'claration de guerre aux chre'tiens, que cet empereur avait prote'ge's, et qui, au dire d'Eusèbe, remplissaient sa maison. De'sormais, en effet, tout prince mon- tant sur le trône devait prendre parti, et s'il ne se montrait pas hostile au christianisme, il lui e'tait ne'cessairement favorable. Nous avons e'tudie' les phases diverses que traversa l'Eglise pour arriver à placer l'État dans cette alternative. Une religion, lorsqu'elle n'est pas recon- nue à titre de culte, s'impose au pouvoir civil à titre de société. Sans cesser d'être un culte non reconnu, la religion chrétienne avait trouve moyen d'afiirmer son existence devant le gouvernement romain. La mise hors la loi individuelle, ce glaive suspendu sur la tête de tout chrétien, ne suffisait plus; chaque groupe de la société religieuse, depuis l'évéque jusqu'au laïque pour nous servir d'une expression qu'emploie saint Clément à propos de la hiérarchie des fidèles (1), et qui de nos jours est singulièrement détournée de son sens primitif chaque groupe, disons-nous, devait être nominativement dénoncé, proscrit, puni. Aussi voit-on, de iMaximin à Dioctétien, les édits se succéder avec un dispositif de plus en plus explicite.

Déjà Septime Sévère avait distingué momentanément et frapjié les

(1) I Ep. aux Corinthiens, c. XL, 5 : V. la note, éd. Funk^ p. 111.

166

catéchumènes. C'est au clergé que Maximin s'en prit, comme étant la source de la prédication de l'Evangile, dit Eusèbe (1), qui avait sous les yeux plusieurs passages d'Origène malheureusement perdus; et le docteur Alexandrin devait le savoir, car, à cause de sa n(»toriété, il était l'un des principaux clercs visés par le décret (2). En effet, deux de ses amis, le diacre Ambroise d'Alexandrie et le prêtre Protoctète de Césarée, furent emprisonnés et faillirent être transportés au fond de la Germanie, ce Thrace revêtu de la pourpre se faisait amener ceux qu'il désignait pour être les objets de ses arrestations arbi- traires (3). Quant à Origène lui-même, qui avait quitté Alexandrie et s'était fixé en Palestine, il se réfugia auprès d'un de ses disciples, Firmilien, évêque de Césarée en Cappadoce; mais là, il rencontra une persécution locale très-violente survenue à la suite d'un tremblement de terre et ordonnée par le légat Serenianus (4). Au contraire, en Afrique, le proconsulat de Gordien (23G-237) fut plutôt favorable aux chrétiens. Du reste, Maximin n'eut que deux ans de règne incontesté. Quoiqu'il ne fût jamais venu à Rome depuis son avènement, il y

(1) Hist. cccles., 1. VI, C. xxvi : Ma^t[J.tvoç Kataap oi'xrÂyti'xi, o; or) xaTa xÔtov tÔv •Jîpbç tÔv 'A),£Edcvopoy oixov, èx nXetôvwv Ttiattov cruvecrTioTa, ôtwyiiov èystpac, toùi; xtov £y.x),r,(7tiôv apyovTx; [j-ôvo-jç, aîfto'jç ttj; xaxà xo eùayyéXiov otoaaxaXîaç, avatpeîaOat TipocxaTTît... ff£ar,[/.sîwTat xoutov\ toO oiwy(jLoO xôv xaipbv ev te xw ôeuxlpw xai eixo<7X(o xwv £t; xb xaxà 'Iwdtvv/jv £|r,yr|Xtxwv xo(\ èv oiacpôpot; ÈmirxoXat; 'Optylvr,;.

(2) Oros., Hist., 1. Vil, c. XIX : Qui maxime propter chrislianam Alexaiidri cui successerat et Mammaea; raatris ejus familiam persccutioncm in sacerdoles el cleri- cos, id est doctores, vel praecipue propter Orif^inem presbyterum miser.it. -r- Cf. Capit., Vit. Maxim., c. IX : Praeterea omnes AlexanJri ministres variis modis inte- remit,dispoiitionil)us ejusinvidit, et dum suspectes habet amicos ac ministres ejus, crudelior factus est.

(3) C'est ce que donne à entendre Origk.\e dans V Exhoi laiion au martyre qu'il leur adressait, à eux et à leurs compa{jnons, c. xxxvi, xa\ T-JîxixaprjpoO'jtv, et il leur rappelle, c. xli, que de même qu'il s'en fallut de peu que saint Paul fiU jeté aux bétes dans l'amphithéAtre ii liphèse, I Ep. uu.r Corinthiens, c. xxv, v. 32, de même ils pouvaient dire : 'Il!J.£'.: 0£, £-. xaxà àvOpwTiov. àvYjpfOr.v £v r£p[j.avta. Cf. Ukrodien, I.VII, cm, 8 . 'Ex |Aixpà; xx'i sùxîXoOi; ôiaêoAvi? àvapuâorxouç Èîiotet, xai £X£A£u<rc àvsu •jTTripEita; [j-ôvoyç o-/r,|xa(Ttv £7i'.x£0Évxaç, ayeirOai vjxxwp xa'i [xsO' vifilpav ôoîûovxa; èÇ avaxoÀôjv r, oOtcwç, z\ xûyot, «Ttô [ji£ffE|j.6pcaç, sic Ilatovaç à'vOa otixpi^î.

(4) FiuMiL , l':p. 7r) (inter Cyprian.) : Ante vij;inti enim el duos fere annos, tem- poribus post Altxandrum imperatorcm... terra- etiam niolus plurimi et frequenles exstitcrunt ut ptr Cappadociam et Poiilum mulla subrucri nt... .Serenianus tune fuit in nosira Provincia pra-ses, aceri)us et dirus persecutor. cf. Oiiic. Comm. séries in Matth., c. XXXIX.

167

avait deux agents dévoués, le chef des prétoriens, Vitalianus, et le préfet de la ville, Sabinus, qui furent tués le 27 mai 237, jour le sénat proclama Gordien empereur (1). Cependant le décret de persé- cution y avait été exécuté; le pape saint Pontien et le prêtre saint Ilippolyte, selon la chronique de ce dernier (2), furent déportés dans l'île de Sardaigfne au climat pestilentiel ; le vénérable pontife donna sa démission le 28 septembre 235, et un successeur lui fut attribué le 21 novembre suivant, dans la personne de saint Antéros, qui lui- même mourut le 3 janvier 236, probablement en prison (3). Fabien fut élu à sa jTJace, mais bientôt saint Pontien vit sa peine s'aggraver, et succomba sous les coups, le 30 octobre de la même année. Son corps fut ramené de Sardaigne par les soins de saint Fabien, et celui-ci, le 13 août 237, déposa son prédécesseur dans la crypte papale sur la voie Appienne [4). Après avoir assisté à la mort violente d'une série d'empereurs [les deux Gordien (juillet 237), Maximin (mars 238), Maximus et Balbinus (juillet 238), le troisième Gordien (mars 244), enfin Philippe (10 mars 249j, il parvint jusqu'à la persécution de Dèce dont il fut une des premières victimes, le 20 janvier 250.

Nous serions entraînés trop loin si nous entrions dans le détail des dernières persécutions ; nous ne pouvons qu'en indiquer le caractère général. Celle de Dèce se présente, à l'égal de celle de Maximin , comme une réaction systématique contre la politique du règne précé-

(1) Capit., lit. Maxim., c. xiy-xvi.

(2) Dans le catalogue Libérien des. papes, d'après l'éd. Mommsen : . Eo tempore Pontianus épis; opus et Yppoliîiis presbyler exoles sunt deportati in Sardinia in in- snla nociva, Severo et OuinlJiio cous. (235). In eadeni insiila discinctus est IV kal. octobr. et loco ejiis ordiuatus est Anlheros XI kal. dec. cons. ss. Le Liber pimii- tijicalis ajoute que Pontien périt » maceratus festibus » .

(3) Le catalogue Libérien dit seulement : dormit III non. jan. Le Liber pontifi- calis rapporte : Hic gesta martyrum diliyenter requisivit et in ecclesia recondidit, propfer quod a Maximo praefecto (Pupienus Maximus, d'après Borghesi) martyr ef- fectus est.

(4) Quant à saint Ilippolyte, selon M. de Rossr, il survécut à son exil, et même à la persécution de Dèce; mais il fut l'un des cinq prêtres du clergé romain que nous savons, par une lettre du pape saint Cornélius à saint Cyprien, avoir adhéré au schisme de Novatus, puis il revint à la communion catholique avant de marcher au supplice sous Valérien. Cf. son inscription daraasienne retrouvée récemment, Bull., 1881, p. 81 et s.

168

dent(l). Seulement, tandis qu'en 235, ainsi que l'observe Harnack (2), l'cxe'cution demeura au-dessous de l'intention, en 250, les effets en furent universels et terribles, multipliant à la fois les martyres et les apostasies. A Rome, le sie'ge apostolique demeura vacant pendant onze mois : les prêtres et les diacres avaient e'te' jete's en prison. Saint Saturnin, e'vêque de Toulouse; saint Babylas, e'vêque d'Antioehe; saint Alexandre, e'vêque de Je'rusalem, marchèrent à la mort. Il en fut de même, dans la province d'Asie, de l'évêqueCarpus et de Papy- lus, diacre de Thyatires. Orl^ène, alors âge' de soixante-six ans, subit les plus cruels traitements (3), mais il ne mourut à Tyr qu'en 253. Saint Cyprien, évêque de Cartha{je; saint Gre'goire le Thaumaturge, évêque de Ne'o-Césarée dans le Pont; saint Denys, évêque d Alexan- drie, e'chappèrent par la fuite. Ce dernier rapporte dans une lettre (4) que, chez lui, la perse'cution commença par une insurrection populaire dès la fin du règne de Philippe; puis l'e'dit impe'rial vint rallumer les

(1) Les saints Calocserus et Parthenius, exécutés le 19 mai 250, étaient fonction- naires sous Pliilippe. Le christianisme de cet empereur a été mis en évidence par une intéressante dissertation de M. Ai dans la Revue archéologique (sept. 1880), repro- duite avec des modifications, p. 467 et s. de son dernier volume, les Chrétiens dans l'empire romain.

(2 Theol. Liieraiurzeihing (Leipzig, 1877), p. 168. L'auteur, rendant compte d'un article de YHdgenfeld's Zeitschrift, 1876, p. 256 et S. : - l'el.er die Christenverfolgung des rômischen Kaisers Maximinus des Thraciers », dit avec beaucoup de justesse : n Der von Gôrres verachtlich beurtiieilte Maximin ist aiso der erste gewesen, der die hohe Bedeutung der christlichen Hiérarchie erkannt hatte und der die Kirche durch Ausrottung derseli)en vernichten wollle. Das zeigt ei)en so viel Entschlos- senheit als, um 235, richtige, ja géniale l'olitik, gcnialere jedenfalls als die jenes Romantikers Decius es war... Hatte Maximin durchgezetzt was er {fewollt, so wiir- den w'w heute das neue Capilel in dem VerhtTltnisse von Staat und Kirche nicht von Decius, sondern von ihm an zu datiren haben. Pour ce motif, nous avons cru précisément devoir choisir l'année 235 comme l'une des époques de notre expo- sition chronologique. Vo\ Wif.tersheim, Geschichle der l'alkertcanderung , p. 152, appelle la persécution de Maximin die ersic, das ist, grundsStzliche lerfolgung ».

(.'ij Hisl fcclet., I. VF, C. xxxix, 5 : Olâxexa'i oaa otà xôv Xpi<7T0"j Xôyov 6 àvr,p •JTrÉ[X£tv£ oEffiià xat PaTâvovç xàç xaxà toù (7w|j.aTo;, xâç te iinh uiSripô) xXoim xa\ (j-y/oî; Etp/Tf,; TtiAOjpta;, v.où w; £ti\ TtXEtTTat; r||j.spo('.; tou; irôôa; 'jTià xlTiapa toO xoXaTT.'jpioy Çy/.O'j TtapaxaOc'i; ôtacr^ifiaxa xaxaTTiwiiîvo;

(I) Hist. eccles., I. VI, G. Lxi, 1-10 : Oùx àîto xoO paffiXixoO irpoirxâyjiaxo;, ô ôto)Y(i.ôi; Tiap' r||j.îv r,pEocxo, c().),à yip o/ov èvtocjxôv irpoûXa^s... Ka\ ôf, y.rti irapr|V itpôirxxytia. M. I)i:m V, Hist. rom., t. IV, p. 29î, en note, affirme que l'église d'Alexandrie ne compla alors que dix-sept martyrs. Mais saint Denys en intmine vingt-quatre; il en cite d'autres dans sa lettre sans les nommer, et l'on voit par la suite qu'il n'entend pas les énumérer tous.

169

violences, qui s'étendirent à l'Egypte entière (1). Dèce étant mort le 20 novembre 251, son successeur Trebonianus Gallus renouvela la perse'cution par un e'dit (2) qui remplit l'Afrique de troubles à cause du grand nombre de lapsi. Le pape saint Cornélius mourut exile' à Centumcellœ (Civita-Vecchia). Son successeur saint Lucius fut éga- lement exilé, mais revint lors de l'avènement de Valérien, août 253.

Cet empereur était entouré de chrétiens quand il monta sur le trône (3) ; ce fut tout d'un coup qu'il se déclara persécuteur. Il publia successivement deux édits : le premier interdisant les assemblées dans les églises et les cimetières, et exilant les membres du clergé, et le second postérieur de quelque temps, ordonnant de les mettre à mort, et établissant pour les autres fidèles une hiérarchie de peines. Ainsi à Alexandrie, saint Denys est arrêté par le préfet d'Egypte et exilé à Képhro en Lybie ; dans une première lettre, transcrivant le procès-verbal , il relate la pièce officielle : OuoaiJ(.wc Se

e^saxai oute u^aîv oots akkoi^ tictiv r\ cuvoûouç TrotEÎaOai, r\ eiç )caXou[a.£va

xoiixYiTïipta eîcjiÉvai (4); dans uuc sccondc , il s'attend d'un moment à l'autre à être traîné au supplice. De même à Carthage, les actes de saint Cyprien parlent de deux sessions : le 30 août 257, le proconsul Aspasius Paternus lui signifie son exil dans la ville de Curubis, et il ajoute que l'ordonnance impériale ne le concerne pas seulement, lui et ses prêtres : Prœceperunt etidm, ne in aliquihus locis conciliahula jiant, nec cœmeteria ingrediantur. Si quis itaque hoc tam salubre prœceptum non ohservaverit , cajpite plectetur (5). Le 14 septembre

(1) Hisl. rccles., 1. VI, C. LXit, 1 : "A)>Xot 5a nktXu'zoï xaxà TToletçxat xcop-aç Ûtto twv èôvwv oiEdTrâirOri'jaVj (Lv Ivbç, 7iapaoecy[xaTOç é'vsxev, £7itpivr|(76-/i'70[xat.

(2) Saint Cypk., Ep. 55, ad Curmimm: His ipsls etiam diel)iis quibus has ad te Ht- teras feci, ob sacrificia qua- edicto proposito oelebrare populus jubel)atur, clamore popularium ad leonem denuo postulatus in circo.

(3) Hist. eccles., 1. VII, C. x, 3, lettre de saint Denys à Ilermammon : Où5è yàp aXkoc,

Tiç o'JTw TWV Ttpo auToO |3afft),£(j)v EU[ji£vtôç xa\ 5e|twç upbç auToùç ùitii%-t\ xa\ Tià; te ô

oixoç auToO Ôeoaeo&v ^z^^zki■^ç^ùxr^, xa\ rci Èxx>,-/)i7ia 0£oO.

(4) Ibid., c. XI, 10. Il faut noter que c'est la première fois que les réunions chré- tiennes sont interdites, et saint Denys indique bien que le préfet, sans insister sur ce chef nouveau, en arriva tout de suite au fond de la question. Loc cit., 4 : yàp TTEp'i ToO [xri avjvâysiv ÉTÉpouç 6. lôyo; yjv auTto, àXXà 7cep\ xoO [ir;o' aùxoù; '0[J.5ç Eivai -/pifftiavoOç. Pour l'autre lettre, ibid., 20.

(5) RuiNART (éd. de Ratisbonne), p. 262,

170

258, c'est le proconsul Oalerius Maximus qui le rappelle, et le con- (lamneàmort. SaintCyprien, dans une lettre de la fin d'août (1), nous donne la teneur du second édit : Rescrijisisse Valerianum ad se na- tion nt episcopi et jJreshyteri et diacones in continenti animadver- tontur , senatores vero et egregii viri et équités Romani, dignitate aniissOj etiani bonis spolienturj et si adeinptis faciiltatibns cliristiani esse perseveraverint, capite quoque mulctentur ; matronœ vero ademptis bonis in exsilium relegentur; Cœsariani auteni qnicumque tel prias confessi /itérant vel nunc confessi fiierint conjiscentur et vincti in Cœsarianas possessioncs descripli mittantur. Un peu plus tard, les e'vêques Agapius et Secundinus e'taient ramenés de l'exil pour être exëcute's à Cirta (Constantine) ; puis, après un certain nombre de laïques (2), les clercs Marianus et Jacobus furent décapités le 2 septembre 259 : leurs noms et ceux d'autres martyrs leurs com- patriotes ont été retrouvés, en 1841, sur une inscription gravée à la fin (lu cinquième siècle au flanc du rocher qui surplombe le Roummel. A Rome, le pape saint Etienne, revenu d'exil pour mettre la pro- priété ecclésiastique entre les mains de son archidiacre , fut jeté en prison, il mourut le 2 août 257. Son successeur, saint Xyste II, fut surpris par des soldats dans le cimetière de Prétextât, célébrant les saints mystères avec quatre sous-diacres et les deux diacres Felicissi- mus et Agapitus, et ils périieut tous le G août 258. Le 10, Tarclii- diacre saint Laurent fut martyrisé pour avoir refusé de livrer les biens de l'Eglise. Le 21 janvier 259, saint Fructueux, de Tarragone en Esjiagne, fut conduit devant le magistrat qui lui demanda s'il était évêque; il répondit : Je le suis; l'autre reprit : Tu l'as été; et il le fit brûler vif (3j. Mais à son tour l'empereur Valérien fut fait prisonnier et mis à mort par les Perses, dans le courant de la même année. Son fils Gallienus rendit la paix aux chrétiens ; nous avons déjà

(1) Ep. 50, ad Succesmm.

(2) Nain ita inter se nostrne relijfionis gi-adiis arlifex sa-vitia diviserai, ut lairos clericis scparatos tcnlatioiiil)iJs sa'ouli cl tcnorilnis suis putarct esse ccssuros », disent les Aites. IUinart (éd. de Uatishonne), p. 272. Cf. Mémoires de l'Académie des in- scriptions (Antiquités de la France), t. 1, 206-215.

(3) KuiNART, p. 265.

171

examiné les termes de ses de'crets relatifs aux cimetières (1). Depuis l'année de sa mort 268 jusqu'à l'avènement de Dioctétien en 284, il ne nous reste à signaler, en fait d'édits de persécution, que celui que signa Aurélien à la fin de 274, et auquel il ne survécut que deux mois (2) ; les renseignements précis font défaut sur les circonstances qui accompagnèrent un certain nombre de martyres vers cette époque. Les dix-neuf premières années du règne de Dioctétien, qui furent paci- fiques et donnèrent même à l'Eglise une sécurité trompeuse, offrent seulement plusieurs condamnations prononcées contre des militaires chrétiens, et dès avant l'année redoutable qui mérita d'être appelée l'ère des martyrs, une mesure générale avait été prise pour les exclure de l'armée en 298 (3). Mais on doit penser que si Dioctétien, par exemple, se serait volontiers arrêté là, il n'en était pas de même de ses collègues (il y avait deux Augustes et deux Césars depuis 292), surtout de Maximien et de Galère. Celui-ci pressa tellement le vieil empereur que, le 23 février 303, un bataillon de soldats fut envoyé avec des haches et des pioches pour démolir l'église de A'icomédie (4). C'était le signal : le lendemain parut un édit qui ordonnait de raser les églises et de brûler les Ecritures, qui dégradait les chrétiens , les

(1) V. notre troisième partie, p. 154.

(2) Lactance, De mort, persec. , c. iv : Aurellanus qui esset natura vesanus et praeceps, quamvis captivitatem Valeriani meminisset, tamen oblitus scelens ejus et pœnae, irani Dei crudelibus factis lacessi\it. Veruiii illi ne perficere quidem quae cOi'jitaverat, licuit, sed inter initia furoris ex.-.tinctiis est. Nonduin ad provincias ulteriorcj crucnta ejus edicta pervenerant. Cf. Vopisc. Vit. Aur., c. xl : Ita ut per sex nienses imperatoreui Romanus orbis non liabuerit oranesque judices ii perma- nerent quos aut senatus aut Aurelianus elegerat. Il y aurait plus dune erreur à relever dans les articles de Gorres, Hilge»/eld's Zeitschrift, 1877, p. 529, et Jahrb. fûrprot. TheoL, 1880, p. 449.

(3) Ihid., c. X : Datisque ad pra'positos litteris etiam milites cofïi ad nefanda sacri- ficia praecepit el renuentes militia solvi. C'est ainsi que saint Ferréol, de Vienne en Gaule, est dit dans ses Actes : Habitu solo, non officio militans, quod esset chris- tianus proditus. Rli>art (éd. de Ratisbonne), p. 489. cf. Hist. eccks., 1. VHI, c. iv : IlXscffTO'JC itapTiV T&v ev (jxpa'TEtati; opâv aa-[jL£V£crxaTa xôv loiwTtxov Tïpoacr7:a;jo[A£vo-j? piov. (oç av ]t.r\ eÇapvot yévoivTO.

(4) Lactance, loc. cit., c. xii : Veniebant igitur praetoriani acie structa cura secu- ribus et aliis ferramentis, et immissi undique, fanum illud editissimum paucis horis solo adaequarunt. A Héraclée en Thrace, nous nous figurons facilement comment les choses se passèrent : Stationarius civitatis advenit, ut praesidis jussu impressis cera signis ecclesiam clauderet christianis, acte* de l'évêque saint Philippe, dans Rlinart (éd. de Ratisbonne), p. 440.

172

privait de toute action en justice, et interdisait l'affranchissement des esclav^es (1). Cette première pe'riode, les magistrats se faisaient livrer partout les livres saints, s'appela dies traditionis. Bientôt un second édit prescrivit l'emprisonnement des membres du clergé, et un troi- sième voulait qu'on les forçât par tous les moyens à sacrifier (2). Dans l'hiver 304, commença la deuxième pe'riode, connue sous le nom de dies tiirijlcationis : un quatrième e'dit contraignait tous les chre'tiens à faire acte d'idolâtrie. Alors, dans tous les lieux publics furent dresse's de petits autels avec du feu allume, et quiconque passait par e'tait oblige' de jeter une pince'e d'encens : ainsi en e'tait-il à l'entrée des bains, sur les places de marchés, et non-seulement pour les hommes, mais pour les femmes, les domestiques et jusqu'aux enfants à la mamelle (3). Il est curieux de rapprocher le récit d'Eusèbe, témoin oculaire, du passage suivant de saint Jean (4) : « Et les petits et les grands, et les riches et les pauvres, et les hommes libres et les esclaves recevront le caractère de la bête dans leur main droite et sur le front : et per- sonne ne pourra acheter ni vendre, que celui qui aura le caractère ou le nom de la bête ou le nombre de son nom. « En effet, rien ne peut mieux donner l'idée de la dernière persécution que la vision de l'Apo- calypse. Tout ce que la force de l'autorité suprême déchaînée, toutes les cruautés que la haine jalouse, tous les raffinements que la rage impuissante pouvaient inventer, furent mis en œuvre en Occident pendant deux ans, en Orient pendant dix ans. Une ville entière fut

(1) cf. Lactance, loc. cit., c. XIII, et Hisl., eccl., liv. VHI, C. il, 4.

(2) Hist. eccles., ibid., 5 : Ka\ y\ (i£v TtpwTr) v.aO' r|(xà)v ypaçr) Totayir) Ttç f,v jxet' oO ttoVj Cil £T£pwv ETtiçotTO'J'âvTwv Ypa|JL[xâirwv TipoTîTaTTSTO Tou; Tâ)v £xx)>T,(jîa)v Tipoéopov; Ttâvra; TO'j; xaxà TiivTa tÔtîov TTpwTa \J.ï'i oîtixoî; TiapaotooirOat, eîO' O-TSpov 7tâ(TY) p.r)yavf, O-jsiv èÇavay/.â^îTOai.

(3) De marlijribus Palcslinœ, C. IX, 2 : ITpcKT'ïayiJ.a v.zt.vJo-i w; îiv (xe-rà OT^rrj'yr^;, Tcatar,;... Ttdtvxaç avopa: «(jlx yjvat^i y.a\ oly.ÉTat; xa\ «•jxoÎç Û7:o[Aa!Jcot; iraîTi OÛEtv xa\ ffTîÉvoeiv, «yrtôv ay.ptêta): tô)v èvayiôv àTroyîJîTOa'. Oymtov £7ri(j.£>,£ç tîoioîvto, xa\ [làv xat' ayopàv w'via xatç «Tto twv Ô'jatwv (TTtovoaî;; xaT3([j.o).'jvotTO, TvpôffOsv 5k liov /.ourptov eçEOpot y.afdtcriTOiVT'O, ojç av to'jç ev to'jtoi; a7roy.aOatpo|j.Évo'j; Taî; 7rxix[JiiapoK; (loVjvotsv OyiTcatç.

(4) Apocalypse, c. xiii, V. 16, 1? : Kai notsî iravTaç touç [xtxpouç xa\ to'jç (J.£yâ),0'jç, xat Touç 7r).ouT!0'jç X5CI Toy; ■K^oy/o'jç, xa\ tou; eXe'jOépo'j; xa\ xouç 5o'j).ou;, tva ôàxrtv auTOÎ; "/apotyjxaTa £7tt -rfiç 7£tpo; a-jTiôv tîi; ôî^iâ; r| eti'i -ctôv ixETtiTTwv ocjtwv, xa\ cva (ir| tk; ô'jvritat àyopâcrai tj 7co),r|0rat e'c [ati ô ^'/wv -/âpxyfAx ?i to 6'vo(Aa toO Or,piou, ?; tov aptOixôv xoO ôvô(jiaTOî «ÙtoO,

•— 173

brûlée en Phrygie. Le sang coula à flots; et quand les bourreaux se lassèrent, ils se contentèrent de crever un œil, ou de couper un tendon des jambes aux chre'tiens qu'ils envoyaient aux mines (1).

Cependant l'autorité' changeait de mains sans que ses dispositions fussent modifie'es. A la suite de l'abdication de Diocle'tien et Maxi- mien, l^maiSOo, deux nouveaux Césars avaient été choisis, Sévère et Maximiu Daïa. L'année 306 vit successivement la mort de Con- stance Chlore, remplacé par son fils Constantin, et la défaite de Sévère par l'usurpateur Maxence en Italie. Celui-ci, fils de l'empereur Maxi- mien, combattit son père, qui avait voulu reprendre la pourpre et qui se tua à Marseille en 310. 11 ne renouvela pas les édits, mais sa conduite à l'égard des évéques de Rome donne la mesure de ses sentiments envers les chrétiens. Saint Marcellinus avait subi le mar- tyre en 304; l'élection de sou successeur saint Marcellus n'eut lieu qu'à la fin de mai 307 ; il fut dénoncé par un compétiteur, et Maxence 'envoya en exil, il mourut le 16 janvier 309. Le tyran exila éga- lement saint Eusèbe, nommé le 16 avril, et mort sur la côte de Sicile le 17 août. Quant à saint Miltiade , dont l'avènement eu lieu le 2 juil- let 310, il vit la paix de l'Église. C'est à lui que Maxence, apprenant l'arrivée de Constantin, se décida à restituer, par l'intermédiaire du préfet de Rome, les loca ecclesiastica en 311 (2). Mais ses prédéces- seurs n'avaient pas été reconnus par l'autorité civile comme proprié- taires, et ce fait vient à l'appui de ÎM. de Rossi, lorsqu'il nous montre les biens du corps des chrétiens inscrits sous le nom des papes à titre d'association funéraire. Précisément, l'une des listes qui proviennent de la préfecture de Rome porte la mention suivante à l'année 304 : Cessavit ejnscopatus sejjtem annos^ vacance qui correspond aux deux pontificats de Marcellus et d'Eusèbe. De son eôté, l'autre liste omet le nom de saint Marcellus, duquel Maxence voulait obtenir, d'après

(t) Lactance, De mort, persec, c. xv, dit que Constance Chlore en Gaule épargna sinon les temples matériels, du moins les temples spirituels qui sont les corps des fidèles.

(2) Son rescrit se trouve mentionné dans la conférence africaine des Donatistes avec les catholiques en 3ll, dont saint Augustin a fait un abrégé, Brev. collai., liv. ni,

c. XXXV.

174

le Liber pontificalis, ut negaret se esse episcopum, tandis que celui de saint Eusèbe s'y trouve re'tabli, parce que l'autorisation fut accor- dée de ramener ses restes au cimetière de la voie ApjHenne.

Enfin, la même anne'e, 30 avril 311, Galère, atteint d'une horrible maladie, publia dans la ville même la perse'cution avait commence', un édit pour la faire cesser. Le texte latin nous en a êle' conservé par Lactance (1). L'empereur déclare qu'il a voulu forcer les chrétiens de revenir aux anciennes traditions; comme ils ne s'y sont pas prêtés et (ju'ils se trouvent en ce moment ne plus rendre de culte, ni aux divi- nités païennes, ni à leur Dieu , il les autorise à exister de nouveau, à rétablir leurs lieux de culte, et à se conformer à leur doctrine, et il leur demande de prier pour sa santé et le bien de la République, Eusèbe a traduit ce texte en grec (2), en maintenant l'intitulé, qui présente cette particularité de contenir les noms de Constantin et de Licinius récemment associés à l'empire, mais non celui de Maximin Daïa. La fureur de ce dernier n'était pas encore assou\ie; le 15 mai suivant, Galère étant mort, il n'osa })oint, à cause de ses collèg^ues, ne pas tenir compte de l'édit; mais afin d'éviter de le proniul{juer (3), il ordonna que la substance en fût notifiée à ses fonctionnaires par une circulaire de son premier ministre, et il s'ingénia alors à combattre la religfiou chrétienne en demeurant dans l'apparence de la légalité. Il

(1) De mort, persec, c. xxxiv : Ut dcnuo snit christiani et convenlirula SUa compo- nant ita ut ne quid contra disciplinam agant. M. Boissieu, Rev. archéol., 1876, t. I, p. Il9, rapproche ces termes de ceux d'Orijfène, Nom. IX, in Jos. .• . Convene- runt enim reges terrap, senatus populusque et principes Romani ul expugnarent noiuen .lesu et Israël simul, decreverunl enim legil)us suis ui non sint christiani-, et (Pautres encore que nous avons rencontrées plus haut, p. 24, p. 60 en note, p. 114 en note, et il dit: '^ Ce n'est pas par un simple effet du hasard, que tant d'écrivains d'â{je différent emploient des expressions entièrement semblables; on est tenté de voir dans ces expressions celles mêmes d'un édit de persécution, proi)ablemenl le plus ancien de tous, de celui qui le plus longtemps a servi de base à toutes les pour- suites. Il devait donc contenir à peu prés ces termes . - Non licet esse chrislianos » , et ne contenait guère autre chose. Il ne formulait pas d'accusations précises, il ne s'appuyait sur aucun considérant, il n'indiquait pas de procédure régulière; c'était une sorte de mise hors la loi, un décret brutal d'extermination. "

(2) Hist. ecclcs., 1. VIII, C. xvii, 2 et S. : Tr^v 7:a).iv(;)ô;av twv y.aO' r,iiài; toOxov 7i£pi£-/ovTa

TOV TpÔTTOV.

(3j Hist. ecclcs., 1. I\, c. I : 'Aypâq/w TîpocfTâyixaTt toTç ûtc' a-j-rôv oipyovci TÔv xaO' r,|i.wv ottoyixbv àveivai TipoaxcicTTet, o\ -zk xyjç TiapaxeXeydîw; à/.Xr|>,ûtç otà Ypaçr-,; "j7tOTr,(j.atvoyatv.

175

excita par ses pre'fets les municipalités des cite's principales , telles qu'Antioclie et Tyr, à prendre des de'libe'rations pour expulser les chre'tiens, et les approuva ensuite par des proclamations qui furent affiche'es (1). On composa e'galement un manuel de l'histoire de Pilate, rempli de blasphèmes contre le Christ, que le gouvernement fit col- porter dans les villes et les campagnes, et dont il rendit l'enseigne- ment obligatoire dans les e'coles (2). Une hiérarchie religieuse païenne fut créée sur le modèle de celle de l'Eglise pour entretenir le zèle des populations. Après beaucoup d'autres, Tévêque saint Pierie d'Alexan- drie, surnommé le dernier des martyrs, téXo; jj^apTopcov, périt victime de cette persécution hypocrite, 26 novembre 312.

Mais déjà le 28 octobre, une sanglante bataille livrée au pont Mil- vius, à la porte de Rome, avait délivré cette ville de Maxence, et remis l'Occident entre les mains de Constantin. Il rédigea un premier édit de pacification qu'il envoya à Maximin. Puis s' étant rencontré avec Licinius, au commencement de 313, à Milan, tous deux pu- blièrent ensemble le célèbre édit portant le nom de cette ville (3), qui accordait à tous la liberté de conscience et prescrivait la restitutio in integrum du « corps des chrétiens « . Alors Maximin adressa une lettre à son premier ministre, où, tout en justifiant ses mesures précédentes, il recommandait de ne plus inquiéter les chrétiens (4) ; mais il déclara la guerre aux deux empereurs, débarqua en Thrace et fut battu à Andrinople, le 30 avril 313. Le 13 juin, Licinius entra à INicomédie et afficha l'édit de Milan. Enfin, Maximin, réfugié à Tarse, sur le point

(1) Hist. eccles., 1. IX, C. il, m, IV et vu : 'Avà (J-liai; toi iolç, izôlziç, o [i-qos. aXXo xl tioxs, <J>vi9Î-ï[jLaTa 7iô),ew-; xaO' y\[L(bv xa'i PauO.txwv Tipôç -caÛTa Staroc^Ewv àvxtypaçat cn:-r|Xaiç evTcXU7tw[/.Éva yaXxaîç avwpôoOvto.

(2) Ibid., c. V : IlXaffâiXEvoi dr^-coL IltXdcToy xat toO —unv]z,oç •rijj.fov yitO[xv^|J.aTa, uâar;ç ElJiuXea xaxà toû XptffioO pXaacp-^jxcaç,... otà ypa[J.(Jt,âxwv TtapaxsXsuôjASvot xaxà Tiâvxa xÔtiov àypo'jç te xa\ hÔXeiç ev Èxcpavsî taCiTa xoîç irâdiv ÈxOsivai, xoî; te iratai touç ypajA- jjLaTOoioaTxdcXouç àvT\ [xa6-0!J.ocTwv TaÛTa [le^ETàv xa\ ôià [).Yl]\j.-q(; xaT£-/Etv Ttapaotîovau

(3) Ibid., liv. X, C. V, 1-15, et Lact.vnce, De mort, persec, c. XLVii. Cet édit et ses préliminaires ont été, concurremment à notre travail, la matière d'une étude très- approfondie par M. Paul Allard, dans les n»»4 et 5 des Letires chrétiennes (Lille, 1881), sous ce titre : Rapports de l'Église cl de l'Empire romain au troisième siècle.

(i) Ibid., liv. IX, C. IX, 14.

^ 176

de mourir, se résigna à publier 1rs dispositions de cet e'dit en son propre nom et dans les termes les plus formels (1), Licinius, peu à après, reprit en Orient la perse'cution d'une manière sournoise jusqu'à sa défaite définitive par Constantin en 323. La tentative momentanée de restauration païenne par Julien l'Apostat (3G1-363) ne devait plus avoir le même caractère (2).

Nous avons cite plus haut l'Apocalypse; il nous sera permis de revenir un instant à ce livre, dont la j)ensëe allégorique trouve ici sa véritable place. Elle prend l'empire romain au point il est reconnais- sable dans le livre de Daniel (3), c'est-à-dire, ses dents et ses ongles de fer ont tout dévoré, et nous le montre sous la forme d'une femme appuyée sur la béte à sept têtes, qui sont les sept collines sur les- quelles Rome païenne est assise (4). A l'empire conquérant a succédé l'empire persécuteur. Bientôt dix cornes vont survenir, qui sont dix rois : ils n'ont pas de royaumes à l'origine, et servent, en qualité d'auxiliaires, l'empire qui finira par leur devenir odieux et qu'ils démembreront. Et avant que ces chefs des nations barbares (5), d'abord ennemis du nom chrétien, se convertissent, ils réduiront la prostituée à la dernière désolation , ils la dépouilleront, extermineront ses habi- tants, et feront périr par le feu cette ville superbe. Ceci, au témoignage de saint Irénée , était annoncé à la fin du règne de Domitien. Que les sept têtes, qui sont aussi sept rois, dussent alors s'entendre de sept princes persécuteurs à venir, nous en avons pour garant l'inter- prétation donnée par l'Africain Commodien au milieu du troisième siècle (6) :

(1) Hist. eccl., liv. IX, c. X, 7. Voir notre troisième partie, p. 153

(2) Pour cette période, il suffit de renvoyer au remarquable ouvrage du duc de Broglii:, l'Eglise et l'Evipire romain au quatrième siècle 'Paris, 1856).

(3) Dan., c. vu; cf C. Il, V. 31-Î5, pour la statue, dont les jambes étaient de fer, et les pieds de fer et d'argile, et que brisa la pierre détachée de la montagne.

(4) Apocal., c. xiii et xvii.

(5) Saint IuÉnÉe, Adv. hœr., 1. V, c, xxvi, 1. Cf. c. xxx, 3 : OùSk yàp upô Tto),>.oO -/pôvo'j IwpâOr). a/,),à rjyiwi £tï\ t?,; r^\x.zxiçfxz yEVcà:, TCpb; im TiXsi tr,; Ao(j.sTiavoO apyr,;.

(6j Carmen Apolngelicum. v. 800 et suiv., au t. I du Spicilegium Solesmense du cardinal PiTRA, p. 43. Cette expliciition exclut celle de M. Roissiiu dans la Ihrue des Deux Mondes du 15 avril 187G : - Nous avons la preuve que les persécutions ont été distin- guées et classées par les gens mêmes qui eu avaient souffert. Le vieux poète Com-

177

Sed quidam, haec, aiunt, quando haec ventura putamus?

Accipite paucis , quibus actis illa sequentur,

Multa quidcm signa fient , tantae termini pesti :

Sed erit initium septima persecutio nostra.

Ecce janua pulsatur, et cogitur esse

QuiB cito trajeci. Et Gothis irrumpentibus aninem,

Rex, etc.

Dans la lettre dite de Barnabe' (1), au contraire, la prophe'tie de Daniel est pre'seute'e comme accomplie, et les dix cornes signifient dix empereurs ayant re'gne'. Différente est donc l'application des paroles à une situation passe'e, telle que la fait manifestement l'auteur de la lettre, et l'application à une situation future, telle qu'elle re'sulte de la vision de saint Jean. Il se transporte à l'e'poque dont il trace le tableau ; c'est sans raison et contre toute vraisemblance que l'on vou- drait le confiner au temps il écrivait. Car, que l'on voie dans la hui- tième personnification de la bête, qui va à sa ruine, le paganisme du peuple-roi, popiilum late regem (2), ou bien Ne'ron renaissant, si l'on a pu dire que la clef du livre, c'est le nom de la bête, il convient d'ajouter, avec iM. Aube', que la clef de la clef, c'est la perse'cution. Saint Jean en pre'voit le terme, et il triomphe déjà avec plus d'assu- rance que Lactance, le jour de la victoire , dans ses Morts des persé- cuteurs. Celui-ci adresse seulement une prière à Dieu pour qu'il rende son Église à jamais paisible et florissante (3). Celui-là célèbre avec éclat la chute de la grande Babylone « a été trouvé le sang des prophètes et des saints, et de tous ceux qui ont été massacrés sur la terre (4) " .

De pareils encouragements n'étaient pas inutiles pour affermir les martyrs dans la fidélité à une cause qui, selon les calculs humains, était si compromise, surtout à l'origine. Qui les assurait d'ailleurs de

modien, dans un ouvrage qu'on a découvert il y a quelques années, parle de celle de Dèce, dont il a été témoin, et dit expresséuient que c'est la septième. "

(1) Ejj. Barn., c. iv, 3-5; cf. les prolog. de l'éd. Funk, p. iv et suiv.

(2) ViRG., JEneid., liv. I, V. 21.

(3) De mort, persec, c. m : Ut florescentes ecclesias perpétua quiète custodiat.

(4) Apocal., c. xviii, v. 1-24 : Koù sv aux?) a^fj-axa Ttpoçrixôjv x%\ àytwv eOpéO/] xat Tiâvxwv xtbv edçayjxévcov ztù xy]; yv]?.

12

178

sa justice? Aujourd'hui même, on repète facilement comme du temps de TertuUieu (1) : Les chrétiens ont ëte' punis, il fallait qu'ils fussent coupables. Quel est donc leur crime? L'attachement à leur religion, qu'on veut croire incompatible avec toutsentiment patriotique. En effet, dit-on, « le prince, la patrie, le bien public, la civilisation, la grandeur romaine ne sont pour eux que des noms retentissants ou de vaines idoles. L'Eglise est leur patrie, leur cité, leur camp (2). » Et afin de préciser davantage, « il faut dire encore que le christianisme, en mon- trant sans cesse la patrie céleste comme la seule véritable, fera ouljlier celle d'ici-bas ; qu'en changeant les croyances, il changera les de- voirs; qu'en remjdaçant le légitime orgueil du citoyen par l'humilité du fidèle, il éloignera celui-ci des honneurs municipaux; qu'enfin il précipitera la décadence de la cité par le dégoût dont il remplira les âmes pour des institutions nées autour des autels qu'il voulait bri- ser (3) ». A ce reproche, Origène répond : " Sachant que le Verbe de Dieu a fondé dans chaque ville une hiérarchie parallèle à celle de la cité, nous appelons à gouverner les ÉgUses ceux d'entre nous qui sont recommandables par les mœurs , et puissants par la parole. En agissant ainsi, les chrétiens ne cherchent pas à se soustraire aux charges communes de la vie, mais ils se réservent pour le ministère plus divin et plus nécessaire de l'Eglise de Dieu , en vue du salut des hommes (4). « 11 donne donc à entendre que les plus capables des chrétiens de son temps étaient absorbés par le recrutement du clergé.

(1) Ad nat., liv. I, c. VI : Confu}ïitis snsluantes ad arulam quamdam, id est, leguin aucloritalem, qiiod utique non pleclereut sectani istam, nisi de meritis apud con- ditores legum conslitisset.

(2) M. AunÉ, Hist. des pcrsèc, p. 401.

(3) M. DuRUY, Hist. rom., t. V, p. 167. Le môme auteur voit [ib., t. IV, p. 155) " notre abominable Commune - dans ri'glise primitive de Jérusalem, disant que les disciples exigèrent des fidèles la mise en commun de tous les biens : traduction libre des paroles de saint Pierre à Ananias au sujet de son champ, lesquelles signifient précisément le contraire. Actes, c. v, v. 4 : Où-/' [J-evôv (joi ï\xz-^z xa\ TvpaOkv Èv ty- crr) eÇoufftx i7ir,p/£. Déjà Qlixtilie.v, Inst. oral., I. III, c. vir, avait vu un socialiste dans le Christ : Qualis est primus .ludaica' superslitionis auctor et Gracchorum leges invisae.

(4) C. tels., 1. VIII, c. Lxxv : 'lI|jL£î; èv éxâcTï) TiôXsi aÀ).o <s-jatr,\ioi TiaTptooç xtkjOÉv Aoyiiï 0£oO èittjTcijjLEvoi, Toùç oyvaTO'jç Xôyw xa\ P»;» ûyiet •/pWfJi.Évou; èni xb ap-/£iv Exx),r,G'sà)v ■napxxa),oO|j.£v... xa\ oC çe-jyovxéç ye xà; xoivoxépaç xoO (îwy ).£ixo\jpyca; "/piTxiavot xotaOxa Ttcptîo-xavxai, à).),à X7)po0vx£<; âayxouç O£tox£pa xa\ àvayxai&xipa ).£txo'jpyta £xx>,r,(7ca; t)îoJ ln\ ciwxopca àvOpwTtwv. C'est SOUS la même préoccupation

179

Mais quand le service du culte était pourvu, jamais l'Église ne pre'- tendit de'tourner les fidèles de T accomplissement de leurs obligations civiques. « A la ve'rite', il leur e'tait dur, s'e'crie Bossuet, d'être traite's d'ennemis publics et d'ennemis des empereurs, eux qui ne respiraient que l'obe'issance, et dont les vœux les plus ardents avaient pour objet le salut des princes et le bonheur de l'Etat. i> Et il en apporte la meilleure preuve : " Car qui ne s'e'tonnerait de voir que durant trois cents ans entiers que l'Église a eu à souffrir tout ce que la rage des persécuteurs pouvait inventer de plus cruel, parmi tant de se'ditions, et tant de guerres civiles, parmi tant de conjurations contre la per- sonne des empereurs, il ne s'y soit jamais trouvé un seul chrétien, ni bon ni mauvais (1)? «

Viennent les Barbares, on est tenté de mettre la défaite de Rome sur le compte d'une religion qui prêchait la désertion , et l'on renvoie au traité de TertuUien De corona militis (2). Nous avons relativement à ce point un document que nous reproduisons comme unique dans son genre. C'est le procès-verbal d'un conseil de révision tenu le 12 mars 295 à Theveste (auj. Tebessa) en Algérie (3). Sous le con- sulat de Tuscus et d'Annulinus, le 4 des ides de mars, à Theveste, on introduit Fabius Victor avec Maximilien. Le commissaire Pompeia- nus reçoit la parole et dit : a Fabius Victor, chef du bureau de recrute- ment, et Valesianus Quintianus, délégué de César [prœpositus Cœsa- riensis), se présentent avec le conscrit Maximilien, fils de Victor, et comme il paraît bon pour le service, je demande qu'on le toise. « Dion, le proconsul, dit alors : « Comment t'appelles-tu? ->^ Maximilien répondit : « Pourquoi veux-tu savoir mon nom? Je ne puis pas servir,

qu'il revendiquait rexemption du service militaire pour ses coreligionnaires, loc cit.,

C. LXXIU.

(1) Discours sur l'histoire universelle, deuxième partie, § 12.

(2) Ce traité n'est qu'une tliéorie de l'auteur. Interrogeons Tertullien sur les

faits ; Apologet., c. xlii : Naviganius et nos vobiscum, et militamus, et rusticamur

C. XXXVII : Heslerni sumus et vestra omnia implevimus, url)es, insulas, castella, municipia, conciliabula, castra ipsa. Voir pour sa réfutation en général, par lui- même, lorsqu'il n'était pas hérétique, De Q. S. F, TertulUano, thèse soutenue en 1855 par M. A. de Margerie.

(3) Traduction littérale du texte donné par Ruinart (éd. de Ratisbonne), p. 340.

12.

180

jiarce que je suis chrétien. " Le proconsul dit : '^ Qu'on l'approche (le la toise. i' Et tandis qu'on l'approchait, Maximilien lépondit : « Je ne puis servir, je ne puis faire mal, je suis chrétien. « Le proconsul dit : " Qu'on le toise." Quand il eut été toisé, l'employé lut : « Il a cinq pieds dix pouces. " Dion dit à l'employé : « Qu'on le marque. » Et Maximilien répondit : '^ Je ne m'y prêterai pas-, je ne puis servir. » Dion dit : « Sers, si tu ne veux pas mouiir. « Maximilien répondit : u Je ne servirai pas, ti"anche-moi la tête, je ne sers pas le monde, mais je sers mon Dieu. « Le proconsul dit : " Qui t'a persuadé cela? » Maximilien : " Ma raison, et celui qui m'a appelé à la foi. i' Dion dit à Victor son père : « Conseille ton fils. « Victor répondit : " C'est à lui de savoir ce qui lui convient; il a son bon sens. " Dion à JMaximilien : « Sers et reçois la marque de la milice. « 11 répondit : « Je ne recevrai pas la marque, je porte déjà le signe du Chiist mou Dieu. " Dion dit : « Je vais t'envoyer à ton Christ. « 11 répondit : « Je ne désire que cela, ce sera mon titre de {jloire. » Dion à l'employé : « Qu'on le marque. » Et comme il se débattait, il disait : " Je ne recevrai pas la marque de la milice du siècle, et si tu m'en revêts, je la briserai parce qu'elle ne vaut rien. Je suis chrétien, il ne m'est pas permis de porter le collier de plomb, après avoir reçu le signe salutaire de Xoti'e- Seigneur Jésus- Christ, fils du Dieu vivant que tu ignores, qui a souf- fert pour notre salut, que Dieu a livré pour nos péchés. C'est celui-là que nous tous, chrétiens nous servons; il est le maître de notre vie, l'auteur de notre salut. « Dion dit : " Sers et reçois la marque de la milice, si tu ne veux pas mourir misérablement. " Maximilien répondit : « Je ne périrai pas, j'ai dt^à donné mon nom à mon Seigneur, je ne puis servir. ;> Dion dit : « Réfléchis à ta jeunesse et sers à l'ar- mée, cela est de ton âge. " Maximilien répondit : " Je suis au service de mon Seigneur, je ne puis servir le monde. Je te l'ai déjà dit, je suis chrétien. « Le proconsul dit : « Dans la garde sacrée de nos seigneurs Dioclétien et Maximien, Constance (Chlore) et Maxime (Galère), il y a des soldats chrétiens au service (1). » Maximilien ré-

(1) Le plus iHustre, et celui qui est resté le plus populaire sans couircdil, est saint Sébastien, martyrisé à Rome par Maximien.

181

pondit : " C'est à eux de savoir ee qui leur convient. Pour moi, je suis chre'tien et ne puis faire le mal. " Dion demanda . « Ceux qui servent, quel mal font-ils? « Maximilien re'pondit : « Tu sais bien ce qu'ils font(l)." Le procureur Dion dit : "Sers, de crainte qu'en refusant le service, tu n'ailles à ta perte. « Maximilien répondit : " Je ne pe'rirai })as, et quand je serai sorti de ce monde, mon âme vivra avec le Christ mon Seigneur. » Dion dit : « Itffacez son nom. » Lorsque son nom fut effacé, il ajouta : " Puisque par insubordination tu refuses le service, tu encours la peine de droit comme les autres. « Et il lut sur sa tablette le jugement : «Maximilien, qui a refusé par insubordination le service militaire, est condamné à avoir la tête tran- chée (gladio animadverti placuit). « Maximilien répondit : « Deo gra- tias. » 11 avait vingt et un ans, trois mois et dix-huit jours. Sui- vent les détails de l'exécution. Voilà donc un exemple de l'appli- cation des doctrines rigoristes de Tertullien (2) ; mais le proconsul lui-même indique qu'il avait peu d'imitateurs, et d'ailleurs nous igno- rons si des raisons légitimes ne justifiaient pas l'attitude du jeune homme dans cette circonstance particulière.

Une règle à l'endroit de laquelle l'Église entière était unanime, c'est le respect du à l'autorité constituée : règle aussi ancienne que le christianisme. Tertullien nous l'apprendrait au besoin; avec lui, nous entendrons la série des écrivains ecclésiastiques, dont le témoignage ne pouvait être que désintéressé aux siècles de la persécution. « JNous sollicitons pour tous les empereurs, affirme-t-il (3), une longue

(1) Us pouvaientêlre exposés à sacrifierauxidoles, témoin le martyrecontemporain de quatre greffiers militaires de la préfecture urbaine. La passio IV Coroiuuorum a été récemment l'objet de nombreux travaux en Allemagne énumérés dans l'article que M. DE Rossi lui a consacré, Bull., 1879, p. 45. Le cas était posé de la manière suivante par Tertullien, Uc idololair., c. xix : Quœritur an fidelis ad militiam con- verti possit, et an militia ad fidem admitti, etiam caligata, vel infcrior quoque, cui non sit nécessitas immolationum vel capiialium judiciorum?

(2) JosÈPHE, Ant.Jud., 1. XVUI, c. IV, 5, rapporte que lorsqu'on transporta.quatre mille de ses compatriotes de, Rome en Sardaigne, sous Tibère, tiXeicttou; èxôXaaav (lY) 6éXovTaç cTTpaTEijEaÙat otà cpuXaxr,v twv Ttaxpiojv vofxwv.

(3) Apologét., c. xxx-xxxii : Oramus pro omnibus imperatoribus vitam illis pro- lixam, imperium securum, domum tutam, eiercitus fortes, senalum fidelem, popu- lum probum, orbem quietum... Nos judicium Dei suspicimus in imperatoribus, qui gentibus iilos praefecit; id in eis scimus esse quod Deus voluit, ideoque et salvum

182

vie, un règne paisible, un inte'rieur plein de sécurité, des armées courageuses, la fidélité du sénat, la loyauté du peuple, la soumission du monde. « Et il ajoute que c'est chose très-naturelle : « Car nous voyons dans les empereurs la main de Dieu qui les a mis à la tête des nations, nous reconnaissons en eux sa volonté, et nous vouions que la volonté de Dieu soit f.iite. « Théophile, s' adressant à Autolycus, répète (1) : « Si tu me demandes pourquoi je n'adore pas l'empereur, je te répondrai qu'il n'a pas été fait pour qu'on l'adore , mais pour qu'on lui rende honneur; en effet, il n'est pas dieu, mais homme. Honore-le en lui souhaitant du bien, en lui obéissant, en priant pour lui; par là, tu accompliras la volonté de Dieu. « « j\ous n'adorons que Dieu seul, dit saint Justin aux Antonins (2); mais pour le reste, nous vous servons avec joie, vous proclamant les empereurs et sou- verains des hommes, et faisant des vœux afin que votre jugement soit trouvé à la hauteur de la puissance suprême. « L'évêque de Smyrne , saint Polycarpe , recommande aux Philippiens (3) " de prier pour les empereurs et tous les détenteurs du pouvoir, pour ceux qui persécutent et haïssent les fidèles, pour les ennemis de la croix « . Nous citerons enfin tout entière la prière que suggérait aux Corin- thiens le pape saint Clément; c'est la mise en pratique de la recom- mandation (4) : « Donne, Seigneur, la concorde et la paix à nous et à tous les habitants de la terre, comme tu l'as donnée à nos pères qui t'invoquaient pieusement dans la foi et la vérité ; car nous obéissons à

volumus esse quod Deus voluit. Et cependant il était loin de prévoir alors Con- stantin, loc. cit., c. XXI : Aut si et christiani potuissent esse Ca^sares !

(1) Ad Aulolyc, 1. I, c. xi : Tbv paat)ia xif^a vj^/oGiv «-jtw, 'jTtoTaacôiAîvoç aCtâ», ey-/'^H-£'^0Ç y'tèp aùroO toOxo yàp notwv, ■notîîç bi\i]\i.ci toO t)£oO.

(2) I Apol., c. XVII : "OÔEv 0£bv (jlÈv 7tpocrxuvoO|jiev, û|xîv ôè ixpbç a).).a xaîpovreî •îi7tr,pEToO|x£v, pafftXeîç xa\ ap"/ovTaç avOpwTtwv 6(1.oXoyoOvt£i; xa\ eu-/ô[i.£voi [j.£Tà tïjî paaiXixîjç ouvâ|j.£Wi; xai dwçpova tôv )-0YK7ixbv ïyo^i^c, y|j.â; £Ûp£0?jvai. P. 54 de l'éd. OttO.

(3) Ép. aux Philipp., c. xii, 3, p. 281 de l'éd. Funk.

(4) / Ep., c. XL, 4 : Abç ô];.civotav xa\ £lpr|V^(V TiIxîv xa\ Ttàdtv toÎ; xaroixoOatv ttjv yîjv, xa6àj; EÎwxa; toi; Traxpâirtv r,(j.wv, £7ttxa),ou|X£v(ov auTtov àrriioç £v :itTT£i xx\ a),r,0£ia ■Cnr/jxôo'ji; yivo(j.£Vouç t(o TravToxpâxopi xa\ TiavapÉTw ovô[xaT( aoy, xoî; apyouiriv xa\ f,yo'j(j.£voti; r,iJwv £7c\ tr,; yr,?, xx)-. P. 138 de l'éd. Funk. La traduction est em- pruntée à la lirvue du monde cntholique, 10 juin 1877, M. l'abbé Duciiksne ajoute : " Dans ce conert de voix si diverses et si autoiisées, qui toutes prêchent l'obéis- sance à l'empire et à ses fonctionnaires, la note affectueuse, si je puis m'exprimer ainsi, ne se rencontre que dans la bouche de Clément. >

183

ton nom tout-puissant et parfait, ainsi qu'à nos princes, à nos magis- trats qui nous gouvernent sur la terre. C'est toi. Seigneur, qui leur as donne' le pouvoir et l'empire, par la vertu magnifique et ine'narrable de ta puissance , afin que, connaissant la gloire et l'hon- neur que tu leur as de'partis, nous leur soyons soumis et ne re'sis- tions pas à ta volonté'. Accorde-leur, Seigneur, la sanle', la paix, la concorde, la tranquillité' d'esprit, pour qu'ils puissent exercer sans obstacle l'autorité' que tu leur as confie'e. Car c'est toi. Maître céleste, roi des siècles, qui donnes aux enfants des hommes la gloire, l'hon- neur, la puissance sur les choses de ce monde; dirige Seigneur, leurs conseils selon ce qui est bien et agre'able à tes yeux, afin qu'exer- çant paisiblement et avec douceur la puissance que tu leur as donne'e, ils te trouvent propice. « Ainsi parlait un e'vêque de Rome au lende- main de la mort de Domitien. 11 ne faisait lui-même que se conformer à la pre'dication des apôtres sous iXe'ron. Saint Paul avait averti les Romains dès 58 : « Les gouvernements qui existent ont été' établis par Dieu, de sorte que quiconque leur est opposé est opposé à l'ordre éta- bli par Dieu (1). « Saint Pierre ne s'était pas montré moins explicite : V. Soyez soumis à toute créature humaine à cause du Seigneur, à l'em- pereur comme souverain, et aux magistrats comme envoyés par lui pour juger les méchants et louer les bons (2). »

Le point de vue auquel se place M. Fustel de Coulanges est donc exact, lorsqu' envisageant les conséquences de l'enseignement du Maî- tre dans la conduite pohtique des disciples, et rappelant la célèbre parole : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, il ne prend pas le précepte de distingue?- les rapports respec- tifs des deux puissances pour synonyme de celui de les détruire. « On peut d'ailleurs remarquer, dit-il, que, pendant trois siècles, la reli- gion nouvelle vécut tout à fait en dehors de l'action de l'État ; elle sut se passer de sa protection et lutter même contre lui. Ces trois

(1) Ep. aux liom., C. Xiii, V. 1-2 : A\ os o\)(7oli è^ouac'ai xjtzo toO ©soO T£TaY[J.£vat £c<7sv (ome 6 avxtxaaTÔfJievoç xrj l'^ovui'x, Tr| xoO ©eoO ôtaxayvi àvQéax'/ixev.

(2) lEp., eu, V. 13-14 : 'Ynoxây^xe oSvuâff-/! àvôpwjiwv) xxtGEt otàxbv Kyptov,£Îx£pa(7iX£Î toç Û7t£p£-/ovxi, £i,'xe r|Y£[jL6(7tv ôt' aùxoO 7t£[i.7to[jt.£vot; £1; £xSixY)(7iv [aev xaxoTtotwv, Euatvov Se àyaOûitottùv.

184

siècles établirent un abîme entre le domaine du {j-ouveiiienieiit et le domaine de la religion. Et comme le souvenir de cette glorieuse épo- que n'a pas pu s'effacer, il s'en est suivi que cette distinction est de- venue une vérité' vulgaire et incontestable que rien n'apu déraciner ( I ) . » Si l'on objecte qu'en effet elle devait être bien ancre'e dans rrs|)rit de saint Augustin pour qu'il en fit la base de sa Cité de Dieu, à l'in- stant où les ruines de Rome fumaient encore, il n'est pas malaisé de répondre qu'il devait à ses contemporains de tirer des événements la leçon si frappante qui est devenue sous sa plume la première et l'une des plus éloquentes pages de la philosophie de l'histoire et que, du reste, il fit mieux que de répandre des plaintes stériles, en accueillantàHippone les fugitifs de la grande cité qui n'était plus. Quant aux débris matériels, pour ainsi dire, de la civilisation ro- maine, nuls ne les recueillirent et préservèrent avec plus de soin et de dévouement que tous ces pontifes romains, dont saint Grégoire le Grand, le patricien de l'antique gens Anicidj, jieut servir de type ; et c'est même leur véritable titre de succession à l'Empire qui les avait combattus si longtemps, et qu'ils voyaient présentement céder sous les coups redoublés des envahisseurs.

M. Le Blant, étudiant le détachement de la patrie chez les anciens (2), a montré comment le sentiment chrétien d'un royaume qui n'est j)as de ce monde s'alliait à l'amoui- du sol natal. « Au moment, remarque- t-il, l'oubli des liens terrestres semble avoir fait tant de progrès dans les âmes, saint Ambroise dit, comme autrefois les plus dévoués enfants de la Grèce et de Rome : Le citoyen doit se tenir plus heu- reux de conjurer les dangers de la patrie que d'échapper lui-même à un péril (3). » Savoir le pays sauvé, dùt-on mourir pour lui, tel est le vœu d'un autre évêque(4). Les actes répondent à ces paroles. En

(1) La Cité antiqur^TÇ). 518 (Paris, 186î). Ce passagc d'un ouvrage pleiu de vues ori- ginales se couiplèle par rol)ser\ation suivante, euipriinlc-c ii un livie non moins profond en son yciire, le Doute, d II. m: Cossolks (Paris, 1867), p. 110 : l,'Kg[is,c ca- tholique seule a éta!)!!, seule a maintenu la distinction de l'Évangile entre Dieu et César; partout en dehors d'elle, la loi de César est tenue pour la loi de Uieii. »

(2) Comptes rendus de l'Acad. des iiiser., 1872, p. 372 et suiv. {.'}) Deo/Jic. ministr., 1. III, c. m, 23.

(4) Synesius, Epist. 107.

- 185

même temps qu elle enseigne à lever les regards vers la cité d'en haut, l'Eglise condamne et frappe les lâches qui abandonnent les aigles romaines (1); quand viennent les jours de Tinvasion, ses ministres s'honorent de rester au poste du pe'ril dans les villes assiëge'es (2), ou courent au premier rang de ceux qui tentent d'arrêter les Barbares (3). Et il cite les exemples de Synesius danslaCyre'naïque.de Sidoine Apollinaire sur notre terre de Gaule; il est inutile de les multiplier. Lors même que tout secours humain faisait défaut, les pasteurs des âmes ne se considéraient pas comme désarmés, témoin saint Léon en face d'Attila (4). Ils méritèrent donc tout de la confiance et de la recon- naissance des peuples, « Et s'il est vrai, comme l'ont écrit les plus illustres historiens, que l'Eglise sauva le monde des ténèbres et du chaos au lendemain des invasions barbares, il faut reconnaître que le miracle du dévouement apostolique fut alors soutenu par la sagesse, l'expérience et la fermeté déjà traditionnelles d'une Église qui avait pris l'habitude de connaître le pouvoiretde rexercer(5).» Trois siècles de lutte l'avaient préparée à l'exercice du pouvoir, quand, l'Empire épuisé s' étant transporté à Byzance, elle se trouva seule pour recueil- lir l'héritage de la puissance romaine.

Aujourd'hui nous retrouvons la papauté dans Rome, réduite déplus en plus à une autorité morale comme aux jours de la persécution, mais n'en sachant pas moins défendre et conserver le gouvernement du monde, cette portion inaliénable du patrimoine de saint Pierre (6).

(1) Conc. Arelal., I, n" 314, C. iii. Cf. \e Manuel d'épigraphie chrétienne, d M. L Blant (Paris, 1869), p. 15.

(2) Saint AuGUST., Epist. 228, § 8.

(3) Synes., Episi. 88, 108, 113, 125, etc.

(4) Le Liber poniijiculis dit avec une iiinplicité qui ne manque pas de grandeur : » Hic, propler nmien Roinauuni suscipiens legationem, ambulavit ad reyeiu Uiino- rum nomiiie Attilam et liljeravit lotam Italiam a periculo liostiuiii. "

(5) L'abbé Perreyve, Entretiens sur l'Eylisc catholique, cours professé à laSorbonne, (Paris, 1865), t. II, p. 323. L'épitaphe de saint Grégoire le Grand, mort en 604, dit :

Hisqiie Dei consul factus Ixtare triumphis.

(6) Cette pensée avait été très-heareusement exprimée par un Gaulois du cin- quième siècle, SAINT Prosper d'Aquitaine, Oe ingratis, v. 40 :

Sedes Roma Petri, qux. pastoralis honoris Facta caput inundo, quidquiti non possidet armis Religione leiiet.

186

Tant il est certain que la prédiction du vieil Anchise à Ene'e se vérifie toujours (1) :

Tu regere imperio populos, Romane, mémento; Hae tibi erunt artcs.

Virgile avait chante', lorsque Je'sus-Christ vint au monde. Trois siècles plus tard, le poëte florentin, héritier de son génie, s'inspira de sa pense'e prophétique. Qu'il nous soit permis, pour conclure, d'em- prunter la réflexion de Dante au sujet du pieux héros, père de l'État romain (2) :

Non pare indegno ad uomo d'intelletto Ch'ei deir alla Roma, e di suo 'mpero Kell' empireo ciel per padre eletto ; La quale, e '1 quale (a voler dir lo vero) Fur stabiliti per lo loco santo, U' siede il successor del maggior Piero.

(1) ^neid., 1. VI, V. 851.

(2) Inferno, cant. II, terz. 7-8. Traduction de M. Ratisbonne, couronnée par l'Aca- démie française .

Notre raison l'admet sans beaucoup de surprise. Dans les décrets du Ciel, cet heureux fils d'Anchise De Rome et de l'Empire était le fondateur : \'ille sainte, A vrai dire, empire séculaire Fondés pour devenir plus tard le sanctuaire Cil de Pierre aujourd'hui siège le successeur.

MEMOIRE

RELATIF A LA DATE DU MARTYRE DE SAINTE FÉLICIT: ET DE SES SEPT FILS

Nous avons attendu jusqu'ici pour traiter une question spe'eiale, qui paraîtrait peut-être moins importante, si elle n'avait eu, la contro- verse s'en étant emparée, le privilège d'arrêter depuis un certain temps l'attention des historiens. Cette dérogation à l'ordre chronolo- gique de notre thèse aura le double avantage de permettre de donner à la discussion l'étendue qui lui convient, et de fournir une application immédiate aux idées précédemment exposées. Nous voulons parler de la place que sainte Félicité doit occuper dans la liste des martyres chrétiennes et des femmes qui honorent l'humanité.

Empressons-nous de dire qu'un écrivain de la fin du siècle dernier ne lui a pas épargné ses sarcasmes, à elle et à une autre mère dont nous avons déjà feit mention (1). " Vient ensuite, dit quelque part Voltaire (2), une sainte Symphorose avec ses sept enfants, qui allèrent voir familièrement l'empereur Hadrien dans le temps qu'il bâtissait sa belle maison de campagne à Tibur(3). Hadrien, quoi-

(1) V. notre deuxième partie, § III, p. 95.

(2) Essai sur les moeurs, c. IX. Ce chapitre, relatif aux Actes des martyrs, se termine ainsi qu'il suit : "Tant de fraudes, tant d'erreurs, tant de bêtises dégoûtantes, dont nous sommes inondés depuis dix-sept cents années, n'ont pu faire tort à notre reli- gion. Elle est sans doute dvine, puisque dix-sept siècles de friponneries et d'im- bécillités n'ont pu la détruire; et nous révérons d'autant plus la vérité, que nous méprisons le mensonge. »

(3) Le P. San Clémente, qui avait trouvé parmi les ruines de la villa d'Hadrien un grand nombre de briques de diverses fabriques, mais toutes marquées du consulat de

188

qu'il ne persécutât jamais personne, fit fendre en sa pre'sence le cadet des sept frères, de la tête en bas, et fit tuer les six autres avec la mère par des genres diffe'rents de mort, pour avoir plus de plaisir. Sainte Fe'licite' et ses sept enfants, car il en faut toujours sept, est interrogée avec eux, juge'e et condamnée parle j)réfet de Rome dans le champ de Mars, l'on ne jugeait jamais personne. Le

préfet jugeait dans le prétoire; mais on n'y regarda pas de si près "

Aujourd'hui on y regarde de plus près, et l'histoire véridique a donné plus d'un démenti à Voltaire. A coté de la maison d'Hadrien et à l'entrée de Tivoli, se trouvait le temple d'Hercule, sous les portiques duquel on sait que les empereurs tenaient leur tribunal(l), et c'est qu'eut lieu l'entrevue « familière « entre le prince païen et la femme de la ville voisine dénoncée comme chrétienne. Si celle-ci donna à ses enfants l'exemple du refus de sacrifier, que ce fût devant la statue d'Hercule ou devant celle d'Hadrien, le rescrit deTrajan était formel. Quant à la torture, qui se persuadera qu'elle n'était pas en usage avant le dix-huitième siècle ?

On a pris garde aussi que le Forum, qui entourait le temple de Mais Vengeur à Rome, n'avait rien de commun avec le champ de Mars, qu'il avait même été construit par Auguste pour rendre la justice (2), et même mieux, que sous les Antonins, û àYn'itveçnle secrelarium de la préfecture urbaine, tandis que plus tard ce « prétoire « fut trans- porté ailleurs. C'est ce qui résulte d'un travail allemand récent sur la

Paetinus et Apronianus, c'est-à-dire de Tannée 123, disait, De vulgaris œrœ emcndatione (Rome, 1793), p. 159 : "Habes itaque et villain Uadrianani ejus jussii niaynis suinpti- bus sunimaque celerilate a-dificari cœptam sub hisce consiilibus. lui tenant compte du texte de l'Hue TAiicien, I. XWV, § 14, « adificiis nonni>i i)imos (laleres) pro- bant », nous pensons avec M. Gkffroy (article sur les Inscriptions doUaircs latines, de M. Descemet, dans la liev. archèoL, 1880, t. II, p. 96) que la construction de lu villa a coHimencé probalileuienl après le premier retour de l'empereur à Home, en 125. Mais Hadrien l'habita seulement à son retour définitif en 135; et c'est alors que se place la prise de possession solennelle, 1 \ dédicace que les actes don- nent comme l'occ ision du martyre.

(1) SuÉroNE, Oci. vil., c, Lxxri : Tibur ubietiamin porticibus llcrculis templi per- sa'pe jus (lixit.

(2) Suétone, Oct. vit., c. x.xi.x : Fori exstruendi causa fuit h(tminum et judiciorum multitudo, qua; videbatur, non sufficientibus dnobus, eliam lerlio indi{;ei'e. Itaque festinatitius, necduni perfecla Martis ade, publicatum est cautuniquc ut separa- tim in eo publica judicia et sortitiones Judicum fièrent.

189

topographie de Rome (1). M. de Rossi, de son côte', à propos d'une de ces marques que Ton suspendait au cou des esclaves, à rinstai\des col- liers que nous mettons aux chiens, a montre' que dès le quatrième siècle l'ancien Forum d'Aug'uste, changeant de destination, e'tait devenu le rendez-vous des professeurs d'e'loquence classique, et des copistes et correcteurs de manuscrits. La marque en question ayant servi des deux côte's, voici celui qui nous inte'resse (2) :

^ TENE ME ^

ET REVOCA ME IN

FORO MARTIS AD

MAXIMIANVM

ANTIQVARI

VM

Elle doit être compare'e à l'annotation qui termine le onzième livre des Métamorphoses d'Apule'e dans un manuscrit de Florence : Ego Salustius legi et emendavi Romœfelixj Olibrio et Probino v. c. cons. (395), in foroMartis, controversiamdeclamans oratoriEndelechio, etc. Endelechius n'est sans doute autre que l'ami de saint Paulin de Noie, Severus Sanctus, qui portait pre'cise'ment ce surnom (3). Or les chre'- tiens que nous rencontrons là, pacifiquement installe's, n'y avaient pas toujours joui du même avantage (4); et un document qui reflète l'état de choses primitif se recommande à nous par ce fait même. Mais les actes de sainte Fe'licite', dont Voltaire avait cru se moquer, ont déplu de nos jours à un autre philosophe ; nous allons examiner si les objections élevées par M. Aube (5) contre leur témoignage paraissent plus décisives.

(1) Jordan, Topographie der Sladl Rom ini Althcrlhum (Berlin, 1871-78), t. H, p. 489 : Unter den Antoninen scheint er (pr«fectus Urbis) sein Tribunal auch auf deni Fo- rum des Augustus aufgeschlageii zu hahen, unter Uiocletian wird es bereits uni Tellustempelerwaehnt... ain Friedeustempel in foro Vespasiani, nach spacter Bezei- chnung.

(2) Bull., 1874, p. 41 et s.; cf. pi. ii. Le monogramme du Christ est de la première forme, dite constantinienne.

(3) Ibid., p. 53.

(4) V. l'avant-propos.

(5) Du martyre de sainte Félicité et de ses sept fils, Comptes rendus de l'Acad, des iiiscr., 1875, p. 125-138; et à la fin de V Histoire des persécutions, p. 439 et S.

190

Il convient d'abonl de reproduire ces actes. Adon (1) en avait fait un extrait, et Mombritius (2) les avait abre'ge's. Depuis, sans e'numërer toutes les publications, ils ont figure en entier dans lo recueil de Rui- nart(3) et dans celui des Bollandistes(4j. Actuellement on n'en compte pas moins de trente-quatre manuscrits à Paris, dont trente-deux à la Bibliothèque nationale (5), un à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (6) et un à celle de l'Arsenal (7). Nous les avons tous vus, et nous donnons le texte de celui qui se trouve être à la fois le plus correct et le plus ancien. C'est le manuscrit n" 5209 de l'ancien fonds latin (Bibliothèque nationale); il a été' transcrit au neuvième siècle et contient, avec plu- sieurs autres passions de martyrs, trois pages de notations grégoriennes. En tête, il porte la mention suivante: Hune Uhriim jussit Arnoldus scrihi, qui legit oret pro ipso. 11 a appartenu à un conseiller au parlement de Paris, Claude Dupuy, dont le fils Jacques légua sa bibliothèque à celle du Roi, il [)assa sous le u" 4175. On y lit :

Fol. 32, recto. « Incipit passio sanctae Felicitatis cum septem filiis suis mense julio die decimo. id., verso. « ïemporibus Antonini imperatoris orta est seditio pontificum, et Félicitas, inlustris femina, cum septem filiis suis christianissimis tenta est. In viduitate permanensDeo suam voverat castitatem. Dienoctuque orationibus vacans, magnam de se œdificationem castis mentibus dabat. Videntes autem pontifices praeconia per hanc christiani nominis pro- fecisse, suggesseruntde ea AntoninoAugustodicentes: Contra salutem vestram mulier haec vidua cum filiis suis diis nostris insultât. Quœ si non venerata fuerit deos, sciât pietas vestra deos nostros sic irasci ut

(1) Martyrologe, éd. Giorjïi, p. 590, au 23 novembre.

(2) lit. Sanct., t. I, fol. 306.

(3) Actamari. (éd. de Ratisbonne), p. 72.

(4) Acta sanct., t. III de juillet (éd. d'Anvers), p. 12.

(5) N"' 3278, .5271, 5274, 5278, 5280, 529G' , .')296r', 5299, 5306, 5308, 5310, 5312, 5324, 5577, 5593, 5666 de l'ancien fonds; 9739, 10362, 10872 du supplément ; 11753, 11758, 11759, ;1884, 12611 de Saint-(;ermain des Prés; 14363, 14365 de Saint-Victor; 15437 de la Sorbonne; 16734, 16735 de Saint-Martin des Champs; 17005, 17007 des Feuil- lants, cl 2169 des nouvelles acquisitions (abbaye de Silos. Espagne).

(6) N" Il 8\ provenant de l'abbaye des Génovéfains.

(7) N"996, ayant appartenu aux Carmes déchausses.

191

penitusplacarinonpossint.TimcimperatorAntoniniisinjiinxitpr.'çfecto

Urbis Publio, ut eam compelleret cuni filiis suis deorum suorum iras

sacrificiis mitigare. Publius itaque praefectus Urbis jussit eam privatim

adduci, et blando coUoquio ad sacrificium eam provocans minatur

pœnarum iuteritum. Cui Félicitas dixit: Nec blandimentis tuis resolvi

potero, nec terroribus tuis frangi. Habeo enim Spiritum Sanclum qui

me non permittit vinci a diabolo, et ideo secura sum quia viva te

superabo. Et si infecta fuero, melius te vincam occisa. Publius dixit :

Misera, si tibi suav3 est mori, vel filios tuos fac vivere. Félicitas

respondit: Vivunt filii mei, si non sacrificaverint idolis. Si vero hoc foI. 33, recto,

tantum scelus admiserint, inœternum erunlinteritum. Alianamquedie

sedit in foro Martis, et jussit eam adduci cum filiis suis, cui et dixit :

Miserere filiis tuis juvenibus bonis, et flore primée juventutis floren-

tibus. Respondit Félicitas : Misericordia tua impietas est, et exortatio

tua crudelitas est. Et conversa ad filios suos dixit : Videte, filii, cœlum

et sursum aspicite, ubi vos expectat xp? cum sanctis suis. Pugnate pro

animabus vestris et fidèles vos in amore x.P' exhibete. Audiens haec

Publius, jussit eam alapis caedi dicens : Ausa es me présente ista

monita dare , ut dominorum nostrorum statuta contempnant. Tune

vocatprimumfilium ejus nomine Januarium, et infinita illi promittebat

bona prfesentia, et mala verberum comminatus est, si sacrificare idolis

contempsisset. Januarius respondit : Stulta suades, Nam sapientia

Domini me conservât, et faciet me lia^c omuia superare. Statim judex

jussit eum virgis caedi, et in carcerem recipi. Secundum vero Felicem

ejus filium adduci praecepit. Quem cum hortaretur Publius ad immo-

landum idolis, constanter dixit : Unus est Deus quem colimus, cui

sacrificium pice devotionis offerimus. Vide ne tu credas me aut aliquem foI. 33, verso.

fratrum meorum a Domini Jesu XP' amore recedere. Etsi immineant

verbera et injusta consilia, fides nostra nec vinci potest nec mutari.

Et islo amoto, jussit tertium filium nomine Pliilippum applicari. Cui

cum diceret : Dominus noster imperator An toninus jussit ut diis omni-

potentibiis immoletis, respondit Philippus et dixit : Isti nec dii nec

omnipotentes sunt, sed sunt simulacra vana et misera et insensibilia,

et qui eis sacrificare voluerintin «Bternum erunt periculum. Et amoto

192

Philippo, jussit adesse quartum Silanum. Cui sic ait : Ut video, con- venit vobis cimi pessima matre vestra hoc consilium, ut praecepta principuin contemnentes, omnes simiil incurratis in interitiim. Res- pondit Silaniis et dixit: Nos si traiisitorium timiierimus interitiim, sternum incurremus supplicium. Et quoniam vere novimus quœ prœmia sunt parata justis et quae sit pœna constituta peccatoribus, idcirco securi legem romanam contemnimus, ut jussa divina servemus ;

Fol. 34, recio. idola contcmnentes, ut Deo omnipotent! famulantes vitam œternam inveniamus. Adorantes autem dai'monia, cum ipsis in interitu eruntet in sempiterno incendio. Et amoto Silano, jussit quintuni pr.Tsto esse Alexandrum. Cui dixit : ^Miserere aetati tuai et vitœ in inlantia positœ, si non fueris rebellis, et secutus fueris ea quae sunt régi nostro Antonino gratissima. Unde sacrifica diis, ut possis amicus Augustorum fieri, et vitam habere et gratiam, Respondit Alexander : Ego servus xf t sum, ore confiteor, corde teneo, incessanter adoro. Infirma .Ttas quam vides, canam habet prudentiam et ununi Deum colit. Dii autem tui cum cultoribus suis erunt in interitum. Et isto amoto, jussit sextum Vitalem applicari. Cui et dixit : Forte vel tu optes vivere et non in interitum devenire. Respondit Vitalis : Quis estqui optât vivere melius, qui verum Deum colit, an qui dœmonem optât habere propitium ? Publius dixit : Et quis est dœmon? Vitalis respondit : Omnes dii geu- tium daemoues sunt, et omnes qui colunt eos. Et hune [a] amoto jussit septimum Martialem ingredi. Cui dixit : Crudelitatis vestr.'B fauc- tores [h) effecti, Augustorum instituta contemnitis, et in vestram per-

Foi. 34, verso, niciem permanetis. Respondit Martialis : 0 si nosse poteras, quae pœnae cultoribus idolorum parata^ sunt. Et adliuc non tardât Deus iram suam a vobis et idolis veslris demonstrare. Omnes enim qui non confitentur /pm verum esse Deum, in aiterno incendio erunt. Tune jussit et hune septimum amoveri. Et gestis orania sciipta per ordinem régi Antonino ingessit. Tune Antoninus misit eos per varios judices, ut variis suppliciis laniarentur. Ex quibus unus judex, fratrem pri- mum ad plimibalas (c) occidit. Aller, secundum et tertium fustibus niactavit Alius, (jiiartum per pra^cipicium interemit. Aller, quintum et sextum et septimum, capitalem subire fecit sententiam. Et matrem

eorum, capite tiuucarit jussit. Et yariis suppliiiis in hoc sseculo inté- remit eos. Facti sunt universi victores et martires /.et qui cum matre triumphantcs, ad «terna prœmia convolarunt in cœlos. Qui pro Dei amore, minas hominum, pœnas et veibera contemnenles, /.pt amici facti sunt in i egno cœlorum, qui cum Pâtre et Sanclo Spiritu vivit et régnât in sœcula sœculorum. Amen. «

(ff) Le Ms. 5310 du mcnic fonds (autrefois, Colbcrt 3281) contient, fol. 78, recto, un texte identique qui reproduit les fautes cxortatio et hune ; la seule variante est celle-ci : jussit sextuni ajiplicari nom'me Vitalem.

{h) (c) Nous adoptons les leçons Jauc/orcs pour factoir^ et ad plumbatas, telles qu'elles existaient avant d'être grattées et corrigées en fautores et plumùads. On les retrouve dans le 5310 et dans d'autres manuscrits encore.

Ces faits appartiennent-ils à la seconde anne'e de iMarc-Aurèle , comme le veulent Borghesi, Cavedoni et JM. de Rossi, tel est le pro- blème historique à résoudre. Toutefois, ÏM. Aube demande avec raison que Ton re'ponde à cette question préalable : Que vaut en soi la pas- sion de sainte Félicité (1)? Voici comment lui-même y répond : « Si l'interrogatoire, l'ensemble des questions et des réponses paraissent d'une authenticité inattaquable, il n'en est pas de même du prologue et de l'épilogue. Dans ces limites, les Acies sont apocryphes et leur composition doit être reculée au delà du règne de Dioclétien, vers la première moitié du quatrième siècle au plus tôt. " Le cadre de la dis- cussion étant ainsi tracé, nous commencerons par faire observer que M. Aube tire néanmoins de l'interrogatoire l'une des pi^ncipales dif- ficultés, selon lui, puisqu'il s'en autorise pour substituer la personne d'Antonin Caracalla à celle de ïMarc-Aurèle Antonin : aussi devons- nous l'écaiier dès maintenant.

Cette objection si considérable lui est fournie par a l'expression dominorum nostrorum jiissa (2). Les monuments épigraphiques ,

(1) Loc. cil., p. 457-459.

(2) Notons, par parenthèse, qu'aucun des manuscrits que nous avons vus ne con- tient la \econjussa que donne Ruinart à cet endroit, et tous ont staïuia ou imtituia, sauf deux, lesquels ont moniia, par suite d'une répétition erronée de ce mot qui ap- partient à la ligne précédente.

13

•— 19i

ilit-ii, ueuoiis la montrent employée qu'à la fin ilu deuxième et au commcucemeut du troisième siècle. » Or, il faut remarquer qu'elle se trouve « place'e dans la bouche du pre'fet de la ville, et dans l'hypo- thèse où ce pre'fet serait Salvius Julianus, dans la bouche du plus illustre jurisconsulte du temps, d'un homme qui devait savoir à fond les tours du lauga[je officiel et qui n'e'tait pas de caractère à innover dans l'adulation (1)". N'en de'plaise à l'auteur, l'opinion pre'vaut aujourd'hui que cette expression, si flatteuse qu'on la sup- pose, est bien plus ancienne. Fronton l'emploie continuellement dans ses lettres aux Antonins, et Pline dans sa correspondance administra- tive avec Trajan. De plus, « il semble e'tabli que le titre D. N. figure sur des monumentsante'rieurs à Domitien(2j " . Tel était, pour les inscrip- tions, le sentiment de Marini(3), et il est certain que les marques de briques le portent fréquemment depuis Hadrien. Letronne (4) cite un papyrus du Louvre, daté du règne 'Avtwvivou Kaicapo? xou xupi'ou. Quant aux monnaies, Eckhel(5) attribue la première à ce même Antonin, et il en signale une de Marc-Aurèle et de Lucius Verus, avec la légende : VniîP NIKliC TiiX KTPIiiN CKBACT£2N. D'ailleurs, d'après la mé- thode proposée, à quelle date faudrait-il transporter les Actes des Apôtres? En 61, le procurateur Porcius Festus s'exprime ainsi à propos de l'interrogatoire de saint Paul (6) : aùtou os toutou lirixaXEdaaévou

Tov (JsSaîTOv, e/.piva TTiaTTciv aÙTOv Tcspi ou «(T'^aXs; xi y^ibxi tco xusuo oO>c

£/w. Désormais enfin, nous pouvons invoquer le témoignage décisif de la 2)assio ScilUtanorum, le proconsul Vigellius Saturninus dit

en 180 : 'H ^ùoai|;.ovi'a xou Segko'tou i^^JM'^ aÙToy.pàxopoç (7j.

La plupart de ces exemples, il est vrai, sont grecs ; mais précisé-

(1) Loc. cit., p. 455.

(2) M. LACOL'i.-GAYnT, Revue critique du 27 déc. 1880, p. 514, qui renvoie à Labls,

Marmi ar.tichi Bicscinni, p. 96, n. 4.

(3) Aui deijli Aivali (Rome, 1705), p. 508.

(4) La Statue vocale de Mcmnon (Paris, 183G), p. 189. Il faut ajouter les nombreux graffiti inscrits sur celte statue et portant le nom d'il.idricn avec l'épithcte : toO xupcou (T£ga<JToO. Cf. Corp. inscr. grœc, n»' 4713'', 4722, 4723, 4732, 4736, 4737.

(5) Doclr. num. vcl., t. VMI, p. 361.

(6) Actes, c. XXV, V. 25-26.

(7) Voir en effet les conclusions de M. Aube, Etude sur un nouveau texte des actes des martyrs scillilains (Paris, 1881), p. 19.

195

ment, à l'ëpoquedont il s'agit, le fjrec était la langue parlée à Rome, et nos actes eux-mêmes ont été écrits en grec. Déjà Tillemont (1) s'en était aperçu aux mots régi Antonino qui reviennent deux fois, et dont on ne pourrait autrement rendre -compte, même au quatrième siècle. Borghesi (2) a ajouté à cette considération que, l'usage des Grecs étant souvent de ne désigner les Romains que par leur prénom, on s'expli- quait que le préfet fût simplement appelé Publius (3). De plus, en y prenant garde, on retrouve dans le latin bien des héllénismes traduits, et parfois mal traduits. Qu'est-ce que cette expression trois fois ré- pétée : eriint in interitam, que certains manuscrits corrigent en ihunt, sinon le futur du verbe eTf^-t, aller, confondu avec slai, être ? Et cette autre: crudelitatis vestrœ factores effectif sinon l'équivalent de autoi ôp.iv YiyvouLîvoi Tioir.Toà xwv oeivwv? Citous eucorc la Iccturc souvcut fautivc de 5<a\ exi uéXXêi, et adhuc non tardât Deus : plus d'un copiste sup- prime la négation comme contradictoire en latin. 'KTncj/avr'ç eût été rendu plus complètement par clarissima que par inlustris à la pre- mière ligne (4). On aurait même un cas de réelle inexactitude, si la phrase orta est scditio jwntijicum correspond à GuataGi; eyivsxo xwv îepc'wv, car cocTaaiç, qui a les deux acceptions, devrait être entendu dans celle de réunion, et non de révolte.

Ici nous sommes naturellement ramenés au prologue, au sujet du- quel M. Aube fait la difficulté suivante (5) : « Cette émeute et cette requête en dehors de l'empereur, dont parlent les Actes, ne sont guère admissibles. » Sa formule est peu claire. En effet, une requête adressée par les pontifes à l'empereur se conçoit bien : reste seulement à ex- pliquer leur action commune en dehors de lui. 11 y a pour cela un point

(1) Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique (Paris, 1C94), t. K, p. 324.

(2) Lettre à Cavedoni, dans le t. VMI des OEuvres, p. 5i5 et suiv.

(3) Un mannscrit présente Tortliograplie PupUiis,([\n se rapprocherait de Ilo-juXto;, si eUe n'était plutôt l'effet d'une prononciation gcrnianique.

(î) ConcHESi, loc. cit., p. 133, traduit : clarissimiis puer, la qualification donnée par PnjTAUQiK ù Cornélius Dolabella, lit. /Int., c.ixwiv: 'ETitcpavr,; veavtTxoç. Tonicfois. Tacite, Ann., 1. xi, c. xnt, rapporte que Claude, faisant fonction de censeur, réprima la tenue du peuple au théâtre : quod in Pomponiuni consularem... inque fcminas inlusires proba jecerat.

(5) Loc. cit., p. 460.

13.

196

qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est l'e'poque précise du uiartyre, non quantàranne'e, puisqu'elle est en question, mais quant au mois et au jour, car il n'en est point de mieux e'tublie dans les fastes de l'Eglise romaine, et cela indépendamment des actes qui n'en parlent pas. Le plus ancien calendrier, parvenu jusqu'à nous, pre'sentant les an- niversaires religieux célébrés avant la fin des persécutions (1), con- tient l'indication : VI idiis julias, c'est-à-dire du 10 juillet. Ce jour était si connu des chrétiens de la capitale, qu'ils l'appelaient emphati- quement le jour des martyrs, comme le prouve l'inscription suivante qui fut trouvée en 1732 au cimetière des saints Processus et ^larti- nien, sur la voie Aurélia (2) :

PECORI DVLCIS ANIMA BEMT IN CIMETERO VII IDVS IVL. D(e) V{ositus) POSTERA DIE MARTVRORVM.

Or, c'était la date de la mort d'Hadrien et de l'avènement d'Antonin. Ce jour était nécessairement fêté du vivant de cet empereur : nous avons sa réponse à Fronton, qui s'était excusé une année de n'avoir pu prendre part à la solennité (3). Cessa-t-on de le fêter à partir de l'an- née 161? Nousavonsdes raisons pour croire le contraire. Marc-Aurèle, qui n'avait pas tardé à être associé à tous les privilèges impériaux, fut, en effet, dès 139, agrégea tous les grands sacerdoces (4) : ce qui dut

(1) Ce document, qui fait partie de la collection Philocalienne sous le nom de Dc- positio tnariyruiii, cl qui cependant u'est pas uniquciiicnl un martyrologe, puisqu'il marque la fête de Noël et celle de la chaire de Saint-Pierre, est reproduit dansRLi- NAUT (éd. de Uatisbonne), p. G31.

(2) CoRSiM. à la suite des .Vo/te Grœcorum (Florence, 1740), diss. I, p. 12. Une mention analogue a été lue sur une épilaplie à Sainte-Marie du Trausievèrc, mais le fragment est trop incomplet paur qu'on ait pu s'.issurer de la d.Tle, Bull., 1871, p. 149.

(3) Front. Episi. (éd. Nal;er. Leipzig, 1867), p. 167 : Quum bcne pcrspeclas ba- beam sincerissimas in me affeciioncs tuas, tum et ex meo animo non difficile mihi persuasi, mi Fronio carissime, vel pra-cipue hune diem, quo me suscipcre hanc stationcm (diis) placuit a le potissimum vere religio.sequc cclebrari. Et ego quidcm et vola tua et te mente, ut par erat, repra-sentavi.

(î) Capit., lit. Ant. Phil., c. VI . Adliuc qua-storem cl consulem secum l'ins Mar- cnm designavit... et sevirum turmis cquiluni Romanorum jam consulem désigna tumcreavit, et edenli cum collegis ludos sevirales asstdit... et in collegia sacerdo- tum jubente senatu rccepit. La consiru: lion embarrassée de ce pass.ige n'empêche pas de placer la cooptation avant les jeux qui se célébraient le 15 juillet. Con- sulter aussi les Fasii iucirJotali de BoRCUESi, t. III des OEurrcs, p. 420 et s.

197

arriver le 10 juillet, à cause de la tendance qu'on avait à rattacher ces coojytaliones aux natalUia des princes. S'il en e'tait ainsi, nul ne trouvera plus e'tonnant que les pontifes se soient re'unis, aux approches de l'anniversaire, pour délibérer sur le nombre et la qualité' des victi- mes à sacrifier, [ht?, Actes des Frères Arvales, que nous possédions inscrits sur le marbre, sont les procès-verbaux de délibérations ana- logues.) L'empereur n'avait que faire d'assister à une telle réunion. D'un autre côté, la qualité de i^ntifex maximus donnait à celui-ci à Rome, « ce qui est grave, remarque M. Boissier, un large accès dans la vie privée, car le collège qu'il présidait était le juge naturel des contestations qui s'élevaient sur la sépulture et les adoptions que l'on regardait surtout comme des actes religieux, et devait veiller au maintien du culte domestique (1) ». Tacite et Dion Cassius nous montrent, en plus d'une occasion, comment la surveillance s'étendait aux sacra ])rivata autant qu'aux autres (2), et comment elle s'exer- çait d'une façon toute spéciale sur les personnes en vue, tels que les sénateurs et leurs enfants (3). Ainsi s'explique fort bien la dénoncia- tion à Marc-Aurèle d'une famille chrétienne de haut rang, qui causait scandale : <-^ Cette femme veuve avec ses fils conspire contre votre salut en insultant à nos dieux ; que si elle refuse d'honorer les divinités, sache votre piété (4) que le courroux de nos dieux ne pourra plus être apaisé. »

(1) La Religion romaine d'Auguslc aux Antomns, t. I, chap. des réformes d'Auguste.

(2) Tac, Ann., 1. I, c. 73 : llaud pigebit réfère in Falanio et nuljrio niodicis equi- tibus praetcnta crimina... Falanio ohjiciebat accusator quod, inler cultores Augusti qui per omnes domos in modiim coHegiorum habebantur, etc. Cass., I. LI, c. xix:

Kat £v Toîç (jyacrtTtoK;, oO-/ oxt tûÎ; xoivotç, àXXà xa\ xoî; lôiotç Ttxvcaç aùxià ontévoeiv

EXÉ>v£U(TaV.

(3) Tac, Ann., 1. XVI, C. xxii : Qiiin et iUa ol)jectabat, principio anni vitare Thra- seam solenne jusjurandum : nuncupationibus votorum non adesse quamvis quinde- cimvirali sacerdolio praedituni : numquam pro salute principis aut cœlesti voce im- molavisse. Cass., 1. Xf.VII, c. xviii : Ta ts yavéaia aùxoO o açvocpopoOvTaç xa\ £Ù0ufj.O'j(jivou? udtvTac lop-câîjïiv rivacyxaaav, vo[j.o9£Tr,c7avTE; Toù; \Ù.h aXXo'j; to'j; àjXEXriuavTai; a-jTcov STiapâto'jç tw Au xx\ «'jtw elvat, xou; Si or) jîo'jXcUTà; toûç te utEîç ffcpwv TcévTe xa\ sixotn (■'•''^ptâSa; ôcplicrxâvEiv. Cf. Tert., De idololat., c. xv : l'iures jam invenies elhnicorum fores sine lucernis et laureis, quani christianorum... quiderit Dei, si omnia Caesaris?

(4) C'était le style officiel de l'époque; voir au commencement et ù la fin de la deuxième apologie de saimJlstin. On a des inscriptions Marc-Aurèle est appelé

198 --

Ces paroles des actes avaient suggéré à Boi'g-hesi une remarque pleine d'à-propos. Estimant qu'une rigueur plus grande pouvait être motive'e par des ile'aux, qui sont l'exp; ession populaire de la colère des dieux, il signalait une anne'e ])articulièremeut e'prouve'e par l'inonda- tion et la disette (1), puisqu'elle justifia l'envoi excei)lionnel d'un fonc- tionnaire dans le nord de l'Italie (2). Seulement l'année 162, qui s'impose par ailleurs, comme nous Talions voir, a un tort aux yeux de .M. Aube', celui d'appartenir au règne de IMarc-Aurèle, et cela suffît pour lui faire pre'fe'rer le commencement du troisième siècle, l'on ne signale aucune de ces calamités (3).

Continuons à examiner le prologue et Tcpilogue. L'empereur charge le préfet de la ville de faire une enquête. Le préfet entend d'abord la mère en particulier, puis le lendemain la fait comparaître en public avec ses fils. 11 prend acte de leur refus de sacrifier, et se contente d'ordonner le dépôt au greffe du rapport qu'il adresse à l'empe- reur(4). Alors celui-ci, espérant sans doute qu'en séparant ces obstinés, on en aura plus facilement raison, les envoie devant différents juges, qui, en face de leur persistance, appliquent le rescritde Trajan,

M. Aube s'écrie (5) : « Le préfet de la ville n'est-il pas la première autorité de Rome? Y a-t-il appel de ses décisions et l'appel peut-il descendre? Quels sont ces prétendus juges qui contlamnent après lui? Cela est tout à fait insolite. » Assurément ; aussi les actes parlent-ils d'une procédure toute différente, procédure qui rentre bien dans le caractère de Marc-Aurèle, tel que nous l'a dépeint Capitolin. D'après

Plus de son vivant : 0i\r,Li.i, n^a/Jl; Muratori, p. 4ôô, w 2;Cori). inscr. lai., vol. U, 2553.

(1) Capit., loc. cit., c. VIII : Scd inlerpeUavit islam felicitatem... prima Tiberis inuiidatio, qua; sub illis {)ravissima fuit; qua* rcsct mnUa Urbis a^dificia vcxavit, et plurimum animaliuiii inlciTmit, cl famem {^ravissimam pcperit.

(2) OEuvres, t. V, p. 383 Cl 41C, liibcripliou de Coiicordia ; » Anius Antoninus providentia maximorum iiiiperalorum missus ur(;ciilis annona; difficiillales juvit.

(3) Quand TEUTULLitN dit, à la fin du deuxième siècle, Apulugvt.. c. xl : Si Tiberis ascendit ad ma'uia, si ^ilus non asccndil iii arva, si cu-luin slelit, si terra movit, si famés, si lues, slalim : ChrisUanus adleoncm », il parle d'une manière générale de fails qui se sont passés dans le courant du siècle.

(i) Cette phrase est souvent mallrailée dans les manuscrits; le grec devail avoir: llâvTaÔT) xatà tâ^iv tw fiaatXîi, 'Avxwvi'vto Y^Tpî'lAlJ-sva el; Yp(X(i[jLaTa e'iar,veyx£v. (5) Loc. cit., p. 4G1.

199

cet auteur, il était ordinairement disposé à appliquer aux coupables le minimum de la peine, mais il lui arrivait parfois de demeurer inexo- rable contre les accusés convaincus sur un chef grave. !1 intervenait lui-même dans les causes capitales des gens de qualité, et cela avec une intention d'équité; c'est ainsi qu'il reprit un jour le préteur de sa trop grande précipitation, et lui enjoignit de recommencer à connaître d'une affaire(l). Dion Cassius ajoute que, quand il jugeait en per- sonne, il multipliait les interrogatoires, autorisait les longues plai- doiries et faisait durer l'instance jusqu'à onze et douze jours, tenant parfois des séances de uuit(2j. Ce tempérament scrupuleux, qui ne pouvait être celui d'un jeune homme de quinze à seize ans, tel que Caracalla vers l'an 200 et quelques, comporte bien une enquête anté- rieure au jugement, comme dans le cas de sainte Félicité.

Quant au préfet Publius qui, lui, n'a aucune sentence à pronon- cer, Borghesi l'avait parfaitement identifié avec Publius Salvius Julianus (3), le célèbre jurisconsulte, rédacteur de l'édit perpétuel, l'ami d'Hadrien, d'Antonin, de Marc-Aurèle et de Lucius Verus, qui fut préfet de Rome en 161 et 162. Il est vrai que IM. Aube, voyant un Publius Cornélius Anullinus, consul pour la seconde fois en 199, se demande s'il n'a pas occuper la préfecture urbaine un, deux, ou trois ans après (4). Ici M. Aube aurait pu être plus affirmatif, car on possède une inscription qui lui attribue cette magistrature (5).

(O Capit., lit. Ant.phil., c. xxiv : Erat mos iste Antonino ut omnia crimina mi- nore supplicio quam legibus plecti soient puniret; quamvis nonnunqiiara contra manifestes et gravium criminuin reos inexorabilis permaneret. Capitales causas liominum lionestorum ipse cognovit, et quidem sumnia ccquitate, ita ut praetorem reprehenderet, qui cito reorum causas audierat, juberetque illum iterum co- gnoseere.

(2) Epil., 1. LXXI, C. VI : K'x\ Cotop tzaîI-j-tov toî; pr|Xopat |AîTp£Î(76ai èxD.sye, xâ; TfjCTTEi; xa\ Tx; àvay.p;iT£t; Èt:\ (j.ay.pÔTEpov ÈtioieIto, iogxz îiavca'/ôOsv xb oîxatov «xpiooOv ■/.où xotxà toOto EV&ÎX3C TtoA/.â/t; xa\ ôwocxa rjjjiÉpxi; Tf,v a'jxr,v 5îxr,v, xaiii:p vjxxb; cffTtv OTî oixâ^wv, ÎXptVî.

(3) Lettre à Cavedoni, mentionnée plus haut. Cf. Spakt., lit. Hadr., c. xviii; id.. Vit. Di.'l. Jul.c. I. C. liv. Vt, tit. LIV, 1. 1 ; et D. liv. XXX VU, tit. XIV, fr. 17 : Divi Fratres(Marcus et Lucius) in haec ver; a rescripserunt... plurium etiam juris aucto- rum, sedet Salvii Juliani amici nostri, clarissimi viri, hanc senlentiara fuisse.

(4) Loc. cit.. p. 464.

(5) Corp. inscr. lut., vol. II, 2073 . Publius Coinelius Anullinus, Publii filius, Galeria tribu, Illiberitanus (de Grenade), praefectus Urbis, consul, proconsul, etc. »

200

Mais alors, une des principales conditions requises par la partie non contestée des actes cesse d'être remplie. Il résulte en effet de l'interrogatoire qu'il y avait plusieurs empereurs, et que celui qui est seul nomme' et seul directement inte'ressé à l'affaire s'appelait An- tonin. Or, la date de 102 convient admirablement ; car JMarc-\urèle Antonin et Lucius Verus avaient succède' ensemble à Antonin le Pieux. et, avant la fin de Tanne'e, Lucius Yerus s'était embarque' à Otrantc pour aller repousser l'invasion des Parthes, comme en témoignent les monnaies et les inscriptions (i), tandis que Marc-Aurèle ne quitta pas Rome, les circonstances CKigeaient sa présence (2). Aussi le préfet dit-il : « L'empereur Antonin, n(>tre maître, a prescrit que vous sacrifiiez aux dieux tout-puissants « ; et ailleurs : 'i Si tu tiens la con- duite la plus agréable à notre roi Antonin, en sacrifiant aux dieux, tu deviendras l'ami des Augustes (3). « Pour les autresloculions,/3M^î/5/o- riim instifiitaj prœcepta principum, dominorum nostrorum statuta, elles nous laissent dans l'incertitude à l'endroit des termes grecs, et par suite, de l'expression exacte du magistrat. Kn 1G3, dans une cause analogue, le préfet de Rome, qui était Junius Rusticus, prononça

successivement selon to toïï auTOxpaxopo? Tpoa-râyaa , et xa-rà tviv -ôiv

voaojv àxoÀouOi'av (uous avons VU (4) le sens que l'on doit alttribuer à ces mots); mais dès le commencement de la procédure, il avait signifié à saint Justin : brAv.o'jm^ toTç pasiXsîîffiv.

11 faut dire que c'était la première fois que deux empereurs fonc- tionnaient ensemble (5j. Le fait se rej)roduisit encore lorsque 3Iarc- Aurèle s'associa son fils Commode, juin 177-17 mars 180; mais pendant ce temps, Lucius Sergius Paulluset Caïus Aufidius Victorinus

(1) CouE.v, Médaillis impiriala, vol. IH, l'eius 29, avcc la légende ; « l'rofeclio Aufîiisti. MoMMSEN, Iitscr. rcgn. Ncap., n" i43 : « llydrunluin in via consulari.

(2) Capit., l'ii. Ani.jihil., c. vui : Ad l'arthicuni vcro belluni... Verus fraler est mis- sus : ipse Homam remansit quod res urlianœ iinperatoris pra>senliain postniarent.

(.3) M. \X Blant, Mùm. sur les nclcsdes maitijrs non comprit dans Ruinart, p. 7G du tirage à part, cite de nombreux exemples de cette promesse : « Ce n'est pas lu une formule vague, mais bien le nom d'un titre conférant unesituation ambitionnée. » Kl il ren- voie à la piquante description du Kai^apo; si/o; qu'a faite EpicTtTi:, Diis. 1. IV, c. t.

(4) Deuxième partie, § IF, p. 168.

(5) CiPiT., lit Ant. pitll., c. VII : Atque ex eo pariter caeperunt rempuljlicam re- gere, tuncque prinuim liomanum impci'ium duosAugustos babere csepit.

201

furent préfets de Rome. Enfin, depuis le milieu de Tannée 198, Cara- calla, ne' le 4 avril 188, porta le titre d'Auguste, quoique n'ayant que diK ans; mais, durant la préfecture d'Anullinus, il avait accompagné son père en Orient, puisque le 1" janvier 202 les trouva en Syrie, tous deux inaugurèrent le consulat (1). Septime Sévère rentra en Italie vers le milieu d'août, avec la flotte d'Alexandrie (2) qui apportait tous les ans l'approvisionnement de blé de la capitale. C'est ce que nous apprend une inscription provenant de Porto Romano (3). Un mois plus tard, cette fois à Rome, près de l'emplacement actuel de Saint-Jeau du Latéran, ce sont les équités singulares qui élèvent un monument (4) : Herculi invicto... pro sainte impj). Cœsar. L. Septim. Sever. et M. Aureli ântonin. et Getœ Cœsari. et Jidiœ aug. matri. castrorum

(1) Spart., lit. Scv., c. xvi : Bassianum Antoniniim, qui Caesar appellatus jam fue- rat, annum xni ageiitem participem imperii dixerunt milites. (Sevcrus) dein quiim Anliocliiara transisset, data virili toga filio niajori, sccmii eiim consulein designavit, et statim in Syria coiisiilatiiin inierunt. Post lioc dato stipendio cuinulatiore mili- tibus, Alexandriara petit. Cf. Heuooien, Hist., liv. III, c. x : KaTopOtoo-a? ira y.axà TTiV àvatoXr|V ô ^îo?ipo; si; vr^v 'Poj[j.r,v rjTiïLyîTO; à'ywv v.y.\ to'j; uaîSa; eIç rfAixcav

(2^ C'est à tort que M. Ad. de Ceuleneer, Essai sur la vie et le règne de Septime Sévère (BruxeUes, 1880), p. 131, invoque un texte du Code de Justinicn, liv. II, tit. XXXII, 1. 1, des empereurs Sévère et Caracalla, texte qui serait ainsi daté : P.P. XV Kal. April. Sirmii, A. A. conss. Outre que le troisième c;>nsulatde Sévère ne se trouve pas mar- qué [Corpus jiiris, éd. de Leipzig, 1875, v. II, par Em. Heuum.inn, p. 158, n. 4), la men- tion de Sirmium est fautive, et a été empruntée à une loi de Dioclétien quelques lignes plus bas : XV Kal. April. Sirmii, Caess. conss. En effet, les décisions de Sévère sont toujours données, au Code, sans indication de lieu, excepté liv. IX, tit. XII, loi de 205 : Kal. Jul. Romae, Antonino Aug. II et Geta II [lire I) conss., qui semble con- tredite par liv. VI, tit.XLVI,loi de la mô:ne année 205 : Antiochiœ XI Kal. Aug ; mais Sévère ne retourna plus en Orient, et, pour ce dernier cas, le nom d'Antioche ap- partient à la décision suivante de Caracalla, qui était bien dans cette ville en 215. D'ailleurs, les autres lois de Sévère et de Caracalla en 202 sont régulièrement da- tées : Scvero III et Antonino conss. sans indication de lieu. Cf. liv. II, tit. I, 1. 3; tit. II, 1. 2 et 3. Liv. III, tit. IX, 1. 1. Liv. IV, tit. XXXII, 1. 2. Liv. VIII, tit. XIV, 1. 1.

(3) Corp. inscr. grœc., n. 5973 : 'V'iiîp (7WT/;p;xc y.a\ Itzol'i'joov, xqli atotoy otajAOVTj; tûv x'jptwv auToy.paxôpwv ïlîo'jripou v.ai 'Aviwvtvoy y.ol\ 'loyXtaç SeêatrTÎ)!; v.'yà toO G'j(j.7iavto; auTcôv ctxo'j, v.%\ imïp sùirXota; uavTÔ; toO axôlov ttiV 'Aôpaaxiav (TUV tw Tiïp\ a'JTr|V xôafjLOJ F. O-jxAÉpio; i^eprivoç vîwxôpo; xoO iisydcAoy Sapâmoo;, à em\t.e- >,T|Tf,; TtavTÔç ToO 'A),î|a-/opîivo'j (jtÔ).o'j, etî'i KX. 'loyXtavoO lv:âçi-/_o-j e-jOîvsia;.

(4) Corp. inscr. lai., vol. VI, n. 226. Les noms de Geta, Plautilla, Plautien, ont été grattés. Le n" 225 avait été élevé par les mêmes equiics dès le 1" avril 200 : « Pro salute itu reditu et Victoria inipp. Csess... », ainsi qu'en l'honneur de leurs cama- rades : « et genio turrase pro reditus [sic] eorum ab expeditione Partbica.

202

et augg. et PlautUlœ mig. et C. Fulvi Ploutiani pr. pr. c. v. totiusqne domus diiinœ. La (laie de l'e'iection est S])ëcifiée : dedik. idb. sept. Severo III et Antonino augg. nn. eoss., et l'on voit que, clans Tinter- valle, le mariage de Caracalla avec la fille du tout-puissant préfet du prétoire avait e'te' conclu. Mais vers cette e'poque, le pre'fet de la ville, Luciiis Fabius Cilo, entrait en chargée (1), Ce ne serait donc plus dès lors un Publius qui aurait entendu sainte Félicite', et auparavant com- ment le jeune prince aurait-il pu donner, sans l'intervention de son père, contre une mèi'e de famille, à Rome, des ordi'es de l'autre extre'- mité de la Méditerranée {2j? Cet olibi tranche, croyons-nous, la ques- tion, et nous restons en présence de la solution de Borg^hesi (3), solution qui reconnaît aux actes la plus grande valeur, puisque, d'après elle, ils représentent véritablement un texte grec original. Voilà « ce que vaut en soi le récit de la passion de sainte Félicité » .

De quand date la traduction latine? Ici l'on peut descendre au delà de la date proposée par M. Aube, jusqu'à la fin du quatrième ou au commencement du cinquième siècle. Elle existait certainement dans sa forme présente au sixième siècle, et même déjà elle était doublée d'une rédaction légendaire, comme eu témoigne explicitement

(1) .Votes inédites de Borguesi sur la série des préfets de Rome, dont M. Aube a eu communication, loc. c//.,p. 457. Nous ne pouvons, à ce propos, que consigner nos regrets au sujet de la lenteur que la commission chargée de l'impression des pa- piers si précieux de ce savant, a mise jusqu'ici à poursuivre son œuvre. Cf. le rap- port de M. Ernrst I)i sj.inoiNs daté de lfcC4, qui en contient l'inventaire.

(2) Quant à l'opinion de M. .\i bé, loc. cit., p. 4G4 : La dureté de Sévère et la cruauté de Caracalla sont connues. Ils firent mourir sans scrupule nombre de séna- teurs, de consulaires et de personnes obscures... Ces personnes obscures et ces fac- tieux font penser aux chrétiens », il l'a rétractée depuis dans la Polémique païoute au dcuxiime siècle, p. 498 : « Des quatre princes de la dyn;istie syrienne, le premier, le chef, soldat énergique et rude pour tous, d'ailleurs exclusivement occupé de politi- que et de guerre, et laissant à ,Iulia, sa femme, et aux lettrés de son entourage le département des idées et des choses religieuses, ne fut point l'ennemi déclaré des chrétiens. Les trois autres Hottèrent entre l'indifférence ou une curiosité sympa- thique. •

(.3) OEuvres, t. VHI, p. 547 : Ecco dunque l'ignolo l'uldio, lulla cui prefettura coronala del martirio la célèbre santa Feiicitù. Il Tillemont giustamentc si accorse che i suoi atti furono scrilti originalmentc in greco e poscia tradotli in latino de- ducendolo dal vedervi usata la voce rex invece d'impcrator. Ed io aggiungerô che per tal modo si spicgapure felicemenle corne, nel mentovare il prefetto, si sia os- scrvato il costume, non insolite ai Greci, d'indicare uu Romano col solo pre- nomc.

203

saint Grégoire le Grand, lorsqu'il rapporte le martyre delà sainte, sicut m gestis ejus emendatiorihus legitur. LesBollaudistesout publié l'autre texte(l), qui trahit visiblement l'époque tardive à laquelle il a été composé. Ainsi, l'écrivain décrit les lieux comme il les connaissait de son temps; le Forum de Mars devient : locus qui dicitur Martyro- lorum (2)^ uhi a cenfiun columnis tcmplum Saiurni sustentatur qui torque t numine hella, uhi totidem fulgentia simulacra consistant (3) et micant atria long a. La différence est grande avec la concision et la simplicité des actes originaux. Cependant, nous ne sommes pas ré- duits au récit de ces derniers ; il reçoit par ailleurs une importante confirmation .

Afin de renouer, en effet, le faisceau des preuves que M. Aube disait avoir délié (4), il nous reste encoie à parler de la tradition monu- mentale relative aux sept frères et à leur mère, que M. de Rossi, pos- térieurement aux conclusions de Borghesi, a si heureusement ressus- citée. Remarquons que cette tradition étant indépendante des actes, lesquels se taisent sur les lieux de sépulture , s'oppose au système qui voudrait séparer les martyrs arbitrairement. Ce système est telle- ment arbitraire, que son auteur lui donne, à quelques pages de dis- tance, deux formules absolument contradictoires : ce sont, au bas de la page 345, 'i diverses condamnations prononcées probablement dans le même temps contre diverses personnes dont les deux plus connues sont sainte Félicité et saint Janvier », et à la page 403, l'on est renvoyé : 'i Nous admettrions plus volontiers qu'il s'agit en effet d'une famille unique, mais de condamnations successives. »

Et d'abord sainte Félicité et saint Janvier ne sont pas plus connus que les six autres (5). Sous saint Grégoire le Grand , l'abbé Jean,

(1) Acta saiicl., t. UI (le jlliUet, p. 15.

(2) Le Ms. 2179 des nouvelles acquisitions à laBibl. nat. porte pour les actes primi- tifs la variante : « in foro Martis ydolorum.

(3) Slet.Oc;. lit.,c. XXXI : Itaque et opéra cujusque (ducis Augustus) manentibus titulis restituit, et statuas omnium triumpliali effigie in utraque fori sui porticu dedicavit.

(4) Loc cil., p. 454.

(5) On se demande pourquoi M. Aube fait appel à des martyrs de Cordoue, Faus- tus, Januarius, Martialis, auxquels se réfèrent les n<" 126 et 175 des Inscriptiones Hit-

20i

chargé de rapporter à la reine des Lombards, Théodelinde , des piin- cipaux sanctuaires de Rome, les reliques quon y distribuait alors, c'est-à-dire un peu d'huile de la lampe allumée en l'honneur de chaque saint , lui remit de petites ampoules qui existent encore au tre'sor de INIonza avec leurs étiquettes en parchemin. Il y avait annexé une liste complète sur papyrus, se lisent, parmi bien d'autres noms, les

suivants (1) : ^^ Sanctœ Felicitatis ciim seplcDiJilios suos {sic)

sancti l'itaUs, savcti Ale\andri^ sanctus {sic) Mariialis... sanctiFe-

licis, samti Pliilipjii sancti Jamiarii. •• 11 manque un nom,

celui de Silanus ; mais nous avons l'explication de son absence, et la raison de l'ordre dans lequel les sept frères sont énumérés, par l'an- tique calendrier romain déjà cité et leur mention est inscrite au 10 juillet (2) : « Felicis et Philippi in Prise illœ ; et in Jordanorum, MartialiSj VitaliSj Aleaandri ; et in Maximi, Silani {Itiinc Silanuni martyrem Novatiani furati sunt); et in Prœtextati, Januarii. » Ce qui signifie que ce jour-là, on célébrait leurs anniversaires dans les cimetières au nord et au sud de Rome, c'est-à-dire : à Priscille à trois mille pas, aux Jordani à deux mille pas, à Maxime à cinq cents pas des murs, sur la voie Salaria, et à Prétextât environ à quinze cents pas, sur la voie Appienne (3). C'est dans le cimetière de Maxime que reposait, auprès de sa mère (4), Silanus, lorsque les Novatiens volèrent son corps. Cette secte, dont l'origine remontait au schisme de Novatus en 251 (5), avait ses églises à elle et tenait non moins que les catholiques au culte des martyrs. Au commencement du cinquième siècle seulement, le pape saint Innocent rentra en posses-

paniœ chrisiianœ de Uluner, et qui ont leurs actes propres dans Rli.nart (éd. de Ra- tisbonne), p 556.

(1) Rl'inart , p. C35.

(2) Ibid., p. 632.

(3) rarcille indication a été citée par les BoUandistcs, qui provenait d'un livre li- tur{;ique et que raltéralion avait rendue méconnaissable : « Scpleni fratri Apii et Salaria'.

(4) Une tombe découverte à cet endroit en 18ô6 portait les mots : AT SANCFA FEL... Bull., 1863, p. 21. L'inscription se trouve reproduite p. 8 de la Notice sur (Lux catacombes de la nomellc voie Salaria, par Arcli. ScoG.N.vMiOLio, imprimée chez Laine et Ilavard, petit in-^", Paris, 1863.

(5j C'est à l'occasion de ce schisme que saint Cyprien écrivit son traité Deunitate

Ecclesia;.

205

sion des sancîuaires dont elle s' e'tait emparée (1), et en effet, le Liber 2)ontificalis rapporte d'un de ses successeurs, saint Bouiface : Hic fecit oratoriinn in cœmeterio sanctœ Felicitatis jiixta cornus et or- navit sejmlcrum sanctœ martyris Felicitatis et sancti Liianii [Sil- vani) (2). Au moment de son élection , qui fut troublée par un com- pétiteur ayant l'appui du préfet païen de Rome, Symmaque (3), 29 décembre 418, il avait demeuré au cimetière de Maxime, et c'est par reconnaissance envers sainte Félicité qu'il fit construire l'édifice en question ; on y lisait une inscription in introitu ec- clesiœ (4) :

Intonuit meluenda dics; surrexil in hostem :

Impia tcla inali vincere cum propcrat , Carnificis superarc vias tune mille noccndi

Sola fides potuit, (luain régit Oninipotcns. Corporeis rcsoluta malis, duce pra'dita Christo,

^Ethcris aima parens atiia cclsa petit. Insontcs pucros sequitur per amœna vireta,

Tempoia victricis florea scrta ligant. Purpuream rapiunt animam coelestia régna,

Sanguine iota suo membra tenet tumulus. Si tilulum quœris merituni, de nomiue signat(5) :

Ke oppriniercr tenebris, lux fuit ista mihi.

Avant lui, le célèbre pape Damase (366-384) avait voulu déposer un homma{je sur ce tombeau; bâtons-nous d'ajouter que, d'autres fois, il fut mieux inspiré par sa muse :

Discite quid mcriti prjcstet pro rege feriri : Femina non timuit gladium, cum natis obivit, Confessa Christum meruit per saecula nomen.

(1) Le marlyrologe hiéronymien, rédigé vers cette époque, reproduit la même mention que le calendrier, en omettant la circonstance du vol, qui n'avait plus 1 eu d'être rappelé.

(2i On trouve les trois formes : Silvanus, Siiianus, Silanus.

(3) Celui-ci écrivait à l'empereur IJonorius au sujet du Pape, Ep. 73, 1. X : Extra muruin deductus non longe ab Urbe remoratur.

(4) Voir l'arlicle de M. de Rossi sur le cimetière de Maxime, Bull., 1863, p. 41 et s.

(5) Félicitas. Le pentamètre incomplet dans le manuscrit u'est restitué que par conjecture.

200

ISatiirellement, il n'avait rieu écrit sur le tombeau vide de Silanus, et c'est pour cette raison que le nom est omis sur le papyrus de Monza. Quant à son ëloîje des martyrs Vitalis, Martialis et AlexaudiT, le pape Vigile nous apprend qu'il avait été détruit par les Gotlis, lors du siège de Rome par Vitigès en 537 :

Dum pciilura Gctii' posuisscnt castra sub uibcm,

Moverunl sanclis bclla ncfanda prius. Tota sacrilego vcrtcrunt corde, sepulcra

Marlyrihus quondam rilc sacrata piis. Quos nionslranlc Dec Damasus sibi papa probalos

Affixo monuit carminé jure coli. Scd periil lilulus confraclo niarmorc sanctus.

Ncc tamcn bis ilcrum possc lalcrcfuit; Dirula Vigilius iiani poslbaec papa geiniscons

Hostibus expulsis omne novavit opus.

Ainsi, la différence des exécutions dont les actes font foi, se vé- rifie par la répartition même des différentes sépultures. Pour celles que nous venons d'indiquer, situées à peu de distance et du même côté de la route, elles étaient visitées ensemble, ainsi qu'il est marqué sur les itinéraires des pèlerins. Un objet d'une nature par- ticulière fournit peut-être un exem}»le de ce groupement. C'est une médaille, frappée selon toute proba])ilité au quatrième siècle, poilant sur la face, outre le monogramme du Christ, une figure de femme orante à côté d'une figure d'homme, et trois auti es figures d'hommes sur le revers (1). S'il faut y reconnaître d'un côté sainte Félicité avec Sila- nus, et Vitalis avec Marti.ilis et Alexandre de l'autre, on s'expliquera comment la proximité de leurs tombes, jointe à la piété des fidèles, les avait réunis. D'ailleurs la dévotion s'arrêtait quelquefois à un seul martyr ; tel est le cas du pape saint Symmaque (498-514), lequel ne se contenta pas de réparer la basilique de sainte Félicité qui déjà, mena- çait ruine, mais aussi -.fecît cœmcterium Jordanorum in melius jn-op- ter corpus sancti Alcaandri. Possédons-nous un débris de son œuvre dans le fragment d'une belle inscription de marbre, qui fut retrou-

(I) V. Bull.. 1869, p. 45, et 2 de la planche hors lexte.

207

vëe sur remplacement eu 1873? On ne peut suppléer cet unique fragment que par conjecture (1) :

Rcddit AlexandRO SEPTEM DE fralribus uni SymmachusobservANS HVNC carminé praesul honorein. RIS lACTVra

A leur tour, Félix et Philippe formaient un groupe distinct, le cime- tière de Priscille étant plus éloigné et sur le côté opposé de la voie. Leur éloge damasien était conçu en ces termes (2) :

Cultorcs Domini Fciix paritt-rque Phiiippus, Hic virtuto pares, contempto principe mundi, iîltheriain pctierc domuni rignaque piorum. Sanguine quod proprio XPI nicruere coronas, His Damasus supplex voluit reddcre vota.

Si nous nous transportons sur la voie Appienne, plus heureux qu'ailleurs, nous serons en face du tombeau même du dernier des frères , à savoir de l'aîné. C'est en 1857 qu'il fut découvert (3) : quoique bien au-dessous du sol, il n'était pas creusé dans le tuf, mais bâti en solide maçonnerie. Les actes del'évêque Urbain enterré à Pré- textât avaient décrit exactement les lieux : ingens antrum quadratum et Jirmissimœfabricœ. Il était relié à d'autres cryptes et s'ouvrait, comme celles-ci, sur un vaste corridor, qu'au septième siècle on dési- gnait ainsi : intrahis in speluncam magnam (4). Leurs façades monu- mentales en briques avec pilastres, frises et corniches, ne trouvent absolument rien de comparable dans tout ce que l'on connaît de la Rome souterraine. L'entrée de la crypte de saint Janvier doit être rapprochée, par exemple, du fronton du lararium qui a été trouvé intact en 1866, formant le fond de Y excuhitorium de la septième co-

(1) V. Bull., 1873, pi. vr, el p. 17 et 46; le premier versa été suggéré par le P.Toii- giorgi, le savant professeur du Collège romain.

(2) Bull., 1880, p. i4.

(3) Bull., 1863, p. 1 et S. M. DE Rossi a inauguré son recueil périodique par le récit de cette découvert ;.

(4) V. notre deuxième partie, § ii, p. 93 , et Bull., 1872, pi. iv.

horte (les Vigiles (1) dans la région du Transtcvère. Par la correcllon des lignes et parle fini de l'exëculion, la crypte lui est de'cidement su- pe'rieure ; ce qui restreint considérablement la latitude d'appréciation que se donnait M. Aube', lorsqu'il disait que Tarchitecture en « pour- rail être aussi bien rapportée à l'an 220 ou 230 qu'à l'an 1G2(2)" .Un jugement compétent n'a pas encore infirme celui de M. de Rossi, qui l'a déclaré être de la meilleure époque des Antonins (3). La date résulte aussi des stucs peints qui revêtent les parois de la crypte, et dont l'ornementation présente les motifs les plus gracieux. Il faut, si l'on veut en rencontrer de pareils, aller, par exemple, à l'entrée du cimetière de Domitille, les empreintes de briques marquent irrécu- sablement le courant du deuxième siècle. Mais « qui prouvera, du reste, que ces peintures aient été exécutées par des chrétiens? » A cet effet, il suffit de les regarder : outre la décoration de la voûte, comme pendant au Bon Pasteur, l'artiste a mis Moïse frappant le rocher, et Jonas jeté à la mer (4), sujets apparemment empruntés à la Bible. Enfin, pour déterminer l'attribution de celte crypte, nous avons le titre qu'y fit placer Damase. Il est bref, cette fois, l'aspect du monu- ment lui ayant sans doute paru suffisamment instructif. D'après quel- ques morceaux, dès l'origine des fouilles, M. de Rossi, l'avait recon- stitué exactem.ent (5) :

BEATISSIMO MARTYRI

lANVARIO

DAMASVS EPISC.

FECIT

(() M. Dr.sj.vuDiNS a déchiffre une partie des graffiti dont les murs sont couverts, et montre que « leur date est comprise entre le rc{;ne de Seplime Sévère et de DécillS », Mém. dcl'Acad. des i/iscr. (187C), t. XWIH, partie, p. 265.

(2) Loc. cil., p. 454.

(3) liull., 18G3, p. 17 et S.

(4) l'armi les nombreuses i)eiiilures auxquelles a donné lieu, dans les cala- combes, ee chapitre de la Bible, une des scènes qui reviennent le plus fréquemment estcellcde 'lovi; I-ki xr, y.o/oxjvrr,. Ce n'est donc pas (else quii\ ce propos » a commis une lourde plaisanterie " , la l'oléniguc jir.ïei.nc, p. 308, en note. V. liom. soit., t. IF, pi. XIV et xx; cf. Bull., 18G5, p. 4; 1873, pi. i ; et M. Li; Bl\NT, Elude sur Us sarco- phages chréliens antiques de la ville d'Urles (l'aris, 1878), J)l. vi.

(5) Ilull., 1872, p. 45 et S., se trouve résumée l'histoire du cimetière de Pré- textai.

209

Jusqu'ici donc, noire excursion autour de Rome nous a servi à re- trouver les tombeaux des martyrs, isole's ou g-roupe's conforme'ment aux donne'es des actes. Mais il existe à Tintërieur de la ville un endroit, paraît se concentrer leur souvenir. A Tentre'e des thermes de Tilus, en 1812, on reconnut sous les de'combres un ensemble de construc- tions compose' de trois pièces. Celle du milieu e'tait dispose'e en ora- toire et se terminait par une niche semi-circulaire orne'e de peintures dans le style du cinquième siècle. 11 ne reste plus rien de ces peintures aujouicVhui, et nous en empr'intoi.s la desciiption à un article de Stefano Piale, dans les Memorie cncidopediche suite antichità o belle arti di Roma \\o\xv l'année 1816(1). Le haut représentait l'agneau sur la montagne entoure' de douze brebis ; au-dessous, e'tait simulé un rideau vert, que soulevait un homme ayant toute sa barbe, et peint en pied, à droite; sur le rideau, une bande rouge avec cette inscription en lettres blanches : VICTOR VOTV{m) SVLVIT E{t) PRO î'OT{o) SVLVIT. Au fond, sainte Félicité vêtue en matrone romaine, avec une tunique rougeàtre et un manteau blanc, au mi- lieu de ses sept entants portant chacun leur couronne ; celle de la martyre était tenue par la main du Sauveur apparaissant dans un nuage. Deux personnages plus petits, des clefs à la main, et se tenant en dehors des deux arbres qui rappellent la gloire du paradis ; sur l'un des arbres, un oiseau entouré de rayons lumineux, sans doute le phénix, emblème de l'immortalité. Autour de la sainte, le monogramme du Christ (dans sa seconde forme -P) plusieurs fois répété, et tandis que les fils avaient chacun leur nom écrit près de leur tête, auprès de celle de leur mère on lisait : FELICITAS CVLTRIX ROMAN A- RVM, et SANCTA MARTYR MVLTVM PRAESTAS, parmi d'autres paroles surchargées. Par devant, existait un petit autel composé de trois morceaux de travertin pour recevoir les offrandes. L'entrée, donnant sur la rue, avait un portique avec seuil en mosaïque. ]M. de Rossi ne retrouve pas dans tout ceci les caractères d'un oratoire domes- tique, mais plutôt d'un sanctuaire public destiné à perpétuer quelque'

(1) GuATTAM (Rome, 1817), p. 153 et pi. X\l, L'année suivante, p. 133, contient un plan des lieux.

210

reniiiiisccnce locale (1); daus son tome II des Iiiacriptioncs christianœ de Rome, il a promis de revenir sur la question, il se propose de démontrer que l'on conservait l'habitation de sainte Félicité. Pri- mitivement en effet, cet endioit faisait partie d'une maison privée ; ainsi la paroi intérieure de droite présentait, g^ravé à la pointe sur une couche de stuc antérieure aux peintures du cinquième siècle (2), uu calendrier fort curieux contenant daus un cercle les si{jnes du zodiaque accompagnés de leurs initiales (3) ; au-dessus, étaient tracés les bustes des dieux qui ont donné leurs noms aux jours de la semaine, et, sur deux colonnes, trente chiffres avec trente et un trous, l'on pouvait marquer le quantième du mois ; au-dessous, en caractères cursifs, l'inscription grecque suivante :

100 sijL'TTCicÀtv r/,/ ci'xatov.

Alexandre était donc l'ancien propriétaire; mais de quel Alexandre s'agissait-il? Aon pas d'Alexandre, l'un des fils, dont le nom était écrit sur la muraille d'à côté; plutôt de son père, qui avait pu porter le même cognomen que lui. Quant à dire si celui-ci était mort païen, le peu de renseignements qui nous sont parvenus sur sa famille de- venue chrétienne ne nous le permettent pas ; nous savons seulement que sa femme était veuve, lorsqu'elle fut appelée à comparaître devant le préfet de Rome. Notons qu'elle ne pouvait avoir un plus court chemin à parcourir pour se rendre de sa maison au Forum de Mars. En tout cas, l'origine de ce sanctuaire ne constituerait point un exenqde isolé : non loin de également, la basilii^uc souterraine de

(1) Bull., 1870, p. 47 : cf. Bull., 1869, p. 45 en note.

(2) Ces peiulures représentaient le Christ entre saint Pierre et saint Paul, pres- que de grandeur naturelle; puis, moitié plus petits, Daniel dans la fosse aux lions, et les trois jeunes yens dans la fournaise, sujets eniprunlés aux cataconibcs.

(3)Gi;att.vm, lue. cit., pi. \\\\; Pi.vlh remarque, p. ICI : « Il Cancer edil Capricorne liauno pcr initiale il K in luogodel C, varielà clie sanno un poco di grecizamento, di cui non vi è esempio in alcuna parola délia niccliia, la ([uale anche percio dcvo jîiudicarsi posteriorc al calendario, e falla dai fedeli Komani dopo esscre liberati dai pcdantismo de' Creci. Ce calendrier a clé reproduit par Anl. de Ro.mams, /- Tenue di Tito (llomc, 1822), p. 12; cf. p. 21 et 5'J.

211

saint Clément conserve encore plusieurs chambres (Vune demeure particulière ; mais tandis qu'en l'absence d'un tombeau de ce pape (1), son culte y e'tait reste' attache', nominis ejiis memoriam usqiie hodie Romœ exstructa ecclesia ciistodit, disait saint Je'rôme, pour nos martyrs, la pie'te' des fidèles les a suivis jusque dans la dispersion de leurs se'pultures.

C'est dans la basilique de sainte Félicite', que saint Boniface avait construite et il avait voulu être enterre', que saint Gre'goire le Grand fit lire au peuple, au commencement de son pontificat (590- 604), une home'lie (2) qu'il avait compose'e eu sou honneur (3). Nous en de'tachons un ou deux passa{jes. Le texte e'tait de saint Matthieu, c. XII, V. 47-50 : « Et voici que, pour nous donner pleinement rai- son, se pre'sente la bienheureuse Fe'licite', dont nous ce'le'brons aujour- d'huila naissance au ciel, qui parla foi s'est montrée la servante du Christ et par l'apostolat est devenue sa mère (4). Car d'après ce que nous lisons dans ses actes les plus corrects, elle craignit autant de laisser ses sept fils vivants sur la terre, que les parents charnels re- doutent d'ordinaire de voir mourir leurs enfants avant eux Con- sidérez, très-chers frères, ce cœur viril dans un corps de femme ; en face de la mort elle demeure intrépide. N'ai-je donc pas le droit de dire qu'elle fut martyre et plus que martyre?... Nous n'ifj^norons pas qu'il était d'usage chez nos ancéti'es que tout personnage consulaire occupât un rang conforme à l'ordre de date de ses honneurs. Toute- fois si quelqu'un, parvenu plus tard au consulat, l'obtenait deux ou trois fois, il passait avant ceux qui avaient été consuls avant lui, mais

(1) V. notre deuxième partie, p. 46.

(2j Moral, in Ei\, 1. I, hoiu. III, « habita ad populum in basilica sanctsc Felicitalis martyris in die natali ejiis : cette date, 23 nov., est vraisemblablement l'anniver- saire de la dédicace de la basilique.

(3) Lettre d'envoi de s vint Guéooiue à l'évêque de Taormine en Sicile : Easdeni quoque homilias eoquo dictac sunt ordine in duobus codicibus pouere curavi, ut et priores viginti quae diclatae sunt, et posteriores totidem qux sub oculis dicta% in singulis essent distinctse corporibus,

(4) Loc. cit., y. 49 : Et extendens nianum in discipulos suos, dixit : Ecce mater mea et fratres iiiei. Nous citons l'Évangile en latin, car s.vint Grégoire dit lui- même dans une de ses lettres : Nos nec gra'Ciim novimus, nec aliquod opus gra'ce conscripsinnis. On était loin du temps l'Église romaine se servait exclusive- ment du grec dans la liturgie.

14.

212

une fuis seiileinent. Ainsi la bicnlieiireusc Félicité Teniporle sur les autres martyrs, elle qui, par la mort successive de ses fils, mourut tant de fois pour le Christ. "

Le pape Adrien l'' (772-795) restaura encore le cimetière de la voie Salaria, qui fut abandonne' comme toutes les autres catacombes, et oublie' pendant le moyen ag-e. Au siècle dernier, l'emplacement, cultive' en vigne, appartenait à l'abbaye de Saint-Antoine de Vienne en Danphiné. JMais longtemps après cet abandon, les sacranientaires romains conti- nuaient à enregistrer au 10 juillet : « Hac die olini eraiit quatuor sta- tioncs : via Appia, ad sanctum Januarium in PrœUxtali ; item via Salaria j prima niissa ad aquilonem in PrisciUœ^ sccunda missa ad sanctum Vitalem^ in Jordanorum ; item ter lia missa ad sanetam Felieitaiem. «

JN'est-ce pas enfin le nom de la sainte qui estreslè sur les diptyques du canon de la messe? 11 est vrai qu'il s'y trouve dans le voisinage d'une sainte d'Afrique e'galement célèbre, Vivia Perpétua, qui eut pour compagne de martyre l'esclave Félicité. Mais celle-ci, quoique Perpétue soit souvent citée isolément à cause de la relation partielle de sa captivité qu'elle nous alaissée (1), a pu avoir été inscrite concurrem- ment avec son homonyme, et ce serait alors par omission que la double mention aurait cessé, tandis qu'elle subsiste pour les deux apôtres Jacques. La renommée d'ailleurs de l'illustre Romaine n'avait pas tardé à s'étendre au delà 'de la capitale, et saint Pierre Chryso- logue, évêque de Ravenne (433-452), s'en était fait le héraut (2) : « Voyez cette femme, dit-il, cette mère que la vie de ses fils remplissait d'anxiété, et à qui leur mort remlit la sécurité. Heureuse celle dont les fils lui seront dans la gloire future comme un chandelier à sept branches! Plus heureuse encore celle qui ne s'est vu ravir par le monde aucun de ceux qui lui apjjartcnaient. Elle passait avec plus de joie au milieu des cadavres transpercés de ses enfants qu'elle ne le faisait auprès de leurs berceaux si chers, parce qu'avec les

(1) TF.nTiLLiF.N, T)e anima, c. Lv : Perpétua forlissiiiia niarlyr, sub die passioni in revclalioiic paradisi, solos iliic coininartyres \idet.

(2) Scim. cxxxtv.

213

yeux de la foi, elle voyait une palme clans chaque blessure, une re'- compense à chaque supplice, une couronne sur chaque victime. Que dirai-jede plus? Ce uest pas une vraie mère, celle qui ne sait pas aimer ainsi ses enfants. «

a En pre'sence de ces te'moignafjes , dont il serait facile d'accroître le nombre, déclare M. Le Blant(l), j'hésiterais à accepter l'opinion d'après laquelle la de'votion des docteurs de l'Église et de la foule chre'tienne, celle qui porta les catholiques à placer un sanctuaire, une catacombe sous le vocable de sainte Félicite', se serait égarée sur un fantôme. » Mais M. Renan n'a pas tenu compte de cette considé- ration, et, reprenant une conjecture déjà émise dans le Mémoire que nous combattons (2) : «' Eu ce qui concerne les actes de sainte Félicité et de ses sept fils, dit-il, la discussion de M. Aube est excellente. Ces actes n'ont (juère de place dans l'histoire; il n'y faut voir, ce semble j qu'une imitation du récit des sept frères Macchabées (3). » Cette hypothèse, proposée sans preuves, et qui n'est qu'une explica- tion cherchée à un document supposé apocryphe, n'a plus besoin d'être réfutée, puisque nous avons démontré l'authenticité des actes. Mais fùt-il prouvé que leur rédacteur s'est inspiré du récit biblique pour composer son texte, ce qui serait plus aisé à examiner si l'on en pos- sédait l'original grec, son témoignage pour ce seul motif perdrait-il toute valeur? Nous pouvons aller plus loin. Eussions-nous dii renon- cer à ce témoignage, celui des monuments suffirait à nous renseigner sur l'histoire de nos martyrs, et notre thèse subsisterait tout entière. Chaque jour l'épigraphie et l'archéologie sont appelées à suppléer aux documents écrits, et dans le cas présent, elles nous apprendraient, quoi-

(1) Comptes rendus de l'Acad. des inscr., 1875, p. 141.

(2) Hist. des perséc, p. 457. Dans son troisième volume, les Chrcticns dans l'empire romain, p. 90, M. AunÉ exprime le dernier état de sa pensée de la manière suivante : « Cependant cet épisode de l'iiistoire de TÉglise souffrante, tel du moins qu'il est raconté dans les âcia sincera de lîuinart, demeure suspect à nos yeux, encore que l'existence historique de sainte Félicité soit peu douteuse. »

(3) Journal des Savants, déc. 1876, p. 731. M. DuRUY, Hist. rom., t. VI, p. 199, en note, n'apporte, suivant son habitude en pareille matière, que le poids de son assertion : » Je rejette donc cette légende du règne de Sévère, comme M. Aube l'a rejetée du règne de Marc-Aurèle. > Il nous sera permis dans une discussion sérieuse de ne pas y attacher d'iuiportance.

- 211 -

que (rune façon moins précise, la date que nous clierchons. A'oiis ajouterons, enfin, pour e'carter toute idée de confusion, qu'en Italie ou s'est préoccupé très-tardivement des JMacchabées, et, tandis que leur fête, populaire en Orient, ainsi que l'attestent les homélies des Pères grecs (1), était certainement mentionnée comme ancienne sur le calen- drier cartliag^inois (2) et l'almanach (jaulois de Polemius Silvius (3), ce n'est que vers le milieu du cinquième siècle qu'on voit apparaître leur culte à Rome. Voici à quelle occasion.

Lorsque l'empereur d'Orient Théodose II maria sa fille Eudoxie, en 437, à l'empereur d'Occident Valentinien III, sa femme accomplit le vœu qu'elle avait fait d'aller en Terre Sainte, et la nouvelle impé- ratrice construisit à Rome, sur l'Esquilin, une église qui s'appela de son nom la basilique Eudoxienne(4). C'était à proprement parler une reconstruction, mais cela suffisait pour nécessiter une consécration, et par suite le dépôt de nouvelles reliques. Le pape saint Xyste III fit la cérémonie; nous avons le texte de l'inscription, qu'il plaça alors au- dessus de la porte, en mémoire de l'événement; elle commence ainsi (5):

Cède priiis nomcn novitati, cède vetustas,

Rcgia hTtanter vota dicarc libet : ILtc Pctri Paulique siniul nunc noininc signo,

Xystus, apostoliciç sedis honore fruens, etc.

Une inscription postérieure d'un siècle, et destinée à rappeler une troisième consécration, nous apprend quelles reliques avaient été dé-

(1) On en a une, entre autres, de saint Gréijoiie de Nazianze , prononc(^e vers 373; et avant lui 0rifi;ène, en 235, avait consacré î» leur souvenir les c. \xiti à XXVII de son Aôyo; tu iJ.apT'jptov TtpoTpïTîTtxô;

(2) Saint Augustin composa également un sermon en leur honneur. Saint Cypricn les citait en 252 dans son exhortation aux Thibaritains, £"/;. 76.

(3) V. ces deux textes dans IUjinaut (éd. de Ratisbonne), p. 360 et s.

(i) C'est l'église San Pielro in Vincoli se trouve aujourd'hui le Moïse de Michel- Ange. On y lisait jadis ces deux vers :

Tlicodosius palcr Kudocia cuiu conjuge votuin

Cumquc suo siipplcx Kucloxia noinine sol vil.

(5) Bull., 18"8, p. 15, elle est confrontée avec la copie qui en avait clé faite

pour la dntlicai e dune cjiiise, reconstruite au sixième siècle, près de Thôveste. en

Algérie. Cf. Dnlt., 187î, p. Ii7. pour l'église Sainl-l'ierrc et Saiul-Paul au cimetière

des Aliscamps, près d'Arles, dont la fétc était « ilie sanctorum, Kalcndis Auguslis».

215

posées lors de la seconde. Nous donnons en entier le texte, que nous pensons avoir e'te' mal lu jusqu'à présent, à cause de la disposition des lignes (1). Voici la lecture que nous proposons :

HOC DOMlXi TEMPLUM PETRO FL'IT ANTE DIC.VTUM.

Tertius anlistes Sislus sacraverat olim, Civili bello destruchim post fuit ipsum,

Eudoxia quando' totuin renovavit ibidem, Pelagiiis rursiis sacravit papa beatus;

Corpora sanctorum condens ibi Macliabreonim, Apposuit sancti^ pretiosa ligramina ferri,

lilustris millier qune detulit ab Ilieriisalem: E'^ quibus est Petrus, Neronis tempore, vinctns .

Aiigiisti mensis celebrantur festa calendis. Iluic^ accedenti pur{jantur crimina cuncta (2).

' Au lieu de quidem.

- Au lieu de Pétri, allitération de^»w/osa.

^ Au lieu de ei.

* Lire hue.

Eudoxie avait donc reçu de sa mère des reliques des JNIacchabées, prises sans doute à Antioche, qui était le centre de leur culte; c'est ce qui explique le choix du jour de leur fête, 1" août, pour la dédicace de l'église. En effet, le successeur de Sixte III, saint Léon le Grand, y prononça à pareille date une homélie, il s'exprima à l'endroit de son prédécesseur de la manière suivante (3) : Illiiis memoriam justo honore veneramini qui hodie antiquam festivitatem hujus loci con- sacratione gcminav'it. L'autique solennité, qui se célébrait en ce lieu, avait été doublée de l'anniversaire auquel se rattachait la fête des Macchabées.

L'époque de cette innovation est confirmée par une découverte ré- cente; des travaux exécutés en 1876 dans la basilique mirent à jour sous l'autel un sarcophage du cinquième siècle, divisé en sept compar- timents. L'un d'eux contenait une inscription sur lame de plomb, dont une reproduction fut trouvée à l'extérieur, et ainsi conçue :

(1) MautiXELLI, Roma ex elhnica sacra (Rome, 1G53), p. 28 î.

(2) Nous laissons de côté cette seconde colonne, en remarquant que l'édifice dédié par le pape Pelage, vers 555, avait été rebâti snus son prédécesseur Vigile. Celui-ci y avait fait lire en 544 le poi-rne sacré du sous-diacre Arator, qui contient une allu- sion directe à la chaîne de saint Pierre, liv. i. v. 1070. Patrologie latine de Mtcne. t. LXVIH; à partir du sixième siècle seulement, la basilique fut dite ad Vincula.

(3) C'est l'homélie LXXXII. Les frères Ballerini, dans leur édition, l'ont déniée ù saint Léon, sous prétexte que, de son temps, on ne célébrait i Rome aucune fête des Mac- chabées.

2IG

1NIIISSEPTEML0CV(//J) CONDITA- SVKTOS

SA-ET CINERESSCOR

SEPTEMFRATRVMMA

CIIABEORET- AMBOR

PAREKTT EOR AC îFv

MERABILIV- ALIOR SCOR (1).

Que penser maintenant de ces faits positifs par rapporta sainte Fe'- licite' et à ses fils? quel argument négatif a-t-on le droit d'en tii'er contre leur existence? Aucun. Bien au contraire; il s'élevait alors à Rome d'autres églises dignes de recevoir les cendres des Macdiabées (2). En reconstruisant, pour les y déposer, la basilique de l'Esquilin, située à quelques pas seulement du petit oratoire des Thermes la tradi- tion plaçait la maison des martyrs romains, Eudoxie n'a-t-elle jias voulu jdutôt rendre à ceux-ci un hommage ? Et quant à l'homélie pro- noncée par saint Léon dans la basilique, on avait déjà remarqué les allusions qu'elle comportait en plus d'un endroit, quoiqu'elle fût em- pruntée exclusivement au récit de l'Ecriture. En effet, le rap|)ro- chement devait naturellement frapper l'esprit des auditeurs qui, à l'issue de la solennité (3), allaient se retrouver en face de l'image de leurs propres concitoyens.

11 a été observé plus haut que la vieille peinture de l'oratoire avait péri presque aussitfjt après avoir été dégagée des ruines. Quelques dessins en existent à Rome (4), et, d'après eux, un fac-similé a paru dans la vaste publication du P. Garrucci, Sioria delV arte cris-

(1) Ihdl., 187G, p. 73 L'iioniélie de saint Grégoire de Nazianze considère le vieil- lard Eléazar comme le père des jeunes martyrs, ce qui n'est pas dit dans la Bible, JI Macch., c. VI et VII, ni dans le dé\eloppcment oratoire alliil)ué à lorl à Flavius Jo^cplie et dit aussi Vf' /t. des Macchabées.

(2) Saint Xyste III terminait le liaplistère du Latcraii, donnait à la basilique Libé- rienne, Sainte-.Marie-Majeure, la forme qu'elle conserve aujourd'hui; il ajoutait une seconde basilique à la basilique constanlinienne de Saint-Laurent hors les murs, i! fut enterré.

(3) Gioiici, dans ses notes du MnrUjroloijc d'Ado», p. 592, signale l'addition àccrtains livres liturgiques (mss. Vatic. 7016 et 4770) d'un office de sainte Félicité pour le 1" aortt.

(î) In notamment est conservé ù la bibliothèque du Vatican, un autre au musée K ircher.

- 217 -

tiana (1). Deux lignes du martyrologe me'trique, rédige' en 842 par le moine Wandelbert, nous fournissent le re'sumé de la scène et nous serviraient, au besoin, de conclusion :

Tum quoque septena genitrix cum proie, beato PrœccUens, radiât Félicitas aima, triumpho.

Mais laissons, en finissant, la parole à M. Aube' : « Cette sainte femme, dit-il (2), dont l'âme est pleine en quelque sorte du Dieu qu elle invoque, lequel est son espoir, son refuge, sa force; ses encourage- ments à ses fils au pied même du tribunal et à la face du juge impuis- sant et courroucé, ces mots touchants et fermes : Portez les yeux au ciel, mes enfants, et regardez en haut; le Christ vous attend avec le chœur des saints. Combattez pour vos âmes, demeurez fidèles dans l'amour du Christ. Ces mots, d'une si grande hauteur esthétique et morale; les courtes réponses de ses fils invincibles... tout cela est à la fois grand, vrai, pur, authentique, recueilli, on peut le dire, des lèvres mêmes des martyrs. »

(1) T. ni (Prato, 1876), pi. cliv. Nous devons à un amateur d'être à même de rectifier la fausse indication d'une gravure de Marc-Antoine, d'après Rapliat'l, qui aurait pour sujet le martyre de sainte Félicité. Cf. Adam B.vktsch, le Peintre graveur (Vienne, 1813), t. XIV, p. 104, 117 du § iv. Cette gravure a été restituée à sa véri- table signification, à savoir la mort de sainte Cécile. En effet, le supplice de la chau- dière ne fut jamais assigné à sainte Félicité par aucune légende, et les trois têtes que l'on croyait être de trois de ses fils, sont celles de Valère, Tiburce et Maxime. Un exemplaire appartenant à la collection Firmin Didot a été reproduit dans la Saillie Cécile de DOM Gui:i\.v\ger, éd. ill., p. 388. Nous avons eu occasion de voir au cabinet des estampes du Musée de Dresde un dessin original de la même œuvre; exécutée en peinture, elle faisait partie des fresques de la Magliana, dont le musée du Louvre a acquis en 1873 les derniers débris. Puisque nous avons été amené à parler d'art moderne, nous mentionnerons encore la frise décorée de 1855 à 1859 par Hippolyte Flandrin, dans le goiU antique, à l'église Saint-Vincent de Paul à Paris. Le long des parois supérieures de la nef, un cortège de saints est en marche vers le Christ représenté au fond de l'abside. Dans la partie de gauche figure, au milieu des martyrs, sainte Félicité précédée de ses sept enfants.

(2) Loc. cit., p. 458.

APPENDICE

EPITAPHES DES PAPES DES CINQ PREMIERS SIÈCLES

Les ténioi{]^nages que nous avons apporte's plus haut (1) de la venue de saint Pierre à Rome, et qui se rapportent surtout à son martyre et à sa sépulture, sont majestueusement résumés dans la basilique Vati- cane, qui, depuis Constantin, recouvre son tombeau. Non pas que l'on contemple, dans sa forme primitive, cette vénérable construc- tion dont l'histoire est inséparable de celle de l'Église (2) ; mais, quelque jugement que l'on porte sur une transformation à laquelle le génie de Michel-Ange n'est pas resté étranger, la basilique actuelle de Saint-Pierre de Rome, par les cendres conservées en sa mystérieuse confession et sous sa coupole hardie, comme par un aimant caché, de- meure le centre d'attraction de notre globe.

Ce tombeau, d'ailleurs, n'est pas isolé; et l'aspect singulier des nombreux monuments funéraires qui se dressent alentour a inspiré un livre non moins singulier, les Tombeaux des imiies romains, par Perd. Gregorovius (3), qui s'y est proposé « de retracer l'histoire de la papauté comme en un bas-relief-' . Sans prendre toutes ses esquisses pour des portraits définitifs, on se plaira à reconnaître à son œuvre

(1) V. notre première partie, p. 19 etsuiv.

(2) On pourrait aussi dire, de celle de notre pays. Cf. un travail curieux de M. de Rossi sur le tombeau de sainte Pétronille dans une chapelle de Saint-Pierre, placée depuis Pépin le Bref sous la protection des rois de France, Bull., 1878, p. 125, et 1879, p. 5.

(3) Die Grahnuilcr dcr riimischcn Piipste, hislorischc Sluilie (Leipzig, F. A. Brockhaus, 1857). L'auteur vient d'en faire paraître une nouvelle édition à la même librairie (1881) sous ce titre : Die Grabdcnl.miilcr (1er Piipste, Marksteine dfr Geschichte des Papsttums.

220

une vivacilc dr style qu'il n'est pas ordinaire de reneontrer dans les écrits allemands, même comjmse's en Italie. Quoi qu'il en soit, l'au- teur, aujoui-d'Iuii bien connu (1), de \ Histoire de Rome au moyen âge, e'tablit la suite des sépultures pontificales à partir du sixième siècle, et le monument fait défaut, il relate l'e'pitaphe, lorsqu'il a pu la retrouver dans les livres (2). 11 nous a semblé intéressant de gi'oupcr les matériaux destinés à composer une liste semblable, autant que le permettent les découvertes archéologiques, en ce qui concerne les cinq premiers siècles.

La Roma sotterranea de INI. de Rossi nous rend les tombeaux des papes qui reposèrent dans les cimetières hors de la ville. Plus ancien que la i)lupart de ces cimetières est Tliypogée du Vatican, les successeurs immédiats de saint Pierre furent déposés près de lui, ainsi qu'en font foi les itinéraires des pèlerins, si utiles pour reconsti- tuer la topographie des lieux qu'ils visitaient : Petnis in occidentali parte civilatis juxta viam Corneliam ad miliarium primum incorpore rcqiiiescitj, et jmntificalis ordo, excepto numéro pauco, in eodem loco in tumbisjn-opriis requiescit. Et ici il n'y a pas de confusion possible, car ils savaient toujours distinguer la crypte, juxta corpus heati Pétri, du poitique extérieur l'on rangea les sarcophages des papes du cinquième siècle, apud basilicam heati Pétri. Cette crypte, qui existe encore et forme l'église souterraine, avait ce])endant été boule- versée lorsqu'on jeta les fondements de l'édifice actuel au seizième siècle, et quand, au dix-septième, sous Urbain VIII, on posa le sou- bassement du gigantesque baldaquin de bronze, on i-encontra [du- sieurs corps dans des sarcophages. Torrigio, témoin oculaire, rapporte que sur l'un de ceux-ci était écrit un simple nutt: Linus{S). M. de

(1) .1. .1. Ampèrk présentait pour la première fois chez nous Gréiyuroviiis, en le qualifiant justement ' d'homme de talent, de savoir et d'imagination , p. 46 de l'Introduction à la traduction française (Paris, Michel I.évy, 1859).

(2) Kncoi'c dans la traduction italienne (Uoma, fratelli Rocca, 1879), revue par l'auteur, celui-ci disait, p. 17, en note : « Lascio da parle l'epoca délie calacomhc, coMiincio la série délie iscrizioni sloriclic soltanfo col sccolo seslo. Dans l'édition allemande de 1881, les premiers papes ont clé ajoutes à la liste finale.

(3) Sagre tjrolle iaticanc, p. Cl. Si;\T.i\\N(> mentionne : t'na lavola cou l'iscri- zione s. Linus ", mais cette manière de parler ne suffit pas pour détruire le lémoi- {jnage de Tonnicio, qu'elle conircdirail en deux points, (f. /!ul/.. ISGi, \^. 50.

,'\N,Ci[ENNp BASILIQUE CONS TANTINIEXNE DE SAIM-PIEP.RE D'après nue fresque de l'ésUse Sun KJariino ai Jifonii,

Dessin de Vidllet-le-Duj^ re^n'oiluit dans la Home de Francis Wëv.

223 -

Rossi fait remarquer que le nom est Irés-rare dans l'e'pigraphie, que l'emploi d'un sarcopha{je e'tait plus fre'quent à l'origine pour une tombe de distinction, qu'enfin le laconisme même de l'inscription parle en faveur de son antiquité'. « Comment donc croire, dit-il, que ce nom, dont les onze mille inscriptions chre'liennes de Rome pendant les six premiers siècles n'offrent pour ainsi dire pas d'exemple , ait apparu, par un pur effet du hasard, pre'cise'ment la notice bio- graphique du pape saint Linus nous enseigne qu'il fut enterre'? " Benoît Drei, employé de la basilique Vaticane et te'moin, lui aussi, de la découverte, dessinant en 1G35 le plan de la crypte, nota le point précis fut trouvé le sarcophage. Il esta penser que des fouilles en cet endroit le mettraient à jour avec ceux des autres papes, pour les- quels le Liber ^^onti/icalis hn\'K[\ie la même sépulture; car, si les dires des pèlerins, qui avaient vu la chambre papale du cimetière de Cal- liste sur la voie Appienne, ont reçu de nos jours la plus entière con- firmation, pourquoi seraient-ils déuientis quand ils ne sont pas moins affirmatifs pour la crypte du Vatican (1) ?

Une inscription, qui existe encore dans cette crypte, fournit des renseignements sur les travaux importants dont la colline voisine fut l'objet dès le quatrième siècle :

Cingebant laticcs moiilem, teneroque meatu Corpora multorum, cincres atque ossa rigabant. Non tulit hoc Damasus, comiiiuni legc sepultos Post requiem tristes iterum persolvcre pœnas. Protimis adgressus magnum superare laborem, Aggeris inimensi dejecit culmina montis. Intima sollicite scrutatus visccra terrae, Siccavit totum ([uidquid madefecerat humer : Invcnit fontcm prœbet qui dona salutis. Hi-BC curavit Mercurius levita (îdelis.

En effet, le pape saint Damase se servit de cette source pour ali-

(1) Il est de bon ton chez certains historiens allemands d'ignorer ou de travestir

les monuments chrétiens de Rome. F. GÔRHES, Zcitschriftfûr iclsscnschaftlichc Théologie, 1877, p. 242, à propos des épitaphes de deux papes, place le cimetière de Calliste zu S. Gallist in Transtcicre, comme si, pour Paris par exemple, on transportait les sou- terrains d'Arcueil à Auteuil. V. au sujet des ârchœologischc Studien iibcr altchristlichc Mo- immciUe de V. SciiCLTZE (Vienne, 1880 J, !e Bulklm crtiiquc du 15 oct. 1880, p. 203.

221

nieiiler le liaplislèrc qu'il fit construire, cl au-dessus de rcnlrce du(jiicl il fit écrire (Ij :

Non li.i'C liumanis opibus, non arte magislra,

Scd priPSlanto Pctro, cui iradila janua cœli est, Anlistcs Clirisli coinposuil Daniasus.

L'na rclii srilcs, uniiiii vcriiniquc lavaciiiin : Vinciila niilla Icncnl {qiicni liquor istc hu-at).

Le deinier distique nous arrêtera un instant par son allusion à un monument qui se l'attache à la mcmoii e de saint Piei're. I^' église de Rome est une de celles dont pailait Tertiillien (2), « président encore, et dans les mêmes jilaces, les chaires des Apôtres i'. Son calendrier primitif marque au 22 février une fête dont l'origine re- monte aussi haut que celle de INoOl, le Natale Pctri de cathedra (3). Ce joui-là, de temps immémorial, comme au jour de leur introni- sation, il était d'usa(je que les papes s'assissent sur un siège présen- tement conservé au fond de l'abside de la basilique Vaticane. Il fut sorti, en 1807, de l'enveloppe de bronze dans laquelle il était enfermé depuis deux siècles (4), et Ton put observer alors, d'une part, sur des revêtements de bois d'acacia , des aj)plications d'ivoire dont les plus modernes sont de l'époque de Charlemagne; de l'autre, des mon- tants verticaux et horizontaux en chêne clair, rongés par la vétusté ou tailladés à dessein, mais nus et munis seulement de quatre an- neaux. Cette seconde partie de la chaire, incontestablement la plus ancienne, correspond exactement à la description qu'en faisait en 501 Kiinodius de Pavie, alors qu'il la voyait servir à administrer la con- firmation immédiatement après le baptême (5). Nous savons qu'elle

(1) L'inscription est incomplète, la fin a été suppléée par M. de Rossi, Bull., 1877, p. 9. Cf. pour !:i précédente, ihid., pi. iii-iv.

(2; De prœ'.cript., c. xvwi : l'erciirrc ccclcsias apostolicas, apnd qnas ips.r adhuc cjtliedr?e apostoloriiin suis l.xis pracsident... si Itali.r adjaccs, liabes l{omam.

'3) r,i iNAUT (éd. de r.alisbonnc), p. C31.

(i) n avait été décrit cii lOGti par I'ii(H:nri s, et fut examiné A nouveau par M nr, RO.SSI. Cf. //«//., 1867, p. ,'Jî-i2, d'où les détails suivants sont lires.

(5) Ecce nunc ad (jcsiaioriam scllam apostolicac confessionis uda millunl liniina

225

était dans le baptistère depuis le pape saint Damase; l'épitaphe de son successeur, qui sera reproduite plus tard en entier, reçoit de ce fait une explication naturelle :

Fonte sacro magnus meruit sedere sacerdos.

Un Africain contemporain, saint Optât de Milève(l), e'crivant contre les donatistes vers 372, leur demande sie'ge leur e'vêque : Numquid potest dicere in cathedra Pétri, quam nescio si vel oculis novitj et ad cujus memoriam non accedit quasi schismaticus ? Enfin, l'auteur romain du poëme contre Marcion, ante'rieur à la dernière per- se'cution, et qui rejoint presque Tertullien à qui le poëme a e'te' attri- bue', place dans cette chaire, non-seulement Temblème, mais encore la réalité' de la succession pontificale (2) :

Hac cathedra, Petrus qua sederat ipse, locatum Maxima Roma Linum primum considère jussit.

Constabat pietate vigens Ecclcsia Romœ Composita a Petro, cujus successor et ipse Jamque loconono cathedram suscepit Hyginus.

Pendant les persécutions, le souvenir d'une chaire saint Pierre s'e'tait assis, se conservait dans la plus ancienne peut-être des cata- combes de Rome, le cimetière Ostrien, situe' entre la voie Salaria et la voie Nomentane. A cet endroit, de'sig^né aussi par l'antique appellation ad nymphas S. Pétri ou ubi Petrus baptizabatj un hypoge'e, décrit jadis par Bosio, a été récemment retrouvé par M. Mariano Armellini, qui y a déchiffré les restes d'une inscription peinte en rouge sur le

stuc (3) :

SANC PET(ri) (san)C EMERENTANE.

candidates; et uberibiis, gaudio exactore, fletibus collata Dei beneficio dona gemi- nantur.

(1) Ad Parmenian., 1. II, c. IV.

(2) Liv. m, V. 275 et S.

(3) Scoperla délia cripta di S. Emcrenziana e di una memoria relaliva alla catledra di S. Pic tro nel cemclero Oslriano (Rome, 1877).

15

220

Dans la liste des huiles de l'abbé Jean, ce sanctuaire fi(;ure avec la mention suivante (1) : ...oleodesede ubiprius sedit sanctus Peints. Ce- pendant, l'auteur d'un roman e'bionite syrien du troisième siècle, qui prend le nom de saint Clément, raconte dans sa lettre-préface à saint Jacques que saint Pierre l'installa lui-même dans sa chaire, et le sa- vant professeur Lipsius (2) prétend sérieusement renfermer dans cette allégation l'origine de toute la tradition relative à l'épiscopat romain de saint Pierre (3). Pour nous, nous n'y trouvons qu'une nouvelle preuve de la croyance générale à l'existence d'un monument de ce genre dans TÉgUse de Rome.

Nous avons déjà vu (4) que saint Zéphyrin fut le premier à renoncer à l'hypogée de la voie Cornelia comme lieu de sépulture, et qu'après ses dix-neuf années de pontificat, il fut enterré à la métropole de la voie Appienne, qui ensuite obtint la plupart des tombeaux de ses suc- cesseurs pendant le troisième siècle, on se rappelle par suite de quelles circonstances. Il semble que ce soit à lui que se rapporte un vers de l'inscription damasienue retrouvée en une centaine de fragments dans la chambre dite des Papes, et relative aux différents souvenirs du ci- metière de Calliste :

Hic congesta jacel qua;ris si lurba piorum : Corpora sanctoruiii retinent vcacranda scpulcra, Sublimes animas rapuit sibi rcgia cœli. Hic comités Xysli portant qui ex hostc tropa-a ; Hic numerus procerum servat qui altaria XPl; Hic ]}osilus longa vixit qui in pace sacerdos ;

(1) RciNAUT (éd. de Ualisbonne), p. G35.

(2) Chronologie dcr romischfn IJischo/c bis ~ur Mille des vicrlcn Jahrhunderls (Riel, 1869), p. 167.

(3) Il s'agit des Hccounaissanccs qui, traduites en latin par Rliin, n'étaient pas écrites en grec avant Tertullien. Elles n'ont rien de commun avec la légende ro- maine de Simon le magicien, dont le plus ancien témoin est l'auteur des Philusoplm- mcna, vcrs le second quart du troisième siècle. Quant à saint .Justin, qui, c(>nq)a- Iriote de Simon, connaissait pertinemment son histoire, il ne parle ni de saint l'aul ni de saint Pierre, ni de saint Clément; on vient de trouver à Rome un troisième exemple de l'in-scription qu'il cite dans la 1" Apoloijic, c. xxvi, et qu'il lui attribuait par erreur. V. la planche du fasc. 3-4 des Siudi c Documcnti di sioria e diriiio, 1881, et la note du chev. Visconti.

(4) V. notre troisième partie, p. li>G.

Intp.LeintPcici» & C" Pans

227

Hic confossoros saiicti quos Grœcia niisit ; Hic juvcncs pucri((uc, scncs casliquc ncpotcs Quels mage virgiiicuin placuil rclincrc pudoreni; Hic, fateor Damasus, volui mea conderc menibra, Sed cineres timui sanctos vexarc piorum.

Ses restes devaient être de'pose's dans un sarcophage qui a pe'ri. 11 existe une partie de la pierre qui fermait à plat la tombe de saint Ur- bain ; on y lit : OïPIiANOG E^TUGy.or.oç). Les autres épitaplics, ainsi que les corps, onte'té e'tagés le long des parois delà crypte : ANTEPQC- Efll tDABIANOC- Eni MP. Ces deux dernières lettres sont d'une écri- ture poste'rieure. Pour le pape suivant, il repose un peu plus loin, dans une se'pulture de famille ; son inscription est latine, tandis que la langue officielle de l'Eglise romaine e'tait encore la langue grecque : CORISELIVS MARTYR EP. Après lui, la chambre des papes : AOYKIC, puis à un assez long intervalle : EÏTrXÏANOG EniG.

A cette pe'riode appartient saint Sixte II, dont la chaire se con- servait là, quoique son martyre eût eu lieu au cimetière de Pre'textat, de l'autre côte' de la voie Ai)pienne ; on a son e'ioge damasieu :

Tempore quo gladius sccuit pia viscera Matris, Hic posilus rector cœleslia jussa docebani; Advcniunt subito, rapiunt qui forte scdentcin Militibus niissis populi tune colla dedere. Mox sibi cognovit senior ([uis toUere vellet Palinam, seque suumquc caputprior obtulit ipse, Impatiens feritas posset ne hïdere quemquam. Ostendit Christus, reddit qui prjemia vitîB, Pastois merituni; numcrum gregis ipse tuelur.

Dans une partie diffe'reute du cimetière de Calliste, on a retrouve l'épitaphe de saint Gaïus :

VOLIOY Ellïcx

* KAT *

IlPo i KAA MAIiiv

Ses deux successeurs, sous la persécution de Dioctétien, furent eu-

15.

228

terrés au cimetière de Priscille, qui n'avait pas e'té confisqué. Voici l'éloge damasien de saint Marcel :

Veridicus rector quia crimina Acre Praedixit, miseris fuit omnibus hostis amarus. Hinc furor, hinc odiuin sequitur, discordia, lites, Seditio, cœdcs; solvunlur fœdera pacis. Crimen ob alterius Christuui qui in pacc negavit, Finibus expulsus patriœ est fcritate tyranni. Hîec brevitcr Damasus voluit comperta referre, Marcelli ut populus meritum cognoscere posset.

Saint Eusèbe, mort en exil, fut transporté dans une crypte à part du cimetière de Calliste. Son inscription existe en double exemplaire. De l'original, il reste quelques fragments échappés à la dévastation des catacombes par les barbares qui assiégèrent Rome, et elle fut re- faite sur le revers d'un marbre païen :

I> DAMASUS EPISCOPUS FECIT

A R

H I

A Heraclius vetuit lapsos peccati dolore, "

D

p Eusebius docuit sua crimina flere :

' l

A Scinditur in partes populus gliscente furore, J

u Seditio, caîdes, bellum, discordia, litcs. ^

L F

T I

o Extemplo pari ter pulsi feritate tyranni. ''

c

^ Integra cum rector servaret fœdera i)acis, i,

Q "

u s

Pertuiit exsilium Domino subjudice lœtus. s

G A R

" LittoreTrinacrioniundum vilamquereliquit. '

T s

o I

a EUSEBIO EPISCOPO ET MARTYUI t (l)

(1) On a retrouvé dans ces catacombes le couvercle d'un immense sarcopliaj^c qui n'a pu Cire descendu sous terre que depuis la paix de l'Église : condition qui con- vient à la sépulture du pape saint Miltiacle. rostérieureuieut , on recouinicnça à enterrer à la surface du sole

229

Les colonnes late'iales nous donnent le nom du calligraphe Furius Dionysius Pliiloealus, auteur du type particulier d'alphabet connu sous le nom de damasien, parce qu'il le consacra aux inscriptions que multipliait le pape son ami. Quant à saint Damase, qui fit tant pour sauver de l'oubli les tombeaux des autres, on n'a pu encore de'couvrir le sien (1).

Il avait composé lui-même son e'pitaphe :

Qui gradiens pelagi fluctus compressit amaros; Vivere qui praestat morientia semina tcrrae; Solvere qui potuit Lazaro sua vincula niortis, * Post tenebras fratrcm, post tertia luniina solis, Ad superos iterum Mariae donare sorori : Post cineres Damasum faciet quia surgere, credo.

Celle de saint Siricius, qui ne nous est aussi parvenue que dans les manuscrits, paraît avoir subi de graves alte'rations :

Liberium lector mox et levita secutus, Post Damasum clarus totos quos vixit in annos, Fonte sacro magnus meruit sedere sacerdos, Cunctis ut populis pacem tune solidam daret. « Hic pius, hic justus felicia tempora fecit;

Dcfensor magnus, multos ut nobilis ausus Régi sublrahcret ecclesi.ie aula defendens, Misericors, largus, meruit per srecula nomen. Ter quinos populum qui rexit in annos amore Nunc requiem sentit cœlestia régna potitus.

Dans la basilique construite au-dessus du cimetière de Priscille se trouvait, comme la pre'cédente, l'inscription de saint Célestin (2) :

(1) Il est incertain si l'inscription damasienne commençant ainsi : ...vitafuit Marci quam novimus omnes, appartient au pape saint Marc, qui fut enterré sur la voie Ardéa- tine. C'est é{T;aIement de ce côté que saint Damase choisit l'endroit de sa sépulture.

(2) Avant ce pape se place saint Zozime, dont le pontificat dura moins de deux ans, et qui mourut au temps de Noël et fut enterré dans la basilique de Saint-Lau- rent hors les murs. M. de Rossi vient de reconstituer son inscription, Bull., 1881, p. 93 :

Discere si merens patris meritum cupis almi Hune Petrus Zosimum vcrum secum ei sociavit. Somnio praecessis dénis vix raensibus anno Natali venerando advenienteque sacrato Laetitiae populo ferias concédera jussit.

230

Pijpsul apostolicu' sodis, vcncrabilis omni Ouem rcxit populo, decimum dum condcrot annum Cœlcslinus affcns, vilam miffravil in illam, Débita (iinr sanclis iPlcrnos rcddil honores. Corporis hic luniulus : rc:|uicscunl ossa cinisquc, Ncc périt hinc oliquid, Domino caro cuncla resurgit. Terrenum nunc terra régit, mens neseia niortis Vivit, et aspectu fruitur bcne conscia XPI.

Saint Léon le Grand renouvela la tradition, maintenue dans la suite par l'immense majorité' des papes (1), de se rapprocher du tombeau du

prince des A])ôtres. Seulement, les se'pulturcs l'urent de'sormais re'srr- vées à l'atrium qui précédait la basilique constantinienue de Saint- Pierre. C'est ce dont témoigner épi tai)he de saint Anastase II :

Limina nunc scrvo, Icnui qui culmina scdis;

Ilic merui tuniulum pr.TSul Anastasius. Prcsbytero genitus, delegi dogmata vitap,

MiliticTqucDci natus in officiis, Pontificum casto famulatus pcctore jussis,

Obtinui magnum nomen apostolicum.

Ici nous devons nous arrêter. Avec saint Félix IV, nous rejoijjnons Gregorovius, qui commence sa liste par l'épitaphe de ce pape, sans donner toutefois celle de son successeur Boniface II, laquelle, d'ail- leurs, étant datée, a trouvé place au n" 1020 du tome I" des Inscrij- tiones christ ianœ de M. de Rossi (2). Il y aurait plus d'une auti(> omis- sion à signaler. iNotons seulement une erreur de l'historien allemand, lorsqu'il indique le })a])e Vigile comme enterre' à Saint-Pierre; il voulut être enterré au cimetière de Priscille, auprès de saint Marcel, dont îl transporta sans doute le tond)eau de la crypte à la basilique supérieure (3). 11 nous sera permis d'ajouter un renseignement com- ])lémenlaire, qu'ont négligé les éditeurs italiens, ou qui leur avait

(1) Saint Félix ni eut son tombeau à Saint-Paul hors les murs, était enterrée sa famille. On a l'inscription de son père, de sa femme et de ses trois enfants morts lorsqu'il était diacre.

(2) Les inscriptions données ci-dessns seront éditfes avec tout le soin désirable par l'illustre an liéoioyue dans son tomeU.

(3) llull., 1«80, p. M,

231

échappé (1) malgré le millésime de mars 1879. L'Osservatorc ro- mano du 17 février 1878 a publié l'extrait suivant du testament de Pie IX : 'i jMon corps devenu cadavre sera enseveli dans l'église de Saint-Laurent hors les murs, précisément sous le petit arc (2) existant à la hauteur de la pierre, appelée gril, apparaissent encore les taches imprimées par le martyre de Tillustre lévite. La dépense du monument ne devra pas excéder quatre cents écus. v Voici, telle que ce pape de glorieuse mémoire l'avait rédigée lui-même, son épi- taphe (3) :

OSSA ET CIPsERES PII PAPAE IX

VIXIT A LXXXV IN POiMlF A XXXI INI VU D XXI ORATE PRO EO

(1) Cf. cette édition, p. 191, et la deuxième édition allemande, p. 186.

(2) A droite et à sauche de ce petit arc, il en existe deux autres ; tous trois avaient servi de sépulture à un pape : celui de droite à saint Hilaire, celui de gauche à saint Zozime, celui du milieu à saint Sixte III. On a retrouvé les débris du sarcophage de ce dernier en creusant le tombeau du pontife défunt.

(3) Depuis que nous écrivions ces lignes, la translation des restes de Pie IX à leur sépulture définitive a eu lieu dans la nuit du 12 au 13 juillet 1881.

LISTE DES PAPES

DE SAINT PIERRE A SAINT FÉLIX IV

NOMS,

S. Pierre

S. Lin-

S. Clet

S. Anaclet .... S. Clément .... S. ÉVARISTE . . . S. ALE.XANDRE. .

S. Sixte I

S. TÉLESPHORE .

S. Hygin

s. Pie I

S. AXICET

s. SOTER

S. ÉLEUTHÈRE ..

S. Victor

*S. ZÉPHYRIN (1).

s. Calliste

*S. Urbain

S. PONTIEN

*S. Anteros

*S Fabiex

*S. CORNELIUS.. .

*S. Lucius

s. ETIENNE

*S. Sixte II....

S. Denys

S. FÉLIX I

*S. EUTYCIIIEN. . .

*S. Gaïus

S. Marcellin . .

*S. Marcel

*S. Eusèbe

*S. Miltiade

AVÈNEMENT.

MORT.

SÉPULTURE.

42

67

A l'hypogée du Vatican.

67

79

Auprèsducorpsdes. Pierre.

79

85

Ibid.

85

93

Ibid.

93 (eiil) 97

101

En Crimée.

97

105

Auprès du corps de s. Pierre.

105

115

Ibid.

115

126

Ibid.

126

136

Ibid.

136

139

Ibid.

139

154

Ibid.

15i

166

Ibid.

166

175

Ibid.

175

189

Ibid.

189

198

Ibid.

198

217

Au cimetière de Callistc, chambre des papes.

217

222

Au cimetière de Calépode.

222

230

Au cimetière de Calliste.

230

(déin.)28sept. 235

30 OCt. 235

En Sardaigne.

((lép.)13 août 237

Au cimetière de Calliste.

21 nov. 235

3 janv. 236

Ibid.

236

20 janv. 250

Ibid.

mars 251

juin 253

Ibid., in prwdio Liichiœ.

juill. 253

5 mars 254

Ibid., chambre des papes.

25Î

2 août 257

Ibid.

257

6 août 258

Ibid.

22 juill. 259

27 déc. 259

Ibid.

5 janv, 270

30 déc. 27Î

Ibid.

275

8 déc. 283

Ibid.

17 déc. 283

22 avril 296

Ibid., in crijpta.

30 juin 296

26 avril 30 î

Au cimetière de Priscille,

in cubiculo ctaro.

fin mai 307

16 janv. .300

Ibid.

1 8 avril 309

17 août 309

En Sicile.

(dép.)26scpt. 311

Au cim. de Calliste, in crypta

2 juill. 310

lOjanv. 314

Ibid.

(1) Les noms précédés d'un * soxxi ceux qui se Irouveut mentionnés dans l'Appendice.

NOMS.

AVÈNEMENT.

MORT.

SÉPULTURE.

S. SlLVESTRE

31 janv. 314

31 déc. 335

Au cimetière de Priscille,

i?i basilica.

*S. Marc

ISjanv. 336

7 OCt. 336

Au cim. deBalbinc, in basi- lica qua/n cœmeterium con-

stituit.

S. Jules

6 févr. 337

12 avril 352

Aucim.deCalépode, in basi- lica ad Callistum.

S. Libère

17 mai 352

24 sept. 366

Au cim. de Priscille, in ba- silica ?

FÉLIX II

3Ô5— (eip.)29juill. 358

11 nov. 365 (dép.)22 déc. 365

In oppido civitatis Romœ? Sur la voie Aurélia, in ba-

silica.

*S. Damase

366

10 déc. 384

Au cim. de son nom, in ba- silica.

*S. SiRICIUS

déc. 384

26 nov. 398

Au cim. de Priscine, in ba- silica.

s. Anastase I

déc. 398

20 déc. 401

Sur la voie Portuensis, ad usurn pileatutn.

s. Innocent I

402

12 mars 417

Ibid.

*S. ZOZIME

18 mars 417

26 déc. 418

Auprès du corps de s. Lau- rent, in basilica.

s. BONIFACE I

29 déc. 418

4 sept. 422

Auprès du corps de sainte Félicité, in basilica.

*S. CÉLESTIN I

10 sept. 422

27 juin. 432

Au cim. de Priscille, in ba- silica.

*S. Sixte III

31 juin. 432

19 août 440

Auprès du corps de s. Lau- rent, in basilica.

S. LÉON I le Grand..

29 sept. 440

10 nov. 461

Dans la basilique de saint Pierre, in poriicu.

*S. HiLAIRE

19 nov. 461

29 févr. 468

Auprès du corps de s. Lau- rent, in basilica.

s. SiMPLICIUS

3 mars 468

10 mars 483

Dans la basilique de saint Pierre, in porticu.

*S. FÉLIX III

13 mars 483

l"mars 492

Dans la basilique de s. Paul, hors les murs.

s. GÉLASE

8 mars 492

21 nov. 496

Dans la basilique de saint Pierre, in porticu.

*S. Anastase II

24 nov. 496

19 nov. 498

Ibid.

S. Symmaque

22 nov. 498

19 juin. 514

Ibid.

S. HORMISDAS

20juill. 514

6 aoiU 523

Ibid.

S. Jean I

13 août 523 12 juin. 526

gie, jusqu'en 230, ne rep

18 mai 526

19 sept. 530

ose pas sur des ch

Ibid. Ibid.

iffres certains, mais probables

S. FÉLIX IV

:V. B. La chronolo

(cf. Die iiltesten rômischcn i

hschn/slisten, à la suite de 1

ouvrage déjà cité

de Ilarnack); depuis cette date,

elle est obtenue en con

binant les données fouri

lies par le Catalogi

le libérien, le Martyrologe hiérony-

mien et le Liber pontificali

s.

TABLE CHRONOLOGIQUE

2 septembre 31 avant J.C. (723 de n-i avant J. C. (748-750 de Rome). Premier Rome ). Octave vainqueur ;\ gouvernement de P. Sulpicius Quirinius Actium. en Syrie.

Avril 4 avant J. C. Mort d'IIérode l'Idu-

méen. 6 à 10 après J. C. Deuxième gouvernement de Quirinius en Syrie.

19 août 14 après J. C. Mort d'Oc- tave-Auguste. Av. de Tibère.

16 mars 37. Av. de Caligula. 24 juin 4t. Av. de Claude.

13 octobre 5î. Av. de Néron.

9 juin 68. Av. de Galba.

26-36. Pilate procurateur en Judée. 36. Martyre de saint Etienne.

39. Exil d'Hérode Antipas en Gaule.

42. Édit de Claude en faveur des Juifs. Martyre de saint Jacques le Majeur à Jérusalem. Saint Pierre en prison; il s'en vient à Rome.

Janvier 44. Mort d'Hérode Agrippa.

49. Expulsion des Juifs de Rome.

50. Concile de Jérusalem.

52. Saint Paul convertit saint Denys l'Aréo- pagite.

54-57. Saint Paul évangélise le pays d'Éphèse.

58. Épître de saint Paul aux Romains.

58. Pomponia Grîecina est jugée et ac- quittée.

60. Porcins Fcstus, procurateur à Césarée.

61-63. Saint Paul prisonnier à Rome. Épitre aux Philippiens.

62. Martyre de saint Jacques le Mineur à Jérusalem.

19 juillet 64. Incendie de Rome. Persé- cution des chrétiens.

67. Mort de saint Pierre.

6s. Les chrétiens se retirent de Jérusalem.

230

16 janvier G9 Mort de Galba. IG avril G9. Mort d'Olhon. 20 décembre 69. Mort de Vitel- lius. Av. de Vespasicn.

24 juin 79. Av. de Titus. 13 septembre 81. Av. de Domi- tien.

18 septembre 96. Av. de Néron. 27octobre97. AdoptiondeTrajan. 27 janvier 98. Av. de Trajan.

11 août 117. Av. d'Hadrien.

18-20 décembre 69. Incendie du Capitole.

Mort du préfet T. Flavius Sabinus. 70. Titus s'empare de Jérusalem.

95. Supplice de saint Jean à la porte Latine. Les petits-fils de Jude à Rome.

95. Martyre de Flavius Clemcns.

95-99 environ. Exil de Domitille à Pontia. 12 mai 96. Martyre des saints Nérée et Acbillée.

96. Lettre de saint Clément aux Corin- thiens.

105-107. Atticus, gouverneur de Palestine.

Martyre de saint Siméon à Jérusalem. 112. Rapport de Pline à Trajan. Rescrit

de Trajan.

éccmbrc 115. Terrible tremblement de

terre à Antioche. Guerre des Parthes. 116. Hadrien, légat de Syrie, condamne

saint Ignace aux bêtes. 24 août 116. Lettre de saint Ignace aux

Romains. 20 décembre 116. Martyre de saint Ignace

à Rome. 116. Révolte des Juifs en Mésopotamie, en

Cyrénaïque, en Egypte. 116-117. Lettre de saint Polycarpe aux

Philippiens.

119. Hadrien quitte Rome pour le nord et l'ouest de l'empire; au milieu de 121, il traverse Rome , et repart pour l'Orient, il reste quatre ans et demi.

123. Apologie de Quadratus.

124-125. C. Miniclus Fundanus, procon- sul d'Asie, reçoit le rescrit d'Hadrien.

Hiver 125-126. Séjour d'Hadrien à Athènes.

Apologie d'Aristide.

131. Hadrien à Alexandrie, lettre à Scrvien. 133-136. Dernière révolte des Juifs. 135. Retour d'Hadrien à Rome.

237

136. Adoption de L, Ceionius Commodus (.-Elius Caesar).

1" janvier 138. Mort d'iElius

Caesar. 25 février 138. Adoption d'Anto-

nin. 10 juillet 138. Av. d'Antonin.

f mars 161. Av. de Marc-Aurèle. Association de Lucius Vérus.

12 octobre 166. Commode, césar. Janvier 169. Mortde Lucius Vérus.

Juin 177. Association de Com- mode en qualité d'auguste.

17 mars 180. Av. de Commode.

136. Conversion de saint Justin au chris- tianisme.

136. Hadrien fait périr Servicn et son petit- fils Fuscus.

136-138. Martyre de Getulius, de sainteSym- phorose et de ses sept fils.

138-139. Première apologie de saint Justin.

150. Voyage à Rome d'Hégéslppe.

154. Voyage de saint Polycarpe.

23 février 155. Martyre de saint Polycarpe.

Lettre de l'Église de Smyrnc. 155-160. Q. LoUius Urbicus, préfet de Rome.

160. Martyre de chrétiens à Rome.

161. Seconde apologie de saint Justin.

161-163. P. Salvius Julianus ,préfetdeRome. 162. Martyre de sainte Félicité, à Rome, l^i" janvier 163. Q. Junius Rusticus, préfet

de Rome. 164-165. L. Sergius Paullus, proconsul

d'Asie. Martyre de Sagaris, évêque

de Laodicée. 170. L. Sergius Paullus, préfet de Rome. 170. Lettre de saint Dcnys, évêque de

Corinthe, au pape Soter. 172. Marc-Aurèle en Orient. Apologie

de l'évêque de Sardes, Méliton. 174. Expédition de Marc-Aurèle contre les

Quades. Legiofulminata.

176. Minucius Félix.

177. Légation d'Athénagore.

Août 177. Rescrit au légat de la Lyon- naise V^. Martyre des chrétiens à Lyon.

178. Discours véritable de Celse.

Août 178. Marc-Aurèle part contre les Mar- comans avec Commode.

16 septembre 178. Martyre de sainte Cécile. 178-185. Caius Aufidius Victorinus, préfet

de Rome.

17 juillet 180. Martyrs Scillitains, sous le proconsulat de Vigellius Saturninus.

238

31 décembre 192. Mort de Com- mode.

1" janvier 193. Av. de Pcrlinax.

28 mars 193. Mort de Pcrlinax.

I'^'^ juin 193. Mort de Didius Ju- lianus.

2 juin 193. Av. de Septime Sévère.

198. Association de Caracalla. Geta césar.

4 février 211. Av. de Caracalla.

212. Mort de Geta.

8 avril 217. Av. de Macrin.

8 juin 218. Mort de Macrin.

H juillet 218. Av. d'IIéliofiabale.

10 juillet 221. Alexandre Sévère, césar.

11 mars 222. Av. d'Alexandre Sévère.

183. Marcia favorite de Commode. 183-186. Perennis, préfet du prétoire.

Martyre du sénateur Apollonius, 188-189. Pcrlinax, proconsul d'Afrique.

193. Faux rcscrits d'Antonin et de Marc-

Aurèle. 193-19G. Caius Domitius Dextcr, préfet de

Rome.

Vers 19Ô. Conciles relatifs ù la PA(|ue.

197. Scptimc Sévère vainqueur d'Albinus à Lyon.

198. Callislecst mis par saint Zéphirinà la tète du cimetière de la voie Appienne.

199. Deuxième consulat de Publius Corné- lius Anullinus, préfet de Rome.

199-200. Ad naliones et Apologétique de Tertullicn.

1" janvier 202. Septime Sévère et Cara- calla inaugurent le consulat en Orient. Édit de Septime Sévère.

7 mars 202. Martyre de sainte Perpétue Carihage, sous Minucius.

18 juillet 202. Martyre de sainte Guddène à Carihage, sous Apuleius Rufinus.

.4oiU 202. Septime Sévère renlre en Italie avec la flotte d'Alexandrie; mariage de Caracalla avec la fille du préfet du pré- toire Plauticn.

202-21 1 . Lucius Fabius Cilo, préfet de Rome.

20â-20G. Caius Julius Asper, proconsul d'Afrique.

211-212. Caius Julius Asper, préfet de Rome.

22S. i'^Iorl d'LIpicn, préfet du prétoire. 231. Expédition d'Alexandre Sévère contre les Perses,

239

19 mars 235. Av. de Maximin.

Avril' 237. Gordien est proclame

empereur en Afrique. 27 mai 237. Il est élu par le sénat.

9 juillet 237. Mort des deux Gor- diens. — Élection de Pupicnus Maximus et de Balbinus.

Mars 238. Mort de Maximin. Juillet 238. Mort de Pupienus

Maximus et de Balbinus. 15 juillet 238. Élection de Gor-

dianus Plus Africanus III. Mars 244. Av. de Philippe.

10 mars 249. Av. de Dèce.

20 novembre 251. Av. de Gallus. Août 253. Av. de Valéricn.

235. Décret de persécution de Maximin. 236-237. Gordien, proconsul d'Afrique.

259. Valérien pris par les Perses. Gallien, seul empereur.

268. Av. de Claude II le Gothique. 270. Av. d'Aurélien.

Mars 275. Av. de Tacite.

276. Av. de Probus.

282. Carus, Carin, Kuméricû.

284. Av. de Dioclétien.

292. Deux augustes et deux césars : Dioclétien et Maximien , Ga- lère et Constance Chlore.

250. Persécution. Édit de Dèce.

251. Schisme de Kovalus. Édit de Gallus. 253. Mort d'Origène à Tyr.

257. 1" édit de Valérien.

30 août 257. Saint Cyprien exilé par le pro- consul Aspasius Paternus à Curubis.

258. Second édit de Valérien.

C août 258. Martyre de saint Xyste II dans le cimetière de Prétextât avec quatre sous-diacres et deux diacres.

10 août 258. Martyre du diacre saint Lau- rent.

14 septembre 258. Saint Cyprien est rap- pelé d'exil et condamné à mort par le pro- consul Galerius Maximus.

21 janvier 259. Martyre de saint Fructueux, évéque de Tarragone en Espagne.

2 septembre 259. Martyre des clercs Ma- rianus et Jacobus à Cirta (Constantine).

Fin de 259. Édit favorable de Gallien.

272. Affaire de Paul de Samosate. Fin de 274. Édit d'Aurélien.

12 mars 295. Martyre de Maximilien à Théveste (Tebessa).

298. Décret excluant les chrétiens de l'ar- mée.

240

l^"" mai 305. Abdication de Dio- cléticn et de Maximien. Sé- vère cl Maximin Daïa, césars.

306. Mort de Constance Chlore. Constantin.

306. Défaite de Sévère par l'usur- pateur Maxencc, fils de Maxi- mien.

310. Mort de Maxiinien à Mar- seille.

15 mai 311. Mort de Galère.

Licinius, césar. 28 octobre 312. Bataille du pont

Milvius. Mort de Maxence. 313. Mort de Maximin.

324. Mort de Licinius défait par Constantin.

23 février 303. Démolition de l'église de Kicomédie.

24 février 303. Premier édit. Dies tradi- tionis.

303. Second, puis troisième édit. Hiver 30î. Quatrième édit. Dies turifica- donis.

311. Maxence restitue au pape saint Mil- tiade les loca ecclesiastica.

30 avril 311. Édit de Galère pour faire ces- cer la persécution.

26 novembre 312. Martyre de l'évèquc saint Pierre d'Alexandrie.

313. Édit de Milan.

13 juin 313. Licinius entre à Nicomédie et affiche l'édit de Milan.

361-363. Dernière tentative de restaura- tion pa'ienne, par Julien l'Apostat.

TABLE DES MATIÈRES

Pages

AVANT-PROPOS I

Sources consultées pour cet essai xv

PREAiiÈRE PARTIE. Rapports des Juifs et de l'Église chrétienne avec

l'Élat romain jusqu'en 96 1

DEUXIÈME PARTiù. Rapports de l'Église chrétienne avec l'État romain

de 90 à 180 39

§ I". Le rescrit de Trajan 51

§ II. Les apologistes 66

§ in. Les martyrs 81

TROISIÈME PARTIE. Rapports de l'Église chrétienne avec l'État romain

de 180 à 235 129

QUATRIÈME PARTIE. Résuiîîé dcs rapports de 235 à 313, conclusion. . . . 165

MÉMOIRE. Sainte Félicité et ses sept fils martyrs en 162 187

APPENDICE. Épitaphes des papes des cinq premiers siècles 219

TABLE CHRONOLOGIQUE 235

Vu ET LU ,

eu Sorbonne, le 8 juin 1882, 2)0 r le doyen de In Faculté des lettres de Paris ^

A. HIMLY.

Vu ET PERMIS d'imprimer :

Le vice-recteur de l'Académie de Paris j GRÉARD.

p\t\is. TYror.r,APHiE df. e. plox et c'« iu e g.vuaxciÈue, 8.

THE INSTrrUTE cr »^fDlAFVAL S~ '0 €LMSLt/ PLACE TORONTO 6. CANADA.

8 i â9